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Full text of "Les littératures populaires de toutes les nations; traditions, légendes, contes, chansons, proverbes, devinettes, superstitions"

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LtS 

LITTÉRATURES    POPULAIRES 

TOMK     XXI 


5.,     ioIlTT 


LITTÉRATURES 

POPULAIRES 

DE 

TOUTHS    LHS    NATIONS 


TRADITIONS,     LEGENDES 

CONTES,     CHANSONS,    PROVERBES,     DEVINETTES 

SUPERSTITIONS 

TOME    XXI 


PARIS        n,  ^ 


.MAISONNEUVH    FRERES    ei    CH^EECBiErV:^ 

25,     QUAI    VOLTAIRE,     iXA^       \ 
1886  ^ 


Tous  droits  rtscrvcs 


5.,  w^ni 


LITTÉRATURES 

POPULAIRES 

DE 

TOUTES    LES    NATIONS 


TRADITIONS,     LEGENDES 

CONTES,     CHANSONS,    PROVERBES,     DEVINETTES 

SUPERSTITIONS 

TOME   XXI 


PARIS      n,  ^  ^/  \  D 

lE] 


MAISONNEUVE    FRERES    ei    CH.^-EEC^EW 

2S 


:,     QUAI     VOLTAIRE,     ÏSAn 
1886  ^ 


Tous  droits  rtscrvis 


CONTES    P  O  P  U  L  A I  R  1-  S 


DE    LA    GASCOGNE 


TOME     III 


CONTES    POPULAIRES 


LA  GASCOGNE 


M.    Jean -François   BLADÉ 


CORRESPONDANT   DE    L  INSTITUT 


TOME    III 
CONTES     FAMILIERS    ET    RÉCITS 


PARIS 
MAISONNEUVI-    FRÈRES   ft    CH.    LECLERC 

25,     QUAI     VOLTAIRE,     2$ 


1886 

Tous  droits  réservés 


CONTES    FAxMILIERS 


III 


LES    GENS    AVISÉS 


I 

LES    GENS    AVISÉS 


LES    GENS   AVISES 


JEAN  LE  PARESSEUX 


hL  y  avait,  une  fois,  un  maître  fort  avare, 
et  fort  glorieux,  qui  prit  un  jour  à  son 
ser\-ice  un  métayer  si  fainéant,  si  fainéant, 
qu'on  l'appelait  Jean  le  Paresseux.  Quelques  temps 
après,  le  maître  voulut  aller  voir  ce  qui  se  passait 
à  la  métairie.  Il  monta  donc  à  cheval,  arriva  jus- 
qu'à la  porte  du  cliauffoir  (i),  et  trouva  Jean  le 
Paresseux  couché  en  travers  du  fover. 


(i)  En    gascon  lou   cauhadc,  pièce  principale   des  habitations 
rustiques. 


CONTES     FAMILIERS 


—  «  Bonjour,  maître. 

—  Bonjour,  Jean  le  Paresseux.  Es-tu  seul  à  la 
métairie  ? 

—  Non,  maître.  J'y  vois  la  moitié  de  deux 
bêtes  à  quatre  pieds. 

—  Insolent  !  Et  que  fais-tu  là,  couché  comme 
un  chien,  quand  tu  devrais  être  à  travailler  ? 

—  Maître,  je  fais  cuire  ceux  qui  vont  et  qui  s'en 
reviennent. 

—  Que  veux-tu  dire,  bête  ?  Où  est  ton  frère  ? 

—  Maître,  mon  frère  est  allé  à  une  chasse  où 
il  jette  tout  le  gibier  qu'il  prend,  et  emporte  ce- 
lui qu'il  ne  peut  atteindre. 

—  Tu  es  en  train  de  dire  des  sottises.  Où  est 
fa  mère? 

—  Maître,  ce  matin,  ma  mère  tranchait  la  tête 
;\  ceux  qui  se  portaient  bien,  pour  guérir  les  ma- 
lades. Maintenant,  elle  donne  des  coups  de  bâton 
aux  affamés,  et  fait  manger  ceux  qui  n'ont  pas 
faim . 

—  Que  dis-tu  là,  tête  de  porc  ?  Est-ce  là  tout 
ce  que  ta  mère  a  lait  aujourd'hui  ? 

—  Non,  maître.  Elle  s'est  aussi  levée  avant  le 
jour,  pour  faire  cuire  le  pain  que  nous  avons 
mangé  la  semaine  passée. 

—  Ah  !  l'animal  !  Je  n'en  tirerai  rien.  Où  est 
ton  père  ? 


LES     GENS    AVISÉS 


—  Maître,  mon  père  est  à  la  vigne,  et  il  y  fait 
le  bien  et  le  mal. 

—  Eh  bien  !  puisqu'il  est  à  la  vigne,  je  vais 
l'y  trouver.  Je  lui  conterai  toutes  tes  mauvaises 
réponses.  » 

Le  maître  s'en  alla  donc  à  la  vigne,  et  trouva 
le  père  de  Jean  le  Paresseux,  qui  taillait  les  sar- 
ments. 

—  «  Il  faut  dire,  mon  ami,  que  ton  nls  est 
un  grand  imbécile,  un  grand  insolent.  Tout-à- 
l'heure,  je  n'en  ai  tiré  que  de  mauvaises  réponses. 

—  Oh  !  maître,  je  ne  l'en  aurais  pas  cru  ca- 
pable. Et  que  vous  a-t-il  dit  ? 

—  Je  lui  ai  demandé  s'il  était  seul  à  la  mé- 
tairie. Il  m'a  répondu  :  «  J'y  vois  la  moitié  d'une 
bête  à  quatre  pieds.  » 

—  Maître,  il  a  dit  la  vérité.  Vous  n'avez  que 
deux  jambes  ;  et  votre  cheval  avançait  les  deux 
pieds  de  devant  dans  le  chauffoir.  Vous  faisiez 
donc,  ensemble,  la  moitié  d'une  bête  à  quatre 
pieds. 

—  Cela  se  peut.  Mais  quand  je  lui  ai  demandé 
ce  qu'il  faisait,  il  m'a  répondu  :  «  Je  fais  cuire 
ceux  qui  vont  et  qui  s'en  retournent.  » 

—  Maître,  il  a  dit  encore  la  vérité.  Mon  fils, 
faisait  cuire  des  haricots.  Les  haricots  montent 
et  descendent  dans  la  marmite.  Ils  vont,  et  s'en 
reviennent. 


CONTES    FAMILIERS 


—  Mais  quand  je  lui  ai  demandé  :  «  Où  est 
ton  frère  ?  »  il  m'a  répondu  :  «  Mon  frère 
est  allé  à  une  chasse  où  il  jette  tout  le  gibier 
qu'il  prend,  et  emporte  celui  qu'il  ne  peut  at- 
teindre. » 

—  Maître,  il  a  dit  encore  la  vérité.  Son  frère 
se  peignait,  et  jetait  les  poux  qu'il  avait  pris. 
Pourtant,  il  a  été  forcé  d'emporter  sur  sa  tête 
ceux  qui  ont  échappé  au  peigne. 

—  Mais  quand  je  lui  ai  demandé  :  «  Où  est  ta 
mère?  »  il  m'a  répondu  :  «  Ce  matin,  ma  mère 
tranchait  la  tête  à  ceux  qui  se  portaient  bien, 
pour  guérir  les  malades.  Maintenant,  elle  donne 
des  coups  de  bâton  aux  affamés,  et  fait  manger 
par  force  ceux  qui  n'ont  pas  faim.  » 

—  Maître,  il  a  dit  encore  la  vérité.  Sa  mère 
a  tué,  ce  matin,  deux  poulets,  pour  faire  du 
bouillon  à  un  malade.  Ensuite,  elle  a  chassé, 
avec  un  bâton,  les  poules  qui  venaient  manger  le 
millet,  pendant  qu'elle  gorgeait  les  oies. 

—  Mais  il  m'a  dit  aussi  :  «  Ma  mère  s'est  levée 
avant  le  jour,  pour  faire  cuire  le  pain  que  nous 
avons  mangé  la  semaine  passée.  » 

—  Maître,  il  a  dit  encore  la  vérité.  Ma  femme 
a  fait  au  four,  avant  l'aube,  pour  rendre  aux 
voisins  le  pain  qu'il  nous  ont  prêté  la  semaine 
dernière. 

—  Mais  quand  je  lui  ai  demandé  :  «  Où  est  ton 


LES     GENS     AVISES 


père  ?  »  il  m'a  répondu  :  «  Il  est  à  la  vigne,  et 
il  y  fait  le  bien  et  le  mal.  » 

—  Maître,  il  a  dit  encore  la  vérité.  Je  suis 
venu  tailler  la  vigne.  Je  fais  le  bien  quand  je 
taille  bien,  et  le  mal  quand  je  taille  mal. 

—  C'est  égal.  Jean  le  Paresseux  est  un  inso- 
lent. Je  vous  chasse  tous  de  la  métairie,  s'il  ne 
fait  pas  trois  choses  que  je  vais  lui  commander. 
D'abord,  il  mangera  plus  de  bouillie  de  mais  que 
le  plus  grand  mangeur  du  pays.  Ensuite,  il  jet- 
tera, avec  sa  fronde,  une  pierre  plus  loin  que  ne 
le  ferait  l'homme  le  plus  habile.  Enfin,  il  tirera 
du  sang  d'un  chêne. 

—  Eh  bien  !  maître,  mon  fils  tâchera  de  vous 
contenter.  » 

Le  père  s'en  alla  trouver  Jean  le  Paresseux,  et 
lui  conta  ce  qui  en  était. 

—  «  Soyez  tranquille,  père.  Je  ferai  tout  ce 
qui  m'est  commandé.  » 

Le  maître  manda  donc  le  plus  grand  mangeur 
du  pays  ;  et  il  fit  remplir  bien  également  deux 
grandes  terrines  de  bouiUie  de  maïs,  avec  une 
cuiller  dans  chacune.  Mais,  pendant  que  le  grand 
mangeur  se  bourrait  tant  qu'il  pouvait,  Jean  le 
Paresseux  jetait  adroitement  la  bouillie  de  maïs 
sous  la  table,  de  façon  qu'il  accula  son  compa- 
gnon. 

—  «  Et  maintenant,  dit  le  maître,  tu  vas  jeter. 


CONTES     FAMILIERS 


avec  ta  fronde,   une  pierre    plus  loin  que  ne  le 
ferait  l'homme  le  plus  habile.  » 

Le  maître  manda  donc  un  tireur  de  fronde  fort 
habile,  qui  jeta  sa  pierre  presque  à  perte  de  vue. 
Mais  Jean  le  Paresseux  avait  mis  un  pigeon  dans 
sa  fronde  Quand  il  lança  son  coup,  le  pigeon 
vola  plus  loin  que  les  yeux  ne  purent  le  suivre. 

—  «  Et  maintenant,  dit  le  maître,  tu  vas  tirer  du 
sang  d'un  chêne.  » 

Jean  le  Paresseux  fit  semblant  de  ramasser  une 
pierre,  pour  la  jeter  contre  un  chêne.  Mais  il  avait 
dans  sa  poche  un  œuf  couvi;  et  il  le  jeta  contre 
l'arbre,  de  façon  qu'on  aurait  cru  que  le  sang  était 
sorti  sur  le  coup. 

—  «  Maître,  dit  alors  Jean  le  Paresseux,  j'ai  fait 
ce  que  vous  m'avez  commandé.  Pourtant  j'aban- 
donne la  métairie,  car  j'ai  pris  un  autre  mé- 
tier. )) 

En  effet,  Jean  le  Paresseux  partit  avec  les  siens, 
Quelques  jours  après,  son  maître  le  rencontra 
vêtu  comme  un  prince. 

—  «  Quel  métier  fais-tu  donc  à  présent,  Jean 
le  Paresseux,  pour   être  si  bien  vêtu? 

—  Maître,  je  me  suis  mis  marchand  de  choses 
qui  ne  coûtent  rien. 

—  Que  veux-tu  dire? 

—  Je  veux  dire  que  je  me  suis  mis  voleur.  Ce 
que  je  vends  ne  me  coûte  rien.  Votre  cheval  vaut 


LES     GEXS     AVISÉS 


cinquante  pistoles.  Dans  trois  jours,  je  vous  l'au- 
rai vole,  et  je  vous  le  rendrai  pour  vingt-cinq. 

—  Nous  verrons  cela,  Jean  le  Paresseux.  Je 
vais  faire  bonne  garde  dans  l'écurie,  avec  mon 
fusil  et  mon  épée  ;  et  je  te  promets  que,  si  je  t'y 
prends,  je  te  tuerai  comme  un  chien.  » 

Le  maître  prit  donc  son  fusil  et  son  épée,  et 
s'en  alla  guetter  à  l'écurie.  Mais  au  bout  de  deux 
jours,  il  finit  par  s'endormir.  Alors,  Jean  le  Pa- 
resseux entra  doucement,  doucement,  amena  le 
cheval  sellé  et  bridé,  et  le  rendit  au  maître  le 
lendemain,  pour  vingt-cinq  pistoles  (i). 

(:)  Raconté  par  Isidore  Escarnot,  de  Bivès  (Ge.s). 


mm 


II 

LE  NAVIRE  MARCHANT  SUR  TERRE 


jL  y  avait,  une  fois,  un  roi  bien  malheu- 
reux. Pourtant,  il  était  aussi  riche  que  la 
men  Sa  fille  était  belle  comme  le  jour,  et 
sage  comme  une  sainte. 

Nuit  et  jour,  le  roi  pensait  : 

■ —  «  Il  me  faut  un  navire,  un  Navire  marchant 
sur  terre.  » 

Par  malheur,  nul  au  monde  n'était  en  état  de 
lui  donner  contentement. 

Enfin,  le  roi  fit  tambouriner  dans  toutes  les 
villes  et  villages  de  son  pays  : 

—  «  Ran  plan  plan  ran  plan  plan  ran  plan 
plan.  Vous  êtes  tous  avertis  que  le  roi  donnera  sa 
fille  en  mariage,  avec  sept  cents  métairies  en  dot, 
à  l'homme  qui  lui  fera  présent  d'un  Navire  mar- 
chant sur  terre.  » 


LES     GENS     AVISÉS  I3 

En  ce  temps-là  vivait,  avec  ses  trois  fils,  une 
pauvre  vieille  veuve. 

—  «  Mère,  dit  l'aîné  des  trois  fils,  vous  avez 
entendu.  Demain,  je  veux  partir  à  la  recherche 
du  navire,  du  Navire  marchant  sur  terre.  » 

Le  lendemain,  dès  la  pointe  de  l'aube,  l'aîné 
partait,  le  bâton  à  la  main,  une  petite  miche  de 
pain  noir  dans  sa  besace. 

Sur  les  dix  heures  du  matin,  il  s'assit,  pour  dé- 
jeuner, au  bord  d'une  fontaine.  En  ce  moment, 
un  pauvre  \ànt  à  passer. 

—  «  Jeune  homme,  j'ai  faim.  Pour  l'amour  de 
Dieu  et  de  la  sainte  Vierge  Marie,  donne-moi  un 
morceau  de  ta  petite  miche  de  pain  noir. 

—  Pauvre,  passe  ton  chemin.  Je  n'ai  pas  trop 
à  manger  pour  moi. 

—  Jeune  homme,  où  vas-tu  ?  » 

Le  garçon  haussa  les  épaules,  en  signe  de  mé- 
pris. 

—  «  Je  suis  mon  nez.  Mon  cul  le  pour- 
chasse (i). 

—  Jeune  homme,  je  te  parle  honnêtement. 
Fais  comme  moi. 

—  Eh  bien,  pauvre,  je  vais  chercher  des  ai- 
guillons (2). 


(i)  En  gascon  :  Siigui  lou  nas.  Loucu  l'acasso. 
(2)  Des  aiguillons  à  bœufs,  en  gascon  toucaderos. 


14  CONTES    FAMILIERS 

—  Des  aiguillons  tu  trouveras.  » 

Le  jeune  homme  acheva  sa  petite  miche  de 
pain  noir,  et  repartit.  Au  coucher  du  soleil,  il  s'ar- 
rêta, crevant  de  faim,  sur  le  seuil  d'une  métairie. 

—  «  Un  morceau  de  pain,  métayer,  s'il  vous 
plaît,  pour  l'amour  de  Dieu  et  de  la  sainte 
Vierge  Marie.  Paler  noster 

—  Décampe,  fainéant.  » 

Et  il  lui  lança  son  aiguillon. 
Le  jeune  homme  le  ramassa. 

—  «  C'est  toujours  autant  de  gagné.  » 
Et  il  repartit. 

Pendant  cent  jours,  le  malheureu.K  courut  le 
monde,  buvant  aux  fontaines,  mangeant  des  her- 
bes et  des  fruits  sauvages.  Quand  il  s'arrêtait, 
crevant  de  faim,  sur  le  seuil  de  quelque  métairie, 
pour  y  demander  l'aumône,  aussitôt  le  métayer 
lui  criait  : 

—  «  Décampe,  fainéant.  » 
Et  il  lui  lançait  son  aiguillon. 
Le  jeune  homme  le  ramassait. 

—  «  C'est  toujours  autant  de  gagné.  » 

Au  centième  jour,  le  garçon  avait  ramassé 
cent  aiguillons.  Mais  il  n'avait  pas  trouvé  ce  qu'il 
cherchait. 

Enfin,  le  malheureux  retourna  chez  sa  mère. 

—  «  Eh  bien!  mon  fils,  as-tu  trouvé  le  navire, 
le  Navire  marchant  sur  terre? 


LES     GEKS     AVISÉS  I5 


—  Mère,  je  n'ai  trouvé  que  ces  cent  aiguillons. 
Maintenant,  j'ai  fini  de  voyager.  » 

Alors,  le  cadet  des  trois  fils  parla. 

—  «  Mère,  demain  je  veux  partir  à  la  recher- 
che du  navire,  du  Navire  marchant  sur  terre.  » 

Le  lendemain,  dès  la  pointe  de  l'aube,  le  cadet 
partait,  le  bâton  à  la  main,  une  petite  miche  de 
pain  noir  dans  sa  besace. 

Sur  les  dix  heures  du  matin,  il  s'assit,  pour  dé- 
jeuner, au  bord  d'une  fontaine.  Un  pauvre  vint 
à  passer. 

—  «  Jeune  homme,  j'ai  faim.  Pour  l'amour 
de  Dieu  et  de  la  sainte  Vierge  Marie,  donne-moi 
un  morceau  de  ta  petite  miche  de  pain  noir. 

—  Pauvre,  passe  ton  chemin.  Je  n'ai  pas  trop 
à  manger  pour  moi. 

—  Jeune  homm.e,  où  vas-tu  ?  » 

Le  garçon  haussa  les  épaules,  en  signe  de  mé- 
pris. 

—  «  Je  suis  mon  nez.  Mon  cul  le  pourchasse. 

—  Jeune  homme,  je  te  parle  honnêtement. 
Fais  comme  moi. 

—  Eh  bien,  pauvre,  je  vais  chercher  des  que- 
nouilles. 

—  Des  quenouilles  tu  trouveras.  » 

Le  jeune  homme  acheva  sa  petite  miche  de  pain 
noir,  et  repartit.  Au  coucher  du  soleil,  il  s'arrêta, 
crevant  de  faim,  sur  le  seuil  d'une  métairie. 


l6  CONTES    FAMILIERS 


—  «  Un  morceau  de  pain,  métayère,  s'il  vous 
plaît,  pour  l'amour  de  Dieu  et  de  la  sainte  Vierge 
Marie.  Pater  noster 

■ —  Décampe,  fainéant.  » 

Et  elle  lui  lança  sa  quenouille. 

Le  jeune  homme  la  ramassa. 

—  il  C'est  toujours  autant  de  gagné.  » 
Et  il  repartit. 

Pendant  cent  jours,  le  malheureux  courut  le 
monde,  buvant  aux  fontaines,  mangeant  des 
herbes  et  des  fruits  sauvages.  Quand  il  s'arrêtait, 
crevant  de  faim,  sur  le  seuil  de  quelque  métairie, 
pour  y  demander  l'aumône,  aussitôt  la  métayère 
lui  criait  : 

—  «  Décampe,  fainéant.  » 

Et    elle    lui   lançait    sa    quenouille    dans    les 
jambes. 
Le  jeune  homme  la  ramassait. 

—  «  C'est  toujours  autant  de  gagné.  » 

Au  centième  jour,  le  garçon  avait  ramassé  cent 
quenouilles.  Mais  il  n'avait  pas  trouvé  ce  au'il 
cherchait. 

Enfin,  le  malheureux  retourna  chez  sa  mère. 

—  «  Eh  bien  !  mon  fils,  as-tu  trouvé  le  navire, 
le  Navire  marchant  sur  terre  ? 

—  Mère,  je  n'ai  trouvé  que  ces  cent  que- 
nouilles. Maintenant,  j'ai  fini  de  voyager.  » 

Alors,  le  dernier  des  trois  fils  parla. 


LES     GENS     AVISES  I7 

—  «  Mère,  demain  je  veux  partir  à  la  recher- 
che du  navire,  du  Navire  marchant  sur  terre.  » 

Le  lendemain,  dès  la  pointe  de  l'aube,  le  der- 
nier des  trois  fils  partait,  le  bâton  à  la  main,  une 
petite  miche  de  pain  noir  dans  sa  besace. 

Sur  les  dix  heures  du  matin,  il  s'assit,  pour  dé- 
jeuner, au  bord  d'une  fontaine.  Un  pauvre  vint  à 
passer. 

—  «  Jeune  homme,  j'ai  faim.  Pour  l'amour  de 
Dieu  et  de  la  sainte  Vierge  Marie,  donne-moi 
un  morceau  de  ta  petite  miche  de  pain  noir. 

—  Avec  plaisir,  pauvre.  Tiens,  mange-la  tout 
entière. 

—  Merci,  mon  ami.  Toi,  mange  toute  celle-ci.  » 
Et  le  pauvre  tira  de  sa  besace  une  grosse  miche 

de  pain,  blanche  comme  la  neige,  tendre  comme 
la  rosée. 

—  «  Jeune  homme,  où  vas-tu  ? 

—  Pauvre,  je  vais  à  la  recherche  du  Navire 
marchant  sur  terre. 

—  Jeune  homme,  couche-toi  là,  et  dors. 
Quand  je  te  réveillerai,  tu  auras  contentement.  » 

Le  garçon  obéit.  Une  heure  après,  son  com- 
pagnon le  réveilla. 

—  «  Assez  dormi,  jeune  homme.  Regarde.  » 
Le  navire,  le  Navire  marchant  sur  terre  était  là, 

peint  de  toutes  couleurs,  avec  des  mâts  d'argent, 
des  cordasfes  d'or,  et  des  voiles  de  soie  rouge. 


l8  CONTES     FAMILIERS 

—  «  Jeune  homme,  commande.  Le  navire, 
le  Navire  marchant  sur  terre  t'obéira.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait. 

—  «  Navire,  avance.  » 

Le  navire,  le  Navire  marchant  sur  terre  avança. 

—  «  Navire,  recule.  » 

Le  navire,  le  Navire  marchant  sur  terre  recula. 

—  «  Navire,  tourne.  » 

Le  navire,  le  Navire  marchant  sur  terre  tourna. 

—  «  Jeune  homme,  écoute.  Je  suis  le  Bon 
Dieu.  Tu  m'as  fait  la  charité.  Moi,  je  te  donne 
ce  navire,  ce  Navire  marchant  sur  terre.  Monte 
dedans,  et  pars.  Surtout,  n'oublie  pas  de  prendre 
avec  toi  tous  ceux  que  tu  rencontreras.  » 

Le  jeune  homme  salua  le  Bon  Dieu,  et  monta 
dans  le  navire,  qui  partit  aussi  vite  que  le  vent. 

Au  bout  de  cent  lieues,  il  vit  un  homme  qui 
rongeait  un  cep  de  vigne. 

—  «  Navire,  arrête.  « 

Le  navire,  le  Navire  marchant  sur  terre  s'arrêta. 

—  «  Mon  ami,  que  fais-tu  là  ? 

—  Jeune  homme,  tu  le  vois.  Cette  année,  le 
vin  est  cher.  Je  suis  pauvre.  Faute  de  mieux, 
je  ronge  ce  cep  de  vigne.  Cela  me  rappelle  le 
goût  du  vin. 

—  Mon  ami,  viens  avec  moi.  » 

L'homme  obéit,  et  monta  dans  le  navire,  c^ui 
repartit  aussi  vite  que  le  vent. 


LES    GENS     AVISÉS  19 

Cent  lieues  plus  loin,  tous  deux  virent  un  homme 
qui  rongeait  un  os  de  vache,  blanc  comme  neige. 

—  «  Navire,  arrête.  » 

Le  navire,  le  Navire  marchant  sur  terre  s'arrêta. 

—  «  Mon  ami,  que  fais-tu  là  ? 

—  Jeune  homme,  tu  le  vois.  Cette  année  la 
viande  est  chère.  Je  suis  pauvre.  Faute  de  mieux, 
je  ronge  cet  os  de  vache.  Cela  me  rappelle  le 
goût  de  la  viande. 

—  Mon  ami,  viens  avec  moi.  » 

L'homme  obéit,  et  monta  dans  le  navire  qui 
repartit  aussi  vite  que  le  vent. 

Au  bout  de  cent  lieues,  tous  trois  virent  un 
bûcheron  portant  sur  son  dos  la  moitié  de  la 
coupe  d'une  forêt. 

—  «  Navire,  arrête.  » 

Le  navire,  le  Navire  marchant  sur  terre  s'arrêta. 

—  «  Mon  ami,  que  fais-tu  là  ? 

—  Jeune  homme,  tu  le  vois.  Ma  marâtre  me 
crie  toujours  :  «  Tu  ne  me  rapportes  jamais  assez 
de  bois.  »  Alors,  j'ai  chargé  sur  mon  dos  la  moi- 
tié de  la  coupe  d'une  forêt. 

—  Mon  ami,  viens  avec  nous.  » 

Le  bûcheron  obéit,  et  monta  dans  le  navire, 
qui  repartit  aussi  vite  que  le  vent. 

Cent  lieues  plus  loin,  tous  quatre  virent  un 
homme  qui  tenait  un  soufflet  grand  comme  une 
église,  et  soufflait  ferme  vers  les  nuages. 


20  CONTES    FAMILIERS 

—  «  Navire,  arrête.  » 

Le  navire,  le  Navire  marchant  sur  terre  s'arrêta. 

—  «  Mon  ami,  que  fais-tu  là  ? 

—  Jeune  homme,  tu  le  vois.  Je  souffle,  pour 
chasser  le  mauvais  temps  et  la  grêle,  qui  empor- 
teraient nos  récoltes. 

—  Mon  ami,  viens  avec  moi.  » 

L'homme  obéit,  monta  dans  le  navire,  qui  re- 
partit aussi  vite  que  le  vent. 

Cent  lieues  plus  loin,  tous  cinq  débarquaient 
au  château  du  roi. 

—  «  Bonjour,  roi.  Voici  le  navire,  le  Navire 
marchant  sur  terre.  Et  maintenant,  il  me  faut  votre 
fille  en  mariage,  avec  sept  cents  métairies  en  dot. 

—  Jeune  homme,  je  te  donnerai  ma  fille,  avec 
sept  cents  métairies  en  dot,  quand  tu  m'auras 
fait  voir  un  homme  capable  de  lamper,  dans  une 
heure,  sept  bordelaises  de  vin  (i). 

—  Roi,  vous  aurez  contentement.  Valets,  vite, 
apportez  ici  sept  bordelaises  de  vin,  et  défoncez- 
les  par  le  haut.  « 

Les  valets  obéirent. 

Alors,  le  garçon  appela  l'iiomme  qu'il  avait 
trouvé  rongeant  un  cep  de  vigne. 

—  «  Hardi  !  mon  ami.  » 


(i)  La  bsrrique  bordelaise  jauge  un  quart  de  '.onneau  mari- 
time, soit  225  litres. 


LES     GEN'S     AVISES 


Dans  une  heure,  l'homme  avait  lampe  les  sept 
bordelaises  de  vin. 

—  «  Roi,  voilà  qui  est  fait.  Et  maintenant,  il  me 
faut  votre  fille  en  mariage,  avec  sept  cent  métairies 
en  dot. 

—  Jeune  homme,  je  te  donnerai  ma  fille,  avec 
sept  cents  métairies  en  dot,  quand  tu  m'auras  fait 
voir  un  homme  capable  d'avaler,  dans  une  heure, 
la  viande  de  sept  bœufs. 

—  Roi,  vous  aurez  contentement.  Cuisiniers, 
vite,  apportez  ici  la  viande  de  sept  boeufs.  » 

Les  cuisiniers  obéirent. 

Alors,  le  garçon  appela  l'homme  qu'il  avait 
trouvé  rongeant  un  os  de  vache  blanc  comme 
neige. 

—  «  Hardi  !  mon  ami.  » 

Dans  une  heure,  l'homme  avait  avalé  la  viande 
de  sept  boeufs. 

—  «  Roi,  voilà  qui  est  fait.  Et  maintenant,  il  me 
faut  votre  fille  en  mariage,  avec  sept  cents  mé- 
tairies en  dot. 

—  Jeune  homme,  ma  fille  ne  veut  pas  de 
toi. 

—  Roi,  vous  en  avez  menti.  Faisons  bataille.  « 
Alors,  le  roi  manda  ses  soldats,  et  partit  en 

guerre.  Mais  le  jeune  homme  appela  le  bûcheron, 
et  l'homme  au  soufilet  grand  comme  une  église. 

—  «  Hardi  !  mes  amis.  » 


CONTES     FAMILIERS 


A  grands  coups  de  hache,  le  bûcheron  cou- 
chait morts  les  soldats  du  roi  par  centaines.  Avec 
le  soufflet  grand  comme  une  église,  son  com- 
pagnon faisait  voler  à  sept  lieues  les  balles,  les 
pierres,  et  les  boulets  de  fer. 

Le  roi  vit  qu'il  n'était  pas  le  plus  fort. 

—  «  Jeune  homme,  faisons  la  paix.  Renvoie 
vite  ces  gens-là.  Je  te  donne  ma  fille  en  mariage, 
avec  sept  cents  métairies  en  dot.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Le  jeune  homme  renvoya 
ses  quatre  amis  chargés  de  présents.  11  épousa  la 
fille  du  roi.  Tous  deux  vécurent  longtemps  riches 
et  heureux  (i). 


(i)  Dicté  par  Pauline  Lacaze,  de  Panassac  (Gers).  Ce  conte 
est  encore  assez  répandu  dans  la  Gascogne.  M.  Lacroi.v,  rece- 
veur de  l'enregistrement  à  Agen,  en  a  recueilli,  dans  le  dé- 
partement de  l'Ariège,  et  de  la  bouche  d'un  meunier,  une  leçon 
dont  le  fond  est  à  peu  près  identique  à.  celle  de  Pauline  Lacaze. 


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III 


LE  FORGERON  DE  FUMEL 


IL  y  avait,  autrefois,  à  Nvîmc  (i),  un  roi 

qui  s'appelait  Henri  IV.  Ce  roi  était  riche 

comme  la   mer,    aumônier    comme  un 

prêtre,  hardi  comme  un  lion,   juste  comme  l'or. 

Pourtant,  Henri  IV  n'était  pas  heureux.  Nuit 

et  jour,  il  se  disait  : 

—  «  Les  galériens  ne  souffrent  pas  autant  que 
moi.  Je  n'ai  qu'une  fille,  plus  belle  que  le  jour, 
et  plus  sage  qu'une  sainte.  Mais  elle  est  si  triste, 
si  triste,  que  nul  galant  ne  peut  se  vanter  de  l'a- 
voir fait  rire  une  seule  fois.  Aussi,  l'a-t-on  sur- 
nommée la  Princesse  Triste-Mine.  J'ai  sept  cents 


(i)  Chef-lieu  d'arrondissement  du  département  de  Lot-et-G.i- 
ronue.  On  sait  que  Henri  IV,  alors  qu'il  n'était  encore  que  roi  de 
Navarre,  tenait  généralement  sa  petiie  cour  i  Ntrac. 


24  CONTES     FAMILIERS 

chevaux  superbes,  tous  noirs  comme  l'âtre.  Pour- 
tant, je  n'aime  que  mon  grand  cheval  blanc.  Mais 
il  est  si  méchant,  si  méchant,  que  le  plus  habile 
forgeron  (i)  de  la  terre  est  hors  d'état  de  le 
ferrer  des  quatre  pieds.  Aussi  l'a-t-on  surnommé 
Brise-Fer.  Non,  les  galériens  ne  souffrent  pas  au- 
tant que  moi.  » 

Enfin,  Henri  IV  n'y  put  plus  tenir,  et  manda 
dans  son  château  le  tambour  de  ville. 

—  «  Tambour,  voici  mille  pistoles.  Va-t-en 
courir  le  monde,  et  crier  partout  :  «  L'homme 
capable  de  faire  rire  une  seule  fois  la  Princesse 
Triste-Mine,  et  de  ferrer  des  quatre  pieds  le  grand 
cheval  blanc  Brise-Fer,  sera  le  gendre  et  l'héri- 
tier de  Henri  IV.  » 

—  Roi,  vous  serez  obéi.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  h'it.  Force  galants  se  pré- 
sentèrent, pour  tenter  les  deux  épreuves.  Tous 
s'en  retournèrent  comme  ils  étaient  venus. 

En  ce  temps-là,  vivait  à  Fumel  (2),  avec  sa 
vieille  mère,  un  jeune  et  hardi  forgeron. 

—  «  Mère,  dit-il  un  soir  à  souper,  demain,  je 
pars  pour  Nérac.  C'est  moi  qui  ferai  rire,  au 
moins  une  fois,  la  Princesse  Triste-Mine,  et  qui 


(i)  En  Gascogne,  beaucoup  de  forgerons  travaillent  en  méine 
temps  comme  maréchaux-ferranis. 

(2)  Chef-lieu  de  canton  du   département  de  Lot-et-Garonne. 


LES     GENS     AVISÉS 


ferrerai  des  quatre  pieds  le  grand  cheval  blanc, 
Brise-Fer.  Ainsi,  je  serai  le  serai  le  gendre  et 
l'héritier  de  Henri  IV. 

—  Pars,  mon  fils,  et  que  le  Bon  Dieu  te  con- 
duise, » 

La  brave  femme  alla  se  coucher.  Alors,  le  For- 
geron tira  de  son  coffre  toute  sa  petite  for- 
tune, cent  écus  de  six  livres,  et  cinquante  louis 
d'or.  Avec  les  cent  écus  de  six  livres,  il  forgea 
quatre  fers  d'argent.  Avec  les  cinquante  louis, 
il  forgea  vingt-huit  clous  d'or,  sept  pour  chaque 
fer. 

A  la  pointe  de  l'aube  tout  était  prêt.  Le  For- 
geron partait  pour  Nérac,  sa  besace  de  cuir  en 
bandoulière.  Dans  cette  besace,  il  y  avait  un 
pain,  une  gourde  pleine  de  vin,  un  marteau,  les 
quatre  fers  d'argent,  et  les  vingt-huit  clous  d'or. 

Trois  heures  plus  tard,  le  Forgeron  mangeait 
et  buvait,  assis  au  bord  du  chemin.  Dans  un 
champ  de  blé  voisin,  chantait  un  grillon  noir 
comme  la  suie. 

—  «  Cri  cri  cri.  Bonjour,  Forgeron. 

—  Bonjour,  grillon.  Qu'y  a-t-il  pour  ton  ser- 
vice ? 

—  Cri  cri  cri.  Forgeron,  je  veux  savoir  où  tu 
vas. 

—  Grillon,  je  vais  à  Nérac,  faire  rire  la  Prin- 
cesse Triste-Mine,  et  ferrer  le  grand  cheval  blanc 


20  CONTES    FAMILIERS 

Brise-Fer.  Ainsi,  je  serai  le  gendre  et  l'héritier  de 
Henri  IV. 

—  Cri  cri  cri.  Forgeron,  emporte-moi.  Je  te 
rendrai  peut-être  service. 

—  Grillon,  avec  plaisir.  Allons  !  Hop  !  Ancre- 
toi  fort  et  ferme  sur  mon  menton.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Le  Forgeron  repartit, 
emportant  le  grillon  ancré  sur  son  menton. 

Trois  heures  plus  tard,  il  buvait  et  mangeait 
encore,  assis  au  bord  du  chemin.  Dans  un  champ 
voisin,  un  petit  rat  grignottait  une  feuille  de  ta- 
bac. 

—  «  Couic  couic  couic.  Bonjour,  Forgeron. 

—  Bonjour,  rat.  Q.a'y  a-t-il  pour  ton  ser- 
vice ? 

—  Couic  couic  couic.  Forgeron,  je  veux  savoir 
où  tu  vas. 

—  Rat,  je  vais  à  Nérac,  fiiire  rire  la  Princesse 
Triste-Mine,  et  ferrer  le  grand  cheval  blanc  Brise- 
Fer.  Ainsi,  je  serai  le  gendre  et  l'héritier  de 
Henri  IV. 

— ■  Couic  couic  couic.  Forgeron,  emporte-moi. 
Je  te  rendrai  peut-être  service. 

—  Rat,  avec  plaisir.  Allons  !  Hop  !  Ancre-toi 
fort  et  ferme  sur  mon  béret.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Le  Forgeron  repartit, 
emportant  le  grillon  ancré  sur  son  menton,  et  le 
rat  ancré  sur  son  béret. 


LES     GENS     AVISÉS  27 

Le  même  soir,  il  ronflait  comme  un  bien- 
heureux entre  deux  draps,  dans  une  auberge 
d'Agen.  A  la  pointe  de  l'aube,  il  s'éveilla  brus- 
quement, piqué  sur  le  bout  du  nez. 

—  «  Forgeron,  debout,  debout.  Assez  dormi, 
fainéant. 

—  Qui  es-tu  ?  Je  t'entends,  mais  je  ne  te  vois 
pas. 

—  Forgeron,  je  suis  la  Mère  des  Puces,  et  je 
suis  ancrée  sur  le  bout  de  ton  nez.  Forgeron,  je 
veux  savoir  où  tu  vas. 

—  Mère  des  Puces,  je  vais  à  Nérac,  faire  rire 
la  Princesse  Triste-Mine,  et  ferrer  le  grand  cheval 
blanc,  Brise-Fer.  Ainsi,  je  serai  le  gendre  et  l'hé- 
ritier de  Henri  IV. 

—  Forgeron,  emporte-moi.  Je  te  rendrai  peut- 
être  service. 

—  Mère  des  Puces,  demeure  ancrée  fort  et 
ferm.e  sur  le  bout  de  mon  nez.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Le  Forgeron  repartit,  le 
grillon  ancré  sur  son  menton,  le  rat  ancré  sur  sou 
béret,  et  la  Mère  des  Puces  ancrée  sur  le  bout  de 
son  nez. 

Trois  heures  après  le  lever  du  soleil,  il  était  à 
Nérac,  assis  sur  un  banc  de  pierre,  tout  à  côté  de 
la  maîtresse-porte  du  château  du  roi. 

Valets  et  servantes  le  regardaient  en  riant. 

—  «  Forgeron,  qu'es-tu  venu  faire  ici  ? 


28  CONTES     FAMILIERS 

—  Braves  gens,  je  suis  venu  parler  à  Henri  IV, 
et  à  la  Princesse  Triste-Mine. 

—  Forgeron,  les  voici  justement,  qui  revien- 
nent de  la  messe.  » 

Le  Forgeron  se  présenta  sans  peur  ni  crainte. 

—  «  Bonjour,  Princesse  Triste-Mine.  Je  suis 
venu  pour  vous  faire  rire.  Bonjour,  Henri  IV.  Je 
suis  venu  pour  ferrer  le  grand  cheval  blanc  Brise- 
Fer.  Ainsi,  je  serai  votre  gendre  et  votre  héri- 
tier. » 

En  voyant  ainsi  son  prétendu,  avec  un  grillon 
ancré  sur  le  menton,  un  rat  ancré  sur  le  béret,  et 
la  Mère  des  Puces  ancrée  sur  le  bout  de  son  nez, 
la  Princesse  Triste-Mine  éclata  de  rire. 

—  «  Henri  IV,  la  première  moitié  de  mon 
travail  est  faite.  La  princesse  Triste-Mine  vient 
de  rire,  pour  la  première  fois  de  sa  vie. 

—  Forgeron,  c'est  juste.  Et  maintenant,  il  s'agit 
de  descendre  à  l'écurie,  et  de  ferrer  mon  grand 
cheval  blanc,  Brise-Fer. 

—  Henri  IV,  je  suis  à  votre  commandement.  » 
Tous  trois  descendirent  à  l'écurie.  Là,  le  For- 
geron tira  de  sa  besace  son  marteau,  les  quatre 
fers  d'argent ,  et  les  vingt-huit  clous  d'or. 
Henri  IV  et  la  Princesse  Triste-Mine  ouvraient 
de  grands  yeux. 

—  «  Forgeron,  voilà  des  fers  et  des  clous  qui 
n'ont  pas  leurs  pareils  au  monde. 


LES     GENS    AVISES  29 

—  Princesse  Triste-Mine,  je  ne  suis  pas  un 
forgeron  comme  les  autres.  L'or  et  l'argent  ne 
me  manquent  pas.  Henri  IV,  je  ne  suis  pas  un 
forgeron  comme  les  autres.  Vous  allez  voir  ce 
que  je  sais  faire.  » 

Mais  le  grand  cheval  blanc,  Brise-Fer,  se  mé- 
fiait. Il  se  cabrait,  il  ruait,  il  hennissait  à  se  faire 
entendre  à  plus  de  sept  lieues.  Le  Forgeron  ne 
faisait  qu'en  rire. 

—  «  Grillon,  fais  ton  métier.  » 

Aussitôt,  le  grillon  sauta  dans  l'oreille  du  grand 
cheval  blanc  Brise-Fer,  et  se  mit  à  chanter  tant 
qu'il  put  : 

—  ce  Cri  cri  cri.  Cri  cri  cri.  Cri  cri  cri.  » 
Assourdi  par  ce  tapage,  le  cheval  eut  bientôt 

fini  de  se  cabrer,  de  ruer,  et  de  hennir.  Doux 
comme  un  mouton,  il  baissait  le  nez  à  terre. 

—  «  Rat,  fais  ton  métier.  » 

Aussitôt,  le  rat  sauta  sous  le  nez  du  grand 
cheval  blanc,  Brise-Fer,  et  se  mit  à  péter  et  à 
vesser  tant  qu'il  put. 

—  «  Pau  !  pan  !  pan  !  Ft  !  ft  !  ft  !  » 

Pets  et  vesses  empestaient  le  tabac,  dont  le  rat 
avait  coutume  de  se  nourrir.  A  cette  odeur,  le 
cheval  s'endormit. 

Alors,  le  Forgeron  le  ferra  des  quatre  pieds,  lui 
mit  la  bride  et  la  selle,  et  sauta  dessus,  sans  peur 
ni  crainte. 


30  CONTES     FAMILIERS 

—  «  Hue  !  Hue  donc  !  » 

Le  grand  cheval  blanc  Brise-Fer  se  leva.  Main- 
tenant, il  obéissait  à  la  main  et  à  la  voix. 
Alors,  le  Forgeron  dit  au  roi  : 

—  «  Henri  IV,  la  seconde  moitié  de  mon  tra- 
vail est  faite.  Le  grand  cheval  blanc,  Brise-Fer,  est 
ferré  des  quatre  pieds.  Ainsi,  je  dois  être  voire 
gendre  et  votre  héritier. 

—  Forgeron,  c'est  juste.  J'entends  que  tu 
épouses  ma  fille  ce  matin  même.  Intendant,  cours 
avertir  le  curé.  Et  vous,  servantes  et  valets,  pré- 
parez vite  une  belle  noce.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Jamais  on  n'avait  vu, 
jamais  on  ne  verra  noce  pareille.  Pourtant,  le 
Forgeron  n'était  pas  content,  et  ne  mangeait  pas 
de  bon  appétit  II  pensait  : 

—  «  Voici  venir  l'heure  des  embarras.  Ce  ma- 
tin, j'ai  dit  devant  la  Princesse  Triste-Mine  et 
Henri  IV  :  «  L'or  et  l'argent  ne  me  manquent 
pas.  »  Pourtant,  je  suis  plus  pauvre  que  les 
pierres.  Mon  petit  avoir  est  passé,  passé  tout  entier 
à  ferrer  des  quatre  pieds  le  grand  cheval  blanc, 
Brise-Fer.  Que  faire,  mon  Dieu  ?  Que  faire  ?  » 

Au  sortir  de  table,  un  jeune  homme  s'appro- 
cha du  marié. 

—  «  Forgeron,  je  veux  te  parler  en  secret. 

—  Mon  ami,  je  suis  à  ton  commandement. 

—  Forgeron,    j'aime    de    tout   mon    cœur  la 


LES     GENS     AVISES 


Princesse  Triste-Mine,  qui  n'a  pas  voulu  de  moi. 
Forgeron,  je  suis  riche  comme  la  mer.  Ecoute. 
L'heure  approche  où  tu  dois  aller  te  coucher  avec 
ta  femme.  Jure-moi,  par  ton  âme,  de  n'y  pas  tou- 
cher de  toute  la  nuit,  et  demain  matin  je  te  donne 
un  grand  sac,  plein  de  quadruples  d'Espagne. 

—  Mon  ami,  c'est  convenu.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Au  lieu  de  souffler  la 
lumière,  et  de  se  coucher  près  de  sa  femme,  le 
Forgeron  passa  toute  la  nuit  à  se  promener  dans 
la  chambre.  D'heure  en  heure,  il  demandait  à  la 
Princesse  Triste-Mine  : 

—  «  Femme,  sais-tu  combien  de  quadruples 
d'Espagne  peut  contenir  un  grand  sac  ?  » 

Au  lever  du  soleil,  il  s'en  alla  trouver  le  jeune 
homme. 

—  «  Mon  ami,  j'ai  gagné  ce  que  tu  m'as  pro- 
mis hier  soir.  » 

Tandis  que  le  Forgeron  cachait  son  or, 
Henri  IV  eiitra  dans  la  chambre  de  la  Princesse 
Triste-Mine. 

—  «  Eh  bien!  ma  fille,  comment  as-tu  passé  ta 
première  nuit  de  noces? 

—  Mon  père,  ne  m'en  parlez  pas.  J'ai  coucJic 
seule.  Toute  la  nuit,  mon  mari  s'est  promené 
dans  la  chambre.  D'heure  en  heure,  il  me  deman- 
dait :  «  Femme,  sais-tu  combien  de  quadruples 
d'Espagne  peut  contenir  un  grand  sac  ?  » 


32  CONTES     FAMILIERS 

—  Ma  fille,  ton  mari  t'a  fait  un  grand  affront. 
Je  compte  bien  que,  la  nuit  prochaine,  il  ne  re- 
commencera pas.  » 

Mais  le  Forgeron  avait  un  autre  grand  sac  de 
quadruples  d'Espagne  à  gagner  comme  le  pre- 
mier. Au  lieu  de  souffler  la  lumière,  et  de  se  cou- 
cher près  de  sa  femme,  il  passa  toute  la  nuit  à 
se  promener  dans  la  chambre.  D'heure  en  heure, 
il  demandait  à  la  Princese  Triste-Mine  : 

—  «  Femme,  sais-tu  combien  de  quadruples 
d'Espagne  peut  contenir  un  grand  sac  ?  » 

Au  lever  du  soleil,  il  s'en  alla  trouver  le  jeune 
homme. 

—  «  Mon  ami,  j'ai  gagné  ce  que  tu  m'as  pro- 
mis hier  soir.  » 

Tandis  que  le  Forgeron  cachait  son  or,  Hen- 
ri IV  entra  dans  la  chambre  de  la  Princesse 
Triste-Mine. 

—  «  Eh  bien!  ma  fille,  comment  as-tu  passé  ta 
seconde  nuit  de  noces  ? 

—  Mon  père,  ne  m'en  parlez  pas.  J'ai  couché 
seule.  Toute  la  nuit,  mon  mari  s'est  promené 
dans  la  chambre.  D'heure  en  heure,  il  me  deman- 
dait :  «  Femme,  sais-tu  combien  de  quadruples 
d'Espagne  peut  contenir  un  grand  sac  ?  » 

—  Ma  fille,  ton  mari  t'a  fait  un  autre  grand 
affront.  Je  compte  bien  que,  la  nuit  prochaine,  il 
ne  recommencera  pas.  » 


LES     GENS    AVISÉS  33 

Mais  le  Forgeron  avait  un  autre  grand  sac 
de  quadruples  d'Espagne  à  gagner,  comme  les 
deux  premiers.  Au  lieu  de  souffler  la  lumière,  et 
de  se  coucher  près  de  sa  femme,  il  passa  toute  la 
nuit  à  se  promener  dans  la  chambre.  D'heure  en 
heure,  il  demandait  à  la  Princesse  Triste-Mine  : 

—  «  Femme,  sais-tu  combien  de  quadruples 
d'Espagne  peut  contenir  un  grand  sac  ?  » 

Au  lever  du  soleil,  il  s'en  alla  trouver  le  jeune 
homme. 

—  «  Mon  ami,  j'ai  gagné  ce  que  tu  m'as  pro- 
mis hier  soir.  Et  maintenant,  je  suis  assez  riche. 
Ce  soir,  ma  femme  aura  de  mes  nouvelles.  » 

Tandis  que  le  Forgeron  cachait  son  or,  Hen- 
ri IV  entra  dans  la  chambre  de  la  Princesse 
Triste-Mine. 

—  ce  Eh  bien!  ma  fille,  comment  as-tu  passé  ta 
troisième  nuit  de  noces  ? 

—  Mon  père,  ne  m'en  parlez  pas.  J'ai  couché 
seule.  Toute  la  nuit,  mon  mari  s'est  promené 
dans  ma  chambre.  D'heure  en  heure,  il  me  de- 
mandait :  «  Femme,  sais-tu  combien  de  quadru- 
ples d'Espagne  peut  contenir  un  grand  sac  ?  » 

—  Ma  fille,  ton  mari  a  fini  de  te  faire  de 
grands  aflnronts.  Je  ne  veux  pas  d'un  chapon  pour 
gendre,  et  tu  n'en  veux  pas  pour  mari.  Ton 
mariage,  je  le  romps.  Ce  matin  même,  tu  épou- 
seras le  riche  galant  dont  tu  ne  voulais  pas.  » 

III  3 


34  CONTES     FAMILIERS 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Alors,  le  Forgeron  de- 
vint bien  triste,  car  il  aimait  sa  femme  de  tout 
son  cœur. 

Le  grillon,  le  rat,  et  la  Mère  des  Puces  le  con- 
solaient. 

—  «  Bon  courage.  Forgeron.  Nous  ne  t'aban- 
donnerons pas.  » 

En  effet,  une  heure  avant  le  coucher,  les  trois 
bestioles  attendaient,  cachées  sous  le  coussin  du 
lit  de  la  Princesse  Triste-Mine. 

Les  mariés  se  mirent  au  lit. 

Aussitôt,  le  grillon  et  la  Mère  des  Puces  sau- 
tèrent sur  le  mari,  pour  le  tourmenter  et  le 
mordre  jusqu'au  sang.  Il  criait  et  sautait,  comme 
un  possédé  du  Diable.  A  force  de  se  démener,  le 
pauvre  homme  épuisé  finit  par  retomber  comme 
une  masse.  Alors,  le  rat  sauta  sous  son  nez,  et  se 
mit  à  péter  et  à  vesser  tant  qu'il  put. 

~  «  Pan  !  pan  !  pan  !  Ft  !  ft  !  ft  !  » 

Pets  et  vesses  empestaient  le  tabac  dont  le  rat 
avait  coutume  de  se  nourrir.  A  cette  odeur,  le 
mari  s'endormit  comme  une  souche. 

Le  lendemain,  comme  il  ronflait  toujours, 
Henri  IV  entra  dans  la  chambre  de  la  Princesse 
Triste-Mine. 

—  «  Eh  bien!  ma  fille,  comment  as-tu  passé 
la  première  nuit  de  tes  noces  ? 

—  Mon  père,   ne  m'en  parlez  pas.  Regardez 


LES     GEKS    AVISÉS  35 

plutôt  ce  rien  qui  vaille.  Je  préfère  encore  le  For- 
geron. 

—  Ma  fille,  tu  auras  contentement.  Ton  second 
mariage,  je  le  romps.  Ce  matin  même,  tu  épou- 
seras de  nouveau  ton  premier  mari.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  La  nuit  venue,  le  For- 
geron prouva  qu'il  n'était  pas  un  chapon  (i). 


(1)  Dicté  par  feu  Aristide  Tessier,  de  Sainte-Bazeille,  qui 
avait  recueilli  à  Tombebeuf  (Loi-et-Garoime)  ce  conte,  dont  le 
fond  est  encore  très  populaire  dans  la  Gascogne  et  l'Agenais. 


^^^è^à^^^^^^^^iè:^ 


IV 

ETIENNE   L'HABILE 


SL  y  avait,  une  fois,  un  roi  qui  avait  une 
fille  belle  comme  le  jour.  Un  dimanche, 
en  allant  à  l'église,  elle  trouva  une  pu- 
naise sur  son  cou.  Elle  la  prit,  et  l'enferma  dans  un 
coffre.  Matin  et  soir,  elle  la  nourrissait  de  son 
sang.  Aussi  la  punaise  grossit,  grossit,  et  devint 
aussi  forte  qu'un  peut  chien.  Mais  elle  finit  par 
mourir.  Que  fit  alors  la  princesse?  Elle  écorcha 
la  bête,  et  donna  la  peau  à  un  tanneur,  afin  qu'il 
la  préparât,  pour  en  recouvrir  le  coff're.  Cela  fait, 
le  roi  fit  trompeter  partout  qu'il  donnerait  sa  fille 
en  mariage  au  garçon  qui  connaîtrait  de  quelle 
bête  était  la  peau  qui  recouvrait  le  coff're. 

Trois  ans  se  passèrent  à  attendre.  Force  gens 
se  présentèrent,  et  s'en  revinrent  sans  pouvoir 
deviner.  On  parlait  de  cela  dans  tout  le  pays, 


LES     GEXS     AVISÉS  37 

si  bien  qu'un  jour,  un  garçon,  nommé  Etienne 
l'Habile,  dit  à  ses  voisins  assemblés  : 

—  «  Ecoutez.  Je  vais  partir  pour  le  château  du 
roi,  et  je  me  charge  de  deviner  de  quelle  peau  est 
recouvert  le  coffre  de  la  princesse.  » 

Etienne  l'Habile  partit  seul,  avec  cinq  chevaux 
sellés  et  bridés.  Au  bout  de  sept  lieues,  il  trouva  un 
homme  qui  écoutait,  l'oreille  posée  contre  terre. 

—  «  Que  fais-tu  là,  mon  ami? 

—  Monsieur,  je  suis  Jean  Fine-Oreille.  J'é- 
coute ce  que  disent  les  gens  de  l'autre  monde. 

—  Jean  Fine-Oreille,  viens  avec  moi.  Bientôt, 
j'aurai  besoin  de  toi,  et  tu  seras  bien  récom- 
pensé. » 

Jean  Fine-Oreille  monta  donc  à  cheval,  et  ils 
repartirent.  Au  bout  de  sept  lieues ,  ils  trou- 
vèrent, derrière  une  haie,  un  homme  qui  tirait 
des  coups  de  fusil. 

—  «  Que  fais-tu  là,  mon  ami  ? 

—  Monsieur,  je  suis  Pierre  le  Bon-Viseur.  Je 
tire  aux  roitelets,  qui  sont  là-bas,  là-bas,  sur  la 
montagne. 

—  Pierre  le  Bon-Viseur,  viens  avec  moi.  Bien- 
tôt, j'aurai  besoin  de  toi,  et  tu  seras  bien  récom- 
pensé. » 

Pierre  le  Bon-Viseur  monta  donc  à  cheval,  et 
ils  repartirent.  Au  bout  de  sept  lieues,  ils  trou- 
vèrent un  homme  qui  s'entravait  avec  des  cordes. 


CONTES    FAMILIERS 


—  Que  fais-tu  là,  mon  ami  ? 

—  Monsieur,  je  suis  le  Chien  -  Lévrier.  Je 
m'entrave  avec  des  cordes,  pour  chasser  les 
lièvi-es.  Si  je  ne  m'entravais  pas,  je  courrais  trop 
vite,  et  je  leur  passerais  devant. 

—  Chien-Lévrier,  viens  avec  moi.  Bientôt, 
j'aurai  besoin  de  toi,  et  tu  seras  bien  récom- 
pensé. » 

Le  Chien-Lévrier  monta  donc  à  cheval,  et  ils 
repartirent.  Au  bout  de  sept  lieues,  ils  trouvèrent 
un  homme  qui  tordait  un  chêne  de  cent  ans. 

—  (c  Que  fais-tu  là,  mon  ami? 

—  Monsieur,  je  suis  Samson  le  Fort.  Je  tords 
ce  chêne  de  cent  ans,  pour  en  faire  un  lien,  afin 
de  lier  un  fagot. 

—  Samson  le  Fort,  viens  avec  moi.  Bientôt, 
j'aurai  besoin  de  toi,  et  tu  seras  bien  récom- 
pensé. » 

Samson  le  Fort  monta  donc  à  cheval,  et  ils  re- 
partirent. Au  bout  de  sept  lieues,  ils  arrivèrent 
au  château  du  roi.  Mais  Etienne  l'Habile  ne  put 
deviner  de  quelle  peau  était  recouvert  le  coffre 
de  la  princesse. 

Il  leur  fallut  s'en  revenir  comme  ils  étaient  ve- 
nus. Au  bout  de  sept  lieues,  Jean  Fine-Oreille 
dit  à  Etienne  l'Habile  : 

—  «  Monsieur,  j'entends  le  roi  deviser  avec  la 
princesse.  Ils  disent  :  «  Celui-ci  non  plus,  n'a  pu 


LES     GENS    AVISÉS  39 

deviner  que  le  cofïre  est  recouvert  d'une  peau  de 
punaise  engraissée.  » 

Aussitôt,  ils  repartirent  tous  cinq,  et  arrivèrent 
au  château  du  roi. 

—  «  Roi,  dit  Etienne  l'Habile,  le  coffre  de  votre 
fille  est  recouvert  d'une  peau  de  punaise  engrais- 
sée. Maintenant,  il  faut  me  donner  la  princesse  en 
mariage. 

—  Etienne  l'Habile,  répondit  le  roi,  moi  et  toi 
nous  sommes  parents.  Tu  ne  te  marieras  pas  avec 
ma  fille,  que  tu  ne  sois  allé  à  Rome,  chercher 
des  dispenses  du  pape.  « 

Aussitôt,  tous  cinq  partirent  pour  Rome.  Mais 
le  roi  manda  en  secret  un  messager,  avec  une 
lettre,  pour  prier  le  pape  de  ne  pas  donner  les 
dispenses.  Au  bout  de  sept  lieues,  Jean  Fine- 
Oreille  dit  à  Étienne-l'Habile  : 

—  «  Monsieur,  j'entends  le  roi  dire  :  «  Etienne 
l'Habile  n'aura  pas  ma  fille  en  mariage.  J'ai 
mandé  un  messager  à  Rome  avec  une  lettre, 
pour  prier  le  pape  de  ne  pas  donner  les  dis- 
penses. Dès  qu'il  aura  la  réponse,  il  l'attachera 
au  cou  d'un  pigeon,  pour  qu'elle  m'arrive  plus 
vite.  » 

Etienne  l'Habile  fit  vite,  vite  une  lettre  au 
pape.  Aussitôt  le  Chien-Lévrier  partit  pour  Rome. 
Quand  le  messager  du  roi  arriva,  les  dispenses 
étaient  données.  Que  fit  alors  le  pape  ?  11  écrivit 


40  CONTES    FAMILIERS 

au  roi  une  lettre,  pour  retirer  les  dispenses.  Cette 
lettre  partit,  attachée  au  cou  d'un  pigeon.  Mais 
Pierre  le  Bon-Viseur  tua  le  pigeon  à  la  volée, 
d'un  coup  de  fusil,  et  le  Chien-Lévrier  arriva  avec 
les  dispenses. 

Tous  cinq  revinrent  au  château  du  roi. 

—  «  Roi,  dit  Etienne  l'Habile,  voici  les  dis- 
penses du  pape.  Maintenant,  il  faut  me  donner 
la  princesse  en  mariage. 

—  Etienne  l'Habile,  tu  ne  l'auras  pas.  Mais  je 
te  donne  autant  d'or  qu'un  homme  en  pourra 
porter.  » 

Etienne  l'Habile  appela  Samson  le  Fort,  et  le 
chargea  de  cent  quintaux  d'or,  qui  ne  lui  pesaient 
pas  plus  qu'un  coussin  de  plume.  Alors  le  roi  dit  : 

—  «  Etienne  l'Habile,  rends-moi  mon  or.  Je 
te  donne  ma  fille  en  mariage.  » 

Etienne  l'Habile  et  la  princesse  se  marièrent 
ensemble.  Jean  Fine-Oreille,  Pierre  le  Bon-Vi- 
seur, le  Chien-Lévrier  et  Samson  le  Fort  furent 
invités  à  la  noce.  Ils  s'en  revinrent  le  lende- 
main, chacun  avec  son  cheval  charge  d'écus  (i). 

(i)  Dicté  par  Françoise  Lalanne,  de  Lectoure  (Gers). 


LES    DEUX    FILLES 


f^^L  y  avait,  une  fois,  un  homme  et  une 
femme  qui  avaient  une  fille  jolie,  jolie 
comme  le  jour.  La  femme  mourut,  et 
l'homme  se  remaria  avec  une  femme  qui  accou- 
cha d'une  fille  laide,  laide  comme  le  péché. 

Quand  les  deux  filles  furent  grandelettes,  la 
marâtre,  qui  ne  pouvait  pas  sentir  la  joHe  fille,  et 
qui  la  rossait  vingt  fois  par  jour,  dit  à  son 
homme  : 

—  «  Prends  ta  fille,  et  va  la  faire  perdre.  » 
L'homme  avait  pitié  de  la  jolie  fille.    Mais  il 

avait  peur  de  sa  femme,  et  il  répondit  : 

—  «  Femme,  je  ferai  ce  que  tu  veux.  » 

Mais  la  jolie  fille,  qui  était  cachée  derrière  la 
porte,  avait  tout  entendu.  Aussitôt,  elle  courut  le 
conter  à  sa  marraine. 

—  «  Filleule,  dit  la  marraine,   rerapHs  tes  po- 


42  CONTES    FAMILIERS 

ches  de  cendres,  que  tu  sèmeras  sur  ton  chemin. 
Par  ce  moyen,  tu  rentreras  à  la  maison.  » 

La  jolie  fille  revint  au  galop  chez  son  père, 
et  remplit  ses  poches  de  cendres.  A  peine  avait- 
elle  fini,  que  son  père  lui  dit  : 

—  «  Pauvrette,  allons  chercher  des  champi- 
gnons dans  le  bois.» 

Tous  deux  partirent  donc  pour  le  bois.  Mais  le 
père  n'avait  pas  le  cœur  à  chercher  des  champi- 
gnons. Tout  en  marchant,  la  jolie  fille  semait 
sur  son  chemin  les  cendres  qu'elle  avait  dans  ses 
poches,  comme  sa  marraine  le  lui  avait  dit.  En- 
fin, le  père  se  jeta  dans  un  fourré,  sans  être  vu, 
laissa  la  jolie  fille  seulette,  et  revint  dans  sa 
maison  à  l'entrée  de  la  nuit. 

—  «  Eh  bien,  mon  homme,  as-tu  fait  perdre 
ta  fille? 

—  C'est  fait. 

—  Eh  bien,  mon  homme,  pour  ta  peine,  tu 
vas  manger  avec  nous  une  assiettée  de  bouillie  de 
mais  (i).  » 

Tout  en  mangeant  la  bouillie,  l'homme  pensait 
à  la  jolie  fille,  qu'il  avait  abandonnée  toute  seu- 
lette dans  le  bois,  et  disait  : 

—  «  Ah  !  si  la  pauvrette  était  ici,  elle  man- 
gerait aussi  sa  portion  de  bouillie. 

(i)  En  gascon  armotos. 


LES    GENS     AVISÉS  43 

—  Je  suis  ici,  père,  »  répondit  la  jolie  fille, 
qui  avait  retrouvé  son  chemin  au  moyen  des 
cendres,  et  qui  écoutait  derrière  la  porte. 

Le  père  fut  bien  content  de  voir  la  jolie  fille 
revenue,  et  mangeant  sa  portion  de  bouillie  de 
bon  appétit.  Mais  quand  elle  fut  allée  se  cou- 
cher avec  sa  sœur,  la  marâtre  dit  à  son  mari  : 

—  «  Tu  es  une  bête.  Tu  n'as  pas  conduit  ta 
fille  assez  loin.  Ramène-la  demain  dans  le  bois, 
et  tâche  qu'elle  ne  revienne  plus.  » 

L'homme  avait  pitié  de  la  jolie  fille.  Mais  il 
avait  peur  de  sa  femme,  et  il  répondit  : 

—  «  Femme,  je  ferai  ce  que  tu  veux.  » 

Mais  la  jolie  fille,  qui  s'était  levée  de  son  lit,  et 
qui  écoutait,  cachée  derrière  la  pone,  avait  tout 
entendu.  Aussitôt,  elle  courut  le  conter  à  sa  mar- 
raine. 

—  «  Filleule,  dit  la  marraine,  remplis  tes  po- 
ches de  graines  de  lin  que  tu  sèmeras  sur  ton 
chemin.  Par  ce  moyen,  tu  rentreras  à  la  maison.  » 

La  jolie  fille  revint  au  galop  chez  son  père, 
remplit  ses  poches  de  graines  de  lin,  et  se  remit 
au  lit. 

Le  lendemain  matin,  son  père  entra  dans  la 
chambre  et  dit  : 

—  «  Pauvrette,  allons  chercher  des  champi- 
gnons dans  le  bois.  » 

Tous  deux  partirent  donc  pour  le  bols.  Mais  le 


44  CONTES     FAMILIERS 

père  n'avait  pas  le  cœur  à  chercher  des  cham- 
pignons. Tout  en  marchant,  la  jolie  fille  semait 
les  graines  de  lin  qu'elle  avait  dans  ses  poches, 
comme  sa  marraine  le  lui  avait  dit.  Enfin,  le 
père  se  jeta  dans  un  fourré,  sans  être  vu,  laissa 
la  jolie  fille  seulette,  et  revint  dans  sa  maison  à 
l'entrée  de  la  nuit. 

—  «  Eh  bien,  mon  homme,  as-tu  fait  perdre 
ta  fille  ? 

—  C'est  fait. 

—  Eh  bien,  mon  homme,  pour  ta  peine,  tu 
vas  manger  avec  nous  une  assiettée  de  bouillie 
de  maïs.  » 

Tout  en  mangeant  la  bouillie,  l'homme  pen- 
sait à  la  jolie  fille,  qu'il  avait  abandonnée  toute 
seulette  dans  le  bois,  et  disait  : 

—  «  Ah  !  si  la  pauvrette  était  ici,  elle  mange- 
rait aussi  sa  portion  de  bouillie. 

