Skip to main content

Full text of "Les médailles d'argilé; poèmes"

See other formats


HENRI  DE   RÉGNIER 


Les 


Médailles  d'Arsile 


—    POÈMES   — 


SIXIEME   EDITION 


PARIS 
SOCIÉTÉ  DV  MERGVRE   DE  FRANGE 

XXVI,  RVE  DE  CONDÉ,  XXVI 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  British  Columbia  Library 


http://www.archive.org/details/lesmdaillesdaOOrg 


DU  MEME  AUTEUR  : 
Poésie 

PREMIERS  POÈMES I  VOl . 

POÈMES 1  vol . 

LES    JEUX   RUSTIQUES    ET    DIVINS I  VOl. 

LES    MÉDAILLES    d'aRGILE I  VOl . 

LA    CITÉ    DES   EAUX I  VOl . 

LA    SANDALE  AILEE 1  VOl  . 

Roman 

LA    CANNE  DE    JASPE I  Vol . 

LA   DOUBLE    MAITRESSE.  . I  VOl . 

LE    TRÈFLE    BLANC I  VOl . 

LES    AMANTS    SINGULIERS .  . I  VOl . 

LE   BON  PLAISIR , 1  VOl . 

LE    MARIAGE    DE  MINUIT I  VOl . 

LES    VACANCES    d'uN    JEUNE    HOMME  SAGE .  I  VOl . 

LES    RENCONTRES    DE    M.     DE     BRÉOT I  VOl  , 

LE  PASSÉ  VIVANT I  Vol  , 

LA    PEUR    DE    l'amour. I    Vol, 

Littérature 

FIGURES  ET   CARACTÈRES. I  VOl. 

SUJETS  ET  PAYSAGES I  VOl, 

ESQUISSES  VÉNITIENNES  (Illustralions  de  Maxime  Dethomas). 


LES  MÉDAILLES  D'ARGILE 


lU    A    ETE    TIRE    DE    CET    OUVRAGE   : 

Cinq  exemplaires  sur  japon  impérial,  numérotés  de  i  à  5, 

deux  exemplaires  sur  chine,  numérotés  de  6  a  y, 

et  vingt-neuf  exemplaires  sur  hollande,  numérotés  de  8  à  36. 

JUSTIFICATION    DU    TIRAGE    : 


Droits  de  traduction  cl  de  reproduction  réservés  pour  tous  pays,  y  compris 
la  Suède,  la  Norwège  et  le  Danemark. 


HENRI  DE  RÉGNIER 


Les 

Médailles  d'Argile 


-    POÈMES   — 


SIXIEME   EDITION 


PARIS 
SOCIÉTÉ    DV  MERCVRE   DE    FRANCE 

XXVI,      RVE    DE      CONDÉ,     XXVI 
MCMVII 


A 


1?^ 


A   LA    MEMOIRE 

D'ANDRÉ   GHÉNIER 


LES  MÉDAILLES  D'ARGILE 


J'ai  feint  que  des  Dieux  m'aient  parlé; 

Celui-là  ruisselant  d'algues  et  d'eau, 

Cet  autre  lourd  de  grappes  et  de  blé, 

Cet  autre  ailé, 

Farouche  et  beau 

En  sa  staturo  de  chair  nue, 

Et  celui-ci  toujours  voilé, 

Cet  autre  encor 

Qui  cueille,  en  chantant,  la  ciguë 

Et  la  pensée 

Et  qui  noue  à  son  thjrse  d'or 

Les  deux  serpents  en  caducée. 

D'autres  encor... 

Alors  j'ai  dit  :  Voici  des  flûtes  et  des  corbeilles, 
Mordez  aux  fruits; 
Ecoutez  chauler  les  abeilles 
Et  l'humble  bru-it 


f  A  LES    Mr.I  AILLES    n'AHOILK 

De  l'osier  vert  qu'on  tresse  et  des  roseaux  qu'on  coupe. 

J'ai  dit  encor  :  Écoute, 

Écoute, 

Il  y  a  quelqu'un  derrière  l'écho, 

Debout  parmi  la  vie  universelle, 

Et  qui  porte  l'arc  double  et  le  double  flambeau, 

Et  qui  est  nous 

Divinement... 

Face  invisible!  je  t'ai  gravée  en  médailles 

D'argent  doux  comme  l'aube  pâle, 

D'or  ardent  comme  le  soleil, 

D'airain  sombre  comme  la  nuit; 

Il  y  en  a  de  tout  métal. 

Qui  tintent  clair  comme  la  joie, 

Qui  sonnent  lourd  comme  la  gloire, 

Comme  l'amour,  comme  la  mort; 

Et  j'ai  fait  les  plus  belles  de  belle  argile 

Sèche  et  fragile. 

Une  à  une,  vous  les  comptiez  en  souriant, 
Et  vous  disiez  :  Il  est  habile  ; 
Et  vous  passiez  -en  souriant. 

Aucun  de  vous  n'a  donc  vu 

Que  mes  mains  tremblaient  de  tendresse, 


LES    MÉDAILLES  d'aRGILK  i5 


Que  tout  le  grand  song-e  terrestre 

Vivait  en  moi  pour  vivre  en  eux 

Que  je  gravais  aux  métaux  pieux, 

Mes  Dieux, 

Et  qu'ils  étaient  le  visage  vivant 

De  ce  que  nous  avons  senti  des  roses, 

De  l'eau,  du  vent, 

De  la  forêt  et  de  la  mer, 

De  toutes  choses 

En  notre  chair, 

Et  qu'ils  sont  nous  divinement. 


MÉDAILLES  VOTIVES 


DEDICACE 


Tu  poursuis,  en  chantant,  dans  la  glaise  et  l'argile. 
Pour  lui  rendre  à  jamais  la  forme  où  tu  le  vois 
Oui  rôde  en  ta  pensée  et  s'esquive  à  ta  voix, 
Un  fantôme  furtif  qui  fuit  ton  pouce  agile. 

La  figure  s'ébauche  indécise  et  fragile 

Dans  la  terre  féconde  où  la  cherchent  tes  doigts, 

Car  encore  secret  et  visible  parfois 

Le  sourire  est  déjà  dans  la  matière  vile. 

Parfois  une  déesse  éclôt  de  tes  mains  fraîches.. . 
Puis  tu  fouilles  le  sol  du  tranchant  de  ta  bêche 
Jusqu'à  ce  que  l'airain  ait  rencontré  l'airain, 

Et  la  glèbe,  souvent,  que  ton  labeur  entaille 

Te  livre,  intact  au  bronze  ou  fruste  en  la  médaille, 

Quelque  dieu  toujours  jeune  et  longtemps  souterrain. 


LES    MEDAILLES    U  AUGILE 


LE  FEU 


Rentre.  Je  ne  vois  plus  ton  visage.  Rentrons. 
Il  est  trop  tard  déjà  pour  s'asseoir  au  perron 
Où  la  mousse  est  humide  et  la  pierre  mouillée. 
La  serrure  tend  à  nos  mains  sa  clef  rouillée; 
La  porte  s'ouvrira  toute  grande  pour  nous 
Avec  un  bruit  d'accueil  que  le  soir  fait  plus  doux  ; 
Plus  tard  le  g"ond  rétif  et  le  loquet  rebelle 
Grinceraient,  car  toute  demeure  garde  en  elle, 
Taciturne,  invisible  et  qui  vit  en  secret, 
Une  âme  que  l'on  blesse  ou  que  l'on  satisfait. 
Obéis  à  son  ordre  et  cède.  Sois  pieuse 
A  cette  âme  éloquente,  humble  et  mystérieuse 
Qui  t'appelle.  Sais-tu  si  quelque  esprit  divin 
N'habite  pas  la  pierre  où  se  tourmente  en  vain 
Son  ang-oisse?  Es-tu  sûr  encore  qu'il  ne  vive 
Plus  rien  de  l'arbre  dans  la  poutre  et  la  solive 
Qui  craquent  sourdement  et  semblent  s'étirer  ? 


LES    MEDAILLCS  U  ARGILE 


Quelqu'un  t'attend  dans  l'ombre  et  te  regarde  entrer. 

Va  vers  lui.  L'âtre  clair  ébauche  dans  son  riie 

Équivoque  le  masque  à  demi  d'un  Satyre 

Qui  se  crispe,  s'etTace  et  soudain  reparaît. 

Ce  tison  rouge,  c'est  sa  bouche  qui  rirait  ; 

Cette  flamme  lui  mit  aux  tempes  deux  oreilles  ; 

La  bûche  chante  avec  un  bruit  rauque  d'abeilles 

Et  le  feu  tour  à  tour  gronde  et  murmure  et  tord 

Des  pampres  embrasés  autour  des  cornes  d'or. 

La  figure  sylvestre,  indécise  et  camuse 

Tour  à  tour  se  recule  et  tour  à  tour  s'accuse. 

La  voici  qui  s'éteint,  la  voici  qui  décroît 

Et  qu'il  n'en  reste  plus,  éparse  devant  toi, 

Qu'un  peu  de  cendre  grise  où  rougeoie  une  braise  ; 

Les  abeilles  ont  fui  et  la  ruche  s'apaise. 

Mais  si  tu  veux  revoir  le  masque  qui  t'a  ri 

Et  que  l'essaim  bourdonne  innombrable,  il  suffit, 

Pour  les  faire  sortir  de  la  flamme  nouvelle, 

De  jeter  à  la  cendre  où  couve  l'étincelle, 

Une  à  une,  dans  l'âtre,  en  offrande  au  Sylvain, 

Des  écorccs  de  hêtre^  et  des  pommes  de  pin. 


LES    MEDAILLES   D  ARGILE 


PUELLA 


Plains-moi,  car  je  n'eus  rien  à  donner  à  l'Amour, 
Ni  fleurs  de  mon  Été,  ni  fruits  de  mon  Automne, 
Et  la  terre  où  naquit  mon  destin  sans  couronne 
N'a  pas  porté  pour  moi  la  rose  ou  l'épi  lourd. 

Les  Pileuses  qui  font  nos  heures  et  nos  jours 
N'ont  pas  tissé  non  plus,  pour  que  je  la  lui  donne, 
La  tunique  fertile  où,  naïve  Pomone, 
La  vierge  de  ses  seins  sent  mûrir  le  contour. 

Je  n'ai  pu  même  offrir  à  ta  divinité 

La  colombe  de  ma  chétive  nudité, 

Car  ma  chair  sans  duvet  n'eût  pas  tiédi  ta  main. 

Amour  !  tends-la  au  moins  à  l'obole  fragile 
Et  prends  cette  médaille  où,  profil  enfantin, 
Mon  visage  anxieux  sourit  à  fleur  d'argile. 


LES    MÉDAILLtS   d'aKGII-L:  26 


LA  PENSEE 


Ma  pensée,  au  retour  d'elle-même,  s'incline 
Et,  souriante,  arrache  à  son  récent  essor 
La  rapide  sandale  où  vibre  et  tremble  encor 
L'aile  double  jadis  qui  l'a  faite  divine. 

Elle  a  passé  le  fleuve  et  passé  la  colline, 

Dormi  dans  la  forêt  et  dormi  dans  le  port 

Et  rapporte  en  ses  yeux  des  songes  d'ombre  et  d'or 

Pleins  du  parfum  des  bois  et  de  l'odeur  marine. 

Et,  pesante  qui  marche  ou  lég-ère  qui  vole, 

Elle  effleure  en  passant  l'herbe  que  son  pied  frôle 

Ou  marque  son  pas  lourd  sur  le  sol  du  chemin, 

Car  pour  que  son  talon  pèse  ou  se  pose  à  peine, 
Un  dieu  furtivement  n'a  pas  lié  en  vain 
La  sandale  terrestre  à  l'aile  aérienne. 


24  LES    MÉDAILLES    d'aRGILE 


EFFIGIE  DOUBLE 


Dans  une  terre  grise  et  pareille  à  la  cendre 

De  ton  cher  souvenir  voluptueux  et  tendre 

Qui  s'effrite  incertain  dans  le  vent  du  passé, 

J'ai  fait  revivre  ainsi  ton  visag-e  effacé  ; 

Le  voici.  Tu  reviens  du  fond  de  ma  mémoire 

Où,  dans  l'ombre,  tes  mains  ont  cueilli  la  fleur  noire, 

Rose  funèbre  née  en  un  jardin  obscur. 

Te  voici.  J'ai  revu  ta  face  au  contour  pur 

Et  j'ai  fait  onduler  sur  ton  front  qui  les  bombe 

Tes  deux  bandeaux  comme  deux  ailes  de  colombe, 

Et  pourtant  j'ai  laissé  tes  yeux  à  jamais  clos. 

0  regret  1  La  caresse  en  vain  de  mes  doigts  chauds 

Tenterait  de  rouvrir  leur  douceur  endormie. 

Mais  le  sourire  qui,  sur  les  lèvres  unies 

De  ta  bouche  amoureuse,  erre  amoureusement 

Encore,  suffira,  lorsque  les  doigts  du  temps 


LES    MJÎDAILI.ES  d'aRGILE 


Briseront  de  nouveau  la  médaille  fragile, 
Pour  que  ta  grâce  garde  à  celte  vaine  argile 
D'où  ta  face  charmante  aura  fui  sans  retour 
Une  odeur  de  beauté,  de  jeunesse  et  d'amour 
Qui  fera  des  débris  de  ton  image  aimée 
Une  poussière  d'elle  encore  parfumée. 


Non,  ne  regarde  pas  sa  médaille;  il  y  ment 
Un  visage  amoureux,  délicat  et  charmant 
Qui, de  ses  yeux  baissés  et  de  sa  belle  bouche, 
Te  sourit,  anxieux  ou  doucement  farouche, 
Et  triste  comme  si,  peut-être,  au  fond  des  bois 
Errante,  au  crépuscule,  une  rose  en  ses  doigts, 
Elle  écoutait,  debout,  parmi  l'ombre  incertaine, 
Pleurer  l'eau  qui  suffoque  aux  gorges  des  fontaines 
Ou  suivait,  dans  le  vent  qui  la  froisse  aux  cailloux, 
Le  bruit  mystérieux,  âpre,  morose  et  doux 
D'une  feuille  en  son  or  frissonnante  et  séchée. 
On  dirait  qu'elle  écoute  au  fond  de  sa  pensée, 
Car  l'Automne  déjà  semble  lui  parler  bas 
A  l'oreille.  Ami!  non  ne  la  regarde  pas, 
Ne  la  regarde  pas  ainsi,  ce  n'est  pas  elle, 

3 


26  LES    MÉDAILLES    d'aRGILE 

Et  ce  n'est  pas  ainsi,  hélas  f  qu'elle  fut  belle. 
Si  tu  voulais  tourner  le  revers,  tu  verrais 
Sa  véridique  image  et  son  visag-e  vrai  : 
Admire,  dans  ses  yeux  j'ai  mis  toute  sa  haine  ; 
La  vois-tu  maintenant,  rude,  vile  et  hautaine 
Et  belle  de  l'orgueil  de  sa  dure  beauté, 
Telle  qu'à  mon  amour  jadis  elle  a  été, 
Perfide,  impitoyable  et  fourbement  amère  ? 
Mais,  pour  exorciser  sa  ruse  et  sa  colère 
Dont  mon  âme  se  trouble  et  se  méfie  encor. 
D'elle,  j'ai  figuré  cette  tête  sans  corps 
Afin  que  pour  jamais  sa  cruelle  effigie 
Goutte  à  goutte  saignât  dans  l'argile  rougie. 


LES    MEDAILLES    D  AUG  I  LE  27 


ETE 


La  source  fraîche  abonde  aux  pieds  nus  de  l'Eté 
Qui  mire  à  ce  miroir  sa  face  qui  s'y  penche 
Entre  les  fleurs  de  l'herbe  et  les  fruits  de  la  branche, 
Couronne  de  jeunesse  et  de  limpidité. 

Je  rêvais  de  chair  moîte  où  mord  la  volupté, 
Pomme,  contour  de  sein  ;  poire,  galbe  de  hanche, 
Et  je  cherchais  mon  rêve  au  bruit  où  l'eau  s'épanche, 
Et  l'arg-ile  cédait  à  mon  pouce  humecté, 

Quand  tu  vins,  curieuse,  inquiète  et  farouche, 
Nue  et  mordant  un  fruit  qui  jutait  à  ta  bouche, 
Sourire  à  mou  travail  et  devant  moi  t'asseoir. 

Et  comme  la  médaille  était  grande  tout  juste, 
Faunesse,  j'ai  sculpté  ton  visag^e  sans  voir 
A  ton  double  sabot  bifurquer  l'ong-le  fruste. 


a8  LES  MtO.ML.'.ES    D'AnGILS 


L'EAU 


Pas  de  nom  fabuleux  et  doux  qui  le  désigne; 
Nulle  Léda  de  bronze  aux  caresses  du  cyj^ne 
N'offre  sa  chair  divine  à  qui  s'unit  un  dieu; 
Nul  Dauphin  ne  se  joue  et  prélude  au  milieu 
De  son  onde  à  jamais  intacte  et  solitaire 
Qui,  ég-ale  toujours  au  marbre  qui  l'enserre, 
S'arrondit  et  miroite  en  un  cercle  fermé. 
Mes  soirs  silencieux  ont  longuement  aimé 
Ce  bassin  singulier,  sans  vasque,  ni  fontaine, 
Où  pas  môme  ne  semble  une  face  incertaine 
Apparaître,  indécise  et  mystérieuse,  au 
Liquide  et  noir  airain  de  sa  médaille  d'eau. 


LES    MED.Vn.LES   D  ARGILE  2'] 


LA  PRISONNIÈRE 


Tu  m'as  fui  ;  mais  j'ai  vu  tes  yeux  quand  tu  m'as  fui  ; 
Je  sais  ce  qu'à  la  maiu  pèse  ta  g'org-c  dure 
Et  le  g'oût,  la  couleur,  !a  ligne  et  la  courbure 
De  ton  corps  disparu  que  mon  désir  poursuit. 

Tu  mets  entre  nous  deux  la  forôt  et  la  nuit  ; 
Mais,  malgré  toi,  fidèle  à  ta  beauté  parjure, 
J'ai  médité  ta  forme  éparse  en  l'ombre  obscuro 
Et  je  te  referai  la  même.  L'aube  luit  ; 

J'y  dresserai  le  bloc  debout  de  ta  statue 
Pour  en  remplir  l'espace  exact  où  tu  fus  nue. 
Captive  en  la  matière  inerte,  désormais, 

Tu  t'y  tordras  muette  et  encor  furieuse 
D'éti^e  prise, vivante  et  morte  pour  jamais, 
Dans  la  pierre  marbrée  ou  la  terre  argileuse. 


3o 


LES   MEDAILLES    D  ARGILE 


LA  DANSE 

Tu  danses.  Ce  beau  soir  est  triste  autour  de  toi. 
Les  cyprès  et  les  pins,  seuls,  sont  verts  dans  le  bois 
Qui  mêle  aux  bouleaux  l'orme  et  les  hêtres  au  frêne 
Leurs  feuillages  déjà  par  l'automne  deviennent 
Rouges  d'un  peu  de  poijjjre  et  fauves  d'un  peu  d'or. 
Tu  danses.  On  dirait,  à  le  voir,  voir  encor 
L'été  voluptueux  étirer  sa  paresse 
Onduleuse,  quand,  les  yeux  mi-clos,  tu  te  dresses 
Comme  si  tu  voulais  de  tes  deux  bras  levés 
Arrêter  au  passage  un  songe  inachevé 
Vers  lequel^  tour  à  tour,  tu  te  tournes,  cherchant 
Sa  bouche  amère  ou  douce  en  fuite  dans  le  vent. 
Tu  danses  ;  et  toujours,  silencieuse  et  vive. 
Tu  poursuis  à  jamais  ce  qui  toujours  s'esquive. 
C'est  l'automne  déjà  et  les  cyprès  sont  verts; 
Et,  sous  un  pin,  assis,  à  tes  rythmes  divers 
Ma  flûte  obéissante  et  fidèle  longtemps 
Hésite.  Tu  es  lasse  et  ta  danse  m'attend 
Incertaine,  tandis  qu'à  tes  pieds  tourne  encor 
Un  vol  faible  et  léger  de  molles  feuilles  d'or. 


LES    MÉDAILLES   d'aRGILE  3i 


LE  BUVEUR 


Petite  la  maison  et  vaste  le  cellier 
Pour  que  l'outre  ventrue  et  que  l'amphore  obèse 
Côte  à  côte  dans  l'ombre  y  reposent  à  l'aise; 
Maçon,  n'épargne  pas  la  brique  du  potier. 

Qu'un  autre  m'équarrisse  en  ce  beau  chêne  entier 
Dont  les  rameaux  miraient  leur  feuillage  au  Galès^ 
La  poutre,  et  qu'on  l'ajuste  ensuite  cà  la  mortaise; 
N'épargnez  rien,  pas  plus  le  bois  que  le  mortier. 

Toi  qui  sais  imiter  les  fig-urcs  humaines, 
Dans  la  glaise,  fais-moi  pareil  au  vieux  Silène 
Ivre  et  comme  lui  barbouillé  de  lie,  et  prends 

La  terre  la  plus  rouge  et  la  plus  savoureuse 
Pour  qu'on  voie,  au-dessus  de  la  porte,  en  entrant, 
Mon  image  avinée  en  l'argile  vineuse. 


LF.S    MEDAILLES    U  ARGILE 


LA  COURONNE 


Lasses  du  long'  chemin,  et  la  tête  baissée, 
Silencieusement,  dans  l'ombre,  mes  Pensées, 
Une  à  une,  vers  moi  reviennent  de  la  vie 
Où  toutes,  à  l'aurore,  elles  étaient  parties. 
Les  voici,  elles  sont  debout,  au  crépuscule, 
Devant  moi,  et  chacune  en  tressaillant  recule 
Lorsque  je  la  regarde  au  visage,  et  ses  yeux 
Se  détournent  pour  fuir  mon  regard  anxieux 
Qui  retrouve,  debout  et  la  tête  baissée, 
Celles  qui  furent,  familières,  mes  Pensées. 
Ce  sont  elles;  j'entends  encor  leurs  pas  lointains 
Oui  jadis  m'ont  quitté  pour  suivre  le  chemin 
Qui  descend,  à  travers  les  heures,  vers  la  vie... 
Qu'avez-vous  fait?  Ta  coupe  est -elle  enfin  remplie, 
0  Toi  qui  voulais  boire  aux  fontaines  vivantes? 
Mais  non,  sa  main  est  vide  et  sa  lèvre  est  brûlante 


LES    MÉDAILLES  d'aRGILE  33 


Et,  du  geste,  elle  montre  à  ses  pieds  devant  elle, 
Ironique  risée  à  sa  soif  éternelle, 
Des  débris  de  cristal  et  des  morceaux  d'argile; 
Et  Toi,  jadis  si  belle  et  sveltement  agile, 
A  quel  mauvais  festin  as-tu  donc  pris  ta  part 
Que,  la  chair  alourdie  et  les  cheveux  épars. 
Tu  chancelles  d'ivresse  en  ta  robe  vineuse  ? 
Va-t'en  !  Et  Toi,  dis-moi  la  douleur  qui  te  creuse 
La  joue  ainsi  ?  pourquoi  crispes-tu  tes  deux  mains 
Mystérieusement  dans  l'ombre  sur  Ion  sein, 
Pour  cacher  le  serpent  par  qui,  de  veine  en  veine, 
Coule  en  ton  acre  sang  le  venin  de  la  haine? 
Et  Toi  qui  visitas  l'Orgueil,  qu'apportes-tu  ? 
Cette  pourpre  en  lambeaux  et  ce  sceptre  toruu. 
Et  Toi  encor  qui  ris  et,  de  sueur  couverte 
D'être  allée  au  Désir  avec  tes  mains  ou\crtes, 
Reviens  de  son  étreinte  enivrante  et  far  mche 
Lacérée  à  la  face  et  mordue  à  la  bouche? 
Hélas  I  qu'avez-vous  fait  de  moi.ô  mes  Pensées? 
Hélas!  qu'avez-vous  fait  de  vous,ô  mes  Pensées? 
Mais  Toi  qui  partais  chaste, ô  Toi  qui  partais  nue 
Et  seule  de  tes  sœurs  ne  m'es  pas  revenue, 
C'est  vers  Toi,  à  travers  moi-même  que  j'irai. 
Tu  es  restée  au  fond  de  quelque  bois  sacré 
Assise  solitaire  aux  pieds  nus  de  l'Amour 
Et,  taciturne,  vous  échangez,  tour  h  tour. 


34  I-FS    MÉDAILLES   d'aIIGILE 


Toi  le  haussant  vers  lui  et  lui  penché  vers  Toi, 
Une  à  une,  les  fleurs  divines  dont  vos  doig'ts, 
Oui  d'un  geste  alterné  les  prennent  et  les  donnent, 
Tressent  pour  vos  deux  fronts  une  seule  couronne. 


LES    MEDAIl  LÎ.S    DAIUilLE 


LE  MARAUDEUR 


Comme  il  pillait  la  ruche  et  dévastait  la  treille, 
Volait  le  fruit  de  l'arbre  et  l'outre  du  cellier, 
Plus  d'un  aurait,  cruel  au  faune  familier, 
Tendu  le  lac  qui  g'uette  ou  le  piège    qui  eille. 

Mais  moi,  maître  clément  du  vin  et  de  l'abeille, 
Sans  bâton  pour  le  battre  et  pour  le  houspiller. 
Un  soir  qu'il  visitait  le  cep  et  l'espalier, 
J'ai  pris  le  maraudeur  par  le  bout  de  l'oreille. 

Il  était  roux,  velu,  penaud  et  sur  sa  face 

Camuse  se  mêlait  la  peur  à  la  g-rimace; 

Il  soufflait  bruyamment  et  ne  regimbait  pas; 

Kt,  tout  en  le  menant  par  l'enclos,  de  la  sorte. 
Dans  l'ombre,  j'entendais  piétiner  sur  mes  pas 
L'ongle  d'un  sabot  sec  parmi  les  feuilles  mortes 


Les    MEOAiLLtS  L>  AIlGIl.i; 


LA  PILEUSE 


Filcuse  1  L'ombre  est  tiède  et  bleuâtre.  Une  abeille 
Bourdonne  sourdement  dans  le  jour  qui  s'endort. 
Et  ton  rouet  se  mêle  à  cette  rumeur  d'or 
Ailé  qui  peu  à  peu  s'eng-ourdit  et  sommeille. 

Il  est  lard.  C'est  le  soir.  Le  raisin  à  la  treille 
Pend  et  sa  g-rappe  est  mûre  à  l'essaim  qui  la  mord, 
Mais,  pour  la  vendanger  demain,  il  faut  encor, 
Avant  que  vienne  l'aube  et  que  le  coq  s'éveille, 

Que  j'aie  en  cette  argile  obéissante  et  douce 

Arrondi  de  la  paume  et  façonné  du  pouce 

Cette  amphore  qui  s'enfle  entre  mes  mains  obscures, 

Tandis  que  mon  labeur  écoute  autour  de  lui 
Ton  rouet  imiter  de  son  rauque  murmure 
Quelque  g'uépe  invisible  épaisse  dans  la  nuit. 


LES    MÉDAILLKS    d'aPvGILE  Zj 


Puisque  la  terre  est  noire  et  le  fleuve  J'arg'ent 

Et  que  la  rose  mcuit  sous  les  griffes  du  vent 

Qui  l'effeuille  dans  l'ombre  où  saigne,  goutte  à  goutte 

Le  parfum  de  son  âme  et  l'odeur  de  sa  pourpre, 

Pars.  Le  sel  d'une  larme  a  séché  sur  ta  joue. 

Le  clair  fleuve  d'argent  sanglote  bas  et  noue 

Des  îles  d'osier  vert  et  de  jaunes  roseaux  ' 

En  corbeilles  de  fleurs  entre  les  pleurs  des  eaux, 

Car  l'onde  a  fui  toujours  et  n'est  pas  revenue. 

La  rose  merveilleuse  et  la  blanche  statue, 

L'une  s'effrite  en  poudre  et  l'autre  coule  en  sang  ! 

Baise  la  double  bouche  éphémère,  ô  Passant  ! 

La  nuit  doit  être  longue  avant  l'aurore  fraîche; 

Le  vent  amer  est  fait  d'épines  et  de  flèches^ 

Va!  mais  la  route  est  dure  et  le  chemin  est  long. 

La  ronce  griffe;  le  serpent  mord  au  talon, 

Et  puisqu'il  faut  partir,  au  moins,  et  jusqu'au  jour, 

Demande  au  souvenir  et  demande  à  l'amour. 

Pour  que  ton  pas  se  guide  à  ta  main  étoilée, 

La  lampe  inépuisable  et  la  sandale  ailée. 

4 


;  8  LES    MÉDAILLES    d'aHGILE 


CIIRYSILLA 


Lorsque  l'heure  viendra  de  la  coupe  remplie, 
Déesse,  éparg-ne-moi  de  voir  à  mon  chevet 
Le  Temps  tardif  couper,  sans  pleurs  et  sans  regret, 
Le  long  fil  importun  d'une  trop  longue  vie. 

Arme  plutôt  l'Amour  ;  hélas!  il  m'a  haïe 
Toujours  et  je  sais  trop  que  le  cruel  voudrait 
Déjà  que  de  mon  cœur,  à  son  suprême  trait, 
Coulât  mon  sang-  mortel  sur  la  terre  rougie. 

Mais  non!  que  vers  le  soir  en  riant  m'apparaisse, 
Silencieuse,  nue  et  belle,  ma  Jeunesse! 
Qu'elle  tienne  une  rose  et  l'efFeuille  dans  l'eau; 

J'écouterai  l'adieu  pleuré  par  la  fontaine 

Et,  sans  qu'il  soit  besoin  de  flèches  ni  de  faulx, 

Je  fermerai  les  yeux  pour  la  nuit  souterraine. 


LES    MÉDAILLES  d'aRGILE  Si] 


TIMANDRE 


Voici  la  maison  blanche  où  vécut  jusqu'au  soir 
Du  long-  jour  studieux  qui  fut  toute  sa  vie 
Timandre  qui,  jadis,  dans  la  glaise  asservie, 
Modela  cet  hermès  qu'hier  je  t'ai  fait  voir. 

