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Full text of "Les littératures populaires de toutes les nations; traditions, légendes, contes, chansons, proverbes, devinettes, superstitions"

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5S5J2 


LES 

LITTÉRATURES    POPULAIRES 
TOME    IX 


LES 


LITTERATURES 

POPULAIRES 

DS  *■ 

TOUTES    LES    NATIONS 


TRADITIONS,     LEGENDES 

CONTES,     CHANSONS,     PROVERBES,     DEVINETTES 

SUPERSTITIONS 

TOME   IX 


PARIS 

MAISONNEUVE   ET   C",   EDITEURS 

25,     QUAI     VOLTAIRE,     25 
1882 

Tous  droits  réservé» 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 
DE   LA  HAUTE-BRETAGNE 


TRADITIONS  ET  SUPERSTITIONS 


HAUTE -BRETAGNE 


PAUL    SEBILLOT 


TOME     I 


PARIS 


«i^,.. 


MA  [SON  NEUVE    HT    C:'^    ÉDITEURS 

25,     QUAI     VOLTAIRE,     2^ 
1882 


Tous  droits  résen-é; 


INTRODUCTION 


JE  me  suis  proposé,  dans  les  chapitres  qui  cotn- 
jp  posent  ce  Vivre,  d'étudier  les  traditions,  les 
croyances  et  les  superstitions  de  la  Haute- 
Bretagne  pendant  la  seconde  moitié  du  XIX^  siècle. 
C'est  une  série  d'études  d'après  nature  ;  la  plu- 
part du  temps,  ce  n'est  pas  l'auteur  qui  est  en  scène, 
mais  les  paysans  ou  les  marins  qui  racontent  ce 
qu'ils  savent,  ce  qu'ils  croient  et  ce  qu'on  pense 
autour  d'eux.  Réunir  les  dépositions  mêmes,  en  n'in- 
tervenant que  lorsqu'il  était  nécessaire,  m'a  semblé 
le  meilleur  moyen  d'arriver  à  la  vérité  :  toutes  les 
fois  que  je  l'ai  pu,  j'ai  préféré  ce  que  foi  recueilli 
moi-même  aux  renseignements  que  pouvaient  me 
fournir  des    ouvrages  précédemment  publiés  sur  la 


INTRODUCTION 


matière.  Aussi,  excepté  pour  les  monuments  pixhis- 
toriques,  ce  livre  est,  dans  sa  très-grande  partie, 
compose  de  documents  inédits. 

Pour  les  réunir,  j'ai  dû  faire  une  enquête  qui  n'a 
pas  toujours  été  facile  ;  car  il  n'est  pas  aisé,  surtout 
en  matière  de  superstition,  de  savoir  au  juste  quels 
sont  les  sentiments  et  les  croyances  de  ceux  que  l'oti 
interroge.  J'ai  utilisé,  pour  explorer  autour  de  moi, 
les  séjours  auxquels  m'obligeaient,  en.  des  pays  variés 
et  asse^^  éloignés  les  uns  des  autres,  mes  occupations 
de  paysagiste,  mes  relations  de  famille  ou  mes 
affaires  d'intérêt.  Ainsi  qu'on  le  verra  par  la  des- 
cription succincte  de  mes  principaux  centres  d'explora- 
tion, chacun  d'eux  s'est  trouvé,  par  les  hasards  de  la 
vie,  à  peu  prés  tel  que  j'aurais  pu  le  choisir  si  f  avais 
voulu  des  pays  différents  de  mœurs,  de  coutumes  et 
d'affaires. 

En  Ille-et-Vilaine,  ma  principale  et  presque  ma 
seule  station  a  été  la  commune  d'Ercé,  canton  de 
Liffré,  à  vingt-quatre  kilomètres  environ  de  Rennes, 
à  une  distance  égale  de  Fougères.  En  ce  pays,  la 
culture  est  ava-iwèe,  et  les  habitants,  dont  un  grand 
nombre  sont  bouchers,  ont  de  fréquentes  relations 
avec  les  villes  voisines.  L'aisance  y  est  générale,  et 
l'instruction  au-dessus  de  la  moyenne  de  l'Ille-ct- 
Vilaine  :  les  personnes  absolument  illettrées  y  sont 
rares,  et  je  ne  sais  si  parmi  celles  que  fai  interrogées, 
à  part   quelques  vieilles  femmes,    il   s'en   trouvait 


INTRODUCTION  lU 


plus  de  deux  ou  trois  qui  ne  savaient  pas  au  moins 
lire.  Ercê  est  peu  distant  de  la  forêt  de  Rennes, 
très-voisin  de  celle  de  Hante-Sève,  oit,  se  voient  plu- 
sieurs menhirs,  et  de  celle  de  Saint-Pierre  :  j'avais 
ainsi  nn  pays  oii  les  superstitions  et  les  croyances 
forestières  sont  connues  ;  l'ancien  château  du  Bordage, 
situe  sur  son  territoire,  et  qui  a  joué  un  rôle  impor- 
tant à  l'époque  de  la  Ligue,  le  voisinage  de  communes 
dont  les  tmes,  au  moment  de  la  Révolution,  tenaient 
pour  les  chouans,  tandis  que  les  autres  étaient  ardem- 
ment républicaines,  me  permettaient  aussi  de  faire 
porter  l'enquête  sur  les  souvenirs  laissés  par  les  évé- 
nements du  passé. 

Dans  les  Côtes-du-Nord,  mes  séjours  ont  été  plus 
variés  :  tous  les  ans  je  vais  à  Matignon  oii  je  suis 
né,  à  Dinan  où  fai  été  élevé.  De  plus,  j'ai  pendant 
deux  étés  fait  des  études  de  paysage  à  Saint-Cast, 
canton  de  Matignon,  tout  au  bord  de  la  mer,  dans 
un  pays  oii  la  moitié  de  la  population  est  composée  de 
pêcheurs  ou  de  marins.  Là  je  trouvais  les  légendes  des 
fées  des  houles,  les  traditions  et  les  superstitions  rela- 
tives à  la  mer  et  aux  animaux  qui  la  peuplent.  Saint- 
Cast  ayant  subi  en  ijS^  l'invasion  anglaise,  ayant 
fourni  des  équipages  aux  corsaires  de  la  Révolution 
et  de  l'Empire,  je  pouvais  aussi  savoir  si  les  habitants 
avaient  gardé  la  mémoire  de  ces  faits  historiques 
encore  presque  récents. 

Au  point  de  vue  de  l'instruction,  Saint-Cast  et 


IV  INTRODUCTION 


communes  maritimes  des  environs  sont  un  peu  au- 
dessus  de  la  moyenne  de  la  partie  française  des  Côtes- 
du-Nord  ;  le  nombre  des  illettrés  ne  s'élève  pas  à 
beaucoup  plus  du  quart  de  la  population. 

La  dernière  partie  de  mon  enquête  a  été  faîte  au 
château  de  la  Saudraie,  commune  de  Penguily  ;  les 
dépositions  que  j'y  ai  recueillies  sont  désignées  par  la 
lettre  P,  du  nom  de  la  commune  oit  il  est  situé;  mais 
elles  comprennent  celles  de  gens  originaires  de  Saint- 
Glen  dont  il  est  peu  éloigné,  du  Gouray  et  de  quelques 
autres  pays,  dans  un  rayon  de  six  à  sept  Jcilomèlres. 
Dans  ces  communes,  sauf  le  Gouray  et  Saint-Glen, 
les  illettrés  sont  nombreux,  et  je  ne  crois  pas  exagérer 
en  disant  qu'ils  y  forment  plus  de  la  moitié  de  la 
population.  C'est  un  pays  purement  agricole,  peu 
éloigné  du  Mené,  le  seul  groupe  montagneux  de  cette 
partie  de  la  Bretagne  :  cette  dernière  circonstance 
me  permettait  de  connaître  les  siiperstitions  des  landes 
et  de  la  montagne.  Les  nwnuments  mégalithiques,  les 
gros  blocs  naturels  y  étant  nombreux,  je  pouvais 
aussi  voir  s'il  s'y  rattachait  quelques  légendes  parti- 
culières :  c'est  là  que  j'ai  trouvé  presque  tout  ce  qui  se 
rapporte  aux  Margot  la  fée  (cf.  le  chapitre  des  Fées). 

Tels  sont  les  endroits  oîi  fai  fait  une  enquête  qui 
n'a  pas  duré  moins  de  quatre  ans.  fai  eu  aussi  la 
bonne  fortune  de  trouver  en  diverses  parties  du  pays 
gallot  d'intelligents  auxiliaires.  Un  celtisant  de  beau- 
coup de  mérite,  M.  Emile  Ernault,  m'a  communiqué 


INTRODUCTION 


nombre  de  renseignements,  relatifs  surtout  aux  mots 
patois  des  communes  situées  sur  la  limite  du  breton 
et  du  français  ;  ils  sont  désignés  par  S. -D  (Saint- 
Donan  et  pays  limitrophes).  MM.  Bourie  et  Emile 
Hamonic  ont  exploré  les  environs  de  Moncontour  ; 
M.  Bélier,  inspecteur  primaire  à  Rennes,  qui  recueille 
en  ce  moment  les  matériaux  d'un  inventaire  des 
mégalithes  de  l'Ille-et-V Haine,  a  détaché  pour  moi  de 
son  ouvrage  plusieurs  notes  inédites,  et  M.  Decombe 
m'a  fourni,  sur  quelques  pays  de  Vllle-et-V Haine,  des 
notes  intéressantes.  On  trouve)  a  d'ailleurs,  au  bas  de 
leurs  communications,  les  noms  de  ces  collaborateurs 
et  ceux  de  quelques  autres  que  je  ne  cite  pas  ici,  pour 
ne  pas  trop  allonger  la  liste. 

f'ai  aussi  puisé  des  renseignements  curieux  dans 
les  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  la  Haute-Bretagne, 
soit  pour  constater  qu'ils  avaient  relevé  à  une  certaine 
époque  des  faits  que  je  n'ai  pas  retrouvés,  soit  pour 
confirmer  ma  propre  enquête. 

Parmi  ceux  que  fai  mis  h  plus  sotivent  à  contri- 
bution, je  citerai  M.  Danjou  de  la  Garenne,  qui  a 
exploré  avec  beaucoup  de  sagacité  les  pierres  à  bassins 
de  l'arrondissement  de  Fougères ;^ M.  Ernoul  de  la 
Chenelière,  dont  /'Inventaire  des  mégalithes  des 
Côtes-du-Nord,  dressé  avec  grand  soin,  me  semble 
plus  complet  pour  la  partie  bretonne  que  pour  celle  de 
langue  française.  Je  leur  ai  emprunté  plusieurs  faits  in- 
téressants quifigîirent  dans  mes  deux  premiers  chapitres. 


INTRODUCTION 


Pour  le  reste  de  mon  livre,  j'ai  surtout  consulté, 
parmi  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  la  Haute-Bretagne, 
le  docteur  Fouquet,  Ogée,  M""  de  Cerny,  Habasque, 
Ce  dernier,  qu'il  est  de  mode  de  dédaigner  aujourd'hui, 
ne  mérite  pas  ce  discrédit,  et  souvent  il  m'a  été 
donné  de  reconnaître  la  justesse  de  ses  observations. 

Tels  sont  les  éléments  dont  se  compose  le  texte  de 
mon  travail,  où  j'ai  essayé  de  tracer  en  quelque  sorte  le 
tableau  de  la  mythologie  populaire  de  la  Haute- 
Bretagne.  Cette  enquête  sera  complétée  par  d'autres 
volumes  :  les  Coutumes  et  les  Fêtes,  la  Médecine 
superstitieuse,  etc.,  dont  je  m'occupe  de  recueillir  les 
matériaux. 

J'ai  rapproché  les  traditions  et  les  superstitions  de  la 
Haute-Bretagne  de  celles  des  autres  pays  ;  mais  presque 
toujours  j'ai  systématiquement  borné  les  notes  compa- 
ratives à  la  France  et  aux  pays  qui  parlent  français. 
Ainsi  qu'on  le  verra  en  jetant  un  coup  d'œil  sur  les 
livres  (i)  que  j'ai  consultés,  la  liste  en  est  déjà  longue. 
Aller  au  delà  m'aurait  entraîné  à  un  commentaire 
démesurément  étendu  :  un  livre  d'ensemble  ne  peut 
pas,  comme  la  monographie  d'un  seul  conte  ou  d'une 
superstition  déterminée,  embrasser  le  domaine  de  la 
littérature  populaire  comparée,  déjà  si  vaste  et  qui 
f  agrandit  de  jour  en  jour. 

(i)  Ou  trouvera  celte  liste  dans  le  deuxième  volume. 


INTRODUCTION  yil 


Ce  qui  me  semble   résulter  de    ces    comparaisons 
lornées  à  l'ancienne  Gaule,  c'est  la  grande  parenté 
qui  existe  entre  les  traditions  et  les  superstitions  des 
différentes  provinces.   La  plupart  des  faits  que  f  ai 
constatés  en  Haute-Bretagne  se  retrouvent  en  substance 
dans  quelqu'un  des  nombreux  livres  qui  ont  été  publiés 
sur  la  Bretagne  bretonnante,  et,  pour  ne  citer  qu'un 
seul  auteur,  j'ai  recueilli  en  Haute-Bretagne  plus  de 
la  moitié  des   légendes  chrétiennes  dont  M.  Lu^el  a 
fait  un  livre  si  intéressant.  Les  autres  pays  de  France, 
surtout  ceux  de  l'Ouest,  m'ont  aussi  fourni  de  nom- 
h-eux  similaires,  et  en  somme,  dans  la  plupart  des 
cas,  j'en  ai  retrouvé  partout  oii  a  été  faite  une  explo- 
ration de  quelque  importance,   ce  qui  jicstifie  presque 
le  mot  un  peu  paradoxal  d'un   mythographe  de  mes 
amis:  «  Toutes  les  superstitions  se  retrouvent  partout, 
et  si  on  ne  les  retrouve  pas  en  quelque  endroit,  c'est 
qu'on  ne  les  a  pas  asse^  cherchées.  » 

La  Saudraie,  _jo  mars  1SS2. 


PREMIERE    PARTIE 


L'HOMME,    LES    ESPRITS    ET    LES    DÉMONS 


CHAPITRE   I 

LES    MONUMENTS    PRÉHISTORIQ.UE  S 


A  partie  de  la  Bretagne  où  la  langue  fran- 
çaise est  seule  aujourd'hui  en  usage  a 
un  grand  nombre  de  monuments  préhis- 
toriques. Il  n'est  guère  de  canton,  je  pourrais  dire 
de  commune,  qui  n'en  possède  plusieurs,  et  en 
quelques  endroits  se  voient  des  groupes  impor- 
tants, souvent  peu  connus,  comme  les  aligne- 
ments de  Pleslin,  canton  de  Ploubalay,  qui  ne 
comptent  pas  moins  de  soixante-cinq  pierres. 

Dans  le  seul  arrondissement  de  Dinan,  qui 
n'est  pas  exceptionnellement  riche,  Vlnveiituire 
des  mégalithes  des  Côtes-dti-Nord  relève  vingt 
îumuli,  neuf  menhirs,  sept  dolmens,  un  crom- 
lech, cinq  pierres  à  bassins,  et  j'y  ai  constate  quel- 
ques omissions. 


TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


Mon  but  n'est  point  de  dresser  ici  le  catalo- 
gue des  monuments  préhistoriques,  ni  de  faire 
leur  description  ;  je  me  suis  borné  à  donner  sim- 
plement les  noms  singuliers  que  portent  certains 
d'entre  eux,  et  à  recueillir  les  souvenirs  qu'ils 
éveillent  dans  l'esprit  des  paj^sans.  Dans  le  cha- 
pitre suivant,  je  m'occuperai  spécialement  du 
culte  superstitieux  dont  ils  sont  l'objet. 


^^Ilf^lc<l&-^li:^lf^lt^l^ 


§  I.    —   NOMS   aUE   PORTENT   LES   iMÉGALlTHES 

m  assez  grand  nombre  de  mégalithes  n'ont 
pas  de  noms  propres  :  on  les  désigne 
d'après  le  nom  du  village  voisin  ou  du 
champ  dans  lequel  ils  sont  situés  ;  mais  il  en  est 
d'autres  qui  portent  des  appellations  particulières, 
dont  certaines  font  allusion  aux  croyances  que 
les  gens  du  pays  y  ont  attachées  ou  y  attachent 
encore.  J'ai  pensé  qu'il  était  intéressant  de  les 
noter,  et  je  l'ai  fait  du  mieux  que  j'ai  pu,  d'après 
les  documents  les  plus  dignes  de  foi  et  les  plus 
récents. 

En  général  les  dolmens  sont  appelés  grottes 
aux  fées  ou  roches  aux  fées;  c'est  en  quelque  sorte 
une  désignation  générique.  A  Pordic,  un  dolmen 
se  nomme  Table-Margot,  appellation  qui  rentre 
dans  le  même  ordre  d'idées,  Margot  la  fée,  ou 
simplement  Margot,  étant  en  plusieurs  pays  sy- 
nonyme de  fée. 

Voici  d'autres  noms  : 

La  Maison  des  Follets,  à  Cancoët  en  Saint- Gravé 
(Morbihan)  ;  le  Château  des  Poiilpiquets,  en  Ques- 
tembert  (Morbihan). 


TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 


Cf.  en  pays  bretonnant  Ty  er  Conganiict,  la  maison  des  Cor- 
rigans  en  Langoelan  (Morbihan,  Giiyot-Jomard')  ;  Ti  C'hoiriqutl, 
la  maison  des  nains,  entre  Pont-l'Abbé  et  Penmarc'h  (Finistère, 
Frétninville)  ;  la  Maison  des  Poulpiqitcls,  Ile  d'Arz  (Morbihan, 
Fouqtiei),  etc. 

La  Chaise  du  Diable,  Pierrelé  prèsLouvigiié-du- 
Désert  (lUe-et-Vilaine,  Joanne)  (i);  les  Pierres  du 
Diable,  à  la  Ville-Taiiet  près  le  Hinglé  (Côtes-du- 
Nord,  Eriioul  de  la  Chenelièrc)  ;  la  Pierre  du 
Trésor,  en  Landéan,  dans  la  forêt  de  Fougères 
(lUe-et- Vilaine,  Danjou  de  la  Garenne),  font  allu- 
sion à  d'autres  croyances. 

Cf.  Daleau,  Forge  du  Diable  (Corse,  Dordogne)  ;  Chaise  du 
Diable,  Jublain  (Mayenne),  etc. 

Les  menhirs  se  nomment  fréquemment  roches 
piquées,  pierres  levées,  pierres  longues. 

Voici  quelques  autres  noms  : 

La  Pieire  qui  chôme  (la  pierre  qui  se  tient  de- 
bout :  de  chômer,  se  tenir  debout),  à  Laillé  (lUe- 
et- Vilaine,  Guillotin  de  Cor  son'). 

Le  Fuseau  de  Margot,  à  Plédran  (Côtes-du- 
Nord,  Ernoul  de  la  Chenelièrc)  ;  le  Sabot  de  Margot, 
à  Ploufragan  (Côtes-du-Nord). 

La  Pierre  de  Saint-Jouan,  à  Cuguen  (lUe-et- 
Vilaine,  Robidou)  ;  le  Grès  Saint-Méen,  sur  la  li- 
sière de  la  forêt  de  Coulon  (Ille-et-Vilaine,  Joanne). 

(i)  Les  noms  en  italiques  placés  entre  parenthèses  sont  ceux 
des  auteurs  d'où  le  renseignement  est  tiré. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE 


Les  Pets  du  Diable,  à  Vieuxviel  (Ille-et- Vilaine)  ; 
la  Pierre  du  Diable,  près  Tinténiac  (Ille-et-Vilaine, 
communiqué  par  M.  Bézier). 

La  Dent  de  Gargantua,  à  Saint-Suliac  (lUe-ct- 
Vilaine,  de  Cerny)  ;  le  Bâton  de  Gargantua,  à  Plé- 
venon  (Côtes-du-Nord)  ;  la  Pierre  à  aiguiser  de 
Gargantua,  à  Saint-Mirel  en  Plenée-Jugon,  et  au 
Pontgamp,    près    Plouguenast  (Côtes-du-Nord). 

On  appelle  les  tumuli  buttes  ou  mottes;  le  seul 
qui,  à  ma  connaissance,  ait  un  nom  significatif  en 
pays  gallot  est  celui  de  Tréhorenteuc  (Morbihan, 
Guyot-Jomard),   qui   se  nomme  Butte  des  Tombes. 

Les  pierres  à  écuelles  ou  à  bassins  sont  appe- 
lées vers  Fougères  chaises  du  diable  (cf.  Danjou 
de  la  Garenne). 

On  peut  rattacher  aux  mégalithes  d'autres 
groupes  de  roches  posées  sur  le  sol  ou  qui  en 
émergent  naturellement  ;  l'une  d'elles  se  nomme 
Roche  Saint-Guillaume. 

Cf.  en  pays  bretonnant  la  Pierre  Saint-Yves,  près  Penve- 
nan  (Côtes-du-Nord,  Enwul  de  la  ChenelUre)  ;  le  Lit  de  Saint- 
Yves,  près  Laouennec  (ihid.')  ;  le  Lit  de  Saini-Idnnet,  en  Pluzuuet 
{ihid.),  etc. 

D'autres  blocs  sont  appelés  Rochers  de  Margot 
la  Fée;  c'est  ainsi  qu'on  nomme  un  bloc  en  gra- 
nit placé  sur  une  hauteur  et  surmonté  d'un 
autre  bloc  de  moindre  dimension  (Ernoul  de  la 
Clienelière,  p.  57).  Un  autre  groupe  de  rochers 


à  TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

naturels  dans  le  petit  bois  du  Limbe,  en  la  com- 
mune du  Gouray,  et  qui  a  une  cavité  en  forme 
de  grotte  allongée,  est  appelé  par  les  anciens 
YHôté  (la  maison)  des  Margot  la  Fée. 

Ces  noms  font  allusion  à  des  fées,  à  Gargan- 
tua, aux  lutins,  parfois  aux  saints  ou  au  diable. 
Comme  on  le  verra  dans  les  dépositions  qui  sui- 
vent, c'est  à  ces  mêmes  personnages  que  les 
paysans  attribuent  l'érection  des  mégalithes.  Qj-iant 
aux  tumuli,  ils  les  regardent  presque  toujours 
comme  des  buttes  funéraires,  idée  conforme  à 
l'opinion  aujourd'hui  généralement  admise. 

(Cf.  BertrunJ,  de  Mortillet,  Canailliac,  etc.) 


§11. 


LES   CONSTRUCTEURS    DES    MEGALITHES 


lORSdu'oN  demande  aux  paysans  qui  a 
construit  ces  monuments,  ils  répondent 
le  plus  souvent  qu'ils  n'en  savent  rien  ; 
parfois  ils  les  prennent  pour  des  pierres  natu- 
relles. M.  Bézier,  qui  les  a  souvent  interrogés  à  ce 
sujet,  m'écrit  :  «  Voici  la  réponse  que  j'ai  obtenue 
presque  partout  :  Ils  étaient  là  du  temps  de  mon 
père  ;  son  père  les  avait  vus  ;  ils  n'ont  point 
changé  ;  mais  les  hommes  de  ce  temps-là  étaient 
plus  forts   que  nous.  » 

Si  cependant  on  pousse  l'interrogatoire  plus 
loin,  si  surtout  on  inspire  aux  gens  de  la  campa- 
gne assez  de  confiance  pour  qu'ils  expriment 
toute  leur  pensée,  on  ne  tarde  pas  à  voir  que, 
pour  les  anciens  du  moins,  ce  n'est  pas  là  le  der- 
nier mot,  et  que  des  légendes,  la  plupart  du 
temps  très-courtes,  donnent  des  détails  plus  pré- 
cis sur  les  constructeurs  des  mégalithes,  qui  sont 
alors,  non  plus  des  hommes  ordinaires,  mais  des 
divinités,  des  saints,  des  esprits  ou  des  géants. 
J'ai  disposé  par  groupes  les  dépositions  que 
j'ai  recueillies  personnellement,  et  les  renseigne- 


ÏO        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

ments  que  d'autres  avant  moi  avaient  puisés  dans 
la  tradition  populaire  ;  les  voici. 

LES    FÉES    ET   LES    MÉGALITHES 

Les  Rochers  de  la  Brousse  ont  été  construits 
par  les  fées  ;  elles  attelaient  leurs  boeufs  aux  gros- 
ses pierres  qui  se  trouvaient  dans  la  vallée,  et 
c'est  ainsi  qu'elles  les  ont  hissées  sur  la  colline  où 
elles  ont  bâti  l'Hôté  (la  maison)  des  fées,  le  ber 
(berceau)  de  leurs  enfants,  leur  puits,  etc. 

(Conté  en  iS8o  par  François  Mallet,  du  Gouray,  laboureur, 
âgé  de  soixante  ans,  né  au  village  de  la  Brousse,  qui  avait  en- 
tendu dire  cela  à  «  ses  anciens.  »  Le  dolmen  de  la  Brousse  a 
13  mètres  sur  i"  80  de  largeur  ;  il  ouvre  à  l'est  et  est  bien  con- 
servé.) 

Les  Roches  aux  Fées  qui  sont  vers  Saint-Didier 
et  Marpiré  (lUe-et-Vilaine)  ont  été  élevées  par  les 
fées;  elles  prenaient  les  plus  grosses  pierres  du 
pays  et  les  apportaient  dans  leurs  tabliers  ;  ensuite 
elles  les  entassaient  les  unes  sur  les  autres  pour 
construire  leurs  maisons. 

(Conté  en  1881  par  Joseph  LegenJre,  jardinier,  qui  l'a  en- 
tendu dire  à  plusieurs  personnes,  entre  autres  à  une  femme  très- 
âgée  de  Saint-Aubin-du-Cormier.) 

«  Près  du  bois  du  Rocher  en  Pleudilien,  sur  la 
route  de  Dinan  à   Dol,   est   un  dohnen   que  les 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE 


fées,  disent  les  gens  du  pays,  ont  apporté  dans 
leurs  devantières  (tabliers)  (i).  » 

(Note  de  M.  de  Garaby  (de  PleuJihen)  dans  Jollivet,  t.  11, 
p.  éy.) 

«  A  Basse- Goulaine  (Loire-Inférieure)  se 
trouve  un  peulvan  appelé  la  Pierre  Fritte  ;  auprès 
on  voit  d'autres  pierres  plus  petites  qui,  selon  la 
tradition  du  pays,  ont  été  apportées  là  dans  le 
tablier  d'une  vieille  fée  qui  venait  filer  sa  que- 
nouille au  pied  du  peulvan.  » 

(Ogée,  nouvelle  édition,  article  Basse-Goulaive.') 

«  Voici  ce  que  m'a  raconté  un  vieillard  à 

cheveux  blancs  et  à  la  tête  vénérable,  le  fermier 
du  Rouvray.  Cette  chronique  est  de  tradition 
dans  la  ferme  de  temps  immémorial  : 

«  Les  fées,  au  temps  où  elles  vivaient,  hono- 
raient après  leur  mort  ceux  qui  avaient  fait  quel- 
que bien  pendant  leur  vie,  et  bâtissaient  des  grot- 
tes indestructibles  pour  mettre  leurs  cendres  à 
l'abri  de  la  malveillance  et  de  la  destruction  du 
temps,  et  dans  lesquelles  elles  venaient  la  nuit 
causer  avec  les  morts. 

«  Et  l'on  dit  que  leur  influence  bienfaitrice 
répandait  dans  la  contrée  un  charme  indéfinissa- 

(i)  Les  documents  puisés  dans  les  livres  sont  entre  guille- 
mets ;  tous  les  autres  sont  inédits  et  ont  été  recueillis  par  moi 
ou  par  mes  correspondants. 


12         TRADITIONS    ET     SUPERSTITIONS 

ble,  en  même  temps  que  l'abondance  et  la  pros- 
périté. 

«  C'est  dans  ce  but  et  dans  ces  féeriques  inten- 
tions qu'elles  bâtirent  la  Roche  aux  Fées  (celle 
d'Essé)  que  nous  avons  dans   un  de  nos  champs. 

«  Ces  fées,  dit-on,  se  partagèrent  le  travail  : 
quelques-unes  d'entre  elles  restèrent  au  lieu  où 
devait  s'élever  le  monument,  en  préparaient  les 
plans  et  l'édifiaient  ;  les  autres,  en  même  temps, 
tout  en  se  livrant  à  des  travaux  d'aiguille,  allaient 
à  Saint-Berthevin,  en  passant  par  les  confins  de 
la  forêt  du  Theil,  chargeaient  leurs  tabliers  de 
pierres  et  les  apportaient  à  leurs  compagnes 
ouvrières,  qui  les  mettaient  en  œuvre.  Mais  elles 
ne  comptèrent  pas  à  l'avance  ce  qu'il  leur  en  fal- 
lait. Or,  il  advint  que  le  monument  était  terminé 
et  que  les  fées  pourvoyeuses  étaient  en  route, 
apportant  de  nouveaux  matériaux  ;  mais  averties 
que  leurs  matériaux  étaient  inutiles,  elles  dénouè- 
rent leurs  tabliers,  les  déposèrent  là  où  elles 
étaient  quand  l'avertissement  leur  parvint.  Or,  il 
y  en  avait  dans  la  lande  de  Sainte-Marie  ;  il  y  en 
avait  près  de  Rhétiers;  il  y  en  avait  à  Richebourg 
et  dans  la  forêt  du  Theil.  De  là  vient  qu'on 
trouve  dans  tous  ces  endroits  des  pierres  de  même 
nature  et  provenant  du  même  lieu  que  celles  qui 
forment  notre  Roche  aux  Fées.  » 

(Le  CoUcctioniiear  breton,  t.  III,  p.  55.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  I3 


«  La  Roche  aux  Fées,  canton  de  Rhetiers,  forêt 
du  Theil,    près    la   métairie    du  Rouvray.  Deux 
pierres  importantes  n'existent  plus  ;  mais  la  tra- 
dition a  conservé  leurnom  :  l'une  était  le  Poêlon, 
l'autre  le   Berceau  des  fées.    Selon  la   tradition, 
les  fées  prenant   les  pierres  de  ce  dolmen  dans 
la   lande  Marie  (à  deux  lieues  de  là,  sur  la  route 
du  Teil  à  Fougerai)  en  portaient  deux  à  la  fois, 
l'une  sur  leur  tête,  et  l'autre  dans  leur  devan- 
tière.  Leurs  mains  étant  libres,  elles  en  profitaient 
pour  filer  leur  quenouillle,  en  transportant  leur 
fardeau  jusqu'au  champ  du  dolmen,  lequel  s'ap- 
pelle simplement    Champ-de-la-Roche.    Lorsque 
l'une  des  fées  qui  construisaient  cet   édifice   le  vit 
achevé,  elle  s'écria  qu'il  ne  fallait  plus  de   maté- 
riaux, et  pour  lors  les  autres  fées  qui  se  trouvaient 
en  roule   l'entendant,    baissèrent  la  tête,    et    la 
pierre    qu'elles    portaient  se   planta   en  terre  en 
tombant.    Quand   ces  fées  ne  filaient  pas,   elles 
soutenaient  quatre  pierres  à  la  fois  ;  mais  malgré 
la  grande  distance  qui  existe  entre  le  Champ-de- 
la-Roche  et  la  lande  Marie,  les  fées  encore  occu- 
pées dans  cette  lande    entendirent  la  voix  de  celle 
qui   les    prévenait  que    le  monument    était    ter- 
miné. « 

(Société  des  Antiquaires  de  Fretnce,  .lunée  1S36,  p.  95  et  suiv.) 

Cette  roche  (d'Essé)   a  été  construite  par  les 


14        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

l'ées,  qui  apportaient  les  pierres  dans  leur  devaii Hère 
(tablier),  tout  en  filant  leur  quenouille. 

Ces  bonnes  fées  faisaient  ce  travail  la  nuit. 
L'une  d'elles  s'aperçut,  à  un  certain  moment, 
qu'elles  étaient  épiées,  et  fit  part  de  sa  découverte 
à  sa  compagne  qui  s'écria:  «  Tire-lui  les  yeux. — 
Comment  veux-tu  ?  il  en  a  plus  de  mille.  »  Le 
malin  qui  épiait  le  travail  s'était  masqué  la  figure 
à  l'aide  d'un  tamis. 

(Communiqué  par  M.  Bczier.) 

«  A  400  mètres  environ  au  sud  du  bourg  de 
Pleslin,  arrondissement  de  Dinan,  près  le  village 
de  Carnier,  alignements  de  menhirs,  au  nombre 
de  65,  rangés  sur  cinq  lignes;  cinq  sont  renver- 
sés. Le  plus  haut  a  3™  50  au-dessus  du  sol,  et 
la  plus  grande  ligne  a  actuellement  97  mètres  de 
long.  Les  anciens  habitants  racontent  que  les  fées 
portant  ces  pierres  pour  la  construction  du  grand 
mont  Saint-Michel  et  les  trouvant  trop  lourdes, 
les  déposèrent  à  Pleslin  et  les  alignèrent  sur  un 
espace  de  500  à  600  mètres,  dans  la  direction  de 
l'est  à  l'ouest.  » 

(Emoul  Je  la  Cheuelière,  p.  lo.) 

«  La  paroisse  de  Saint-Just  est  connue  des 
savants  à  cause  de  ses  gros-ses  pierres  appelées,  à 
tort  où  à  raison,  druidiques.  Llles  couvrent  les 
landes  de  Coiou  et  de  Tréal.   Les  bonnes  gens  du 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  I > 

pays  disent  que  ces  pierres  ont  été  apportées  par 
les  lées,  qui  en  remplissaient  leurs  tabliers,  ou 
furent  jetées  là  par  Gargantua,  qui  les  trouvait 
gênantes  dans  ses  souliers.  » 

(Guillotin  de  Corson,  p.  193.) 

En  pays  bretonnant  l'érection  des  mégalithes  est  attribuée 
aux  korrics  et  aux  nains  de  diverses  espèces,  parfois  aux  fées  : 
«  A  Prat  sont  des  dalles  alignées  qui,  d'après  la  tradition,  ont 
été  apportées  là  dans  la  peau  du  ventre  ou  le  tablier  d'une  fée  : 
ar  Groéch  Roux,  la  fée  rousse.  «  (Ogée.) 

Ce  sont  les  fées  qui,  en  Normandie  dans  leurs  tabliers  (cf.  Amé- 
lie Bosquet,  p.  177  et  1S7),  en  Auvergne  pour  se  mettre  à  l'ahri 
de  la  pluie  (cf.  Gobert  cit.  par  Carabry,  Moiiumcnls  celtiques, 
132),  dans  le  Velay,  dans  l'Ain  (cf.  Monnier,  p.  423-425,  etc.), 
ont  construit  les  dolmens  et  les  menhirs.  En  Berry,  «  elles  les 
portaient,  malgré  leur  pesanteur  énorme,  dans  leurs  tabliers  de 
gaze.  Souvent  aussi  elles  n'avaient  pas  le  temps  de  les  mettre  en 
place,  surprises  qu'elles  étaient  avant  la  fin  de  leur  besogne  par 
le  chant  du  coq.  »  (Martinet,  p.  6  ;  cf.  aussi  Laisnel  de  la  Salle, 
t.  1,3-) 


GARGANTUA 

Dans  une  citation  précédente,  empruntée  à 
M.  Guillotin  de  Corson,  on  a  vu  que  les  pierres 
de  Saint-Just  avaient  été  apportées  par  les  fées  ou 
par  Gargantua.  Il  y  a  en  effet  en  Haute-Bretagne 
toute  une  série  de  mégalithes  auxquels  est  attaché 
le  nom  du  géant  que  Rabelais  a  rendu  immortel, 
et  que  peut-être  il  avait  trouvé  dans  la  tradition 


l6         TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

populaire.  J'en  cite  seulement  quelques-uns;  leur 
liste  plus  complète  figurera  dans  mon  livre  inti- 
tulé :  Gargantua  dans  Us  traditions  populaires. 

Près  du  Fort-la-Latte  en  Plévenon,  est  un 
menhir  haut  de  3  mètres  environ.  C'est  le  Bâ- 
ton de  Gargantua.  Dans  une  légende  encore  iné- 
dite que  j'ai  recueillie  à  Saint- Cast,  le  géant,  au 
retour  de  ses  voyages,  piqua  sa  canne  auprès  du 
château  en  disant  :  «  Tant  que  le  monde  sera 
monde,  elle  y  restera.  »  A  Saint-Suliac  un  menhir 
■qui  n'a  guère  qu'un  mètre  de  haut  est  une  dent 
que  Gargantua  se  brisa  en  avalant  trop  précipi- 
tamment une  pierre  emmaillottée  qu'il  croyait  être 
un  de  ses  enfants. 

(Cf.  le  conte  de  M"'"^  de  Cerm-  intitulé  :  La  Dent  de  Gar- 
gantua.) 

D'après  deux  contes  gargantuesques  que  j'ai  en 
portefeuille,  la  pierre  du  Pontgamp  et  celle  de 
Saint-Mirel  ont  été  laissées  là  par  Gargantua.  Un 
jour  qu'il  était  à  faucher,  il  laissa  tomber  dans  la 
prairie  sa  pierre  à  aiguiser  que  l'on  y  voit  encore 
et  qui,  disait  mon  narrateur,  esc  grosse  et  haute 
comme  un  fût  de  six  barriques. 

Une  légende  analogue  est  rapportée  par  M.  Louis  Duval, 
au  sujet  d'une  pierre  à  affiler  de  Gargantua  qui  se  trouve  à  Cra- 
mesnil  en  Normandie  (p.  lo  et  suiv.).  D'autres  pierres  à  affiler 
<3e  Gargantua  se  voient  à  Néaufle  —  cf.  sur  Gargantua  cons- 
tructeur de  menhirs,  A.  Bosquet,  p.  177  — •  et  prés  d'Auray, 
dans  la  prairie  du  Champ-des-Martyrs,  à  ce  qu'on  m'a  dit.  On 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  17 

m'a  conté  que  le  géant,  «  étant  un  jour  en  colère,  jeta  en  l'air 
1.1  pierre  qui  lui  servait  à  aiguiser  sa  faux.  Elle  se  piqua  dans  le 
milieu  de  la  prairie  ou  elle  est  encore.   » 

La  Quenouille  de  la  femme  de  Gargantua  se  voit  à 
côté  de  Josselin  ;  c'est  un  menhir  de  6  mètres  de 
hauteur  ;  son  Fuseau,  autre  menhir  de  5m  30  de 
haut,  est  à  Locquehas. 

D'autres  menhirs  portent  le  nom  de  quenouilles.  Cf.  Que- 
twuilks  de  la  Fau,  Monnier,  p.  424;  Quenouille!  des  fées, 
A.  Bosquet,  p.  177. 

Le  menhir  de  la  Tiemblaye  en  Saint-Samson 
se  nommait  autrefois  Pierre  de  Gargantua;  mais 
c'est,  m'a-t-on  assuré,  une  appellation  qui  n'est 
plus  guère  usitée. 

«  Sur  le  bord  de  la  route  de  Vannes,  à  quel- 
ques mètres  de  l'extrémité  de  la  rue  Lorois,  à  la 
Gacilly,  se  trouve  la  Roche-Piquée.  On  regarde 
dans  le  pays  ce  menhir  comme  un  grain  de  sable 
sorti  des  souliers  de  Gargantua.  » 

(Ducrest  de  Villeneuve,  Le  Château,  stat.,  p.  48.) 


LES    SAINTS 

«  Sur  la  lande  de  Gue-rchmen  (gvjcrc'h  vien, 
roche  à  la  Vierge?),  près  Bains,  est  un  menhir 
appelé  par  les  paysans  la  Roche  aboyante,  et  qui, 
selon  la  tradition,  n'est  autre  chose  qu'un  chien 


l8         TRADITIONS     HT     SUPERSTITIONS 


pétrifié  par  saint  Convoyon,    qu'il  poursuivait  un 
jour  que  le  saint  traversait  la  lande.  » 

(Guillotin  de  Corson,  Slat.  de  Redon,  p.  2.) 

«  Partout  OÙ  se  trouvent  ces  grandes  pierres,  la 
tradition  populaire  s'est  ingéniée  à  les  désigner  à  sa 
manière.  A  Plessé  (Loire-Inférieure),  les  menhirs 
sont  des  chasseurs  avec  leur  meute  de  chiens 
transformés  en  pierres  pour  n'avoir  pas  su  sancti- 
fier le  dimanche.  » 

(Guillotin  de  Corson,  p.  24,  Trad.  et  lèg.) 

On  peut  rapprocher  ces  deux  légendes  de  celle  de  Carnac  :. 
un  jour  que  des  soldats  poursuivaient  s.-iint  Comély,  ils  furent 
transfonnés  en  pierres,  et  ce  sont  eux  que  Ton  voit  encore 
alignés. 

«  A  Cheix  (Loire-Inférieure)  est  une  sorte  de 
dolmen  qui,  d'après  le  dire  des  habitants,  aurait 
été  placé  là  par  saint  Martin,  qui  est  le  patron  de 
la  paroisse.  » 

(Ogée,  art.  CIxix.) 

Dans  la  Haute-Vienne  (cf.  Laisnel  de  la  Salle,  t.  I,  11 5), 
l'érection  d'un  dolmen  est  attribuée  à  sainte  Marie-Madeleine. 

D'après  Souvestre,  les  pierres  de  Lanvaux  auraient  été  appor- 
tées parla  Vierge  dans  son  tablier.  {Derniers  Brelovs,  t.  I,  p.  119.) 

Près  de  Poitiers,  il  y  a  la  Pierre-Levée,  soutenue  par  cinq 
piliers.  Sainte  Radegonde  aurait  apporté  sur  sa  tête  cette  pierre 
en  ce  lieu,  et  les  piliers  dans  son  tablier.  La  sainte  ayant  laissé 
tomber  le  sixième  pilier,  le  diable  le  ramassa  et  l'emporta.  (P. 
Atbenas,  Lycée  armoricain,  t.  II.) 

«  Dans  la  forêt  de  Talensac,  au  sud  et  près  de 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  I9 

Montfort-sur-Meu  (Ille-et- Vilaine),  nous  avons 
remarqué  un  bloc  de  grès  énorme,  sorte  de  table 
couchée  ou  de  menhir  renversé,  connue  dans  le 
pays  sous  le  nom  de  Grès  de  saint  Maen. 

«  Ce  grès  est  couvert  dans  tous  les  sens  de 
fines  rayures  et  percé  de  nombreux  trous  du  cali- 
bre d'un  canon  de  fusil  de  chasse. 

«  La  légende  du  pays  rapporte  que  saint  Maen, 
qui  était  charpentier,  aiguisait  ses  outils  sur  cette 
pierre  :  de  là  les  rayures  et  les  trous  encore  visi- 
bles. Au  reste,  les  bûcherons  du  voisinage  ne  se 
font  pas  faute,  encore  aujourd'hui,  d'imiter  saint 
Maen.  La  rouille  et  les  traces  de  fer  sont  appa- 
rentes, sans  avoir  rien  de  commun  avec  les  traces 
primitives. 

«  Un  jour,  toujours  selonla  légende,  saint  Maen, 
après  avoir  aiguisé  sa  hache,  l'aurait  lancée  devant 
lui,  et  l'outil,  tombant  à  trois  kilomètres  de  là, 
aurait  désigné  la  place  où  est  maintenant  bâti  le 
bourg  qui  porte  son  nom. 

«  Dans  l'est  de  la  France,  nous  avons  recueilli 
des  traditions  de  même  nature,  relatives  à  des 
camps  celtiques  :  à  Raon-l'Etape,  Bourguignon- 
les-Morey  (Haute-Saône).  Il  y  est  question  de 
pierres  énormes  lancées  de  colline  à  colline  jus- 
qu'à de  grandes  distances.  » 

(Theuvenot,  Noies  sur  quelques  monuments  anciens,  p.  7-S.) 

«  A  Mégrit,    arrondissement  de  Dinan,   une 


20        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


pierre  posée  à  la  surface  du  sol  porte  le  nom  de 
Pierre  de  saint  Patrice.  Elle  est  percée  dans  toute 
sa  longueur.  C'est,  dit  la  légende,  dans  ce  trou 
que  saint  Patrice  s'est  caché  pendant  longtemps.  « 

(Ernoul  de  k  Chenelière,  p.  }.) 

Le  beau  menhir  du  Champ-Dolent,  près  Dol, 
est  une  pierre  tombée  du  ciel  pour  séparer  deux 
frères  qui  se  battaient  en  duel. 

D'après  une  note  communiquée  par  M.  Bézier, 
on  raconte  aussi  que  la  pierre  du  Champ-Dolent 
et  celle  de  la  Mairie  en  Cuguen  sont  sorties  de 
terre  pour  mettre  fin  à  une  lutte  fratricide. 


LE    DIABLE 


Dans  l'arrondissement  de  Fougères,  certaines 
pierres  à  bassins  sont  appelées  par  les  gens  du 
pays  chaises  ou  chaires  du  diable.  «  Ce  sont  des 
blocs  de  rocher  qui  sont  naturels...  Un  bassin 
principal,  creusé  tout  au  bord  de  la  roche  et  au 
miUeu  de  l'une  de  ses  plus  grandes  faces,  en  fait 
un  véritable  siège  avec  un  dossier.  Une  échan- 
crure  au  devant  du  siége-bassin  correspond  à  une 
rigole  allant  jusqu'à  terre  le  long  de  la  roche; 
puis  de  chaque  côté,  juste  où  se  posent  naturel- 
lement les  coudes  étant  assis,  se  trouve  une  petite 
entaille  en  forme  d'écuelle.  Le  sommet  de  la  roclie 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE 


est  couvert  de  semblables  petites  cavités,  s'écou- 
lant  chacune  par  autant  de  cannelures  allant  jus- 
qu'à terre  le  long  de  la  face  postérieure.   » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  33.) 

Dans  le  Jura  était  jadis  une  pierre  de  forme  analogue  qui 
portait  le  nom  de  Selle-à-Dieu.  (Cf.  Monnier,  p.  427.)  A  Dom- 
pierre  en  Morvan,  une  pierre  à  écuelle  énoniie  s'appelle  Fauteuil 
du  diable.  (Cf.  Matériaux,  t.  \1I,  p.  3)6.) 

«  Dans  la  commune  de  Louvignc-du-Désert 
existe  un  siège  de  pieiTe  connu  sous  le  nom  de 
Chaise-au-Diable,  sur  laquelle  il  vient  de  temps  en 
temps  s'asseoir  la  nuit,  tantôt  sous  la  forme  d'un 
mouton,  tantôt  d'un  bouc  ou  d'un  autre  animal. 
Il  change  ainsi  de  forme,  afin  de  n'être  pas  re- 
connu. »  (Danjou  de  la  Garenne,  p.  50.)  «  Dans 
la  même  commune  existent  d'autres  chaises  au 
diable  :  près  du  Rocher  de  la  Fresnaye,  sur  le  ro- 
cher de  la  Gourdelière,  dans  la  châtaigneraie  de  la 
Jutlais.  Une  autre,  détruite  il  y  a  quelques  années, 
se  voyait  à  la  Buhaye.  » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  51  à  54.) 

«  Au  bord  de  la  route  d'Antrain  à  Fougères 
existe  en  la  commune  de  Noyal-sous-Bazouges  le 
plus  beau  menhir  de  l'arrondissement  de  Fougè- 
res. Il  est  connu  sous  le  nom  de  la  Pierre-Langue. 
L'une  de  ses  faces  paraît  usée  en  différents  endroits 
par  le  résultat  d'un  long  frottement.  Au  pied  gît 


TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 


une  petite  croix  de  granit...  On  raconte  que  le 
diable  passa  par  là,  portant  sous  chaque  bras  une 
pierre  gigantesque.  Il  en  laissa  choir  une  qui 
s'enfonça  par  son  énorme  poids  ;  c'est  celle  qu'on 
y  voit  aujourd'hui.  Q.uant  à  l'autre,  elle  tomba, 
à  une  demi-lieue  de  Dol,  dans  le  Champ-Dolent... 
D'autres  disent  qu'il  y  eut  en  ce  lieu  jadis  une 
grande  bataille,  et  que  les  vainqueurs  obligèrent 
les  vaincus  à  clouer  de  leurs  propres  mains  ce 
trophée  de  leur  défaite.  » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  41-42.) 

«  Au  point  culminant  du  bois  des  Alleux,  en 
Louvigné-du-Désert,  est  un  énorme  bloc  de  granit 
de  12  mètres  de  circonférence,  appelé  Pierre  du 
Diable.  Son  sommet,  légèrement  concave  au  mi- 
lieu, incline  vers  une  large  entaille  munie  de 
chaque  côté  d'un  bord  très-saillant  et  creusée  ver- 
ticalement sur  le  flanc  sud  de  la  pierre.  On  a  pro- 
fité, pour  faire  cette  rigole,  d'une  fente  naturelle 
de  la  roche  ;  mais  ses  bords  saillants  ont  certai- 
nement été  faits  de  main  d'homme.  Le  nom  de 
ce  monument,  ainsi  que  sa  désignation  singulière, 
s'explique  par  la  légende.  Le  diable  essaya,  dit-on, 
de  l'emporter,  lorsque,  forcé  par  l'archange,  ils 
bâtissaient  ensemble  le  Mont-Saint-Michel .  Il  fit 
néanmoins  de  si  terribles  efforts  que  son  échine 
maigre  et  pointue  y  resta  profondément  empreinte 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  23 

telle  qu'on  en  voit  aujourd'hui  la  marque  ineffa- 
çable. » 

(Danjou  de  la  Gareune,  p.   >;-56.) 

B  A  Squiffiec  existe  un  menhir  qui  jadis  était  accompagné  de 
deux  autres.  On  dit  dans  le  pays  que  saint  Hervé,  voulant  me- 
surer ses  forces  avec  le  diable,  avait  lancé  ces  pierres  du  haut  de 
la  montagne  de  Bré,  située  en  Pédernec.  »  (Ernoul  de  la  Chc- 
nelière,  p.  12.)  Le  Poron-Meyer,  roche  à  bassin  de  Laroche-en- 
Breil  (Morvan),  porte  aussi  des  empreintes  qui  sont  dues  au 
diable,  d'après  une  légende  rapportée  dans  les  Matériaux,  t.  VII, 

P-  353- 

On  voit  près  de  Cléder  (Finistère)  une  pierre  portant  sur 
une  de  ses  faces  des  cavités  symétriques.  Ce  sont  les  marques 
des  griffes  du  diable  qui  voulut  la  lancer  contre  la  belle  cathé- 
drale que  saint  Pol  bâtissait  alors  à  Léon.  (Fréminville,  Antiq. 
du.  Finist.,  p.  64.)  En  Normandie,  un  menhir  à  écuelle  porte 
l'empreinte  de  la  tête  et  des  épaules  des  géants.  (Cf.  A.  Bosquet, 
p.  i8i.) 

«  Parmi  les  blocs  du  Rocher-Aubry,  dans 
l'endroit  dit  les  Gautiers,  on  voit  une  pierre 
énorme  dite  le  Faix  du  Diable  ;  elle  a  des  bassins 
et  entailles  d'une  fitçon  particulière.  Ces  entailles 
singulières  sont  les  marques  des  os  saillants  et 
décharnés  du  diable  qui  portait  cet  immense  far- 
deau, lorsque,  bâtissant  le  Mont-Saint-Michel,  il 
le  posa  dans  cet  endroit,  n'ayant  plus  besoin  de 
matériaux.    « 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  56.) 

«  En  Saint-Etienne  en  Coglès,  on  voit  une 
pierre   levée  haute    d'environ    2  mètres,  et  qui 


24         TRADITIONS     KT     SUPERSTITIONS 


porte  vers  la  moitié  de  sa  hauteur  une  cavdté 
soigneusement  creusée.  A  l'ouest  et  y  joignant 
sont  quatre  pierres  brutes  de  o™  60  de  haut,  pla- 
cées de  champ  et  alignées  sur  deux  rangs,  de  ma- 
nière à  former  une  petite  allée  de  o'"  60  de  haut. 
Lorsque  le  diable  bâtissait  Saint-Michel,  dit  la 
tradition  du  pays,  ses  aides  diaboliques  lui  appor- 
taient des  pierres  qu'ils  venaient  chercher  jusqu'ici 
à  cause  de  leur  belle  qualité.  Quand  il  leur  cria 
qu'il  n'en  fallait  plus,  ils  les  laissèrent  sur 
place.  » 

(Danjou,  p.  63.) 

Les  menhirs  de  Vieuxviel,  appelés  les  Pets  du 
Diable,  se  sont  échappés  du  sac  de  pierres  que 
Lucifer  portait  à  travers  l'espace,  pour  construire 
le  Mont-Saint-Michel. 

(Note  communiquée  par  M.  Bézier.) 

«  Proche  le  village  de  la  Haute-Bayette,  en  la 
commune  de  Parigné,  dans  le  champ  de  la 
Petite-Pierre,  existait  une  pierre  levée  en  granit, 
inclinée  vers  le  sud,  portant  sur  le  côté  opposé 
diverses  entailles.  Les  gens  du  pays  y  voyaient 
les  marques  des  griffes  du  diable,  qui  avait  posé 
là  cette  pierre  lorsqu'il  bâtissait  le  Mont-Saint- 
Michel.  C'est  pour  cela  qu'on  la  nomm^ixV  Épaulée 
du  Diable.  » 

(Danjou  Je  la  Garenne,  p.  46.) 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  25 

Des  entailles  analogues  attribuées  au  diable  existent  en 
Alsace.  (Cf.  Mémoires  de  la  Société  d'émulation  de  Monthéliard,. 
3«  série,  t.  II.) 

On  dit  que  les  pierres  debout  de  Saint-Mirel 
ont  été  chômées  (plantées)  au  moment  de  la  nais- 
sance du  Messie,  de  même  que  beaucoup  d'au- 
tres dans  le  monde,  comme  signe  de  reconnais- 
sance de  sa  venue.  Les  gens  ne  le  savaient  pas  au 
juste  ;  mais  l'esprit  de  Dieu  se  répand  partout,  et 
ils  sentaient  qu'il  allait  venir. 

(Conté  par  François  Mallet,  du  Gouray,  1880.) 
C'est  une  opinion  que  je  n'ai  entendue   que  cette   fois;    je  la. 
donne  à.  titre  de  curiosité. 

Vers  Dol,  les  bonnes  gens  du  pays  attribuent 
imperturbablement  aux  Romains  l'érection  de 
la  plupart  des  mégalithes. 

(Communiqué   par  M.  B.  Robidou.) 


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§   III.   —    LÉGENDES   ET   CROYANCES   QUI   s'y 

RATTACHENT 

lES  monuments  des  âges  préhistoriques 
jouent,  à  ma  connaissance  du  moins,  un 
rôle  assez  restreint  dans  les  récits  légen- 
daires des  paysans.  Dans  des  pays  où  abondent 
les  contes  de  fées  et  de  lutins,  les  récits  diaboli- 
ques ou  lugubres,  j'ai  interrogé  avec  le  plus  grand 
soin  plus  de  cent  personnes,  sans  recueillir  autre 
chose  que  de  courts  récits,  parfois  assez  vagues. 
J'ai  déjà  donné  quelques  dépositions  sur  ceux  qui 
passent  pour  les  avoir  construits.  On  trouvera 
plus  loin  d'autres  fragments  qui  sont  tout  ce  que 
j'ai  pu  trouver,  soit  en  fouillant  les  livres  relatifs 
au  pays  gallot,  soit  en  interrogeant  les    paysans. 

Mais  auparavant  je  crois  devoir  constater  que, 
sur  plus  de  quatre  cents  contes  publiés  ou  iné- 
dits que  j'ai  recueillis,  j'en  ai  trouvé  seulement 
une  dizaine  qui  se  rattachent  quelque  peu  à  des 
monuments  préhistoriques. 

Dans  la  Couleuvre,  no  xxiv  des  Contes  popu- 
laires, ire  série,  il  est  parlé  incidemment  d'une 
fée  qui  demeurait  dans   un    des    dolmens    de   la 


TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS        2/ 


Brousse,  commune  du  Gouray.  D'autres  ré- 
cits, que  j'ai  recueillis  depuis,  mettent  encore 
en  scène  ces  mêmes  fées  de  la  Brousse,  mais  d'une 
manière  tout  aussi  incidente.  La  Fée  de  Créhen, 
no  XXI  des  Contes  des  paysans  et  des  pêcheurs,  sem- 
blait avoir  sa  demeure  dans  un  dolmen  ou 
dans  un  tumulus  des  bords  de  FArguenon;  mon 
conteur  n'était  pas  très-précis  à  cet  égard.  Dans 
ce  récit,  la  fée  devient  chrétienne,  et  quand  le 
prêtre  l'a  baptisée,  il  maudit  la  grotte,  où  jamais 
on  n'a  habité  depuis. 

Dans  les  légendes  relatives  à  Gargantua,  les 
menhirs  figurent  .parfois,  mais  ne  jouent,  ainsi 
qu'on  l'a  vu,  qu'un  rôle  assez  effacé. 

Jamais  je  n'ai  entendu  parler  des  druides,  pas 
davantage  des  bardes  :  les  paysans  gallots  ne 
connaissent  ni  ces  noms,  ni  leurs  équivalents. 

Les  monuments  mégalithiques  passent,  ou  plus 
exactement  passaient  pour  être  hantés  la  nuit, 
soit  par  des  fées,  soit  par  des  lutins,  parfois  par 
des  revenants  ;  mais  les  terreurs  superstitieuses 
dont  ils  étaient  l'objet  ont  une  tendance  à  s'effa- 
cer. 

«  A  la  fontaine  Cadio,  en  Plédran  (Côtes-du- 
Nord),  existe  une  roche  aux  fées,  sur  une 
pièce  de  terre  dite  la  Roche  ;  elle  est  longue  de 
45  pieds.  L'une  des  extrémités  s'arrondit  en 
cercle    fermé,    et  l'autre  extrémité,  aussi  fermée, 


28        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


mais  par  une  pierre  plate,  est  entourée  de  quatre 
pierres  debout,  rtchées  en  terre.  Au  fond  de  cet 
arc  de  cercle,  qui  se  trouve  en  dehors  de  la  grotte, 
il  y  a  une  pierre  d'une  énorme  épaisseur,  placée 
de  manière  à  former  un  siège.  Des  enfants  qui 
nous  avaient  suivi  nous  dirent  que  c'était  la 
chaise  de  Michel  Morin,  homme  extraordinaire, 
qui  remplissait  ce  cercle  de  sa  capacité,  et  qui, 
lorsqu'il  s'asseyait  sur  cette  pierre,  avait  le  dos 
appuyé  à  celle  qui  forme  la  grotte,  bien  qu'elle 
en  soit  éloignée  de  3  ou  4  pieds,  et  les  bras 
accoudés  sur  les  roches  latérales,  quoiqu'elles 
soient  à  5  ou  6  pieds  l'une  de  l'autre...  » 

(Habasque,  t.  Il,  363-364.) 

«  A  1,500  mètres  du  bourg  de  Saint-Jacut  du 
Mené,  pierre  posée.  Le  dessus  de  cette  pierre  est 
complètement  plat.  On  y  remarque  comme  l'em- 
preinte d'un  pied  d'homme.  La  légende  raconte 
que  Gargantua,  monté  sur  cette  pierre,  fit  un  ef- 
fort pour  s'élancer  sur  une  autre  pierre  à  trois  ki- 
lomètres plus  loin.  Sous  cet  effort,  son  pied  s'est 
gravé  dans  la  pierre,  ainsi  que  sur  celle  sur  laquelle 
il  venait  de  sauter;  mais  cette  dernière  jusqu'à 
présent  est  restée  inconnue.   » 

(Emoul  de  la  Chcnelitre,  p.  38.) 

«  Sur  le  versant  ouest  du  Tertre-Alix,  en 
Louvigné-du-Désert,  est  une  chaise  de  pierre  :  la 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  29 


nuit  les  fées  viennent,  dit-on,  s'y  asseoir  pour  filer. 
Aussi,  ajoute  la  légende,  trouve-t-on  souvent 
auprès  des   magnons  de    laine.    » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  54.) 

«  Des  femmes  du  voisinage  de  la  fontaine  Cadio, 
près  de  laquelle  est  un  dolmen,  nous  apprirent  que 
les  fées  venaient  souvent  à  minuit  danser  autour 
■du  monument.  » 

(Habasque,  t.  II,  363-364.) 

«  Sur  la  lande  du  Fao,  en  Saint-Gelven  (Côtes-du-Nord, 
partie  bretounante),  est  un  dolmen.  Les  vieux  habitants  du  bourg 
s'imaginent  que  sous  ce  dolmen  vit  une  légion  de  fées  qui,  tous 
les  soirs,  à  minuit,  sortent  de  leur  demeure  pour  venir  danser 
sur  cette  pierre.  »  (Ernoul  de  la  Chenelière,  p.  39.) 

En  beaucoup  d'autres  pays  existe  la  croyance  que  les  fées 
viennent  la  nuit  autour  des  roches  qui  portent  leur  nom.  On  la 
retrouve  en  Normandie  (cf.  Amélie  Bosquet,  p.  96;  abbé  Cochet 
■cit.  dans  les  Matériaux,  t.  I,  p.  264);  dans  le  Valais  {Mater., 
II,  257);  dans  le  pays  de  Luchon  (Bull,  de  la  Soc.  d'Anthr., 
3=  série,  II,  p.  167);  en  Berry  (cf.  Laisnel  de  la  Salle,  t.  I, 
p.   100). 

Les  lutins  vont  autour  des  Roches  piquées  de 
la  forêt  de  Haute-Sève  ;  il  faut  bien  se  garder  d'en 
approcher  quand  ils  sont  auprès,  car  il  arriverait 
certainement  quelque  malheur. 

(Conté  en  iSSopar  Françoise  Dumont,  d'Ercé.) 

«  A  Trébeurden  (partie  bretonnante  des  Côtes-du-Nord),  ces 
monuments,  principalement  les  dolmens,  sont  hantés  par  les 
gorriket,  que  quelques  habitants  prétendent  même  avoir  vus. . . 
Ceux  qui  passent  tard  auprès  de  leurs  demeures  pressent  le  pas. 


30        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


de  peur  de  rencontrer  une  patrouille  de  ces   petits   hommes.  » 
(Emoul  de  la  Chenelière,  p.  28.) 

«  Les  demeures  des  nains  sont  placées  le  plus  souvent  sous  les 
dolmens,  que  l'on  nomme  presque  partout  ly  Corriked.  D'autres 
ont  leurs  habitations  sous  les  menhirs.  »  (Le  Men,  p.  227  ;  cf. 
aussi  Souvestre,  Foyer  breton  :  les  Korils  de  Plaudren.) 

Jadis  on  racontait  à  Plévenon  que  des  revenants 
sortaient  la  nuit  du  tumulus  de  Château-Serin. 
Comme  il  y  avait  eu  autrefois  dans  le  voisinage 
un  couvent  de  moines  qui  ont  laissé  mauvaise 
réputation  dans  le  pays,  on  supposait  que  c'étaient 
les  moines  qui  venaient  faire  pénitence  après  leur 
mort. 

(Conté  en  18S0  par  Scolastique  Durand,  de  Plévenon,  âgée  de 
soixante- douze  ans.) 

Le  tumulus  de  Fontenay-le-Marmion  était  hanté  par  des  reve- 
nants. (Cf.  Amélie  Bosquet,  p.  192;  cf.  aussi,  p.  1S8,  189,  des 
menhirs  et  des  dolmens  hantés.) 

«  Il  sort  la  nuit  du  tumulus  de  Crchen  une 
femme  tantôt  blanche,  tantôt  revêtue  d'un  vête- 
ment de  brouillard,  qui,  des  coups  répétés  de  son 
battoir,  fait  retentir  les  rives  de  l'Arguenon,  où 
elle  va  laver  son  linge.  C'est  une  des  croyances 
du  pays,  et  on  la  retrouve  dans  toute  la  Bre- 
tagne.   » 

(H.ibasque,  t.  III,  p.  188.) 

En  Bcrrj-,  jadis  une  fée  appar.iissait  au  sommet  de  la  motte 
de  la  Guerne,  commune  de  Lunery,  et  les  bergers  qui  en  appro- 
chaient étaient  poursuivis  par  un  homme  à  longue  barbe.  (Cf. 
Martinet,  p.  9  et  15.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  3! 

«  Depuis  longtemps  les  fées  ont  malheureuse- 
ment disparu  ;  mais  le  monument  (de  la  Roche 
aux  Fées  d'Essé)  est  resté.  Dans  les  nuits,  quand 
la  bise  souffle  au  dehors,  on  entend  comme  des 
plaintes  dans  la  Roche  aux  Fées,  et  l'on  dit  que 
ce  sont  les  morts  qui  reposent  là  qui  appellent 
les  fées  protectrices,  et  que  ces  plaintes  se  renou- 
velleront jusqu'à  ce  qu'elles  soient  revenues.    « 

(Le  Collectionneur  breton,  t.  III,  p.  55.) 

Quelques  paysans  m'ont  dit  qu'ils  croyaient  que 
des  marquis  étaient  enterrés  sous  ces  pierres. 
(Marquis  veut  dire  personnages  ;  à  Pléneuf,  on 
raconta  à  Habasque  que  c'étaient  des  générais.') 
Les  tumuli,  au  nombre  de  cinq,  que  j'ai  décou- 
verts à  Meillac,  Tinténiac  et  les  environs,  sont 
tous  pour  les  paysans  des  lieux  de  repos. 

(Communiqué  par  M.  Bézier.) 

Il  y  a  à  Créhen  un  tumulus  dont  la  terre  passe 
pour  ne  point  diminuer,  bien  qu'on  en  ait  pris 
maintes  charretées  pour  construire  les  maisons  du 
voisinage.  La  terre  jaune  qui  le  compose  sert  de 
mortier  pour  la  maçonnerie. 

(Conté  en  1880  par  Rose  Renaud,  cîe  Saint-Cast,  qui  Tavaii 
entendu  dire  à  Créhen.) 

On  m'a  raconté  à  Ercé  que  les  pierres  de 
Haute-Sève  n'avaient  pas  toujours  été  aussi  gros- 
ses que  maintenant,  et  que  jusqu'à  une  certaine 


32        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

-époque  leur  volume  avait  augmenté.  Je  n'ai  pu 
savoir  avec  précision  si  mes  conteurs  voulaient 
spécialement  parler  des  Roches  piquées  ou  de  la 
chaîne  de  gros  blocs  naturels  qui  traverse  la 
forêt. 

La  croyance  aux  pierres  qui  poussent,  mais  cette  fois  s'appli- 
<juant  spécialement  aux  mégalithes,  existe  en  Berry.  (Cf.  Laisnel 
de  la  Salle,  t.  I,  112.) 

En  beaucoup  d'endroits,  on  pense  qu'il  est 
dangereux  de  les  détruire,  parce  que  les  esprits 
■qui  les  ont  construits  ne  manqueraient  pas  de  se 
venger  ;  mais  on  n'y  croit  plus  guère  maintenant. 

«  Le  tumulus  de  Château-Serin,  en  Plévenon, 
fut  longtemps  préservé  de  la  destruction,  parce 
que  les  fermiers  prétendaient  que  la  terre  qui  le 
■composait  eût  fait  périr  leur  récolte.  Un  préjugé 
semblable  a  fait  conserver  le  tumulus  de  Pléneuf, 
sous  lequel  les  voisins  me  dirent  que  des  générais 
étaient  enterrés.   » 

(Habasque,  t.  III,  p.  87.) 

«  Lorsqu'on  enleva  un  menhir  pour  le  placer  sur  la  tombe  de 
Hyacinthe  Langlois,  à  Rouen,  toutes  les  bonnes  femmes  assailli- 
rent les  ouvriers  de  prédictions  funestes.  »  (Amélie  Bosquet, 
p.  186.) 

Une  sorte  de  crainte  superstitieuse,  dont  je  n'ai 
pu  me  faire  expliquer  la  cause,  fait  qu'ils  sont 
respectés  par  les  paysans. 

(Communiqué  par  M.  Bézier.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  35 

A  Saint-Rcmi-du-Plein,  dans  un  champ  qui  se 
nomme  aujourd'hui  le  Rocher  ou  les  Rochers,  il 
y  avait  une  roche  aux  fées  soutenue  par  quatre 
piliers.  Quand  on  voulait  ensemencer  on  portait 
le  soir  des  galettes  ou  du  pain,  avec  un  peu  de 
beurre,  et  le  lendemain  le  champ  était  ensemencé. 
Lorsque  le  propriétaire  du  champ  fit  sauter  ce  ro- 
cher, on  murmura  beaucoup  dans  le  pays. 

(Conté  par  Joseph  LegenJre,  jardinier,  de  Saint-Aubin-du- 
Cormier.) 

Quand  M.  du  Chatellier  voulut,  en  1879,  explorer  le  tumulus 
de  Run,  près  Tréfiagat,  les  habitants  regardèrent  ces  fouilles 
d'un  mauvais  œil. 

<i  Ce  n'est  pas  sans  peine  que  j'ai  obtenu  l'autorisation  de 
fouiller  ce  tertre  :  les  habitants  du  village  craignaient  les  repré- 
sailles des  Koriics,  race  de  nains  doués  d'un  pouvoir  surnaturel, 
et  passant  dans  l'esprit  de  nos  paysans  bas-bretons  pour  être  les 
constructeurs  de  nos  monuments  mégalithiques,  quelque  gigan- 
tesques qu'ils  soient.  Aujourd'hui  encore,  disent-ils,  ils  hantent, 
la  nuit,  les  monuments  qu'ils  ont  construits  et  savent  se  venger 
de  ceux  qui  osent  les  violer. 

«  Depuis  mon  exploration,  j'ai  reçu  les  plaintes  d'un  des  habi- 
tants du  village  de  Run,  qui  me  dit  que,  comme  il  l'avait  prévu, 
les  chorriquet,  depuis  que  j'avais  violé  leur  demeure,  s'introdui- 
saient la  nuit  dans  son  écurie,  et,  s'en  prenant  à  ses  chevaux,  les 
malmenaient  si  bien,  que  le  matin  il  les  trouvait  couverts  de 
sueur.  Depuis  quelques  jours  cependant,  ils  semblaient  leur  lais- 
ser quelque  répit,  et  cela  parce  qu'il  avait  appendu  .à  l'une  des 
poutres  de  son  écurie  un  chapelet  de  coques  d'œufs  de  poules, 
avec  lesquels  les  chorriquet  savent  prendre  grand  plaisir  à  jouer. 
Je  voulus  lui  faire  comprendre  que  ses  chevaux  avaient  probable- 
ment   éprouvé    quelque   ma, aise  dont    ils    étaient  remis,  et  que 

I  3 


34        TRADITIOXS     ET     SUPERSTITIONS 

son  chapelet  de  coques  d'oeufs  n'y  était  pour  rien.  Peu  con- 
vaincu, il^me  quitta  en  me  prédisant  que,  une  fois  ou  l'autre, 
j'aurais  maille  à  partir  avec  ces  malins  esprits.  »  (^Mémoires  de  la 
Société  d'ttiiulation  des  Cotes-dii-Nord,  année  1879.) 

«  Sur  le  versant  ouest  de  la  vallée  de  Mont- 
Louvier  en  Louvigné-du-Désert,  est  un  groupe  de 
dix  à  douze  blocs  gigantesques  de  granit,  connu 
sous  le  [nom  de  Roches  Saint-Guillaume,  et  que  la 
nature  a  superposées  sous  l'aspect  le  plus  pitto- 
resque et  le  plus  bizarre.  Plusieurs  portent  des 
bassins  et  entailles  de  formes  et  grandeurs  diffé- 
rentes. Dans  le  pays  elles  sont  toutes  désignées 
comme  ayant  appartenu  à  l'usage  du  saint  qui, 
suivant  la  tradition,  fit  pendant  quelque  temps 
son  séjour  en  cet  endroit.  L'une  aurait  été  son 
douet  (réservoir  où  on  lave  le  linge),  l'autre  sa 
fontaine,  une  autre  plus  petite  son  écuelle  ;  deux 
autres  se  touchant  seraient  l'empreinte  de  ses 
genoux  ;  une  entaille  forme  celle  de  sa  modeste 
croix  de  bois.  Enfin  plusieurs  autres  de  forme 
allongée  seraient  la  marque  des  coins  de  ceux 
qui  ont  voulu  essayer,  mais  toujours  en  vain,  de 
fendre  cette  roche.  On  a  aussi  donné  le  nom  de 
rues  de  Paradis,  du  Purgatoire  et  de  l'Enfer,  aux 
intervallesiétroits'qui  séparent  ces  énormes  blocs. 
On  vous  montre  aussi  l'endroit  où  couchait  le 
saint.  » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  49,  50.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  35 


A  Huelgoat  (Finistère),  on  nomme  Ménage  de  la  Vierge  deux 
pierres  creusées  régulièrement  de  plusieurs  bassins.  (Athenas., 
Lycée  armoricain,  t.  VI,  p.  383.)  En  Normandie,  un  mégalithe  a 
servi  de  Ht  à  saint  Cenery.  (Cf.  A.  Bosquet,  p.  182.) 

«  A  Pluzunet  (Côtes-du-Nord),  uu  roc  légèrement  creusé  se 
nomme  le  lit  de  saint  Idunet.  C'était,  dit-on,  la  couche  commune 
du  saint  et  de  sa  soeur  sainte  Dunnvel...  Au  chevet  de  ce  pré- 
tendu lit,  il  y  a  une  croix  en  pierre  grossièrement  travaillée.  A 
trois  kilomètres  du  bourg,  une  pierre  affectant  la  forme  d'un 
siège  se  nommait  Chaise  de  saint  Yves  :  un  jour  que  le  saint 
était  fatigué,  il  s'aasit  dessus,  et  elle  se  ploya  sous  lui  en  forme 
de  siège.  »  (Ernoul  de  la  Chenelière,  p.  34.) 

Près  de  Jugon  est  un  menhir  qui  descend,  la 
nuit  de  Noël,  boire  dans  la  rivière  de  l'Arguenon. 
Un  homme  du  pays,  qui  ne  voulait  pas  croire  que 
ce  fût  vrai,  alla  la  nuit  de  Noël  pour  le  voir; 
mais  jamais  personne  ne  l'a  revu. 

(Conté  en  18S0  par  Jeanne-Marie  Chesnais,  de  Jugon,  domes- 
tique.) 

D'après  une  note  des  Anciens  Évêchés  de  Bre- 
tagne, par  MM.  Geslin  de  Bourgogne  et  A.  de 
Barthélémy,  t.  III,  p.  219,  les  fées  jouent  la  nuit 
avec  les  mégalithes  de  la  Brousse  et  vont  les  bai- 
gner dans  les  ruisseaux  du  voisinage. 

«  Sur  le  Mont-Louvier,  en  la  commune  de  Lou- 
vigné-du-Désert,  était  une  magnifique  pierre 
branlante,  aujourd'hui  détruite.  Elle  était  natu- 
rellement posée  en  équilibre  si  parfait,  qu'un  seul 
homme  pouvait  la  faire    osciller   d'une  manière 


36        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


sensible.  Tous  les  ans,  disait-on,  la  nuit  de  Noël, 
pendant  la  messe  de  minuit,  elle  allait  boire  dans 
le  ruisseau  qui  est  au  bord  de  la  vallée,  et  remon- 
tait aussitôt  se  remettre  à  la  place  qu'elle  venait 
de  quitter.  » 

(Danjou  cie  la  Garenne,  p.  49.) 

«  Dans  le  bois  des  Couardes,  en  Saint-Eiicnne 
en  Coglès,  se  trouve  un  groupe  naturel  de  blocs 
de  granit,  aussi  imposant  par  sa  masse  que  pitto- 
resque par  son  aspect.  L'un  d'eux,  qui  a  près  de 
3  mètres  de  haut  sur  une  longueur  plus  considé- 
rable encore,  est  superposé  à  plus  de  2  mètres 
au-dessus  du  sol  sur  trois  autres  blocs  non 
moins  énormes,  ce  qui  donne  à  cet  amas  de  ro- 
chers la  fausse  apparence  d'un  gigantesque  dol- 
men. Tous  les  ans,  dit-on,  à  Noël,  quand  les 
cloches  sonnent  la  messe  de  minuit,  la  roche  la 
plus  élevée  descend  pour  aller  boire  au  ruisseau 
qui  coule  à  ses  pieds  dans  la  vallée,  puis  elle 
remonte  se  replacer  elle-même  sur  sa  base.  Mais 
malheur  à  qui  se  trouverait  sur  son  passage  !  Elle 
traverse  l'espace  avec  la  rapidité  d'un  clin  d'œil  ; 
son  choc  terrible  serait  inévitable.  On  serait  écra- 
boui  (écrasé).  » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  62-6;.) 

Le  jour  de  Noël,  à  minuit,  au  premier  chant  du  coq,  on  voit 
la  pierre  Corme,  en  Condé-sur-Laison,   s'ibranler  et  descendre 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  37 


vers  la  grande  fontaine,  située  à  quelque  distance,  pour  s'y  désal- 
térer. (Amélie  Bosquet,  p.  173.) 

Le  menhir  de  la  Tiemblaye,  en  Saint-Samson, 
qui  se  nomme  Pierre  longue  ou  Tonnerai  est  rayé 
d'une  barre  blanchâtre  en  quartz,  qui  se  détache 
très-visiblement  sur  le  ton  gris  du  granit.  C'est, 
dit-on  dans  le  pays,  la  marque  d'un  coup  de 
fouet  dont  le  diable  cingla  la  pierre  un  jour  qu'il 
était  en  colère. 

«  A  Pluzunet  il  y  avait  naguère  une  roclic  à  fleur  de  terre 
dans  laquelle  les  gens  croyaient  reconnaître  la  trace  d'un  bâton 
et  l'empreinte  des  pieds  d'un  cheval.  La  légende  dit  que  le  diable 
n'ayant  pu  réussir  à  faire  saint  Idunet  offenser  Dieu,  disparut 
furieux,  en  imprimant  ces  marques  sur  le  rocher.  »  (Ernoul  de 
la  Chenclière,  p.  34.) 

«  A  Saint-Étienne  en  Coglès,  au  sud  du 
Rocher-Jacquot,  sont  deux  allées  couvertes  ou 
Roches-aux-Fées  à  moitié  ruinées,  et  il  ne  reste 
qu'une  seule  des  pierres  de  recouvrement  sur 
chacune  d'elles  ;  les  autres  gisent  à  terre.  Les 
diables  viennent,  dit-on,  depuis  fort  longtemps,  la 
nuit,  essayer  de  remettre  ces  pierres  en  place  ; 
mais  ils  n'ont  jamais  pu  y  réussir.  On  les  entend 
chanter  en  dansant  autour,  mais  sans  qu'il  soit 
possible  de  comprendre  ce  qu'ils  disent.  » 

(Danjou,  p.  64.) 

D'autres  dolmens,  en  divers  pays,  portent  aussi  le  nom  de 
Pierre  au  Diable,  entre  autres  celle  de  Jambes,  près  Namur. 
(Cf.  Mater.,  t.  V,  p.  405.) 


58         TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

Sur  un  bloc  recouvert  de  signes  archaïques,  si- 
tué à  Dingé,  les  paysans  voient  l'empreinte  d'une 
sangle,  des  griffes  et  des  fesses  du  diable.  Ils  m'ont 
raconté  que  Satan  s'étant  mis  dans  l'esprit  d'em- 
porter cette  pierre  au  Mont-Saint-Michel,  l'avait 
sanglée  et  s'était  arc-bouté  pour  la  soulever  ; 
mais  la  sangle  cassa,  et  c'est  à  l'effort  qu'il  fit 
pour  la  retenir  que  sont  dues  les  empreintes  de 
son  derrière  et  de  ses  griffes. 

(Communiqué  par  M.  Bézier.) 

L'île  d'Herreu,  la  plus  proche  de  celle  de 
Besné  (Loire-Inférieure),  contient  un  grand  nom- 
bre de  rochers  dont  la  surface  est  couverte  de 
bassins  et  de  cercles.  Il  y  en  a  une  entre  autres 
que  les  habitants  appellent  la  Cuisine  du  Diable  ; 
ils  y  voient  les  marmites,  les  poêlons,  le  lit  où  il 
couchait. 

(P.  Atlicnas,  Le  Lycce  arniurlann,  t.   VI,  p.  3S3.) 
TRÉSORS    ENFOUIS 

Presque  tous  les  monuments  préhistoriques 
passent  pour  renfermer  des  trésors  ;  il  en  est  de 
même  des  gros  blocs  erratiques  qui  se  trouvent 
dans  les  champs  ou  sur  les  landes. 

Vers  Ercé,  on  dit  que  les  trésors  qui  sont 
enfouis  dessous  appartiennent  au  diable  pendant 


DE     LA     HAUTE-BRETAGKE  39 

9 

trente  ans,  et  pendant  trente  ans  aux  hommes. 
Quand  c'est  la  période  du  diable,  il  est  inutile  de 
fouiller  dessous  :  on  ne  trouverait  rien. 

En  Normandie,  les  trésors,  au  bout  de  cent  ans,  appartiennent 
au  diable.  (Cf.  A.  Bosquet,  p.  141.) 

Sous  la  Roche  piquée  de  la  forêt  de  Haute- 
Sève,  il  y  a  un  trésor.  Il  y  a  bien  longtemps  de 
cela,  des  gens  voulurent  s'en  emparer,  et  ils  creu- 
sèrent au  pied  de  la  pierre  ;  mais  à  mesure  qu'ils 
creusaient,  la  Roche  piquée  s'enfonçait  plus 
avant,  et  on  voyait  sortir  de  dessous  des  cra- 
pauds noirs  qui  sautaient  sur  la  terre  et  grossis- 
saient à  vue  d'œil.  On  trouva  de  la  cendre  au- 
près. 

(Conté  par  Françoise  Dumont,  d'Ercé.) 

Le  menhir  de  la  Tiemblaye,  en  Saint-Samson, 
est  incliné  à  45  degrés  environ;  on  prétend  qu'il 
doit  cette  position  penchée  aux  fouilles  pratiquées 
au  pied  pour  découvrir  le  trésor  qui  s'y  trouve 
caché. 

On  m'a  conté  à  Dinan  que  lorsque  les  cher- 
cheurs de  trésors  eurent  creusé  à  la  base  du  mo- 
nolithe, il  sortit  de  la  terre  des  flammes  qui  les 
forcèrent  à  interrompre  leur  travail. 

On  assure  qu'à  diSérentes  époques  on  a  fait  des  fouilles  sous 
un  menhir  de  la  forêt  de  Bretonne,  dit  la  Pierre  aux  Houneux, 
pour  y  découvrir  un  trésor  ;  mais  à  chaque  fois  d'effrayantes 
app.iritions   les    firent  discontinuer   (A.  Bosquet,    p.   186)  ;    des 


40        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


ouvriers  qui  avaient  tenté  d'enlever  le  trésor  de  Néaufle  se  virent 
entourés  de  flammes  (cf.  ibid.,  p.  159). 

«  La  tradition  du  pays  veut  qu'il  y  ait  un  trésor 
considérable  sous  un  gros  bloc  de  granit  attenant 
au  sol  et  creusé  d'un  bassin  de  85  centimètres  de 
diamètre  sur  15  de  profondeur,  près  la  chapelle 
Saint-Eustache  en  Saint-Etienne-en-Coglès. 

«  La  pierre  de  la  Lande-du-Mont  en  Saint- 
Hilaire-des-Landes  recouvre,  suivant  la  tradition 
du  pays,  un  trésor  considérable.  » 

(Danjou,  p.  61  et  67.) 

Le  beau  menhir  du  Perraln,  situé  à  la  porte  de 
Bain,  est  appelé  par  les  habitants  Pierre  longue. 

Tout  près  de  lui  sont  deux  immenses  blocs  de 
quartz  qui  ressemblent  à  des  tombeaux.  Les 
lapins  du  pays  ont  fait  leurs  garennes  dessous. 
Les  paysans,  qui  les  nomment  tables  des  fées, 
racontent  qu'un  trésor  y  est  gardé  par  une  levrette 
Hanche,  qui  court  toute  la  nuit  sur  la  lande  et 
s'amuse  à  jeter  par  terre  les  gens  qu'elle  rencon- 
tre. Tous  vous  diront  l'avoir  vue. 

(Communiqué  par  M   A.  Orain.) 

En  Berry  rôde  aussi,  autour  des  étables,  et  non  dans  le 
voisin.ige  des  mégalithes,  une  levrette  blanche  (Laisnel  de  la 
Salle,  t.  I,  176)  ;  en  Kormandie  (cf.  A.  Bosquet,  p.  150),  certains 
trésors  sont  gardés  par  des  chiens  noirs. 

«  Les  débris  d'une  grotte  aux  fées,  à  un  kilo- 
mètre de  Plurien,  couvrent  des  richesses  incalcu- 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  4I 

labiés.  Mais  pour  les  posséder,  il  faudrait,  lors 
de  la  pleine  lune,  se  présenter  à  minuit  sonnant 
devant  la  grotte  enchantée,  et  rompre  la  chaîne 
de  lutins  grimaçants  qui  l'environnent.  Une  nuit, 
un  laboureur,  mécontent  de  son  sort,  passait  près 
de  la  grotte  ;  il  vit  sortir  de  la  terre  un  être  à 
forme  humaine,  tenant  dans  chacune  de  ses  mains 
un  flambeau  d'où  s'échappait  une  lumière  sem- 
blable aux  flammes  d'une  fournaise  ardente. 
Cette  apparition  avait  les  proportions  d'un  géant  ; 
de  sa  voix  lugubre  elle  dit  au  laboureur  :  «  Si  tu 
veux  en  finir  avec  cette  vie  de  misère,  suis-moi.  » 
L'imprudent  suivit  le  fantôme,  et  depuis  on  ne 
l'a  plus  revu.  C'est  une  histoire  que  les  gens  de 
Plurien  racontent  pendant    les  soirées  d'hiver.  » 

(B.  Jollivet,  p.  319.) 

Presque  partout  les  paysans  croient  à  l'exis- 
tence de  trésors  enfouis  sous  les  menhirs  ;  cer- 
tains recouvrent  des  barriques  d'argent,  à  Meillac 
(Ille-et-Vilaine)  par  exemple  ;  mais  ils  savent  de 
leurs  pères  que  la  pierre  doit  se  renverser  sur  le 
sacrilège,  et  ils  la  respectent.  On  m'a  toutefois 
assuré  que  certains  paysans,  la  nuit,  ont  essayé 
des  fouilles,  à  Meillac  notamment. 