—  Je  suis  ici,  père,  répondit  la  jolie  fille,  qui 
avait  retrouvé  son  chemin  au  moyen  des  graines 
de  lin,  et  qui  écoutait  à  la  porte.  » 

Le  père  fut  bien  content  de  voir  la  jolie  fille  re- 
venue, et  mangeant  sa  portion  de  bouillie  de  bon 
appétit.  Mais  quand  elle  fut  allée  se  coucher  avec 
sa  sœur,  la  marâtre  lui  dit  : 

—  «  Tu  es  une  bête.  Tu  n'as  pas  conduit  ta 
fille  encore  assez  loin.  Ramène-la  demain  dans 
le  bois,  et  tâche  qu'elle  ne  revienne  pas.  » 


LES    GENS     AVISÉS  45 

L'homme  avait  pilié  de  la  jolie  fille.  Mais  il 
avait  peur  de  sa  femme,  et  il  répondit  : 

—  «  Femme,  je  ferai  ce  que  tu  veux.  » 

Mais  la  jolie  fille,  qui  s'était  levée  de  son  lit,  et 
qui  écoutait  cachée  derrière  la  porte,  avait  tout 
entendu.  Aussitôt,  elle  courut  le  conter  à  sa 
marraine. 

—  «  Filleule,  dit  la  marraine,  remplis  tes  po- 
ches de  grains  de  mil,  que  tu  sèmeras  sur  ton  che- 
min. Par  ce  moyen,  tu  rentreras  à  la  maison.  » 

La  jolie  fille  revint  au  galop  chez  son  père, 
remplit  ses  poches  de  graines  de  mil,  et  se  remit 
au  lit. 

Le  lendemain  m.atin,  son  père  entra  dans  la 
chambre  et  dit  : 

—  «  Pau\Tette,  allons  chercher  des  champi- 
gnons dans  le  bois.  » 

Tous  deux  partirent  donc  pour  le  bois.  Mais  le 
père  n'avait  pas  le  cœur  à  chercher  des  champi- 
gnons. Tout  en  marchant,  la  jolie  fille  semait 
les  grains  de  mil  qu'elle  avait  dans  ses  poches, 
comme  sa  marraine  le  lui  avait  dit.  Enfin,  le 
père  se  jeta  dans  un  fourré,  sans  être  vu,  laissa 
la  jolie  fille  seulette,  et  revint  dans  sa  maison  à 
l'entrée  de   la  nuit. 

Mais  quand  la  jolie  fille  voulut  retrouver  son 
chemin,  au  moyen  des  grains  de  mil,  il  se  trouva 
qu'ils  avaient  été  mangés  par  les  pies. 


46  CONTES     FAMILIERS 

La  pauvrette  marcha,  longtemps,  longtemps, 
longtemps  à  travers  le  bois,  jusqu'à  un  château 
grand  comme  la  ville  d'Agen. 

—  «  Pan  !  pan  1 

—  Qui  frappe  ? 

—  C'est  une  pauvre  fille,  qui  a  perdu  son  che- 
min, et  qui  demande  à  souper  et  à  loger.  » 

La  dame  du  château  envoya  la  jolie  fille  souper 
à  la  cuisine,  avec  'es  valets  et  les  servantes,  et 
commanda  qu'on  lui  donnât  un  bon  lit.  Le  len- 
demain matin,  elle  la  fit  venir  dans  sa  chambre, 
et  ouvrit  la  porte  d'un  cabinet  qui  était  tout  plein 
de  robes. 

—  «  JoHe  fille,  quitte  tes  hardes,  et  choisis  les 
habits  que  tu  voudras.  » 

La  jolie  fille  choisit  la  robe  la  plus  laide.  Alors, 
la  dame  du  château  la  força  de  prendre  la  plus 
belle,  et  de  la  mettre  sur-le-champ.  Ensuite,  elle  ou- 
vrit un  grand  coffre,  plein  de  pièces  d'or,  d'argent 
et  de  cuivre,  plein  de  bijouterie  de  toute  espèce. 

—  «  Jolie  fille,  prends  dans  ce  coffre  tout  ce 
que  tu  voudras.  » 

La  jolie  fille  ne  prit  que  deux  liards,  et  une 
bague  de  cuivre.  Alors,  la  dame  du  château  la 
chargea  de  quadruples,  de  bagues,  de  chaînes, 
de  pendeloques  d'or,  et  la  mena  à  l'écurie. 

—  «  Jolie  fiUe,  prends  la  bête  que  tu  voudras, 
avec  la  bride  et  la  selle.  » 


LES     GEN'S     AVISÉS  47 

Mais  la  jolie  fille  ne  prit  qu'un  âne,  un  licou 
de  corde,  et  une  mauvaise  couverture.  Alors,  la 
dame  du  château  la  força  de  prendre  le  plus  beau 
cheval,  la  plus  belle  bride,  et  la  plus  belle  selle. 

—  «  Et  maintenant,  lui  dit-elle,  monte  à  che- 
val, et  reviens  dans  ton  pays.  Ne  te  retourne 
pas  du  côté  du  château,  que  tu  ne  sois  là-bas, 
là-bas,  en-haut  de  cette  côte.  Alors,  lève  la  tête, 
et  attends.  » 

La  johe  fille  remercia  bien  la  dame  du  château, 
monta  à  cheval,  et  partit  pour  son  pays,  sans  ja- 
mais se  retourner.  Quand  elle  fut  en-haut  de  la 
côte,  elle  leva  la  tête  et  attendit.  Alors,  trois 
étoiles  descendirent  du  ciel.  Deux  se  posèrent  sur 
sa  tête,  et  une  sur  son  menton. 

Gamme  elle  se  remettait  en  route,  un  jeune 
homme  s'en  revenait  de  la  chasse,  monté  sur  son 
grand  cheval,  avec  neuf  chiens  lévriers  à  sa  suite  : 
trois  noirs  comme  des  charbons,  trois  rouges 
comme  le  feu,  trois  blancs  comme  la  plus  fine 
toile.  Quand  il  vit  une  si  belle  cavaUère,  il  mit 
son  chapeau  à  la  main. 

—  «  Demoiselle,  je  suis  le  fils  du  roi  d'Angle- 
terre. J'ai  roulé  le  monde  pendant  sept  ans,  et  je 
n'ai  trouvé  jamais  aucun  homme  aussi  fort,  aussi 
hardi  que  moi.  Si  vous  le  voulez,  je  serai  votre 
compagnon,  pour  vous  défendre  contre  les  mé- 
chantes gens. 


CONTES     FAMILIERS 


—  Merci,  fils  du  roi  d'Angleterre.  Je  saurai  bien 
retrouver  seulette  le  chemin  de  mon  pays.  Mais 
je  n'ose  pas  retourner  à  la  maison,  par  crainte  de 
ma  marâtre,  qui  ne  peut  pas  me  voir,  à  cause  de 
sa  fille  laide,  laide  comme  le  péché.  Par  trois  fois, 
elle  a  forcé  mon  père  d'aller  me  perdre  dans  un 
bois.  » 

Alors,  le  fils  du  roi  d'Angleterre  entra  dans 
une  colère  terrible.  Il  tira  son  épée,  et  sifila  ses 
chiens  lévriers. 

—  «  Demoiselle,  montrez- moi  le  chemin  de 
votre  maison.  Je  veux  aller  faire  manger  par  ma 
meute  votre  père,  votre  marâtre,  et  votre  sœur. 

—  Fils  du  roi  d'Angleterre,  votre  meute  est  à 
votre  commandement.  Mais  vous  ne  ferez  pas 
cela.  S'il  plaît  à  Dieu,  il  ne  sera  pas  dit  que  mon 
père,  ma  marâtre,  et  ma  sœur,  auront  souff'ert  le 
moindre  mal  à  cause  de  moi.  » 

Mais  le  fils  du  roi  d'Angleterre  ne  voulait  rien 
entendre,  et  criait  comme  un  aigle  : 

—  «  Eh  bien,  je  dirai  à  mon  juge  rouge  : 
«  Juge-les  à  mort.  »  Je  le  paie.  Il  faut  qu'il  gagne 
son  argent. 

—  Fils  du  roi  d'Angleterre,  votre  juge  rouge 
est  à  votre  commandement.  Mais  vous  ne  ferez 
pas  cela.  S'il  plaît  à  Dieu,  il  ne  sera  pas  dit 
que  mon  père,  ma  marâtre  et  ma  sœur,  auront 
souffert  le  moindre  mal  à  cause  de  moi. 


LES    GENS     AVISÉS  49 

—  Eh  bien,  si  vous  voulez  que  je  leur  par- 
donne, il  faut  que  vous  soyez  ma  femme. 

—  Fils  du  roi  d'Angleterre,  je  serai  votre 
femme,  si  vous  voulez  leur  pardonner.  » 

Le  fils  du  roi  d'Angleterre  épousa  donc  la  jolie 
fille,  qui  fut  bien  heureuse  avec  lui,  et  devint  la 
plus  grande  dame  du  pays. 

Peu  de  temps  après  la  noce,  la  sœur  laide, 
laide  comme  le  péché,  apprit  ce  qui  s'était  passai, 
et  dit  : 

—  «  J'irai  au  bois,  moi  aussi  ;  et  il  m'en  arri- 
vera autant.  » 

Elle  partit  donc  pour  le  bois,  et  marcha  long- 
temps, longtemps,  longtemps.  Enfin,  elle  arriva 
ur  la  porte  du  château  grand  comme  la   ville 
■i'Agen. 

—  «  Pan  !  pan  ! 

—  Qui  frappe  ? 

—  C'est  une  fille  qui  a  perdu  son  chemin,  et 
qui  demande  à  souper  et  à  loger.  « 

La  dame  du  château  envoya  la  fille  laide,  laide 
comme  le  péché,  souper  à  la  cuisine,  avec  les 
valets  et  les  servantes,  et  commanda  qu'on  lui 
donnât  un  bon  lit.  Le  lendemain,  elle  la  fit  venir 
dans  sa  chambre,  et  ouvrit  la  porte  du  cabinet 
qui  était  tout  plein  de  robes. 

—  «  Mie,  quitte  tes  hardes,  et  choisis  les  ha- 
hits  que  tu  voudras.  » 


50  CONTES     FAMILIERS 

La  fille  Liide,  laide  comme  le  péché,  choisit 
la  plus  jolie  robe.  Alors,  la  dame  du  château  la 
força  de  prendre  la  plus  déchirée,  la  plus  sale, 
la  lui  fit  mettre  sur-le-champ.  Ensuite,  elle  ou- 
vrit le  cofi"re  plein  de  pièces  d'or,  d'argent  et  de 
cuivre,  et  de  bijouterie  de  toute  espèce. 

—  «  Mie,  prends  dans  ce  coftre  ce  que  tu  vou- 
dras. » 

La  fille  laide,  laide  comme  le  péché,  choisit  cer  t 
quadruples  d'Espagne  et  cent  bagues  d'or.  Alors, 
la  dame  du  château  ne  lui  laissa  prendre  que 
deux  liards  et  une  bague  decuivre.  Ensuite,  elle 
la  mena  à  l'écurie. 

—  «  Mie,  choisis  la  bête  que  tu  voudras,  avec 
la  bride  et  la  selle.  « 

La  fille  laide,  laide  comme  le  péché,  choisit  le 
plus  beau  cheval,  la  plus  belle  bride,  et  la  plus 
belle  selle.  Alors,  la  dame  du  château  ne  lui 
laissa  prendre  qu'un  âne,  un'licou  de  corde,  et 
une  mauvaise  couverture. 

—  «  Et  maintenant,  lui  dit-elle,  monte  sur  ton 
âne,  et  reviens  dans  ton  pays.  Ne  te  retourne  pas 
vers  le  château,  que  tu  ne  sois  là-bas,  là-bas, 
en-haut  de  la  côte.  Alors,  lève  la  tête,  et  attends.  » 

La  fille  laide,  laide  comme  le  péché,  ne  remercia 
pas  la  dame  du  château.  Elle  monta  sur  son  âne, 
et  partit  pour  son  pays.  Mais  elle  se  retourna  vers 
le  château,  avant  d'arriver  en-haut  de  la  côte. 


LES    GENS    AVISÉS  51 


leva  la  tête,  et  attendit.  Alors,  trois  bouses  de 
vache  tombèrent  sur  elle,  deux  sur  la  tête,  et 
une  sur  le  menton. 

Comme  elle  se  remettait  en  route,  elle  rencon- 
tra un  vieil  homme,  sale  comme  un  peigne,  et 
ivrogne  comme  une  barrique. 

—  «  Mie,  lui  dit-il,  je  te  trouve  faite  à  ma  fan- 
taisie. Il  faut  que  tu  sois  ma  femme.  Sinon,  tu  ne 
mourras  que  de  mes  mains.  » 

Par  force,  la  fille  laide,  laide  comme  le  péché, 
dut  suivre  l'ivrogne  dans  sa  maison,  et  consentir 
au  mariage.  Depuis  lors,  le  mari  continue  de 
boire  comme  un  trou,  et  rosse  sa  femme  vingt 
fois  par  jour  (i). 


(i)  Dicté  par  Catherine  Sustrac,  de  Sainte-Eulalie,  commune 
de  Cauzac  (Lot-et-Garonne).  Le  récit  de  Catherine  a  été  con- 
trôlé par  ma  belle-mére,  M"'  Lacroix,  née  Pinèdre,  de  Bon-En- 
contre  (Lot-et-Garonne). 


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VI 

LE  MARCHAND  DE  PEIGNES  DE  BOIS 


I L  y  avait,  une  fois,  un  Marchand  de  peignes 
de  bois. 

Avec  sa  petite  charrette,  attelée  d'un  âne 
de  six  francs,  il  courait  les  foires,  les  marchés,  les 
fêtes  patronales,  pour  y  vendre  ses  peignes  de 
bois,  ses  aiguillons  (à  boeufs),  ses  haches,  et 
ses  bonnets  de  coton. 

—  «  Marchand  de  peignes  de  bois  !  Marchand 
de  peignes  de  bois  !  » 

Un  jour  qu'il  s'en  allait  à  la  foire  de  Mi- 
rande  (i),  le  Marchand  de  peignes  de  bois  trouva 
Compère  Renard,  au  bas  d'un  poulailler. 

Compère  Renard  crevait  de  faim. 

—  «  Hô  !  Marchand  de  peignes  de  bois,  toi 
qui  passes  pour  habile  homme,  fais-moi  donc  la 

(i)  Chef-lieu  d'arrondissement  (Gers). 


LES    GENS    AVISES  53 

courte-échelle,  jusqu'au  poulailler,  pour  attraper 
quelques  volailles. 

—  Avec  plaisir,  Compère  Renard .  Mais  aupara- 
vant, jure-moi,  par  ton  âme,  que  lorsque  tu  seras 
là-haut,  tu  me  jetteras,  pour  ma  peine,  une  paire 
de  poules  grasses. 

—  Marchand  de  peignes  de  bois,  je  te  le  jure 
par  mon  âme.  » 

Le  Marchand  de  peignes  de  bois  prit  Compère 
Renard  sur  ses  épaules. 

—  «  Allons  !  Hardi  !  Hô  ! 

—  Marchand  de  peignes  de  bois,  le  poulailler 
est  encore  trop  haut  d'une  toise.  Pousse-moi 
donc  par  le  cul.  » 

Le  Marchand  de  peignes  de  bois  prit  un  aiguil- 
lon sur  sa  petite  charrette,  et  poussa.  Mais  la 
pointe  de  l'aiguillon  entrait  d'un  pouce  dans  le 
cul  de  lamale  bête,  et  Com.père  Renard  criait,  à 
rendre  sourd  : 

—  «  Aïe  !  aïe  !  aïe  !  Pas  si  fort.  Marchand  de 
peignes  de  bois.  Pas  si  fort. 

—  Compère  Renard,  tu  m'as  dit  :  «Pousse-moi 
par  le  cul.  «  Je  te  pousse.  » 

Enfin,  Compère  Renard  se  haussa  jusqu'au  pou- 
lailler. 

—  «  Compère  Renard,  n'oublie  pas  ce  que  tu 
m'as  juré.  Tu  m'as  juré,  par  ton  âme,  que  lors- 


54  CONTES     FAMILIERS 

que  tu  serais  là-haut,  tu  me  jetterais,  pour  ma 
peine,  une  paire  de  poules  grasses. 

—  Tiens,  Marchand  de  peignes  de  bois,  voici 
tes  deux  poules  gi-asses.  Mais  tu  ne  les  mérites 
guère.  J'ai  le  cul  tout  ensanglanté. 

—  Merci,  Compère  Renard.  Et  maintenant,  je 
te  souhaite  bien  le  bonjour.  Redescends  de  là 
comme  tu  pourras.  Moi,  j'ai  des  affaires  pressées 
à  la  foire  de  Mirande.  » 

Le  Marchand  de  peignes  de  bois  repartit.  En 
traversant  une  forêt,  il  trouva  le  Loup,  qui  tâchait 
de  fendre  un  gros  tronc  de  chêne. 

—  «  Bonjour,  Marchand  de  peignes  de  bois. 
■ —  Bonjour,  Loup.  Que  fais-tu  là  ? 

—  Marchand  de  peignes  de  bois,  je  voudrais 
fendre  ce  gros  tronc  de  chêne  ;  mais  je  ne  puis 
pas.  Dis-moi,  toi  qui  es  si  adroit,  ne  pourrais-tu 
pas  m'aider? 

—  Avec  plaisir,  Loup.  » 

Le  Marchand  de  peignes  de  bois  prit  une  ha- 
che sur  sa  petite  charrette.  Du  premier  coup,  il 
fendit  à  moitié  le  gros  tronc  de  chêne. 

—  «  Et  maintenant,  Loup,  mets  ta  patte  dans 
la  fente,  pour  la  maintenir  ouverte.  » 

Le  Loup  obéit.  Alors,  le  Marchand  de  peignes 
de  bois  retira  sa  hache,  et  le  Loup  se  trouva  pris 
par  la  patte. 


LES     GENS    AVISÉS  5$ 

—  «  Aïe  !  aïe  !  aïe  !  Tire-moi  d'ici,  Marchand 
de  peignes  de  bois.  Tire-moi  d'ici. 

—  Loup,  je  te  souhaite  bien  le  bonjour.  Tire- 
toi  d'ici  comme  tu  pourras.  Moi,  j'ai  des  affaires 
pressées  à  la  foire  de  Mirande.  » 

Le  Marchand  de  peignes  de  bois  repartit. 
Arrivé  dans  la  ville  de  Mirande,  il  aperçut  force 
gens,  attroupés  autour  d'un  cavalier  vêtu  de  rouge, 
galonné  d'or  et  d'argent. 

,  —  «  Gens  de  Mirande,  criait  le  cavalier,  vous 
êtes  avertis  que  le  roi  de  France  est  venu  prendre 
les  eaux  à  Bagnères-de-Bigorre  (i).  Il  est  venu 
prendre  les  eaux  avec  sa  fille,  une  princesse  belle 
comme  le  jour,  et  riche  comme  la  mer.  Le  roi  de 
France  la  donnera  pour  femme  à  l'homme  qui  se 
rendra  maître  de  son  Grand  Lion.  » 

Aussitôt,  le  Marchand  de  peignes  de  bois  re- 
partit. Le  lendemain,  à  la  pointe  de  l'aube,  il  en- 
trait dans  la  grande  auberge  où  logeait  le  roi  de 
France. 

—  «  Bonjour,  roi  de  France. 

—  Bonjour,  Marchand  de  peignes  de  bois.  Q.ue 
me  veux-tu  ? 

—  Roi  de  France,  je  veux  me  rendre  maître 
de  votre  Grand  Lion.  Je  veux  que  votre  fille  soit 
ma  femme. 

(i)  Station  thermale  du  département  des  Hantes-Pyrénées. 


56  CONTES     FAMILIERS 

—  Valets,  conduisez  le  Marchand  de  peignes 
de  bois  à  l'écurie  où  est  enfermé  mon  Grand 
Lion.  » 

Les  valets  obéirent.  Dans  l'écurie,  le  Grand 
Lion  bondissait,  les  yeux  hors  de  la  tête,  tirant 
trois  pieds  de  langue  rouge,  et  criant  comme  cinq 
cents  Diables. 

Le  Marchand  de  peignes  de  bois  entra,  sans 
peur  ni  crainte. 

—  «  Eh  bien,  Grand  Lion,  pourquoi  tout  ce  ta- 
page ?  Ne  me  reconnais  tu  pas  ? 

—  Si  fait.  Tu  es  le  Marchand  de  peignes 
de  bois. 

^  Grand  Lion,  je  suis  venu  t'inviter  à  dîner. 
Compte  que  je  te  régalerai,  comme  ton  roi  lui- 
même  n'est  pas  en  état  de  le  faire. 

—  A  la  bonne  heure.  Marchand  de  peignes  de 
bois.  Nous  dînerons  à  midi  sonnant.  Va-t-en  fciire 
la  cuisine.  Mais,  si  tu  ne  ine  régales  pas  comme 
tu  l'as  dit,  compte  que  je  t'avalerai  tout  vif.  » 

Le  Marchand  de  peignes  de  bois  sortit,  et  s'en 
alla  chez  un  boucher,  où  il  acheta  tout  un  veau. 
Après,  il  s'en  alla  chez  un  pâtissier,  où  il  acheta 
un  quintal  de  grosses  dragées.  Ensuite,  il  s'en  alla 
chez  un  arquebusier,  où  il  acheta  un  quintal  de 
balles  de  plomb.  Enfin,  il  s'en  alla  chez  un  for- 
geron, et  se  fit  torger  une  pelle  de  fer  du  poids 
de  septante  livres. 


LES     GENS     AVISÉS  57 

Cela  fait,  le  Marchand  de  peignes  de  bois 
revint  à  l'écurie  du  Grand  Lion,  et  niit  le  couvert. 

—  «  Allons,  Grand  Lion.  Midi  sonne.  A  table  ! 
Tâte  un  peu  de  ce  fricot.  » 

Le  Grand  Lion  dévora  le  veau  jusqu'aux  os. 

—  «  Et  maintenant.  Grand  Lion,  tâte  un  peu  de 
ces  grosses  dragées.  » 

En  cinq  minutes,  le  Grand  Lion  avait  avalé  un 
demi  quintal  de  grosses  dragées.  Alors,  le  Mar- 
chand de  peignes  de  bois  vida  les  autres  à  terre, 
mêlées  au  quintal  de  grosses  balles  de  plomb. 
Le  Grand  Lion  avala  tout,  sans  y  rien  com- 
prendre. 

—  «  Eh  bien,  Grand  Lion,  es-tu  content  ? 

—  Marchand  de  peignes  de  bois,  tu  m'as  ré- 
galé comme  mon  roi  lui-même  n'est  pas  en  état 
de  le  faire.  Aussi,  je  ne  te  mangerai  pas  tout  vif. 
Pourtant,  ces  grosses  dragées  m'ont  un  peu  em- 
pâté la  bouche,  et  chargé  le  ventre. 

—  Grand  Lion,  ceci  n'est  rien.  Amusons-nous. 
Veux-tu  que  je  t'enseigne  le  jeu  de  tape-cul  ? 

—  Avec  plaisir.  Marchand  de  peignes  de  bois.  » 
Alors,  le  Marchand  de  peignes  de  bois  monta 

sur  la  table,  et  attacha  une  corde  terminée  par  un 
nœud  coulant,  à  la  maîtresse-poutre  de  l'écurie. 

—  «  Et  maintenant.  Grand  Lion,  monte  aussi 
sur  la  table,  et  passe  ta  patte  dans  ce  nœud  cou- 
lant. Tu  vas  voir  comme  nous  allons  rire.  » 


58  CONTES   FAMILIERS 

Le  Grand  Lion  obéit.  Aussitôt,  le  Marchand  de 
peignes  de  bois  sauta  par  terre,  et  renversa  la 
table  d'un  coup  de  pied,  si  bien  que  le  Grand  Lion 
se  trouva  pendu  par  la  patte. 

—  «  Au  secours,  Marchand  de  peignes  de  bois  ! 
Au  secours  !  » 

Mais  le  Marchand  de  peignes  de  bois  était  déjà 
loin.  Il  était  dans  la  chambre  du  roi  de  France  et 
de  sa  fille. 

—  «  Vite,  roi  de  France.  Vite,  princesse.  Vite, 
descendez  à  l'écurie  de  votre  Grand  Lion.  Cinq 
minutes  ne  se  passeront  pas,  que  je  ne  m'en  sois 
rendu  maître.  » 

Tandis  que  le  roi  de  France  et  sa  fille  descen- 
daient vite,  vite,  le  Marchand  de  peignes  de  bois 
courait  au  grand  galop  à  la  cuisine  de  l'auberge, 
où,  depuis  deux  heures,  la  pelle  de  fer  du  poids 
de  septante  livres,  rougissait  à  blanc  dans  le  foj^er. 
En  trois  sauts  et  un  pet,  il  était  à  l'écurie. 

—  «  Grand  Lion,  mon  ami,  c'est  avec  ça  que  je 
vais  t'enseigner  le  jeu  de  tape-cul. 

—  Aïe  !  aïe  !  aïe  !  Aïe  !  aïe  !  aïe  !  Assez  ! 
Assez  !  Tu  me  rôtis  le  cul.  Marchand  de  peignes 
de  bois,  je  te  reconnais  pour  mon  maître.  » 

Mais  le  Marchand  de  peignes  de  bois  frappait 
toujours,  avec  sa  pelle  rougie  à  blanc,  et  toujours 
le  Grand  Lion  criait  : 

—  «  Aïe  !    aïe  !    aïe  !   Aïe  !    aïe  !   aie  !   Assez  ! 


LES     GENS    AVISÉS  59 

Assez  !  Tu  me  rôtis  le  cul.  Marchand  de  peignes 
de  bois,  je  te  reconnais  pour  mon  maître.  » 

Mais  le  Marchand  de  peignes  de  bois  frappait 
toujours,  avec  sa  pelle  rougie  à  blanc,  et  toujours 
le  Grand  Lion  criait  : 

—  «  Aïe  !  aïe  I  aïe  !  Aïe  !  aïe  !  aïe  !  Assez  ! 
Assez  !  Tu  me  rôtis  le  cul.  Marchand  de  peignes 
de  bois,  je  te  reconnais  pour  mon  maître.  » 

Enfin,  le  Marchand  de  peignes  de  bois  coupa 
la  corde  où  le  Grand  Lion  pendait  par  la  patte.  La 
maie  bête  retomba  par  terre,  à  moitié  morte,  et  le 
cul  rôti.  Alors,  le  Marchand  de  peignes  de  bois 
se  retourna  vers  le  roi  de  France  et  vers  sa  fille. 

—  «  Roi  de  France,  je  me  suis  rendu  maître 
de  votre  Grand  Lion.  Maintenant,  il  fout  me  don- 
ner votre  fille  en  mariage. 

—  C'est  juste.  Marchand  de  peignes  de  bois.  » 
Le  mariage  se  fit  le   lendemain,   et  la  noce 

dura  sept  jours.  Le  huitième,  dès  la  pointe  de 
l'aube,  le  Marchand  de  peignes  de  bois  attela 
son  âne  de  six  francs  à  sa  petite  charrette,  et 
dit  à  sa  femme  : 

—  «  Mie,  monte  ici.  Surtout,  prends  garde  à 
ne  pas  gâter  mes  marchandises.  Et  maintenant, 
adieu,  roi  de  France.  Je  m'en  reviens  courir  le 
monde. 

—  Adieu,  ma  fille.  Adieu,  Marchand  de  pei- 
gnes de  bois.  Tenez,  voici  un  grand  sac,  plein  de 


6o  CONTES     FAMILIERS 

doubles  louis  d'or  et  de  quadruples  d'Espagne. 
C'est  pour  vous  aider  à  vivre.  Tous  les  ans,  à  pa- 
reil jour,  venez  en  chercher  autant.  » 

L'âne  de  six  francs  partit  au  grand  galop.  A 
midi,  le  Marchand  de  peignes  de  bois  et  sa 
femme  étaient  au  milieu  d'une  forêt. 

—  «  Femme,  arrêtons-nous  sous  ce  grand 
chêne.  J'ai  grand  faim,  et  je  suis  ks. 

—  Avec  plaisir,  Marchand  de  peignes  de  bois.  » 
Tous  deux  dételèrent  l'âne  de  six  francs. 

—  «  Va  quêter  ta  vie,  pauvre  bête.  » 
Tandis  que  l'âne  de  six  francs  se  flanquait  une 

forte  ventrée  de  chardons,  le  Marchand  de  pei- 
gnes de  bois  et  la  princesse  dînèrent  de  bon  ap- 
pétit, sous  le  grand  chêne,  et  s'endormirent  côte 
à  côte,  le  mari  coiffé  d'un  de  ses  bonnets  de 
coton. 

Dormez,  braves  gens.  Dormez,  tandis  que  jo 
parle  de  Compère  Renard,  du  Loup,  et  du  Grauu 
Lion. 

Au  risque  de  se  rompre  le  cou,  Compère  Re- 
nard affamé  avait  enfin  sauté  du  poulailler. 
Alors,  il  se  mit  à  penser  : 

—  «  Gueux  de  Marchand  de  peignes  de  bois. 
Avec  ton  aiguillon,  tu  m'as  ensanglé  tout  le  cul. 
Mais  patience.  Nous  nous  retrouverons,  et  je  te 
mangerai  les  tripes.  » 

Ceci  pensé.   Compère  Renard   partit  à  la  re- 


LES     GEXS     AVISÉS  6l 

cherche  du  Marchand  de  peignes  de  bois.  En  tra- 
versant une  forêt,  il  trouva  le  Loup,  toujours  la 
patte  prise  dans  la  fente  du  gros  tronc  de  chêne. 

—  «  Au  secours,  Compère  !  Renard  Au  se- 
cours. » 

Compère  Renard  aida  le  Loup  à  sortir  d'affaire. 

—  Dis-moi,  Loup.  Qui  t'avait  mis  dans  l'état 
d'où  je  t'ai  tiré  ? 

—  Ne  m'en  parle  pas.  Compère  Renard.  C'est 
ce  brigand  de  Marchand  de  peignes  de  bois. 

—  Ah  !  la  canaille.  Regarde  mon  cul,  Loup;  et 
vois  comme  ce  gueux  me  l'a  tout  ensanglanté.  Mais 
patience.  Nous  nous  retrouverons,  et  je  lui  man- 
gerai les  tripes. 

—  Ah  !  le  scélérat.  Regarde  ma  patte.  Com- 
père Renard,  et  vois  l'état  où  il  l'a  mise.  Mais 
patience.  Nous  nous  retrouverons,  et  je  lui  man- 
gerai le  cœur  et  le  foie.  » 

Ceci  dit,  tous  deux  partirent  à  la  recherche  du 
Marchand  de  peignes  de  bois.  En  arrivant  proche 
(le  Bagnères-de-Bigorre,  ils  trouvèrent  le  Grand 
Lion,  plongé  jusqu'au  cou  dans  l'Adour. 

—  «  Bonjour,  Grand  Lion.  Que  fais-tu  là? 

—  Ce  que  je  fais.  Compère  Renard  ?  Ce  que 
je  fais,  Loup?  Je  souffre  mort  et  passion.  Voilà 
neuf  jours  et  neuf  nuits  que  je  baigne  mou  cul, 
rôti  par  ce  rien  qui  vaille  de  Marchand  de  peignes 
de  bois.  Regarde. 


62  CONTES     FAMILIERS 


—  Ah  !  le  gueux.  Regarde  aussi  mou  cul, 
Grand  Lion.  C'est  le  Marchand  de  peignes  de 
bois,  avec  son  aiguillon,  qui  me  l'a  tout  ensan- 
glanté. Mais  patience.  Nous  nous  retrouverons, 
et  je  lui  mangerai  les  tripes. 

—  Ah  !  le  scélérat,  dit  le  Loup.  Regarde  ma 
patte.  Grand  Lion,  et  vois  l'état  où  il  l'a  mise. 
Mais  patience.  Nous  nous  retrouverons,  et  je  lui 
mangerai  le  cœur  et  le  foie. 

—  Oui,  Compère  Renard.  Oui,  Loup.  Nous 
nous  retrouverons,  et  je  lui  mangerai  la  tête.  » 

Ceci  dit,  tous  trois  partirent  à  la  recherche  du 
Marchand  de  peignes  de  bois.  Ils  l'aperçurent, 
enfin,  sous  le  grand  chêne,  dormant  toujours, 
côte  à  côte  avec  la  princesse. 

—  «  Voici  le  Marchand  de  peignes  de  bois.  Il 
dort.  Hardi  !  Compère  Renard.  Mange-lui  les 
tripes.  » 

Compère  Renard  ne  semblait  pas  fort  pressé. 

—  «  Mes  amis,  je  me  souviens  de  l'aiguillon. 

—  Voici  le  Marchand  de  peignes  de  bois. 
Hardi  !  Loup.  Mange-lui  le  cœur  et  le  foie.  » 

Le  Loup  ne  semblait  pas  trop  pressé. 

—  «  Mes  amis,  je  me  souviens  de  la  hache, 
et  du  gros  tronc  de  chêne  fendu. 

—  Voidi  le  Marchand  de  peignes  de  bois. 
Il  dort.  Hardi!  Grand  Lion.  Mange-lui  la  tête.  » 

Le  Grand  Lion  ne  semblait  pas  fort  pressé. 


LES     GENS     AVISÉS  63 

—  «  Mes  amis,  je  me  souviens  de  la  pelle 
rougie  à  blanc.  » 

Et  tous  trois,  la  queue  entre  les  jambes,  décam- 
pèrent au  grand  galop. 

Enfin,  le  Marchand  de  peignes  de  bois  rouvrit 
les  yeux,  toujours  coiffé  de  son  bonnet  de  coton. 

—  «  Ah  !  Mille  Dieux  !  Milliard  de  Dieux  ! 
Ah  !  Mille  Dieux  !  Milliard  de  Dieux  !  » 

A  ces  jurements  de  païen,  la  princesse  se  ré- 
veilla toute  tremblante. 

—  ((  Qu'as-tu,  Marchand  de  peignes  de  bois  ? 
Q.u'as-tu  ? 

—  Ce  que  j'ai,  milliard  de  Dieux  ?  J'ai  que  je 
suis  un  homme  perdu.  J'ai  que  suis  un  homme 
ruiné.  Regarde,  là-haut,  dans  les  arbres,  cette  bande 
de  singes,  avec  des  bonnets  de  coton.  Regarde.  Ce 
sont  les  miens.  Tout  ce  qu'elles  voient  faire  aux 
hommes,  ces  maies  bêtes  le  répètent.  Elles  ont 
pillé  ma  marchandise,  pour  se  coiffer  comme 
moi.  Ah  !  Mille  Dieux  !  Milliard  de  Dieux  !  » 

Bleu  de  colère,  le  Marchand  de  peignes  de  bois 
arracha  son  bonnet  de  coton,  et  le  jeta  par  terre. 
Aussitôt,  tous  les  singes  en  firent  autant. 

—  «  Hi  !  hi  !  hi  !  Ha  !  ha  !  ha  !  Vite,  ma  femme. 
Vite,  ramassons  tous  ces  bonnets  de  coton.  » 

Un  quart  d'heure  après,  tous  les  bonnets  de 
coton  étaient  ramassés,  et  le  Marchand  de  peignes 
de  bois  repartait  avec  la  princesse,  pour  aller  faire 


04  CONTES    FAMILIERS 


son  commerce.  Mais  bientôt  il  se  trouva  trop 
riche,  pour  travailler  tant  et  gagner  si  peu.  Avec 
ses  doubles  louis  d'or  et  ses  quadruples  d'Espagne, 
il  acheta  cent  métairies,  et  un  beau  château,  où  il 
vécut  longtemps  heureux,  avec  sa  femme  et  ses 
enfants  (i). 


(^i)  Dicté  par  Pauline  Lacaze,  de  Panassac  (Gers).  Une  leçon, 
ideEtique  pour  le  fond,  m'a  été  fournie  par  M.  Garine,  d'Agen, 
qvii  l'avait  écrite  sous  la  dictée  de  feu  de  Jacques  Testas,  Agenais 
illettré,  âgé  de  soixante-quinze  ans. 


*è:®®^®g^S®^®®^ 


VII 

TIENS    BON 


f^/^L  y  avait,  une  fois,  un  jeune  valet  de 
meunier,  plus  malheureux  que  les  pierres. 
Son  maître  le  rouait  de  coups,  le  nour- 
rissait mal,  et  ne  lui  comptait  pas  un  sou  de 
gages.  Enfin,  le  valet  perdit  patience. 

—  «  Adieu,  maître.  Je  vais  m'établir  pour  mon 
compte.  » 

En  effet,  le  jeune  homme  afferma  un  mouHn  à 
vent;  mais  il  n'y  fit  pas  ses  affaires.  Cette 
année-là,  le  vent  ne  souffla  guère,  et  il  plut 
à  grands  déluges  ;  si  bien  que  le  malheureux 
meunier,  ne  fut  pas  même  en  état  de  donner  un 
à-compte  sur  le  fermage. 

—  «  Écoute,  meunier,  lui  dit  le  maître  du 
moulin.  Si  tu  ne  me  paies  pas  demain  matin,  je 
te  fais  mettre  en  prison.  » 

III  5 


66  CONTES     FAMILIERS 

Alors,  le  maître  partit  ;  et  le  meunier  s'assit, 
en  pleurant,  devant  la  porte  du  moulin. 

—  «  Que  faire,  mon  Dieu  !  Que  faire  ?  » 

Au  coucher  du  soleil,  une  femme  passa,  noire 
comme  l'âtre,  et  vieille,  vieille  comme  un  chemin. 

—  «  Meunier,  pourquoi  pleures-tu  ? 

—  Certes,  j'ai  bien  raison  de  pleurer.  Je  n'ai 
pas  un  liard  en  bourse.  Si  je  ne  paie  pas  mon  fer- 
mage demain  matin,  le  maître  de  ce  moulin  me 
fera  mettre  en  prison. 

—  Meunier,  ne  pleure  plus.  Voici  de  quoi 
payer  ton  fermage  pendant  un  an. 

—  Merci,  brave  femme.  » 

Le  lendemain  matin,  le  meunier  paya  son  fer- 
mage, et  demeura  dans  le  moulin.  Mais,  l'année 
suivante,  le  vent  ne  souffla  guère,  et  il  plut 
encore  à  grands  déluges,  si  bien  que  le  malheu- 
reux meunier,  ne  fut  pas  même  en  état  de  don- 
ner un  à-compte  sur  le  fermage. 

—  (t  Écoute  meunier,  lui  dit  le  maître  du  mou- 
lin, si  tu  ne  me  paies  pas  demain  matin,  je  te  fais 
mettre  en  prison.  » 

Alors,  le  maître  partit;  et  le  meunier  s'assit,  en 
pleurant,  devant  la  porte  du  moulin. 

—  «  Que  faire,  mon  Dieu  !  Que  faire  ?  » 

Au  coucher  du  soleil,  repassa  la  femme  noire 
comme  l'âtie,  et  vieille,  vieille  comme  un^chemin. 

—  «  Meunier,  pourquoi  pleures-tu  ? 


LES     GENS     AVISÉS  67 

—  Certes,  j'ai  bien  raison  de  pleurer.  Je  n'ai 
pas  un  liard  en  bourse.  Si  je  ne  paie  pas  mon 
fermage  demain  matin,  le  maître  de  ce  moulin 
me  fera  mettre  en  prison. 

— Meunier,  ne  pleure  plus.  Voici  de  quoi  payer 
ion  fermage  pendant  deux  ans. 

—  Merci,  brave  femme.  » 

Le  lendemain  matin,  le  meunier  paya  son  fer- 
mage pour  deux  ans.  Mais,  la  troisième  et  la 
quatrième  année,  le  vent  ne  souffla  guère,  il  plut 
encore  à  grand  déluge,  si  bien  que  le  malheureux 
meunier  ne  fut  pas  même  en  état  de  donner  un 
à-compte  sur  le  fermage. 

—  «  Écoute,  meunier,  lui  dit  le  maître  du 
moulin.  Si  tu  ne  me  paies  pas  demain  matin,  je 
te  fais  mettre  en  prison.  » 

Alors,  le  maître  partit  ;  et  le  meunier  s'assit, 
en  pleurant,  sur  la  porte  du  moulin. 

Au  coucher  du  soleil,  repassa  la  femme  noire 
comme  l'àtre,  et  vieille,  vieille  comme  un  chemin. 

—  €  Meunier,  pourquoi  pleures-tu  ? 

—  Certes,  j'ai  bien  raison  de  pleurer.  Je  n'ai 
pas  un  liard  en  bourse.  Si  je  ne  paie  pas  mon 
fermage  demain  matin,  le  maître  de  ce  moulin 
me  fera  mettre  en  prison. 

—  Meunier,  ne  pleure  plus,  et  va-t-en.  Tiens. 
Voici  une  branche  de  sureau.  Tâche  de  t'en  bien 
servir.  Chaque  fois  que  tu  voudras  que  deux  per- 


68  CONTES     FAMILIERS 

sonnes  ou  deux  choses  soient  unies,  crie  :  «  Tiens 
bon  !  »,  et  touche-les  de  ta  baguette.  Jusqu'à 
ce  que  tu  cries  :  «  Lâche  !  »  ni  Dieu  ni  Diable 
n'auront  le  pouvoir  de  les  séparer. 

—  Merci,  brave  femme.  » 

Le  lendemain  matin,  le  meunier  était  sur  la 
place  du  village,  avec  sa  branche  de  sureau.  En 
ce  moment,  la  servante  du  curé  rinçait  le  pot  de 
chambre  de  son  maître.  Le  meunier  toucha  la 
servante  et  le  pot  de  chambre  de  sa  branche 
de  sureau. 

—  «  Tiens  bon  !  » 

Aussitôt,  la  servante  du  curé  et  le  pot  de 
chambre  firent  corps,  si  bien  que  ni  Dieu  ni 
Diable  n'auraient  eu  le  pouvoir  de  les  sé- 
parer. 

—  «  Au  secours  !  criait  la  servante.  » 

Alors,  accourut  un  meunier,  tenant  par  la  bride 
son  mulet  chargé  d'avoine. 

—  «  Tiens  bon  !  » 

Aussitôt,  la  servante  du  curé,  le  pot  de  chambre, 
le  meunier,  et  le  mulet  chargé  d'avoine,  firent 
corps,  si  bien  que  ni  Dieu  ni  Diable  n'auraient  eu 
le  pouvoir  de  les  séparer. 

—  «  Au  secours  !  criaient  la  servante  du  curé, 
et  le  meunier.  » 

Alors,  arriva  sur  la  place  un  roulier,  conduisant 
une  grande  charrette,  chargée  de  foin,  et  attelée 


LES     GENS     AVISÉS  69 

de  sept  chevaux.  Le  cheval  de  devant  sentit  l'a- 
voine, et  s'approcha  du  mulet. 

—  «  Tiens  bon  !  » 

Aussitôt,  la  servante  du  curé,  le  pot  de  cham- 
bre, le  meunier,  le  mulet  chargé  d'avoine,  la 
grande  charrette  chargée  de  foin,  les  sept  che- 
vaux, et  le  roulier,  firent  corps,  si  bien  que  ni 
Dieu  ni  Diable  n'auraient  eu  le  pouvoir  de  les 
séparer. 

—  «  Au  secours  !  criaient  la  servante  du  curé, 
le  meunier,  et  le  roulier.  » 

Alors,  le  maître  du  moulin  arriva  sur  la  place, 
dans  sa  voiture  à  quatre  chevaux,  conduite  par  un 
cocher  tout  galonné  d'or.  Les  quatre  chevaux 
virent  le  foin  de  la  grande  charrette,  et  s'appro- 
chèrent pour  en  manger. 

—  «  Tiens  bon  !  » 

Aussitôt,  la  servante  du  curé,  le  pot  de  cham- 
bre, le  meunier,  le  mulet  chargé  d'avoine,  la 
grande  charrette  chargée  de  foin,  les  sept  che- 
vaux, le  roulier,  le  maître  du  moulin,  la  voiture 
à  quatre  chevaux,  le  cocher  tout  galonné  d'or, 
firent  corps,  si  bien  que  ni  Dieu  ni  Diable  n'au- 
raient eu  le  pouvoir  de  les  séparer. 

—  «  Au  secours  !  Au  secours  !  » 

Mais  les  gens  du  village  s'étaient  enfuis  épou- 
vantés. Jusqu'au  coucher  du  soleil,  le  meunier  à 
la  branche  de  sureau  se  fit  du  bon   sans:,  à  re- 


70  CONTES     FAMILIERS 

garder  son  ouvrage.  Enfin,   il  prit  pitié  de  ces 
gens  et  de  ces  bêtes. 

—  «  Maître,  dit-il  au  propriétaire  du  moulin, 
vous  allez  pa3'er  pour  tous.  Que  me  donnez-vous 
si  je  vous  délivre  ? 

—  Meunier,  je  te  donne  mon  moulin  à  vent 
réparé  à  neuf,  et  trois  beaux  mulets. 

—  C'est  dit.  «  Lâche  !  » 

Aussitôt,  le  maître  du  moulin,  dans  sa  voiture 
à  quatre  chevaux,  conduite  par  un  cocher  tout 
galonné  d'or,  lâche  la  grande  charrette  chargée 
de  foin,  les  sept  chevaux,  et  le  roulier. 

La  grande  charrette  chargée  de  foin,  les  sept 
chevaux,  et  le  roulier,  lâchent  le  meunier,  et  le 
mulet  chargé  d'avoine. 

Le  meunier,  et  le  mulet  chargé  d'avoine,  lâ- 
chent la  servante  du  curé,  et  le  pot  de  chambre. 

La  servante  du  curé  lâche  le  pot  de  chambre  (i). 


(i)  Fourni  par  M.  l'abbé  Magenties,  de  Lectourc,  qui  le  te- 
nait de  sa  grand'mère,  Catherine  Dubuc,  veuve  Langlade,  morte 
en  1855.  Notre  ancienne  servante,  feu  Bernarde  Dubarry,  de 
Bajonnette  (Gers),  ni'a  souvent  récité  le  même  conte. 


VIII 


JEANNILLE 


I L  5'  avait,  une  fois,  un  jeune  tisserand, 
appelé  Jeannille,  fin  et  avisé  comme  pas 
un.  Jeannille  vivait  seul,  avec  sa  mère, 
une  vieille  veuve,  qui  avait  aussi  bonne  tête  que 
son  fils.  Lui,  n'était  pas  glorieux  d'en  savoir  plus 
que  ses  voisins.  Pourtant,  il  se  mettait  en  colère, 
quand  il  leur  voyait  faire  quelque  sottise  ;  et  il 
aurait  voulu  que  chacun  fût  en  état  de  raisonner 
aussi  bien  que  lui. 

Sa  mère  lui  disait  souvent  : 

—  «  Jeannille,  prends  garde.  Ce  monde-ci  est 
un  grand  monde.  Il  y  a  longtemps  que  les  sots  y 
sont  les  maîtres;  et  je  ne  pense  pas  que  ceci  finisse 
demain.  Jamais  tu  ne  compteras  toutes  les  herbes 
qui  croissent  dans  les  prés.  Jamais  tu  ne  boiras 


72  CONTES     FAMILIERS 

toute  l'eau  de  la  rivière  de  Baïse  (i).  Tâche  de 
vivre  avec  les  vivants;  et  ne  t'expose  pas  à  de- 
meurer seul.  » 

Jeannille  ne  répondait  rien  ;  mais  il  ne  se  corri- 
geait pas  de  ses  colères.  Il  ne  voulait  pas  com- 
prendre que  le  plus  méchant  sera  toujours  le  grand 
maître,  ni  que  les  sots  seront  toujours  les  plus 
nombreux. 

Un  jour,  la  veuve  mourut.  Alors,  Jeannille 
pensa  : 

—  «  Je  n'ai  plus  ma  mère.  C'est  un  grand 
malheur  pour  moi.  Pourtant,  je  ne  peux  pas  vivre 
tout  seul.  Il  faut  que  je  me  marie.  » 

Le  temps  de  son  deuil  fini,  Jeannille  se  maria,  et 
fit  une  belle  noce.  Le  lendemain,  il  dit  à  sa  femme  : 

—  «  Femme,  j'ai  soif.  Il  n'y  a  plus  une  goutte 
de  vin  à  la  maison.  Va  puiser  de  l'eau  à  la 
fontaine.  » 

La  femme  prit  sa  cruche,  et  partit.  Une  heure 
après,  elle  n'était  pas  encore  revenue. 

—  «  Belle-mère,  dit  Jeannille,  allez  donc  voir 
ce  que  peut  faire  votre  fille.  Il  faut  que  je  demeure 
ici.  Pourtant,  je  crève  de  soif.  » 

La  belle-mère  partit,  et  trouva  sa  fille  au  bord 
de  la  fontaine,  avec  sa  cruche  vide  à  côté. 

—  «  Mère,  vous  arrivez  bien  à  propos.  Main- 

(i)  Affluent  de  la  Garonne,  rive  gauche. 


LES     GENS    AVISES  73 

tenant  que  je  suis  mariée,  le  Bon  Dieu  me  doit  un 
enfant.  Par  malheur,  il  n'y  a  pas  de  berceau  chez 
nous.  Ceci  me  donne  à  penser. 

—  Nous  avions  le  tien,  ma  fille;  mais  il  est 
pourri  depuis  longtemps.  Ce  berceau  était  un  pré- 
sent de  ta  pauvre  tante  ma  sœur.  Jamais  on  n'a 
vu  le  pareil.  Pourtant,  il  avait  coûté  bien  bon 
marché.  » 

La  mère  s'assit  à  côté  de  sa  fille  ;  et  toutes  deux 
se  mirent  à  bavarder,  comme  des  pies,  à  propos 
du  berceau.  Une  heure  après,  elles  n'étaient  pas 
encore  revenues. 

—  «  Beau-père,  dit  Jeannille,  allez  donc  voir 
ce  que  peuvent  faire  ma  femme  et  la  vôtre.  Il  faut 
que  je  demeure  ici.  Pourtant,  je  crève  de  soif.  » 

Le  beau-père  partit,  et  trouva  sa  fille  et  sa 
femme,  qui  devisaient  au  bord  de  la  fontaine,  avec 
la  cruche  vide  à  côté. 

—  «  Père,  vous  arrivez  bien  à  propos.  Il  me 
faut  un  berceau,  pour  le  fils  que  le  Bon  Dieu  me 
doit.  Nous  devisions  de  cela,  moi  et  ma  mère. 

—  Je  vois,  dit  le  père,  que  vous  êtes  en  dispute; 
mais  j'ai  le  moyen  de  vous  accorder.  Il  n'est  pas 
vrai  que  le  berceau  que  nous  avions  fût  un  présent 
de  la  pauvre  sœur  de  ma  femme.  Ce  fut  moi  qui 
le  tressai.  Quand  notre  fille  fut  grande,  je  voulais 
le  troquer  contre  un  dindon. 

—  Mon  homme,  tu  ne  sais  pas  ce  que  tu  dis. 


74  CONTES     FAMILIERS 

—  Femme,  je  le  sais  mieux  que  toi.  Je  vais  t'en 
donner  la  preuve.  » 

L'homme  s'assit  entre  sa  femme  et  sa  fille,  et 
ils  continuèrent  à  bavarder  comme  des  pies,  à 
propos  du  berceau.  Une  heure  après,  ils  n'étaient 
pas  encore  revenus.  Alors,  Jeannille  pensa  : 

—  «  Mon  travail  est  ici  ;  mais  je  crève  de  soif. 
Il  faut  aussi  que  je  sache  ce  que  sont  devenus  ma 
femme,  ma  belle-mère,  et  mon  beau-père.  » 

Un  moment  après,  il  était  au  bord  de  la  fon- 
taine, où  les  trois  imbéciles  bavardaient  toujours 
comme  des  pies,  à  propos  du  berceau.  Alors, 
Jeannille  entra  dans  une  colère  bleue. 

—  «  Voici  trois  imbéciles,  qui  se  chamaillent 
à  propos  d'un  berceau,  et  l'enfant  qui  doit  y 
dormir  est  encore  à  naître.  En  attendant,  je  crève 
de  soif,  et  je  travaille  comme  un  galérien.  Jamais 
je  ne  pourrai  vivre  avec  de  pareilles  gens.  Mieux 
vaut  quitter  le  pays.  » 

Jeannille  partit  aussitôt.  Une  heure  après,  en 
traversant  un  grand  bois,  il  vit  une  femme  qui 
rossait  son  porc,  à  coups  de  gaule. 

—  «  Porc  !  Méchant  porc  !  Imbécile  de  porc  ! 
Je  t'enseignerai  ton  métier.  » 

Et  toujours  elle  rossait  la  pauvre  bête,  à  coups 
de  gaule. 

—  «  Femme,  pourquoi  rossez-vous  ainsi  votre 
porc? 


LES    GENS    AVISÉS  75 

—  Pourquoi  je  le  rosse?  Pourquoi  je  le  rosse? 
Figurez-vous  que  cet  animal  a  si  peu  de  sens, 
qu'il  se  couche  sous  les  chênes,  pour  attendre  que 
les  glands  tombent ,  au  lieu  de  monter  les 
cueillir  parmi  les  branches.  Allons  !  méchant  porc, 
monte  vite.  Pan!  pan! 

—  Femme,  les  porcs  ne  sont  pas  nés  pour 
monter  aux  chênes.  Prêtez-moi  votre  gaule,  et 
vous  allez  voir.  » 

En  quelques  coups  de  gaule,  Jeannille  fit  tom- 
ber un  quartaut  de  glands,  que  le  porc  avala  jus- 
qu'au dernier. 

—  «  Adieu,  femme.  Profitez  de  la  leçon. 

—  Merci,  mon  ami.  » 

Jeannille  repartit.  Une  heure  après,  le  ciel  se 
couvrit  de  nuages  noirs.  L'orage  n'était  pas  loin. 
Sur  la  porte  de  sa  maison,  une  femme,  tenant  une 
fourche,  tâchait  de  jeter  dedans  une  grande  pile 
de  noix  vertes. 

—  «  Femme,  que  faites-vous  li? 

—  Ce  que  je  fais?  Vous  le  voyez  bien.  J'avais 
mis  ces  noix  vertes  à  sécher  au  soleil  ;  et  je  tâche 
de  les  jeter  dans  la  maison,  par  crainte  de  l'orage. 
Mais  ma  gueuse  fourche  ne  veut  pas  faire  de  bon 
travail. 

—  Femme,  laissez  là  votre  fourche.  Apportez- 
moi  une  pelle.  » 

La    femme    apporta    une    pelle.     Un    quart- 


yé  CONTES    FAMILIERS 

d'heure  après,  Jeannille  avait  mis  toutes  les  noix 
vertes  à  l'abri.  Il  attendit  la  fin  de  l'orage. 

—  «  Adieu,  femme.  Profitez  de  la  leçon. 

—  Merci,  mon  ami.  » 

Jeannille  repartit.  Une  heure  après,  il  arriva 
devant  une  maison,  où  un  garçon  criait  comme 
un  aigle  à  son  vieux  père  paralysé  : 

—  «  Imbécile  !  Vous  ne  saurez  donc  jamais  en- 
filer votre  culotte.  Voilà  plus  de  cent  fois  que 
vous  manquez  la  manoeuvre.  Recommencez. 
Remontez  sur  la  table.  Vous  le  voyez,  je  tiens  la 
culotte.  Allons!  Hardi!  Sautez  dedans,  et  enfilez 
les  deux  jambes  à  la  fois.  » 

Le  pauvre  vieux  paralysé  roula  par  terre,  sans 
enfiler  sa  culotte.  Alors,  Jeannille  entra  dans  la 
maison. 

—  «  Jeune  homme,  tu  ne  sais  pas  t'y  prendre. 
Tiens,  voici  comment  on  enfile  une  culotte.  Une 
jambe  d'abord,  et  l'autre  après.  C'est  fait.  Adieu. 
Profite  de  la  leçon. 

—  Merci,  mon  ami.  » 

Jeannille  repartit.  Mais,  au  bout  de  cent  pas, 
il  s'assit  au  pied  d'un  arbre,  et  se  mit  à  penser  : 

—  «  Voici  juste  quatre  heures  que  je  chemine; 
et  j'ai  déjà  vu  trois  personnes  encore  plus  bêtes 
que  ma  femme,  ma  belle-mère,  et  mon  beau-père. 
J'ai  vu  une  femme  qui  voulait  faire  monter  son 
porc  à  un  chêne.  J'en  ai  vu  une  autre  qui  tâchait. 


LES     GENS     AVISÉS  77 

avec  une  fourche,  de  jeter  dans  sa  maison  une 
grande  pile  de  noix  vertes.  J'ai  vu  un  jeune 
homme  qui  voulait  faire  sauter  dans  sa  culotte 
son  vieux  père  paralysé.  En  vérité,  ma  pauvre 
mère  avait  bien  raison  de  dire  :  «  Ce  monde-ci 
«  est  un  grand  monde.  Il  y  a  longtemps  que  les 
«  sots  y  sont  les  maîtres  ;  et  je  ne  pense  pas  que  ceci 
«  finisse  demain.  Jamais  tu  ne  compteras  toutes 
«  les  herbes  qui  croissent  dans  les  prés.  Jamais  tu 
«  ne  boiras  toute  Teau  de  la  rivière  de  la  Baise. 
«  Tâche  de  vivre  avec  les  vivants,  et  ne  t'expose 
«  pas  à  demeurer  seul.  » 

Cela  pensé,  Jeannille  retourna  dans  sa  mai- 
son (i). 

(i)  Dicté  par  Pauline  Lacaze,  de  Panassac  (Gers). 


IX 

GRAIN  -  DE  -  MILLET 


I  L  y  avait,  une  fois,  à  Lacouture  (i),  un 
métayer  et  une  métayère,  mariés  depuis 
sept  ans.  Pourtant,  ils  n'avaient  pas  en- 
core d'enfant. 

Un  jour,  la  métayère  songeait,  en  pétrissant 
dans  le  fournil  : 

—  «  Ah!  quand  donc  aurai-je  un  fils? 

—  Mère,  vous  en  avez  un. 

—  Où  es-tu,  mon  fils?  Je  t'entends;  mais  je  ne 
te  vois  pas. 

—  Mère,  je  suis  trop  petit  pour  être  vu.  C'est 
pourquoi  vous  m'appellerez  Grain-de-Millet. 

—  Grain-de-Millet,  veux-tu  têter? 


(i)  Métairit;  île  la  commune  de  Lectoure,  autrefois  voisine  de 
la  foret  du  Ramier,  dont  plus  de  la  moitié  est  raainleuant 
défrichée. 


LES     GENS    AVISÉS  79 

—  Merci,  mère.  Je  suis  né  tout  formé,  tout 
vêtu,  tout  armé.  J'en  sais  plus  que  les  hommes 
de  quarante  ans.  Commandez,  mcre.  Tout  ce 
que  vous  direz  sera  fait. 

—  Grain-de-Millet,  chasse  les  poules  du  four- 
nil. » 

Grain-de-Millet  chassa  les  poules  du  fournil.  Sa 
mère  l'entendait  crier  :  «  Psch  !  psch  !  psch  (i)  !  » 
Mais  elle  ne  le  voj'ait  pas. 

—  «  Mère,  maintenant  que  les  poules  sont 
chassées,  je  veux  aller  trouver  mon  père. 

—  Grain-de-Millet,  sais-tu  où  il  est? 

—  Oui,  mère.  Il  laboure,  là-bas,  là-bas,  avec 
notre  paire  de  bœufs.  Je  veux  lui  porter  son  goûter. 

—  Grain-de-Millet,  tu  ne  pourras  pas. 

—  Mère ,  remplissez  le  panier.  Le  reste  me 
regarde.  » 

Grain-de-Millet  partit,  emportant  le  panier. 

—  «  Père,  tenez.  Voici  votre  goûter. 

—  Qui  est  là?  J'entends  parler;  mais  je  ne  vois 
personne. 

—  Père,  je  suis  Grain-de-Millet.  Je  suis  votre 
fils,  né  depuis  une  heure.  Père,  je  suis  trop  petit 
pour  être  vu.  C'est  pourquoi  vous  m'appellerez 
Grain-de-Millet.  Tenez,  voici  votre  goûter.  Où 
faut-il  que  je  le  pose? 

(i)  Pov.r  chasser  les  joules. 


8o  CONTES    FAMILIERS 

—  Grain-de-Millet,  pose-le  sous  cet  arbre. 

—  Père,  c'est  fait.  Goûtez,  Je  labourerai  pour 
vous. 

—  Graiii-de-Millet,  tu  ne  pourras  pas.     ' 

—  Père,  fiez-vous  à  moi.  » 

Tandis  que  son  père  goûtait,  Grain-de-Millet 
se  hissa  jusqu'à  la  pointe  de  la  corne  droite  du 
bœuf  Caubet  (i).  Et  le  voilà  parti. 

—  «  Ha!  Lauret.   Ha!  Caubet  (2).  » 
Jamais  bouvier  n'avait  labouré  de  telle  façon. 
En   ce  moment,  l'évêque  de  Lectoure  passait, 

revenant  de  Fleurance  (3),  dans  une  superbe 
voiture.  Il  s'étonna  fort  de  voir  une  paire  de 
bœufs  labourer  seule,  et  d'entendre  des  cris  de 
bouvier,  sans  voir  celui  qui  criait. 

—  a  Métayer,  dit -il  à  l'homme  qui  goûtait, 
métayer,  qu'est  donc  ceci  ? 

—  Monseigneur,  c'est  mon  fils  Grain-de-Millet, 
qui  laboure  à  ma  place. 

—  Métayer,  je  l'entends;  mais  je  ne  le  vois  pas. 

—  Monseigneur,  mon  fils  est  trop  petit  pour 
être  vu.  C'est  pourquoi  il  s'appelle  Grain-de- 
Millet. 


(1)  Le  bœuf  de  gauche. 

(2)  Cris  de  bouvier.  Lauret  est  un  nom  de  bœuf. 

(3)  Chef-lieu  de  canton  du  département  du  Gers,  à  ii  kilo- 
mètres de  Lectoure. 


LES     GENS     AVISÉS  8l 


—  Métayer,  je  veux  ton  fils  pour  cocher. 
Yends-le-moi.  Je  t'en  donne  mille  pistoles. 

—  Monseigneur,  excusez-moi.  Grain-de-Millet 
n'est  pas  à  vendre.  » 

La  voiture  de  l'évêque  de  Lectoure  repartit. 
Quand  elle  fut  loin,  Grain-de-Millet  dit  à  son  pire  : 

—  «  Père,  pourquoi  ne  m'avez-vous  pas  vendu, 
pour  mille  pistoles,  à  l'évêque  de  Lectoure  ? 

—  Grain-de-Millet,  je  tiens  à  toi. 

—  Père,  vendez-moi.  Je  saurai  bien  m'en  re- 
tourner à  la  maison. 

—  Grain-de-Millet,  ce  que  je  n'ai  pas  fait  au- 
jourd'hui peut  se  faire  une  autre  fois. 

—  Père,  retournez  à  la  maison.  Bientôt,  le 
champ  sera  labouré.  Fiez-vous  à  moi,  pour  rame- 
ner les  bœufs  à  l'étable,  et  pour  les  panser.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Le  champ  labouré, 
Grain-de-Millet  ramena  ses  bœufs  à  l'étable. 
Mais,  en  pansant  son  bétail,  il  tomba  dans  le 
fourrage,  et  fut  avalé  par  Caubet. 

Inquiets  de  ne  plus  entendre  leur  fils,  le 
métayer  et  la  métayère  entrèrent  dans  l'étable, 
en  criant  : 

—  «  Grain-de-Millet  !  Grain-de-Millet  ! 

—  Je  suis  dans  le  ventre  de  Caubet  (i). 

(l)  En  gïscon  : 

—  «  Grûn-dc-MilUt !  Grun-âe-UilUl ! 

—  Soui  dttts  lou  henie  dou  Caubet.  < 

m  6 


82  CONTES    FAMILIERS 


—  Grain-de-Millet  !  Grain-de-Millet  ! 

—  Je  suis  dans  le  ventre  de  Caubet. 

—  Grain-de-Millet!  Grain-de-Millet! 

—  Je  suis  dans  le  ventre  de  Caubet  !  » 
Alors,  le  père  alla  chercher  un  grand  coutelas, 

saigna  Caubet,  l'éventra,  et  jeta  les  tripes  dehors. 

—  «  Grain-de-Millet  !  Grain-de-Millet  !  » 
Pas  de  réponse. 

—  «  Grain-de-Millet!  Grain-de-Millet!  » 
Pas  de  réponse. 

—  «  Grain-de-Millet  !  Grain-de-Millet  !  » 
Pas  de  réponse. 

—  «  Quel  malheur!  Grain-de-Millet  est  mort.  » 
Le  métayer  et  la   métayère  allèrent  se  coucher 

bien  tristement. 

Mais  Grain-de-Millet  n'était  pas  mort.  Il  était 
évanoui  dans  les  tripes  de  Caubet,  mais  em- 
pêtré à  ne  pouvoir  répondre.  Quand  il  revint 
à  lui,  les  étoiles  marquaient  minuit.  En  ce 
moment,  les  loups,  attirés  par  l'odeur  des  tripes, 
accouraient  du  bois  du  Ramier.  Le  temps  de  dire 
Amen,  Grain-de-Millet  était  passé,  avec  les  tripes 
de  Caubet,  dans  le  ventre  d'un  loup,  et  partait, 
emporté  vers  le  Rieutort  (i). 

Depuis  qu'il  avait  ce  petit  hom.me  dans  son 
ventre,  le  loup  souffrait  terriblement  de  la  colique. 

(i)  Ruisseiu  qui  traverse  le  Rnmier. 


LES     GEXS     AVISÉS  83 


Au  Rieutort,  la  maie  bête  avala  tant  et  tant 
d'eau,  qu'elle  se  débonda  tout  à  coup.  Cela  fait, 
elle  repartit,  comme  si  le  Diable  l'emportait. 

A  force  de  se  démener,  Grain-de-Millet'  finit 
par  se  tirer  d'affaire,  et  courut  se  débarbouiller 
au  Rieutort.  Certes,  ce  n'était  pas  sans  besoin. 

Tout  en  se  débarbouillant,  il  aperçut  un  homme 
haut  de  six  pieds,  noir  et  barbu.  L'homme  sem- 
blait impatient,  et  regardait  les  étoiles.  Quand 
elles  marquèrent  une  heure  de  la  nuit,  il  imita  le 
cri  du  hibou  : 

—  «  Tchot  !  tchot  !  tchoc  !  » 
D'autres  cris  lui  répondirent  : 

—  «  Tchot  !  tchot  !  tchot  !  » 

C'étaient  des  voleurs  de  bétail,  qui  revenaient  de 
faire  leurs  mauvais  coups  chez  les  moines  de 
Bouillas  (i),  chez  le  comte  de  Lamothe-Goas  (2), 
chez  l'évèque  de  Lectoure  (3),  et  à  la  métairie 
de  Lacouture.  Ces  gueux  ramenaient  à  leur  capi- 
taine je  ne  sais  combien  de  juments,  de  poulains, 
de  veaux,  de  bœufs,  et  de  vaches. 

—  «  Allons,  camarades,  vous  n'avez  pas  perdu 


(i)  Abbaye  de  Bernardins,  située  dans  la  forêt  du  Ramier. 

