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LES iMARGUERITES
DE LA MARGUERITE
DES PRINCESSES
TOME DEUXIEME
COMEDIES : DE JL.A NATIVITE DE JESUS CHRIST,
DE L'ADORATION DES TROIS ROYS , DES INNOCENTS,
DU DESERT
TIRAGE.
120 exemplaires sur papier vergé (n<" 3i à i5o).
i5 » sur papier de Chine mu' i à i5).
i5 » sur papier Whatman (n01 16 à 3o).
i5o exemplaires numérotés.
LES MARGUERITES
D E
LA MARGUERITE
DES PRINCESSES
texte de l'édition de 1547
Publié avec Introduction, Notes et Glossaire
PAR
FÉLIX FRANK
ET ACCOMPAGNÉ DE LA REPRODUCTION
DES GRAVURES SUR BOIS DE L'ORIGINAL ET D*UN PORTRAIT
DE MARGUERITE DE NAVARRE
PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
RUE SAINT-HONORÉ, 3 38
M DCCC r.xxin
COMEDIE
DE LA NATIVITÉ
DE JESUS CHRIST
/
Joseph commence.
Celle en qui reluit de Dieu la grâce,
Cyreneus vient de lire en la place
Unedict fait par César l'Empereur;
C'est bien raison que son vouloir on face,
Mais j'ay grand peur qu'au chemin soyez lasse,
Car vostre estât engendre pesanteur.
Obéir fault aux Princes de bon cœur,
Voyant en eux de nostre dieu l'image.
Je ne crains pas ma peine ou mon labeur,
Mais ouy bien le vostre en ce voyage.
Marie.
Rien ne nous est des hommes ordonné
2 s DE LA NATIVITE
Que du povoir de dieu ne soit donné,
Parquoy ne fault qu'à luy seul regarder.
Mon bon espoux , ne soyez eslonnè ,
Mais d'obéir promptemenl addonné;
Car il vous peult, moy et mon fruit garder.
Empeschement je n'ay pour retarder
Que ne rendons au Prince obéissance;
Ne craignons point de noz corps hasarder,
Sachant que dieu est son Estre et puissance.
Joseph.
Chacun, m'amye, est contraint et cité
De retourner en sa propre cité ,
Portant tribut, lequel payer nous fault;
Pour vous, sans plus, suis en perplexité ,
Craignant qu'ayez quelque nécessité,
Car acoucher en peu de jours vous fault.
Et vous sçavez que le dieu de la hault
Pour vous garder m'a esleu et commis.
Helas, pensez que vostre fruit tant vault
Qu'en nul danger il ne doit estre mis.
Marie.
Danger n'aura, je le vous certifie,
Car le Puissant qui en moy fructifie
Tient en sa main et la mère et le fruit.
Amy, sachez que qui en luy se fie,
DE JESUS CHRIST. \
// le conserve et si le déifie ,
Tant que du tout Adam y est destruit.
Ne faites cas de nul propoz ne bruit ;
Asseurez vous que celuy qui ha Foy
Est d'obéir à chacun sy instruit
Qu'il ne craint point la rigueur de la Loy.
Joseph.
Or puisque tel est vostre bon désir,
Allons nous en vous et moy à loisir :
Obéissons à dieu en toute chose.
Marie.
Certes, amy, mieux ne povons choisir
Que d'obeïr, car là gisl mon plaisir:
Qui obéit à dieu, il se repouse.
Joseph.
Vous dites bien; ma tresloyaleespouse,
Mais en allant, de vous voudrois sçavoir Ea allaat-
Comme Esaïe de Bethléem s'expouse,
V eu que petite à nostre œil se fait voir.
Marie.
Petite elle est Bethléem à la veue ,
Et sa grandeur n'est aux charnelz congnue.
Mais quand dieu a révélé au Prophète
4 DE LA NATIVITÉ
Que christ fera sa première venue
En ce lieu là, comme cité eslue,
De sa grandeur Esaïe fait feste :
Grand est le lieu auquel se manifeste
Celuy qui n'ha pareil en sa grandeur,
Il n'y a lieu où le vray Saint se mette
Qui ne soit Saint et tout à son honneur.
En allant. 0 Bethléem, maison de pain nommée,
Quelle sera de toy la renommée,
Quand tu seras le coffre du pain vif?
Courez icy, vous la gent affamée,
Courez icy, vous Ame bien aymée,
Et recevez ce pain d'un cœur naïf.
Povre pécheur, sois y bien ententif,
Car c'est le pain et de grâce et de vie ;
Que crainte et peur ne te fasse rétif,
Mais haste toy par une sainte envie.
Joseph.
Or sommes nous arrivez en ce lieu ,
Dont vous et moy, m'amye, louons dieu.
Car il est tard et la nuict est venue.
En Allons tout droit là où je voy du feu.
regardant . ' J J
le premier Si la maison ha pitié au mylieu,
Vous y serez humainement receue.
En allant. Seigneur, celuy qui vivifie et tue
Vous soit salut et consolation;
DE JESUS CHRIST. 5
Vous plairoit il et logis et repue
Vouloir donner par grand' compassion?
Le premier hoste.
Aux riches gens voudrois faire service,
Car mon mestier et mon commun office
N'est seulement que tousjours amasser
Or et argent, là veux mon temps passer.
Riche veux estre, à ce tend mon soucy.
Je hay le povre et povreté aussi.
J'ayme le riche, estant à moy semblable ;
De luy j'attends quelque honneur profitable.
Allez, amyz, pour vous je suis trop chiche,
Mon logis est remply d'un homme riche.
Joseph.
Allons nous en, l'aumosne est icy faite.
0 charité, qui rendz l'ame parfaite,
Difficile est que l'on te trouve au cœur
De l'homme riche, si dieu n'y est vainqueur !
En voilà un , à dire vérité ,
Qui semble bon : Monsieur, par charité,
Vous plairoit il loger moy et ma femme ? Regardant
Car entendez que ceste povre dame fcotne.
Est sur le poinct de son acouchement.
6 DELA NATIVITE
Le II hoste.
Icy n'aurez point de logis, vrayment;
Un mien amy, qui n'est petit seigneur,
Y est logé, dont je reçoy honneur.
Mon logis n'est pour telle gens que vous ,
Vous n'y povez apporter que des poux.
Princes et Roys sont icy bien venuz ,
Sans rien payer Hz sont entretenuz :
Car espérer je puis par leur moyen,
D'avoir enfin quelque honneur terrien;
Telz gens que vous ne m'y peuvent servir ;
Parquoy n'y veux mon logis asservir,
De vous y voir certes j'aurois grand honte.
Joseph.
Adieu, Seigneur. Quand orgueil l'homme domte,
D'humilité perd sy fort l'appétit
Qu'il ne peult plus recevoir le Petit;
Mais cestuy là qui le Petit refuse
Pour estre grand, bien clerement s'abuse,
Car nul ne peult monter à la hautesse,
Qui descendu n'est à la petitesse.
Regardant En voilà un qui ha bien bon visage,
hoste. Mais essayons un petit son courage.
Bon soir, Seigrteur, vous plaist il héberger
Ma femme et moy, et pour annuit loger?
DE JESUS CHRIST.
Le III. hoste.
Je ne sçaurois ; en vain estes parlans ,
Car j'ay icy logé d'autres gallans,
En espérant passer la nuict à boire ,
Qui ne sera sy obscure ny noire
Qu'elle ne soit entre nous bien joyeuse.
Nous mènerons vie delitieuse,
Danses et jeux , et femmes et banquetz
Ne nous faudr ont , et mille bons caquetz.
Cure n'avons de gens pleins de tristesse :
Prenez ailleurs, mes amys, vostre addresse.
Si ne sçavez bien danser et baller,
Vous povez bien en autre lieu aller;
Sy sages gens ne voulons recevoir,
Il nous fait mal seulement de vous voir.
Joseph, en s'en allant.
Or Adieu donc. 0 que Volupté foie
Ce povre monde aveugla et affole;
En leur ostant la parfaite science,
Fait refuser la haulte sapience!
0 Salomon, vous l'avez bien prédit,
Qii'en l'Ame où est ce vice tant maudit
La Sapience à jamais n'entrera.
Allons plus loing, et Dieu nous monstrera
Où il luy plaist que nous facions demeure.
DE LA NATIVITÉ
Marie.
Las, mon amy, je voy approcher l'heure
Que naistre doit le fruit tant désiré;
Regardons où.
Joseph, regardant l'estable.
Au fort, je vous dire
Voicy un lieu qui sert de povre estable;
Bien qu'il ne soit pour l'enfant honorable,
Nécessité nous contraint d'y entrer ;
Et je mettray peine de l'acoustrer,
Pour vous garder de l'injure du vent.
Marie.
Joseph, ilfault que vous soyez sçavant
Qu'il n'est nul lieu où Dieu soit en présence,
Qu'il ne soit plein de lumière et plaisance;
Prenons en gré ce qu'il donne à noz corps,
Ne regardons jamais à ce dehors.
Joseph, en allant à la ville.
En ceste ville iray, pour nous pourvoir
De ce qu'avons nécessité d'avoir.
Marie.
Allez, amy, seule ne me laissez;
DE JESUS CHRIST.
Car où Dieu est j'ay compaignie assez.
Père éternel, dont la bonté est telle
Qu'elle ne peult de nature mortelle
Estre congnue, entendue ou comprinse ;
Mais toutesfois Amour veult que ne celé
Les biens qu'as fait à ta petite ancelle,
Car j'en serois comme ingrate reprinse ;
0 Dieu d'Amour qui embrase et attise
Les cœurs tresdurs que ta charité fend ,
Grâces te rendz , dont pour Mère m'as prise
De ton trescher et tresamé enfant.
En moy ne sens ne vertu ne value
Qui meritast estre de toy eslue
Et appellée à sy digne service.
0 Toutpuissant, je t'adore et salue,
Te merciant que de terre polue
M'as retirée exempte de tout vice.
Qui suis je moy, pour faire tel office
Rien. Mais ce rien tu remplis tant d'honneur,
Que cœur, esprit et corps en sacrifice ,
Voire et mon Tout je offre à toy seul Seigneur.
J'ay ta Parole et crue et observée,
Dont mère suis; las, lu m'as conservée
Avec le fruit qu'en moy il t'a pieu mettre;
De tout danger, Seigneur, as préservée,
Mais je sçay bien que tu as réservée
Plus grand faveur, que dehors te fault mettre.
10 DE LA NATIVITÉ
Assiste donc à l'admirable naisire
Du vray salut, qu'il t'a pieu de promettre
A tous croyans. Père, plus ne demeure,
Tu es mon dieu, et ma vie et mon estre,
Regarde moy, Seigneur, car voicy l'heure.
0 le plaisir de l'union parfaite
Que ta bonté de toy et moy a faite,
Tant que ne sens rien en moy fors que toy !
Ton grand thresor secret me manifeste,
Ton saint esprit ne me cœuvre nul texte
Soit de la vieille ou la nouvelle Loy.
D'amour je vit, car rien ne sens en moy
Que toy, Seigneur, qui es mon ame et vie.
Mon ame perd le sentement de soy,
Car par amour en toy elle est ravie.
Dieu le Père.
0 vous, espritz, en moy vivans par grâce,
Et soustenuz du regard de ma face,
Ne congnoissans que moy en toute chose,
Voicy le temps que ceste terre basse
Me germera le fruit, qui outrepasse
Le sens humain : car en mortelle rose
Divinité on y verra enclose,
Venant d'enhault, monstrant qu'en elle suis.
Voyez ma Fille eslue et mon Espouse,
Dont séparer à jamais ne me puis.
DE JESUS CHRIST. Il
Du vray repoz d'amour est endormie,
Non d'amitié imparfaite et demie;
Mais elle y court sy viste, que son corps
Ne rien d'abas elle ne congnoit mye :
Macule n'ha, toute belle est m'amye.
Plus elle dort, plus son esprit court lors;
Elle ne sent rien dedens ne dehors,
Sinon moy seul, par unie union;
Son plaisir prend en mes divins accords,
Desquelz en moy elle ha communion.
Divins espritz, ô fille de Zion ,
N'empeschez point sa contemplation.
Je vous adjure, et commande, et ordonne
Par les espritz, promptz par affection
Plus que les cerfz par la dilection
Des plus ardens d'intelligence bonne,
Plus que chevreux sautans montaigne et borne,
Que vous n'ayez à troubler sa personne,
Et que nully de vous ne la resveille,
Jusques à ce que l'heure heureuse sonne,
Et qu'elle mesme en grand' joye le vueille.
Allez à bas, vuydez tout le ciel d'Anges,
El en chantant augmentez mes louenges;
Servez m'amye et mon enfant trescher;
A mes esluz comptez les cas estranges,
Et que tirez sont des maudites fanges
LÀ où Sathan les souloit attacher.
12 DE LA NATIVITÉ
Si recevoir peuvent l'enfant en chair,
Croyant qu'il est leur vie et leur salut,
De moy pourront seurement approcher :
Rien fors]mon Filz jamais ne leur valut.
Le Premier Ange.
Rien ne voulons, sinon ton saint vouloir
Exécuter par ton puissant povoir,
Père éternel; car nous sommes venuz
De toy, en toy, et par toy soustenuz ;
Tu es nostre Estre et nostre Mouvement,
En nous tu fais ton vouloir seulement :
Si ta beauté en nous nous regardons
Ainsi que nostre, helas! nous la perdons;
Si nous cuydons nostre ce qui est tien,
Nous retournons soudainement à rien.
Trop Lucifer ce Cuyder esprouva ;
Se regardant, non toy, rien se trouva ;
Nous qui n'avons Vouloir que ton désir,
Estre que toy, ne Bien que ton plaisir,
Commande nous ce qu'il te plaist défaire,
Car toy seul peux commander et parfaire.
Le Second Ange.
0 l'Eternel et l'antique des ans!
Auquel, duquel, la vertu je me sens,
Parle, Seigneur; car tu as tel crédit,
DE JESUS CHRIST. Ij
Qu'aussi tost est ton vouloir fait que dit.
Tu as créé par un seul Commander
Ce qu'il te plaist de nous recommander ;
Il sera fait, car tel povoir avons,
Estans en toy, par qui vivons, mouvons.
Le Tiers Ange.
Puis que l'enfant te plaist de regarder,
Voire et par nous songneusement garder,
Très voluntiers nous ferons ce mystère,
Et aux croyans ne le voudrons pas taire,
Mais déclarer ceste venue heureuse,
Portant salut à toute ame amoureuse
Que tu congnois et qu'eslue tu as,
Qui ha désir de voir ton Messias.
Le 1 1 1 1 . Ange.
Aux sages Roys attendans ce grand bien
Par ferme Foy, il n'enfault celer rien :
Ceste bonne Anne, au temple qui l'attend,
Aura bien tost par nous l'esprit content;
Et Simeon, plein d'extrême vieillesse,
Remply de Foy, en sentira liesse,
Et congnoistra qu'il na son temps perdu
D'avoir le christ par Amour attendu.
Puis nous irons annoncer aux pasteurs,
Qui des troupeaux sont songneux amateurs,
14 DE LA NATIVITÉ
L'Agneau venu. Car qui fait son devoir,
Et son estât, ha désir de le voir.
Le V. Ange.
Et moy, Seigneur, de bien grand appétit
Iray cercher où est le Pluspetit,
Et luy diray qu'il est grand devenu,
Puis que le Grand s'est fait Petit tout nu.
Dieu.
Allez, enfans, exécuter ce rolle,
Et par vous soit faite ceste parole.
Tous les Anges, ensemble chantans.
A toy soit toute gloire,
0 trespuissant Seigneur!
Depuis qu'as eu mémoire
D'estre de christ donneur
A tout l'humain lignage,
Dont Sathan feut vainqueur :
Pour faire ton message,
Nous courons de bon cœur
A Marie la sage,
Luy faisant tout honneur.
Marie.
0 Créateur d'incongnue nature,
DE JESUS CHRIST. 1$
Fors qu'à toy seul, duquel la pourtraiture
Voy en ion Filz, petite créature,
Las ! qu'est cecy?
Quelle bonté, quelle grâce et mercy
Nous te devons, donnant l'enfant sans Si!
Dont j'ay le cœur de joye si transy,
Que ne puis dire
Ne bien penser, ainsi que je désire,
Quel est ce bien qui tant à soy me tire
Par fort amour, dont je pleure et souspire
Par vray plaisir.
0 des Eslut le désiré désir !
Las ! te plaist il en ta terre gésir
Comme un enfant, et pour mère choisir
Moy ton ancelle?
C'est un grand cas, point ne fault que le celé,
^De me voir mère estant vierge et pucelle,
Mère d'un Filz qui tout autre precelle ;
Vray dieu et homme,
Je sents en moy de tes biens telle somme,
Que mon povoir tu absorbe et assomme;
Car charité qui ton vouloir consomme
Me tient suspense.
Possible n'est que mon sentiment pense,
Ne mon penser par parole dispense;
Car 5v grand est de toy la congnoissance,
Que plus ne sents
16 DE LA NATIVITÉ
Que c'est de moy. Donne force à mes sens
Pour mieux servir le Roy des innocents ;
Car de bon cœur, Seigneur, je me consents
A ton service.
Pour le porter sois à mes bras propice;
Remplis mon sein de laict pur, sans nul vice,
Pour de ton Filz estre vierge nourrice.
Or sus! mon ame,
Loue ton dieu, qui à moy, povre femme,
Fait tel honneur que chacun me dit Dame,
Par le regard de celuy qui enflamme
Mon cœur de joye.
0 mon enfant ! est il vray que je voye
Ce que long temps tant désiré j'avoye :
Dieu avec nous, vérité, vie et voye,
En corps mortel ?
Foy là dessoubz me le monstre immortel;
Car, quant au corps, mon Filz, je vous voy tel
Qu'un autre enfant. 0 grand Prebstre et autel
Tant admirable !
Voire et hostie à dieu seule agréable,
Qui aux pécheurs rens le Père placable.
0 douce odeur ! ô encens délectable !
0 doux Agneau,
Qui entreprens de porter le fardeau
De tous péchés, rendant l'homme nouveau,
Damné en soy, en Dieu plaisant et beau !
DE JESUS CHRIST. 17
0 Dieu en chair!
Emmanuel du Perefilz trescher,
Pourra) je bien de mes mains vous toucher
Et de ma bouche à la vostre approcher ?
0 Dieu! quelle ayse!
Comme mon Dieu l'adore, et puis le baise
Comme monfilz. Mais que je luy complaise,
Avoir ne puis chose qui me desplaise.
Je n'ay maison
Pour vous servir comme il seroit raison;
Mais Dieu, auquel s'addresse l'oraison,
Fera le lieu, et la froide saison
Pour ta santé
Telle qu'il fault, nous donnant à planté
Ce que voirra sa bonne volunté;
C'est ce qui rend mon Esprit contenté.
Or fault qu'à l'œuvre
Mette la main, et ce petit corps cœuvre,
Qui est de dieu le tresamé chef d'oeuvre,
Des drappeletz non faitz d'argent ny d'or,
Fors que le lin, dont assez l'on recœuvre;
Mais de rien n'est moins riche ce thresor.
Le I. Ange.
Je te salue, ô dame bienheureuse !
Mère du Filz dont tu es amoureuse,
Sans offenser pure virginité;
a 3
l8 DE LA NATIVITÉ
Tu as receu nom de maternité,
Et du Puissant es la mère et la fille.
En un moment, plus prompt que l'œil ne sille,
Foy assembla en toy divinité,
Sans despriser la povre humanité.
Or voyons nous en un suppost uny
L'homme avec dieu, et le meffait puny
Du vieil Adam, par une mort cruelle,
Dont la façon ne fault que je révèle.
Le II. Ange.
Honneur devons à l'Agneau pur et munde,
Voire et occiz avant que fust le monde
Constitué ; lequel ouvrit le livre
Qui rend Adam de tout péché délivre ;
Nul ne povoit lire sus escriture,
Chacun pleuroit pour en faire lecture;
Mais cest Agneau l'ouvrit quasi occiz,
Dont luy devons louenge et grand merciz.
Le III. Ange.
0 du thresor divin le coffre et l'arche,
Duquel n'y a prophète ou patriarche
Qui nayt chanté, prophetizé, prédit,
Que du serpent venimeux et maudit
Seroit par toy force et teste brisée,
Nous t'adorons; et la vierge prisée
DE JESUS CHRIST.
Nom saluons sur toutes humblement;
Car par sa Foy a receu sauvement
Pour elle et tous ceux de l'humain lignage,
Dont lu) devons service d'avantage.
Le IIII. Ange.
0 vray sauveur que le Père a tenté,
Voire tous biens et honneur présenté,
Pour en plaisir régner dessus la terre,
Eslu avez plusiost porter la guerre
Contre la mort, le Péché et Sathan,
Qu'entre leurs mains laisser lepovre Adam.
Des biens mondains vous n'avez tenu compte,
Car Charité qui tout thresor surmonte,
Vous a contraint de faire tel effort,
Que pour tous biens avez choisy la mort :
Ce que je suis et puis estre soubmetz
De vous servir et louer à jamais.
Le Cinquième Ange.
Petit enfant, ne vueillez espargner
Moy trespetit, ou soit pour vous baigner,
Ou vous chauffer voz draps, ou vostre lict;
A vous servir je prendray grand delict.
Les Anges, chantans ensemble.
0 admirable hautesse !
DE LA NATIVITÉ
Grâce nous te rendons,
Dont voyons en liesse
Le bien que prétendons :
Gloire, louenge, honneur,
En soit à toy, Seigneur.
Par Christ sommes en grâce
Pour jamais confirmez;
Pécheurs de terre basse
Par luy sont reformez;
De joye nous repais,
Allons crier la paix.
Joseph.
Je m'en revois
A ceste fois
Vers mon Espouse,
Pour mon devoir
Faire de voir
Nouvelle chouse.
De ce qu'il fault
Pour ce fruit hault
N'ay la puissance.
S'y avons nous
Non les biens tous,
Mais suffisance.
Point d'indigence
Ne négligence
DE JESUS CHRIST.
De vivre au labeur de noz mains;
Des biens donnons
Et aulmosnons :
Qui plus en ha, en donne moins.
Quelle lumière
Voila derrière !
Je suis comme un homme escarté.
Il m'est advis
Que je ne viz
Jamais de semblable clarté.
Je voy Marie
Non pas marrie,
Mais d'un visage tresjoyeux.
Mais que voit elle,
Ceste pucelle?
Tousjours en bas elle ha les yeux.
Las, c'est V enfant
Qui me défend
De mourir, pour voler aux cieux.
Je demourray;
Non, j'entreray
Pour voir le fruit délicieux.
Doy je garder
Ou regarder
Ce fruit plein de vertu divine?
Las, regarder
Ne engarder
22 DE LA NATIVITE
Ne m'en peult ma nature indigne.
Voicy le jour
Que vray Amour
Pour se monstrer a espié.
0 quel bon tour!
Dont sans séjour,
M'amye, donnez moy son pied.
Se met Par ce baiser
à genoux _ .
et baise. Puis appaiser
Mon cœur bruslant en Charité.
Qu'il est plaisant,
Beau et luisant!
Aussi il est la Vérité.
dieu, puissant Père
Qui tout impere,
Je voy reposer dens ce F Hz.
Pas ne l'ignore,
Dont je l'adore;
Car onques doute je nen feiz.
Las, sa promesse
En grand largesse
Nous a maintenant tenue.
Heureux je suis
Dont voir le puis;
0 heureuse et digne veue !
DE JESUS CHRIST. 2J
Marie.
Mon amy, il nous fault entendre
D'envelopper cest Enfant tendre,
Car la nuict est un peu trop fresche.
Joseph.
Ce m'est plaisir de peine en prendre;
Mais, pour un peu de clarté rendre,
Je vois allumer teste mesche,
Estoupper aussi ceste bresche :
Mais quand il me vient en mémoire,
Où le mettrons nous? En la creiche?
Meilleur lieu n'a au diversoire.
BERGERIE.
Bergers : Sophron, Elpison, NephaU.
Bergères : Philetinc, Cristilh, Dorothée.
Sophron.
Le travail jour et nuict
Que je prens, tant me nuict,
Qu'il me fault reposer.
24 DE LA NATIVITÉ
Elpison.
J'ay tant chassé le Loup
Et couru, ne sçay où,
Qu'icy me veux poser.
Nephalle.
De dormir je n'ay garde,
II fault que je regarde
Tousjours sus mes Brebis.
Philetine, I. Bergère.
Et mon petit Agneau,
Qui est né de nouveau,
Je garde en mes habitz.
Cristilla.
Ma grand brebis blessée
f'ay sy tresbien pensée,
Que mal n'aura, m'amye.
Dorothée.
fay tiré du laict gras,
Dont j'ay sy mal au bras,
Que j'en suis endormie.
DE JESUS CHRIST. 25
Nephalie.
Je ne sçay qui me fait veiller,
Mais je ne sçaurois sommeiller;
Ce n'est point le soing du troupeau.
Car j'ay mon parc fermé et dont
Sy bien que je ne crains les Loups;
Mon troupeau est saing, gras et beau .
Mais j'ay en mon cœur une joye,
Qu'il me semble tousjours que je o\e
Quelques nouvelles bien plaisantes.
En attendant, je garderay
Mon troupeau, et regarderay
Du Ciel les estoilles luisantes.
Philetine.
Mais dites moyy frère Pasteur,
En regardant la haute hauteur
Du Ciel, qu'est ce que tu contemple*.
Nephalie.
J'admire le hault Créateur,
De toutes choses le facteur,
Et duquel nous sommes le temple.
Philetine.
Ceste bonté, qui tout dispose,
26 DE LA NATIVITÉ
La pensez vous en nous enclose
Qui sommes indigne vaisseau ?
Nephalle.
M'amye, soyez asseurée
Que sa bonté desmesurée
L'indigne fait tresdigne et beau.
Philetine.
0 Pasteur, que ce mot est doux,
Que ce hault Dieu habite en nous!
Chacun s'en peult il tenir seur?
Nephalle.
Par grâce il est en vous, en moy,
Et en tous ceux qui ont la Foy;
N'en doutez point, ma chère sœur.
Philetine.
Pasteur, qu'est ce qu'il a promis
Aux patriarches ses amys,
Qu l'ont sy long temps attendu ?
Nephalle.
C'est le Christ, le vray Messias,
Son vray Filz, pour qui tout soûlas
Et salut nous sera rendu.
DE JESUS CHRIST. ^^
Philetine.
Helâs! et quand viendra le temps
Qu'il nous rendra trestous contens?
Mon Dieu, que ceste heure me tarde!
Nephalle.
Je Vattendz par affection
Et bien grande dévotion.
Las, vien, Seigneur, plus ne retarde.
Les Anges ensemble.
Resveillez vous, Pastoureaux,
Voicy le jour
Que Dieu monstre en cas nouveaux
Son grand amour.
Nephalle, en criant.
Frères et sœurs, sus, au resve'd;
Laissez ce terrestre sommeil,
Oyez des Anges les paroles.
Philetine.
Resveillez vous pour le Soleil
Regarder en bel appareil;
Ne soyez pas des vierges foies.
28 DE LA NATIVITÉ
Elpison.
0 Dieu, quelle clarté je voy !
J'en senz si grande crainte en moy,
Que ne l'ose voir bonnement.
Cristilla.
Ceste parfaite et grand lumière
Je ne puis regarder entière,
Tant j'ay grand esblouissement.
Le Premier Ange.
Ne craignez point, Pasteurs.
Voicy, je vous annonce
Grande joye en voz cœurs,
Par charité semonce :
Dont le peuple estrené
En sera tost ou tard ,
Aujourd'huy vous est né
Pour héritage et part.
Le Sauveur, qui le Christ
Est, le Seigneur et maistre,
Ainsi qu'il est escrit,
Daigne en la cité naistre
De David, son grand père.
Ce vous sera pour signe :
Vous, d'une Vierge mère
DE JESUS CHRIST. 29
Trouverez l'Enfant digne,
Enveloppé de draps,
Dedens la creiche mys,
Le salut que ça bas
Dieu vous avoit promis.
Les Anges , chantans.
Gloire soit au Dieu des dieux,
Et d'icelle tout remplisse,
Tous les Cieux et les haultz lieux,
Ordonnez pour son service.
Paix soit au Monde ça bas,
Et la terre en soit sy pleine
Que l'on change tous debatz
En charité souveraine.
Aux hommes créés de toy
En ceste heureuse journée,
Soit pleine d'amour et Foy
Bonne voluntê donnée.
Sophron.
Mon Dieu, qu'est cecy que j'ay veu ?
Qu'ayje ouy? qu'ay je receui
Elpison.
// m'a semblé voir un escler .
Ha ! le soleil n'est pas sy cltr.
50 DE LA NATIVITÉ
Nephalle.
0 quel parler! quelle nouvelle!
Jamais on n'en ouyt de telle.
Philetine.
Au commencement peur j'avoye,
Mais après j'ay receu grand joye.
Cristilla.
Si nous allons cest enfant voir,
De le servir feray devoir.
Dorothée.
De bon cœur servirons la Mère,
Je croy qu'elle est belle commère.
Philetine.
Qui gardera le parc et les moutons!'
Sophron.
Ce sera Dieu, jamais plus n'en doutons.
Il gardera Bergères et Bergers,
Brebis, Moutons, de tous maux et dangers.
11 se met Frères et sœurs-, oyez ce qui me semble,
aumyheu. Je vQus f^ers, d'un cœur uny ensemble;
Passons trestous jusques en Bethléem ;
DE JESUS CHRIST. 31
Ne cerchons pas Christ en Hierusalem,
Car l'ange a dit qu'en un trespovre lieu
Dens les drapeaux verrons le Filz de Dieu.
