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LITTÉRATURES POPULAIRES
TOMK XXI
5., ioIlTT
LITTÉRATURES
POPULAIRES
DE
TOUTHS LHS NATIONS
TRADITIONS, LEGENDES
CONTES, CHANSONS, PROVERBES, DEVINETTES
SUPERSTITIONS
TOME XXI
PARIS n, ^
.MAISONNEUVH FRERES ei CH^EECBiErV:^
25, QUAI VOLTAIRE, iXA^ \
1886 ^
Tous droits rtscrvcs
5., w^ni
LITTÉRATURES
POPULAIRES
DE
TOUTES LES NATIONS
TRADITIONS, LEGENDES
CONTES, CHANSONS, PROVERBES, DEVINETTES
SUPERSTITIONS
TOME XXI
PARIS n, ^ ^/ \ D
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MAISONNEUVE FRERES ei CH.^-EEC^EW
2S
:, QUAI VOLTAIRE, ÏSAn
1886 ^
Tous droits rtscrvis
CONTES P O P U L A I R 1- S
DE LA GASCOGNE
TOME III
CONTES POPULAIRES
LA GASCOGNE
M. Jean -François BLADÉ
CORRESPONDANT DE L INSTITUT
TOME III
CONTES FAMILIERS ET RÉCITS
PARIS
MAISONNEUVI- FRÈRES ft CH. LECLERC
25, QUAI VOLTAIRE, 2$
1886
Tous droits réservés
CONTES FAxMILIERS
III
LES GENS AVISÉS
I
LES GENS AVISÉS
LES GENS AVISES
JEAN LE PARESSEUX
hL y avait, une fois, un maître fort avare,
et fort glorieux, qui prit un jour à son
ser\-ice un métayer si fainéant, si fainéant,
qu'on l'appelait Jean le Paresseux. Quelques temps
après, le maître voulut aller voir ce qui se passait
à la métairie. Il monta donc à cheval, arriva jus-
qu'à la porte du cliauffoir (i), et trouva Jean le
Paresseux couché en travers du fover.
(i) En gascon lou cauhadc, pièce principale des habitations
rustiques.
CONTES FAMILIERS
— « Bonjour, maître.
— Bonjour, Jean le Paresseux. Es-tu seul à la
métairie ?
— Non, maître. J'y vois la moitié de deux
bêtes à quatre pieds.
— Insolent ! Et que fais-tu là, couché comme
un chien, quand tu devrais être à travailler ?
— Maître, je fais cuire ceux qui vont et qui s'en
reviennent.
— Que veux-tu dire, bête ? Où est ton frère ?
— Maître, mon frère est allé à une chasse où
il jette tout le gibier qu'il prend, et emporte ce-
lui qu'il ne peut atteindre.
— Tu es en train de dire des sottises. Où est
fa mère?
— Maître, ce matin, ma mère tranchait la tête
;\ ceux qui se portaient bien, pour guérir les ma-
lades. Maintenant, elle donne des coups de bâton
aux affamés, et fait manger ceux qui n'ont pas
faim .
— Que dis-tu là, tête de porc ? Est-ce là tout
ce que ta mère a lait aujourd'hui ?
— Non, maître. Elle s'est aussi levée avant le
jour, pour faire cuire le pain que nous avons
mangé la semaine passée.
— Ah ! l'animal ! Je n'en tirerai rien. Où est
ton père ?
LES GENS AVISÉS
— Maître, mon père est à la vigne, et il y fait
le bien et le mal.
— Eh bien ! puisqu'il est à la vigne, je vais
l'y trouver. Je lui conterai toutes tes mauvaises
réponses. »
Le maître s'en alla donc à la vigne, et trouva
le père de Jean le Paresseux, qui taillait les sar-
ments.
— « Il faut dire, mon ami, que ton nls est
un grand imbécile, un grand insolent. Tout-à-
l'heure, je n'en ai tiré que de mauvaises réponses.
— Oh ! maître, je ne l'en aurais pas cru ca-
pable. Et que vous a-t-il dit ?
— Je lui ai demandé s'il était seul à la mé-
tairie. Il m'a répondu : « J'y vois la moitié d'une
bête à quatre pieds. »
— Maître, il a dit la vérité. Vous n'avez que
deux jambes ; et votre cheval avançait les deux
pieds de devant dans le chauffoir. Vous faisiez
donc, ensemble, la moitié d'une bête à quatre
pieds.
— Cela se peut. Mais quand je lui ai demandé
ce qu'il faisait, il m'a répondu : « Je fais cuire
ceux qui vont et qui s'en retournent. »
— Maître, il a dit encore la vérité. Mon fils,
faisait cuire des haricots. Les haricots montent
et descendent dans la marmite. Ils vont, et s'en
reviennent.
CONTES FAMILIERS
— Mais quand je lui ai demandé : « Où est
ton frère ? » il m'a répondu : « Mon frère
est allé à une chasse où il jette tout le gibier
qu'il prend, et emporte celui qu'il ne peut at-
teindre. »
— Maître, il a dit encore la vérité. Son frère
se peignait, et jetait les poux qu'il avait pris.
Pourtant, il a été forcé d'emporter sur sa tête
ceux qui ont échappé au peigne.
— Mais quand je lui ai demandé : « Où est ta
mère? » il m'a répondu : « Ce matin, ma mère
tranchait la tête à ceux qui se portaient bien,
pour guérir les malades. Maintenant, elle donne
des coups de bâton aux affamés, et fait manger
par force ceux qui n'ont pas faim. »
— Maître, il a dit encore la vérité. Sa mère
a tué, ce matin, deux poulets, pour faire du
bouillon à un malade. Ensuite, elle a chassé,
avec un bâton, les poules qui venaient manger le
millet, pendant qu'elle gorgeait les oies.
— Mais il m'a dit aussi : « Ma mère s'est levée
avant le jour, pour faire cuire le pain que nous
avons mangé la semaine passée. »
— Maître, il a dit encore la vérité. Ma femme
a fait au four, avant l'aube, pour rendre aux
voisins le pain qu'il nous ont prêté la semaine
dernière.
— Mais quand je lui ai demandé : « Où est ton
LES GENS AVISES
père ? » il m'a répondu : « Il est à la vigne, et
il y fait le bien et le mal. »
— Maître, il a dit encore la vérité. Je suis
venu tailler la vigne. Je fais le bien quand je
taille bien, et le mal quand je taille mal.
— C'est égal. Jean le Paresseux est un inso-
lent. Je vous chasse tous de la métairie, s'il ne
fait pas trois choses que je vais lui commander.
D'abord, il mangera plus de bouillie de mais que
le plus grand mangeur du pays. Ensuite, il jet-
tera, avec sa fronde, une pierre plus loin que ne
le ferait l'homme le plus habile. Enfin, il tirera
du sang d'un chêne.
— Eh bien ! maître, mon fils tâchera de vous
contenter. »
Le père s'en alla trouver Jean le Paresseux, et
lui conta ce qui en était.
— « Soyez tranquille, père. Je ferai tout ce
qui m'est commandé. »
Le maître manda donc le plus grand mangeur
du pays ; et il fit remplir bien également deux
grandes terrines de bouiUie de maïs, avec une
cuiller dans chacune. Mais, pendant que le grand
mangeur se bourrait tant qu'il pouvait, Jean le
Paresseux jetait adroitement la bouillie de maïs
sous la table, de façon qu'il accula son compa-
gnon.
— « Et maintenant, dit le maître, tu vas jeter.
CONTES FAMILIERS
avec ta fronde, une pierre plus loin que ne le
ferait l'homme le plus habile. »
Le maître manda donc un tireur de fronde fort
habile, qui jeta sa pierre presque à perte de vue.
Mais Jean le Paresseux avait mis un pigeon dans
sa fronde Quand il lança son coup, le pigeon
vola plus loin que les yeux ne purent le suivre.
— « Et maintenant, dit le maître, tu vas tirer du
sang d'un chêne. »
Jean le Paresseux fit semblant de ramasser une
pierre, pour la jeter contre un chêne. Mais il avait
dans sa poche un œuf couvi; et il le jeta contre
l'arbre, de façon qu'on aurait cru que le sang était
sorti sur le coup.
— « Maître, dit alors Jean le Paresseux, j'ai fait
ce que vous m'avez commandé. Pourtant j'aban-
donne la métairie, car j'ai pris un autre mé-
tier. ))
En effet, Jean le Paresseux partit avec les siens,
Quelques jours après, son maître le rencontra
vêtu comme un prince.
— « Quel métier fais-tu donc à présent, Jean
le Paresseux, pour être si bien vêtu?
— Maître, je me suis mis marchand de choses
qui ne coûtent rien.
— Que veux-tu dire?
— Je veux dire que je me suis mis voleur. Ce
que je vends ne me coûte rien. Votre cheval vaut
LES GEXS AVISÉS
cinquante pistoles. Dans trois jours, je vous l'au-
rai vole, et je vous le rendrai pour vingt-cinq.
— Nous verrons cela, Jean le Paresseux. Je
vais faire bonne garde dans l'écurie, avec mon
fusil et mon épée ; et je te promets que, si je t'y
prends, je te tuerai comme un chien. »
Le maître prit donc son fusil et son épée, et
s'en alla guetter à l'écurie. Mais au bout de deux
jours, il finit par s'endormir. Alors, Jean le Pa-
resseux entra doucement, doucement, amena le
cheval sellé et bridé, et le rendit au maître le
lendemain, pour vingt-cinq pistoles (i).
(:) Raconté par Isidore Escarnot, de Bivès (Ge.s).
mm
II
LE NAVIRE MARCHANT SUR TERRE
jL y avait, une fois, un roi bien malheu-
reux. Pourtant, il était aussi riche que la
men Sa fille était belle comme le jour, et
sage comme une sainte.
Nuit et jour, le roi pensait :
■ — « Il me faut un navire, un Navire marchant
sur terre. »
Par malheur, nul au monde n'était en état de
lui donner contentement.
Enfin, le roi fit tambouriner dans toutes les
villes et villages de son pays :
— « Ran plan plan ran plan plan ran plan
plan. Vous êtes tous avertis que le roi donnera sa
fille en mariage, avec sept cents métairies en dot,
à l'homme qui lui fera présent d'un Navire mar-
chant sur terre. »
LES GENS AVISÉS I3
En ce temps-là vivait, avec ses trois fils, une
pauvre vieille veuve.
— « Mère, dit l'aîné des trois fils, vous avez
entendu. Demain, je veux partir à la recherche
du navire, du Navire marchant sur terre. »
Le lendemain, dès la pointe de l'aube, l'aîné
partait, le bâton à la main, une petite miche de
pain noir dans sa besace.
Sur les dix heures du matin, il s'assit, pour dé-
jeuner, au bord d'une fontaine. En ce moment,
un pauvre \ànt à passer.
— « Jeune homme, j'ai faim. Pour l'amour de
Dieu et de la sainte Vierge Marie, donne-moi un
morceau de ta petite miche de pain noir.
— Pauvre, passe ton chemin. Je n'ai pas trop
à manger pour moi.
— Jeune homme, où vas-tu ? »
Le garçon haussa les épaules, en signe de mé-
pris.
— « Je suis mon nez. Mon cul le pour-
chasse (i).
— Jeune homme, je te parle honnêtement.
Fais comme moi.
— Eh bien, pauvre, je vais chercher des ai-
guillons (2).
(i) En gascon : Siigui lou nas. Loucu l'acasso.
(2) Des aiguillons à bœufs, en gascon toucaderos.
14 CONTES FAMILIERS
— Des aiguillons tu trouveras. »
Le jeune homme acheva sa petite miche de
pain noir, et repartit. Au coucher du soleil, il s'ar-
rêta, crevant de faim, sur le seuil d'une métairie.
— « Un morceau de pain, métayer, s'il vous
plaît, pour l'amour de Dieu et de la sainte
Vierge Marie. Paler noster
— Décampe, fainéant. »
Et il lui lança son aiguillon.
Le jeune homme le ramassa.
— « C'est toujours autant de gagné. »
Et il repartit.
Pendant cent jours, le malheureu.K courut le
monde, buvant aux fontaines, mangeant des her-
bes et des fruits sauvages. Quand il s'arrêtait,
crevant de faim, sur le seuil de quelque métairie,
pour y demander l'aumône, aussitôt le métayer
lui criait :
— « Décampe, fainéant. »
Et il lui lançait son aiguillon.
Le jeune homme le ramassait.
— « C'est toujours autant de gagné. »
Au centième jour, le garçon avait ramassé
cent aiguillons. Mais il n'avait pas trouvé ce qu'il
cherchait.
Enfin, le malheureux retourna chez sa mère.
— « Eh bien! mon fils, as-tu trouvé le navire,
le Navire marchant sur terre?
LES GEKS AVISÉS I5
— Mère, je n'ai trouvé que ces cent aiguillons.
Maintenant, j'ai fini de voyager. »
Alors, le cadet des trois fils parla.
— « Mère, demain je veux partir à la recher-
che du navire, du Navire marchant sur terre. »
Le lendemain, dès la pointe de l'aube, le cadet
partait, le bâton à la main, une petite miche de
pain noir dans sa besace.
Sur les dix heures du matin, il s'assit, pour dé-
jeuner, au bord d'une fontaine. Un pauvre vint
à passer.
— « Jeune homme, j'ai faim. Pour l'amour
de Dieu et de la sainte Vierge Marie, donne-moi
un morceau de ta petite miche de pain noir.
— Pauvre, passe ton chemin. Je n'ai pas trop
à manger pour moi.
— Jeune homm.e, où vas-tu ? »
Le garçon haussa les épaules, en signe de mé-
pris.
— « Je suis mon nez. Mon cul le pourchasse.
— Jeune homme, je te parle honnêtement.
Fais comme moi.
— Eh bien, pauvre, je vais chercher des que-
nouilles.
— Des quenouilles tu trouveras. »
Le jeune homme acheva sa petite miche de pain
noir, et repartit. Au coucher du soleil, il s'arrêta,
crevant de faim, sur le seuil d'une métairie.
l6 CONTES FAMILIERS
— « Un morceau de pain, métayère, s'il vous
plaît, pour l'amour de Dieu et de la sainte Vierge
Marie. Pater noster
■ — Décampe, fainéant. »
Et elle lui lança sa quenouille.
Le jeune homme la ramassa.
— il C'est toujours autant de gagné. »
Et il repartit.
Pendant cent jours, le malheureux courut le
monde, buvant aux fontaines, mangeant des
herbes et des fruits sauvages. Quand il s'arrêtait,
crevant de faim, sur le seuil de quelque métairie,
pour y demander l'aumône, aussitôt la métayère
lui criait :
— « Décampe, fainéant. »
Et elle lui lançait sa quenouille dans les
jambes.
Le jeune homme la ramassait.
— « C'est toujours autant de gagné. »
Au centième jour, le garçon avait ramassé cent
quenouilles. Mais il n'avait pas trouvé ce au'il
cherchait.
Enfin, le malheureux retourna chez sa mère.
— « Eh bien ! mon fils, as-tu trouvé le navire,
le Navire marchant sur terre ?
— Mère, je n'ai trouvé que ces cent que-
nouilles. Maintenant, j'ai fini de voyager. »
Alors, le dernier des trois fils parla.
LES GENS AVISES I7
— « Mère, demain je veux partir à la recher-
che du navire, du Navire marchant sur terre. »
Le lendemain, dès la pointe de l'aube, le der-
nier des trois fils partait, le bâton à la main, une
petite miche de pain noir dans sa besace.
Sur les dix heures du matin, il s'assit, pour dé-
jeuner, au bord d'une fontaine. Un pauvre vint à
passer.
— « Jeune homme, j'ai faim. Pour l'amour de
Dieu et de la sainte Vierge Marie, donne-moi
un morceau de ta petite miche de pain noir.
— Avec plaisir, pauvre. Tiens, mange-la tout
entière.
— Merci, mon ami. Toi, mange toute celle-ci. »
Et le pauvre tira de sa besace une grosse miche
de pain, blanche comme la neige, tendre comme
la rosée.
— « Jeune homme, où vas-tu ?
— Pauvre, je vais à la recherche du Navire
marchant sur terre.
— Jeune homme, couche-toi là, et dors.
Quand je te réveillerai, tu auras contentement. »
Le garçon obéit. Une heure après, son com-
pagnon le réveilla.
— « Assez dormi, jeune homme. Regarde. »
Le navire, le Navire marchant sur terre était là,
peint de toutes couleurs, avec des mâts d'argent,
des cordasfes d'or, et des voiles de soie rouge.
l8 CONTES FAMILIERS
— « Jeune homme, commande. Le navire,
le Navire marchant sur terre t'obéira. »
Ce qui fut dit fut fait.
— « Navire, avance. »
Le navire, le Navire marchant sur terre avança.
— « Navire, recule. »
Le navire, le Navire marchant sur terre recula.
— « Navire, tourne. »
Le navire, le Navire marchant sur terre tourna.
— « Jeune homme, écoute. Je suis le Bon
Dieu. Tu m'as fait la charité. Moi, je te donne
ce navire, ce Navire marchant sur terre. Monte
dedans, et pars. Surtout, n'oublie pas de prendre
avec toi tous ceux que tu rencontreras. »
Le jeune homme salua le Bon Dieu, et monta
dans le navire, qui partit aussi vite que le vent.
Au bout de cent lieues, il vit un homme qui
rongeait un cep de vigne.
— « Navire, arrête. «
Le navire, le Navire marchant sur terre s'arrêta.
— « Mon ami, que fais-tu là ?
— Jeune homme, tu le vois. Cette année, le
vin est cher. Je suis pauvre. Faute de mieux,
je ronge ce cep de vigne. Cela me rappelle le
goût du vin.
— Mon ami, viens avec moi. »
L'homme obéit, et monta dans le navire, c^ui
repartit aussi vite que le vent.
LES GENS AVISÉS 19
Cent lieues plus loin, tous deux virent un homme
qui rongeait un os de vache, blanc comme neige.
— « Navire, arrête. »
Le navire, le Navire marchant sur terre s'arrêta.
— « Mon ami, que fais-tu là ?
— Jeune homme, tu le vois. Cette année la
viande est chère. Je suis pauvre. Faute de mieux,
je ronge cet os de vache. Cela me rappelle le
goût de la viande.
— Mon ami, viens avec moi. »
L'homme obéit, et monta dans le navire qui
repartit aussi vite que le vent.
Au bout de cent lieues, tous trois virent un
bûcheron portant sur son dos la moitié de la
coupe d'une forêt.
— « Navire, arrête. »
Le navire, le Navire marchant sur terre s'arrêta.
— « Mon ami, que fais-tu là ?
— Jeune homme, tu le vois. Ma marâtre me
crie toujours : « Tu ne me rapportes jamais assez
de bois. » Alors, j'ai chargé sur mon dos la moi-
tié de la coupe d'une forêt.
— Mon ami, viens avec nous. »
Le bûcheron obéit, et monta dans le navire,
qui repartit aussi vite que le vent.
Cent lieues plus loin, tous quatre virent un
homme qui tenait un soufflet grand comme une
église, et soufflait ferme vers les nuages.
20 CONTES FAMILIERS
— « Navire, arrête. »
Le navire, le Navire marchant sur terre s'arrêta.
— « Mon ami, que fais-tu là ?
— Jeune homme, tu le vois. Je souffle, pour
chasser le mauvais temps et la grêle, qui empor-
teraient nos récoltes.
— Mon ami, viens avec moi. »
L'homme obéit, monta dans le navire, qui re-
partit aussi vite que le vent.
Cent lieues plus loin, tous cinq débarquaient
au château du roi.
— « Bonjour, roi. Voici le navire, le Navire
marchant sur terre. Et maintenant, il me faut votre
fille en mariage, avec sept cents métairies en dot.
— Jeune homme, je te donnerai ma fille, avec
sept cents métairies en dot, quand tu m'auras
fait voir un homme capable de lamper, dans une
heure, sept bordelaises de vin (i).
— Roi, vous aurez contentement. Valets, vite,
apportez ici sept bordelaises de vin, et défoncez-
les par le haut. «
Les valets obéirent.
Alors, le garçon appela l'iiomme qu'il avait
trouvé rongeant un cep de vigne.
— « Hardi ! mon ami. »
(i) La bsrrique bordelaise jauge un quart de '.onneau mari-
time, soit 225 litres.
LES GEN'S AVISES
Dans une heure, l'homme avait lampe les sept
bordelaises de vin.
— « Roi, voilà qui est fait. Et maintenant, il me
faut votre fille en mariage, avec sept cent métairies
en dot.
— Jeune homme, je te donnerai ma fille, avec
sept cents métairies en dot, quand tu m'auras fait
voir un homme capable d'avaler, dans une heure,
la viande de sept bœufs.
— Roi, vous aurez contentement. Cuisiniers,
vite, apportez ici la viande de sept boeufs. »
Les cuisiniers obéirent.
Alors, le garçon appela l'homme qu'il avait
trouvé rongeant un os de vache blanc comme
neige.
— « Hardi ! mon ami. »
Dans une heure, l'homme avait avalé la viande
de sept boeufs.
— « Roi, voilà qui est fait. Et maintenant, il me
faut votre fille en mariage, avec sept cents mé-
tairies en dot.
— Jeune homme, ma fille ne veut pas de
toi.
— Roi, vous en avez menti. Faisons bataille. «
Alors, le roi manda ses soldats, et partit en
guerre. Mais le jeune homme appela le bûcheron,
et l'homme au soufilet grand comme une église.
— « Hardi ! mes amis. »
CONTES FAMILIERS
A grands coups de hache, le bûcheron cou-
chait morts les soldats du roi par centaines. Avec
le soufflet grand comme une église, son com-
pagnon faisait voler à sept lieues les balles, les
pierres, et les boulets de fer.
Le roi vit qu'il n'était pas le plus fort.
— « Jeune homme, faisons la paix. Renvoie
vite ces gens-là. Je te donne ma fille en mariage,
avec sept cents métairies en dot. »
Ce qui fut dit fut fait. Le jeune homme renvoya
ses quatre amis chargés de présents. 11 épousa la
fille du roi. Tous deux vécurent longtemps riches
et heureux (i).
(i) Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Ce conte
est encore assez répandu dans la Gascogne. M. Lacroi.v, rece-
veur de l'enregistrement à Agen, en a recueilli, dans le dé-
partement de l'Ariège, et de la bouche d'un meunier, une leçon
dont le fond est à peu près identique à. celle de Pauline Lacaze.
®SJ®S®S©@©S®S©®
III
LE FORGERON DE FUMEL
IL y avait, autrefois, à Nvîmc (i), un roi
qui s'appelait Henri IV. Ce roi était riche
comme la mer, aumônier comme un
prêtre, hardi comme un lion, juste comme l'or.
Pourtant, Henri IV n'était pas heureux. Nuit
et jour, il se disait :
— « Les galériens ne souffrent pas autant que
moi. Je n'ai qu'une fille, plus belle que le jour,
et plus sage qu'une sainte. Mais elle est si triste,
si triste, que nul galant ne peut se vanter de l'a-
voir fait rire une seule fois. Aussi, l'a-t-on sur-
nommée la Princesse Triste-Mine. J'ai sept cents
(i) Chef-lieu d'arrondissement du département de Lot-et-G.i-
ronue. On sait que Henri IV, alors qu'il n'était encore que roi de
Navarre, tenait généralement sa petiie cour i Ntrac.
24 CONTES FAMILIERS
chevaux superbes, tous noirs comme l'âtre. Pour-
tant, je n'aime que mon grand cheval blanc. Mais
il est si méchant, si méchant, que le plus habile
forgeron (i) de la terre est hors d'état de le
ferrer des quatre pieds. Aussi l'a-t-on surnommé
Brise-Fer. Non, les galériens ne souffrent pas au-
tant que moi. »
Enfin, Henri IV n'y put plus tenir, et manda
dans son château le tambour de ville.
— « Tambour, voici mille pistoles. Va-t-en
courir le monde, et crier partout : « L'homme
capable de faire rire une seule fois la Princesse
Triste-Mine, et de ferrer des quatre pieds le grand
cheval blanc Brise-Fer, sera le gendre et l'héri-
tier de Henri IV. »
— Roi, vous serez obéi. »
Ce qui fut dit fut h'it. Force galants se pré-
sentèrent, pour tenter les deux épreuves. Tous
s'en retournèrent comme ils étaient venus.
En ce temps-là, vivait à Fumel (2), avec sa
vieille mère, un jeune et hardi forgeron.
— « Mère, dit-il un soir à souper, demain, je
pars pour Nérac. C'est moi qui ferai rire, au
moins une fois, la Princesse Triste-Mine, et qui
(i) En Gascogne, beaucoup de forgerons travaillent en méine
temps comme maréchaux-ferranis.
(2) Chef-lieu de canton du département de Lot-et-Garonne.
LES GENS AVISÉS
ferrerai des quatre pieds le grand cheval blanc,
Brise-Fer. Ainsi, je serai le serai le gendre et
l'héritier de Henri IV.
— Pars, mon fils, et que le Bon Dieu te con-
duise, »
La brave femme alla se coucher. Alors, le For-
geron tira de son coffre toute sa petite for-
tune, cent écus de six livres, et cinquante louis
d'or. Avec les cent écus de six livres, il forgea
quatre fers d'argent. Avec les cinquante louis,
il forgea vingt-huit clous d'or, sept pour chaque
fer.
A la pointe de l'aube tout était prêt. Le For-
geron partait pour Nérac, sa besace de cuir en
bandoulière. Dans cette besace, il y avait un
pain, une gourde pleine de vin, un marteau, les
quatre fers d'argent, et les vingt-huit clous d'or.
Trois heures plus tard, le Forgeron mangeait
et buvait, assis au bord du chemin. Dans un
champ de blé voisin, chantait un grillon noir
comme la suie.
— « Cri cri cri. Bonjour, Forgeron.
— Bonjour, grillon. Qu'y a-t-il pour ton ser-
vice ?
— Cri cri cri. Forgeron, je veux savoir où tu
vas.
— Grillon, je vais à Nérac, faire rire la Prin-
cesse Triste-Mine, et ferrer le grand cheval blanc
20 CONTES FAMILIERS
Brise-Fer. Ainsi, je serai le gendre et l'héritier de
Henri IV.
— Cri cri cri. Forgeron, emporte-moi. Je te
rendrai peut-être service.
— Grillon, avec plaisir. Allons ! Hop ! Ancre-
toi fort et ferme sur mon menton. »
Ce qui fut dit fut fait. Le Forgeron repartit,
emportant le grillon ancré sur son menton.
Trois heures plus tard, il buvait et mangeait
encore, assis au bord du chemin. Dans un champ
voisin, un petit rat grignottait une feuille de ta-
bac.
— « Couic couic couic. Bonjour, Forgeron.
— Bonjour, rat. Q.a'y a-t-il pour ton ser-
vice ?
— Couic couic couic. Forgeron, je veux savoir
où tu vas.
— Rat, je vais à Nérac, fiiire rire la Princesse
Triste-Mine, et ferrer le grand cheval blanc Brise-
Fer. Ainsi, je serai le gendre et l'héritier de
Henri IV.
— ■ Couic couic couic. Forgeron, emporte-moi.
Je te rendrai peut-être service.
— Rat, avec plaisir. Allons ! Hop ! Ancre-toi
fort et ferme sur mon béret. »
Ce qui fut dit fut fait. Le Forgeron repartit,
emportant le grillon ancré sur son menton, et le
rat ancré sur son béret.
LES GENS AVISÉS 27
Le même soir, il ronflait comme un bien-
heureux entre deux draps, dans une auberge
d'Agen. A la pointe de l'aube, il s'éveilla brus-
quement, piqué sur le bout du nez.
— « Forgeron, debout, debout. Assez dormi,
fainéant.
— Qui es-tu ? Je t'entends, mais je ne te vois
pas.
— Forgeron, je suis la Mère des Puces, et je
suis ancrée sur le bout de ton nez. Forgeron, je
veux savoir où tu vas.
— Mère des Puces, je vais à Nérac, faire rire
la Princesse Triste-Mine, et ferrer le grand cheval
blanc, Brise-Fer. Ainsi, je serai le gendre et l'hé-
ritier de Henri IV.
— Forgeron, emporte-moi. Je te rendrai peut-
être service.
— Mère des Puces, demeure ancrée fort et
ferm.e sur le bout de mon nez. »
Ce qui fut dit fut fait. Le Forgeron repartit, le
grillon ancré sur son menton, le rat ancré sur sou
béret, et la Mère des Puces ancrée sur le bout de
son nez.
Trois heures après le lever du soleil, il était à
Nérac, assis sur un banc de pierre, tout à côté de
la maîtresse-porte du château du roi.
Valets et servantes le regardaient en riant.
— « Forgeron, qu'es-tu venu faire ici ?
28 CONTES FAMILIERS
— Braves gens, je suis venu parler à Henri IV,
et à la Princesse Triste-Mine.
— Forgeron, les voici justement, qui revien-
nent de la messe. »
Le Forgeron se présenta sans peur ni crainte.
— « Bonjour, Princesse Triste-Mine. Je suis
venu pour vous faire rire. Bonjour, Henri IV. Je
suis venu pour ferrer le grand cheval blanc Brise-
Fer. Ainsi, je serai votre gendre et votre héri-
tier. »
En voyant ainsi son prétendu, avec un grillon
ancré sur le menton, un rat ancré sur le béret, et
la Mère des Puces ancrée sur le bout de son nez,
la Princesse Triste-Mine éclata de rire.
— « Henri IV, la première moitié de mon
travail est faite. La princesse Triste-Mine vient
de rire, pour la première fois de sa vie.
— Forgeron, c'est juste. Et maintenant, il s'agit
de descendre à l'écurie, et de ferrer mon grand
cheval blanc, Brise-Fer.
— Henri IV, je suis à votre commandement. »
Tous trois descendirent à l'écurie. Là, le For-
geron tira de sa besace son marteau, les quatre
fers d'argent , et les vingt-huit clous d'or.
Henri IV et la Princesse Triste-Mine ouvraient
de grands yeux.
— « Forgeron, voilà des fers et des clous qui
n'ont pas leurs pareils au monde.
LES GENS AVISES 29
— Princesse Triste-Mine, je ne suis pas un
forgeron comme les autres. L'or et l'argent ne
me manquent pas. Henri IV, je ne suis pas un
forgeron comme les autres. Vous allez voir ce
que je sais faire. »
Mais le grand cheval blanc, Brise-Fer, se mé-
fiait. Il se cabrait, il ruait, il hennissait à se faire
entendre à plus de sept lieues. Le Forgeron ne
faisait qu'en rire.
— « Grillon, fais ton métier. »
Aussitôt, le grillon sauta dans l'oreille du grand
cheval blanc Brise-Fer, et se mit à chanter tant
qu'il put :
— ce Cri cri cri. Cri cri cri. Cri cri cri. »
Assourdi par ce tapage, le cheval eut bientôt
fini de se cabrer, de ruer, et de hennir. Doux
comme un mouton, il baissait le nez à terre.
— « Rat, fais ton métier. »
Aussitôt, le rat sauta sous le nez du grand
cheval blanc, Brise-Fer, et se mit à péter et à
vesser tant qu'il put.
— « Pau ! pan ! pan ! Ft ! ft ! ft ! »
Pets et vesses empestaient le tabac, dont le rat
avait coutume de se nourrir. A cette odeur, le
cheval s'endormit.
Alors, le Forgeron le ferra des quatre pieds, lui
mit la bride et la selle, et sauta dessus, sans peur
ni crainte.
30 CONTES FAMILIERS
— « Hue ! Hue donc ! »
Le grand cheval blanc Brise-Fer se leva. Main-
tenant, il obéissait à la main et à la voix.
Alors, le Forgeron dit au roi :
— « Henri IV, la seconde moitié de mon tra-
vail est faite. Le grand cheval blanc, Brise-Fer, est
ferré des quatre pieds. Ainsi, je dois être voire
gendre et votre héritier.
— Forgeron, c'est juste. J'entends que tu
épouses ma fille ce matin même. Intendant, cours
avertir le curé. Et vous, servantes et valets, pré-
parez vite une belle noce. »
Ce qui fut dit fut fait. Jamais on n'avait vu,
jamais on ne verra noce pareille. Pourtant, le
Forgeron n'était pas content, et ne mangeait pas
de bon appétit II pensait :
— « Voici venir l'heure des embarras. Ce ma-
tin, j'ai dit devant la Princesse Triste-Mine et
Henri IV : « L'or et l'argent ne me manquent
pas. » Pourtant, je suis plus pauvre que les
pierres. Mon petit avoir est passé, passé tout entier
à ferrer des quatre pieds le grand cheval blanc,
Brise-Fer. Que faire, mon Dieu ? Que faire ? »
Au sortir de table, un jeune homme s'appro-
cha du marié.
— « Forgeron, je veux te parler en secret.
— Mon ami, je suis à ton commandement.
— Forgeron, j'aime de tout mon cœur la
LES GENS AVISES
Princesse Triste-Mine, qui n'a pas voulu de moi.
Forgeron, je suis riche comme la mer. Ecoute.
L'heure approche où tu dois aller te coucher avec
ta femme. Jure-moi, par ton âme, de n'y pas tou-
cher de toute la nuit, et demain matin je te donne
un grand sac, plein de quadruples d'Espagne.
— Mon ami, c'est convenu. »
Ce qui fut dit fut fait. Au lieu de souffler la
lumière, et de se coucher près de sa femme, le
Forgeron passa toute la nuit à se promener dans
la chambre. D'heure en heure, il demandait à la
Princesse Triste-Mine :
— « Femme, sais-tu combien de quadruples
d'Espagne peut contenir un grand sac ? »
Au lever du soleil, il s'en alla trouver le jeune
homme.
— « Mon ami, j'ai gagné ce que tu m'as pro-
mis hier soir. »
Tandis que le Forgeron cachait son or,
Henri IV eiitra dans la chambre de la Princesse
Triste-Mine.
— « Eh bien! ma fille, comment as-tu passé ta
première nuit de noces?
— Mon père, ne m'en parlez pas. J'ai coucJic
seule. Toute la nuit, mon mari s'est promené
dans la chambre. D'heure en heure, il me deman-
dait : « Femme, sais-tu combien de quadruples
d'Espagne peut contenir un grand sac ? »
32 CONTES FAMILIERS
— Ma fille, ton mari t'a fait un grand affront.
Je compte bien que, la nuit prochaine, il ne re-
commencera pas. »
Mais le Forgeron avait un autre grand sac de
quadruples d'Espagne à gagner comme le pre-
mier. Au lieu de souffler la lumière, et de se cou-
cher près de sa femme, il passa toute la nuit à
se promener dans la chambre. D'heure en heure,
il demandait à la Princese Triste-Mine :
— « Femme, sais-tu combien de quadruples
d'Espagne peut contenir un grand sac ? »
Au lever du soleil, il s'en alla trouver le jeune
homme.
— « Mon ami, j'ai gagné ce que tu m'as pro-
mis hier soir. »
Tandis que le Forgeron cachait son or, Hen-
ri IV entra dans la chambre de la Princesse
Triste-Mine.
— « Eh bien! ma fille, comment as-tu passé ta
seconde nuit de noces ?
— Mon père, ne m'en parlez pas. J'ai couché
seule. Toute la nuit, mon mari s'est promené
dans la chambre. D'heure en heure, il me deman-
dait : « Femme, sais-tu combien de quadruples
d'Espagne peut contenir un grand sac ? »
— Ma fille, ton mari t'a fait un autre grand
affront. Je compte bien que, la nuit prochaine, il
ne recommencera pas. »
LES GENS AVISÉS 33
Mais le Forgeron avait un autre grand sac
de quadruples d'Espagne à gagner, comme les
deux premiers. Au lieu de souffler la lumière, et
de se coucher près de sa femme, il passa toute la
nuit à se promener dans la chambre. D'heure en
heure, il demandait à la Princesse Triste-Mine :
— « Femme, sais-tu combien de quadruples
d'Espagne peut contenir un grand sac ? »
Au lever du soleil, il s'en alla trouver le jeune
homme.
— « Mon ami, j'ai gagné ce que tu m'as pro-
mis hier soir. Et maintenant, je suis assez riche.
Ce soir, ma femme aura de mes nouvelles. »
Tandis que le Forgeron cachait son or, Hen-
ri IV entra dans la chambre de la Princesse
Triste-Mine.
— ce Eh bien! ma fille, comment as-tu passé ta
troisième nuit de noces ?
— Mon père, ne m'en parlez pas. J'ai couché
seule. Toute la nuit, mon mari s'est promené
dans ma chambre. D'heure en heure, il me de-
mandait : « Femme, sais-tu combien de quadru-
ples d'Espagne peut contenir un grand sac ? »
— Ma fille, ton mari a fini de te faire de
grands aflnronts. Je ne veux pas d'un chapon pour
gendre, et tu n'en veux pas pour mari. Ton
mariage, je le romps. Ce matin même, tu épou-
seras le riche galant dont tu ne voulais pas. »
III 3
34 CONTES FAMILIERS
Ce qui fut dit fut fait. Alors, le Forgeron de-
vint bien triste, car il aimait sa femme de tout
son cœur.
Le grillon, le rat, et la Mère des Puces le con-
solaient.
— « Bon courage. Forgeron. Nous ne t'aban-
donnerons pas. »
En effet, une heure avant le coucher, les trois
bestioles attendaient, cachées sous le coussin du
lit de la Princesse Triste-Mine.
Les mariés se mirent au lit.
Aussitôt, le grillon et la Mère des Puces sau-
tèrent sur le mari, pour le tourmenter et le
mordre jusqu'au sang. Il criait et sautait, comme
un possédé du Diable. A force de se démener, le
pauvre homme épuisé finit par retomber comme
une masse. Alors, le rat sauta sous son nez, et se
mit à péter et à vesser tant qu'il put.
~ « Pan ! pan ! pan ! Ft ! ft ! ft ! »
Pets et vesses empestaient le tabac dont le rat
avait coutume de se nourrir. A cette odeur, le
mari s'endormit comme une souche.
Le lendemain, comme il ronflait toujours,
Henri IV entra dans la chambre de la Princesse
Triste-Mine.
— « Eh bien! ma fille, comment as-tu passé
la première nuit de tes noces ?
— Mon père, ne m'en parlez pas. Regardez
LES GEKS AVISÉS 35
plutôt ce rien qui vaille. Je préfère encore le For-
geron.
— Ma fille, tu auras contentement. Ton second
mariage, je le romps. Ce matin même, tu épou-
seras de nouveau ton premier mari. »
Ce qui fut dit fut fait. La nuit venue, le For-
geron prouva qu'il n'était pas un chapon (i).
(1) Dicté par feu Aristide Tessier, de Sainte-Bazeille, qui
avait recueilli à Tombebeuf (Loi-et-Garoime) ce conte, dont le
fond est encore très populaire dans la Gascogne et l'Agenais.
^^^è^à^^^^^^^^iè:^
IV
ETIENNE L'HABILE
SL y avait, une fois, un roi qui avait une
fille belle comme le jour. Un dimanche,
en allant à l'église, elle trouva une pu-
naise sur son cou. Elle la prit, et l'enferma dans un
coffre. Matin et soir, elle la nourrissait de son
sang. Aussi la punaise grossit, grossit, et devint
aussi forte qu'un peut chien. Mais elle finit par
mourir. Que fit alors la princesse? Elle écorcha
la bête, et donna la peau à un tanneur, afin qu'il
la préparât, pour en recouvrir le coff're. Cela fait,
le roi fit trompeter partout qu'il donnerait sa fille
en mariage au garçon qui connaîtrait de quelle
bête était la peau qui recouvrait le coff're.
Trois ans se passèrent à attendre. Force gens
se présentèrent, et s'en revinrent sans pouvoir
deviner. On parlait de cela dans tout le pays,
LES GEXS AVISÉS 37
si bien qu'un jour, un garçon, nommé Etienne
l'Habile, dit à ses voisins assemblés :
— « Ecoutez. Je vais partir pour le château du
roi, et je me charge de deviner de quelle peau est
recouvert le coffre de la princesse. »
Etienne l'Habile partit seul, avec cinq chevaux
sellés et bridés. Au bout de sept lieues, il trouva un
homme qui écoutait, l'oreille posée contre terre.
— « Que fais-tu là, mon ami?
— Monsieur, je suis Jean Fine-Oreille. J'é-
coute ce que disent les gens de l'autre monde.
— Jean Fine-Oreille, viens avec moi. Bientôt,
j'aurai besoin de toi, et tu seras bien récom-
pensé. »
Jean Fine-Oreille monta donc à cheval, et ils
repartirent. Au bout de sept lieues , ils trou-
vèrent, derrière une haie, un homme qui tirait
des coups de fusil.
— « Que fais-tu là, mon ami ?
— Monsieur, je suis Pierre le Bon-Viseur. Je
tire aux roitelets, qui sont là-bas, là-bas, sur la
montagne.
— Pierre le Bon-Viseur, viens avec moi. Bien-
tôt, j'aurai besoin de toi, et tu seras bien récom-
pensé. »
Pierre le Bon-Viseur monta donc à cheval, et
ils repartirent. Au bout de sept lieues, ils trou-
vèrent un homme qui s'entravait avec des cordes.
CONTES FAMILIERS
— Que fais-tu là, mon ami ?
— Monsieur, je suis le Chien - Lévrier. Je
m'entrave avec des cordes, pour chasser les
lièvi-es. Si je ne m'entravais pas, je courrais trop
vite, et je leur passerais devant.
— Chien-Lévrier, viens avec moi. Bientôt,
j'aurai besoin de toi, et tu seras bien récom-
pensé. »
Le Chien-Lévrier monta donc à cheval, et ils
repartirent. Au bout de sept lieues, ils trouvèrent
un homme qui tordait un chêne de cent ans.
— (c Que fais-tu là, mon ami?
— Monsieur, je suis Samson le Fort. Je tords
ce chêne de cent ans, pour en faire un lien, afin
de lier un fagot.
— Samson le Fort, viens avec moi. Bientôt,
j'aurai besoin de toi, et tu seras bien récom-
pensé. »
Samson le Fort monta donc à cheval, et ils re-
partirent. Au bout de sept lieues, ils arrivèrent
au château du roi. Mais Etienne l'Habile ne put
deviner de quelle peau était recouvert le coffre
de la princesse.
Il leur fallut s'en revenir comme ils étaient ve-
nus. Au bout de sept lieues, Jean Fine-Oreille
dit à Etienne l'Habile :
— « Monsieur, j'entends le roi deviser avec la
princesse. Ils disent : « Celui-ci non plus, n'a pu
LES GENS AVISÉS 39
deviner que le cofïre est recouvert d'une peau de
punaise engraissée. »
Aussitôt, ils repartirent tous cinq, et arrivèrent
au château du roi.
— « Roi, dit Etienne l'Habile, le coffre de votre
fille est recouvert d'une peau de punaise engrais-
sée. Maintenant, il faut me donner la princesse en
mariage.
— Etienne l'Habile, répondit le roi, moi et toi
nous sommes parents. Tu ne te marieras pas avec
ma fille, que tu ne sois allé à Rome, chercher
des dispenses du pape. «
Aussitôt, tous cinq partirent pour Rome. Mais
le roi manda en secret un messager, avec une
lettre, pour prier le pape de ne pas donner les
dispenses. Au bout de sept lieues, Jean Fine-
Oreille dit à Étienne-l'Habile :
— « Monsieur, j'entends le roi dire : « Etienne
l'Habile n'aura pas ma fille en mariage. J'ai
mandé un messager à Rome avec une lettre,
pour prier le pape de ne pas donner les dis-
penses. Dès qu'il aura la réponse, il l'attachera
au cou d'un pigeon, pour qu'elle m'arrive plus
vite. »
Etienne l'Habile fit vite, vite une lettre au
pape. Aussitôt le Chien-Lévrier partit pour Rome.
Quand le messager du roi arriva, les dispenses
étaient données. Que fit alors le pape ? 11 écrivit
40 CONTES FAMILIERS
au roi une lettre, pour retirer les dispenses. Cette
lettre partit, attachée au cou d'un pigeon. Mais
Pierre le Bon-Viseur tua le pigeon à la volée,
d'un coup de fusil, et le Chien-Lévrier arriva avec
les dispenses.
Tous cinq revinrent au château du roi.
— « Roi, dit Etienne l'Habile, voici les dis-
penses du pape. Maintenant, il faut me donner
la princesse en mariage.
— Etienne l'Habile, tu ne l'auras pas. Mais je
te donne autant d'or qu'un homme en pourra
porter. »
Etienne l'Habile appela Samson le Fort, et le
chargea de cent quintaux d'or, qui ne lui pesaient
pas plus qu'un coussin de plume. Alors le roi dit :
— « Etienne l'Habile, rends-moi mon or. Je
te donne ma fille en mariage. »
Etienne l'Habile et la princesse se marièrent
ensemble. Jean Fine-Oreille, Pierre le Bon-Vi-
seur, le Chien-Lévrier et Samson le Fort furent
invités à la noce. Ils s'en revinrent le lende-
main, chacun avec son cheval charge d'écus (i).
(i) Dicté par Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers).
LES DEUX FILLES
f^^L y avait, une fois, un homme et une
femme qui avaient une fille jolie, jolie
comme le jour. La femme mourut, et
l'homme se remaria avec une femme qui accou-
cha d'une fille laide, laide comme le péché.
Quand les deux filles furent grandelettes, la
marâtre, qui ne pouvait pas sentir la joHe fille, et
qui la rossait vingt fois par jour, dit à son
homme :
— « Prends ta fille, et va la faire perdre. »
L'homme avait pitié de la jolie fille. Mais il
avait peur de sa femme, et il répondit :
— « Femme, je ferai ce que tu veux. »
Mais la jolie fille, qui était cachée derrière la
porte, avait tout entendu. Aussitôt, elle courut le
conter à sa marraine.
— « Filleule, dit la marraine, rerapHs tes po-
42 CONTES FAMILIERS
ches de cendres, que tu sèmeras sur ton chemin.
Par ce moyen, tu rentreras à la maison. »
La jolie fille revint au galop chez son père,
et remplit ses poches de cendres. A peine avait-
elle fini, que son père lui dit :
— « Pauvrette, allons chercher des champi-
gnons dans le bois.»
Tous deux partirent donc pour le bois. Mais le
père n'avait pas le cœur à chercher des champi-
gnons. Tout en marchant, la jolie fille semait
sur son chemin les cendres qu'elle avait dans ses
poches, comme sa marraine le lui avait dit. En-
fin, le père se jeta dans un fourré, sans être vu,
laissa la jolie fille seulette, et revint dans sa
maison à l'entrée de la nuit.
— « Eh bien, mon homme, as-tu fait perdre
ta fille?
— C'est fait.
— Eh bien, mon homme, pour ta peine, tu
vas manger avec nous une assiettée de bouillie de
mais (i). »
Tout en mangeant la bouillie, l'homme pensait
à la jolie fille, qu'il avait abandonnée toute seu-
lette dans le bois, et disait :
— « Ah ! si la pauvrette était ici, elle man-
gerait aussi sa portion de bouillie.
(i) En gascon armotos.
LES GENS AVISÉS 43
— Je suis ici, père, » répondit la jolie fille,
qui avait retrouvé son chemin au moyen des
cendres, et qui écoutait derrière la porte.
Le père fut bien content de voir la jolie fille
revenue, et mangeant sa portion de bouillie de
bon appétit. Mais quand elle fut allée se cou-
cher avec sa sœur, la marâtre dit à son mari :
— « Tu es une bête. Tu n'as pas conduit ta
fille assez loin. Ramène-la demain dans le bois,
et tâche qu'elle ne revienne plus. »
L'homme avait pitié de la jolie fille. Mais il
avait peur de sa femme, et il répondit :
— « Femme, je ferai ce que tu veux. »
Mais la jolie fille, qui s'était levée de son lit, et
qui écoutait, cachée derrière la pone, avait tout
entendu. Aussitôt, elle courut le conter à sa mar-
raine.
— « Filleule, dit la marraine, remplis tes po-
ches de graines de lin que tu sèmeras sur ton
chemin. Par ce moyen, tu rentreras à la maison. »
La jolie fille revint au galop chez son père,
remplit ses poches de graines de lin, et se remit
au lit.
Le lendemain matin, son père entra dans la
chambre et dit :
— « Pauvrette, allons chercher des champi-
gnons dans le bois. »
Tous deux partirent donc pour le bols. Mais le
44 CONTES FAMILIERS
père n'avait pas le cœur à chercher des cham-
pignons. Tout en marchant, la jolie fille semait
les graines de lin qu'elle avait dans ses poches,
comme sa marraine le lui avait dit. Enfin, le
père se jeta dans un fourré, sans être vu, laissa
la jolie fille seulette, et revint dans sa maison à
l'entrée de la nuit.
— « Eh bien, mon homme, as-tu fait perdre
ta fille ?
— C'est fait.
— Eh bien, mon homme, pour ta peine, tu
vas manger avec nous une assiettée de bouillie
de maïs. »
Tout en mangeant la bouillie, l'homme pen-
sait à la jolie fille, qu'il avait abandonnée toute
seulette dans le bois, et disait :
— « Ah ! si la pauvrette était ici, elle mange-
rait aussi sa portion de bouillie.