(2)  Le  château  de  Lamoihe-Goas,  compris  dans  l'ancienne 
vicomte  de  Lomagne,  et  aujourd'hui  dans  le  canton  de  Fleurance 
(Gers),  est  peu  distant  de  la  fcci  du  Ramier. 

(3)  Avant  la  Révolution,  les  évèques  de  Lectoure  avaient  leur 
maison  des  champs  à  Tulle,  dans  l.i  vallée  du  Gers,  à  médiocre 
distance  de  la  forêt  primitive  du  Ramier. 


84  CONTES     FAMILIERS 

votre  nuit.  Vite,  partons  pour  la  foire.  Avec  l'ar- 
gent de  ce  bétail  à  vendre,  nous  aurons  de  quoi 
faire  longtemps  bonne  chère,  et  jouer  aux  cartes.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Mais  le  capitaine  des 
voleurs  ne  se  doutait  pas  qu'il  emportait  à  la  foire 
Grain-de-Millet,  qui  s'était  hissé  jusque  dans  sa 
poche. 

Le  bétail  vendu,  le  capitaine  dit  : 

—  «  Camarades,  allons  riboter  à  l'auberge.  » 
A  force  de  riboter,   tous  finirent  par  tomber 

ivres-morts  sous  la  table.  Alors,  Grain-de-Millet 
fouilla  le  capitaine  des  voleurs,  et  partit  au  grand 
galop  pour  la  métairie  de  Lacouture. 

—  «  Bonjour,  père.  Bonjour,  mère.  Tenez. 
Voici  cent  fois  plus  qu'il  ne  faut,  pour  remplacer 
notre  Caubet  éventré,  et  pour  renouveler  le  reste 
de  notre  bétail,  volé  la  nuit  passée.  » 

C'était  vrai.  La  bourse  du  capitaine  des  voleurs 
contenait  je  ne  sais  combien  de  doubles  louis 
d'or,  et  de  quadruples  d'Espagne. 

—  «  Et  maintenant,  père,  apportez  une  fiole.  » 
Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Grain-de-Millet  entra 

dans  la  fiole. 

—  «  Et  maintenant,  père,  prenez  cette  fiole,  et 
allez  me  vendre  trois  mille  pistoles  à  l'évêque  de 
Lectoure.  » 

Le  père  prit  la  fiole,  et  s'en  alla  trouver  l'évêque 
de  Lectoure. 


LES     GENS     AVISES 


—  «  Bonjour,  Monseigneur.  J"ai  changé  d'avis. 
Si  vous  voulez  toujours  Grain-de-Millet  pour  co- 
cher, comptez-moi  mille  pistoles.  « 

Sans  marchander,  l'évèque  de  Lectoure  paya 
comptant,  et  le  père  s'en  revint  à  Lacouture. 

Pendant  toute  une  semaine,  Grain-de-Millet 
montra  ce  dont  il  était  capable.  Jamais  les  che- 
vaux de  l'évèque  de  Lectoure  n'avaient  été  si  bien 
pansés,  étrillés,  harnachés.  Jamais  sa  voiture  n'a- 
vait été  si  propre,  si  bien  attelée.  Jamais,  au 
grand  jamais,  cocher  n'avait  conduit  comme 
Grain-de-Millet. 

L'évèque  de  Lectoure  était  bien  content.  Mais 
il  V  a  une  fin  à  tout. 

Le  matin  du  huitième  jour,  Grain-de-Millet 
criait,  dans  l'écurie,  comme  un  homme  écorché 
vif: 

—  «  Aie  !  aie  !  aie  !  Je  suis  mort.  Aie  !  aie  !  aie  ! 
Je  suis  mort. 

—  Qu'as-tu,  Grain-de-Millet?  Q.u'as-tu? 

—  Aie!  aie!  aie!  Je  suis  mort.  Un  cheval  m'a 
broyé  sous  son  pied.  Aie!  aie!  aie!  Je  suis  mort. 

—  Montre-toi,  Grain-de-Millet.  Montre-toi, 
tandis  qu'on  va  chercher  le  chirurgien.  » 

Mais  Grain-de-Millet  ne  se  montrait  pas,  et  ne 
criait  plus.  Alors,  l'évèque  de  Lectoure  pensa  : 

—  «  Grain-de-Millet  est  mort.  J'ai  payé  cher 
ses  bons  services  d'une  semaine.  » 


86  CONTES     FAMILIERS 

Mais  Grain-de-Millet  n'était  pas  mort.  Il  arri- 
vait au  seuil  de  la  métairie  de  Lacouture. 

—  «  Bonjour,  père.  Bonjour,  mère.  Mainte- 
nant, quittons  le  pays.  Nous  avons  de  quoi  faire 
travailler  les  autres  pour  nous.  Allons,  comme  les 
nobles,  vivre  heureux  et  riches  dans  un  châ- 
teau (i).  » 


(i)  Dicté  par  feu  Cazaux,  de  Lectoure.  Auparavant,  ce 
conte  m'avait  été  récité,  d'une  façon  identique  pour  le  fond, 
par  ma  grand'mére  paternelle,  Marie  de  Lacaze,  de  Sainte- 
Radegonde  (Gers),  par  M.  de  Boubée-Lacouture,  mort  juge  au 
tribunal  de  Lectoure,  et  par  un  cultivateur,  Biaise  Sans,  au  Bour- 
dieu,  commune  de  Lectoure.  Une  de  mes  parentes,  morte  à  Mar- 
solan  (Gers),  Marthe  Le  Blant,  née  Duvergé,  localisait  l'action 
dans  la  commune  de  sa  résidence,  supprimant  la  vente  de  Grain- 
de-Millet  à  l'évêque  de  Lectoure,  et  fius.int  voler  les  bestiaux  à 
Marsolan,  et  dans  les  communes  limitrophes.  Le  conte,  ainsi  ré- 
duit, est  encore  populaire  au  l'ergain-TailIac  (Gers),  oij  il  m'a 
été  récité,  notamment,  par  deux  jeunes  gens,  Joseph  Lafitte  et 
Hippolyte  Néchut,  qui  tous  localisent  l'action  dans  leur  commune. 


(^^(^^(^^M^fë'hM^M^ 


LA    FLÛTE    DE    COURTEBOTTE 


L  y  avait,  une  fois,  un  homme  et  une 
femme,  mariés  depuis  quinze  ans.  Pour- 
tant, ils  n'avaient  pas  encore  d'enfant. 
Vingt  fois  par  jour,  l'homme  et  la  femme  répé- 
taient : 

—  «  Bon  Dieu,  donnez-nous  un  fils,  rien  qu'un 
fils,  ne  fût-il  pas  plus  haut  qu'une  botte.  » 

Le  Bon  Dieu  finit  par  leur  donner  ce  qu'ils  de- 
mandaient. Après  quinze  ans  et  neuf  mois,  la 
femme  accoucha  d'un  enfant,  long  de  deux  em- 
pans, et  qui  ne  devait  plus  grandir  d'une  ligne. 
C'est  pourquoi  ses  parents  l'appelèrent  Courte- 
botte. 

A  l'âge  d'entrer  en  condition,  Courtebotte  était 
fin  et  avisé  plus  que  personne.  Mais  pas  un  maître 
ne  voulait  s'embarrasser  de  ce  nain.  Enfin,  Cour- 
tebotte trouva  une  place  de  vacher,  chez  un  mé- 


88  CONTES     FAMILIERS 


tayer,  méchant  comme  le  Diable,  et  avare  comme 
un  juif.  Mauvais  pain,  mauvaise  soupe,  lit  de 
paille,  force  coups,  et  pas  de  gages,  tel  était  le  sort 
du  pauvre  valet. 

Mais  le  nain  avait  bon  espoir,  et  pensait  : 

—  «  Patience!  Après  la  pluie,  le  soleil.  » 

Un  jour,  Courtebotte  gardait  ses  vaches,  dans 
im  pré,  couché  sous  un  saule,  au  bord  du  Gers. 
De  l'autre  côté  de  la  rivière,  il  aperçut  une  femme 
haute  à  peine  d'un  empan,  noire  comme  l'âtre,  et 
vieille,  vieille  comme  un  chemin. 

• —  «  Vacher,  cria  la  petite  vieille,  viens  me 
passer  de  l'autre  côté  du  Gers. 

—  Brave  femme,  avec  plaisir.  » 
Courtebotte  ôta  ses  habits.  Par  bonheur,  c'était 

après  la  moisson.  Les  eaux  étaient  si  basses,  si 
basses,  que  le  nain  n'en  avait  pas  jusqu'à  la 
ceinture. 

—  «  Brave  femme,  vous  voilà  passée. 

—  Merci,  vacher.  Ton  service  te  sera  payé. 
Prends  cette  flûte,  et  ne  t'en  sépare  ni  nuit  ni 
jour.  Chaque  fois  que  tu  l'emboucheras,  les  bêtes 
et  les  gens  qui  l'entendront  seront  forcés  d'entrer 
en  danse,  jusqu'à  ce  qu'il  te  plaise  de  ne  plus 
souffler. 

—  Brave  femme,  merci.  » 
La  petite  vieille  partit. 

Alors,  Courtebotte  emboucha  sa  flûte.  Aussi- 


LES    GEKS    AVISES  89 

tôt,  les  bœufs,  les  vaches,  les  veaux,  furent 
forcés  d'entrer  en  danse,  jusqu'à  ce  qu'il  plût  au 
nain  de  ne  plus  souffler. 

Un  moment  après,  passa,  proche  d'un  hallier 
de  ronces  et  d'épines  noires,  le  juge  de  paix,  un 
homme  colère  et  méchant  comme  cent  Diables  de 
l'enfer.  Courtebotte  ôta  son  béret. 

—  «  Bonjour,  Monsieur  le  juge  de  paix.  » 

Le  juge  de  paix  passait  sans  répondre,  ni  même 
toucher  son  chapeau. 

—  «  Monsieur  le  juge  de  paix,  je  vous  salue 
honnêtement.  Vous  pourriez  faire  de  même.  » 

Le  juge  de  paix  leva  son  bâton. 

Alors,  Courtebotte  emboucha  sa  flûte.  Aussi- 
tôt, le  juge  de  paix  se  trouva  forcé  d'entrer  eu 
danse.  Il  dansa,  dansa,  dans  le  plus  fourré  du 
hallier  de  ronces  et  d'épines  noires,  qui  lui  déchi- 
raient les  habits  et  la  chair.  Il  dansa,  dansa,  jus- 
qu'à ce  qu'il  plût  au  nain  de  ne  plus  souffler. 

Courtebotte  et  son  bétail  retournèrent  à  la 
métairie.  Ce  jour-là,  le  maître  et  sa  fomille  faisaient 
ripaille  :  garbure,  cuisses  d'oies  (1),  dindon  rôti, 
fromage,  et  bon  vin. 

—  «  Maître,  un  peu  de  ces  bonnes  choses,  s'il 
vous  plaît. 


(i)  Confites  à  la  graisse.  On  les  met  à  cuire  dans  la  garbure, 
ou  soupe  aux  cbouï. 


90  COMTES     FAMILIERS 

—  Au  large!  gourmand.  Les  croûtons  moisis 
sont  trop  bons  pour  toi.  Au  large,  ou  gare  les 
coups.  » 

Alors,  Courtebotte  emboucha  sa  flûte.  Aussi- 
tôt, le  métayer  et  les  siens  se  trouvèrent  forcés 
d'entrer  en  danse.  Ils  dansaient,  dansaient,  parmi 
les  bancs  et  les  chaises  renversés,  parmi  les  plats, 
les  assiettes,  et  les  bouteilles  brisées,  qui  leur  met- 
taient les  pieds  en  sang.  Ils  dansèrent,  dansèrent, 
jusqu'à  ce  qu'il  plût  au  nain  de  ne  plus  souf- 
fler. 

Cela  fait,  Courtebotte  retourna  chez  ses  parents, 
tandis  que  le  juge  de  paix  et  le  métayer  allaient 
le  dénoncer  à  la  justice. 

Trois  jours  après,  le  vacher  était  condamné  à 
être  pendu  ;  car  on  pendait  de  l'ancien  temps,  au 
lieu  de  guillotiner,  comme  à  présent. 

Tandis  que  les  juges  rouges,  le  prêtre,  le 
bourreau,  et  ses  valets,  le  menaient  à  la  potence, 
Courtebotte  crevait  de  rire,  en  regardant,  parmi  le 
peuple,  le  juge  de  paix  et  le  métayer. 

Le  bourreau  passa  la  corde  au  cou  du  con- 
damné. 

Alors,  Courtebotte  emboucha  sa  flûte.  Aussitôt, 
juges  rouges,  prêtre,  bourreau,  valets,  se  trou- 
vèrent forcés  d'entrer  en  danse.  Ils  dansaient,  dan- 
saient, aussi  haut  que  la  potence,  au  risque  de  se 
rompre  bras  et  jambes,  chaque  fois  qu'ils  retoni- 


LES    GENS     AVISES  9I 

baient  à  terre.  Ils  dansèrent,  dansèrent,  jusqu'à 
ce  qu'il  plût  au  nain  de  ne  plus  souffler. 

—  ce  Eh  bien,  braves  gens,  voulez-vous  tou- 
jours me  pendre? 

—  Non,  Courtebotte.  Pars  tranquille.  Il  ne  te 
sera  rien  foit. 

—  Braves  gens,  ce  n'est  pas  assez.  J'entends 
que  le  juge  de  paix  et  mon  maître  soient  pendus 
sans  rémission. 

—  Courtebotte,  la  chose  passe  notre  pouvoir.  » 
Alors,  Courtebotte  emboucha  sa  flûte.  Aussi- 
tôt, juges  rouges,  prêtre,  bourreau,  valets,  se 
trouvèrent  forcés  d'entrer  en  danse.  Ils  dansaient, 
dansaient,  aussi  haut  que  la  potence,  au  risque  de 
se  rompre  bras  et  jambes,  chaque  fois  qu'ils  retom- 
baient à  terre.  Ils  dansèrent,  dansèrent,  jusqu'à 
ce  qu'il  plûl  au  nain  de  ne  plus  souffler. 

—  «  Braves  gens,  j'entends  que  le  juge  de  paix 
et  mon  maître  soient  pendus  sans  rémission.  La 
chose  passe-t-elle  toujours  votre  pouvoir? 

—  Non,  Courtebotte.  —  Bourreau,  fais  ton 
métier.  « 

Le  bourreau  et  ses  valets  pendirent  le  juge  de 
paix  et  le  métayer. 

—  «  Et  maintenant,  braves  gens,  vous  allez  me 
compter  chacun  mille  pistoles,  pour  le  tort  que 
vous  m'avez  fait. 

—  Courtebotte,  la  chose  passe  nos  moyens.  » 


92  CONTES     FAMILIERS 

Alors,  Courtebotte  emboucha  sa  flûte.  Aussi- 
tôt, juges  rouges,  prêtre,  bourreau,  valets,  se 
trouvèrent  forcés  d'entrer  en  danse.  Ils  dansaient, 
dansaient,  aussi  haut  que  la  potence,  au  risque  de 
se  rompre  bras  et  jambes,  chaque  fois  qu'ils  retom- 
baient à  terre.  Ils  dansèrent,  dansèrent,  jusqu'à 
ce  qu'il  plût  au  nain  de  ne  plus  souffler. 

—  «  Braves  gens,  vous  allez  me  compter  cha- 
cun cent  pistoles,  pour  le  tort  que  vous  m'avez 
fait.  La  chose  passe-t-elle  toujours  vos  moyens? 

—  Non,  Courtebotte.  Mais  nous  n'avons  pas 
l'argent  chez  nous. 

—  Mandez-le  quérir.  Sinon,  gare  la  flûte  !  » 
Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Courtebotte,  chargé  d'or, 

retourna  chez  ses  parents,  et  vécut  longtemps 
heureux  (i). 

(i)  Dicté  par  Pauline  Lacaze,  de  Panassac  (Gers). 


*y<:ô)^')<:Wé'jC^^r^^^x^^: 


XI 


LA    BESACE 


L  y  avait,  une  fois,  une  veuve  et  son  fils, 
qui  travaillaient  jour  et  nuit,  pour  mal  ga- 
gner leur  pauvre  vie. 

—  «  Mère,  dit  un  jour  le  garçon,  tout  ceci  ne 
peut  plus  durer.  Vous  êtes  vieille.  Gardez  la  mai- 
sonnette. Moi,  j'ai  vingt-et-un  ans  sonnés.  Je 
veux  aller  courir  le  monde,  et  chercher  fortune. 
Si  jamais  je  suis  riche,  comptez  que  rien  ne  vous 
manquera. 

—  Mon  fils,  fais  à  ta  volonté.  Tiens,  voici  un 
bon  bâton  d'épine  noire,  en  cas  de  mauvaises 
rencontres.  Voilà  une  besace,  où  tu  trouveras  trois 
petits  pains,  et  une  gourde  pleine  de  vin.  Pars, 
pauvret,  et  que  le  Bon  Dieu  t'accompagne.  » 

Le  garçon  salua  sa  mère,  et  partit. 

Pendant  trois  heures,  il  marcha  droit,  toujours 


94  CONTES    FAMILIERS 


tout  droit  devant  soi.  Alors,  il  rencontra  un  pauvre 
vieux  estropié. 

—  «  La  charité,  mon  ami,  pour  l'amour  de 
Dieu.  » 

Le  jeune  homme  fouilla  dans  sa  besace. 

—  «  Tiens,  pauvre.  Mange  ce  petit  pain.  Bois 
un  coup  à  ma  gourde. 

—  Merci,  mon  ami.  » 

Le  jeune  homme  salua,  et  repartit. 

Pendant  trois  heures,  il  marcha  droit,  toujours 
tout  droit  devant  soi.  Alors,  il  rencontra  un  autre 
pauvre  vieux  estropié. 

—  «  La  charité,  mon  ami,  pour  l'amour  de  la 
sainte  Vierge  Marie.  » 

Le  jeune  homme  fouilla  dans  sa  besace. 

—  «  Tiens ,  pauvre.  Mange  ce  petit  pain. 
Bois  un  coup  à  ma  gourde. 

—  Merci,  lîion  ami.  » 

Le  jeune  homme  salua,  et  repartit. 

Pendant  trois  heures,  il  marcha  droit,  toujours 
tout  droit  devant  soi.  Alors,  il  rencontra  un  autre 
pauvre  vieux  estropié. 

—  «  La  charité,  mon  ami,  pour  l'amour  de 
l'apôtre  saint  Pierre.  » 

Le  jeune  homme  fouilla  dans  sa  besace. 

—  «  Tiens  ,  pauvre.  Mange  ce  petit  pain. 
Bois  un  coup  à  ma  gourde. 


LES    GENS     AVISÉS  95 

—  Merci,  mon  ami.  » 

Le  jeune  homme  saluait  pour  repartir,  quand 
le  pauvre  vieux  estropié  parla. 

—  «  Mon  ami,  tu  m'as  assisté  trois  fois  en  un 
jour.  Tu  m'as  assisté  pour  l'amour  de  Dieu.  Tu 
m'as  assisté  pour  l'amour  de  la  sainte  Vierge 
Marie.  Tu  m'as  assisté  pour  l'amour  de  l'apôtre 
saint  Pierre.  Mon  ami,  tes  trois  charités  te  seront 
payées.  Ecoute.  C'est  moi  qui  suis  l'apôtre  saint 
Pierre,  le  portier  du  paradis.  J'ai  grand  pouvoir 
au  ciel  et  sur  terre,  et  je  vais  t'en  donner  la  preuve. 
Donne-moi  ta  besace  à  bénir.  » 

Le  jeune  homme  obéit. 

—  «  Voilà  qui  est  fait.  Et  maintenant,  mon 
ami,  quoi  que  tu  souhaites,  tu  l'auras.  Dis  seu- 
lement :  «  Saute  dans  ma  besace.  »  Aussitôt,  la 
personne  ou  chose  souhaitées  y  sauteront,  pour 
n'en  sortir  qu'à  ta  volonté.  Adieu,  mon  ami.  Je  t'ai 
payé.  Tâche  de  faire  bon  usage  de  mon  présent.  » 

Le  jeune  homme  salua  saint  Pierre,  et  re- 
partit. 

Pendant  trois  heures,  il  marcha  droit,  toujours 
tout  droit  devant  soi. 

Au  coucher  du  soleil,  il  arriva  dans  une  grande 
YÏUe,  sur  le  seuil  d'une  bonne  auberge.  Dans  la 
salle  commune,  les  servantes  mettaient  le  cou- 
vert, et  chargeaient  la  table  d'assiettes,  de  pain, 
de  bouteilles.    Sur  les   fourneaux  de  la  cuisine, 


96  COXTES     FAMILIERS 

les  casseroles  marchaient  bon  train.  Au  foyer 
rôtissait  un  gros  dindon,  gras  comme  un  moine. 
Enfin,  une  bonne  odeur  de  fricot,  à  ressusciter 
un   mort. 

Le  jeune  homme  crevait  de  faim. 

—  «  Un  morceau  de  pain,  aubergiste,  pour 
l'amour  de  Dieu,  de  la  sainte  Vierge  Marie,  et  de 
l'apôtre  saint  Pierre. 

—  Passe  ton  chemin,  pauvre.  Passe  vite,  ou 
gare  aux  chiens  !  » 

Le  jeune  homme  se  mit  à  rire. 

—  «  Bon  dîner,  saute  dans  ma  besace.  » 

Le  pain,  les  bouteilles,  la  viande,  sautèrent  dans 
la  besace,  au  premier  commandement. 

Alors,  le  jeune  homme  alla  s'asseoir  au  bord  de 
l'eau,  sous  l'arche  d'un  pont.  Là,  il  mangea  à  sa 
faim,  et  but  à  sa  soif.  Cela  fait,  il  donna  le  reste 
de  son  souper  à  de  pauvres  lavandières,  s'al- 
longea par  terre,  et  ronfla  comme  un  bienheureux. 

Le  lendemain,  il  repartait,  à  la  pointe  de 
l'aube. 

Pendant  trois  heures,  il  marcha  droit,  toujours 
tout  droit  devant  soi.  Alors,  il  s'arrêta  devant  la 
boutique  d'un  forgeron,  qui  battait  le  fer  sur  son 
enclume,  avec  un  marteau  du  poids  de  cent  quin- 
taux. 

—  «  Un  morceau  de  pain,  forgeron,  pour  l'a- 


LES     GENS     AVISÉS  97 

mour  de  Dieu,  de  la  sainte  Vierge  Marie,  et  de 
l'apôtre  saint  Pierre. 

—  Avec  plaisir,  pauvre.  Attends  un  peu.  Ma 
femme  va  tremper  la  soupe.  Nous  la  mangerons 
ensemble.  » 

Tandis  que  la  femme  trempait  la  soupe,  le  jeune 
homme  et  le  forgeron  devisaient. 

—  «  Forgeron,  quel  est  ce  beau  château,  là- 
bas,  là- bas,  sur  cette  haute  montagne? 

—  Pauvre,  c'est  le  château  de  la  Mère  du 
Diable.  La  Mère  est  encore  pire  que  le  fils.  Force 
gens  sont  entrés  dans  son  beau  château  ;  nul  n'en 
est  jamais  revenu.  Pauvre,  pour  le  bien  que  je 
te  souhaite,  tâche  de  ne  pas  faire  comme  eux.  » 

La  soupe  avalée,  le  jeune  homme  salua  le  for- 
geron et  sa  femme,  et  repartit. 

Pendant  trois  heures,  il  marcha  droit,  toujours 
tout  droit  devant  lui.  Alors,  il  frappa,  sans  peur 
ni  crainte,  à  la  porte  du  beau  château  de  la  Mère 
du  Diable. 

—  «  Pan  !  pan  !  » 

La  Mère  du  Diable  parut,  haute  de  sept  toises, 
vieille  comme  un  chemin,  laide,  laide  comme  le 
péché. 

—  «  Un  morceau  de  pain.  Mère  du  Diable, 
pour  l'amour  de  Dieu,  de  la  sainte  Vierge  Marie, 
et  de  l'apôtre  saint  Pierre.    » 

La  Mère  du  Diable  avançait,  la  gueule  ouverte. 

III  7 


9$  CONTES    FAMILIERS 


Le  jeune  homme  se  mit  à  rire. 

—  «  Mère  du  Diable,  saute  dans  ma  besace.  » 
La  Mère  du  Diable  sauta  dans  la  besace,  au  pre- 
mier commandement.    Alors,   le  jeune  homme 
retourna  chez  le  forgeron,  et  posa  la  besace  sur 
l'enclume. 

—  «  Forgeron,  passe-moi  ton  marteau  du  poids 
de  cent  quintaux.  Prends  le  pareil,  et  frappons 
fort  et  ferme  là-dessus. 

—  Pauvre,  je  n'ai  rien  à  te  refuser.  Hardi! 
Hô  !  » 

L:i  Mère  du  Diable  criait,  à  se  faire  entendre  de 
cent  lieues  : 

—  «  Aie!  aie!  aie  !  Vous  me  brisez  les  os.  Aie  ! 
aie  !  aie  !  » 

Les  deux  hommes  frappaient  toujours  fort  et 
ferme. 

—  «  Hardi  !  Hô  !  » 

Mais  il  est  dit  que  la  Mère  du  Diable  ne  mourra 
jamais.  Pourtant,  elle  est  née  pour  souffrir,  comme 
les  chrétiens.  Sous  les  deux  marteaux  du  poids  de 
cent  quintaux,  elle  criait  toujours,  à  se  faire  en- 
tendre de  cent  lieues  : 

—  «  Aie!  aie!  aie!  Vous  me  brisez  les  os.  Aie! 
aie  !  aie  !  » 

Quand  la  gueuse  eut  assez  souffert,  le  jeune 
homme  ouvrit  la  besace.  La  Mère  du  Diable  dé- 
campa, pour  ne  revenir  jamais,  jamais. 


LES     GENS     AVISES  99 

Alors,  le  fils  de  la  veuve  se  rendit  seigneur  et 
maître  dans  le  beau  château  de  la  Mère  du  Diable. 
Cela  fait,  il  retourna  chez  le  forgeron. 

—  «  Forgeron,  tu  m'as  fait  ser%-ice.  Voici  pour 
toi  mille  pistoles.  Voilà  de  plus  inille  quadruples, 
que  tu  vas  porter  à  ma  mère.  Souhaite-lui  bien 
le  bonjour  de  ma  part.  Surtout,  recommande-lui 
de  ne  se  laisser  manquer  de  rien.  Moi,  j'ai  des 
affaires  ailleurs.  Je  suis  riche  comme  la  mer.  Il 
s'en  va  temps  de  me  marier.  » 

Le  forgeron  partit,  et  le  jeune  homme  retourna, 
pour  y  vivre  en  seigneur,  dans  le  beau  château 
de  la  Mère  du  Diable.  Maintenant  qu'il  était  riche 
comme  la  mer,  il  ne  songeait  qu'à  se  marier.  Il 
courait  les  foires  et  les  fêtes  patronales,  vêtu 
d'habits  superbes,  mais  ne  quittant  sa  besace  ni 
nuit,  ni  jour.  A  ferce  de  courir,  il  rencontra  la 
fille  d'un  comte,  une  demoiselle  belle  comme  le 
jour,  et  honnête  comme  l'or.  Aussitôt,  le  jeune 
homme  en  devint  amoureux  fou. 

—  «  Bonjour,  belle  demoiselle.  Je  suis  jeune, 
fort  et  hardi.  Je  suis  riche  comme  la  mer.  Voulez- 
vous  être  ma  femme? 

—  Mon  ami,  je  t'épouserais  de  bon  cœur,  si  tu 
n'allais  pas,  comme  les  pauvres,  la  besace  sur  le 
dos. 

—  Belle  demoiselle,  tout  par  amitié,  rien  par 
force.  Mais  ne  vous  moquez  pas  de  ma  besace. 


CONTES     FAMILIERS 


Par  sa  vertu,  si  le  cœur  m'en  disait,  je  pourrais 
vous  forcer  à  faire  eu  tout  ma  volonté.  » 
La  belle  demoiselle  se  mit  à  rire. 

—  «  Mon  ami,  prouve-moi  que  tu  dis  vrai. 

—  Belle  demoiselle,  saute  dans  ma  besace.  » 
La  belle  demoiselle  sauta   dans  la  besace,   au 

premier  commandement. 

—  «  Mon  ami,  tu  as  dit  vrai.  Délivre-moi,  je 
t'en  prie. 

—  Belle  demoiselle,  je  vous  délivrerai,  quand 
vous  m'aurez  juré  d'être  ma  femme. 

—  Mon  ami,  je  te  le  jure.  Mais  mon  père  n'y 
consentira  jamais,  jamais. 

—  Belle  demoiselle,  ceci  me  regarde.  » 

Le  jeune  homme  délivra  donc  la  belle  demoi- 
selle, et  s'en  alla  trouver  son  père. 

—  «  Bonjour,  comte.  Votre  fille   m'a  promis 
d'être  ma  femme.  Voulez-vous  me  la  donner? 

—  Insolent,  ma  fille  n'est  pas  pour  toi,  qui  t'en 
vas,  comme  un  pauvre,  la  besace  sur  le  dos. 

—  Comte,  saute  dans  ma  besace.  » 

Le  comte  sauta  dans  la  besace,  au  premier  com- 
mandement. 

—  «  Grâce,  mon  ami  !  Grâce  !  Délivre-moi  vite. 
Je  te  donne  ma  fille  pour  femme.  » 

Le  jeune  homme  délivra  le  comte.  Trois  jours 
après,  il  épousait  la  belle  demoiselle.  Tous  deux 


LES     GEXS     AVISES  lOI 

et  leurs  douze  enfants  vécurent  longtemps,  heu- 
reux et  riches,  dans  le  beau  château  de  la  Mère 
du  Diable.  La  femme  faisait  de  larges  aumônes  ;  et 
le  mari  payait  au  grand  prix  tout  ce  dont  il  avait 
besoin.  Mais,  quand  on  ne  voulait  lui  vendre 
une  chose  ni  pour  argent,  ni  pour  or,  le  marché 
était  bientôt  fait. 

—  «  Saute  dans  ma  besace.  » 

La  chose  souhaitée  sautait,  au  premier  com- 
mandement, dans  la  besace,  dont  le  maître  payait 
la  chose  au  grand  prix,  et  tout  était  dit. 

Vraiment,  cela  n'était  pas  bien. 

Le  seigneur  du  beau  château  de  la  Mère  du 
Diable  allait  souvent  à  la  pêche.  Pour  faire  de 
grandes  prises,  il  n'avait  qu'à  dire  : 

—  «  Poissons,  sautez  dans  ma  besace.  » 

Les  poissons  sautaient  dans  la  besace^  au  pre- 
mier commandement. 

Mais,  un  jour,  le  pécheur  tomba  dans  la  rivière, 
et  s'y  noya.  Aussitôt,  il  s'en  alla  frapper,  sans 
peur  ni  crainte,  à  la  grande  porte  du  paradis. 

—  «  Pan  !  pan  ! 

—  Qui  est  là?  cria  saint  Pierre. 

—  Ami.  L'homme  à  la  besace.  Vite,  saint 
Pierre,  ouvrez-moi  la  porte. 

—  Ah  !  c'est  toi,  canaille.  Au  large  !  Je  t'avais 
commandé  de  faire  bon  usage  de  mon  présent. 


102  CONTES     FAMILIERS 

Tu  t'en  es  servi  pour  forcer  des  gens  à  te  laisser, 
au  grand  prix,  des  choses  qu'ils  ne  voulaient  te 
vendre  ni  pour  argent,  ni  pour  or.  Au  large, 
bandit!  Tu  n'entreras  pas  en  paradis.  » 

Ainsi  parlait  saint  Pierre.  Mais  le  mort  ne  faisait 
qu'en  rire. 

—  «  Ta  ta  ta  ta.  Saint  Pierre ,  ouvrez-moi 
vite  la  porte.  » 

Saint  Pierre  ne  prit  même  plus  la  peine  de  lui 
répondre. 

Alors,  le  mort  appliqua  l'ouverture  de  sa  besace 
sur  le  trou  de  la  serrure  de  la  grande  porte  du 
paradis. 

—  «  Saint  Pierre,  saute  dans  ma  besace.  » 
Saint  Pierre  passa  par  le  trou  de  la   serrure, 

et  sauta  dans  la  besace,  au  premier  commande- 
ment. 

—  «  Là.  Bien.  Et  maintenant,  saint  Pierre,  si 
je  n'entre  pas  en  paradis,  vous  avez  fini  d'y  re- 
tourner. » 

Mais  saint  Pierre  ne  voulait  pas  se  soumettre, 
et  criait  comme  un  aigle,  dans  la  besace  : 

—  «  Ah  !  gueu.K.  Ah  !  bandit.  » 

A  ce  tapage,  le  Bon  Dieu  vint  jusqu'à  la  porte. 

—  «  Tais-toi,  criard.  Tu  m'assourdis. 

—  Bon  Dieu,  c'est  moi.  C'est  moi,  saint  Pierre. 
Bon  Dieu,  le  gueux  que  voici  me  tient  prisonnier 
dans  sa  besace,  et  je  n'en  sortirai  pas  contre  sa 


LES    GENS     AVISÉS  103 

volonté.  Mais  c'est  égal.  Je  ne  veux  pas  me  sou- 
mettre, car  ce  rien-qui-vaille  ne  mérite  pas 
d'entrer  en  paradis. 

—  Saint  Pierre,  une  fois  n'est  pas  coutume.  D'ail- 
leurs, j'ai  besoin  de  mon  portier. Vite,  vite,  entrez 
tous  deux,  et  que  tout  ce  tapage  soit  fini  (i).  » 

(i)  Dicté  par  Pauline  Lacaze,  de  Panassac  (Gers). 


XII 
PETITON 


m 


^^^  L  y  avait,  une  fois,  une  veuve,  qui  vivait 
'-■^'  fort  à  son    aise    avec    Petiton,   son  fils 


unique.  Petiton  dépassait  déjà  les  vingt 
ans.  On  a  vu  souvent  des  garçons  plus  bêtes  que 
lui.  Mais  il  était  si  confiant,  si  confiant,  qu'on 
l'avait  dupé  plus  de  cent  fois,  sans  qu'il  se  fût 
corrigé. 

—  «  Mon  ami,  lui  dit  un  jour  sa  mère,  c'est 
aujourd'hui  la  foire  à  Layrac  (i).  Dans  une  heure, 
tu  partiras,  pour  aller  y  vendre  notre  plus  belle 
paire  de  boeufs.  Méfie-toi  de  ces  canailles  de  ma- 
quignons; et  ne  lâche  nos  bêtes  que  contre  de 
bons  écus. 

—  Mère,  vous  serez  obéie.  Et  combien  deman- 
derai-je  de  nos  bœufs? 

(i)  Petite  ville  du  cïnton  d'Astaffort  (Lot-et-Gironiie). 


LES     GENS     AVISES 


—  Mon  ami,  tu  verras  bien  quel  est  leur  prix 
sur  le  champ  de  foire.  Rends-toi  compte  du  cours. 
Demande  le  juste,  la  raison. 

—  Oui,  mère,  le  juste,  la  raison.  Comptez  sur 
moi,  pour  faire  à  votre  volonté,  v 

Petiton  déjeuna  donc  comme  un  homme  qui  doit 
aller  loin,  étrilla  ses  bœufs,  les  lia  au  joug,  s'ha- 
billa de  neuf,  prit  son  aiguillon,  et  partit.  A 
midi  juste,  il  arrivait  sur  le  champ  de  foire  de 
Layrac. 

Deux  canailles  de  maquignons  s'approchèrent. 

—  «  Bonjour,  Petiton.  Combien  demandes-tu 
de  tes  bœufs? 

—  Mes  amis,  j'en  demande  le  juste,  la  raison. 

—  Petiton,  tu  n'en  demandes  pas  peu  de  chose. 

—  Mes  amis,  j'en  demande  le  juste,  la  raison. 
Vous  ne  les  aurez  pas  à  deux  liards  de  moins. 

—  Eh  bien,  Petiton,  les  bœufs  sont  vendus. 
Tope  là,  et  attends-nous.  Le  temps  d'aller  te  cher- 
cher en  ville  le  juste,  la  raison.  » 

Les  deux  canailles  de  maquignons  partirent,  et 
revinrent  bientôt,  portant  chacun  un  cornet  de 
papier. 

—  «  Tiens,  Petiton.  Voici  le  juste.  Prends 
garde  de  le  perdre. 

—  Tiens,  Petiton.  Voilà  la  raison.  Prends  garde 
de  la  perdre. 

—  Mes  amis,  soyez  tranquilles.  Et  maintenant, 


Io6  CONTES     FAMILIERS 


les  bœufs  sont  à  vous.  Je  souhaite  que  vous  les 
revendiez  à  grand  bénéfice.  » 

Les  deux  canailles  de  maquignons  partirent,  avec 
les  boeufs,  et  Petiton  revint  chez  sa  mère. 

—  «  Bonsoir,  mère.  Les  boeufs  sont  vendus. 

—  Combien,  mon  ami  ? 

—  Mère,  j'ai  fait  comme  vous  m'aviez  com- 
mandé. Je  les  ai  vendus  le  juste,  la  raison. 

—  Montre  un  peu.  » 

Petiton  présenta  les  deux  cornets  de  papier.  L'un 
était  rempli  de  puces  ;  l'autre  était  rempli  de  poux. 

—  «  Liibécile  !  Tu  ne  t'es  donc  pas  méfié  de  ces 
canailles  de  maquignons?  Je  t'avais  pourtant  bien 
recommandé  de  ne  lâcher  nos  bêtes  que  contre  de 
bons  écus. 

—  Mère,  vous  m'aviez  dit  d'en  demander  le 
juste,  la  raison.  J'ai  cru  les  rapporter,  dans  ces 
deux  cornets  de  papier. 

—  Soupe,  imbécile,  et  va  te  coucher.  Ce 
n'est  pas  toi  qui  prendras  jamais  le  loup  par  la 
queue  (i).  » 

Petiton  obéit,  sans  mot  dire.  Mais,  dans  son  lit, 
il  se  mit  à  penser  : 

—  «  J'ai  fini  d'être  confiant.  Ceux  qui  me  du- 
peront désormais  pourront  se  vanter  d'être  avisés. 
Ah  !   ma  mère  m'a  dit  :  «  Ce  n'est  pas  toi  qui 

(i)  Se  dit  en  parlant  des  imbéciles. 


LES    GEXS    AVISES  IO7 

«  prendras  jamais  le  loup  par  la  queue.  »  Nous 
allons  voir.  » 

Ceci  pensé,  Petiton  se  leva,  s'habilla  douce- 
ment, doucement,  dans  l'obscurité,  prit  un  bon 
bâton  de  chêne,  une  corde  grosse  comme  le  doigt, 
et  partit. 

A  minuit,  il  était  dans  un  grand  bois,  où  les 
loups  ne  manquaient  pas.  Là,  il  arrangea  sa  corde 
en  nœud  coulant,  sur  le  passage  battu  par  les  maies 
bêtes,  et  se  cacha,  son  bon  bâton  de  chêne  à  la 
main. 

Petiton  n'attendit  pas  longtemps.  Un  quart 
d'heure  après,  un  grand  loup  venait  se  prendre 
au  nœud  coulant. 

Aussitôt,  le  garçon  l'empoigna  par  la  queue, 
tapant,  à  grand  tour  de  bras,  avec  son  bon  bâton 
de  chêne. 

—  «  Pan  !  pan  !  pan  !  » 

Le  grand  loup  avait  trouvé  son  maître.  Petiton 
l'emmena  comme  il  voulut,  la  corde  au  cou.  Au 
lever  du  soleil,  il  était  de  retour  à  la  maison. 

—  «  Bonjour,  mère.  Hier  soir,  vous  m'avez 
dit  :  «  Ce  n'est  pas  toi  qui  prendras  jamais  le 
«  loup  par  la  queue.  »  Regardez,  mère,  et  par- 
donnez-moi de  vous  avoir  fait  mentir.  Mainte- 
nant, j'ai  fini  d'être  confiant.  Ceux  qui  me  dupe- 
ront désormais  pourront  se  vanter  d'être  avisés.  » 

Ceci  dit,  Petiton  alla  prendre  un  superbe  bélier 


I08  CONTES     FAMILIERS 


dans  retable,  le  saigna  et  l'écorcha,  en  ayant  soin 
de  laisser  tenir  les  cornes  à  la  peau.  Puis  il  en 
revêtit  si  bien  le  grand  loup,  que  la  maie  bête  avait 
l'air  d'un  véritable  bélier. 

—  «  Adieu,  mère.  Je  pars  pour  la  foire  de 
Dunes  (i).  Comptez  que  mes  deux  canailles  de 
maquignons  auront  bientôt  de  mes  nouvelles. 

—  Adieu,  mon  ami.  Que  le  Bon  Dieu  te  con- 
duise! » 

A  midi  juste,  Petiton  arrivait,  avec  son  grand 
loup,  vêtu  en  bélier,  sur  le  champ  de  foire  de 
Dunes. 

Les  deux  canailles  de  maquignons  s'appro,- 
chèrent. 

—  «  Bonjour,  Petiton. 

—  Bonjour,  mes  amis.  Eh  bien,  ètes-vous  con- 
tents de  mes  bœufs  ? 

—  Fort  contents,  Petiton.  Mais  tu  nous  les  as 
fait  payer  cher.  Enfin,  nous  t'avons  donné  le 
juste,  la  raison.  Tu  n'as  rien  à  nous  reprocher. 

—  Mes  amis,  vous  avez  fait  en  braves  gens.  Le 
Bon  Dieu  veuille  que  tout  le  monde  vous  res- 
semble. 

—  Petiton,  combien  demandes-tu  de  ce  bélier? 


(i)  Bourg  du  canton  d'Auvillars  (Tarn-et-Garonne).  Les 
foires  de  bestiaux  de  Dunes  sont  renommées  à  six  lieues  .i  U 
ronde. 


LES    GEXS     AVISES  IO9 

—  Mes  amis,  j'en  demande  cher,  car  il  n'a  pas 
son  pareil  au  monde.  Chaque  nuit,  il  est  en  état 
de  couvrir  un  cent  de  brebis.  Trois  mois  après, 
chacune  d'elles  met  bas  deux  agneaux,  pour 
recommencer  trois  fois  par  an. 

—  Petiton,  voilà  un  mâle  fort  vaillant.  Et  com- 
bien en  demandes-tu  ? 

—  Mes  amis,  j'en  demande  autant  que  des 
bœufs.  J'en  demande  le  juste,  la  raison. 

—  Petiton,  tu  n'en  demandes  pas  peu  de  chose. 

—  Mes  amis,  j'en  demande  le  juste,  la  raison. 
Vous  ne  l'aurez  pas  à  deux  liards  de  moins. 

—  Eh  bien,  Petiton,  le  béher  est  vendu.  Tope 
là,  et  attends-nous.  Le  temps  d'aller  chercher  en 
ville  le  juste,  la  raison.  » 

Les  deux  canailles  de  maquignons  partirent,  et 
revinrent  bientôt,  portant  chacun  un  cornet  de 
papier. 

—  «Tiens,  Petiton.  Voici  le  juste.  Prends 
garde  de  le  perdre. 

—  Tiens,  Petiton.  Voilà  la  raison.  Prends  garde 
de  la  perdre. 

—  Mes  amis,  soyez  tranquilles.  Et  maintenant, 
le  bélier  est  à  vous.  Je  souhaite  que  vous  le  reven- 
diez à  grand  bénéfice.  » 

Les  deux  canailles  de  maquignons  partirent, 
avec  le  bélier,  et  Petiton  revint  chez  sa  mère. 
Chemin  faisant,  il  se  frottait  les  mains,  et  pensait  : 


CONTES     FAMILIERS 


—  «  Allez,  braves  gens,  allez  renfermer  ce 
grand  loup  dans  une  étable  de  cent  brebis.  » 

Les  deux  canailles  de  maquignons  n'j'  man- 
quèrent pas.  Une  fois  seul,  le  grand  loup  fut  vite 
sorti  de  sa  peau  de  bélier.  Aussitôt,  il  tomba  sur 
les  cent  brebis.  Les  pauvres  bêtes  sautaient  épou- 
vantées. Sur  la  porte  de  l'étable,  les  deux  canailles 
de  maquignons  écoutaient. 

—  «  Petiton  n'a  pas  menti.  Voici  un  mâle 
fort  vaillant.  Comme  il  se  démène  !  » 

Mais,  le  lendemain  matin,  ce  fut  une  autre 
affaire.  Les  deux  canailles  de  maquignons  ouvri- 
rent la  porte  de  l'étable.  Aussitôt,  le  grand  loup 
détala  au  galop. 

—  «  Milliard  de  Dieux  !  Un  loup  !  Un  grand 
loup  !  Milliard  de  Dieux  !  Nos  cent  brebis  sont 
étranglées.  Petiton  s'est  vengé  de  nous.  Milliard 
de  Dieux!  Ceci  ne  se  passera  pas  comme  ça.  » 

Les  deux  canailles  de  maquignons  prirent  leurs 
bâtons,  et  partirent.  Mais  Petiton  se  méfiait.  Dès  la 
pointe  de  l'aube,  il  siffla  son  chien  Mourct  (i),  un 
brave  animal,  fort,  sage,  bien  dressé  comme  pas 
un.  Tout  ce  que  son  maître  lui  commandait,  il  le 
comprenait,  et  le  faisait  du  premier  coup.  Enfin, 
il  ne  manquait  à  Mouret  que  la  parole. 


(i)  Maunt,  en  gascon    petit  Maure.    Nos  paysans  donnent 
Toloatiers  ce  nom  à  leurs  chiens  noirs. 


LES     GEXS     AVISES 


—  «  Ici,  Mouret.  Viens,  que  j'attache  dans  les 
poils  de  ton  poitrail  cette  vessie,  pleine  de  sang  de 
poule.  Ecoute.  J'attends  deux  canailles  de  maqui- 
gnons. Quand  ils  seront  là,  tu  feras  semblant 
d'être  enragé.  Je  t'empoignerai  par  la  peau  du 
cou,  et  je  ferai  semblant  de  te  saigner,  en  crevant, 
avec  ce  couteau,  la  vessie,  pleine  de  sang  de  poule. 
Aussitôt,  tu  feras  le  mort,  pour  te  relever  dès  que 
j'aurai  dit  : 

«  Couteau  manclie  noir,  couteau  de  manche  blanc. 
Relève  mon  chien  promptement  (i).  » 

Mouret  fît  signe  qu'il  avait  compris. 

A  midi  juste,  les  deux  canailles  de  maquignons 
étaient  devant  la  maison  de  Petiton.  Le  jeune 
homme  les  attendait,  son  bon  bâton  de  chêne  à 
portée  de  la  main.  Ceci  refroidit  un  peu  les  %-i- 
siteurs. 

—  K  Bonjour,  mes  amis.  Eh  bien!  Étes-vous 
contents  de  votre  bélier? 

—  Ah!  brigand!  Ah!  canaDle! 

—  Calmez-vous,  braves  gens.  Sinon,  gare  à 
mon  bon  bâton  de  chêne.  Écoutez.  Vous  m'avez 
dupé.  Je  vous  l'ai  rendu.  «  A  qui  te  le  fait,  fais- 
«  le-lui  (2).  »  Nous  voilà  quittes.  Je  ne  crains 


(i)  Ces  deux  lignes,  qui  riment  par  assonnance,  sont  ea  fran- 
çais dans  le  conte  agenais. 

(2)  Qui  le  fai,  fai-li.  Rends  la  pareille.  Proverbe  ageaais. 


COXTES     FAMILIERS 


personne.  Battons-nous,  si  vous  voulez.  Soyons 
bons  amis,  si  cela  vous  plaît.  » 

Les  deux  canailles  de  maquignons  n'avaient  pas 
mot  à  dire. 

—  «  Eh  bien,  Petiton,  soyons  bons  amis. 

—  C'est  dit.  Allons  à  l'auberge,  riboter,  et 
trinquer  ensemble.  » 

Alors,  Petiton  fit  signe  à  Mouret. 

Aussitôt,  le  brave  chien  hérissa  son  poil,  roula 
les  yeux,  tira  la  langue,  et  bava,  comme  s'il  était 
véritablement  enragé.  Les  deux  canailles  de  ma- 
quignons étaient  blancs  de  peur.  Mais  Petiton  tira 
son  couteau,  empoigna  Mouret  par  la  peau  du 
cou,  et  creva  la  vessie  pleine  de  sang  de  poule, 
cachée  dans  les  poils  du  poitrail. 

Le  chien  tomba  comme  mort. 

—  «  Et  maintenant,  mes  amis,  allons  à  l'auberge, 
riboter,  et  trinquer  ensemble.  » 

Tous  trois  allèrent  à  l'auberge,  s'attabler,  et 
deviser  en  trinquant. 

—  «  Petiton,  tu  es  un  bougre  fort  et  adroit. 
Empoigner  un  chien  enragé  par  la  peau  du  cou, 
le  saigner  avec  un  couteau,  voilà  ce  que  bien 
peu  d'hommes  sont  capables  de  faire,  sans  se 
laisser  mordre. 

—  Mes  amis,  vous  vous  trompez.  A  faire  ce 
que  vous  avez  vu,  je  n'ai  pas  le  moindre  mérite. 
Regardez    ce    couteau,    qui    n'a   l'air   de  rien. 


LES     GENS     AVISÉS  II5 

Par  sa  vertu,  je  saigne,  sans  danger,  au  poitrail, 
toutes  les  méchantes  bêtes.  Avec  leur  sang  s'échappe 
leur  méchanceté.  Quand  je  veux  les  ressusciter,  je 
n'ai  qu'à  leur  montrer  mon  couteau  et  à  dire  : 

«  Couteau  à  manche  noir,  couteau  à  manche  blanc. 
Relève  mes  bêtes  promptement.  » 

Aussitôt,  mes  bêtes  se  relèvent  guéries,  et 
douces,  tranquilles,  comme  des  agneaux  nés  de- 
puis un  mois. 

—  Petiton,  tu  veux  rire. 

—  Mes  amis,  venez  dehors,  et  vous  verrez  si  je 
mens.  » 

Tous  trois  sortirent.  Mouret  faisait  toujours  le 
mort. 

Petiton  s'approcha  de  la  bête,  lui  montra  le 
couteau  et  dit  : 

«  Couteau  à  manche  noir,  couteau  à  manche  blanc. 
Relève  mon  chien  promptement.   » 

Aussitôt,  Mouret  sauta  de  trois  pieds  en  l'air, 
et  vint  lécher  la  main  de  son  maître. 

—  «  Petiton,  tu  n'as  pas  menti.  Veux-tu  nous 
vendre  ce  couteau? 

—  Mes  amis,  qu'eu  feriez-vous? 

—  Petiton,  si  nous  avions  ce  couteau,  notre 
fortune  serait  bientôt  faite.  Sur  les  champs  de 
foire,  nous  irions  acheter  tous  les  bœufs  et  vaches 
méchants,   tous  les  chevaux  et  mulets  vicieux. 

m  8 


114  CONTES     FAMILIERS 

Nous  les  saignerions,  ainsi  que  tu  as  fait  de  ton 
chien,  pour  les  ressusciter  guéris,  et  doux,  tran- 
quilles, comme  des  agneaux  nés  depuis  un  mois. 

—  Mes  amis,  vous  avez  raison.  Mais,  à  votre 
propre  compte,  mon  couteau  vaut  cher.  Vous 
ne  l'aurez  pas  à  inoins  de  mille  pistoles. 

—  Non,  Petiton.  C'est  trop  cher. 

—  Mes  amis,  je  n'en  rabattrai  pas  deux  liards. 
Si  vous  dites  encore  non,  pas  plus  tard  que 
demain  matin,  je  vais  courir  les  champs  de 
foire,  et  gagner  pour  moi-même  la  fortune  que 
vous  lâchez. 

—  Petiton,  voici  tes  mille  pistoles. 

—  Mes  amis,  voici  mon  couteau.  Je  souhaite 
qu'il  vous  serve  à  faire  fortune.  » 

Les  deux  canailles  de  maquignons  repartirent, 
contents  comme  des  merles. 

Le  lendemain,  jour  de  la  Saint-Martin  (i),  ils 
dépensaient  jusqu'à  leur  dernier  sou  à  payer,  sur 
le  champ  de  foire  de  Lectoure,  tous  les  bœufs  et 
vaches  méchants,  tous  les  chevaux  et  mulets  vi- 
cieuXj  dont  personne  ne  voulait. 

—  «  Notre  fortune  est  faite.  Notre  fortune  est 
faite.  » 


(i)  Le  II  novembre.  II  y  a,  ce  jour-l.'i,  à  Lectoure,  une 
grande  foire,  où  l'oa  amène  force  bestiaux,  surtout  de  jeunes 
mulets  et  mules. 


LES     GENS    AVISÉS  II5 

Le  soir  même,  ils  touchèrent  tous  ces  animaux 
dans  un  grand  pré,  au  bord  de  la  rivière  du 
Gers.  Là,  avec  le  couteau,  ils  les  saignèrent  au 
poitrail  jusqu'au  dernier.  C'était  pitié  de  voir  les 
pauvres  bêtes  couchées  mortes,  sur  l'herbe  rouge 
de  sang. 

Alors,  les  deux  canailles  de  maquignons  leur 
présentèrent  le  couteau. 

«  Couteau  à  manche  noir,  couteau  à  manche  blanc, 
Relève  nos  bêtes  promptemenî.  » 

Les  bêtes  ne  bougèrent  pas. 

«  Cou  eau  à  manche  noir,  couteau  à  manclie  bhiic, 
Reiive  nos  bêtes  promptcraent.  » 

Les  bêtes  ne  bougèrent  pas. 

«  Couteau  à  manche  noir,  couteau  à  blanche  blanc, 
Relève  nos  bêtes  promptemcnt.  « 

Les  bêtes  ne  bougèrent  pas. 

—  «  Milliard  de  Dieux  !  Toutes  nos  bêtes  sont 
mortes.  Milliard  de  Dieux!  Nous  sommes  ruinés. 
Petiton  s'est  encore  vengé  de  nous.  Milliard  de 
Dieux!  Ceci  ne  se  passera  pas  comme  ça.  « 

Les  deux  canailles  de  maquignons  firent  comme 
ils  avaient  dit.  A  force  de  guetter  Petiton,  sans 


i:6  CONTES     FAMILIERS 

C'tre  vus,  ils  finirent  par  le  surprendre,  dormant 
dans  son  lit.  Alors,  ils  lui  lièrent  les  pieds  et  les 
mains,  l'enfermèrent  dans  un  sac,  et  le  chargèrent 
sur  leurs  épaules,  pour  aller  le  noyer  dans  la  Ga- 
ronne. 

Mais  la  charge  était  lourde,  et  la  Garonne  était 
loin.  A  mi-chemin,  les  porteurs  n'en  pouvaient 
plus.  Ils  posèrent  donc  leur  sac  au  milieu  d'un 
bois,  et  entrèrent  dans  une  auberge,  pour  s'y 
reposer,  en  buvant  bouteille. 

Jusque-là ,  Petiton  n'avait  pas  soufflé  mot. 
Mais  alors,  il  se  mit  à  crier  comme  un  aigle  : 

—  «  Au  secours  !  Au  secours  !  » 

En  ce  moment,  passait  dans  le  bois  un  jeune 
homme,  touchant  un  troupeau  de  mille  porcs. 

—  «  Au  secours!  Au  secours!  » 
Le  porcher  s'approcha. 

—  «  Mon  ami,  quels  sont  les  gueux  qui  t'ont 
enfermé  dans  ce  sac? 

—  Brave  homme,  ce  sont  deux  valets  du  roi, 
qui  me  portent  à  leur  maître.  Par  force,  le  roi 
veut  me  faire  épouser  sa  fille,  une  princesse  belle 
comme  le  jour,  et  riche  comme  le  Pérou.  Mais  j'ai 
promis  au  Bon  Dieu  de  me  faire  prêtre;  et  jamais 
je  n'épouserai  la  fille  du  roi.  » 

Alors,  le  porcher  ouvrit  le  sac. 

—  «  Merci,  porcher. 


LES    GENS     AVISÉS  II7 

—  Mon  ami,  il  n'y  a  pas  de  quoi.  Mais  ce  dont 
tu  ne  veux  pas,  moi,  je  m'en  accommoderais  de 
bon  cœur.  Écoute.  Faisons  un  échange.  Prends 
mon  troupeau  de  mille  porcs,  et  enferme-moi  dans 
ton  sac.  Ainsi,  j'épouserai  la  fille  du  roi,  la  prin- 
cesse belle  comme  le  jour,  et  riche  comme  le 
Pérou . 

—  Porcher,  avec  plaisir.  Mais  dépêchons-nous. 
Les  deux  valets  du  roi  peuvent  revenir  d'un  mo- 
ment à  l'autre.  » 

Deux  minutes  plus  tard,  le  porcher  gisait  à 
terre,  enfermé  dans  le  sac,  et  Petiton  partait, 
avec  son  troupeau  de  mille  porcs. 

Il  n'était  pas  à  cent  pas,  que  les  deux  canailles 
de  maquignons  revinrent,  pour  leur  mauvaise 
œuvre.  Sans  faire  semblant  de  rien,  Petiton  les 
surveillait.  Arrivés  au  bord  de  la  Garonne,  ils  ou- 
vrirent le  sac,  y  jetèrent  une  grosse  pierre,  le 
lancèrent  dans  l'eau,  et  se  sauvèrent,  comme  si 
le  Diable  les  emportait. 

Mais  Petiton  nageait  comme  un  barbeau.  Il 
sauta  dans  la  Garonne,  repêcha  le  sac,  et  délivra 
le  porcher. 

—  «  Merci,  mon  ami.  Tu  m'avais  pourtant 
promis  mieux  que  cela. 

—  Porcher,  je  t'ai  promis  selon  ce  que  je 
croyais. 

—  Mon  ami,  je  ne  te  reproche  rien.  Tu  m'as 


CONTES     FAMILIERS 


sauve  la  vie.  Prends  la  moitié  de  mon  troupeau 
de  mille  porcs. 

—  Porcher,  avec  plaisir.  » 

Le  partage  fait,  chacun  tira  de  son  côté. 

Tout  en  longeant  la  Garonne,  avec  ses  bêtes, 
Petiton  rencontra,  trois  lieues  plus  loin,  les  deux 
canailles  de  maquignons.  Alors,  il  renfonça  son 
béret  sur  les  j'eux,  pour  n'être  pas  reconnu. 

—  «  Bonjour,  mes  amis. 

—  Bonjour,  porcher.  Ces  beaux  porcs  sont-ils 
à  toi  ? 

—  Oui,  mes  amis.  Il  y  en  a  cinq  cents. 

—  Porcher,  où  les  as-tu  achetés? 

—  Mes  amis,  je  les  ai  achetés  à  la  foire  de  Va- 
lence-d'Agen  (i). 

—  Porcher,  combien  les  as-tu  payés?  » 
Petiton  releva  son  béret  de  sur  les  yeux. 

—  «  Mes  amis,  je  les  ai  payés  le  juste,  la 
raison.  » 

Les  deux  canailles  de  maquignons  reculèrent 
épouvantés. 

—  «  Mes  amis,  n'ayez  pas  peur.  Je  ne  vous 
tuerai  pas.  Je  ne  vous  dénoncerai  pas  à  la  justice. 
l£a  tâchant  de  me  noyer  dans  la  Garonne,  vous 
avez  fait  ma  fortune,  sans  le  vouloir.  Au  fond  de 
l'eau,  les  porcs  vivent  par  millions,  et  par  mil- 


(i)  Chef-lieu  de  canton  du  Tarn-ct-Gïronne. 


LES    GEKS     AVISÉS  II9 

liasses.  J'en  ramène  cinq  cents,  et  je  ne  me  con- 
tenterai pas  de  si  peu. 

—  Petiton,  dis-tu  vrai  ? 

—  Mes  amis,  croyez-moi  si  vous  voulez.  Moi,  je 
vais  vendre  mes  cinq  cents  porcs  à  Agen.  Aussitôt 
fait,  je  replonge,  pour  en  aller  chercher  d'autres.  » 

Petiton  parlait  avec  un  tel  air  de  vérité,  que  les 
deux  canailles  de  maquignons  ne  se  méfiaient  plus. 

—  «  Petiton,  nous  allons  faire  comme  toi. 

—  Bonne  chance,  mes  amis.  Plongez.  Je  nage 
comme  un  barbeau.  Plongez.  Je  suis  là  pour  un 
coup,  s'il  vous  arrive  malheur.  » 

Les  deux  canailles  de  maquignons  sautèrent 
dans  la  Garonne. 

—  «  Au  secours  !  Petiton  !  Au  secours  !  » 
Petiton  crevait  de  rire. 

—  «  Buvez,  gueusards  !  Buvez,  brigands  !  » 
Les  deux  canailles  de  maquignons  se  noyèrent, 

et  on  n'en  entendit  plus  parler  jamais,  jamais.  Pe- 
titon retourna  chez  sa  mère,  et  ne  tarda  pas  à  se 
marier,  avec  une  fille  belle  comme  le  jour.  Il  vécut 
longtemps,  heureux  et  riche,  avec  sa  femme  et 
ses  enfants  (i). 


(i)  Dicté    par    Anna    Dumas,    du    Passage-d'Agea    (Lot-et- 
Garonne). 


II 


LES    NIAIS 


LES    NIAIS 


JEAX-L-IMBÉCILE 


L  y  avait,  une  fois,  une  femme  qui  avait 
un  garçon  si  simple  d'esprit,  qu'on  l'avait 
surnommé  Jean-l'Imbécile.  Un  jour  que 

la  mère  s'en  allait  laver  la  lessive,  elle  dit,   en 

partant  : 

—  «  Jean-l'Imbécile,  garde  la  maison,  et  fais 
bouillir  la  marmite.  Quand  elle  bouillira,  tu  grais- 
seras les  choux. 

—  Oui,  mère.  » 


124  CONTES     FAMILIERS 

La  mère  s'en  alla  donc  laver  la  lessive.  Quand 
la  marmite  se  mit  à  bouillir.  Jean-l'Imbécile  prit 
toute  la  graisse  qui  était  dans  les  pots,  et  s'en  alla 
graisser  les  choux  du  jardin. 

Un  autre  jour,  la  mère  lui  dit  : 

—  «  Jean-l'Imbécile,  je  m'en  vais  à  la  foire. 
Garde  la  maison,  et  ne  trouble  pas  l'oie,  qui  couve 
au  coin  du  chauffoir  (i). 

—  Non,  mère.  » 

La  mère  partit  donc  pour  la  foire.  Mais  Jean- 
l'Imbécile  voulut  aller  voir  l'oie  qui  couvait,  et 
cassa  un  œuf. 

—  «  Oie,  dit-il  à  la  couveuse,  ne  le  dis  pas  à 
ma  mère. 

—  Couac  !  faisait  l'oie. 

—  Ah  !  tu  veux  le  lui  dire.  Si  tu  le  lui  dis,  je 
te  tue. 

—  Couac!  faisait  toujours  l'oie. 

—  Ah  !  c'est  ainsi.  Attends,  attends.  » 
Jean-l'Imbécile    tordit  le  cou    à  l'oie  ;   mais, 

quand  il  l'eut  fait,  il  pensa  : 

—  ((  Maintenant,  il  me  faut  bien  couver  les 
œufs.  » 

Il  se  posa  donc  sur  les  œufs,  et  sa  mère  l'y 
trouva,  quand  elle  revint  de  la  foire. 


(i)    Lou    cauhadé.    Principale    chambre    des  habitations   rus- 
tiques en  Gascogne. 


LES     NIAIS  125 

—  «  Que  fais-tu  là,  Jean-l'Imbécile  ? 

—  Mère,  l'oie  est  morte,  et  moi  je  couve  les 
œufs.  » 

La  mère  le  fit  lever,  et  trouva  les  œufs  tous 
cassés. 

Un  autre  jour,  la  mère  lui  dit  : 

—  «  Jean-l'Imbécile,  maintenant  tu  es  en  âge 
de  te  marier.  Il  te  faut  devenir  dégourdi,  et  t'en 
aller  au  village,  jeter  quelques  coups-d'œil  aux 
filles,  le  dimanche,  à  la  sortie  de  la  messe. 

—  Oui,  mère.» 

En  effet,  le  dimanche  suivant,  Jean-l'Imbécile 
se  leva,  dès  la  pointe  de  l'aube,  s'en  alla  à  l'éîable, 
arracha  les  yeux  à  toutes  les  brebis,  les  mit  dans 
ses  poches,  et  partit  pour  la  messe.  Après  le  der- 
nier évangile,  il  alla  se  planter  sur  la  porte  de 
l'église,  et  à  mesure  que  les  filles  sortaient,  il  les 
accablait  de  coups  d'jreux. 

Un  autre  jour,  la  mère  lui  dit  : 

—  «  Jean-l'Imbécile,  il  faut  vendre  les  bœufs. 
Mène-les  à  la  foire,  et  demande-s-en  la  raison. 

—  Oui,  mère.  J'en  demanderai  la  raison.  » 
Jean-l'Imbécile  partit  donc,   avec  sa  paire  de 

bœufs,  et  les  mena  à  la  foire. 

—  «  Combien  demandes-tu  de  tes  bœufs,  Jean- 
l'Imbécile? 

—  Ma  mère  m'a  dit  d'en  demander  la  raison. 
• —  Quelle  raison? 


126  CONTES    FAMILIERS 


—  La  raison.  » 

Alors,  un  aflfronteur  lui  donna  un  cornet  de 
papier,  plein  de  poux  et  de  puces. 

—  «  Tiens,  Jean -l'Imbécile,  voici  la  raison.  » 
L'affronteur  emmena  la  paire  de  bœufs,  et  Jean- 

rimbécile  s'en  revint  chez  lui. 

—  «  Tenez,  mère.  J'ai  vendu  les  boeufs,  et 
j'en  ai  tiré  la  raison.  Je  vous  l'apporte  dans  ce 
cornet  de  papier.  » 

Un  autre  jour,  la  mère  lui  dit  : 

—  «  Jean-l'Imbécile,  j'ai  filé  tout  cet  hiver,  et 
j'ai  fait  tisser  une  pièce  de  toile.  Il  te  faut  aller  la 
vendre  à  la  ville. 

—  Oui,  mère.  « 

Jean-l'Imbécile  partit  donc  pour  la  ville,  avec  sa 
pièce  de  toile  et  un  bâton.  Il  entra  dans  une 
église,  et  y  vit  une  statue,  toute  peinte  et  dorée. 

—  «  Monsieur,  voulez -vous  m'acheter  ma 
toile?  » 

Le  vent  entrait  dans  l'église,  et  faisait  hausser 
et  baisser  la  tête  de  la  statue,  de  façon  que  Jean- 
l'Imbécile  crut  qu'elle  lui  faisait  signe  que  oui. 

—  J'en  veux  trente  écus.  » 

La  statue  haussait  et  baissait  toujours  la  tête. 

—  «  Vous  me  les  paierez  ?  » 

La  statue  haussait  et  baissait  toujours  la 
tête. 

Alors,  Jean-l'Imbécile  crut  le  marché  fini,  laissa 


LES     XIAIS  127 

la  pièce  de  toile  au  pied  de  la  statue,  et  s'en  revint 
chez  lui. 

—  «  Eh  bien,  mère.  J'ai  vendu  la  toile. 

—  Où  est  l'argent,  Jean-l'Imbécile? 

