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Full text of "Les marguerites de la Marguerite des princesses. Texte de l'édition de 1547, publié avec introd., notes et glossaire par Felix Frank, et accompagné de la reproduction des gravures sur bois de l'original et d'un port. de Marguerite de Navarre"

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LES   iMARGUERITES 

DE     LA    MARGUERITE 

DES    PRINCESSES 


TOME    DEUXIEME 

COMEDIES    :    DE  JL.A  NATIVITE  DE  JESUS  CHRIST, 

DE     L'ADORATION     DES     TROIS    ROYS ,     DES     INNOCENTS, 

DU     DESERT 


TIRAGE. 

120  exemplaires  sur  papier  vergé  (n<"  3i  à  i5o). 
i5  »  sur  papier  de  Chine  mu'   i  à  i5). 

i5  »  sur  papier  Whatman  (n01  16  à  3o). 


i5o  exemplaires  numérotés. 


LES  MARGUERITES 

D  E 

LA    MARGUERITE 

DES  PRINCESSES 

texte  de  l'édition   de   1547 
Publié  avec  Introduction,  Notes  et  Glossaire 

PAR 

FÉLIX    FRANK 

ET    ACCOMPAGNÉ    DE    LA    REPRODUCTION 

DES    GRAVURES    SUR    BOIS    DE   L'ORIGINAL    ET    D*UN    PORTRAIT 

DE    MARGUERITE    DE    NAVARRE 


PARIS 

LIBRAIRIE   DES  BIBLIOPHILES 

RUE      SAINT-HONORÉ,       3  38 


M    DCCC    r.xxin 


COMEDIE 

DE    LA    NATIVITÉ 

DE  JESUS  CHRIST 


/ 


Joseph  commence. 

Celle  en  qui  reluit  de  Dieu  la  grâce, 
Cyreneus  vient  de  lire  en  la  place 
Unedict  fait  par  César  l'Empereur; 
C'est  bien  raison  que  son  vouloir  on  face, 

Mais  j'ay  grand  peur  qu'au  chemin  soyez  lasse, 

Car  vostre  estât  engendre  pesanteur. 

Obéir  fault  aux  Princes  de  bon  cœur, 

Voyant  en  eux  de  nostre  dieu  l'image. 

Je  ne  crains  pas  ma  peine  ou  mon  labeur, 

Mais  ouy  bien  le  vostre  en  ce  voyage. 

Marie. 
Rien  ne  nous  est  des  hommes  ordonné 


2        s  DE    LA    NATIVITE 

Que  du  povoir  de  dieu  ne  soit  donné, 
Parquoy  ne  fault  qu'à  luy  seul  regarder. 
Mon  bon  espoux ,  ne  soyez  eslonnè , 
Mais  d'obéir  promptemenl  addonné; 
Car  il  vous  peult,  moy  et  mon  fruit  garder. 
Empeschement  je  n'ay  pour  retarder 
Que  ne  rendons  au  Prince  obéissance; 
Ne  craignons  point  de  noz  corps  hasarder, 
Sachant  que  dieu  est  son  Estre  et  puissance. 

Joseph. 

Chacun,  m'amye,  est  contraint  et  cité 
De  retourner  en  sa  propre  cité , 
Portant  tribut,  lequel  payer  nous  fault; 
Pour  vous,  sans  plus,  suis  en  perplexité , 
Craignant  qu'ayez  quelque  nécessité, 
Car  acoucher  en  peu  de  jours  vous  fault. 
Et  vous  sçavez  que  le  dieu  de  la  hault 
Pour  vous  garder  m'a  esleu  et  commis. 
Helas,  pensez  que  vostre  fruit  tant  vault 
Qu'en  nul  danger  il  ne  doit  estre  mis. 

Marie. 

Danger  n'aura,  je  le  vous  certifie, 
Car  le  Puissant  qui  en  moy  fructifie 
Tient  en  sa  main  et  la  mère  et  le  fruit. 
Amy,  sachez  que  qui  en  luy  se  fie, 


DE    JESUS    CHRIST.  \ 

//  le  conserve  et  si  le  déifie , 

Tant  que  du  tout  Adam  y  est  destruit. 

Ne  faites  cas  de  nul  propoz  ne  bruit  ; 

Asseurez  vous  que  celuy  qui  ha  Foy 

Est  d'obéir  à  chacun  sy  instruit 

Qu'il  ne  craint  point  la  rigueur  de  la  Loy. 

Joseph. 

Or  puisque  tel  est  vostre  bon  désir, 
Allons  nous  en  vous  et  moy  à  loisir  : 
Obéissons  à  dieu  en  toute  chose. 

Marie. 

Certes,  amy,  mieux  ne  povons  choisir 
Que  d'obeïr,  car  là  gisl  mon  plaisir: 
Qui  obéit  à  dieu,  il  se  repouse. 

Joseph. 

Vous  dites  bien;  ma  tresloyaleespouse, 
Mais  en  allant,  de  vous  voudrois  sçavoir  Ea  allaat- 

Comme  Esaïe  de  Bethléem  s'expouse, 
V eu  que  petite  à  nostre  œil  se  fait  voir. 

Marie. 

Petite  elle  est  Bethléem  à  la  veue , 
Et  sa  grandeur  n'est  aux  charnelz  congnue. 
Mais  quand  dieu  a  révélé  au  Prophète 


4  DE    LA    NATIVITÉ 

Que  christ  fera  sa  première  venue 
En  ce  lieu  là,  comme  cité  eslue, 
De  sa  grandeur  Esaïe  fait  feste  : 
Grand  est  le  lieu  auquel  se  manifeste 
Celuy  qui  n'ha  pareil  en  sa  grandeur, 
Il  n'y  a  lieu  où  le  vray  Saint  se  mette 
Qui  ne  soit  Saint  et  tout  à  son  honneur. 
En  allant.      0  Bethléem,  maison  de  pain  nommée, 
Quelle  sera  de  toy  la  renommée, 
Quand  tu  seras  le  coffre  du  pain  vif? 
Courez  icy,  vous  la  gent  affamée, 
Courez  icy,  vous  Ame  bien  aymée, 
Et  recevez  ce  pain  d'un  cœur  naïf. 
Povre  pécheur,  sois  y  bien  ententif, 
Car  c'est  le  pain  et  de  grâce  et  de  vie  ; 
Que  crainte  et  peur  ne  te  fasse  rétif, 
Mais  haste  toy  par  une  sainte  envie. 

Joseph. 

Or  sommes  nous  arrivez  en  ce  lieu , 
Dont  vous  et  moy,  m'amye,  louons  dieu. 
Car  il  est  tard  et  la  nuict  est  venue. 
En        Allons  tout  droit  là  où  je  voy  du  feu. 

regardant  .  '        J        J 

le   premier  Si  la  maison  ha  pitié  au  mylieu, 
Vous  y  serez  humainement  receue. 
En  allant.  Seigneur,  celuy  qui  vivifie  et  tue 
Vous  soit  salut  et  consolation; 


DE    JESUS    CHRIST.  5 

Vous  plairoit  il  et  logis  et  repue 
Vouloir  donner  par  grand'  compassion? 

Le  premier  hoste. 

Aux  riches  gens  voudrois  faire  service, 
Car  mon  mestier  et  mon  commun  office 
N'est  seulement  que  tousjours  amasser 
Or  et  argent,  là  veux  mon  temps  passer. 
Riche  veux  estre,  à  ce  tend  mon  soucy. 
Je  hay  le  povre  et  povreté  aussi. 
J'ayme  le  riche,  estant  à  moy  semblable  ; 
De  luy  j'attends  quelque  honneur  profitable. 
Allez,  amyz,  pour  vous  je  suis  trop  chiche, 
Mon  logis  est  remply  d'un  homme  riche. 

Joseph. 

Allons  nous  en,  l'aumosne  est  icy  faite. 
0  charité,  qui  rendz  l'ame  parfaite, 
Difficile  est  que  l'on  te  trouve  au  cœur 
De  l'homme  riche,  si  dieu  n'y  est  vainqueur  ! 
En  voilà  un ,  à  dire  vérité , 
Qui  semble  bon  :  Monsieur,  par  charité, 
Vous  plairoit  il  loger  moy  et  ma  femme  ?  Regardant 

Car  entendez  que  ceste  povre  dame  fcotne. 

Est  sur  le  poinct  de  son  acouchement. 


6  DELA     NATIVITE 

Le  II   hoste. 

Icy  n'aurez  point  de  logis,  vrayment; 
Un  mien  amy,  qui  n'est  petit  seigneur, 
Y  est  logé,  dont  je  reçoy  honneur. 
Mon  logis  n'est  pour  telle  gens  que  vous , 
Vous  n'y  povez  apporter  que  des  poux. 
Princes  et  Roys  sont  icy  bien  venuz , 
Sans  rien  payer  Hz  sont  entretenuz  : 
Car  espérer  je  puis  par  leur  moyen, 
D'avoir  enfin  quelque  honneur  terrien; 
Telz  gens  que  vous  ne  m'y  peuvent  servir  ; 
Parquoy  n'y  veux  mon  logis  asservir, 
De  vous  y  voir  certes  j'aurois  grand  honte. 

Joseph. 

Adieu,  Seigneur.  Quand  orgueil  l'homme  domte, 
D'humilité  perd  sy  fort  l'appétit 
Qu'il  ne  peult  plus  recevoir  le  Petit; 
Mais  cestuy  là  qui  le  Petit  refuse 
Pour  estre  grand,  bien  clerement  s'abuse, 
Car  nul  ne  peult  monter  à  la  hautesse, 
Qui  descendu  n'est  à  la  petitesse. 
Regardant  En  voilà  un  qui  ha  bien  bon  visage, 
hoste.     Mais  essayons  un  petit  son  courage. 

Bon  soir,  Seigrteur,  vous  plaist  il  héberger 
Ma  femme  et  moy,  et  pour  annuit  loger? 


DE    JESUS    CHRIST. 

Le  III.  hoste. 

Je  ne  sçaurois  ;  en  vain  estes  parlans , 
Car  j'ay  icy  logé  d'autres  gallans, 
En  espérant  passer  la  nuict  à  boire , 
Qui  ne  sera  sy  obscure  ny  noire 
Qu'elle  ne  soit  entre  nous  bien  joyeuse. 
Nous  mènerons  vie  delitieuse, 
Danses  et  jeux ,  et  femmes  et  banquetz 
Ne  nous  faudr ont ,  et  mille  bons  caquetz. 
Cure  n'avons  de  gens  pleins  de  tristesse  : 
Prenez  ailleurs,  mes  amys,  vostre  addresse. 
Si  ne  sçavez  bien  danser  et  baller, 
Vous  povez  bien  en  autre  lieu  aller; 
Sy  sages  gens  ne  voulons  recevoir, 
Il  nous  fait  mal  seulement  de  vous  voir. 

Joseph,  en  s'en  allant. 

Or  Adieu  donc.  0  que  Volupté  foie 
Ce  povre  monde  aveugla  et  affole; 
En  leur  ostant  la  parfaite  science, 
Fait  refuser  la  haulte  sapience! 
0  Salomon,  vous  l'avez  bien  prédit, 
Qii'en  l'Ame  où  est  ce  vice  tant  maudit 
La  Sapience  à  jamais  n'entrera. 
Allons  plus  loing,  et  Dieu  nous  monstrera 
Où  il  luy  plaist  que  nous  facions  demeure. 


DE    LA    NATIVITÉ 


Marie. 


Las,  mon  amy,  je  voy  approcher  l'heure 
Que  naistre  doit  le  fruit  tant  désiré; 
Regardons  où. 

Joseph,  regardant  l'estable. 

Au  fort,  je  vous  dire 
Voicy  un  lieu  qui  sert  de  povre  estable; 
Bien  qu'il  ne  soit  pour  l'enfant  honorable, 
Nécessité  nous  contraint  d'y  entrer  ; 
Et  je  mettray  peine  de  l'acoustrer, 
Pour  vous  garder  de  l'injure  du  vent. 

Marie. 

Joseph,  ilfault  que  vous  soyez  sçavant 
Qu'il  n'est  nul  lieu  où  Dieu  soit  en  présence, 
Qu'il  ne  soit  plein  de  lumière  et  plaisance; 
Prenons  en  gré  ce  qu'il  donne  à  noz  corps, 
Ne  regardons  jamais  à  ce  dehors. 

Joseph,  en  allant  à  la  ville. 

En  ceste  ville  iray,  pour  nous  pourvoir 
De  ce  qu'avons  nécessité  d'avoir. 

Marie. 
Allez,  amy,  seule  ne  me  laissez; 


DE    JESUS    CHRIST. 

Car  où  Dieu  est  j'ay  compaignie  assez. 

Père  éternel,  dont  la  bonté  est  telle 
Qu'elle  ne  peult  de  nature  mortelle 
Estre  congnue,  entendue  ou  comprinse  ; 
Mais  toutesfois  Amour  veult  que  ne  celé 
Les  biens  qu'as  fait  à  ta  petite  ancelle, 
Car  j'en  serois  comme  ingrate  reprinse  ; 
0  Dieu  d'Amour  qui  embrase  et  attise 
Les  cœurs  tresdurs  que  ta  charité  fend , 
Grâces  te  rendz ,  dont  pour  Mère  m'as  prise 
De  ton  trescher  et  tresamé  enfant. 

En  moy  ne  sens  ne  vertu  ne  value 
Qui  meritast  estre  de  toy  eslue 
Et  appellée  à  sy  digne  service. 
0  Toutpuissant,  je  t'adore  et  salue, 
Te  merciant  que  de  terre  polue 
M'as  retirée  exempte  de  tout  vice. 
Qui  suis  je  moy,  pour  faire  tel  office 
Rien.  Mais  ce  rien  tu  remplis  tant  d'honneur, 
Que  cœur,  esprit  et  corps  en  sacrifice , 
Voire  et  mon  Tout  je  offre  à  toy  seul  Seigneur. 
J'ay  ta  Parole  et  crue  et  observée, 
Dont  mère  suis;  las,  lu  m'as  conservée 
Avec  le  fruit  qu'en  moy  il  t'a  pieu  mettre; 
De  tout  danger,  Seigneur,  as  préservée, 
Mais  je  sçay  bien  que  tu  as  réservée 
Plus  grand  faveur,  que  dehors  te  fault  mettre. 


10  DE    LA    NATIVITÉ 

Assiste  donc  à  l'admirable  naisire 
Du  vray  salut,  qu'il  t'a  pieu  de  promettre 
A  tous  croyans.  Père,  plus  ne  demeure, 
Tu  es  mon  dieu,  et  ma  vie  et  mon  estre, 
Regarde  moy,  Seigneur,  car  voicy  l'heure. 

0  le  plaisir  de  l'union  parfaite 
Que  ta  bonté  de  toy  et  moy  a  faite, 
Tant  que  ne  sens  rien  en  moy  fors  que  toy  ! 
Ton  grand  thresor  secret  me  manifeste, 
Ton  saint  esprit  ne  me  cœuvre  nul  texte 
Soit  de  la  vieille  ou  la  nouvelle  Loy. 
D'amour  je  vit,  car  rien  ne  sens  en  moy 
Que  toy,  Seigneur,  qui  es  mon  ame  et  vie. 
Mon  ame  perd  le  sentement  de  soy, 
Car  par  amour  en  toy  elle  est  ravie. 

Dieu  le  Père. 

0  vous,  espritz,  en  moy  vivans  par  grâce, 
Et  soustenuz  du  regard  de  ma  face, 
Ne  congnoissans  que  moy  en  toute  chose, 
Voicy  le  temps  que  ceste  terre  basse 
Me  germera  le  fruit,  qui  outrepasse 
Le  sens  humain  :  car  en  mortelle  rose 
Divinité  on  y  verra  enclose, 
Venant  d'enhault,  monstrant  qu'en  elle  suis. 
Voyez  ma  Fille  eslue  et  mon  Espouse, 
Dont  séparer  à  jamais  ne  me  puis. 


DE    JESUS    CHRIST.  Il 

Du  vray  repoz  d'amour  est  endormie, 
Non  d'amitié  imparfaite  et  demie; 
Mais  elle  y  court  sy  viste,  que  son  corps 
Ne  rien  d'abas  elle  ne  congnoit  mye  : 
Macule  n'ha,  toute  belle  est  m'amye. 
Plus  elle  dort,  plus  son  esprit  court  lors; 
Elle  ne  sent  rien  dedens  ne  dehors, 
Sinon  moy  seul,  par  unie  union; 
Son  plaisir  prend  en  mes  divins  accords, 
Desquelz  en  moy  elle  ha  communion. 

Divins  espritz,  ô  fille  de  Zion , 
N'empeschez  point  sa  contemplation. 
Je  vous  adjure,  et  commande,  et  ordonne 
Par  les  espritz,  promptz  par  affection 
Plus  que  les  cerfz  par  la  dilection 
Des  plus  ardens  d'intelligence  bonne, 
Plus  que  chevreux  sautans  montaigne  et  borne, 
Que  vous  n'ayez  à  troubler  sa  personne, 
Et  que  nully  de  vous  ne  la  resveille, 
Jusques  à  ce  que  l'heure  heureuse  sonne, 
Et  qu'elle  mesme  en  grand'  joye  le  vueille. 

Allez  à  bas,  vuydez  tout  le  ciel  d'Anges, 
El  en  chantant  augmentez  mes  louenges; 
Servez  m'amye  et  mon  enfant  trescher; 
A  mes  esluz  comptez  les  cas  estranges, 
Et  que  tirez  sont  des  maudites  fanges 
LÀ  où  Sathan  les  souloit  attacher. 


12  DE    LA    NATIVITÉ 

Si  recevoir  peuvent  l'enfant  en  chair, 
Croyant  qu'il  est  leur  vie  et  leur  salut, 
De  moy  pourront  seurement  approcher  : 
Rien  fors]mon  Filz  jamais  ne  leur  valut. 

Le  Premier  Ange. 

Rien  ne  voulons,  sinon  ton  saint  vouloir 
Exécuter  par  ton  puissant  povoir, 
Père  éternel;  car  nous  sommes  venuz 
De  toy,  en  toy,  et  par  toy  soustenuz  ; 
Tu  es  nostre  Estre  et  nostre  Mouvement, 
En  nous  tu  fais  ton  vouloir  seulement  : 
Si  ta  beauté  en  nous  nous  regardons 
Ainsi  que  nostre,  helas!  nous  la  perdons; 
Si  nous  cuydons  nostre  ce  qui  est  tien, 
Nous  retournons  soudainement  à  rien. 
Trop  Lucifer  ce  Cuyder  esprouva  ; 
Se  regardant,  non  toy,  rien  se  trouva  ; 
Nous  qui  n'avons  Vouloir  que  ton  désir, 
Estre  que  toy,  ne  Bien  que  ton  plaisir, 
Commande  nous  ce  qu'il  te  plaist  défaire, 
Car  toy  seul  peux  commander  et  parfaire. 

Le  Second  Ange. 

0  l'Eternel  et  l'antique  des  ans! 
Auquel,  duquel,  la  vertu  je  me  sens, 
Parle,  Seigneur;  car  tu  as  tel  crédit, 


DE    JESUS    CHRIST.  Ij 

Qu'aussi  tost  est  ton  vouloir  fait  que  dit. 
Tu  as  créé  par  un  seul  Commander 
Ce  qu'il  te  plaist  de  nous  recommander  ; 
Il  sera  fait,  car  tel  povoir  avons, 
Estans  en  toy,  par  qui  vivons,  mouvons. 

Le  Tiers  Ange. 

Puis  que  l'enfant  te  plaist  de  regarder, 
Voire  et  par  nous  songneusement  garder, 
Très  voluntiers  nous  ferons  ce  mystère, 
Et  aux  croyans  ne  le  voudrons  pas  taire, 
Mais  déclarer  ceste  venue  heureuse, 
Portant  salut  à  toute  ame  amoureuse 
Que  tu  congnois  et  qu'eslue  tu  as, 
Qui  ha  désir  de  voir  ton  Messias. 

Le  1 1 1 1 .  Ange. 

Aux  sages  Roys  attendans  ce  grand  bien 
Par  ferme  Foy,  il  n'enfault  celer  rien  : 
Ceste  bonne  Anne,  au  temple  qui  l'attend, 
Aura  bien  tost  par  nous  l'esprit  content; 
Et  Simeon,  plein  d'extrême  vieillesse, 
Remply  de  Foy,  en  sentira  liesse, 
Et  congnoistra  qu'il  na  son  temps  perdu 
D'avoir  le  christ  par  Amour  attendu. 
Puis  nous  irons  annoncer  aux  pasteurs, 
Qui  des  troupeaux  sont  songneux  amateurs, 


14  DE    LA    NATIVITÉ 

L'Agneau  venu.  Car  qui  fait  son  devoir, 
Et  son  estât,  ha  désir  de  le  voir. 

Le  V.  Ange. 

Et  moy,  Seigneur,  de  bien  grand  appétit 
Iray  cercher  où  est  le  Pluspetit, 
Et  luy  diray  qu'il  est  grand  devenu, 
Puis  que  le  Grand  s'est  fait  Petit  tout  nu. 

Dieu. 

Allez,  enfans,  exécuter  ce  rolle, 
Et  par  vous  soit  faite  ceste  parole. 

Tous  les  Anges,  ensemble  chantans. 

A  toy  soit  toute  gloire, 
0  trespuissant  Seigneur! 
Depuis  qu'as  eu  mémoire 
D'estre  de  christ  donneur 
A  tout  l'humain  lignage, 
Dont  Sathan  feut  vainqueur  : 
Pour  faire  ton  message, 
Nous  courons  de  bon  cœur 
A  Marie  la  sage, 
Luy  faisant  tout  honneur. 

Marie. 
0  Créateur  d'incongnue  nature, 


DE    JESUS    CHRIST.  1$ 

Fors  qu'à  toy  seul,  duquel  la  pourtraiture 
Voy  en  ion  Filz,  petite  créature, 

Las  !  qu'est  cecy? 
Quelle  bonté,  quelle  grâce  et  mercy 
Nous  te  devons,  donnant  l'enfant  sans  Si! 
Dont  j'ay  le  cœur  de  joye  si  transy, 

Que  ne  puis  dire 
Ne  bien  penser,  ainsi  que  je  désire, 
Quel  est  ce  bien  qui  tant  à  soy  me  tire 
Par  fort  amour,  dont  je  pleure  et  souspire 

Par  vray  plaisir. 
0  des  Eslut  le  désiré  désir  ! 
Las  !  te  plaist  il  en  ta  terre  gésir 
Comme  un  enfant,  et  pour  mère  choisir 

Moy  ton  ancelle? 
C'est  un  grand  cas,  point  ne  fault  que  le  celé, 
^De  me  voir  mère  estant  vierge  et  pucelle, 
Mère  d'un  Filz  qui  tout  autre  precelle  ; 

Vray  dieu  et  homme, 
Je  sents  en  moy  de  tes  biens  telle  somme, 
Que  mon  povoir  tu  absorbe  et  assomme; 
Car  charité  qui  ton  vouloir  consomme 

Me  tient  suspense. 
Possible  n'est  que  mon  sentiment  pense, 
Ne  mon  penser  par  parole  dispense; 
Car  5v  grand  est  de  toy  la  congnoissance, 

Que  plus  ne  sents 


16  DE    LA    NATIVITÉ 

Que  c'est  de  moy.  Donne  force  à  mes  sens 
Pour  mieux  servir  le  Roy  des  innocents  ; 
Car  de  bon  cœur,  Seigneur,  je  me  consents 

A  ton  service. 
Pour  le  porter  sois  à  mes  bras  propice; 
Remplis  mon  sein  de  laict  pur,  sans  nul  vice, 
Pour  de  ton  Filz  estre  vierge  nourrice. 

Or  sus!  mon  ame, 
Loue  ton  dieu,  qui  à  moy,  povre  femme, 
Fait  tel  honneur  que  chacun  me  dit  Dame, 
Par  le  regard  de  celuy  qui  enflamme 

Mon  cœur  de  joye. 
0  mon  enfant  !  est  il  vray  que  je  voye 
Ce  que  long  temps  tant  désiré  j'avoye  : 
Dieu  avec  nous,  vérité,  vie  et  voye, 

En  corps  mortel  ? 
Foy  là  dessoubz  me  le  monstre  immortel; 
Car,  quant  au  corps,  mon  Filz,  je  vous  voy  tel 
Qu'un  autre  enfant.  0  grand  Prebstre  et  autel 

Tant  admirable  ! 
Voire  et  hostie  à  dieu  seule  agréable, 
Qui  aux  pécheurs  rens  le  Père  placable. 
0  douce  odeur  !  ô  encens  délectable  ! 

0  doux  Agneau, 
Qui  entreprens  de  porter  le  fardeau 
De  tous  péchés,  rendant  l'homme  nouveau, 
Damné  en  soy,  en  Dieu  plaisant  et  beau  ! 


DE    JESUS    CHRIST.  17 

0  Dieu  en  chair! 
Emmanuel  du  Perefilz  trescher, 
Pourra)  je  bien  de  mes  mains  vous  toucher 
Et  de  ma  bouche  à  la  vostre  approcher  ? 

0  Dieu!  quelle  ayse! 
Comme  mon  Dieu  l'adore,  et  puis  le  baise 
Comme  monfilz.  Mais  que  je  luy  complaise, 
Avoir  ne  puis  chose  qui  me  desplaise. 

Je  n'ay  maison 
Pour  vous  servir  comme  il  seroit  raison; 
Mais  Dieu,  auquel  s'addresse  l'oraison, 
Fera  le  lieu,  et  la  froide  saison 

Pour  ta  santé 
Telle  qu'il  fault,  nous  donnant  à  planté 
Ce  que  voirra  sa  bonne  volunté; 
C'est  ce  qui  rend  mon  Esprit  contenté. 

Or  fault  qu'à  l'œuvre 
Mette  la  main,  et  ce  petit  corps  cœuvre, 
Qui  est  de  dieu  le  tresamé  chef  d'oeuvre, 
Des  drappeletz  non  faitz  d'argent  ny  d'or, 
Fors  que  le  lin,  dont  assez  l'on  recœuvre; 
Mais  de  rien  n'est  moins  riche  ce  thresor. 

Le  I.  Ange. 

Je  te  salue,  ô  dame  bienheureuse  ! 
Mère  du  Filz  dont  tu  es  amoureuse, 
Sans  offenser  pure  virginité; 

a  3 


l8  DE    LA    NATIVITÉ 

Tu  as  receu  nom  de  maternité, 

Et  du  Puissant  es  la  mère  et  la  fille. 

En  un  moment,  plus  prompt  que  l'œil  ne  sille, 

Foy  assembla  en  toy  divinité, 

Sans  despriser  la  povre  humanité. 

Or  voyons  nous  en  un  suppost  uny 

L'homme  avec  dieu,  et  le  meffait  puny 

Du  vieil  Adam,  par  une  mort  cruelle, 

Dont  la  façon  ne  fault  que  je  révèle. 

Le  II.  Ange. 

Honneur  devons  à  l'Agneau  pur  et  munde, 
Voire  et  occiz  avant  que  fust  le  monde 
Constitué  ;  lequel  ouvrit  le  livre 
Qui  rend  Adam  de  tout  péché  délivre  ; 
Nul  ne  povoit  lire  sus  escriture, 
Chacun  pleuroit  pour  en  faire  lecture; 
Mais  cest  Agneau  l'ouvrit  quasi  occiz, 
Dont  luy  devons  louenge  et  grand  merciz. 

Le  III.  Ange. 

0  du  thresor  divin  le  coffre  et  l'arche, 
Duquel  n'y  a  prophète  ou  patriarche 
Qui  nayt  chanté,  prophetizé,  prédit, 
Que  du  serpent  venimeux  et  maudit 
Seroit  par  toy  force  et  teste  brisée, 
Nous  t'adorons;  et  la  vierge  prisée 


DE    JESUS    CHRIST. 

Nom  saluons  sur  toutes  humblement; 
Car  par  sa  Foy  a  receu  sauvement 
Pour  elle  et  tous  ceux  de  l'humain  lignage, 
Dont  lu)  devons  service  d'avantage. 

Le  IIII.  Ange. 

0  vray  sauveur  que  le  Père  a  tenté, 
Voire  tous  biens  et  honneur  présenté, 
Pour  en  plaisir  régner  dessus  la  terre, 
Eslu  avez  plusiost  porter  la  guerre 
Contre  la  mort,  le  Péché  et  Sathan, 
Qu'entre  leurs  mains  laisser  lepovre  Adam. 
Des  biens  mondains  vous  n'avez  tenu  compte, 
Car  Charité  qui  tout  thresor  surmonte, 
Vous  a  contraint  de  faire  tel  effort, 
Que  pour  tous  biens  avez  choisy  la  mort  : 
Ce  que  je  suis  et  puis  estre  soubmetz 
De  vous  servir  et  louer  à  jamais. 

Le  Cinquième  Ange. 

Petit  enfant,  ne  vueillez  espargner 
Moy  trespetit,  ou  soit  pour  vous  baigner, 
Ou  vous  chauffer  voz  draps,  ou  vostre  lict; 
A  vous  servir  je  prendray  grand  delict. 

Les  Anges,  chantans  ensemble. 
0  admirable  hautesse  ! 


DE    LA    NATIVITÉ 

Grâce  nous  te  rendons, 
Dont  voyons  en  liesse 
Le  bien  que  prétendons  : 
Gloire,  louenge,  honneur, 
En  soit  à  toy,  Seigneur. 
Par  Christ  sommes  en  grâce 
Pour  jamais  confirmez; 
Pécheurs  de  terre  basse 
Par  luy  sont  reformez; 
De  joye  nous  repais, 
Allons  crier  la  paix. 

Joseph. 

Je  m'en  revois 
A  ceste  fois 
Vers  mon  Espouse, 
Pour  mon  devoir 
Faire  de  voir 
Nouvelle  chouse. 
De  ce  qu'il  fault 
Pour  ce  fruit  hault 
N'ay  la  puissance. 
S'y  avons  nous 
Non  les  biens  tous, 
Mais  suffisance. 
Point  d'indigence 
Ne  négligence 


DE    JESUS    CHRIST. 

De  vivre  au  labeur  de  noz  mains; 

Des  biens  donnons 

Et  aulmosnons  : 
Qui  plus  en  ha,  en  donne  moins. 

Quelle  lumière 

Voila  derrière  ! 
Je  suis  comme  un  homme  escarté. 

Il  m'est  advis 

Que  je  ne  viz 
Jamais  de  semblable  clarté. 

Je  voy  Marie 

Non  pas  marrie, 
Mais  d'un  visage  tresjoyeux. 

Mais  que  voit  elle, 

Ceste  pucelle? 
Tousjours  en  bas  elle  ha  les  yeux. 

Las,  c'est  V enfant 

Qui  me  défend 
De  mourir,  pour  voler  aux  cieux. 

Je  demourray; 

Non,  j'entreray 
Pour  voir  le  fruit  délicieux. 

Doy  je  garder 

Ou  regarder 
Ce  fruit  plein  de  vertu  divine? 

Las,  regarder 

Ne  engarder 


22  DE    LA    NATIVITE 

Ne  m'en  peult  ma  nature  indigne. 

Voicy  le  jour 

Que  vray  Amour 
Pour  se  monstrer  a  espié. 

0  quel  bon  tour! 

Dont  sans  séjour, 
M'amye,  donnez  moy  son  pied. 
Se  met  Par  ce  baiser 

à  genoux  _    . 

et  baise.  Puis  appaiser 

Mon  cœur  bruslant  en  Charité. 
Qu'il  est  plaisant, 
Beau  et  luisant! 

Aussi  il  est  la  Vérité. 

dieu,  puissant  Père 
Qui  tout  impere, 

Je  voy  reposer  dens  ce  F  Hz. 
Pas  ne  l'ignore, 
Dont  je  l'adore; 

Car  onques  doute  je  nen  feiz. 
Las,  sa  promesse 
En  grand  largesse 
Nous  a  maintenant  tenue. 
Heureux  je  suis 
Dont  voir  le  puis; 
0  heureuse  et  digne  veue  ! 


DE    JESUS    CHRIST.  2J 

Marie. 

Mon  amy,  il  nous  fault  entendre 
D'envelopper  cest  Enfant  tendre, 
Car  la  nuict  est  un  peu  trop  fresche. 

Joseph. 

Ce  m'est  plaisir  de  peine  en  prendre; 
Mais,  pour  un  peu  de  clarté  rendre, 
Je  vois  allumer  teste  mesche, 
Estoupper  aussi  ceste  bresche  : 
Mais  quand  il  me  vient  en  mémoire, 
Où  le  mettrons  nous?  En  la  creiche? 
Meilleur  lieu  n'a  au  diversoire. 


BERGERIE. 

Bergers  :  Sophron,  Elpison,  NephaU. 
Bergères  :  Philetinc,  Cristilh,  Dorothée. 

Sophron. 

Le  travail  jour  et  nuict 
Que  je  prens,  tant  me  nuict, 
Qu'il  me  fault  reposer. 


24  DE    LA    NATIVITÉ 


Elpison. 


J'ay  tant  chassé  le  Loup 
Et  couru,  ne  sçay  où, 
Qu'icy  me  veux  poser. 

Nephalle. 

De  dormir  je  n'ay  garde, 
II  fault  que  je  regarde 
Tousjours  sus  mes  Brebis. 

Philetine,  I.  Bergère. 

Et  mon  petit  Agneau, 
Qui  est  né  de  nouveau, 
Je  garde  en  mes  habitz. 

Cristilla. 

Ma  grand  brebis  blessée 
f'ay  sy  tresbien  pensée, 
Que  mal  n'aura,  m'amye. 

Dorothée. 

fay  tiré  du  laict  gras, 
Dont  j'ay  sy  mal  au  bras, 
Que  j'en  suis  endormie. 


DE   JESUS    CHRIST.  25 

Nephalie. 

Je  ne  sçay  qui  me  fait  veiller, 
Mais  je  ne  sçaurois  sommeiller; 
Ce  n'est  point  le  soing  du  troupeau. 
Car  j'ay  mon  parc  fermé  et  dont 
Sy  bien  que  je  ne  crains  les  Loups; 
Mon  troupeau  est  saing,  gras  et  beau  . 
Mais  j'ay  en  mon  cœur  une  joye, 
Qu'il  me  semble  tousjours  que  je  o\e 
Quelques  nouvelles  bien  plaisantes. 
En  attendant,  je  garderay 
Mon  troupeau,  et  regarderay 
Du  Ciel  les  estoilles  luisantes. 

Philetine. 

Mais  dites  moyy  frère  Pasteur, 
En  regardant  la  haute  hauteur 
Du  Ciel,  qu'est  ce  que  tu  contemple*. 

Nephalie. 

J'admire  le  hault  Créateur, 
De  toutes  choses  le  facteur, 
Et  duquel  nous  sommes  le  temple. 

Philetine. 
Ceste  bonté,  qui  tout  dispose, 


26  DE    LA    NATIVITÉ 

La  pensez  vous  en  nous  enclose 
Qui  sommes  indigne  vaisseau  ? 

Nephalle. 

M'amye,  soyez  asseurée 
Que  sa  bonté  desmesurée 
L'indigne  fait  tresdigne  et  beau. 

Philetine. 

0  Pasteur,  que  ce  mot  est  doux, 
Que  ce  hault  Dieu  habite  en  nous! 
Chacun  s'en  peult  il  tenir  seur? 

Nephalle. 

Par  grâce  il  est  en  vous,  en  moy, 
Et  en  tous  ceux  qui  ont  la  Foy; 
N'en  doutez  point,  ma  chère  sœur. 

Philetine. 

Pasteur,  qu'est  ce  qu'il  a  promis 
Aux  patriarches  ses  amys, 
Qu  l'ont  sy  long  temps  attendu  ? 

Nephalle. 

C'est  le  Christ,  le  vray  Messias, 
Son  vray  Filz,  pour  qui  tout  soûlas 
Et  salut  nous  sera  rendu. 


DE    JESUS   CHRIST.  ^^ 

Philetine. 

Helâs!  et  quand  viendra  le  temps 
Qu'il  nous  rendra  trestous  contens? 
Mon  Dieu,  que  ceste  heure  me  tarde! 

Nephalle. 

Je  Vattendz  par  affection 
Et  bien  grande  dévotion. 
Las,  vien,  Seigneur,  plus  ne  retarde. 

Les  Anges  ensemble. 

Resveillez  vous,  Pastoureaux, 

Voicy  le  jour 
Que  Dieu  monstre  en  cas  nouveaux 

Son  grand  amour. 

Nephalle,  en  criant. 

Frères  et  sœurs,  sus,  au  resve'd; 
Laissez  ce  terrestre  sommeil, 
Oyez  des  Anges  les  paroles. 

Philetine. 

Resveillez  vous  pour  le  Soleil 
Regarder  en  bel  appareil; 
Ne  soyez  pas  des  vierges  foies. 


28  DE    LA    NATIVITÉ 

Elpison. 

0  Dieu,  quelle  clarté  je  voy  ! 
J'en  senz  si  grande  crainte  en  moy, 
Que  ne  l'ose  voir  bonnement. 

Cristilla. 

Ceste  parfaite  et  grand  lumière 
Je  ne  puis  regarder  entière, 
Tant  j'ay  grand  esblouissement. 

Le  Premier  Ange. 

Ne  craignez  point,  Pasteurs. 
Voicy,  je  vous  annonce 
Grande  joye  en  voz  cœurs, 
Par  charité  semonce  : 

Dont  le  peuple  estrené 
En  sera  tost  ou  tard , 
Aujourd'huy  vous  est  né 
Pour  héritage  et  part. 

Le  Sauveur,  qui  le  Christ 
Est,  le  Seigneur  et  maistre, 
Ainsi  qu'il  est  escrit, 
Daigne  en  la  cité  naistre 

De  David,  son  grand  père. 
Ce  vous  sera  pour  signe  : 
Vous,  d'une  Vierge  mère 


DE    JESUS    CHRIST.  29 

Trouverez  l'Enfant  digne, 

Enveloppé  de  draps, 
Dedens  la  creiche  mys, 
Le  salut  que  ça  bas 
Dieu  vous  avoit  promis. 

Les  Anges ,  chantans. 

Gloire  soit  au  Dieu  des  dieux, 
Et  d'icelle  tout  remplisse, 
Tous  les  Cieux  et  les  haultz  lieux, 
Ordonnez  pour  son  service. 
Paix  soit  au  Monde  ça  bas, 
Et  la  terre  en  soit  sy  pleine 
Que  l'on  change  tous  debatz 
En  charité  souveraine. 
Aux  hommes  créés  de  toy 
En  ceste  heureuse  journée, 
Soit  pleine  d'amour  et  Foy 
Bonne  voluntê  donnée. 

Sophron. 

Mon  Dieu,  qu'est  cecy  que  j'ay  veu  ? 
Qu'ayje  ouy?  qu'ay  je  receui 

Elpison. 

//  m'a  semblé  voir  un  escler  . 
Ha  !  le  soleil  n'est  pas  sy  cltr. 


50  DE    LA     NATIVITÉ 

Nephalle. 

0  quel  parler!  quelle  nouvelle! 
Jamais  on  n'en  ouyt  de  telle. 

Philetine. 

Au  commencement  peur  j'avoye, 
Mais  après  j'ay  receu  grand  joye. 

Cristilla. 

Si  nous  allons  cest  enfant  voir, 
De  le  servir  feray  devoir. 

Dorothée. 

De  bon  cœur  servirons  la  Mère, 
Je  croy  qu'elle  est  belle  commère. 

Philetine. 

Qui  gardera  le  parc  et  les  moutons!' 

Sophron. 

Ce  sera  Dieu,  jamais  plus  n'en  doutons. 

Il  gardera  Bergères  et  Bergers, 

Brebis,  Moutons,  de  tous  maux  et  dangers. 