(Communiqué  par  M.  Bézier.) 

En  Normandie  (cf.  A,  Bosquet,  p.  145),  celui  qui  touche  un 
trésor  le  premier  meurt. 


42       TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

«  APordic  trois  barriques  d'or  sont,  d'après  les 
gens  du  pays,  enfouies  sous  le  dolmen  de  la  Table- 
Margot.  On  essaya,  il  y  a  quarante  ans,  d'après 
le  conseil  d'une  bohémienne,  de  soulever  avec 
des  pinces  et  des  pioches  la  pierre  sous  laquelle 
est  caché  le  trésor;  mais  les  prescriptions  de 
l'Égyptienne  n'avaient  pas  été  exactement  suivies  ; 
aussi  la  pierre  retomba-t-elle  chaque  fois  qu'on 
voulut  la  relever,  ce  qui  obligea  de  renoncer 
à  l'entreprise.    » 

(Habasque,  t.  III,  p.   i6.) 

«  Des  femmes  du  village,  près  de  la  Roche- 
aux-Fées  de  la  fontaine  Cadio,  en  Plédran,  nous 
dirent  que  des  trésors  y  étaient  cachés,  et  que 
celui  qui  serait  assez  heureux  pour  y  jeter  quel- 
que chose  de  bénit  à  l'instant  où  ils  sont  étalés 
en  deviendrait  l'heureux  possesseur.   » 

(Habasque,  t.  II,  p.  564.) 

«  On  dit  que  la  Roche-Longue  (près  Qiùntin) 
foule  des  trésors,  et  que  les  esprits  viennent  pen- 
dant la  nuit  danser  en  rond  tout  à  l'entour.  » 

(Baron  Dutaya,  BroccUandc,  p.  246.) 

Sous  Crokélien,  en  la  commune  du  Gouray,  où 
sont  des  Roches-aux-Fées  (un  dolmen),  il  y  a 
une  barrique  d'argent;  mais  elle  ne  se  découvre 
que  le  jour  de  Pâques,  et  on  ne  peut  l'avoir  que 
si  on  garde  le  silence  pendant  qu'on  est  à  l'ôter. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  43 


Un  jour,  des  hommes  du  Gouray  avaient  saisi  la 
barrique  avec  des  cordes,  et  elle  commençait  à 
sortir,  lorsque  l'un  d'eux  dit  à  ses  camarades  :  — 
Tiens  bien,  je  l'avons.  Aussitôt  la  barrique  disparut. 

(Conté  en  1881,  par  J.  M.  Comault,  du  Gouray.) 

En  Berrj',  les  monuments  mégalithiques  recouvrent  aussi  des 
trésors  :  ainsi  le  monolithe  de  la  Pierre  à  la  femme  protège  un 
immense  trésor  qui  ne  s'ouvre  que  le  dimanche  des  Rameaux,  et 
seulement  pendant  le  moment  qui  sépare  le  retour  de  la  proces- 
sion à  l'église  des  trois  coups  frappés  à  la  porte.  (Cf.  Martinet, 
p.  7-8  ;  Laisnel  de  la  Salle,  t.  I,  112.)  Ailleurs  c'est  pendant  la 
nuit  de  Noël  que  les  pierres  changent  de  place.  (Cf.  Martinet, 
p.  12-13.) 

On  retrouve  en  Normandie  la  même  croj-ance  aux  trésors  en- 
fouis sous  les  mégalithes.  (Cf.  A.  Bosquet,  p.  178,  181,  182, 
186,  189.) 

L'un  des  deux  menhirs  aujourd'hui  renversés 
qui  se  trouvaient  au  sommet  du  bois  de  Mont- 
Beleux  (cf.  Belen,  Tombelaine,  etc.)  recouvrait 
un  trésor  considérable.  «  Tous  les  ans,  pendant 
la  nuit  de  Noël,  un  merle  vient  la  soulever  et 
découvre  le  trésor.  Mais  malheur  à  l'imprudent 
que  la  cupidité  pousserait  à  chercher  à  s'en  saisir  ! 
Il  n'en  aurait  pas  le  temps  et  périrait  écrasé  par 
l'énorme  poids  de  la  pierre  qui  s'abattrait  sur  sa 
tête.    » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  46.) 

En  Eure-et-Loir  existe  la  croyance  que  la  Pierre  qui  vire  de 
Brunay-le-Gillon  met  à  découvert  un  trésor  pendant  la   généalo- 


44        TRADITIOXS     LT     SUPERSTITIONS 


gie  de  l'évangile   de   Noël.   (Cf.   Morin,  Le  prêtre  et    le   sorcier, 

p.    10.) 

«  On  voit  à  Noyal-Pontivy  un  peulvan  large  d'environ 
I"  60  à  2  mètres,  et  haut  de  5  mètres,  et  plus  étroit  à  sa  base 
qu'à  son  sommet.  On  dit -dans  le  pays  que,  la  veille  delà 
nuit  de  Noël,  il  se  met  en  marche  et  va  boire  au  Blavet.  En  ce 
moment  on  pourrait  enlever  le  trésor  qui  est  caché  sous  cette 
énorme  masse  ;  mais  comme  le  peulvan  retomberait  sur  celui  qui 
ne  serait  pas  en  parfait  état  de  grâce,  nul  ne  s'aventure  à  tenter 
d'enlever  cette  riche  proie.  »  (Ogée,  art.  Noyal-Ponliiy.') 

Cf.  aussi  Souvestre,  le  Foyer  breton,  conte  des  Pierres  de 
Plouhinec  qui  vont  boire  à  la  rivière  d'Intel  et  laissent  à  décou- 
vert leurs  trésors. 


CHAPITRE    II 

LE    CULTE    DES    PIERRES,   DES    ARBRES 
ET    DES    FONTAINES 


SU  moment  où  le  christianisme  s'introduisit 
^  en  Gaule,  le  culte  des  pierres,  des  arbres 
et  des  fontaines  y  était  florissant.  Les 
apôtres  de  la  nouvelle  religion,  dès  qu'ils  eurent 
un  nombre  respectable  d'adhérents,  essayèrent  de 
détruire  les  pratiques  qui  rappelaient  le  culte 
qu'ils  voulaient  remplacer.  De  l'an  452,  date  du 
deuxième  concile  d'i.\rles,  à  l'an  638,  concile 
de  Nantes,  nombre  d'assemblées  ecclésiasti- 
ques s'occupèrent  de  la  question.  Les  évêques 
dans  leurs  lettres  et  leurs  mandements,  Carloman, 
Pépin,  Charlemagne  dans  leurs  capitulaires,  joi- 
gnirent leurs  efforts  à  ceux  des  conciles  (i).  Mais 


(i)  Le  texte  de  ces  conciles,  les  lettres  des  évêques  et  les  Ca- 


46         TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 


les  pratiques  superstitieuses  des  cultes  ont  souvent 
la  vie  plus  dure  que  les  religions  elles-mêmes,  à 
qui  elles  survivent  fréquemment,  et  de  nos  jours 
encore,  plus  de  quinze  siècles  après  l'établisse- 
ment du  christianisme  dans  les  Gaules,  l'idolâtrie 
des  pierres,  des  arbres  et  des  fontaines  subsiste 
encore.  Si  le  culte  qu'on  leur  rend  est  limité  à 
quelques  pierres,  à  des  fontaines,  à  un  petit  nom- 
bre d'arbres,  s'il  va  s'afFaiblissant  peu  à  peu,  il 
est  possible  d'en  retrouver  des  vestiges  notables, 
et  plus  fréquemment  qu'on  ne  croit. 

Le  docteur  Fouquet,  qui  avait  étudié  les  supers- 
titions du  Morbihan,  écrivait  en  1853  :  «  De  nos 
jours  même,  où  nous  devrions  tous  être  éclairés 
par  les  progrès  de  la  raison  et  les  lumières  de  la 
foi,  ne  comptons-nous  pas  parmi  nous  bien  des 
adorateurs  des  fontaines  et  des  pierres  ?  «  (Des 
mottuments  celtiques,  p.  11.) 

Les  manifestations  de  ce  culte  sont  presque 
toujours  clandestines,  à  moins  qu'elles  ne  soient 
revêtues  d'un  vernis  chrétien,  et  les  paysans  n'en 
parlent  pas  volontiers.  Ce  n'est  en  quelque  sorte 
que  par  surprise  ou  par  des  interrogations  détour- 


pitulaires  sont  donnés  in  extenso  dans  l'appendice  que  M.  Danjou 
de  la  Garenne  a  mis  à  la  suite  de  son  excellent  travail  :  Statisligue 
des  vwnumenis  celtiques  de  l'iirrondissetnent  de  Fougères  (Méra.  de 
la  Société  archéologique  d'Ille-ct- Vilaine,  t.  II,  p.  71-83). 


DE     LA    HAUTE-BRETAGNE  47 

nées  que  l'on  parvient  à  obtenir   d'eux  quelques 
renseignements. 

On  trouvera  ci-après  les  fiuts  que  j'ai  pu  re- 
cueillir personnellement,  et  ceux  que  d'autres 
avant  moi  avaient  empruntés  aux  traditions 
orales. 


§   I.    —    CULTE   DES   PIERRES 

j'ai  cru  pendant  assez  longtemps  que  ce 
[^  culte  n'existait  plus  qu'en  Basse-Bretagne  ; 
mais  cela  tenait  seulement  à  son  caractère 
clandestin.  Ainsi  qu'on  pourra  le  constater  par  ce 
qui  suit,  il  en  subsiste  des  vestiges  notables, 
même  en  pays  gallot,  et  je  suis  sans  doute  loin 
d'être  complet  à  ce  sujet. 

A  Roche-Marie,  près  Saint-Aubin-du-Cormier, 
est  une  allée  couverte  où  jadis  les  filles  qui  étaient 
amoureuses  allaient  se  frotter  ;  elles  avaient 
ensuite  plus  de  chance  pour  se  marier  avec  leurs 
amoureux. 

(Conté  en  1880  par  Joseph  Legendre,  qui  tient  ce  fait  d'un 
bonhomme  Maninais,  de  Saint-Aubin-du-Cormier,  âgé  de  quatre- 
vingts  ans.) 

En  Plouër,  non  loin  du  Pont-Hay,  et  près  de 
la  route  de  Plouër  à  PlesUn,  se  trouve  la  Roche 
de  Lesmon;  elle  est  sur  un  tertre  où  se  voient 
parmi  les  ronces  d'autres  rochers  bruts  en  quartz 
blanc. 

Les  filles  ont  été  de  tout  temps  «  s'érusser  (se 
laisser  glisser)  à  eu  nu  »  sur  la  plus  haute  pierre, 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS         49 


qui  est  un  énorme  bloc  de  quartz  blanc  en  forme 
de  pyramide  arrondie,  d'où  l'on  a  une  vue  superbe' 
sur  toute  la  vallée  de  la  Rance.  De  là  on  aper- 
çoit même  le  mont  Saint-Michel. 

Cette  roche  est  bien  polie,  surtout  du  côté  où 
l'on  s'ènisse.  On  prétend  que  ce  sont  les  filles  de 
Plouër  qui,  en  se  laissant  glisser,  ont  opéré  le  po- 
lissage. Maintenant  encore,  lorsqu'une  fille  veut 
savoir  si  elle  se  mariera  dans  l'année,  elle  se 
laisse  «  érusser  à  eu  nu,  »  et  si  elle  arrive  au  bas 
sans  s'écorcher,  elle  est  assurée  de  trouver  bientôt 
un  mari. 

(Communiqué  par  M.  Jean  Evou,  de  Dinau.) 

«  La  partie  plane  et  inclinée  d'une  pierre  dite 
le  Faix  du  Diable,  en  Mellé,  est  usée  par  toutes 
les  jeunes  filles  qui,  de  temps  immémorial,  sont 
venues  s'y  krier  (glisser  dessus).  Cela,  dit-on, 
porte  chance  pour  aider  à  se  marier.  » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  $7.) 

«  La  Roche  ÉtT/'aH/iJ  (glissante),  en  la  commune 
de  Montault,  est  une  masse  unie  et  polie,  inclinée 
de  45  à  50  degrés  vers  le  sud-ouest,  et  qui,  sur 
un  parcours  de  5  mètres  environ,  oflre  en  trois 
endroits  différents  la  trace  évidente  des  sillons 
qu'y  a  creusés  depuis  bien  des  siècles  l'innom- 
brable quantité  de  personnes  qui  sont  allées  écrier. 
Une  jeune  fille  songe-t-elle  à    se   marier  ?  Elle 

I  4 


50        TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

va  furtivement  s'asseoir  sur  le  sommet  de  la  Pierre 
Ecriame,  puis,  accroupie  et  se  laissant  emporter, 
elle  s'abandonne  à  la  pente,  glissant  rapidement 
jusqu'au  bas.  Elle  dépose  ensuite  sur  la  pierre  un 
petit  morceau  d'étoffe  ou  de  ruban,  puis  se  retire 
le  cœur  content,  mais  craignant  bien  d'être  aper- 
çue, car  la  pierre  seule  doit  savoir  le  secret  de 
son  cœur,  et  l'année  ne  s'écoulera  point  avant 
que  les  cierges  de  la  paroisse  ne  s'allument  pour 
son  mariage.  » 

(Danjou,  p.  58.) 

«  A  Saint  Georges-de-Reintembault,  dans  le 
bois  Mignot,  on  voit  une  pierre  énorme  formant 
un  plan  incliné  de  6  mètres  de  long,  et  connue 
sous  le  nom  de  Roche-Écriante.  Les  jeunes  filles 
vont  se  laisser  glisser  sur  cette  pierre  de  granit, 
qui  en  est  usée  par  ce  long  frottement.  On  a  dès 
lors   une  chance  heureuse  pour  se  marier  vite.  » 

(Danjou,  p.  59.) 

A  la  Tiemblaye,  en  Saint-Samson,  près  Dinan, 
est  un  des  plus  beaux  menhirs  du  pays  ;  on  pré- 
tend dans  le  voisinage  que  si  on  peut  grimper  au 
haut,   on  se  marie  dans  l'année. 

Une  croyance  semblable  existe  en  Normandie  ;  à  Colombiers, 
il  faut  monter  sur  la  pierre,  y  déposer  une  pièce  de  monnaie  et 
sauter  du  haut  en  bas.  Il  y  a  aux  environs  de  Bayeux  deux 
autres  pierres  qui  sont  l'objet  de  vœux  du  même  genre.  (Amélie 
Bosquet,  p.  176.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  >! 


«  M.  de  Montbret,  membre  de  l'Institut,  ayant 
visité  en  1820  un  dolmen  près  de  Guérande, 
trouva  dans  les  fentes  de  cette  pierre  des  flocons 
de  laine  de  couleur  rose  liés  avec  du  clinquant. 
On  lui  dit  dans  le  pays  que  ces  objets  avaient  été 
confiés  à  la  pierre  par  des  jeunes  filles,  dans  l'es- 
poir d'obtenir  la  faveur  d'être  mariées  dans  l'année, 
et  que  ces  dépôts  se  faisaient  toujours  en  cachette 
des  curés.  » 

(De  C.iumont,  Cours  d'antiquités  movuiiietitales,  t.  I,  p.  120.) 

De  là  aussi  vient  par  survivance  l'usage  qui 
existe  encore  en  quelques  pays  de  se  frotter  aux 
statues  des  saints  qui  ont  hérité  de  certaines  attri- 
butions des  monuments  préhistoriques. 

J'ai  entendu  dire  que  des  femmes,  pour  avoir 
des  enfants,  allaient  se  frotter  à  certains  saints  en 
pierre  ou  en  bois,  placés  dans  la  campagne  ;  mais 
je  ne  l'ai  jamais  oui  dire  pour  les  monuments 
mégalithiques. 

(Commuuiqué  par  M.  A.  Orain,  ) 

Jadis  les  mariées  allaient  danser  le  jour  de  leurs  noces  sur  la 
Pierre  à  la  Mariée  de  Graçay.  (Cf.  Martinet,  p.  14.)  Dans  les 
Pyrénées,  plusieurs  pierres  sont  l'objet  d'un  culte  de  la  part  des 
femmes,  qui  leur  demandaient  la  fécondité.  {Bulletins  delà  Société 
i'artihrop.,  3»  série,  t.  II,  p.  167-168.) 

Naguère  encore,  plusieurs  mégalithes  du  Finistère  étaient  en- 
tourés de  pratiques  superstitieuses.  (Cf.  Fréminville,  p.  179.) 

En  1880  a  encore  eu  lieu  autour  d'un  menhir,  non  loin  de 
Camac,  une  cérémonie  singulière.  Des  gens,  mariés  depuis  plu- 


$2         TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


sieurs  années,  et  qui  n'avaient  point  d'enfants,  se  rendirent  au- 
près du  monolithe  au  moment  de  la  pleine  lune.  Ils  se  dépouil- 
lèrent de  leurs  vêtements,  et  le  mari  tournant  autour  du  men- 
hir, poursuivit  la  femme  jusqu'au  moment  où  elle  se  rendit.  Les 
parents  faisaient  le  guet  aux  environs  pour  empocher  les  pro- 
fanes de  venir  troubler  cette  cérémonie  qui,  parait-il,  a  lieu 
quelquefois  encore.  (Communiqué  par  M.  de  Mortillet.) 

En  1874,  le  jour  de  l'assemblée  de  Saint-Samson  en  Landun- 
nevez,  j'ai  vu  des  hommes  se  frotter  à  un  menhir  dont  une  par- 
tie était  usée  ;  ils  agissaient  ainsi  pour  obtenir  de  la  force. 

En  pays  gallot,  je  ne  connais  pas  de  mégalithe 
auquel  on  se  frotte  pour  avoir  de  la  force  ;  mais 
en  certains  endroits  existe  une  coutume  qui  vrai- 
semblablement en  dérive  :  c'est  celle  de  faire  mar- 
cher les  enfants  sur  la  tombe  de  personnages 
réputés  bienheureux.  A  Saint-Caradec,  les  mères 
viennent  exercer  leurs  enfants  à  marcher  sur  la 
tombe  de  Guillaume  Coquil,  recteur,  mort  en 
odeur  de  sainteté  en  1749.  La  même  coutume 
existe  en  pays  bretonnant  à  Lanloup,  où  l'on  fait 
marcher  les  jeunes  enfants  sur  le  tombeau  de 
saint  Mélar  ou  Méloir  (cf.  JolUvet,  t.  I,  362)  ;  à 
Tressigneaux,  près  LanvoUon,  et  en  nombre 
d'autres  lieux. 

«  A  Pluzunet,  dans  la  partie  bretonnante  des  Côtes-du-Nord, 
les  mères  de  famille  qui  ont  des  enfants  faibles  vont  les  rou- 
ler dans  le  lit  de  saint  Idunet  (c'est  une  pierre,  vraisemblable- 
ment naturelle,  dont  le  dessus  est  légèrement  creusé)  et  les  y 
fouetter  avec  un  balai  de  genct  dont  elles  se  servent  ensuite 
pour  balayer  la  pierre.     Elles  sont  convaincues  que  les  enfants 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  53 


ainsi  traités  prennent  de  la  force  pour  marcher  seuls.  »  (Ernoul 
de  la  Chenelière,  p.  34.)  Cf.  aussi  Aymard.  Notes  sur  les  roches 
à  bassins  de  la  Haute-Loire.  Annales  de  la  Société  d'agriculture 
du  Puy,  1859,  p.  346,  347  et  suiv.  Il  s'agit  de  monuments  pré- 
historiques qui  ont  été  placés  sous  l'invocation  de  saints,  et  oii 
l'on  porte  les  enfants  infirmes. 

«  On  voit  sur  les  hauteurs,  proche  le  village 
de  la  Retaudière,  commune  de  Combourtillé, 
un  bloc  de  grès  assez  considérable  auquel  se 
rattache  une  tradition  bizarre  qui  doit  être  fort 
ancienne.  Les  maris  malheureux  y  vont,  dit-on, 
la  nuit,  payer  un  certain  tribut.  Cette  singulière 
légende  a  sans  doute  été  inventée  afin  de  tourner 
en  dérision  ceux  qui  pratiquaient  jadis  un  culte 
nocturne  à  cette  espèce  de  pierre.  Une  modeste 
croix  est    placée  auprès.    » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  47.) 

De  toutes  les  superstitions  qui  se  rattachent 
aux  mégalithes,  celle  des  pierres  à  tonnerre,  ou 
roches  de  tonnerre,  est  la  mieux  conservée,  bien 
qu'elle  ait  une  tendance  à  s'efifacer. 

Sous  le  nom  de  pierres  à  tonnerre  on  comprend 
en  pays  gallot  les  haches  ou  les  couteaux  polis  de 
main  d'homme,  et  aussi  certains  cailloux  ronds  ou 
oblongs  qu'on  trouve  dans  les  champs,  et  que  les 
paysans  croient  être  tombés  du  ciel  au  moment 
des  orages. 

Avec  les  toutes  petites  pierres   à  tonnerre,  on 


54         TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

fait  des  colliers  qu'on  suspend  au  cou  des  enfants  ; 
cela  les  préserve  des  maladies  de  l'enfance,  et  en 
particulier  de  la  râche  et  du  mal  d'j^eux.  Ce  col- 
lier porte  le  nom  de  chapelet  de  saint  François, 
et  vers  1843  ^''^  s'en  servait  encore  aux  environs 
de  Bécherel,  dans  la  commune  des  Ifïs. 

(Conté  en  i88o  par  Joseph  Legendre,  originaire  des  IfFs.) 

Une  note  de  M.  de  Closmadeuc  parle  d'une 
amulette  du  Morbihan  assez  semblable,  mais  qui 
semble  purement  païenne.  «  Le  gougad-patereu,  en 
usage  anciennement  dans  quelques  paroisses  du 
centre  du  Morbihan,  est  un  collier-talisman  com- 
posé de  grains  de  diverses  matières,  au  nombre 
desquels  dominent  les  grains  d'ambre  jaune  et  les 
pierres  polies;  l'usage  s'en  perd  chaque  jour... 
Tout  porte  à  croire  que  les  gougad-patereu  ont 
succédé  aux  colliers  de  pierres  de  couleur  que 
l'on  a  exhumés  récemment  des  tombeaux  dits 
celtiques.  » 

(^Rciue  arcliiologiipie,  décembre  i86;,  p.  433-57.) 

Mais  la  propriété  la  plus  reconnue  de  ces  pier- 
res est,  ainsi  que  leur  nom  l'indique,  de  préserver 
de  la  foudre.  Cette  superstition  se  retrouve  à  peu 
près  dans  le  monde  entier. 

Cf.  Matériaux  pour  servir  à  l'histoire  tic  l'homme,  t.  I,  p.  137 
(Espagne,  Italie,  Brésil,  Java,  Malaisie),  221  (Ecosse)  ;  t.  Il, 
p.  93  (Puy-de-Dôme),  131  (Saône  -  et  -  Loire),  15}  et  268 
(Aveyron),  etc. 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  55 

Voici  ce  que  j'ai  pu  recueillir  jusqu'à  présent, 
en  Haute-Bretagne,    sur  les  pierres  à  tonnerre  : 

En  mettant  dans  son  chapeau  ou  dans  sa  po- 
che des  pierres  de  tonnerre,  on  n'a  rien  à  crain- 
dre pendant  les  orages.  Les  pierres  à  tonnerre 
ne  peuvent  s'entre-souffrir,  et  celle  qui  se  trou- 
verait dans  le   nuage  tomberait  à  côté. 

(Conté  par  J.  Legendre,  de  Saiin-Brieuc  des  IfFs,  en  1880.) 

Jadis  il  y  avait  beaucoup  de  gens  qui  mettaient 
des  pierres  à  tonnerre  dans  leurs  poches  quand 
le  temps  était  à  l'orage  ;  et  s'il  tonnait,  ils  réci- 
taient une  oraison  en  l'honneur  de  la  pierre.  En 
voici  une  qui  parfois  se  dit  encore  : 

Pierre,  pierre, 

Garde-moi  du  tonnerre.  (S.-C.)  (i). 

Ailleurs,  voici  ce  qu'on  dit  : 

Sainte  Barbe,  sainte  Fleur, 

A  la  croix  de  mon  Sauveur, 

Quand  le  tonnerre  grondera, 

Sainte  Barbe  me  gardera  ; 

Par  la  vertu  de  cette  pierre, 

Que  je  sois  gardé  du  tonnerre.  (E.) 

Cette  prière,  qui  tombe  en  désuétude,  présente 
deux  faits  assez  curieux  :  sainte  Fleur,  c'est  vrai- 

(i)  Abréviations  :  S.-C.  Saint-Cast  ;  M.  Matignon  ;  D.  Dinan  ; 
P.  Penguily  ;  S.-D.  Saint-Donan  ;  T.  Tréveneuc  (Côtes-du- 
Nord)  ;  E.  Ercé  près  LifFré  (Ille-et- Vilaine). 


56         TRADITIONS    ET     SUPERSTITIONS 

semblablement  l'épine  blanche,  —  qui  passe  pour 
préserver  du  tonnerre,  —  et  qui  peu  à  peu  sera 
devenue  une  sainte.  La  fin,  qui  se  récite  en  ayant 
sur  soi  une  pierre  à  tonnerre,  montre  une  supers- 
tition préhistorique  soudée  à  une  prière  catholique. 

On  met  des  pierres  à  tonnerre  sur  les  fenêtres 
des  maisons  ou  dans  un  trou  du  mur,  pour  pré- 
server les  habitants  du  tonnerre.  (E.) 

Jadis  on  plaçait  des  pierres  à  tonnerre  dans 
les  fondations  des  maisons  et  inême  des  églises  ; 
c'était  pour  présers-er  ces  édifices  du  tonnerre.  En 
démolissant,  il  y  a  quelques  années,  l'église  de 
Trévron,  près  Dinan,  on  trouva  une  hache  en 
diorite.  Dans  les  murs  de  l'ancienne  école  mu- 
tuelle, qui  datait  du  X Ville  siècle,  on  trouva  une 
pointe  en  quartzite  non  polie,  du  type  de  la  Gan- 
terie, en  Saint-Hélen  ;  en  1880,  en  démolissant 
une  maison,  aussi  à  Dinan,  on  a  trouvé  dans  les 
fondations  une  pointe  en  quartzite  du  même  type. 

Je  ne  connais  pas  d'exemple  contemporain  de 
pierre  mise  dans  la  maçonnerie  des  édifices  pour 
les  préserver  de  la  foudre  ;  mais  je  ne  serais  pas 
surpris  cependant  que  cela  se  fasse  encore. 

Cartailhac,  VJge  de  pierre,  p.  73,  parle  d'une  découverte  faite 
par  un  archéologue  de  Bordeaux,  M.  de  Chasteigner,  qui  trouva 
de  nombreux  silex  polis  «  en  faisant  quelques  fouilles  sous  le 
seuil  de  plusieurs  métairies  en  reconstruction  dans  la  vallée  infé- 
rieure de  la  Garonne.  » 

Une  note  de  M.  Desaivre,  dans  Souche,  p.  17,  rapporte,  sans 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  57 


doute  d'après  des  observations  personnelles  ou  communiquées, 
qu'en  Bretagne  on  rencontre  souvent  des  haches  celtiques  dans 
les  fondations  des  maisons  ;  on  croit  qu'elles  y  ont  été  mises 
pour  détourner  la  foudre. 

D'autres  usages,  qui  dérivent  vraisemblablement 
des  croyances  relatives  aux  pierres  protectrices, 
subsistent  encore.  Dans  le  fond  des  charniers  A 
lard,  on  met  un  clou  pour  empêcher  le  lard  de 
tourner.  On  place  aussi  un  clou  dans  le  fond  du 
nid  des  oiseaux,  pour  que  l'orage  ne  puisse  leur 
nuire.  (E.,  D.) 

Jusqu'à  présent,  je  n'ai  rien  recueilli  au  sujet 
des  pointes  en  silex  ou  en  quartzite  taillées  par 
éclatement,  qui  sont  pourtant  assez  communes  en 
certains  pays  de  la  Haute-Bretagne.  Elles  ne  por- 
tent pas  de  noms  particuliers,  et  les  paysans  aux- 
quels j'ai  demandé  si  on  les  appelait,  comme  en 
Angleterre,  fèches  des  fées,  m'ont  répondu  qu'ils 
ne  les  avaient  jamais  ouï  nommer  ainsi. 

Sur  le  culte  des  pierres  en  général,  on  trouvera  de  curieux 
renseignements  dans  Csin^iïha.c,  V Age  de  pierre;  Jolly,  VHomme 
avant  les  métaux;  Evans,  les  Ages  de  la  pierre;  Tylor,  Civilisation 
primitive,  etc. 

On  peut  aussi  consulter,  outre  les  ouvrages  cités  et  ceux  aux- 
quels j'ai  fait  des  références,  les  monographies  suivantes  :  Sacaze, 
Le  culif  des  pierres  dans  le  pays  de  Luchon,  Association  française, 
7*  session,  p.  900  et  suiv.  ;  Bleicher  et  Faudel,  Matériaux  pour 
une  étude  préhistorique  de  l'Alsace,  Colmar,  1878,  p.  83  et  suiv., 
et  le  précieux  recueil  intitulé  :  Matériaux  pour  servir  à  l'histoire  de 
l'homme,  publié  par  MM.  de  Mortillet,  Cartailhac  et  Chantre. 


ftiA  <tiA  iXU.  f\i-l.  •.'tlA  tTlA  rt^  <ti>.  CiA  <tlA  ttlA  CiA  ftiA 


§  II.    —   CULTE   DES   ARBRES 

jL  est  moins  répandu  et  moins  caractérisé 
que  celui  des  pierres  ;  il  y  a  pourtant  en 
pays  gallot  plusieurs  arbres  qui  sont  véné- 
rés :  les  uns  sont  ornés  d'une  statuette  de  la 
Vierge  ou  des  saints  ;  d'autres  n'ont  aucun 
emblème  chrétien. 

Auprès  d'une  fontaine  dédiée  à  saint  Roux,  et 
qui  est  située  dans  la  forêt  de  Retmes,  s'élevait 
jadis  un  chêne  séculaire.  Il  fut  abattu  ;  mais  celui 
qui  le  jeta  par  terre  eut  toujours  depuis  un  trem- 
blement dans  les  membres  :  c'était  un  arhre  qu'on 
ne  devait  pas  abattre. 

(Conté  en  1880  par  Zoé  Ledy,  d'Ercé.) 

«  Le  chêne  au  Vendeur,  encore  existant  dans 
la  forêt  de  Caulon,  en  Brocéliande,  fut  longtemps 
témoin  des  ventes,  comme  ses  prédécesseurs 
étaient  témoins  des  sacrifices.  Ce  grand  arbre  est 
un  objet  de  vénération.  »  (Baron  Dutaya,  Brocé- 
liande, p.  14.)  En  1867,  il  a  été  incendié  en 
partie. 

«  Dans  la  forêt  de  Gâvre  se  voit  aussi  le  chêne 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS         59 


au  Duc,  arbre  vénéré,  qui  passe  pour  être  âgé  de 
douze  siècles.  »  (Joanne.) 

«  Près  du  village  de  Mont-Fromerie,  en  la 
Chapelle-Janson,  l'on  voyait  encore,  il  y  a  peu 
d'années,  un  chêne  d'une  très-grande  vieillesse, 
X  en  juger  par  sa  tête  chauve  et  le  volume  de 
son  tronc  entièrement  creux.  Il  était  connu  sous 
le  nom  de  Chêne  des  Prières,  et  l'on  y  venait  de 
fort  loin  en  pèlerinage,  pour  tâcher  de  recouvrer 
la  santé.  Il  était  surtout  réputé  pour  guérir  les 
fièvres.  Pour  cela  il  suffisait  de  lui  enlever  un 
petit  morceau  de  son  écorce  rugueuse,  et,  après  y 
avoir  tracé  une  croix,  y  faire  dévotement  une 
prière.  Il  est  enfin  tombé  de  vétusté.  Cette  véné- 
ration pour  les  arbres,  reste  de  l'ancien  culte, 
s'est  encore  conservée  dans  le  pays.  Pour  détour- 
ner les  fidèles  de  cette  idolâtrie,  les  ministres  de 
l'Évangile  les  avaient  sanctifiés  en  y  plaçant  les 
images  des  saints,  et  l'on  voit  encore  fréquem- 
ment, aux  environs  de  Fougères,  clouée  dans  une 
sorte  de  niche  sur  le  tronc  des  vieux  chênes,  une 
statue  de  la  sainte  Vierge.  » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  42.) 

«  Sur  le  Tertre-Alix,  près  du  bois  deMonthorin, 
en  Louvigné-du-Désert,  est  un  petit  oratoire 
qu'ombrage  un  chêne  séculaire,  en  vénération 
pour  guérir  les  fièvres.  Pour  cela  il  suffit  de  pren- 


60        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

dre  un  morceau  de  son  écorce.  Aussi,  se  trouve- 
t-elle  constamment  couverte  de  ces  sortes  de 
mutilations.  Non  loin  de  là  est  une  roche  hantée 
par  les  fées.  » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  JJ.) 

«  Dans  la  commune  de  Saint-Pern,  près  Bécherel 
(Ille-et- Vilaine),  il  existe,  non  loin  des  ruines  du 
château  de  Ligouyer,  un  arbre  antique  qui  attire 
les  jeunes  filles,  auxquelles  le  seul  contact  de  son 
écorce  a  la  vertu  de  procurer  des  maris.  » 

(Communiqué  par  M.  Lucien  Decombe.) 

«  La  chapelle  du  Tertre-Alix,  à  l'entrée  du 
bois  de  Monthorin,  en  Louvigné-du-Désert,  doit 
remonter  à  une  très-haute  antiquité,  si  l'on  en 
juge  parle  tronc  du  vieux  chêne  auquel  elle  est 
adossée.  S'il  faut  en  croire  la  tradition,  un  sei- 
gneur du  pays,  nommé  Alix,  aurait,  dans  une  par- 
tie de  chasse,  tué  involontairement  un  de  ses 
amis.  Dans  son  désespoir,  il  se  serait  adressé  à 
un  saint  ermite  qui  habitait  la  forêt  de  Fougères, 
et  qui  lui  aurait  donné  le  conseil  de  se  retirer  du 
monde,  et  de  passer  le  reste  de  ses  jours  dans  la 
retraite.  D'après  ce  conseil,  Alix  aurait  fait  cons- 
truire le  petit  oratoire  dont  nous  parlons  au  pied 
du  dernier  chêne  de  la  forêt,  et  aurait  vécu  jus- 
qu'à sa  mort  dans  les  exercices  de  la  prière  et  de 
la  pénitence. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  6l 

«  L'ccorce  de  ce  chêne  est  réputée  dans  les 
campagnes  comme  étant  douée  d'une  grande 
vertu  fébrifuge,  et  c'est  à  cette  croyance  que  cet 
arbre,  plusieurs  fois  séculaire,  est  redevable  des 
nombreuses  mutilations  dont  il  porte  les  traces.  » 

(^ItUufiWé,  Notice  sur  Lotivigné  (Mêm.  Soc.  arch.  d'IUc-ei-Vilame, 

t.  XI.-) 

Cf.  sur  les  arbres  populaires  en  Normandie  :  A.  Bosquet, 
p.  19-;  en  Berry,  cf.  Laisnel  de  la  Salle,  I,  162;  vieil  orme 
hanté,  p.   163. 

Le  chêne  rosî  de  la  forêt  de  Loudéac  était 
placé  au  milieu  d'un  carrefour  où  avaient  lieu 
des  rendez-vous  de  chasse. 

Un  jour  un  jeune  homme  des  environs  de  la 
forêt  promit  à  une  jeune  fille  de  l'épouser  et  de 
lui  faire  cadeau  d'une  paire  de  beaux  souliers  s\ 
elle  consentait  à  aller  à  minuit  crier  quelque  chose 
sous  le  chêne  rosé.  La  jeune  fille,  qui  n'était  pas 
peureuse  et  avait  sans  doute  envie  de  se  marier, 
alla  au  carrefour.  Le  lendemain,  au  pied  du  chêne 
rosé,  on  trouva  sa  coiffe  tachée  d'une  goutte  de 
sang  et  sa  paire  de  sabots.  Depuis,  on  ne  l'a 
jamais  revue;  mais  on  assure  que  parfois,  en 
plein  midi,  on  entend  sortir  du  chêne  une  voix 
qui  crie  : 

Rends-moi  mes  souliers  ! 
Rends-moi  mes  souliers  ! 

(Communiqué  par  M.  E.  Hamonic.) 


62         TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

Au  village  de  la  Lande,  près  Saints  ou  Sains, 
canton  de  Pleine-Fougères,  à  quatre  kilomètres 
de  la  mer,  se  voient  deux  arbres  de  la  liberté 
plantés  en  1789.  Ces  deux  superbes  chênes,  soignés 
depuis  cette  époque  mémorable  par  la  famille 
Drouin,  sont  sous  la  garde  des  habitants  du 
village.  L'étranger  qui  toucherait  à  ces  chênes, 
sacrés  pour  tous  les  habitants  de  ce  village,  aurait 
assurément  à  s'en  repentir.  Quand,  dans  les  temps 
d'élections,  des  jeunes  gens  viennent  demander 
aux  frères  Drouin  ce  qu'ils  doivent  voter.  —  Re- 
gardez les  chênes!  leur  est-il  répondu.  Ils  savent 
ce  que  cela  veut  dire,  et  ils  votent  bien. 

Lorsque  nous  fûmes  les  visiter,  un  habitant  du 
pays  nous  disait  :  La  Lande  de  Montamblet,  oîi 
sont  les  chênes,  est  un  lieu  vénéré  des  répubhcains 
du  pays  et  des  environs;  on  va  là  s'asseoir  à 
l'ombre  de  leurs  grandes  branches,  causer  des 
affaires  de  la  France,  de  nos  pères  de  1789;  on  se 
serre  cordialement  la  main  avant  de  se  séparer  en 
se  disant  :  N'oublions  jamais  les  chênes  ! 

(Lettre  écrite  en  1876  par  M.  A.  Grout,  de  Saiut-Malo.) 

Je  ne  connais  pas  d'autre  exemple  d'arbre  de  la  liberté  qui  soit 
en  Haute-Bretagne  l'objet  d'une  sorte  de  culte.  Celui-ci  m'a 
paru  intéressant  à  noter. 

Quelques  arbres  passent  pour  avoir  des  vertus 
curatives  ou  prophylactiques,  non  à  cause  de  leur 


DK     LA     HAUTE-BRETAGME  63 

grosseur  ou  de  leur  ancienneté,  mais  simplement 
en  raison  de  leur  espèce. 

Parmi  ces  derniers,  on  peut  placer  en  première 
ligne  l'épine  blanche.  Elle  préserve  de  la  foudre, 
et  l'on  prétend  que  lorsqu'il  tonne  il  faut  se 
réfugier  dessous.  Elle  doit,  dit-on,  ce  privilège  à 
l'honneur  qu'elle  a  eu  de  fournir  la  couronne 
d'épines  dont  fut  couronné  Jésus.  (S.-C,  E.) 

Quand  les  vaches  ont  des  pourritures  aux  pieds, 
il  faut  les  conduire,  avant  le  lever  du  soleil,  de- 
vant une  épine  blanche.  Une  de  mes  fermières 
m'assurait  dernièrement  que  cela  seul  avait  guéri 
ses  vaches,  qui  auparavant  avaient  sans  succès  été 
médicamentées  de  toutes  les  fiiçons.  (Plénée- 
Jugon.) 

Les  colliers  de  chêne  mis  au  cou  des  vaches  les 
préservent  de  la  cocotte.  (E.) 

Le  sureau  préserve  des  maléfices.  (E.,  S.-C.) 

Quand  un  enfant  est  faible,  on  prend  des  feuilles 
de  bouleau  ;  on  les  met  à  dessécher  dans  le  four, 
puis  on  les  place  dans  le  berceau  de  l'enflint,  qui 
ne  tarde  pas  à  reprendre  des  forces.  (E.) 

Le  gui  qui  croît  sur  l'épine  blanche  fait  passer 
la  fièvre  ;  le  gui  mélangé  à  la  nourriture  des  chè- 
vres et  des  vaches  leur  fait  donner   du  lait.   (E.) 

Cf.  Piine^  cite  par  Gaiuoz,  h  Gui,  p.  8. 

Vers     Bi.guer-Morvan ,     Baguer-Picun ,     Plcr- 


64        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

guer,  etc.,  l'épine  blanche,  quand  elle  se  présente 
isolée  et  au  bord  d'un  chemin,  est  l'objet  d'une 
sorte  de  culte  superstitieux.  J'ai  vu  dans  mon  en- 
fance des  paysans  dont  la  vache  ou  le  cheval  boitait 
accidentellement,  ou  par  une  cause  quelconque, 
tailler  dans  le  chemin  le  «  pas  »  de  la  bête,  enlever 
la  motte  et  la  déposer  sans  la  rompre  dans  l'é- 
pine. Ils  étaient  convaincus  que  l'animal  serait 
guéri  avant  que  la  motte  fût  séchée,  ou  dissoute 
par  le  vent,  ou  décomposée  par  la  pluie,  de  ma- 
nière à  tomber  d'elle-même.  Je  ne  les  ai  point  vus 
recourir  à  ce  procédé  pour  la  guérison  des  per- 
sonnes. 

(Commuiiiqud-  par  M.  B.  Robidou.) 


'œs*©^^©^©®©^ 


§  m.   —   CULTE  DES  FONTAINES 

lEAUCOUP  de  fontaines  sont  l'objet  d'un 
culte  superstitieux  qui  vraisemblablement 
a  succédé  à  un  culte  plus  ancien. 
«  De  l'usage  que  les  druides  faisaient  de  l'eau 
des  différentes  sources  est  venu  le  culte  que  les 
Bretons  ont  si  longtemps  rendu  aux  fontaines... 
Lors  de  l'établissement  du  christianisme,  les  prê- 
tres les  consacrèrent  à  Dieu,  sous  l'invocation  de 
la  Vierge  ou  de  quelque  saint,  afin  que  ces 
hommes  grossiers,  frappés  par  ces  effigies,  s'ac- 
coutumassent insensiblement  à  rendre  à  Dieu  et 
à  ses  saints  l'hommage  qu'ils  adressaient  aupara- 
vant aux  fontaines  elles-mêmes.  Telle  est  l'ori- 
gine des  niches  pratiquées  dans  la  maçonnerie  de 
presque  toutes  les  fontaines,  niches  dans  lesquel- 
les on  a  placé  la  statue  du  saint  qui  donne  son 
nom  à  la  source.  C'est  pour  parvenir  au  même 
but  que  le  clergé  fit  ériger  à  la  même  époque 
des  chapelles  dans  les  lieux  consacrés  à  la  religion 
ou  au  culte...  Quoi  qu'il  en  soit,  les  paysans  bre- 
tons (et  gallots)  ont  encore  à  présent  une  grande 
vénération  pour  certaines  fontaines.  » 

(Habasque,  t.  I,  p.  17.) 

I  S 


66         TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

A  Saint-Germain-de-la-Mer,  en  la  commune 
de  Matignon,  est  une  fontaine  où  on  lave  les 
enfants  pour  les  préserver  des  tranchées. 

A  Saint-Jean-Pierre-Fixte  est  une  fontaine  objet  d'un  culte 
analogue. 

(Joanne,  p.    298;  A.  S.  Morin,  p.  iS-20.) 

Dans  celle  de  Saint- David,  en  Landébia,  près 
Plancoët,  on  plonge  les  jeunes  enfants  pour  leur 
donner  des  forces.  «  A  Radenac  (Morbihan  fran- 
çais) est  la  fontaine  de  Saint-Armel  ;  on  y  porte 
les  enfants  qui  commencent  à  marcher,  afin  que, 
par  la  vertu  de  ses  eaux,  ils  obtiennent  de  se  tenir 
solidement  debout.  » 

(Ogée,  art.  Radenac.') 

En  la  commune  de  Gausson  (Côtes-du-Nord) 
est  une  fontaine  dédiée  à  saint  Nicolas  ;  on  y 
plonge  les  enfants  qui  ne  marchent  pas  de  bonne 
heure. 

Cf.  des  usages  analogues  en  Eure-et-Loir  (A.  S.  Morin,  le 
Prêtre,  p.  17), 

En  sortant  de  Baud  par  la  route  de  Rennes,  à  gauche,  oa 
trouve  une  fontaine  où  les  pèlerins,  après  avoir  adressé  leurs 
prières  k  Notre-Dame-de-Clarté,  vont  se  laver  les  yeux.  Ils 
boivent  ensuite  un  peu  de  l'eau  de  cette  fontaine,  puis  s'en 
jettent  dans  les  manches.  Un  peu  plus  loin,  à  droite,  est  une 
autre  fontaine  dédiée  à  saint  Mamers.  Les  mères  vont  y  faire 
tremper  les  chemises  et  les  vêtements  de  leurs  enfants,  quand  ils 
ont  des  coliques.  Enfin,  au  milieu  de  la  chapelle  Saint-Adrien, 
il   y   a   un  trou  dans    lequel  sont  plusieurs   cailloux.    Fendant 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  67 


toute  la  journée  de  la  fête  patronale,  les  femmes  vont  se  frotter 
le  ventre  avec  ces  cailloux,  puis  vont  boire  de  l'eau  d'une  fon- 
taine voisine.  Cette  cérémonie  a  pour  but  de  les  garantir  de  la 
colique.  (Ogée,  2'  édit.) 

«  Tout  près  du  bourg  de  la  Chapelle-Janson 
coule  une  fontaine  d'une  eau  pure  et  limpide,  qui 
sans  doute  a  dû  avoir  été  l'objet  d'un  culte  parti- 
culier. Elle  est  encore  renommée  par  mille  pré- 
cieuses qualités.  Elle  porte  le  nom  de  saint  Lezin, 
patron  de  la  paroisse.  N'y  peut-on  pas  voir 
aussi  un  vestige  du  culte  des  fontaines?  » 

(Danjou  de  la  Garenne,  p.  43.) 

Commune  de  Chevaigné,  canton  de  Saint- 
Aubin -d'Aubigné,  arrondissement  de  Rennes,  au 
village  de  la  Cabochais,  existe  une  fontaine  sous 
l'invocation  de  saint  Morand,  je  crois  (les  paysans 
disent  saint  Mâron).  Ses  eaux  guérissent  de  la  fiè- 
vre; mais  on  doit  s'y  rendre  à  jeun,  et  sans  par- 
ler. Il  y  a  une  vingtaine  d'années  à  peine,  on  y 
jetait  encore  de  la  menue  monnaie,  des  liards  ou 
des  centimes.  Aujourd'hui,  on  a  placé  un  tronc 
pour  recevoir  les  offrandes  des  pèlerins. 

(Communiqué  par  M.  Lucien  Decombe.) 

Dans  l'Yonne  (cf.  Salmon,  Dict.  archéologique  de  l'Yonne, 
p.  257,  278)  existent  encore  des  fontaines  qui  sont  l'objet  d'un 
culte,  et  M.  Martinet,  le  Berry  préhistorique,  a  relevé  en  ce  pays 
près  de  cinquante  fontaines  sacrées. 

«  A  la  chapelle  de  Notre-Darae-de-Gavrain,  en 


68         TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

Renac,  est  uiîe  fontaine,  but  de   pèlerinage  pour 
les  fiévreux.  » 

(GuiUotin  de  Corson.) 

«  Sur  les  bords  de  la  forêt  de  Brocéliande,  dans 
le  voisinage  de  Gaël,  saint  Méen  fit  jaillir  du  sein 
d'une  terre  aride  la  source  miraculeuse  encore 
aujourd'hui  vénérée.  Elle  est  d'un  grand  renom 
pour  la  guérison  d'une  lèpre  qui  couvre  la  tête 
des  enfants  au  berceau.  » 

(Baron  Dutaya,  Brocéliande,  p.  64.) 

A  Gaël  est  une  fontaine  (je  ne  sais  si  c'est  la 
même)  dont  l'eau  guérit  de  la  rage. 

«  A  Loutehel,  la  fontaine  de  Saint- Armel  est 
très-vénérée  ;  les  habitants  prétendent  que  c'est  le 
saint  qui  fit  jaillir  cette  fontaine.  » 

(GulUotin  de  Corson,  Soc.  ant.  d'Ille-et-Vilaine,  t.  VIII,  p.  94.) 

«  A  une  époque  qui  n'est  pas  connue,  les 
moines  de  Saint-Melaine  de  Rennes  fondèrent, 
auprès  d'une  source  d'eau  vive,  un  oratoire  sous 
l'invocation  de  saint  Avit,  abbé  de  Micy,  près 
Orléans,  mort  vers  5  50.  On  rapporte  que  saint 
Avit,  pendant  sa  vie,  avait  rendu  la  parole  à  ua 
enfant  qui  était  devenu  muet.  La  statue,  et  peut- 
être  quelques-unes  de  ses  reliques  placées  dans 
cet  endroit,  firent  bientôt  naître  un  pèlerinage. 
De  tous  les  alentours  on  apporta  les  enfants  qui 
avaient  quelques  infirmités,  pour  les  présenter  au 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  69 

saint.  Depuis  ce  temps,  ce  pèlerinage  a  continué, 
et  aujourd'hui  il  est  encore  dans  toute  sa  vigueur. 
Il  a  lieu  le  lundi  de  la  Pentecôte.  La  statue  du 
saint  était  jadis  exposée  auprès  de  la  fontaine  ; 
mais  cet  usage  a  cessé,  et  aujourd'hui  le  pèlerinage 
a  lieu  dans  l'église.  » 

(Ogée,  art.  VHermitage.) 

La  fontaine  de  Saint-Évent  en  La  Malhoure, 
canton  de  Lamballe,  passe  pour  guérir  de  la  coli- 
que et  de  la  teigne  ;  au-dessus  de  la  fontaine  sont 
suspendues  comme  ex-voto  plusieurs  bonnets 
d'enfants  qui  ont  été  guéris  par  la  vertu  de  ses 
eaux. 

«  A  Saint-Aignan  et  dans  les  environs,  quand 
une  personne  est  malade  de  la  teigne,  on  ne  lui 
fait  prendre  que  des  aliments  trempés  dans  les 
eaux  du  lac  de  Grandlieu,  et  l'on  couvre  sa  tête 
de  linges  imbibés  aussi  de  ces  eaux.  » 

(Ogée,  art.  Saint-Aignan.') 

A  Monterfil,  arrondissement  de  Montfort, 
fontaine  Saint-Genou,  on  y  va  en  pèlerinage. 
Autrefois  on  jetait  de  la  monnaie  dans  la  fon- 
taine ;  il  y  a  un  tronc  maintenant  pour  y  dé- 
poser les  offrandes. 

(Communiqué  par  M.  L.  Decombe.) 

«  L'église  de  Besné  (Loire-Inférieure),  la  cha- 
pelle de  Saint-Second,  sa  fontaine  et  le  petit  dol- 


70        TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

men  de  Pùrre-à-Berte,  sont  l'objet   de  fréquents 
pèlerinages.  » 

(Jeanne,  p.  568.) 

On  jette  des  épingles  dans  la  fontaine  de 
Saint-Goustan,  près  le  Croisic,  pour  savoir  si  on 
se  mariera  dans  l'année. 

(Communiqué  par  M.  Bézier.) 

Le  même  usage  existe  sur  beaucoup  d'autres 
points  de  la  Haute-Bretagne.  Dans  les  Côtes-du- 
Nord,  si  on  jette  une  épingle  dans  une  fontaine 
et  qu'elle  descende  au  fond  sans  faire  de  tourbil- 
lon, on  se  mariera  prochainement. 

Cf.  Souche,  p  24  (Poitou)  ;  Joanne  (Vosges,  Alsace),  p.  96, 
fontaine  de  Sainte-Sabine. 

Commune  de  Domloup,  canton  de  Châteaugi- 
ron,  il  y  a  une  fontaine  où  l'on  se  rend  en  pèle- 
rinage. Elle  s'appelle,  je  crois,  fontaine  Saint- 
Loup. 

Commune  de  Saint-Armel,  canton  de  Château- 
giron,  il  y  a  non  loin  du  bourg  une  fontaine  que 
saint  Armel,  dit  la  tradition,  fit  jaiUir  de  terre  en 
une  année  de  sécheresse.  Une  statue  du  saint  est 
placée  dans  le  mur  de  cette  fontaine.  Du  i6  août 
au  8  septembre  on  y  va  en  pèlerinage  par  un 
mauvais  chemin  qu'on  appelle  le  Chemin-Pavé. 

(Communiqué  par  M.  L.  Decombe.) 

«  Les  pèlerins  qui   viennent   à  Saint-Lormel, 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  7I 

près  Plancoët,  invoquer  saint  Lunaire  pour  lagué- 
rison  des  yeux,  se  lavent  la  partie  malade  avec 
l'eau  d'un  puits  placé  sous  la  chaire.  » 

(Ogée,  art.  Sainl-Lormel.) 

Au  Quiou,  canton  d'Evran,  saint  Lunaire  est 
aussi  invoqué  contre  les  maux  d'yeux.  La  spécialité 
de  ce  saint  vient  vraisemblablement  d'un  calem- 
bour entre  Lunaire  et  Lunette. 

«  La  fontaine  de  Sainte-Eugénie  est  en  grande 
vénération,  et  chaque  année,  le  second  dimanche 
de  mai,  jour  de  l'assemblée  de  Morieux,  les 
paysans  des  communes  environnantes  se  rendent 
en  foule  à  la  fontaine,  où  ils  jettent  force  épin- 
gles. Ils  ont  une  grande  confiance  à  sainte  Eugé- 
nie, ou,  comme  ils  disent,  à  sainte  Ujane.  On  y 
va  en  pèlerinage  pour  les  maux  de  tête,  et  l'on  y 
allume  des  bougies  dont  on  s'est  auparavant 
entouré  le  chef.  » 

(Habasque,  t.  III,  p.  7-8.) 

La  fontaine  de  Saint-Lunaire,  au  bourg  du 
même  nom,  est  aussi  un  lieu  de  pèlerinage  pour 
la  guérison  des  maux  d'yeux. 

«  Les  mères  viennent  au  pardon  de  Tréhoren- 
teuc  (Morbihan),  et  versent  sur  les  paupières 
enflammées  des  enfants  malades  quelques  gouttes 
de  l'eau  pure  de  la  fontaine  de  Sainte-Ouenna.  » 

(Baron  Dutaya,  Brocéliande,  p.  66.) 


72         TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

On  va  en  procession  à  la  fontaine  Sainte- Anne, 
près  Gevezé  (Ille-et-Vilaine),  pour  avoir  de  la 
pluie,  et  on  plonge  dans  l'eau  le  pied  de  la  croix. 

(Communiqué  par  M,  Bézier.) 

Jadis  on  faisait  la  même  chose  à  la  fontaine  Saint-Martin, 
près  Niort,  et  à  la  fontaine  de  Saint-Gré,  en  Champ-Saint-Père 
(Vendée),  près  de  laquelle  s'élevait  jadis  un  menhir  (Desaivre, 
Croyances,  p.  7);  en  Eure-et-Loir,  en  1870,  une  procession 
plongea  la  croix  dans  la  fontaine  de  Champrond.  (Cf.  Â.  S. 
Morin,  p.  99.) 

«  Dans  l'ancienne  lande  de  Thélin,  commune 
de  Plélan  (Ille-et-Vilaine),  existe  la  fontaine  de 
Bodine,  où  les  Thélandays  élisaient  chaque  année 
les  deux  préfets  qui  administraient  leur  petite 
république.  » 

(Ogée,  2'  édition.) 

En  pays  bretonnant,  le  culte  des  fontaines  est  encore  plus  ré- 
pandu et  plus  populaire  ;  il  n'est  guère  de  canton,  je  pourrais 
presque  dire  de  commune,  qui  n'ait  sa  fontaine  miraculeuse, 
but  de  nombreux  pèlerinages. 

On  peut  consulter  à  leur  sujet,  outre  les  guides  et  les  géo- 
graphies, une  curieuse  communication  faite  par  M.  Lejean  à 
l'Association  bretonne,  et  publiée  dans  le  Bulletin  archéologique  àe 
cette  société,  t.  III,  1851,  p<  '«»  et  suiv. 


CHAPITRE   III 

LES    FÉES 


fn  Haute-Bretagne,  on  parle  très-souvent 
des  fées.  Outre  les  légendes  nombreuses 
u'on  raconte  à  leur  sujet,  plusieurs  pro- 
verbes où  elles  figurent  sont  restés  dans  la 
conversation  courante  ;  on  dit  :  «  Blanc  comme 
le  linge  des  fées,  »  pour  désigner  du  linge  d'une 
blancheur  éclatante;  «Belle  comme  une  fée,  » 
pour  exprimer  une  beauté  surhumaine. 

Elles  se  nomment  généralement  Fées,  parfois 
Fêtes,  nom  plus  voisin  que  fée  du  latin  fata\  on 
dit  une  Fête  et  un  Fête  (i)  ;  de  Fête  dérive  vrai- 
semblablement Failo  ou  Faitaud,  qui  est  le  nom 
que  portent  les  pères,   les  maris  ou  les    enfants 

(i)  Le  similaire  Fé  existe  en  Normandie,  surtout  aux  environs 
d'Argentan,  d'après  A.  Bosquet,  qui  raconte  sous  le  titre  du  Fi 
ou  le  Lutin  amoureux,  p.  130-131,  une  ancienne  légende. 


74         TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

des  fées  (Saint-Cast).  Vers  Saint-Briac  (Ille-et- 
Vilaine),  on  les  appelle  parfois  des  Fions  ;  ce  terme, 
qui  s'applique  aux  deux  sexes,  semble  aussi  dési- 
gner les  lutins  espiègles. 

Vers  le  Mené,  dans  les  cantons  de  Collinée  et 
de  Moncontour,  on  les  appelle  des  Margot  la  Fée, 
ou  ma  commère  Margot,  ou  bien  la  bonne  femme 
Margot. 

Sur  les  côtes,  on  les  désigne  assez  souvent 
sous  le  nom  de  bonnes  dames  ou  de  nos  tonnes 
mères  les  fées  ;  en  général  on  parle  d'elles  avec 
certains  égards. 

En  Berry  (cf.  Laisnel,  t.  I,  p.  115)»  °^  leur  donne  aussi  le 
nom  de  bonnes  clames  ;  en  dehors  de  France,  elles  sont  fréquem- 
ment désignées  sous  un  vocable  analogue. 

Les  fées  étaient  de  belles  personnes.  Il  y  en 
avait  toutefois  des  vieilles  qui  paraissaient  avoir 
plusieurs  centaines  d'années  ;  quelques-unes 
avaient  les  dents  longues  comme  la  main,  ou  leur 
dos  était  couvert  de  plantes  marines,  de  moules 
ou  de  vignots  ;  c'est  une  manière  de  désigner 
leur  ancienneté, 

A  Saint-Cast  on  dit  qu'elles  étaient  habillées  de 
toile,  sans  que  j'aie  pu  obtenir  des  détails  plus 
précis  ;  dans  l'intérieur  on  est  plus  affîrmatif,  et 
voici  la  déposition  textuelle  qui  m'a  été  faite,  en 
1880: 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  7$ 


Elles  étaient  faites  comme  des  créatures  hu- 
maines ;  leurs  habits  n'avaient  point  de  coutures, 
et  on  ne  savait  lesquels  étaient  des  hommes,  les- 
quelles étaient  des  femmes.  Quand  on  les  aperce- 
vait de  loin,  elles  paraissaient  vêtues  des  habits 
les  plus  beaux  et  les  plus  brillants.  Quand  on 
s'approchait,  ces  belles  couleurs  disparaissaient  ; 
mais  il  leur  restait  sur  la  tête  une  espèce  de  bon- 
net en  forme  de  couronne,  qui  paraissait  faire  par- 
tie de  leur  personne. 

(Conté  par  François  Mallet  du  Gouray,  laboureur.) 

Sur  la  côte,  on  prétend  que  les  fées  apparte- 
naient à  une  race  maudite,  et  qu'elles  avaient  été 
condamnées  à  rester  sur  la  terre  pendant  un  cer- 
tain temps. 

Vers  le  Mené,  canton  de  CoUinée,  les  anciens 
disaient  que  lors  de  la  révolte  des  anges,  ceux  qui 
étaient  restés  dans  le  paradis  se  divisèrent  en  deux  : 
les  uns  prirent  parti  pour  le  bon  Dieu  ;  les  autres 
restèrent  neutres.  Ces  derniers  furent  envoyés  sur 
la  terre  pour  un  temps,  et  ce  sont  ces  anges  à 
moitié  déchus  qui  étaient  les  fées. 

(Conté  en  i88i  par  J.-M.  Comault,  du  Gouray.) 

Dans  la  Fée  de  Créhen,  no  xxi,  2e  série  des 
Contes  populaires  de  la  Haute-Bretagne,  le  prêtre, 
après  avoir  baptisé  la  fée  et  ses  parents,  maudit 
leur  grotte.  Un  conte  recueilli  à  Saint-Suliac  par 


76         TRADITIONS    ET     SUPERSTITIONS 

Mme  de  Cerny  raconte  aussi  que  la  fée  du  Bec- 
du-Puy  fut  exorcisée  par  le  curé  de  Saint-Suliac. 
On  ne  vit  rien  ;  mais  on  entendit  un  cri  de  dou- 
leur. 

(Saint-Sultac  et  ses  légendes,  p.  21.) 

En  général  on  croit  que  les  fées  ont  existé, 
mais  qu'elles  ont  disparu  à  des  époques  qui  va- 
rient suivant  les  pays.  Dans  l'intérieur,  vers  le 
Mené,  d'après  ce  que  j'ai  entendu  personnelle- 
ment, depuis  plus  d'un  siècle  il  n'en  existerait 
plus.  Il  en  est  de  même  aux  environs  d'Ercé 
(lUe-et- Vilaine).  Sur  la  côte,  où  l'on  croit  ferme- 
ment que  les  fées  ont  habité  les  houles  ou  grottes 
des  falaises,  l'opinion  générale  est  qu'elles  ont 
disparu  au  commencement  du  siècle.  Nombre  de 
personnes,  âgées  aujourd'hui  d'une  soixantaine 
d'années,  ont  entendu  raconter  à  leurs  pères  ou  à 
leurs  grands-pères  qu'ils  avaient  vu  les  fées.  Jus- 
qu'à présent,  j'ai  rencontré  une  seule  personne  qui 
croyait  à  leur  existence  contemporaine  :  c'était 
une  ancienne  couturière  de  Saint-Cast  ;  elle  en 
avait  si  peur  que,  lorsqu'elle  allait  coudre  dans 
les  fermes,  elle  faisait  un  grand  détour  pour  évi- 
ter de  passer  à  la  nuit  close  auprès  d'un  champ 
qu'on  nomme  dans  le  pays  le  Couvent  des 
Fées. 

Il   y  a   à  Saint-Cast    un   autre  champ  qu'on  appelle   le  Clos 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  77 

des  fées;  c'est  là  que  jadis  elles  venaient  danser.  A  Warloy- 
Baillon  (Somme)  est  un  Champ  des  fée^  où  elles  tenaient  jadis 
leur  sabbat.  (Cf.  Mél.,  col.  71.) 

Une  autre  femme  de  Saint-Cast  les  avait  vues 
une  seule  fois.  Voici  comment  j'ai  eu  connaissance 
de  ce  fait,  assurément  curieux  : 

Rose  Renaud,  ma  conteuse  habituelle,  ne  se 
souvenait  plus  que  vaguement  d'une  légende  de 
Houle  qu'elle  avait  entendue  dans  sa  jeunesse. 
Elle  se  dit:  «Il  faut  que  j'aille  voir  la  bonne  femme 
Chéhu;  si  elle  est  dans  un  de  ses  bons  jours, 
elle  me  racontera  ce  qu'elle  sait.  » 

Elle  alla  chez  la  bonne  femme  Chéhu,  âgée 
de  quatre-vingt-huit  ans,  et  aveugle  depuis  plus 
de  vingt  ans,  mais  qui  certains  jours  a  une 
grande  lucidité  et  se  rappelle  très-exactement  ce 
qu'elle  a  vu  ou  entendu  dans  sa  jeunesse. 

Elle  lui  dit  : 

—  Marie  Chéhu,  savez-vous  encore  des  contes 
sur  les  fées  des  Houles  ?  Je  voudrais  bien  savoir 
celui  du  Pertus  d'Enfer? 

—  Non,  ma  Rosette,  je  ne  sais  plus  de  contes: 
je  te  les  ai  tous  racontés;  mais  j'ai  vu  les  fées. 

—  Vous  avez  vu  les  fées?  s'écria  Rose  Renaud. 

—  Oui,  je  les  ai  vues,  aussi  vrai  que  je  vous 
parle.  J'avais  à  peu  près  huit  ans,  lorsqu'un  jour 
j'étais  à  garder  mes  moutons  auprès  de  la  Mare, 
et  à  côté  de  moi  il  y  avait  des  pàtoures  de  mon 


78        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

âge.  Tout  d'un  coup  l'une  d'elles  s'écria  :  «  Voici 
les  fées  !  »  Je  regardai,  et  je  vis  deux  femmes 
et  un  homme  habillés  tout  en  toile,  qui  mar- 
chaient sur  les  rochers  comme  sur  un  beau  sentier. 
Nous  allâmes  pour  les  voir  de  plus  près^  au  fil 
de  l'eau,  car  nous  pensions  qu'elles  devaient  pas- 
ser par  là.  Quand  les  fées  et  le  faitaud  furent  arri- 
vés auprès  de  nous,  il  leur  tomba  sur  la  tête  des 
binettes  (sorte  de  corbeilles  en  paille)  qui  leur  ca- 
chaient la  figure.  Nous  voulûmes  les  regarder 
par  dessous  ;  mais  elles  soufflaient  sur  nous,  et 
nous  étions  prêtes  à  tomber.  Des  femmes  qui 
lavaient  au  doué  de  la  Mare  les  avaient  aper- 
çues aussi,  et  elles  étaient  accourues  sur  la  dune 
pour  les  regarder.  Nous  qui  pensions  que  les 
fées  allaient  à  la  Houle  de  la  Corbière,  nous 
prîmes  un  sentier  qui  menait  auprès  de  la  re- 
doute sous  laquelle  se  trouve  l'entrée  de  la 
Houle,  et  comme  nous  y  arrivions,  nous  vîmes  le 
faitaud  et  les  deux  fées  qui  y  entraient. 

—  C'est  bien  vrai?  demanda  Rose  Renaud, 

—  Oui,  s'écria  la  bonne  femme,  je  te  jure  que 
c'est  vrai.  Mais  je  ne  les  ai  vues  que  cette  fois-là. 
Elles  n'ont  pas  reparu  depuis  que  le  siècle  est 
commencé. 

(Conté  par  Rose  Renaud,  de  Saint-Cast,  le  soir  même.) 

Naguère  encore,  une  femme  de  Plévenon  racontait  que  sou- 
vînt   sa  mère  allait  leur   causer  ;  mais  depuis  elles  ont  disparu. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  79 

Les  fées  ont  disparu  depuis  que  l'on  sonne 
V Angélus  et  qu'on  chante  le  Credo;  mais  par  la 
suite  des  temps  la  religion  s'éteindra,  on  ne  chan- 
tera plus  le  Credo,  on  ne  sonnera  plus  V Angélus, 
et  les  fées  reviendront.  (P.) 

Les  anciens  disaient  avoir  entendu  dire  à  leurs 
anciens  à  eux  qu'il  y  en  avait  eu  jusqu'à  une 
certaine  époque.  Alors  elles  avaient  disparu  ;  mais 
au  bout  d'un  certain  temps  elles  devaient  reve- 
nir. (P.) 

Elles  sont  toutes  parties  la  même  nuit  ;  elles 
reviendront  aussi  la  même  nuit.  (S.-C.) 

J'ai  retrouvé  la  même  croyance,  avec  plus  de 
précision,  vers    Ercé-près-Liffré  (Ille-et-Vilaine). 

Les  fées  reviendront  le  siècle  prochain,  parce 
que  le  chiffre  du  prochain  siècle  est  un  chiffre 
impair.  Le  siècle  actuel  est  le  siècle  invisible,  c'est- 
à-dire  celui  où  on  ne  voit  pas  les  esprits  :  on  les 
reverra  dans  le  prochain. 


®®®®®®®®®®®®® 


§   I.    —    LES   DEMEURES   DES   FÉES 

|ES  fées  avaient  pour  demeures  des  endroits 
qui,  par  leur  aspect  singulier,  devaient 
frapper  l'imagination  des  paysans  ou  des 
marins.  Elles  habitaient  des  lieux  élevés,  des 
tertres  naturels  ou  des  tumuli  (cf.  la  Fée  de 
Créhen,  2^  s.,  no  xxi),  des  landes  couvertes  de 
brouillards,  de  gros  rochers  naturels,  des  roches 
aux  fées  ou  des  dolmens,  des  grottes  creusées  dans 
les  falaises. 

Dans  un  bois  qui  m'appartient,  et  qui  est  près 
du  village  du  Limbe,  commune  du  Gouray,  il  y  a 
de  gros  rochers  ;  entre  deux  des  plus  forts  est  un 
espace  vide,  long  de  5  à  6  mètres,  haut  d'environ 
I™  50,  et  qui  forme  une  sorte  de  maison.  On  m'a 
dit  que  jadis  les  Margot  la  fée  y  demeuraient  ; 
même  maintenant,  on  n'y  passe  pas  volontiers 
le  soir,  après  le  soleil  caché.  On  m'y  a  montré, 
empreint  sur  le  rocher,  le  pied  des  Margot  (long 
de  50  centimètres  environ),  les  clous  de  leurs  sa- 
bots, leur  her  (berceau).  Il  y  a  deux  endroits  où 
elles  faisaient  du  feu,  et  près  de  l'un  d'eux  de 
grosses    pierres   sur  lesquelles   elles  s'asseyaient 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS         8l 

pour  se  chauffer.  Un  autre  rocher  est  leur  lit  ;  un 
plus  petit  leur  oreiller.  Un  peu  plus  loin,  séparé 
du  bois  par  un  ruisseau,  est  une  pierre  plate  sous 
laquelle  la  reine  des  fées  est  enterrée.  (P). 

On  assure  que  les  pierres  de  la  Brousse  étaient 
les  hôtes  (maisons)  des  Margot  la  Fée  ;  on  y  voit 
encore  une  pierre  taillée  comme  un  berceau  : 
c'était  celui  dans  lequel  elles  berçaient  leurs  en- 
fants. Leur  puits  est  couvert  d'une  dalle  qui  sonne 
le  creux  quand  on  frappe  dessus  ;  on  dit  qu'il  y  a 
un  trésor  dessous. 

Il  y  a  aussi  une  pierre  qui  est  faite  comme 
un  siège,  et  l'on  dit  qu'elles  venaient  s'y  asseoir. 

Les  anciens  prétendaient  que  les  fées  avaient 
été  chercher  les  roches  de  la  Brousse,  qui  étaient 
dans  les  prairies,  et  que  leurs  bœufs  les  avaient 
montées  sur  la  butte. 

De  loin  on  les  voyait  manier  des  pierres 
énormes,  comme  celles  de  Crokélien  et  de  la 
Brousse,  et  l'on  supposait  que  ces  pierres  bou- 
chaient l'entrée  de  leurs  souterrains  ;  mais  quand 
on  s'approchait,  elles  semblaient  ne  pas  avoir 
bougé  de  place. 

A  certains  moments,  la  butte  de  Crokélien 
paraissait  couverte  de  beau  blé  ;  mais  à  mesure 
qu'on  en  approchait,  il  disparaissait.  Les  dalles  de 
la  Brousse  semblaient  aussi  porter  les  plus  belles 
fleurs,  des  fleurs  de  jardin,  des  fleurs  de  prairie 


82         TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 


et  des  fleurs  de  pommier  ;  mais  quand  on  arrivait 
auprès,  on  ne  les  voyait  plus.  Il  en  était  de  même 
de  belles  prairies  vertes  qu'on  voyait  de  loin  sur 
la  butte  :  à  de  certains  jours,  les  rochers  étince- 
laient  au  soleil  comme  des  miroirs. 

(Conté  en  iSSo  par  François  Mallet,  du  Gouray,  né  et 
habitant  auprès  des  Roches  aux  fées  de  la  Brousse  et  de  Cro- 
kélien.) 

Un  passage  de  Noël  du  Fail,  qui  était  conseiller 
au  parlement  de  Rennes  et  né  aux  environs  de 
cette  ville,  parle  en  des  termes  sensiblement  ana- 
logues des  fées,  qui  alors  (fin  du  XVI^  siècle)  se 
montraient  parfois  aux  paysans. 

«  Et  ainsi  occupés  à  diverses  besongnes,  le 
bonhomme  Robin  (après  avoir  imposé  silence) 
commençoit  le  conte  de  la  Cigogne....  de  Melu- 

sine des  fées,   et  que  souventesfois  parloit  à 

elles  familièrement,  mesme  la  vespree  passant 
par  le  chemin  creux,  et  qu'il  les  voyoit  dancer  au 
bransle,  près  la  fontaine  du  Cormier,  au  son  d'une 
belle  veze  couverte  de  cuir  rouge,  ce  lui  estoit 
advis,  car  il  avoit  la  veuë  courte....  Disoit  (en 
continuant)  que  en  charriant  le  venoient  voir, 
affermant  qu'elles  sont  bonnes  commères,  et  vo- 
luntiers  leur  eust  dit  le  petit  mot  de  gueule,  s'il 
eust  bien  osé,  ne  se  deffiant  point,  qu'elles  ne  lui 
eussent  joué  un  bon  tour.  Aussi  que  un  jour  les 
espia,  lorsqu'elles  se  retiroient  en  leurs  caverneux 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  8? 


rocs,  et  que  soudain  qu'elles  approchoient  d'une 
petite  motte,  elles  s'esvanouissoient  :  dont  s'en  re- 
tournoit,  disoit-il,  aussi  sot  comme  il  estoit  venu. 
Et  ce  disant,  faut  penser  qu'il  ne  rioit  aucunement, 
ains  faisoit  bonne  pipée.  » 

(Propos  rustiques  et  facétieux,  t.  I,  p.  40  et  42,  éd.  Assézat.) 

Je  n'ai  aucune  légende  sur  les  fées  des  eaux 
douces;  pourtant  on  m'a  dit  qu'autrefois  il  y  en 
avait  à  mon  étang  de  Kilhouri  (communes  de 
Penguily  et  du  Gouray)  ;  mais  comme  on  voit  sur 
les  bords  de  grosses  roches  semblables  à  celles  où 
les  Margot  font  leur  demeure,  il  est  possible  que 
ces  {éQs  ne  fussent  pas,  à  proprement  parler,  des 
fées  des  eaux.  Je  n'ai  pu,  au  reste,  jusqu'à  présent, 
obtenir  de  détails  précis  à  leur  sujet. 

Mme  de  Cerny  parle  des  fées  de  la  Rance, 
qui,  pendant  les  orages,  vêtues  des  couleurs  de 
l'arc-en-ciel,  en  suivent  une  plus  belle  montée 
sur  une  barque  faite  d'un  nautile  des  mers  du 
Sud,  traînée  par  deux  écrevisses  (p.  53-62).  Je 
n'ai  point  trouvé  les  similaires  de  ces  jolies  (éts. 
qui,  d'ailleurs,  sont  plutôt  des  habitantes  de  la 
mer  que  des  rivières,  la  Rance  étant  à  Saint- 
Suliac  un  véritable  bras  de  mer. 

Mais  le  groupe  le  plus  important  de  demeures 
de  fées  que  j'aie  rencontré  est   celui  des  Houles. 

Sur  le  littoral  de  la  Manche,  on  appelle  Houles 


84        TRADITIONS    ET     SUPERSTITIONS 

(cf.  l'anglais  hole,  caverne,  grotte)  les  grottes  des 
falaises  ;  on  en  trouve  à  Cancale,  presque  à  la 
limite  de  la  Normandie  et  de  la  Bretagne  ;  dans 
la  commune  d'Étables,  à  quelques  kilomètres  du 
pays  bretonnant,  est  la  Houle  Notre-Dame,  plus 
près  encore  en  Tréveneuc,  qui  touche  Plouha,  où 
commence  la  langue  bretonne.  Entre  Saint-Marc 
et  le  Bec-du-Vir  se  trouve  la  Houle  du  Canon. 
Le  Trou-au-Diable,  autre  houle  de  la  même  com- 
mune, va,  dit-on,  jusque  sous  la  tour  de  Tréve- 
neuc (i  kilom.)  ou  sous  le  château  de  Pomorio 
(800  à  900  m.). 

Entre  ces  deux  points  extrêmes,  les  houles  sont 
nombreuses;  j'en  connais  plus  de  vingt,  et  je  suis 
loin  de  les  connaître  toutes.  J'ai  habité  Saint- 
Cast  pendant  plusieurs  étés,  croyant  qu'il  n'y  en 
avait  que  deux  sur  les  rivages  de  cette  commune  : 
une  exploration  plus  serrée  m'a  appris  qu'il  en 
existait  au  moins  une  dizaine. 

De  ces  grottes,  les  unes,  comme  celles  de  la 
falaise  de  Fréhel  en  Plévenon,ont  des  proportions 
monumentales  :  leur  entrée  est  parfois  une  sorte 
de  voûte  cintrée  élevée  de  10  à  12  mètres;  elles 
se  prolongent  sous  terre  si  loin,  que  personne, 
dit-on,  n'est  allé  jusqu'au  fond.  D'autres  ont  une 
entrée  étroite,  sorte  de  longue  fente  dissimulée 
entre  les  rochers,  et  qui  laisse  à  peine  un  passage 
suffisant  pour  un  homme  ;   si  on  y  pénètre,  on 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE 


trouve  parfois  une  caverne  assez  spacieuse  et  qui 
s'étend  assez  loin.   D'autres  houles  sont  actuelle- 
ment à  l'état  de  ruines  ;  la  falaise  en  s'éboulant 
les  a  comblées,  et  leurs  voûtes  glissant  sur  les  pa- 
rois sont  tombées  par  terre.  Presque  toutes  celles 
de  Saint-Cast  sont  ainsi  ruinées.  Souvent  l'entrée 
des  houles  est  au  fond   d'une  tranchée  à  parois 
presque  droites  qui  forment   une  sorte  d'avenue. 
Les  gens  du  pays,   surtout   ceux   qui  sont  âgés, 
disent  que,  depuis  le  départ  des   fées,    les  houles 
n'étant  plus  entretenues,  sont  tombées  en  ruines. 
Outre  le  nom  de  houles,  qui  est  le  plus  géné- 
ralement employé,  ces  grottes  des  falaises  portent 
aussi  celui  de  Pertus  es  Fées  ou  de  Houle,  qui  est 
peut-être   une  altération  de  houle  ;   parfois  aussi 
on  les  appelle  les  Chambres  des  fées.  Il  y  en  a  où 
l'on  voit,  dit-on,  les  tables  de  pierre  sur  lesquelles 
elles  mangeaient,  leurs  sièges  et  les  berceaux  en 
pierre  de  leurs  enfants. 


'^m^'^r^é^^rsè^^^rst^^'^ 


§   II.    —   LES   TRAVAUX   DES   FÉES 

)N  attribue  aux  fées  plusieurs  travaux  re- 
marquables par  leur  difficulté  ou  par  leur 
élégance.  On  a  déjà  vu,  au  chapitre  des 
monuments  préhistoriques,  et  dans  le  présent 
chapitre,  page  8i,  que  la  construction  de  nombre 
de  mégalithes  leur  est  attribuée  ;  voici  quelques 
autres  travaux  qu'elles  ont  accomplis. 

A  Ercé,  on  racontait  autrefois  que  l'étang  de 
Grafard,  situé  entre  cette  commune  "  et  celle  de 
Gosné,  avait  été  creusé  la  nuit  par  des  fées  qui, 
ayant  désobéi  à  une  fée  supérieure,  avaient  été 
condamnées  à  faire  ce  travail. 

A  Saint-Cast,  on  prétend  que  ce  sont  elles  qui 
ont  bâti  la  tour  de  Cesson.  Cette  tradition  existe 
aussi  vers  Jugon,  et  voici  ce  qu'on  raconte  :  la 
fée  qui  faisait  construire  la  tour  aperçut  sur  sa 
route  une  pie  morte.  —  Pourquoi  cet  oiseau  ne 
bouge-t-il  pas  ?  demanda  la  fée.  —  C'est  qui  est 
mort,  lui  répondit-on.  —  Ah  !  puisqu'on  meurt, 
cessons,  dit  la  fée.  Et  c'est  depuis  ce  moment 
que  la  tour  de  Cesson  porte  ce  nom. 

(Conté   en   1880   par  Jeanne-Marie  Chesnais,  de  Jugon,    do- 


TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS        8/ 


mestique.)  A  Saint-Glen,  prés  Montcontour,  j'ai  aussi  retrouvé 
cette  légende. 

La  légende  de  la  pie  morte,  outre  ce  récit  et  le  suivant,  se 
retrouve  ailleurs  en  Bretagne  (cf.  Guillotin  de  Corson,  p.  176- 
177,  où  la  rencontre  d'une  pie  morte  empêche  la  dame  de  la 
Thébaudaye  d'achever  son  parc,  et  la  reine  Anne  de  terminer  un 
chemin). 

«  La  chapelle  de  Saint-Jacques-le-Majeur  en 
Saint-Alban  a  un  portail  d'une  élégante  architec- 

.  tecture Ce  sont  les  fées,   dirent  à  Habasque 

(t.  III,  170)  les  femmes  du  hameau,  qui  par  en- 
chantement ont  élevé  ce  beau  portail;  mais  par 
malheur,  comme  elles  étaient  occupées  de  leur 
travail,  elles  aperçurent  une  pie  morte.  —  On 
meurt  donc  dans  ce  pays-ci  ?  —  Oui,  reprit-on. 
Cette  réponse  les  déconcerta,  et  elles  s'en  allèrent 
sans  achever  leur  travail.  « 

En  Normandie,  la  construction  de  certains  édifices  est  aussi 
attribuée  aux  fées  (cf.  Amélie  Bosquet,  p.  100);  il  en  est  de 
même  dans  les  Vosges  (cf.  Joanne,  Vosges  -  Alsace,  p.  96, 
III,  115,  276). 


'i^C^^j'i^CQ)^'M^^C^^'^jC 


§   III.    —   LES   FÉES   ET   LES   HOMMES 


A.    LES    FEES    DES    HOULES 

;  UAND  les  fées  étaient  sur  terre,  elles  se  mon- 
traient assez  fréquemment  aux  hommes. 
Voici,  en  résumé,  ce  que  j'ai  recueilli  sur 
les  fées  des  Houles,  et  qui  m'a  été  fourni,  soit  par 
quarante  contes  environ  que  j'ai  recueillis  sur  les 
fées  du  bord  de  la  mer,  soit  par  les  personnes  que 
j'ai  interrogées  sur  des  points  spéciaux. 

Les  fées  des  Houles  vivaient  dans  leurs  grottes, 
et  elles  en  sortaient  plus  volontiers  la  nuit  que  le 
jour.  Le  jour,  elles  n'étaient  visibles  que  pour 
ceux  qui  avaient  eu  le  tour  des  yeux  frotté  avec 
la  pommade  qui  rend  clairvoyant  ;  mais  la  nuit 
tout  le  monde  les  voyait. 

Cf.  V Enfant  de  la  fée,  n°  xvii  des  Conles  popu- 
laires, ire  série  ;  la  Goule  es  Fées,  la  Houle  Cosseu, 
Lût.  orale,  p.  19  et  24. 

A  part  leur  pouvoir  surnaturel  et  leur  immor- 
talité, les  fées  vivaient  comme  les  hommes  et 
avaient  presque  les  mêmes  passions;  les  hommes 
ont  toujours  fait  les  dieux  à  leur  image. 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


Elles  étaient  comme  eux  sujettes  aux  maladies  : 
dans  V Enfant  de  la  fée,  no  xvii  des  Cont.  pop., 
ire  s.,  un  enfant  de  fées  a  mal  aux  yeux;  une  fée 
est  accouchée  par  une  sage-femme  (la  Goide  es 
fées,  Litt.  or.,  p.  24). 

Dans  ces  contes,  des  femmes  se  sont  frottées  avec  une  pom- 
made et  reconnaissent  les  fées  sous  tous  leurs  déguisements  ; 
dans  les  deux  derniers,  de  même  que  dans  VŒU  de  cristal,  n°  iv, 
2=  s. ,  les  fées,  pour  punir  les  gens  de  leur  indiscrétion,  leur  arrachent 
l'oeil  qui  voit.  D'après  une  légende  rapportée  par  Le  Men,  une 
sage-femme  qui  était  allée  accoucher  une  Corrigan  reçoit  l'ordre 
de  frotter  l'enfant  avec  une  pierre  ronde  ;  elle  la  passe  sur  son 
œil.  Mais  comme  elle  a  l'imprudence,  quelque  temps  après,  de 
dire  à  une  Corrigan  qu'elle  l'a  vue  voler  à  la  foire,  la  Corrigan 
lui  arrache  l'œil.   (P.  231.) 

Elles  se  mariaient  soit  avec  des  Faitauds,  qui 
jouent  en  général  un  rôle  assez  eiïacé  (cf.  l'Homme 
de  mer,  où  l'homme  de  mer,  à  la  chevelure  de  va- 
rech et  au  corps  couvert  de  limon  verdâtre,  épouse 
une  des  fées  de  Poulifée),  soit  avec  des  hommes. 

Cf.  la  Fleur  du  Rocher,  no  vi,  2^  s.,  qui  se 
marie  avec  un  soldat;  la  Fée  de  Créhen,  no  xxi, 
2^  s.,  qui  épouse  M.  Villepouri  ;  la  Fille  des  Fées, 
qui,  amoureuse  d'un  marin,  a  un  enfant  et  finit 
par  devenir  sa  femme,  La  Fée  et  le  Marin  (Contes 
populaires,  n°  xxii,  i^e  s.). 

En  Normandie  (cf.  A.  Bosquet,  p.  98)  existent  aussi  des 
légendes  où  des  fées  épousent  des  hommes. 

Mais  il  semble  qu'en  s' unissant  aux   hommes 


90        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

«lies  cessaient  d'être  immortelles,  soit  par  suite  de 
leur  baptême,  comme  la  fée  de  Créhen  et  ses  pa- 
rents, soit  simplement  parce  qu'elles  vivaient 
parmi  les  hommes.  (Cf.  la  Fleur  du  Rocher,  qui 
meurt,  ainsi  que  ses  parents.) 

