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Full text of "Les Irlandais en Amérique avant Colomb: d'après la légende et l'historie ; colonisation de l ..."

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LES 


■ 


IRLANDAIS BN'aMÉRIQUE 




AVANT COLOMB 


1 


E'AFKÈS LA T ,-F-iC^EITDE ET X.UlSXOIiftE 




COLONISATION DE LIRI.AND IT MIKI.A 




Paul GAFFAREL 




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1 


lUBiiiÉi: MB M. l. DRAPErRON 




PARIS 




INSTITUT GÉOGHAI'UIQUE LtE PAIUS 




Cil. DELAGRAVE 


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15, HUE SoUfïLuT, 15 


1890 




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LES 



IRLANDAIS EN AMERIQUE 



AVANT COLOMB 



COLONISATION DE L'IRLAND IT MIKLA 



PAR 



Paul GAFFAREL 



EXTRAIT DE LA REVUE DE GÉOGRAPHIE 



DmiGÉB PAR M. L. DRAPEYRON 



PARIS 

INSTITUT GÉOGRAPHIQUE DE PARIS 

CH. DELAGRAVE 

15, RUE SOUFFLOT, 15 

1890 



^A 



THii îW YORK 

489740 



i 






K 



LES 



IRLANDAIS EN AHÉRIQDE AVANT COLOMB 

d'après la légende et l'histoire 



COLONISATION DE L'IRLAND IT MIKLA 



L'Irlande au moyen âge ne fut pas seulement la terre des saints, mais aussi 
le pays des voyageurs. Énergiques et remuants, fiers de leur indépendance, 
les Irlandais semblaient avoir hèrilé des qualités de leurs ancêtres légendaires, 
les Phéniciens ^. Comme eux ils aimaient le changement et l'activité, comme 
eux ils n'hésitaient pas à porter dans. d'autres régions leur génie d'entreprise. 
La mer, qui de toutes parts les entourait, les attira de bonne heure. Elle par- 
lait à leur imagination avec ses couleurs changeantes, ses horizons mobiles et 
les merveilleux phénomènes dont elle est le théâtre. Aussi ne craignaient-ils pas 
d'affronter ses orages sur leurs barques s recouvertes de cuirs grossièrement 
cousus, qui rappellent lesbaïdares des modernes Esquimaux, et qui déjà frap- 
paient d'étonnement les marins de l'antiquité . c Un peuple nombreux s'agite 
? là, écrivait Avienus 3, ayant l'esprit fier et une grande activité. Tous sont livrés 

^ exclusivement aux soins du commerce, ils traversent la mer dans leurs canots, 

^ lesquels ne sont pas construits en bois de pin ou de sapin, mais fabriqués en 

^ peaux et en cuirs. > 

Ce fut surtout quand l'île devint chrétienne que les Irlandais éprouvèrent 
comme un impérieux besoin d'aller chercher et de porter au loin la science et 
la foi. L'Irlande mérita bien le surnom d'Ile des Saints, à cause du grand 
nombre de ses monastères, de l'instruction de ses prêtres et surtout de l'en* 
traînante ardeur de ses missionnaires. On les trouvait dans tous les pays et 
sur toutes les mers d'Occident. Dans leurs visions mystiques s'offraient à eux 
des peuples à initier à la loi du Christ. Excités par la lecture des livres saints 
et des ouvrages scientifiques* alors connus, et comme enfiévrés par l'habitude 

1. De Rougemont, VAge de bronze, pp. 255, 371.— De Lasteyrie, Revue des Deux 
Mondes, 15 avril 1867. 

2. Le corium, curica ou curach des anciens Celtes est décrit par César (De Bello 
civiliy I, 54), Lucain {Pharsale, IV, 130-5), Pline (Hist. naturelle. Vît, 57), Solin 
(Polyhistoriay 72). 

3. Avienus, Ora marititna, 98-107. Multa vis hic gentis est, — Superbus animuSi 
efficax solertia — ...Mon hi carinas quippe pinis texere, — acereve norunt. Non 
abiete, ut nsurest, — Gurvant faselos ; sed rei ad miraculum, — Navigia junctis 
semper aptant pellibus, — Corioque vastum sœpe percurrunt salum. 

4. Dicuil {Demensura orbis ierrae, § VU, édition Letronne) cite Priscien, Solin, 
Pline, Isidore de Séville, Philoemon, Xénophon de Lampsaque, Pythéas et Onésicrite. 



i LES IULANDAIS EN AMKIIIQUE AVANT COI.OMK. 

(le la tiiùi!i([iIion religieuse en face de rOccan, [es saints d'Erin, à partir dn 

\T siècle, cherchent des mondes inconnus à conquérir à la foi nouvello. 

Pendant que Columba' ut ses disciples immédiats parcourent, la croix en 
main, l'Europe barbare, d'autres moines, leurs compatriotes, s'aventurent sur 
l'Océan et ont la gloire de découvrir des peuples ignorés et le bonheur d'en 
faire des ehréliens. Vers l'an 565, se trouvant ;i h cour de Bnideus, roi des 
Pietés, en présence du chef des Orcades, Coluniba avait déjà l'occasion de re- 
commander k ce dernier^ quelques-uns de ses moines qui s'étaient aventurés 
sur l'Océan, i Quelques-uns des nâlres, lui dit'il, ont émigré dernièrement a?ec 
l'espoir de trouver un pays désert, dans la mer impénétrable ; peut-être après 
de longs détours arriveront-ils aux lies Orcades ; fais donc des recommanda- 
tions pressantes à ce chef, dont tu as les otages en Ion pouvoir, afin qu'il ne 
soit pas fait de mat aux nôtres dans la limite de ses Etals. » Les successeurs 
immédiats de Columba suivirent son exemple et continuèrent leurs périlleux 
voyages^. Dans les siècles suivants ce mouvement d'émigration s'accentua 
encore, i Les essaims sacrés des moines irlandais, écrivaitsaint Bernard', se 
sont répandus sur toutes les nations étrangères. On aurait dit une inonda- 
tion. » < L'babilude des voyages est devenue chez eux une seconde nature », 
disait au tx' siècle Walafrid Strabon ^, et un autre de ses contemporains s'ex- 
primait encestermes : ( Que dire de l'Irlande, qui, méprisant les dangers de 
rOcéau, émigré presque toute entière avec ses troupeaux de philosophes et 
descend sur nos rivages 1 > Ces troupeaux de philosophes, dont il est ici parlé 
non sans une nuance d'ironie, avaient été organisés en confréries par Columba^ 
et par ses disciples immédiats. On les nommait tantôt les Guidées, c'esl-à-dirc, 
d'après une étjmologie assez contestable, les Cultores Dei, tanlût les Papae, 
c'est-à-dire les Clercs'. Leur fondateur leur avait donné pour costume la tu- 
nique blanche ", sans doute par allusion au plumage de l'oiseau symbolique dont 
il portait le nom. Les l'apae conservèrent pieusement cette tunique, qui devint 

1. Lu vie de Columlig, a été £crite par Adamnan, et insérés dans la coUection 
des Dollsadisles, ti 1^ date du 3 juin. Elle a été rééditée p^rW. Kcevcs, Dublin, 1H57. 
On peut encore consulter sur Columba Mackenzie, Scotch luriler» ; — Buller, Life of 
tht saints; — Jotinaon's, Joumetj (o Ihc Western hlea. 

1, Adaninan, ouTr. cité, n Aliqui es nostria nuper emigr^vcruDl. degertum in 
pelat;n intransiiieabili invenire nplûiiles, qui f)irle post longos circuitus Oreudes deve- 
nerunt insulas; huic rei-ulo. cujuB obsîdes in manu tua sunt, diligeotcr commenda 
no ïliquid adversi intra teniimos ejus montra cot Dat. s 

.1. Vuir In prophÉlin ile saint Moctil» de Lugtimogb dans la Vie de Columba par 
Adamnan : ■ Nomen Golumbas ppr omaes insularum occani provincias divulgabitur 

i. Saint Bernard, Vie de saint .Valaehie, p. 5. « In exteras etiam nstioDea, quasi 
iimndatianel'acla, ilta se;e sanctorum examina cITude ru n t. i 

5. Citiï [isr Monlalenibcrl, tiaines d'Occident, IX, 1. 

t;. D. Uonquel, Prélace de la vie lie saint Germain. 1. VIIL, p. 503. « Ouîd Hiber- 
niam memoreni tonlompto pelagi diatrimine, pone lotam cum grega philosophorum 
ad nusira lillom migrantem. n 

7. Ce mot est aoluelleoient réservé par les catholiques pour désigner le souverain 

sens, dans l'nlli^niand ;f/nflè, le russe ;wp, le polonais jinp, !c magjar jiap, et le fin- 
nois lui/ipi. 

S. l'iipBi' ifTii propler albas \esles. quibusul clericl induebantur, tocati lunt, unde 
iii leulonica Itnguaomnics clerici papae dicuDlur (Brève Cbronicon Norvegiae, dans 
Monvmenla hiilorica Norvegiœ (ISâO), pp. 69, SOS). 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 5 

pour eux comme un signe distinctif, et lu transportèrent dans tous les pays où 
les entraîna leur humeur voyageuse. 

Nous n'avons pas à raconter ici les courses, soit des Irlandais, soit des Papae, 
à travers l'Europe barbare ou le bassin de la Méditerranée. Attachons-nous à 
leurs pas seulement dans la direction de l'Atlantique et des régions occiden- 
tales, où ils feront d'importantes découvertes et réussiront même à fonder des 
colonies. 

Il y a deux parts à faire dans ces voyages : la première, toute de tradition, 
mais de tradition persistante, est marquée par des légendes soit d'origine 
païenne, soit d'origine chrétienne. La seconde repose sur des témoignages 
plus authentiques ; elle est marquée par les voyages des Papae dans l'Atlan- 
tique et par la colonisation de l'Irland It mikla ou Petite Irlande. Nous les 
étudierons successivement. 



I 

Le premier de ces Irlandais au cœur intrépide dont la légende a conservé 
le souvenir se nommait Condla le Beau^ U était fils de Gonn Cet Chathac, roi 
d'Irlande de 123 à 157 de notre ère. Un jour, se trouvant avec son père sur le 
sommet de l'Usnech, dans le Meaih, une femme lui apparut et lui annonça 
qu'elle habitait € le pays des vivants, où l'on ne connaît ni la mort, ni le 
péché, où l'on est perpétuellement en fêtes ». Elle l'invita à le suivre : c Viens 
avec moi, Condla le Rouge, au cou tacheté, à la belle face et aux joues ver- 
meilles, tu ne perdras rien de ta jeunesse ni de ta beauté jusqu'au jour du 
terrible jugement. > Le vieux roi, qui l'entendait sans la voir, recourut aux 
incantations des Druides pour se débarrasser des obsessions de l'inconnue ; 
elle disparut en effet, mais en jetant à Condla une pomme. Le jeune prince 
tomba aussitôt dans une noire tristesse, il repoussa toute nourriture et toute 
boisson, et ne mangea plus que de cette pomme, qui restait intacte. Au bout 
d'un mois, l'inconnue reparut et renouvela son invitation. Conn surpris, car il 
entendait sans voir, interrogea son fils, c Je suis bien perplexe, répondit ce 
dernier. J'aime les miens par-dessus tout, mais le chagrin me ronge à cause 
de la dame. > Celle-ci dit alors d'une voix mélodieuse : c Beau jeune homme, 
pour être exempt de la tristesse que te causent tes devoirs, c'est dans mon 
curach (esquif) de cristal que nous devons nous réunir, si nous voulons gagner 
le tertre de Boadag. 11 est une autre terre qu'il y aurait profit à chercher. 
Bien qu'elle soit éloignée et que le soleil baisse, nous pouvons l'atteindre avant 
la nuit. C'est le pays qui charme l'esprit de quiconque se tourne vers moi. > 

1. La légende de Condla a été conservée par le Leabar na huidhri, ou livre delà 
brune peau, ainsi nommé à cause de la couleur du parchemin sur lequel est écrit le 
manuscrit. L'auteur du poème se nommait Moelmuiré. Il vivait vers Tan 1000. Le 
Leabar nah uidhri a été publié en 1870 parTAcadémie royale d'Irlande. La légende 
de Condla a été rééditée et traduite en {anglais par J. 0. Beirne Crowe dans The 
Journal of the Royal historical and archaeologtcal Association of Ireland, 1874, 



e LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMIi. 

A peine eut-elle achevé, que Condla se jela dans le canot de cristal, qui bien- 
tôt disparut dans uu lointain brumeux. Depuis ce jour personne n'a revu 
Çondln. 

Cette légende était populaire en Irlande. On la retrouve sous diverses 
formes, cl modifiée par les civilisations et les religions différentes ; mais le 
fond subsiste le mâme : il s'agit toujours d'un voyage par mer, dans la direc- 
tion de l'ouest, à la recherche d'une terre merveilleuse, et les Irlandais se 
laissent toujours entraîner avec une singulière facilité à ces lointaines entre- 
prises. Dans une autre légende, presque aussi populaire que la précédente, 
celle de Cuculain, prince do Cualaigue et Huirthemne, dans l'OIsler, il est 
question d'un pays situé à l'ouest, au delà de la grande mer. 11 se nomme 
tanldt Diulsid, collines des Fées, tanlût Teu, mag. Trogaigi, la puissante 
plaine de Trogaigi, et le plus souvent Mag mell ou plaine des Délices. Ou y 
trouve dû tout en abondance. Les arbres sont toujours chargés de fruits, et tel 
de ces fruits est assez gros pour nourrir trois cents hommes. C'est là qu'on 
trouve l'arbm d'argent au sommet duquel brille le soleil, et la fontaine qui 
ressemble à la corne d'abondance de l'antiquilé classique, et la cuve d'hydro- 
mel qui ne désemplit jamais, là surtout que vivent des femmes d'une beauté 
resplendissante, dont la plus belle, Fand, fille d'Ald Arbal, a pourtant été 
délaissée par son mari Macnannan. Fand a entendu parler du héros Cuculain, 
et demande sa main. Cuculain, qui a déjà femme et maîtresse, ne sait trop 
que répondre et envoie deux fois en reconnaissance un de ses «ervîteui's. 
Séduil par les rapports enthousiastes de son messager, il se décide à passer la 
mer, aborde en Mag mell et épouse la belle Fand, puis il retourne en Irlande 
auprès de son ancienne femme, la jalouse Emer, mais en compagnie de sa 
nouvelle épouse. Les de us rivales se rencontrent, mais, au lieu d'en venir 
aux mains, elles font assaut de générosité. Tout fmit par s'arranger, lorsque 
riiilidèle Macnannan revient chercher Fand ; et Cuculain, qui ne peut se con- 
soler de son départ, boit un breuvage magique qui lui donne l'oubli'. 

Un autre héros de la légende irlandaise, Léogaire, semble avoir plus volon- 
tiers accommodé sa vie aux exigences de sa nouvelle situation. C'était le fils 
de Cremlhand Cass, roi de Connaught. Il s'était embarqué pour aller secourir 
au delà des mers le roi des SiUs, Fiacha mac Relach. Il obtint en récompense 
la fille de ce dernier et se retira avec elle dans le Dun mag mell ou citadelle 
de la plaine des Délices. Au bout d'un an de séjour, il revint en Connaught ; 
mais comme son beau-père l'avait averti que, s'il mettait pied à terre, il no 
poui'rait pas rentrer au Mag mell, Léogaire resta sourd aux supplications de 
son père, et répondit à ses oflres d'abdiquer en sa faveur i qu'une seule nuit 
chex les Sids valait mieux que toul le royaume paternel s. En eQ'et, il alla 
rejoindre sa femme et gouverner le Jlag mell -. 