11  se  met       Frères  et  sœurs-,  oyez  ce  qui  me  semble, 

aumyheu.  Je  vQus  f^ers,  d'un  cœur  uny  ensemble; 

Passons  trestous  jusques  en  Bethléem  ; 


DE    JESUS    CHRIST.  31 

Ne  cerchons  pas  Christ  en  Hierusalem, 
Car  l'ange  a  dit  qu'en  un  trespovre  lieu 
Dens  les  drapeaux  verrons  le  Filz  de  Dieu. 
Allons,  courons,  et  voyons  ceste  chose 
Où  des  humains  l'espérance  est  enclose, 
Qui  maintenant  a  pour  nous  esté  faite, 
Dont  a  chanté  maint  Roy  et  maint  Prophète  ; 
Laquelle  à  nous,  en  estrange  contrée, 
A  le  Seigneur  par  grâce  demonstrée. 

Philetine. 

Las,  tire  moy  après  toy,  Dieu  treshault, 
Et  que  d'icy  là  ne  face  qu'un  sault; 
Et  en  sentant  la  tressuave  odeur 
De  tes  unguens,  courons  en  grand  roideur. 

Criailla. 

Tes  petites  et  treshumbles  servantes, 
Qui  sont  en  Foy  encor  adolescentes, 
T'aymeront  moult,  contemplant  ta  beauté; 
Ton  amour  vault  plus  qu'une  royauté. 

Dorothée. 

Chantons,  dansons  et  courons  sy  soudain, 
Que  nous  passons  en  sautant  jCerf  et  Daim. 


32  DE    LA    NATIVITÉ 

Elpison. 

Et  je  requiers  que  nully  ne  s'en  feigne, 
Et  descendons  ceste  grande  montaigne 
Pour  aller  voir  :  s'il  a  fermé  son  huys, 
Nous  le  voirrons  au  moins  par  un  permis. 

Nephalle. 

En  la  maison,  qui  est  sy  humble  et  basse, 
Il  y  aura  quelque  fente  ou  crevace 
Par  où  verrons  nostre  Seigneur  et  maistre, 
Si  nous  trouvons  fermez  l'huys  etfenestre. 

Sophron. 

Partons,  chantons  tous  ensemble  d'accord, 
Et  que  chacun  de  courir  face  effort. 

Sophron  et  Philetine. 

Les  Bergers  Dansons,  chantons,  faisons  rage, 

Bergères  Puis  qu'avons  grâce  pour  pardon  ; 

ciuntans!  Chantons  Noël  de  bon  courage, 

Car  nous  avons  Christ  en  pur  don. 

Elpison  et  Cristilla. 

Laissons  Adam  et  son  lignage, 
Plus  avec  luy  ne  demeurons; 
Quittons  tous  nostre  vieil  bagage, 


DE    JESUS    CHRIST.  33 

Chèvres,  Brebis,  Chien  et  Moutons. 
Chantons  Noël,  etc. 

Nephalle  et  Dorothée. 

Allons  voir  Marie  la  sage 
Avec  r Enfant  de  grand  renom, 
Dont  les  Anges,  en  doux  langage, 
Nous  ont  fait  un  sy  beau  sermon. 
Chantons  Noël,  etc. 

Sophron  et  Philetine. 

Portons  à  leur  povre  mesnage 
De  noz  biens  à  grand  abandon. 

Dorothée. 

Je  luy  porteray  mon  fourmage 
Dens  ceste  feisselle  de  jon. 
Chantons  Noël,  etc. 

distilla. 

Et  moy  ce  grand  pot  de  laictage; 
Marie  le  trouvera  bon. 

Philetine. 

Je  luy  donray  ma  belle  cage, 
Où  est  mon  petit  oy sillon. 
Chantons  Noël,  etc. 


34  DE    LA    NATIVITÉ 

Elpison. 

Ce  fagot  aura  pour  chauffage, 
Il  fait  froid  en  ceste  saison. 

Nephalle. 

Mon  flageollet  pour  son  usage, 
L'enfant  en  aymera  le  son. 
Chantons  Noël,  etc. 

Sophron. 

Et  moy,  je  feray  le  message, 
fentens  mieux  que  vous  la  raison. 

Philetine. 
Je  le  baiseray  au  visage. 

Cristilla. 

Non,  c'est  bien  assez  au  talon. 
Chantons  Noël,  etc. 

Sophron  et  Philetine. 

Courons  tost  à  ce  saint  voyage, 
Plus  ne  fault  qu'icy  nous  tardons  ; 
Ne  craingnons  nul  mauvais  passage, 
Prenons  houlette  pour  bourdon. 
Chantons  Noël,  etc. 


DE    JESUS    CHRIST  j} 

Elpison  et  Cristilla. 

Et  Dieu,  dans  ce  petit  Image, 
Croyons,  adorons  et  aymon  ; 
Faisons  luy  de  noz  cœurs  hommage, 
Car  certes  rien  nous  n'y  perdon. 
Chantons  Noël,  etc. 

Nephalle  et  Dorothée. 

Mes  frères,  encores  bien  sçay  je 
Que  si  en  luy  nous  nous  fion, 
En  nous  sera  pour  héritage, 
Et  nous  en  luy  tousjours  seron. 

Chantons  Noël  de  bon  courage, 
Car  nous  avons  Christ  en  pur  don. 

Sophron. 

Voilà  le  lieu  et  petite  cité 
Dont  tant  de  biens  on  nous  a  recité; 
Cerchons  icy  l'endroit  tant  délectable, 
Qui  semble  mieux  qu'un  palais  un  estable. 

Elpison. 

Pas  n'est  icy,  en  ceste  maison  painte, 
Où  habiter  veult  la  personne  sainte. 


}6  DE    LA    NATIVITÉ 

Nephalle. 

Ce  triomphant  palais  n'est  pas  celuy 
Dont  le  Petit  veull  faire  son  estuy. 

Philetine. 

Voilà  un  lieu  dans  ce  rocher  estrange  : 
Seroit  ce  point  ceste  honorée  grange? 

Cristilla. 

Ce  Heu  avez,  m'amye,  mal  merché  : 
C'est  où  l'on  met  les  bestes  du  marché, 
Quand  on  les  meine  en  ceste  cité  vendre. 

Dorothée. 

Aussi  nous  a  l'Ange  bien  fait  entendre 
Qu'en  povre  lieu,  lié  de  drapeletz, 
Le  trouverions,  non  en  ces  grands  palais. 

Sophron. 

Approchons  nous,  faisons  nostre  devoir 
De  cercher  lieu  par  où  le  puissions  voir. 

Elpison. 

Le  plus  heureux  et  le  premier  je  suis, 
Qui  le  verray  par  le  trou  de  cest  huys. 


DE    JESUS    CHRIST.  J7 

Philetine. 

Voicy  un  lieu  qui  est  sy  fort  ouvert, 
Que  le  dedens  ne  sera  descouvert. 

distilla. 

Voyez  l'enfant  et  celle  qui  l'allaicte. 

Dorothée. 
0  le  poupon,  regardez  comme  il  tette  ! 

Sophron. 

C'est  un  thresor,  tant  il  est  bien  formé. 
Sera  jamais  l'huys  pour  nous  defermé? 

Elpison. 

Mais  appelions  cest  homme  que  voilà 
Pour  nous  ouvrir.  Hau  !  Monseigneur,  holà  ! 

Joseph. 
Qui  sont  ceux  là,  qui  là  dehors  font  bruit  ? 

Sophron. 

Qui  vont  cer chant  de  vie  le  vray  fruit, 
Car  nous  sçavons  et  croyons  fermement 
Qu'en  cest  enfant  est  nostre  sauvement. 


j8  DE    LA    NATIVITE 

Marie. 

Si  Dieu  leur  a  ce  grand  cas  révélé, 
Il  ne  fault  pas  que  par  nous  soit  celé, 
Car  aux  croyans  il  fault  le  Christ  monstrer. 
Ouvrez  leurVhuys. 

Joseph. 

Vous  povez  bien  entrer. 

Elpison. 
Entrons. 

Sophron. 

Tout  beau,  sans  l'un  l'autre  fouler. 

Nephalle. 
Las,  de  le  voir  ne  me  pourray  saouler. 

Sophron. 

Dieu  immortel,  qui  sur  les  deux  impere, 
Et,  qui  plus  est,  pour  nous  fais  ton  repaire 
En  cest  enfant,  auquel  nous  t'adorons, 
Et  saluons  la  tresheureuse  Mère 
De  cest  enfant,  dont  toy  seul  es  le  père, 
De  tous  noz  cœurs  Vaymons  et  rêverons, 
A  tout  jamais  louenges  chanterons 
Pour  ce  divin  et  salutaire  ouvrage; 


DE    JESUS    CHRIST.  39 

Noz  biens,  noz  cœurs,  nosirc  tout  t'offrirons, 
Nous  t'aymerons  tout  le  cours  de  nostre  aage. 

Elpison. 

Nous  t'adorons,  ô  divine  puissance , 
Qui  as  daigné,  soubz  la  forme  d'enfance, 
Avecques  nous  humblement  habiter; 
L'œil  voit  l'enfant  impuissant  en  présence, 
Mais  Foy  qui  croit  par  seure  congnoissance 
Devient  nostre  œil,  et  nous  vient  inciter 
De  t'adorer,  honnorer,  visiter, 
Comme  vray  Dieu  et  celuy  seul  qui  Est, 
Qui  peux  tuer  et  puis  ressusciter 
Tous  les  vivans,  quand  et  comme  il  te  plaist. 

Nephalle. 

Tu  es  de  Dieu  la  promise  semence 
Au  povre  Adam,  après  sa  lourde  offense, 
Qui  trop  s'estoit  au  serpent  confié. 
Abraham  creut  ceste  heureuse  sentence, 
David  aussi,  pourquoy  feit  pénitence  ; 
Et  l'un  et  l'autre  en  feut  justifié. 
Noé  en  toy  s'est  fermement  fié, 
Pourquoy  il  feut  sauvé  du  grand  déluge. 
Qui  croit  en  toy,  il  est  certifié 
Qu'à  tout  jamais  tu  luy  seras  refuge. 


40      •  DE    LA    NATIVITÉ 

Philetine. 

Or  voy  je  ce  qu'en  Esaie  ay  leu  : 
C'est  une  Vierge  ayant  son  F  Hz  conceu  ; 
Dame,  c'est  vous  dont  il  parla  sy  bien. 
Rosée  que  le  ciel  voulté  a  pieu, 
0  terre  heureuse,  ayant  par  Foy  receu, 
Voire  et  germé  le  fruit,  qui  est  lien 
De  Dieu  en  nous,  nous  qui  dessoubz  ce  Rien 
Viens  habiter  avec  tes  créatures! 
Las,  je  congnois  qu'il  n'est  nul  plus  grand  bien 
Que  voir  l'effect  des  saintes  Escritures. 

Cristilla. 

Povres  pécheurs,  remplis  d'ingratitudes, 
L'Asne  et  le  Bœuf,  qui  sont  bestes  sy  rudes, 
N'ont  mescongnu  leur  maistre  et  bienfaicteur  ; 
Trop  bestiaux  sont  voz  sens  et  estudes, 
Voy  ans  ces  dons  en  telles  multitudes, 
Si  vous  n'aymez  ce  puissant  donateur. 
Au  saint  escrit  j'ay  veu  dens  un  acteur, 
En  admirant  le  Christ  et  ses  travaux, 
Dit  que  devons  voir  nostre  Rédempteur 
En  povre  lieu,  entre  deux  animaux. 

Dorothée. 
Or  voit  mon  œil  ce  qu'ay  creu  et  pensé  : 


DE    JESUS    CHRIST.  41 

C'est  quon  verroit  la  verge  de  Jessé, 

Et  puis  après  d'elle  monter  en  hault 

La  fleur  par  qui  sera  recompensé 

Dieu,  beaucoup  plus  qu'il  ne  fut  offensé 

Du  po'vre  Adam  par  le  premier  default. 

Vierge,  de  toy  encor  dire  me  fault  : 

Tu  es  le  mont  dont  fut  prise  la  pierre 

Sans  main  d'ouvrier,  fors  Dieu  seul,  qui  le  sault 

Feit  à  son  F  Hz  faire  du  Ciel  en  terre. 

Joseph. 
Amys,  comment  avez  vous  sceu  cecy? 

Sophron. 

Seigneur,  hersoir,  le  Ciel  desja  noircy, 
Vismes  de  Dieu  Anges  replendissans  ; 
Nous  eusmes  peur.  Lors,  nous  resjouyssans, 
Dirent:  le  Filz  de  Dieu  est  né  pour  vous. 
Pensez,  Seigneur,  s'il  y  eust  nul  de  nous 
Qui  ne  courust  de  bon  cœur,  pour  povoir 
Ce  qu'avons  tous  désiré  recevoir. 

Joseph. 

Loué  soit  Dieu,  qui  à  l'orgueilleux  cache 
Ce  que  luy  plaist  que  l'humble  et  petit  sache  ; 
Croyez  le  Grand  dessoubz  ce  petit  corps, 
En  l'impuissant  gist  la  force  des  forts. 


42  DE    LA    NATIVITÉ 

Soubz  ce  muet  couverte  est  la  Parole. 
Soubz  cesie  chair  tant  délicate  et  molle 
Le  fort  David  y  est,  qui  de  sa  fonde 
A  mys  à  mort  le  plus  grand  de  ce  monde. 
Ne  doutons  plus,  Dieu  est  avec  nous; 
Et  pour  jamais  l'Espouse  avec  VEspoux 
Par  cest  enfant  ensemble  sont  unit, 
Comme  par  luy  tous  les  maux  sont  punit. 

Sophron. 

Vous  plairait  il,  par  vostre  humilité, 
Vierge  portant  nom  de  maternité, 
Not  questions  en  patience  entendre? 

Marie. 

Icy  pour r et  la  vérité  apprendre; 
Ne  craingnez  rien,  mais  parlet  hardiment. 

Philetine. 

Je  voudrois  bien  sçavoir,  premièrement, 
Pourquoy  au  lict  ne  vous  trouvons  couchée, 
Veu  qa'aujourdhuy  vous  estes  accouchée? 

Marie. 

Le  digne  fruit  qui  donne  à  tous  liesse 
Par  sa  vertu  m'exempte  de  foiblesse. 


DE    JESUS    CHRIST.  43 

Joseph. 

Son  corps,  qui  est  sans  tache  ne  macule, 
Est  tousjours  sain;  tout  mal  de  luy  recule. 

Cristilla. 
Pourquoy  n'est  né  Christ  en  grande  maison  ? 

Marie. 

Bien  facile  est  d'en  dire  la  raison  : 
Il  a  aymé  parfaite  povreté 
Pour  enrichir  cil  qui  eust  povre  esté. 

Joseph. 

Vous,  bastisseurs  de  grands  palais  sy  amples, 
Editeurs  de  maisons  et  de  temples, 
Voyez  celuy  qui  tout  en  sa  main  tient, 
Qui  en  ce  lieu  povre  et  petit  se  tient; 
Sy  n'aurez  vous  en  fin  de  vostre  guerre 
Que  la  longueur  de  vostre  corps  de  terre. 

Nephalle. 

Pourquoy  n'a  il  de  beaux  acoustremens 
D'or  et  d'argent,  rubys  et  diamans? 


44  DELANATIV1T 

Marie. 

Simplicité  dont  il  est  amoureux 
Luyfait  haïr  tout  estât  curieux. 

Joseph. 

Bien  que  l'habit  ne  face  le  péché, 
Qiii  à  son  cœur  a  Dieu  seul  attaché, 
Sy  est  tousjours  la  curiosité, 
La  vanité  et  super fluité 
De  Dieu  haïe,  et  des  bons  reprimée  : 
Par  Christ  en  est  la  Parole  approuvée; 
Et,  en  trouvant  tous  ces  ornemens  laids, 
S'est  contenté  de  petits  drappelets. 

Philetine. 

Pourquoy  n'avez  au  moins  quelque  servante, 
Pour  vous  servir  d'affection  ardente  ? 

Marie. 

Je  n'ay  besoing  d'estre  de  nul  servie, 
J'ay  de  servir  grand  plaisir  et  envie. 

Joseph. 

L'indigent  fault  servir  en  diligence, 
Mais  de  rien  n'a  ceste  dame  indigence; 
L'enfant  luy  est  pain  vif  pour  nourriture, 


DE    JESUS    CHMST.  45 

Sa  charité  luy  sert  de  couverture 

En  ceste  vie;  et  en  ce  vestement 

Elle  ha  tousjours  parfait  contentement. 

Cristilla. 

Dame,  pourquoy  ne  vient  icy  le  monde, 
Pour  adorer  le  Bien  où  tout  abonde? 

Marie. 

Prou  d: 'appeliez  y  a,  mais  peu  d'Esluz  ; 
Mais  les  Esluz  y  viendront,  et  non  plus. 

Joseph. 

David,  Noè,  Abraham  et  Jacob, 
En  ont  parlé  à  ce  monde  beaucop  ; 
Chacun  Prophète  à  chanter  s'est  espris, 
Pour  inciter  chacun  courir  au  prys 
De  Dieu  promis,  et  à  tous  exposé  : 
Mais  chacun  a  ou  son  parler  glosé, 
Ou  deprisé,  ou  comme  nul  tenu, 
Tant  que  bien  peu  de  peuple  y  est  venu. 

Dorothée. 

Pourquoy  le  Beau  n'est  par  sus  tous  ayméf 
Pourquoy  le  Bon  n'est  sur  tous  estimé  i 


46  DE    LA    NATIVITÉ 

Marie. 

Pource  qu'Amour  est  sy  tresraisonnable, 
Qu'entrer  ne  peult  sinon  en  son  semblable. 

Joseph. 

Amour  de  nous  jamais  ne  prend  naissance, 
Mais  vient  de  Dieu,  qui  donne  congnoissance 
De  son  amour  en  nous,  qui  ne  séjourne, 
Mais  tout  soudain  dont  elle  vient  retourne. 
La  créature  est  bien  audacieuse 
Qui  sent  en  soy  ceste  flamme  amoureuse, 
Et  attribue  à  soy  le  sentement 
Qui  vient  de  Dieu,  et  est  Dieu  purement. 
Dieu  est  Amour,  qui  en  sa  créature 
Se  veult  aymer  par  sa  charité  pure. 

Sophron. 
Quelz  motz  voicy  !  de  plaisir  je  m'estonne. 

Elpison. 
Voicy  le  jour,  fault  il  que  je  retourne? 

Nephalle. 
Fault  il  laisser  cest  enfant  nompareil? 


DE    JESUS    CHRIST.  47 

Philetine. 

Ma  Dame,  au  moins  son  petit  bout  d'orteil 
Pour  le  baiser  vous  plaise  me  donner. 

Cristilla. 

A  moy  aussi.  Las,  veuillez  pardonner 
Ma  privauté  et  trop  grand1  hardiesse. 

Dorothée. 

Pour  m'enyvrer  jusqu'au  bout  de  liesse, 
Permettez  moy  que  j'en  baise  la  plante. 
Maintenant  suis  bien  heureuse  et  contente. 
Noz  yeux  l'ont  veu  et  noz  mains  l'ont  touché, 
L'Agneau  trespur  qui  oste  le  péché. 

Sophron. 

Las,  recevez  de  povreté  les  dons 
Avec  noz  cœurs,  qu'à  vous  servir  tendons. 

Philetine. 

Cest  oyselet,  qui  n'est  laid  ne  meschant, 
Aurez  de  moy,  car  il  ha  plaisant  chant. 

Cristilla. 

Tenez  ce  laict,  pour  faire  sa  boullie; 
Encor  en  ay,  la  chèvre  n'est  faillie. 


48  DE    LA    NATIVITÉ 

Dorothée. 

Fourmage  fraiz  dedens  ceste  feisselle 
Sera  pour  vous,  tresheureuse  pucelle. 

Nephalle. 

Monflageollet,  s'il  vous  plaisî  de  l'ouyr, 
Il  vous  fera  tout  le  cœur  resjouyr. 

Elpison. 

De  mon  fagot  aussi  vous  fais  présent; 
Le  feu  vous  est  bien  sain  au  temps  présent. 

Sophron. 

M oy,  qui  pour  tous  dois  faire  la  harangue, 
Confesser  veux  n'avoir  force  ny  langue, 
Ny  nul  sçavoir  pour  vous  remercier. 
Rien  ne  povons,  fors  nous  humilier 
Devant  l'Enfant,  où  la  divinité 
Veult  habiter  par  son  humilité, 
Offrant  tout  ce  qu'en  nous  le  Père  a  mys, 
Amys  d'amys,  ennemys  d'ennemys. 
Vivre  et  mourir  voulons  en  te  servant; 
Vivre  sans  toy  estimons  moins  que  vent. 
A  Dieu,  Enfant,  lequel  tousjours  bénie 
Toy  et  ta  belle  et  noble  compagnie. 
A  Dieu,  Marie;  A  Dieu,  de  Dieu  l'aymée, 


DE    JESUS    CHRIST.  49 

Parquoy  serez  d'un  chacun  estimée. 
A  Dieu,  Joseph  :  grâces  nous  vous  rendons, 
Et  Mère  et  Filz  nous  vous  recommandons. 
Si  nul  de  nous  vous  peut  en  rien  servir, 
Mandez  le  nous,  vous  nous  verrez  courir. 

Marie. 

Celuy  qui  est  vérité,  vie  et  voye, 
Pasteurs  Esluz,  vous  garde  et  bien  convoyé  ! 

J'ay  eu  l'oreille  ententive,  aussi  l'œil, 
A  leur  parler,  dont  je  fais  le  recueil 
Dedens  mon  cœur  :  là  ou  je  le  conserve; 
Je  le  confère,  et  le  garde  et  observe; 
Ce  m'est  plaisir  de  voir  le  Souverain 
Communiquer  à  ce  lignage  humain. 

Le  Petit  l'a  trouvé,  et  Dieu  l'a  congnu  nu; 

Le  Grand  l'a  reprouvé,  dont  mal  luy  est  venu; 

La  grandeur  n'a  congnu  soubz  ceste  petitesse  : 

Dont  honneur  soit  rendu  et  gloire  à  sa  haultesse. 

Les  Bergères  chantent.  Fin 

de  Marie 
et  Joseph. 

Pasteurs,  menons  trestous  joye, 
Et  chantons  bien  hautement, 
Car  en  quelque  part  que  soye, 
Vivre  veux  joyeusement. 


$0  DE    LA    NATIVITÉ 

Sathan  commence. 

Jusques  icy  j'ay  régné  puissamment, 
En  subjugant ceste  mortelle  terre; 
Sans  nul  propos  incessamment  fais  guerre 
Au  Dieu  d'enhault,  etviz  triomphamment. 

Les  Pasteurs. 

Bergères  vierges  et  belles, 
Nous  devons  chanter  aussi, 
Disans  les  bonnes  nouvelles 
Qui  nous  ostent  tout  soucy. 

Sathan. 

Voilà  un  chant  qui  me  rend  tout  transy. 
Quelle  nouvelle  est  ce  qu'Ut  ont  ouye? 
Leur  compagnie  en  est  fort  resjouye , 
Y  auroit  il  point  pour  moy  quelque  Si  ? 

Les  Bergères,  en  chantant. 

■Une  Vierge  qui  est  mère 
A  un  beau  Filz  enfanté, 
Qui  n'ha  nul  que  Dieu  pour  Père 
Ce  mot  soit  bien  hault  chanté. 

Sathan. 
0  que  je  suis  bien  enchanté! 


DE    JESUS   CHRIST.  51 

Une  Vierge  enfanter  un  filz  ! 
Harauld!  c'est  le  terme  prefix 
Dont  je  seray  mal  contenté. 

Les  Pasteurs,  chantans. 

Puis  que  Dieu  joindre  au  lignage 
S'est  daigné  du  povre  Adam, 
Du  ciel  avons  l'héritage 
En  despit  du  faux  Sathan. 

Sathan. 

Quelle  douleur  j'ay  pour  ceste  fin  d'an  ! 
Ce  secret  là  me  seroit  il  caché? 
De  le  sçavoir  sans  cesser  j'ay  tasché, 
Depuis  que  feiz  Adam  saillir  d'Eden. 
Sçavoir  m'en  fault  la  vérité  plus  ample. 
D'où  venez  vous  ? 

Sophron. 

De  viziter  un  temple 
Mieux  orné  que  cil  de  Salomon. 

Elpison. 
D'ouyr  aussi  un  fructueux  sermon, 
Par  qui  en  Dieu  régénérez  nous  sommes. 

Nephalle. 
De  voir  le  Christ,  le  vray  salut  des  hommes. 


$2  DE    LA    NATIVITÉ 

Vous  y  plaisî  il  aller,  tresgrand  Seigneur? 
Je  vous  seray  du  chemin  enseigneur. 

Sathan. 
//  n'est  pas  vray.  C'est  resverie  ou  songe. 

Philetine. 

La  Vérité,  qui  confond  le  mensonge, 
Dens  un  enfant  avons  touchée  et  creue. 

Sathan. 

Foies,  allez  ;  vous  la  me  baillez  crue. 

Cristilla. 

Combien,  Seigneur,  que  vous  ne  le  croyez. 
Si  est  il  vray.  Mais  à  fin  qu'en  soyez 
Mieux  asseuré,  allez  le  voir  vous  mesmes. 

Sathan. 
Toutes  mentez,  et  f aillez  à  voz  esmes. 
Dorothée. 

Hà,  l'enfant  est  de  telle  dignité, 
Croyant  qu'en  luy  est  la  divinité, 
Que  vous  prendrez  à  le  voir  grand  esbat. 


DE    JESUS    CHRIST.  $3 

Sathan. 

Je  n'en  croy  rien;  vous  venez  du  sabbath, 
Où  enchanteurs  vous  ont  trop  amusées, 
Et  tellement  en  doctrine  abusées, 
Que  vous  croyez  ce  qui  ne  sçauroit  estre. 

Les  Bergers  et  Bergères.  Ensemble. 

//  est  vray. 

Sathan. 

Povres,  l'on  vous  fait  paistre 
Comme  l'on  veult  de  tresfaulses  doctrines. 

Sophron. 

Les  grands  vertus,  puissantes  et  divines, 
Du  saint  esprit  en  noz  cœurs  inspirées, 
Sont  de  nous  tant  creues  que  désirées; 
Nul  ne  sçauroit  à  l'esprit  résister. 

Sathan. 

Aveuglez  folz,  je  vous  veux  inciter 
De  désister  de  ceste  foie  Foy. 
Si  vous  voulez  un  petit  croire  en  moy, 
Voir  vous  feray  que  ce  Dieu  de  là  hault 
Du  monde  bas  n'ha  cure,  et  ne  luy  chault; 
Mais  plus  en  lia  celuy  qui  plus  en  prend; 


H  DE    LA   NATIVITÉ 

Malheureux  est  qui  ne  veult  estre  grand. 

Si  adorer  me  voulez  et  servir, 

Croire  et  aymer,  vous  pourrez  desservir 

Biens  et  honneurs  et  plaisir.  Car  pourquoy, 

Donner  les  puys  :  je  suis  du  monde  Roy. 

Je  changera)  voz  gros  vilains  bureaux 

En  tous  draps  d'or,  d'argent,  riches  et  beaux. 

Vous  qui  servez  brebis  et  simples  bestes, 

Je  vous  feray  servir  à  grands  requestes  ; 

Vostre  labeur  en  grand  oysiveté 

Je  tourneray,  et  en  lascivité. 

Bref,  de  petis  vous  feray  venir  grands, 
Pour  les  petis  ronger  à  belles  dents. 
Je  vous  feray  et  craindre  et  estimer, 
Voire  par  tel  qui  ne  vous  daigne  aymer. 
Mais  si  fault  il  que  vous  ne  croyez  pas 
Que  Dieu  descende  un  si  malheureux  pas, 
Du  ciel  treshault,  là  où  il  se  réponse, 
Pour  prendre  ainsi  une  ame  pour  cspouse  ; 
Ne  que  jamais  vueille  à  Adam  donner 
Son  paradis,  et  ses  maux  pardonner, 
Si  cest  Adam  n'avoit  par  son  labeur 
Fait  œuvre  digne  à  ceste  grand  valeur 
Et  acomply  la  loy,  sans  un  Iota 
En  délaisser  ;  retenez  ce  Nota. 
Parquoy  laissez  à  Dieu  tous  ses  haults  Cieux, 
Et  regardez  la  terre  pour  le  mieux  : 


DE    JESUS    CHRIST.  55 

Sa  gloire  il  tient  aux  hommes  par  trop  chère; 
Venez  à  moy,  nous  ferons  bonne  chère. 

Sophron. 

Foy  n'y  a  en  vous,  créance  ne  fiance  : 
Dont  mieulx  me  plaist  repoz  de  conscience 
Que  tous  les  biens  qu'il  vous  plaist  présenter  ; 
Car  un  bon  cœur  ne  s'en  peult  contenter. 

Elpison. 

Ne  pensez  pas  que  l'esprit  du  fidèle, 
A  qui  l'esprit  de  Dieu  tousjours  révèle 
Son  bon  plaisir,  sceust  de  vous  tenir  compte  : 
Car  tout  honneur  mondain  il  tient  pour  honte. 

Nephalle. 

La  povreté  point  le  corps  ne  nous  blesse, 
Car  nous  sçavons  d'où  vient  nostre  noblesse  ; 
Un  père  avons  qui  est  bien  riche  assez  ; 
Tous  ses  thresors  sont  pour  nous  amassez. 

Philetine. 

Ja  n'adviendra,  et  plustost  mort  m' advienne, 
Qu'au  Trespetit,  vray  espoux,  ne  me  tienne  : 
Car  en  luy  voy  la  parfaite  grandeur  ; 
Toute  beauté  hors  de  luy  m'est  laideur. 


$6  DE    LA    NATIVITÉ 

Cristilla. 

Par  Foy  il  est  engendré  en  noz  cœurs, 
D'amour  goustons  les  divines  liqueurs; 
Tous  les  plaisirs  du  monde  sont  tristesses 
Au  prix  de  ses  indicibles  liesses. 

Dorothée. 

Mon  Père  il  est,  et  mon  Frère,  et  mon  Tout  ; 
Je  suis  à  luy  de  l'un  à  l'autre  bout  ; 
Ja  n'ay  qu'un  Dieu  :  parquoy  l'idolâtrie 
Ne  m'ostera  ma  céleste  patrie. 

Sathan. 

Voicy  mes  gentz.  Sont-ilz  spirituelz} 
Mes  insensez  ?  0  folz  continuelz , 
Estes  vous  Dieux? 

Sophron. 

Mais  Rien  nous  confessons. 
La  gloire  au  Filz  d'estre  Dieu  nous  laissons. 
Il  nous  souffit  d'estre  ce  qui  luy  plaist 
Et  de  sçavoir  qui  est  celuy  qui  Est. 

Sathan. 
Cuydez  vous  pas  avoir  son  saint  Esprit  ? 


DE    JESUS    CHRIST.  $7 

Elpison. 

S'il  est  dedens  nosîre  cœur  bien  escrit, 
Sy  vivement  le  sçavons  et  sentons 
Qu'impossible  est  que  jamais  en  doutons. 

Sathan. 
Pensez  vous  bien  entendre  l'Escriture? 

Le  III.  Berger. 

Nous  en  faisons  humblement  la  lecture. 
Maistre  n'avons  sinon  sa  charité, 
Qui  nous  apprend  toute  la  vérité; 
Plus  en  sentons,  moins  en  povons  parler, 
Car  fort  amour  fait  ce  secret  celer. 

Sathan. 
Osez  vous  bien  nommer  le  grand  Dieu  Père  f 

Philetine. 

J'ose  par  luy  ce  que  par  luy  j'espère, 
Ce  que  je  croy  et  fermement  je  tiens. 
Père  il  est  nostre,  et  sommes  de  ses  biens 
Vrays  héritiers;  acquise  est  nostre  part, 
Dont  eau  et  feu  n'en  feront  le  départ. 


^8  DE    LA    NATIVITÉ 

Sathan. 

Si  vostre  père  estoit,  ainsi  que  dites, 
Vous  lairroit  il  les  povreîés  maudites 
Que  vous  souffrez  en  grand  nécessité? 
Ouvrez  les  yeux,  gens  pleins  de  cécité  : 
Avez  vous  veu  jamais  qu'un  homme  riche 
Laisse  son  fdz  comme  désert  en  friche? 
Il  defaudroit  de  vouloir  et  puissance, 
S'il  ne  donnoit  des  biens  en  abondance. 
Quelzfilz  de  Dieu,  qui  n'ont  de  ses  thresors 
Fors  faim  et  froid,  habitz  povres  et  ordz! 

Elpison. 

Ceste  parole,  espée  tresagué, 
Par  Charité  les  siens  souvent  arguë 
Et  les  chastie ,  à  fin  de  tous  les  rendre 
Moindres  que  riens,  plus  petis  que  la  cendre. 
Mais  les  ayant  jusques  à  rien  soubmys, 
Se  monstre  père  à  ses  enfans  amys. 
Lors  est  de  luy  la  vie  en  nous  goustée, 
Quand  il  nous  a  celle  d'Adam  ostée  : 
Dont  le  grand  bien  est  tel,  qu'il  fait  offrir 
Joyeusement  noz  corps  à  tout  souffrir. 
Plus  nous  souffrons,  nostrc  joye  redouble; 
De  voz  plaisirs  ne  donnons  pas  un  double. 


DE    JESUS    CHRIST.  59 

Sathan. 

Si  en  toy  fust  le  Filz  de  Dieu.  îrescher, 
Te  lairroit  il  ainsi  souvent  pécher? 
Le  père  aymant  son  jïlz  vous  garderait 
Si  chèrement,  que  nul  ne  pecheroit. 
Or  péchez  vous  souvent  contre  sa  Loy  : 
Parquoy  chacun  peult  bien  juger  en  soy 
S'il  est  vray  filz;  car,  ou  péché  opère, 
Ne  fault  juger  que  Dieu  y  soit  pour  père. 

Dorothée. 

Nostre  cœur  n'est  de  voz  ditz  empesché. 
Nous  confessons  que  nous  faisons  péché, 
Et  ne  povons  rien  sinon  péché  faire  ; 
Mais  Dieu  en  nous,  pour  son  œuvre  parfaire, 
Joint  dedens  nous  sa  tresjuste  justice, 
A  qui  sert  bien  de  fueille  nostre  vice. 
Le  tresbeau  blanc  se  fait  bien  plus  blanc  veoir 
Quand  on  le  met  sur  un  fondz  qui  est  noir. 
Péché  est  nostre,  autant  que  nous  cuydons 
Estre  et  povoir,  et  que  nous  nous  guydons 
Par  nostre  sens.  Mais  quand  il  est  rendu 
Tel  comme  il  est,  et  Rien  bien  entendu, 
Nous  nous  perdons  en  perdant  ce  cuyder, 
Qui  ne  sçauroit  hors  de  noz  cœurs  vuyder, 
Si  vérité,  pour  y  prendre  sa  place, 


60  DE    LA    NATIVITÉ 

Ne  l'en  met  hors  et  par  Foy  ne  le  chasse  ;     * 
Et  lors,  en  lieu  de  celuy  qui  n'est  point, 
Celuy  qui  Est  est  à  nostre  cœur  joint. 
Ainsi  péché,  qui  ne  gist  qu'au  dehors, 
Ne  peult  toucher  qu'à  nostre  mortel  corps  : 
Le  Crist  avons  vivant  en  nostre  cœur, 
Qui  de  péché  et  la  mort  est  vainqueur, 

Sathan. 

Ho  !  qu'est  cecy  ?  voicy  une  f<zrie, 

Voicy  propos  pleins  de  forcenerie  ;  ' 

Le  Petit  a  sur  moy  gaigné  le  reng. 

Ho!  quel  archer!  et  comme  il  tire  au  blanc! 

Il  a  navré  le  cœur  de  ses  fidèles; 

Plus  n'ay  povoir  ne  sur  eux  ne  sur  elles. 

Agneau  occis,  qui  du  Cielfeiz  chasser 

Moy  et  les  miens,  me  viens  tu  pourchasser 

Jusques  icy?  Où  trouveray  je  place 

Pour  éviter  la  fureur  de  ta  face  ? 

Au  Ciel  montay,  où  tu  fais  ta  demeure, 

Mais  je  n'y  peut  pas  demeurer  une  heure, 

Pour  ne  vouloir  toy  Petit  recevoir, 

Mais  ouy  bien  tresbeau  et  grand  me  voir; 

Voire  et  à  toy  voulois  estre  semblable, 

Mais  non  pas  toy,  parquoy  je  f eut  fait  diable; 

Et  ta  vertu,  voyant  Cuyder  en  moy, 

Me  dechassa  du  Ciel.  D'auprès  de  toy 


DE    JESUS    C  HRIST.  él 

Je  suis  venu  en  ceste  terre  basse, 
Où  montz  et  mers,  et  terre  je  trespasse, 
Pour  trouver  lieu  seur  hors  de  ta  présence, 
Où  un  petit  peusse  trouver  d'aysance  ; 
Mais  sans  cesser  tousjours  ta  main  me  tient, 
Qui  maugré  moy  me  poulse  et  me  retient. 
Si  je  descends  au  plus  profond  d'enfer, 
Là  je  te  sents  qui  brusler  et  chauffer 
Me  fais  du  feu  de  divine  Justice. 
Si  j'avois  lieu  où  peusse  ma  malice 
Exécuter,  où  tu  ne  fusses  point, 
Je  régnerais .  Mais  quoy?  voicy  le  poinct  : 
Tu  es  par  tout  par  grâce  et  par  puissance  ; 
Et,  qui  pis  est,  ton  Filz  ta  congnoissance 
Envoyé  au  monde,  où  j'estois  bien  venu 
Quand  tu  estois  des  tiens  plus  incongnu. 
Ceux  qui  verront  maintenant  ta  lumière 
Congnoistront  bien  mon  essence  et  matière, 
Un  sot  Cuyder  et  une  vanité 
Suyvi,  aymé  de  la  mondanité, 
Qui  au  soleil  comme  la  neige  fond. 
Par  quoy  m'en  fault  aller  au  plus  profond 
Du  puits  d'enfer,  tourment  de  ton  absence  : 
Car  demourer  ne  puys  en  ta  présence. 
Musser  m'en  vois  au  fonds  des  cœurs  de  ceux 
Qui  d'escouter  ta  voix  sont  paresseux, 
Aymans  Cuyder  et  ce  qui  ne  feut  onques. 


62  DE    LA    NATIVITÉ 

En  eux  feray  tout  mon  effort  adonques 
Pour  chasser  hors  de  leurs  cœurs  la  mémoire 
De  rEscriture  et  salutaire  histoire, 
Et  travailler  par  furieuse  rage 
Ceux  qui  auront  ton  Nom  en  leur  courage. 
Et  sans  cesser  les  feray  tourmenter, 
Craingnant  de  voir  le  Petit  augmenter. 
Malings  Espritz,  venez  et  courez  viste, 
A  vous  m'en  vois  au  désespéré  giste, 
Pour  essayer  d'avoir  quelque  conseil  : 
Comme  pourront  ténèbres  le  soleil 
Faire  éclipser?  Mais,  s'il  ne  se  peult  faire, 
En  bref  verrons  nostre  règne  def faire. 

Dieu. 