Allons, courons, et voyons ceste chose
Où des humains l'espérance est enclose,
Qui maintenant a pour nous esté faite,
Dont a chanté maint Roy et maint Prophète ;
Laquelle à nous, en estrange contrée,
A le Seigneur par grâce demonstrée.
Philetine.
Las, tire moy après toy, Dieu treshault,
Et que d'icy là ne face qu'un sault;
Et en sentant la tressuave odeur
De tes unguens, courons en grand roideur.
Criailla.
Tes petites et treshumbles servantes,
Qui sont en Foy encor adolescentes,
T'aymeront moult, contemplant ta beauté;
Ton amour vault plus qu'une royauté.
Dorothée.
Chantons, dansons et courons sy soudain,
Que nous passons en sautant jCerf et Daim.
32 DE LA NATIVITÉ
Elpison.
Et je requiers que nully ne s'en feigne,
Et descendons ceste grande montaigne
Pour aller voir : s'il a fermé son huys,
Nous le voirrons au moins par un permis.
Nephalle.
En la maison, qui est sy humble et basse,
Il y aura quelque fente ou crevace
Par où verrons nostre Seigneur et maistre,
Si nous trouvons fermez l'huys etfenestre.
Sophron.
Partons, chantons tous ensemble d'accord,
Et que chacun de courir face effort.
Sophron et Philetine.
Les Bergers Dansons, chantons, faisons rage,
Bergères Puis qu'avons grâce pour pardon ;
ciuntans! Chantons Noël de bon courage,
Car nous avons Christ en pur don.
Elpison et Cristilla.
Laissons Adam et son lignage,
Plus avec luy ne demeurons;
Quittons tous nostre vieil bagage,
DE JESUS CHRIST. 33
Chèvres, Brebis, Chien et Moutons.
Chantons Noël, etc.
Nephalle et Dorothée.
Allons voir Marie la sage
Avec r Enfant de grand renom,
Dont les Anges, en doux langage,
Nous ont fait un sy beau sermon.
Chantons Noël, etc.
Sophron et Philetine.
Portons à leur povre mesnage
De noz biens à grand abandon.
Dorothée.
Je luy porteray mon fourmage
Dens ceste feisselle de jon.
Chantons Noël, etc.
distilla.
Et moy ce grand pot de laictage;
Marie le trouvera bon.
Philetine.
Je luy donray ma belle cage,
Où est mon petit oy sillon.
Chantons Noël, etc.
34 DE LA NATIVITÉ
Elpison.
Ce fagot aura pour chauffage,
Il fait froid en ceste saison.
Nephalle.
Mon flageollet pour son usage,
L'enfant en aymera le son.
Chantons Noël, etc.
Sophron.
Et moy, je feray le message,
fentens mieux que vous la raison.
Philetine.
Je le baiseray au visage.
Cristilla.
Non, c'est bien assez au talon.
Chantons Noël, etc.
Sophron et Philetine.
Courons tost à ce saint voyage,
Plus ne fault qu'icy nous tardons ;
Ne craingnons nul mauvais passage,
Prenons houlette pour bourdon.
Chantons Noël, etc.
DE JESUS CHRIST j}
Elpison et Cristilla.
Et Dieu, dans ce petit Image,
Croyons, adorons et aymon ;
Faisons luy de noz cœurs hommage,
Car certes rien nous n'y perdon.
Chantons Noël, etc.
Nephalle et Dorothée.
Mes frères, encores bien sçay je
Que si en luy nous nous fion,
En nous sera pour héritage,
Et nous en luy tousjours seron.
Chantons Noël de bon courage,
Car nous avons Christ en pur don.
Sophron.
Voilà le lieu et petite cité
Dont tant de biens on nous a recité;
Cerchons icy l'endroit tant délectable,
Qui semble mieux qu'un palais un estable.
Elpison.
Pas n'est icy, en ceste maison painte,
Où habiter veult la personne sainte.
}6 DE LA NATIVITÉ
Nephalle.
Ce triomphant palais n'est pas celuy
Dont le Petit veull faire son estuy.
Philetine.
Voilà un lieu dans ce rocher estrange :
Seroit ce point ceste honorée grange?
Cristilla.
Ce Heu avez, m'amye, mal merché :
C'est où l'on met les bestes du marché,
Quand on les meine en ceste cité vendre.
Dorothée.
Aussi nous a l'Ange bien fait entendre
Qu'en povre lieu, lié de drapeletz,
Le trouverions, non en ces grands palais.
Sophron.
Approchons nous, faisons nostre devoir
De cercher lieu par où le puissions voir.
Elpison.
Le plus heureux et le premier je suis,
Qui le verray par le trou de cest huys.
DE JESUS CHRIST. J7
Philetine.
Voicy un lieu qui est sy fort ouvert,
Que le dedens ne sera descouvert.
distilla.
Voyez l'enfant et celle qui l'allaicte.
Dorothée.
0 le poupon, regardez comme il tette !
Sophron.
C'est un thresor, tant il est bien formé.
Sera jamais l'huys pour nous defermé?
Elpison.
Mais appelions cest homme que voilà
Pour nous ouvrir. Hau ! Monseigneur, holà !
Joseph.
Qui sont ceux là, qui là dehors font bruit ?
Sophron.
Qui vont cer chant de vie le vray fruit,
Car nous sçavons et croyons fermement
Qu'en cest enfant est nostre sauvement.
j8 DE LA NATIVITE
Marie.
Si Dieu leur a ce grand cas révélé,
Il ne fault pas que par nous soit celé,
Car aux croyans il fault le Christ monstrer.
Ouvrez leurVhuys.
Joseph.
Vous povez bien entrer.
Elpison.
Entrons.
Sophron.
Tout beau, sans l'un l'autre fouler.
Nephalle.
Las, de le voir ne me pourray saouler.
Sophron.
Dieu immortel, qui sur les deux impere,
Et, qui plus est, pour nous fais ton repaire
En cest enfant, auquel nous t'adorons,
Et saluons la tresheureuse Mère
De cest enfant, dont toy seul es le père,
De tous noz cœurs Vaymons et rêverons,
A tout jamais louenges chanterons
Pour ce divin et salutaire ouvrage;
DE JESUS CHRIST. 39
Noz biens, noz cœurs, nosirc tout t'offrirons,
Nous t'aymerons tout le cours de nostre aage.
Elpison.
Nous t'adorons, ô divine puissance ,
Qui as daigné, soubz la forme d'enfance,
Avecques nous humblement habiter;
L'œil voit l'enfant impuissant en présence,
Mais Foy qui croit par seure congnoissance
Devient nostre œil, et nous vient inciter
De t'adorer, honnorer, visiter,
Comme vray Dieu et celuy seul qui Est,
Qui peux tuer et puis ressusciter
Tous les vivans, quand et comme il te plaist.
Nephalle.
Tu es de Dieu la promise semence
Au povre Adam, après sa lourde offense,
Qui trop s'estoit au serpent confié.
Abraham creut ceste heureuse sentence,
David aussi, pourquoy feit pénitence ;
Et l'un et l'autre en feut justifié.
Noé en toy s'est fermement fié,
Pourquoy il feut sauvé du grand déluge.
Qui croit en toy, il est certifié
Qu'à tout jamais tu luy seras refuge.
40 • DE LA NATIVITÉ
Philetine.
Or voy je ce qu'en Esaie ay leu :
C'est une Vierge ayant son F Hz conceu ;
Dame, c'est vous dont il parla sy bien.
Rosée que le ciel voulté a pieu,
0 terre heureuse, ayant par Foy receu,
Voire et germé le fruit, qui est lien
De Dieu en nous, nous qui dessoubz ce Rien
Viens habiter avec tes créatures!
Las, je congnois qu'il n'est nul plus grand bien
Que voir l'effect des saintes Escritures.
Cristilla.
Povres pécheurs, remplis d'ingratitudes,
L'Asne et le Bœuf, qui sont bestes sy rudes,
N'ont mescongnu leur maistre et bienfaicteur ;
Trop bestiaux sont voz sens et estudes,
Voy ans ces dons en telles multitudes,
Si vous n'aymez ce puissant donateur.
Au saint escrit j'ay veu dens un acteur,
En admirant le Christ et ses travaux,
Dit que devons voir nostre Rédempteur
En povre lieu, entre deux animaux.
Dorothée.
Or voit mon œil ce qu'ay creu et pensé :
DE JESUS CHRIST. 41
C'est quon verroit la verge de Jessé,
Et puis après d'elle monter en hault
La fleur par qui sera recompensé
Dieu, beaucoup plus qu'il ne fut offensé
Du po'vre Adam par le premier default.
Vierge, de toy encor dire me fault :
Tu es le mont dont fut prise la pierre
Sans main d'ouvrier, fors Dieu seul, qui le sault
Feit à son F Hz faire du Ciel en terre.
Joseph.
Amys, comment avez vous sceu cecy?
Sophron.
Seigneur, hersoir, le Ciel desja noircy,
Vismes de Dieu Anges replendissans ;
Nous eusmes peur. Lors, nous resjouyssans,
Dirent: le Filz de Dieu est né pour vous.
Pensez, Seigneur, s'il y eust nul de nous
Qui ne courust de bon cœur, pour povoir
Ce qu'avons tous désiré recevoir.
Joseph.
Loué soit Dieu, qui à l'orgueilleux cache
Ce que luy plaist que l'humble et petit sache ;
Croyez le Grand dessoubz ce petit corps,
En l'impuissant gist la force des forts.
42 DE LA NATIVITÉ
Soubz ce muet couverte est la Parole.
Soubz cesie chair tant délicate et molle
Le fort David y est, qui de sa fonde
A mys à mort le plus grand de ce monde.
Ne doutons plus, Dieu est avec nous;
Et pour jamais l'Espouse avec VEspoux
Par cest enfant ensemble sont unit,
Comme par luy tous les maux sont punit.
Sophron.
Vous plairait il, par vostre humilité,
Vierge portant nom de maternité,
Not questions en patience entendre?
Marie.
Icy pour r et la vérité apprendre;
Ne craingnez rien, mais parlet hardiment.
Philetine.
Je voudrois bien sçavoir, premièrement,
Pourquoy au lict ne vous trouvons couchée,
Veu qa'aujourdhuy vous estes accouchée?
Marie.
Le digne fruit qui donne à tous liesse
Par sa vertu m'exempte de foiblesse.
DE JESUS CHRIST. 43
Joseph.
Son corps, qui est sans tache ne macule,
Est tousjours sain; tout mal de luy recule.
Cristilla.
Pourquoy n'est né Christ en grande maison ?
Marie.
Bien facile est d'en dire la raison :
Il a aymé parfaite povreté
Pour enrichir cil qui eust povre esté.
Joseph.
Vous, bastisseurs de grands palais sy amples,
Editeurs de maisons et de temples,
Voyez celuy qui tout en sa main tient,
Qui en ce lieu povre et petit se tient;
Sy n'aurez vous en fin de vostre guerre
Que la longueur de vostre corps de terre.
Nephalle.
Pourquoy n'a il de beaux acoustremens
D'or et d'argent, rubys et diamans?
44 DELANATIV1T
Marie.
Simplicité dont il est amoureux
Luyfait haïr tout estât curieux.
Joseph.
Bien que l'habit ne face le péché,
Qiii à son cœur a Dieu seul attaché,
Sy est tousjours la curiosité,
La vanité et super fluité
De Dieu haïe, et des bons reprimée :
Par Christ en est la Parole approuvée;
Et, en trouvant tous ces ornemens laids,
S'est contenté de petits drappelets.
Philetine.
Pourquoy n'avez au moins quelque servante,
Pour vous servir d'affection ardente ?
Marie.
Je n'ay besoing d'estre de nul servie,
J'ay de servir grand plaisir et envie.
Joseph.
L'indigent fault servir en diligence,
Mais de rien n'a ceste dame indigence;
L'enfant luy est pain vif pour nourriture,
DE JESUS CHMST. 45
Sa charité luy sert de couverture
En ceste vie; et en ce vestement
Elle ha tousjours parfait contentement.
Cristilla.
Dame, pourquoy ne vient icy le monde,
Pour adorer le Bien où tout abonde?
Marie.
Prou d: 'appeliez y a, mais peu d'Esluz ;
Mais les Esluz y viendront, et non plus.
Joseph.
David, Noè, Abraham et Jacob,
En ont parlé à ce monde beaucop ;
Chacun Prophète à chanter s'est espris,
Pour inciter chacun courir au prys
De Dieu promis, et à tous exposé :
Mais chacun a ou son parler glosé,
Ou deprisé, ou comme nul tenu,
Tant que bien peu de peuple y est venu.
Dorothée.
Pourquoy le Beau n'est par sus tous ayméf
Pourquoy le Bon n'est sur tous estimé i
46 DE LA NATIVITÉ
Marie.
Pource qu'Amour est sy tresraisonnable,
Qu'entrer ne peult sinon en son semblable.
Joseph.
Amour de nous jamais ne prend naissance,
Mais vient de Dieu, qui donne congnoissance
De son amour en nous, qui ne séjourne,
Mais tout soudain dont elle vient retourne.
La créature est bien audacieuse
Qui sent en soy ceste flamme amoureuse,
Et attribue à soy le sentement
Qui vient de Dieu, et est Dieu purement.
Dieu est Amour, qui en sa créature
Se veult aymer par sa charité pure.
Sophron.
Quelz motz voicy ! de plaisir je m'estonne.
Elpison.
Voicy le jour, fault il que je retourne?
Nephalle.
Fault il laisser cest enfant nompareil?
DE JESUS CHRIST. 47
Philetine.
Ma Dame, au moins son petit bout d'orteil
Pour le baiser vous plaise me donner.
Cristilla.
A moy aussi. Las, veuillez pardonner
Ma privauté et trop grand1 hardiesse.
Dorothée.
Pour m'enyvrer jusqu'au bout de liesse,
Permettez moy que j'en baise la plante.
Maintenant suis bien heureuse et contente.
Noz yeux l'ont veu et noz mains l'ont touché,
L'Agneau trespur qui oste le péché.
Sophron.
Las, recevez de povreté les dons
Avec noz cœurs, qu'à vous servir tendons.
Philetine.
Cest oyselet, qui n'est laid ne meschant,
Aurez de moy, car il ha plaisant chant.
Cristilla.
Tenez ce laict, pour faire sa boullie;
Encor en ay, la chèvre n'est faillie.
48 DE LA NATIVITÉ
Dorothée.
Fourmage fraiz dedens ceste feisselle
Sera pour vous, tresheureuse pucelle.
Nephalle.
Monflageollet, s'il vous plaisî de l'ouyr,
Il vous fera tout le cœur resjouyr.
Elpison.
De mon fagot aussi vous fais présent;
Le feu vous est bien sain au temps présent.
Sophron.
M oy, qui pour tous dois faire la harangue,
Confesser veux n'avoir force ny langue,
Ny nul sçavoir pour vous remercier.
Rien ne povons, fors nous humilier
Devant l'Enfant, où la divinité
Veult habiter par son humilité,
Offrant tout ce qu'en nous le Père a mys,
Amys d'amys, ennemys d'ennemys.
Vivre et mourir voulons en te servant;
Vivre sans toy estimons moins que vent.
A Dieu, Enfant, lequel tousjours bénie
Toy et ta belle et noble compagnie.
A Dieu, Marie; A Dieu, de Dieu l'aymée,
DE JESUS CHRIST. 49
Parquoy serez d'un chacun estimée.
A Dieu, Joseph : grâces nous vous rendons,
Et Mère et Filz nous vous recommandons.
Si nul de nous vous peut en rien servir,
Mandez le nous, vous nous verrez courir.
Marie.
Celuy qui est vérité, vie et voye,
Pasteurs Esluz, vous garde et bien convoyé !
J'ay eu l'oreille ententive, aussi l'œil,
A leur parler, dont je fais le recueil
Dedens mon cœur : là ou je le conserve;
Je le confère, et le garde et observe;
Ce m'est plaisir de voir le Souverain
Communiquer à ce lignage humain.
Le Petit l'a trouvé, et Dieu l'a congnu nu;
Le Grand l'a reprouvé, dont mal luy est venu;
La grandeur n'a congnu soubz ceste petitesse :
Dont honneur soit rendu et gloire à sa haultesse.
Les Bergères chantent. Fin
de Marie
et Joseph.
Pasteurs, menons trestous joye,
Et chantons bien hautement,
Car en quelque part que soye,
Vivre veux joyeusement.
$0 DE LA NATIVITÉ
Sathan commence.
Jusques icy j'ay régné puissamment,
En subjugant ceste mortelle terre;
Sans nul propos incessamment fais guerre
Au Dieu d'enhault, etviz triomphamment.
Les Pasteurs.
Bergères vierges et belles,
Nous devons chanter aussi,
Disans les bonnes nouvelles
Qui nous ostent tout soucy.
Sathan.
Voilà un chant qui me rend tout transy.
Quelle nouvelle est ce qu'Ut ont ouye?
Leur compagnie en est fort resjouye ,
Y auroit il point pour moy quelque Si ?
Les Bergères, en chantant.
■Une Vierge qui est mère
A un beau Filz enfanté,
Qui n'ha nul que Dieu pour Père
Ce mot soit bien hault chanté.
Sathan.
0 que je suis bien enchanté!
DE JESUS CHRIST. 51
Une Vierge enfanter un filz !
Harauld! c'est le terme prefix
Dont je seray mal contenté.
Les Pasteurs, chantans.
Puis que Dieu joindre au lignage
S'est daigné du povre Adam,
Du ciel avons l'héritage
En despit du faux Sathan.
Sathan.
Quelle douleur j'ay pour ceste fin d'an !
Ce secret là me seroit il caché?
De le sçavoir sans cesser j'ay tasché,
Depuis que feiz Adam saillir d'Eden.
Sçavoir m'en fault la vérité plus ample.
D'où venez vous ?
Sophron.
De viziter un temple
Mieux orné que cil de Salomon.
Elpison.
D'ouyr aussi un fructueux sermon,
Par qui en Dieu régénérez nous sommes.
Nephalle.
De voir le Christ, le vray salut des hommes.
$2 DE LA NATIVITÉ
Vous y plaisî il aller, tresgrand Seigneur?
Je vous seray du chemin enseigneur.
Sathan.
// n'est pas vray. C'est resverie ou songe.
Philetine.
La Vérité, qui confond le mensonge,
Dens un enfant avons touchée et creue.
Sathan.
Foies, allez ; vous la me baillez crue.
Cristilla.
Combien, Seigneur, que vous ne le croyez.
Si est il vray. Mais à fin qu'en soyez
Mieux asseuré, allez le voir vous mesmes.
Sathan.
Toutes mentez, et f aillez à voz esmes.
Dorothée.
Hà, l'enfant est de telle dignité,
Croyant qu'en luy est la divinité,
Que vous prendrez à le voir grand esbat.
DE JESUS CHRIST. $3
Sathan.
Je n'en croy rien; vous venez du sabbath,
Où enchanteurs vous ont trop amusées,
Et tellement en doctrine abusées,
Que vous croyez ce qui ne sçauroit estre.
Les Bergers et Bergères. Ensemble.
// est vray.
Sathan.
Povres, l'on vous fait paistre
Comme l'on veult de tresfaulses doctrines.
Sophron.
Les grands vertus, puissantes et divines,
Du saint esprit en noz cœurs inspirées,
Sont de nous tant creues que désirées;
Nul ne sçauroit à l'esprit résister.
Sathan.
Aveuglez folz, je vous veux inciter
De désister de ceste foie Foy.
Si vous voulez un petit croire en moy,
Voir vous feray que ce Dieu de là hault
Du monde bas n'ha cure, et ne luy chault;
Mais plus en lia celuy qui plus en prend;
H DE LA NATIVITÉ
Malheureux est qui ne veult estre grand.
Si adorer me voulez et servir,
Croire et aymer, vous pourrez desservir
Biens et honneurs et plaisir. Car pourquoy,
Donner les puys : je suis du monde Roy.
Je changera) voz gros vilains bureaux
En tous draps d'or, d'argent, riches et beaux.
Vous qui servez brebis et simples bestes,
Je vous feray servir à grands requestes ;
Vostre labeur en grand oysiveté
Je tourneray, et en lascivité.
Bref, de petis vous feray venir grands,
Pour les petis ronger à belles dents.
Je vous feray et craindre et estimer,
Voire par tel qui ne vous daigne aymer.
Mais si fault il que vous ne croyez pas
Que Dieu descende un si malheureux pas,
Du ciel treshault, là où il se réponse,
Pour prendre ainsi une ame pour cspouse ;
Ne que jamais vueille à Adam donner
Son paradis, et ses maux pardonner,
Si cest Adam n'avoit par son labeur
Fait œuvre digne à ceste grand valeur
Et acomply la loy, sans un Iota
En délaisser ; retenez ce Nota.
Parquoy laissez à Dieu tous ses haults Cieux,
Et regardez la terre pour le mieux :
DE JESUS CHRIST. 55
Sa gloire il tient aux hommes par trop chère;
Venez à moy, nous ferons bonne chère.
Sophron.
Foy n'y a en vous, créance ne fiance :
Dont mieulx me plaist repoz de conscience
Que tous les biens qu'il vous plaist présenter ;
Car un bon cœur ne s'en peult contenter.
Elpison.
Ne pensez pas que l'esprit du fidèle,
A qui l'esprit de Dieu tousjours révèle
Son bon plaisir, sceust de vous tenir compte :
Car tout honneur mondain il tient pour honte.
Nephalle.
La povreté point le corps ne nous blesse,
Car nous sçavons d'où vient nostre noblesse ;
Un père avons qui est bien riche assez ;
Tous ses thresors sont pour nous amassez.
Philetine.
Ja n'adviendra, et plustost mort m' advienne,
Qu'au Trespetit, vray espoux, ne me tienne :
Car en luy voy la parfaite grandeur ;
Toute beauté hors de luy m'est laideur.
$6 DE LA NATIVITÉ
Cristilla.
Par Foy il est engendré en noz cœurs,
D'amour goustons les divines liqueurs;
Tous les plaisirs du monde sont tristesses
Au prix de ses indicibles liesses.
Dorothée.
Mon Père il est, et mon Frère, et mon Tout ;
Je suis à luy de l'un à l'autre bout ;
Ja n'ay qu'un Dieu : parquoy l'idolâtrie
Ne m'ostera ma céleste patrie.
Sathan.
Voicy mes gentz. Sont-ilz spirituelz}
Mes insensez ? 0 folz continuelz ,
Estes vous Dieux?
Sophron.
Mais Rien nous confessons.
La gloire au Filz d'estre Dieu nous laissons.
Il nous souffit d'estre ce qui luy plaist
Et de sçavoir qui est celuy qui Est.
Sathan.
Cuydez vous pas avoir son saint Esprit ?
DE JESUS CHRIST. $7
Elpison.
S'il est dedens nosîre cœur bien escrit,
Sy vivement le sçavons et sentons
Qu'impossible est que jamais en doutons.
Sathan.
Pensez vous bien entendre l'Escriture?
Le III. Berger.
Nous en faisons humblement la lecture.
Maistre n'avons sinon sa charité,
Qui nous apprend toute la vérité;
Plus en sentons, moins en povons parler,
Car fort amour fait ce secret celer.
Sathan.
Osez vous bien nommer le grand Dieu Père f
Philetine.
J'ose par luy ce que par luy j'espère,
Ce que je croy et fermement je tiens.
Père il est nostre, et sommes de ses biens
Vrays héritiers; acquise est nostre part,
Dont eau et feu n'en feront le départ.
^8 DE LA NATIVITÉ
Sathan.
Si vostre père estoit, ainsi que dites,
Vous lairroit il les povreîés maudites
Que vous souffrez en grand nécessité?
Ouvrez les yeux, gens pleins de cécité :
Avez vous veu jamais qu'un homme riche
Laisse son fdz comme désert en friche?
Il defaudroit de vouloir et puissance,
S'il ne donnoit des biens en abondance.
Quelzfilz de Dieu, qui n'ont de ses thresors
Fors faim et froid, habitz povres et ordz!
Elpison.
Ceste parole, espée tresagué,
Par Charité les siens souvent arguë
Et les chastie , à fin de tous les rendre
Moindres que riens, plus petis que la cendre.
Mais les ayant jusques à rien soubmys,
Se monstre père à ses enfans amys.
Lors est de luy la vie en nous goustée,
Quand il nous a celle d'Adam ostée :
Dont le grand bien est tel, qu'il fait offrir
Joyeusement noz corps à tout souffrir.
Plus nous souffrons, nostrc joye redouble;
De voz plaisirs ne donnons pas un double.
DE JESUS CHRIST. 59
Sathan.
Si en toy fust le Filz de Dieu. îrescher,
Te lairroit il ainsi souvent pécher?
Le père aymant son jïlz vous garderait
Si chèrement, que nul ne pecheroit.
Or péchez vous souvent contre sa Loy :
Parquoy chacun peult bien juger en soy
S'il est vray filz; car, ou péché opère,
Ne fault juger que Dieu y soit pour père.
Dorothée.
Nostre cœur n'est de voz ditz empesché.
Nous confessons que nous faisons péché,
Et ne povons rien sinon péché faire ;
Mais Dieu en nous, pour son œuvre parfaire,
Joint dedens nous sa tresjuste justice,
A qui sert bien de fueille nostre vice.
Le tresbeau blanc se fait bien plus blanc veoir
Quand on le met sur un fondz qui est noir.
Péché est nostre, autant que nous cuydons
Estre et povoir, et que nous nous guydons
Par nostre sens. Mais quand il est rendu
Tel comme il est, et Rien bien entendu,
Nous nous perdons en perdant ce cuyder,
Qui ne sçauroit hors de noz cœurs vuyder,
Si vérité, pour y prendre sa place,
60 DE LA NATIVITÉ
Ne l'en met hors et par Foy ne le chasse ; *
Et lors, en lieu de celuy qui n'est point,
Celuy qui Est est à nostre cœur joint.
Ainsi péché, qui ne gist qu'au dehors,
Ne peult toucher qu'à nostre mortel corps :
Le Crist avons vivant en nostre cœur,
Qui de péché et la mort est vainqueur,
Sathan.
Ho ! qu'est cecy ? voicy une f<zrie,
Voicy propos pleins de forcenerie ; '
Le Petit a sur moy gaigné le reng.
Ho! quel archer! et comme il tire au blanc!
Il a navré le cœur de ses fidèles;
Plus n'ay povoir ne sur eux ne sur elles.
Agneau occis, qui du Cielfeiz chasser
Moy et les miens, me viens tu pourchasser
Jusques icy? Où trouveray je place
Pour éviter la fureur de ta face ?
Au Ciel montay, où tu fais ta demeure,
Mais je n'y peut pas demeurer une heure,
Pour ne vouloir toy Petit recevoir,
Mais ouy bien tresbeau et grand me voir;
Voire et à toy voulois estre semblable,
Mais non pas toy, parquoy je f eut fait diable;
Et ta vertu, voyant Cuyder en moy,
Me dechassa du Ciel. D'auprès de toy
DE JESUS C HRIST. él
Je suis venu en ceste terre basse,
Où montz et mers, et terre je trespasse,
Pour trouver lieu seur hors de ta présence,
Où un petit peusse trouver d'aysance ;
Mais sans cesser tousjours ta main me tient,
Qui maugré moy me poulse et me retient.
Si je descends au plus profond d'enfer,
Là je te sents qui brusler et chauffer
Me fais du feu de divine Justice.
Si j'avois lieu où peusse ma malice
Exécuter, où tu ne fusses point,
Je régnerais . Mais quoy? voicy le poinct :
Tu es par tout par grâce et par puissance ;
Et, qui pis est, ton Filz ta congnoissance
Envoyé au monde, où j'estois bien venu
Quand tu estois des tiens plus incongnu.
Ceux qui verront maintenant ta lumière
Congnoistront bien mon essence et matière,
Un sot Cuyder et une vanité
Suyvi, aymé de la mondanité,
Qui au soleil comme la neige fond.
Par quoy m'en fault aller au plus profond
Du puits d'enfer, tourment de ton absence :
Car demourer ne puys en ta présence.
Musser m'en vois au fonds des cœurs de ceux
Qui d'escouter ta voix sont paresseux,
Aymans Cuyder et ce qui ne feut onques.
62 DE LA NATIVITÉ
En eux feray tout mon effort adonques
Pour chasser hors de leurs cœurs la mémoire
De rEscriture et salutaire histoire,
Et travailler par furieuse rage
Ceux qui auront ton Nom en leur courage.
Et sans cesser les feray tourmenter,
Craingnant de voir le Petit augmenter.
Malings Espritz, venez et courez viste,
A vous m'en vois au désespéré giste,
Pour essayer d'avoir quelque conseil :
Comme pourront ténèbres le soleil
Faire éclipser? Mais, s'il ne se peult faire,
En bref verrons nostre règne def faire.
Dieu.
Or voyez vous cy mon cher Filz eslu,
Mon tresaymé , auquel me suis complu :
C'est cestuy cy, en luy vous devez croire;
C'est la vive eau, de laquelle fault boire,
Qui vous fera jusques à moy saillir.
En le croyant, vous ne povez faillir.
Or est Sathan qui ne s'est voulu rendre
A cest Agneau, par luy mys non en cendre,
Mais tout à Rien, comme il estoit devant
Qu'il fust Eslu pour estre mon servant.
Par sa vertu me voulait ressembler,
Mais à l'Agneau le failloit assembler,
DE JESUS CHRIST. 6j
Uny à luy, aymant Rien et la mort ;
Mais le rebours a fait, dont il ha tort.
Car nul ne peult jamais à moy venir
Qui ne se veult dans le Petit tenir.
Sathan cuydoit par son sens mériter
Siège pareil que le mien héritier.