1. Les aventures de Cuculain ne sont connues que par des extraits juxtaposés de 
textes diflïreiils, que le compilateur n'a pas toujours réussi à accorder. On les trouve 
dans le Leabar na h uidhri (p. i3-50}, déj'il cité. Cf. E. Windish, Irische texte, 
p. 2U5-aâ7. Curry, Tlie Atlantm, 11 juillet tS58, pp. 370-392, Jl janvier 18.J9, p. SH- 
12t. 36a-3U9. BoauïoiB, Elysée tramailantique, Ï90-293. 

t. Robert Alkinson, The Book of Leinster, somel'mie cûlied Ihe Book of Glenda- 
Imgh, Duljlin, 1880, p. 275-276. 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB, 7 

Le Mag mell n'est pas la seule région transatlantique dont il est parlé dans 
les légendes irlandaises. II est également question d'autres contrées tout 
aussi merveilleuses, où abordent les Fianns, ces héros des poèmes ossia- 
niques, dont le nom, parait-il, a été usurpé par les modernes Fenians. Les 
Fianns sont les ennemis des Dananns. Ils ont réussi à les expulser d'Irlande, et 
les ont obligés à chercher un refuge dans les lointaines régions au delà de 
l'Atlantique, dont on connaissait vaguement l'existence. Les Dananns, bien 
qu'acclimatés dans leur nouvelle pairie, n'ont pas oublié le sol natal, et y 
font de temps à autre de passagères descentes. Seulement, comme ils sont 
devenus magiciens, ils recourent à de misérables artifices pour assouvir leur 
vengeance. L'un d'entre eux, Avarta, se métamorphose en pirate, se cache sous 
le nom de Giolla Deacair et entre au service du chef des Fianns, Fionn Mac Gum- 
bail, celui que Macpherson immortalisera bien des siècles plus tard sous le 
nom de Fingal. Un jour, il entraîne à sa suite quinze Fianns et les fait monter 
sur un cheval diabolique, qui marche plus vite que le vent, et traverse la 
grande mer. Les flots s'ouvrent devant eux, et bientôt ils abordent dans la 
grande terre de l'ouest, où les attendent les Dananns. Fionn s'élance à leur 
poursuite, aidé par deux vaillants compagnons, Feradath et Folt-Leabhar, et, 
à travers les tempêtes et les ténèbres, s'engage dans l'Océan. Ils arrivent près 
d'une roche à pic dont le sommet se perdait dans les nuages. Fionn réussit à 
l'escalader et monte sur un plateau ombragé, au milieu duquel coule une 
fraîche fontaine gardée par un géant. Après mainte aventure extraordinaire, 
à force de battre la mer et d'errer d'île en île, les braves Irlandais finissent 
par retrouver le Danann Avarta, et délivrent leurs compatriotes ^ 

Le fils de Fionn, Oisin» bien plus connu sous le nom d'Ossian, est aussi le 
héros d'une légende dont le retentissement fut bien plus considérable, car 
elle s'est perpétuée à travers les siècles ; et la fontaine de Jouvence fait en 
quelque sorte partie, même à l'heure actuelle, des connaissances populaires. 
Vers le milieu du xviu' siècle, un barde que l'on croit être Michel Comyn a 
fondu de vieilles traditions païennes et des légendes chrétiennes et composé 
un poème ^, dont le principal épisode est intitulé : Tir na n og ou la Fontaine de 
Jouvence. Oisin, aveugle, chargé d'années, mais ayant toujours conservé la 
croyance aux divinités de sa jeunesse et le culte idéal de la vertu et du courage, 
est accueilli par Patrice, le saint national de l'Irlande. Entre le représentant 
du druidisme et le champion du christianisme s'engagent de terribles contro- 
verses. Le vieil Oisin ne peut contenir sa fureur, mais le saint le calme en le 
priant de lui raconter des histoires du temps passé, et le héros celtique ne 
résiste jamais au plaisir de se mettre en scène, alors qu'il était jeune et plein 
d'ardeur. Oisin raconte que, se trouvant avec son père Fionn, il vit un jour 
apparaître une jeune fille d'une merveilleuse beauté. Elle se nommait Niamh, 
(la Brillante) et arrivait de la grande terre de l'ouest, le Tir-na-n-og. c C'est la 



1. W. Joyce, Old Celtic Romances, pp. 223-273. — O'Curry, Lectures on the ma- 
nuscript materiaU, 316-318. 

2. Ce poème a été édité par Bryan O'Looney (Dublin, 1859) et réédité par la Gallic 
UnioUy The lay of Oisin in the land of the Young, Cf. Beauvois, Eden transattan- 
tiifuet pp. 300-S)7 ; —F. Hately Wadel, Ossian and Vie Clyde, Fingal in Ireland, Oscar 
in Ireland or Ossian historical and authentic, Glasgow, 1875. 



8 LES IRLANDAIS EX AMÉRIQUE AVANT COLOMB, 

plus délicieuse coniréo qui existe, lui dil-elle, el la plus cùlèbve au monde; 
les arbres y sodI chargés de fruits el do fleurs; le miel et le vin y sont en 
aboudance. Uoo fois là tu ne craindras ni la mort, jii la décrépitude, lu vivras 
dans les fêles, les jeux el les reslins, lu enteudras résonner mélodieusement les 
cordes de la harpe, tu auras de l'argent, de l'or, beaucoup de joyaux, cent 
épées,elc. lOîstn accepta sans trop se faire prier l'invitation deMamh, el, après 
avoir pris congé de son père Fionn et de son filsOsgar, se rendit h Tir-na-n-og. 
Niamh devint son épouse et lui donna trois enfants; mais on se lasse de tout, 
même du bonlienr. Après trois siècles d'une existence bienheureuse, Oisin vou- 
lut retourner en Irlande. Mamh consenlil à son départ, mais en le prévenant 
que, s'il descendait de cheval, non seulement il ne reviendrait pas à Tir-na-n- 
og, mais encore aurait son âge réel. Oisin accepta ces conditions et partit. A 
peine dcharqué en Irlande, son désappointement fut gi-and. l'ersonne ne le 
reconnaissait. Tous les Fianns étaient morts. Des ronces et des chardons pous- 
saient sur l'emplacemonl de son ancienne résidence Almhuin. A ce moment, 
plusieurs hommes l'appelèrent à leur aide, écrasés qu'ils étaient par une 
lourde dalle. Oisin, sans descendre de son cheval, leur tendit In main, mais 
la sangle du coursier so rompit, il fut jeté i^ terre, et devint aussilèl vieux, 
caduc et aveugle. 

Tir-na-n-og, ou, si l'on préfère, la fontaine de Jouvence a, depuis Ossian, 
été célébrée bien des fois, el c'est toujours il l'ouest que l'ont placée les diffé- 
rents écrivains qui ont raconté celle légende. Celte fiction passionna les Irlan- 
dais, portés qu'ils étaient vers le merveilleux, et cela dans une époque où 
commengaient les découvertes dans l'immensité des mers inexplorées, Aussi 
bien, même au xvi° siècle, l'EspaguoI Juan de Solis, qui pourtant aurait dû 
être éclairé par l'expérience de ses contemporains, ne partait-il pas à la con- 
quête de celte fontaine merveilleuse où l'on irouvail à la fois la santé el le 
rajeunissemenl; et combien de générations, encore après lui, ont-elles cru à 
l'oxislence de cette source de vie? 

Assurément toutes ces légendes païennes sont étranges et fabuleuses, mais on 
les a trop dédaignées. Elles cachent toutes un fond do vérité. Si les personnages 
sont inventés, si leurs aventures ne sont pas croyables, au moins ce qui se 
dégage de ces histoires c'est la persistance de la croyance à une grande 
terre occidentale, au delà de l'Océan, et àta fréquence des relations qui exis- 
taient entre les Irlandais el les babilnnts de ce monde transatlantique. Les 
légendes ehréliennes qu'il nous reste maintenani à examiner sont également 
remplies d'événements extraordinaires^ et les héros dont elles célèbrent les 
expluils sont sans doute imaginaires, comme pouvaient l'être Condia le Beau, 
Fionn ou Oisin; mais elles confirment la réalité des voyages entrepris par les 
Irlandais dans la direcUon d^l'ouest, et à ce titre elles méritent de notre 
part un examen attentif. 

Saint Krandnn' est le principal héros de la légende chrétienne. Le récit de 

1. Sur saint Braudnn on peut consulter dnns la collection des Ballandislas (éililion 
Palmé, t. 111, pp. iVJlMiOa) les Aclii Sanetorum muii. — Juliiual, la Lègenitr, latine 

1(J3G. — Tlionias Wright, Saint Brandan, a mediotval legend of llie sea, in tngtish 
ferse ami yruse (Poruy Society, vol. XIV), Londres, IW-1. — Rev. W. T. Rees, Vila 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 9 

ses aveiitares a été répandu au moyen âge, non seulement en Irlande, mais 
dans l'Europe entière, et même il contribua à tourner l'attention publique 
vers ces mers occidentales, où déjà certains savants avaient placé le paradis 
terrestre. La merveilleuse traversée de cet Ulysse chrétien, qui pendant plu- 
sieurs années erre à travers l'Atlantique et découvre, non sans dangers, des 
îles et des continents, les prodiges, les invraisemblances, les absurdités même 
de ses aventures ont charmé bien des générations. Raoul Glaber nous rapporte 
qu'au temps du roi Robert on ajoutait une créance .absolue aux fables de la 
vie de saint Brandan^. Irlandais, Gallois, Normands, Anglais, Français, Alle- 
mands et Castillans les ont racontées. Elles ont été traduites dans toutes les 
langues. Peut-être même ont-elles pénétré jusqu'en Orient. En France elles 
faisaient partie du domaine de la poésie populaire, car nous lisons dans le 
Roman du Renard : 

« 

Je fut savoir Ion lai Breton 

Et de Merlin et de Foucoo, 

Del roi Artur et de Tristan. / 

Del Cbievrefol, de saint Brandan'. 

Il est doue indispensable de connaître une légende qui exerça sur les con- 
temporains une si grande influence et détermina quelques-uns d'entre eux à 
suivre l'exemple du saint. 

Brandan était Irlandais. On ignore le lieu de sa naissance. Les BoUandistes 
la fixent à l'année 460. Il fut conduit, dès sa tendre enfance, à Fabbaye de 
Cluainschedruil, près du mont Luachra. Ce monastère était dirigé par une 
sainte femme» Ita, qui prit Fenfant en grande affection et lui fit donner une 
excellente instruction ^ Dans ce milieu mystique, entouré de femmes qui exal- 
taient jusqu'à la passion un esprit déjà tout porté àla ferveur religieuse, Brandan 
devint comme Fenfant du miracle. 11 jouissait du don de prophétie ; on venait 
de fort loin consulter les oracles de sa sagesse enfantine. Jeune homme, il 

SanctiBrendani, iexie latin, pp. 251-254, et traduction anglaise, pp. 575-579 de Lit;«» 
of the Cambro-British Saints of the fifth and immédiate succedtng centuries^ 1853. 
— Karl Schrœder, Sanct Brandan^ etn laleinischer und drei deutsche texte, Erlan- 
gen, 1871. — Herman Suchier, Notice sur cette légende et texte anglo-normand dans 
Ihs Romanische Studien d'Ed. Boehmer, Strasbourg, 1871-1875, p. 553-587. — 
F. Moran, Acta Sancti Brendanif Dublin, 1872. — Francisque Michel, les Voyages 
merveilleux de saint Brandan à la recherche du paradis terrestre, Paris, 1878. — 
Paul Gaffarel, les Voyages de saint Brandan et des Papse dans t Atlantique au 
moyen âge (Société de géographie de Rochefort), 1881. 

1. Raoul Glaber, 11,2. 

2. Rien qu'à notre Bibliothèque nationale il existe onze manuscrits de cette 
légende; Strasbourg en possédait jadis un. On signale encore celui de Saint-Gall, et 
plusieurs en Angleterre. L'abbé de la Rue a donné une traduction française dans ses 
Essais historiques sur les bardes, les jongleurs et les trouvères (t. II, pp. 68-87). Nous 
nous sommes constamment servi de la traduction latine de Jubinal et de Fédition en 
langue romane de Francisque Michel. 

3. On nous saura gré d'avoir reproduit dans sa naïveté le passage suivant des Bol- 
landistes : « Sancta Ita cum gaudio magno accepit sanctum infantem, et nutrivit eum 
quinque annis, diligebatque vsude. Et ridens gloriosa virgo Ita cum jucundo fréquenter 
animo interrogabat eum dicens : « sancte infans, quid loetiHcat te? » Parvulus di- 
cebat puerili loquela : « Quia te video mihi loqui et alias tibi similes sanctas virgines ; 
islœ semper me lœtificant tenentes me in mauibus suis, d Dicebat ei sancta : « Sit de 
te, filt mt, gaudium in cœlum ! » 



10 LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 

entra dans les ordres sacrés et, coinnie il était de grande famille, devint 
promptement abbé. Les honneurs ecclésiastiques n'alTaiblirent pas son ardeur. 

11 parcourut l'Irlande et y fonda de tiombreui: monastères. Le plus célèbre 
d'entre eux fut celui de Cluainsiert dans te Connauglit, dont il se réserva la 
direction suprême. Trois mille moines lui obéissaient. Les plus célèbres d'entre 
eux furent saint Furcy, le patron de Péroune, et saint Macluvius ou Machntus, 
dont le nom est aujourd'hui porté par la Gère cité de Saint-MAlo, qui le choisit 
pourson médiateur céleste. La réputation desaintolû de firandaa était si bien 
établie que des prêtres romains venaient le consulter et lui soumettaient des cas 
de conscience, Gienlût il ne se contenta plus d'administrer les aflaires spiri- 
tuelles de l'Irlande ; son imagination le transporta dans des mondes nouveaux, 
au delà de l'OcéaD, où l'avaient précédé les héros païens Condla, Léogaire, 
Fiann et Oisin. BieiiIÛt il résolut d'aller conquérir ces îles mystérieuses à la 
foi du Christ, et disposa tout pour une longue expédition, 

Brandan avait été déjà précédé dans cette direction par un moine, Mernoc, 
et par leur maître commun, Barintus. Mernoc le premier avait quitté son 
monastère et s'était établi dans une Ile de l'Atlantique, prés du mont de la 
Pierre. 11 y vivait avec quelques religieux de fruits, déracines et de légumes, 
ne sortait de sa cellule que pour assister aux oflices. Pourtant, de temps à 
autre il faisait des absences de quelques semaines, et quand il revenait, ses 
babils étaient imprégnés d'une odeur délicieuse qui persistait au moins pendant 
quarante jours '. * Ne voyez-vous pas, disail-il à ses frères étonnés, que je 
reviens du Paradis? > On remarquera la persistance de cette odeur, surtout 
quand on se rappellera que les anciens voyageurs ont été unanimes à tnea- 
tionner l'air embaumé de l'Amérique tropicale, t Voi:i venir de la terre, écri- 
vait l'uQ d'entre eux, le naïf Lescarbot^, des odeurs en suavité non pareilles, 
apportées d'un vent chaud si abondamment que tout l'Orient n'en saurait pro- 
duire davantage. Nous tendions nos mains comme pour les prendre, tant elles 
étaient palpables. 1 Mernoc n'avait pasoublié son lie natale, lly revenait de temps 
à autre. Dans un de ses voyages, il pei-suada à son maître Etarintus de raccom- 
pagner, etle fit^monter sur une barque qu'enveloppèrent bientôt des brouillards 
si épais que les voyageurs ne pouvaient se distinguer de la poupe à la proue. 
Mais le soleil dissipa les nuages, et bientûl ils aperi^urent vers l'ouest une 
grande terre à laquelle ils abordèrent. Après quinze jours de marche à travers 
des prairies en fleurs el des arbres chargés de fruits ils n'étaient encore arrives 
qu'au milieu de l'ile', et ils s'apprêtaient à traverser un grand fleuve qui 

l.Jubinal, ouvr. cité: u Sonno cognnacitis in odora ïeslimenlorum meorum quod in 
Paradiao Dei fuimus? » — Tune rusponildruiit fratraa dicoates : u Abba, novimua 
quia iuistis in PariLdiso Dei, iiliiii saepe |>er trugrualiam vostiinentoruni abhatis nostri 
probavimus quod pêne usquc ad (jii[idra);iula dica nares nastrae tenebantur 

â. Lescarbot, Ukloire de la XouueUe France, édition Traas, l'aria, 18Q6, liv. IV, 
g 1^, p. 51S. — Cf. Premier vujaga de Colomb, lundi S octobre : o L'air était duun 
commeen Andalousie; c'était un plaisir de respirer cet air qui vraiment était em- 
baumé. » Verrazuno avait également remarqué ces brises parfuméea qui annoasaieat 
le continent américaio. Uariuw, auteur d'une description de la Caroline, écrira encoi'a 
en lliûl. We soie't su sweel and sa stroag a smcll, as il we liad beon in Itie midat 
uf some délicate gardun, abuuuding witti ail Kinds of odarirerous llowers. » 

3. Jnbinal, 3-!i. Quuin «iBlissel navia ad terram, descendiiuus nos et coepimus nos 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 11 

coulait de Touost à Test, lorsqu'un ange leur apparut et leur défendit d'aller 
plus loin, car au delà du fleuve commençait le paradis. Mernoc et Barintus 
obéirent et retournèrent en arrière. Barintus revint même en Irlande, et 
ce sont ses récits enflammés qui décidèrent Brandan à se lancer sur ses 
traces. 