Or  voyez  vous  cy  mon  cher  Filz  eslu, 
Mon  tresaymé ,  auquel  me  suis  complu  : 
C'est  cestuy  cy,  en  luy  vous  devez  croire; 
C'est  la  vive  eau,  de  laquelle  fault  boire, 
Qui  vous  fera  jusques  à  moy  saillir. 
En  le  croyant,  vous  ne  povez  faillir. 
Or  est  Sathan  qui  ne  s'est  voulu  rendre 
A  cest  Agneau,  par  luy  mys  non  en  cendre, 
Mais  tout  à  Rien,  comme  il  estoit  devant 
Qu'il  fust  Eslu  pour  estre  mon  servant. 
Par  sa  vertu  me  voulait  ressembler, 
Mais  à  l'Agneau  le  failloit  assembler, 


DE    JESUS    CHRIST.  6j 

Uny  à  luy,  aymant  Rien  et  la  mort  ; 
Mais  le  rebours  a  fait,  dont  il  ha  tort. 
Car  nul  ne  peult  jamais  à  moy  venir 
Qui  ne  se  veult  dans  le  Petit  tenir. 
Sathan  cuydoit  par  son  sens  mériter 
Siège  pareil  que  le  mien  héritier. 
Et  moy  qui  Suis  celuy  qui  Suis  sans  doute, 
Jamais  en  moy  ne  reçoy  ny  ne  boute 
Nul  qui  ne  soit  dedens  l'occiz  Agneau 
Tout  mys  à  rien  et  fait  homme  nouveau. 
Or  est  de  luy  par  mon  tressaint  escrit, 
Par  mon  amour,  par  mon  divin  esprit, 
Sa  congnoissance  au  bas  monde  donnée  : 
Dont  nous  voyons  destruite  et  estonnée 
Du  grand  Sathan  le  règne,  la  pratique. 
Son  grand  Cuyder,  sa  force  tyrannique 
Est  mise  à  rien  par  /' Agneau  innocent 
Qui  à  la  mort  et  à  Rien  se  consent. 
Et  tant  m'a  pieu  ceste  nichilité, 
Son  Rien  pour  moy  et  son  humilité, 
Que  l'ay  dessus  les  Anges  exalté, 
Et  l'orgueilleux  du  plushault  desmonté, 
Qui  n'aura  plus  que  Cuyder  en  lieu  d'estre. 
L'Agneau  feray  triompher  à  ma  dextre, 
En  luy  donnant  justice  et  jugement , 
Et  pour  son  Rien  il  aura  Tout  vrayment. 
Anges,  chantez,  en  voyant  es  levé 


64  DE    LA    NATIVITÉ 

Rien  en  son  Tout,  et  Sathan  reprouvé; 
Son  tout  à  rien  est  mis  par  ma  puissance. 
Cuyder  est  nul  où  est  ma  congnoissance. 

Le  Premier  Ange. 

Or  elle  est  cheute,  elle  est  cheute,  elle  est  cheute, 
Confusion  la  paillarde  et  la  pute. 

Le  Second  Ange. 

Qu'est  devenu  son  bruit,  sa  renommée? 
De  son  Cuyder  n'est  venu  que  fumée. 

Le  Tiers  Ange. 

Elle  est  au  puits  de  sa  perdition, 
Ceste  cité  d'abomination.^ 

Le  IIII.  Ange. 

Sathan,  Sathan,  en  desespoir  et  dueil 
A  tout  jamais  t'a  mené  ton  orgueil. 

Le  Premier  Ange. 

L'Agneau  occis,  où  gist  ta  sapience, 
Donra  de  toy  à  tous  vraye  science. 

Le  Second  Ange. 

Sa  mort  sera  aux  filles  de  Zion 
Heureuse  vie  et  Résurrection. 


DE    JESUS    CHRIST.  6$ 

Le  Tiers  Ange. 

Son  Rien  fait  ceux  qui  en  luy  seront  Riens 
Estre  en  toy  Tout,  qui  promesse  leur  tiens. 

Le  1 1 1 1 .  Ange. 

De  tous  ces  cas  soit  à  jamais  mémoire 
Au  monde  bas,  et  à  toy  seul  la  gloire. 

Le  V.  Ange. 

Chantons,  car  tout  est  consommé  et  fait; 
Le  Petit  est  vray  homme  et  Dieu  parfait. 

Les  Anges,  chantans. 

Gloire  soit  au  Créateur, 

Qui  destructeur 
Est  de  Sathan  la  grand'  beste  . 
L'honneur  à  l'Agneau  rendons, 

Par  qui  ces  dons 
Le  Père  nous  manifeste. 

A  faire  feste, 
Helas!  nous  tous  entendons. 


<&tész 


COMEDIE 


L'ADORATION   DES  TROIS  ROYS 


A     JESUS     CHRIST. 


Dieu  commence. 

,E  suis  qui  suis,  et  contiens  en  mon  Estre 

Tout  ce  qui  Est,  qui  Feut  et  qui  Sera. 

Ce  qui  n'est  point  j'appelle,  et  le  fais  naistre . 

Cuyderpar  moy  bientost  trespassera. 
Le  mouvement  des  Cieux  ne  cessera 
De  m' obéir  et  le  Soleil  de  luire  ; 
Ma  volonté  nully  ne  passera  ; 
C'est  moy  qui  fais  toute  chose  produire. 

Se  je  fais  tout,  qu'est  ce  que  je  n'ay  fait7 
Et,  faisant  ce  qu'on  doit  esmerveiller, 
Qui  est  le  sage  et  docteur  sy  parfait 


DE  l'adoration  des  trois  roys.     67 

Que  j'aye  prias  pour  mieux  me  conseiller? 
Quel  vigilant  me  pourroit  resveiller? 
Qui  peult  tenir  l'eau  de  la  mer  profonde 
Dedens  sa  main,  ny,  par  long  travailler, 
Avec  trois  doigts  tout  le  sablon  du  monde? 

Qui  a  créé  dens  la  mer  la  Baleine 
Et  les  poissons  vivans  au  fonds  de  l'eau  ? 
Qui  a  créé  V Eléphant  en  la  plaine, 
Et  qui  a  mis  au  Cerf  et  au  Taureau 
Cornes  au  front  ?  Qui  défend  le  roseau 
De  l'aspre  vent  qui  les  Cèdres  ruine? 
Qui  fait  le  beau  laid  estre  et  le  laid  beau , 
Le  jour  serain  et  l'espesse  bruine  ? 
C'est  moy  tout  seul,  sans  nul  y  appeller. 
Parquoy  chacun  doit  avoir  congnoissance 
Que  je  peux  tout.  Le  muet  fais  parler, 
Le  sourd  ouïr  ;  en  mon  obéissance 
Je  tiens  la  mort  et  luy  donne  puissance 
Comme  je  veux,  et  fait  ce  qui  me  plaist. 
De  chacun  veux  avoir  recongnoissance 
D'estre  son  Dieu  celuy  tout  seul  qui  est. 
En  mes  Esluz  je  tue  et  mortifie 
Adam  vivant,  et  le  metz  tout  à  rien; 
Je  resuscite  et  du  tout  vivifie 
Ce  Rien,  lequel  je  remplis  de  tout  bien. 
Qui  a  esté  envers  moy  le  moyen 
De  ces  beaux  faitz?  Nul  que  ma  Sapience, 


68  DE  l'adoration 

Mon  verbe  et  Filz,  qui  n'ha  rien  que  du  mien, 
Dont  mon  Amour  déclare  la  science. 

Ce  Filz  aymé,  par  lequel  tout  je  fais, 
Je  ne  veux  plus  qu'il  soit  tant  incongnu; 
Ce  qu'ay  promis,  long  temps  a,  maintes/ois 
A  mes  Esluz,  je  veux  qu'il  soit  tenu. 
Les  Pasteurs  l'ont  comme  Dieu  recongnu. 
Si  au  bas  Peuple  ay  fait  ce  bien  apprendre, 
Aux  sages  Roy  s  du  Messias  venu 
Je  veux  aussi  faire  nouvelle  entendre. 

Pour  les  tirer  à  ce  divin  sçavoir, 
Allez  à  l'un  bien  tost,  Philosophie  : 
En  luy  faisant  tant  d'Escritures  voir, 
Que  pour  sçavGir  de  soy  il  se  deffie, 
Et  qu'il  congnoisse  un  Dieu  où  il  se  fie; 
Faites  luy  voir  des  Prophètes  le  livre, 
Qui  de  mesfaitz  sy  bien  le  certifie 
Qu'il  soit  d'erreur  pour  tout  jamais  délivre. 

Philosophie. 

Seigneur,  je  suis  ce  qu'il  te  plaist  que  soye 
Pour  obéir  à  ton  commandement, 
Car  il  n'y  a  régner,  plaisir,  nejoye 
Qu'à  te  servir  par  amour  promptement. 
Puis  qu'il  te  plaist,  courray  légèrement, 
Par  tous  moyens  tirant  ta  créature 


DES  TROIS   ROYS.  69 

A  désirer  de  voir  entièrement 

Livre  après  livre,  et  puis  ton  Escriture. 

Dieu. 

Partez  aussi,  vous,  Tribulation; 
Allez  à  l'autre,  et  tant  le  martyrez 
Par  maladie  et  par  tentation, 
Dehors,  dedens,  qu'à  moyvous  l'attirez. 
Amys,  plaisirs,  tous  de  luy  retirez; 
Faites  luy  voir  qu'il  ne  peult  que  pécher: 
Car,  congnoissant  ses  maux  tant  empirez, 
A  moy  viendra,  qui  l'en  puys  depescher. 

Tribulation. 

Je  suis  de  toy  le  double  commissaire; 
Les  Reprouvez  par  moy  sont  endurcis, 
Mais  les  Esluz  me  trouvent  nécessaire 
Et  de  mes  coups  te  rendent  grands  mercis. 
Par  maladie  en  rends  les  uns  transis; 
Aux  autres  fais  perdre  plaisirs,  honneur; 
Autres  je  rends  par  péché  sy  noircis 
Qu'ilz  n'ont  espoir  fors  qu'en  toy  seul,  Seigneur. 

Dieu. 

A  l'autre  Roy,  Dame  Inspiration, 
Allez  soudain  et  le  frappez  au  cœur; 
Déclarez  luy  ma  grand  dilection, 


70  DE   L'ADORATION 

Que  père  suis  et  du  monde  facteur, 

En  l'asseurant  du  promis  Rédempteur, 

Lequel  viendra  de  nation  Juifve, 

Qui  de  la  Mort  sera  triomphateur, 

Tant  que  par  Foy  dedens  son  cœur  je  vive. 

Inspiration. 

Le  commander  est  desjà  fait  en  toy, 
Ne  reste  plus  qu'à  le  mettre  dehors. 
Au  fonds  du  cœur  m'en  vois  du  sage  Roy, 
Luy  annoncer  tous  ces  divins  records. 
Tous  les  espritt  par  péché  presque  morts 
Je  resuscite,  et  les  plus  ignorans 
Je  fais  sçavans,  et  les  foibles  rends  forts. 
Mes  escholiers  ne  sont  jamais  errans. 

Dieu. 

Or  levez  vous,  Parfaite  Intelligence; 
De  mes  secrets  cachez  aux  Escritures, 
Allez  là  bas,  et  faites  diligence 
D'en  faire  à  tous  salutaires  lectures  : 
Là  dedens  sont  des  âmes  les  pastures. 
Mais  monstrez  leur  que  mon  divin  Escrit 
N'ha  autre  fin  en  toutes  ses  figures 
Que  mon  seul  Filz  tresamé  Jésus  Christ. 


DES  TROIS   ROYS.  71 

Intelligence  divine. 
Par  toy,  Seigneur,  je  vois  les  yeux  ouvrir 
Des  aveuglez  soubs  la  Loy  ancienne, 
Et  les  secrets  aux  Gentilz  descouvrir 
Idolatrans  soubs  ceste  Loy  Payenne; 
Doctrine  auront  par  moy  quotidienne, 
Qui  est  de  l'Ame  et  la  vie  et  le  pain  : 
Dont  laisseront  la  basse  et  terrienne, 
Sans  en  avoir  désir,  ne  soif,  ne  faim. 

Dieu. 

Allez,  cerchez  d'Orient  les  provinces, 
Et  secourez  mes  Esluz  et  amys. 
Je  ne  veux  pas  que  Sages  et  grands  Princes 
D'estre  appeliez  à  moy  tous  soient  omis, 
Ny  en  plaisirs  et  honneurs  endormis  ; 
Faites  leurs  cœurs  d'amour  tant  eschauffer 
Que  moy  tout  seul  au  mylieuje  sois  mys, 
Et  que  chacun  m'y  voye  triompher. 

Anges,  chantez,  et  faites  retentir 
Tous  les  haultz  deux  par  voix  harmonieuses; 
Faites  voz  chants  et  ouyr  et  sentir 
A  tous  espritz  et  âmes  amoureuses. 
Louez  sans  fin  mes  œuvres  glorieuses, 
Et  annoncez  aux  filles  de  Zion 
Que  de  mon  Christ,  duquel  sont  désireuses, 
Auront  bien  tost  seure  fruition. 


7* 


DE   L'ADORATION 


Le  I.  Ange. 


Jamais  ne  soit,  Seigneur,  ta  voix  tarie 
Pour  te  louer ,  ny  nulle  bouche  clouse 
A  déclarer  que  la  vierge  Marie 
Toute  parfaite  as  prise  pour  espouse, 
Dens  laquelle  as  fait  incredible  chose  : 
Divinité  humanité  aprinse; 
La  vierge  enclost  cil  qui  la  tient  enclose, 
Dont  par  Foy  seule  est  la  doctrine  apprinse. 

Le  II.  Ange. 

Si  toy  en  nous  n'estois  nostre  povoir, 
Nous  defaudrions  à  chanter  hault  ta  gloire; 
Mais,  puis  qu'en  toy  tousjours  nous  povons  voir 
Et  qu'en  nous  est  ton  œuvre  tresnotoire, 
Nous  chanterons  la  salutaire  histoire 
De  ton  Enfant,  auquel  tu  t'es  compleu. 
Heureux  sera  qui  la  pourra  bien  croire, 
Et  malheureux  à  qui  l'enfant  n'a  pieu. 

Le  III.  Ange. 

Le  plus  petit  chantera  le  plus  hault, 
Car  du  profond  de  toute  humilité 
Exaltera  ceste  divinité 
Qui  pour  Adam  a  fait  sy  heureux  sault. 


DES  TROIS   ROYS.  7} 

Dieu. 

Anges,  porter  une  estoille  il  vous  fault, 
Pour  aux  trois  Roys  monstrer  l'heureuse  voye. 

Le  III.  Ange. 

A  X' obéir  nejeray  nul  default; 
Porter  leur  vois  /' estoille  à  bien  grand  joye. 

Les  Anges  chantans  sur  le  chant 
des  Bouffons. 

Chantons  tous  ensemble, 
Puis  que  l'Eternel 
Dieu  et  homme  assemble  : 
0  Noël!  Noël! 

Si  le  pop  ulaire 
A  l'enfant  congnu, 
Aux  Roys  ne  fault  taire 
Le  Christ  jà  venu. 

Dieu  tous  les  rassemble 
En  un,  qui  est  tel 
Qu'un  enfant  ressemble, 
0  Emmanuel  ! 

Philosophie. 

Pour  parvenir  à  sçavoir  honorable, 
Me  fault  aymer  {qui  suis  vertu  louable) 


74  de  l'adoration 

Philosophie,  amour  de  sapience. 
0  sage  Roy,  si  tu  m'as  agréable, 
Je  te  rendray  de  sçavoir  désirable, 
Jusques  à  ce  que  de  vraye  science 
Aye  gousté  par  longue  patience. 
Après  avoir  cerché  maint  beau  volume, 
Là  trouveras  repos  de  conscience, 
Qui  le  doux  feu  d'Amouj  Divine  allume. 

Balthasar. 

J'ay  fait  grand  cas  des  biens  de  ceste  terre, 
J'ay  désiré  honneur  et  gloire  acquerre, 
Et  de  me  voir  seigneur  grand  et  puissant; 
Pour  acquérir  des  biens,  j'ay  fait  la  guerre  : 
Las!  je  voy  bien  que  trop  folement  je  erre, 
Car  tous  ces  biens  n'est  rien  que  vent  passant. 
Philosophie  amye,  mon  cœur  sent 
Ta  bonne  odeur,  et  te  prend  pour  s' amye; 
A  t 'obéir  pour  jamais  se  consent  ; 
Ne  sois  donc  pas  de  l'apprendre  endormye. 

Philosophie. 

Or  tiens  et  voy  le  thresor  que  je  porte, 
Livres  icy  pour  voir,  de  toute  sorte; 
Mais  ma  fin  n'est  qu'à  te  faire  congnoistre 
Tel  que  tu  es.  Ceste  doctrine  est  forte; 
Mais  à  la  fin  l'Esprit  tant  reconforte , 


DES  TROIS   ROYS.  7$ 

Qu'elle  te  fait  tousjours  en  vertu  croistre. 
Sçavoir  pourras  de  toutes  choses  Vestre 
Et  la  vertu,  l'essence  et  la  nature. 
Les  grands  secrets  te  feray  apparoistre, 
Voire  et  toucher  au  doigt  sans  couverture. 

De  Philosophie  sage 

Le  sens  et  le  langage 

Tu  pourras  icy  voir. 

Par  démonstration 

Toute  probation 

Je  te  feray  avoir. 

Mange  moy  chacun  livre , 

Car  il  te  convient  vivre; 

Sur  tous  arreste  toy 

A  cercher  un  facteur 

Du  monde  créateur, 

Qui  est  Seigneur  et  Roy. 

Tous  livres  t'abandonne , 

Et  le  désir  te  donne 

De  les  vouloir  apprendre; 

Mais  de  ceux  de  Moïse, 

Il  faut  que  je  fadvise 

Que  Foy  les  fait  entendre. 

Des  Prophètes  couvertz 

Voicy  livres  ouvert!  ; 

Mais  leur  sens  est  caché , 

Et  l'orgueilleux  vanteur 


76  DE    L'ADORATION 

Plein  de  l'Esprit  menteur 
S'en  trouve  bien  fasché ; 
Nul  que  l'humble  et  petit 
N'y  peult prendre  appétit; 
Cestuy  là  seul  l'entend. 
Si  en  humilité 
Lis  ceste  vérité, 
Tu  demeufras  content. 

Balthasar. 

Après  avoir  tourné 
Et  long  temps  séjourné 
Maint  volume  et  maint  rolle , 
Il  faut  que  je  m'arreste 
Et  que  mon  cœur  j'appreste 
A  la  sainte  Parole. 
Par  cest  esprit  je  voy, 
Ce  que  fermement  croy, 
Qu'il  est  un  Créateur 
Qui  nous  promet  son  Filz , 
A  un  terme  prefix , 
Pour  nostre  Rédempteur. 
Mais  je  n'entens  pas  bien 
Quel  il  est ,  ne  combien 
Il  le  nous  fault  attendre. 
Helas  !  Philosophie, 


DES  TROIS   ROYS.  7 

En  laquelle  me  fie , 
Vueillez  le  moy  apprendre. 

Philosophie. 

Pour  en  avoir  congnoissance  parfaite, 
Trouver  te  fault  Divine  Intelligence. 
Mener  t'y  veux.  Vien  donc  en  diligence , 
Et  tu  auras  le  bien  que  tu  souhaite. 

Balthasar. 

Madame,  allons;  car  le  temps  je  regrette 
Que  retardons  à  tel  bien  recevoir, 
En  espérant  que  la  manne  secrète 
De  l' Escriture  à  cler  me  jerez  voir. 

Tribulation. 

0  Roy  vivant  en  plaisir  et  santé, 
Qui  as  d'honneurs  et  d'amys  grand  planté, 
Et  si  te  tiens  juste  selon  la  Loy, 
Par  moy  sera  bien  tost  ton  cœur  tenté , 
Car  par  dehors  et  dedens  tourmenté 
Te  sentiras;  mais  n'en  prens  nul  esmoy  : 
Si  accorder  te  peux  avecques  moy, 
Souffrant  en  paix  mon  exécution, 
Tu  congnoistras  que  des  tiens  et  de  toy 
Le  proujfit  vient  de  Tribulation. 


7^  DE   L'ADORATION 

Melchior. 

Tes  motz  sont  durs,  ta  parole  est  rebelle, 
L'œil  de  l'esprit  (pourtant)  te  treuve  belle; 
Mais  ceste  Chair,  qui  est  sy  molle  et  tendre, 
Te  treuve  laide,  etfascheuse  et  rebelle. 
Si  voy  je  bien  que  ta  puissance  est  telle, 
Que,  vueille  ou  non,  à  toy  me  faudra  rendre; 
Fuyr  ne  peux,  car  par  tout  me  peux  prendre. 
Et  moy  qui  sçay  dont  te  vient  telpovoir, 
Patiemment  tes  coups  je  veux  attendre, 
Sans  résister  à  ton  divin  vouloir. 

Tribulation. 

Reçoy  ce  coup,  que  dens  ton  cœur  soit  mis  : 
C'est  que  Dieu  prend  tes  plus  prochains  amys, 
Et  où  ton  cœur  faisoit ferme  séjour; 
Eslever  veult  tes  mortelz  ennemys , 
Ausquelz  il  veult  que  du  tout  sois  soubsmis  : 
Car  quitter  fault  la  hayne,  aussi  l'amour. 
Ce  second  coup  te  fera  nuict  et  jour 
Plaindre  et  douloir  dedens  un  triste  lict. 
Si  souffrir  veux  patiemment  ce  tour, 
Ta  grand  douleur  tournera  en  delict. 

Le  tiers  coup  je  te  baille 

Pour  mortelle  bataille  : 

C'est  que  de  tel  péché 


DES  TROIS   ROYS.  79 

Est  ton  ame  souillée , 
Contrefaite  et  brouillée, 
Et  ton  corps  sy  taché , 
Qu'il  n'est  pas  en  ta  force 
De  rompre  ceste  escorce 
Ne  de  t'en  retirer. 

Quelque  chose  que  face , 
Ne  peux  acquérir  grâce  ; 

Tu  as  beau  souspirer. 

Mais  si  tu  te  deffie 

De  toy  et  te  confie 

Au  Toutpuissant  et  bon , 

Par  sa  miséricorde 

De  sa  tresdouce  corde 

Il  te  fera  le  don. 

Par  laquelle  de  pleur, 

D'angoisse  et  de  douleur 

Te  tirera  en  joye. 

Recongnois  ton  default , 

Espère  au  Dieu  treshault , 

Vérité ,  vie  et  voye. 

Tes  grans  amys  sont  mortz, 

Tes  ennemys  sont  fortz , 

Tu  es  prest  de  mourir, 
Tes  péchés  sont  sans  nombre  : 
Cercher  il  te  fault  l'ombre 
Qui  te  peust  secourir. 


8o  DE   L'ADORATION 

Melchior. 

0  douleur  trop  amere  ! 
J'ay  perdu  père  et  mère, 
Mes  amys  et  parens; 
Mes  ennemys  en  chaire 
D'honneur  voy,  en  grand  chère, 
Comme  plus  apparens. 
Au  lict  suis  attaché, 
Tant  malade  et  fasché, 
Que  je  ne  sçay  que  face. 
Au  corps  j'ay  maladie, 
Au  cœur  melancholie, 
On  le  lit  à  ma  face. 
Mais,  voicy  bien  le  pis , 
En  moy  je  sents  tappiz 
Tous  les  péchés  du  monde; 
Faute  d'humilité, 
Par  infidélité, 
Mon  ame  rend  immunde. 
0  Tribulation , 
Si  ton  affection 
Je  porte  doucement, 
Monstre  moy  sans  faillir 
Comment  je  doy  saillir, 
Par  qui,  quoy,  ne  comment. 


DES  TROIS   ROYS.  8l 

Tribulation. 

Allons  à  une  Dame  antique, 
C'est  Intelligence  Divine; 
Tristesse  et  mal  par  elle  fine, 
Car  de  guarir  ha  la  pratique. 

Melchior. 

Allons  tost,  sans  nulle  réplique, 
Ailleurs  je  n'ay  plus  d'espérance  ; 
Par  son  sçavoir  sy  autentique 
J'espère  d'avoir  délivrance. 

Inspiration. 

Dieu ,  pour  monstrer  sa  grâce  purement, 
M' envoyé  a  toy,  pour  déclarer  comment 
Il  est  ton  Dieu,  ton  Créateur  et  Père. 
Et,  qui  plus  est,  il  veut  que  vivement 
Face  en  ton  cœur  un  divin  mouvement, 
Te  rendant  seur  que  celuy  qui  imper e 
Sur  tous  les  Cieux  par  moy  en  toy  opère , 
Voire  et  révèle  à  ton  esprit  l'Esprit , 
Le  vray  tesmoing  de  la  vie  prospère , 
De  sy  longtemps  promis  au  saint  Escrit. 

Gaspard. 
Qui  suis-je,  moy? ne  que  peult estre  l'homme 


»  DE   L'ADORATION 

Venu  d'Adam,  qui  mal  mangea  la  pomme, 

A  qui  tu  viens,  Dame  Inspiration? 

Tu  me  fais  voir  de  mes  péchés  la  somme, 

Mortz  et  couverts  par  Amour,  qui  m'assomme 

Et  met  à  rien  par  sa  dilection. 

Je  sents  le  fruit  de  mon  Election, 

Je  me  confie  en  sa  bonne  promesse, 

Je  sents  desja  du  Christ  fruition  ; 

M  ais,dymoy,  quand  sera  ce?  et  comment  est  ce? 

Inspiration. 

Chasse  de  toy  par  Amour  toute  crainte, 
Crois  fermement  que  ce  n'est  nulle  feinte, 
Ce  qu'en  ton  cœur  j'escritz,  j'engrave,  inspire. 
Ce  que  je  diz  en  l'Escriture  sainte 
Tu  trouveras,  où  est  bien  au  vif  painte 
La  Vérité,  que  sçavoir  tu  désire. 
Tous  les  sermons  que' l'homme  te  peult  dire, 
Toute  Escriture ,  ou  miracle ,  ou  présage , 
Ne  sont  sinon  du  bien  où  je  l'attire 
Tresseurs  moyens  pour  porter  tesmoingnage. 
Mais  c'est  bien  grand  plaisir 
Que  de  voir  à  loisir 
Livres  de  toutes  sortes , 
Qui  parlent  du  grand  Dieu , 
Déclarant  en  tout  lieu 
L'œuvre  de  ses  mains  fortes. 


DES  TROIS   ROYS.  83 

L'on  se  doit  resjouyr 
De  gens  sçavans  ouyr 
Parlans  des  sainctz  Escritz. 
L'on  peulî  voir  les  miracles 
Qui  rompent  les  obstacles 
Des  infirmes  espritz. 
Mais  si  dedens  le  cœur 
La  divine  liqueur 
De  ceste  Vérité 
Ne  prend  ferme  racine , 
Tout  l'extérieur  signe 
N'y  vault  sans  Charité. 
Si  ferme  Foy  tu  as 
Du  promis  Messias 
Aufondz  du  cœur  plantée, 
Charité  de  sa  flamme 
Rendra  toute  ton  ame 
En  bruslant  contentée. 
Par  tout  plaisir  prendras , 
L'Escriture  entendras, 
Dont  la  fin  est  Amour. 
Chacun  sera  tesmoing 
Dont  tu  n'auras  besoing 
Que  pour  passer  le  jour. 

Gaspard. 
Je  croy  ce  que  ne  voy, 


\  DE   L'ADORATION 

Je  sens  ce  que  je  croy, 
Et  pour  tresseur  le  tiens  ; 
Mais  plus  j'ay  de  sçavoir, 
Plus  me  croist  le  vouloir 
D'ouyr  les  propos  tiens. 
De  sçavoir  j'ay  envie, 
Plus  que  n'eut  en  ma  vie, 
Que  c'est  qui  est  promis 
Aux  Pères  anciens; 
Parquoy  hors  des  liens 
Espèrent  estre  mys. 
Quel  est  celuy  qui  vient, 
Quel  bien  il  en  advient , 
Et  en  quel  temps  viendra; 
Que  l'Escriture  en  dit, 
Quel  sera  son  Crédit, 
Et  quel  throne  il  tiendra  : 
Je  ne  me  veux  fascher 
D'un  si  grand  bien  cercher, 
Car  c'est  tout  mon  soûlas. 
Pour  le  trouver,  la  peine 
M'est  joye  souveraine, 
Jamais  n'en  seray  las. 

Inspiration. 

Pour  sçavoir  tout  au  long  par  le  menu, 
Intelligence  il  te  convient  cercher, 


DES  TROIS  ROYS.  8$ 

Qui  nul  secret  ne  te  voudra  cacher, 
Dont  tu  seras  à  elle  fort  tenu. 

Gaspard. 

Que  le  partir  ne  soit  plus  retenu , 
Allons  bien  tost  voir  ceste  noble  Dame. 
Nous  tardons  trop,  le  désir  de  mon  ame 
Dit  que  seray  trop  tard  au  lieu  venu. 

Balthasar. 

0  ma  dame  Philosophie , 
Dy  moy  que  c'est,  par  ton  advis , 
Que  ceste  Estoile  signifie, 
Car  oncques  telle  je  n'en  viz. 

Philosophie.  IlzsiouJ°nt 

e  .      .     ,     ■  etvoyent 

Je  nen  peux  faire  le  deviz ,  l'estoiiie. 

Mais  aussi  tost  que  tu  viendras 
D'Intelligence  viz  à  viz, 
Tout  le  secret  tu  entendras. 

Elle  n'est  assise 

Ne  au  cercle  mise 

D'Estoille  ou  Planette  : 

Plus  fort  nous  esclere, 

Et  sy  est  plus  clere , 

Plus  belle  et  plus  nette 

Qu'elle  est  fantastique; 


86  DE  l'adoration 

Elle  est  erratique 
Sans  rétrograder. 
Elle  se  tient  basse , 
Dont  mon  sçavoir  passe 
A  la  regarder. 

Balthasar. 

Plus  je  la  regarde, 
Et  plus  il  me  tarde 
De  sçavoir  que  c'est  : 
Elle  est  sy  îresbelle, 
Qu'elle  doit  nouvelle 
Apporter  quiplaist. 

Melchior. 

Tribulation,  qu'est  ce  là  ? 
Une  estoille  voy  merveilleuse. 
Onques  le  ciel  ne  révéla 
Chose  qui  semblast  plus  heureuse. 

Tribulation. 

Ceste  estoille  est  fort  lumineuse, 
Qui  tous  noz  cœurs  fait  resjouyr  : 
Par  Intelligence  l'heureuse 
Tu  en  pourras  nouvelle  ouyr. 

Le  cœur  doloreux 

Elle  fait  joyeux  ; 


DES   TROIS    ROYS.  87 

Qui  bien  la  regarde 
En  elle  ha  liesse, 
Et  toute  tristesse 
Elle  oste  ou  retarde. 
Devant  nous  se  met , 
Et  au  cœur  promet 
Qu'il  recevra  joye. 
A  mon  jugement, 
C'est  enseignement 
De  seure  montjoye. 

Melchior. 

Mon  cœur  triste  et  las 
En  reçoit  soûlas, 
Et  ne  sçay  pourquoy, 
Fors  qu'une  espérance 
Pleine  d'asseurance 
Il  reçoit  en  soy. 
Cerchons  la  pucelle 
Dont  le  sens  precelle 
Tout  entendement. 
Le  vray  j'en  sçauray, 
Dont  rapporteray 
Grand  contentement. 

Gaspard. 
0  dame ,  quelle  belle  chose 


88  DE  l'adoration 

De  ceste  estoille  que  je  voy! 
Que  la  raison  m'en  soit  desclose 
Par  vous ,  à  laquelle  je  croy. 

Inspiration. 

Amy,  ilfault  vivre  de  Foy, 
Et  croire  que  soubz  ce  beau  signe 
Est  cachée  de  nostre  grand  Roy 
Nouvelle  tresplaisante  et  digne. 

Ho  !  quelle  rencontre  ! 

Voy  comme  elle  monstre 

Nostre  chemin  droit. 

Suyvir  la  te  fault , 

Et  du  don  d'enhault 

Monstrera  rendroit. 

Sans  parler,  sa  mine 

Nous  monstre  par  signe 

Quelque  bien  venu. 

Car,  amy,  entens 

Que  voicy  le  temps 

Longtemps  attendu. 

Gaspard. 

Cœur,  entendement , 
De  contentement 
Sont  combles  et  pleins  : 
Dont  travail  ne  peine, 


DES  TROIS    ROYS.  89 

Courant  mont  et  plaine , 
Maintenant  ne  plaings. 
Je  tiens  pour  tout  voir 
Que  par  elle  veoir 
Pourray  un  tel  bien , 
Qu'après  l'avoir  veu , 
Congneu  et  receu , 
Ne  me  faudra  rien. 

Balthasar. 

Qui  est  cette  troupe  de  gents 
Que  je  voy  notre  chemin  prendre  ? 
A  cheminer  sont  diligens, 
feu  voudrois  bien  la  cause  entendre. 

Melchior. 

Ces  gents  se  venans  à  nous  rendre, 
Nous  aurons  nœuve  compagnie; 
Mais  je  ne  puis  pas  bien  comprendre 
De  quel  lieu  vient  sy  grand'  mesgnie. 

Gaspard. 

Ceste  compagnie  de  loing 
y  approcher  ay  tresvolontiers  ; 
De  m' enquérir  d'eux  j'aurai  soing , 
Et  peult  esîre  seray  leur  tiers. 


90  DE  l'adoration 

Balthasar. 

Dieu  Toutpuissant,  qui  par  tous  sentiers 
Conduit  oy seaux,  hommes  et  bestes , 
Vous  doint  tous  vos  désirs  entiers  ! 
Seigneurs ,  dites  moy  qui  vous  estes. 
Voz  façons  trouve  tant  honnestes, 
Et  au  chemin  que  vous  tenez 
Croy  que  pareilles  sont  noz  questes  : 
Je  vous  pry'  que  le  m'apprenez. 

Gaspard. 

Quant  est  de  moy,  je  suis  induit 
D'aller  voir  une  dame  sage, 
Où  ceste  estoille  me  conduit, 
Que  je  tiens  pour  heureux  présage. 

Melchior. 

Je  fais  aussi  pareil  voyage, 
Où  Tribulation  me  meine , 
Qui  a  vaincu  de  mon  courage 
L'orgueil,  par  tourment  et  par  peine. 

Balthasar. 

\    Amour  de  sçavoir  m'a  contraint 
De  laisser  pais  et  maison , 


DES  TROIS   ROYS.  91 

Pour  cercher  de  Dieu  juste  et  saint, 
Ce  que  passe  notre  Raison. 

Gaspard. 

Le  traict  ardent  plus  qu'un  tison 
D'inspiration  m'a  merché; 
Dont  par  moy,  en  toute  saison, 
Ce  que  je  croy  sera  cerché. 

Balthasar. 
Or  allons  donc. 

Melchior. 
Allons. 
Gaspard. 


Allons. 


Balthasar. 


Heureux  serons  d'aller  ensemble; 
Et  de  ceste  estoille  parlons 
En  allant  voir  que  nous  en  semble. 

Melchior. 

Celuy  qui  tous  en  un  rassemble 
Nous  vueille  mener  à  bon  port. 


92  de  l'adoration 

Gaspard. 

Noz  cœurs  qui  l'un  Vautre  ressemble, 
Nous  unit  par  divin  accord. 

Intelligence  divine. 

Le  fondement  de  tout  mal  et  tout  vice, 
L'occasion  d'obstinée  malice, 
Vient  seulement  de  l'obscure  Ignorance. 
L'homme  ignorant  son  devoir  et  service, 
Et  dont  luy  vient  la  Grâce  et  la  Justice, 
Ne  sçait  que  c'est  de  Foy  ne  d'Espérance  ; 
L'extérieur,  ayant  belle  apparence, 
Le  rend  aveugle  et  de  bon  sens  privé; 
Mais  faire  peux  du  vray  la  demonstrance  ; 
Qui  vient  à  moy  il  est  bien  arrivé. 

Philosophie. 

Voila  la  Dame,  ô'Roy,  que  t'ay  promise; 
Oy,  croy,  retiens  son  parler  véritable. 

Tribulation. 

Intelligence  en  ceste  chaire  assise 
Voy,  et  en  prends  doctrine  proufitable. 

Inspiration. 
Je  t'ay  mené  en  ce  lieu  délectable, 
Regarde  bien  d'y  faire  ton  proufit. 


DES   TROIS    ROYS.  93 

Philosophie. 
Or  à  Dieu  donc. 

Balthasar. 

0  dame  charitable, 
Me  lairras  tu  ? 

Philosophie. 

C'est  assez  :  il  suffit. 

Tribulation. 
Adieu,  amy,  tu  es  en  bonne  eschole. 

Melchior. 
Helasl  pourquoi  parts  de  moy  sy  soudain? 

Tribulation. 

fay  mis  afin  commission  et  rolle, 
Retourner  fault  au  seul  bien  souverain. 

Inspiration. 

A  Dieu,  celuy  qui  de  ma  douce  main 
A  eu  le  coup  qui  le  conduit  icy. 

Gaspard. 

Obéir  fault  à  ton  vouloir  certain. 
A  Dieu  te  dy,  avec  un  grand  mercy. 


94  DE  l'adoration 

Balthasar. 

Dame  d'honneur,  de  tout  sçavoïr  le  chef, 
Qui  de  David  est  la  certaine  clef, 
A  toy  venons  en  toute  humilité. 
Si  à  l'obstiné  ignorant  son  meschef 
Te  ferme  et  clos,  et  le  ciel  derechef 
Luy  est  fermé,  c'est  pure  vérité. 
Celuy  aussi  duquel  la  charité 
Ouvre  le  cœur,  le  ciel  luy  est  ouvert. 
Ta  doctrine  est  pleine  de  purité, 
Que  le  captif  deslie  à  descouvert. 

Melchior. 

Philosophie  et  Tribulation, 
Pareillement  douce  Inspiration, 
Nous  ont  contraint  de  venir  droit  à  vous  : 
L'une  enseignant  par  démonstration, 
L'autre  par  coups  de  grande  affection, 
L'autre  frappant  le  cœur  d'un  trait  bien  doux, 
En  nous  disant  :  Hastet  vous,  courez  tous 
Vers  ceste  dame  Intelligence  sage. 
Ce  qu'avons  fait,  vous  priant  à  genoux 
Du  vray  sçavoir  remplir  nostre  courage. 

Gaspard. 
Sçavoir  voulons,  et  chacun  le  désire, 


DES  TROIS   ROYS.  95 

Que  ceste  estoille  ainsi  clere  veult  dire, 
Que  jusqu'à  toy  nous  a  sy  bien  conduit-; 
Si  c'est  le  temps  que  le  Souverain  Sire 
Par  ses  Esluz  a  fait  prescher,  escrire, 
Qu'à  luy  seront  tous  les  peuples  reduitz, 
Laissant  les  Dieux  par  lesquelz  sont  seduitz, 
Pour  adorer  celuy  qui  doit  venir; 
Si  à  ce  bien  par  toy  sommes  induitz, 
Cest  heur  de  toy  confesserons  tenir. 

Intelligence. 

Plus  grand  plaisir  n'aurez,  ô  Roys,  d'entendre 
Les  faitz  de  Dieu,  que  nous  devons  apprendre; 
Par  quoy  soyez  ici  les  bien  venuz. 
Premièrement  ce  Livre  vous  fault  prendre, 
Ou  tous  humains  verrez  venir  de  cendre, 
Et  retourner  en  cendre  estre  tenuz. 
D'entrer  au  ciel  ont  esté  retenuz 
Par  le  péché  de  sot  et  vain  Cuyder, 
Dont  sont  tous  maux  aux  hommes  advenuz, 
Et  en  convint  l'Ange  du  ciel  vuyder. 

Or  regarde  à  ton  ayse 

Ce  livre  de  Genèse  : 

Tu  verras  comme  Adam 

Sot  Cuyder  esblouyt, 

Dont  peu  se  resjouyt, 

Car  il  saillit  d'Eden. 


96  DE  l'adoration 

Mais  en  telle  destresse 

Luy  feut  faite  promesse, 

Par  divine  sentence, 

Que  la  Serpent  tortue 

La  teste  aurait  rompue, 

Un  jour,  par  sa  Semence. 

Ceste  promesse  vive 

Feut  reiterative, 

Au  temps  du  bon  Noé, 

Par  l'arche  du  déluge, 

Figurant  le  refuge 

Dont  il  feut  advouè. 

Dieu,  qui  l'arc  au  ciel  mit, 

Luy  monstra,  et  luy  dit  : 

Cest  arc  te  soit  pour  signe 

Que,  quand  tu  le  verras, 

Tresasseuré  seras 

De  paix  douce  et  bénigne. 

Puis  au  père  de  Foy 

Dieu  dit  :  Abraham,  voy 

Et  nombre  les  estoilles, 

Si  tu  peux,  du  ciel  hault, 

Et  croy  sans  nul  default 

Qu'en  plus  grand  nombre  qu'elles 

Je  multiplieray 

Ta  semence,  et  pliray 

Devant  un  de  la  race 


DES  TROIS   ROYS.  97 

Tout  genoil;  car  par  luy, 
Qui  leur  sera  appuy, 
Recouvreront  ma  grâce. 
Abraham  sans  séjour 
A  creu  et  veu  ce  jour, 
Et  luy  feut  réputé 
Du  Seigneur  à  Justice  : 
Car  où  est  Foy,  nul  vice 
Jamais  n'est  imputé. 