—  Mère,  je  l'ai  vendue  à  crédit  à  un  monsieur 
muet.  Mais  il  m'a  fait  signe  qu'il  me  paierait. 

—  Bête  !  Tu  n'en  auras  jamais  un  liard. 

—  Que  si,  mère.  Je  vous  promets  que  je  me 
ferai  payer.  » 

Au  bout  de  quinze  jours,  Jean-l'Imbécile  re- 
partit pour  la  ville,  avec  son  bâton,  et  s'en  alla  à 
l'égHse.  Mais  le  vent  avait  changé,  et  la  statue, 
au  lieu  de  hausser  et  baisser  la  tète,  comme  la 
première  fois,  la  secouait  sur  ses  épaules,  comme 
qui  dit  non. 

—  «  Eh  bien,  Monsieur,  êtes-vous  content  de 
la  toile?  » 

La  statue  secouait  la  tête. 

—  «  Non.  Eh  bien,  il  faut  me  la  rendre.  » 
La  statue  secouait  toujours  la  tète. 

—  «  Non.  Eh  bien,  il  faut  me  la  payer.  » 
La  statue  secouait  toujours  la  tète. 

—  «  Non.  Ah  ça!  tout  ceci,  c'est  des  bêtises. 
Rendez-moi  ma  toile,  ou  comptez-moi  mon  ar- 
gent. » 

La  statue  secouait  toujours  la  tête. 
Alors,  Jean-l'Imbécile  tomba  sur  la  statue,  à 
grands  coups  de  bâton.  Tout  en  frappant,  il  brisa 


128  CONTES    FAMILIERS 


un  tronc,  placé  au  bas,  pour  recevoir  les  aumônes. 
Il  ramassa  l'argent  tombé  à  terre,  et  rentra 
chez  lui. 

—  «  Eh  bien,  mère.  Je  vous  l'avais  bien  dit, 
que  je  saurais  me  faire  payer.  » 

Un  autre  jour,  Jean-l'Imbécile  était  sur  un 
arbre,  et  il  coupait,  avec  sa  hachette,  la  branche 
même  sur  laquelle  il  était  posé. 

—  «  Jean-l'Imbécile,  lui  dit  un  homme  qui  pas- 
sait, si  tu  continues  de  couper  ainsi  la  branche 
même  sur  laquelle  tu  es  posé,  tu  ne  tarderas  pas 
à  tomber  par  terre.   » 

L'homme  passa  son  chemin,  et  Jean-l'Imbécile 
continua  de  couper  la  branche,  jusqu'au  moment 
où  il  tomba  par  terre. 

—  «  Cet  homme,  pensa-t-il,  doit  être  un  grand 
savant.  Puisqu'il  m'a  prédit  que  j'allais  tomber  par 
terre,  il  peut  bien  me  prédire  quand  je  mourrai.  » 

Aussitôt,  il  courut  après  l'homme. 

—  «  Homme,  homme,  dites-moi  quand  je 
mourrai. 

—  Jean-l'Imbécile,  tu  mourras  au  troisième  pet 
de  ton  âne.  » 

Jean-l'Imbécile  s'en  revint  chez  lui,  et  trouva 
son  âne,  qui  broutait  sur  le  pâtus,  devant  la  porte 
de  la  maison.  Au  bout  d'un  moment,  l'âne  péta. 

—  «  Maintenant,  dit  Jean-l'Imbécile,  je  suis 
perdu  au  bout  de  deux  pets.  » 


LES     NIAIS  129 

Au  bout  d'un  moment,  l'âne  péta  une  fois  de 
plus. 

—  «  Je  suis  perdu  s'il  pète  encore,  dit  Jean- 
rimbécile.  A  toute  force,  il  faut  l'en  empêcher.  » 

Aussitôt,  il  courut  chercher  un  pieu  bien  pointu, 
et  l'enfonça,  à  coups  de  marteau,  dans  le  cul  de 
l'âne.  Mais  l'âne  s'enfla  tellement,  et  fit  si  grand 
effort,  que  le  pieu  sortit  comme  une  balle,  et 
traversa  le  pauvre  Jean-l'Imbécile  de  part  en 
part  (i). 

(i)  Dicté  par  Françoise  Lalanne,  de  Lectonre. 


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LES   GENS    DE    SAINTE-DODE 


^-^p^'ES  gens  de  Sainte-Dode  (i)  ont  toujours 
ijli'^nj  passé  pour  être  simples  d'esprit.  On  met 
'^■:^si  sur  leur  compte  force  bêtises.  Voici  celles 
que  j'ai  retenues. 

Un  jour,  les  gens  de  Sainte-Dode  s'avisèrent 
qu'ils  ne  gagnaient  pas  assez,  à  travailler  leurs 
champs  et  leurs  vignes,  et  à  élever  des  chevaux. 
Le  cas  valait  la  peine  qu'on  en  parlât.  Les  hom- 
mes, les  femmes,  et  les  enfants,  s'assemblèrent 
donc  devant  la  porte  de  l'église. 

—  «  Gens  de  Sainte-Dode,  dit  le  plus  bavard  de 
la  troupe,  voulez-vous  faire  fortune,  en  travaillant 
moitié  moins  que  par  le  passé  ? 

—  Oui,  oui. 

(i)  Sainte-Dode,  commune  du  canton  de  Miélan  (Gers). 


LES     NIAIS  131 

—  Eh  bien,  voici  comment  il  faut  s'y  prendre. 
On  m'a  dit  qu'un  marchand  de  Toulouse,  qui 
loge  près  de  la  Daurade  (i),  vend  de  la  graine  de 
cheval.  Par  malheur,  chaque  graine  coûte  cher. 
Il  faut  eu  acheter  une,  pour  nous  mettre  en 
semence.  Faisons  une  quête  entre  nous,  et 
envoyons  quatre  hommes  habiles  à  Toulouse, 
y  chercher  ce  qui  nous  manque. 

—  Oui,  oui.  Nous  voulons  de  la  graine  de 
cheval.  » 

La  quête  finie,  les  quatre  hommes  avisés  par- 
tirent aussitôt  pour  Toulouse,  et  s'en  allèrent  à 
la  boutique  du  marchand,  qui  logeait  près  de  la 
Daurade. 

—  «  Bonjour,  marchand. 

—  Bonjour,  mes  amis.  Qu'y  a-t-il  pour  votre 
service  ? 

—  Marchand,  on  nous  a  dit  que  vous  vendiez 
de  la  graine  de  cheval. 

—  Mes  amis,  on  vous  a  dit  la  vérité.  Mais 
chaque  graine  vous  coûtera  cent  pistoles. 

—  Eh  bien,  marchand,  nous  en  prendrons  une. 
Voici  l'argent.  » 

Le  marchand  alla  chercher,  dans  l'arrière-bou- 
tique,  une  citrouille  grosse  comme  un  baril. 

—  «  Tenez,   mes    amis,  voici    ma  plus   belle 

(i)  Église  de  Toulouse. 


CONTES    FAMILIERS 


graine  de  cheval.  Je  vous  la  vends  de  confiance. 
Rapportez-la  chez  vous,  en  la  secouant  le  moins 
possible.  Surtout,  prenez  garde  de  la  casser.  Le 
petit  poulain,  qui  est  dedans,  partirait  au  grand 
galop,  et  vous  auriez  dépensé  vos  cent  pistoles 
sans  profit. 

—  Merci,  marchand.  » 

Les  quatre  hommes  avisés  repartirent  pour 
Sainte-Dode,  en  prenant  bien  garde  de  casser 
la  graine  de  cheval,  qu'ils  portaient  chacun  son 
tour  sur  la  tête.  Jusqu'à  Aubiet  (i),  tout  alla 
bien.  Là,  les  voyageurs  s'arrêtèrent  un  moment, 
tout  en  haut  d'une  côte  fort  raide.  Pendant 
qu'ils  soufflaient,  en  buvant  un  coup  à  leurs 
gourdes,  la  graine  de  cheval,  qu'ils  n'avaient  pas 
posée  d'à-plomb,  roula  jusqu'au  bas  de  la  côte,  et 
se  brisa  contre  une  pierre.  Un  lièvre,  qui  dormait 
à  deux  pas  de  là,  partit  au  galop,  tout  épouvanté. 

—  «  Ah  !  mon  Dieu  !  Q.uel  malheur  !  Notre 
graine  de  cheval  est  perdue.  Regardez,  regardez 
le  petit  poulain,  qui  s'enfuit  au  grand  galop.  » 

Les  voyageurs  rentrèrent  fort  confus  à  Sainte- 
Dode,  où  on  ne  leur  épargna  pas  les  coups  de 
bâton.  Pourtant,  les  habitants  du  village  ne  re- 
noncèrent pas  à  devenir  riches  par  des  semailles 


(i)  Village  du   canton  de   Ciniont,  sur  la  route  de  Toulouse 
i  Auch. 


LES    NIAIS  133 

extraordinaires;  et  ils  s'assemblèrent  de  nouveau 
devant  la  porte  de  l'église. 

—  «  Gens  de  Sainte-Dode,  dit  le  bavard  qui 
avait  parlé  la  première  fois,  ne  pensons  plus  à  la 
graine  de  cheval.  Voulez-vous  toujours  faire  for- 
tune, en  travaillant  moitié  moins  que  par  le  passé  ? 

—  Oui,  oui. 

—  Eh  bien,  voici  comment  il  faut  s'y  prendre. 
Achetons  autant  d'aiguilles  qu'on  voudra  nous 
en  vendre,  et  semons-les.  Ce  mois  de  juillet  pro- 
chain, la  récolte  sera  superbe.  Nous  vendrons  nos 
aiguilles  quatre  pour  un  sou,  et  nous  serons  riches 
pour  longtemps. 

—  Oui,  oui.  Semons  des  aiguilles.  Semons  des 
aiguilles.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Les  gens  de  Sainte-Dode 
semèrent  donc  tous  leurs  champs  d'aiguilles.  Huit 
jours  après,  ils  ôtèrent  leurs  sabots,  et  entrèrent 
dans  les  champs,  pour  voir  si  la  semence  com- 
mençait à  lever.  Naturellement,  les  aiguilles  leur 
piquaient  le  dessous  des  pieds. 

—  «  Bon,  criaient-ils.  Les  aiguilles  naissent. 
Les  aiguilles  naissent.  Elles  nous  piquent  déjà  le 
dessous  des  pieds  (i).  » 

Les  aiguilles  ne  naquirent  pas  ;  et  les  gens  de 


(i)    L'épisode  des  aiguilles  est  mis   aussi  sur  le  compte  des 
gens  de  Fleurance  par  les  habitants  de  Lectourc  (Gers). 


134  CONTES    FAMILIERS 

Sainte-Dode  renoncèrent  à  faire  fortune  en  semant 
de  la  graine  de  cheval  et  des  aiguilles.  Mais  ils 
étaient  devenus  la  risée  de  tout  le  pays  ;  et,  nuit  et 
jour,  ils  songeaient  aux  moyens  de  rétablir  leur 
réputation. 

L'église  de  Sainte-Dode  n'est  pas  laide,  et  son 
clocher  est  en  forme  de  morue  (i).  Les  gens  du 
village  aperçurent,  un  jour,  un  beau  chardon,  qui 
avait  poussé  sur  la  pointe  du  clocher.  Aussitôt, 
ils  tinrent  conseil  devant  la  porte  de  l'église. 

—  «  Ce  chardon  est  un  atfront  pour  la  paroisse. 
Tirons-le  de  là  le  plus  tôt  possible. 

—  Oui,  oui.  Mais  comment  faire? 

—  Comment  faire?  dit  le  bavard  qui  parlait 
toujours  en  ces  occasions.  Comment  faire  ?  Écou- 
tez. Sept  à  huit  hommes  des  plus  forts  vont 
grimper  au  haut  du  clocher.  Ils  emporteront  le 
bout  d'une  corde.  A  l'autre  bout,  nous  ferons  un 
nœud  coulant,  et  nous  y  attacherons  un  âne  par 
le  cou.  Les  hommes  tireront  fort  ferme,  jusqu'à 
ce  que  l'âne  soit  assez  haut  monté  pour  brouter 
le  chardon.  Voilà  comment  il  faut  faire. 

—  Oui,  oui.  Tu  as  raison.  » 

Ce  qui  fat  dit  fut  fait.  Pendant  que,  du  haut  du 
clocher,  les  hommes  tiraient  la  corde  fort  ferme, 

(i)  Les  vieux  clochers  des  petites  églises  de  Gascogne  sont 
généralement  constitués  par  un  simple  mur  triangulaire,  percé  de 
baies  pour  placer  les  cloches. 


LES    NIAIS  135 

le  pauvre  âne,  étranglé  par  le  nœud  coulant,  ou- 
vrait une  bouche  grande  comme  un  four. 

—  «  Ah  !  gourmand,  lui  criait-on  de  tous  côtés. 
Tu  ris.  Tu  es  bienaise  de  brouter  le  beau  chardon.  » 

Mais  le  pauvre  âne  était  mort. 

Cette  histoire  n'était  pas  faite  pour  remettre 
les  gens  de  Sainte-Dode  en  bonne  réputation. 
Ils  s'assemblèrent  donc  de  nouveau,  devant  la 
porte  de  l'église. 

—  «  Gens  de  Sainte-Dode,  dit  le  bavard  qui 
parlait  toujours  en  ces  occasions,  gens  de  Sainte- 
Dode,  voulez-vous  un  bon  conseil  ? 

—  Oui,  oui. 

—  Écoutez.  Nous  avons  une  belle  église,  et  un 
beau  clocher.  Par  malheur,  ils  sont  bâtis  en  plaine. 
S'ils  étaient  sur  la  colline  tout  proche,  on  les  ver- 
rait de  fort  loin,  et  ce  serait  un  grand  honneur 
pour  la  paroisse.  Eh  bien  !  charroyons  notre 
église  et  notre  clocher  sur  la  colline.  Entou- 
rons-les de  cordes  de  laine.  Tirons  ensemble, 
tous  ensemble;  et  ce  beau  travail  sera  fini  avant 
le  coucher  du  soleil. 

—  Oui,  oui.  Tu  as  raison.  » 

Aussitôt,  hommes,  femmes,  enfants,  se  mirent 
â  tordre  des  cordes  de  laine,  et  ils  en  entourèrent 
l'église  et  le  clocher. 

—  «  Attention!  Tirons  ensemble,  tous  en- 
semble. Hô  !  Hardi  !  » 


136  CONTES     FAMILIERS 

A  ce  grand  effort,  les  cordes  de  laine  commen- 
cèrent à  céder, 

—  «  Hô  !  Hardi  !  Voici  l'église  et  le  clocher  qui 
partent.  Tirons  ensemble,  tous  ensemble.  Hô  ! 
Hardi  !  » 

Tout-à-coup,  les  cordes  de  laine  se  rompirent, 
et  les  gens  de  Sainte-Dode  tombèrent  les  uns  sur 
les  autres.  Mais  aucun  d'eux  ne  pouvait  recon- 
naître ses  membres.  Au  lieu  de  se  relever  aus- 
sitôt, ils  passaient  leur  temps  à  se  disputer  et  à 
s'insulter. 

—  «  Voici  mon  bras. 

—  Non.  C'est  le  mien. 

—  Voici  ma  jambe. 

—  Non,  voleur.  Elle  est  à  moi.  » 

Cela  dura  bien  longtemps.  Enfin,  un  meunier 
vint  à  passer,  avec  son  grand  fouet. 

—  «  Meunier,  tire-nous  de  peine.  Aucun  de 
nous  n'est  en  état  de  reconnaître  ses  membres. 
Aide-nous  à  les  retrouver.  » 

Aussitôt,  le  meunier  fit  claquer  son  fouet,  et  se 
mit  à  frapper,  à  grand  tour  de  bras,  sur  ce  trou- 
peau d'imbéciles,  qui  sautèrent  sur  leurs  jambes, 
et  rentrèrent  tout  confus  dans  leurs  maisons  (i). 

(:)  Dicte  par  mon  oncle,  l'abbé  Bladé,  curé  du  Pergain- 
TaiUac  (Gers). 


^^®  ®  ®  giè®  g^  g® 


III 


LE    VOYAGE    DE  JEANXOT 


L  y  avait,  une  fois,  une  femme  qui  n'avait 
^oj)g?    qu'un   fils,  appelé    Jeannot.  Ce  Jeannot 
'  était  bête  comme  un  seuil  (de  porte).  Un 

jour,  sa  mère  lui  commanda  d'aller  faire  moudre 
un  sac  de  blé. 

—  «  Prends  garde,  lui  dit-elle,  que  le  meunier, 
pour  ses  peines,  ne  prenne  pas  plus  d'une  poignée 
par  boisseau.  Pour  ne  pas  l'oublier,  tu  répéteras, 
tout  le  long  du  chemin  :  «  Une  poignée  par 
boisseau.  » 

—  Oui,  mère.  «  Une  poignée  par  boisseau.  » 
Jeannot  partit  donc  sur  sa  jument  poulinière, 

avec  le  sac  de  blé  en  croupe.  Pour  ne  pas  ou- 
blier la  recommandation  de  sa  mère,  il  répétait, 
tout  en  cheminant  : 


CONTRE     FAMILIERS 


—  «  Une  poignée  par  boisseau.  Une  poignée 
par  boisseau.  » 

Au  bout  d'un  moment,  il  trouva  trois  bouviers 
qui  semaient. 

—  «  Une  poignée  par  boisseau.  Une  poignée 
par  boisseau. 

—  Gueusard  !  crièrent  les  bouviers.  C'est  ainsi 
que  tu  veux  que  nous  soyons  payés  de  nos  se- 
mailles. » 

Ils  tombèrent  tous  trois,  à  coups  d'aiguillon, 
sur  le  pauvre  Jeannot,  et  l'assommèrent. 

—  «  Comment  donc  dois-je  dire?  demanda  le 
pauvre  garçon. 

—  Il  faut  dire  :  «  Dieu  la  bénisse  (i)  !  » 
Jeannot  repartit. 

—  «  Dieu  la  bénisse  !  Dieu  la  bénisse  !  » 

Au  bout  d'un  moment,  il  trouva  trois  hommes 
qui  allaient  noyer  une  chienne. 

—  «  Dieu  la  bénisse  !  Dieu  la  bénisse  ! 

—  Mauvais  gueux,  crièrent  les  hommes,  tu 
veux  que  Dieu  bénisse  une  chienne  qui  voulait 
mordre  les  gens.  « 

Ils  tombèrent  tous  trois,  à  grands  coups  de 
bâton,  sur  le  pauvre  Jeannot,  et  l'assommèrent. 

—  «  Comment  donc  dois-je  dire?  demanda  le 
pauvre  garçon. 

(i)  La  semence. 


LES    NIAIS  139 

—  Ah!  La  laide  chienne  qu'on  va  noyer!  » 
Jeannot  repartit. 

—  «Ah!  La  laide  chienne  qu'on  va  noyer! 
Ah  !  La  laide  chienne  qu*oa  va  noyer  !  » 

Au  bout  d'un  moment,  il  rencontra  une  noce  à 
cheval,  qui  menait  la  mariée  à  l'église. 

—  «  Ah  !  La  laide  chienne  qu'on  va  noyer  ! 
Ah  !  La  laide  chienne  qu'on  va  noyer  ! 

—  Insolent  !  crièrent  les  garçons  d'honneur. 
Es-tu  venu  ici  pour  insulter  la  mariée?  » 

Ils  tombèrent  tous  sur  Jeannot,  et  le  chargèrent 
de  coups  de  fouet. 

—  «  Comment  donc  dois-je  dire?  demanda  le 
pauvre  garçon. 

—  Il  faut  dire  :  «  Ainsi  soient-elles  toutes  !  » 
Jeannot  repartit. 

—  «  Ainsi  soient-elles  toutes  !  Ainsi  soient-elles 
toutes!  » 

Au  bout  d'un  moment,  il  arriva  devant  une 
maison  qui  brûlait. 

—  «  Ainsi  soient-elles  toutes  !  Ainsi  soient-elles 
toutes  ! 

—  Huguenot  !  crièrent  ceux  qui  éteignaient 
le  feu.  Tu  veux  donc  que  nos  maisons  brûlent 
comme  celle-ci.  » 

Ils  tombèrent  tous  sur  Jeannot,  et  l'assom- 
mèrent à  coups  de  pierre. 


I40  CONTES     FAMILIERS 

—  «  Comment  donc  dois-je  dire?  demanda  le 
pauvre  garçon. 

—  Il  faut  dire  :  «  Dieu  l'amortisse  !  » 
Jeannot  repartit. 

—  «  Dieu  l'amortisse!  Dieu  l'amortisse!  » 
Au  bout  d'un  moment,  il  trouva  un  homme 

qui  ne  pouvait  pas  allumer  son  four. 

—  «  Dieu  l'amortisse  !  Dieu  l'amortisse  ! 

—  Patelin  !  Voilà  comment  tu  veux  que  j'al- 
lume mon  four  !  » 

Il  tomba  sur  Jeannot,  à  coups  de  fourche,  et  le 
mit  tout  sanglant. 

—  «  Comment  donc  dois-je  dire?  demanda  le 
pauvre  garçon. 

—  Il  faut  dire  :  «  Que  beau  feu  s'allume  !  » 
Jeannot  repartit. 

—  «  Que  beau  feu  s'allume!  Que  beau  feu 
s'allume  !  » 

Au  bout  d'un  moment,  il  trouva  une  femme 
qui  avait  mis  le  feu  à  sa  quenouille,  en  s'appro- 
chant  trop  de  la  lampe,  et  qui  risquait  de  brûler 
sa  coiffe. 

—  «  Que  beau  feu  s'allume  !  Que  beau  feu 
s'allume  ! 

—  Sorcier  !  Tu  veux  donc  que  je  me  brûle 
toute  vive  !  » 

Elle  tomba  sur  Jeannot,  à  coups  de  quenouille,  et 
lui  en  donna  plus  de  cent  coups. 


LES    NIAIS  141 

—  «  Comment  donc  dois-je  dire?  demanda  le 
pauvre  garçon. 

—  Tais-toi,  imbécile.  A  mal  parler,  on  attrape 
toujours  des  coups  (i).  » 


(i)  Dicté  par  feu  Bernarde  Dubarry,  de  Bajonette,  canton  de 
Fleurance  (Gers). 


IV 


L'AKE    DE    MONTASTRUC 


g^t^u  nord  de  l'église  de  Montastruc  (i),  il  y 
pMW  ^  une  mare  commune.  C'est  là  que 
îsîS^  les  bouviers  abreuvent  leur  bétail,  et  que 
les  femmes  lavent  leurs  lessives. 

Un  soir,  vers  les  six  heures,  et  par  le  temps  du 
mois  mort  (2),  la  lune  se  reflétait  dans  l'eau  de 
la  mare,  comme  elle  eût  fait  dans  un  grand  mi- 
roir. En  ce  moment,  un  homme  arriva,  pour  faire 
boire  son  âne.  Pendant  que  la  bête  buvait,  le  vent 
changea  tout  à  coup,  et  couvrit  le  ciel  de  nuages 
pour  toute  la  nuit.  Alors  l'homme,  épouvanté, 
.  partit  en  criant  : 

—  «  Ah  !  Mon  Dieu  !  Ah  !  Mon  Dieu  !  Mon 
âne  a  bu  la  lune  !  Mon  âne  a  bu  la  lune  !  » 


(i)  Commune  du  canton  de  Fleurance  (Gers). 

(2)  Les  Gascons  nomment  ainsi  le  mois  de  décembre. 


LES    NIAIS  143 

A  ces  cris,  tous  les  gens  de  Montastruc  accou- 
rurent épouvantés. 

—  «  Que  dis-tu,  malheureux? 

—  Mon  âne  a  bu  la  lune  !  Mon  àne  a  bu  la 
lune  !  » 

Les  gens  de  Montastruc  regardaient  dans  le  ciel, 
dans  la  mare,  et  ils  braillaient,  en  pleurant  : 

—  «  Son  àne  a  bu  la  lune  !  Son  âne  a  bu  la 
lune  !  » 

Aussitôt,  les  consuls  (i)  s'assemblèrent,  pour 
aviser,  devant  la  porte  de  Téglise. 

—  «  Amenez-nous  l'âne  qui  a  bu  la  lune.  » 
On  leur  amena  l'âne  par  le  licou. 

—  «  Ane  !  C'est  donc  toi  qui  as  bu  la  lune.  »    ^ 
L'âne  leva  la  queue,  et  se  mit  à  braire. 

—  «  Tu  as  beau  dire,  c'est  loi  qui  as  bu  la 
lune. 

Comment  ferons-nous,   dorénavant,  pour  y  voir 
pendant  la  nuit  ?  « 
L'âne  releva  la  queue,  et  se  remit  à  braire. 

—  «  Ah  !  Voilà  le  cas  que  tu  fais  de  la  justice. 
Eh  bien  !  Nous  te  condamnons  à  mort.  Tu  vas 
être  pendu.  » 


(i)  Dans  la  ponioa  de  la  Gascogne  comprise  dans  le  ressort 
du  Parlement  de  Toulouse,  les  officiers  municipaux  avaient  le 
titie  de  consuls.  Ils  portaient  celui  de  jurats  dans  le  reste  de  la 
proviuce,  inégalement  divisé  entre  les  Parlements  de  Bordeaux 
et  de  Pau. 


144  CONTES     FAMILIERS 

Dix  minutes  plus  tard,  l'âne  était  pendu  à  un 
arbre. 

Alors,  un  des  consuls  se  ravisa. 

—  «  Mes  amis,  dit-il,  nous  avons  dépassé  nos 
pouvoirs  de  juges.  Certes,  il  nous  est  permis 
de  condamner  à  mort;  mais  nous  n'avons  pas 
le  droit  de  faire  mourir.  Ce  droit  n'appartient 
qu'au  juge-mage  de  Lectoure.  A  sa  place,  je 
prendrais  fort  mal  tout  ce  qui  vient  de  se  pas- 
ser. Pour  nous  remettre  en  paix  avec  lui,  en- 
voyons-lui force  volailles.  Faisons-lui  porter  aussi 
l'âne  mort.  Le  juge-mage  choisira  un  chirur- 
gien, pour  délivrer  la  lune  prisonnière  dans 
le  ventre  de  la  bête.  Il  ne  manque  pas,  à  Lec- 
toure, de  grandes  échelles  doubles.  En  en  dres- 
sant une  sur  le  clocher  de  Saint-Gervais  (i), 
un  serrurier  fort  et  hardi  trouvera,  je  pense, 
le  moyen  de  reclouer  la  lune  à  sa  place  dans  le 
ciel.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Douze  jeunes  gens  de 
Montastruc  partirent  aussitôt,  chargés  de  pou- 
lardes, de  chapons,  d'oies,  et  de  dindons,  pour  le 
juge-mage.  Douze  autres  prirent  sur  leurs  épaules 
une  longue  barre  de  chêne,  où  l'âne  mort  pendait, 
lié  par  les  quatre  pieds.  Jusqu'après  Fleurance  (2), 


(i)  Cathédrale  de  Lectoure. 

(2)  Ville  située  sur  la  route  d'Aucb  à  Lectoure. 


LES     XIAIS  145 

tout  alla  bien.  Mais  là,  les  loups  du  Ramier  (i) 
sentirent  l'odeur  de  l'âne  mon,  et  arrivèrent  par 
bandes,  en  criant  comme  des  possédés  du  Diable. 
Les  jeunes  gens,  épouvantés,  jetèrent  leurs  vo- 
lailles, ainsi  que  l'âne,  et  s'enfuirent  au  galop  vers 
ivlontastruc.  En  un  moment,  les  volailles  étaient 
avalées,  et  l'âne  rongé  jusqu'aux  os. 

Le  lendemain,  la  lune  brillait  au  ciel  comme 
de  coutume.  Alors,  les  consuls  de  Montastruc 
éprouvèrent  un  grand  soulagement. 

—  «  Les  loups  du  Ramier,  dirent-ils,  nous  ont 
rendu  un  fameux  service.  Maintenant  que  l'âne 
est  mangé,  le  juge-mage  de  Lectoure  ne  saura  pas 
que  nous  l'avons  fait  pendre.  Quant  à  la  lune 
qu'il  avait  bue,  vous  voyez  qu'elle  est  plus  fine 
que  les  loups.  Elle  leur  a  échappé  ;  et,  d'elle- 
même,  elle  est  remontée  à  sa  place  dans  le 
ciel  (2).  » 


(i)  Forêt  entre  Flenrance  et  Lectoure. 

(2)  Raconté  par  mon  oncle,  l'abbé  Bladé,  curé  du  Pergain- 
TaiUac,  canton  de  Lectoure  (Gers). 


m  10 


III 

LE  LOUP 


LE   LOUP 


LE    LOUP    iL^.LADE 


,L  y  avait,  une  fois,  au  bois  du  Gajan  (i), 
un  loup  qui  se  rendait  malade,  à  force  de 
trop  manger.  Ce  Loup  s'en  alla  un  jour  à 
Miradoux  (2),  trouver  un  grand  médecin. 

—  «  Bonjour,  monsieur  le  médecin. 

—  Bonjour,  Loup. 


(i)  Le  Gajan,  forêt  située  entre  Lectoure  et  Miradoux.  Elle  a 
été  récemment  défrichée  en  grande  partie. 

(2)  Miradoux,  chef-lieu  de  canton  du  département  du  Gers. 


150  CONTES     FAMILIERS 

—  Monsieur  le  médecin,  je  suis  bien  malade. 
Je  voudrais  une  consultation,  en  payant,  comme 
de  juste.  » 

Le  médecin  fit  tirer  la  langue  au  Loup,  et  le  fit 
pisser  dans  un  verre,  pour  regarder  la  couleur  du 
pissat. 

—  «  Loup,  dit-il,  tu  te  rends  malade,  à  force 
de  trop  manger.  A  partir  d'aujourd'hui,  il  faut  te 
taxer  à  sept  livres  de  viande  par  jour.  » 

Le  Loup  remercia  bien  le  médecin,  et  lui  donna, 
pour  ses  peines,  quatre  sols  moins  un  denier.  En 
s'en  retournant  au  Gajan,  il  passa  à  la  boutique 
du  forgeron  de  Castet-Arrouy  (i),  et  lui  com- 
manda une  romaine  pour  peser,  chaque  jour,  les 
sept  livres  de  viande,  ainsi  qu'il  avait  été  taxé. 

Qjaand  la  romaine  fut  forgée,  le  Loup  alla  la 
chercher.  Chaque  jour ,  il  l'emportait  à  la 
chasse,  pour  ne  pas  dépasser  l'ordre  du  médecin. 
Aussi,  au  bout  de  huit  jours,  il  redevint  gaillard, 
bien  portant;  et  il  ne  regrettait  pas  les  quatre 
sols  moins  un  denier  qu'il  avait  donnés  au  grand 
médecin  de  Miradoux. 

Au  bout  de  quelque  temps,  arriva  la  Sainte- 
Blandine,  jour  de  la  fête  patronale  de  Castet- 
Arrouy.  Le  Loup  connaissait  son  métier  comme 


(i)  Commune  du   canton   de   Miradoux  (Gers),   comprenant 
une  grande  partie  de  la  forêt  du  Gajan. 


LE    LOUP  151 

pas  un.  Il  savait  qu'après  la  messe,  les  gens 
iraient  s'attabler,  jusqu'au  moment  où  le  sonneur 
de  cloche  sonnerait  le  dernier  coup  de  vêpres.  Alors, 
les  juments  poulinières  et  les  jeunes  mules  qu'on 
élève  pour  les  vendre  aux  Espagnols,  à  Lectoure, 
le  jour  de  la  foire  de  Saint-Martin,  demeuraient 
seules  dans  les  prés  de  la  rivière  de  l'Auroue  (i). 

Les  gens  de  Castet-Arrouy  ne  s'étaient  pas  en- 
core servi  la  soupe,  que  mon  Loup  s'élance  du 
côté  de  la  rivière,  et  aperçoit,  au  beau  milieu 
d'un  pré,  une  jument  avec  sa  mule.  Par  malheur, 
il  avait  oublié  sa  romaine. 

—  «  Bah  !  dit-il,  je  pèserai  à  vue  d'œil.  Quatre 
livres  la  jument,  et  trois  livres  la  mule.  » 

Aussitôt,  il  les  étrangla,  et  les  rongea  jus- 
qu'aux os. 

Le  soir  même,  le  Loup  creva  (2). 

(i)  L'Auroue  est  un  petit  affluent  de  la  Garonne,  qui  traverse 
la  commune  de  Castet-Arrou}'. 

(2)  Dicté  par  feu  Jacques  Bonnet,  vieillard  illettré,  natif  de 
Castet-Arrouy. 


-12  i5  i§  i? -15  @s  i§  i5  i§  #  i§ 


II 

LE    LOUP   PENDU 


iN  jour,  un  homme  traversait  un  bois. 
Il  trouva  un  loup  pendu  par  le  pied  au 
haut  d'un  chêne. 

—  «  Homme,  dit  le  Loup,  tire-moi  d'ici  pour 
l'amour  de  Dieu.  J'étais  monté,  sur  ce  chêne, 
pour  y  prendre  un  nid  de  pie.  En  descendant,  j'ai 
pris  mon  pied  dans  une  branche  fendue.  Je  suis 
perdu,  si  tu  n'as  pitié  de  moi. 

—  Je  te  tirerais  de  là  avec  plaisir,  Loup,  répon- 
dit l'homme;  mais  j'ai  peur  que  tu  ne  me 
manges,  quand  tu  seras  dépendu. 

—  Homme,  je  te  jure  de  ne  faire  aucun  mal, 
ni  à  toi,  ni  aux  tiens,  ni  à  tes  bêtes.  » 

L'homme  dépendit  donc  le  Loup.  Mais  à  peine 
celui-ci  fut-il  à  terre,  qu'il  commença  à  le  re- 
garder de  travers. 


LE    LOUP  153 

—  «  Homme,  je  suis  affamé.  J'ai  grande  envie 
de  te  manger. 

—  Loup,  tu  sais  ce  que  tu  m'as  juré. 

—  Je  le  sais.  Mais,  à  présent,  je  suis  dépendu. 
Je  ne  veux  pas  mourir  de  faim. 

—  On  a  bien  raison  de  dire,  Loup  :  «  De  bien 
«  faire,  le  mal  arrive.  »  Si  tu  veux,  nous  allons 
consulter,  sur  notre  cas,  cette  chienne  qui  vient 
vers  nous, 

—  Je  veux  bien,  homme. 

—  Chienne,  dit  l'homme,  le  Loup  était  pendu 
par  le  pied  au  haut  d'un  chêne.  Il  y  serait  mort, 
si  je  ne  l'avais  dépendu.  A  présent,  pour  ma 
peine,  il  veut  me  manger.  Cela  est-il  juste? 

—  Homme,  répondit  la  chienne,  je  ne  suis  pas 
en  état  de  vous  juger.  J'ai  bien  servi  mon  maître 
jusqu'à  présent.  Mais,  quand  il  m'a  vue  vieille,  il 
m'a  jetée  dehors,  pour  n'avoir  plus  à  me  nourrir, 
et  m'a  chassée  dans  le  bois.  On  a  bien  raison  de 
dire  :  «  De  bien  faire,  le  mal  arrive.  » 

—  Alors,  Loup,  dit  l'homme,  nous  allons  con- 
sulter, sur  notre  cas,  cette  vieille  jument. 

—  Je  veux  bien,  homme. 

—  Jument,  dit  l'homme,  le  Loup  était  pendu 
par  le  pied  au  haut  d'un  chêne.  Il  y  serait  mort, 
si  je  ne  l'avais  dépendu.  Maintenant,  pour  ma 
peine,  il  veut  me  manger.  Cela  est-il  juste? 

—  Homme,  répondit  la  jument,  je  ne  suis  pas 


154  CONTES    FAMILIERS 


en  état  de  vous  juger.  J'ai  bien  servi  mon  maître 
jusqu'à  présent.  Mais,  quand  il  m'a  vue  vieille,  il 
m'a  jetée  dehors,  pour  n'avoir  plus  à  me  nourrir, 
et  m'a  chassée  dans  le  bois.  On  a  bien  raison  de 
dire  :  «  De  bien  faire,  le  mal  arrive.  » 

—  Alors,  Loup,  dit  l'homme,  nous  allons 
consulter  le  Renard,  sur  notre  cas. 

—  Je  veux  bien,  homme. 

—  Renard,  dit  l'homme,  le  Loup  était  pendu 
par  le  pied  au  haut  d'un  chêne.  Il  y  serait  mort, 
si  je  ne  l'avais  dépendu.  Maintenant,  pour  ma 
peine,  il  veut  me  manger.  Cela  est-il  juste? 

—  Homme,  dit  le  Renard,  je  ne  suis  pas  en  état 
de  vous  juger  avant  d'avoir  vu  l'endroit.  » 

Ils  partirent  tous  trois,  et  arrivèrent  au  pied  du 
chêne. 

—  «  Comment  étais-tu  pendu,  Loup,  demanda 
le  Renard?  » 

Le  Loup  monta  sur  le  chêne,  et  se  remit  comme 
il  était,  avant  d'être  dépendu  par  l'homme. 

—  «  J'étais  ainsi  pendu.  Renard. 

—  Eh  bien,  Loup,  demeure-le.  » 

Le  Renard  et  l'homme  s'en  allèrent.  Quand 
il  fallut  se  séparer,  l'homme  remercia  le  Renard, 
et  lui  promit  de  lui  porter,  pour  ses  peines,  le 
lendemain  matin,  une  paire  de  poules  grasses. 

En  effet,  le  lendemain  matin,  l'homme  arriva 
portant  un  sac. 


LE     LOUP  155 

—  «  Voici  les  poules,  Renard.  » 

Aussitôt,  il  ouvrit  le  sac,  d'où  sortirent  deux 
chiens,  qui  étranglèrent  le  pauvre  Renard.  On  a 
bien  raison  de  dire  :  «  De  bien  faire,  le  mal  ar- 
rive (i).  » 

(i)  Dicté  par  Pauline  Lacaze,  de  Panassac  (Gers). 


à 


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III 

LE    LOUP,    LE    LIMAÇON,    ET  LES  GUÊPES 

>T-^N  jour,  le  Loup  marcha  sur  le  Limaçon. 

[^\]l  En  ce  temps-là,  les  bêtes  parlaient  (i). 
—  «  Tu  es  bien  méchant,  Loup,  dit  le 
Limaçon,  de  fouler  ainsi  aux  pieds  le  pauvre 
monde.  Si  je  voulais,  je  courrais  plus  que  toi. 
Parions  que  je  t'essouffle,  toi  et  tes  compagnons. 

—  Toi,  pauvre  Limaçon  ? 

—  Moi,  Loup.  Sois  ici,  avec  les  tiens,  demain, 
au  lever  du  soleil,  et  nous  verrons  qui  de  nous 
arrivera  le  premier  au  bord  de  la  Garonne. 

—  Nous  y  serons,  pauvre  Limaçon.  » 

-     Le  Loup  reprit  son  chemin.  Vingt  pas  plus  loin, 
il  marcha  sur  un  nid  de  guêpes. 

—  «  Tu  es  bien  méchant,  Loup,  de  fouler  ainsi 


(i)  Cette   formulette  revient   parfois,   dans  les  contes  popu- 
laires de  la  Gascogne. 


LE     LOUP  I>7 

aux  pieds  le  pauvre  monde.  Nous  sommes  petites  ; 
mais  nous  n'avons  pas  peur  de  toi.  Parions  que 
nous  te  ferons  noyer,  toi  et  tes  compagnons. 

—  Vous,  pau\Tes  Guêpes? 

—  Nous,  Loup.  Sois  ici,  avec  les  tiens,  demain, 
au  lever  du  soleil,  et  nous  verrons  si  vous  tarde- 
rez à  être  noyés  dans  la  Garonne. 

—  Nous  y  serons,  pau\T:es  Guêpes.  » 

Le  Loup  repartit  aussitôt,  pour  aller  avertir 
son  monde.  Alors,  le  Limaçon  dit  aux  Guêpes  : 

—  «  Mes  amies,  mandez  tout  votre  monde.  Le 
mien  ne  manquera  pas  à  l'appel.  Cachez-vous 
dans  les  saules,  qui  sont  au  bord  de  la  Garonne. 
Moi  et  les  miens,  nous  vous  amènerons  les  Loups. 
Tombez  sur  eux  au  bon  moment,  et  piquez-les 
jusqu'à  ce  qu'ils  se  jettent  tous  à  l'eau. 

—  Limaçon,  c'est  une  affaire  convenue.  » 

Les  Guêpes  partirent  donc,  pour  faire  ce  qui 
leur  était  conmiandé.  De  son  côté,  le  Limaçon 
espaça  les  siens  de  cinq  en  cinq  pas,  jusqu'à  la 
Garonne. 

Le  lendemain,  au  lever  du  soleil,  les  Loups  et  le 
Limaçon  étaient  à  l'endroit  marqué  pour  le  départ. 

—  «  Y  es-tu,  Limaçon  ? 

—  J'y  suis,  Loups.  Partons.  » 

Les  Loups  partirent  au  grand  galop.  Tout  en 
courant,  ils  criaient  : 

—  «  Où  es-tu,  Limaçon  ? 


ISS  CONTES    FAMILIERS 

—  Je  suis  ici,  Loups,  «  criaient  les  Limaçons, 
espacés  de  cinq  en  cinq  pas. 

Quand  ils  furent  au  bord  de  la  Garonne,  les 
Guêpes  sortirent  des  saules  comme  un  nuage,  et 
tombèrent  sur  les  Loups  à  grands  coups  d'aiguil- 
lon, en  criant  : 

—  «  Au  poil  !  Au  poil  !  » 

Les  pauvres  Loups  plongèrent  dans  l'eau,  d'où 
ils  n'osaient  sortir  que  le  bout  du  museau. 

—  «  Au  nez  !  Au  nez  !  crièrent  les  Guêpes,  »  en 
tombant  sur  le  nez  des  Loups  à  grands  coups 
d'aiguillon. 

Tous  les  Loups  furent  noyés,  et  les  Limaçons 
et  les  Guêpes  revinrent  chez  eux  bien  con- 
tents (i). 


(i)  Dicté  par  Marie  Dupin,  veuve  Lagarde,  femme  illettrée, 
native  de  Gimbrède,  canton  de  Miradoux  (Gers). 


^C^^^(g;^3^^(^^^^^^^ 


IV 

LA  CHÈVRE    ET   LE   LOUP 


{A  Chèvre  et  le  Loup  voulurent  devenir 
riches,  et  s'associèrent,  pour  faire  valoir 
une  métairie. 

—  «  Loup,  dit  la  Chèvre,  les  bons  comptes  font 
les  bons  amis.  Avant  de  nous  mettre  au  travail,  il 
faut  bien  faire  nos  accords,  et  convenir  de  la  part 
que  chacun  doit  prendre  dans  les  récoltes.  L'un 
de  nous  aura  ce  qui  poussera  sous  la  terre,  et 
l'autre  ce  qui  poussera  dessus.  Choisis.  Je  me  con- 
tente de  ce  que  tu  ne  voudras  pas. 

—  Loup,  je  choisis  ce  qui  poussera  dessus.  » 
La  Chèvre   sema  toute  la   métairie  en   aulx, 

oignons,  et  raves,  de  sorte  qu'elle  eut  toutes  les 
têtes,  et  que  son  pauvre  associé  n'eut  que  les 
qaeues. 

—  «  Je  me  suis  trompé  l'année  dernière,  dit  le 


l60  CONTES     FAMILIERS 

Loup.  Je  choisis,  pour  celle-ci,  tout  ce  qui  pous- 
sera sous  la  terre.  » 

La  Chèvre  sema  toute  la  métairie  en  blé  et  ea 
seigle,  de  sorte  qu'elle  eut  tout  le  grain,  toute 
la  paille,  et  que  son  pauvre  associé  n'eut  que  les 
racines. 

Alors,  le  Loup  se  promit  de  punir  la  Chèvre 
de  ses  mauvais  tours,  et  de  profiter  de  la  première 
occasion  où  il  serait  seul  avec  elle  pour  la  man- 
ger. Mais  celle-ci  devina  la  pensée  du  Loup,  et  se 
tint  sur  ses  gardes,  en  attendant  le  moment  de  se 
débarrasser  de  son  ennemi. 

Un  jour,  le  Loup  s'en  alla  trouver  la  Chèvre. 

—  «  Bonjour,  Chèvre. 

—  Bonjour,  Loup. 

—  Chèvre,  j'ai  de  bien  mauvaise  soupe  à  la 
maison,  et  je  viens  goûter  la  tienne. 

—  Avec  plaisir,  Loup.  » 

La  Chèvre  donc  servit  au  Loup  une  grande  as- 
siettée de  soupe.  Ensuite,  ils  allèrent  se  promener 
jusqu'à  une  église,  dont  la  porte  était  trouée. 

—  «  Chèvre,  dit  le  Loup,  entrons  dans  cette 
église,  pour  y  prier  Dieu. 

—  Avec  pLaisir,  Loup. 

—  A  présent  que  nous  sommes  entrés.  Chèvre, 
il  faut  que  je  te  mange. 

—  Lnbécile!  je  suis  vieille  et  maigre.  Tu  ferais 


LE    LOUP  l6l 


un  triste  repas.  Mange  plutôt  cette  miche  de  pain 
de  quinze  livres,  que  quelqu'un  a  mise,  pour  le 
curé,  sur  une  marche  de  l'autel. 

—  Tu  as  raison.  Chèvre.  )) 

Le  Loup  se  jeta  donc  sur  la  miche,  et  la 
Chèvre  profita  de  ce  mom.ent  pour  sortir  par  le 
trou  de  la  porte.  Mais  quand  le  Loup  voulut  en 
faire  autant,  il  se  trouva  que  tout  le  pain  qu'il 
avait  avalé  lui  avait  tellement,  tellement  enflé  le 
ventre,  qu'il  ne  pouvait  plus  passer. 

—  «  A  mon  secours,  Chèvre.  Le  trou  de  la 
porte  s'est  rapetissé. 

—  Non,  Loup.  C'est  ton  ventre  qui  s'est  enflé. 
Tâche  de  sortir  de  l'église,  en  grimpant  le  long 
de  la  corde  de  la  cloche.  » 

Le  Loup  se  pendit  donc  à  la  corde,  et  mit  la 
cloche  à  la  volée,  de  sorte  que  les  gens  de  la  pa- 
roisse accoururent  à  ce  tapage.  Quand  ils  virent 
à  qui  ils  avaient  affaire,  ils  s'armèrent  de  fourches 
et  de  bâtons.  La  vilaine  bête  failht  y  laisser  le 
cuir,  et  s'échappa  tout  en  sang. 

La  Chèvre,  qui  regardait  de  loin,  riait  coninîe 
une  folle. 

—  «  Ah  !  Chèvre,  les  gens  de  cette  paroisse 
sont  de  bien  mauvais  chrétiens.  Vois  l'état  dans 
lequel  il  m'ont  mis,  devant  l'autel  même  du  Bon 
Dieu.  Je  n'en  puis  plus.  Je  donnerais  dix  ans 
de  ma  vie  contre  un  peu  d'eau,  pour  laver  mes 


CONTES    FAMILIERS 


plaies,  et  pour  me  guérir  de  la  soif  que  me  donne 
tout  le  pain  que  j'ai  mangé. 

—  Eh  bien,  Loup,  saute  dans  ce  puits.  Quand 
tu  y  auras  lavé  tes  plaies,  et  bu  à  ta  soif,  je  t'aiderai 
à  remonter.  » 

Le  Loup  sauta  donc  dans  le  puits,  y  lava  ses 
plaies,  et  y  but  à  sa  soif. 

—  «  Maintenant,  Chèvre,  aide-moi  à  remonter. 

—  Loup,  tu  es  dans  le  puits.  Demeures-y  (i).  » 


(i)  Dicté  par  Catherine  Sustrac,  de  Sainte-Euîalie,  commune 
de  Cauzâc,  canton  de  Beauville  (Lot-et-Garonne). 


V 

LE    CH.\RBONNIER 


|L  y  avait,  une  fois,  au  bois  du  Gajan  (i), 
un  charbonnier  qui  venait  d'allumer  du 
feu    dans    sa  cabane.    Le   Loup  vint  à 
passer  par  là.  Il  entra  sans  façon. 

—  «  Charbonnier,  dit  le  Loup,  il  fait  bien  froid. 
Fais  bon  feu. 

—  Loup,  chauffe-toi.  » 

Le  Charbonnier  jeta  une  brassée  de  fagots  dans 
le  feu,  et  le  Loup  fut  bientôt  réchauffé. 

En  ce  moment,  le  Renard  vint  à  passer  par  là. 
Il  entra  sans  façon. 

—  a  Charbonnier,  dit  le  Renard,  il  fait  bien 
froid.  Fais  bon  feu. 

—  Renard,  chauffe-toi.  » 

Le  Charbonnier  jeta  une  brassée  de  fagots  dans 
le  feu;  et  le  Renard  fut  bientôt  réchauffe. 

(i)  Forêt  entre  Lectoure  et  Miradoux  (Gers). 


l64  CONTES     FAMILIERS 

En  ce  moment,  le  Lièvre  vint  à  passer  par  là. 
Il  entra  sans  façon. 

—  «  Charbonnier,  dit  le  Lièvre,  il  fait  bien 
froid.  Fais  bon  feu. 

—  Lièvre,  chauffe-toi.  » 

Le  Charbonnier  jeta  une  brassée  de  fagots  dans 
le  feu  ;  et  le  Lièvre  fut  bientôt  réchauffé. 
Alors,  le  charbonnier  dit  aux  trois  bêtes  : 

—  «  Je  vous  ai  bien  fait  chauffer.  Maintenant, 
vous  devriez  aller  chercher  de  quoi  faire  ensemble 
un  bon  repas. 

—  Moi,  dit  le  Loup,  je  sais  un  troupeau  de 
moutons.  Je  vais  chercher  le  plus  beau. 

—  Pars,  Loup,  et  reviens  vite. 

—  Moi,  dit  le  Renard,  je  sais  de  beaux  chapons 
dans  un  poulailler.  Je  vais  chercher  le  plus  gras. 

—  Pars,  Renard,  et  reviens  vite. 

—  Moi,  dit  le  Lièvre,  je  sais  un  jardin  où  il  y  a 
des  choux  superbes.  Je  vais  chercher  le  plus  gras. 

—  Pars,  Lièvre,  et  reviens  vite.  Nous  verrons 
qui  de  vous  trois  sera  le  premier  rentré.  » 

Les  trois  bêtes  partirent  au  grand  galop.  Une 
heure  après,  le  Lièvre  arrivait  le  premier,  avec  un 
chou  superbe. 

—  «  Lièvre,  dit  le  Charbonnier,  tu  arrives  Je 
premier.  Je  n'ai  jamais  vu  de  chou  beau  comme 
le  tien.  Viens  le  déposer  dans  ma  cabane.  Tu  as 
froid.  Je  vais  bien  te  faire  chauffer.  » 


i65 


Le  Lièvre  entra  donc  dans  la  cabane.  Tandis 
qu'il  se  chauffait,  sans  se  méfier,  le  Charbonnier 
l'assomma  d'un  coup  de  bâton,  et  le  couvrit  de 
branches,  pour  qu'il  ne  fût  pas  vu  du  Loup  et  du 
Renard. 

Une  heure  après,  le  Loup  arriva  avec  un  beau 
mouton. 

—  «  Loup,  dit  le  Charbonnier,  tu  arrives  le 
premier.  Je  n'ai  jamais  vu  de  mouton  beau  comme 
le  tien.  Viens  le  déposer  dans  ma  cabane.  Tu 
as  froid.  Je  vais  bien  te  faire  chauffer.  » 

Le  Loup  entra  donc  dans  la  cabane.  Tandis 
qu'il  se  chauffait,  sans  se  méfier,  le  Charbonnier 
le  poussa  au  beau  milieu  du  feu.  La  bête  pensa 
n'en  pas  sortir,  et  s'enfuit  à  travers  le  bois,  avec 
le  poil  tout  brûlé. 

Une  heure  après,  le  Renard  arriva  avec  un 
beau  chapon  bien  gras. 

—  «  Renard,  dit  le  Charbonnier,  tu  arrives  le 
premier.  Je  n'ai  jamais  vu  de  chapon  beau  et  gras 
comme  le  tien.  Viens  le  déposer  dans  ma  cabane. 
Tu  as  froid.  Je  vais  bien  te  faire  chauffer.  » 

Le  Renard  entra  donc  dans  la  cabane.  Tandis 
qu'il  se  chauffait,  sans  se  méfier,  et  tournait  le 
derrière  à  la  flamme,  la  queue  en  l'air,  le  Char- 
bonnier lui  planta  au  beau  milieu  du  cul  la  broche 
rougie  à  blanc.  La  bête  en  pensa  mourir,  et  s'en- 
fuit à  travers  le  bois,   avec  la  chair  toute  brûlée. 


l66  CONTES     FAMILIERS 


Voilà  comment,  par  sa  finesse,  le  Charbonnier 
gagna  un  chou,  un  Hèvre,  un  mouton,  et  un 
chapon. 

Le  lendemain,  le  Loup  et  le  Renard  se  ren- 
contrèrent dans  le  bois  du  Gajan. 

—  «  Eh  bien!  mon  pauvre  Loup. 

—  Eh  bien  !  mon  pauvre  Renard. 

—  Renard,  le  Charbonnier  est  une  canaille.  Je 
lui  avais  apporté  un  beau  mouton,  et  je  me  chauf- 
liùs  sans  me  méfier.  Alors,  il  m'a  poussé  au  beau 
milieu  du  feu.  J'ai  pensé  n'en  pas  sortir,  et  j'ai 
pris  la  fuite  à  travers  le  bois,  avec  le  poil  tout 
brûlé. 

—  Loup,  le  Charbonnier  est  une  canaille.  Je  lui 
avais  apporté  un  beau  chapon  bien  gras,  et  je  me 
chauffais  sans  me  méfier,  tournant  le  derrière  à  la 
flamme,  la  queue  en  l'air.  Alors,  il  m'a  planté  au 
beau  milieu  du  cul  la  broche  rougie  à  blanc.  J'ai 
pensé  en  mourir,  et  j'ai  pris  la  fuite  à  travers  le 
bois,  avec  la  chair  toute  brûlée. 

—  Renard,  que  pourrions-nous  faire  au  char- 
bonnier ? 

—  Loup,  je  ne  reviens  pas  chez  lui. 

—  Ni  moi  non  plus,  Renard  (i).  » 

(i)  Dicté  par  Marie  Dupiii,  veuve  Lagarde,  de  Gimbrède 
(Gers). 


Wê^^^'É^^^^fMMi 


VI 

LE    CHATEAU    DES    TROIS    LOUPS 


}L  y  avait,   une  fois,  un  homme  et  une 
femme  qui  avaient  un  chat,  un  coq,  une 
oie  et  un  bélier. 
Un  jour,  l'homme  dit  à  la  femme  : 

—  «  Femme,  c'est  demain  carnaval.  Il  faut  tuer 
le  Coq.  » 

Le  Chat  écoutait,  accroupi  près  du  foyer.  Aus- 
sitôt, il  alla  trouver  le  Coq. 

—  «  Compère  Coq,  va  vite  te  cacher  dehors, 
derrière  la  meule  de  paille.  Je  viens  d'entendre 
l'homme  dire  à  la  femme  :  «  Femme,  c'est  de- 
«  main  carnaval.  Il  faut  tuer  le  Coq.  » 

Le  Coq  s'en  alla  donc  vite  dehors,  se  cacher 
derrière  la  meule  de  paille.  La  femme  le  cher- 
cha longtemps,  longtemps. 

—  «  Homme,  je  ne  trouve  pas  le  Coq. 


l68  CONTES    FAMILIERS 


—  Eh  bien,  femme,  il  faut  tuer  l'Oie.  » 

Le  Chat  écoutait,  accroupi  près  du  fo3'er.  Aus- 
sitôt, il  alla  trouver  l'Oie. 

—  a  Commère  Oie,  va  vite  te  cacher  dehors, 
avec  le  Coq,  derrière  la  meule  de  paille.  Je  viens 
d'entendre  la  femme  dire  à  l'homme  :  «  Homme, 
«  je  ne  trouve  pas  le  Coq.  »  Alors,  l'homme  a 
répondu  :  «  Eh  bien,  femme,  il  faut  tuer  l'Oie.  » 

L'Oie  s'en  alla  donc  vite  dehors,  se  cacher  avec 
le  Coq,  derrière  la  ineule  de  paille.  La  femme 
chercha  longtemps,' longtemps. 

—  «  Homme,  je  ne  trouve  pas  l'Oie. 

—  Eh  bien,  femme,  il  faut  tuer  le  Bélier.  » 
Le  Chat  écoutait,  accroupi  près  du  foyer.  Aus- 
sitôt, il  alla  trouver  le  bélier. 

—  «  Compère  Bélier,  va  vite  te  cacher  dehors, 
derrière  la  meule  de  paille.  Je  viens  d'entendre  la 
femme  dire  à  l'homme  :  «  Homme,  je  ne  trouve 
«  pas  l'Oie.  »  Alors,  l'homme  a  répondu  :  «  Eh 
«  bien,  femme,  il  faut  tuer  le  Bélier.  » 

Le  Bélier  s'en  alla  donc  vite  dehors,  se  cacher 
avec  le  Coq  et  l'Oie,  derrière  la  meule  de  paille. 
La  femme  chercha  longtemps,  longtemps. 

—  «  Homme,  je  ne  trouve  pas  le  Béher. 

—  Eh  bien,  femme,  il  faut  tuer  le  Chat.  » 

Le  Chat  écoutait,  accroupi  près  du  foyer.  Aus- 
sitôt, il  s'en  alla  dehors,  trouver  le  Coq,  l'Oie,  et 
le  Bélier,  derrière  la  meule  de  paille. 


LE     LOUP  169 

—  «  Mes  amis,  dit-il,  je  viens  d'entendre  la 
femme  dire  à  l'homme  :  «  Homme,  je  ne  trouve 
«  pas  le  Bélier.  »  Alors,  l'homme  a  répondu  : 
«  Eh  bien,  femme,  il  fout  tuer  le  Chat.  »  Mes 
amis,  il  ne  fait  pas  bon  ici  pour  nous.  Décampons, 
et  allons  voir  du  pays. 

—  Tu  as  raison,  compère  Chat.  » 

Tous  les  quatre  décampèrent  aussitôt.  Us  s'en 
allèrent  loin,  loin,  loin.  Enlîn,  la  nuit  les  surprit 
au  milieu  du  Ramier  (i).  Le  Coq,  l'Oie,  le  Bélier 
et  le  Chat,  marchèrent  encore  longtemps,  long- 
temps, longtemps,  sans  jamais  pouvoir  retrouver 
leur  chemin. 

Alors,  le  Coq  monta  sur  un  grand  chêne,  pour 
tâcher  de  regarder  au  loin.  Jamais  il  ne  put  at- 
teindre jusqu'à  la  cime.  En  quatre  sauts,  le  Chat 
fit  mieux  que  le  Coq. 

—  «  Mes  amis,  j'aperçois  là-bas,  là-bas,  là-bas, 
une  lumière  à  travers  le  bois.  » 

Le  Chat  descendit  du  grand  chêne,  et  tous 
quatre  repartirent. 

Ils  marchèrent  longtemps,  longtemps,  long- 
temps. Enfin,  ils  arrivèrent  au  château  des  Trois 
Loups. 

Toutes  les  portes,  tous  les  contrevents,  étaient 


(i)  Fcrêt  aujourd'hui  fort  restreinte,  et  sise  entre  Lectoure  et 
Fleurance. 


170  CONTES     FAMILIERS 

ouverts,  toutes  les  chambres  éclairées.  Pourtant, 
il  n'y  avait  personne  au  château.  Les  Trois  Loups 
s'en  étaient  allés  au  bal,  dans  le  bois  de  Réjau- 
mont  (i). 

Que  firent  alors  les  quatre  amis?  Ils  s'atta- 
blèrent, et  ne  se  laissèrent  manquer  de  rien.  Cela 
fiiit,  ils  éteignirent  les  lumières,  et  fermèrent  tous 
les  contrevents  et  toutes  les  portes,  sauf  la  grande. 
Puis,  le  Coq  alla  se  jucher  sur  la  plus  haute  che- 
minée du  château.  L'Oie  se  cacha  dans  l'évier  de 
la  cuisine,  le  BéUer  dans  le  lit  de  l'aîné  des  Trois 
Loups.  Le  Chat  s'accroupit  près  du  foyer. 

Une  heure  avant  la  pointe  de  l'aube,  les  quatre 
amis  entendirent  un  grand  tapage.  C'étaient  les 
Trois  Loups  qui  rentraient  du  bal  du  bois  de  Ré- 
jaumont. 

Devant  la  grande  porte  ouverte  du  château,  les 
Trois  Loups  s'assirent  pour  tenir  conseil. 

—  «  Tous  les  contrevents,  disaient-ils,  toutes 
les  portes  du  château,  sauf  la  grande,  sont  fer- 
més. Toutes  les  lumières  sont  éteintes.  Il  y  a  là 
de  quoi  nous  méfier.  » 

Alors,  l'aîné  des  Trois  Loups  dit  au  plus  jeune  : 

—  «  Frère,  c'est  à  toi  de  marcher  devant. 
Pars,  et  reviens  vite  nous  conter  ce  qui  se  passe.  » 


(i)  Forêt  médiocrement   distante  du  Ramier.  Réjauraont  est 
une   commune  du  canton  de  Fleurance  (Gers). 


LE     LOUP  171 

Le  plus  jeune  des  Trois  Loups  obéit.  En  tâton- 
nant, il  arriva,  dans  l'obscurité,  jusqu'à  la  cuisine. 
Là,  comme  il  s'était  fort  échauffé,  à  danser  au 
bal  du  bois  de  Réjaumont,  il  voulut  d'abord 
aller  boire  à  la  cruche. 

Alors,  l'Oie,  cachée  dans  l'évier,  lui  allongea 
trois  grands  coups  de  bec  sur  la  tête. 

—  «  Càâc  !  cààc  !  câàc  !  » 

Le  plus  jeune  des  Trois  Loups  s'enfuit  épou- 
vanté. 

—  «  Frères,  frères,  à  mon  secours.  Je  n'en  puis 
plus.  Figurez-vous  qu'en  tâtonnant,  j'étais  arrivé, 
dans  l'obscurité,  jusqu'à  la  cuisine.  Là,  j'ai  voulu 
d'abord  aller  boire  à  la  cruche.  Mais,  dans  l'évier, 
se  cache  un  menuisier,  qui  m'a  allongé  trois 
grands  coups  de  maillet  sur  la  tète. 

—  Imbécile,  il  fallait  d'abord  allumer  la  chan- 
delle. 

—  Vous  avez  raison.  Mais  je  n'en  puis  plus. 
Fouille  le  château  qui  voudra.  » 

Alors,  l'aîné  des  Trois  Loups  dit  à  son  ca- 
det : 

—  «  Frère,  c'est  à  toi  de  marcher  devant.  Pars, 
et  reviens  vite  nous  conter  ce  qui  se  passe.  Gare- 
toi  du  menuisier  caché  dans  l'évier,  et  allume 
d'abord  la  chandelle  au  foyer.  » 

Le  cadet  des  Trois  Loups  obéit.  En  tâtonnant, 
il  arriva,  dans  l'obscurité,  jusqu'à  la  cuisine.  Là, 


172  CONTES    FAMILIERS 

il  chercha    la    cheminée,  pour  avoir  du  feu,  et 
allumer  d'abord  la  chandelle. 

Alors,  le  Chat,  accroupi  près  du  foyer,  lui 
campa  trois  coups  de  griffe,  qui  lui  mirent  le  mu- 
seau tout  en  sang. 

—  «  Miaoû  !  miaoû  !  miaoû  !  » 

Le  cadet  des  Trois  Loups  s'enfuit  épouvanté. 

■ —  «  Frères,  frères,  à  mon  secours.  Je  n'en 
puis  plus.  Figurez-vous  qu'en  tâtonnant  j'étais 
arrivé,  dans  l'obscurité,  jusqu'à  la  cuisine.  Là, 
j'ai  cherché  d'abord  la  cheminée,  pour  avoir 
du  feu,  et  allumer  la  chandelle.  Mais  un  cardeur, 
accroupi  près  du  foyer,  m'a  lancé  trois  coups  de 
peigne  de  fer,  qui  m'ont  mis  le  museau  tout  en 
sang. 

—  Imbécile,  il  flillait  tenir  bon,  et  souffler  sur 
les  cendres  chaudes. 

• —  Vous  avez  raison.  Mais  je  n'en  puis  plus. 
Fouille  le  château  qui  voudra.  « 

Alors,  les  deux  Loups  cadets  dirent  à  leur  frère 
aîné  : 

—  «  Frère,  c'est  à  toi  de  marcher  devant.  Pars, 
et  reviens  ensuite  nous  conter  ce  qui  se  passe. 
Gare-toi  du  menuisier  caché  dans  l'évier,  et  du 
cardeur  accroupi  près  du  foyer.  » 

L'aîné  des  Trois  Loups  obéit.  En  tâtonnant,  il 
arriva,  dans  l'obscurité,  jusqu'à  son  lit. 

Alors,  le   Bélier  bondit,   et  lui  porta,  dans  le 


LE     LOUP  173 

ventre,    trois   grands  coups  de  tête,  à  lui   faire 
vomir  les  tripes. 

—  «  Bèê  !  bêê  !  bêè  !  « 

L'aîné  des  Trois  Loups  s'enfuit  épouvanté. 

—  «  Frères,  frères,  à  mon  secours.  Je  n'en  puis 
plus.  Figurez-vous  qu'en  tâtonnant,  j'étais  arrivé, 
dans  l'obscurité,  jusqu'à  mon  lit.  Mais  un  forge- 
ron couché  dedans  a  bondi,  et  m'a  porté,  dans  le 
ventre,  trois  coups  de  têtu  (i),  à  me  faire  vomir 
les  tripes. 

—  Imbécile,  il  fitllait  lui  prendre  son  têtu. 

—  Vous  avez  raison.  Mais  je  n'en  puis  plus. 
Fouille  le  château  qui  voudra.  » 

En  ce  moment,  le  Coq,  juché  sur  la  plus  haute 
cheminée  du  château,  chanta  trois  fois. 

—  «  Coucouroucou !  coucouroucou  !  coucou- 
roucou  !  » 

A  ce  bruit,  les  Trois  Loups  décampèrent  pour 
toujours.  Le  Coq,  l'Ole,  le  Béher,  et  le  Chat,  de- 
meurèrent maîtres  au  château,  et  ils  y  vécurent 
longtemps  heureux  (2). 


(i)  Marteau  à  frapper  devant. 

(2)  Dicté  par  Èmiie  Rizon,  du  Pergaiii-Taillac(Gers). 


VII 
LE    COXTE    DE   JEANNE 


S'il  y  avait,  une  fois,  un  homme  et  une 
"''''  femme  qui  vivaient  pauvres,   bien  pau- 
vres,  dans  leur  maisonnette,   avec  leur 
fille  de  dix -huit  ans.  Cette  fille  s'appelait  Jeanne. 
Un  soir,  l'homme  dit  à  sa  femme  : 

—  «  Femme,  vois  comme  nous  sommes  pau- 
vres. Nous  n'avons  plus  qu'une  ressource.  Il  nous 
faut  marier  Jeanne. 