Brandan fit part de ses intentions à une centaine de moines, qui s'embar- 
quèrent avec lui. Ce premier voyage fut malheureux^. La tempête, la famine 
et surtout Tinexpérience de Téquipage faillirent à plusieurs reprises entraîner 
la perte totale de l'expédition. Il fallut rentrer en Irlande sans avoir trouvé 
File où Mernoc s'était établi avec ses compagnons. 

Cet insuccès, loin d'anéantir les espérances de Brandan, les surexcita. 11 
s'occupa tout aussitôt d'un nouveau voyage. Cette fois il ne prit avec lui que 
quatorze ^ moines, parmi lesquels son disciple favori, Machut ou Maclov, Breton 
du pays de Galles, fils du gouverneur de Gimicastum (Winchester). Les pieux 
aventuriers s'embarquent pleins d'espoir sur une barque légère dont la mem- 
brure était couverte de peaux de bœuf cousues ensemble. Ils emportaient des 
vivres pour quarante jours. Au moment de partir, trois frères se glissent au 
milieu d'eux malgré les remontrances de Brandan et ses tristes pressentiments. 
Pendant quin&e jours le vent soufiQa de l'est, puis tomba subitement. Les moines 
commençaient à se décourager, car ils voguaient à la rame, sans savoir où ils 
allaient, et étaient à bout de force et de vivres ; mais Brandan les rassura. Au 
bout d'un mois ils arrivent aune grande île, mais ne trouvent de port de débar- 
quement qu'après avoir longé les côtes pendant trois jours. Ils vont de là à un 
château désert, où ils trouvent une table servie et des meubles splendides. 
Tenté par le démon, un des moines dérobe un hanap d'or, mais il est puni de 
sa faute par la mort. Epouvantés par cet accident, les compagnons de Brandan 
reprennent la mer et arrivent dans une autre lie où paissaient des brebis 
toutes blanches et grosses comme des bœufs. Cette fois un homme leur apporte 
à manger et se fait bénir par eux quand ils repartent. Après quelques jours de 
navigation, ils se trouvent en vue d'un îlot isolé qui leur parait commode pour 
prendre un peu de repos. Ils y célèbrent les offices de la nuit et du matin , 
et apprêtent leur repas, mais à peine le feu est-il allumé que l'île se mot en 
mouvement. 

Brandan leur dist : c Frères, savez 
Purqueï pour oUt avez? 
N'est pas terre, ainz est beste 
U nus feïmes notre feste ; 
Poissuns de mer sur les greînurs. 
Ne merveilles de ço, seïgnurs. 



circumire et ambulare illam insulam per quindecim dies et non potuimus finem illlni 
invenire... porro quinto decimo die invenimus fluvium vergentem ad orientalem 
plagam ab occasu. 

1. Ce premier voyage n*est raconté que par les BoUandistes. c Quum navigio lai- 
sati, quam quœrebant insulam invenire nequirent, peragratis Orcadibus, ceterisquo 
aquilonensibus insulis, ad patriam redeunt. » 

2. Le nombre des compagnons de Brandan n*est pas le mémo dans les diverses 
relations. 



12 LES IRLANDAIS Eti AMÉRIQUE AVAM COLOMB. 

Pur îo ïuï volt Doua ci mener 
Qui il voleit p]u«atfluer: 
Sea merveillei cuni plus verrez, 
En tui plus mull mieh crerrei'. 

Celle préleniiue ilc élait en effet un poisson, peul-Slrt uno baleine', que, 
duns leur naïve ignorance, les moines avaient prise pour un roc solitaire. 
Aussi bien pareil fait devait se renouveler en 1530, si loulefois on ajoute foi à 
la lettre adressée par Eric Falkendorf, évfique de Niiiros, au pape Léon X. 
Voulaut célébrer la messe autre part que sur un bateau, ce prélat aurait 
également débarqué sur un Ilot, qui s'aOaissa dès qu'il eut fuii le saint 
sacrifice^. 

Quelques jours après ce curieux incident de leur voyage, les moines irlandais 
abordèrent une Ile verdoyante arrosée par de frais ruisseaux. Les arbres et 
les rochers étaient couverts d'oiseaux qui venaient familièrement se perche 
sur l'épaule des nouveaux débarqués. Saint Brandan, comme plus tard 
saint Frangois d'Assise avec les hirondelles, engagea la conversation avec eux. 
Ils lui apprirent que d'anges ils étaient devenus oiseaux, et lui prédirent 
l'avenir. Le saint abbé entonne le Te. Deum, les oiseaux t'accompagnent, et les 
frères goûtent un délicieux repos de cinquante jours dans cette ile qu'ils 
nomment le Piiradis des oiseaux. Remarquons à ce propos que les voyageurs 
qui, i. une époque relativement moderne, retrouvèrent les Açores s'étonnèrent 
du grand nombre et de la familiarité des oiseaux de cet archipel ; aussi bien 
le nom même des Açores vient du portug;ais açor qui signilie milan, butor. 
La carte catalane de Gabriel de Valsequa, composée en 143!), et sur laquelle 
figure l'archipel, menlionne en cet endroit la Ylha de Osels. Fructuoso', dans 
sa Chronique, s'extasie sur les délicieuses mélodies qu'on entendait toujours 
dans les bois de San Miguel. Il raconte même, avec une naïveté charmante 
qui rappelle singulièrement la légende irlandaise, qu'il assista à un concert 
dont les chanteurs étaient des pinsons, des serins, des merles et de; tourterelles. 
H se pourrait donc que le Paradis des oiseaux correspondit àl'une des Açores. 

Les compagnons do Brandan s'arrachèrent à ce lien de délices et reprirent 
leurs voyages. Leur prochaine station devait être l'ilo d'Albaeus, celte île 
fameuse où l'un des premiers apôtres de l'Irlande, Albauus" ou Ailblie, géué 

] . Francisque Michel, ouvr. cité, vers 470-179. La version latine éditée par Jubinal 
est si naïve qu'un nuus saura gré de l'avoir reproduite ici : « F.iportaverunt carnea 
crudas de nave ut illas comederent soin, et pièces quoa secuni lulerant de alia in- 
eula, posuerunt, que eaccabum Euper ignem ; quuni auleni minîslrarent lî^na igni, 
etfervere coepisatt caecabua, coepit ilta insul;i se movere sicut unda, Fralrea vero 

per mmuB intiis in n:tveai Iraxit, relictiaque omnibus dclntia in insula illa, navem 
Eolverunt ut abirenl. I'uito eadem ia»ula se movit in Uceanuni. ■ 

. le Bestiaire d'Amaur par Ilicbnrd Kournivat, manuscrit du x° siècle qui faiaait 



jadis partie de la collecliua Didol. reprisentc le vaisseau de Brandan d'abord arrêté 
près de la baleine, puis soulevé par le monslre marin. Ces deux miniatures, linemeut 
exécutées, ont été reproduites par Lacroix, lei Sciences elles Leltret au moyeadge, 
p. 301. 

3. Landrin, Histoire lies vionsires marins, p. ^1. 

4. D'Avezac, Xulice des ilécourertes faites au moyen âge dans l'océan Atlan- 
tique, 1S4S. 

5. John Coltanus, Acta sanetoruin l'eteris et maiOTis Scotiae vel lliberniae, Lou- 
vain, 1845, p. iM. 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 13 

par les honneurs qu'il recevait, avait résolu de se rétirer pour y vivre en 
ermite. Ils y arrivèrent après trois mois de navigation, mais en firent le 
tour pendant quarante jours sans trouver un seul port. A la fin, ils s'engagèrent 
dans un étroit goulet qui ne pouvait contenir qu'un navire. A peine débarqués, 
ils furent reçus par un Tieillard silencieux qui les conduisit à un monastère où 
vingt-quatre moines observaient depuis longtemps la règle du silence le plus 
absolu. Ils n'éprouvaient aucun besoin corporel ; ils n'avaient même pas la 
peine d'allumer les lampes de l'autel, qui s'illuminaient soudainement. Brandan 
aurait bien voulu prolonger son séjour dans ce pays merveilleux, mais le 
temps de la Pâque approchait, et les frères avaient promis de la célébrer dans 
le Paradis des oiseaux. 

Pendant cinq ans encore durent ces courses étranges. Chaque année, à la 
même époque, une force inconnue les ramène au Paradis des oiseaux, mais à 
travers les aventures les plus extraordinaires. Tantôt ils rencontrent une mer 
dormante oii ils ne voguent qu'avec peine et souffrent du froid — sans doute 
la mer Bétée, c'est-à-dire coagulée, dont il est tant parlé dans les romans de 
chevalerie K 

Dormante mer unt e morte 
Ghi à sigler lur ert forte. 
Pais qu'ont curut III quinzeines, 
Freidur lur curt par les veines'. 

Tantôt l'oiseau Gripha^, qui, de sa serre puissante enlève les vaisseaux et 
les laisse retomber sur les rocliers, où ils se brisent, s'élance contre eux et va 
les saisir, lorsqu'il est tué par un autre oiseau plus redoutable. Aujourd'hui 
un énorme poisson « s'élance contre eux pour les dévorer, lorsqu'il est attaqué 
et tué par un monstre marin plus gigantesque encore. Les moines se repaissent 
des débris de ce poisson et se ravitaillent pour trois mois. Demain ils arrivent 
près d'une île où ils ne peuvent descendre, mais dont la pieuse population 
chante des cantiques en leur honneur. Voici qu'ils débarquent près d'une île 
couverte de forêts, où poussent des vignes chargées de grappes. Il s'en dégage 
deseffiuves parfumées, comme d'une chambre pleine de pommes ^ Ce trait que 
nous avons déjà signalé dans l'histoire de Mernoc semble indiquer que les 
pieux voyageurs étaient alors tout près de l'Amérique tropicale. Plus loin, ils 
traversent une mer si transparente^ qu'ils distinguent les énormes poissons 
qui s'y jouent. Bientôt la tempête les pousse vers un endroit horrible ?, qui 
n'est autre que la bouche de l'enfer. Un volcan se dresse devant eux, peut-être 
l'Hécla ou le Beerenberg de Jean Mayen, qui fait au loin bouillonner la mer, et 
remplit l'atmosphère de vapeurs sulfureuses. D'autres îles retentissent soiisle 

1. Roman de la Charrette, v. 3009. — Chanson d'Antiochey VII, 115. —Aubery le 
Bourguignon. — Roman du Renart, t. III, p. 309. — Roman du comte de Poitiers, 
y, 1263. — Fierabras, v. 2747. — Bauduin de Sebourc, v. 1156, etc. 

2. Francisque Michel, v. 896-899. 

3. /d., 1002-1031. 

4. /rf., v. 954-1001. 

5. Sicutodor domus pïenae pomis punicis. 

6. Invenerunt mare tam clarum utvidere postent ea qaae subtus orant. 

7. F. Michel, v. 1098-1212. 



o 



U LKS IRLANDAIS EK AMÉRIQUE AVAM COLOMB. 

marleaudesCyclopes'. Judas Iscsriolc leur apparaît et leur raconle ses souffran- 
ces. D«s démons les souuicUent à mille éprenves, mais ils les surmontent et, 
après avoir traversé d'épais brouillards, Bnissentpar trouverune terre inconnue, 
qui n'est autre que le Paradis terrestre'. 

C'est tin immense continent où se renconlrenl les productions les plus variées. 
L'almgsphêre y est brillante, la lumière du soleil éternelle 3. 

De besli boii e de rivere 
Yeieat terre mult plenera. 
Grandinsesl la pr.iierie. 
Qui lui dis est beal Darie. 
Li flur suef mult i flairent, 
Cnm li ù li piu rcpaîrenl, 
O'arbrea, de fleure deliciui. 
... Sam Qd i luist U cleri soleil, 

K'i vient nul nue del air, 
Qui del auleil tulgel le dair... 

Pendant quaranle' jours les moines essayent de faire le tour de cette terre, 
qu'ils prennent pour duc 31c, mais ils arrivent à l'embouchure d'un fleuve 
immense qui leur prouve, comme plus lard l'Orénoque à Colomb, que l'Ile est 
un continent'. C'est alors que leur apparaît un ange, qui leur ordonne de 
retourner en Irlande, non sans avoir emporté des fruits et des pierres de ce 
Paradis, future résidence des saints, quand le monde entier sera converti. 
Les moines obéissent, et, après avoir une demiâre fois célébré la PAquc an 
Paradis des oiseaux, ils regagnent leur patrie. A peine de retour Erandan 
mourait, à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans et dans toute la gloire do la 
sainteté, 

Ouant à son disciple favori, Machutus, il ne se tint pas pour battu, et fit 
une troisième tentative, mais la tempête jeta son bateau sur les eûtes d'Armo- 
rique, non loin d'Alet. Bien accueilli par les habilanls de celte ville, il y Oïa 
sa résidence, devinl son évéque, et lui donna son nom, qu'elle a depuis gardé, 
Saint-Màlo^. 

Telle est la légende : elle n'est pas présenlée partout de la même faijon, 
mais les différences n'ont trait qu'à des aventures autrement racontées, et 
d'nilleurs elles ne présentent qu'une importance secondaire. Ce qui nous 
surprendrait davantage, c'est l'analogie que présente cette légende avec les 
traditions orientales. Il serait même fort curieux de savoir si celle histoire 

1. F. Michel, ï. 1212-143!!. 

a. V. le-ti-nos, 

3. V. 1732. 

4. Jubinal, 515. Circumeuntes illam lerram, quamctiu fucrunt in illa, nulla nox illia 
adrutt, sed lux lucebat slcut soi lucet in teiiiporc sua, et ïla per quadraginta diea 
luitraverunt lerram illain, seii flnem illius mininie invenire poternnt. 

5. lit., ms. Quadam vero die invcnorunt quaddam (sic) magnum ilevium, quod no- 
quaquam poluerimt Iransvadere. verRcnlem ad médium insulac. 

6. Joanne» a Bosco, VUa SancU Macluvii e.c meubrimin florhicensilius i'elusIUsi- 
mis (Floriacenais vatui bibliotheca Benedictina, Ljon. 160â). — D'Achery et Mabillan, 
Vila Snncti MnclovU ex tnsc. coil. vc d'Hérouval (Annales amictorum ordini» Sancti 
lienedioii, 1668). — Sigehert do Gembloux, Yita SancU Hlaalovici sive MaehvtU 
(Patrologie de Migne, t. ISO, 185-1), 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIOUE AVANT CULOM». 15 

pas*a d'Irlande en Orient, ou ai les deax peuples la trouvèrent eosemblof. 
Ainsi le géographe Edrisi *, tout comme l'aulenr anonyme des Voyaget mer- 
veiiteux, nomme l'Ile des Brebis et le Paradis des oiseaui. Dans les Mille 
HutuNuitt, le fameux Siadbad,lors d'un de ses nombreux voyages, aborde h 
nie El Gbanom, où se trouvaient d'énormes brebis. A El Tbojono les oiseaux 
lui donnent de raerTeilleux concerts 3. L'oiseau Rock qui l'enlËre ressemble 
élrangemenl an Gripba de Brandan, et l'aventure de la baleine semble traduite 
de la légende chrétienne, c Nous découvrîmes une Ile charmante dont le sol 
semblait couvert d'un topis de verdure odoriférante. Le capitaine ayant fait 
carguer tes voiles, tous tes marchands descendirent du bâtiment et se mirent 
à manger, i boii-e, à se reposer. Tout & coup l'Ile éprouve un tremblement et 
est agitée. Un crieur proclame : Voyageurs! prenei garde à vous! vite an 
vaisseau! Sinon, vous êtes tous perdus! l'Ile sur laquelle vons vous trouves 
est un poisson. Tout le monde gagna le b&tiraent : pour moi je restai sur l'tlc, 
qui replongea presque aussitôt. > 

La légende de Brandan a donc pénétré jusqu'en Orient; mais si cette odys- 
sée monacale s'est partout répandue au moyen Age, c'est qu'elle avaitunfond de 
vérité. Les aventures d'Ulysse auraient-elles charmé les Grecs et nous charme- 
raient-elles encore sice héros de la ruse et de la patience n'avait pas existé? 11 est 
vrai que les aventures du saint moine ne sont pas toujours vraisemblables; mais 
qui voudrait ne retenir des légendes que ce qu'elles ont de possible retranche- 
rait aussi de VOd^iiée et de toutes les autres épopées les merveilles et les fables 
qui les ornent. Ainsi que l'a écrit un savant gaËliste, dont le témoignage fait 
autorité, W. F. SheneeS ( c'estun romanpieuxraais quirepose snr un fon- 
dement historique. Des récils fabuleux n'auraient pas été intercalés dans la 
biographie de saint Brandan, s'il n'y avait pas eu dans les événements de sa 
vie une entreprise pour l'extension du christianisme dans quelques Iles loin- 
taines, et il ne manque pas d'indices pour montrer qu'il en fut ainsi i. Les 
courses vraies ou fausses des moines prouvent du moins qu'ils n'hésitaient pas 
à les entreprendre. D'ailleurs, les Iles qu'ils parcourent, le grand continent 
sur lequel ils débarquent, les dangers de la traversée, tous ces épisodes cachent 
peut<étre, sous le voile de la Action, de réelles découvertes. C'est i nous de 
dégager le fait historique des ornements qui la dénaturent. 