En  ce  livre  des  Roy  s 
L'on  peult  voir  les  desroys 
Où  est  tombé  David. 
Péché,  qui  pique  et  mord, 
Ne  l'a  pu  mettre  à  mort. 
De  Foy  le  Juste  vit  : 
Dieu,  purgeant  son  péché, 
N'a  esté  empesché 
De  tenir  sa  parole, 
Luy  donnant  sans  mérite 
Sa  grâce  non  petite, 
Qui  tout  pécheur  console. 
Dieu  luy  promit  de  mettre. 
Tenant  en  main  le  sceptre, 
Sur  son  siège  Royal 
Du  fruit  du  ventre  sien, 
Monstrant  qu'il  aymoit  bien 
Son  serviteur  loyal. 


98  DE    L'ADORATION 

Voie)  un  antre  livre 
Où  Moïse  au  délivre 
Montra  bien  clerement 
Qu'il  viendroit  un  Prophète 
D'entfeux,  duquel  la  f es  te 
A  tous  faisait  vraiment, 
Disant  :  Qui  ne  croira 
En  luy,  il  périra. 
Mais  ceux  qui  y  croiront 
A  jamais  bien  heureux 
Et  en  fin  glorieux 
Par  ceste  Foy  seront. 
Voici  Esaïas, 
Qui  du  grand  Messias 
A  clerement  parlé. 
Crainte  n'ha  eu  ne  honte 
D'en  faire  le  beau  compte, 
Et  nous  a  révélé 
Et  prédit  qu'en  ce  temps, 
Ainsi  comme  j'entens, 
Le  Petit  nous  est  né  , 
Et  que  le  F  Hz  de  Dieu 
Vous  est  en  ce  bas  lieu 
Par  le  Père  donné. 
Il  dit  qu'il  doit  s'offrir 
A  tous  maux  et  souffrir 
Mort  estrange  et  cruelle. 


DES  TROIS  ROYS.  99 

Voz  péchés  ostera, 
Sur  soy  les  portera 
Par  façon  bien  nouvelle. 
Desja  est  Hieremie, 
Lequel  ne  se  taist  mye 
De  ce  divin  propos. 
En  désolation 
Fait  lamentation, 
Sans  prendre  nul  repos. 
Et  suyvant  ses  beaux  ditz, 
Encor  y  en  a  dix 
Prophètes  qui  en  chantent. 
Voyez  les  tous  du  long, 
Branche,  racine  et  tronc, 
Croyez  que  point  ne  mentent. 
Un  prophète  meschant, 
Balaam,  par  son  chant, 
De  Vestoille  a  chanté. 
Daniel  compte  et  nombre 
Le  temps,  si  que  de  l'umbre 
Nul  ne  soit  enchanté  ; 
Car  un  esprit  bien  prompt 
Umbre  et  ténèbre  rompt, 
Entendant  ses  aubades 
Qui  chantent  Christ  venu 
Au  temps  que  contenu 
Est  en  ses  ebdomades. 


DE    L ADORATION 

Or  chacun  soit  certain 
Que  le  grand  Dieu  hautain 
A  fait  cest  Enfant  naistre 
De  son  peuple  Juif, 
Peculier  et  naïf, 
Duquel  est  Roy  et  maistre. 
C'est  vostre  vray  Sauveur; 
Par  sa  grâce  et  faveur 
En  Dieu  serez  uniz. 
Ne  vous  fiez  en  vous, 
Car  voz  mérites  tous 
Ne  sont  que  draps  honnys. 
N'espérez  sauvement, 
Sinon  tant  seulement 
En  son  Election. 
Grâce  vous  a  esluz, 
Qui  fera  le  surplus 
Par  sa  dilection. 

Balthasar. 

Touché  avons  le  poinct, 
Douter  il  ne  fault  point 
De  ceste  vérité. 
Helas  !  moy  misérable, 
Ce  sçavoir  proufitable 
Pas  n'avois  mérité. 


DES  TROIS  ROYS. 

Melchior. 

Je  sents  mes  yeux  ouverts 
Et  tous  mes  maux  couverts 
Par  toy,  Intelligence. 
Du  mM  que  j'ay  souffert, 
Puis  que  Christ  m'est  offert, 
Je  sens  toute  allégeance. 

Gaspard. 

De  joye  mon  cœur  fond; 
Car  ce  qu'au  plus  profond 
Foy  avoit  mys  du  Christ. 
Je  voy  par  l'Escriturc 
La  Vérité  sy  pure 
Que  j'en  gouste  l'esprit. 

Intelligence. 

Sages  et  Roys,  j'ay  aussi  advisé 
Que  vous  devez  à  l'Enfant  présenter 
Thresors  et  dons,  non  pour  le  contenter, 
Mais  ainsi  est  de  vous  prophétisé. 

Balthasar. 

0  Dame,  ainsi  que  l'avez  devisé, 
Je  choisiray  dedens  tout  mon  thresor 
Le  plus  parfait,  le  plus  fin  et  pur  or, 
De  tout  métal  imparfait  divisé. 


102  DE    L'ADORATION 

Melchior. 

En  mon  pais  croist  en  grand  abandon 
Trescher  encens,  dont  sort  suave  odeur; 
Par  Charité,  qui  me  brusle  d'ardeur, 
Du  plus  exquis  je  luy  en  feray  don 

Gaspard. 

J'ay  en  ma  terre  aussi  la  myrrhe  esleue, 
Qui  est  contraire  à  la  corruption; 
fen  porteray,  pour  en  dilection 
Faire  présent  à  l'Enfant  de  value. 

Intelligence. 

Allés,  Seigneurs,  voir  ce  que  vous  croyez; 
Suyvez  Vestoille,  et  ne  luy  f aillez  pas; 
Car  au  droit  lieu  vous  meinera  le  pas  ; 
Mais  gardez  bien  que  trompez  ne  soyez. 

Balthasar. 

0  dame,  à  Dieu,  par  qui  les  fourvoyez 
Sont  ramenez  au  droit  port  de  salut. 

Melchior. 
Tant  le  désir  de  te  voir  nous  valut! 

Gaspard. 
A  Dieu,  par  qui  nous  sommes  convoyez. 


DES   TROIS   ROYS.  103 

Balthasar. 

Amys,  il  faut  faire  honorables  offres 
A  cest  Enfant;  emplissez  bien  mes  coffres 
De  tr espar  or,  plus  cler  que  le  soleil. 

Le  premier  Serviteur. 

Vous  en  avez,  Seigneur,  de  sy  exquis, 
Que  d'en  cercher  ailleurs  il  n'est  requis  ; 
En  autre  lieu  n'en  a  point  de  pareil. 

Melchior. 

Enfans,  il  fault  porter  du  cler  encens, 
Car  d'adorer  le  Christ  je  me  consens, 
Voire  et  mes  biens  tous  luy  abandonner. 

Le  II.  Serviteur. 

Vous  en  avez  tresbonne  quantité, 
Et  sy  parfait,  quant  à  la  qualité, 
Qu'un  beau  présent  vous  luy  pourrez  donner. 

Gaspard. 

Ay  je  beaucoup  de  myrrhe  nette  et  pure, 
Pour  à  ce  Christ,  exempt  de  toute  ordure, 
Faire  présent  qui  luy  soit  agréable? 

Le  III.  Serviteur. 
Vous  en  aurez,  Seigneur,  de  la  meilleure 


104  DE    L'ADORATION 

Qu'oncques  porta  l'arbre  qui  tousjours  pleure. 
Vostre  présent  sera  bien  honorable. 

Herodes. 

C'est  grand  gloire  de  commander 

Et  demander 
Son  vouloir,  pour  estre  obey. 
Ma  gloire  on  ne  peult  amender, 

Ne  demander 
Mieux  :  car  chacun  me  dit  Ouy. 
Je  suis  Roy,  qui  en  tous  meffaitz 

Vis  en  paix 
En  ce  pais,  dont  suis  Tetrarque. 
Je  fais  par  meffaitz  porter  faix; 
Obey  suis  comme  un  Monarque. 
A  tous  les  bons  je  fais  la  guerre, 

Pour  la  terre 
Tenir  soubs  mon  autorité. 
Mes  paroles  semblent  tonnerre; 

En  ma  terre 
Tiens  chacun  par  crudelité. 
Envie  n'ay  sur  autre  lieu, 

Fors  sur  Dieu, 
Car  plus  grand  que  luy  voudrois  estre  : 
Dans  le  cœur  me  brnsle  le  feu, 

Peu  à  peu, 
D'ambition  pour  estre  maistre. 


DES  TROIS   ROYS.  105 

Le  Serviteur  d'Herodes. 

Sire,  on  dit  un  brait  par  la  ville, 
Que  trois  Roys,  en  bien  grand  arroy, 
Demandent  où  est  né  le  Roy; 
J'en  ay  veu  troubler  bien  dix  mille. 

Herodes. 

Un  autre  Roy!  Tu  es  habile. 
Faites  venir  ces  enquesteurs, 
Qui  de  teh  propos  sont  porteurs  ; 
Leur  parole  est  trop  basse  et  vile. 

Le  Serviteur  d'Herodes,  parlant 
aux  trois  Roys. 

Seigneurs,  bien  soyez  arrivez  ; 
De  venir  vous  fault  apprester 
Au  Roy,  qui  vous  veult  bien  traiter 
Ainsi  que  ses  amys  privez. 

Balthasar. 

Celuy  duquel  sont  dérivez 
Tous  les  biens,  ainsi  que  je  croy, 
Donne  salut  au  noble  Roy, 
Par  qui  en  luy  longtemps  vivez. 

Herodes. 
Que  cerchez  vous,  ne  qui  vous  meine 


106  DE  l'adoration 

Par  mont  et  plaine? 
Ne  que  querez  en  ce  pais  ? 
Vostre  labeur  et  vostre  peine 

Est  bien  fort  vaine, 
Et  nous  rendez  tous  esbahis. 

Melchior. 

Las,  nous  cerchons  un  Filz  qui  nous  est  né 
Roy,  qui  sur  tous  à  la  fin  régnera, 
Duquel  le  règne  à  jamais  durera; 
Roy  des  Juifz,  Dieu  le  nous  a  donné. 
Nous  desirons  que  le  lieu  ordonné 
Pour  son  séjour  par  toy  puissons  entendre; 
Car  le  chemin  nous  ne  povons  comprendre, 
Dont  un  chacun  de  nous  est  estonné. 

Gaspard. 

En  Orient  son  estoille  avons  veu'ê, 
Qui  nous  a  fait  venir  soudainement  ; 
Entrans  icy,  nous  ne  sçavons  comment 
Ne  pourquoy  c'est  que  nous  Pavons  perdue. 

Herodes. 

Or  attendez  icy,  et  je  m'en  vois 
A  mes  Docteurs  compter  ceste  merveille  : 
Le  cas  vaulî  bien  qu'à  eux  je  m'en  conseille. 
Je  parler ay  à  vous  une  autre  fois. 


DES    TROIS    ROYS.  107 

Herodes,  aux  Docteurs. 

De  rage  et  despit  je  noircis, 

Je  transis 
D'ouyr  de  ces  folz  la  folie  : 
Un  autre  Roy  que  moy?  mais  six  ! 

Dont  assis 
Me  suis,  par  grand  melancholie. 
Vous  avez  veu  les  livres  tous 

Entre  vous  : 
Disent  Hz  qu'un  Roy  doit  venir? 
S'il  vient,  je  le  mettray  dessoubs 

A  beaux  coups, 
Si  une  fois  le  puis  tenir. 

Le  Premier  Docteur. 

Sire,  quant  est  de  moy,  j'ai  veu 
Que  Dieu  un  Christ,  un  Roy,  un  oingt 
Donnera.  Et  voicy  le  poinct 
Du  temps  qu'il  est  né  et  conceu. 
Daniel,  qui  Pavait  preveu, 
En  a  dit  nouvelles  certaines, 
Et  qui  bien  nombre  ses  semaines 
Le  cognoil  sans  estre  deceu. 

Herodes. 
Mais  où  doit  prendre  naissance 


108  DE  l'adoration 

Ce  malheureux  monstre  et  chimère, 
Pour  qui  je  sens  douleur  amere? 
J'en  veux  avoir  la  cognoissance. 

Le  II.  Docteur. 

Ta  majesté  et  ta  puissance 
N'en  prenne  peine  ne  courroux  : 
Bethléem  avons  lu  tretous 
Estre  le  lieu  de  son  enfance. 

Le  Premier  Docteur. 

Esaïas  bien  clerement 
En  fait  grande  exclamation 
Et  telle  déclaration 
Que  nous  le  croyons  fermement, 
Tout  ainsi  que  Va  récité  : 
Par  la  naissance  du  Seigneur 
Grande  veult  et  pleine  d'honneur 
La  povre  et  petite  cité. 

Herodes. 

Ce  qui  m'est  par  vous  recité 
Me  touche  au  cœur; 
Mais  quel  remède? 
Par  vous  j'espère  d'avoir  aide 
En  ceste  grand'  nécessité. 


DES  TROIS   ROYS.  109 

Le  II.  Docteur. 

0  Roy  d'indicible  valeur, 
Si  ce  Christ  tu  laisses  régner, 
Il  te  pourroit  bien  estrener 
D'une  intolérable  douleur. 
Un  Prince  magnanime  en  cœur 
Ne  doit  souffrir  dessus  sa  teste 
Monster  le  Christ  :  il  seroit  beste 
S'il  n'en  estoit  bien  tost  vainqueur. 

Herodes. 

Je  sens  douleurs  de  toutes  parts. 
Un  enfant  m'oster  mon  royaume  ! 
Je  ne  dois  pas  porter  heaume, 
S'il  n'est  mis  en  cent  mille  parts. 

Le  Premier  Docteur. 

User  vous  fault  de  vozfins  arts 
Durant  qu'il  est  en  son  enfance. 

Le  IL  Docteur. 

Le  peuple  seroit  malheureux 
S'il  estoit  hors  de  votre  charge; 
Parquoy  il  fault  que  l'on  submerge 
L'enfant,  tant  pour  vous  que  pour  eux. 
Vous  leur  estes  si  gratieux, 
Tant  craint,  aymé,  tant  estimé, 


I  10  DE   L'ADORATION 

Que  l'enfant  seroit  abysmê, 
Qui  sçauroit  ce  cas  merveilleux. 

Le  Premier  Docteur. 

Un  Roy  craint  et  aymé  de  tous, 
Ainsi  qu'est  votre  majesté, 
Doit  sans  cesser,  hyver,  esté, 
De  son  royaume  estre  jaloux. 
Parquoy  vous  faut  avecques  nous 
Penser  à  ce  cas  secourir. 
L'enfant  il  fault  faire  mourir, 
Ou  jamais  vous  n'aurez  repous. 


Herodes. 


Si  l'enfant  ne  meurt,  je  mourra 
Parquoy  lui  fault  faire  la  guerre 
Pour  l'extirper  hors  de  ma  terre, 
Et  lors  en  paix  je  demour'ray. 


Et  lors  en  paixj 


Sans  fin  ton  nom  je  bénir ay, 
Voyant  ton  zèle  sy  fervent. 
Qu'est  ce  d'un  enfant!'  moins  que  vent. 
En  le  quittant  te  serviray. 

Le  Premier  Docteur. 
Sire,  sans  cousteau  ne  oust  il 


DES    TROIS    ROYS. 

De  ce  cas  viendrons  bien  à  fin. 

Il  fault  un  peu  faire  le  fin, 

Et  user  d'un  moyen  subtil. 

Il  fault  par  un  propos  gentil 

D'un  visage  riant  parler, 

Leur  disant  :  Vous  povez  aller 

En  Bethléem,  car  là  est  il. 

Feindre  fault  d'en  estre  bien  ayse, 

Et  les  prier  de  repasser 

Par  vous;  et  les  fault  embrasser, 

Monstrant  que  la  chose  vous  plaise. 

Le  II.  Docteur. 

Voila  tresbonne  invention. 
Mais  feingnez  aussi  de  vouloir 
Comme  eux  au  Christ  faire  devoir, 
Vous  sçaurez  leur  intention. 

Le  Premier  Docteur 

J'ay  desja  grand  dévotion 
De  sçavoir  le  lieu  où  il  est, 
Pour  faire  de  luy,  s'il  vous  plaist, 
Bien  cruelle  exécution. 

Herodes. 

Fault  il  qu'un  Royaume  je  perde, 
Qui  à  garder  m1  a  tant  cousté, 


DE     L'ADORATION 

Et  qu'il  me  soit  ainsi  osté 
Par  un  petit  enfant  de  merde  l 
Le  diable  par  le  col  nïaharde 
Si  par  le  feu  il  ne  trépasse, 
Ou  par  dedens  le  feu  ne  passe,  « 
Ou  dens  la  mer  je  ne  l'esserde. 

Le  Premier  Docteur. 

//  nous  fault  sa  mort  machiner 
Pour  ce  que  c'est  un  Roy  nouveau, 
Quelque  tourment  cruel  et  beau 
Et  nouveau  fault  imaginer. 

Le  II.  Docteur. 

Si  ne  le  povez  deviner, 
Nul  n'en  sçauroit  venir  à  bout  : 
Après  vous  nous  fault  cheminer, 
Car  pour  ce  cas  vous  sçavez  tout. 

Le  Premier  Docteur. 

Aussi  nous  n'avons  autre  affaire 
Que  le  Roy  et  sa  royauté 
Conserver,  soit  par  cruauté, 
Ou  autre  manière  de  faire. 

Le   II.   Docteur. 
Cercher  ne  veux  qu'à  luy  complaire 


DES    TROIS    ROYS.  I  1  J 

Par  tous  moyens,  bons  ou  mauvais. 

S'il  se  courrouce,  je  me  tais, 

Car  je  crains  trop  de  luy  desplaire. 

Herodes. 

Je  vois  parler  à  ces  trois  jouit, 
Qui  ont  laissé  sans  grand  besoing 
Leur  pais,  pour  venir  de  loing 
Voir  ce  qui  n'estoit  sceu  de  nous. 

Le  Premier  Docteur. 

Sire,  monstrez  vous  un  peu  doux, 
Ainsi  les  pourrez  attraper. 

Herodes. 

Taisez  vous,  je  sais  mieux  tromper 
Que  vous  ne  sauriez  faire  tous. 

Seigneurs,  je  vous  veux  embrasser;  Herodes 

Car  croyez  que  je  suis  joyeux  ^troL3"* 

De  povoir  voir  de  mes  deux  yeux  R°ys- 

Telz  Roys  que  vous  par  cy  passer. 
J'ay  fait  mes  Docteurs  amasser 
Et  voir  chacune  prophétie 
Qui  ont  parlé  du  grand  Messie, 
Qui  tous  les  maux  doit  effacer. 
Tous  m'ont  dit  qu'il  estoit  venu 
Et  né  au  lieu  de  Bethléem. 


114  DE    L'ADORATION 

Messeigneurs,  enquerez  vous  en, 
Car  là  doit  estre  pur  et  nu. 

Balthasar. 

Chacun  de  nous  est  bien  tenu 
De  mercier  Dieu  de  la  grâce 
Que  tu  nous  fais  en  ceste  place  ; 
Ton  parler  sera  retenu. 

Melchior 

En  Bethléem  irons  tout  droit 
Voir  si  l'Enfant  nous  trouverons. 

Gaspard. 

A  toy  bien  tenuz  nous  serons 
Qui  nous  en  as  monstre  l'endroit. 

Herodes. 

Messeigneurs,  retourner  faudroit 
Par  moy,  afin  qu'à  vostre  exemple, 
Luy  porte  présent  riche  et  ample; 
Car  oster  ne  luy  veux  son  droit. 

Les  Trois  Roys,  ensemble. 
Adieu,  Seigneur. 


DES    TROIS    ROY3.  I  1$ 

Herodes. 

Mais  retenez 
Qu'après  avoir  trouvé  ce  Roy, 
De  repasser  icy  par  moy 
Vous  serez  les  bien  retournez. 

Balthasar. 

Dieu,  qui  nous  a  tous  trois  menez, 
Maintenant  ne  nous  abandonne; 
Mais  ceste  estoille  nous  redonne, 
Par  qui  nous  sommes  estrenez. 

Melchior. 

Voyez  /' estoille,  voilà  là, 
Qui  de  nous  se  voulut  cacher; 
Quarfd  elle  nous  vist  approcher, 
Il  semble  qu'elle  se  cela. 

Gaspard. 

Elle  nous  monstre  par  cela 
Qu'autre  chemin  failloit  tenir, 
Non  pas  au  mauvais  Roy  venir; 
Ce  secret  là  nous  révéla, 

Balthasar. 
L'on  donne  à  Herodes  le  bruyt, 


Ii6  DE    l'adoration 

En  ce  pais,  d'estre  cruel. 
Croyez  qu'un  Prince  qui  est  tel 
N'est  de  l'esprit  de  Dieu  instruit. 

Melchior. 

L'on  congnoit  l'arbre  par  le  fruit. 
Las!  que  le  peuple  est  malheureux 
Qui  vit  soubs  un  Roy  vicieux! 
Enfin  l'un  et  l'autre  est  destruit. 

Balthasar. 

L'estoille  ne  va  plus  avant. 
Voicy  Bethléem  la  cité; 
Voyons  où  est  le  lieu  cité 
Par  elle. 

Melchior. 

C'est  icy  devant. 

Gaspard. 

En  ce  lieu  ouvert  à  tous  vents 
Penseriez  vous  tel  Roy  trouver  ? 

Balthasar. 

Nous  ne  povons  que  l'esprouver  : 
La  preuve  fait  l'homme  sçavant. 


\ 


DES    TROIS     ROYS.  I  I 

Le  premier  Roy,  voyant  l'Enfant  de  loing. 

0  quelle  consolation  ! 
Quelle  grande  joye  me  tient! 

Melchior. 

Je  ne  sçay  dont  cecy  me  vient, 
Mon  cœur  brusle  en  dilection. 

Gaspard. 

Je  voy  ce  qu'Inspiration 
Dedens  mon  cœur  avoit  bouté; 
De  ce' que  par  Foy  j'ay  goustê 
J'ai  maintenant  fruition. 

Balthasar. 

D'amour  nous  sommes  tous  ardens; 
Baillez  moy  l'or  que  je  luy  porte. 
Frapper  nous  fault  à  ceste  porte, 
Pour  voir  le  thresor  du  dedens. 

Gaspard. 

Trop  sommes  icy  attendans; 
Car  ceste  myrrhe  eslue  et  fine, 
En  la  portant,  fault  que  m'encline, 
Me  prosternant  dessus  les  dentz. 


Il8  DE  l'adoration 

Melchior. 

Baillez  moy  cest  encens  trespur; 
De  bon  cœur  luy  presenteray, 
Et  à  ses  piedz  me  jeîieray, 
Car  il  est  Dieu,  j'en  suis  bien  seur. 

Balthasar. 

//  n'y  a  cœur  qui  soit  sy  dur 
Qui  de  grande  joye  ne  pleure. 
Seigneur,  ouvrez  nous  sans  demeure 
La  porte  de  ce  povre  mur. 

Marie. 

Joseph,  oyez,  l'on  frappe  à  ceste  porte; 
Je  sens  l'esprit  de  Dieu  qui  me  conforte, 
Et  qui  me  rend  de  grand  joye  remplie. 
Voicy  le  temps  qu'il  faut  que  dehors  sorte 
Des  saints  Escritz  la  Vérité  tresforte, 
Et  que  chacun  devant  cest  Enfant  plie 
Teste  et  genoil.  Par  quoy,  je  vous  supplie, 
Ouvrez,  ouvrez  aux  Esluz  envoyez  : 
La  prophétie  est  en  eux  acomplie, 
L'estoille  icy  les  a  tous  convoyez. 

Balthasar. 
0  Créateur,  qui  toymesme  comprens, 


DES    TROIS    ROYS.  I  19 

Dont  tout  bien  vient,  et  de  nul  rien  ne  prens, 
Qui  de  tes  mains  as  fait  ciel,  terre  et  mer, 
Dens  cest  Enfant  auquel  je  te  comprens, 
Le  poinct,  le  but  de  mon  salut  j'apprens; 
Tant  que  (fors  toy)  rien  ne  puis  estimer. 
Tu  es  celuy  seul  que  l'on  doit  aymer, 
Craindre,  honorer,  révérer  et  servir; 
D'humilité  je  me  viens  abysmer 
A  tes  saints  piedz,  où  me  veux  asservir. 

Melchior. 

0  Toutpuissant,  qui  par  ton  bras  tresfort 
As  retiré  de  péché  et  de  mort, 
Voire  et  d'enfer,  ta  treshumble  facture  ! 
0  des  Esluz  l'héritage  et  le  sort, 
Des  désolez  les  tresdoux  resconfort, 
Et  des  pécheurs  la  délivrance  pure! 
Par  cest  Enfant  auquel  nostre  nature 
Dieu  daigne  prendre  en  sy  petite  forme, 
Servir  te  veux,  tant  que  vie  me  dure, 
En  t'adorant,  qui  à  toi  me  conforme. 

Gaspard. 

0  le  plaisir  et  la  suavité 
Quej'ay  de  voir  soubs  ceste  humanité 
Dieu  toutpuissant  l'habit  du  pécheur  prendre  ! 
En  abaissant  ta  grand  sublimité, 


120  DE    L'ADORATION 

Tu  as  l'orgueil  par  ton  humilité 
Tout  mis  à  rien.  0,  qui  pourroit  entendre 
Ce  que  tu  veux  par  amour  entreprendre, 
L'on  t'aymeroit,  sanz  plus  de  toy  douter. 
A  tes  saintz  piedz  baiser  je  me  veux  rendre, 
Pour  le  doux  fruit  que  j'ay  tant  cru  gouster. 

Joseph. 

Bien  soyez  vous  venus,  sages  seigneurs, 
Des  autres  roys  l'exemple  et  enseigneurs 
Du  seur  chemin  qui  au  vray  salut  meine. 
Souffert  avez  grans  travaux  et  douleurs, 
Car  tel  chemin  ne  se  fait  sans  labeurs. 
De  loing  venez  :  l'Escriture  certaine 
L'avoit  prédit,  ce  n'est  pas  chose  vaine, 
Que  vous  viendriez  du  costé  d'Orient. 
Si  au  venir  avez  eu  de  la  peine, 
Foy  vous  fera  retourner  en  riant. 

Balthasar. 

Ce  trespetit  présent 
Que  tu  vois  cy  présent, 
De  bon  cœur  je  te  donne; 
C'est  Or  trespur  :  car  Foy 
Me  dit  que  tu  es  Roy 
Portant  sur  tous  couronne. 
Enfant  de  Dieu  donné 


DES    TROIS   ROYS.  121 

Du  Père  couronné 
Sur  sa  sainte  montaigne, 
II  Va  donné  le  sceptre 
Pour  régner  comme  maistre, 
A  fin  que  ne  te  feingne 
De  son  commandement 
Prescher  bien  hautement 
A  son  peuple  çà  bas  ; 
Lequel,  s'il  se  rebelle,  . 
De  la  verge  cruelle 
Le  chastie  et  le  bas. 
Les  bons  tu  tireras 
Et  les  présenteras 
Au  père,  qui  le  soing 
Ta  donné  du  troupeau, 
Autant  vieux  que  nouveau, 
Autant  près  comme  k 
Ce  petit  bras  d'enfance 
De  frapper  ha  puissance 
Jusqu'aux  fins  de  la  terre. 
Celuy  qui  mot  ne  sonne 
Parle  hault,  quand  il  tonne, 
Par  esclers  et  tonnere. 
Enfant,  seulement  toy 
Pour  mon  Seigneur  et  Roy 
Je  prens  en  mon  courage. 
De  mon  corps,  de  mes  biens, 
16 


122  DE    LADORATION 

De  ce  que  suis  et  tiens, 
Seigneur,  te  fais  hommage. 

Melchior. 

0  Dieu,  la  vie  et  l'estre 
De  tous,  comme  au  grand  Prestre 
Et  Sacrificateur, 
Qui  par  un  sacrifice 
De  divine  justice 
Es  purificateur, 
L'encens,  dont  la  fumée 
De  Dieu  est  estimée, 
Pour  mieux  te  contenter, 
En  laquelle  liqueur 
Le  désir  de  mon  cœur 
Je  te  viens  présenter; 
Reçoy  le  cler  encens. 
Cœur,  corps,  puissance  et  sens, 
Volonté  et  désir, 
Faites  en  sacrifice, 
Me  purgeant  de  tout  vice, 
Car  là  gist  mon  plaisir. 
Si  tu  pries  le  Père 
De  nous  estre  prospère, 
Tu  le  gaigneras  franc. 
L'homme  a  beau  soupirer, 
Car  il  ne  peult  tirer 


DES    TROIS    ROYS.  I2J 

Remission  sans  sang. 
L'holocauste  et  hostie 
De  toy  si  bien  bastie 
Luy  est  seule  agréable; 
Toy  seul  peux  rapporter 
Pour  nous  reconforter 
Sa  grâce  profitable. 
Or  prens  moy  en  ta  garde, 
De  ton  œil  me  regarde; 
En  toy  me  suis  fié. 
Comme  personne  abjecte, 
En  t'adorant  me  jette 
En  terre  soubs  ton  pie. 

Gaspard. 

0  Dieu,  en  corps  mortel 
Je  te  croy  estre  tel 
Que,  par  conjonction 
De  toy  à  nostre  cendre, 
Divins  tu  nous  peux  rendre 
Par  ton  abjection. 
La  myrrhe  que  voicy, 
Eslue,  sans  nul  Si, 
Te  présente  en  pur  don, 
Confessant  que  ton  corps 
De  Dieu  misericors 
Obtiendra  le  pardon. 


124  DE  l'adoration 

Je  te  puis  voir  en  chair, 
Et  baiser  et  toucher; 
Mais  soubs  chair  délicate 
Ta  puissance  incognue, 
Puisque  l'heure  est  venue, 
Se  demonstre  et  dilate. 
Tel  que  t'ay  creu,  te  voy. 
Long  temps  y  a  qu'en  moy 
Par  Foy  favoit  planté 
Dame  Inspiration, 
Par  vive  affection 
Engravé  et  enté. 
Ce  qu'en  mon  cœur  sentoye, 
Je  le  voy  en  grand  joye, 
Dont  j'ay  contentement. 
En  ta  mort  voy  ma  vie, 
Dont  mon  ame  est  ravie 
Par  amour  fortement  ; 
Voire  et  par  la  liveur 
Des  playes  doloreuses 
Les  âmes  langoureuses 
Ont  santé  et  saveur. 
Par  ta  dilection 
Seras  oblation, 
Car  ainsi  tu  le  veux  : 
Tu  seras  decraché 
Et  le  poil  arraché 


DES    TROIS    ROYS.  I  2  S 

De  ta  barbe  et  cheveux. 
Comme  cil  qui  se  joué, 
Présenteras  la  joué 
Aux  tyrans  te  frappant. 
En  croix  mené  seras. 
Là  où  tu  briseras 
La  teste  du  serpent. 
Petit  corps  ordonné 
De  Dieu,  abandonné 
A  porter  tous  noz  maux, 
Las  !  bien  devons  haïr 
Tout  péché,  etfuyr, 
Cause  de  tes  travaux. 
Bien  cher  te  cousteray, 
Dont  en  terre  mettray, 
En  t'adurant,  ma  face. 
A  toy  sans  Si  ne  Mais 
M'adonne,  et  pour  jamais 
Je  demande  ta  grâce. 

Marie. 

Le  Dieu  qu'avez  par  Foy  en  voz  cœurs  mis 
Vous  a  icy  pour  voir  son  Christ  transmis, 
En  vous  monstrant  ce  qu'avez  voulu  croire. 
Vous  qui  estiez  Gentilz  et  ennemys, 
Vous  a  esluz  et  tenuz  pour  amys, 
Dont  à  jamais  il  en  sera  mémoire. 


126  de  l'adoration 

Princes  et  Roys  qui  verront  ceste  histoire 
Seront  tresseurs  qu'en  faisant  bon  office, 
Sans  y  cercher  que  de  Dieu  seul  la  gloire, 
Auront  leur  part  en  ce  grand  bénéfice. 
0  Roys  heureux,  qui  pour  l'empeschement 
De  tous  les  biens  de  ce  monde,  qui  ment, 
N'avez  cessé  de  cercher  Vérité, 
Honneurs  et  biens  et  plaisir  largement 
Avez  chassez  du  cœur  soudainement, 
Pour  y  loger  parfaite  Charité. 
Sachez  qu'un  cœur  bien  net  par  purité 
Bien  voit  son  Dieu  et  en  luy  le  possède  : 
Non  pas  qu'il  ayt  un  tel  bien  mérité, 
Mais  par  l'amour  qui  tout  amour  excède. 
L'Enfant  par  vous  reçoit  dons  et  honneurs, 
Aussi  par  lui  vous  régnerez,  Seigneurs, 
Et  obéis  comme  obey  l'avez. 
Roy  le  tenez,  régnant  dedens  vos  cœurs  ; 
Par  luy  serez  et  regnans  et  vainqueurs, 
Car  autre  Roy  que  luy  vous  ne  sçavez 
En  vous  seront  ses  désirs  engravez 
Et  ne  voudrez  sinon  sa  volonté; 
Par  vous  seront  reduitz  les  dépravez. 
Honorant  ceux  de  bonne  volonté. 
Vous  le  tenez  pour  grand  Prestre  admirable, 
Luy  présentant  encens  d'odeur  louable; 
Mais  pour  vos  dons  croyez  qu'il  vous  rendra 


DES    TROIS    ROYS. 

Dieu  (dont  le  nom  estoit  innommable) 
Doux  et  bening  comme  père  amyable, 
Qui  pour  enfans  tresaymez  vous  prendra  ; 
Son  oraison  à  l'oreille  estendra 
Du  Dieu  puissant,  et  son  grand  sacrifice 
Tant  luy  plaira,  que  pour  vous  obtiendra 
Destruction  d'Enfer,  de  Mort  et  Vice. 
En  luy  donnant  la  Myrrhe,  confessez 
Qu'il  est  mortel,  et  vos  chefz  abaissez 
A  révérer  Dieu  dans  ce  mortel  corps. 
Aussi  par  luy  bientost  seront  cessez 
Tous  les  tourments  qui  vous  ont  oppressez  : 
Car,  quand  ce  corps  sera  au  reng  de  morts 
Hault  exalté  en  croix,  tirera  lors 
A  soy  tous  ceux  qu'il  a  mortifiez. 
Alors,  remply  de  ses  divins  accordz, 
Tous  immortelz  serez  déifiez. 

Balthasar. 

Jamais  n'ouyz  telle  exhortation 
Que  j'ay  ouy  de  toy,  Dame  prudente. 
J'ayme  et  retiens  ta  prédication, 
Qui  me  sera  en  tous  lieux  aydante. 
Pleine  tu  es,  la  chose  est  évidente, 
Du  saint  Esprit,  lequel  parle  par  toy  : 
Ta  grand  vertu,  sur  toutes  eminente, 
Te  monstre  bien  Mère  du  treshault  Roy 


128  DE    L'ADORATION 

Melchior. 

A  Dieu,  Péché,  plus  ne  seras  concierge 
Dedens  mon  cœur,  car  fa)  au  tout  ouy 
Ce  que  m'a  dit  la  tresheureuse  Vierge, 
Dont  pour  jamais  je  seray  resjouy. 
Soudain,  devant  son  parler,  est  finy 
Tout  le  malheur  quefay  craint  sy  longtemps. 
Je  suis  d'amour  et  dejoye  esblouy, 
Dame,  par  vous,  le  content  des  contens. 

Gaspard. 

J'ay  creu,  j'ay  veu;  mais,  Dame,  ta  parole 
M'a  confirmé  tant  que  m'y  veux  tenir. 
Par  toy  je  sents  que  mon  ame  s'en  vole 
A  son  Espoux,  sans  plus  vouloir  tenir 
Au  monde  bas,  pource  que  retenir 
Elle  a  bien  sceu  ta  parole  et  tes  ditz  ; 
Pour  à  son  Dieu  povoir  tost  parvenir, 
Mort  et  tourment  luy  semblent  paradis. 

Balthasar. 

Penser  fault  du  retour  : 
Trop  faisons  de  séjour 
Au  lieu  dont  partir  fault. 


DES    TROIS    ROYS.  1 29 

Melchior. 

Si  je  servois  icy, 
fy  demeur'rois  sans  Si; 
Du  surplus  ne  me  chault. 

Gaspard. 

Mes  frères,  noussçavons 
Que  de  rien  ne  servons 
A  cil  qui  chacun  sert. 

Balthasar. 

A  Dieu  cil  qu'aymer  veux 
Tousjours,  j'en  fais  les  vœuz, 
Ta  bonté  le  dessert. 

Melchior. 

A  Dieu,  la  larme  à  l'œil, 
Je  dis,  rempli  de  deuil, 
Enfant  plaisant  et  doux. 

Gaspard. 

0  lame  de  mon  ame, 
A  Dieu,  Enfant  et  Dame; 
Souvienne  vous  de  nous. 

17 


13O  DE    L'ADORATION 

Marie. 

Dieu,  qui  les  cœurs  des  Roy  s 
Tousjours  tient  en  sa  main, 
Les  conduise  tous  trois , 
Et  leur  soit  tant  humain 
Qu'ilz  puissent  soir  et  main 
Vivre  sans  nul  tourment, 
Et  puis  un  beau  demain 
Avoir  contentement. 
0  Père  et  Roy  céleste, 
Grâces  humbles  te  rens, 
Que  ion  Filz  manifeste 
A  ces  peuples  forens. 
En  protection  prens 
Les  tiens,  et  metz  en  un 
Les  petis  et  les  grans, 
Donnant  grâce  à  chacun. 
Le  peuple  cheminant 
En  ténèbres  obscures, 
En  péril  eminent 
De  mort  et  peines  dures, 
A  veu  les  aventures 
Ainsi  que  la  lumière 
Qui  à  tes  créatures 
Donne  clarté  planiere. 
Parquoy  loué  tu  soye, 


DES    TROIS    ROYS.  I  3  I 

Car  sans  fin  je  désire, 
Quelque  part  que  je  soye, 
Te  collauder,  ô  Sire. 
Et  comme  au  ciel  empire 
Te  louent  tous  les  anges, 
En  ce  monde  j'aspire 
Qu'on  te  donne  louenges. 

Dieu. 

Anges,  voyez  la  trop  cruelle  rage 
Qui  brusle  et  ard  d'Herodes  le  courage, 
Délibérant  de  mon  Fils  mettre  à  mort. 
Allez  bien  tost,  et  faites  mon  message 
A  mes  Esluz  dormans  en  leur  voyage, 
Pour  les  tourner  sans  danger  à  bon  port, 
Car  contre  moy  sera  foible  le  fort. 
C'est  moy  qui  suis  Dieu  de  toute  bataille, 
Nul  Conseiller  ne  peult  en  son  effort 
Encontre  moy  faire  chose  qui  vaille. 

Le  Premier  Ange. 

Ce  qui  te  plaist  sera  exécuté, 
Et  promptement  m'en  vois  les  advertir. 

Le  II.  Ange. 

Herode  a  bien  de  leur  cas  disputé, 
Mais  toy  seul  peux  son  povoir  divertir. 


Ij2  DE    L'ADORATION 

Le  III.  Ange. 

Et  s'il  te  plaisl  à  toy  le  convertir, 
Faire  le  peux,  certaineté  j'en  ay. 

Dieu. 

Je  ne  veux  point  mon  ordre  pervertir, 
J'ayme  que  j'ayme,  et  kay  ce  que  je  hay. 

Le  Premier  Ange,  aux  Roys. 

0  Roys,  qui  au  giste 
Dormez,  fuyez  viste, 
Herodes  vous  quiert 
Pour  sçavoir  de  vous 
Où  est  l'Enfant  doux, 
Duquel  il  requiert 
De  tollir  la  vie 
Par  mortelle  envie, 
Et  ne  cessera 
Pour  bien  tost  l'avoir, 
Mais  de  son  vouloir 
Autrement  sera. 
Par  autre  chemin 
Fuyans  ce  matin, 
Retournez  aux  lieux 
Dont  estes  partiz; 


DES    TROIS    ROYS.  I  JJ 

Je  vous  advertiz 

Par  le  Dieu  des  Dieux. 