Elles  avaient  des  enfants.  (Cf.  la  Goule  es  Fées, 
l'Enfant  de  la  fée,  la  Fée  et  le  Marin,  la  Fleur  du 
Rocher,  etc.) 

Quelquefois  aussi  elles  prenaient  les  enfants 
des  hommes  et  mettaient  à  leur  place  des  petites 
■créatures  à  l'air  vieux  qui  ne  grandissaient  point. 

A  Dinard,  il  y  avait  naguère  une  femme  si  pe- 
tite, bien  qu'elle  eût  plus  de  trente  ans,  qu'elle 
avait  à  peine  la  taille  d'un  enfant  de  dix  ans.  On 
disait  d'elle  qu'elle  avait  été  changée  par  les 
fées. 

(Conté  en  1880  par  M"'^  veuve  Bkudiu,  née  Lecourt,  de 
Dinard.) 

Jadis  elles  enlevaient  les  enfants  et  mettaient 
les  leurs  à  la  place  ;  ces  enfants  changés  étaient 
petits,  butors,  et  avaient  la  mine  vieux.  Ils  ne 
grandissaient  point.  Pourtant  on  dit  que  les  fées 
étaient  de  belles  personnes. 

(Conté  par  Rose  Renaud,  de  Saint-Cast.) 

J'ai  plusieurs  contes  où  il  est  question  d'enfants 
volés  par  les  fées. 

(Cf.  la  Houle  de  Chélin,  a°  iv,  i'^'^  série,  et  VEnfant  change, 
2'  série,  n°  xv.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  91 


D'après  Le  Men,  ces  substitutions  d'enfauts  sont  attribuées  gé- 
néralement en  Basse-Bretagne  aux  nains  plutôt  qu'aux  fées  ;  le 
procédé  à  employer  pour  se  faire  rendre  les  enfants  volés  est  le 
même  qu'en  Haute-Bretagne  :  coques  d'œufs  remplies  de  bouillie 
ou  d'eau,  qui  font  parler  le  petit  monstre.  (Cf.  Revue  celt.,  p.  230, 
et  232-233,  où  sont  racontées  plusieurs  légendes  d'enfants 
changés.) 

M"'  Amélie  Bosquet,  qui  a  consacré  tout  un  chapitre  aux  en- 
lèvements et  aux  substitutions  d'enfants,  constate  (p.  116,  117  et 
suiv.)  que  la  même  croyance  existait  en  Normandie  ;  le  moyen 
employé  pour  obtenir  la  restitution  de  l'enfant  véritable  est  le 
même  à  peu  près  qu'en  Bretagne.  En  Berry  (cf.  Laisnel  de  la 
Salle,  I,  11$),  on  croyait  aussi  aux  changelings  opérés  parles 
fades;  mais  la  légende  est  plus  effacée. 

D'après  un  conte  que  j'ai  recueilli  à  Saint-Cast 
et  qui  n'est  pas  encore  publié,  elles  emmorphosaient 
(métamorphosaient)  les  gens  en  bêtes.  (Cf.  aussi 
la  Houle  de  Chêlin,  2^  série,  n»  vu.)  Elles-mêmes 
se  montraient  sous  diverses  formes,  tantôt  laides  à 
faire  peur  ou  vieilles,  et  le  moment  d'après  belles 
«  comme  des  bonnes  vierges  »  (cf.  la  Fleur  du 
RocJier,  etc.)  ;  elles  prenaient  aussi  la  forme  d'ani- 
maux (cf.  le  Marsouin,  2^  série,  no  xvi). 

Elles  se  livraient  à  des  occupations  semblables 
à  celles  des  hommes.  On  les  entendait  bercer 
leurs  enfants  (cf.  la  Houle  de  la  Corbière,  i^e  sé- 
rie, no  x)  ;  boulanger  pour  mettre  du  pain  au  four 
(cf.  2e  série,  le  Perlas  es  Fêtes,  n°  ix  ;  la  Houle  du 
Châleht,  11°  i;  la  Houle  de  Chêlin,  no  vu). 

En  Berry,  près  des  cascades  du  Portefeuille,   on  voit  le  chau- 


92        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

dron  et  le  poêlon  des  fées  (cf.  Laisnel  de  la  Salle,  t.  I,  p.  105). 
Sur  les  bords  du  Doubs  est  une  caverne  où  elles  venaient  faire 
cuire  leurs  gâteaux.  A  Sassenay,  près  Grenoble,  on  montre  le  four 
des  fées,  et  on  raconte  la  même  chose  (cf.   Monnier,   p.  403). 

Elles  lavaient  leur  lessive  et  étendaient  du 
linge  qui  était  si  blanc,  qu'on  dit  encore,  en  par- 
lant du  beau  linge  :  «  c'est  comme  le  linge 
des  fées.  »  (Cf.  la  Houle  de  Longuevaï,  2^  série, 
no  XVIII  ;  la  Fée  de  Créhen,  no  xxi.) 

Elles  allaient  laver  leur  linge  à  la  mare  de  Gau- 
lehen,  qui  est  dans  la  lande  du  Cap,  et  elles  éten- 
daient leur  linge  sur  les  gazons  qui  l'entourent. 
Leur  linge  était  le  plus  blanc  qu'on  pût  voir,  et 
l'on  disait  que  celui  qui  aurait  pu  aller  jusque-là 
sans  remuer  les  paupières  des  j'eux  aurait  pu 
prendre  le  linge,  dont  les  fées  lui  auraient  en  ce 
cas  fait  présent.  Plusieurs  essayèrent  ;  mais  ils  ne 
pouvaient  s'empêcher  de  battre  de  la  paupière,  et 
le  linge  devenait  invisible. 

(Conté  en  1879  par  Scolastique  Durand.) 

En  Normandie  les  fées  lavaient  aussi  leur  linge  et  le  met- 
taient à  sécher  sur  des  pierres  druidiques  (cf.  A.  Bosquet, 
p.  102,  179). 

Dans  les  houles  elles  prenaient  leurs  repas,  où 
elles  invitaient  parfois  ceux  qui  étaient  assez  har- 
dis pour  y  pénétrer  (cf.  la  Houle  de  Poulifée, 
Littérature  orale,  p.  18).  Dans  la  houle  de  la  Tei- 
gnouse  en  Plévenon,  il  y  a  une  pierre  taillée  en 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  93 

forme  de  table.  C'est  là  qu'autrefois  les  fées 
mangeaient. 

Elles  allaient  aussi  à  la  pêche.  (Cf.  la  Houle  du 
Grouin,  2^  série,  no  x.) 

Les  fées  de  la  Petite-Houle  allaient  aux  Bour- 
dineaux  manger  Vaffare  que  les  pêcheurs  jetaient 
aux  poissons  ;  ils  juraient  après  elles  et  disaient  : 
«  Elles  sont  pires  que  les  chiens  bros  (petits 
chiens  de  mer).  » 

La  nuit,  les  Roches  étaient  couvertes  de  fai- 
tauds  à  la  pèche.  On  les  voyait,  car  pendant  la 
nuit  on  voit  les  fées  sans  avoir  besoin  d'avoir  été 
frotté  avec  leur  pommade.  (S.-C.) 

Parfois  elles  avaient  des  animaux  domestiques, 
des  vac'nes  qui  étaient  quelquefois  invisibles, 
excepté  pour  la  pâtoure  qui  les  gardait  (cf.  la 
Houle  du  Chdtelet,  n°  i,  des  boeufs  (cf.  la  Poule 
noire,  no  viii,  et  la  Houle  de  Poulifée,  Littérature 
orale,  p.  19). 

Les  fées  de  Chêlin  avaient  un  bœuf  qui  passa 
dans  l'avoine  des  fermiers  de  la  Roulette;  ils  ne 
furent  pas  contents  et  vinrent  se  plaindre. 

—  Ne  dites  rien,  répondirent  les  fées  ;  voici  un 
chanteau  de  pain,  et  il  ne  diminuera  pas  si  vous 
n'en  parlez  à  personne. 

Pendant  un  mois,  tous  les  gens  de  la  métairie 
coupèrent  des  morceaux  dans  le  chanteau,  et  il  ne 
diminuait  point  et  ne  durcissait  pas  non  plus. 


94        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


—  Voilà,  disaient  les  gens,  un  chanteau  qui 
dure  bien  longtemps. 

Le  fermier  eut  l'imprudence  de  dire  que  c'était 
un  don  des  fées  ;  aussitôt  le  chanteau  devint 
comme  un  morceau  ordinaire,  et  il  ne  tarda  pas 
à  être  mangé. 

(Conté  par  Marie  Durand,  de  Saint-Cast,  âgée  de  quatre-vingts 
ans.) 

Le  reste  de  ce  qu'elle  m'a  raconté  sur  la  houle  ressemble  à  la 
Houle  de  Chèlin  de  mes  Contes  populaires,  sauf  ce  qui  suit  : 

Une  femme  qui  était  aux  champs  vit  sur  la  falaise  deux 
bonnes  perchées  de  fil.  Elle  courut  chercher  sa  sœur  : 

—  Viens  donc,  il  y  a  deux  belles  perchées  de  fil  ;  nous  allons 
tâcher  de  les  emporter. 

Elles  allèrent  les  chercher,  mais  ne  les  virent  plus,  et  elles 
entendirent  s'esclaffer  de  rire  auprès  d'elles  ;  c'était  la  fée  qui 
leur  dit  : 

—  Tu  croyais  donc,  ma  diote,  trouver  encore  le  fil  ? 

Leurs  moutons  venaient  pâturer  parmi  ceux 
des  fermiers  (cf.  les  Fées  du  Guildo,  2^  série, 
no  xi)  ;  quelquefois  ils  étaient  noirs  et  de  grande 
taille  (cf.  la  Houle  de  Beauçais,  no  xiv). 

Celles  de  la  Houle  de  Saint-Briac  possédaient 
des  chevaux  ;  d'autres  avaient  des  oies  (cf.  les 
Fées  du  Guildo,  no  xi). 

Un  homme  de  Saint-Cast,  qu'on  appelait  le 
père  Hérissé,  vit  un  jour  auprès  de  Chèlin  un 
volier  d'oies  superbes.  Il  se  dit  : 

—  Ce  sont  des  oies  sauvages. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  95 


Et  il  alla  les  poursuivre  sur  les  rochers  pour 
tâcher  de  les  attraper;  mais  elles  se  réfugièrent 
dans  la  houle,  et  quand  il  fut  à  l'entrée,  il  enten- 
dit la  voix  de  plus  de  dix  personnes  qui  parlaient 
et  s'éclaffaient  de  rire. 

(Conté  par  Rose  Renaud,  de  Saint-Cast.) 

Leurs  poules  étaient  noires  et  passaient  pour 
avoir,  comme  les  autres  poules  noires  des  diables 
et  des  sorciers,  des  vertus  surnaturelles.  Dans  le 
conte  de  la  Poule  noire,  celle  que  les  fées  avaient 
donnée  au  fermier,  en  dédommagement  du  dégât 
fait  par  leurs  bœufs,  les  enrichit,  à  la  condition 
qu'on  la  nourrisse  bien  et  que  personne  ne  la 
voie. 

Voici  un  petit  bout  de  conte  où  il  est  aussi 
question  d'une  poule  noire  qui  appartenait  aux 
fées  de  Chèlin  : 

Il  y  avait  un  douanier  qui  ne  voulait  pas  croire 
qu'il  y  eût  des  fées  à  Chêlin. 

—  Je  suis  allé  bien  des  fois  dans  la  houle,  et  je 
n'y  ai  jamais  rencontré  de  fées. 

—  Moi,  dit  un  Câtin,  j'ai  vu  dans  la  houle  une 
grosse  poule  noire,  grosse  comme  deux  fortes 
poules,  qui  appelait  ses  poulets  et  disait  :  Cot- 
cot-cotas  !  Quand  je  m'approchai,  elle  s'était 
évanouie. 

(Conté  par  François  Marquer,  de  Saint-Cast.) 


96        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

Elles  avaient  aussi  des  chiens  (cf.  le  Pertus  es 
Fêtes,  no  ix),  des  chats  (cf.  la  Houle  de  Chêlin, 
2e  série),  qui  venaient  se  chauffer  au  soleil  devant 
les  Houles. 

Elles  empruntaient  les  animaux  de  leurs  voisins 
les  hommes  (cf.  la  Houle  du  Grouin,  où  elles 
prennent  pour  aller  se  promener  l'âne  d'un  fer- 
mier) (i),  ou  bien  les  leur  achetaient  (cf. 
V Homme  de  tner,  no  xii  ;  on  achète  un  veau  pour 
le  mariage  d'une  fée  avec  l'homme  de  mer). 

Mais  certaines  trouvaient  plus  simple  de  les 
prendre  (cf.  la  Houle  de  Chêlin,  n°  iv,  i^e  série 
des  Contes  populaires,  où  le  marin  trouve  à  l'en- 
trée de  la  houle  la  trace  de  ses  vaches  dispa- 
rues). 

D'autres  volaient  ce  qui  était  à  leur  convenance, 
et  seules  les  personnes  qui  avaient  eu  le  tour  des 
yeux  frotté  avec  la  pommade  pouvaient  les  voir. 
(Cf.  la  Houle  Cosseu  (Goule  es  fées),  Littèr.  orale, 
p.  22  ;  VEnfant  de  la  fée,  n°  xvii,  Littèr.  orale, 
p.  25  ;  VŒU  de  cristal,  upw,  2^  série;  la  Houle  de 
Chêlin,  no  vii,  2^  série.) 

Elles  disaient  aussi  la  bonne  aventure.  (Cf.  la 
Houle  Cosseu.) 

Cependant  les  fées,  —  à  part  des  exceptions,  et 
celles-là   on  les    nommait    les    mauvaises  fées, 

(i)  Même  croyance  en  Normandie  (Amélie  Bosquet,  p.  103). 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  97 

tandis  que  les  autres  s'appelaient  les  bonnes  dames 
ou  les  bonnes  mères,  —  rendaient  service  aux 
hommes,  et,  la  plupart  du  temps,  sans  deman- 
der aucune  récompense. 

Elles  filaient  le  lin  des  jeunes  filles  ou  des 
femmes  qui  leur  apportaient  en  même  temps 
une  beurrée  (cf.  la  Mort  des  Fées,  2^  série, 
no  xx). 

Habasque  avait  déjà  constaté  cette  croyance. 

«  En  Pléhérel,  on  voit  un  monticule,  le  Tertre 
de  la  fée  Morgant.  Je  parlai  de  cette  fée  à  un 
paysan  que  je  rencontrai  non  loin  de  cet  endroit. 
—  Oui,  dit-il,  monsieur,  autrefois  il  y  avait  des 
fées,  et  on  leur  portait  des  beurrées  et  du  lin  dans 
les  lieux  qu'elles  fréquentaient  ;  oti  ne  voyait  ni  on 
ne  oyait  rien,  et  pourtant  le  lendemain  tout  était 
filé.  Aujourd'hui  tout  cela  est  oublié;  le  monde  se 
sont  rafinés. 

«  A  la  ville  Berneuf-en-Pléneuf  existe  une  grotte. 
Les  fées  qui  l'habitaient  étaient  fort  bienveil- 
lantes, et  comme  elles  aimaient  beaucoup  le  pain 
et  le  beurre,  les  fermières  leur  en  portaient  le 
soir.  Le  pain  disparaissait,  et  le  lendemain  on 
trouvait,  très-proprement  filée,  la  grande  poupée 
de  lin  qu'on  avait  déposée  à  côté.  Malheureuse- 
ment, depuis  la  Révolution,  ces  bonnes  dames 
sont  devenues  moins  friandes  de  beurrées  et  très- 
paresseuses  :    aussi    n'est-il   plus   à   Berneuf  que 


90        TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

quelques  douairières  qui  puissent  se  vanter  d'avoir 
vu  accepter  leur  offrande.   » 

(Habasque,  t.  III,  p.  70,  82.) 

Elles  donnaient  aux  hommes  des  remèdes  qui 
les  guérissaient  (cf.  la  Houle  de  la  Corbière,  i^e  sé- 
rie, no  X,  où  un  enfant  est  guéri  du  croup,  et  un 
homme  de  la  colique  de  miserere  ;  la  Houle  Saint- 
Michel,  n°  V,  2e  série),  ou  une  graisse  qui,  si  l'on 
en  frottait  la  corde  des  vaches  ou  des  brebis  qui 
avaient  disparu,  faisait  venir  des  animaux  plus  gras 
et  plus  beaux  (la  Houle  de  la  Corbière').  J'ai  en- 
tendu aussi  dire  qu'on  venait  leur  demander  des 
remèdes  pour  les  bestiaux  et  qu'elles  en  donnaient. 

Si  les  hommes  qui  labouraient  dans  les  champs 
leur  demandaient  poliment  de  la  galette  ou  du 
pain,  elles  leur  en  donnaient  (cf.  la  Houle  du 
Chdtelet,  le  Pertus  es  Fêtes)  ;  mais  si  on  leur  parlait 
sans  égards,  elles  mettaient  dans  les  galettes  du 
poil  de  chat  ou  du  poil  de  chien  (cf.  la  Houle  du 
Chdtelet,  le  Pertus  es  Fêtes).  Si  on  parlait  mal 
d'elles,  on  était  puni. 

Un  jour  un  homme  qui  venait  de  tuer  un  co- 
chon eut  l'imprudence  de  dire  : 

—  Je  voudrais  mon  cochon  dans  le  ventre  des 
fées. 

Le  lendemain,  son  porc,  qui  était  pendu  dans 
le  cellier,  avait  disparu,  et  on  pensa  que  c'étaient 
les  fées  qui  l'avaient  enlevé  pour  se  venger.  (S.-C.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  99 

Leur  présent  le  plus  fréquent  était  celui  d'un 
chanteau  de  pain  qui  restait  toujours  frais  et  ne 
diminuait  pas,  si  on  avait  soin  de  n'en  donner  à 
personne  (cf.  la  Houîe  de  la  Corbière,  i^e  série, 
vs>  x;  V  Enfant  de  la  Fée,  no  xvii;  Y  Œil  de  cristal, 
2<^  série,  no  lo  ;  la  Houle  de  Chélin,  no  vu  ;  la 
Houle  du  Longval,  n°  xviii;  la  Houle  Saint-Mi- 
chel, a°  v).  Ce  don  était  fait  par  pure  bienveil- 
lance, ou  en  récompense  d'un  service  rendu,  ou 
pour  indemniser  les  fermiers  des  dégâts  causés 
par  les  bestiaux  des  bonnes  dames. 

En  Normandie,  elles  donnaient  des  gâteaux,  mais  qui  n'avaient 
point  le  privilège  de  ne  pas  diminuer  (Amélie  Bosquet,  p.  103). 

Parmi  les  autres  présents  qui  se  rencontrent 
dans  les  légendes  des  Houles,  on  peut  encore 
citer  l'ajonc  qu'on  avait  beau  couper  et  qui  ne 
diminuait  point  (cf.  le  Pertus  es  Fêtes),  la  poule 
noire  qui  enrichissait  ceux  qui  la  possédaient  (la 
Poule  noire),  les  paquets  de  vêtements  (cf.  la 
Houle  de  Beatiçais  ;  les  Fées  du  Guildo  ;  la  Houle  de 
Saint-Briac),  l'hameçon  qui  portait  chance  (cf. 
VHomnie  de  mer),  la  bourse  inépuisable  (cf.  la 
Houle  du  Châtelet),  le  cordon  magique  (cf. 
Contes  de  Marins,  nos  i  et  x). 

Souvent  les  fées  demandaient  à  être  marraines 
des  enfants  des  hommes  (cf.  la  Fée  et  le  Marin; 
la  Houle  de  la  Teigneuse  ;  la  Mort  des  Fées  ;  les 
Fées  du  Guildo). 


100      TRADITIONS    ET     SUPERSTITIONS 

Elles  faisaient  des  présents  à  leurs  filleuls  ;  mais 
si  on  leur  refusait  d'être  marraines,  elles  se  ven- 
geaient (cf.  Litt.  orale,  p.  17,  la  Houk  de  Pou- 
lifée). 

duelquefois,  c'étaient  elles  qui  demandaient 
une  jeune  fille  pour  nommer  leurs  enfants  (cf. 
la  Houle  du  Châtdet,  n°  i,  2^  série). 

Dans  les  houles  se  voyait  un  monde  souterrain 
où  il  y  avait  des  champs,  des  villages,  des  châ- 
teaux, etc.  (cf.  la  Fleur  du  Rocher,  2^  série,  n"  vi  ; 
le  Marsouin,  no  xvi),  et  le  séjour  en  était  si  plai- 
sant que  les  années  y  paraissaient  des  jours  (cf. 
la  Houle  du  Châtelet,  no  i,  2^  série). 

Les  fées  dansaient  des  rondes  sur  la  lande  de 
Fréhel,  et  la  défunte  Julie  Gaudin,  qui  n'était 
point  menteuse,  les  avait  vues  aller  en  procession. 

Il  y  avait  encore  d'autres  fées  à  Plévenon  qui 
habitaient  une  grotte  près  du  havre  Saint-Geran, 
dans  la  baie  de  la  Fresnaye.  Elles  faisaient  des 
cérémonies  superbes,  tiraient  la  nuit  des  feux 
d'artifice,  allaient  se  promener  en  procession  et 
dansaient  sur  les  tertres. 

(Conté  en  1879  par  ScoUstique  Durand,  de  Plévenon.) 

«  A  Crissoué  est  un  sillon  voué  depuis  des 
siècles  à  la  stérilité.  On  l'appelle  dans  le  pays  la 
Promenade  des  Fées;  le  peuple  croit  que  ces 
dames  viennent   s'y  ébattre  la   nuit,  et  qu'elles 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE 


trouveraient  fort  mauvais  qu'on  mît  en  culture  un 
terrain  qu'elles  affectionnent.  >> 

(Habasque,  t.  III.) 

A  Saint-Cast  se  voit  aussi  k  Passée  des  Fées  ; 
le  blé  y  est  moins  haut  que  partout  ailleurs. 
Elles  dansaient  au  Couvent  des  Fées  et  au  Clos 
des  Fées,  qui  est  auprès  de  la  Pointe-de-1'Isle,  à 
peu  de  distance  du  sémaphore. 

Près  de  la  Houle  d'Enfer,  en  Saint-Cast,  se 
trouve  un  endroit  que  les  anciens  nommaient  le 
Bal  des  fées  ;  c'est  là  qu'elles  venaient  danser,  et  il 
n'y  poussait  pas  d'herbe. 

Un  chemin  antique  du  pays  de  Caux  est  appelé  Chemin  des 
Fées  (cf.  A.  Bosquet,  p.   194). 

Les  Cercles  des  fées  sont  aussi  connus  en  bien  des  pa)-s, 
même  en  dehors  de  France  ;  on  les  retrouve  en  Normandie  (cf. 
Amélie  Bosquet,  p.  102),  en  Berrv  (cf.  Laisnel  de  la  Salle,  t.  I, 
p.  121),  en  Lorraine,  en  Franche-Comté  (cf.  D.  Monnier, 
p.   385). 

D'après  plusieurs  légendes  (cf.  la  Fcc  et  h  Ma- 
rin, iri-'  série,  no  xxii  ;  la  Mort  des  Fixs,  2'-  série, 
n»  XIX  ;  la  Houle  de  la  Teignousc,  n"  m),  elles 
a.vaient  des  vers  dans  la  bouche,  parce  qu'elles 
n'avaient  point  eu  sur  les  lèvres  le  sel  du 
baptême.  Quand  elles  étaient  baptisées,  elles  per- 
daient leur  immortalité,  et  on  pouvait  même  les 
faire   mourir  tout  de  suite   en  leur   jetant   une 


102      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


poignée  de  sel  dans  la  bouche  (cf.  la  Mort  des 
Fées,  2e  série,  n°  xx). 

En  d'autres  contes,  il  est  aussi  parlé  de  la  mort 
des  fées  (cf.  les  Fées  du  Guildo,  n"  xi,  dont  la 
grotte  est  emportée  par  les  eaux  ;  la  Houle  de 
Beauçais,  n"  xiv,  où  l'on  raconte  qu'elles  sont 
toutes  mortes  en  une  nuit). 

Je  ne  connais  point,  ni  en  France  ni  ailleurs 
(en  Europe  du  moins),  de  groupe  de  fées  de  la 
mer  aussi  caractérisé  que  celui  des  Houles,  qui 
forme  une  sorte  de  cycle  très-complet,  et  où  les 
traditions  sont  mieux  conservées  et  plus  précises 
que  celles  relatives  aux  fées  terrestres. 

Les  fées  des  houles,  qui  ont  avec  les  autres  des 
points  communs,  sont  apparentées  assez  faible- 
ment aux  Lamignac  basques  et  aux  Mermaids. 
Ce  sont  vraisemblablement  les  dernières  incarna- 
tions de  divinités  de  la  mer,  qui  peu  à  peu  ont 
été  réduites  à  un  rôle  même  plus  restreint  que 
celui  de  divinités  inférieures.  Quant  à  leur  per- 
sistance jusqu'à  nos  jours,  on  peut,  je  crois,  en 
donner  une  explication  fort  peu  poétique,  mais, 
suivant  moi,  assez  rationnelle. 

Les  lieux  où  sont  situées  les  houles  sont  préci- 
sément des  endroits  d'un  accès  assez  difficile,  où 
l'on  pouvait  se  cacher  ou  cacher  des  marchan- 
dises. Il  est  très-possible  que. les  fraudeurs  aient, 
par  des  apparitions,   entretenu  la  croyance  aux 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  I05 

fées  de  la  mer,  pour  mettre  leur  trafic  à  l'abri  des 
regards  indiscrets  et  empêcher  les  gens  du  pays, 
et  par  contre-coup  les  douaniers,  de  venir  visiter 
leurs  dépôts.  Toute  cette  côte  a  été  même,  jusqu'à 
une  époque  assez  récente,  exploitée  par  les  frau- 
deurs, soit  pour  la  contrebande  de  la  poudre,  soit 
pour  celle  du  sel  ;  or,  un  des  costumes  prêtés  le 
plus  souvent  aux  fées  et  aux  faitauds  est  en  toile 
grise,  et  il  était  habituel  aux  faux  sauniers. 

Dans  plusieurs  contes  de  houles,  il  est  parlé 
des  Fions  ;  cette  race  semble  composée  de  fées  de 
petite  taille  qui  occupent  vis-à-vis  des  fées  et  des 
faitauds  une  sorte  de  position  inférieure.  (Cf.  Litt. 
orale,  la  Goule  es  Fées,  p.  19-25,  petits  fions  qui 
ont  des  épées  grosses  comme  des  épingles.) 

On  les  retrouve  à  quelque  distance  de  la  côte, 
et  voici  deux  dépositions  qui  m'ont  été  commu- 
niquées à  leur  sujet. 

Les  fions  du  Pont-aux-Hommes-Nées  avaient 
une  vache  noire  qu'ils  mettaient  à  pâturer  dans 
un  champ  voisin  de  leur  cache.  Un  jour  elle 
mangea  le  blé  noir,  et  la  femme  à  qui  il  apparte- 
nait alla  auprès  de  la  Cache  es  Fions,  et  se  mit  à 
le  leur  reprocher.  Elle  entendit  une  voix  qui 
disait  :   «  Tais-toi  ;  ton  blé  noir  te  sera  payé.  » 

Les  fions  lui  portèrent  du  blé  noir  plein  un 
godet,  et  lui  dirent  de  faire  des  galettes,  et  qu'elle 


104      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

et  ses  gens  pourraient  en  manger  tant  qu'ils  vou- 
draient, mais  à  la  condition  de  n'en  donner  à  per- 
sonne qu'à  ceux  de  la  famille.  Cette  année-là,  le  blé 
noir  était  rare,  et  n'en  mangeait  pas  qui  voulait  ; 
mais  la  femme  et  ses  enfants  en  avaient  à  volonté. 

Un  jour  un  pillotous  passa  par  la  ferme  et 
demanda  à  la  bourgeoise  un  peu  de  galette. 

—  Oui  donc,  mon  pauvre  ami,  lui  répondit- 
elle  ;  j'en  mangeons  tant,  nous,  de  la  gaiijfe,  que 
j'en  étons  tous  ragogtis  (rassasiés). 

Mais  dès  que  le  pillotous  (chiffonnier)  eut 
mangé  de  la  galette,  elle  disparut,  et  les  gens  de 
la  ferme  ne  purent  plus  en  avoir. 

Au  pont  es  Hommes-Nées  (hommes  noirs?),  en 
Pleurtuit,  il  y  a  une  cache  à  fions.  Un  jour,  des 
fermiers  étaient  à  charruer  pour  faire  du  blé  noir 
dans  un  champ  à  côté.  Ils  entendirent  corner, 
pour  appeler  au  four,  et  ce  n'était  pas  la  première 
fois  qu'ils  oyaient  ce  bruit.  L'un  des  laboureurs 
cria  :  «  Faites-nous  un  tourteau.  »  Et  quand  ils 
furent  rendus  au  haut  du  champ,  ils  y  trouvèrent 
une  belle  nappe  sur  laquelle  il  y  avait  des  tourteaux 
de  pain,  du  beurre  et  des  couteaux.  Ils  se  mirent 
à  manger,  et  quand  ils  furent  repus,  un  des  la- 
boureurs, qui  avait  perdu  son  couteau,  voulut  en 
ramasser  un  dans  sa  poche.  Aussitôt  la  nappe 
disparut  avec  tout  ce  qui  était  dessus. 

(Recueilli  par  M.  Auguste  Lemoine.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  10$ 

Le  D'  Perron  {Prm<.  de  la  Franche-Comté,  p.  33)  raconte 
qu'un  jour  un  bonhomme  qui  labourait  sentit  l'odeur  de  la  ga- 
lette ;  il  en  demanda  aux  fées,  qui  lui  en  donnèrent  sur  une 
nappe,  avec  un  couteau  d'argent.  Mais  le  valet  prit  le  couteau,  et 
sa  charrue  à  chaque  tour  lui  criait  :  «  Rends  ce  que  tu  dois  !  » 

Les  fées  des  houles  sont  les  principales,  mais 
non  les  seules  fées  de  la  mer;  elle  est  aussi  peu- 
plée de  fées  qui  punissent  les  imprudents  lorsqu'ils 
jettent  leur  ancre  sans  les  prévenir  (cf.,  dans  les 
Contes  de  Marins^  \&sFêes  de  la  mer),  ou  lorsqu'ils 
pèchent  sur  les  bancs  de  sable  qu'elles  se  sont  ré- 
servés (cf.  Contes  de  Marins,  le  Pêcheur  de  lançons). 

En  plusieurs  contes  j'ai  retrouvé  le  souvenir 
des  sirènes  (cf.  la  Princesse  Dangohert,  ire  série, 
np  XXV  ;  la  Houle  du  Grouin,  2^  série,  no  x, 
sirènes  qui  chantent  mélodieusement.  La  Seraine 
de  la  Fresnaye,  2^  série,  no  11,  et  la  version  qui  la 
suit  mettent  en  scène  une  fée  moitié  femme, 
moitié  poisson,  qui  chante  mélodieusement  et 
vient  au  secours  de  pauvres  gens.  Dans  la 
deuxième  version,  la  Seraine  est  une  princesse 
qui  a  subi  une  métamorphose. 

B.    —   LES    MARGOT   LA    TÈE 

Les  Margot  la  fée,  dont  il  a  été  brièvement 
parlé  au  commencement  de  ce  chapitre,  forment 
un  groupe  presque  aussi  important  que  celui  des 


I06      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

fées  des  houles,  avec  lesquelles  elles  ont  plus 
d'une  similitude. 

Ce  nom  de  Margot  la  fée  est  employé  dans 
nombre  de  pays  des  Côtes-du-Nord,  principale- 
ment dans  les  arrondissements  de  Saint-Brieuc  et 
de  Loudéac,  pour  désigner  les  fées  terrestres  qui 
avaient  pour  demeure  les  roches  aux  fées,  les 
gros  blocs,  les  landes,  etc.  (cf.  les  pages  80  et  sui- 
vantes du  présent  volume).  Celles  du  Cas  Margot, 
aux  environs  de  Moncontour,  habitaient  même 
une  véritable  houle  :  c'est  une  excavation  creusée 
dans  le  rocher,  et  qui,  assure-t-on,  s'étend  à 
plusieurs  lieues  au  loin  ;  elle  est  située  sur  le 
bord  d'une  rivière  :  jamais  les  chiens  n'ont  voulu 
y  pénétrer. 

On  voit  une  grotte  assez  semblable  non  loin 
de  Loudéac. 

«  Sur  le  bord  du  Lié,  à  trois  kilomètres  au 
nord-ouest  de  Plémet,  se  trouve  un  moulin 
encaissé  dans  un  amas  de  rochers  à  légendes.  On 
y  remarque  une  sorte  de  grotte  dans  laquelle  un 
homme  peut  entrer  en  rampant.  Ces  rochers 
sont  les  demeures  de  la  fée  Margot.  L'un  d'eux 
imite  la  forme  d'un  fauteuil  grossièrement  taillé; 
à  droite  se  remarque  une  petite  cavité.  C'est  le 
siège  de  la  fée,  et  la  cavité  l'endroit  où  elle  posait 
son  coude.  » 

(Ernoul  de  la  Cheneliùre,  p.  40.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  IO7 


Sur  des  fées  terrestres  lorraines  qui  se  cachaient  dans  des  trous 
sous  des  souches  d'aubépine,  et  qui  offrent  plusieurs  points 
de  ressemblance  avec  les  Margot,  cf.  Adam,  p.  406-407,  contes 
intitulés  les  Failles  de  Feyi;  cf.  aussi,  dans  Laisnel  de  la  Salle, 
t.  I,  p.  105,  des  fées  berrichonnes  similaires. 

Mais  les  Margot  la  fée  sont  surtout  apparentées  aux  Lamignac 
basques  qui,  comme  elles,  habitent  des  cavernes  creusées  dans  les 
montagnes  ou  vi\'ent  sous  terre.  Ce  groupe  important  a  été  très- 
bien  étudié  par  MM»  Cerquand,  Contes  basques,  et  Webster, 
Basque  Legeinh. 

A  la  Poterie,  canton  de  Lamballe,  on  avait 
crainte  des  Margot  la  fée,  et  on  ne  passait  pas 
volontiers  près  de  leurs  pierres. 

Dans  une  allée  couverte,  aujourd'hui  ruinée 
et  située  en  cette  commune,  ont  demeuré  des  fées 
qui  voisinaient  parfois  et  venaient  étaler  leurs 
pièces  d'or  au  soleil. 

(Conté  par  M.  Méheust,  maire  de  la  Poterie.) 

Voyez  plus  loin  des  légendes  où  les  fées  s'amusent  à  tenter 
les  hommes  en  étalant  leur  or. 

Elles  se  rendaient  invisibles  quand  elles  le  vou- 
aient. Si  on  était  à  leur  causer,  elles  vous 
disaient  :  «  Regardez  donc  par  là,  »  et  pendant 
qu'on  tournait  la  tête  elles  disparaissaient. 

Elles  parlaient  souvent  des  fées  de  Guenroc 
(auprès  d'Uzel,  à  un  endroit  qui  se  nomme 
Saint-Jean-Baptiste),  où  il  y  avait  aussi  une  autre 
société  de  fées. 


I08      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

On  les  voyait  danser  la  nuit  à  côté  des  roches. 

(Conté  en  1880  par  François  Mallet,  du  Gouray.) 

Ainsi  qu'on  l'a  vu  r.  100,  les  fées  des  houles  se  plaisaient 
aussi  à  danser. 

La  fée  du  Cas  Margot,  près  Moncontour,  avait 
un  bras  de  fer  et  un  autre  d'acier. 

Ces  Margot  la  fée  se  montraient  assez  souvent 
aux  hommes  et  se  plaisaient  à  les  éprouver  ;  c'est 
du  reste  un  rôle  que  les  légendes  de  presque  tous 
les  pays  attribuent  aux  fées. 

A  la  fontaine  du  bois  du  Plessis,  on  ne  pouvait 
aller  qu'avec  un  pot,  et  encore  on  le  portait  sur 
la  tête.  Un  jour,  deux  bonnes  femmes  allèrent  y 
puiser  de  l'eau,  et  elles  rencontrèrent  Margot  la 
fée  qui  leur  demanda  à  boire. 

—  Ma  foi,  oui,  répondit  l'une,  j'ai  bien  le 
temps  de  servir  cette  vieille  sorcière  ! 

Et  elle  s'en  alla.  Mais  l'autre  femme  fut  plus 
polie,  et  elle  donna  à  boire  à  la  fée.  Quand  elles 
furent  rentrées  toutes  les  deux  et  qu'elles  vidè- 
rent leur  hue,  celle  qui  avait  mal  parlé  trouva  la 
sienne  remplie  de  grenouilles,  de  crapauds  et  de 
toutes  sortes  de  vilaines  bêtes  ;  mais  la  buie  de 
l'autre  était  pleine  de  pièces  d'or  ;  elle  se  mit  à 
l'aise,  et  depuis  ce  temps-là,  elle  et  son  monde 
ont  toujours  été  riches. 

(Conté  en  1881  par  M.  Méheust,  maire  de  la  Poterie.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  IO9 


Ce  conte  n'est  en  somme  autre  chose  qu'une  version  popuLiire 
du  conte  de  Perrault,  intitulé  les  Fées,  au  sujet  duquel  on  peut 
consulter  la  Mythologie  dans  les  contes  de  Perrault,  par  André 
Lefèvre  ;  Contes  de  Perrault,  coll.  Jannet. 

Comme  les  fées  des  houles,  les  Margot  étaient 
sujettes  à  des  maladies,  et  elles  avaient  parfois 
besoin  du  secours  des  hommes.  Dans  un  conte 
inédit  de  ma  collection,  une  Margot  la  Fée,  dont 
la  fille  est  à  un  certain  jour  de  l'année  métamor- 
phosée en  couleuvre,  prie  un  paysan  d'aller  sur 
la  route  et  de  couvrir  avec  un  bassin  la  couleuvre 
qu'il  trouvera  à  l'endroit  désigné  ;  il  y  va  et  reste 
assis  sur  le  bassin  jusqu'au  soir  ;  alors  il  le  lève, 
et  au  lieu  d'une  couleuvre,  il  voit  une  belle  jeune 
fille  qui  le  récompense  magnifiquement.  (P.) 

Un  jour,  une  sage-femme  alla  accoucher  une 
Margot  la  fée  ;  elle  oublia  de  se  laver  la  main,  et 
se  toucha  un  œil  ;  aussi,  depuis  ce  temps  elle 
reconnaissait  les  déguisements  des  fées.  Un  jour 
que  le  mari  de  la  Margot  était  à  voler  du  grain, 
elle  le  vit  et  cria  au  voleur.  Il  lui  demanda  de 
quel  œil  il  le  voyait,  et  aussitôt  qu'il  le  sut,  il  le 
lui  arracha. 

(Conté  eu  iSSi  par  J.  M.  Comault,  du  Gouray,  âgé  de 
quinze  ans.) 

Dans  plusieurs  contes  de  houles,  des  fées  sont  aussi  accouchées 
(cf.  p.  89). 


IIO      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


Le  Men  cite,  p.  23e,  une  légende  où  une  corrigan  est  accou- 
chée par  une  sage-femme  ;  par  corrigan,  M.  Le  Men  entend  une 
naine,  et  non  une  fée  proprement  dite. 

Dans  plusieurs  contes  basques  du  recueil  de  Cerquand  (cf. 
la  Lamigna  en  mal  d'enfant,  et  les  trois  versions  de  la  Lamigna 
en  couches),  des  sages-femmes  viennent  délivrer  des  fées.  La 
pommade  qui  rend  clair\'oyant  se  retrouve  eu  nombre  de  contes 
(cf.  outre  les  contes  des  houles,  cités  p.  96,  Webster,  la  Sorcière 
lI  le  noiireaii  né,  conte  basque  ;  la  Pixie  en  mal  d'enfant,  conte 
anglais,  Brueyre,  n°  39  ;  le  roi  d'Egebert,  conte  norwégien, 
Mclusine,  col.  84;  les  Mille  et  une  Nuits,  histoire  de  l'Aveugle 
Baba  Abdallah,  etc.).  L'épisode  de  l'œil  arraché  figure  dans 
plusieurs  de  ces  contes  et  dans  la  Lamigna  en  couches  de  Cer- 
quand  (3=  version). 

On  leur  offrait  du  lait,  et  elles  faisaient  de 
l'ouvrage  pour  le  monde,  et  ne  leur  faisaient  que 
du  bien,  sans  être  payées  ;  mais  elles  n'aimaient 
pas  à  être  refusées. 

Elles  nommaient  des  enfants,  surtout  ceux  des 
grosses  maisons,  leur  donnaient  des  dons  et  leur 
prédisaient  ce  qu'ils  auraient  été. 

(Conté  en  1880  par  François  Mallet,  du  Gouray.) 

Mais  elles  punissaient  ceux  qui  leur  avaient 
témoigne  peu  d'égards  : 

Une  femme  avait  deux  filles  ;  elle  n'avait  pas 
invité  la  supérieure  des  Margot  la  fée  à  nommer 
son  enfant  ;  aussi  la  supérieure  fit  devenir  le 
visage  d'une  des  filles  noir  comme  une  casserole. 
Les  fées  la  prirent  à  leur  service,  et  lui  ordonné- 


DE     LA    HAUTE-BRETAGNE 


rent  de  filer  du  fil  aussi  fin  que  ses  cheveux  ; 
mais  une  petite  bonne  femme,  qui  était  la  sainte 
Vierge,  vint  à  son  secours  et  le  lui  fila.  Elles  lui 
ordonnèrent  ensuite  d'aller  puiser  de  l'eau  avec 
des  pots  percés  ;  la  petite  bonne  femme  vint 
encore,  indiqua  le  moyen  de  boucher  les  pots,  et 
dit  à  la  jeune  fille  de  se  débarbouiller  avec  l'eau 
qu'elle  avait  puisée.  Aussitôt,  de  noire  elle  devint 
blanche. 

Elle  alla  ensuite  à  un  château,  où  elle  vit  dans 
un  jardin  un  serpent  qui  était  un  prince  méta- 
morphosé pour  trois  ans  ;  elle  l'épousa,  et  sa 
métamorphose  finit. 

(Conté  en  i8Sl  par  J.  M.  Comault,  du  Gouray.) 

Dans  un  conte  inédit  de  ma  collection,  un 
jeune  pâtour,  que  les  fées  ont  emmené  dans  leur 
grotte,  est  le  parrain  d'une  jeune  fée  qu'il  épouse 
ensuite  (cf.  la  Houle  du  Châtelet,  n°  i,  2^  série, 
où  une  jeune  fille  est  marraine  d'une  fée.) 

Elles  étaient  moins  bienveillantes  que  les  fées 
des  houles  ;  toutefois  elles  rendaient  assez  sou- 
vent service. 

«  La  légende  rapporte  que  la  fée  était  bonne 
quelquefois,  mauvaise  souvent.  Elle  gardait  les 
bestiaux  des  habitants  des  environs  :  il  leur  suffi- 
sait   de  confier  la  veille  au  rocher  le  lieu  où 


112      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

devaient  se  trouver  les  animaux  que  l'on  désirait 
faire  garder.  » 

(Ernoul  de  la  Chenelière,  p.  40.) 

Quelquefois  même  elles  soignaient  le  bétail  des 
fermiers.  Dans  un  conte  inédit  de  ma  collection, 
les  Margot  la  fée  de  Crokelien  donnent  à  manger 
aux  cochons  d'un  bonhomme  du  Gouray. 

Elles  fournissaient  aux  gens  des  remèdes  com- 
posés avec  des  plantes  qu'elles  cueillaient  dans 
le  bois  du  Plessis,  qui  a  encore  aujourd'hui  la 
réputation  d'avoir  de  bonnes  herbes,  et  elles 
disaient  même  que  si  les  animaux  en  mangeaient, 
ils  auraient  autant  d'esprit  que  les  gens,  et  qu'ils 
parleraient. 

(Conté  en  18S1  par  M.  Méheust,  maire  de  la  Poterie.) 

Elles  rendaient  service  au  monde,  et  ne  leur 
demandaient  jamais  de  récompense;  mais  elles  ne 
voulaient  pas  être  ennuyées. 

Elles  donnaient  à  ceux  qui  étaient  polis  à  leur 
égard  du  grain,  du  pain  qui  ne  diminuait  pas,  si 
on  n'en  faisait  point  part  à  d'autres. 

(Conté  par  François  Mallet,  du  Gouray.) 

Il  y  avait  une  fois,  au  Frêne,  une  bonne  femme- 
qui  se  désolait  de  n'avoir  point  de  pain  à  donner 
à  ses  enfants.  Elle  alla  demander  la  charité  aux 
Margot  la  fée,  et  l'une  d'elles  lui  fît  présent  d'un 
chanteau  qui  ne  dimhiuait  jamais.  Mais  un  jour  la 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  IIJ 

femme  du  Frêne  oublia  que  la  Margot  la  fée  lui 
avait  défendu  de  partager  son  pain  ;  elle  en  donna 
à  une  commère  du  voisinage,  et  à  partir  de  ce  mo- 
ment le  pain  diminua  comme  un  pain  ordinaire. 

(Communiqué  par  M.  E.  Hamonic,  de  Moncontour.) 

Cet  épisode  est  fréquent  dans  les  contes  des  houles  ;  il  se 
trouve  aussi  dans  deux  légendes  inédites  de  Margot  la  fée. 

Dans  les  contes  des  Lamignac,  ceux  qui  révèlent  le  secret  des 
fées  sont  aussi  punis,  soit  par  la  perte  du  don,  soit  par  un 
inconvénient  subit.  Cf.  Cerquand,  Baraniol  et  la  belle  dame;  la 
Lamigna  en  mal  d'enfant  (poire  d'or  qui  donne  un  louis  tous  les 
matins,  et  dont  la  vertu  disparaît  dès  qu'on  a  parlé). 

Souvent,  pour  éprouver  les  hommes,  elles  éta- 
laient devant  eux  des  trésors  ;  mais  s'ils  se  mon- 
traient trop  convoiteux,  ils  n'avaient  rien. 

C'était  il  y  a  bien  longtemps.  Un  homme  de 
CoUinée,  nommé  Jean  Rénier,  était  allé  chercher 
une  fouée  de  bois  dans  la  forêt  de  Loudéac.  Il 
s'avança  jusqu'au  milieu,  et,  arrivé  aux  Courtieux 
(courtils)  Margot,  qui  sont  des  creux  profonds,  il 
vit  tout  à  coup  des  fées  qui  soureillaient  (éten- 
daient au  soleil)  de  beaux  linceux  blancs  remplis 
d'argent.  A  cette  vue,  Jean  Renier  ouvrit  de 
grands  yeux  ;  mais  il  finit  par  ne  pas  avoir  peur, 
et,  s'étant  approché  des  Margot,  il  se  mit  à  leur 
causer. 

—  En  veux-tu  de  l'argent,  Jean  Rénier?  lui 
demandèrent  les  fées. 


114      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

—  Oui,  pour  de  vrai,  répondit-il. 

—  En  veux-tu  plein  ton  chapê^  ou  bien  plein 
ton  deinè  (boisseau  de  la  contenance  de  vingt- 
cinq  à  trente  kilogrammes)  ? 

—  J'aimerais  mieux  plein  mon  demé. 

—  Va-t'en  chercher  ton  demé,  Jean  Rénier,  va- 
t'en  chercher  ton  demé  ;  nous  t'en  donnerons 
plein  dedans. 

Le  bonhomme  courut  jusque  chez  lui  ;  mais 
quand  il  revint  avec  son  demé,  les  fées  et  les 
linceux  remplis  d'argent  avaient  disparu. 

En  voulant  trop  gagner,  il  avait  tout  perdu. 
On  rit  encore  de  son  aventure  dans  le  pays. 

(Communiqué  par  M.  E.  Hamonic.) 

Un  jour  une  fée  était  à  laver  à  côté  d'un  doué, 
et  près  d'elle  se  trouvait  un  linceul  (drap  de  lit) 
couvert  d'argent.  Un  homme  passa  par  là,  et 
comme  il  la  regardait,  elle  lui  demanda  s'il  vou- 
lait sa  charge  d'argent  ou  la  charge  d'un  cheval. 
Il  répondit  qu'il  aimait  mieux  la  charge  d'un 
cheval  ;  mais  pendant  qu'il  était  à  le  chercher,  la 
fée  disparut,  et  il  n'eut  rien. 

(Conté  en  1880  par  F.  Mallet,  du  Gouray.) 

(Cf.  la  Fée  de  Créhen,  2'  série,  n°  xxi,  et  le  Pertus  doré, 
n°  XXXVII.) 

Dans  les  contes  basques  recueillis  par  Cerquand,  les  Lamignac 
s'amusent  aussi  à  éprouver  les  hommes.  La  fée  accouchée  par 
une  sage-femme    (la   Laniigva   en  couches,  première  version)  lui 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  II5 

offre  en  paiement  deux  pots,  l'un  couvert  d'or,  et  l'autre  de 
miel  ;  la  sage-femme  prend  judicieusement  celui  qui  était  cou- 
vert de  miel  et  qui  se  trouva  être  rempli  d'or.  Dans  le  Lamigna 
et  le  tablier  plein  d'or,  du  même  recueil,  le  Lamigna  étale  aux 
yeux  d'un  paysan  un  tablier  plein  d'or. 

En  Normandie  (cf.  A.  Bosquet,  p  m),  dans  la  cité  de  Limes, 
il  y  a  une  foire  des  fées  ;  elles  excitent  la  convoitise  des  gens, 
et  si  on  étend  la  main,  on  est  précipité  du  haut  des  falaises  (cf. 
aussi'A.  Bosquet,  p.  182). 

Il  y  avait  un  homme  de  la  Ville-Douélan  qui 
était  à  émonder  des  hêtres  dans  un  champ  au 
pied  de  Crokélien.  Dans  la  matinée  il  vint  une  fée 
vanner  de  l'or  sous  le  hêtre  qu'il  était  à  émonder. 
L'homme  en  aurait  bien  voulu  ;  mais  il  ne 
trouvait  aucun  moyen  d'y  parvenir.  Au  midi, 
quand  il  fut  rendu  à  sa  maison,  il  raconta  cela  à 
sa  femme,  qui  lui  conseilla  de  porter  avec  lui  un 
chapelet  bénit.  Après  dîner,  il  retourna  à  son 
ouvrage.  La  fée  revint  encore  vanner  de  l'or  sous 
le  hêtre  où  il  était  à  émonder.  Il  lança  son 
chapelet  dans  la  vannée,  qui  resta  là  sans  qu'il 
eût  aucun  mal,  et  la  fée  disparut  aussitôt. 

(Conté  en  iSSi  par  J.  M.   Comault,  du  Gouray.) 

Elles  n'aimaient  pas  les  indiscrets,  et  souvent 
elles  les  faisaient  repentir  de  leur  curiosité. 

Un  soir  une  des  Margot  la  fée  du  Limbe  était 
à  laver  au  doué  qui  est  auprès  de  l'hôté  des  fées  ; 
une  femme  qui  passait  par  là  lui  dit  : 

—  VouYous  que  fvous  aide  à  teurd^e  ? 


Il6      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


—  Oui,  lui  répondit  la  fée. 

Et  elle  tendit  une  pièce  de  linge  que  la  femme 
se  mit  à  tordre  ;  mais  la  fée  lui  tordit  tant  les 
bras  qu'elle  la  laissa  presque  morte.  Si  la  femme 
avait  passé  sans  rien  dire  à  la  fée,  la  fée  ne  lui 
aurait  rien  dit. 

(Conté  en  1881  par  Angélique  Lucas,  de  Saint-Glen.) 
Cette  légende  semble  montrer  les  Margot  sous   la  forme  de 
lavandières  de  nuit. 

Elles  venaient  dans  les  maisons,  et  souvent 
elles  descendaient  par  la  cheminée.  Parfois  elles 
faisaient  l'ouvrage,  sans  demander  de  salaire  ; 
mais  si,  pour  les  récompenser,  on  leur  offrait 
quelque  repas,  elles  y  prenaient  tant  goût, 
qu'elles  revenaient  tous  les  jours  pour  le  voler,  si 
on  ne  le  leur  offrait  pas.  Souvent  elles  étaient 
voleuses  ,  et  cachées  sur  la  cheminée,  elles 
épiaient  le  sommeil  des  gens  pour  leur  prendre 
ce  qui  leur  plaisait. 

Il  y  avait  à  la  Ville-Douélan,  en  la  paroisse  du 
Gouray,  une  bonne  femme  qui  tous  les  soirs 
mettait  son  souper  à  chauffer  dans  le  foyer  ;  mais 
pendant  qu'elle  était  occupée  à  filer,  les  fées 
descendaient  par  la  cheminée  et  mangeaient  son 
souper.  Elle  s'en  plaignit  à  son  mari,  qui  était 
journalier  et  ne  rentrait  que  pour  se  coucher.  II 
lui  dit  de  le  laisser  un  soir  tout  seul  à  la  maison.  Il 
s'habilla  en  femme  et  prit  une  quenouille  comme 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  II7 


une  fileuse  ;  mais  il  ne  filait  point.  Q.uand  les  fées 
arrivèrent,  elles  s'arrêtèrent  surprises  dans  le 
foyer  et  dirent  : 

—  Vous  ne  filez  ni  ne  volez  ;  vous  n'êtes  pas 
la  bonne  femme  des  autres  soirs. 

L'homme  ne  répondit  rien  ;  mais  il  prit  une 
trique  et  se  mit  à  frapper  sur  les  fées  qui,  depuis 
ce  temps-là,  ne  revinrent  plus  jamais. 

(Conté  en  1881  par  J.  M.  Comault,  du  Gouray.) 

Cf.    dans    Amélie    Bosquet    Le    Lutin    ou    le    Fé  amoureux, 

p.  130-131,  une  légende  similaire;  Webster,  La  Fée  à  lainaison, 

?■  55-56- 

Jadis  il  y  avait  des  esprits  bien  plus  que  main- 
tenant ;  ils  enlevaient  les  enfants  de  leurs  bers,  et 
même  parfois  les  grandes  personnes,  et  ils  allaient 
les  mettre  dans  la  huche  au  bois,  d'où  on  les 
retirait,  car  ils  criaient  comme  des  gareux  (loups- 
garous).  Une  bonne  femme  de  Hénon  avait  été 
ainsi  portée  étant  jeune.  Depuis  qu'on  a  commencé 
à  chanter  les  comphes  de  la  Vierge,  les  esprits 
ont  cessé  de  transporter  les  gens. 

(Recueilli  .i  Hénon,  près  Moncontour,  par  M.  Bourie.) 

Ces  fées  changeaient  les  enfants  ;  mais  quand 
elles  ne  pouvaient  réussir  à  les  emporter,  elles  les 
étaient  de  leurs  berceaux,  et  allaient  les  poser  sur 
les  marches  des  métiers  à  toile,  c'est-à-dire  en 
dessous.  Au  pays  de  Loudéac,  surtout  jadis,  cha- 
cun avait  son  métier. 


Il8      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


Un  jour  une  femme  dit  à  sa  voisine  : 

—  Ma  pauvre  commère,  je  crais  que  mon  gars 
a  été  changé  par  les  Margot  ;  il  n'a  pas  encore 
un  an,  et  il  mange  autant  qu'une  grande  per- 
sonne. Hier,  j'ai  voulu  lui  donner  un  petit  mor- 
ciaii  de  ma  beurrée  ;  il  m'a  parlé  aussitôt  et  m'a 
dit  :  «  Vous  n'e:^  qu'à  m'donner  la  beurrée  tout 
entière;  je  la  mangerai  bien.  »  Jamais  n'y  a  ■^en 
d'éfant  à  manger  tant  comme  ' éla  ;  f  en  se  désolée  ;  et 
j'voudrais  ben  saver  c'qui'  faut  faire. 

—  Vous  n'e\  qu'faire  de  vous  tracasser,  dit  la 
commère  ;  fvas  vous  dire  comment  qu'i'  faut  faire. 
Vous  preniri  d's  œu's;  vous  leur  casserez  le  petit  bout, 
et  puis  d'cela  vous  mettre^  des  petits  brachiaux  d'bois 
dedans;  v'allumere::^  un  bon  feu;  vous  les  mettre:;^ 
autour,  debout,  et  vous  mènercj^  le  petit  faitian  à  se 
chauffer  aussi. 

La  femme  fît  tout  cela,  et  quand  le  petit 
faiteau  vit  les  œufs  bouillir  et  les  petits  bois 
sauter  dedans,  il  s'écria  : 

Voilà  que  j'ai  bientôt  cent  ans  ; 

Mais  jamais  de  ma  vie  durant 

Je  n'ai  vu  tant  de  p'tits  pots  bouillants. 

La  femme  vit  tout  de  suite  que  son  enfant 
avait  été  changé  et  qu'on  avait  mis  un  faiteau  à 
sa  place  ;  elle  s'écria  : 

—  Vilain  petit  sorcier,  je  vas  te  tuer  ! 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  II9 


Mais  la  fée  qui  était  dans  le  grenier  lui  cria  : 

N'tue  pas  rraien, 
J'te  renrai  Ttien  ; 
N'tue  pas  l'mien, 
J'te  renrai  l'tien. 

(Communiqué  par  M.  E.  Hamonic,  de  Moncontour,  qui  tient 
ce  conte  de  M">=  Ragot,  native  de  La  Motte,  près  Loudéac.) 

Cf.  sur  les  Changelings  les  p.  90-91  du  présent  chapitre,  où 
sont  cités  des  contes  similaires  ;  cf.  aussi  Ernoul  de  la  Chene- 
lière,  p.  41. 

Elles  avaient  toutes  sortes  d'animaux,  excepté 
des  cochons  et  des  chiens. 

Les  fées  du  Cas-Margot,  près  Moncontour, 
gardaient  leurs  vaches  sur  la  lande  de  la  Chapelle 
avec  les  pâtours  ;  ceux-ci  n'avaient  le  droit  de 
rien  leur  dire.  (P.) 

Dans  un  conte  inédit  de  ma  collection,  les 
Margot  la  fée  ont  un  pâtour  pour  garder  leurs 
bœufs.  Un  jour  qu'ils  étaient  passés  en  dommage, 
le  maître  du  champ  veut  les  frapper  ;  mais  aussi- 
tôt son  propre  bétail  meurt.  (P.) 

«  La  fée  possédait  deux  bœufs  qui  étaient  à  la 
disposition  de  tout  le  monde.  Ils  se  nourrissaient 
seuls,  et  travaillaient  depuis  le  soleil  levant 
jusqu'au  soleil  couchant,  moment  où  ils  dispa- 
raissaient. » 

(Ernoul  de  la  Cheaelière,  p.  40.) 


120      TRADITIONS     tT     SUPERSTITIONS 

Les  fées  des  Courtieux  Margot  avaient  des 
bœufs  qui  ne  pouvaient  travailler  ni  avant  le 
lever  du  soleil,  ni  après  qu'il  était  couché.  Un 
homme,  qui  les  leur  avait  empruntés  pour  faire 
ses  labours,  ayant  voulu  continuer  à  les  faire 
travailler  après  le  soleil  caché,  les  bœufs  cre- 
vèrent. 

(Recueilli  par  M.  E.  Hamonic.) 

(Cf.  contes  des  paysans,  Us  Boeufs  des  fées,  n"  xxxiii  et  la  note 
qui  suit.) 

En  Normandie  (cf.  A.  Bosquet,  p.  193),  il  y  avait  jadis  des 
rochers  habités  par  des  génies  bienfaisants  qui  prêtaient  des 
bœufs  aux  paysans. 


U.    —     AUTRES    FEES    TERRESTRES 

Dans  rille-et-Vilaine  et  dans  la  partie  des 
Côtes-du-Nord  qui  n'en  est  pas  éloignée  existe 
aussi  un  groupe  de  fées  qui  se  nomment  simple- 
ment fées,  et  qui  paraissent  fortement  apparen- 
tées aux  Margot  des  Côtes-du-Nord.  Elles  ont  les 
mêmes  demeures,  et  on  leur  prête  des  actes 
analogues  ;  mais  leur  légende  est  plus  effacée. 
Voici  ce  que  j'ai  recueilli  à  leur  sujet  : 

Il  y  avait  des  fées  près  de  l'étang  de  Biénais 
en  Gosné  ;  elles  demeuraient  à  la  Coublcrie,  dans 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE 


une  roche  aux  fées  qui  fut  emportée  lorsque  l'étang 
rompit  sa  chaussée.  Elles  envoyèrent  un  de  leurs 
hommes  chercher  la  grand'mère  de  mon  grand- 
père  pour  accoucher  l'une  d'elles.  Elle  ne  voulait 
pas  y  aller  ;  mais  l'homme  la  prit  sur  son  dos  et 
l'emmena  dans  la  grotte.  Quand  la  fée  fut  accou- 
chée, il  lui  dit  : 

—  Remontez  sur  mon  dos,  où  je  vous  ai  prise 
je  vous  rapporte. 

(Conté  en  iSSi,  par  Marie-Louise  Le  Bossé,  d'Ercé,  âgée  de 
vingt  ans.) 

Cf.  sur  les  fées  accouchées  par  des  femmes,  la  Gotde  es  fées 
et  la  page  109  du  présent  volume. 

Ces  fées  se  plaisaient  à  rendre  service  aux 
braves  gens. 

Il  y  avait  une  fois  une  fermière  qui  avait  son 
monde  à  travailler  dans  les  champs  ;  elle  avait 
oubHé  de  leur  faire  de  la  galette  de  blé  noir 
pour  leur  dîner,  et  quand  elle  entendit  sonner 
y  Angélus  elle  fut  bien  surprise,  et  elle  se  mit  à  se 
désoler. 

—  Comment  faire  ?  disait-elle  tout  haut  ;  ma 
pâte  n'est  pas  prête  ;  mon  feu  n'est  pas  allumé. 
Jamais  je  n'aurai  le  temps  de  faire  à  dîner  à  mes 
hommes,  et  ils  vont  me  quereller. 

Elle  entendit  tout  d'un  coup  une  voix  qui  lui 
dit  : 


122     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


—  Ne  t'ébahis  pas  ;  tu  auras  assez  de  galettes 
pour  le  dîner  de  tes  hommes. 

La  fermière  se  retourna,  et  elle  vit  dans  la  che- 
minée une  vieille  bonne  femme. 

—  Comment  voulez-vous,  lui  répondit-elle, 
que  je  puisse  arriver  à  faire  ce  qu'il  me  faut  de 
galettes?  Ma  pâte  n'est  pas  démêlée,  et  mon 
gaufféroué  n'est  pas  encore  sur  le  feu. 

—  Regarde  sur  ta  table,  lui  dit  la  vieille. 

La  fermière  se  retourna  et  vit  sur  la  table  de 
belles  galettes  chaudes  qui  fumaient.  Elle  voulut 
demander  à  la  vieille  bonne  femme  qui  les  avait 
apportées  ;  mais  elle  la  vit  rentrer  entre  les  pierres 
de  la  cheminée,  et  elle  n'eut  que  le  temps  de  lui 
dire  à  haute  voix  :  «  Merci  du  service  que  vous 
m'avez  rendu.  » 

Le  petit  pâtour,  qui  rentrait  avant  les  autres, 
entendit  la  fermière  dire  merci,  et  il  alla  le 
raconter  au  fermier  : 

—  A  qui  as-tu  dit  merci  tout  à  l'heure  ?  lui  dit 
son  mari. 

—  A  personne,  répondit-elle;  je  me  parlais 
toute  seule. 

—  Ce  sont  des  galettes  des  fées,  dirent  les 
hommes,  et  c'était  une  fée  que  tu  remerciais. 
Nous  n'en  voulons  point. 

Ils  parlèrent  des  fées  pendant  tout  le  dîner,  et 
en  firent  si  peur  à  la  fermière  qu'elle  crut  être 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  123 

damnée  ;  elle  alla  se  confesser  au  recteur  el  lui 
conta  ce  qu'elle  avait  vu  et  le  service  que  la  fée 
lui  avait  rendu. 

—  Lui  avez-vous,  demanda  le  prêtre,  parlé 
amiement  ? 

—  Je  ne  sais,  répondit-elle  ;  elle  m'a  proposé 
de  me  rendre  service,  et  je  crois  bien  que  je  l'ai 
remerciée  de  bon  cœur. 

On  disait  autrefois  :  «  Il  faut  aller  à  Busentin 
manger  de  la  galette  des  fées.  »  Elle  était  meil- 
leure là  que  partout  ailleurs.  De  vrai,  les  fées  sont 
venues  à  Busentin.  Quand  on  avait  chauffé  le 
four,  elles  venaient  y  faire  cuire  du  pain  ou  de  la 
galette.  Elles  y  boulangeaient,  et  les  fermiers 
trouvaient  des  gâches  de  pain  qu'ils  donnaient  aux 
pauvres,  n'osant  eux-mêmes  en  manger. 

Les  fées  avaient  des  demeures  souterraines  de 
distance  en  distance.  Elles  travaillaient  plus  la 
nuit  que  le  jour. 

Ma  défunte  grand'mère,  qui  demeurait  au 
moulin  à  eau  de  Saint-Jean,  avait  entendu  les 
fées  en  dessous  de  la  pierre  de  son  foyer,  et  un 
soir  qu'elle  veillait,  elle  entendit  : 

—  Apporte  la  pâte  au  four. 

Plutôt  que  de  les  rencontrer,  j'aurais  sauté  dans 
le  feu,  et  je  me  donnais  bien  garde  de  parler 
mal  d'elles. 

(Conté  en  1880  par  la  femme  Michel,  de  Saint-Cast.) 


124     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

Lorsqu'on  portait  le  soir,  près  des  doues,  le 
linge  qu'on  désirait  qui  fût  lavé,  les  fées  venaient 
à  minuit  et  faisaient  la  besogne  des  lavandières, 
qui,  le  matin,  trouvaient  le  linge  parfaitement 
nettoyé. 

(Conté  par  Emile  Frostin,  de  Matignon,  en  1S64.) 

Les  fées  qui  demeuraient  dans  les  rochers 
de  Marpiré  et  de  Saint-Didier  (Ille-et- Vilaine) 
étaient  divisées  en  deux  bandes. 

La  nuit  elles  quittaient  leurs  demeures  et 
venaient  chez  les  hommes  ;  elles  descendaient  par 
la  cheminée,  levaient  les  enfants  qui  étaient  au 
berceau,  leur  faisaient  de  la  bouillie,  les  chauf- 
faient et  en  avaient  soin  comme  de  bonnes  nour- 
rices, puis  elles  s'en  allaient  par  la  cheminée, 
comme  elles  étaient  venues.  Mais  il  ne  fallait  rien 
leur  dire  et  les  laisser  faire;  sans  cela,  elles 
auraient  cessé  de  venir  soigner  les  enfants,  parfois 
même  elles  les  auraient  tués. 

Quand  on  passait  trop  près  de  leurs  demeures, 
elles  ensorcelaient  les  gens  :  les  filles  couraient 
après  les  garçons  sans  pouvoir  s'en  empêcher  ; 
mais  les  fées  ne  pouvaient  rien  sur  les  filles  qui 
avaient  sur  elles  un  objet  bénit  ou   un  chapelet. 

(Conté  en  1880  par  Joseph  Legendre,  jardinier,  qui  tient  ceci 
d'une  femme  de  Saint-Aubin-du- Cormier,  nommée  Ticnnette 
Gaumer,  âgée  de  quatre-vingt  deux-ans.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  12$ 


Les    Fades   du   Berry   (cf.     Martinet,    p.  lo;   Laisnel    de    la 

Salle,  t.  I,  114)  rendaient  aussi  service  aux  hommes,  nettoyaient 

les  étables,  soignaient  les  bestiaux,  etc.  ;  il  en  était  de  même  en 
Normandie  (cf.  Amélie  Bosquet,  p.  103). 

Tel  est,  en  résumé,  ce  que  j'ai  pu  recueillir  au 
sujet  des  fées  auxquelles  les  paysans  attribuent 
une  résidence  locale.  Ces  dépositions  suffiront  à 
montrer  le  rôle  qui  leur  est  prêté  par  la  tradition 
populaire. 

Quant  aux  autres  qui  figurent  dans  des  contes 
à  lieu  indéterminé,  elles  ne  diffèrent  pas  sensi- 
blement de  celles  que  l'on  retrouve  un  peu  partout 
en  Europe  et  même  ailleurs.  J'aurai  plus  loin 
l'occasion  de  parler  des  fées  qui,  par  transforma- 
tion, sont  devenues  des  bonnes  Vierges. 


CHAPITRE    IV 


LES    LUTINS 


I  presque  partout  les  paysans  croient  que 
les  fées  ont  disparu,  ils  sont  en  général 
persuades  que  les  lutins  existent  encore. 
Toutefois  on  parle  moins  souvent  d'eux  sur  le 
littoral  que  dans  l'intérieur  des  terres.  Les  marins, 
me  disait  un  de  mes  conteurs,  ne  voient  pas  tant 
de  quoi,  comme  les  terriens. 

En  certains  pays,  on  semble  penser  que  les 
lutins  ne  se  montrent  plus  maintenant  ;  mais,  de 
même  que  les  fées,  ils  reviendront  le  siècle  pro- 
chain,   qui  est  le  siècle  visible.  (E.) 

Vers  le  Mené,  où  l'on  croit  qu'ils  existent,  on 
prétend  qu'avant  la  Révolution  il  y  avait  beau- 
coup plus  de  follets  que  maintenant. 

On  dit  aussi  que  depuis  que  les  prêtres  se  font 
passer  le  livre  derrière  eux  à  la  messe,   les  lutins, 


TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS      12/ 

au  lieu  de  passer  par  devant  les  personnes  passent 
par  derrière,  et  c'est  pour  cela  qu'on  ne  les  voit 
plus.  (P.). 

«  On  croit  fermement,  en  Bretagne,  à  l'existence  des  lutins. 
J'ai  rencontré  bien  souvent  des  vieillards  qui  non  seulement 
prétendaient  en  avoir  vu,  mais  qui  affirmaient  avoir  été  enlevés 
par  eux  et  n'avoir  dû  leur  salut  qu'à  la  prompte  intervention  de 
leurs  parents.  Cependant,  si  la  plupart  des  Bretons  sont  con- 
vaincus que  cette  race  a  existé,  ils  pensent  que,  bien  qu'il  se 
trouve  quelques  nains  disséminés  dans  les  bourgs  et  dans  les 
villes  de  la  Bretagne,  la  masse  de  la  nation  a  émigré  depuis 
bien  des  années  déjà  pour  une  contrée  aussi  inconnue  que  celle 
dont  ils  sont  originaires.  »  (Le  Men,  Revue  cUt.,  p.  230-231.) 

On  les  nomme  Lutins,  ou  Maif Jeans  (cf. 
Maistr'  Yan  des  Bretons  bretonnants),  Follets  ou 
Esprits  follets.  Ce  dernier  nom,  qui  est  aussi  en 
usage  dans  le  Morbihan,  est  employé  plus  fré- 
quemment dans  le  voisinage  du  pays  bretonnant 
que  dans  l'Ille-et- Vilaine.  Mais  ce  sont  là  leurs  noms 
génériques  ;  ils  en  portent  d'autres  particuliers  aux 
espèces,  et  ils  sont,  ainsi  que  leurs  fonctions, 
assez  variés. 

Ils  ne  se  montrent  guère  que  la  nuit,  ou  tout 
au  moins  au  crépuscule.  Pendant  le  jour  ils  se 
cachent,  on  ne  sait  pas  au  juste  où  ;  cependant 
j'ai  entendu  dire  à  Saint-Cast  qu'ils  habitaient 
dans  les  bois  et  dans  les  prés.  Vers  Ercé,  ils  vont 
jouer  autour  des  roches  piquées,  c'est-à-dire  des 
menhirs  et  des  dolmens. 


128      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


c<  On  ne  les  voit  ordinairement  que  le  soir  sur  la  lisière  des 
bois  sombres,  au  milieu  des  bruyères  désertes.  »  (Cf.  Le  Men, 
Rev.,  celi.,  p.  228;  cf.  aussi  A.  Bosquet,  p.  135  ;  Ernoul  de  la 
Chenelière,  p.  28;   D.  Monnier,  p.  604.) 

Dans  le  Morbihan  français,  les  follets  sont 
gardiens  de  trésors.  Ce  rôle  est  aussi  attribué  aux 
lutins  bretonnants  ;  mais  je  n'ai  pas  retrouvé  cette 
croyance  dans  les  pays  que  j'ai  explorés. 

«  Il  y  avait  une  maison  de  follets  dans  le  bois 
auprès  du  château  où  ils  cachaient  leurs  trésors. 
Un  garçon  meunier  de  la  rivière  d'Ars,  qui  aurait 
bien  voulu  les  avoir,  alla  consulter  un  sorcier 
pour  savoir  l'heure  à  laquelle  ils  sortaient  de 
leurs  maisons  et  celle  où  ils  y  rentraient,  et  il  sut 
qu'ils  étaient  dehors  la  nuit  entre  les  deux  chants 
du  coq.   » 

(Fouquet,  Lcgcmles  du  Morbihan,  p.   140.) 

Même  croyance  en  Normandie  (cf.   A.  Bosquet,  p.  135-143). 

Quand  une  personne  passait  dans  une  route  où 
les  follets  avaient  été,  elle  perdait  la  mémoire  et 
ne  reconnaissait  plus  son  chemin. 

On  disait  que  les  follets  avaient  f;iit  un  pacte 
avec  le  diable,  et  qu'ils  demeuraient  follets  jusqu'à 
l'heure  de  leur  jugement  (de  leur  mort). 

(Conté  par  François  Mallet,  du  Gouray,  iSSc.) 
«    L'opinion  générale  en  Bretagne  est  qu'ils  sont   les  suppôts 
du  diable,  et  que  c'est  de  lui  qu'ils  tiennent  leurs  facultés   sur- 
naturelles. »  (Le  Men,  Rn'ue  cclt.,  p.  230.) 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  I29 

Bien  que  les  lutins  soient  capables  de  s'at- 
tacher aux  maisons  ou  à  leurs  habitants,  et  de  se 
plaire  à  leur  rendre  des  services,  c'est  une  race 
espiègle,  généralement  susceptible  et  malfaisante, 
et  il  n'y  a  point  à  se  fier  à  leur  amitié. 

Mme  de  Cerny,  dans  sa  curieuse  brochure  Saint- 
Suliac  et  ses  légendes,  p.  54-55,  trace  le  portrait 
suivant  des  lutins  familiers  des  bords  de  la 
Rance  : 

«  Un  jour  il  vous  aime,  il  soigne  vos  che- 
vaux, brosse  vos  habits,  cire  vos  souliers,  et  cela 
dure  jusqu'à  ce  que  vous  l'ayez  blessé  par  vos 
paroles  en  blâmant  les  services  qu'il  rend  gratis. 
Ce  petit  être  invisible,  qui  ne  quitte  pas  le  logis, 
vous  rend  tous  les  services  d'un  domestique 
éclairé  ;  mais  malheur  à  vous  s'il  vous  prend  en 
haine  1  II  égare  vos  papiers,  brouille  les  écheveaux 
de  fil,  dérange  tout  au  logis,  passe  aux  écuries  et 
entortille  les  crins  de  la  crinière  et  de  la  queue 
des  chevaux  au  point  de  ne  pouvoir  les  débrouiller, 
et  rebrousse  le  poil  de  leur  robe.  Il  jette  leur 
avoine  aux  oiseaux  et  couvre  le  foin  d'immon- 
dices. 

«  Les  lutins  sont  très-sobres  et  s'amusent  à  faire 
la  guerre  aux  sonneurs,  qui  ne  meurent  pas  ordi- 
nairement de  soif.  Le  monde  leur  appartient 
depuis  onze  heures  jusqu'à  deux  heures  après 
minuit.  Malheur  aux  ivrognes  !  S'ils  blasphèment, 

I.  9 


ï$0      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

s'ils  injurient  les  lutins,  s'ils  font  le  simulacre  de 
joindre  les  voies  de  fait  aux  insultes,  ils  rendent 
les  coups  avec  usure;  ils  jettent  parfois  les  agres- 
seurs dans  les  eaux  ou  leur  cassent  le  cou  contre 
les  pierres  du  chemin.  » 

Dans  le  Jura,  les  follets  sont  aussi  les  ennemis  des  ivrognes,  et 
ils  se  vengent  de  ceux  qui  ne  leur  parlent  pas  poliment.  (Cf; 
D.  Monnier,  p.  616-632.) 

Parfois  les  lutins  rendent  service,  mais  à  la 
condition  qu'on  accomplisse  une  épreuve,  telle 
que  deviner  un  nom  difficile  ou  inconnu,  ainsi 
qu'on  le  voit  dans  le  petit  conte  qui  suit  : 

Il  y  avait  une  fois  un  marin  qui  partait  pour 
Terre-Neuve  ;  il  donna  à  sa  femme  beaucoup  de 
filasse,  et  il  lui  dit  : 

—  Tu  la  porteras  à  filer  et  à  tisser  à  un  petit 
bonhomme  qui  file  et  qui  tisse  dans  un  trou  de 
taupe.  Si  la  toile  n'est  pas  prête  quand  je  revien- 
drai, je  te  tuerai. 

La  femme  alla  porter  sa  filasse  au  petit  bon- 
homme qui  tissait  dans  un  trou  de  taupe,  et  le 
bonhomme  en  eut  vite  fait  de  la  toile.  Quand 
elle  fut  prête,  il  dit  à  la  femme  : 

—  Je  ne  vous  demande  point  d'argent;  mais 
vous  n'aurez  la  toile  que  si  vous  pouvez  deviner 
mon  nom. 

La  femme  était  bien  embarrassée. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  IJI 


Son  mari,  en  s'en  revenant,  entendit  une  petite 
voix  qui  chantait  : 

Une  femme  qui  a  k  huppe  verte, 
Qui  ne  sait  comment  j'ai  nom, 
Qjii  ne  sait  comment  j'm 'appelle  ; 
C'est  Grignon  qui  est  mon  nom. 

Qjjand  il  arriva  chez  lui,  il  dit  à  sa  femme  : 

—  Où  est  la  toile  ? 

—  Ah  1  répondit-elle,  elle  est  faite.  Le  petit 
bonhomme  me  l'a  montrée  ;  mais  il  ne  veut  la 
donner  que  si  je  devine  son  nom. 

—  Eh   bien  !    dit-il,   quand  il  viendra,    tu  lui 
diras  qu'il  se  nomme  Grignon. 

Deux  ou  trois  jours  après,  le  petit  bonhomme 
vint  et  dit  : 

—  Savez-vous  mon  nom  ? 

—  Vère  (oui),  Grignon,  répondit  la  bonne 
femme. 

Et  elle  eut  la  toile  pour  rien. 

(Conté  en  1880  par  François  Marquer,  de  Saint- Cast,  mousse, 
âgé  de  treize  ans.) 

Dans  Rodomoni,  Contes  de  la  Haute-Bretagtit,  V^  série, 
n°  XLViii,  c'est  le  diable  dont  il  faut  deviner  le  nom  ;  il  en  est 
de  même  dans  Diclt  et  Don,  conte  picard  de  H.  Camoy.  Dans 
la  Jolie  fille,  conte  basque  recueilli  par  Webster,  c'est  une  sor- 
cière nommée  Marie  Kirikitoun  ;  dans  un  conte  reproduit  par 
Méliisine,  col.  150,  c'est,  comme  dans  l:  récit  gallot,  un  lutin, 
nommé  Furti-Furton  dont  il  s'agit  de  deviner  le  nom. 


132      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

Le  Men,  p.  423,  trace  un  portrait  des  esprits 
follets  du  pays  bretonnant,  qui  se  nomment  sou- 
vent Follets,  Bouffon-noz,  Fou  de  nuit,  Buguel- 
noz.  Ils  rendent  service  à  ceux  qu'ils  ont  pris  en 
amitié  et  sont  les  familiers  des  maisons. 

«  Heureuse  la  servante  qui  a  un  esprit  follet 
dans  sa  manche  !  La  maison  sera  balayée  tous  les 
jours  avec  soin,  sans  la  moindre  fatigue  pour  elle  ; 
la  pâte  sera  pétrie,  les  crêpes  seront  faites  sans 
qu'elle  y  mette  la  main.  Heureux  aussi  le  valet 
d'écurie  qui  est  l'ami  des  follets  !  Il  pourra  dormir 
la  grasse  matinée,  laissant  à  son  compère  le  soin 
de  panser  les  chevaux  et  de  nettoyer  l'écurie. 

«  Mais  pour  obtenir  les  bonnes  grâces  de  ce 
capricieux  esprit,  il  faut  être  avec  lui  plein  d'at- 
tentions et  de  prévenances.  La  moindre  offense 
suffit  pour  l'irriter,  et  alors  il  ne  laissera  échapper 
aucune  occasion  de  vous  jouer  un  mauvais  tour. 

«  Dans  le  nord  du  Finistère,  et  surtout  dans 
l'ancien  évêché  de  Tréguier,  il  était  d'usage,  il  y 
a  quelques  années,  de  placer  dans  un  des  coins  du 
foyer  une  pierre  plate  ou  un  galet  sur  laquelle  le 
Bouffon-noz  venait  s'asseoir  la  nuit  pour  se 
chauffer.  On  avait  soin  aussi  de  ne  pas  couvrir 
entièrement  la  braise  de  cendre.  Mais  un  jour 
une  servante,  qui  n'avait  eu  qu'à  se  louer  des  ser- 
vices du  follet,  eut  la  mauvaise  idée  de  faire 
rougir  la  pierre.  Le  pauvre  Bouffon-noz  se  brûla 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  133 

cruellement;  mais  à  partir  de  ce  moment,  rien 
ne  réussissait  à  la  malicieuse  servante....  Elle  fit 
tant  de  maladresses  qu'elle  fut  congédiée  de  la 
ferme  où  jusque-là  elle  avait  vécu  heureuse.  » 

Ce  récit  se  retrouve  en  substance  dans  l'histoire  du  lutin  fa- 
milier de  Keraxborn,  que  M.  Luzel  a  retracée  dans  ses  Veillées 
bretonnes  (p.  76-77). 

Dans  un  conte  de  Souvestre,  Teu\-ar-Pouliet,  un  lutin  qui  a 
eu  à  se  louer  d'un  garçon  de  ferme  le  prend  en  amitié,  lui 
aide  à  se  marier,  et  aussi  à  labourer  ;  mais  sa  femme,  mécontente 
de  ce  qu'elle  avait  eu  de  lui  un  cheval  sans  queue,  met  de  la 
braise  sur  l'aire  un  jour  que  le  lutin  donnait  une  fête  à  ses  amis. 
Ils  s'en  vont  furieux,  et  depuis  tout  alla  mal  à  la  maison. 
(Cf.  aussi  dans  Luzel,  Légendes  chrétiennes,  t.  II,  p.  173,  un 
conte  portant  le  même  titre  que  celui  de  Souvestre,  mais  qui  en 
diffère  beaucoup.)  Une  légende  assez  voisine  de  celle-ci,  au 
moins  quant  au  moyen  de  se  débarrasser  du  lutin,  est  racontée 
par  A.  Bosquet  dans  la  Normandie  merveilleuse,  p.   130. 

Je  n'ai  rien  recueilli  personnellement  sur  les 
lutins  familiers  des  maisons,  du  moins  sur  ceux 
qui  se  plaisent  à  rendre  service;  en  revanche,  j'ai 
un  assez  grand  nombre  de  récits  où  sont  racontés 
leurs  méfaits. 

Il  y  avait  autrefois  des  femmes  qui  allaient  filer 
dans  le  fournil,  comme  c'était  alors  la  coutume  en 
hiver.  Elles  entendirent  la  crémaillère  qui  faisait 
grand  bruit,  et  elles  crurent  que  c'étaient  les  gars 
qui  s'amusaient  à  leur  faire  peur. 


134      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

f''-"- Quelques  jours  après,  elles  entendirent  encore 
du  bruit,  et  il  leur  sembla  qu'on  remuait,  ainsi 
que  font  les  fileuses,  de  vieux  rouets  qui  étaient 
dans  le  grenier. 

—  Ne  filez  pas  tout;  jetez-nous  en  un  peu! 
dirent-elles,  pensant  avoir  affaire  aux  gars. 

Aussitôt,  sans  que  le  plancher  eût  le  moindre 
trou,  il  tomba  au  milieu  d'elles  un  gros  paquet 
de  reparons  (déchet  de  chanvre).  Cela  leur  fit  bien 
peur;  elles  ne  retournèrent  plus  filer  dans  le 
fournil. 

(Conté  en  i88o  par  Françoise  Duraont,  d'Ercé.) 

Dans  la  partie  française  du  Morbihan,  les 
follets  se  plaisaient  aussi  à  faire  endéver  les  gens; 
plusieurs  légendes  recueillies  par  le  Dr  Fouquet 
(les  Follets  de  Callac,  les  Lutins  de  Coetho,  Clé- 
mence de  Canco'ét)  les  montrent  pénétrant  dans  la 
maison  pour  y  faire  des  espiègleries.  Un  autre 
conte  du  même  auteur,  que  j'abrège,  les  met  en- 
core en  scène  d'une  manière  plaisante  : 

Les  follets  tourmentaient  toute  la  nuit  deux 
vieilles  filles  qui  avaient  essayé  vainement  de  les 
repousser  à  grand  renfort  de  médailles  et  de  cha- 
pelets :  un  soir  elles  aspergèrent  d'eau  bénite 
toute  la  maison,  y  compris  les  portes,  les  fenêtres 
et  le  foyer,  puis  elles  se  couchèrent  ;  la  nuit  venue, 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  I3S 

les  follets  arrivèrent  comme  de  petits  fous,  mais 
l'eau  bénite  les  brùia.  Alors  ils  grimpèrent  jus- 
qu'aux gazons  du  toit  qu'ils  jetèrent  un  à  un  dans 
le  foyer  par  la  cheminée,  et,  marchant  avec  pré- 
caution sur  ces  gazons  étendus,  ils  arrivèrent  au 
lit  des  vieilles  filles,  qu'ils  se  mirent  à  fouetter 
en  chantant  en  choeur  :  «  Tout  n'est  pas  béni  ! 
tout  n'est  pas  béni  !  » 

(Les  follets  et  les  vieilles  filles ,  p.  48.) 