Ainsi nous remarquerons que Brandan et ses compagnons le dirigent tOB- 
jonrs de préférence vers l'ouest, c'esl-ù-:lij'e dans la dii-ecllon de l'Amérii 
et qu'ils errent au milieu d'archipels dans lesquels on reconnaîtrait sans 11 
de peine les Agores, les Canaries, Madùrc, l'Islande même, ou tel autre g 
deslles et des Ilots jetés entre les deux continents. Sans exiger i 
lermînation des terres entrevues par les moines irlandais une précisii 
possible à obtenir, il est pourtant vraisnmblablc que le Paradis des ois» 
respond à l'une des Açores. Ténérllfe dans les Canaries est un ai 
sans doute était en activité, Jorsquc les compagnons de B 
avec effroi les tourbillons de flammes qui couronnaient sa a. 

1. Reinand, Introdveti ,. ., 

1. Edriii, tred. Jiubcrt, t. I, pp. f9B-30U. 

3. MUle et une Nuiti, trad. aaUnnJ. 

4. W. F. Sheene, Celtic SeoUamt, a hislorn o/ aaeietlti 




16 LES IBLASDAIS EN AMÉBEQLE AVANT COLOMB. 

di; lare qaj couraicDt sur s«s (laocs. D'ailleurs, les éruptions de l'Hécla, celles 
du Ueeremberg durent encore, et rien n'empâche de supposer que Brandan 
s'esl aTenluré jusqu'à ces hautes lalitudes. Quant au Paradis terrestre, ai 
éloigné de l'Irlande, arrosé par de si grands fleuves, etdoQl les moines ne par- 
viennent pas a faire le tour, ne serait-ce pas quelque partie du coolincnt amé- 
ricain? Il ne faudrait certes point prendre à la lettre les indications géogra- 
phiques des t'oijaget merneUteux, mais il semble pourtant bien constaté que 
les moines naviguèrent à l'ouest, qu'ils trouvèrent des Iles et abordèrent an 
continent. Ile plus, il plusieurs reprises ils rencoairèrent dans leurs courses 
errantes des coreligionnaires et même des compatriotes, ce qui indiquerait 
des voyages antérieurs. 

Aussi bien Brandan, Mernoc, Harhu(us,ne sont pas les »euls Irlandais qui au 
moyen âge se sont aventurés sur l'Océan', et dont l'histoire, singalièrement 
défigurée par la légende, a conservé le souvenir. Un contemporain de Bran- 
dan, Conal Deagh, riche propriétaire du Connangbt, avait trois fds qui ions 
les trois avaient embrassé la carrière périlleuse mais lucrative de pirate. Ca- 
téchisés par saint Coman, ils renoncèreut à leur coupable industrie, et, pour 
mieux marquer leurs sentiments de pénitence, résolurent de parcourir en pè- 
lerins les Iles de l'Atlantique. Ils firent donc construire un currach, ou bateau 
garni de peau\, pour neuf personnes, et s'embarquèrent, en l'an 510, et dans 
la haie deGallway. fendant quarante jours et quarante nuits ils errèrent à 
l'aventure sur l'Océan, et abordèrent dans une Ile très peuplée, et dont tous 
les habitants semblaient accablés de douleur et versaient des larmes abon- 
dantes. Dans une ile voisine les insulaires étaient soumis à d'à 11 rcus es souf- 
frances en expiation de leurs péchés. Après de longues courses, les tils de 
Conal Dcagh linircnt par descendre en Espagne, oii ils furent accueillis par un 
saint évftque nommé Justin. Celui-ci transmit ie récit de leurs aventures à 
saint Coman, qui les raconta à saint Mochotmog, et c'est ce dernier qui s'em- 
para de la légende pouren faire un poème. 

Un autre Irlandais, M aelduin^, fils posthume d'AllilCorar Age, que des pirates 
avaient assassiné, jure do venger son père. 11 construit un grand currach, 
couvert d'une triple cuirasse de peaux de bœuf, et portant soixante hommes 
d'équipage, dévoués à sa fortune. 11 s'embarque avec eux, et, toujours dans la 
dirnclion de l'ouest, part à la recherche des assassins, l-es Irlandais arrivent 
à deux ilols où ils entendent des pirates se vanter de l'assassinat d'Allil Corar 
Ago, mais, au moment où ils s'apprêtent â les punir, une tempête se déclare. 
Maelduin laisse amener les voiles et part à la dérive. Chemin faisant, ils dé- 
couvrent plusieurs lies. Lans l'une sont des fourmis aussi grosses que des 
poulains ; dans l'autre habilenl des géants qui prennent pour coursiers la crête 
des vagues. Ici s'élève un palais splendide où sont dressées des tables riche- 
ment servies, là s'étale un pommier qui ne porte que sept pommes, mais 
chacune de ces pommes suflit pour nourrir et abreuver les voyageurs pendant 

1. Rot)erL Atkinson, Tlie Bonk ofLeinsier, llublin, INBO, p. «, — Curry, Lectures, 
etc. pp. 28U-29I, &S7-5M. 

i. LeabkaT na h Vidlirl (ouvr, cité), pp, S2-2G. — Cf. Joyce, Old ceUie Romance, 
11^-176, — Arbuis do Jubainvillc, Catalogue de la liitiralure épique de l'Irlande, 
IH83, pp. I5l-I5f. 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 47 

quarante jours. Sur une autre lie poussent des orangers embaumés. Plus loin, 
on admire un palais taillé dans un bloc calcaire et dont toutes les ouvertures, 
à Texception d'une unique porie, donnent sur une cour intérieure ornée de co- 
lonnes de marbre et garnie de tables toutes servies. Voici l'île des Pleurs et 
des Rires. Voilà Pile des moutons blancs et des moutons noirs, qui changent 
de couleur quand ils changent de troupeau. Dans Pile des Amazones, les Irlan- 
dais reçoivent un accueil empressé, mais on repousse leurs propositions ma- 
trimoniales. Dans Pile des Oiseaux toute une tribu volatile à plumage varié 
parle, chante et jacasse. Ici, un solitaire, de nationalité irlandaise, leur 
raconte que chaque année grandit l'Ilot sur lequel il a été jeté par la tempête. 
Là se dresse un pilier colossal dont la base disparaît sous l'eau et le chapiteau 
dans la nue. Du sommet part un réseau conique de mailles d'argent très 
larges. Les Irlandais en coupent une pour Poffrir à leur retour en ex-voto à 
quelque église du pays natal. Ils arrivent enfin dans une île fort étendue dont 
la surface est coupée par de hautes montagnes et par d'immenses plaines cou- 
vertes de bruyères. Des jeunes filles courent à leur rencontre, et se montrent à 
leur égard si peu rigides qu'elles ne veulent plus les laisser partir. Le3 
compagnons de Maelduin s'arrachent à cette Gapoue transatlantique et s'ef- 
forcent de revenir en Irlande. Ils trou veut encore sur leur chemin une île 
boisée, dont les arbres produisent une boisson enivrante mais délicieuse, et 
dans cette lie quinze moines qui, après Brandan, avaient fait un pèlerinage 
dans les Iles du Grand Océan. Ces moines conservaient précieusement une 
sorte de valise ayant appartenu à saint Brandan. Ils indiquèrent à leurs com- 
patriotes un lac dont les eaux avaient la propriété de rajeunir. L'un d'entre 
eux, Diuran Lekerd, s*y plongea, et en effet il ne perdit plus ni une dent ni 
un cheveu, et garda une admirable santé tout le reste de son existence. Les 
deux dernières stations de Maelduin sont ds^ns un îlot où il rencontre un pé- 
nitent irlandais, natif de Tory, jadis cuisinier dans un monastère dédié à 
saint Golumba, et sur un rocher où il remarque des faucons semblables à ceux 
d'Irlande ; il suit la direction de leur vol pour rentrer en Europe, où il s'em- 
presse, avec ses compagnons, d'aller déposer dans la cathédrale d'Armagh la 
maille d'argent dérobée au pilier mystérieux. 

Assurément la plupart de ces récits sont fantastiques, et même plusieurs 
d'entre eux semblent imités de la légende de saint Brandan. Quelques pas- 
sages méritent pourtant d'être signalés comme indiquant une vague connais- 
sance de PAmériquc. Gcs oiseaux chanteurs ressemblent singulièrement aux 
perroquets de la région tropicale ; cet îlot qui grandit d'année en année mf* 
pelle la formation géologique des Bermudes et de quelques Antilles. Enfin k 
persistance de ces voyages dans la direction de l'ouest et les rencontres IM 
quentes de compatriotes semblent démontrer que les compagnons de Iheldirii 
ne s'aventuraient pas dans des parages tout à fait inconnus. 

On nous saura gré de rapprocher de ces légendes irlandaises d'autrett 
tiens empruntées à des pays voisins, mais dont les habitants étaient les I 
d'origine des Irlandais, au pays de Galles et à la Bretagne française* ' 
que, dans le pays de Galles, les monastères ont été détroits ayeciinib 
ment extraordinaire et les moines expulsés sans pitié| à Pépoave 
forme. Les manuscrits ont été disséminés, et on ne coasi^i*^ 



18 I,ES IIILAMJAIS EN AllÉiUlJUE AVANT COLOMB, 

traditions fort vagues i. Los snvaiils ont rangâ en quatre st^riiis ces Iradilioiis 
relatives aux merveilles transutbijtiques. La première a trait aux pays des 
Sids ou des Fées^, que l'on place toujours à l'ouest et au delà de l'Océan; la 
seconde^ se rapporte à la disparition, dès le v siècle de noire ère d'un 
certain Gafran, fils d'Alddun, qui, a?ec ses hamines, fit voile pour les lies 
vertes des courants, Cwerdonnan lliou, et dont on perdit la trace. Daus la 
troisième et dans la quatrième série figurent toutes les légendes sur le roi 
Arthur et sur l'enchanteur Merlin » : c'est surtout le mjslérieuï pays de l'ouest, 
où se réfugia le roi Arthur, et ou il attend le moment de se montrer de nou- 
veau pour chasser les Saxons, qui excita la verve des bardes gallois. Ce pays 
se nomme Avallon, ou l'Ile des Pommes. « L'océan entoure cette île '' qui n'est 
privée d'aucun bien ; il n'y a là ni valeurs, ni brigands, ni ennemis pour tendre 
des eniliUches; pas de violence, pas de froid, ni de chaud insupportables; la 
paii, la concorde, un plantureux printemps y régnent éternellement ; les fleurs, 
lys, roses, violettes y abondent ; les arbres y portent sur la même branche des 
fleurs et des fruits; sans être souillés de sang, les jeunes gens y demeurent 
toujours avec la vierge du lieu; pas de vieillesse, pas de maladie, pasde dou* 
leur, loiit y est plein d'allégresse; on n'y a rien en propre, tout y est com- 

C'est dans un pays aussi nierccilleux, toujours à l'ouest et dans l'Atlan- 
tique que des moines armoricains de S:iint-Matliicu du Finistère retrouvèrent 
les pat[îarciics Ëlie et Ënocli, qui, d'après lu tradition, y attendent le jour du 
jugement dernier. Ces moines expIoraientrOcéan*'. 



Une fois leur navire erra trois ans sans qu'ils pussent rien voir que la mer 
et le ciel. Les vivres commentaient à leur manquer, quaud ils trouvèrent sur 
un Ilot une statue de femme en airain, qui du doigt leur indiquait le chemin. 

In oicrtiu marium velut aerea staliat imago, 
Feminaea spocie, super atdua saïa, virago, 
Itla luis digitia pcrvia monstrat iter. 

:s of Walei, contaiaig Ihe cijmric poem* oliri- 
Poimlar Toi " ''^- -* '■"--•- --'■- 
liurgh, imi-m. — Bcauvois, Eden occideninl, p. .__. 

3 D W Nasli Taliesm or tlw Bards mtd Ûruids of Brdain a tranilation of the 
reinmns of the earltest ii ei%h Bardi and on eTamntation of the bantic mijiteria, 
Londres ISSIJ 

1 Owen Junos The V p i yriait ÂrcI leoloqii of }\alM cMecled out of andeni 
manu r i/f? IHIII 

i F I e 1817 — Hersarl do la Vitle- 

marqu Merii t M irihirin,son hUloire, 

I lusln ae metaphrasUs^ repro- 

duit pir I /u I itps l prittiordia, Dublin, 1639, 

P j-t 

( struïiui ùerin mieorum ititplor 
i/eitiram liiiloT is lel ainalcf inster _ .. ., .... . , 

tndi ^iterliJQDsis I antlisun, (^ btliliotiteça ■'ooiinu Puitorti i\idani. 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 19 

Ils suivent avec empressement cette indication, et dès le lendemain ren- 
contrent une autre statue, qui leur enseigne encore la voie à suivre. En 
effet, à leur grande joie, ils découvrent bientôt une montagne dans le lointain. 
C'est une montagne d-où jaillissent des éclairs, et sur les flancs de laquelle 
roulent des laves, mais elle répand une odeur merveilleuse. Les moines 
débarquent et vont à la découverte dans le pays, où ils ne reùcontrent ni 
hommes ni animaux. Enfin ils arrivent à une ville entourée de fortes 
murailles. Tout est en or, maisons, meubles, église, mais personne ne garde 
ces trésors. Au fond d'un cloître magnifique étaient pourtant deux vieillards, 
qui se lèvent pour exercer les devoirs de l'hospitalité, et leur apprennent 
qu'ils sont Elie et Enoch : c Un de nos jours, ajoutent-ils, est égal à cent de 
vos années; ceux qui étaient enfants lors de votre départ sont maintenant 
des vieillards et demain aucun d'eux ne sera en vie. Pendant votre séjour ici, 
six à sept générations dé rois et de peuples se succéderont dans votre patrie, 
et vous-mêmes vous serez vieillards lorsque vous y retournerez ». En effet, 
quand les moines reviennent en Bretagne ils s'aperçoivent à leur grande stu- 
peur que tout est changé autour d'eux, qu'ils sont accablés d'années et qu'ils 
n'ont plus qu'à mourir. 

Telles sont les principales légendes païennes ou chrétiennes par lesquelles 
les Irlandais ont affirmé la continuité de leur croyance à l'existence des terres 
transatlantiques. 11 ne faudrait point prendre à la lettre tous les épisodes de 
ces légendes destinées à l'amusement ou à l'édification de ceux qui les enten- 
daient raconter, mais, ainsi que l'a remarqué un des savants qui ont le plus 
contribué à nous les faire connaître ^, Curry, c ces faits seraient d'une grande 
valeur s'ils nous avaient été transmis dans leur forme originale, mais, dans 
le cours des âges, après avoir passé par la bouche de narrateurs remplis 
d'imagination, ces récits ont perdu en grande partie leur simplicité primitive 
pour devenir de plus en plus fantastiques et extravagants ). Ils n'en consti- 
tuent pas moins une source de renseignements fort précieux. Mais il est temps 
de passer de la légende à l'histoire et de montrer comment les voyages très 
authentiques qu'il nous reste à enregistrer confirment la réalité ou tout au 
moins la vraisemblance des courses d*Oisin, de Brandan, ou de Maelduin. 