Entre.  Pousse  la  porte  et  tais-loi  ;  l'àtre  est  noir. 

Voici  le  banc  de  hêtre  et  la  dalle  polie 

Où  sa  grave  tristesse  ou  sa  joie  éblouie 

Chaque  matin,  dès  l'aube,  au  travail  vint  s'asseoir. 

C'est  là  que  patient,  pensif  et  solitaire 

Il  fit  vivre  pour  nous  le  song-e  en  la  matière. 

Incline-toi,  des  dieux  l'ont  souvent  visité. 

Tu  chercherais  en  vain  le  tombeau  de  Timandre 
Si  la  Gloire  en  secret  n'eût,  pieuse,  sculpté 
L'urne  d'argile  rouge  où  reposât  sa  cendvc. 


40  LES    MÉDAILLES   d'ARGILE 


LA  MÈRE 


Prends  g'arde,  jeune  mère,  à  l'enfant  que  tu  portes. 
Evite  la  ruelle  et  ne  t'arrôte  pas, 
Avec  lui  qui  sommeille  ou  rit  entre  tes  bras, 
A  l'angle  delà  place  ou  sur  le  seuil  des  portes. 

Suis  le  sentier.  Crois-moi.  Il  vaut  mieux  que  tu  sortes 

De  la  ville  et  marcher  doucement,  pas  à  pas, 

Le  long'  de  cette  haie  où  tu  respireras 

Aux  jardins  qu'elle  clôt  l'odeur  des  roses  fortes. 

Il  est,  plus  loin,  des  lieux  tranquilles,  ce  vieux  temple 
En  ruine  où  le  temps  a  fait  croître  plus  ample 
Le  lierre  rampant  sur  les  dalles  qu'il  rompt... 

Assieds-toi  en  chemin  devant  le  soir  qui  iombe 
Et  montre  à  cet  enfant  dont  les  jours  passeront 
La  borne  de  la  route  et  la  stèle  des  tombes. 


LES    MÉDAILLES    n'AnCILB  ^l 


LA  KONCE 


Tu  n'auras  pas  en  ma  pensée  un  clair  tombeau 

De  marbre  solitaire  et  pur,  au  bord  de  l'eau 

Qui  mirerait  ton  Ombre  en  pleurant  ta  mémoire; 

Je  ne  planterai  pas,  pour  embaumer  la  gloire 

De  ta  beauté  qui  dans  sa  cendre  ici  repose, 

Le  rosier  jamais  las  d'épanouir  ses  roses 

Dont  le  pieux  parfum  attire  vers  la  Mort 

Le  poète  qui  passe  et  les  abeilles  d'or. 

Non!  à  ton  souvenir  méchant  je  dresserai 

Une  stèle  d'argile  sèche  ou  d'âpre  grès 

Sur  qui,  seuls  visiteurs  que  ton  Ombre  apprivoise, 

Rampent  la  fourbe  guêpe  et  la  ronce  sournoise. 


42  LES    MLDAILLES    d'aRGILK 


L'OISIVE 


Ni  tisseuse  de  lin,  ni  fileuse  de  laine... 
La  quenouille,  le  dé,  l'aig-uille  ou  le  fuseau 
Ne  les  sculpte  aux  parois  de  mon  jeune  tombeau, 
Car  ma  vie  en  ses  jours  fut  paresseuse  et  vaine. 

Pour  que  ton  souvenir  me  suive  et  se  souvienne. 
Lui  faut-il  le  rouet,  l'aiguille  et  le  fuseau  ? 
Pense  au  passé  charmant  où  mon  corps  était  beau. 
Ni  fileuse  de  lin,  ni  tisseuse  de  laine  ! 

Non  !  je  n'ai  pas  ourdi  mes  oisives  années, 
Laborieusement,  parmi  leurs  fleurs  fanées  ; 
Le  vent  les  dispersa  dès  l'aurore,  et,  là-bas, 

Regardes-en  flotter,  déjà  presque  invisibles, 
Au  fond  de  ta  mémoire  et  à  tes  yeux  in^iats, 
Les  souples  fils  errants  qu'emporte  l'air  flexible. 


LES    MÉDAILLES  d'aiVGILE  4^ 


]LA  BELLE  ANNÉS 


Tu  récoltes  l'Été  et  tu  cueilles  l'Automne  ! 
Que  le  vin  écarlate  écume  dans  la  tonne, 
Que  le  blé  s'amoncelle  et  déborde  au  boisseau, 
Dans  la  grang-e  poudreuse  ou  dans  le  noir  caveau 
C'est  du  soleil  qui  chante  ou  du  soleil  qui  dort  ! 
La  vendange  est  ta  pourpre  et  la  moisson  Ion  or, 
0  belle  Année,  et  te  voici,  blonde  et  vermeille 
Du  reflet  des  épis  et  du  sang-  de  la  treille. 
Salut  !  et, pour  la  coupe  pleine  et  pour  le  pain, 
Reçois,  faite  de  terre  et  non  de  sombre  airain 
Où  l'effig-ie  obscure  en  sa  nuit  semble  éteinte, 
Cette  médaille  ardente  avec  ta  face  empreinte 
Qui  vivante  y  sourit,  délicate  et  laurée. 
Dans  l'argiJe  sang'uine  où  je  l'ai  fig-urée. 


Lr.S  JlEDAILLtS    D  ARGILE 


L'OUVillCa 


Longtemps,  dans  la  clarté,  j'ai  vu  tes  mains  agiles 
D'un  doig-l  ingénieux  et  d'un  pouce  savant, 
Tresser  le  souple  osier  et  mèdailler  l'argile. 

Le  jonc  flexible,  vert,  anxieux  et  vivant 
Gémissait  de  courber  sa  tige  harmonieuse 
Encor  du  bruit  de  l'eau  sur  qui  passe  le  vent. 

J'ai  vu  naître  à  ton  gré,  toujours  silencieuse, 

L'image  qui  liait  ou  flottait  tour  à  tour 

Dans  la  terre  sanguine  ou  clans  la  glaise  ocrcuse. 

Le  soir,  plus  prompt  déjà,  déjà  chasse  le  jour; 

Ta  corbeille  pesante  est  pleine  de  médailles, 

Et  l'automne  plus  fraîche  a  roidi  tes  doigts  gourds; 


LES    MCDAILLES  d'aRGILB  45 


Le  vieux  rosier  qui  rampe  et  monte  à  la  muraille 
Fait  fleurir  tristement  au  toit  de  ta  maison 
Une  dernière  rose  en  l'or  g"ivré  des  pailles. 

Mets  la  bûche  au  foyer  et  la  flamme  au  tison; 
L'automne  t'avertit  de  l'hiver  ;  l'hirondelle 
A  cherché  le  soleil  derrière  l'horizon  ; 

Mais,  avant  de  rentrer  à  l'âtre  qui  t'appelle, 
Tu  veux  fixer  encor  par  un  dernier  labeur 
Un  song-e  passager  dans  l'arg-ile  fidèle. 

C'est  bien  ;  dans  sa  tristesse  ou  dans  sa  fauve  ardeur, 
Fais  sourire  ou  pleurer  le  profil  ou  la  face 
De  celles  dont  l'amour  a  dormi  sur  ton  cœur. 

La  ronde  langoureuse  où  leur  beauté  s'enlace 
Se  noue  autour  de  toi  en  se  tenant  les  mains, 
Et  chacune  par  toi  va  revivre  en  sa  grâce. 

Qu'importe  maintenant  l'hiver  !  si  tu  le  crains 
N'as-tu  pas  pour  charmer  sa  saison  ténébreuse 
Tout  le  printemps  qui  rit  en  ses  jeunes  matins  ? 

Laisse  l'argile  froide  et  la  glaise  frileuse 
Se  gercer  sous  le  gel  où  durcit  le  sol  nu 
Que  dessèche  le  vent  et  que  l'averse  creuse. 

i. 


/]!)  LES    MÉDAILLES   d'aKCILE 


La  Icrre  va  dormir  lourde  de  l'an  vécu, 

Pour  que  ses  fleurs  d'été  fussent  ses  fruits  d'automne, 

Et  son  flanc  saigne  encor  du  soc  qui  Ta  mordu  ; 

La  neig-e  étalera  sa  blancheur  monotone 
Pour  engourdir  sa  paix  et  son  obscur  repos 
Sur  qui  le  vol  épars  des  flocons  tourbillonne, 

Jusqu'au  jour  merveilleux  oîile  printemps  nouveau 
Feia  dans  sa  torpeur  courir  de  veine  en  veine 
Le  sang"  fluide  et  clair  de  ses  tièdes  ruisseaux. 

Une  sueur  d'arg-ent  emperle  sa  peau  saine, 

La  voici  qui  palpite  et  s'étire  au  soleil, 

Et  les  sources  en  fleurs  fument  dans  son  haleine; 

L'aurore  en  la  touchant  empourpre  son  réveil  ; 
Alors,  prends-la,  vivante  entre  tes  mains  hardies 
Et,  debout  en  chantant  dans  le  matin  vermeil, 

Sculpte  avec  des  doigts  d'or  son  argile  rougie. 


MEDAILLES  AMOUREUSES 


LA  TIlAGIi 


La  terre  fut  docile  à  ton  double  métiei , 

L'argile  au  médailleur  et  la  glaise  au  potier, 

Mais  ton  labeur  est  vain  de  façonner  encore 

Et  la  hanche  de  l'urne  et  le  flanc  de  l'amphore 

Et  de  g-onfler  la  panse  et  d'amincir  le  col. 

Que  tes  mains  sans  regret  laissent  choir  sur  le  so! 

Le  vase  rouge  et  noir  où  ta  pointe  figure 

Sur  la  courbe  rondeur  que  le  feu  rendra  dure 

Un  entrelacement  de  feuilles  et  de  fruits  ! 

Que  te  sert,  au  bûcher  qui  flambe  dans  la  nuit, 

Debout  et  sans  repos  jusqu'à  l'aube,  d'attendre 

L'heure  mystérieuse  et  froide  de  la  cendre 

Pour  l'enfermer  dans  l'urne  au  lieu  d'offrir  au  vent 

Ce  que  la  Mort,  hélas  !  a  laissé  d'un  Vivant? 

Laisse  le  lait  couler,  en  blanc  flot,  des  mamelles 

Aux  bouches  sans  baisers  qui  sont  faites  pour  elles, 

Pourquoi  vouloir  rendre  captifs  le  vin  ou  l'eau? 

Pourquoi  veux-tu  donner  longuement  pour  tombeau 


LKS    MEDAILLES    D  AUGILE 


l.e  ventre  de  l'amphore  à  l'onde  des  fontaines  ? 
Toutes  les  choses  sont  éternelles  et  vaincs 
Et  la  grappe  mûrit  toujours  neuve,  chaque  an  ; 
Bois  jeune  encor  le  vin  que  l'automne  nous  rend, 
Chaque  fois  qu'il  rougit  la  vigne  et  qu'au  soleil 
II  fait  lourde  la  grappe  et  le  pampre  vermeil. 
La  source  est  toujours  prête  à  notre  soif  penchée 
Pour  y  boire  le  flot  de  son  onde  glacée. 
Considère  la  fuite  et  le  retour  des  choses  : 
Une  rose  renaît  quand  s'effeuille  une  rose. 
Ne  cherche  pas  non  plus  à  vouloir  retenir 
Longtemps  dans  ta  pensée  et  dans  ton  souvenir 
L'image  exacte  encor  des  lèvres  fugitives 
Dont  tu  sens  à  jamais  que  ta  bouche  fut  ivre. 
Dans  la  médaille  nette  et  ronde  de  contour 
Ne  fixe  pas  la  face  errante  de  l'amour  ; 
Abandonne  le  bronze  et  renonce  à  l'argile 
Car  sa  fragilité  n'est  pas  assez  fragile. 
Où  l'Amour  a  marché  ne  cherche  pas  sa  trace. 
Regarde  le  venir  et  ris  lui  quand  il  passe  ; 
Le  vois-tu  beau,  joveux,  éphémère  et  divin  ? 
Mais  ne  te  courbe  pas  le  long  de  son  chemin, 
Tu  risquerais  ainsi  de  trouver,  sur  le  sable 
Où  posèrent  les  pas  du  passant  adorable, 
Empreinte  au  sol  encore  l'ongle  d'un  bouc,  au  lieu 
D'y  suivre  le  talon  et  l'orteil  nu  du  Dieu . 


LES    MÉDAILLES     d'aUGILE  5| 


L'INFIDÈLE 


Pour  être  nue  aux  bras  d'un  autre  qui  t'étreint 
Qu'as-tu  besoin  encor  de  la  robe  pourprée 
Qui,  sous  ses  beaux  reflets  dont  ta  chair  fut  parôe, 
Faisait  saillir  ta   hanche  et  dessinait  ton  sein  ? 

Que  ce  collier  rompu  s'égrène  grain  par  grain! 
Que  mon  talon  l'écrase  en  poussière  dorée 
Et  brise  le  miroir  où  tu  t'étais  mirée, 
Riante  de  mentir  au  cristal  incertain  I 

Ecoule  au  sol  grincer  le  tranchant  de  la  bôche; 
Dans  la  terre  brûlante  encore,  aride  et  sèche 
J'ai  caché  les  débris  de  notre  long  amour; 

Mais,  au  bas  du  cyprès  où  j'ai  creusé  sa  tombe, 
De  la  cime,  j'entends  depuis,  j'entends  toujours 
Le  sourd  roucoulement  de  la  même  colombe. 


5a 


LES    MICDAILLES    1>  AI. CI  LE 


LE  SOMMEIL 


Les  draps  frais  ont   séché   sur  l'herbe  pour  ton  corps. 
Une  odeur  de  soleil,  de  rosée  et  de  vent 
S'y  môle  et  s'y  confond  en  un  parfum  vivant; 
Respire  la  prairie  en  eux  éparse  encor. 

La  chambre  jusqu'au  soir  fut  belle  d'un  jeu  d'or 
Aérien,  subtil,  délicat  et  mouvant. 
Tu  verras  du  soleil  et  des  fleurs  en  rêvant  ; 
Voici  le  crépuscule  et  la  nuit  sombre.  Dors. 

Il  fait  noir.  Reste  ainsi,  les  yeux  ouverts;  je  sais 
Que  près  de  nous,  tout  bas,  la  g-rande  rose  s'est 
Avec  douceur  et  tout  à  coup  épanouie  ! 

Tu  dors.  Ton  souffle  ég-al  soupire  entre  tes  dents, 

Et  je  sens  palpiter  la  ténèbre  éblouie 

Et  l'ombre  tout  eulière  est  pleine  de  printemps. 


LES    MEDAILLES  d'aKGILE  53 


L'AUG 


Il  est  venu  vers  toi  pendant  que  tu  dormais, 
Et  sur  ton  cher  visag-e  il  a  penché  sans  bruit 
Sa  lampe.  Vois,  l'Amour  a  visité  ta  nuit  ; 
Tu  n'auras  pas  en  vain  song-é  que  tu  l'aimais. 

Voici  l'aube.  Un  coq  chante,  et  rien  ne  te  dirait 
A  ton  réveil,  ô  pâle  enfant,  que  ce  fut  lui 
S'il  n'avait  laissé  choir  quand  son  pas  s'est  enfui 
Trois  de  ses  flèches  d'or  qu'empourpre  du  sang-  frais 

C'est  lui.  Sa  force  aiguë  et  douce  a  visité. 
Voluptueusement,  dans  l'ombre,  ta  beauté, 
Et  tu  g-ardes  visible  en  ta  chair  lumineuse 

Le  reflet  transparent  de  sa  lampe,  et  ton  corps, 
En  sa  langueur  flexible  et  souple, semble  encor 
Imiter  l'arc  divin  par  sa  courbe  amoureuse. 


54  LES    MÉDAILLES    d'aUGILE 


L'IVREGSE 


Tu  viens  de  la  fontaine,  et  je  viens  de  la  source. 

Nous  nous  sommes,  un  jour,  rencontres  sur  la  route, 

Face  à  face, et  tous  deux  nous  portions  à  la  main 

Toi  l'amphore  de  grès,  moi  l'amphore  d'airain. 

Et  tu  l'avais  remplie  en  écartant  d'un  geste 

Les  roses  dont  l'été  pare  la  borne  agreste 

D'où,  continuelle  et  mélodieuse,  l'eau 

Sourd,  fuit,  s'épanche,  rit,  chante  et  coule  tout  haut  ; 

Tandis  que  moi,  parmi  la  ronce  qui  la  garde, 

Déchiré  par  l'épine  et  mordu  par  l'écharde, 

J'avais  puisé,  là-bas,  à  genoux,  durement, 

Son  onde  taciturne  et  son  cristal  pesant. 

Mais  qu'importe  la  ronce  et  qu'importe  la  rose! 

Tiédis  le  grès  luisant  et  chauffe  l'airain  fauve, 

Bon  soleil,  et  rends-les  tous  deux  comme  de  l'or. 

Notre  vie  à  jamais  est  pleine  jusqu'au  bord 

Et  sa  double  abondance  à  nos  bouches  incline 


LES    .MEDAILLES    D  ARGILE 


5) 


Son  ivresse  limpide  et  sa  fraîcheur  divine; 
Et  notre  double  amour,  sur  le  même  chemin, 
Qui  marche  côte  à  côte  en  se  tenant  les  mains,- 
Avant  qu'au  jour  qui  fuit  succédât  la  nuit  sombre, 
Sur  le  sable  biûlant  n'a  fuit  qu'une  seule  ombre. 


5G  LES    MÉDAILLES  d'aKGILK 


som 


Dans  le  silence  pur  et  dans  l'ombre  attentive, 
Ecoute  mollement  couler  le  tiède  bruit 
Que  font  en  s'cffcuillant  les  roses  d'aujourd'hui, 
Et  qu'en  ton  souvenir  un  parfum  leur  survive. 

Une  heure  doit  s'enfuir  pour  qu'une  autre  la  suive 
Et  rapporte  à  son  tour  ce  qu'emporte  avec  lui 
Le  temps  irrésistible  et  fourbe  qui  s'enfuit 
En  tenant  par  la  main  l'heure  qu'il  rend  furtivo. 

Reg-arde  le  beau  vase  arrondir,  clair  et  vide, 
Sou  urne  transparente  et  son  cristal  limpide: 
Sa  déserte  fraîcheur  est  douce  pour  tes  mains. 

L'inépuisable  Amour  a  d'autres  fleurs  écloses, 
Et  tu  souris  encor,  toi  qui  sais  les  chemins 
De  la  source  éternelle  et  des  nouvelles  roses. 


LES    MÉDAILLES    d'aRGILE  57 


PHILENIS  ET  EUCRATE 


Le  vent  brusque  à  mon  seuil  souffla  ma  lampe  haute, 
Mais  j'ai  vu  ton  visag-e  et  je  sais  que  c'est  toi  ; 
Viens  vite  sur  le  lit  que  deux  corps  font  étroit; 
L'amour  va  doucement  nous  coucher  côte  à  côte. 

Non,  ne  rallume  pas  la  lampe,  ô  mon  cher  hôtel 
Je  sais  quel  voyageur  j'abrite  sous  mon  toit; 
Sois  patient,  ne  gronde  point,  écoute-moi 
Délacer  lentementma  sandale  que  j'ôte. 

Ne  sens-tu  donc  que  l'heure  amoureuse  est  venue 
Où,  peu  à  peu,  pour  toi,  j'achève  d'être  nue  ? 
Mais  laisse  encor  qu'avant  de  m'étendre  en   tes  bras 

Mon  geste  ténébreux  sans  ombre  sur  le  mur, 

Au  nocturne  miroir  où  je  ne  me  vois  pas. 

Passe  un  peig'ne  invisible  en  mes  cheveux  obscurs. 


58  LES    MÉDAILLES  d'aUGILE 


LA  PROMENADE 


Je  te  donne  cette  heure;  elle  est  à  toi.  Va-t'en. 
Vis-la  silencieuse  et  vis-la  solitaire, 
Et,  pour  un  jour  entier,  sois  à  toi  tout  entière 
Sans  plus  t'inquiéter  de  l'ombre  où  je  t'attends. 

Sois  libre.  Mon  pas  lourd,  hélas!  a  trop  souvent 
Retardé  ta  jeunesse  où  tu  marches  lég'ère 
Dans  le  double  sourire  et  la  double  lumière 
De  ce  malin  joyeux  et  de  ton  clair  printemps. 

Ce  dur  arbre  tordu  qui  ressemble  à  ma  vie 

Abritera  mon  doute  et  ma  mélancolie  ; 

C'est  là  que  j'attendrai  venir  le  soir,  heureux 

Si  le  vent,  pitoyable  à  mon  song-e  morose. 

Des  fleurs  que  tu  cueillis,  hélas!  loin  de  mes  yeux, 

M'aPDOrle  le  parfum  et  te  laisse  la  rose. 


.ES    MEDAILLES  d'aRGILE  Sq 


AUBE  D'AUTOMNE 


Le  cygne  m'a  g-uidé  le  long-  du  fleuve  clair. 
Le  chemin  s'interrompt  et  le  sentier  se  perd, 
Mais  la  colombe  douce  et  l'agneau  lent  qui  bÊle 
M'ont  conduit  pas  à  pas  et  me  furent  fidèles, 
Etjlorsque  vint  le  soir,  l'étoile  s'est  levée, 
Solitaire,  au  détour  de  la  route  trouvée, 
Et  j'ai  senti  l'écho,  à  l'oreille,  tout  près, 
M'appelant  d'arbre  en  arbre  à  travers  la  forêt 
Et  que  la  source  vive  et  la  fraîche  fontaine 
Me  parlaient,  que  le  saule  gris  et  le  blanc  frêne 
Se  penchaient  pour  me  voir  au-dessus  de  la  haie.. 
Le  doux  vent  m'apporta  l'odeur  des  roseraies, 
Le  parfum  des  jardins  et  le  goût  des  fruits  milrs. 
Et  l'espalier  en  croix  et  la  treille  du  mui* 
Me  firent  signe  aussi  de  marcher  vers  l'aurore. 
Le  ruisseau  me  riait  de  son  courant  sonore; 
La  ronce  s'écartait,  l'herbe  devenait  lisse; 


ÔO  LES    MÉDAILLES   d'aRGILÊ 

Le  caillou  dévalait  sur  la  pente  complice, 

Et  la  grotte,  entr'ouvrant  sa  gueule,  me  dit:  Entre! 

Nymphe!  je  t'ai  trouvée,  en  l'ombre,  au  fond  de  l'antre, 

Debout  et  nue;  et  le  jour  vint  et  nous  sortîmes 

Et,  là -bas,  par  delà  les  berges  et  les  cimes 

Du  fleuve  radieux  et  de  l'âpre  forêt, 

Mystérieusemeni  à  qui  tu  souriais, 

Nous  voyions  se  mêler,  dans  le  ciel  rose  et  mauve, 

Les  cyg-nes  de  l'aurore  aux  colombes  de  l'aube. 


LES    :.iLBAli.l.L^    DAnGlI.E 


Cl 


TROIS  SONNETS  POUR  BILITIS 


Pour  que  la  porte  s'ouvre  et  te  reçoive,  Amour, 
Ne  viens  pas,  en  prenant  la  forme  et  la  figure 
D'un  jeune  guerrier  beau  sous  l'airain  et  la  bure, 
Impérieusement  y  heurter  d'an  poing  lourd. 

Suis  pour  francliir  le  seuil  un  plus  subtil  détour 
Et  que  l'œil  qui  te  g-uette  à  travers  la  serrure 
Voie  en  toi,  égarée  et  lasse,  à  l'aventure, 
Quelque  fille  des  champs  de  la  ville  ou  du  bourg. 

Ne  prends  pas  pour  guider  tes  pas  sur  le  chemin 
La  torche  brusque.  Non.  Une  lampe  à  la  main, 
Entre.  Son  rire  est  doux  si  rien  ne  l'efFarouche  ; 

Et  bientôt  tu  verras  dans  la  chambre  fermée, 
Tour  à  tour  acharnée  ou  soumise  |à  ta  bouche, 
Dilitis  amoureuse  et  Bililis  aimée, 

5 


LES    MEDAILLES  D  ARGILE 


Bilitis,  pour  louer  l'Arnour,  tu  as  cueilli, 
Sur  le  même  rosier  qui  fleurit  double  et  porte 
L'une  et  l'autre  en  sa  pourpre  épanouie  et  forte, 
Deux  roses  dont  le  sang  en  pétales  jaillit. 

Dans  la  coupe  d'onyx  que  ton  geste  remplit 
Aux  deux  amphores  d'or  qu'un  esclave  t'apporte, 
Tu  verses  pour  le  dieu  vers  qui  ta  voix  exhorte 
Le  vin  du  même  cep  en  même  temps  vieilli  ; 

Car  l'Eros  que  tu  sers  dans  l'Ile  délicate 
N'est  pas  celui  qui  veut  l'étreinte  disparate 
Où  la  vierge  succombe  à  l'amant  musculeux; 

Bilitis  est  pieuse  à  l'amour  qui,  comme  elle, 
Subtil  en  sa  caresse  et  souple  dans  ses  jeux, 
Semble  être  i/lans  une  autre  à  soi-même  fidèle. 


LES    MÉDAILLES  d'aKGILE  63 


Mes  Sœurs,  notre  jeunesse  a  mûri  lentement 
Sa  grappe  savoureuse  à  nos  treilles  rivales 
Et  nos  jours  que  le  Temps  presse  de  ses  sandales 
Ont  coulé  comme  un  vin  dont  l'ivresse  nous  ment; 

L'dg-e  est  venu  sournois,  furtif,  fourbe  et  g-ourmand, 
Mordre  et  flétrir,  hélas!  nos  gorges  inégales; 
Notre  vendange  est  faite  et  j'entends  sur  les  dalles 
Marcher  le  vigneron  dans  le  cellier  dormant. 

Vous,  ô  mes  Sœurs,  je  vois    vos  mémoires  perdues 
Vieillir  poudreusement  comme  les  outres  bues, 
Et  moi  que  visita  la  Muse  aux  ailes  d'or, 

Je  resterai  pareille  à  l'amphore  embaumée 
Où,  captif  aux  parois  qu'elle  respire  encore, 
Vibre  et  rôde  le  vol  d'une  abeille  enfermée. 


LES  MEDAILLES    D  ARGILE 


L'AMOUR  ET  LE  SOMMEIL 


Sur  le  mur  bleu  de  lune  et  jaune  de  soleil, 
Cote  à  côte,  on  a  peint  l'Amour, et  lo  Somnieil, 
L'un  portant  le  flambeau,  l'autre  la  lampe  éteinte 
Et,  jour  à  jour,  le  stuc  s'écaille,  le  mur  suinte, 
Car  la  clepsydre  est  vide  et  la  vie  est  passée. 
Le  sourire  est  plus  pâle  à  la  bouciie  effacée 
Et  je  regarde,  sans  qu'à  l'aurore  il  renaisse, 
Le  double  emblème  peint  sur  ton  mur,  ô  Jeunesse 
Et,  jaunes  de  soleil  ou  bleuâtres  de  lune, 
Le  sablier  vide  ses  heures,  une  à  une. 
En  silence,  et,  là-bas,  je  reg-arde  toujours 
Le  Sommeil  qui  long-temps  dormit  avec  l'Amour 
Dont  le  flambeau  fume,  s'éteint  et  devient  noir 
Et,  peu  à  peu,  au  crépuscule,  je  crois  voir, 
Laissant  traîner  son  aile  au  pavé  qui  l'effleure, 
L'Amour  las  endormi  près  du  Sommeil  qui  pleure. 


LES    MEDAILLES    D  AUOILE 


LE  PAS 


F. 'Amour  passe.  Regarde,  écoute,  attends,  espère; 
Son  pas  mysléricux  est  partout  en  chemin 
Et,  visiteur  du  soir,  du  jour  ou  du  matin, 
11  sait  ton  seuil  bruyant  ou  ton  seuil  solitaire. 

Le  voici.  Devant  lui,  pour  qu'il  se  désaltère, 
Dispose  sur  la  table  où  choisira  sa  main 
La  coupe  de  ta  source  ou  l'outre  de  ton  vin. 
Il  rira.  ïu  riras  à  ton  tour  pour  lui  plaire. 

Dors  en  ses  bras  comme  j'y  dormis  en  pensant 

Arrêter  à  jamais  cet  éternel  Passant. 

Il  est  debout  déjà  dans  l'aube  et  toi  tu  dors. 

Sans  entendre  tout  bas  se  poser  sur  la  dalle 
Pour  partir,  et  taudis  que  l'autre  est  nu  encor, 
L'un  de  ses  pieds  déjà  chaussé  de  la  sandale. 


65  LES    MÉDAILLES    D'AROrLÊ 


RENAISSANCE 


Tu  montes  marche  à  marche  et  tu  viens  pas  à  pas 
Frôlant  la  dalle  nue  au  fond  du  corridor, 
Et  ta  main  à  la  clef  hésite  et  larde  encor 
Et  tu  restes  au  seuil  et  respires  tout  bas; 

La  porte  s'est  ouverte  et  lente  tu  entras 
Et  avec  toi  le  clair  matin  de  vent  et  d'or, 
Mais  tu  ne  portais  plus,  reprise  à  l'amour  mort, 
La  lampe  qui  le  veille  et  ne  l'éveille  pas. 

Je  ne  reconnais  point  ton  visage  penché 
Vers  moi  ;  je  ne  t'ai  pas  reconnue,  ô  Psyché 
Morose  !  ton  sourire  est  si  doux,  et  ton  aile 

Joyeuse  ne  s'alourdit  plus  d'un  crêpe  sombre, 
Et  j'ai  compris  enfin  à  te  trouver  plus  belle 
Que  la  beauté  de  l'aube  est  d'avoir  été  l'ombre. 


LES    MEDAILLES  D  ARGILE 


LA  BARQUE 


J'ai  rempli  jusqu'au  bord,  de  la  poupe  à  la  proue, 
Des  fleurs  que  tu  cueillis  en  venant  vers  la  rive, 
Ma  barque,  et  le  blanc  lys  et  la  rose  pensive] 
Se  reg-ardent  fleurir  dans  l'onde,  joue  à  joue. 