Une  autre  vengeance  du  follet,  dont  l'histoire  est  connue  dans 
toute  la  Bretagne  bretonnante,  consistait  à  faire  subir  à  la  der- 
nière personne  qui  se  mettait  au  lit  dans  la  maison  la  correction 
qu'on  inflige  aux  petits  enfants  qui  ne  sont  pas  sages  (Le  Men, 
p.  424)- 

On  racontait  jadis  à  Plévenon  que  les  lutins  se 
cachaient  sous  les  lits  ;  et  quand  les  mères  étaient 
sorties,  ils  enlevaient  les  petits  enfants  de  leurs 
berceaux  et  allaient  les  mettre  dans  d'autres  lits 
ou  dans  une  pièce  à  côté.  Les  mères,  en  rentrant, 
voyaient  le  berceau  vide,  et  entendaient  leur 
enfant  qui  criait  et  le  lutin  qui  riait. 

{Conté  par  Scolastique  Durand,  de  Plévenon,  18S0.) 

Un  soir  le  lutin  passait  devant  une  ferme,  et 
comme  il  était  fatigué  d'avoir  lutine  les  chevaux, 
il  entra  dans  la  maison  et  vint  s'asseoir  dans  le 
foyer,  où  il  y  avait  une  grande  fouée  de  feu,  et  il 
disait   aux  gens  de   la  ferme  :  «  Faufons-nous, 


136      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

faufons-nous,  il  y  a   beau.  »   Les  lutins  parlent 
volontiers  comme  les  enfants. 

(Conté  en  i88o  par  François  Marquer,  de  Saint-Cast.) 

Le  drac  (cf.  Babou,  les  Païens  innocetils,  p,  16)  vient  aussi  se 
chauffer  dans  les  maisons. 

Le  lutin  va  aussi  brouiller  les  cheveux  du 
monde.  Il  a  les  pieds  ronds.  (E.) 

«  On  raconte  que  deux  jeunes  filles  ayant  couché  dans  une 
écurie,  un  mauvais  lutin  s'amusa  pendant  la  nuit  à  lutiner  telle- 
ment leur  belle  chevelure,  que  le  lendemain  elles  furent  obligées 
delà  couper.  »  (A.  Bosquet,  p.  128.) 

Il  y  avait  une  fois  à  Saint-Mieu  un  homme 
qui  chauffait  son  four.  Les  follets  étaient  à  danser 
auprès  de  là.  Il  alla  les  regarder  une  première 
fois,  et  ils  ne  lui  dirent  rien.  Il  y  retourna  une 
seconde  avec  sa  patouille  à  la  main. 

Un  des  follets  le  vit  et  dit  : 

—  Voici  encore  Robin  ;  il  faut  lui  ôter  l'ouïe. 

—  Non,  repartit  un  des  follets,  cela  le  gênerait 
trop  ;  il  vaut  mieux  lui  ôter  l'odorat. 

Et  depuis  ce  moment  Robin  ne  sentait  plus 
rien. 

(Conté  en  1880  par  François  Mallet,  du  Gouray.) 

Une  nuit  les  follets  allèrent  dans  la  maison 
d'une  bonne  femme  qui  était  couchée  ;  ils  prirent 
sa  vache  qui  était  dans  le  bas  de  sa  place,  la  tuè- 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  I37 

rent,  puis,  après  l'avoir  écorchée,  ils  se  mirent  à  la 
manger.  La  bonne  femme  voulut  au  moins  avoir 
un  morceau  de  sa  vache,  et  elle  le  ramassa.  Le 
lendemain,  sa  vache  se  retrouva  vivante;  mais  il 
lui  manquait  la  pièce  qu'elle  avait  prise. 

(Conté  par  le  même.) 

Le  Men  raconte  une  légende  assez  semblable,  p.  239.  Un 
pauvre  homme  n'avait  qu'une  vache.  Une  nuit  les  nains  entrent 
chez  lui  et  se  mettent  à  la  manger  ;  il  leur  en  demande  un  mor- 
ceau. Les  nains  le  lui  donnent  en  lui  promettant,  s'il  se  montrait 
joyeux  convive,  de  lui  rendre  sa  vache  vivante.  Le  lendemain,  il 
manquait  à  sa  vache  le  morceau  qu'il  avait  mangé. 

J'ai  trouvé  en  Haute-Bretagne  un  conte  identique  où  le  rôle 
des  lutins  est  attribué  aux  fées. 

Un  soir  la  mère  Ledy  s'en  revenait.  Il  faisait 
beau  clair  de  lune,  et  elle  dit  à  une  voisine  qui 
était  avec  elle  : 

—  Il  va  nous  être  bien  commode  de  passer  sur 
la  planche  de  Graphard. 

Mais,  juste  au  moment  où  elles  allaient  mettre 
le  pied  dessus,  le  temps  s'obscurcit,  et  elles  ne 
voyaient  plus  ;  elles  pensèrent  que  c'était  le  lutin 
qui  s'était  amusé  à  leur  jouer  ce  tour-là.  (E.) 

(Cf.  sur  les  tours  joués  par  les  lutins,  Fouquet,  les  Lutins  de 
Coelbo.') 

Au  temps  où  les  femmes  portaient  des  bas  de 
fil,  —  il  y  a  bien  des  années  de  cela,  —  une 


138     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

jeune  fille,  qui  désirait  se  mettre  à  la  mode, 
demandait  à  sa  mère  du  fil  pour  se  tricoter  des 
bas  ;  mais  la  bonne  femme  ne  voulait  pas  lui  en 
donner,  ce  qui  chagrinait  fort  la  jeune  fille. 

Un  soir,  en  revenant  de  la  prière,  elle  trouva 
sur  le  bord  d'un  sentier  un  bel  écheveau  de  fil 
pelotonné  en  trois  qu'elle  ramassa  précieusement. 

Arrivée  à  la  maison,  elle  dit  à  sa  mère  qui 
tirait  les  vaches  dans  l'étable  : 

—  Ah  1  ma  mère,  tu  ne  voulais  pas  me 
donner  avec  quoi  me  faire  des  bas  à  la  mode  ; 
vois  le  beau  fil  fin  que  j'ai  à  cette  heure. 

En  disant  cela,  elle  voulut  montrer  sa  trou- 
vaille ;  mais,  bien  qu'elle  fût  certaine  de  l'avoir 
bien  soigneusement  ramassée  dans  sa  devanticre 
(tablier),  elle  ne  trouva  plus  rien.  Pour  se  jouer 
d'elle,  le  lutin  s'était  changé  en  fil,  puis  s'était 
évanoui. 

(Conté  en  1878  par  Angèle  duérinan,  d'Andouillé.) 

Un  homme,  qui  était  «  un  petit  chaud  de 
boire  »,  rencontra  sur  sa  route  un  petit  chat  qui 
le  suivait  ;  il  le  chassa  en  lui  donnant  un  coup  de 
pied.  Un  peu  plus  loin,  il  vit  un  chien  blanc  qui 
tournait  en  cercle  autour  de  lui  ;  il  l'éloigna  en  le 
frappant  avec  son  bâton.  En  continuant  à  mar- 
cher, il  trouva  devant  lui  le  lutin  qui,  sous  la 
forme  d'une  sorte  de  poulain,  voulut  lui  barrer  le 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  I39 

passage  ;  il  fut  obligé  d'employer  la  force  pour 
avoir  la  route  libre,  et  même  le  lutin  le  suivit 
jusqu'à  la  porte  de  sa  maison. 

(Conté  en  1878  par  Henri  Louapre,  d'Acigné.) 

Quelquefois  le  lutin  est  dupé  à  son  tour, 
comme  celui  qui,  dans  les  environs  d'Ercé,  joua 
aux  cartes  avec  les  consommateurs  et  se  saoula 
tellement,  qu'il  se  noya  dans  une  mare  Mais  ceci 
est  une  histoire  très-moderne.  (E.) 

Un  homme  de  Bréhand  avait  tous  ses  champs 
dévastés  par  les  lutins  ;  il  lui  hohlaicnt  toutes  ses 
pommes,  renversaient  son  blé,  et  ne  savaient 
quel  mal  imaginer  pour  nuire  à  sa  récolte.  Il 
résolut  de  se  venger. 

Un  jour  il  vit  dans  le  verger  touchant  à  sa 
ferme  un  lutin  qui  défouissait  des  pommes  de 
terre.  Le  fermier  n'osait  s'aventurer,  car  il  enten- 
dait toute  la  bande  des  lutins  qui  riait  et  s'amusait 
à  une  petite  distance.  Il  se  décida  pourtant,  et 
prenant  un  gros  bâton,  il  s'avança  doucement  et 
frappa  un  coup  sur  la  tête  du  lutin,  qui  tomba  le 
nez  sur  les  pommes  de  terre. 

Aussitôt  il  entendit  les  autres  lutins  qui 
criaient  : 

—  Coiffette  est  morte  !  CoifFette  est  morte  ! 

Ils  se  mirent  à  le  pourcourre  ;  mais  il  se  sau- 


140      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

vait,    et   au   moment   où   il  entrait  chez  lui  les 
lutins  arrivaient  à  la  porte  : 

—  T'as  bien  fait  d'entrer,  Thomas  Labbé,  lui 
dirent-ils  ;  t'en  aurais  vu  de  belles  autrement. 

(Recueilli  aux  environs  de  Moncontour  par  M.  Bourie.) 

Je  ne  connais  point  en  France  un  autre  exemple  de  lutins 
arrachant  des  pommes  de  terre  ;  mais  il  existe  en  Allemagne  un 
démon  qui  se  plaît  à  les  faire  pourrir  :  il  se  nomme  Kartoffeln- 
demon  (cf.  Gubernatis,  Myth.  des  plantes,  p.  xvil). 


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§  I.  —   LES   DIFFÉRENTES   ESPÈCES   DE   LUTINS 


LE    LUTIN    DES    ECURIES 


^^lES  écuries  ont  un  lutin  spécial  qui  se 
nomnîe  Maître-Jean,  Petit-Jean  ou  Jeannot. 
On  l'appelle  aussi  le  lutin  des  chevaux. 
Qciand  il  se  plaît  dans  un  endroit,  tout  y  réussit  : 
il  va  chercher  l'avoine  des  chevaux  qu'il  aime,  et 
il  les  soigne  mieux  que  le  meilleur  valet  de  ferme  ; 
aussi  sont-ils  en  parfait  état,  gras,  le  poil  luisant 
et  bons  marcheurs. 

A  Ercé,  Petit-Jean  passait  par  une  fenêtre 
étroite  de  l'écurie  pour  soigner  un  cheval.  Un 
jour  il  y  avait  quelqu'un  couché  dans  l'écurie, 
qui  vit  le  lutin  faire  mine  de  sacquer  sur  le  veau 
qu'était  en  train  de  faire  une  vache.  Le  garçon 
se  leva  pour  aller  aider  ;  mais  aussitôt  il  entendit 
rire  le  lutin  et  ne  vit  plus  ni  vache  ni  veau. 

(Conté  en  1879  par  Françoise  Dumont.) 

Petit-Jean  est  en  effet  très-espiègle,  et  il  n'est 
pas  toujours  de  bonne  humeur. 


142      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

C'est  lui  qui  va  la  nuit  arracher  le  crin  des 
chevaux  ;  d'autres  fois,  il  se  plaît  à  emmêler  la 
crinière  et  la  queue  des  «  bêtes  chev'^lines  »,  de 
telle  sorte  qu'on  ne  peut  débrouiller  les  crins  et 
qu'on  est  forcé  de  les  couper.  Il  a  parfois  la 
forme  d'une  bête,  sans  qu'on  puisse  préciser  au 
juste  s'il  ressemble  à  un  chien  ou  à  un  veau.  (E.) 

Les  lutins  des  écuries  passent  leur  vie  dans  les 
greniers  ;  mais  quand  arrive  l'heure  où  les  bêtes 
doivent  manger,  ils  descendent  et  leur  apportent 
de  la  nourriture.  A  leur  approche,  les  chevaux  se 
mettent  à  hennir. 

Souvent  aussi  ces  lutins  tressent  le  crin  du 
cheval  en  forme  d'étrier,  et  les  paysans  ne  peu- 
vent en  défaire  les  mailles. 

(Recueilli  aux  environs  de  Moncontour  par  M.  Bonrie.) 

i<  Le  Boudic,  pluriel  Boudiket,  qu'on  nomme  Bom-Noz  dans 
les  environs  de  Quimper,  est  un  esprit  qui  prend  surtout  plaisir 
à  tourmenter  les  chevaux.  Si  vous  trouvez  un  matin  leur  cri- 
nière tellement  embrouillée  qu'il  vous  soit  impossible  de  la 
démêler,  soyez  sûr  que  c'est  un  boudic  qui  a  fait  le  coup.  »  (Le 
Men,  p.  422.) 

Cette  croyance  au  lutin  des  chevaux  est  très-répandue  en 
dehors  de  la  Bretagne.  On  la  retrouve  en  Berry  (cf.  G.  Sand, 
Lég.  rusl.,  p.  75),  en  Normandie  (Amélie  Bosquet,  p.  128),  dans 
Je  Doabs  (cf.  D.  Monnier,  p.  640-645),  dans  le  Bassigny  cham- 
penois (cf.  Sarcaud,  p.  17). 

On  prétend  en  quelques  pays  que  le  lutin  qui 
brouille  les  crins  des  chevaux  a  des  jambes  de 


DE    LA     HAUTE-BRETAGXE  145 

bouc  et  que,  s'il  les  emmêle  ainsi,  c'est  pour  se 
faire  des  étriers  et  monter  plus  commodément  à 
cheval. 

A  la  Meule,  il  y  avait  un  cheval  qui  avait  les 
crins  brouillés.  Tous  les  soirs,  vers  dix  heures, 
on  l'entendait  hennir;  le  fermier  disait  :  «  Voilà  le 
lutin.  »  On  ne  le  voyait  point  ;  mais  le  lutin 
embrouillait  les  crins,  et  il  se  servait  de  ces  crins 
quasiment  tressés  en  guise  d'étriers. 

(Conté  en  1880  par  Zoé  Ledy,  d'Ercé.) 

Croyance  analogue  en  Berry  (cf.  G.  Sand,  Légendes  rust.^ 
p.  75),  dans  le  Doubs  (cf.  Monnier,  p.  645).  Le  drac,  qui  est 
un  lutin  du  Midi,  se  sert  aussi  des  chevaux  des  fermiers  (cf. 
Babou,  les  Païens  innocents,  p.  29-35). 

En  Normandie  (cf.  A.  Bosquet,  p.  103),  ce  sont  les  fées  qui 
nouent  les  crins  des  chevaux  pour  leur  servir  d'étriers. 

Les  lutins  allaient  lutiner  les  chevaux  ;  ils 
brouillaient  leurs  poils  ou  les  leur  arrachaient  brin 
par  brin. 

Un  jour  des  gens  dont  les  chevaux  étaient 
lutines  mirent  du  bran  (son)  sur  le  dos  de  leurs 
chevaux  et  dirent  aux  lutins  : 

—  Lutins  lutineurs,  vous  serez  obligés  de 
manger  du  bran,  et  vous  ne  sucerez  plus  leur 
sang. 

(Conté  par  François  Marquer,  de  Saint-Cast.) 

Quand  les  chevaux  ont  les  crins  emmêlés,  il 


144      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

faut  bien  se  garder  de  les  débrouiller,  car  les  lutins 
iraient  fouler  dans  leur  lit  ceux  qui  l'auraient 
fait. 

C'est  ce  qui  arriva  à  un  garçon  de  ferme  : 
toutes  les  nuits  le  lutin  venait  le  fouler.  On  lui 
dit  de  se  coucher  sur  le  ventre  au  lieu  de  se 
coucher  sur  le  dos.  Le  lutin  vint  rôder  auprès  de 
lui,  mais  il  ne  le  foula  plus. 

(Conté  en  1880  par  Françoise  Dûment,  d'Ercé.) 

En  d'autres  pays,  on  croit  qu'il  est  dangereux  de  défaire  l'ou- 
vrage du  lutin;  en  Jura  (cf.  D.  Monnier,  645),  si  on  défaisait 
les  tresses  des  lutins,  les  chevaux  mourraient. 

Ce  même  lutin  se  plaît  aussi  parfois  à  prendre 
par  la  bride  les  chevaux  qui  couchent  dehors,  et 
à  les  faire  passer  en  dommage.  (E.) 


LE    FAUDOUX 

Le  Faudoiix  ou  Faudeur  —  de  fauder,  action 
de  fouler  le  foin  pour  l'entasser  —  est  le  utia 
spécial  des  greniers  à  foin  ;  on  l'appelle  aussi  le 
lutin  des  senâs  (greniers  à  foin,  du  vieux  français 
sanail).  Le  Fouloux  est  aussi  un  lutin  dos  senâs, 
qui  semble,  le  même  que  le  Faudoux  ;  il  foule  les 
garçons,  se  couche  sur  eux,  les  chatouille,  leur 
dépend  l'estomac.  Le  Fouloux  passe  même  pour 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  145 

être  pédéraste.  Ce  dernier  attribut  ne  figure  pas 
dans  ceux  du  Faudoux.  M^e  de  Cerny,  parmi 
les  lutins  connus  à  Saint-Suliac,  cite  aussi  le 
Fouleur,  «  qui  s'assied  la  nuit  sur  la  poitrine  de 
ceux  qui  dorment  sur  le  dos.  »  Fouloux  est  la 
forme  patoise  de  Fouleur. 

«  Le  Bom-Noz  a  coutume  de  se  placer  la  nuit  sur  la 
poitrine  d'un  homme  endormi  et  de  le  presser  de  manière  à 
l'étouffer...  On  ne  connaît  pas  la  forme  sous  laquelle  le  Boudic 
commet  ses  méfaits.  Des  personnes  réveillées  en  sursaut  ayant 
vivement  porté  leur  main  à  leur  poitrine,  ont  senti  un  objet 
velu  qui  glissait  entre  leurs  bras  et  s'échappait.  »  (Le  Men, 
p.  422.) 

En  Franche-Comté  (cf.  D.  Monnier,  p.  6Sj),  le  Chauceur 
(ephialtus,  incubus)  passe  par  la  serrure  et  vient  fouler  les  gens. 

Un  homme  qui  couchait  dans  un  seiuîs  (grenier 
à  foin)  était  chaque  nuit  lutine  par  le  Faudeur. 

Une  nuit  que  le  lutin  était  sur  lui,  l'homme 
dit: 

—  Si  i'avas  mon  coutiau... 

—  Ton  kité  !  que  que  tu  en  feras  ?  demanda 
le  Faudeur  d'une  voix  grêle  et  moqueuse. 

—  Je  te  saneras  (châtrerais). 

Le  lutin  s'enfuit  aussitôt,  et  jamais  on  ne  l'a 
revu  depuis  dans  le  senâs. 

(Conté  en  1880  par  F.  Marquer,  de  Saint-Cast.) 

Le  Faudoux  allait  fauder  une  femme  ;  elle  prit 
un  bâton,   lui  frappa  un  bon  coup  sur  le  dos  en 


146      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

lui  disant  :  «  Si  je  t'avais  attrapé,  je  t'aurais  tué.  »• 
Le  Faudoux  lui  répondit  :  «  Tout  mort  «.  (S.-C.) 

Une  femme  qui  avait  des  petits  enfants  était 
souvent  réveillée  la  nuit,  et  elle  voyait  le  lutia 
pénétrer  dans  la  maison  par  un  boulin  (petite 
fenêtre  étroite  et  sans  vitres).  Une  nuit,  il  vint  la 
fauder,  mais  il  ne  faudait  point  son  mari.  Elle  se 
dit: 

—  S'il  allait  aussi  fauder  mes  enfants  qui  sont 
dans  le  ber,  il  les  étoufferait. 

Elle  alla  consulter  une  de  ses  voisines,  qui  lui 
dit  de  mettre  des  pois  dans  un  chapeau  placé  en 
équilibre  à  l'entrée  de  la  petite  fenêtre.  Le  Fau- 
doux arriva  étourdiment  et  renversa  les  pois  ;  il 
fut  obligé  de  les  ramasser  un  à  un,  et  le  matin 
ils  étaient  tous  dans  le  chapeau,  qui  ne  paraissait 
pas  avoir  bougé  ;  mais  le  Faudoux  était  si  fûtê 
qu'il  ne  revint  plus. 

(Conté  en  1880  par  Rose  Renaud,  de  Saint-Cast.) 

Elle  tient  ceci  de  son  père  qui,  en  le  lui  racontant,  disait  : 
«  II  y  en  a  qui  ne  veulent  pas  y  croire,  et  pourtant  c'est  bien 
vrai.  » 

Pierre  Roulié,  aubergiste  à  Bel-Air,  recevait  cha- 
que nuit  la  visite  du  Faudoux,  qui  lui  faisait  toutes 
sortes  de  misères. 

Roulié  avait  la  mauvaise  habitude  de  dormir 
les  bras  croisés  sur  la  poitrine.  Or,   voici  ce  qui 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  147 

se  passait  :  l'animal  sorcier  prenait  l'aubergiste  à 
bras-le-corps,  et  celui-ci  ne  pouvait  se  défendre, 
n'ayant  pas  l'usage  de  ses  bras.  Alors  le  Faudoux 
le  roulait,  le 'serrait,  et  quand  il  l'avait  harassé  de 
fatigue,  il  le  jetait  dans  la  place. 

Ce  manège  continua  plusieurs  soirs  consécutifs  ; 
mais  un  jour  Roulié  pinça  le  Faudoux  à  son 
tour. 

Il  ne  dormit  pas  cette  nuit-là  et  mit  ses  bras 
de  façon  à  ce  que  son  ennemi  ne  pût  les  embras- 
ser. A  un  moment,  il  l'entendit  «  cotir  »  dans  la 
paille  et  vit  une  masse  «  verte  comme  de  la 
porée  »  (poireau)  se  précipiter  sur  lui.  La  lutte 
fut  de  courte  durée  et  à  l'avantage  de  l'homme.  Il 
serra  à  son  tour  le  Faudoux  si  fort  «  qu'il  en 
chut  »,  et  il  ne  le  laissa  partir  qu'après  lui  avoir 
fait  promettre  de  ne  plus  venir  troubler  son  som- 
meil. Le  Faudoux  tint  parole,  et  Roulié  ne  le 
revit  plus. 

(Recueilli  par  M.  Bourie,  de  Moncontour.) 

Le  faudoux  est  vert,  mais  on  n'a  pu  me  décrire  sa  forme. 

Il  y  avait  un  homme  qui  couchait  dans  un 
senâs,  et  il  était  faudé  depuis  huit  jours  ;  il  fit 
une  planche  sur  laquelle  il  planta  des  clous 
pointus,  puis  il  alla  se  coucher  dans  le  senâs. 
Quand  il  entendit  monter  le  Faudoux,  il  mit  la 
planche   sur  son  ventre  et  prit  son  ballin  dans 


148      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

ses  mains.  Quand  le  Faudoux  fut  sur  la  planche, 
il  lui  dit  :  «  Tu  vas  mourir  cette  nuit.  » 
L'homme  le  prit  avec  son  ballin  (couverture), 
puis  il  le  frotta  si  dur  que  le  Faudoux  perdit  pour 
jamais  l'envie  de  revenir. 

(Conté  en  :88o  par  F.  Marquer,  de  Saint-Cast.) 


LE    HOUPOUX 

Dans  la  belle  saison,  les  paysans  hoiipent  pour 
s'appeler.  Houper,  c'est  pousser,  en  la  modulant, 
une  exclamation  qui  se  compose  de  houhou  plu- 
sieurs fois  répété;  c'est  un  cri  qui  a  de  l'analogie 
avec  celui  du  chat-huant. 

Pendant  le  jour,  il  n'y  a  aucun  danger  à  faire 
entendre  cette  exclamation  joyeuse  ;  mais  quand 
la  nuit  est  close,  et  surtout  aux  approches  de 
minuit,  il  faut  bien  se  garder  de  répondre  quand 
on  entend  houper,  car  c'est  le  Houpoux,  esprit 
malin  de  la  nuit,  qui  imite  la  voix  des  hommes 
pour  les  tromper. 

Un  soir  que  des  laboureurs  d'Yffiniac  étaient 
allés  se  coucher  dans  le  seiids,  —  c'est  le  grenier  ù 
foin,  —  ils  entendirent  houper  à  une  petite 
distance.  Pensant  que  ce  cri  était  poussé  par 
quelque    voisin    attardé,    ils    répondirent    à    son 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  I49 

appel.  Aussitôt  ils  se  sentirent  renversés  et  secoués 
avec  violence  ;  des  mains  invisibles  les  accablaient 
de  coups,  et  le  grenier  paraissait  tout  en  feu,  bien 
que  le  foin  ne  brûlât  pas. 

(Conté  en  1862  par  Emile  Frostin,  de  Matignon.) 

C'est  aussi  le  Houpoux  qui  se  plaît  à  attirer 
sur  le  bord  des  mares  et  des  doués  ceux  qui  sont 
assez  imprudents  pour  se  laisser  entraîner.  Et 
souvent,  pour  mieux  séduire  les  jeunes  garçoias, 
il  module  son  cri  et  lui  donne  le  son  argentin  et 
frais  d'une  voix  de  jeune  fille.  (M.) 

Le  Hoiipûux  rôde  la  nuit  ;  il  se  met  en  mouton, 
en  chien,  etc.  Il  a  un  cri  comme  le  chat-huant, 
ou  encore  comme  les  gens  qui  s'appellent. 

(Conté  en  1880  p.-ir  J.  Legendre,  de  Saint-Brieuc-des-Iffs.) 

Un  soir  un  homme  de  Plévenon,  qui  montait 
au  grenier  pour  aller  chercher  à  manger  à  ses 
chevaux,  entendit  houper  à  quelque  distance.  Il 
répondit  ;  mais  avant  qu'il  fût  arrivé  en  haut  de 
son  échelle,  le  lutin  était  au  bas. 

(Conté  en  1880  par  Scolastique  Durand,  de  Plévenon.) 

Le  Houpoux  me  semble  présenter  beaucoup  d'analogie  avec 
le  Lupeux  berrichon,  auquel  il  faut  bien  se  garder  de  répondre,  et 
qui  entraîne  les  gens  dans  les  mares  (cf.  G.  Sand,  IJg.  rtisl., 
p.  107  et  suiv.). 

Mais  il  est  plus  étroitement  encore  apparenté  avec  les  Hoppers 
ou  lutins  appeleurs  de  la  Bretagne  bretonnante,  avec  lesquels  il  a  à 


IJO     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


la  fois  ressemblance  de  nom  et  de  gestes.  «  Un  des  hoppers  les 
plus  connus  et  les  plus  redoutés  dans  les  environs  de  Quimper 
est /«B  an  Od  (Jean  du  Rivage).  Il  se  tient  toujours  sur  le  bord 
des  rivières,  faisant  entendre  continuellement  le  ion  honhou  !  cri 
guttural  familier  aux  paysans  bretons  lorsqu'ils  rentrent  le  soir. 
Si  quelque  passant  répond  à  ce  cri,  lan  an  Od  franchit  en  un 
clin  d'œil  la  distance  qui  le  sépare  de  l'imprudent  et  répète  le 
même  cri.  Si  le  passant  y  répond  encore,  il  franchit  la  moitié  de 
l'espace  qui  lui  reste  à  parcourir.  Enfin,  s'il  y  répond  une  troisième 
fois,  lan  se  trouve  subitement  près  de  sa  victime,  qu'il  étrangle 
ou  qu'il  noie,  s'il  est  dans  le  voisinage  d'une  rivière.  »  (Le  Men, 
p.  420.) 

En  Picardie  existe  aussi  un  lutin  appelé  le  Houpcur   ou  Hou- 
peux.  (Communiqué  par  M.  H.  Carnoy.) 


L  ECLAIREUR    OU   ECLAIROUS 

Vers  le  Gouray,  on  le  nomme  Failleux;  vers 
Ploërmel,  la  Buette  (Bluette).  La  vue  du  feu  follet 
est  très-redoutée,  en  certains  pays  surtout,  où  on 
la  considère  comme  un  présage  de  mort.  Pour 
les  Gallots,  le  feu  follet  n'est  point  un  météore, 
mais  une  entité,  revenant  ou  lutin,  dont  il  n'est 
pas  prudent  de  s'approcher. 

Vers  Bécherel,  on  dit  que  VÈchirous  ou  Édai- 
reur  —  c'est  le  nom  donné  au  feu  follet  —  est 
un  prêtre  qui  a  perdu  une  hostie  dans  l'eau,  et 
qui  est  condamné  à  la  chercher  jusqu'à  ce  qu'il 
l'ait  trouvée.  C'est   pour  sa  pénitence  qu'il  erre 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  151 

ainsi.  On  aurait  la  vue  brûlée,  si  on  avait  l'im- 
prudence de  lui  faire  quelque  chose  ou  de  lui 
parler. 

Quelquefois  on  voit  le  prêtre  lui-même  avec 
son  étole  violette  ou  noire  au  cou,  et  son 
ciboire. 

(Conté  en  :8So  par  Joseph  Legendre,de  Saint-Brieuc-des-Iffs.) 

Dans  l'Orne,  les  feux  follets  sont  des  âmes  de  prêtres  qui  se 
sont  damnés  en  péchant  contre  la  chasteté.  En  Haute-Normandie, 
•ce  sont  des  femmes  qui  ont  eu  commerce  charnel  avec  un  prêtre. 
(Cf.  A.  Bosquet,  p.  247.)  En  Franche-Comté,  ce  sont  des  âmes 
en  peine.  (Cf.  Perron,  p.  29.) 

Mais  le  feu  follet  est  plus  généralement  un 
lutin  qui  a  de  grandes  affinités  avec  le  lutin 
breton  qu'on  désigne  sous  le  nom  de  Paolrik  he 

skod  tan,  le  petit  homme  au  tison  enflammé 

«  C'est  un  petit  lutin  qui  tient  à  la  main  un  tison 
allumé  et  qui  voltige,  comme  un  papillon  de  nuit, 
au-dessus  des  prairies  et  des  marais,  en  brandissant 
son  tison....  J'ai  entendu  dire  que  ces  mauvais 
esprits  ont  souvent  égaré  et  quelquefois  noyé 
•des  gens  ivres  ou  des  téméraires  qui  les  avaient 
poursuivis  en  voulant  les  atteindre.  » 

(Luzel,  Veillées  bretonnes,  p.  64.  Cf.  aussi  Le  Men,  p.  422.) 

L'Eclairous,  à  ma  connaissance  du  moins,  n'est 
pas  un  lutin  foncièrement    méchant.   Il   ne  noie 


152      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

pas  les  gens  et  les  éclaire  même  au  besoin  ;  mais 
il  n'aime  pas  qu'on  se  montre  irrespectueux  à  son 
égard  ;  sinon  il  se  venge  en  faisant  prendre  aux 
mauvais  plaisants  un  bain  forcé. 

Un  homme,  qui  était  un  peu  en  ribote,  vit 
VÉclairous  qui  voltigeait  près  d'une  mare. 

—  Viens  m'éclairer,  lui  dit  le  laboureur  en 
plaisantant,  et  pour  ta  peine  je  te  donnerai  une 
de  mes  puces. 

Cette  parole  sembla  irrévérencieuse  au  lutin, 
qui  fit  tomber  l'ivrogne  dans  la  mare,  et  lui 
lançait  de  l'eau  sur  la  figure  et  sur  tout  le  corps, 
en  criant  :  «  Voilà  pour  tes  puces  !  voilà  pour 
tes  puces  !  » 

(Conté  en  1878  par  Henri  Louapre,  d'Acigné.) 

Un  jour  un  homme  allait  pour  passer  une 
planche  jetée  sur  un  ruisseau;  de  l'autre  côté,  il 
vit  VÉclairous,  et  il  lui  dit  : 

Éclaire-moi,  Foirard'; 
J'vas  t'donner  deux  liards  ! 

Le  lutin  l'éclaira;  mais  quand  l'homme  fut 
passé,  il  ne  lui  donna  rien,  et  l'Éclairous,  pour  se 
venger,  le  tantouilla  dans  l'eau  et  le  foula  long- 
temps. 

(Conté  en  1880  par  Françoise  Dumont,  d'Ercé.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  I53 


NICOLE,     OU   LE    LUTIN    DE    LA    MER 

Le  lutin  spécial  à  la  mer,  et  qui  se  plaît  à  jouer 
toutes  sortes  de  tours  aux  pêcheurs,  c'est  Nicole, 
lutin  spécial  à  la  baie  de  Saint-Brieuc  et  à  celle 
de  Saint-Malo,  lutin  très-moderne,  puisque  son 
apparition  ne  date  que  des  premières  années  de 
la  Restauration.  Le  Magasin  pittoresque  de  1835, 
dans  une  curieuse  notice  dont  voici  des  extraits, 
donne  même  la  date  de  1823  : 

«  Il  n'était  plus  possible  de  pêcher  en  sécurité. 
Nicole  traversait  ou  brouillait  les  filets  ;  quelque- 
fois il  les  tirait  si  fortement  qu'il  les  aurait 
enlevés,  et  force  était  de  les  amarrer  aux  bancs 
de  la  chaloupe,  en  attendant  qu'il  plût  à  Nicole 
de  porter  sur  quelque  autre  objet  son  humeur 
batifolante.  Souvent  il  sautait  au  milieu  des  petits 
poissons  que  le  filet  ramassait,  et  faisait  des 
trouées  dans  les  mailles.  Il  s'amusait  aussi  à  sou- 
lever les  ancres  des  bateaux  à  huîtres,  pendant 
que  les  matelots  étaient  dans  des  embarcations 
légères  à  draguer  sur  les  bancs  ;  ils  n'avaient  que 
le  temps  d'accourir  pour  rattraper  le  bateau  en 
dérive.  Souvent  aussi  Nicole  s'en  prenait  à  la 
drague  et  l'embrouillait  dans  le  filet. 

«  A  Saint-Cast,  Nicole    a  conduit  l'un  après 


154     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

l'autre,  du  port  dans  la  rade,  quatre  à  cinq  bateaux 
dont  les  maîtres  étaient  absents.  Quand  les 
embarcations  étaient  trop  fortes  pour  qu'il  pût 
les  entraîner,  il  saisissait  le  câble  de  la  bouée  et 
l'entortillait  dans  le  câble  de  l'ancre. 

«  Il  paraît  qu'on  l'avait  surnommé  Nicole,  du 
nom  d'un  ofificier  qui,  pendant  la  guerre,  com- 
mandait une  péniche  armée,  et  s'était  montré 
envers  les  pêcheurs  d'une  grande  sévérité.  Les 
marins,  un  peu  rancuneux,  disaient  plaisamment 
que  c'était  Nicole,  devenu  poisson,  qui  s'amusait 
encore  à  les  venir  tourmenter. 

«  On  n'a  pu  ni  le  prendre  ni  le  tuer  ;  cepen- 
dant il  ne  s'effrayait  pas  facilement.  On  croit 
avoir  reconnu  que  c'était  un  gros  marsouin  ;  mais 
il  n'accostait  point  les  autres  et  allait  toujours 
seul.  Au  bout  de  trois  mois  et  demi,  il  disparut, 
sans  qu'on  l'ait  jamais  revu  depuis  ni   ailleurs.    » 

D'après  M.  Habasque,  qui  retrouva  des  sou- 
venirs de  Nicole  à  Erquy,  son  séjour  sur  ces 
côtes  aurait  duré  trois  ans. 

«  Il  mêlait,  lui  raconta  un  ancien  matelot,  les 
lignes,  enlevait  les  grelins,  faisait  dériver  les 
bateaux,  s'attachait  à  l'un  plutôt  qu'à  l'autre,  et 
ne  faisait  aucun  cas  des  balles,  parce  qu'il  était 
invulnérable.  Heureusement,  enfin,  il  s'attacha  à 
un  navire  de  Terre-Neuve,  et  oncques  depuis  on 
ne  l'a  revu.  Notre  conducteur  nous  fit,  à  l'occa- 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  I55 

sion  de  Nicole,  toutes  sortes  de  contes  plus 
amusants  les  uns  que  les  autres,  et  il  nous 
entretint  de  Vhomine  de  nw,  que  tous  ont  tou- 
jours vu,  excepté  celui  qui  vous  raconte  l'his- 
toire. » 

J'ai  maintes  fois,  sur  plusieurs  points  du  lit- 
toral, trouvé  des  pêcheurs  qui  avaient  vu  Nicole. 
A  Saint-Briac,  un  capitaine  au  long  cours  m'a 
assuré  qu'il  était  à  sa  connaissance  que  Nicole 
avait  fait  des  nœuds  comme  seuls  les  marins 
expérimentés  peuvent  les  faire,  et  que  plusieurs 
fois  il  s'était  amusé  à  changer  les  ancres  des 
bateaux,  mettant  à  un  navire  le  grappin  d'un 
canot  de  pêche,  et  réciproquement.  On  prétend 
d'ailleurs  qu'il  avait  des  mains. 

Voici  les  diverses  dépositions  que  j'ai  recueillies 
à  Saint-Cast  au  sujet  de  Nicole  : 

Nicole  a  apparu  pour  la  première  fois  un  jour 
de  la  fête  de  l'Ascension,  que  des  pêcheurs  de 
Saint-Cast  étaient  allés,  malgré  la  défense  du 
recteur,  lever  leurs  rets  sur  le  banc  de  la  Horaine. 
Le  poisson  se  levait  sur  l'eau  et  jetait  le  feu  «  à 
goulées  ». 

Depuis,  il  joua  maints  tours  aux  pêcheurs,  et 
chaque  fois  qu'il  était  parvenu  à  les  faire  endêver, 
on  l'entendait  s'esclaffer  de  rire  auprès  du  bateau. 
Un  jour  il  conduisit  assez  loin  la  barque  d'un 
pêcheur  dont  il  avait  fait  tomber  à  l'eau  les  avi- 


156      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

rons,  de  sorte  qu'il  ne  pouvait  gouverner.  Quand 
le  pêcheur  se  vit  loin,  il  dit  : 

—  Nicole,  c'est  toi  qui  m'as  enlevé  mes  avirons 
et  amené  ici;  tu  vas  me  ramener  au  port. 

Nicole,  qui  probablement  était  en  bonne 
humeur,  ramena  le  bateau  jusqu'au  port. 

(Conté  en  1879  par  Rose  Piron,  de  Saint-Cast.) 

Nicole  prenait  l'amarre  de  la  patache  et  sau- 
tait haut  comme  les  mâts  sur  la  mer. 

Il  s'en  est  allé  avec  un  navire. 

Nicole  venait  chercher  Faruel  et  Ménard,  et  les 
menait  jusqu'à  la  Fresnaye. 

(Conté  en  1879  par  Scolastique  Durand,  de  Plévenon.) 

Nicole  ne  faisait  pas  grand  mal  à  l'époque  de  la 
pêche  aux  maquereaux. 

Un  jour,  le  père  de  Marie  Durand  allait  à  la 
drague.  Étant  en  colère,  il  s'écria  : 

—  Viens  donc,  sacré  Nicole  ! 

Aussitôt  Nicole  frappa  l'eau  avec  sa  queue  et 
jeta  à  bord  du  bateau  cinq  ou  six  seaux  d'eau 
pour  le  moins. 

Un  jour  on  était  à  bénir  un  des  bateaux  de  la 
Fresnaye.  Nicole  le  prit  par  son  amarre  et  le 
mena  jusqu'à  la  Corbière.  Le  prêtre  qui  était  à 
bord  jeta  de  l'eau  bénite  à  Nicole,  et  le  conjura, 
et  depuis  on  ne  l'a  plus  revu. 

(Conté  par  Marie  Durand,  de  Saint-Cast.  On  pensait  que 
c'était  l'âme  d'un  garde-pêche  très-sévère.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  157 


LUTINS   DIVERS 


Le  Ronjous  est  un  lutin  qu'on  voit  surtout  le 
soir,  à  la  tombée  de  la  nuit  ou  à  l'aube  matinale. 
Cela  aboie  comme  un  chien,  et  ce  n'est  pas  un 
chien  ;  cela  est  gros  comme  un  chien,  mais  n'est 
pas  un  chien  ;  et  cela  ronge  toujours  on  ne  sait 
quoi,  disent  les  paysans.  (Environs  de  Dinan.) 

On  appelle  Rongeur  d'os  un  homme  transformé  en  chien  par 
les  sorciers,  qui  se  promène  la  nuit  dans  les  rues  de  Bayeux  en 
rongeant  des  os  et  en  traînant  des  chaînes  (cf.  A.  Bosquet, 
p.  236). 

Le  Faux  singe  est  un  Mait'Jean  constitué 
comme  un  homme,  qui  courait  après  les  femmes 
pour  les  violer. 

Le  Veau  blanc  est  un  lutin  qui,  sous  la  forme 
que  désigne  son  nom,  frappe  au  ventre  les 
femmes  enceintes  pour  les  faire  avorter;  quelque- 
fois il  tette  les  femmes  ou  emporte  leur  enfant. 

(Conté  en    1880  par  J.  Legendre,  de  Saint-Brieuc-des-Iffs.) 

La  Bête  blanche,  qu'on  appelle  aussi  VOurse 
Manche,  était  une  bête  blanche  ou  grise,  qui  sau- 


158      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

tait  sur  le  dos  des  hommes,  les  volait  ;  elle  s'atta- 
quait aussi  aux  femmes  pour  les  violer.  (E.) 

Un  fermier  nommé  Lorre,  qui  habitait  Quévert, 
près  Dinan,  il  y  a  environ  trente  ans,  voyait  tous 
les  soirs,  à  la  tombée  de  la  nuit,  une  bête  blanche 
un  peu  plus  grande  qu'un  veau,  qui  rôdait  autour 
de  sa  maison.  Lorre,  qui  était  un  ancien  soldat, 
mit  une  balle  dans  son  fusil  et  tira  sur  la  bête, 
mais  sans  lui  faire  du  mal,  et  elle  continua  pen- 
dant assez  longtemps  à  venir  se  promener  autour 
de  la  ferme. 

La  Guenne  se  présente  tantôt  sous  la  forme 
d'un  bouc,  tantôt  sous  celle  d'un  chien  ou  d'un 
mouton.  Elle  dévorait  tout,  et  personne  ne  pou- 
vait lui  résister  :  elle  tenait  tête  à  sept  ou  huit 
hommes. 

C'est  probablement  ce  qu'on  appelle  ailleurs, 
par  corruption,  la  Diane. 

(Conté  en  18S0  par  J.  Lcgendre,  de  Saint-Brieuc-des-Iffs.) 


5  IL    —    LES  ANIMAUX   LUTINS 


côté  des  lutins  qui  ont  leurs  noms  et  leurs 
fonctions  spéciales,  il  en  est  d'autres  qui 
n'ont  point  de  noms  particuliers,  mais  qui 
peuvent  se  montrer  sous  les  formes  les  plus  di- 
verses, sous  celles  d'hommes,  sous  celles  de  bêtes; 
même  parfois  ils  prennent  l'apparence  d'objets 
inanimés. 

Les  lutins  bretonnants  jouissent  aussi  de  cette 
faculté  de  transformation,  ainsi  qu'on  le  verra 
par  les  extraits  qui  suivent  : 

«  Les  lutins  sont  des  esprits  méchants..,  qui 
prennent  toutes  sortes  de  formes,  celles  d'un 
taureau  ou  d'un  bélier,  qui  tuent  les  passants  à 
coups  de  cornes,  ou  d'un  lièvre  qui  passe  entre 
les  jambes  de  ceux  qui  traversent  un  pont  et  les 
fait  tomber  dans  l'eau.  » 

(Le  Men,  p.  419.) 

Une  note  de  Souvestre  (Foyer  breton,  t.  1, 
p.  114)  rapporte  que  saint  Ronan  fut  accusé,  dit 
Albert  de  Morlaix,  «  d'estre  sorcier  et  négroman- 


l60      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

tien;  faisant  comme  les  anciens  lycanthropes  qui, 
par  magie  et  art  diabolique,  se  transformoient  en 
bestes  brutes,  couroient  le  garou  et  causoient 
mille  maux  dans  le  pays.  »  Bien  que  cette  accu- 
sation ait  été  reconnue  fausse  plus  tard,  l'opinion 
que  saint  Ronan  avait  le  pouvoir  de  se  transformer 
en  animal  est  établie  dans  nos  campagnes.  Il  ne 
faut  point  oublier,  du  reste,  que  les  druides  et  les 
bardes  passaient  pour  avoir  le  privilège  de  se 
transformer  à  leur  gré.  Les  premiers  apôtres  qui 
se  substituèrent  à  leur  autorité  durent  nécessai- 
rement avoir  ce  pouvoir.  Le  barde  Taliésin  se 
vante,  dans  un  de  ses  chants  (Myvirian,  I,  p.  20), 
de  pouvoir  devenir  à  son  gré  biche,  coq  ou  chien. 

Un  autre  conte  de  Souvestre  (t.  I,  p.  199) 
montre  le  teuz-ar-pouhet  sous  la  forme  d'une 
belle  grenouille  verte. 

«  —  Je  prends,  dit  le  lutin,  successivement 
toutes  les  formes  que  je  veux,  à  moins  que  je  ne 
préfère  me  rendre  invisible. 

•'  —  Mais  ne  peux-tu  te  montrer  sous  l'appa- 
rence ordinaire  à  ceux  de  ta  race  ? 

«  —  Sans  doute,  si  cela  te  fait  plaisir. 

«  A  ces  mots  la  grenouille  sauta  sur  le  dos  d'un 
des  chevaux,  et  se  changea  subitement  en  un  petit 
nain  vêtu  de  vert  et  portant  de  belles  guêtres 
cirées,  comme  un  marchand  de  cuir  de  Landivi- 
siau. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  l6l 


«  Tu  sais  sans  doute  que  les  korigans  du 
paj's  du  blé  blanc  et  de  Cornouailles  ont  déclaré 
la  guerre  à  notre  race,  parce  qu'ils  l'accusaient 
d'être  favorable  aux  hommes.  Nous  avons  été 
obligés  de  nous  réfugier  dans  l'évèché  de  Léon, 
où  nous  nous  sommes  d'abord  cachés  sous  diffé- 
rentes formes  d'animaux.  Depuis,  nous  avons 
continué  à  prendre  ces  formes,  par  habitude  ou 
par  fantaisie.  »  (P.  200.) 

Les  transformations  des  lutins  gallots  ne  sont 
pas  moins  variées  ;  on  les  voit  prendre 
plusieurs  formes  d'animaux  :  il  y  en  a  qui  se 
changent  en  chevaux,  en  petits  chiens,  en  mou- 
tons, en  lièvres,  et  parfois  même  en  pourceaux. 

«  On  les  rencontre  sous  la  figure  d'un  lièvre 
blanc,  d'un  chien  noir,  d'une  chèvre  blanche, 
d'un  écureuil,  d'un  beau  cheval  blanc  qui  offre  sa 
croupe.  »  (M^ie  de  Cerny.) 

On  trouvera  ci-après,  au  chapitre  des  Mammi- 
fères domestiques,  deuxième  partie,  les  transforma- 
tions en  lutins  de  chacun  des  animaux  dont  la 
monographie  s'y  trouve.  Voici  diverses  formes 
que  prend  Mourioche,  animal  lutin  très-connu  en 
Haute-Bretagne.  J'ai  mis  à  la  suite  quelques  autres 
transformations  de  bêtes  en  lutins  ou  de  lutins  en 
bêtes,  car  il  n'est  pas  aisé  de  savoir  quelle  est  au 
juste  l'opinion  des  gens  à  ce  sujet. 


l62      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


MOURIOCHE,    LA    FAUSSEROLE,    ETC. 


Moun'oche  a  généralement  l'apparence  d'un 
poulain  d'un  an  ;  mais  il  peut  revêtir  d'autres 
formes.  Il  y  a  des  lieux  qu'il  affectionne,  et 
j'ai  connu  plusieurs  personnes  qui  affirmaient 
l'avoir  vu.  Quoiqu'on  ne  sache  pas  au  juste  quel 
mal  il  peut  faire,  il  est  très-redouté,  ce  qui  vient 
peut-être  de  ce  qu'on  en  fait  une  sorte  de  Cro- 
quemitaine  dont  on  menace  les  petits  enfants 
pour  les  faire  rentrer  le  soir.  A  Matignon,  on 
disait  autrefois  aux  enfants  qu'on  voulait  coucher 
de  bonne  heure  :  «  Hattaï  (viens,  hâte-toi),  mon 
p'iit  gars\  Mourioche  te  prenrait  !  »  à  moins  qu'on 
ne  leur  assurât  que  «  la  grande  nuit  de  Pléboulle 
(pays  situé  à  l'ouest)  allait  venir  les  emporter.  » 

On  dit  parfois  en  proverbe  :  «  Il  a  eu  peur 
comme  s'il  avait  vu  Mourioche.  » 

En  rendant  compte  d'une  de  mes  précédentes  publications  où 
était  cité  ce  proverbe,  M.  Fitzgerald  fait  observer  qu'en  Irlande, 
pour  dire  qu'un  homme  a  eu  peur,  on  se  sert  de  l'expression  : 
«  He  saw  Morogh,  il  a  vu  Morogh.  »  Ce  personnage  irlandais 
était,  paraît-il,  Morogh  O'Bryeu,  baron  célèbre  par  ses  dépréda- 
tions (cf.  Academy,  30  juillet  1881). 

D'après    Habasque  {Notions  historiques),  Mou- 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  163 

rioche  prenait  jadis  un  grand  nombre  de  formes 
aux  environs  d'Erquy.  «  Mourioche,  qui  revêt 
toutes  les  formes;  Mourioche,  la  monture  du 
diable,  qui  vole  avec  la  rapidité  de  l'éclair,  que 
parsèment  des  points  lumineux,  et  qui  s'allonge 
tant  que  l'on  veut,  assez  du  moins  pour  porter 
quatre  personnes.  Malheur  à  qui  se  trouve  sur 
son  passage  !  mais  doublement  malheur  à  l'im- 
prudent qui  aurait  la  témérité  de  vouloir  monter 
ce  coursier  d'étrange  espèce  !  Il  serait  précipité 
dans  un  abîme,  ou  il  aurait  le  cou  tordu  ;  aussi 
personne  n'ose  sortir  de  sa  maison  quand  on  sait 
Mourioche  dans  le  pays.  » 

Vers  Jugon,  Mourioche  s'appelle  Mourioche  ou 
la  Guemie  ;  il  se  présente  souvent  sous  la  forme 
d'un  cheval.  Si  on  a  l'imprudence  de  monter  sur 
son  dos,   il    vous    jette   dans  l'étang  de   Jugon. 

Parfois  aussi  il  est  semblable  à  un  mouton 
qui  grossit,  grossit  et  devient  haut  comme  une 
montagne. 

Il  y  a  une  formulette  pour  le  maudire,  on  lui 
crie  : 

Mourioche, 
Le  diable  t'écorche.  (D.) 

Voici  quelques  récits  où  Mourioche  est  mis  en 
scène  : 


164      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

Mourioche  prend  la  forme  de  cochon,  de 
mouton  ou  de  bête  blanche. 

Un  homme  de  Catuelan  rencontra  au  ras  de  la 
Pierre-Plate,  au-dessus  de  Beausoleil,  le  diable 
Mourioche  sous  la  forme  d'un  mouton  blanc  qui 
avait  des  espèces  de  bras.  Mourioche  le  prit  à 
bras-le-corps  et  le  jeta  par  dessus  un  fossé. 
L'homme  croyait  en  être  quitte  ;  mais  Mourioche 
revint  et  le  jeta  encore.  Cela  se  passa  plusieurs 
fois  ;  mais  le  mouton  blanc  finit  par  disparaître 
sans  avoir  rien  dit.    (P.) 

Il  y  avait  une  fois  un  homme  qui  était  un 
petit  chaud  de  boire.  Comme  il  allait  passer  un 
échalier,  il  vit  dessus  un  petit  chat. 

—  Han  !  dit-il,  on  prétend  qu'on  voit  ici  Mou- 
rioche. Je  crois  que  le  voici.  All'ous-vcnis  tirer  de- 
là, Mourioche,  pour  me  laisser  passer  ? 

Mais,  ouah  !  Mourioche  ne  bougeait  point. 

—  Valley  vous  tirer  d'ià  tout  comme,  répéta 
l'homme. 

Mais  le  petit  chat  ne  se  dérangeant  pas,  il  prit 
un  bâton  et  en  frappa  deux  ou  trois  coups  sur  la 
tête  du  lutin,  qui  roula  sur  lui-même  et  devint 
gros  comme  une  belle  génisse,  puis  disparut. 

A  l'échalicr  suivant,  la  génisse  était  là. 

—  Valley  vaiitiei  (peut-être)  ne  pas  vous  tirer 
d'via  vée,  Mourioche;  f allons  cor  veir. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  165 

Il  frappa  la  génisse  d'un  coup  de  bâton  qui  la 
fit  dérouler  jusque  dans  le  creux  du  fossé.  Il 
passa  Téchalier  et  ne  vit  plus  rien. 

A  Téchalier  d'après  était  une  bête  grosse 
comme  une  vache.  L'homme  com.mençait  à 
avoir  peur;  mais  pour  se  rassurer,  il  cria  bien 
haut  : 

—  Mourtoche,  v'alh:{  cor  vous  tirer  de  ma  vie, 
que  je  vous  dis. 

Il  frappa  de  nouveau  la  bête  qui  disparut  ;  mais 
plus  loin,  il  la  vit  qui  était  grosse  comme  un 
bœuf:  elle  marchait  sur  ses  talons.  Il  rentra  chez 
lui,  et  quand  la  porte  fut  fermée,  il  entendit  la 
bête  qui  courait  et  criait  en  faisant  du  bruit 
comme  quelqu'un  qui  déchire  de  la  toile. 

(Conté  en  iSSi  par  J.  M.  Comault,  du  Goura)-.) 

Mourioche  était  une  bête  qu'on  rencontrait  le 
soir  dans  les  chemins  et  dans  les  sentiers  les  plus 
fréquentés  ;  elle  n'avait  pas  le  droit  d'aller  à  tra- 
vers champs,  parce  qu'ils  étaient  bénits. 

Tous  ceux  qui  la  voyaient  s'enfuyaient  à  son 
approche  ;  mais  il  y  avait  des  gens  qui  disaient 
qu'ils  n'avaient  pas  peur  de  Mourioche,  et  que  si 
jamais  ils  le  rencontraient,  ils  verraient  par  eux- 
mêmes  s'il  était  à  poil  ou  à  plume. 

Un  soir,  l'un  d'eux  s'en  revenait  du  bourg  de 


l66      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

Plévenon  par  un  sentier  très-étroit,  lorsque  tout 
à  coup,  au  moment  de  passer  un  échalier,  il  vit 
une  bête  énorme  qui  se  planta  devant  lui  en  lui 
barrant  le  passage. 

L'Iiomme  n'eut  pas  peur  ;  il  cracha  dans  sa 
main  pour  mieux  tenir  son  bâton  à  marotte,  et  il 
franchit  le  talus.  La  bête  resta  un  moment  sur- 
prise ;  mais  elle  se  trouva  encore  devant  lui  à 
l'échalier  suivant.  Il  passa  comme  la  première 
fois  par  dessus  le  talus,  sans  frapper  la  bête,  mais 
en  se  promettant  bien  de  ne  pas  l'épargner  s'il  la 
revoyait  encore. 

Au  troisième  échalier,  elle  lui  barrait  le 
passage.  Le  fossé  du  talus  était  profond  et  trop 
large  pour  pouvoir  être  sauté,  et  comme  on  était 
en  hiver,  l'homme  ne  se  souciait  pas  de  prendre 
un  bain. 

Il  s'élança  sur  la  bête  qui  lui  barrait  le  passage, 
et  pendant  une  demi-heure  il  la  frappa  à  coups  de 
bâton.  Tout  à  coup,  elle  poussa  un  grand  cri  et 
lui  dit  : 

—  Arrête,  et  ne  me  frappe  plus  ! 

Et  soudain  elle  changea  de  forme,  et  à  sa  place 
il  vit  un  de  ses  voisins  qui  était  blessé  au  front 
et  le  supplia  de  ne  jamais  raconter  sous  quelle 
forme  il  l'avait  vu. 

Il  le  remercia  d'avoir  eu  le  courage  de  le  déli- 
vrer en  le  blessant,  car,  sans  cela,  il  serait  resté 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  167 

SOUS  la  forme  de  Moutioche  et  aurait  appartenu 
au  diable. 

L'homme  tint  parole  à  son  voisin,  et  il  ne 
raconta  l'aventure  que  six  mois  après  sa  mort,  et 
encore  il  ne  dit  point  son  nom. 

(Conté  en  i88o  par  Élie  Ménard,  de  Plévenon.) 
D'après    ce   dernier  récit,    Mourioclie  ne    serait    autre   chose 
qu'une  des  formes  du  loup-garou. 

Autrefois  Mourioche  était  un  homme  ou  une 
femme  qui  s'étaient  vendus  au  diable.  Celui  qui 
avait  conclu  ce  pacte  se  frottait  avec  une  liqueur 
et  pouvait  se  changer  en  la  bête  qui  lui  plaisait. 
II  avait  alors,  outre  sa  force  ordinaire  d'homme, 
ceUe  de  la  bête  dont  il  avait  pris  la  forme  ;  mais 
il  ne  pouvait  en  user  pour  faire  mal  à  des 
hommes. 

(Conté  en  1881  par  Isidore  Poulain,  de  Plévenon.) 

Un  soldat  qui  revenait  du  régiment  disait,  en 
parlant  de  Mourioche  : 

—  Je  voudrais  bien  le  voir 

Le  soir  même  il  vit  Mourioche  qui  l'attendait 
sur  un  échalier.  Ils  se  colletèrent  tous  les  deux  ; 
mais  si  l'homme  n'avait  pas  appelé  le  bon  Dieu  à 
son  secours,  il  était  perdu. 

(Conté  en  1879  par  Pierre  Derou,  de  Collinée.) 

Mais    il  paraît  que  si  on  a  le  courage  de  lui 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


résister  et  qu'on  parvienne  à  lui  faire  peur,  le 
lutin  se  montre  plus  docile,  ainsi  qu'on  le  verra 
dans  les  deux  contes  qui  suivent. 

Un  tailleur  qui  s'en  venait  de  coudre  se  trouva, 
en  passant  un  échalier,  à  cheval  sur  Mourioche, 
qui  se  mit  à  l'emporter  : 

—  Où  me  mènes-tu  ?  dit  le  tailleur. 

—  Je  vais  te  noyer,  répondit  Mourioche. 

—  Si  tu  ne  me  conduis  pas  bien  droit  à  ma 
porte,  je  te  couperai  les  oreilles  avec  mes  ciseaux. 

Le  lutin  eut  peur,  et  il  déposa  le  tailleur  à  sa 
porte. 

Cf.  le  Fersé,  Cent,  popul.,  2=  série,  n°  lvii  :  c'est  un  lutin  en 
forme  de  poulain  qui,  menacé  par  un  tailleur,  le  reconduit  à  sa 
porte  sans  lui  faire  de  mal.  Cf.  aussi  Goudé,  Lég.  (h  Château- 
hriant,  p.  39  ;  la  bête  de  Béré  est  vaincue  par  un  gars  hardi  qui 
lui  tient  tête. 

Mourioche  monta  une  fois  sur  le  dos  d'un 
homme  qui  n'avait  pas  peur.  En  arrivant  dans 
l'aire,  il  cria  à  sa  femme  :  «  Viens  voir,  j'ai 
apporté  Mourioche;  »  mais  quand  elle  vint  pour  le 
voir,  il  avait  disparu. 

(Conté  par  F.  Mallct,  du  Gouray.) 

Voici  un  autre  récit  où  Mourioche  semble  une 
transformation  du  diable  : 

Il  était  une  fois  un  honmie  de  la  Ville-Orien 
en   Saint-Cast   qui   s'en   revenait    de    Matignon. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  169 

Non  loin  de  sa  maison,  il  rencontra  une  bête  qui 
était,  à  ce  qu'il  croyait,  une  brebis.  Il  l'em- 
mena chez  lui  et  l'enferma  dans  son  étable. 

Le  lendemain,  quand  il  alla  la  voir,  au  lieu 
d'une  brebis,  il  vit  une  vache;  le  jour  d'après, 
c'était  un  cheval.  Il  commença  à  se  repentir  de 
l'avoir  emmenée,  et  il  pensa  que  peut-être  elle 
jetterait  des  sorts  sur  sa  maison.  Il  la  laissa 
encore  toute  cette  nuit  dans  son  étable,  et  le 
lendemain,  quand  il  y  retourna,  elle  était  rede- 
venue brebis.  Quand  elle  le  vit,  elle  se  mit  à  rire 
et  lui  dit  : 

—  Pourquoi  viens-tu  me  voir  ainsi  tous  les 
matins  ?  Tu  es  bien  curieux  ! 

L'homme  fut  bien  ébahi  d'entendre  la  bête 
parler;  mais  quand  il  regarda  dans  l'étable,  il  vit 
tout  son  troupeau  crevé. 

—  Ah  !  s'écria-t-il,  tu  as  tué  toutes  mes  bêtes. 
Tu  vas  sortir  de  l'étable! 

Mourioche  s'enfuit  aussitôt,  enlevant  la  moitié 
de  l'étable  et  les  trois  enfants  de  l'homme,  qui 
ne  les  revit  jamais. 

Le  fermier  voulut  reconstruire  son  étable  ;  mais 
ce  que  les  maçons  faisaient  pendant  le  jour, 
Mourioche  venait  le  défaire  pendant  la  nuit. 

Un  jour  qae  l'homme  était  à  se  désoler,  il 
trouva  dans  un  com  le  collier  que  Mourioche 
avait  laissé;  il  le  vendit,  et  comme  il  était  tou^ 


lyO      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

en  or,  il  eut  de  quoi  se  mettre  à  son  aise  pour  le 
restant  de  ses  jours. 

(Conté  par  François  Marquer,  de  Saint-Cast.) 

Le  collier  laissé  par  le  lutin  ou  diable  a  pour  similaire  la 
bride  d'or  du  Fersé,  Cont.  popul.,  2=  série,  n°  lvi. 

Vers  Châteaubriant,  on  redoute  la  bête  de  Béré,  qui  a  la 
plupart  des  attributs  de  Mourioclie  et  subit  des  transformations 
analogues.  Sa  monographie  a  été  écrite  par  M.  Goudé,  Histoin-s 
et  Légendes  de  Châteaubriant,  p.  33  et  suivantes. 

Mourioche  semble  aussi-  apparenté  à  la  Grand'Bête  du  Berry, 
sorte  de  chienne  de  la  grosseur  d'une  vache  qui  suit,  sans  leur 
faire  de  mal,  les  passants  attardés  (Martinet,  p.  3).  Au  sortir  des 
taillis  de  Champeaux,  ils  entendirent  tous  les  oiseaux  du  bois 
crier  à  la  fois,  et  virent  une  hèle  qui  était  faite  tout  comme  un 
veau,  tout  comme  un  lièvre  aussi.  C'était  la  Grand'Bête.  (Maurice 
Sand.) 

G.  Sand  consacre  à  la  Grand'Bête  tout  un  chapitre  de  ses 
Légendes  rustiques.  (Cf.  aussi  Laisnel  de  la  Salle,  I,  p.  177.) 

La  Fausseroîe  est  une  bête  assez  semblable  à 
Mourioche,  qui  se  promène  à  Saint-Cast,  tantôt 
sous  la  forme  d'un  chien,  tantôt  sous  celle  d'un 
veau.  On  entend  piétiner  :  c'est  la  Fausseroîe  qui 
arrive  et  jette  les  gens  par  terre.  Bien  des  per- 
sonnes l'ont  vue,  et  il  y  a  surtout  un  endroit  où 
elle  apparaît  et  qui  se  nomme  la  Fausseroîe,  soit 
que  la  bête  lui  ait  donné  son  nom,  soit  qu'elle 
ait  emprunté  le  sien  au  lieu  où  l'on  a  le  plus  cou- 
tume de  la  voir.  La  Fausseroîe  n'épargne  même 
pas  le  clergé:  en  1832,  M.  Cormao,  alors  recteur 
de  Saint-Cast,  fut  secoué  par  la  Fausseroîe. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  17I 

Des  gens  de  Calorguen  qui  vivent  encore, 
mais  sont  aujourd'hui  des  vieillards,  allaient  à  la 
chasse  dans  leur  jeune  temps,  et  chassaient  sur- 
tout la  marte.  Un  jour  qu'ils  étaient  près  de  la 
Haraelinaye,  leurs  chiens  aboyèrent,  et  ils  crurent 
que  c'était  après  une  marte.  Ils  coururent  et  vi- 
rent au  pied  d'un  arbre  une  bête  blanche,  grosse 
comme  un  agneau  ;  à  mesure  qu'ils  s'en  appro- 
chaient, elle  grossissait  et  devenait  monstrueuse. 
Ils  eurent  grand'peur  et  s'enfuirent,  se  promettant 
de  ne  jamais  y  retourner.  Mais  assez  longtemps 
après,  comme  ils  s'en  revenaient  tous  les 
trois  de  leur  journée,  leurs  chiens  coururent 
encore  en  aboyant  vers  une  bête  qu'ils  prirent 
pour  une  marte.  Ils  voulurent  s'en  assurer  et  les 
suivirent.  Arrivés  près  d'un  chêne,  ils  virent  que 
la  bête  y  était  montée;  Ils  montèrent  aussi,  et 
alors  la  bête  leur  dit  :  «  Qlù  descendra  pre- 
mier, vous  ou  moi  ?  »  Ils  eurent  encore  très- 
peur  et  descendirent  vite  ;  mais  la  bête  descendit 
aussi  et  courut  vers  la  rivière.  Elle  se  jeta  à  la 
nage,  et  ils  l'entendirent  battre  l'eau  comme  la 
roue  d'un  moulin. 

Un  homme  de  Calorguen,  nommé  Jean  Lher- 
mite,  a  raconté  bien  des  fois  qu'un  soir,  re- 
venant de  Rennes  le  long  du  canal,  arrivé  sous 
l'Angevinais,    un    peu    en    deçà    de    Donha,    il 


172      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


entendit  dans  le  bois  quelque  chose  qui  remuait, 
et  il  vit  tout  à  coup  une  énorme  bête  blanche  qui 
voulut  se  jeter  sur  lui.  Il  n'avait  jamais  eu  peur 
de  sa  vie,  et  il  crut,  comme  on  n'y  voyait  pas  très- 
bien,  que  c'était  un  des  chiens  de  la  ferme  de 
Boutron,  où  il  y  en  avait  de  très-gros.  Il  se 
défendit  en  la  frappant  avec  son  bâton.  A  la  fin, 
la  bête  le  lâcha  et  se  jeta  à  la  rivière,  qu'elle 
traversa.  Alors  il  monta  à  Boutron  et  frappa  à  la 
porte  de  la  maison;  on  lui  ouvrit,  et  il  put 
s'assurer  que  tous  les  chiens  étaient  là.  Il  fut  pris 
d'une  si  grande  frayeur  qu'il  n'osa  retourner  seul 
chez  lui,  et  on  fut  obligé  d'aller  le  reconduire. 

(Recueilli  par  M"=  Élodie  Bernard.) 

Quelquefois  ces  croyances  aux  lutins  sont 
exploitées  par  des  malfaiteurs,  des  fraudeurs  ou 
de  simples  mauvais  plaisants.  Ceux  qui  veulent 
faire  peur  s'enveloppent  d'un  drap  blanc,  ou  se 
couvrent  d'une  peau  de  vache  dont  les  cornes 
sont  tournées  en  l'air,  et  marchent  à  quatre 
pattes  ou  par  bonds.  Le  métier  n'est  pas  toute- 
fois sans  danger,  car  il  peut  se  trouver,  sur- 
tout maintenant,  un  paysan  moins  superstitieux 
que  les  autres,  qui  tire  sur  le  prétendu  diable  ou 
esprit. 

Peu  de  temps  avant  le   meurtre  de   Mi'*^   des 


DB     LA     HAUTE-BRETAGNE  173 


Ville-Audren  et  de  sa  domestique,  qui  furent 
assassinées  à  Matignon,  au  commencement  de  la 
Restauration,  une  forme  étrange  se  montra  à 
plusieurs  reprises  dans  les  rues  de  la  petite  ville  : 
elle  était  couverte  d'une  peau  poilue  et  faisait  en- 
tendre des  cris  qui  ne  ressemblaient  à  ceux 
d'aucune  bête.  L'apparition  allait  soulever  le 
loquet  des  portes  en  cherchant  à  les  ouvrir.  Si 
elle  y  parvenait,  elle  entrait  à  moitié,  puis  se 
retirait  en  poussant  un  cri  effroyable.  Personne 
n'osait  plus  sortir  de  chez  soi  après  la  nuit  close. 
L'apparition  cessa  brusquement  dès  le  lende- 
main de  l'assassinat.  (M.) 


§   III.      —      COALMENT   ON    SE    PRÉSERVE   DU    LUTIN 


çs^^  UTRE  l'eau  bénite,  qui  est  employée  contre 
ïj^pj  les  lutins  et  les  démons,  on  peut  encore 
^'^^  se  préserver  des  malices  du  lutin  par  des 
moyens  moins  orthodoxes,  mais  tout  aussi  effi- 
caces :  si  on  parvient  à  lui  faire  renverser  un  vase 
plein  de  millet,  de  pois,  de  son  ou  de  graines  de 
lin,  il  ne  revient  plus. 

duand  on  veut  que  les  lutins  ne  repassent  plus 
par  un  endroit,  il  faut  mettre  de  la  graine  de  lin 
dans  un  vase  ;  ils  la  renversent,  et  comme  ils 
sont  obligés  de  refaire  tout  ce  qu'ils  ont  défait,  ils 
ne  peuvent  ramasser  toutes  les  graines  avant  le 
jour,  et  on  ne  les  revoit  plus. 

(Conté  en  i88o  par  Françoise  Dumont,  d'Ercé.) 

Cf.  Liltéraliire  orale  de  la  Haute-Bretagne,  p.  184,  un  conte  où 
le  Faudeur  renverse  étourdiment  un  godet  rempli  de  pois  ;  une 
autre  fois,  c'est  de  la  graine  de  trèfle  qu'on  lui  jette  à  la  tête 
{Ihiiï.,  p.  185). 

«  Le  plus  sûr  moyen  de  s'en  débarrasser  est  de 
placer  en  équilibre  à  la  porte  de  la  maison  hantée 
un  boisseau  de  grain  de  mil,  de  sable  ou  do  son. 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS      175 

Le  Gobino,  qui  arrive  étourdiment,  ne  manque 
jamais  de  renverser  le  vase,  et  comme  il  n'a  pas 
le  temps,  avant  l'arrivée  du  jour,  de  ramasser 
grain  à  grain  la  chose  répandue,  honteux  et 
confus  de  sa  maladresse,  il  ne  revient  plus  au 
logis.  » 

(M"'  de  Ceray,  p.  55.) 

Le  docteur  Fouquet  (Les  lutins  du  château  de  Callac')  parle  de 
grains  de  mil  que  les  follets  sont  obligés  de  ramasser  avant  le 
premier  chant  du  coq  ;  cette  manière  de  se  débarrasser  des 
lutins  est  connue  dans  presque  tous  les  pays  d'Europe.  (Cf. 
Amélie  Bosquet,  p.    132.) 

Si  on  brûle  le  bou^des  crins  des  chevaux  avec 
un  cierge  bénit,  jamais  le  lutin  ne  revient  ;  mais 
on  assure  que  les  bêtes  ne  réussissent  plus 
après.  (P.) 

Quand  on  a  à  la  main  la  curette  ou  fourche  à 
nettoyer  les  charrues,  le  lutin  a  peur,  et  il  s'en- 
fuit. (E.) 

«  Une  seule  chose  les  efiraie  et  les  met  en  fuite,  sans  qu'on 
puisse  en  expliquer  la  cause  ;  c'est  la  petite  fourche  de  bois  dont 
les  cultivateurs  se  servent  pour  nettoyer  le  soc  de  leur  charrue.  » 
(Le  Men,  Rev.  celt.,  p.  229;  cf.  aussi,  p.  241,  le  conte  du  Bâton 
de  charrue,    ei  Ibid.,  p.  419.) 

Un  homme  qui  était  faudé  toutes  les  nuits  fit 
chauffer  bien  dur  la  pierre  de  son  foyer,  et  il  alla 
se  coucher.  Quand  le  lutin  vint  s'asseoir  sur  le 


176      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

foyer,     il  se  brûla,    et    de    colère    il    étrangla 
l'homme. 

Un  autre  fut  plus  malin.  Il  était  aussi  faudé 
toutes  les  nuits  ;  par  le  conseil  d'un  de  ses 
voisins,  il  fit  chauffer  bien  dur  son  gahtier  (plaque 
ronde  sur  laquelle  on  fait  les  galettes)  et  le  mit 
devant  son  lit  clos,  à  l'endroit  par  où  arrivait  le 
lutin.  Le  Faudoux  voulut,  comme  à  l'ordinaire, 
monter  sur  le  lit  ;  mais  il  se  brûla,  et,  après  avoir 
juré  après  l'homme,  il  s'en  alla  et  ne  revint  plus. 

(Conté  en  18S0  par  Rose  Renaud,  de  Saint-Cast.) 

D'après  A.  Bosquet,  p.  130,  le  fé  amoureux  se  grille  en  s'as- 
seyant  sur  la  galetière.  Les  histoires  de  lutins  brûlés  se  retrouvent 
dans  Souvestre  (Teu\  ar  Poulief),  dans  Le  Men,  Luzel,  et  en 
beaucoup  d'autres  auteurs. 

J'ai  cité,  p.  145  et  suivantes,  d'autres  moyens  employés  pour 
faire  fuir  le  lutin.' 

Le  Fersé,  Cont.  popuL,  2=  série,  u"  lvi,  se  brûle  sur  un  caillou 
qu'on  a  fait  chauffer. 


CHAPITRE    V 


LE    DIABLE 


|E  diable  que  les  paysans  mettent  en  scène 
dans  leurs  récits  est  généralement  bon- 
homme; il  vient  quand  on  l'appelle,  et, 
moyennant  un  pacte,  accorde  ce  qu'on  lui 
demande.  Et  cela  peut  paraître  surprenant,  car 
il  est,  la  plupart  du  temps,  trompé,  par  la  malice 
de  ceux  à  qui  il  a  afifaire,  ou  sa  proie  lui  est 
arrachée  par  l'exorcisme  des  prêtres.  On  cite 
même  des  faits  contemporains  où  le  diable  a  été 
mêlé.  (Dinan,  etc.) 

(Cf.  Litt.  orale,  p.    74.) 


En  Basse-Bretagne,  il  joue  un  rôle  analogue  : 
«  Dans  les  récits  cornouaillais,   le  héros  ordi- 
naire  est  le   diable,   le    diable    du   moyen    âge, 
avec  lequel  on  faisait  de  fréquents  pactes,  tantôt 


178      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

pour  avoir  de  l'argent,  tantôt  pour  bâtir  des  ponts, 
des  châteaux,  des  églises  même,  et  qui  en  défini- 
tive se  trouvait  presque  toujours  être  berné  et 
dupé.  » 

(Luzel,  I'*  rapp.,  p.  107.) 

De  même  que  ceux  des  autres  pays,  les  contes 
populaires  de  la  Haute-Bretagne  fourmillent  de 
récits  où  le  diable  est  trompé  (cf.  i^e  série, 
no  XLi,  le  Diable  attrapé;  n°  xliv,  les  Femmes 
et  le  Diable;  n°  XLViii,  Rodomont;  2^  série,  no  lu, 
Misère;  n°  Liv,  le  Doreur  et  le  Diable;  n.°  lvi,  La 
Grange  du  diable,  etc.) 

Voici  les  surnoms  du  diable  :  Grippi  (qui 
attrape  en  griffant,  gripper  en  patois),  le  Harpi, 
le  grand  Biquion  (bouc),  le  Compère. 

D'après  M.  Orain,  vers  Essé,  aux  environs  de 
Rennes,  on  lui  donne  aussi  le  nom  de  vieux 
Jérôme  (Le  Conteur  breton,  2^  année,  p.  266).  Je 
n'ai  point  entendu  cette  appellation,  qu'il  est 
intéressant  de  comparer  avec  le  surnom  de  vieux 
Guillaume  que  lui  donnent  les  Bretons  breton- 
nants. 

Quand  le  diable  paraît,  il  est  généralement  vêtu 
de  couleur  sombre,  et  souvent  il  ressemblerait  exac- 
tement à  une  «  manière  de  monsieur  »  ou  à 
un  gros  fermier,  si  on  ne  regardait  ses  pieds  dont 
l'un  au  moins  est  déformé  et  semblable  à    un 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  179 

sabot  de  cheval.  Parfois  aussi  il  a  des  gants  de 
cuir  ou  des  griflfes  pointues.  On  lui  prête  aussi  un 
habillement  tout  rouge,  et  le  cheval  qu'il  monte 
est  tout  noir. 

En  Normandie,  son  déguisement  favori  est  celui  d'un  mon- 
sieur de  la  ville.  En  Basse-Bretagne  il  se  déguise  aussi  «  en 
un  jeune  gentilhomme  qui  était  assez  bien,  si  ce  n'est  qu'il  avait 
des  pieds  de  cheval  ».  (Luzel,  Cwer^iou,  p.  27.) 

Quand  il  a  été  exorcisé,  il  s'en  va  en  vent  ; 
parfois  il  abat  une  partie  de  la  maison,  et  l'on  ne 
peut  la  rebâtir.  D'autres  fois,  il  abat  les  arbres  et 
les  pommiers. 

Ce  départ  du  diable  qui  emporte  la  maison  ou 
détruit  les  récoltes  n'est  pas  particulier  à  la 
Bretagne  :  on  retrouve  le  similaire  dans  les 
Pyrénées  (cf.  Cordier,  Le  Diable  che^  les  paysans, 
p.  48),  en  Gascogne  (cf.  Bladé,  Sei^e  sup.,  Le 
Diable  che^  les  métayers,  p.  19),  en  Basse-Bretagne 
(cf.  Luzel,  Lég.  chrét.,  t.  II,  p.  151  ;  Le  saint 
vicaire  et  le  diable.) 

Mais  il  a  laissé  d'autres  traces  de  son  passage 
et  de  sa  colère.  On  a  déjà  vu,  p.  6,  que  plusieurs 
mégalithes  portent  son  nom,  soit  qu'on  lui  en 
attribue  la  construction,  soit  que  son  empreinte 
y  soit  gravée  (cf.  pour  ces  légendes  les  p.  20 
et  suivantes,  36  et  suivantes  du  présent  vo- 
lume.) Au  mont  Dol  (cf.  p.  182)  se  voit  aussi  la 


l8o      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

marque  de  sa  griffe,  et  on  la  retrouve  en  nombre 
d'endroits,  soit  sur  des  mégalithes,  soit  sur  des 
rochers  naturels. 

Il  est  dangereux  d'évoquer  le  diable,  et  surtout 
de  dire  :  «  le  diable  m'emporte  !  »  ou  :  «  le  diable 
m'enlève  !  »  car  il  prend  parfois  au  mot  l'impru- 
dent. 

(Cf.  sur  cette  superstition  Fouquet,  Le  Douanier  emporii  par  le 
diable,  p.  24-27  ;  D.  Monnier,  p.  41.) 

Le  diable,  pour  les  paysans,  est  parfois  l'égal 
de  Dieu  en  puissance  :  c'est  le  génie  mauvais 
opposé  au  génie  bienfaisant.  Quand  un  prêtre  n'est 
pas  là  pour  l'exorciser,  il  enlève  les  gens  qui 
l'ont  appelé;  quelquefois  même  il  étouffe  les 
enfants  dans  leur  lit. 

(Cf.   sur  ce  dernier  méfait  Fouquet,  p.  14.) 

Dans  les  récits  qui  suivent,  on  verra  la  manière 
dont  les  paysans  gallots  envisagent  le  rôle  du 
diable. 


§   I.    —    LE   DIABLE   PARIEUR   ET   LUTTEUR 


jE  diable  n'est  généralement  pas  heureux 
dans  ses  paris,  ni  dans  ses  luttes.  Il  est 
vrai  que  les  paysans  lui  attribuent  une 
dose  de  stupidité  peu  ordinaire.  Un  jour  pourtant 
il  rencontre  un  géant  plus  sot  que  lui  :  c'est 
Gargantua;  il  le  défie  de  remplir  une  auge  avec 
son  sang.  Gargantua  accepte  ;  le  diable  fait  un 
trou  dans  l'auge,  et  Gargantua  meurt  au  bout  de 
son  sang. 

Mais,  le  plus  habituellement,  il  est  dupé,  comme 
le  jour  où  il  défia  saint  Michel  de  faire  un  édifice 
aussi  beau  que  le  sien.  Saint  Michel  fit  un  palais 
tout  en  glace,  et  le  diable  contruisit  l'abbaye.  Il  la 
montra  au  saint  après  lui  avoir  fait  promettre  de 
ne  point  faire  le  signe  de  la  croix,  ni  sur  sa  per- 
sonne, ni  sur  les  murs  ;  mais  saint  Michel  éluda 
la  promesse  en  désignant  avec  la  main  quatre 
pierres  défectueuses  qui  formèrent  un  signe  de 
croix. 

(Voir  plus  loin  ce  conte,  au  chapitre  des  saints.) 


l82      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

Une  des  légendes  que  j'ai  entendu  le  plus  sou- 
vent conter,  c'est  celle  que  Rabelais  a  immor- 
talisée dans  le  Diable  de  Papefiguière,  liv.  IV, 
chap.  47  et  48,  et  dont  le  thème  est  très-répandu 
dans  des  pays  variés.  Je  l'ai  retrouvée  un  peu  par- 
tout, avec  de  très-légères  variantes. 

Voici  d'autres  contes  où  le  diable  n'a  guère  de 
chance  dans  ses  paris  et  dans  ses  luttes  : 

Le  mont  Dol  se  compose  d'une  petite  mon- 
tagne de  granit.  Sur  la  pointe  la  plus  élevée,  du 
côté  du  mont  Saint-Michel,  apparaît  la  griffe  du 
diable.  Cette  entaille  du  rocher  à  l'endroit  le  plus 
abrupt  attire  toujours  les  visiteurs,  auxquels  on 
raconte  que  Satan  partit  de  là  ou  s'appuya  sur 
ce  sommet,  dans  sa  lutte  contre  l'archange  saint 
Michel.  Les  jeunes  filles  bravent  le  danger  et  le 
vertige  pour  examiner  cette  griffe  gigantesque 
qu'elles  croient  fermement  être  celle  du  diable. 

(Communiqué  par  M.  B.  Robidou.) 

Un  charretier  s'embourbait  toujours  au  même 
endroit,  ce  qui  le  faisait  jurer  très-fort. 

—  Si  je  savais,  dit-il  un  jour,  quel  diable  me 
fait  eimiiokr  ma  charrette,  je  lutterais  avec  lui,  et 
je  lui  donnerais  une  trempe  dont  il  se  souvien- 
drait. 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  183 

A  ses  pieds  il  trouva  un  paquet  de  filasse  qu'il 
poussa  du  pied  en  disant  : 

—  Est-ce  toi  ? 

Aussitôt  le  paquet  se  mit  à  lutter;  mais 
l'homme  fut  le  plus  fort.  Il  prit  le  paquet  sous 
son  bras  et  revint  à  la  maison,  laissant  là  sa 
charrette. 

— ■  Ouvre-moi,  dit-il  à  sa  femme;  je  tiens  le 
diable. 

Dès  que  l'homme  fut  entré  dans  la  ferme,  le 
paquet  se  glissa  sous  le  lit  et  se  transforma  en 
homme.  Comme  le  charretier  prenait  un  bâton 
pour  le  frapper,  il  entendit  une  voix  qui  disait  : 

—  Ne  me  fais  pas  de  mal,  et  tu  t'en  trouveras 
bien. 

—  Je  te  laisserai  aller,  repartit  le  fermier,  mais 
à  la  condition  que  jamais  tu  nemiiioleras  ma 
charrette. 

Le  diable  le  promit  et  tint  parole  ;  il  ramena 
même  l'attelage  du  charretier  jusqu'à  la  maison. 

(Conté  en  1878  par  Jean  Bouchery,  de  Dourdain.) 


"^f^ 

v^' 


m^M 


§11. 


LES   PACTES 


jUAND  on  appelle  le  diable,  il  arrive  assez 
souvent,  surtout  s'il  sait  que  celui  qui 
l'invoque  est  disposé  à  tout  accepter.  Il 
n'a  point  un  aspect  rébarbatif;  au  contraire,  il 
semble  disposé  à  rendre  service  par  pure  bien- 
veillance, moyennant  certaines  conditions  dont 
l'échéance  est  d'ordinaire  éloignée.  Si  on  accepte 
ses  propositions,  il  fait  signer  un  contrat  avec  une 
goutte  de  sang  (cf.  h  Pacte,  n°  XLii,  et  l'Enfant 
vendu  au  diable,  n°  xxix.  Contes  pop.,  !>■£  série). 
Parfois  aussi  il  se  contente  d'une  simple  promesse, 
ou  se  déclare  satisfait  si,  par  exemple,  on  consent 
à  aller  jurer  et  cracher  au  pied  d'une  croix  (cf. 
le  Pacte,  2^  série,  no  lvi). 

Quelquefois  il  suffit,  pour  obtenir  ses  faveurs, 
qu'on  veuille  bien  dire  :  «  A  telle  ou  telle  époque 
je  vous  appartiendrai  »  (cf.  la  Coquette  et  le  Diable, 
Lit  t.  orale,  p.  166.) 

Ce  genre  de  pacte  se  retrouve  en  Normandie  (A  Bosquet, 
p.  291),  en  Gascogne,  cf.  Bladé,  Seii^e  suf.,  le  Retour  du  Sei- 
gneur, p.  16). 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS      iSj 


Mais  il  est  bon  de  spécifier,  car  le  diable  ne 
compte  pas  comme  les  chrétiens:  pour  lui,  le 
jour  et  la  nuit  ne  sont  qu'un  ;  quand  on  fait  avec 
lui  un  pacte  de  vingt  ans,  il  vient  chercher  au 
bout  de  dix  ans.  (P.)  Il  arrive  quand  on  l'appelle; 
mais  si  on  veut  être  certain  de  le  voir,  il  est  bon 
de  se  procurer  une  poule  noire.  (P.) 

Un  homme  et  une  femme  de  Conaquen,  qui 
étaient  très-pauvres,  se  plaignaient  continuelle- 
ment. Un  jour  l'homme  rencontra  un  monsieur 
qui  lui  dit,  voyant  son  air  triste  : 

—  Qu'avez-vous  ? 

—  Oh  !  monsieur,  répondit-il,  nous  sommes 
bien  malheureux  :  ma  femme  est  malade,  et  je 
vais  au  médecin  ;  mais  je  n'ai  point  d'argent. 