Balthasar. 

A  tel  maistre  se  fault  tenir, 
Qui  ayme  tant  ses  serviteurs 
Qu'il  ne  les  laisse  pas  venir 
Aux  mains  de  leurs  persécuteurs. 

Melchior. 

Nous  le  devons  bien  mercier, 
Et  suyvir  son  tressaint  conseil  ; 
Fuyons  ce  dangereux  Mercier, 
Trouvons  ailleurs  nostre  appareil. 

Gaspard. 

//  pense  destruire  Jésus, 
Qui  est  de  la  vie  le  fruit  : 
Il  n'en  viendra  pas  au  dessus, 
Mais  il  sera  par  luy  destruit. 

Dieu. 

Anges,  chantez,  et  cornez  et  trompez 
Par  tous  les  Cieux,  et  criez  hautement 
Que  les  trompeurs  seront  par  moy  trompez 
Et  qui  mon  Fils  menacent  durement  : 
Par  les  tyrans  pleins  de  faux  jugement 


134      °E  L'ADORATION   DES  TROIS   ROYS. 

Ne  peult  périr,  mais  sans  fin  durera, 
Et  mes  Esluz  en  luy  semblablement, 
Tant  que  nul  d'eux  à  jamais  ne  perdra 
Un  seul  cheveu;  ma  vertu  gardera 
Ceux  qui  sont  miens,  j'en  ay  fait  l'examen. 
Ce  corps  uny  de  mon  Filz  montera 
Sur  tous  les  Cieux,  à  toujours  régnera 
Sans  fin,  au  siècle  des  siècles. 

Les  Anges,  chantans. 

Amen. 


COMEDIE 


DES    INNOCENTS 


Dieu  commence. 

>  on  œil  divin,  qui  voit  l'intérieur, 
■  Devant  lequel  nul  corps  extérieur 

mit  donner  aucunempeschement, 
I  Regarde  en  bas  jusqu'à  P inférieur, 

Bien  qu'il  soit  hault  comme  supérieur, 

Mais  ma  bonté  l'abbaisse  doucement. 

Or  a  il  veu  ce  que  secrètement 

Herodes  veult  faire  de  mon  Enfant; 

Mais  ma  puissance  en  dispose  autrement, 

Qui  le  Petit  contre  le  Grand  défend. 
En  moy  n'y  a  nulle  mutation, 

Rien  de  charnel,  ne  point  de  passion; 

De  tous  les  faitz  de  là  bas  je  me  joué, 


136  DES  INNOCENTS. 

Celuy  qui  est  mon  Filz  d'adoption, 

Se  confiant  en  mon  Election, 

Remply  d'amour,  incessamment  me  loué  ; 

Mais  l'infidèle,  adorant  terre  et  boue, 

Ne  fait  sinon  penser  à  me  destruire. 

En  me  moquant  d'eux,  fais  tourner  ma  roue, 

Et  mon  soleil  sur  bons  et  mauvais  luire. 

Je  voy  le  cœur  d'Herodes  fort  trembler 
Et  son  conseil  contre  moy  assembler, 
Car  le  retour  des  Roy  s  il  a  bien  sceu. 
Il  fait  du  Dieu  et  me  veult  ressembler, 
Cuydant  povoir  oster  ou  Rassembler 
La  vie  au  corps;  mais  il  en  est  deceu. 
Les  sages  Roy  s  ont  bien  mon  Filz  receu; 
Mais  ce  tyrant  par  grande  cruauté 
Le  mettre  à  mort  dens  son  cœur  a  conceu, 
Pour  conserver  sa  vaine  royauté. 

Roys  de  là  bas,  escoutei  promptement, 
Et  vous  aussi  qui  soubs  moy  puissamment 
Jugez  la  terre  en  vostre  obéissance  : 
Or  apprenez  mon  saint  enseignement 
Et  me  servez  craingnant  reveremment; 
Resjouyssez  vos  cœurs  par  congnoissance, 
Et  en  tremblant  voyans  ma  grande  puissance, 
Baisez  mon  Filz  et  luy  faites  hommage, 
Et  vous  aurez  de  m' embrasser  licence; 
Ou  autrement  ce  vous  sera  dommage. 


DES   INNOCENTS.  1  57 

En  le  baisant  pour  Seigneur  et  pour  Roy, 
En  l'adorant  homme  et  Dieu  par  la  Foy, 
Soubsmettant  cœur  et  corps  à  son  empire, 
Par  lui  pourrez  du  dur  faix  de  la  Loy 
Estre  tirez,  et  jointz  avecques  moy, 
Tant  que  chacun  aura  ce  qu'il  désire. 
Mais  ce  cruel,  qui  tous  les  jours  empire 
De  cruauté,  aura  sa  récompense. 
Bien  loing  sera  son  effect  de  son  dire, 
Car  moult  remaint  de  ce  que  le  fol  pense. 

Anges,  allez  à  Joseph  mon  amy, 
Qui  en  repos  d'esprit  est  endormy, 
En  luy  disant  comment,  par  quel  moyen, 
Je  veux  sauver  de  mortel  ennemy 
Mère  et  Enfant  qui  passeront  parmy 
Leurs  malvueillans  sy  sagement  et  bien 
Qu'ilz  n'oseront  onc  leur  demander  rien. 
Le  temps  prescrit  il  leur  fault  révéler 
Qu'ilz  demeur'ront  en  Egypte,  et  combien  : 
Et  que  de  là  dois  mon  Filz  appeller. 

Le  Premier  Ange. 

La  cruauté  et  grande  tyrannie 
Mérite  bien,  Seigneur,  que  tu  luy  nye 
De  ta  faveur  le  rayon  gracieux. 
Sa  mauvaistié  doit  estre  bien  punie, 
Qui  veult  tuer  l'Enfant  que  tu  bénie, 
11  18 


138  DES   INNOCENTS. 

Sy  tresparfait  que  la  terre  et  les  deux 
Pour  l'admirer  tournent  vers  luy  les  yeux. 
Roys  et  Pasteurs  en  ont  fait  sy  grand  compte, 
Et  le  fier  Roy,  de  tous  le  vicieux, 
Cerche  sa  mort,  son  dommage  ou  sa  honte. 

Le  II.  Ange. 

Ores  sera  le  désert,  périssant 
Et  sans  nul  fruit,  plaisant  et  fleurissant, 
Quand  ton  cher  Filz  y  fera  son  entrée  : 
Du  dur  rocher  sera  rocher  yssant, 
Pour  estre  à  luy  du  tout  obéissant  ; 
Et  les  haultz  monts  de  loingtaine  contrée 
S'abbaisseront,  et  la  vallée  oultrée 
Se  haulsera  de  plaisir  pour  le  voir. 
La  terre  seiche  y  sera  acoustrée 
De  mille  fleurs  pour  mieux  le  recevoir. 

Le  III.  Ange. 

Dieu  Toutpuissant,  qui  de  tout  peux  jouyr, 
Helas  !  fais  tu  le  tien  enfant  fouyr 
Devant  un  fol,  cruel,  plein  d'ignorance  ? 
Tu  peux  le  ciel  et  la  terre  esjouyr, 
Et  tout  soudain  en  l'abysme  enfouyr 
Cil  qui  ne  rend  à  ton  Filz  révérence. 
Mais  il  te  plaist  qu'ainsi  son  innocence 


DES   INNOCENTS.  1  J9 

Souffre  pour  tous  les  pécheurs  et  nocents 
Pour  conforter  ceux  qui  par  la  souffrance 
De  l'ignorant  souffriront  innocents. 

Le  IIII.  Ange. 

Dedens  ce  désert  tout  destruit 
J'abbaysseray  la  haulte  branche 
Pour  donner  à  l'Enfant  du  fruit 
D'une  volonté  pure  et  franche. 

Marie. 

Père  du  Filz  dont  suis  l'humble  servante, 
Fille  de  toy  qui  me  rendz  tressçavante, 
Qu'en  toy  y  a  Nom  de  paternité , 
Tu  m'as  fait  Mère,  et  telle  je  me  vante 
Que  tousjours  suis  ta  volonté  suyvante. 
Par  pure  grâce,  en  moy  humanité 
Ton  Filz  a  prins,  par  ta  bénignité, 
Un  corps  semblable  à  la  chair  de  péché, 
Pour  en  ce  corps  tuer  la  vanité 
D'Adam,  par  qui  le  monde  estoit  taché. 
L'homme,  qu'est  ce,  que  tu  as  eu  mémoire 
Ainsi  de  luy,  qui  d'obscurité  noire 
L'as  en  lumière  et  clarté  retiré  ? 
Visité  l'as,  le  faisant  en  toy  croire, 
Puis  couronné  et  d'honneur  et  de  gloire, 


140  DES   INNOCENTS. 

En  luy  donnant  ce  qu'il  a  désiré. 
C'est  toy  son  Tout  qui  à  toy  l'as  tiré, 
Le  faisant  Dieu  et  enfant  du  treshault, 
Apres  l'avoir  jusqu'au  bout  martyre; 
En  confessant  que  de  soy  rien  ne  vault, 
Remémorant  tes  grâces  et  tes  dons, 
Ta  charité  baillant  à  tous  pardons, 
Ta  patience  et  longanimité. 
Je  crie  en  cœur  :  à  tes  œuvres  rendons 
Grâces  à  dieu,  et  cœurs  et  mains  tendons 
Vers  le  seul  Bien  qui  n'est  point  limité. 
Recongnoissons  ceste  sublimité 
Qu'amour  a  peu  envers  nous  appaiser, 
Voire  et  unir  à  nostre  infirmité 
Divinité,  par  amoureux  baiser. 
En  te  louant  je  passe  jours  et  nuictz, 
En  te  voyant  homme  et  Dieu,  tous  ennuys 
Sont  convertit  en  souveraine  joye. 
Quand  chacun  dort,  plus  esveillée  suis 
Pour  contempler  le  bien  que  je  poursuys, 
Que  je  possède,  et  perdre  ne  pourroye. 
Mais  en  passant  ceste  mortelle  voye 
Je  poursuyvray  d'esprit  par  grand  désir, 
Qu'ainsi  que  moy  par  Foy  chacun  te  voye, 
Et  qu'en  tous  soit  parfait  ton  bon  plaisir. 


DES   INNOCENTS.  141 

Le  Premier  Ange. 

0  Joseph,  père  putatif, 
Levé  toy,  sans  estre  craintif, 

Et  prens  l'Enfant, 
Sa  Mère  aussi,  comme  ententif  : 
Cas  Dieu  d'Herodes  le  chetif 

Bien  le  défend. 
Or  parts  donques  secrètement, 
Et  t'en  fuys  bien  hastivement 

Droit  en  Egypte. 
Sois  y  jusqu'au  temps  nommément 
Que  le  te  diray  justement. 

Or  parts  donc  viste  : 
Car  il  adviendra  que  le  Roy 
L'Enfant  querra  de  plein  effroy 

De  tous  costez. 
Pour  le  mettre  à  mort;  mais,  croy  moy, 
Il  n'aura  pouvoir  sur  ta  Foy, 

Point  n'en  doutez. 

Joseph. 

0  bonté  qui  accourts 
Au  secours 
Des  tiens,  je  te  loue  et  mer  de; 
Des  dangers  nous  rescoux, 
Dont  le  cours 


142  DES   INNOCENTS. 

Prendrons,  car  la  nuict  est  noircie. 
M'amye,  il  faut  partir 
Sans  mentir  : 
Car  l'Ange,  ainsi  que  je  dormoye, 
M'est  venu  advenir; 
Dont  sentir 
M'a  fait  peur,  et  après  grand'  joye. 
Herodes  veult  avoir 
Par  povoir 
Vostre  enfant,  pour  le  mestre  à  mort. 
Il  ne  le  pourra  pas  voir, 
Car  pourvoir 
Y  veult  Dieu,  qui  est  le  plus  fort. 


Marie. 

Amy,  sans  attendre  à  demain, 
Tous  deux  nous  fault  mettre  la  main 
Pour  emporter  nostre  bagage  ; 
Et  l'Enfant  tant  doux  et  humain, 
Le  sauvant  du  Roy  inhumain, 
Porteray  :  c'est  mon  héritage. 
Dieu  est  ma  force  et  mon  courage, 
Parquoy  en  luy  me  sents  sy  forte 
Que  sans  travail  en  ce  voyage 
Porteray  celuy  qui  me  porte. 


DES    INNOCENTS.  I  -4  3 

Joseph. 

Allons  sans  faire  nul  séjour, 
A  fin  qu'avant  le  poinct  du  jour 
Soyons  hors  de  ce  territoire. 

Marie. 

Dieu,  vivant  en  nous  par  amour, 
Fait  à  son  Enfant  un  tel  tour 
Qu'à  jamais  en  sera  mémoire  : 
A  lui  tout  seul  en  soit  la  gloire, 
Qui  l'Enfant  délivre  des  mains 
Du  danger,  qui  sera  notoire, 
Du  plus  cruel  des  inhumains. 

Joseph. 

Saillit  sommes  dehors  des  termes 
D'Herode,  en  santé,  non  enfermes, 
Dont  louer  devons  Dieu  de  tout. 
Si  aux  yeux  avons  eu  les  larmes, 
Noz  cœurs  n'en  ont  esté  moins  fermes  : 
Car  quand  d'un  bout  à  l'autre  bout 
Tourment  nous  grève  et  presse  moult, 
Là  se  monstre  de  Dieu  la  grâce, 
Où  nostre  ame  prend  sy  bon  goust 
Qu'elle  ne  se  plaint  d'estre  lasse. 


144  DES   II^OCENTS. 

Marie. 

Ce  lieu' est  désert  et  sauvage, 
Sans  bleds,  sans  vignes,  sans  fruitage, 
Mais  nous  possédons  le  vray  pain, 
Qui  nous  donne  force  et  courage; 
La  vigne  aussi,  dont  le  beuvrage 
Est  à  tous  Fidèles  bien  sain  ; 
Le  fruit  de  vie,  qui  la  faim 
Oste  du  corps  en  saoulant  Vame, 
Dormans  sans  crainte  soubz  la  main 
De  cil  que  Père  je  reclame. 

Herodes. 

Voyez  ces  trois  meschants  menteurs, 

Inventeurs 
D'un  Christ  forgé  dedens  leurs  testes  ! 
0  vous  mes  loyaux  serviteurs, 

Amateurs 
Des  vertus  grandes  et  honnestes, 
Maintenant  me  fault  secourir 

Ou  mourir 
De  courroux,  de  despit  et  d'ire. 
Si  l'Enfant  je  ne  fais  périr, 

Las!  guarir 
Nul  ne  sçauroit  mon  grand  martyre. 


DES   INNOCENTS.  145 

Ces  Roys  me  sont  bien  eschappez, 

Qu'attrappez 
Je  ne  les  ay  à  leur  retour. 
De  maie  mort  soient  Hz  happez 

Et  frappez, 
Pour  les  punir  du  meschant  tour. 
Mais  de  ce  Christ,  qu'en  ferons  nous? 

Dites  tous 
Franchement  ce  qui  vous  en  semble: 
Prendre  vueil  le  conseil  de  vous, 

Amys  doux, 
Tandis  que  nous  sommes  ensemble. 

Le  Premier  Docteur. 

Sire,  il  fault  sa  mort  machiner, 
Et  délibérer  finement  ; 
Apres  sans  cesse  nefiner 
De  la  poursuyure  promptement. 
Parquoy,  quant  à  mon  jugement, 
Mandez  vostre  grand  Capitaine, 
Et  luy  commandez  vivement  : 
Ce  luy  sera  plaisir,  non  peine. 

Le  II.  Docteur. 

Veu  le  temps  qu'apparut  Uestoille, 
A  fin  que  vous  ne  f aillez  point, 
»  19 


146  DES  INNOCENTS. 

Tous  les  enfants  de  la  mamelle 
Qui  ont  le  deuxième  an  joint 
Et  au  dessoubz,  voilà  le  poinct, 
Il  les  fault  trestous  mettre  à  mort  : 
Le  hault  Dieu  povoir  vous  en  doint, 
Pour  estre  vengé  d'un  tel  tort. 

Le  Premier  Docteur. 

En  Bethléem  ny  à  l'entour 
Ne  fault  laisser  enfant  vivant, 
N'espargnez  ne  ville  ne  tour, 
Mettez  à  tous  la  vie  au  vent. 
Mais  que  l'on  cerche  bien  avant, 
Masle  n'en  eschappera  vif  : 
Vostre  Capitaine  est  sçavant 
Et  y  sera  bien  ententif. 

Le  II.  Docteur. 

C'est  un  homme  qui  n'ha  regard 
A  nul,  fors  à  vous  obéir; 
Il  ne  craint  danger  ne  hasard 
Pour  vous,  dont  il  se  fait  haïr. 
Parquoy  n'ayez  peur  que  fouyr 
Puisse  nul  enfant  de  ses  yeux; 
Pour  vostre  cœur  bien  resjouyr, 
Possible  n'est  de  choisir  mieux. 


DES   INNOCENTS.  1 47 

Herodes. 

J'ay  un  faix  sur  ma  conscience, 
Lequel  je  ne  peux  plus  celer, 
Et  en  vous  sy  grand'  confiance 
Que  je  le  vous  veux  révéler. 
Las!  à  peine  en  peux  je  parler, 
Car  le  despit  qui  mon  cœur  crevé 
Ne  peult  hors  de  mes  dents  aller, 
Qui  me  rend  la  parole  brève. 
En  Bethléem  il  est  prédit 
Qu'un  Fih  est  né  de  tel  crédit 
Que  sur  les  Juifz  régnera  ; 
Dont  pour  faire  un  tresjuste  edict 
J'ordonne  que  l'Enfant  maudit 
Soit  tué,  qui  le  trouvera. 
Et  celuy  bien  esprouvera 
Ma  grande  libéralité, 
Qui  un  seul  n'en  espargnera. 
Par  extrême  crudelité, 
Sans  regarder  à  povre  ou  riche, 
Ny  à  maison  petite  ou  grande, 
Trenchez  tout  ainsi  qu'une  miche 
A  grands  morceaux,  je  le  commande. 
Il  ne  fault  point  que  l'on  demande 
Dont  me  vient  ceste  cruauté; 


148  DES  INNOCENTS. 

Car  un  Roy  doit  payer  l'amende, 
Qui  pour  rien  perd  sa  Royauté. 

Le  Capitaine. 

De  t' obéir  j'ay  telle  envie, 
Conservant  ton  autorité, 
Que  de  tout  masle  auray  la  vie, 
Pour  te  donner  prospérité. 
Mon  cœur  est  sy  très  irrité 
Contre  celuy  qui  est  venu, 
Qu'il  mourra,  c'est  la  vérité, 
Quand  de  mes  mains  sera  tenu. 
Nous  ferons  tant  de  pas  et  tours, 
Moy  et  mes  gents,  en  diligence, 
Que  Bethléem  et  ses  entours 
Auront  des  masles  indigence. 
Bailleur  ne  seray  d'indulgence, 
Car  de  deux  ans  tirans  en  bas, 
A  nul  n' auray  intelligence, 
Mais  tueray  tout  pour  mes  esbats. 

Herodes. 

Or  allez  donc,  et  force  gents 
Assemblez  pour  le  cas  parfaire, 
Et  qu'ils  soyent  tous  diligents, 
Sans  pitié,  sans  craindre  à  mal  faire. 


DES  INNOCENTS.  H9 

.4  vous  seul  je  remets  l'affaire 
Qui  plus  au  fonds  du  cœur  me  touche, 
Dont  la  douleur  qui  me  fait  taire 
Par  grand  despit  ferme  ma  bouche. 

Le  Capitaine. 

Sire,  j'entends  bien  ton  vouloir, 
Auquel  le  mien  du  tout  s'accorde  : 
Puis  que  j'ay  de  toy  le  povoir, 
Nully  n'aura  miséricorde. 
Car  quand  en  mon  cœur  je  recorde 
Qu'un  autre  que  toy  veult  régner, 
De  mort  cruelle  et  sale  et  orde 
J'ay  grand  désir  de  l'estrener. 

Herodes. 

Gardez  vous  bien  d'estre  gaignez 
D'argent,  de  crainte  ou  de  pitié.  •"- 

Le  Capitaine. 

De  leur  sang  nous  serons  baignez 
En  les  couppant  par  la  moitié  ; 
Crainte  n'aurons  ne  amitié 
A  nul,  et  rien  n' espar gnerons. 


I  50  DES   INNOCENTS. 

Si  le  Christ  est  bien  chastié 

Par  nous,  assez  nous  gaingnerons. 

La  Première  Femme. 

Est  il  plaisir  à  l'arbre  que  de  voir 
La  cause  et  fin  de  sa  création  ? 
Et  à  la  femme  est  il  en  son  povoir 
De  n'aymer  bien  sa  génération? 
Cest  son  beau  fruit,  sa  consolation, 
Pour  qui  tous  fruitz  et  animaux  sont  faitz. 
0  mon  enfant,  ceste  dilection 
Joyeusement  méfait  porter  tous  faix. 

La  II.  Femme. 

//  n'est  ennuy  que  la  femme  n'oublie 
Quand  elle  voit  que  le  hault  Créateur 
De  tel  honneur  l'a  ainsi  anoblie, 
Que  l'ouvrouer  elle  est  du  grand  facteur, 
Dedens  lequel  luy  de  tout  bien  aucteur 
Forme  l'enfant  à  sa  similitude. 
Seigneur,  soyez  de  lui  conservateur, 
Car  de  bon  cœur  j'en  prens  solicitude. 

La  III.  Femme. 
Je  dois  aymer,  et  ne  m'en  puis  garder, 


DES  INNOCENTS.  1^1 

L'os  de  mes  os  et  la  chair  de  ma  chair  ; 
En"le  voyant  je  me  peux  regarder, 
Son  père  aussi;  c'est  un  thresor  bien  cher. 
Qui  te  voudroit,  enfant,  par  mal  toucher, 
J'aymerois  mieux  la  douleur  endurer  ; 
De  te  servir  je  ne  me  peuxfascher, 
Mais  mon  travail  je  veux  faire  durer. 

La  Nourrice  du  Filz  d'Herodes. 

Ce  m'est  honneur  remply  de  grand  plaisir 
De  te  nourrir,  Royale  geniture, 
Dont  en  mon  cœur  ne  sents  autre  désir 
Que  d'en  povoir  faire  la  nourriture 
Au  gré  du  Roy.  0  belle  créature, 
Tu  me  plais  tant,  que  s'ilfalloit  ma  vie 
Mettre  en  hasard  pour  te  donner  pasture, 
Je  le  f crois,  car  amour  m'y  convie. 

Le  Capitaine. 

Voicy  le  lieu,  le  territoire, 
Où  fault  faire  exécution. 
Enfans,  ayez  bien  en  mémoire 
De  jetter  hors  compassion, 
Sans  avoir  nulle  affection 
A  père,  à  mère  ny  enfant; 
En  telle  persécution 


I  $2  DES   INNOCENTS. 

Le  Roy  la  pitié  vous  défend. 
Tout  ce  que  nous  demandons  est  là, 
Voyez  tous  ces  enfans  ensemble  ; 
Frappez  et  tuez  tout  cela, 
Que  le  cœur  icy  ne  vous  tremble; 
Gardez  que  nulle  son  fdz  ne  emble, 
Tuez  tous  ceux  qui  ont  deux  ans 
Et  au  dessoubz. 

Le  Premier  Tyrant. 

Puis  qu'il  vous  semble 
Qu'il  est  bon,  nous  donnerons  dedens. 
Ça  cest  enfant,  qu'il  est  gentil! 
il  prend  Baillez  le  moy  bien  tost,  m'amye. 

l'enfant. 

La  Première  Femme. 

Las!  monseigneur,  que  vous  plaist  il  ? 
De  grand'  peur  la  chair  mefremie. 
Vous  le  tuez!  0  infamie! 
0  cruauté  qui  n'ha  semblable, 
Rendre  ainsi  la  vie  endormie 
De  l'Innocent,  qui  n'est  coulpable  ! 
0  le  fruit  de  l'arbre, 
Tu  es  comme  marbre 
Dur,  froid  et  transy. 
Avant  qu'estre  meur 


DES  INNOCENTS.  1  $3 

Le  glaive  trop  dur, 
L'homme  sans  mercy 
Cueilly  t'a  icy  ! 

Le  II.  Tyrant. 

Baillez  cest  enfant  vistement, 
M'amye,  car  j'en  ay  affaire. 

La  II.  Femme. 

Plus  tost  je  me  lairray  vrayment, 
Que  mon  enfant,  par  vous  deffaire. 

Le  II.  Tyrant. 

Osez  vous  bien  au  Roy  desplaire? 
C'est  trop  grande  desloyautè. 

La  II.  Femme. 

Tuez  moy  donques  pour  parfaire 
Sa  trop  cruelle  cruauté. 
Helasl  par  force  il  le  m'arrache 
Pour  le  tuer  devant  mes  yeux! 
Meschant,  cruel,  infâme  et  lasche 
Serviteur  du  Roy  vicieux, 
J'esleve  cœur  et  voix  aux  deux, 
Et  en  demande  la  vengeance 


1^4  DES   INNOCENTS. 

Au  grand  Dieu  sur  tous  autres  Dieux, 
Pour  m'en  venger  en  diligence. 

Helas!  mon  enfant, 

Tout  le  cœur  me  fend 

De  te  tenir  mort. 

L'image  de  vie 

Est  de  toy  ravie 

Par  cruel  effort. 

Las!  Herodeha  tort. 

Le  III.  Tyrant. 

Baillez  cest  enfant  ;  que  de  peine  ! 
La  fuyte  ne  vous  sert  de  rien. 

La  III.  Femme. 

Ta  volonté  trop  inhumaine 
Si  je  peux  n'aura  pas  le  mien. 
h  je  Las  !  il  le  prend  !  0  cruel  chien , 

prend.  q^-  ^  $an^  numaln  as  env{e  J 

Las!  il  met  à  mort  tout  mon  bien  : 
A  peu  près  que  je  ne  desvie. 

Helas  !  il  me  jette 

Celuy  que  regrette 

Mort  entre  mes  mains. 

Las!  le  cœur  me  fault! 

0  Dieu  de  là  hault, 


DES   INNOCENTS.  155 

A  ces  inhumains 
N'en  faites  pas  mains. 

*  Le  IIII.  Tyrant. 

Cest  enfant  est  fort  bien  en  ordre, 
Mais  sy  le  me  faut  il  avoir. 

La  Nourrice  du  Filz  d'Herodes. 

Allez,  vous  n'y  avez  que  mordre, 
Pas  n'estes  digne  de  le  voir, 
Car  je  vous  fais  bien  à  sçavoir 
Qu'il  est  filz  du  roy  trespuissant. 

Le  IIII.  Tyrant. 

Aussi  pour  faire  mon  devoir 
Au  roy  veux  estre  obéissant. 

La  Nourrice. 

Las .'  sus  luy  vous  tirez  l'espée, 
Sans  craindre  le  roy  !  quelle  audace  ! 

Le  IIII.  Tyrant. 

//  aura  la  gorge  coupée, 
Le  roy  le  veult,  en  ceste  place. 


1$6  DES   INNOCENTS. 

La  Nourrice. 

Venez  tost  à  l'aide  à  moy  lasse  ; 
Venez  cest  enfant  secourir. 
Las  !  l'espèe  son  corps  oultrepasse. 

Le  III I.  Tyrant. 
Cest  le  roy  qui  le  fait  mourir. 

La  Nourrice. 

Le  roy  fait  son  enfant  iuerl 
0  cruel  Père,  ô  cas  nouveau  ! 
Qui  en  heu  de  s'esvertuer 
De  sauver  sonfilz  sain  et  beau, 
Du  tetin  le  met  au  tombeau. 
Son  porc,  non  son  filz,  vault  mieux  estre 
Le  Juif  ne  tue  nul  pourceau, 
Mais  sonfilz  qui  ne  fait  que  naistre. 

0  roy  plein  de  vice, 

Moy  povre  nourrice 

Fais  icy  le  dueil 

Que  tu  devrois  faire, 

Non  ainsi  défaire 

Et  mettre  en  cercueil 

Le  bien  de  ton  œil. 
Mais  si  ne  puis  je  encore  croire 


DES   INNOCENTS.  1  SI 

Que  le  Roy  un  tel  cas  entende; 
Il  n'y  a  ne  proufit  ni  gloire  : 
Plus  avant  fault  que  j'en  demande. 
Tel  en  pourra  payer  l'amende, 
Qui  est  cause  de  ma  douleur. 

Le  Capitaine.  Arrivant 

4  devant 

Herodes. 

Le  Dieu  plein  de  puissance  grande 
Augmente  au  roy  vie  et  Honneur. 
Nous  venons  de  persécuter 
Le  pais  du  Christ  la  naissance, 
Et  ton  vouloir  exécuter, 
Sans  avoir  de  nul  congnoissance. 
Chacun  craint  ta  grande  puissance, 
Car  il  n'est  demeuré  un  seul 
Enfant,  soubs  ton  obéissance, 
Qui  ne  soit  mort  dens  son  linceul. 

Herodes. 

N'en  avez  vous  un  seul  sauvé 
Qui  me  puisse  mener  la  guerre  ? 

Le  Capitaine. 

Si  un  seul  enfant  est  trouvé 
Qui  ne  soit  pas  mort  mis  en  terre, 


I  $8  DES   INNOCENTS. 

Faites  nous  en  prison  grand'  erre 
Mener  et  mourir  pour  l'amende, 
Ou  Dieu  nous  tue  d'un  tonnerre. 

Herodes. 
Voila  le  bien  que  je  demande. 

Le  Capitaine. 

Depuis  deux  ans  et  au  dessoubz, 
En  Bethléem  ny  à  l'entour 
Masle  n'y  a  ;  nous  sommes  saoulz 
De  frapper.  Qui  eust  veu  les  tours 
De  nous,  et  des  femmes  autour, 
Il  eust  veu  cruelle  bataille  : 
Chacune  faisoit  son  destour, 
Mais  n'y  ont  fait  chose  qui  vaille. 

Herodes. 

Vous  me  rendez  le  cœur  content 
Et  le  corps  tout  remply  de  joye. 

Le  Premier  Tyrant. 

Jamais  nul  Roy  n'enfeit  autant, 
Sire,  que  vous. 


Comment. 


DES   INNOCENTS.  159 

I 

Herodes. 
Vien  ça,  que  je  oye 


Le  II.  Tyrant. 


Vous  verriez  par  la  voye 
Le  sang  courir  de  tous  costez. 

Herodes. 

Ho,  voila  plaisante  montjoye , 
Monstrant  les  ennemys  domtez  ! 
Mais  quoy?  qu'ont  dit  ces  mères  foies  ? 

Le  III.  Tyrant. 

Les  unes  ont  voulu  fouyr, 
Les  autres  à  for  ce  paroles 
Nous  ont  fait  injures  ouyr; 
A  peine  en  avons  peu  jouyr 
Fors  à  grands  coups  sur  bras,  sur  testes. 

Herodes. 

Voila  qui  me  fait  resjouyr, 
Vraiment  bons  serviteurs  vous  estes. 


160  DES   INNOCENTS. 

Le  IIII.  Tyrant. 

Jamais  n'ouystes  de  telz  crys, 
Telz  plaingîz  et  lamentations. 

Herodes. 

En  vous  escoutant,  je  m'en  rys, 
Ce  me  sont  consolations. 

Le  IIII.  Tyrant. 

Injures,  malédictions, 
Coups  de  poing,  morsures  de  dents 
Avons  eu  de  leurs  passions, 
Dont  portons  signes  evidens. 

Herodes. 

Vous  avez  si  bien  besongné , 
Que  d'avoir  mieux  je  ne  souhaite. 

Le  Capitaine. 

Ha,  il  y  a  bien  eu  hongné 
Avant  venir  à  la  retraite. 

Le  IIII.  Tyrant. 
Sire,  une  femme  fort  aigrette 


DES   INNOCENTS.  l6l 

Dit  qu'à  vous  elle  s'en  plaindra; 
Mais  rostre  volonté  j'ay  faite. 

Herodes. 

Jamais  nul  mal  ne  t'en  prendra. 
Hz  ont  fait  ce  qui  est  possible 
Pour  mettre  mon  cœur  en  repous  : 
Si  le  Christ  n'est  bien  invisible, 
H  sera  mort  dessoubs  leurs  coups  ; 
Dont  en  paix  regneray  sur  tous, 
Sans  craindre  qu'on  me  face  tort. 
Ho,  que  ce  sçavoir  là  m'est  doux, 
Que  Christ  soit  mis  du  tout  à  mort  ! 
Car  son  règne  est  au  mien  contraire, 
Et  de  mon  throne  me  dépose. 
Car  par  ce  que  j'ai  peu  retraire 
Des  prophètes  et  texte  et  glose, 
Ce  eust  été  de  luy  bien  grand  chose 
Et  de  moy  riens  :  mais  j'ay  pourveu 
Que  son  corps  en  la  mort  repose; 
Le  mien  vivant  de  tous  est  veu. 
Je  regneray,  puis  qu'il  ne  règne, 
Etferay  ce  qu'il  me  plaira. 
0  qu'il  sera  heureux  mon  règne  ! 
Car  un  chacun  me  complaira, 
Et  biens  et  forces  desploira 
Pour  acquérir  mon  amitié. 


162  DES   INNOCENTS. 

Ha!  chacun  pour  moi  s'emploira, 
Puis  quej'ay  le  Christ  chastié. 

Je  laisse  à  Dieu  de  tous  ses  deux 
La  police  et  gouvernement, 
fen  quitte  ma  part,  aymant  mieux 
Régner  en  terre  puissamment. 
Vivre  veux  plus  joyeusement 
Que  je  n'ay  fait  au  temps  jadis. 
En  terre  est  mon  contentement, 
Garde  bien  Dieu  son  paradis. 

La  Nourrice. 

Helas  !  Sire,  Sire,  voyez 
Ce  qu'a  fait  vostre  Capitaine 
Avec  ses  gens  desvoyez 
Contre  vous.  Majesté  hautaine, 
Vostre  puissance  souveraine 
Punisse  ce  crime  exécrable 
Par  une  intolérable  peine  : 
Vengez  vostre  filz  tant  aymable. 

Herodes. 

0  vilain  désir  de  vengeance 
Et  de  régner  l'ambition  ! 
0  trop  hastive  diligence, 
0  impiteuse  occasion  ! 


DES  INNOCENTS.  163 

0  mon  filz,  ma  dilection, 
Pour  conserver  ton  héritage 
Je  fay  mis  à  perdition, 
Et  pour  proufit  fay  fait  dommage! 

Je  perdz  l'héritier 

Dont  j'avois  mestier 

Plus  que  de  la  terre. 

Pour  défaire  Christ, 

J'ay  mon  filz  prescript 

Parmy  ceste  guerre. 

Acquérant  pour  luy 

Repoz  et  appuy, 

Le  Christ  je  cherchois; 

Mais  le  puissant  Dieu 

Mon  filz  prend  en  lieu  : 

Pas  n'ay  eu  le  choix. 

0  malheureux  Père! 

Je  suis  qui  opère 

Contre  mon  vouloir. 

Car  pour  tuer  un, 

J'ay  fait  tout  commun, 

Dont  me  fault  douloir. 

Mais,  au  fort,  j'ay  fait 

Un  sy  tresbeaufaict, 

Qu'il  fault  en  gré  prendre 

Ceste  propre  perte  ; 

C'est  pour  ma  desserte, 


,£4  DES  INNOCENTS, 

L'on  le  peult  entendre. 
J'ay  un  filz  perdu, 
Aussi  j'ay  rendu 
Mort  mon  ennemy. 
Je  l'ayme  mieux  mort 
Que  voir  vif  et  fort 
Mon  filz  et  amy. 
De  mon  Capitaine, 
Cest  chose  certaine 
Qu'il  m'a  obey, 
Dont  est  advoué, 
Aymé  et  loué 
De  moy,  non  hay. 
Metz  en  sépulture 
Ceste  créature, 
Et  l'oste  d'icy. 

La  Nourrice. 

0  dure  nature! 
0  nature  dure  ! 
Helasl  qu'est  cecy? 
Enfant,  je  f  emporte 
De  dueil  demy  morte, 
Hors  des  yeux  du  Roy, 
Qui  du  tout  s'accorde 
A  ceste  mort  orde  ! 


DES   INNOCENTS.  l^S 

0  quel  desarroy  ! 
En  la  terre  mettre 
Te  vois,  là  fault  estrc 
Et  tous  demeurer. 
Et  feray  r  office 
De  vraye  nourrice, 
C'est  de  bien  pleurer. 

Herodes. 

Je  sçay  tresbien  que  j'ay  mon  Filz  perdu  ; 
Mais  en  voyant  aussi  que  'fay  rendu 
Mon  règne  seur  sans  souspeçon  ne  crainte, 
Mon  ennemy  mort  à  terre  estendu, 
Confesser  doy,  le  tout  bien  entendu, 
Que  resjouyr  tresfort  me  doy  sans  feinte. 
Il  fault  mourir  par  amour  ou  par  crainte; 
Mais  vivre  povre  et  chassé  de  son  bien, 
C'est  pis  que  mort  d'endurer  telle  estreinte; 
J'aymerois  mieux  mourir  que  n'avoir  rien. 

Or  suis  je  sain,  mon  Royaume  est  paisible; 
Ce  qui  me  plaist  je  le  tiens  pour  loisible  ; 
Nully  mon  bien  ne  demande  ou  querelle; 
J'ay  Christ  rendu  à  ce  monde  invisible  : 
Il  ne  m'estoit  en  rien  bon  ne  duysible; 
Sa  mort  m'est  bien  plus  proufitable  et  belle. 

Les  Prophètes  n'ont  eu  puissance  telle 


l66  DES   INNOCENTS. 

Que  leur  Christ  soit  peu  venir  en  avant, 
Dont  content  suis  en  la  vie  mortelle, 
Puis  qu'en  vivant  j'ay  mis  sa  vie  au  vent. 

Rachel. 

Helas,  helas,  helas,  helas  ! 
Qui  confortera  ce  cœur  las, 
Ce  corps  affoibly  de  douleur, 
Cest  esprit  privé  de  soûlas, 
Tous  ses  cinq  sens  liez  au  laz 
Inévitable  de  malheur? 
Vous  qui  me  voyez  sans  couleur 
Et  demandez  l'occasion, 
Las!  mes  enf ans  pleins  de  valeur 
Sont  periz  par  occision. 
Qui  donra  à  mon  chef  des  larmes 
Pour  pleurer  ces  cruelz  alarmes, 
Dont  mesyeux  seront  les  ruisseaux? 
Qui  m'apprendra  suffisans  termes 
Pour  regretter  non  les  enfermes, 
Mais  les  morts  tant  plaisans  et  beaux  ? 
Vous  qui  cas  piteux  et  nouveaux 
Pleurez,  venez  moi  secourir, 
Et  voyez  que  ces  desloyaux 
Tous  mes  enf  ans  ont  fait  mourir. 
Ma  voix  bien  hault  je  fais  ouyr 


DES  INNOCENTS.  167 

En  Rama,  non  pour  resjouyr 
Les  auditeurs  par  mes  doux  chants, 
Maisparcrys,  voyant  enfouyr 
Ceux  qui  n'ont  peu  ne  sceu  fouyr 
La  mort  par  les  glaives  trenchans. 
Je  pleure  par  villes  et  champs, 
Je  huile,  je  plaings  et  souspire, 
Dont  le  meschant  Roy  des  meschans 
A  mys  mes  enfans  au  martyre. 
Je  suis  Rachel  triste  et  marrye, 
Qui  pleure  en  la  triste  patrie, 
Qui  de  mes  enfans  f eut  partage. 
Pleurez,  Joseph,  je  vous  en  prie; 
Et  que  Benjamin  cousin  crie 
Ses  enfans  mortz  par  grand  outrage. 
0  Bethléem,  doux  héritage, 
Tu  leur  estois  maison  de  pain, 
Et  nourrissois  ce  beau  lignage  : 
Las!  Hz  n'y  sont  pas  mortz  de  faim. 