— Je suis ici, père, répondit la jolie fille, qui
avait retrouvé son chemin au moyen des graines
de lin, et qui écoutait à la porte. »
Le père fut bien content de voir la jolie fille re-
venue, et mangeant sa portion de bouillie de bon
appétit. Mais quand elle fut allée se coucher avec
sa sœur, la marâtre lui dit :
— « Tu es une bête. Tu n'as pas conduit ta
fille encore assez loin. Ramène-la demain dans
le bois, et tâche qu'elle ne revienne pas. »
LES GENS AVISÉS 45
L'homme avait pilié de la jolie fille. Mais il
avait peur de sa femme, et il répondit :
— « Femme, je ferai ce que tu veux. »
Mais la jolie fille, qui s'était levée de son lit, et
qui écoutait cachée derrière la porte, avait tout
entendu. Aussitôt, elle courut le conter à sa
marraine.
— « Filleule, dit la marraine, remplis tes po-
ches de grains de mil, que tu sèmeras sur ton che-
min. Par ce moyen, tu rentreras à la maison. »
La jolie fille revint au galop chez son père,
remplit ses poches de graines de mil, et se remit
au lit.
Le lendemain m.atin, son père entra dans la
chambre et dit :
— « Pau\Tette, allons chercher des champi-
gnons dans le bois. »
Tous deux partirent donc pour le bois. Mais le
père n'avait pas le cœur à chercher des champi-
gnons. Tout en marchant, la jolie fille semait
les grains de mil qu'elle avait dans ses poches,
comme sa marraine le lui avait dit. Enfin, le
père se jeta dans un fourré, sans être vu, laissa
la jolie fille seulette, et revint dans sa maison à
l'entrée de la nuit.
Mais quand la jolie fille voulut retrouver son
chemin, au moyen des grains de mil, il se trouva
qu'ils avaient été mangés par les pies.
46 CONTES FAMILIERS
La pauvrette marcha, longtemps, longtemps,
longtemps à travers le bois, jusqu'à un château
grand comme la ville d'Agen.
— « Pan ! pan 1
— Qui frappe ?
— C'est une pauvre fille, qui a perdu son che-
min, et qui demande à souper et à loger. »
La dame du château envoya la jolie fille souper
à la cuisine, avec 'es valets et les servantes, et
commanda qu'on lui donnât un bon lit. Le len-
demain matin, elle la fit venir dans sa chambre,
et ouvrit la porte d'un cabinet qui était tout plein
de robes.
— « JoHe fille, quitte tes hardes, et choisis les
habits que tu voudras. »
La jolie fille choisit la robe la plus laide. Alors,
la dame du château la força de prendre la plus
belle, et de la mettre sur-le-champ. Ensuite, elle ou-
vrit un grand coffre, plein de pièces d'or, d'argent
et de cuivre, plein de bijouterie de toute espèce.
— « Jolie fille, prends dans ce coffre tout ce
que tu voudras. »
La jolie fille ne prit que deux liards, et une
bague de cuivre. Alors, la dame du château la
chargea de quadruples, de bagues, de chaînes,
de pendeloques d'or, et la mena à l'écurie.
— « Jolie fiUe, prends la bête que tu voudras,
avec la bride et la selle. »
LES GEN'S AVISÉS 47
Mais la jolie fille ne prit qu'un âne, un licou
de corde, et une mauvaise couverture. Alors, la
dame du château la força de prendre le plus beau
cheval, la plus belle bride, et la plus belle selle.
— « Et maintenant, lui dit-elle, monte à che-
val, et reviens dans ton pays. Ne te retourne
pas du côté du château, que tu ne sois là-bas,
là-bas, en-haut de cette côte. Alors, lève la tête,
et attends. »
La johe fille remercia bien la dame du château,
monta à cheval, et partit pour son pays, sans ja-
mais se retourner. Quand elle fut en-haut de la
côte, elle leva la tête et attendit. Alors, trois
étoiles descendirent du ciel. Deux se posèrent sur
sa tête, et une sur son menton.
Gamme elle se remettait en route, un jeune
homme s'en revenait de la chasse, monté sur son
grand cheval, avec neuf chiens lévriers à sa suite :
trois noirs comme des charbons, trois rouges
comme le feu, trois blancs comme la plus fine
toile. Quand il vit une si belle cavaUère, il mit
son chapeau à la main.
— « Demoiselle, je suis le fils du roi d'Angle-
terre. J'ai roulé le monde pendant sept ans, et je
n'ai trouvé jamais aucun homme aussi fort, aussi
hardi que moi. Si vous le voulez, je serai votre
compagnon, pour vous défendre contre les mé-
chantes gens.
CONTES FAMILIERS
— Merci, fils du roi d'Angleterre. Je saurai bien
retrouver seulette le chemin de mon pays. Mais
je n'ose pas retourner à la maison, par crainte de
ma marâtre, qui ne peut pas me voir, à cause de
sa fille laide, laide comme le péché. Par trois fois,
elle a forcé mon père d'aller me perdre dans un
bois. »
Alors, le fils du roi d'Angleterre entra dans
une colère terrible. Il tira son épée, et sifila ses
chiens lévriers.
— « Demoiselle, montrez- moi le chemin de
votre maison. Je veux aller faire manger par ma
meute votre père, votre marâtre, et votre sœur.
— Fils du roi d'Angleterre, votre meute est à
votre commandement. Mais vous ne ferez pas
cela. S'il plaît à Dieu, il ne sera pas dit que mon
père, ma marâtre, et ma sœur, auront souff'ert le
moindre mal à cause de moi. »
Mais le fils du roi d'Angleterre ne voulait rien
entendre, et criait comme un aigle :
— « Eh bien, je dirai à mon juge rouge :
« Juge-les à mort. » Je le paie. Il faut qu'il gagne
son argent.
— Fils du roi d'Angleterre, votre juge rouge
est à votre commandement. Mais vous ne ferez
pas cela. S'il plaît à Dieu, il ne sera pas dit
que mon père, ma marâtre et ma sœur, auront
souffert le moindre mal à cause de moi.
LES GENS AVISÉS 49
— Eh bien, si vous voulez que je leur par-
donne, il faut que vous soyez ma femme.
— Fils du roi d'Angleterre, je serai votre
femme, si vous voulez leur pardonner. »
Le fils du roi d'Angleterre épousa donc la jolie
fille, qui fut bien heureuse avec lui, et devint la
plus grande dame du pays.
Peu de temps après la noce, la sœur laide,
laide comme le péché, apprit ce qui s'était passai,
et dit :
— « J'irai au bois, moi aussi ; et il m'en arri-
vera autant. »
Elle partit donc pour le bois, et marcha long-
temps, longtemps, longtemps. Enfin, elle arriva
ur la porte du château grand comme la ville
■i'Agen.
— « Pan ! pan !
— Qui frappe ?
— C'est une fille qui a perdu son chemin, et
qui demande à souper et à loger. «
La dame du château envoya la fille laide, laide
comme le péché, souper à la cuisine, avec les
valets et les servantes, et commanda qu'on lui
donnât un bon lit. Le lendemain, elle la fit venir
dans sa chambre, et ouvrit la porte du cabinet
qui était tout plein de robes.
— « Mie, quitte tes hardes, et choisis les ha-
hits que tu voudras. »
50 CONTES FAMILIERS
La fille Liide, laide comme le péché, choisit
la plus jolie robe. Alors, la dame du château la
força de prendre la plus déchirée, la plus sale,
la lui fit mettre sur-le-champ. Ensuite, elle ou-
vrit le cofi"re plein de pièces d'or, d'argent et de
cuivre, et de bijouterie de toute espèce.
— « Mie, prends dans ce coftre ce que tu vou-
dras. »
La fille laide, laide comme le péché, choisit cer t
quadruples d'Espagne et cent bagues d'or. Alors,
la dame du château ne lui laissa prendre que
deux liards et une bague decuivre. Ensuite, elle
la mena à l'écurie.
— « Mie, choisis la bête que tu voudras, avec
la bride et la selle. «
La fille laide, laide comme le péché, choisit le
plus beau cheval, la plus belle bride, et la plus
belle selle. Alors, la dame du château ne lui
laissa prendre qu'un âne, un'licou de corde, et
une mauvaise couverture.
— « Et maintenant, lui dit-elle, monte sur ton
âne, et reviens dans ton pays. Ne te retourne pas
vers le château, que tu ne sois là-bas, là-bas,
en-haut de la côte. Alors, lève la tête, et attends. »
La fille laide, laide comme le péché, ne remercia
pas la dame du château. Elle monta sur son âne,
et partit pour son pays. Mais elle se retourna vers
le château, avant d'arriver en-haut de la côte.
LES GENS AVISÉS 51
leva la tête, et attendit. Alors, trois bouses de
vache tombèrent sur elle, deux sur la tête, et
une sur le menton.
Comme elle se remettait en route, elle rencon-
tra un vieil homme, sale comme un peigne, et
ivrogne comme une barrique.
— « Mie, lui dit-il, je te trouve faite à ma fan-
taisie. Il faut que tu sois ma femme. Sinon, tu ne
mourras que de mes mains. »
Par force, la fille laide, laide comme le péché,
dut suivre l'ivrogne dans sa maison, et consentir
au mariage. Depuis lors, le mari continue de
boire comme un trou, et rosse sa femme vingt
fois par jour (i).
(i) Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Eulalie, commune
de Cauzac (Lot-et-Garonne). Le récit de Catherine a été con-
trôlé par ma belle-mére, M"' Lacroix, née Pinèdre, de Bon-En-
contre (Lot-et-Garonne).
m
©©ï§^;©®ïf&©®!if&-©©
VI
LE MARCHAND DE PEIGNES DE BOIS
I L y avait, une fois, un Marchand de peignes
de bois.
Avec sa petite charrette, attelée d'un âne
de six francs, il courait les foires, les marchés, les
fêtes patronales, pour y vendre ses peignes de
bois, ses aiguillons (à boeufs), ses haches, et
ses bonnets de coton.
— « Marchand de peignes de bois ! Marchand
de peignes de bois ! »
Un jour qu'il s'en allait à la foire de Mi-
rande (i), le Marchand de peignes de bois trouva
Compère Renard, au bas d'un poulailler.
Compère Renard crevait de faim.
— « Hô ! Marchand de peignes de bois, toi
qui passes pour habile homme, fais-moi donc la
(i) Chef-lieu d'arrondissement (Gers).
LES GENS AVISES 53
courte-échelle, jusqu'au poulailler, pour attraper
quelques volailles.
— Avec plaisir, Compère Renard . Mais aupara-
vant, jure-moi, par ton âme, que lorsque tu seras
là-haut, tu me jetteras, pour ma peine, une paire
de poules grasses.
— Marchand de peignes de bois, je te le jure
par mon âme. »
Le Marchand de peignes de bois prit Compère
Renard sur ses épaules.
— « Allons ! Hardi ! Hô !
— Marchand de peignes de bois, le poulailler
est encore trop haut d'une toise. Pousse-moi
donc par le cul. »
Le Marchand de peignes de bois prit un aiguil-
lon sur sa petite charrette, et poussa. Mais la
pointe de l'aiguillon entrait d'un pouce dans le
cul de lamale bête, et Com.père Renard criait, à
rendre sourd :
— « Aïe ! aïe ! aïe ! Pas si fort. Marchand de
peignes de bois. Pas si fort.
— Compère Renard, tu m'as dit : «Pousse-moi
par le cul. « Je te pousse. »
Enfin, Compère Renard se haussa jusqu'au pou-
lailler.
— « Compère Renard, n'oublie pas ce que tu
m'as juré. Tu m'as juré, par ton âme, que lors-
54 CONTES FAMILIERS
que tu serais là-haut, tu me jetterais, pour ma
peine, une paire de poules grasses.
— Tiens, Marchand de peignes de bois, voici
tes deux poules gi-asses. Mais tu ne les mérites
guère. J'ai le cul tout ensanglanté.
— Merci, Compère Renard. Et maintenant, je
te souhaite bien le bonjour. Redescends de là
comme tu pourras. Moi, j'ai des affaires pressées
à la foire de Mirande. »
Le Marchand de peignes de bois repartit. En
traversant une forêt, il trouva le Loup, qui tâchait
de fendre un gros tronc de chêne.
— « Bonjour, Marchand de peignes de bois.
■ — Bonjour, Loup. Que fais-tu là ?
— Marchand de peignes de bois, je voudrais
fendre ce gros tronc de chêne ; mais je ne puis
pas. Dis-moi, toi qui es si adroit, ne pourrais-tu
pas m'aider?
— Avec plaisir, Loup. »
Le Marchand de peignes de bois prit une ha-
che sur sa petite charrette. Du premier coup, il
fendit à moitié le gros tronc de chêne.
— « Et maintenant, Loup, mets ta patte dans
la fente, pour la maintenir ouverte. »
Le Loup obéit. Alors, le Marchand de peignes
de bois retira sa hache, et le Loup se trouva pris
par la patte.
LES GENS AVISÉS 5$
— « Aïe ! aïe ! aïe ! Tire-moi d'ici, Marchand
de peignes de bois. Tire-moi d'ici.
— Loup, je te souhaite bien le bonjour. Tire-
toi d'ici comme tu pourras. Moi, j'ai des affaires
pressées à la foire de Mirande. »
Le Marchand de peignes de bois repartit.
Arrivé dans la ville de Mirande, il aperçut force
gens, attroupés autour d'un cavalier vêtu de rouge,
galonné d'or et d'argent.
, — « Gens de Mirande, criait le cavalier, vous
êtes avertis que le roi de France est venu prendre
les eaux à Bagnères-de-Bigorre (i). Il est venu
prendre les eaux avec sa fille, une princesse belle
comme le jour, et riche comme la mer. Le roi de
France la donnera pour femme à l'homme qui se
rendra maître de son Grand Lion. »
Aussitôt, le Marchand de peignes de bois re-
partit. Le lendemain, à la pointe de l'aube, il en-
trait dans la grande auberge où logeait le roi de
France.
— « Bonjour, roi de France.
— Bonjour, Marchand de peignes de bois. Q.ue
me veux-tu ?
— Roi de France, je veux me rendre maître
de votre Grand Lion. Je veux que votre fille soit
ma femme.
(i) Station thermale du département des Hantes-Pyrénées.
56 CONTES FAMILIERS
— Valets, conduisez le Marchand de peignes
de bois à l'écurie où est enfermé mon Grand
Lion. »
Les valets obéirent. Dans l'écurie, le Grand
Lion bondissait, les yeux hors de la tête, tirant
trois pieds de langue rouge, et criant comme cinq
cents Diables.
Le Marchand de peignes de bois entra, sans
peur ni crainte.
— « Eh bien, Grand Lion, pourquoi tout ce ta-
page ? Ne me reconnais tu pas ?
— Si fait. Tu es le Marchand de peignes
de bois.
^ Grand Lion, je suis venu t'inviter à dîner.
Compte que je te régalerai, comme ton roi lui-
même n'est pas en état de le faire.
— A la bonne heure. Marchand de peignes de
bois. Nous dînerons à midi sonnant. Va-t-en fciire
la cuisine. Mais, si tu ne ine régales pas comme
tu l'as dit, compte que je t'avalerai tout vif. »
Le Marchand de peignes de bois sortit, et s'en
alla chez un boucher, où il acheta tout un veau.
Après, il s'en alla chez un pâtissier, où il acheta
un quintal de grosses dragées. Ensuite, il s'en alla
chez un arquebusier, où il acheta un quintal de
balles de plomb. Enfin, il s'en alla chez un for-
geron, et se fit torger une pelle de fer du poids
de septante livres.
LES GENS AVISÉS 57
Cela fait, le Marchand de peignes de bois
revint à l'écurie du Grand Lion, et niit le couvert.
— « Allons, Grand Lion. Midi sonne. A table !
Tâte un peu de ce fricot. »
Le Grand Lion dévora le veau jusqu'aux os.
— « Et maintenant. Grand Lion, tâte un peu de
ces grosses dragées. »
En cinq minutes, le Grand Lion avait avalé un
demi quintal de grosses dragées. Alors, le Mar-
chand de peignes de bois vida les autres à terre,
mêlées au quintal de grosses balles de plomb.
Le Grand Lion avala tout, sans y rien com-
prendre.
— « Eh bien, Grand Lion, es-tu content ?
— Marchand de peignes de bois, tu m'as ré-
galé comme mon roi lui-même n'est pas en état
de le faire. Aussi, je ne te mangerai pas tout vif.
Pourtant, ces grosses dragées m'ont un peu em-
pâté la bouche, et chargé le ventre.
— Grand Lion, ceci n'est rien. Amusons-nous.
Veux-tu que je t'enseigne le jeu de tape-cul ?
— Avec plaisir. Marchand de peignes de bois. »
Alors, le Marchand de peignes de bois monta
sur la table, et attacha une corde terminée par un
nœud coulant, à la maîtresse-poutre de l'écurie.
— « Et maintenant. Grand Lion, monte aussi
sur la table, et passe ta patte dans ce nœud cou-
lant. Tu vas voir comme nous allons rire. »
58 CONTES FAMILIERS
Le Grand Lion obéit. Aussitôt, le Marchand de
peignes de bois sauta par terre, et renversa la
table d'un coup de pied, si bien que le Grand Lion
se trouva pendu par la patte.
— « Au secours, Marchand de peignes de bois !
Au secours ! »
Mais le Marchand de peignes de bois était déjà
loin. Il était dans la chambre du roi de France et
de sa fille.
— « Vite, roi de France. Vite, princesse. Vite,
descendez à l'écurie de votre Grand Lion. Cinq
minutes ne se passeront pas, que je ne m'en sois
rendu maître. »
Tandis que le roi de France et sa fille descen-
daient vite, vite, le Marchand de peignes de bois
courait au grand galop à la cuisine de l'auberge,
où, depuis deux heures, la pelle de fer du poids
de septante livres, rougissait à blanc dans le foj^er.
En trois sauts et un pet, il était à l'écurie.
— « Grand Lion, mon ami, c'est avec ça que je
vais t'enseigner le jeu de tape-cul.
— Aïe ! aïe ! aïe ! Aïe ! aïe ! aïe ! Assez !
Assez ! Tu me rôtis le cul. Marchand de peignes
de bois, je te reconnais pour mon maître. »
Mais le Marchand de peignes de bois frappait
toujours, avec sa pelle rougie à blanc, et toujours
le Grand Lion criait :
— « Aïe ! aïe ! aïe ! Aïe ! aïe ! aie ! Assez !
LES GENS AVISÉS 59
Assez ! Tu me rôtis le cul. Marchand de peignes
de bois, je te reconnais pour mon maître. »
Mais le Marchand de peignes de bois frappait
toujours, avec sa pelle rougie à blanc, et toujours
le Grand Lion criait :
— « Aïe ! aïe I aïe ! Aïe ! aïe ! aïe ! Assez !
Assez ! Tu me rôtis le cul. Marchand de peignes
de bois, je te reconnais pour mon maître. »
Enfin, le Marchand de peignes de bois coupa
la corde où le Grand Lion pendait par la patte. La
maie bête retomba par terre, à moitié morte, et le
cul rôti. Alors, le Marchand de peignes de bois
se retourna vers le roi de France et vers sa fille.
— « Roi de France, je me suis rendu maître
de votre Grand Lion. Maintenant, il fout me don-
ner votre fille en mariage.
— C'est juste. Marchand de peignes de bois. »
Le mariage se fit le lendemain, et la noce
dura sept jours. Le huitième, dès la pointe de
l'aube, le Marchand de peignes de bois attela
son âne de six francs à sa petite charrette, et
dit à sa femme :
— « Mie, monte ici. Surtout, prends garde à
ne pas gâter mes marchandises. Et maintenant,
adieu, roi de France. Je m'en reviens courir le
monde.
— Adieu, ma fille. Adieu, Marchand de pei-
gnes de bois. Tenez, voici un grand sac, plein de
6o CONTES FAMILIERS
doubles louis d'or et de quadruples d'Espagne.
C'est pour vous aider à vivre. Tous les ans, à pa-
reil jour, venez en chercher autant. »
L'âne de six francs partit au grand galop. A
midi, le Marchand de peignes de bois et sa
femme étaient au milieu d'une forêt.
— « Femme, arrêtons-nous sous ce grand
chêne. J'ai grand faim, et je suis ks.
— Avec plaisir, Marchand de peignes de bois. »
Tous deux dételèrent l'âne de six francs.
— « Va quêter ta vie, pauvre bête. »
Tandis que l'âne de six francs se flanquait une
forte ventrée de chardons, le Marchand de pei-
gnes de bois et la princesse dînèrent de bon ap-
pétit, sous le grand chêne, et s'endormirent côte
à côte, le mari coiffé d'un de ses bonnets de
coton.
Dormez, braves gens. Dormez, tandis que jo
parle de Compère Renard, du Loup, et du Grauu
Lion.
Au risque de se rompre le cou, Compère Re-
nard affamé avait enfin sauté du poulailler.
Alors, il se mit à penser :
— « Gueux de Marchand de peignes de bois.
Avec ton aiguillon, tu m'as ensanglé tout le cul.
Mais patience. Nous nous retrouverons, et je te
mangerai les tripes. »
Ceci pensé. Compère Renard partit à la re-
LES GEXS AVISÉS 6l
cherche du Marchand de peignes de bois. En tra-
versant une forêt, il trouva le Loup, toujours la
patte prise dans la fente du gros tronc de chêne.
— « Au secours, Compère ! Renard Au se-
cours. »
Compère Renard aida le Loup à sortir d'affaire.
— Dis-moi, Loup. Qui t'avait mis dans l'état
d'où je t'ai tiré ?
— Ne m'en parle pas. Compère Renard. C'est
ce brigand de Marchand de peignes de bois.
— Ah ! la canaille. Regarde mon cul, Loup; et
vois comme ce gueux me l'a tout ensanglanté. Mais
patience. Nous nous retrouverons, et je lui man-
gerai les tripes.
— Ah ! le scélérat. Regarde ma patte. Com-
père Renard, et vois l'état où il l'a mise. Mais
patience. Nous nous retrouverons, et je lui man-
gerai le cœur et le foie. »
Ceci dit, tous deux partirent à la recherche du
Marchand de peignes de bois. En arrivant proche
(le Bagnères-de-Bigorre, ils trouvèrent le Grand
Lion, plongé jusqu'au cou dans l'Adour.
— « Bonjour, Grand Lion. Que fais-tu là?
— Ce que je fais. Compère Renard ? Ce que
je fais, Loup? Je souffre mort et passion. Voilà
neuf jours et neuf nuits que je baigne mou cul,
rôti par ce rien qui vaille de Marchand de peignes
de bois. Regarde.
62 CONTES FAMILIERS
— Ah ! le gueux. Regarde aussi mou cul,
Grand Lion. C'est le Marchand de peignes de
bois, avec son aiguillon, qui me l'a tout ensan-
glanté. Mais patience. Nous nous retrouverons,
et je lui mangerai les tripes.
— Ah ! le scélérat, dit le Loup. Regarde ma
patte. Grand Lion, et vois l'état où il l'a mise.
Mais patience. Nous nous retrouverons, et je lui
mangerai le cœur et le foie.
— Oui, Compère Renard. Oui, Loup. Nous
nous retrouverons, et je lui mangerai la tête. »
Ceci dit, tous trois partirent à la recherche du
Marchand de peignes de bois. Ils l'aperçurent,
enfin, sous le grand chêne, dormant toujours,
côte à côte avec la princesse.
— « Voici le Marchand de peignes de bois. Il
dort. Hardi ! Compère Renard. Mange-lui les
tripes. »
Compère Renard ne semblait pas fort pressé.
— « Mes amis, je me souviens de l'aiguillon.
— Voici le Marchand de peignes de bois.
Hardi ! Loup. Mange-lui le cœur et le foie. »
Le Loup ne semblait pas trop pressé.
— « Mes amis, je me souviens de la hache,
et du gros tronc de chêne fendu.
— Voidi le Marchand de peignes de bois.
Il dort. Hardi! Grand Lion. Mange-lui la tête. »
Le Grand Lion ne semblait pas fort pressé.
LES GENS AVISÉS 63
— « Mes amis, je me souviens de la pelle
rougie à blanc. »
Et tous trois, la queue entre les jambes, décam-
pèrent au grand galop.
Enfin, le Marchand de peignes de bois rouvrit
les yeux, toujours coiffé de son bonnet de coton.
— « Ah ! Mille Dieux ! Milliard de Dieux !
Ah ! Mille Dieux ! Milliard de Dieux ! »
A ces jurements de païen, la princesse se ré-
veilla toute tremblante.
— (( Qu'as-tu, Marchand de peignes de bois ?
Q.u'as-tu ?
— Ce que j'ai, milliard de Dieux ? J'ai que je
suis un homme perdu. J'ai que suis un homme
ruiné. Regarde, là-haut, dans les arbres, cette bande
de singes, avec des bonnets de coton. Regarde. Ce
sont les miens. Tout ce qu'elles voient faire aux
hommes, ces maies bêtes le répètent. Elles ont
pillé ma marchandise, pour se coiffer comme
moi. Ah ! Mille Dieux ! Milliard de Dieux ! »
Bleu de colère, le Marchand de peignes de bois
arracha son bonnet de coton, et le jeta par terre.
Aussitôt, tous les singes en firent autant.
— « Hi ! hi ! hi ! Ha ! ha ! ha ! Vite, ma femme.
Vite, ramassons tous ces bonnets de coton. »
Un quart d'heure après, tous les bonnets de
coton étaient ramassés, et le Marchand de peignes
de bois repartait avec la princesse, pour aller faire
04 CONTES FAMILIERS
son commerce. Mais bientôt il se trouva trop
riche, pour travailler tant et gagner si peu. Avec
ses doubles louis d'or et ses quadruples d'Espagne,
il acheta cent métairies, et un beau château, où il
vécut longtemps heureux, avec sa femme et ses
enfants (i).
(^i) Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Une leçon,
ideEtique pour le fond, m'a été fournie par M. Garine, d'Agen,
qvii l'avait écrite sous la dictée de feu de Jacques Testas, Agenais
illettré, âgé de soixante-quinze ans.
*è:®®^®g^S®^®®^
VII
TIENS BON
f^/^L y avait, une fois, un jeune valet de
meunier, plus malheureux que les pierres.
Son maître le rouait de coups, le nour-
rissait mal, et ne lui comptait pas un sou de
gages. Enfin, le valet perdit patience.
— « Adieu, maître. Je vais m'établir pour mon
compte. »
En effet, le jeune homme afferma un mouHn à
vent; mais il n'y fit pas ses affaires. Cette
année-là, le vent ne souffla guère, et il plut
à grands déluges ; si bien que le malheureux
meunier, ne fut pas même en état de donner un
à-compte sur le fermage.
— « Écoute, meunier, lui dit le maître du
moulin. Si tu ne me paies pas demain matin, je
te fais mettre en prison. »
III 5
66 CONTES FAMILIERS
Alors, le maître partit ; et le meunier s'assit,
en pleurant, devant la porte du moulin.
— « Que faire, mon Dieu ! Que faire ? »
Au coucher du soleil, une femme passa, noire
comme l'âtre, et vieille, vieille comme un chemin.
— « Meunier, pourquoi pleures-tu ?
— Certes, j'ai bien raison de pleurer. Je n'ai
pas un liard en bourse. Si je ne paie pas mon fer-
mage demain matin, le maître de ce moulin me
fera mettre en prison.
— Meunier, ne pleure plus. Voici de quoi
payer ton fermage pendant un an.
— Merci, brave femme. »
Le lendemain matin, le meunier paya son fer-
mage, et demeura dans le moulin. Mais, l'année
suivante, le vent ne souffla guère, et il plut
encore à grands déluges, si bien que le malheu-
reux meunier, ne fut pas même en état de don-
ner un à-compte sur le fermage.
— (t Écoute meunier, lui dit le maître du mou-
lin, si tu ne me paies pas demain matin, je te fais
mettre en prison. »
Alors, le maître partit; et le meunier s'assit, en
pleurant, devant la porte du moulin.
— « Que faire, mon Dieu ! Que faire ? »
Au coucher du soleil, repassa la femme noire
comme l'âtie, et vieille, vieille comme un^chemin.
— « Meunier, pourquoi pleures-tu ?
LES GENS AVISÉS 67
— Certes, j'ai bien raison de pleurer. Je n'ai
pas un liard en bourse. Si je ne paie pas mon
fermage demain matin, le maître de ce moulin
me fera mettre en prison.
— Meunier, ne pleure plus. Voici de quoi payer
ion fermage pendant deux ans.
— Merci, brave femme. »
Le lendemain matin, le meunier paya son fer-
mage pour deux ans. Mais, la troisième et la
quatrième année, le vent ne souffla guère, il plut
encore à grand déluge, si bien que le malheureux
meunier ne fut pas même en état de donner un
à-compte sur le fermage.
— « Écoute, meunier, lui dit le maître du
moulin. Si tu ne me paies pas demain matin, je
te fais mettre en prison. »
Alors, le maître partit ; et le meunier s'assit,
en pleurant, sur la porte du moulin.
Au coucher du soleil, repassa la femme noire
comme l'àtre, et vieille, vieille comme un chemin.
— € Meunier, pourquoi pleures-tu ?
— Certes, j'ai bien raison de pleurer. Je n'ai
pas un liard en bourse. Si je ne paie pas mon
fermage demain matin, le maître de ce moulin
me fera mettre en prison.
— Meunier, ne pleure plus, et va-t-en. Tiens.
Voici une branche de sureau. Tâche de t'en bien
servir. Chaque fois que tu voudras que deux per-
68 CONTES FAMILIERS
sonnes ou deux choses soient unies, crie : « Tiens
bon ! », et touche-les de ta baguette. Jusqu'à
ce que tu cries : « Lâche ! » ni Dieu ni Diable
n'auront le pouvoir de les séparer.
— Merci, brave femme. »
Le lendemain matin, le meunier était sur la
place du village, avec sa branche de sureau. En
ce moment, la servante du curé rinçait le pot de
chambre de son maître. Le meunier toucha la
servante et le pot de chambre de sa branche
de sureau.
— « Tiens bon ! »
Aussitôt, la servante du curé et le pot de
chambre firent corps, si bien que ni Dieu ni
Diable n'auraient eu le pouvoir de les sé-
parer.
— « Au secours ! criait la servante. »
Alors, accourut un meunier, tenant par la bride
son mulet chargé d'avoine.
— « Tiens bon ! »
Aussitôt, la servante du curé, le pot de chambre,
le meunier, et le mulet chargé d'avoine, firent
corps, si bien que ni Dieu ni Diable n'auraient eu
le pouvoir de les séparer.
— « Au secours ! criaient la servante du curé,
et le meunier. »
Alors, arriva sur la place un roulier, conduisant
une grande charrette, chargée de foin, et attelée
LES GENS AVISÉS 69
de sept chevaux. Le cheval de devant sentit l'a-
voine, et s'approcha du mulet.
— « Tiens bon ! »
Aussitôt, la servante du curé, le pot de cham-
bre, le meunier, le mulet chargé d'avoine, la
grande charrette chargée de foin, les sept che-
vaux, et le roulier, firent corps, si bien que ni
Dieu ni Diable n'auraient eu le pouvoir de les
séparer.
— « Au secours ! criaient la servante du curé,
le meunier, et le roulier. »
Alors, le maître du moulin arriva sur la place,
dans sa voiture à quatre chevaux, conduite par un
cocher tout galonné d'or. Les quatre chevaux
virent le foin de la grande charrette, et s'appro-
chèrent pour en manger.
— « Tiens bon ! »
Aussitôt, la servante du curé, le pot de cham-
bre, le meunier, le mulet chargé d'avoine, la
grande charrette chargée de foin, les sept che-
vaux, le roulier, le maître du moulin, la voiture
à quatre chevaux, le cocher tout galonné d'or,
firent corps, si bien que ni Dieu ni Diable n'au-
raient eu le pouvoir de les séparer.
— « Au secours ! Au secours ! »
Mais les gens du village s'étaient enfuis épou-
vantés. Jusqu'au coucher du soleil, le meunier à
la branche de sureau se fit du bon sans:, à re-
70 CONTES FAMILIERS
garder son ouvrage. Enfin, il prit pitié de ces
gens et de ces bêtes.
— « Maître, dit-il au propriétaire du moulin,
vous allez pa3'er pour tous. Que me donnez-vous
si je vous délivre ?
— Meunier, je te donne mon moulin à vent
réparé à neuf, et trois beaux mulets.
— C'est dit. « Lâche ! »
Aussitôt, le maître du moulin, dans sa voiture
à quatre chevaux, conduite par un cocher tout
galonné d'or, lâche la grande charrette chargée
de foin, les sept chevaux, et le roulier.
La grande charrette chargée de foin, les sept
chevaux, et le roulier, lâchent le meunier, et le
mulet chargé d'avoine.
Le meunier, et le mulet chargé d'avoine, lâ-
chent la servante du curé, et le pot de chambre.
La servante du curé lâche le pot de chambre (i).
(i) Fourni par M. l'abbé Magenties, de Lectourc, qui le te-
nait de sa grand'mère, Catherine Dubuc, veuve Langlade, morte
en 1855. Notre ancienne servante, feu Bernarde Dubarry, de
Bajonnette (Gers), ni'a souvent récité le même conte.
VIII
JEANNILLE
I L 5' avait, une fois, un jeune tisserand,
appelé Jeannille, fin et avisé comme pas
un. Jeannille vivait seul, avec sa mère,
une vieille veuve, qui avait aussi bonne tête que
son fils. Lui, n'était pas glorieux d'en savoir plus
que ses voisins. Pourtant, il se mettait en colère,
quand il leur voyait faire quelque sottise ; et il
aurait voulu que chacun fût en état de raisonner
aussi bien que lui.
Sa mère lui disait souvent :
— « Jeannille, prends garde. Ce monde-ci est
un grand monde. Il y a longtemps que les sots y
sont les maîtres; et je ne pense pas que ceci finisse
demain. Jamais tu ne compteras toutes les herbes
qui croissent dans les prés. Jamais tu ne boiras
72 CONTES FAMILIERS
toute l'eau de la rivière de Baïse (i). Tâche de
vivre avec les vivants; et ne t'expose pas à de-
meurer seul. »
Jeannille ne répondait rien ; mais il ne se corri-
geait pas de ses colères. Il ne voulait pas com-
prendre que le plus méchant sera toujours le grand
maître, ni que les sots seront toujours les plus
nombreux.
Un jour, la veuve mourut. Alors, Jeannille
pensa :
— « Je n'ai plus ma mère. C'est un grand
malheur pour moi. Pourtant, je ne peux pas vivre
tout seul. Il faut que je me marie. »
Le temps de son deuil fini, Jeannille se maria, et
fit une belle noce. Le lendemain, il dit à sa femme :
— « Femme, j'ai soif. Il n'y a plus une goutte
de vin à la maison. Va puiser de l'eau à la
fontaine. »
La femme prit sa cruche, et partit. Une heure
après, elle n'était pas encore revenue.
— « Belle-mère, dit Jeannille, allez donc voir
ce que peut faire votre fille. Il faut que je demeure
ici. Pourtant, je crève de soif. »
La belle-mère partit, et trouva sa fille au bord
de la fontaine, avec sa cruche vide à côté.
— « Mère, vous arrivez bien à propos. Main-
(i) Affluent de la Garonne, rive gauche.
LES GENS AVISES 73
tenant que je suis mariée, le Bon Dieu me doit un
enfant. Par malheur, il n'y a pas de berceau chez
nous. Ceci me donne à penser.
— Nous avions le tien, ma fille; mais il est
pourri depuis longtemps. Ce berceau était un pré-
sent de ta pauvre tante ma sœur. Jamais on n'a
vu le pareil. Pourtant, il avait coûté bien bon
marché. »
La mère s'assit à côté de sa fille ; et toutes deux
se mirent à bavarder, comme des pies, à propos
du berceau. Une heure après, elles n'étaient pas
encore revenues.
— « Beau-père, dit Jeannille, allez donc voir
ce que peuvent faire ma femme et la vôtre. Il faut
que je demeure ici. Pourtant, je crève de soif. »
Le beau-père partit, et trouva sa fille et sa
femme, qui devisaient au bord de la fontaine, avec
la cruche vide à côté.
— « Père, vous arrivez bien à propos. Il me
faut un berceau, pour le fils que le Bon Dieu me
doit. Nous devisions de cela, moi et ma mère.
— Je vois, dit le père, que vous êtes en dispute;
mais j'ai le moyen de vous accorder. Il n'est pas
vrai que le berceau que nous avions fût un présent
de la pauvre sœur de ma femme. Ce fut moi qui
le tressai. Quand notre fille fut grande, je voulais
le troquer contre un dindon.
— Mon homme, tu ne sais pas ce que tu dis.
74 CONTES FAMILIERS
— Femme, je le sais mieux que toi. Je vais t'en
donner la preuve. »
L'homme s'assit entre sa femme et sa fille, et
ils continuèrent à bavarder comme des pies, à
propos du berceau. Une heure après, ils n'étaient
pas encore revenus. Alors, Jeannille pensa :
— « Mon travail est ici ; mais je crève de soif.
Il faut aussi que je sache ce que sont devenus ma
femme, ma belle-mère, et mon beau-père. »
Un moment après, il était au bord de la fon-
taine, où les trois imbéciles bavardaient toujours
comme des pies, à propos du berceau. Alors,
Jeannille entra dans une colère bleue.
— « Voici trois imbéciles, qui se chamaillent
à propos d'un berceau, et l'enfant qui doit y
dormir est encore à naître. En attendant, je crève
de soif, et je travaille comme un galérien. Jamais
je ne pourrai vivre avec de pareilles gens. Mieux
vaut quitter le pays. »
Jeannille partit aussitôt. Une heure après, en
traversant un grand bois, il vit une femme qui
rossait son porc, à coups de gaule.
— « Porc ! Méchant porc ! Imbécile de porc !
Je t'enseignerai ton métier. »
Et toujours elle rossait la pauvre bête, à coups
de gaule.
— « Femme, pourquoi rossez-vous ainsi votre
porc?
LES GENS AVISÉS 75
— Pourquoi je le rosse? Pourquoi je le rosse?
Figurez-vous que cet animal a si peu de sens,
qu'il se couche sous les chênes, pour attendre que
les glands tombent , au lieu de monter les
cueillir parmi les branches. Allons ! méchant porc,
monte vite. Pan! pan!
— Femme, les porcs ne sont pas nés pour
monter aux chênes. Prêtez-moi votre gaule, et
vous allez voir. »
En quelques coups de gaule, Jeannille fit tom-
ber un quartaut de glands, que le porc avala jus-
qu'au dernier.
— « Adieu, femme. Profitez de la leçon.
— Merci, mon ami. »
Jeannille repartit. Une heure après, le ciel se
couvrit de nuages noirs. L'orage n'était pas loin.
Sur la porte de sa maison, une femme, tenant une
fourche, tâchait de jeter dedans une grande pile
de noix vertes.
— « Femme, que faites-vous li?
— Ce que je fais? Vous le voyez bien. J'avais
mis ces noix vertes à sécher au soleil ; et je tâche
de les jeter dans la maison, par crainte de l'orage.
Mais ma gueuse fourche ne veut pas faire de bon
travail.
— Femme, laissez là votre fourche. Apportez-
moi une pelle. »
La femme apporta une pelle. Un quart-
yé CONTES FAMILIERS
d'heure après, Jeannille avait mis toutes les noix
vertes à l'abri. Il attendit la fin de l'orage.
— « Adieu, femme. Profitez de la leçon.
— Merci, mon ami. »
Jeannille repartit. Une heure après, il arriva
devant une maison, où un garçon criait comme
un aigle à son vieux père paralysé :
— « Imbécile ! Vous ne saurez donc jamais en-
filer votre culotte. Voilà plus de cent fois que
vous manquez la manoeuvre. Recommencez.
Remontez sur la table. Vous le voyez, je tiens la
culotte. Allons! Hardi! Sautez dedans, et enfilez
les deux jambes à la fois. »
Le pauvre vieux paralysé roula par terre, sans
enfiler sa culotte. Alors, Jeannille entra dans la
maison.
— « Jeune homme, tu ne sais pas t'y prendre.
Tiens, voici comment on enfile une culotte. Une
jambe d'abord, et l'autre après. C'est fait. Adieu.
Profite de la leçon.
— Merci, mon ami. »
Jeannille repartit. Mais, au bout de cent pas,
il s'assit au pied d'un arbre, et se mit à penser :
— « Voici juste quatre heures que je chemine;
et j'ai déjà vu trois personnes encore plus bêtes
que ma femme, ma belle-mère, et mon beau-père.
J'ai vu une femme qui voulait faire monter son
porc à un chêne. J'en ai vu une autre qui tâchait.
LES GENS AVISÉS 77
avec une fourche, de jeter dans sa maison une
grande pile de noix vertes. J'ai vu un jeune
homme qui voulait faire sauter dans sa culotte
son vieux père paralysé. En vérité, ma pauvre
mère avait bien raison de dire : « Ce monde-ci
« est un grand monde. Il y a longtemps que les
« sots y sont les maîtres ; et je ne pense pas que ceci
« finisse demain. Jamais tu ne compteras toutes
« les herbes qui croissent dans les prés. Jamais tu
« ne boiras toute Teau de la rivière de la Baise.
« Tâche de vivre avec les vivants, et ne t'expose
« pas à demeurer seul. »
Cela pensé, Jeannille retourna dans sa mai-
son (i).
(i) Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
IX
GRAIN - DE - MILLET
I L y avait, une fois, à Lacouture (i), un
métayer et une métayère, mariés depuis
sept ans. Pourtant, ils n'avaient pas en-
core d'enfant.
Un jour, la métayère songeait, en pétrissant
dans le fournil :
— « Ah! quand donc aurai-je un fils?
— Mère, vous en avez un.
— Où es-tu, mon fils? Je t'entends; mais je ne
te vois pas.
— Mère, je suis trop petit pour être vu. C'est
pourquoi vous m'appellerez Grain-de-Millet.
— Grain-de-Millet, veux-tu têter?
(i) Métairit; île la commune de Lectoure, autrefois voisine de
la foret du Ramier, dont plus de la moitié est raainleuant
défrichée.
LES GENS AVISÉS 79
— Merci, mère. Je suis né tout formé, tout
vêtu, tout armé. J'en sais plus que les hommes
de quarante ans. Commandez, mcre. Tout ce
que vous direz sera fait.
— Grain-de-Millet, chasse les poules du four-
nil. »
Grain-de-Millet chassa les poules du fournil. Sa
mère l'entendait crier : « Psch ! psch ! psch (i) ! »
Mais elle ne le voj'ait pas.
— « Mère, maintenant que les poules sont
chassées, je veux aller trouver mon père.
— Grain-de-Millet, sais-tu où il est?
— Oui, mère. Il laboure, là-bas, là-bas, avec
notre paire de bœufs. Je veux lui porter son goûter.
— Grain-de-Millet, tu ne pourras pas.
— Mère , remplissez le panier. Le reste me
regarde. »
Grain-de-Millet partit, emportant le panier.
— « Père, tenez. Voici votre goûter.
— Qui est là? J'entends parler; mais je ne vois
personne.
— Père, je suis Grain-de-Millet. Je suis votre
fils, né depuis une heure. Père, je suis trop petit
pour être vu. C'est pourquoi vous m'appellerez
Grain-de-Millet. Tenez, voici votre goûter. Où
faut-il que je le pose?
(i) Pov.r chasser les joules.
8o CONTES FAMILIERS
— Grain-de-Millet, pose-le sous cet arbre.
— Père, c'est fait. Goûtez, Je labourerai pour
vous.
— Graiii-de-Millet, tu ne pourras pas. '
— Père, fiez-vous à moi. »
Tandis que son père goûtait, Grain-de-Millet
se hissa jusqu'à la pointe de la corne droite du
bœuf Caubet (i). Et le voilà parti.
— « Ha! Lauret. Ha! Caubet (2). »
Jamais bouvier n'avait labouré de telle façon.
En ce moment, l'évêque de Lectoure passait,
revenant de Fleurance (3), dans une superbe
voiture. Il s'étonna fort de voir une paire de
bœufs labourer seule, et d'entendre des cris de
bouvier, sans voir celui qui criait.
— a Métayer, dit -il à l'homme qui goûtait,
métayer, qu'est donc ceci ?
— Monseigneur, c'est mon fils Grain-de-Millet,
qui laboure à ma place.
— Métayer, je l'entends; mais je ne le vois pas.
— Monseigneur, mon fils est trop petit pour
être vu. C'est pourquoi il s'appelle Grain-de-
Millet.
(1) Le bœuf de gauche.
(2) Cris de bouvier. Lauret est un nom de bœuf.
(3) Chef-lieu de canton du département du Gers, à ii kilo-
mètres de Lectoure.
LES GENS AVISÉS 8l
— Métayer, je veux ton fils pour cocher.
Yends-le-moi. Je t'en donne mille pistoles.
— Monseigneur, excusez-moi. Grain-de-Millet
n'est pas à vendre. »
La voiture de l'évêque de Lectoure repartit.
Quand elle fut loin, Grain-de-Millet dit à son pire :
— « Père, pourquoi ne m'avez-vous pas vendu,
pour mille pistoles, à l'évêque de Lectoure ?
— Grain-de-Millet, je tiens à toi.
— Père, vendez-moi. Je saurai bien m'en re-
tourner à la maison.
— Grain-de-Millet, ce que je n'ai pas fait au-
jourd'hui peut se faire une autre fois.
— Père, retournez à la maison. Bientôt, le
champ sera labouré. Fiez-vous à moi, pour rame-
ner les bœufs à l'étable, et pour les panser. »
Ce qui fut dit fut fait. Le champ labouré,
Grain-de-Millet ramena ses bœufs à l'étable.
Mais, en pansant son bétail, il tomba dans le
fourrage, et fut avalé par Caubet.
Inquiets de ne plus entendre leur fils, le
métayer et la métayère entrèrent dans l'étable,
en criant :
— « Grain-de-Millet ! Grain-de-Millet !
— Je suis dans le ventre de Caubet (i).
(l) En gïscon :
— « Grûn-dc-MilUt ! Grun-âe-UilUl !
— Soui dttts lou henie dou Caubet. <
m 6
82 CONTES FAMILIERS
— Grain-de-Millet ! Grain-de-Millet !
— Je suis dans le ventre de Caubet.
— Grain-de-Millet! Grain-de-Millet!
— Je suis dans le ventre de Caubet ! »
Alors, le père alla chercher un grand coutelas,
saigna Caubet, l'éventra, et jeta les tripes dehors.
— « Grain-de-Millet ! Grain-de-Millet ! »
Pas de réponse.
— « Grain-de-Millet! Grain-de-Millet! »
Pas de réponse.
— « Grain-de-Millet ! Grain-de-Millet ! »
Pas de réponse.
— « Quel malheur! Grain-de-Millet est mort. »
Le métayer et la métayère allèrent se coucher
bien tristement.
Mais Grain-de-Millet n'était pas mort. Il était
évanoui dans les tripes de Caubet, mais em-
pêtré à ne pouvoir répondre. Quand il revint
à lui, les étoiles marquaient minuit. En ce
moment, les loups, attirés par l'odeur des tripes,
accouraient du bois du Ramier. Le temps de dire
Amen, Grain-de-Millet était passé, avec les tripes
de Caubet, dans le ventre d'un loup, et partait,
emporté vers le Rieutort (i).
Depuis qu'il avait ce petit hom.me dans son
ventre, le loup souffrait terriblement de la colique.
(i) Ruisseiu qui traverse le Rnmier.
LES GEXS AVISÉS 83
Au Rieutort, la maie bête avala tant et tant
d'eau, qu'elle se débonda tout à coup. Cela fait,
elle repartit, comme si le Diable l'emportait.
A force de se démener, Grain-de-Millet' finit
par se tirer d'affaire, et courut se débarbouiller
au Rieutort. Certes, ce n'était pas sans besoin.
Tout en se débarbouillant, il aperçut un homme
haut de six pieds, noir et barbu. L'homme sem-
blait impatient, et regardait les étoiles. Quand
elles marquèrent une heure de la nuit, il imita le
cri du hibou :
— « Tchot ! tchot ! tchoc ! »
D'autres cris lui répondirent :
— « Tchot ! tchot ! tchot ! »
C'étaient des voleurs de bétail, qui revenaient de
faire leurs mauvais coups chez les moines de
Bouillas (i), chez le comte de Lamothe-Goas (2),
chez l'évèque de Lectoure (3), et à la métairie
de Lacouture. Ces gueux ramenaient à leur capi-
taine je ne sais combien de juments, de poulains,
de veaux, de bœufs, et de vaches.
— « Allons, camarades, vous n'avez pas perdu
(i) Abbaye de Bernardins, située dans la forêt du Ramier.
(2) Le château de Lamoihe-Goas, compris dans l'ancienne
vicomte de Lomagne, et aujourd'hui dans le canton de Fleurance
(Gers), est peu distant de la fcci du Ramier.
(3) Avant la Révolution, les évèques de Lectoure avaient leur
maison des champs à Tulle, dans l.i vallée du Gers, à médiocre
distance de la forêt primitive du Ramier.
84 CONTES FAMILIERS
votre nuit. Vite, partons pour la foire. Avec l'ar-
gent de ce bétail à vendre, nous aurons de quoi
faire longtemps bonne chère, et jouer aux cartes. »
Ce qui fut dit fut fait. Mais le capitaine des
voleurs ne se doutait pas qu'il emportait à la foire
Grain-de-Millet, qui s'était hissé jusque dans sa
poche.