—  Mon  homme,  tu  n'y  penses  pas.  Marier 
Jeanne  ?  Et  avec  quoi  ferons-nous  la  noce  ? 

—  Femme,  pour  faire  la  noce,  nous  tuerons  le 
chat,  la  petite  oie,  et  la  poulette. 

—  Mon  homme,  tu  as  raison.  » 

Mais  le  Chat  écoutait,  caché  sous  la  table.  Aus- 
sitôt, il  s'en  alla  trouver  la  Petite  Oie. 

—  «  Écoute,  Petite  Oie.  Nos  maîtres  vont  ma- 
rier Jeanne.  Pour  faire  la  noce,   on  nous  tuera. 


LE     LOUP  175 

moi,  toi,  et  la  Poulette.  Si  tu  veux  me  croire, 
nous  avertirons  la  Poulette,  et,  tous  trois,  nous 
partirons  à  minuit. 

—  Chat,  tu  as  raison.  » 

Le  Chat  et  la  Petite  Oie  s'en  allèrent  donc 
avertir  la  Poulette,  et  tous  trois  partirent  avant 
minuit. 

Ils  s'en  allèrent  loin,  loin,  loin. 

—  «  Comme  la  jambe  de  Guillem  (i).  » 
Quand  ils  furent  loin,  loin,  loin,  la  Petite  Oie 

s'arrêta,  rendue  de  fatigue. 

—  «  Chat,  je  n'en  puis  plus. 

—  Eh  bien.  Petite  Oie,  demeure  ici.  Je  vais  t'y 
bâtir  une  étable.  » 

Le  Chat  bâtit  donc  une  étable  pour  la  Petite 
Oie,  et  repartit  avec  la  Poulette. 

Ils  s'en  allèrent  loin,  loin,  loin. 

Quand  ils  furent  loin,  loin,  loin,  la  Poulette 
s'arrêta,  rendue  de  fatigue. 

—  «  Chat,  je  n'en  puis  plus. 

(i)  En  gascon  : 

S'en  angoun  îoèn,  loèn,  loên. 
—  Ccumo  la  camso  dou  GuilUm. 

On  dit  aussi  comme  la  chatte  (ccumo  la  gaiô),  ou  comme  la  queue 
(cotimo  la  cùo)  de  Guillem,  on  Guillaume.  Cette  interruption  des 
auditeurs  revient  à  peu  près  toutes  les  fois  que  le  conteur  dit  : 
«  Loin,  loin,  loin  (/(v'n,  loén,  loèn).  »  J'ai  cru  devoir  me  borner 
à  une  seule  indication. 


176  CONTES    FAMILIERS 

—  Eh  bien,  Poulette,  demeure  ici.  Je  vais  t'y 
bâtir  une  étable.  « 

Le  Chat  bâtit  donc  une  étable  pour  la  Poulette, 
et  repartit. 

Il  s'en  alla  loin,  loin,  loin. 

Quand  il  fut  si  loin,  le  Chat  était  rendu  de  fa- 
tigue. 

Alors,  il  s'arrêta,  et  se  bâtit  une  étable. 

Tandis  que  le  Chat  vivait  tranquille  dans  son 
étable,  le  Loup  alla  frapper  chez  la  Petite  Oie. 

—  «  Pan  i  pan  ! 

—  Qui  est  là  ? 

—  Ami.  Vite,  ouvre-moi  la  porte.  Petite  Oie.  » 
Mais  la  Petite  Oie  avait  reconnu  la  voix  du 

Loup. 

—  «  Non,  Loup,  je  ne  t'ouvrirai  pas  la  porte. 
Tu  me  mangerais. 

—  Petite  Oie,  je  te  dis  que  non. 

—  Loup,  je  te  dis  que  si. 

—  Petite  Oie,  si  tu  ne  m'ouvres  pas  vite  la 
porte,  je  démolis  ton  étable.  » 

La  Petite  Oie  ne  répondit  plus. 

Alors,  le  Loup  brisa  la  porte,  d'un  grand  coup 
de  cul. 

Mais  la  Petite  Oie  prit  aussitôt  la  volée,  et 
s'en  alla  trouver  la  Poulette. 

—  «  Pan  !  pan  ! 

—  Qui  est  là? 


LE    LOUP  177 

—  Ami.  Vite,  ouvre-moi  la  porte,  Poulette.  » 
La   Poulette    ouvrit  donc    vite  la  porte.    Elle 

avait  reconnu  la  voix  de  la  Petite  Oie. 

—  «  Poulette,  referme  vite,  de  peur  du  Loup. 
Tout  à  l'heure,  il  est  venu  chez  moi,  et  il  a  brisé 
la  porte  de  mon  étable,  d'un  grand  coup  de  cul.  » 

La  Poulette  n'eut  e^ue  le  temps  de  refermer. 

—  «  Pan  !  pan  ! 

—  Qui  est  là  ? 

—  Ami.  Vite,  ouvre-moi  la  porte,  Poulette.  » 
Mais    la    Poulette   avait  reconnu   la  voix   du 

Loup. 

—  «  \on,  Loup,  je  ne  l'ouvrirai  pas  la  porte. 
Tu  me  mangerais, 

—  Poulette,  je  te  dis  que  non. 

—  Loup,  je  te  dis  que  si. 

—  Poulette,  si  tu  ne  m'ouvres  pas  vite  la  porte, 
je  démolis  ton  étable.  » 

La  Poulette  ne  répondit  plus. 

Alors,  le  Loup  brisa  la  porte,  d'un  grand  coup 
de  cul. 

Mais  la  Petite  Oie  et  la  Poulette  prirent  aussi- 
tôt leur  volée,  et  s'en  allèrent  trouver  le  Chat. 

—  «  Pan  !  pan  ! 

—  Qui  est  là? 

—  Amis.    Vite,  ouvre-nous  la  porte,  Chat.  » 
Le  Chat  ouvrit  donc  vite  la  porte.  Il  avait  re- 
connu les  voix  de  la  Petite  Oie  et  de  la  Poulette. 


lyS  CONTES     FAMILIERS 

—  «  Chat,  referme  vite,  de  peur  du  Loup. 
Tout  à  l'heure,  il  est  venu  chez  nous,  et  il  a  brisé 
les  portes  de  nos  étables,  de  deux  grands  coups  de 
cul.  » 

Le  Chat  n'eut  que  le  temps  de  refermer. 

—  «  Pan  !  pan  ! 

—  Qui  est  là  ? 

—  Ami.  Vite,  ouvre-moi  la  porte.  Chat.  » 
Mais  le  Chat  avait  reconnu  la  voix  du  Loup. 

—  «  Loup,  je  ne  t'ouvrirai  pas  la  porte.  Tu 
me  mangerais. 

—  Chat,  je  te  dis  que  non. 

—  Loup,  je  te  dis  que  si. 

—  Chat,  ouvre-moi  la  porte.  Nous  vivrons  en 
bons  amis,  moi,  toi,  la  Poulette,  et  la  Petite  Oie. 
Je  vous  fournirai  des  choux  pour  faire  la  soupe, 
des  poules  pour  mettre  à  la  broche.  Demain, 
nous  irons  tous  quatre  ensemble  à  la  foire  de 
Fleurance  (i), 

—  Oui,  Loup.  Nous  irons  tous  quatre  en- 
semble. Mais,  cette  nuit,  je  n'ouvre  pas  ma  porte. 
Reviens  nous  chercher  au  lever  du  soleil.  » 

Le  Loup  partit  donc,  et  revint  au  lever  du 
soleil.  Mais  le  Chat,  la  Poulette  et  la  Petite  Oie 
étaient  partis,  dès  la  pointe  de  l'aube.  A  la  foire 

(i)  Chcf-licu  de  c.mtoii  du  département  du  Gers.  Selon  le  lieu 
où  ils  résident,  les  conteurs  changent  le  nom  de  la  localité  où  le 
Chat  promet  au  Loup  d'aller  à  la  foire. 


LE     LOUP  179 

de  Fleurance,  tous  trois  se  méfiaient,  et  faisaient 
courir  l'œil. 

Tout  à  coup,  la  Poulette  et  la  Petite  Oie 
crièrent  épouvantés  : 

—  «  Chat,  regarde  là-bas,  là-bas.  Le  Loup 
arrive  pour  nous  manger. 

—  N'ayez  pas  peur.  Je  suis  plus  fin  que  lui. 
Allez  à  vos  affaires,  et  fiez-vous  à  moi.  » 

La  Poulette  et  la  Petite  Oie  obéirent. 

Alors,  le  Chat  acheta  vite,  vite,  un  crible,  et  un 
sou  de  chandelles  de  résine.  Dans  chaque  trou  du 
crible,  il  planta  un  marquel  (i)  avec  un  morceau 
de  chandelle  allumée,  et  marcha  au-devant  du 
Loup,  en  portant  le  crible  devant  lui. 

Il  faisait  déjà  nuit  noire.  En  voyant  toutes  les 
lumières,  le  loup  eut  peur,  et  s'en  retourna. 

La  Poulette  et  la  Petite  Oie  avaient  fini  leurs 
affaires.  Elles  revinrent  à  l'étable  du  Chat. 

Mais  lui  n'avait  pas  encore  ce  qu'il  lui  fallait. 
Avant  de  rentrer  chez  lui,  il  acheta  un  plein  sac 
de  lames  de  couteau,  de  pointes  de  fer,  et  de  culs 
de  bouteilles.  Cela  fait,  il  alla  rejoindre  la  Pou- 
lette et  la  Petite  Oie. 

A  minuit,  le  Loup  revint  frapper  à  la  porte  de 
l'étable. 

(i)  Les  Gascons  appellent  marqtiet  un  morceau  de  bois  fendu, 
qu'on  plante  dans  un  trou  de  la  cheminée  pour  soutenir  la 
chandelle  de  résine  placée  dans  la  fente. 


l8o  COKTES     FAMILIERS 


—  «  Pan  !  pan  ! 

—  Qui  est  là  ? 

-  —  Ami.  Vite,  ouvre-moi  la  porte,  Chat.  » 
Mais  le  Chat  avait  reconnu  le  Loup  à  la  voix. 

—  «  Non,  Loup.  Je  ne  t'ouvrirai  pas  la  porte. 
Tu  me  mangerais. 

—  Chat,  tu  es  un  rien-qui-vaille.  Hier,  tu 
m'avais  promis  que  nous  irions  tous  quatre  à  la 
foire  de  Fleurance,  moi,  toi,  la  Poulette,  et  la  Pe- 
tite Oie.  Vous  ne  m'avez  pas  attendu. 

—  Loup,  nous  étions  pressés.  Mais  nous 
sommes  allés  à  la  foire,  et  nous  ne  t'y  avons  pas 
vu. 

—  Chat,  j'ai  rencontré  sur  mon  chemin  un 
grand  feu  marchant.  Alors,  j'ai  eu  peur,  et  je 
m'en  suis  retourné.  » 

Sans  être  vu  du  Loup,  le  Chat  crevait  de  rire. 

—  «  Écoute,  Chat.  Ouvre-moi  la  porte.  Nous 
vivrons  en  bons  amis,  moi,  toi,  la  Poulette,  et  la 
Petite  Oie.  Je  vous  fournirai  des  choux  pour  faire 
la  soupe,  des  poules  pour  mettre  à  la  broche. 
Demain,  nous  irons  tous  quatre  ensemble  à  la 
foire  de  Saint-Clar  (i). 

—  Oui,  Loup.  Nous  irons  tous  quatre  en- 
semble. Mais,  cette  nuit,  je  n'ouvre  pas  ma  porte. 
Reviens  nous  chercher  au  lever  du  soleil.  » 

(i)  Chef-lieu  de  canton  (Gers). 


LE     LOUP  l8l 


Le  Loup  partit  donc,  et  revint  au  lever  du  so- 
leil. Mais  le  Chat,  la  Poulette,  et  la  Petite  Oie, 
s'étaient  cachés  hors  de  l'étable,  et  guettaient. 

—  «  Pan  !  pan  !  » 
Personne  ne  répondit. 

—  «  Canailles  !  Ils  sont  partis  sans  moi  pour  la 
foire  de  Saint-Clar.  Patience!  Je  reviendrai  cette 
nuit.  « 

Le  Loup  n'avait  pas  tourné  les  talons,  que  le 
Chat,  la  Poulette,  et  la  Petite  Oie,  travaillaient  à 
garnir  la  porte  de  l'étable  des  lames  de  couteau, 
des  pointes  de  fer,  et  des  culs  de  bouteilles,  ache- 
tés à  la  foire  de  Fleurance. 

A  minuit,  le  Loup  revint. 

—  «  Pan  !  pan  ! 

—  Qui  est  là? 

—  Ami.  Vite,  ouvre-moi  la  porte,  Chat.  » 
Mais  le  Chat  avait  reconnu  le  Loup  à  la  voix. 

—  «  Non,  Loup.  Je  ne  t'ouvrirai  pas  la  porte. 
Tu  me  mangerais. 

—  Chat,  tu  es  un  rien-qui- vaille.  Hier,  tu  m'a- 
vais promis  que  nous  irions  tous  quatre  ensemble 
à  la  foire  de  Saint-Clar,  moi,  toi,  la  Poulette,  et 
la  Petite  Oie.  Vous  ne  m'avez  pas  attendu. 

—  Loup,  nous  étions  pressés. 

—  Chat,  ouvre-moi  vite  la  porte.  Tu  ne  veux 
pas?  Une,  deux,  trois.  » 

Alors,  le  Loup  s'élança  contre  la  porte,  pour  la 


CONTES    FAMILIERS 


briser,  d'un  grand  coup  de  cul.  Mais  il  retomba 
tout  en  sang,  blessé  par  les  lames  de  couteau,  les 
pointes  de  fer,  et  les  culs  de  bouteilles. 

—  «  Aie  !   aie  !    aie  !   Au  secours  !  Aie  1    aie  ! 
aie  !  « 

Sur  le  toit  de  l'étable,  le  Chat,  la  Poulette,  et 
la  Petite  Oie,  s'esclaffaient  de  rire. 

—  «  Aie  !   aie  !   aie  !  Au  secours  !  Aie  !   aie  ! 
aie  ! 

—  Qu'as-tu,  pauvre  Loup?  Qu'as-tu? 

—  Au  secours  !  mes  amis.  Au  secours  !  » 
Et  la  maie  bête  creva  (i). 


(i)  Dicté  par  Françoise  Lalanne.  Mou  ami  Faugère-Dubourg, 
de  Kérac  (Lot-et-Garonne),  a  recueilli  pour  moi,  dans  son  pays, 
une  leçon  identique,  pour  le  fond,  à  celle  de  Françoise  Lalanne. 


VIII 
LA    PETITE    OIE 


)L  y  avait,  une  fois,  une  petite  oie,  qui  se 
bâtit  un  beau  château  avec  des  crottelles  et 
des  bûchettes. 
Le  beau  château  fini,  le  Loup  vint  frapper  à  la 
porte. 

- —  «  Pan  !  pan  ! 

—  Q.ui  est  là  ? 

—  Ami.  Ouvre,  Petite  Oie.  » 

Mais  la  Petite  Oie  avait  reconnu  le  Loup  à  la 
voix. 

—  «  Loup,  je  n'ouvre  pas.  Tu  me  mangerais. 

—  Petite  Oie,  je  ne  te  mangerai  pas.  Ouvre,  ou 
j'enfonce  la  porte. 

—  Loup,  la  porte  est  solide.   Je  ne  l'ouvrirai 
que  si  tu  m'enseignes  où  je  ferai  bonne  chère. 

—  Petite  Oie,  suis-moi  là-bas,  là-bas,  jusqu'à 


l84  CONTES     FAMILIERS 

ce  ruisseau.  Je  te  montrerai  un  poirier,  chargé  de 
belles  poires  mûres.  » 

Mais  la  Petite  Oie  n'ouvrit  pas  la  porte.  Du 
toit  de  son  beau  château,  elle  s'envola  sur  le 
poirier,  et  se  rassasia  de  belles  poires  mûres. 

Tout  en  bas,  le  Loup  faisait  le  câlin. 

—  «  Descends,  Petite  Oie,  descends. 

—  Tout  à  l'heure,  Loup.  Tout  à  l'heure.  En 
attendant,  régale-toi  de  ces  belles  poires  mûres.  » 

En  effet,  la  Petite  Oie  jeta  quelques  poires  dans 
le  ruisseau.  Le  Loup  voulut  aller  les  prendre  ; 
mais  il  pensa  se  noyer. 

La  Petite  Oie,  rassasiée,  s'envola  dans  son  châ- 
teau. 

Quelques  jours  après,  le  Loup  revint  frapper  à 
la  porte, 

—  «  Pan  !  pan  1 

—  Qui  est  là  ? 

—  Ami.  Ouvre,  Petite  Oie.  » 

Mais  la  Petite  Oie  avait  reconnule  Loup  à  la  voix. 

—  «  Loup,  je  n'ouvre  pas.  Tu  me  mangerais. 

—  Petite  Oie,  je  ne  te  mangerai  paSo  Ouvre,  ou 
j'enfonce  la  porte. 

—  Loup,  la  porte  est  solide.  Je  ne  l'ouvrirai 
que  si  tu  m'enseignes  où  je  ferai  bonne  chère. 

—  Petite  oie,  suis-moi  là-bas,  là-bas,  tout  près 
de  ce  bois.  Je  te  montrerai  un  pommier,  chargé 
de  belles  pommes  mûres.  » 


LE     LOUP  185 

Mais  la  Petite  Oie  n'ouvrit  pas  la  porte.  Du  toit 
de  son  beau  château,  elle  s'envola  sur  le  pom- 
mier, et  se  rassasia  de  belles  pommes  mûres. 

-Tout  en  bas,  le  Loup  faisait  le  câlin. 

—  «  Descends,  Petite  Oie,  descends. 

—  Tout  à  l'heure,  Loup.  Tout  à  l'heure.  En 
attendant,  attrape  cette  belle  pomme  mûre.  » 

,  Le  Loup  leva  la  tête.  Alors,  la  Petite  Oie  lui 
chia  dans  les  yeux,  dont  il  souft'rit  mort  et  pas- 
sion toute  une  semaine. 

Un  mois  plus  tard,  la  Petite  Oie  partit,  en  vo- 
lant, pour  la  foire,  suivie  d'un  poulet  de  ses 
amis. 

A  la  foire,  la  Petite  Oie  acheta  un  âne.  Elle 
marchanda  deux  grands  chaudrons,  un  pour  elle, 
l'autre  pour  son  ami  le  Poulet.  Mais  l'argent  lui 
manqua  pour  payer. 

Le  soir  même  de  la  foire,  tous  deux  soupaient 
à  l'auberge,  attablés  avec  un  grand  fantôme, 
qui  avait  trouvé  une  masse  d'or  rouge. 

—  «  Poulet,  dit  le  fantôme,  ne  pourrais-tu  pas 
m'indiquer  un  chaudronnier,  à  qui  je  pourrai 
vendre  cette  masse  de  cuivre? 

—  Fantôme,  je  sais  l'homme  qu'il  te  faut.  Mais 
il  est  tard.  Allons  nous  coucher.  Compte  sur  moi 
pour  te  réveiller  de  bon  matin,  et  pour  te  mener 
chez  le  chaudronnier.  » 

Tous  trois  allèrent  se   coucher.   Mais,  sur  le 


l86  CONTES     FAMILIERS 


conseil  de  la  Petite  Oie,  le  Poulet  se  garda  bien 
de  réveiller  le  fantôme.  Tandis  que  celui-ci  ron- 
flait encore,  la  Petite  Oie  et  son  ami  le  Poulet, 
chargeaient  la  masse  d'or  rouge  sur  leur  âne, 
et  partaient  pour  la  boutique  du  chaudronnier. 

—  «  Bonjour,  chaudronnier.  Combien  veux-tu 
nous  donner  de  grands  chaudrons,  pour  cette 
masse  d'or  rouge? 

—  Mes  amis,  je  vous  en  donne  trois. 

—  Chaudronnier,  nous  n'en  voulons  que 
deux.  » 

La  Petite  Oie  et  son  ami  le  Poulet  chargèrent 
donc  les  deux  chaudrons  sur  leur  âne,  l'un  à 
droite,  l'autre  à  gauche,  et  partirent  au  galop. 

Le  soir  même,  ils  étaient  rentrés  au  château. 

—  «  Poulet,  mon  ami,  étrennons  nos  deux 
grands  chaudrons.  Faisons  des  armotes  (i).  » 

Tandis  que  les  armotes  cuisaient,  le  Loup  re- 
vint frapper  à  la  porte. 

—  «  Pan  !  pan  ! 

—  Qiii  est  là? 

—  Ami.  Ouvre,  Petite  Oie.  » 

Mais  la  Petite  Oie  avait  reconnu  le  Loup  à  la 
voix.  Pourtant,  elle  ouvrit  la  porte,  sans  peur  ni 
crainte. 


(i)  Bouillie  de  maïs,  dont  nos  paysans  gascons  se  nourrissent 
volontiers  durant  l'hiver. 


LE     LOUP  187 

—  Entre,  Loup.  Veux-tu  manger  des  annotes? 
En  voici  deux  grands  chaudrons.  Mange.  Elles 
sont  refroidies  à  point.  » 

Sans  se  méfier  de  rien,  le  Loup  sauta  dans  l'un 
des  grands  chaudrons  pleins  d'armotes  bouillantes. 

—  «  Aie  !  aie  !  aie  !  » 

Que  firent  alors  la  Petite  Oie  et  son  ami  le 
Poulet?  Ils  renversèrent  l'autre  grand  chaudron 
sur  celui  où  avait  sauté  le  Loup,  et  partirent, 
laissant  ainsi  la  maie  bête  cuire  à  l'étoufiee. 

A  minuit,  il  pleuvait  à  déluge.  La  Petite  Oie 
et  son  ami  le  Poulet  ne  savaient  oia  s'abriter.  Ils 
frappèrent  à  la  porte  de  Porc  Pingou  (i). 

—  «  Pan  !  pan  ! 

—  Qui  est  là? 

—  Ami.  Ouvre,  Porc  Pingou. 

—  Passez  votre  chemin.  Je  n'ouvre  pas. 

—  Écoute,  Porc  Pingou,  gare  à  ta  porte. 

Tant  je  tournerai  (2), 
Tant  je  tournoierai, 
Je  foutrai  un  coup  de  cul,  et  je  te  l'abattrai. 

—  Passez  votre  chemin.  Je  n'ouvre  pas. 

(i)  Je  n'ai  pu  recueillir  aucun  renseignement  sur  ce  Porc 
Pingou. 

(2)  Cela  rime  en  gascon  : 

Tant  tourne jerèij 
Tavt  biroulcrci, 
Touterèi  un  cop  de  cul,  c  te  Vamourrerèi. 


l88  CONTES     FAMILIERS 

—  Ouvre,  Porc  Pingou,  ou  gare  à  ta  porte. 

Tant  je  tournerai, 
Tant  je  tournoierai, 
Je  foutrai  un  coup  de  cul,  et  je  te  l'abattrai. 

—  Passez  votre  chemin.  Je  n'ouvre  pas.  » 
Alors,  la  Petite  Oie  donna  un  grand  coup  de 

cul  contre  la  porte. 

Mais  la  porte  était  solide,  et  garnie  en  dehors 
de  longues  pointes  de  fer.  Aussi,  la  Petite  Oie 
perdit-elle  toute  envie  de  recommencer. 

—  «  Ami  Poulet,  retournons  à  mon  château. 
Maintenant,  le  Loup  doit  être  tout  à  fait  cuit  à 
l'étouffée  (i).  » 


(i)    Dicté   par    Aniiî   Dumas,    du    Passage-d'Agen   (Lot-et- 
Garonne)  . 


*è;Sâ^®  S^SS^g  %± 


IX 

LE   LOUP    ET    L'EKFAXT 


}L  y  avait,  une  fois,  un  homme  et  une 
femme,  qui  n'avaient  qu'un  enfant  de  cinq 
ans.  Un  jour,  cet  enfant  dit  à  sa  mère  : 

—  «  Mère,  laissez-moi  aller  tout  seulet  chez 
ma  tante. 

—  Non,  mon  ami.  Tu  es  encore  trop  petit, 
pour  y  aller  tout  seulet.  Il  faut  traverser  un  grand 
bois,  et  le  Loup  te  mangerait.  » 

Alors,  l'enfant  se  mit  à  pleurer. 

—  «  Mère,  je  vous  dis  que  je  veux  y  aller.  Je 
connais  tous  les  chemins  du  grand  bois,  et  le 
Loup  ne  me  mangera  pas. 

—  Eh  bien!  mon  ami,  puisque  tu  le  veux, 
pars,  et  que  le  Bon  Dieu  te  garde  de  tout  mal.  » 

L'enfant  partit  donc  tout  seulet.  Arrivé  au  mi- 
lieu du  grand  bois,  il  trouva  le  Loup,  qui  s'était 
vêtu  en  curé,  et  qui  faisait  semblant  de  lire  son 
bréviaire. 


190  CONTES     FAMILIERS 

—  «  Bonjour,  monsieur  le  Curé. 

—  Bonjour,  mon  ami.  Où  vas-tu  ainsi? 

—  Monsieur  le  Curé,  je  vais  voir  ma  tante. 

—  Et  oij  demeure  ta  tante,  mon  ami? 

—  Monsieur  le  Curé,  elle  demeure  là-bas,  li- 
bas,  dans  une  petite  métairie,  qu'on  trouve  après 
avoir  passé  le  grand  bois. 

—  Oh!  la  brave  femme.  Je  la  connais  bien. 
C'est  une  de  mes  paroissiennes.  Deux  fois  par  an, 
elle  m'apporte  en  présent  une  paire  de  chapons 
gras.  Souhaite-lui  bien  le  bonjour  de  ma  part. 

—  Je  n'y  manquerai  pas,  monsieur  le  Curé.  » 
L'enfant  suivit  son  chemin,  et  le  Loup  se  remit 

à  faire  semblant  de  lire  son  bréviaire. 

—  a  Bon!  pensa-t-il.  Je  vais  manger  la  tante 
et  le  neveu.  » 

Aussitôt,  il  jeta  ses  habits  de  curé,  et  partit 
au  grand  galop  pour  la  petite  métairie. 

—  «  Pan  !  pan  ! 

—  Qui  frappe? 

■  —  C'est  votre  neveu,  ma  tante. 

—  Tire  la  cordelette,  et  le  loquet  se  lèvera.  » 
Le  Loup  tira  donc  la  cordelette,  sauta  sur  la 

pauvre  vieille,  et  la  dévora,  sans  en  rien  réserver 
qu'un  verre  de  sang.  Cela  fait,  il  prit  la  coiffe 
de  la  morte,  et  se  mit  au  lit.  A  peine  était-il  cou- 
ché, que  l'enfant  frappait  à  la  porte. 

—  (c  Pan  !  pan  ! 


LE    LOUP  igi 

—  Qui  frappe? 

—  C'est  votre  neveu,  ma  tante. 

—  Tire  la  cordelette,  et  le  loquet  se  lèvera.  » 
L'enfant  entra  dans  la  chambre. 

—  «  Bonjour,  ma  tante. 

—  Bonjour,  mon  ami.  Tu  dois  être  las.  Bois 
ce  verre  de  vin  qui  est  sur  la  table.  C'est  du  vin 
nouveau.  Je  l'ai  tiré  tout  à  l'heure.  Maintenant, 
viens  te  mettre  au  lit  avec  moi.  » 

L'enfant  se  déshabilla  donc,  et  se  mit  au  lit. 

—  «  Ah!  mon  Dieu!  Que  vos  jambes  sont  ve- 
lues, ma  tante  ! 

—  La  vieillesse,  mon  ami . 

—  Ah  !  mon  Dieu  !  Que  vos  yeux  brillent,  ma 
tante  ! 

—  C'est  pour  mieux  te  voir,  mon  ami. 

—  Ah  !  mon  Dieu  !  Que  vous  avez  de  grandes 
dents,  ma  tante  ! 

—  C'est  pour  mieux  te  briser,  mon  ami .  » 
Alors,  le  Loup  étrangla  l'enfant,  et  le    man- 
gea (i). 

(i)  Ce  conte  est  fort  répandu  en  Gascogne  et  en  .\geuais.  La 
présente  leçon  m'a  été  fournie  par  Louis  Lacoste,  du  Pergaiu- 
Taillac  (Gers). 


IV 
LE    RENARD 


m 


LE    RENARD 


I 

LE    RENARD   ET    LE  LOUP 


iN  jour,  le  Renard  et  le  Loup  voyageaient 
de  compagnie.  Sur  leur  chemin,  ils  trou- 
vèrent un  pot  de  miel. 

—  (c  Bonne  affaire,  Loup,  dit  le  Renard.  Si  tu 
veux  me  croire,  nous  enterrerons  ici  ce  pot  de 
miel,  et  nous  le  partagerons  en  revenant. 

—  Renard,  je  le  veux  bien.  » 

Le  Renard  et  le  Loup  enterrèrent  donc  le  pot  ce 
miel,  et  repartirent.  Cinq  cents  pas  plus  loin, 
le  Renard  s'arrêta  court. 

—  «  Jésus,  mon  Dieu  !  Oublieux  que  je  suis  ! 
Je  ne    songeais  plus  qu'on    m'attend,  pour  un 


196  CONTES     FAMILIERS 

baptême.  C'est  pourtant  moi  qui  suis  parrain. 
Loup,  marche  devant.  Je  ne  tarderai  guère  à  te 
rejoindre.  » 

Tandis  que  le  Loup  marchait  devant,  le  Renard 
courut  entamer  le  pot  de  miel.  Cinq  minutes 
plus  tard,  il  avait  rejoint  le  Loup. 

—  K  Renard,  voilà  un  baptême  bientôt  fait. 

—  C'est  vrai,  Loup. 

—  Dis-moi,  Renard,  quel  nom  as-tu  donné  à 
ton  lîlleul? 

—  Loup,  je  lui  ai  donné 
Le  nom  d'Entamé  (i).  » 

Cinq  cents  pas  plus  loin,  le  Renard  s'arrêta 
court. 

—  a  Jésus,  mon  Dieu  !  Oublieux  que  je  suis!  Je 
ne  songeais  plus  qu'on  m'attend,  pour  un  autre 
baptême.  C'est  pourtant  moi  qui  suis  le  parrain. 
Loup,  marche  devant.  Je  ne  tarderai  guère  à  te 
rejoindre.  « 

Tandis  que  le  Loup  marchait  devant,  le  Renard 
courut  manger  à  moitié  le  pot  de  miel.  Cinq  mi- 
nutes plus  tard,  il  avait  rejoint  le  Loup. 

—  «  Renard,   voilà   un  autre  baptême  bientôt 
ait. 


(l)    E;l    gilSCOll 


Loup,  Vèi  baillât 
Lou  y.cm  d'Evtaumat. 


LE     REXARD  I97 

—  C'est  vrai,  Loup. 

—  Dis-moi,  Renard,  quel  nom  as-tu  donne  à 
ton  filleul. 

—  Loup,  je  lui  ai  donné 

Le  nom  d'A-moitié  (i).  » 

Cinq  cents  pas  plus  loin,  le  Renard  s'arrêta 
court. 

—  «  Jésus,  mon  Dieu  !  oublieux  que  je  suis  ! 
Je  ne  songeais  plus  qu'on  m'attend  encore,  pour 
un  autre  baptême.  C'est  pourtant  moi  qui  suis  le 
parrain.  Loup,  marche  devant.  Je  ne  tarderai 
guère  à  te  rejoindre.  » 

Tandis  que  le  Loup  marchait  devant,  le  Renard 
courut  achever  le  pot  de  miel.  Cinq  minutes  plus 
tard,  il  avait  rejoint  le  Loup, 

—  «  Renard,  voilà  un  autre  baptême  bien'.ôt 
fait. 

—  C'est  vrai,  Loup. 

—  Dis-moi,  Renard,  quel  nom  as-îu  donné  à 
ton  filleul  ? 

—  Loup,  je  lui  ai  donné 
Le  nom  d'Achevé  (2). 

(i)  En  gascon  : 

—  .  Loup,  l'èi  baillât 

Lou  nom  i'A-mitat.  • 
(;)  En  gascon  : 

—  «  Loup,  VU  baillai 

Lou  nom  d'Acabat.  • 


CONTES     FAMILIERS 


Adieu,  Loup.  J'ai  des  affaires  ailleurs.  Quand 
tu  t'en  retourneras,  ne  manque  pas  au  moins 
de  déterrer  le  pot  de  miel,  et  de  m'en  garder  ma 
part  (i).  » 

(i)  Dicté  par  Pauline  Lacaze,  de  Panassac  (Gers).  M.  Lacroix, 
receveur  de  l'enregistrement  à  Agen,  a  recueilli  un  conte  iden- 
tique pour  le  fond  à  Boé  (Lot-et-Garonne). 


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II 

LE   RENARD    ET    LE   COQ. 


IN  jour,  les  gens  d'un  village  criaient  : 
—  «  Le  Renard  emporte  le  coq  de  Jean 
de  Lartigue.  » 

—  «  Renard,  dit  le  Coq,  réponds-leur  :  «  Ca- 
«  nailles,  qu'est-ce  que  cela  vous  fout  ?  » 

—  Canailles,  qu'est-ce  que  cela  vous  fout?  » 
Tandis  que  la  maie  bête  ouvrait  la  bouche,  le 

Coq  s'envola  chez  Jean  de  Lartigue. 

—  «  Ah  !  dit  le  Renard,  tout  confus  d'un  pareil 
affront,  j'aimerais  mieux  avoir  perdu  la  queue.  » 

Juste  en  ce  moment,  un  homme  du  village 
lança  un  grand  coup  de  volant  au  Renard,  et  lui 
coupa  la  queue  ras  du  cul. 

—  «  Quel  est  donc  ce  pays?  criait  le  Renard, 
en  décampant.  Il  n'y  a  pas  moyen  d'y  parler  pour 
rire  (i).  » 

(i)  Dicté  par  Pauline  Lacaze,  de  Picassac  (Gers). 


^ 


III 

LA    CHÈVRE   ET    LE   RENARD 


1 A  Chèvre  et  le  Renard  s'étaient  associes 
pour  travailler  une  métairie.  Quand  le  blé 
fut  moissonné,  battu,  et  vanné,  le  Renard 

lit  deux  tas  séparés,  le  blé  à  droite,  la  paille  à 

gauche,  et  dit  à  la  Chèvre  : 

—  «  Chèvre,  partageons.  Je  prends  le  blé  ; 
prends  la  paille. 

—  Renard,  cela  n'est  pas  juste.  Partageons  par 
la  moitié  le  blé  et  la  paille. 

—  Le  blé,  Chèvre,  tu  n'en  auras  pas  un  grain. 

—  Renard,  ceci  n'est  pas  juste.  Choisis  de 
deux  choses  l'une.  Moi,  je  vais  chercher  mon 
juge.  Fais  venir  le  tien,  et  ils  diront  droit  sur 
notre  procès.  Sinon,  amène  tes  compagnons. 
Moi,  j'amènerai  les  miens.  Nous  ferons  bataille. 

—  Bataille,  soit.  » 

La  Chèvre   partit   aussitôt  pour  Lcctoure,    et 


LE     REXARD  201 

trouva  trois  gros  chiens  de  boucher  assis  devant 
la  halle. 

—  «  Chiens  de  boucher,  si  vous  faites  bataille 
pour  moi  contre  le  Renard,  je  vous  ferai  téter 
tant  que  vous  voudrez. 

—  Chèvre,  c'est  convenu.  » 

Les  trois  chiens  de  boucher  tétèrent  la  chèvre 
tant  qu'ils  voulurent,  et  la  suivirent  à  la  métairie. 

—  «  Chiens  de  boucher,  enfermez-vous  dans 
cette  cabane,  entre  la  paille  et  le  blé,  et  ne  sortez 
qu'au  bon  moment.  » 

Pendant  ce  temps-là,  le  Renard  s'en  était  allé 
trouver  le  Loup,  au  bois  du  Gajan. 

—  «  Loup,  si  tu  fais  bataille  pour  moi,  contre 
la  chèvre  et  ses  compagnons,  tu  me  rendras  un 
grand  service.  » 

Le  Loup  suivit  le  Renard  sans  rien  dire. 
Arrivé  devant  la  cabane,  entre  la  paille  et  le 
blé,  le  Renard  commença  ses  explications. 

—  «  Regarde,  Loup,  disait-il.  Regarde  si  la 
paille  que  je  donne  toute  à  la  Chèvre  ne  vaut  pas, 
et  même  plus,  le  blé  que  je  garde  tout  pour 
moi.  )) 

Le  Loup  regardait  toujours,  sans  parler.  Il  ne 
voyait  pas  les  trois  chiens  de  boucher,  cachés  dans 
la  cabane.  Mais  il  les  entendait  bâiller  de  chaud, 
et  grincer  des  dents,  quand  les  mouches  leur  pi- 
quaient les  lèvres. 


CONTES     FAMILIERS 


—  «  Renard,  dit  enfin  le  Loup, 

Ni  pour  ton  blé,  ni  pour  ta  paille, 
Je  ne  me  mets  en  bataille  (i).  » 

Et  il  partit  au  galop. 

—  «  Hardi  !  mes  chiens,  cria  la  Chèvre.  » 
Les  trois  chiens  de  boucher  sautèrent  sur  le 

Renard  et  l'étranglèrent,  de  sorte  que  la  Chèvre 
se  trouva  maîtresse  du  blé  et  de  la  paille  (2). 


(i)  En  gascon  : 

Ni  per  toun  hlat,  ni  per  la  pailJo, 
Kon  me  bouti  pas  en  haiaillo, 

(2)  Dicte  p.ir  Marie  Dupin,  veuve  Lagarde,  de  Gimbrède  (Gers). 


't'^&^'t^^^^&j.'t'^^e^'t 


IV 
LE   RENARD    ET   LA   PIE 


IX  jour,  le  Renard  tomba  sur  la  Pie,  qui 
'      n'était  pas  sur  ses  gardes, 

—  «  Renard,  dit  la  Pie,  vois  comme  je 
suis  dure  et  maigre.  Certes,  je  ferais  un  triste 
régal.  Laisse-moi  vivre,  et  je  te  conduis  aussitôt 
dans  une  métairie,  où  tu  ne  manqueras  pas  de 
poules  tendres  et  grasses.  » 

Le  Renard  laissa  donc  vivre  la  Pie,  qui  le  mena 
dans  une  métairie.  Là,  il  se  bourra  de  poules 
tendres  et  grasses,  au  point  de  se  mettre  hors 
d'état  de  marcher. 

Alors,  la  Pie  s'en  alla  trouver  le  chien  de  la 
métairie. 

—  «  Chien,  suis-moi.  Tu  ne  t'en  repentiras  pas.  )> 

Le  chien  suivit  la  Pie,  et  étrangla  le  Renard  (i). 

(i)  Dicté  par  M.  i'abbc  Sant,  de  Sarraa;  (Gers). 


©s©@©@©®©s©s®a 


V 

LA    MERLESSE    ET    LE    RENARD 


r^r*®^  y  avait,  une  fois,  dans  le  vallon  do 
tW  Cruzos  (i),  une  Merlesse  (2)  qui  avait 
'  bâti  son  nid  au  bord  d'un  ruisseau,  dans  le 
plus  fourré  d'un  hallier.  Là,  grandissaient  quatre 
merluchons,  sains  et  gaillards.  Nuit  et  jour,  1.; 
Merlesse  pensait  : 

—  «  Encore  quelques  jours,  et  mes  merluchons 
auront  déniché.  « 

Par  malheur,  le  Renard  vint  à  passer. 

—  «  Bonjour,  Renard. 

—  Bonjour,  Merlesse.  On  m'a  dit  que  tu  avais 
quatre  merluchons  beaux  comme  le  jour.  Je  serais 
curieux  de  les  voir.  Montre-les-moi. 


(i)  Métairie  de  la  commune  de  Lectourc  (Gers). 

(2)  La  femelle  du  merle.  Pour  la  rapidité  de  ma  traducti;)r., 
j'ai  forgé  ce  mot  d'après  le  terme  gascon  (merlesso).  Il  en  est  de 
même  pour  «  merluchon  »  ou  petit  merle  (mtrlalouti). 


\ 


LE     RENARD  20) 

—  Non,  Renard.  Tu  les  mangerais. 

—  Merlesse,  montre-les-moi.  Par  mon  âme,  je 
ne  les  mangerai  pas. 

—  Renard,  tu  n'as  pas  bonne  réputation.  Je 
ne  te  crois  pas;  et  pourtant,  lu  as  juré  par  ton 
âme. 

—  C'est  vrai,  Merlesse,  j'ai  mené  longtemps 
mauvaise  vie.  Mais  hier,  je  me  suis  confessé  à  un 
moine  de  Bouillas  (i).  Maintenant,  je  suis  con- 
verti. Pour  ma  pénitence,  il  m'est  défendu  de 
manger  de  la  viande  pendant  un  an.  Tu  vois  bien, 
Merlesse,  que  tu  peux  me  montrer  tes  merlu- 
chons.  » 

Le  Renard  parla  tant  et  si  bien  de  sa  conver- 
sion, que  la  Merlesse  finit  par  y  croire. 

—  «  Eh  bien,  Renard,  voici  mes  quatre  mer- 
luchons.  Regarde,  comme  ils  sont  sains  et  gail- 
lards. 

—  Merlesse ,  tu  te  moques  de  moi ,  de  me 
montrer  ainsi  quatre  tanches  au  lieu  de  quatre 
merluchons. 

—  Renard,  ce  sont  bien  des  merluchons. 

—  Non,  Merlesse,  ce  sont  des  tanches.  La 
preuve,  c'est  que  je  vais  les  manger  comme 
telles.  » 


(i)  Autrefois  abbaye  de  Bernardins,  dans  la  forêt  du  Ramier, 
co:3mune  de  Pauillac,(Gers). 


206  COUTES     FAMILIERS 

Tandis  que  le  Renard  mangeait  les  quatre  mer- 
luchons,  la  Merlesse  chantait  à  la  cime  d'un 
frêne  : 

—  «  Mange,  Renard.  Mange,  mon  ami.  Tanches 
ou  merluchons,  je  souhaite  que  ce  repas  te  pro- 
fite. Mange,  Renard.  Mange,  mon  ami.   » 

Voilà  ce  que  la  Merlesse  chantait.  Mais  on  ne 
chante  pas  toujours  comme  on  pense. 
La  Merlesse  pensait  : 

—  «  Pauvres,  pauvres  petits  merluchons  !  Gueux 
de  Renard  !  Je  ne  suis  pas  née  pour  faire  bataille 
contre  toi.  Mais,  patience.  Je  saurai  bien  trouver 
ton  maître.  » 

Le  Renard  parti,  la  Merlesse  prit  sa  volée  jus- 
qu'au pâtus  communal  de  Marsolan  (i).  Là,  dor- 
mait, à  l'ombre  d'un  pailler,  un  grand  chien  fort, 
leste,  et  hardi  comme  pas  un.  La  Merlesse  se 
posa  près  de  lui,  sans  peur  ni  crainte. 

—  «  Compère  Riouet  !  Compère  Riouet  (2)  ! 

—  Merlesse,  tu  m'ennuies.  Je  veux  dormir. 

—  Compère  Riouet,  écoute,  écoute,  par  pitié. 

—  Merlesse,  je  te  dis  que  tu  m'ennuies.  Tu 
parleras  quand  j'aurai  dormi.  En  attendant,  chasse 
les  mouches.  » 


(i)  Commune  du  canton  de  Lectoure  (Gers). 
(2)  Le   nom  de   compère   Riouet  {cmnipai   Eiiicl),    applique 
au  chien,   revient  assez  souvent  dans   les   contes   populaires  de 
a  Gascogne. 


LE     RENARD  207 

Le  chien  s'endormit,  et  la  Merlesse  chassa  les 
mouches  jusqu'à  son  réveil. 

—  «  Compère  Riouet,  venge-moi.  Le  Renard 
m'a  mangé  mes  quatre  merluchons. 

—  Merlesse,  ça  m'est  égal. 

—  Compère  Riouet,  venge-moi.  Quoi  que  tu 
demandes,  je  te  promets  de  te  donner  contente- 
ment. 

—  Merlesse,  je  veux  d'abord  manger  tout  mou 
soûl. 

—  Compère  Riouet,  suis-moi.  » 

Tous  deux  prirent  par  la  route  de  Marsolan 
ù  Lectoure,  où  il  y  avait  grande  foire  ce  jour- 
là.  Deux  marchandes  cheminaient,  portant  cha- 
cune sur  sa  tête  une  grande  corbeille  recouverte 
d'une  belle  serviette  blanche.  De  ces  corbeilles 
s'échappait  une  bonne  odeur  de  tortillons  (i) 
chauds. 

—  «  Compère  Riouet,  que  dis-tu  de  ces  deux 
corbeilles  de  tortillons  ? 

—  Merlesse,  je  dis  que  j'aimerais  autant  les 
bifrer,  que  de  les  voir  filer  pour  la  foire  de  Lec- 
toure. 

—  Compère  Riouet,  attention.  » 

Alors,  la  Merlesse  se  mit  à  voler,  en  retombant 


(i)  Pâtisserie  locale,  faite  en  fcnn;  de  tortil.  Les  tortillons 
d3  Marsolan,  sont  reaommû  à  cinq  licaes  à  la  ronde. 


2C8  CONTES     FAMILIERS 


tous  les  dix  pas,  comme  font  les  oiseaux  qui  ont 
du  plomb  dans  l'aile.  Pour  mieux  courir  après 
elle,  les  deux  marchandes  posèrent  sur  le  chemin 
leurs  corbeilles  de  tortillons,  que  le  chien  bâfra 
vite,  vite,  jusqu'à  la  dernière  miette. 

—  «  Eh  'bien,  compère  Riouet,  es-tu  con- 
tent ? 

—  Non,  Merlesse.  Je  veux  maintenant  boire 
tout  mon  soûl.  » 

En  ce  moment,  passait  sur  la  route  un  bouvier, 
conduisant  une  charrette  chargée  d'une  barrique 
de  bon  vin  blanc. 

—  «  Compère  Riouet,  attention.  » 

Alors,  la  Merlesse  se  remit  à  voler,  en  retom- 
bant tous  les  dix  pas,  comme  font  les  oiseaux  qui 
ont  du  plomb  dans  l'aile.  Ainsi  volant,  elle  s'alla 
percher  sur  le  fosset  de  la  barrique  de  bon  vin 
blanc. 

Aussitôt,  le  bouvier  lui  lança  un  coup  d'aiguil- 
lon, et  courut  à  sa  poursuite,  sans  prendre  garde 
que,  par  le  fosset  brisé  du  coup  d'aiguillon,  sa 
barrique  se  vidait.  Le  chien  lampa  vite,  vite,  le 
bon  vin   blanc  jusqu'à  la  dernière  goutte. 

—  <c  Eh  bien,  compère  Riouet,  es-tu  con- 
tent ? 

—  Non,  Merlesse.  Je  veux  maintenant  rire  tout 
mon  soûl.  » 

En  ce  moment,   passaient,   leurs  bâtons  à  la 


LE     RENARD  209 

main,  le  curé  de  Marsolan  et  deux  de  ses  parois- 
siens, qui  s'en  allaient  ensemble  à  la  foire  de  Lec- 
toure. 

Alors,  la  Merlesse  alla  se  percher  sur  le  chapeau 
à  trois  cornes  du  curé. 

Aussitôt,  ses  deux  paroissiens  lui  lancèrent  cha- 
cun bon  coup  de  bâton. 

—  «  Ah  !  gueux,  criait  le  curé,  vous  m'avez  cassé 
la  tête.  Attendez,  canailles.  Attendez.  » 

Le  chien  riait  tout  son  soûl,  tandis  que  le  curé 
de  Marsolan  et  ses  deux  paroissiens  s'assommaient 
à  coups  de  bâton. 

—  «  Eh  bien,  compère  Riouet,  es-tu  content! 

—  Oui,  Merlesse.  J'ai  mangé,  j'ai  bu,  j'ai  ri 
tout  mon  soûl. 

—  Eh  bien,  compère  Riouet,  venge-moi. 

—  Merlesse,  c'est  impossible.  Le  Renard  a  trop 
peur  de  moi.  Dès  qu'il  me  sent  venir,  il  se  cache, 
au  plus  profond  de  son  terrier. 

—  Compère  Riouet,  tu  n'auras  pas  à  le  pour- 
suivre jusque-là.  Je  me  charge  de  conduire  le  Re- 
nard à  ta  portée. 

—  Toi,  Merlesse  ? 

—  Moi,  compère  Riouet.  Sais-tu  ce  que  le  Re- 
nard a  dit  de  toi? 

—  Non,  Merlesse. 

—  Eh  bien,  compère  Riouet,  le  Renard  a  dit 

m  14 


210  CONTES     FAMILIERS 


de  toi  que  tu  es  un  lâche.  II  s'est  vanté  de  t'avoir 
pissé  et  chié  dans  la  bouche. 

—  Ah!  Merlesse,  le  gueux  s'est  vanté  de  ça? 

—  Oui,  compère  Riouet.  Venge-moi  donc,  et 
venge-toi.  Ecoute.  Va  te  coucher,  le  ventre  en 
l'air,  la  bouche  ouverte,  les  jambes  raides,  sur  le 
pâtus  communal  de  Marsolan.  Fais  comme  si  tu 
étais  mort,  et  attends.  » 

Le  chien  obéit.  Alors,  la  Merlesse  prit  sa  volée, 
et  s'en  alla  trouver  le  Renard. 

—  «  Bonjour,  Renard. 

—  Bonjour,  Merlesse.  Q.uoi  de  nouveau? 

—  Renard,  sois  content.  Ton  ennemi,  com- 
père Riouet,  est  mort.  Depuis  trois  jours,  il  gît, 
le  ventre  en  l'air,  la  bouche  ouverte,  les  jambes 
raides,  sur  le  pâtus  communal  de  Marsolan.  C'est 
une  véritable  infection. 

—  Merlesse,  tu  me  fais  plaisir.  Ah  !  compère 
Riouet  est  mort.  Le  gueux  m'a  fait  passer  plus 
d'un  mauvais  quart  d'heure. 

—  Renard,  je  le  sais.  Mais  compère  Riouet  a 
fini  de  mal  foire.  A  ta  place,  j'irais  lui  pisser  et  lui 
chicr  dans  la  bouche. 

—  Merlesse,  tu  as  raison.  » 

Une  heure  après,  la  Merlesse  et  le  Renard  arri- 
vaient au  plateau  de  Marsolan.  Le  chien  attendait, 
faisant  le  mort,  couché  le  ventre  en  l'air,  la 
boucha  ouverte,  les  jambes  raides. 


LE     RENARD 


—  «  Regarde,  Renard.  T'ai-je  menti?  » 

Sans  se  méfier,  le  Renard  s'approcha,  et  leva 
la  jambe. 

—  «  Ouah  I  V) 

Le  chien  sauta  sur  le  Renard,  et  rétrangb(i). 


(i)  Dicté  par  ma  vieille  cousine,  feu  Marthe  Duvergé,  veuve 
Le  Bhnt,  morte  à  Marsolan  (Gers),  âgée  de  plus  de  soixasite-dix 
acs.  Ce  conte,  diversement  localisé  par  les  narrateurs,  est  en- 
core fort  répandu  eu  Gascogne. 


ANIMAUX    DIVERS 


ANIMAUX    DIVERS 


L'AIGLE   ET    LE   RENARD 


jour,  l'Aigle  planait  dans  le  ciel.  Le 
^I^Renard,  qui  le  regardait  d'en-bas,  lui  tira 
^^^=:^\a.  langue. 

Mais  l'Aigle  a  de  bons  yeux.  Comme  un  éclair, 
il  plongea  sur  le  Renard,  l'emporta  plus  haut 
que  les  nuages,  et  le  lâcha. 

Tout  en  tombant,  le  Renard  criait  : 
—    «    Portez    de    la    paille  !    Portez    de    la 
paille  (i)!    » 


(i)  Pour  amortir  U  chute. 
Panassac  (Gers). 


Dicté  par  Pauline  Ltcaze,  de 


LE   PARTAGE 


jN  jour,  l'Aigle  dit  à  l'Épervier  et  à  la  Pie  : 
—  «  Associons-nous,  pour  chasser  en- 
semble. 

—  Aigle,  comme  tu  voudras.  » 

Aussitôt,  l'Aigle,  l'Épervier,  et  la  Pie,  partirent 
pour  la  chasse.  Au  coucher  du  soleil,  ils  avaient 
pris  trois  cents  têtes  de  gibier  de  toute  espèce. 

—  «  Maintenant,  dit  l'Aigle,  il  s'agit  de  parta- 
ger. Pie,  fais  trois  parts  bien  égales  de  tout  ceci. 

—  Excuse-moi,  Aigle.  Fais-les  toi-même.  Sinon, 
l'Epervier  s'en  chargera. 

—  Avec  plaisir,  Pie,  dit  l'Épervier.  » 

Alors,  l'Épervier  fit  du  gibier  trois  parts  si  bien 
égales,  qu'il  ne  valait  pas  la  peine  d'être  le  pre- 
mier ou  le  second  à  choisir. 

—  «  Épervier,  dit  l'Aigle,  où  est  ma  part? 


ANIMAUX   DIVERS  217 


—  Aigle,  prends  celle  que  tu  voudras. 

—  Épervier,  tu  es  un  imbécile.  Je  vais  t'ap- 
preudre  à  partager.  » 

Alors,  l'Aigle  tua  l'Épervier  d'un  grand  coup 
de  bec.  Cela  fait,  il  dit  à  la  Pie  : 

—  «  Maintenant,  partageons  en  deux.  Pie,  fais 
deux  parts  bien  égales  de  tout  ceci. 

—  Non,  Aigle.  Partageons  en  trois.  Une  por- 
tion pour  ton  bec,  les  deux  autres  pour  tes  deux 
serres. 

—  Pie,  nul  mieux  que  toi  ne  s'entend  à  parta- 
ger. Pour  ta  peine,  voici  une  méchante  petite 
mésange,  maigre,  maigre  comme  un  clou  (i).  « 

(i)  Dicté  p.ir  Françoise  Lalanne,  de  Lectoure  (Gers). 


III 

L'AIGLE   ET    LE   ROITELET 


Wf!^"^  jour,  l'Aigle  dit  au  Roitelet  : 
'l^ik  —  "  Pauvre  petit  Roitelet,  je  suis  grand, 
^=-î^  fort  et  hardi.  Quand  il  me  plaît,  je  monte 
dans  le  ciel  plus  haut  que  les  nuages.  C'est  pour- 
quoi je  suis  le  roi  des  bêtes  volantes.  Toi,  pauvre 
petit  Roitelet,  tu  n'es  pas  plus  gros  qu'une  fève. 
Tu  t'essouffles,  sans  t'élever  de  dix  toises.  Je  te 
plains,  pauvre  petit  Roitelet. 

—  Aigle,  garde  ta  compassion  pour  d'autres 
que  moi.  Si  petit,  si  faible  que  je  sois,  je  te  parie 
de  monter  dans  le  ciel  plus  haut  que  toi.  » 

L'Aigle  se  mit  à  rire. 

—  «  Pauvre  petit  Roitelet,  parions.  Que  me 
donneras-tu  si  je  gagne? 

—  Aigle,  si  tu  gagnes,  je  te  donne  mon  corps 


ANIMAUX     DIVERS  219 

à  manger.  Si  tu  perds,  jure-moi  de  ne  jamais  mal 
faire,  ni  contre  moi,  ni  contre  les  miens. 

—  Pauvre  petit  Roitelet,  c'est  juré.  Partons.  Y 
cs-tu?  « 

Le  Roitelet  était  déjà  perché  sur  la  tête  de 
l'Aigle. 

—  «  Aigle,  j'y  suis.  Partons.  Hardi!  Ho!  » 
L'Aigle  partit  à  toute  volée,  sans  se  méfier  qu'il 

emportait  le  Roitelet  perché  sur  sa  tête.  Vingt  fois 
par  heure,  il  criait,  à  rendre  sourd  : 

—  «  Où  es-tu,  pauvre  petit  Roitelet? 

—  Aigle,  je  monte  dans  le  ciel  plus  haut  que 
toi.  » 

Longtemps,  bien  longtemps,  l'Aigle  monta 
droit,  toujours  tout  droit  dans  le  ciel.  Vingt  fois 
par  heure,  il  criait,  à  rendre  sourd  : 

—  «  Où  es-tu,  pauvre  petit  Roitelet? 

—  Aigle,  je  monte  dans  le  ciel  plus  haut  que 
toi.  » 

Enfin,  l'Aigle  se  lassa.  Une  dernière  fois,  il 
cria,  à  rendre  sourd  : 

—  «  Où  es-tu,  pauvre  petit  Roitelet? 

—  Aigle,  je  monte  dans  le  ciel  plus  haut  que 
toi.  » 

Tout  confus,  l'Aigle  redescendit,  sans  se  mé- 
fier qu'il  emportait  le  Roitelet,  toujours  perché  sur 
sa  tête. 


220  CONTES     FAMILIERS 

—  «  Aigle,  nous  sommes  à  terre.  Ai-je  monté 
dans  le  ciel  plus  haut  que  toi  ? 

—  C'est  vrai,  pauvre  petit  Roitelet.  Tu  as 
monté  dans  le  ciel  plus  haut  que  moi.  Ne  crains 
rien.  Ce  qui  est  juré  est  juré.  Jamais  je  ne  ferai 
mal  ni  contre  toi,  ni  contre  les  tiens  (i).  » 


(i)  Ce  conte,  très  populaire  eu  Gascogne,  m'a  été  dicté  par 
feu  Cadette  Saint-Avit,  de  Cazeneuve,  commune  du  Castéra- 
Leclourois  (Gers). 


'â^&z^^'^^^' 


IV 

LE  VOYAGE   DU  COa 


»j^i^^L  y  avait,  une  fois,  un  coq,  qui  trouva  une 
^^  bourse  pleine  de  louis  d'or. 
I^^y       —  «  Coucouroucou  !    Ma  fortune  est 
faite.  Allons  riboter  ;i  la  foire.  » 

Le  Coq  partit.  Au  bout  d'une  lieue,  il  trouva  un 
vol  de  mouches. 

—  «  Bonjour,  Coq.  Où  vas-tu  ? 

—  Mouches,  je  vais  riboter  à  la  foire. 

—  Coq,  tu  serais  bien  honnête  de  nous  inviter. 

—  Mouches,  je  vous  invite  avec  plaisir.  Mais 
pourrez-vous  me  suivre? 

—  Coq,  nous  te  suivrons.  » 

Le  Coq  repartit.  Les  mouches  le  suivaient,  en 
bourdonnant. 

Une  lieue  plus  loin,  les  mouches  n'en  pou- 
vaient plus. 

—  «  Coq,  nous  sommes  lasses. 


CONTES    FAMILIERS 


—  Mouches,  entrez  dans  mon  cul.  Je  vous 
porterai.  » 

Les  mouches  entrèrent  dans  le  cul  du  Coq,  et 
il  repartit. 

Une  lieue  plus  loin,  il  trouva  un  essaim  de  fre- 
lons. 

—  «  Bonjour,  Coq.  Où  vas-tu? 

—  Frelons,  je  vais  riboter  à  la  foire. 

—  Coq,  tu  serais  bien  honnête  de  nous  inviter. 

—  Frelons,  je  vous  invite  avec  plaisir.  Mais 
pourrez-vous  me  suivre? 

—  Coq,  nous  te  suivrons.  » 

Le  Coq  repartit.  Les  frelons  le  suivaient,  en 
faisant  leur  bruit. 

Une  lieue  plus  loin,  les  frelons  n'en  pouvaient 
plus. 

—  «  Coq,  nous  sommes  las. 

—  Frelons,  entrez  dans  mon  cul.  Je  vous  por- 
terai. » 

Les  frelons  entrèrent  dans  le^cul  du  Coq, 'et  il 
repartit. 

Une  lieue  plus  loin,  il  trouva  un  troupeau 
d^àncs. 

—  «  Bonjour,  Coq.  Où  vas-tu? 

—  Ane5,  je  vais  riboter  à  la  foire. 

—  Coq,  tu  serais  bien  honnête  de  nous  inviter. 

—  Ane,"^,  je  vous  invite  avec  plaisir. ;Mais  pour- 
re;-vous  me  suivre? 


ANIMAUX    DIVERS 


—  Coq,  nous  te  suivrons.  » 

Le  Coq  repartit.  Les  ânes  le  suivaient,  en 
brayant. 

Une  lieue  plus  loin,  les  ânes  n'en  pouvaient  plus. 

—  «  Coq,  nous  sommes  las. 

—  Ânes,  entrez  dans  mon  cul.  Je  vous  por- 
terai. » 

Une  lieue  plus  loin,  il  rencontra  un  troupeau 
de  boeufs. 

—  «  Bonjour,  Coq.  Où  vas-tu? 

—  Boeufs,  je  vais  riboter  à  la  foire. 

—  Coq,  tu  serais  bien  honnête  de  nous  inviter. 

—  Bœufs,  je  vous  invite  avec  plaisir.  Mais 
pourrez-vous  me  suivre? 

—  Coq,  nous  te  suivrons.  » 

Le  Coq  repartit.  Les  boeufs  le  suivaient,  en 
beuglant. 

Une  lieue  plus  loin,  les  bœufs  n'en  pouvaient 
plus. 

—  «  Coq,  nous  sommes  las. 

—  Bœufs,  entrez  dans  mon  cul.  Je  vous  por- 
terai. » 

Les  bœufs  entrèrent  dans  le  cul  du  Coq,  et  il 
repartit. 

Une  lieue  plus  loin,  il  arriva,  la  bourse  au  bec, 
dans  un  grand  château. 

—  «  Bonsoir,  Monsieur.  Bonsoir,  Madame.  Je 
crève  de  soif  et  de  fa'm,  et  je  suis  las  de  porter 


224  CONTES     FAMILIERS 


tout   ce   que  j'ai   dans    le    cul.    Donnez-moi  le 
souper  et  la  couchée,  s'il  vous  plait. 

—  Coq,  passe  ton  chemin.  Il  n'y  a  rien  ici 
pour  toi. 

—  Monsieur,  Madame,  j'ai  de  quoi  vous  payer. 
Voyez  plutôt  cette  bourse  pleine  de  louis  d'or. 

—  Ah!  gueux.  Ah!  brigand.  Cette  bourse  est 
à  nous.  Tu  viens  de  nous  la  voler. 

—  Non,  certes. 

—  Attends!  voleur.  Attends!  » 

Maîtres  et  valets  couraient  après  le  Coq,  pour 
lui  prendre  sa  bourse. 

Que  fit  alors  le  brave  animal  ?  Il  chia  tout  ce 
qu'il  avait  dans  le  cul. 

Les  mouches  faisaient  :  «  Rrr  rrr  rrr.  » 
Les  frelons  faisaient  :  «  Brr  brr  brr.  » 
Les  ânes  faisaient  :  «  Hiha  !  Hiha  !  Hiha  !  » 
Les  bœufs  faisaient  :  «  Moûû  !  Moùù  !  Moûû  !  » 
A  ce  tapage,  les  maîtres  et  les  valets,  épouvan- 
tés, détalèrent  au  grand  galop,  comme  s'ils  avaient 
eu  tous  les  Diables  d'enfer  à  leurs  trousses.  Ainsi, 
le  Coq  et  ses  amis  demeurèrent  maîtres   du  châ- 
teau, où  ils  vécurent  longtemps,  riches  et  heu- 
reux (i). 

(i)  Dicté    par    Anna    Dumis,    du    Passage-d".*.geii    (Lo'.-et- 
Gironne). 


V 

LE  COQ.  ET  SES  AMIS 


L  y  avait,  une  fois,  un  coq  qui  grappillr.it 
sur  un  fumier.  Tout  en  grappillant,   il 
trouva  une  bourse  de  cent  ccus. 
En  ce  moment,  un  homme  passait. 

—  «  Bonjour,  Coq. 

—  Bonjour,  homme. 

—  Coq,  qu'as-tu  dans  cette  bourse? 

—  Homme,  j'ai  cent  ccus. 

—  Coq,  prête-les-moi. 

—  Homme,  avec  plaisir.  Mais  auparavant,  je 
voudrais  savoir  où  tu  demeures. 

—  Coq,  je  demeure  là-bas,  là-bas,  dans  cette 
maison.  Dans  un  mois,  je  te  rapporterai  tes  cent 
L'cus.  Si  je  l'oublie,  viens  me  les  rOclaujcr 
chez  moi.  » 

L'homme  prit  les  cent  écus  et  partit;  mais  il  ne 

m  15 


220  CONTES     FAMILIERS 


rapporta   pas  la  somme  au   jour  prorais.  Alors, 
le  Coq  partit,  pour  réclamer  son  argent. 
Chemin  faisant,  il  rencontra  le  Renard. 

—  «  Bonjour,  Renard. 

—  Bonjour,  Coq.  Où  vas-tu? 

—  Renard,  je  vais  réclamer  cent  écus.  Veu.x-tu 
venir  avec  moi? 

—  Oui,  Coq. 

—  Eh  bien,  Renard,  entre  dans  mon  cul.  Je  te 
porterai.  » 

Le  Renard  entra  dans  le  cul  du  Coq,  qui  re- 
partit. 

Chemin  faisant,  il  rencontra  le  Loup. 

—  «  Bonjour,  Loup. 

—  Bonjour,  Coq.  Où  vas-tu? 

—  Loup,  je  vais  réclamer  cent  écus.  Veux-tu 
venir  avec  moi  ? 

—  Oui,  Coq. 

—  Eh  bien,  Loup,  entre  dans  mon  cul.  Je  te 
porterai.  » 

Le  Loup  entra  dans  le  cul  du  Coq,  qui  re- 
partit. 

Chemin  faisant,  il  passa  devant  une  Flaque, 
pleine  d'eau  jusqu'au  bord. 

—  «  Bonjour,  Flaque. 

—  Bonjour,  Coq.  Où  vas-tu? 

—  Flaque,  je  vais  réclamer  cent  écus.  Veux-tu 
venir  avec  moi? 


ANIMAUX     DIVERS 


—  Oui,  Coq. 

—  Eh  bien,  Flaque,  entre  dans  mon  cul.  [e 
te  porterai.  » 

La  Flaque  entra  dans  le  cul  du  Coq,  qui 
repartit. 

Enfin,  le  Coq  arriva  à  la  maison  do  l'homme, 
et  vola  tout  en  haut  de  la  cheminée. 

—  «  Coucouroucou  !  » 
L'homme  avait  du  monde  à  dîner. 

—  «  Mes  amis,  dit-il,  prenons  ce  coq  étranger, 
et  mettons-le  dans  ma  basse-cour.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait. 

Alors,  le  Coq  lâcha  le  Renard,  qui  étrangla 
toute  la  volaille. 

—  «  Mes  amis,  dit  l'homme,  mettons  ce  coq 
dans  mon  étable.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait. 

Alors,  le  Coq  lâcha  le  Loup,  qui  étrangla  tout 
le  bétail. 

—  «  Mes  amis,  dit  l'hom.me,  mettons  ce  coq 
dans  mon  four  allumé.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait. 

Alors,  le  Coq  lâcha  la  Flaque,  qui  éteignit  !j 
four  allumé. 

En  vérité,  le  Coq  avait  remède  à  tout. 