Entre.  Pose  ton  pied  ;  assieds-toi  là,  dénoue 
La  sandale  du  cuir  qui  blesse  ta  chair  vive 
Et,  comme  un  souvenir  de  la  terre  furtive 
Écoute  les  graviers  que  ton  talon  secoue. 

Amour  !  tu  t'es  assis  dans  ma  barque  embaumée 
Qui,  sur  les  lents  remous  où  rôde  l'eau  charmée, 
Porte  en  elle,  à  la  fois  immobile  et  mouvante, 

L'odeur  du  double  Été  qui  nous  isole  en  lui, 
Sans  savoir  si  la  rive  où  le  fleuve  serpente 
S'étire  pour  l'aurore  ou  s'étend  pour  la  nuit. 


68  LLS    Mi'.DUI.LLS   i/a  IV.I  Mî 


LEVEil  DE  LUNii 


Tu  m'as  dit  :  Laisse  cette  arg-ile 
Où  tu  veux  modeler  pour  moi 
Ma  médaille  exacte  et  frag-ile. 

Tu  voudrais  y  faire  à  la  fois 
Sourire  mes  yeux  et  ma  bouche 
Tels  qu'ils  sout  et  que  tu  les  vois. 

Laisse  cette  terre,  n'y  touche 
Plus,  et  que  friable  demain 
Elle  s'effrite  sous  ton  pouce. 

L'argile,  le  marbre  et  l'airain. 

Pas  plus  que  l'eau  souple  et  mouvante. 

Ne  seraient  mon  visage  vain, 


LES    MÉRAII-LES    d'aRGILE  Cq 

Vaine  est  rébaiiclic  que  tu  tentes, 

Car  ma  fugitive  beauté 

N'est  vraiment  belle  que  vivante. 

Elle  ne  veut  d'éternité 

Que  l'instant  qui  passe  et  l'emporte 

Sur  l'aile  de  la  Volupté, 

Et  je  la  croirais  déjà  morte 
Si  je  la  voyais  revivant 
Dans  celte  terre  qui  la  porte 

Lorsque,  les  pieds  nus  et  devant 
Toi  qui  me  suis  sur  l'herbe  fraîche. 
Je  marche  debout  dans  le  vent. 

Le  soir  vient.  Viens  avec  moi,  laisse 
Tout  cela  qui  n'est  pas  ma  chair. 
Le  temps  fuit  et  la  vie  est  brève. 

Le  jour  est  encore  assez  clair 

Pour  aller  jusqu'au  bout  des  chaumes 

D'où  l'on  voit  monter  de  la  mer 

La  lune  ronde,  molle  et  jaune. 


70  LES    MEDAILLES    D  AUGILE 


L'AVEUGLE 


La  Tristesse  a  pesé  long-temps  sur  tes  paupières 
Du  baiser  de  sa  lèvre  grave  et  du  poids  las 
De  sa  bouche,  et  tes  yeux  qui  ne  souriaient  pas 
Restaient  clos  dans  la  nuit  de  ta  face  de  pierre  ; 

Et  tu  marchais  ainsi  aveug-le  à  l'aube  claire 
Dans  l'écho  où  de  toi  semblaient  s'enfuir  tes  pas, 
Et  dans  ton  âme  sombre  où  tu  errais,  là-bas, 
Les  arbres  se  mouraient  de  l'étreinte  du  lierre; 

Et,  dans  l'or  doux  des  jours  et  l'arg-ent  des  matins. 

Tu  ne  voyais,  hélas!  sous  tes  pas  incertains 

Ni  les  fleurs  s'entr'ouvrir,  ni  voler  les  colombes, 

Ni,  dans  le  crépuscule  ébloui  de  son  sang- 
Oui  saigne  g-outte  à  goutte  où  le  pétale  tombe. 
Une  rose  divine  en  flamme  dans  le  vent  1 


LES    MÉDAILLES  d'aI\(jILB  7I 


ÉCHO 


L'eau  de  la  mer  a  fait  la  couleur  de  mes  yeux 
Comme  la  rose  a  mis  de  la  sienne  à  ta  bouche, 
Et,  sur  le  sable  blond  où  ton  doux  corps  se  couche, 
L'or  de  l'algue  est  pareil  à  l'or  de  tes  cheveux. 

J'aime  en  toi  le  reflet  des  heures  et  des  lieux 
Et  je  suis,  tour  à  tour,  soni  noient  ou  farouche 
Selon  que  l'Eté  las  ou  l'âpre  Hiver  embouche 
Ses  clairons  durs  ou  ses  roseaux  mélodieux. 

L'oiseau  qui  vole  d'arbre  en  arbre  est  mon  espoir; 

Mon  song^e  se  regarde  en  la  face  du  soir. 

Et  mon  rire  est  le  vent  dans  les  feuilles,  là-bas  1 

Je  pense  la  saison  et  je  pleure  la  pluie; 
Le  fleuve  sait  ma  route  et  j'ai  suivi  mes  pas 
Dans  l'écho  qui  marchait  au-devant  de  ma  Vie, 


LES    MliDAILLES    D  AUGILE 


LE  BOUQUET  NOIR 


Le  nocturne  jardin  où  le  jour  et  rété 

Ont  mûri  l'espalier  et  fleuri  la  jj'-uirlancle 

Pour  que  le  fruit  trop  loarJ  à  la  branche  susponle 

Le  fl  -xiblc  poiJs  d'or  de  sa  maturité, 

Le  nocturne  jardin  au  soleil  exalté 
S'apaise,  fleura  fleur,  et  la  rose  appréhende 
Le  crépuscule  lent  qui  l'ouvre  toute  fjrande 
Jusques  à  se  mourir  de  sa  suavité. 

Tout  le  jour,  de  la  chambre,  à  travers  la  persienne, 

Nous  avons  respiré  l'odeur  aérienne 

Du  jardin  tiède  encor  où  nous  irons,  ce  soir, 

Écouter  les  fruits  mûrs  dans  le  silence  las 

Qui  tombent,  et  cueillir,  dans  l'ombre,  un  bouquet  noir 

A  d'invisibles  fleurs  que  nous  ne  verrons  pas. 


LES    MÉDAILLES   d'aRGILE  78 


LA  MUSE 


La  Muse  à  qui  mes  mains  ont  tressé,  l'autre  année, 
Pour  sa  tête  divine  à  mon  g-este  inclinée, 
La  couronne  flexible  et  le  souple  bandeau 
Où  j'ai  mêlé  la  rose  ardente  et  l'iris  d'eau 
AvecTalg-ue  marine  et  le  lierre  des  bois, 
La  Muse  au  front  orné   par  l'amour  de  mes  doigts 
Des  fleurs  du  vert  printemps  et  de  l'automne  rousse, 
Elle  que  je  connus  hautaine  m'a  dit,  douce, 
Souriant  à  demi  dans  l'ombre,  lentement. 
Puis  plus  haut  peu  à  peu  et  debout  dans  le  vent  : 
«  Certes  il  sied,  6  toi  qui  m'es  humble  et  fidèle. 
D'aimer  la  pourpre  chaste  où  tu  me  trouves  belle 
Et  qui  tombe  à  longs  plis  égaux  et  qui  s'étale 
Jusques  à  mon  orteil  que  montre  la  sandale 
Et  d'où  sort  noblement  d'un  geste  qui  l'étiré 
Mon  bras  cerclé  de  bronze  et  ]qui  porte  une  lyre; 
Mais  ne  va  pas  au  moins  oublier  qu'en  secret 

6 


^4  Lus    MÉDAILLES  d'aUGILE 

Mon  corps  inattendu  quelquefois  apparaît 

Au  cher  passant  pour  qui  ma  robe  alors  s'entr' ouvre 

Et  que,  sous  le  tissu  g~lorieux  qui  les  couvre, 

Palpite  ma  beauté  et  frissonne  ma  chair. 

Ne  sais-tu  pas,  non  plus,  que  la  source  et  la  mer 

Sont  faites  pour  baio-ner  ma  peau  et  que  le  vent, 

Debout  à  mon  côté,  de  ses  ong|es,  souvent 

A  dénoué  ma  chevelure  pour  la  tordre 

Eparse,  et  que  ma  bouche  odorante  aime  à  mordre 

Les  fruits  voluptueux  qui  parfument  la  nuit? 

Et  si,  en  m'appelant,  dans  l'ombre, tu  me  suis, 

Au  retour  de  l'aurore,  en  retrouvant  en  moi 

Le  sourire  hautain  qui  dompte  et  le  pli  droit 

De  ma  robe  sacrée  où  je  suis  haletante, 

Tu  verras,  à  travers  sa  pourpre  transparente 

Dont  j'apparais  à  tous  orgueilleuse  et  vêtue, 

Marcher  devant  tes  yeux  la  Muse  pour  toi  nue.  » 


MÉDAILLES  HEROÏQUES 


LE  CENTAURE 


Moi  le  Thessalien,  Centaure,  homme  et  cheval, 
J'ai  bu  le  vin  jailli  de  l'outre  qu'on  débouche  ; 
La  Nymphe  à  mon  étreinte  a  crié,  bouche  à  bouche, 
Et  mon  galop  sonna  sur  les  pierres  du  val^ 

Le  glaive  du  héros,  au  Combat  Nuptial,. 
Marqua  mon  poitrail  fauve  et  ma  croupe  farouche, 
l'A  l'Epouse  aux  yeux  clairs  dont  j'ai  tenté  la  couche 
Frôla  sa  toison  nue  à  mon  poil  d'animal. 

La  Ménade  en  riant  a  bondi  sur  mon  dos; 
L'org-ie  en  fleurs  a  peint  de  rouge  mes  sabots; 
Le  Satyre  me  rit  et  le  Faune  m'honore, 

Mais  l'Amour  maintenant  me  mène  par  la  main, 

Et  tous  deux,  à  pas  lents,  nous  cherchons,  à  l'aurore, 

La  pâle  centaurée  et  la  pomme  de  pin. 


78  LES    MÉDAILLES    d'aUGILE 


L'ALERTE 


Prends  la  trompe  de  bronze  et  monte  sur  la  tour. 
Une  aurore  de  san^  à  l'horizon  hostile 
Empourpre  le  pavé,  le  fronton  et  la  tuile 
Et  sa  lueur  livide  annonce  un  mauvais  jour. 

Penche-toi.  A  tes  pieds  s'élargit  le  contour 
Du  haut  mur  ang-uleux  qui  protège  la  Ville, 
Et,  saluant  les  dieux  debout  aux  péristyles, 
D'un  grand  geste  muet  lève  le  buccin  lourd. 

Pour  que  l'alerte  épande  aux  quatre  coins  du  ciel 
Sa  fanfare  guerrière  et  son  farouche  appel, 
Gonfle  ta  joue  et  mords  de  la  dent  le  métal; 

Mai/savant  qu'en  l'airain  ta  voix  éclate  et  crie, 
A  plein  souffle,  et  la  bouche  ouverte  au  vent  natal, 
Respire  autour  de  toi  l'air  pur  de  la  patrie. 


LES    MEDAILLES  L  AP.GTLfi  'JQ 


LA  STATUE 


Tu  ris,  Enfant.  La  terre  entre  tes  doig-ts  heureux 
S'effrite,  coule  et  fuit  de  ta  main  qui  se  vide 
Et,  devant  toi,  debout  en  son  bronze  rigide, 
Celte  haute  statue  a  souri  à  les  jeux. 

Regarde.  L'homme  est  calme  et  le  cheval  fougueux. 
Une  main  hausse  un  glaive  et  l'autre  tient  la  bride. 
Le  quadruple  sabot  au  socle  qu'il  oxyde 
Imprime  aux  quatre  coins  son  pas  silencieux. 

Cet  équestre  Héros  que  sacre  un  laurier  d'or, 
Souviens-toi,  quand  plus  tard  tu  le  verras  encor, 
Que  son  sang-  a  roug-i  le  sol  de  la  patrie. 

Et  que,  muet  présage  à  tes  jeunes  destins, 

Il  a  levé  sur  toi  à  l'aube  de  ta  vie 

Le  gesle  g-lorieux  de  son  ombre  d'airain  ! 


fiO  LES    MEDAILLES  d'aRGILE 


LE  CAPTIF 


Moi  que  courbent  le  fouet  et  la  rame  servile, 
Captif,  ma  tête  est  blanche  et  je  songe  à  la  Ville 
Debout  jadis  et  haute  autrefois  sur  la  mer. 
La  lame  bat  toujours  le  rivag'e  désert 
Où  le  sable  marin  reste  mêlé  de  cendre; 
Mais  l'eau  du  Simoïs  et  l'onde  du  Scamandre 
Ne  désaltèrent  plus  ma  bouche,  et  l'âpre  vin 
Du  maître,  à  l'outre  bu  en  secret,  fait  en  vain 
Chanter  mon  désespoir  et  rire  ma  tristesse, 
Lorsque  je  crois  encore  en  sa  menteuse  ivresse 
Fouler  le  sol  natal  et  toucher  du  talon 
La  pierre  de  la  route  et  l'herbe  du  vallon 
Et,  quand  à  l'Occident  l'or  du  soleil  rougeoie, 
Voir  s'empourprer  au  ciel  le  fantôme  de  Troie  I 


LES   MÉDAILLES  d'aRGILÈ 


LE  REVEIL 


La  nuit  lente  s'en  va  peu  à  peu.  J'ai  revé 
Un  long  song-e  de  cris,  d'angoisse  et  de  colère... 
Et  l'ombre  moins  confuse  est  à  peiae  plus  claire. 
L'aube  à  peine  a  bleui  le  mur  et  le  pavé. 

Hier  encore  pourtant  le  jour  s'est  achevé 
Très  doux  et  j'ai  cueilli  dans  le  bois  solitaire 
Pour  cette  urne  de  g-Iaise  et  ce  vase  de  verre 
Cette  rose  arrondie  et  ce  lys  incurvé. 

Mais  ce  matin  le  coq  salue  à  pleine  g'orge 
Une  aurore  enflammée  où  le  feu  de  la  forge 
Matinale,  déjà  gronde,  étincelle  et  luit; 

L'enclume  sonne  au  marteau  dur,  âpre  vigile 
Et  le  glaive  qu'il  bat  à  son  robuste  bruit 
Fait  tinter  le  cristal  et  se  fendre  l'argile. 


82  LES    MÉDAILLES  d'aRGILE 


LA   VILLE 


Cette  Ville  bourdonne  et  vibre  au  soleil  d'or. 
Sa  rue  est  larg-e  et  claire  et  sa  place  est  dallée  ; 
Le  vent  des  bois  s'y  mêle  à  la  brise  salée 
E(  l'odeur  des  jardins  à  la  senteur  du  port. 

L'aurore  la  réveille  et  le  couchant  l'endort; 
On  y  chante,  on  y  aime  et  la  nuit  étoilée 
Unit  la  chair  suave  à  l'étreinte  musclée, 
Car  la  femme  est  voluptueuse  et  l'homme  fort. 

Mais  à  chaque  âtre  où  brûle  en  la  cendre  un  tison, 

Gomme  pour  rappeler  hier  à  ceux  qui  sont, 

Un  lourd  glaive  suspend  sa  lame  à  quelque  clou, 

Et,  fils  d'une  Cité  que  des  héros  ont  faite, 
Devant  le  socle  où  rit  la  Victoire  debout, 
Nul  ne  passe  jamais  sans  retourner  la  tête. 


LES    MEDAILLES   D  ARGILE 


L'ACCUEIL 


Lorsque  ton  beau  pied  nu  foula,  divine  Hélène, 

Le  rivage  marin  de  la  terre  trojenne 

D'où  nous  tendions  les  bras  à  Paris  de  retour, 

Un  long  cri  de  désir,  de  tendresse  et  d'amour 

Monta  dans  l'air,  du  fond  de  nos  rauques  poitrines  ; 

Et  chacun  ressentit  alors  la  peur  divine 

Et  le  grave  frisson  d'avoir  vu  la  Beauté, 

0  Joie  !  Et  savions-nous  la  sombre  vérité  : 

Que  le  souffle  léger  de  tes  lèvres  charmantes 

Gonflerait  sur  les  mers  à  leur  proue  ccumantes 

La  voile  belliqueuse  et  pousserait  vers  nous 

La  colère  des  Rois  outragés  dans  l'Epoux  ; 

Que  le  noir  éperon  des  nefs  mordrait  le  sable, 

Où  coulerait  bientôt  le  sang  intarissable; 

Qae  le  clair  tintement  de  l'or  de  tes  colliers, 

Hélène,  précédait  le  choc  des  boucliers 

Et  que  derrière  toi  grondait,  hargneuse  et  fui  te, 


84  LES    MÉDAILLES  d'aRGILE 


La  Grèce  dont  le  flot  bat  le  mur  et  la  porte 
De  notre  Ville  en  deuil  autour  de  qui  j'entends 
Tourner  dans  la  poussière  et  hennir  dans  le  vent 
L'attelage  foug-ueux  des  étalons  farouches 
Qui  traînent  par  les  pieds  et  le  sang-  à  la  bouche. 
Victime  lamentable  et  sans  sépulcre  encor, 
Le  cadavre  saig-naut  qui  jadis  fut  Hector  1 


LES   MÉDAILLES  d'aRGILE  85 


LE  FILS 


Le  soc  de  ma  charrue  au  revers  du  sillon 
A  maintes  fois   fait  luire  en  la  glèbe  rustique 
Quelque  tronçon  de  glaive  ou  quelque  fer  de  pique 
Qu'en  passant  je  poussais  du  bout  de  l'aiguillon. 

Le  soleil  triomphal  empourpre  mon  haillon 
D'une  couleur  de  gloire  et  de  sang  héroïque, 
Et,  frissonnant  encor  de  la  trouvaille  épique. 
Je  rentre  à  mon  foyer  où  chante  le  grillon. 

Laboureur  qui  cultive  un  champ  jadis  guerrier, 

Je  moissonne  l'épi  et  rêve  du  laurier! 

Tandis  qu'au  nourrisson  qui  sous  elle  .se  couche 

Ma  chèvre  offre  son  pis  qu'il  serre  entre  ses  mains. 
r4'est  mon  fils, ^ et  déjà  j'imagine  à  sa  bouche 
La  tctline  sans  lait  de  la  Louve  d'airain. 


Sfi  LES    MÉDAILLES  D  AUGILE 


LE  VETERAN 


Aux  Priapes  g-ardiens  du  cep  et  de  la  graine 
J'ai  consacré  jadis  le  bornage  et  l'arpent 
Et  confié  retable  et  le  bercail  à  Pan 
Qui  fait  croître  la  corne  et  préserve  la  laine. 

Depuis,  le  glaive  court  et  brusque,  de  sa  gaine, 
Bat  ma  cuisse  et  j'écoute  infatig-ablement 
Retentir  sur  la  dalle  et  sur  le  dur  ciment 
Ma  semelle  de  cuir  que  la  victoire  entraîne. 

Soldat  qui  fut  pasteur,  j'ai  humé  l'air  romain  ; 
Et,  quittant  le  troupeau  pour  la  Louve  d'airain, 
J'ai  suivi  l'Aigle  d'or  éployéeà  la  pique; 

Mais   un  reg-ret  natal  émeut  mon  cœur  troublé 
Si  j'entends,  du  sol  grec  ou  du  sillon  celtique, 
Une  caille  qui  chante  au  coin  d'un  champ  de  blé. 


LES    MEDAILLES  D  ARGILE 


DIONYSIAQUE 


J'ai  parcouru  la  terre  et  j'ai  cherché  les  Dieux. 

Elle  est  toujours  pareille  au  limon  fabuleux 

D'où  sortirent  jadis  les  fig-ures  divines. 

L'automne  encor  mûrit  aux  pentes  des  collines 

La  grappe  lourde  au  cep  et  vineuse  au  pressoir. 

Mais  les  vendang'eurs  las  qui  passent  dans  le  soir 

Au  bruit  de  leurs  sabots  gras  de  glèbe  et  de  boue 

Marchent  la  tête  basse  et  poussent  à  la  roue 

Et  mènent  tristement,  courbés  sous  leur  fardeau, 

Des  treilles  de  la  vigne  aux  tonnes  du  caveau, 

Le  char  de  la  Vendange  inerte  et  taciturne. . . 

L'amphore  entre  leurs  mains  est  triste  comme  une  urne; 

Le  pressoir  en  tournant  gémit,  et  c'est  en  vain 

Que  sous  les  talons  nus  ruissellera  le  vin  ; 

Nul  ne    célèbre  plus  son  ardeur  où  rougeoie 

Le  rire  de  l'amour  et  le  feu  de  la  joie 

Eq  foulant  le  raisin  que  trépigne  l'orteil  f 

Je  ne  vois  plus  le  bras  énergique  et  vermeil 

Hausser  farouchement,  comme  en  l'antique  orgie, 


88  LES   MÉDAILLES  D  ARGILE 


La  corbeille  empourprée  et  la  serpe  rougie, 

Ni  le  Dieu  qui  menait  la  rieuse  fureur 

Des  torses  enlacés  et  des  seins  en  sueur 

Et  qui,  svelte  en  sa  chair  toujours  adolescente, 

Guidait  du  thyi'se  haut  la  fête  renaissante 

Et,  la  grappe  à  la  bouche  et  les  pampres  aux  reins, 

Ruait,  avec  des  cris,  vers  les  pommes  de  pin 

Qu'il  jetait  à  travers  leur  foule  échevelée, 

En  une  furieuse  et  sonore  mêlée, 

Les  Ménades  en  sang-  et  les  Silènes  ivres. 

Comme  un  sourd  tambourin  de  cuir  dur  et  de  cuivre, 

Le  vent  gronde  toujours  au  fond  de  la  forêt; 

Il  rôde,  se  reprend,  s'élire  et  l'on  dirait, 

A  l'entendre  à  travers  les  branches,  doux  et  rauque. 

Mystérieux,  sournois  et  souple,  qu'il  évoque, 

Dans  la  rousse  splendeur  de  l'automne  qu'il  mord 

Et  meurtrit  de  sa  dent  et  de  sa  griffe  d'or, 

Les  grands  tigres  striés  qui  sous  le  joug-  bachique 

Traînaient  le  char  du  Dieu  debout  et  frénétique 

Dont  le  sommeil  repu  à  l'âpre  et  fauve  appui 

Du  beau  flanc  qui  s'enflait  et  respirait  sous  lui 

S'étendait  en  sentant  sur  sa  bouche  g'org-ée 

Passer  le  souffle  chaud  de  la  bête  allongée 

Dans  l'herbe  ténébreuse  où,  jusques  au  matin, 

S'endormait  leur  repos  bestial  et  divin. 


LES    MÉDAILLES    d'aRGILE  iSQ 


LES  FRÈRES 


Crois-moi.  Tes  pieds  sont  faits  pour  suivre  le  chemiD 
Qui,  du  seuil  de  la  porte  au  bord  de  la  fontaine, 
Conduit  si  mollement  que  sur  son  sable  à  peine 
Se  marquera  ton  pas  silencieux  et  vain. 

L'air  natal  respiré  rend  ton  soupir  divin. 
Chante.  Ta  flûte  est  droite  et  juste  ton  haleine. 
La  nature  s'émeut  à  la  chanson  humaine; 
La  colombe  roucoule  el  ne  fu:t  pas  ta  main. 

Pour  moi,  mon  dur  talon  convient  à  la  sandale; 

Ma  semelle  de  cuir  frappe  fort  sur  la  dalle; 

Mon  souffle  âpre  sied  mieux  au  cuivre  qu'au  roseau. 

Adieu,  Frère,  la  vie  est  double,  rude  ou  belle, 
Et  saurons-nous  quel  Dieu  nous  fit  ainsi  rivaux. 
Car  ma  voix  furieuse  est  pourtant  fraternelle  ? 


LES    MEDAILLES    D  ARGILE 


MASQUE  TRAGIQUE 


L'org-ueil  du  haut  cothurne  et  du  sombre  laurier 
Oui  grandit  mon  talon  et  couronne  ma  tête 
M'a  fait  ainsi  debout  en  ma  force  secrète 
Tour  à  tour  pâtre,  roi,  prêtre,  esclave  ou  g"uerrier, 

La  pourpre  me  revêt  d'un  reflet  meurtrier 
Et  l'âme  du  héros  par  le  vers  du  poète 
Seule  anime  à  song-ré  ma  bouche  qui  se  prête 
A  qui  veut  par  sa  voix  se  dire  ou  se  crier. 

Tu  verras  au  tréteau  mon  g-este  et  ma  mimique 

Varier  son  visag-e  et  draper  sa  tunique; 

Et  pour  que  j'apparaisse  ainsi  que  tu  me  veux, 

Durable  en  ta  mémoire  où  vivra  mon  g'énie, 
Il  faut  que  mon  cœur  môle  en  ces  trag'iquesjeux 
La  sueur  de  ma  chair  et  le  sançj'  de  ma  vie. 


LES    MÉDAILLES    D  ARGILE  <i)l 


PÉGASE 


Reg-arde,  haletant  et  farouche  au  soleil, 
Se  dresser  devant  toi  le  beau  groupe  vermeil. 
L'étreinte  des  genoux  presse  le  flanc  fougueux  ; 
Une  brume  d'or  roux  en  fumée  autour  d'eux 
Confond  superbement  en  sa  splendeur  poudreuse 
Le  torse  qui  se  cambre  et  le  rein  qui  se  creuse 
Et  mêle  en  un  seul  bloc  de  force  et  de  clarté 
Le  Héros  triomphant  et  Pégase  dompté. 
Vois-tu,  terrestre  encor,  prêt  à  quitter  le  sol, 
Ce  cabrement  déjà  qui  va  devenir  vol, 
Car  le  divin  cheval  à  son  épaule  éploie, 
Faites  de  pourpre  en  flamme  où  la  gloire  flamboie, 
Prodigieusement,  deux  ailes  de  lumière  ? 
Les  cordes  d'une  lyre  aux  crins  de  la  crinière 
S'entremêlent.  Debout  toujours,  toujours  pareil, 
Le  beau  groupe  toujours  cabre  dans  le  soleil. 
Immobiles  tous  deux,  toujours,  sans  qu'aucun  bouge, 


pa  LES    MEDAILLES  D  ARGILE 


L'éblouissement  nu  de  leur  beauté  d'or  rouge  ; 
Et  le  soir  est  venu  qu'ils  étaient  encor  là  ; 
Mais,  avec  le  soleil  disparu,  leur  éclat 
S'était  éteint,  laissant  de  leur  splendeur  vivante 
Un  bloc  inerte  et  noir  de  song-e  et  d'épouvante 
Qui  semblait  à  jamais  se  tordre  dans  la  nuit. 
Et  quand,  les  bras  tendus,  je  m'approchai  de  lui 
Jusqu'à  toucher  du  doigt  le  flanc  et  la  crinière, 
Je  vis  que  le  cheval  et  l'homme  étaient  de  pieire. 


LBS    MÉDAILLES   d'aBGILE  ij3 


LE  PIEGE 


Tu  hantes  la  montagne  et  tu  fuis  le  vallon 
Où  la  source  secrète  encore  et  sans  fontaine 
Humecte  sourdement  de  son  eau  souterraine 
Le  sol  de  glaise  grasse  et  qui  suinte  aux  talons. 

Y  craindrais-tu  le  taon,  la  guêpe  ou  le  frelon 
Qui  bourdonne  au  poitrail  ou  qui  pique  à  la  veine 
Que  tu  cherches  le  roc,  la  crête  et  la  moraine 
Plus  sèche  et  plus  solide  à  ton  pas  d'étalon  ? 

0  Centaure  goulu,  pour  t'attirer,  ma  ruse 
T'offre  dans  l'herbe  fraîche  une  outre  qui  t'aLuse. 
Tu  la  flaires,  la  bois  et  pars  en  hennissant, 

Mais  déjà  ton  sabot  a  marqué  dans  l'argile 
Son  empreinte  où  j'arrête,  ô  farouche  Passant, 
Ton  galop  que  j'y  sculpte  à  jamais  immobile. 


MÉDAILLES  MARIJSES 


LA  CONQUS 

La  Mer,  quand  elle  est  lasse,  allonge  indolemment 

Jusques  à  l'horizon  son  corps  glauque  et  mouvant; 

La  lune  sur  les  eaux  l'argenté  et  la  fait  nue, 

Parfois;  puis,  au  matin,  l'aurore  revenue 

Vêt  son  repos  fluide  et  son  souple  réveil 

D'une  robe  de  feu,  de  brume  et  de  soleil 

Que  de  grands  midis  d'or  couvrent  de  pierreries, 

A  moins  que  quelque  sombre  et  soudaine  furie 

La  dresse  haletante  et  debout  et  hurlant 

Par  les  gueules  du  flot  et  les  bouches  du  vent, 

En  sa  colère  au  ciel  dispersée  en  écumes... 

Et,  plus  lasse  d'avoir  craché  son  amertume, 

La  voici  qui  s'endort  sur  la  grève  à  tes  pieds 

Laissant  traîner  parmi  le  sable  et  les  galets 

Sa  verte  chevelure  éparse  d'algues  longues  ; 

Ecarte-les  et  prends  en  tes  mains  cette  conque 

Toute  irisée  encor  de  marée  et  d'embrun 

Et  ruisselante  et  qui  semble  écouter  quelqu'un, 

Et  tu  croiras  parler,  en  sa  nacre  tordue, 

A  l'oreille,  tout  bas,  de  la  mer  qui  s'c.-l  tue. 


q8  les  médailles  d'argile 


SUR  LA  GRÈVE 


Couche-toi  sur  la  grève  et  prends  en  tes  deux  mains, 
Pour  la  laisser  couler  ensuite,  grain  par  grain, 
De  ce  biiu  sable  blond  que  le  soleil  fait  d'or  ; 
Puis,  avant  de  fermer  les  yeux,  contemple  encor 
La  mer  harmonieuse  et  le  ciel  transparent, 
Et,  quand  tu  sentiras,  peu  à  peu,  doucement, 
Que  rien  ne  pèse  plus  à  tes  mains  plus  lég^ères, 
Avant  que  de  nouveau  tu  rouvres  les  paupières, 
Songe  que  notre  vie  à  nous  emprunte  et  mêle 
Son  sable  fugitif  à  la  grève  éternelle. 