—  Eh  bien  !  dit  le  monsieur,  si  vous  voulez 
me  donner  ce  que  votre  femme  porte  mainte- 
nant, je  vous  en  procurerai. 

—  Ma  foi,  répondit  l'homme,  elle  ne  porte 
pas  grand 'chose;  elle  est  dans  son  lit  et  ne  porte 
que  ses  draps,  qui  ne  sont  guère  valeureux. 

—  Enfin,  reprit  le  monsieur,  donnez-moi  ce 
qu'elle  porte.  Voici  une  pièce  de  cinq  francs; 
tous  les  soirs  vous  n'aurez  qu'à  l'attirer,  et  le 
lendemain  vous  trouverez  dix  francs. 

L'homme,  qui  ignorait  que  sa  femme  fût 
enceinte,  y  consentit  ;    mais  quand  l'enfant  vint 


l86      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

au  monde,  il  fut  bien  marri  et  bien  triste.  Il 
envoya  bien  vite  baptiser  le  nouveau-né.  Sur  la 
route  il  vint  un  monsieur  qui  marchait  à  côte  de 
la  femme  qui  portait  l'enfant,  tout  près  de  son 
épaule,  à  la  toucher  :  c'était  le  diable  qui  se 
disposait  à  enlever  l'enfant.  Mais  la  petite  iille 
qui  devait  être  la  marraine  dit  à  sa  mère  : 

—  Regarde  donc,  maman  ;  ce  monsieur-là  a 
un  pied  de  bœuf. 

La  femme,  effrayée,  ôta  vitement  l'anneau 
qu'elle  portait  à  son  doigt  et  le  passa  à  la  bride 
du  bonnet  de  l'enfant.  Aussitôt  le  diable  lui 
donna  un  grand  coup  sur  l'épaule  en  s'écriant  : 
—  Vous  me   faites  grand  tort. 

Et  il  disparut  en  emportant  Vaffâteau  (manteau) 
de  la  femme. 

(Recueilli  par  M"'  Élodie  Bernard.) 

La  femme  Deslions,  de  Calorguen,  qui  vit  encore,  a  connu 
'homme  à  qui  cela  ciait  arrivé. 

Un  homme  avait  fait  un  pacte  avec  le  diable, 
qui  devait  le  transporter  dans  l'air  au  sabbat. 
Une  nuit,  il  se  rencontra  avec  Satan  dans  la 
prairie  de  Morpas. 

—  Partons,  partons,  dit  le  diable  ;  mais  si  tu 
dis  le  nom  de  la  chose  dans  laquelle  tu  pourras 
butter  en  traversant  le  ciel,  je  reviendrai  pour 
l'emporter. 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  187 

Ils  s'enlevèrent  tous  les  deux  ;  mais  l'homme 
heurta  du  pied  quelque  chose  de  dur  qu'il 
reconnut  pour  être  le  clocher  de  Gosné.  Il  fut 
longtemps  sans  se  vanter  de  cette  aventure  ;  mais 
un  soir,  dans  un  veillouas  (veillée)  où  il  avait  un 
peu  bu,  il  dit  qu'il  avait  une  fois  butté  dans  le 
coq  de  Gosné.  Quelques  jours  après,  il  mourut, 
et  le  diable  l'emporta, 

(Conté  en  1S78  par  Jean  Piou,  de  Gosué.) 

Un  homme  avait  foit  un  pacte  avec  le  diable, 
qui  devait  le  porter  partout  où  il  voudrait  aller; 
mais  à  sa  mort,  il  devait  être  emporté  par  le 
diable,  à  moins  qu'il  ne  trouvât  un  endroit  où  le 
démon  ne  pût  le  porter. 

Quand  il  fut  sur  le  point  de  mourir,  il  raconta 
à  son  confesseur  le  pacte  qu'il  avait  consenti,  et 
celui-ci  lui  dit  d'ordonner  au  démon  de  le  porter 
en  paradis. 

Comme  le  diable  ne  peut  pénétrer  en  ce  lieu, 
e  pacte  fut  rompu. 

(Conté  par  Jean  Boucher}-,  de  Dourdain,  1878.) 

Un  homme  avait  un  pré  à  faucher,  et  il  était 
si  difficile  à  tondre,  qu'il  appela  le  diable  à  son 
secours. 

—  Je  veux  bien  faire  ta  besogne  ;  mais  si  tu  ne 
peux  me  dire  le  nom  de  l'instrument  dont  je  me 
servirai  pour  cela,  tu  seras  à  moi. 


l88      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

Le  paysan  raconta  cela  à  sa  bonne  femme,  qui 
lui  dit  de  porter  dans  le  milieu  de  la  prairie  un 
vieux  trépied,  et  de  l'enfoncer  un  peu  en  terre. 

La  nuit  venue,  le  diable  se  mit  à  la  besogne, 
et  quand  il  heurta  le  trépied,  il  commença  à  jurer 
et  dit  : 

—  Voilà  ma  faux  toute  ébréchée  ! 

L'homme,  qui  était  caché,  entendit  cela  et 
nomma  facilement  l'instrument  dont  le  diable 
s'était  servi. 

(Conté  en  1878  par  Jean  Bouchery,  de  Dourdain.) 
Le  diable  se  met  assez  fréquemment  au  service  des  gens  (cf. 
les  Femmes  et  le  Diable,  1'  série  n°  XLiv  ;  Le  Matelot  Jean-Jacques, 
n"  xLVi  ;  Fouquet,  La  légende  de  Kerleau;  Dulaurens  de  la  Barre, 
Fantômes  bretons  :  Ravage. 

Dans  un  conte  de  la  Haute-Bretagne,  intitulé  les  Femmes  et  le 
Diable,  n°XLiv,  i"  série,  j'ai  réuni  plusieurs  récits  similaires  où  le 
démon  est  trompé  par  les  femmes.  Il  en  est  de  même  à  peu  pris 
partout,  témoin  La  Chose  impossible  de  Lafontaine,  Le  Diable  de 
Papen/iguière  de  Rabelais,  qui  tous  deux  ont  été  puisés  dans  la  lit- 
térature populaire  du  moyen  âge. 

Les  pactes  sont  rompus  quand  le  diable,  qui  est 
toujours  scrupuleux  observateur  des  conventions, 
ne  peut  exécuter  une  des  conditions  promises 
dans  un  marché  (cf.  les  Femmes  et  le  Diable), 
par  les  exorcismes  (cf.  la  Coquette  et  le  Diable, 
Litt.  orale,  p.  170),  qui  sont  parfois  pénibles 
pour  les  prêtres  qui  les  font.  Cela  les  tire  dur, 
me  disait  un  de  mes  conteurs.  Q.uelquefois  l'eau 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE 


bénite  seule  suffit.  Mais  il  y   a  encore  d'autres 
moyens  : 

Quand  un  homme  avait  fait  un  pacte  avec  le 
diable,  il  était  muni  d'une  jarretière  rouge.  Pour 
que  le  démon  n'eût  plus  pouvoir  sur  lui,  il  fallait 
que  l'homme,  portant  sa  jarretière  rouge,  passât 
devant  une  croix  et  eût  le  temps  de  se  signer 
avant  que  le  diable,  qui  le  guettait,  eût  pu  mettre 
la  main  sur  lui.  Les  pactes  étaient  aussi  rompus 
quand  un  proche  parent  du  possédé  le  blessait  à 
la  figure. 

(Conté  par  Joseph  Legendre,  de  Saint-Brieuc-des-Iffs,  1880.) 
Dans   le   Morbihan,    le   sang  en  coulant  défait  les  pactes  (cf. 

Fouquet,  La  fument  du  diable,  qui  reprendsa  forme  humaine  dès 

que  son  sang  a  coulé.) 

Mais  d'autres  fois  les  pactes  sont  moins  faciles 
à  rompre,  et  le  diable  emporte  les  gens,  ainsi 
qu'on  le  verra  dans  le  conte  qui  suit  : 

On  connaît  l'histoire  du  philanthrope  Marot  de 
la  Garaye  et  de  sa  femme,  qui  établirent  au 
siècle  dernier  un  hôpital  dans  les  dépendances  de 
leur  château.  C'est  après  une  jeunesse  dissipée 
qu'ils  prirent  cette  résolution;  mais  la  tradition 
populaire,  qui  se  plaît  à  mettre  du  merveilleux 
partout,  artribuait  la  conversion  du  comte  à  une 
aventure  surnaturelle. 

Mrae  de  la  Garaye,  ne  pouvant  avoir  d'enfant, 


190      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


avait  adopte-  une  nièce,  fort  jolie  personne,  et 
déjà  en  âge  d'être  mariée.  Quand  elle  atteignit 
dix-huit  ans,  ses  parents  adoptifs  donnèrent  un 
bal  magnifique  où  fut  invitée  toute  la  noblesse 
des  environs.  Au  milieu  du  bal  se  présenta  un 
inconnu  qui  murmura  des  paroles  d'amour  à 
l'oreille  de  la  jeune  fille  ;  elle  consentit  à  suivre 
son  danseur,  qui  n'était  autre  que  le  diable,  et  il 
l'emporta,  s'en  allant  en  fumée  et  en  feu  qui 
consuma  l'aile  gauche  du  château. 

(Recueilli  à  Dinan  par  M'"=  Daumer,  1879.) 

jlmc   (jg   Ginlis   dit  que  la  fille  adoptive  de  M.    de    ia  Gara3'e 
mourut   subitement   au   milieu   d'un  bal. 


Dans  plusieurs  de  mes  contes  de  marins,  le 
diable  intervient  aussi,  soit  qu'on  l'ait  appelé,  soit 
de  lui-même  (cf.  Contes  de  Marins,  Mathiirin,  qui 
fait  faire  des  pêches  miraculeuses  au  navire  sur 
lequel  il  est  embarqué;  Le  Diable  à  bord  de  la 
frégate,  qui  fait  accomplir  en  peu  de  temps  une 
traversée  très-longue;  il  en  est  de  même  dans  le 
conte  du  Saint-Mar quand,  où  le  diable  envoie  un 
vaisseau  tout  noir  qui  remorque  le  «  Saint-Mar- 
quand  »  et  le  fait  arriver  avant  tous  les  autres). 
On  trouvera  aussi  des  détails  sur  le  diable  des 
marins  dans  les  contes  du  même  recueil  intitulés  : 
Le  Diable  laboureur  et  marin.  Le  Navire  du  diable, 


DE    LA    HAUTE-BRÉTAGNE 


191 


Mercredi,  Pierrot,  Le  Capitaine  sous  la  protection  du 
diable. 

Les  marins  lui  jouent  de  tels  tours  que  le 
diable  finit  par  jurer  de  ne  plus  jamais  s'embar- 
quer, et  même  de  ne  pas  recevoir  de  marins  en 
enfer. 


§111.    —    LE   DIABLE   ET   LES   DANSEURS 


5L  y  a  nombre  de  légendes  où  le  diable 
vient  se  mêler  aux  danseurs.  Cela  s'ex- 
plique par  l'acharnement  avec  lequel  le 
•clergé  a,  depuis  le  commencement  du  siècle, 
combattu  les  danses  dans  le  pays  gallot,  où  il  est 
parvenu,  en  beaucoup  d'endroits,  à  les  faire  dis- 
paraître. 

Dans  une  danse  de  paysans  (il  était  près  de  mi- 
nuit), on  vit  entrer  dans  l'appartement  des  dan- 
seurs un  beau  monsieur  aux  pieds  fourchus,  qui 
demanda  à  la  compagnie  de  faire  partie  de  la 
danse.  La  femme  allaitait  son  enfant  qui  était 
nouveau-né,  et  chaque  fois  que  l'étranger  passait 
auprès  en  dansant,  celui-ci  jetait  les  hauts  cris 
la  mère,  après  plusieurs  tours  de  danse,  en  fit 
la  remarque  et  avertit  un  domestique,  qui  alla 
chercher  un  prêtre;  pendant  ce  temps  la  danse 
continuait  malgré  les  danseurs,  qui  étaient  entraî- 
nés par  une  puissance  invisible.  Le  joueur  de 
vielle,  effrayé   d'ailleurs   comme  tous  les  autres. 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS      193 

avait  posé  son  instrument  sur  une  maie  (huche) 
•et  dansait,  lui  aussi,  au  son  de  la  vielle,  qui 
n'avait  pas  cessé  de  jouer.  Toujours  dansant,  ils 
en  avaient  les  membres  rompus.  Enfin  un  prêtre 
de  Ruca  vint  et  vit  bientôt  quel  individu  était  ce 
féroce  danseur  aux  pieds  fourchus.  Il  essaya  de 
tous  les  moyens  pour  faire  arrêter  la  danse,  mais 
son  pouvoir,  paraît-il,  ne  s'étendait  pas  si  loin.  On 
fut  obligé  de  venir  à  Matignon  chercher  le  curé, 
qui  passait  pour  un  homme  d'une  grande  sainteté 
et  d'un  grand  pouvoir.  Lorsque  celui-ci  arriva  sur 
le  théâtre  de  la  danse,  le  démon  —  car  c'était  bien 
lui  —  trembla  et  vit  tout  de  suite  qu'il  avait  af- 
faire à  plus  fort  que  lui;  il  dit  :  —  Oh!  Naye 
(c'était  le  nom  du  curé),  quand  tu  es  sorti  du  seiu 
de  ta  mère,  tu  m'as  fait  trembler  jusqu'au  fond  de 
l'enfer.  —  Sors  d'ici  !  lui  cria  le  curé,  qui  s'était 
revêtu  de  ses  habits  sacerdotaux.  Aussitôt  les  dan- 
seurs restèrent  debout,  effrayés,  en  regardant  le 
diable,  qui  demanda  au  curé  s'il  fallait  s'en  aller 
en  fumée,  en  pluie  ou  en  vent.  —  Sors  de  la  ma- 
nière que  tu  voudras,  mais  sors  promptement, 
répondit  M.  Naye. 

Le  diable  s'en  alla  en  vent  et  fit  un  trou  près 
du  foyer,  qui,  dit-on,  n'a  jamais  pu  être  bouché, 
et  qui  se  voit  encore  au  pignon  de  la  maison. 

D'autres  prétendent  que,  pendant  qu'on  était  à 
chercher  le  prêtre,  le  diable  saisit  le  maître  de  la 

13 


194      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

maison  et  voulut  l'emporter  dans  les  enfers;  il 
l'avait  même  hissé  jusqu'au  milieu  de  la  cheminée 
quand  le  prêtre  arriva.  Il  était  temps,  car  il  aurait 
fini  par  l'emporter.  Toutefois,  le  prêtre  ne  put  que 
l'arrêter,  et  cela  donna  le  temps  à  un  autre  homme 
d'arriver  en  compagnie  du  curé  de  Matignon,^ 
homme  d'une  grande  réputation  de  sainteté. 

Lorsqu'il  s'approcha  de  la  cheminée,  le  diable 
laissa  retomber  l'homme  en  disant  au  prêtre  : 

—  O  Naye,  tu  m'as  fait  trembler,  moi  et  mon 
enfer. 

(Conte  en  1862  p.ir  Emile  Frostin,  de  Matignon.) 

Ce  nom  de  Naye  est  celui  d'un  ancien  recteur  de  Matignon, 
mort  en  odeur  de  sainteté  dans  les  premières  années  de  ce  siècle, 
et  ijui  avait  la  réputation  d'un  puissant  exorciste.  Un  prêtre  de 
Morlaix  passait  pour  jouir  du  même  pouvoir  (cf.  Luzel,  Lcg. 
chrct.,  t.  II,  le  Saint  vicaire  et  le  diable'). 

Un  jour  on  dansait  chez  un  aubergiste  de 
Saint-Pôtan  ;  le  diable  était  parmi  les  danseurs, 
et  chaque  fois  qu'en  tournant  en  rond  il  passait 
devant  la  bru,  qui  tenait  un  enfant  sur  les  bras 
dans  le  foyer,  l'enfant  criait  comme  si  on  l'avait 
tué.  On  envoya  chercher  le  recteur  de  Matignon, 
qui  ne  voulut  pas  venir  tout  seul  et  pria  un  de 
ses  confrères  de  l'accompagner.  Ils  chassèrent  le 
di.ble,  et  depuis  il  n'y  a  jamais  eu   de  son  chez 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  195 


l'aubergiste.  Le  violon,  qui  avait  été  posé  sur  une 
huche,  jouait  tout  seul. 

(Conté  par  Rose  Renaud,  de  Saint-Cast,  1879.) 

Une  légende  assez  semblable  aux  précédentes  a  cours  à  Saint- 
Donan  (Côtes-du-Nord).  Cf.  Jollivet,  t.  I,  p.  éo. 

Le  coup  de  vent  de  1877  commença  à  une  danse  : 
c'était  le  diable  qui  y  était  venu.  Les  prêtres  l'a- 
vaient chassé  et  lui  avaient  ordonné  de  s'en  aller 
en  petit  vent,  en  lui  défendant  de  passer  sur  la 
paroisse  d'Ercé.  (E.) 

Plusieurs  jeunes  gens  s'étaient  réunis  pour  dan- 
ser. Tout  à  coup  un  grand  cheval  noir  apparaît 
au  milieu  d'eux  et  les  glace  d'épouvante .  Un 
prêtre  se  trouve  à  passer  par  là  et  chasse  cette 
bête,  qui  était  évidemment  le  diable.  (M.) 

Le  lieu  où  le  récit  place  cette  scène  était  préci- 
sément situé  dans  une  commune  des  environs  de 
Saint-Brieuc,  où  les  prêtres  avaient  fait  beaucoup 
d'efforts  pour  empêcher  les  danses,  mais  sans  y 
réussir  complètement. 

A  un  bal  de  la  Fontaine-des-Eaux,  à  Dinan, 
sous  la  Restauration,  un  monsieur  vêtu  de  noir 
et  qui,  au  premier  abord,  semblait  fait  comme 
tout  le  monde,  vint,  dit  la  légende,  se  mêler  aux 
danses.  Bientôt  on  s'aperçut  qu'il  avait    un    pied 


196     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

fourchu.  M.  Bertier,  alors  supérieur  du  petit  Sé- 
minaire, exorcisa  le  danseur,  qui  se  dissipa  en  fu- 
mée, non  sans  laisser  après  lui,  comme  tous  les 
démons  qui  se  respectent,  une  forte  odeur  de 
soufre. 


^^B&^^B^^B'^^® 


§  IV. 


LES   DESCENTES   AUX   ENFERS 


|ANs  plusieurs  des  contes  que  j'ai  recueillis, 
les  héros  descendent  aux  enfers;  ils  vont 
y  cliercher  le  contrat  par  lequel  ils  ont 
été  vendus  (cf.  l'Enfant  vendu  au  diable,  Cont.  pop., 
ife  série,  no  xxix;  Petite  baguette,  2^  série, 
no  xxvi). 

Cet  épisode  est  assez  fréquent  (A.  Bosquet,  p.  297  :  un  mé- 
nétrier va  en  enfer;  cf.  aussi  la  Ballade  de  Jeanne  le  Guern,  Luzel, 
Gvjerxiou,  p.  33,  La  Villemarqué,  Sar^n^  5reî'^,  150;  Celui  qui 
alla  voir  sa  maîtresse  eu  enfer,  p.  45,  et  la  Fiancée  de  Salan.") 


Un  garçon  avait  fait  jurer  à  sa  sœur  de  ne 
point  se  marier,  et  il  lui  avait  fait  écrire  sa 
promesse  en  marge  de  l'Évangile. 

Elle  se  maria  pourtant,  et  quand  elle  fut  sortie 
de  l'église,  il  vint  une  sorte  de  coup  de  vent  qui 
l'enleva.  Le  marié  était  bien  affligé,  et  il  vit  un 
monsieur  bien  habillé  qui  lui  dit  : 

—  Si  tu  veux  voir  ton  épousée,  mets  ton  pied 
sur  le  mien  ;  où  je  te  prends,  je  te  rapporte. 

Le  mari  y  consentit,  et  le  monsieur  ïe  mena 


TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 


dans  l'enfer  ;   et  comme   l'épousée   ne  lui  disait 
rien,  il  se  mit  à  lui  ôter  ses  bagues. 

—  Ah  !  malheureuse,  s'écria-t-elle  alors.  Je  n'en 
avais  que  pour  un  temps;  maintenant  j'en  ai  pour 
toute  l'éternité. 

(Conté  en  1879  par  Fn-nçoise   Dumond,  d'Ercé.) 

Dans  un  autre  récit  que  j'ai  recueilli  à  Mati- 
gnon, une  jeune  fille  promet  à  son  fiancé  de 
n'épouser  que  lui.  Il  meurt,  et  quelques  mois 
après,  oubhant  sa  promesse,  elle  se  marie.  Le 
soir  de  la  noce,  un  peu  avant  minuit,  le  diable 
l'enlève,  et  à  travers  les  airs  l'emporte  aux  enfers, 
où  il  la  jette;  mais  elle  ne  peut  y  pénétrer,  car 
elle  a  sa  bague.  Il  la  lui  arrache  et  veut  la  rejeter  ; 
elle  surnage  encore.  Il  la  déshabille  et  la  précipite 
de  nouveau,  sans  pouvoir  réussir.  Il  finit  par 
apercevoir  dans  ses  cheveux  un  fil  de  soie  bénit, 
et  quand  il  le  lui  a  arraché,  elle  tombe  au  plus 
profond  des  enfers. 

Le  bisaïeul  de  Chonne  était  fermier.  Une 
année,  il  paya  son  terme,  et  son  maître  mourut 
sans  lui  avoir  donné  de  quittance.  Ses  héritiers 
réclamèrent  le  paiement  du  fermage,  et  comme 
le  métayer  n'était  guère  riche,  il  était  bien  triste. 

Un  jour  il  prit  deux  poulets  et  se  mit  en  route 
pour  Dinan,  pensant  les  vendre,  et  avec  l'argent 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  199 

qu'il  en  retirerait  aller  consulter  un  avocat. 
Arrivé  au  Chêne-Ferron,  il  rencontra  un  mon- 
sieur qui  lui  demanda  ce  qui  le  rendait  si  af- 
fligé. Lorsqu'il  le  sut,  il  dit  : 

—  Si  vous  voulez  me  donner  ce  que  votre 
femme  porte,  je  vous  mènerai  à  votre  maître 
qui  vous  donnera  quittance. 

—  Nenni,  dit  l'homme,  qui  se  rappela  que  sa 
femme  était  enceinte,  je  ne  vous  donnerai  point 
ce  que  ma  femme  porte  ;  mais  si  vous  voulez  mes 
deux  poulets,  les  voilà. 

Le  monsieur  insista  beaucoup,  mais  enfin  se 
décida  à  accepter  les  deux  poulets. 

—  Mais,  lui  dit  l'homme,  vous  me  prenez 
ici  ;  m'}'-  ramènerez-vous  ? 

—  Oui,  dit  le  monsieur.  Mais  lorsque  votre 
maître  vous  donnera  une  quittance,  vous  lui 
direz  :  Elle  ne  vaut  rien.  Jetez-la.  Il  vous  en 
donnera  une  seconde  ;  vous  direz  encore  la 
même  chose.  Alors  il  vous  en  donnera  une 
troisième,  et  celle-là  sera  bonne.  Mettez  votre 
pied  sur  le  mien,  et  vous  allez  voir  votre  maître. 

L'homme  mit  son  pied  sur  celui  du  monsieur 
et  se  trouva  transporté  auprès  de  son  ancien 
maître  qui  était  assis  dans  un  fauteuil.  Il  lui 
raconta  son  affaire,  et  son  maître  lui  donna  une 
quittance. 

—  Elle  ne  vaut  rien,  dit-il;  jetez-la. 


200      TRADITIONS     HT     SUPERSTITIONS 

Son  maître  lui  en  donna  une  seconde  ;  il  fit 
la  même  chose.  Enfin  il  prit  la  troisième,  qui 
était  la  bonne,  puis  il  dit  : 

—  Oh  !  mon  maître,  vous  êtes  bien  heureux 
ici,  dans  un  bon  fauteuil,  quand  je  suis  si  mal- 
heureux sur  la  terre. 

—  Tiens,  lui  dit  son  maître,  pose  ton  bâton 
sur  mon  pied. 

Le  fermier  obéit,  et  il  posa  son  bâton,  qui  fut 
brûlé,  et  la  poignée  lui  resta  seule  dans  la 
main.  Alors  le  monsieur  qui  l'avait  amené  lui 
dit: 

—  Remets  ton  pied  sur  le  mien. 

Le  fermier  obéit,  et  il  se  retrouva  au  Chêne- 
Ferron  avec  la  quittance  dans  sa  poche. 

(Recueilli  par  Mu=  Élodie  Bernard  :  Chonne  (Françoise), 
domestique  de  son  père,  croit  que  c'est  arrivé.  Cf.  Béiicdicilé, 
Cont.pop,  2"  série,  n°  57,  et  le  Reçu,  n°  57  lus. 

Une  légende  analogue  est  racontée  dans  le  roman  de  W.  Scott 
Redgauniht. 

Des  récits  où  les  héros  descendent  aux  enfers  sont  populaires, 
ailleurs,  en  Gascogne  (cf.  Bladé  :  Seiie  sup..  Le  Contrat  perdu, 
p.  19);  dans  les  Pyrénées  (cf.  Cordier,  Le  Diable  chc^  les  paysans, 
p.  47);  en  Basse-Bretagne  (cf.  Luzel,  2<=  rapport,  Celui  qui 
racheta  son  père  ri  sa  mère  de  l'enfer;  5"=  rapport,  Le  père  qui  vendit 
son  fils  au  diable. 

C'était  jadis  l'usage  que  les  jeunes  filles,  à 
l'époque  de  Noël,  allaient  chanter  des  cantiques  et 
des  pastorales  de  village  en  village. 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE 


Quatre  jeunes  filles  de  Livré  étaient  parties 
ensemble  la  nuit;  à  quelque  distance  du  bourg 
elles  s'étaient  divisées  en  deux  bandes  qui  chan- 
taient chacune  de  son  côté,  et  comme  elles 
n'étaient  pas  fort  éloignées,  elles  s'entendaient 
mutuellement. 

Tout  à  coup,  deux  jeunes  filles  qui  étaient 
ensemble  cessèrent  brusquement  de  chanter. 
Leurs  compagnes  eurent  beau  les  appeler,  elles  ne 
répondirent  point  ;  alors  elles  se  sentirent  prises  de 
peur,  si  bien  que  leurs  chants  se  terminèrent  là, 
et  qu'elles  rentrèrent  chez  elles. 

Le  lendemain,  elles  allèrent  avec  d'autres  per- 
sonnes à  l'endroit  où  elles  présumaient  que  leurs 
cornpagnes  avaient  cessé  de  chanter,  et  elles 
virent  dans  le  haut  d'un  chêne  une  devantière 
(tablier)  et  un  mouchoir  de  cou. 

(Conté  par  Jean  Bouchery,  de  Dourdani,  1S79.) 

M.  Goudé  raconte  aussi  deux  légendes  de  jeunes  filles  empor- 
tées par  le  diable  (cf.  Chdteaubriant,  p.  9  et  47). 

Un  M.  de  F....  qui  habitait  la  grande  rue  de 
Dinan  mourut  quelques  années  avant  la  Révolu- 
tion. Il  refusa  de  recevoir  les  prêtres,  qui  déclarè- 
rent qu'ils  ne  l'enterreraient  pas  à  l'église.  Bien 
qu'il  fût  gardé  par  plusieurs  personnes,  son  corps 
disparut  de  son  lit,  sans  qu'elles  eussent  rien  vu  ; 
et  le  lendemain  on   fut  obligé   de   mettre   une 


202      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

bûche  dans  son  cercueil.  Les  prêtres  prétendirent 
que  le  diable  l'avait  enlevé.  (D.) 

Cf.  aussi  dans  les  Gweriiou  de  Luzel,  p.  117,  le  gwerz 
intitulé  la  petite  servante.  Celle-ci  ayant  nié  un  dépôt  et  invoqué 
le  diable,  est  emportée  par  lui  en  enfer. 

Les  Légendes  chrétiennes  du  même  auteur  contiennent  un  récit 
assez  similaire,  p.  147,  t.  II,  Emporté  par  le  diable  (cf.  aussi 
h  Méchant  avocat  emporté  par  le  diable,  t.  Il,  p.  140). 


CHAPITRE    VI 


LES     APPARITIONS    NOCTURNES 


1^  ANS  les  pays  du  Nord,  les  nuits  d'hiver 
ont  une  tristesse  qui  saisit  ceux  même 
qui  ne  croient  pas  que  les  démons,  les 
lutins  et  les  fantômes  puissent  se  promener  sur 
terre  entre  la  nuit  close  et  le  chant  du  coq  :  l'esprit 
populaire,  enclin  au  surnaturel,  a  rempli  les  té- 
nèbres de  choses  lugubres  et  terrifiantes. 

De  même  que  ceux  de  presque  toutes  les  autres 
contrées,  les  paysans  gallots,  qui  le  jour  sont  en 
général  assez  braves,  ne  sortent  pas  volontiers  de 
chez  eux  vers  l'heure  de  minuit.  Dans  leur 
enfance,  les  mères  leur  ont  dit  et  répété,  quand 
ils  ne  voulaient  pas  se  coucher  de  bonne  heure  : 


204      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

«  La  Nuit  va  t'eniporter,  »  ou  :  «  Le  bonhomme 
la  Nuit  va  venir  te  quérir  »  ;  plus  tard,  ils  ont 
entendu  à  la  veillée  raconter  des  légendes  noc- 
turnes dont  le  récit  faisait  frissonner  tout  l'audi- 
toire. Leur  éducation  et  les  croyances  de  leur  en- 
tourage les  disposent  à  peupler  les  ténèbres 
d'apparitions  et  fantômes  horribles  à  regarder. 

Il  semble  d'ailleurs  que  les  esprits  de  la  nuit 
n'aiment  pas  à  voir  les  hommes  voyager  ou  tra- 
vailler aux  heures  qu'ils  se  sont  réservées,  et 
parfois  ils  se  chargent  d'avertir  les  imprudents. 
On  en  jugera  par  le  récit  suivant,  qui  est  bien 
vrai,  disait  ma  conteuse. 

Une  nuit,  mon  grand-père  était  à  scier  du  blé 
noir  dans  un  champ  où  il  y  avait  quelques  poi 
riers. 

Il  entendit  une  voix  qui  lui  disait  : 

—  Faut  laisser  la  nuit  à  qui  elle  appartient. 
Cela  ne  le  fit  pas  s'arrêter  ;  il  pensa  que  les 

oreilles  lui  avaient  tinté,  ou  que  c'était  quelque 
camarade  qui  voulait  lui  faire  une  plaisanterie. 
Mais  bientôt  il  entendit  pour  la  seconde  fois  la 
voix  : 

—  Faut  laisser  la  nuit  à  qui  elle  appartient. 

Il  comprit  l'avertissement  et  partit  à  s'en  aller. 

(Conté  ea  1880  par  Françoise  Dumont,  d'Ercè.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  20$ 

Voici  d'autres  récits  où  il  est  parlé  d'apparitions 
nocturnes. 

Un  homme  passait  souvent  par  un  chemin  où 
il  y  avait  à  terre  une  grosse  souche.  Une  nuit  il 
dit  tout  haut  : 

—  Il  y  a  longtemps  que  tu  es  là,  la  souche  ; 
moi  je  t'emporterai. 

Il  se  baissa  pour  la  charger  ;  mais  quand  il 
l'eut  sur  l'épaule,  il  ne  put  se  lever  ni  la  laisser 
retomber,  et  il  resta  ainsi  jusqu'au  lendemain 
matin. 

(Conté  en  iS8o  par  Françoise  Dumont.) 

En  passant  près  d'un  ruisseau,  un  fermier 
entendit  par  deux  fois  une  voix  qui  disait  : 

—  Où  est-il,  l'homme  dont  l'heure  arrive  ? 
Cela  lui  fit  peur,  car  il   ne  voyait    personne. 

Comme  il  regardait,  il  aperçut  un  homme  qui 
accourait,  et  qui  passa  devant  lui  sans  rien  lui 
dire  ;  en  traversant  le  ruisseau,  il  tomba  dans 
l'eau,  et  le  fermier  vit  l'eau  qui  bouillait  à  l'en- 
droit où  l'homme  était  tombé. 
Jugez  s'il  fut  saisi  de  l'aventure  ! 

(Conté  par  Françoise  Dumont.  Son  père  tient  cette  histoire  de 
celui  à  qui  la  chose  est  arrivée.) 

Les  paysans,  très-portés  à  redouter  les  choses 
de  la  nuit,  prêtent  volontiers  une  origine  surna- 


206      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 


turelle  à  tous  les  objets,  à  tous  les  bruits  dont  ils 
n'osent  ou  ne  peuvent  se  rendre  compte. 

Il  est  d'usage  à  la  campagne,  dans  beaucoup 
de  pays,  que,  lorsqu'on  va  chercher  le  médecin 
ou  la  sage-femme  pour  un  accouchement,  deux 
personnes  fassent  le  voyage  ensemble  :  celui  qui 
irait  seul  serait  exposé  à  des  apparitions. 

Un  habitant  de  Saint-Briac,  dont  la  femme 
venait  d'être  prise  des  douleurs  de  l'enfantement 
au  milieu  de  la  nuit,  partit  pour  Ploubalay,  où 
demeurait  le  médecin,  sans  s'être  précautionné 
d'un  compagnon  de  route.  Il  ne  vit  d'abord  rien 
d'extraordinaire  ;  mais  quand  il  arriva  au-dessous 
de  la  chapelle  de  l'Epine,  à  l'endroit  oii  la  route 
longe  la  Prée-des-Cocus,  lieu  marécageux  et  qui 
passe  pour  hanté,  parce  qu'on  y  voit  des  feux 
follets,  ses  oreilles  furent  frappées  d'un  bruisse- 
ment étrange  qui  ressemblait  à  une  sorte  de 
musique. 

Il  se  rappela  que,  dans  sa  situation,  une  appa- 
rition était  chose  fort  ordinaire,  et  la  peur  lui  fit 
quitter  le  milieu  de  la  route  pour  se  réfugier  sur 
le  bord,  près  de  la  banquette,  où  le  bruit  redoubla 
d'intensité.  II  rencontra  un  poteau  télégraphique 
récemment  planté  là,  l'enibrassa  de  ses  deux 
mains,  et  il  resta  dans  cette  position,  tremblant 
de   frayeur,    jusqu'au    jour,    et   sans    se   rendre 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  207 

compte  de  ce  que  la  cause  unique  du  bruissement 
était  la  vibration  des  fils  agités  par  le  vent. 

(Recueilli  à  Ploubalay  vers  i8éo.) 

En  Basse-Bretagne,  les  superstitions  de  la  nuit  sont  plus 
nombreuses  qu'en  pays  gallot  ;  on  pourra  retrouver  celles  dont 
je  n'ai  pas  les  similaires  dans  Le  Men,  p.  420  et  suiv.  ;  Luzel, 
Voyage  à  Oucssant,  p.  776  (Danseurs  de  nuit  et  lanntg  an  aod); 
Lég.    chrét.,    t.    II,  p.   '^^è  {Voix  qu'on  entend  sans  voir  de  corps'). 


§   I.  —  LE   CHAR   DE   LA   MORT 


;UAND  on  entend  la  Charrette  Moulinoire 
couiner  (crier  en  grinçant),  on  dit  : 

—  Voilà  la   charrette   qui   passe  pour 
chercher  les  morts. 

C'est  un  chariot  qui  n'est  traîné  par  personne. 
Un  jour,  près  du  moulin  d'Anne,  une  femme  de 
Saint-Cast  l'a  rencontré;  elle  l'entendait  de  loin 
qui  couinait  à  chaque  tour  de  roue,  et  elle  pensa 
que  la  charrette  allait  à  la  porte  de  ceux  qui  sont 
pour  mourir. 

La  charrette  marchait  comme  le  vent,  et  la 
femme,  pour  l'éviter,  se  jeta  dans  une  broussée 
d'ajoncs,  d'où  elle  la  vit.  Elle  dit  qu'elle  n'avait 
point  vu  de  chevaux  ;  mais  la  charrette  était 
remplie  de  musiciens  et  de  gens  qui  jetaient  le 
feu  par  le  nez. 

(Conté  par  Rose  Renaud,  de  Saint-Cast,  1879.) 

D'autres  prétendent  qu'elle  est  attelée  de  che- 
vaux, et  que  celui  qui  la  conduit  crie  sur  sa 
route  : 


TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS     209 

—  Gare  la  va  (la  voie,  le  passage)  du  limonier! 

On  dit  encore  qu'elle  passe  par  les  chemins 
creux  et  à  travers  les  champs,  marchant  comme 
le  vent,  sous  la  conduite  du  diable,  et  tuant  tous 
ceux  qui  ne  se  sont  pas  rangés  à  temps  sur  sa 
route.  Vers  Plévenon,  elle  ne  peut,  assure-t- 
on, passer  par  les  champs,  parce  qu'ils  ont  été 
bénits. 

Elle  fait  le  même  bruit  qu'une  charrette  mal 
graissée;  c'est  probablement  le  cri  d'un  petit 
crapaud  très-commun  en  Haute-Bretagne,  qui  fait 
croire  à  cette  charrette  invisible,  auquel  son  cri 
ressemble  en  effet  beaucoup. 

D'après  un  récit  intitulé  :  La  Charrette  Mouli- 
iioire,  2e  série,  n"  un,  que  j'ai  recueilli  à  Plé- 
venon, elle  était  attelée  de  douze  cochons,  et 
quand  elle  venait  à  la  porte  d'une  maison,  on 
pouvait  être  certain  que  dans  la  quinzaine 
mourrait  un  de  ceux  qui  l'habitaient  (cf.  ce 
conte  pour  les  détails).  Cette  charrette  est  aussi 
appelée  la  Brouette  de  la  Mort  (cf.  Carriguel  an 
Ankoti,  dont  le  terme  français  est  le  similaire 
exact. 

On  la  nomme  aussi  la  Graiid'Cherrée,  la 
grande  charretée.  C'est  elle  qui  transporte  les 
morts.  La  mère  de  ma  bonne  Vincente,  qui  était 
de  Saint-Pôtan,  avait  vu  passer  près  de  chez  elle, 
à  la  nuit  close,  la  Grand'Cherrée. 

I  14 


210      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


En  Basse-Bretagne  existe  la  croyance  au  Kar  an  Anhou,  qui 
répond  exactement  à  la  Grand'Cherrée  et  à  la  Charrette  Mouli- 
noire. 

«  Au  moment  où  Willherm  sifflait  le  quatrième  vers  de  la 
chanson  de  Mariounik,  il  entendit  le  bruit  d'une  charrette  non 
ferrée,  et  il  l'aperçut  qui  venait  vers  lui  couverte  d'un  drap 
mortuaire. 

«  Wilherm  reconnut  la  charrette  de  la  mort.  Elle  était  traînée 
par  six  chevaux  noirs  et  conduite  par  VAnkoii,  qui  tenait  un 
fouet  de  fer  et  répétait  sans  cesse  : 

«  —  Détourne,  ou  je  te  retourne.  » 

(Souvestre,  Foyer  breton,  t.  I,  p.  ijo,  éd.  Lévy.) 

Cf.  aussi  Guyonvac'h,  p.  185,  la  Brouette  de  la  Mort;  Luzel, 
Lég.  chrét.,  t.  I,  \a.  Mort  en  voyage,  et  t.  II,  p.  335. 

En  Kormandie,  la  charrette  de  la  mort,  traînée  par  des  che- 
vaux blancs,  se  montre  aussi,  mais  seulement  le  soir  des  Morts, 
et  l'on  distingue  la  voix  de  ceux  qui  sont  morts  dans  l'année. 
(Amélie  Bosquet,  p.  276.) 


^^, 


$    II.     —     LES    CHÂSSES     ET    LES    CIERGES 
ERRANTS 


«'une  des  apparitions  les  plus  communes  est 
celle  des  châsses  ou  bières  posées  sur  des 
échàliers  de  pierre,  au  bord  de  la  route. 
L'ombre  portée  des  arbres  éclairés  par  la  lune 
dessine  en  eflfet,  parfois,  sur  les  pierres  plates 
qui  servent  de  clôtures  aux  champs,  aux  endroits 
où  aboutit  un  sentier,  des  formes  dans  lesquelles 
les  esprits  prévenus  voient  des  châsses  recouvertes 
d'un  drap  blanc.  (Matignon  et  beaucoup  d'autres 
pays.) 

Les  châsses  posées  sur  les  échàliers  sont  un 
présage  de  mort  pour  celui  qui  les  voit.  (S.-C.) 

Une  lavandière  prétendait  que  rien  n'était 
capable  de  lui  faire  peur  la  nuit,  et  elle  disait  à 
qui  voulait  l'entendre  qu'elle  irait  bien  seule 
partout  et  à  toute  heure. 

Un  soir,  en  passant  un  échalier,  elle  vit  un 
drap   blanc  qui  semblait  recouvrir  une  châsse  ; 


212      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

elle  prit  son  battoir  et  se  mit  à  en  frapper  le  mau- 
vais plaisant,   qui  s'enfuit  en  criant. 

Mais  une  autre  fois,  elle  vit  une  véritable 
châsse  avec  un  drap  blanc  dessus  ;  elle  eut  peur  et 
résolut,  cette  apparition  s'étant  présentée  devant 
elle  à  diverses  reprises,  d'aller  raconter  le  fait  à 
son  confesseur.  Celui-ci  lui  conseilla  d'aller 
hardiment  et  de  border  le  linceul  sur  la  châsse. 
Elle  le  fit,  et  l'apparition  disparut  aussitôt  ;  mais 
l'émotion  qu'elle  avait  éprouvée  la  rendit  malade, 
et  peu  après  elle  mourut. 

(Conté  par  Jean  Bouchery,  de  Dourdain,  1878.) 

Un  jour,  des  gens  qui  allaient  chercher  leurs 
chevaux  le  soir  virent  sur  leur  chemin  trois 
châsses  en  rang  : 

—  Si  je  savais,  dit  l'un  d'eux,  que  c'en  serait 
une,  je  la  prendrais  pour  me  servir  ces  jours-ci. 

Il  alla  pour  en  soulever  une  ;  mais  il  la  trouva 
pesante  : 

—  Ah  !  s'écria-t-il  ;  il  y  a  des  morts  dedans. 
Ils   voulurent  passer  par    ailleurs  ;     mais    les 

châsses  les  suivirent.  A  la  fui,  elles  se  plantèrent 
debout,  et  les  hommes  purent  passer;  mais  ils 
avaient  les  cheveux  dressés  sur  leur  tête. 

(Conté  en  1S80  par  Marie  Saiison,  de  Saint-Cast.) 

En   lî.isse-Normandie,   contrée   voisine  d'une   partie   du   pays 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  213 


gallot,  on  voit  fréquemment  appaiaitre  des  bières.  Ce  sont  de 
grands  cercueils  blancs  que  l'on  rencontre  la  nuit  dans  les  cime- 
tières, au  milieu  des  chemins,  ou  placés  sur  les  échaliers,  et  qui 
barrent  la  route  aux  voyageurs.  Si  un  passant  est  obligé  de 
déranger  une  bière,  il  doit  s'en  approcher  avec  beaucoup  de 
respect,  la  retourner  bout  pour  bout,  puis  la  remettre  à  la  même 
place.  C'est  ainsi  qu'il  évite  tout  danger  (Amélie  Bosquet, 
p.  275-276).  Les  châsses  apparaissent  aussi  en  Berry,  où  elles 
portent  le  même  nom  qu'en  Haute-Bretagne  (cf.  Laisnel  de  la 
Salle,  t.  I,  119). 

Les  cierges  qu'on  voit  errer  la  nuit,  et  qui 
souvent  sont  portés  par  des  filles  en  blanc,  sont 
des  cierges  qui  ont  été  bénits  à  la  Chandeleur,  et 
que  les  personnes  à  qui  ils  appartenaient  ont  fait 
servir  à  des  usages  profanes  ou  moqueurs.  C'est 
en  expiation  de  cela  qu'elles  sont,  après  leur 
mort,  obligées  de  les  porter  à  la  main. 

(Conté  par  Joseph  Legendre,  de  Saint-Brieuc-des-Iffs,    1880.) 

«  Un  soir  des  jeunes  gens  aperçoivent  une  lu- 
mière \  ils  s'en  approchent  et  voient  un  cierge  sans 
chandelier.  Ils  veulent  passer  à  côté  ;  mais  le  cierge 
se  dérange  et  leur  barre  le  chemin.  L'un  d'eux 
frappe  le  cierge  de  son  bâton  et  l'envoie  dans  un 
champ  voisin,  où  il  s'éteint.  En  se  retournant,  il 
vit  une  forme  blanche  couronnée  de  roses  et 
portant  à  la  main  un  cierge  brisé.  On  lui  dit 
dans  un  veillois  qu'il  lui  arriverait  malheur,  et  de 


214      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

fait  il  entendait  une  plainte  continue.  Il  pria  un 
de  ses  amis  de  venir  le  veiller;  mais  celui-ci 
s'endormit,  et  le  lendemain  il  trouva  à  la  porte 
son  camarade  mort,  et  à  côté  de  lui  le  cierge 
brisé.  » 

(M="  de  Cemy,  p.  31-32.) 


®^®*è:®èï^@k^®^®^® 


'5   in.    —    LES   HOMMES   BLAKCS   ET  LES   DAMES 
BLANCHES 


la  tombée  de  la  nuit  on  voit  —  ce  sont 
surtout  des  femmes  auxquelles  cette 
apparition  se  montre  —  des  prêtres 
glissant  comme  des  ombres  ou  des  hommes  blancs. 
Ceux-ci,  qui  ont  le  visage  «  blanc  comme  des 
linges  ))  et  sont  habillés  de  blanc,  ne  se  mon- 
trent qu'aux  femmes  isolées,  et  seulement  pen- 
dant l'été.  Il  y  a  quelques  années,  le  bruit 
d'apparitions  de  ce  genre  se  répandit  aux  environs 
<ie  Plancoët  et  prit  une  telle  consistance,  que  la 
presse  s'en  mêla,  et  un  peu  aussi  la  gendarmerie. 

Souvestre,  Derniers  Bretons,  t.  I,  p.  38,  parle  aussi  d'hommes 
blancs  qui  ramassent  les  âmes  dans  leur  bissac,  mais  ce  sont  des 
jdiables. 

En  plusieurs  endroits  se  promènent  des  dames 
blanches,  qui  recherchent  surtout  le  voisinage 
des  anciens  châteaux  (cf.  plus  loin  le  chapitre 
intitulé  Souvenirs  historiques).  En  1878,  une  dame 
blanche  se  montra  à  Léhon,  près  Dinan,  pendant 


2l6      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 


plusieurs  soirs  ;  mais  un  journal  ayant  annoncé 
que  quelques  habitants  se  proposaient  de  voir  si 
les  balles  passaient  à  travers  l'apparition  sans 
laisser  de  trace,  la  dame  blanche  cessa  prudem- 
ment ses  promenades. 

Autrefois  il  y  avait  à  Moncontour  une  dame 
blanche  qui  montait  une  des  rues  ;  elle  était 
vêtue  de  blanc  ;  son  corps  avait  l'air  d'une  fumée  ; 
elle  semblait  seulement  effleurer  la  terre.  Une 
nuit  qu'il  faisait  clair  de  lune,  un  domestique  dit 
à  une  servante  qui  traitait  la  dame  blanche  de  fable 
que  si  elle  voulait  la  voir,  elle  n'avait  qu'à  s'attirer 
sur  sa  porte.  Elle  le  fit,  et  la  vit  en  effet  ;  mais 
quand  elle  fut  sur  le  point  d'arriver  à  côté  de  la 
maison,  la  servante  ferma  la  porte. 

(Communiqué  par  M.  E.  Hamonic). 

Un  livre  des  plus  curieux,  Guyonvac'h,  raconte  qu'en  Basse- 
Bretagne  on  voit  la  procession  des  six  dames  blanches  du  sire 
de  Kérouan,  p.  31. 

Les  dames  blanches  sont  aussi  connues  en  Normandie  (cf. 
A.  Bosquet,  p.  103);  mais  elles  sont  plus  malfaisantes  que  celles 
du  pays  gallot.  On  les  retrouve  en  Franche-Comté,  en  Bour- 
gogne (cf.  D.  Monnier,  p.  430,  432,  443),  etc. 


§   IV.    —    LES   FILANDIÈRES   DE   NUIT 


jARiMi  les  superstitions  nocturnes,  il  faut 
I  aussi  noter  les  Filandières  de  nuit  :  je 
n'ai  pas  constaté  personnellement  cette 
légende,  mais  elle  a  été  trouvée  sur  les  rives  de 
la  Rance  et  dans  la  partie  française  du  Morbihan. 

«  Jeanne  Malobe  est  une  filandière  qu'on  voit 
le  soir,  travaillant  toujours  et  marmottant  des 
paroles  inintelligibles  ;  elle  lessive  son  fil  à  Vor- 
vaye,  qui  est  un  beau  doué;  on  la  voit  courir  par 
les  garennes  en  agitant  sa  quenouille  et  poursui- 
vant des  animaux  fantastiques,  et  elle  écarte  de 
son  travail  la  menée  ankine....  Elle  ne  suspend 
son  travail  que  lorsqu'elle  voit  passer  l'homme 
sans  tête  du  Bignon.  Cet  homme  parla  à  une 
fille  du  pays  et  lui  prédit  sa  fin  prochaine.... 
Quand  il  a  passé,  Jeanne  Malobe  reprend  sa 
quenouille,  et  l'on  dit  qu'elle  doit  filer  éternelle- 
ment les  tuniques  des  saints  et  des  anges.  » 

(Mm=  de  Cerny,  Saint-Stiliac,  p.  39.) 


2l8      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

«  Une  jeune  fille  qui  filait  le  samedi  après  le 
dernier  coup  de  minuit,  vit  près  d'elle,  quoique 
sa  perce  fût  fermée,  une  vieille  qui  lui  fila  en  peu 
de  temps  tout  son  linge  et  le  lui  mit  à  blanchir. 
Comme  elle  était  occupée  à  cette  besogne,  le  coq 

chanta La   vieille  lui  dit  qu'on  ne  la  voyait 

jamais  qu'une  fois  et  qu'elle  était  la  filandière  de 
nuit. 

«"Le  lendemain  on  trouva  la  fille  morte  sur  sa 
lessive.  » 

(Fouquet,  Lég.  du  Morb.,  p.  60.) 

D'après  JoUivet,  t.  I,  p.  348,  une  bonne  femme  de  Plœuc 
ayant  trav.tillé  après  minuit,  une  fée  horrible  était  descendue  par 
la  clieminèe  pour  lui  reprocher  de  filer,  et  la  femme  était  morte 
de  frayeur. 

En  Berry,  il  y  a  la  Broyctue  ih  niiil,  dont  on  se  débarrasse  en 
mettant  une  faux  en  travers  de  la  broie  (cf.  G.  Sand,  Lcg.  rusi., 

V-  38.) 


§  V.    —   LES   CHASSES   FANTASTIQJJES 


lE  Chariot  de  David  passe  dans  les  airs, 
pendant  les  belles  nuits  d'été,  avec  un 
grand  bruit,  rapide  comme  le  vent. 

Ce  sont  les  migrations  des  oiseaux  voyageurs 
qui,  en  volant  dans  l'air  à  une  grande  hauteur, 
produisent  le  bruit  qui  est  l'origine  probable  de 
cette  croyance.  Elle  est  connue  dans  le  canton  de 
Liffré  (lUe-et- Vilaine)  et  probablement  ailleurs. 
Ma  belle-mère  a  eu  une  domestique  qui  affirmait 
avoir  plusieurs  fois  entendu  passer  dans  les  nues 
le  Chariot  de  David. 

Ailleurs,  on  entend  la  Chasse  saint  Hubert 
(Plévenon),  la  Chasse  Arthur  ou  Chasse  Arthu' 
(vers  Bécherel),  qui  fait  un  bruit  semblable  à  celui 
d'une  meute  qui  aboie.  On  croit  que  cet  Arthur 
était  une  sorte  de  roi  des  chasseurs. 

A  Saint-Suliac,  d'après  M™=  de  Cerny,  Jeanne  Malobe,  la 
filandière  de  nuit,  poursuit  des  animaux  fantastiques  et  écarte 
la  menée  ankiue.  Celle-ci  est  composée  d'animaux  carnassiers  qui 
chassent  et  qui  massacrent  les  animaux  domestiques  et  tous  les 
hommes  qui  sont  sur  son  passage  (p.  33). 


220      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


La  chasse  saint  Hubert  et  la  chasse  Artus  ou  Arthur  sont 
aussi  connues  en  Normandie  (cf.  Amélie  Bosquet,  p.  67-68). 
Tou  un  chapitre  de  son  curieux  livre  est  consacré  aux  chasses 
fantastiques. 

On  retrouve  ailleurs  le  souvenir  des  chasses  nocturnes  :  en 
Berrj',  la  chasse  à  Ribaut  (cf.  Martinet, p.  3),  la  chasse  à  Rigaud, 
la  chasse  à  Bôdet  (cf.  Laisnel,  t.  I,  168  et  i6g,  où  sont  cités 
plusieurs  similaires)  ;  en  Poitou,  la  chasse  Galerie  (cf.  Souche, 
Proverbes,  etc.,  p.  54)  ;  en  Franche-Comté,  la  chasse  d'Olifeme, 
la  chasse  du  roi  Hérode  (cf.  Monnier,  p.  79,  80,  86),  etc. 


CHAPITRE    VII 


LES  REVENANTS 


,A  croyance  aux  revenants  est  à  peu  près 
générale  en  Haute-Bretagne  ;  bien  qu'en 
plusieurs  endroits  elle  ait  une  tendance  à 
s'affaiblir,  elle  y  est  encore  très-vivace.  Beaucoup 
de  gens  très-braves,  et  qui  ne  reculeraient  devant 
aucun  homme,  n'oseraient,  pour  tout  l'or  du 
monde,  passer  seuls  à  la  nuit  close  dans  un 
cimetière  ou  dans  un  lieu  hanté  par  les  revenants. 
A  la  campagne  on  ne  trouverait  personne  qui 
voulût  rester  la  nuit  seul  en  tête-à-tête  avec  un 
mort,  ou  coucher  dans  une  chambre  «  où  il 
revient  ». 

Nombre  d'anciens  châteaux  ont  leur  chambre 
de  revenants.  A  l'époque  de  la  Révolution,  le 
château  de  Maurepas,  près  Rennes,  était,  disait-on, 


222      TRADITIONS    ET     SUPERSTITIONS 


fréquente  par  des  spectres.  Moreau  et  Volney, 
qui  n'y  croyaient  guère,  établirent  dans  les  caves 
l'imprimerie  clandestine  de  leur  journal,  et  per- 
sonne n'eût  osé  aller  les  déranger. 

Il  n'est  guère  de  commune  où  l'on  ne  trouve 
des  endroits  «  où  l'on  voit  de  quoi  »  et  «  où  il 
revient  ». 

Il  en  est  de  même  en  Berry  (cf.  Laisnel  de  la  Salle,  t.  I, 
p.  92);  en  Bretagne  bretonnante,  «  le  paysan  breton  vit  au 
milieu  des  trépassés  :  il  les  entend  gémir  dans  les  bois,  dans  les 
taillis  »  (Guyonvac'h,  p.  183). 

A  Saint-Cast,  non  loin  de  la  colonne  érigée  en 
souvenir  de  la  bataille  de  1758,  est  un  bas-fond 
qu'on  appelait  la  Cassière  (lieu  bas  et  humide) 
des  damnés,  parce  que  les  Anglais  hérétiques,  et 
par  conséquent  —  dans  l'opinion  catholique  étroite 
—  damnés,  y  avaient  été  enterrés.  On  y  voyait 
des  apparitions,  des  feux,  des  lances  brillantes 
et  des  fantômes. 

Dans  les  Miellés  (monticules  de  sable  qui 
bordent  la  plage  de  Saint-Cast),  on  a  vu  se 
promener  à  la  nuit  un  prêtre  qui  chantait  :  c'était 
un  M.  Richard,  qui  avait  été  vicaire  à  Saint-Cast; 
bien  des  gens  reconnaissaient  sa  voix. 

(Conté  en  1880  par  Rose  Renaud,   de  Saint-Cast.) 

Dans  le  Morbihan,    d'après   Dulaurens   de   la    Barre,  l'cillces. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  22^ 


le  Testament  du  Recteur,  on  voit  apparaître  un  prêtre  qui  con- 
duit un  troupeau  sur  la  mer. 

Quant  aux  apparitions  sur  les  champs  de  bataille,  on  les  re- 
trouve en  Normandie  (cf.  Amélie  Bosquet,  p.  65,  cavaliers  blancs 
jadis  défaits  par  cavaliers  rouges  qui  parcourent  une  prairie  pen- 
dant la  nuit). 

D'après  Pausanias  (in  Aiticis),  quatre  cents  ans  après  la 
bataille  de  Marathon  on  entendait  toutes  les  nuits,  au  lieu  où 
elle  se  donna,  des  hennissements  de  chevaux  et  des  bruits  de 
gens  de  guerre  qui  se  combattaient. 

Habasque,  à  l'article  Erqiiy  (t.  III,  105),  parle 
de  l'allée  des  Chenotiaux,  à  Biénassis,  où  chaque 
nuit  un  prêtre  lit  son  bréviaire. 

«  A  la  croix  Artebise  en  Saint-Donan,  les 
morts  reviennent.  De  leurs  mains  décharnées  et 
froides  ils  saisissent  les  passants  attardés,  et 
s'amusent  à  les  faire  tourner  avec  une  effrayante 
rapidité.  » 

(B.  Jollivet,  article  Saivt-Donan,  t.  I,  p.  57.) 

Un  homme  de  Conaquen  en  Evran,  qui  allait  en 
journées  à  l'Angevinais,  s'en  retournait  un  soir 
après  son  travail  et  passait  par  le  haut  du  vallon. 
Dans  le  fond  de  la  vallée,  il  aperçut  une  table 
autour  de  laquelle  étaient  un  grand  nombre  de 
personnes,  et  il  reconnut  parmi  elles  plusieurs  de 
ses  connaissances  qui  étaient  mortes.  Il  eut  très- 


224      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

peur,  surtout  lorsqu'il  vit  venir  à  lui  un  des 
défunts  qui  lui  dit  : 

—  Ne  raconte  à  personne  ce  que  tu  as  vu,  car 
la  mort  te  prendrait. 

Le  journalier  rentra  chez  lui  très-effrayé,  et 
-se  garda  bien  de  parler.  Mais  à  quelque  temps 
de  là  il  tomba  malade,  et,  croyant  mourir,  il 
raconta  tout  à  sa  femme.  Il  ne  mourut  pas  cepen- 
dant, et  le  premier  jour  où  il  retourna  à  ses 
journées,  au  lieu  de  s'en  revenir  par  Boutron, 
où  passe  le  sentier  le  plus  direct,  il  prit  le  chemin 
des  Motays.  On  l'entendit  crier,  et  même  sa 
femme  l'ouït  crier  de  Conaquen,  qui  est  pourtant 
éloigné;  mais  personne  n'osa  bouger.  Le  lende- 
main, on  alla  voir  ce  qu'il  était  devenu  ;  mais  on 
ne  trouva  plus  que  sa  tête.  Les  morts  avaient  fait 
un  tel  feu,  qu'on  ne  vit  plus  trace  d'un  gros  tas 
de  fumier  qui,  la  veille,  avait  été  porté  dans  ce 
champ,  alors  en  guérets. 

(Recueilli  par  M"'  Elodie  Bernard.) 

Certaines  nuits  semblent  plus  particulièrement 
.affectionnées  par  les  revenants.  A  Saint-Cast,  et 
en  plusieurs  autres  pays,  on  prétend  que  le  soir 
de  la  Toussaint  ils  sortent  à  minuit^  du  cimetière 
et  vont  se  promener  sur  les  routes,  où  ils  frappent 
les  passants  attardés,  et  surtout  les  ivrognes  et  les 
garçons  qui  reviennent  de  voir  les  filles. 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  22$ 

On  dit  aussi  que  la  nuit  de  la  Toussaint  les 
églises  sont  pleines  de  morts  qui  sont  sortis  de 
leurs  tombes  pour  venir  y  prier.  (S.-C.) 

Dans  le  pays  bretonnant  on  croit  que  le  jour  des  Morts  les 
trépassés  sortent  de  leur  tombe  ;  on  leur  dresse  une  table  chargée 
de  mets  (cf.  Souvestre,  Derniers  Rrelons,  t.  I,  p.  n).  A  ma 
connaissance  du  moins,  cette  coutume  du  repas  préparé  pour 
les  morts  n'existe  pas  en  Haute-Bretagne.  A  Dieppe,  celui  qui, 
le  jour  des  Morts,  monterait  un  bateau  y  verrait  double  et  ne 
pécherait  que  des  ossements  (cf.  A.  Bosquet,  p.  276). 

Beaucoup  de  gens  redoutent  de  voyager  ces 
deux  jours-là  après  la  nuit  close,  et  j'ai  entendu 
une  personne  de  la  campagne,  qui  n'était  point 
trop  superstitieuse,  me  dire  qu'elle  n'osait  sortir 
de  chez  elle  cette  nuit-là.  D'autres  prétendent 
que  pendant  toute  la  semaine  des  Morts  on  est 
exposé  aux  apparitions.  Voici  un  conte,  choisi 
entre  plusieurs,  où  il  est  parlé  des  revenants  de  la 
Toussaint.  

Il  y  avait  une  fois  un  jeune  bambocheur  qui 
voulait  aller  voir  les  filles  le  jour  des  Morts.  11 
invita  deux  de  ses  camarades  à  l'accompagner. 

—  Y  penses-tu  ?  répondit  l'un  d'eux  ;  est-ce 
qu'on  va  voir  les  filles  le  jour  des  Morts  ? 

—  Bah  1  dit  l'autre,  n'y  fais  pas  attention  ;  est- 
ce  que  tu  crois  à  toutes  ces  vieilleries  ? 

Les    voilà    partis.    A    un   certain    endroit    du 

^  15 


226      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

chemin,  ilst  rouvèrent  une  sorte  de  châsse  qui 
leur  barrait  la  route. 

—  Je  ne  passerai  pas  !  dit  un  des  garçons. 

—  Je  vais  vous  faire  faire  place,  répondit  celui 
qui  les  conduisait. 

Il  prit  un  morceau  de  bois,  et  marchant  droit 
à  la  châsse,  il  frappa  dessus,  et  elle  se  sépara  en 
deux. 

—  Jean  Lemaître,  dit  une  voix,  tu  te  repen- 
tiras de  ce  que  tu  viens  de  faire. 

Les  garçons  allèrent  voir  les  filles,  mais  n'osè- 
rent s'en  retourner,  et  on  les  mit  tous  les  trois 
à  coucher  dans  le  même  Ht. 

A  minuit,  on  entendit  frapper  à  la  porte,  et 
une  voix  qui  criait  : 

—  Jean  Lemaître  !  Jean  Lemaître  ! 
Le  bourgeois  de  la  maison  dit  : 

—  Levez-vous,  Jean  ;  on  vous  appelle. 

—  Lève-toi  donc,    disaient  les  autres. 

Mais  Jean  avait  peur  à  ses  oreilles  et  ne  bou- 
geait point. 

La  porte  s'ouvrit,  et  le  revenant  vint  droit  au 
lit  où  les  trois  garçons  étaient  couchés, 

—  Lève-toi  de  suite,  Jean,  lui  dit-il. 

Les  autres  le  poussaient,  et  ils  avaient  envie  de 
le  voir  debout.  Il  finit  par  se  lever  bien  triste- 
ment, et  le  revenant  lui  dit  : 

—  Couche-toi  sur  la  table. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  227 

Il  le  couvrit  avec  une  nappe,  alluma  trois 
cierges  de  chaque  côté  et  s'en  alla. 

Personne  n'osa  se  lever  ;  mais  au  matin,  le 
maître  de  la  maison  alla  voir  ce  qui  était  arrivé  à 
Jean,  et,  ayant  soulevé  le  drap,  il  vit  qu'il  était 
mort. 

(Conté  eu  1880  par  Marie  Durand,  de  Saint-Cast,  âgée  de 
quatre-vingts  ans.) 

.J'ai  une  seule  fois  trouvé  une  personne  qui 
m'affirmait  avoir  vu  un  revenant;  mais  j'ai  sou- 
vent entendu  citer  un  tel  et  un  tel  qui  s'étaient 
rencontrés  avec  des  gens  de  l'autre  monde. 

Dans  le  pays  bretonnant,  il  en  est  autrement  : 
«  Chacun  a  toujours  à  raconter  quelque  histoire 
fantastique  ou  merveilleuse  où  il  a  joué  un  rôle 
parfois,  à  moins  qu'il  ne  la  tienne  de  son  père  ou 
de  sa  grand'mère.  » 

(Luzel,  Veillées  bretonnes,  p.  41.) 

Sur  les  revenants  en  général,  on  peut  consulter  Tylor,  Civi- 
lisation primitive,  t.  I,  ch.  IX;  D.  Calmet,  Dissertation  sur  les 
apparitions,  les  revenants  et  les  vampires. 


3)^i!r3^3^eri^!>3^Ji^!r^!^frjt^S^3i^3)<èsrj)^^^^^ 


POURaUOI    ET   COMMENT    SE    PRÉSENTENT 
LES   REVENANTS 

1 'apparition  est,  la  plupart  du  temps, 
motivée  par  une  demande  que  les  dé- 
funts ont  à  faire  à  des  vivants.  Ils  se 
montrent  aux  personnes  qui  les  ont  connus  sous 
la  forme  qui  leur  était  habituelle,  et  les  suivent 
sans  rien  dire  jusqu'à  ce  qu'on  les  ait  interrogés  ; 
quand  on  leur  a  parlé,  quand  on  a  accompli  ce 
qu'ils  réclamaient,  ils  cessent  de  venir  sur  terre. 

Même  croyance  en  Normandie  (cf.  A.  Bosquet,  p.  261)  ;  mais 
parfois  les  revenants  normands  apparaissent  encore  une  fois  pour 
remercier. 

En  pays  bretounant,  les  âmes  de  ceux  qui  ne  sont  pas  morts 
en  état  de  grâce  viennent  tourmenter  les  vivants  jusqu'à  ce  qu'ils 
aient  été  conjurés  (cf.  Le  Men,  p.  424  et  suiv.). 

Dans  les  légendes  que  j'ai  recueillies,  et  dont 
on  trouvera  ci-après  quelques-unes,  les  personnes 
qui  reviennent  ont  pour  but  de  réclamer  de  la 
charité  des  chrétiens  l'accomplissement  d'un  vœu 
fait  à  leur  lit  de  mort,  des  messes  pour  sortir  du 
purgatoire,  le  paiement  d'une  dette  par  eux  con- 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS      229 

tractée.  D'autres,  enterrées  dans  des  lieux  non 
bénits,  sollicitent  d'être  mis  en  terre  sainte.  Il  en 
est  aussi  qui,  ayant  pendant  leur  vie  fait  une 
promesse  à  quelqu'un,  reviennent  pour  exécuter 
ce  qu'ils  avaient  promis. 

Les  prêtres  revenants  sont  ceux  qui  ont  fait  des 
fautes  pendant  leur  vie,  ou  négligé  de  dire  des 
messes  qui  leur  ont  été  payées. 

D'autres  revenants  semblent  avoir  pour  but  de 
venir  avertir  ceux  qu'ils  ont  aimés  de  faire  péni- 
tence ou  de  changer  de  conduite. 

II  en  est  d'autres  qui  sont  condamnés  à  revenir 
sur  terre  pour  y  faire  pénitence  :  ainsi  les  femmes 
qui  ont  tué  leurs  enfants  deviennent  lavandières 
de  nuit  pendant  un  certain  temps.  Il  en  est  de 
même  de  celles  qui  ont  lavé  le  dimanche  ;  elles 
reviennent  sur  terre,  soit  la  nuit,  soit  dans  le  jour, 
tous  les  dimanches,  à  l'heure  juste  où  le  péché  a 
été  commis. 

Il  y  a  enfin  les  revenants  du  cimetière,  qui 
s'agenouillent  sur  les  tombes  et  qu'il  faut  bien  se 
garder  de  déranger,  car  la  punition  est  terrible  ; 
ceux  qui  laissent  leur  suaire  sur  leur  tombe,  et 
qu'on  doit  bien  se  garder  de  toucher. 

Voici  quelques  légendes  que  j'ai  recueillies,  et 
où  la  venue  des  revenants  est  motivée. 

En  Normandie,  l'apparition  des  morts  est  attribuée  à  une 
cause  religieuse.  Ils  viennent  aussi  réclamer  des  prières  et  soUi- 


230      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


citer   qu'on   les    décharge    de    quelque    engagement    qu'ils    ont 
contracté  sur  la  terre  (cf.  Amélie  Bosquet,  p.  258). 


A.    —    Revenants    qui     viennent     demander 

des    messes    ou    l'accomplissement    a    leur   place 

d'un  vœu 

Le  vxu  à  sainte  Anne 

Une  vieille  garde-malade  de  Dinan,  morte  il  y 
a  peu  d'années,  racontait  l'aventure  suivante  : 

Un  monsieur  mourut  et  fut  très-regretté  de  sa 
domestique,  qui  l'avait  soigné  avec  beaucoup  de 
dévoùment  pendant  sa  maladie. 

Quelques  jours  après  l'enterrement,  la  domes- 
tique se  trouvait  un  soir  seule  à  la  maison, 
lorsqu'elle  entendit  sonner  à  la  porte  de  la  rue. 
Elle  alla  ouvrir  et  reconnut  son  maître,  pareil  à 
ce  qu'il  était  avant  sa  maladie.  A  cette  vue,  elle 
ferma  vivement  la  porte  et  ne  put  ferm.er  l'œil 
de  la  nuit. 

Le  lendemain,  elle  alla  à  confesse,  et  son 
directeur  lui  conseilla  de  ne  pas  avoir  peur  et  de 
parler  à  son  maître  s'il  revenait  encore. 

—  Jamais  je  n'oserai,  s'écria  la  domestique. 

Le  prêtre  offrit  d'aller  le  soir  à  la  maison.  A 
la  même  heure  que  la  veille,  la  sonnette  tinta,  et 
la  domestique,  qui  alla  ouvrir,  tomba  à  moitié 
évanouie  en  reconnaissant  son  maître. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  23 1 

Elle  reprit  pourtant  un  peu  ses  sens,  et, 
rassurée  par  la  présence  du  prêtre,  elle  demanda 
au  revenant  ce  qu'il  voulait  : 

—  J'ai,  répondit-il,  promis  un  voyagea  Sainte- 
Anne-du-Rocher;  faites-le  pour  moi. 

Le  lendemain,  la  domestique  partit  pour  la 
chapelle  Sainte-Anne,  qui  est  à  deux  kilomètres 
à  peine  de  la  ville,  en  compagnie  du  prêtre.  En 
sortant  de  la  maison,  elle  sentit  ses  épaules 
chargées  d'un  fardeau  si  lourd,  que  c'est  à  peine 
si  elle  pouvait  le  porter.  Sur  la  route,  elle 
gémissait  comme  une  personne  accablée,  et  sa 
figure  était  couverte  de  larges  gouttes  de  sueur. 

Pendant  la  messe,  elle  sentit  encore  ce  poids 
incommode,  dont  elle  fut  tout  à  coup  délivrée  au 
moment  de  l'élévation,  et,  depuis,  son  maître  ne 
lui  apparut  plus. 

On  raconte  en  pays  bretonnant  un  conte  .i  peu  près  analogue. 
Un  monsieur  mort  depuis  plusieurs  années  apparaît  à  sa  servante 
et  lui  dit  de  faire  à  sa  place  un  pèlerinage  à  Sainte-Anne  d'Auray. 
Elle  partit  accompagnée  d'un  vicaire,  et  tout  le  long  de  la  route 
elle  sentit  sur  son  dos  un  poids  très-lourd  ;  elle  en  avait  les 
épaules  toutes  meurtries.  Après  la  messe  dite,  elle  fut  délivrée. 
(Communiqué  par  M"=  Élodie  Bernard,  qui  l'a  appris  d'une 
femme  de  journée,  originaire  du  pays  bretonnant.) 

D'après  Amélie  Bosquet,  on  a  vu  maintes  fois  des  personnes, 
qui  faisaient  dire  une  messe  à  l'intention  d'un  revenant,  toutes 
baignées  de  sueur,  accablées  comme  si  elles  portaient  le  mort  sur 
leurs  épaules.  Souvent  même,  pendant  la  durée  du  divin  sacri- 
fice, le  revenant  se  tient  à  côté  d'elles  (p.  261-262). 


232      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


Lm  neuvaine  promise 

Au  temps  où  il  y  avait  à  Plévenon  une 
épidémie  qu'on  nommait  la  maladie  de  Cancale, 
parce  que  les  premières  personnes  qui  en  furent 
atteintes  étaient  des  pêcheurs  qui  revenaient  de 
Cancale,  plusieurs  jeunes  filles  allèrent  à  Saint- 
Mathurin  de  Pléneuf  faire  une  neuvaine  pour  une 
de  leurs  compagnes  qui  venait  de  mourir. 
Comme  elles  s'en  revenaient  en  devisant,  une 
des  jeunes  filles  proposa  de  faire  une  autre  neu- 
vaine pour  la  première  des  neuf  qui  mourrait. 

Peu  après,  une  des  jeunes  filles  fut  atteinte  par 
le  fléau  et  ne  tarda  pas  à  succomber;  celles 
qui  survivaient  accomplirent  leur  promesse,  et 
retournèrent  à  la  chapelle  de  Saint-Mathurin. 
Parmi  elles  se  trouvait  une  fille  de  Pléhérel  qui 
était  domestique  dans  une  ferme,  et  qui,  disait- 
on,  était  hardie  comme  un  gendarme. 

Le  lendemain  de  la  neuvaine,  elle  alla  comme 
d'habitude  mener  ses  vaches  dans  un  pâturage 
assez  éloigné,  et  en  revenant  il  lui  semblait  voir 
une  ombre  qui  marchait  à  côté  d'elle.  Toutefois, 
elle  n'eut  pas  peur,  et  elle  alla  faire  le  lit  d'un 
garçon  de  ferme  qui  couchait  seul  dans  une 
petite  pièce  séparée  de  la  maison  principale;  elle 
balaya  la  place,  puis  s'étant  assise  un  instant  pour 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  235 

se  délasser,  elle  vit  la  jeune  fille  qui  était  morte 
descendre  du  lit  qu'elle-même  avait  fait  un 
moment  auparavant. 

A  cette  vue,  elle  tomba  en  faiblesse,  et  lorsque 
ses  maîtres,  inquiets  de  la  voir  rester  si  longtemps, 
vinrent  à  la  chambre  du  garçon,  ils  la  virent 
étendue  tout  de  son  long  sur  le  plancher.  Quand 
elle  fut  revenue  à  elle,  elle  leur  raconta  ce  qu'elle 
avait  vu. 

Ils  allèrent  trouver  le  recteur  de  Plévenon,  qui 
dit  que  la  fille  avait  eu  une  hallucination,  et  que 
les  morts  ne  revenaient  point.  La  fille  alla  à 
confesse,  et  pendant  un  mois  elle  voyait  encore 
une  ombre  à  ses  côtés.  A  la  fin,  le  recteur, 
convaincu  que  la  jeune  fille  était  de  bonne  foi, 
et  la  voyant  presque  malade  de  peur,  lui  dit 
qu'il  fallait  parler  à  la  morte  ;  mais  il  eut  bien  de 
la  peine  à  la  décider  à  cela.  Un  des  garçons  de 
la  ferme,  plus  courageux  que  les  autres,  déclara 
qu'il  l'accompagnerait  volontiers. 

Elle  revit  encore  la  morte  ;  mais  son  compa- 
gnon ne  voyait  rien. 

—  Pourquoi  reviens-tu  ?  lui  demanda-t-elle,  et 
que  veux-tu  ? 

—  Une  neu vaine  à  Saint- Mathurin. 

—  Elle  est  faite  ;  ne  le  sais-tu  pas  ? 

—  Ce  n'est  pas  de  cette  neuvaine-là  que  je 
parle,   mais  d'une  autre  que  j'ai  promise  quand 


234      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

je  me  suis  couchée  pour  mourir.  Recommande 
aussi  à  ma  mère  de  faire  dire  une  messe  à  l'autel 
de  la  Vierge.  Il  ne  me  manque  plus  que  cela 
pour  entrer  en  paradis. 

La  messe  fut  dite,  et  la  neuvaine  accomplie,  et 
depuis  ce  moment  on  ne  revit  plus  la  morte. 

(Conté  par  Scolastique  Durand,  de  Plévenon,  1879.) 

La  messe  demandée 

Voici  une  histoire  que  j'ai  entendu  raconter; 
elle  fit  du  bruit  dans  le  pays,  où  les  uns  la  trai- 
taient de  fable,  tandis  que  les  autres  y  croyaient 
fermement. 

Une  jeune  fille,  nommée  Julienne  Houée, 
mourut  à  Saint-Aubin.  Elle  avait  eu  beaucoup  de 
bons  amis  qui  lui  faisaient  la  cour  pour  l'épouser. 
Quelque  temps  après  sa  mort,  l'un  d'eux,  qui 
travaillait  au  four  à  chaux  de  Quenon,  entendait 
souvent,  lorsqu'il  était  seul,  des  bruits  dont  il  ne 
pouvait  se  rendre  compte.  Il  lui  semblait  qu'on 
marchait  près  de  lui;  mais  il  ne  voyait  personne. 

Un  jour  pourtant,  il  vit  son  ancienne  bonne 
amie  qui  était  habillée  «  moitié  en  dimanche  ». 
Il  comprit  qu'elle  venait  pour  lui  demander 
quelque  chose. 

—  Que  veux-tu  ?  lui  dit-il. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  235 

—  Fais-moi  dire  une  messe  pour  expier  le 
temps  que  nous  avons  passé  ensemble  à  deviser 
pendant  les  offices,  quand  j'étais  de  garde  à  la 
maison  et  que  tu  venais  me  faire  la  cour.  Je 
désire  en  outre  que  tu  te  maries  avec  ma  sœur. 

Le  jeune  homme  fit  dire  la  messe,  et  il  n'eut 
plus  d'apparition. 

(Conté  par  Angèle  Quérinan,  d'Andouillé,  1878.) 

Les  revenants  qui  viennent  demander  des  messes  sont  aussi 
connus  en  Bretagne  bretonnante.  (Cf.  dans  Luzel,  Veillées 
bretonnes,  p.  193  et  suivantes,  plusieurs  histoires  dont  la  plus 
caractéristique  est  celle  d'une  tante  qui  apparaît  à  sa  nièce  après 
l'avoir  plusieurs  fois  inquiétée  sans  se  montrer  ;  cf.  aussi  Sou- 
vestre,  Foyer  breton,  t.  II,  V Auberge  blanche.) 


B.   —  Revenants   qui    viennent    demander    qu'on 

PAIE    UNE    dette    CONTRACTÉE    PAR   EUX 


Un  homme,   mort  depuis  peu,  apparut  à  une 
fille  de  Saint-Sulpice-la-Forêt  et  lui  dit  : 

—  Je  dois  quinze  sous  à  un  tel  :  paie-les  pour 
moi. 

—  Volontiers,    répondit    la    lille.    Comment 
vous  trouvez-vous  là-bas  ? 

—  Pas  trop  bien  ;  je  me  chauffe  trop  dur. 

Il  posa  la  main  sur  la  manche  de  la  jeune  fille, 


236      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 


qui  était  toute  roussie   à   l'endroit   où  les   doigts 
avaient  touché. 

(Conté  par  Aimé  Pierre,  de  LifFré,  1878.) 

Cf.  dans  Dom  Calmet,  p.  115,  l'histoire  d'un  seigneur  qui  vient 
recommander  de  restituer  un  bœuf  qu'il  avait  pris.  Voyez  aussi, 
p.  124,  le  récit  d'un  mouchoir  brûlé  par  un  revenant.  Le  même 
D.  Calmet,  p.  122,  raconte,  d'après  Mélanchton,  l'aventure  d'une 
femme  dont  la  main  est  brûlée  par  le  contact  de  celle  de  son 
défunt  mari.  Amélie  Bosquet,  p.  79,  rapporte,  d'après  Orderic 
Vital,  une  légende  similaire. 


Le  revenant  à  la  messe 

Il  y  avait  une  fois  une  servante  qui  était  fille 
de  bras  (chargée  des  gros  ouvrages)  dans  une 
riche  maison. 

Le  dimanche,  ses  maîtres  allaient  se  promener, 
et  parfois  aussi  les  autres  domestiques,  de  sorte 
qu'elle  restait  souvent  seule  à  la  maison. 

Un  jour  qu'elle  était  de  garde,  elle  se  mit  à  lire 
Y  Imitation  de  Jésus-Christ.  Quand  elle  leva  les 
yeux  de  dessus  son  livre,  elle  vit  tout  à  coup 
auprès  d'elle  un  gros  homme  à  la  figure  blême, 
tout  habillé  de  brun,  qui  la  regardait;  mais  elle 
n'osa  lui  parler,  et  il  partit. 

Le  lendemain,  comme  elle  traversait  la  cour 
pour  aller  tirer  les  vaches,  elle  le  vit  encore  qui 
semblait  l'attendre.  Elle  courut  bien  vite  à  l'étable 


/ 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  237 


et  ferma  hi  porte;   mais  elle  le  vit  encore  à  côté 
d'elle. 

Ces  deux  apparitions  l'effrayèrent  ;  elle  alla  à 
confesse  et  demanda  conseil  au  recteur,  qui  lui 
dit  : 

—  Parlez-lui,  et  vous  viendrez  me  dire  ce  qu'il 
vous  aura  répondu. 

Le  monsieur  habillé  de  brun,  à  la  figure  blême, 
se  montra  à  elle  pour  la  troisième  fois. 

—  Que  me  voulez-vous  ?  lui  demanda-t-elle. 

—  Écoute,  répondit-il  ;  il  faut  que  tu  dises  à 
mes  fils  de  restituer  à  un  tel  et  à  un  tel  tant  de 
mesures  de  blé,  pour  réparer  le  tort  que  je  leur  ai 
fait  en  allant  à  la  chasse  avec  mes  chiens.  Tu 
les  prieras  de  faire  dire  une  messe  pour  moi  à 
l'église  de  Saint- Jouan,  et  tu  y  assisteras. 

Le  fantôme  disparut.  La  fille  raconta  tout  à  ses 
maîtres,  en  leur  disant  comment  était  fait  le  gros 
monsieur  qui  lui  était  apparu. 

—  De  la  façon  dont  vous  nous  le  dépeignez, 
dirent  les  fils,  c'est  notre  père. 

Elle  retourna  à  confesse,  et  le  recteur  lui  re- 
commanda de  demander  au  revenant  un  signe 
visible,  prouvant  qu'il  était  revenu  sur  terre,  car 
il  ne  croyait  qu'à  moitié  ce  qu'elle  lui  disait. 

Le  jour  de  la  messe  arrivé,  on  se  mit  en  route 
pour  aller  à  l'église.  Le  revenant  vint  se  placer 
auprès  de  la  jeune  fille,  et  il  ne  la  quittait  pas  ;  à 


238      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


l'église,  il  se  mit  auprès  d'elle  dans  un  banc,  et  la 
messe  commença. 

La  fille  suait  de  peur,  et  elle  s'essuyait  la  figure 
avec  son  mouchoir.  Quand  arriva  le  dernier 
évangile,  elle  se  rappela  ce  que  son  confesseur 
lui  avait  recommandé,  et  elle  dit  au  revenant  : 

—  Faites-moi  voir  par  un  signe  que  vous  êtes 
réellement  revenu. 

Il  mit  la  main  sur  le  mouchoir  qui  était  posé 
sur  le  dos  du  livre.  Le  mouchoir  fut  brûlé,  et  la 
marque  des  doigts  était  aussi  sur  la  couverture  du 
livre. 

(Conté  en  1880  par  Marie  Durand,  de  Saint-Cast,  âgée  de 
quatre-vingts  ans.) 

Elle  a  entendu  raconter  ce  récit,  étant  enfant,  par  une  femme 
qui  assurait  avoir  vu  les  débris  du  mouchoir  et  le  livre. 

«  La  nourrice  de  M""=  de  Fontenoy  étant  morte,  apparut  i  une 
demoiselle  et  lui  dit  qu'elle  était  dans  le  purgatoire,  et  comme 
preuve,  elle  appliqua  sa  main  sur  un  mouchoir  où  elle  laissa 
une  trace  pareille  à  celle  de  la  figure  d'une  main  de  fer  rouge  » 
(cf.  Réalité  de  la  magie  et  des  apparitions,  p.  8-9). 


C.  —  Revenants  qui  demandent  la  sépulture 

Des  maçons  construisaient  une  minoterie.  Ils  se 
fâchèrent  avec  le  petit  manœuvre  qui  leur  appor- 
tait le   mortier,    et   le   frappèrent   si    dur   qu'il 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  239 


mourut.  Comme  il  n'y  avait  alors  personne  et 
que  le  goujat  était  un  petit  vagabond,  ils  résolu- 
rent de  n'en  rien  dire  et  de  cacher  son  cadavre 
dans  les  fondements,  qui  étaient  très-profonds. 

Le  moulin  construit  entra  en  pleine  activité,  si 
bien  qu'au  bout  de  quelque  temps  l'ouvrage 
pressait  si  fort  qu'on  dut  le  foire  marcher  même 
la  nuit  ;  mais  quand  arrivait  minuit,  toutes  les 
lumières  étaient  subitement  éteintes  par  un  souffle 
invisible,  et  on  entendait  dans  toutes  les  parties 
de  la  maison  un  bruit  très-fort,  d'autant  plus 
étrange  qu'on  ne  voyait  personne. 

Un  des  garçons  s'offrit  à  voir  ce  qui  causait  ce 
tapage.  A  minuit,  sa  chandelle  fut  éteinte;  il  se 
^eva  et  ne  vit  personne.  Il  ralluma  sa  lumière,  qui 
fut  encore  éteinte,  et  en  même  temps  il  entendait 
un  bruit  aussi  fort  que  si  tout  le  moulin  craquait. 

Il  s'écria  alors  : 

—  Si  tu  es  du  diable,  va-t-en;  si  tu  viens  delà 
part  de  Dieu,  dis  ce  que  tu  désires. 

—  Mon  corps,  répondit  alors  une  voix,  est 
sous  les  fondations  du  moulin,  et  je  désirerais 
qu'il  fût  mis  en  terre  sainte. 