II 

Les Papae ou Culdees, c'est-à-dire les prêtres irlandais, se sont en effet 
avancés, dune façon certaine, bien au delà de l'Irlande, dans la double direc- 
tion de l'ouest et du nord-ouest. Plusieurs motifs les poussaient à l'émigration* 
Le premier, c'est qu'ils furent en désaccord avec la majorité des catholiques 

1. Curry, Lectures, etc., ouvr. cité, 289. Cf. Beauvois, Eden occidentaly p. 371 î 
c G*est ainsi qu'aujourd'hui des écrivains aimés de la jeunesse vulgarisent la science 
en Tencadrant dans des aventures imaginaires ou même incroyables; si, grâce à cet 
appoint romanesque, leurs livres venaient à surnager seuls dans quelque naufrage des 
connaissances humaines, comme ont fait les légendes gaéliques ou cymriques, nos 
arrière-petits-neveux n'auraient pas plus le droit de négliger les faits positifs con- 
tenus dans ces récits, que nous-mêmes n'aurions raison de nier les voyages et les 
établissements transatlantiques des Gaëls à cause des fictions qui y sont mclécs. ^ 



20 LES IRLANUAIS EN AMÉRiQUE AVANT COLOMB, 

sur (iiïors poinlE de discipline, fixiilion du jour de Piques, cérémonies eo m - 
plÉraontaires du baptême, tonsure monaslique', etc. Très fidi^les aux rites de 
leurmallre bien aimé, dès 06-t, plulût que de se conformer aux décisions de 
la conféi'ence de Wîlby<, ils quittaient l'Angleterre et retournaient avec lour 
clief, l'éTéque Colroan, au monastère d'iona. Cinquante ans plus tard, lorsque 
le roi des Pietés, .\echtan^, imposa la règle romaine à son clergé, les Papae 
s'exilËreni volontairement d'Ecosse. Lorsque l'Irlande à son tour fut ramenée 
à l'unité catholique*, ils n'eurent plus d'autre refuge que les archipels nord- 
atlantiques et s'y retirèrent les uns après les autres, mais ils furent toujours 
vus de mauvais ceil par les autres catlioiiques, qui les trailaienl d'Africains 
judaïsanis''. 

Les Papae, d'ailleurs, renoncèrent sans trop de peine à leur patrie, cartes 
régions mystérieuses du nord exercèrent toujours sur eux un invincible 
attrait, c Le Seigneur a fait ce qu'il a voulu faire au ciel et sur la terre, et 
dans lous les abîmes, écrivait Giraud de Camiirai'; il est admirable en ses 
saints et grand dans toutes ses œuvres, mais c'est aux lointaines extrémités 
du monde que la nature aSrancliic se joue daus les plus étonnants prodiges. > 
11 semble que les Irlandais se soient appliqué ces paroles et aient voulu con- 
nuitre ces prodiges. Dans les mers orageuses et voilées par d'épaisses brumes 
qui baignent la verte Erin, et ofi l'on peut croire qu'au delà des pays habités 
par les hommes s'étendent des terres inconnues ; à travers les archipels semés 
sur les flots et qui sont peut-être les débris de continents disparus, les saints 
Irlanilais ont aimé à s'aventurer. On cite le voyage de Baïton, le premier suc- 
cesseur de saint Colomba au monastère d'Ioua, et les trois expéditions de son 
contemporain Cormac. 11 est vrai qu'on n'a de détails que sur la troisième de 
ces expéditions. Pendant quarante jours Cormac, poussé dans l'Atlantique par 
nu violent vent du sud, dépassa toutes les limites connues, et s'avança jusqu'à 
une région de l'Océan où il fui assailli par des bestioles noires, qui menaçaient 
de percer avec leurs aiguillons les peaux qui protégeaient l'embarcation. Ce 
détail prouve rauthcncitû du récit. Dans les mers boréales, en cfTet, certains 
crustacés, particulièrement la lernaea brancliialis, attaquent les navires en 
bandes innombrables. Heureusement pour Cormac le vent tomba. Il put 
retourner et rentrer en Irlande'. 

Le voyage de Snedghus et de Mac-Iliaglila'', tous deux d'iona, au milieu 
du VE r siècle, présente également les caractères de l'authenlicité. C'est un pèle- 
rinage maritime qu'avaient entrepris ces hardis compagnons. Ils errèrent de 
longs mois sur l'Atlantique et découvrirent de nombreuses lies, les unes 

1. Varin, Causes de la diisidence entre l'Eglise bretonne et l'E'jlise rûmame (Mé- 
nioireu de l'Académio des inscriptions et be tics- lettres, 1858.) 
M Ut mb t 1/ ri Oc«i(;«nt, 1. IV, pp. 170-181. 

S Id pp 1 J IfaO 
4 /(( t V pp 4 1 *J. 

B It l i I olombieHMs des Gaëls avec le Me^iiiae (Congrès aiiic!- 

r l d t t I gu ) p 78. 

h t Id C mh T pographia Hibernine. 

7 L tur d C ont étéracontÉes par Andamnan, l'auteurdela rie de 
s il l b V lédt W. lleewes, Dublin, 1857, pp. 160-170. 

8 C y f, lu (/ ncienl manuscripl inalerials of aiicieiil irUh hiitoru, 
Dublin, 1878. 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMR. . 21 

désertes, les aatres habitées. Un jour, la brise leur apporta des mélodies con- 
nues, le sianan ou chant funèbre des femmes d'Irlande. Ils abordèrent aussitôt 
et furent accueillis avec empressement par des femmes qui leur adressèrent 
la parole en irlandais et les conduisirent à leur chef. C'étaient en effet des exilés 
irlandais, de la tribu des Fer Rois, qui avaient autrefois massacré leur chef et 
avaient été abandonnés au caprice des flots. Après avoir séjourné quelque 
temps dans l'île, Snedghus et Mac-Riagbla retournèrent sans accident à lona^ 
Ils avaient rapporté de leur voyage une feuille d'arbre, extraordinaire par ses 
dimensions, que Ton conserva précieusement d'abord à loua, puis à Tirconnel. 
On la connaissait^ sous le nom de Guilefaidh de saint Golumba. En 1390, 
lorsque Donnoch et Gilla Isa Mac-Firbis compilèrent dans le Leabhar Chinde 
Lecain VEochtra clerech Choluim cille ou Aventures des clercs de saint 
Golumba, cette feuille existait encore. Elle avait été transportée à Gennanas ou 
Kells, dans le Meath. Or, où trouve-t-on ces feuilles c aussi larges que la peau 
d'un bœuf)» sinon dans les régions tropicales? N'est-ce donc pas que les Irlan* 
dais avec leurs simples currachs se sont aventurés jusque-là? 

Nous ne pourrons que mentionner les aventures de quelques Papae dans 
l'océan du nord -ouest et le commencement de la navigation de deux moines 
de l'ordre de Saint-Golomba dans la mer du Nord, car les manuscrits qui les 
contiennent sont encore inédits et à peu près inaccessibles, sauf à quelques 
gaêlistes. 

G'est avec la même réserve que nous parlerons des voyages entrepris par 
d'autres Papae dans l'Atlantique. Ges voyages sont pourtant certains. Les Or- 
cades et le.s Shetland furent d'abord reconnues et occupées par eux. Gette 
occupation fut même si bien acceptée par les insulaires, qu'ils prirent le nom 
et adoptèrent le costume de ceux qui venaient les initier à la civilisation. Au 
IX* siècle de notre ère» lorsque le roi de Norvège Harald Harfagr envahit 
ces archipels, il en extermina tous les habitants et les remplaça par des 
païens de Norvège. Le nom des Papae se conserva néanmoins aux Orcades. On 
le retrouve dans les îles Papawertra et Papostronsa, et dans plusieurs localités 
de Paplay. De même, aux Shetland on signale les trois îles de Papastone, Pa- 
palittle, Papa et le domaine do Papil ^ 

Des Orcades et des Shetland, les Papae passèrent facilement aux Feroë. 
Voici comment l'un d'eux, Dicuil^, qui composa en 825 un curieux traité de 



1. Beauvois (Grande terre de V ouest, p. 78) mentionne ces voyages d*après le The 




2. E. Curry, LectureSy ouvr. cité, pp. 124-5, et 333-4. 

3. Munch, Geographiske Oplysninger om Orknœerne, 1852, pp. 49, 52, 55, 58, 64, 
67. 102 et Géographie om Hjaltland. 1857, pp. 342, 349, 354, 356, 367, 377, 381. 
Le môme historien, dans ses Symbolae ad hisloriam antiquiorem Norvegiae (Chris- 
tiania, 1850) a publié un passage intéressant de VHistoria Norvegiae qu'il avait décou- 
verte : « PapsB vero, propter vestes albas, quibus ut clerici induebantur, vocati sunt, 
unde in teutonica lingua omnes clerici papae dicuntur. » 

4. Dicuii, ^e mensuraorbis terrae, édit. Letronne, Vll,3:(cSuntaliae insulae mul- 
tae in septentrionali Britanniae Oceano, quae a septentrioualibus Britanniae insulît 
duorum dierum ac noctium recta navigatione, plenis velis, atsiduo féliciter vente, 
adiri queunt. Aliquis probus religiosus mihi retulit quod, in duobus aestivis diebus, et 
nna intercedente nocte, navigans in duorum navicula transtrorum, in unam iUarum 



23 LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMII. 

géograpliiR, De memura orbit terrae, parle du celle découverte, t 11 y a un 
grand noniljre d'autres Iles dans l'Océan au nord de la Itretagne, les vaisseaux 
voguant à pleines voiles et poussés par un vent toujours favorable emploient 
deux jours el deuf nuits pour s'y rendre des îles septenlrionales de la Bre- 
tagne. Uu religieux digne de foi m'a raconté qu'après avoir navigué deux jours 
et une nuit d'été, dans un petit bâtiment à deux rangs de rames, il aborda 
dans une de ces lies. Ces lies sont petites pour la plupart, presque toutes sé- 
parées les unes des autres par des détroits fort resserrés ; elles étaient, il y a 
une centaine d'années, habitées par des ermites sortis de notre Scottia'. Mais, 
de même qu'elles avaient été désertes depuis lo commencement du monde, 
ainsi, abandonnées maintenant des anachorètes à cause des Northmans, elles 
sont remplies d'une multitude innombrable de brebis et d'oiseaux de mer de 
diverses espèces. Nous n'avons trouvé ces Iles mentionnées dans aucun au- 
teur, j Cet archipel fut ravagé par les Northraans, comme l'avaient été les Or- 
cades et tes Shetland, mais le souvenir des Papae s'y perpétua. Le pasteur 
Scbrœter, qui s'est attaché à recueillir les traditions locales, rapporte qu'avant 
l'arrivée des conquérants Northmans ( il s'était établi dans les lies des 
hommes que l'on considérait comme des saints, attendu qu'ils avaient la puis- 
sance de faire des signes et des miracles, de guérir les blessures et les ma- 
ladies, aussi bien des hommes que des animaux. Ils savaient prédire si pendant 
l'année la pèche ou l'état sanitaire seraient favorables Ils ne vivaient pas 



2. Sclirootter, Antikvarich TidsseliTift {Ihi^^i), pp, 146-147. 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 2a 

résider en quittant les Féroê. c II y a trente ans, écril-il ^, que des clercs qui 
avaient demeuré dans cette île depuis les calendes de février jusqu'à celles 
d'août me racontèrent que, non seulement lors du solstice d'été, mais encore 
quelques jours avant et après, le soleil disparaît pour peu de temps et semble 
se cacher derrière une colline» en sorte que l'obscurité dure très peu de temps. 
Aussi voit-on assez clair pour se livrer à toute espèce d'occupations, et l'on 
pourrait même chercher ses poux dans sa chemise comme en plein jour ; il est 
probable que, si l'on était sur une montagne, on ne verrait pas le soleil se 
coucher. Ils ont menti ceux qui ont écrit que cette Ile était entourée d'une me^ 
de glace, car les susdits clercs qui ont vogué vers cette île dans le temps du 
grand froid ont pu y aborder... Il est vrai qu'à une journée de navigation au 
nord de cette tie ils ont trouvé la mer gelée. » 

Les Papae, comme on le voit, étaient entreprenants, et, s'ils n'avaient été 
arrêtés par cette infranchissable barrière de glaces contre laquelle se sont 
brisés tant d'héroïques efforts depuis Pytbeas jusqu'à Weyprecht ou Greely, 
ils auraient porté leurs croyances bien au delà de l'Islande. Dans la direction 
du nord, l'Islande devait être leur dernière étape. Lorsque les Northmans 
abordèrent à leur tour dans l'ultima Thulé, c'est-à-dire dans le dernier quart 
du IX* siècle, les Papae leur cédèrent encore la place 2. c II y avait là des chré- 
tiens, lisons-nous dans les Sagas irlandaises, de ceux que les Norvégiens 
appellent Papas ; mais c^s derniers s'éloignèrent parce qu'ils ne voulaient pas 
rester avec des païens; ils laissèrent après eux des livres irlandais, des cloches 
et des crosses, d'oii l'on peut conclure que c'étaient des Irlandais. > Dans un 
antre ouvrage islandais, le Landnamabok^, ou livre de prise de possession, 
nous trouvons des renseignements identiques : c Avant que l'Islande fût colo- 
nisée par la Norvège, il y avait dans Ule de ces hommes que les Norvégiens 
nomment Papas. C'étaient des chrétiens, et Ton pense qu'ils venaient des 
contrées situées à l'ouest de la mer, car on trouva après eux des livres irlan- 
dais, des cloches et des crosses et plusieurs autres objets, d'où l'on peut con- 
clure que c'étaient des hommes de l'ouest. Ces trouvailles furent faites dans 

1. Dicail, De mensura orbis terrae, YII. S : « Trigesimus niinc annus est a qiio 
niinliavenint mihi clerici qui, akalendis febniarii usque kalendas augustî, in insula 
Thule manserant, quod, non solum in aestivo solsUtio, sed in diebus circa illud, in 
vespertina hora, occideos sol abscondit se quasi trans panrulum tumnlum : ita ut 
nihil tenebraram in minimo spatio fiat; sed quidquid bomo operari voluerit, vel pédi- 
cules de camisia abstrahere, tanquam in praesentia solis potest : et, si in altitudine 
montiumejns fuissent, fositamaunquam sol absconderetur ab illis... mentientes fallun- 
tur qui circum eam concretum mare fore scripserunt, nam navigantes tempore frigoris 
eam intrabant, sed, navigatione unius diei ex illa ad boream, congelatum marc iu- 
veneront. • 

2. Aré Frodhé, Islefidina sœgur (1843), t. I, p. -4. Quelques-uns d'entre eux pour- 
tant restèrent dans le pays. C'était évidemment un descendant des Irlandais, ce moine 
qui, en d86, aecompagna Crick Raudhc dans son expédition en Groenland et composa 
un poème intitulé Ilafgerdinghar (le ras de marée), dont le refrain a été conserve 
par le Landnamabok (p. 106^ : • Je prie celui qui soumet les moines à de salutaires 
épreuves de favoriser mon voyage, que le maître de la voûte céleste me tende une 
iiiaio secourable. » Cf. Joergensen, Den nordiske kirkes grund breggehe og foerste 
udviklingy Copenhague, 1874-6. 

3. Id., Landnamabok, t. I, p. 32-36. On trouve également dans le Landnamabok 
(p. 50-51) la mention d'une église dédiée à saint Columba. et qui avait été bâtie en 
rhonneur d'Aslof Aslik, un des douze chrétiens irlandais qui avaient été s'établir dans 
le Ràogarthnig, et qui ne voulaient avoir aucun rapport avec les païens des euvirons. 



2i LES IRLANDAIS EN AMÉRIOUE AVANT COLOMB. 

l'esl, à Popey et Papylé, On voit aussi par les livres anglais qu'il y avait des 

relations entre ces pays, t 

Tous les archi|iels de la mer da Nord, l'Islande elle-mâme, ont donc ûlè 
roconnus et colonisés par les Papae; mais arrêtés par les glaces ils ne purent 
pousser plus loiji leurs investigations, et chassés de leurs conquêtes par les 
Northmans, ils furent obligés de reculer devant eux, comme jadis les Phéni- 
ciens devant les Grecs, et de tenter de nouvelles découvertes dans cet Océan 
qui jusqu'alors n'avait trompé aucune de leurs espérances. Ils montèrent de | 
nouveau sur leurs currachs, et, de Icmpûle en tompéte, de naufrage en nau- 
frage, finirent par aborder en Amérique dans une région qu'ils nommèrent' 
rirtand it Mihia'. Seulement, avertis par l'expérience, ils gardèrent cette fois le 
secret do leur décnuverte, et veillèrent avec un soin jaloux à ce qu'elle ne fût 
pas connue en Europe. Ce sont les Norlhmans d'Islande qui les poursuivirent 
encore dans leurs nouveaui domaines, et c'est dans les ouvrages écrits par 
eux que nous trouverons la preuve de ce premier établissement d'une nalinn 
chrétienne au nouveau monde. 