Le bétail vendu, le capitaine dit :
— « Camarades, allons riboter à l'auberge. »
A force de riboter, tous finirent par tomber
ivres-morts sous la table. Alors, Grain-de-Millet
fouilla le capitaine des voleurs, et partit au grand
galop pour la métairie de Lacouture.
— « Bonjour, père. Bonjour, mère. Tenez.
Voici cent fois plus qu'il ne faut, pour remplacer
notre Caubet éventré, et pour renouveler le reste
de notre bétail, volé la nuit passée. »
C'était vrai. La bourse du capitaine des voleurs
contenait je ne sais combien de doubles louis
d'or, et de quadruples d'Espagne.
— « Et maintenant, père, apportez une fiole. »
Ce qui fut dit fut fait. Grain-de-Millet entra
dans la fiole.
— « Et maintenant, père, prenez cette fiole, et
allez me vendre trois mille pistoles à l'évêque de
Lectoure. »
Le père prit la fiole, et s'en alla trouver l'évêque
de Lectoure.
LES GENS AVISES
— « Bonjour, Monseigneur. J"ai changé d'avis.
Si vous voulez toujours Grain-de-Millet pour co-
cher, comptez-moi mille pistoles. «
Sans marchander, l'évèque de Lectoure paya
comptant, et le père s'en revint à Lacouture.
Pendant toute une semaine, Grain-de-Millet
montra ce dont il était capable. Jamais les che-
vaux de l'évèque de Lectoure n'avaient été si bien
pansés, étrillés, harnachés. Jamais sa voiture n'a-
vait été si propre, si bien attelée. Jamais, au
grand jamais, cocher n'avait conduit comme
Grain-de-Millet.
L'évèque de Lectoure était bien content. Mais
il V a une fin à tout.
Le matin du huitième jour, Grain-de-Millet
criait, dans l'écurie, comme un homme écorché
vif:
— « Aie ! aie ! aie ! Je suis mort. Aie ! aie ! aie !
Je suis mort.
— Qu'as-tu, Grain-de-Millet? Q.u'as-tu?
— Aie! aie! aie! Je suis mort. Un cheval m'a
broyé sous son pied. Aie! aie! aie! Je suis mort.
— Montre-toi, Grain-de-Millet. Montre-toi,
tandis qu'on va chercher le chirurgien. »
Mais Grain-de-Millet ne se montrait pas, et ne
criait plus. Alors, l'évèque de Lectoure pensa :
— « Grain-de-Millet est mort. J'ai payé cher
ses bons services d'une semaine. »
86 CONTES FAMILIERS
Mais Grain-de-Millet n'était pas mort. Il arri-
vait au seuil de la métairie de Lacouture.
— « Bonjour, père. Bonjour, mère. Mainte-
nant, quittons le pays. Nous avons de quoi faire
travailler les autres pour nous. Allons, comme les
nobles, vivre heureux et riches dans un châ-
teau (i). »
(i) Dicté par feu Cazaux, de Lectoure. Auparavant, ce
conte m'avait été récité, d'une façon identique pour le fond,
par ma grand'mére paternelle, Marie de Lacaze, de Sainte-
Radegonde (Gers), par M. de Boubée-Lacouture, mort juge au
tribunal de Lectoure, et par un cultivateur, Biaise Sans, au Bour-
dieu, commune de Lectoure. Une de mes parentes, morte à Mar-
solan (Gers), Marthe Le Blant, née Duvergé, localisait l'action
dans la commune de sa résidence, supprimant la vente de Grain-
de-Millet à l'évêque de Lectoure, et fius.int voler les bestiaux à
Marsolan, et dans les communes limitrophes. Le conte, ainsi ré-
duit, est encore populaire au l'ergain-TailIac (Gers), oij il m'a
été récité, notamment, par deux jeunes gens, Joseph Lafitte et
Hippolyte Néchut, qui tous localisent l'action dans leur commune.
(^^(^^(^^M^fë'hM^M^
LA FLÛTE DE COURTEBOTTE
L y avait, une fois, un homme et une
femme, mariés depuis quinze ans. Pour-
tant, ils n'avaient pas encore d'enfant.
Vingt fois par jour, l'homme et la femme répé-
taient :
— « Bon Dieu, donnez-nous un fils, rien qu'un
fils, ne fût-il pas plus haut qu'une botte. »
Le Bon Dieu finit par leur donner ce qu'ils de-
mandaient. Après quinze ans et neuf mois, la
femme accoucha d'un enfant, long de deux em-
pans, et qui ne devait plus grandir d'une ligne.
C'est pourquoi ses parents l'appelèrent Courte-
botte.
A l'âge d'entrer en condition, Courtebotte était
fin et avisé plus que personne. Mais pas un maître
ne voulait s'embarrasser de ce nain. Enfin, Cour-
tebotte trouva une place de vacher, chez un mé-
88 CONTES FAMILIERS
tayer, méchant comme le Diable, et avare comme
un juif. Mauvais pain, mauvaise soupe, lit de
paille, force coups, et pas de gages, tel était le sort
du pauvre valet.
Mais le nain avait bon espoir, et pensait :
— « Patience! Après la pluie, le soleil. »
Un jour, Courtebotte gardait ses vaches, dans
im pré, couché sous un saule, au bord du Gers.
De l'autre côté de la rivière, il aperçut une femme
haute à peine d'un empan, noire comme l'âtre, et
vieille, vieille comme un chemin.
• — « Vacher, cria la petite vieille, viens me
passer de l'autre côté du Gers.
— Brave femme, avec plaisir. »
Courtebotte ôta ses habits. Par bonheur, c'était
après la moisson. Les eaux étaient si basses, si
basses, que le nain n'en avait pas jusqu'à la
ceinture.
— « Brave femme, vous voilà passée.
— Merci, vacher. Ton service te sera payé.
Prends cette flûte, et ne t'en sépare ni nuit ni
jour. Chaque fois que tu l'emboucheras, les bêtes
et les gens qui l'entendront seront forcés d'entrer
en danse, jusqu'à ce qu'il te plaise de ne plus
souffler.
— Brave femme, merci. »
La petite vieille partit.
Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussi-
LES GEKS AVISES 89
tôt, les bœufs, les vaches, les veaux, furent
forcés d'entrer en danse, jusqu'à ce qu'il plût au
nain de ne plus souffler.
Un moment après, passa, proche d'un hallier
de ronces et d'épines noires, le juge de paix, un
homme colère et méchant comme cent Diables de
l'enfer. Courtebotte ôta son béret.
— « Bonjour, Monsieur le juge de paix. »
Le juge de paix passait sans répondre, ni même
toucher son chapeau.
— « Monsieur le juge de paix, je vous salue
honnêtement. Vous pourriez faire de même. »
Le juge de paix leva son bâton.
Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussi-
tôt, le juge de paix se trouva forcé d'entrer eu
danse. Il dansa, dansa, dans le plus fourré du
hallier de ronces et d'épines noires, qui lui déchi-
raient les habits et la chair. Il dansa, dansa, jus-
qu'à ce qu'il plût au nain de ne plus souffler.
Courtebotte et son bétail retournèrent à la
métairie. Ce jour-là, le maître et sa fomille faisaient
ripaille : garbure, cuisses d'oies (1), dindon rôti,
fromage, et bon vin.
— « Maître, un peu de ces bonnes choses, s'il
vous plaît.
(i) Confites à la graisse. On les met à cuire dans la garbure,
ou soupe aux cbouï.
90 COMTES FAMILIERS
— Au large! gourmand. Les croûtons moisis
sont trop bons pour toi. Au large, ou gare les
coups. »
Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussi-
tôt, le métayer et les siens se trouvèrent forcés
d'entrer en danse. Ils dansaient, dansaient, parmi
les bancs et les chaises renversés, parmi les plats,
les assiettes, et les bouteilles brisées, qui leur met-
taient les pieds en sang. Ils dansèrent, dansèrent,
jusqu'à ce qu'il plût au nain de ne plus souf-
fler.
Cela fait, Courtebotte retourna chez ses parents,
tandis que le juge de paix et le métayer allaient
le dénoncer à la justice.
Trois jours après, le vacher était condamné à
être pendu ; car on pendait de l'ancien temps, au
lieu de guillotiner, comme à présent.
Tandis que les juges rouges, le prêtre, le
bourreau, et ses valets, le menaient à la potence,
Courtebotte crevait de rire, en regardant, parmi le
peuple, le juge de paix et le métayer.
Le bourreau passa la corde au cou du con-
damné.
Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt,
juges rouges, prêtre, bourreau, valets, se trou-
vèrent forcés d'entrer en danse. Ils dansaient, dan-
saient, aussi haut que la potence, au risque de se
rompre bras et jambes, chaque fois qu'ils retoni-
LES GENS AVISES 9I
baient à terre. Ils dansèrent, dansèrent, jusqu'à
ce qu'il plût au nain de ne plus souffler.
— ce Eh bien, braves gens, voulez-vous tou-
jours me pendre?
— Non, Courtebotte. Pars tranquille. Il ne te
sera rien foit.
— Braves gens, ce n'est pas assez. J'entends
que le juge de paix et mon maître soient pendus
sans rémission.
— Courtebotte, la chose passe notre pouvoir. »
Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussi-
tôt, juges rouges, prêtre, bourreau, valets, se
trouvèrent forcés d'entrer en danse. Ils dansaient,
dansaient, aussi haut que la potence, au risque de
se rompre bras et jambes, chaque fois qu'ils retom-
baient à terre. Ils dansèrent, dansèrent, jusqu'à
ce qu'il plûl au nain de ne plus souffler.
— « Braves gens, j'entends que le juge de paix
et mon maître soient pendus sans rémission. La
chose passe-t-elle toujours votre pouvoir?
— Non, Courtebotte. — Bourreau, fais ton
métier. «
Le bourreau et ses valets pendirent le juge de
paix et le métayer.
— « Et maintenant, braves gens, vous allez me
compter chacun mille pistoles, pour le tort que
vous m'avez fait.
— Courtebotte, la chose passe nos moyens. »
92 CONTES FAMILIERS
Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussi-
tôt, juges rouges, prêtre, bourreau, valets, se
trouvèrent forcés d'entrer en danse. Ils dansaient,
dansaient, aussi haut que la potence, au risque de
se rompre bras et jambes, chaque fois qu'ils retom-
baient à terre. Ils dansèrent, dansèrent, jusqu'à
ce qu'il plût au nain de ne plus souffler.
— « Braves gens, vous allez me compter cha-
cun cent pistoles, pour le tort que vous m'avez
fait. La chose passe-t-elle toujours vos moyens?
— Non, Courtebotte. Mais nous n'avons pas
l'argent chez nous.
— Mandez-le quérir. Sinon, gare la flûte ! »
Ce qui fut dit fut fait. Courtebotte, chargé d'or,
retourna chez ses parents, et vécut longtemps
heureux (i).
(i) Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
*y<:ô)^')<:Wé'jC^^r^^^x^^:
XI
LA BESACE
L y avait, une fois, une veuve et son fils,
qui travaillaient jour et nuit, pour mal ga-
gner leur pauvre vie.
— « Mère, dit un jour le garçon, tout ceci ne
peut plus durer. Vous êtes vieille. Gardez la mai-
sonnette. Moi, j'ai vingt-et-un ans sonnés. Je
veux aller courir le monde, et chercher fortune.
Si jamais je suis riche, comptez que rien ne vous
manquera.
— Mon fils, fais à ta volonté. Tiens, voici un
bon bâton d'épine noire, en cas de mauvaises
rencontres. Voilà une besace, où tu trouveras trois
petits pains, et une gourde pleine de vin. Pars,
pauvret, et que le Bon Dieu t'accompagne. »
Le garçon salua sa mère, et partit.
Pendant trois heures, il marcha droit, toujours
94 CONTES FAMILIERS
tout droit devant soi. Alors, il rencontra un pauvre
vieux estropié.
— « La charité, mon ami, pour l'amour de
Dieu. »
Le jeune homme fouilla dans sa besace.
— « Tiens, pauvre. Mange ce petit pain. Bois
un coup à ma gourde.
— Merci, mon ami. »
Le jeune homme salua, et repartit.
Pendant trois heures, il marcha droit, toujours
tout droit devant soi. Alors, il rencontra un autre
pauvre vieux estropié.
— « La charité, mon ami, pour l'amour de la
sainte Vierge Marie. »
Le jeune homme fouilla dans sa besace.
— « Tiens , pauvre. Mange ce petit pain.
Bois un coup à ma gourde.
— Merci, lîion ami. »
Le jeune homme salua, et repartit.
Pendant trois heures, il marcha droit, toujours
tout droit devant soi. Alors, il rencontra un autre
pauvre vieux estropié.
— « La charité, mon ami, pour l'amour de
l'apôtre saint Pierre. »
Le jeune homme fouilla dans sa besace.
— « Tiens , pauvre. Mange ce petit pain.
Bois un coup à ma gourde.
LES GENS AVISÉS 95
— Merci, mon ami. »
Le jeune homme saluait pour repartir, quand
le pauvre vieux estropié parla.
— « Mon ami, tu m'as assisté trois fois en un
jour. Tu m'as assisté pour l'amour de Dieu. Tu
m'as assisté pour l'amour de la sainte Vierge
Marie. Tu m'as assisté pour l'amour de l'apôtre
saint Pierre. Mon ami, tes trois charités te seront
payées. Ecoute. C'est moi qui suis l'apôtre saint
Pierre, le portier du paradis. J'ai grand pouvoir
au ciel et sur terre, et je vais t'en donner la preuve.
Donne-moi ta besace à bénir. »
Le jeune homme obéit.
— « Voilà qui est fait. Et maintenant, mon
ami, quoi que tu souhaites, tu l'auras. Dis seu-
lement : « Saute dans ma besace. » Aussitôt, la
personne ou chose souhaitées y sauteront, pour
n'en sortir qu'à ta volonté. Adieu, mon ami. Je t'ai
payé. Tâche de faire bon usage de mon présent. »
Le jeune homme salua saint Pierre, et re-
partit.
Pendant trois heures, il marcha droit, toujours
tout droit devant soi.
Au coucher du soleil, il arriva dans une grande
YÏUe, sur le seuil d'une bonne auberge. Dans la
salle commune, les servantes mettaient le cou-
vert, et chargeaient la table d'assiettes, de pain,
de bouteilles. Sur les fourneaux de la cuisine,
96 COXTES FAMILIERS
les casseroles marchaient bon train. Au foyer
rôtissait un gros dindon, gras comme un moine.
Enfin, une bonne odeur de fricot, à ressusciter
un mort.
Le jeune homme crevait de faim.
— « Un morceau de pain, aubergiste, pour
l'amour de Dieu, de la sainte Vierge Marie, et de
l'apôtre saint Pierre.
— Passe ton chemin, pauvre. Passe vite, ou
gare aux chiens ! »
Le jeune homme se mit à rire.
— « Bon dîner, saute dans ma besace. »
Le pain, les bouteilles, la viande, sautèrent dans
la besace, au premier commandement.
Alors, le jeune homme alla s'asseoir au bord de
l'eau, sous l'arche d'un pont. Là, il mangea à sa
faim, et but à sa soif. Cela fait, il donna le reste
de son souper à de pauvres lavandières, s'al-
longea par terre, et ronfla comme un bienheureux.
Le lendemain, il repartait, à la pointe de
l'aube.
Pendant trois heures, il marcha droit, toujours
tout droit devant soi. Alors, il s'arrêta devant la
boutique d'un forgeron, qui battait le fer sur son
enclume, avec un marteau du poids de cent quin-
taux.
— « Un morceau de pain, forgeron, pour l'a-
LES GENS AVISÉS 97
mour de Dieu, de la sainte Vierge Marie, et de
l'apôtre saint Pierre.
— Avec plaisir, pauvre. Attends un peu. Ma
femme va tremper la soupe. Nous la mangerons
ensemble. »
Tandis que la femme trempait la soupe, le jeune
homme et le forgeron devisaient.
— « Forgeron, quel est ce beau château, là-
bas, là- bas, sur cette haute montagne?
— Pauvre, c'est le château de la Mère du
Diable. La Mère est encore pire que le fils. Force
gens sont entrés dans son beau château ; nul n'en
est jamais revenu. Pauvre, pour le bien que je
te souhaite, tâche de ne pas faire comme eux. »
La soupe avalée, le jeune homme salua le for-
geron et sa femme, et repartit.
Pendant trois heures, il marcha droit, toujours
tout droit devant lui. Alors, il frappa, sans peur
ni crainte, à la porte du beau château de la Mère
du Diable.
— « Pan ! pan ! »
La Mère du Diable parut, haute de sept toises,
vieille comme un chemin, laide, laide comme le
péché.
— « Un morceau de pain. Mère du Diable,
pour l'amour de Dieu, de la sainte Vierge Marie,
et de l'apôtre saint Pierre. »
La Mère du Diable avançait, la gueule ouverte.
III 7
9$ CONTES FAMILIERS
Le jeune homme se mit à rire.
— « Mère du Diable, saute dans ma besace. »
La Mère du Diable sauta dans la besace, au pre-
mier commandement. Alors, le jeune homme
retourna chez le forgeron, et posa la besace sur
l'enclume.
— « Forgeron, passe-moi ton marteau du poids
de cent quintaux. Prends le pareil, et frappons
fort et ferme là-dessus.
— Pauvre, je n'ai rien à te refuser. Hardi!
Hô ! »
L:i Mère du Diable criait, à se faire entendre de
cent lieues :
— « Aie! aie! aie ! Vous me brisez les os. Aie !
aie ! aie ! »
Les deux hommes frappaient toujours fort et
ferme.
— « Hardi ! Hô ! »
Mais il est dit que la Mère du Diable ne mourra
jamais. Pourtant, elle est née pour souffrir, comme
les chrétiens. Sous les deux marteaux du poids de
cent quintaux, elle criait toujours, à se faire en-
tendre de cent lieues :
— « Aie! aie! aie! Vous me brisez les os. Aie!
aie ! aie ! »
Quand la gueuse eut assez souffert, le jeune
homme ouvrit la besace. La Mère du Diable dé-
campa, pour ne revenir jamais, jamais.
LES GENS AVISES 99
Alors, le fils de la veuve se rendit seigneur et
maître dans le beau château de la Mère du Diable.
Cela fait, il retourna chez le forgeron.
— « Forgeron, tu m'as fait ser%-ice. Voici pour
toi mille pistoles. Voilà de plus inille quadruples,
que tu vas porter à ma mère. Souhaite-lui bien
le bonjour de ma part. Surtout, recommande-lui
de ne se laisser manquer de rien. Moi, j'ai des
affaires ailleurs. Je suis riche comme la mer. Il
s'en va temps de me marier. »
Le forgeron partit, et le jeune homme retourna,
pour y vivre en seigneur, dans le beau château
de la Mère du Diable. Maintenant qu'il était riche
comme la mer, il ne songeait qu'à se marier. Il
courait les foires et les fêtes patronales, vêtu
d'habits superbes, mais ne quittant sa besace ni
nuit, ni jour. A ferce de courir, il rencontra la
fille d'un comte, une demoiselle belle comme le
jour, et honnête comme l'or. Aussitôt, le jeune
homme en devint amoureux fou.
— « Bonjour, belle demoiselle. Je suis jeune,
fort et hardi. Je suis riche comme la mer. Voulez-
vous être ma femme?
— Mon ami, je t'épouserais de bon cœur, si tu
n'allais pas, comme les pauvres, la besace sur le
dos.
— Belle demoiselle, tout par amitié, rien par
force. Mais ne vous moquez pas de ma besace.
CONTES FAMILIERS
Par sa vertu, si le cœur m'en disait, je pourrais
vous forcer à faire eu tout ma volonté. »
La belle demoiselle se mit à rire.
— « Mon ami, prouve-moi que tu dis vrai.
— Belle demoiselle, saute dans ma besace. »
La belle demoiselle sauta dans la besace, au
premier commandement.
— « Mon ami, tu as dit vrai. Délivre-moi, je
t'en prie.
— Belle demoiselle, je vous délivrerai, quand
vous m'aurez juré d'être ma femme.
— Mon ami, je te le jure. Mais mon père n'y
consentira jamais, jamais.
— Belle demoiselle, ceci me regarde. »
Le jeune homme délivra donc la belle demoi-
selle, et s'en alla trouver son père.
— « Bonjour, comte. Votre fille m'a promis
d'être ma femme. Voulez-vous me la donner?
— Insolent, ma fille n'est pas pour toi, qui t'en
vas, comme un pauvre, la besace sur le dos.
— Comte, saute dans ma besace. »
Le comte sauta dans la besace, au premier com-
mandement.
— « Grâce, mon ami ! Grâce ! Délivre-moi vite.
Je te donne ma fille pour femme. »
Le jeune homme délivra le comte. Trois jours
après, il épousait la belle demoiselle. Tous deux
LES GEXS AVISES lOI
et leurs douze enfants vécurent longtemps, heu-
reux et riches, dans le beau château de la Mère
du Diable. La femme faisait de larges aumônes ; et
le mari payait au grand prix tout ce dont il avait
besoin. Mais, quand on ne voulait lui vendre
une chose ni pour argent, ni pour or, le marché
était bientôt fait.
— « Saute dans ma besace. »
La chose souhaitée sautait, au premier com-
mandement, dans la besace, dont le maître payait
la chose au grand prix, et tout était dit.
Vraiment, cela n'était pas bien.
Le seigneur du beau château de la Mère du
Diable allait souvent à la pêche. Pour faire de
grandes prises, il n'avait qu'à dire :
— « Poissons, sautez dans ma besace. »
Les poissons sautaient dans la besace^ au pre-
mier commandement.
Mais, un jour, le pécheur tomba dans la rivière,
et s'y noya. Aussitôt, il s'en alla frapper, sans
peur ni crainte, à la grande porte du paradis.
— « Pan ! pan !
— Qui est là? cria saint Pierre.
— Ami. L'homme à la besace. Vite, saint
Pierre, ouvrez-moi la porte.
— Ah ! c'est toi, canaille. Au large ! Je t'avais
commandé de faire bon usage de mon présent.
102 CONTES FAMILIERS
Tu t'en es servi pour forcer des gens à te laisser,
au grand prix, des choses qu'ils ne voulaient te
vendre ni pour argent, ni pour or. Au large,
bandit! Tu n'entreras pas en paradis. »
Ainsi parlait saint Pierre. Mais le mort ne faisait
qu'en rire.
— « Ta ta ta ta. Saint Pierre , ouvrez-moi
vite la porte. »
Saint Pierre ne prit même plus la peine de lui
répondre.
Alors, le mort appliqua l'ouverture de sa besace
sur le trou de la serrure de la grande porte du
paradis.
— « Saint Pierre, saute dans ma besace. »
Saint Pierre passa par le trou de la serrure,
et sauta dans la besace, au premier commande-
ment.
— « Là. Bien. Et maintenant, saint Pierre, si
je n'entre pas en paradis, vous avez fini d'y re-
tourner. »
Mais saint Pierre ne voulait pas se soumettre,
et criait comme un aigle, dans la besace :
— « Ah ! gueu.K. Ah ! bandit. »
A ce tapage, le Bon Dieu vint jusqu'à la porte.
— « Tais-toi, criard. Tu m'assourdis.
— Bon Dieu, c'est moi. C'est moi, saint Pierre.
Bon Dieu, le gueux que voici me tient prisonnier
dans sa besace, et je n'en sortirai pas contre sa
LES GENS AVISÉS 103
volonté. Mais c'est égal. Je ne veux pas me sou-
mettre, car ce rien-qui-vaille ne mérite pas
d'entrer en paradis.
— Saint Pierre, une fois n'est pas coutume. D'ail-
leurs, j'ai besoin de mon portier. Vite, vite, entrez
tous deux, et que tout ce tapage soit fini (i). »
(i) Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
XII
PETITON
m
^^^ L y avait, une fois, une veuve, qui vivait
'-■^' fort à son aise avec Petiton, son fils
unique. Petiton dépassait déjà les vingt
ans. On a vu souvent des garçons plus bêtes que
lui. Mais il était si confiant, si confiant, qu'on
l'avait dupé plus de cent fois, sans qu'il se fût
corrigé.
— « Mon ami, lui dit un jour sa mère, c'est
aujourd'hui la foire à Layrac (i). Dans une heure,
tu partiras, pour aller y vendre notre plus belle
paire de boeufs. Méfie-toi de ces canailles de ma-
quignons; et ne lâche nos bêtes que contre de
bons écus.
— Mère, vous serez obéie. Et combien deman-
derai-je de nos bœufs?
(i) Petite ville du cïnton d'Astaffort (Lot-et-Gironiie).
LES GENS AVISES
— Mon ami, tu verras bien quel est leur prix
sur le champ de foire. Rends-toi compte du cours.
Demande le juste, la raison.
— Oui, mère, le juste, la raison. Comptez sur
moi, pour faire à votre volonté, v
Petiton déjeuna donc comme un homme qui doit
aller loin, étrilla ses bœufs, les lia au joug, s'ha-
billa de neuf, prit son aiguillon, et partit. A
midi juste, il arrivait sur le champ de foire de
Layrac.
Deux canailles de maquignons s'approchèrent.
— « Bonjour, Petiton. Combien demandes-tu
de tes bœufs?
— Mes amis, j'en demande le juste, la raison.
— Petiton, tu n'en demandes pas peu de chose.
— Mes amis, j'en demande le juste, la raison.
Vous ne les aurez pas à deux liards de moins.
— Eh bien, Petiton, les bœufs sont vendus.
Tope là, et attends-nous. Le temps d'aller te cher-
cher en ville le juste, la raison. »
Les deux canailles de maquignons partirent, et
revinrent bientôt, portant chacun un cornet de
papier.
— « Tiens, Petiton. Voici le juste. Prends
garde de le perdre.
— Tiens, Petiton. Voilà la raison. Prends garde
de la perdre.
— Mes amis, soyez tranquilles. Et maintenant,
Io6 CONTES FAMILIERS
les bœufs sont à vous. Je souhaite que vous les
revendiez à grand bénéfice. »
Les deux canailles de maquignons partirent, avec
les boeufs, et Petiton revint chez sa mère.
— « Bonsoir, mère. Les boeufs sont vendus.
— Combien, mon ami ?
— Mère, j'ai fait comme vous m'aviez com-
mandé. Je les ai vendus le juste, la raison.
— Montre un peu. »
Petiton présenta les deux cornets de papier. L'un
était rempli de puces ; l'autre était rempli de poux.
— « Liibécile ! Tu ne t'es donc pas méfié de ces
canailles de maquignons? Je t'avais pourtant bien
recommandé de ne lâcher nos bêtes que contre de
bons écus.
— Mère, vous m'aviez dit d'en demander le
juste, la raison. J'ai cru les rapporter, dans ces
deux cornets de papier.
— Soupe, imbécile, et va te coucher. Ce
n'est pas toi qui prendras jamais le loup par la
queue (i). »
Petiton obéit, sans mot dire. Mais, dans son lit,
il se mit à penser :
— « J'ai fini d'être confiant. Ceux qui me du-
peront désormais pourront se vanter d'être avisés.
Ah ! ma mère m'a dit : « Ce n'est pas toi qui
(i) Se dit en parlant des imbéciles.
LES GEXS AVISES IO7
« prendras jamais le loup par la queue. » Nous
allons voir. »
Ceci pensé, Petiton se leva, s'habilla douce-
ment, doucement, dans l'obscurité, prit un bon
bâton de chêne, une corde grosse comme le doigt,
et partit.
A minuit, il était dans un grand bois, où les
loups ne manquaient pas. Là, il arrangea sa corde
en nœud coulant, sur le passage battu par les maies
bêtes, et se cacha, son bon bâton de chêne à la
main.
Petiton n'attendit pas longtemps. Un quart
d'heure après, un grand loup venait se prendre
au nœud coulant.
Aussitôt, le garçon l'empoigna par la queue,
tapant, à grand tour de bras, avec son bon bâton
de chêne.
— « Pan ! pan ! pan ! »
Le grand loup avait trouvé son maître. Petiton
l'emmena comme il voulut, la corde au cou. Au
lever du soleil, il était de retour à la maison.
— « Bonjour, mère. Hier soir, vous m'avez
dit : « Ce n'est pas toi qui prendras jamais le
« loup par la queue. » Regardez, mère, et par-
donnez-moi de vous avoir fait mentir. Mainte-
nant, j'ai fini d'être confiant. Ceux qui me dupe-
ront désormais pourront se vanter d'être avisés. »
Ceci dit, Petiton alla prendre un superbe bélier
I08 CONTES FAMILIERS
dans retable, le saigna et l'écorcha, en ayant soin
de laisser tenir les cornes à la peau. Puis il en
revêtit si bien le grand loup, que la maie bête avait
l'air d'un véritable bélier.
— « Adieu, mère. Je pars pour la foire de
Dunes (i). Comptez que mes deux canailles de
maquignons auront bientôt de mes nouvelles.
— Adieu, mon ami. Que le Bon Dieu te con-
duise! »
A midi juste, Petiton arrivait, avec son grand
loup, vêtu en bélier, sur le champ de foire de
Dunes.
Les deux canailles de maquignons s'appro,-
chèrent.
— « Bonjour, Petiton.
— Bonjour, mes amis. Eh bien, ètes-vous con-
tents de mes bœufs ?
— Fort contents, Petiton. Mais tu nous les as
fait payer cher. Enfin, nous t'avons donné le
juste, la raison. Tu n'as rien à nous reprocher.
— Mes amis, vous avez fait en braves gens. Le
Bon Dieu veuille que tout le monde vous res-
semble.
— Petiton, combien demandes-tu de ce bélier?
(i) Bourg du canton d'Auvillars (Tarn-et-Garonne). Les
foires de bestiaux de Dunes sont renommées à six lieues .i U
ronde.
LES GEXS AVISES IO9
— Mes amis, j'en demande cher, car il n'a pas
son pareil au monde. Chaque nuit, il est en état
de couvrir un cent de brebis. Trois mois après,
chacune d'elles met bas deux agneaux, pour
recommencer trois fois par an.
— Petiton, voilà un mâle fort vaillant. Et com-
bien en demandes-tu ?
— Mes amis, j'en demande autant que des
bœufs. J'en demande le juste, la raison.
— Petiton, tu n'en demandes pas peu de chose.
— Mes amis, j'en demande le juste, la raison.
Vous ne l'aurez pas à deux liards de moins.
— Eh bien, Petiton, le béher est vendu. Tope
là, et attends-nous. Le temps d'aller chercher en
ville le juste, la raison. »
Les deux canailles de maquignons partirent, et
revinrent bientôt, portant chacun un cornet de
papier.
— «Tiens, Petiton. Voici le juste. Prends
garde de le perdre.
— Tiens, Petiton. Voilà la raison. Prends garde
de la perdre.
— Mes amis, soyez tranquilles. Et maintenant,
le bélier est à vous. Je souhaite que vous le reven-
diez à grand bénéfice. »
Les deux canailles de maquignons partirent,
avec le bélier, et Petiton revint chez sa mère.
Chemin faisant, il se frottait les mains, et pensait :
CONTES FAMILIERS
— « Allez, braves gens, allez renfermer ce
grand loup dans une étable de cent brebis. »
Les deux canailles de maquignons n'j' man-
quèrent pas. Une fois seul, le grand loup fut vite
sorti de sa peau de bélier. Aussitôt, il tomba sur
les cent brebis. Les pauvres bêtes sautaient épou-
vantées. Sur la porte de l'étable, les deux canailles
de maquignons écoutaient.
— « Petiton n'a pas menti. Voici un mâle
fort vaillant. Comme il se démène ! »
Mais, le lendemain matin, ce fut une autre
affaire. Les deux canailles de maquignons ouvri-
rent la porte de l'étable. Aussitôt, le grand loup
détala au galop.
— « Milliard de Dieux ! Un loup ! Un grand
loup ! Milliard de Dieux ! Nos cent brebis sont
étranglées. Petiton s'est vengé de nous. Milliard
de Dieux! Ceci ne se passera pas comme ça. »
Les deux canailles de maquignons prirent leurs
bâtons, et partirent. Mais Petiton se méfiait. Dès la
pointe de l'aube, il siffla son chien Mourct (i), un
brave animal, fort, sage, bien dressé comme pas
un. Tout ce que son maître lui commandait, il le
comprenait, et le faisait du premier coup. Enfin,
il ne manquait à Mouret que la parole.
(i) Maunt, en gascon petit Maure. Nos paysans donnent
Toloatiers ce nom à leurs chiens noirs.
LES GEXS AVISES
— « Ici, Mouret. Viens, que j'attache dans les
poils de ton poitrail cette vessie, pleine de sang de
poule. Ecoute. J'attends deux canailles de maqui-
gnons. Quand ils seront là, tu feras semblant
d'être enragé. Je t'empoignerai par la peau du
cou, et je ferai semblant de te saigner, en crevant,
avec ce couteau, la vessie, pleine de sang de poule.
Aussitôt, tu feras le mort, pour te relever dès que
j'aurai dit :
« Couteau manclie noir, couteau de manche blanc.
Relève mon chien promptement (i). »
Mouret fît signe qu'il avait compris.
A midi juste, les deux canailles de maquignons
étaient devant la maison de Petiton. Le jeune
homme les attendait, son bon bâton de chêne à
portée de la main. Ceci refroidit un peu les %-i-
siteurs.
— K Bonjour, mes amis. Eh bien! Étes-vous
contents de votre bélier?
— Ah! brigand! Ah! canaDle!
— Calmez-vous, braves gens. Sinon, gare à
mon bon bâton de chêne. Écoutez. Vous m'avez
dupé. Je vous l'ai rendu. « A qui te le fait, fais-
« le-lui (2). » Nous voilà quittes. Je ne crains
(i) Ces deux lignes, qui riment par assonnance, sont ea fran-
çais dans le conte agenais.
(2) Qui le fai, fai-li. Rends la pareille. Proverbe ageaais.
COXTES FAMILIERS
personne. Battons-nous, si vous voulez. Soyons
bons amis, si cela vous plaît. »
Les deux canailles de maquignons n'avaient pas
mot à dire.
— « Eh bien, Petiton, soyons bons amis.
— C'est dit. Allons à l'auberge, riboter, et
trinquer ensemble. »
Alors, Petiton fit signe à Mouret.
Aussitôt, le brave chien hérissa son poil, roula
les yeux, tira la langue, et bava, comme s'il était
véritablement enragé. Les deux canailles de ma-
quignons étaient blancs de peur. Mais Petiton tira
son couteau, empoigna Mouret par la peau du
cou, et creva la vessie pleine de sang de poule,
cachée dans les poils du poitrail.
Le chien tomba comme mort.
— « Et maintenant, mes amis, allons à l'auberge,
riboter, et trinquer ensemble. »
Tous trois allèrent à l'auberge, s'attabler, et
deviser en trinquant.
— « Petiton, tu es un bougre fort et adroit.
Empoigner un chien enragé par la peau du cou,
le saigner avec un couteau, voilà ce que bien
peu d'hommes sont capables de faire, sans se
laisser mordre.
— Mes amis, vous vous trompez. A faire ce
que vous avez vu, je n'ai pas le moindre mérite.
Regardez ce couteau, qui n'a l'air de rien.
LES GENS AVISÉS II5
Par sa vertu, je saigne, sans danger, au poitrail,
toutes les méchantes bêtes. Avec leur sang s'échappe
leur méchanceté. Quand je veux les ressusciter, je
n'ai qu'à leur montrer mon couteau et à dire :
« Couteau à manche noir, couteau à manche blanc.
Relève mes bêtes promptement. »
Aussitôt, mes bêtes se relèvent guéries, et
douces, tranquilles, comme des agneaux nés de-
puis un mois.
— Petiton, tu veux rire.
— Mes amis, venez dehors, et vous verrez si je
mens. »
Tous trois sortirent. Mouret faisait toujours le
mort.
Petiton s'approcha de la bête, lui montra le
couteau et dit :
« Couteau à manche noir, couteau à manche blanc.
Relève mon chien promptement. »
Aussitôt, Mouret sauta de trois pieds en l'air,
et vint lécher la main de son maître.
— « Petiton, tu n'as pas menti. Veux-tu nous
vendre ce couteau?
— Mes amis, qu'eu feriez-vous?
— Petiton, si nous avions ce couteau, notre
fortune serait bientôt faite. Sur les champs de
foire, nous irions acheter tous les bœufs et vaches
méchants, tous les chevaux et mulets vicieux.
m 8
114 CONTES FAMILIERS
Nous les saignerions, ainsi que tu as fait de ton
chien, pour les ressusciter guéris, et doux, tran-
quilles, comme des agneaux nés depuis un mois.
— Mes amis, vous avez raison. Mais, à votre
propre compte, mon couteau vaut cher. Vous
ne l'aurez pas à inoins de mille pistoles.
— Non, Petiton. C'est trop cher.
— Mes amis, je n'en rabattrai pas deux liards.
Si vous dites encore non, pas plus tard que
demain matin, je vais courir les champs de
foire, et gagner pour moi-même la fortune que
vous lâchez.
— Petiton, voici tes mille pistoles.
— Mes amis, voici mon couteau. Je souhaite
qu'il vous serve à faire fortune. »
Les deux canailles de maquignons repartirent,
contents comme des merles.
Le lendemain, jour de la Saint-Martin (i), ils
dépensaient jusqu'à leur dernier sou à payer, sur
le champ de foire de Lectoure, tous les bœufs et
vaches méchants, tous les chevaux et mulets vi-
cieuXj dont personne ne voulait.
— « Notre fortune est faite. Notre fortune est
faite. »
(i) Le II novembre. II y a, ce jour-l.'i, à Lectoure, une
grande foire, où l'oa amène force bestiaux, surtout de jeunes
mulets et mules.
LES GENS AVISÉS II5
Le soir même, ils touchèrent tous ces animaux
dans un grand pré, au bord de la rivière du
Gers. Là, avec le couteau, ils les saignèrent au
poitrail jusqu'au dernier. C'était pitié de voir les
pauvres bêtes couchées mortes, sur l'herbe rouge
de sang.
Alors, les deux canailles de maquignons leur
présentèrent le couteau.
« Couteau à manche noir, couteau à manche blanc,
Relève nos bêtes promptemenî. »
Les bêtes ne bougèrent pas.
« Cou eau à manche noir, couteau à manclie bhiic,
Reiive nos bêtes promptcraent. »
Les bêtes ne bougèrent pas.
« Couteau à manche noir, couteau à blanche blanc,
Relève nos bêtes promptemcnt. «
Les bêtes ne bougèrent pas.
— « Milliard de Dieux ! Toutes nos bêtes sont
mortes. Milliard de Dieux! Nous sommes ruinés.
Petiton s'est encore vengé de nous. Milliard de
Dieux! Ceci ne se passera pas comme ça. «
Les deux canailles de maquignons firent comme
ils avaient dit. A force de guetter Petiton, sans
i:6 CONTES FAMILIERS
C'tre vus, ils finirent par le surprendre, dormant
dans son lit. Alors, ils lui lièrent les pieds et les
mains, l'enfermèrent dans un sac, et le chargèrent
sur leurs épaules, pour aller le noyer dans la Ga-
ronne.
Mais la charge était lourde, et la Garonne était
loin. A mi-chemin, les porteurs n'en pouvaient
plus. Ils posèrent donc leur sac au milieu d'un
bois, et entrèrent dans une auberge, pour s'y
reposer, en buvant bouteille.
Jusque-là , Petiton n'avait pas soufflé mot.
Mais alors, il se mit à crier comme un aigle :
— « Au secours ! Au secours ! »
En ce moment, passait dans le bois un jeune
homme, touchant un troupeau de mille porcs.
— « Au secours! Au secours! »
Le porcher s'approcha.
— « Mon ami, quels sont les gueux qui t'ont
enfermé dans ce sac?
— Brave homme, ce sont deux valets du roi,
qui me portent à leur maître. Par force, le roi
veut me faire épouser sa fille, une princesse belle
comme le jour, et riche comme le Pérou. Mais j'ai
promis au Bon Dieu de me faire prêtre; et jamais
je n'épouserai la fille du roi. »
Alors, le porcher ouvrit le sac.
— « Merci, porcher.
LES GENS AVISÉS II7
— Mon ami, il n'y a pas de quoi. Mais ce dont
tu ne veux pas, moi, je m'en accommoderais de
bon cœur. Écoute. Faisons un échange. Prends
mon troupeau de mille porcs, et enferme-moi dans
ton sac. Ainsi, j'épouserai la fille du roi, la prin-
cesse belle comme le jour, et riche comme le
Pérou .
— Porcher, avec plaisir. Mais dépêchons-nous.
Les deux valets du roi peuvent revenir d'un mo-
ment à l'autre. »
Deux minutes plus tard, le porcher gisait à
terre, enfermé dans le sac, et Petiton partait,
avec son troupeau de mille porcs.
Il n'était pas à cent pas, que les deux canailles
de maquignons revinrent, pour leur mauvaise
œuvre. Sans faire semblant de rien, Petiton les
surveillait. Arrivés au bord de la Garonne, ils ou-
vrirent le sac, y jetèrent une grosse pierre, le
lancèrent dans l'eau, et se sauvèrent, comme si
le Diable les emportait.
Mais Petiton nageait comme un barbeau. Il
sauta dans la Garonne, repêcha le sac, et délivra
le porcher.
— « Merci, mon ami. Tu m'avais pourtant
promis mieux que cela.
— Porcher, je t'ai promis selon ce que je
croyais.
— Mon ami, je ne te reproche rien. Tu m'as
CONTES FAMILIERS
sauve la vie. Prends la moitié de mon troupeau
de mille porcs.
— Porcher, avec plaisir. »
Le partage fait, chacun tira de son côté.
Tout en longeant la Garonne, avec ses bêtes,
Petiton rencontra, trois lieues plus loin, les deux
canailles de maquignons. Alors, il renfonça son
béret sur les j'eux, pour n'être pas reconnu.
— « Bonjour, mes amis.
— Bonjour, porcher. Ces beaux porcs sont-ils
à toi ?
— Oui, mes amis. Il y en a cinq cents.
— Porcher, où les as-tu achetés?
— Mes amis, je les ai achetés à la foire de Va-
lence-d'Agen (i).
— Porcher, combien les as-tu payés? »
Petiton releva son béret de sur les yeux.
— « Mes amis, je les ai payés le juste, la
raison. »
Les deux canailles de maquignons reculèrent
épouvantés.
— « Mes amis, n'ayez pas peur. Je ne vous
tuerai pas. Je ne vous dénoncerai pas à la justice.
l£a tâchant de me noyer dans la Garonne, vous
avez fait ma fortune, sans le vouloir. Au fond de
l'eau, les porcs vivent par millions, et par mil-
(i) Chef-lieu de canton du Tarn-ct-Gïronne.
LES GEKS AVISÉS II9
liasses. J'en ramène cinq cents, et je ne me con-
tenterai pas de si peu.
— Petiton, dis-tu vrai ?
— Mes amis, croyez-moi si vous voulez. Moi, je
vais vendre mes cinq cents porcs à Agen. Aussitôt
fait, je replonge, pour en aller chercher d'autres. »
Petiton parlait avec un tel air de vérité, que les
deux canailles de maquignons ne se méfiaient plus.
— « Petiton, nous allons faire comme toi.
— Bonne chance, mes amis. Plongez. Je nage
comme un barbeau. Plongez. Je suis là pour un
coup, s'il vous arrive malheur. »
Les deux canailles de maquignons sautèrent
dans la Garonne.
— « Au secours ! Petiton ! Au secours ! »
Petiton crevait de rire.
— « Buvez, gueusards ! Buvez, brigands ! »
Les deux canailles de maquignons se noyèrent,
et on n'en entendit plus parler jamais, jamais. Pe-
titon retourna chez sa mère, et ne tarda pas à se
marier, avec une fille belle comme le jour. Il vécut
longtemps, heureux et riche, avec sa femme et
ses enfants (i).
(i) Dicté par Anna Dumas, du Passage-d'Agea (Lot-et-
Garonne).
II
LES NIAIS
LES NIAIS
JEAX-L-IMBÉCILE
L y avait, une fois, une femme qui avait
un garçon si simple d'esprit, qu'on l'avait
surnommé Jean-l'Imbécile. Un jour que
la mère s'en allait laver la lessive, elle dit, en
partant :
— « Jean-l'Imbécile, garde la maison, et fais
bouillir la marmite. Quand elle bouillira, tu grais-
seras les choux.
— Oui, mère. »
124 CONTES FAMILIERS
La mère s'en alla donc laver la lessive. Quand
la marmite se mit à bouillir. Jean-l'Imbécile prit
toute la graisse qui était dans les pots, et s'en alla
graisser les choux du jardin.
Un autre jour, la mère lui dit :
— « Jean-l'Imbécile, je m'en vais à la foire.
Garde la maison, et ne trouble pas l'oie, qui couve
au coin du chauffoir (i).
— Non, mère. »
La mère partit donc pour la foire. Mais Jean-
l'Imbécile voulut aller voir l'oie qui couvait, et
cassa un œuf.
— « Oie, dit-il à la couveuse, ne le dis pas à
ma mère.
— Couac ! faisait l'oie.
— Ah ! tu veux le lui dire. Si tu le lui dis, je
te tue.
— Couac! faisait toujours l'oie.
— Ah ! c'est ainsi. Attends, attends. »
Jean-l'Imbécile tordit le cou à l'oie ; mais,
quand il l'eut fait, il pensa :
— (( Maintenant, il me faut bien couver les
œufs. »
Il se posa donc sur les œufs, et sa mère l'y
trouva, quand elle revint de la foire.
(i) Lou cauhadé. Principale chambre des habitations rus-
tiques en Gascogne.
LES NIAIS 125
— « Que fais-tu là, Jean-l'Imbécile ?
— Mère, l'oie est morte, et moi je couve les
œufs. »
La mère le fit lever, et trouva les œufs tous
cassés.
Un autre jour, la mère lui dit :
— « Jean-l'Imbécile, maintenant tu es en âge
de te marier. Il te faut devenir dégourdi, et t'en
aller au village, jeter quelques coups-d'œil aux
filles, le dimanche, à la sortie de la messe.
— Oui, mère.»
En effet, le dimanche suivant, Jean-l'Imbécile
se leva, dès la pointe de l'aube, s'en alla à l'éîable,
arracha les yeux à toutes les brebis, les mit dans
ses poches, et partit pour la messe. Après le der-
nier évangile, il alla se planter sur la porte de
l'église, et à mesure que les filles sortaient, il les
accablait de coups d'jreux.
Un autre jour, la mère lui dit :
— « Jean-l'Imbécile, il faut vendre les bœufs.
Mène-les à la foire, et demande-s-en la raison.
— Oui, mère. J'en demanderai la raison. »
Jean-l'Imbécile partit donc, avec sa paire de
bœufs, et les mena à la foire.
— « Combien demandes-tu de tes bœufs, Jean-
l'Imbécile?
— Ma mère m'a dit d'en demander la raison.
• — Quelle raison?
126 CONTES FAMILIERS
— La raison. »
Alors, un aflfronteur lui donna un cornet de
papier, plein de poux et de puces.
— « Tiens, Jean -l'Imbécile, voici la raison. »
L'affronteur emmena la paire de bœufs, et Jean-
rimbécile s'en revint chez lui.
— « Tenez, mère. J'ai vendu les boeufs, et
j'en ai tiré la raison. Je vous l'apporte dans ce
cornet de papier. »
Un autre jour, la mère lui dit :
— « Jean-l'Imbécile, j'ai filé tout cet hiver, et
j'ai fait tisser une pièce de toile. Il te faut aller la
vendre à la ville.
— Oui, mère. «
Jean-l'Imbécile partit donc pour la ville, avec sa
pièce de toile et un bâton. Il entra dans une
église, et y vit une statue, toute peinte et dorée.
— « Monsieur, voulez -vous m'acheter ma
toile? »
Le vent entrait dans l'église, et faisait hausser
et baisser la tête de la statue, de façon que Jean-
l'Imbécile crut qu'elle lui faisait signe que oui.
— J'en veux trente écus. »
La statue haussait et baissait toujours la tête.
— « Vous me les paierez ? »
La statue haussait et baissait toujours la
tête.
Alors, Jean-l'Imbécile crut le marché fini, laissa
LES XIAIS 127
la pièce de toile au pied de la statue, et s'en revint
chez lui.
— « Eh bien, mère. J'ai vendu la toile.
— Où est l'argent, Jean-l'Imbécile?
— Mère, je l'ai vendue à crédit à un monsieur
muet. Mais il m'a fait signe qu'il me paierait.
— Bête ! Tu n'en auras jamais un liard.
— Que si, mère. Je vous promets que je me
ferai payer. »
Au bout de quinze jours, Jean-l'Imbécile re-
partit pour la ville, avec son bâton, et s'en alla à
l'égHse. Mais le vent avait changé, et la statue,
au lieu de hausser et baisser la tète, comme la
première fois, la secouait sur ses épaules, comme
qui dit non.
— « Eh bien, Monsieur, êtes-vous content de
la toile? »
La statue secouait la tête.
— « Non. Eh bien, il faut me la rendre. »
La statue secouait toujours la tète.