—  «  Homme,  dit-il  enfin,  si  tu  ne  veux  p.'.. 
être  : 


228  CONTES     FAMILIERS 


Par  le  Renard  tué  (i), 
Par  le  Loup  mangé, 
Par  la  Flaque  noyé, 
Rends-moi  les  cents  écus  que  je  t'ai  prêtés. 

L'homme  rendit  les  cent  écus  (2). 


(1)  i'n  gascon,  ceci  forme  quatre  vers  : 

Pou  Retiari  tuai. 
Pou  Loup  minjal 
Per  la  hlaco  negal, 
Tourno-mc  lous  cent  tscut^  qut  t'ii  prestai. 

(2)  Dicté  par  Pauline  Lacaze,  de  Panassac  (Gers). 


^(.^^.s^-m 


VI 

LE  LEVRIER   ET  LA  MERLESSE  (i) 


5l  fut  un  temps  où  les  bètes  parlaient.  En 
ce  tenaps-là,  vivait,  au  Brana  (2),  un  mé- 
tayer nommé  Bertrand.  Ce  Bertrand  avijt 
un  lévrier,  qui  dit  un  soir  à  son  maitre  : 

—r  «  Maître,  je  veux  aller  demain  à  la  foire  de 
Lamontjoie  (3). 

—  Lévrier,  n'y  va  pas.  Tu  y  attraperais  quelque 
coup  de  bâton. 

—  Maitre,  j'y  attraperai  plutôt  quelques  os,  sous 
les  tables  des  auberges. 

—  Lévrier,  fais  donc  à  ta  volonté.  » 

Le  lendemain  matin,  le  Lévrier  partit  de  bonne 


(i)  Femelle  du  merle. 

(3)  Métairie  de  la  commune  du  Pergain-Taillac  (Gers). 
(})  Commune  du   Lot-et-Garonne,  contiguë  à  celle  du  Per- 
gaiii-Tnillac. 


230  CONTES    FAMILIERS 


heure.  Près  de  Garcin  (i),  il  aperçut  un  nid  de 
merle  dans  un  buisson. 

—  «  Lévrier,  dit  la  Merlesse,  ne  mange  pas 
nies  petits. 

—  Merlesse,  j'en  ai  pourtant  bien  envie. 

—  Lévrier,  si  tu  ne  les  manges  pas,  je  t'accom- 
pagne à  la  foire  de  Laniontjoie.  Là,  je  me  charge 
de  te  faire  boire  et  manger  pour  rien,  tant  que  tu 
voudras. 

—  Merlesse,  c'est  convenu.  Partons.  » 

En  face  du  château  d'Escalup  (2),  le  Lévrier  et 
la  Merlesse  aperçurent  une  marchande  de  gâteaux 
d'Astafîort  (3),  portant  sur  sa  tête,  à  la  foire,  une 
corbeille  de  tortillons  (4).  Aussitôt,  la  Merlesse 
partit,  en  volant  bas  et  court,  comme  font  les  oi- 
seaux blessés. 

Que  fit  alors  la  marchande  ?  Elle  posa  sa  cor- 
beille, pour  courir  après  la  Merlesse.  Le  Lévrier 
profita  vite,  vite  de  l'occasion,  et  bâfra  les  tor- 
tillons jusqu'au  dernier. 

Quand  la  marchande  revint,  il  n'était  plus 
temps.  Toute  confuse,  la  pauvre  femme  ramassa 


(i)  Métairie  de  la  commune  de  Lamontjoie. 

(2)  Situé  dans  la  commune  de  Lamontjoie  (Lot-et-Garonne). 

(3)  Chef-lieu  de  canton  du   département  de   Lot-et-Garonne. 

(4)  J'ai   déjà  parlé  plus  haut  de  cette  pâtisserie  locale. 


ANIMAUX     DIVERS  251 

sa  corbeille  vide,  et  reprit  le  chemin  d'Astaftbrt. 
Mais  le  Lévrier  avait  trop  mangé  sans  boire. 

—  «  Merlesse,  dit-il,  je  crève  de  soif.  » 

En  ce  moment,  un  bouvier  arrivait  tout  proche 
des  communs  du  château  d'Empelle  (i),  condui- 
sant une  charrette  chargée  d'une  barrique  de  vin 
blanc.  Aussitôt,  la  Merlesse  s'envola  sur  le  fosset. 

Que  fit  alors  le  bouvier?  Il  lança  un  grand 
coup  d'aiguillon  à  la  Merlesse.  Mais  la  rusée 
commère  se  gara  de  tout  mal,  et  partit,  en  volant 
bas  et  court,  comme  font  les  oiseaux  blessés. 

Le  bouvier  courut  après,  sans  prendre  garde 
que  son  coup  d'aiguillon  avait  enlevé  le  fosset. 
Le  Lévrier  profita  vite,  vite  de  l'occasion,  et  avala  le 
vin  blanc  à  la  régalade,  jusqu'à  la  dernière  goutte. 

Quand  le  bouvier  revint,  il  n'était  plus  temps. 
Tout  confus,  le  pauvre  homme  repartit,  avec  sa 
barrique  vide.  Mais  le  Lévrier  était  ivre  comme 
une  soupe. 

—  «  Merlesse,  j'ai  la  bouche  sèche.  Où  trou- 
vcrai-je  à  boire  un  peu  d'eau? 

—  Lévrier,  voici  le  puits  des  communs  du  châ- 
teau d'Empelle  (2).  Je  vais  te  tenir  fort  et  ferme 
par  la  queue,  tandis  que  tu  boiras  tout  ton  soûl, 
pendu  la  tête  en  bas. 


(i)  Château  de  la  commune  de  Pergaiu-Taillac  (Gers). 
(2)  Ce  puits  a  plus  de  vingt  mètres  de  profondeur. 


CONTES     FAMILIERS 


—  Merlesse,  c'est  dit.  Quand  je  crierai  : 
«  Happe  !  »  ne  manque  pas  de  me  relever. 

—  Lévrier,  compte  sur  moi.  » 

Le  Lévrier  se  hasarda  donc  dans  le  puits,  pendu 
la  tète  en  bas.  Quand  il  eut  bu  de  l'eau  tout  son 
soûl,  il  cria  : 

—  «  Happe  (i)  1 

—  La  queue  m'échappe.  » 

Pour  répondre,  la  Merlesse  était  bien  forcée 
d'ouvrir  le  bec.  C'est  pourquoi  le  Lévrier  tomba 
dans  le  puits,  et  s'y  noya  (2). 

(i)  En  g.iscon  : 

—  Hitppo! 
—  La  cùo  m'escapo. 

(2)  Dicté  par  Emile  Rizon,  du  Pergain-Taillac  (Gers). 


VI 


RANDONNÉES,    ATTRAPES,    ETC. 


RANDONNÉES,    ATTRAPES,   ETC. 


LE   RAT    ET   LA   RATE   (i) 


jL  y  avait,  une  fois,   un  rat  et  une  rate. 
Un  jour,  le  Rat  dit  à  la  Rate  : 

—  «  Rate,  fais  de  la  bouillie  de  maïs. 
Je  m'en  vais  dehors.  Quand  la  bouillie  sera  cuite, 
tu  m'appelleras.  » 

Le  Rat  s'en  va  dehors.  Il  attend  longtemps, 
bien  longtemps.  Mais  la  Rate  ne  l'appelle  pas. 

—  «  Mon  Dieu!  Que  fait  donc  la  Rate?  La  Rate 
achève-t-elle  de  faire  la  bouillie?  La  Rate  est- 
elle  tombée  dans  le  chaudron?  Allons  voir.  » 


(i)  Femelle  du  rat. 


236  CONTES     FAMILIERS 

Le  Rat  rentre  à  la  maison.  II  cherche,  il  cherche 
partout. 

—  «  Mon  Dieu  !  Où  est  la  Rate?  » 
La  Rate  n'est  nulle  part. 

Il  cherche,  il  cherche  partout.  Enfin,  il  trouve 
la  Rate  dans  le  chaudron,  où  elle  était  tombée  en 
faisant  la  bouillie. 

Alors,  le  Rat  se  met  à  pleurer. 

—  «  Qu'as-tu,  Rat?  dit  la  quenouille. 

—  Je  pleure  parce  que  la  Rate  est  morte. 

—  Rat,  puisque  la  rate  est  morte,  je  peux  bien 
quenoiillkr  (i). 

—  Qu'as-tu,  Rat?  dit  la  crémaillère. 

—  Je  pleure  parce  que  la  Rate  est  morte. 

—  Rat,  puisque  la  rate  est  morte,  je  peux  bien 
crêmaillèrer. 

—  Qu'as-tu,  Rat?  dit  la  marmite. 

—  Je  pleure  parce  que  la  Rate  est  morte. 

—  Rat,  puisque  la  rate  est  morte,  je  peux  bien 
marmiter. 

—  Qu'as-tu,  Rat?  dit  le  banc. 

—  Je  pleure  parce  que  la  rate  est  morte. 

—  Rat,  puisque  la  Rate  est  morte,  je  peux  bien 
banquer. 

—  Qu'as-tu,  Rat  ?  dit  la  porte. 


(i)  Je   suis   forcé  de  forger  les  verbes,  imprimés  en  italique, 
poar  traduire  leurs  correspondants  en  gascon. 


RANDONNÉES,    ATTRAPES  237 

—  Je  pleure  parce  que  la  Rate  est  morte. 

—  Rat,  Puisque  la  rate  est  morte,  je  peux  bien 
porter. 

—  Qu'as-tu,  Rat?  dit  la  fenêtre. 

—  Je  pleure  parce  que  la  Rate  est  morte. 

—  Rat,  puisque  la  Rate  est  morte,  je  peux  bien 
Jenêirer. 

—  Qu'as-tu,  Rat?  dit  le  chat. 

—  Je  pleure  parce  que  la  rate  est  morte. 

—  Rat,   puisque  la  Rate  est  morte,    je  peux 
bien  miauler.  » 

Quand  le  chat  miaula,  la  Rate,  qui  n'était  pas 
morte,  sauta  hors  du  chaudron. 

—  «  Si  la  Rate  n'est  pas  morte,  je  ne  puis  plus 
miauler,  dit  le  chat. 

—  Ni  moi  fenêtrer,  dit  la  fenêtre. 

—  Ni  moi  porter,  dit  la  porte. 

—  Ni  moi  banquer,  dit  le  banc. 

—  Ni  moi  marmiter,  dit  la  marmite. 

—  Ni  moi  crémailUrer,  dit  la  crémaillère. 

—  Ni  moi  quenouilhr,  dit  la  quenouille.  » 

Le  Rat  et  la  Rate  mangèrent  la  bouillie  de  bon 
appétit  (i). 

(i)  Dicté  par  Catherine  Sustrac,  de  Sainte-Eulalie,  commune 
de  Ciuzac  (Lot-et-Garonne). 


®®®®®®^®g)®®®® 


II 

LE   LAIT   DE    MADAME. 


ÎADAME  demande  du  lait. 
Je  vais  trouver  la  vache. 
La  vache  me  dit  : 

—  «  Je  te  donnerai  du  lait.   Donne-moi  du 
foin.  » 

Je  vais  trouver  le  pré. 
Le  pré  me  dit  : 

—  «  Je  te  donnerai  du  foin.  Donne-moi  une 
faux.  » 

Je  vais  trouver  le  forgeron. 
Le  forgeron  me  dit  : 

—  «  Je  te  donnerai  une  faux.  Donne-moi  du 
lard.  » 

Je  vais  trouver  le  porc. 
Le  porc  me  dit  : 

—  «  Je  te  donnerai  du  lard.  Donne-moi  du 
gland.  » 


RAXDOXXEES,     ATTRAPES  259 

Je  vais  trouver  le  chêne. 
Le  chêne  me  dit  : 

—  «  Je  te  donnerai  du  gland.  Donne-moi  du 
vent.  » 
Je  vais  trouver  la  mer  pour  avoir  du  vent. 

La  mer  m'évente. 

J'évente  le  chêne. 

Le  chêne  m'englande  (i). 

J'englande  le  porc. 

Le  porc  m'enlarde  (2). 

yenlarde  le  forgeron. 

Le  forgeron  mendailîe  (3). 

Je  dailJe  (4)  le  pré. 

Le  pré  m'enfoinc  (5). 

Yenfoine  la  vache. 

La  vache  m'enlaite  (6). 

fenlaite  madame  (7). 

(i)  Me  donne  du  gland.  En  gascon,  m'englando. 
(2)  Me  donne  du  lard.  En  gascon,  m'enlardo. 

(5)  Me  donne  une  faux.  En  gascon,  daillo. 
(4)  Je  fauche.  En  gascon,  dailli. 

(;)  Me  donne  du  foin.  En  gascon,  m'enheno. 

(6)  Me  donne  du  lait.  En  gascon,  m'enlèilo. 

(7)  Dicté    par  Annette  Hugonis,  de  Puymirol  (Lot-et-Ga- 
ronne). 


^§^§f^§m^p^w^^mi 


III 

TRICOTE 


IRICOTE. 

J'avais  une  brebiette. 

Elle  s'en  alla  dans  le  blé  de  Tricote  (i). 

Tricote  ne  veut  pas  me  rendre  ma  brebiette, 
que  je  ne  lui  aie  donné  du  gâteau. 

Je  m'en  vais  chez  ma  marâtre,  chercher  du 
gâteau. 

Ma  marâtre  ne    veut  pas  me  donner  du  gâ- 
teau, que  je  ne  lui  aie  donné  du  fil. 

Je  m'en  vais  chez  la  buse,  chercher  du  fil. 

La  buse  ne  veut  pas  me  donner  du  fil,  que  je 
ne  lui  aie  donné  de  la  peau. 

(l)  Les  trois  premières  lignes  riment,  en  gascon  : 

Tricota. 
Auiui  uo  aoeilloto. 
S'en  angouc  au  Hat  de  la  Tricolo, 

Tricote  e»t  on  nom  de  femme. 


RAN'DOXXÉES,    ATTRAPES  241 

Je  m'en  vais  chez  le  veau,  chercher  delà  peau. 

Le  veau  ne  veut  pas  me  donner  de  la  peau, 
que  je  ne  lui  aie  donné  an  lait. 

Je  m'en  vais  chez  la  vache,  chercher  du  lait. 

La  vache  ne  veut  pas  me  donner  du  lait,  que 
je  ne  lui  aie  donné  du  foin. 

Je  m'en  vais  au  pré,  chercher  du  foin. 

Le  pré  ne  veut  pas  me  donner  du  foin,  que 
je  ne  lui  aie  donné  une  faux. 

Je  m'en  vais  chez  le  forgeron,  chercher  ur.e 
faux. 

La  faux  ne  veut  pas  me  donner  du  foin,  que 
je  ne  lui  aie  donné  du  saindoux. 

Je  m'en  vais  chez  le  porch-er,  chercher  du  sain- 
doux. 

Le  porcher  ne  veut  pas  me  danner  de  sain- 
doux, que  je  ne  lui  aie  donné  du  gland. 

Je  m'en  vais  chez  le  chêne,  chercher  du  gknd. 

Le  chêne  ne  veut  pas  me  donner  du  gland, 
que  je  ne  lui  aie  donné  vent  ou  pluie. 

Je  m'en  vais  à  Toulouse,  chercher  vent  ou 
pluie  (i). 

Vent  ou  pluie,  au  chêne. 
Le  chêne,  gland  à  moi. 

(;)  En  gascon,  ceci  forme  deux  vers  rir.-.a'.-.t  pir  »ssonnar.cî  : 
M'tn  bau  à  Toulouso, 
Cerca  btnf  ou  ploujo. 

III  16 


CONTES    FAMILIERS 


Moi,  gland  au  porcher. 

Le  porcher,  saindoux  à  moi. 

Moi,  saindoux  au  forgeron. 

Le  forgeron,  faux  à  moi. 

Moi,  faux  au  pré. 

Le  pré,  foin  à  moi. 

Moi,  foin  à  la  vache. 

La  vache,  lait  à  moi. 

Moi,  lait  au  veau. 

Le  veau,  peau  à  moi. 

Moi,  peau  à  la  buse. 

La  buse,  fil  à  moi. 

Moi,  fil  à  ma  marâtre. 

Ma  marâtre,  gâteau  à  moi. 

Moi,  gâteau  à  Tricote. 

Tricote  m'a  rendu  ma  brcbiette  (i). 


(i)  Dicté  par  Antoinette  Cousturian,  femme  Saut,  de  Sirraut 
(Gers). 


^^^ït^^À'^^i:?^^^?«,è.?n& 


IV 
LE  PÈRE  ET   LA  FILLE 


L  y  avait,  une  fois,  un  père  et  sa  fille,  qui 
\h>  s'en  étaient  allés  à  leur  vigne  manoer  des 
'  '  raisins.  La  fille  ne  les  prenait  que  grain 
par  grain.  Mais  le  père  les  avalait  à  pleine  bouclic, 
de  sorte  qu'il  fut  le  premier  repu. 

—  «   Fille,    il   est    heure    de  retourner  à  la 
maison. 

—  Père,  encore  un  moment.  Je  n'ai  pas  mange 
deux  raisins. 

—  Fille,  je  te  dis  qu'il  est  heure  de  retourner  à 
la  maison. 

—  Père,  partez,  si  cela  vous  plaît.  Moi,  je  reste. 

—  Insolente.  Tu  vas  avoir  de  mes  nouvelles.  » 
Alors,  le  père  rentra  chez  lui,  et  dit  au  chien  : 

—  «  Chien,  va-t'en  mordre  rna  fille. 

—  Je  ne  veux  pas.  » 


244  CONTES     FAMILIERS 

Alors,  le  père  dit  au  bâton  : 

—  «  Bâton,  bats  le  chien. 

—  Je  ne  veux  pas.  » 
Alors,  le  père  dit  au  feu  : 

—  «  Feu,  brûle  le  bâton. 

—  Je  ne  veux  pas.  » 
Alors,  le  père  dit  â  l'eau  : 

—  «  Eau,  éteins  le  feu. 

—  Je  ne  veux  pas.  » 

Alors,  le  père  dit  aux  bœufs  : 

—  «  Bœufs,  buvez  l'eau. 

—  Nous  ne  voulons  pas.  » 
Alors,  le  père  dit  au  boucher  ; 

—  ((  Boucher,  tue  les  bœufs. 

—  Je  ne  veux  pas.  » 

Alors,  le  père  dit  aux  courroies  : 

—  «  Courroies,  liez  les  bœufs  au  joug. 

—  Nous  ne  voulons    pas   lier  les  bœufs  au 
joug.   )> 

Alors,  le  père  dit  au  rat  : 

—  «  Rat,  ronge  les  courroies. 

—  Je  ne  veux  pas.  » 
Alors,  le  père  dit  au  chat  : 

—  «  Chat,  mange  le  rat.  » 

Le  chat,  veut  manger  le  rat. 

Le  rat,  veut  ronger  les  courroies. 

Les  courroies,  veulent  lier  les  bœufs  au  joug. 


RANDONNÉÏS,     ATTRAPIS,  245 

Les  bœufs,  veulent  boire  l'eau. 

L'eau,  veut  éteindre  le  feu. 

Le  feu,  veut  brûler  le  bâton. 

Le  bâton,  veut  battre  le  chien. 

Le  chien,  veut  aller  mordre  la  fille. 

La  fille,  veut  retourner  à  la  maison  (i). 


(1)  Dicté  par  Catlierine  Sustric,  de  Sainte-Euklie,  commune 
de  Cauzac  (Lot-et-Garonne). 


-r 


®3@©®@@@@®®@©® 


LE   PÈRE,   LA  MÈRE,   ET  LA  FILLE 


jL  y  avait,  une  fois,  un  homme  qui  dit  à 
sa  femme  et  à  sa  fille  : 

—  «  Allons  à  notre  vigne .  manger  des 
raisins.  » 

Quand  ils  furent  à  la  vigne,  l'homme  avala  les 
raisins  à  pleine  bouche.  Mais  sa  femme  et  sa  fille 
ne  les  mangeaient  que  grain  par  grain. 
Une  fois  repu,  l'homme  cria  : 

—  «  Vite,  vite.  Retournons  à  la  maison. 

—  Non.  Nous  voulons  encore  manger  des  rai- 
sins. 

—  Vile,  vite.  Retournons  à  la  maison. 

—  Non.  Nous  voulons  encore  manger  des  rai- 
sins. » 

Alors,  l'homme  partit  seul,  et  s'en  alla  dire  à 
son  chien  : 


RANDONNÉES,     ATTRAPES  247 

—  «  Chien,  va  mordre  ma  femme  et  ma  fille. 

—  Homme,  je  ne  veux  pas  mordre  ta  femme 
et  ta  fille.  » 

Alors,  l'homme  prit  un  bâton,  pour  frapper  le 
chien. 

Mais  le  bâton  dit  : 

—  «  Homme,  je  ne  veux  pas  frapper  le  chien.  » 
Alors,  l'homme  jeta  le  bâton  au  feu. 

Mais  le  feu  dit  : 

—  «  Homme,  je  ne  veux  pas  brûler  le  bâton.  » 
Alors,  l'homme  dit  à  l'eau  : 

—  «  Eau,  éteins  le  feu. 
Mais  l'eau  dit  : 

—  Homme,  je  ne  veux  pas  éteindre  le  feu.  « 
Alors,  l'homme  dit  à  ses  boeufs  : 

—  «  Bœufs,  buvez  l'eau. 
Mais  les  bœufs  dirent  : 

—  Homme,  nous  ne  voulons  pas  boire  l'eau.  » 
Alors,  l'homme  dit  au  boucher  : 

—  «  Boucher,  tue  mes  bœufs. 
Mais  le  boucher  dit  : 

—  Homme,  je  ne  veux  pas  tuer  tes  bœufs.  » 
Alors,   l'homme  prit  des  liens,   pour  lier  ses 

bœufs  au  joug. 

Mais  les  liens  dirent  : 

—  «  Homme,   nous    ne  voulons  pas  lier  tes 
bœufs  au  joug.  » 

Alors,  l'homme  dit  au  rat  : 


CONTES    FAMILIERS 


Mais  le  rat  dit  : 

—  «  Rat,  ronge  les  lijens. 

—  Homme,  je  ne  veux  pas  ronger  les  liens.  » 
Alors,  l'homme  dit  au  chat  : 

—  «  Chat,  mange  le  rat.  » 
Le  chat,  veut  manger  le  rat. 
Le  rat,  veut  ronger  les  liens. 

Les  liens,  veulent  lier  les  bœufs  au  joug. 
Le  boucher,  veut  tuer  les  boeufs,  , 
Les  boeufs,  veulent  boire  l'eau. 
L'eau,  veut  éteindre  le  feu. 
Le  feu,  veut  brûler  le  bâton  ; 
Le  bâton,  veut  battre  le  chien, 
Le  chien,  veut  mordre  la  mère  et  la  fille. 
La  mère  et  la  fille,  veulent  retourner  vite,  vite, 
à  la  maison  (i). 


(i)  Dicté  par  CatheriH€  Sitstrac,  Je  Saîhte-'Eu'alie,  commiu.c 
.'j  Cr.uz.ic  (Lot-et-Garoane). 


VI 


BRISaUET 


Ah  !  Brisquet,  Brisquet,  Efisquet, 
Xe  veut  pas  garder  les  ch.oux. 

—  Va-t'en  dire  à  Brisquet  de  venir  garder  les 
dionx. 

—  Brisquet  ne  veut  pas  garder  les  clioux/ 

Ah  1  Brisquet^  Brisquet,  Brisquet, 
Ne  veut  pas  garder  les  choux. 

—  Va-t'en  dire  au  chien  de  venir  mordre  Bris- 
quet. 

—  Le  chien,  ne  veut  pas  mordre  Brisquet. 
Brisquet,  ne  veut  pas  garder  les  choux. 

Ah  !  Brisquet,  Brisquet,  Brisquet, 
Ne  veut  pas  garder  les  choux. 

—  Va-t'en  dire  au  bâton  de  venir  battre  le  chien. 
Le  bâton,  ne  veut  pas  battre  le  cliien. 


CONTES     FAMILIERS 


Le  chien,  ne  veut  pas  mordre  Brisquet. 
Brisquet,  ne  veut  pas  garder  les  choux. 

Ahl  Brisquet,  Brisquet,  Brisquet, 
Ne  veut  pas  garder  les  choux. 

—  Va-t'en  dire  au  feu  de  venir  brûler  le  bâton. 
Le  feu,  ne  veut  pas  brûler  le  bâton. 

Le  bâton,  ne  veut  pas  battre  le  chien. 
Le  chien,  ne  veut  pas  mordre  Brisquet. 
Brisquet,  ne  veut  pas  garder  les  chou:i. 

Ah  !  Brisquet,  Brisquet,  Brisquet, 
Ne  veut  pas  garder  les  choux. 

—  Va-t'en  dire  à  l'eau  de  venir  éteindre  le  feu. 
L'eau,  ne  veut  pas  éteindre  le  feu. 

Le  feu,  ne  veut  pas  brûler  le  bâton. 
Le  bâton,  ne  veut  pas  battre  le  chien. 
Le  chien,  ne  veut  pas  mordre  Brisquet. 
Brisquet,  ne  veut  pas  garder  les  choux. 

Ah  I  Brisquet,  Brisquet,  Brisquet, 
Ne  veut  pas  garder  les  choux. 

—  Va-t'en  dire  au  bœuf  de  venir  boire  l'eau. 
Le  bœuf,  ne  veut  pas  boire  l'eau. 

L'eau,  ne  veut  pas  éteindre  le  feu. 
Le  feu,  ne  veut  pas  brûler  le  bâton. 
Le  bâton,  ne  veut  pas  battre  le  chien. 


RANDONNÉES,    ATTRAPES 


Le  chien,  ne  veut  pas  mordre  Brisquet. 
Brisquet,  ne  veut  pas  garder  les  choux. 

Ah  !  Brisquet,  Brisquet,  Brisquet, 
Ne  veut  pas  garder  les  choux, 

—  Va-t'eu  dire  au  boucher  de  venir  tuer  le 
bœuf. 

Le  boucher,  ne  veut  pas  tuer  le  bœuf. 
Le  bœuf,  ne  veut  pas  boire  l'eau. 
L'eau,  ne  veut  pas  éteindre  le  feu. 
Le  feu,  ne  veut  pas  brûler  le  bâton. 
Le  bâton,  ne  veut  pas  battre  le  chien. 
Le  chien,  ne  veut  pas  mordre  Brisquet. 
Brisquet,  ne  veut  pas  garder  les  choux. 

Ah  1  Brisquet,  Brisquet,  Brisquet, 
Ne  veut  pas  garder  les  choux. 

—  Va-t'en  dire  â  la  mort  de  venir  chercher  le 
boucher. 

La  mort,  veut  venir  chercher  le  boucher. 
Le  boucher,  veut  bien  tuer  le  bœuf. 
Le  bœuf,  veut  bien  boire  l'eau. 
L'eau,  veut  bien  éteindre  le  feu. 
Le  feu,  veut  bien  brûler  le  bâton. 
Le  bâton,  veut  bien  battre  le  chien. 
Le  chien,  veut  bien  mordre  Brisquet. 
Brisquet,  veut  bien  garder  les  choux. 


252  CONTES     FAMILIERS 


Ah  1  Brisquet,  Brisquet,  Brisquet, 
Veut  bien  garder  les  choux  (i). 


(i)  Je  sais,  depuis  mon  enfance,  cette  randonnée,  dont  les 
deux  premières  lignes,  qui  re\nenneiit  comme  un  refrain,  riment 
eu  gascon  : 

Ah  !  Brisquet,  Brisquet,  Brisquet, 

Bo  pas  goarria  lous  caulet^. 

En  gascon,  la  pièce  se  termine  ainsi  : 

JÎb!  Brisquet,  Brisquet,  Brisquet, 
Bo  bien  goarda  lous  cnuleiT^. 

Mademoiselle  Victoiine  Saut,   de  Sarrant  (Gers),  m'a  récité  la 

nième  pièce  eu  français,  sous  forme  de  ronde  enfantine,  où  rien 
ne  rin-.e,  sauf  le  refrain  : 

Ail!  Briscou,  Briscou,  Briscou, 
■Ke  Teut  pas  garder  les  choux. 

Dans  cette  ronde,  il  n'y  a  pas  «  va  dire  au  cliien...,  au  bâ- 
ton..,, au  feu...  »,  etc.,  mais  «  va  dire  à  chien...,  à  b.îton..., 
à  feu...  »,  etc. 


VII 
DANS   LA  VILLE   DE   ROME 


I  ANS  la  ville  de  Rome,  il  y  a  une  rue. 

Dans  cette  rue,  il  y  a  une  maison. 

Dans  cette  maison,  il  y  a  une  cage. 
Dans  cette  cage,  il  y  a  un  oiseau. 
Dans  cet  oiseau,  il  y  a  un  cœur. 
Dans  ce  cœur,  il  y  a  une  lettre. 
Dans  cette  lettre,  il  y  a  :  «  J'aime  N.  (i).  » 

«  J'aime  N.  »  est  dans  la  lettre. 

La  lettre  est  dans  le  cœur. 

Le  cœur  est  dans  l'oiseau. 

L'oiseau  est  dans  la  cage. 

La  cage  est  dans  la  chambre. 

La  chambre  est  dans  la  maison. 

La  maison  est  dans  la  rue. 

La  rue  est  dans  la  ville  de  Rome  (2). 

(i)  Ici,  le  nom  de  li  personne. 

(2)  La  première  partie   de  cette  pièce  est  encore  fort  popu- 
kire  en  Gascogne  ;  mais  la  seconde  n'est  réciîùe  que  rarement . 


^®®^®®^®®^®®^ 


VIII 
LES   TROIS   CHASSEURS 


:^ç^,^L  V  avait,  une  fois,  trois  chasseurs. 
t^ÀM     Deux  étaient  nus.   L'autre  n'était  pas 

Ils  avaient  trois  fusils. 

Deux  n'étaient  pas  chargés.  L'antre  n'avait 
rien  dedans. 

Ils  partirent  avant  le  jour,  et  s'en  allèrent  loin, 
loin,  loin,  encore  plus  loin. 

Proche  d'un  bois,  ils  tirèrent  trois  lièvres,  et  en 
manquèrent  deux. 

Le  troisième  leur  échappa.  Ils  le  mirent  dans 
la  poche  du  chasseur  qui  n'était  pas  vêtu. 

—  «  Mon  Dieu,  disaient-ils,  comment  donc 
ferons-nous  cuire  le  lièvre  qui  nous  a  échappé?  » 

Alors,  les  trois  chasseurs  repartirent. 

Ils  s'en  allèrent  loin,  loin,  loin,  encore  plus  loin. 


RANDONNÉES,     ATTI^APES 


Enfin,  ils  arrivèrent  à  une  maison,  où  il  n'y 
avait  ni  murs,  ni  toiture,  ni  portes,  ni  fenêtres, 
ni  rien. 

Les  trois  chasseurs  frappèrent  trois  grands 
coups  à  la  porte. 

—  «  Pan  !  pan  !  pan  !  » 

Celui  qui  n'y  était  pas  répondit  : 

—  «  Plaît-il?  Que  voulez-vous? 

—  Ne  nous  rendriez-vous  pas  un  service?  Ne 
nous  prêteriez-vous  pas  une  marmite,  pour  faire 
cuire  le  lièvre  qui  nous  a  échappé  ? 

—  Mon  Dieu,  Messieurs,  nous  n'avons  que  trois 
marmites.  Deux  sont  défoncées,  et  l'autre  ne  vaut 
rien  (i).  » 


(i)  Fourni  p.^r  Jean  Testas,  d'Agen,   alors  âgé   de  soixante- 
quinze  ans.     5 


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IX 


LA   PATE   aUI  CHANTE 


^(^•fp^-L  y  avait,  une  fois,  un  homme  et  une 
ifjK    femme,  qui  s'établirent  boulangers. 
Sw»y        —  «  Mon    homme,    dit    un   jour  la 
femme,  il  faut  aller  au  moulin. 

—  A  quel  moulin,  ma  femme? 

—  Au  moulin  dont  le  tric-trac  fait  rlou  chiou 
chiou. 

—  Je  ne  sais  pas  où  c'est. 

—  Eh  bien,  va  dans  la  grange  de  Jean.  Prends 
son  âne.  Il  t'y  portera.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  L'âne  porta  le  boulanger 
si  loin,  si  loin,  qu'il  ne  savait  plus  s'en  revenir. 
Aussij  pendant  trois  jours  et  trois  nuits,  sa  femme 
ne  cessa  de  crier  : 


RANDONNÉES,    ATTRAPES,    ETC.        257 


—  «  Riou  chiou  chiou  (i), 
Riou  chiou  chiou. 
Quand  me  rends-tu  mon  homme  ?  » 

Eufîn,  la  femme  finit  par  tant  et  tant  s'ennu3'er, 
qu'elle  monta  sur  un  chien,  pour  s'en  aller  au 
moulin. 

A  mi-chemin,  elle  trouva  son  homme,  assis  au 
pied  d'un  chêne. 

—  «  Que  fais-tu  là,  mon  homme  ? 

—  Ma  femme,  je  me  suis  perdu.  » 
L'homme  remonta  sur  son  âne,  la  femme  resta 

sur  son  chien,  et  tous  deux  poursuivirent  leur 
chemin. 

Enfin,  ils  arrivèrent  au  moulin,  et  s'en  re- 
vinrent chargés  de  farine. 

Rentrés  à  la  maison,  l'homme  et  la  femme  se 
mirent  à  même  de  faire  au  four. 

Dans  le  pétrin,  ils  vidèrent  toute  leur  fiu-ine. 
Puis,  l'homme  y  jeta  de  grands  chaudrons  d'eau 
bouillante. 

La  pâte  faisait  : 

—  «  Riou  chiou  chiou.  » 

—  «  Imbécile,  dit  la  femme,  il  ne  fallait  pas 
jeter  d'eau  bouillante.  Ecoute  la  pâte  qui  fait  : 
«  Riou  chiou  chiou.  » 

(i)  En  gascon  : 

Riu  Mu  chiu, 

Riu  chiu  chiUf 

Quant  nu  lournos-iu  iiwun  orne  ? 

III  17 


258  CONTES     FAMILIERS 

Le  pauvre  homme  fut  si  chagriu  de  ce  reproclie 
qu'il  en  mourut  sur-le-champ.  Alors,  sa  femme 
se  mit  à  pétrir  la  pâte.  Tout  en  pétrissant,  elle 
disait  ; 

—  t  Marâtre  (i). 

Pique-pâte, 

Autant  elle  en  pique,  autant  elle  en  gâte.  » 

£t  l'homme  mort  répondait  ; 

—  «  Riou  chiou  cliiou  (2). 
J'étais  mort,  et  je  suis  redevenu  vi%'ant.  » 

Alors,  la  femme  se  mit  d  rire,  et  continua  de 
pétrir  avec  son  homme. 

Mais  toujours  la  pâte  faisait  : 

—  «  Riou  chiou  chiou.  » 

Pourtant,  la  pâte  fut  bonne,  et  donna  vingt- 
huit  miches  de  vingt  livres. 

L'homme  mort  et  la  femme  crevèrent,  pour 
en  avoir  mangé  la  moitié. 

En  échange  du  restant  de  la  fournée,  le  curé 
fit  leur  sépulture. 

(i)  En  gascon  : 

Mcirastro, 
Piqiio-paito, 
Asijtil  m  pic},  as/jti!  ni  goislo. 

(2)  En  gascon  : 

Ri:i  chiu  chiu. 
Eri  mon,  e  :cui  tvuri:at  hiu. 


RANDONXÉES,     ATTRAPES,     ETC.       259 

Tout  le  monde  était  jaloux  de  lui;  car,  alors, 
riches  et  pauvres  n'avaient  pas  de  pain  à  manger. 
Il  fallait  aller  faire  moudre  si  loin,  si  loin,  que 
ceux  qui  partaient  se  perdaient  en  chemin.  Cela 
vint  au  point  que  tout  le  monde  mourut  de  faim. 
Mais  le  curé  vécut  plus  longtemps  que  les  autres, 
avec  le  restant  de  la  fournée  (i). 


(i)    Dicté    par    Ann.î    Dumis,    du    P.issage-d'Agen   (Lot-et- 
Garonne). 


îr;cS^;©fS>©ifS©cS)©fS)©c5( 


X 
LES   DENIERS 


H;fYr'FL  y  avait,  une  fois,  un  homme  et  une 
^j  '^  femme  qui  curaient  une  étable.  En  curant 
^■^^:^   réuble,  ils  y  trouvèrent  un  denier. 

—  «  Que  ferons-nous  de  ce  denier  ?  —  Nous 
irons  à  la  foire  :  nous  y  achèterons  une  poule.  » 

Ils  s'en  allèrent  à  la  foire,  et  achetèrent  une 
poule. 

Cette  poule  pondit  beaucoup  d'œufs,  qui  se 
vendirent  fort  bien,  en  temps  de  carême. 

L'homme  et  la  femme  curèrent  encore  l'étable. 
Ils  y  trouvèrent  un  autre  denier. 

—  «  Que  ferons-nous  de  ce  denier  ?  —  Nous 
irons  à  la  foire  :  nous  y  achèterons  un  coq.  » 

Ils  s'ea  allèrent  à  la  foire,  et  achetèrent  un  coq. 

Avec  le  coq  et  la  poule,  ils  eurent  force  pou- 
lets, qui  se  vendirent  fort  bien,  en  temps  de  car- 
naval. 


RANDONNÉES,     ATTRAPES,    ETC.        201 

L'homme  et  la  femme  curèrent  encore  l'étable. 
Ils  )•  trouvèrent  un  autre  denier. 

—  «  Que  ferons-nous  de  ce  denier?  —  Nous 
irons  à  la  foire  :  nous  y  achèterons  une  chèvre.  » 

Ils  s'en  allèrent  à  la  foire,  et  achetèrent  une 
chèvre. 

Cette  chèvre  fut  bonne  laitière  ;  et  son  lait  se 
vendit  fort  bien  à  la  ville. 

L'homme  et  la  femme  curèrent  encore  l'étable. 
Ils  y  trouvèrent  un  autre  denier. 

—  «  Q.ue  ferons-nous  de  ce  denier?  —  Nous 
irons  à  la  foire  :  nous  y  achèterons  un  bouc.  » 

Ils  s'en  allèrent  à  la  foire,  et  achetèrent  un 
bouc. 

Le  bouc  et  la  chèvre  eurent  force  chevreaux, 
qui  se  vendirent  fort  bien  aux  bouchers. 

L'homme  et  la  femme  curèrent  encore  l'étable. 
Ils  y  trouvèrent  un  autre  denier. 

—  «  Que  ferons-nous  de  ce  denier  ?  —  Nous 
irons  à  la  foire  :  nous  y  achèterons  une  vache.  )> 

Ils  s'en  allèrent  à  la  foire,  et  y  achetèrent  une 
vache. 

Cette  vache  donna  force  lait,  comme  la  chèvre. 
Ils  le  vendirent  fort  bien  à  la  ville. 

L'homme  et  la  femme  curèrent  encore  l'étable. 
Ils  y  trouvèrent  un  autre  denier. 

—  «  Que  ferons-nous  de  ce  denier  ?  —  Nous 
irons  à  la  foire  :  nous  v  achèterons  un  taureau.  » 


262  CONTES     FAMILIERS 

Ils  s'en  allèrent  à  la  foire,  et  3^  achetèrent  un 
taureau. 

Le  taureau  et  la  vache  firent  force  veaux,  qui 
se  vendirent  fort  bien  à  la  ville. 

L'homme  et  la  femme  curèrent  encore  l'établc. 
Ils  y  trouvèrent  un  autre  denier. 

—  «  Que  ferons-nous  de  ce  denier?  —  Nous 
irons  à  la  foire  :  nous  y  achèterons  un  chat.  » 

Ils  s'en  allèrent  à  la  foire,  et  achetèrent  un  chat. 

Ce  chat  fut  grand  chasseur,  et  il  mangea  tous 
les  rats,  les  belettes,  les  souris  et  les  taupes  du 
pays. 

L'homme  et  la  femme  curèrent  encore  l'étable. 
Ils  y  trouvèrent  un  autre  denier. 

—  «  Que  ferons-nous  de  ce  denier  ?  —  Main- 
tenant, nous  sommes  assez  riches.  Il  faut  bâtir  un 
pont  de  verre.  « 

Ils  bâtirent  le  pont  de  verre,  et  quand  il  fut 
bâti,  ils  dirent  : 

—  «  Maintenant,  il  faut  l'éprouver.  » 
Ils  y  firent  passer  la  poule. 

Elle  ne  le  cassa  pas. 

Ils  y  firent  passer  le  coq. 

Il  ne  le  cassa  pas. 

Ils  y  firent  passer  la  chèvre. 

Elle  ne  le  cassa  pas. 

Ils  y  firent  passer  le  bouc. 

Il  ne  le  cassa  pas. 


RAXDOXNÉES,     ATTRAPES,    ETC.        263 


Ils  y  firent  passer  la  vache. 

Elle  ne  le  cassa  pas. 

Ils  y  firent  passer  le  taureau. 

Il  ne  le  cassa  pas. 

Ils  y  firent  passer  le  chat. 

Il  le  cassa. 

—  «  Quel  était  le  plus  fort  ? 

—  Le  chat  (i). 

—  Lève-lui  la  queue.  Soufïles-y  dessous  (2).  » 


(i)  Réponse  des  auditeurs. 

(2)  Réplique  du  conteur.  Avec  la  rcpor.sc  des  .inditsurs,  cela 
l'orme  deux  vers  gascons  : 

—  »  Lou  gat. 
—  Uuo-li  la  cûo.  Bouho-!i  ilebr.l.   ■> 

Dicté  par  mon  fils,  E/ienne  Bladé,  alors  âgé  d'environ  dix  ans. 


[fi^ii^  I.  ^îi"  .7/ 


RÉCITS 


I 

iMORALITÉS 


MORALITÉS 


LE  LIEVRE 


IN   jour,  le  petit  garçon   du  métayer  de 
Cruzos  (i),   qu'on  avait  envoyé  garder 
les  brebis,  rentra  tout  essoufflé  chez  ses 
parents. 

—  «  Père,  père,  prenez  vite  votre  fusil.  J'ai  vu 
là-bas,  là-bas,  au  fond  du  chaume,  un  lièvre  au 
moins  gros  comme  notre  Caubet  (2). 


(i)  Métairie  de  la  commune  de  Lectonre,  près  de  la  route  de 
Condom. 

(2)  Les  bouviers  gascons,  nomment  ainsi  le  bceuf  de  gauche 
J'un  attelage. 


2/0  RÉCITS 

—  Petit,  au  moins  gros  comme  notre  Caubet, 
c'est  beaucoup. 

—  Je  vous  dis,  père,  qu'il  est  au  moins  gros 
comme  notre  jument  poulinière. 

—  Petit,  au  moins  gros  comme  notre  jument 
poulinière,  c'est  beaucoup. 

—  Je  vous  dis,  père,  qu'il  est  au  moins  gros 
comme  un  veau  d'un  an. 

—  Petit,  au  moins  gros  comme  un  veau  d'un 
an,  c'est  beaucoup. 

—  Je  vous  dis,  père,  qu'il  est  au  moins  grcs 
comme  une  brebis. 

—  Petit,  au  moins  gros  comme  une  brebis, 
c'est  beaucoup. 

—  Je  vous  dis,  père,  qu'il  est  au  moins  gros 
comme  un  agneau. 

—  Petit,  au  moins  gros  comme  un  agneau, 
c'est  beaucoup. 

—  Je  vous  dis,  père,  qu'il  est  au  moins  gros 
comme  un  chat. 

—  Petit,  au  moins  gros  comme  un  chat,  à  la 
bonne  heure.  Je  te  crois.  Pourtant,  on  a  vu  des 
lièvres  encore  plus  petits. 

—  Je  vous  dis,  père,  qu'il  est  au  moins  gros 
comme  un  lapin. 

—  Petit,  au  moins  gros  comme  un  lapin,  à  la 
bonne  heure.  Je  te  crois.  Pourtant,  on  a  vu  des 
lièvres  plus  petits. 


MORALITÉS  271 

—  Je  vous  dis,  père,  qu'il  est  au  moins  gros 
comme  un  rat. 

—  Petit,  au  moins  gros  comme  un  rat,  à  la 
bonne  heure.  Je  te  crois.  Pourtant,  on  a  vu  des 
lièvres  encore  plus  petits. 

—  Je  vous  dis,  père,  qu'il  est  au  moins  gros 
comme  une  mouche. 

—  Et  moi,  petit,  je  te  dis  que  tu  mens,  et  que 
tu  n'as  rien  vu  du  tout  (i).  » 


(i)  Dicté  par  Jeanne  Descamps,  de  Lectoure,  alors  âgée  de 
plus  de  soixante  ans.  J'ai  retrouvé  le  même  récit  en  Agenais. 


Il 

LES  DEUX  PRÉSENTS 


jENRi  IV  était  un  roi  (i)  haut  d'une  toise, 
gros  à  proportion,  fort  comme  un  bœuf, 
et  hardi  comme  un  César.  Il  faisait  beau- 
coup d'aumônes,  et  n'aimait  pas  les  intrigants. 
Avant  d'aller  s'établir  à  Paris,  ce  roi  demeurait  à 
Nérac;  et  il  avait  toujours  près  de  lui  Roque- 
laure,  qui  était  l'homme  le  plus  farceur  de  France. 
Un  jour,  Henri  IV  et  Roquelaure  jouaient  aux 
cartes,  après  dîner,  quand  ils  virent  entrer  dans  la 
chambre  un  paysan,  qui  portait  sur  sa  tète  une 
citrouille  si  grosse,  si  grosse,  qu'on  n'a  jamais 
vu,  ni  qu'on  ne  verra  jamais  la  pareille. 
—  «  Bonjour,  mon  prince,  et  la  compagnie. 

(i)  Le  nom  de  Henri  IV  est  encore  fort  populaire  en  Gas- 
cogne. On  débite  sur  son  compte,  et  surtout  dans  l'arrondisse- 
ment de  Nérac  (Lot-et-Garonne),  des  anecdotes  dont  plusieurs 
ont  été  imprimées  dans  divers  ouvrages. 


MORALITES 


—  Bonjour,  mon  ami.  Que  viens-tu  faire  ici, 
avec  ta  citrouille? 

—  Mon  prince,  je  viens  vous  porter  ce  pr^j- 
seat.  La  soupe  de  citrouille  et  de  haricots  frais 
est  une  fort  bonne  chose.  Ne  manquez  pas  de  re- 
commander à  votre  cuisinière  de  conserver  les 
graines.  Vous  en  donnerez  à  tous  vos  amis  et 
connaissances  ;  et  je  viendrai  moi-même  en  cher- 
cher, pour  l'année  prochaine. 

—  Merci,  mon  ami.  Va-t'en  m^inger  un  m::v- 
ccju  à  la  cuisine. 

—  Avec  plaisir,  mon  prince.  » 

Le  paysan  descendit  donc  à  la  cuisine,  où  on 
r.e  le  laissa  pas  manquer  de  pain,  de  vin,  et  de 
viande.  Pendant  qu'il  buvait  et  mangeait,  Henri  lY 
dit  à  Roquelaure  : 

—  «  Roquelaure,  ce  paysan  m'a  l'air  d'un  brave 
homme.  Je  crois  qu'il  m'a  apporté  sa  citrouille  de 
Ion  cœur.  Que  pourrais-je  bien  lui  donner? 

—  Mon  prince,  mettez-le  à  l'épreuve.  S'il  ne 
vous  a  pas  donné  un  œuf  pour  avoir  un  bœu', 
faites-lui  présent  d'un  beau  cheval. 

—  Roquelaure,  tu  as  raison.  » 

Quand  le  paysan  eut  mangé  à  sa  faim,  et  bu  à 
sa  soif,  il  revint  dans  la  chambre  du  roi,  pour  le 
saluer  avant  de  partir. 

—  «  Mon  ami,  dit  Henri  IV,  que  demandes-tu 
^our  ta  récoiripçose  ? 

III  iS 


274  RÉCITS 

—  Mon  prince,  je  vous  demande  de  ne  pas  ou- 
blier de  me  faire  garder  des  graines  de  citrouille, 
pour  me  maintenir  en  belle  semence.  » 

Alors,  Henri  IV  commanda  qu'on  donnât  un 
beau  cheval  au  paysan,  qui  rentra  chez  lui  fort 
content. 

Ce  paysan  était  le  métayer  de  M.  de  Cacho- 
pouil  (i),  un  noble,  glorieux  comme  un  paon,  et 
avare  comme  un  juif.  Quand  M.  de  Cachopouil 
vit  que  son  métayer  avait  été  si  bien  récompensé, 
pour  une  citrouille,  il  pensa  : 

—  «  Demain,  j'irai  trouver  Henri  IV,  et  je  lui 
ferai  présent  d'un  beau  cheval.  Pour  le  moins,  il 
me  fera  marquis,  et  me  donnera  un  baril  plein  de 
doubles  louis  d'or.  » 

En  effet,  le  lendemain  matin,  M.  de  Cacho- 
pouil descendit  à  l'écurie,  choisit  son  plus  beau 
cheval,  partit  pour  la  ville  de  Nérac,  et  trouva 
Henri  IV  et  Roquelaure,  qui  jouaient  aux  cartes 
après  dîner. 

—  «  Bonjour,  mon  prince,  et  la  compagnie. 

—  Bonjour,  mon  ami.  Q.u'y  a-t-il  pour  ton 
service  ? 

—  Mon  prince,  je  suis  M.  de  Cachopouil  ;  et 

(i)  En  gascon  Cachopouil,  en  agenais  Cachoptu,  c'est-à-Jir: 
«  écrase-pou.  »  Est-il  besoin  d'ajouter  que  ce  nom  a  été  forgé  par 
la  malice  populaire,  et  qu'il  n'y  a  jamais  eu,  dans  le  sud-ouest 
de  la  France,  ni  famille  noble,  ni  terre  seigneuriale  de  ce  nom  ? 


MORALITES 


j'ai  appris  que  vous  aviez  donné  un  beau  cheval 
à  mon  métayer,  qui  vous  avait  fait  présent  d'une 
citrouille.  Je  vous  amène  une  autre  bète,  pour 
remplacer  celle  que  vous  n'avez  pU;s. 

—  Merci,  mon  ami.  Et  où  est  cette  bète? 

—  Mon  prince,  je  l'ai  laissée  là-bas,  à  l'écurie- 

—  Eh  bien,  mon  ami,  je  veux  aller  la  voir. 
Passe  devant.  Moi  et  Roquelaure,  nous  te  rattra- 
pons dans  cinq  minutes.  » 

M.  de  CachopouU  descendit  donc  à  l'écurie. 
Alors,  Henri  IV  dit  : 

—  «  Roquelaure,  ce  Cachopouil  m'a  l'air  d'un 
bien  brave  homme.  Je  crois  qu'il  m'a  amené  son 
cheval  de  bon  cœur.  Que  pourrais-je  bien  lui 
donner? 

—  Mon  prince,  mettez-le  à  l'épreuve.  S'il  ne 
vous  a  pas  donné  un  œuf  pour  avoir  un  bœuf, 
donnez-lui  sept  métairies,  avec  un  grand  pouvoir 
dans  tout  le  pays. 

—  Roquelaure,  tu  as  raison.  « 

Henri  IV  et  Roquelaure  descendirent  à  l'écurie. 

—  «  Mon  prince,  dit  M.  de  Cachepouil,  voici 
le  cheval. 

—  Mon  ami,  je  n'en  ai  jamais  vu  aucun  d'aussi 
beau.  Que  demandes-tu  pour  ta  récompense? 

—  Mon  prince,  je  vous  demande,  pour  le 
moins,  de  me  faire  marquis,  et  de  me  donner  un 
baril  plein  de  doubles  louis  d'or. 


;76  RÉCITS 


—  Mon  ami,  je  veux  te  donner  mieux  que  ça. 
Viens  avec  moi  à  la  cuisine.  » 

Roquelaure  et  M.  de  Cachopouil  suivirent 
donc  Henri  IV  à  la  cuisine. 

—  «  Cuisinière,  dit  Henri  IV,  as-tu  gardé  les 
graines  de  la  grosse  citrouille  qu'un  paysan  m'a 
apportée  hier  ? 

—  Oui,  mon  prince. 

—  Eh  bien,  remplis-en  deux  cornets  de  papier. 
L'un  sera  pour  Cachopouil,  l'autre  pour  son  mé- 
tayer (i).  » 


(l)  Dicté  à  la  gare  de  Funic-1  (Loî-et-Garoiine),  par  un  vieux 
cliasseiir  d'alouettes^  dout  j'eus  le  tort  de  ne  pas  prendre  le  nom. 
Son  langage  dénotait  un  homme  natif  du  Haut-Agenais.  Dans 
rr.cn  enfance,  une  jeune  fille  nommée  Claire,  servante  à  Mar- 
r.iaude  (Lot-et-Garonne),  chez  ma  grand'mère  maternelle, 
M""  Liaubon,  me  fit  lyi  récit  à  peu  prés  semblable.  Cependant, 
Henri  IV  y  était  remplacé  par  un  roi  quelconque,  et  Roquelaure 
par  un  personnage  anonyme. 


^j  ^^  ^j  ^^  ^^  ^t  <^  C^  ^R>3Ikj  tJK^  î^^Olv  <j^  Or^  ^^  îhi>  (jt-jOtj^j  -^j 
■^ -î^ -3^  "îf"  "Sp  "J^  "2^ -Sf?  C^  ^ -J^  "i^  "3^ -jp -2^ -3^ -^ '~4? -^^ 


m 


L'AVEUGLE 


^^^^L  y  avait,  une  fois,  un  aveugle  fort  riche, 
^^  et  qui  avait  une  fille  à  marier.  Cet  aveugle 
d^»y  était  un  homme  fort  avisé.  Qj.iand  un 
galant  se  présentait,  pour  lui  demander  sa  fille, 
pour  femme,  l'aveugle  répondait  : 

—  a  Galant,  donne  l'avoine  à  mon  bidet,  et 
mets-lui  la  bride  et  la  selle.  Je  veux  aller  voir  si 
tes  champs  sont  bons. 

—  Mais,  pauvre  homme,  répondait  le  gaL.nt, 
vous  êtes  aveugle.  Comment  le  verrez-vous  ? 

—  Je  le  verrai  bien.  » 

Arrivé  dans  les  champs  du  galant,  l'aveugle 
descendait  de  cheval,  et  disait  : 

—  «  Galant,  attache  ma  bète  à  un  pied  d'hiiLble. 

—  «  Pauvre  homme,  il  n'y  a  pas  d'hièbles 
dans  ces  champs.  Il  n'y  a  que  de  la  fougère.  « 


278  RÉCITS 


Alors,  l'aveugle  remontait  sur  son  bidet,  et 
disait  : 

—  «  Galant,  je  ne  veux  pas  encore  marier  ma 
fille.  » 

Pendant  trois  ans,  il  parla  de  même.  Mais,  un 
jour,  un  galant  lui  répondit  : 

—  «  Voilà  qui  est  hk.  Votre  bidet  est  attaché 
à  un  hièble. 

—  Galant,  fais-moi  toucher  l'hièble  et  la  bride. 
Je  veux  savoir  si  mon  bidet  est  bien  attaché.  » 

L'aveugle  toucha  donc  la  bride  et  la  plante,  et 
comprit,  à  l'odeur  des  feuilles,  que  son  bidet  était 
bien  réellement  attaché  à  un  hièble. 

—  «  Galant,  dit -il,  tu  auras  ma  tille.  Nous 
ferons  la  noce  quand  tu  voudras.  » 

L'aveugle  avait  raison.  Le  brave  homme  vou- 
lait marier  sa  fille  richement.  Il  avait  vu,  autre- 
fois, que  la  fougère  pousse  dans  les  mauvaises 
terres,  et  l'hièble  dans  les  bonnes  (i). 

(i)  Dicté  par  ma  belle-mère,  .M™=  Lacroix,  née  Piiièdre,  Jv; 
Bonciicontre  (Lot-et-Garonne). 


is^^^,^$^î^e^^^s^^S5^^^a^^ 


IV 

LES  MAINS  BLAKCHES 


jL  y  avait,  une  fois,  un  homme  qui  avait 
une  fille  belle  comme  le  jour.  Cette  fille 
avait  trois  galants  :  un  boulanger,  un  per- 
ruquier, et  un  marinier.  Tous  trois  vinrent,  un 
jour,  trouver  le  père  de  leur  maîtresse,  et  lui 
dirent  : 

—  «  Brave  homme,  il  faut  choisir,  entre  nous 
trois,  celui  que  vous  voulez  pour  gendre. 

—  Mes  amis,  vous  me  mettez  dans  l'embarras. 

—  Il  faut  choisir.  Il  faut  choisir. 

—  Eh  bien,  puisqu'il  le  faut,  je  choisirai  celui 
de  vous  trois  qui  aura  les  mains  les  plus  blanches. 
Retirez-vous.  Je  vous  donne  trois  semaines  pour 
vous  préparer.  » 

Les  trois  galants  se  retirèrent.  Trois  semaines 
après,  ils  revinrent,  avec  les  mains  dans  leurs 
poches. 


zSo 


—  «  Eh  bien,  dirent-ils  au  père  de  la  jeune 
fille,  le  moment  de  choisir  entre  nous  trois  est 
venu. 

—  Mes  amis,  je  n'ai  qu'une  parole.  Montrez- 
moi  vos  mains,  l'un  après  l'autre.  » 

Le  boulanger  montra  d'abord  ses  mains,  blan- 
ches et  bien  savonnées. 

—  «  Boulanger,  voici  des  mains  bien  blanches. 
Mais  il  faut  voir  celles  du  perruquier,  et  du  mari- 
nier. » 

Le  perruquier  montra  ses  mains,  encore  plus 
blanches  et  mieux  savonnées  que  celles  du  bou- 
langer. 

—  «  Perruquier,  voici  des  mains  encoi'e  plus 
blanches  que  celles  du  boulanger.  Mais  il  faut  voir 
celles  du  marinier.  » 

Le  marinier  montra  ses  mains  rudes,  et  noires 
de  goudron.  Mais,  dans  chacune,  il  tenait  une 
yrossc  poignée  d'écus. 

—  «  Marinier,  tu  seras  mon  gendre.  C'est  toi 
qui  as  les  mains  les  plus  blanches  (i).  » 

(i)  Dicti  par  Riuline  L.icaze,  de  Panassac  (Gers). 


V 
LE  MÉCHANT  HOMME 


r!i<':i^^^"  ne  sait  pas  de  qui  on  aura  besoin,  ni  à 
ÏRp/Jl  quelle  fontaine  on  boira. 
us^r^  Il  y  avait,  une  fois,  dans  la  ville  d'Agcp., 
un  homme,  pauvre  comme  un  furet,  fainéant 
comme  un  chien,  et  insolent  comme  le  valet  du 
bourreau.  Au  contraire,  le  frère  de  cet  homme 
avait  acheté,  près  de  Nérac,  pour  plus  de  trente 
mille  francs  de  terre.  Il  travaillait  comme  un  ga- 
lérien ;  et  nul  ne  lui  avait  entendu  dire  contre 
personne  une  méchante  parole.  La  canaille  méri- 
terait de  mourir,  et  les  braves  gens  de  vivre. 
C'est  pourtant  le  contraire  qui  arrive.  Le  brave 
frère  mourut,  sans  s'être  marié  ;  et  le  curé  de  la 
paroisse  envoya  dire  au  méchant  homme  d'Agcn 
de  venir  à  l'enterrement. 

Le   méchant   homme  partit  donc,  et   marcha 


282 


trois  heures,  sans  s'arrêter,  jusqu'au  sommet 
d'une  côte,  où  il  y  avait  une  fontaine  au  bord  du 
chemin.  Là,  il  but  à  sa  soif.  Cela  fait,  il  pissa 
et  chia  dans  la  fontaine. 

—  «  Mauvais  sujet  !  lui  dit  un  homme  qui 
travaillait  son  champ,  tout  proche.  N'as-tu  pas 
honte,  de  souiller  ainsi  la  fontaine  dont  l'eau  sert 
à  tout  le  monde  ? 

—  Tais-toi,  imbécile.  Mon  frère  vient  de  mou- 
rir; et  j'hérite  de  plus  de  trente  mille  francs  en 
terres.  Maintenant,  j'aide  quoi,  pendant  toute  ma 
vie,  boire  du  vin,  et  manger  du  pain  blanc,  avec 
un  chapon  rôti  à  dîner,  et  deux  pans  de  saucisse 
à  souper.  Je  ne  boirai  plus  à  cette  fontaine.  » 

Le  méchant  homme  reprit  son  chemin,  et  arriva 
au  village,  où  on  allait  enterrer  son  frère. 

—  «  Notaire,  c'est  moi  qui  suis  l'héritier. 

—  Non,  ce  n'est  pas  toi.  Voici  le  testament  du 
pauvre  mort.  Il  laisse  tout  son  bien  aux  pauvres 
de  la  paroisse. 

—  Mon  frère  était  une  canaille. 

—  C'est  toi   qui   es   une   canaille,  crièrent  les 
.gens  venus  pour  l'enterrement.  Tu  es  arrivé  ici 

pour  faire  du  scandale,  et  insulter  le  pauvre  mort. 
File  aussitôt  pour  ton  pays,  ou  nous  sifflons  les 
chiens,  qui  te  feront  un  brin  de  conduite.  » 

Aussitôt,  le  méchant  homme  repartit  au  grand 
galop,   sans  manger  ni   boire.    Qiiand   il   arriva 


MORALITES 


près  de  la  fontaine,  il  était  rendu  de  fatigue,  et 
tirait  un  pan  de  langue. 

—  «  Mon  ami,  dit-il  à  l'homme  qui  travaillait 
toujours  son  champ,  tout  proche,  cette  fontaine 
est  souillée.  Enseigne-m'en  une  autre.  Je  crève 
de  soif. 

—  Mauvais  sujet,  c'est  toi  qui  as  souillé  la  fon- 
taine. Je  ne  t'en  enseignerai  pas  d'autre.  Bois  à 
celle-ci,  ou  crève.  » 

Le  méchant  homme  fut  forcé  de  boire  de  l'eau 
qu'il  avait  souillée. 

On  ne  sait  pas  de  qui  on  aura  besoin,  ni  à 
quelle  fontaine  on  boira  (i). 


(i)  Dicté   par  Marianne  Benje,  du  Passage-d'Agen   (Lot-et- 
Garonne)  . 


VI 
LA  FEMME  MÉCHANTE 


jjELui  qui  cherche  à  se  marier,  court  la 
cliance  de  grands  malheurs.  11  y  a  des 
:4e.  filles  méchantes.  Il  y  en  a  de  débauchées  : 
y  en  a  qui  aiment  la  bouteille.  Le  galant 
peut  faire  ce  qu'il  voudra,  prendre  des  renseigne- 
ments, tâcher  de  voir  par  lui-même.  Cela  ne  lui 
sert  jamais  de  rien.  Tant  que  le  curé  n'a  pas 
parlé,  les  filles  cachent  leurs  vices;  mais,  aprcs, 
c'est  une  autre  aftaire.  —  Dieu  vous  préserve  de 
ce  danger  !  Dieu  vous  préserve  surtout  d'épouser 
une  femme  méchante  !  Il  ne  vous  servirait  à  rien 
de  la  sermonner,  ni  de  la  battre.  La  carogne  se- 
rait peut-être  capable  dé  vous  empoisonner.  Si 
vous  tombez  mal  en  mariage,  mieux  vaudrait 
pour  vous  vivrç  dans  la  compagnie  de  Lucifer,  et 
de  ses  Diables. 

Un  homme  avait  eu  le  triste  sort  de  tomber 
sur  une  de  ces  méchantes  filles.  Le  soir  même  de 


MORALITÉS  28> 


la  noce,  elle  fit  un  sabbat  d'enfer.  Pendant  dix 
ans,  cela  recommença  vingt  fois  par  jour.  L'homme 
était  fort  comme  Sanison,  patient  comme  un 
ange,  et  il  se  disait  souvent  en  lui-même  : 

—  «  Si  je  bats  cette  malheureuse,  je  suis 
capable  de  l'estropier,  peut-être  même  de  la  tuer, 
sans  le  vouloir.  Jamais  les  juges  ne  pourraient 
croire  ce  que  j'ai  souffert  par  elle.  Ils  commande- 
raient de  me  faire  mourir.  Cela  serait  un  grand 
aiïront  pour  la  famille.  Mieux  vaut  faire  comme 
auparavant,  et  offrir  mes  peines  au  Bon  Dieu.  » 

La  femme,  voyant  que  son  homme  ne  répon- 
dait jamais  à  ses  insultes,  et  qu'il  n'avait  pas  l'air 
de  prendre  garde  à  ses  malices,  devint  encore  plus 
méchante. 

—  «  Ah  !  c'est  ainsi,  pensa-t-elle.  Eh  bien  ! 
nous  verrons  ce  soir.  » 

Le  soir,  l'homme  revint  de  son  champ,  las  et 
affamé. 

—  «  As-tu  trenlpé  la  soupe,  ma  femme? 

—  Non,  ivrogne,  voleur,  mauvais  sujet.  Je  suis 
lasse  de  servir  un  rien-qui-vaille  comme  toi.  Fais 
ta  cuisine,  si  tu  veux.  » 

Le  pauvre  homme  ne  répondit  rien.  Il  alla  cou- 
per des  choux  au  jardin,  alluma  le  feu,  et  fît  la 
soupe.  Mais,  comme  il  s'apprêttait  à  la  tremper, 
la  femme  cassa  la  marmite^  d'un  coup  de  pelle  à 
feu. 


286  RÉCITS 


—  «  Ma  femme,  pourquoi  as-tu  cassé  la  marmite  ? 

—  Cela  m'a  plu,  pouilleux. 

—  Je  te  défends  de  m'appeler  pouilleux. 

—  Pouilleux  !  Pouilleux  ! 

—  Si  tu  le  redis,  je  te  noie  dans  la  mare. 

—  Pouilleux  !  Pouilleux  !  Pouilleux  !  » 
L'homme  prit  sa  femme,  la  porta  dans  la  mare, 

et  l'y  fit  entrer,  jusqu'à  mi-jambe, 

—  «  Pouilleux  !  » 

L'homme  plongea  sa  femme  dans  la  mare,  jus- 
qu'à la  ceinture. 

—  «  Pouilleux  !  Pouilleux  !  » 

L'homme  plongea  sa  femme  dans  la  mare,  jus- 
qu'au menton. 

—  «  Pouilleux  !  Pouilleux  !  Pouilleux  !  » 
L'homme  plongea  dans  la  mare  toute  la  tète  de 

sa  femme.  Mais  celle-ci  élevait  ses  mains  en  l'air, 
et  frottait  ses  pouces  l'un  contre  l'autre,  comme 
qui  écrase  des  poux.  Alors,  l'homme  comprit  que 
cela  ne  servait  de  rien,  et  il  ramena  sa  femme  au 
bord  de  la  mare. 

—  «  Cette  leçon  est  perdue,  dit-il.  Je  dépen- 
serais mal  mon  temps  à  recommencer.  Ma  fenniie 
est  née  méchante,  et  méchante  elle  mourra  (i).  » 


(i)  Dicté  par  Marianne   Bense,   du  Passage-d'Agen  (Lot-et- 
Garonne). 