On  obéit  à  la  demande  du  fantôme,  et  on 
n'entendit  plus  aucun  bruit  depuis. 

(Conté  en  1878  par  J.  Boucherj',  de  Dourdain.) 
Cette  croyance,  qui  a  été  celle  de  toute  l'antiquité,  se  retrouve 
en  Berry  (cf.  Laisnel  de  la  Salle,  t.  II,  p.  91). 


240      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


D.    —    Revenants    qui    viennent    accomplir    une 

PROMESSE 

Le  souper  de  la  morte 

Il  était  une  fois  un  marin  qui  faisait  la  cour  à 
une  jeune  fille.  Il  l'aimait  bien  et  voulait  l'épouser  ; 
mais  ses  parents  ne  se  souciaient  pas  du  mariage, 
parce  que  la  jeune  fille  était  pauvre. 

Le  marin  partit  en  voyage;  pendant  qu'il 
était  sur  mer,  ses  parents  lui  écrivirent  que  sa 
bonne  amie  était  morte,  et  il  en  eut  bien  du 
chagrin. 

duand,  sa  navigation  terminée,  il  fut  débarqué, 
il  partit  pour  revenir  dans  son  pays;  comme  il 
passait  devant  la  maison  où  la  jeune  fille  demeu- 
rait toute  seule,  il  y  vit  de  la  lumière. 

—  Ah  !  se  dit-il,  mes  parents  m'ont  trompé  en 
m'écrivant  que  ma  bonne  amie  était  morte. 

Il  entra  dans  la  maison  et  vit  la  fille,  qui  était 
dans  ses  habits  du  dimanche  et  qui  parut 
contente  de  le  revoir.  Elle  l'invita  à  souper  avec 
elle  ;  mais  il  lui  répondit  que  ses  parents  l'atten- 
daient et  qu'il  voulait  les  voir  ce  soir  même. 

—  Alors,  dit  sa  bonne  amie,  promets-moi  de 
venir  demain  à  pareille  heure  souper  avec  moi. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  24 1 


—  Volontiers,  répondit  le  marin,  qui  continua 
sa  route  et  arriva  chez  ses  parents. 

—  Vous  m'aviez  écrit,  leur  dit-il,  que  ma 
bonne  amie  était  moirte.  Cela  n'est  pas  vrai,  car 
en  passant  devant  chez  elle  j'ai  vu  de  la  lumière; 
je  suis  entré,  je  lui  ai  parlé,  et  j'ai  même 
promis  d'aller  souper  demain  avec  elle. 

—  Si,  lui  répondirent  ses  parents,  elle  est 
bien  véritablement  morte;  si  tu  crois  que  nous 
te  trompons,  va  demain  trouver  le  recteur,  et  il 
te  dira  au  juste  quel  jour  elle  est  morte  et  quel 
jour  elle  a  été  enterrée. 

Le  lendemain,  le  marin  alla  au  presbytère,  et  le 
prêtre  lui  affirma  qu'elle  était  décédée  quelques 
mois  auparavant,  et  que  c'était  lui-même  qui 
l'avait  enterrée. 

—  Mais,  ajouta-t-il,  puisque  vous  avez  promis 
d'aller  chez  elle  ce  soir,  il  ne  faut  pas  y  manquer. 
Vous  aurez  bien  soin  de  ne  pas  manger  avec  elle, 
de  ne  pas  boire,  de  refuser  le  café  qu'elle  vous 
offrira.  Elle  laissera  tomber  une  cuiller  et  vous 
priera  de  la  ramasser  ;  mais  vous  refuserez  de  le 
faire,  quoi  qu'elle  vous  dise. 

—  Ne  pourriez-vous  venir  avec  moi  ?  dit  le 
marin. 

—  Je  peux  vous  accompagner  jusqu'au  seuil 
de  la  porte,  répondit  le  prêtre  ;  mais  je  n'ai  pas 
permission  d'aller  plus  loin. 

I  16 


242      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

Quand  arriva  le  soir,  le  marin  alla  à  la  maison 
de  sa  bonne  amie  et  laissa  le  recteur  en  dehors. 
11  entra  et  trouva  la  jeune  fille  habillée  comme 
pour  des  fiançailles.  Elle  l'invita  à  s'asseoir  à 
table  auprès  d'elle,  et  lui  off'rit  à  manger. 

—  Merci,  dit-il,  je  n'ai  pas  faim. 

Elle  se  mit  à  souper  toute  seule,  et  lui  présenta 
un  verre  dans  lequel  elle  avait  versé  du  cidre. 

—  Bois,  dit-elle. 

—  Non,  je  n'ai  pas  soif. 

La  fille  alla  ensuite  faire  du  café,  et  en  présenta 
une  tasse  au  marin,  qui  refusa  de  la  prendre.  Elle 
goûta  seule  au  café  et  laissa  tomber  à  terre  la 
petite  cuiller  dont  elle  se  servait. 

—  Ramasse  ma  cuiller,  lui  dit-elle,  cette  fois 
d'un  air  dur. 

—  Non,  répondit-il,  ramasse-la  toi-même. 

—  C'est  bien  heureux  pour  toi  que  tu  n'aies 
voulu  ni  boire,  ni  manger,  ni  ramasser  ma  cuiller. 

Elle  disparut  à  ces  mots,  et  la  terre  s'ouvrit 
sous  elle,  car  elle  était  damnée,  et  le  recteur 
ouvrit  la  porte  au  matelot,  qui  s'en  alla  avec  lui 
sans  avoir  aucun  mal. 

(Conté  en  1S79  p.ir  Élisa  DuranJ,  de  Saint-Cast.) 
La  promesse 

Un  garçon  et  une  jeune  fille  s'étaient  promis 
de  s'épouser,   morts  ou  en  vie.  Le  garçon  partit 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  243 

pour  l'armée,  et  la  fille  se  mourut.  Quand  le 
soldat  revint,  on  lui  dit  qu'elle  était  morte;  mais 
lui  alla  au  logis  de  la  fille  et  la  vit  qui  était  toute 
habillée  de  blanc.  Il  lui  parla;  mais  elle  ne 
répondait  que  par  oui  et  par  non.  Il  disait  à  ses 
amis  qu'il  allait  se  marier  avec  elle,  et  que  tous 
les  soirs  il  la  voyait  ;  mais  ses  amis  le  traitaient 
de  fou. 

Il  fixa  pourtant  le  jour  de  la  noce  ;  il  mena 
l'épousée  jusqu'à  la  table  de  Dieu,  et  la  messe 
commença.  Sitôt  qu'elle  fut  finie,  la  terre 
s'entr'ouvrit  et  engloutit  la  mariée.  (E.) 

En  Normandie,  on  connaît  aussi  les  revenants  qui  viennent 
demander  l'accomplissement  d'une  promesse  (cf.  La.  Fihuse 
il'Apremont,  Amélie  Bosquet,  p.  263). 

Deux  jeunes  garçons  qui  étaient  en  service 
dans  la  même  ferme  avaient  promis  que  celui  qui 
se  marierait  le  premier  inviterait  l'autre  à  ses 
noces,  mort  ou  en  vie. 

Peu  après  l'un  des  deux  mourut,  et  l'autre 
était  sur  le  point  de  se  marier.  Il  se  souvint  de  la 
promesse  qu'il  avait  faite  à  son  camarade,  et  il 
alla  en  parler  à  son  confesseur. 

—  Puisque  tu  as  promis,  dit  le  prêtre,  il  faut  que 
tu  ailles  sur  la  tombe  de  ton  ami  ;  tu  l'appelleras 
trois  fois,  et  à  la  troisième  fois  il  viendra. 

Le  jeune  homme  alla  au  cimetière,  et  quand  il 


244      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

eut  par  trois  fols  appelé  le  défunt  par  son  nom, 
celui-ci  se  présenta  devant  lui. 

—  Que  me  veux-tu  ?  demanda-t-il. 

—  Je  suis  venu  te  prier  de  venir  à  mes  noces. 

—  J'irai,  répondit  le  défunt,  et  il  disparut. 

Le  jour  du  mariage,  le  domestique  défunt  vint 
à  la  messe  et  assista  au  repas;  mais  il  ne  buvait 
ni  ne  mangeait,  et  personne  ne  le  voyait,  excepté 
le  marié. 

--  A  qui  parles-tu?  lui  disait  sa  femme. 

—  A  mon  ami  qui  est  là. 

A  la  fin  du  repas,  le  défunt  se  leva  et  dit  au 
marié  : 

—  Il  faut  que  tu  viennes  me  reconduire. 

Le  marié  quitta  la  noce  et  suivit  son  camarade, 
tout  en  devisant  avec  lui.  Comme  ils  passaient 
dans  un  chemin  creux,  le  défunt  dit  au  marié  : 

—  Vois-tu  bien  ce  bouc  et  cette  chèvre  qui  ne 
font  que  se  battre  ? 

—  Oui. 

—  Eh  bien  !  c'est  ton  père  et  ta  mère.  Ils  se 
sont  disputés  et  battus  quand  ils  étaient  de  ce 
monde,  et  leur  mauvais  ménage  continue  dans 
l'autre.  Il  faudra  être  bienveillant  et  doux  pour 
ta  femme  :  si  tu  es  bon,  ta  place  est  réservée  à 
côté  de  la  mienne.  Regarde  du  côté  opposé  : 
que  vois-tu  ? 

Pendant  que  le  marié  tournait  les  yeux  dans 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  245 

la  direction  indiquée,  le  défunt  disparut,  et  il  ne  le 
revit  plus. 

(Conté  par  Françoise  Dumont,  li'Ercé,  1879.) 

Luzel,  Ligend.  chréi.,   t.   II,   raconte,  sous  le  titre  de  VOnihre 
du  pendu,  une  légende  dont  le  début  a  ce  l'analogie  avec  celle-ci. 

Cf.   aussi  dans  le  même  recueil  le  commencement  de  la  Miche 
de  pain. 


E.      REVENANTS       CONDAMNÉS      A       UNE      PÉNITENCE 

POSTHUME 

A  Saint-Méloir,  près  de  Plélan-le-Petit,  se 
trouvent  des  carrières  abandonnées.  Quand  on 
passe  par  là  après  la  nuit  close,  on  voit  un  prêtre 
qui  tient  sa  tête  entre  ses  mains  et  demande  la 
charité  aux  passants.  C'est  pour  payer  une  messe 
dont  il  a  reçu  le  prix  et  qu'il  n'a  pas  dite,  et  il 
est  condamné  à  revenir  jusqu'à  ce  que  les  pas- 
sants lui  aient  donné  le  prix  de  la  messe. 

En  Normandie  existe  la  même  croyance  (cf.  Amélie  Bosquet, 
p.  267). 

«  A  Erquy,  un  vieu.\  prêtre,  qui  vivait  il  y  a 
plusieurs  siècles,  sort  la  nuit  régulièrement  de 
son  tombeau  et  vient  dire  son  bréviaire  dans 
l'allée  des  Chenotiaux,  où  il  erre  toute  la  nuit  . 


246      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


Il  n'a  fait  de  mal  à   personne,  et    pourtant   on 
l'évite  avec  le  plus  grand  soin.  » 

(JoUivet,  p.  314.) 

D'autres  prêtres  sont  condamnés  à  revenir  la 
nuit  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  trouvé  un  vivant  pour 
répondre  leur  messe. 

(Cf.  Coiit.  pop.,  I''  série,  La  Messe  du  fantôme,  n'' xliii,  et  Lill. 
orale,  p.  192.) 

Les  histoires  de  prêtres  revenants  sont  communes  en  beaucoup 
de  pays,  en  Basse-Bretagne  (cf.  Luzel,  Veillées  bretonnes,  p.  4  ; 
Le  Men,  p.  426;  Fouquet,  la  Messe  du  fantôme');  en  Nor- 
mandie (cf.  Amélie  Bosquet,  p.  267-274,  qui  raconte  plusieurs 
légendes  très-intéressantes  qui  avaient  cours  de  son  temps,  et 
qu'on  retrouverait  sans  doute  aujourd'hui)  ;  en  Gascogne  (cf. 
Bladé,  Trois  contes  :  le  Bâtard),  etc. 

11  y  avait  une  fois  à  la  Bérouessinaie,  en  Ercé, 
un  homme  qui,  pour  agrandir  son  champ,  avait 
déplacé  une  borne.  Après  sa  mort,  il  fut  obligé  de 
la  rapporter  à  l'endroit  où  il  l'avait  prise.  (E.) 

Cette  légende  est  altérée.  Ordinairement,  celui 
qui  a  déplacé  une  borne  est  obligé  de  venir  toutes 
les  nuits  la  porter,  en  répétant  :  «  Où  la  mettrai- 
je  ?  )>  jusqu'à  ce  qu'un  chrétien  lui  ait  répondu  : 
«  Mets-la  où  tu  l'as  prise.  » 

(Cf.  Fouquet,  La  Borne;  Dulaurens  de  la  Barre,  VHomiiie 
cmbortié,  etc.) 

La  même  légende  se  raconte  en  Normandie  (cf.  Amélie  Bos- 
quet, p.  2É3-264);  en  Berry  (cf.  l.ai.snel  de  la  Salle,  t.  I,  119). 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  247 


La  pénitente 

Au  temps  jadis,  il  y  avait,  au  Plessis-Broualeu 
en  Saint-Pôtan,  un  gros  caillou  bleu  qui  était 
près  d'une  fontaine,  et  tous  les  soirs  une  bonne 
femme  morte  depuis  bien  des  années  venait  à 
dix  heures  s'agenouiller  sur  cette  pierre  pour  faire 
pénitence 

Un  jour,  deux  jeunes  gens  s'amusèrent  à  faire 
toute  la  journée  du  feu  sur  le  caillou,  et  un  peu 
avant  la  venue  de  la  bonne  femme,  ils  balayèrent 
les  cendres,  puis  ils  se  cachèrent  dans  un  coin  du 
jardin  pour  voir  ce  qui  allait  se  passer. 

Quand  la  revenante  arriva,  elle  voulut  s'age- 
nouiller comme  d'habitude  ;  mais  elle  se  brûla  et 
jeta  un  cri  à  faire  trembler,  en  disant  : 

—  Ali  !  malheureux  !  il  y  a  deux  cents  ans  que 
je  venais  ici  accomplir  ma  pénitence  ;  demain 
mon  temps  finissait,  et  voilà  que  par  votre  faute 
il  faut  que  je  recommence. 

En  entendant  ces  mots,  l'un  des  garçons  mourut, 
et  quelques  jours  après  l'autre  devint  fou. 

(Coûté  en  1S81  p^r  Isidore  Poulain,  de  Pluduno.) 
L'épisode     du    caillou    cliauffé    est    fréquent   (cf.    p.    176   du 
■présent  volume). 

A  Rillé,    près  Fougères,    on    voit    à    certaines 


248      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

époques  de  l'année  une  lumière  qui  semble  se 
promener  dans  un  verger.  Les  gens  du  pays  pré- 
tendent que  ce  feu  follet  est  l'Ame  d'une  femme 
enceinte  qui  se  tua  en  tombant  d'un  cerisier  de 
ce  verger,  et  dont  l'enfant  mourut  sans  baptême. 

En  Berry  (cf.  Laisnel  de  la  Salle,  t.  I,  p.  165)  reviennent. 
aussi  ceux  qui  ont  péri  de  mort  violente). 

La  croyance  aux  pénitences  posthumes  est  très-répandue  en 
Basse-Bretagne  (cf.  Le  Men,  p.  421  et  suiv.;  Guioiivnc'h,  p.  119 
et  187). 

On  trouvera  ci-après,  pages  254  et  25;,  d'autres  exemples  de 
morts  qui  reviennent  faire  pénitence. 

F.    LES    LAVANDIÈRES    DE    NUIT 

Certains  doués  sont  affectionnés  par  les  lavan- 
dières de  nuit.  Parfois  elles  restent  des  années 
sans  qu'on  entende  parler  de  leur  battoir,  puis 
tout  d'un  coup  elles  reparaissent.  En  Ille-et- 
Vilaine,  on  prétend  que  les  lavandières  de  nuit 
sont  des  mères  qui  ont  tué  leurs  enfants,  ou  bien 
des  femmes  qui  ont  lavé  le  dimanche. 

Les  personnes  qui  ont  lavé  le  dimanche 
reviennent  en  jour  —  mais  la  plupart  du  temps 
invisibles  —  au  doué  où  elles  lavent  à  l'heure  où 
elles  ont  violé  pendant  leur  vie  le  repos  domi- 
nical. (E.) 

Les   lavandières  de  nuit  sont  communes   eu   Basse-Bretagne 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  249 


(cf.  Le  Men,  p.  421,  lavandières  qui  ont  trop  économisé  le 
savon  ;  Souvestre,  Les  lavandières  de  nuit;  Dulaurens  de  la  Barre, 
Les  Milles  de  Huelgoal,  etc.). 

Les  lavandières  de  nuit  sont  aussi  connues  en  Berry.  Ce  sont 
«  les  âmes  des  mères  infanticides  ».  Elles  battent  et  tordent 
incessamment  quelque  objet  qui  ressemble  à  du  linge  mouillé, 
mais  qui,  vu  de  près,  n'est  qu'un  cadavre  d'enfant.  (G.  Sand, 
Légendes  rustiques,  p.  30;  cf.  aussi  Laisnel  de  la  Salle,  t.  I, 
p.  123-124.)  D'après  G.  Sand,  c'est  une  sorte  de  grenouille  qui 
produit  le  bruit  du  battoir. 

Aux  Guerches,  près  Matignon,  il  y  avait  des 
lavandières  qui  faisaient  tordre  le  linge;  il  y  avait 
aussi  une  dame  blanche. 

Il  faut  bien  se  garder  d'accepter  de  tordre  le 
linge,  car  si  on  se  trompait  en  le  tordant,  on 
mourrait. 

Une  lavandière  de  Dinan,  morte  aujourd'hui, 
et  connue  dans  la  ville  sous  le  sobriquet  de  la 
mère  Paillasse,  était  allée  un  soir  voir  une  femme 
en  couches  qui  demeurait  dans  une  ferme,  à 
quelque  distance  de  la  ville.  Vers  une  heure  du 
matin,  elle  quitta  la  malade  et  se  mit  en  route 
pour  s'en  retourner  chez  elle.  Pour  s'abréger, 
elle  passa  par  la  prairie  des  Noes-Gourdais,  où  il 
y  a  un  doué.  Auprès  elle  aperçut  une  femme  qui 
étendait  du  linge,  et  il  y  en  avait  un  paquet 
considérable.  Elle  s'arrêta  auprès  de  la  lavandière 
et  lui  dit  : 


2)0     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

—  Vêtes  ben  tard  aiiê  (aujourd'hui.) 
L'autre  ne  lui  répondit  rien,  et  elle  ne  voyait 
pas  sa  figure,  à  cause  de  la  lune  qui  était  derrière 
sa  tète.  Elle  lui  aida  à  ramasser  le  linge,  et  quand 
il  fut  mis  en  paquet,  elle  lui  aida  à  le  soulever 
sur  son  dos.  La  lavandière  se  tourna  alors,  et  la 
mère  Paillasse  s'aperçut  qu'elle  avait  une  tête  de 
mort.  Elle  s'en  alla  au  plus  vite,  et  toutes  les  fois 
qu'elle  racontait  cette  aventure,  elle  était  si  émue 
que  la  sueur  lui  perlait  sur  le  front. 

(Conté  par  M.  Lconce  Petit,  qui,  étant  enfant,  a  entendu  la 
lavandière  elle-même  la  raconter.) 

Un  homme  qui  passait  une  nuit  près  des  Noes- 
Gourdais  vit  une  personne  occupée  à  ramasser 
du  linge,  qui  le  pria  de  lui  aider  à  le  tordre. 
L'homme  s'approcha  et  prit  les  draps  par  un  bout; 
mais  la  femme  lui  frappa  un  coup  sur  la  figure 
avec  l'autre  bout  du  drap,  et  l'homme  s'aperçut 
qu'il  avait  devant  lui  un  fantôme.  (D.) 

«  Au-dessous  de  l'Angevinais,  il  y  a  un  en- 
droit du  canal  qui  s'appelle  Ponha.  Une  nuit,  une 
femme  de  Conaquen,  croyant  être  au  matin, 
descendit  à  la  rivière  pour  laver.  Elle  cria  à  son 
mari  :  «  Thomas,  passe-moi  des  draps,  »  et  au 
même  moment  elle  tomba  dans  la  rivière,  où  elle 
se    noya.    Depuis    ce    temps,    elle    revieut    vers 


DE     LA     HAUTH-BRETAGNE 


251 


la  Toussaint,  entre  dix  et  onze  heures  du  soir.  Ou 
l'entend  frapper  trois  coups  de  battoir,  puis  on 
n'entend  plus  rien.  Plusieurs  personnes  encore 
vivantes  l'ont  entendue,  et  lorsque  les  femmes 
se  lèvent  avant  le  jour  pour  aller  laver  ou  restent 
trop  tard  le  soir,  on  leur  dit  :  «  Vous  allez  faire 
comme  la  lavandière  de  Ponha.   » 

(Recueilli  par  M'i=  Élodie  Bernard.) 

En  Berr3-  (cf.  G.  SanJ,  Lc^..  rus/.,  p.  62),  les  âmes  des  suicidés 
reviennent). 

Après  dix  heures  du  soir,  sous  les  anciens 
ponts  des  environs  de  Bécherel  et  de  Tinténiac, 
principalement  à  Piedlouais,  près  des  Iffs,  il  y  a 
des  femmes  qui  lavent.  Si  on  s'approche  d'elles, 
on  voit  comme  une  lueur,  et  elles  disent  : 

—  Suivez  votre  route  ;  je  fais  ce  qui  m'est 
ordonné. 

Dans  le  pays,  on  prétend  que  c'est  surtout  une 
femme  catholique,  tuée  jadis  par  les  huguenots, 
qui  revient  ainsi  la  nuit. 

(Conté  par  J.  Legendre,  de  Saint-Brieuc-des-IfFs,  18S0.) 

En    Normandie,    près    du    Pont-Angot,    une    dame    blanclie 

vient   laver   son  linge    à.    la   lueur   des  étoiles  (cf.  A.  Bosquet, 

p.  107). 

On  dit  aussi  que  les  enfants  qui  ont  frappé 
leur  mère  étant  petits  ne  peuvent  avoir  de  repos 
que    lorsque    leur  mère    est  venue    les   frapper; 


252      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

jusque-là,    le   bras   coupable  sort  de    la    tombe. 
(S.-C,  E.) 

Cette  croyance  est  connue  en  Anjou  et  en  Normandie  (cf.  A. 
Bosquet,  p.  283). 

G.    REVENANTS    QUI    VIENNENT   AVERTIR 

M.  de  la  Garaye  menait  joyeuse  vie,  chassant 
même  à  travers  les  clos  des  pauvres  gens, 
buvant  sec  et  faisant  ripaille.  Son  beau-frère,  mari 
de  sa  sœur,  mourut,  et  quelque  temps  après  son 
enterrement,  où  assistèrent  plus  de  cent  prêtres,  il 
apparut  à  M.  de  la  Garaye  dans  son  avenue.  Il  était 
tout  en  sueur,  et  une  goutte  de  sa  sueur  étant 
tombée  sur  la  main  de  M.  de  la  Garaye,  elle  le 
brûla  comme  de  l'eau  bouillante.  C'est  à  l'endroit 
où  cette  apparition  lui  était  venue  qu'il  fit 
bâtir  la    chapelle   qui   existe  encore. 

(Conté  par  M.  Léonce  Petit,  1880.) 

Cette  légende  est  racontée  un  peu  différemment  dans  le  Guide 
du  casino  de  Ditiard,  Rennes,  in-32,  1881.  J'en  ai  cité  une  va- 
riante dans  ma  LUI.  orale,  p.  200. 

Ces  apparitions  de  damnés  se  retrouvent  dans  les  Ugende; 
chrétiennes  de  Luzel,  t.  Il,  L'Ame  damnée  ;  Damné  quoique 
dévot,  etc. 

Cf.  La  Marraine  damnée  de  Restif  de  la  Bretonne,  qui  est  un 
véritable  conte  populaire  recueilli  en  Bourgogne .  {Les  contemporaines 
par  gradation,  p.  79,  éd.  Assézat.) 

-m- 


^^^âs^'t^'Bi't^âei^'^^'t 


§   II.    —    LES   MORTS   aUI    SE   VENGENT 

lA  croyance  qu'on  doit  respecter  les  morts 
est  générale  dans  toute  la  Bretagne,  et  il 
n'en  est  point  qui  soit  plus  vivace.  A  ce 
sentiment  se  mêle  une  certaine  crainte,  et  beau- 
coup sont  persuadés  que  les  défunts  conservent 
dans  la  tombe  toutes  le  passions  qu'ils  ont  eues 
pendant  leur  vie,  qu'ils  sont  sensibles  aux  injures 
qu'on  leur  fait  et  qu'ils  peuvent  parfois  venir  se 
venger.  On  croit  même  que,  s'ils  sont  mécontents 
de  leurs  enfants,  ils  viennent  la  nuit  «  leur  tirer 
les  pieds  ».  J'ai  plusieurs  fois  entendu  faire  cette 
menace  par  des  pères  à  leurs  enfants,  qui  ne  sem- 
blaient pas  trop  en  douter. 

Dans  Guionvac'h,  p.  195,  on  trouve,  sous  le  titre  de  La 
Mariée  de  Carnoat,  un  curieux  récit  où  un  père  mort  se  venge 
de  sa  fille  qui  lui  avait  désobéi. 

Ce  respect  des  morts  est  entretenu  par  des 
légendes  lugubres.  On  en  a  déjà  lu  une  au 
commencement  de  ce  chapitre  ;  en  voici  quelques 
autres,  où  les  morts  outragés  punissent  leurs  in- 
sulteurs. 


254     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


La  pénitence  interrompue 


Il  y  avait  une  fois  deux  garçons  qui  allaient 
voir  les  filles  ;  au  pied  d'une  croix  ils  virent  un 
iiomnie  à  genoux. 

—  Que  fais-tu  là  ?  dit  un  des  galants.  Viens  te 
divertir  avec  nous. 

L'homme  ne  bougea  ni  ne  parla  ;  le  garçon  lui 
donna  sur  la  tête  un  coup  de  bâton  en  disant  : 

—  Voilà  pour  te  faire  parler. 

—  Ah  !  malheureux  !  s'écria  l'homme  agenouillé, 
voilà  près  de  deux  cents  ans  que  je  viens  ici  faire 
pénitence;  personne  ne  m'avait  jamais  rien  dit, 
et  je  n'avais  plus  que  huit  jours  à  passer  pour 
avoir  fini;  maintenant,  par  ta  faute,  il  faut  que  je 
recommence. 

Il  se  leva  et  se  mit  à  les  suivre  ;  le  garçon  qui 
avait  frappé  eut  peur,  et  il  dit  à  son  camarade  : 

—  Je  vais  aller  coucher  avec  toi. 

Quand  il  fut  dans  la  maison  de  son  ami,  ils 
barrèrent  la  porte,  et  il  se  coucha  du  côté  de  la 
muraille.  Mais,  à  minuit,  la  porte  s'ouvrit  et 
quatre  cierges  vinrent  se  poser  sur  la  table.  Le 
garçon  qui  avait  frappé  le  pénitent  fut  tiré  du  lit 
par  des   mains   invisibles   et   placé   sur  la  table. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  255 


Quand,  au  matin,  son  ami  alla  pour  le  voir,  à 
sa  place  il  ne  trouva  que  de  la  cendre. 

(Conté  en  1881  par  J.  M.  Comault,  du  Gouray.) 

Cf.  une  légende  qui  offre  quelque  ressemblance  avec   celle-ci, 
p.  225  du  présent  volume. 


La  coiffe  enlevée 

Il  y  avait  une  fois  un  garçon  qui  allait  voir 
une  jeune  fille  ;  ses  parents  avaient  beau  le  prier  de 
ne  pas  retourner  chez  elle,  il  leur  répondait  : 

—  Mèlez-vous  de  vos  affaires,  et  laissez-moi 
aux  miennes. 

Un  soir  il  invita  deux  ou  trois  de  ses  camarades 
à  l'accompagner,  et  comme  ils  passaient  un 
échalier,  ils  virent  une  femme  tout  en  blanc  debout 
auprès. 

—  Je  vais  la  décoiffer,  dit  le  garçon. 

—  Non,  répondaient  les  autres  ;  laissez-la 
tranquille. 

Mais  lui,  il  alla  droit  à  elle  et  lui  enleva  sa 
coiffe.  Il  ne  lui  restait  plus  que  son  serre-tête 
(bonnet  de  dessous);  mais  il  ne  vit  point  sa 
figure.  Il  entra  avec  les  autres  chez  sa  bonne 
amie  et  lui  montra  la  coifte  : 

—  Ah  !  dit-il,  en  venant  ici,  j'ai  rencontré  une 
femme  tout  en  blanc,  et  je  lui  ai  enlevé  sa  coiffe. 


256      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

—  Donne-moi  la  coiffe,  répondit  sa  bonne 
amie;  je  la  ramasserai  dans  mon  armoire. 

Le  lendemain  soir,  il  partit  encore  de  chez  lui 
pour  aller  voir  les  filles,  et  en  arrivant  à  l'écha- 
lier,  il  vit  une  femme  en  blanc,  pareille  à  celle 
de  la  veille  ;  mais  elle  n'avait  point  de  tête. 

—  Tiens,  se  dit-il,  c'est  la  même  que  celle 
d'hier  ;  je  ne  croyais  pourtant  pas  lui  avoir  arraché 
la  tète. 

Quand  il  entra  chez  sa  bonne  amie,  elle  lui  dit  : 

—  J'ai  mis  aujourd'hui  la  coitie  que  tu  m'avais 
donnée;  si  tu  savais  comme  elle  me  va  bien  1 

—  Rends-la-moi,  je  t'en  prie,  dit  le  garçon. 
Elle   la  lui   donna,    et  en  rentrant  il  raconta 

tout  à  sa  mère. 

—  Ah  !  mon  pauvre  gars,  lui  dit-elle,  tu  as 
suivi  une  mauvaise  compagnie;  je  t'avais  bien 
prévenu  qu'il  t'arriverait  malheur. 

Il  alla  se  coucher  ;  mais  dans  la  nuit  sa  mère 
entendit  des  soupirs  qui  partaient  du  lit  de  son 
fils.  Elle  réveilla  son  bonhomme  et  lui  dit  : 

—  Écoute  !  on  dirait  que  quelqu'un  se  plaint. 
Elle  alla  au  lit  de  son  fils  et  le  trouva  baigné 

de  sueur. 

—  Qu'est-ce  que  tu  as  ?  lui  dcmanda-t-elle. 

—  Ah  !  ma  mère,  j'avais  sur  le  corps  un  poids 
qui  pesait  plus  de  trois  cents  livres  et  qui 
m'étouffait;  je  n'en  pouvais  plus. 


DE     LA    HAUTE-BRETAGNE  257 

Le  lendemain,  le  garçon  alla  à  confesse,  et  il 
raconta  tout  au  recteur. 

- —  Mon  garçon,  lui  dit- il,  la  personne  que 
vous  avez  vue  était  une  femme  qui  revenait  pour 
faire  pénitence  ;  c'est  votre  sœur  qui  est  morte. 

—  Comment  faire?  dit  le  garçon. 

—  Il  faut  aller  lui  reporter  sa  coiffe  et  la  lui 
poser  sur  le  cou  du  côté  où  il  penche. 

—  Ah  !  monsieur  le  recteur,  jamais  je  n'oserai  ; 
je  mourrais  de  peur  ! 

Il  alla  pourtant  le  soir  à  l'échalier,  où  il  vit  la 
femme  qui  était  en  blanc  et  n'avait  point  de  tète  ; 
il  posa  la  coiffe  juste  du  côté  où  le  cou  penchait. 
Aussitôt  une  tête  se  montra  dessous,  et  une  voix 
lui  dit  : 

—  Ah  !  mon  frère,  tu  m'as  empêché  de  faire 
pénitence  ;  demain  tu  viendras  m'aider  à  la  finir. 

Le  garçon  revint  se  coucher  à  la  maison  ;  mais 
le  lendemain,  il  ne  se  leva  pas  avec  les  autres,  et 
quand  on  alla  à  son  lit,  il  était  mort. 

(Conté  en  1880  par  Joseph  Macé,  de  Saint-Cast,  mousse,  âgé 
de  quatorze  ans.) 

Un  autre  mousse  de  Saint-Cast,  nommé  François  Marquer, 
m'a  conté  le  même  soir  une  «  histoire  »   analogue  ;  la  voici  : 

Un  garçon  qui  allait  voir  les  filles  vit  un  soir 
une  femme  qui  tournait  autour  de  lui  ;  elle  avait 
une  belle  coiffe. 

I  17 


2)8      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

—  Je  vais  la  décoiflfer,    dit-il. 

11  lui  enleva  sa  coiffe,  et  quand  il  revint  à  la 
maison,  il  dit  à  sa  mère  : 

—  Ah  !  maman,  c'est  moi  qui  ai  une  belle 
coiffe  !  Ouvrez  votre  armoire,  que  je  la  ramasse. 

Quand  la  coiffe  fut  dans  l'armoire,  il  y  avait 
dedans  une  tête  de  mort.  Il  alla  à  confesse,  et  le 
recteur  lui  conseilla  de  retourner  au  même 
endroit  et  de  reporter  la  coiffe  ;  mais  il  n'osa,  et 
la  nuit  il  entendait  une  voix  lui  dire  : 

Rends-moi  ma  tète  et  ma  coiffe  ! 
Rends-moi  ma  tête  et  ma  coiffe  ! 

Le  lendemain,  il  lînit  par  y  aller,  et  il  vit  une 
femme  sans  tête.  Il  lui  posa  la  coiffe  sur  le  cou  ; 
alors  la  tête  se  remit,  et  il  n'eut  aucun  mal. 

M°"  de  Cerny  (Saint-Suliac  et  ses  traditions)  raconte  deux 
histoires  de  coiffes  enlevées.  Dans  l'une  d'elles,  intitulée  Les  trois 
Mortes,  un  jeune  garçon  voyant  des  jeunes  filles  agenouillées 
dans  le  cimetière,  va  enlever  la  coiffe  de  l'une  d'elles  en  disant 
qu'il  ne  la  lui  rendra  que  si  elle  vient  l'embrasser.  Le  lendemain, 
à  la  place  de  la  coiffe,  il  trouve  une  tète  de  mort.  A  minuit,  il 
la  reporte,  tenant  entre  ses  bras  un  enfant  nouveau-né.  La  tète 
de  mort  redevient  coiffe,  les  femmes  disparaissent,  et  le  gar(on, 
grâce  à  l'enfint,  n'éprouve  aucun  mal  (l'enfant  qui  préserve  a 
son  similaire  dans  le  conte  de  Luzel,  L'ombre  du  pendu,  cité  plus 
haut). 

La  deuxième  légende  est  intitulée  :  La  jeune  fille  du  ciiiieticre. 
Des  femmes  qui  revenaient  du  veillois  voient  une  jeune  fille 
agenouillée  sur  une  tombe;  l'une  d'elles  va  la  décoiffer  et  met 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  259 


la  coiffe  dans  son  armoire.  Le  lendemain,  à  minuit,  elle  entend 
sortir  de  son  armoire  une  voix  qui  lui  crie  :  «  Rends-moi  ma 
coiffe  !  »  Il  en  est  de  même  les  jours  suivants.  Le  recteur  lui 
ordonne  de  reporter  la  coiffe  ;  elle  y  va,  mais  elle  meurt  de 
peur. 


L'os 


Il  y  avait  une  fois  une  petite  fille  qui  passait 
par  le  cimetière  ;  elle  trouva  un  petit  os  dans  le 
sentier  et  l'emporta  pour  s'amuser. 

Le  soir,  quand  elle  fut  rentrée  chez  elle,  elle 
entendit  une  voix  qui  disait  : 

Rends-moi  mon  os  I 
Rends-moi  mon  os  ! 

—  Qu'est-ce  que  cela  ?  lui  dit  sa  mère. 

—  Je  ne  sais  pas. 

La  voix  continuait  à  crier  : 

Rends-moi  mon  os  ! 
Rends-moi  mon  os  ! 

—  Q.u"est-ce  donc  ?  dit  la  mère. 

—  C'est  peut-être  à  cause  d'un  os  que  j'ai 
ramassé  dans  le  cimetière. 

—  Hé  bien  !  il  faut  le  rendre. 

La  petite  fille  ouvrit  la  porte  et  jeta  l'os  dans 
la  cour  \  mais  la  voix  continuait  de  dire  : 

Rends-moi  mon  os  ! 
Rends-moi  mon  os  ! 


260      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


—  C'est  peut-être  l'os  d'un  mort.  Prends  la 
chandelle;  va  dans  la  cour  et  rends-le-lui. 

(Conté  en  1880  par  François  Marquer,  de  Saint-Cast,  mousse, 
âge  de  treize  ans.) 

Ceux  qui  dérobent  quelque  chose  aux  morts  sont  punis  par- 
fois d'une  manière  terrible.  J'ai  raconté  ailleurs  {Cont.  pop., 
l"  série,  n°  xux,  Le  drap  mortuaire;  Le  linceul  promis,  LUI. 
orale,  p.  195,  à  la  suite  sont  cités  plusieurs  similaires)  deux 
légendes  très-populaires  en  Haute-Bretagne,  et  où  :1  arrive  des 
apparitions  terribles  à  des  personnes  qui  ont  ramassé  des  draps 
mortuaires  dans  le  cimetière.  Dans  les  Légendes  chrétiennes  de 
Luzel  se  trouve,  sous  le  titre  de  Linceul  Jes  Morts,  une  légende 
bien  plus  sombre  et  bien  plus  horrible  de  détails.  Dans  la  pre- 
mière édition  des  Derniers  Bretons  de  Souvestre  figurait  une 
légende  similaire,  t.  I,  p.  72,  sous  le  titre  du  Drap  mortuaire 
(cf.  aussi  Fouquet,  Alice  de  Quinipily  (suaire  dérobé),  et  Bladé, 
La  Jambe  d'or  (jambe  volée)  et  La  Goulue  (jambe  que  la  goulue 
dévore),  contes  suivis  du  commentaire  de  R.  Kœlher). 


Le  beau  squelette 

Il  y  avait  une  fois  un  jeune  homme  qui  était 
sur  le  point  de  se  marier  ;  il  alla  inviter  ses  parents 
et  SCS  amis  à  ses  noces,  et  comme  partout  où  il 
entrait  on  lui  offrait  à  boire,  il  était  enchaiideboiré 
(ivre)  quand  vint  le  soir. 

Pour  arriver  plus  vite  chez  lui,  il  passa  par  le 
cimclicre,  et  au  milieu  du  sentier  il  trouva  une 
tête  de  mort.  Il  lui  donna  un  coup  de  pied  et  lui 
dit: 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  261 

—  Toi  aussi,  je  t'invite  à  venir  à  mon  repas  de 
noces. 

La  tête  ne  répondit  rien.  Quand  arriva  le  jour 
des  noces,  un  squelette  entra  dans  la  maison  où 
avait  lieu  le  repas,  et  prit  place  à  table  à  côté  du 
marié.  Voilà  tout  le  monde  surpris  et  eflfayé.  Le 
marié  lui  dit  : 

—  Hé  bien,  beau  squelette,  fais  comme  nous: 
bois  et  mange. 

Le  squelette  lui  répondit  : 

—  On  ne  boit  ni  ne  mange  dans  l'autre 
monde  ;  mais  je  t'invite  à  te  rendre  demain  soir  à 
l'endroit  où  tu  m'as  trouvé. 

Il  s'en  alla,  et  le  marié,  qui  avait  peur,  raconta 
au  recteur  ce  qui  s'était  passé,  et  le  pria  de 
l'accompagner  au  rendez-vous. 

—  Je  ne  suis  pas  invité,  moi,  répondit  le 
prêtre;  c'est  à  vous  de  faire  le  voyage  tout  seul. 

A  l'heure  dite,  le  marié  se  rendit  au  cimetière, 
où  il  vit  dans  le  sentier  une  petite  table  ronde 
autour  de  laquelle  se  trouvaient  trois  chaises; 
l'une  était  vide,  et  sur  les  deux  autres  étaient 
assis  deux  squelettes. 

Celui  qui  était  venu  au  repas  de  noces  l'invita 
à  s'asseoir  sur  la  chaise  vide,  et  lui  dit  en  mon- 
trant la  table  sur  laquelle  il  n'y  avait  rien  : 

—  Voilà  comment  sont  les  dîners  dans  l'autre 
monde  ;  maintenant,  lève-toi  et  marche  avec  moi. 


202      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

Le  marié  avait  une  grande  frayeur  en  suivant 
le  squelette  dont  les  os  se  choquaient  à  chaque 
pas  et  faisaient  cric-crac. 

—  Beau  squelette,  lui  dit-il  après  avoir  cheminé 
pendant  quelque  temps,  sommes-nous  bientôt 
rendus  ? 

—  Marche,  répondit  le  mort  d'une  voix  creuse. 
Ils  arrivèrent  à  une   montagne,    et  quand  ils 

furent  sur  le  haut,  il  vit  une  immense  plaine  où 
brillaient  une  multitude  de  flambeaux. 

—  Que  signifient  ces  flambeaux,  beau  sque- 
lette ?  dit  le  marié  d'une  voix  étranglée. 

—  Ce  sont  ceux  des  vivants  ;  chacun  a  le  sien 
qui  brûle.  Marche  toujours. 

Ils  descendirent  la  montagne,  et  quand  ils 
furent  dans  la  plaine,  ils  voyaient  des  flambeaux 
de  toutes  tailles,  les  uns  encore  longs,  d'autres  à 
moitié  consumés,  d'autres  sur  le  point  de 
s'éteindre. 

—  Où  est  le  mien,  beau  squelette?  demanda 
le  marié. 

—  Je  vais  te  le  faire  voir. 

Et  il  le  mena  devant  une  lumière  qui  était 
presque  entièrement  brûlée. 

—  Voilà  le  tien,  dit  le  squelette. 

Deux  jours  après,  le  marié  alla  rendre  ses 
comptes  à.  Dieu. 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  263 


Voilà  ce  qui  doit  apprendre  à  chacun  à 
respecter  les  os  des  morts. 

(Conté  en  1880  par  Marie  Durand,  de  Saint-Cast,  âgée  de 
quatre-vingts  ans.) 

L'invitation  à  un  repas,  qui  figure  au  commencement  de  cette 
légende  et  de  la  suivante,  fait  penser  au  dernier  acte  du  Don 
Juan  de  Molière.  D'après  M.  Gènin,  Lexique  de  la  langue  de  Moliire, 
p.  xxi-xxii,  les  moines  attirèrent  dans  leur  église  le  véritable 
Don  Juan,  et  il  ne  reparut  jamais.  C'est  pour  expliquer  sa  dispa- 
rition qu'ils  répandirent  la  légende  que  Tirso  de  Molina  et,  après 
lui,  Molière  ont  mise  à  la  scène.  11  est  probable  qu'ils  l'emprun- 
tèrent à  la  tradition  populaire. 

Dans  les  Légendes  bretonnes  de  d'Amezeuil,  Jouan  le  sonneur 
invite  une  tête  de  mort  à  danser,  puis  à  souper  avec  lui  :  le  mort 
se  rend  à  l'invitation  et  tue  l'imprudent. 

L'épisode  des  flambeaux  a  pour  similaire  un  conte  que  Deulin 
avait  emprunté  à  une  légende  allemande  (cf.  sur  la  popula- 
rité des  contes  de  Deulin  une  note  de  M.  Loys  Brueyre,  Alma- 
vach  des  traditions  populaires,  Maisonneuve,  1882,  p.  ii;).  Le 
héros  descend  sous  terre  et  voit  les  lampes  des  hommes  dans  une 
caverne  ;  la  mèche  plus  ou  moins  consumée  indique  le  temps  que 
chacun  a  encore  à  vivre.  Cf.  aussi  VHonimc  juste,  dans  les  Lég. 
chrét.  de  Luzel,  t.  II. 

L'invitation  imprudente 

Il  y  avait  une  fois  des  jeunes  gens  qui  voulaient 
se  déguiser.  L'un  d'eux  alla  prendre  une  tête  de 
mort  dans  le  reliquaire  du  cimetière;  il  mit 
dedans  une  chandelle  allumée,  et  la  plaçant  sur 
son  chapeau,  il  se  promena  la  nuit.  Quand  il 
passait  à  la  porte  des  maisons,  les  gens  étaient 


264      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


si  épouvantés  à  la  vue  de  ce  fantôme,  qu'ils 
s'évanouissaient  de  peur. 

Quand  il  fut  lassé  de  courir  et  de  faire  cette 
lugubre  farce,  il  retourna  au  cimetière  et  jeta  la 
tête  de  mort  sur  le  tas  d'ossements  en  lui  disant  : 

—  Pour  ta  peine,  je  t'invite  à  venir  souper 
avec  moi  demain  soir. 

Le  jour  d'après,  au  moment  où  il  allait  se 
mettre  à  table  pour  souper,  il  entendit  frapper  à 
la  porte.  La  servante  alla  ouvrir;  mais,  voyant 
devant  elle  un  squelette,  elle  s'évanouit.  Sa  mère, 
voyant,  que  la  servante  ne  venait  point,  sortit  à 
son  tour  et  tomba  aussi  en  pâmoison  à  la  vue 
du  fantôme. 

Le  jeune  homme  se  leva  et  lui  ouvrit  la  porte. 
Le  squelette  le  suivit,  et  tous  deux  se  mirent  à 
table  l'un  en  face  de  l'autre,  sans  se  rien  dire. 

Les  deux  femmes,  revenues  à  elles,  s'agenouillè- 
rent pour  dire  leurs  prières,  puis  allèrent  se  mettre 
au  lit.  Le  jeune  homme  y  alla  à  son  tour;  mais  le 
squelette  le  suivit  et  vint  se  coucher  à  côté  de  lui. 
Le  garçon  eut  si  peur  que  la  fièvre  le  prit,  et  il 
mourut  au  point  du  jour, 

(Conte  en  1880  par  François  Pluet,  de  Saint-Cast,  mousse.) 

Cf.  dans  le  Bar^aj^-Brcii  la  pièce  intitulée  Le  Carnaval  de 
Rosporden,  et  un  gwerz  intitulé  La  lêle  de  mort,  publié  par  Sou- 
vestre  dans  les  Derniers  Bretons,  1"  éd.  t.  II,  p.  15,  et  qui  ne 
figure   pas  dans  les  suivantes. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  265. 


La  tête  de  veau  changée  en  tête  de  mort 

Il  y  avait  une  fois  deux  amis  qui  se  querellè- 
rent ;  ils  se  battirent,  et  l'un  d'eux  tua  l'autre.  Il 
fit  une  fosse  profonde  dans  un  endroit  écarté,  et 
il  enterra  le  cadavre,  pensant  que  jamais  âme  qui 
vive  ne  saurait  ce  qui  s'était  passé. 

Mais  depuis  ce  temps,  l'homme  qu'il  avait  tué 
paraissait  souvent  devant  lui,  et  il  lui  disait  : 

—  Donne-moi  ma  revanche  !  Donne-moi  ma 
revanche  ! 

Un  jour,  impatienté,  le  meurtrier  s'écria  : 

—  Où  la  veux-tu  ta  revanche  ? 

—  A  Corlay,  répondit  le  défunt. 

L'homme  eut  peur,  et  comme  les  prêtres  ne 
doivent  point  révéler  ce  qui  leur  a  été  dit  en 
confession,  il  alla  trouver  son  recteur  auquel  il 
avoua  tout,  et  il  lui  demanda  comment  faire.  Le 
prêtre  lui  conseilla  de  ne  jamais  mettre  les  pieds 
à  Corlay. 

Le  mort  cessa  de  le  poursuivre,  et  il  y  avait 
bien  des  années  que  tout  cela  s'était  passé,  si 
bien  que  l'homme  ne  se  souvenait  plus  de  rien. 
Comme  les  bœufs  étaient  plus  chers  à  Corlay 
qu'ailleurs,  il  y  conduisit  les  siens;  il  était 
accompagné  de  son  fils,  et  quand  ils  eurent 
vendu    leurs    bœufs    avantageusement,    le    père 


266     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

acheta  une  tête  de  veau  pour  se  régaler,  et  il  la 
mit  dans  un  torchon  qu'il  déposa  sur  un  meuble 
dans  l'auberge  où  il  était  descendu. 

Mais  le  sang  coulait,  coulait  à  travers  le 
torchon,  si  abondamment  que  tout  le  monde  en 
était  surpris.  L'aubergiste  dit  à  l'homme  : 

—  Q.u'avez-vous  donc  dans  votre  torchon 
pour  que  le  sang  coule  ainsi  ? 

—  Une  tête  de  veau,  répondit-il. 

—  C'est  singulier,  dit  l'aubergiste,  comme 
cette  tête  a  du  sang. 

—  Ouvrez  le  torchon,  et  vous  verrez. 
L'aubergiste  défit  le  paquet;  mais  au  Heu  d'y 

trouver  une  tête  de  veau,  il  y  vit  une  tète 
d'homme  qui  paraissait  fraîchement  coupée  : 
c'était  justement  celle  de  l'homme  tué  bien  des 
années  auparavant,  et  qui  était  venue  à  Corlay 
exprès  pour  demander  vengeance. 

(Conte  en  1881  par  M.  Emile  Hamonic,  Je  Moncontour.) 
Dans  les  Légendes  chrétiennts  de  Luzel  :  J^ pain  change  eu  lète  de 
mort,  un  laboureur  tue  son  ami  ;  aussitôt  une  grosse  mouche 
vient  bourdonner  autour  de  lui;  à  un  moment  elle  lui  parle  pour 
demander  sa  revanche,  et  lui  prédit  que  le  premier  morceau  de 
pain  qu'il  mangera  .à  la  Roche-Derrien,  sera  cause  de  sa  mort.  Il 
se  promet  bien  de  ne  pas  mettre  les  pieds  à  la  Roche,  mais  il  y 
va  pour  recueillir  un  héritage  ;  il  se  hâte  d'en  sortir,  et  achète  un 
pain  qui,  aussitôt  mis  dans  son  bissac,  commence  à  dégoutter  du 
sang.  On  ouvre  le  bissac  ;  la  tête  du  laboureur  assassiné  s'y 
trouve,  et  le  criminel  est  puni. 


'^fë2^ms^ÈB'iméÈ&^¥- 


§    III.    —   LES    AVÈNEMENTS   ET   LES   AVISIONS    (l) 

^I^NE  des  croyances  les  plus  répandues  est 
llwk  ""^'^'^  ^^^  signes  avant-coureurs  de  la 
^»^î^  mort.  Ce  signe  s'appelle  un  avènement 
ou  une  avision.  J'ai  souvent  entendu  dire  à  des 
femmes  de  la  campagne  :  «  Je  savais  bien  que 
mon  parent  mourrait;  j'avais  ouï  son  avènement.  » 

Ce  sont  surtout  les  femmes,  plus  nerveuses,  et 
par  conséquent  plus  disposées  à  la  crédulité  que 
les  hommes,  qui  ont  connaissance  de  ces  signes 
fatidiques. 

Souvent  l'avènement  est  annoncé  par  le  bruit 
d'un  paquet  qui  tombe  sans  cause  appréciable,  par 
des  soupirs  poussés  par  une  bouche  invisible  dans 
une  pièce  où  l'on  est  seul,  ou  par  l'apparition, 
pendant  le  sommeil,  de  la  personne  qui  doit 
mourir.  Une  femme  m'a  assuré  qu'un  jour  à  la 
messe  une  goutte  de  sang  était  tombée  sur  son 
paroissien;  peu  après  elle  apprit  la  mort  d'un  de 
ses  parents  (S.-C). 

(i)  Cf.  dans  Tylor,  t.  I,  p.  520  et  suivantes,  de  curieux  exem- 
ples d'avisions  empruntés  à  des  pays  très-variés. 


26b      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

A  Dinan,  on  prétend  que  les  sonnettes  tintent 
toutes  seules  pour  annoncer  le  décès  d'un  parent 
mort  au  loin. 

Parfois  l'avision  est  un  avertissement  donné 
aux  parents  d'un  fait  qui  se  passe  à  distance.  C'est 
ce  qu'en  pays  breton  on  appelle  un  intersigne. 
Si  quelqu'un  meurt  loin  des  siens,  ses  parents 
entendent  des  coups  frappés,  le  bruit  de  gens  qui 
se  promènent  dans  les  greniers;  des  mains  les 
étreignent  ou  tirent  leurs  couvertures;  des  chan- 
delles se  promènent  dans  les  cours;  on  voit  des 
mains  qui  n'ont  point  de  corps  ou  des  gouttes  de 
sang  qui  coulent  glou  à  glou  des  greniers. 

Voici  quelques  formes  d'avènement. 

Une  femme  de  Dinan,  dont  le  fils  était  marin, 
était,  une  nuit,  bien  éveillée,  à  ce  qu'il  lui 
semblait  ;  elle  vit  au  pied  de  son  lit  son  fils 
blessé  et  baigné  dans  son  sang.  Elle  apprit  en- 
suite que  son  enfant  avait  été  assassiné  la  nuit 
même  où  son  image  lui  était  apparue. 

Une  autre  vit  son  frère  qui  se  débattait  dans 
les  flots.  Elle  sut,  plus  tard,  qu'il  avait  été  jeté  à 
la  mer. 

Avant  la  mort  de  la  femme  P.  D...,  d'Ercé,  on 
vit  pendant  plusieurs  nuits  une  chandelle  qui  se 
promenait  sur  la  route. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  269 


Une  femme  vit  un  soir  dans  son  aire  un  cierge 
qui  s'alluma  et  s'éteignit  par  trois  fois.  Le  lende- 
main, en  soignant  sa  vache,  elle  entendit  pleurer. 
Quelques  jours  après,  elle  apprit  que  sa  marraine 
était  morte.  (P.) 

«  Un  jour  des  enfants  qui  se  promenaient 
virent  un  homme  étendu  qui  semblait  mort,  et 
dont  les  yeux  ouverts  paraissaient  regarder  un 
enfant.  Celui-ci  dit  :  «  C'est  mon  père,  »  et  il 
s'évanouit.  Quand  les  autres  regardèrent  le 
buisson,  tout  avait  disparu.  On  eut  peu  après  la 
nou-elle  de  la  mort  d'un  marin  —  le  père  de 
l'enfant  —  qui  s'était  noyé  en  tombant  ce  jour-là 
même  du  haut  d'un  mât.  » 

«  Un  soir,  un  homme  voit  un  ancien  vicaire 
de  sa  paroisse  qui  se  promenait  en  lisant  attenti- 
vement son  bréviaire.  Il  va  au  presbytère  et 
annonce  la  visite  prochaine  du  prêtre.  On 
l'attendit  en  vain  ;  mais  quelque  temps  après,  on 
apprit  que  ce  jour-là  il  était  mort.  » 

(M""=  de  Cerny  (abrégé),  Sainl-Suliac,  p.   36-37.) 

«  Il  arriva  une  chose  extraordinaire,  il  y  a  trois  semaines,  un 
peu  avant  que  M.  le  prince  partît  pour  Fontainebleau  (où  il 
mourut).  Un  gentilhomme  à  lui,  nommé  Vernillon,  revenant  à 
trois  heures  de  la  chasse,  approchant  du  château,  vit  à  une  fenêtre 
du  cabinet  des  armes  un  fantôme,  c'est-à-dire  un  homme 
enseveli.  Il  descendit  de  son  cheval  et  s'approcha;  il  le  vit  toujours. 


270      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


Son  valet,  qui  estoit  avec  lui,  lui  dit  :  «  Monsieur,  je  vois  ce  que 
vous  voyez.  »  Vernillon  ne  voulant  pas  lui  dire  pour  le  laisser 
parler  naturellement,  ils  entrèrent  dans  le  château  et  prièrent  le 
concierge  de  donner  la  clef  du  cabinet  des  armes  ;  il  y  va  et 
trouva  toutes  les  fenêtres  fermées,  et  un  silence  qui  n'avoit  pas 
été  troublé  il  y  avoit  plus  de  six  mois.  On  conta  cela  à  M.  le 
prince  ;  il  en  fut  un  peu  frappé,  puis  s'en  moqua.  Tout  le  monde 
sut  cette  histoire  et  trembloit  pour  M.  le  prince,  et  voilà  ce  qui 
c>t  arrivé.  On  dit  que  ce  Vernillon  est  un  homme  d'esprit  et 
i.ussi  peu  capable  de  vision  que  le  pourroit  être  notre  ami 
Corbinelli,  outre  que  ce  valet  eut  la  même  apparition.  Comme 
ce  conte  est  vrai,  je  vous  le  mande  afin  que  vous  y  fassiez  vos 
réflexions  comme  nous.  »  (Lettre  de  M""-'  de  Sévigné  au  président 
de  Moulceau,  13  décembre  1686.)  Le  prince  de  Condé  mourut  .i 
Toutainebleau. 

Il  y  a  des  choses  dans  ce  monde  plus  éton- 
nantes qu'on  ne  croit. 

Un  jour  un  homme  de  la  Ruée  était  à  dire  ses 
prières.  Il  vit  un  enterrement  qui  passait  à 
quelque  distance  de  lui  ;  un  homme  portait  la 
croix,  puis  venaient  la  châsse,  les  prêtres,  et  des 
hommes  et  des  femmes,  et  il  y  avait  même 
parmi  eux  des  gendarmes. 

Huit  jours  après,  un  homme  qui  était  né  à  la 
Ruée  mourut,  et  son  enterrement  eut  lieu  comme 
celui  que  l'homme  avait  vu  ;  les  gendarmes  s'y 
trouvaient.  C'étaient  deux  soldats  de  la  brigade 
de  Collinée. 

•Un  matin,  de  bonne  heure,  un  fermier  qui  tirait 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  27I 

de  l'eau  à  son  puits  vit  arriver  dans  l'aire  un 
haniois  (charrette  attelée)  qui  ne  firlsait  point  de 
bruit,  puis  quatre  hommes  sortirent  de  la  maison 
dont  pourtant  il  avait  fermé  la  porte,  portant  une 
châsse  qu'ils  chargèrent  sur  la  voiture.  Il  fit  part 
de  ce  qu'il  avait  vu  à  ses  voisins,  qui  lui  dirent 
que  c'était  l'avènement  d'un  homme  qui  était  né 
dans  sa  maison  et  qui  mourait  au  loin. 

(Conté  en  1880  par  François  Mallet,  du  Gouray.) 

D'après  ces  deux  récits,  il  semblerait  que  lorsqu'un  homme 
meurt  loin  de  la  maison  où  il  est  né,  on  voit  des  fantômes  qtli 
exécutent  la  cérémonie  de  son  enterrement.  Dans  un  conte  re- 
cueilli par  Stewart  dans  les  Highla.ids,  et  traduit  par  Loys 
Brueyre  sous  le  titre  de  Funérailles  d'un  chef  de  clan,  un  for- 
geron voit  la  nuit  le  convoi  anticipé  de  son  chef  de  clan  qui 
venait  de  mourir. 

«  Les  Arzais...  tremblent  de  rencontrer  un  ankeu,  croient  aux 
apparitions  et  ont  une  foi  robuste  dans  les  histoires  de  reve- 
nants. L'ankeu...  est  un  spectre  avant-coureur  de  la  mort.  Si 
on  le  voit  entrer  dans  une  maison,  quelqu'un  doit  bientôt  y 
mourir...  Les  naufrages  des  marins  sont  toujours  annoncés  à 
leurs  femmes  par  de  l'eau  qu'elles  entendent  tomber  près  du  lit. 

«  Dans  les  nuits  orageuses,  on  entend  du  côté  de  l'Océan  une 
voix  lamentable  qui  présage  les  sinistres,  et  dans  ce  pays,  où 
toute  la  population  vit  de  la  mer,  cette  voix  a  toujours  prophé- 
tisé juste.  >>  (Ogée,  nouvelle  éd.,  art.  lie  d'Ar^. 


CHAPITRE    VllI 

LES      SORCIERS,      LES     LOUPS-GAROUS     ET 
LES     ANIMAUX     SORCIERS 


î^^^ÈME  dans  des  pays  avancés  et  relativement 
H^w  assez  instruits,  il  y  a  des  gens  qui  croient 
i^^t  encore  qu'on  peut  jeter  des  sorts.  Les 
mendiants  surtout  passent  pour  avoir  cette  puis- 
sance . 

Il  n'est  pas  très-rare  d'entendre  des  fermières 
dire  des  phrases  comme  celle-ci  :  «  Je  lui  ai 
donné  pour  qu'il  ne  me  jette  pas  un  sort  »,  ou 
bien  :  «  On  dirait  qu'il  y  a  un  sort  sur  mes  bêtes, 
et  pourtant  j'ai  donné  à  tous  les  chercheurs  de 
pain  ». 

Les  mendiants  ont  en  effet  tout  intérêt  à  entre- 
tenir cette  croyance  au  mauvais  œil,  qui  leur 
procure   de  plus   grosses   aumônes,    et  dans    les 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  273 


fermes  où  ils  vont  coucher  ils  ne  manquent  pas 
de  raconter  les  faits  surprenants  d'ensorcellement 
qui  se  sont,  disent-ils,  passés  dans  les  communes 
voisines.  Sur  le  littoral  on  croit  en  général  assez 
peu  aux  sorciers  ;  mais  il  n'en  est  pas  de  même 
dans  l'intérieur  des  terres,  surtout  vers  Fougères 
et  vers  le  Morbihan,  et  ceux  qui  se  permettraient 
de  douter  des  histoires  qu'on  raconte  passeraient 
pour  des  sceptiques.  Il  y  a  même  certaines  com- 
munes dont  les  habitants  sont  appelés  sorciers, 
soit  à  cause  de  leur  crédulité,  soit  parce  qu'elles 
sont  en  réalité  habitées  par  des  gens  aux- 
quels on  attribue  un  pouvoir  occulte.  On  dit  :  «  les 
sorciers  de  Fougères,  les  sorciers  de  Trévé,  les 
sorciers  de  Concoret,  les  sorciers  de  Loyat,  »  etc. 

Cf.  sur  le  pouvoir  des  sorciers  :  J.  B.  Thiers,  Traité  <!es  sii- 
pirstitio»! ;  Melusive,  co\.  547-348  (Franche-Comté);  Desaivre, 
Les  Sorciers  et  les  Devins  (Poitou);  A.  Bosquet,  p.  288  et  suiv. 
(Normandie);  CIi.  Louandre,  la  Sorcellerie;  l'excellent  livre  de 
M.   A.  S.  Morin,  Le  Prêtre  et  h  Sorcier^  etc. 

Un  roman  de  Barbey  d'Aurevilly,  L'Evsorcelce,  contient  aussi 
de  curieux  détails  sur  le  pouvoir  attribué  jadis  aux  sorciers  en 
Basse-Normandie. 


18 


^t^ 


§   I.    —    LE   POUVOIR   Lies   SORCIERS 

?^ES  sorciers,  quoique  n'ayant  plus  gcncra- 
lement,  aux  yeux  des  paysans  gallots,  le 
pouvoir  de  mener  les  nuées  et  de  faire 
périr  les  hommes,  n'en  conservent  pas  moins  une 
certaine  puissance.  La  plupart  du  temps  elle 
s'exerce  sur  les  animaux,  parfois  sur  les  champs, 
quelquefois,  mais  plus  rarement,  sur  les  «  chré- 
tiens ». 

A  Penguily,  une  fille  avait  eu  une  passée  (c'est 
ainsi  qu'on  désigne  le  sort  jeté)  :  le  pain  qu'elle 
boulangeait  ne  levait  point. 

Cf.  Bordelon,  Histoire  de  M.  OvjU,  Paris,  1793,  in-S",  p.  272, 
note  ;  la  pâte  d'un  boulanger  de  Limoges  est  ensorcelée. 

A  Trébry,  canton  de  Moncontour,  un  men- 
diant entra  dans  une  ferme  pour  demander  la 
charité;  on  ne  lui  donna  rien. 

—  Vous  me  refusez,  dit-il;  vous  vous  en 
repentirez. 

Il  y  avait  à  la  ferme  une  jeune  fille  qui  aimait 
beaucoup  la  toilette.  A  partir  de  ce  jour,  ses 
habits  étaient  tout  déchirés,  même  ceux  qu'elle 


TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS     275 


ramassait  dans  sa  presse  (armoire).  Elle  les  mit 
avec  ceux  de  son  père,  pensant  ainsi  les  préserver, 
mais  des  mains  invisibles  les  lui  déchiraient,  sans 
toucher  à  ceux  de  son  père.  Le  recteur  vint  bénir 
les  vêtements  de  la  jeune  fille  ;  mais  cela  ne  suffit 
pas  pour  les  désensorceler.  C'est  une  chose 
véritable,  et  qui  s'est  passée  à  Trébry. 

(Conté  en  18S0  par  Pierre  Derou,  de  CoUinée.) 

Une  jeune  fille  de  dix -huit  ans,  fille  d'un 
fermier  du  hameau  des  Basses-Ormes,  commune 
de  Rennes,  et  à  trois  kilomètres  à  peine  de  cette 
ville,  m'a  raconté  ce  qui  suit  : 

Un  homme  revenait  de  la  foire  de  Rennes  dans 
sa  voiture,  avec  sa  femme,  deux  ou  trois  autres 
personnes  et  un  beau  cochon  qu'il  avait  acheté 
sur  le  champ  de  foire.  Sur  la  grande  route,  à  la 
sortie  de  la  ville,  un  mendiant  âgé  lui  demanda  à 
monter  dans  sa  voiture.  Refus  du  paysan.  Une 
demi-lieue  plus  loin,  la  voiture  versait  dans  un 
fossé,  et  le  fermier  se  cassait  une  jambe.  Un  mois 
après,  il  perdait,  dans  la  même  semaine,  sa 
femme  et  son  cochon.  Et  un  beau  cochon,  dame  ! 

qui    lui    coûtait   bien    cher Aussi,    pourquoi 

avait-il  refusé  au  vieux  mendiant  une  place  dans 
sa  voiture  ?  Il  aurait  bien  dû  penser  que  c'était 
un  jeteur  de  sorts. 

(Communiqué  par  M.  L.  Decombe.) 


276      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

Cf.  dans  Fouquet,  sous  le  titre  du  Mtunier  qui  jette  des  sorti, 
un  récit  analogue  ;  mais  l'ensorcelé  trouve  moyen  de  se  débar- 
rasser, et  même  de  se  venger. 

A  Dinan,  une  femme  s'était  moquée  d'un 
pauvre,  parce  qu'il  était  contrefait  ;  il  la  regarda 
de  travers,  et  tous  les  enfants  qu'elle  eut  depuis 
étaient  contrefaits.  On  prétendait  que  c'était  le 
bon  Dieu  qui  s'était  déguisé  en  pauvre. 

Dans  le  Jerzual,  aussi  à  Dinan,  une  autre 
femme,  qui  avait  refusé  du  pain  à  un  pauvre  en 
se  moquant  de  lui,  eut  un  enfant  innocent. 

«  A  Trévérec,  en  1824,  toute  une  fimiille  fut 
atteinte  d'un  mutisme  singulier,  qui  cessa  après 
la  mort  du  chef  de  la  maison...  Les  mendiants 
dirent  que,  rebuté  par  le  vieillard,  un  pauvre  aura 
jeté  un  sort  sur  lui  et  que,  pour  montrer  que 
c'était  l'effet  d'un  anathème,  ils  parlaient  bien 
entre  eux,  mais  que  leurs  langues  seraient 
enchaînées  jusqu'au  dernier  soupir  du  coupable.  » 

(Note  de  l'abbc  de  Garaby,  témoin  occulaire,  dans  JoUivet, 
p.  21.,.) 

Il  y  a  des  gens  qui  soutirent  le  beurre  ;    ils  ont 
fait  un  pacte.  On  les  voit  se  promener  par  les, 
champs   dans   les    premiers   jours    de   mai;    ils 
ramassent   le  beurre  des  vaches  d'autrui,  et  les 
leur.s  en  ont  en  abondance. 

(Cdi.rv  en  1880  par  Françoise  Diimont,  d'Ercé.) 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  277 

En  Basse-Normandie  existe  aussi  la  croyance  que  les  sorciers 
peuvent,  au  moyen  d'un  cordeau,  ensorceler  les  vaches,  et  prendre 
pour  eux  tout  le  lait  et  le  beurre  qu'elles  donneraient  sans  cela. 
(A.  Bosquet,  p.  2S9.)  Cf.  aussi  Meli(sine,  co\.  73.  (Morbihan; 
l'opération  là  aussi  a  lieu  le  1''^  mai.) 

Çà  et  là,  on  trouve  des  réminiscences  du 
sabbat;  les  sorciers  se  transportent,  eux  et  leurs 
adeptes,  en  un  clin  d'œil  à  travers  les  airs.  On 
trouvera  dans  la  Littérature  orale  de  la  Haute- 
Bretagne,  p.  188,  un  conte  dont  le  récit  suivant 
est  peu  différent. 

11  y  avait  une  fois  un  homme  qui  allait  cher- 
cher du  vin  pour  sa  femme.  Un  de  ses  amis,  qui 
le  rencontra,  lui  dit  : 

—  Si  tu  veux,  je  vais  t'indiquer  un  moyen 
d'en  avoir  à  bon  marché  ;  mais  fais  bien  attention 
à  ce  que  je  vais  te  dire.  Quand  tu  arriveras  à 
telle  croix,  on  va  te  demander  :  «  Où  allons- 
nous  ?  ))  Tu  répondras  :  «  A  Bordeaux,  chercher 
du  vin.  »  Lorsque  tu  auras  le  vin,  on  te  dira  : 
«  Où  irons-nous  maintenant  ?  »  Tu  auras  soin 
de  répondre  :  «  D'où  nous  venons.  »  L'homme 
alla,  et  cela  s'accomplit  comme  son  compère  le 
lui  avait  dit. 

(Conté  en  1880  par  Scolastique  Durand,  de  Plévenon.) 

Une  femme  avait  deux  enfants  ;  quand  elle  les 


278      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

avait  couchés,  elle  sortait,  et  ils  ne  la  revoyaient 
que  le  matin.  Un  des  enfants,  qui  commençait  à 
être  grand,  fit  mine  de  s'endormir;  il  vit  sa  mère 
aller  sous  le  lit,  se  mettre  toute  nue  et  se  frotter 
d'onguent,  puis  dire  avant  de  partir  : 

Par  sur  haies  et  bûchons  (buissons), 

Faut  que  je  trouve  les  autres  où  qu'ils  sont. 

Le  gars,  dés  que  sa  mère  fut  partie,  se  frotta 
aussi  avec  l'onguent  et  dit  : 

Par  en  travers  haies  et  bûchons, 
Faut  que  je  trouve  les  auties  où  qu'ils  sont. 

Mais  comme  il  s'était  trompé  en  répétant  ce 
qu'il  avait  ouï  dire,  il  passa  à  travers  les  ronces 
et  les  haies,  et  arriva  tout  sanglant  au  rendez- 
vous  des  sorciers.  Il  les  trouva  qui  dansaient  et 
qui  chantaient,  et  sa  mère  était  avec  eux. 

(Conté  en  1881  par  J.  M.  Comault,  du  Gouray.) 
A  part  le  balai,  c'est  tout  à  fait  le  moyen  classique  que  les 
sorcières  emploient  pour  se  rendre  au  sabbat  (cf.  de  Lancre, 
Boiiin,  Ch.  Louandre,  etc.).  Quant  à  la  mésaventure  résultant 
des  paroles  sacramentelles  mal  prononcées,  elle  se  retrouve  dans 
nombre  de  contes. 

(Cf.  entre  autres  Fouquet,  Clémence  de  Cancoét  ;  Dulaurens  de 
la  Barre,  Veill.,  La  Jument  tiialgre;  Carnoy,  Le  sabbat;  Webster, 
La  Sorcière  et  le  nouveau-né;  La  Sorcière  au  sabbat.') 

Les  paysans  qui  assistaient  à  la  danse  des 
sorciers  usaient  en   une  nuit  une  paire  de  sabots. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  279 

Les  sorciers  et  les  sorcières  étaient  de  belles 
filles  et  de  beaux  garçons.  Il  y  en  avait  à  Hénon, 
et  même  tout  près  de  Moncontour. 

Pour  aller  avec  eux  il  fallait  se  mettre  le  dos  à 
une  mée  d' paille  et  se  frotter  d'une  certaine  pom- 
made. 

(Communiqué  par  M.  E.  Hamonic.) 

Jadis  les  sorciers  et  les  lutins  choisissaient  les 
carrefours  comme  lieux  favoris  pour  danser  et 
pour  chanter.  C'était  afin  de  s'emparer  d'un  plus 
grand  nombre  de  gens.  C'est  pour  délivrer  le 
pays  de  leur  présence  que  le  clergé  ordonna  d'y 
élever  des  croix. 

(Communiqué  par  M.  Bourie.) 

En  Berry,  cf.  Laisnel  de  la  Salle,  t.  I,  p.  157;  c'est  aussi  aux 
carrois  que  se  réunissent  les  sorciers. 

Mais  il  paraît  que  ce  moyen  n'a  pas  toujours 
été  efficace,  car  nombre  de  contes  parlent  de 
danses  autour  des  croix,  et  j'ai  recueilli  deux 
légendes  (Contes  pop.,  2^  série,  les  Sorciers  de 
Knèa,  no  lix  ;  les  Chats  sorciers,  n°  Lx)  où  il  est 
parlé  de  personnages  condamnés  à  danser  en  ré- 
pétant les  jours  de  la  semaine;  mais  au  lieu  de 
fées  (cf.  un  conte  picard  de  Carnoy,  Les  Fées  et 
les  deux  Bossus,  Mél. ,  col .  113;  Les  trois  fées  et  les 
jours  de  la  semaine,   Mél.,  col.    241   et  note),  de 


28o      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


lutins  (cf.  Souvestre,  Les  Korils  de  Plaudren  ;  Du- 
laurens  de  la  Barre,  Les  Korigans  de  Tréhoren- 
teuc  ;  Bladé,  épisode  dans  le  conte  du  Bâtard  ; 
Rolland,  La  danse  des  Korrigans,  Mèl.,  col.  113 
et  note),  dans  mes  deux  contes  ce  sont  des  sor- 
ciers ou  des  chats-sorciers  qui  répètent. 

Dans  le  conte  de  Cerquand,  Les  deux  Bossus,  ce  sont  aussi 
des  sorciers.  Il  en  est  de  même  dans  une  légende  recueillie  dans 
le  Morbihan  par  d'Amezeuil,  Lég.  bretonnes,  sous  le  titre  des 
Deux  Bossus  de  Nivillac. 

On  croyait  même  jadis  qu'à  une  certaine 
époque  les  sorciers  avaient  enlevé  des  petits 
enfants  pour  les  manger  ou  pour  les  faire  servir 
à  d'abominables  pratiques. 

Il  y  avait  une  fois  au  Pont-Qiiinteux,  sur  la 
route  de  Matignon  au  Guildo,  deux  pâtours  qui 
gardaient  leurs  chevaux  dans  une  petite  cabane. 
Au  milieu  de  la  nuit,  ils  entendirent  du  bruit  et 
eurent  peur.  L'un  resta  dans  la  hutte,  où  il  s'en- 
ferma; mais  l'autre  grimpa  dans  un  chêne.  Il  vit 
venir  au  pied  de  l'arbre  où  il  était  des  sorciers 
qui  tenaient  un  enfant  et  qui  disaient  : 

—  Allons-nous  le  manger  tout  cru  ou  le  faire 
cuire  ? 

—  Faisons-le  cuire,  répondit  un  des  sorciers. 
Le  pâtour  eut  si  grand'peur  qu'il  laissa  tomber 

son  chapelet,  qui   chut   sur  la   tête   de  l'enfant. 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  281 


Aussitôt  les  sorciers  disparurent,  et  il  descendit 
de  son  arbre.  Il  emporta  l'enfant  à  la  ferme  et 
fit  mettre  de  côté  les  langes,  afin  qu'on  pût  le 
reconnaître. 

Longtemps  après,  un  homme  qui  passait  par  là 
vit  l'enfant,  qui  avait  dix  ans  et  gardait  ses 
moutons  sur  la  route.  Sa  figure  lui  rappela  un 
autre  enfant  qu'il  avait,  du  même  âge,  car  ils 
étaient  jumeaux,  et  dont  l'un  avait  été  enlevé 
sitôt  après  sa  naissance.  Il  entra  à  la  ferme,  et  en 
voyant  les  langes  il  reconnut  son  enfant  que  les 
sorciers  lui  avaient  enlevé. 

(Conté  en  1S80  par  Jacquemine  Nicolas,  de  Saint-Cast.) 
En   Norm.-)ndie,    les  sorciers   enlèvent,  dit-on,  les  enfants  de 
moins  de  sept  jours  pour  les  manger  (cf.  A.   Bosquet,   p.    122). 

«  A  la  Boissière  (Loire -Inférieure)  existe  la 
croyance  au  sorcier  de  la  Divate  :  on  montre  la 
grotte  où  il  vécut.  Un  ermite  le  tua  en  faisant  un 
signe  de  croix.  Le  souvenir  de  ce  sorcier  est 
resté  comme  motif  de  tous  les  malheurs  qui  ar- 
rivent dans  le  pays.  Quand  un  bœuf  tombe  ma- 
lade, quand  une  vache  avorte,  c'est  parce  qu'elle 
a  vu  l'ombre  du  sorcier  de  la  Divate.  » 

(Ogée,  nouvelle  édition,  article  La  Boissière.) 

Il  y  a  trois  ans  environ,  un  sorcier  jeta  une 
passée  (c'est  un  sortilège)   sur  une  ferme   de   la 


282      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

commune  de  Penguily,  canton  de  Moncontour. 
Les  vaches,  le  chat,  le  chien  dépérissaient,  et 
même  plusieurs  bêtes  crevèrent.  Les  fermiers 
allèrent  consulter  le  devin,  qui  leur  dit  de  jeter  du 
lait  dans  le  feu  en  récitant  des  oraisons  ;  alors  le 
charme  cessa. 

Il  y  a  en  effet  des  gens  dont  le  métier  est  de 
conjurer  les  sorts  :  dans  un  rayon  de  quelques 
lieues  aux  environs  de  Rennes,  il  y  a  au  moins 
deux  personnes  qui  passent  pour  avoir  ce  don. 

L'un  d'eux  est  connu  sous  le  nom  de  «  Robert 
qui  défaîne  »  (être  faîne,  c'est  avoir  de  la  male- 
chance  ou  du  guignon,  d'où  enfaîner,  ensorceler, 
et  défaîner,  désensorceler.  Faîner  est  dérivé  régu- 
lièrement de  fascinar,'). 

Dans  une  grande  ferme,  le  lait  ne  donnait  que 
très-peu  de  beurre.  On  pensa  qu'un  mendiant 
rebuté  avait  jeté  un  sort  sur  la  maison  (car,  disait 
mon  narrateur,  d'aucuns  pauvres  cnfaînenl).  On 
envoya  chercher  le  sorcier,  qui  est  co-mu  dans  le 
pays  sous  le  nom  de  Robert-qui-défaîne  ;  il  arriva 
revêtu  d'une  peau  de  chèvre  de  deux  couleurs,  et 
tenant  en  laisse  un  chien  noir.  Il  examina  la 
baratte,  puis,  après  avoir  fait  quelques  cérémonies 
auxquelles  les  assistants  ne  comprirent  pas  grand'- 
chose,  il  leur  dit  : 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  285 

—  Désormais,  vous  pourrez  baratter  :  vous  êtes 
défaînés.  Mais  il  se  fait  tard  ;  venez  me  reconduire, 
un  bout  de  chemin,  mais  n'ayez  pas  peur  de  ce 
que  vous  verrez. 

Arrivé  à  la  lisière  d'une  lande,  il  sifBa,  mit  la 
main  sur  la  crinière  d'un  cheval  qui  accourut, 
monta  dessus,  dit  au  revoir  aux  gens,  et  hue  !  au 
cheval,  et  il  disparut  comme  un  éclair. 

(Conté  en  1880  par  Jean  Bouchcry,  de  Dourdain.) 

Il  V  a  un  sorcier,  le  Défaînous,  qui  va  défaîner 
chez  les  gens  qui  ne  peuvent  plus  baratter. 

Avant  de  se  rendre  à  la  ferme  sur  laquelle  un 
sort  a  été  jeté,  il  prend  une  ardoise  de  la  dimen- 
sion d'une  pièce  de  cinq  francs,  et  l'enveloppe 
dans  un  linge  qu'il  met  dans  sa  poche,  où  il  a 
d'autres  linges  pareils. 

Quand  il  est  entré,  il  demande  aux  gens  une 
pièce  de  cinq  francs  qu'il  jette  en  l'air;  il  fait  des 
signes  de  croix,  à  droite  et  à  rebours,  puis  il  leur 
dit  que,  pour  être  efficace,  il  faut  que  la  pièce 
soit  enveloppée.  Il  l'enveloppe  en  effet,  subtitue 
à  la  vraie  pièce  son  morceau  d'ardoise,  et  le 
remet  à  la  bonne  femme,  qui  le  place  dans  le 
fond  de  sa  baratte. 

Ces  cinq  francs  s'ajoutent  aux  dix  que  le  sor- 
cier prend  poar  défaîner. 

(Conté  en  1880  par  J.  Legendre,  de  Saint-Brieuc-des-Ifis.) 


2»4      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

Pour  défaîner,  on  prend  un  manche  de  ribot  en 
genêt  ;   les  enfaînous  n'ont  pas  droit  sur  le  genêt. 

On  préserve  aussi  la  baratte  des  enfaînements 
en  mettant  du  sel  en  croix  dans  le  fond  de  la 
baratte.  (E.,  P.) 

Un  matin,  une  petite  fille  de  dix  ans  sortit  de 
son  lit  et  alla  à  la  porte  «  faire  une  nécessité  ». 
Pendant  l'opération,  elle  reçut  une  «  brouée  »  de 
vent  si  forte,  qu'elle  tomba  dans  sa  nécessité  et 
ne  put  se  relever.  Elle  cria,  appela  ses  parents,  qui 
la  transportèrent  dans  la  maison.  Là,  elle  se 
plaignit  d'éprouver  une  forte  douleur  dans  le 
côté  et  surtout  dans  la  jambe. 

La  souffrance  persista  en  dépit  des  soins  du 
reboutoux  ;  les  parents  lui  firent  dire  des  messes  : 
rien  n'y  fit.  L'enfant  ne  pouvait  exécuter  un 
mouvement.  A  quelque  temps  de  là  passa  un 
bonhomme  bien  vieux,  bien  fatigué,  qui  demanda 
l'hospitalité.  En  voyant  les  parents  de  la  petite 
fille  tristes  et  affligés,  il  leur  en  demanda  la  cause. 
Quand  l'explication  lui  eut  été  donnée,  il  se  fit 
apporter  l'enfant;   il   l'examina  et  dit: 

—  Je  la  guérirai  et  sans  messe  ;  mais  la  <  passée  » 
(le  coup  de  vent  sorcier)  a  été  terrible  :  elle  était 
à  mort,  mais  la  petite  fille  n'en  a  eu  que  du  bord. 
Malgré  tout,  elle  clochera  pendant  tout  le  restant 
de  sa  vie. 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE   '  28$ 


Les  parents  n'étaient  pas  trop  rassurés  en 
entendant  le  bonhomme  dire  qu'il  ôterait  la 
passée  sans  messe;  mais  comme  il  était  savant, 
il  comprit  leur  pensée  et  ajouta  : 

—  Quand  quelqu'un  a  reçu  un  sort  d'un 
sorcier  mauvais,  aucune  pratique  de  dévotion 
ne  peut  le  détruire  ;  quand  il  est  jeté  de  la  part 
de  Dieu,  les  messes  en  débarrassent. 

Les  parents  étaient  bien  contents  et  dirent  au 
bonhomme  qu'ils  avaient  grande  confiance  en  lui. 
Alors    celui-ci    leur    dit  : 

—  Apportez-moi  une  casserole,  de  la  graisse, 
des  clous  de  latte  et  une  tenaille,  et  faites  du 
feu. 

Le  bonhomme  mit  la  casserole  sur  le  feu  et  y 
jeta  la  graisse  et  les  clous.  Quand  le  mélange 
commença  à  bouillir  ; 

—  Allez  chercher  votre  fille,  et  mettez-la  sur 
le  dos  de  votre  bête  la  moins  dommageable  (la 
moins  bonne) . 

—  Faut-il  prendre  une  poule  ?  demandèrent 
les  parents  ? 

—  Oui,  oui,  répondit  le  bonhomme. 

Le  père  et  la  mère  soutinrent  la  jeune  fille  sur 
le  dos  de  la  poule,  pendant  que  le  bonhomme 
ôtait  les  clous  un  à  un  de  la  casserole  avec  les 
tenailles  et  les  clouait  sur  le  manteau  de  la  che- 
minée. A  mesure  qu'il  les  cognait,  la  jeune  fille 


286      TRADITIONS    tT    SUPERSTITIONS 

se  sentait  mieux,  et  la  poule  geignait.  Quand  tout 
fut  fini,  la  fille  se  leva  en  clochant,  et  la  poule 
passa  cul  par  sur  tête.  Elle  était  morte.  Alors  le 
bonhomme  dit  : 

—  Le  sorcier  qui  a  fait  le  coup  est  enfoncé 
avec  les  clous  dans  la  cheminée,  et  vous  pouvez 
être  bien  sûrs  qu'il  ne  vous  fera  jamais  rien. 

(Recueilli  par  M.  Bourie,  aux  environs  Je  Moncontour.) 
Thiers,    Traité    des  superslitiovs,  ch.  xv,   cite,  au   nombre  des 
pratiques  qui  avaient  cours  de  son   temps,  celle  qui  consistait  .i 
«  attacher   à  une  cheminée  certaines  parties  d'un  animal  mort 

par    maléfice et    à    les    piquer   avec    des    épingles   ou    des 

aiguilles...  afin  que  le  sorcier  qui  a  jeté  le  maléfice  sèche  peu  à 
peu  et  meure  enfin  misérablement.  »  Ce  même  chapitre  contient 
plusieurs  exemples  de  maléfices  ôtés  a  une  personne  et  passés  ii 


Il  y  a  plusieurs  moyens  de  se  préserver  des 
sorcelleries,  soit  qu'on  emploie  des  talismans  qui 
neutralisent  le  pouvoir  des  sorciers,  soit  qu'on 
ait  recours  à  eux  pour  être  débarrassé. 