Point  consoler  je  ne  me  veux, 
Quand  tous  mes  enfans  et  neveux 
Je  ne  voy  plus,  car  plus  ne  sont. 
Si  par  sacrifice  ou  par  vœux 
Povois  l'esprit  en  leurs  corps  nœufz 
R'appeller  du  lieu  tresprofond, 
J'en  ferois  prou  :  car  mon  cœur  fond 
De  douleur,  voyant  que  remède 


1  68  DES   INNOCENTS. 

N'y  a;  mes  jours  à  eux  s'en  vont, 
Parquoy  je  ne  veux  nulle  aide. 

Mortz  sont  mes  enfans  innocents, 
Dont  pis  que  mort  au  cœur  je  sents; 
Mais,  helasl  ce  n'est  pas  pour  eux 
Qu'ilz  sont  ainsi  de  vie  absens  ; 
Toutes  fois  pour  eux  m'y  consens, 
Car  je  sçay  bien  qu'ilz  sont  heureux 
D'estre  plustost  mortz,  que  paoureux 
De  mourir,  pour  sauver  l'Enfant 
Pour  lequel  un  cœur  amoureux, 
Mourant,  va  vivre  triomphant. 
Leur  robbe  ont  laissée 

Rompue  et  blessée 

Par  sanglante  mort. 

Leurs  mères  pleurantes, 

Ceà  et  là  courantes, 

Ont  crié  bien  fort. 

Le  mourant  crioit, 

Sa  mère  pleuroit, 

L'arrosant  de  pleurs; 

L'arbre  regrettoit 

Du  fruit  qui  portoit 

Les  plaisantes  fleurs. 

Herodes  cuydoit, 

Comme  il  pretendoit, 

Mettre  Christ  à  rien. 


DES    INNOCENTS.  169 

C'est  bien  au  contraire, 
De  ses  mains  retraire 
Dieu  l'a  sceu  fort  bien. 
Cruels  qui  pensez, 
Faisant  maux  assez, 
Effacer  son  Nom, 
Plus  vous  ïabbaissez, 
Et  plus  le  haulsez 
D'éternel  renom  ; 
Le  persécutant, 
Et  exécutant 
L'edict  de  sa  mort, 
Vous  le  faites  vivre. 
Aux  cœurs  qu'il  délivre 
De  tout  desconfort 
Christ  tousjours  demeure. 
Mais  quand  la  bonne  heure 
Viendra  de  mourir, 
La  mort  il  prendra , 
Que  morte  rendra 
Pour  nous  secourir. 
Par  Christ  mort  vivront 
Tous  ceux  qui  croiront 
En  luy  fermement. 
C'est  qu'il  est  leur  vie, 
Désir  et  envie, 
Estre  et  mouvement. 


170  DES  INNOCENTS. 

Et  par  ceste  Foy 
L'ame  sort  de  soy 
Pour  à  luy  courir. 
En  luy  la  transforme, 
Et  sa  vieille  forme 
Fait  du  tout  périr. 
La  mort  luy  est  gloire 
Quand  elle  peult  croire 
Qu'elle  vit  mourant. 
Elle  se  conforte 
D'estre  en  Adam  morte, 
A  Dieu  va  courant  : 
Car  elle  court  viste 
Quand  hors  du  vieux  giste 
D'Adam  est  tirée. 
Parauoy  veult  choisir 
Pour  son  vray  plaisir 
D'estre  martyr ée; 
Et  de  son  martyre 
Tel  plaisir  attire 
Que  mieux  ne  demande. 
Elle  fait  de  Dieu, 
Par  tout,  en  tout  lieu, 
Tout  ce  qu'il  commande. 
L'Ame  en  Adam  morte 
En  Dieu  vive  et  forte 
Acomplit  la  Loy. 


D  ES   INNOCENTS.  171 

A  quoy  la  vivante 
Se  treuve  impuissante, 
Car  rien  n'ha  en  soy 
Qu'un  Cuyder  menteur, 
Qui  est  inventeur 
De  toute  folie, 
Et,  quoy  qu'elle  voye, 
Convertit  sa  joye 
En  melancholie. 

Ames  biens  heureuses, 
Toutes  amoureuses 
Du  parfait  Espoux, 
Toutes  l'espousez, 
En  luy  repousez 
D'un  dormir  bien  doux  : 
Ce  qui  est  de  terre 
A  terre  est  par  guerre. 

Ce  qui  de  Dieu  est 
A  son  Dieu  retourne, 
Où  sans  fin  séjourne  : 
Son  propre  lieu  c'est 
L'esprit  qui  attend 
Tel  lieu  n'est  content 
Qu'il  ne  soit  venu.^ 
Les  biens  et  le  monde 
Comme  chose  immunde 
Est  de  luy  tenu. 


<72  DES    INNOCENTS. 

Mes  enfans  y  sont, 
Qui  recouvert  ont 
Par  la  charité 
De  Dieu  leur  defence, 
Ce  que  leur  enfance 
N'avoit  mérité. 
Mais  Hz  sont  Esluz 
Pour  estre  au  ciel  veut 
Martyrs  du  Petit, 
Tesmoing  du  vray  Oingt, 
Bien  qu'ilz  n'eussent  point 
Crainte  ou  appétit. 
C'est  par  pure  grâce 
Qu'ilz  tiennent  la  place 
Au  près  de  l'Agneau. 
Par  tout  Hz  le  suyvent, 
En  sa  mort  Hz  vivent  ; 
Par  cas  bien  nouveau , 
Hz  sont  revestus 
De  toutes  vertus 
Et  blanches  estolles 
Dieu  par  mort  confessent, 
Et  jamais  ne  cessent, 
Non  point  par  paroles. 
Dieu  en  eux  se  loue 
Et  par  eux  se  joué 
Dieu  cruel  tyrant 


DES   INNOCENTS.  1JJ 

Qui  les  met  en  hault, 
Où  rien  ne  default, 
En  les  martyr ant. 
Du  tetin  les  tire, 
Du  laict  les  retire 
Par  vaine  plaisance, 
.  Dont  Hz  ont  le  ciel 
Fluant  laict  et  miel, 
Terre  d'abondance. 
0  cruel  Herodes, 
Tes  façons  et  modes 
Seront  en  mémoire  ; 
La  honte  et  dommage 
Auras  pour  partage, 
Et  Dieu  seul  la  gloire, 
Qui  de  ta  malice 
Se  sert  à  justice, 
Pour  hors  des  lyens 
De  vie  mortelle 
Par  ta  main  cruelle 
Retirer  les  siens. 
Tu  es  l'instrument 
Duquel  proprement 
Dieu  les  siens  chastic  ; 
Mais  le  cuydant  faire, 
Verras  le  contraire, 
L'œuvre  qu'as  bastie. 


:74  DES   INNOCENTS. 

Cruel  animal, 
Leur  mort  et  leur  mal 
Pourchassé  tu  as; 
Mais  le  tourment  tien 
Leur  est  vie  et  bien 
Et  parfait  soûlas. 
Par  les  maux  souffertz 
A  Dieu  sont  offertz 
Hosties  plaisantes. 
Par  la  mort  vivront, 
Et  au  ciel  seront 
Estoilles  luisantes, 
Où  sera  presché 
Ton  vilain  péché 
Par  tout  l'univers. 
Dieu  par  juste  office 
Punira  ce  vice 
Par  mort  et  par  vers. 
Réprobation 
Et  damnation 
Te  mettra  sans  fin. 
Royaume  et  honneur 
Te  feront  horreur, 
Congnoissant  leur  fin; 
Mais  Election 
En  salvation 
Les  Petis  mettra. 


DES    INNOCENTS.  17$ 

Car  en  eux  la  gloire 
Du  Dieu  de  victoire 
Tousjours  paroistra; 
De  son  nom  croisîra 
Sans  fin  la  mémoire 

Dieu. 

Vous,  mes  espriîz,  qui  par  mon  mouvement 
Estes  esmuz,  et  n'avez  sentiment 
Que  de  moy  seul,  tous  unis  en  amour, 
En  moy,  par  moy  et  pour  moy  seulement; 
Voyez  là  bas  les  Innocents,  comment 
A  mort  sont  mis  par  Herode  en  un  jour  : 
C'est  pour  mon  Filz  qu'il  leur  a  fait  ce  tour  ; 
Pour  luy  aussi  les  veux  tant  avancer, 
Qu'avecques  moy  leur  donray  seur  séjour, 
Et  plus  de  bien  qu'ilz  n'eussent  sceu  penser. 

Démon  enfant,  Agneau  très  pur  et  munde 
Occis  devant  que  j'eusse  fait  le  monde, 
Seront  tesmoings,  et  premiers  précurseurs. 
Voilà  comment  ce  roy  vilain,  immunde, 
Qui  à  régner  sa  félicité  fonde, 
Les  fait  du  ciel  eternelz  possesseurs, 
En  doute  il  vit,  et  en  la  mort  sont  seurs 
D'estre  à  jamais  Roys  d'un  règne  immuable  : 
Il  règne  ainsi  que  ses  prédécesseurs, 


176  DES  INNOCENTS. 

Pour  après  mort  estre  fait  serf  du  diable. 

Régnant  en  terre,  il  reçoit  tous  mes  biens; 
Et  mes  esluz,  mort,  tourment  et  liens. 
Ce  jeu  nepeult  durer. qu'un  peu  de  temps; 
Car  quand  les  corps  seront  tournez  en  fiens, 
Qui  a  cuydé  avoir,  n'aura  plus  riens; 
Et  son  Cuyder  d'honneur  et  passetemps 
Sera  perdu;  dont  des  plus  malcontens 
Tiendra  le  lieu  en  sa  perdition  : 
De  quoy  louenge  et  gloire  j'en  attens 
De  vous,  voyant  ceste  punition. 

Aussi  de  voir  mes  Esluz  et  amys, 
Dont  les  corps  sont  pour  mon  Filz  endormys 
Et  mis  à  riens,  tant  que  nul  n'en  fait  compte, 
Auprès  de  moy  en  gloire  et  repos  mis, 
Comme  je  l'ay  à  tous  croyans  promis, 
Qui  de  la  Croix  de  mon  Filz  n'auront  honte, 
En  eux  par  moy  engravée  et  emprainte  : 
Car  charité  qui  soymesme  surmonte, 
Je  recongnois,  qui  ma  justice  domte; 
Voyant  de  grâce  en  eux  l'image  painte. 

Le  Premier  Ange. 

Que  dira  lors  Herode  plein  d'outrage, 
Après  avoir  joué  son  personnage, 
Et  accomply  là  bas  tout  son  désir? 


DES   INNOCENTS.  I  77 

Je  croy,  Seigneur,  que  plein  d'ire  et  de  rage, 
Désespéré,  d'un  angoisseux  courage, 
Dira,  voyant  au  lieu  de  tout  plaisir. 
Les  Innocents  :  0  malheureux  désir  ! 
Voila  ceux  là  ausquelz  j'ay  fait  la  guerre, 
Qui  ont  le  ciel;  car  j'ay  voulu  choisir 
Enfer  cruel,  pour  désirer  la  terre. 

Le  II.  Ange. 

Puis  il  dira  :  Leur  vie  festimois 
Sans  nul  honneur,  de  l'honneur  que  j'aymois  : 
Voire  et  leur  mort  honteuse  et  tresvilaine 
Dens  leurs  langeons,  et  drappeaux  et  simois, 
Dessoubsdeuxans,  d'un  an,  d'un  jour,  d'un  mois, 
Blancs,  noirs  et  blonds  ont  passé  par  la  peine 
Du  glaive.  Helas!  voicy  qu'en  la  hautaine 
Cité  de  Dieu  en  gloire  souveraine 
Les  voy  logez,  et  nombrez  entre  tous 
Les  filz  de  Dieu;  et  ma  vie  inhumaine 
Me  met  au  reng  des  plus  malheureux  fouis. 

Le  III.  Ange. 

Ainsi  soit  fait,  Seigneur,  de  ses  semblables, 
Qui  ont  commis  cas  sy  abominables, 
Que  de  vouloir  ton  nom  anéantir, 
Persécutant  tes  serviteurs  amables, 


178  DES  INNOCENTS. 

Leur  empeschant  tes  promesses  louables 
Faire  à  chacun  et  ouyr  et  sentir; 
Les  contraingnant  de  parler  et  mentir 
Pour  leur  proufit,  honneur  et  avantage. 
0  Toutpuissant,  vueille  toy  consentir 
De  mettre  à  riens  ce  serpentin  lignage. 

Le  IIII.  Ange. 

Grâces  je  rens  à  ta  douceur 
Et  sans  fin  loue'  ta  justice, 
Qui  punit  d'Herodes  le  vice, 
Et  met  tes  Esluz  en  lieu  seur. 

Le  Premier  Ange. 

Gloire  à  jamais  te  soit  donnée, 
Qui  le  Petit  en  hault  eslieve 
Et  le  Grand  metz  en  peine  griefve 
Par  Charité  bien  ordonnée. 

Le  II.  Ange. 

Honneur  soit  à  toy  qui  eslis 
Ceux  que  le  monde  à  bas  repreuve; 
Et  ceux  que  tant  à  son  gré  treuve 
Sont  hors  de  ton  livre  abolis. 


DES  INNOCENTS.  •  79 

Le  III.  Ange. 

Louenge  soit  continuelle 
De  toy,  qui  par  dilection 
Fais  valoir  ton  Election, 
Sauvant  ceux  qui  ont  Foy  en  elle. 

Le  1 1 II .  Ange. 

Jamais  en  nul  cœur  ne  s'appaise 
L'amour,  qui  le  fait  contenter; 
Et  de  ta  louenge  chanter 
Nulle  bouche  aussi  ne  se  taise. 

Dieu. 

Mes  bienheureux,  cy  dessoubs  cest  autel, 
Vos  justes  crys  me  demandent  vengeance 
De  vostre  sang;  pource  qu'en  corps  mortel 
Feut  respandu  en  grande  diligence. 
Ames  des  corps  morts  en  grande  indigence 
Pour  le  seul  nom  de  mon  bien  amè  Christ, 
De  ma  responce  ayez  intelligence, 
Par  qui  sçaurez  ce  que  j'ay  en  l'Esprit. 
Encor  un  peu  il  vous  convient  attendre 
De  voz  frères  le  nombre  tout  entier; 
Le  Corps  du  Christ  veux  tirer  membre  à  membre, 


180  DES   INNOCENTS. 

L'un  après  l'autre,  ainsi  qu'il  est  mestier; 
Et  vous  verrez  à  l'heure  chastier 
Tous  vos  tyrans,  voire  cruellement. 
Lors  un  chacun  congnoistra  que  fier 
Se  fault  en  moy,  ou  avoir  damnement. 

Les  Ames  des  Innocents, 
Chantans  sur  le  chant  :  Si  j'ayme  mon  amy. 

0  Dieu  père  de  tous, 
Misericors  et  doux, 
Nous  te  rendons  louenges, 
Qui  nous  as  retirez 
Du  monde  et  attirez 
Au  reng  des  benoistz  Anges. 

Le  feu  cruel  et  fort 
Et  l'eau  pire  que  mort, 
Comme  bon  Père  et  Maistre 
Tu  nous  as  fait  passer; 
Puis  nous  viens  embrasser 
De  ta  bénigne  dextre. 

Tirez  par  tes  forts  bras 
Du  martyre  nous  as 
Au  lieu  de  réfrigère, 
Où  tout  plaisir  avons  ; 
Dont  louer  te  devons  : 
L'esprit  le  nous  suggère. 


DES   INNOCENTS.  >8l 

Le  bien  qu'avons  receu 
Par  toy,  sans  nostre  sceu. 
N'est  de  nostre  mérite. 
Par  ta  bonté,  sans  plus, 
De  toy  sommes  Esluz  ; 
C'est  grâce  non  petite. 

Pas  ne  sçavions  parler, 
Ne  fuyr  ne  aller; 
Et  n'avions  en  courage 
Sçavoir  ne  bien  ne  mal 
Non  plus  qu'un  animal, 
Sans  raison  ne  langage. 
Et  toutesfois  damnez 

Pourestre  d'Adam  nez, 

Estions  comme  enfans  d'ire  : 

Mais  tu  nous  as  sauvez 

Et  en  sang  tous  lavez 

Par  un  nouveau  martyre. 
Sy  n'est  ce  nostre  sang 

Qui  nous  rend  chacun  blanc, 

Nettoyant  noz  estolles  : 

C'est  le  sang  de  l'Agneau 

Qui  rend  Fhomme  nouveau, 

S'il  croit  en  ses  paroles. 
Mais  nous  ne  croyans  rien 

Avons  receu  ce  bien 

Par  libérale  grâce  : 


I  82  DES   INNOCENTS. 

Dont  ton  Election 
Fait  distribution  ; 
Parquoy  voyons  ta  face. 

Cuyder  menteur  et  faux, 
La  cause  de  tous  maux, 
En  nous  n'avoit  entrée  : 
Et  où  Cuyder  n'ha  lieu, 
Vérité,  qui  est  Dieu, 
Par  la  grâce  est  monstrée. 

Quand  Dieu  fera  vuyder 
Des  siens  tout  le  Cuyder, 
Dieu  congnoistront  seul  Estre  : 
Plus  Hz  ne  se  verront, 
Mais  Dieu  seul,  qu'ilz  croiront 
Leur  Père,  amy  et  maistre. 

Tout  sera  acomply, 
Chacun  de  Dieu  remply, 
Quand  viendra  la  bonne  heure 
Qu'il  sera  tout  en  tous; 
Et  l'Espouse  et  l'Espoux 
En  un  feront  demeure. 

Ce  tresgrand  bien  sentons 
Dont  sans  cesser  chantons 
Saint,  Saint,  Dieu  de  victoire; 
A  toy  soit  tout  honneur, 
0  libéral  donneur, 
Toute  louenge  et  gloire. 


DES  INNOCENTS.  l8j 

Chantons  Noël,  Noël, 
Pour  le  salut  nouvel, 
Qu'un  chacun  le  recorde, 
Qu'à  nous  Innocents  fait 
Le  Seigneur  tout  parfait 
Par  sa  miséricorde. 


COMEDIE 


DU     DESERT. 


Joseph  commence. 

e  tous  costezj'ay  mis  peine  de  voir 
S'il  y  a  lieu  où  me  sceusse  pourvoir 
■De  ce  qui  est  nécessaire  à  la  vie  : 
>Car  de  servir  veux  faire  mon  devoir 
Mère  et  Enfant  :  pour  lesquelz  fault  avoir 
Les  biens  à  quoy  Nature  nous  convie. 
Du  superflu  nous  n'avons  nulle  envie, 
Nous  ne  voulons  que  vivre  seulement; 
Car  nostre  Ame  est  en  Dieu  sy  fort  ravie, 
Qu'en  luy  tous  biens  avons  abondamment. 
Mais  ce  corps  mortel 
Pour  un  temps  est  tel 
Que  nourrir  le  fault, 


DU   DESERT.  l8j 

Pour  porter  en  luy 
(Dont  il  est  l'estuy) 
L'esprit  de  là  hault. 

Le  corps  fault  nourrir, 
Non  laisser  périr, 
Puis  que  Dieu  l'a  fait  ; 
Jusqu'au  jour  dernier 
Que  du  grand  Ouvrier 
Il  sera  défait. 

C'est  l'Asne  ou  la  beste 
Duquel  faisant  feste 
Dit  :  J'en  ay  affaire. 
Garder  nous  fault  tous 
Le  corps,  non  pour  nous; 
Mais  pour  luy  complaire. 

Beuvant  ou  mangeant, 
Dormant  ou  songeant, 
Fault  que  la  mémoire 
Ayons  du  Seigneur, 
Rendans  au  donneur 
De  ses  biens  la  gloire. 

Dedens  nous  il  œuvre 
Et  de  nous  se  cœuvre 
Devant  l'infidèle, 
Qui  par  le  dehors 
Ne  voit  que  le  corps. 
Forme  layde  ou  belle. 

24 


l86  DU    DESERT. 

Le  bien  prend  de  l'homme, 
Et  le  mal,  en  somme, 
Regardant  la  chair, 
Qui  luy  donne  peine 
Ou  joye  incertaine, 
Qu'il  ne  peult  lascher. 
Mais  si  l'œil  ouvert 
De  chair  descouvert 
Estoit  par  la  Foy, 
Un  esprit  croiroit 
Que  par  Foy  verroit 
En  autre  et  en  soy. 

La  Vie  cachée 
Soubz  la  Chair  tachée 
Verroit  sy  puissante, 
Qu'ostant  sa  laydure, 
Lavant  son  ordure, 
La  rend  innocente. 

Penser  et  vouloir, 
Désirer,  povoir, 
Vient  de  ceste  Vie  : 
C'est  nostre  pasture, 
Sans  qui  la  nature 
N'est  point  assouvie. 
Et  voila  pourquoy 
Je  suis  en  esmoy 
De  vivres  cercher, 


DU    DESERT.  i  87 

Qui  nous  font  besoing, 
Puis  que  j'ay  le  soin  g 
D'un  trésor  sy  cher. 

0  Dieu  qui  tout  peult 
Et  fait  ce  qu'il  veult, 
Plaise  toy  m 'entendre  ; 
Viens  nous  secourir, 
A  fin  de  nourrir 
Mère  et  Enfant  tendre. 

Je  laisse  l'Espouse, 
Laquelle  repouse 
Avec  le  Petit; 
Et  je  vois  cercher 
Dont  puisse  estancher 
Soif  et  appétit. 

Dieu. 

Ma  charité  en  moymesmes  s'esmeult, 
Et  moy  qui  veux  faire  ce  qu'elle  veult, 
En  rempliray  le  Ciel  et  Terre  et  Mer  : 
Par  elle  sus  bon  et  mauvais  il  pleut. 
Et  soleil  luit;  dont  souvent  tel  s'en  deult, 
Qui  m'en  devroit  louer  et  estimer. 
Par  elle  metz  la  douceur  en  l'amer 
A  qui  le  sçait  bien  choisir  et  eslire  : 
\Parfaite  Amour  ne  sçait  sinon  aymer, 
Et  rien  qu'amour  ne  peult  chanter  ne  dire. 


150  DU    DESERT. 

Je  ne  suis  pas  seulement  amoureux, 
Mais  suis  l'Amour,  par  qui  le  haultdes  Cieux 
S'est  abbaissé  jusques  au  profond  centre  : 
J'ayme  m'amye;  et,  pour  le  dire  mieux, 
Je  m'ayme  en  elle,  et  me  voy  en  ses  yeux  : 
Car  'fay  porté  mon  Filz  dedcns  son  ventre. 
Par  elle  sorts,  sans  en  bouger,  et  entre  : 
La  porte  elle  est  close  et  fermée  à  tous, 
Fors  à  moy  seul,  qui  en  ressorts  et  entre 
Comme  il  me  plaist,  car  je  suis  son  Espoux. 

La  Montaigne  est,  de  laquelle  est  couppée 
Sans  main  d'ouvrier,  ferrement,  ny  espée, 
Ceste  grand  Pierre,  où  gist  ma  congnoissance, 
Qui  par  amour  de  son  lieu  eschapèe, 
Venant  en  bas,  a  la  terre  frappée, 
La  reprenant  d'erreur  et  d'ignorance  : 
Laquelle  est  creuéren  sy  grande  puissance 
Qu'elle  a  passé  tous  les  monts  en  hauteur. 
C'est  ce  Mont  gras  où  fay  pris  ma  plaisance, 
Et  duquel  suis  et  Père  et  amateur. 

C'est  ma  Colombe  et  douce  Tourterelle, 
\  C'est  ma  parfaite  amye  toute  belle, 
Qui  n'ha  en  soy  ny  tache  ny  macule. 
C'est  mon  chef  d'œuvre;  et  si  l'ay  faite  telle 
Qu'il  ny  aura  créature  mortelle 
Qui  soit  pareille  :  car  à  nul,  ny  à  nulle, 
Je  n'ay  voulu  depeschcr  ceste  bulle 


DU    DESERT.  '$9 

D'exemption  de  tout  vice  et  péché. 
De  mon  seul  Fih  {où  tous  biens  j'accumule) 
Vraye  Mère  est,  rien  ne  luy  ay  caché. 
En  ce  désert  dormant  je  la  regarde, 
Et  Mère  et  Filz  par  ce  regard  je  garde, 
Jusques  au  temps  de  moy  preor donné. 
Le  vent  et  l'air  de  leur  nuyre  n'ont  garde, 
Beste  et  Serpent  je  tiens;  nul  ne  s'hazarde 
De  leur  toucher;  car  je  leur  ay  donné 
Mon  saufconduit,  sy  tresbien  ordonné 
Que  mal  n'auront  en  tout  leur  long  exil; 
Car  jamais  n'est  du  Père  abandonné 
Le  vray  Enfant,  quel  que  soit  le  péril. 

En  ce  Désert,  où  Hz  seront  long  temps, 
Donner  je  veux  plus  plaisant  passctemps 
Qu'elle  n'auroit  en  Ville  ny  Cité, 
A  ceste  dame,  à  laquelle  pretens 
Faire  tel  bien  que  sur  tous  les  contents 
Esprits  le  sien  sera  pour  vérité. 
Or,  pour  servir  à  sa  nécessité, 
Pars  fen  bien  tost.  Contemplation  sage, 
Ce  Livre  soit  par  toy  bien  recité, 
Dont  gloire  auray  de  ton  heureux  message. 

Contemplation. 
Seigneur,  je  prens  de  ta  main  ce  grand  Livre, 


190  DU    DESERT. 

Par  qui  pourra  t'amye  en  joye  vivre, 
Le  regardant  en  ce  désert  estrange. 
\     Elle  qui  est  de  parfaite  amour  yvre 
Se  sentira  de  tout  ennuy  délivre, 
Et  ne  fera  que  chanter  ta  louenge; 
A  la  servir  tresvolontiers  me  renge 
Parle  pour  moy,  Seigneur,  et  ta  douceur 
Resjouyra  V esprit  plus  cler  qu'un  Ange 
De  ton  espouse,  Amye,  fille  et  sœur. 

Dieu. 

//  appartient  à  m'amye  d'avoir 
Plusieurs  servans.  Or  fais  donc  ton  devoir 
De  la  servyr;  et  pars,  dame  Mémoire; 
Ce  Livre  vieux  luy  feras  au  long  voir, 
Où  mon  vouloir  se  peult  du  tout  sçavoir. 
Monstre  luy  tout,  sans  cacher  nulle  histoire; 
Je  luy  feray  apparent  et  notoire 
L'esprit  caché  dedens  la  lettre  morte 
Par  mon  Esprit,  qui  par  Foy  la  fait  croire, 
Et  fort  aymer  celuy  qui  la  conforte. 

Mémoire. 

Puis  qu'il  te  plaist,  ô  Dieu  seul  sur  tous  Dieux, 
Porter  luy  vois  ce  Livre  antique  et  vieux, 
Qu'elle  pourra  lire  à  son  beau  loisir. 
Et  son  Esprit,  qui  habite  aux  saintz  deux 


DU    DESERT.  191 

Avecques  toy  en  ce  délicieux 

Livre  prendra  un  souverain  plaisir. 

Elle  sçaura  du  fiel  le  miel  choisir  : 

Car  ce  secret  mieux  que  nul  autre  entend  $ 

En  l'entendant  satisfait  son  désir, 

Qui  rend  son  cœur,  esprit,  et  corps  content. 

Dieu. 

Or  sus,  après,  va,  Consolation  : 
Car,  quand  Mémoire  et  Contemplation 
Luy  auront  fait  bien  au  long  voir  leur  rolle, 
Ce  petit  Livre  ouvert  d'affection, 
Remply  d'amour  et  de  dilection, 
Luy  feras  voir  comme  un  Maistre  d'eschole; 
En  luy  monstrant  ceste  vive  Parole, 
Ce  Don  promis,  ce  grand  Emmanuel, 
Mon  Verbe  en  chair,  qu'Amour  unist  et  colle, 
Elle  en  aura  plaisir  continuel. 

Consolation. 

Légèrement  j'ay  désir  de  voler 
Pour  au  Désert  vers  ceste  Dame  aller, 
La  consolant  par  ce  Livre  tant  beau, 
Dedens  lequel  elle  foyra  parler  ; 
Qui  luy  viendras  tes  secretz  révéler, 
Et  ton  vouloir,  et  Testament  nouveau, 


192  DU    DESERT. 

La  Vie  et  Mort  y  verra  de  F  Agneau 
(Qui  est  vers  toy  l'Hostie  pacifique) 
Mettant  à  rien  le  Mouton  et  le  Veau, 
Parquoy  son  cœur  chantera  maint  Cantique. 

Dieu. 

Anges,  allez  en  ce  Désert  desîruit; 
Resjouyssez  par  harmonieux  bruit 
Mère  et  Enfant;  commandez  de  par  moy, 
Aux  arbres  secz  de  leur  donner  du  fruit, 
Et  qu'un  chacun  ruisseau  soit  bien  instruit 
D'offrir  leur  eaue  à  leur  Seigneur  et  Roy, 
Tant  qu'en  ce  lieu  plein  de  tout  desarroy, 
Où  rien  n'y  a,  soit  tout  en  abondance; 
Car  où  je  veux  toucher  du  bout  du  doigt, 
Mon  grand  povoir  se  voit  en  évidence. 

Les  Anges  chantans. 

Puis  qu'il  te  plaist,  Seigneur  Dieu, 
Allons  faire  révérence 
En  ce  povre  et  désert  lieu, 
Où  de  bien  n'a  apparence. 

A  ton  F  Hz  le  tresaymé, 
"^  Et  à  ta  parfaite  Amye, 
D'un  grand  désir  enflammé 
De  servir  ne  faudrons  mye. 


DU    DESERT.  19J 

Des  arbres  leur  porterons 
Fruits  pleins  de  saveur  exquise  ; 
Des  fleurs  les  consolerons, 
Et  de  l'eaue  douce  et  requise. 

Mais  de  tout  soit  gloire  à  toy 
En  ciel  et  terre  donnée, 
Qui  grâce  par  ton  filz  Roy 
As  à  tous  abandonnée. 

Marie. 

Dieu  éternel,  mon  Père  et  mon  Espoux, 
A  mon  resveil  je  t'adore  à  genoux, 
Comme  la  Vie  et  l'Estre  de  nous  tous, 

Tel  je  te  tiens. 
En  te  rendant  grâces  de  tous  tes  biens, 
Te  merciant  de  ce  que  moy  ton  Riens 

As  regardée, 
Du  doux  regard,  par  qui  je  suis  gardée, 
Sans  que  pour  rien  j'en  soye  retardée, 

En  repos  tel 
Qu'il  ne  se  peult  gouster  de  cœur  mortel. 
0  Dieu,  qui  es  immuable,  immortel, 

En  toy  je  vys, 
En  toy  je  dors;  car  en  toy  sont  ravys 
Tous  mes  esprits  :  or  fais  à  ton  devis 

De  moy  ta  serve. 
Fais  que  ton  Filz  à  ton  vouloir  je  serve, 

II  25 


194  DU    DESERT. 

Et  que  la  Loy  parfaitement  j'observe 

En  la  servant. 
En  luy  te  voy  tout  puissant,  tout  sçavant, 
Par  cest  esprit  et  tresgracieux  vent, 

Qui  souffle  en  moy, 
Me  faisant  voir  ton  Filt  né  soubz  la  Loy, 
Dedens  lequel  je  congnois  par  la  Foy 

Divinité, 
Soubz  le  manteau  de  ceste  humanité; 
En  laquelle  ha  par  son  humilité 

Entrepris  faire 
Toute  la  Loy,  l'accomplir  et  parfaire. 
Toy  qui  n'avois  de  nous  tous  rien  à  faire, 

Par  ton  amour 
Veux  que  ton  Filz  nous  face  un  sy  bon  tour, 
Que  tous  humains  lui  devront  de  retour. 

Car  jamais  rendre 
Nul  ne  pourra  ce  qu'il  veult  entreprendre, 
Ny  le  travail  que  pour  nous  il  veult  prendre, 

Ny  grand  mercy 
Dire,  qui  soit  suffisant  sans  nul  Si, 
Ny  le  louer  comme  l'on  doit  aussi. 

Parquoy  debteurs 
Tous  luy  seront,  et  serfz,  et  serviteurs; 
Tant  obligez  que,  s' Hz  ne  sont  menteurs, 

Confesseront 
Que  rachetez  par  sa  bonté  seront. 


DU    DESERT.  19J 

//  est  leur  prix,  dont  ne  se  passeront 

Ny  jour  ny  heure. 
Et  ce  grand  prix  en  ce  Désert  demeure, 
Comme  un  enfant  qui  souvent  plaint  et  pleure, 

Quasi  laissé 
De  toy.  Seigneur,  qui  l'as  tant  abbaissé. 
Et  quant  à  moy,  je  n'ay  jamais  cessé 

De  le  servir, 
Pour  ton  vouloir,  tant  que  j'ay  pu  suyvir  : 
Mais  si  je  peux  trouver  et  desservir 

Grâce  en  tes  yeux, 
Je  te  requiers  nous  donner  un  peu  mieux 
Que  Vœil  ne  peult  espérer  en  ces  lieux 

Inhabitables. 
Que  chaud  et  froid  nous  soyent  raisonnables, 
Que  faim  ne  soif  ne  soyent  importables  ; 

Et  que  puissions 
Vivre  en  repos  par  rochers  et  buissons, 
Où  séparez  ne  soyons  des  doux  sons 

Spirituelz, 
Et  de  tes  dons  en  nous  continuelz  ; 
Non  des  grans  biens  que  reçoit  annuelz 

Ta  créature, 
Mais  de  ton  pain  et  céleste  pasture  ; 
De  la  vive  eau,  qui  fait  de  la  closture 

Du  monde  bas 
Sallir  à  toy  source  de  tout  soûlas  : 


196  DU    DESERT. 

Car  mon  cœur  n'est  jamais  remis  ne  las 

De  f  embrasser, 
Mon  dieu,  mon  Tout,  dont  ne  me  peux  passer, 
Car  en  toy  sents  et  mon  Estre  et  ma  Vie, 
Et  tant  d'amour  qu'elle  peult  effacer 
Tourment  et  mort:  car  en  toy  suis  ravie. 

Les  Anges  chantans. 

A  toy,  Dame,  venons  rendre 
Louenge,  gloire,  et  honneur, 
Adorans  ton  Enfant  tendre, 
Noslre  Roy,  Maistre  et  Seigneur  ; 
Car  de  Dieu  la  grand'  Lumière 
Comme  à  travers  la  verrière 
Voyons  en  luy  et  en  toy, 
Non  seulement  par  la  Foy; 

Car  nous  sçavons  que  Dieu 

Est  en  vous  en  ce  lieu. 

Dieu  vray  Père  nous  envoyé, 
A  fin  qu'en  ce  grand  désert 
Te  suyvons  par  toute  voye; 
Dont  un  chacun  de  nous  sert 
Voluntiers  à  toy,  ma  Dame, 
Sur  toutes  l'heureuse  femme  ; 
L'amye  du  Dieu  éî'enhault, 
Demande  ce  qu'il  te  fault, 


DU    DESERT.  «97 

Car  nous  f  obéirons, 
Et  en  tous  lieux  irons. 

Ces  lieux  déserts  et  estranges 
Pour  ta  consolation 
Nous  remplirons  de  louenges 
Et  de  jubilation; 
Tant  que  la  terre  déserte 
Sera  remplie  et  couverte 
De  tout  bien  et  tout  plaisir, 
Desquelz  tu  pourras  choisir, 

Plus  que  ne  feut  jadis 

D'Adam  le  paradis. 

Marie. 

Loué  soit  Dieu  qui  pourvoit  son  Enfant 
De  ce  qu'il  fault,  à  sa  nécessité; 
Et  qui  par  vous  de  tous  maux  le  défend, 
Tant  qu'il  ne  peult  sentir  adversité. 
Ce  grand  désert  trop  mieux  qu'une  cité 
Je  voy  remply  de  toute  joye  et  bien; 
0  Dieu,  dessoubz  ceste  diversité, 
Qui  t'y  peult  voir,  il  n'hafaulte  de  rien. 

Anges,  allez,  cerchez  et  bas  et  hault 
Ce  que  Dieu  sçait  qui  nous  est  nécessaire, 
Apportez  nous  sans  plus  ce  qu'il  nous  fault, 
Car  nous  n'avons  du  superflu  affaire  ; 


198  DU   DESERT. 

Mais  en  allant  vostre  chant  ntjau.lt  taire , 
Faisant  par  tout  ce  désert  retentir, 
A  terre,  et  bois,  et  rochers,  il  fault  faire 
De  nostre  Dieu  la  louenge  sentir. 

Les  Anges  chantans. 

Chantons  trestous  par  rochers  et  par  bois 
Gloire  et  honneur  à  nostre  Créateur; 
Tant  que  nul  lieu  n'ignore  nostre  voix; 
Menions  Dieu,  qui  nostre  Rédempteur 
Met  tus  terre  ; 
Qui  la  guerre 
Bien  tost  finera  : 
A  malice, 
A  tout  vice, 
La  mort  donnera. 

Le  Premier  Ange. 

Tous  Arbres  secz,  ne  soyez  plus  stériles, 
Le  Créateur  veult  que  soyez  fertiles, 
Donnans  voz  fruitz  de  tresbonne  saveur. 

Le  Second  Ange. 

Apparoissez  dens  ce  Désert  sans  umbre, 
Vous  belles  fleurs  odorantes  sans  nombre, 
Pour  aujourd'huy  recevoir  grand'  faveur. 


DU   DESERT.  199 

Le  Tiers  Ange. 

Courez,  Ruisseaux,  près  de  la  vierge  mère; 
Présentez  luy  eaue  douce,  non  amere; 
Honneur  aurez  quand  de  vous  en  prendra. 

Le  Quart  Ange . 

0  Miel  tresdoux  de  la  subtile  mouche, 
Viens  toy  monstrer  pour  consoler  la  bouche 
Porte  du  Ciel  dont  chacun  apprendra. 

Le  V.  Ange. 

Serpens,  Dragons  et  Bestes  venimeuses, 
Eslongnez  vous,  et  soyez  gracieuses, 
Sans  faire  mal  à  Mère  ny  Enfant. 

Le  VI.  Ange. 

Tygres,  Lyons  et  furieuses  bestes, 
Baissez  icy  voz  forces  et  voz  testes, 
Car  résister  contre  eux  Dieu  vous  défend. 

Contemplation. 

Mère  du  Filz  où  gist  nostre  espérance, 
Humble  salut,  honneur  et  révérence 
Te  présentons ,  te  donnant  asseurance, 
Que  la  bonté 
\  Du  Souverain  l'a  par  Amour  domté, 


200  DU    DESERT. 

Comme  par  moy  il  te  sera  compté  : 

Tant  que  l'amour 
Qu'il  lia  à  toy  ne  fait  aucun  séjour, 
Mais  ha  tous  jour  s  soing  de  toy  nuict  et  jour  : 

Parquoy  m' envoyé 
A  celle  fin  qu'avecques  toy  je  soye. 
Et  que  par  moy  ce  beau  grand  Livre  voye, 

C'est  de  Nature, 
Ou  tu  verras  bien  au  vif  en  painture 
Ciel,  Terre  et  Mer,  et  ce  qui  nourriture 

Prend  dedens  eux. 
0  Vierge  et  Mère,  icy  bien  voir  tu  peux 
Jusqu'à  un  poil  ou  à  l'un  des  cheveux 

Des  Créatures. 
Icy  peux  voir  des  Bestes  les  figures 
Et  des  Oyseaux  les  plaisantes  vestures, 

Arbres,  fruitz,  fleurs, 
De  mille  goustz,  de  cent  mille  couleurs, 
De  tous  Poissons  les  verîuz  et  valeurs. 

Bref  tout  en  somme 
Peux  voir  que  tout  cecy  est  fait  pour  l'homme  ; 
L'homme,  pour  Dieu.  Or  donc  regarde  comme 

Tout  va  par  ordre  ; 
Voire  sy  bien  qu'il  n'y  a  que  remordre. 
Et  sy  péché  ne  fust  venu  retordre 

Le  fil  de  Mort, 
L'homme  eust  esté  à  jamais  sage  et  fort; 


DU    DESERT.  201 

Le  Monde  beau  sans  dueil  ny  desconfort  ; 

Oyseaux  et  Bestes 
Sans  nul  venin  fussent  douces,  honnestes, 
Et  à  servir  rhomme  à  toute  heure  prestes. 