— « Non. Eh bien, il faut me la payer. »
La statue secouait toujours la tète.
— « Non. Ah ça! tout ceci, c'est des bêtises.
Rendez-moi ma toile, ou comptez-moi mon ar-
gent. »
La statue secouait toujours la tête.
Alors, Jean-l'Imbécile tomba sur la statue, à
grands coups de bâton. Tout en frappant, il brisa
128 CONTES FAMILIERS
un tronc, placé au bas, pour recevoir les aumônes.
Il ramassa l'argent tombé à terre, et rentra
chez lui.
— « Eh bien, mère. Je vous l'avais bien dit,
que je saurais me faire payer. »
Un autre jour, Jean-l'Imbécile était sur un
arbre, et il coupait, avec sa hachette, la branche
même sur laquelle il était posé.
— « Jean-l'Imbécile, lui dit un homme qui pas-
sait, si tu continues de couper ainsi la branche
même sur laquelle tu es posé, tu ne tarderas pas
à tomber par terre. »
L'homme passa son chemin, et Jean-l'Imbécile
continua de couper la branche, jusqu'au moment
où il tomba par terre.
— « Cet homme, pensa-t-il, doit être un grand
savant. Puisqu'il m'a prédit que j'allais tomber par
terre, il peut bien me prédire quand je mourrai. »
Aussitôt, il courut après l'homme.
— « Homme, homme, dites-moi quand je
mourrai.
— Jean-l'Imbécile, tu mourras au troisième pet
de ton âne. »
Jean-l'Imbécile s'en revint chez lui, et trouva
son âne, qui broutait sur le pâtus, devant la porte
de la maison. Au bout d'un moment, l'âne péta.
— « Maintenant, dit Jean-l'Imbécile, je suis
perdu au bout de deux pets. »
LES NIAIS 129
Au bout d'un moment, l'âne péta une fois de
plus.
— « Je suis perdu s'il pète encore, dit Jean-
rimbécile. A toute force, il faut l'en empêcher. »
Aussitôt, il courut chercher un pieu bien pointu,
et l'enfonça, à coups de marteau, dans le cul de
l'âne. Mais l'âne s'enfla tellement, et fit si grand
effort, que le pieu sortit comme une balle, et
traversa le pauvre Jean-l'Imbécile de part en
part (i).
(i) Dicté par Françoise Lalanne, de Lectonre.
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LES GENS DE SAINTE-DODE
^-^p^'ES gens de Sainte-Dode (i) ont toujours
ijli'^nj passé pour être simples d'esprit. On met
'^■:^si sur leur compte force bêtises. Voici celles
que j'ai retenues.
Un jour, les gens de Sainte-Dode s'avisèrent
qu'ils ne gagnaient pas assez, à travailler leurs
champs et leurs vignes, et à élever des chevaux.
Le cas valait la peine qu'on en parlât. Les hom-
mes, les femmes, et les enfants, s'assemblèrent
donc devant la porte de l'église.
— « Gens de Sainte-Dode, dit le plus bavard de
la troupe, voulez-vous faire fortune, en travaillant
moitié moins que par le passé ?
— Oui, oui.
(i) Sainte-Dode, commune du canton de Miélan (Gers).
LES NIAIS 131
— Eh bien, voici comment il faut s'y prendre.
On m'a dit qu'un marchand de Toulouse, qui
loge près de la Daurade (i), vend de la graine de
cheval. Par malheur, chaque graine coûte cher.
Il faut eu acheter une, pour nous mettre en
semence. Faisons une quête entre nous, et
envoyons quatre hommes habiles à Toulouse,
y chercher ce qui nous manque.
— Oui, oui. Nous voulons de la graine de
cheval. »
La quête finie, les quatre hommes avisés par-
tirent aussitôt pour Toulouse, et s'en allèrent à
la boutique du marchand, qui logeait près de la
Daurade.
— « Bonjour, marchand.
— Bonjour, mes amis. Qu'y a-t-il pour votre
service ?
— Marchand, on nous a dit que vous vendiez
de la graine de cheval.
— Mes amis, on vous a dit la vérité. Mais
chaque graine vous coûtera cent pistoles.
— Eh bien, marchand, nous en prendrons une.
Voici l'argent. »
Le marchand alla chercher, dans l'arrière-bou-
tique, une citrouille grosse comme un baril.
— « Tenez, mes amis, voici ma plus belle
(i) Église de Toulouse.
CONTES FAMILIERS
graine de cheval. Je vous la vends de confiance.
Rapportez-la chez vous, en la secouant le moins
possible. Surtout, prenez garde de la casser. Le
petit poulain, qui est dedans, partirait au grand
galop, et vous auriez dépensé vos cent pistoles
sans profit.
— Merci, marchand. »
Les quatre hommes avisés repartirent pour
Sainte-Dode, en prenant bien garde de casser
la graine de cheval, qu'ils portaient chacun son
tour sur la tête. Jusqu'à Aubiet (i), tout alla
bien. Là, les voyageurs s'arrêtèrent un moment,
tout en haut d'une côte fort raide. Pendant
qu'ils soufflaient, en buvant un coup à leurs
gourdes, la graine de cheval, qu'ils n'avaient pas
posée d'à-plomb, roula jusqu'au bas de la côte, et
se brisa contre une pierre. Un lièvre, qui dormait
à deux pas de là, partit au galop, tout épouvanté.
— « Ah ! mon Dieu ! Q.uel malheur ! Notre
graine de cheval est perdue. Regardez, regardez
le petit poulain, qui s'enfuit au grand galop. »
Les voyageurs rentrèrent fort confus à Sainte-
Dode, où on ne leur épargna pas les coups de
bâton. Pourtant, les habitants du village ne re-
noncèrent pas à devenir riches par des semailles
(i) Village du canton de Ciniont, sur la route de Toulouse
i Auch.
LES NIAIS 133
extraordinaires; et ils s'assemblèrent de nouveau
devant la porte de l'église.
— « Gens de Sainte-Dode, dit le bavard qui
avait parlé la première fois, ne pensons plus à la
graine de cheval. Voulez-vous toujours faire for-
tune, en travaillant moitié moins que par le passé ?
— Oui, oui.
— Eh bien, voici comment il faut s'y prendre.
Achetons autant d'aiguilles qu'on voudra nous
en vendre, et semons-les. Ce mois de juillet pro-
chain, la récolte sera superbe. Nous vendrons nos
aiguilles quatre pour un sou, et nous serons riches
pour longtemps.
— Oui, oui. Semons des aiguilles. Semons des
aiguilles. »
Ce qui fut dit fut fait. Les gens de Sainte-Dode
semèrent donc tous leurs champs d'aiguilles. Huit
jours après, ils ôtèrent leurs sabots, et entrèrent
dans les champs, pour voir si la semence com-
mençait à lever. Naturellement, les aiguilles leur
piquaient le dessous des pieds.
— « Bon, criaient-ils. Les aiguilles naissent.
Les aiguilles naissent. Elles nous piquent déjà le
dessous des pieds (i). »
Les aiguilles ne naquirent pas ; et les gens de
(i) L'épisode des aiguilles est mis aussi sur le compte des
gens de Fleurance par les habitants de Lectourc (Gers).
134 CONTES FAMILIERS
Sainte-Dode renoncèrent à faire fortune en semant
de la graine de cheval et des aiguilles. Mais ils
étaient devenus la risée de tout le pays ; et, nuit et
jour, ils songeaient aux moyens de rétablir leur
réputation.
L'église de Sainte-Dode n'est pas laide, et son
clocher est en forme de morue (i). Les gens du
village aperçurent, un jour, un beau chardon, qui
avait poussé sur la pointe du clocher. Aussitôt,
ils tinrent conseil devant la porte de l'église.
— « Ce chardon est un atfront pour la paroisse.
Tirons-le de là le plus tôt possible.
— Oui, oui. Mais comment faire?
— Comment faire? dit le bavard qui parlait
toujours en ces occasions. Comment faire ? Écou-
tez. Sept à huit hommes des plus forts vont
grimper au haut du clocher. Ils emporteront le
bout d'une corde. A l'autre bout, nous ferons un
nœud coulant, et nous y attacherons un âne par
le cou. Les hommes tireront fort ferme, jusqu'à
ce que l'âne soit assez haut monté pour brouter
le chardon. Voilà comment il faut faire.
— Oui, oui. Tu as raison. »
Ce qui fat dit fut fait. Pendant que, du haut du
clocher, les hommes tiraient la corde fort ferme,
(i) Les vieux clochers des petites églises de Gascogne sont
généralement constitués par un simple mur triangulaire, percé de
baies pour placer les cloches.
LES NIAIS 135
le pauvre âne, étranglé par le nœud coulant, ou-
vrait une bouche grande comme un four.
— « Ah ! gourmand, lui criait-on de tous côtés.
Tu ris. Tu es bienaise de brouter le beau chardon. »
Mais le pauvre âne était mort.
Cette histoire n'était pas faite pour remettre
les gens de Sainte-Dode en bonne réputation.
Ils s'assemblèrent donc de nouveau, devant la
porte de l'église.
— « Gens de Sainte-Dode, dit le bavard qui
parlait toujours en ces occasions, gens de Sainte-
Dode, voulez-vous un bon conseil ?
— Oui, oui.
— Écoutez. Nous avons une belle église, et un
beau clocher. Par malheur, ils sont bâtis en plaine.
S'ils étaient sur la colline tout proche, on les ver-
rait de fort loin, et ce serait un grand honneur
pour la paroisse. Eh bien ! charroyons notre
église et notre clocher sur la colline. Entou-
rons-les de cordes de laine. Tirons ensemble,
tous ensemble; et ce beau travail sera fini avant
le coucher du soleil.
— Oui, oui. Tu as raison. »
Aussitôt, hommes, femmes, enfants, se mirent
â tordre des cordes de laine, et ils en entourèrent
l'église et le clocher.
— « Attention! Tirons ensemble, tous en-
semble. Hô ! Hardi ! »
136 CONTES FAMILIERS
A ce grand effort, les cordes de laine commen-
cèrent à céder,
— « Hô ! Hardi ! Voici l'église et le clocher qui
partent. Tirons ensemble, tous ensemble. Hô !
Hardi ! »
Tout-à-coup, les cordes de laine se rompirent,
et les gens de Sainte-Dode tombèrent les uns sur
les autres. Mais aucun d'eux ne pouvait recon-
naître ses membres. Au lieu de se relever aus-
sitôt, ils passaient leur temps à se disputer et à
s'insulter.
— « Voici mon bras.
— Non. C'est le mien.
— Voici ma jambe.
— Non, voleur. Elle est à moi. »
Cela dura bien longtemps. Enfin, un meunier
vint à passer, avec son grand fouet.
— « Meunier, tire-nous de peine. Aucun de
nous n'est en état de reconnaître ses membres.
Aide-nous à les retrouver. »
Aussitôt, le meunier fit claquer son fouet, et se
mit à frapper, à grand tour de bras, sur ce trou-
peau d'imbéciles, qui sautèrent sur leurs jambes,
et rentrèrent tout confus dans leurs maisons (i).
(:) Dicte par mon oncle, l'abbé Bladé, curé du Pergain-
TaiUac (Gers).
^^® ® ® giè® g^ g®
III
LE VOYAGE DE JEANXOT
L y avait, une fois, une femme qui n'avait
^oj)g? qu'un fils, appelé Jeannot. Ce Jeannot
' était bête comme un seuil (de porte). Un
jour, sa mère lui commanda d'aller faire moudre
un sac de blé.
— « Prends garde, lui dit-elle, que le meunier,
pour ses peines, ne prenne pas plus d'une poignée
par boisseau. Pour ne pas l'oublier, tu répéteras,
tout le long du chemin : « Une poignée par
boisseau. »
— Oui, mère. « Une poignée par boisseau. »
Jeannot partit donc sur sa jument poulinière,
avec le sac de blé en croupe. Pour ne pas ou-
blier la recommandation de sa mère, il répétait,
tout en cheminant :
CONTRE FAMILIERS
— « Une poignée par boisseau. Une poignée
par boisseau. »
Au bout d'un moment, il trouva trois bouviers
qui semaient.
— « Une poignée par boisseau. Une poignée
par boisseau.
— Gueusard ! crièrent les bouviers. C'est ainsi
que tu veux que nous soyons payés de nos se-
mailles. »
Ils tombèrent tous trois, à coups d'aiguillon,
sur le pauvre Jeannot, et l'assommèrent.
— « Comment donc dois-je dire? demanda le
pauvre garçon.
— Il faut dire : « Dieu la bénisse (i) ! »
Jeannot repartit.
— « Dieu la bénisse ! Dieu la bénisse ! »
Au bout d'un moment, il trouva trois hommes
qui allaient noyer une chienne.
— « Dieu la bénisse ! Dieu la bénisse !
— Mauvais gueux, crièrent les hommes, tu
veux que Dieu bénisse une chienne qui voulait
mordre les gens. «
Ils tombèrent tous trois, à grands coups de
bâton, sur le pauvre Jeannot, et l'assommèrent.
— « Comment donc dois-je dire? demanda le
pauvre garçon.
(i) La semence.
LES NIAIS 139
— Ah! La laide chienne qu'on va noyer! »
Jeannot repartit.
— «Ah! La laide chienne qu'on va noyer!
Ah ! La laide chienne qu*oa va noyer ! »
Au bout d'un moment, il rencontra une noce à
cheval, qui menait la mariée à l'église.
— « Ah ! La laide chienne qu'on va noyer !
Ah ! La laide chienne qu'on va noyer !
— Insolent ! crièrent les garçons d'honneur.
Es-tu venu ici pour insulter la mariée? »
Ils tombèrent tous sur Jeannot, et le chargèrent
de coups de fouet.
— « Comment donc dois-je dire? demanda le
pauvre garçon.
— Il faut dire : « Ainsi soient-elles toutes ! »
Jeannot repartit.
— « Ainsi soient-elles toutes ! Ainsi soient-elles
toutes! »
Au bout d'un moment, il arriva devant une
maison qui brûlait.
— « Ainsi soient-elles toutes ! Ainsi soient-elles
toutes !
— Huguenot ! crièrent ceux qui éteignaient
le feu. Tu veux donc que nos maisons brûlent
comme celle-ci. »
Ils tombèrent tous sur Jeannot, et l'assom-
mèrent à coups de pierre.
I40 CONTES FAMILIERS
— « Comment donc dois-je dire? demanda le
pauvre garçon.
— Il faut dire : « Dieu l'amortisse ! »
Jeannot repartit.
— « Dieu l'amortisse! Dieu l'amortisse! »
Au bout d'un moment, il trouva un homme
qui ne pouvait pas allumer son four.
— « Dieu l'amortisse ! Dieu l'amortisse !
— Patelin ! Voilà comment tu veux que j'al-
lume mon four ! »
Il tomba sur Jeannot, à coups de fourche, et le
mit tout sanglant.
— « Comment donc dois-je dire? demanda le
pauvre garçon.
— Il faut dire : « Que beau feu s'allume ! »
Jeannot repartit.
— « Que beau feu s'allume! Que beau feu
s'allume ! »
Au bout d'un moment, il trouva une femme
qui avait mis le feu à sa quenouille, en s'appro-
chant trop de la lampe, et qui risquait de brûler
sa coiffe.
— « Que beau feu s'allume ! Que beau feu
s'allume !
— Sorcier ! Tu veux donc que je me brûle
toute vive ! »
Elle tomba sur Jeannot, à coups de quenouille, et
lui en donna plus de cent coups.
LES NIAIS 141
— « Comment donc dois-je dire? demanda le
pauvre garçon.
— Tais-toi, imbécile. A mal parler, on attrape
toujours des coups (i). »
(i) Dicté par feu Bernarde Dubarry, de Bajonette, canton de
Fleurance (Gers).
IV
L'AKE DE MONTASTRUC
g^t^u nord de l'église de Montastruc (i), il y
pMW ^ une mare commune. C'est là que
îsîS^ les bouviers abreuvent leur bétail, et que
les femmes lavent leurs lessives.
Un soir, vers les six heures, et par le temps du
mois mort (2), la lune se reflétait dans l'eau de
la mare, comme elle eût fait dans un grand mi-
roir. En ce moment, un homme arriva, pour faire
boire son âne. Pendant que la bête buvait, le vent
changea tout à coup, et couvrit le ciel de nuages
pour toute la nuit. Alors l'homme, épouvanté,
. partit en criant :
— « Ah ! Mon Dieu ! Ah ! Mon Dieu ! Mon
âne a bu la lune ! Mon âne a bu la lune ! »
(i) Commune du canton de Fleurance (Gers).
(2) Les Gascons nomment ainsi le mois de décembre.
LES NIAIS 143
A ces cris, tous les gens de Montastruc accou-
rurent épouvantés.
— « Que dis-tu, malheureux?
— Mon âne a bu la lune ! Mon àne a bu la
lune ! »
Les gens de Montastruc regardaient dans le ciel,
dans la mare, et ils braillaient, en pleurant :
— « Son àne a bu la lune ! Son âne a bu la
lune ! »
Aussitôt, les consuls (i) s'assemblèrent, pour
aviser, devant la porte de Téglise.
— « Amenez-nous l'âne qui a bu la lune. »
On leur amena l'âne par le licou.
— « Ane ! C'est donc toi qui as bu la lune. » ^
L'âne leva la queue, et se mit à braire.
— « Tu as beau dire, c'est loi qui as bu la
lune.
Comment ferons-nous, dorénavant, pour y voir
pendant la nuit ? «
L'âne releva la queue, et se remit à braire.
— « Ah ! Voilà le cas que tu fais de la justice.
Eh bien ! Nous te condamnons à mort. Tu vas
être pendu. »
(i) Dans la ponioa de la Gascogne comprise dans le ressort
du Parlement de Toulouse, les officiers municipaux avaient le
titie de consuls. Ils portaient celui de jurats dans le reste de la
proviuce, inégalement divisé entre les Parlements de Bordeaux
et de Pau.
144 CONTES FAMILIERS
Dix minutes plus tard, l'âne était pendu à un
arbre.
Alors, un des consuls se ravisa.
— « Mes amis, dit-il, nous avons dépassé nos
pouvoirs de juges. Certes, il nous est permis
de condamner à mort; mais nous n'avons pas
le droit de faire mourir. Ce droit n'appartient
qu'au juge-mage de Lectoure. A sa place, je
prendrais fort mal tout ce qui vient de se pas-
ser. Pour nous remettre en paix avec lui, en-
voyons-lui force volailles. Faisons-lui porter aussi
l'âne mort. Le juge-mage choisira un chirur-
gien, pour délivrer la lune prisonnière dans
le ventre de la bête. Il ne manque pas, à Lec-
toure, de grandes échelles doubles. En en dres-
sant une sur le clocher de Saint-Gervais (i),
un serrurier fort et hardi trouvera, je pense,
le moyen de reclouer la lune à sa place dans le
ciel. »
Ce qui fut dit fut fait. Douze jeunes gens de
Montastruc partirent aussitôt, chargés de pou-
lardes, de chapons, d'oies, et de dindons, pour le
juge-mage. Douze autres prirent sur leurs épaules
une longue barre de chêne, où l'âne mort pendait,
lié par les quatre pieds. Jusqu'après Fleurance (2),
(i) Cathédrale de Lectoure.
(2) Ville située sur la route d'Aucb à Lectoure.
LES XIAIS 145
tout alla bien. Mais là, les loups du Ramier (i)
sentirent l'odeur de l'âne mon, et arrivèrent par
bandes, en criant comme des possédés du Diable.
Les jeunes gens, épouvantés, jetèrent leurs vo-
lailles, ainsi que l'âne, et s'enfuirent au galop vers
ivlontastruc. En un moment, les volailles étaient
avalées, et l'âne rongé jusqu'aux os.
Le lendemain, la lune brillait au ciel comme
de coutume. Alors, les consuls de Montastruc
éprouvèrent un grand soulagement.
— « Les loups du Ramier, dirent-ils, nous ont
rendu un fameux service. Maintenant que l'âne
est mangé, le juge-mage de Lectoure ne saura pas
que nous l'avons fait pendre. Quant à la lune
qu'il avait bue, vous voyez qu'elle est plus fine
que les loups. Elle leur a échappé ; et, d'elle-
même, elle est remontée à sa place dans le
ciel (2). »
(i) Forêt entre Flenrance et Lectoure.
(2) Raconté par mon oncle, l'abbé Bladé, curé du Pergain-
TaiUac, canton de Lectoure (Gers).
m 10
III
LE LOUP
LE LOUP
LE LOUP iL^.LADE
,L y avait, une fois, au bois du Gajan (i),
un loup qui se rendait malade, à force de
trop manger. Ce Loup s'en alla un jour à
Miradoux (2), trouver un grand médecin.
— « Bonjour, monsieur le médecin.
— Bonjour, Loup.
(i) Le Gajan, forêt située entre Lectoure et Miradoux. Elle a
été récemment défrichée en grande partie.
(2) Miradoux, chef-lieu de canton du département du Gers.
150 CONTES FAMILIERS
— Monsieur le médecin, je suis bien malade.
Je voudrais une consultation, en payant, comme
de juste. »
Le médecin fit tirer la langue au Loup, et le fit
pisser dans un verre, pour regarder la couleur du
pissat.
— « Loup, dit-il, tu te rends malade, à force
de trop manger. A partir d'aujourd'hui, il faut te
taxer à sept livres de viande par jour. »
Le Loup remercia bien le médecin, et lui donna,
pour ses peines, quatre sols moins un denier. En
s'en retournant au Gajan, il passa à la boutique
du forgeron de Castet-Arrouy (i), et lui com-
manda une romaine pour peser, chaque jour, les
sept livres de viande, ainsi qu'il avait été taxé.
Qjaand la romaine fut forgée, le Loup alla la
chercher. Chaque jour , il l'emportait à la
chasse, pour ne pas dépasser l'ordre du médecin.
Aussi, au bout de huit jours, il redevint gaillard,
bien portant; et il ne regrettait pas les quatre
sols moins un denier qu'il avait donnés au grand
médecin de Miradoux.
Au bout de quelque temps, arriva la Sainte-
Blandine, jour de la fête patronale de Castet-
Arrouy. Le Loup connaissait son métier comme
(i) Commune du canton de Miradoux (Gers), comprenant
une grande partie de la forêt du Gajan.
LE LOUP 151
pas un. Il savait qu'après la messe, les gens
iraient s'attabler, jusqu'au moment où le sonneur
de cloche sonnerait le dernier coup de vêpres. Alors,
les juments poulinières et les jeunes mules qu'on
élève pour les vendre aux Espagnols, à Lectoure,
le jour de la foire de Saint-Martin, demeuraient
seules dans les prés de la rivière de l'Auroue (i).
Les gens de Castet-Arrouy ne s'étaient pas en-
core servi la soupe, que mon Loup s'élance du
côté de la rivière, et aperçoit, au beau milieu
d'un pré, une jument avec sa mule. Par malheur,
il avait oublié sa romaine.
— « Bah ! dit-il, je pèserai à vue d'œil. Quatre
livres la jument, et trois livres la mule. »
Aussitôt, il les étrangla, et les rongea jus-
qu'aux os.
Le soir même, le Loup creva (2).
(i) L'Auroue est un petit affluent de la Garonne, qui traverse
la commune de Castet-Arrou}'.
(2) Dicté par feu Jacques Bonnet, vieillard illettré, natif de
Castet-Arrouy.
-12 i5 i§ i? -15 @s i§ i5 i§ # i§
II
LE LOUP PENDU
iN jour, un homme traversait un bois.
Il trouva un loup pendu par le pied au
haut d'un chêne.
— « Homme, dit le Loup, tire-moi d'ici pour
l'amour de Dieu. J'étais monté, sur ce chêne,
pour y prendre un nid de pie. En descendant, j'ai
pris mon pied dans une branche fendue. Je suis
perdu, si tu n'as pitié de moi.
— Je te tirerais de là avec plaisir, Loup, répon-
dit l'homme; mais j'ai peur que tu ne me
manges, quand tu seras dépendu.
— Homme, je te jure de ne faire aucun mal,
ni à toi, ni aux tiens, ni à tes bêtes. »
L'homme dépendit donc le Loup. Mais à peine
celui-ci fut-il à terre, qu'il commença à le re-
garder de travers.
LE LOUP 153
— « Homme, je suis affamé. J'ai grande envie
de te manger.
— Loup, tu sais ce que tu m'as juré.
— Je le sais. Mais, à présent, je suis dépendu.
Je ne veux pas mourir de faim.
— On a bien raison de dire, Loup : « De bien
« faire, le mal arrive. » Si tu veux, nous allons
consulter, sur notre cas, cette chienne qui vient
vers nous,
— Je veux bien, homme.
— Chienne, dit l'homme, le Loup était pendu
par le pied au haut d'un chêne. Il y serait mort,
si je ne l'avais dépendu. A présent, pour ma
peine, il veut me manger. Cela est-il juste?
— Homme, répondit la chienne, je ne suis pas
en état de vous juger. J'ai bien servi mon maître
jusqu'à présent. Mais, quand il m'a vue vieille, il
m'a jetée dehors, pour n'avoir plus à me nourrir,
et m'a chassée dans le bois. On a bien raison de
dire : « De bien faire, le mal arrive. »
— Alors, Loup, dit l'homme, nous allons con-
sulter, sur notre cas, cette vieille jument.
— Je veux bien, homme.
— Jument, dit l'homme, le Loup était pendu
par le pied au haut d'un chêne. Il y serait mort,
si je ne l'avais dépendu. Maintenant, pour ma
peine, il veut me manger. Cela est-il juste?
— Homme, répondit la jument, je ne suis pas
154 CONTES FAMILIERS
en état de vous juger. J'ai bien servi mon maître
jusqu'à présent. Mais, quand il m'a vue vieille, il
m'a jetée dehors, pour n'avoir plus à me nourrir,
et m'a chassée dans le bois. On a bien raison de
dire : « De bien faire, le mal arrive. »
— Alors, Loup, dit l'homme, nous allons
consulter le Renard, sur notre cas.
— Je veux bien, homme.
— Renard, dit l'homme, le Loup était pendu
par le pied au haut d'un chêne. Il y serait mort,
si je ne l'avais dépendu. Maintenant, pour ma
peine, il veut me manger. Cela est-il juste?
— Homme, dit le Renard, je ne suis pas en état
de vous juger avant d'avoir vu l'endroit. »
Ils partirent tous trois, et arrivèrent au pied du
chêne.
— « Comment étais-tu pendu, Loup, demanda
le Renard? »
Le Loup monta sur le chêne, et se remit comme
il était, avant d'être dépendu par l'homme.
— « J'étais ainsi pendu. Renard.
— Eh bien, Loup, demeure-le. »
Le Renard et l'homme s'en allèrent. Quand
il fallut se séparer, l'homme remercia le Renard,
et lui promit de lui porter, pour ses peines, le
lendemain matin, une paire de poules grasses.
En effet, le lendemain matin, l'homme arriva
portant un sac.
LE LOUP 155
— « Voici les poules, Renard. »
Aussitôt, il ouvrit le sac, d'où sortirent deux
chiens, qui étranglèrent le pauvre Renard. On a
bien raison de dire : « De bien faire, le mal ar-
rive (i). »
(i) Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
à
fi%fi%gi%fi^
III
LE LOUP, LE LIMAÇON, ET LES GUÊPES
>T-^N jour, le Loup marcha sur le Limaçon.
[^\]l En ce temps-là, les bêtes parlaient (i).
— « Tu es bien méchant, Loup, dit le
Limaçon, de fouler ainsi aux pieds le pauvre
monde. Si je voulais, je courrais plus que toi.
Parions que je t'essouffle, toi et tes compagnons.
— Toi, pauvre Limaçon ?
— Moi, Loup. Sois ici, avec les tiens, demain,
au lever du soleil, et nous verrons qui de nous
arrivera le premier au bord de la Garonne.
— Nous y serons, pauvre Limaçon. »
- Le Loup reprit son chemin. Vingt pas plus loin,
il marcha sur un nid de guêpes.
— « Tu es bien méchant, Loup, de fouler ainsi
(i) Cette formulette revient parfois, dans les contes popu-
laires de la Gascogne.
LE LOUP I>7
aux pieds le pauvre monde. Nous sommes petites ;
mais nous n'avons pas peur de toi. Parions que
nous te ferons noyer, toi et tes compagnons.
— Vous, pau\Tes Guêpes?
— Nous, Loup. Sois ici, avec les tiens, demain,
au lever du soleil, et nous verrons si vous tarde-
rez à être noyés dans la Garonne.
— Nous y serons, pau\T:es Guêpes. »
Le Loup repartit aussitôt, pour aller avertir
son monde. Alors, le Limaçon dit aux Guêpes :
— « Mes amies, mandez tout votre monde. Le
mien ne manquera pas à l'appel. Cachez-vous
dans les saules, qui sont au bord de la Garonne.
Moi et les miens, nous vous amènerons les Loups.
Tombez sur eux au bon moment, et piquez-les
jusqu'à ce qu'ils se jettent tous à l'eau.
— Limaçon, c'est une affaire convenue. »
Les Guêpes partirent donc, pour faire ce qui
leur était conmiandé. De son côté, le Limaçon
espaça les siens de cinq en cinq pas, jusqu'à la
Garonne.
Le lendemain, au lever du soleil, les Loups et le
Limaçon étaient à l'endroit marqué pour le départ.
— « Y es-tu, Limaçon ?
— J'y suis, Loups. Partons. »
Les Loups partirent au grand galop. Tout en
courant, ils criaient :
— « Où es-tu, Limaçon ?
ISS CONTES FAMILIERS
— Je suis ici, Loups, « criaient les Limaçons,
espacés de cinq en cinq pas.
Quand ils furent au bord de la Garonne, les
Guêpes sortirent des saules comme un nuage, et
tombèrent sur les Loups à grands coups d'aiguil-
lon, en criant :
— « Au poil ! Au poil ! »
Les pauvres Loups plongèrent dans l'eau, d'où
ils n'osaient sortir que le bout du museau.
— « Au nez ! Au nez ! crièrent les Guêpes, » en
tombant sur le nez des Loups à grands coups
d'aiguillon.
Tous les Loups furent noyés, et les Limaçons
et les Guêpes revinrent chez eux bien con-
tents (i).
(i) Dicté par Marie Dupin, veuve Lagarde, femme illettrée,
native de Gimbrède, canton de Miradoux (Gers).
^C^^^(g;^3^^(^^^^^^^
IV
LA CHÈVRE ET LE LOUP
{A Chèvre et le Loup voulurent devenir
riches, et s'associèrent, pour faire valoir
une métairie.
— « Loup, dit la Chèvre, les bons comptes font
les bons amis. Avant de nous mettre au travail, il
faut bien faire nos accords, et convenir de la part
que chacun doit prendre dans les récoltes. L'un
de nous aura ce qui poussera sous la terre, et
l'autre ce qui poussera dessus. Choisis. Je me con-
tente de ce que tu ne voudras pas.
— Loup, je choisis ce qui poussera dessus. »
La Chèvre sema toute la métairie en aulx,
oignons, et raves, de sorte qu'elle eut toutes les
têtes, et que son pauvre associé n'eut que les
qaeues.
— « Je me suis trompé l'année dernière, dit le
l60 CONTES FAMILIERS
Loup. Je choisis, pour celle-ci, tout ce qui pous-
sera sous la terre. »
La Chèvre sema toute la métairie en blé et ea
seigle, de sorte qu'elle eut tout le grain, toute
la paille, et que son pauvre associé n'eut que les
racines.
Alors, le Loup se promit de punir la Chèvre
de ses mauvais tours, et de profiter de la première
occasion où il serait seul avec elle pour la man-
ger. Mais celle-ci devina la pensée du Loup, et se
tint sur ses gardes, en attendant le moment de se
débarrasser de son ennemi.
Un jour, le Loup s'en alla trouver la Chèvre.
— « Bonjour, Chèvre.
— Bonjour, Loup.
— Chèvre, j'ai de bien mauvaise soupe à la
maison, et je viens goûter la tienne.
— Avec plaisir, Loup. »
La Chèvre donc servit au Loup une grande as-
siettée de soupe. Ensuite, ils allèrent se promener
jusqu'à une église, dont la porte était trouée.
— « Chèvre, dit le Loup, entrons dans cette
église, pour y prier Dieu.
— Avec pLaisir, Loup.
— A présent que nous sommes entrés. Chèvre,
il faut que je te mange.
— Lnbécile! je suis vieille et maigre. Tu ferais
LE LOUP l6l
un triste repas. Mange plutôt cette miche de pain
de quinze livres, que quelqu'un a mise, pour le
curé, sur une marche de l'autel.
— Tu as raison. Chèvre. ))
Le Loup se jeta donc sur la miche, et la
Chèvre profita de ce mom.ent pour sortir par le
trou de la porte. Mais quand le Loup voulut en
faire autant, il se trouva que tout le pain qu'il
avait avalé lui avait tellement, tellement enflé le
ventre, qu'il ne pouvait plus passer.
— « A mon secours, Chèvre. Le trou de la
porte s'est rapetissé.
— Non, Loup. C'est ton ventre qui s'est enflé.
Tâche de sortir de l'église, en grimpant le long
de la corde de la cloche. »
Le Loup se pendit donc à la corde, et mit la
cloche à la volée, de sorte que les gens de la pa-
roisse accoururent à ce tapage. Quand ils virent
à qui ils avaient affaire, ils s'armèrent de fourches
et de bâtons. La vilaine bête failht y laisser le
cuir, et s'échappa tout en sang.
La Chèvre, qui regardait de loin, riait coninîe
une folle.
— « Ah ! Chèvre, les gens de cette paroisse
sont de bien mauvais chrétiens. Vois l'état dans
lequel il m'ont mis, devant l'autel même du Bon
Dieu. Je n'en puis plus. Je donnerais dix ans
de ma vie contre un peu d'eau, pour laver mes
CONTES FAMILIERS
plaies, et pour me guérir de la soif que me donne
tout le pain que j'ai mangé.
— Eh bien, Loup, saute dans ce puits. Quand
tu y auras lavé tes plaies, et bu à ta soif, je t'aiderai
à remonter. »
Le Loup sauta donc dans le puits, y lava ses
plaies, et y but à sa soif.
— « Maintenant, Chèvre, aide-moi à remonter.
— Loup, tu es dans le puits. Demeures-y (i). »
(i) Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Euîalie, commune
de Cauzâc, canton de Beauville (Lot-et-Garonne).
V
LE CH.\RBONNIER
|L y avait, une fois, au bois du Gajan (i),
un charbonnier qui venait d'allumer du
feu dans sa cabane. Le Loup vint à
passer par là. Il entra sans façon.
— « Charbonnier, dit le Loup, il fait bien froid.
Fais bon feu.
— Loup, chauffe-toi. »
Le Charbonnier jeta une brassée de fagots dans
le feu, et le Loup fut bientôt réchauffé.
En ce moment, le Renard vint à passer par là.
Il entra sans façon.
— a Charbonnier, dit le Renard, il fait bien
froid. Fais bon feu.
— Renard, chauffe-toi. »
Le Charbonnier jeta une brassée de fagots dans
le feu; et le Renard fut bientôt réchauffe.
(i) Forêt entre Lectoure et Miradoux (Gers).
l64 CONTES FAMILIERS
En ce moment, le Lièvre vint à passer par là.
Il entra sans façon.
— « Charbonnier, dit le Lièvre, il fait bien
froid. Fais bon feu.
— Lièvre, chauffe-toi. »
Le Charbonnier jeta une brassée de fagots dans
le feu ; et le Lièvre fut bientôt réchauffé.
Alors, le charbonnier dit aux trois bêtes :
— « Je vous ai bien fait chauffer. Maintenant,
vous devriez aller chercher de quoi faire ensemble
un bon repas.
— Moi, dit le Loup, je sais un troupeau de
moutons. Je vais chercher le plus beau.
— Pars, Loup, et reviens vite.
— Moi, dit le Renard, je sais de beaux chapons
dans un poulailler. Je vais chercher le plus gras.
— Pars, Renard, et reviens vite.
— Moi, dit le Lièvre, je sais un jardin où il y a
des choux superbes. Je vais chercher le plus gras.
— Pars, Lièvre, et reviens vite. Nous verrons
qui de vous trois sera le premier rentré. »
Les trois bêtes partirent au grand galop. Une
heure après, le Lièvre arrivait le premier, avec un
chou superbe.
— « Lièvre, dit le Charbonnier, tu arrives Je
premier. Je n'ai jamais vu de chou beau comme
le tien. Viens le déposer dans ma cabane. Tu as
froid. Je vais bien te faire chauffer. »
i65
Le Lièvre entra donc dans la cabane. Tandis
qu'il se chauffait, sans se méfier, le Charbonnier
l'assomma d'un coup de bâton, et le couvrit de
branches, pour qu'il ne fût pas vu du Loup et du
Renard.
Une heure après, le Loup arriva avec un beau
mouton.
— « Loup, dit le Charbonnier, tu arrives le
premier. Je n'ai jamais vu de mouton beau comme
le tien. Viens le déposer dans ma cabane. Tu
as froid. Je vais bien te faire chauffer. »
Le Loup entra donc dans la cabane. Tandis
qu'il se chauffait, sans se méfier, le Charbonnier
le poussa au beau milieu du feu. La bête pensa
n'en pas sortir, et s'enfuit à travers le bois, avec
le poil tout brûlé.
Une heure après, le Renard arriva avec un
beau chapon bien gras.
— « Renard, dit le Charbonnier, tu arrives le
premier. Je n'ai jamais vu de chapon beau et gras
comme le tien. Viens le déposer dans ma cabane.
Tu as froid. Je vais bien te faire chauffer. »
Le Renard entra donc dans la cabane. Tandis
qu'il se chauffait, sans se méfier, et tournait le
derrière à la flamme, la queue en l'air, le Char-
bonnier lui planta au beau milieu du cul la broche
rougie à blanc. La bête en pensa mourir, et s'en-
fuit à travers le bois, avec la chair toute brûlée.
l66 CONTES FAMILIERS
Voilà comment, par sa finesse, le Charbonnier
gagna un chou, un Hèvre, un mouton, et un
chapon.
Le lendemain, le Loup et le Renard se ren-
contrèrent dans le bois du Gajan.
— « Eh bien! mon pauvre Loup.
— Eh bien ! mon pauvre Renard.
— Renard, le Charbonnier est une canaille. Je
lui avais apporté un beau mouton, et je me chauf-
liùs sans me méfier. Alors, il m'a poussé au beau
milieu du feu. J'ai pensé n'en pas sortir, et j'ai
pris la fuite à travers le bois, avec le poil tout
brûlé.
— Loup, le Charbonnier est une canaille. Je lui
avais apporté un beau chapon bien gras, et je me
chauffais sans me méfier, tournant le derrière à la
flamme, la queue en l'air. Alors, il m'a planté au
beau milieu du cul la broche rougie à blanc. J'ai
pensé en mourir, et j'ai pris la fuite à travers le
bois, avec la chair toute brûlée.
— Renard, que pourrions-nous faire au char-
bonnier ?
— Loup, je ne reviens pas chez lui.
— Ni moi non plus, Renard (i). »
(i) Dicté par Marie Dupiii, veuve Lagarde, de Gimbrède
(Gers).
Wê^^^'É^^^^fMMi
VI
LE CHATEAU DES TROIS LOUPS
}L y avait, une fois, un homme et une
femme qui avaient un chat, un coq, une
oie et un bélier.
Un jour, l'homme dit à la femme :
— « Femme, c'est demain carnaval. Il faut tuer
le Coq. »
Le Chat écoutait, accroupi près du foyer. Aus-
sitôt, il alla trouver le Coq.
— « Compère Coq, va vite te cacher dehors,
derrière la meule de paille. Je viens d'entendre
l'homme dire à la femme : « Femme, c'est de-
« main carnaval. Il faut tuer le Coq. »
Le Coq s'en alla donc vite dehors, se cacher
derrière la meule de paille. La femme le cher-
cha longtemps, longtemps.
— « Homme, je ne trouve pas le Coq.
l68 CONTES FAMILIERS
— Eh bien, femme, il faut tuer l'Oie. »
Le Chat écoutait, accroupi près du fo3'er. Aus-
sitôt, il alla trouver l'Oie.
— a Commère Oie, va vite te cacher dehors,
avec le Coq, derrière la meule de paille. Je viens
d'entendre la femme dire à l'homme : « Homme,
« je ne trouve pas le Coq. » Alors, l'homme a
répondu : « Eh bien, femme, il faut tuer l'Oie. »
L'Oie s'en alla donc vite dehors, se cacher avec
le Coq, derrière la ineule de paille. La femme
chercha longtemps,' longtemps.
— « Homme, je ne trouve pas l'Oie.
— Eh bien, femme, il faut tuer le Bélier. »
Le Chat écoutait, accroupi près du foyer. Aus-
sitôt, il alla trouver le bélier.
— « Compère Bélier, va vite te cacher dehors,
derrière la meule de paille. Je viens d'entendre la
femme dire à l'homme : « Homme, je ne trouve
« pas l'Oie. » Alors, l'homme a répondu : « Eh
« bien, femme, il faut tuer le Bélier. »
Le Bélier s'en alla donc vite dehors, se cacher
avec le Coq et l'Oie, derrière la meule de paille.
La femme chercha longtemps, longtemps.
— « Homme, je ne trouve pas le Béher.
— Eh bien, femme, il faut tuer le Chat. »
Le Chat écoutait, accroupi près du foyer. Aus-
sitôt, il s'en alla dehors, trouver le Coq, l'Oie, et
le Bélier, derrière la meule de paille.
LE LOUP 169
— « Mes amis, dit-il, je viens d'entendre la
femme dire à l'homme : « Homme, je ne trouve
« pas le Bélier. » Alors, l'homme a répondu :
« Eh bien, femme, il fout tuer le Chat. » Mes
amis, il ne fait pas bon ici pour nous. Décampons,
et allons voir du pays.
— Tu as raison, compère Chat. »
Tous les quatre décampèrent aussitôt. Us s'en
allèrent loin, loin, loin. Enlîn, la nuit les surprit
au milieu du Ramier (i). Le Coq, l'Oie, le Bélier
et le Chat, marchèrent encore longtemps, long-
temps, longtemps, sans jamais pouvoir retrouver
leur chemin.
Alors, le Coq monta sur un grand chêne, pour
tâcher de regarder au loin. Jamais il ne put at-
teindre jusqu'à la cime. En quatre sauts, le Chat
fit mieux que le Coq.
— « Mes amis, j'aperçois là-bas, là-bas, là-bas,
une lumière à travers le bois. »
Le Chat descendit du grand chêne, et tous
quatre repartirent.
Ils marchèrent longtemps, longtemps, long-
temps. Enfin, ils arrivèrent au château des Trois
Loups.
Toutes les portes, tous les contrevents, étaient
(i) Fcrêt aujourd'hui fort restreinte, et sise entre Lectoure et
Fleurance.
170 CONTES FAMILIERS
ouverts, toutes les chambres éclairées. Pourtant,
il n'y avait personne au château. Les Trois Loups
s'en étaient allés au bal, dans le bois de Réjau-
mont (i).
Que firent alors les quatre amis? Ils s'atta-
blèrent, et ne se laissèrent manquer de rien. Cela
fiiit, ils éteignirent les lumières, et fermèrent tous
les contrevents et toutes les portes, sauf la grande.
Puis, le Coq alla se jucher sur la plus haute che-
minée du château. L'Oie se cacha dans l'évier de
la cuisine, le BéUer dans le lit de l'aîné des Trois
Loups. Le Chat s'accroupit près du foyer.
Une heure avant la pointe de l'aube, les quatre
amis entendirent un grand tapage. C'étaient les
Trois Loups qui rentraient du bal du bois de Ré-
jaumont.
Devant la grande porte ouverte du château, les
Trois Loups s'assirent pour tenir conseil.
— « Tous les contrevents, disaient-ils, toutes
les portes du château, sauf la grande, sont fer-
més. Toutes les lumières sont éteintes. Il y a là
de quoi nous méfier. »
Alors, l'aîné des Trois Loups dit au plus jeune :
— « Frère, c'est à toi de marcher devant.
Pars, et reviens vite nous conter ce qui se passe. »
(i) Forêt médiocrement distante du Ramier. Réjauraont est
une commune du canton de Fleurance (Gers).
LE LOUP 171
Le plus jeune des Trois Loups obéit. En tâton-
nant, il arriva, dans l'obscurité, jusqu'à la cuisine.
Là, comme il s'était fort échauffé, à danser au
bal du bois de Réjaumont, il voulut d'abord
aller boire à la cruche.
Alors, l'Oie, cachée dans l'évier, lui allongea
trois grands coups de bec sur la tête.
— « Càâc ! cààc ! câàc ! »
Le plus jeune des Trois Loups s'enfuit épou-
vanté.
— « Frères, frères, à mon secours. Je n'en puis
plus. Figurez-vous qu'en tâtonnant, j'étais arrivé,
dans l'obscurité, jusqu'à la cuisine. Là, j'ai voulu
d'abord aller boire à la cruche. Mais, dans l'évier,
se cache un menuisier, qui m'a allongé trois
grands coups de maillet sur la tète.
— Imbécile, il fallait d'abord allumer la chan-
delle.
— Vous avez raison. Mais je n'en puis plus.
Fouille le château qui voudra. »
Alors, l'aîné des Trois Loups dit à son ca-
det :
— « Frère, c'est à toi de marcher devant. Pars,
et reviens vite nous conter ce qui se passe. Gare-
toi du menuisier caché dans l'évier, et allume
d'abord la chandelle au foyer. »
Le cadet des Trois Loups obéit. En tâtonnant,
il arriva, dans l'obscurité, jusqu'à la cuisine. Là,
172 CONTES FAMILIERS
il chercha la cheminée, pour avoir du feu, et
allumer d'abord la chandelle.
Alors, le Chat, accroupi près du foyer, lui
campa trois coups de griffe, qui lui mirent le mu-
seau tout en sang.
— « Miaoû ! miaoû ! miaoû ! »
Le cadet des Trois Loups s'enfuit épouvanté.
■ — « Frères, frères, à mon secours. Je n'en
puis plus. Figurez-vous qu'en tâtonnant j'étais
arrivé, dans l'obscurité, jusqu'à la cuisine. Là,
j'ai cherché d'abord la cheminée, pour avoir
du feu, et allumer la chandelle. Mais un cardeur,
accroupi près du foyer, m'a lancé trois coups de
peigne de fer, qui m'ont mis le museau tout en
sang.
— Imbécile, il flillait tenir bon, et souffler sur
les cendres chaudes.
• — Vous avez raison. Mais je n'en puis plus.
Fouille le château qui voudra. «
Alors, les deux Loups cadets dirent à leur frère
aîné :
— « Frère, c'est à toi de marcher devant. Pars,
et reviens ensuite nous conter ce qui se passe.
Gare-toi du menuisier caché dans l'évier, et du
cardeur accroupi près du foyer. »
L'aîné des Trois Loups obéit. En tâtonnant, il
arriva, dans l'obscurité, jusqu'à son lit.
Alors, le Bélier bondit, et lui porta, dans le
LE LOUP 173
ventre, trois grands coups de tête, à lui faire
vomir les tripes.
— « Bèê ! bêê ! bêè ! «
L'aîné des Trois Loups s'enfuit épouvanté.
— « Frères, frères, à mon secours. Je n'en puis
plus. Figurez-vous qu'en tâtonnant, j'étais arrivé,
dans l'obscurité, jusqu'à mon lit. Mais un forge-
ron couché dedans a bondi, et m'a porté, dans le
ventre, trois coups de têtu (i), à me faire vomir
les tripes.
— Imbécile, il fitllait lui prendre son têtu.
— Vous avez raison. Mais je n'en puis plus.
Fouille le château qui voudra. »
En ce moment, le Coq, juché sur la plus haute
cheminée du château, chanta trois fois.
— « Coucouroucou ! coucouroucou ! coucou-
roucou ! »
A ce bruit, les Trois Loups décampèrent pour
toujours. Le Coq, l'Ole, le Béher, et le Chat, de-
meurèrent maîtres au château, et ils y vécurent
longtemps heureux (2).
(i) Marteau à frapper devant.
(2) Dicté par Èmiie Rizon, du Pergaiii-Taillac(Gers).
VII
LE COXTE DE JEANNE
S'il y avait, une fois, un homme et une
"'''' femme qui vivaient pauvres, bien pau-
vres, dans leur maisonnette, avec leur
fille de dix -huit ans. Cette fille s'appelait Jeanne.
Un soir, l'homme dit à sa femme :
— « Femme, vois comme nous sommes pau-
vres. Nous n'avons plus qu'une ressource. Il nous
faut marier Jeanne.
— Mon homme, tu n'y penses pas. Marier
Jeanne ? Et avec quoi ferons-nous la noce ?
— Femme, pour faire la noce, nous tuerons le
chat, la petite oie, et la poulette.
— Mon homme, tu as raison. »
Mais le Chat écoutait, caché sous la table. Aus-
sitôt, il s'en alla trouver la Petite Oie.
— « Écoute, Petite Oie. Nos maîtres vont ma-
rier Jeanne. Pour faire la noce, on nous tuera.
LE LOUP 175
moi, toi, et la Poulette. Si tu veux me croire,
nous avertirons la Poulette, et, tous trois, nous
partirons à minuit.