Trois ouvrages islandais parlent de l'irland it M ikla. Le premier eslic Land- 
namabok' ou livre de prise de possession de l'Islande. C'est une histoire 
généalogique, sûre et positive, des principales familles islandaises du x* au 
XIII' siècle. Il a été composé par Are Thorgilsson, surnommé Froiihé nu le 
savant, et complété par cinq autres historiens ou généalogistes. Are Frodhé 
vécut de lOC? à HiS. Voici comment il parle ^ de son iiisaïeul Are Màrsson: 
( Are, fils de Màr et de Thorkatk, fut poussé par une tempête dans leHvitrara- 
mannaland, que quelques-uns appellent Irland it Mikla. Ce pays est situé â 
l'ouest, dans la mer, près du Vinland it Godha, et, dit-on, à six journées de 
navigation de l'Irlande. Ce récit a été Sail d'abord par Hrafn Hiymreksfaré, 
qui avait longtemps habité fllymrek en Irlande. Torkell Gellisson rapporta 
aussi que des Islandais disaient avoir appris de Thorlinn, jarl des Orkneys, 
que Are avait été reconnu dans le llvitrammannaland, et qu'il ne pouvait en 
sortir, mais qu'il y était traité avec honneur. ï Voici donc un Islandais, Are 
Màrsson, jeté par la tempête dans un pays oii on l'accueille bien, mais en lui 
interdisant de retourner dans sa patrie. Le liruit de ses aventures se répand 
néanmoins, et ce sont deux Islandais, Urafn et TorkoU Gellisson, qui le trans- 
mettent au rédacteur du LandnamaboJc. Or, ce Hrafn, qui a longtemps habité 
Limerik en Irlande, tenait sans doute ses renseignements de voyageurs irlan- 
dais revenus du llvitrammannaland ; quant à Torkell Gellisson, il était l'oncle 
paternel d'Are Frodhé ; il avait beaucoup voyagé, beaucoup appris, et transmis 
une foule de récits â son neveu ; enlin il s'appuyait sur le témoignage du jarl 

1, L'historien qui a. 1c micuic élucidé cette importante quenlion ils la catnnisation 
irlanclni"' Tiri>''i|n"!hi''iinr' e^l M, lîoauviiis, IJécuucerte ilu A'outeau Monde par Ui 
Irtii-tiltii'i . ' :>,:-;:..-,,': (,.,frv .lit chrislianhme en Amériiiue avant l'an 1000 (Gon- 
grts aiLi.' ■ ■ i. .i\ . 187rii. t. I. pp. ii-li3. — lit., len Derniers Venliaes du 

chTifliniu . 'NI xiv siècle dans le Marittmtd et la Grande Irlande. 

Les l'"ii'- '.;■..■. ■('■ ■■' (..■7>m;ï etde l-Ar.ariie, 1B77. 

3, Le hiiiidmnnnh.ii. a de puliliii par Uafn, Anliqititalea Americame, ùve scrip- 
tûTes sepl&nliîtinales reiaiii ante Cotmibiarurum in America (Copenhague, 183T) et 
par Riifii et Fina Magnusen, GrntnUiuds hîsloTiske mimh» mœrker (Oopenliaguo, 
lKifl-1845). 

3. Lnnilnamabok, part. II, j|S3, dans lalendiaa Sœgur, p. 1Î9-130. 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 25 

ou duc des Orcades» c'est-à-dire d'an pays colonisé par les Papae irlandais, et 
qui sans doute avait conservé des relations avec les autres colonies fondées par 
ces mêmes Papae. De ce premier témoignage semble donc résulter que les 
colons irlandais avaient occupé un grand pays situé à Touest, et qu*ils empé* 
chaient tous les navigateurs que le hasard ou la tempête y conduisaient de 
rentrer dans leur patrie. 

Voici un nouveau fragment de chronique islandaise plus concluant encore. 
Il est emprunté à VEyrbyggia Saga^, ou histoire des notables personnages de 
la péninsule de Thorness et des Eyrbygges dans Tlslande occidentale. D'après 
cette Saga, Bjœrn, fils d'Asbrand» s'était épris de Thuride de Frodhà, et resta 
en bonnes relations avec elle, même après son mariage avec un certain Thorold. 
De là des hostilités et des assassinats. Traduit devant le Thing pour avoir 
tué deux de ses adversaires, Bjœrn partit en exil, se signala par sa bravoure, 
et revint en Islande dix ans plus tard, toujours épris de Thuride. Compromis 
par ses assiduités et poursuivi par la haine de la famille de Thuride, il dut 
s'expatrier une seconde fois et c partit avec un vent^ du nord-est qui souffla 
presque continuellement, et de longtemps on n'entendit parler de ce navire i^ 
C'était en 980 que Bjœrn était pour la première fois parti en exil, et aux 
alentours de l'an mil qu'il avait pour la seconde fois quitté l'Islande. Or, en 
1030» vers la fin du régne de saint Olaf^, un riche armateur islandais, Gudhleif, 
€ ayant fait un voyage à Dublin, naviguait vers l'ouest pour retourner en 
Islande, lorsque un grand vent du nord-est le poussa si loin en mer, vers 
l'ouest et le sud-ouest, qu'il ne savait plus où se trouvait la terre. Comme l'été 
était avancé, ils firent de nombreux vœux pour être préservés d'un naufrage, 
et il arriva qu'ils aperçurent la terre. C'était une grande contrée qu'ils ne 
connaissaient pas. Gudhleif et les siens prirent la résolution d'y débarquer, 
parce qu'ils étaient fatigués d'avoir été longtemps ballottés sur mer. Ils trou- 
vèrent un bon port, et ils étaient à terre depuis peu de temps, lorsqu'il arriva 
des gens dont pas un ne leur était connu, mais il leur semblait fort que ceux- 
ci parlaient l'irlandais. Bientôt cette multitude s'étant accrue au nombre de 
plusieurs centaines, assaillit les navigateurs, s'empara d'eux tous, les chargea 
de liens et les amena vers le haut pays. Conduits à une assemblée pour y être 
jugés, ils comprirent que les uns voulaient les massacrer tout de suite, les autres 
les partager entre eux et les réduire à l'esclavage. Pendant les délibérations, 
ils virent arriver une troupe de cavaliers avec un étendard, d'où ils conclurent 
qu'il devait y avoir un chef dans cette troupe. Lorsque celle-ci fut arrivée, ils 
virent chevaucher sous l'étendard un homme grand et vigoureux, déjà très 
âgé et à cheveux blancs. Tous les assistants s'inclinèrent devant ce person- 
nage et l'accueillirent de leur mieux : c'est à lui que fut laissée la décision de 

1. VEyrbyggia Saga a été composée après 1148, puisque elle cite le Landnamaboky 
écrit à cette époque, et avant la soumission de l'Islande au roi de Norvège en 1204. 
Ellea été publiée deux foisdans son entier, en 1782, à Copenhague, par Thorkelin, et 
en 18t>4, à Leipzig par C. Vigfusson. Rafn en a donné des extraits avec traduction 
danoise et latine dans ses Antiquitates Americanae, I, p. 530, 786. — Beauvois en a 
traduit quelques fragments en français dans ses Découvertes des Scandinaves en 
Amérique, du X' au xiii" sihcle (Revue orientale et américaine^ Paris, 1859). 

2. Eyrbyggia Saga^ |47. 

3. Eyrbyggia Saga, § 64. 



2G LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 

l'afTaîre. Le Tieillurd envoya chercher Gndbleif et ses gens, leur adressa la 
parole en bn(pie norraine, ei leur demanda de qael paya ils èlaieot. Ils lui 
répondirent qu'ils étaient Islandais pour la plupart. — f El quels sont les 
Islandais parmi tous? > Gudhieir lui dit qu'il en était un, et saluale Tieillard, 
qui lui lit bon accueil et lui deman.la do quelle contrée de l'Islande il était. 
Gudlileiriui dit qu'il était du canton de [lorgarrjœrdh . «Etde quel endroit? t 
Hen^eigné sur ce point par (îudhieif, il l'interrogea snr presque toutes les 
personnes considérables de Itergarljœrdh et du Breidhaljœrdh. Dans ees 
eniretiens il s'informa exacienieni à tous égards do Snarré Godhé et de sa 
sœur Thuridc de Krodhik, et surtout de Kjartau, fils de cette dernière, qui était 
alors maître de Frodhâ. » 

Comme les indigènes s'impatientaient et réclamaient une prompte solution 
de l'afTaire, les chef déclara qu'il laissait tes étrangers libres, mais dit-il en 
confidence à Gudlileif, » alors même que l'élé voua semblerait bien avancé, je 
vous conseille de tous éloigner promptemcnt, car il ne faut pas so lier aux 
indigènes, et il ne fait pas bon aToir affaire à ea\; ils croient d'ailleurs que la 
loi a été violée ^ leur préjudice. — Mais, dit Gudhleif, s'il nous est donné 
de revoir notre patrie, comment nommerons-nous celui qui nous a sauvés? 
— Je ne puis vous le dire, répondit-il, car je ne tcuï pas que mes parents 
ou mes frères d'armes fassent un voyage comme celai que vous auriez fait, si 
je n'eusse été présent pour vous protéger... 11 y a dans le pays des chefs plus 
puissants que moi, ils ne sont pas actuellement dans la contrée où vous avez 
abordé; mais, s'ils viennent, ils auront peu de ménagements pour les 
étrangers. > Malgré les instances des Islandais, le vieux chef ne voulut jamais 
se nommer, mais il pressa leur départ, voulut assister à leur embarquement 
et leur donna quelques présents destinés à Thuride et à son lïls. c Si quelqu'un 
croit savoir à qui ont appartenu ces objets, ajonla-l-il, dis-lour de ma part 
que je défends i. qui que ce soit de venir me trouver; car c'est une entreprise 
périlleuse, à moins que l'on n'ait, comme vous, la chance de trouver un lieu 
d'ahordage favorable. Ce pays est étendu et mal pourvu de ports, et partout 
un mauvais accueil attend les étrangers, ii moins qu'ils ne soient dans les 
mémos circonstances que vous. > Après quoi Gudhleif et les siens se mirent en 
mer et arrivèrent en Irlande à une époque avancée de l'automne. Ils passèrent 
l'hiver à llyllinn (Dublin), et, l'élé suivant, ils tirent voile pour l'Islande, oCt 
ils remirent les présents aux destinataires. Des personnes tiennent pour certain 
que te chef indigène était lljœrn llreidhvikingaliappè, mais it n'y a pas d'autres 
notions certaines à cet ég;ird que celles qu'on a rappariées. * 

Certes, ces aventures sont romanesques, et la rencontre fortuite do Bjœm et 
de Gudhleif semble arrangée à plaisir, mais elle n'est pas invraisemblable, et 
d'ailleurs elle est consignée dans une saga islandaise, dont la véracité n'a 
jamais été contestée. Si donc nous acceptons provisoirement l'authenticité do 
ce récit, nous remarquerons que les deux Islandais fijœrn et Gudhleif ont tous 
les deux été jetés par la tempête dans un pays civilisé, situé très à l'ouest, où 
la langue irlandaise était couramment parlée, mais dont les habitants massa- 
craient et réduisaient systématiquement à l'esclavage les étrangers qui 
abordaient chez eux. En outre, ce pays était situé à l'ouest do l'Irlande et de 
l'Islande, c'est-à-dire dans la direction de l'Amérique. Il parait donu corres- 




LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 27 

pondre à Tlrland it Mikla, où Are, fils de Marsson, avait été précédemment 
jeté. 

Isième saga, celle de Thorfinn KarlsefneS composée d'après lesrela- 
ou de plusieurs des Norlbmans qui découvrirent le Vinland, renferme 
iage d'une importance capitale pour les établissements des Irlandais au 

.fetn monde. Il y est dit que, quelques années après Tan mil, Thorfinn et ses 
jikpagnons, après avoir passé trois ans dans le Vinland, c'est-à-dire, comme 
nous le prouverons plus loin, en Amérique, revenaient dans le Groenland, 
lorsqu'ils trouvèrent sur leur chemin cinq Skrœllings ou Esquimaux, c L'un 
d'eux était barbu, et il y avait deux femmes et deux enfants. Les gens de 
Karlsefne s'emparèrent de ces derniers, tandis que les autres s'échappèrent et 
disparurent sous terre. Les enfants^, emmenés par eux, apprirent leur langue 
et furent baptisés. Ils appelaient leur mère Vetthilde et leur père Uvaege. Ils 
rapportèrent que deux rois gouvernaient les Skrœllings, Tun nommé Avalldania, 
l'autre Valldidida; qu'il n'y avait pas de maisons dans le pays, que les habitants 
couchaient dans des cavernes ou des trous; qu'une autre grande contrée située 
en face de leur pays était habitée par des gens qui marchaient vêtus de blanc, 
portant devant eux des perches où étaient fixés des drapeaux et criant fort. 
On pense que c'était le Hvitrammannaland ou Irland it Mikla. » 

Quels sont ces gens vêtus de blanc, sinon des Papae ou des indigènes colo- 
nisés par eux et restés fidèles au costume de saint Golumba? Quant à ces 
perches ornées de drapeaux et à ces chants qui avaient si fort frappé l'imagi- 
nation des petits Skrœllings, n'est-il pas aisé de reconnaître une procession 
et des cantiques, dont les Papae auraient conservé l'usage dans leur nouvelle 
possession? 

De ces trois documents irlandais conservés par le Landnamabok, par 
VEyrbyggia Saga, et par la Saga de Thorfinn Karlsefne, il semble donc ré- 
sulter que les Irlandais avaient découvert à l'ouest un pays auquel ils avaient 
donné leur nom, Irland it Mikla, ou la Grande Irlande ; que cet autre nom de 
Hvitrammannaland, ou terre des hommes blancs ou vêtus de blanc, rappelle le 
costume des Papae ; qu'ils avaient conservé l'usage de la langue irlandaise ; 
qu'ils étaient restés fidèles au christianisme, puisqu'ils célébraient des pro- 
cessions et chantaient des cantiques; enfin qu'ils étaient sans pitié pour les 
naufragés, parce que, plusieurs fois pourchassés et expulsés par les pirates 
Northmans, ils voulaient, pour leur sécurité future, dissinmler leurs décou- 
vertes. Donc, l'Amérique a été reconnue et en parlie colonisée par des Irlan- 

1. La sà^à de Thorfinn Karlsefne, dont le texte est contenu dans quinze manuscrits, 
a été publiée dans les Antiquitates Americanœ de Rafn et dans Groenlands hUtih- 
riske mindesmoerker. La traduction française a été donnée par Reau\o'is (Décûuvertei 
des Scandinaves en Amérique y p. 32-^). 

2. Itafn, Antiquitates americanaey p. 182. Karlsefniani pueros comprehenderunt, 
eeteris Skroellingis fuga elabentibus et terra déhiscente absorptis. Hos duo poeros 
sacum abduxeruot, eosque linguam docueerunt et baptizarunt. Hi nominarunt matrem 
Vetthildam et patrem Uvaegium, dixerunt reges Skroellingis imperare, quorum altori 
nomeo esse Avalldanio, aileri Yalldidida, nullas ibi domos esse, sed in antris aut 
eavemis habitari ; ex altéra parte, exadversum suam terram, aliam sitam etsa regio- 
nem, quam incolerent bomines, albis vestibus induti. hos longurios prœferr^ panftii 
affixis, et alta voce claniare. Hanc putant esse Hvitramannaland (Terra Homiimn 
alborum), sive Irlandiam Magnam. *- 



■ I 



28 LES lilLANUAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB, 

dais, et bien que te lémoignage des sagas islandaises manque de précision, 
l'existence de l'Irland it Hikla peut c[ doit âtre considérée comme nn fait his- 
loriqae*. 

Deux antres documents, l'un d'origine italienne, l'autre de provenance gal- 
loise, confirment la réalité de cette colonisation précolombienne de l'Amérique 
par les Irlandais. 

A la lin du xtv siècle- deux patriciens de Venise, .N'icolo 7.eno et Antonio 
Zeno, amenés par les hasards d'une vie aventureuse dans les régions situées 
au nord-ouest de l'Europe, visitèrent les nos après les autres les pays aulre- 
fois parcourus par les Papae. Ils ont raconté leurs voyages et décrit les con- 
trées visitées dans une relation fameuse, dont l'aullienticité a été combattue, 
et que, pour notre pari, nous n'hésitons pas i) croire vraie dans son ensemble et 
m£me dans ses détails. Nous aurons occasion de revenirsurcet important docu- 
ment. Nous ne voulons pour le moment en extraire qu'un passage fort curieux. 
NicoloZeuo rapportait qu'un vieux pécheur frislandais, c'est-à-dire un insulaire 
des Féroë, avait vu dans l'ouest, vers l'an 1360, des paya riches et populeux^. 
( Quatre navires de pâclieurs faisaient voile au couchant, lorsqu'ils furent 
assaillis par une violente tempête qui dura plusieurs jours, et furent comme 
perdus au milieu des flols. Au retour du beau temps, ils découvrirent une ile 
située à l'ouest et nommée Estoliland. Ils se trouvaient alors à plus de mille 

1. L'Irland it llikla d«s tagaa est mentionnée [lar Edrisi sous le nom d'Irlandeh 
el Kubirali. Ce nom et plusieurs mitres délails sur les contrées ilu iNord lui ont sans 
doute étâ Tournis par les NurliimanB employés à la cour de leur compalriola, le roi de 
Sicile Roger II (1130-lt&l). 