Quand  on  a  un  serpent  sur  soi,  les  sorciers  ne 
peuvent  vous  charmer  la  vue,  et  tous  les  objets 
paraissent  sous  leur  forme  naturelle. 

On  met  aussi  ses  chausses  (bas)  ou  ses  habits 
au  renvers  pour  se  préserver  des  maléfices.  (M.,  E.) 

Mèraï   croyance   en  Korm.mdie   (cf.    A.  Bosquet,  p.  294). 

Le  sureau   autour  des  maisons,  des  grains  de 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  287 


sel  placés  dans  le  fond  des  barattes,   empêchent 
les  sorts. 

Quand  on  tire  du  fumier  d'une  étable,  on  y 
jette  du  sel  pour  détourner  les  ensorcellements. 
(E.) 

En  Franche-Comté,  un  grain  de  sel  jeté  dans  le  lait  préserve 
aussi  des  maléfices  (cf.  Mel.,  col.  371).  En  Poitou  le  sel  pré- 
serve des  sorciers  en  général  (cf.  Souche,  p.  16)  ;  il  en  est  de 
même   en   Normandie  (cf.  A.  Bosquet,  p.  294). 

On  va  consulter  les  sorciers,  non  seulement 
pour  être  débarrassé  d'un  ensorcellement,  mais 
pour  se  procurer  des  avantages  au  moyen  de 
sortilèges. 

Pour  tirer  un  bon  numéro,  il  fout  que  le  cons- 
crit ait  dans  son  habit,  mais  sans  qu'il  le  sache, 
des  grains  de  sel  cousus.  Autaht  il  y  a  de  grains 
de  sel,  autant  son  numéro  est  élevé. 

On  arrive  au  même  résultat  en  prenant  le 
bonnet  de  baptême  du  premier  enfant  mâle  d'une 
maison,  à  la  condition  qu'il  n'ait  jamais  servi  à 
d'autres,  et  que  celui  qui  a  le  bonnet  dans  ses 
vêtements  et  qui  va  tirer  ne  le  sache  pas.  Cela 
est  en  usage  aux  environs  de  Fougères,  et  princi- 
palement à  Saint-Georges-de-Chesnais  et  com- 
munes voisines. 

Un    jour   la    femme   du   père    Joseph    venait 


288      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

d'accoucher  de  son  premier-né  ;  il  vit  venir  une 
femme  qui  lui  dit  : 

—  Donnez-moi  le  bonnet  de  baptême  de  votre 
fils,  et  je  vous  enverrai  un  demeau  de  blé  noir 
pour  l'enfant.  C'est  pour  que  mon  gars,  qui  va 
tirer,  ait  un  haut  numéro;  la  sorcière  m'a  bien 
dit  comment  il  fallait  faire. 

(Conte  en  iSSo  parj.  I-ej^cndrc,  de  Saint-Bricuc-des-Iffs.) 
•  Le  bonnet  de  baptême  qui  figure  ici  a  vraisemblablement  rem- 
placé la  pellicule  appelée  coiffe,  qui  couvre  la  tcte  de  certains 
enfants,  et  que  l'on  croit  être  pour  eux  une  marque  de  bonheur; 
c'est  de  là  qu'est  venu  le  proverbe  franyais  «  être  né  coiffé  ». 
(Cf.  Thiers,  Traite  des  supcrslilioiis,  ch.  x.ki.k.) 

A  côté  des  sorciers  proprement  dits,  il  y  a  les 
gens  qui  pansent  au  moyen  de  remèdes  secrets 
(tout  un  chapitre  d'un  livre  sur  la  Médecine  supers- 
titieuse, que  je  prépare  en  ce  moment,  leur  est 
consacré),  et  surtout  les  dormouères  et  les  dis.uères, 
ou  disûuéres  de  pléiiètes  (planètes),  qui  sont  des 
somnambules.  On  vient  parfois  les  consulter  de 
fort  loin,  et  ceux  qui  ont  recours  à  leur  pouvoir 
occulte  ne  sont  pas  toujours  des  illettrés. 


CY^' 


§  II.    —    LES   LOUPS-GAROUS   ET   LES   HOMMES 
TRANSFORMÉS   EN   BÊTES   (l) 

iL  y  a  des  hommes  qui  ont  le  pouvoir  de  se 
transformer  en  bêtes.  Ils  se  frottent  pour 
cela  avec  une  pommade  que  le  diable 
leur  a  donnée  ;  mais  ils  sont  contraints  d'errer 
pendant  un  temps  déterminé.  Leur  niétamorphose 
ne  cesse  que  quand  leur  sang  a  coulé.  (E.,  M.,  P.) 
On  les  nomme  garèiis,  hups-garoiis  ou  tnicrons  ; 
ce  dernier  mot  est  aussi  usité  en  Basse-Normandie. 

(Cf.  Amélie  Bosquet,  p.  23;.) 

Les  gareux  étaient  des  espèces  de  diables  ou  de 
sorciers  qui  se  mettaient  en  toutes  sortes  de 
bêtes,  surtout  en  vaches  et  en  loups.  (P.) 

(i)  Sur  les  loups-garout  en  général,  on  peut  consulter  Tylor, 
Civilisation  priniilive,  t.  I,  p.  555  et  suiv.,  de  la  traduction 
française;  Rolland,  Les  Mammifères  sauvages,  p.  155  et  suiv.; 
Amélie  Bosquet,  La  Normandie  vietveilkuse,  ch.  xii  ;  Bourquelot, 
La  Lycanthropie. 

L'abbé  Bordelon  a  fait  aussi,  au  XVII=  siècle,  une  sorte  Je 
roman  intitulé  Histoire  de  M.  Oiifle,  où  se  trouvent  de  curieuses 
notes  sur  la  lycantrhopie  (voir  l'édition  de  Paris,  1793,  in-8). 

I  19 


290      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

«  Les  loups-garous  sont  des  hommes  convertis 
en  loups  pour  avoir  été  plus  de  dix  ans  sans 
approcher  du  tribunal  de  pénitence.  » 

(Habasque,  t.  I,  p.  285,  note.) 

Je  n'ai  pas  retrouvé  personnellement  cette 
croyance  en  Haute-Bretagne  ;  mais  elle  est  rap- 
portée par  Dufilhol  d.\ns  Guionvac'h,  p.  17:  «Si 
tu  restes  sept  ans  sans  mettre  le  doigt  dans  le 
bénitier,  tu  seras  loup-garou.  » 

Ceux  qui  ont  le  pouvoir  de  se  transformer  en 
bêtes  le  font  au  moyen  d'une  bouteille  ;  mais 
parfois  ils  oublient  où  ils  l'ont  mise  ou  bien  la 
perdent,  et  alors  ils  restent  sous  la  forme  d'ani- 
maux. 

Cf.  sur  les  loups-garous  de  Basse- Bretagne  (sing.  dcn  vlei\, 
plur.  tud  vlei\)  Le  Men,  p.  420. 

Il  y  avait  à  Saint-Cast,  vers  1830,  un  ancien 
chouan  qui  n'avait  point  bonne  réputation  dans 
le  pays  ;  il  passait  pour  se  mettre  en  toutes  sortes 
de  bêtes,  afin  de  pouvoir  faire  la  nuit  ce  qu'il 
voulait.  Les  uns  prétendaient  qu'il  allait  voler, 
d'autres  qu'il  était  fraudeur  ou  qu'il  servait  aux 
communications  que  les  royalistes  avaient  avec 
Jersey. 

Un  marin  qui  allait  un  soir  ù  Saint-Malo  avec 
lui,  tout  d'un  coup  ne  l'aperçut  plus  ;  mais  il  vit 


I 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  29I 

un  gros  cochon  qui  cheminait  auprès  de  lui. 
Pendant  le  trajet,  il  se  changea  encore  en  deux 
autres  sortes  de  bêtes.  Il  se  changeait,  disait-on, 
malgré  lui.  Il  fut  en  prison  cinq  ou  six  fois,  et  il 
en  sortit  sous  des  formes  de  bêtes  différentes. 

(Conté  par  Etienne  Piron,  de  Saint-Cast,  18S0.) 

Pour  délivrer  les  loups-garous,  il  faut  les 
blesser  à  sang. 

Le  Bouchier  du  Prà  s'était  frotté  avec  une 
pommade  et  était  devenu  loup-garou  ;  il  dit  à  un 
de  ses  voisins  de  le  frapper  avec  une  hache  bien 
aiguisée.  La  première  fois,  il  n'osa  ;  la  seconde,  il 
le  fit,  et  depuis  ce  temps  le  Bouchier  ne  courut 
plus.  (M.) 

Cf.  sur  la  délivrance  des  garons  Rolland,  t.  I,  p.  15e  (Nor- 
mandie), :57  (Limousin),  158  (Vendée  et  Bigorre);  Amélie 
Bosquet,  p.  233  (Orne). 

A  Tournebride  en  Hénon,  deux  hommes 
entrèrent  à  l'auberge  très-tard  pour  boire  une 
moque  de  cidre.  Ils  sortirent,  et  l'aubergiste,  qui 
les  avait  suivis  en  cachette,  les  vit  vomir  des 
pattes  de  chien.  C'étaient  deux  compères  qui 
s'étaient  déguisés  en  loups  et  qui  avaient  mangé 
des  chiens. 

(Recueilli  par  M.  Bourie.) 


292      TRADITIONS    HT    SUPERSTITIONS 


Le  loiip-garou 

Il  y  avait  une  fois  un  garçon  de  ferme  qui 
découchait  toutes  les  nuits,  et  on  ne  savait  ce 
qu'il  devenait  ;  mais  son  maître  ne  pouvait  rien 
dire,  car  le  garçon  était  loué  pour  le  jour  et  pas 
pour  la  nuit. 

Un  jour  le  fermier  voulut  voir  où  il  allait  ;  il 
se  cacha  dans  un  chêne  d'émonde  sur  la  route 
par  laquelle  le  domestique  devait  passer.  Il  vit 
bientôt  arriver  son  serviteur,  qui  se  passa  autour 
du  cou  un  trépied  ;  mais  à  partir  de  ce  moment 
il  ne  le  vit  plus. 

Tout  le  long  des  nuits  quelqu'un  venait  agacer 
le  chien,  qui  abo3'ait  ;  le  fermier  se  dit  : 

—  Je  parie  que  c'est  le  loup-garou. 

Il  prit  un  morceau  de  bois  au  bout  duquel  il 
mit  une  lame  pointue,  et  quand  il  entendit  le 
chien  aboyer,  il  fit  passer  son  bàlon  par  la 
chatière  et  le  poussa  comme  pour  frapper.  Il 
sentit  que  sa  pointe  rencontrait  quelque  chose,  et, 
au  même  moment,  il  entendit  une  voi.K  qui 
disait  : 

—  Vous  m'avez  rendu  un  grand  service  :  j'en 
avais  encore  pour  trois  ans  ;  me  voili  maintenant 
quitte. 

Le  lendemain,  le  fermier  vit  au  cou  de  son 
domesiique  la  marque  d'une   blessure,  et  depuis 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  2q} 

ce  temps    il  remarqua  qu'il   ne   sortait   plus   la 
nuit. 

(Conté  en  i8So  par  Françoise  Dumont,  d'Ercé.) 
Cf.  A.  S.  Morin  (Beauce),  p.  201  ;  Cayla,  Le  Diable,  p.  2^  ; 
Laisnel  de  la  Salle,  t.  I,  p.    181. 

Il  y  a  bien  quarante  ans,  plusieurs  femmes,  dans 
les  communes  de  Plurien,  Pléhérel  et  Plévenon, 
eurent  leurs  bergeries  dévastées  par  un  animal 
inconnu  qui  y  pénétrait  la  nuit  et  suçait  le  sang 
des  moutons.  C'était  une  bête  fort  petite,  puis- 
qu'elle passait  par  un  trou  très-étroit. 

On  disait  que  les  auteurs  de  ces  ravages  étaient 
deux  tailleurs  de  Ruca  qui  avaient  deux  bouteilles, 
l'une  pour  s'emmorpboser,  l'autre  pour  se  dènior- 
phoser. 

(Conté  par  Scolastique  Durand,  de  Plévenon,  1880) 
On  emploie  couramment  emmor phoser,  métamorphoser,  démor- 
phoser,  faire  cesser  la  métamorphose,   qui    est   appelée  morphose. 
(S.-C,  M.) 

A  la  ferme  de  Glanda,  près  du  Guildo,  une 
truie  noire  venait  tous  les  soirs  à  dix  heures  ;  elle 
s'asseyait  sur  une  pierre  bleue  qui  était  dans  un 
coin  de  l'aire,  et  même  elle  se  montrait  à  la 
porte  de  la  maison.  On  fit  pendant  toute  la 
journée  du  feu  sur  la  pieire  bleue,  qui  était 
brûlante  quand,  à  la  nuit,  la  truie  noire  vint 
s'asseoir  dessus.    Elle   jeta  un  cri    et   s'échappa. 


294      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

Elle  retourna  dans  le  champ  de  la  Commandière, 
où  elle  resta  plus  de  dix  ans  ;  mais  un  jour  elle 
fut  blessée  au  genou  par  un  laboureur,  et  au  lieu 
d'une  truie,  ils  virent  une  jeune  fille  qui  avait  été 
emmorphoséc  par  les  sorciers  et  devait  rester  en 
truie  jusqu'à  ce  qu'elle  eût   été  blessée   à  sang. 

(Conté  par  Jacquemine  Nicolas,  de  Saint-Cast.) 

On  racontait  autrefois,  dans  le  pays  des  Iffs, 
qu'avant  la  Révolution,  quand  un  garçon  avait 
fait  une  faute  grave,  son  confesseur  lui  imposait 
pour  sa  pénitence  d'aller  se  poser  devant  une 
croix,  une  fourche  à  la  main,  et  d'y  attendre  le 
Gucrrou;  il  fallait  alors  qu'il  courût  à  lui  pour 
lui  frapper  le  front  d'un  coup  de  fourche. 

(Conté  en  1880  par  Joseph  LegenJre,  qui  tient  cela  d'une 
femme,  morte  très-âgée  en  1840.) 

Cf.  dans  Rolland,  p.  15,  une  ancienne  croyance  vendéenne 
analogue,  et  une  normande  ;  cf.  aussi  la  Bêle  excommuniée,  Kestif 
de  la  Bretonne,  p.  81. 

D'après  le  conte  qui  suit,  ceux  qui  courent  le 
guérou  y  étaient  forcés  par  un  diable  qui  les 
accompagnait  partout,  mais  dont  ils  pouvaient  se 
débarrasser  en  le  donnant  à  autrui. 

Il  était  une  fois  un  homme  qui  se  promenait 
seul  dans  son  jardin.  Tout  à  coup  il  entendit  un 
cri,  et  il  dit  tout  haut  : 

—  Tu  ferais  bien  mieux  de  te  taire. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  295 


Aussitôt  un  homme  qui  portait  sur  le  dos 
une  petite  bête  noire  accourut  tout  essoufflé  et 
lui  dit  : 

—  Qu'est-ce  que  tu  me  veux,  toi? 

—  Rien,  répondit  l'homme  tout  effrayé. 

—  Hé  bien  !  dit  le  coureur  de  guérou,  puisque 
tu  ne  me  veux  rien,  cours  le  guérou  à  ma  place. 

Il  lui  jeta  sur  le  dos  sa  petite  bête  noire,  et  il 
disparut. 

La  bête  se  colla  sur  le  dos  de  l'homme  si  forte- 
ment qu'il  ne  pouvait  s'en  débarrasser,  et  il  était 
obligé  de  courir  le  guérou. 

Un  jour  il  rencontra  un  prêtre  qui  lui  dit  : 

—  Savez-vous  comment  faire  pour  vous 
débarrasser  du  diable  que  vous  portez  sur  votre 
dos  ? 

—  Non,  je  ne  le  sais  pas,  répondit  le  coureur, 
et  j'en  suis  bien  marri;  mais  est-ce  vraiment  le 
diable  qui  est  sur  mon  dos  ? 

—  Oui,  c'est  lui,  dit  le  prêtre.  J'ai  sur  moi  un 
peu  d'eau  bénite;  je  vais  la  lui  jeter,  et  vous 
allez  voir  comme  il  va  crier. 

Dès  que  la  bête  sentit  l'eau  bénite,  elle  qui  ne 
disait  jamais  rien  se  mit  à  jeter  des  cris  épou- 
vantables. 

—  Suivez-moi,  dit  le  prêtre. 

L'homme  marcha  derrière  lui,  et  ils  entrèrent 
à  l'église.  Le  prêtre  passa  son  étole  au  cou  de  la 


296      TRADITIOX'S     ET    SUPERSTITIONS 


bête,  et  il  tirait  de  toutes  ses  forces  pour  la  dé- 
coller; quand  il  y  fut  parvenu,  il  la  jeta  dans  le 
bénitier,  et  elle  souffrait  comme  si  elle  avait  été 
plongée  dans  de  l'eau  bouillante.  Elle  finit  par 
sauter  à  terre,  et  elle  s'enfuit  comme  le  vent. 
Depuis,  l'homme  ne  fut  plus  forcé  de  courir  le 
guérou. 

(Conté  en  1S81  par  Kranfois  Marquer,  de  Saint-Cast.) 

Il  y  avait  autrefois  un  homme  qui  «  menait  les 
loups  »  dans  la  forêt  de  Rennes,  et  qui,  grâce  à 
un  pacte  qu'il  avait  fait,  pouvait,  à  sa  volonté,  se 
transformer  en  loup.  Un  jour  on  tira  sur  lui,  et, 
dès  qu'il  fut  blessé  et  que  son  sang  coula,  il 
redevint  homme. 

(Conté  en  1878  par  Aimé  Pierre,  de  Liffré.) 

Sur  les  meneurs  de  loups,  de  rats,  de  taupes  et  de  poux, 
consulter  ces  articles  à  la  seconde  partie. 

La  croyance  aux  nieticux  de  loups  existe  aussi  en  Beri-y  (cf. 
G.  Sand,  Lég.  rustiques,  ip.  95  ctsuiv.,  qui  cite  plusieurs  légendes 
et  le  chapitre  de  I-aisnel  de  la  Salle  sur  la  sorcellerie),  en  Nor- 
mandie (cf.  A.  Bosquet,  p.  304). 

Un  jour,  en  abattant  du  bois  dans  la  forêt  de 
Haute-Sève,  un  hoisier  trouva  deux  bouteilles.  Il 
mit  un  peu  de  la  liqueur  que  l'une  contenait  dans 
le   creux  de  sa    main  ;  i\  mesure  que  la  liqueur 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  297 


s'étendait,  sa  main  devenait  comme  la  patte  d'un 
loup.  Mais  il  se  frotta  avec  la  liqueur  de  l'autre 
bouteille,  et  aussitôt  sa  main  redevint  à  son  état 
naturel. 

(Conté  en  i88l  par  Angéle  Quérinan,  d'Andouillé.) 


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§  III.   —  LES  ANIMAUX  SORCIERS 

!  UTRE  les  sorciers  proprement  dits,  il  y  a 
des  animaux  qui  passent  pour  avoir  le 
même  pouvoir  qu'eux  ;  on  les  appelle  des 
animaux  sorciers.  Il  est  malaisé  de  savoir  si  les 
paysans  croient  que  ce  sont  des  bêtes,  ou  bien 
des  personnes  emmorpbosées  (métamorphosées). 

Parmi  les  animaux  sorciers,  ce  sont  les  chats 
qui  jouent  le  rôle  le  plus  important.  Ils  passent 
pour  aller  tenir  au  clair  de  la  lune  des  assem- 
blées nocturnes.  Pour  les  empêcher  de  s'y  rendre, 
on  leur  coupe  le  premier  nœud  du  bout  de  la 
queue.  (E.,  S.-C,  M.,  P.) 

En  Normandie  (cf.  A.  Bosquet,  p.  218),  on  coupe  aussi  le 
bout  de  la  queue  des  chats   pour  les  empêcher  d'aller  au  sabbat. 

De  même  que  les  sorciers  ordinaires,  les  chats 
sorciers  s'assemblent  en  général  autour  des  croix 
plantées  au  milieu  d'un  carrefour,  ou  dans  un 
champ  à  trois  cornières,  c'est-à-dire  à  trois 
angles. 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS      299 

Au  chapitre  consacré  aux  Mammifères  domes- 
tiques, 2e  partie  de  cet  ouvrage,  on  trouvera 
ce  que  j'ai  pu  recueillir  sur  les  animaux  sor- 
ciers. 


)j(ej(sj(sj(sj(ôj^w^<:s)^s)CS)CS)CS)C( 


§   IV.    —    LES   LIVRES   DES    SORCIERS 


gyVj^L  y  a  plusieurs  livres  qui  jouent  dans  la 
T^  ^  sorcellerie  un  rôle  important  ;  parmi  eux 
s^^'fe^  on  peut  citer  le  Dragon  rouge,  le  Livre  de 
Salomon,  le  Petit  Albert. 

J'ai  recueilli  quelques  dépositions  sur  ces  deux 
derniers  : 

A  la  chapelle  de  Guiscaël  en  Guer,  auprès  de 
Konkoret,  le  pays  des  sorciers,  il  y  a  un  livre  que 
seul  le  prêtre  voit  :  c'est  le  Livre  de  Salomon,  qui  a 
servi  jadis  aux  sorciers.  Avant  la  Révolution,  il  y 
avait  des  moines  qui  se  livraient  à  la  magie  au 
lieu  de  prier  Dieu,  et  qui  faisaient  maintes  autres 
choses  blâmables.  C'est  pour  les  punir  que  Dieu 
leur  envoya  la  Révolution. 

(Conté  en  1880  par  François  Mallet,  du  Gouray.) 

Ce  livre  de  Salomon  est  peut-être  la  Clavicule  de  Salomon 
(cf.  sur  les  livres  de  grimoire,  Ch.  Louandre,  p.  39  et  suiv.). 

Mais  le  plus  populaire,  sans  contredit,  des  livres 
de  sorcellerie,   c'est  le  Petit  Albert.  Seuls  les  sor- 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS      3OI 


ciers  et  leurs  adeptes,  et  aussi  parfois  les  prêtres, 
l'ont  en  leur  possession. 

Les  prêtres  passent  pour  avoir  un  pouvoir  analogue  à  celui  des 
sorciers  (cf.  A.  S.  Morin,  Le  Prêtre  et  le  Sorcier').,  même  croyance 
en  Normandie  (cf.  A.  Bosquet,  p.  29e).  Les  sorciers  se  servent 
du  Petit  Albert  ailleurs  qu'en  Bretagne,  en  Poitou  par  exemple 
(cf.  Desaivre,  Les  Sorciers  et  les  Devins,  p.  6)  ;  en  Berry  (cf. 
Laisnel,  t.  I,  p.  313);  en  Normandie  (cf.  Amélie  Bosquet, 
p.  290).  Le  Dragon  rouge  y  est  aussi  connu. 

A  Paris  même,  le  tribunal  de  la  Seine  jugea,  en  décembre  1879, 
une  affaire  où  le  Petit  Albert  jouait  un  rôle  important. 

Les  colporteurs  qui  parcourent  les  campagnes  vendent  aux 
paysans  un  livre  intitulé  le  Petit  Albert  (Paris,  Le  Bailly,  s.  d.)  où 
la  sorcellerie  est  très-anodine  ;  il  se  termine  même  par  une  série 
de  conseils  aux  laboureurs,  qui  ne  feraient  pas  mal  d'en  suivre 
quelques-uns.  Ce  n'est  pas  celui-là  qui  est  le  livre  des  sorciers. 
C'est  plutôt  le  Solide  Trésor  au  Petit  Albert,  imprimé  à  Lyon 
en  iji6,  et  réimprimé  depuis.  «  La  vente  de  ce  livre  a  été  dé- 
fendue plusieurs  fois  sous  des  peines  sévères  ;  mais  cela  n'a  servi 
qu'à  en  augmenter  le  prix.  Plusieurs  paysans  ont  vendu  leurs 
bœufs  pour  acquérir  le  Petit  Albert.  »  (J.  M.  Cayla,  Le  Diable, 
p.  222.) 

Le  Petit  Albert  donne  le  pouvoir  d'évoquer  le 
diable,  de  lui  commander  de  l'ouvrage,  de  faire 
venir  les  animaux,  etc.;  mais  c'est  un  livre  fort 
dangereux  pour  ceux  qui  ne  savent  pas  parfai- 
tement la  manière  de  s'en  servir,  car  le  diable 
une  fois  venu,  il  leur  est  difficile,  s'ils  oublient 
certaines  paroles,  de  le  renvoyer,  et  l'on  cite 
nombre  de  gens  auxquels  le  Petit  Albert  a  été 
funeste. 


302      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


La  clmmbrière  du  recteur  de  Gahard  ayant  été, 
pendant  la  grand'messe,  ranger  la  chambre  de 
son  maître,  trouva  sur  la  table  de  nuit  un  livre 
qu'elle  eut  la  curiosité  d'ouvrir.  Ce  qu'elle  lisait 
l'intéressait  fortement;  mais  à  mesure  qu'elle 
lisait,  la  magie  du  Petit  Albert  —  car  c'était  le 
volume  qu'elle  tenait  à  h  main  —  opérait  sur 
elle,  et  elle  finit  par  s'en  aller  en  souffle  de  vent. 

Cependant  le  recteur  se  souvint  pendant  la 
messe  du  livre  dangereux  qui  était  dans  sa 
chambre,  et  il  accourut  au  presbytère;  mais  il  ne 
retrouva  pas  sa  servante,  et  ne  vit  d'autre  vestige 
d'elle  que  sa  coiffe,  qui  était  restée  accrochée  près 
de  la  fenêtre. 

Il  parvint  cependant  à  la  flùre  revenir  en  chair 
et  en  os  :  elle  n'avait  en  apparence  aucun  mal  ; 
mais  elle  ne  survécut  pas  longtemps  à  cette  aven- 
ture, et  jamais  depuis  on  ne  la  vit  sourire.  Quand 
on  voulait  lui  faire  raconter  ce  qu'elle  avait  vu, 
elle  refusait  de  rien  dire  et  répondait  invaria- 
blement par  ces  mots  :  «  Comme  vous  ferez,  vous 
trouverez.  » 

(Conté  par  Angclc  Qucriiian,  d'Andouillé,  1878.) 

M"«  A.  Bosquet  raconte  une  histoire  de  servante  de  recteur  à 

qui  il  arriva  malheur  pour  avoir  mis  le  nez   dans   un   livre   de 

magie  que  possédait  son  maitre  (p.  297). 

M.  Ch.  Louandre,  La  Sorcellerie,  p.  44,  cite  aussi  l'histoire  d"un 

étudiant  étranglé  par  le  diable  pour  avoir  lu  un  livre  ouvert  sur 

la  table  de  son  maitre. 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  305 


Un  soir  un  homme,  étant  un  peu  chaud  de 
boire,  parlait  à  une  fille  qui  ne  voulait  pas 
l'écouter.  Il  se  fâcha  et  voulut  lui  jouer  un  tour. 
Il  prit  le  Petit  Albert,  et  quand  il  en  eut  lu  quel- 
ques pages,  un  homme  vint  qui  tournait  en 
cercle  autour  d'elle  ;  mais  quand  celui  qui  avait  le 
Petit  Albert  voulut  renvoyer  l'homme  qu'il  avait  ap- 
pelé et  dont  il  était  maintenant  efifrayé,  il  ne  put 
retrouver  la  page  où  se  trouvaient  les  paroles  qui 
renvoient  le  démon. 

On  fut  obligé  d'aller  chercher  le  curé,  qui 
brandit  son  goupillon,  en  ordonnant  au  diable  de 
s'en  aller,  et  il  s'en  fut  en  vent,  abattant  sur  sa 
route  les  pommiers  et  les  chênes. 

(Ercé,  1878.) 

Un  homme  de  Gahard,  nommé  P...,  qui 
naguère  encore  était  plein  de  vie,  gardait  un 
malade  en  compagnie  d'un  de  ses  voisins.  Pour 
se  divertir  et  passer  le  temps,  P...  prit  un  livre  et 
se  mit  à  le  lire  attentivement. 

Tout  à  coup,  on  entendit  au  dehors  un  bruit 
pareil  à  celui  d'une  voiture,  et  plusieurs  mes- 
sieurs habillés  de  rouge  entrèrent  dans  la  maison, 
ôtèrent  poliment  leur  chapeau  et  s'approchèrent 
du  lit  où  gisait  le  malade.  L'un  d'eux  lui  pré- 
senta même  sa  tabatière  en  l'invitant  à  y  prendre 
une  prise. 


304     TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

Mais  le  malade,  qui  savait  que  P...  passait 
pour  sorcier,  refusa  le  tabac  et  fit  le  signe  de  la 
croix.  Les  messieurs  rouges  disparurent  aussitôt. 

Le  lendemain,  il  envoya  chercher  le  recteur, 
auquel  il  raconta  tout.  Le  prêtre  dit  que  P... 
avait  dû  lire  le  Petit  Albert,  et  il  finit  par  trouver 
le  livre  de  P...  Il  le  mit  dans  le  fo3'er  pour  le 
brûler;  mais  le  livre  sautait  dans  le  feu  comme 
s'il  avait  voulu  en  sortir.  Le  prêtre  le  repoussait 
dans  les  flammes  avec  sa  canne,  et  il  brûla  long- 
temps sans  se  consumer. 

P...  prétendait  pouvoir,  à  l'aide  de  son  livre, 
rassembler  tous  les  corbeaux  et  toutes  les  cor- 
neilles du  pays.  (E.) 

Gilbert  Cousin  de  Nozereth  raconte  qu'un  jeune  homme  ayant 
reçu  un  papier  magique  couvert  de  figures  horribles,  le  jeta  au 
feu  ;  mais  ce  papier  y  fut  une  demi-heure  sans  pouvoir  être 
consumé  (Bordelon,  Hisl.de  M.  Oujle,  p.  306). 


CHAPITRE    IX 


DIEU    ET    LA    VIERGE 


^  ANS  les  contes  que  j'ai  recueillis,  il  est 
souvent  parlé  des  voyages  du  bon  Dieu 
ou  de  Jésus-Christ  sur  terre;  mais  les 
conteurs  ne  placent  pas  expressément,  ainsi  que 
le  font  ceux  d'autres  contrées,  l'apparition  des 
divins  voyageurs  dans  un  lieu  déterminé  du  pays. 
Il  en  est  tout  autrement  en  Basse-Bretagne,  et 
M.  Luzel  a  pu  y  trouver  toute  une  série  de 
contes  très-intéressants  où  parfois  le  bon  Dieu, 
plus  souvent  Jésus-Christ,  se  promène  en  Bre- 
tagne en  compagnie  de  quelques-uns  de  ses  apô- 
tres. 

Plusieurs  contes  gallots  dont  voici  l'analyse 
font  descendre  sur  terre  les  divinités  du  ciel. 
Dans  le  Mariage  de  Jean  le  Diot,  i^e  série, 
no  XX,  Jean,  un  jour  qu'il  n'avait  pas  accompli  sa 


20 


306      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

tâche,  rencontre  au  bord  d'un  ruisseau  assez  pro- 
fond deux  pèlerins  qui  étaient  arrêtés  sur  le  bord. 
C'était  le  bon  Dieu  qui  se  promenait  avec  saint 
Jean.  —  Veux-tu  nous  prêter  ton  âne  pour  passer 
le  gué  ?  lui  demanda  un  des  pèlerins.  —  Volon- 
tiers, dit  Jean.  Quand  ils  eurent  tous  franchi  le 
ruisseau,  le  bon  Dieu  dit  à  saint  Jean  :  —  Que 
donnerons-nous  à  ce  garçon  pour  le  récompenser 
de  sa  complaisance  ?  —  Un  morceau  de  pain, 
répondit  son  compagnon.  —  Ce  ne  serait  pas  le 
pa3'er  assez  généreusement.  Approche  ici,  mon 
garçon  :  voici  une  petite  baguette  blanche  au 
moyen  de  laquelle  tu  pourras  avoir  tout  ce  que 
tu  désireras;  mais  prends  bien  garde  d'en  faire 
mauvais  usage.  Jean  ôta  respectueusement  son 
bonnet,  et  salua  les  voyageurs  en  les  remerciant 
de  leur  présent.  Le  bon  Dieu  et  saint  Jean  conti- 
nuèrent leur  route  et  disparurent.  Grâce  à  sa 
baguette,  Jean  le  Diot  se  procure  tout  ce  qu'il 
veut  ;  il  finit  par  se  marier  à  la  fille  du  roi,  et 
même  par  avoir  de  l'esprit. 

Une  partie  de  ce  conte  se  retrouve  en  Basse-Bretagne  (cf.  Luzel, 
t.  1  des  Lèg.  chrél.,  le  conte  intitulé  :  Jannig  ou  les  troi s  souhaits) . 

Dans  un  autre  conte,  n"  lui,  le  bon  Dieu, 
saint  Pierre  et  saint  Jean  viennent  se  promener 
sur  terre  pour  voir  par  leurs  propres  yeux  ce  qui 
s'y  passe.  A  la  nuit,  ils  vont  demander  l'hospita- 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE 


lité  à  une  bonne  femme  qui  les  reçoit  de  son 
mieux.  Saint  Pierre  demande  à  son  maître 
d'enrichir  la  fermière;  le  bon  Dieu  réplique 
qu'une  fois  riche  elle  ne  vaudra  plus  rien. 
Toutefois,  il  lui  accorde  de  la  richesse.  L'année 
suivante,  les  trois  voyageurs  repassent  ;  la  bonne 
femme  était  devenue  une  grosse  fermière.  Quand 
les  voyageurs  lui  demandèrent  un  gîte,  elle  leur 
répondit  d'un  ton  sec  : 

—  Vous  êtes  de  grands  coviatix,  vous  autres,  et 
des  paresseux  ;  au  Heu  de  chercher  votre  pain, 
vous  pourriez  bien  gagner  votre  vie  en  travaillant, 
car  vous  êtes  encore  jeunes.  Tout  en  grognant  de 
la  sorte,  elle  leur  donna  pourtant  un  lit,  mais  ne 
leur  offrit  rien  à  manger. 

Le  bon  Dieu  dit  à  saint  Pierre  : 

—  Tu  vois.  Pierrot,  que  j'avais  raison  ;  je 
t'avais  bien  prévenu  que  la  bonne  femme  n'aurait 
plus  rien  valu  quand  elle  serait  devenue  riche. 

Le  lendemain,  les  gens  de  la  ferme  se  levèrent 
de  bonne  heure  pour  battre  le  grain  dans  l'aire, 
et  les  bienheureux  dormaient  encore  longtemps 
après  que  tout  le  monde  se  fut  mis  à  l'ouvrage. 

La  bonne  I-emme  alla  au  lit  oîi  les  trois 
voyageurs  étaient  couchés  et  leur  dit  : 

—  Levez-vous,  vous  autres,  et  venez  nous  aider 
à  battre  ;  il  est  déjà  haute  heure. 

Comme  personne  ne  bougeait,  la  femme  prit 


508      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

un  bâton  et  se  mit  à  frapper  saint  Pierre,  qui  était 
couché  dans  le  devant  du  lit  ;  mais  il  ne  voulut 
pas  se  lever.  La  bonne  femme  s'éloigna  un  peu 
pour  aller  jeter  un  coup  d'œil  à  ceux  qui  tra- 
vaillaient dans  l'aire,  et  elle  marmottait  entre  ses 
dents  :  «  duand  je  reviendrai,  je  saurai  si  celui 
du  mitan  est  aussi  obstiné  que  l'autre.  » 

Le  bon  Dieu,  qui  l'entendait,  dit  à  saint  Pierre  : 

—  Passe  dans  le  mitan,  car  si  la  femme 
revient,  elle  va  encore  te  rouer  de  coups. 

Saint  Pierre  céda  sa  place  au  bon  Dieu,  et  c'est 
lui  que  la  bonne  femme  battit  quand  elle  revint', 
mais  il  ne  bougea  pas  plus  que  la  première  fois, 
et  elle  s'en  alla  quand  elle  fut  lasse  de  frapper. 

Saint  Jean,  qui  était  couché  dans  la  nevelle  du 
lit,  pensait  : 

—  C'est  à  mon  tour  d'être  battu;  il  faut  que 
je  persuade  à  saint  Pierre  de  passer  à  ma  place. 

Saint  Pierre  consentit  à  changer  de  place,  et 
quelque  temps  après  la  bonne  fename,  qui  était 
allée  battre  du  blé  dans  l'aire,  rentra  à  la  maison 
pour  voir  si  le  troisième  voyageur  était  aussi  têtu 
que  les  deux  autres,  et  ce  fut  encore  saint  Pierre 
qu'elle  frappa. 

Ils  finirent  par  se  lever  tous  les  trois,  et  quand 
ils  furent  habillés  et  chaussés,  le  bon  Dieu  dit  à 
la  fcnime  : 

—  Y  a-t-il  moyen  d'allumer  une  pipe  ici  ? 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE 


309 


—  Tâchez,  répondit-elle,  de  trouver  un  tison, 
et  venez  un  peu  nous  aider. 

Après  avoir  allumé  sa  pipe,  le  bon  Dieu  sortit 
dans  l'aire  avec  un  tison,  et  dès  qu'il  eut  soufflé 
dessus,  la  paille  se  trouva  séparée  du  grain. 

La  bonne  femme  crut  qu'elle  allait  pouvoir  en 
faire  autant  : 

—  En  voilà,  dit-elle,  une  malice  qu'il  croit 
m'apprendre  !  Cela  n'est  guère  difficile. 

Elle  monta  dans  son  grenier  et  jeta  dans  l'aire 
toutes  les  gerbes  qui  y  étaient  ramassées,  puis 
elle  prit  un  tison  et  souffla  dessus  en  s'approchant 
de  la  paille,  comme  elle  avait  vu  le  bon  Dieu 
faire;  mais  les  gerbes  prirent  feu  et  furent  brûlées 
en  un  instant. 

Quand  la  bonne  femme  vit  que  sa  récolte  était 
perdue,  elle  s'approcha  des  voyageurs  et  leur 
demanda  s'ils  voulaient  déjeuner,  et  comme  ils  ne 
voulaient  pas  accepter,  elle  insistait  auprès  d'eux, 
leur  offrant  tout  ce  qu'elle  avait  de  meilleur,  car 
elle  pensait  qu'ils  allaient  encore  lui  faire  du  bien 
comme  la  première  fois. 

Et  le  bon  Dieu  disait  à  saint  Pierre  : 
—  Tu  vois  bien  que  cette  femme  vaut  mieux 
pauvre  que  lorsqu'elle  est  riche. 

(Conté  par  Jean-Marie  Hervé,  de  Pluduno,  1879.) 

Une  partie  de  ce  conte  se  retrouve  en  Basse-Bretagne  (cf  La 
vmlU  qui  veut  faire  comme  le  Ion  Dieu,  dans  Lég.  chret.,  t.  I"); 


3IO      TRADITIONS    liT     SUPERSTITIONS 

mais  la  version  bretonne  recueillie  par  M.  Luzel  et  celle  que 
M.  Emault  a  publiée  dans  la  Revue  celtique  sont  plus  altérées 
que  la  mienne. 

Le  bon  Dieu  et  la  Vierge  sont  parrain  et 
marraine  d'un  enfant  dont  les  parents  ne  trou- 
vaient personne  pour  remplir  cet  office.  Quand 
son  filleul  a  sept  ans,  le  bon  Dieu  vient  le  cher- 
cher; mais  l'enfant  lui  désobéit,  et  il  ne  retrouve 
son  parrain  qu'après  toute  une  série  de  mésaven- 
tures. Une  partie  de  ce  conte,  qui  est  encore 
inédit,  se  retrouve  dans  les  Légendes  chrétiennes  de 
Luzel  :  Le  bon  Dieu  et  la  bonne  Vierge  parrain  et 
marraine. 

Un  autre  récit  montre  Jésus-Christ  enfant  aban- 
donné, comme  Moïse,  dans  un  berceau  d'osier, 
et  flottant  sur  la  Vilaine  : 

«  Il  y  a  beaucoup,  beaucoup  d'années,  plusieurs 
femmes   de   la    rivière    de    Rieux    lavaient    à    la 

rivière Voici     qu'une     mauvaise     corbeille, 

qu'entraînait  la  marée  montante,  vint  à  passer 
devant  les  lavandières  ;  elles  l'approchèrent  de  la 
rive  avec  une  longue  branche  d'arbre  et  y  virent 
un  enfant  endormi....  Au  lieu  de  recueillir  le 
pauvret,  qui  venait  de  s'éveiller  tout  pleurant, 
elles  s'empressèrent  de  le  repousser  dans  le  cou- 
rant .... 


DE     LA    HAUTE-BRETAGNE  31I 

«  Le  berceau  continua  à  suivre  la  rivière....  il 
vogua  quelque  temps,  puis,  sur  l'heure  de  midi, 
arriva  à  la  ville  de  Redon,  et  il  se  trouva  que  de 
pauvres  femmes  étaient  aussi  à  laver  sur  le  bord 
de  l'eau. 

«  —  Sainte- Vierge,  dit  l'une  d'elles  en  voyant 
arriver  le  berceau,  voici  un  pauvre  petit  que  le 
froid  va  tuer  sans  doute;  qui  donc  aurait  le  cœur 
de  ne  point  le  recueillir  ? 

«  —  M'est  avis  que  si  chacune  voulait  donner 
un  denier  par  mois  à  celle  qui  l'adoptera,  toutes 
nous  aurions  part  à  l'œuvre. 

«  Ce  qu'elle  proposait  fut  accepté....  L'enfant, 
se  soulevant  de  son  berceau,  leur  dit  : 

«  —  Les  femmes  de  Rieux  m'ont  repoussé  ; 
vous,  vous  me  recueillez  ;  aussi  toujours  d'un  sol 
par  jour  Rieux  diminuera,  pendant  que  Redon 
augmentera  d'autant. 

«  Puis,  ces  mots  dits,  il  disparut,  et  les  femmes 
virent  bien  que  c'était  le  Seigneur  Jésus  qui  les 
avait  visitées. 

«  Depuis  ce  jour  s'est  réalisée  sa  promesse  : 
autant  Redon  s'enrichit,  autant  Rieux  diminue.  » 

(Robert  Kermin,  Le  Conteur  breton,  2"^  année,  p.  215.) 

Cette  légende  a  été  reproduite  d'une  manière  difierente,  quant 
à  la  forme,  par  Fouquet,  Lég.  du  Morbihan,  et  par  Guillotin  de 
Corson,  Légendes  et  récits  historiques. 


312      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

En  Haute-Bretagne,  comme  presque  partout, 
la  Vierge  a,  par  voie  de  substitution,  remplacé 
les  fées  protectrices  des  fontaines  (cf.  le  chapitre 
intitulé  ;  Le  culte  des  pierres,  des  arbres  et  des  fon- 
taines). 

Dans  les  récits  populaires,  elle  prend  aussi 
parfois  la  place  des  fées  ;  mais  la  plupart  du  temps, 
c'est  un  simple  changement  de  nom  :  fée  ou 
Vierge  chrétienne  ont  la  beauté,  la  bienveillance, 
le  pouvoir  de  rendre  service,  la  baguette  ma- 
gique, etc.  Le  langage  mis  dans  la  bouche  des 
fées  est  sensiblement  le  même  que  celui  de  la 
Vierge  ;  et  si  les  paysans  avaient  à  peindre  une 
fée,  ils  la  représenteraient  sans  doute  sous  la 
figure  et  sous  les  vêtements  de  la  Sainte- Vierge  de 
leur  église.  C'est  ce  que  font  d'ailleurs  plusieurs 
récits  populaires. 

Un  jour  un  soldat  s'était  laissé  choir  du  haut 
d'un  rocher,  et  il  était  tombé  dans  une  tranchée 
où  il  resta  évanoui.  Quand  il  reprend  ses  sens,  il 
voit  auprès  de  lui  une  belle  personne  qui  vient  le 
secourir,  et  son  premier  mouvement  est  de  lui 
demander  si  elle  n'est  pas  la  bonne  Vierge.  (La 
Fleur  du  Rocher,  2<^  série,  n°  vi.) 

Plusieurs  fois,  dans  les  contes,  mes  narrateurs, 
pour  décrire  la  beauté  d'une  fée,  disaient  qu'elle 
était  «  belle  comme  une  bonne  Vierge  ». 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  3 1 5. 


La  dame  qui  secourt  la  Fille  aux  bras  coupes, 
!«  série,  no  xv,  n'est  pas  tout  à  fait  la  Vierge, 
mais  elle  y  ressemble  autant  et  plus  qu'à  une  fée. 
Une  version  inédite  de  ce  conte  fait  expressément 
intervenir  la  Vierge,  et  c'est  elle  qui  rend  à  la 
fille  les  bras  qui  lui  avaient  été  coupés.  Dans 
VEnfuni  vendu  au  diable,  i^e  série,  no  xxix,  la 
substitution  est  complète  : 

«  Un  jour  qu'il  était  bien  lassé,  il  vit  venir  la 
Sainte-Vierge  qui  lui  dit  :  —  Tu  parais  bien 
fatigué,  mon  enfant?  —  Hélas!  oui,  madame,  et 
cependant  il  faut  que  je  marche  encore,  afin 
d'éviter  le  diable  à  qui  mes  parents  m'ont  vendu. 
—  Veux-tu  ma  petite  baguette  pour  t'aider  ?  — 
Volontiers,  madame.  —  Tiens,  prends-la,  et  con- 
serve-la bien  :  tant  que  tu  l'auras,  le  démon 
n'aura  aucun  pouvoir  sur  toi,  et  tu  pourras 
commander  à  ta  baguette  de  faire  tout  ce  que  tu 
voudras.  La  Vierge  disparut,  et  l'enfant  continua 
sa  route.  » 

C'est  encore  la  Vierge  qui  a  pris  la  place 
d'une  fée  «  vêtue  d'une  robe  blanche  »,  dans  la 
Petite  Brebiette  blanche,  K^  série,  no  LViii.  Elle 
donne  une  baguette  à  la  petite  fille  persécutée 
par  sa  belle-mère,  et,  quand  la  marâtre  a  tué  la 
brebiette,  elle  lui  donne  un  beau  château. 


314      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

Dans  les  Petits  souJie?-s  rouges,  n°  Lx,  la  bonne 
Vierge  dit  à  la  petite  fille  dont  le  frère  a  été 
tué  de  ramasser  ses  os  et  de  les  lui  apporter. 
Quand  elle  les  a,  elle  les  transforme  en  un 
petit  pigeon  blanc.  Un  autre  conte  portant  le 
même  titre,  et  qui  est  assez  semblable,  figure 
dans  la  Liltèr attire  orale  de  la  Haute-Brclagtie, 
p.  223  :  la  Vierge  avec  les  os  ramassés  «  refait 
le  petit  frère  ».  Dans  une  variante  encore  iné- 
dite, la  Vierge  fait  aussi  avec  les  os  un  petit 
pigeon  blanc.  Il  est  tué  par  la  méchante  mère  ; 
mais  la  Vierge  le  ressuscite.  Des  pierres  tuent  les 
parents,  et  «  la  petite  fille  s'enlève  au  ciel  avec  le 
petit  pigeon  blanc  ».  Une  autre  variante  montre 
encore  la  Vierge  ressuscitant  le  petit  gars;  celui- 
ci  tue  sa  mère  et  son  père,  puis  il  fait  présent  à 
sa  sœur  «  des  écus  que  la  bonne  Vierge  lui  avait 
donnés  pour  le  récompenser  de  ce  qu'il  avait 
souffert  ». 

Dans  un  conte  inédit  de  ma  collection,  un 
homme  pauvre  arrive  jusqu'au  ciel  en  grimpant 
tout  au  long  d'un  Ij'S  rouge  qu'il  a  planté.  Il 
frappe  à  la  porte  du  paradis  ;  c'est  la  sainte 
Vierge  qui  vient  lui  ouvrir  et  qui,  après  lui  avoir 
montré  le  paradis  en  détail,  lui  promet  des 
présents  s'il  peut  descendre  le  long  du  lys  et 
remonter  sans  tomber. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  315 

Voici  un  autre  conte  qui  met  en  scène  la  Vierge 
et  le  diable. 

Les  deux  frères 

Il  était  une  fois  un  homme  et  une  femme  qui 
avaient  deux  enfants.  Comme  ils  n'avaient  pas 
de  pain  à  leur  donner,  ils  les  envoyèrent  de- 
mander la  charité,  en  leur  disant  d'aller  chacun 
d'un  côté  différent. 

L'aîné  rencontra  le  bon  Dieu,  qui  n'était  pas 
des  mieux  vêtus,  et  lui  dit  : 

—  Où  vas-tu,  petit  gars  ? 

—  Est-ce  que  cela  te  regarde,  bonhomme  ?  ré- 
pondit-il. 

Le  petit  garçon  n'eut  point  de  pain,  ni  ce  jour- 
là,  ni  les  suivants. 

Son  frère  avait  rencontré  sur  sa  route  une  belle 
dame,  qui  lui  dit  : 

—  Où  vas-tu  comme  cela,  mon  petit  gars  ? 

—  Chercher  mon  pain,  répondit  l'enfant. 

—  Viens  avec  moi;  je  vais  t'en  donner. 

La  dame  —  qui  était  la  Vierge  —  se  trouvait 
sur  le  chemin  du  petit  garçon  toutes  les  fois  qu'il 
allait  demander  la  charité;  elle  lui  remettait  un 
gros  morceau  de  pain,  puis  elle  disparaissait  sou- 
dain. 

Cependant  le  frère,  qui  ne  trouvait  jamais  rien, 


3l6      TRADITIONS     HT     SUPERSTITIONS 

avait  faim    comme  les  autres,   et    son   père  lui 
disait  : 

—  Petit  propre  à  rien,  tu  demandes  toujours  à 
manger,  et  jamais  tu  ne  rapportes  rien. 

Un  jour  que  le  petit  gars  avait  passé  la  tête 
dans  le  tiroir  au  pain  pour  ramasser  les  miettes, 
son  père  et  son  frère  poussèrent  brusquement  le 
tiroir  sur  l'enfant,  qui  fut  tué. 

Après  cela,  le  petit  garçon  retourna  au  chemin 
où  il  avait  coutume  de  rencontrer  la  belle  dame  ; 
mais  il  ne  revit  point  la  bonne  Vierge,  qui 
n'aimait  point  les  coeurs  ingrats,  et  en  allant  un 
peu  plus  loin  il  rencontra  un  beau  monsieur  qui 
lui  demanda  où  il  allait  : 

—  Chercher  mon  pain,  répondit-  il.  Autrefois 
il  y  avait  une  belle  dame  qui  m'en  donnait;  mais 
je  ne  l'ai  pas  vue  aujourd'hui. 

—  Tiens,  dit  le  monsieur,  voici  du  pain  ;  mais 
ne  raconte  à  personne  que  je  te  l'ai  donné,  ou  au 
bout  d'un  an  et  un  jour  je  viendrai  te  chercher 
pour  venir  avec  moi. 

L'enfant  allait  souvent  à  l'endroit  où  il  avait 
vu  le  monsieur,  qui  toujours  lui  donnait  quelque- 
chose. 

Un  jour  son  père  lui  dit  : 

—  La  dame  est  bien  charitable,  puisqu'elle  ne 
se  lasse  pas  de  te  donner  du  pain. 

—  Ah  !   répondit   l'enfant,   depuis   que    non."; 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  3 17 


avons  coupé  le  cou  à  mon  petit  frère,  elle  ne 
vient  plus.  J'ai  rencontré  un  beau  monsieur  qui 
m'en  donne  autant  qu'elle  ;  mais  il  a  de  drôles 
de  souliers:  ils  ressemblent  au  sabot  de  notre  âne. 
Quand  le  père  entendit  cela,  il  eut  peur  et 
alla  prévenir  le  prêtre,  qui  arriva  avec  son  étole 
et  chassa  le  beau  monsieur,  qui  était  le  diable. 

(Conté  par  Rose  Renaud,  de  Saint-Cast,  1879.) 

Je  n'ai  rien  recueilli  personnellemenc  sur  les 
voyages  de  la  Vierge  en  Bretagne;  mais  il  existe 
au  moins  deux  légendes  où  il  en  est  parlé,  et  ce 
ne  sont  pas  probablement  les  seules. 

«  Le  pas  de  la  Vierge  est  un  étroit  sentier 
pratiqué  dans  la  montagne,  à  peu  de  distance  de 
Cesson,  que  l'herbe  ne  recouvre  jamais  et  par 
lequel  la  mère  de  Notre-Seigneur  gravit  un  jour 
la  côte.  Elle  était  rendue  de  fatigue,  et,  s'arrêtant 
au  lieu  où  on  lui  bâtit  depuis  une  chapelle,  elle 
dit  à  saint  Symphorien  qui  l'accompagnait  : 
«  Nous  avons  bien  assez  monté  ;  cessons.  »  C'est 
de  ce  mot  qu'est  venu  le  nom  de  la  commune.  » 

(Habasque,  t.  II,  p.  313.) 

L'origine  de  ce  nom  de  Cesson  est  expliquée 
d'une  autre  manière,  mais  toujours  par  un  calem- 
bour (cf.,  p.  86  du  présent  volume,  une  légende 
où  ce  mot  est  prononcé  par  une  fée). 


3l8      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

«  A  Josselin,  le  mardi  de  la  Pentecôte  reparais- 
sent chaque  année  plusieurs  familles  d'aboyeuses, 
atteintes  de  convulsions  héréditaires.  La  légende 
explique  la  cause  de  cette  sorte  d'épilepsie,  en 
rapportant  que  d'impitoyables  lavandières,  ayant 
refusé  un  verre  d'eau  à  la  Vierge  du  Roncier 
cachée  sous  les  haillons  d'une  mendiante,  et 
ayant  excité  leurs  chiens  contre  elle,  s'attirèrent 
par  leur  cruauté  une  malédiction  qui,  comme  le 
péché  d'Adam,  a  continué  de  peser  sur  leurs  filles 
de  génération  en  génération.  » 

(Joanne,  Bretagne,  p.  473.) 

Cette  légende  est  très-connue  en  Bretagne  ;  elle  a  été  consi- 
gnée, dans  les  Légendes  du  Morbihan  du  docteur  Fouquet,  sous  une 
forme  un  peu  plus  longue,  mais  non  rigoureusement  populaire,  e 
dans  Violeau,  Pèlerinages  de  Bretagne,  Paris,  Bray,  1859,  in-12, 
j.  274. 

Sur  les  aboycuses  de  Josselin,  on  peut  consulter  Jeannel,  Les 
ahoyeuses  Je  Josselin,  Une  excursion  en  Bretagne  en  mai  i8SS> 
Rennes,  Catel,  in-12.  11  y  a  quelques  détails  intcres.'^ants  sur  la 
sccne  où  les  femmes  atteintes  de  convulsions  se  mettent  à  aboyer. 


CHAPITRE    X 

LES    SAINTS    ET    LES    MOINES 


§1- 


LES   SAINTS 


lA  Basse-Bretagne  a  conservé  le  souvenir  de 
saints  nationaux;  leurs  noms  se  retrouvent 
dans  les  dénominations  des  villages  et 
des  bourgs;  en  maints  endroits  on  montre  leur 
tombeau,  parfois,  mais  plus  rarement,  le  lieu  de 
leur  naissance.  Le  soir,  à  la  veillée,  on  raconte  leur 
légende.  Plusieurs  ont  été  recueillies,  et  sans  doute 
une  exploration  plus  complète  montrerait  combien 
est  resté  vivace  le  souvenir  de  ces  saints  vérita- 
blement nationaux  (i). 

(i)  Cf.  dans  Habasque,  t.  III,  p.  99,  supplément,  en  note,  une 
liste  des  saints  nés  ou  morts  dans  les  Côtes-du-Nord  (partie 
bretonnante). 


320     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

Si,  grâce  à  sa  langue  et  aussi  à  sa  position 
géographique,  le  pays  bretonnant  a  pu  garder 
sans  trop  de  détérioration  sa  légende  dorée 
particulière,  il  n'en  est  pas  de  même  de  la 
Haute  -  Bretagne.  De  bonne  heure  elle  a  été 
francisée,  et  l'œuvre  des  rois  de  France  a  eu 
pour  auxihaires  les  archevêques  de  Tours  et  les 
évêques  gallots  qui,  presque  partout,  ont  subs- 
titué aux  patrons  primitifs  des  paroisses  des 
saints  mieux  vus  en  cour  de  Rome. 

Jusqu'à  nos  jours  il  a  pourtant  subsisté  en 
Haute-Bretagne  des  traditions  relatives  à  des 
saints  indigènes,  ou  qui  du  moins  passent  pour 
tels  aux  yeux  des  paysans.  Dans  une  exploration 
limitée  à  deux  ou  trois  cantons,  j'ai  pu  en 
recueillir  quelques-unes  que  l'on  trouvera  ci- 
après  ;  des  fouilles  plus  persévérantes  eu  feraient 
sans  doute  découvrir  davantage. 

Fouquet,  dans  ses  Légendes  du  Morbihan,  a  aussi  donné  plusieurs 
légendes  de  saints  locaux  populaires,  soit  sur  la  limite  des  deux 
langues,  soit  en  pays  bretonnant. 

Saint  Mauron  était  pâtour  dans  une  ferme,  et 
il  se  faisait  remarquer  par  sa  piété  et  son  zèle  à 
se  rendre  aux  offices. 

Un  dimanche  matin,  il  désirait  assister  à  la 
première  messe;  mais  son  maître  lui  commanda 
d'aller  mener   paître  les  vaches  et  les   moutons 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE 


de  la  ferme  dans  une  lande  qui  n'était  pas  entou- 
rée de  clôtures. 

—  J'irai  bien  tout  de  même  à  la  messe,  pensa 
saint  Mauron. 

Il  se  rendit  au  pâturage  avec  ses  bêtes,  et  quand 
il  y  fut  arrivé,  il  demanda  à  Dieu  qu'un  talus 
s'élevât  partout  où  il  passerait  la  bêche  qu'il  avait 
apportée,  et  qu'il  se  mit  à  traîner  derrière  lui  en 
suivant  le  contour  du  terrain  qui  appartenait  à 
son  maître.  A  mesure  que  son  outil  touchait  la 
terre,  un  talus  bien  fait  et  bien  garni  de  plantes 
épineuses  s'élevait  derrière  lui,  et  en  peu 
d'instants  le  champ,  qui  contenait  douze  jours  de 
terre,  se  trouva  entouré  d'une  haie.  C'est  le  lieu 
qu'on  appelle  encore  aujourd'hui  le  Bras  de  saint 
Mauron,  et  qui  est  situé  dans  la  commune  de  Livré. 

Saint  Zvlauron  arriva  à  la  messe  en  même 
temps  que  les  gens  de  la  ferme,  qui  furent  bien 
surpris  de  le  voir.  Il  leur  dit  que  le  troupeau  était 
en  sûreté,  puisque  l'endroit  où  il  paissait  était 
entouré  de  haies,  et  après  la  messe  son  maître 
alla  par  ses  yeux  s'assurer  de  la  vérité  de  ce  que 
disait  l'enfant. 

Cette  légende  de  saint  Mauron,  que  j'ai  donnée  plus  complète, 
n»  uv  des  Cordes  populaires  de  la  Haute-Bretagne,  i'"'  série,  est 
très-connue  dans  une  partie  du  canton  de  Liffré. 

On  trouve  un  miracle  analogue  dans  Fouquet,  Lcoevdes  du 
Morbihan,  p.  45,  où  la  tradition  l'attribue  à  saint  Jugon. 


322      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

«  Sur  les  landes  de  Bruc,  on  trouve  un  long 
talus  appelé  Fossé  de  saint  Aaron.  Quel  était  ce 
saint  dont  la  légende  (populaire  dans  le  pays) 
raconte  les  premières  années?  Petit  enfant,  dit- 
elle,  il  faisait  paître  ses  brebis  en  ce  lieu,  et 
c'était  pour  les  protéger  contre  le  loup  qu'il  avait 
tracé  merveilleusement  avec  son  bâton  cette 
sorte  d'enceinte  au  milieu  des  bruyères.  » 

(Guillotin  de  Corson,  Récils  hist.,  p.  200.) 

Dans  la  forêt  de  Rennes,  il  y  a  une  fontaine 
auprès  de  laquelle  est  placée,  dans  une  niche,  la 
statuette  d'un  saint  qu'on  appelle  saint  Roux.  Cette 
statuette,  haute  de  30  centimètres  environ,  a  un 
chapeau  à  trois  cornes  à  la  mode  du  siècle 
dernier.  D'après  ce  qui  m'a  été  dit,  elle  est  en 
grès  verni. 

Souvent  les  pâtours  vont  chercher  saint  Roux 
pour  s'amuser,  et  ils  oublient  parfois  de  le 
reporter  dans  sa  niche  ;  ils  l'attachent  même  à 
des  barrières,  mais  le  lendemain  on  le  retrouve 
à  sa  place.  On  avait  voulu  le  porter  à  Liffré  ; 
mais  il  se  déplaisait  dans  l'église,  et  il  revint 
près  de  sa  fontaine. 

Il  y  avait  auprès  un  chêne  vénéré.  L'homme 
qui  l'abattit  a  toujours  tremblé  depuis  ;  il  paraît 
que  «  c'était  un  arbre  qu'on  ne  devait  pas 
abattre  ». 


DE     LA     HAUTE-BRETAGXE  323 

On  va  en  pèlerinage  à  Saint-Roux  pour  les 
fièvres. 

(Conté  par  Zoé  Ledy,  1880.) 

A  Saint-Cast,  on  voit  parfois  sur  la  mer  une 
tache  blanche  qui  est  la  marque  d'un  courant. 
Quand  elle  est  bien  distincte,  c'est  signe  de  beau 
temps.  Les  gens  du  pays  disent  que  sainte 
Blanche  fut  un  jour  emportée  par  les  Anglais  ; 
mais  ils  furent  obligés  de  la  ramener,  et  le  sillage 
du  bateau  qui  rapportait  la  sainte  est  resté  blanc. 

Sainte  Blanche  guérit  du  mal  blanc,  c'est-à-dire 
des  pourritures.  (S.-C.) 

«  En  Frégéac  est  la  petite  chapelle  de  Saint- 
Jacques.  Quelquefois,  lorsque  le  vent  soufHe  vers 
l'amont  de  la  rivière  de  Vilaine,  il  pousse  devant 
lui  un  rouleau  d'écume  que  les  habitants  de  ce 
pays  appellent  le  chemin  de  saint  Jacques.  Le  saint, 
disent-ils,  remontant  la  Vilaine  en  marchant  sur 
les  eaux,  voulut  s'arrêter  à  Rieux;  mais  les 
huguenots  le  refusèrent  :  «  Ingrate  ville,  s'écria-t- 
il,  tu  seras  détruite.  »  Et  continuant  son  chemin, 
il  alla  fonder  la  ville  de  Redon.  Ce  fut  pour 
apaiser  le  saint  qu'on  lui  éleva  la  petite  chapelle 
qui  est  sous  son  invocation.   » 

(Ogée,  art.  Frégéac.') 


324      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

Quand  Saint-Germain  cessa  d'être  paroisse,  on 
voulut  apporter  à  Matignon  la  statue  du  saint,  et 
on  la  chargea  sur  une  charrette  ;  mais  quand  on 
arriva  au  Pont-au-Prouvoire,  le  saint  s'échappa 
de  la  charrette  et  s'en  alla  à  travers  champs 
jusqu'à  sa  chapelle.  Dans  les  champs  où  il  a  passé, 
les  récoltes  sont  plus  belles  que  dans  les  autres. 
(M.) 

A  la  Bouëxière,  canton  de  Liffré,  on  raconte 
qu'un  laboureur  avait  pris,  pour  équilibrer  sa 
charrue,  la  statue  en  bois  d'un  saint  nommé 
saint  Père  ou  saint  Pern,  très-véncré  dans  le 
pays. 

Comme  sa  charrue  ne  marchait  pas  à  son  gré, 
il  se  mit  en  colère  et  brisa  la  statue.  Depuis  ce 
temps,  le  champ  ne  produit  plus  de  récolte. 

Plusieurs  fois  on  a  volé  la  statue  de  saint  Père 
qui,  comme  saint  Mirli,  saint  Mathurin  et 
plusieurs  autres,  revient  de  lui-même,  des  le  len- 
demain, à  son  ancienne  place.  (E.) 

On  donne  le  nom  de  saint  Mirli  à  une  statuette  qu'on  voit  sur 
la  routo  de  Matignon  à  Hénaubihen.  La  tète,  formée  d'un  autre 
bloc  que  le  reste  du  corps,  est  posée  sur  un  pivot.  Si  on  peut 
faire  tourner  cette  tète  en  observant  certaines  pratiques,  on  se 
marie  ilans  l'anuée.  Saint  Mathurin  de  Moncontour,  «  qui  eût 
été  le  bon  Dieu  s'il  n'avait  craint  les  embarras  de  la  place  »,  a 
été  plusieurs  fois  enlevé. 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  325 

La  pierre  d'autel  de  Saint-Suliac  passe  pour 
revenir  toujours  à  sa  place  primitive. 

(M™=  de  Cerny,  p.  8.) 

Uue  ancienne  tradition  rapporte  que  les  Mor- 
bihannais  tentèrent  une  fois  d'enlever  la  statue  de 
saint  Julien  de  Vouvantes;  mais  ils  échouèrent 
parce  que,  arrivés  au  bois  de  la  Bâtardière,  la  statue 
devint  si  prodigieusement  lourde,  qu'il  leur  fut 
impossible  de  la  porter  plus  loin. 

(Goudé,   Châteaiihriani,  p.   137.) 

On  a  déjà  vu,  dans  une  légende  précédente, 
un  saint  se  venger  des  outrages  qui  lui  ont  été 
faits.  Ce  fait  n'est  pas  isolé  :  saint  Quay  ayant 
été  battu  avec  des  genêts  par  les  habitants  de  la 
côte  où  il  débarqua,  maudit  les  genêts,  qui  depuis 
ne  repoussent  plus. 

A  Matignon  on  raconte  qu'un  homme  ayant, 
par  plaisanterie,  offert  à  un  des  petits  saints  de 
Plurien  une  pipe  de  tabac,  fut  puni  sur  le  champ, 
et  son  bras  demeura  paralysé. 

Ogée,  en  parlant  du  calvaire  du  Saint-Esprit, 
près  Dinan,  dit  «  qu'on  rapporte  qu'un  des 
hommes  qui  descendaient  les  statues  fut  tué  par 
l'une  d'elles,  et  que  c'est  cela  qui  préserva  le 
calvaire  d'une  destruction  complète.   » 

Cf.  sur  une  légende  analogue  en  pays  bretonnant,  Dulaurens 


326      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


Je  la  Barre,  Coai  an  Roc'h.  Les  saints  bretons  sont  encore  plus 
portés  à  la  vengeance  que  ceux  du  pays  gallot,  ainsi  qu'on  peut 
s'en  convaincre  en  lisant  les  légendaires. 

Les  saints,  quand  ils  rencontrent  le  diable,  se 
font  un  plaisir  de  le  tromper  et  y  réussissent 
souvent. 


S.A.INT    MICHEL   ET    LE    DIABLE 

Quoique  saint  Michel  eût,  plus  qu'aucun  des 
autres  anges,  contribué  à  chasser  Satan  du 
paradis,  les  deux  adversaires  se  causaient  pour- 
tant volontiers  quand  ils  se  rencontraient,  et 
parfois  ils  faisaient  des  gageures. 

Un  jour  que  tous  les  deux  voyageaient  sur 
terre,  ils  se  trouvèrent  ensemble  sur  les  bords  du 
Couesnon,  et  saint  Michel  défia  le  diable  de  faire 
un  édifice  plus  beau  que  celui  que  lui-même 
construirait.  Le  pari  fut  accepté,  et  ils  s'en 
allèrent  chacun  de  son  côté. 

Saint  Michel  édifia  un  palais  tout  en  glaces,  — 
on  était  alors  en  hiver,  —  qui  était  d'une  trans- 
parence surprenante.  Le  diable,  avec  l'aide  d'une 
légion  de  démons,  bâtit  sur  un  rocher,  au  milieu 
de  la  mer,  la  superbe  abbaye  qui  s'est  depuis 
appelée  le  Mont,  et  qui  est  une  des  plus  belles 
constructions  que  l'on  puisse  voir. 

Tout  cela   fut  achevé  en  peu  de  temps,  et  le 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  327 


lendemain,  les  deux  parieurs  ayant  terminé  leur 
ouvrage,  se  rencontrèrent  de  nouveau. 

—  Viens,  dit  saint  Michel,  visiter  mon  château 
de  glace. 

Le  diable  y  consentit,  entra  dans  l'édifice  dont 
il  loua  la  beauté,  la  transparence  et  les  pro- 
portions, mais  déclara  que  celui  qu'il  avait  bâti 
était  plus  grand  et  plus  solide  que  la  fragile  et 
brillante  construction  qu'un  rayon  de  soleil  suffi- 
rait pour  détruire. 

—  Au  reste,  dit-il,  tu  pourras  juger  par  toi- 
même  si  j'ai  raison  ;  mais  auparavant,  jure-moi 
que  tu  ne  feras  le  signe  de  la  croix  ni  sur  ta  per- 
sonne, ni  sur  les  murs,  pour  me  chasser  de  ma 
maison. 

Saint  Michel  le  promit,  et  tous  les  deux  arri- 
vèrent au  Mont,  dont  le  saint  admira  la  grandeur, 
les  belles  proportions  et  l'air  de  solidité. 

—  Je  conviens,  dit-il,  que  ta  construction  est 
superbe,  et  qu'elle  surpasse  de  beaucoup  la 
mienne  ;  mais,  pour  qu'elle  soit  tout  à  fait  par- 
faite, il  y  manque  quelques  pierres  :  l'une  en 
haut  de  cette  colonne,  l'autre  au  bas,  la  troisième 
à  une  fenêtre  à  gauche,  et  la  quatrième  à  une 
fenêtre  à  droite. 

En  désignant  ces  quatre  pierres,  la  main  du 
saint  avait  dessiné  dans  l'air  une  croix,  et  le 
diable  fut  obligé  d'abandonner  la  possession  de 


328      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

sa  belle  maison  qui,  sous  le  nom  du  Mont-Saint- 
Michel,  devint  une  puissante  abbaye. 

Le  démon  garda  rancune  à  l'archange,  qui 
l'avait  trompé  par  ruse,  et  quelque  temps  après 
il  lui  proposa  de  cultiver  un  champ  de  moitié. 

On  y  sema  du  froment,  et  quand  il  fut  mùr  et 
qu'il  s'agit  de  partager,  saint  Michel  choisit  ce 
qui  s'élevait  au-dessus  de  la  terre  et  ramassa  une 
récolte  de  bon  grain,  tandis  que  le  diable  n'eut 
que  des  racines  inutiles. 

L'année  suivante,  le  champ  fut  planté  de  navets, 
et  quand  le  moment  de  récolter  fut  venu,  le 
diable  dit  : 

—  C'est  à  moi  de  choisir  le  premier  cette  fois  : 
je  prends  ce  qui  est  au-dessus  de  la  terre. 

Il  n'eut  que  des  feuilles  à  peine  bonnes  à 
donner  aux  vaches,  et  on  se  moqua  de  lui  quand 
il  les  porta  au  marché  pour  les  vendre  ;  le  saint, 
au  contraire,  eut  pour  sa  part  d'excellents  navets, 
bons  à  faire  la  soupe,  bons  à  faire  cuire  avec  les 
canards. 

Le  diable,  furieux  de  cette  nouvelle  défaite,  le 
provoqua  à  un  combat  singulier  qui  devait  avoir 
lieu  dans  un  vaste  four,  afin  qu'aucun  des  adver- 
saires ne  pût  s'échapper. 

Il  alla  couper  un  jeune  chêne  long  et  flexible, 
qu'il  dépouilla  de  ses  branches,  et  dont  il  fît  un 
bâton   solide,   de  la  longueur  d'une    lance,   et, 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE  329 


ainsi  armé,  il  entra  dans  le  four  qui  devait  servir  de 
champ-dos.  Saint  Michel  n'avait  pour  toute  arme 
qu'un  court  bâton  d'épine  ;  mais  il  le  manoeu- 
vrait avec  tant  de  dextérité,  que  les  coups 
pleuvaient  dru  comme  grêle  sur  les  épaules  du 
diable,  qui,  embarrassé  par  la  longueur  de  son 
arme,  ne  pouvait  se  défendre  et  fut  obligé  de 
demander  merci. 

(Conté  par  Jean  Boucherj-,  de  Dourdain,  1S7S.) 

L'épisode   de  la   récolte  faite   de  moitié  est  bien   connue  et 
commune  à  beaucoup  de  pays. 

En  Normandie,  on  raconte  cette  légende  «  purement  populaire  » 
a  une  manière  un  peu  différente  : 

«  Alors  que  la  forêt  de  Sciscy  était  peuplée  d'ascètes,  Satan 
déguise  en  solitaire,  s'y  rendit  pour  surprendre  leurs  âmes.  Mail 
1  archange  du  mont  Tombe  accourt....  II  se  trouve  face  à  face 
avec  Satan...  qui  convient  avec  lui  que  toutes  ces  âmes  seront 
a  celu,  qui  bâtira  le  plus  bel  édifice  en  l'espace  d'une  nuit.  Satan 
deve  le  monastère  que  l'on  voit  aujourd'hui  encore,  et  saint 
Michel  ba..t  sur  Tombelaine  un  palais  de  cristal.  Le  démon  se 
reconnaît  vaincu....  mais  l'archange  lui  propose  d'échanger  leurs 
palais.  Satan  accepte,  mais  c'est  pour  assister  à  l'affaissement 
progressif  sous  les  rayons  du  soleil  de  ce  palais  de  glace.  .,  (Le 
Hericher,  It,«craire  du  voyageur  dam  le  Mont-Saint-Michel  p  . 
et  5.)  '   i'-   '^ 

Cette  légende  est  aussi  connue  en  Berry,  et  elle  est  rapportée 
tout  au  long  dans  Laisnel  de  la  Salle,  t.  I,  p.  :.8  et  suiv.,  sous 
le  titre  du  DMIe  r,uu,ner.  Le  diable  avait  construit  un  moulin 
auquel  tout  le  monde  allait.  Saint  Martin,  qui  passait  par  U  en 
construisit  un  tout  en  glace  (on  était  en  hiver),  qui  fut  bientôt 
plus  achalandé  que  celui  du  diable;  le  diable  lui  proposa 
1  échange.   Samt  Martin  accepta  ;  mais  le  moulin  fondit  dès  qu'il 


350     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

fit  du  soleil.  Alors  Georgeon  voulut  cultiver  un  champ  de 
moitié  avec  le  saint  ;  il  fut,  comme  le  diable  de  Papefiguière,  qui 
se  retrouve  partout,  dupé  par  deux  fois,  et  furieux,  il  proposa  à 
saint  Martin  de  se  battre  dans  le  moulin.  Ayant  choisi  le  plus 
long  bâton,  il  ne  pouvait  le  manœuvrer,  et  il  fut  contraint  de 
demander  gr.îce  au  saint. 

Dans  mes  Contes  populaires  delà  Haute-Bretagne, 
ire  série,  se  trouvent  la  légende  de  saint  Mauron, 
que  j'ai  ici  reproduite  en  partie,  et  qui  ressemble 
en  plusieurs  points  aux  récits  ordinaires  des 
légendaires,  et  celle  de  saint  Lénard,  qui  est  plus 
curieuse,  parce  qu'elle  montre  le  peuple  cano- 
nisant de  sa  propre  autorité,  et  malgré  l'Eglise, 
un  saint  local.  Il  est  possible  qu'après  avoir 
résisté  longtemps  on  finisse  par  béatifier  Lénard. 
Ce  n'est  pas  en  politiLiuc  seulement  que  la  queue 
fait  parfois  marcher  la  tête. 

Un  autre  exemple  de  canonisation  populaire 
existe,  à  ma  connaissance,  dans  l'Ille-et-Vilaine. 
Dans  l'ancien  cimetière  d'Ercé  près  Liffré,  qui 
entourait  l'église,  est  un  petit  tombeau  surmonté 
d'une  statuette  en  faïence  de  la  Vierge.  C'est  là 
que  gît  la  sainte  de  Chasnê,  au  tombeau  de  la- 
quelle on  fait  des  neu vaines.  Personne  ne  sait 
son  vrai  nom,  m'a-t-on  dit.  On  m'a  assuré  que 
sa  réputation  de  sainteté  venait  de  ce  que,  en  dé- 
truisant le  cimetière  ancien,  on  avait  trouvé  un 
cadavre  entier.  On  se  rappela  que  là  avait  été  en- 


DE    LA    HAUTE-BRETAGNE 


terrée  une  femme  qui  avait  supporté  avec  une 
résignation  tout  à  fait  exemplaire  les  mauvais 
traitements  de  son  mari,  et  on  conclut  que, 
puisque  son  corps  n'avait  pas  été  soumis  à  la 
pourriture,  elle  était  sainte.  C'est  d'ailleurs  une 
croyance  qui  n'est  pas  particulière  à  la  Haute- 
Bretagne. 

(Conté  par  plusieurs  personnes  d'Ercé,  entre  autres  par  Zoé 
Ledy,  qui  a  entendu  raconter  tout  cela  au  père  Jean  Thé,  lequel 
était  fossoj'eur  lorsque  fut  retrouvée  la  sainte  de  Chasné.) 

A  Elven,  il  y  avait  jadis  une  sainte  qui  avait  été  béatifiée  par 
le  peuple  dans  des  circonstances  tout  à  fait  semblables. 

«  J'avais  remarqué  dans  le  reliquaire  du  bourg  d'Elven  le 
cercueil  qui  contient  le  squelette  de  la  petite  Sainte,  vieille  men- 
diante dont  le  cadavre  fut  retrouvé  en  parfait  état  de  dessiccation 
après  cinquante  ou  soixante  ans.  Le  peuple  en  a  fait  une  bienheu- 
reuse, et  sa  châsse  est  constamment  entourée  de  gens  qui  implo- 
rent sa  médiation,  de  coiffes  et  d'offrandes  de  tout  genre.  » 
(Habasque,  t.  II,  p.  295.) 

Dans  la  paroisse  de  Landéda,  on  trouv.x,  en  creusant  une 
vieille  tombe,  le  corps  d'une  femme  parfaitement  séché  et  momifié. 
Ce  fait  parut  miraculeux  aux  bons  paysans  ;  on  mit  un  tablier  à 
la  sainte,  et  on  la  plaça  debout  dans  un  reliquaire,  où  elle  est 
encore  aujourd'hui,  bien  sèche  et  bien  honorée.  (Guionvac'h, 
p.  366.) 

Sur  la  lisière  de  la  Bretagne  et  de  l'Anjou,  le 
peuple  a  aussi  créé,  de  sa  propre  autorité,  plu- 
sieurs bienheureux. 

«  A  Pouancé,  il  y  a  un  pèlerinage  à  la  Tombe. 


332      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

de  l'émigré.  On  ne  sait  quel  était  ce  person- 
nage, qui  vécut  et  mourut  là  d'une  manière  si 
édifiante  que  le  peuple  lui  décerna  l'auréole  de 
la  sainteté.  La  dévotion  populaire  en  a  fait  un 
lieu  de  pèlerinage  que  l'autorité  ecclésiastique  n'a 
jamais  approuvé.  Ce  tombeau  est  couvert  d'e.v- 
voto.... 

«  Dans  la  forêt  de  Teillay  est  la  Tombe  à  la 
fille,  où  certains  habitants  du  quartier  vont  prier. 
On  raconte  que  cette  fille  ayant  vu  une  troupe 
de  royalistes  qui  se  cachaient  dans  la  forêt,  alla 
les  dénoncer  à  la  garde  nationale  de  Bain.  Les 
roy.ilistes  furent  surpris  et  presque  tous  tués; 
mais  à  leur  tour  les  chouans  surprirent  la  fille,  et 
après  l'avoir  fusillée  l'enterrèrent  au  lieu  oîi  se 
voit  encore  sa  tombe.  Par  dérision,  les  ennemis 
de  la  République  l'appellent  sainte  Pataude.... 
(Pataud  est  la  forme  patoise  ironique  de  patriote.) 

«  Une  tête  de  mort  trouvée  aux  environs  de 
Châteaubriant  est  devenue  un  objet  de  supersti- 
tion pour  les  paysans  des  environs.  » 

(Goudé,  Châteaubriant,  p.  333,   352,  386.) 

D'Amezeuil,  Légendes  bretonnes,  p.  85,  raconte  que  près  de 
Peaule,  on  montre  la  croix  de  saint  Carapibo.  Carapibo  ét.iit  un 
recteur  de  Peaule  qui,  en  1793,  fut  tué  d'un  coup  de  fusil  par  les 
bleus.  Le  peuple  l'a  canonisé. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  335 

En  beaucoup  de  pays  de  France,  des  divinités 
païennes  ont  été  transformées  en  saints,  et  assez 
souvent  le  nom  lui-même  s'est  conservé  :  Minerve 
est  devenue  sainte  Minerve,  vierge  et  martyre, 
dans  un  pays  appelé  le  Minervois  (Aude,  cf. 
Babou,  Les  païens  innocents').  M.  L.  Martinet  a 
retrouvé  en  Berry  une  douzaine  de  saints  mira- 
culeux qui  ne  sont  autre  chose  que  des  divinités 
phalliques  christianisées  ou  des  dieux  devenus 
saints. 

En  Haute-Bretagne,  je  ne  connais  pas  d'aussi 
nombreux  exemples  de  divinités  païennes  christia- 
nisées. Le  fait  le  mieux  caractérisé  de  substitution 
est  rapporté  par  l'abbé  Guillotin  de  Corson  (Mèin. 
de  la  Soc.  arch.  d'Iîle-et-Vilaine,  t.  XII). 

«  La  chapelle  dédiée  jadis  à  saint  Vénier, 
maintenant  à  sainte  Agathe,  et  située  dans  le 
bourg  même  de  Langon,  est,  de  l'aveu  de  tous 
les  archéologues,  un  édifice  gallo-romain...  L'ab- 
sidiole,  profonde  de  deux  mètres,  présente  sur  sa 
voûte  intérieure  une  très-curieuse  fresque  figurant 
Vénus  sortant  des  eaux,  accompagnée  de  l'Amour 
monté  sur  un  dauphin...  Lorsque  le  christianisme 
s'établit  dans  nos  pays,  au  VI^  siècle,  on  résolut 

d'utiliser  cet  édifice  en  en  faisant  une  chapelle 

La  voûte  reçut   une   décoration  appropriée   à  la 
destination    nouvelle  de  l'édifice.   Puis,   par  un 


334      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

compromis  dont  on  a  d'autres  exemples,  le  culte 
de  saint  Vcnier  parut  propre  à  faire  oublier 
Vénus,  dont  la  représentation  demeurait  dans  le 
souvenir  des  habitants  de  Langon;  aussi,  en  838, 
cette  chapelle  s'appelait  ecclesia  aancti  Veneris  (D. 
Morice,  p.  I,  272);  au  XVI^  siècle,  elle  portait 
encore  cette  dénomination,  et  non  loin  d'elle  se 
trouvait  la  fontaine  de  saint  Vénicr.  »  (P.  6,  7 
et  81.) 

J'ai  déjà  parlé,  p.  17  et  suivantes  du  présent 
volume,  des  saints  que  la  tradition  populaire 
associe  aux  monuments  préhistoriques.  De  même 
que  le  diable  (cf.  p.  20  et  suivantes),  quelques 
saints  ont  laissé  çà  et  là,  généralement  sur  des 
blocs  naturels,  des  empreintes  que  l'on  montre 
encore. 

Au  milieu  du  sentier  qui  conduit  de  la  grève  à 
risle-de-Saint-Cast,  on  voit,  creusée  assez  profon- 
dément dans  la  pierre,  l'image  d'un  grand  soulier  ; 
c'est,  dit-on,  le  pied  de  saint  Cast;  mais  je  n'ai 
pu  recueillir  aucune  légende  sur  cette  trace  du 
saint.  Saint  Cast  est  le  même  que  Cado  (Catwod), 
dont  la  trace  se  retrouve  en  plusieurs  endroits  de 
la  Basse-Bretagne. 

Cf.  Joannc,  p.  538,  glissnde  Je  Saiin-CiJo,  prùs  de  Belz. 

Près  de  Dinan,   on    montre    l'empreinte    que 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  335 

laissa  saint  Vallay.  Un  jour  qu'il  était  poursuivi 
par  des  voleurs,  il  se  voyait  sur  le  point  d'être 
atteint,  lorsqu'il  se  recommanda  à  Dieu  et 
s'élança  pour  franchir  la  vallée.  Des  anges  le 
soutinrent,  et  il  se  trouva  debout,  sans  avoir 
éprouvé  aucun  mal,  à  l'endroit  oii  son  pied  est 
encore  marqué. 

(Recueilli  par  M"^  Elodie  Bernard.) 

Saint  Michel  et  le  diable,  se  disputant  l'hon- 
neur de  nommer  le  mont  devenu  célèbre  sous  le 
nom  de  Saint-Michel,  convinrent  de  faire  l'essai 
de  leur  puissance.  Il  s'agissait  de  franchir  d'un 
bond  l'espace  qui  sépare  le  Mont-Dol  du  Mont- 
Saint-Michel.  Le  diable  tomba  dans  la  mer,  et 
l'archange,  soutenu  par  ses  ailes,  alla  se  placer 
sans  effort  sur  le  sommet  du  mont  qui,  depuis  ce 
moment,  lui  fut  consacré. 

On  montre,  au  Mont-Dol,  le  lieu  d'où  les 
deux  rivaux  s'élancèrent.  L'empreinte  du  pied  de 
l'archange  est  parfaitement  visible  sur  un  bloc 
de  rocher  qui  surplombe  l'abîme.  Tout  à  côté, 
sous  les  broussailles,  on  distingue  la  marque  de 
la  griffe  ou  plutôt  du  pied  fourchu  de  Satan. 

(Communiqué  par  M.  Lucien  Decombe.) 

Cf.  sur  les  empreintes  de  saints,  Aymard,  Noies  sur  les  roches  à 
iassins  de  la  Haute-Lohe,  dans  les  Avvales  de  la  Société  du  Puy 
('859),  i8éi,  p.  341  et  suiv.  ;  L.  Duval,  Esquisses  marchoises 
(passim). 


336      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

A  Lancieux,  d'après  Jollivet,  t.  TI,  on  appelle 
berceau  de  saint  Cieux  le  rocher  sur  lequel  le 
saint  descendit. 