— Chat, tu as raison. »
Le Chat et la Petite Oie s'en allèrent donc
avertir la Poulette, et tous trois partirent avant
minuit.
Ils s'en allèrent loin, loin, loin.
— « Comme la jambe de Guillem (i). »
Quand ils furent loin, loin, loin, la Petite Oie
s'arrêta, rendue de fatigue.
— « Chat, je n'en puis plus.
— Eh bien. Petite Oie, demeure ici. Je vais t'y
bâtir une étable. »
Le Chat bâtit donc une étable pour la Petite
Oie, et repartit avec la Poulette.
Ils s'en allèrent loin, loin, loin.
Quand ils furent loin, loin, loin, la Poulette
s'arrêta, rendue de fatigue.
— « Chat, je n'en puis plus.
(i) En gascon :
S'en angoun îoèn, loèn, loên.
— Ccumo la camso dou GuilUm.
On dit aussi comme la chatte (ccumo la gaiô), ou comme la queue
(cotimo la cùo) de Guillem, on Guillaume. Cette interruption des
auditeurs revient à peu près toutes les fois que le conteur dit :
« Loin, loin, loin (/(v'n, loén, loèn). » J'ai cru devoir me borner
à une seule indication.
176 CONTES FAMILIERS
— Eh bien, Poulette, demeure ici. Je vais t'y
bâtir une étable. «
Le Chat bâtit donc une étable pour la Poulette,
et repartit.
Il s'en alla loin, loin, loin.
Quand il fut si loin, le Chat était rendu de fa-
tigue.
Alors, il s'arrêta, et se bâtit une étable.
Tandis que le Chat vivait tranquille dans son
étable, le Loup alla frapper chez la Petite Oie.
— « Pan i pan !
— Qui est là ?
— Ami. Vite, ouvre-moi la porte. Petite Oie. »
Mais la Petite Oie avait reconnu la voix du
Loup.
— « Non, Loup, je ne t'ouvrirai pas la porte.
Tu me mangerais.
— Petite Oie, je te dis que non.
— Loup, je te dis que si.
— Petite Oie, si tu ne m'ouvres pas vite la
porte, je démolis ton étable. »
La Petite Oie ne répondit plus.
Alors, le Loup brisa la porte, d'un grand coup
de cul.
Mais la Petite Oie prit aussitôt la volée, et
s'en alla trouver la Poulette.
— « Pan ! pan !
— Qui est là?
LE LOUP 177
— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Poulette. »
La Poulette ouvrit donc vite la porte. Elle
avait reconnu la voix de la Petite Oie.
— « Poulette, referme vite, de peur du Loup.
Tout à l'heure, il est venu chez moi, et il a brisé
la porte de mon étable, d'un grand coup de cul. »
La Poulette n'eut e^ue le temps de refermer.
— « Pan ! pan !
— Qui est là ?
— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Poulette. »
Mais la Poulette avait reconnu la voix du
Loup.
— « \on, Loup, je ne l'ouvrirai pas la porte.
Tu me mangerais,
— Poulette, je te dis que non.
— Loup, je te dis que si.
— Poulette, si tu ne m'ouvres pas vite la porte,
je démolis ton étable. »
La Poulette ne répondit plus.
Alors, le Loup brisa la porte, d'un grand coup
de cul.
Mais la Petite Oie et la Poulette prirent aussi-
tôt leur volée, et s'en allèrent trouver le Chat.
— « Pan ! pan !
— Qui est là?
— Amis. Vite, ouvre-nous la porte, Chat. »
Le Chat ouvrit donc vite la porte. Il avait re-
connu les voix de la Petite Oie et de la Poulette.
lyS CONTES FAMILIERS
— « Chat, referme vite, de peur du Loup.
Tout à l'heure, il est venu chez nous, et il a brisé
les portes de nos étables, de deux grands coups de
cul. »
Le Chat n'eut que le temps de refermer.
— « Pan ! pan !
— Qui est là ?
— Ami. Vite, ouvre-moi la porte. Chat. »
Mais le Chat avait reconnu la voix du Loup.
— « Loup, je ne t'ouvrirai pas la porte. Tu
me mangerais.
— Chat, je te dis que non.
— Loup, je te dis que si.
— Chat, ouvre-moi la porte. Nous vivrons en
bons amis, moi, toi, la Poulette, et la Petite Oie.
Je vous fournirai des choux pour faire la soupe,
des poules pour mettre à la broche. Demain,
nous irons tous quatre ensemble à la foire de
Fleurance (i),
— Oui, Loup. Nous irons tous quatre en-
semble. Mais, cette nuit, je n'ouvre pas ma porte.
Reviens nous chercher au lever du soleil. »
Le Loup partit donc, et revint au lever du
soleil. Mais le Chat, la Poulette et la Petite Oie
étaient partis, dès la pointe de l'aube. A la foire
(i) Chcf-licu de c.mtoii du département du Gers. Selon le lieu
où ils résident, les conteurs changent le nom de la localité où le
Chat promet au Loup d'aller à la foire.
LE LOUP 179
de Fleurance, tous trois se méfiaient, et faisaient
courir l'œil.
Tout à coup, la Poulette et la Petite Oie
crièrent épouvantés :
— « Chat, regarde là-bas, là-bas. Le Loup
arrive pour nous manger.
— N'ayez pas peur. Je suis plus fin que lui.
Allez à vos affaires, et fiez-vous à moi. »
La Poulette et la Petite Oie obéirent.
Alors, le Chat acheta vite, vite, un crible, et un
sou de chandelles de résine. Dans chaque trou du
crible, il planta un marquel (i) avec un morceau
de chandelle allumée, et marcha au-devant du
Loup, en portant le crible devant lui.
Il faisait déjà nuit noire. En voyant toutes les
lumières, le loup eut peur, et s'en retourna.
La Poulette et la Petite Oie avaient fini leurs
affaires. Elles revinrent à l'étable du Chat.
Mais lui n'avait pas encore ce qu'il lui fallait.
Avant de rentrer chez lui, il acheta un plein sac
de lames de couteau, de pointes de fer, et de culs
de bouteilles. Cela fait, il alla rejoindre la Pou-
lette et la Petite Oie.
A minuit, le Loup revint frapper à la porte de
l'étable.
(i) Les Gascons appellent marqtiet un morceau de bois fendu,
qu'on plante dans un trou de la cheminée pour soutenir la
chandelle de résine placée dans la fente.
l8o COKTES FAMILIERS
— « Pan ! pan !
— Qui est là ?
- — Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Chat. »
Mais le Chat avait reconnu le Loup à la voix.
— « Non, Loup. Je ne t'ouvrirai pas la porte.
Tu me mangerais.
— Chat, tu es un rien-qui-vaille. Hier, tu
m'avais promis que nous irions tous quatre à la
foire de Fleurance, moi, toi, la Poulette, et la Pe-
tite Oie. Vous ne m'avez pas attendu.
— Loup, nous étions pressés. Mais nous
sommes allés à la foire, et nous ne t'y avons pas
vu.
— Chat, j'ai rencontré sur mon chemin un
grand feu marchant. Alors, j'ai eu peur, et je
m'en suis retourné. »
Sans être vu du Loup, le Chat crevait de rire.
— « Écoute, Chat. Ouvre-moi la porte. Nous
vivrons en bons amis, moi, toi, la Poulette, et la
Petite Oie. Je vous fournirai des choux pour faire
la soupe, des poules pour mettre à la broche.
Demain, nous irons tous quatre ensemble à la
foire de Saint-Clar (i).
— Oui, Loup. Nous irons tous quatre en-
semble. Mais, cette nuit, je n'ouvre pas ma porte.
Reviens nous chercher au lever du soleil. »
(i) Chef-lieu de canton (Gers).
LE LOUP l8l
Le Loup partit donc, et revint au lever du so-
leil. Mais le Chat, la Poulette, et la Petite Oie,
s'étaient cachés hors de l'étable, et guettaient.
— « Pan ! pan ! »
Personne ne répondit.
— « Canailles ! Ils sont partis sans moi pour la
foire de Saint-Clar. Patience! Je reviendrai cette
nuit. «
Le Loup n'avait pas tourné les talons, que le
Chat, la Poulette, et la Petite Oie, travaillaient à
garnir la porte de l'étable des lames de couteau,
des pointes de fer, et des culs de bouteilles, ache-
tés à la foire de Fleurance.
A minuit, le Loup revint.
— « Pan ! pan !
— Qui est là?
— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Chat. »
Mais le Chat avait reconnu le Loup à la voix.
— « Non, Loup. Je ne t'ouvrirai pas la porte.
Tu me mangerais.
— Chat, tu es un rien-qui- vaille. Hier, tu m'a-
vais promis que nous irions tous quatre ensemble
à la foire de Saint-Clar, moi, toi, la Poulette, et
la Petite Oie. Vous ne m'avez pas attendu.
— Loup, nous étions pressés.
— Chat, ouvre-moi vite la porte. Tu ne veux
pas? Une, deux, trois. »
Alors, le Loup s'élança contre la porte, pour la
CONTES FAMILIERS
briser, d'un grand coup de cul. Mais il retomba
tout en sang, blessé par les lames de couteau, les
pointes de fer, et les culs de bouteilles.
— « Aie ! aie ! aie ! Au secours ! Aie 1 aie !
aie ! «
Sur le toit de l'étable, le Chat, la Poulette, et
la Petite Oie, s'esclaffaient de rire.
— « Aie ! aie ! aie ! Au secours ! Aie ! aie !
aie !
— Qu'as-tu, pauvre Loup? Qu'as-tu?
— Au secours ! mes amis. Au secours ! »
Et la maie bête creva (i).
(i) Dicté par Françoise Lalanne. Mou ami Faugère-Dubourg,
de Kérac (Lot-et-Garonne), a recueilli pour moi, dans son pays,
une leçon identique, pour le fond, à celle de Françoise Lalanne.
VIII
LA PETITE OIE
)L y avait, une fois, une petite oie, qui se
bâtit un beau château avec des crottelles et
des bûchettes.
Le beau château fini, le Loup vint frapper à la
porte.
- — « Pan ! pan !
— Q.ui est là ?
— Ami. Ouvre, Petite Oie. »
Mais la Petite Oie avait reconnu le Loup à la
voix.
— « Loup, je n'ouvre pas. Tu me mangerais.
— Petite Oie, je ne te mangerai pas. Ouvre, ou
j'enfonce la porte.
— Loup, la porte est solide. Je ne l'ouvrirai
que si tu m'enseignes où je ferai bonne chère.
— Petite Oie, suis-moi là-bas, là-bas, jusqu'à
l84 CONTES FAMILIERS
ce ruisseau. Je te montrerai un poirier, chargé de
belles poires mûres. »
Mais la Petite Oie n'ouvrit pas la porte. Du
toit de son beau château, elle s'envola sur le
poirier, et se rassasia de belles poires mûres.
Tout en bas, le Loup faisait le câlin.
— « Descends, Petite Oie, descends.
— Tout à l'heure, Loup. Tout à l'heure. En
attendant, régale-toi de ces belles poires mûres. »
En effet, la Petite Oie jeta quelques poires dans
le ruisseau. Le Loup voulut aller les prendre ;
mais il pensa se noyer.
La Petite Oie, rassasiée, s'envola dans son châ-
teau.
Quelques jours après, le Loup revint frapper à
la porte,
— « Pan ! pan 1
— Qui est là ?
— Ami. Ouvre, Petite Oie. »
Mais la Petite Oie avait reconnule Loup à la voix.
— « Loup, je n'ouvre pas. Tu me mangerais.
— Petite Oie, je ne te mangerai paSo Ouvre, ou
j'enfonce la porte.
— Loup, la porte est solide. Je ne l'ouvrirai
que si tu m'enseignes où je ferai bonne chère.
— Petite oie, suis-moi là-bas, là-bas, tout près
de ce bois. Je te montrerai un pommier, chargé
de belles pommes mûres. »
LE LOUP 185
Mais la Petite Oie n'ouvrit pas la porte. Du toit
de son beau château, elle s'envola sur le pom-
mier, et se rassasia de belles pommes mûres.
-Tout en bas, le Loup faisait le câlin.
— « Descends, Petite Oie, descends.
— Tout à l'heure, Loup. Tout à l'heure. En
attendant, attrape cette belle pomme mûre. »
, Le Loup leva la tête. Alors, la Petite Oie lui
chia dans les yeux, dont il souft'rit mort et pas-
sion toute une semaine.
Un mois plus tard, la Petite Oie partit, en vo-
lant, pour la foire, suivie d'un poulet de ses
amis.
A la foire, la Petite Oie acheta un âne. Elle
marchanda deux grands chaudrons, un pour elle,
l'autre pour son ami le Poulet. Mais l'argent lui
manqua pour payer.
Le soir même de la foire, tous deux soupaient
à l'auberge, attablés avec un grand fantôme,
qui avait trouvé une masse d'or rouge.
— « Poulet, dit le fantôme, ne pourrais-tu pas
m'indiquer un chaudronnier, à qui je pourrai
vendre cette masse de cuivre?
— Fantôme, je sais l'homme qu'il te faut. Mais
il est tard. Allons nous coucher. Compte sur moi
pour te réveiller de bon matin, et pour te mener
chez le chaudronnier. »
Tous trois allèrent se coucher. Mais, sur le
l86 CONTES FAMILIERS
conseil de la Petite Oie, le Poulet se garda bien
de réveiller le fantôme. Tandis que celui-ci ron-
flait encore, la Petite Oie et son ami le Poulet,
chargeaient la masse d'or rouge sur leur âne,
et partaient pour la boutique du chaudronnier.
— « Bonjour, chaudronnier. Combien veux-tu
nous donner de grands chaudrons, pour cette
masse d'or rouge?
— Mes amis, je vous en donne trois.
— Chaudronnier, nous n'en voulons que
deux. »
La Petite Oie et son ami le Poulet chargèrent
donc les deux chaudrons sur leur âne, l'un à
droite, l'autre à gauche, et partirent au galop.
Le soir même, ils étaient rentrés au château.
— « Poulet, mon ami, étrennons nos deux
grands chaudrons. Faisons des armotes (i). »
Tandis que les armotes cuisaient, le Loup re-
vint frapper à la porte.
— « Pan ! pan !
— Qiii est là?
— Ami. Ouvre, Petite Oie. »
Mais la Petite Oie avait reconnu le Loup à la
voix. Pourtant, elle ouvrit la porte, sans peur ni
crainte.
(i) Bouillie de maïs, dont nos paysans gascons se nourrissent
volontiers durant l'hiver.
LE LOUP 187
— Entre, Loup. Veux-tu manger des annotes?
En voici deux grands chaudrons. Mange. Elles
sont refroidies à point. »
Sans se méfier de rien, le Loup sauta dans l'un
des grands chaudrons pleins d'armotes bouillantes.
— « Aie ! aie ! aie ! »
Que firent alors la Petite Oie et son ami le
Poulet? Ils renversèrent l'autre grand chaudron
sur celui où avait sauté le Loup, et partirent,
laissant ainsi la maie bête cuire à l'étoufiee.
A minuit, il pleuvait à déluge. La Petite Oie
et son ami le Poulet ne savaient oia s'abriter. Ils
frappèrent à la porte de Porc Pingou (i).
— « Pan ! pan !
— Qui est là?
— Ami. Ouvre, Porc Pingou.
— Passez votre chemin. Je n'ouvre pas.
— Écoute, Porc Pingou, gare à ta porte.
Tant je tournerai (2),
Tant je tournoierai,
Je foutrai un coup de cul, et je te l'abattrai.
— Passez votre chemin. Je n'ouvre pas.
(i) Je n'ai pu recueillir aucun renseignement sur ce Porc
Pingou.
(2) Cela rime en gascon :
Tant tourne jerèij
Tavt biroulcrci,
Touterèi un cop de cul, c te Vamourrerèi.
l88 CONTES FAMILIERS
— Ouvre, Porc Pingou, ou gare à ta porte.
Tant je tournerai,
Tant je tournoierai,
Je foutrai un coup de cul, et je te l'abattrai.
— Passez votre chemin. Je n'ouvre pas. »
Alors, la Petite Oie donna un grand coup de
cul contre la porte.
Mais la porte était solide, et garnie en dehors
de longues pointes de fer. Aussi, la Petite Oie
perdit-elle toute envie de recommencer.
— « Ami Poulet, retournons à mon château.
Maintenant, le Loup doit être tout à fait cuit à
l'étouffée (i). »
(i) Dicté par Aniiî Dumas, du Passage-d'Agen (Lot-et-
Garonne) .
*è;Sâ^® S^SS^g %±
IX
LE LOUP ET L'EKFAXT
}L y avait, une fois, un homme et une
femme, qui n'avaient qu'un enfant de cinq
ans. Un jour, cet enfant dit à sa mère :
— « Mère, laissez-moi aller tout seulet chez
ma tante.
— Non, mon ami. Tu es encore trop petit,
pour y aller tout seulet. Il faut traverser un grand
bois, et le Loup te mangerait. »
Alors, l'enfant se mit à pleurer.
— « Mère, je vous dis que je veux y aller. Je
connais tous les chemins du grand bois, et le
Loup ne me mangera pas.
— Eh bien! mon ami, puisque tu le veux,
pars, et que le Bon Dieu te garde de tout mal. »
L'enfant partit donc tout seulet. Arrivé au mi-
lieu du grand bois, il trouva le Loup, qui s'était
vêtu en curé, et qui faisait semblant de lire son
bréviaire.
190 CONTES FAMILIERS
— « Bonjour, monsieur le Curé.
— Bonjour, mon ami. Où vas-tu ainsi?
— Monsieur le Curé, je vais voir ma tante.
— Et oij demeure ta tante, mon ami?
— Monsieur le Curé, elle demeure là-bas, li-
bas, dans une petite métairie, qu'on trouve après
avoir passé le grand bois.
— Oh! la brave femme. Je la connais bien.
C'est une de mes paroissiennes. Deux fois par an,
elle m'apporte en présent une paire de chapons
gras. Souhaite-lui bien le bonjour de ma part.
— Je n'y manquerai pas, monsieur le Curé. »
L'enfant suivit son chemin, et le Loup se remit
à faire semblant de lire son bréviaire.
— a Bon! pensa-t-il. Je vais manger la tante
et le neveu. »
Aussitôt, il jeta ses habits de curé, et partit
au grand galop pour la petite métairie.
— « Pan ! pan !
— Qui frappe?
■ — C'est votre neveu, ma tante.
— Tire la cordelette, et le loquet se lèvera. »
Le Loup tira donc la cordelette, sauta sur la
pauvre vieille, et la dévora, sans en rien réserver
qu'un verre de sang. Cela fait, il prit la coiffe
de la morte, et se mit au lit. A peine était-il cou-
ché, que l'enfant frappait à la porte.
— (c Pan ! pan !
LE LOUP igi
— Qui frappe?
— C'est votre neveu, ma tante.
— Tire la cordelette, et le loquet se lèvera. »
L'enfant entra dans la chambre.
— « Bonjour, ma tante.
— Bonjour, mon ami. Tu dois être las. Bois
ce verre de vin qui est sur la table. C'est du vin
nouveau. Je l'ai tiré tout à l'heure. Maintenant,
viens te mettre au lit avec moi. »
L'enfant se déshabilla donc, et se mit au lit.
— « Ah! mon Dieu! Que vos jambes sont ve-
lues, ma tante !
— La vieillesse, mon ami .
— Ah ! mon Dieu ! Que vos yeux brillent, ma
tante !
— C'est pour mieux te voir, mon ami.
— Ah ! mon Dieu ! Que vous avez de grandes
dents, ma tante !
— C'est pour mieux te briser, mon ami . »
Alors, le Loup étrangla l'enfant, et le man-
gea (i).
(i) Ce conte est fort répandu en Gascogne et en .\geuais. La
présente leçon m'a été fournie par Louis Lacoste, du Pergaiu-
Taillac (Gers).
IV
LE RENARD
m
LE RENARD
I
LE RENARD ET LE LOUP
iN jour, le Renard et le Loup voyageaient
de compagnie. Sur leur chemin, ils trou-
vèrent un pot de miel.
— (c Bonne affaire, Loup, dit le Renard. Si tu
veux me croire, nous enterrerons ici ce pot de
miel, et nous le partagerons en revenant.
— Renard, je le veux bien. »
Le Renard et le Loup enterrèrent donc le pot ce
miel, et repartirent. Cinq cents pas plus loin,
le Renard s'arrêta court.
— « Jésus, mon Dieu ! Oublieux que je suis !
Je ne songeais plus qu'on m'attend, pour un
196 CONTES FAMILIERS
baptême. C'est pourtant moi qui suis parrain.
Loup, marche devant. Je ne tarderai guère à te
rejoindre. »
Tandis que le Loup marchait devant, le Renard
courut entamer le pot de miel. Cinq minutes
plus tard, il avait rejoint le Loup.
— K Renard, voilà un baptême bientôt fait.
— C'est vrai, Loup.
— Dis-moi, Renard, quel nom as-tu donné à
ton lîlleul?
— Loup, je lui ai donné
Le nom d'Entamé (i). »
Cinq cents pas plus loin, le Renard s'arrêta
court.
— a Jésus, mon Dieu ! Oublieux que je suis! Je
ne songeais plus qu'on m'attend, pour un autre
baptême. C'est pourtant moi qui suis le parrain.
Loup, marche devant. Je ne tarderai guère à te
rejoindre. «
Tandis que le Loup marchait devant, le Renard
courut manger à moitié le pot de miel. Cinq mi-
nutes plus tard, il avait rejoint le Loup.
— « Renard, voilà un autre baptême bientôt
ait.
(l) E;l gilSCOll
Loup, Vèi baillât
Lou y.cm d'Evtaumat.
LE REXARD I97
— C'est vrai, Loup.
— Dis-moi, Renard, quel nom as-tu donne à
ton filleul.
— Loup, je lui ai donné
Le nom d'A-moitié (i). »
Cinq cents pas plus loin, le Renard s'arrêta
court.
— « Jésus, mon Dieu ! oublieux que je suis !
Je ne songeais plus qu'on m'attend encore, pour
un autre baptême. C'est pourtant moi qui suis le
parrain. Loup, marche devant. Je ne tarderai
guère à te rejoindre. »
Tandis que le Loup marchait devant, le Renard
courut achever le pot de miel. Cinq minutes plus
tard, il avait rejoint le Loup,
— « Renard, voilà un autre baptême bien'.ôt
fait.
— C'est vrai, Loup.
— Dis-moi, Renard, quel nom as-îu donné à
ton filleul ?
— Loup, je lui ai donné
Le nom d'Achevé (2).
(i) En gascon :
— . Loup, l'èi baillât
Lou nom i'A-mitat. •
(;) En gascon :
— « Loup, VU baillai
Lou nom d'Acabat. •
CONTES FAMILIERS
Adieu, Loup. J'ai des affaires ailleurs. Quand
tu t'en retourneras, ne manque pas au moins
de déterrer le pot de miel, et de m'en garder ma
part (i). »
(i) Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). M. Lacroix,
receveur de l'enregistrement à Agen, a recueilli un conte iden-
tique pour le fond à Boé (Lot-et-Garonne).
%'
^®^®^®^kW^^P^WW
II
LE RENARD ET LE COQ.
IN jour, les gens d'un village criaient :
— « Le Renard emporte le coq de Jean
de Lartigue. »
— « Renard, dit le Coq, réponds-leur : « Ca-
« nailles, qu'est-ce que cela vous fout ? »
— Canailles, qu'est-ce que cela vous fout? »
Tandis que la maie bête ouvrait la bouche, le
Coq s'envola chez Jean de Lartigue.
— « Ah ! dit le Renard, tout confus d'un pareil
affront, j'aimerais mieux avoir perdu la queue. »
Juste en ce moment, un homme du village
lança un grand coup de volant au Renard, et lui
coupa la queue ras du cul.
— « Quel est donc ce pays? criait le Renard,
en décampant. Il n'y a pas moyen d'y parler pour
rire (i). »
(i) Dicté par Pauline Lacaze, de Picassac (Gers).
^
III
LA CHÈVRE ET LE RENARD
1 A Chèvre et le Renard s'étaient associes
pour travailler une métairie. Quand le blé
fut moissonné, battu, et vanné, le Renard
lit deux tas séparés, le blé à droite, la paille à
gauche, et dit à la Chèvre :
— « Chèvre, partageons. Je prends le blé ;
prends la paille.
— Renard, cela n'est pas juste. Partageons par
la moitié le blé et la paille.
— Le blé, Chèvre, tu n'en auras pas un grain.
— Renard, ceci n'est pas juste. Choisis de
deux choses l'une. Moi, je vais chercher mon
juge. Fais venir le tien, et ils diront droit sur
notre procès. Sinon, amène tes compagnons.
Moi, j'amènerai les miens. Nous ferons bataille.
— Bataille, soit. »
La Chèvre partit aussitôt pour Lcctoure, et
LE REXARD 201
trouva trois gros chiens de boucher assis devant
la halle.
— « Chiens de boucher, si vous faites bataille
pour moi contre le Renard, je vous ferai téter
tant que vous voudrez.
— Chèvre, c'est convenu. »
Les trois chiens de boucher tétèrent la chèvre
tant qu'ils voulurent, et la suivirent à la métairie.
— « Chiens de boucher, enfermez-vous dans
cette cabane, entre la paille et le blé, et ne sortez
qu'au bon moment. »
Pendant ce temps-là, le Renard s'en était allé
trouver le Loup, au bois du Gajan.
— « Loup, si tu fais bataille pour moi, contre
la chèvre et ses compagnons, tu me rendras un
grand service. »
Le Loup suivit le Renard sans rien dire.
Arrivé devant la cabane, entre la paille et le
blé, le Renard commença ses explications.
— « Regarde, Loup, disait-il. Regarde si la
paille que je donne toute à la Chèvre ne vaut pas,
et même plus, le blé que je garde tout pour
moi. ))
Le Loup regardait toujours, sans parler. Il ne
voyait pas les trois chiens de boucher, cachés dans
la cabane. Mais il les entendait bâiller de chaud,
et grincer des dents, quand les mouches leur pi-
quaient les lèvres.
CONTES FAMILIERS
— « Renard, dit enfin le Loup,
Ni pour ton blé, ni pour ta paille,
Je ne me mets en bataille (i). »
Et il partit au galop.
— « Hardi ! mes chiens, cria la Chèvre. »
Les trois chiens de boucher sautèrent sur le
Renard et l'étranglèrent, de sorte que la Chèvre
se trouva maîtresse du blé et de la paille (2).
(i) En gascon :
Ni per toun hlat, ni per la pailJo,
Kon me bouti pas en haiaillo,
(2) Dicte p.ir Marie Dupin, veuve Lagarde, de Gimbrède (Gers).
't'^&^'t^^^^&j.'t'^^e^'t
IV
LE RENARD ET LA PIE
IX jour, le Renard tomba sur la Pie, qui
' n'était pas sur ses gardes,
— « Renard, dit la Pie, vois comme je
suis dure et maigre. Certes, je ferais un triste
régal. Laisse-moi vivre, et je te conduis aussitôt
dans une métairie, où tu ne manqueras pas de
poules tendres et grasses. »
Le Renard laissa donc vivre la Pie, qui le mena
dans une métairie. Là, il se bourra de poules
tendres et grasses, au point de se mettre hors
d'état de marcher.
Alors, la Pie s'en alla trouver le chien de la
métairie.
— « Chien, suis-moi. Tu ne t'en repentiras pas. )>
Le chien suivit la Pie, et étrangla le Renard (i).
(i) Dicté par M. i'abbc Sant, de Sarraa; (Gers).
©s©@©@©®©s©s®a
V
LA MERLESSE ET LE RENARD
r^r*®^ y avait, une fois, dans le vallon do
tW Cruzos (i), une Merlesse (2) qui avait
' bâti son nid au bord d'un ruisseau, dans le
plus fourré d'un hallier. Là, grandissaient quatre
merluchons, sains et gaillards. Nuit et jour, 1.;
Merlesse pensait :
— « Encore quelques jours, et mes merluchons
auront déniché. «
Par malheur, le Renard vint à passer.
— « Bonjour, Renard.
— Bonjour, Merlesse. On m'a dit que tu avais
quatre merluchons beaux comme le jour. Je serais
curieux de les voir. Montre-les-moi.
(i) Métairie de la commune de Lectourc (Gers).
(2) La femelle du merle. Pour la rapidité de ma traducti;)r.,
j'ai forgé ce mot d'après le terme gascon (merlesso). Il en est de
même pour « merluchon » ou petit merle (mtrlalouti).
\
LE RENARD 20)
— Non, Renard. Tu les mangerais.
— Merlesse, montre-les-moi. Par mon âme, je
ne les mangerai pas.
— Renard, tu n'as pas bonne réputation. Je
ne te crois pas; et pourtant, lu as juré par ton
âme.
— C'est vrai, Merlesse, j'ai mené longtemps
mauvaise vie. Mais hier, je me suis confessé à un
moine de Bouillas (i). Maintenant, je suis con-
verti. Pour ma pénitence, il m'est défendu de
manger de la viande pendant un an. Tu vois bien,
Merlesse, que tu peux me montrer tes merlu-
chons. »
Le Renard parla tant et si bien de sa conver-
sion, que la Merlesse finit par y croire.
— « Eh bien, Renard, voici mes quatre mer-
luchons. Regarde, comme ils sont sains et gail-
lards.
— Merlesse , tu te moques de moi , de me
montrer ainsi quatre tanches au lieu de quatre
merluchons.
— Renard, ce sont bien des merluchons.
— Non, Merlesse, ce sont des tanches. La
preuve, c'est que je vais les manger comme
telles. »
(i) Autrefois abbaye de Bernardins, dans la forêt du Ramier,
co:3mune de Pauillac,(Gers).
206 COUTES FAMILIERS
Tandis que le Renard mangeait les quatre mer-
luchons, la Merlesse chantait à la cime d'un
frêne :
— « Mange, Renard. Mange, mon ami. Tanches
ou merluchons, je souhaite que ce repas te pro-
fite. Mange, Renard. Mange, mon ami. »
Voilà ce que la Merlesse chantait. Mais on ne
chante pas toujours comme on pense.
La Merlesse pensait :
— « Pauvres, pauvres petits merluchons ! Gueux
de Renard ! Je ne suis pas née pour faire bataille
contre toi. Mais, patience. Je saurai bien trouver
ton maître. »
Le Renard parti, la Merlesse prit sa volée jus-
qu'au pâtus communal de Marsolan (i). Là, dor-
mait, à l'ombre d'un pailler, un grand chien fort,
leste, et hardi comme pas un. La Merlesse se
posa près de lui, sans peur ni crainte.
— « Compère Riouet ! Compère Riouet (2) !
— Merlesse, tu m'ennuies. Je veux dormir.
— Compère Riouet, écoute, écoute, par pitié.
— Merlesse, je te dis que tu m'ennuies. Tu
parleras quand j'aurai dormi. En attendant, chasse
les mouches. »
(i) Commune du canton de Lectoure (Gers).
(2) Le nom de compère Riouet {cmnipai Eiiicl), applique
au chien, revient assez souvent dans les contes populaires de
a Gascogne.
LE RENARD 207
Le chien s'endormit, et la Merlesse chassa les
mouches jusqu'à son réveil.
— « Compère Riouet, venge-moi. Le Renard
m'a mangé mes quatre merluchons.
— Merlesse, ça m'est égal.
— Compère Riouet, venge-moi. Quoi que tu
demandes, je te promets de te donner contente-
ment.
— Merlesse, je veux d'abord manger tout mou
soûl.
— Compère Riouet, suis-moi. »
Tous deux prirent par la route de Marsolan
ù Lectoure, où il y avait grande foire ce jour-
là. Deux marchandes cheminaient, portant cha-
cune sur sa tête une grande corbeille recouverte
d'une belle serviette blanche. De ces corbeilles
s'échappait une bonne odeur de tortillons (i)
chauds.
— « Compère Riouet, que dis-tu de ces deux
corbeilles de tortillons ?
— Merlesse, je dis que j'aimerais autant les
bifrer, que de les voir filer pour la foire de Lec-
toure.
— Compère Riouet, attention. »
Alors, la Merlesse se mit à voler, en retombant
(i) Pâtisserie locale, faite en fcnn; de tortil. Les tortillons
d3 Marsolan, sont reaommû à cinq licaes à la ronde.
2C8 CONTES FAMILIERS
tous les dix pas, comme font les oiseaux qui ont
du plomb dans l'aile. Pour mieux courir après
elle, les deux marchandes posèrent sur le chemin
leurs corbeilles de tortillons, que le chien bâfra
vite, vite, jusqu'à la dernière miette.
— « Eh 'bien, compère Riouet, es-tu con-
tent ?
— Non, Merlesse. Je veux maintenant boire
tout mon soûl. »
En ce moment, passait sur la route un bouvier,
conduisant une charrette chargée d'une barrique
de bon vin blanc.
— « Compère Riouet, attention. »
Alors, la Merlesse se remit à voler, en retom-
bant tous les dix pas, comme font les oiseaux qui
ont du plomb dans l'aile. Ainsi volant, elle s'alla
percher sur le fosset de la barrique de bon vin
blanc.
Aussitôt, le bouvier lui lança un coup d'aiguil-
lon, et courut à sa poursuite, sans prendre garde
que, par le fosset brisé du coup d'aiguillon, sa
barrique se vidait. Le chien lampa vite, vite, le
bon vin blanc jusqu'à la dernière goutte.
— <c Eh bien, compère Riouet, es-tu con-
tent ?
— Non, Merlesse. Je veux maintenant rire tout
mon soûl. »
En ce moment, passaient, leurs bâtons à la
LE RENARD 209
main, le curé de Marsolan et deux de ses parois-
siens, qui s'en allaient ensemble à la foire de Lec-
toure.
Alors, la Merlesse alla se percher sur le chapeau
à trois cornes du curé.
Aussitôt, ses deux paroissiens lui lancèrent cha-
cun bon coup de bâton.
— « Ah ! gueux, criait le curé, vous m'avez cassé
la tête. Attendez, canailles. Attendez. »
Le chien riait tout son soûl, tandis que le curé
de Marsolan et ses deux paroissiens s'assommaient
à coups de bâton.
— « Eh bien, compère Riouet, es-tu content!
— Oui, Merlesse. J'ai mangé, j'ai bu, j'ai ri
tout mon soûl.
— Eh bien, compère Riouet, venge-moi.
— Merlesse, c'est impossible. Le Renard a trop
peur de moi. Dès qu'il me sent venir, il se cache,
au plus profond de son terrier.
— Compère Riouet, tu n'auras pas à le pour-
suivre jusque-là. Je me charge de conduire le Re-
nard à ta portée.
— Toi, Merlesse ?
— Moi, compère Riouet. Sais-tu ce que le Re-
nard a dit de toi?
— Non, Merlesse.
— Eh bien, compère Riouet, le Renard a dit
m 14
210 CONTES FAMILIERS
de toi que tu es un lâche. II s'est vanté de t'avoir
pissé et chié dans la bouche.
— Ah! Merlesse, le gueux s'est vanté de ça?
— Oui, compère Riouet. Venge-moi donc, et
venge-toi. Ecoute. Va te coucher, le ventre en
l'air, la bouche ouverte, les jambes raides, sur le
pâtus communal de Marsolan. Fais comme si tu
étais mort, et attends. »
Le chien obéit. Alors, la Merlesse prit sa volée,
et s'en alla trouver le Renard.
— « Bonjour, Renard.
— Bonjour, Merlesse. Q.uoi de nouveau?
— Renard, sois content. Ton ennemi, com-
père Riouet, est mort. Depuis trois jours, il gît,
le ventre en l'air, la bouche ouverte, les jambes
raides, sur le pâtus communal de Marsolan. C'est
une véritable infection.
— Merlesse, tu me fais plaisir. Ah ! compère
Riouet est mort. Le gueux m'a fait passer plus
d'un mauvais quart d'heure.
— Renard, je le sais. Mais compère Riouet a
fini de mal foire. A ta place, j'irais lui pisser et lui
chicr dans la bouche.
— Merlesse, tu as raison. »
Une heure après, la Merlesse et le Renard arri-
vaient au plateau de Marsolan. Le chien attendait,
faisant le mort, couché le ventre en l'air, la
boucha ouverte, les jambes raides.
LE RENARD
— « Regarde, Renard. T'ai-je menti? »
Sans se méfier, le Renard s'approcha, et leva
la jambe.
— « Ouah I V)
Le chien sauta sur le Renard, et rétrangb(i).
(i) Dicté par ma vieille cousine, feu Marthe Duvergé, veuve
Le Bhnt, morte à Marsolan (Gers), âgée de plus de soixasite-dix
acs. Ce conte, diversement localisé par les narrateurs, est en-
core fort répandu eu Gascogne.
ANIMAUX DIVERS
ANIMAUX DIVERS
L'AIGLE ET LE RENARD
jour, l'Aigle planait dans le ciel. Le
^I^Renard, qui le regardait d'en-bas, lui tira
^^^=:^\a. langue.
Mais l'Aigle a de bons yeux. Comme un éclair,
il plongea sur le Renard, l'emporta plus haut
que les nuages, et le lâcha.
Tout en tombant, le Renard criait :
— « Portez de la paille ! Portez de la
paille (i)! »
(i) Pour amortir U chute.
Panassac (Gers).
Dicté par Pauline Ltcaze, de
LE PARTAGE
jN jour, l'Aigle dit à l'Épervier et à la Pie :
— « Associons-nous, pour chasser en-
semble.
— Aigle, comme tu voudras. »
Aussitôt, l'Aigle, l'Épervier, et la Pie, partirent
pour la chasse. Au coucher du soleil, ils avaient
pris trois cents têtes de gibier de toute espèce.
— « Maintenant, dit l'Aigle, il s'agit de parta-
ger. Pie, fais trois parts bien égales de tout ceci.
— Excuse-moi, Aigle. Fais-les toi-même. Sinon,
l'Epervier s'en chargera.
— Avec plaisir, Pie, dit l'Épervier. »
Alors, l'Épervier fit du gibier trois parts si bien
égales, qu'il ne valait pas la peine d'être le pre-
mier ou le second à choisir.
— « Épervier, dit l'Aigle, où est ma part?
ANIMAUX DIVERS 217
— Aigle, prends celle que tu voudras.
— Épervier, tu es un imbécile. Je vais t'ap-
preudre à partager. »
Alors, l'Aigle tua l'Épervier d'un grand coup
de bec. Cela fait, il dit à la Pie :
— « Maintenant, partageons en deux. Pie, fais
deux parts bien égales de tout ceci.
— Non, Aigle. Partageons en trois. Une por-
tion pour ton bec, les deux autres pour tes deux
serres.
— Pie, nul mieux que toi ne s'entend à parta-
ger. Pour ta peine, voici une méchante petite
mésange, maigre, maigre comme un clou (i). «
(i) Dicté p.ir Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers).
III
L'AIGLE ET LE ROITELET
Wf!^"^ jour, l'Aigle dit au Roitelet :
'l^ik — " Pauvre petit Roitelet, je suis grand,
^=-î^ fort et hardi. Quand il me plaît, je monte
dans le ciel plus haut que les nuages. C'est pour-
quoi je suis le roi des bêtes volantes. Toi, pauvre
petit Roitelet, tu n'es pas plus gros qu'une fève.
Tu t'essouffles, sans t'élever de dix toises. Je te
plains, pauvre petit Roitelet.
— Aigle, garde ta compassion pour d'autres
que moi. Si petit, si faible que je sois, je te parie
de monter dans le ciel plus haut que toi. »
L'Aigle se mit à rire.
— « Pauvre petit Roitelet, parions. Que me
donneras-tu si je gagne?
— Aigle, si tu gagnes, je te donne mon corps
ANIMAUX DIVERS 219
à manger. Si tu perds, jure-moi de ne jamais mal
faire, ni contre moi, ni contre les miens.
— Pauvre petit Roitelet, c'est juré. Partons. Y
cs-tu? «
Le Roitelet était déjà perché sur la tête de
l'Aigle.
— « Aigle, j'y suis. Partons. Hardi! Ho! »
L'Aigle partit à toute volée, sans se méfier qu'il
emportait le Roitelet perché sur sa tête. Vingt fois
par heure, il criait, à rendre sourd :
— « Où es-tu, pauvre petit Roitelet?
— Aigle, je monte dans le ciel plus haut que
toi. »
Longtemps, bien longtemps, l'Aigle monta
droit, toujours tout droit dans le ciel. Vingt fois
par heure, il criait, à rendre sourd :
— « Où es-tu, pauvre petit Roitelet?
— Aigle, je monte dans le ciel plus haut que
toi. »
Enfin, l'Aigle se lassa. Une dernière fois, il
cria, à rendre sourd :
— « Où es-tu, pauvre petit Roitelet?
— Aigle, je monte dans le ciel plus haut que
toi. »
Tout confus, l'Aigle redescendit, sans se mé-
fier qu'il emportait le Roitelet, toujours perché sur
sa tête.
220 CONTES FAMILIERS
— « Aigle, nous sommes à terre. Ai-je monté
dans le ciel plus haut que toi ?
— C'est vrai, pauvre petit Roitelet. Tu as
monté dans le ciel plus haut que moi. Ne crains
rien. Ce qui est juré est juré. Jamais je ne ferai
mal ni contre toi, ni contre les tiens (i). »
(i) Ce conte, très populaire eu Gascogne, m'a été dicté par
feu Cadette Saint-Avit, de Cazeneuve, commune du Castéra-
Leclourois (Gers).
'â^&z^^'^^^'
IV
LE VOYAGE DU COa
»j^i^^L y avait, une fois, un coq, qui trouva une
^^ bourse pleine de louis d'or.
I^^y — « Coucouroucou ! Ma fortune est
faite. Allons riboter ;i la foire. »
Le Coq partit. Au bout d'une lieue, il trouva un
vol de mouches.
— « Bonjour, Coq. Où vas-tu ?
— Mouches, je vais riboter à la foire.
— Coq, tu serais bien honnête de nous inviter.
— Mouches, je vous invite avec plaisir. Mais
pourrez-vous me suivre?
— Coq, nous te suivrons. »
Le Coq repartit. Les mouches le suivaient, en
bourdonnant.
Une lieue plus loin, les mouches n'en pou-
vaient plus.
— « Coq, nous sommes lasses.
CONTES FAMILIERS
— Mouches, entrez dans mon cul. Je vous
porterai. »
Les mouches entrèrent dans le cul du Coq, et
il repartit.
Une lieue plus loin, il trouva un essaim de fre-
lons.
— « Bonjour, Coq. Où vas-tu?
— Frelons, je vais riboter à la foire.
— Coq, tu serais bien honnête de nous inviter.
— Frelons, je vous invite avec plaisir. Mais
pourrez-vous me suivre?
— Coq, nous te suivrons. »
Le Coq repartit. Les frelons le suivaient, en
faisant leur bruit.
Une lieue plus loin, les frelons n'en pouvaient
plus.
— « Coq, nous sommes las.
— Frelons, entrez dans mon cul. Je vous por-
terai. »
Les frelons entrèrent dans le^cul du Coq, 'et il
repartit.
Une lieue plus loin, il trouva un troupeau
d^àncs.
— « Bonjour, Coq. Où vas-tu?
— Ane5, je vais riboter à la foire.
— Coq, tu serais bien honnête de nous inviter.
— Ane,"^, je vous invite avec plaisir. ;Mais pour-
re;-vous me suivre?
ANIMAUX DIVERS
— Coq, nous te suivrons. »
Le Coq repartit. Les ânes le suivaient, en
brayant.
Une lieue plus loin, les ânes n'en pouvaient plus.
— « Coq, nous sommes las.
— Ânes, entrez dans mon cul. Je vous por-
terai. »
Une lieue plus loin, il rencontra un troupeau
de boeufs.
— « Bonjour, Coq. Où vas-tu?
— Boeufs, je vais riboter à la foire.
— Coq, tu serais bien honnête de nous inviter.
— Bœufs, je vous invite avec plaisir. Mais
pourrez-vous me suivre?
— Coq, nous te suivrons. »
Le Coq repartit. Les boeufs le suivaient, en
beuglant.
Une lieue plus loin, les bœufs n'en pouvaient
plus.
— « Coq, nous sommes las.
— Bœufs, entrez dans mon cul. Je vous por-
terai. »
Les bœufs entrèrent dans le cul du Coq, et il
repartit.
Une lieue plus loin, il arriva, la bourse au bec,
dans un grand château.
— « Bonsoir, Monsieur. Bonsoir, Madame. Je
crève de soif et de fa'm, et je suis las de porter
224 CONTES FAMILIERS
tout ce que j'ai dans le cul. Donnez-moi le
souper et la couchée, s'il vous plait.
— Coq, passe ton chemin. Il n'y a rien ici
pour toi.
— Monsieur, Madame, j'ai de quoi vous payer.
Voyez plutôt cette bourse pleine de louis d'or.
— Ah! gueux. Ah! brigand. Cette bourse est
à nous. Tu viens de nous la voler.
— Non, certes.
— Attends! voleur. Attends! »
Maîtres et valets couraient après le Coq, pour
lui prendre sa bourse.
Que fit alors le brave animal ? Il chia tout ce
qu'il avait dans le cul.
Les mouches faisaient : « Rrr rrr rrr. »
Les frelons faisaient : « Brr brr brr. »
Les ânes faisaient : « Hiha ! Hiha ! Hiha ! »
Les bœufs faisaient : « Moûû ! Moùù ! Moûû ! »
A ce tapage, les maîtres et les valets, épouvan-
tés, détalèrent au grand galop, comme s'ils avaient
eu tous les Diables d'enfer à leurs trousses. Ainsi,
le Coq et ses amis demeurèrent maîtres du châ-
teau, où ils vécurent longtemps, riches et heu-
reux (i).
(i) Dicté par Anna Dumis, du Passage-d".*.geii (Lo'.-et-
Gironne).
V
LE COQ. ET SES AMIS
L y avait, une fois, un coq qui grappillr.it
sur un fumier. Tout en grappillant, il
trouva une bourse de cent ccus.
En ce moment, un homme passait.
— « Bonjour, Coq.
— Bonjour, homme.
— Coq, qu'as-tu dans cette bourse?
— Homme, j'ai cent ccus.
— Coq, prête-les-moi.
— Homme, avec plaisir. Mais auparavant, je
voudrais savoir où tu demeures.
— Coq, je demeure là-bas, là-bas, dans cette
maison. Dans un mois, je te rapporterai tes cent
L'cus. Si je l'oublie, viens me les rOclaujcr
chez moi. »
L'homme prit les cent écus et partit; mais il ne
m 15
220 CONTES FAMILIERS
rapporta pas la somme au jour prorais. Alors,
le Coq partit, pour réclamer son argent.
Chemin faisant, il rencontra le Renard.
— « Bonjour, Renard.
— Bonjour, Coq. Où vas-tu?
— Renard, je vais réclamer cent écus. Veu.x-tu
venir avec moi?
— Oui, Coq.
— Eh bien, Renard, entre dans mon cul. Je te
porterai. »
Le Renard entra dans le cul du Coq, qui re-
partit.
Chemin faisant, il rencontra le Loup.
— « Bonjour, Loup.
— Bonjour, Coq. Où vas-tu?
— Loup, je vais réclamer cent écus. Veux-tu
venir avec moi ?
— Oui, Coq.
— Eh bien, Loup, entre dans mon cul. Je te
porterai. »
Le Loup entra dans le cul du Coq, qui re-
partit.
Chemin faisant, il passa devant une Flaque,
pleine d'eau jusqu'au bord.
— « Bonjour, Flaque.
— Bonjour, Coq. Où vas-tu?
— Flaque, je vais réclamer cent écus. Veux-tu
venir avec moi?
ANIMAUX DIVERS
— Oui, Coq.
— Eh bien, Flaque, entre dans mon cul. [e
te porterai. »
La Flaque entra dans le cul du Coq, qui
repartit.
Enfin, le Coq arriva à la maison do l'homme,
et vola tout en haut de la cheminée.
— « Coucouroucou ! »
L'homme avait du monde à dîner.
— « Mes amis, dit-il, prenons ce coq étranger,
et mettons-le dans ma basse-cour. »
Ce qui fut dit fut fait.
Alors, le Coq lâcha le Renard, qui étrangla
toute la volaille.
— « Mes amis, dit l'homme, mettons ce coq
dans mon étable. »
Ce qui fut dit fut fait.
Alors, le Coq lâcha le Loup, qui étrangla tout
le bétail.
— « Mes amis, dit l'hom.me, mettons ce coq
dans mon four allumé. »
Ce qui fut dit fut fait.
Alors, le Coq lâcha la Flaque, qui éteignit !j
four allumé.
En vérité, le Coq avait remède à tout.
— « Homme, dit-il enfin, si tu ne veux p.'..
être :
228 CONTES FAMILIERS
Par le Renard tué (i),
Par le Loup mangé,
Par la Flaque noyé,
Rends-moi les cents écus que je t'ai prêtés.
L'homme rendit les cent écus (2).
(1) i'n gascon, ceci forme quatre vers :
Pou Retiari tuai.
Pou Loup minjal
Per la hlaco negal,
Tourno-mc lous cent tscut^ qut t'ii prestai.