Regarde,  Dame, 
Combien  puissant  est  ce  Roy  là  qui  famé, 
Et  qui  te  veult  consoler  corps  et  Ame. 

Resjouy  toy 
En  regardant  les  œuvres  de  ton  Roy, 
Espoux  et  Père,  et  comme  en  bel  arroy 

A  ordonné 
Ce  Monde  bas,  lequel  il  a  donné 
A  son  seul  Filz  qu'il  a  abandonné 

A  ton  bon  soing. 
Tu  Faymes  tant  qu'il  n'est  point  de  besoing 
Ramentevoir  ce  qui  n'est  de  toy  loing. 

Sa  Deïté 
Demeure  en  toy;  et  son  humanité 
Entre  tes  bras  joyeusement  tu  porte 
En  le  servant  par  grande  humilité, 
Et  luy  ton  cœur  et  ton  corps  reconforte. 

Marie. 

0  Dieu,  qui  es  l'Estre  de  toute  chose, 
Ta  Deïté,  aux  yeux  des  mortelz  close, 
Voy  dens  les  fleurs,  dens  le  Hz,  dens  la  rose, 
Par  son  povoir 

ii  26 


202  DU    DESERT. 

Croistre,  germer,  et  puis  se  faire  voir 
Herbe,  et  puis  fleur,  et  graine,  pour  pourvoir 

A  r advenir. 
Tu  fais  en  hault  le  grand  Cèdre  tenir. 
L'arbuste  en  bas  humblement  contenir  ; 

Le  fruit  meurit 
Par  ta  vertu,  qui  ainsi  le  nourrit, 
Puis  tombe  à  bas  en  son  temps,  et  pourrit. 

Et  son  tombeau, 
En  terre  prend,  dont  revient  un  nouveau 
Du  grain  pourry  et  mort,  tout  aussi  beau 

Que  le  premier. 
Poirier  n'y  a,  ny  guynier,  ni  pommier, 
Qui  tous  les  ans  ne  chargent  un  sommier 

De  ton  ouvrage. 
Tu  es  l'ouvrier  de  ce  grand  labourage, 
La  vie  aussi  de  tout  arbre  et  fruitage, 

L'Estre  et  mouvoir 
De  tout  ce  que  l'œil  peut  appercevoir, 
Soit  verd  ou  blanc,  incarnat,  bleu  ou  noir. 

En  terre  et  Mer 
L'on  ne  doit  voir  que  toy,  ny  estimer  : 
Tu  fais  fueillir,  et  fleurir,  et  germer 

Et  champs  et  bois, 
En  tous  lesquelz  rien  que  toy  ne  congnois. 
En  eux  te  voy,  en  eux  j'entens  la  voix 

De  ta  puissance, 


DU    DESERT.  203 

Criant  bien  hault  pour  donner  congnoissance 
Qu'il  n'y  a  rien  créé  en  ton  absence. 

Car  tout  en  tous 
Es  et  demeure.  Et  combien  que  les  foulz, 
Qui  d'ignorance  et  ténèbres  sont  saoulz, 

Ne  voyent  rien 
Que  le  dehors  en  ce  corps  terrien, 
Qui  de  leurs  cœurs  est  un  sy  doux  lien, 

Qu'ilz  sont  happez 
Avant  sçavoir  de  quel  fer  sont  frappez  : 
Ceux  qui  en  sont  par  ta  grâce  eschappez 

Peuvent  bien  dire 
Que  tu  les  as  tirez  d'un  grand  martyre, 
Dedens  lequel  n'ont  eu  cause  de  rire; 

Car  tout  plaisir, 
Richesse,  honneur,  engendrent  un  désir 
Plein  de  tourment,  et  n'y  peult  l'on  choisir 

Aucun  remide. 
Et  qui  les  tient,  de  les  perdre  est  timide, 
Et  si  n'y  peult  Raison  tenir  la  bride, 

Qu'à  droit  ou  tort, 
L'on  en  désire  encore  avoir  plus  fort. 
Et  qui  les  perd,  c'est  douleur  à  la  mort; 

Car  l'esprit  n'est 
Pour  s'arrester,  en  tout  ce  qui  parest, 
Tousjours  cerchant,  de  cercher  est  plus  prest 

Un  souverain 


204  DU   DESERT. 

Bien  et  plaisir;  mais  il  labeur e  en  vain, 
S'il  ne  te  plaist  de  ta  tresdouce  main 

Luy  descouvrir 
Ce  grand  secret,  et  le  dedens  ouvrir, 
En  te  monstrant  à  luy  sans  te  couvrir 

De  ta  facture, 
Que  souvent  prens  pour  masque  et  couverture. 
Lors,  quand  il  voit  que  soubz  ceste  Nature, 

A  l'œil  visible 
Ta  vertu  gist,  qui  le  mort  insensible 
Fait  vivre  et  meult  (car  tout  luy  est  possible), 

Il  laisse  à  part 
L'extérieur  et  tourne  son  regard 
En  toy,  qui  es  son  héritage  et  part, 

Par  l'œil  de  Foy  : 
Et  tout  en  tous  ne  voy  rien,  sinon  toy, 
En  oubly  met  et  tout  le  monde  et  soy. 

En  cest  oubly 
Se  perd  en  toy,  là  il  est  anobly; 
Car  son  Adam  est  mort  et  affoibly. 

En  toy  seul  vit, 
Ainsi  qu'ont  fait  Abraam  et  David, 
Car  chacun  d'eux  ta  parole  suyvit. 

0  mon  doux  Père, 
Qui,  tout  en  tous,  tant  de  vertuz  opère, 
Déclare  toy,  afin  qu'à  tous  appere 

Ta  bonté  grande; 


DU    DESERT.  20$ 

Ouvre  les  yeux  au  peuple,  et  qu'il  s'amende. 
Helas  !  Seigneur,  je  te  les  recommande  : 

Car  sy  chacun 
En  tout  ce  corps  grand,  visible  et  commun 
Ne  voyoit  rien  sinon  toy  seul  Dieu  un, 

Tes  faitz,  tes  ditz, 
Estre  tout  un  comme  ilz  furent  jadis, 
Ce  Monde  icy  seroit  un  Paradis. 

L'on  te  louer  oit 
En  ton  ouvrage,  auquel  chacun  verroit 
Toy  seul  Vivant,  et  ta  Parole  oyroit, 

Qui  par  toy  œuvre 
Parle  bien  hault,  et  ton  vouloir  descœuvre 
Par  ta  bonté,  qui  les  perdus  recœuvre. 

Toy  qui  as  fait 
Et  terre  et  ciel,  et  as  l'homme  refait, 
Lequel  péché  a  de  toy  séparé, 
Je  te  requiers  rendre  le  tout  parfait, 
Puis  que  leur  mal  Amour  a  reparé. 

Mémoire. 

0  Dame  eslue  avant  que  fust  le  Monde 
Constitué,  sans  péché,  pure  et  munde, 
Faire  te  viens  révérence  et  honneur, 
Et  saluer  par  ton  Dieu,  Roy  et  Père, 
Qui  le  salut  dedens  ton  filz  opère, 
Duquel  par  toy  il  veut  estre  donneur 


206  DU    DESERT. 

Au  peuple  Eslu,  qui  tant  l'a  attendu, 
Mais  maintenant  par  toy  luy  est  rendu, 
Dont  l'on  te  doit  aymer  et  estimer. 
A  toy  m'envoye,  ô  vierge  toute  belle, 
Le  Toutpuissant,  par  lequel  tu  es  telle, 
Et  monstre  bien  comme  il  luy  plaist  t' 'aymer  : 
Car  pour  garder  que  ce  lieu  ne  te  fascke, 
A  fin  que  mieux  sa  grand  vertu  tu  sache, 
Ce  Livre  vieux  t' envoyé,  où  voir  pourras 
Le  povre  Adam  en  sa  création 
Tant  sage  et  beau,  plus  de  perfection, 
Que  tresheureux  quasi  tu  le  croiras. 

L'auctorité  que  le  Dieu  de  Nature 
Luy  a  donné  sur  toute  Créature, 
Et  que,  plus  est,  exempté  de  mourir; 
Rien  ignorant,  sinon  Péché  et  mal; 
Donnant  les  noms  à  chacun  animal 
Qu'en  terre  et  ciel  peult  voler  et  courir. 

Mais  tout  soudain,  par  trop  aymer  sa  femme, 
Sa  chair,  son  sang,  feut  charnelle  son  ame, 
Oubliant  Dieu  et  sa  sainte  Parole, 
Pour  donner  foy  et  lieu  à  la  mensonge. 
Voyez  comment  la  pomme  mord  et  ronge, 
Que  lui  bailla  ceste  première  folle, 
Qui  desiroit  et  bien  et  mal  sçavoir 
Ainsi  que  Dieu,  qui  tous  nudz  les  feit  voir, 
Couvrant  chacun  d'une  fueille  sa  honte; 


DU    DESERT.  207 

Plus  s'excusans  sur  autruy  que  sur  soy, 
Furent  vaincus,  et  mis  en  grand  esmoy 
Par  ceste  voix  à  qui  fault  rendre  compte. 
Mais  sy  fragile  en  feut  la  couverture, 
Que  Dieu  leur  feit  de  peaux  une  vesture, 
En  les  monstrant  telz  qu'une  morte  beste. 
Et  en  lieu  d'estre  par  eux  à  Dieu  semblable, 
Furent  plus  sotz  que  beste  irraisonnable  : 
Voila  le  bien  que  Sçavoir  leur  acqueste. 

L'homme  eslevè  en  un  honneur  sy  grand, 
Qui  de  la  main  de  Dieu  l'honneur  ne  prend, 
Mais  par  soymesme  cuyde  estre  quelque  chose, 
En  ignorant  dont  ce  grand  bien  luy  vient, 
Est  comparé  et  semblable  on  le  tient 
Aux  animaux  qui  ont  la  bouche  close. 
Icy  voyez  Adam  par  son  péché 
Du  paradis  terrestre  dechassé, 
Sa  femme  aussi  hors  de  toute  liesse. 
Mais  la  bonté,  qui  ne  se  peult  nyer, 
Du  tout  ne  veult  les  excommunier  ; 
Mais  leur  donna  de  leur  salut  promesse 
Par  ta  semence,  ô  Vierge  bien  heureuse, 
Par  qui  seroit  la  teste  dangereuse 
Du  serpent  vieux  et  rompue  et  brisée. 
C'est  par  ce  Filz  lequel  de  toy  est  né, 
Par  cest  Enfant  de  Dieu  à  tous  donné, 
Par  qui  tu  es  de  tous  vivans  prisée. 


208  DU    DESERT. 

Et  puis  après,  voy  Noë  le  bon  homme 
Dans  V arche  mis;  puis  quand  il  saillit,  comme 
Dieu  dit,  monstrant  l'arc  remply  de  soûlas  : 
Cest  arc  icy  sera  pour  ton  refuge, 
Et  signe  au  Ciel  que  jamais  par  déluge 
D'eau  ne  feray  périr  ce  monde  bas. 

Ton  F  Hz  est  l'arc  plein  de  miséricorde, 
Dont  les  pécheurs  ont  en  leurs  mains  la  corde, 
Pour  en  tirer  à  Dieu  humbles  requestes  : 
Voy  par  cest  arc  confédération, 
Paix,  amitié,  seure  dilection, 
De  Dieu  avons  tant  grandes  et  honnestes. 

VoyAbraam,  qui  offrit  Isaac, 
Auquel  son  Dieu  renouvelle  ce  pact. 
En  luy  monstrant  le  nombre  des  estoilles, 
Luy  dit  :  En  un  venant  de  ta  semence 
Je  monstreray  ma  tresgrande  clémence, 
Et  toutes  gens  beniray  soubs  ses  œsles. 
Puis  Israël  autant  en  a  receu  : 
A  Dieu  ont  creu,  dont  nully  n'est  deceu. 

Après  il  fault  qu'en  l'histoire  tu  entre 
Du  bon  David,  auquel  il  fut  promis 
Que  sur  son  siège  à  jamais  seroit  mis 
Le  fruit  promis  de  son  tresroyal  ventre. 

Fais  tout  au  long  de  ce  livre  lecture, 
Regarde  bien  ceste  Vieille  Escriture, 
Et  tu  verras  que  la  fin  de  la  Loy 


DU    DESERT.  209 

C'est  christ  ton  Filz,  c'est  le  promis  Messie  : 
La  fin,  le  but  de  toute  prophétie, 
Qui  acomplit  la  Loy  par  vive  Foy. 

Après  avoir  par  moy  qui  suis  Mémoire 
Bien  ruminé  une  chascune  histoire, 
Qui  de  ton  Filz  son  tresseur  tesmoignage, 
Prens  de  David  ton  père  le  Psaultier, 
Pour  le  chanter  à  Dieu  d'un  cœur  entier, 
Resjouyssant  ton  Ame  et  ton  courage. 
Quant  est  de  moy,  je  te  monstre  la  Lettre, 
Mais  cest  Esprit  qu'il  plaistau  Seigneur  mettre 
En  toy,  qui  es  de  luy  toute  remplie, 
T'en  fera  voir  le  sens,  sans  rien  omettre  ; 
Lis  à  loisir  le  tout,  je  fen  supplie. 

Marie. 

Loué  soit  Dieu  qui  t'a  donnée  à  moy, 
Par  qui  ses  faitz  tresantiques  je  voy, 
Qui  monstrent  bien  sa  puissance  indicible. 
-*vO  la  bonté  du  seul  Bon  pour  tous  Bons, 
Qui  a  tousjours  distribué  ses  dons    . 
A  ses  Esluz!  0  Dieu,  est  il  possible 
De  te  louer  assez  suffisamment  ; 
Et  contempler  ce  beau  commencement, 
Où  toy  puissant  et  sage  Créateur 
De  l'Air,  remply  d'oyseaux  de  mainte  sorte, 
De  Terre  aussi,  qui  maint  animal  porte, 
ii  27 


210  DU    DESERT. 

Et  de  la  Mer  te  monstre  le  facteur  ? 

Ta  grand'  grandeur  ton  ouvrage  demonstre, 

Ta  sapience  en  tous  lieux  l'on  rencontre, 

Car  d'Eléphant  jusques  à  la  formis 

Tu  es  la  Vie,  comme  de  tous,  et  l'Estre, 

Leur  Créateur,  conservateur  et  maistre; 

Mais  tout  cecy  as  fait  pour  tes  amis. 

0  povre  Adam,  par  faulte  de  bien  croire. 
Te  présenta  ta  femme  ou  pomme  ou  poire, 
Fruit  de  science  où  mort  estoit  cachée  : 
Tu  en  mangeas,  ton  honneur  ignorant, 
Qui  en  ce  monde  estois  seul  imperant  : 
Lors  feut  ton  Ame  en  ce  péché  tachée. 
0  bienheureux  péché,  heureuse  offense, 
Qui  mérita  si  digne  recompense, 
Que  Dieu  son  Filz  pour  du  tout  l'effacer 
Nous  a  donné!  0  Filz,  ô  tresgrand  prix, 
Que  le  péché  d'Adam  sur  toy  as  pris, 
Tu  fen  povois,  s'il  t'eust  pieu,  bien  passer. 

0  forte  amour,  ô  semence  promise, 
Par  qui  sera  à  riens  la  teste  mise 
Du  grand  serpent  qui  les  mondains  regist, 
Las!  je  te  voy,  bien  que  soyes  couverte. 
En  mon  Enfant,  qui  dessus  l'herbe  verte 
Bien  povrement  ainsi  qu'un  pécheur  gist. 

C'est  l'arc  qui  est  pour  la  paix  mis  au  Ciel, 
Convertissant  en  douceur  l'amer  fiel 


DU    DESERT.  2  I 

De  la  justice  et  de  Vire  de  Dieu. 
Helas  !  Pécheurs,  de  cest  arc  donc  tirez 
Et  par  luy  seul  ceste  grâce  attirez; 
De  l'Eternel  apprenez  tous  ce  jeu. 

Son  corps  est  l'arche  qui  voz  maux  ostera, 
Qui  sur  les  Eaues  sy  bien  vous  portera 
Que  vous  n'aurez  de  vous  submerger  peur. 
C'est  le  Coulom  portant  la  branche  verte, 
Monstrant  qu'amour  la  terre  a  descouverte 
A  tous  Esluz  qui  croiront  de  bon  cœur. 
C'est  de  la  Foy  d'Abraam  la  puissance, 
C'est  d'Isaac  la  grande  obéissance, 
Qui  prend  la  mort  pour  autruy  volontiers. 
C'est  des  Esluz  la  bonne  volonté, 
C'est  leur  amour,  espoir,  sens  et  bonté. 
C'est  luy  qui  fait  en  eux  tous  ces  mestiers, 
Qui  entend  bien  de  l'Esprit  l'harmonie 
Aller  te  voir  soubs  la  cérémonie, 
Oblation  mettant  toute  autre  à  fin. 
C'est  toy  qui  es  Melchisedec  le  prestre, 
Duquel  n'a  peu  la  race  bien  congnoistre 
Homme  vivant,  tant  soit  il  sage  ou  fin. 
Par  cest  Enfant,  Sacrifice  nouveau, 
L'oblation  du  Mouton  et  du  Veau 
Ne  sont  plus  rien ,  puis  que  de  leur  figure 
La  vérité  nous  est  sy  bien  monstrée 
Que  l'en  voit  bien  la  figure  acoustrée 


DU    DESERT. 


N'estre  rien  qu'umbre  à  la  vérité  pure. 

0  Roy  David,  de  plaisir  suis  ravie 
En  contemplant  ta  Chrestienne  vie, 
Car  le  vray  Christ  plus  que  nulrepresente  : 
Tu  es  de  Dieu  le  christ  et  le  vray  Oingt, 
L'homme  selon  son  cœur,  qui  as  le  poinct 
Gaigné  d'avoir  mis  en  Dieu  ta  pretente. 

Qui  penseroit  que  ce  fust  pour  mon  Filz 
Ce  grand  serment,  ô  Seigneur,  que  tu  feis, 
Que  tu  ferois  du  ventre  de  ce  Roy 
Saillir  un  Filz  qui  son  siège  tiendroit, 
Le  voyant  nud  et  povre  en  tout  endroit, 
Couché  sur  i herbe  en  piteux  desarroy? 

Qui  donneroit  à  cest  Enfant  la  gloire 
D'estre  de  toy  la  force  et -la  victoire, 
Et  le  fort  bras  contre  tes  ennemis? 
Qui  le  prendroit  pour  le  grand  Josué, 
Pour  Gedeon,  qui  en  a  maint  tué, 
En  le  voyant  foible  et  à  terre  mis? 
Quijugeroit,  ô  Père  et  Créateur, 
Que  cest  Enfant  fust  le  Législateur 
Qui  à  ton  peuple  a  déclaré  la  Loy, 
Le  grand  Moïse  et  serviteur  fidèle, 
Qui  estoit  plein  de  Foy,  d'amour  et  zèle!1 
Nul,  s'il  n'estoit  bien  inspiré  de  toy. 

Tel  que  tu  feus,  Seigneur,  tout  tel  tu  es 
Et  tel  seras,  sans  fin  à  tout  jamais  : 


DU    DESERT.  2  I  5 

Tresgracieux  et  doux  à  tes  fidèles, 

Tresru.de  et  dur  et  juste  à  tous  meschans, 

Qui  sont  tousjours  par  malice  pechans ; 

Sans  espérer  soubz  l'umbre  de  tes  asles, 

Par  ton  esprit,  qui  tous  les  bons  cœurs  touche, 

Donne  vouloir  et  parler  à  la  bouche  : 

Dont  ont  chanté  hautement  les  Prophètes. 

Par  toy  nous  ont  fait  de  grandes  promesses 

Que  par  ton  Filz  aurons  de  tes  largesses 

Le  fruit  entier  de  tes  grâces  parfaites. 

La  gloire  en  soit  à  toy  qui  à  délivre 

La  Lettre  et  Sens  me  fais  voir  de  ce  Livre 

Où  soubz  la  Loi  la  Grâce  peux  choisir  : 

En  le  lisant,  je  trouve  tel  plaisir 

Que  d'autre  pain,  fors  cestuy,  ne  peux  vivre. 

Consolation. 

Or  magnifie,  Vierge  sur  toute  eslu'é, 
De  ton  esprit,  ame,  cœur  et  puissance, 
Le  vray  Espoux  qui  par  moy  te  salue, 
En  te  voulant  donner  resjouissance. 
Porté  luy  as  sy  grande  obéissance 
Qu'en  ce  Désert,  où  il  te  fait  fuyr, 
Te  veult  donner  de  ses  biens  abondance. 
Voy  ce  Livre  ouvert, 
Qui  tant  f eut  couvert, 


DU   DESERT. 

Et  par  sept  fermans 
Sy  tresfort  seelé 
Qu'il  estoit  celé 
A  tous  vrays  amans. 

Mais  l'occis  Agneau, 
Adam  le  nouveau, 
Par  son  doux  effort 
En  feit  l'ouverture. 
Or  y  prens  pasture 
Pour  ton  reconfort. 
0  Vierge,  c'est  le  doux  Livre  de  grâce, 
Que  Dieu  par  moy  rend  ouvert  en  tes  mains; 
Tu  ne  seras  jamais  d'y  lire  lasse, 
Recongnoissant  la  peau  du  Saint  des  Saints 
Dont  il  est  fait,  pour  à  tous  les  humains 
Monstrer  à  cler  l'amitié  que  leur  porte  : 
Tu  y  verras  tout  son  secret  (au  moins 
Ce  qu'il  luy  plaist  que  l'esprit  en  rapporte.) 
La  peau  délicate 
Charité  dilate 
Comme  un  parchemin; 
Et  du  doigt  d'enhault 
Escrit  ce  qu'il  fault 
Faire  en  ce  chemin. 

Ce  Livre  est  sy  ample 
Qu'il  suffist  d'exemple 
A  tous  ses  Esluz. 


DU    DESERT. 


//  est  fol  parfait 
Qui  compte  n'en  fait, 
Et  qui  en  veult  plus. 
Que  sçauroit  plus  l'homme  avoir  d'avantage 
De  tout  le  bien  qui  se  peult  désirer, 
Quand  il  ha  Christ  pour  son  vray  héritage, 
Qui  tout  en  luy  l'a  voulu  retirer  ? 
S'il  est  en  Christ,  plus  ne  doit  souspirer; 
Car  Christ  en  Dieu  sans  fin  le  fera  vivre. 
Sans  que  nully  l'en  puisse  retirer, 
S'il  est  escrit  en  ce  bienheureux  Livre. 
C'est  la  seure  addresse 
De  ceste  promesse 
Tant  réitérée, 
Que  Dieu  en  justice 
Tourneroit  malice 
Trop  invétérée. 

Sur  soy  le  péché 
Sera  sy  caché, 
Porté  et  défait, 
Que  Dieu  le  tiendra, 
Un  jour  que  viendra, 
Pour  bien  satisfait. 
Las  !  ce  sera  la  piteuse  journée 
Que  le  payeur  n'espargnera  son  sang, 
Et  que  verras  ta  joye  retournée 
En  grand  douleur,  voyant  sur  le  dur  banc 


2IO  DU    DESERT. 

D'une  grand  Croix  l'Agneau  tant  pur  et  blanc, 
Pour  tous  les  siens  justement  satisfaire, 
Car  pour  tirer  ses  Esluz  à  son  reng 
D'éternité,  ne  lairra  rien  à  faire. 
En  luy  la  Mort,  morte 

(Qui  estoit  sy  forte) 

Pour  jamais  sera  : 

Car  le cuydant prendre, 

Luy  sans  se  défendre 

Son  chef  cassera. 
Le  Péché  aussi 

Vilain  et  noircy 

Sera  effacé; 

Enfer  par  ce  Christ 

Sera  tout  prescrit, 

Brisé  et  cassé. 
Mais  Adam,  mis  à  mort  par  Passion 
Telle  qu'il  fault  pour  son  forfait  esteindre, 
Retournera  par  Résurrection, 
Pour  bien  heureux  le  hault  du  Ciel  atteindre. 
Celuy  qui  s'est  voulu  faire  le  moindre, 
Jusqu'au  plus  bas  de  l'enfer  descendant, 
Sera  mis  hault,  où  nul  ne  peut  aveindre, 
S'il  n'est  passé  par  ce  feu  tresardent. 
Mais  sa  Créature 

De  vile  nature 

Qui  reçoitpar  Foy 


DU    DESERT.  2  17 

L'Agneau,  et  se  colle 

A  luy,  et  s'en  voile 

Du  tout  hors  de  soy, 
Elle  n'est  plus  elle  : 

Mais  par  Foy  et  zèle 

Est  F  Hz  du  Treshault. 

Son  nom  elle  perd, 

Dont  celuy  appert 

De  Dieu  qui  mieux  vault. 
Or  contemplez,  ma  tresheureuse  Dame, 
Quel  bien,  quel  heur  et  quel  contentement 
Peult  recevoir  et  ressentir  ceste  ame  ; 
Ame  non  plus,  mais  esprit  seulement, 
Esprit  remply  de  divin  mouvement. 
Qui  plus  se  perd  en  luy,  plus  se  retreuve 
Estre  en  son  Dieu,  toy  seule  sçais  comment 
Cecy  se  fait,  tu  en  as  fait  l'espreuve. 
Or  resjouis  toi, 

Toy  qui  as  par  Foy 

La  grâce  trouvée 

Que  Eve  avoit  perdue, 

Pour  s' estre  rendue 

A  voix  reprouvée. 
Chante  dens  ton  cœur 

Pour  l'Agneau  vainqueur 

D'enfer  et  de  Mort  ; 

Dieu  à  toy  m' envoyé, 
m  28 


2l8  DU    DESERT. 

Lequel  est  ta  joye, 
Plaisir  et  confort. 

Marie. 

Je  ne  puis  pas  sans  admiration 
Ce  Livre  voir  sy  plein  de  charité. 
Je  voy  de  Dieu  l'amour,  l'affection, 
Envers  celuy  qui  avoit  mérité 
Que  Dieu  à  luyfust  tousjours  irrité. 
Je  voy  ce  Dieu,  qui  par  bonté  immense, 
Donne  au  menteur  son  Filz,  sa  Vérité; 
Voire  et  fait  chair  son  Verbe  et  sa  semence. 
0  bonté  trop  grande, 

Qui  la  Loy  commande 

Impossible  à  faire; 

Puis  tu  metz  pour  l'homme 

Ton  F/7z,  qui  la  somme 

Prend  à  satisfaire. 

Amour  vainc  aux  deux 

De  Dieu  les  doux  yeux 

Pour  nous  regarder; 

Et  le  cœur  enflame 

Du  Filz,  qui  son  ame 

Met  pour  nous  garder. 
Mais  quand  le  Filz  est  bien  glorifié, 
Ayant  en  nous  Dieu  tout  seul  fait  congnoistre, 
Et  nostre  Adam  du  tout  mortifié, 


DU    DESERT.  219 

Son  saint  Esprit  donne  et  fait  apparoistre, 
Et  que  Dieu  est  en  nous  la  Vie  et  l'Estre. 
Ceste  union  est  la  béatitude 
Du  vray  croyant  :  ô  Dieu,  mon  Père  et  Maistre, 
Et  que  voicy  une  plaisante  estude  ! 
Ce  Livre  de  grâce 

Tous  les  autres  passe 

Pour  plaisir  donner  : 

Pleurer  tourne  en  rire, 

Parquoy  le  veux  lire 

Sans  l'abandonner. 
Par  dilection 

En  l'Election 

De  Dieu  je  me  voy; 

De  tous  temps  preveue 

Aymée  et  Esleue 

Me  gardant  en  soy. 
Puis  quand  le  temps  vint  en  sa  plénitude 
Lequel feut  tant  des  Pères  attendu, 
lime  choisit  d'entre  la  multitude 
A  un  honneur  de  moy  non  prétendu  : 
Car  nonobstant  que  bien  j'eusse  entendu 
Que  son  Feilz  Christ  devoit  naistre  de  Vierge, 
Je  n'estimois  un  tel  bien  m'estre  deu 
D'estre  d'un  tel  thresor  humble  concierge. 
Je  m'estimois  rien, 

Vuyde  de  tout  bien, 


220  DU    DESERT. 

Et  moins  m'estimoye 
Que  povre  vermine, 
Ou  morte  racine; 
Mais  Dieu  seul  j'aymoye, 

Lequel  m'a  trouvée 
Bas,  mais  eslevée 
Hault  par  si  doux  piège, 
Que  Mère  honnorée 
M'a  fait,  décorée 
Sur  son  dextre  siège. 
Ce  bien  est  mien  avant  que  fustle  Monde 
Fait  ny  formé;  car  Amour  par  luy  seul 
De  tout  péché  me  feit  exempte  et  munde. 
Puis  me  feit  naistre  en  ce  val  plein  de  dueil, 
Et  me  donna  un  regard  de  son  œil 
Sy  amoureux  qu'il  me  feit  amoureuse  ; 
Dont  toutes  gens  voyans  ce  doux  acueil, 
Me  chanteront  et  diront  bien  heureuse. 
Seigneur,  quel  mérite 
Avoit  ta  petite 
Servante  peu  faire 
Pour  estre  estrenéc 
Avant  qu' estre  née 
Du  bien  qui  doit  plaire  ? 

Mon  affection 
Mon  Election 
N'avoit  pas  esmue  ; 


DU   DESERT.  221 

Seigneur,  ta  bonté 
T'a  pour  moy  domté, 
Parquoy  m'as  esleue. 
0  quel  honneur  d'amitié  paternelle  ! 
Quelle  faveur  faite  à  ta  chambrière  ! 
Non  à  moy  seule,  ja  ne  fault  que  le  celé 
{Bien  que  je  suis  des  Esluz  la  première), 
Mais  à  tous  ceux  qui  dessoubz  ma  bannière 
Par  vive  Foy  suyvront  l'occis  Agneau. 
Venez,  Pécheurs,  sans  regarder  derrière, 
Ne  doutez  point  de  mon  céleste  appeau. 
Qui  croit  comme  moy 
Par  tresvive  Foy, 
Mère  est  du  Sauveur; 
En  son  cœur  l'engendre, 
Mais  qu'il  puisse  entendre 
Sa  grande  faveur. 

Foy  fait  recevoir, 
Prendre  et  concevoir 
Oyant  Dieu  parler. 
Son  enfant  trescher 
Son  verbe  fait  Chair, 
Qu'il  ne  fault  celer. 
Puis  que  par  Foy  j'ay  receu  en  largesse, 
Sans  que  de  moy  vinst  la  cause  ou  raison, 
Le  Filz  de  Dieu,  l'attendue  promesse 
Que  Gedeon  congnut  en  la  toison  ; 


222  DU    DESERT. 

Priez  sans  cesse  en  dévote  oraison 
Ce  Père  Dieu,  vous  Pécheurs  condemnez; 
Que  Foy  bruslant  par  amoureux  tison 
Mette  en  voz  cœurs,  pour  n'estre  point  damnez. 
Je  vous  certifie 
Que  Dieu  justifie 
Par  christ  le  pécheur. 
Mais  s'il  ne  le  croit, 
Et  Foy  ne  reçoit 
En  luy  ce  bon  heur 
Par  ferme  fiance, 
En  sa  conscience 
N'aura  nul  repouz. 
Dieu  est  le  donneur, 
Foy  le  receveur 
De  ce  christ  tant  doux. 
Qui  donc  aura  par  Foy  ce  christ  receu 
Fera  tout  ce  que  le  Père  commande; 
Le  saint  Esprit,  qui  n'a  nully  deceu, 
Fera  en  luy  œuvre  louable  et  grande, 
Et  Dieu  plus  fort  à  l'homme  ne  demande 
Que  d'acomplir  sa  bonne  volonté, 
Ce  qu'il  ne  peult  ;  mais  christ  paye  l'amende 
Parquoy  tout  mal  est  vaincu  et  domté. 
Or  sont  ceux  sa  Mère, 
Son  Cousin  et  Frère, 
Qui  le  bon  vouloir 


DU    DESERT.  22J 

Du  puissant  et  sage 

Font  de  bon  courage, 

Pour  en  eux  l'avoir. 
Car  en  eux  ouvrant 

Leur  va  descouvrant 

Que  c'est  sa  puissance 

Qui  fait  tout  en  eux; 

Qui  fait  un  de  deux 

Par  sa  congnoissance. 
Mère  je  suis  de  son  humanité, 
Qu'il  print  en  moy,  laquelle  j'ay  portée; 
Mère  je  suis  de  sa  divinité, 
Car  par  la  Foy  j'estois  tant  exhortée, 
Que  j'ay  receu,  dont  suis  reconfortée, 
Voire  et  conceu  la  Deïté  treshaute  ; 
Et  par  son  don  sa  grâce  rapportée, 
Avec  laquelle  on  ne  peult  faire  faute. 
Croyez,  recevez, 

Portez,  concevez 

Dieu  par  sa  parole  ; 

Et  sentez  le  en  vous, 

Père,  frère,  Espoux, 

Qui  joué  son  rolle. 
En  vous  se  louera, 

Quant  il  jouyra 

De  vous  purement; 

En  vous  son  amour 


224  DU    DESERT. 

Qui  le  bon  vouloir 

Sans  cesser  nul  jour, 

L'aymera  vrayment. 
Tant  plus  je  lis  ce  Livre  d'amour  plein, 
Et  plus  mon  cœur,  qui  par  Foy  est  certain, 
Livre  de  grâce  et  bonté  et  douceur, 
De  ceste  amour  sent  la  douce  liqueur. 
Car  sans  douter  est  mon  Esprit  tresseur, 
Qu'en  mon  Amy  je  suis,  et  luy  en  moy; 
Dont  possédant  mon  puissant  possesseur, 
Plus  esmoyer  ne  me  peult  nul  esmoy. 
Mon  Dieu  est  sy  mien 

Que  ce  qui  est  sien 

Dedens  moy  je  sents; 

Et  dedens  luy  suis, 

Dont  saillir  ne  puys, 

Car  je  m'y  consens. 
En  mes  bras  le  porte, 

Aux  siens  me  conforte, 

Dont  luy  seul  m'embrasse  ; 

Ma  bouche  le  baise, 

La  sienne  m'appaise, 

Qui  tout  plaisir  passe. 
Si  sçay  je  bien  qu'un  grand  jour  qui  viendra 
Pour  mettre  fin  à  ce  qu'il  a  promis, 
Honteusement  mourir  luy  conviendra, 
Pour  racheter  de  mort  tous  ses  amys. 


DU    DESERT.  22$ 

Ce  bouquet  là  de  myrrhe  j'en  ay  mis 
Dedens  mon  sein,  mon  cœur  et  ma  mémoire 
Long  temps  y  a;  car  je  n'ay  riens  omis 
A  contempler  ceste  piteuse  histoire. 
Simeon  le  vieux, 

Voyant  de  ses  yeux 

Ce  doux  salutaire, 

En  pleurant  bien  fort, 

Ceste  dure  mort 

Ne  me  voulut  taire. 
Mais  selon  son  dit 

Tant  en  ont  prédit 

Par  le  temps  passé, 

Qu'il  n'y  a  Esprit 

Voyant  leur  Escrit 

Qui  n'en  soit  lassé. 
Mais  regardant  en  ceste  passion 
De  l'œil  de  Foy,  qui  ne  s'arreste  au  corps, 
Je  voy  au  fonds  la  consolation, 
Qui  ne  se  peult  congnoistre  par  dehors. 
C'est  que  mon  Filz,  semblable  à  un  des  Mortz, 
De  ceste  mort,  mourant,  aura  victoire; 
Et  en  semblant  foible  par  ses  effortz, 
Sur  les  plus  forts  emportera  la  gloire. 
Par  obéissance 

Rompra  la  puissance 

Du  péché  d'Adam, 
h  29 


226  DU    DESERT. 

(lui  pour  lever  l'œil 
Trop  haut  par  orgueil 
F  eut  chassé  d'Eden. 

Christ  cloué  de  doux 
Donra  de  telz  coups 
Qu'enfer  brisera  ; 
Son  corps  attaché 
Ostera  péché 
Et  l'effacera. 
Puis  ce  corps  là,  mort  par  affection, 
Obéissant  au  Père  entièrement, 
Voy  revenir  en  résurrection, 
Triumphateur  de  mort  et  de  tourment, 
Victorieux  d'Enfer  parfaitement, 
Et  de  péché,  dont  ses  Esluz  retire  ; 
Et  puis  monter  au  Ciel  triumphamment 
Auprès  du  Père,  où  est  ce  qu'il  désire  : 
Je  le  voy  assy, 
Hors  de  tout  soucy, 
Du  Père  à  la  dextre, 
Où,  quoy  qu'il  ayt  fait, 
Par  Foy  en  effect 
Le  voy  tousjours  estre. 
Moy  qui  en  luy  suis, 
Désirer  ne  puys 
Mieux  qu'en  chacun  lieu 
Par  tout  triumphant 


DU   DESERT.  227 

Voir  par  mon  Enfant 
Tout  en  tous  mon  Dieu. 


Les  Anges  chantans. 

Louenge  à  Dieu  soit  donnée  à  toute  heure, 
Qui  son  cher  Filz  laisse  en  terre  gésir, 
Pour  le  pécheur  du  bas  Enfer  choisir, 
En  le  tirant  à  sa  haulte  demeure. 
Il  n'y  a  cœur  qui  dejoye  ne  pleure, 
Voyant  en  Dieu  tant  d'amoureux  désir, 
Qui  à  sauver  l'homme  prend  tel  plaisir, 
Qu'il  est  content  que  pour  luy  son  Filz  meure. 

Le  Premier  Ange. 

Voicy  des  fruitz  que  les  plus  haultz  dattiers 
Nous  ont  donnez  pour  toy,  frais  et  entiers  : 
Il  te  plaira  ce  présent  en  gré  prendre. 

Le  II.  Ange. 

Voicy  du  fruit  que  le  bon  Chrestien 
Envoyé  à  toy,  arbre  fort  ancien, 
Qui  ne  veult  riens  que  te  louer  prétendre. 

Le  III.  Ange. 
Pomme  d'amour,  qui  le  cœur  reconforte, 


228  DU    DESERT. 

J'apporte  à  toy,  qui  es  la  femme  forte 
Où  croit  tousjours  l'amour  juste  et  divine. 

Le  IIII.  Ange. 

Reçoy  ces  fleurs,  ô  blanche  fleur  de  lis, 
Et  la  pensée  entre  toutes  eslis, 
Et  ceste  rose  tirée  de  l'espine. 

Le  V.  Ange. 

Ce  miel  céleste  est  digne  de  ta  bouche, 
Auquel  jamais  ne  toucha  layde  mouche, 
Car  ta  parole  au  doux  miel  est  semblable. 

Le  VI.  Ange. 

Ceste  vive  eaue  j'ay  prise  de  la  pierre 
Qui  aux  Enfans  d'Israël  en  la  terre 
Du  grand  Désert  leur  f  eut  tant  secourable. 

Le  Premier  Ange. 

Du  grand  palmier  qui  au  dur  faix  résiste, 
Vierge,  en  tout  cœur  la  fermeté  consiste; 
Car  il  n'en  feut  jamais  de  sy  constante. 

Le  IL  Ange. 
Du  bon  Chrestienquià  Dieu  seul  veult plaire, 


DU   DESERT.  229 

Vierge,  tu  es  le  parfait  exemplaire, 
Par  vive  foy  et  Charité  ardente. 

Le  III.  Ange. 

Le  fruit  d'amour  est  en  toy  tout  entier, 
Car  d'aymer  Dieu  sçais  sy  bien  le  mestier 
Que  toute  amour  auprès  n'est  que  painture. 

Le  IIII.  Ange. 

Tu  es  le  Lit  blanc  et  cler,  pur  et  munde, 
Vivant parmy  les  espines  du  Monde, 
Sans  en  sentir  une  seule  pointure. 

Le  V.  Ange. 

Tu  es  le  miel,  douceur  saillant  du  fort, 
Et  celuy  dont  Jonatas  reconfort 
Trouva,  lequel  luy  redonna  la  veu'é. 