LES    MCPAILr.Eb    D  ARGILE  QQ 


L'ADIEU 

Si  la  mer  prend  un  jour  mon  corps  en  ses  tempêtes 
Et  ne  l'apporte  pas  aux  rives  où  vous  êtes, 
Roulé  dans  son  écume  et  ses  alg'ues,  c'est  bien, 
Oubliez-moi,  ou  si  peut-être  on  se  souvient 
De  celui  qui  partit  jadis,  à  son  aurore, 
Battant  le  flot  docile  à  sa  rame  sonore, 
Qu'on  se  dise  tout  bas  mon  nom  dans  les  veillées 
Où,  sur  l'escabeau  fruste  et  les  ancres  rouillées, 
Assis  à  l'âtre,  on  parle  à  mi-voix  des  absents. 
Mais  si,  dans  ma  maison,  morose  et  chargé  d'ans, 
Le  destin,  satisfait  de  ma  tâche  remplie, 
Veut  que  lerrestrement  je  termine  ma  vie. 
Construisez,  pour  brûler,  selon  l'antique  usag-e. 
Avant  l'obscure  escale  et  le  sombre  passag-e, 
Ma  dépouille  longtemps  errante,  un  clair  bûcher 
Fait  d'épaves  en  haut  de  quelque  haut  rocher 
Et  d'où  toute  la  mer  veiTa  la  flamme  énorme! 
Et  pour  qu'au  noir  séjour  tranquillement  je  dorme, 
Dans  mon  urne  d'arg-ile  ou  mon  urne  d'airain. 
Mêlez  ma  cendre  humaine  à  du  sable  marin. 


100  LES    MKDAILLES    D  AUGLE 


LE  PASSAGER 


Laisse  la  porte  ouverte  à  tous,  qu'un  autre  tente 
De  rallumer  à  l'âtre  où  le  feu  s'est  éteint 
La  broussaille  épineuse  et  la  pomme  de  pin  ; 
Leur  cendre  fut  jadis  une  flamme  vivante. 

Tu  as  passé  le  seuil  que  fuit  ta  vie  errante; 
Ne  te  retourne  pas  vers  le  passé;  ta  main, 
De  ta  lampe  penchée,  éclairerait  en  vain 
L'obscur  sommeil  qui  clôt  sa  face  sans  attente. 

Les  larmes  de  l'amour  ont  pleuré  l'heure  morte  ; 
Emporte  seulement  sous  ton  manteau,  emporte 
Le  grand  coq  familier  qui  réveillait  vos  yeux; 

Respire.  L'air  salin  a  gonflé  ta  poitrine I 

Et  son  chant  saluera  demain  sous  d'autres  cieux 

La  matinale  mer  et  l'aurore  marine. 


LES   MÉDAILLES  D  ARGILE  lui 


LE  VIEILLARD 

J'ai  fui    les  flots  mouvants  pour  ne  calme  vallon. 
Il  est  fertile.  Un  bois  y  est  tout  l'horizon 
Et  sa  rumeur  imite  à  l'oreille  incertaine 
Le  bruit  aérien  de  quelque  mer  lointaine 
Qui  m'apporte  l'écho  de  mon  passé  marin, 
El,  quand  l'orme  gémit  et  que  tremble  le  pin, 
Je  crois  entendre  encoren  leur  g-lauque  murmure 
Se  plaindre  le  cordage  et  craquer  la  mâture, 
Et  l'oblique  sillon  que  je  trace  en  marchant 
Derrière  ma  charrue  au  travers  de  mon  champ 
Me  semble,  dans  la  g'ièbe  épaisse,  grasse  et  brune, 
Quelque  vague  immobile, inerte  et  sans  écume 
Qui  se  gonfle,  s'allonge  et  ne  déferle  pas. 
Car,  vieillard,  j'ai  quitté  la  mer  et  ses  combats 
Pour  la  tâche  tranquille  où  mon  labeur  s'applique. 
Et  mon  houleux  matin  s'achève  en  soir  rustique. 
Et  dans  mea  noirs  filets  tant  de  fois  recousus 
J'ai  fait  une  besace  où  je  ne  porte  plus 
En  8ÛS  mailles,  mêlés  à  quelques  feuilles  sèches, 
Que  les  fruits  qu'offre  l'herbe  à  ma  terrestre  poche. 

7. 


LES    BIUDAILLES    D  ARGILE 


LE  DÉPART 


Je  n'emporte  avec  moi  sur  la  mer  sans  retour 

Qu'une  rose  cueillie  à  notre  long-  amour. 

J'ai  tout  quitté  ;  mon  pas  laisse  encor  sur  la  grève 

Empreinte  au  sable  insoucieux  sa  trace  brève 

Et  la  mer  en  montant  aura  vite  effacé 

Ce  vestige  incertain  qu'y  laissa  mon  passé. 

Partons  !  que  l'âpre  vent  en  mes  voiles  tendues 

Souffle  et  m'entraîne  loin  de  la  terre  perdue 

Là-bas.  Qu'un  autre  pleure  en  fuite  à  l'borizon 

La  tuile  rouge  encore  au  toit  de  sa  maison, 

Là-bas,  diminuée  et  déjà  si  lointaine  ! 

Qu'il  regrette  le  clos,  le  champ  et  la  fontaine  I 

Moi  je  ferme  la  porte  et  je  ne  pleure  pas. 

Et  puissent,  si  les  dieux  me  mènent  au  trépas, 

Les  flots  m'ensevelir  Cn  la  tombe  que  creuse 


LES    MEDAILLES    d'aUGILE  Io3 

Au  voyag-eur  la  mer  perfide  et  dangereuse  ! 
Car  je  mourrai  debout  comme  tu  m'auras  vu 
Sur  la  proue,  au  départ,  heureux  et  gai,  pourvu 
Que  la  rose  à  jamais  de  mon  amour  vivant 
Embaume  la  tempête  et  parfume  le  veut. 


lOfy  LES    MÉDAILLES    d'aRGILE 


ÉCHO  MARIN 


C'est  dans  ce  petit  bois  et  proche  de  la  mer 
Où  le  hêtre  argenté  et  le  pin  toujours  vert 
Mêlent  leurs  fûts  polis  et  leurs  troncs  résineux, 
C'est  là,  au  sol  de  sable  tiède,  que  je  veux 
Dormir,  car  c'était  là,  jadis,  que  bûcheron, 
J'abattais,  en  chantant,  d'un  geste  jeune  et  prompt 
Les  arbres  dont  j'ai  fait  les  mâts  et  la  carène 
Qui  m'ont  porté  longtemps  sur  la  mer  incertaine, 
Tandis  que  toi,  restée  au  seuil  de  la  maison, 
Silencieuse,  et  le  regard  à  l'horizon. 
Tu  suivais  sur  la  mer  ma  voile  entre  les  voiles 
En  rêvant  à  ma  proue  une  propice  étoile. 
0  douceur,  amertume,  espoir,  transes,  retours. 
Départs,  près  de  joie  et  larmes,  tour  à  tour  I 
Et  les  deux  bras  noués  à  mou  cou  ruisselant  1 
Là -bas  la  mouette  errante  et  l'âpre  goéland, 
Ici  la  tourterelle  et  la  lente  colombe  I 


LES    MÉDAILLES    d'aRGILE  I05 


Mais  maintenant  ma  vie  est  faite  ;  le  soir  tombe. 
Et  mes  os  éparg-nés  par  le  flot  vagabond 
A  l'ombre  du  cher  bois  au  sable  dormiront, 
Parmi  les  hêtres  blancs  et  les  pins  résineux. 
Tandis  qu'au  vent  qui  passe  en  fuite  au-dessus  d'eux 
Murmurera  tout  bas  à  mon  oreille  vaine 
Un  invisible  écho  de  mers  aériennes. 


'OÔ  LES    MÉDAILLES    d'aRGILE 


L'ALGUE 


Dans  l'aurore  rieuse  ou  le  matin  qui  vente 
Je  m'éveille  en  sursaut  et  pousse  le  volet, 
Et  j'entends  bruire  au  sable  ou  gronder  au  ^alet 
Le  refrain  rauque  ou  doux  de  la  marée  errante. 

La  pêche  est  incertaine  et  narg-ue  qui  se  vante, 
Et  souvent  le  poisson  est  rare  à  mon  filet  ; 
Mais  j'en  tire  parfois  une  algue  au  beau  reflet 
Qui  s'échevèle  entre  mes  doigts,  souple  et  vivante. 

Je  la  noue  à  mon  poing-  humide  et  je  crois  voir, 
Là-bas,  dans  ma  maison  et  debout,  au  miroir 
Qui  figure  à  ses  yeux  une  mer  immobile, 

Tandis  que  sur  les  flots  rame  mon  bras  nerveux, 
La  nocturne  Beauté  d'où  le  matin  m'exile, 
Sortir  de  son  lit  nue  et  peigner  ses  cheveux. 


LES    MEDAILLES    D  ARGILE  IO7 


ODE  MARINE 


J'entends  la  mer 

Murmurer  au  loin  quand  le  vent 

Entre  les  pins,  souvent, 

Porte  son  bruit  rauque  et  amer 

Qui  s'assourdit,  roucoule  ou  siffle,  à  travers, 

Les  pins  rouges  sur  le  ciel  clair. . . 

Parfois 

Sa  sinueuse,  sa  souple  voix 

Semble  ramper  à  l'oreille,  puis  recule 

Plus  basse  au  fond  du  crépuscule 

Et  puis  se  tait  pendant  des  jours 

Gomme  endormie 

Avec  le  vent 

Et  je  l'oublie... 

Mais  un  matin  elle  reprend 

Avec  la  houle  et  la  marée, 


I08  LES    MÉDAILLES  d'aUGILE 

Plus  haute,  plus  désespérée, 
Et  J6  l'entends. 

C'est  un  bruit  d'eau  qui  souffre  et  gronde  et  se  lamente 

Derrière  les  arbres  sans  qu'on  la  voie. 

Calmée  ou  écumante 

Selon  que  le  couchant  saigne  ou  roug-eoie, 

Se  meurt  ardent  ou  s'éteint  tiède... 

Sans  ce  grand  murmure  qui  croît  ou  cesse 

Et  roule  ou  berce 

Mes  heures,  chacune,  et  mes  pensées, 

Sans  lui,  cette  terre  crue 

Et  crevassée 

Que  çà  et  là  renfle  et  bossue 

Un  tertre  jaune  où  poussent  roses 

De  rares  fleurs  chétives  qui  penchent, 

Sans  lui,  ce  lieu  âpre  et  morose 

D'où  je  ne  vois  qu'un  horizon  pauvre 

De  solitude  et  de  silence 

Serait  trop  triste  à  ma  pensée 

Car  je  suis  seul,  vois -tu.  Toute  la  Vie 
M'appelle  à  son  passé  encor  qui  rit  et  crie 
Par  mille  bouches  éloquentes 
Derrière  moi,  là-bas,  les  mains  tendues, 


LES  MEDAILLES    D  AaGILE  I CXJ 

Debout  et  nue  ; 

Et  moi,  couché 

Sur  la  terre  durcie  à  mes  ong-les  en  sang-, 

Je  n'ai  pour  v  sculpter  mon  rêve  frémissant 

Et  le  rendre  éternel  en  sa  forme  fragile 

Qu'un  peu  d'arg-ile, 

Rien  d'autre 

Pour  façonner  mes  médailles  mélodieuses 

Où  je  sais  dans  la  g-laise  ocreuse 

Faire,  visag-e  d'ombre  ou  profil  de  clarté, 

Sourire  la  Douleur  et  pleurer  la  Beauté... 

Mais  dans  mon  âme  au  loin  l'amour  gronde  ou  roucoule 
Gomme  la  mer,  là-bas,  derrière  les  pins  rouges. 


LES    MEDAILLES    D  ARGILE 


L'EMPREINTE 


Pour  figurer  la  vie  en  médailles  où  dure 

La  face  souriante  et  le  profil  hautain, 

Si  je  n'ai  pas  choisi  l'or,  l'argent  ou  l'étain 

C'est  qu'un  Dieu  m'a  prescrit  ma  tâche  encor  future 

L'argile,  hélas!  suffit  à  ce  que  la  nature 
A  fait  pour  un  bref  soir  ou  pour  un  court  matin, 
Et  sa  matière  est  propre  au  portrait  incertain 
Où  la  ride  à  la  glaise  annonce  la  fissure. 

Ainsi  donc,  à  plat  ventre  étendu  près  des  flots, 
Puisqu'un  Dieu  sans  pitié  refuse  à  nos  yeux  clos 
La  gloire  de  survivre  en  l'airain  martelé, 

Je  laisserai  de  moi  sur  celte  grève  amère 
L'empreinte  fugitive  où  se  sera  moulé 
Mon  visage  plus  vain  que  le  sable  éphémère. 


LES   MEDAILLES    D  ARGILE 


EGLOGUE 

Moi,  Satyre  du  fleuve  et  Faune  de  la  mer, 

Homme  et  bête,  le  sort  m'a  fait  un  et  divers 

Et,  dans  l'ombre  endormie  ou  dans  l'aube  éveillée, 

J'écoute  gronder  l'onde  et  chanter  la  feuillée, 

Et  le  vent,  double  aussi,  m'apporte  tour  à  tour 

Le  parfum  de  la  lame  ou  l'odeur  du  labour 

Selon  qu'il  vient  du  flot  ou  qu'il  vient  du  sillon  ; 

Et  perplexe  à  ma  voix  incertaine,  selon 

L'heure,  mon  double  chant,  pastoral  ou  marin, 

Dans  la  limpide  aurore  ou  dans  le  clair  matin, 

S'aiguise  aux  roseaux  droits  ou  s'enfle  aux  conques  torses; 

Aux  arbres,  tour  à  tour,  je  marque  sur  l'écorce 

Quand  doit  venir  la  crue  ou  monter  la  marée. 

Sur  l'autel  de  Neptune  ou  sur  l'autel  de  Pihée 

J'ofl"ris  longtemps  aux  dieux,  d'un  culte  impartial, 

L'algue  océanienne  et  le  jonc  fluvial. 

Car  je  fus  à  la  fois,  par  un  double  destin, 

Satyre  de  la  plag-e  et  Faune  riverain. 

Mais  depuis  quelque  temps  j'ai  déserté  la  plaine, 

ij'vitable,  le  verg-er,  les  jardiui^,  la  fontaine; 


^IS  LES    MÉDAILLES    D^ARGILE 

— ■  -  -       •—' ~' — "^ "  ■ -"       "  ij 

Tu  ne  me  verras  plus  reg'ardant  sous  l'azur 
Déferler  l'herbe  verte  et  houler  les  blés  mûrs, 
Non!  Maintenant,  couché  sur  la  grève,  au  soleil, 
Je  sèche  mon  poil  fauve  à  son  sable  vermeil, 
Et  pour  s'être  aux  souffles  du  larg-e  échevelées, 
Ma  toison  reste  amère  et  ma  barbe  est  salée 
Que  parfumaient  jadis  les  fruits  «t  les  miels  doux. 
Mon  sabot  qui  battait  la  motte  et  le  caillou 
Frappe  le  rocher  dur  et  s'écorne  au  g^alet; 
L'écume  a  meilleur  g^oût,  à  mon  gré,  que  le  lait; 
J'ai  délaissé,  vois-tu,  les  Nymphes  des  eaux  douces 
Qui  lentement  au  fil  des  herbes  et  des  mousses 
Allong-ent  aux  ruisseaux  où  l'amour  les  surprend 
Leurs  fluides  cheveux  et  leurs  corps  transparents. 
Qu'un  autre,  s'il  lui  plaît,  les  g-uette  et  les  épiel 
Ils  n'ont  point,  comme  moi,  sur  la  grève  endormis, 
Bras  à  bras,  bouche  à  bouche,  et  poitrine  à  poitrine, 
Etreint,  nue  au  soleil,  la  Sirène  marine. 
Elle  vient.  La  voici  et  déjà  je  l'entends 
Qui  chante.  En  te  voyant  elle  fuirait.  Va-t'en  I 
Cache-toi  si  tu  veux  derrière  ce  rocher  ; 
Sa  g-rotle  d'ombre  humide  est  propre  à  te  cacher. 
Tu  nous  verras  de  loin  sans  pouvoir  être  vu 
Et  peut-être  de  là,  Passant,  entendras-tu. 
Parmi  le  rauque  bruit  de  la  mer  amoureuse, 
L'ongle  du  bouc  g^riucer  sur  la  croupe  écailleusel 


LES  MBDAILLES  d' ARGILE  1 13 


PHILOCTÈTE 


La  Mer  écume  et  gronde  autour  de  l'âpre  tîot 

Que  tourmente  le  vent  et  harcèle  le  flot. 

Je  n'entends  pas  la  mer,  mais  je  sais  qu'elle  est  là  ; 

C'est  elle  dont  la  force  en  sa  rumeur  roula 

Sur  cette  aride  plage  et  jusques  à  tes  pieds 

Les  durs  galets  polis  sur  lesquels  tu  t'assieds, 

Philoctète  !  et  voici  l'arc  courbe  et  le  carquois 

Et  7a  flèche  plantée  au  sable  devant  toi, 

La  même  qui  perça  ta  chair  et  dont  encor 

Ta  douleur  éternelle  en  le  bronze  se  tord, 

Tandis  qu'à  ton  talon  verdi  de  son  venin 

Suinte  entre  tes  doigts  ta  blessure  d'airaia  ! 


l  l4  LES    MÉDAILLES  u'aUGILE 


APPARITION 


Le  g^alop  de  la  houle  écume  à  l'horizon . 

Regarde.  La  voici  qui  vient.  Les  vagues  sont 

Farouches  et  b  vent  dur  qui  les  fouette  rue 

Leur  troupe  furieuse  et  leur  foule  bourrue. 

Reg'arde.  Celle-ci  s'abat  et  vois  cette  autre 

Derrière  elle  qui,  fourbe  et  hargneuse  et  plus  haute, 

Lui  passe  sur  la   croupe  et  la  franchit  d'un  bond 

Et  se  brise  à  sou  tour  tandis  qu'un  t  peron, 

Invisible  aux  deux  flancs  de  celle  qui  la  suit, 

La  dresse  hennissante  et  l'efTondre  en  un  bruit 

De  vent  qui  s'époumonne  et  d'eau  qui  bave  et  fume, 

0  poitrails  de  tempête  et  crinières  d'écume  ! 

J'ai  regardé  longtemps  debout  au  vent  amer 

Celte  course  sans  fin  des  chevaux  de  la  mer 

Et  j'attends  que  l'un  d'eux  hors  de  l'onde  mouvante 

Sorte  et, soudain  ouvrant  ses  ailes  ruisselantes, 

M'offre,  pour  que  du  poing  je  le  saisisse  aux  crins, 

L'écumeux  cabrement  du  Pés-ase  marin. 


LE  BUCHER  D'ITÉRCULE 


Hercule  pour  mourir  monte  sur  son  bijcher. 

La  terre,  —  qui  déjà  ne  l'entend  plus  marcher 

Du  pas  victorieux  qu'elle  écoutait  dans  l'ombre 

Se  hâter  vers  l'aurore  à  travers  la  nuit  sombre 

Au  heu  ticier  de  son  talon  errant   — 

S'étonne  de  le  voir  immobile  et  plus  grand 

Que  lorsqu'il  étouffait  Antéeau  larg'e  buste, 

Ou  relayait  Atlas  d'une  épaule  robuste, 

Vainqueur  du  mal  terrestre  et  des  Dieux  souterrains  ; 

Et  la  peau  de  lion  qui  lui  couvre  les  reins 

Y  colle  sa  toison,  doublement  empourprée 

Par  l'angoisse  divine  et  la  sueur  sacrée. 

Salut,  Dompteur  I  salut,  suprême  Bûûheron  I 


Il8  LES    MÉDAILLES    d'aRGILE 

Les  vieux  arbres  coupés  entrecroisent  leurs  troncs; 
Le  feu  qui  ronge  un  pin  prend  aux  branches  d'un  chêne 
Et  l'un  flambe  déjà  quand  l'autre  fume  à  peine, 
Car  l'un  est  vert  encore  et  l'autre  résineux; 
La  brindille  crépite  et  la  souche  aux  durs  nœuds 
Suinte.  Le  bois  chaud  dilate  et  rompt  l'écorce. 
Et  le  brasier  s'unit,  s'assemble,  et  se  renforce, 
Se  cherche,  couve,  ronfle  et  gronde  et  s'enfle  avant 
D'éclater,  tout  à  coup,  monstrueux  et  vivant 
De  la  base  au  sommet  de  la  montagne  ardente 
Qu'il  assaille  à  la  fois  par  sa  quadruple  pente, 
Et  de  faire  à  jamais  dans  nos  mémoires,  —  tel 
Qu'il  nous  est  apparu  dans  un  soir  immortel,  — 
De  l'homme  surhumain  qui  jadis  fut  Hercule, 
Debout,  un  Dieu  d'or  rouge  au   fond  du  crépuscule  1 

Les  pâtres,  dans  la  nuit,  qui  gardent  leurs  troupeaux 
De  pacifiques  bœufs  et  de  calmes  taureaux 
Parmi  les  fleurs  du  val  et  les  prés  de  la  plaine 
Silencieuse  sous  la  paix  herculéenne, 
Ont  regardé  grandir  vers  l'azur  étoile 
Cette  haute  rougeur  qui,  de  l'Œta  brûlé, 
Fait  jaillir  jusqu'au  ciel  sa  flamboyante  gerbe, 
Sans  savoir  que  ce  feu  qui  teint  le  roc  et  l'herbe 
D'une  clarté  de  gloire  et  d'un  reflet  de  sang 
Et  monte  à  l'horizon  en  s'épanouissant 


LE    BUCIir.R  »  IIEnCULE 


i'9 


Comme  une  étrange,  brusque  et  furieuse  aurore, 
Brûle,  sur  le  bûcher  dont  elle  semble  éclore, 
Le  Héros  aux  bras  durs  dont  les  rudes  travaux, 
Douze  fois  achevés  et  douze  fois  nouveaux, 
Par  la  force  invincible  et  l'incessante  épreuve, 
Ont  nettoyé  l'étable  en  détournant  le  fleuve 
Et  rassuré  la  terre,  heureuse  eiixîn  de  voir 
Vaincus,  l'écume  aux  crocs  et  la  bave  au  boutoir, 
La  bête  d'Erjmanthe  et  le  chien  de  l'Érèbe. 

0  voyageurs,  pleurez  ;    pleure,   homme  de  la  g-lèbe  ; 
Prends  ta  fronde,  berg-er;  pâtre,  saisis  l'épieu  1 
Regrette  le  héros  que  ne  vaut  pas  le  Dieu  ; 
Verrouille  le  bercail  et  ferme  l'écurie  ; 
L'époque  monstrueuse  et  l'antique  furie 
Vont  renaître  et  rôder  autour  de  ton  repos. 
Car  lorsque  le  brasier  s'écroula  sur  les  os 
A  peine  consumés  du  divin  Belluaire, 
A  travers  la  lueur  fauve  qui  les  éclaire, 
J'ai  vu  les  monstres  noirs  vaguement  s'ébaucher, 
Fantômes  de  la  flamme  et  larves  du  bûcher 
Oui,  frappés  du  talon,  du  poing  et  de  la  flèche 
Jadis,  dans  le  marais,  la  caverne  ou  la  crèche, 
Entaille  au  ventre,  plaie  au  flanc,  blessure  au  cou, 
Piedressent  leur  colère  ou  dardent  leur  courroux 
Ou,  battant  du  sabot  les  brandons  et  la  braise, 


I.LS    MÉDAILLES  DARGILE 


Semblent  ruer  de  l'or  au  fond  de  la  fournaise. 

Et  chacun  y  reprend  sa  forme. 

Deux  tisons 
Deviennent  tout  à  coup  ces  deux  Serpents  qui  sont 
Ceux  même  dont  l'enfant,  de  ses  mains  réveillées, 
Étouffait  au  berceau  les  g-org-es  écaillées . 
Fuyez  !  Voici  le  Chien  funèbre  au  triple  aboi 
Dont  l'infernal  Dompteur  a  fait  taire  les  voix  ; 
Et  l'Hydre  lernéenne  aux  cent  têtes  jumelles, 
Venimeuse,  arrogante  et  pestilentielle, 
Qui,  grasse  de  limon  putride  et  lourde  d'eau, 
Traîaait  son  ventre  flasque  et  ses  visqueux  anneaux 
Et  qui,  ivre  de  flamme  et  saoule  d'incendie. 
Tout  à  coup  déroulée  et  brusquement  g-randie, 
Faite  de  fang-e  blême  et  de  squames  d'argent, 
Obscène,  fabuleux,  innombrable  et  changeant, 
Dresse  son  corps  ardent,  Monstre  hécatoncéphale  ! 
Les  sinistres  Oiseaux  tués  sur  le  Stymphale, 
Horde  criarde,  aux  becs  rapaccment  ouverts 
Pour  ronger  la  charogne  et  déchirer  les  chairs, 
Rouvrent  au  ciel  brûlant  leurs  ailes  de  fumée. 
Le  Lion  dont  le  souffle  épouvanta  Némée 
Fronce  son  mufle  roux  et  crispe  son  poil  d'or. 
Le  Dragon  fabuleux,  du  philtre  qui  l'endort 


LE   BUCHER    D  HERCULE 


S'éveille.  Les  Chevaux  carnassiers  semblent  mordre 

Une  proie  invisible  et  par  lambeaux  la  tordre  ; 

Et  la  flamme,  auprès  d'eux,  p'que  de  l'aig-uillon 

Les  vaches  de  Gacus,   les  bœufs  de  Géryon  ; 

Et  le  Taureau  crétois  qui  meugle  et  les  bouscule 

De  sa  corne  tordue  entre  les  mains  d'Hercule, 

Et  stupide,  étourdi,  s'arrête,  et  frémissant 

Hérisse  avec  fureur  son  cuir  incandeàcent 

Pour  chasser,  de  l'échiné  aux  naseaux  qu'il  harcèle, 

Le  vol  vertig'ineux  d'un  essaim  d'étincelles, 

Et  voici,  des  deux  mains,  pour  en  mieux  arracher 

La  flèche  qu'y  fixa  l'irrésistible  Archer, 

Nessus  qui,  cabré  droit  dans  sa  douleur  hennie, 

Presse  son  fourbe  flanc  d'où  coule  la  sanie  ; 

Et,  près  de  lui,  la  barde  impétueuse  dont 

Les  fleuves  ont  vu  fuir,  Pénée  ou  Thermodon, 

Et  la  charge  §:uerrière  et  le  galop  sonore, 

Et  qui,  rude  Amazone  ou  musculeux  Centaure, 

Croupe  écumante,  crins  au  vent,  poitrail  qui  sue, 

Cambrent  leurs  reins  encor  brisés  par  la  massue. 

Et  tous,  dans  la  rougeur  qui  décroît  peu  à  peu, 
Renaissent  tour  à  tour  de  la  cendre  du  Dieu. 
Le  bûcher  qui  s'éteint  à  jamais  les  libère  ! 
Et  l'horrible  troupeau  pour  infester  la  terre, 
De  dents,  de  crocs,  de  dards  et  de  griffes  armé, 


LES    MEDAILLES    D  AIlGtLE 


Rampe,  saute,  bondit  hors  du  cercle  enflammé 
Et  se  hâte  à  son  trou,  son  repaire  ou  son  antre. 
Ecoule  !  les  voici  qui  viennent.  Berger,  rentre. 
Berger,  n'entends-lu  pas  au  fond  de  ce  hallier 
Dansa   bauge  grogner  le  rauque  sanglier  ? 
Et  vois!  toujours  légère  et  toujours  vagabonde, 
La  Biche  aux  cornes  d'or  que  n'atteint  pas  la  fronde 
Oui,  de  ses  quatre  pieds  qui  brûlent  le  terrain, 
Fait  ilamber  riierbc  au  feu  de  ses   sabots  d'airain  I 


HELENE  DE  SPARTE 


LE  BAIN 


Le  doux  fleuve  indolent  creuse  de  son  eau  lasse 

Cette  anse  solitaire  où  tu  viens  vers  le  soir 
Regarder  longuement  dans  cette  onde  qui  passe 
L'image  de  ta  vie  et  de  ton  jeune  espoir. 

Ton  enfance  pieuse  a  paré  ta  jeunesse 
De  la  fleur  qui  s'entr'ouvre  aux   doigts  de  ton  destin  ; 
Et,  que  le  jour  s'achève  ou  que  l'aurore  naisse, 
Ton  heure  te  sourit,  toujours  à  son  matin  ; 

Et,  divin  et  royal  en  sa  noble  stature, 

Ton  corps  est  beau  deux  fois  de  tes  doubles  aïeux  ; 

Car  tu  mêles  en  toi, comme  les  Dioscures, 

Le  sang  clair  des  héros  au  sombre  sang  des  dieux. 


liÔ  LES    MÉDAILLES    d'aRGILE 


Tes  pieds  graves  sont  faits  pour  marcher  dans  la  vie 
Au  son  des  flûtes  d'or  et  des  lyres  d'argent, 
Et  pour  fouler  aux  pas  de  leur  [dantc  polie 
L'indestructible  marbre  et  le  sablo  chan"-eant. 


'JD' 


Et  je  te  vois  déjà  comme  si,  dans  un  rêve, 
Éblouie  et  fatale  en  ta  haute  beauté, 
Riante,  tu  passais  le  seuil  qui  surélève 
Le  palais  vaste  encore  et  plus  tard  dévasté, 

Mais  l'heure  triomphale,  amoureuse  et  lointaine, 
N'est  pas  cncor  venue  au-devant  de  tes  pas. 
Et  l'écho  doux  qui  vibre  au  chaste  nom  d'Hélène 
Le  répète  à  mi-voix  et  le  redit  tout  bas; 

Le  bruit  des  boucliers  et  le  fracas  des  armes 
Sommeille  en  l'avenir  peut-être  au  loin  grondant; 
Et  la  rosée  encor  pleure  les  seules  larmes 
Dont  se  mosillent  ta  joue  et  tes  lèvres  d'enfant. 