Des  pèlerinages  ont  lieu  à  Saint-Viaud  (Loire- 
Inférieure)  à  la  Pierre-Canon  ou  qu'a  notn,  où 
saint  Viaud  a  laissé  l'empreinte  de  ses  pieds,  de 
sa  tête  et  de  son  bâton. 

(Ogée,  art.  Saint- Fia  tul.) 

Je  parlerai  ailleurs,  dans  d^'ux  ouvrages  que  je 
prépare  sur  Les  coutumes  et  les  fêtes,  et  sur  La 
médecine  populaire,  du  culte  que  l'on  rend  aux 
saints  et  des  guérisons  qu'on  va  leur  demander. 


'^M 


n.   —    LES   MOINI 


|ES  légendes    que   j'ai   recueillies    sur   les 
moines   les    représentent   comme    gour- 
mands et  licencieux.  Un  proverbe  breton 
rapporté  par  Habasque,  t.  I,  p.  245,  montre  que 
ceux  de  Beauport  avaient  la  même  réputation. 

N'eus  manac'h  er  Minic'hi 
N'en  deufé  grèg  è  Kérity. 

Presque  tous  les  moines  légendaires  sont  des 
moines  ronges. 

«  A  La  Baussaine,  canton  de  Bécherel,  les 
habitants  prétendent  que  l'église  a  appartenu  aux 
Templiers,  mais  que  ces  chevaliers-moines  ont 
tous  été  exterminés  en  une  nuit.  »  ' 

(B.  Robidou,  p.  214.) 

Dans  le  Morbihan  (cf.  Rosenvveig,  Repcrt.  archéologique,  passim) 
un  grand  nombre  d'édifices  passent  pour  avoir  été  construits  par- 
les Templiers.  Il  en  est  de  même  dans  le  reste  de  la  Bretagne. 

Vers  le  Mené,  on  m'a  conté  que  pour  châtier 
les  moines,  qui  s'occupaient  de  choses  étrangères 

ï  22 


338      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

à  leur  état,  et  même  de  magie,  Dieu  leur  avait 
envoyé  la  Révolution,  qui  les  châtia  justement,. 
disait  mon  conteur. 

La  légende  qui  suit  les  représente  en  effet 
comme  s'occupant  de  sorcellerie. 

LES    MOINES    DE    BOSQUEN 

Les  moines  de  Bosquen  avaient  tous  les  privi- 
lèges et  passaient  pour  être  sorciers.  Une  nuit  ils 
se  demandaient  entre  eux  :  «  Qu'allons-nous 
faire  aujourd'hui  ?  —  Il  faut,  dit  l'un  des 
moines,  faire  mourir  toutes  les  avoines.  —  Oui, 
répondirent  les  autres,  tu  as  raison.  »  Ils  avaient 
des  bouteilUes  exprès.  Ils  envoyèrent  un  jeune 
garçon  qui  était  leur  domestique  jeter  la  bouteille 
par  la  fenêtre.  Cette  bouteille  avait  la  vertu  de 
faire  mourir  tout  le  monde,  les  animaux,  les 
gens  et  les  plantes,  quand  on  disait  :  «  Berluke». 
L'enfant  alla  à  la  fenêtre  et  dit  :  «  Berluke  !  que 
les  avoines  meurent  cette  nuit  ;  »  mais  il  ne  jeta 
pas  toute  la  bouteillée.  L'un  des  moines  lui 
dit  :  «  Pourquoi  ne  l'as-tu  pas  toute  jetée  ?  — 
Ah  !  répondit-il,  si  elles  ne  meurent  pas  toutes, 
on  pourra  recommencer.  —  C'est  vrai,  dit  le 
moine  ;  »  mais  le  jeune  garçon  pensait  autrement. 
La    nuit,  quand  tout   fut   à   repos,  il  se  leva  et 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  339 

prit  le  reste  de  la  bouteillée,  puis  il  dit  :  «  Ber- 
luke  !  que  tous  les  moines  meurent  !  »  Aussitôt 
tous  les  moines  moururent,  et  depuis  ils  n'ont 
jamais  existé. 

Il' y  avait  à  Bosquen  un  prieur  qui  était  tout 
sorcier  :  il  prédisait  l'avenir,  et  il  montait 
bien  sur  la  tour  de  l'église  sans  échelle.  Un  jour 
qu'il  y  était  encore  grimpé,  il  se  mit  à  songer  et 
à  penser,  puis  il  dit  :  «  Dans  quelque  temps, 
nous  serons  persécutés,  et  la  forme  du  gouverne- 
ment changera.  »  L'un  des  moines  l'ayant 
entendu,  lui  demanda  :  «  Ce  temps  durera-t-il 
longtemps  ?  —  De  dix  à  douze  ans,  »  reprit-il. 

Un  jour  ce  même  prieur  était  à  se  promener 
dans  le  jardin.  L'un  des  moines  dit  à  un  de  ses 
camarades  :  «  Tu  vois  bien  le  gros  prieur  qui  se 
promène  ?  Je  parie  que  dans  huit  jours  il  sera 
mort.  »  Cela  arriva  en  effet,  ainsi  qu'il  l'avait 
prédit. 

(Conté  en  1S81  parj.  M.  Comault,  du  Gouray.) 
En  d'autres  pays  (cf.  Morin,  Le  Prêtre  et  le  Sorcier),  les  prêtres 
passent  pour  sorciers.  Je  l'ai  rarement  entendu  dire  de  ceux  de 
la  Haute-Bretagne  ;  mais  on  a  pu  voir  au  chapitre  du  diable  que 
souvent  ils  interviennent  comme  exorcistes. 

Les  moines  de  Bosquen  avaient  aussi  la  réputa- 
tion d'être  impies. 


340      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

Un  jour  qu'ils  étaient  à  danser,  il  passa  un 
prêtre  qui  portait  le  saint-sacrement.  Au  lieu  de 
s'agenouiller,  comme  tout  le  monde,  les  moines 
continuèrent  leur  danse  ;  mais  la  terre  s'entr'ouvrit 
et  les  engloutit.  (P.) 

Voici  encore  ce  qui  m'a  été  conté  à  leur  sujet  : 

Autrefois  chaque  moine  de  Bosquen  avait  pour 
pénitence  d'embrasser  tous  les  jeudis  le  dessous 
des  pieds  de  six  enfants.  Et  pour  que  les  enfants 
fussent  disposés  à  venir  ce  jour-là,  ils  leur 
donnaient  à  chacun  une  livre  de  pain. 

Depuis  que  les  moines  ne  sont  plus  à  Bosquen, 
les  fermiers  qui  leur  ont  succédé  n'ont  jamais  fait 
de  bonnes  affaires  :  il  arrive  toujours  des  accidents 
:\  leurs  che\'aux,  car  les  écuries  ont  été  maudites 
par  les  moines.  (P.) 

A  Plévenon,  des  moines  de  mauvaise  vie 
erraient,  dit-on,  après  leur  mort,  prèsjdu  tumulus 
de  Château-Serin,  en  «  expiation  des  péchés 
commis  pendant  leur  vie  ». 

Qiielquefois  même  on  les  a  accusés  de  crimes. 

Il  y  avait  *une  fois  un  homme  âgé  qui  gardait 
les  oies  auprès  d'un  couvent  de  moines.  Un  jour 
qu'il  s'était  mis  à  l'abri  dans  le  creux  d'un  fossé, 
il  entendit  des  lamentations,  et  ayant  regardé,  il 


DE     LA    HAUTE-BRETAGNE  341 

vit   un   moine    qui   tenait  une   fille,     et    celle-ci 
criait  : 

—  Ah  !  je  vous  en  prie,  ne  m'enterrez  pas 
toute  vivante  ! 

Le  bonhomme  alla  bien  vite  chercher  la  justice, 
qui  arriva  au  couvent  et  demanda  aux  moines  ce 
qu'ils    avaient    caché  dans    un    champ  : 

—  Un  cochon,  messieurs,  qui  était  crevé. 

—  Il  criait  bien  haut,  ce  cochon-là,  dit  le  juge  ; 
venez  nous  le  montrer. 

Les  moines  ne  voulaient  point  aller  ;  mais  les 
gens  de  justice  les  forcèrent  à  les  accompagner 
dans  un  champ  où  il  y  avait  de  la  terre  fraîche- 
ment remuée.  Ils  creusaient,  mais  peu  profondé- 
ment, et  les  moines  disaient  : 

—  Vous  voyez  bien,  messieurs,  qu'il  n'y  a 
rien. 

Un  des  gendarmes  prit  la  bêche  et  eut  bientôt 
trouvé  la  fille  ;  mais  elle  était  morte.  Un  médecin 
la  visita;  elle  était  enceinte  de  six  mois. 

On  se  rappela  que  sept  jeunes  filles  du  pays 
avaient  disparu  sans  qu'on  sût  ce  qu'elles  étaient 
devenues.  On  fit  une  perquisition  au  couvent,  et 
on  y  trouva  trois  jeunes  filles  encore  vivantes  ; 
les  autres  étaient  mortes;  leurs  cadavres  furent 
découverts,  et  les  moines  furent  chassés  du  pays. 

(Conté  en  1879  par  Rose  Renaud,  de  Saint-Cast.) 


342      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


La  tradition  rapporte  qu'à  Saint-Cast  il  y  eut  un  couvent  de 
moines.  Un  chant  populaire  de  Luzel,  t.  I,  Les  deux  moines  et  la 
jeune  fille,  p.  273,  est  fondé  sur  une  histoire  similaire.  On  la  re- 
trouve aussi  dans  la  Loire-Inférieure. 

«  La  vieille  fermière  de  Béré  raconte  qu'au 
temps  où  les  moines  habitaient  le  couvent  de 
Saint-Sauveur,  une  jeune  fille  entra  chez  eux  et 
ne  reparut  plus.  Le  bruit  courut  que  pendant  la 
nuit  elle  avait  été  enterrée  sous  le  clocher  de 
l'église.  Les  ennemis  des  moines  firent  circuler 
dans  tout  le  pays  cette  histoire....  Les  pères 
l'apprirent  à  leurs  enfants,  et  de  génération  en 
génération  elle  est  arrivée  jusqu'à  nous.  » 

(Goudé,  Chàteauhrianl,  p.  35.) 

D'après  une  légende  encore  populaire  aux 
environs  de  Dinan,  les  moines  deLéhon  menaient 
joyeuse  vie,  mais  n'étaient  point  cruels  comme 
ceux  de  Saint-Cast  ;  les  aventures  qu'on  leur 
attribue  sont  grasses,  mais  non  tragiques. 

Voici  le  résumé  d'un  conte  recueilli  à  Saint- 
Suliac  par  M^c  de  Cerny,  et  où  il  est  parlé  de  la 
punition  d'un  moine  gourmand. 

"  Un  moine  de  la  suite  de  saint  Samson,  qui 
venait  visiter  saint  Suliac,  fut  surpris  de  la 
pauvreté  des  mets  des  cénobites,  et  il  trouva  le 
pain  si  mauvais  qu'il  le  cacha  dans  sa  robe  pour 
ne   pas   le  manger  ;   mais  bientôt  il  fut   pris   de 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  345 

convulsions,  et  saint  Suliac,  qui  lui  donna  ses 
soins,  découvrit  un  serpent  qui  déchirait  la  poi- 
trine du  moine.  Il  l'exorcisa  et  ordonna  au  moine 
d'aller  le  précipiter  dans  la  mer.  » 

Les  moines,  surtout  ceux  de  certaines  abbayes, 
passaient  pour  très-riches;  on  répète  maintenant 
encore  ce  dicton  : 

De  tout  côté  que  vent  ventait, 
Bosquen  rentait. 

La  légende  qui  suit  parle  d'un  puits  où  des 
moines  auraient  enfoui  un  trésor.  Au  chapitre 
des  Souvenirs  historiques,  on  trouvera  plusieurs 
récits  sur  les  trésors  supposés  des  anciens  châ- 
teaux. 

Dans  le  bois  de  la  Mare  en  la  Poterie,  il  y  a 
une  butte  à  peu  près  ronde,  entourée  d'un  fossé 
qui  souvent  est  à  sec,  mais  où  l'on  voit  encore 
les  traces  d'un  puits.  Il  s'appelle  le  Puits  des 
Moines,  et  la  motte  (probablement  féodale) 
se  nomme  dans  le  pays  le  Château  des  Moines. 
D'autres  buttes  non  loin  de  l'ancienne  abbaye  de 
Saint-Aubin-des-Bois  s'appellent  aussi  les  Châ- 
teaux. 

Plusieurs  personnes  ont  essayé  de  trouver  le 
trésor  qui  est  enfoui  dans  le  Puits  des  Moines  ; 


344      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

mais  elles  ne  pouvaient  creuser  assez  profondé- 
ment pour  l'atteindre  :  à  chaque  tentative,  il 
survenait  de  la  pluie  et  de  l'orage  qui  inter- 
rompaient les  travaux. 

(Conte  par  M.  Méheust,  maire  Je  la  Poterie.) 


CHAPITRE    XI 

LES    SOUVENIRS    HISTORiaUES 


lES  paysans  gallots,  comme  ceux  de  pres- 
que tous  les  pays,  ont  conservé  un  très- 
petit  nombre  de  souvenirs  historiques. 

Ce  fait  avait  été  observé  par  Georges  Sand,  qui 
dans  ses  Légendes  rustiques  constatait  qu'  «  en 
Berry  aucune  tradition  historique  n'est  restée  dans 
la  mémoire  des  paysans,  sinon  à  l'état  de  mythe  ». 

J'ai  séjourné  dans  plusieurs  pays  oij  se  sont 
passés  des  événements  qui  ont  influé  sur  la  des- 
tinée de  la  Bretagne,  et  j'ai  été  surpris  de  voir 
combien  le  souvenir  en  était  effacé. 

Ainsi  le  château  du  Bordage,  en  Ercé,  près 
Liffré,  que  j'ai  habité  plusieurs  années,  a  été  au- 
trefois une  place  considérable,  et  il  reste  encore 
de  l'ancienne  enceinte  des  vestiges  suffisants  pour 
montrer  que  la  possession  de  cette  forteresse  était 


346      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

regardée  comme  importante.  Et,  en  effet,  au 
XV!»^  siècle,  elle  a  été,  pendant  les  guerres  de  re- 
ligion, prise  et  reprise  quatre  ou  cinq  fois.  Des  évé- 
nements de  cette  nature  auraient,  semble-t-il,  dû 
laisser  une  trace  durable  dans  l'esprit  des  gens  du 
pays.  Eh  bien  !  j'ai  interrogé  nombre  d'habitants 
de  tout  âge,  et  aucun  ne  se  rappelle  même  avoir 
entendu  parler  aux  anciens  des  faits  de  guerre 
accomplis  autrefois. 

Les  seuls  souvenirs  de  cette  époque,  vieille  à 
peine  de  trois  siècles,  sont  quelques  noms  de 
lieux,  tels  que  le  cimetière  des  Huguenots,  le 
Pont  aux  Huguenots  (i),  qui  attestent  encore 
qu'autrefois  le  pays  était  occupé  par  les  protes- 
tants. 

A  Saint-Cast,  où  j'ai  passé  deux,  étés  et  où  j'ai 
recueilli  un  très-grand  nombre  de  contes,  j'ai 
aussi  vainement  demande  s'il  existait  quelque 
tradition  relative  à  la  bataille  de  1758;  je  n'ai 
obtenu  que  des  détails  très-vagues,  et  pourtant 
plusieurs  de  ceux  qui  vivent  maintenant  ont 
connu  des  contemporains  de  la  bataille. 

(i)  Les  noms  de  lieux  sont  ccu.\  qui  conservent  le  mieux  le 
souvenir  du  passé  ;  à  Plœuc,  un  champ  porte  aussi  le  nom  de 
Cimetière  des  Huguenots  (jollivet,  I,  328). 


*^ 


©s©®©®©®©®©©©® 


PERSONNAGES   POPULAIRES 


:  lEN  que  les  Gallots  se  considèrent  comme 
Français,  ils  ont  gardé  un  certain  esprit 
de  quasi-nationalité  provinciale,  moins 
prononcé  toutefois  que  celui  des  Bas-Bretons. 

De  l'histoire  de  la  Bretagne  indépendante  ils 
se  rappellent  peu  de  chose;  ils  savent  vaguement 
que  les  cinq  départements  actuels  ont  jadis  formé 
un  petit  Etat  autonome  qui  eut  souvent  à  batailler 
contre  les  >formands  et  les  Anglais. 

Quelques  noms  propres  ont  surnage,  et  parmi 
eux  celui  d'Arthur  de  Bretagne;  je  ne  sais  si 
c'est  le  héros  de  la  légende  ou  l'un  des  princes 
qui  ont  porté  ce  nom.  On  nomme  la  chasse  Arthu' 
ou  Arthur  le  bruit  que  font  dans  les  airs  les  mi- 
grations des  oiseaux  voyageurs.  Vers  Bécherel,  et 
sans  doute  ailleurs,  on  dit  en  proverbe  d'un  homme 
solide  qu'il  est  «  fort  comme  un  Arthur  ».  On 
connaît  aussi  les  noms  de  Duguesclin,  le  conné- 
table qui  battait  les  Anglais  et  était  secourable 
aux  pauvres  gens  ;  de  Gilles  de  Bretagne,  que  son 
frère  empoisonna,  et  de  la  duchesse  Anne,  qui  fut 
le  dernier  souverain  de  la  Bretagne. 


348      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

Souvent  on  l'appelle  simplement  la  duchesse  ; 
on  lui  attribue  la  construction  de  plusieurs  châ- 
teaux (i),  et  quelques  voies  romaines  portent  aussi 
son  nom.  «  La  voie  romaine  qui  traverse  le  canton 
de  Fougeray....  passe  tout  près  et  à  l'est  de  l'an- 
cien manoir  de  la  Praye,  où,  selon  une  légende 
recueillie  par  M.  Gaudin,  la  duchesse  Anne  et  les 
sires  de  Rohan  faisaient  halte  en  se  rendant  à 
Rennes.  Cette  voie  porte  indifféremment  les 
noms  de  chemin  de  la  duchesse  Anne  et  de 
chemin  de  la  Royne.    » 

(Guillotin  de  Corson,  Soc.  aul.  d'Ille-ct-Vilaint,  t.  VIII, 
P-  299.) 

«  La  voie  romaine  qui  traverse  Pléchâtel  porte 
le  nom  de  chemin  de  la  Royne.  » 

(Il<!<i.,t.  IV,  p.  213.) 

«  A  Langon  est  le  chemin  de  la  Royne, 
appelé  aussi  chemin  de  la  duchesse  Anne  ou  de 
la  Guerche  (Gwer'ch,  vierge  ?).   » 

(7iiW.,  t.  XII,  p.  6.) 

Voici  quelques  récits  que  j'ai  recueiUis,  et  où 
la  vérité  historique  fait  place  à  la  légende  : 

Après  la  bataille  de  Saint-Aubin-du-Cormier, 

(i)  Cf.  Jollivet,  t.  I,  p.   146,   la  Rochc-Suliard  en  Trémuzon. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  349 


la  duchesse  Anne  voulut  s'échapper  par  le  sou- 
terrain du  château  ;  elle  fit  ferrer  ses  chevaux  à 
rebours,  de  sorte  que  ceux  qui  la  poursuivaient 
faisaient  fausse  route.  Elle  fut  vendue  par  son 
valet,  qui  plus  tard  paya  cher  sa  trahison,  car  il 
fut  tué,  et  on  la  rattrapa  non  loin  de  la  fontaine 
de  Jovence. 

(Conté  par  plusieurs  personnes,  entre  autres  par  Françoise 
Dûment,  d'Ercé,  et  par  Joseph  Legendre.) 

D'après  une  légende  recueillie  à  Blain  (Loire-Inférieure),  et 
rapportée  par  M.  Desaivre,  Myth.  locale,  p.  12,  la  duchesse 
Anne  fut  livrée  non  par  son  valet,  mais  par  les  pies  qui,  un  jour 
qu'elle  s'était  cachée  dans  le  corps  d'un  cheval  pour  échapper 
aux  Anglais,  dépecèrent  le  cadavre  et  trahirent  sa  retraite.  Dieu, 
pour  les  punir,  les  chassa  à  tout  jamais  dé  la  forêt  de  Gâvre. 

En  Normandie,  la  dame  du  manoir  Fauvel  se  sauva  avec  son 
écuyer  en  faisant  ferrer  ses  chevaux  à  rebours. 

Près  Saint-Aubin  est  la  butte  à  Moqué,  où  la 
duchesse  et  ses  dames  d'honneur  allaient  se 
reposer  autrefois. 

«  Les  habitants  du  Vieux-Bourg  en  Saint- Just 
(lUe-et-Vilaine)  ont  conservé  le  souvenir  d'un 
couvent  dont  il  ne  reste  aujourd'hui  aucune  trace, 
et  ils  prétendent  même  que  la  duchesse  Anne  y 
venait  parfois  faire  des  retraites.  Historiquement 
parlant,  cette  tradition  n'a  rien  de  sérieux.  » 

(Guillotin  de  Corson,  p.  195.) 


§    II.     —    ANCIENS    CHÂTEAUX,    ANCIENS 
SEIGNEURS 


(ES  anciens  châteaux  passent  pour  renfermer 
dans  l'épaisseur  des  murs,  dans  des  sou- 
terrains ou  dans  des  puits,  des  trésors 
cachés.  Mais  on  ne  sait  où  sont  ces  richesses, 
car  ceux  qui  avaient  construit  les  caches  étaient 
ensuite  tués  par  les  seigneurs,  de  peur  qu'il  ne 
leur  prît  envie  d'en  révéler  le  secret.  (E.,M.,P.) 

Près  de  Ploubalay  se  voient  les  ruines  du  châ- 
teau de  Rais  ;  on  raconte  que  sur  chacune  des 
collines  qui  avoisinent  l'étang  il  y  avait  deux 
seigneurs  qui  se  battaient,  et  le  vaincu  était  jeté 
dans  un  puits. 

Ce  puits,  qui  existe  encore,  est  si  profond  que 
lorsqu'on  laisse  tomber  une  pierre  dedans,  on  ne 
l'entend  pas  toucher  le  fond.  Avec  le  vaincu  sont 
enfouis   ses  trésors,  son  argenterie  et  ses  armes. 

(Recueilli  à  Ploubalay  par  M.  Charles  Sébillot.) 

Dans  le  fond  du  puils  de  la  Motte  du  Parc  se 
trouve  une  porte  qui  conduit  à  un  souterrain  oij 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS      3)1 


sont  toutes  les  richesses  et  toutes  les  armes  du. 
baron.  On  assure  aussi  qu'un  jour  qu'il  charroyait 
de  l'argent,  le  cheval  qui  était  attelé  à  la  charrette 
recula  dans  l'étang  et  disparut  :  c'est  depuis  ce 
temps  qu'on  dit  que  dans  cet  étang  il  y  a  une 
charretée  d'argent. 

Un  jour  que  des  gens  étaient  à  guéretter  sur 
un  petit  monticule  qui  est  peu  éloigné  du  château^ 
la  terre  s'enfonça  sous  eux,  et  ils  tombèrent  dans 
le  souterrain  où  ils  trouvèrent  un  chandelier  de 
cuivre  et  un  pot  rempli  de  sous  marqués  de  six 
liards. 

(Conté  en  1881  par  J.  M.  Comault,  du  Gouray.) 

Ce  château  de  la  Motte  du  Parc,  maintenant  simple  ferme  de 
la  commune  du  Gouray,  était  une  place  assez  forte,  ainsi  qu'on 
peut  en  juger  par  les  tours  et  les  courtines  qui  subsistent  encore, 
et  qui  semblent  dater  de  la  fin  du  XV*  siècle.  Dans  le  pays,  on 
dit  que  des  seigneurs  très-méchants  y  ont  habité  jadis. 

«  Les  douves  de  l'ancien  château  du  Rufflay  en 
Saint-Donan  cachent  un  trésor;  il  en  est  de  même 
de  celui  de  la  Villeneuve,  dont  le  souterrain 
s'étend  jusqu'à  la  fontaine  de  la  Maroche.  D'après 
la  légende,  ce  souterrain  se  compose  d'apparte- 
ments remplis  d'or.  Un  habitant  de  la  Ville- 
neuve, conduit  par  un  étranger,  a  pris  quelques 
poignées  de    cet  or,    comptant   bien  y  revenir;. 


352      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


mais  depuis,  il  n'a  jamais  pu  retrouver  l'entrée 
du  souterrain.  » 

(Jollivet,  p.  60-61,  àxt.  Sahit-Donan.') 

«  La  tradition  rapporte  qu'en  démolissant  le 
château  (de  la  Ville-Avran,  non  loin  de  Louvigné), 
on  trouva  une  poule  en  or  avec  ses  douze  poulets 
qui  fut  portée  et  fut  vendue  à  Reunes  ;  elle  passe 
pour  avoir  fait  la  fortune  de  celui  qui  l'a  décou- 
verte.  ■>■> 

(De  la  Pilaye,  Mémoires  de  la  Société  des  Aiit.,  2'^  séné,  IV, 
P-  34-) 

En  Berry  (cf.  Martinet,  p.  8-9),  dans  l'Orne  (cf.  MéL,  col.  96), 
en  Normandie  (cf.  A.  Bosquet,  p.  154-155),  les  anciens  châteaux 
passent  aussi  pour  avoir   des  «  caches  »  où  sont  des  trésors. 

Dans  ses  TJgendes  du  Morbihan,  le  docteur  Fouquet  raconte 
que  le  château  de  Kerbihan  avait  un  trésor.  Un  jour  un  homme 
rencontra  une  pauvre  femme  et  lui  proposa  de  faire  sa  fortune, 
si  elle  voulait  lui  obéir.  Il  l'emmena  dans  une  grande  cave,  sous 
les  ruines,  et  lui  montra  des  tonnes  pleines  d'or,  en  lui  disant 
que  si  elle  pouvait  prendre  une  seule  pièce  de  chacune  de  ces 
tonnes,  elles  se  trouveraient  transportées  chez  elle.  Mais  elle  vit 
des  monstres  et  des  vipères  ;  alors  elle  s'enfuit,  et  l'inconnu  lui 
reprocha  de  ne  pas  Tavoir  délivré  de  la  garde  de  ce  trésor. 
(P.  22-23.) 

Cf.  dans  Amélie  Bosquet,  p.  154,  i;6,  159,  des  légendes  nor- 
mandes où  il  est  parlé  des  trésors  des  anciens  châteaux. 

La  plupart  des  anciens  château.K  passent  pour 
avoir  eu  des  souterrains  qui  conduisaient  au  loin, 
et  parfois  étaient  d'une  longueur  invraisemblable. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  355 

Le  château  de  Léhon  était  relié,  dit-on,  au  corps 
de  place  de  la  ville  de  Dinan  par  un  passage  long 
d'un  peu  plus  d'un  kilomètre. 

Le  Bordage  avait,  assurent  les  habitants  âgés 
d'Ercé,  un  souterrain  qui  allait  jusqu'au  châ- 
teau de  Saint- Aubin-du-Cormier,  situé  à  dix  kilo- 
mètres. 

A  Plélan,  au  village  du  Gué,  on  montre  l'em- 
placement du  palais  du  roi  Salomon.  C'est  une 
butte  à  peu  près  ronde  qui  n'est  pas  fort  étendue. 

On  prétend  que  d'une  ancienne  gentilhom- 
mière, située  à  quelque  distance,  il  y  avait  un 
souterrain  qui  y  conduisait. 

En  Normandie,  on  croit  aussi  aux  énormes  souterrains  (cf.  A. 
Bosquet,  p.   125). 

Plusieurs  renferment  des  chambres  où  il  revient 
(cf.  Fouquet,  p.  124-126,  Le  Revenant  du  Chd- 
telier),  et  aux  alentours  se  promènent  de  nuit  des 
dames  blanches.  D'après  M.  Habasque,  t.  I, 
p.  422,  qui  a  peut-être  un  peu  renchéri  sur  ce 
qui  lui  avait  été  raconté,  «  on  entend  des  cris 
plaintifs,  des  bruits  de  chaînes  (à  la  Roche-Suhard), 
Quelquefois  aussi,  vers  l'heure  solennelle  de 
minuit,  les  fées  y  dansent  joyeusement  au  clair 
de  la  lune,  paraissant  et  disparaissant,  et  tournant 
autour  des  ruines.  » 

I  23 


354      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 

Je  n'ai  point  recueilli  de  légende  aussi 
poétique;  à  Ercé  toutefois,  on  assure  qu'au  lieu 
dit  la  Lande  de  la  justice,  où  étaient  autrefois  les 
fourches  patibulaires  du  Bordage,  il  ne  pousse 
pas  de  grain  :  la  nuit  on  y  entend  parfois  des 
plaintes. 

A  Tremblay,  il  y  a  un  vieux  château  qui  n'est 
pas  en  ruines,  mais  que  personne  ne  peut  habiter 
à  cause  des  bruits  qu'on  y  entend  la  nuit.  On  dit 
qu'il  est  plein  de  diables  et  de  revenants,  et  que 
ces  derniers  sont  des  personnes  tuées  par  les 
anciens  seigneurs,  qui  ont  laissé  la  réputation  de 
gens  cruels. 

(Conté  par  J.  Legendre,  de  Saint-Bricuc-des-Iiïs,  iS8o.) 

Une  croyance  analogue  existe  en  Normandie  au  sujet  de 
plusieurs  châteaux  (cf.  A.  Bosquet,  p.  262). 

«  Si  l'on  en  croit  les  habitants  de  Baulon 
(Ille-et-Vilaine),  le  château  de  la  Motte-Bruslon, 
dont  on  voit  les  débris  près  du  bourg,  fut  maudit 
et  détruit  parce  que  ses  possesseurs  maltraitaient 
les  pauvres  du  pays.  » 

(Guillotin  de  Corson,  p.  92.) 

Au  temps  où  il  y  avait  encore  des  seigneurs 
(il  y  a  de  cela  cent  vingt  ou  cent  trente  ans),  il  y 
avait   à  l'Angevinais   en  Calorguen  un  mauvais 


DE     LA     Hx\UTE-BRETAGNE  355 


seigneur  qui  tous  les  soirs  montait  à  cheval  et  se 
faisait  suivre  d'un  paysan  aussi  à  cheval,  pour  se 
rendre  au  Tarais,  où  il  allait  faire  des  choses 
éhontées  qu'on  n'ose  seulement  pas  dire.  Un  soir, 
comme  il  était  à  peu  près  à  mi-chemin,  il  aperçut 
devant  lui  sept  grands  lévriers  blancs,  dont  le 
plus  grand  seul  avait  une  tache  noire  au  collier  ; 
les  sept  lévriers  se  jetèrent  sur  lui,  comme  s'ils 
avaient  voulu  le  dévorer,  et  il  ne  pouvait  pour- 
suivre sa  route.  Il  appela  le  paysan  qui  le  suivait, 
et  lui  dit  d'essayer  de  passer.  Les  lévriers  ne  lui 
dirent  rien,  et  il  passa.  Le  seigneur  alors  voulut 
absolument  passer.  Il  y  réussit;  mais  les  lévriers 
se  jetaient  sur  lui  et  sautaient  presque  par  dessus 
son  cheval.  Il  arriva  au  Tarais,  où  il  fut  pris 
de  mal-à-saint  (de  peur),  et  il  mourut  au  bout 
de  trois  jours  sans  avoir  pu  retrouver  la  pa- 
role. Depuis  ce  temps,  les  sept  lévriers  blancs, 
qui  étaient  des  réprouvés,  revenaient  tous  les  soirs 
au  château  de  l'Angevinais,  où  ils  arrivaient  avec 
un  grand  bruit  de  chaînes  par  la  porte  de  la  cave 
manger  de  la  soupe  ou  du  lait  qu'on  leur  laissait 
dans  sept  écuelles  sur  la  table,  et  si  on  venait  à 
les  oublier,  ils  faisaient  un  tel  tapage  qu'il  n'y 
avait  pas  moyen  de  dormir.  Ils  sont  revenus 
jusqu'à  ce  qu'on  ait  démoli  le  château. 

Lorsqu'on    démolit   l'Angevinais,  il  n'y  a  pas 


3)6      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 

bien  des  années,  on  trouva  dans  les  fossés  beau- 
coup de  têtes  de  morts.  Les  paysans  pensèrent 
aussitôt  que  c'étaient  celles  de  gens  que  les 
anciens  seigneurs  y  avaient  fait  jeter. 

(Recueilli  en  1881  par  M"«  Élodie  Bernard.) 

Au  château  de  la  Hunaudaye,  on  montrait 
encore,  naguère,  des  sculptures  grossièrement 
exécutées  sur  les  parois  d'une  tour;  on  disait  que 
c'était  l'œuvre  d'un  moine  de  Saint-Aubin  qui  y 
avait  été  enfermé.  C'est  sans  doute  à  ce  moine 
que  fait  allusion  le  récit  qui  suît  : 

Une  dame  de  Tournemine,  à  qui  était  le  châ- 
teau de  la  Hunaudaye,  menait  une  vie  débauchée. 
Un  moine  de  Saint-Aubin  vint  lui  faire  des 
remontrances  ;  mais  elle  le  fît  saisir  et  enfermer 
dans  une  tour  :  c'est  celle  où  l'on  voit  encore 
sculptés  grossièrement  dans  la  pierre  les  instru- 
ments de  la  passion. 

Il  y  resta  dix  ans.  Mme  de  Tournemine  était 
joueuse,  et  elle  attirait  à  son  château  les  sei- 
gneurs. Un  jour  elle  en  avait  ruiné  un,  et  elle 
voulait  encore  le  forcer  à  jouer. 

—  Je  n'ai  plus  rien,  dit-il. 

—  Jouons  tout  de  même. 

—  Alors  je  joue  la  liberté  du  moine. 

Il  gagna,  et  on  mit  le  moine  à  s'en  aller  tout 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  357 

seul;  mais  il  était  devenu  presque  aveugle,  et  il 
mourut  sur  la  lande,  avant  d'avoir  pu  arriver  à 
Saint-Aubin. 

(Conté  par  M.  Méheust,  maire  de  la  Poterie.) 

«  Non  loin  du  bourg  de  Goven  (Ille-et- Vilaine) 
est  une  motte  circulaire  qui  porte  aujourd'hui  le 
nom  de  Butte  de  Gourmalon  ;  mais  on  la  trouve, 
paraît-il,  appelée  dans  de  vieux  titres  Butte  ou 
Tombeau  de  Gurmailhon....  Gurmailhon  fut 
d'abord  comte  de  Cornouailles,  puis  chef  de  toute 
la  Bretagne,  unie  au  commencement  du  Xe  siècle 
pour  repousser  l'invasion  normande.  Quoi  qu'il 
en  soit,  voici  une  légende  que  m'a  racontée  sur 
les  lieux  une  vieille  femme  que  je  questionnais 
sur  le  Gourmalon  : 

«  Il  y  a  bien  longtemps,  bien  longtem-ps,  me 
dit-elle,  un  grand  et  beau  château  s'élevait  en  cet 
endroit,  alors  fertile  et  peuplé,  mais  devenu  aride 
et  désert  depuis  que  Dieu  l'a  maudit.  Le  maître 
de  cette  demeure  était  un  seigneur  riche  et  puis- 
sant; malheureusement,  il  usait  mal  de  ses 
richesses  et  de  sa  puissance,  et  le  bon  Dieu 
n'était  point  honoré  par  lui.  Parmi  les  nombreux 
domestiques  qui  le  servaient  était  une  jeune  fille 
vivant  bien  ignorée,  mais  aussi  bien  purement. 
Lorsqu'elle  voyait  son  maître  offenser  le  bon  Dieu, 


358      TRADITIONS    ET     SUPERSTITIONS 


elle  se  mettait  à  genoux  et  implorait  avec  larmes 
la  miséricorde  divine.  Longtemps  elle  arrêta  par 

ses  prières  le  bras  de  la  justice  céleste Un  jour 

qu'elle  était  à  l'église  de  Goven,  entendant  la 
sainte  messe,  elle  vit  entrer  son  maître  comme 
un  furieux  et  menacer  le  prêtre  célébrant  à 
l'autel.  Épouvantée,  la  jeune  servante,  qui  avait 
reçu  ce  jour-là  la  sainte  communion,  sortit  de 
l'église  en  pleurant  à  chaudes  larmes. 

«  Lorsqu'elle  fut  proche  du  château  que  venait 
aussi  de  regagner  son  coupable  maître,  l'enfant 
aperçut  près  d'elle  un  oiseau  qui  chantait  mer- 
veilleusement. Elle  prit  plaisir  à  l'écouter.... 
Quand  elle  fut  arrivée  à  la  porte  du  manoir,  elle 
vit  l'oiseau  voltiger  devant  elle,  cherchant  en 
quelque  sorte  à  l'empêcher  d'entrer.  En  vain 
voulut-elle  le  chasser;  le  petit  oiseau  se  percha 
sur  la  porte  entr'ouverte  et  continua  sa  mélo- 
dieuse chanson.  Alors  il  sembla  à  la  jeune  fille 
que  c'était  là  un  avertissement  du  ciel,  car  l'oiseau 
paraissait  lui  dire  en  son  charmant  langage  : 
«  Enfant,  n'entre  pas  dans  cette  maison  maudite  I  » 
Elle  s'éloigna  donc  du  château,  et  aussitôt  l'oiseau 
la  suivit  en  chantant.  A  peine  fut-elle  à  quelque 
distance  des  cours  du  manoir,  qu'un  grand  bruit 
se  fit  entendre  derrière  elle.  Elle  se  retourna 
vivement  et  aperçut  le  château  qui  s'écroulait.... 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  559 

ensevelissant  sous  ses  décombres  le  maître  impie 
qui  l'habitait.... 

«  Voilà  plus  de  cinquante  ans,  ajoutait  ma 
vieille  conteuse,  mon  père,  entendant  dire  que  de 
grands  trésors  étaient  enfouis  au  Gourmalon,  y 
alla  fouiller  une  nuit  ;  mais  quel  ne  fut  pas  son 
étonnement  de  voir  apparaître  au  premier  coup 
de  pioche  un  vilain  bouc  armé  de  grandes  cornes  I 
C'était  l'image  du  maître  du  lieu  ;  mon  père 
épouvanté  prit  aussitôt  la  fuite.  » 

(Guillotin  de  Corson,  p.  99-101.) 

Amélie  Bosquet,  p.  463,  476,  480,  raconte  aussi  des  légendes 
où  des  seigneurs  méchants  sont  fort  maltraités. 

Bien  que  le  souvenir  des  droits  féodaux  soit 
resté  assez  vivace  dans  presque  toute  la  Bretagne, 
les  paysans  n'y  font  pas  volontiers  allusion.  J'ai 
entendu  parler  une  ou  deux  fois  à  Ercé  du  droit 
de  quintaine.  D'après  ce  qui  m'a  été  raconté, 
on  causait  encore  aux  Iffs,  il  y  a  une  trentaine 
d'années,  du  droit  de  jambage  ;  mais  on  accusait 
plutôt  les  huguenots  que  les  anciens  seigneurs  de 
l'avoir  pratiqué. 

Voici  un  autre  souvenir  de  ces  temps  anciens  : 

Avant  la  Révolution,   le  seigneur  de    Mont- 

Muran  ne   voulait   pas  que  ses  paysans  fussent 


360      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

instruits  ;  mais  les  gens  s'instruisaient  en  cachette, 
le  soir,  dans  les  villages  :  celui  qui  savait  quelque 
chose  faisait  de  son  mieux  pour  le  montrer  aux 
autres. 

(Conté  en    1880  par  Joseph  Legendre,   de  Saint-Brieuc-dej- 
Iffs.) 


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§   III.    —   VILLES   ENGLOUTIES,    CATACLYSMES 


fN  plusieurs  endroits  de  la  Haute-Bretagne, 
la  tradition  populaire  parle  de  villes  jadis 
florissantes,  et  qui  ont  été  détruites.  Je 
n'ai  rien  recueilli  personnellement  à  ce  sujet  ; 
mais  divers  auteurs,  qui  semblent  tenir  ces  détails 
de  la  bouche  des  gens  du  pays,  en  ont  parlé,  et 
on  trouvera  ci-aprés  deux  communications  qui  y 
font  clairement  allusion. 

«  L'étier  de  Langon  (lUe-et-Vilaine)  a  rem- 
placé, disent  les  vieilles  gens,  une  belle  et  grande 
ville  engloutie  par  les  eaux  en  punition  des 
crimes  de  ses  habitants.  » 

(Guillotin  de  Corson,  Recils  hisl.,  p.  26.) 

«  Il  existe  à  Langon  la  tradition  d'une  ville 
ancienne  dite  Langueur,  qui  se  serait  abîmée  dans 
l'étier  de  Langon,  appelé  au  moyen  âge  l'étier 
de  Heuleix.  Des  briques  trouvées  aux  environs 
de  ce  lieu,  des  cercueils  en  calcaire  coquillier 
exhumés  dans  un  jardin  du  bourg,  et  le  monu- 


562      TRADITIONS     HT     SUPERSTITIONS 


ment  dédié  à  Vénus  que  nous  avons  signalé,  sont 
les  débris  d'une  agglomération  romaine  d'une 
certaine  importance.    » 

(Guillotin  de  Corson,  Mém.  de  la  Soc.  arch.  tVIlU-el-Vilaine, 
t.  XII,  p.  II.) 

«  Au  hameau  du  Pussoir  fut,  au  dire  des 
habitants  d'Erquy,  la  ville  de  Nasado.  Le  peuple 
prétend  qu'elle  a  été  détruite  à  cause  de  la  dépra- 
vation des  mœurs  de  ses  habitants.  » 

(Habasque,  t.  III,  p.   ii/.) 

En  nombre  d'autres  pays  (cf.  Martinet,  Le  Berry  préhistorique, 
p.  487,  plusieurs  exemples  ;  Bladé,  Seiiç  superstitions,  La  punition 
de  la  ville  de  Lourdes  ;  Mélusiiie,  col.  327,  La  légende  du  lac  d'Is- 
sarli's;  en  Auvergne,  Rerue  d'anthropologie,  1S80,  p.  391-426,  etc.), 
on  conserve  le  souvenir  de  villes  englouties.  Il  y  a  en  Basse- 
Bretagne  plusieurs  cités  détruites,  dont  la  plus  célèbre  est  la 
ville  d'Is.  Quelques  auteurs  croient  que  certaines  de  ces  légendes 
se  rattachent  aux  cites  lacustres. 

Eiigloiitisscmciit  de  la  forêt  de  Srissy   (i) 

Je  demandais  un  jour  à  un  vieillard  de  Saint- 
Briac  pourquoi  le  village  de  La  Chapt'Uc  portait 
ce  nom.  Il  me  répondit  : 

(i)  Cet  engloutissement  parait  avoir  eu  lieu  de  541  à  860. 
Ce  sont  les  deux  dates  extrêmes,  sur  lesquelles  on  n'est  pas  bien 
d'accord  (cf.  Manet,  De  l'etal  ancien  de  la  baie  de  Cancale,  des 
marais  de  Dol,  etc.  Saint-Malo  et  Paris,  1829,  in-8,  et  A.  Burat, 
l^Ojages  sur  les  côtes  de  France.  Paris,  Baudry,  1880). 


DE     LA     HâUTE-BRETAGNE  363 

«  Il  y  avait  autrefois  sur  nos  côtes  une 
immense  forêt  remplie  d'oiseaux,  et  dans  cette 
forêt,  à  l'endroit  même  où  s'élève  aujourd'hui  le 
village,  une  chapelle  où  un  vieil  ermite  célébrait 
tous  les  jours  l'office.  Un  matin,  au  printemps, 
les  oiseaux  chantaient  tous  à  la  fois  et  faisaient 
un  tel  vacarme  que  le  prêtre,  assourdi,  s'impa- 
tienta au  miheu  de  la  messe,  et  s'oublia  jusqu'à 
interrompre  ses  oraisons  pour  maudire  les  oiseaux 
et  la  forêt  où  ils  abritaient  leurs  nids.  Aussitôt  il 
s'éleva  un  furieux  vent  du  large;  la  mer  montait, 
et  c'était  jour  de  grande  marée.  Alors  les 
vagues  s'élancèrent  à  travers  la  forêt,  renversant 
les  arbres,  la  chapelle  et  jusqu'au  vieil  ermite. 
Quand  la  mer  se  retira,  il  n'y  avait  plus  que  les 
miellés  (dunes)  que  vous  voyez  aujourd'hui.  » 

(Communiqué  par  M.  Lucien  Decombe.) 

«  La  mare  de  Saint-Coulman  est  l'objet  d'une 
foule  de  contes  superstitieux,  entre  autres  celui 
du  Beugle  errant.  Jadis  en  ce  lieu  était  la  forêt 
de  Scissy,  où  sur  le  tombeau  de  saint  Colomban 
s'éleva  une  église  bientôt  entourée  d'un  village. 
Les  habitants  vivaient  heureux,  lorsque  Satan, 
pour  les  tourmenter,  leur  envoya  des  corbeaux  qui 
se  multiplièrent  tellement  que  l'on  ne  s'entendait 
plus.  Le  prêtre  mit  des  hommes  pour  les  em- 
pêcher de  troubler  les  offices;   mais   un  jour  ils 


364     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

s'endormirent,  et  les  corbeaux  firent  un  vacarme 
tel  que  le  prêtre  impatienté  oublia  de  consacrer 
l'hostie  et  dit  :  «  Maudits  soient  les  corbeaux  !  » 
A  l'instant  il  s'éleva  une  tempête,  et  tout  s'abîma 
sous  les  flots.  Depuis  on  entend  sortir  de  la  mare 
le  Bugle  de  Saint-Coulban,  dont  on  menace  les 
enfonts,  car  il  sort  la  nuit  et  emporte  les  mauvais 
sujets,  à  moins  qu'ils  ne  fassent  le  signe  de  la 
croix.  Suivant  d'autres,  ce  cri  est  celui  du  prêtre, 
qui  sortira  de  l'abîme  s'il  peut  prononcer  :  Domi- 
niis  vobiscum.    » 

(M"*'  de  Cerny,  p.  63-69,  très-abrégè.) 

Le  lac  de  Fiers  en  Normandie  (cf.  A.  Bosquet,  p.  49$)  doit 
aussi  son  origine  à  un  couvent  englouti. 

Dans  une  famille  de  pêcheurs  du  village  de  La 
Chapelle,  près  Saint-Briac,  je  parlais  de  l'antique 
forêt  submergée  dont  on  retrouve  çà  et  là  des 
débris  sur  les  grèves  voisines.  A  ce  propos  une 
jeune  fille  me  dit  que  le  Juif-Errant  était  passé  à 
La  Chapelle  l'année  précédente. 

«  C'était  un  grand  vieillard,  maigre,  avec  une 
grande  barbe  blanche,  me  dit-elle  d'un  air 
convaincu.  Nous  lui  offrîmes  de  le  faire  entrer 
pour  se  reposer  ;  il  resta  debout  à  la  porte  et 
nous  dit  :  —  Je  ne  peux  pas  m'asseoir  ;  il  faut  que 
je  marche....  Le  village  de  La  Chapelle  est  bien 
changé.  —  Vous  y  êtes  donc  déjà  venu  autrefois? 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  365 


—  Oui,  il  y  a  bien  longtemps près  de  mille 

ans  !    Tout    ce  pays    était   alors    couvert    d'une 
immense  forêt  dont  je  ne   retrouve    plus   trace. 

Mais  il  ne  faut  pas  que  je  m'arrête Adieu  ! 

Et  il  s'éloigna  sans  rien  accepter.  » 

(Communiqué  par  M.  Lucien  Decombe.) 

Voici  un  autre  récit  recueilli  à  quelques  lieues 
de  là,  sur  la  rive  opposée  de  la  Rance. 

Un  petit  garçon  de  quatorze  ans,  Guillaume 
Dioré,  fils  d'un  cantonnier  de  Châteauneuf  (Ille- 
et- Vilaine),  m'a  raconté  ce  qui  suit  : 

«  On  m'a  dit,  mais  je  n'y  crois  pas,  —  je  pense 
que  c'est  une  histoire  en  l'air,  —  que  le  Juif-Errant 
est  passé  à  Châteauneuf  il  y  a  quelques  années. 
Il  a  dit  qu'il  trouvait  le  pays  bien  changé  depuis 
son  dernier  passage,  il  y  a  plus  de  mille  ans.  Il  y 
avait  alors  sur  tout  le  pays  une  grande,  grande, 
grande  forêt  qui  était  remplie  d'animaux  féroces 
et  de  brigands  qui  pillaient  et  désolaient  tous  les 
cantons  des  environs.  Les  habitants,  ne  sachant 
comment  s'en  débarrasser,  allèrent  se  plaindre  à  la 
justice  de  ce  temps-là,  qui  fit  couper  une  grande 
digue  qui  bordait  la  forêt  du  côté  de  la  mer. 
L'eau  arriva  si  vite  que  les  brigands  et  les  bêtes 
n'eurent  pas  le  temps  de  se  sauver,  et  qu'ils 
furent  tous  engloutis  avec  la  grande  forêt.  » 

(Communiqué  par  M.  Lucien  Decombe.) 


366      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


Dans  la  Légeyiât  du  Juif-Errant,  celui-ci  parle  assez  souvent 
des  changements  opérés  depuis  son  dernier  passage.  D'après  un 
gwerz  breton,  Histoire  admirable  du  Boudedeo,  publié  par  Luzel 
dans  le  Conteur  breton,  27  janvier  1866,  «  Moriaix  n'était  alors 
qu'une  forêt...  J'ai  vu  la  Bretagne  couverte  de  bois  et  de  forets  ; 
les  hommes  vivaient  comme  des  sauvages  ;  bien  des  changements 
ont  été  faits  depuis  que  je  suis  parti  d'ici...  Je  vois  beaucoup  de 
villes  qui  ont  été  bâties.  »  (Cf.  aussi  une  légende  du  Valais, 
recueillie  par  Grimra  et  citée  par  Charapfleury,  Nouvelle  interpré- 
tation de  la  légende  du  Juif-Errant,  dans  la  Rei'ue  germanique, 
j"  août  1864,  p.  315.) 


§   IV.    —    LES   GUERRES   AVEC   l'ÉTRANGER 


;  oici  quelques  récits  où  il  est  question  de 
batailles  de  l'ancien  temps.  Ils  sont  bien 
confus,  et  je  ne  sais  à  quel  fait  historique 

les  rattacher;  je  les  donne,  au  surplus,  tels  que  je 

les  ai  recueillis. 

Près  Moronval,  en  Saint-Aubin- du-Cormier, 
les  Bretons  attendirent  les  Normands,  qui  furent 
d'abord  vainqueurs  et  massacrèrent  l'armée  bre- 
tonne ;  mais  plus  tard  celle-ci  se  renforça  et  livra 
bataille  aux  Normands,  qui  furent  battus.  Il  y  eut 
tant  de  carnage  que  l'étang  de  la  Rousselière  était 
tout  rouge  du  sang  qui  y  coula.  C'est  de  là  que 
lui  vient  son  nom.  Les  Normands  furent  refoulés 
par  les  Bretons  jusqu'auprès  de  Vandel. 

(Conté  en  1880  par  Joseph  Legendre,  jardinier  à  Saint-Aubin- 
du- Cormier.) 

Sur  la  lande  de  Houée  est  une  butte  nommée 
le  fossé  d'Oster.  On  dit  que  c'est  là  que  la  guerre 
a  commencé  et  qu'elle  finira. 


368      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

Sur  la  lande  de  Baugé  est  un  autre  fossé 
d'Oster,  où  a  eu  lieu  la  guerre  après  celle  de 
Saint-Aubin.  Auprès  est  une  cave  où  on  a  trouvé 
toutes  sortes  de  choses. 

(Conté  en  1880  par  Franyoise  Dumont  et  Zoé  Ledy,  d'Ercé.) 

La  lande  de  Houée  n'est  pas  loin  du  lieu  où  se  livra  la  bataille 
de  Saint-Aubin-du-Cormier.  Sur  celle  de  Baugé  eut  lieu  une 
rencontre  entre  les  chouans  et  les  bleus,  à  l'époque  de  la  Révo- 
lution. 

En  Berry  existe  aussi  un  fossé  dit  du  Géant,  que  les  paysans 
entourent  d'un  respect  superstitieux  (L.  Martinet,  Ra'tie  d'an- 
Ihrop.,  1880,  p.  478). 

Des  guerres  avec  l'Angleterre  on  ne  se  rappelle 
guère  que  la  descente  de  1758,  que  termina  la 
défaite  des  envahisseurs  à  Saint-Cast.  J'ai  entendu 
raconter  à  ma  grand'mère,  née  peu  d'années 
après  l'invasion,  qu'à  Matignon  les  Anglais 
étaient  si  pillards,  qu'après  s'être  enivrés  ils 
défonçaient  les  tonneaux  et  mettaient  le  cidre  à 
courir  dans  les  rues.  Les  personnes  âgées  rappor- 
taient aussi,  avec  une  indignation  fort  légitime, 
que  les  soldats  anglais  s'amusaient  à  éventrer  les 
couettes  avec  leur  sabre  pour  en  faire  voler  la 
plume.  J'ai  aussi  entendu  dire  qu'ils  chauffaient 
les  pieds  des  paysans  pour  les  forcer  à  leur 
révéler  l'endroit  où  était  caché  leur  argent. 

D'après  Rioust  des  Villaudren,  qui  fut  témoin  oculaire  et  joua 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  369 


dans  cette  circonstance  un  rôlo  héroïque,  «  les  ennemis  avaient 
emporté  tout  le  linge...  défoncé  les  coëttes  pour  avoir  le  coutil  ». 
(Annuaire  dina>:nais,  1858,  p.  214,  note.) 

Il  semblerait  qu'il  v  ait  eu  des  représailles  : 
après  la  défaite  des  Anglais,  une  bonne  feunne 
dont  ils  avaient  tué  le  mari  assomma,  dit-on, 
un  blessé  qui  était  chez  elle  en  le  frappant  à 
coups  de  trous  de  choux.  (S.-C.) 

D'après  une  légende  encore  populaire  dans  le 
canton,  la  marche  de  l'armée  ennemie  sur  Lam- 
balle  fut  arrêtée  à  la  chapelle  du  Temple-en-Plé- 
bouUe  par  la  Vierge,  qui  fit  déborder  le  minuscule 
ruisseau  qui  passe  à  cet  endroit.  C'est  vers  le 
village  de  Montbran  que  les  avant-gardes  anglaises 
eurent  connaissance  des  dragons  de  Marbœuf, 
qui  précédaient  le  gros  de  l'armée  française. 

Cette  tradition  est  rapportée  par  Habasque,  l.  III, 
p.  102,  d'une  manière  un  peu  différente.  «  Les 
cultivateurs  prétendent  que  la  statue  (la  Vierge  du 
Temple)  suait  tellement  en  1758,  lors  de  l'inva- 
sion anglaise,  que  deux  hommes  étaient  constam- 
ment occupés  à  l'essuyer.  On  dut  à  son  interces- 
sion de  voir  les  Anglais  rétrograder.  Jamais,  en 
effet,  ils  ne  purent,  disent-ils,  dépasser  le  Temple 
bien  qu'on  ne  leur  opposât  pas  de  troupes.  »  Je 
n'ai  pas  retrouvé    trace  de  cette   autre   version, 

I  24 


370      TRADITIONS     ET    SUPERSTITIONS 


bien    que    j'aie    interrogé    à    ce   sujet    plusieurs 
habitants  de  PlébouUe. 

Dans  rantiquité,  les  statues  protectrices  des  cites  suaient  pour 
annoncer  des  malheurs,  et  M.  L.  Duval,  Esquisses  marchoises, 
p.  46,  parle  d'une  statue  de  la  Vierge  qui,  en  1664,  suait 
continuellement. 


Les  Prussiens  qui  occupèrent  la  Bretagne 
en  1815  y  ont  laissé  le  souvenir  de  gens  très- 
gourmands  :  plusieurs  moururent  d'indigestion 
pour  avoir  mangé  du  lard  avec  excès. 

Les  alliés  n'étaient  pas,  semble-t-il,  en  bons 
rapports  avec  la  population.  A  Jugon,  on  en  tua 
plusieurs,  et  c'est,  je  crois,  dans  ce  pays  qu'il  y  a 
un  puits  qui  pendant  longtemps  se  nomma  le 
puits  des  Prussiens. 

A  Ercé,  on  leur  mettait  du  chenevis  dans  leur 
cidre,  pour  les  enivrer. 

J'ai  recueilli  fort  peu  de  chose  sur  les  corsaires. 
On  parle  encore  toutefois,  sur  la  côte  de  Saint- 
Cast,  des  exploits  du  Périllon,  que  commandait 
un  capitaine  nommé  Besnard. 

Le  souvenir  des  corsair-^s  est  cependant  resté 
vivace,  au  moins  dans  les  chants  des  marins, 
témoin  cette  clianson  que  j'ai  entendue  un  peu 
partout  sur  tout  le  littoral  breton,  et  qui  semble 
dater  de  la  lin  du  siècle  dernier  : 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  371 


LA   CHANSON   DES   CORSAIRES   (i) 
Moderato. 


EP 


^^^lâËÉ^^^lÉg 


Le  trente  et        un  du  mois  d'à  -  oût,  Le  trente  et 


^^^^ppgp^ÉÉ 


un     du  mois  d'à      -      oût,  Kous  vi  -  mes  ar  -  ri-ver 


P^bbte^bàEgEfeh^ 


nous,  Nous  vî  -  mes  ar  -  ri  -  ver   sur      nous  (2)  U-ne  frc- 


^^^m^:^^^m 


ga-ted'An-gle      -      ter-re       Qui  ra-sait  la    mer  et  les 

Ckaur. 


flots;  Pour  s'en  al     -     1er   jus-qu'àBress'-lau.        Bu-vons  un 


coup,  bu-vons-en  deux  A      la    san      -      té      des 


(i)  La  musique  a  été  notée  par  M.  Bourgault-Ducoudray. 
(2)  On  bisse  soit  chacun  des  deux  premiers  vers  à  part,  comme 
dans  la  musique,  soit  les  deux  premiers  vers  ensemble. 


372     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


^^^^^^IS 


reux,   A      la   san     -    te    du    roi  de 


Frau-ce.  Merde  pour 


^gag^ÉJEi^^gg^gj 


cc-lui  d'An-gle- terre  Qui  nous  a        dé-cla-ré      la      guerre. 

Le  trente  et  un  du  mois  d'août,  (bis) 

Nous  vîmes  arriver  sur  nous  (i)...  (bis) 

Une  frégate  d'Angleterre, 

Qui  rasait  la  mer  et  les  flots. 

Pour  s'en  aller  jusqu'à  Bress'lau(2). 

Refrain 
Buvons  un  coup,  buvons-en  deux 
A  la  santé  des  amoureux, 
A  la  santé  du  roi  de  France. 
Merde  pour  celui  d'Angleterre 
Qui  nous  a  déclaré  la  guerre. 

Le  capitaine,  en  la  voyant,  (bis) 

Fil  appeler  son  lieutenant  :  (bis) 

—  Lieutenant,  êtes-vous  assez  brave  (j), 
Lieutenant,  êtes-vous  assez  fort 
Pour  aller  accoster  son  bord  ? 

Farianles 


(i)  Nous  vîmes  sous  le  vent  i  nous. 
(2)  C'était  pour  aller  3.  Brcss'lau. 
(,  >   Dis,  lieutenant,  es-tu  cap.ible  ; 
Dis-moi,  te  sens-tu-z-assez  fort. 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  373 

Le  lieutenant,  fier-z-et  hardi,  (bis) 

Lui  répondit  :  —  Capitaine,  oui.  (bis) 

Faites  monter  votre  équipage  ; 
Braves  soudards  et  matelots, 
Faites-les  tous  monter  en  haut. 

Le  maître  donne  un  coup  de  sifflet  :        (bis) 
—  En  haut  !  Largue  les  perroquets  !       (bis) 
Largue  les  ris,  et  vent  arrière; 
Laisse  arriver  près  de  son  bord. 
Pour  voir  qui  sera  le  plus  fort  ! 

Vire  lof  pour  lof  !  En  abattant  (bis) 

Nous  l'accostâmes  (i)  par  son  avant  :     (bis) 
A  coups  de  hache  d'abordage, 
A  coups  de  piques  et  d'  mousquetons  (2) 
Nous  l'avons  mis  à  la  raison. 

Que  dira-t-on  de  lui  tantôt  (bis) 

En  Angleterre  et  à  Bress'lau,  (bis) 

D'avoir  laissé  prendre  sa  frégate 
Par  un  corsaire  de  dix  canons  (3), 
Lui  qu'en  avait  trent'-six  et  de  bons  ? 

On  peut  comparer  cette  chanson  aux  deux  chansons  françaises 
sur  la  prise  de  la  Grenade  reproduites  par  Milin  à  la  suite  de 
Légendes  bretonnes,  La  lour  de  plomb  de  Quimper,  in-8  de  38  p., 
extr.  des  BuUeiivs  de  la  Société  académique  de  Brest. 


(i)  Variaytte  :  Nous  l'avons  pris. 

(2)  Variante  ;  Et  de  canons. 

(3)  Variante  :  Six. 


374     TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

Les  pontons  ont  laissé  plus  de  traces.  On 
raconte  à  Matignon  l'histoire  d'un  matelot  du 
pays  qui,  à  bord  des  pontons,  se  dévora  les 
mollets  pour  ne  pas  inourir  de  faim.  J'ai  connu 
d'anciens  marins  dont  le  rêve  était  de  manger, 
avant  de  niourir,  le  cœur  d'un  Anglais  tout  cru. 
L'un  d'eux,  dit-on,  étant  à  son  lit  de  mort,  fît 
à  son  confesseur  la  concession  considérable  de 
déclarer  qu'il  le  mangerait  cuit.  (D.) 

Un  matelot  nommé  BouUoux,  de  Matignon, 
s'échappa  des  pontons  en  faisant  un  trou  dans  la 
muraille  du  navire  ;  il  sauta  à  la  mer  avec  huit 
de  ses  compagnons  par  une  nuit  d'hiver.  L'un 
d'eux  se  noya  ;  mais  les  sept  survivants,  parmi 
lesquels  se  trouvait  un  capitaine  de  Saint-Briac, 
s'emparèrent  d'un  brick  anglais  chargé  de  poudre, 
et,  après  avoir  été  poursuivis  par  une  frégate,  ils 
abordèrent  à  Painpol,  où  la  cargaison  fut  vendue 
à  leur  profit. 

(Conté  en  1880  par  M.  Lorant,  de  Matignon,  clerc  de  notaire.) 
Garncray,  dans  ses  Souvenirs  des  pontons,    raconte  une  histoire 
d'évasion  a  peu  près  semblable. 

Il  y  avait  à  Plévenon  un  pêcheur  qui  avait  été 
fait  prisonnier  par  les  Anglais.  Emmené  en 
Angleterre,  on  l'attacha  comme  un  chien,  avec 
une  chaîne,  à  l'entrée  d'un  fort,  et  les  enfants,  en 
passant  à  côté  de  lui,  lui  disaient  d'aboyer. 


DE    LA     HAUTE-BRETAGNE  375 

Un  jour  il  dit  à  l'un  d'eux  : 

—  Non,  je  n'aboierai  pas  ;  mais  si  vous  voulez, 
je  sais  des  cmtes  de  mon  pays,  et  je  vous  les 
l'aconterai. 

L'enfant  alla  rapporter  à  ses  parents  les  paroles 
du  prisonnier;  ils  le  firent  détacher  de  sa  chaîne, 
lui  donnèrent  à  manger  les  restes  de  leur  table,  et 
le  traitèrent  de  leur  mieux.  Il  racontait  le  soir 
-des  contes  aux  enfants,  qui  le  regrettèrent  beau- 
coup quand  il  fut  rendu  libre  au  moment  de  la 
paix. 

(Conté  par  Elie  Ménard,  de  Plévenon.) 

La  légende  napoléonienne,  disparue  aujour- 
d'hui, a  été  longtemps  populaire  dans  les  cam- 
pagnes de  la  Haute-Bretagne,  où  elle  était 
entretenue  par  les  anciens  soldats  de  l'Empire. 
Cependant  j'ai  toujours  entendu  les  femmes  âgées 
raconter  qu'à  l'époque  de  la  grande  guerre  il  n'y 
avait  plus  que  des  enfants  et  des  vieillards  pour 
cultiver  la  terre.  Après  chaque  victoire  on  chan- 
tait un  Te  Deiun,  et  les  paysans  de  cette  époque 
l'appelaient  énergiquement  et  justement  le  Tue- 
hommes. 


(fg(5>, 


§   V.   —    LES   GUERRES   CIVILES 
La  ligue 

^AR  endroits,  la  Ligue  a  laissé  quelques 
.  souvenirs.  Comme  les  chouans,  les 
^-3^  ligueurs  sont  sanguinaires  et  pillards,  et 
dans  presque  toutes  les  légendes  ils  jouent  un  fort 
vilain  rôle.  Ailleurs,  mais  plus  rarement,  ce  sont 
les  huguenots  qu'on  accuse. 

Il  est  probable  que,  jusqu'à  la  Révolution,  il  se 
conserva  ,  un  assez  grand  nombre  de  traditions 
relatives  à  la  Ligue  ;  la  chouannerie  étant  venue 
depuis  les  a  fait  oublier,  et  il  est  possible  que 
plusieurs  des  exploits  des  ligueurs  ou  des  hugue- 
nots soient  allés  grossir  le  dossier  —  très-riche 
en  horreurs  —  de  la  chouannerie. 

Autrefois  vivaient  dans  un  château  auprès  de 
Salines,  en  la  commune  de  Matignon,  des  gentils- 
hommes pillards  et  cruels.  On  les  appelait  les 
ligueurs  ou  les  Fondebonds;  je  n'ai  pu  savoir  si 
ce  dernier  nom  était  celui  de  leur  château.  Dans 
leur  temps  ils  commirent  beaucoup  de  cruautés  : 


TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS      377 


aux  Villes-Samson,  ils  éventrèrent,  pour  se  divertir, 
une  femme  de  Saint-Cast,  et  l'on  appelle  encore 
aujourd'hui  allée  des  Soupirs  un  endroit  de  la 
commune  de  Matignon  où  ils  égorgeaient  leurs 
victimes. 

Longtemps  après  leur  mort,  leur  château  était 
hanté  la  nuit.  Une  bonne  femme  Hervé,  qui  y 
habitait,  les  entendait  venir  jouer  aux  boules  dans 
les  chambres  au-dessus  de  l'endroit  où  elle 
demeurait.  Quand  elle  était  lassée  de  leur  bruit, 
elle  frappait  au  plancher  avec  son  balai  pour  les 
faire  taire. 

(Conté  en  1880  p.ir  M.  Ange  Lorant,  clerc  de  notaire,  qui  a 
entendu  raconter  cel.-i  à  sa  grand'mère.) 

«  A  Saint-Donan  est  un  trou  profond  dans  la 
rivière  de  Gouet,  qui  s'appelle  la  Fosse-Madame, 
et  d'où  s'échappent  de  sourds  mugissements.  Le 
peuple  les  attribue  aux  cris  d'uiîe  dame  de 
Botherel  qui,  assiégée  dans  son  château,  aima 
mieux  se  précipiter  dans  la  rivière  que  de  se 
rendre.  » 

(B.  JoUivet,  art.  Sainl-Doiian,  p.  éo.) 

«  L'ancien  château  de  RufFay  était  habité  par  un 
huguenot  qui,  un  soir,  attendit  le  recteur  de 
Saint-Donan  qui  s'était  attardé  aux  Petits-Madrais, 
l'assassina  et  porta  son  cadavre  derrière  le  près- 


378      TRADITIONS     ET    SUPliRSTITÎONS 

bjrtère.  Le  frère  du  meurtrier  étant  venu  à  passer 
par  là,  heurta  le  cadavre  et  fut  saisi  d'une  telle 
frayeur  qu'il  mourut  trois  jours  après.  Depuis 
cette  époque,  on  peut  voir  chaque  nuit  un  cor- 
billard recouvert  de  draperies  de  deuil  se  diriger 
vers  Saint-Brieuc,  au  galop  de  quatre  chevaux 
noirs,  sans  conducteur  visible.  » 

(B.  JoUivft,  p.  60-61.) 

«  En  avril  1589,  une  troupe  appartenant  à 
l'armée  du  duc  de  Mercœur,  qui  tenait  garnison 
au  château  de  Fougères,  s'achemina  vers  Marigni, 
dont  le  propriétaire  tenait  le  parti  du  roi,  pilla  le 
mobilier  et  en  emporta  une  partie. 

«  La  tradition  locale  a  conservé  le  souvenir  de 
cet  acte  de  brigandage  ;  mais,  dans  les  détails, 
elle  s'écarte  de  la  vérité  :  elle  suppose  en  effet 
que  le  sieur  de  Marigni,  aidé  de  ses  domestiques 
et  de  ses  vassaux,  réussit  à  repousser  les  assaillants, 
tandis  que  le  contraire  est  prouvé  par  les  registres 
du  parlement.  » 

(.Maupillc,  Le  caiilon  de  Sainl-Bn'ce,  d.ir.s  les  Mcm.  de  la  Sx. 
arch.  d'Ille-el-Vilainc,  t.  XIII,  p.  288.) 

La  chouannerie 

Pendant  la  période  révolutionnaire,  Jeux  faits 
semblent  surtout  avoir  frappé  l'imagination  des 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  379 


paysans  gallots  :  les  prêtres  fusillés,  et  les  pillages 
et  les  meurtres  commis  par  les  chouans. 

Dans  tous  les  récits  que  j'ai  entendus,  aussi 
bien  dans  l'IUe-et-Vilaine  que  dans  les  Côtes-du- 
Nord,  les  chouans  sont  pillards  et  méchants.  Ce 
sont  eux  qui  font  asseoir  les  femmes  sur  le  gale- 
iier,  —  c'est  la  plaque  ronde  en  fer  battu  sur 
laquelle  on  fait  la  galette,  —  pour  les  forcer  à 
dire  où  est  caché  leur  argent,  ou  à  dénoncer  la 
retraite  de  leurs  maris  ou  de  leurs  enfants. 
Ailleurs  ils  enterrent  des  gendarmes  jusqu'au 
cou,  et  s'amusent  à  jouer  aux.  boules  en  prenant 
leurs  têtes  pour  but  ;  ou  bien  ils  brûlent  à  petit 
feu  les  acquéreurs  de  biens  nationaux. 

Ils  étaient  aussi  pillards,  et  les  paysans  racon- 
tent avec  indignation  qu'ils  emportaient  les 
couettes  des  lits  et  mettaient  le  cidre  à  courir. 

On  ferait  un  gros  recueil  de  toutes  les  cruautés 
qui  leur  sont  attribuées,  et  il  n'est  guère  surpre- 
nant, après  cela,  que,  dans  nombre  de  pays,  la 
plus  sanglante  insulte  qu'on  puisse  adresser  à  un 
homme,  c'est  de  l'appeler  «  chouan  ». 

Il  y  a  dans  le  bois  du  parc  de  Montmuran  un 
endroit  qu'on  appelle  le  Morbihan  :  c'est  là  que 
les  chouans  menaient  les  bleus,  et  qu'après  leur 
avoir   fait    dire   leur    acte   de    contrition,  ils  les 


380      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 


fiasillaient.  Jadis,  entre  petits  garçons,  il  n'était  pas 
rare  d'entendre  dire  : 

—  Si  ton  père  tenait  cor  (encore)  le  mien,  il  le 
mènerait  dans  le  Morbihan. 

(Conté  par  Joseph  Legendre,  de  Saint- Brieuc-des-Iffs.) 

Au  Plessix  en  Dourdain,  les  chouans  s'étaient 
emparés  de  Pétaud,  qui  était  un  bleu.  Ils  l'avaient 
lié  de  cordes  et  lui  répétaient  : 

—  Tu  vas  mourir,  Pétaud  ! 

—  Peut-être  bien  que  oui,  peut-être  bien  que 
non,  répondait-il. 

Ils  allumèrent  un  grand  feu,  car  on  était  en 
hiver  ;  mais  au  moment  où  ils  allaient  fusiller 
Pétaud,  la  garde  nationale  de  Dourdain  survint 
et  le  délivra,  après  avoir  tué  ou  blessé  plusieurs 
chouans. 

A  Dourdain,  les  chouans  coupaient  les  doigts 
aux  bleus  dans  l'église,  en  se  servant  de  la  tabîe 
de  Dieu,  c'est-à-dire  de  la  balustrade  de  l'autel, 
comme  d'un  billot. 

A  la  Bouexière,  ils  cherchaient  un  bleu  nommé 
Montigné  qui  s'était  caché;  ils  ne  trouvèrent  que 
sa  fille,  qu'ils  entraînèrent  dans  le  fournil,  où  ils 
lui  dirent  qu'ils  la  saigneraient  si  elle  ne  leur 
indiquait  pas  la  cachette  de  son  père. 

Heureusement,  la  garde  nationale  arriva  et 
délivra  la  jeune  fille. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  381 


Une  autre  fois,  les  chouans  s'emparèrent  de 
Montigné,  et  ils  allaient  le  tuer,  lorsqu'il  leur 
demanda  de  boire  un  «  coup  de  cidre  »  pour  se 
donner  du  cœur.  On  alla  lui  en  chercher  ;  mais 
les  chouans,  qui  trouvaient  le  piot  de  bonne 
qualité,  s'attardèrent  à  boire,  et  la  garde  nationale, 
prévenue  par  un  domestique  de  Montigné,  arriva 
et  les  surprit. 

(Conté  par  Jean  Bouchery,  de  Dourdain,  qui  a  appris  ces  deux 
derniers  faits  de  la  bouche  même  de  la  fille  que  les  chouans 
avaient  voulu  saigner.) 

Dans  Le  château  et  la  comintine,  livre  de  M.  Ducrest  de  Ville- 
neuve, on  peut  lire  à  la  page  298  un  récit  curieux  de  chouan- 
nerie qui  fut  fait  à  l'auteur  par  un  paysan  de  la  Gacilly. 

Les  chouans 

Il  y  avait  une  fois  un  homme  et  une  femiiie 
qui  allaient  coucher  dans  la  forêt;  ils  y  cons- 
truisirent une  cabane  et  y  demeurèrent  longtemps, 
et  ils  eurent  un  petit  garçon. 

Quand  il  fut  grand,  ils  le  mirent  en  service;  il 
y  resta  trois  ans,  puis  il  revint  chez  ses  parents, 
qui  se  montèrent  dans  une  petite  ferme. 

Ils  avaient  une  grand'prée  et  une  vache  que  le 
petit  gars  allait  garder  dans  la  prairie.  Une  fois, 
il  la  ramena  vers  la  nuit  tombante  à  la  maison, 
et  quand  il  fut  pour  se  mettre  à  manger,  il  dit  : 


382      TRADITIONS     ET     SUPERSTITIONS 

—  Ah  !  j'ai  oublié  mon  couteau  sur  le  fumier  de 
la  prairie. 

Sa  mère,  qui  était  hardie,  alla  avec  lui  le 
chercher,  et  ils  revinrent  avec  le  couteau. 

Le  lendemain,  ils  voulurent  envoyer  le  petit 
gars  ès-champs  ;  il  ne  voulut  pas.  Son  père  lui 
d.-ina  une  écuelle  de  bois  en  lui  disant  de  porter 
du  lait  pour  abreuver  la  vache.  Il  y  alla,  et  après 
l'avoir  abreuvée,  il  se  coucha  sur  le  fumier  et 
s'endormit. 

Quand  il  se  réveilla,  il  vit  les  chouans  qui 
coitssaieiit  —  poursuivaient  ou  poussaient  devant 
eu.K  —  les  vaches  par  la  prée,  et  il  s'enfuit  chez 
ses  parents. 

Sa    mère  lui  demanda   pourquoi   il  revenait. 

—  C'est,  dit-il,  que  les  chouans  ont  pris  la 
vache  et  veulent  l'emmener. 

Elle  retourna  avec  lui  et  aperçut  les  chouans, 
qui  s'emparèrent  d'elle  et  du  petit  gars,  et  l'em- 
menèrent dans  un  fourré  où  ils  demeuraient. 

En  rentrant,  le  père  ne  retrouva  ni  sa  femme, 
ni  son  petit  gars,  ni  sa  vache;  il  alla  dans  la 
prairie  et  vit  les  chouans.  L'un  d'eux  le  fit  pri- 
sonnier et  le  tua  connue  les  autres. 

(Coiiré  par  Delamarche  fils,  d'Ercc.') 

Ce  conte  est  sans  doute  une  histoire  de  chouan  soudée  à  un 
récit  pJvis  ancien,  et  qui  a  ainsi  accjuls  une  iorte  de  forme  légen- 
daire. 


DE     LA     HAUTE-BRETAGNE  383 


Dans  le  temps  de  la  Révolution,  les  bleus 
voulant  aller  à  Josselin  prièrent  un  homme  des 
environs  de  les  y  conduire.  Arrivés  non  loin  de 
Josselin,  ils  tuèrent  leur  guide. 

A  l'endroit  où  toucha  sa  tète  quand  il  tomba, 
se  fit  un  iroii  qu'on  n'a  jamais  pu  combler. 

Le  frère  de  Suzette  Marcadet,  chaudronnier 
ambulant  de  son  état,  l'a  bien  des  fois  rempli 
de  terre  et  de  pierre.  Quand  il  repassait,  quelques 
heures  plus  tard,  le  trou  était  vide. 

(Conté  en  1880  par  Suzette  Marcadet,  de  Josselin.) 
C'est  le  seul  récit,  parmi  ceux  que  j'ai  recueillis,  où  les  bleus 
jouent  un  rôle  sanguinaire.  J'ai   pourtant  habité  des  communes 
qui  avaient  chouanné  dans  le  temps.  Il  ne  serait  pas  impossible 
toutefois  que,  vers  le  Morbihan,  la  contre-partie  existât. 

Il  y  a  des  pays  (Ercé  et  les  environs)  où  on 
attribue  aux  chouans  les  meurtres  de  prêtres  pen- 
dant  la  Révolution. 

Les  endroits  où  les  prêtres  ont  été  fusillés  en 
conservent  encore  des  traces  visibles,  assure-t-on. 
Dans  le  bois  de  la  Chouannière,  près  Merdrignac, 
la  fougère  ne  pousse  pas  dans  une  partie  du  bois  : 
avant  de  mourir  sous  les  balles  des  bleus,  un 
prêtre  l'a  maudite. 

A  Saint-Germain,  on  voit  sur  la  terre  un 
espace  qui  a  la  forme  d'un  homme  étendu  par 
terre,  et  où  l'herbe  ne  pousse  pas  :  un  prêtre  a  été 
fusillé  là.  On  a  voulu  mettre  à  cet  endroit  des 


384      TRADITIONS    ET    SUPERSTITIONS 


fagots,  mais  sans  pouvoir  les  faire  tenir  l'un  sur 
l'autre. 

Au  Bois-Rouge  en  Chevaigné,  il  y  a  un  coin 
de  champ  où,  pour  la  même  raison,  l'herbe  ne 
pousse  pas.  Ces  deux  faits  m'ont  été  racontés  par 
une  femme  d'Ercé,  qui  y  croyait  fermement. 

L'herbe  maudite  et  qui  ne  pousse  plus  n'est  pas  particulière 
aux  lieux  où  ont  été  tués  des  prêtres  ;  on  montre  des  endroits 
où  le  terrain  est  nu  comme  une  place  foulée,  parce  que  deux 
frères  s'y  sont  battus  en  duel.  (E.) 

«  Quand  saint  Qiiay  débarqua  au  lieu  qui  maintenant  porte 
son  nom,  les  habitants  voulurent  le  chasser  à  coups  de  genêts. 
Il  maudit  cette  plante,  et  elle  a  cessé  de  pousser  dans  la 
commune.  »  (JoUivet,  t.  I,  p.  107.) 

«  Un  jour  que  la  mère  de  saint  Meliiiie  l'avait  fouetté  avec 
des  genêts,  il  ne  se  plaignit  pas  ;  mais  Dieu  prit  sa  défense, 
disent  les  vieilles  conteuses  ;  il  maudit  les  genêts,  et  depuis  lors 
nul  n'a  vu  brin  de  genêt  pousser  sur  la  paroisse  de  Brain.  » 
(Guillotin  de  Corson,  p.  19-20.) 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


P.  31.  La  croyance  aux  pierres  qui  poussent  existe  au  moins 
sur  quelques  points  de  la  Bretagne.  «  Les  gens  du  pays  n'ad- 
mettent pas  que  ces  pierres  aient  été  placées  debout  de  main 
d'homme;  pour  eux,  ce  sont  des  rochers  qui  ont  poussé.  »  (Pitre 
de  risle,  Stations  paléolithiques  et  néolithiques  de  la  Loire-Iufcrieurc. 
Kantes,  187S,  p.  8,  note.) 

P.  84.  A  Jersey  et  à  Guernesey,  il  y  a  des  grottes  de  mer  en 
assez  grand  nombre  ;  l'une  d'elles  porte  le  nom  de  trou  du 
Diable,  Devil's  hole.  A  une  petite  distance  est  une  grève  qui  se 
nomme  la  Houle.  (Joanne,  Kormandie-Diamant,  p.  16.) 

P.  92.  Les  Morganes  de  l'île  d'Ouessant  (cf.  Luzel,  Voyage  à 
Ouessant,  dans  Revue  de  France,  avril  1874)  se  plaisent  aussi  à  étaler 
leurs  trésors...  «  On  jouissait  de  leur  vue  tant  qu'on  pouvait 
rester  sans  battre  les  paupières  ;  mais  au  moindre  battement,  tout 
disparaissait  »  (p.  187.)  Ces  Morganes  ou  Mary  Morgan  ont 
plusieurs  points  de  ressemblance  avec  les  fées  des  houles.  Le 
nom  de  Morgan  n'est  pas  inconnu  en  Haute-Bretagne  ;  il  y  a 
un  tertre,  près  de  Matignon,  qui  s'appelle  tertre  de  la  fée 
Morgan  (cf.  p.  97  du  présent  volume). 

M.  Luzel  a  lu,  en  mars  dernier,  à  la  Société  archéologique  du 
Finistère,  un  travail  sur  les  Fée:  des  houles  des  Côtes-du-Nord,  les 
Morgans  de  l'île  d'Ouessant  et  les  Femmes  volantes,  qui  doit  être 
publié  dans  les  Bulletins  de  cette  Société  (n°=  d'avril  et  de  mai). 

P.  197.  Lire  :  Luzel,  Celui  qui  alla,  voir  sa  maîtresse  en  enfer, 
et  La  Villemarqué,  Barzaz-Breiz,  p.  156,  La  Fiancée  de  Satan. 

P.  320.  Cf  aussi  sur  les  saints  locaux  ma  Litl.  orale,  p.  206. 


TABLE    DES    MATIÈRES 

DU   PREMIER   VOLUME 


PREMIÈRE    PARTIE 
l'homme,    les    esprits    et    les    démons 

Chap.  I.          Les  Monuments  préhistoriques 3 

Chap.  il        Le  Culte  des  pierres,  des  arbres  et  des  fon- 
taines   4S 

Chap.  IIL      Les  Fées 73 

Chap.  IV.       Les  Lutins 141 

Chap.  V.         Le    Diable 177 

Chap.   VI.       Les  Apparitions  nocturnes 203 

Chap.  VIL     Les  Revenants 221 

Chap.  VIII.    Les  Sorciers,   les  Loups-garous  et  les  Ani- 
maux sorciers 272 

Chap.  IX.       Dieu  et  la  Vierge 305 

Chap.  X.         Les  Saints  et  les  Moines 319 

Chap.  XL       Les  Souvenirs  historiques 345 

Additions  et  corrections î8î 


WM 


Achevé    d'imprimer    le     ]o    Mars    1SS2 

par  G.  Jacoh,  imprimeur  à  Orléans 

pour   Maisonneuve    et    Cie 

libraires  -  éditeurs 

à    Paris 


^ 


OUVRAGES   DU    MEME    AUTEUR 

RELATIFS    A    LA    LITTÉRATURE    ORALE 


Contes  populaires  de  la.  Haute-Bretagne,  1"^=  série  (les 
féeries  et  les  aventures  merveilleuses,  les  facéties  et  les  bons 
tours,  les  diableries,  sorcelleries  et  revenants,  contes  divers). 
I  vol.  in- 1 8,  Paris,  Charpentier,  1880 3  fr.  jo. 

Contes  des  paysans  et  des  pêcheurs,  2»  série  des  Contes  popu- 
laires de  la  Haute-Bretagne  (les  fées  des  houles  et  de  la  mer, 
les  aventures  merveilleuses,  les  facéties  et  les  bons  tours,  les 
diables,  les  sorciers  et  les  lutins,  contes  d'enfants  et  contes 
d'animaux),  i  vol.  in-i8,  Paris,  Charpentier,  1881.      3  fr.  Jo. 

Littérature  orale  de  la  Haute-Bretagne  (contes  populaires, 
chansons,  devinettes,  formulettes,  proverbes,  propos  rustiques). 
I  vol.  in-i2  elzévir,  Paris,  Maisonneuve,  1881 7  fr.  50. 

Contes  de  marins,  3=  série  des  Contes  populaires  de  la  Haute- 
Bretagne  (les  aventures  merveilleuses,  Its  contes  des  vents,  les 
joyeuses  histoires  des  Jaguens,  les  contes  facétieux,  les  diables, 
les  sorciers  et  les  revenants,  fables  et  petites  légendes).  1  vol. 
in-i8,  Paris,  Charpentier,  1882 3  fr.  50. 

Essai  de  auESTiONNAiRE  pour  recueillir  les  traditions,  les 
légendes  et  les  superstitions.  Broch.  in-8'',  Maisonneuve, 
1880 I  fr. 

Sous  presse  : 
Gargantua  dans  les  traditions  populaires. 

Pour  paraître  prochainement  : 

Glossaire  gallot  ou  Dictionnaire  des  mots  patois  et  provinciaux 
en  usage  dans  l'Ille-et-Vilaine  et  dans  la  partie  française  des 
Côtes-du-Nord. 

Les  coutumes,  les  usages  et  les  fêtes  du  pays  gallot. 

En  préparation  : 

Bibliographie  des  traditions  et  de  la  littérature  populaire 

DE  la  FRANCE  (en  Collaboration  avec  M.  Henri  Gaidoz). 
Chansons  populaires  de  la  Haute-Bretagne. 
La  médecine  populaire  et  superstitieuse. 
Le  blason  populaire  de  la  Haute-Bretagne. 


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