Le  VI.  Ange. 

Pleine  tu  es  de  l'eaue  tant  clere  et  belle 
Qui  fait  saillir  en  la  vie  éternelle 
Ceux  qui  par  Foy  et  Charité  l'ont  beu'è. 

Le  Premier  Ange. 
En  nourrissant  ton  pur  et  chaste  corps 


230  DU    DESERT. 

De  miel,  et  fruitz  differens  par  dehors, 
Tu  voy  en  eux  Dieu,  qui  de  tous  est  Vie. 

Marie. 

Qui  a  gousté  ceste  manne  céleste, 
Las  !  il  est  plus  ignorant  qu'une  beste 
Si  d'autre  chose  il  peult  avoir  envie. 

Le  II.  Ange. 

Nous  voyons  bienqu'en  goustantce  doux  miel 
Ton  œil  de  Foy  reçoit  du  hault  du  Ciel 
Ceste  douceur,  sçachant  qu'elle  en  descend. 

Le  III.  Ange. 

Tout  ce  manger  terrestre  ne  retarde 
Que  le  pain  vif  sans  cesser  ne  regarde  : 
Car  autre  pain  ton  cœur  n'ayme  ne  sent. 

Le  IIII.  Ange. 

Ceste  eau  te  plaistplus  que  nul  vin  oumoust, 
Car  en  esprit  desja  tu  sents  le  goust 
De  la  divine  et  céleste  fontaine. 

Marie. 
L'eau  de  Marah  douce  trouver  je  dois, 


*  DU    DESERT.  2  3 1 

Car  je  congnois  la  grand  vertu  du  bois 
Par  qui  elle  est  de  douceur  toute  pleine. 

Le  V.  Ange. 

Dedens  ces  fleurs  la  beauté  vois  du  beau, 
Codeur  de  luy  conforte  ton  cerveau, 
Dont  tu  te  loue  en  sa  diversité. 

Le  VI.  Ange. 

Tu  le  vois  seul  soubz  diverse  figure 
Vestre  et  la  vie  à  toute  créature; 
Tu  le  sçais  mieux  qu'il  ne  t'est  récité. 

Marie. 

L'homme  ne  vit  pas  de  pain  seulement  : 
De  la  Parole  escrite  purement 
De  son  Dieu  peult  sustenter  corps  et  ame  ; 
Le  beau  se  voit  en  toutes  les  beautés, 
Et  le  puissant  en  toutes  royautés  : 
Car  Dieu  seul  est  Tout,  en  tout  homme  et  femme; 
L'Estre  et  le  Tout  des  pierres  insensibles, 
Le  sentiment  des  animaux  sensibles, 
D'arbres  et  fleurs  ïestre  et  V accroissement. 
De  l'homme  il  est  estre,  vie  et  mouvoir, 
Sens  et  raison,  volonté  et  povoir  : 


2p  DU    DESERT. 

L'homme  sans  luy  n'est  rien  entièrement. 
Donc  en  mangeant  et  en  beuvant  ceste  eau 
Je  gouste  et  voy  en  tout  l'homme  Nouveau , 
Par  qui  le  Père  à  tous  se  communique. 

0  quel  plaisir  de  sçavoir  que  nostre  Estre, 
Vie  et  Povoir  est  Dieu  seul,  dont  sa  dextre 
De  faire  tout  en  tous  sçait  la  pratique  ! 
Père,  j'ay  pris  ta  bénédiction, 
Où  j'ai  trouvé  tant  de  réfection, 
Que  grâce  en  rends  à  ta  grande  abondance  : 
Je  ne  te  puys  tes  grâces  et  biens  rendre, 
Mais  à  ton  Filz  tant  délicat  et  tendre 
En  te  louant  vois  offrir  ma  substance. 

Les  Anges  chantans. 

Tout  d'un  accord  chantons  au  Dieu  des  Anges, 
Qui  passe  tout  l'effort  de  noz  louenges. 
Nul  la  valeur  ne  peult  chanter  ny  dire, 
Tout  ce  qu'il  veult  il  fait  en  son  empire. 
Chantons  sa  grand  bonté,  douceur,  clémence, 
Car  amour  l'a  domté  par  sa  puissance . 

Joseph. 

Combien  que  je  me  sois  lassé 
De  cercher  ce  dont  j'ay  besoing, 
Si  n'ay  je  pas  trop  amassé, 


DU    DESERT.  2JJ 

Et  si  suis  allé  assez  loing. 

Ce  que  j'en  rapporte  est  tesmoing 

Que  ce  lieu  est  mal  cultivé  ; 

Seigneur,  en  toy  jette  mon  soing, 

Duquel  tout  bien  est  dérivé. 
0  que  de  fruit  je  voy  ensemble 

Près  de  Marie  sur  la  terre? 

Il  y  en  a  plus,  ce  me  semble, 

Qu'en  un  mois  n'en  sçaurions  acquerre. 

0  que  celuy  folement  erre, 

Pensant  par  peine  avoir  de  soy 

Ce  que  Dieu  donne  sans  requerre 

A  ceux  qui  vivent  de  sa  Foy! 
Loué  soit  Dieu  qui  m'a  reconforté 
De  mon  labeur,  voyant  qu'il  l'a  pourveue 
De  tant  de  bien  qu'aucun  a  apporté 
Pour  secourir  à  ceste  Vierge  eslue. 
En  présentant  ces  fruitz  je  vous  salue, 
Mais  je  voy  bien  que  n'en  avez  affaire, 
Car  d'autres  fruitz  de  plus  grande  value 
Un  beau  présent  Dieu  vous  a  voulu  faire. 

Marie. 

Qui  a  jette  son  soing  au  Dieu  treshault 
En  s'oubliant  pour  sans  cesser  le  voir, 
Sachez,  amy,  que  rien  ne  lui  default, 
Et  qu'il  ne  peult  nécessité  avoir. 

ii  3o 


2J4  DU   DESERT. 

Dieu  est  sy  bon,  et  ha  sy  grand  povoir, 
Que  ce  Désert,  où  son  Enfant  veult  mettre, 
A  sceu  sy  bien  de  ses  grâces  pourvoir 
Qu'il  est  plus  beau  que  Paradis  terrestre. 

En  ce  Désert,  voyez  l'arbre  de  Vie 
Ressuscitant  Adam  et  tous  les  morts. 
L'arbre  duquel  Eve  eut  sy  grande  envie 
N'est  plus  icy,  il  est  chassé  dehors. 
Icy  n'habite  un  seul  terrestre  corps, 
Le  céleste  homme  par  force  a  pris  le  lieu 
De  ce  terrestre,  et  par  ses  grans  efforts 
Du  grand  Désert  s'est  planté  au  mylieu. 

Joseph. 

Puis  qu'ainsi  va,  m'amye,  que  vous  dites, 
Ce  désert  est  beau  comme  un  Paradis, 
Duquel  Adam  feut  par  ses  démérites 
Chassé  dehors  honteusement  jadis. 

Marie. 

Amy,  croyez,  je  vous  prie,  à  mes  ditz: 
Adam  pécha  etfeit,  par  son  péché, 
Que  luy  et  tous  les  siens  furent  mauditz; 
Car  tout  le  genre  humain  en  feut  taché. 

Las!  il  mangea  de  l'arbre  de  Science, 
Oubliant  Dieu  et  son  commandement. 


DU    DESERT.  23$ 

Et  si  le  feit  contre  sa  conscience, 

Car  il  ne  f eut  deceu  aucunement  : 

Dont  il  ne  peut  parvenir  nullement 

A  ce  bel  arbre,  à  la  vie  toucher; 

Il  f  eut  chassé  par  l'Ange  en  tout  tourment, 

Sans  en  povoir  jamais  plus  approcher. 

Le  lieu  plaisant  feut  tourné  en  Désert. 
L'homme  en  honneur  feut  semblable  à  la  beste, 
La  mort  survint,  que  le  péché  dessert, 
Qui  à  tuer  tous  les  vivans  est  preste. 
Enfer  leva  à  ces?  heure  là  sa  creste, 
Le  ciel  feut  cloz,  le  grand  Serpent  régna; 
Mais  Dieu  puissant,  pour  luy  rompre  la  teste, 
Ce  grand  Désert  de  son  F  Hz  estrena. 

Or  est  ce  Fih  plus  vertueux  et  grand 
Qu'Adam  n'estoit  petit  et  vicieux  : 
L'un  tout  péché,  l'autre  tout  bien  apprend; 
L'un  est  de  terre,  et  l'autre  vient  des  Cieux, 
Qui  ce  Désert  rend  plus  délicieux, 
Et  plus  parfait  qu'Adam  par  son  péché 
Ne  rendit  laid  son  Jardin  précieux, 
Pour  estre  trop  de  sa  femme  empesché. 

Joseph. 

Or  voy  je  bien  qu'il  ne  fault  point  douter 
Que  nous  n'ayons  povoir  par  cest  Enfant 
Du  fruit  de  Vie  approcher  et  gouster, 


236  DU    DESERT. 

En  délaissant  l'arbre  que  Dieu  défend, 
Qui  fait  le  cœur  devenir  Eléphant 
Par  un  orgueil  de  science  trop  vaine. 
Mais  le  Petit  du  Grand  est  triumphant 
S' humiliant  à  rien,  à  mort  et  peine. 

Marie. 

Ce  lieu  qui  feut  plein  de  stérilité 
Par  le  péché  de  ce  vieux  Premier  Homme, 
Est  maintenant  plein  de  fertilité 
Par  le  Nouveau,  qui  Jésus  Christ  se  nomme. 
C'est  le  Sauveur  qui  sur  luy  prend  la  somme 
De  tous  péchez,  qu'il  porte  et  qu'il  efface  : 
Qui  en  la  Croix  prendra  un  sy  doux  somme 
Que  tous  Esluz  dormiront  en  sa  grâce. 

Joseph. 

Povres  Pécheurs,  desnuez  de  vertus, 
Qui  ressemblez  un  Désert  tout  destruit, 
Si  vous  voulez  estre  bien  revestuz 
De  la  vertu,  et  porter  fleur  et  fruit, 
Quand  vous  oyrez  de  la  Parole  bruit 
Du  Filz  de  Dieu,  où  l'on  se  doit  fier, 
Que  chacun  soit  de  l'embrasser  instruit, 
Car  par  luy  seul  povez  fructifier. 


DU    DESERT.  237 

Marie. 

Voyez,  amy,  comme  le  Dieu  tresbon 
Non  seulement  de  vivres  m'a  munie, 
Mais  de  ces  trois  Livres  m'a  fait  le  don, 
Me  consolant  de  ceste  compaignie. 
Lire  y  povez,  nully  ne  le  vous  nye  ; 
Et  seure  suis  que  cest  esprit  divin 
Vous  en  fera  entendre  l'harmonie, 
Dont  vous  serez  à  l'aymer  plus  enclin . 

Joseph. 

En  ce  premier  voy  de  telles  merveilles, 
Que  le  sçavoir  je  n'en  puis  supporter, 
Car  un  seul  Dieu  en  choses  nompareilles 
Je  voy  vivant,  qui  tout  veult  supporter, 
Semer,  nourrir,  conserver,  conforter; 
Mais  le  plus  c'est  de  voir  ceste  unité, 
Qui  en  soy  peult  son  ouvrage  porter, 
Estre  couvert  soubz  la  pluralité. 

L'extérieur  est  sy  tresvariable, 
Que  l'œil  charnel,  voyant  ce  qu'il  peult  voir, 
Trouve  que  l'un  à  l'aultre  n'est  semblable. 
Dieu  l'a  créé  par  son  divin  povoir, 
Tout  différent  l'a  monstre  son  sçavoir; 
Mais  soubz  ces  corps  differens  en  grand  nombre 


23&  DU   DESERT. 

L'œil  delà  Foy  un  seul  y  voit  mouvoir, 
Sans  s'arrester  au  dehors  ny  à  l'ombre. 

Marie. 

Amy,  un  seul  en  tous  est  adorable, 
Car  luy  tout  seul  est  la  vie  de  tous; 
Beste  n'y  a,  soit  mute  ou  raisonnable, 
Dont  Dieu  ne  soit  son  Estre,  entendez  vous  ? 
Mais  il  s'est  tant  à  l'homme  monstre  doux, 
Que  dens  sa  chair  a  voulu  habiter, 
Pour  tirer  hault  ce  qui  estoit  dessoubz, 
Et  lui  faisant  le  hault  ciel  hériter. 

Joseph. 

Ce  Livre  icy  bien  à  cler  nous  descœuvre 
Comme  Dieu  eust  de  Nature  pitié, 
Et  comme  en  tous  par  sa  bonté  il  œuvre, 
Monstrant  l'effect  de  sa  grande  amitié. 
Et  comme,  après  avoir  bien  chastié 
Eve  et  Adam  et  tous  ceux  de  sa  race, 
Leur  a  donné  non  point  une  moitié, 
Mais  par  son  Filz  entière  et  pleine  grâce. 

Je  voy  icy  que  tous  ceux  qui  l'ont  creu, 
Voire  et  receu  par  joy  vive  sans  feinte, 
Il  a  leur  bien  et  leur  honneur  accreu, 
Et  fait  gaigner  bataille  et  gloire  mainte, 


DU   DESERT.  239 

Pour  acquérir  la  terre  bonne  et  sainte, 
Où  maints  travaux  par  Foy  ont  soustenuz  ; 
Mais  à  la  fin,  mettant  enfuyte  et  crainte 
Leurs  ennemis,  ils  y  sont  parvenuz. 

Marie. 

Aussi,  Joseph,  le  peuple  qui  croira 
Le  doux  parler  de  Dieu  qui  point  ne  ment, 
Ce  qu'il  a  creu  et  désiré  verra, 
Qui  ne  sera  sans  grand  empeschement. 
Car  du  costé  senestre,  mort,  tourment, 
Douleur,  soucy,  lui  donront  desespoir  : 
Plaisirs,  honneurs  et  biens  trop  doucement 
A  dextre  auront  de  l'empescher  povoir. 

Mais  qui  aura  Foy  de  ceste  promesse 
Et  grand  désir  d'acquérir  ceste  terre, 
Victoire  aura  sur  toute  la  finesse 
Des  ennemis  et  de  leur  forte  guerre. 
La  vive  Foy  comme  foudre  ou  tonnere 
Ruinera  toute  infidélité  ; 
Parquoy  pourront  des  vrays  vivans  conquerre 
Terre  et  pais  par  grande  humilité. 

Joseph. 

Las .'  par  sus  tous  ces  Livres  excellents 
Je  prens  plaisir  à  regarder  ce  tiers. 


24O  DU    DESERT. 

0  que  les  cœurs  des  hommes  seront  lents, 
Qui  ne  voudront  le  lire  volontiers  ! 
La  Voye  y  est  seure  par  tous  sentiers, 
La  Vérité  j'y  voy  tresclere  et  nue, 
La  Vie  aussi  en  tous  lieux  et  quartiers. 
0  quel  plaisir  à  mon  cœur  et  ma  veue  ! 

Cheminer  fault  par  sa  voye  et  doctrine, 
Par  où  l'on  va  au  divin  et  seur  port. 
Recevoir  fault  sa  douce  discipline, 
De  Vérité  plus  forte  que  le  fort. 
Prendre  aussi  fault  contre  l'horrible  mort, 
Que  chacun  craint  ceste  vie  immortelle  ; 
Icy  je  voy  mon  salut,  mon  confort, 
La  Loy  de  grâce  y  est  spirituelle. 

Marie. 

Le  temps  sera  long  en  ce  Désert  gitte, 
Car  de  Dieu  fault  l'heure  et  le  jour  attendre 
Que  son  Enfant  appellera  d'Egypte, 
Comme  il  nous  a  ce  long  chemin  fait  prendre 
0  mon  Enfant,  Dieu  t'a  bien  fait  descendre, 
Pour  le  Pécheur  cercher  au  centre  bas, 
Afin  qu'à  luy  en  toy  le  puisses  rendre 
En  hault  au  ciel,  las  !  tu  n'y  faudras  pas. 

En  attendant  ce  jour,  nous  passerons 
Joyeusement  le  temps  à  méditer 
Ces  Livres  cy,  et  ne  nous  lasserons 


DU    DESERT.  241 

De  contempler  la  terre  où  hériter 
Nous  nous  devons,  et  noz  cœurs  inciter 
A  aymer  Dieu,  et  le  louer  sans  cesse; 
Qui  par  son  Filz  tel  bienfait  mériter, 
Que  ne  pouvoit  gaigner  nostre  foiblesse. 

Joseph. 

Long  temps  y  a  que  sommes  attendans, 
Mais  avec  vous  ne  m'a  duré  un  jour. 
Car  je  vous  voy,  et  dehors  et  dedens, 
Le  Livre  escrit  plein  de  Foy  et  d'amour 
Auprès  de  vous  (où  que  soit  le  séjour), 
Sy  content  suis  que  le  temps  ne  me  dure. 
Donnons  au  corps  le  repos  à  son  tour, 
Car  la  nuict  vient  qui  le  veiller  n'endure. 

Or  reposons  en  nostre  vray  repos, 
Car  hors  de  luy  n'a  repos  ny  sommeil. 

Marie. 

Vostre  parole  est  bonne,  mon  Espoux; 
Mon  Filz  et  moy  croirons  vostre  conseil. 
Seigneur,  qui  es  tousjours  mon  vray  Soleil, 
Auquel  je  sers,  et  moindre  ne  veux  suyvre, 
Garde  en  tes  mains  ton  Fils  le  nompareil, 
Et  nous  pour  luy,  qui  en  toy  voulons  vivre. 

"  3i 


242 


DU   DESERT. 


L'Ange. 


0  Joseph,  Joseph,  levé  toy, 
Ne  crains  plus  Herodes  le  Roy, 
Prens  le  petit  F  Hz  et  la  Mère. 
Va  en  la  terre  d'Israël, 
Ce  que  je  te  dit,  l'Eternel 
Le  mande  à  ceux  dont  il  est  Père. 
Car  ceux  sont  mortz,  mis  soubz  la  lame, 
Qui  de  l'Enfant  cerchoyent  l'ame, 
Or  va  bien  tost  sans  craindre  rien. 

Joseph. 

0  Bonté  impossible  à  croire, 
Qui  de  ton  F  Hz  as  la  mémoire, 
Aujourd'huy  nous  fais  un  grand  bien. 
Louenge  et  gloire  je  te  donne, 
Qui  tes  Esluz  point  n'abandonne, 
Mais  après  travail  et  tourment  ; 
{Lequel  avecques  eux  tu  portes) 
Leur  viens  de  grâce  ouvrir  les  portes, 
En  leur  donnant  contentement. 

M' amye,  allons;  car  Dieu  nous  aduertit 
De  desloger,  c'est  luy  qui  conuertit 
Ce  long  exil  en  retour  tresheureux. 


DU   DESERT.  243 

Marie. 

Soit  près  ou  [oing  tousjours  en  luy  suis  seure, 
Il  est  par  tout  ma  terre  et  ma  demeure  : 
Qui  croit  en  luy,  n'ha  point  le  cœur  peureux. 

Joseph. 

Or  commençons  à  ce  joyeux  matin 
Nostre  retour,  et  tresheureux  chemin; 
Du  demourant,  fors  de  l'Enfant,  me  charge. 

Marie. 

C'est  le  thresor  que  je  ne  puys  laisser, 
En  l'embrassant,  je  me  sens  embrasser, 
Et  soustenir  de  luy  qui  est  ma  charge. 

Joseph. 

Dans  le  pais  d'Israël  nous  marchons, 
Je  voy  un  homme,  il  fault  que  nous  cerchons 
Quelle  nouvelle  on  peult  de  luy  entendre. 

Marie. 

En  Dieu  sçavons  toutes  bonnes  nouvelles  ; 
Mais  en  ce  Monde,  amy  ne  sont  pas  telles, 
Pourquoy  povez  de  luy  quelqu'une  apprendre. 


244  DU    DESERT. 

Joseph. 

Dieu  qui  a  fait  ce  Monde  grand  et  beau 
Vous  gard,  amy  :  que  dit  on  de  nouveau  ? 
Quel  bruit  court  il,  qui  règne  en  ceste  part  ? 

L'Homme. 

Archelaus,  lefi.lt  de  ce  vipère. 
Règne  sur  nous  en  lieu  de  son  feu  père  ; 
Mais  cestuy  cy  sera  un  fin  renard. 

Joseph. 

M'amye,  il  fault  icy  nous  arrester, 
Et  nostre  cas  en  ce  lieu  apprester 
Pour  y  dormir,  car  le  jour  quasi  passe. 

Marie. 

En  demeurant  ou  allant  reposons, 
Mais  il  est  bon  que  nostre  Enfant  posons, 
Lequel  jamais  de  porter  ne  suis  lasse. 

Joseph. 

Crainte  me  prend  de  vous  avoir  guidée, 
En  ce  pais,  puis  que  Herode  en  Judée 


DU    DESERT.  24$ 

Au  lieu  du  père  est  maintenant  régnant. 
Las!  mon  cœur  est  aussi  froid  comme  marbre, 
Car  c'est  le  fruit  du  plus  dangereux  arbre 
Qui  oncaues  feut  la  couronne  tenant. 

Marie. 

Fussent  les  Roys  à  mille  millions, 
Celuy  qui  clost  la  bouche  aux  fiers  Lions 
Leur  ostera  en  un  moment  leur  force; 
Mais  s'il  luy  plaist  que  pour  luy  nous  souffrons, 
Cœur  et  racine  à  ce  grand  Dieu  offrons, 
Sans  espargner  fleur,  fruit,  branche  ou  escorce. 
Mais  au  danger  ne  se  fault  exposer, 
Pourquoy  vault  mieux  en  ces  lieux  reposer, 
Car  Dieu  pour  nous  sçaura  tresbien  veiller. 

Joseph. 

En  ta  parole  et  seureté  m'endors, 
Par  qui  mes  sens  revenus  sont  sy  forts 
Que  je  n'ay  plus  de  peur  à  sommeiller. 

L'Ange. 

Ioseph,  qui  en  ce  lieu  prens  somme, 
D'entendre  à  mon  parler  te  somme; 
Metz  hors  de  toy  et  crainte  et  peur, 
Divinement  je  t'admonneste, 


246  DU    DESERT. 

De  retirer  la  Dame  honneste, 
Et  son  Enfant  le  vray  Sauveur, 
Es  parties  que  Dieu  ordonne 
De  Galilée,  ou  il  leur  donne 
Lieu  de  demeurer  pour  un  temps, 
En  Nazareth  povre  cité, 
Là  où  n'auront  nécessité 
Qui  les  garde  d'estre  contents; 
A  fin  que  le  dict  du  Prophète 
Soit  accomply,  qu'est  manifeste, 
Disant  de  ce  Filz  tant  de  bien, 
Et  qu'un  jour  appelle  seroit 
(Pource  que  tous  Saintz  passeroit) 
Vray  et  parfait  Nazarien. 

Joseph. 

0  Dame  eslue  pour  mère  et  pour  amye, 
Il  n'est  plus  temps  que  soyez  endormie, 
Car  le  hault  Dieu  m'a  envoyé  son  Ange 
En  mon  dormant,  dont  je  luy  rends  louenge, 
A  fin  que  peur  et  crainte  n'eussions  mye. 

En  Nazareth  veult  que  nous  demeurons 
Pour  quelque  temps,  et  autant  y  serons 
Qu'il  luy  plaira;  car,  m' amye,  en  effect 
Son  bon  vouloir  est  et  doit  estre  fait. 
En  le  servant  nostre  temps  passerons. 


DU   DESERT.  247 


Marie. 


0  Nazareth!  ô  cité  fleurissante , 
Que  tu  reçois  une  grâce  excellente, 
Donnant  le  Nom  à  la  fleur  fleurissant, 
Et  que  de  toy  la  fleur  on  voye  yssant, 
Sans  séparer  sa  racine  puissante! 

0  Filz  de  Dieu  séparé  et  saint  homme, 
Celuy  qui  vray  Nazarien  te  nomme 
N'a  point  menty,  car  tu  es  séparé 
De  tous  péchés,  et  de  vertus  paré, 
Dont  es  sy  plein  que  nul  n'en  sçait  la  somme. 
Louenge  en  soit  au  Seigneur  redoublée, 
Qui  ha  mercy  de  la  terre  troublée; 
Louenge  à  toy  qui  au  Père  obéis, 
Louez  soyez  par  qui  en  tous  pais 
Je  suis  d'amour  et  de  grâce  comblée. 

Dieu. 

J'ay  appelle  d'Egypte  et  dehors  mis 
Mon  cher  Enfant,  comme  j'avois  promis  ; 
En  Nazareth  pour  quelque  temps  sera. 
Dens  le  Désert  secours  luy  ay  transmis, 
Et  mis  à  mort  ses  plus  grans  ennemis, 
Dont  ma  bonté  chacun  confessera  : 


248  DU    DESERT. 

Car  jusqu'au  temps  qu'à  moy  il  passera 
Par  une  mort,  de  mort  victorieuse, 
Le  garderay,  car  il  exaucera 
Par  tout  mon  Nom  de  sa  voix  vertueuse; 
Monstrant  que  n'ay  le  Monde  délaissé, 
J'ay  fait  saillir  la  verge  de  Jessé, 
Haulte  en  vertu  sans  avoir  son  semblable, 
Puis  je  me  suis  par  amour  abaissé, 
Ainsi  que  doit  un  amoureux  pressé. 
De  ceste  verge  à  tous  tant  agréable 
Ay  fait  saillir  par  façon  admirable 
La  fleur  sur  qui  repose  sans  partir 
Mon  saint  Esprit,  c'est  la  fleur  amiable, 
Et  qui  la  sent  peult  ma  douceur  sentir. 

Nazarien  fleurissant  et  la  fleur 
Est  mon  Enfant,  duquel  la  douce  odeur 
A  rappaisé  contre  l'homme  mon  ire. 
Qui  le  peult  croire  et  goutter  sa  senteur, 
Il  changera  crainte,  tristesse  et  peur 
En  tout  plaisir,  remply  d'immortel  rire. 
Ceste  senteur  fait  porter  tout  martyre, 
Car  qui  la  sent  n'est  jamais  périssant; 
Le  cœur  dévot  qui  l'ayme  et  la  désire, 
Fust  il  désert,  il  sera  florissant. 

0  doux  Esprits,  si  jamais  me  compleustes 
Et  désirants  de  m' obéir  vous  feustes, 
Soyez  joyeux;  prenez  vos  instruments, 


DU   DESERT.  249 

Harpes  et  Lucz,  Orgues,  Cymbales,  Fluttes, 
Et  racomptez  comme  charge  vous  eustes 
De  rendre  dou::  tous  les  quatre  Eléments  ; 
Tigres,  Lions,  Serpens  doux  et  cléments, 
Et  le  Désert  fastes  fructifier, 
Sans  que  mon  Filz  eust  faulte  d'aliments. 
Chantez  qu'il  fait  bon  en  moy  se  fier. 


Le  Premier  Ange. 

//  seroit  bien  serviteur  trop  meschant 
Qui  maintenant  espargneroit  son  chant 
Pour  hault  louer  tes  bontés  et  tes  dons. 

Le  II.  Ange. 

Nully  de  nous  n'a  garde  de  se  feindre  ; 
Combien,  Seigneur,  que  ne  povons  atteindre 
D'assez  louer  toy  Dieu,  le  bon  des  bons. 

Le  III.  Ange. 

Ta  grand'  vertu  en  nous  hault  te  louera, 
Et  ta  bonté  la  louenge  advouera, 
Puis  que  tu  es  dedens  nous  ta  louenge. 

II  3a 


2J0 


DU   DESERT. 


Le  1 1 II .  Ange. 

Puis  qu'il  te  plaist  de  te  louer  par  nous, 
Nous  chanterons  en  tous  lieux  devant  tous 
Ta  gloire  et  lot,  chacun  de  nous  s'y  renge. 

Le  V.  Ange. 

Ciel,  Terre  et  Mer  sont  tous  pleins  deta  gloire, 
Mais  il  en  fault  refreschir  la  mémoire 
Incessamment,  par  voix  continuelle. 

Le  VI.  Ange. 

De  tous  les  biens  qu'à  l'Ange  aussi  à  l'homme 
As  fait,  Seigneur,  dont  nul  ne  sçait  la  somme, 
Louenge  à  toy  en  soit  continuelle. 


Sur 
le  chant  : 
Pourtant 
que  Je  suis 

bon 
homme. 


Tous  ensemble. 

Chantons  tous  la  congnoissance 
Qu'avons  de  l'affection 
De  Dieu,  qui  en  abondance 
Monstre  sa  dilection. 

Son  Filz  il  donne  à  la  terre 
Pour  faire  la  terre  Dieu  : 


DU    DESERT. 

Par  sa  Mort  fine  la  guerre, 
Et  donne  paix  en  tout  lieu 

A  ceux  qui  ont  assurance 
Que  par  son  Election 
Auront  de  luy  jouissance 
Sur  le  hault  mont  de  Zion. 


2S' 


NOTES 


T.  I,  Introduction,  pages  xxvj,  liv,  xciij,  xcviij.  —  Aux  in- 
dications données  là  sur  divers  emblèmes  ou  devises  dans  le 
goût  de  l'époque,  il  n'est  pas  inutile  de  joindre  celle-ci,  au  sujet 
de  la  reine  Éléonore  ou  Aliénor  d'Autriche,  sœur  de  Charles- 
Quint  et  femme  de  François  1er.  C'est  un  passage  de  L'entrée  de 
la  Roynefaicte  en  l'antique  et  noble  cité  de  Lyon,  l'an  mil  cinq 
cens  trente  et  troys,  le  xxij  de  may.  —  Jehan  Crespin.  (Titre 
gothique  et  vignettes).  Il  y  est  question  d'une  inscription  por- 
tant : 

La  Royne  Alienor. 

Car  A .  lie  en  or  es  auec  France, 

Aussi  ton  nom  se  dict  Alienor. 

Suit  l'indication  des  emblèmes  du  roi  et  de  la  reine  :  pour  Fran- 
çois 1er,  la  fameuse  salamandre;  pour  la  reine,  Y  autruche  sym- 
bolisant V  Autriche. 

o  Et  premièrement  estoient  en  divers  lieux  une  Salamandre, 
d'ung  costé  de  la  rue,  et  de  Paultre  une  Aultruche.  » 

On  peut  voir,  t.  IV  de  notre  édition  des  Marguerites,  p.  16$ 
(texte,  et  p.  289  (notes),  l'emploi  du  mot  autruche  dans  un  sens 
allégorique  dont  l'emblème  historique  ci-dessus  décrit  donne  la 
clef. 

Ibid.,  p.  xcvj.  —  Le  Robert  Hayus  ou  de  La  Haye,  auteur 
du  quatrain  extrait  du  Tombeau  de  la  reine  de  Navarre,  est 
sans  doute  le  même  que  Joachim  du  Bellay,  dans  une  des  pièces 


2J4  NOTES. 

de  vers  jointes  à  sa  Monomachie  de  David  et  de  Goliath,  appelle 
du  nom  d'amy,  et  qu'il  vante  pour  son  Sybilet, 

Dont  le  docte  artifice 
Nous  rechante  si  bien 
Du  Roy  Mycénien 
Le  triste  sacrifice. 

Cette  pièce  est  adressée  «  Au  Seigneur  Rob.  De  la  haye, 
pour  estrene  ».  Une  autre  porte  ce  titre  :  «  Estrene  à  D.  M.  De 
la  haye.  »  Une  pièce  du  même  recueil,  intitulée  :  Les  Deux 
Marguerites,  exalte  justement  avec  Marguerite  de  France  sa 
tante  Marguerite  d'Angouléme,  louée  par  le  Rob.  de  La  Haye 
cité  dans  notre  Introduction. 

T.  II,  p.  3.  Rimes  à  noter  :  chose,  espouse,  s'expouse.  Sur  la 
prononciation  de  chose  comme  chouse,  v.  t.  IV,  p.  294,  Re- 
marques diverses. 

P.  i3.  «  Par  un  seul  commander  ».  Voir  la  note  du  t.  IV, 
p.  295,  sur  d'autres  infinitifs  pris  substantivement. 

P.  23,  etc.  BERGERIE. 

NOMS     DES     PERSONNAGES  : 

Sophron,  équivalent  grec  de  Prudens; 
Elpison,  équivalent  de  Sperans; 
Nephalle,  équivalent  de  Vigil; 
Philetine,  équivalent  de  Amatrix; 
Christilla,  même  racine  que  Christ,  Oint,  Unctus. 
Dorothée,  nom  également  formé  du  grec ,  comme  Théodore, 
inversement  :  Donum  Dei. 

Les  noms  de  tous  ces  bergers  ont  été  choisis  pour  l'idée  qu'ils 
expriment. 

P.  33.  Fourmage.  On  disait  fourmage  et  formage  pour 
fromage. 

Ibid.  «  Je  lui  donray  ».  Donray  pour  donneray,  comme  lairray 
pour  laisseray.  Formes  syncopées,  d'un  usage  alors  général. 

P.  34.  Rimes:  tardons,  bourdon.  Il  n'est  pas  tenu  compte 


NOTES.  255 

ici  de  la  différence  de  \'s.  —  P.  35,  au  contraire,  on  supprime 
l's  pour  la  rime  : 

Et  nous  en  luy  tousjours  seron, 
Car  nous  avons  Christ  en  pur  don. 

V.  t.  IV,  Notes,  p.  295, 1.  9-10. 

P.  35.  «  Ce  petit  Image  ».  Image  est  ici  masculin,  comme 
dans  le  Cymbalum  Mundi  de  Bonaventure  des  Periers,  Dial.  I, 
dans  le  monologue  de  Mercure,  vers  la  fin. 

Ibid.  Rimes  :  Sçay  je  et  héritage. 

P.  40  : 

....  lien 
De  Dieu  en  nous.  Nous  qui  dessoubz  ce  Rien 
Viens  habiter  avec  tes  créatures. 

La  répétition  si  peu  conecte,  si  bizarre  de  Nous,  qui  brise  la 
phrase,  semble  provenir  d'une  sorte  d'élan  soudain  rompant  la 
construction  régulière  pour  apostropher  Dieu  et  renforcer  l'éner- 
gie de  l'affirmation  par  cette  répétition  exclamative.  Je  traduirais 
ainsi  ce  passage  :  «...  lien  de  Dieu  en  nous,  —  oui,  en  nous, 
à  mon  Dieu,  puisque  tu  viens,  sous  ce  Rien,  habiter  avec 
(nous)  tes  créatures  !  » 

P.  45.  Rimes  :  Jacob,  beaucop. 

P.  5  5 ,  vers  3  :  orig.  : 

Foy  n'a  en  vous... 
Correction  imposée  par  le  sens  :  «  Foy  n'ay...  » 

P.  67.  «  Par  un  long  travailler  ».  V.  t.  IV,  Notes,  p.  29$, 
sur  les  infinitifs  pris  substantivement. 

P.  90.  Le  premier  vers  de  la  réplique  de  Balthazar  est,  par 
exception,  d'une  autre  mesure  que  les  suivants  et  les  précédents. 

Ibid.  «  Je  vous  pry  »  ,  pour  «  je  vous  prye  ».  Sur  l'absence 
des  signes  typographiques  dans  d'autres  cas  analogues,  voir 
t.  I,  Notes,  p.  î  $7,  et  t.  IV,  Notes,  p.  296. 

P.  96.  a  La  Serpent  tortue  ».  Cet  emploi  du  mot  serpent  au 
féminin  paraît  tout  exceptionnel.  P.  125,  on  lit  :  «  La  teste 
du  serpent.  » 


2j6  NOTES. 

P.  97.  Rimes  :  Sceptre,  mettre.  —  P.  121  :  Sceptre,  maistre- 

P.  105. 

Que  cerchez  vous,  ne  qui  vous  meine 
Par  mont  et  plaine  ? 

Ce  ne  interrogatif  est  de  la  vieille  langue  française.  —  Voir 
Villon,  Ballade  des  dames  du  temps  jadis  : 

Dictes  moy  où  n'en  quel  pays 
Est  Flora,  la  belle  Romaine; 
Archipiada,  ne  Thaïs, 
Qui  fut  sa  cousine  germaine  ? 

P.  107.  «  Un  autre  roy  que  moy?  Mais  six!  » 
C'est-à-dire  :  pourquoi  pas  six  ?  dans  un  sens  ironique. 

P.  109.  Rimes  :  charge,  submerge. 

P.  112.  Notez  la  rime  des  deux  mots  en  erde  avec  aharde. 

P.  1 1 7,  v.  14.  Orig.  :  Cea.  —  Édition  de  1 5  J4  :  Car. 

P.  124.  «  Tu  seras  decrachê  »,  c'est-à-dire  couvert  de  cra- 
chats. Le  peuple  dit  encore,  au  sens  actif  :  cracher  quelqu'un. 

P.  128.  «  J'ay  creu,  j'ay  veu...  » 
Comparez  le  vers  du  Polyeucte  de  Corneille  : 

Je  vois,  je  sais,  je  crois,  je  suis  désabusée. 

P.  132.  Certainetè.  Certitude. 

P.  150.  Ouvrouer.  Ouvroir,  lieu  où  s'opère  l'œuvre,  le  tra- 
vail. 

P.  178.  Rimes  :  eslieve  (élève),  griefve. 

P.  180  Misericors,  pur  latin,  pour  miséricordieux. 

Ibid.  «  Au  lieu  de  réfrigère».  Du  latin  refrigerium,  rafraîchis- 
sement. 

P.  201.  «  Qui  t'ame  ».  De  amer,  aimer. 

P.  203.  La  rime  «  plus  prest  »  entraîne  l'orthographe  :  «  ce 
qui  parest  »  au  vers  correspondant. 


NOTES.  257 

P.   206. 

...  à  chacun  animal. 
Qu'en  terre  et  ciel  peut  voler  et  courir. 

Qu'en  pour  qui  en. 
Ibid.  «  La  mensonge  »  pour  le  mensonge. 
P.  207.  «  Beste  irraisonnable  »  dénuée  de  raison. 
Ibid.  —  Acqueste,  de  acquester  (acquérir),  comme  conquesttr. 

P.  2io.  «  La  formis  » 

La  Fontaine  :  «  Une  fourmis  y  tombe.  »  (Fable  xu,  liv.  II.) 
C'est  non  pas  une  licence,  mais  la  vieille  forme  du  mot,  au  no- 
minatif ou  cas  sujet,  dans  le  français  du  Moyen  âge. 

P.  211. 

C'est  le  Coulom  portant  la  branche  verte. 
C'est-à-dire  la  colombe,  le  ramier. 

.    P.  224. 

Plus  esmoyer  ne  me  peut  nul  esmoy. 

Esmoyer,  Émouvoir. 

P.  226.  Assy,  assis,  pour  rimer  avec  soucy. 

P.  227.  Gésir,  de  jacere,  être  couché,  étendu  par  terre.  — 
D'où  gesine,  état  de  la  femme  en  couche 

P.  238.  Mute,  muette.  — Rabelais  cite  (liv.  III,  chap.  xxxiv 
la  Morale  comédie  de  celluy  qui  auoit  espousé  une  femme  mute, 
jouée  à  Montpellier  par  lui  et  ses  compagnons,  Ant.  Saporta, 
Guy  Bouguier,  etc. 

P.  259.  Senestre.  Qui  est  à  gauche,  du  latin  sinistra. 

P.  246    «  En  mon  dormant  ».  En  mon  sommeil. 


Ç&$22 


33 


TABLE    DES    MATIERES 

CONTENUES    DANS    LE    DEUXIÈME    VOLUME. 

Comédie  de  la  Nativité  de  Jesus-Christ i 

Comédie  de  l'Adoration  des  trois  roys  à  Jésus  Christ.  .  66 

Comédie  des  Innocents 135 

Comédie  du  Désert. 

Notes : 


Imprimé  par  D.  JOUAUST 


P  OU  R     LA 


LIBRAIRIE    DES   BIBLIOPHILES 

M   DCCC   LXXII1 


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PQ  Marguerite  d ' Angoulême 

1631  Les  marguerites  de  la 

A5  Marguerite  des  princesses 

■      1873 
t. 2 


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