3. Lb relaliao des frères Zeni a éti! publiée pour ta première fois sous le titre de 
DelloncoprimealoileU'UsoleFri^landa, Eslanda, EngroveianUa, Ettilanda el Icaria, 
falto iolo it Polo AtUco, da due fratelli Zeni M. nicolo il K. é M. Antonio libro 
uno, à la suite de I)ti commentani del viaugi in l'ersia di M. CateHno Zeno il K-, 
Venise, 1558. La meilleure édition moderne est celle ds M. Major, The voijaget of llie 
Venetian bvotheTi Nicolo ed Anlonio Zeno, ta lUe Northern aeag, in Ihe XIV CentUTU, 
London, W3. 

3. Edition Major, pp. l'J-Sl. a Si parlirono ventisei anni (3 quatlro navigli di pisca- 
tori, i qiiali, assidtali da una granda fortuua, molti giorni andarouo. corne pur perdiiti 

fier il iiiare.quando ilnalmeote raddolcitosi il tempo, scoprirono una isola dotta Estoli- 
anda posliiin ponente. Inntaiin da Frislanda piu di mille miglia, nella quala si nippe 
UD dé'iiavigti, e «ei uomini, i;lie ii'erano si'i, furonu presi da gli isolani, e roodutti à 
una cilti liellissinia c molto popolala, dove il Rc, clie lo signorcg^iava, fatti venir 
molti inlcrpreti a n se trovn mai alcuno chc Eapesse la lingua di ijuelli pescatori, as 
non un Lalino oella otessa isola pcr fortuua m edc ai ma meute capilato, il quale diman- 
dando lor la parte dcl He che crano e di dove vsnivano, raccolse il (utio, e lo riseri 
al Rb, il quale iul<<se tulte questc cosc, voile che si fermassero nel paese ; perche essi 
facendo il suo eomuiendimenlo per non «li potPr allro Tire sletti'ro cinque anni uplt 
isola ed a p pressera 1 

isola, Q narra che è ri m 

poco minore di Islao m m aum 

dal qualc nastouo qui m Q ta g a 

e haano tutte le urti m mm 

con i nostri, perctie n Ru 

renipinn hora da lor in g m ta g 

sorte, e sopra tutto ab g 

Iraegano pullecori, e p sa g P b 

mollu ricco d'oro e p g sa 

di liovauda che usan po m 

menea grandezza, e m g m as 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB, 29 

milles du Frisland. Un des navires, monté par six hommes, fut pris par les 
insulaires. On les conduisit dans une ville fort belle et bien peuplée. Le roi qui 
la gouvernait manda plusieurs interprètes, mais aucun d*eux ne connaissait la 
langue de ces pêcheurs, si ce n'est un Latin, arrivé dans cette île par fortune 
de mer, qui leur demanda de la part du roi qui ils étaient et d'où ils venaient. 
Quand le roi fut informé de ce qui les regardait, il résolut de les retenir prison- 
niers. Les pêcheurs se soumirent à sa volonté, puisqu'ils ne pouvaient autrement 
faire, et restèrent cinq ans dans ce pays, dont ils apprirent la langue. L'un d'eux 
visita à plusieurs reprises la région. Il raconta qu'elle était riche, abondam- 
ment pourvue de tous les biens du monde, et un peu plus petite que TTslande, 
mais plus fertile. Au milieu se dresse une montagne fort élevée, d'où sortent 
quatre fleuves qui l'arrosent. Les habitants sont ingénieux et aussi avancés 
dans les arts que les Frislandais. 11 est même probable qu'ils avaient eu autre- 
fois des relations avec la Frislande, car le pêcheur remarqua dans la biblio- 
thèque du roi des livres latins qu'aucun d'eux ne comprenait plus. Leur langue 
et leur alphabet diffèrent de ceux de la Frislande. Us exploitent des mines et 
ont jde For en abondance, lis ont des relations avec le Groenland, d'où ils 
tirent des peaux, du soufre et de la poix. yei*s le sud s'étend une immense 
région, riche, encore et très peuplée. Ils cultivent des grains et font de la cer- 
yoise» qui est une sorte de bière en usage chez les peuples septentrionaux, 
comme le vin en Italie. Le pays est couvert de bois immenses, et ils en font 
des murailles. Ils ont des villes et des châteaux. Us construisent des vaisseaux 
et naviguent, mais ne connaissent pas l'usage de la pierre aimantée et ne se 
servent pas de la boussole pour se diriger yers le nord. > Après des aventures 
extraordinaires dont le récit trouvera sa place ailleurs, ce pécheur Frislandais 
réussit à équiper son navire à ses frais et à revenir dans sa patrie, c où il 
porta à son seigneur la nouvelle de la découverte de ce richissime pays< ». 

Quel est c ce richissime pays »? Nous pensons qu'il correspond exactement 
à rirland it Mikla, non seulement parce que ses habitants avaient conservé 
l'habitude, comme au temps de Bjoern et de Gudhleif, de se défier des étran- 
gers au point de les retenir prisonniers, mais surtout parce qu'ils jouissaient 
d'une civilisation très avancée et, au dire du pécheur Frislandais, observateur 
pourtant bien superficiel, semblaient avoir eu des relations avec les Euro* 
péens. En outre ils avaient une littérature, puisque leur roi possédait une 
biUiothèque, et, sans trop forcer la vraisemblance, il est permis d'avancer 
que les livres latins qui se trouvaient dans cette bibliothèque provenaient des 
Papae, qui les emportaient toujours soigneusement avec eux dans toutes leurs 
courses. Sans doute ils ne comprenaient plus la langue latine, mais, depuis 
plusieurs siècles, ces Américains d'origine irlandaise n'avaient plus de 
prêtres formés dans les universités et les séminaires d'Europe. Il n'est pas 
jusqu'au nom d'Estotiland qui n'apporte une preuve nouvelle à cette identité 
probable de Flrland it Mikla et du pays découvert par le pécheur Frislan- 
dais. On sait en effet que Tlrlande pendant tout le moyen âge s'est appelée 
Scoda ou Scotland : et, si le premier éditeur de la relation de Zeni a mal lu 

1. Ed. Major, p. ^ c Portando a questo signor la auova dello scoprimento di quel 
paese ricchissimo. > 



■^ ^i^'i ^^^ 



30 LES lilLANUAIS EN AMEIUOUE AVANT COLOMB. 

son lexlo et imprimé Kstotilaod ou lieu de Escocilaiid, il se pourrait que les 
Escocilandais descendissent en effet des iMilons irlandais doiil nous avons déjà 
rauonté les courses et les élablissemenls en Amérique. 

Il est vrai que bien des années s'él.iiiiat écoulées depuis le jour où Bjoero 
. et GudhleiC échangeaient leurs complimenls jusqu a l'époque où Zeno écrivait 
sa relation, et. dans cet intervalle de quatre siècles, nous ne trouvons rien ou 
presque rien dans les documents contemporains qui nous permette d'affîrmer 
que les Irlandais d'Europe n'aient pas oublié leurs frères d'Amérique. Il n'en 
est pas moins très probable que plus d'un marin voulut visiter la contrée qui 
atait enrichi un si grand nombre de braves compagnons. Sans donle le récit 
de ces voyages n'a pas été conservé dans l'histoire, mais ils ont dû être exé- 
cutés. Aussi bien n'est-ce pas en admettant l'existence de l'Irland-it-Hikla 
que nous pouvons expliquer un très curieux document gallois dout personne 
n'a jamais contesté l'aulhentjcilé et qui nous parait s'appliquer ù celte mysté- 
rieuse région colonisée depuis si longtemps par les Irlandais. 

Au \ir siècle ', vers l'an 1 170, une dispute s'éleva, à propos de la succes- 
sion au trAoe, entre les fils d'Owen Guynelh, roi de la partie septentrionale du 
pnysdeCallcs.Madoc, un de ces princes, fatigué et dégoûté de ces discussions, 
SR décida k émigrer pour chercher un séjour plus tranquille. 11 dirigea sa 
course droit àl'ouosl, en laissant l'Irlande derrière lui, et arriva dans un pays 
inconnu qui lui parut si agréable, qu'il retourna dans sa patrie et ramena 
avec lui bon nombre de ses partisans, ausquels il persuada sans peine qu'il 
valait bien mieux échanger une froide et stérile conirèe contre une région 
magnillquc, et tes agitations de la guurri; civile contre la tranquille possei- 
sion d'un pays que personne ne disputerait. David Powel, l'historien des Gal- 
lois, qui nous a conservé ce curieux récit, n'est pas le seul dont le témoignage 
puisse être allégué en faveur de Madoc. Un barde, son compatriote, Mere- 
dilh*, fils de Flbesl, mentionne également la navigation de Madoc vers des 
terres inconnues. Or, ce barde vivait bien avant la découverte de Colomb, à 
une époque où on ne peut le soupçonner d'avoir inventé celle histoire par 
amour-propre national et pour donner à son pays une gloire qui lui man- 



1. David Powel, Caradoc» hiilorg of Cambria with annotationi, Londres 1584 ; 
réiniprcsBian en 1G97, et 1771. « Anno MCLXX, Owano Guynetli liefuncto, dum lilii 
inler se de principatu contendunt, et nulhue irmt; superior'illum oblineret, .Madoens 
-■'■-- ^, Oweni Giiïnelhi, discordîarum civilium eiproeliomminter fratres --- 



laeBus, eomparavit Eibi 
palria profetlua ut noi 

revenue, Cambrii suis 
incolis, proclivo esse 
cundii terris poliri. Qi 
ravit, et omnilius nec-e 
mm, quas domesticari 
Iriae iuae vbIb dixit. i' 


. aliquol navea, et Ldooeu commealu aliisque rébus inipositij, e 
(BS terras invesliRarPt bc rplirla piist lergum Hibernia, donec 
: iiicognilaa ubj it ulli miran laque obsrrvavit. Inde ad palriam 

exponil quam a u lenas et l'cunda' terras adiisset, aïve uliis 
ipsia eldomLSlin pericula vitarc et amaenis hisce atque fe- 
lum non piucis p rsuasissel denuo iiaves plures sibi cofflpa- 

Bariis impositn mignum numarum iirorum pariler ac femin»- 


a. Hakiuyt, Tke pn 
London, letXI, 1. 111, f 






Madui wif m «yeddic wedd, 
liwn Rouan Omn ( wjnedds : 
Hï «innundir Tv enaid dedd 
Bada mawr, oud j uioraedd. 



qnait. Sinfiii les trïaàes ^l)oh«$ s qm pkVHkm^M i^v^ir HiS IHi«BN¥k^i« hh 
sur siècle, parleitt ésmiftmem, à |«rdfNi$ 4to( ff^vm^ ^h^ fiKt^ )^l^ 4^ ¥liSHli(|lHv, 
€ -de SaoÂKWQg ris Owûn fim'yii^ <rm «i» mîli^ mi>riiVNt U'^h H^n^^ h^mMi»)i 
«■tar^pws fiiir dix ii»ir»^«l ^i «irivii dn w «nH ^ ^ ^ 

friadipaarté àe Galles wi im^j^mrs Hé X'^tiVgï^fim nkV\t^%. )/^^ ^M tNh*^yr- 
pos ée len* pays, les collmcs iKÀ^ée» qm 4<«iKï<f<iV»^Ml j^it^^^A Ia mv^ \A \iî^. 
ctotinKDe 4e IXMan, tmit, jm9^'^«\ irft4)li^^ ^« (^V« A^N^^"^, l^it \imn- 
sût «n leîouiaes entrepmes. 1U n'^AVA^èiil ^«Mi^ ni l^f vw^ AY'^)^i^^\ Vtl \h 
■jrtériewe ÀTallon d^où il doit un jo«r i^v-^^^r (N^^^r i'hi^iitii^r \n )^\vyv^> iH 
pl«s d'un Giflois dot espèner qull r«ii<^AlivMfiit <^\\^. I^'v^ lAfti it^t^tS^ ^m^ 
ses gnndes péehes sur roeè^n* I.es (tiUloU «A «A^i twuwl «iifHi )>Himf«^V'9i h 
poemiiTre la haleine an large d«s cdt^s et A irAV^r» U ti^m|>^lf»v Oiti^ hU SW'i^W. 
«a honneur chez enx que de s*edonner i c«nn^ vt« AYi»nti)ft»iUt^. Imthi hArjtfVH- 
nenrs, dans les listes de wchrgeld, sont ««tlmt^A un ijntiH pw m^ tli^ m^Hn 
hommes que la même classe qu'eux *. Ddtis (!<*« nDUiHi^n htthtinn, t^mimi M^ \m 
la passion on par la cupidité, souvent iU déptiiiSMleni It^n hmlli^ii iIm U^n iMHt< 
naissances maritimes. Parfois aussi, surpris par h tttthp^la, lU iMAImmI \\mm 
ses Ters des rivages inconnuSp car, ne l*oublionM |m«t, h ilUUnilrf nVni |M»ti 
fort longue jusqu'aux côtes américaines, et noun niivonN lt*«i i^toniiMnU vo^Mum 
accomplis par de simples barques. Ceux d*en(ro <!Ufc qui rtivlni't^ni ¥mm\i^¥^ii[ 
les merveilles des pays qu'ils avaient («ntrevun, et i!*tMi fui mmmjD pimr mh Mm»^ 
en tonte la nation l'ardeur des aventure». Im elieN <lu p^y» tiMiif<m4m»j# 
s'en émurent, et Tun d'eux, plus hardi que le« ttiitr<M, tMnitf h tmlnna ^( 
s'expatria. 

On a prétendu que le voyage de Msdoc avait 4i4 ihvm^iA iU Umi^^t |/i^^«/ 
et que Powell et Hakluyt l'avaient irnu^in^. p<^Mr n^»$U'jnr t^i U'^i^m*^^ /ir# 
projets de Waiter Raleigh; mais le» AnnUiu m *^ni p«« é^/^é^iéétffimn 4*9 ^^^;/# 
ménagements; quand iU veulent «'établir <i4Li>y ui; ^h^u^ ^I« ^^i; fi^^^v^f^^ ^## 
à des argtunents d'érudition rétrosfM^tive, xwdji* ^ tv Ivr4>^ )/r¥<«^. f/¥ ^^/^ 
Eiisaheth mrtout, qui était en ét«i de gu^re vw^/V; «V4^, ^V/^^y*^^, 4^if^ 
peu se soucier de tes droits i l» p</i»«?t>fciw <lg 1^vvv*;*v llv/u^i, *^, v^ ^^^ 
raffirmer hardiment, ^awaiv «on hriUMil «;ii>^;u*:^ 1^ tii?f }f^j4^^^ m. /^v^^ 
a se poser comme IliérJIÂ^f ^ te c^onlIuttat^iM dv ^/i^n %vA^ V^^"^ VM^ 
daas ua payf ?«5r|e, ei * la VHe (J'uiue; *:r.p^ifivij |»v^4hu*>u* ^'^^y//*, ^y;; 
«DAendait créer etj Anuéri^ue uw; i*w**;tl*; Aii|fi*îi«?ff*.., î». -♦ w^^iU It^^^i^*''', 
â rhislftrieii fVwdU> ai Jk Mm»)»«li«t*îu» d«e5t 7*'m(U?t vif. fp»/snÈ,i ^ -v/*/,* -f* 
Madoe» c'est ifue ^ifedi^amesui U; ^9^^^ lu? 4«M?t>iiU . *?* i^u*, Vom «é )<ww/* ^yy**^^ 
le rapparie ialrtidiiitnj. iè^i^ jtiintt^uOfi^ i^A/Am^t^*.* ^^t/ttMy^mh^j.u w** 



arlUafti. # 

m Ciiiit: i biltir-. \- m t»n$ *. u^^ f ^ ist ^t^ yi^^y^pi^.. r^ i^^-' ••;«.^,*.^, i^.^. '«i?**/ 



32 LES lIlLANDAiS EN AMÉRdJUE AVANT COLOMB, 

lie pai'ta^c aucunement le mépris avec lequel ces iradilioiis nationales onl 
souTent élé traitées. J'ai su conlrairo la ferme persuasion qu'avec plus 
d'assiduité la découverte de faits entièrement inconnus aujourd'hui éclairera 
beaucoup de ces problèmes historiques, i 

Essayons maintenant de déterminer la contrée où avait débarqué le prince 
gallois, llakiuyt prétendait la retrouver dans le Yucalan, et il en donnait 
comme preuve le grand nombre de croix trouvées dans celte contrée par les 
Espagnols au wi' siècle mHis le culte de la croix était répandu dans toute 
l'Amériiiue, et même dans une partie de l'ancien inonde avant le christianisme, 
il ne prouve donc rien'. Ilorn croit aussi à la réalité du voyage de Madoc, 
mais pense qu'il a débarqué en Virginie^ 11 s'appuie, pour le démontrer, sur 
des traditions indigènes. Il rappelle que les sauvages Virginiens rendaient 
hommage à un certain MadeczuJiga ou Madinga, dont le nom présente eu effet 
une certaine analogie avec celui de Madoc. Laët'' ènumère avec complaisance 
une cinquantaine de mots analogues en virginien el en gallois. Ces ressem- 
blances ont encore été signalées par Ulloa*, mais la plupart d'entre elles nous 
semblent forcées, et c'est avec raison que Roliertson les tourne on ridicule'. 
Devons-nous en effet conclure à l'identité des Ijallois et des Virginiens parce 
que ces derniers, au temps do Kaleigb, se servaient du salut gallois hoahoris 
ioch, ou bien appelaient le pingouin pensum, le pain bara, l'œuf wi/, la m^re 
mam, le pare tao, un tuyau de plume colaf, un renard clynotj, de l'eau blanche 
gwon dyr, un nez trwyn, le ciel neaf, etc. t Ou bien ces ressemblances sont 
accidentelles, ou bien ces mots n'auront été introduits qu'à une époque toute 
moderne. A vrai dire les exigences do la science contemporaine répugnent 
absolument à un pareil genre de preuves. 