Et moy qui Suis celuy qui Suis sans doute,
Jamais en moy ne reçoy ny ne boute
Nul qui ne soit dedens l'occiz Agneau
Tout mys à rien et fait homme nouveau.
Or est de luy par mon tressaint escrit,
Par mon amour, par mon divin esprit,
Sa congnoissance au bas monde donnée :
Dont nous voyons destruite et estonnée
Du grand Sathan le règne, la pratique.
Son grand Cuyder, sa force tyrannique
Est mise à rien par /' Agneau innocent
Qui à la mort et à Rien se consent.
Et tant m'a pieu ceste nichilité,
Son Rien pour moy et son humilité,
Que l'ay dessus les Anges exalté,
Et l'orgueilleux du plushault desmonté,
Qui n'aura plus que Cuyder en lieu d'estre.
L'Agneau feray triompher à ma dextre,
En luy donnant justice et jugement ,
Et pour son Rien il aura Tout vrayment.
Anges, chantez, en voyant es levé
64 DE LA NATIVITÉ
Rien en son Tout, et Sathan reprouvé;
Son tout à rien est mis par ma puissance.
Cuyder est nul où est ma congnoissance.
Le Premier Ange.
Or elle est cheute, elle est cheute, elle est cheute,
Confusion la paillarde et la pute.
Le Second Ange.
Qu'est devenu son bruit, sa renommée?
De son Cuyder n'est venu que fumée.
Le Tiers Ange.
Elle est au puits de sa perdition,
Ceste cité d'abomination.^
Le IIII. Ange.
Sathan, Sathan, en desespoir et dueil
A tout jamais t'a mené ton orgueil.
Le Premier Ange.
L'Agneau occis, où gist ta sapience,
Donra de toy à tous vraye science.
Le Second Ange.
Sa mort sera aux filles de Zion
Heureuse vie et Résurrection.
DE JESUS CHRIST. 6$
Le Tiers Ange.
Son Rien fait ceux qui en luy seront Riens
Estre en toy Tout, qui promesse leur tiens.
Le 1 1 1 1 . Ange.
De tous ces cas soit à jamais mémoire
Au monde bas, et à toy seul la gloire.
Le V. Ange.
Chantons, car tout est consommé et fait;
Le Petit est vray homme et Dieu parfait.
Les Anges, chantans.
Gloire soit au Créateur,
Qui destructeur
Est de Sathan la grand' beste .
L'honneur à l'Agneau rendons,
Par qui ces dons
Le Père nous manifeste.
A faire feste,
Helas! nous tous entendons.
<&tész
COMEDIE
L'ADORATION DES TROIS ROYS
A JESUS CHRIST.
Dieu commence.
,E suis qui suis, et contiens en mon Estre
Tout ce qui Est, qui Feut et qui Sera.
Ce qui n'est point j'appelle, et le fais naistre .
Cuyderpar moy bientost trespassera.
Le mouvement des Cieux ne cessera
De m' obéir et le Soleil de luire ;
Ma volonté nully ne passera ;
C'est moy qui fais toute chose produire.
Se je fais tout, qu'est ce que je n'ay fait7
Et, faisant ce qu'on doit esmerveiller,
Qui est le sage et docteur sy parfait
DE l'adoration des trois roys. 67
Que j'aye prias pour mieux me conseiller?
Quel vigilant me pourroit resveiller?
Qui peult tenir l'eau de la mer profonde
Dedens sa main, ny, par long travailler,
Avec trois doigts tout le sablon du monde?
Qui a créé dens la mer la Baleine
Et les poissons vivans au fonds de l'eau ?
Qui a créé V Eléphant en la plaine,
Et qui a mis au Cerf et au Taureau
Cornes au front ? Qui défend le roseau
De l'aspre vent qui les Cèdres ruine?
Qui fait le beau laid estre et le laid beau ,
Le jour serain et l'espesse bruine ?
C'est moy tout seul, sans nul y appeller.
Parquoy chacun doit avoir congnoissance
Que je peux tout. Le muet fais parler,
Le sourd ouïr ; en mon obéissance
Je tiens la mort et luy donne puissance
Comme je veux, et fait ce qui me plaist.
De chacun veux avoir recongnoissance
D'estre son Dieu celuy tout seul qui est.
En mes Esluz je tue et mortifie
Adam vivant, et le metz tout à rien;
Je resuscite et du tout vivifie
Ce Rien, lequel je remplis de tout bien.
Qui a esté envers moy le moyen
De ces beaux faitz? Nul que ma Sapience,
68 DE l'adoration
Mon verbe et Filz, qui n'ha rien que du mien,
Dont mon Amour déclare la science.
Ce Filz aymé, par lequel tout je fais,
Je ne veux plus qu'il soit tant incongnu;
Ce qu'ay promis, long temps a, maintes/ois
A mes Esluz, je veux qu'il soit tenu.
Les Pasteurs l'ont comme Dieu recongnu.
Si au bas Peuple ay fait ce bien apprendre,
Aux sages Roy s du Messias venu
Je veux aussi faire nouvelle entendre.
Pour les tirer à ce divin sçavoir,
Allez à l'un bien tost, Philosophie :
En luy faisant tant d'Escritures voir,
Que pour sçavGir de soy il se deffie,
Et qu'il congnoisse un Dieu où il se fie;
Faites luy voir des Prophètes le livre,
Qui de mesfaitz sy bien le certifie
Qu'il soit d'erreur pour tout jamais délivre.
Philosophie.
Seigneur, je suis ce qu'il te plaist que soye
Pour obéir à ton commandement,
Car il n'y a régner, plaisir, nejoye
Qu'à te servir par amour promptement.
Puis qu'il te plaist, courray légèrement,
Par tous moyens tirant ta créature
DES TROIS ROYS. 69
A désirer de voir entièrement
Livre après livre, et puis ton Escriture.
Dieu.
Partez aussi, vous, Tribulation;
Allez à l'autre, et tant le martyrez
Par maladie et par tentation,
Dehors, dedens, qu'à moyvous l'attirez.
Amys, plaisirs, tous de luy retirez;
Faites luy voir qu'il ne peult que pécher:
Car, congnoissant ses maux tant empirez,
A moy viendra, qui l'en puys depescher.
Tribulation.
Je suis de toy le double commissaire;
Les Reprouvez par moy sont endurcis,
Mais les Esluz me trouvent nécessaire
Et de mes coups te rendent grands mercis.
Par maladie en rends les uns transis;
Aux autres fais perdre plaisirs, honneur;
Autres je rends par péché sy noircis
Qu'ilz n'ont espoir fors qu'en toy seul, Seigneur.
Dieu.
A l'autre Roy, Dame Inspiration,
Allez soudain et le frappez au cœur;
Déclarez luy ma grand dilection,
70 DE L'ADORATION
Que père suis et du monde facteur,
En l'asseurant du promis Rédempteur,
Lequel viendra de nation Juifve,
Qui de la Mort sera triomphateur,
Tant que par Foy dedens son cœur je vive.
Inspiration.
Le commander est desjà fait en toy,
Ne reste plus qu'à le mettre dehors.
Au fonds du cœur m'en vois du sage Roy,
Luy annoncer tous ces divins records.
Tous les espritt par péché presque morts
Je resuscite, et les plus ignorans
Je fais sçavans, et les foibles rends forts.
Mes escholiers ne sont jamais errans.
Dieu.
Or levez vous, Parfaite Intelligence;
De mes secrets cachez aux Escritures,
Allez là bas, et faites diligence
D'en faire à tous salutaires lectures :
Là dedens sont des âmes les pastures.
Mais monstrez leur que mon divin Escrit
N'ha autre fin en toutes ses figures
Que mon seul Filz tresamé Jésus Christ.
DES TROIS ROYS. 71
Intelligence divine.
Par toy, Seigneur, je vois les yeux ouvrir
Des aveuglez soubs la Loy ancienne,
Et les secrets aux Gentilz descouvrir
Idolatrans soubs ceste Loy Payenne;
Doctrine auront par moy quotidienne,
Qui est de l'Ame et la vie et le pain :
Dont laisseront la basse et terrienne,
Sans en avoir désir, ne soif, ne faim.
Dieu.
Allez, cerchez d'Orient les provinces,
Et secourez mes Esluz et amys.
Je ne veux pas que Sages et grands Princes
D'estre appeliez à moy tous soient omis,
Ny en plaisirs et honneurs endormis ;
Faites leurs cœurs d'amour tant eschauffer
Que moy tout seul au mylieuje sois mys,
Et que chacun m'y voye triompher.
Anges, chantez, et faites retentir
Tous les haultz deux par voix harmonieuses;
Faites voz chants et ouyr et sentir
A tous espritz et âmes amoureuses.
Louez sans fin mes œuvres glorieuses,
Et annoncez aux filles de Zion
Que de mon Christ, duquel sont désireuses,
Auront bien tost seure fruition.
7*
DE L'ADORATION
Le I. Ange.
Jamais ne soit, Seigneur, ta voix tarie
Pour te louer , ny nulle bouche clouse
A déclarer que la vierge Marie
Toute parfaite as prise pour espouse,
Dens laquelle as fait incredible chose :
Divinité humanité aprinse;
La vierge enclost cil qui la tient enclose,
Dont par Foy seule est la doctrine apprinse.
Le II. Ange.
Si toy en nous n'estois nostre povoir,
Nous defaudrions à chanter hault ta gloire;
Mais, puis qu'en toy tousjours nous povons voir
Et qu'en nous est ton œuvre tresnotoire,
Nous chanterons la salutaire histoire
De ton Enfant, auquel tu t'es compleu.
Heureux sera qui la pourra bien croire,
Et malheureux à qui l'enfant n'a pieu.
Le III. Ange.
Le plus petit chantera le plus hault,
Car du profond de toute humilité
Exaltera ceste divinité
Qui pour Adam a fait sy heureux sault.
DES TROIS ROYS. 7}
Dieu.
Anges, porter une estoille il vous fault,
Pour aux trois Roys monstrer l'heureuse voye.
Le III. Ange.
A X' obéir nejeray nul default;
Porter leur vois /' estoille à bien grand joye.
Les Anges chantans sur le chant
des Bouffons.
Chantons tous ensemble,
Puis que l'Eternel
Dieu et homme assemble :
0 Noël! Noël!
Si le pop ulaire
A l'enfant congnu,
Aux Roys ne fault taire
Le Christ jà venu.
Dieu tous les rassemble
En un, qui est tel
Qu'un enfant ressemble,
0 Emmanuel !
Philosophie.
Pour parvenir à sçavoir honorable,
Me fault aymer {qui suis vertu louable)
74 de l'adoration
Philosophie, amour de sapience.
0 sage Roy, si tu m'as agréable,
Je te rendray de sçavoir désirable,
Jusques à ce que de vraye science
Aye gousté par longue patience.
Après avoir cerché maint beau volume,
Là trouveras repos de conscience,
Qui le doux feu d'Amouj Divine allume.
Balthasar.
J'ay fait grand cas des biens de ceste terre,
J'ay désiré honneur et gloire acquerre,
Et de me voir seigneur grand et puissant;
Pour acquérir des biens, j'ay fait la guerre :
Las! je voy bien que trop folement je erre,
Car tous ces biens n'est rien que vent passant.
Philosophie amye, mon cœur sent
Ta bonne odeur, et te prend pour s' amye;
A t 'obéir pour jamais se consent ;
Ne sois donc pas de l'apprendre endormye.
Philosophie.
Or tiens et voy le thresor que je porte,
Livres icy pour voir, de toute sorte;
Mais ma fin n'est qu'à te faire congnoistre
Tel que tu es. Ceste doctrine est forte;
Mais à la fin l'Esprit tant reconforte ,
DES TROIS ROYS. 7$
Qu'elle te fait tousjours en vertu croistre.
Sçavoir pourras de toutes choses Vestre
Et la vertu, l'essence et la nature.
Les grands secrets te feray apparoistre,
Voire et toucher au doigt sans couverture.
De Philosophie sage
Le sens et le langage
Tu pourras icy voir.
Par démonstration
Toute probation
Je te feray avoir.
Mange moy chacun livre ,
Car il te convient vivre;
Sur tous arreste toy
A cercher un facteur
Du monde créateur,
Qui est Seigneur et Roy.
Tous livres t'abandonne ,
Et le désir te donne
De les vouloir apprendre;
Mais de ceux de Moïse,
Il faut que je fadvise
Que Foy les fait entendre.
Des Prophètes couvertz
Voicy livres ouvert! ;
Mais leur sens est caché ,
Et l'orgueilleux vanteur
76 DE L'ADORATION
Plein de l'Esprit menteur
S'en trouve bien fasché ;
Nul que l'humble et petit
N'y peult prendre appétit;
Cestuy là seul l'entend.
Si en humilité
Lis ceste vérité,
Tu demeufras content.
Balthasar.
Après avoir tourné
Et long temps séjourné
Maint volume et maint rolle ,
Il faut que je m'arreste
Et que mon cœur j'appreste
A la sainte Parole.
Par cest esprit je voy,
Ce que fermement croy,
Qu'il est un Créateur
Qui nous promet son Filz ,
A un terme prefix ,
Pour nostre Rédempteur.
Mais je n'entens pas bien
Quel il est , ne combien
Il le nous fault attendre.
Helas ! Philosophie,
DES TROIS ROYS. 7
En laquelle me fie ,
Vueillez le moy apprendre.
Philosophie.
Pour en avoir congnoissance parfaite,
Trouver te fault Divine Intelligence.
Mener t'y veux. Vien donc en diligence ,
Et tu auras le bien que tu souhaite.
Balthasar.
Madame, allons; car le temps je regrette
Que retardons à tel bien recevoir,
En espérant que la manne secrète
De l' Escriture à cler me jerez voir.
Tribulation.
0 Roy vivant en plaisir et santé,
Qui as d'honneurs et d'amys grand planté,
Et si te tiens juste selon la Loy,
Par moy sera bien tost ton cœur tenté ,
Car par dehors et dedens tourmenté
Te sentiras; mais n'en prens nul esmoy :
Si accorder te peux avecques moy,
Souffrant en paix mon exécution,
Tu congnoistras que des tiens et de toy
Le proujfit vient de Tribulation.
7^ DE L'ADORATION
Melchior.
Tes motz sont durs, ta parole est rebelle,
L'œil de l'esprit (pourtant) te treuve belle;
Mais ceste Chair, qui est sy molle et tendre,
Te treuve laide, etfascheuse et rebelle.
Si voy je bien que ta puissance est telle,
Que, vueille ou non, à toy me faudra rendre;
Fuyr ne peux, car par tout me peux prendre.
Et moy qui sçay dont te vient telpovoir,
Patiemment tes coups je veux attendre,
Sans résister à ton divin vouloir.
Tribulation.
Reçoy ce coup, que dens ton cœur soit mis :
C'est que Dieu prend tes plus prochains amys,
Et où ton cœur faisoit ferme séjour;
Eslever veult tes mortelz ennemys ,
Ausquelz il veult que du tout sois soubsmis :
Car quitter fault la hayne, aussi l'amour.
Ce second coup te fera nuict et jour
Plaindre et douloir dedens un triste lict.
Si souffrir veux patiemment ce tour,
Ta grand douleur tournera en delict.
Le tiers coup je te baille
Pour mortelle bataille :
C'est que de tel péché
DES TROIS ROYS. 79
Est ton ame souillée ,
Contrefaite et brouillée,
Et ton corps sy taché ,
Qu'il n'est pas en ta force
De rompre ceste escorce
Ne de t'en retirer.
Quelque chose que face ,
Ne peux acquérir grâce ;
Tu as beau souspirer.
Mais si tu te deffie
De toy et te confie
Au Toutpuissant et bon ,
Par sa miséricorde
De sa tresdouce corde
Il te fera le don.
Par laquelle de pleur,
D'angoisse et de douleur
Te tirera en joye.
Recongnois ton default ,
Espère au Dieu treshault ,
Vérité , vie et voye.
Tes grans amys sont mortz,
Tes ennemys sont fortz ,
Tu es prest de mourir,
Tes péchés sont sans nombre :
Cercher il te fault l'ombre
Qui te peust secourir.
8o DE L'ADORATION
Melchior.
0 douleur trop amere !
J'ay perdu père et mère,
Mes amys et parens;
Mes ennemys en chaire
D'honneur voy, en grand chère,
Comme plus apparens.
Au lict suis attaché,
Tant malade et fasché,
Que je ne sçay que face.
Au corps j'ay maladie,
Au cœur melancholie,
On le lit à ma face.
Mais, voicy bien le pis ,
En moy je sents tappiz
Tous les péchés du monde;
Faute d'humilité,
Par infidélité,
Mon ame rend immunde.
0 Tribulation ,
Si ton affection
Je porte doucement,
Monstre moy sans faillir
Comment je doy saillir,
Par qui, quoy, ne comment.
DES TROIS ROYS. 8l
Tribulation.
Allons à une Dame antique,
C'est Intelligence Divine;
Tristesse et mal par elle fine,
Car de guarir ha la pratique.
Melchior.
Allons tost, sans nulle réplique,
Ailleurs je n'ay plus d'espérance ;
Par son sçavoir sy autentique
J'espère d'avoir délivrance.
Inspiration.
Dieu , pour monstrer sa grâce purement,
M' envoyé a toy, pour déclarer comment
Il est ton Dieu, ton Créateur et Père.
Et, qui plus est, il veut que vivement
Face en ton cœur un divin mouvement,
Te rendant seur que celuy qui imper e
Sur tous les Cieux par moy en toy opère ,
Voire et révèle à ton esprit l'Esprit ,
Le vray tesmoing de la vie prospère ,
De sy longtemps promis au saint Escrit.
Gaspard.
Qui suis-je, moy? ne que peult estre l'homme
» DE L'ADORATION
Venu d'Adam, qui mal mangea la pomme,
A qui tu viens, Dame Inspiration?
Tu me fais voir de mes péchés la somme,
Mortz et couverts par Amour, qui m'assomme
Et met à rien par sa dilection.
Je sents le fruit de mon Election,
Je me confie en sa bonne promesse,
Je sents desja du Christ fruition ;
M ais,dymoy, quand sera ce? et comment est ce?
Inspiration.
Chasse de toy par Amour toute crainte,
Crois fermement que ce n'est nulle feinte,
Ce qu'en ton cœur j'escritz, j'engrave, inspire.
Ce que je diz en l'Escriture sainte
Tu trouveras, où est bien au vif painte
La Vérité, que sçavoir tu désire.
Tous les sermons que' l'homme te peult dire,
Toute Escriture , ou miracle , ou présage ,
Ne sont sinon du bien où je l'attire
Tresseurs moyens pour porter tesmoingnage.
Mais c'est bien grand plaisir
Que de voir à loisir
Livres de toutes sortes ,
Qui parlent du grand Dieu ,
Déclarant en tout lieu
L'œuvre de ses mains fortes.
DES TROIS ROYS. 83
L'on se doit resjouyr
De gens sçavans ouyr
Parlans des sainctz Escritz.
L'on peulî voir les miracles
Qui rompent les obstacles
Des infirmes espritz.
Mais si dedens le cœur
La divine liqueur
De ceste Vérité
Ne prend ferme racine ,
Tout l'extérieur signe
N'y vault sans Charité.
Si ferme Foy tu as
Du promis Messias
Aufondz du cœur plantée,
Charité de sa flamme
Rendra toute ton ame
En bruslant contentée.
Par tout plaisir prendras ,
L'Escriture entendras,
Dont la fin est Amour.
Chacun sera tesmoing
Dont tu n'auras besoing
Que pour passer le jour.
Gaspard.
Je croy ce que ne voy,
\ DE L'ADORATION
Je sens ce que je croy,
Et pour tresseur le tiens ;
Mais plus j'ay de sçavoir,
Plus me croist le vouloir
D'ouyr les propos tiens.
De sçavoir j'ay envie,
Plus que n'eut en ma vie,
Que c'est qui est promis
Aux Pères anciens;
Parquoy hors des liens
Espèrent estre mys.
Quel est celuy qui vient,
Quel bien il en advient ,
Et en quel temps viendra;
Que l'Escriture en dit,
Quel sera son Crédit,
Et quel throne il tiendra :
Je ne me veux fascher
D'un si grand bien cercher,
Car c'est tout mon soûlas.
Pour le trouver, la peine
M'est joye souveraine,
Jamais n'en seray las.
Inspiration.
Pour sçavoir tout au long par le menu,
Intelligence il te convient cercher,
DES TROIS ROYS. 8$
Qui nul secret ne te voudra cacher,
Dont tu seras à elle fort tenu.
Gaspard.
Que le partir ne soit plus retenu ,
Allons bien tost voir ceste noble Dame.
Nous tardons trop, le désir de mon ame
Dit que seray trop tard au lieu venu.
Balthasar.
0 ma dame Philosophie ,
Dy moy que c'est, par ton advis ,
Que ceste Estoile signifie,
Car oncques telle je n'en viz.
Philosophie. IlzsiouJ°nt
e . . , ■ etvoyent
Je nen peux faire le deviz , l'estoiiie.
Mais aussi tost que tu viendras
D'Intelligence viz à viz,
Tout le secret tu entendras.
Elle n'est assise
Ne au cercle mise
D'Estoille ou Planette :
Plus fort nous esclere,
Et sy est plus clere ,
Plus belle et plus nette
Qu'elle est fantastique;
86 DE l'adoration
Elle est erratique
Sans rétrograder.
Elle se tient basse ,
Dont mon sçavoir passe
A la regarder.
Balthasar.
Plus je la regarde,
Et plus il me tarde
De sçavoir que c'est :
Elle est sy îresbelle,
Qu'elle doit nouvelle
Apporter quiplaist.
Melchior.
Tribulation, qu'est ce là ?
Une estoille voy merveilleuse.
Onques le ciel ne révéla
Chose qui semblast plus heureuse.
Tribulation.
Ceste estoille est fort lumineuse,
Qui tous noz cœurs fait resjouyr :
Par Intelligence l'heureuse
Tu en pourras nouvelle ouyr.
Le cœur doloreux
Elle fait joyeux ;
DES TROIS ROYS. 87
Qui bien la regarde
En elle ha liesse,
Et toute tristesse
Elle oste ou retarde.
Devant nous se met ,
Et au cœur promet
Qu'il recevra joye.
A mon jugement,
C'est enseignement
De seure montjoye.
Melchior.
Mon cœur triste et las
En reçoit soûlas,
Et ne sçay pourquoy,
Fors qu'une espérance
Pleine d'asseurance
Il reçoit en soy.
Cerchons la pucelle
Dont le sens precelle
Tout entendement.
Le vray j'en sçauray,
Dont rapporteray
Grand contentement.
Gaspard.
0 dame , quelle belle chose
88 DE l'adoration
De ceste estoille que je voy!
Que la raison m'en soit desclose
Par vous , à laquelle je croy.
Inspiration.
Amy, ilfault vivre de Foy,
Et croire que soubz ce beau signe
Est cachée de nostre grand Roy
Nouvelle tresplaisante et digne.
Ho ! quelle rencontre !
Voy comme elle monstre
Nostre chemin droit.
Suyvir la te fault ,
Et du don d'enhault
Monstrera rendroit.
Sans parler, sa mine
Nous monstre par signe
Quelque bien venu.
Car, amy, entens
Que voicy le temps
Longtemps attendu.
Gaspard.
Cœur, entendement ,
De contentement
Sont combles et pleins :
Dont travail ne peine,
DES TROIS ROYS. 89
Courant mont et plaine ,
Maintenant ne plaings.
Je tiens pour tout voir
Que par elle veoir
Pourray un tel bien ,
Qu'après l'avoir veu ,
Congneu et receu ,
Ne me faudra rien.
Balthasar.
Qui est cette troupe de gents
Que je voy notre chemin prendre ?
A cheminer sont diligens,
feu voudrois bien la cause entendre.
Melchior.
Ces gents se venans à nous rendre,
Nous aurons nœuve compagnie;
Mais je ne puis pas bien comprendre
De quel lieu vient sy grand' mesgnie.
Gaspard.
Ceste compagnie de loing
y approcher ay tresvolontiers ;
De m' enquérir d'eux j'aurai soing ,
Et peult esîre seray leur tiers.
90 DE l'adoration
Balthasar.
Dieu Toutpuissant, qui par tous sentiers
Conduit oy seaux, hommes et bestes ,
Vous doint tous vos désirs entiers !
Seigneurs , dites moy qui vous estes.
Voz façons trouve tant honnestes,
Et au chemin que vous tenez
Croy que pareilles sont noz questes :
Je vous pry' que le m'apprenez.
Gaspard.
Quant est de moy, je suis induit
D'aller voir une dame sage,
Où ceste estoille me conduit,
Que je tiens pour heureux présage.
Melchior.
Je fais aussi pareil voyage,
Où Tribulation me meine ,
Qui a vaincu de mon courage
L'orgueil, par tourment et par peine.
Balthasar.
\ Amour de sçavoir m'a contraint
De laisser pais et maison ,
DES TROIS ROYS. 91
Pour cercher de Dieu juste et saint,
Ce que passe notre Raison.
Gaspard.
Le traict ardent plus qu'un tison
D'inspiration m'a merché;
Dont par moy, en toute saison,
Ce que je croy sera cerché.
Balthasar.
Or allons donc.
Melchior.
Allons.
Gaspard.
Allons.
Balthasar.
Heureux serons d'aller ensemble;
Et de ceste estoille parlons
En allant voir que nous en semble.
Melchior.
Celuy qui tous en un rassemble
Nous vueille mener à bon port.
92 de l'adoration
Gaspard.
Noz cœurs qui l'un Vautre ressemble,
Nous unit par divin accord.
Intelligence divine.
Le fondement de tout mal et tout vice,
L'occasion d'obstinée malice,
Vient seulement de l'obscure Ignorance.
L'homme ignorant son devoir et service,
Et dont luy vient la Grâce et la Justice,
Ne sçait que c'est de Foy ne d'Espérance ;
L'extérieur, ayant belle apparence,
Le rend aveugle et de bon sens privé;
Mais faire peux du vray la demonstrance ;
Qui vient à moy il est bien arrivé.
Philosophie.
Voila la Dame, ô'Roy, que t'ay promise;
Oy, croy, retiens son parler véritable.
Tribulation.
Intelligence en ceste chaire assise
Voy, et en prends doctrine proufitable.
Inspiration.
Je t'ay mené en ce lieu délectable,
Regarde bien d'y faire ton proufit.
DES TROIS ROYS. 93
Philosophie.
Or à Dieu donc.
Balthasar.
0 dame charitable,
Me lairras tu ?
Philosophie.
C'est assez : il suffit.
Tribulation.
Adieu, amy, tu es en bonne eschole.
Melchior.
Helasl pourquoi parts de moy sy soudain?
Tribulation.
fay mis afin commission et rolle,
Retourner fault au seul bien souverain.
Inspiration.
A Dieu, celuy qui de ma douce main
A eu le coup qui le conduit icy.
Gaspard.
Obéir fault à ton vouloir certain.
A Dieu te dy, avec un grand mercy.
94 DE l'adoration
Balthasar.
Dame d'honneur, de tout sçavoïr le chef,
Qui de David est la certaine clef,
A toy venons en toute humilité.
Si à l'obstiné ignorant son meschef
Te ferme et clos, et le ciel derechef
Luy est fermé, c'est pure vérité.
Celuy aussi duquel la charité
Ouvre le cœur, le ciel luy est ouvert.
Ta doctrine est pleine de purité,
Que le captif deslie à descouvert.
Melchior.
Philosophie et Tribulation,
Pareillement douce Inspiration,
Nous ont contraint de venir droit à vous :
L'une enseignant par démonstration,
L'autre par coups de grande affection,
L'autre frappant le cœur d'un trait bien doux,
En nous disant : Hastet vous, courez tous
Vers ceste dame Intelligence sage.
Ce qu'avons fait, vous priant à genoux
Du vray sçavoir remplir nostre courage.
Gaspard.
Sçavoir voulons, et chacun le désire,
DES TROIS ROYS. 95
Que ceste estoille ainsi clere veult dire,
Que jusqu'à toy nous a sy bien conduit-;
Si c'est le temps que le Souverain Sire
Par ses Esluz a fait prescher, escrire,
Qu'à luy seront tous les peuples reduitz,
Laissant les Dieux par lesquelz sont seduitz,
Pour adorer celuy qui doit venir;
Si à ce bien par toy sommes induitz,
Cest heur de toy confesserons tenir.
Intelligence.
Plus grand plaisir n'aurez, ô Roys, d'entendre
Les faitz de Dieu, que nous devons apprendre;
Par quoy soyez ici les bien venuz.
Premièrement ce Livre vous fault prendre,
Ou tous humains verrez venir de cendre,
Et retourner en cendre estre tenuz.
D'entrer au ciel ont esté retenuz
Par le péché de sot et vain Cuyder,
Dont sont tous maux aux hommes advenuz,
Et en convint l'Ange du ciel vuyder.
Or regarde à ton ayse
Ce livre de Genèse :
Tu verras comme Adam
Sot Cuyder esblouyt,
Dont peu se resjouyt,
Car il saillit d'Eden.
96 DE l'adoration
Mais en telle destresse
Luy feut faite promesse,
Par divine sentence,
Que la Serpent tortue
La teste aurait rompue,
Un jour, par sa Semence.
Ceste promesse vive
Feut reiterative,
Au temps du bon Noé,
Par l'arche du déluge,
Figurant le refuge
Dont il feut advouè.
Dieu, qui l'arc au ciel mit,
Luy monstra, et luy dit :
Cest arc te soit pour signe
Que, quand tu le verras,
Tresasseuré seras
De paix douce et bénigne.