(2) Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
^(.^^.s^-m
VI
LE LEVRIER ET LA MERLESSE (i)
5l fut un temps où les bètes parlaient. En
ce tenaps-là, vivait, au Brana (2), un mé-
tayer nommé Bertrand. Ce Bertrand avijt
un lévrier, qui dit un soir à son maitre :
—r « Maître, je veux aller demain à la foire de
Lamontjoie (3).
— Lévrier, n'y va pas. Tu y attraperais quelque
coup de bâton.
— Maitre, j'y attraperai plutôt quelques os, sous
les tables des auberges.
— Lévrier, fais donc à ta volonté. »
Le lendemain matin, le Lévrier partit de bonne
(i) Femelle du merle.
(3) Métairie de la commune du Pergain-Taillac (Gers).
(}) Commune du Lot-et-Garonne, contiguë à celle du Per-
gaiii-Tnillac.
230 CONTES FAMILIERS
heure. Près de Garcin (i), il aperçut un nid de
merle dans un buisson.
— « Lévrier, dit la Merlesse, ne mange pas
nies petits.
— Merlesse, j'en ai pourtant bien envie.
— Lévrier, si tu ne les manges pas, je t'accom-
pagne à la foire de Laniontjoie. Là, je me charge
de te faire boire et manger pour rien, tant que tu
voudras.
— Merlesse, c'est convenu. Partons. »
En face du château d'Escalup (2), le Lévrier et
la Merlesse aperçurent une marchande de gâteaux
d'Astafîort (3), portant sur sa tête, à la foire, une
corbeille de tortillons (4). Aussitôt, la Merlesse
partit, en volant bas et court, comme font les oi-
seaux blessés.
Que fit alors la marchande ? Elle posa sa cor-
beille, pour courir après la Merlesse. Le Lévrier
profita vite, vite de l'occasion, et bâfra les tor-
tillons jusqu'au dernier.
Quand la marchande revint, il n'était plus
temps. Toute confuse, la pauvre femme ramassa
(i) Métairie de la commune de Lamontjoie.
(2) Situé dans la commune de Lamontjoie (Lot-et-Garonne).
(3) Chef-lieu de canton du département de Lot-et-Garonne.
(4) J'ai déjà parlé plus haut de cette pâtisserie locale.
ANIMAUX DIVERS 251
sa corbeille vide, et reprit le chemin d'Astaftbrt.
Mais le Lévrier avait trop mangé sans boire.
— « Merlesse, dit-il, je crève de soif. »
En ce moment, un bouvier arrivait tout proche
des communs du château d'Empelle (i), condui-
sant une charrette chargée d'une barrique de vin
blanc. Aussitôt, la Merlesse s'envola sur le fosset.
Que fit alors le bouvier? Il lança un grand
coup d'aiguillon à la Merlesse. Mais la rusée
commère se gara de tout mal, et partit, en volant
bas et court, comme font les oiseaux blessés.
Le bouvier courut après, sans prendre garde
que son coup d'aiguillon avait enlevé le fosset.
Le Lévrier profita vite, vite de l'occasion, et avala le
vin blanc à la régalade, jusqu'à la dernière goutte.
Quand le bouvier revint, il n'était plus temps.
Tout confus, le pauvre homme repartit, avec sa
barrique vide. Mais le Lévrier était ivre comme
une soupe.
— « Merlesse, j'ai la bouche sèche. Où trou-
vcrai-je à boire un peu d'eau?
— Lévrier, voici le puits des communs du châ-
teau d'Empelle (2). Je vais te tenir fort et ferme
par la queue, tandis que tu boiras tout ton soûl,
pendu la tête en bas.
(i) Château de la commune de Pergaiu-Taillac (Gers).
(2) Ce puits a plus de vingt mètres de profondeur.
CONTES FAMILIERS
— Merlesse, c'est dit. Quand je crierai :
« Happe ! » ne manque pas de me relever.
— Lévrier, compte sur moi. »
Le Lévrier se hasarda donc dans le puits, pendu
la tète en bas. Quand il eut bu de l'eau tout son
soûl, il cria :
— « Happe (i) 1
— La queue m'échappe. »
Pour répondre, la Merlesse était bien forcée
d'ouvrir le bec. C'est pourquoi le Lévrier tomba
dans le puits, et s'y noya (2).
(i) En g.iscon :
— Hitppo!
— La cùo m'escapo.
(2) Dicté par Emile Rizon, du Pergain-Taillac (Gers).
VI
RANDONNÉES, ATTRAPES, ETC.
RANDONNÉES, ATTRAPES, ETC.
LE RAT ET LA RATE (i)
jL y avait, une fois, un rat et une rate.
Un jour, le Rat dit à la Rate :
— « Rate, fais de la bouillie de maïs.
Je m'en vais dehors. Quand la bouillie sera cuite,
tu m'appelleras. »
Le Rat s'en va dehors. Il attend longtemps,
bien longtemps. Mais la Rate ne l'appelle pas.
— « Mon Dieu! Que fait donc la Rate? La Rate
achève-t-elle de faire la bouillie? La Rate est-
elle tombée dans le chaudron? Allons voir. »
(i) Femelle du rat.
236 CONTES FAMILIERS
Le Rat rentre à la maison. II cherche, il cherche
partout.
— « Mon Dieu ! Où est la Rate? »
La Rate n'est nulle part.
Il cherche, il cherche partout. Enfin, il trouve
la Rate dans le chaudron, où elle était tombée en
faisant la bouillie.
Alors, le Rat se met à pleurer.
— « Qu'as-tu, Rat? dit la quenouille.
— Je pleure parce que la Rate est morte.
— Rat, puisque la rate est morte, je peux bien
quenoiillkr (i).
— Qu'as-tu, Rat? dit la crémaillère.
— Je pleure parce que la Rate est morte.
— Rat, puisque la rate est morte, je peux bien
crêmaillèrer.
— Qu'as-tu, Rat? dit la marmite.
— Je pleure parce que la Rate est morte.
— Rat, puisque la rate est morte, je peux bien
marmiter.
— Qu'as-tu, Rat? dit le banc.
— Je pleure parce que la rate est morte.
— Rat, puisque la Rate est morte, je peux bien
banquer.
— Qu'as-tu, Rat ? dit la porte.
(i) Je suis forcé de forger les verbes, imprimés en italique,
poar traduire leurs correspondants en gascon.
RANDONNÉES, ATTRAPES 237
— Je pleure parce que la Rate est morte.
— Rat, Puisque la rate est morte, je peux bien
porter.
— Qu'as-tu, Rat? dit la fenêtre.
— Je pleure parce que la Rate est morte.
— Rat, puisque la Rate est morte, je peux bien
Jenêirer.
— Qu'as-tu, Rat? dit le chat.
— Je pleure parce que la rate est morte.
— Rat, puisque la Rate est morte, je peux
bien miauler. »
Quand le chat miaula, la Rate, qui n'était pas
morte, sauta hors du chaudron.
— « Si la Rate n'est pas morte, je ne puis plus
miauler, dit le chat.
— Ni moi fenêtrer, dit la fenêtre.
— Ni moi porter, dit la porte.
— Ni moi banquer, dit le banc.
— Ni moi marmiter, dit la marmite.
— Ni moi crémailUrer, dit la crémaillère.
— Ni moi quenouilhr, dit la quenouille. »
Le Rat et la Rate mangèrent la bouillie de bon
appétit (i).
(i) Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Eulalie, commune
de Ciuzac (Lot-et-Garonne).
®®®®®®^®g)®®®®
II
LE LAIT DE MADAME.
ÎADAME demande du lait.
Je vais trouver la vache.
La vache me dit :
— « Je te donnerai du lait. Donne-moi du
foin. »
Je vais trouver le pré.
Le pré me dit :
— « Je te donnerai du foin. Donne-moi une
faux. »
Je vais trouver le forgeron.
Le forgeron me dit :
— « Je te donnerai une faux. Donne-moi du
lard. »
Je vais trouver le porc.
Le porc me dit :
— « Je te donnerai du lard. Donne-moi du
gland. »
RAXDOXXEES, ATTRAPES 259
Je vais trouver le chêne.
Le chêne me dit :
— « Je te donnerai du gland. Donne-moi du
vent. »
Je vais trouver la mer pour avoir du vent.
La mer m'évente.
J'évente le chêne.
Le chêne m'englande (i).
J'englande le porc.
Le porc m'enlarde (2).
yenlarde le forgeron.
Le forgeron mendailîe (3).
Je dailJe (4) le pré.
Le pré m'enfoinc (5).
Yenfoine la vache.
La vache m'enlaite (6).
fenlaite madame (7).
(i) Me donne du gland. En gascon, m'englando.
(2) Me donne du lard. En gascon, m'enlardo.
(5) Me donne une faux. En gascon, daillo.
(4) Je fauche. En gascon, dailli.
(;) Me donne du foin. En gascon, m'enheno.
(6) Me donne du lait. En gascon, m'enlèilo.
(7) Dicté par Annette Hugonis, de Puymirol (Lot-et-Ga-
ronne).
^§^§f^§m^p^w^^mi
III
TRICOTE
IRICOTE.
J'avais une brebiette.
Elle s'en alla dans le blé de Tricote (i).
Tricote ne veut pas me rendre ma brebiette,
que je ne lui aie donné du gâteau.
Je m'en vais chez ma marâtre, chercher du
gâteau.
Ma marâtre ne veut pas me donner du gâ-
teau, que je ne lui aie donné du fil.
Je m'en vais chez la buse, chercher du fil.
La buse ne veut pas me donner du fil, que je
ne lui aie donné de la peau.
(l) Les trois premières lignes riment, en gascon :
Tricota.
Auiui uo aoeilloto.
S'en angouc au Hat de la Tricolo,
Tricote e»t on nom de femme.
RAN'DOXXÉES, ATTRAPES 241
Je m'en vais chez le veau, chercher delà peau.
Le veau ne veut pas me donner de la peau,
que je ne lui aie donné an lait.
Je m'en vais chez la vache, chercher du lait.
La vache ne veut pas me donner du lait, que
je ne lui aie donné du foin.
Je m'en vais au pré, chercher du foin.
Le pré ne veut pas me donner du foin, que
je ne lui aie donné une faux.
Je m'en vais chez le forgeron, chercher ur.e
faux.
La faux ne veut pas me donner du foin, que
je ne lui aie donné du saindoux.
Je m'en vais chez le porch-er, chercher du sain-
doux.
Le porcher ne veut pas me danner de sain-
doux, que je ne lui aie donné du gland.
Je m'en vais chez le chêne, chercher du gknd.
Le chêne ne veut pas me donner du gland,
que je ne lui aie donné vent ou pluie.
Je m'en vais à Toulouse, chercher vent ou
pluie (i).
Vent ou pluie, au chêne.
Le chêne, gland à moi.
(;) En gascon, ceci forme deux vers rir.-.a'.-.t pir »ssonnar.cî :
M'tn bau à Toulouso,
Cerca btnf ou ploujo.
III 16
CONTES FAMILIERS
Moi, gland au porcher.
Le porcher, saindoux à moi.
Moi, saindoux au forgeron.
Le forgeron, faux à moi.
Moi, faux au pré.
Le pré, foin à moi.
Moi, foin à la vache.
La vache, lait à moi.
Moi, lait au veau.
Le veau, peau à moi.
Moi, peau à la buse.
La buse, fil à moi.
Moi, fil à ma marâtre.
Ma marâtre, gâteau à moi.
Moi, gâteau à Tricote.
Tricote m'a rendu ma brcbiette (i).
(i) Dicté par Antoinette Cousturian, femme Saut, de Sirraut
(Gers).
^^^ït^^À'^^i:?^^^?«,è.?n&
IV
LE PÈRE ET LA FILLE
L y avait, une fois, un père et sa fille, qui
\h> s'en étaient allés à leur vigne manoer des
' ' raisins. La fille ne les prenait que grain
par grain. Mais le père les avalait à pleine bouclic,
de sorte qu'il fut le premier repu.
— « Fille, il est heure de retourner à la
maison.
— Père, encore un moment. Je n'ai pas mange
deux raisins.
— Fille, je te dis qu'il est heure de retourner à
la maison.
— Père, partez, si cela vous plaît. Moi, je reste.
— Insolente. Tu vas avoir de mes nouvelles. »
Alors, le père rentra chez lui, et dit au chien :
— « Chien, va-t'en mordre rna fille.
— Je ne veux pas. »
244 CONTES FAMILIERS
Alors, le père dit au bâton :
— « Bâton, bats le chien.
— Je ne veux pas. »
Alors, le père dit au feu :
— « Feu, brûle le bâton.
— Je ne veux pas. »
Alors, le père dit â l'eau :
— « Eau, éteins le feu.
— Je ne veux pas. »
Alors, le père dit aux bœufs :
— « Bœufs, buvez l'eau.
— Nous ne voulons pas. »
Alors, le père dit au boucher ;
— (( Boucher, tue les bœufs.
— Je ne veux pas. »
Alors, le père dit aux courroies :
— « Courroies, liez les bœufs au joug.
— Nous ne voulons pas lier les bœufs au
joug. )>
Alors, le père dit au rat :
— « Rat, ronge les courroies.
— Je ne veux pas. »
Alors, le père dit au chat :
— « Chat, mange le rat. »
Le chat, veut manger le rat.
Le rat, veut ronger les courroies.
Les courroies, veulent lier les bœufs au joug.
RANDONNÉÏS, ATTRAPIS, 245
Les bœufs, veulent boire l'eau.
L'eau, veut éteindre le feu.
Le feu, veut brûler le bâton.
Le bâton, veut battre le chien.
Le chien, veut aller mordre la fille.
La fille, veut retourner à la maison (i).
(1) Dicté par Catlierine Sustric, de Sainte-Euklie, commune
de Cauzac (Lot-et-Garonne).
-r
®3@©®@@@@®®@©®
LE PÈRE, LA MÈRE, ET LA FILLE
jL y avait, une fois, un homme qui dit à
sa femme et à sa fille :
— « Allons à notre vigne . manger des
raisins. »
Quand ils furent à la vigne, l'homme avala les
raisins à pleine bouche. Mais sa femme et sa fille
ne les mangeaient que grain par grain.
Une fois repu, l'homme cria :
— « Vite, vite. Retournons à la maison.
— Non. Nous voulons encore manger des rai-
sins.
— Vile, vite. Retournons à la maison.
— Non. Nous voulons encore manger des rai-
sins. »
Alors, l'homme partit seul, et s'en alla dire à
son chien :
RANDONNÉES, ATTRAPES 247
— « Chien, va mordre ma femme et ma fille.
— Homme, je ne veux pas mordre ta femme
et ta fille. »
Alors, l'homme prit un bâton, pour frapper le
chien.
Mais le bâton dit :
— « Homme, je ne veux pas frapper le chien. »
Alors, l'homme jeta le bâton au feu.
Mais le feu dit :
— « Homme, je ne veux pas brûler le bâton. »
Alors, l'homme dit à l'eau :
— « Eau, éteins le feu.
Mais l'eau dit :
— Homme, je ne veux pas éteindre le feu. «
Alors, l'homme dit à ses boeufs :
— « Bœufs, buvez l'eau.
Mais les bœufs dirent :
— Homme, nous ne voulons pas boire l'eau. »
Alors, l'homme dit au boucher :
— « Boucher, tue mes bœufs.
Mais le boucher dit :
— Homme, je ne veux pas tuer tes bœufs. »
Alors, l'homme prit des liens, pour lier ses
bœufs au joug.
Mais les liens dirent :
— « Homme, nous ne voulons pas lier tes
bœufs au joug. »
Alors, l'homme dit au rat :
CONTES FAMILIERS
Mais le rat dit :
— « Rat, ronge les lijens.
— Homme, je ne veux pas ronger les liens. »
Alors, l'homme dit au chat :
— « Chat, mange le rat. »
Le chat, veut manger le rat.
Le rat, veut ronger les liens.
Les liens, veulent lier les bœufs au joug.
Le boucher, veut tuer les boeufs, ,
Les boeufs, veulent boire l'eau.
L'eau, veut éteindre le feu.
Le feu, veut brûler le bâton ;
Le bâton, veut battre le chien,
Le chien, veut mordre la mère et la fille.
La mère et la fille, veulent retourner vite, vite,
à la maison (i).
(i) Dicté par CatheriH€ Sitstrac, Je Saîhte-'Eu'alie, commiu.c
.'j Cr.uz.ic (Lot-et-Garoane).
VI
BRISaUET
Ah ! Brisquet, Brisquet, Efisquet,
Xe veut pas garder les ch.oux.
— Va-t'en dire à Brisquet de venir garder les
dionx.
— Brisquet ne veut pas garder les clioux/
Ah 1 Brisquet^ Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.
— Va-t'en dire au chien de venir mordre Bris-
quet.
— Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.
Brisquet, ne veut pas garder les choux.
Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.
— Va-t'en dire au bâton de venir battre le chien.
Le bâton, ne veut pas battre le cliien.
CONTES FAMILIERS
Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.
Brisquet, ne veut pas garder les choux.
Ahl Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.
— Va-t'en dire au feu de venir brûler le bâton.
Le feu, ne veut pas brûler le bâton.
Le bâton, ne veut pas battre le chien.
Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.
Brisquet, ne veut pas garder les chou:i.
Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.
— Va-t'en dire à l'eau de venir éteindre le feu.
L'eau, ne veut pas éteindre le feu.
Le feu, ne veut pas brûler le bâton.
Le bâton, ne veut pas battre le chien.
Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.
Brisquet, ne veut pas garder les choux.
Ah I Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.
— Va-t'en dire au bœuf de venir boire l'eau.
Le bœuf, ne veut pas boire l'eau.
L'eau, ne veut pas éteindre le feu.
Le feu, ne veut pas brûler le bâton.
Le bâton, ne veut pas battre le chien.
RANDONNÉES, ATTRAPES
Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.
Brisquet, ne veut pas garder les choux.
Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux,
— Va-t'eu dire au boucher de venir tuer le
bœuf.
Le boucher, ne veut pas tuer le bœuf.
Le bœuf, ne veut pas boire l'eau.
L'eau, ne veut pas éteindre le feu.
Le feu, ne veut pas brûler le bâton.
Le bâton, ne veut pas battre le chien.
Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.
Brisquet, ne veut pas garder les choux.
Ah 1 Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.
— Va-t'en dire â la mort de venir chercher le
boucher.
La mort, veut venir chercher le boucher.
Le boucher, veut bien tuer le bœuf.
Le bœuf, veut bien boire l'eau.
L'eau, veut bien éteindre le feu.
Le feu, veut bien brûler le bâton.
Le bâton, veut bien battre le chien.
Le chien, veut bien mordre Brisquet.
Brisquet, veut bien garder les choux.
252 CONTES FAMILIERS
Ah 1 Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Veut bien garder les choux (i).
(i) Je sais, depuis mon enfance, cette randonnée, dont les
deux premières lignes, qui re\nenneiit comme un refrain, riment
eu gascon :
Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Bo pas goarria lous caulet^.
En gascon, la pièce se termine ainsi :
JÎb! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Bo bien goarda lous cnuleiT^.
Mademoiselle Victoiine Saut, de Sarrant (Gers), m'a récité la
nième pièce eu français, sous forme de ronde enfantine, où rien
ne rin-.e, sauf le refrain :
Ail! Briscou, Briscou, Briscou,
■Ke Teut pas garder les choux.
Dans cette ronde, il n'y a pas « va dire au cliien..., au bâ-
ton..,, au feu... », etc., mais « va dire à chien..., à b.îton...,
à feu... », etc.
VII
DANS LA VILLE DE ROME
I ANS la ville de Rome, il y a une rue.
Dans cette rue, il y a une maison.
Dans cette maison, il y a une cage.
Dans cette cage, il y a un oiseau.
Dans cet oiseau, il y a un cœur.
Dans ce cœur, il y a une lettre.
Dans cette lettre, il y a : « J'aime N. (i). »
« J'aime N. » est dans la lettre.
La lettre est dans le cœur.
Le cœur est dans l'oiseau.
L'oiseau est dans la cage.
La cage est dans la chambre.
La chambre est dans la maison.
La maison est dans la rue.
La rue est dans la ville de Rome (2).
(i) Ici, le nom de li personne.
(2) La première partie de cette pièce est encore fort popu-
kire en Gascogne ; mais la seconde n'est réciîùe que rarement .
^®®^®®^®®^®®^
VIII
LES TROIS CHASSEURS
:^ç^,^L V avait, une fois, trois chasseurs.
t^ÀM Deux étaient nus. L'autre n'était pas
Ils avaient trois fusils.
Deux n'étaient pas chargés. L'antre n'avait
rien dedans.
Ils partirent avant le jour, et s'en allèrent loin,
loin, loin, encore plus loin.
Proche d'un bois, ils tirèrent trois lièvres, et en
manquèrent deux.
Le troisième leur échappa. Ils le mirent dans
la poche du chasseur qui n'était pas vêtu.
— « Mon Dieu, disaient-ils, comment donc
ferons-nous cuire le lièvre qui nous a échappé? »
Alors, les trois chasseurs repartirent.
Ils s'en allèrent loin, loin, loin, encore plus loin.
RANDONNÉES, ATTI^APES
Enfin, ils arrivèrent à une maison, où il n'y
avait ni murs, ni toiture, ni portes, ni fenêtres,
ni rien.
Les trois chasseurs frappèrent trois grands
coups à la porte.
— « Pan ! pan ! pan ! »
Celui qui n'y était pas répondit :
— « Plaît-il? Que voulez-vous?
— Ne nous rendriez-vous pas un service? Ne
nous prêteriez-vous pas une marmite, pour faire
cuire le lièvre qui nous a échappé ?
— Mon Dieu, Messieurs, nous n'avons que trois
marmites. Deux sont défoncées, et l'autre ne vaut
rien (i). »
(i) Fourni p.^r Jean Testas, d'Agen, alors âgé de soixante-
quinze ans. 5
®®
ck, à, c4 ch é, à> à. à^ à^ ^ ch à^ àj à^ àf^ àa, à^, à^ â^ à^
'ip '■:^i iip 'if '■^ '^ if ^ '^ if '^ ^ '^ '^: if nsf "^ '^:: '-àf if
IX
LA PATE aUI CHANTE
^(^•fp^-L y avait, une fois, un homme et une
ifjK femme, qui s'établirent boulangers.
Sw»y — « Mon homme, dit un jour la
femme, il faut aller au moulin.
— A quel moulin, ma femme?
— Au moulin dont le tric-trac fait rlou chiou
chiou.
— Je ne sais pas où c'est.
— Eh bien, va dans la grange de Jean. Prends
son âne. Il t'y portera. »
Ce qui fut dit fut fait. L'âne porta le boulanger
si loin, si loin, qu'il ne savait plus s'en revenir.
Aussij pendant trois jours et trois nuits, sa femme
ne cessa de crier :
RANDONNÉES, ATTRAPES, ETC. 257
— « Riou chiou chiou (i),
Riou chiou chiou.
Quand me rends-tu mon homme ? »
Eufîn, la femme finit par tant et tant s'ennu3'er,
qu'elle monta sur un chien, pour s'en aller au
moulin.
A mi-chemin, elle trouva son homme, assis au
pied d'un chêne.
— « Que fais-tu là, mon homme ?
— Ma femme, je me suis perdu. »
L'homme remonta sur son âne, la femme resta
sur son chien, et tous deux poursuivirent leur
chemin.
Enfin, ils arrivèrent au moulin, et s'en re-
vinrent chargés de farine.
Rentrés à la maison, l'homme et la femme se
mirent à même de faire au four.
Dans le pétrin, ils vidèrent toute leur fiu-ine.
Puis, l'homme y jeta de grands chaudrons d'eau
bouillante.
La pâte faisait :
— « Riou chiou chiou. »
— « Imbécile, dit la femme, il ne fallait pas
jeter d'eau bouillante. Ecoute la pâte qui fait :
« Riou chiou chiou. »
(i) En gascon :
Riu Mu chiu,
Riu chiu chiUf
Quant nu lournos-iu iiwun orne ?
III 17
258 CONTES FAMILIERS
Le pauvre homme fut si chagriu de ce reproclie
qu'il en mourut sur-le-champ. Alors, sa femme
se mit à pétrir la pâte. Tout en pétrissant, elle
disait ;
— t Marâtre (i).
Pique-pâte,
Autant elle en pique, autant elle en gâte. »
£t l'homme mort répondait ;
— « Riou chiou cliiou (2).
J'étais mort, et je suis redevenu vi%'ant. »
Alors, la femme se mit d rire, et continua de
pétrir avec son homme.
Mais toujours la pâte faisait :
— « Riou chiou chiou. »
Pourtant, la pâte fut bonne, et donna vingt-
huit miches de vingt livres.
L'homme mort et la femme crevèrent, pour
en avoir mangé la moitié.
En échange du restant de la fournée, le curé
fit leur sépulture.
(i) En gascon :
Mcirastro,
Piqiio-paito,
Asijtil m pic}, as/jti! ni goislo.
(2) En gascon :
Ri:i chiu chiu.
Eri mon, e :cui tvuri:at hiu.
RANDONXÉES, ATTRAPES, ETC. 259
Tout le monde était jaloux de lui; car, alors,
riches et pauvres n'avaient pas de pain à manger.
Il fallait aller faire moudre si loin, si loin, que
ceux qui partaient se perdaient en chemin. Cela
vint au point que tout le monde mourut de faim.
Mais le curé vécut plus longtemps que les autres,
avec le restant de la fournée (i).
(i) Dicté par Ann.î Dumis, du P.issage-d'Agen (Lot-et-
Garonne).
îr;cS^;©fS>©ifS©cS)©fS)©c5(
X
LES DENIERS
H;fYr'FL y avait, une fois, un homme et une
^j '^ femme qui curaient une étable. En curant
^■^^:^ réuble, ils y trouvèrent un denier.
— « Que ferons-nous de ce denier ? — Nous
irons à la foire : nous y achèterons une poule. »
Ils s'en allèrent à la foire, et achetèrent une
poule.
Cette poule pondit beaucoup d'œufs, qui se
vendirent fort bien, en temps de carême.
L'homme et la femme curèrent encore l'étable.
Ils y trouvèrent un autre denier.
— « Que ferons-nous de ce denier ? — Nous
irons à la foire : nous y achèterons un coq. »
Ils s'ea allèrent à la foire, et achetèrent un coq.
Avec le coq et la poule, ils eurent force pou-
lets, qui se vendirent fort bien, en temps de car-
naval.
RANDONNÉES, ATTRAPES, ETC. 201
L'homme et la femme curèrent encore l'étable.
Ils )• trouvèrent un autre denier.
— « Que ferons-nous de ce denier? — Nous
irons à la foire : nous y achèterons une chèvre. »
Ils s'en allèrent à la foire, et achetèrent une
chèvre.
Cette chèvre fut bonne laitière ; et son lait se
vendit fort bien à la ville.
L'homme et la femme curèrent encore l'étable.
Ils y trouvèrent un autre denier.
— « Q.ue ferons-nous de ce denier? — Nous
irons à la foire : nous y achèterons un bouc. »
Ils s'en allèrent à la foire, et achetèrent un
bouc.
Le bouc et la chèvre eurent force chevreaux,
qui se vendirent fort bien aux bouchers.
L'homme et la femme curèrent encore l'étable.
Ils y trouvèrent un autre denier.
— « Que ferons-nous de ce denier ? — Nous
irons à la foire : nous y achèterons une vache. )>
Ils s'en allèrent à la foire, et y achetèrent une
vache.
Cette vache donna force lait, comme la chèvre.
Ils le vendirent fort bien à la ville.
L'homme et la femme curèrent encore l'étable.
Ils y trouvèrent un autre denier.
— « Que ferons-nous de ce denier ? — Nous
irons à la foire : nous v achèterons un taureau. »
262 CONTES FAMILIERS
Ils s'en allèrent à la foire, et 3^ achetèrent un
taureau.
Le taureau et la vache firent force veaux, qui
se vendirent fort bien à la ville.
L'homme et la femme curèrent encore l'établc.
Ils y trouvèrent un autre denier.
— « Que ferons-nous de ce denier? — Nous
irons à la foire : nous y achèterons un chat. »
Ils s'en allèrent à la foire, et achetèrent un chat.
Ce chat fut grand chasseur, et il mangea tous
les rats, les belettes, les souris et les taupes du
pays.
L'homme et la femme curèrent encore l'étable.
Ils y trouvèrent un autre denier.
— « Que ferons-nous de ce denier ? — Main-
tenant, nous sommes assez riches. Il faut bâtir un
pont de verre. «
Ils bâtirent le pont de verre, et quand il fut
bâti, ils dirent :
— « Maintenant, il faut l'éprouver. »
Ils y firent passer la poule.
Elle ne le cassa pas.
Ils y firent passer le coq.
Il ne le cassa pas.
Ils y firent passer la chèvre.
Elle ne le cassa pas.
Ils y firent passer le bouc.
Il ne le cassa pas.
RAXDOXNÉES, ATTRAPES, ETC. 263
Ils y firent passer la vache.
Elle ne le cassa pas.
Ils y firent passer le taureau.
Il ne le cassa pas.
Ils y firent passer le chat.
Il le cassa.
— « Quel était le plus fort ?
— Le chat (i).
— Lève-lui la queue. Soufïles-y dessous (2). »
(i) Réponse des auditeurs.
(2) Réplique du conteur. Avec la rcpor.sc des .inditsurs, cela
l'orme deux vers gascons :
— » Lou gat.
— Uuo-li la cûo. Bouho-!i ilebr.l. ■>
Dicté par mon fils, E/ienne Bladé, alors âgé d'environ dix ans.
[fi^ii^ I. ^îi" .7/
RÉCITS
I
iMORALITÉS
MORALITÉS
LE LIEVRE
IN jour, le petit garçon du métayer de
Cruzos (i), qu'on avait envoyé garder
les brebis, rentra tout essoufflé chez ses
parents.
— « Père, père, prenez vite votre fusil. J'ai vu
là-bas, là-bas, au fond du chaume, un lièvre au
moins gros comme notre Caubet (2).
(i) Métairie de la commune de Lectonre, près de la route de
Condom.
(2) Les bouviers gascons, nomment ainsi le bceuf de gauche
J'un attelage.
2/0 RÉCITS
— Petit, au moins gros comme notre Caubet,
c'est beaucoup.
— Je vous dis, père, qu'il est au moins gros
comme notre jument poulinière.
— Petit, au moins gros comme notre jument
poulinière, c'est beaucoup.
— Je vous dis, père, qu'il est au moins gros
comme un veau d'un an.
— Petit, au moins gros comme un veau d'un
an, c'est beaucoup.
— Je vous dis, père, qu'il est au moins grcs
comme une brebis.
— Petit, au moins gros comme une brebis,
c'est beaucoup.
— Je vous dis, père, qu'il est au moins gros
comme un agneau.
— Petit, au moins gros comme un agneau,
c'est beaucoup.
— Je vous dis, père, qu'il est au moins gros
comme un chat.
— Petit, au moins gros comme un chat, à la
bonne heure. Je te crois. Pourtant, on a vu des
lièvres encore plus petits.
— Je vous dis, père, qu'il est au moins gros
comme un lapin.
— Petit, au moins gros comme un lapin, à la
bonne heure. Je te crois. Pourtant, on a vu des
lièvres plus petits.
MORALITÉS 271
— Je vous dis, père, qu'il est au moins gros
comme un rat.
— Petit, au moins gros comme un rat, à la
bonne heure. Je te crois. Pourtant, on a vu des
lièvres encore plus petits.
— Je vous dis, père, qu'il est au moins gros
comme une mouche.
— Et moi, petit, je te dis que tu mens, et que
tu n'as rien vu du tout (i). »
(i) Dicté par Jeanne Descamps, de Lectoure, alors âgée de
plus de soixante ans. J'ai retrouvé le même récit en Agenais.
Il
LES DEUX PRÉSENTS
jENRi IV était un roi (i) haut d'une toise,
gros à proportion, fort comme un bœuf,
et hardi comme un César. Il faisait beau-
coup d'aumônes, et n'aimait pas les intrigants.
Avant d'aller s'établir à Paris, ce roi demeurait à
Nérac; et il avait toujours près de lui Roque-
laure, qui était l'homme le plus farceur de France.
Un jour, Henri IV et Roquelaure jouaient aux
cartes, après dîner, quand ils virent entrer dans la
chambre un paysan, qui portait sur sa tète une
citrouille si grosse, si grosse, qu'on n'a jamais
vu, ni qu'on ne verra jamais la pareille.
— « Bonjour, mon prince, et la compagnie.
(i) Le nom de Henri IV est encore fort populaire en Gas-
cogne. On débite sur son compte, et surtout dans l'arrondisse-
ment de Nérac (Lot-et-Garonne), des anecdotes dont plusieurs
ont été imprimées dans divers ouvrages.
MORALITES
— Bonjour, mon ami. Que viens-tu faire ici,
avec ta citrouille?
— Mon prince, je viens vous porter ce pr^j-
seat. La soupe de citrouille et de haricots frais
est une fort bonne chose. Ne manquez pas de re-
commander à votre cuisinière de conserver les
graines. Vous en donnerez à tous vos amis et
connaissances ; et je viendrai moi-même en cher-
cher, pour l'année prochaine.
— Merci, mon ami. Va-t'en m^inger un m::v-
ccju à la cuisine.
— Avec plaisir, mon prince. »
Le paysan descendit donc à la cuisine, où on
r.e le laissa pas manquer de pain, de vin, et de
viande. Pendant qu'il buvait et mangeait, Henri lY
dit à Roquelaure :
— « Roquelaure, ce paysan m'a l'air d'un brave
homme. Je crois qu'il m'a apporté sa citrouille de
Ion cœur. Que pourrais-je bien lui donner?
— Mon prince, mettez-le à l'épreuve. S'il ne
vous a pas donné un œuf pour avoir un bœu',
faites-lui présent d'un beau cheval.
— Roquelaure, tu as raison. »
Quand le paysan eut mangé à sa faim, et bu à
sa soif, il revint dans la chambre du roi, pour le
saluer avant de partir.
— « Mon ami, dit Henri IV, que demandes-tu
^our ta récoiripçose ?
III iS
274 RÉCITS
— Mon prince, je vous demande de ne pas ou-
blier de me faire garder des graines de citrouille,
pour me maintenir en belle semence. »
Alors, Henri IV commanda qu'on donnât un
beau cheval au paysan, qui rentra chez lui fort
content.
Ce paysan était le métayer de M. de Cacho-
pouil (i), un noble, glorieux comme un paon, et
avare comme un juif. Quand M. de Cachopouil
vit que son métayer avait été si bien récompensé,
pour une citrouille, il pensa :
— « Demain, j'irai trouver Henri IV, et je lui
ferai présent d'un beau cheval. Pour le moins, il
me fera marquis, et me donnera un baril plein de
doubles louis d'or. »
En effet, le lendemain matin, M. de Cacho-
pouil descendit à l'écurie, choisit son plus beau
cheval, partit pour la ville de Nérac, et trouva
Henri IV et Roquelaure, qui jouaient aux cartes
après dîner.
— « Bonjour, mon prince, et la compagnie.
— Bonjour, mon ami. Q.u'y a-t-il pour ton
service ?
— Mon prince, je suis M. de Cachopouil ; et
(i) En gascon Cachopouil, en agenais Cachoptu, c'est-à-Jir:
« écrase-pou. » Est-il besoin d'ajouter que ce nom a été forgé par
la malice populaire, et qu'il n'y a jamais eu, dans le sud-ouest
de la France, ni famille noble, ni terre seigneuriale de ce nom ?
MORALITES
j'ai appris que vous aviez donné un beau cheval
à mon métayer, qui vous avait fait présent d'une
citrouille. Je vous amène une autre bète, pour
remplacer celle que vous n'avez pU;s.
— Merci, mon ami. Et où est cette bète?
— Mon prince, je l'ai laissée là-bas, à l'écurie-
— Eh bien, mon ami, je veux aller la voir.
Passe devant. Moi et Roquelaure, nous te rattra-
pons dans cinq minutes. »
M. de CachopouU descendit donc à l'écurie.
Alors, Henri IV dit :
— « Roquelaure, ce Cachopouil m'a l'air d'un
bien brave homme. Je crois qu'il m'a amené son
cheval de bon cœur. Que pourrais-je bien lui
donner?
— Mon prince, mettez-le à l'épreuve. S'il ne
vous a pas donné un œuf pour avoir un bœuf,
donnez-lui sept métairies, avec un grand pouvoir
dans tout le pays.
— Roquelaure, tu as raison. «
Henri IV et Roquelaure descendirent à l'écurie.
— « Mon prince, dit M. de Cachepouil, voici
le cheval.
— Mon ami, je n'en ai jamais vu aucun d'aussi
beau. Que demandes-tu pour ta récompense?
— Mon prince, je vous demande, pour le
moins, de me faire marquis, et de me donner un
baril plein de doubles louis d'or.
;76 RÉCITS
— Mon ami, je veux te donner mieux que ça.
Viens avec moi à la cuisine. »
Roquelaure et M. de Cachopouil suivirent
donc Henri IV à la cuisine.
— « Cuisinière, dit Henri IV, as-tu gardé les
graines de la grosse citrouille qu'un paysan m'a
apportée hier ?
— Oui, mon prince.
— Eh bien, remplis-en deux cornets de papier.
L'un sera pour Cachopouil, l'autre pour son mé-
tayer (i). »
(l) Dicté à la gare de Funic-1 (Loî-et-Garoiine), par un vieux
cliasseiir d'alouettes^ dout j'eus le tort de ne pas prendre le nom.
Son langage dénotait un homme natif du Haut-Agenais. Dans
rr.cn enfance, une jeune fille nommée Claire, servante à Mar-
r.iaude (Lot-et-Garonne), chez ma grand'mère maternelle,
M"" Liaubon, me fit lyi récit à peu prés semblable. Cependant,
Henri IV y était remplacé par un roi quelconque, et Roquelaure
par un personnage anonyme.
^j ^^ ^j ^^ ^^ ^t <^ C^ ^R>3Ikj tJK^ î^^Olv <j^ Or^ ^^ îhi> (jt-jOtj^j -^j
■^ -î^ -3^ "îf" "Sp "J^ "2^ -Sf? C^ ^ -J^ "i^ "3^ -jp -2^ -3^ -^ '~4? -^^
m
L'AVEUGLE
^^^^L y avait, une fois, un aveugle fort riche,
^^ et qui avait une fille à marier. Cet aveugle
d^»y était un homme fort avisé. Qj.iand un
galant se présentait, pour lui demander sa fille,
pour femme, l'aveugle répondait :
— a Galant, donne l'avoine à mon bidet, et
mets-lui la bride et la selle. Je veux aller voir si
tes champs sont bons.
— Mais, pauvre homme, répondait le gaL.nt,
vous êtes aveugle. Comment le verrez-vous ?
— Je le verrai bien. »
Arrivé dans les champs du galant, l'aveugle
descendait de cheval, et disait :
— « Galant, attache ma bète à un pied d'hiiLble.
— « Pauvre homme, il n'y a pas d'hièbles
dans ces champs. Il n'y a que de la fougère. «
278 RÉCITS
Alors, l'aveugle remontait sur son bidet, et
disait :
— « Galant, je ne veux pas encore marier ma
fille. »
Pendant trois ans, il parla de même. Mais, un
jour, un galant lui répondit :
— « Voilà qui est hk. Votre bidet est attaché
à un hièble.
— Galant, fais-moi toucher l'hièble et la bride.
Je veux savoir si mon bidet est bien attaché. »
L'aveugle toucha donc la bride et la plante, et
comprit, à l'odeur des feuilles, que son bidet était
bien réellement attaché à un hièble.
— « Galant, dit -il, tu auras ma tille. Nous
ferons la noce quand tu voudras. »
L'aveugle avait raison. Le brave homme vou-
lait marier sa fille richement. Il avait vu, autre-
fois, que la fougère pousse dans les mauvaises
terres, et l'hièble dans les bonnes (i).
(i) Dicté par ma belle-mère, .M™= Lacroix, née Piiièdre, Jv;
Bonciicontre (Lot-et-Garonne).
is^^^,^$^î^e^^^s^^S5^^^a^^
IV
LES MAINS BLAKCHES
jL y avait, une fois, un homme qui avait
une fille belle comme le jour. Cette fille
avait trois galants : un boulanger, un per-
ruquier, et un marinier. Tous trois vinrent, un
jour, trouver le père de leur maîtresse, et lui
dirent :
— « Brave homme, il faut choisir, entre nous
trois, celui que vous voulez pour gendre.
— Mes amis, vous me mettez dans l'embarras.
— Il faut choisir. Il faut choisir.
— Eh bien, puisqu'il le faut, je choisirai celui
de vous trois qui aura les mains les plus blanches.
Retirez-vous. Je vous donne trois semaines pour
vous préparer. »
Les trois galants se retirèrent. Trois semaines
après, ils revinrent, avec les mains dans leurs
poches.
zSo
— « Eh bien, dirent-ils au père de la jeune
fille, le moment de choisir entre nous trois est
venu.
— Mes amis, je n'ai qu'une parole. Montrez-
moi vos mains, l'un après l'autre. »
Le boulanger montra d'abord ses mains, blan-
ches et bien savonnées.
— « Boulanger, voici des mains bien blanches.
Mais il faut voir celles du perruquier, et du mari-
nier. »
Le perruquier montra ses mains, encore plus
blanches et mieux savonnées que celles du bou-
langer.
— « Perruquier, voici des mains encoi'e plus
blanches que celles du boulanger. Mais il faut voir
celles du marinier. »
Le marinier montra ses mains rudes, et noires
de goudron. Mais, dans chacune, il tenait une
yrossc poignée d'écus.
— « Marinier, tu seras mon gendre. C'est toi
qui as les mains les plus blanches (i). »
(i) Dicti par Riuline L.icaze, de Panassac (Gers).
V
LE MÉCHANT HOMME
r!i<':i^^^" ne sait pas de qui on aura besoin, ni à
ÏRp/Jl quelle fontaine on boira.
us^r^ Il y avait, une fois, dans la ville d'Agcp.,
un homme, pauvre comme un furet, fainéant
comme un chien, et insolent comme le valet du
bourreau. Au contraire, le frère de cet homme
avait acheté, près de Nérac, pour plus de trente
mille francs de terre. Il travaillait comme un ga-
lérien ; et nul ne lui avait entendu dire contre
personne une méchante parole. La canaille méri-
terait de mourir, et les braves gens de vivre.
C'est pourtant le contraire qui arrive. Le brave
frère mourut, sans s'être marié ; et le curé de la
paroisse envoya dire au méchant homme d'Agcn
de venir à l'enterrement.
Le méchant homme partit donc, et marcha
282
trois heures, sans s'arrêter, jusqu'au sommet
d'une côte, où il y avait une fontaine au bord du
chemin. Là, il but à sa soif. Cela fait, il pissa
et chia dans la fontaine.
— « Mauvais sujet ! lui dit un homme qui
travaillait son champ, tout proche. N'as-tu pas
honte, de souiller ainsi la fontaine dont l'eau sert
à tout le monde ?
— Tais-toi, imbécile. Mon frère vient de mou-
rir; et j'hérite de plus de trente mille francs en
terres. Maintenant, j'aide quoi, pendant toute ma
vie, boire du vin, et manger du pain blanc, avec
un chapon rôti à dîner, et deux pans de saucisse
à souper. Je ne boirai plus à cette fontaine. »
Le méchant homme reprit son chemin, et arriva
au village, où on allait enterrer son frère.
— « Notaire, c'est moi qui suis l'héritier.
— Non, ce n'est pas toi. Voici le testament du
pauvre mort. Il laisse tout son bien aux pauvres
de la paroisse.
— Mon frère était une canaille.
— C'est toi qui es une canaille, crièrent les
.gens venus pour l'enterrement. Tu es arrivé ici
pour faire du scandale, et insulter le pauvre mort.
File aussitôt pour ton pays, ou nous sifflons les
chiens, qui te feront un brin de conduite. »
Aussitôt, le méchant homme repartit au grand
galop, sans manger ni boire. Qiiand il arriva
MORALITES
près de la fontaine, il était rendu de fatigue, et
tirait un pan de langue.
— « Mon ami, dit-il à l'homme qui travaillait
toujours son champ, tout proche, cette fontaine
est souillée. Enseigne-m'en une autre. Je crève
de soif.
— Mauvais sujet, c'est toi qui as souillé la fon-
taine. Je ne t'en enseignerai pas d'autre. Bois à
celle-ci, ou crève. »
Le méchant homme fut forcé de boire de l'eau
qu'il avait souillée.
On ne sait pas de qui on aura besoin, ni à
quelle fontaine on boira (i).
(i) Dicté par Marianne Benje, du Passage-d'Agen (Lot-et-
Garonne) .
VI
LA FEMME MÉCHANTE
jjELui qui cherche à se marier, court la
cliance de grands malheurs. 11 y a des
:4e. filles méchantes. Il y en a de débauchées :
y en a qui aiment la bouteille. Le galant
peut faire ce qu'il voudra, prendre des renseigne-
ments, tâcher de voir par lui-même. Cela ne lui
sert jamais de rien. Tant que le curé n'a pas
parlé, les filles cachent leurs vices; mais, aprcs,
c'est une autre aftaire. — Dieu vous préserve de
ce danger ! Dieu vous préserve surtout d'épouser
une femme méchante ! Il ne vous servirait à rien
de la sermonner, ni de la battre. La carogne se-
rait peut-être capable dé vous empoisonner. Si
vous tombez mal en mariage, mieux vaudrait
pour vous vivrç dans la compagnie de Lucifer, et
de ses Diables.
Un homme avait eu le triste sort de tomber
sur une de ces méchantes filles. Le soir même de
MORALITÉS 28>
la noce, elle fit un sabbat d'enfer. Pendant dix
ans, cela recommença vingt fois par jour. L'homme
était fort comme Sanison, patient comme un
ange, et il se disait souvent en lui-même :
— « Si je bats cette malheureuse, je suis
capable de l'estropier, peut-être même de la tuer,
sans le vouloir. Jamais les juges ne pourraient
croire ce que j'ai souffert par elle. Ils commande-
raient de me faire mourir. Cela serait un grand
aiïront pour la famille. Mieux vaut faire comme
auparavant, et offrir mes peines au Bon Dieu. »
La femme, voyant que son homme ne répon-
dait jamais à ses insultes, et qu'il n'avait pas l'air
de prendre garde à ses malices, devint encore plus
méchante.
— « Ah ! c'est ainsi, pensa-t-elle. Eh bien !
nous verrons ce soir. »
Le soir, l'homme revint de son champ, las et
affamé.
— « As-tu trenlpé la soupe, ma femme?
— Non, ivrogne, voleur, mauvais sujet. Je suis
lasse de servir un rien-qui-vaille comme toi. Fais
ta cuisine, si tu veux. »
Le pauvre homme ne répondit rien. Il alla cou-
per des choux au jardin, alluma le feu, et fît la
soupe. Mais, comme il s'apprêttait à la tremper,
la femme cassa la marmite^ d'un coup de pelle à
feu.
286 RÉCITS
— « Ma femme, pourquoi as-tu cassé la marmite ?
— Cela m'a plu, pouilleux.
— Je te défends de m'appeler pouilleux.
— Pouilleux ! Pouilleux !
— Si tu le redis, je te noie dans la mare.
— Pouilleux ! Pouilleux ! Pouilleux ! »
L'homme prit sa femme, la porta dans la mare,
et l'y fit entrer, jusqu'à mi-jambe,
— « Pouilleux ! »
L'homme plongea sa femme dans la mare, jus-
qu'à la ceinture.
— « Pouilleux ! Pouilleux ! »
L'homme plongea sa femme dans la mare, jus-
qu'au menton.
— « Pouilleux ! Pouilleux ! Pouilleux ! »
L'homme plongea dans la mare toute la tète de
sa femme. Mais celle-ci élevait ses mains en l'air,
et frottait ses pouces l'un contre l'autre, comme
qui écrase des poux. Alors, l'homme comprit que
cela ne servait de rien, et il ramena sa femme au
bord de la mare.
— « Cette leçon est perdue, dit-il. Je dépen-
serais mal mon temps à recommencer. Ma fenniie
est née méchante, et méchante elle mourra (i). »
(i) Dicté par Marianne Bense, du Passage-d'Agen (Lot-et-
Garonne).
'5*;^:)^:''S'*;(5*;^*;^*cê;rê;cê;rê)c^cê;c5;
VII
LA DAME CORRIGÉE
gvçA.,^L y avait, une fois, une dame si méchante,
^5^ si méchante, qu'elle avait, en trois ans,
^wU fait mourir trois maris de chagrin.
Cette dame se remaria encore une fois. Après
la messe, les mariés montèrent à cheval, et par-
tirent pour leur château.
Le mari, qui avait entendu parler de la méchan-
ceté de sa femme, profita du voyage pour lui don-
ner une leçon.
Il avait amené un petit chien ; mais cet animal
ne voulait pas suivre son maître. Que fait alors
celui-ci ? Il arme un pistolet, et casse la tête au
petit chien.
— « Tenez, Madame. Portez en croupe la cha-
rogne de ce petit chien, qui n'a pas voulu m'obéir. »
La dame, épouvantée, prit en croupe la cha-
rogne du petit chien, et ils se remirent en chemin.