On a encore signalé sur d'autres points de l'Amérique de prétendues traces 
de la langue galloise. Ainsi ïorrès Caïcedoo rapporte que la langue Tuneba, 
parlée pnr les Indiens de Ticrra Adentro, dans la province de Tunja, au nord 
de la Nouvelle-Grenade, abonde on mots gallois qui y sont usités depuis fort 
longtemps. 

( Le capitaine Abraham, lisons-nous dans l'histoire du Kcntucky'de Filson, 
bomme sur la véracité duquel on peut compter, aassuré àl'auteur que, dans la 
dernière guerre, étant avec sa compagnie à Kaakaskuy, il y vint quelques Indiens 
qui, parlant la langue galloise, furent parfaitement entendus de deux Gallois 
qui étaient avec lui, et qu'ils leur parlèrent d'une manière parfaitement con- 
forme à ce qu'en rapportent les habitants de l'ouest. > Ce témoignage n'est 
pas le seul". Un ministre méthodiste, Bcalty, (Jailois de naissance, fut un jour 

I . Gabriel de niortillct, le Signe de ta rrnU arant te chrislianisme, passim. 

i. Ilom, Iteoriginihus Amerieanis.p. 13Q. s Habemug Mailamagam et Hadingam 
qui, cur Madoc Cambrensis easc nequcat, quon in cas partes dotatuoi domeatica 
evincunt moaumonta, ratio iiulla reddi potesl. » 

3. Lacit, ,\olae ad ilUserliiUimem HuijonU Ùrolii, p. J40-152, 

4. lllloa, Mémoires iiliilosniihiques sur la iléeourerte de l'Amèriiiue, traduction de 
Villebrunc, t. Il, p. 481, i^. 

.1. ItuberUon, Tlie tiistory of America, édiL 1777. t. I, p. 437. 

6, Torrès Caïcodo, cité par Joso Pereî {Revue américaine, 2" série, p. 168). 

7. John Filson, IlistoiTe de Kenlucke, nouvelle cotoiiie a l'oueH de la Virginie 
(Traduction Parraud). 

5. Lefebvre de VilIebruDo, Mémnires à ta mile de la traduction de* Mimoirei 
pUilosopkiqwes d'UUoa, t. II, p. iHi. 



LES IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 33 

surpris dans la Caroline par un parti de sauvages qui s'apprôtalent à le tuer, 
lorsqu'il se recommanda à Dieu tout haut dans sa. langue. Aussitôt tes sauvages, 
étonnés qu*il parlât comme eux, le délièrent et le conduisirent dans leur village, 
à quelques jours de marche, c 11 y vit une peuplade toute galloise, où se con- 
servait encore la tradition du passage de Madoc. On le oonduislt ensuite à 
Poraloire, où on lui mit en main un rouleau de peau dans lequel était soigneu- 
sement conservé uu manuscrit de la Bible en langue galloise. Beatty revint h 
Londres» et publia cet événement dans un petit ouvrage intitulé Journal of 
two months. On cite encore l'aventure d'un certain Sutlon^ qui eut également 
l'occasion de connaître cette peuplade sauvage; celle de Morgan Jones '« qui, 
iisdt prisonnier par les Doegs et Tuscaroras de Virginie, en 1685, fut épargné 
par eux parce qn*il parlait leur langue* c lis nous traitèrent avec afTabilité 
pendant quatre mois, racontait ce Morgan, je parlai avec eux de nombreuses 
dioses en langue bretonne, et je leur fis trois prêches par semaine. Ils se 
fusaient un plaisir de me communiquer leurs atTaires lei plus diffieultueuses, 
et quand nous les quittâmes, ils agirent à notre égard avec beaucoup de civi- 
lité. 1 n ne faudrait certes pas ajouter une confiance trop absolue à ces témoi- 
gaages, dont quelques-uns ont été peni-étre inventés après coap et dont Tori- 
îne est à tout le moins ssspecte; au moins démontrent-ils que la tradition 
ém vnfage de Madoc ne s'est jamais perdue, même en Amériqae. 

Aksî liiea ce n'est ni dans le Toealan, ni en Virginie ou en Caroline, ni ânn% 
le Eemtffcy on la j^anveU&^renade qu'il nous faut ehereher remplacement de 
incnioBie galloise conduite par Madoe : c'est en friand il Mikla, f^s Irlandaris 
elles GaUeîs sont en effet de même race» Ils ont toujours eu des tft}»tir>M 
lÉiiFi I, lias que le prouvent les légendes pdîemses et ebrétieimes â^mî n<m% 
avuns donné ranalyse, les Gallo» croy aient, aossi bien que les Irlaodafîs, à 
Teiistence dllea et de eontineota au delà de l'Atlantique. Malgré les précaiH 
tsuna prises par les Irlandais pour caeher leurs découvertes maritimes, il est 
impossible que d& vagues rumeurs ne les aient pas fait connaître, surtout par 
leurs voisina les Gallois. Lorsque Xadoc forma le projet d'émigrer, ce n'est pas 
aiL hasard qu'il s'aventurait sur l'océan. Il connaissait re:xistence de TTrland it 
Kida, et c'est de propos délibéré '{u'il se dirigeait sur cette terre, où il était à 
l'avance assuré de trouver des frères d'origiae, et par conséquent un bon 
aceueil. 

Une nous reste plus qu'à déterminer l'emplacement de cette friand it Hikla, 
dacechamp d'-isile du moyeu âge, où se réfugièrent successivement les Irlandais 
gfaaasés de leurs possessions maritimes par les Northmans, et les ijallois en 
qnétft <f aventures. 

La. plupai^ des savants se sont contentés de reproduire nue ^sserrion de 
Eafii, cpii plaçait Tlrland it Mikia dans La partie .Tiérirlionale des ^^ats-Unis. 
Bâta se fondait sur une vague tradition des Indiens Savanahs, l'inrés iaquelle 
1* Floride aurait été ;mtre fois iiabilétî par iies hommes le -are blan<hp, .>n 
paniiiuton <f outils le fer. Il li léguait encore ie préfendu*îs /inalogips in an- 
gage et des trace?» persistantes le :nnsi3anisiiie fn Floride ; mais .leanvois- ^ ié- 

I. Lefeïirn* i1p ViH^bnine, oe. :it.. i. i^5. 

i, Owen, Recueil C tntititutfn yrptnnnes, i^ndras. 1877. >. li,»;î. 

X ïkivnTnin^ Decntw^te ,iii ynwi*au \fomte mr pu irfaruiiii^. «te. y, <^S8. 



n 



1 



34 LES lULANDAIS EN ASIÉTtIQUE AVANT COLOMB, 

montra, par uoe étude Bllentive des textes et une rigoureuse argumentation, 
que la véritable position de l'Irland it Mihia doit être reportée beaucoup plus 
au nord, soit dans l'iie de Terre-Neuve, soit sur la rive méridionale du Saint- 
Laurenl. Il résulte en effet de divers passages des Sagas que l'Irland il Mikia 
était située entre le Helluland et le Vinland. Or, le lielluland correspondant au 
Labrador, comme nous essayerons de le prouver à proposdes voyages des North- 
mans en Amérique, et le Vinland aux Élats de New-Vork, Hhode-lsland ei 
Masiachusctls, l'Irland il Mikla ouUvilrammannaland se trouve entre ces deux 
contrées, c'est-à-dire qu'il occupe la rive méridionale du Saint-Laurent et les 
iles qui ferment le golfe. 

L'authenticité de ceitu nouvelle théorie est conGrmée pi)r des notions Iras 
précises sur les traces persistantes du christianisme dans celte région, que 
recueillirent quelques missionnaires français au Canada. L'un de ces mission- 
naires, un récollet, le père Le Clcrq, était resté douze ans au Canada, de 
1675 à 1G87, et particulièrement en Gaspésie, c'est-à-dire dans la régiou 
qui correspond à l'ancien ilvitrammannalaod. Fort surpris de trouver le culte 
de la croix établi chez les sauvages qu'il était chargé d'év^ngèliser, il étudia 
leurs mœurs et leurs traditions, et, de retour en France, consigna ses obser- 
vations dans un ouvrage aujourd'hui fort rare, et dont voici le titre exact: 
Nouvelle relation de la Gaspésie, qui contient les mœurs et la religion des 
iauvages Gaspésiens, Porte-Croix, adorateurs du soleil, et d'aiitret peuples 
de l'Amérique septentrionale, dite Canada, 1 vol. in-12, Paris, Araable Au- 
hry, 1691. c Le culte ancien et l'usage religieux de la croix, écrit le réc^let, 
qu'on admire encore aujourd'hui parmi ces sauvages, pourrait bien nous per- 
suader que ces peuples ont reçu autrefois la connaissance de l'Evangile el du 
christianisme, qui s'est enfin perdu par la négligence el le libertinage de leurs 
ancêtres'....» dis ont, tout infidèlesqu'ils soient, la croix en grande vènératiou; 
ils la porteut 6guréc sur leurs habits et sur leur chair ; ils la tiennent à la main 
dans tous leurs voyages, soit par mer, soit par terre, et enfin ils la posent au 
dedans et au dehors de leurs cabanes, comme la marque d'honneur qui les dis- 
tingue des autres tribus du Canada'. > Le père Le Clerq chercha à connaître 
l'origiite de ce culle, et les anciens de la tribu lui racontèrent que leurs ancê- 
tres allitienl mourir de faim, » lorsque leur apparut un beau jeune homme por- 
teur d'une croix, qui leur ordonna d'adorer cette insti'ument de salut. Ils 
obéirent el furent sauvés. Dès ce jour ils conservèrent pour ce signe sacré 
la vénération la plus profonde >. 

Comme le père Le Clerq composait son livre à la fin du xvii' siècle, on pour- 
raitobjeclerqueles indigènes qu'il s'étonnait de trouver presque chrétiens ' 
avaient peut-être été évangélisés par les premiers Européens qui abordèrent 
dans la contrée au xvi°siùcle;mai3cesEuropécnsavaient eux-mêmes été frappés 
par les nombreux vestiges deohristianisrae qu'ils avaient rencontrés. En 15343, 

1. Iloauvuis, La l'ortc-Croix de laGasnésie el itc l'Acadie {Annales de philtsophie 
Chrélienne. avrit 1877). 

2. Le tlerq, ouvr. cilé, p. iO-ll, 169. 

3. Relation du voyage de Cartier nu Canada en IMi, éditioa Miclielant ei Ramé, 
p, 4(), 41, < tl icelte cruix plaulasaie* sur ladila paaictc dev»u[ eux... et nous fit 
une grande liarangue nous montrant ladite croix et taisanl Je signe du la croix avec 
deax.doyds, al puig nous monsUolt la terre tout autuur de nous. » 



LES IRLANDAIS KN AM&RIQIiK AVANT Oy>I>OMI^. 4Hv 

TÊffêmi Jacques CarUer planter «i« tsnit «w U Uu«vr«U \^ f Vl4t«^H^ )HI AVM^t 
îadiqpé par signes qnll sVn tnMiYail tle «embUMet Mtf tt^ul \i^f %Hf\\^^9^ 
An tonps de Jean Alphonse (I54l)| fourlâttgrtti) n^nfi^iniAll i^neiM^ b^^tV'^^ 
de mots latins ^ Eo i6ùi Cbampltln<lrottvait àm*\^ Mh iIh ^^IH«).V um» t^frtH 
de bois cooferte de moosse ei presque pourra i 41 U.^ ïnAi^MP^ ihi viHilHAMt^ 
non senlement faisaient le signe de la oroU h (0111 pri^pon, m«il^ »>HiiHM lu 
portaient snr leurs vêtements et dans lenr* i!4lHino«i \um \,f^^%m\u\k "^^ \%\^b\. 
rien de la Nouvelle-France, n'bésitait^l pas A 4crirt» i|i|c» « m»* pt>Mp|i>« «iiHII 
veans de quelque race de gens qui avalent M inslmiU <*n U Im) i|u lMi>ii l. 

11 serait Cscile de multiplier les preuv>»« : iiisin uc« ttc>Mi::c)|(i)« p4« iti>jA «i||)||. 
santés pour permettre d'affirmer que dans l<* p«.v#i t|Ml ii*Mi# ^Mi ^oMi»!- 
pondre i Tlriand it Mikla, les Indigène* avateiii t^u^nà, juiM|M'i I4 IM» j»» 
xvn* siède, le souvenir inconscient mais per^istaat 4^ I^m»* t^ii^im ^Mr<'|^«>NO<> ^ 

En résumé, la tradition est d'accord avec TbistUft* ^^riiénMHUt*iï*»i^hi^n^y 
en Amérique, plusieurs siècles avant (j9hiuh, li'^im CiVlvu^ ioH4^ pa»' «(«»» 
Ifiaadais. 



1. Jean AlpbofW«, snouterit de lOIÎ * « t«*^ i^im l>44rii}Ui lii>«^vtvw|> «ii: ai'4» ^m^ 
approdteot du laiia. » , 

t. Lta Vuyaget du mut de CUamplain, ètftiîtHi l^tivA^dii»*; 
3. Lescarbot, Hitttoire de la fVoy,velitt^f''rau«ié' t ^ûiiiiHi 'irot^ir., <. I, |' pft 



• ■w>i» H <«i 'i^^' ' ^ ' m /'"B" * '^ '' 



INSTITUT CaEaaRAPI-liejUE OE I 

CH. DKLACRAÏB 

ÉDITEUR DE LA nEYtIE DE CÈOGRAPHI 
16. BDE SOUFFLOT, 15 



REVUE 

GÉOGRAPHIE^ 



lilRIGÉK ['AU 

M. LUDOVIC DRAPEYRON 

Pi'iilssieur d'iiisloiro al do geoEripliw «u lyede CbsrtemaEna, 

Aerigé du t'DditgrsilJ. Ounieur H lellrei, 

la S«ci«lé de Géographie, Seerdtilro k<-'"^ii' do la Socidli ds Tupogriphiu 



1 



l.!i Revue de Géographie, fnndée en 1877, parait lous' 
li!s mois [lar fascicules ilc cinq rBiùlles grand in-S" msiii, format 
lie nos ^ffandes Revues liuéraires, et forme, à la fin de l'année, 
iliiux loris volumes d'environ 500 pages chacun, imprimés sur 
lieau papier et en caractères neufs, avec caries et gravures. 

Le prix de l'abonnement esl de 25 francs par an puur Paris, 
do 38 lianes pour les déparlemenls el les pays faisant parlie de 
l'Union générale dos Postes; — po\ir les aiilre.* pny?, les fraji 
d« posle en sus. 
La Revne de Géographie forme aujourd'hui viugt-BÎx volumef^ 

PHII DE Lt tSUtCTION. HtC U TIBLE ANtimOUE SES RUTIERES : 31S fR. 



Il 



I 



Pour l'i ffiilaclwit, s'adresser à H. L.DRAPEYROM, hb,rue Chitiâ^ 
ISernard, Paris. ^ .■■- n 

1^ 



-'t Wartenoi, dircileiirs. 



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THE NEW YORK PUBLIC UBRARY 
REFBRBNCB DBPARTMENT 


This book is uader no oiroumitances to be 
taken from tbe Bu!ldia« 


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