Puis au père de Foy
Dieu dit : Abraham, voy
Et nombre les estoilles,
Si tu peux, du ciel hault,
Et croy sans nul default
Qu'en plus grand nombre qu'elles
Je multiplieray
Ta semence, et pliray
Devant un de la race
DES TROIS ROYS. 97
Tout genoil; car par luy,
Qui leur sera appuy,
Recouvreront ma grâce.
Abraham sans séjour
A creu et veu ce jour,
Et luy feut réputé
Du Seigneur à Justice :
Car où est Foy, nul vice
Jamais n'est imputé.
En ce livre des Roy s
L'on peult voir les desroys
Où est tombé David.
Péché, qui pique et mord,
Ne l'a pu mettre à mort.
De Foy le Juste vit :
Dieu, purgeant son péché,
N'a esté empesché
De tenir sa parole,
Luy donnant sans mérite
Sa grâce non petite,
Qui tout pécheur console.
Dieu luy promit de mettre.
Tenant en main le sceptre,
Sur son siège Royal
Du fruit du ventre sien,
Monstrant qu'il aymoit bien
Son serviteur loyal.
98 DE L'ADORATION
Voie) un antre livre
Où Moïse au délivre
Montra bien clerement
Qu'il viendroit un Prophète
D'entfeux, duquel la f es te
A tous faisait vraiment,
Disant : Qui ne croira
En luy, il périra.
Mais ceux qui y croiront
A jamais bien heureux
Et en fin glorieux
Par ceste Foy seront.
Voici Esaïas,
Qui du grand Messias
A clerement parlé.
Crainte n'ha eu ne honte
D'en faire le beau compte,
Et nous a révélé
Et prédit qu'en ce temps,
Ainsi comme j'entens,
Le Petit nous est né ,
Et que le F Hz de Dieu
Vous est en ce bas lieu
Par le Père donné.
Il dit qu'il doit s'offrir
A tous maux et souffrir
Mort estrange et cruelle.
DES TROIS ROYS. 99
Voz péchés ostera,
Sur soy les portera
Par façon bien nouvelle.
Desja est Hieremie,
Lequel ne se taist mye
De ce divin propos.
En désolation
Fait lamentation,
Sans prendre nul repos.
Et suyvant ses beaux ditz,
Encor y en a dix
Prophètes qui en chantent.
Voyez les tous du long,
Branche, racine et tronc,
Croyez que point ne mentent.
Un prophète meschant,
Balaam, par son chant,
De Vestoille a chanté.
Daniel compte et nombre
Le temps, si que de l'umbre
Nul ne soit enchanté ;
Car un esprit bien prompt
Umbre et ténèbre rompt,
Entendant ses aubades
Qui chantent Christ venu
Au temps que contenu
Est en ses ebdomades.
DE L ADORATION
Or chacun soit certain
Que le grand Dieu hautain
A fait cest Enfant naistre
De son peuple Juif,
Peculier et naïf,
Duquel est Roy et maistre.
C'est vostre vray Sauveur;
Par sa grâce et faveur
En Dieu serez uniz.
Ne vous fiez en vous,
Car voz mérites tous
Ne sont que draps honnys.
N'espérez sauvement,
Sinon tant seulement
En son Election.
Grâce vous a esluz,
Qui fera le surplus
Par sa dilection.
Balthasar.
Touché avons le poinct,
Douter il ne fault point
De ceste vérité.
Helas ! moy misérable,
Ce sçavoir proufitable
Pas n'avois mérité.
DES TROIS ROYS.
Melchior.
Je sents mes yeux ouverts
Et tous mes maux couverts
Par toy, Intelligence.
Du mM que j'ay souffert,
Puis que Christ m'est offert,
Je sens toute allégeance.
Gaspard.
De joye mon cœur fond;
Car ce qu'au plus profond
Foy avoit mys du Christ.
Je voy par l'Escriturc
La Vérité sy pure
Que j'en gouste l'esprit.
Intelligence.
Sages et Roys, j'ay aussi advisé
Que vous devez à l'Enfant présenter
Thresors et dons, non pour le contenter,
Mais ainsi est de vous prophétisé.
Balthasar.
0 Dame, ainsi que l'avez devisé,
Je choisiray dedens tout mon thresor
Le plus parfait, le plus fin et pur or,
De tout métal imparfait divisé.
102 DE L'ADORATION
Melchior.
En mon pais croist en grand abandon
Trescher encens, dont sort suave odeur;
Par Charité, qui me brusle d'ardeur,
Du plus exquis je luy en feray don
Gaspard.
J'ay en ma terre aussi la myrrhe esleue,
Qui est contraire à la corruption;
fen porteray, pour en dilection
Faire présent à l'Enfant de value.
Intelligence.
Allés, Seigneurs, voir ce que vous croyez;
Suyvez Vestoille, et ne luy f aillez pas;
Car au droit lieu vous meinera le pas ;
Mais gardez bien que trompez ne soyez.
Balthasar.
0 dame, à Dieu, par qui les fourvoyez
Sont ramenez au droit port de salut.
Melchior.
Tant le désir de te voir nous valut!
Gaspard.
A Dieu, par qui nous sommes convoyez.
DES TROIS ROYS. 103
Balthasar.
Amys, il faut faire honorables offres
A cest Enfant; emplissez bien mes coffres
De tr espar or, plus cler que le soleil.
Le premier Serviteur.
Vous en avez, Seigneur, de sy exquis,
Que d'en cercher ailleurs il n'est requis ;
En autre lieu n'en a point de pareil.
Melchior.
Enfans, il fault porter du cler encens,
Car d'adorer le Christ je me consens,
Voire et mes biens tous luy abandonner.
Le II. Serviteur.
Vous en avez tresbonne quantité,
Et sy parfait, quant à la qualité,
Qu'un beau présent vous luy pourrez donner.
Gaspard.
Ay je beaucoup de myrrhe nette et pure,
Pour à ce Christ, exempt de toute ordure,
Faire présent qui luy soit agréable?
Le III. Serviteur.
Vous en aurez, Seigneur, de la meilleure
104 DE L'ADORATION
Qu'oncques porta l'arbre qui tousjours pleure.
Vostre présent sera bien honorable.
Herodes.
C'est grand gloire de commander
Et demander
Son vouloir, pour estre obey.
Ma gloire on ne peult amender,
Ne demander
Mieux : car chacun me dit Ouy.
Je suis Roy, qui en tous meffaitz
Vis en paix
En ce pais, dont suis Tetrarque.
Je fais par meffaitz porter faix;
Obey suis comme un Monarque.
A tous les bons je fais la guerre,
Pour la terre
Tenir soubs mon autorité.
Mes paroles semblent tonnerre;
En ma terre
Tiens chacun par crudelité.
Envie n'ay sur autre lieu,
Fors sur Dieu,
Car plus grand que luy voudrois estre :
Dans le cœur me brnsle le feu,
Peu à peu,
D'ambition pour estre maistre.
DES TROIS ROYS. 105
Le Serviteur d'Herodes.
Sire, on dit un brait par la ville,
Que trois Roys, en bien grand arroy,
Demandent où est né le Roy;
J'en ay veu troubler bien dix mille.
Herodes.
Un autre Roy! Tu es habile.
Faites venir ces enquesteurs,
Qui de teh propos sont porteurs ;
Leur parole est trop basse et vile.
Le Serviteur d'Herodes, parlant
aux trois Roys.
Seigneurs, bien soyez arrivez ;
De venir vous fault apprester
Au Roy, qui vous veult bien traiter
Ainsi que ses amys privez.
Balthasar.
Celuy duquel sont dérivez
Tous les biens, ainsi que je croy,
Donne salut au noble Roy,
Par qui en luy longtemps vivez.
Herodes.
Que cerchez vous, ne qui vous meine
106 DE l'adoration
Par mont et plaine?
Ne que querez en ce pais ?
Vostre labeur et vostre peine
Est bien fort vaine,
Et nous rendez tous esbahis.
Melchior.
Las, nous cerchons un Filz qui nous est né
Roy, qui sur tous à la fin régnera,
Duquel le règne à jamais durera;
Roy des Juifz, Dieu le nous a donné.
Nous desirons que le lieu ordonné
Pour son séjour par toy puissons entendre;
Car le chemin nous ne povons comprendre,
Dont un chacun de nous est estonné.
Gaspard.
En Orient son estoille avons veu'ê,
Qui nous a fait venir soudainement ;
Entrans icy, nous ne sçavons comment
Ne pourquoy c'est que nous Pavons perdue.
Herodes.
Or attendez icy, et je m'en vois
A mes Docteurs compter ceste merveille :
Le cas vaulî bien qu'à eux je m'en conseille.
Je parler ay à vous une autre fois.
DES TROIS ROYS. 107
Herodes, aux Docteurs.
De rage et despit je noircis,
Je transis
D'ouyr de ces folz la folie :
Un autre Roy que moy? mais six !
Dont assis
Me suis, par grand melancholie.
Vous avez veu les livres tous
Entre vous :
Disent Hz qu'un Roy doit venir?
S'il vient, je le mettray dessoubs
A beaux coups,
Si une fois le puis tenir.
Le Premier Docteur.
Sire, quant est de moy, j'ai veu
Que Dieu un Christ, un Roy, un oingt
Donnera. Et voicy le poinct
Du temps qu'il est né et conceu.
Daniel, qui Pavait preveu,
En a dit nouvelles certaines,
Et qui bien nombre ses semaines
Le cognoil sans estre deceu.
Herodes.
Mais où doit prendre naissance
108 DE l'adoration
Ce malheureux monstre et chimère,
Pour qui je sens douleur amere?
J'en veux avoir la cognoissance.
Le II. Docteur.
Ta majesté et ta puissance
N'en prenne peine ne courroux :
Bethléem avons lu tretous
Estre le lieu de son enfance.
Le Premier Docteur.
Esaïas bien clerement
En fait grande exclamation
Et telle déclaration
Que nous le croyons fermement,
Tout ainsi que Va récité :
Par la naissance du Seigneur
Grande veult et pleine d'honneur
La povre et petite cité.
Herodes.
Ce qui m'est par vous recité
Me touche au cœur;
Mais quel remède?
Par vous j'espère d'avoir aide
En ceste grand' nécessité.
DES TROIS ROYS. 109
Le II. Docteur.
0 Roy d'indicible valeur,
Si ce Christ tu laisses régner,
Il te pourroit bien estrener
D'une intolérable douleur.
Un Prince magnanime en cœur
Ne doit souffrir dessus sa teste
Monster le Christ : il seroit beste
S'il n'en estoit bien tost vainqueur.
Herodes.
Je sens douleurs de toutes parts.
Un enfant m'oster mon royaume !
Je ne dois pas porter heaume,
S'il n'est mis en cent mille parts.
Le Premier Docteur.
User vous fault de vozfins arts
Durant qu'il est en son enfance.
Le IL Docteur.
Le peuple seroit malheureux
S'il estoit hors de votre charge;
Parquoy il fault que l'on submerge
L'enfant, tant pour vous que pour eux.
Vous leur estes si gratieux,
Tant craint, aymé, tant estimé,
I 10 DE L'ADORATION
Que l'enfant seroit abysmê,
Qui sçauroit ce cas merveilleux.
Le Premier Docteur.
Un Roy craint et aymé de tous,
Ainsi qu'est votre majesté,
Doit sans cesser, hyver, esté,
De son royaume estre jaloux.
Parquoy vous faut avecques nous
Penser à ce cas secourir.
L'enfant il fault faire mourir,
Ou jamais vous n'aurez repous.
Herodes.
Si l'enfant ne meurt, je mourra
Parquoy lui fault faire la guerre
Pour l'extirper hors de ma terre,
Et lors en paix je demour'ray.
Et lors en paixj
Sans fin ton nom je bénir ay,
Voyant ton zèle sy fervent.
Qu'est ce d'un enfant!' moins que vent.
En le quittant te serviray.
Le Premier Docteur.
Sire, sans cousteau ne oust il
DES TROIS ROYS.
De ce cas viendrons bien à fin.
Il fault un peu faire le fin,
Et user d'un moyen subtil.
Il fault par un propos gentil
D'un visage riant parler,
Leur disant : Vous povez aller
En Bethléem, car là est il.
Feindre fault d'en estre bien ayse,
Et les prier de repasser
Par vous; et les fault embrasser,
Monstrant que la chose vous plaise.
Le II. Docteur.
Voila tresbonne invention.
Mais feingnez aussi de vouloir
Comme eux au Christ faire devoir,
Vous sçaurez leur intention.
Le Premier Docteur
J'ay desja grand dévotion
De sçavoir le lieu où il est,
Pour faire de luy, s'il vous plaist,
Bien cruelle exécution.
Herodes.
Fault il qu'un Royaume je perde,
Qui à garder m1 a tant cousté,
DE L'ADORATION
Et qu'il me soit ainsi osté
Par un petit enfant de merde l
Le diable par le col nïaharde
Si par le feu il ne trépasse,
Ou par dedens le feu ne passe, «
Ou dens la mer je ne l'esserde.
Le Premier Docteur.
// nous fault sa mort machiner
Pour ce que c'est un Roy nouveau,
Quelque tourment cruel et beau
Et nouveau fault imaginer.
Le II. Docteur.
Si ne le povez deviner,
Nul n'en sçauroit venir à bout :
Après vous nous fault cheminer,
Car pour ce cas vous sçavez tout.
Le Premier Docteur.
Aussi nous n'avons autre affaire
Que le Roy et sa royauté
Conserver, soit par cruauté,
Ou autre manière de faire.
Le II. Docteur.
Cercher ne veux qu'à luy complaire
DES TROIS ROYS. I 1 J
Par tous moyens, bons ou mauvais.
S'il se courrouce, je me tais,
Car je crains trop de luy desplaire.
Herodes.
Je vois parler à ces trois jouit,
Qui ont laissé sans grand besoing
Leur pais, pour venir de loing
Voir ce qui n'estoit sceu de nous.
Le Premier Docteur.
Sire, monstrez vous un peu doux,
Ainsi les pourrez attraper.
Herodes.
Taisez vous, je sais mieux tromper
Que vous ne sauriez faire tous.
Seigneurs, je vous veux embrasser; Herodes
Car croyez que je suis joyeux ^troL3"*
De povoir voir de mes deux yeux R°ys-
Telz Roys que vous par cy passer.
J'ay fait mes Docteurs amasser
Et voir chacune prophétie
Qui ont parlé du grand Messie,
Qui tous les maux doit effacer.
Tous m'ont dit qu'il estoit venu
Et né au lieu de Bethléem.
114 DE L'ADORATION
Messeigneurs, enquerez vous en,
Car là doit estre pur et nu.
Balthasar.
Chacun de nous est bien tenu
De mercier Dieu de la grâce
Que tu nous fais en ceste place ;
Ton parler sera retenu.
Melchior
En Bethléem irons tout droit
Voir si l'Enfant nous trouverons.
Gaspard.
A toy bien tenuz nous serons
Qui nous en as monstre l'endroit.
Herodes.
Messeigneurs, retourner faudroit
Par moy, afin qu'à vostre exemple,
Luy porte présent riche et ample;
Car oster ne luy veux son droit.
Les Trois Roys, ensemble.
Adieu, Seigneur.
DES TROIS ROY3. I 1$
Herodes.
Mais retenez
Qu'après avoir trouvé ce Roy,
De repasser icy par moy
Vous serez les bien retournez.
Balthasar.
Dieu, qui nous a tous trois menez,
Maintenant ne nous abandonne;
Mais ceste estoille nous redonne,
Par qui nous sommes estrenez.
Melchior.
Voyez /' estoille, voilà là,
Qui de nous se voulut cacher;
Quarfd elle nous vist approcher,
Il semble qu'elle se cela.
Gaspard.
Elle nous monstre par cela
Qu'autre chemin failloit tenir,
Non pas au mauvais Roy venir;
Ce secret là nous révéla,
Balthasar.
L'on donne à Herodes le bruyt,
Ii6 DE l'adoration
En ce pais, d'estre cruel.
Croyez qu'un Prince qui est tel
N'est de l'esprit de Dieu instruit.
Melchior.
L'on congnoit l'arbre par le fruit.
Las! que le peuple est malheureux
Qui vit soubs un Roy vicieux!
Enfin l'un et l'autre est destruit.
Balthasar.
L'estoille ne va plus avant.
Voicy Bethléem la cité;
Voyons où est le lieu cité
Par elle.
Melchior.
C'est icy devant.
Gaspard.
En ce lieu ouvert à tous vents
Penseriez vous tel Roy trouver ?
Balthasar.
Nous ne povons que l'esprouver :
La preuve fait l'homme sçavant.
\
DES TROIS ROYS. I I
Le premier Roy, voyant l'Enfant de loing.
0 quelle consolation !
Quelle grande joye me tient!
Melchior.
Je ne sçay dont cecy me vient,
Mon cœur brusle en dilection.
Gaspard.
Je voy ce qu'Inspiration
Dedens mon cœur avoit bouté;
De ce' que par Foy j'ay goustê
J'ai maintenant fruition.
Balthasar.
D'amour nous sommes tous ardens;
Baillez moy l'or que je luy porte.
Frapper nous fault à ceste porte,
Pour voir le thresor du dedens.
Gaspard.
Trop sommes icy attendans;
Car ceste myrrhe eslue et fine,
En la portant, fault que m'encline,
Me prosternant dessus les dentz.
Il8 DE l'adoration
Melchior.
Baillez moy cest encens trespur;
De bon cœur luy presenteray,
Et à ses piedz me jeîieray,
Car il est Dieu, j'en suis bien seur.
Balthasar.
// n'y a cœur qui soit sy dur
Qui de grande joye ne pleure.
Seigneur, ouvrez nous sans demeure
La porte de ce povre mur.
Marie.
Joseph, oyez, l'on frappe à ceste porte;
Je sens l'esprit de Dieu qui me conforte,
Et qui me rend de grand joye remplie.
Voicy le temps qu'il faut que dehors sorte
Des saints Escritz la Vérité tresforte,
Et que chacun devant cest Enfant plie
Teste et genoil. Par quoy, je vous supplie,
Ouvrez, ouvrez aux Esluz envoyez :
La prophétie est en eux acomplie,
L'estoille icy les a tous convoyez.
Balthasar.
0 Créateur, qui toymesme comprens,
DES TROIS ROYS. I 19
Dont tout bien vient, et de nul rien ne prens,
Qui de tes mains as fait ciel, terre et mer,
Dens cest Enfant auquel je te comprens,
Le poinct, le but de mon salut j'apprens;
Tant que (fors toy) rien ne puis estimer.
Tu es celuy seul que l'on doit aymer,
Craindre, honorer, révérer et servir;
D'humilité je me viens abysmer
A tes saints piedz, où me veux asservir.
Melchior.
0 Toutpuissant, qui par ton bras tresfort
As retiré de péché et de mort,
Voire et d'enfer, ta treshumble facture !
0 des Esluz l'héritage et le sort,
Des désolez les tresdoux resconfort,
Et des pécheurs la délivrance pure!
Par cest Enfant auquel nostre nature
Dieu daigne prendre en sy petite forme,
Servir te veux, tant que vie me dure,
En t'adorant, qui à toi me conforme.
Gaspard.
0 le plaisir et la suavité
Quej'ay de voir soubs ceste humanité
Dieu toutpuissant l'habit du pécheur prendre !
En abaissant ta grand sublimité,
120 DE L'ADORATION
Tu as l'orgueil par ton humilité
Tout mis à rien. 0, qui pourroit entendre
Ce que tu veux par amour entreprendre,
L'on t'aymeroit, sanz plus de toy douter.
A tes saintz piedz baiser je me veux rendre,
Pour le doux fruit que j'ay tant cru gouster.
Joseph.
Bien soyez vous venus, sages seigneurs,
Des autres roys l'exemple et enseigneurs
Du seur chemin qui au vray salut meine.
Souffert avez grans travaux et douleurs,
Car tel chemin ne se fait sans labeurs.
De loing venez : l'Escriture certaine
L'avoit prédit, ce n'est pas chose vaine,
Que vous viendriez du costé d'Orient.
Si au venir avez eu de la peine,
Foy vous fera retourner en riant.
Balthasar.
Ce trespetit présent
Que tu vois cy présent,
De bon cœur je te donne;
C'est Or trespur : car Foy
Me dit que tu es Roy
Portant sur tous couronne.
Enfant de Dieu donné
DES TROIS ROYS. 121
Du Père couronné
Sur sa sainte montaigne,
II Va donné le sceptre
Pour régner comme maistre,
A fin que ne te feingne
De son commandement
Prescher bien hautement
A son peuple çà bas ;
Lequel, s'il se rebelle, .
De la verge cruelle
Le chastie et le bas.
Les bons tu tireras
Et les présenteras
Au père, qui le soing
Ta donné du troupeau,
Autant vieux que nouveau,
Autant près comme k
Ce petit bras d'enfance
De frapper ha puissance
Jusqu'aux fins de la terre.
Celuy qui mot ne sonne
Parle hault, quand il tonne,
Par esclers et tonnere.
Enfant, seulement toy
Pour mon Seigneur et Roy
Je prens en mon courage.
De mon corps, de mes biens,
16
122 DE LADORATION
De ce que suis et tiens,
Seigneur, te fais hommage.
Melchior.
0 Dieu, la vie et l'estre
De tous, comme au grand Prestre
Et Sacrificateur,
Qui par un sacrifice
De divine justice
Es purificateur,
L'encens, dont la fumée
De Dieu est estimée,
Pour mieux te contenter,
En laquelle liqueur
Le désir de mon cœur
Je te viens présenter;
Reçoy le cler encens.
Cœur, corps, puissance et sens,
Volonté et désir,
Faites en sacrifice,
Me purgeant de tout vice,
Car là gist mon plaisir.
Si tu pries le Père
De nous estre prospère,
Tu le gaigneras franc.
L'homme a beau soupirer,
Car il ne peult tirer
DES TROIS ROYS. I2J
Remission sans sang.
L'holocauste et hostie
De toy si bien bastie
Luy est seule agréable;
Toy seul peux rapporter
Pour nous reconforter
Sa grâce profitable.
Or prens moy en ta garde,
De ton œil me regarde;
En toy me suis fié.
Comme personne abjecte,
En t'adorant me jette
En terre soubs ton pie.
Gaspard.
0 Dieu, en corps mortel
Je te croy estre tel
Que, par conjonction
De toy à nostre cendre,
Divins tu nous peux rendre
Par ton abjection.
La myrrhe que voicy,
Eslue, sans nul Si,
Te présente en pur don,
Confessant que ton corps
De Dieu misericors
Obtiendra le pardon.
124 DE l'adoration
Je te puis voir en chair,
Et baiser et toucher;
Mais soubs chair délicate
Ta puissance incognue,
Puisque l'heure est venue,
Se demonstre et dilate.
Tel que t'ay creu, te voy.
Long temps y a qu'en moy
Par Foy favoit planté
Dame Inspiration,
Par vive affection
Engravé et enté.
Ce qu'en mon cœur sentoye,
Je le voy en grand joye,
Dont j'ay contentement.
En ta mort voy ma vie,
Dont mon ame est ravie
Par amour fortement ;
Voire et par la liveur
Des playes doloreuses
Les âmes langoureuses
Ont santé et saveur.
Par ta dilection
Seras oblation,
Car ainsi tu le veux :
Tu seras decraché
Et le poil arraché
DES TROIS ROYS. I 2 S
De ta barbe et cheveux.
Comme cil qui se joué,
Présenteras la joué
Aux tyrans te frappant.
En croix mené seras.
Là où tu briseras
La teste du serpent.
Petit corps ordonné
De Dieu, abandonné
A porter tous noz maux,
Las ! bien devons haïr
Tout péché, etfuyr,
Cause de tes travaux.
Bien cher te cousteray,
Dont en terre mettray,
En t'adurant, ma face.
A toy sans Si ne Mais
M'adonne, et pour jamais
Je demande ta grâce.
Marie.
Le Dieu qu'avez par Foy en voz cœurs mis
Vous a icy pour voir son Christ transmis,
En vous monstrant ce qu'avez voulu croire.
Vous qui estiez Gentilz et ennemys,
Vous a esluz et tenuz pour amys,
Dont à jamais il en sera mémoire.
126 de l'adoration
Princes et Roys qui verront ceste histoire
Seront tresseurs qu'en faisant bon office,
Sans y cercher que de Dieu seul la gloire,
Auront leur part en ce grand bénéfice.
0 Roys heureux, qui pour l'empeschement
De tous les biens de ce monde, qui ment,
N'avez cessé de cercher Vérité,
Honneurs et biens et plaisir largement
Avez chassez du cœur soudainement,
Pour y loger parfaite Charité.
Sachez qu'un cœur bien net par purité
Bien voit son Dieu et en luy le possède :
Non pas qu'il ayt un tel bien mérité,
Mais par l'amour qui tout amour excède.
L'Enfant par vous reçoit dons et honneurs,
Aussi par lui vous régnerez, Seigneurs,
Et obéis comme obey l'avez.
Roy le tenez, régnant dedens vos cœurs ;
Par luy serez et regnans et vainqueurs,
Car autre Roy que luy vous ne sçavez
En vous seront ses désirs engravez
Et ne voudrez sinon sa volonté;
Par vous seront reduitz les dépravez.
Honorant ceux de bonne volonté.
Vous le tenez pour grand Prestre admirable,
Luy présentant encens d'odeur louable;
Mais pour vos dons croyez qu'il vous rendra
DES TROIS ROYS.
Dieu (dont le nom estoit innommable)
Doux et bening comme père amyable,
Qui pour enfans tresaymez vous prendra ;
Son oraison à l'oreille estendra
Du Dieu puissant, et son grand sacrifice
Tant luy plaira, que pour vous obtiendra
Destruction d'Enfer, de Mort et Vice.
En luy donnant la Myrrhe, confessez
Qu'il est mortel, et vos chefz abaissez
A révérer Dieu dans ce mortel corps.
Aussi par luy bientost seront cessez
Tous les tourments qui vous ont oppressez :
Car, quand ce corps sera au reng de morts
Hault exalté en croix, tirera lors
A soy tous ceux qu'il a mortifiez.
Alors, remply de ses divins accordz,
Tous immortelz serez déifiez.
Balthasar.
Jamais n'ouyz telle exhortation
Que j'ay ouy de toy, Dame prudente.
J'ayme et retiens ta prédication,
Qui me sera en tous lieux aydante.
Pleine tu es, la chose est évidente,
Du saint Esprit, lequel parle par toy :
Ta grand vertu, sur toutes eminente,
Te monstre bien Mère du treshault Roy
128 DE L'ADORATION
Melchior.
A Dieu, Péché, plus ne seras concierge
Dedens mon cœur, car fa) au tout ouy
Ce que m'a dit la tresheureuse Vierge,
Dont pour jamais je seray resjouy.
Soudain, devant son parler, est finy
Tout le malheur quefay craint sy longtemps.
Je suis d'amour et dejoye esblouy,
Dame, par vous, le content des contens.
Gaspard.
J'ay creu, j'ay veu; mais, Dame, ta parole
M'a confirmé tant que m'y veux tenir.
Par toy je sents que mon ame s'en vole
A son Espoux, sans plus vouloir tenir
Au monde bas, pource que retenir
Elle a bien sceu ta parole et tes ditz ;
Pour à son Dieu povoir tost parvenir,
Mort et tourment luy semblent paradis.
Balthasar.
Penser fault du retour :
Trop faisons de séjour
Au lieu dont partir fault.
DES TROIS ROYS. 1 29
Melchior.
Si je servois icy,
fy demeur'rois sans Si;
Du surplus ne me chault.
Gaspard.
Mes frères, noussçavons
Que de rien ne servons
A cil qui chacun sert.
Balthasar.
A Dieu cil qu'aymer veux
Tousjours, j'en fais les vœuz,
Ta bonté le dessert.
Melchior.
A Dieu, la larme à l'œil,
Je dis, rempli de deuil,
Enfant plaisant et doux.
Gaspard.
0 lame de mon ame,
A Dieu, Enfant et Dame;
Souvienne vous de nous.
17
13O DE L'ADORATION
Marie.
Dieu, qui les cœurs des Roy s
Tousjours tient en sa main,
Les conduise tous trois ,
Et leur soit tant humain
Qu'ilz puissent soir et main
Vivre sans nul tourment,
Et puis un beau demain
Avoir contentement.
0 Père et Roy céleste,
Grâces humbles te rens,
Que ion Filz manifeste
A ces peuples forens.
En protection prens
Les tiens, et metz en un
Les petis et les grans,
Donnant grâce à chacun.
Le peuple cheminant
En ténèbres obscures,
En péril eminent
De mort et peines dures,
A veu les aventures
Ainsi que la lumière
Qui à tes créatures
Donne clarté planiere.
Parquoy loué tu soye,
DES TROIS ROYS. I 3 I
Car sans fin je désire,
Quelque part que je soye,
Te collauder, ô Sire.
Et comme au ciel empire
Te louent tous les anges,
En ce monde j'aspire
Qu'on te donne louenges.
Dieu.
Anges, voyez la trop cruelle rage
Qui brusle et ard d'Herodes le courage,
Délibérant de mon Fils mettre à mort.
Allez bien tost, et faites mon message
A mes Esluz dormans en leur voyage,
Pour les tourner sans danger à bon port,
Car contre moy sera foible le fort.
C'est moy qui suis Dieu de toute bataille,
Nul Conseiller ne peult en son effort
Encontre moy faire chose qui vaille.
Le Premier Ange.
Ce qui te plaist sera exécuté,
Et promptement m'en vois les advertir.
Le II. Ange.
Herode a bien de leur cas disputé,
Mais toy seul peux son povoir divertir.
Ij2 DE L'ADORATION
Le III. Ange.
Et s'il te plaisl à toy le convertir,
Faire le peux, certaineté j'en ay.
Dieu.
Je ne veux point mon ordre pervertir,
J'ayme que j'ayme, et kay ce que je hay.