Le  murmure  de  l'eau  fidèlement  furtive 
Berce  ta  solitude  et  charme  ton  repos, 
Et  les  cygnes  amis  de  l'onde  et  de  la  rive 
Troublent  seuls  le  sommeil  des  nénufars  é^aux. 


HÉLÈNE    DE    SPARTE  12'J 


Les  oiseaux  familiers,  lorsque  tu  les  appelles, 
Accourent  à  ta  voix  et  viennent  jusqu'au  bord 
Enlacer  de  leurs  cols  et  frôler  de  leurs  ailes 
La  grâce  de  ton  geste  et  l'attrait  de  ton  corps. 

Ils  semblent  saluer  en  ta  beauté  divine 
Le  souvenir,  déjà  fabuleux  et  lointain, 
De  Celle  qui  pressa  sur  sa  blanche  poitrine 
L'Un  d'eux  plus  éclatant  qui  jadis  fut  divin. 

C'est  pourquoi,  si  tu  viens  vers  la  berge  de  l'anse. 
Les  blancs  oiseaux  sacrés  s'empressent  près  de  toi 
Et  la  troupe  orgueilleuse  et  flexible  s'avance 
En  suivant  le  premier  qui  de  loin  t'aperçoit. 

Regarde-le,  fendant  de  sa  gorge  renflée 
L'eau  qu'il  coupe,  divise,  et  pousse  devant  lui  ; 
Regarde .  Il  vient  vers  toi  avec  sa  proue  ailée 
Le  vaisseau  de  demain,  cygne  encore  aujourd'hui. 

Prends  garde  :  la  mer  vaste  au  bout  du  fleuve  calme 

Etend  sa  verte  houle  à  ses  quatre  horizons 

Et  la  galère  bat  de  son  quadruple  scalme 

Le  flot  perfide  et  vert  de  l'antique  Hellespont. 


128  LEE    MÉDAILLES    d'aRGILE 

Grains  la  mer  I  Le  soleil  est  tombé  sur  la  plaine 
Parmi  le  sang"  du  jour  et  la  cendre  du  soir; 
Grains  les  dieux  1  car  je  vois,  Hélène,  Hélène,  Hélène, 
Ton  destin  flamboyer  au  couchant  rouge  et  noir. 

Un  grand  nuage  au  ciel  ouvre  ses  ailes  d'ombre 
Gomme  un  funeste  cygne  éployé  lentement 
Qui  d'un  vol  fatidique,  inexorable  et  sombre 
Grandit,  s'étire,  monte  et  plane  à  l'Occident 

Où  semble,  chaude  encore  en  sa  pourpre  qui  brûle, 
Faite  d'airain  qui  fume  et  de  braise  qui  luit. 
Rougeoyer  et  s'éteindre  au  fond  du  crépuscule 
Une  Ville  de  feu  qui  croule  dans  la  nuit. 


HELENE    DE    Sl'AUTE  _  IXQ 


LE  FUSEAU 


Hélène,  ta  journée  est  belle  ;  le  matin 

Fait  pâlir  lentement  la  lampe  qui  s'éteint 

A  ton  chevet  nocturne  où  le  pavé  sonore 

Est  froid  sous  tes  pieds  nus  levés  avec  l'aurore  ; 

Et  le  jour  qui  revient  te  rapporte  avec  lui 

Des  song^es  de  nouveau  pour  ta  nouvelle  nuit; 

Et  ces  roses  d'hier  à  peine  sont  fanées 

Que  déjà  d'autres  fleurs  à  leur  place  sont  nées. 

Descends;  la  source  abonde  au  bassin  toujours  clair; 

L'ombre  plus  fraîche  a  fait  le  vieux  laurier  plus  vert 

Qui  se  penche  sur  l'eau  somnolente  et  verdie; 

Va,  et  donne  l'obole  au  passant  qui  mendie; 

Ta  jeunesse  charmante  et  qui  rit  en  chemin 

N'a  pas  encor  besoin  de  g-arder  en  sa  main 

Ce  qu'il  faut  pour  payer  la  barque  souterraine 

Où  le  Passeur  des   Morts   prendra  l'Ombre  d'Hélène. 

Quel  que  soit  le  destin  promis  à  ta  beauté, 


l30  LES    MÉDAILLES    d'aRGILE 


Vis.  La  fleur  de  ta  chair  embaume  son  été; 

La  maison  de  Tyndare  au  soleil  toute  blanche 

S'endort.  La  serpe  craque  à  l'arbre  qu'on  ébranche 

Là-bas;  ici  l'on  sarcle  et  plus  loin  quelqu'un  bôche  ; 

La  chanson  d'une  faulx  siffle  dans  l'herbe  fraîche; 

La  vigne  est  lourde  au  cep  et  flexible  au  pilier. 

Visite  le  lavoir,  la  grang-e,  le  cellier; 

L'odeur  du  vin  embaume  à  travers  l'outre  grasse. 

Rentre,  au  mur  vois  pendus  le  glaive  et  la  cuirasse; 

Remplis  d'huile  la  lampe  et  polis  le  miroir; 

Puis,  tranquille  et  laborieuse  jusqu'au  soir, 

Assieds-toi  sur  le  seuil  et,  de  tes  mains  habiles, 

Enroule  à  ton  fuseau  la  laine  que  tu  files. 

Quelle  pourpre,  marine  ou  vivante,  la  teint? 

Et  toi  qui  vas  mêler  aux  trames  des  destins, 

A  la  cruelle  Mort  l'Amour  inexorable, 

Assise  et  souriant  sur  le  seuil  vénérable, 

Sereine  et  comme  sur  le  marbre  d'un  tombeau. 

Tu  regardes  s'enfler  à  ton  fatal  fuseau. 

Entre  ses  pointes  d'or,  fil  à  fil  élargie, 

La  laine  deux  fois  teinte  où  ta  main  s'est  rougie. 


HÉLÈNE    DE    SPARTE  l3j 


L'ILE  DE  CRANAÉ 


Ils  se  tenaient  la  main  et  regardaient  la  mer 

Côte  à  côte,  debout  tous  deux  sur  le  ciel  clair; 

Une  même  langueur  les  tournait  sans  rien  dire 

L'un  vers  l'autre,  et  parfois  je  voyais  se  sourire 

Le  profil  de  l'amante  et  celui  de  l'amant, 

L'un  charmant  et  viril,  l'autre  tendre  et  charmant. 

J'étais  pâtre,  et,  marchant  pieds  nus  dans  l'hei^be  rase 

Je  me  glissai  près  d'eux  sans  troubler  leur  extas3. 

Ils  s'aimaient;  et  moi,  jeune  et  rustique  berger 

De  l'Ile,  je  pensais  que  ce  bel  étranger 

Silencieux  au  bord  de  la  mer  murmurante 

Etait  l'Amour  menant  quelque  Déesse  errante, 

Et  j'adorai  tout  bas  le  beau  couple  divin. 

L'ombre  grandit  du  promontoire;  la  nuit  vint. 

Et  quand  l'aurore  au  ciel  eut  fait  pâlir  l'étoile, 

Je  vis  à  l'horizon  fuir  une  blanche  voile... 

Je  n'ai  plus  retrouvé  mon  songe  disparu, 


l32  LES    MioAILLES    O^RGILE 


Et,  chaque  soir,  j'apporte  à  la  place  où  j'ai  cru 

Voir  les  divins  amants  s'étreindre  bouche  à  bouche 

Quelques  branches  de  myrte  ou  quelque  lourde  souche 

Et  j'allume,  en  l'honneur  de  leur  baiser  sacré. 

Un  g-rand  feu  qui  pétille  et  qui  flambe  empourpré, 

Et  qui  monte,  grandit  et,  radieux,  éclate 

En  la  haute  fureur  de  sa  flamme  écarlate, 

Et  qui,  splendide,  et  tel  que  leur  tragique  amour 

Ne  laisse  chaque  fois  de  lui-même  et  toujours 

Qu'une  cendre  stérile,  une  vaine  fumée... 

Et  maintenant,  par  toi,  je  sais,  ô  Renommée, 

Que  ce  couple  entrevu  jadis  sur  le  ciel  clair, 

Se  tenant  par  la  main  et  regardant  la  mer 

Du  haut  du  promontoire  où  la  flamme  rougeoie, 

Fut  Hélène  de  Spai^te  avec  Paris  de  Troie. 


HÉLÈNE    DE    SPARTE  l33 


LE  FOYER 


Sur  le  seuil  du  palais  assise  de  nouveau 
Hélène  a  retrouvé  le  fil  et  le  fuseau, 
Et  sa  main  calme  achève  au  soi:-  de  sa  journée 
Le  labeur  de  sa  vie  et  de  sa  destinée. 
La  porLe  derrière  elle  ouverte  laisse  voir, 
A  l'âtre  rallumé  et  qui  longtsmps  fut  noir, 
Brûler  le  tronc  de  hêtre  et  la  souche  d'érable  ; 
Les  viandes  et  les  vins  charg^ent  la  lourde  table 
Car  l'automne  est  venu  qui  mûrit  les  vergers, 
Et  déjà  l'outre  est  pleine  et  les  ceps  vendangés  ; 
Mais  Hélène  sourit  et  reste  toujours  belle. 
Au  retour,  le  foyer  s'est  ranimé  pour  elle  ; 
La  demeure  est  heureuse  et  l'époux  est  content, 
L'arbre  incline  les  fruits  que  chaque  branche  tend. 
Et  le  grenier  regorge,  et  la  grange  est  remplie  ; 
L'amphore,  en  la  penchant,  verse  le  vin  sans  lie. 
0  Reine,  et  songes-tu,  du  seuil  de  ta  maison 


l34  LES    MÉDAILLES    d'aRGILE 


Si  tranquille  devant  le  soir  et  l'horizon, 

Qu'il  est  des  seuils  prochains  où  coule  et  fume  encore 

Le  sang-  frais  ;  que  des  voix  sournoises  et  sonores 

Se  querellent  tout  bas  et  s'insultent  tout  haut; 

Que  la  gorge  d'un  roi  saigne  sous  le  couteau  ; 

Que  la  haine  a  serré  les  poing-s  et  tord  les  bouches 

Et  dresse  une  autre  reine  en  un  geste  farouche 

Furieuse  et  debout  encore  en  son  forfait; 

Et  qu'Argos  se  lamente,  et  s'irrite,  et  se  tait, 

Devant  l'âtre  fatal  et  cher  à  l'Erynnie 

Où  reparaît  Oreste  et  manque  Iphigénîe? 


HÉLÈNE    DE    SPAftTE  l35 


LA  BAROUE 


Le  battant  refermé  de  la  porte  d'airain 
Fait  vibrer  au  tombeau  l'urne  où  reste  ta  cendre, 
Hélène,  et  vers  les  bords  du  fleuve  souterrain 
Ton  Ombre  maintenant  est  libre  et  va  descendre. 

Gomme  autrefois,  parmi  les  fleurs  des  jardins  clairs, 
Tu  marchais  en  riant  à  l'aurore  naissante 
Silencieusement  tu  passes  à  travers 
La  nuit  pâle  qui  mène  à  la  sombre  descente. 

C'est  le  royaume  obscur  et  le  pays  secret, 
Et  pourtant  peu  à  peu  ta  mémoire  étonnée 
Y  retrouve  au  réveil  comme  un  terrestre  attrait 
Du  sol  héréditaire  où  ta  vie  était  née 


l30  LES   MÉDAILLES   d'aRGILE 

Un  somnolent  silence  environne  les  pas 
De  ton  Ombre  anxieuse  et  qui  cherche  sa  route 
Et,  sans  tenter  l'écho  qui  ne  répondrait  pas, 
Tu  marches  taciturne,  et  ta  pensée  écoute. 

Tout  est-il  mort  en  toi  des  temps  et  des  destins? 
N'entends-tu  pas  la  mer  et  la  rumeur  des  foules, 
Ni  gronder  sourdement,  au  fond  des  jours  lointains, 
Le  bruit  prodigieux  d'une  ville  qui  croule? 

Regarde.  Vois  la  rive.  Il  t'attend  près  du  bord, 
Assis,  la  tête  basse,  en  sa  barque  d'ébène, 
Celui  de  qui  la  rame  aide  à  passer  les  morts... 
Et  les  cygnes  du  Styx  t'ont  reconnue,  Hélène! 

Ils  dressent  leurs  longs  cols,  anxieux  de  te  voir, 
Et  s'approchent,  battant  l'eau  sombre  de  leurs  ailes, 
Car  l'onde  est  ténébreuse  et  les  cyg-nes  sont  noirs 
Et  pour  roses  l'Erèbe  a  la  triste  asphodèle. 

Entre  donc.  Le  Passeur  a  saisi  l'aviron 
Et  tend  sa  rude  main  au  tribut  funéraire; 
Offre  la  drachme  due  au  passage.  Caron 
Pour  fendre  le  flot  noir  est  âpre  au  noir  salaire. 


HELENE    DE    SPARTE 


i37 


Mais  lui,  dont  les  durs  yeux  n'ont  jamais  liésilô 

Te  regarde  au  visag-e  et  refuse  d'un  signe. 

Et  le  Passeur  des  Morts  sourit  à  la  Beauté, 

Et  la  barque  t'emporte,  Hélène,  sœur  des  cygnes  l 


Déjà  décroît  la  rive,  et  le  fleuve  muet 

Que  divise  la  proue  et  bat  la  rame  double, 

Roule  son  onde  morne  et  son  eau  sans  reflet 

Comme  un  marbre  fluide  et  comme  un   métal  trouble; 

Et  voici  que  déjà  monte  en  face  et  grandit 

Le  ténébreux  rivage  et  l'infernale  côte, 

Et  l'aviron  plus  lourd  crispe  le  bras  roidi 

Du  Passeur  plus  courbé  qui  mène  l'Ombre  baute. 

Elle,  debout,  contemple  une  dernière  fois 
Derrière  elle  les  cygnes  noirs  qui  l'ont  suivie 
Et  salue  à  jamais  en  eux  qu'elle  revoit 
Les  oiseaux  blancs  jadis  au  fleuve  de  sa  vie. 

Hélène,  mais  la  rive  où  le  sombre  Nocher 
Te  conduit  n'est  donc  pas  déserte  et  solitaire? 
Et  la  grève  où  la  proue  au  sable  va  loucher 
Est  aux  Ombres  déjà  dont  la  foule  s'y  serre. 

0. 


i38  LES  M!Îdaii-l::s  dauoilî 


Tout  le  peuple  des  morts  se  presse  devant  toi, 
Impatient  de  voir  celle  qui  vient  de  vivre 
Et  qui,  fille  d'un  dieu,  d'un  pasteur  ou  d'un  roi, 
Paya  la  drachme  d'or  ou  l'obole  de  cuivre, 

Et  d'entre  cette  foule  obscure,  peu  à  peu, 
Voici  surg'ir  pour  toi  des  Ombres  reconnues, 
Et  l'airain  bombe  encor  les  torses  musculeux, 
Et  des  g-laives,  là-bas,  luisent  dans  les  mains  nues. 

Vois.  Sous  l'armure  hellène  et  le  casque  troyen 
Tous  ceux  que  le  dur  fer  a  couchés  sur  la  plaine, 
Jadis,  et  dont  plus  d'un  peut-être  se  souvient 
Que  son  sang-  a  rougi  la  sandale  d'Hélène. 

0  terreur  1  vois  saigner  et  se  rouvrir  encor, 
En  leur  plaie  éternelle  et  que  rien  n'a  fermée. 
Le  talon  nu  d'Achille  et  la  g-orge  d'Hector. 
C'est  Hécube  parmi  la  cendre  et  la  fumée  ; 

Laocoon  se  dresse,  arrachant  de  ses  reins 
Le  serpent  qui  s'y  noue  et  le  mord  à  la  cuisse; 
Andromaque  sourit  à  son  fils  qu'elle  étreint; 
Voici  le  vieux  Priam  et  le  subtil  Ulysse  ; 


HÉLÈNE    DE    SPARTE  iSg 


Et,  déchirant  la  pourpre  à  ses  ong'Ies  aigus, 
Cassandre,  qui,  fiévreuse  aux  lambeaux  de  sa  robe. 
Rêve,  farouche  encor  des  maux  qu'elle  a  prévus. 
Diomède  est  debout  auprès  deDéiphobe. 

Le  cavalier  Nestor  qui  vit  en  sa  saison 
Se  heurter  du  poitrail  Centaures  et  Lapithes 
Et  sur  l'Arg-o  jadis  vogua  vers  la  Toison 
Branle  sa  tête  chauve  à  présent  décrépite. 

La  colère  d'Ajax  par  son  sang-  apaisé 

Gronde  encor  en  son  geste  et  tord  son  poing  robuste, 

Et  l'Amazone  montre  un  sein  cicatrisé 

Et  pose  sur  son  arc  la  flèche  qu'elle  ajuste. 

Et  plus  loin,  derrière  eux,  l'innombrable  troupeau 
Des  Ombres,  pour  mieux  voir  se  bouscule  et  se  rue, 
Et  s'augmente,  et  se  hausse,  et  presse  au  bord  de  l'eau 
Sa  masse  impatiente  et  sa  poussée  accrue  ; 

Sur  Celle  qui  descend  à  l'infernal  séjour. 
Vont-ils  venger  au  fond  de  la  nuit  souterraine 
Le  cruel  souvenir  de  leurs  terrestres  jours? 
Leur  attente  sans  voix  halète  sans  haleine... 


l40  LES  MÉrAILLES    d'arGILE 

Non.  Tous,  debout,  les  bras  tendus  vers  la  Beauté, 
Au  lieu  de  la  maudire,  eux  qui  sont  morts  par  elle, 
D'une  bouche  muette  où  nul  cii  n'est  resti 
Acclament  en  silence  Hélène  toujours  belle. 


LA  NUIT  DES  DIEUX 


Homme  I  Je  l'ai  suivi  longtemps,  tu  ne  m'as  pas 

Entendue,  et  l'écho  qui  seul  double  ton  pas 

A  fait  que  tu  croyais  marcher  seul  dans  l'aurore  ; 

Tu  marcherais  toujours  sans  m'avoir  vue  encore 

Peut-être,  et  toujours  seul  et  me  cherchant  en  vain, 

Peut-être,  si,  ce  soir,  debout  sur  ton  chemin, 

Familière  à  ton  songe  et  nouvelle  à  ta  vue, 

Je  n'étais,,  tout  à  coup  et  soudaine,  apparue, 

Opportune  et  mystérieuse  devant  toi 

Sans  surprise  et  qui  me  regardes  sans  elFroi 

Car  le  pieux  espoir  où  se  voua  ta  vie 

T'a  laissé  sans  autel,  sans  culte  et  sans  patrie 

Sur  cette  terre  aride  où  tu  cherches  les  Dieux. 

Je  t'ai  suivi  longtemps,  invisible  à  tes  yeux, 
0  passant,  je  t'ai  vu,  tout  haletant  de  joie 


1^4  ^ES    MEDAILLES    d'aUGILE 

Quand  tu  croyais  saisir  quelque  divine  proi» 

Persévérant  chasseur  sans  flèches  ni  filets... 

Je  t'ai  suivi  dans  la  forêt  où  tu  voulais 

Surprendre  le  Sylvain  ou  saisir  la  Dryade 

Alors  qu'à  la  naissante  aurore  elle  s'évade 

De  l'écorcc  rugueuse  où  s'écorche  ta  main . 

En  vain  ta  hache  abat  l'arbre;  il  est  vide.  En  vain 

Tu  t'es  courbé  longtemps  au-dessus  des  fontaines 

Pour  entrevoir  dans  l'eau  fugitivement  vaine 

La  Nymphe  qui  l'habite  et  qui  ne  montre  plus 

Au  ruisseau  transparent  son  corps  fluide  et  nu 

Qui  selon  la  courbe  où  l'étreinte  de  la  rive 

S'étirait  en  fuyant  avec  l'onde  furtive. 

0  berger,  c'est  en  vain  que  parmi  les  troupeaux, 

Nourri  de  leur  laitage  et  vêtu  de  leurs  peaux, 

Assis  la  flûte  aux  doigts  près  des  ruches  à  cire, 

Sous  la  lune,  l'été,  tu  guettas  le  Satyre 

Dont  le  sabot  piétine  et  qui  marche  en  dansant. 

Vaine  attente!  A  genoux,  je  t'ai  surpris  souvent 

Au  crépuscule  près  de  la  source  sacrée 

Sur  le  sable  cherchant  la  trace  vénérée 

De  Pégase.  La  Mer  à  tes  regards  pieux 

N'a  pas  fait  de  ses  flots  jaillir  ses  glauques  Dieux. 

Aucun,  qu'il  soit  des  prés,  des  antres  ou  des  grèves, 

N'a  montré  son  visage  au  désir  de  tes  rêves  ; 

Pas  môme  ceux,  jadis,  qui,  partout  familiers, 


LA    NUir    DES    DIECX  1^5 


A  toute  heure,  des  champs,  dos  monts  ou  des  hnlhcrs 
Sortaient  el  se  mêlaient  aux  hommes  de  la  Terre. 

Parcours  la  plaine  en  fleurs  ;  monte  au  pic  solitaire, 

Visite  le  vignoble  ou  scrute  la  forôt, 

La  laude,  les  jardins,  le  verger,  le  guéret. 

Rien.  Passe,  6  voyageur,  la  porte  de  la  Ville 

Que  le  libre  travail  ou  le  labeur  servllo 

Emplit  de  l'aube  au  soir  de  sa  double  rumeur: 

On  chante,  on  parle,  on  rit,  on  court,  on  vit,  on  meurt. 

Le  brasier  luit,  le  bûcher  flambe,  le  four  fume; 

Le  marteau  furieux  retombe  sur  l'enclume; 

L'un  forge  la  cuirasse  et  l'autre  bat  la  faulx  ; 

La  fonte  en  un  seul  bronze  unit  divers  métaux. 

Pour  l'arène  où  l'on  saigne  et  la  glèbe  où  l'on  sue 

Voici  le  glaive  court  et  le  soc  de  charrue  ; 

Voici  l'ancre  nautique  et  l'éperon  marin. 

Admire  l'Aigle  d'or  et  la  Louve  d'airain 

Qui  harcèle  du  bec  et  qui  mord  de  la  gueule 

Les  esclaves  muets  attelés  à  la  meule 

Car  la  Ville,  en  un  jour,  tous  les  jours,  sans  arrêt 

Dévore  une  moisson  et  brûle  une  forêt 

Et  semble,  au  fond  des  soirs,  une  aurore  allumée. 

Mais  il  manque  pourtant  à  toute  la  fumée 

Rampante  au-dessus  d'elle  et  noircissant  les  cieux 

Le  petit  grain  d'encens  qui  monte  vers  les  Dieux! 


l46  LES    MÉDAILLES    u'aKGILE 

lût  nul,  sous  le  marteau  dont  la  forge  résonne, 
Humblement,  d'une  main  pieuse,  ne  façonne, 
Dans  l'argent  malléable  ou  dans  l'or  souverain, 
La  face  fabuleuse  ou  le  profil  divin. 

Pourquoi  n'as-tu  donc  pas, comme  les  autres  hommes, 

Oublieux,  oublié  les  noms  dont  on  nous  nomme  ? 

Pourquoi  nous  cherches-tu  toujours,  cher  obstiné, 

Toujours,  sur  notre  trace  invisible,  acharné? 

Ne  saurais-tu  sans  nous  trouver  la  terre  belle 

Et  fertile?  L'est-elle  moins  sans  que  Cjbèle 

La  parcoure,  ô  pieux  Ami  ?  Toute  la  Mer 

Ne  chante-t-elle  plus  d'un  flot  toujours  amer 

Sa  plainte  langoureuse  et  sa  sonore  joie 

Sans  qu'à  travers  le  vent  qui  l'apporte  tu  croies 

Entendre  en  sa  rumeur  t'appeler  à  leurs  bras 

Les  Sirènes ?Que  veux-tu  donc?N'es-tu  donc  pas 

Heureux  que  le  troupeau  tout  entier  t'appartienne 

Sans  avoir  à  livrer  aux  Déesses  Gardiennes 

Ta  plus  blanche  génisse  ou  ton  plus  noir  bélier? 

Est-ce  trop  pour  toi  seul  des  fruits  de  l'espalier, 

Du  champet  du  jai din,  de  l'arbre  et  de  la  vigne 

Sans  qu'un  devoir  secret  à  l'offrande  désigne 

La  grappe  la  plus  lourde  et  le  plus  lourd  épi? 

Ne  sentirais-tu  donc  ni  regret,  ni  dépit 

A.  verser  sur  l'aulel  pour  qu'un  Dieu  s'en  honore 


LA    NUIT    DES    DIEUX  l47 

Le  vin  qu'à  son  crater  épancha  ton  amphore? 

Va  donc!  Coupe  ton  orge  et  moissonne  ton  blé. 

Qu'importe  où  s'est  enfui  le  Céleste  Exilé 

Qui  levait,  en  menant  la  vendang-e  et  l'orgie, 

Sa  corbeille  pourprée  et  sa  serpe  rougiel 

Sois  homme.  Mange,  bois, pleure  et  ris,  tour  à  tour. 

Le  désir  est  plus  bref  que  tu  ne  crois.  L'Amour 

Dure  à  peine  le  temps  d'effeuiller  une  rose. 

Prends  la  fleur.  Mords  au  fruit.  Vis  à  m<jme  les  choses 

Sans  plus  l'inquiéter  de  ce  qui  fut  divin. 

Mais  je  sens,  ô  mon  fils,  que  je  te  parle  en  vain 

Ecoute  moi.  Entends.  Je  suis  l'une  de  celles 

Que  les  hommes  jadis  nommèrent  Immortelles. 

Seule  encore  je  vois  la  moitié  des  saisons 

Et  l'éternel  soleil  grandir  à  l'horizon. 

Les  autres,  avec  moi,  aux  Enfers  descendues, 

Ombres  pâles,  en  ont  oublié  les  issues, 

Moi  seule  encor  je  sais  par  quel  détour  obscur 

On  monte  à  la  clarté  du  jour  et  vers  l'azur. 

Car  je  suis  à  la  fois  terrestre  et  souterraine 

Etmon  Royaume  est  double  oùjesuis  deux  fois  Reine. 

Tu  l'as  voulu.  Reçois  sur  tes  lèvres  le  grain 

Du  fruit  mystérieux  quo  je  porte  à  la  main  ; 


l48  LliS    MÉDAILLES    d'aRGILE 

Ferme  tes  yeux  à  la  lumière  dont  encor 
S'emplit  leur  roug-e  nuit  du  reflet  d'un  soir  d'or. 
Suis-moiquit'aisuivilong-temps. Tais-toi.  Prends  g-arde. 
Descends  encor.C'est  bien.  Ouvre  les  yeux.  Regarde  1 

Tu  vois,  là-bas,  roulant  la  vase  de  ses  eaux, 

Le  noir  fleuve  entourer  de  son  fluide  anneau, 

A  travers  l'ombre  trouble  et  la  clarté  nocturne, 

Abrupte  ou  sablonneuse  et  partout  taciturne, 

L'Ile  silencieuse  où  séjournent  les  Dieux. 

Le  Temps  ne  les  a  pas  respectés.  Ils  sont  vieux 

Et  leurs  cheveux  sontblancsetleurs  barbes  sont  blanches. 

Vois  Bacchus  corpulent  qui  saisit,  lève  et  penche 

L'amphore  vide  d'où  ne  coule  plus  nul  vin, 

Son  thyrse  est  un  cep  mort  sans  pampre  ni  raisin 

Et  l'inquiet  Hermès  lui  compare  en  pensée 

Le  bâton  nu  qui  fut  jadis  le  caducée 

Où  ne  s'enroulent  plus  les  mystiques  serpents  ; 

Les  Satyres  lassés  auprès  des  Aeg-ypans 

Dorment  ou  lourdement  s'étirent  et  la  corne 

Pastorale  est  rompue  au  front  osseux  des  Faunes, 

Ne  recounais-tu  point  en  ces  spectres  errants 

Les  fantômes  des  Dieux  que  le  monde  a  crus  grands, 

Terribles,  bienveillants,  injurieux  ou  fourbes, 

Durs  à  qui  leur  résiste  et  durs  à  qui  se  courbe, 

Innombrables,  vivants,  suprêmes,  immortels, 


LA    NUIT    DES    DIEUX  14^ 

Vers  qui  fumait  l'encens  et  ruisselait  l'autel 
Du  sang-  quotidien  de  victimes  sans  nombre 
Et  qui  ne  sont  plus  rien  maintenant  que  des  Ombres  "? 

Ils  rêvent,  anxieux,  espérant  le  soleil 
Et  que  le  song-e  ambroisien,  noble  et  vermeil 
Recommence  et  que  Texil  cesse  et  que  l'on  sorte 
De  l'Ile  souterraine  autour  de  qui  l'eau  morte 
Du  noir  Styx  passe,  court  et  s'écoule  sans  bruit, 
Car  leur  foule  nocturne  est  lasse  de  la  nuit. 
Mars,  comme  pour  partir,  rattache  sa  sandale 
Et  Vénus,  belle  encor,  en  cette  onde  infernale, 
Trempe  son  pied,  tandis  que  Neptune  prudent 
Semble   sonder  un  gué  du  bout  de  son  trident. 

Contemple  tous  ceux-là  de  qui  fut  g'énérique 

La  joie  olympienne  ou  la  force  olympique. 

Qui  furent  autrefois  l'oracle  et  le  destin, 

La  réponse  de  l'antre  et  le  motsybillin, 

L'écho  sacré,  la  flûte  alternée  et  la  lyre, 

Les  cymbales,  le  cri,  la  danse,  le  délire, 

Le  parfum  de  la  rose  et  l'odeur  du  laurier, 

L'ode  religieuse  et  le  refrain  guerrier. 