'5*;^:)^:''S'*;(5*;^*;^*cê;rê;cê;rê)c^cê;c5; 


VII 

LA  DAME  CORRIGÉE 


gvçA.,^L  y  avait,  une  fois,  une  dame  si  méchante, 
^5^  si  méchante,  qu'elle  avait,  en  trois  ans, 
^wU  fait  mourir  trois  maris  de  chagrin. 

Cette  dame  se  remaria  encore  une  fois.  Après 
la  messe,  les  mariés  montèrent  à  cheval,  et  par- 
tirent pour  leur  château. 

Le  mari,  qui  avait  entendu  parler  de  la  méchan- 
ceté de  sa  femme,  profita  du  voyage  pour  lui  don- 
ner une  leçon. 

Il  avait  amené  un  petit  chien  ;  mais  cet  animal 
ne  voulait  pas  suivre  son  maître.  Que  fait  alors 
celui-ci  ?  Il  arme  un  pistolet,  et  casse  la  tête  au 
petit  chien. 

—  «  Tenez,  Madame.  Portez  en  croupe  la  cha- 
rogne de  ce  petit  chien,  qui  n'a  pas  voulu  m'obéir.  » 

La  dame,  épouvantée,  prit  en  croupe  la  cha- 
rogne du  petit  chien,  et  ils  se  remirent  en  chemin. 


288  RÉCITS 


Au  bout  de  trois  lieues,  ils  arrivèrent  au  bord 
de  la  rivière  du  Gers,  qu'il  leur  fallait  traverser 
à  gué.  Mais  le  cheval  de  la  dame  ne  voulait  pas. 
Il  ruait,  et  hennissait  de  tout  son  pouvoir.  Que 
fait  alors  le  mari  ?  Il  arme  un  autre  pistolet,  et 
casse  la  tête  au  cheval. 

—  «  Tenez,  Madame.  Prenez  sur  votre  dos,  la 
selle   de  ce  cheval,  qui  n'a  pas  voulu  m'obéir.  « 

La  dame,  épouvantée,  prit  la  selle  sur  son  dos; 
et  ils  se  remirent  en  chemin.  A  l'entrée  de  la 
nuit,  ils  étaient  dans  leur  château. 

—  «  Valet,  dit  le  mari,  apporte-moi  un  bassin 
d'eau  chaude.  » 

Le  valet  obéit. 

—  «  Madame,  ôtez-moi  mes  bottes,  et  lavez- 
moi  les  pieds.  » 

La  dame,  épouvantée,  ôta  les  bottes  et  lava  les 
pieds  de  son  mari. 

—  «  Maintenant,  Madame,  c'est  à  mon  tour  de 
vous  servir.  N'oubliez  jamais  que  je  serai  pour 
vous  ce  que  vous  serez  pour  moi.  » 

La  dame  comprit  la  leçon  ;  et,  depuis,  elle  fut 
t;'UJours  soumise  à  son  mari  (i). 

(t)  Dicté  par  Élic  Kizon,  du  Pcrgain-Taillac  (Gers). 


®®®®®®^®®®®®® 


VIII 


LtS  DEUX   GOURMAKDES 


|L  y  avait,  une  fois,  un  métayer  qui  revint 
de  la  chasse  avec  deux  perdrix. 

—  «  Femme,  dit-il,  qu'allons-nous  faire 
de  ces  deux  perdrix  ? 

—  Mon  homme,  invitons  le  curé  à  dîner  ici, 
demain. 

—  Femme,  c'est  dit.  Je  vais  l'inviter.  » 

Le  lendemain,  la  femme  mit  les  deux  perdrix  à 
la  broche.  Elles  étaient  cuites  à  point,  et  rousses 
comme  l'or,  quand  une  voisine  entra. 

—  «  Jésus,  ma  mie,  quelle  bonne  odeur  !  Si 
nous  mangions  ces  deux  perdrix? 

—  Et  que  dira  le  curé  ? 

—  Le  curé,  nous  le  contenterons,  avec  des 
couennes  grillées.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Les  deux  femmes  ava- 

III  19 


290  RÉCITS 

lèrent  les  deux  perdrix,  et  mirent  sur  le  gril  quel- 
ques couennes,  qui  se  recroquevillaient  en  cui- 
sant. En  ce  moment,  le  curé  entra. 

—  «  Bonjour,  métayère.  Je  viens  dîner.  Où  est 
votre  mari? 

—  Monsieur  le  curé,  mon  mari  n'est  pas  en- 
core rentré;  et  j'en  suis  bien  aise  pour  vous.  A 
tous  ceux  qui  entrent  ici,  il  coupe  les  oreilles,  et 
les  mange.  Regardez  cuire,  sur  le  gril,  toutes 
celles  qu'il  a  coupées  depuis  hier.  » 

Les  couennes  recroquevillées  ressemblaient  à 
des  oreilles.  Épouvanté,  le  curé  partit  au  galop. 
Juste  en  ce  moment,  le  métayer  rentrait  à  la 
maison. 

—  «  Mon  homme  !  mon  homme  !  cours  vite 
après  le  curé.  Il  emporte  nos  deux  perdrix.  » 

Le  curé  filait  toujours  comme  un  lièvre;  et  le 
métayer  le  poursuivait  en  criant  : 

—  «  Monsieur  le  curé!  Monsieur  le  curé!  De 
deux  laissez-m'en  au  moins  une  (i).  » 


(i)  Dicté    par   Anna    Dumas,    du    Passage-d'Agen    (Lot-et- 
Garonne). 


^ 


^'^^^^^^^'^^^'^*âs^^ 


IX 


LES  AMES   DU  PURGATOIRE 


iL  y  avait,  une  fois,  un  fossoyeur  qui,  à 
force  de  bêcher  au  cimetière,  avait  épar- 
gné de  quoi  acheter  une  barrique  de  bon 
vin  vieux.  Quand  la  barrique  fut  sur  les  tins,  le 
fossoyeur  revint  à  son  ouvrage.  Aussitôt,  sa 
femme  courut  chez  une  voisine. 

—  «  Écoute,  mie.  Mon  homme  vient  d'acheter 
une  barrique  de  bon  vin  vieux. 

—  Eh  bien  !  mie,  allons  le  goûter.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Matin  et  soir,  les  deux 
commères  recommençaient  leurs  visites  à  la  cave, 
si  bien  qu'au  bout  d'un  mois  la  barrique  se  trouva 
sèche,  et  sonna  creux. 

—  «  Ah  !  mou  Dieu  !  mie,  nous  avons  bu  tout 


292  RECITS 

le  bon  vin  vieux.  Que  dira  ton  homme,  quand  il 
voudra  percer  la  barrique? 

—  Mie,  sois  tranquille.  Je  me  charge  de  tout 
arranger.  Prenons  chacune  un  drap  de  Ht,  et  par- 
tons pour  le  cimetière.  Là,  fais  et  dis  comme 
moi.  » 

En  effet,  à  neuf  heures  du  soir,  les  deux  com- 
mères entraient,  enveloppées  dans  leurs  linceuls, 
au  cimetière,  où  le  fossoyeur  travaillait  encore  au 
clair  de  la  lune. 

—  «  Fossoyeur  !  Fossoyeur  !  Les  âmes  du  pur- 
gatoire ont  bu  ton  bon  vin  vieux. 

—  Tout  ? 

—  Tout.  Oui,  certes,  tout.  » 

Les  deux  commères  repartirent  au  galop.  Une 
heure  après,  le  fossoyeur  rentrait  dans  sa  maison. 

—  «  Femme,  je  viens  du  cimetière.  Là,  j'ai  vu 
deux  fantômes  qui  me  criaient  :  «  Fossoyeur! 
«  Fossoyeur  !  Les  âmts  du  purgatoire  ont  bu  tout 
«  ton  bon  vin  xàeux,  —  Tout?  —  Tout.  Oui, 
«  certes,  tout.  »  Allons  voir  si  les  deux  fantômes 
ont  dit  vrai.  « 

Le  fossoyeur  et  sa  femme  allèrent  à  la  barrique. 
Elle  était  sèche,  et  sonnait  creux. 

—  «  Femme,  les  deux  fantômes  n'ont  pas 
menti.  Les  âmes  du  purgatoire  ont  bu  tout  mon 
bon  vin  vieux.  Je  souhaite  qu'il  leur  profite.  De- 
main,  j'en  achèterai  de  meilleur  encore;  mais. 


MORALITES  293 


dorénavant,  je  garderai  la  clef  de  la  cave,  et  tu  ne 
toucheras  plus  à  ma  bouteille. 

—  Et  que  boirai-je  donc,  mon  Dieu? 

—  Tu  boiras  de  l'eau  (i).  » 


(i)  Dicté    par    Anna    Dumas,    du     Passage-d'Agcn    (Lot-et- 
Garonne). 


MfS 


II 


LES    GENS    D'ÉGLISE 


LES  GENS  D'EGLISE 


L'BVÊQUE    ET     LE    MEUNIER 


^L  y  avait,  autrefois,  au  Castéra  (i),   un 

curé  qui  vivait  fort  mal  avec  l'évêque  de 

Lectoure  (2).  Le  pauvre  prêtre  faisait  son 

possible  pour  ne  pas  être  pris  en  faute.  Mais  qui 

peut  se  vanter  d'avoir  raison  contre  son  maître? 

Un  jour,  l'évêque  manda  le  curé. 


(i)  Le  Castéra-Lectourois,  commune  du  canton  de  Lectoure 
(Gers). 

(2)  Awint  la  Révolution,  la  paroisse  du  Castcra-Lectonrois 
dépendait  de  l'évcché  de  Lectoure. 


298 


—  «  Curé  du  Castéra,  je  suis  mécontent  de  toi. 
Dans  huit  jours,  je  te  chasse  de  ta  paroisse,  si  tu 
n'as  pas  fait,  de  point  en  point,  tout  ce  que  je 
vais  te  commander. 

«  Tu  reviendras  ici,  mais  ni  à  pied,  ni  à 
cheval. 

«  Tu  ne  seras  ni  nu,  ni  vêtu. 

«  Tu  me  diras  ce  que  je  pense. 

«  Tu  me  diras  combien  pèse  la  lune.  » 

Le  pauvre  curé  repartit  bien  tristement. 

Pendant  six'jours  et  six  nuits,  il  s'enferma  dans 
son  presbytère,  songeant  à  ce  que  l'évêque  de 
Lectoure  avait  dit,  mais  sans  trouver  moyen  de 
sortir  d'embarras. 

Le  soir  du  septième  jour,  le  pauvre  homme 
songeait  toujours,  en  se  promenant  dans  la  cam- 
pagne. Sans  y  prendre  garde,  il  arriva  chez  son 
ami,  le  meunier  de  La  Hillère  (i). 

—  «  Bonsoir,  meunier. 

—  Bonsoir,  Monsieur  le  curé.  Qu'avez-vous 
donc?  Vous  êtes  tout  songeur. 

—  Meunier,  j'ai  bien  raison  d'être  tout  son- 
geur. Demain,  je  serai  chassé  de  ma  paroisse,  si 
je  n'ai  pas  fait,  de  point  en  point,  tout  ce  que 
l'évêque  de  Lectoure  m'a  commandé.  Meunier, 
l'évêque  de  Lectoure  m'a  dit  : 

(i)  Moulin  sur  le  Gers,  non  loin  du  Castéra-Lectourois. 


LES   GENS    D   EGLISE  299 

«  Tu  reviendras  ici,  mais  ni  à  pied,  ni  à  cheval. 

«  Tu  ne  seras  ni  nu,  ni  vêtu. 

«  Tu  me  diras  ce  que  je  pense. 

«  Tu  me  diras  combien  pèse  la  lune.  » 

Le  meunier  se  mit  à  rire. 

—  «  Monsieur  le  curé,  retournez-vous-en  tran- 
quillement au  presbytère.  .  Ne  vous  mêlez  de 
rien.  A  moi  seul,  je  me  charge  de  vous  tirer 
d'embarras.  » 

Le  curé  retourna  donc  tranquillement  à  son 
presbytère,  et  ne  se  mêla  plus  de  rien. 

Le  lendemain  matin,  le  meunier  se  leva  de 
bonne  heure,  descendit  à  l'écurie,  bâta  et  brida 
son  plus  beau  mulet.  Cela  fait,  il  se  mit  nu 
comme  un  ver,  s'enveloppa  d'un  grand  filet, 
sauta  sur  sa  bête,  et  partit  au  grand  galop  pour 
Lectoure. 

Il  entra  sans  peur  ni  crainte  dans  la  cour  de 
l'évêché. 

—  «  Bonjour,  Monseigneur. 

«  Je  suis  sur  un  mulet.  Je  ne  suis  donc  revenu 
ni  à  pied,  ni  à  cheval. 

«  Je  suis  enveloppé  d'un  grand  filet.  Je  ne  suis 
donc  ni  nu,  ni  vêtu. 

«  Vous  voulez  que  je  vous  dise  ce  que  vous 
pensez.  Vous  pensez  voir  le  curé  de  Castéra  ;  mais 
vous  ne  voyez  que  le  meunier  de  La  Hillère. 

«  Vous  voulez  que  je  vous  dise  combien  pèse 


la  lune.  La  lune  a  quatre  quarts  (i).  Elle  pèse 
donc  une  livre.  Si  j'ai  menti,  prouvez-moi  le  con- 
traire, 

—  Meunier,  tu  es  un  homme  de  sens.  Va  dire 
au  curé  de  Castéra  que  je  n'ai  plus  de  rancune 
contre  lui,  et  qu'au  premier  poste  vacant,  je  le 
ferai  chanoine  de  Saint-Gervais  (2).  » 


(i)  Quatre  quartiers. 

(2)  Cathédrale  de  Lectoure.  — J'ai  écrit  ce  conte,  encore  très- 
populaire  en  Gascogne,  sous  la  dictée  de  mon  oncle,  l'abbé 
Prosper  Bladé,  curé  du  Pergain-Taillac.  Dans  une  variajite 
fournie  par  ma  tante,  feu  Thérèse  Liaubon,  veuve  Tessier,  de 
Gontaud  (  Lot-et-Garoune  ),  un  meunier  répond  à  l'évèquc 
d'Agen,  réitérant  les  questions  par  lui  posées  huit  jours  avant  au 
curé  de  Birac  (Lot-et-Garonne)  : 

—  K  Dis-moi  quelle  est  ma  valeur. 

—  Jésus-Christ  fut  vendu  trente  deniers.  Vous  en  valez 
quinze. 

—  Dis-moi  quelle  est  ma  pensée. 

—  Vous  pensez  à  votre  intérêt  plutôt  qu'au  mien. 

—  Dis-moi  quelle  est  ma  croj'ance. 

—  Vous  croyez  parler  à  un  curé,  et  vous  parlez  à  nn 
meunier.  » 


Il 

LE  CURÉ  AVISÉ 


jES  gens  ne  se  mettront  jamais  tous  d'ac- 
cord sur  une  même  chose. 

Il  y  avait,  une  fois,  un  curé  si  fin,  si 
avisé,  que  nul  n'avait  jamais  pu  le  surprendre  ni 
à  mal  dire,  ni  à  mal  faire.  Les  marguilliers  de  la 
paroisse  vinrent  le  trouver,  un  dimanche  matin, 
à  la  saaistie. 

—  «  Bonjour,  Monsieur  le  curé. 

—  Bonjour,  mes  amis.  Qu'y  a-t-il  pour  votre 
service? 

—  Monsieur  le  curé,  la  sécheresse  ruine  nos 
récoltes.  Nous  venons  vous  prier  de  faire  pleuvoir. 

—  Mes  amis,  rien  de  plus  facile.  Je  sais  une 
prière,  qui  fait  pleuvoir,  le  jour  même,  si  tout  le 
monde  est  d'accord  à  me  la  demander  Tout  à 
l'heure,  à  la  fin  du  prône,  je  consulterai  le  peuple. 


302 


—  Merci,  Monsieur  le  curé. 

—  A  votre  service,  mes  amis.  » 

Les  marguilliers  rentrèrent  dans  l'église,  et  le 
curé  commença  la  messe.  Le  moment  du  prône 
venu,  il  monta  en  chaire  et  dit  : 

—  «  Mes  frères,  les  marguilliers  de  la  paroisse 
sont  venus  me  trouver  tout  à  l'heure,  à  la  sacris- 
tie, et  se  sont  plaints  de  la  sécheresse,  qui  ruine 
vos  récoltes.  Ils  m'ont  prié  de  faire  pleuvoir.  Je 
sais  une  prière  qui  fait  pleuvoir,  le  jour  même,  si 
tout  le  monde  est  d'accord  à  me  la  demander. 
Voulez-vous  que  je  fasse  pleuvoir  aujourd'hui? 

—  Non,  Monsieur  le  curé,  dirent  les  garçons. 
Nous  voulons  aller  nous  promener,  ce  soir,  après 
vêpres. 

—  Voulez -vous  que  je  fasse  pleuvoir  demain? 

—  Non,  Monsieur  le  curé,  répondirent  trois  ou 
quatre  femmes.  Nous  avons  fait  nos  lessives  ;  et 
nous  ne  voulons  la  pluie  que  lorsque  notre  linge 
sera  sec. 

—  Voulez-vous  que  je  fasse  pleuvoir  mardi? 

—  Non,  Monsieur  le  curé,  dirent  les  jeunes 
filles.  Nous  voulons  aller  à  la  foire  ce  jour-là. 

—  Voulez-vous  que  je  fasse  pleuvoir  mercredi? 

—  Non,  Monsieur  le  curé,  répondit  une  troupe 
de  faucheurs.  Nous  avons  à  faucher  du  trèfle  ce 
jour-là. 

—  Voulez-vous  que  je  fasse  pleuvoir  jeudi  ? 


LES     GENS     D    EGLISE 


—  Non,  Monsieur  le  curé,  répondirent  les  pe- 
tits garçons.  Ce  jour-là  il  n'y  a  pas  école  ;  et 
nous  voulons  être  libres  d'aller  courir. 

—  Voulez-vous  que  je  fasse  pleuvoir  vendredi  ? 

—  Non,  Monsieur  le  curé,  répondit  le  tuilier. 
Mes  tuiles  sont  encore  dehors  ;  et  je  ne  puis  les 
enfourner  que  samedi. 

—  Voulez- vous  que  je  fasse  pleuvoir  samedi? 

—  Non,  Monsieur  le  curé,  répondit  le  maire. 
J'ai  besoin  d'aller  en  campagne  ce  jour-là. 

—  Mes  frères,  je  vous  l'ai  dit,  ma  prière  n'a  de 
vertu  que  si  tout  le  monde  est  d'accord  à  me  la 
demander.  En  attendant  que  vous  soyez  tous  du 
même  avis,  laissez  faire  le  Bon  Dieu  (i).  » 


(i)    Dicté    par   feu  Justine   Dutilh,    femme   Duplan,    née   à 
Marmande  (Lot-et-Garonue). 


III 


l.E   PREDICATEUR  MUET 


»L  y  avait,  autrefois,  à  Castet-Arrouy  (i), 
un  curé  savant  comme  un  livre,  et  hon- 
nête comme  l'or.  Chaque  fois  qu'il  avait 
à  composer  un  beau  prône,  ou  un  grand  sermon, 
le  brave  homme  s'en  allait  promener  seul,  au 
bois  du  Gajan  (2). 

Un  soir  qu'il  se  promenait  ainsi  tout  soucieux, 
le  curé  rencontra  un  tisserand  de  la  commune, 
qui  faisait  paître,  au  bois,  une  paire  de  cochons. 

—  «  Bonsoir,  tisserand. 

—  Bonsoir,  Monsieur  le  curé.  Qu'avez-vous 
donc  ?  Vous  avez  l'air  tout  soucieux. 


(1)  Commune  4u  canton  de  Miradoux  (Gers). 

(2)  Foret  entre  Lectourc  et  Miradoux,   aujourd'hui  défrichée 
fresque  en  entier. 


LES     GENS     D   ÉGLISE 


—  Tisserand,  c'est  vrai.  Je  suis  soucieux,  et 
j'ai  bien  raison  de  l'être. 

—  Vous,  Monsieur  le  curé?  Allons  donc.  Vous 
êtes  l'homme  le  plus  heureux  de  la  terre.  Pour 
un  tout  petit  travail,  vous  êtes  largement  payé. 
Bons  écus,  bon  vin,  bons  chapons.  Vous  venez 
ici,  vous  promener  presque  tous  les  soirs.  Par- 
lez-moi de  ça.  Sans  me  fouler  la  rate,  je  me 
sens  capable  d'en  faire  autant  que  vous.  Mais,  à 
vrai  dire,  je  me  sentirais  un  peu  gêné  pour  prê- 
cher. 

—  Pour  prêcher,  tisserand  ?  Rien  n'est  pour- 
tant plus  facile. 

—  Vous  croyez,  Monsieur  le  curé? 

—  Tisserand,  j'en  suis  sûr.  Pour  prêcher,  il 
n'y  a  qu'à  monter  en  chaire,  à  faire  le  signe  de  la 
croix,  et  à  parler  de  n'importe  quoi,  pendant  une 
heure  d'horloge. 

—  Vous  croyez.  Monsieur  le  curé  ? 

—  Tisserand,  j'en  suis  sûr.  Tiens,  veux-tu  en 
faire  l'épreuve  !  Demain,  c'est  le  dimanche  des 
Rameaux,  en  attendant  celui  de  Pâques.  Tu  sais 
que,  ce  jour-là,  j'ai  coutume  de  prêcher,  à  vêpres, 
un  grand  sermon.  Veux-tu  parler  à  ma  place?  Je 
te  prête  une  soutane,  un  surplis  et  un  bonnet 
carré.  Ainsi  vêtu,  nul  ne  te  reconnaîtra.  Allons, 
tisserand,  décide-toi.  Ce  n'est  ni  la  mer  à  boire, 
ni  la  lune  à  manger.  Si  l'épreuve  réussit,  compte 

m  20 


306  RÉCITS 

sur  moi,   pour  te  faire  nommer  curé  dans   une 
bonne  paroisse. 

—  Mais  mes  enfants,  Monsieur  le  curé?  Mais 
ma  femme?  Mais  ma  femme? 

—  Tisserand,  je  me  fais  fort  d'arranger  cette 
affaire  avec  l'évêque. 

—  Eh  bien,  Monsieur  le  curé,  c'est  dit.  Je  prê- 
cherai à  vêpres,  le  jour  de  Pâques. 

—  Tisserand,  c'est  dit.  Compte  que  force  gens 
viendront  de  loin,  pour  t'écouter.  » 

Le  lendemain,  à  la  fin  du  prône  de  la  messe  de 
paroisse,  le  curé  dit  aux  gens  de  Castet-Arrouy  : 

—  «  Mes  frères,  soyez  contents.  J'ai  une  bonne 
nouvelle  à  vous  annoncer.  Voici  une  lettre  où  le 
pape  de  Rome  me  mande  qu'ici-même,  et  pas 
plus  tard  qu'aux  vêpres  de  Pâques  prochaines, 
prêchera  le  plus  fameux  prédicateur  de  la  terre. 
Venez  tous,  et  ne  manquez  pas  d'inviter,  dans 
toutes  les  communes  voisines,  vos  parents  et  vos 
amis.  » 

Le  soir  de  Pâques,  l'église  de  Castet-Arrouy 
était  vingt  fois  trop  petite  pour  contenir  les  gens- 
de  la  paroisse,  et  ceux  qui  étaient  venus  de  Lec- 
tourc,  de  Saint-Avit,  de  Miradoux,  de  Peyrc- 
cave,  de  Flamarens,  de  Saint-Antoine,  et  d'Au- 
villars  (i). 

(i)  Communes  lin.itro/iics  ou  voisines  de  Cis'.ct-Arro'.iv. 


LES    GEKS     D  EGLISE 


—  «  Quel  bonheur  !  Nous  allons  donc  entendre 
le  plus  fameux  prédicateur  de  la  terre.  » 

Enfin,  le  prédicateur  parut.  Il  se  moucha, 
toussa,  cracha,  et  renifla  lentement  une  prise  de 
tabac.  Assis,  tout  en  haut  de  l'escalier  de  la 
chaire,  le  curé  de  Gistet-Arrouy  se  frottait  les 
mains,  et  regardait. 

Enfin,  le  tisserand  commença  : 

—  ff  In  iiomiiie  Patris,  et  Filii,  et  Spirilv.s  Sancli. 
Amen. 

—  Fort  bien,  tisserand,  soufiia  le  curé. 

—  Et  Spiritus  Sancti.  Amen. 

—  Fort  bien,  tisserand. 

—  Et  Spiritus  Sancti.  Amen.  Mes  frères... 

—  Fort  bien,  tisserand. 

—  Mes  frères...  Mes  frères...  mn  mn  mn... 
Mes  bien  chers  frères... 

—  Fort  bien,  tisserand. 

—  Mes  bien  chers  frères...  mn  mn  mn... 
mn...  mn... 

—  Fort  bien,  tisserand.  » 

Le  malheureux  tisserand  suait  à  grosses  gouttes. 

—  «  Fort  bien,  tisserand.  Courage  ! 

—  Mes  bien  chers  frères...  mn  mn  mn...  » 

Le  prédicateur  n'en  pouvait  plus,  et  toujours 
le  curé  soufflait  : 

—  «  Fort  bien,  tisserand.  Courage  !  » 

Enfin,  le  pauvre  tisserand  ne  tint  plus.  Il  jeta 


308  RÉCITS 

bas  son  surplis,  son  bonnet  carré,  sa  soutane,  et 
parut  en  bras  de  chemise.  Tout  le  monde  crevait 
de  rire. 

—  «  Le  tisserand  !  Le  tisserand  !  » 

Le  pauvre  homme  était  tout  bleu  de  colère. 

—  «  Que  le  Diable  vous  emporte.  Monsieur  le 
curé!  Vous  m'aviez  dit  :  «  Prêcher!  Rien  de 
plus  facile.  «  Vous  en  avez  menti,  gueusard. 
Prêcher!  J'aime  encore  mieux  pousser  ma  na- 
vette, et  garder  mes  porcs  au  Gajan. 

—  Tu  as  raison,  tisserand.  Chacun  son  métier, 
et  l'ouvrage  sera  bien  fait  (i).  » 


(i)  Dicté  par  feu  Chizet,  garde-forestier  du  Gajan,  alors  âgé 
de  près  de  soixante  ans. 


2^g^g|.g^g^©^5f.gfj§.:4>^ 


IV 

LE  CURÉ  ET  SES  PAROISSIENS 


_^L  y  avait,  une  fois,  une  petite  paroisse,  où 
'^'  le  peuple  faisait  la  guerre  à  son  cure. 
Mais  le  brave  homme  n'était  pas  plus 
bête  qu'un  autre;  et  il  s'était  arrangé  de  façon 
à  se  garer  contre  les  dénonciations  à  l'archevêque 
d'Auch. 

Chaque  dimanche  matin,  ce  curé,  montait  eu 
chaire,  et  disait  : 

—  «  Messe,  vêpres,  et  catéchisme  quelquefois.  « 
Cela  dit,  il  finissait  sa  messe,  quittait  l'église, 

et  passait  le  reste  de  la  semaine  à  se  divertir. 
A  la  fin,  les  paroissiens  perdirent  patience. 

—  «  Ceci  ne  peut  plus  durer.  Allons  nous 
plaindre  à  l'archevêque  d'Auch.  Aussi  sûr  qu'il  v, 
a  un  Dieu,  il  nous  changera  de  curé.  « 

Le  lendemain,  le  maire,  l'adjoint,  le  régent. 


310  RÉCITS 

et  les  marguilliers,  partaient  donc  pour  la  ville 
d'Auch,  montés  sur  tous  les  chevaux  et  juments 
poulinières  de  la  commune. 

—  «  Bonjour,  Monseigneur.  Nous  avons  un 
triste  curé.  Quand  il  a  dit  :  «  Messe,  vêpres,  et 
<(  catéchisme  quelquefois,  »  il  passe  le  reste  de  la 
semaine  à  se  divertir. 

—  Mes  amis,  votre  dire  vous  condamne. 
«  Messe,  vêpres,  catéchisme  quelquefois,  »  c'est 
bien  assez,  pour  une  petite  paroisse  comme  la 
vôtre.  » 

Le  maire,  l'adjoint,  le  régent,  et  les  marguil- 
liers, s'en  retournèrent  tout  confus.  Chemin  fai- 
sant, ils  se  disaient  : 

—  «  Ah!  l'ardievêque  d'Auch  nous  a  donne 
tort.  Patience!  Nous  nous  vengerons  de  lui.  » 

Qiielques  mois  après,  l'archevêque  d'Auch  fai- 
sait la  tournée  de  confirmation  dans  son  diocèse. 
Qiiand  il  arriva  dans  la  petite  paroisse,  les  mai- 
sons étaient  enguirlandées  ;  le  peuple  attendait  à 
la  porte  du  village,  en  habits  de  fêtes.  Mais  le 
maire,  l'adjoint,  le  régent,  et  les  marguilliers, 
avaient  mis  à  sec  le  bénitier,  et  s'étaient  arrangés 
de  façon  à  y  verser,  au  bon  moment,  un  grand 
chaudron  d'eau  bouillante,  pour  échauder  la  main 
de  l'archevêque  d'Auch,  quand  il  voudrait  prendre 
de  l'eau  bénite. 

Mitre  en  tête,  et  crosse  en  main,  l'archevêque 


LES    GENS     D   EGLISE 


d'Auch  entra  dans  l'église.  Sans  se  méfier  Je  rien, 
il  approcha  sa  main  du  bénitier.  Alors,  un  mar- 
guillier  le  poussa,  comme  par  hasard,  et  lui  en- 
fonça le  bras  jusqu'au  coude  dans  l'eau  bouillante. 

—  «  Aie!  aie!  » 

Le  curé  ne  perdit  pas  cette  bonne  occasion. 

—  «  Vous  le  voyez,  Monseigneur,  voici  les 
gens  avec  qui  je  dois  vivre,  pour  vous  obéir. 

—  Mon  ami,  ton  martyre  va  finir.  Je  te  fais 
curé  de  l'Isle-Jourdain  (i).  Et  vous,  méchants 
paroissiens,  vous  n'aurez  pas  de  si  tôt  un  autre 
curé  (2).   » 


(i)  Chef-lieu  de  canton  du  département  du  Gers. 

(2)  Dicté  par  l'abbé  Estibal,  mort  curé  de  Terraube,  canton 
de  Lectoure  (Gers),  et  natif  de  l'Isle-Jourdain.  Cette  historiette 
est  encore  assez  répandue  dans  le  département  du  Gers. 


tÈ  QjCâéi)^-  ^âs^(^(^ 


V 

LE  SIGXE  DE  LA  CROIX 


^Jm 


jL  y  avait,  une  fois,  un  brave  paysan,  qui 
vivait  heureux  dans  sa  maisonnette,  avec 
sa  femme  et  son   petit  garçon.  Mais  le 

bonheur  ne  dure  pas.  Un  jour,  la  femme  tomba 

malade,  et  se  mit  au  lit. 

—  «  Mon  homme,  dit-elle,  je  vais  mourir. 
Qj-iand  je  ne  serai  plus  là,  comment  feras-tu  pour 
tenir  notre  maisonnette  en  ordre,  et  pour  élever 
notre  petit  garçon? 

—  Pauvre  femme!  Je  devine  ta  pensée  secrète. 
Tu  crains  que  je  ne  me  remarie.  Meurs  tran- 
quille. Je  ne  me  remarierai  pas.  Nuit  et  jour, 
je  travaillerai,  pour  tenir  notre  maisonnette  en 
ordre,  et  pour  élever  notre  petit  garçon. 

—  Mon  homme,  merci.  » 

La  pauvre  femme  mourut,  et  le  brave  paysan 


LES    GEXS     D    EGLISE  513 

n'oublia  pas  sa  promesse.  Il  ne  se  remaria  pas. 
Nuit  et  jour,  il  travailla,  pour  tenir  la  maison- 
nette en  ordre,  pour  élever  son  petit  garçon. 

L'enfant  n'était  pas  bête.  A  l'école,  il  apprit 
vite  et  bien,  tout  ce  que  le  régent  était  en  état  de 
lui  enseigner.  Alors,  l'enfant  dit  à  son  père  : 

—  «  Père,  envovez-nioi  au  séminaire  d'Agen. 
Je  veux  étudier  pour  devenir  prêtre. 

—  Mon  ami,  fais  à  ta  volonté.  » 

Le  garçon  partit  donc  pour  le  séminaire  d'Agen. 
A  vingt-quatre  ans,  il  en  avait  appris  autant  que 
ses  maîtres  ;  si  bien  que  l'évêque  nomma  le  petit 
abbé  curé  de  la  paroisse,  où  son  père  vivait  tou- 
jours. 

Mais  le  petit  abbé  était  devenu  glorieux  comme 
un  paon.  Il  avait  honte  d'être  le  fils  d'un  paysan, 
et  de  loger  dans  une  maisonnette  sans  premier 
étage.  Le  jour  même  de  son  arrivée,  il  manda  les 
maçons,  pour  bâtir  ce  qui  manquait  ;  si  bien  que, 
trois  mois  plus  tard,  il  logeait  en  haut,  dans  une 
belle  chambre  à  deux  lits,  un  pour  lui,  l'autre 
pour  les  gens  riches  et  haut  placés  qui  venaient 
lui  faire  visite.  Comme  autrefois,  le  père  cou- 
chait toujours  en  bas,  dans  la  cuisine.  Certes,  le 
pauvre  homme  était  triste  de  voir  son  fils  si  glo- 
rieux; mais  il  ne  faisait  aucune  plainte. 

Un  beau  soir,  l'évêque  d'Agen  arriva  dans  la 
paroisse,  pour  y  confirmer  les  enfants  le  lende- 


314  RÉCITS 

main.  C'était  un  brave  homme,  dévot  et  aumô- 
nier comme  un  saint,  juste  comme  l'or,  et  peu 
gêné  pour  châtier  publiquement  les  gens  qui  le 
méritaient. 

Après  souper,  le  petit  abbé  ht  monter  l'évéquc 
dans  la  belle  chambre. 

—  «  Monseigneur,  voici  votre  lit,  et  voilà  le 
mien.  Bonne  nuit. 

—  Merci,  petit  abbé!  Mais  où  couche  donc  ton 
brave  père  ? 

—  Monseigneur,  il  couche  en  bas,  dans  la  cui- 
sine. C'est  bien  assez  pour  lui. 

—  Tu  crois,  petit  abbé?  Nous  verrons.  En  at- 
tendant, bonne  nuit.  » 

Tous  deux  montèrent  au  lit.  Le  lendemain, 
l'église  regorgeait  de  monde.  Après  la  conlirma- 
tion,  l'évêque  d'Agen  monta  en  chaire. 

—  «  Petit  abbé,  dit-il,  tu  passes  pour  le  plus 
savant  de  mes  prêtres.  » 

Le  petit  abbé  fiiisait  la  roue,  comme  un 
dindon. 

—  «  Petit  abbé,  puisque  tu  en  sais  si  long,  je 
veux  te  faire  briller  devant  tous  ces  braves  gens. 
Monte  à  l'autel,  et  tourne-toi  vers  moi.  Que  toui 
le  monde  te  voie.  Bien,  Et  maintenant,  petit  abbé, 
fais  le  signe  de  la  croix. 

—  Au  nom  du  Père,  du  Fils... 

—  Assez,  petit  abbé.  Je  te  fais  grâce  du  reste. 


LES     GEXS     D    EGLISE  315 


Explique-moi  seulement  ce  que  tu  fais.  Que  si- 
gnifie ta  main  droite  que  tu  montes  au  front,  en 
disant  :  «  Au  nom  du  Père,  »  et  que  tu  descends 
à  h  poitrine,  en  disant  :  «  du  Fils?  » 

—  Monseigneur,  cela  signifie...  Cela  signifie... 

—  Petit  abbé,  je  t'écoute,  et  tous  ces  braves 
gens  avec  moi. 

—  Monseigneur,  cela  signifie...  Cela  signi- 
fie... » 

L'évêque  commençait  à  rire,  et  le  peuple  faisait 
comme  lui. 

—  «  Oui,  petit  abbé.  Qu'est-ce  que  cela  signi- 
fie? 

—  Monseigneur,  cela  signifie...  Cela  signifie... 

—  Allons,  petit  abbé. 

—  Cela  signifie...  Cela  signifie...  » 
Le  peuple  crevait  de  rire. 

—  «  Monseigneur,  cela  signifie...  Cela  signi- 
fie... 

—  Petit  abbé,  tu  n'es  qu'un  âne.  Puisque  tu 
n'es  pas  en  état  de  me  répondre,  c'est  moi  qui 
parlerai  pour  toi.  Quand  tu  montes  ta  main 
droite  au  front,  en  disant  :  «  Au  nom  du  Père,  » 
cela  signifie  que  ton  père,  qui  couche  en  bas,  dans 
la  cuisine,  doit  coucher  en  haut,  dans  la  belle 
chambre.  Quand  tu  descends  ta  main  droite  à  la 
poitrine,  en  disant  :  «  du  Fils,  »  cela  signifie  que 
toi,  le  fils,  qui  couches  en  haut,   dans  la  belle 


3l6  RÉCITS 

chambre,  tu  dois  coucher  en  bas,  dans  la  cuisine. 
As-tu  compris,  petit  abbé? 

—  Oui,  Monseigneur.  » 

Le  petit  abbé  profita  de  la  leçon.  Il  cessa  d'être 
glorieux  comme  un  paon,  et  n'eut  plus  hotite 
d'être  le  fils  d'un  paysan.  Désormais,  il  fit  cou- 
cher son  brave  père  dans  la  belle  chambre  d'en 
haut,  et  coucha  lui-même  à  la  cuisine  (i). 


(i)  Dicté  par  Marianne  Bense,   du   Passage-d'Ageu  (Lot-et- 
Garonne). 


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VI 
HISTOIRES    DU  CURÉ  DE  LAGARDE 


|L  y  avait,  autrefois,  à  Lagarde  (i),  un  curé 
sur  le  compte  duquel  on  a  fini  par  mettre 
à  peu  près  toutes  les  histoires,  vraies  ou 
fausses  qui  courent  encore  dgns  toutes  les  pa- 
roisses du  diocèse  (2).  Voici  celles  dont  je  me 
souviens. 

I.  —  Le  curé  de  Lagarde  n'avait  pas  son  pareil 
pour  conjurer  l'orage. 

Un  jour,  le  mauvais  temps  menaçait  d'empor- 
ter toutes  les  récoltes.  Par  malheur,  le  curé  n'était 
pas  chez  lui.  Alors,  les  gens  de  la  paroisse  dirent 
au  sonneur  de  cloches  : 

—  «  Sonneur  de  cloches,  conjure  roras;e.  » 


(i)    Lagarde-Fimarcon  ,    commune    du    canton    Je    Lectoure 
(Gers). 
(2)  Le  diocèse  sctuel  d'Auch. 


318 


Tout  glorieux  de  cette  confiance,  le  sonneur  de 
cloches  prit  une  statuette  de  la  sainte  Vierge,  fit 
ranger  les  gens  en  procession,  et  entonna  : 

—  «  Exsiirge  Domine...  Prêchi  prêcha...  » 
En  ce  moment,  arriva  le  curé  de  Lagarde. 

—  «  Imbécile,  que  fais-tu  là? 

—  Vous  le  voyez.  Monsieur  le  curé.  Je  conjure 
l'orage. 

—  Animal  !  Tu  conjures  l'orage  avec  la  sta- 
tuette de  la  sainte  Vierge.  Ceci  n'est  pas  affaire 
de  femmes.  Va  me  chercher  le  Bon  Dieu  (i).  » 

II.  —  Un  autre  jour,  le  curé  de  Lagarde  vou- 
lait empêcher  un  jeune  homme  d'assister  à  une 
noce,  où  on  l'avait  prié  comme  donzellon  (2). 

—  «  Mon  ami  n'y  va  pas.  Les  noces  sont  des 
assemblées  de  perdition. 

—  Mais  pourtant,  Monsieur  le  curé,  Notre- 
Scigneur  Jésus-Christ  assista  bien  aux  noces  de 
Cana. 

—  Crois-tu,  peut-être,  que  ce  soit  la  plus  belle 
action  de  sa  vie  ?  » 

III.  —  Un  autre  jour,  le  curé  de  Lagarde,  son 
clerc,  et    deux  marguilliers,    portaient  le    Bon 


(i)  Va  me  chercher  la  croix. 
(2)  Gar;on  d'i  onneur. 


LES     GEKS     D   EGLISE  319 


Dieu  (i)  à  un  malade.  Comme  ils  traversaient 
rOchie  (2),  sur  un  petit  pont  de  bois,  le  pont  se 
rompit.  Clerc  et  marguilliers  furent  bientôt  hors 
de  danger.  Tandis  que  le  curé  se  débattait  encore 
dans  l'eau,  ils  lui  criaient,  du  haut  de  la  berge  : 

—  «  Monsieur  le  curé  !  Monsieur  le  curé  !  Au 
secours  !  Au  secours  !  L'eau  emporte  le  Bon 
Dieu. 

—  Bon  !  bon  1  bramait  le  bon  homme.  Le  Bon 
Dieu  nage  comme  un  canard.  Mais  moi,  je  me 
noie.  » 

Cela  ne  l'empêcha  pas  de  repêcher  le  Bon  Dieu. 

IV.  —  Le  curé  de  Lagarde  était  parfois  fort 
distrait. 

Un  jour  qu'il  lui  fallait  donner  la  communion 
à  une  vieille  femme,  il  se  fouilla,  pour  prendre  la 
clef  du  tabernacle.  Par  malheur,  il  en  avait  une 
autre  dans  sa  poche  ce  jour-là.  [Pendant  un  gros 
quart  d'heure,  le  curé  de  Lagarde  farfouilla  dans 
la  serrure.  Il  finit  par  perdre  patience. 

—  «  Pauvre  femme,  dit-il,  aujourd'hui,  le  Bon 
Dieu  s'est  levé  du  mauvais  côté.  Il  s'est  ver- 
rouillé en  dedans.  Revenez  demain.  Sa  mauvaise 
humeur  sera  sans  doute  passée.  » 

(i)  Le  vùiKiuj. 

(2)  Pet;:  affluent  du  Gers,  rive  gau,.-hv'. 


320 


V.  —  Malgré  ses  farces,  le  curé  de  Lagarde 
était  un  bon  prêtre,  plein  de  foi,  grand  aumônier, 
et  prêt  à  faire  service  à  chacun.  Mais  le  maire  de 
la  commune  était  un  homme  avare,  méchant,  et 
glorieux  comme  un  pou.  Ce  maire  s'était  mis 
dans  la  tête  de  se  faire  asperger  en  particulier,  à 
son  banc,  tous  les  dimanches,  pendant  la  béné- 
diction qui  se  fuit  avatit  la  messe  de  paroisse. 

—  «  Monsieur  le  maire,  lui  dit  enfin  le  curé 
de  Lagarde,  ce  n'est  pas  assez  de  vous  asperger 
une  fois.  Vous  méritez  le  triple.  Dimanche  pro- 
chain, vous  aurez  contentement.  » 

Le  curé  de  Lagarde  avait  secrètement  com- 
mandé, à  un  ferblantier  de  Lectourc,  un  goupillon 
dont  la  têle  contenait  au  moins  une  pinte  d'eau 
bénite.  Ce  goupillon  fut  apporté  secrètement  au 
presbytère  le  samedi  soir. 

Le  lendemain,  dimanche,  le  curé  commença  son 
aspersion  avec  le  goupillon  ordinaire. 

—  «  Asperges  me,  Domine,  hysopo  et  miindahor.  » 
Arrivé  devant  le  banc  du  maire,  ce  fut  autre 

chose. 

—  ((  Lavàbis  me...  » 

Vlan  !  vlan  !  vlan  1  En  trois  coups  de  goupil- 
lon, le  pauvre  maire  reçut,  en  pleine  figure,  trois 
pintes  d'eau  bénite. 

Depuis  lors,  il  ne  songea  plus  à  se  faire  asper- 
ger en  particulier. 


LES   GExs  d'Église 


VI.  —  Le  cure  de  Lagarde  était  royaliste. 
Après  la  Révolution  de  1830,  il  se  trouva  forcé 
de  chanter,  chaque  année,  le  jour  de  la  fête  du 
roi  (i),  K  Domine,  salviim  fac  regem  nostrum  Lii- 
dovicum  Philippiim,  etc.  »  Voici  comment  le  curé 
s'y  prenait  : 

—  «  Domine,  salviiin  fac  regem  noslnim...  — 
Broum  broum  broum.  Atchoum!  atchoum!...  — 
et  exaitdi  nos  in  die,  etc.  » 

A  l'oraison  de  la  fin,  c'était  un  mélange  de  la- 
tin et  de  patois. 

—  «  Oiutsumus,  lit  famulus  tuiis  Ludovicus  Phi- 
lippus,  rex  noster,  —  o  be,  plan  (2),  —  qui  tua  mi- 
S'.'raiione  suscepit  regni  guberncunl.i ,  —  qu'es  pas 
Icu  soun  (3),  —  virtutum  etiam  omnium  percipiat 
incrementa,  —  n'a  plan  besoun  (4),  —  quibus  dc- 
ce.uter  ornalus,  etc.  » 

Le  maire,  chargé  de  surveiller  le  curé,  ne  se 
méfiait  de  rien,  et  prenait  tout  cela  pour  du 
latin. 

VII.  —  Un  dimanche,  le  curé  de  Lagarde  prê- 
chait sur  la  tentation  de  Jésus-Christ. 

—  «  Alors,  mes  bien  chers  frères,   le  Démon 


(  i)  Le  X"  mai,  jour  de  la  Saint-Philippe. 

(2)  Oui,  bien. 

(3)  Le  royaume  n'est  pas  à  lui. 

(4)  I!  en  a  bien  besoin. 

m  21 


322  RÉCITS 

transporta  Notre-Seigneur  sur  une  liante  mon- 
tagne, et  mit  à  ses  pieds  tous  les  royaumes  de  la 
terre. 

—  «  Prends  l'Europe,  lui  disait-il.  Prends  l'Asie. 
«  Prends  l'Afrique  et  l'Amérique.  Prends  Tou- 
«  louse  et  Bordeaux.  Prends  Lectoure  et  Con- 
«  dom  (i).  Prends  Larroumieu,  Laroque  et  Mar- 
ée solan  (2).  Mais  Lagarde,  tu  ne  l'auras  pas.  Je 
«  me  la  réserve.  C'est  mon  paradis.  » 

VIII.  —  Un  autre  jour,  le  curé  de  Lagarde 
prêchait  sur  le  Jugement  dernier. 

—  «  Alors,  mes  bien  chers  frères,  nous  serons 
tous  jugés  dans  la  vallée  de  Josaphat.  Écoutez 
bien.  Nous  serons  tous  jugés.  Mauvaise  affaire, 
mes  bien  chers  frères.  Mauvaise  affaire.  Moi  qui 
vous  parle,  je  serai  jugé  comme  les  autres.  Le 
Bon  Dieu  m'appellera. 

—  Hô  !  curé  de  Lagarde  !  Hô  !  hô  !  hô  ! 

—  Mais  je  ne  répondrai  pas,  et  je  me  cacherai 
dans  un  trou.  » 

Et  le  curé  de  Lagarde  disparaissait  derrière 
l'appui  de  la  chaire. 

—  «  Hô  1  curé  de  Lagarde  !  Hô  !  hô  !  hô  !  » 


(i)    Chefs-lieux    d'arrondissement,    dans    le    département   du 
Gers. 
(2)  Trois  communes  voisines  de  Lagarde. 


LES     GENS     D   EGLISE 


Et  le  curé  de  Lagarde  se  taisait,  toujours  caché 
derrière  l'appui  de  la  chaire. 

—  «  Hô  !  curé  de  Lagarde  !  Hô  !  hô  !  hô  !  Je  te 
vois.  Attends  !  attends  !   » 

Et  le  curé  de  Lagarde  s'empoignait  des  deux 
mains  par  les  cheveux,  comme  pour  se  ramener 
à  la  vue  du  peuple. 

—  «  Par  force,  il  me  faudra  comparaître.  Alors, 
le  Bon  Dieu  me  dira  : 

—  Curé  de  Lagarde  !  Curé  de  Lagarde  ! 
Qu'as-tu  fait  de  tes  ouailles? 

—  Et  moi  je  répondrai  : 

—  Bon  Dieu,  bêtes  vous  me  les  avez  don- 
nées. Bêtes  je  vous  les  rends.  » 

DC.  —  Un  autre  jour,  le  curé  de  Lagarde  prê- 
chait sur  le  mystère  de  la  Sainte-Trinité. 

—  «  Comment,  disait-il,  comm.ent,  mes  bien 
chers  frères,  ne  comprenez-vous  pas  que  trois  per- 
sonnes, ou  que  trois  choses  n'en  fassent  qu'une  ? 
Écoutez-moi  bien. 

—  «  Pieds  nus  comme  un  loup,  barbu  comme 
un  bouc,  sanglé  comme  un  âne. 

—  «  Qu'est  cela?  Répondez,  mes  bien  chers 
frères.  Vous  ne  devinez  pas?  Ecoutez. 

—  «  Qui  va  pieds  nus  comme  un  loup  ?  — 
Un  capucin. 


324  RÉCITS 

—  Qui  porte  la  barbe  comme  un  bouc?  — Un 
capucin. 

—  Qui  va  sanglé  comme  un  âne?  —  Un  ca- 
pucin. 

—  Pieds  nus  comme  un  loup,  barbu  comme 
un  bouc,  sanglé  comme  un  âne,  ne  font  pourtant 
qu'un  capucin. 

«  Autre  exemple  : 
«  Prenez  un  morceau  de  jambon. 
«  Il  y  a  du  maigre. 
«  11  y  a  du  gras. 
«  Il  y  a  de  la  couenne. 

«  Maigre,  gras,  couenne,  ne  font  pourtant 
qu'un  morceau  de  jambon.  » 

X.  —  Un  jour  de  clôture  de  mission,  à  Marso- 
lan  (i),  le  curé  de  Lagarde  se  rendait  utile.  En 
intendant  de  prêcher  en  plein  air,  le  soir,  après  la 
procession,  dans  un  cuvier,  proprement  arrangé 
pour  cette  occasion,  le  brave  homme  confessait,  à 
l'église,  depuis  le  lever  du  soleil,  les  hommes 
convertis  par  les  sermons  des  missionnaires  (2). 
Bon  travail,  car  les  hommes  sont  bien  plus  difli- 
ciles  à  ramener  que  les  femmes. 


(i)  Commune  du  c.imon  de  Leotoure  (Gers),  voisine  de  I  a- 
gsrJe. 

(r.)  I.^s  missionnaires  dioccs.-iins. 


LES     GENS     D    EGLISE 


Tandis  que  le  curé  confessait,  confessait,  arri- 
vèrent douze  ou  quinze  dévotes,  vêtues  de  blanc. 
Elles  venaient  répéter,  encore  une  fois,  un  beau 
cantique,  pour  la  procession  du  soir.  Voici  le 
refrain  : 

—  «  Dans  la  Terre  promise, 
De  loin  je  vois  Moïse  (i).  » 

Ce  cantique  troublait  le  confesseur  et  ses  pé- 
nitents. Le  curé  de  Lagarde  parut,  en  surplis,  sur 
la  porte  du  confessionnal,  et  fit  signe  aux  dévotes 
de  se  taire. 

—  «  Chût  !  chût  !  » 

Les  dévotes  se  mirent  à  chanter  plus  fort  : 

—  «  Dans  la  Terre  promise, 
De  loin  je  vois  Moïse.  » 

Le  curé  de  Lagarde  reparut. 

—  «  Chût  !  chût  !  » 

Mais  les  dévotes  ne  voulaient  pas  en  avoir  L- 
démenti. 

—  «  Dans  la  Terre  promise^ 
De  loin  je  vois  Moïse.  » 

Cette  fois,  le  curé  de  Lagarde  n'y  tint  plus.  Il 
s'élança  du  confessionnal,  et  tira  sa  révérence  aux 
dévotes  en  chantant  : 

i)  Ces  deux  vers  en  françîis,  dans  le  récit  traduit  du  gascon. 


326  RÉCITS 


—  «  Faites-lui  bien  mes  compliments.. 
Faites-lui  bien  mes  compliments  (i).  » 

Cette  fois,  les  dévotes  se  turent,  et  s'en  allèrent 
répéter  ailleurs  leur  beau  cantique. 

XI.  —  Le  même  soir,  le  curé  de  Lagarde  prê- 
clia,  en  plein  air,  sur  le  Jugement  dernier. 

—  «  Alors,  disait-il,  mes  bien  chers  frères,  le 
Bon  Dieu  séparera  les  brebis  des  boucs,  les  bons 
des  méchants.  Moi,  je  serai  parmi  les  justes,  et 
vous  parmi  les  damnés.  Quand  les  Diables  ar- 
riveront pour  vous  emporter  en  enfer,  vous  me 
crierez  trop  tard  : 

—  «  Curé  de  Lagarde  !  Curé  de  Lagarde  !  » 

—  Et  moi,  je  me  frotterai  les  mains,  à  la  droite 
du  Bon  Dieu.  Je  vous  crierai  :  «  Tant  mieux. 
C'est  bien  fait.  Il  fallait  m'écouter,  quand  je  prê- 
chais dans  le  cuvier,  qui  me  servait  de  chaire,  à 
Marsolan.  » 

XII.  —  Chaque  fois  qu'il  mourait  un  de  ses 
paroissiens,  le  curé  de  Lagarde  ne  manquait  pas, 
le  dimanche  suivant,  d'en  faire  l'éloge  public  en 
chaire. 

Un  dimanche,  il  fit  l'éloge  du  pauvre  Rapet. 

(i)  Ceci  en  français. 


LES     GEXS     D    EGLISE  ■527 

Assise  au  pied  de  la  chaire,  la  Rapete  (i)  en 
deuil  lui  répondait. 

—  «  Mes  bien  chers  frères,  disait   le  curé,  le 
pauvre  Rapet  est  mort. 

—  Quel   malheur!    Monsieur   le    curé.    Quel 
malheur  ! 

—  Dans  son  jeune  temps,  le  pauvre  Rapet  fut 
un  beau  garçon. 

—  Roux  comme  une  poire,  Monsieur  le  curé. 
Gras  comme  un  melon. 

—  LepauvreRapet  marchait  droit,  en  vrai  chré- 
tien. Il  maintenait  les  siens  dans  le  bon  chemin. 

—  A  grands  coups  de  trique,  Monsieur  le  curé. 
A  grands  coups  de  trique. 

—  Le  pauvre  Rapet  était  charitable. 

—  Oh!  oui,   Monsieur  le  curé.  Tout  le  pain 
moisi,  j'avais  ordre  de  le  doimer  aux  pauvres. 

—  Le  pauvre  Rapet  était  laborieux. 

—  Oh  !  oui.  Monsieur  le  curé.  Nuit  et  jour,  il 
me  faisait  travailler. 

—  Le  pauvre  Rapet  était  bon  laboureur,  bon 
jardinier. 

—  Oh!  oui.  Monsieur  le  curé.  Gare  à  moi,  si 
je  n'arrosais  pas  les  choux. 

—  Le  pauvre  Rapet  aimait  sa  femme. 

—  Oh  !  oui.  Monsieur  le  curé.  Un  soir,  nous 

(i)  La  veuve  de  Rapet. 


328  RÉCITS 

mangions  un  œuf  à  la  coque  ensemble.  Toujours, 
il  me  disait  :  «  Trempe,  mie.  Trempe  (i).  » 

XIII.  —  Un  jour,  le  curé  de  Lagarde  apprit  que 
cinq  à  six  mauvais  garnements  de  la  paroisse 
étaient  allés  le  dénoncer  à  l'archevêque,  et  qu'il 
les  avait  renvoyés  tout  confus. 

Le  dimanche  suivant,  le  curé  ne  manqua  pas 
d'en  parler  en  chaire. 

—  «  Mes  bien  chers  frères,  nul  ne  peut  être  au 
goût  de  tout  le  monde.  Il  parait  que  je  ne  plais 
pas  à  quelques-uns  de  mes  paroissiens.  Ces  braves 
gens  sont  allés  trouver  l'archevêque.  Ils  lui  ont 
dit  que  j'étais  un  imbécile. 

«  L'archevêque  le  savait,  mes  bien  chers  frères. 
Voilà  pourquoi  il  m'a  fait  curé  de  Lagarde.  Si 
j'avais  été  homme  d'esprit,  il  m'aurait  nommé 
curé  de  Lectoure. 

«  Mais,  imbécile  ou  homme  d'esprit,  je  suis  ici 
par  la  volonté  de  l'archevêque  ;  et  quand  je  se- 
rais le  Diable,  je  vous  représente  le  Bon  Dieu  (2).  » 

(1)  Trempe  la  mouillette. 

(2)  Dicté  par  divers  curés  du  département  du  Gers,  et  notam- 
ment par  mon  oncle,  Tabbé  Bladé,  curé  de  Pergain-TailL-ic.  On 
met  aussi  ces  anecdotes  sur  le  compte  du  curé  de  Ruquepinc,  du 
curé  de  Saint-Giny,  près  Lectoure,  etc.  L'historiette  n"  III 
m'a  été  confirmée  par  M.  Faugére-Dubourg,  de  Kérac. 


^®®^®®^®jg^S«?^ 


VII 

LES  DEUX  ABBÉS 


ix  jour,  l'ai-chevèque  d'Auch  interrogeait 
les  jeunes  abbés  du  grand  séminaire  c  ui 
voulaient  être  reçus  prêtres.  Parmi  ces 
abbés,  il  )•  en  avait  un  fort  savant,  et  un  autre 
bête  comme  une  oie. 

—  «  Que  vais-je  répondre  à  Monseigneur  ? 
pensa  l'imbécile.  Quelque  sottise,  assurément.  Ce 
que  j'ai  de  mieux  à  faire,  c'est  de  laisser  répondre 
avant  moi  mon  camarade  le  savant,  et  de  répéter 
ce  qu'il  aura  dit.  » 

En  effet,  le  savant  passa  le  premier.  L'ar- 
chevêque d'Auch,  qui  le  connaissait,  et  qui  vou- 
lait le  faire  briller,  lui  demanda  : 

—  «  Que  feriez-vous,  abbé,  si  une  araignée 
venait  à  tomber  dans  le  calice  (i)  ? 


(i)  Les  questions  de  l'archevêque  d'Auch,  et  les  réponses  des 
deux  abbés,  sont  en  français  dans  le  récit  gascon  que  je  traduis. 


330  RÉCITS 

—  Monseigneur,  je  prendrais  délicatement  l'in- 
secte des  deux  doigts.  Si  je  ne  me  sentais  pas  trop 
de  dégoût,  je  l'avalerais.  Sinon,  je  le  brûlerais  à 
la  flamme  d'un  cierge,  et  je  jetterais  ses  cendres 
dans  la  piscine. 

—  Abbé,  il  est  impossible  de  mieux  répondre. 

—  Maintenant,  pensa  l'imbécile,  je  suis  sûr  de 
mon  affaire.  » 

Quand  son  tour  fut  venu  de  répondre,  l'ar- 
chevêque d'Auch,  qui  le  tenait  pour  une  bête,  et 
qui  aimait  à  rire,  lui  demanda  : 

—  «  Que  feriez-vous,  abbé,  si  un  âne  venait  à 
boire  dans  le  bénitier? 

—  Monseigneur,  je  prendrais  délicatement  l'in- 
secte des  deux  doigts.  Si  je  ne  me  sentais  pas  trop 
de  dégoût,  je  l'avalerais.  Sinon,  je  le  brûlerais  à 
la  flamme  d'un  cierge,  et  je  jetterais  ses  cendres 
dans  la  piscine  (i).  » 

(i)  Dicté  par  feu  l'abbé  Estibal,  natif  de  l'Isle-Jourdain,  et 
mort  curé  de  Terraube  (Gers). 


^®®^®®^®®^®®^ 


VIII 
LE  SERMON  DU  COCHON  DE  LAIT 


c»<  UTREFOis ,  il  y  avait ,  à  Sainte-Rade- 
i^W  goride  (i),  un  curé  qui  aimait  mieux  la 
viande  que  les  choux,  et  le  bon  vin  vieux 
que  la  piquette.  Ce  curé  avait  son  presbytère  at- 
tenant à  l'église;  de  sorte  qu'en  disant  sa  messe, 
il  pouvait  voir,  de  l'autel,  ce  qui  se  passait  A  sa 
cuisine. 

Un  dimanche,  le  curé,  qui  attendait  du  monde 
à  dîner,  avait  commandé  pour  rôti  un  superbe  co- 
chon de  lait.  Mais,  au  beau  milieu  de  la  dernière 
messe,  il  aperçoit  la  servante,  qui  s'était  endor- 
mie, en  tournant  la  broche,  et  qui  laissait  brûler  le 
cochon  de  lait.  Aussitôt,  le  curé  monte  en  chaire, 
et  fait  ce  sermon  : 


(j)  Commune  du  canton  de  Fleurance  (Gers).  On  met  aussi 
cette  historiette  sur  le  compte  du  curé  de  Saint-Giny,  près  Lec- 
toure. 


332 


—  «  Mes  bien  chers  frères,  vous  êtes  tous  de 
braves  gens;  et  je  crois  bien  qu'aucun  de  vous 
n'est  capable  de  porter  directement  la  main  sur  le 
bien  des  autres.  Mais  il  y  a  plus  d'une  façon  de 
prendre  les  choses  du  prochain.  Tenez,  mes  bien 
chers  frères,  lundi  dernier,  un  homme  de  cette  pa- 
roisse avait  laissé  son  cochon  pâturer  dans  le 
champ  de  fèves  d'un  voisin.  Ce  voisin  s'indignait, 
et  criait  :  «  Hô  !  hô  !  Le  cochon  !  Le  cochon  !  » 

A  ce  cri,  la  servante  endormie  se  réveilla,  et 
se  remit  à  tourner  la  broche  (i). 


(:)  Ma   grand'mère  paternelle,   Marie   de   Lacaze,    native 
Sainte-Radegonde  (Gers),  m'a  souvent  conté  cette  focétic. 


IX 
DIEU   A    DIT. 


^^^L  y  avait,  une  fois,  au  grand  séminaire 
èfflljW  d'Auch,  un  petit  abbé,  glorieux  comme 
SiS'^â  un  pou,  et  bête  comme  une  souche.  Pour- 
tant, il  se  croyait  né  pour  devenir  le  plus  grand 
prédicateur  de  la  terre. 

Quand  il  eut  reçu  la  messe,  le  petit  abbé  vint 
Liire  visite  à  sa  famille. 

—  «  Chers  parents,  dit-il  à  souper,  c'est  de- 
main dimanche.  Votre  curé  m'a  permis  de  prêcher 
à  vêpres.  Ne  manquez  pas  d'y  venir.  Vous  ver- 
rez si  je  ne  suis  pas  né  pour  devenir  le  plus 
grand  prédicateur  de  la  terre.  » 

Mais  le  père  se  méfiait. 

—  «  Mon  ami,  lui  dit-il,  de  ce  que  tu  ne  sais 
pas,  on  pourrait  faire  un  grand  livre.  Crois-moi, 
laisse  prêcher  notre  curé. 


334  RÉCITS 

—  Père,  n'ayez  pas  peur.  Patience,  et  vous 
verrez  si  vous  n'avez  pas  lieu  d'être  fier  de  moi. 

—  Mon  ami,  le  Bon  Dieu  le  veuille  !  » 

Le  lendemain,  l'église  était  bondée  de  curieux, 
et  le  petit  abbé  montait  en  chaire. 

—  «  Mes  frères,  Dieu  a  dit...  Dieu  a  dit...  » 
Le  petit  abbé  se  troubla. 

—  «  Mes  frères.  Dieu  a  dit...  Dieu  a  dit...  » 
Les  assistants  s'esclaffaient  de  rire. 

—  «  Mes  frères,  Dieu  a  dit...  Dieu  a  dit...  » 
Enfin,  le  père  du  petit  abbé  perdit  patience. 

—  «  Dieu  a  dit  que  tu  es  une  foutue  bête. 
Descends  de  chaire,  animal.  Tu  me  fais  honte.  » 

Le  petit  abbé  obéit.  Mais  la  leçon  lui  profita.  Il 
se  corrigea  de  son  orgueil,  étudia  longtemps,  et 
finit  par  devenir  bon  prédicateur  (.i). 


(i)  Je   sais,  depuis  mon  enfance,  cette  historiette,  encore  po- 
pulaire dans  le  département  du  Gers. 


®®®®®è;^^^®®®® 


X 

LE  SERMON  DE  LA  CULOTTE 


|L  y  avait,  une  fois,  un  jeune  vicaire  qui 
voulait  devenir  un  grand  prédicateur.  Mais 
il  avait  si  mauvaise  mémoire,  qu'il  ne 
pouvait  retenir  par  cœur  les  sermons  à  réciter. 
Aussi  les  écrivait-il  sur  de  petits  morceaux  de 
papier,  qu'il  gardait  dans  une  poche  de  sa  culotte, 
pour  les  tirer  au  bon  moment. 

Le  jour  de  la  fête  patronale  du  village  appro- 
chait; et  le  jeune  vicaire  préparait,  en  consé- 
quence, un  magnifique  sermon.  A  plus  de  trois 
lieues  à  la  ronde,  tout  le  monde  était  prévenu. 

Enfin,  le  grand  jour  vint.  Le  jeune  vicaire  mit 
sa  culotte  neuve,  sa  plus  belle  soutane,  son  plus 
beau  rabat,  se  frotta  les  mains,  et  pensa  : 

—  «  Ha  !  ha  !  Ce  soir,  après  vêpres,  ma  répu- 
tation de  grand  prédicateur  sera  faite.  » 


536 


A  vêpres,  plus  d'un  millier  de  personnes  atten- 
daient. 

—  «  Mes  frères...  Mes  frères...  « 

Le  prédicateur  se  fouilla.  Malheur  !  Les  petits 
morceaux  de  papier  étaient  restés  dans  la  poche 
de  la  vieille  culotte. 

—  «  Mes  frères...  Mes  frères...  » 

Les  assistants  commençaient  à  perdre  leur  sé- 
rieux. 

■ —  «  Mes  frères...  Mes  frères...  » 

Enfin,  le  jeune  vicaire  prit  un  grand  parti  : 

—  «  Mes  frères,  ce  que  je  n'ai  pas  dans  ma  cu- 
lotte neuve,  je  l'ai  dans  ma  vieille.  » 

Tout  le  monde  éclata  de  rire,  et  le  jeune  vicaire 
fit  comme  les  autres  (i). 


(i)  Je  sais,  depuis  mon  enfance,  cette  historiette,  encore  po- 
j-  nlaire  dans  le  département  du  Gers. 


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XI 

SUPERBE 


ËR«^<^  L  y  avait,  une  fois,  une  femme  qui  s'appe- 
Wi  lait  Superbe,  la  bien  nommée.  Elle  était 
^^  glorieuse  comme  un  cent  de  poux,  et 
s'était  logé  dans  la  tête  de  se  faire  mettre  dans  les 
litanies.  Un  dimanche,  après  la  messe,  elle  s'en 
alla  trouver  son  curé  dans  la  sacristie. 

—  «  Bonjour,  Monsieur  le  curé. 

—  Bonjour,  Superbe. 

—  Monsieur  le  curé,  je  viens  vous  demander 
de  me  faire  un  grand  plaisir. 

—  Parlez,  Superbe.  Je  vous  écoute. 