Le Premier Ange, aux Roys.
0 Roys, qui au giste
Dormez, fuyez viste,
Herodes vous quiert
Pour sçavoir de vous
Où est l'Enfant doux,
Duquel il requiert
De tollir la vie
Par mortelle envie,
Et ne cessera
Pour bien tost l'avoir,
Mais de son vouloir
Autrement sera.
Par autre chemin
Fuyans ce matin,
Retournez aux lieux
Dont estes partiz;
DES TROIS ROYS. I JJ
Je vous advertiz
Par le Dieu des Dieux.
Balthasar.
A tel maistre se fault tenir,
Qui ayme tant ses serviteurs
Qu'il ne les laisse pas venir
Aux mains de leurs persécuteurs.
Melchior.
Nous le devons bien mercier,
Et suyvir son tressaint conseil ;
Fuyons ce dangereux Mercier,
Trouvons ailleurs nostre appareil.
Gaspard.
// pense destruire Jésus,
Qui est de la vie le fruit :
Il n'en viendra pas au dessus,
Mais il sera par luy destruit.
Dieu.
Anges, chantez, et cornez et trompez
Par tous les Cieux, et criez hautement
Que les trompeurs seront par moy trompez
Et qui mon Fils menacent durement :
Par les tyrans pleins de faux jugement
134 °E L'ADORATION DES TROIS ROYS.
Ne peult périr, mais sans fin durera,
Et mes Esluz en luy semblablement,
Tant que nul d'eux à jamais ne perdra
Un seul cheveu; ma vertu gardera
Ceux qui sont miens, j'en ay fait l'examen.
Ce corps uny de mon Filz montera
Sur tous les Cieux, à toujours régnera
Sans fin, au siècle des siècles.
Les Anges, chantans.
Amen.
COMEDIE
DES INNOCENTS
Dieu commence.
> on œil divin, qui voit l'intérieur,
■ Devant lequel nul corps extérieur
mit donner aucunempeschement,
I Regarde en bas jusqu'à P inférieur,
Bien qu'il soit hault comme supérieur,
Mais ma bonté l'abbaisse doucement.
Or a il veu ce que secrètement
Herodes veult faire de mon Enfant;
Mais ma puissance en dispose autrement,
Qui le Petit contre le Grand défend.
En moy n'y a nulle mutation,
Rien de charnel, ne point de passion;
De tous les faitz de là bas je me joué,
136 DES INNOCENTS.
Celuy qui est mon Filz d'adoption,
Se confiant en mon Election,
Remply d'amour, incessamment me loué ;
Mais l'infidèle, adorant terre et boue,
Ne fait sinon penser à me destruire.
En me moquant d'eux, fais tourner ma roue,
Et mon soleil sur bons et mauvais luire.
Je voy le cœur d'Herodes fort trembler
Et son conseil contre moy assembler,
Car le retour des Roy s il a bien sceu.
Il fait du Dieu et me veult ressembler,
Cuydant povoir oster ou Rassembler
La vie au corps; mais il en est deceu.
Les sages Roy s ont bien mon Filz receu;
Mais ce tyrant par grande cruauté
Le mettre à mort dens son cœur a conceu,
Pour conserver sa vaine royauté.
Roys de là bas, escoutei promptement,
Et vous aussi qui soubs moy puissamment
Jugez la terre en vostre obéissance :
Or apprenez mon saint enseignement
Et me servez craingnant reveremment;
Resjouyssez vos cœurs par congnoissance,
Et en tremblant voyans ma grande puissance,
Baisez mon Filz et luy faites hommage,
Et vous aurez de m' embrasser licence;
Ou autrement ce vous sera dommage.
DES INNOCENTS. 1 57
En le baisant pour Seigneur et pour Roy,
En l'adorant homme et Dieu par la Foy,
Soubsmettant cœur et corps à son empire,
Par lui pourrez du dur faix de la Loy
Estre tirez, et jointz avecques moy,
Tant que chacun aura ce qu'il désire.
Mais ce cruel, qui tous les jours empire
De cruauté, aura sa récompense.
Bien loing sera son effect de son dire,
Car moult remaint de ce que le fol pense.
Anges, allez à Joseph mon amy,
Qui en repos d'esprit est endormy,
En luy disant comment, par quel moyen,
Je veux sauver de mortel ennemy
Mère et Enfant qui passeront parmy
Leurs malvueillans sy sagement et bien
Qu'ilz n'oseront onc leur demander rien.
Le temps prescrit il leur fault révéler
Qu'ilz demeur'ront en Egypte, et combien :
Et que de là dois mon Filz appeller.
Le Premier Ange.
La cruauté et grande tyrannie
Mérite bien, Seigneur, que tu luy nye
De ta faveur le rayon gracieux.
Sa mauvaistié doit estre bien punie,
Qui veult tuer l'Enfant que tu bénie,
11 18
138 DES INNOCENTS.
Sy tresparfait que la terre et les deux
Pour l'admirer tournent vers luy les yeux.
Roys et Pasteurs en ont fait sy grand compte,
Et le fier Roy, de tous le vicieux,
Cerche sa mort, son dommage ou sa honte.
Le II. Ange.
Ores sera le désert, périssant
Et sans nul fruit, plaisant et fleurissant,
Quand ton cher Filz y fera son entrée :
Du dur rocher sera rocher yssant,
Pour estre à luy du tout obéissant ;
Et les haultz monts de loingtaine contrée
S'abbaisseront, et la vallée oultrée
Se haulsera de plaisir pour le voir.
La terre seiche y sera acoustrée
De mille fleurs pour mieux le recevoir.
Le III. Ange.
Dieu Toutpuissant, qui de tout peux jouyr,
Helas ! fais tu le tien enfant fouyr
Devant un fol, cruel, plein d'ignorance ?
Tu peux le ciel et la terre esjouyr,
Et tout soudain en l'abysme enfouyr
Cil qui ne rend à ton Filz révérence.
Mais il te plaist qu'ainsi son innocence
DES INNOCENTS. 1 J9
Souffre pour tous les pécheurs et nocents
Pour conforter ceux qui par la souffrance
De l'ignorant souffriront innocents.
Le IIII. Ange.
Dedens ce désert tout destruit
J'abbaysseray la haulte branche
Pour donner à l'Enfant du fruit
D'une volonté pure et franche.
Marie.
Père du Filz dont suis l'humble servante,
Fille de toy qui me rendz tressçavante,
Qu'en toy y a Nom de paternité ,
Tu m'as fait Mère, et telle je me vante
Que tousjours suis ta volonté suyvante.
Par pure grâce, en moy humanité
Ton Filz a prins, par ta bénignité,
Un corps semblable à la chair de péché,
Pour en ce corps tuer la vanité
D'Adam, par qui le monde estoit taché.
L'homme, qu'est ce, que tu as eu mémoire
Ainsi de luy, qui d'obscurité noire
L'as en lumière et clarté retiré ?
Visité l'as, le faisant en toy croire,
Puis couronné et d'honneur et de gloire,
140 DES INNOCENTS.
En luy donnant ce qu'il a désiré.
C'est toy son Tout qui à toy l'as tiré,
Le faisant Dieu et enfant du treshault,
Apres l'avoir jusqu'au bout martyre;
En confessant que de soy rien ne vault,
Remémorant tes grâces et tes dons,
Ta charité baillant à tous pardons,
Ta patience et longanimité.
Je crie en cœur : à tes œuvres rendons
Grâces à dieu, et cœurs et mains tendons
Vers le seul Bien qui n'est point limité.
Recongnoissons ceste sublimité
Qu'amour a peu envers nous appaiser,
Voire et unir à nostre infirmité
Divinité, par amoureux baiser.
En te louant je passe jours et nuictz,
En te voyant homme et Dieu, tous ennuys
Sont convertit en souveraine joye.
Quand chacun dort, plus esveillée suis
Pour contempler le bien que je poursuys,
Que je possède, et perdre ne pourroye.
Mais en passant ceste mortelle voye
Je poursuyvray d'esprit par grand désir,
Qu'ainsi que moy par Foy chacun te voye,
Et qu'en tous soit parfait ton bon plaisir.
DES INNOCENTS. 141
Le Premier Ange.
0 Joseph, père putatif,
Levé toy, sans estre craintif,
Et prens l'Enfant,
Sa Mère aussi, comme ententif :
Cas Dieu d'Herodes le chetif
Bien le défend.
Or parts donques secrètement,
Et t'en fuys bien hastivement
Droit en Egypte.
Sois y jusqu'au temps nommément
Que le te diray justement.
Or parts donc viste :
Car il adviendra que le Roy
L'Enfant querra de plein effroy
De tous costez.
Pour le mettre à mort; mais, croy moy,
Il n'aura pouvoir sur ta Foy,
Point n'en doutez.
Joseph.
0 bonté qui accourts
Au secours
Des tiens, je te loue et mer de;
Des dangers nous rescoux,
Dont le cours
142 DES INNOCENTS.
Prendrons, car la nuict est noircie.
M'amye, il faut partir
Sans mentir :
Car l'Ange, ainsi que je dormoye,
M'est venu advenir;
Dont sentir
M'a fait peur, et après grand' joye.
Herodes veult avoir
Par povoir
Vostre enfant, pour le mestre à mort.
Il ne le pourra pas voir,
Car pourvoir
Y veult Dieu, qui est le plus fort.
Marie.
Amy, sans attendre à demain,
Tous deux nous fault mettre la main
Pour emporter nostre bagage ;
Et l'Enfant tant doux et humain,
Le sauvant du Roy inhumain,
Porteray : c'est mon héritage.
Dieu est ma force et mon courage,
Parquoy en luy me sents sy forte
Que sans travail en ce voyage
Porteray celuy qui me porte.
DES INNOCENTS. I -4 3
Joseph.
Allons sans faire nul séjour,
A fin qu'avant le poinct du jour
Soyons hors de ce territoire.
Marie.
Dieu, vivant en nous par amour,
Fait à son Enfant un tel tour
Qu'à jamais en sera mémoire :
A lui tout seul en soit la gloire,
Qui l'Enfant délivre des mains
Du danger, qui sera notoire,
Du plus cruel des inhumains.
Joseph.
Saillit sommes dehors des termes
D'Herode, en santé, non enfermes,
Dont louer devons Dieu de tout.
Si aux yeux avons eu les larmes,
Noz cœurs n'en ont esté moins fermes :
Car quand d'un bout à l'autre bout
Tourment nous grève et presse moult,
Là se monstre de Dieu la grâce,
Où nostre ame prend sy bon goust
Qu'elle ne se plaint d'estre lasse.
144 DES II^OCENTS.
Marie.
Ce lieu' est désert et sauvage,
Sans bleds, sans vignes, sans fruitage,
Mais nous possédons le vray pain,
Qui nous donne force et courage;
La vigne aussi, dont le beuvrage
Est à tous Fidèles bien sain ;
Le fruit de vie, qui la faim
Oste du corps en saoulant Vame,
Dormans sans crainte soubz la main
De cil que Père je reclame.
Herodes.
Voyez ces trois meschants menteurs,
Inventeurs
D'un Christ forgé dedens leurs testes !
0 vous mes loyaux serviteurs,
Amateurs
Des vertus grandes et honnestes,
Maintenant me fault secourir
Ou mourir
De courroux, de despit et d'ire.
Si l'Enfant je ne fais périr,
Las! guarir
Nul ne sçauroit mon grand martyre.
DES INNOCENTS. 145
Ces Roys me sont bien eschappez,
Qu'attrappez
Je ne les ay à leur retour.
De maie mort soient Hz happez
Et frappez,
Pour les punir du meschant tour.
Mais de ce Christ, qu'en ferons nous?
Dites tous
Franchement ce qui vous en semble:
Prendre vueil le conseil de vous,
Amys doux,
Tandis que nous sommes ensemble.
Le Premier Docteur.
Sire, il fault sa mort machiner,
Et délibérer finement ;
Apres sans cesse nefiner
De la poursuyure promptement.
Parquoy, quant à mon jugement,
Mandez vostre grand Capitaine,
Et luy commandez vivement :
Ce luy sera plaisir, non peine.
Le II. Docteur.
Veu le temps qu'apparut Uestoille,
A fin que vous ne f aillez point,
» 19
146 DES INNOCENTS.
Tous les enfants de la mamelle
Qui ont le deuxième an joint
Et au dessoubz, voilà le poinct,
Il les fault trestous mettre à mort :
Le hault Dieu povoir vous en doint,
Pour estre vengé d'un tel tort.
Le Premier Docteur.
En Bethléem ny à l'entour
Ne fault laisser enfant vivant,
N'espargnez ne ville ne tour,
Mettez à tous la vie au vent.
Mais que l'on cerche bien avant,
Masle n'en eschappera vif :
Vostre Capitaine est sçavant
Et y sera bien ententif.
Le II. Docteur.
C'est un homme qui n'ha regard
A nul, fors à vous obéir;
Il ne craint danger ne hasard
Pour vous, dont il se fait haïr.
Parquoy n'ayez peur que fouyr
Puisse nul enfant de ses yeux;
Pour vostre cœur bien resjouyr,
Possible n'est de choisir mieux.
DES INNOCENTS. 1 47
Herodes.
J'ay un faix sur ma conscience,
Lequel je ne peux plus celer,
Et en vous sy grand' confiance
Que je le vous veux révéler.
Las! à peine en peux je parler,
Car le despit qui mon cœur crevé
Ne peult hors de mes dents aller,
Qui me rend la parole brève.
En Bethléem il est prédit
Qu'un Fih est né de tel crédit
Que sur les Juifz régnera ;
Dont pour faire un tresjuste edict
J'ordonne que l'Enfant maudit
Soit tué, qui le trouvera.
Et celuy bien esprouvera
Ma grande libéralité,
Qui un seul n'en espargnera.
Par extrême crudelité,
Sans regarder à povre ou riche,
Ny à maison petite ou grande,
Trenchez tout ainsi qu'une miche
A grands morceaux, je le commande.
Il ne fault point que l'on demande
Dont me vient ceste cruauté;
148 DES INNOCENTS.
Car un Roy doit payer l'amende,
Qui pour rien perd sa Royauté.
Le Capitaine.
De t' obéir j'ay telle envie,
Conservant ton autorité,
Que de tout masle auray la vie,
Pour te donner prospérité.
Mon cœur est sy très irrité
Contre celuy qui est venu,
Qu'il mourra, c'est la vérité,
Quand de mes mains sera tenu.
Nous ferons tant de pas et tours,
Moy et mes gents, en diligence,
Que Bethléem et ses entours
Auront des masles indigence.
Bailleur ne seray d'indulgence,
Car de deux ans tirans en bas,
A nul n' auray intelligence,
Mais tueray tout pour mes esbats.
Herodes.
Or allez donc, et force gents
Assemblez pour le cas parfaire,
Et qu'ils soyent tous diligents,
Sans pitié, sans craindre à mal faire.
DES INNOCENTS. H9
.4 vous seul je remets l'affaire
Qui plus au fonds du cœur me touche,
Dont la douleur qui me fait taire
Par grand despit ferme ma bouche.
Le Capitaine.
Sire, j'entends bien ton vouloir,
Auquel le mien du tout s'accorde :
Puis que j'ay de toy le povoir,
Nully n'aura miséricorde.
Car quand en mon cœur je recorde
Qu'un autre que toy veult régner,
De mort cruelle et sale et orde
J'ay grand désir de l'estrener.
Herodes.
Gardez vous bien d'estre gaignez
D'argent, de crainte ou de pitié. •"-
Le Capitaine.
De leur sang nous serons baignez
En les couppant par la moitié ;
Crainte n'aurons ne amitié
A nul, et rien n' espar gnerons.
I 50 DES INNOCENTS.
Si le Christ est bien chastié
Par nous, assez nous gaingnerons.
La Première Femme.
Est il plaisir à l'arbre que de voir
La cause et fin de sa création ?
Et à la femme est il en son povoir
De n'aymer bien sa génération?
Cest son beau fruit, sa consolation,
Pour qui tous fruitz et animaux sont faitz.
0 mon enfant, ceste dilection
Joyeusement méfait porter tous faix.
La II. Femme.
// n'est ennuy que la femme n'oublie
Quand elle voit que le hault Créateur
De tel honneur l'a ainsi anoblie,
Que l'ouvrouer elle est du grand facteur,
Dedens lequel luy de tout bien aucteur
Forme l'enfant à sa similitude.
Seigneur, soyez de lui conservateur,
Car de bon cœur j'en prens solicitude.
La III. Femme.
Je dois aymer, et ne m'en puis garder,
DES INNOCENTS. 1^1
L'os de mes os et la chair de ma chair ;
En"le voyant je me peux regarder,
Son père aussi; c'est un thresor bien cher.
Qui te voudroit, enfant, par mal toucher,
J'aymerois mieux la douleur endurer ;
De te servir je ne me peuxfascher,
Mais mon travail je veux faire durer.
La Nourrice du Filz d'Herodes.
Ce m'est honneur remply de grand plaisir
De te nourrir, Royale geniture,
Dont en mon cœur ne sents autre désir
Que d'en povoir faire la nourriture
Au gré du Roy. 0 belle créature,
Tu me plais tant, que s'ilfalloit ma vie
Mettre en hasard pour te donner pasture,
Je le f crois, car amour m'y convie.
Le Capitaine.
Voicy le lieu, le territoire,
Où fault faire exécution.
Enfans, ayez bien en mémoire
De jetter hors compassion,
Sans avoir nulle affection
A père, à mère ny enfant;
En telle persécution
I $2 DES INNOCENTS.
Le Roy la pitié vous défend.
Tout ce que nous demandons est là,
Voyez tous ces enfans ensemble ;
Frappez et tuez tout cela,
Que le cœur icy ne vous tremble;
Gardez que nulle son fdz ne emble,
Tuez tous ceux qui ont deux ans
Et au dessoubz.
Le Premier Tyrant.
Puis qu'il vous semble
Qu'il est bon, nous donnerons dedens.
Ça cest enfant, qu'il est gentil!
il prend Baillez le moy bien tost, m'amye.
l'enfant.
La Première Femme.
Las! monseigneur, que vous plaist il ?
De grand' peur la chair mefremie.
Vous le tuez! 0 infamie!
0 cruauté qui n'ha semblable,
Rendre ainsi la vie endormie
De l'Innocent, qui n'est coulpable !
0 le fruit de l'arbre,
Tu es comme marbre
Dur, froid et transy.
Avant qu'estre meur
DES INNOCENTS. 1 $3
Le glaive trop dur,
L'homme sans mercy
Cueilly t'a icy !
Le II. Tyrant.
Baillez cest enfant vistement,
M'amye, car j'en ay affaire.
La II. Femme.
Plus tost je me lairray vrayment,
Que mon enfant, par vous deffaire.
Le II. Tyrant.
Osez vous bien au Roy desplaire?
C'est trop grande desloyautè.
La II. Femme.
Tuez moy donques pour parfaire
Sa trop cruelle cruauté.
Helasl par force il le m'arrache
Pour le tuer devant mes yeux!
Meschant, cruel, infâme et lasche
Serviteur du Roy vicieux,
J'esleve cœur et voix aux deux,
Et en demande la vengeance
1^4 DES INNOCENTS.
Au grand Dieu sur tous autres Dieux,
Pour m'en venger en diligence.
Helas! mon enfant,
Tout le cœur me fend
De te tenir mort.
L'image de vie
Est de toy ravie
Par cruel effort.
Las! Herodeha tort.
Le III. Tyrant.
Baillez cest enfant ; que de peine !
La fuyte ne vous sert de rien.
La III. Femme.
Ta volonté trop inhumaine
Si je peux n'aura pas le mien.
h je Las ! il le prend ! 0 cruel chien ,
prend. q^- ^ $an^ numaln as env{e J
Las! il met à mort tout mon bien :
A peu près que je ne desvie.
Helas ! il me jette
Celuy que regrette
Mort entre mes mains.
Las! le cœur me fault!
0 Dieu de là hault,
DES INNOCENTS. 155
A ces inhumains
N'en faites pas mains.
* Le IIII. Tyrant.
Cest enfant est fort bien en ordre,
Mais sy le me faut il avoir.
La Nourrice du Filz d'Herodes.
Allez, vous n'y avez que mordre,
Pas n'estes digne de le voir,
Car je vous fais bien à sçavoir
Qu'il est filz du roy trespuissant.
Le IIII. Tyrant.
Aussi pour faire mon devoir
Au roy veux estre obéissant.
La Nourrice.
Las .' sus luy vous tirez l'espée,
Sans craindre le roy ! quelle audace !
Le IIII. Tyrant.
// aura la gorge coupée,
Le roy le veult, en ceste place.
1$6 DES INNOCENTS.
La Nourrice.
Venez tost à l'aide à moy lasse ;
Venez cest enfant secourir.
Las ! l'espèe son corps oultrepasse.
Le III I. Tyrant.
Cest le roy qui le fait mourir.
La Nourrice.
Le roy fait son enfant iuerl
0 cruel Père, ô cas nouveau !
Qui en heu de s'esvertuer
De sauver sonfilz sain et beau,
Du tetin le met au tombeau.
Son porc, non son filz, vault mieux estre
Le Juif ne tue nul pourceau,
Mais sonfilz qui ne fait que naistre.
0 roy plein de vice,
Moy povre nourrice
Fais icy le dueil
Que tu devrois faire,
Non ainsi défaire
Et mettre en cercueil
Le bien de ton œil.
Mais si ne puis je encore croire
DES INNOCENTS. 1 SI
Que le Roy un tel cas entende;
Il n'y a ne proufit ni gloire :
Plus avant fault que j'en demande.
Tel en pourra payer l'amende,
Qui est cause de ma douleur.
Le Capitaine. Arrivant
4 devant
Herodes.
Le Dieu plein de puissance grande
Augmente au roy vie et Honneur.
Nous venons de persécuter
Le pais du Christ la naissance,
Et ton vouloir exécuter,
Sans avoir de nul congnoissance.
Chacun craint ta grande puissance,
Car il n'est demeuré un seul
Enfant, soubs ton obéissance,
Qui ne soit mort dens son linceul.
Herodes.
N'en avez vous un seul sauvé
Qui me puisse mener la guerre ?
Le Capitaine.
Si un seul enfant est trouvé
Qui ne soit pas mort mis en terre,
I $8 DES INNOCENTS.
Faites nous en prison grand' erre
Mener et mourir pour l'amende,
Ou Dieu nous tue d'un tonnerre.
Herodes.
Voila le bien que je demande.
Le Capitaine.
Depuis deux ans et au dessoubz,
En Bethléem ny à l'entour
Masle n'y a ; nous sommes saoulz
De frapper. Qui eust veu les tours
De nous, et des femmes autour,
Il eust veu cruelle bataille :
Chacune faisoit son destour,
Mais n'y ont fait chose qui vaille.
Herodes.
Vous me rendez le cœur content
Et le corps tout remply de joye.
Le Premier Tyrant.
Jamais nul Roy n'enfeit autant,
Sire, que vous.
Comment.
DES INNOCENTS. 159
I
Herodes.
Vien ça, que je oye
Le II. Tyrant.
Vous verriez par la voye
Le sang courir de tous costez.
Herodes.
Ho, voila plaisante montjoye ,
Monstrant les ennemys domtez !
Mais quoy? qu'ont dit ces mères foies ?
Le III. Tyrant.
Les unes ont voulu fouyr,
Les autres à for ce paroles
Nous ont fait injures ouyr;
A peine en avons peu jouyr
Fors à grands coups sur bras, sur testes.
Herodes.
Voila qui me fait resjouyr,
Vraiment bons serviteurs vous estes.
160 DES INNOCENTS.
Le IIII. Tyrant.
Jamais n'ouystes de telz crys,
Telz plaingîz et lamentations.
Herodes.
En vous escoutant, je m'en rys,
Ce me sont consolations.
Le IIII. Tyrant.
Injures, malédictions,
Coups de poing, morsures de dents
Avons eu de leurs passions,
Dont portons signes evidens.
Herodes.
Vous avez si bien besongné ,
Que d'avoir mieux je ne souhaite.
Le Capitaine.
Ha, il y a bien eu hongné
Avant venir à la retraite.
Le IIII. Tyrant.
Sire, une femme fort aigrette
DES INNOCENTS. l6l
Dit qu'à vous elle s'en plaindra;
Mais rostre volonté j'ay faite.
Herodes.
Jamais nul mal ne t'en prendra.
Hz ont fait ce qui est possible
Pour mettre mon cœur en repous :
Si le Christ n'est bien invisible,
H sera mort dessoubs leurs coups ;
Dont en paix regneray sur tous,
Sans craindre qu'on me face tort.
Ho, que ce sçavoir là m'est doux,
Que Christ soit mis du tout à mort !
Car son règne est au mien contraire,
Et de mon throne me dépose.
Car par ce que j'ai peu retraire
Des prophètes et texte et glose,
Ce eust été de luy bien grand chose
Et de moy riens : mais j'ay pourveu
Que son corps en la mort repose;
Le mien vivant de tous est veu.
Je regneray, puis qu'il ne règne,
Etferay ce qu'il me plaira.
0 qu'il sera heureux mon règne !
Car un chacun me complaira,
Et biens et forces desploira
Pour acquérir mon amitié.
162 DES INNOCENTS.
Ha! chacun pour moi s'emploira,
Puis quej'ay le Christ chastié.
Je laisse à Dieu de tous ses deux
La police et gouvernement,
fen quitte ma part, aymant mieux
Régner en terre puissamment.
Vivre veux plus joyeusement
Que je n'ay fait au temps jadis.
En terre est mon contentement,
Garde bien Dieu son paradis.
La Nourrice.
Helas ! Sire, Sire, voyez
Ce qu'a fait vostre Capitaine
Avec ses gens desvoyez
Contre vous. Majesté hautaine,
Vostre puissance souveraine
Punisse ce crime exécrable
Par une intolérable peine :
Vengez vostre filz tant aymable.
Herodes.
0 vilain désir de vengeance
Et de régner l'ambition !
0 trop hastive diligence,
0 impiteuse occasion !
DES INNOCENTS. 163
0 mon filz, ma dilection,
Pour conserver ton héritage
Je fay mis à perdition,
Et pour proufit fay fait dommage!
Je perdz l'héritier
Dont j'avois mestier
Plus que de la terre.
Pour défaire Christ,
J'ay mon filz prescript
Parmy ceste guerre.
Acquérant pour luy
Repoz et appuy,
Le Christ je cherchois;
Mais le puissant Dieu
Mon filz prend en lieu :
Pas n'ay eu le choix.
0 malheureux Père!
Je suis qui opère
Contre mon vouloir.
Car pour tuer un,
J'ay fait tout commun,
Dont me fault douloir.
Mais, au fort, j'ay fait
Un sy tresbeaufaict,
Qu'il fault en gré prendre
Ceste propre perte ;
C'est pour ma desserte,
,£4 DES INNOCENTS,
L'on le peult entendre.
J'ay un filz perdu,
Aussi j'ay rendu
Mort mon ennemy.
Je l'ayme mieux mort
Que voir vif et fort
Mon filz et amy.
De mon Capitaine,
Cest chose certaine
Qu'il m'a obey,
Dont est advoué,
Aymé et loué
De moy, non hay.
Metz en sépulture
Ceste créature,
Et l'oste d'icy.
La Nourrice.
0 dure nature!
0 nature dure !
Helasl qu'est cecy?
Enfant, je f emporte
De dueil demy morte,
Hors des yeux du Roy,
Qui du tout s'accorde
A ceste mort orde !
DES INNOCENTS. l^S
0 quel desarroy !
En la terre mettre
Te vois, là fault estrc
Et tous demeurer.
Et feray r office
De vraye nourrice,
C'est de bien pleurer.
Herodes.
Je sçay tresbien que j'ay mon Filz perdu ;
Mais en voyant aussi que 'fay rendu
Mon règne seur sans souspeçon ne crainte,
Mon ennemy mort à terre estendu,
Confesser doy, le tout bien entendu,
Que resjouyr tresfort me doy sans feinte.
Il fault mourir par amour ou par crainte;
Mais vivre povre et chassé de son bien,
C'est pis que mort d'endurer telle estreinte;
J'aymerois mieux mourir que n'avoir rien.
Or suis je sain, mon Royaume est paisible;
Ce qui me plaist je le tiens pour loisible ;
Nully mon bien ne demande ou querelle;
J'ay Christ rendu à ce monde invisible :
Il ne m'estoit en rien bon ne duysible;
Sa mort m'est bien plus proufitable et belle.
Les Prophètes n'ont eu puissance telle
l66 DES INNOCENTS.
Que leur Christ soit peu venir en avant,
Dont content suis en la vie mortelle,
Puis qu'en vivant j'ay mis sa vie au vent.
Rachel.
Helas, helas, helas, helas !
Qui confortera ce cœur las,
Ce corps affoibly de douleur,
Cest esprit privé de soûlas,
Tous ses cinq sens liez au laz
Inévitable de malheur?
Vous qui me voyez sans couleur
Et demandez l'occasion,
Las! mes enf ans pleins de valeur
Sont periz par occision.
Qui donra à mon chef des larmes
Pour pleurer ces cruelz alarmes,
Dont mesyeux seront les ruisseaux?
Qui m'apprendra suffisans termes
Pour regretter non les enfermes,
Mais les morts tant plaisans et beaux ?
Vous qui cas piteux et nouveaux
Pleurez, venez moi secourir,
Et voyez que ces desloyaux
Tous mes enf ans ont fait mourir.
Ma voix bien hault je fais ouyr
DES INNOCENTS. 167
En Rama, non pour resjouyr
Les auditeurs par mes doux chants,
Maisparcrys, voyant enfouyr
Ceux qui n'ont peu ne sceu fouyr
La mort par les glaives trenchans.