Le  roulement  des  chars  ou  le  choc  des  tonnerres, 

Les  murmures  du  ciel,  les  frissons  de  la  terre, 

La  houle  des  moissons  qui  font  le  sol  mouvant 


l50  LES    MÉDAILLES    d'aIXGILE 


Et  la  forêt  mouvante  au  long- souffle  du  vent 

Et  le  chant  de  la  mer  et  le  chant  des  fontaines, 

La  rumeur  qui  bourdonne  au  creux  des  ruchespleines, 

La  source,  le  ruisseau,  le  fleuve  ;  eux  qui  mêlaient 

En  leurs  coupes,  le  vin,  l'eau,  le  sang-  et  le  lait, 

Portaient  le  sceptre  droit  ou  le  thyrse  flexible, 

Lançaient  la  foudre  au  mont  et  la  flèche  à  la  cible 

Et  remplissaient  la  terre  et  le  ciel  tour  à  tour 

De  la  confusion  de  leurs  vastes  amours. 

Tous  ces  Dieux  de  la  Vie  et  de  la  Violence 

Leurs  Ombres  maintenant  ne  font  que  du  silence. 

Et  tous,  d'un  long-  reg~ard,  suivent  pensivement, 
En  son  vertigineux  et  morne  tournoiement, 
Pég^asequi,  rué  d'une  course  inutile, 
Les  crins  au  vent,  galope  en  rond  autour  de  l'Ile 
Et  qui  parfois  bondit  et  qui  parfois  s'abat 
Et  qui  semble  hennir  et  que  l'on  n'entend  pas 
Et  qui  s'arrête  et  qui  repart  et  semble  attendre. 
D'un  quadruple  sabot  creusant  le  sol  de  cendre, 
Et  brusquement,  cabré,  prodig-ieux  et  noir, 
D'un  élan  furieux  et  d'un  trag-ique  espoir, 
Ecarte  d'un  seul  coup  ses  deux  ailes  ouvertes 
Qui  battent  l'air  trop  lourd  et  retombent  inertes 
Et,  rebelles  encor,  referment  à  son  dos 
L'effort  désespéré  d'un  vol  jamais  éclos. 


LA    I>U1T    DES    DIEUX 


l5l 


Et,  maintenant,  adieu,  mon  fils.  Retourne.  Oublie 

A  la  lumière  de  l'amour  et  de  la  vie 

Ce  monde  inférieur  où  tes  jeux  ont  connu 

Ce  que  les  Dieux  que  tu  cherchais  sont  devenus. 

Va-t'en  sans  regarder  denière  toi.  Va  vivre; 

Car  moi  qui  t'ai  conduit  je  ne  peux  plus  te  suivre 

Là-haut.  Ici  mon  heure  infernale  est  sonnée 

Et  j'ai  vécu  la  part  de  ma  terrestre  année; 

Je  redeviens  une  Ombre  et  je  rentre  parmi 

Cette  foule,  Etrangère  et  Captive  à  demi, 

Car  le  printemps  m'appelle  à  la  terre  et  l'automne 

Du  Tartare  profond  ramène  Perséphono; 

IMais  toi  que  rien  n'arrête  en  la  funeste  nuit 

Va-t'en.  Tu  reverras  l'aurore  d'aujourd'hui 

Et,  du  seuil  retrouve  de  la  clarté  vivante, 

Tes  yeux  se  rouvriront  de  leur  sombre  épouvante 

Loin  de  l'Ile  cruelle  et  des  farouches  lieux 

Où  rôdent  à  jamais  les  fantômes  des  Dieux. 

Pars;  mais  en  repassant  la  pierre  de  ta  porte 
Secoue  avant  d'entrer  le  sable  que  rapporte 
A  sa  semelle  humide  encor  du  noir  chemin 
Ta  sandale  trempée  au  fleuve  souterrain. 


L'ARBRE  DE  LA  ROUTE 


LA  HALTE 


Viens.  L'Arbre  du  repos  est  au  bord  de  la  route  ; 
Son  tronc  tremble  de  lierre   et  son  ombrage  est  frais. 
Et  le  frisson  d'une  eau  dont  la  source  est  auprès 
Au  tremblement  léger  des  ramures  s'ajoute. 

Restons  là.    Que  la  nue  aux  feuilles,  goutte  à  goutte, 
Pleuve  ou  que  le  soleil  les  perce  de  ses  rais, 
Nous  verrons,  du  pré  vert  ou  du  jaune  marais, 
Venir  le  char  qui  grince  et  la  chèvre  qui  broute. 

Devant  nous,  les  Travaux  et  le  Temps  et  l'Amour 
Vont  passer.  Vois  !  pieds  nus,  sandale  ou  sabot  lourd, 
La  faucille,  la  fourche  ou  la  faulx  à  l'épaule  ; 

Ils  portent  la  corbeille  ou  l'amphore  ou  le  van  ; 
Et  nous  entendrons  fuir  sur  l'herbe  qui  les  frôle 
Le  doux  pas  de  la  pluie  et  les  ailes  du  vent. 


LES    MEDAILLES    D  AUGILB 


LES  FEUILLES 


L'ombre  qui  se  relire  ou  s'allonge,  selot 

L'heure  du  jour  qui  croît  ou  du  jour  qui  décline, 

Marque  le  cours  du  temps  et  la  saison  divine 

Où  l'aube  est  toujours  claire  et  le  soir  toujours  long. 

Jusques  en  l'herbe  g-rasse  où  luit  nu  ton  talon 

Et  nu  le  double  fruit  que  ta  gorge  dessine, 

Aucune  branche  lourde  à  ta  bouche  n'Incline 

Son  fruit  de  pourpre  douce  et  son  fruit  d'ambre  blond 

Car  l'arbre  haut,  nourri  des  racines  au  faîte 
Par  la  terre  féconde  où  rôde  l'eau  secrète, 
Pousse  en  stérile  jet  son  tronc  âpre  et  vivant; 

Mais  dans  le  tremblement  des  feuilles  incertaines, 
Entends  sourdre,  courir  et  ruisseler  au  vent 
Le  bruit  aérien  des  sources  souterraines. 


l'aubre  de  la  route  1^7 


LE  LIVRE 


Prends  le  livre.  Assieds-toi  dans  l'herbe  où  ton  fuseau 
Ég-alement  charg-é  de  laine  blanche  et  noire 
Enroule  à  son  ébène  et  lie  à  son  ivoire 
Son  double  fil  oisif  que  ne  rompt  nul  ciseau. 


L'herbe  frôle  en  tremblant  tes  mains  ;  le  ciel  est  beau 
Et  la  verte  prairie  autour  de  toi  se  moire. 
Vois,  regarde  passer  aux  marg-es  du  grimoire 
Ou  l'ombre  d'une  feuille  ou  l'aile  d'un  oiseau. 

D'un  vent  tendre  et  lég-er  aux  heures  de  la  Vie 
Le  Printemps  tournera  la  page  qu'il  oublie  ; 
Voici  l'Été.  Souris.  Ecoute.  Lis  encor... 

Le  doux  soleil  tiédit  le  livre  qu'il  caresse 

Pour  que  l'année  heureuse,  à  l'automne,  te  laisse 

Le  fermer  au  signet  de  quelque  feuille  d'or. 


LES    MEDAILLES  D  ARGILE 


L'AMOUR 


J'ai  vu,  ce  soir,  l'Amour.  Et  le  fouet  â  la  main, 
Debout,  il  châtiait,  farouche  et  flag-ellé, 
Pris  au  mors,  le  cheval  pour  les  Muses  ailé 
Qui  frappait  l'herbe  en  fleurs  de  son  sabot  divin 

Le  monstre  hennissait  et  se  cabrait  en  vain, 
Tout  rose  d'une  écume  où  du  sang-  fut  mêlé; 
Et  la  nuit  était  bleue  et  le  ciel  étoile. 
Et  l'Amour  torturait  la  bête  au  noble  crin. 

Je  lui  criai  :  Va-t'en,  Pégase!  prends  ton  vol, 
Bondis  et  rue  et  romps  l'entrave  et  le  licol; 
L'Enfant  ne  suivra  pas  ton  essor.  IMonte  et  fuis  ! 

Mais  l'Amour,  souriant  toujours,  de  ses  mains  fraîches, 
Me  montra,  qui  saignaient  encore  de  ses  flèches. 
Les  doubles  ailes  d'ombre  ouvertes  dans  la  Nuit. 


l'arbre  de  la  nOUTE  i59 


LES  ENNEMIS 


J'ai  vu  l'Amour,  un  soir,  combattre  un  autre  Amour. 
L'un  riant  de  courber  son  frère  terrassé. 
Et  l'autre,  au  souple  bras  qui  le  lient  enlacé, 
Mordant  la  chair  parente  où  frappe  son  poing-  lourd. 

Combat  silencieux  de  la  Nuit  et  du  Jour 

Qui  heurte  le  dieu  nu  contre  un  dieu  cuirassé. 

Et  le  muscle  meurtri  pressant  l'airain  faussé 

Et  chacun  d'eux  vainqueur  et  vaincu  tour  à  tour. 

La  lutte  consanguine,  amoureuse  et  farouche, 
De  sa  quadruple  étreinte  et  de  sa  double  bouche, 
Lie  en  un  corps  jumeau  l'âpre  couple  guerrier, 

Jusqu'à  l'heure  où  le  vent  de  l'aube  matinale 
Sèche  aux  membres  rompus  du  groupe  meurtrier 
La  sueur  fraternelle  et  la  pourpre  rivale. 


iCo  LES    MÉDAILLES  d'aKGILE 


L'ILLUSION 


Tu  vois  passer  celui  qui  marche  vers  la  Mer  ; 
Le  caillou  de  la  route  et  la  ronce  des  sentes 
Offensent  ses  pieds  nus  faits  pour  fouler  la  pente 
Des  grèves  où  vers  l'eau  descend  le  sable  amer. 

La  houle  des  blés  lourds  s'écroule,  et  le  pré  vert 
Ondule  d'herbe  éparse  où  le  sillon  s'arg-ente, 
Et  le  vent,  à  travers  les  cimes  bruissantes, 
Murmure  une  marée  en  leur  feuillag-e  clair. 

L'horizon  fait  au  loin  déferler  ses  collines 
A  tes  yeux  éblouis  d'illusions  marines, 
Flux  et  reflux  d'un  songe  éternel  et  fuyant  ; 

Et  poui*  battre  le  flot  futur  autour  de  l'île, 
Terrestre  voyag-eur  et  toujours  souriant, 
Tu  portes  sur  l'épaule  une  rame  inutile. 


L'AnnaE  de  la  uoute  i6i 


LA  BÊTE 


Et  cet  Autre  a  passé,  suant,  sous  le  soleil, 

Lié  par  ses  deux  poings  que  la  corde  excorie, 

A  conduire  l'opprobre  et  l'obscène  furie 

D'uu  bouc  farouche  et  roux,  à  quelque  Dieu  pareil. 

Haletant  et  tendu  de  la  nuque  à  l'orteil, 
Jarret  nerveux  et  sang-  aux  mains  et  peau  meurtrie, 
Il  mate  un  instant,  rompt,  entrave  et  contrarie 
L'âpre  effort  de  la  bête  horrible  au  poil  vermeil. 

Le  brusque  bouc  debout,  droit,  sur  ses  sabots  d'or, 
Se  cabre  contre  lui,  lutte  et  l'entraîne  encor; 
Et  l'Arbre  est  dépassé  de  la  route  éternelle. 

Et  le  pasteur  vaincu  suit  l'ouaille  revêche, 
Sachant  qu'il  ne  pourra  jamais  à  cause  d'elle 
Goûter  l'ombrage  frais  et  boire  l'ombre  fraîche. 


LKS    MEDAILLES    D  ARGILE 


LE  PHILTRE 


D'une  pointe  de  flèche  où  le  sang-  g-outte  encor 
L'Amour  a,  par  deux  fois,  sur  ton  écorce  lisse 
Gravé  son  nom  cruel  et  doux,  afTre  et  délice, 
Que  le  fer  tour  à  tour  meurtrit,  caresse  et  mord. 

La  sève  au  sang-  divin  mêle  s€s  larmes  d'or; 
Et  le  philtre  amoureux  en  tes  fibres  se  g-lisse, 
Et,  pour  que  la  ramure  au  ciel  s'épanouisse, 
Le  tronc  plus  douloureux  se  contracte  et  se  tord. 

Et  depuis,  à  ton  ombre  assis,  j'entends  qui  chante 
Ta  cime  harmonieuse  et  toujours  frémissante 
Avec  tous  les  oiseaux  de  l'aurore  et  du  soir  ; 

Et,  tordue  à  mes  pieds  oii  leur  nœud  s'entrecroise, 
Je  vois  sourdre  et  ramper  au  sol  vorace  et  noir. 
En  serpents  souterrains,  la  racine  sournoise. 


l'arbre  de  la  route  iGî 


LE   RETOUR 


Le  vent  à  pas  légers  et  la  pluie  à  pas  lourds 
Nous  précèdent  déjà  sur  la  route  où  frissonne 
Ma  tristesse  à  qui  l'heure  et  le  soir  et  l'automne 
Disent  le  temps  qui  passe  et  la  fuite  des  jours. 

Ton  visag"e  pourtant,  ô  Toi,  sourit  toujours 
Et  ta  bouche  indulgente  et  divine  pardonne 
A  l'instant  envolé  qui  fuit  et  t'abandonne; 
Et  la  route  reprise  est  douce  à  tes  retours. 

Le  Souvenir,  là-bas,  ouvre  son  porche  où  tremble 
Le  lierre  fraternel  qui  nous  accueille  ensemble 
Enguirlandant  le  seuil  et  la  porte  en  ruine; 

Et  l'âtre  noir  verra  aux  cendres  ranimées, 

Gomme  en  mon  sombre  amour  que  ta  grâce  illumine, 

Rire  la  flamme  claire  à  travers  les  fumées. 


iC'l  LES  MÉDAILLES    d'aivCîLE 


LE  REGRET 


Le  feuillag-e  jauni  tremble  aux  branches  lassées 
Et  la  maison  là-bas  nous  appelle  au  heurtoir, 
Et  côte  à  côte  ainsi  nous  "irons  vers  le  soir 
Où  marchent  devant  nous  nos  heures  enlacées. 

Au  reflet  du  cristal  comme  aux  sources  g-lacces, 
Que  le  temps  douloureux  ou  doux  me  fasse  voir 
Son  rire  à  la  fontaine  ou  sa  ride  au  miroir, 
Ton  souvenir  se  mire  à  toutes  mes  pensées. 

L'automne  les  disperse  aux  routes  de  la  vie  ; 
L'écorce  se  desquame  et  l'arbre  s'exfolie 
Et  la  ramure  oscille  au  souffle  qui  l'émeut; 

Et  ses  feuilles,  au  vent  qui  les  parsème  inertes, 
Emportent,  çà  et  là,  chacune  comme  un  peu 
Du  murmure  amoindri  de  la  cime  déserte. 


L  AU DUE    D2    LA    UOUTE 


LA  HACHE 


Ecoute.  Le  vent  froid  aux  cailloux  de  la  route 
Aig^uise  lentement,  invisible  ouvrier, 
Les  serpes  et  les  faulx  de  ses  bises  d'acier; 
Le  pas  du  Temps  résonne  au  carrefour .  Ecoute. 

Ecoute.  Au  loin  déjà  les  fleurs  s'effeuillent;  toute 
La  prairie  alentour  frissonne,  et  tout  entier 
Le  grand  arbre  frémit  au  souffle  meurtrier  ; 
Et  sa  Dryade  en  lui  va  saig-ner  goutte  à  goutte. 

Les  bûcherons,  liant  le  fag-ot  et  l'écorce, 

Vont  dépecer,  hélas  !  ta  stature  et  ta  force  ; 

Ton  ombre  a  marqué  l'heure  à  ta  chute  ;  mais  sache, 

Au  soir  de  quelque  Automne  org-ueilleux  de  ta  mort, 

Parmi  l'eff'ondrement  de  ta  ramure  d'or. 

Tomber  au  moins  hautain  et  grave,  sous  la  hache. 


A  TRAVERS  L'AN 


LE  DEKNIEH  SOIR 


La  haute  lampe 
Brûle  sur  la  table  en  silence, 
Droite  parmi  les  livres  lus 
Où  ma  tôle  s'est  inclinée; 
Je  n'entends  plus, 
Mélancolique  et  vig-ilante, 
Passer  et  rôder  par  la  chambre 
La  vieille  Année. 

Elle  s'est  faite  humble,  patiente  et  grave 

En  sa  grise  robe  d'hiver. 

Pour  s'asseoir  près  de  l'âtre  clair 

Où  se  chauffent  ses  mains  baissées  ; 

Elle  s'est  faite  douce  et  grave 

Avec  des  pas  légers  qui  semblent 

Marcher  à  travers  mes  pensées 

Sur  de  la  cendre. 


l-yO  LES    MEDAILLES    D  ARGILE 


Les  corbeilles  d'été  et  les  paniers  d'automne 

Sont  là,  pendus  au  mur,  et  parfois 

L'osier  craque,  le  vent  frissonne 

Aux  roseaux  du  vase  où  se  sèchent 

Leurs  tig'es  et  leurs  feuilles,  et  parfois 

Je  tressaille  et  j'écoute 

Et  je  la  vois, 

Immobile  en  sa  robe  grise 

Sans  que  jamais  murmure  sa  bouche 

Plus  rien  des  chansons  désapprises 

Qu'elle  chantait  dans  l'été  riant 

En  tressant  brin  à  brin, 

Avec  ses  mains. 

L'osier  souple  et  le  jonc  pliant 

Et  le  saule  qui  se  redresse 

Et  cing-le  et  qu'on  tourne  eu  corbeilles. 

Seul  son  rouet  ronfle  et  bourdonne 
Avec  un  bruit  lointain  d'abeilles 
Qui  s'enfle,  s'approche  et  recule. 
Et  monotone 
Semble  filer  du  crépuscule. 

L'horloge  haute 

En  sa  maison  d'écaillé  et  de  buis 

Ajoute  une  heure  ù  l'heure  qui  fuit 


A    TRAVERS    L  AN  I7I 


Et  le  temps  va  de  l'une  à  l'autre 
Jusqu'à  minuit. 

Alors  la  silencieuse  Année,  assise 

A  l'âfre  en  sa  robe  rose  et  grise' 

Se  lève  et  rallume  le  feu  qui  s'éteint  ; 

Une  g-rande  flamme  d'espoir 

Monte  et  rougit  le  pavé  noir 

Et  réchauffe  ses  mains  glacées, 

Et  je  crois  voir, 

Au  seuil  déjà  du  temps  qui  vient, 

Son  visag-e  nouveau  sourire  à  me?  pensées. 


172  LES    MEDAILLES   D  AUGILE 


LA  VOiX 


La  fontaine  murmure  à  la  source  un  secret 

Qui,  goutte  à  goutte,  s'interrompt,  filtre  ou  s'arrête 

Et  qui  se  continue  en  la  rumeur  secrète 

Dont  vibrent  sourdement  la  mer  et  la  forôl. 

Tour  à  tour  hésitant,  humble,  bas  ou  discret. 
Commence,  se  rétracte  et  se  cherche  et  s'apprôto 
Le  môme  mot  ôpars  qu'attend,  espère  et  g-uette 
Le  passant  qui  partout  le  devine  et  se  tait. 

L'éclair  l'écrit  au  ciel  et  le  biiTe  ;  la  pluie 
S'embrouille,  se  reprend,  bégaie  et  balbutie; 
La  fissure  ricane  et  l'antre  ouvre  la  gueule  ; 

Tout  parle  ;  et  dans  le  vent  anxieux  et  farouche 
J'écoute  pour  jamais  errer,  multiple  et  seule, 
L'universelle  voix  de  l'invisible  bouche. 


A  Tn.w^RS  l'an  173 


\ŒU 


Je  voudrais  pour  tes  yeux  la  plaine 

Et  une  forôt  verte  et  rousse, 

Lointaine 

Et  douce 

A  riiorizon  sous  un  ciel  clair, 

Ou  des  collines 

Aux  belles  lignes 

Flexibles  et  lentes  et  vaporeuses 

Et  qui  sembleraient  fondre  en  la  dourcui   de  \'i.-.i'- 

Ou  des  collines, 

Ou  la  forêt 

Je  voudrais 

Que  tu  entendes. 

Forte,  vaste,  profonde  et  tendre, 

La  grande  voix  sourde  de  la  mer 

Qui  se  lamente 

ii. 


1^4  Ï-ES  MÉDAILLES    d'aRGILE 

Comme  l'Amour  ; 

Et,  par  instant,  tout  près  de  toi. 

Dans  l'intervalle, 

Que  tu  entendes, 

Tout  près  de  toi. 

Une  colombe 

Dans  le  silence', 

Et  faible  et  douce 

Comme  l'Amour, 

Un  peu  dans  l'ombre, 

Que  tu  entendes 

Sourdre  une  source... 

Je  voudrais  des  fleurs  pour  tes  mains, 

Et  pour  tes  pas 

Un  petit  sentier  d'herbe  et  de  sable 

Qui  monte  un  peu  et  qui  descende 

Et  tourne  et  semble 

S'en  aller  au  fond  du  silence. 

Un  tout  petit  sentier  de  sable 

Où  marqueraient  un  peu  tes  pas, 

Nos  pas, 

Ensemble! 


A    TRAVERS    L  AN 


ELEGIE 


Un  grand  silence  clair  de  regret  et  d'attente 
Emplit  le  beau  jardin  qui  song-e  et  se  souvient 
Et  ma  pensée  y  marche,  anxieuse  ou  riante, 
Sur  l'invisible  pas  qui  précède  le  sien. 

Quelqu'un  a  foulé  l'herbe  auprès  du  bassin  vide 
Et  posé  son  talon  au  marbre  descellé, 
Tandis  que  tremble  encor,  flexiblement  rigide, 
La  feuille  d'un  roseau  qu'une  fuite  a  frôlé. 

Une  main  curieuse  a  soulevé  la  dalle 

Qui,  du  poids  de  sa  pierre  où  luit  l'anneau  d'airain, 

Cache  l'onde  secrète  à  qui  va  la  spirale 

D'un  escalier  furtif,  sonore  et  souterrain- 


lyG  LES    WÉDMO.PS    D'AIVGiLE 

Uû  iuvIsîL'le  pas,  de  parterre  en  parterre, 
A  parcouru  les  fleurs,  la  grotte  et  le  bosquet, 
Kôle  mystérieux,  visiteur  solitaire, 
Taciturne  passant  parmi  l'éciio  muetl 

C'est  lui  qui,  sur  le  seuil  de  la  maison  fleurie, 
A  cueilli  cette  rose  aux  pétales  de  feu 
Dont  la  pourpre  sang-uine,  amoureuse  et  meurtrie, 
Garde  la  marque  encor  de  la  lèvre  d'un  dieu. 

li  n'a  pas  refermé  la  porte  encore  ouverte 
Par  où  l'odeur  du  soir  est  entrée  avec  lui 
Et  rôde  longuement  en  sa  lang-ueur  inerte 
Qui  s'attarde  à  le  suivre  et  qui  partout  le  suit. 


Je  l'ai  suivi,  le  cœur  battant  dans  ma  poitrine, 
A  son  souffle  inégal  de  palier  en  palier, 
Et  je  l'entends  marcher  dans  la  chambre  voisine, 
Fantôme  insaisissable  et  partout  familier. 

Voici  le  lit,  la  lampe  et  le  masque  de  cire 
Qae  le  miroir  regarde  et  qui  seul  lui  répond! 
Et  quelle  main,  hardie  au  sommeil  qui  l'attire 
A  répandu  ton  huile,  ô  Lampe,  et  sur  quel  front? 


A    TIVAVEUS    h  AH  l-J-J 


Solitude,  silence  et,  dans  notre  mémoire, 
Equivoque  rumeur  qui  monte  d'autrefois, 
Et  la  grande  aile  d'or  qui  passe  sur  l'eau  noire 
Où  notre  face  en  pleurs  se  penche  et  se  revoit. 

Je  ne  sais,  mais  je  sens,  Maison  mystérieuse, 
Pour  l'invisible  pas  qui  visita  ton  seuil, 
S'exhaler  sourdement,  de  ta  pierre  pieuse, 
Comme  un  amer  parfum  de  reg-ret  et  d'oro'ueil. 


Ton  jardin  est  plus  beau,  les  roses  sont  plus  belles. 
Ta  fontaine  secrète  et  tes  bassins  verdis 
Délaissés  maintenant  de  leurs  eaux  infidèles. 
Savent  le  nom  sacré  que  tout  bas  tu  redis. 


Et  je  te  reconnais,  charme  ineiTabîe  et  sombre, 
Délice,  cher  parfum,  présence  qui  toujours 
Revis  dans  le  reg'ard  et  survis  dans  les  ombres 
Dos  êtres  et  des  lieux  qu'a  visités  l'amour  1 


178  LES    MÉDAILLES  d'aRGILE 


LE  JARDIN  MOUILLF: 


La  croisée  est  ouverte;  il  pleut 
Comme  minutieusement, 
A  petit  bruit  et  peu  à  peu, 
Sur  le  jardin  frais  et  dormant» 

Feuille  à  feuille,  la  pluie  éveille 
L'arbre  poudreux  qu'elle  verdit; 
Au  mur,  on  dirait  que  la  treille 
S'élire  d'un  geste  eng-ourdi. 

L'herbe  frémit,  le  gravier  tiède 
Crépite  et  l'on  croirait  là-bas 
Entendre  sur  le  sable  et  l'herbe 
Comme  d'imperceptibles  pas. 


A   THAVERS  l'an  I79 


Le  jardin  chuchote  et  tressaille, 
Furlif  et  confidentiel; 
L'averse  semble  maille  à  maille 
Tisser  la  terre  avec  le  ciel. 

Il  pleut,  et,  les  3-eux  clos,  j'écoule, 
De  toute  sa  pluie  à  la  fois, 
Le  jardin  mouillé  qui  s'égoulle 
Dans  l'ombre  que  j'ai  faite  en  moi. 


i80  LES   MÉDAILLES    d'aîvGILE 


LA  PROMENEUSE 


L'allée  en  doux  circuits  contourne  pour  tes  pas 
Le  g-azon  vert  où  dort  le  bassin  létharg-ique, 
Et  le  soir  fait  grandir  d'une  ombre  symétrique 
Les  ifs  et  les  cyprès  qui  ne  s'effeuillent  pas. 

L'avare  buis,  toujours  méticuleux  et  ras, 
Aux  parterres  égaux  que  sa  bordure  étriqué, 
Est  propre  à  te  conduire  au  rêve  méthodique 
Que  lu  suis  en  marchant  et  qui  te  parle  bas. 

Mais  une  âme  perplexe,  indécise  et  légère, 
Sur  ta  bouche  s'attriste  ou  sourit  passagère, 
Selon  l'odeur  du  vent  ou  le  parfum  du  soir. 

Et  je  n'ai  pu  régler  l'inégale  fontaine 

Dont  le  double  soupir  suffit  pour  l'émouvoir, 

Inquiète  souvent  et  toujours  incertaine. 


A    riVAVEaS    L  A N  l8l 


ODELETTE 


Si  j'avais  mieux  connu  mon  amour,  si  j'avais  mieux 

Connu  ma  vie, 

Si  j'avais  mieux 

Su  mes  pensées, 

Je  n'aurais  pas  lié  ma  vie 

A  tes  pensées 

Et  à  tes  jours, 

Je  n'aurais  pas  mêlé  ta  vie 

A  mon  amour  I 

Offre-t-on  à  qui  l'on  aime 

La  fleur  épineuse  où  les  doig-ts  saignent? 

Mène-t-on  boire  à  la  fontaine 

Qu'on  sait  amère  ? 

Donne-t-on  à  filer  aux  belles  mains 

Faites  pour  tisser  de  la  joie 

12 


l82  LES    MÉDAILLES    d'aH  3ILE 

Le  chanvre  dur  et  la  grasse  laine 
Des  filandières?... 

Te  voici  debout  dans  ma  vie 

Au  carrefour  de  mes  chemins; 

La  source  est  à  tes  pieds  ;  la  rose  ploie 

Sa  tig-e  dang-ereuse.  Tu  l'as  cueillie; 

Et  la  quenouille  des  destins 

Est-elle  si  peu  lourde  de  fils  incertains 

Que  tu  souries 

D'être  seule  dans  mon  amour 

Et  de  l'avoir  pris  par  la  main  ? 


A    TRAVEIiS    L  AN 


l83 


FIN  DE  JOURNÉE 


Un  même  songe  a  fait  de  marbre  vos  paupières, 
Dieu  qui  verdit  auprès  de  toi,  Déesse  blanche  ! 
Et  toujours  ce  murmure  où  la  vasque  s'épanche 
Et  cette  allée  oblique  et  ces  eaux  régulières.. . 

L'ombre,  à  chaque  printemps,  des  feuilles  familières 

Touche  l'épaule  lisse  et  remue  à  la  hanche, 

Et  votre  ennui  captif  sur  le  socle  se  penche 

Pour  y  voir  vos  pieds  nus  pris  aux  cordes  des  lierres  ; 

Et  toi,  lasse  comme  eux,  mais  que  ton  ombre  suit. 
Tu  viens,  du  noir  portail  où  s'arque  un  double  buis, 
Regarder  l'horizon  de  la  campagne  verte; 

Et,  debout  sous  l'arcade  amèrement  rigide. 
Tu  laisses  à  ta  peau,  par  ta  robe  entr'ouverte, 
Fraîchir  le  souple  vent  qu'embaume  l'herbe  humide. 


l84  Li'.H    MÉDAILLES  d'AUGILE 


STANCES 


L'hirondelle  légère  et  la  ros3  qui  pencha 
Ont  frôlé  tes  cheveux  et  caressé  ta  main, 
Et  ta  vie  est  venue  à  la  colline  blanche 
Parce  que  tu  suivais  les  routes  du  matin. 

Entre  ;  l'âtre  t'accueille  et  la  porte  est  ouverte  ; 
La  fraîcheur  de  la  paix  émane  des  murs  blancs, 
Et  la  vig-ne  qui  monte  au  toit  est  encor  verte. 
Entre;  la  maison  douce  est  parée  et  t'attend  ; 

Mais  la  douce  maison  qui  regarde  l'aurore 

S'ouvre  aussi  sur  le  soir,  sur  l'ombre  et  sur  la  nuit  ; 

La  fleur  se  fanera  que  l'aube  vit  éclore; 

Le  pampre  rougira,  vert  encore  aujourd'hui. 