—  Monsieur  le  curé,  je  voudrais  me  faire  mettre 
dans  les  litanies.  «  Sainte  Superbe!  »  Il  me  semble 
que  cela  serait  fort  beau  à  chanter.  Je  vous  paierai 
ce  qu'il  faudra. 

—  Superbe,  ceci  est  un  grand  honneur.  Il  vous 
en  coûtera  le  pré  que  vous  avez  sur  la  rivière. 


338  RÉCITS 

—  Eh  bien,  Monsieur  le  curé,  c'est  convenu. 
Dès  à  présent,  le  pré  est  à  vous.  Dimanche  pro- 
chain, vous  commencerez  à  me  mettre  dans  les 
litanies. 

—  Je  le  ferai,  Superbe.  Vous  pouvez  me 
croire.  » 

Superbe  s'en  revint  chez  elle.  Mais  le  clerc,  qui 
était  derrière  la  porte,  avait  tout  entendu.  Aussi, 
le  dimanche  suivant,  quand  le  curé,|en  chantant 
les  litanies,  arriva  à  sainte  Superbe,  le  clerc,  au 
lieu  de  répondre  :  Ora  pro  nobis,  resta  muet.  Le 
curé,  étonné,  chanta  encore  : 

—  «  Sainte  Superbe. 

—  A  cause  de  l'herbe  (i).  « 

(i)  En  gascon  : 

—  Seiilo  Stifcrho. 
■ — ■  Pranio  de  l'crho. 
Dictù  par  M.  Félix  Guilhon,  de  Lcctoure  (Gers) 


XII 
LE  DIABLE  AU  CIMETIÈRE 


[uTREFOis,  dans  le  cimetière  de  l'église 
des  Carmes  de  Lectoure,  il  y  avait  un 
beau  noyer;  et  le  sonneur  de  cloches, 
qui  s'appelait  Barraquet,  entendait  profiter  des 
noix.  Mais  souvent,  il  arrivait  que,  lorsque  Bar- 
raquet allait  pour  les  cueillir,  d'autres  s'étaient 
levés  plus  matin  que  lui,  et  qu'il  ne  trouvait  plus 
rien  sur  le  noyer. 

Un  matin,  le  sonneur  de  cloches  se  leva  bien 
avant  le  jour,  et  partit  pour  le  cimetière,  avec  un 
sac,  pour  aller  faire  sa  récolte.  Arrivé  sur  la  porte, 
il  entendit  un  bruit  de  choses  qu'on  croque.  Aus- 
sitôt, Barraquet  épouvanté  détale,  et  court  au 
couvent  des  Carmes,  trouver  le  Père  Bencit. 

—  «  Père  Benoît,  père  Benoît,  les  Diables  font 
au  cimetière.  Ils  croquent  les  os  des  morts. 


340  .,  RÉCITS 

—  Ah  !  les  gueusards.  Comme  j'irais  les  relan- 
cer, sans  la  goutte,  qui  m'est  revenue  depuis 
hier. 

—  Père  Benoît,  si  vous  voulez,  je  vous  porterai 
sur  mon  dos. 

—  Tu  as  raison,  Barraquet.  Va-t'en  à  l'église, 
et  rapporte-moi  mon  surplis,  mon  bonnet  carré  et 
le  goupillon.  » 

Quand  Barraquet  fut  de  retour,  il  aida  le  Père 
Benoît  à  se  vêtir  en  prêtre,  le  chargea  sur  son  dos, 
et  partit  pour  le  cimetière. 

Ceux  qui  faisaient  le  bruit  étaient  quatre  ou 
cinq  voleurs,  qui  croquaient  des  noix,  en  attendant 
deux  de  leurs  camarades,  qu'ils  avaient  envoyés 
voler  les  cochons  du  meunier  de  Repassac  (i). 

—  «  Entendez-vous,  Père  Benoît,  comme  les 
Diables  croquent  les  os  des  morts? 

—  N'aie  pas  peur,  Barraquet,  et  ne  me  laisse 
pas  tomber.  Avec  ma  prière,  je  vais  les  chasser 
comme  il  faut.  —  Fuye\,  esprits  immondes.  Fade 
rétro,  Satanas.  Ab  insidiis  Diaboli,  libéra  nos,  Do- 
mine (2).  » 

Les  voleurs,  qui  entendaient  parler,  et  qui 
voyaient,  dans  la  nuit,  arriver  un  homme  portant 


(i)  Moulin  sur  le  Gers,  proche  de  Lectoure. 
(2)  La   partie   imprimée    en    italique    se   dit   en   latin   et    eu 
français  dans  le  conte  gascon. 


LES   GEXs   d'Église  341 

quelque  chose  sur  l'échiné,  croyaient  que  c'était 
leur  camarade  revenant  avec  le  cochon. 

—  «  Sont-ils  gras?  disaient-ils.  Sont-ils  gras?  » 
Le  pauvre  Barraquet  était  à  moitié  mort  de 

peur.  Il  croyait  que  les  Diables  demandaient  s'ils 
étaient  gras,  pour  les  manger,  lui  et  le  Père  Be- 
noît. 

—  «  Sont-ils  gras?  Sont-ils  gras?  » 

Enfin  Barraquet  n'y  put  plus   tenir.  Il  jeta  le 
Père  Benoît  à  terre. 

—  «  Gras  ou  maigre,  voici.  » 

Et  il  partit  au  galop,  s'enfermer  dans  sa  mai- 
son (i). 


(i)  Dicté   par   mon    oncle,    l'abbé   Bladé,   curé   du   Pergaiu- 
Taillac  (Gers). 


XIII 
LES  DEUX  MOINES 


j^^UTREFOis,   il  y  avait,   à  Rouillac  (l),  un 

seigneur  fort  gai,  et  qui  n'aimait  guère 

les  gens  d'église. 

Un  soir,  deux  moines  blancs  arrivèrent  à  cheval 

à  la  porte  du  château,  et  demandèrent  à  souper  et 

à  loger  pour  la  nuit.  Tandis  qu'ils  soupaiem,  le 

seigneur  leur  demanda  où  ils  allaient. 

—  «  Monsieur,  nous  allons  aux  eaux  de  Ba- 
gnèrcs,  par  ordre  des  médecins,  pour  retrouver 
l'appétit  que  nous  avons  perdu.  » 

Le  repas  fini,  le  seigneur  souhaita  une  bonne 
nuit  aux  deux  moines,  et  les  fit  conduire  tous 
deux  dans  la  même  chambre,  en  haut  de  la  tour 


(i)  Ancien  marquisat,  formant  au)ourJ'l!ui   une  section  de  la 
commune  de  Gimbrède  (Gers). 


LES    GENS    D    EGLISE  343 


du  château.  Q.uand  ils  se  réveillèrent,  pour  se  re- 
mettre en  route,  la  porte  de  la  chambre  était 
fermée  à  clef.  Ils  appelèrent,  ils  frappèrent  :  per- 
sonne ne  vint. 

Leur  journée  se  passa  ainsi,  sans  manger  ni 
boire.  Les  deux  pauvres  moines  croyaient  que  le 
seigneur  les  avait  fait  enfermer  là,  pour  les  y  faire 
mourir  de  maie  faim  et  de  maie  soif.  Pourtant,  ils 
finirent  par  s'endormir.  Mais  le  lendemain,  ils  se 
réveillèrent,  le  ventre  vide,  les  dents  longues;  et 
ils  se  regardaient  l'un  l'autre,  comme  s'ils  avaient 
voulu  se  dévorer.  Enfin,  ils  avisèrent  deux  ou  trois 
cordes  d'oignons,  attachées  à  la  poutre  de  leur 
chambre,  à  plus  de  vingt  pieds  de  hauteur.  Aus- 
sitôt, ils  se  mirent  à  tirer  aux  oignons  à  grands 
coups  de  souliers  ;  et  quand  ils  en  faisaient  tom- 
ber un,  ils  l'avalaient,  presque  sans  mâcher.  Cela 
dura  jusqu'au  soir.  Alors,  le  seigneur  vint  ouvrir 
la  porte. 

—  <f  Je  vois  avec  plaisir,  mes  Pères,  que  l'ap- 
pétit vous  est  revenu.  Vous  n'avez  plus  besoin 
d'aller  aux  eaux,  et  vous  pouvez  rentrer  dans 
votre  couvent  (i).  « 


(i)  Dicté  par  un  cantonnier  de   Gimbrdde  (Gers),    dont   j'ai 
oublie  le  nom. 


ss^e^ 


J^  JL  4^  A  4^  A  A  ^  A  4.  A  4  4,  J^  4.  4.  A  A  4/.  4  4^  4.  4^  4^ 


XIV 

LE  COCHON  VOLÉ 


f.jf->f^L  y  avait,  une  fois,  un  curé  qui  se  trouvait 

l^^-^   bien  embarrassé.  Le  brave  homme  prit  à 

part  le  sonneur  de  cloches  de  son  église. 

—  «  Mon  ami,  lui  dit-il,  tu  sais  que,  tous  ces 
jours  passés,  on  a  saigné  force  cochons  dans  le 
pays.  Mes  braves  paroissiens  m'ont  comblé  de  ca- 
deaux, oreilles,  saucisses,  boudins,  morceaux  de 
filet,  et  autres  choses  pareilles.  Maintenant,  le  jour 
arrive  de  saigner  mon  porc.  Il  ne  m'en  restera  pas 
un  morceau,  si  je  rends  seulement  le  quart  des 
présents  que  j'ai  reçus.  » 

Le  sonneur  de  cloches  se  mit  à  rire. 

—  «  Monsieur  le  curé,  dit-il,  vous  vous  em- 
barrassez de  bien  peu  de  chose.  Aujourd'hui 
même,  je  vais  saigner  votre  cochon.  En  atten- 
dant   que  je  le  découpe  demain,   je  compte   le 


LES     GENS     D    EGLISE  345 

laisser  suspendu,  toute  la  nuit,  devant  la  porte  du 
presbytère.  Nul  n'y  touchera.  Il  n'y  a  que  de 
braves  gens  dans  la  paroisse.  A  minuit  passé, 
vous  vous  lèverez  doucement ,  doucement ,  et 
vous  emporterez  le  porc,  que  je  me  charge  de 
découper  et  de  le  préparer  en  secret.  Demain 
matin,  vous  crierez  qu'on  vous  a  volé  la  béie. 
Tout  le  monde  vous  plaindra,  et  vous  n'aurez 
rien  à  rendre,  pour  tous  les  présents  qu'on  vous 
a  faits. 

—  Mou  ami,  tu  as  raison.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Le  sonneur  de  cloches 
saigna  le  cochon,  le  racla,  le  \'ida,  et  le  suspendit 
devant  la  porte  du  presbytère.  Tout  le  monde 
s'arrêtait,  pour  voir  un  si  bel  animal. 

—  «  Ali!  le  beau  porc,  Monsieur  le  curé.  Le 
beau  porc  ! 

—  C'est  vrai,  braves  gens.  Il  n'est  pas  laid. 
Comptez  que  chacun  de  vous  en  aura  sa  part. 

—  Merci  d'avance,  Monsieur  le  curé.  Mais  vous 
auriez  tort  de  laisser  votre  cochon  suspendu,  toute 
la  nuit,  devant  la  porte  du  presbytère.  Quelque 
mauvais  sujet  pourrait  bien  vous  le  voler. 

—  Mes  amis,  nul  n'y  touchera.  Il  n'y  a  que  de 
braves  gens  dans  la  paroisse. 

—  C'est  égal.  Monsieur  le  curé.  Méfiez-vous.  » 
Le  soir,  après  souper,  le  curé  se  coucha,  pour 

se  relever  doucement,  doucement,  à  minuit  passé. 


546  RÉCITS 


et  avait  secrètement  emporté  le  porc. 
Le  curé  se  désolait. 

—  «  Oh  !  les  gueux.  Je  suis  volé.  Je  suis  volé. 
Mon  poix  !  Mon  pauvre  porc  !  » 

Jusqu'au  lever  du  soleil,  le  curé  pleura  comme 
un  veau.  Après  VAngeïus  du  matin,  arriva  le  son- 
neur de  cloches. 

—  «  Mon  ami,  je  suis  volé.  Je  suis  volé.  Mon 
porc  !  Mon  pauvre  porc  !  » 

Le  sonneur  de  cloches  riait. 

—  ((  Fort  bien,  fort  bien,  Monsieur  le  curé. 
C'est  bien  ainsi  qu'il  faut  dire.  Vous  n'aurez  rien 
à  rendre,  pour  tous  les  présents  qu'on  vous  a  faits. 

—  Va-t'en  au  Diable.  Je  suis  véritablement 
volé.  Je  suis  volé.  Mon  porc!  Mon  pauvre  porc  !  » 

Le  sonneur  de  cloches  riait  toujours, 

—  «  Fort  bien.  Monsieur  le  curé.  Fort  bien. 
C'est  ainsi  qu'il  faut  dire.  Vous  n'aurez  rien  à 
rendre,  pour  tous  les  présents  qu'on  vous  a 
f.iits  (i).  » 


(i)  Dicte   par    feu    l'abbé    Estibal,    mort  cure   de    Tcrr.tubï 
(Gers). 


^ 


^^^^^^^^^^'^^^^ 


XV 

LES  ClXa  DIEUX 


3N  jour,  le  curé  des  Carmes  (i)  faisait  le 
catéchisme  aux  enfants  qui  se  préparaient 
à  la  première  communion. 

—  «  Mon  ami,  dit-il  à  l'un  d'eux,  combien 
y  a-t-il  de  Bons  Dieux? 

—  Cinq,  Monsieur  le  curé. 

—  Nomme-les. 

—  Le  Bon  Dieu  de  Saint-Gervais  (2),  un.  Le 
Bon  Dieu  des  Carmes,  deux.  Le  Bon  Dieu  de  l'Hô- 
pital (3),  trois.  Le  Bon  Dieu  des  Carmélites  (4), 


(i)  Église  de  Lectoure,  ainsi  nommée  parce  qu'elle  diipendait 
.Autrefois  d'un  couvent  de  Carmes.  Elle  est  placée  sous  l'invoca- 
tion du  Saint-Esprit. 

(2)  Ancienne  cathédrale  du  diocèse  de  Lectoure. 

(3)  Il  s'agit  de  la  chapelle  de  l'hôpital  de  Lectoure. 

(4)  Lectoure  possède  un  couvent  de  Carmélites. 


348  RÉCITS 

quatre.    Le    Bon    Dieu    de    Sainte-Claire    (i), 
cinq. 

—  Tu  oublies  le  Bon  Dieu  de  Saint-Giny  (2). 

—  Monsieur  le  curé,  Saint-Giny  n'est  pas  dans 
la  ville.  Ce  Bon  Dieu-là  n'a  de  pouvoir  que  sur 
les  jardiniers  de  Pradoulin  (3).  » 


(i)  Il  y  avait  à  Lectoure,  avant  la  Révolution,  un  couvent, 
avec  chapelle,  de  Clairistes  de  la  réforme  d'Urbain  II.  Il  est 
maintenant  occupé  par  les  Dames  de  Nevers. 

(2)  Église  bâtie  voisine  de  Lectoure,  tout  proche  du  Gers,  et 
fréquentée  par  les  jardiniers  d'un  hameau  voisin,  appelé  Pradoulin. 

(3)  Dicté  par  mon  oncle,  l'abbé  Bladé,  curé  du  Pergain- 
Taillac  (Gers), 


©®@3S»G9©ese3©3 


XVI 
LE  CORDONNIER  SAINT 


^^^L  y  avait,  une  fois,  un  curé  qui  avait,  dans 
une  niche  de  son  église,  la  statue  du  saint 
patron  de  la  paroisse.  Cette  statue  repré- 
sentait un  évêque  en  habits  dorés,  mitre  en  tête, 
crosse  en  main.  On  en  parlait  à  dix  lieues  à 
la  ronde.  Force  gens  venaient  de  loin  pour  la  voir, 
le  jour  de  la  fête  patronale;  et  pas  un  ne  s'en  re- 
tournait sans  laisser  une  offrande,  qui  profitai: 
au  curé.  Aussi,  le  brave  homme  veillait-il  à  ce 
que  la  statue  fût  alors  propre,  et  brillante 
comme  un  écu  neuf. 

Un  jour,  le  curé  manda  ses  marguilières  dans 
la  sacristie. 

—  «  Braves  femmes,  vous  savez  que  dans  trois 
jours  tombe  la  fête  patronale.  Je  vous  en  prie, 
faites   que  tout  soit  en  ordre  dans  mon  église. 


350  RÉCITS 

Faites  surtout  que  la  statue  de  mon  saint  soit 
propre,  et  brillante  comme  un  écu  neuf. 

—  Monsieur  le  curé,  fiez-vous  à  nous.  » 
Jusqu'à  la  nuit,  les  marguillières  enlevèrent  les 

toiles  d'araignées,  balayèrent  le  pavé  de  l'église, 
époussetèrent  les  autels,  les  tableaux,  la  chaire, 
les  chaises,  et  les  bancs. 

—  «  En  voilà  assez  pour  aujourd'hui.  Mais  le 
plus  fort  de  notre  travail  reste  à  faire.  Demain,  il 
s'agit  de  nettoyer,  et  comme  il  faut,  la  statue  du 
saint.  » 

Le  lendemain  matin,  les  marguiUières  arrivaient 
à  l'église,  sur  les  premiers  coups  de  V Angélus. 

—  «  A  l'ouvrage  !  A  l'ouvrage  !  » 

Mais  le  saint  n'était  pas  léger,  car  il  était  fait  de 
pierre  peinte  et  doi'ée.  Pourtant,  les  marguillières 
finirent  par  l'enlever  de  sa  niche,  et  par  le  descendre 
sans  le  casser.  Jusqu'au  soir,  elles  lavèrent, 
elles  frottèrent,  si  bien  que  la  statue  était  propre, 
et  brillante  comme  un  écu  neuf. 

—  «  Et  maintenant,  il  s'agit  de  replacer  le  saint 
dans  sa  niche.  Pas  de  presse.  Doucement.  Faisons 
bien  ensemble,  toutes  ensemble.  Hardi  !  Hô  !  » 

Mais  le  saint  n'était  pas  léger,-  car  il  était  fait 
de  pierre  peinte  et  dorée.  Les  marguillières  suaient 
à  grosses  gouttes. 

—  «  Pas  de  presse.  Doucement.  Faisons  bien 
ensemble,  toutes  ensemble.  Hardi!  Hô  !  » 


LES    GENS     D   EGLISE  351 

Le  sonneur  de  cloches  et  son  fils  les  regar- 
daient faire  en  riant.  Cela  mit  les  marguillières 
hors  d'elles-mêmes. 

—  «  Finirez-vous  de  rire,  bandits  ?  Finirez-vous 
de  rire  devant  le  Saint-Sacrement? 

—  Marguillières,  ce  travail  passe  la  force  des 
femmes.  Laissez-nous  faire. 

—  Au  large,  mauvais  sujets.  Ce  que  font  les 
hommes,  les  femmes  peuvent  le  faire.  —  Allons  ! 
Pas  de  presse.  Doucement.  Faisons  bien  ensemble, 
toutes  ensemble.  Hardi  !  Hô  !  » 

Déjà,  la  statue  touchait  an  bord  de  la  niche. 

—  «  Hardi  !  Hô  !  » 

Patatra!  Le  saint  retomba  sur  le  pavé,  brisé  en 
mille  morceaux. 

—  «  Jésus,  Maria  !  Quel  malheur  !  Quel  mal- 
heur! » 

Le  sonneur  de  cloches  et  son  fils  crevaient  de 
rire. 

—  «  Finirez-vous  de  rire,  bandits?  Finirez- 
vous  de  rire  devant  le  Saint-Sacrement?  Si  vous 
dites  la  chose  au  curé,  comptez  que  nous  vous 
étripons,  comme  deux  poulets.  « 

Le  sonneur  de  cloches  et  sou  fils  jurèrent,  par 
leurs  âmes,  d'être  muets  comme  des  poissons. 
Alors,  les  marguillières  recommencèrent  à  gémir. 

—  «Jésus,  Maria!  Quel  malheur!  Quel  mal- 
heur !  Que  faire,  mon  Dieu  !  Que  faire  !  » 


3)2  RÉCITS 

Enfin,  la  plus  jeune  prit  un  grand  parti. 

—  «  Mes  amies,  écoutez.  Ce  qui  est  fait  est 
fait.  A  gémir  jusqu'à  demain,  nous  en  serons 
pour  nos  cris.  Cachons  vite  les  mille  morceaux  de 
ce  pauvre  saint,  et  balayons  le  pavé.  J'ai  mon 
plan.  » 

Les  marguillières  obéirent. 

—  «  Et  maintenant,  mes  amies,  il  s'agit  de  ré- 
parer ce  grand  malheur.  Avec  le  premier  bâton 
venu,  nous  aurons  bientôt  fait  une  crosse.  Avec 
de  vieux  ornements  d'église,  nous  aurons  bientôt 
cousu  des  habits  et  une  mitre  d'évêque.  Cela  fini, 
nous  chercherons  un  brave  garçon,  bien  discret, 
pour  monter  demain  dans  la  niche,  et  faire  le 
saint,  de  la  pointe  de  l'aube  au  coucher  du  soleil. 
Allons,  vite!  A  l'ouvrage!  » 

En  deux  heures,  tout  fut  prêt. 

—  «  Et  maintenant,  dit  la  plus  jeune  des  mar- 
guillières, il  s'agit  de  nous  procurer  le  brave  gar- 
çon bien  discret.  Ne  trouvez-vous  pas  que  mon  ga- 
lant, le  cordonnier,  a  un  faux  air  du  pauvre  saint  ? 

—  C'est  vrai.  C'est  vrai. 

—  Eh  bien,  allons  trouver  le  cordonnier.  Il  ne 
nous  refusera  pas.  » 

Les  marguillières  allèrent  donc  trouver  le  cor- 
donnier, et  lui  contèrent  leur  peine. 

—  «.  Marguillières,  dit-il,  je  ne  travaille  pas 
pour  rien.  Si  vous  voulez  que,  demain,  je  fasse  le 


LES    GENS    D   EGLISE 


saint,  vous  allez  me  donner  un  beau  louis  d"or. 
C'est  à  prendre,  ou  à  laisser. 

■ —  Cordonnier,  voici  ton  beau  louis  d'or. 

—  Marguillières,  ce  n'est  pas  tout.  Demain, 
sans  manger  ni  boire,  je  serai  forcé  de  faire 
le  saint,  dans  la  niche,  de  la  pointe  de  l'aube  au 
coucher  du  soleil.  Faites-moi  vite  un  bon  dîner, 
garbure,  cuisse  d'oie,  tranche  de  veau  en  ail- 
lade  (i),  chapon  rôti,  salade,  fromage  d'Au- 
vergne, bon  vin  vieux,  sans  compter  le  café,  le 
pousse-café,  et  la  prune  à  l'eau-de-vie. 

—  Cordonnier,  tout  ce  que  tu  voudras.  Suis- 
nous.  » 

Aussitôt,  les  marguillières  allèrent  se  mettre  en 
cuisine.  Quand  tout  fut  prêt,  le  cordonnier  mangea 
comme  un  loup,  et  but  comme  un  trou.  Avant  Li 
pointe  de  l'aube,  il  était  debout  dans  sa  niche, 
vêtu  d'habits  dorés,  mitre  eu  tête,  crosse  en  main. 

Déjà,  quelques  étrangers  arrivaient,  avec  leurs 
offrandes.  Au  lever  du  soleil,  l'église  regorgeait 
déjà  de  monde. 

—  «  duel  beau  saint,  mon  Dieu  !  Quel  beau 
saint  !  « 

Avec  des  épingles,  les  bons  chrétiens  piquaient 
des  images,  des  scapulaires,  des  chapelets,  sur  le 
cordonnier. 

(i)  Cuit  dans  une  sauce  à  l'aiL 

III  23 


354  RÉCITS 

—  «  Prenez-garde,  criaient  les  marguillières. 
Prenez-garde  de  piquer  le  saint.   » 

Sans  le  vouloir,  le  cordonnier  piqué  remua. 

—  «  Au  miracle  !  Au  miracle  !  Le  saint  a  re- 
mué. » 

Sans  le  vouloir,  le  cordonnier  éternua. 

—  «  Au  miracle  !  Au  miracle  !  Le  saint  a  éter- 
nué.  » 

Parmi  les  assistants,  un  garçon  récitait  son 
chapelet  à  genoux.  C'était  un  ennemi  du  cordon- 
nier, qui  lui  allongea  un  grand  coup  de  crosse. 

—  «  Au  miracle!  Au  miracle!  Le  saint  a  châtié 
le  plus  grand  mauvais  sujet  du  pays.  Dehors,  ca- 
naille. Ici,  le  saint  ne  veut  pas  de  toi.  » 

Jusqu'après  vêpres,  les  miracles  continuèrent. 
Les  oftrandes  pleuvaient,  et  le  curé  se  frottait  les 
mains. 

Par  malheur,  au  Mao^nijicat,  le  cordonnier,  tra- 
vaillé par  le  bon  dîner  de  la  nuit,  se  mit  tout  à 
coup  à  frotter  son  ventre,  et  à  se  tordre  comme 
un  possédé. 

—  «  Diable!  Diable!  pensait-il,  je  donnerais 
bien  deux  sous,  pour  être  seul  un  moment,  ac- 
croupi, bien  à  mon  aise,  derrière  une  haie.  » 

Enfin,  le  cordonnier  n'y  tint  plus.  Il  sauta  de 
sa  niche,  et  partit  au  grand  galop. 

—  «  Au  miracle  !  Au  miracle  !  Le  saint  part. 
Courons  après  lui.  » 


LES    GENS     D    EGLISE  355 

Mais  le  cordonnier  filait  si  vite,  si  vite,  qu'on 
l'eut  bientôt  perdu  de  vue.  Tandis  qu'il  contentait 
son  envie,  accroupi,  bien  à  sou  aise,  derrière  une 
haie,  les  braves  gens  se  disaient  : 

—  «  Le  saint  s'ennuyait  à  vivre  toujours  seul, 
dans  sa  niche.  Il  est  retourné  en  paradis  (i).  » 


(i)  Dicté  par  Françoise  Lalanne,  de  Lectourne  (Gers). 
M""=  Victorine  Sant,  de  Sarran  (Gers),  m'a  fait  un  récit  peu  dis- 
semblable pour  le  fond. 


DIVERS 


D  n'  E  R  s 


LA   TRUIE    PENDUE 


jES  gens  de  Marsolan  (i)  ont  toujours  étc 
glorieux  comme  des  poux  sur  une  chemise 
blanche.  Autrefois,  les  consuls  (2)  du  vil- 
lage avaient  droit  de  justice  haute  et  basse,  et 
pouvaient  juger  à  mort;  mais  l'occasion  ne  se 
présentait  jamais. 

Un  jour,  une  truie  nourricière  blessa  un  enflmt, 


(i)  Commune  du  canton  de  Lectoure  (Gers). 

(2)  Avant  la  Révolution,  ou  nommait  ainsi,  officiellement, 
les  magistrats  municipaux  dans  une  partie  de  la  Gascogne. 
L'usage  maintient  encore   cette  appellation. 


360 


d'un  coup  de  museau.  Oue  firent  alors  les  consuls 
de  Marsolan?IIs  s'assemblèrent,  sous  le  porche  de 
l'église,  firent  amener  la  truie,  et  la  condam- 
nèrent à  mort. 

Le  bourreau  de  Condom,  fut  mandé,  avec  sa 
potence,  pour  pendre  la  truie  le  lendemain  ;  et  les 
consuls  firent  publier  que  ceux  qui  auraient  des 
bétes  porcines,  les  amenassent  au  pied  de  la  po- 
tence, quand  la  truie  serait  pendue. 

Il  fut  fait  comme  les  consuls  avaient  dit.  Qiiand 
le  bourreau  passa  la  corde  au  cou  de  la  truie,  tous 
les  gens  de  Marsolan  tombèrent  sur  leurs  porcs,  à 
grands  coups  de  bâton,  en  criant  : 

—  «  Exemple,  exemple,  cochonnaille  (i)!  » 


(i)  Dictil-  p.ir  dç  M.  Boubée-Lacouture,  mort  juge  au  tribunil 
de  Lectourc. 


II 

RECOMMANDATION   D'UN  AUVERGNAT. 

^1-^N  jour,  deux  frères  Auvergnats  tuèrent  un 
liè^iiî  honime  de  Seissan  (i).  Les  juges  d'Audi 
^^^^  condamnèrent  l'aîné  à  être  pendu.  Mais 
ils  eurent  pitié  du  cadet,  et  ils  ne  le  condamnèrent 
qu'à  être  fouette  par  le  bourreau,  au  pied  de  la 
potence,  où  l'autre  allait  être  étranglé. 

Le  cadet  criait  comme  un  aigle,  tandis  que  le 
bourreau  le  fouettait  à  tour  de  bras.  Mais  l'aîné, 
qui  attendait,  la  corde  au  cou,  lui  faisait  ses  der- 
nières recommandations. 

—  «  Frère,  disait-il,  quand  tu  reviendras  che^ 
nous,  en  Auvergne,  ne  dis  pas  que  j'ai  été  pendu. 
Dis  que  je  me  suis  marié,  et  que  tu  as  bien 
dansé  à  ma  noce  (2).  » 


(i)  Commune  du  canton  dWuch  (Gers). 

(2)  Dicté   par    mon    oncle    l'abbêj  Bladc,   cure   du    Pergain- 
Taillac  (Gers). 


\^'^'im^'Wê2^f=§i 


III 

LES    TROIS   ÉTAMEURS 


(N  jour,  trois  étameurs  Auvergnats,  chargés 
"  de  chaudrons,  de  poêles,  et  de  casseroles, 
montaient,  au  galop,  la  grande  Pous- 
îerle  (i)  d'Auch.  Quand  ils  furent  tout  en  haut, 
ils  étaient  rouges  comme  le  sang,  et  soufflaient 
comme  des  blaireaux.  Ils  s'étonnaient  de  voir 
d'autres  gens  arrivés  en  haut  de  la  grande  Pous- 
terle,  dispos,  et  pas  du  tout  essoufflés. 

—  «  Comment  donc  avez-vous  fait?  leur  de- 
mandaient les  trois  Auvergnats. 

—  Nous  sommes  montés  doucement.  » 

Les  trois  Auvergnats  descendirent   la  grande 
Pousterle,  pour  la  remonter  doucement  (2). 

(1)  Il  existe   à   Auch    plusieurs    rues   en    escaliers,  appelées 
poustcrlos  en  gascon. 

(2)  Dicté  par   mon    oncle   Tabbé   Bladc,    curé    du    Pergain- 
Taillac  (Gers). 


IV 

L'ENFAKT   BÈGUE 


5  NE  femme,  qui  avait  un  enfant  bègue, 
jJ^lf  l'envoya,  un  jour,  tirer  du  vin  à  la  cave. 
SèsUy  Tandis  que  le  vin  coulait,  le  fosset  tombe 
dans  le  pichet.  Aussitôt,  le  garçon  laisse  la  bar- 
rique ouverte,  et  arrive  au  grand  galop  dans  la 
chambre  où  était  sa  mère. 

—  K  M...  mè...  m...  mère,  le  f...  le  fos...  le 
foss...  le  foss...  le  fosset  de...  de...  de  la  b... 
de  la  b...  de  la  bar...  rique  est...  est...  tomb... 
tom...  tombé...  » 

Et  ainsi  pendant  trois  quarts  d'heure,  sans  ja- 
mais pouvoir  finir. 

—  «  Pauvret,  lui  dit  enfin  la  mère  impatientée, 
si  tu  ne  peux  pas  le  dire,  chante-le. 

—  Le  fosset  de  la  barrique  est  tombé  dans  le 
pichet  (i). 

(i)  Cetie  phrase  se  chante. 


364  DIVERS 

—  Jésus!  Il  est  bien  temps  que  tu  le  dises!  La 
barrique  doit  être  vide.  » 

En  effet,  la  barrique  était  vide,  était  vide,  et  la 
cave  inondée  de  vin  (i). 

(i)  Dicté  par  Françoise  Lalaune,  de  Lcctoure  (Gers), 


fMf^f^fëf^fëd^^^^è^^ê^^ 


BM 


V 

LA    LEÇON    DE   JEANNET 


|L  y  avait,  une  fois,  au  Génébra  (i),  un 
métayer  fort  simple  d'esprit,  qui  s'appe- 
lait Jeannet.  Ce  métayer  avait  vendu  une 
paire  de  bœufs,  à  la  foire  de  Fleurance  ;  et  il 
allait  partir,  pour  partager  l'argent  avec  son 
maître,  un  dimanche,  après  la  messe  de  paroisse. 
Mais  la  femme  de  Jeannet,  qui  était  fort  avisée, 
lui  lit  la  leçon  de  la  manière  que  voici. 

—  «  Tu  te  présenteras  honnêtement  à  la  mai- 
son du  maître,  tu  ôteras  ton  chapeau,  et  tu  salue- 
ras jusqu'à  terre. 

—  Bonjour,  Monsieur,  diras-tu. 
■ —  Adieu,  Jeannet,  dira-t-il. 

—  Etcs-vous  bien  portant,  Monsieur?  diras-tu. 

—  Beaucoup,  Jeannet,  dira-t-il. 

(i)  Métaivic  de  la  commune  de  Lectoure  (Gers). 


366  DIVERS 

—  J'ai  vendu  les  bœufs,  Monsieur,  diras-tu. 

—  Combien,  Jeannet?  dira-t-il. 

—  Cent  écus,  Monsieur,  diras-tu. 

—  Fort  bien,  Jeannet,  dira-t-il. 

—  En  voilà  cinquante,  Aj^onsieur,  diras-tu. 

—  C'est  mon  compte,  Jeannet,  dira-t-il. 

—  11  faut  boire  un  coup,  Jeannet,  dira-t-il. 

—  Merci,  Monsieur,  diras-tu. 

—  Si,  Jeannet,  dira-t-il. 

—  A  votre  santé,  Monsieur,  diras-tu  (i).  » 

(1)  Dicté  par  Pauliae  Lacaze,  de  P.inassac  (Gers). 


C^llJ.    CtlA  CtiA  CtiA  C^iJ.  «rtlA  (TiA  VtU.  V^iA  ' 


VI 

LE   KOR-NUXD    ET    LE    GASCON 


vgîL  y  avait,  une  fois,  un  Normand   et  un 
Gascon,  si  fameux  par  leurs  mensonges, 
que  le  roi  de  France  les  manda  tous  deux 
dans  son  Louvre. 

—  «  Mes  amis,  leur  dit-il,  luttez  à  qui  fera  le 
plus  gros  mensonge.  Le  prix  de  la  lutte  est  une 
pension  de  cent  écus.  A  toi,  Normand. 

—  Roi,  j'ai  vu,  sur  une  montagne,  une  fourmi 
longue  de  sept  toises.  Elle  avait  cinquante  jambes, 
cinquante  pieds,  cent  yeux,  et  cent  oreilles. 

—  A  toi.  Gascon. 

—  Roi,  j'ai  vu  un  âne  dont  les  pieds  plon- 
geaient au  fond  de  la  mer,  et  dont  les  oreilles 
touchaient  au  ciel.  Avec  sa  queue,  cet  âne  faisait 
trois  fois  le  tour  du  monde. 

—  Gascon,  dit  le  roi  de  France,  tu  as  gagné  le 
prix  de  la  lutte.  Tu  as  gagné  la  pension  de  cent 
écus  (i).  » 

(i)  Dicté  par  Pauline  La;aze,  de  Panassac  (Gers). 


^V-^'-i~\  /T^Orx /'«^'^"^/'Ï^^OJA,  rJ^'-TN  /-l-^OTN  /'Î^'-V^ 


VII 

PLAIDEURS    ET    GENS   DE   ROBE 


I.  —  Deux  paysans  comparaissent  devant  le 
juge  de  paix. 

—  «  Monsieur  le  juge  de  paix,  dit  Pierre,  j'ai 
prêté  cent  francs  à  Jean,  sur  sa  simple  parole. 
Maintenant,  il  le  nie.  Commandez-lui  de  me  rem- 
bourser. 

—  Réponds,  Jean. 

—  Monsieur  le  juge  de  paix,  Pierre  ment.  Les 
cent  francs  qu'il  m'a  prêtés,  je  les  lui  ai  rendus. 
Je  suis  prêt  à  lever  la  main,  pour  faire  serment.  » 

Mais  avant  de  lever  la  main,  Jean  fait  sem- 
blant d'être  embarrassé  d'un  panier  qu'il  porte, 
et  le  passe  à  Pierre. 

—  «  Monsieur  le  juge  de  paix,  je  jure  que  j'ai 
rendu  à  Pierre  les  cent  francs  que  je  lui  devais. 

—  Pierre,  dit  le  juge  de  paix,  fouille  au  fond 
de  ce  panier.  Tes  cent  francs  y  sont.  » 

1^  Pierre  obéit.  Les  cent  francs  se  trouvent,  en 
effet,  au  fond  du  panier.  _.^ 


569 


IL  —  Une  gi'anùe  et  forte  fille  traîne  devant 
le  juge  de  paix  un  pauvre  garçon,  qui  n'a  pas  plus 
de  quatre  pieds  de  haut. 

—  i'  Monsieur  le  juge  de  paix,  dit-elle,  ce  bri- 
gand vient  de  m'embrasser  par  force. 

—  Tu  mens,  Jeanne,  répond  le  juge.  Jamais  un 
si  petit  homme  n'a  pu  atteindre  jusqu'à  ta  joue. 

—  Monsieur  le  juge  de  paix,  je  l'ai  fait  monter 
sur  mes  sabots. 

—  Dehors,  Jeanne.  J'ai  des  affaires  plus  pres- 
santes à  régler.  » 

III.  —  Un  témoin  fait  le  sourd,  pour  se  dispen- 
ser de  répondre. 

—  «  Je  n'ai  rien  entendu.  Je  suis  sourd.  Mon- 
sieur le  juge  de  paix.  Je  suis  sourd  comme  une 
pierre. 

—  Eh  bien,  mon  ami,  répond  le  juge  de  paix 
à  voix  très  basse,  si  tu  es  sourd,  prends  ton  béret 
ei  va-t'en.  » 

Vite,  le  témoin  prend  le  chemin  de  la  porte. 

—  «  Retourne  ici,  gueux.  Tu  n'es  pas  plus 
sourd  que  moi.  Parle  vite,  et  ne  mens  pas.  Sinon, 
gare  la  prison.  » 

IV.  —  Un  juge  de  paix  interroge  une  filie  de 
mauvaise  vie. 

—  «  Votre  nom? 

m  24 


—  Jeanne. 

—  Votre  âge? 

—  Vingt  ans. 

—  Votre  profession  ? 

—  Putain,  Monsieur  le  juge  de  paix,  à  votre 
service.  « 

Le  juge  de  paix,  indigné  : 

—  «  Greffier,  écrivez  couturière.  » 

V.  —  Un  juge  de  paix  dicte  un  inventaire  à  son 
greffier. 

—  «  Item,  dans  une  étable,  trois  cochons,  dont 
un  grand,  un  petit,  et  le  troisième  raisonnable. 

—  Item,  une  chaise  et  un  banc,  sur  lequel 
nous  sommes  assis,  mon  greffier  et  moi,  le  tout 
ne  valant  pas  grand'chosc.  » 

VI.  —  Sentence  attribuée  au  juge  de  paix  de 
Miradoux  (Gers). 

—  «  Attendu  qu'un  pet  ne  saurait  constituer 
une  injure  verbale,  surtout  quand  il  n'est  pas  cer-, 
tain  que  ledit  pet  a  été  proféré  au  mépris  de 
^î.  le  maire  de  la  commune  de  Saint- An- 
toine (i),  agissant  dans  l'exercice  de  ses  fonc- 
tions : 

«  Par  ces  motifs, 

(i)  Com.T.une  du  canton  de  Miradoux  (Gers). 


DIVERS  371 

«  Le  Tribunal  se  déclare  incompétent,  et  relaxe 
le  prévenu,  sans  dépens.  » 

VIL  —  Un  juge  de  paix,  dont  la  raison  démé- 
nageait, condamne  un  pauvre  homme  à  la  peine 
des  parricides,  pour  n'avoir  pas  fait  ramoner  sa 
cheminée. 

VIII.  —  En  cour  d'assises,  présidées  par  un 
conseiller  beau  parleur  : 

Le  président  à  un  paysan,  qui  n'entend  pas  un 
mot  de  français  : 

—  «  Témoin,  l'extrémité  de  l'instrument  con- 
tondant, dont  s'est  servi  l'accusé  pour  frapper 
Monsieur  le  maire  d'Ornézan  (i),  agissant  dans 
l'exercice  de  ses  fonctions,  était-elle  enduite  de 
matière  fécale?  » 

Le  témoin,  ahuri  : 

—  «  Ué> 

—  Témoin,  je  vous  demande  si  l'extrémité  de 
l'instrument  contondant  dont  s'est  servi  l'accusé 
pour  fi-apper  Monsieur  le  maire  d'Ornézan,  agis- 
sant dans  l'exercice  de  ses  fonctions,  était  eii- 
duite  de  matière  fécale?  » 

Le  témoin,  encore  plus  ahuri  : 

—  «  Hé? 

(i)  Commune  du  canton  d"Aucli  (Gers). 


372  DIVERS 

—  Huissier,  traduisez  ma  question  au  témoin, 
en  langage  vulgaire. 

—  /  auèiio  merdo,  au  cap  don  harrot  ? 

—  O  !  Moussu,  n'i  auèiio  rede  (i).  » 

IX.  —  Un  vieu.x  juge  a  dormi  toute  l'audience. 
On  le  réveille  pour  opiner. 

—  «  A  mort  !  A  mort  ! 

—  Mais  il  s'agit  d'un  pré. 

—  Qu'on  le  fauche  !  » 

X,  —  Un  avocat  plaide  une  question  d'adul- 
tère. Les  inculpés  ne  sont  restés  seuls  que  peu  de 
temps. 

—  «  Messieurs,  un  grand  philosophe,  Sé- 
nèque(2),  a  dit  :  «  Pour  consommer  un  adultère, 
«  il  faut  le  temps  de  faire  cuire  un  œuf  à  la  coque, 
«  et  dé  le  manger.  » 

«  J'en  conviens,  Messieurs,  les  inculpés  sont  de- 
meurés seuls  durant  le  temps  nécessaire  pour  faire 
cuire  un  œuf  à  la  coque,  pour  l'assaisonner  de  sel 
et  de  poivre,  pour  découper  en  mouillettes  une 
tranche  de  pain.  Mais  ont-ils  eu  le  temps  de  man- 
ger l'œuf,  comme  l'exige  impérieusement  le  grand 


(:)  Y  avait-il  de  la  merde,  au  bout  du  bâton?  —  Oh!  Mon- 
sieur, il  y  en  avait  beaucoup. 

(2)  Est-il  besoin  de  noter  que  Séiièque  n'a  jamais  rien  dit  de 
pareil  î 


373 


philosophe  Sénèque  ?  Voilà,  Messieurs,  voilà  le 
grave  problème  qui  s'impose  à  vos  méditations.  » 

XL  —  Il  y  avait  autrefois,  à  Lectoure,  un  avo- 
cat, voleur  comme  une  pie,  gourmand  comme 
une  lèchefrite.  Cet  avocat  avait  en  main  le  pro- 
cès du  plus  grand  braconnier  du  pays.  C'est  dire 
qu'il  mangeait  souvent  des  liè\Tes  et  des  per- 
dreaux qui  ne  lui  coûtaient  pas  cher. 

Enfin,  à  force  de  chicaner,  l'avocat  gagna  son 
procès.  Aussitôt,  il  écrivit  au  client  : 

—  «  Mon  ami,  viens  vite.  J'ai  une  bonne  nou- 
velle à  t'annoncer.  » 

A  lettre  vue,  le  braconnier  alla  prendre  dans  son 
garde-manger,  quatre  beaux  perdreaux,  tués  de  la 
veille,  les  Ua  par  les  pattes  avec  une  cordelette,  et 
les  mit  dans  un  panier,  sous  une  bonne  couche 
de  foin.  Deux  heures  après,  il  entrait  à  Lectoure, 
par  le  faubourg,  et  s'arrêtait  chez  un  cordonnier 
de  ses  amis.  En  ville,  tout  le  monde  savait  déjà 
que  le  braconnier  avait  gagné  son  procès.  Pour 
mieux  l'en  complimenter,  le  cordonnier  mena  son 
ami  boire  un  coup,  à  la  cuisine. 

Tandis  que  tous  deux  choquaient  le  verre,  les 
apprentis  du  cordonnier  fouillaient  vite,  vite,  dans 
le  panier. 

—  «  Quatre  perdreaux!  Bonne  affaire!  » 

En  un  tour  de  main,  les  perdreaux  étaient  rem- 


374  DIVERS 

placées,  au  bout  de  la  cordelette,  par  une  paire 
de  vieilles  formes  en  chêne,  dures  comme  des 
cailloux,  puantes  comme  des  charognes, 

—  «  Gueusard  !  Voilà  pour  t'apprendre  à  trin- 
quer sans  nous  avec  le  bourgeois.  » 

Sans  se  méfier  de  rien,  le  braconnier,  gai 
comme  un  merle,  reprit  son  panier,  et  courut 
chez  l'avocat. 

—  <(  Ah!  Té  voilà,  mon  ami{i),  lui  cria  le  chi- 
caneur. 

Qn' est-ce  que  tu  diriais, 
Si  je  té  disiais 
Que  tu  as  gagné  toun  procès  ? 
—  Et  bons,  moussu  Vahoucat, 
Qu'est-ce  que  hous  diriais. 
Si  je  vous  foutiais.,.. 
Une  paire  de  perdreaux  à  la  figure. 
—  Fais,  mon  ami,  fais.  Tu  en  as  lé  drroil.  » 

Croyant  toujours  porter  ses  perdreaux,  le  bra- 
connier saisit   sa  cordelette,  lança  de  toute  sa 


(i)  Ici  le  narrateur  imite  le  français,  avec  un  accent  plus 
j-articulièrement  remarquable  chez  les  vieux  Gascons.  Natu- 
rellement, l'avocat  parle  le  français.  Son  client  veut  en  faire 
aut.int.  Sa  dernière  phrase,  que  j'ai  dû  traduire,  se  dit  en 
g.'.scon  :  «  Un  pareil  de  perdigails  pous  pol^,  une  paire  de  per. 
lireaux  à  la  figure.  »  Par  un  mouvement  ce  familiarité  reconnais- 
sante, encore  usité  dans  mon  pays,  le  braconnier  voulait  cha- 
touiller, avec  sou  gibier,  le  visage  de  l'avocat. 


force  les  deux  vieilles  formes  à  la  ligure  de  Tavo- 
cat,  et  lui  cassa  la  mâchoire. 

XII.  —  Ce  même  avocat  avait  gagné  le  procès 
du  meunier  de  Repassac  (i),  qui  n'avait  pas 
son  pareil  comme  pêcheur.  Aussitôt,  il  écrivit 
au  client  : 

—  «  Mon  ami,  viens  vite.  J'ai  une  bonne  nou- 
velle à  t' annoncer.  » 

A  lettre  vue,  le  meunier  alla  prendre  une  paire 
de  superbes  anguilles,  qu'il  tenait  en  réserve  dans 
une  auge,  les  enferma  dans  un  panier  rempli 
d'herbe,  et  ficela  le  couvercle.  Cela  fait,  il  s'ha- 
billa de  neuf,  et  partit  pour  Lectoure,  en  prenant 
par  le  hameau  de  La  Côte  (2).  Là,  il  s'arrêta  un 
bon  moment  chez  un  tisserand,  pour  avoir  des 
nouvelles  d'une  pièce  de  toile  que  la  meunière 
attendait.  Tandis  que  les  deux  hommes  devi- 
saient, la  femme  du  tisserand  déficela  le  panier, 
enleva  les  deux  superbes  anguilles,  et  rétablit  vite 
le  couvercle  comme  auparavant. 

Le  meunier  repartit,  et  entra,  fier  comme  un 
paon,  dans  le  cabinet  de  l'avocat.  A  la  vue  du  pa- 
nier, le  chicaneur  se  mit  à  rire. 

—  «  Bonjour,  mon  ami. 


(i)  Moulin  sur  le  Gers,  dans  la  commune  de  Lectuare. 
(2)  Hameau  à  mi-chemin  entre  Lectoure  et  le  Gers. 


376  DIVERS 

—  Bonjour,  Monsieur  l'avocat.  Je  vous  ap- 
porte... Je  vous  apporte...  Vous  allez  voir  ça.  » 

Le  meunier  tira  son  couteau,  et  coupa  la  ficelle 
qui  retenait  le  couvercle. 

—  «  Monsieur  l'avocat,  je  vous  apporte...  je 
vous  apporte...  » 

Le  meunier  cherchait  les  deux  superbes  an- 
guilles, à  travers  l'herbe  du  panier. 

—  «  Monsieur  l'avocat,  je  vous  apporte...  je 
vous  apporte...  » 

Le  meunier  cherchait  toujours  les  deux  su- 
perbes anguilles  à  travers  l'herbe  du  panier. 

—  «  Monsieur  l'avocat,  je  vous  apporte...  je 
vous  apporte...  Je  ne  vous  apporte  rien.  » 

XIII.  —  Voici  comment  s'y  prenait  le  même 
avocat,  pour  duper  les  paysans  qui  venaient  le 
consulter. 

—  «  Bonjour,  Monsieur  l'avocat,  disait  un  pau- 
vre pa3^san,  je  viens  pour  vous  demander  un  avis. 

—  Mon  ami,  ne  parle  pas.  Si  tu  parles,  c'est 
quarante  sous. 

—  Mais... 

—  Tu  as  parlé.  Crache-moi  quarante  sous.  Et 
maintenant,  mon  ami,  conte-moi  ton  affaire.  » 

Jusqu'au  bout,  l'avocat  écoutait,  sans  souffler 
mot. 

—  «  Mon  ami,  je  vois  ce  que  c'est.  Tu  veux  une 


DIVERS  377 

consultation.  J'en  ai  à  trois  prix,  selon  les  livres 
dont  je  me  sers.  Consultation  avec  le  petit  livre, 
un  écu  (i).  Consultation  avec  le  moyen  livre, 
deux  écus.  Consultation  avec  le  grand  livre,  un 
louis  d'or  (2)  et  une  paire  de  chapons  gras.  Mon 
ami,  te  voilà  prévenu.  Tu  es  libre.  Choisis. 

—  Monsieur  l'avocat,  si  vous  preniez  le  petit 
livre  ? 

—  Oui,  mon  ami.  Le  petit  li\Te  ne  tient  pas 
plus  pour  l'un  que  pour  l'autre.  Peut-être  y  trou- 
verai-je  ce  qu'il  te  faut.  Crache-moi  l'écu.  » 

L'écu  craché,  l'avocat  prenait  le  petit  livre,  y 
cherchait  un  moment,  et  fronçait  le  sourcil. 

—  «  Mon  ami,  ton  affaire  n'est  pas  de  celles 
où  l'on  voit  clair  au  premier  coup.  Nous  n'au- 
rions pas  dû  commencer  par  le  petit  livre.  Il  fal- 
lait le  moyen,  ou  le  grand.  Maintenant,  te  voilà 
prévenu.  Choisis. 

—  Monsieur  l'avocat,  si  vous  preniez  le  moj-en 
livre  ? 

—  Oui,  mon  ami.  Le  moyen  livre  ne  tient  ni 
pour  l'un  ni  pour  l'autre.  Peut-être  y  trouverai-jc 
ce  qu'il  te  faut.  Crache-moi  les  deux  écus.  » 

Les  deux  écus  crachés,  l'avocat  prenait  le 
moyen  livre,  y  cherchait  un  moment,  et  fron- 
çait le  sourcil. 

(:)  De  trois  livres. 

(2)  De  vingt-quatre  livres. 


378  DIVERS 

—  «  Mon  ami,  ton  affaire  n'est  pas  de  celles 
où  l'on  voit  clair  au  premier  ou  au  second  coup. 
Nous  n'aurions  pas  dû  commencer  par  le  petit 
livre  et  continuer  par  le  moyen.  Il  fallait  le  grand 
livre.  Maintenant,  te  voilà  prévenu.  Avec  le  grand 
livre,  je  me  fais  fort  de  t'expliquer  ton  affaire. 

—  Eh  bien,  Monsieur  l'avocat,  prenez  le  grand 
livre. 

—  Oui,  mon  ami.  Crache-moi  le  louis  d'or,  en 
attendant  que  tu  m'apportes  la  paire  de  chapons 
gras.  )) 

Alors,  l'avocat  essayait  ses  lunettes,  prenait  le 
grand  livre,  et  y  cherchait  longtemps,  longtemps. 

—  «  Mon  ami,  le  grand  livre  te  donne  droit. 
Il  faut  plaider,  et  plaider  bientôt.  Mais  je  ne 
plaide  pas  pour  rien.  Retourne  ici  dans  huit 
jours,  et  viens  me  compter  cent  francs  d'avance.  « 

XIV.  —  Un  paysan  disait  un  jour  à  son  avocat  : 

—  «  Ah!  Monsieur  l'avocat,  mon  affaire  est 
bien  merdeuse.  J'ai  bien  besoin  que  vous  m'v 
foutiez  un  coup  de  langue  (i).  » 


(i)  Les  quatorze  anecdotes  ci-dessus  m'ont  été  fournies  par 
M.  de  Boubée-Lacouture,  mort  juge  au  tribunal  de  Lectoure,  et 
.M.  I.odtran,  mort  greffier  de  la  justice  de  paix  de  la  même  ville. 


-^€>^^!^^- 


VIII 

HISTORIETTES   SCATOLOGIQ.UES 


I.  —  Un  soir,  veille  de  la  foire  de  la  Saint- 
Martin  (i),  un  marchand  arrive  dans  une  auberge 
Je  Lectoure. 

—  «  Bonsoir,  aubergiste.  Vite,  un  lit.  Je  tombe 
de  sommeil. 

—  Marchand,  mon  auberge  est  pleine,  pleine 
à  ce  point  qu'il  m'a  fallu  mettre  deux  voyageurs 
dans  chaque  lit.  Voici  le  plus  large.  Couche-toi 
là,  et  tâche  de  bien  dormir,  entre  tes  deux  cama- 
rades. » 

Les  deux  camarades  n'étaient  pas  contents. 
Pourtant,  ils  firent  place  au  nouvel  arrivé.  Mais 


(i)  Le  II    novembre.   Il  y   a  ce    jour-là,    à    Lectoure,  uue 
foire  de  mules  renommée  dans  toute  la  Gascogne. 


3ôO  DIVERS 

le  marchand  avait  son  plan,  et  voulait  le  lit  pour 
lui  tout  seul. 

Il  se  tourna  donc  sur  le  côté,  et  se  mit  à  pisser 
contre  son  camarade  de  face. 

—  «  Salop!  Tu  me  pisses  dessus. 

—  Ne  dis  rien.  Je  chie  contre  l'autre.  » 

Les  deux  camarades  décampèrent,  et  le  mar- 
chand eut  le  lit  pour  lui  tout  seul. 

II.  —  Il  y  avait,  une  fois,  à  Notre-Dame-de- 
Bonencontre  (i),  un  homme  bête  comme  une  oie, 
et  glorieux  comme  un  pou.  Cet  homme  s'appe- 
lait Taupe.  Vingt  fois  par  jour,  il  disait  à  ses  voi- 
sins : 

—  «  Mes  amis,  comptez  qu'un  jour  je  ferai 
parler  de  moi.  » 

Un  samedi  soir.  Taupe  se  cacha  dans  l'église, 
chia  dans  le  bénitier,  et  retourna  chez  lui,  sans 
être  vu. 

Le  lendemain  dimanche,  les  gens  arrivaient  en 
foule  à  l'église,  et  trempaient  leurs  doigts  dans 
l'eau  bénite. 

—  «  Mon  Dieu,  que  ça  pue!  Mon  Dieu,  que 
ça  pue  !  Quel  est  le  cochon  qui  a  chié  dans  le  bé- 
nitier ? 

(i)  Commune  du  canton  d'Ageu  (Lot-et-Garonne). 


—  C'est  moi.  C'est  moi,  répoudait  Taupe  tout 
glorieux.  » 

Huit  jours  après,  tout  le  monde  répétait  dans 
le  pays  : 

—  «  Taupe  est  un  cochon.  Il  a  chié  dans  le 
bénitier  de  Notre-Dame-de-Bonencontre.  » 

Et  Taupe  riait,  se  frottant  les  mains,  et  disait  à 
ses  voisins  : 

—  «  Mes  amis,  vous  le  voyez,  je  fais  parler  de 
moi.  » 

m.  —  I!  y  avait,  autrefois,  à  Lectoure,  un 
homme  avare  comme  un  Juif.  Il  s'appelait  Mon- 
mayran. 

Pour  épargner  son  bois,  en  hiver,  Monmaj-ran 
avait  imaginé  d'aller  se  chauffer,  chaque  matin, 
dans  une  maison  voisine.  Jusqu'à  l'heure  de  la 
soupe,  il  demeurait  dans  la  cuisine,  au  coin  du 
feu,  et  décampait  au  premier  coup  de  VAnge- 
Itts  (i).  Les  femmes  de  la  maison  n'étaient  pas 
contentes  ;  mais  elles  n'osaient  prendre  sur  elles 
de  chasser  Monmayran  de  chez  elles. 

Depuis  la  première  visite  de  l'avare,  il  se  pas- 
sait, dans  la  cuisine,  des  choses  véritablement 
étonnantes.  Jusqu'à  la  venue  de  Monmayran,  la 
marmite,  pendue  à  la  crémaillère,  marchait  son 

(i)  V Angélus  de  midi. 


382 


tr^iin.  Les  choux,  le  quartier  d'oie,  le  farci  (i), 
cuisaient  dans  un  long  bouillon.  Mais,  une  fois 
Monmayran  parti,  plus  de  bouillon  pour  tremper 
la  soupe.  Rien  que  les  choux,  le  quartier  d'oie, 
et  le  farci. 

Alors,  la  maîtresse  de  la  maison  souffletait  ses 
filles  et  sa  servante  à  tour  de  bras. 

—  «  Carognes!  C'est  chaque  jour  la  même 
chose.  Voyez.  La  marmite  a  trop  bouilli.  Rien 
que  les  choux,  le  quartier  d'oie,  et  le  farci.  Pas 
une  goutte  de  bouillon.  » 

A  force  d'être  souffletées,  les  filles  et  la  ser- 
vante finirent  par  se  méfier,  et  surveillèrent  Mon- 
mayran. Que  virent-elles? 

Cinq  minutes  avant  ÏAngehis  de  midi,  l'avare 
fit  courir  l'œil.  Puis,  il  tira  de  sous  sa  veste  une 
grosse  seringue,  en  plongea  la  canule  dans  la 
marmite,  tira  vite  le  bâton,  et  enleva  le  bouillon. 

Les  filles  sautèrent  sur  les  pincettes,  la  ser- 
vante sauta  sur  sa  pelle  à  feu. 

—  «  Mère  !  maîtresse  !  Courez,  courez  vite. 
Nous  tenons  enfin  notre  voleur  de  bouillon.  » 

La  maîtresse  empoigna  le  balai,  et  toutes  ces 


(i)  La  garbure,  ou  soupe  aux  choux,  de  la  Gascogne,  com- 
porte l'addition  d'un  quartier  d'oie  confite  à  la  graisse.  On  y 
ajoute  volontiers  un  farci,  gâteau  fait  de  mie  de  p.^in,  d'œufs. 
et  de  lard  haché. 


38? 


femmes  firent  à  Monmayran  une  telle  conduite, 
que  le  gueux  décampa,  pour  ne  revenir  jamais. 

IV.  —  Il  y  avait  autrefois,  à  Condom  (i),  un 
apothicaire,  qui  n'avait  pas  son  pareil  pour  les 
lavements  bons  à  rafraîchir  les  paysans  de  l'Ar- 
magnac, échauffés,  en  été,  par  les  travaux  de  la 
campagne.  Chaque  samedi,  jour  de  marché  (2), 
chaque  dimanche,  jour  de  repos,  les  visiteurs  ar- 
rivaient par  bandes. 

Mais  chacun  son  tour,  comme  au  confession- 
nal. Un  à  un,  les  paysans  entraient,  déculottés 
dans  l'arrière-boutique.  Aussitôt,  l'apothicaire 
chargeait  sa  seringue  dans  un  grand  chaudron,  et 
poussait  ferme. 

—  «  Voilà.  C'est  deux  sous.  A  un  autre.  » 

Et  les  visiteurs  filaient  par  la  porte  de  l'arrière- 
boutique,  s'ouvrant  sur  un  grand  jardin,  où  les 
plus  pressés  pouvaient  rendre  à  leur  aise  ce  qu'ils 
venaient  de  recevoir. 

Un  jour,  l'apothicaire  travaillait  à  l'accoutumé. 
Déjà,  le  paysan  avait  reçu  les  trois  quarts  du  la- 
vement. 


(i)  Chef-lieu  d'arroudissement  du  département  du  Gers. 
(2)  Les  marchés  de   Condom   se   tiennent   eu  effet  tous   k-s 
s.imidis. 


384 


—  «  Ah!  Mon  Dieu!  Monsieur  l'apothicaire, 
j'ai  oubhé  mes  deux  sous.  » 

Sans  ôter  la  seringue  du  bon  endroit,  l'apo- 
thicaire retira  vite  le  bâton,  et  reprit  son  lave- 
ment. 

—  «  File,  mauvais  gueux.  —  A  un  autre  (i).  » 


(i)  Je    sais,    depuis   longtemps,    ces    historiettes,    d'ailleurs 
populaires  dans  la  Basse-Gascogne. 


'¥ 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


Page  20j  ligne  7,  au  lieu  de  «  Le  jeune  homme  obéit, 
monta  »,  lire  «  Le  jeune  homme  obéit,  et  monta  ». 

Page  282,  lignes  17-18,  au  lieu  de  «  mais  empêtré  », 
lire  «  et  empêtré  ». 

Page  III,  ligne  10,  au  heu  de  «  couteau  manche  noir, 
couteau  de  manche  blanc  »,  lire  «  couteau  à  manche 
noir,  couteau  à  manche  blanc  » . 

Page  131,  hgne  7,  au  lieu  de  «  habiles»,  lire  «  avi- 
sés ». 

Page  162,  ligne  9,  au  lieu  de  «  demeures-y  »,  lire 
((  demeure-s-y  ». 

Page  164,  ligne  19,  au  lieu  de  «  gras  »,  lire  «  gros  ». 


m  25 


TABLE 


COXTES  FAMILIERS 


LES    GEXS    AVISES 

I.  Jean  le  Paresseux . , 5 

II.  Le  Kavire  marchant  sur  terre, . , 12 

m.  Le  Forgeron  de  Fumel •'. .  23 

IV.  Etienne  l'habile. , ■ • .  36 

V.  Les  Deux  Filles 41 

VI.  Le  Marchand  de  peignes  de  bois 52 

VII.  Tiens  bon , 65 

VIII.  JeanniUe 71 

IX.  Grain-de-Millet 78 

X.  La  Flûte  de  Courtebotte S7 

XI.  La  Besace 93 

XII.  Petiton , 1 04 


II 

LES   NWIS 

I.  Jean  l'Imbécile, 123 

II.  Les  Gens  de  Sainte-Dode 150 

III.  Le  Voyage  de  Jeannot 137 

IV.  L'Âne  de  Montastruc. ...,,., 142 


388  TABLE    DES    MATIÈRES 


III 

LE   LOUP 

I.  Le  Loup  malade 149 

IL  Le  Loup  pendu i;2 

III.  Le  Loup,  le  Limaçon,  et  les  Guêpes. .. ,, 156 

IV.  La  Chèvre  et  le  Loup 159 

V.  Le  Charbonnier. 163 

VI.  Le  Château  des  Trois  Loups 167 

VIL  Le  Conte  de  Jeanne 1 74 

VIII.  La  Petite  Oie =  ..  185 

IX.  Le  Loup  et  l'Enfant 189 

IV 

LE   RENARD 

I.  Le  Renard  et  le  Loup I9> 

II.  Le  Renard  et  le  Coq.. , ..., 199 

III.  La  Chèvre  et  le  Renard 200 

IV.  Le  Renard  et  la  Pie , .  203 

V.  La  Merlesse  et  le  Renard. . .  , 204 

V 

ANIMAUX   DIVERS 

I.  L'Aigle  et  le  Renard 21  ; 

II.  Le  Partage 216 

III.  L'Aigle  et  le  Roitelet 21S 

IV.  Le  Voyage  du  Coq.. ...  221 

V.  Le  Coq  et  ses  amis 223 

VI.  Le  Lévrier  et  la  Merlesse 229 

VI 
RANDONNÉES,    ATTRAPES,    ETC. 

I.  Le  Rat  et  la  Rate 235 

IL  Le  Lait  de  Madame 23S 


TABLE    DES    MATIÈRES  389 


m.  Tricote 240 

IV.  Le  Père  et  la  Fille. 243 

V.  Le  Père,  la  Mère,  et  la  Fille 246 

VI.  Bosquet 249 

Vn.  Dans  la  ville  de  Rome 2)3 

VIII.  Les  Trois  Chasseurs ■ 254 

IX.  La  Pâte  qui  chante 256 

X.  Les  Deniers > 260 


RÉCITS 

I 
MORALITÉS 

I.  Le  Lièvre 269 

II.  Les  Deux  présents 272 

lU.  L'Aveugle 277 

IV.  Les  Mains  blanches 279 

V.  Le  Méchant  Homme. 2S1 

VI.  La  Femme  méchante 2S4 

vn.  La  Dame  corrigée 2S7 

VIII.  Les  Deux  Gourmandes 289 

IX.  Les  Ames  du  Purgatoire 291 

II 
LES  GENS  d'Église 

I.  L'Évêque  et  le  Meunier 297 

II.  Le  Curé  avisé 3°' 

III.  Le  Prédicateur  muet 504 

rV.  Le  Curé  et  les  Paroissiens 309 

V.  Le  Signe  de  la  Croix 312 

VI.  Histoires  du  Curé  de  Lagarde 3^7 

VIL  Les  Deux  Abbés 3^9 

VIII.  Le  Sermon  du  Cochon  de  lait 55' 


390  TABLE    DES    MATIÈRES 


IX.  Dieu  a  dit 333 

X.  Le  Sermon  de  la  culotte 335 

XL  Superbe 357 

XII.  Le  Diable  au  cimetière 539 

XIII.  Les  Deux  Moines 342 

XIV,  Le  Cochon  volé 3-14 

XV.  Les  Cinq  Dieux 347 

XVI.  Le  Cordonnier  Saint. , 349 

III 

DIVERS 

I.  La  Truie  pendue 359 

IL  Recommandations  d'un  Auvergnat 361 

III.  Les  Trois  Étameurs 362 

IV.  L'Enfant  bègue. 363 

V.  La  Leçon  de  Jeannet 365 

VI.  Le  Normand  et  le  Gascon 367 

VII.  Plaideurs  et  Gens  de  Robe 368 

VIII.  Historiettes  scatologiques 379 

Additions  et  corrections 38; 


Achevé  d'imprimer   le  ^i   Décembre    iSS^i 

par  G.   Jacob  imprimeur  à  Orléans 

pour      Maisonneuve     frères 

et     Charles     Leclerc 

libraires  éditeurs 

à     Paris 


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