Je pleure par villes et champs,
Je huile, je plaings et souspire,
Dont le meschant Roy des meschans
A mys mes enfans au martyre.
Je suis Rachel triste et marrye,
Qui pleure en la triste patrie,
Qui de mes enfans f eut partage.
Pleurez, Joseph, je vous en prie;
Et que Benjamin cousin crie
Ses enfans mortz par grand outrage.
0 Bethléem, doux héritage,
Tu leur estois maison de pain,
Et nourrissois ce beau lignage :
Las! Hz n'y sont pas mortz de faim.
Point consoler je ne me veux,
Quand tous mes enfans et neveux
Je ne voy plus, car plus ne sont.
Si par sacrifice ou par vœux
Povois l'esprit en leurs corps nœufz
R'appeller du lieu tresprofond,
J'en ferois prou : car mon cœur fond
De douleur, voyant que remède
1 68 DES INNOCENTS.
N'y a; mes jours à eux s'en vont,
Parquoy je ne veux nulle aide.
Mortz sont mes enfans innocents,
Dont pis que mort au cœur je sents;
Mais, helasl ce n'est pas pour eux
Qu'ilz sont ainsi de vie absens ;
Toutes fois pour eux m'y consens,
Car je sçay bien qu'ilz sont heureux
D'estre plustost mortz, que paoureux
De mourir, pour sauver l'Enfant
Pour lequel un cœur amoureux,
Mourant, va vivre triomphant.
Leur robbe ont laissée
Rompue et blessée
Par sanglante mort.
Leurs mères pleurantes,
Ceà et là courantes,
Ont crié bien fort.
Le mourant crioit,
Sa mère pleuroit,
L'arrosant de pleurs;
L'arbre regrettoit
Du fruit qui portoit
Les plaisantes fleurs.
Herodes cuydoit,
Comme il pretendoit,
Mettre Christ à rien.
DES INNOCENTS. 169
C'est bien au contraire,
De ses mains retraire
Dieu l'a sceu fort bien.
Cruels qui pensez,
Faisant maux assez,
Effacer son Nom,
Plus vous ïabbaissez,
Et plus le haulsez
D'éternel renom ;
Le persécutant,
Et exécutant
L'edict de sa mort,
Vous le faites vivre.
Aux cœurs qu'il délivre
De tout desconfort
Christ tousjours demeure.
Mais quand la bonne heure
Viendra de mourir,
La mort il prendra ,
Que morte rendra
Pour nous secourir.
Par Christ mort vivront
Tous ceux qui croiront
En luy fermement.
C'est qu'il est leur vie,
Désir et envie,
Estre et mouvement.
170 DES INNOCENTS.
Et par ceste Foy
L'ame sort de soy
Pour à luy courir.
En luy la transforme,
Et sa vieille forme
Fait du tout périr.
La mort luy est gloire
Quand elle peult croire
Qu'elle vit mourant.
Elle se conforte
D'estre en Adam morte,
A Dieu va courant :
Car elle court viste
Quand hors du vieux giste
D'Adam est tirée.
Parauoy veult choisir
Pour son vray plaisir
D'estre martyr ée;
Et de son martyre
Tel plaisir attire
Que mieux ne demande.
Elle fait de Dieu,
Par tout, en tout lieu,
Tout ce qu'il commande.
L'Ame en Adam morte
En Dieu vive et forte
Acomplit la Loy.
D ES INNOCENTS. 171
A quoy la vivante
Se treuve impuissante,
Car rien n'ha en soy
Qu'un Cuyder menteur,
Qui est inventeur
De toute folie,
Et, quoy qu'elle voye,
Convertit sa joye
En melancholie.
Ames biens heureuses,
Toutes amoureuses
Du parfait Espoux,
Toutes l'espousez,
En luy repousez
D'un dormir bien doux :
Ce qui est de terre
A terre est par guerre.
Ce qui de Dieu est
A son Dieu retourne,
Où sans fin séjourne :
Son propre lieu c'est
L'esprit qui attend
Tel lieu n'est content
Qu'il ne soit venu.^
Les biens et le monde
Comme chose immunde
Est de luy tenu.
<72 DES INNOCENTS.
Mes enfans y sont,
Qui recouvert ont
Par la charité
De Dieu leur defence,
Ce que leur enfance
N'avoit mérité.
Mais Hz sont Esluz
Pour estre au ciel veut
Martyrs du Petit,
Tesmoing du vray Oingt,
Bien qu'ilz n'eussent point
Crainte ou appétit.
C'est par pure grâce
Qu'ilz tiennent la place
Au près de l'Agneau.
Par tout Hz le suyvent,
En sa mort Hz vivent ;
Par cas bien nouveau ,
Hz sont revestus
De toutes vertus
Et blanches estolles
Dieu par mort confessent,
Et jamais ne cessent,
Non point par paroles.
Dieu en eux se loue
Et par eux se joué
Dieu cruel tyrant
DES INNOCENTS. 1JJ
Qui les met en hault,
Où rien ne default,
En les martyr ant.
Du tetin les tire,
Du laict les retire
Par vaine plaisance,
. Dont Hz ont le ciel
Fluant laict et miel,
Terre d'abondance.
0 cruel Herodes,
Tes façons et modes
Seront en mémoire ;
La honte et dommage
Auras pour partage,
Et Dieu seul la gloire,
Qui de ta malice
Se sert à justice,
Pour hors des lyens
De vie mortelle
Par ta main cruelle
Retirer les siens.
Tu es l'instrument
Duquel proprement
Dieu les siens chastic ;
Mais le cuydant faire,
Verras le contraire,
L'œuvre qu'as bastie.
:74 DES INNOCENTS.
Cruel animal,
Leur mort et leur mal
Pourchassé tu as;
Mais le tourment tien
Leur est vie et bien
Et parfait soûlas.
Par les maux souffertz
A Dieu sont offertz
Hosties plaisantes.
Par la mort vivront,
Et au ciel seront
Estoilles luisantes,
Où sera presché
Ton vilain péché
Par tout l'univers.
Dieu par juste office
Punira ce vice
Par mort et par vers.
Réprobation
Et damnation
Te mettra sans fin.
Royaume et honneur
Te feront horreur,
Congnoissant leur fin;
Mais Election
En salvation
Les Petis mettra.
DES INNOCENTS. 17$
Car en eux la gloire
Du Dieu de victoire
Tousjours paroistra;
De son nom croisîra
Sans fin la mémoire
Dieu.
Vous, mes espriîz, qui par mon mouvement
Estes esmuz, et n'avez sentiment
Que de moy seul, tous unis en amour,
En moy, par moy et pour moy seulement;
Voyez là bas les Innocents, comment
A mort sont mis par Herode en un jour :
C'est pour mon Filz qu'il leur a fait ce tour ;
Pour luy aussi les veux tant avancer,
Qu'avecques moy leur donray seur séjour,
Et plus de bien qu'ilz n'eussent sceu penser.
Démon enfant, Agneau très pur et munde
Occis devant que j'eusse fait le monde,
Seront tesmoings, et premiers précurseurs.
Voilà comment ce roy vilain, immunde,
Qui à régner sa félicité fonde,
Les fait du ciel eternelz possesseurs,
En doute il vit, et en la mort sont seurs
D'estre à jamais Roys d'un règne immuable :
Il règne ainsi que ses prédécesseurs,
176 DES INNOCENTS.
Pour après mort estre fait serf du diable.
Régnant en terre, il reçoit tous mes biens;
Et mes esluz, mort, tourment et liens.
Ce jeu nepeult durer. qu'un peu de temps;
Car quand les corps seront tournez en fiens,
Qui a cuydé avoir, n'aura plus riens;
Et son Cuyder d'honneur et passetemps
Sera perdu; dont des plus malcontens
Tiendra le lieu en sa perdition :
De quoy louenge et gloire j'en attens
De vous, voyant ceste punition.
Aussi de voir mes Esluz et amys,
Dont les corps sont pour mon Filz endormys
Et mis à riens, tant que nul n'en fait compte,
Auprès de moy en gloire et repos mis,
Comme je l'ay à tous croyans promis,
Qui de la Croix de mon Filz n'auront honte,
En eux par moy engravée et emprainte :
Car charité qui soymesme surmonte,
Je recongnois, qui ma justice domte;
Voyant de grâce en eux l'image painte.
Le Premier Ange.
Que dira lors Herode plein d'outrage,
Après avoir joué son personnage,
Et accomply là bas tout son désir?
DES INNOCENTS. I 77
Je croy, Seigneur, que plein d'ire et de rage,
Désespéré, d'un angoisseux courage,
Dira, voyant au lieu de tout plaisir.
Les Innocents : 0 malheureux désir !
Voila ceux là ausquelz j'ay fait la guerre,
Qui ont le ciel; car j'ay voulu choisir
Enfer cruel, pour désirer la terre.
Le II. Ange.
Puis il dira : Leur vie festimois
Sans nul honneur, de l'honneur que j'aymois :
Voire et leur mort honteuse et tresvilaine
Dens leurs langeons, et drappeaux et simois,
Dessoubsdeuxans, d'un an, d'un jour, d'un mois,
Blancs, noirs et blonds ont passé par la peine
Du glaive. Helas! voicy qu'en la hautaine
Cité de Dieu en gloire souveraine
Les voy logez, et nombrez entre tous
Les filz de Dieu; et ma vie inhumaine
Me met au reng des plus malheureux fouis.
Le III. Ange.
Ainsi soit fait, Seigneur, de ses semblables,
Qui ont commis cas sy abominables,
Que de vouloir ton nom anéantir,
Persécutant tes serviteurs amables,
178 DES INNOCENTS.
Leur empeschant tes promesses louables
Faire à chacun et ouyr et sentir;
Les contraingnant de parler et mentir
Pour leur proufit, honneur et avantage.
0 Toutpuissant, vueille toy consentir
De mettre à riens ce serpentin lignage.
Le IIII. Ange.
Grâces je rens à ta douceur
Et sans fin loue' ta justice,
Qui punit d'Herodes le vice,
Et met tes Esluz en lieu seur.
Le Premier Ange.
Gloire à jamais te soit donnée,
Qui le Petit en hault eslieve
Et le Grand metz en peine griefve
Par Charité bien ordonnée.
Le II. Ange.
Honneur soit à toy qui eslis
Ceux que le monde à bas repreuve;
Et ceux que tant à son gré treuve
Sont hors de ton livre abolis.
DES INNOCENTS. • 79
Le III. Ange.
Louenge soit continuelle
De toy, qui par dilection
Fais valoir ton Election,
Sauvant ceux qui ont Foy en elle.
Le 1 1 II . Ange.
Jamais en nul cœur ne s'appaise
L'amour, qui le fait contenter;
Et de ta louenge chanter
Nulle bouche aussi ne se taise.
Dieu.
Mes bienheureux, cy dessoubs cest autel,
Vos justes crys me demandent vengeance
De vostre sang; pource qu'en corps mortel
Feut respandu en grande diligence.
Ames des corps morts en grande indigence
Pour le seul nom de mon bien amè Christ,
De ma responce ayez intelligence,
Par qui sçaurez ce que j'ay en l'Esprit.
Encor un peu il vous convient attendre
De voz frères le nombre tout entier;
Le Corps du Christ veux tirer membre à membre,
180 DES INNOCENTS.
L'un après l'autre, ainsi qu'il est mestier;
Et vous verrez à l'heure chastier
Tous vos tyrans, voire cruellement.
Lors un chacun congnoistra que fier
Se fault en moy, ou avoir damnement.
Les Ames des Innocents,
Chantans sur le chant : Si j'ayme mon amy.
0 Dieu père de tous,
Misericors et doux,
Nous te rendons louenges,
Qui nous as retirez
Du monde et attirez
Au reng des benoistz Anges.
Le feu cruel et fort
Et l'eau pire que mort,
Comme bon Père et Maistre
Tu nous as fait passer;
Puis nous viens embrasser
De ta bénigne dextre.
Tirez par tes forts bras
Du martyre nous as
Au lieu de réfrigère,
Où tout plaisir avons ;
Dont louer te devons :
L'esprit le nous suggère.
DES INNOCENTS. >8l
Le bien qu'avons receu
Par toy, sans nostre sceu.
N'est de nostre mérite.
Par ta bonté, sans plus,
De toy sommes Esluz ;
C'est grâce non petite.
Pas ne sçavions parler,
Ne fuyr ne aller;
Et n'avions en courage
Sçavoir ne bien ne mal
Non plus qu'un animal,
Sans raison ne langage.
Et toutesfois damnez
Pourestre d'Adam nez,
Estions comme enfans d'ire :
Mais tu nous as sauvez
Et en sang tous lavez
Par un nouveau martyre.
Sy n'est ce nostre sang
Qui nous rend chacun blanc,
Nettoyant noz estolles :
C'est le sang de l'Agneau
Qui rend Fhomme nouveau,
S'il croit en ses paroles.
Mais nous ne croyans rien
Avons receu ce bien
Par libérale grâce :
I 82 DES INNOCENTS.
Dont ton Election
Fait distribution ;
Parquoy voyons ta face.
Cuyder menteur et faux,
La cause de tous maux,
En nous n'avoit entrée :
Et où Cuyder n'ha lieu,
Vérité, qui est Dieu,
Par la grâce est monstrée.
Quand Dieu fera vuyder
Des siens tout le Cuyder,
Dieu congnoistront seul Estre :
Plus Hz ne se verront,
Mais Dieu seul, qu'ilz croiront
Leur Père, amy et maistre.
Tout sera acomply,
Chacun de Dieu remply,
Quand viendra la bonne heure
Qu'il sera tout en tous;
Et l'Espouse et l'Espoux
En un feront demeure.
Ce tresgrand bien sentons
Dont sans cesser chantons
Saint, Saint, Dieu de victoire;
A toy soit tout honneur,
0 libéral donneur,
Toute louenge et gloire.
DES INNOCENTS. l8j
Chantons Noël, Noël,
Pour le salut nouvel,
Qu'un chacun le recorde,
Qu'à nous Innocents fait
Le Seigneur tout parfait
Par sa miséricorde.
COMEDIE
DU DESERT.
Joseph commence.
e tous costezj'ay mis peine de voir
S'il y a lieu où me sceusse pourvoir
■De ce qui est nécessaire à la vie :
>Car de servir veux faire mon devoir
Mère et Enfant : pour lesquelz fault avoir
Les biens à quoy Nature nous convie.
Du superflu nous n'avons nulle envie,
Nous ne voulons que vivre seulement;
Car nostre Ame est en Dieu sy fort ravie,
Qu'en luy tous biens avons abondamment.
Mais ce corps mortel
Pour un temps est tel
Que nourrir le fault,
DU DESERT. l8j
Pour porter en luy
(Dont il est l'estuy)
L'esprit de là hault.
Le corps fault nourrir,
Non laisser périr,
Puis que Dieu l'a fait ;
Jusqu'au jour dernier
Que du grand Ouvrier
Il sera défait.
C'est l'Asne ou la beste
Duquel faisant feste
Dit : J'en ay affaire.
Garder nous fault tous
Le corps, non pour nous;
Mais pour luy complaire.
Beuvant ou mangeant,
Dormant ou songeant,
Fault que la mémoire
Ayons du Seigneur,
Rendans au donneur
De ses biens la gloire.
Dedens nous il œuvre
Et de nous se cœuvre
Devant l'infidèle,
Qui par le dehors
Ne voit que le corps.
Forme layde ou belle.
24
l86 DU DESERT.
Le bien prend de l'homme,
Et le mal, en somme,
Regardant la chair,
Qui luy donne peine
Ou joye incertaine,
Qu'il ne peult lascher.
Mais si l'œil ouvert
De chair descouvert
Estoit par la Foy,
Un esprit croiroit
Que par Foy verroit
En autre et en soy.
La Vie cachée
Soubz la Chair tachée
Verroit sy puissante,
Qu'ostant sa laydure,
Lavant son ordure,
La rend innocente.
Penser et vouloir,
Désirer, povoir,
Vient de ceste Vie :
C'est nostre pasture,
Sans qui la nature
N'est point assouvie.
Et voila pourquoy
Je suis en esmoy
De vivres cercher,
DU DESERT. i 87
Qui nous font besoing,
Puis que j'ay le soin g
D'un trésor sy cher.
0 Dieu qui tout peult
Et fait ce qu'il veult,
Plaise toy m 'entendre ;
Viens nous secourir,
A fin de nourrir
Mère et Enfant tendre.
Je laisse l'Espouse,
Laquelle repouse
Avec le Petit;
Et je vois cercher
Dont puisse estancher
Soif et appétit.
Dieu.
Ma charité en moymesmes s'esmeult,
Et moy qui veux faire ce qu'elle veult,
En rempliray le Ciel et Terre et Mer :
Par elle sus bon et mauvais il pleut.
Et soleil luit; dont souvent tel s'en deult,
Qui m'en devroit louer et estimer.
Par elle metz la douceur en l'amer
A qui le sçait bien choisir et eslire :
\Parfaite Amour ne sçait sinon aymer,
Et rien qu'amour ne peult chanter ne dire.
150 DU DESERT.
Je ne suis pas seulement amoureux,
Mais suis l'Amour, par qui le haultdes Cieux
S'est abbaissé jusques au profond centre :
J'ayme m'amye; et, pour le dire mieux,
Je m'ayme en elle, et me voy en ses yeux :
Car 'fay porté mon Filz dedcns son ventre.
Par elle sorts, sans en bouger, et entre :
La porte elle est close et fermée à tous,
Fors à moy seul, qui en ressorts et entre
Comme il me plaist, car je suis son Espoux.
La Montaigne est, de laquelle est couppée
Sans main d'ouvrier, ferrement, ny espée,
Ceste grand Pierre, où gist ma congnoissance,
Qui par amour de son lieu eschapèe,
Venant en bas, a la terre frappée,
La reprenant d'erreur et d'ignorance :
Laquelle est creuéren sy grande puissance
Qu'elle a passé tous les monts en hauteur.
C'est ce Mont gras où fay pris ma plaisance,
Et duquel suis et Père et amateur.
C'est ma Colombe et douce Tourterelle,
\ C'est ma parfaite amye toute belle,
Qui n'ha en soy ny tache ny macule.
C'est mon chef d'œuvre; et si l'ay faite telle
Qu'il ny aura créature mortelle
Qui soit pareille : car à nul, ny à nulle,
Je n'ay voulu depeschcr ceste bulle
DU DESERT. '$9
D'exemption de tout vice et péché.
De mon seul Fih {où tous biens j'accumule)
Vraye Mère est, rien ne luy ay caché.
En ce désert dormant je la regarde,
Et Mère et Filz par ce regard je garde,
Jusques au temps de moy preor donné.
Le vent et l'air de leur nuyre n'ont garde,
Beste et Serpent je tiens; nul ne s'hazarde
De leur toucher; car je leur ay donné
Mon saufconduit, sy tresbien ordonné
Que mal n'auront en tout leur long exil;
Car jamais n'est du Père abandonné
Le vray Enfant, quel que soit le péril.
En ce Désert, où Hz seront long temps,
Donner je veux plus plaisant passctemps
Qu'elle n'auroit en Ville ny Cité,
A ceste dame, à laquelle pretens
Faire tel bien que sur tous les contents
Esprits le sien sera pour vérité.
Or, pour servir à sa nécessité,
Pars fen bien tost. Contemplation sage,
Ce Livre soit par toy bien recité,
Dont gloire auray de ton heureux message.
Contemplation.
Seigneur, je prens de ta main ce grand Livre,
190 DU DESERT.
Par qui pourra t'amye en joye vivre,
Le regardant en ce désert estrange.
\ Elle qui est de parfaite amour yvre
Se sentira de tout ennuy délivre,
Et ne fera que chanter ta louenge;
A la servir tresvolontiers me renge
Parle pour moy, Seigneur, et ta douceur
Resjouyra V esprit plus cler qu'un Ange
De ton espouse, Amye, fille et sœur.
Dieu.
// appartient à m'amye d'avoir
Plusieurs servans. Or fais donc ton devoir
De la servyr; et pars, dame Mémoire;
Ce Livre vieux luy feras au long voir,
Où mon vouloir se peult du tout sçavoir.
Monstre luy tout, sans cacher nulle histoire;
Je luy feray apparent et notoire
L'esprit caché dedens la lettre morte
Par mon Esprit, qui par Foy la fait croire,
Et fort aymer celuy qui la conforte.
Mémoire.
Puis qu'il te plaist, ô Dieu seul sur tous Dieux,
Porter luy vois ce Livre antique et vieux,
Qu'elle pourra lire à son beau loisir.
Et son Esprit, qui habite aux saintz deux
DU DESERT. 191
Avecques toy en ce délicieux
Livre prendra un souverain plaisir.
Elle sçaura du fiel le miel choisir :
Car ce secret mieux que nul autre entend $
En l'entendant satisfait son désir,
Qui rend son cœur, esprit, et corps content.
Dieu.
Or sus, après, va, Consolation :
Car, quand Mémoire et Contemplation
Luy auront fait bien au long voir leur rolle,
Ce petit Livre ouvert d'affection,
Remply d'amour et de dilection,
Luy feras voir comme un Maistre d'eschole;
En luy monstrant ceste vive Parole,
Ce Don promis, ce grand Emmanuel,
Mon Verbe en chair, qu'Amour unist et colle,
Elle en aura plaisir continuel.
Consolation.
Légèrement j'ay désir de voler
Pour au Désert vers ceste Dame aller,
La consolant par ce Livre tant beau,
Dedens lequel elle foyra parler ;
Qui luy viendras tes secretz révéler,
Et ton vouloir, et Testament nouveau,
192 DU DESERT.
La Vie et Mort y verra de F Agneau
(Qui est vers toy l'Hostie pacifique)
Mettant à rien le Mouton et le Veau,
Parquoy son cœur chantera maint Cantique.
Dieu.
Anges, allez en ce Désert desîruit;
Resjouyssez par harmonieux bruit
Mère et Enfant; commandez de par moy,
Aux arbres secz de leur donner du fruit,
Et qu'un chacun ruisseau soit bien instruit
D'offrir leur eaue à leur Seigneur et Roy,
Tant qu'en ce lieu plein de tout desarroy,
Où rien n'y a, soit tout en abondance;
Car où je veux toucher du bout du doigt,
Mon grand povoir se voit en évidence.
Les Anges chantans.
Puis qu'il te plaist, Seigneur Dieu,
Allons faire révérence
En ce povre et désert lieu,
Où de bien n'a apparence.
A ton F Hz le tresaymé,
"^ Et à ta parfaite Amye,
D'un grand désir enflammé
De servir ne faudrons mye.
DU DESERT. 19J
Des arbres leur porterons
Fruits pleins de saveur exquise ;
Des fleurs les consolerons,
Et de l'eaue douce et requise.
Mais de tout soit gloire à toy
En ciel et terre donnée,
Qui grâce par ton filz Roy
As à tous abandonnée.
Marie.
Dieu éternel, mon Père et mon Espoux,
A mon resveil je t'adore à genoux,
Comme la Vie et l'Estre de nous tous,
Tel je te tiens.
En te rendant grâces de tous tes biens,
Te merciant de ce que moy ton Riens
As regardée,
Du doux regard, par qui je suis gardée,
Sans que pour rien j'en soye retardée,
En repos tel
Qu'il ne se peult gouster de cœur mortel.
0 Dieu, qui es immuable, immortel,
En toy je vys,
En toy je dors; car en toy sont ravys
Tous mes esprits : or fais à ton devis
De moy ta serve.
Fais que ton Filz à ton vouloir je serve,
II 25
194 DU DESERT.
Et que la Loy parfaitement j'observe
En la servant.
En luy te voy tout puissant, tout sçavant,
Par cest esprit et tresgracieux vent,
Qui souffle en moy,
Me faisant voir ton Filt né soubz la Loy,
Dedens lequel je congnois par la Foy
Divinité,
Soubz le manteau de ceste humanité;
En laquelle ha par son humilité
Entrepris faire
Toute la Loy, l'accomplir et parfaire.
Toy qui n'avois de nous tous rien à faire,
Par ton amour
Veux que ton Filz nous face un sy bon tour,
Que tous humains lui devront de retour.
Car jamais rendre
Nul ne pourra ce qu'il veult entreprendre,
Ny le travail que pour nous il veult prendre,
Ny grand mercy
Dire, qui soit suffisant sans nul Si,
Ny le louer comme l'on doit aussi.
Parquoy debteurs
Tous luy seront, et serfz, et serviteurs;
Tant obligez que, s' Hz ne sont menteurs,
Confesseront
Que rachetez par sa bonté seront.
DU DESERT. 19J
// est leur prix, dont ne se passeront
Ny jour ny heure.
Et ce grand prix en ce Désert demeure,
Comme un enfant qui souvent plaint et pleure,
Quasi laissé
De toy. Seigneur, qui l'as tant abbaissé.
Et quant à moy, je n'ay jamais cessé
De le servir,
Pour ton vouloir, tant que j'ay pu suyvir :
Mais si je peux trouver et desservir
Grâce en tes yeux,
Je te requiers nous donner un peu mieux
Que Vœil ne peult espérer en ces lieux
Inhabitables.
Que chaud et froid nous soyent raisonnables,
Que faim ne soif ne soyent importables ;
Et que puissions
Vivre en repos par rochers et buissons,
Où séparez ne soyons des doux sons
Spirituelz,
Et de tes dons en nous continuelz ;
Non des grans biens que reçoit annuelz
Ta créature,
Mais de ton pain et céleste pasture ;
De la vive eau, qui fait de la closture
Du monde bas
Sallir à toy source de tout soûlas :
196 DU DESERT.
Car mon cœur n'est jamais remis ne las
De f embrasser,
Mon dieu, mon Tout, dont ne me peux passer,
Car en toy sents et mon Estre et ma Vie,
Et tant d'amour qu'elle peult effacer
Tourment et mort: car en toy suis ravie.
Les Anges chantans.
A toy, Dame, venons rendre
Louenge, gloire, et honneur,
Adorans ton Enfant tendre,
Noslre Roy, Maistre et Seigneur ;
Car de Dieu la grand' Lumière
Comme à travers la verrière
Voyons en luy et en toy,
Non seulement par la Foy;
Car nous sçavons que Dieu
Est en vous en ce lieu.
Dieu vray Père nous envoyé,
A fin qu'en ce grand désert
Te suyvons par toute voye;
Dont un chacun de nous sert
Voluntiers à toy, ma Dame,
Sur toutes l'heureuse femme ;
L'amye du Dieu éî'enhault,
Demande ce qu'il te fault,
DU DESERT. «97
Car nous f obéirons,
Et en tous lieux irons.
Ces lieux déserts et estranges
Pour ta consolation
Nous remplirons de louenges
Et de jubilation;
Tant que la terre déserte
Sera remplie et couverte
De tout bien et tout plaisir,
Desquelz tu pourras choisir,
Plus que ne feut jadis
D'Adam le paradis.
Marie.
Loué soit Dieu qui pourvoit son Enfant
De ce qu'il fault, à sa nécessité;
Et qui par vous de tous maux le défend,
Tant qu'il ne peult sentir adversité.
Ce grand désert trop mieux qu'une cité
Je voy remply de toute joye et bien;
0 Dieu, dessoubz ceste diversité,
Qui t'y peult voir, il n'hafaulte de rien.
Anges, allez, cerchez et bas et hault
Ce que Dieu sçait qui nous est nécessaire,
Apportez nous sans plus ce qu'il nous fault,
Car nous n'avons du superflu affaire ;
198 DU DESERT.
Mais en allant vostre chant ntjau.lt taire ,
Faisant par tout ce désert retentir,
A terre, et bois, et rochers, il fault faire
De nostre Dieu la louenge sentir.
Les Anges chantans.
Chantons trestous par rochers et par bois
Gloire et honneur à nostre Créateur;
Tant que nul lieu n'ignore nostre voix;
Menions Dieu, qui nostre Rédempteur
Met tus terre ;
Qui la guerre
Bien tost finera :
A malice,
A tout vice,
La mort donnera.
Le Premier Ange.
Tous Arbres secz, ne soyez plus stériles,
Le Créateur veult que soyez fertiles,
Donnans voz fruitz de tresbonne saveur.
Le Second Ange.
Apparoissez dens ce Désert sans umbre,
Vous belles fleurs odorantes sans nombre,
Pour aujourd'huy recevoir grand' faveur.
DU DESERT. 199
Le Tiers Ange.
Courez, Ruisseaux, près de la vierge mère;
Présentez luy eaue douce, non amere;
Honneur aurez quand de vous en prendra.
Le Quart Ange .
0 Miel tresdoux de la subtile mouche,
Viens toy monstrer pour consoler la bouche
Porte du Ciel dont chacun apprendra.
Le V. Ange.
Serpens, Dragons et Bestes venimeuses,
Eslongnez vous, et soyez gracieuses,
Sans faire mal à Mère ny Enfant.
Le VI. Ange.
Tygres, Lyons et furieuses bestes,
Baissez icy voz forces et voz testes,
Car résister contre eux Dieu vous défend.
Contemplation.
Mère du Filz où gist nostre espérance,
Humble salut, honneur et révérence
Te présentons , te donnant asseurance,
Que la bonté
\ Du Souverain l'a par Amour domté,
200 DU DESERT.
Comme par moy il te sera compté :
Tant que l'amour
Qu'il lia à toy ne fait aucun séjour,
Mais ha tous jour s soing de toy nuict et jour :
Parquoy m' envoyé
A celle fin qu'avecques toy je soye.
Et que par moy ce beau grand Livre voye,
C'est de Nature,
Ou tu verras bien au vif en painture
Ciel, Terre et Mer, et ce qui nourriture
Prend dedens eux.
0 Vierge et Mère, icy bien voir tu peux
Jusqu'à un poil ou à l'un des cheveux
Des Créatures.