A    TUAVERS    l'an  I85 


Et  tu  verras  saigner  les  feuilles  et  les  roses  ; 
L'aurore  d'où  tu  viens  mène  au  soir  où  tu  vas, 
Reste  à  l'âtre  fidèle  où  la  paix  est  éclose, 
Ferme  la  porte  lourde  et  ne  la  rouvre  pas. 

Car  si  tu  redescends  de  la  colline  claire 

Où  t'a  mené  ta  vie  en  chantant  au  matin, 

ïu  trouveras  bientôt,  sournoise  entre  deux  pierres, 

La  ronce  qui  se  crispe  et  te  mordra  la  main. 

Et  dans  l'ombre  mauvaise  où  rôdent  les  vents  louches 
Qui  soufflent  à  la  face  et  hurlent  au  talon, 
Tu  sentiras,  avec  leurs  bouches  à  ta  bouche, 
L'aile  d'un  oiseau  noir  en  o-ritïos  sur  ton  front. 


iSÔ  LES    MÉDAILLES   d'aRGILB 


ODELETTE 


J'aurais  pu  dire  mon  Amour 

Tout  haut 

Dans  le  g-rand  jour 

Ardent  et  chaud 

Du  bel  été  d'or  roux  qui  l'exalte  et  l'enivre 

Et  le  dresse  debout  avec  un  rire 

A  tout  écho  1 

J'aurais  pu  dire  : 

Mon  Amour  est  heureux,  voyez 

Son  manteau  de  pourpre  qui  traîne 

Jusqu'à  ses  pieds  ! 

Ses  mains  sont  pleines 

De  roses  qu'il  effeuille  et  qui  parfument  l'air  ; 

Le  ciel  est  clair 

Sur  sa  maison  de  marbre  tiède 


A    TRAVERS    l'an  187 


Et  blanc  et  veiné  comme  une  chair 
Douce  aux  lèvres... 

Mais  non, 

Je  l'ai  vêtu  de  bure  et  de  laine; 

Son  manteau  traîne 

Sur  ses  talons; 

Il  passe  en  souriant  à  peine 

Et  quand  il  chante,  c'est  si  bas 

Que  l'on  ne  se  retourne  pas 

Pour  cueillir  sa  chanson  éclose 

Dans  le  soir  qu'elle  a  parfumé} 

Il  n'a  ni  jardin,  ni  maison, 

Et  il  fait  semblant  d'être  pauvre 

Pour  mieux  cacher  qu'il  est  aimé. 


l88  1  tS    MLiJAîLLES  d'aUCILE 


GONTRASfE 


La  chair  liède  où  le  sang-  gonfle,  anime  et  nourrit 
Ta  peau  voluptueuse  et  souple  qu'il  colore 
D'une  rougeur  de  pêche  et  d'un  reflet  d'aurore, 
T'a  faite,  en  ton  corps,  femme  et  femme  par  l'espii' 

Ton  oreille  est  docile  et  ta  bouche  sourit 

A  toute  la  nature  odorante  et  sonore, 

Et  ta  jeune  beauté  semble  toujours  éclore, 

Sensible  à  ce  qui  naît,  chante,  embaume  et  fleurit; 

Mais  Elle,  taciturne  à  jamais,  la  Statue 

Qui,  immobile  au  bronze,  attentive,  s'est  tue, 

Semble  écouter  en  elle  et  méditer  tout  bas. 

Dans  le  métal  durci  qui  moule  sa  stature 
Et  la  dresse  debout  et  se  croisant  les  bras, 
Le  secret  anxieux  de  la  matière  obscure. 


A    TRAVERS  l'an  ISq 


MADRIGAL  LYRIQUE 


Vous  êtes  grande  de  tout  un  corps  charmant 

Dont  l'ombre  est  à  vos  pieds,  parmi  les  roses 

Qu'effeuillent  vos  mains  en  rêvant; 

La  douce  fleur,  pétale  à  pétale,  se  pose 

En  papillons  légers  et  lents; 

La  tige,  peu  à  peu,  s'envole  de  sa  rose, 

Et  la  flûte  à  l'écho  s'accorde  dans  le  vent. 

Vous  êtes  belle  de  tout  un  visage  qui  sourit, 

De  vos  yeux  clairs  qui  vous  font  douce 

A  votre  bouche 

Où  le  sourire  en  sa  grâce  s'endolorit 

Comme  l'espoir 

Qui,  lèvre  à  lèvre,  joint  et  touche 

Les  lèvres  de  la  tristesse  qui  lui  sourit 

En  son  miroir... 


iS. 


LES    MKDAILLES    D  AUGILE 


La  flûte  avec  le  vent  s'est  tue  au  fond  du  soir. 

Vous  êtes  belle  de  toute  votre  vie  et  de  vos  jours 

Qui,  un  à  un,  vers  vous  s'en  viennent 

Menant  l'Amour 

Nu  dans  sa  robe  d'or  et  de  laine 

Avec  sa  g'ourde  et  son  diadème; 

A  vos  roses  il  mêlera  ses  épis  lourds 

Et,  pas  à  pas,  la  main  dans  la  sienne, 

Vous  irez  vers  l'aurore  et,  dans  la  nuit  sereine 

Où  s'est  brisée  avec  le  vent  ma  flûte  vaine, 

Vous  entendrez. 

Une  à  une,  sous  les  roses  et  les  cyprès, 

Chanter  dans  l'ombre  les  fontaines. 


A    TnAVEUS    L  AN  IQl 


STROPHES   ALTERiNÉES 


Je  n'ai  qu'un  tout  petit  jardin 
Entre  quatre  murs  où  le  lierre 
Qui  les  disjoint  et  les  soutient 
Rampe  et  monte  en  griffant  la  pierre. 

Les  parterres  y  sont  étroits 
Du  buis  en  bordure  aux  allées 
Qui  se  coupent*et  font  la  croix, 
Toutes  droites  et  bien  sablées. 

Quand  on  y  marche,  de  g-rands  houx 
Vous  égratignent  au  passage 
Délicatement  la  main  ou 
Luisent  durement  au  visage. 


If)2  LES    MEDAILLES  D  ARGILE 


Un  dur  silence  noir  et  vert 
Emplit  ce  jardin  ?ans  fontaine 
D'une  sobre  beauté  d'hiver, 
Inflexible,  grave  et  certaine. 

Pas  de  bassin  qui  mire  en  l'eau 
Un  peu  de  ciel  et  où  i'on  suive 
Le  vol  inverse  d'un  oiseau 
Par  son  ombre  ailée  et  furtive. 

P2t  pas  d'abeilles  en  été 
Dans  ce  jardin  mélancolique 
Qui  vienne  g"oûter  l'âpreté 
De  ce  feuillag"e  métallique; 

Tu  ne  respireras  en  lui 
Rien  qu'une  odeur  amère  et  forte 
De  cj^près^  dô  myrte  et  de  buis 
Sans  fleur  née  et  sans  feuille  morte. 


* 
*  * 


Je  n'ai  derrière  ma  maison 
Qu'un  petit  coin  de  terre  jaune 
Ou  verte  selon  la  saison 
Et  diversement  monotone. 


A  TnAVi:ns   l'an  I'i3 


Un  seul  arbre  y  pousse  et  déjà 
Son  étroite  fraîcheur  est  f^i^rande. 
Juste  assez  pour  que,  passant  là, 
Je  puisse  à  son  ombre  m'étendre. 

Et  son  feuillag-e  est  si  lég-er 
Qu'au  moindre  souffle  dont  il  tremble 
J'entends  frémir  et  voltiger 
L'essaim  de  ses  feuilles  ensemble. 

Qu'un  seul  oiseau  y  chante  et  tout 
L'arbre  harmonieux  s'en  ég"aie, 
Et,  lorsque  je  me  tiens  debout, 
Je  puis  voir  par-dessus  la  haie. 

Et  l'horizon  est  tout  autour... 
Mais  mon  cœur  ici  se  repose 
Dans  le  parfum  d'un  même  amour 
Et  l'amour  d'une  seule  rose. 


IJ^  LES    MKDAILLES    d'aUGII.E 


VOYAGES 


Pars,  mon  fils;  tu  verras,  comme  j'ai  pu  les  voir, 
Les  trois  Villes  encor  dont  ma  pensée  est  pleine 
La  Cité  florentine  et  la  Cité  romaine 
Et  Venise  endormie  en  or  au  fond  du  soir. 

Au  portique  détruit  cherche  un  fût  pour  t'asseoir; 
Ecoute  parler  l'homme  et  chanter  la  fontaine, 
Mais  consulte  plutôt  le  marbre  que  l'eau  vaine, 
Les  pierres  sur  les  cœurs  ont  un  noble  pouvoir. 

Puis,  si  tu  veux  que  ma  jeunesse  à  mes  vieux  jours 

Sourie,  apporte-moi  de  là-bas,  au  retour. 

Pour  qu'au  triple  métal  tremble  encore  ma  main 

Et  pour  que  mon  passé  dans  le  leur  se  retrouve, 
Frappés  dans  l'argent  clair,  dans  l'or  et  dans  l'airain, 
Le  Lion  bisailé,  le  Lys  rouge  et  la  Louve. 


A    TRAVERS    l'aN  IQS 


J'ai,  comme  toi  jadis,  dans  le  ciel  florentin 
Entendu  retentir  la  cloche  claire  et  forte, 
Et  sur  les  amples  eaux  de  la  lagune  morte, 
Vu  Venise  sourire  au  soleil  qui  s'éteint. 

Une  sourde  rumeur  gronde  au  vieux  sol  latin 
Où  la  dalle  encor  sonne  au  pas  de  la  cohorte, 
Et  dans  son  souvenir  qui  vers  toi  les  rapporte 
Fiésole  debout  fait  face  à  l'Aventin. 

Les  trois  Villes  ainsi  chantent  dans  ma  mémoire 
L'hymne  de  leur  beauté  et  le  bruit  de  leur  g-loire, 
Et  mon  cœur  à  leur  nom  vibre  d'un  triple  écho! 

Le  Lys  rouge  est  plus  fort  que  l'herbe  et  que  la  ronce 
Et  je  sais  ce  que  dit  de  la  Louve  de  bronze 
Le  Lion  de  Saint-Marc  au  Lion  Mar/.occo. 


r.es  r.:i;DAiLi,ES  d  ab.gilî 


ADIEUX 


Il  est  de  doux  ad'eux  au  se  lil  des  portes, 

Lèvres  à  lèvres  pour  une  heure 

Ou  pour  un  jour; 

Le  vent  emporte 

Le  bruit  des  pas  qui  s'éloignent  de  la  demeure, 

Le  vent  rapporte 

Le  bruit  des  pas  du  bon  retour  ; 

Les  voici  qui  montent  les  marches 

De  l'escalier  de  pierre  blanche  ; 

Les  voici  qui  s'approchent.  Tu  marches 

Le  long  du  corridor  où  frôle 

Au  mur  de  chaux  le  coude  de  ta  manche 

Ou  ton  épaule  ; 

Et  tu  t'arrêtes,  je  te  sens 

Derrière  la  porte  fermée; 

Ton  cœur  bat  vite  et  tu  respires 

Et  je  t'entends, 


A    TRAVKnS    L  AN 


«97 


Et  j'ouvre  vite  à  ton  sourire 

La  porte  prompte,  ô  bien-aimée  ! 

Il  est  de  longs  adieux  au  bord  des  mers 

Par  de  lourds  soirs  où  l'on  étouffe  ; 

Les  phares  tournent  déjà  dans  le  crépuscule; 

Les  feux  sont  clairs. 

On  souffre... 

La  vague  vient,  déferle,  écume  et  se  recule 

Et  bat  la  coque  de  bois  et  de  fer  ; 

Et  les  mains  sont  lentes  dans  l'ombre 

A  se  quitter  et  se  reprennent. 

Le  reflet  rouge  des  lanternes 

Farde  un  présage  en  sang  aux  faces  inceitaioes 

De  ceux  qui  se  disent  adieu  aux  quais  des  mers 

Comme  à  la  croix  de  carrefours, 

(jomme  au  tournant  des  routes  qui  fuient 

Sous  le  soleil  ou  sous  la   pluie, 

Comme  à  l'angle  des  murs  où  l'on  s'appuie, 

Ivre  de  tristesse  ou  d'amour, 

En  regardant  ses  mains  pour  longtemps  désunies 

Ou  pour  toujours, . . 

Il  est  d'autres  adieux  encor 

Que  l'on  échange  à  voix  plus  basse 

Où,  face  à  face, 


ig8  LES    MÉDAILLES   d'aRCILE 

Anxieusement,  Vie  et  Mort, 

Vous  vous  baisez,  debout  dans rombre,bouche  abouche, 

Comme  pour  mieux  sceller  encor 

Dans  le  temps  et  l'éternité 

Lèvre  à  lè\Te  et  de  souffle  à  souffle 

Votre  double  fraternité. 


A    TRAVERS    L  AN  I  f)f) 


L'ECHANGE 


J'ai  senti  vivre  en  moi  la  terre  maternelle 
Et  naître  son  printemps  et  croître  son  été, 
Et  mon  automne  à  moi  et  son  automne  à  elle 
L'une  à  l'autre  s'unir  en  leur  maturité. 

Son  sang-  mystérieux  à  ma  sève  se  mêle 
Et  c'est  un  même  fruit  que  nos  ceps  ont  porté; 
Sa  grappe  chaque  année  à  ma  grappe  est  jumelle 
Et  je  me  sens  fécond  de  sa  fécondité. 

Son  pampre,  ses  épis,  son  lierre  et  ses  roses 
Couronnent  ma  Pensée  et  son  air  pur  m'apporte 
L'odeur  de  ses  moissons  et  de  ses  fleurs  écloses, 

0  Terre,  tes  parfums  vibrent  dans  ma  voix  forte, 
Mais  mon  souffle  à  son  tour  module  en  tes  roseaux 
Les  frissons  de  ta  brise  et  le  bruit  de  tes  eaux. 


LES    Mti>'::i,I.ES    D  ARGILE 


REVEiL 


Si  le  pavag-e  est  rouge  et  si  le  mur  est  blanc, 
Si  les  rideaux  du  lit  sont  peint'-^  de  fleurs  naïves 
El  si  la  vaste  chambre  où,  le  soir,  tu  arrives 
Te  donne  un  bon  sommeil  qu'îuhève  un  réveil  lent. 

Sois  heurenx.  L'aube  est  claire.  Une  treille  suspend 
Le  long-  de  la  croisée  une  grappe  massive 
Dont  se  gonfle  par  grains  la  pourpre  qni  s'avive 
Sur  le  carreau  veiné  par  un  pampre  rampant. 

Lève-toi,  les  pieds  nus,  pour  ouvrir  In  fenêtre  ; 
L'odeur  du  foin  qu'on  coupe  et  du  trèfle  pénètre 
Avec  l'aurore  gaie  et  le  vent  du  matin; 

Écoute  ;  un  arrosoir,  là-bas,  heurte  une  bêche, 

Et  plus  loin,  par  delà  la  haie  et  le  jardin, 

Le  doux  bruit  d'une  faulx  siffle  dans  l'herbe  fraîche. 


A   '.T.  WEnS   L  AN 


LA  HACHE  ET  LE  FILET 


Abats  les  chênes 

De  ta  haute  hacho  d'acier  bleu 

Qui  luit  et  frappe  et  coupe  et  peine, 

Et  peu  à  peu 

Ebranle  l'arbre  qui  tremble  et  penche, 

Et  tombe  avec  toutes  ses  branches 

Avec  ses  lierres  et  ses  g'uis... 

Et  puis, 

Dompte  la  mer 

Et  g-uide  la  proue  et  vogue  et  vire 

Parmi  l'écume  et  le  flot  vert 

Et  tire 

Le  lourd  filet  dont  un  poids  clair 

D'argent  vif  et  d'or  et  d  écailles 

Gonfle  les  mailles... 


LES    MÉDAILLES    D*ARGILB 


Vous  êtes 

Hauts  de  stature  et  forts  de  bras, 

Toi,  pêcheur,  et  toi,  bûcheron, 

Et  si  bien  môme 

Les  guis  coupés  étaient  des  tôtes, 

Et  tes  poissons 

Pèseraient-ils  leur  poids  d'or  vrai, 

Vous  n'auriez  pas  contre  mon  gré, 

Vous  n'auriez  pas, 

Par  la  cog-née  ou  par  la  rame, 

Sans  mon  amour. 

Une  seule  heure  de  mes  jours 

Un  seul  cheveu  de  mes  cheveux. 

Et  c'est  bien  peu 

Tout  votre  vain  orgueil  d'hommes  qui  ne  peut 

Qu'à  sa  guise  lui  rie  une  bouche  de  femme, 


A    TRAVEUS    l'an  2o3 


CHÉPUSCULE  D'AUTOxMNE 


Pâles  et  par  la  main  et  comme  deux  amies 
La  Tristesse  et  la  Paix  vous  conduisent  vers  l'ombre 
Où  dans  le  vieux  jardin  mélancolique  et  sombre, 
S'effeuillent  doucement  des  roses  endormies. 

La  face  du  silence  aux  fontaines  bleuies 
Se  regarde  mourir  au  fond  de  l'eau  qui  tombe 
Goutte  à  goutte,  éveillant  le  repos  des  colombes 
Lourde  dans  l'or  de  l'arbre  et  des  feuilles  vieillies. 

Car  l'automne  est  venue  avec  le  crépuscule, 
Et  lorsque  vous  marchez  un  fantôme  recule, 
Devant  vous  qui  sourit  d'avoir  été  vous-même  ; 

Une  épine  survit  où  fut  la  fleur  éclose, 

Le  Passé,  soir  par  soir,  s'accroît  de  l'ombre  vaine, 

Goutte  à  goutte,  le  Temps  se  meurt  et  rose  à  rose  1 


20'j  LES    MliDAII.LÎIS  D  AUGILE 


L'ENTRÉE  AU    PARC 


Vous  entrerez 

En  vous  courbant, 

Par  la  petite  porte  basse 

A  l'angle  du  long-  mur,  voici 

La  lourde  clef  de  fer  noirci... 

Vous  vous  assoierez  sur  le  banc. 

Il  est  velu  de  mousse  grasse  ; 

Le  temps  l'a  rongé  et  il  penche 

Mais  il  est  de  marbre, 

Et,  souvent 

Des  feuilles  mortes. 

De  branche  en  branche, 

Au  gré  du  vent, 

Tombent,  lentement  des  vieux  arbres 

Mystérieux  et  tout  en  or, 

Et  leur  chute  molle  et  légère 


A   TRAVEUS    l'an  2o5 

Caresse,  frôle,  effleure  et  flaire 

Le  vieux  marbre  velu  qui  dort. 

Vous  entendrez 

Bientôt,  peu  à  peu,  de  plus  près 

Et  sourdement  comme  en  vous-même 

Vivre  et  respirer  le  silence. 

Le  vieux  parc  est  plein  de  fontaines 

Qui  rient  et  pensent 

Et  parlent  bas  et  qu'on  entend 

Gémir  entre  elles  doucement 

Et  se  murmurer  l'une  à  l'autre, 

Car  l'eau  oublie  et  passe  et  ment, 

De  vieux  secrets  qui  sont  les  nôtres 

Trop  vag-ues  pour  qu'on  s'en  souvienne, ,, 

Mais  n'écoutez  pas  les  fontaines. 

N'écoutez  pas, 

Non  plus,  si  c'est  le  soir, 

Les  colombes  qui  roucoulent  encor 

Dans  les  cimes  des  arbres  d'or. 

Ni  celles  qui  s'entrelamentent 

A  la  pointe  des  cyprès  noirs  ; 

N'écoutez  pas,  si  c'est  le  soir. 

Les  fontaines,  ni  les  colombes, 

Ni  la  feuille  qui  tombe 

Devant  vos  pas. 

l3 


206  LES    MÉDAILLES    DAUGILE 

L'allée  est  large  et  claire  et  douce 
Et  si  vous  marchez  sur  sa  mousse 
Le  silence  ira  avec  vous, 
Comme  il  est  venu  avec  moi, 
Jusqu'au  miroir  où  l'on  se  voit 
A  soi-même  sa  Destinée. 

C'est  un  bassin  où  dort  depuis  que  tu  es  née 

Une  eau  mélancolique  en  un  marbre  fidèle. 

Pas  une  goutte  ne  s'est  perdue, 

L'onde  est  intacte,  toute,  et  telle 

Que  le  Temps  l'amassa  jusques  à  ta  venue, 

Et  auprès  d'elle 

Se  tiennent  debout  deux  statues, 

Ailées  et  nues, 

Et  toutes  deux  qui  sont  l'Amour 

Mais  l'une  va  sourire  et  l'autre  va  pleurer, 

Approche-toi,  viens  le  mirer 

A  ton  Destin. 

Le  clair  miroir  est  incertain. 

Si  tu  t'y  entrevois  en  pleurs  ou  souriante, 

Ta  bouche  trouvera  celle  qui  lui  ressemble 

Et  son  baiser  t'attend  aux  lèvres  de  la  vie. . . 

fit  dans  l'eau  du  bassin  le  double  Amour  t'épie. 


A    TUAVEUS    L  AN 


207 


L'ABRI 


Clos  la  fenêtre  obscure  et  ferme  la  maison  ; 
Laisse  monter  le  lierre  et  dormir  le  silence, 
Et  que  des  mille  fers  de  sa  multiple  lance 
La  plante  aux  bras  noueux  garde  notre  horizon. 

Le  printemps,  au  dehors,  embaume  le  gazon  ; 
Cueille  la  fleur  qui  rit,  cueille  la  fleur  qui  pense; 
Notre  triste  jardin  que  la  mort  ensemence 
Est  l'âtre  que  blanchit  la  cendre  du  tison. 

N'entre  pas.  Laisse-nous,  à  nous  qui  sommes  mortes, 
L'abri  mystérieux  des  seuils  clos  et  des  portes. 
Ton  pas  te  reviendrait  au  fond  du  corridor. 

Le  silence  appartient  aux  voix  qui  se  sont  tues, 
Car  chaque  Ombre  toujours  habite  toute  encor 
La  chambre  solitaire  où  elles  furent  nues. 


208  LES    MÉDAILLES    d'aUjH-E 


aoE 


Amour  ! 

J'ai  voilé  ta  face  au  fond  de  mes  songes, 

Amour  ! 

J  ai  voil6  ta  face  au  fond  de  mes  jours 

Kt  tes  yeux  clairs  et  ta  bouche  lente 

Qui  me  parlait  à  l'oreille  dans  l'ombre; 

J'ai  couronné  ta  chevelure  tiède  et  long-ue 

De  feuilles  et  de  violettes  en  guirlandes 

Et  j'ai  lâché,  à  l'aube,  tes  colombes 

Et  j'ai  éteint  du  pied  ta  torche  noire 

Et  j'ai  brisé  ton  arc  et  dispersé  tes  flèches, 

Amour  ! 

J'ai  voilé  ta  face  au  fond  de  ma  mémoire 

Et  de  mes  jours. 

Parce  que  le  Printemps  chantait  dans  l'aurore 
Le  long"  du  calme  fleuve  et  des  jeunes  roseaux, 


A    THAVEnS    l'an  201 


Parce  qu'Avril  riait  dans  la  grotte  sonore 
Vit  filant  sur  le  seuil  l'arg^cnt  de  ses  fuseaux, 
Parce  que  le  bois  frais  pleuvait  de  soleil  clair 
Et  que  les  sentiers  bleus  entraient  dans  la  forêt 
Et  que  l'étoile  enfin  se  levait  sur  la  mer, 
La  môme  qui  monta  derrière  les  cyprès, 
Amour  aux  yeux  cruels  de  lanc^ueur  et  de  honte 
Par  qui  tant  de  printemps  me  furent  sans  douceur, 
J'ai  voilé  ton  regard  et  j'ai  laissé  dansi'ombre 
Ton  visage  aux  yeux  clairs  de  rire  et  de  langueur. 

Si  l'Été  roux  de  blés  et  rouge  de  roses, 

Si  l'Eté  ■ 

Mystérieux  de  force  et  de  maturité, 

Si  l'Été  des  soirs  d'or  et  des  matins  fauves 

Avec  ses  fruits  mûrs  qui  jutent  en  gouttes  chaudes 

Aux  lèvres  lasses  qui  les  mordent, 

Si  l'Été 

De  soleils  éclatants,  de  midis  et  d'étoiles 

Qui  chante  au  vent  de  tout  l'or  mûr  de  ses  blés  lourds, 

Qui  crie  et  saigne  de  toutes  ses  roses. 

N'avait  pas  enivré  mon  sang,  ô  doux  AmouF, 

Eussé-je  ainsi  voilé  ta  bouche 

De  lourde  rose 

Douce  à  ma  bouche  ? 

la. 


LES    MEDAILLES    D  ARGILE 


Voici  l'Automne. 

Le  Printemps  et  rÉté  sont  morts,  heure  par  heure  ; 

L'Automne  de  toutes  ses  fontaines  les  pleure  : 

Jet  d'eau  qui  sang^lote,  vasque  qui  chantonne, 

Sources  qui  bruissent, 

Grottes  en  larmes  des  stalactites  ; 

Et  te  voici  au  bout  de  l'allée 

Où  les  feuilles  mortes  s'endolorissent 

De  pourpres  pâles  et  d'or  fané; 

VX  tu  es  là,  Amour,  et  ta  face  est  voilée. 

Tes  couronnes 

Sont  sèches. 

Ton  arc  brisé  g'ît  parmi  tes  flèches. . . 

I\allumeral-je  de  la  cendre  où  elle  est  morte 

Ta  haute  torche 

Pour  éclairer  l'ombre  et  le  soir  ? 

Tes  yeux  ne  veulent  plus  me  voir. 

Amour,  Amour  ! 

Ta  bouche  est  froide  sur  la  mienne 

Et  j'entends  du  fond  de  mes  jours 

Le  Passé  te  pleurer  de  toutes  ses  fontaines  t 


A    Tl\AVF.nS    I.  AN  3II 


BLANCHE  OOURONNE 


Blanche  couronne  !  grâce  ancienne 
De  tes  deux  noms  de  fleurs  et  d'eau, 
Tu  es  aussi  Douce-Fontaine 
Pour  tes  roses  et  tes  roseaux. 

L'eau  verte  dort  aux  douves  tièdes. 
L'eau  fraîche  veille  au  fond  du  puits, 
Le  jardin  vaste  est  plein  de  cèdres 
Et  le  vieux  cloître  plein  de  buis. 

Les  g-lycines  aux  arceaux  blancs 

Montent  et  le  lierre  rampe  ; 

De  la  fenêtre  on  voit  les  champs, 

Des  champs,  là-bas,  on  voit  les  lampes. 


LES    MEDAÎLr.ES    l»  A/iGILE 


Douceur  du  soir,  foyer  d'automne  1 
Tout  le  bois  d'or,  et  les  pins  verts 
Avec  la  plainte  monotone 
Du  vent  qui  leur  vient  de  la  mer. 

Joie  au  matin,  paix  de  midi, 
La  promenade  autour  du  cloître 
Où  l'on  voit  sur  le  mur  tiédi 
Son  ombre  grandir  ou  décroître, 

Solitude,  chère  ruine 
Où  l'âtre  a  des  flammes  encor, 
Où  l'écho  vers  nous  s'achemine 
Du  fond  des  vastes  corridors  ; 

Roses,  fleurissez-la  toujours  1 
Sa  plus  belle  fleur  est  la  mienne 
Et  j'ai  bu  dans  ce  doux  séjour 
L'onde  de  la  Douce-Fontaine; 

L'automne  où  cet  an  va  finir 
Est  doux  de  nos  ombres  passées 
Et  je  tresse  à  son  souvenir 
Cette  couronne  de  pensées. 


A    TRAVERS   l'a!^  21  J 


L' ADIEU 


J'ai  tressé,  brin  à  brin,  la  corbeille  des  Heures, 

Osier  qui  chante  au  bord  de  l'eau, 

Jonc  qui  tremble  et  saule  qui  pleure  I 

Ma  flûte  long-ue  eut  sept  roseau;^ 

Qui  chantèrent  l'heure  après  l'heure 

Selon  ma  tristesse  ou  ma  joie, 

Selon  que  l'arbre  jaunit  ou  verdoie. 

Selon  que  l'an  est  grave  ou  tendre. 

Vous  Êtes  venus  les  entendre, 

Chansons  rauques  ou  douces,  vives  ou  lentesi 

D'après  la  taille  des  roeeaux. 

Ma  corbeille  est  pleine,  prenez 
La  grappe  lourde  qui  déborde  et  saigne, 
Prenez  la  poire  molle  ou  la  châtaig-ne, 
Epineuse  que  cuira  la  cendre  tiède, 
Prenez  les  fruits  du  verger  clair 


JI^  LES    MlÎDAILLEâ    d'aRuILE 

Et  les  fruits  âpres  de  la  haie, 

Goûtez-en  r(^corce  et  la  chair, 

Blessure  ou  plaie, 

Saveur  sucrée,  arôme  amer, 

Délice  ou  peine... 

Puis,  allez  boire  à  la  fontaine. 

Déjà  l'aube  se  hâte  et  fait  la  nuit  plus  brève 
Que  retarde  à  son  tour  le  crépuscule  lent; 
L'arbre  est  en  sève. 

Et  la  douceur  de  l'air  lasse  l'aile  du  vent; 
Puis  le  Pi'intemps  rira  sans  qu'on  le  voie  encore 
Et  son  pas  sonnera  sur  le  chemin  sonore 
Par  où,  svelte  et  léger,  il  marche  vers  l'Eté, 
Et  l'Automne  divine,  indolente  et  plus  belle 
De  songe,  de  langueur  et  de  maturité 
Nous  verra  revenir  en  silence  vers  elle 
Aïeule  du  Printemps  et  fille  de  l'Eté. 