288 RÉCITS
Au bout de trois lieues, ils arrivèrent au bord
de la rivière du Gers, qu'il leur fallait traverser
à gué. Mais le cheval de la dame ne voulait pas.
Il ruait, et hennissait de tout son pouvoir. Que
fait alors le mari ? Il arme un autre pistolet, et
casse la tête au cheval.
— « Tenez, Madame. Prenez sur votre dos, la
selle de ce cheval, qui n'a pas voulu m'obéir. «
La dame, épouvantée, prit la selle sur son dos;
et ils se remirent en chemin. A l'entrée de la
nuit, ils étaient dans leur château.
— « Valet, dit le mari, apporte-moi un bassin
d'eau chaude. »
Le valet obéit.
— « Madame, ôtez-moi mes bottes, et lavez-
moi les pieds. »
La dame, épouvantée, ôta les bottes et lava les
pieds de son mari.
— « Maintenant, Madame, c'est à mon tour de
vous servir. N'oubliez jamais que je serai pour
vous ce que vous serez pour moi. »
La dame comprit la leçon ; et, depuis, elle fut
t;'UJours soumise à son mari (i).
(t) Dicté par Élic Kizon, du Pcrgain-Taillac (Gers).
®®®®®®^®®®®®®
VIII
LtS DEUX GOURMAKDES
|L y avait, une fois, un métayer qui revint
de la chasse avec deux perdrix.
— « Femme, dit-il, qu'allons-nous faire
de ces deux perdrix ?
— Mon homme, invitons le curé à dîner ici,
demain.
— Femme, c'est dit. Je vais l'inviter. »
Le lendemain, la femme mit les deux perdrix à
la broche. Elles étaient cuites à point, et rousses
comme l'or, quand une voisine entra.
— « Jésus, ma mie, quelle bonne odeur ! Si
nous mangions ces deux perdrix?
— Et que dira le curé ?
— Le curé, nous le contenterons, avec des
couennes grillées. »
Ce qui fut dit fut fait. Les deux femmes ava-
III 19
290 RÉCITS
lèrent les deux perdrix, et mirent sur le gril quel-
ques couennes, qui se recroquevillaient en cui-
sant. En ce moment, le curé entra.
— « Bonjour, métayère. Je viens dîner. Où est
votre mari?
— Monsieur le curé, mon mari n'est pas en-
core rentré; et j'en suis bien aise pour vous. A
tous ceux qui entrent ici, il coupe les oreilles, et
les mange. Regardez cuire, sur le gril, toutes
celles qu'il a coupées depuis hier. »
Les couennes recroquevillées ressemblaient à
des oreilles. Épouvanté, le curé partit au galop.
Juste en ce moment, le métayer rentrait à la
maison.
— « Mon homme ! mon homme ! cours vite
après le curé. Il emporte nos deux perdrix. »
Le curé filait toujours comme un lièvre; et le
métayer le poursuivait en criant :
— « Monsieur le curé! Monsieur le curé! De
deux laissez-m'en au moins une (i). »
(i) Dicté par Anna Dumas, du Passage-d'Agen (Lot-et-
Garonne).
^
^'^^^^^^^'^^^'^*âs^^
IX
LES AMES DU PURGATOIRE
iL y avait, une fois, un fossoyeur qui, à
force de bêcher au cimetière, avait épar-
gné de quoi acheter une barrique de bon
vin vieux. Quand la barrique fut sur les tins, le
fossoyeur revint à son ouvrage. Aussitôt, sa
femme courut chez une voisine.
— « Écoute, mie. Mon homme vient d'acheter
une barrique de bon vin vieux.
— Eh bien ! mie, allons le goûter. »
Ce qui fut dit fut fait. Matin et soir, les deux
commères recommençaient leurs visites à la cave,
si bien qu'au bout d'un mois la barrique se trouva
sèche, et sonna creux.
— « Ah ! mou Dieu ! mie, nous avons bu tout
292 RECITS
le bon vin vieux. Que dira ton homme, quand il
voudra percer la barrique?
— Mie, sois tranquille. Je me charge de tout
arranger. Prenons chacune un drap de Ht, et par-
tons pour le cimetière. Là, fais et dis comme
moi. »
En effet, à neuf heures du soir, les deux com-
mères entraient, enveloppées dans leurs linceuls,
au cimetière, où le fossoyeur travaillait encore au
clair de la lune.
— « Fossoyeur ! Fossoyeur ! Les âmes du pur-
gatoire ont bu ton bon vin vieux.
— Tout ?
— Tout. Oui, certes, tout. »
Les deux commères repartirent au galop. Une
heure après, le fossoyeur rentrait dans sa maison.
— « Femme, je viens du cimetière. Là, j'ai vu
deux fantômes qui me criaient : « Fossoyeur!
« Fossoyeur ! Les âmts du purgatoire ont bu tout
« ton bon vin xàeux, — Tout? — Tout. Oui,
« certes, tout. » Allons voir si les deux fantômes
ont dit vrai. «
Le fossoyeur et sa femme allèrent à la barrique.
Elle était sèche, et sonnait creux.
— « Femme, les deux fantômes n'ont pas
menti. Les âmes du purgatoire ont bu tout mon
bon vin vieux. Je souhaite qu'il leur profite. De-
main, j'en achèterai de meilleur encore; mais.
MORALITES 293
dorénavant, je garderai la clef de la cave, et tu ne
toucheras plus à ma bouteille.
— Et que boirai-je donc, mon Dieu?
— Tu boiras de l'eau (i). »
(i) Dicté par Anna Dumas, du Passage-d'Agcn (Lot-et-
Garonne).
MfS
II
LES GENS D'ÉGLISE
LES GENS D'EGLISE
L'BVÊQUE ET LE MEUNIER
^L y avait, autrefois, au Castéra (i), un
curé qui vivait fort mal avec l'évêque de
Lectoure (2). Le pauvre prêtre faisait son
possible pour ne pas être pris en faute. Mais qui
peut se vanter d'avoir raison contre son maître?
Un jour, l'évêque manda le curé.
(i) Le Castéra-Lectourois, commune du canton de Lectoure
(Gers).
(2) Awint la Révolution, la paroisse du Castcra-Lectonrois
dépendait de l'évcché de Lectoure.
298
— « Curé du Castéra, je suis mécontent de toi.
Dans huit jours, je te chasse de ta paroisse, si tu
n'as pas fait, de point en point, tout ce que je
vais te commander.
« Tu reviendras ici, mais ni à pied, ni à
cheval.
« Tu ne seras ni nu, ni vêtu.
« Tu me diras ce que je pense.
« Tu me diras combien pèse la lune. »
Le pauvre curé repartit bien tristement.
Pendant six'jours et six nuits, il s'enferma dans
son presbytère, songeant à ce que l'évêque de
Lectoure avait dit, mais sans trouver moyen de
sortir d'embarras.
Le soir du septième jour, le pauvre homme
songeait toujours, en se promenant dans la cam-
pagne. Sans y prendre garde, il arriva chez son
ami, le meunier de La Hillère (i).
— « Bonsoir, meunier.
— Bonsoir, Monsieur le curé. Qu'avez-vous
donc? Vous êtes tout songeur.
— Meunier, j'ai bien raison d'être tout son-
geur. Demain, je serai chassé de ma paroisse, si
je n'ai pas fait, de point en point, tout ce que
l'évêque de Lectoure m'a commandé. Meunier,
l'évêque de Lectoure m'a dit :
(i) Moulin sur le Gers, non loin du Castéra-Lectourois.
LES GENS D EGLISE 299
« Tu reviendras ici, mais ni à pied, ni à cheval.
« Tu ne seras ni nu, ni vêtu.
« Tu me diras ce que je pense.
« Tu me diras combien pèse la lune. »
Le meunier se mit à rire.
— « Monsieur le curé, retournez-vous-en tran-
quillement au presbytère. . Ne vous mêlez de
rien. A moi seul, je me charge de vous tirer
d'embarras. »
Le curé retourna donc tranquillement à son
presbytère, et ne se mêla plus de rien.
Le lendemain matin, le meunier se leva de
bonne heure, descendit à l'écurie, bâta et brida
son plus beau mulet. Cela fait, il se mit nu
comme un ver, s'enveloppa d'un grand filet,
sauta sur sa bête, et partit au grand galop pour
Lectoure.
Il entra sans peur ni crainte dans la cour de
l'évêché.
— « Bonjour, Monseigneur.
« Je suis sur un mulet. Je ne suis donc revenu
ni à pied, ni à cheval.
« Je suis enveloppé d'un grand filet. Je ne suis
donc ni nu, ni vêtu.
« Vous voulez que je vous dise ce que vous
pensez. Vous pensez voir le curé de Castéra ; mais
vous ne voyez que le meunier de La Hillère.
« Vous voulez que je vous dise combien pèse
la lune. La lune a quatre quarts (i). Elle pèse
donc une livre. Si j'ai menti, prouvez-moi le con-
traire,
— Meunier, tu es un homme de sens. Va dire
au curé de Castéra que je n'ai plus de rancune
contre lui, et qu'au premier poste vacant, je le
ferai chanoine de Saint-Gervais (2). »
(i) Quatre quartiers.
(2) Cathédrale de Lectoure. — J'ai écrit ce conte, encore très-
populaire en Gascogne, sous la dictée de mon oncle, l'abbé
Prosper Bladé, curé du Pergain-Taillac. Dans une variajite
fournie par ma tante, feu Thérèse Liaubon, veuve Tessier, de
Gontaud ( Lot-et-Garoune ), un meunier répond à l'évèquc
d'Agen, réitérant les questions par lui posées huit jours avant au
curé de Birac (Lot-et-Garonne) :
— K Dis-moi quelle est ma valeur.
— Jésus-Christ fut vendu trente deniers. Vous en valez
quinze.
— Dis-moi quelle est ma pensée.
— Vous pensez à votre intérêt plutôt qu'au mien.
— Dis-moi quelle est ma croj'ance.
— Vous croyez parler à un curé, et vous parlez à nn
meunier. »
Il
LE CURÉ AVISÉ
jES gens ne se mettront jamais tous d'ac-
cord sur une même chose.
Il y avait, une fois, un curé si fin, si
avisé, que nul n'avait jamais pu le surprendre ni
à mal dire, ni à mal faire. Les marguilliers de la
paroisse vinrent le trouver, un dimanche matin,
à la saaistie.
— « Bonjour, Monsieur le curé.
— Bonjour, mes amis. Qu'y a-t-il pour votre
service?
— Monsieur le curé, la sécheresse ruine nos
récoltes. Nous venons vous prier de faire pleuvoir.
— Mes amis, rien de plus facile. Je sais une
prière, qui fait pleuvoir, le jour même, si tout le
monde est d'accord à me la demander Tout à
l'heure, à la fin du prône, je consulterai le peuple.
302
— Merci, Monsieur le curé.
— A votre service, mes amis. »
Les marguilliers rentrèrent dans l'église, et le
curé commença la messe. Le moment du prône
venu, il monta en chaire et dit :
— « Mes frères, les marguilliers de la paroisse
sont venus me trouver tout à l'heure, à la sacris-
tie, et se sont plaints de la sécheresse, qui ruine
vos récoltes. Ils m'ont prié de faire pleuvoir. Je
sais une prière qui fait pleuvoir, le jour même, si
tout le monde est d'accord à me la demander.
Voulez-vous que je fasse pleuvoir aujourd'hui?
— Non, Monsieur le curé, dirent les garçons.
Nous voulons aller nous promener, ce soir, après
vêpres.
— Voulez -vous que je fasse pleuvoir demain?
— Non, Monsieur le curé, répondirent trois ou
quatre femmes. Nous avons fait nos lessives ; et
nous ne voulons la pluie que lorsque notre linge
sera sec.
— Voulez-vous que je fasse pleuvoir mardi?
— Non, Monsieur le curé, dirent les jeunes
filles. Nous voulons aller à la foire ce jour-là.
— Voulez-vous que je fasse pleuvoir mercredi?
— Non, Monsieur le curé, répondit une troupe
de faucheurs. Nous avons à faucher du trèfle ce
jour-là.
— Voulez-vous que je fasse pleuvoir jeudi ?
LES GENS D EGLISE
— Non, Monsieur le curé, répondirent les pe-
tits garçons. Ce jour-là il n'y a pas école ; et
nous voulons être libres d'aller courir.
— Voulez-vous que je fasse pleuvoir vendredi ?
— Non, Monsieur le curé, répondit le tuilier.
Mes tuiles sont encore dehors ; et je ne puis les
enfourner que samedi.
— Voulez- vous que je fasse pleuvoir samedi?
— Non, Monsieur le curé, répondit le maire.
J'ai besoin d'aller en campagne ce jour-là.
— Mes frères, je vous l'ai dit, ma prière n'a de
vertu que si tout le monde est d'accord à me la
demander. En attendant que vous soyez tous du
même avis, laissez faire le Bon Dieu (i). »
(i) Dicté par feu Justine Dutilh, femme Duplan, née à
Marmande (Lot-et-Garonue).
III
l.E PREDICATEUR MUET
»L y avait, autrefois, à Castet-Arrouy (i),
un curé savant comme un livre, et hon-
nête comme l'or. Chaque fois qu'il avait
à composer un beau prône, ou un grand sermon,
le brave homme s'en allait promener seul, au
bois du Gajan (2).
Un soir qu'il se promenait ainsi tout soucieux,
le curé rencontra un tisserand de la commune,
qui faisait paître, au bois, une paire de cochons.
— « Bonsoir, tisserand.
— Bonsoir, Monsieur le curé. Qu'avez-vous
donc ? Vous avez l'air tout soucieux.
(1) Commune 4u canton de Miradoux (Gers).
(2) Foret entre Lectourc et Miradoux, aujourd'hui défrichée
fresque en entier.
LES GENS D ÉGLISE
— Tisserand, c'est vrai. Je suis soucieux, et
j'ai bien raison de l'être.
— Vous, Monsieur le curé? Allons donc. Vous
êtes l'homme le plus heureux de la terre. Pour
un tout petit travail, vous êtes largement payé.
Bons écus, bon vin, bons chapons. Vous venez
ici, vous promener presque tous les soirs. Par-
lez-moi de ça. Sans me fouler la rate, je me
sens capable d'en faire autant que vous. Mais, à
vrai dire, je me sentirais un peu gêné pour prê-
cher.
— Pour prêcher, tisserand ? Rien n'est pour-
tant plus facile.
— Vous croyez, Monsieur le curé?
— Tisserand, j'en suis sûr. Pour prêcher, il
n'y a qu'à monter en chaire, à faire le signe de la
croix, et à parler de n'importe quoi, pendant une
heure d'horloge.
— Vous croyez. Monsieur le curé ?
— Tisserand, j'en suis sûr. Tiens, veux-tu en
faire l'épreuve ! Demain, c'est le dimanche des
Rameaux, en attendant celui de Pâques. Tu sais
que, ce jour-là, j'ai coutume de prêcher, à vêpres,
un grand sermon. Veux-tu parler à ma place? Je
te prête une soutane, un surplis et un bonnet
carré. Ainsi vêtu, nul ne te reconnaîtra. Allons,
tisserand, décide-toi. Ce n'est ni la mer à boire,
ni la lune à manger. Si l'épreuve réussit, compte
m 20
306 RÉCITS
sur moi, pour te faire nommer curé dans une
bonne paroisse.
— Mais mes enfants, Monsieur le curé? Mais
ma femme? Mais ma femme?
— Tisserand, je me fais fort d'arranger cette
affaire avec l'évêque.
— Eh bien, Monsieur le curé, c'est dit. Je prê-
cherai à vêpres, le jour de Pâques.
— Tisserand, c'est dit. Compte que force gens
viendront de loin, pour t'écouter. »
Le lendemain, à la fin du prône de la messe de
paroisse, le curé dit aux gens de Castet-Arrouy :
— « Mes frères, soyez contents. J'ai une bonne
nouvelle à vous annoncer. Voici une lettre où le
pape de Rome me mande qu'ici-même, et pas
plus tard qu'aux vêpres de Pâques prochaines,
prêchera le plus fameux prédicateur de la terre.
Venez tous, et ne manquez pas d'inviter, dans
toutes les communes voisines, vos parents et vos
amis. »
Le soir de Pâques, l'église de Castet-Arrouy
était vingt fois trop petite pour contenir les gens-
de la paroisse, et ceux qui étaient venus de Lec-
tourc, de Saint-Avit, de Miradoux, de Peyrc-
cave, de Flamarens, de Saint-Antoine, et d'Au-
villars (i).
(i) Communes lin.itro/iics ou voisines de Cis'.ct-Arro'.iv.
LES GEKS D EGLISE
— « Quel bonheur ! Nous allons donc entendre
le plus fameux prédicateur de la terre. »
Enfin, le prédicateur parut. Il se moucha,
toussa, cracha, et renifla lentement une prise de
tabac. Assis, tout en haut de l'escalier de la
chaire, le curé de Gistet-Arrouy se frottait les
mains, et regardait.
Enfin, le tisserand commença :
— ff In iiomiiie Patris, et Filii, et Spirilv.s Sancli.
Amen.
— Fort bien, tisserand, soufiia le curé.
— Et Spiritus Sancti. Amen.
— Fort bien, tisserand.
— Et Spiritus Sancti. Amen. Mes frères...
— Fort bien, tisserand.
— Mes frères... Mes frères... mn mn mn...
Mes bien chers frères...
— Fort bien, tisserand.
— Mes bien chers frères... mn mn mn...
mn... mn...
— Fort bien, tisserand. »
Le malheureux tisserand suait à grosses gouttes.
— « Fort bien, tisserand. Courage !
— Mes bien chers frères... mn mn mn... »
Le prédicateur n'en pouvait plus, et toujours
le curé soufflait :
— « Fort bien, tisserand. Courage ! »
Enfin, le pauvre tisserand ne tint plus. Il jeta
308 RÉCITS
bas son surplis, son bonnet carré, sa soutane, et
parut en bras de chemise. Tout le monde crevait
de rire.
— « Le tisserand ! Le tisserand ! »
Le pauvre homme était tout bleu de colère.
— « Que le Diable vous emporte. Monsieur le
curé! Vous m'aviez dit : « Prêcher! Rien de
plus facile. « Vous en avez menti, gueusard.
Prêcher! J'aime encore mieux pousser ma na-
vette, et garder mes porcs au Gajan.
— Tu as raison, tisserand. Chacun son métier,
et l'ouvrage sera bien fait (i). »
(i) Dicté par feu Chizet, garde-forestier du Gajan, alors âgé
de près de soixante ans.
2^g^g|.g^g^©^5f.gfj§.:4>^
IV
LE CURÉ ET SES PAROISSIENS
_^L y avait, une fois, une petite paroisse, où
'^' le peuple faisait la guerre à son cure.
Mais le brave homme n'était pas plus
bête qu'un autre; et il s'était arrangé de façon
à se garer contre les dénonciations à l'archevêque
d'Auch.
Chaque dimanche matin, ce curé, montait eu
chaire, et disait :
— « Messe, vêpres, et catéchisme quelquefois. «
Cela dit, il finissait sa messe, quittait l'église,
et passait le reste de la semaine à se divertir.
A la fin, les paroissiens perdirent patience.
— « Ceci ne peut plus durer. Allons nous
plaindre à l'archevêque d'Auch. Aussi sûr qu'il v,
a un Dieu, il nous changera de curé. «
Le lendemain, le maire, l'adjoint, le régent.
310 RÉCITS
et les marguilliers, partaient donc pour la ville
d'Auch, montés sur tous les chevaux et juments
poulinières de la commune.
— « Bonjour, Monseigneur. Nous avons un
triste curé. Quand il a dit : « Messe, vêpres, et
<( catéchisme quelquefois, » il passe le reste de la
semaine à se divertir.
— Mes amis, votre dire vous condamne.
« Messe, vêpres, catéchisme quelquefois, » c'est
bien assez, pour une petite paroisse comme la
vôtre. »
Le maire, l'adjoint, le régent, et les marguil-
liers, s'en retournèrent tout confus. Chemin fai-
sant, ils se disaient :
— « Ah! l'ardievêque d'Auch nous a donne
tort. Patience! Nous nous vengerons de lui. »
Qiielques mois après, l'archevêque d'Auch fai-
sait la tournée de confirmation dans son diocèse.
Qiiand il arriva dans la petite paroisse, les mai-
sons étaient enguirlandées ; le peuple attendait à
la porte du village, en habits de fêtes. Mais le
maire, l'adjoint, le régent, et les marguilliers,
avaient mis à sec le bénitier, et s'étaient arrangés
de façon à y verser, au bon moment, un grand
chaudron d'eau bouillante, pour échauder la main
de l'archevêque d'Auch, quand il voudrait prendre
de l'eau bénite.
Mitre en tête, et crosse en main, l'archevêque
LES GENS D EGLISE
d'Auch entra dans l'église. Sans se méfier Je rien,
il approcha sa main du bénitier. Alors, un mar-
guillier le poussa, comme par hasard, et lui en-
fonça le bras jusqu'au coude dans l'eau bouillante.
— « Aie! aie! »
Le curé ne perdit pas cette bonne occasion.
— « Vous le voyez, Monseigneur, voici les
gens avec qui je dois vivre, pour vous obéir.
— Mon ami, ton martyre va finir. Je te fais
curé de l'Isle-Jourdain (i). Et vous, méchants
paroissiens, vous n'aurez pas de si tôt un autre
curé (2). »
(i) Chef-lieu de canton du département du Gers.
(2) Dicté par l'abbé Estibal, mort curé de Terraube, canton
de Lectoure (Gers), et natif de l'Isle-Jourdain. Cette historiette
est encore assez répandue dans le département du Gers.
tÈ QjCâéi)^- ^âs^(^(^
V
LE SIGXE DE LA CROIX
^Jm
jL y avait, une fois, un brave paysan, qui
vivait heureux dans sa maisonnette, avec
sa femme et son petit garçon. Mais le
bonheur ne dure pas. Un jour, la femme tomba
malade, et se mit au lit.
— « Mon homme, dit-elle, je vais mourir.
Qj-iand je ne serai plus là, comment feras-tu pour
tenir notre maisonnette en ordre, et pour élever
notre petit garçon?
— Pauvre femme! Je devine ta pensée secrète.
Tu crains que je ne me remarie. Meurs tran-
quille. Je ne me remarierai pas. Nuit et jour,
je travaillerai, pour tenir notre maisonnette en
ordre, et pour élever notre petit garçon.
— Mon homme, merci. »
La pauvre femme mourut, et le brave paysan
LES GEXS D EGLISE 513
n'oublia pas sa promesse. Il ne se remaria pas.
Nuit et jour, il travailla, pour tenir la maison-
nette en ordre, pour élever son petit garçon.
L'enfant n'était pas bête. A l'école, il apprit
vite et bien, tout ce que le régent était en état de
lui enseigner. Alors, l'enfant dit à son père :
— « Père, envovez-nioi au séminaire d'Agen.
Je veux étudier pour devenir prêtre.
— Mon ami, fais à ta volonté. »
Le garçon partit donc pour le séminaire d'Agen.
A vingt-quatre ans, il en avait appris autant que
ses maîtres ; si bien que l'évêque nomma le petit
abbé curé de la paroisse, où son père vivait tou-
jours.
Mais le petit abbé était devenu glorieux comme
un paon. Il avait honte d'être le fils d'un paysan,
et de loger dans une maisonnette sans premier
étage. Le jour même de son arrivée, il manda les
maçons, pour bâtir ce qui manquait ; si bien que,
trois mois plus tard, il logeait en haut, dans une
belle chambre à deux lits, un pour lui, l'autre
pour les gens riches et haut placés qui venaient
lui faire visite. Comme autrefois, le père cou-
chait toujours en bas, dans la cuisine. Certes, le
pauvre homme était triste de voir son fils si glo-
rieux; mais il ne faisait aucune plainte.
Un beau soir, l'évêque d'Agen arriva dans la
paroisse, pour y confirmer les enfants le lende-
314 RÉCITS
main. C'était un brave homme, dévot et aumô-
nier comme un saint, juste comme l'or, et peu
gêné pour châtier publiquement les gens qui le
méritaient.
Après souper, le petit abbé ht monter l'évéquc
dans la belle chambre.
— « Monseigneur, voici votre lit, et voilà le
mien. Bonne nuit.
— Merci, petit abbé! Mais où couche donc ton
brave père ?
— Monseigneur, il couche en bas, dans la cui-
sine. C'est bien assez pour lui.
— Tu crois, petit abbé? Nous verrons. En at-
tendant, bonne nuit. »
Tous deux montèrent au lit. Le lendemain,
l'église regorgeait de monde. Après la conlirma-
tion, l'évêque d'Agen monta en chaire.
— « Petit abbé, dit-il, tu passes pour le plus
savant de mes prêtres. »
Le petit abbé fiiisait la roue, comme un
dindon.
— « Petit abbé, puisque tu en sais si long, je
veux te faire briller devant tous ces braves gens.
Monte à l'autel, et tourne-toi vers moi. Que toui
le monde te voie. Bien, Et maintenant, petit abbé,
fais le signe de la croix.
— Au nom du Père, du Fils...
— Assez, petit abbé. Je te fais grâce du reste.
LES GEXS D EGLISE 315
Explique-moi seulement ce que tu fais. Que si-
gnifie ta main droite que tu montes au front, en
disant : « Au nom du Père, » et que tu descends
à h poitrine, en disant : « du Fils? »
— Monseigneur, cela signifie... Cela signifie...
— Petit abbé, je t'écoute, et tous ces braves
gens avec moi.
— Monseigneur, cela signifie... Cela signi-
fie... »
L'évêque commençait à rire, et le peuple faisait
comme lui.
— « Oui, petit abbé. Qu'est-ce que cela signi-
fie?
— Monseigneur, cela signifie... Cela signifie...
— Allons, petit abbé.
— Cela signifie... Cela signifie... »
Le peuple crevait de rire.
— « Monseigneur, cela signifie... Cela signi-
fie...
— Petit abbé, tu n'es qu'un âne. Puisque tu
n'es pas en état de me répondre, c'est moi qui
parlerai pour toi. Quand tu montes ta main
droite au front, en disant : « Au nom du Père, »
cela signifie que ton père, qui couche en bas, dans
la cuisine, doit coucher en haut, dans la belle
chambre. Quand tu descends ta main droite à la
poitrine, en disant : « du Fils, » cela signifie que
toi, le fils, qui couches en haut, dans la belle
3l6 RÉCITS
chambre, tu dois coucher en bas, dans la cuisine.
As-tu compris, petit abbé?
— Oui, Monseigneur. »
Le petit abbé profita de la leçon. Il cessa d'être
glorieux comme un paon, et n'eut plus hotite
d'être le fils d'un paysan. Désormais, il fit cou-
cher son brave père dans la belle chambre d'en
haut, et coucha lui-même à la cuisine (i).
(i) Dicté par Marianne Bense, du Passage-d'Ageu (Lot-et-
Garonne).
®S8 ss^ss®® s®s
VI
HISTOIRES DU CURÉ DE LAGARDE
|L y avait, autrefois, à Lagarde (i), un curé
sur le compte duquel on a fini par mettre
à peu près toutes les histoires, vraies ou
fausses qui courent encore dgns toutes les pa-
roisses du diocèse (2). Voici celles dont je me
souviens.
I. — Le curé de Lagarde n'avait pas son pareil
pour conjurer l'orage.
Un jour, le mauvais temps menaçait d'empor-
ter toutes les récoltes. Par malheur, le curé n'était
pas chez lui. Alors, les gens de la paroisse dirent
au sonneur de cloches :
— « Sonneur de cloches, conjure roras;e. »
(i) Lagarde-Fimarcon , commune du canton Je Lectoure
(Gers).
(2) Le diocèse sctuel d'Auch.
318
Tout glorieux de cette confiance, le sonneur de
cloches prit une statuette de la sainte Vierge, fit
ranger les gens en procession, et entonna :
— « Exsiirge Domine... Prêchi prêcha... »
En ce moment, arriva le curé de Lagarde.
— « Imbécile, que fais-tu là?
— Vous le voyez. Monsieur le curé. Je conjure
l'orage.
— Animal ! Tu conjures l'orage avec la sta-
tuette de la sainte Vierge. Ceci n'est pas affaire
de femmes. Va me chercher le Bon Dieu (i). »
II. — Un autre jour, le curé de Lagarde vou-
lait empêcher un jeune homme d'assister à une
noce, où on l'avait prié comme donzellon (2).
— « Mon ami n'y va pas. Les noces sont des
assemblées de perdition.
— Mais pourtant, Monsieur le curé, Notre-
Scigneur Jésus-Christ assista bien aux noces de
Cana.
— Crois-tu, peut-être, que ce soit la plus belle
action de sa vie ? »
III. — Un autre jour, le curé de Lagarde, son
clerc, et deux marguilliers, portaient le Bon
(i) Va me chercher la croix.
(2) Gar;on d'i onneur.
LES GEKS D EGLISE 319
Dieu (i) à un malade. Comme ils traversaient
rOchie (2), sur un petit pont de bois, le pont se
rompit. Clerc et marguilliers furent bientôt hors
de danger. Tandis que le curé se débattait encore
dans l'eau, ils lui criaient, du haut de la berge :
— « Monsieur le curé ! Monsieur le curé ! Au
secours ! Au secours ! L'eau emporte le Bon
Dieu.
— Bon ! bon 1 bramait le bon homme. Le Bon
Dieu nage comme un canard. Mais moi, je me
noie. »
Cela ne l'empêcha pas de repêcher le Bon Dieu.
IV. — Le curé de Lagarde était parfois fort
distrait.
Un jour qu'il lui fallait donner la communion
à une vieille femme, il se fouilla, pour prendre la
clef du tabernacle. Par malheur, il en avait une
autre dans sa poche ce jour-là. [Pendant un gros
quart d'heure, le curé de Lagarde farfouilla dans
la serrure. Il finit par perdre patience.
— « Pauvre femme, dit-il, aujourd'hui, le Bon
Dieu s'est levé du mauvais côté. Il s'est ver-
rouillé en dedans. Revenez demain. Sa mauvaise
humeur sera sans doute passée. »
(i) Le vùiKiuj.
(2) Pet;: affluent du Gers, rive gau,.-hv'.
320
V. — Malgré ses farces, le curé de Lagarde
était un bon prêtre, plein de foi, grand aumônier,
et prêt à faire service à chacun. Mais le maire de
la commune était un homme avare, méchant, et
glorieux comme un pou. Ce maire s'était mis
dans la tête de se faire asperger en particulier, à
son banc, tous les dimanches, pendant la béné-
diction qui se fuit avatit la messe de paroisse.
— « Monsieur le maire, lui dit enfin le curé
de Lagarde, ce n'est pas assez de vous asperger
une fois. Vous méritez le triple. Dimanche pro-
chain, vous aurez contentement. »
Le curé de Lagarde avait secrètement com-
mandé, à un ferblantier de Lectourc, un goupillon
dont la têle contenait au moins une pinte d'eau
bénite. Ce goupillon fut apporté secrètement au
presbytère le samedi soir.
Le lendemain, dimanche, le curé commença son
aspersion avec le goupillon ordinaire.
— « Asperges me, Domine, hysopo et miindahor. »
Arrivé devant le banc du maire, ce fut autre
chose.
— (( Lavàbis me... »
Vlan ! vlan ! vlan 1 En trois coups de goupil-
lon, le pauvre maire reçut, en pleine figure, trois
pintes d'eau bénite.
Depuis lors, il ne songea plus à se faire asper-
ger en particulier.
LES GExs d'Église
VI. — Le cure de Lagarde était royaliste.
Après la Révolution de 1830, il se trouva forcé
de chanter, chaque année, le jour de la fête du
roi (i), K Domine, salviim fac regem nostrum Lii-
dovicum Philippiim, etc. » Voici comment le curé
s'y prenait :
— « Domine, salviiin fac regem noslnim... —
Broum broum broum. Atchoum! atchoum!... —
et exaitdi nos in die, etc. »
A l'oraison de la fin, c'était un mélange de la-
tin et de patois.
— « Oiutsumus, lit famulus tuiis Ludovicus Phi-
lippus, rex noster, — o be, plan (2), — qui tua mi-
S'.'raiione suscepit regni guberncunl.i , — qu'es pas
Icu soun (3), — virtutum etiam omnium percipiat
incrementa, — n'a plan besoun (4), — quibus dc-
ce.uter ornalus, etc. »
Le maire, chargé de surveiller le curé, ne se
méfiait de rien, et prenait tout cela pour du
latin.
VII. — Un dimanche, le curé de Lagarde prê-
chait sur la tentation de Jésus-Christ.
— « Alors, mes bien chers frères, le Démon
( i) Le X" mai, jour de la Saint-Philippe.
(2) Oui, bien.
(3) Le royaume n'est pas à lui.
(4) I! en a bien besoin.
m 21
322 RÉCITS
transporta Notre-Seigneur sur une liante mon-
tagne, et mit à ses pieds tous les royaumes de la
terre.
— « Prends l'Europe, lui disait-il. Prends l'Asie.
« Prends l'Afrique et l'Amérique. Prends Tou-
« louse et Bordeaux. Prends Lectoure et Con-
« dom (i). Prends Larroumieu, Laroque et Mar-
ée solan (2). Mais Lagarde, tu ne l'auras pas. Je
« me la réserve. C'est mon paradis. »
VIII. — Un autre jour, le curé de Lagarde
prêchait sur le Jugement dernier.
— « Alors, mes bien chers frères, nous serons
tous jugés dans la vallée de Josaphat. Écoutez
bien. Nous serons tous jugés. Mauvaise affaire,
mes bien chers frères. Mauvaise affaire. Moi qui
vous parle, je serai jugé comme les autres. Le
Bon Dieu m'appellera.
— Hô ! curé de Lagarde ! Hô ! hô ! hô !
— Mais je ne répondrai pas, et je me cacherai
dans un trou. »
Et le curé de Lagarde disparaissait derrière
l'appui de la chaire.
— « Hô 1 curé de Lagarde ! Hô ! hô ! hô ! »
(i) Chefs-lieux d'arrondissement, dans le département du
Gers.
(2) Trois communes voisines de Lagarde.
LES GENS D EGLISE
Et le curé de Lagarde se taisait, toujours caché
derrière l'appui de la chaire.
— « Hô ! curé de Lagarde ! Hô ! hô ! hô ! Je te
vois. Attends ! attends ! »
Et le curé de Lagarde s'empoignait des deux
mains par les cheveux, comme pour se ramener
à la vue du peuple.
— « Par force, il me faudra comparaître. Alors,
le Bon Dieu me dira :
— Curé de Lagarde ! Curé de Lagarde !
Qu'as-tu fait de tes ouailles?
— Et moi je répondrai :
— Bon Dieu, bêtes vous me les avez don-
nées. Bêtes je vous les rends. »
DC. — Un autre jour, le curé de Lagarde prê-
chait sur le mystère de la Sainte-Trinité.
— « Comment, disait-il, comm.ent, mes bien
chers frères, ne comprenez-vous pas que trois per-
sonnes, ou que trois choses n'en fassent qu'une ?
Écoutez-moi bien.
— « Pieds nus comme un loup, barbu comme
un bouc, sanglé comme un âne.
— « Qu'est cela? Répondez, mes bien chers
frères. Vous ne devinez pas? Ecoutez.
— « Qui va pieds nus comme un loup ? —
Un capucin.
324 RÉCITS
— Qui porte la barbe comme un bouc? — Un
capucin.
— Qui va sanglé comme un âne? — Un ca-
pucin.
— Pieds nus comme un loup, barbu comme
un bouc, sanglé comme un âne, ne font pourtant
qu'un capucin.
« Autre exemple :
« Prenez un morceau de jambon.
« Il y a du maigre.
« 11 y a du gras.
« Il y a de la couenne.
« Maigre, gras, couenne, ne font pourtant
qu'un morceau de jambon. »
X. — Un jour de clôture de mission, à Marso-
lan (i), le curé de Lagarde se rendait utile. En
intendant de prêcher en plein air, le soir, après la
procession, dans un cuvier, proprement arrangé
pour cette occasion, le brave homme confessait, à
l'église, depuis le lever du soleil, les hommes
convertis par les sermons des missionnaires (2).
Bon travail, car les hommes sont bien plus difli-
ciles à ramener que les femmes.
(i) Commune du c.imon de Leotoure (Gers), voisine de I a-
gsrJe.
(r.) I.^s missionnaires dioccs.-iins.
LES GENS D EGLISE
Tandis que le curé confessait, confessait, arri-
vèrent douze ou quinze dévotes, vêtues de blanc.
Elles venaient répéter, encore une fois, un beau
cantique, pour la procession du soir. Voici le
refrain :
— « Dans la Terre promise,
De loin je vois Moïse (i). »
Ce cantique troublait le confesseur et ses pé-
nitents. Le curé de Lagarde parut, en surplis, sur
la porte du confessionnal, et fit signe aux dévotes
de se taire.
— « Chût ! chût ! »
Les dévotes se mirent à chanter plus fort :
— « Dans la Terre promise,
De loin je vois Moïse. »
Le curé de Lagarde reparut.
— « Chût ! chût ! »
Mais les dévotes ne voulaient pas en avoir L-
démenti.
— « Dans la Terre promise^
De loin je vois Moïse. »
Cette fois, le curé de Lagarde n'y tint plus. Il
s'élança du confessionnal, et tira sa révérence aux
dévotes en chantant :
i) Ces deux vers en françîis, dans le récit traduit du gascon.
326 RÉCITS
— « Faites-lui bien mes compliments..
Faites-lui bien mes compliments (i). »
Cette fois, les dévotes se turent, et s'en allèrent
répéter ailleurs leur beau cantique.
XI. — Le même soir, le curé de Lagarde prê-
clia, en plein air, sur le Jugement dernier.
— « Alors, disait-il, mes bien chers frères, le
Bon Dieu séparera les brebis des boucs, les bons
des méchants. Moi, je serai parmi les justes, et
vous parmi les damnés. Quand les Diables ar-
riveront pour vous emporter en enfer, vous me
crierez trop tard :
— « Curé de Lagarde ! Curé de Lagarde ! »
— Et moi, je me frotterai les mains, à la droite
du Bon Dieu. Je vous crierai : « Tant mieux.
C'est bien fait. Il fallait m'écouter, quand je prê-
chais dans le cuvier, qui me servait de chaire, à
Marsolan. »
XII. — Chaque fois qu'il mourait un de ses
paroissiens, le curé de Lagarde ne manquait pas,
le dimanche suivant, d'en faire l'éloge public en
chaire.
Un dimanche, il fit l'éloge du pauvre Rapet.
(i) Ceci en français.
LES GEXS D EGLISE ■527
Assise au pied de la chaire, la Rapete (i) en
deuil lui répondait.
— « Mes bien chers frères, disait le curé, le
pauvre Rapet est mort.
— Quel malheur! Monsieur le curé. Quel
malheur !
— Dans son jeune temps, le pauvre Rapet fut
un beau garçon.
— Roux comme une poire, Monsieur le curé.
Gras comme un melon.
— LepauvreRapet marchait droit, en vrai chré-
tien. Il maintenait les siens dans le bon chemin.
— A grands coups de trique, Monsieur le curé.
A grands coups de trique.
— Le pauvre Rapet était charitable.
— Oh! oui, Monsieur le curé. Tout le pain
moisi, j'avais ordre de le doimer aux pauvres.
— Le pauvre Rapet était laborieux.
— Oh ! oui. Monsieur le curé. Nuit et jour, il
me faisait travailler.
— Le pauvre Rapet était bon laboureur, bon
jardinier.
— Oh! oui. Monsieur le curé. Gare à moi, si
je n'arrosais pas les choux.
— Le pauvre Rapet aimait sa femme.
— Oh ! oui. Monsieur le curé. Un soir, nous
(i) La veuve de Rapet.
328 RÉCITS
mangions un œuf à la coque ensemble. Toujours,
il me disait : « Trempe, mie. Trempe (i). »
XIII. — Un jour, le curé de Lagarde apprit que
cinq à six mauvais garnements de la paroisse
étaient allés le dénoncer à l'archevêque, et qu'il
les avait renvoyés tout confus.
Le dimanche suivant, le curé ne manqua pas
d'en parler en chaire.
— « Mes bien chers frères, nul ne peut être au
goût de tout le monde. Il parait que je ne plais
pas à quelques-uns de mes paroissiens. Ces braves
gens sont allés trouver l'archevêque. Ils lui ont
dit que j'étais un imbécile.
« L'archevêque le savait, mes bien chers frères.
Voilà pourquoi il m'a fait curé de Lagarde. Si
j'avais été homme d'esprit, il m'aurait nommé
curé de Lectoure.
« Mais, imbécile ou homme d'esprit, je suis ici
par la volonté de l'archevêque ; et quand je se-
rais le Diable, je vous représente le Bon Dieu (2). »
(1) Trempe la mouillette.
(2) Dicté par divers curés du département du Gers, et notam-
ment par mon oncle, Tabbé Bladé, curé de Pergain-TailL-ic. On
met aussi ces anecdotes sur le compte du curé de Ruquepinc, du
curé de Saint-Giny, près Lectoure, etc. L'historiette n" III
m'a été confirmée par M. Faugére-Dubourg, de Kérac.
^®®^®®^®jg^S«?^
VII
LES DEUX ABBÉS
ix jour, l'ai-chevèque d'Auch interrogeait
les jeunes abbés du grand séminaire c ui
voulaient être reçus prêtres. Parmi ces
abbés, il )• en avait un fort savant, et un autre
bête comme une oie.
— « Que vais-je répondre à Monseigneur ?
pensa l'imbécile. Quelque sottise, assurément. Ce
que j'ai de mieux à faire, c'est de laisser répondre
avant moi mon camarade le savant, et de répéter
ce qu'il aura dit. »
En effet, le savant passa le premier. L'ar-
chevêque d'Auch, qui le connaissait, et qui vou-
lait le faire briller, lui demanda :
— « Que feriez-vous, abbé, si une araignée
venait à tomber dans le calice (i) ?
(i) Les questions de l'archevêque d'Auch, et les réponses des
deux abbés, sont en français dans le récit gascon que je traduis.
330 RÉCITS
— Monseigneur, je prendrais délicatement l'in-
secte des deux doigts. Si je ne me sentais pas trop
de dégoût, je l'avalerais. Sinon, je le brûlerais à
la flamme d'un cierge, et je jetterais ses cendres
dans la piscine.
— Abbé, il est impossible de mieux répondre.
— Maintenant, pensa l'imbécile, je suis sûr de
mon affaire. »
Quand son tour fut venu de répondre, l'ar-
chevêque d'Auch, qui le tenait pour une bête, et
qui aimait à rire, lui demanda :
— « Que feriez-vous, abbé, si un âne venait à
boire dans le bénitier?
— Monseigneur, je prendrais délicatement l'in-
secte des deux doigts. Si je ne me sentais pas trop
de dégoût, je l'avalerais. Sinon, je le brûlerais à
la flamme d'un cierge, et je jetterais ses cendres
dans la piscine (i). »
(i) Dicté par feu l'abbé Estibal, natif de l'Isle-Jourdain, et
mort curé de Terraube (Gers).
^®®^®®^®®^®®^
VIII
LE SERMON DU COCHON DE LAIT
c»< UTREFOis , il y avait , à Sainte-Rade-
i^W goride (i), un curé qui aimait mieux la
viande que les choux, et le bon vin vieux
que la piquette. Ce curé avait son presbytère at-
tenant à l'église; de sorte qu'en disant sa messe,
il pouvait voir, de l'autel, ce qui se passait A sa
cuisine.
Un dimanche, le curé, qui attendait du monde
à dîner, avait commandé pour rôti un superbe co-
chon de lait. Mais, au beau milieu de la dernière
messe, il aperçoit la servante, qui s'était endor-
mie, en tournant la broche, et qui laissait brûler le
cochon de lait. Aussitôt, le curé monte en chaire,
et fait ce sermon :
(j) Commune du canton de Fleurance (Gers). On met aussi
cette historiette sur le compte du curé de Saint-Giny, près Lec-
toure.
332
— « Mes bien chers frères, vous êtes tous de
braves gens; et je crois bien qu'aucun de vous
n'est capable de porter directement la main sur le
bien des autres. Mais il y a plus d'une façon de
prendre les choses du prochain. Tenez, mes bien
chers frères, lundi dernier, un homme de cette pa-
roisse avait laissé son cochon pâturer dans le
champ de fèves d'un voisin. Ce voisin s'indignait,
et criait : « Hô ! hô ! Le cochon ! Le cochon ! »
A ce cri, la servante endormie se réveilla, et
se remit à tourner la broche (i).
(:) Ma grand'mère paternelle, Marie de Lacaze, native
Sainte-Radegonde (Gers), m'a souvent conté cette focétic.
IX
DIEU A DIT.
^^^L y avait, une fois, au grand séminaire
èfflljW d'Auch, un petit abbé, glorieux comme
SiS'^â un pou, et bête comme une souche. Pour-
tant, il se croyait né pour devenir le plus grand
prédicateur de la terre.
Quand il eut reçu la messe, le petit abbé vint
Liire visite à sa famille.
— « Chers parents, dit-il à souper, c'est de-
main dimanche. Votre curé m'a permis de prêcher
à vêpres. Ne manquez pas d'y venir. Vous ver-
rez si je ne suis pas né pour devenir le plus
grand prédicateur de la terre. »
Mais le père se méfiait.
— « Mon ami, lui dit-il, de ce que tu ne sais
pas, on pourrait faire un grand livre. Crois-moi,
laisse prêcher notre curé.
334 RÉCITS
— Père, n'ayez pas peur. Patience, et vous
verrez si vous n'avez pas lieu d'être fier de moi.
— Mon ami, le Bon Dieu le veuille ! »
Le lendemain, l'église était bondée de curieux,
et le petit abbé montait en chaire.
— « Mes frères, Dieu a dit... Dieu a dit... »
Le petit abbé se troubla.
— « Mes frères. Dieu a dit... Dieu a dit... »
Les assistants s'esclaffaient de rire.
— « Mes frères, Dieu a dit... Dieu a dit... »
Enfin, le père du petit abbé perdit patience.
— « Dieu a dit que tu es une foutue bête.
Descends de chaire, animal. Tu me fais honte. »
Le petit abbé obéit. Mais la leçon lui profita. Il
se corrigea de son orgueil, étudia longtemps, et
finit par devenir bon prédicateur (.i).
(i) Je sais, depuis mon enfance, cette historiette, encore po-
pulaire dans le département du Gers.
®®®®®è;^^^®®®®
X
LE SERMON DE LA CULOTTE
|L y avait, une fois, un jeune vicaire qui
voulait devenir un grand prédicateur. Mais
il avait si mauvaise mémoire, qu'il ne
pouvait retenir par cœur les sermons à réciter.
Aussi les écrivait-il sur de petits morceaux de
papier, qu'il gardait dans une poche de sa culotte,
pour les tirer au bon moment.
Le jour de la fête patronale du village appro-
chait; et le jeune vicaire préparait, en consé-
quence, un magnifique sermon. A plus de trois
lieues à la ronde, tout le monde était prévenu.
Enfin, le grand jour vint. Le jeune vicaire mit
sa culotte neuve, sa plus belle soutane, son plus
beau rabat, se frotta les mains, et pensa :
— « Ha ! ha ! Ce soir, après vêpres, ma répu-
tation de grand prédicateur sera faite. »
536
A vêpres, plus d'un millier de personnes atten-
daient.
— « Mes frères... Mes frères... «
Le prédicateur se fouilla. Malheur ! Les petits
morceaux de papier étaient restés dans la poche
de la vieille culotte.
— « Mes frères... Mes frères... »
Les assistants commençaient à perdre leur sé-
rieux.
■ — « Mes frères... Mes frères... »
Enfin, le jeune vicaire prit un grand parti :
— « Mes frères, ce que je n'ai pas dans ma cu-
lotte neuve, je l'ai dans ma vieille. »
Tout le monde éclata de rire, et le jeune vicaire
fit comme les autres (i).
(i) Je sais, depuis mon enfance, cette historiette, encore po-
j- nlaire dans le département du Gers.
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rî5>,rï(n,rî'^
XI
SUPERBE
ËR«^<^ L y avait, une fois, une femme qui s'appe-
Wi lait Superbe, la bien nommée. Elle était
^^ glorieuse comme un cent de poux, et
s'était logé dans la tête de se faire mettre dans les
litanies. Un dimanche, après la messe, elle s'en
alla trouver son curé dans la sacristie.
— « Bonjour, Monsieur le curé.
— Bonjour, Superbe.
— Monsieur le curé, je viens vous demander
de me faire un grand plaisir.
— Parlez, Superbe. Je vous écoute.
— Monsieur le curé, je voudrais me faire mettre
dans les litanies. « Sainte Superbe! » Il me semble
que cela serait fort beau à chanter. Je vous paierai
ce qu'il faudra.
— Superbe, ceci est un grand honneur. Il vous
en coûtera le pré que vous avez sur la rivière.
338 RÉCITS
— Eh bien, Monsieur le curé, c'est convenu.
Dès à présent, le pré est à vous. Dimanche pro-
chain, vous commencerez à me mettre dans les
litanies.
— Je le ferai, Superbe. Vous pouvez me
croire. »
Superbe s'en revint chez elle. Mais le clerc, qui
était derrière la porte, avait tout entendu. Aussi,
le dimanche suivant, quand le curé,|en chantant
les litanies, arriva à sainte Superbe, le clerc, au
lieu de répondre : Ora pro nobis, resta muet. Le
curé, étonné, chanta encore :
— « Sainte Superbe.