Icy peux voir des Bestes les figures
Et des Oyseaux les plaisantes vestures,
Arbres, fruitz, fleurs,
De mille goustz, de cent mille couleurs,
De tous Poissons les verîuz et valeurs.
Bref tout en somme
Peux voir que tout cecy est fait pour l'homme ;
L'homme, pour Dieu. Or donc regarde comme
Tout va par ordre ;
Voire sy bien qu'il n'y a que remordre.
Et sy péché ne fust venu retordre
Le fil de Mort,
L'homme eust esté à jamais sage et fort;
DU DESERT. 201
Le Monde beau sans dueil ny desconfort ;
Oyseaux et Bestes
Sans nul venin fussent douces, honnestes,
Et à servir rhomme à toute heure prestes.
Regarde, Dame,
Combien puissant est ce Roy là qui famé,
Et qui te veult consoler corps et Ame.
Resjouy toy
En regardant les œuvres de ton Roy,
Espoux et Père, et comme en bel arroy
A ordonné
Ce Monde bas, lequel il a donné
A son seul Filz qu'il a abandonné
A ton bon soing.
Tu Faymes tant qu'il n'est point de besoing
Ramentevoir ce qui n'est de toy loing.
Sa Deïté
Demeure en toy; et son humanité
Entre tes bras joyeusement tu porte
En le servant par grande humilité,
Et luy ton cœur et ton corps reconforte.
Marie.
0 Dieu, qui es l'Estre de toute chose,
Ta Deïté, aux yeux des mortelz close,
Voy dens les fleurs, dens le Hz, dens la rose,
Par son povoir
ii 26
202 DU DESERT.
Croistre, germer, et puis se faire voir
Herbe, et puis fleur, et graine, pour pourvoir
A r advenir.
Tu fais en hault le grand Cèdre tenir.
L'arbuste en bas humblement contenir ;
Le fruit meurit
Par ta vertu, qui ainsi le nourrit,
Puis tombe à bas en son temps, et pourrit.
Et son tombeau,
En terre prend, dont revient un nouveau
Du grain pourry et mort, tout aussi beau
Que le premier.
Poirier n'y a, ny guynier, ni pommier,
Qui tous les ans ne chargent un sommier
De ton ouvrage.
Tu es l'ouvrier de ce grand labourage,
La vie aussi de tout arbre et fruitage,
L'Estre et mouvoir
De tout ce que l'œil peut appercevoir,
Soit verd ou blanc, incarnat, bleu ou noir.
En terre et Mer
L'on ne doit voir que toy, ny estimer :
Tu fais fueillir, et fleurir, et germer
Et champs et bois,
En tous lesquelz rien que toy ne congnois.
En eux te voy, en eux j'entens la voix
De ta puissance,
DU DESERT. 203
Criant bien hault pour donner congnoissance
Qu'il n'y a rien créé en ton absence.
Car tout en tous
Es et demeure. Et combien que les foulz,
Qui d'ignorance et ténèbres sont saoulz,
Ne voyent rien
Que le dehors en ce corps terrien,
Qui de leurs cœurs est un sy doux lien,
Qu'ilz sont happez
Avant sçavoir de quel fer sont frappez :
Ceux qui en sont par ta grâce eschappez
Peuvent bien dire
Que tu les as tirez d'un grand martyre,
Dedens lequel n'ont eu cause de rire;
Car tout plaisir,
Richesse, honneur, engendrent un désir
Plein de tourment, et n'y peult l'on choisir
Aucun remide.
Et qui les tient, de les perdre est timide,
Et si n'y peult Raison tenir la bride,
Qu'à droit ou tort,
L'on en désire encore avoir plus fort.
Et qui les perd, c'est douleur à la mort;
Car l'esprit n'est
Pour s'arrester, en tout ce qui parest,
Tousjours cerchant, de cercher est plus prest
Un souverain
204 DU DESERT.
Bien et plaisir; mais il labeur e en vain,
S'il ne te plaist de ta tresdouce main
Luy descouvrir
Ce grand secret, et le dedens ouvrir,
En te monstrant à luy sans te couvrir
De ta facture,
Que souvent prens pour masque et couverture.
Lors, quand il voit que soubz ceste Nature,
A l'œil visible
Ta vertu gist, qui le mort insensible
Fait vivre et meult (car tout luy est possible),
Il laisse à part
L'extérieur et tourne son regard
En toy, qui es son héritage et part,
Par l'œil de Foy :
Et tout en tous ne voy rien, sinon toy,
En oubly met et tout le monde et soy.
En cest oubly
Se perd en toy, là il est anobly;
Car son Adam est mort et affoibly.
En toy seul vit,
Ainsi qu'ont fait Abraam et David,
Car chacun d'eux ta parole suyvit.
0 mon doux Père,
Qui, tout en tous, tant de vertuz opère,
Déclare toy, afin qu'à tous appere
Ta bonté grande;
DU DESERT. 20$
Ouvre les yeux au peuple, et qu'il s'amende.
Helas ! Seigneur, je te les recommande :
Car sy chacun
En tout ce corps grand, visible et commun
Ne voyoit rien sinon toy seul Dieu un,
Tes faitz, tes ditz,
Estre tout un comme ilz furent jadis,
Ce Monde icy seroit un Paradis.
L'on te louer oit
En ton ouvrage, auquel chacun verroit
Toy seul Vivant, et ta Parole oyroit,
Qui par toy œuvre
Parle bien hault, et ton vouloir descœuvre
Par ta bonté, qui les perdus recœuvre.
Toy qui as fait
Et terre et ciel, et as l'homme refait,
Lequel péché a de toy séparé,
Je te requiers rendre le tout parfait,
Puis que leur mal Amour a reparé.
Mémoire.
0 Dame eslue avant que fust le Monde
Constitué, sans péché, pure et munde,
Faire te viens révérence et honneur,
Et saluer par ton Dieu, Roy et Père,
Qui le salut dedens ton filz opère,
Duquel par toy il veut estre donneur
206 DU DESERT.
Au peuple Eslu, qui tant l'a attendu,
Mais maintenant par toy luy est rendu,
Dont l'on te doit aymer et estimer.
A toy m'envoye, ô vierge toute belle,
Le Toutpuissant, par lequel tu es telle,
Et monstre bien comme il luy plaist t' 'aymer :
Car pour garder que ce lieu ne te fascke,
A fin que mieux sa grand vertu tu sache,
Ce Livre vieux t' envoyé, où voir pourras
Le povre Adam en sa création
Tant sage et beau, plus de perfection,
Que tresheureux quasi tu le croiras.
L'auctorité que le Dieu de Nature
Luy a donné sur toute Créature,
Et que, plus est, exempté de mourir;
Rien ignorant, sinon Péché et mal;
Donnant les noms à chacun animal
Qu'en terre et ciel peult voler et courir.
Mais tout soudain, par trop aymer sa femme,
Sa chair, son sang, feut charnelle son ame,
Oubliant Dieu et sa sainte Parole,
Pour donner foy et lieu à la mensonge.
Voyez comment la pomme mord et ronge,
Que lui bailla ceste première folle,
Qui desiroit et bien et mal sçavoir
Ainsi que Dieu, qui tous nudz les feit voir,
Couvrant chacun d'une fueille sa honte;
DU DESERT. 207
Plus s'excusans sur autruy que sur soy,
Furent vaincus, et mis en grand esmoy
Par ceste voix à qui fault rendre compte.
Mais sy fragile en feut la couverture,
Que Dieu leur feit de peaux une vesture,
En les monstrant telz qu'une morte beste.
Et en lieu d'estre par eux à Dieu semblable,
Furent plus sotz que beste irraisonnable :
Voila le bien que Sçavoir leur acqueste.
L'homme eslevè en un honneur sy grand,
Qui de la main de Dieu l'honneur ne prend,
Mais par soymesme cuyde estre quelque chose,
En ignorant dont ce grand bien luy vient,
Est comparé et semblable on le tient
Aux animaux qui ont la bouche close.
Icy voyez Adam par son péché
Du paradis terrestre dechassé,
Sa femme aussi hors de toute liesse.
Mais la bonté, qui ne se peult nyer,
Du tout ne veult les excommunier ;
Mais leur donna de leur salut promesse
Par ta semence, ô Vierge bien heureuse,
Par qui seroit la teste dangereuse
Du serpent vieux et rompue et brisée.
C'est par ce Filz lequel de toy est né,
Par cest Enfant de Dieu à tous donné,
Par qui tu es de tous vivans prisée.
208 DU DESERT.
Et puis après, voy Noë le bon homme
Dans V arche mis; puis quand il saillit, comme
Dieu dit, monstrant l'arc remply de soûlas :
Cest arc icy sera pour ton refuge,
Et signe au Ciel que jamais par déluge
D'eau ne feray périr ce monde bas.
Ton F Hz est l'arc plein de miséricorde,
Dont les pécheurs ont en leurs mains la corde,
Pour en tirer à Dieu humbles requestes :
Voy par cest arc confédération,
Paix, amitié, seure dilection,
De Dieu avons tant grandes et honnestes.
VoyAbraam, qui offrit Isaac,
Auquel son Dieu renouvelle ce pact.
En luy monstrant le nombre des estoilles,
Luy dit : En un venant de ta semence
Je monstreray ma tresgrande clémence,
Et toutes gens beniray soubs ses œsles.
Puis Israël autant en a receu :
A Dieu ont creu, dont nully n'est deceu.
Après il fault qu'en l'histoire tu entre
Du bon David, auquel il fut promis
Que sur son siège à jamais seroit mis
Le fruit promis de son tresroyal ventre.
Fais tout au long de ce livre lecture,
Regarde bien ceste Vieille Escriture,
Et tu verras que la fin de la Loy
DU DESERT. 209
C'est christ ton Filz, c'est le promis Messie :
La fin, le but de toute prophétie,
Qui acomplit la Loy par vive Foy.
Après avoir par moy qui suis Mémoire
Bien ruminé une chascune histoire,
Qui de ton Filz son tresseur tesmoignage,
Prens de David ton père le Psaultier,
Pour le chanter à Dieu d'un cœur entier,
Resjouyssant ton Ame et ton courage.
Quant est de moy, je te monstre la Lettre,
Mais cest Esprit qu'il plaistau Seigneur mettre
En toy, qui es de luy toute remplie,
T'en fera voir le sens, sans rien omettre ;
Lis à loisir le tout, je fen supplie.
Marie.
Loué soit Dieu qui t'a donnée à moy,
Par qui ses faitz tresantiques je voy,
Qui monstrent bien sa puissance indicible.
-*vO la bonté du seul Bon pour tous Bons,
Qui a tousjours distribué ses dons .
A ses Esluz! 0 Dieu, est il possible
De te louer assez suffisamment ;
Et contempler ce beau commencement,
Où toy puissant et sage Créateur
De l'Air, remply d'oyseaux de mainte sorte,
De Terre aussi, qui maint animal porte,
ii 27
210 DU DESERT.
Et de la Mer te monstre le facteur ?
Ta grand' grandeur ton ouvrage demonstre,
Ta sapience en tous lieux l'on rencontre,
Car d'Eléphant jusques à la formis
Tu es la Vie, comme de tous, et l'Estre,
Leur Créateur, conservateur et maistre;
Mais tout cecy as fait pour tes amis.
0 povre Adam, par faulte de bien croire.
Te présenta ta femme ou pomme ou poire,
Fruit de science où mort estoit cachée :
Tu en mangeas, ton honneur ignorant,
Qui en ce monde estois seul imperant :
Lors feut ton Ame en ce péché tachée.
0 bienheureux péché, heureuse offense,
Qui mérita si digne recompense,
Que Dieu son Filz pour du tout l'effacer
Nous a donné! 0 Filz, ô tresgrand prix,
Que le péché d'Adam sur toy as pris,
Tu fen povois, s'il t'eust pieu, bien passer.
0 forte amour, ô semence promise,
Par qui sera à riens la teste mise
Du grand serpent qui les mondains regist,
Las! je te voy, bien que soyes couverte.
En mon Enfant, qui dessus l'herbe verte
Bien povrement ainsi qu'un pécheur gist.
C'est l'arc qui est pour la paix mis au Ciel,
Convertissant en douceur l'amer fiel
DU DESERT. 2 I
De la justice et de Vire de Dieu.
Helas ! Pécheurs, de cest arc donc tirez
Et par luy seul ceste grâce attirez;
De l'Eternel apprenez tous ce jeu.
Son corps est l'arche qui voz maux ostera,
Qui sur les Eaues sy bien vous portera
Que vous n'aurez de vous submerger peur.
C'est le Coulom portant la branche verte,
Monstrant qu'amour la terre a descouverte
A tous Esluz qui croiront de bon cœur.
C'est de la Foy d'Abraam la puissance,
C'est d'Isaac la grande obéissance,
Qui prend la mort pour autruy volontiers.
C'est des Esluz la bonne volonté,
C'est leur amour, espoir, sens et bonté.
C'est luy qui fait en eux tous ces mestiers,
Qui entend bien de l'Esprit l'harmonie
Aller te voir soubs la cérémonie,
Oblation mettant toute autre à fin.
C'est toy qui es Melchisedec le prestre,
Duquel n'a peu la race bien congnoistre
Homme vivant, tant soit il sage ou fin.
Par cest Enfant, Sacrifice nouveau,
L'oblation du Mouton et du Veau
Ne sont plus rien , puis que de leur figure
La vérité nous est sy bien monstrée
Que l'en voit bien la figure acoustrée
DU DESERT.
N'estre rien qu'umbre à la vérité pure.
0 Roy David, de plaisir suis ravie
En contemplant ta Chrestienne vie,
Car le vray Christ plus que nulrepresente :
Tu es de Dieu le christ et le vray Oingt,
L'homme selon son cœur, qui as le poinct
Gaigné d'avoir mis en Dieu ta pretente.
Qui penseroit que ce fust pour mon Filz
Ce grand serment, ô Seigneur, que tu feis,
Que tu ferois du ventre de ce Roy
Saillir un Filz qui son siège tiendroit,
Le voyant nud et povre en tout endroit,
Couché sur i herbe en piteux desarroy?
Qui donneroit à cest Enfant la gloire
D'estre de toy la force et -la victoire,
Et le fort bras contre tes ennemis?
Qui le prendroit pour le grand Josué,
Pour Gedeon, qui en a maint tué,
En le voyant foible et à terre mis?
Quijugeroit, ô Père et Créateur,
Que cest Enfant fust le Législateur
Qui à ton peuple a déclaré la Loy,
Le grand Moïse et serviteur fidèle,
Qui estoit plein de Foy, d'amour et zèle!1
Nul, s'il n'estoit bien inspiré de toy.
Tel que tu feus, Seigneur, tout tel tu es
Et tel seras, sans fin à tout jamais :
DU DESERT. 2 I 5
Tresgracieux et doux à tes fidèles,
Tresru.de et dur et juste à tous meschans,
Qui sont tousjours par malice pechans ;
Sans espérer soubz l'umbre de tes asles,
Par ton esprit, qui tous les bons cœurs touche,
Donne vouloir et parler à la bouche :
Dont ont chanté hautement les Prophètes.
Par toy nous ont fait de grandes promesses
Que par ton Filz aurons de tes largesses
Le fruit entier de tes grâces parfaites.
La gloire en soit à toy qui à délivre
La Lettre et Sens me fais voir de ce Livre
Où soubz la Loi la Grâce peux choisir :
En le lisant, je trouve tel plaisir
Que d'autre pain, fors cestuy, ne peux vivre.
Consolation.
Or magnifie, Vierge sur toute eslu'é,
De ton esprit, ame, cœur et puissance,
Le vray Espoux qui par moy te salue,
En te voulant donner resjouissance.
Porté luy as sy grande obéissance
Qu'en ce Désert, où il te fait fuyr,
Te veult donner de ses biens abondance.
Voy ce Livre ouvert,
Qui tant f eut couvert,
DU DESERT.
Et par sept fermans
Sy tresfort seelé
Qu'il estoit celé
A tous vrays amans.
Mais l'occis Agneau,
Adam le nouveau,
Par son doux effort
En feit l'ouverture.
Or y prens pasture
Pour ton reconfort.
0 Vierge, c'est le doux Livre de grâce,
Que Dieu par moy rend ouvert en tes mains;
Tu ne seras jamais d'y lire lasse,
Recongnoissant la peau du Saint des Saints
Dont il est fait, pour à tous les humains
Monstrer à cler l'amitié que leur porte :
Tu y verras tout son secret (au moins
Ce qu'il luy plaist que l'esprit en rapporte.)
La peau délicate
Charité dilate
Comme un parchemin;
Et du doigt d'enhault
Escrit ce qu'il fault
Faire en ce chemin.
Ce Livre est sy ample
Qu'il suffist d'exemple
A tous ses Esluz.
DU DESERT.
// est fol parfait
Qui compte n'en fait,
Et qui en veult plus.
Que sçauroit plus l'homme avoir d'avantage
De tout le bien qui se peult désirer,
Quand il ha Christ pour son vray héritage,
Qui tout en luy l'a voulu retirer ?
S'il est en Christ, plus ne doit souspirer;
Car Christ en Dieu sans fin le fera vivre.
Sans que nully l'en puisse retirer,
S'il est escrit en ce bienheureux Livre.
C'est la seure addresse
De ceste promesse
Tant réitérée,
Que Dieu en justice
Tourneroit malice
Trop invétérée.
Sur soy le péché
Sera sy caché,
Porté et défait,
Que Dieu le tiendra,
Un jour que viendra,
Pour bien satisfait.
Las ! ce sera la piteuse journée
Que le payeur n'espargnera son sang,
Et que verras ta joye retournée
En grand douleur, voyant sur le dur banc
2IO DU DESERT.
D'une grand Croix l'Agneau tant pur et blanc,
Pour tous les siens justement satisfaire,
Car pour tirer ses Esluz à son reng
D'éternité, ne lairra rien à faire.
En luy la Mort, morte
(Qui estoit sy forte)
Pour jamais sera :
Car le cuydant prendre,
Luy sans se défendre
Son chef cassera.
Le Péché aussi
Vilain et noircy
Sera effacé;
Enfer par ce Christ
Sera tout prescrit,
Brisé et cassé.
Mais Adam, mis à mort par Passion
Telle qu'il fault pour son forfait esteindre,
Retournera par Résurrection,
Pour bien heureux le hault du Ciel atteindre.
Celuy qui s'est voulu faire le moindre,
Jusqu'au plus bas de l'enfer descendant,
Sera mis hault, où nul ne peut aveindre,
S'il n'est passé par ce feu tresardent.
Mais sa Créature
De vile nature
Qui reçoitpar Foy
DU DESERT. 2 17
L'Agneau, et se colle
A luy, et s'en voile
Du tout hors de soy,
Elle n'est plus elle :
Mais par Foy et zèle
Est F Hz du Treshault.
Son nom elle perd,
Dont celuy appert
De Dieu qui mieux vault.
Or contemplez, ma tresheureuse Dame,
Quel bien, quel heur et quel contentement
Peult recevoir et ressentir ceste ame ;
Ame non plus, mais esprit seulement,
Esprit remply de divin mouvement.
Qui plus se perd en luy, plus se retreuve
Estre en son Dieu, toy seule sçais comment
Cecy se fait, tu en as fait l'espreuve.
Or resjouis toi,
Toy qui as par Foy
La grâce trouvée
Que Eve avoit perdue,
Pour s' estre rendue
A voix reprouvée.
Chante dens ton cœur
Pour l'Agneau vainqueur
D'enfer et de Mort ;
Dieu à toy m' envoyé,
m 28
2l8 DU DESERT.
Lequel est ta joye,
Plaisir et confort.
Marie.
Je ne puis pas sans admiration
Ce Livre voir sy plein de charité.
Je voy de Dieu l'amour, l'affection,
Envers celuy qui avoit mérité
Que Dieu à luyfust tousjours irrité.
Je voy ce Dieu, qui par bonté immense,
Donne au menteur son Filz, sa Vérité;
Voire et fait chair son Verbe et sa semence.
0 bonté trop grande,
Qui la Loy commande
Impossible à faire;
Puis tu metz pour l'homme
Ton F/7z, qui la somme
Prend à satisfaire.
Amour vainc aux deux
De Dieu les doux yeux
Pour nous regarder;
Et le cœur enflame
Du Filz, qui son ame
Met pour nous garder.
Mais quand le Filz est bien glorifié,
Ayant en nous Dieu tout seul fait congnoistre,
Et nostre Adam du tout mortifié,
DU DESERT. 219
Son saint Esprit donne et fait apparoistre,
Et que Dieu est en nous la Vie et l'Estre.
Ceste union est la béatitude
Du vray croyant : ô Dieu, mon Père et Maistre,
Et que voicy une plaisante estude !
Ce Livre de grâce
Tous les autres passe
Pour plaisir donner :
Pleurer tourne en rire,
Parquoy le veux lire
Sans l'abandonner.
Par dilection
En l'Election
De Dieu je me voy;
De tous temps preveue
Aymée et Esleue
Me gardant en soy.
Puis quand le temps vint en sa plénitude
Lequel feut tant des Pères attendu,
lime choisit d'entre la multitude
A un honneur de moy non prétendu :
Car nonobstant que bien j'eusse entendu
Que son Feilz Christ devoit naistre de Vierge,
Je n'estimois un tel bien m'estre deu
D'estre d'un tel thresor humble concierge.
Je m'estimois rien,
Vuyde de tout bien,
220 DU DESERT.
Et moins m'estimoye
Que povre vermine,
Ou morte racine;
Mais Dieu seul j'aymoye,
Lequel m'a trouvée
Bas, mais eslevée
Hault par si doux piège,
Que Mère honnorée
M'a fait, décorée
Sur son dextre siège.
Ce bien est mien avant que fustle Monde
Fait ny formé; car Amour par luy seul
De tout péché me feit exempte et munde.
Puis me feit naistre en ce val plein de dueil,
Et me donna un regard de son œil
Sy amoureux qu'il me feit amoureuse ;
Dont toutes gens voyans ce doux acueil,
Me chanteront et diront bien heureuse.
Seigneur, quel mérite
Avoit ta petite
Servante peu faire
Pour estre estrenéc
Avant qu' estre née
Du bien qui doit plaire ?
Mon affection
Mon Election
N'avoit pas esmue ;
DU DESERT. 221
Seigneur, ta bonté
T'a pour moy domté,
Parquoy m'as esleue.
0 quel honneur d'amitié paternelle !
Quelle faveur faite à ta chambrière !
Non à moy seule, ja ne fault que le celé
{Bien que je suis des Esluz la première),
Mais à tous ceux qui dessoubz ma bannière
Par vive Foy suyvront l'occis Agneau.
Venez, Pécheurs, sans regarder derrière,
Ne doutez point de mon céleste appeau.
Qui croit comme moy
Par tresvive Foy,
Mère est du Sauveur;
En son cœur l'engendre,
Mais qu'il puisse entendre
Sa grande faveur.
Foy fait recevoir,
Prendre et concevoir
Oyant Dieu parler.
Son enfant trescher
Son verbe fait Chair,
Qu'il ne fault celer.
Puis que par Foy j'ay receu en largesse,
Sans que de moy vinst la cause ou raison,
Le Filz de Dieu, l'attendue promesse
Que Gedeon congnut en la toison ;
222 DU DESERT.
Priez sans cesse en dévote oraison
Ce Père Dieu, vous Pécheurs condemnez;
Que Foy bruslant par amoureux tison
Mette en voz cœurs, pour n'estre point damnez.
Je vous certifie
Que Dieu justifie
Par christ le pécheur.
Mais s'il ne le croit,
Et Foy ne reçoit
En luy ce bon heur
Par ferme fiance,
En sa conscience
N'aura nul repouz.
Dieu est le donneur,
Foy le receveur
De ce christ tant doux.
Qui donc aura par Foy ce christ receu
Fera tout ce que le Père commande;
Le saint Esprit, qui n'a nully deceu,
Fera en luy œuvre louable et grande,
Et Dieu plus fort à l'homme ne demande
Que d'acomplir sa bonne volonté,
Ce qu'il ne peult ; mais christ paye l'amende
Parquoy tout mal est vaincu et domté.
Or sont ceux sa Mère,
Son Cousin et Frère,
Qui le bon vouloir
DU DESERT. 22J
Du puissant et sage
Font de bon courage,
Pour en eux l'avoir.
Car en eux ouvrant
Leur va descouvrant
Que c'est sa puissance
Qui fait tout en eux;
Qui fait un de deux
Par sa congnoissance.
Mère je suis de son humanité,
Qu'il print en moy, laquelle j'ay portée;
Mère je suis de sa divinité,
Car par la Foy j'estois tant exhortée,
Que j'ay receu, dont suis reconfortée,
Voire et conceu la Deïté treshaute ;
Et par son don sa grâce rapportée,
Avec laquelle on ne peult faire faute.
Croyez, recevez,
Portez, concevez
Dieu par sa parole ;
Et sentez le en vous,
Père, frère, Espoux,
Qui joué son rolle.
En vous se louera,
Quant il jouyra
De vous purement;
En vous son amour
224 DU DESERT.
Qui le bon vouloir
Sans cesser nul jour,
L'aymera vrayment.
Tant plus je lis ce Livre d'amour plein,
Et plus mon cœur, qui par Foy est certain,
Livre de grâce et bonté et douceur,
De ceste amour sent la douce liqueur.
Car sans douter est mon Esprit tresseur,
Qu'en mon Amy je suis, et luy en moy;
Dont possédant mon puissant possesseur,
Plus esmoyer ne me peult nul esmoy.
Mon Dieu est sy mien
Que ce qui est sien
Dedens moy je sents;
Et dedens luy suis,
Dont saillir ne puys,
Car je m'y consens.
En mes bras le porte,
Aux siens me conforte,
Dont luy seul m'embrasse ;
Ma bouche le baise,
La sienne m'appaise,
Qui tout plaisir passe.
Si sçay je bien qu'un grand jour qui viendra
Pour mettre fin à ce qu'il a promis,
Honteusement mourir luy conviendra,
Pour racheter de mort tous ses amys.
DU DESERT. 22$
Ce bouquet là de myrrhe j'en ay mis
Dedens mon sein, mon cœur et ma mémoire
Long temps y a; car je n'ay riens omis
A contempler ceste piteuse histoire.
Simeon le vieux,
Voyant de ses yeux
Ce doux salutaire,
En pleurant bien fort,
Ceste dure mort
Ne me voulut taire.
Mais selon son dit
Tant en ont prédit
Par le temps passé,
Qu'il n'y a Esprit
Voyant leur Escrit
Qui n'en soit lassé.
Mais regardant en ceste passion
De l'œil de Foy, qui ne s'arreste au corps,
Je voy au fonds la consolation,
Qui ne se peult congnoistre par dehors.
C'est que mon Filz, semblable à un des Mortz,
De ceste mort, mourant, aura victoire;
Et en semblant foible par ses effortz,
Sur les plus forts emportera la gloire.
Par obéissance
Rompra la puissance
Du péché d'Adam,
h 29
226 DU DESERT.
(lui pour lever l'œil
Trop haut par orgueil
F eut chassé d'Eden.
Christ cloué de doux
Donra de telz coups
Qu'enfer brisera ;
Son corps attaché
Ostera péché
Et l'effacera.
Puis ce corps là, mort par affection,
Obéissant au Père entièrement,
Voy revenir en résurrection,
Triumphateur de mort et de tourment,
Victorieux d'Enfer parfaitement,
Et de péché, dont ses Esluz retire ;
Et puis monter au Ciel triumphamment
Auprès du Père, où est ce qu'il désire :
Je le voy assy,
Hors de tout soucy,
Du Père à la dextre,
Où, quoy qu'il ayt fait,
Par Foy en effect
Le voy tousjours estre.
Moy qui en luy suis,
Désirer ne puys
Mieux qu'en chacun lieu
Par tout triumphant
DU DESERT. 227
Voir par mon Enfant
Tout en tous mon Dieu.
Les Anges chantans.
Louenge à Dieu soit donnée à toute heure,
Qui son cher Filz laisse en terre gésir,
Pour le pécheur du bas Enfer choisir,
En le tirant à sa haulte demeure.
Il n'y a cœur qui dejoye ne pleure,
Voyant en Dieu tant d'amoureux désir,
Qui à sauver l'homme prend tel plaisir,
Qu'il est content que pour luy son Filz meure.
Le Premier Ange.
Voicy des fruitz que les plus haultz dattiers
Nous ont donnez pour toy, frais et entiers :
Il te plaira ce présent en gré prendre.
Le II. Ange.
Voicy du fruit que le bon Chrestien
Envoyé à toy, arbre fort ancien,
Qui ne veult riens que te louer prétendre.
Le III. Ange.
Pomme d'amour, qui le cœur reconforte,
228 DU DESERT.
J'apporte à toy, qui es la femme forte
Où croit tousjours l'amour juste et divine.
Le IIII. Ange.
Reçoy ces fleurs, ô blanche fleur de lis,
Et la pensée entre toutes eslis,
Et ceste rose tirée de l'espine.
Le V. Ange.
Ce miel céleste est digne de ta bouche,
Auquel jamais ne toucha layde mouche,
Car ta parole au doux miel est semblable.
Le VI. Ange.
Ceste vive eaue j'ay prise de la pierre
Qui aux Enfans d'Israël en la terre
Du grand Désert leur f eut tant secourable.
Le Premier Ange.
Du grand palmier qui au dur faix résiste,
Vierge, en tout cœur la fermeté consiste;
Car il n'en feut jamais de sy constante.
Le IL Ange.
Du bon Chrestienquià Dieu seul veult plaire,
DU DESERT. 229
Vierge, tu es le parfait exemplaire,
Par vive foy et Charité ardente.
Le III. Ange.