— A cause de l'herbe (i). «
(i) En gascon :
— Seiilo Stifcrho.
■ — ■ Pranio de l'crho.
Dictù par M. Félix Guilhon, de Lcctoure (Gers)
XII
LE DIABLE AU CIMETIÈRE
[uTREFOis, dans le cimetière de l'église
des Carmes de Lectoure, il y avait un
beau noyer; et le sonneur de cloches,
qui s'appelait Barraquet, entendait profiter des
noix. Mais souvent, il arrivait que, lorsque Bar-
raquet allait pour les cueillir, d'autres s'étaient
levés plus matin que lui, et qu'il ne trouvait plus
rien sur le noyer.
Un matin, le sonneur de cloches se leva bien
avant le jour, et partit pour le cimetière, avec un
sac, pour aller faire sa récolte. Arrivé sur la porte,
il entendit un bruit de choses qu'on croque. Aus-
sitôt, Barraquet épouvanté détale, et court au
couvent des Carmes, trouver le Père Bencit.
— « Père Benoît, père Benoît, les Diables font
au cimetière. Ils croquent les os des morts.
340 ., RÉCITS
— Ah ! les gueusards. Comme j'irais les relan-
cer, sans la goutte, qui m'est revenue depuis
hier.
— Père Benoît, si vous voulez, je vous porterai
sur mon dos.
— Tu as raison, Barraquet. Va-t'en à l'église,
et rapporte-moi mon surplis, mon bonnet carré et
le goupillon. »
Quand Barraquet fut de retour, il aida le Père
Benoît à se vêtir en prêtre, le chargea sur son dos,
et partit pour le cimetière.
Ceux qui faisaient le bruit étaient quatre ou
cinq voleurs, qui croquaient des noix, en attendant
deux de leurs camarades, qu'ils avaient envoyés
voler les cochons du meunier de Repassac (i).
— « Entendez-vous, Père Benoît, comme les
Diables croquent les os des morts?
— N'aie pas peur, Barraquet, et ne me laisse
pas tomber. Avec ma prière, je vais les chasser
comme il faut. — Fuye\, esprits immondes. Fade
rétro, Satanas. Ab insidiis Diaboli, libéra nos, Do-
mine (2). »
Les voleurs, qui entendaient parler, et qui
voyaient, dans la nuit, arriver un homme portant
(i) Moulin sur le Gers, proche de Lectoure.
(2) La partie imprimée en italique se dit en latin et eu
français dans le conte gascon.
LES GEXs d'Église 341
quelque chose sur l'échiné, croyaient que c'était
leur camarade revenant avec le cochon.
— « Sont-ils gras? disaient-ils. Sont-ils gras? »
Le pauvre Barraquet était à moitié mort de
peur. Il croyait que les Diables demandaient s'ils
étaient gras, pour les manger, lui et le Père Be-
noît.
— « Sont-ils gras? Sont-ils gras? »
Enfin Barraquet n'y put plus tenir. Il jeta le
Père Benoît à terre.
— « Gras ou maigre, voici. »
Et il partit au galop, s'enfermer dans sa mai-
son (i).
(i) Dicté par mon oncle, l'abbé Bladé, curé du Pergaiu-
Taillac (Gers).
XIII
LES DEUX MOINES
j^^UTREFOis, il y avait, à Rouillac (l), un
seigneur fort gai, et qui n'aimait guère
les gens d'église.
Un soir, deux moines blancs arrivèrent à cheval
à la porte du château, et demandèrent à souper et
à loger pour la nuit. Tandis qu'ils soupaiem, le
seigneur leur demanda où ils allaient.
— « Monsieur, nous allons aux eaux de Ba-
gnèrcs, par ordre des médecins, pour retrouver
l'appétit que nous avons perdu. »
Le repas fini, le seigneur souhaita une bonne
nuit aux deux moines, et les fit conduire tous
deux dans la même chambre, en haut de la tour
(i) Ancien marquisat, formant au)ourJ'l!ui une section de la
commune de Gimbrède (Gers).
LES GENS D EGLISE 343
du château. Q.uand ils se réveillèrent, pour se re-
mettre en route, la porte de la chambre était
fermée à clef. Ils appelèrent, ils frappèrent : per-
sonne ne vint.
Leur journée se passa ainsi, sans manger ni
boire. Les deux pauvres moines croyaient que le
seigneur les avait fait enfermer là, pour les y faire
mourir de maie faim et de maie soif. Pourtant, ils
finirent par s'endormir. Mais le lendemain, ils se
réveillèrent, le ventre vide, les dents longues; et
ils se regardaient l'un l'autre, comme s'ils avaient
voulu se dévorer. Enfin, ils avisèrent deux ou trois
cordes d'oignons, attachées à la poutre de leur
chambre, à plus de vingt pieds de hauteur. Aus-
sitôt, ils se mirent à tirer aux oignons à grands
coups de souliers ; et quand ils en faisaient tom-
ber un, ils l'avalaient, presque sans mâcher. Cela
dura jusqu'au soir. Alors, le seigneur vint ouvrir
la porte.
— <f Je vois avec plaisir, mes Pères, que l'ap-
pétit vous est revenu. Vous n'avez plus besoin
d'aller aux eaux, et vous pouvez rentrer dans
votre couvent (i). «
(i) Dicté par un cantonnier de Gimbrdde (Gers), dont j'ai
oublie le nom.
ss^e^
J^ JL 4^ A 4^ A A ^ A 4. A 4 4, J^ 4. 4. A A 4/. 4 4^ 4. 4^ 4^
XIV
LE COCHON VOLÉ
f.jf->f^L y avait, une fois, un curé qui se trouvait
l^^-^ bien embarrassé. Le brave homme prit à
part le sonneur de cloches de son église.
— « Mon ami, lui dit-il, tu sais que, tous ces
jours passés, on a saigné force cochons dans le
pays. Mes braves paroissiens m'ont comblé de ca-
deaux, oreilles, saucisses, boudins, morceaux de
filet, et autres choses pareilles. Maintenant, le jour
arrive de saigner mon porc. Il ne m'en restera pas
un morceau, si je rends seulement le quart des
présents que j'ai reçus. »
Le sonneur de cloches se mit à rire.
— « Monsieur le curé, dit-il, vous vous em-
barrassez de bien peu de chose. Aujourd'hui
même, je vais saigner votre cochon. En atten-
dant que je le découpe demain, je compte le
LES GENS D EGLISE 345
laisser suspendu, toute la nuit, devant la porte du
presbytère. Nul n'y touchera. Il n'y a que de
braves gens dans la paroisse. A minuit passé,
vous vous lèverez doucement , doucement , et
vous emporterez le porc, que je me charge de
découper et de le préparer en secret. Demain
matin, vous crierez qu'on vous a volé la béie.
Tout le monde vous plaindra, et vous n'aurez
rien à rendre, pour tous les présents qu'on vous
a faits.
— Mou ami, tu as raison. »
Ce qui fut dit fut fait. Le sonneur de cloches
saigna le cochon, le racla, le \'ida, et le suspendit
devant la porte du presbytère. Tout le monde
s'arrêtait, pour voir un si bel animal.
— « Ali! le beau porc, Monsieur le curé. Le
beau porc !
— C'est vrai, braves gens. Il n'est pas laid.
Comptez que chacun de vous en aura sa part.
— Merci d'avance, Monsieur le curé. Mais vous
auriez tort de laisser votre cochon suspendu, toute
la nuit, devant la porte du presbytère. Quelque
mauvais sujet pourrait bien vous le voler.
— Mes amis, nul n'y touchera. Il n'y a que de
braves gens dans la paroisse.
— C'est égal. Monsieur le curé. Méfiez-vous. »
Le soir, après souper, le curé se coucha, pour
se relever doucement, doucement, à minuit passé.
546 RÉCITS
et avait secrètement emporté le porc.
Le curé se désolait.
— « Oh ! les gueux. Je suis volé. Je suis volé.
Mon poix ! Mon pauvre porc ! »
Jusqu'au lever du soleil, le curé pleura comme
un veau. Après VAngeïus du matin, arriva le son-
neur de cloches.
— « Mon ami, je suis volé. Je suis volé. Mon
porc ! Mon pauvre porc ! »
Le sonneur de cloches riait.
— (( Fort bien, fort bien, Monsieur le curé.
C'est bien ainsi qu'il faut dire. Vous n'aurez rien
à rendre, pour tous les présents qu'on vous a faits.
— Va-t'en au Diable. Je suis véritablement
volé. Je suis volé. Mon porc! Mon pauvre porc ! »
Le sonneur de cloches riait toujours,
— « Fort bien. Monsieur le curé. Fort bien.
C'est ainsi qu'il faut dire. Vous n'aurez rien à
rendre, pour tous les présents qu'on vous a
f.iits (i). »
(i) Dicte par feu l'abbé Estibal, mort cure de Tcrr.tubï
(Gers).
^
^^^^^^^^^^'^^^^
XV
LES ClXa DIEUX
3N jour, le curé des Carmes (i) faisait le
catéchisme aux enfants qui se préparaient
à la première communion.
— « Mon ami, dit-il à l'un d'eux, combien
y a-t-il de Bons Dieux?
— Cinq, Monsieur le curé.
— Nomme-les.
— Le Bon Dieu de Saint-Gervais (2), un. Le
Bon Dieu des Carmes, deux. Le Bon Dieu de l'Hô-
pital (3), trois. Le Bon Dieu des Carmélites (4),
(i) Église de Lectoure, ainsi nommée parce qu'elle diipendait
.Autrefois d'un couvent de Carmes. Elle est placée sous l'invoca-
tion du Saint-Esprit.
(2) Ancienne cathédrale du diocèse de Lectoure.
(3) Il s'agit de la chapelle de l'hôpital de Lectoure.
(4) Lectoure possède un couvent de Carmélites.
348 RÉCITS
quatre. Le Bon Dieu de Sainte-Claire (i),
cinq.
— Tu oublies le Bon Dieu de Saint-Giny (2).
— Monsieur le curé, Saint-Giny n'est pas dans
la ville. Ce Bon Dieu-là n'a de pouvoir que sur
les jardiniers de Pradoulin (3). »
(i) Il y avait à Lectoure, avant la Révolution, un couvent,
avec chapelle, de Clairistes de la réforme d'Urbain II. Il est
maintenant occupé par les Dames de Nevers.
(2) Église bâtie voisine de Lectoure, tout proche du Gers, et
fréquentée par les jardiniers d'un hameau voisin, appelé Pradoulin.
(3) Dicté par mon oncle, l'abbé Bladé, curé du Pergain-
Taillac (Gers),
©®@3S»G9©ese3©3
XVI
LE CORDONNIER SAINT
^^^L y avait, une fois, un curé qui avait, dans
une niche de son église, la statue du saint
patron de la paroisse. Cette statue repré-
sentait un évêque en habits dorés, mitre en tête,
crosse en main. On en parlait à dix lieues à
la ronde. Force gens venaient de loin pour la voir,
le jour de la fête patronale; et pas un ne s'en re-
tournait sans laisser une offrande, qui profitai:
au curé. Aussi, le brave homme veillait-il à ce
que la statue fût alors propre, et brillante
comme un écu neuf.
Un jour, le curé manda ses marguilières dans
la sacristie.
— « Braves femmes, vous savez que dans trois
jours tombe la fête patronale. Je vous en prie,
faites que tout soit en ordre dans mon église.
350 RÉCITS
Faites surtout que la statue de mon saint soit
propre, et brillante comme un écu neuf.
— Monsieur le curé, fiez-vous à nous. »
Jusqu'à la nuit, les marguillières enlevèrent les
toiles d'araignées, balayèrent le pavé de l'église,
époussetèrent les autels, les tableaux, la chaire,
les chaises, et les bancs.
— « En voilà assez pour aujourd'hui. Mais le
plus fort de notre travail reste à faire. Demain, il
s'agit de nettoyer, et comme il faut, la statue du
saint. »
Le lendemain matin, les marguiUières arrivaient
à l'église, sur les premiers coups de V Angélus.
— « A l'ouvrage ! A l'ouvrage ! »
Mais le saint n'était pas léger, car il était fait de
pierre peinte et doi'ée. Pourtant, les marguillières
finirent par l'enlever de sa niche, et par le descendre
sans le casser. Jusqu'au soir, elles lavèrent,
elles frottèrent, si bien que la statue était propre,
et brillante comme un écu neuf.
— « Et maintenant, il s'agit de replacer le saint
dans sa niche. Pas de presse. Doucement. Faisons
bien ensemble, toutes ensemble. Hardi ! Hô ! »
Mais le saint n'était pas léger,- car il était fait
de pierre peinte et dorée. Les marguillières suaient
à grosses gouttes.
— « Pas de presse. Doucement. Faisons bien
ensemble, toutes ensemble. Hardi! Hô ! »
LES GENS D EGLISE 351
Le sonneur de cloches et son fils les regar-
daient faire en riant. Cela mit les marguillières
hors d'elles-mêmes.
— « Finirez-vous de rire, bandits ? Finirez-vous
de rire devant le Saint-Sacrement?
— Marguillières, ce travail passe la force des
femmes. Laissez-nous faire.
— Au large, mauvais sujets. Ce que font les
hommes, les femmes peuvent le faire. — Allons !
Pas de presse. Doucement. Faisons bien ensemble,
toutes ensemble. Hardi ! Hô ! »
Déjà, la statue touchait an bord de la niche.
— « Hardi ! Hô ! »
Patatra! Le saint retomba sur le pavé, brisé en
mille morceaux.
— « Jésus, Maria ! Quel malheur ! Quel mal-
heur! »
Le sonneur de cloches et son fils crevaient de
rire.
— « Finirez-vous de rire, bandits? Finirez-
vous de rire devant le Saint-Sacrement? Si vous
dites la chose au curé, comptez que nous vous
étripons, comme deux poulets. «
Le sonneur de cloches et sou fils jurèrent, par
leurs âmes, d'être muets comme des poissons.
Alors, les marguillières recommencèrent à gémir.
— «Jésus, Maria! Quel malheur! Quel mal-
heur ! Que faire, mon Dieu ! Que faire ! »
3)2 RÉCITS
Enfin, la plus jeune prit un grand parti.
— « Mes amies, écoutez. Ce qui est fait est
fait. A gémir jusqu'à demain, nous en serons
pour nos cris. Cachons vite les mille morceaux de
ce pauvre saint, et balayons le pavé. J'ai mon
plan. »
Les marguillières obéirent.
— « Et maintenant, mes amies, il s'agit de ré-
parer ce grand malheur. Avec le premier bâton
venu, nous aurons bientôt fait une crosse. Avec
de vieux ornements d'église, nous aurons bientôt
cousu des habits et une mitre d'évêque. Cela fini,
nous chercherons un brave garçon, bien discret,
pour monter demain dans la niche, et faire le
saint, de la pointe de l'aube au coucher du soleil.
Allons, vite! A l'ouvrage! »
En deux heures, tout fut prêt.
— « Et maintenant, dit la plus jeune des mar-
guillières, il s'agit de nous procurer le brave gar-
çon bien discret. Ne trouvez-vous pas que mon ga-
lant, le cordonnier, a un faux air du pauvre saint ?
— C'est vrai. C'est vrai.
— Eh bien, allons trouver le cordonnier. Il ne
nous refusera pas. »
Les marguillières allèrent donc trouver le cor-
donnier, et lui contèrent leur peine.
— «. Marguillières, dit-il, je ne travaille pas
pour rien. Si vous voulez que, demain, je fasse le
LES GENS D EGLISE
saint, vous allez me donner un beau louis d"or.
C'est à prendre, ou à laisser.
■ — Cordonnier, voici ton beau louis d'or.
— Marguillières, ce n'est pas tout. Demain,
sans manger ni boire, je serai forcé de faire
le saint, dans la niche, de la pointe de l'aube au
coucher du soleil. Faites-moi vite un bon dîner,
garbure, cuisse d'oie, tranche de veau en ail-
lade (i), chapon rôti, salade, fromage d'Au-
vergne, bon vin vieux, sans compter le café, le
pousse-café, et la prune à l'eau-de-vie.
— Cordonnier, tout ce que tu voudras. Suis-
nous. »
Aussitôt, les marguillières allèrent se mettre en
cuisine. Quand tout fut prêt, le cordonnier mangea
comme un loup, et but comme un trou. Avant Li
pointe de l'aube, il était debout dans sa niche,
vêtu d'habits dorés, mitre eu tête, crosse en main.
Déjà, quelques étrangers arrivaient, avec leurs
offrandes. Au lever du soleil, l'église regorgeait
déjà de monde.
— « duel beau saint, mon Dieu ! Quel beau
saint ! «
Avec des épingles, les bons chrétiens piquaient
des images, des scapulaires, des chapelets, sur le
cordonnier.
(i) Cuit dans une sauce à l'aiL
III 23
354 RÉCITS
— « Prenez-garde, criaient les marguillières.
Prenez-garde de piquer le saint. »
Sans le vouloir, le cordonnier piqué remua.
— « Au miracle ! Au miracle ! Le saint a re-
mué. »
Sans le vouloir, le cordonnier éternua.
— « Au miracle ! Au miracle ! Le saint a éter-
nué. »
Parmi les assistants, un garçon récitait son
chapelet à genoux. C'était un ennemi du cordon-
nier, qui lui allongea un grand coup de crosse.
— « Au miracle! Au miracle! Le saint a châtié
le plus grand mauvais sujet du pays. Dehors, ca-
naille. Ici, le saint ne veut pas de toi. »
Jusqu'après vêpres, les miracles continuèrent.
Les oftrandes pleuvaient, et le curé se frottait les
mains.
Par malheur, au Mao^nijicat, le cordonnier, tra-
vaillé par le bon dîner de la nuit, se mit tout à
coup à frotter son ventre, et à se tordre comme
un possédé.
— « Diable! Diable! pensait-il, je donnerais
bien deux sous, pour être seul un moment, ac-
croupi, bien à mon aise, derrière une haie. »
Enfin, le cordonnier n'y tint plus. Il sauta de
sa niche, et partit au grand galop.
— « Au miracle ! Au miracle ! Le saint part.
Courons après lui. »
LES GENS D EGLISE 355
Mais le cordonnier filait si vite, si vite, qu'on
l'eut bientôt perdu de vue. Tandis qu'il contentait
son envie, accroupi, bien à sou aise, derrière une
haie, les braves gens se disaient :
— « Le saint s'ennuyait à vivre toujours seul,
dans sa niche. Il est retourné en paradis (i). »
(i) Dicté par Françoise Lalanne, de Lectourne (Gers).
M""= Victorine Sant, de Sarran (Gers), m'a fait un récit peu dis-
semblable pour le fond.
DIVERS
D n' E R s
LA TRUIE PENDUE
jES gens de Marsolan (i) ont toujours étc
glorieux comme des poux sur une chemise
blanche. Autrefois, les consuls (2) du vil-
lage avaient droit de justice haute et basse, et
pouvaient juger à mort; mais l'occasion ne se
présentait jamais.
Un jour, une truie nourricière blessa un enflmt,
(i) Commune du canton de Lectoure (Gers).
(2) Avant la Révolution, ou nommait ainsi, officiellement,
les magistrats municipaux dans une partie de la Gascogne.
L'usage maintient encore cette appellation.
360
d'un coup de museau. Oue firent alors les consuls
de Marsolan?IIs s'assemblèrent, sous le porche de
l'église, firent amener la truie, et la condam-
nèrent à mort.
Le bourreau de Condom, fut mandé, avec sa
potence, pour pendre la truie le lendemain ; et les
consuls firent publier que ceux qui auraient des
bétes porcines, les amenassent au pied de la po-
tence, quand la truie serait pendue.
Il fut fait comme les consuls avaient dit. Qiiand
le bourreau passa la corde au cou de la truie, tous
les gens de Marsolan tombèrent sur leurs porcs, à
grands coups de bâton, en criant :
— « Exemple, exemple, cochonnaille (i)! »
(i) Dictil- p.ir dç M. Boubée-Lacouture, mort juge au tribunil
de Lectourc.
II
RECOMMANDATION D'UN AUVERGNAT.
^1-^N jour, deux frères Auvergnats tuèrent un
liè^iiî honime de Seissan (i). Les juges d'Audi
^^^^ condamnèrent l'aîné à être pendu. Mais
ils eurent pitié du cadet, et ils ne le condamnèrent
qu'à être fouette par le bourreau, au pied de la
potence, où l'autre allait être étranglé.
Le cadet criait comme un aigle, tandis que le
bourreau le fouettait à tour de bras. Mais l'aîné,
qui attendait, la corde au cou, lui faisait ses der-
nières recommandations.
— « Frère, disait-il, quand tu reviendras che^
nous, en Auvergne, ne dis pas que j'ai été pendu.
Dis que je me suis marié, et que tu as bien
dansé à ma noce (2). »
(i) Commune du canton dWuch (Gers).
(2) Dicté par mon oncle l'abbêj Bladc, cure du Pergain-
Taillac (Gers).
\^'^'im^'Wê2^f=§i
III
LES TROIS ÉTAMEURS
(N jour, trois étameurs Auvergnats, chargés
" de chaudrons, de poêles, et de casseroles,
montaient, au galop, la grande Pous-
îerle (i) d'Auch. Quand ils furent tout en haut,
ils étaient rouges comme le sang, et soufflaient
comme des blaireaux. Ils s'étonnaient de voir
d'autres gens arrivés en haut de la grande Pous-
terle, dispos, et pas du tout essoufflés.
— « Comment donc avez-vous fait? leur de-
mandaient les trois Auvergnats.
— Nous sommes montés doucement. »
Les trois Auvergnats descendirent la grande
Pousterle, pour la remonter doucement (2).
(1) Il existe à Auch plusieurs rues en escaliers, appelées
poustcrlos en gascon.
(2) Dicté par mon oncle Tabbé Bladc, curé du Pergain-
Taillac (Gers).
IV
L'ENFAKT BÈGUE
5 NE femme, qui avait un enfant bègue,
jJ^lf l'envoya, un jour, tirer du vin à la cave.
SèsUy Tandis que le vin coulait, le fosset tombe
dans le pichet. Aussitôt, le garçon laisse la bar-
rique ouverte, et arrive au grand galop dans la
chambre où était sa mère.
— K M... mè... m... mère, le f... le fos... le
foss... le foss... le fosset de... de... de la b...
de la b... de la bar... rique est... est... tomb...
tom... tombé... »
Et ainsi pendant trois quarts d'heure, sans ja-
mais pouvoir finir.
— « Pauvret, lui dit enfin la mère impatientée,
si tu ne peux pas le dire, chante-le.
— Le fosset de la barrique est tombé dans le
pichet (i).
(i) Cetie phrase se chante.
364 DIVERS
— Jésus! Il est bien temps que tu le dises! La
barrique doit être vide. »
En effet, la barrique était vide, était vide, et la
cave inondée de vin (i).
(i) Dicté par Françoise Lalaune, de Lcctoure (Gers),
fMf^f^fëf^fëd^^^^è^^ê^^
BM
V
LA LEÇON DE JEANNET
|L y avait, une fois, au Génébra (i), un
métayer fort simple d'esprit, qui s'appe-
lait Jeannet. Ce métayer avait vendu une
paire de bœufs, à la foire de Fleurance ; et il
allait partir, pour partager l'argent avec son
maître, un dimanche, après la messe de paroisse.
Mais la femme de Jeannet, qui était fort avisée,
lui lit la leçon de la manière que voici.
— « Tu te présenteras honnêtement à la mai-
son du maître, tu ôteras ton chapeau, et tu salue-
ras jusqu'à terre.
— Bonjour, Monsieur, diras-tu.
■ — Adieu, Jeannet, dira-t-il.
— Etcs-vous bien portant, Monsieur? diras-tu.
— Beaucoup, Jeannet, dira-t-il.
(i) Métaivic de la commune de Lectoure (Gers).
366 DIVERS
— J'ai vendu les bœufs, Monsieur, diras-tu.
— Combien, Jeannet? dira-t-il.
— Cent écus, Monsieur, diras-tu.
— Fort bien, Jeannet, dira-t-il.
— En voilà cinquante, Aj^onsieur, diras-tu.
— C'est mon compte, Jeannet, dira-t-il.
— 11 faut boire un coup, Jeannet, dira-t-il.
— Merci, Monsieur, diras-tu.
— Si, Jeannet, dira-t-il.
— A votre santé, Monsieur, diras-tu (i). »
(1) Dicté par Pauliae Lacaze, de P.inassac (Gers).
C^llJ. CtlA CtiA CtiA C^iJ. «rtlA (TiA VtU. V^iA '
VI
LE KOR-NUXD ET LE GASCON
vgîL y avait, une fois, un Normand et un
Gascon, si fameux par leurs mensonges,
que le roi de France les manda tous deux
dans son Louvre.
— « Mes amis, leur dit-il, luttez à qui fera le
plus gros mensonge. Le prix de la lutte est une
pension de cent écus. A toi, Normand.
— Roi, j'ai vu, sur une montagne, une fourmi
longue de sept toises. Elle avait cinquante jambes,
cinquante pieds, cent yeux, et cent oreilles.
— A toi. Gascon.
— Roi, j'ai vu un âne dont les pieds plon-
geaient au fond de la mer, et dont les oreilles
touchaient au ciel. Avec sa queue, cet âne faisait
trois fois le tour du monde.
— Gascon, dit le roi de France, tu as gagné le
prix de la lutte. Tu as gagné la pension de cent
écus (i). »
(i) Dicté par Pauline La;aze, de Panassac (Gers).
^V-^'-i~\ /T^Orx /'«^'^"^/'Ï^^OJA, rJ^'-TN /-l-^OTN /'Î^'-V^
VII
PLAIDEURS ET GENS DE ROBE
I. — Deux paysans comparaissent devant le
juge de paix.
— « Monsieur le juge de paix, dit Pierre, j'ai
prêté cent francs à Jean, sur sa simple parole.
Maintenant, il le nie. Commandez-lui de me rem-
bourser.
— Réponds, Jean.
— Monsieur le juge de paix, Pierre ment. Les
cent francs qu'il m'a prêtés, je les lui ai rendus.
Je suis prêt à lever la main, pour faire serment. »
Mais avant de lever la main, Jean fait sem-
blant d'être embarrassé d'un panier qu'il porte,
et le passe à Pierre.
— « Monsieur le juge de paix, je jure que j'ai
rendu à Pierre les cent francs que je lui devais.
— Pierre, dit le juge de paix, fouille au fond
de ce panier. Tes cent francs y sont. »
1^ Pierre obéit. Les cent francs se trouvent, en
effet, au fond du panier. _.^
569
IL — Une gi'anùe et forte fille traîne devant
le juge de paix un pauvre garçon, qui n'a pas plus
de quatre pieds de haut.
— i' Monsieur le juge de paix, dit-elle, ce bri-
gand vient de m'embrasser par force.
— Tu mens, Jeanne, répond le juge. Jamais un
si petit homme n'a pu atteindre jusqu'à ta joue.
— Monsieur le juge de paix, je l'ai fait monter
sur mes sabots.
— Dehors, Jeanne. J'ai des affaires plus pres-
santes à régler. »
III. — Un témoin fait le sourd, pour se dispen-
ser de répondre.
— « Je n'ai rien entendu. Je suis sourd. Mon-
sieur le juge de paix. Je suis sourd comme une
pierre.
— Eh bien, mon ami, répond le juge de paix
à voix très basse, si tu es sourd, prends ton béret
ei va-t'en. »
Vite, le témoin prend le chemin de la porte.
— « Retourne ici, gueux. Tu n'es pas plus
sourd que moi. Parle vite, et ne mens pas. Sinon,
gare la prison. »
IV. — Un juge de paix interroge une filie de
mauvaise vie.
— « Votre nom?
m 24
— Jeanne.
— Votre âge?
— Vingt ans.
— Votre profession ?
— Putain, Monsieur le juge de paix, à votre
service. «
Le juge de paix, indigné :
— « Greffier, écrivez couturière. »
V. — Un juge de paix dicte un inventaire à son
greffier.
— « Item, dans une étable, trois cochons, dont
un grand, un petit, et le troisième raisonnable.
— Item, une chaise et un banc, sur lequel
nous sommes assis, mon greffier et moi, le tout
ne valant pas grand'chosc. »
VI. — Sentence attribuée au juge de paix de
Miradoux (Gers).
— « Attendu qu'un pet ne saurait constituer
une injure verbale, surtout quand il n'est pas cer-,
tain que ledit pet a été proféré au mépris de
^î. le maire de la commune de Saint- An-
toine (i), agissant dans l'exercice de ses fonc-
tions :
« Par ces motifs,
(i) Com.T.une du canton de Miradoux (Gers).
DIVERS 371
« Le Tribunal se déclare incompétent, et relaxe
le prévenu, sans dépens. »
VIL — Un juge de paix, dont la raison démé-
nageait, condamne un pauvre homme à la peine
des parricides, pour n'avoir pas fait ramoner sa
cheminée.
VIII. — En cour d'assises, présidées par un
conseiller beau parleur :
Le président à un paysan, qui n'entend pas un
mot de français :
— « Témoin, l'extrémité de l'instrument con-
tondant, dont s'est servi l'accusé pour frapper
Monsieur le maire d'Ornézan (i), agissant dans
l'exercice de ses fonctions, était-elle enduite de
matière fécale? »
Le témoin, ahuri :
— « Ué>
— Témoin, je vous demande si l'extrémité de
l'instrument contondant dont s'est servi l'accusé
pour fi-apper Monsieur le maire d'Ornézan, agis-
sant dans l'exercice de ses fonctions, était eii-
duite de matière fécale? »
Le témoin, encore plus ahuri :
— « Hé?
(i) Commune du canton d"Aucli (Gers).
372 DIVERS
— Huissier, traduisez ma question au témoin,
en langage vulgaire.
— / auèiio merdo, au cap don harrot ?
— O ! Moussu, n'i auèiio rede (i). »
IX. — Un vieu.x juge a dormi toute l'audience.
On le réveille pour opiner.
— « A mort ! A mort !
— Mais il s'agit d'un pré.
— Qu'on le fauche ! »
X, — Un avocat plaide une question d'adul-
tère. Les inculpés ne sont restés seuls que peu de
temps.
— « Messieurs, un grand philosophe, Sé-
nèque(2), a dit : « Pour consommer un adultère,
« il faut le temps de faire cuire un œuf à la coque,
« et dé le manger. »
« J'en conviens, Messieurs, les inculpés sont de-
meurés seuls durant le temps nécessaire pour faire
cuire un œuf à la coque, pour l'assaisonner de sel
et de poivre, pour découper en mouillettes une
tranche de pain. Mais ont-ils eu le temps de man-
ger l'œuf, comme l'exige impérieusement le grand
(:) Y avait-il de la merde, au bout du bâton? — Oh! Mon-
sieur, il y en avait beaucoup.
(2) Est-il besoin de noter que Séiièque n'a jamais rien dit de
pareil î
373
philosophe Sénèque ? Voilà, Messieurs, voilà le
grave problème qui s'impose à vos méditations. »
XL — Il y avait autrefois, à Lectoure, un avo-
cat, voleur comme une pie, gourmand comme
une lèchefrite. Cet avocat avait en main le pro-
cès du plus grand braconnier du pays. C'est dire
qu'il mangeait souvent des liè\Tes et des per-
dreaux qui ne lui coûtaient pas cher.
Enfin, à force de chicaner, l'avocat gagna son
procès. Aussitôt, il écrivit au client :
— « Mon ami, viens vite. J'ai une bonne nou-
velle à t'annoncer. »
A lettre vue, le braconnier alla prendre dans son
garde-manger, quatre beaux perdreaux, tués de la
veille, les Ua par les pattes avec une cordelette, et
les mit dans un panier, sous une bonne couche
de foin. Deux heures après, il entrait à Lectoure,
par le faubourg, et s'arrêtait chez un cordonnier
de ses amis. En ville, tout le monde savait déjà
que le braconnier avait gagné son procès. Pour
mieux l'en complimenter, le cordonnier mena son
ami boire un coup, à la cuisine.
Tandis que tous deux choquaient le verre, les
apprentis du cordonnier fouillaient vite, vite, dans
le panier.
— « Quatre perdreaux! Bonne affaire! »
En un tour de main, les perdreaux étaient rem-
374 DIVERS
placées, au bout de la cordelette, par une paire
de vieilles formes en chêne, dures comme des
cailloux, puantes comme des charognes,
— « Gueusard ! Voilà pour t'apprendre à trin-
quer sans nous avec le bourgeois. »
Sans se méfier de rien, le braconnier, gai
comme un merle, reprit son panier, et courut
chez l'avocat.
— <( Ah! Té voilà, mon ami{i), lui cria le chi-
caneur.
Qn' est-ce que tu diriais,
Si je té disiais
Que tu as gagné toun procès ?
— Et bons, moussu Vahoucat,
Qu'est-ce que hous diriais.
Si je vous foutiais.,..
Une paire de perdreaux à la figure.
— Fais, mon ami, fais. Tu en as lé drroil. »
Croyant toujours porter ses perdreaux, le bra-
connier saisit sa cordelette, lança de toute sa
(i) Ici le narrateur imite le français, avec un accent plus
j-articulièrement remarquable chez les vieux Gascons. Natu-
rellement, l'avocat parle le français. Son client veut en faire
aut.int. Sa dernière phrase, que j'ai dû traduire, se dit en
g.'.scon : « Un pareil de perdigails pous pol^, une paire de per.
lireaux à la figure. » Par un mouvement ce familiarité reconnais-
sante, encore usité dans mon pays, le braconnier voulait cha-
touiller, avec sou gibier, le visage de l'avocat.
force les deux vieilles formes à la ligure de Tavo-
cat, et lui cassa la mâchoire.
XII. — Ce même avocat avait gagné le procès
du meunier de Repassac (i), qui n'avait pas
son pareil comme pêcheur. Aussitôt, il écrivit
au client :
— « Mon ami, viens vite. J'ai une bonne nou-
velle à t' annoncer. »
A lettre vue, le meunier alla prendre une paire
de superbes anguilles, qu'il tenait en réserve dans
une auge, les enferma dans un panier rempli
d'herbe, et ficela le couvercle. Cela fait, il s'ha-
billa de neuf, et partit pour Lectoure, en prenant
par le hameau de La Côte (2). Là, il s'arrêta un
bon moment chez un tisserand, pour avoir des
nouvelles d'une pièce de toile que la meunière
attendait. Tandis que les deux hommes devi-
saient, la femme du tisserand déficela le panier,
enleva les deux superbes anguilles, et rétablit vite
le couvercle comme auparavant.
Le meunier repartit, et entra, fier comme un
paon, dans le cabinet de l'avocat. A la vue du pa-
nier, le chicaneur se mit à rire.
— « Bonjour, mon ami.
(i) Moulin sur le Gers, dans la commune de Lectuare.
(2) Hameau à mi-chemin entre Lectoure et le Gers.
376 DIVERS
— Bonjour, Monsieur l'avocat. Je vous ap-
porte... Je vous apporte... Vous allez voir ça. »
Le meunier tira son couteau, et coupa la ficelle
qui retenait le couvercle.
— « Monsieur l'avocat, je vous apporte... je
vous apporte... »
Le meunier cherchait les deux superbes an-
guilles, à travers l'herbe du panier.
— « Monsieur l'avocat, je vous apporte... je
vous apporte... »
Le meunier cherchait toujours les deux su-
perbes anguilles à travers l'herbe du panier.
— « Monsieur l'avocat, je vous apporte... je
vous apporte... Je ne vous apporte rien. »
XIII. — Voici comment s'y prenait le même
avocat, pour duper les paysans qui venaient le
consulter.
— « Bonjour, Monsieur l'avocat, disait un pau-
vre pa3^san, je viens pour vous demander un avis.
— Mon ami, ne parle pas. Si tu parles, c'est
quarante sous.
— Mais...
— Tu as parlé. Crache-moi quarante sous. Et
maintenant, mon ami, conte-moi ton affaire. »
Jusqu'au bout, l'avocat écoutait, sans souffler
mot.
— « Mon ami, je vois ce que c'est. Tu veux une
DIVERS 377
consultation. J'en ai à trois prix, selon les livres
dont je me sers. Consultation avec le petit livre,
un écu (i). Consultation avec le moyen livre,
deux écus. Consultation avec le grand livre, un
louis d'or (2) et une paire de chapons gras. Mon
ami, te voilà prévenu. Tu es libre. Choisis.
— Monsieur l'avocat, si vous preniez le petit
livre ?
— Oui, mon ami. Le petit li\Te ne tient pas
plus pour l'un que pour l'autre. Peut-être y trou-
verai-je ce qu'il te faut. Crache-moi l'écu. »
L'écu craché, l'avocat prenait le petit livre, y
cherchait un moment, et fronçait le sourcil.
— « Mon ami, ton affaire n'est pas de celles
où l'on voit clair au premier coup. Nous n'au-
rions pas dû commencer par le petit livre. Il fal-
lait le moyen, ou le grand. Maintenant, te voilà
prévenu. Choisis.
— Monsieur l'avocat, si vous preniez le moj-en
livre ?
— Oui, mon ami. Le moyen livre ne tient ni
pour l'un ni pour l'autre. Peut-être y trouverai-jc
ce qu'il te faut. Crache-moi les deux écus. »
Les deux écus crachés, l'avocat prenait le
moyen livre, y cherchait un moment, et fron-
çait le sourcil.
(:) De trois livres.
(2) De vingt-quatre livres.
378 DIVERS
— « Mon ami, ton affaire n'est pas de celles
où l'on voit clair au premier ou au second coup.
Nous n'aurions pas dû commencer par le petit
livre et continuer par le moyen. Il fallait le grand
livre. Maintenant, te voilà prévenu. Avec le grand
livre, je me fais fort de t'expliquer ton affaire.
— Eh bien, Monsieur l'avocat, prenez le grand
livre.
— Oui, mon ami. Crache-moi le louis d'or, en
attendant que tu m'apportes la paire de chapons
gras. ))
Alors, l'avocat essayait ses lunettes, prenait le
grand livre, et y cherchait longtemps, longtemps.
— « Mon ami, le grand livre te donne droit.
Il faut plaider, et plaider bientôt. Mais je ne
plaide pas pour rien. Retourne ici dans huit
jours, et viens me compter cent francs d'avance. «
XIV. — Un paysan disait un jour à son avocat :
— « Ah! Monsieur l'avocat, mon affaire est
bien merdeuse. J'ai bien besoin que vous m'v
foutiez un coup de langue (i). »
(i) Les quatorze anecdotes ci-dessus m'ont été fournies par
M. de Boubée-Lacouture, mort juge au tribunal de Lectoure, et
.M. I.odtran, mort greffier de la justice de paix de la même ville.
-^€>^^!^^-
VIII
HISTORIETTES SCATOLOGIQ.UES
I. — Un soir, veille de la foire de la Saint-
Martin (i), un marchand arrive dans une auberge
Je Lectoure.
— « Bonsoir, aubergiste. Vite, un lit. Je tombe
de sommeil.
— Marchand, mon auberge est pleine, pleine
à ce point qu'il m'a fallu mettre deux voyageurs
dans chaque lit. Voici le plus large. Couche-toi
là, et tâche de bien dormir, entre tes deux cama-
rades. »
Les deux camarades n'étaient pas contents.
Pourtant, ils firent place au nouvel arrivé. Mais
(i) Le II novembre. Il y a ce jour-là, à Lectoure, uue
foire de mules renommée dans toute la Gascogne.
3ôO DIVERS
le marchand avait son plan, et voulait le lit pour
lui tout seul.
Il se tourna donc sur le côté, et se mit à pisser
contre son camarade de face.
— « Salop! Tu me pisses dessus.
— Ne dis rien. Je chie contre l'autre. »
Les deux camarades décampèrent, et le mar-
chand eut le lit pour lui tout seul.
II. — Il y avait, une fois, à Notre-Dame-de-
Bonencontre (i), un homme bête comme une oie,
et glorieux comme un pou. Cet homme s'appe-
lait Taupe. Vingt fois par jour, il disait à ses voi-
sins :
— « Mes amis, comptez qu'un jour je ferai
parler de moi. »
Un samedi soir. Taupe se cacha dans l'église,
chia dans le bénitier, et retourna chez lui, sans
être vu.
Le lendemain dimanche, les gens arrivaient en
foule à l'église, et trempaient leurs doigts dans
l'eau bénite.
— « Mon Dieu, que ça pue! Mon Dieu, que
ça pue ! Quel est le cochon qui a chié dans le bé-
nitier ?
(i) Commune du canton d'Ageu (Lot-et-Garonne).
— C'est moi. C'est moi, répoudait Taupe tout
glorieux. »
Huit jours après, tout le monde répétait dans
le pays :
— « Taupe est un cochon. Il a chié dans le
bénitier de Notre-Dame-de-Bonencontre. »
Et Taupe riait, se frottant les mains, et disait à
ses voisins :
— « Mes amis, vous le voyez, je fais parler de
moi. »
m. — I! y avait, autrefois, à Lectoure, un
homme avare comme un Juif. Il s'appelait Mon-
mayran.
Pour épargner son bois, en hiver, Monmaj-ran
avait imaginé d'aller se chauffer, chaque matin,
dans une maison voisine. Jusqu'à l'heure de la
soupe, il demeurait dans la cuisine, au coin du
feu, et décampait au premier coup de VAnge-
Itts (i). Les femmes de la maison n'étaient pas
contentes ; mais elles n'osaient prendre sur elles
de chasser Monmayran de chez elles.
Depuis la première visite de l'avare, il se pas-
sait, dans la cuisine, des choses véritablement
étonnantes. Jusqu'à la venue de Monmayran, la
marmite, pendue à la crémaillère, marchait son
(i) V Angélus de midi.
382
tr^iin. Les choux, le quartier d'oie, le farci (i),
cuisaient dans un long bouillon. Mais, une fois
Monmayran parti, plus de bouillon pour tremper
la soupe. Rien que les choux, le quartier d'oie,
et le farci.
Alors, la maîtresse de la maison souffletait ses
filles et sa servante à tour de bras.
— « Carognes! C'est chaque jour la même
chose. Voyez. La marmite a trop bouilli. Rien
que les choux, le quartier d'oie, et le farci. Pas
une goutte de bouillon. »
A force d'être souffletées, les filles et la ser-
vante finirent par se méfier, et surveillèrent Mon-
mayran. Que virent-elles?
Cinq minutes avant ÏAngehis de midi, l'avare
fit courir l'œil. Puis, il tira de sous sa veste une
grosse seringue, en plongea la canule dans la
marmite, tira vite le bâton, et enleva le bouillon.
Les filles sautèrent sur les pincettes, la ser-
vante sauta sur sa pelle à feu.
— « Mère ! maîtresse ! Courez, courez vite.
Nous tenons enfin notre voleur de bouillon. »
La maîtresse empoigna le balai, et toutes ces
(i) La garbure, ou soupe aux choux, de la Gascogne, com-
porte l'addition d'un quartier d'oie confite à la graisse. On y
ajoute volontiers un farci, gâteau fait de mie de p.^in, d'œufs.
et de lard haché.
38?
femmes firent à Monmayran une telle conduite,
que le gueux décampa, pour ne revenir jamais.
IV. — Il y avait autrefois, à Condom (i), un
apothicaire, qui n'avait pas son pareil pour les
lavements bons à rafraîchir les paysans de l'Ar-
magnac, échauffés, en été, par les travaux de la
campagne. Chaque samedi, jour de marché (2),
chaque dimanche, jour de repos, les visiteurs ar-
rivaient par bandes.
Mais chacun son tour, comme au confession-
nal. Un à un, les paysans entraient, déculottés
dans l'arrière-boutique. Aussitôt, l'apothicaire
chargeait sa seringue dans un grand chaudron, et
poussait ferme.
— « Voilà. C'est deux sous. A un autre. »
Et les visiteurs filaient par la porte de l'arrière-
boutique, s'ouvrant sur un grand jardin, où les
plus pressés pouvaient rendre à leur aise ce qu'ils
venaient de recevoir.
Un jour, l'apothicaire travaillait à l'accoutumé.
Déjà, le paysan avait reçu les trois quarts du la-
vement.
(i) Chef-lieu d'arroudissement du département du Gers.
(2) Les marchés de Condom se tiennent eu effet tous k-s
s.imidis.
384
— « Ah! Mon Dieu! Monsieur l'apothicaire,
j'ai oubhé mes deux sous. »
Sans ôter la seringue du bon endroit, l'apo-
thicaire retira vite le bâton, et reprit son lave-
ment.
— « File, mauvais gueux. — A un autre (i). »
(i) Je sais, depuis longtemps, ces historiettes, d'ailleurs
populaires dans la Basse-Gascogne.
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ADDITIONS ET CORRECTIONS
Page 20j ligne 7, au lieu de « Le jeune homme obéit,
monta », lire « Le jeune homme obéit, et monta ».
Page 282, lignes 17-18, au lieu de « mais empêtré »,
lire « et empêtré ».
Page III, ligne 10, au heu de « couteau manche noir,
couteau de manche blanc », lire « couteau à manche
noir, couteau à manche blanc » .
Page 131, hgne 7, au lieu de « habiles», lire « avi-
sés ».
Page 162, ligne 9, au lieu de « demeures-y », lire
(( demeure-s-y ».
Page 164, ligne 19, au lieu de « gras », lire « gros ».
m 25
TABLE
COXTES FAMILIERS
LES GEXS AVISES
I. Jean le Paresseux . , 5
II. Le Kavire marchant sur terre, . , 12
m. Le Forgeron de Fumel •'. . 23
IV. Etienne l'habile. , ■ • . 36
V. Les Deux Filles 41
VI. Le Marchand de peignes de bois 52
VII. Tiens bon , 65
VIII. JeanniUe 71
IX. Grain-de-Millet 78
X. La Flûte de Courtebotte S7
XI. La Besace 93
XII. Petiton , 1 04
II
LES NWIS
I. Jean l'Imbécile, 123
II. Les Gens de Sainte-Dode 150
III. Le Voyage de Jeannot 137
IV. L'Âne de Montastruc. ...,,., 142
388 TABLE DES MATIÈRES
III
LE LOUP
I. Le Loup malade 149
IL Le Loup pendu i;2
III. Le Loup, le Limaçon, et les Guêpes. .. ,, 156
IV. La Chèvre et le Loup 159
V. Le Charbonnier. 163
VI. Le Château des Trois Loups 167
VIL Le Conte de Jeanne 1 74
VIII. La Petite Oie = .. 185
IX. Le Loup et l'Enfant 189
IV
LE RENARD
I. Le Renard et le Loup I9>
II. Le Renard et le Coq.. , ..., 199
III. La Chèvre et le Renard 200
IV. Le Renard et la Pie , . 203
V. La Merlesse et le Renard. . . , 204
V
ANIMAUX DIVERS
I. L'Aigle et le Renard 21 ;
II. Le Partage 216
III. L'Aigle et le Roitelet 21S
IV. Le Voyage du Coq.. ... 221
V. Le Coq et ses amis 223
VI. Le Lévrier et la Merlesse 229
VI
RANDONNÉES, ATTRAPES, ETC.
I. Le Rat et la Rate 235
IL Le Lait de Madame 23S
TABLE DES MATIÈRES 389
m. Tricote 240
IV. Le Père et la Fille. 243
V. Le Père, la Mère, et la Fille 246
VI. Bosquet 249
Vn. Dans la ville de Rome 2)3
VIII. Les Trois Chasseurs ■ 254
IX. La Pâte qui chante 256
X. Les Deniers > 260
RÉCITS
I
MORALITÉS
I. Le Lièvre 269
II. Les Deux présents 272
lU. L'Aveugle 277
IV. Les Mains blanches 279
V. Le Méchant Homme. 2S1
VI. La Femme méchante 2S4
vn. La Dame corrigée 2S7
VIII. Les Deux Gourmandes 289
IX. Les Ames du Purgatoire 291
II
LES GENS d'Église
I. L'Évêque et le Meunier 297
II. Le Curé avisé 3°'
III. Le Prédicateur muet 504
rV. Le Curé et les Paroissiens 309
V. Le Signe de la Croix 312
VI. Histoires du Curé de Lagarde 3^7
VIL Les Deux Abbés 3^9
VIII. Le Sermon du Cochon de lait 55'
390 TABLE DES MATIÈRES
IX. Dieu a dit 333
X. Le Sermon de la culotte 335
XL Superbe 357
XII. Le Diable au cimetière 539
XIII. Les Deux Moines 342
XIV, Le Cochon volé 3-14
XV. Les Cinq Dieux 347
XVI. Le Cordonnier Saint. , 349
III
DIVERS
I. La Truie pendue 359
IL Recommandations d'un Auvergnat 361
III. Les Trois Étameurs 362
IV. L'Enfant bègue. 363
V. La Leçon de Jeannet 365
VI. Le Normand et le Gascon 367
VII. Plaideurs et Gens de Robe 368
VIII. Historiettes scatologiques 379
Additions et corrections 38;
Achevé d'imprimer le ^i Décembre iSS^i
par G. Jacob imprimeur à Orléans
pour Maisonneuve frères
et Charles Leclerc
libraires éditeurs
à Paris
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