Le fruit d'amour est en toy tout entier,
Car d'aymer Dieu sçais sy bien le mestier
Que toute amour auprès n'est que painture.
Le IIII. Ange.
Tu es le Lit blanc et cler, pur et munde,
Vivant parmy les espines du Monde,
Sans en sentir une seule pointure.
Le V. Ange.
Tu es le miel, douceur saillant du fort,
Et celuy dont Jonatas reconfort
Trouva, lequel luy redonna la veu'é.
Le VI. Ange.
Pleine tu es de l'eaue tant clere et belle
Qui fait saillir en la vie éternelle
Ceux qui par Foy et Charité l'ont beu'è.
Le Premier Ange.
En nourrissant ton pur et chaste corps
230 DU DESERT.
De miel, et fruitz differens par dehors,
Tu voy en eux Dieu, qui de tous est Vie.
Marie.
Qui a gousté ceste manne céleste,
Las ! il est plus ignorant qu'une beste
Si d'autre chose il peult avoir envie.
Le II. Ange.
Nous voyons bienqu'en goustantce doux miel
Ton œil de Foy reçoit du hault du Ciel
Ceste douceur, sçachant qu'elle en descend.
Le III. Ange.
Tout ce manger terrestre ne retarde
Que le pain vif sans cesser ne regarde :
Car autre pain ton cœur n'ayme ne sent.
Le IIII. Ange.
Ceste eau te plaistplus que nul vin oumoust,
Car en esprit desja tu sents le goust
De la divine et céleste fontaine.
Marie.
L'eau de Marah douce trouver je dois,
* DU DESERT. 2 3 1
Car je congnois la grand vertu du bois
Par qui elle est de douceur toute pleine.
Le V. Ange.
Dedens ces fleurs la beauté vois du beau,
Codeur de luy conforte ton cerveau,
Dont tu te loue en sa diversité.
Le VI. Ange.
Tu le vois seul soubz diverse figure
Vestre et la vie à toute créature;
Tu le sçais mieux qu'il ne t'est récité.
Marie.
L'homme ne vit pas de pain seulement :
De la Parole escrite purement
De son Dieu peult sustenter corps et ame ;
Le beau se voit en toutes les beautés,
Et le puissant en toutes royautés :
Car Dieu seul est Tout, en tout homme et femme;
L'Estre et le Tout des pierres insensibles,
Le sentiment des animaux sensibles,
D'arbres et fleurs ïestre et V accroissement.
De l'homme il est estre, vie et mouvoir,
Sens et raison, volonté et povoir :
2p DU DESERT.
L'homme sans luy n'est rien entièrement.
Donc en mangeant et en beuvant ceste eau
Je gouste et voy en tout l'homme Nouveau ,
Par qui le Père à tous se communique.
0 quel plaisir de sçavoir que nostre Estre,
Vie et Povoir est Dieu seul, dont sa dextre
De faire tout en tous sçait la pratique !
Père, j'ay pris ta bénédiction,
Où j'ai trouvé tant de réfection,
Que grâce en rends à ta grande abondance :
Je ne te puys tes grâces et biens rendre,
Mais à ton Filz tant délicat et tendre
En te louant vois offrir ma substance.
Les Anges chantans.
Tout d'un accord chantons au Dieu des Anges,
Qui passe tout l'effort de noz louenges.
Nul la valeur ne peult chanter ny dire,
Tout ce qu'il veult il fait en son empire.
Chantons sa grand bonté, douceur, clémence,
Car amour l'a domté par sa puissance .
Joseph.
Combien que je me sois lassé
De cercher ce dont j'ay besoing,
Si n'ay je pas trop amassé,
DU DESERT. 2JJ
Et si suis allé assez loing.
Ce que j'en rapporte est tesmoing
Que ce lieu est mal cultivé ;
Seigneur, en toy jette mon soing,
Duquel tout bien est dérivé.
0 que de fruit je voy ensemble
Près de Marie sur la terre?
Il y en a plus, ce me semble,
Qu'en un mois n'en sçaurions acquerre.
0 que celuy folement erre,
Pensant par peine avoir de soy
Ce que Dieu donne sans requerre
A ceux qui vivent de sa Foy!
Loué soit Dieu qui m'a reconforté
De mon labeur, voyant qu'il l'a pourveue
De tant de bien qu'aucun a apporté
Pour secourir à ceste Vierge eslue.
En présentant ces fruitz je vous salue,
Mais je voy bien que n'en avez affaire,
Car d'autres fruitz de plus grande value
Un beau présent Dieu vous a voulu faire.
Marie.
Qui a jette son soing au Dieu treshault
En s'oubliant pour sans cesser le voir,
Sachez, amy, que rien ne lui default,
Et qu'il ne peult nécessité avoir.
ii 3o
2J4 DU DESERT.
Dieu est sy bon, et ha sy grand povoir,
Que ce Désert, où son Enfant veult mettre,
A sceu sy bien de ses grâces pourvoir
Qu'il est plus beau que Paradis terrestre.
En ce Désert, voyez l'arbre de Vie
Ressuscitant Adam et tous les morts.
L'arbre duquel Eve eut sy grande envie
N'est plus icy, il est chassé dehors.
Icy n'habite un seul terrestre corps,
Le céleste homme par force a pris le lieu
De ce terrestre, et par ses grans efforts
Du grand Désert s'est planté au mylieu.
Joseph.
Puis qu'ainsi va, m'amye, que vous dites,
Ce désert est beau comme un Paradis,
Duquel Adam feut par ses démérites
Chassé dehors honteusement jadis.
Marie.
Amy, croyez, je vous prie, à mes ditz:
Adam pécha etfeit, par son péché,
Que luy et tous les siens furent mauditz;
Car tout le genre humain en feut taché.
Las! il mangea de l'arbre de Science,
Oubliant Dieu et son commandement.
DU DESERT. 23$
Et si le feit contre sa conscience,
Car il ne f eut deceu aucunement :
Dont il ne peut parvenir nullement
A ce bel arbre, à la vie toucher;
Il f eut chassé par l'Ange en tout tourment,
Sans en povoir jamais plus approcher.
Le lieu plaisant feut tourné en Désert.
L'homme en honneur feut semblable à la beste,
La mort survint, que le péché dessert,
Qui à tuer tous les vivans est preste.
Enfer leva à ces? heure là sa creste,
Le ciel feut cloz, le grand Serpent régna;
Mais Dieu puissant, pour luy rompre la teste,
Ce grand Désert de son F Hz estrena.
Or est ce Fih plus vertueux et grand
Qu'Adam n'estoit petit et vicieux :
L'un tout péché, l'autre tout bien apprend;
L'un est de terre, et l'autre vient des Cieux,
Qui ce Désert rend plus délicieux,
Et plus parfait qu'Adam par son péché
Ne rendit laid son Jardin précieux,
Pour estre trop de sa femme empesché.
Joseph.
Or voy je bien qu'il ne fault point douter
Que nous n'ayons povoir par cest Enfant
Du fruit de Vie approcher et gouster,
236 DU DESERT.
En délaissant l'arbre que Dieu défend,
Qui fait le cœur devenir Eléphant
Par un orgueil de science trop vaine.
Mais le Petit du Grand est triumphant
S' humiliant à rien, à mort et peine.
Marie.
Ce lieu qui feut plein de stérilité
Par le péché de ce vieux Premier Homme,
Est maintenant plein de fertilité
Par le Nouveau, qui Jésus Christ se nomme.
C'est le Sauveur qui sur luy prend la somme
De tous péchez, qu'il porte et qu'il efface :
Qui en la Croix prendra un sy doux somme
Que tous Esluz dormiront en sa grâce.
Joseph.
Povres Pécheurs, desnuez de vertus,
Qui ressemblez un Désert tout destruit,
Si vous voulez estre bien revestuz
De la vertu, et porter fleur et fruit,
Quand vous oyrez de la Parole bruit
Du Filz de Dieu, où l'on se doit fier,
Que chacun soit de l'embrasser instruit,
Car par luy seul povez fructifier.
DU DESERT. 237
Marie.
Voyez, amy, comme le Dieu tresbon
Non seulement de vivres m'a munie,
Mais de ces trois Livres m'a fait le don,
Me consolant de ceste compaignie.
Lire y povez, nully ne le vous nye ;
Et seure suis que cest esprit divin
Vous en fera entendre l'harmonie,
Dont vous serez à l'aymer plus enclin .
Joseph.
En ce premier voy de telles merveilles,
Que le sçavoir je n'en puis supporter,
Car un seul Dieu en choses nompareilles
Je voy vivant, qui tout veult supporter,
Semer, nourrir, conserver, conforter;
Mais le plus c'est de voir ceste unité,
Qui en soy peult son ouvrage porter,
Estre couvert soubz la pluralité.
L'extérieur est sy tresvariable,
Que l'œil charnel, voyant ce qu'il peult voir,
Trouve que l'un à l'aultre n'est semblable.
Dieu l'a créé par son divin povoir,
Tout différent l'a monstre son sçavoir;
Mais soubz ces corps differens en grand nombre
23& DU DESERT.
L'œil delà Foy un seul y voit mouvoir,
Sans s'arrester au dehors ny à l'ombre.
Marie.
Amy, un seul en tous est adorable,
Car luy tout seul est la vie de tous;
Beste n'y a, soit mute ou raisonnable,
Dont Dieu ne soit son Estre, entendez vous ?
Mais il s'est tant à l'homme monstre doux,
Que dens sa chair a voulu habiter,
Pour tirer hault ce qui estoit dessoubz,
Et lui faisant le hault ciel hériter.
Joseph.
Ce Livre icy bien à cler nous descœuvre
Comme Dieu eust de Nature pitié,
Et comme en tous par sa bonté il œuvre,
Monstrant l'effect de sa grande amitié.
Et comme, après avoir bien chastié
Eve et Adam et tous ceux de sa race,
Leur a donné non point une moitié,
Mais par son Filz entière et pleine grâce.
Je voy icy que tous ceux qui l'ont creu,
Voire et receu par joy vive sans feinte,
Il a leur bien et leur honneur accreu,
Et fait gaigner bataille et gloire mainte,
DU DESERT. 239
Pour acquérir la terre bonne et sainte,
Où maints travaux par Foy ont soustenuz ;
Mais à la fin, mettant enfuyte et crainte
Leurs ennemis, ils y sont parvenuz.
Marie.
Aussi, Joseph, le peuple qui croira
Le doux parler de Dieu qui point ne ment,
Ce qu'il a creu et désiré verra,
Qui ne sera sans grand empeschement.
Car du costé senestre, mort, tourment,
Douleur, soucy, lui donront desespoir :
Plaisirs, honneurs et biens trop doucement
A dextre auront de l'empescher povoir.
Mais qui aura Foy de ceste promesse
Et grand désir d'acquérir ceste terre,
Victoire aura sur toute la finesse
Des ennemis et de leur forte guerre.
La vive Foy comme foudre ou tonnere
Ruinera toute infidélité ;
Parquoy pourront des vrays vivans conquerre
Terre et pais par grande humilité.
Joseph.
Las .' par sus tous ces Livres excellents
Je prens plaisir à regarder ce tiers.
24O DU DESERT.
0 que les cœurs des hommes seront lents,
Qui ne voudront le lire volontiers !
La Voye y est seure par tous sentiers,
La Vérité j'y voy tresclere et nue,
La Vie aussi en tous lieux et quartiers.
0 quel plaisir à mon cœur et ma veue !
Cheminer fault par sa voye et doctrine,
Par où l'on va au divin et seur port.
Recevoir fault sa douce discipline,
De Vérité plus forte que le fort.
Prendre aussi fault contre l'horrible mort,
Que chacun craint ceste vie immortelle ;
Icy je voy mon salut, mon confort,
La Loy de grâce y est spirituelle.
Marie.
Le temps sera long en ce Désert gitte,
Car de Dieu fault l'heure et le jour attendre
Que son Enfant appellera d'Egypte,
Comme il nous a ce long chemin fait prendre
0 mon Enfant, Dieu t'a bien fait descendre,
Pour le Pécheur cercher au centre bas,
Afin qu'à luy en toy le puisses rendre
En hault au ciel, las ! tu n'y faudras pas.
En attendant ce jour, nous passerons
Joyeusement le temps à méditer
Ces Livres cy, et ne nous lasserons
DU DESERT. 241
De contempler la terre où hériter
Nous nous devons, et noz cœurs inciter
A aymer Dieu, et le louer sans cesse;
Qui par son Filz tel bienfait mériter,
Que ne pouvoit gaigner nostre foiblesse.
Joseph.
Long temps y a que sommes attendans,
Mais avec vous ne m'a duré un jour.
Car je vous voy, et dehors et dedens,
Le Livre escrit plein de Foy et d'amour
Auprès de vous (où que soit le séjour),
Sy content suis que le temps ne me dure.
Donnons au corps le repos à son tour,
Car la nuict vient qui le veiller n'endure.
Or reposons en nostre vray repos,
Car hors de luy n'a repos ny sommeil.
Marie.
Vostre parole est bonne, mon Espoux;
Mon Filz et moy croirons vostre conseil.
Seigneur, qui es tousjours mon vray Soleil,
Auquel je sers, et moindre ne veux suyvre,
Garde en tes mains ton Fils le nompareil,
Et nous pour luy, qui en toy voulons vivre.
" 3i
242
DU DESERT.
L'Ange.
0 Joseph, Joseph, levé toy,
Ne crains plus Herodes le Roy,
Prens le petit F Hz et la Mère.
Va en la terre d'Israël,
Ce que je te dit, l'Eternel
Le mande à ceux dont il est Père.
Car ceux sont mortz, mis soubz la lame,
Qui de l'Enfant cerchoyent l'ame,
Or va bien tost sans craindre rien.
Joseph.
0 Bonté impossible à croire,
Qui de ton F Hz as la mémoire,
Aujourd'huy nous fais un grand bien.
Louenge et gloire je te donne,
Qui tes Esluz point n'abandonne,
Mais après travail et tourment ;
{Lequel avecques eux tu portes)
Leur viens de grâce ouvrir les portes,
En leur donnant contentement.
M' amye, allons; car Dieu nous aduertit
De desloger, c'est luy qui conuertit
Ce long exil en retour tresheureux.
DU DESERT. 243
Marie.
Soit près ou [oing tousjours en luy suis seure,
Il est par tout ma terre et ma demeure :
Qui croit en luy, n'ha point le cœur peureux.
Joseph.
Or commençons à ce joyeux matin
Nostre retour, et tresheureux chemin;
Du demourant, fors de l'Enfant, me charge.
Marie.
C'est le thresor que je ne puys laisser,
En l'embrassant, je me sens embrasser,
Et soustenir de luy qui est ma charge.
Joseph.
Dans le pais d'Israël nous marchons,
Je voy un homme, il fault que nous cerchons
Quelle nouvelle on peult de luy entendre.
Marie.
En Dieu sçavons toutes bonnes nouvelles ;
Mais en ce Monde, amy ne sont pas telles,
Pourquoy povez de luy quelqu'une apprendre.
244 DU DESERT.
Joseph.
Dieu qui a fait ce Monde grand et beau
Vous gard, amy : que dit on de nouveau ?
Quel bruit court il, qui règne en ceste part ?
L'Homme.
Archelaus, lefi.lt de ce vipère.
Règne sur nous en lieu de son feu père ;
Mais cestuy cy sera un fin renard.
Joseph.
M'amye, il fault icy nous arrester,
Et nostre cas en ce lieu apprester
Pour y dormir, car le jour quasi passe.
Marie.
En demeurant ou allant reposons,
Mais il est bon que nostre Enfant posons,
Lequel jamais de porter ne suis lasse.
Joseph.
Crainte me prend de vous avoir guidée,
En ce pais, puis que Herode en Judée
DU DESERT. 24$
Au lieu du père est maintenant régnant.
Las! mon cœur est aussi froid comme marbre,
Car c'est le fruit du plus dangereux arbre
Qui oncaues feut la couronne tenant.
Marie.
Fussent les Roys à mille millions,
Celuy qui clost la bouche aux fiers Lions
Leur ostera en un moment leur force;
Mais s'il luy plaist que pour luy nous souffrons,
Cœur et racine à ce grand Dieu offrons,
Sans espargner fleur, fruit, branche ou escorce.
Mais au danger ne se fault exposer,
Pourquoy vault mieux en ces lieux reposer,
Car Dieu pour nous sçaura tresbien veiller.
Joseph.
En ta parole et seureté m'endors,
Par qui mes sens revenus sont sy forts
Que je n'ay plus de peur à sommeiller.
L'Ange.
Ioseph, qui en ce lieu prens somme,
D'entendre à mon parler te somme;
Metz hors de toy et crainte et peur,
Divinement je t'admonneste,
246 DU DESERT.
De retirer la Dame honneste,
Et son Enfant le vray Sauveur,
Es parties que Dieu ordonne
De Galilée, ou il leur donne
Lieu de demeurer pour un temps,
En Nazareth povre cité,
Là où n'auront nécessité
Qui les garde d'estre contents;
A fin que le dict du Prophète
Soit accomply, qu'est manifeste,
Disant de ce Filz tant de bien,
Et qu'un jour appelle seroit
(Pource que tous Saintz passeroit)
Vray et parfait Nazarien.
Joseph.
0 Dame eslue pour mère et pour amye,
Il n'est plus temps que soyez endormie,
Car le hault Dieu m'a envoyé son Ange
En mon dormant, dont je luy rends louenge,
A fin que peur et crainte n'eussions mye.
En Nazareth veult que nous demeurons
Pour quelque temps, et autant y serons
Qu'il luy plaira; car, m' amye, en effect
Son bon vouloir est et doit estre fait.
En le servant nostre temps passerons.
DU DESERT. 247
Marie.
0 Nazareth! ô cité fleurissante ,
Que tu reçois une grâce excellente,
Donnant le Nom à la fleur fleurissant,
Et que de toy la fleur on voye yssant,
Sans séparer sa racine puissante!
0 Filz de Dieu séparé et saint homme,
Celuy qui vray Nazarien te nomme
N'a point menty, car tu es séparé
De tous péchés, et de vertus paré,
Dont es sy plein que nul n'en sçait la somme.
Louenge en soit au Seigneur redoublée,
Qui ha mercy de la terre troublée;
Louenge à toy qui au Père obéis,
Louez soyez par qui en tous pais
Je suis d'amour et de grâce comblée.
Dieu.
J'ay appelle d'Egypte et dehors mis
Mon cher Enfant, comme j'avois promis ;
En Nazareth pour quelque temps sera.
Dens le Désert secours luy ay transmis,
Et mis à mort ses plus grans ennemis,
Dont ma bonté chacun confessera :
248 DU DESERT.
Car jusqu'au temps qu'à moy il passera
Par une mort, de mort victorieuse,
Le garderay, car il exaucera
Par tout mon Nom de sa voix vertueuse;
Monstrant que n'ay le Monde délaissé,
J'ay fait saillir la verge de Jessé,
Haulte en vertu sans avoir son semblable,
Puis je me suis par amour abaissé,
Ainsi que doit un amoureux pressé.
De ceste verge à tous tant agréable
Ay fait saillir par façon admirable
La fleur sur qui repose sans partir
Mon saint Esprit, c'est la fleur amiable,
Et qui la sent peult ma douceur sentir.
Nazarien fleurissant et la fleur
Est mon Enfant, duquel la douce odeur
A rappaisé contre l'homme mon ire.
Qui le peult croire et goutter sa senteur,
Il changera crainte, tristesse et peur
En tout plaisir, remply d'immortel rire.
Ceste senteur fait porter tout martyre,
Car qui la sent n'est jamais périssant;
Le cœur dévot qui l'ayme et la désire,
Fust il désert, il sera florissant.
0 doux Esprits, si jamais me compleustes
Et désirants de m' obéir vous feustes,
Soyez joyeux; prenez vos instruments,
DU DESERT. 249
Harpes et Lucz, Orgues, Cymbales, Fluttes,
Et racomptez comme charge vous eustes
De rendre dou:: tous les quatre Eléments ;
Tigres, Lions, Serpens doux et cléments,
Et le Désert fastes fructifier,
Sans que mon Filz eust faulte d'aliments.
Chantez qu'il fait bon en moy se fier.
Le Premier Ange.
// seroit bien serviteur trop meschant
Qui maintenant espargneroit son chant
Pour hault louer tes bontés et tes dons.
Le II. Ange.
Nully de nous n'a garde de se feindre ;
Combien, Seigneur, que ne povons atteindre
D'assez louer toy Dieu, le bon des bons.
Le III. Ange.
Ta grand' vertu en nous hault te louera,
Et ta bonté la louenge advouera,
Puis que tu es dedens nous ta louenge.
II 3a
2J0
DU DESERT.
Le 1 1 II . Ange.
Puis qu'il te plaist de te louer par nous,
Nous chanterons en tous lieux devant tous
Ta gloire et lot, chacun de nous s'y renge.
Le V. Ange.
Ciel, Terre et Mer sont tous pleins deta gloire,
Mais il en fault refreschir la mémoire
Incessamment, par voix continuelle.
Le VI. Ange.
De tous les biens qu'à l'Ange aussi à l'homme
As fait, Seigneur, dont nul ne sçait la somme,
Louenge à toy en soit continuelle.
Sur
le chant :
Pourtant
que Je suis
bon
homme.
Tous ensemble.
Chantons tous la congnoissance
Qu'avons de l'affection
De Dieu, qui en abondance
Monstre sa dilection.
Son Filz il donne à la terre
Pour faire la terre Dieu :
DU DESERT.
Par sa Mort fine la guerre,
Et donne paix en tout lieu
A ceux qui ont assurance
Que par son Election
Auront de luy jouissance
Sur le hault mont de Zion.
2S'
NOTES
T. I, Introduction, pages xxvj, liv, xciij, xcviij. — Aux in-
dications données là sur divers emblèmes ou devises dans le
goût de l'époque, il n'est pas inutile de joindre celle-ci, au sujet
de la reine Éléonore ou Aliénor d'Autriche, sœur de Charles-
Quint et femme de François 1er. C'est un passage de L'entrée de
la Roynefaicte en l'antique et noble cité de Lyon, l'an mil cinq
cens trente et troys, le xxij de may. — Jehan Crespin. (Titre
gothique et vignettes). Il y est question d'une inscription por-
tant :
La Royne Alienor.
Car A . lie en or es auec France,
Aussi ton nom se dict Alienor.
Suit l'indication des emblèmes du roi et de la reine : pour Fran-
çois 1er, la fameuse salamandre; pour la reine, Y autruche sym-
bolisant V Autriche.
o Et premièrement estoient en divers lieux une Salamandre,
d'ung costé de la rue, et de Paultre une Aultruche. »
On peut voir, t. IV de notre édition des Marguerites, p. 16$
(texte, et p. 289 (notes), l'emploi du mot autruche dans un sens
allégorique dont l'emblème historique ci-dessus décrit donne la
clef.
Ibid., p. xcvj. — Le Robert Hayus ou de La Haye, auteur
du quatrain extrait du Tombeau de la reine de Navarre, est
sans doute le même que Joachim du Bellay, dans une des pièces
2J4 NOTES.
de vers jointes à sa Monomachie de David et de Goliath, appelle
du nom d'amy, et qu'il vante pour son Sybilet,
Dont le docte artifice
Nous rechante si bien
Du Roy Mycénien
Le triste sacrifice.
Cette pièce est adressée « Au Seigneur Rob. De la haye,
pour estrene ». Une autre porte ce titre : « Estrene à D. M. De
la haye. » Une pièce du même recueil, intitulée : Les Deux
Marguerites, exalte justement avec Marguerite de France sa
tante Marguerite d'Angouléme, louée par le Rob. de La Haye
cité dans notre Introduction.
T. II, p. 3. Rimes à noter : chose, espouse, s'expouse. Sur la
prononciation de chose comme chouse, v. t. IV, p. 294, Re-
marques diverses.
P. i3. « Par un seul commander ». Voir la note du t. IV,
p. 295, sur d'autres infinitifs pris substantivement.
P. 23, etc. BERGERIE.
NOMS DES PERSONNAGES :
Sophron, équivalent grec de Prudens;
Elpison, équivalent de Sperans;
Nephalle, équivalent de Vigil;
Philetine, équivalent de Amatrix;
Christilla, même racine que Christ, Oint, Unctus.
Dorothée, nom également formé du grec , comme Théodore,
inversement : Donum Dei.
Les noms de tous ces bergers ont été choisis pour l'idée qu'ils
expriment.
P. 33. Fourmage. On disait fourmage et formage pour
fromage.
Ibid. « Je lui donray ». Donray pour donneray, comme lairray
pour laisseray. Formes syncopées, d'un usage alors général.
P. 34. Rimes: tardons, bourdon. Il n'est pas tenu compte
NOTES. 255
ici de la différence de \'s. — P. 35, au contraire, on supprime
l's pour la rime :
Et nous en luy tousjours seron,
Car nous avons Christ en pur don.
V. t. IV, Notes, p. 295, 1. 9-10.
P. 35. « Ce petit Image ». Image est ici masculin, comme
dans le Cymbalum Mundi de Bonaventure des Periers, Dial. I,
dans le monologue de Mercure, vers la fin.
Ibid. Rimes : Sçay je et héritage.
P. 40 :
.... lien
De Dieu en nous. Nous qui dessoubz ce Rien
Viens habiter avec tes créatures.
La répétition si peu conecte, si bizarre de Nous, qui brise la
phrase, semble provenir d'une sorte d'élan soudain rompant la
construction régulière pour apostropher Dieu et renforcer l'éner-
gie de l'affirmation par cette répétition exclamative. Je traduirais
ainsi ce passage : «... lien de Dieu en nous, — oui, en nous,
à mon Dieu, puisque tu viens, sous ce Rien, habiter avec
(nous) tes créatures ! »
P. 45. Rimes : Jacob, beaucop.
P. 5 5 , vers 3 : orig. :
Foy n'a en vous...
Correction imposée par le sens : « Foy n'ay... »
P. 67. « Par un long travailler ». V. t. IV, Notes, p. 29$,
sur les infinitifs pris substantivement.
P. 90. Le premier vers de la réplique de Balthazar est, par
exception, d'une autre mesure que les suivants et les précédents.
Ibid. « Je vous pry » , pour « je vous prye ». Sur l'absence
des signes typographiques dans d'autres cas analogues, voir
t. I, Notes, p. î $7, et t. IV, Notes, p. 296.
P. 96. a La Serpent tortue ». Cet emploi du mot serpent au
féminin paraît tout exceptionnel. P. 125, on lit : « La teste
du serpent. »
2j6 NOTES.
P. 97. Rimes : Sceptre, mettre. — P. 121 : Sceptre, maistre-
P. 105.
Que cerchez vous, ne qui vous meine
Par mont et plaine ?
Ce ne interrogatif est de la vieille langue française. — Voir
Villon, Ballade des dames du temps jadis :
Dictes moy où n'en quel pays
Est Flora, la belle Romaine;
Archipiada, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine ?
P. 107. « Un autre roy que moy? Mais six! »
C'est-à-dire : pourquoi pas six ? dans un sens ironique.
P. 109. Rimes : charge, submerge.
P. 112. Notez la rime des deux mots en erde avec aharde.
P. 1 1 7, v. 14. Orig. : Cea. — Édition de 1 5 J4 : Car.
P. 124. « Tu seras decrachê », c'est-à-dire couvert de cra-
chats. Le peuple dit encore, au sens actif : cracher quelqu'un.
P. 128. « J'ay creu, j'ay veu... »
Comparez le vers du Polyeucte de Corneille :
Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée.
P. 132. Certainetè. Certitude.
P. 150. Ouvrouer. Ouvroir, lieu où s'opère l'œuvre, le tra-
vail.
P. 178. Rimes : eslieve (élève), griefve.
P. 180 Misericors, pur latin, pour miséricordieux.
Ibid. « Au lieu de réfrigère». Du latin refrigerium, rafraîchis-
sement.
P. 201. « Qui t'ame ». De amer, aimer.
P. 203. La rime « plus prest » entraîne l'orthographe : « ce
qui parest » au vers correspondant.
NOTES. 257
P. 206.
... à chacun animal.
Qu'en terre et ciel peut voler et courir.
Qu'en pour qui en.
Ibid. « La mensonge » pour le mensonge.
P. 207. « Beste irraisonnable » dénuée de raison.
Ibid. — Acqueste, de acquester (acquérir), comme conquesttr.
P. 2io. « La formis »
La Fontaine : « Une fourmis y tombe. » (Fable xu, liv. II.)
C'est non pas une licence, mais la vieille forme du mot, au no-
minatif ou cas sujet, dans le français du Moyen âge.
P. 211.
C'est le Coulom portant la branche verte.
C'est-à-dire la colombe, le ramier.
. P. 224.
Plus esmoyer ne me peut nul esmoy.
Esmoyer, Émouvoir.
P. 226. Assy, assis, pour rimer avec soucy.
P. 227. Gésir, de jacere, être couché, étendu par terre. —
D'où gesine, état de la femme en couche
P. 238. Mute, muette. — Rabelais cite (liv. III, chap. xxxiv
la Morale comédie de celluy qui auoit espousé une femme mute,
jouée à Montpellier par lui et ses compagnons, Ant. Saporta,
Guy Bouguier, etc.
P. 259. Senestre. Qui est à gauche, du latin sinistra.
P. 246 « En mon dormant ». En mon sommeil.
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33
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS LE DEUXIÈME VOLUME.
Comédie de la Nativité de Jesus-Christ i
Comédie de l'Adoration des trois roys à Jésus Christ. . 66
Comédie des Innocents 135
Comédie du Désert.
Notes :
Imprimé par D. JOUAUST
P OU R LA
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
M DCCC LXXII1
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PQ Marguerite d ' Angoulême
1631 Les marguerites de la
A5 Marguerite des princesses
■ 1873
t. 2
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