Et  nous,  vivants, 

Nous  aurons  écouté  le  vent 

Le  long  des  routes  de  la  vie 

D'arbreen  arbre,  de  branche  en  branche, d'heure  en  heure; 

Nous  aurons  touché  des  mains  douces 

Sans  doute, 

Et  âme  à  âme,  chair  à  chair, 


K    THAVERS    L  AN 


Aimé  peut-être  et  souffert, 
Et  j'aurai  dans  mes  corbeilles 
Autrement  faites  et  tressées 
Le  nouveau  miel  d'autres  abeilles 
Et  d'autres  fruits  d'autres  pensées. 


LES   PASSANTS   DU  PASSÉ 


A  MAURICE  MAINDROIS 


14 


LE  ROUTIER 


Face  brusque  et  joyeuse  et  qu'un  sang  âpre  farde, 
Debout,  en  son  pourpoint  tailladé  de  satin, 
Il  se  carre  à  mi-corps  et  son  geste  hautain 
S'appuie  à  son  épée  et  pèse  sur  la  garde. 

Par  la  pique,  l'épieu,  la  torche  et  la  bombarde, 
Du  levant  au  couchant,  de  l'Alpe  à  l'Apennin, 
Il  ravagea,  pillant  les  caves  et  le  grain, 
La  marche  niilanaise  et  la  plaine  lombarde. 

Le  juron  à  la  bouche  et  la  colère  aux  yeux, 
La  guerre  qu'il  aima  le  fit  aussi  joyeux 
Au  soir  de  Marignan  qu'au  matin  de  Pavie, 

Et  sa  rouge  narine  ouverte  semble  encor 
Flairer,  au  fond  du  temps  d'où  lui  revient  sa  vie, 
L'odeur  de  la  bataille  et  de  sa  propre  mort. 


u;,:.:.s   u  Ar.GiL:; 


LE  IMIGNOI^ 


II  est  debout,  épée  au  flanc  et  fleur  aux  doig-ts  ; 
Les  chausses  do  satin  étroites  au  plus  juste 
Moulent  la  jambe  fine  et  la  cuisse  robuste 
A  la  mode  du  siècle  et  des  seconds  Valois. 

Joyeux  des  crocs  d'Amboise  et  des  g-ibets  de  Blois, 
Nourrisson  de  Pétrone  et  client  de  Locuste  ! 
Le  court  manteau  plissé  accroît  l'ampleur  du  buste 
Et  la  cuirasse  aig-uë  est  en  cosse  de  pois. 

Une  fraise  à  g-odrons  l'engonce.    Il  vous  reg-arde 
D'un  œil  fourbe,  et  sa  bouche  amoureuse ,  que  farde 
Un  ong-uent,  va  sourire  ou  mordre  ou  minauder. 

Et  deux  perles  de  lait,  l'une  à  l'autre  pareille, 
Semblent,  tirant  le  lobe  et  prêtes  à  tomber, 
Une  g-outte  d'amour  qui  pend  à  chaque  oreille. 


LES    PASSANTS    DU    PASSE 


PORTRAIT  DOUBLE 


L'époque  fut  païenne,  idolâtre  et  lascive 
En  ce  siècle  impudique  où  naquit  sa  beauté, 
Et  son  torse  divin  sur  lui  n'a  pas  porté 
Le  corsage  hypocrite  où  la  gorge  est  captive. 

Le  peintre,  par  deux  fois,  d'un  pinceau  qui  s'avive 
Au  ton  de  l'incarnat  d'un  modèle  vanté, 
Sur  la  toile  a  repeint  ce  beau  corps  et  tenté 
Qu'en  un  double  portrait  sa  grâce  se  survive. 

Dans  l'un  elle  est  assise  et  caresse  son  sein 
Dont  le  ferme  contour  a  l'antique  dessin 
De  la  coupe  où  ses  doigts  effeuillent  une  rose  ; 

Mais  dans  l'autre,  plus  belle,  elle  m'est  apparue, 
Statue  entière  où  frise  un  angle  d'ombro  fauve , 
Car  elle  y  est  debout  et  rit  d'y  être  nue 


LES    MEDAILLES    D  ARGILE 


L'ABBESSE 


Fière  et  triste  à  jamais  qu'un  Dieu  fût  mort  pour  elle, 
En  échang-e  du  sanjç  répandu  sur  la  croix, 
Sa  jeunesse  a  donné  par  amour  et  par  choix 
Au  Seig-neur  sa  beauté  que  le  Seigneur  fît  belle. 

Elle  a  vécu  longtemps,  humble,  chaste  et  fidèle 
Dans  la  blanche  cellule  et  les  cloîtres  étroits, 
Mais  ses  Sœurs,  à  son  tour,  voulurent  que  leurs  fois 
S'en  remissent  en  paix  à  sa  sainte  tutelle. 

La  bure  vêt  son  corps  que  le  linge  embéguine; 

Le  jeûne  a  macéré  sa  fig-ure  sanguine; 

Son  doigt  suit  sur  la  pag-e  entr'ouverte  à  ses  jeux 

La  majuscule  ornée  et  la  lettre  onciale, 

Tandis  qu'à  l'autre  main,  où  luit  l'anneau  pieux, 

Se  recourbe  et  fleurit  la  Crosse  abbatiale. 


LES    PASSANTS  DU  PASSÉ  223 


LA  païenne 


Piomel  tes  dieux  sont  morts,  et  ta  maigre  tétine, 
Louve  de  bronze,  pend  d'avoir  trop  allaité  I 
Mais  le  fantôme  nu  de  l'antique  beauté 
Erre  encore  aujourd'hui  sur  la  terre  latine. 

La  statue  est  brisée  et  la  stèle  s'incline; 
Le  roseau  se  lamente  où  la  flûte  a  chanté, 
Et  lu  restes  toujours  belle  d'avoir  été, 
Par  le  sourire  pur  des  Déesses,  divine. 

Et,  voyageur  pieux,  j'ai  voulu  qu'au  retour 
Ma  Dame  ainsi  fut  peinte  en  ce  cadre  à  son  tour 
Debout  sur  le  clair  mont  que  l'aurore  ensoleille, 

Entre  Pallas  revêche  et  Junon  furieuse, 

Car  sa  gorge  rivale  à  sa  pointe  est  vermeille 

Du  même  sang  divin  que  la  Victorieuse. 


22^1  LES    MÉDAILLES    d'aRGILE 


LE  HUGUENOT 


La  corde,  le  bûcher,  le  fagot,  la  potence, 
La  flamme  cauteleuse  et  le  chanvre  retors 
Ont  guetté,  tour  à  tour,  les  os  de  son  vieux  corps 
Que  balafra  la  dag-ue  et  coutura  la  lance; 

Et  le  voici,  debout  dans  sa  longue  espérance  ; 
Avec  1  âge  qui  vient  il  sent  venir  le  port 
Car  sa  gorge  a  chanté  au  péril  de  la  mort 
Les  Psaumes  de  David  dans  la  langue  de  France. 

Fidèle  à  l'âpre  Dieu  que  l'on  enseigne  au  prêche, 
Un  sourire  d'orgueil  crispe  sa  lèvre  sèche 
De  huguenot  têtu  et  de  bon  gentilhomme 

Qui  pouvait  s'enrichir  à  la  cour,  s'il  n'eût  pas, 
Par  dégoût  du  fumier  des  étables  de  Rome, 
Tiré  le  maigre  pis  de  la  Vache  à  Colas. 


LES    PASSANTS    DU  PASSU 


LE  GENTILHOMME 


Ci-gît  Ciespin,  seig'neur  de  Vig-neux  en  Thiérache 
Il  fui  homme  de  g'uerre  et  son  temps  lui  fut  dur, 
Il  défendit  le  pont,  la  poterne  et  le  mur, 
Aussi  la  lourde  épceà  sa  hanche  s'attache. 

Les  lig-ueurs,  apportant  le  fag-ot  et  la  hache. 

Ont  brûlé  son  castel  et  rasé  son  blé  mûr 

Et  il  n'a  récolté  de  son  labeur  obscur 

Que  le  sang-  qui  ruisselle  au  fer  qui  le  harnache. 

Le  lévrier  debout  au  lévrier  couchant 

Se  joint  pour  soutenir  son  blason;  l'or  du  champ 

A.UX  merlelles  de  sable  ouvre  un  sautoir  de   g-ueules. 

Il  a  connu  l'amour,  s'il  a  connu  la  haine 

Puisque  son  double  anneau   nous   donna  pour  aïeules 

Aune  qui  fut  sa  veuve  et  la  douce  Yolainc. 

14. 


LES    MEDAILLES   D  AUGILE 


LA   DAME 


Nul  portrait  n'est  venu  jusqu'à  nous  d'âge  en  âg'c, 
Sur  la  cire,  l'émail,  la  toile  ou  le  métal, 
Vivant  au  cadre  d'or,  d'ébène  ou  de  santal, 
Transmettre  à  ses  neveux  son  ombre  ou  son  imag-e. 

Fut-elle  blonde,  gaie  ou  rousse,  belle  ou  sage  ? 
Fille  d'un  siècle  dur  où  l'amour  fut  brutal, 
S'est-elle  regardée,  en  pleurant,  au  cristal. 
Une  perle  à  la  gorge  et  l'œillet  au  corsage? 

Rien  d'elle  que  sou  nom  accolé  sur  le  marbre 
A  celui  d'un  époux  et,  rameaux  du  vieil  arbre 
Héraldique  el  fécond  où  se  greffa  sa  grâce, 

Les  sept  fils  que  son  sein  orgueilleux  a  nourris 
Et  qui,  fruits  de  son  flanc  et  fleur  de  notre  race, 
Ont  seuls  connu  les  yeux  qui  leur  avaient  souri, 


irs  rvssANTS  du  passe  227 


TABLEAU  DE  BATAILLE 


II  est  botté  de  cuir  et  cuirassé  d'airain, 
Debout  dans  la  fumée  où  flotte  sur  sa  banche 
Le  nœud  où  pend  l'épéc  à  son  écharpe  blanche; 
Son  gantelet  se  crispe  au  geste  de  sa  main. 

Son  pied  s'appuie  au  tertre  où,  dans  le  noir  terrain, 
La  grenade  enflammée  ouvre  sa  roug-e  tranche, 
Et  l'éclair  du  canon  empourpre,  rude  et  franche, 
Sa  face  bourguignonne  à  perruque  de  crin. 

Autour  de  lui,  partout,  confus  et  minuscule. 
Le  combat  s'enchevêtre,  hésite,  fuit,  s'accule, 
Escarmouche,  mêlée  et  tuerie  et  haut  fait  ; 

Et  le  peintre  naïf  qui  lui  grandit  la  taille 
Sans  doute  fut  loué  jadis  pour  avoir  fait 
Le  héros  à  lui  seul  plus  grand  uue  la  bataille. 


LES    MiiDAlLLES   D  AUGILE 


LE  MARIN 


Le  soleil  a  liâlé  de  son  âpre  brûlure 
Sou  visag^e  marin  où  les  yeux,  vifs  encor, 
Semblent,  loin  de  recueil  et  vers  les  feux  du  port, 
Orienter  la  vcrg-ue  et  régler  la  voilure. 

Vieux  galant  d'abordag-e  et  coureur  d'aventure, 
Regrettant  le  grappin  et  l'ancre  et  le  sabord, 
Il  garde  dans  sa  main  qui  s'y  crispe  et  le  tord 
Le  rauque  porte-voix  où  vibra  sa  voix  dure. 

Il  monta,  tour  à  tour,  du  Levant  au  Ponant, 
Le  Non-Pareil,  le  Joli-Cœur  et  le  Tonnant^ 
Brick  ou  frégate  ou  lougre  ou  vaisseau  pavoisé; 

Et,  prompt  à  commander  salves  ou  branle-bas, 
Son  geste  semble  au  mât  qu'un  boulet  a  brisé 
Clouer  le  pavillon  sous  qui  l'on  coule  bas. 


LES    PASSANTS    DU  PAS?E 


LE  COURTISAN 


L'homme  est  peint  à  mi-corps  en  son  cadre  d'or  roux 
Et  rcg-arde  du  fond  de  l'ombre  qu'il  éclaire 
Du  rcg-ard  de  ses  yeux  dont  sa  bouche  sait  taire, 
Ironique^  la  joie,  ou  calme,  le  courroux. 

Le  front  est  haut,  avec  des  sourcils  de  jaloux 

Hérissés  d'un  poil  brun  qu'une  ride  resserre, 

Le  nez  astucieux  évente,  g-uette  et  flaire; 

La  main  longue  est  sans  bag-ue  et  1  habit  sans  bijoux. 

Au  coin  du  vieux  tableau,  à  gauche,  encore,  on  voit 

L'inscription  grattée  et  qui  jadis  fit  foi 

Des  titres  qu'il  tirait  des  biens  dont  il  fut  maître  ; 

Et  cet  homme  inconnu  dont  nul  ne  sait  le  nom 

A  la  cour  du  Grand  Pvoi,  naguère,  a  fait,  peut-ôtre 

Saluer  bas  Dangeau  et  pester  Saint-Simon. 


230  LES    MÉDAILLES    D'AnGILB 


PORTRAITS  DE  MAINS 


Si  le  Temps  à  jamais  effaça  dans  l'oubli 
Le  sourire  perdu  de  leurs  bouches  vivantes, 
Son  caprice  a  laissé  les  formes  indolentes 
De  leurs  mains  se  survivre  en  un  pastel  pâli. 

Celle-ci  tient  encor  l'œillet  qu'elle  a  cueilli; 
Toutes,  ticdes  de  paix  ou  fébriles  d'attentes, 
Mains  de  mères,  mains  de  vierges  ou  mains  d'amantes, 
Cambrent  leur  grâce  fîère  ou  leur  galbe  joli. 

Sur  le  jaune  papier  où  ressort  la  san<;^uine 
J^e  flexible  bouquet  de  ces  mains  consanguines 
Allonge  de  blancs  doigts  dont  l'ongle  fardé  luit. 

Et  qui  sait  si  jadis,  au  cadran  des  pendules, 
Elles  n'ont  pas  touché  par  hâte  ou  par  ennui. 
L'aiguille  où  l'heure  avance  et  où  le  temps  recule? 


LES    PASSANTS    DU  PASSÉ  23 1 


L'ONCLC 


Les  abbés  à  rabat  et  les  marquis  coquets 
Minaudent  en  lorg-nant  les  dames  peu  farouches, 
Et  le  sourire  encor  plisse  le  fard  des  bouches, 
Et  le  silence  rit  encore  de  caquets. 

L'habit  fleur  de  pêcher  et  la  robe  à  bouquets, 
Les  boîtes  à  bonbons  et  les  boîtes  à  mouches! 
Et  tout  le  gai  décor,  de  l'écran  aux  piédouches. 
Se  mire  dans  le  bois  miroitant  des  parquets. 

Mais  celui-ci,  rétif  au  conciliabule, 

Seul  en  son  cadre  noir  au  fond  du  vestibule, 

Crispe  à  l'écart  son  poing*  gantelé  de  métal  ; 

L'armure  bombe  encor  sa  poitrine  tragique 
Et  sur  son  blanc  manteau  guerrier  et  monacal 
fi'écartèle  la  cioix  de  l'Ordre  Teutonique, 


l'S'A  LES  ML;j.>u,i,i;s  m'augilï 


LE  CHASSEUR 


Il  a  battu,  jadis,  de  l'aube  jusqu'au  soir, 

La  plaine,  le  coteau,  le  val  et  la  forêt, 

Et  le  peintre,  au  retour,  le  montre  en  ce  portrait. 

Le  fouet  à  la  main  et  la  trompe  en  sautoir. 

Un  bel  épagneul  feu  frotte  son  museau  noir 
Contre  le  g-autde  cuir  qui  flatte  l'indiscret, 
Cependant  que,  couché  près  d'un  braque  d'arrêt, 
Gronde  un  dog-ue  à  poil  ras  recousu  du  boutoir. 

C'est  ainsi,  haut  botté  et  sonnant  haut  du  cor, 

Qu'il  a  vécu  jadis  et  qu'il  revit  encor, 

Tel  qu'il  forçait  jupe  troussée  ou  bête  prise, 

Et,  g-alant  à  la  ferme  et  hardi  aux  halliers^ 
Qu'il  faisait  aux  maris  de  Toinon  ou  de  Lise 
Porter  leur  part  de  cuisse  et  leur  part  d'andouillers. 


LHS    r.VSSVNTS    DU    PASSÉ  zZl 


L'HOMMAGE 


Sa  bouche  en  fleur  sourit  au  temps  qui  l'a  laissée 
Se  survivre  à  jamais,  silencieuse  et  belle  ; 
Et,  par  delà  les  ans,  peut-être,  connut-elle 
Le  désir  d'être,  un  jour,  douce  à  quelque  pensée. 

Si  l'attente  inutile  et  l'oubli  l'ont  lassée 
Et  si  nul  n'a  compris  son  regard  qui  l'appelle, 
Qu'un  hommage  tardif  demeure  au  moins  fidèle 
A  son  rêve  muet  de  vivante  passée. 

Ce  portrait  attentif  d'une  Ombre  qui  fut  tendre 
En  sa  poussière  pâle  et  frêle,  semble  attendre 
La  rose  qu'au  printemps  j'offre  à  sa  jeune  grâce, 

Et,  pour  que  sa  beauté  puisse  encor  s'y  revoir. 
Je  présente  au  pastel  qui  peu  à  peu  s'efface 
Le  sourire  incertain  que  lui  rend  le  miroir. 


834  ^^^    MlÎDAlI.LrS    d'aUGILE 


LA  LISEUSE 


La  robe  fut  jadis  changeanle,  rose  et  grise, 
Qui  vous  vêt  des  longs  plis  d'un  taffetas  glacé  ; 
Votre  gorge  a  gonflé  cette  étoffe  indécise, 
Où  roucoule  le  rose  et  le  gris  nuancé. 

Au  fond  de  la  bergère  où  vous  êtes  assise 

Vous  songez  d'avenir  peut-être  ou  du  passé 

Et,  sur  vos  genoux  joints,  craignant  quelque  surprise 

Vous  couvrez  de  la  main  un  feuillet  commencé. 

Votre  grâce  à  la  fois  impérieuse  et  tendre, 

Votre  geste,  vos  yeux  semblent  toujours  défendro 

Qu'on  lise  ce  secret  sous  vos  doigts  rapprochés  ; 

Mais  le  Temps  curieux  dont  l'aile  en  faux  vous  frôle 
A  lu,  en  se  penchant  un  peu  sur  votre  épaule. 
Le  livre  rose  et  gris  de  vos  amours  cachés. 


I.ES    PASSANTS    DU    TASSE 


PANNEAU 


L'ing-énieux  Amour  noue  à  mon  cadre  d'or 
Sa  couronne  de  fleurs  et  son  carquois  de  flèches, 
Car  sa  bouche,  jadis,  douce  à  mes  lèvres  fraîches, 
Leur  donna  la  couleur  qui  les  empourpre  encor. 

Sous  l'arceau  du  bosquet  qui  dresse  son  décor 
A  ma  beauté,  l'Automne  avec  ses  feuilles  sèches 
Touche  ma  joue  encor  pareille  au  fard  des  pèches, 
Et  l'éclair  de  mes  dents  pourrait  y  mordre  encor. 

L'Amour,  hélas  !  vois-tu,  ne  fait  pas  d'immortelles; 
La  toile  d'araignée  ourdit  à  mes  dentelles 
Ses  fils  mystérieux  qu'entrelace  le  temps, 

Mais  si  la  triste  Mort  m'effleura  de  son  aile, 
Le  dieu  qu'en  sa  jeunesse  adora  mon  printemps 
Me  g-arde  souriante  et  me  voit  toujours  belle. 


236  LES    MÉDAILLES   d'aUGILE 


CHEVALIER  DE  MALTE 


Fier  de  sa  haute  race  où  l'écu  se  blasonne, 
Vairé  de  sable  et  d'or  au  lévrier  passant, 
Le  vieux  père  a  voulu  que  les  fils  de  son  sang* 
Servissent  au  métier  que  son  âg-e  abandonne. 

Mais  le  dernier,  le  fruit  tardif  de  son  automne, 
Cadet  sans  apanage  et  blondin  presque  enfant. 
Il  veut  que  celui-là,  si  l'Eglise  le  prend, 
Porte  l'épée  au  moins  comme  son  nom  l'ordonne. 

Le  temps  est  paresseux,  sans  guerre  qui  l'exalte  ; 
Le  double  azur  du  ciel  et  de  la  mer  de  Malte 
Berça  son  long  repos  de  moine  et  de  soldat, 

Car  l'Ordre,  comme  aux  jours  d'Alger  et  de  Lépante, 
N'arme  plus  pour  la  Foi  la  galère  qui  bat 
La  barbaresque  mer  de  sa  rame  coupante. 


tes  tassa: 


MANES 


L'amoureuse  colombe  et  le  clavecin  grêle 
Avec  leur  double  voix  de  langueur  et  d'amour, 
Mystérieusement,  ensemble  et  tour  à  tour. 
Ont  endormi  son  rêve  et  soupiré  pour  elle^ 

Le  baiser  de  l'accord  et  le  frisson  de  l'aile 
Palpitent  un  instant  et  s'en  vont  sans  retour. . . 
La  voici  souriante  encore,  comme  au  jour 
Où  son  miroir  vivant  lui  risdt  d'être  belle. 

Son  fantôme  inquiet  de  morte  trop  aimée 
Semble  craindre  toujours,  en  sa  cendre  animée. 
Le  terrestre  baiser  de  quelque  bouche  crainte, 

Car  le  temps  au  pastel  fane  sans  qu'il  l'efface, 
Derrière  le  cristal  l'isolant  de  l'atteinte, 
La  poussière  fardée  où  se  survit  sa  grâce. 


2"i3  LES    MÉDAILLES   DARGILE 


LE  SINGE 


Avec  son  perroquet,  sa  chieune  et  sa  négresse 
Qui  lui  tend  le  peignoir  et  sèche  l'eau  du  bain 
A  son  corps  qui,  plus  blanc  sous  cette  noire  main. 
Cambre  son  torse  souple  où  sa  gorge  se  dresse, 

Elle  a  fait  peindre  aussi,  pour  marquer  sa  tendresse, 

Par  humeur  libertine  ou  caprice  badin. 

Le  portrait  naturel  de  son  singe  africain 

Qui  croque  une  muscade  et  se  gratte  la  fesse. 

Très  grave,  presque  un  homme  et  singe  en  tapinois, 
Velu,  glabre,  attentif,  il  épluche  sa  noix 
Et  regarde  alentour,  assis  sur  son  séant; 

Et  sa  face  pelée  et  camuse  où  l'œil  bouge 

Ricane,  se  contracte  et  fronce  en  grimaçant 

Son  turban  vert  et  jaune  où  tremble  un  plumet  rouge. 


LES   PASSANTS    DU    PASSE  sSg 


L'AMATEUR 


En  son  calme  manoir  entre  la  Tille  et  l'Ouche, 
Au  pays  de  Bourgog-ne  où  la  vigne  fleurit, 
Tranquille,  il  a  vécu  comme  un  raisin  mûrit. 
Le  vin  coula  pour  lui  dug'oulot  qu'on  débouche. 

Ami  de  la  nature  et  friand  de  sa  bouche, 

Il  courtisa  la  Muse  et  laissa,  par  écrit, 

Poèmes,  madrig-aux,  épîtres,  pot-pourri, 

Et  parchemins  poudreux  où  s'attestait  sa  souche. 

En  perruque  de  crin,  par  la  rue,  à  Dijon, 
S'il  marchait,  appuyé  sur  sa  canne  de  jonc. 
Les  Elus  de  la  Ville  et  les  Parlementaires 

Saluaient  de  fort  loin  Monsieur  le  Chevalier, 

Moins  pour  son  nom,  ses  champs,  sa  vig-ne  et  son  hallicr 

Que  pour  avoir  reçu  trois  lettres  de  Voltaire. 


24o  LES    MCDAII.LIÎS    u'aHGILE 


LE  CRÉOLE 


Tricorne  galonné,  jabot  et  haute  canne, 
Tel,  jadis,  abordant  au  sable  de  la  crique, 
Il  vint  à  Saint-Domingue  ou  à  la  Martinique 
Cultiver  le  café,  le  tabac  et  la  canne. 

A  l'âpre  venaison  que  l'esclave  boucane 
Il  préféra  les  fruits  de  la  molle  Amérique, 
Il  but  les  tafias  et  les  rhums  en  barrique 
Sous  la  véranda  fraîche  où  grimpe  la  liane. 

Sa  silhouette  exacte,  arrogante  et  correcte 
Sur  le  papier  de  riz  où  le  temps  la  respecte, 
Se  découpe  comme  son  ombre  contre  un  mur, 

Et  sans  doute  il  voulut,  cambrant  ses  mollets  maigres, 

Que  ce  profil  à  l'encre  et  ce  portrait  obscur 

j^t testassent,  un  jour,  qu'il  vécut  chez  les  nègres. 


LES    PASSANTS    DU    PASSÉ  Z&  ï 


LE  GALANT  ÉMIGRÉ 


Dans  le  cadre  d'acier  où  l'a  peint  le  pinceau 
Qui  lui  poudra  la  tôte  et  lui  bleuit  la  joue 
Sa  bouche  s'enjolive  et  s'arque  d'une  moue 
De  galant  officier  qui  se  sait  tendre  et  beau. 

Sur  l'uniforme  blanc  à  parements  ^onceau, 
Gomme  un  papillon  noir  voltige,  rôde  et  joue 
Le  ruban  qui  retient  la  perruque  qu'il  noue... 
L'amour  partout  pour  lui  alluma  son  flambeau. 

La  Révolution  passa  comme  un  torrent 

A  ses  pieds;  il  l'enjambe,  émigré  et  vit  errant; 

Maint  bel  œil  tour  à  tour  captive  l'infidèle, 

Et,  dans  le  cadre,  on  voit  des  cheveux,  au  revers, 
Enlacer,  blonds  et  bruns,  au  chiffre  qui  les  mêle. 
L'alphabet  abrégé  de  ses  amours  divers. 


zLt,  les    iniuAILI.ES    d'aUGII.E 


LE  SOLDAT 


Au  tocsin  qui  sonna  la  fuite  de  Varennes 

Et  qui,  de  cloche  en  cloche,  alla  de  bourg-  en  bourg-, 

Tu  portais  l'épaulette  et  le  catogan  court 

Et  l'uniforme  vert  des  Drag-ons  de  la  Reine. 

Ton  cheval  pommelé  en  tirant  sur  les  rênes 
Hennit  dans  l'air  civique  où  g-rondait  le  tambour, 
Et  tu  partis,  rêvant  aussi  le  prompt  retour, 
Etant  bon  g-entilhomme  et  comme  eux  tête  vaine. 

Ce  fut  l'exil,  l'espoir,  Coblentz,  le  camp  des  Princes. 
Le  temps  passa,  et  tu  revins  dans  ta  province 
Mourir,  près  du  manoir  jadis  seigneurial. 

Et^  vieux  soldat,  à  l'âtre  où  flambe  une  bourrée, 
Tu  chauffais  tristement,   d'Octobre  à  Prairial, 
Tes  sabots  de  bois  rude  et  ta  tête  poudrée. 


LES    PASSANTS   DU    PASSK  2^3 


LA  DEMOISELLE 


Le  grand  bonnet  de  tulle  est  doux  aux  cheveux  gris  ; 
Le  fichu  blanc  se  croise  et  se  noue  à  la  taille. 
Les  cheveux  furent  blonds,  dit-on, comme  la  paille; 
La  bouche  est  jeune  encor  d'avoir  souvent  souri. 

Elle  a  vécu  loin  de  la  Cour  et  de  Paris 
Et  les  petits  neveux  qui  brillent  à  Versailles 
Savent  que  dans  son   bas  tricoté  maille  à  mai'le 
S'entassent  les  bons  ors,  de  fleurs  de  lis  fleuris. 

Chaque  année,  au  château,  trois  jours,  au  temps  des  chasses 
Ils  viennent,  dorment  bien,  se  mirent  dans  des  glaces, 
Baisent  la  maigre  main  sous  la  mitaine  à  pois, 

Partent,  et  trouveront,  au  tiroir  qui  le  cèle. 

Un  jour,  un  testament  scellé  —  elle  y  a  droit  — 

De  l'écu  losange  des  vieilles  demoiselles. 


2'|4  LES    MKDAILLKS    D  AUGILE 


LES  DEUX  SŒURS 


L'une  tient  à  la  main  une  fleur;  l'autre  penche 
Pour  la  mieux  respirer  sa  tôte  et  l'on  devine 
Que  ce  geste,  à  demi,  qui  la  courbe  et  l'incline 
Fait  plus  ronde  sa  g"org-e  et  plus  souple  sa  hanche. 

Près  d'elles,  une  source  au  rocher  qui  l'épanché 
Jaillit,  qui  dans  son  eau  mire  Hortense  ou  Pauline 
Et  reflète  en  passant  la  fraîche  mousseline 
Où  l'une  est  toute  rose  et  l'autre  toute  blanche. 

En  leur  double  portrait  qui  lentement  s'écaille, 

Souriantes,  elles  se  tiennent  par  la  taille 

Et  pensent  aux  absents  qui  les  ont  faites  sœurs; 

Leur  double  bracelet  a  les  mêmes  camées, 
Car  elles  ont  ensemble  éprouvé  la  douceur 
D'être  toutes  les  deux  en  môme  temps  aimées. 


LF.S     PASSANTS    DU    PASSE 


LA   PENDULE   DE  PORCELAINE 


Le  jardin  rit  au  fleuve  et  le  fleuve  soupire 
Du  regret  éternel  de  sa  rive  qu'il  fuit, 
La  g-lycine  retombe  et  se  penche  vers  lui, 
Le  lilas  s'y  reflète  et  le  jasmin  s'y  mire. 

Le  liseron  s'élance  et  le  lierre  s'étire; 
Un  bouton  qui  g-ermait  est  corolle  aujourd'hui  ; 
L'héliotrope  embaume  l'ombre  et  chaque  nuit 
Entr'ouvre  un  lys  de  plus  pour  l'aube  qui  l'admire; 

Et  dans  la  maison  claire  en  ses  tapisseries, 

Une  pendule  de  porcelaine  fleurie 

Contourne  sa  rocaille  où  l'Amour  s'eng-uirlande, 

Et  tout  le  frais  bouquet  dont  le  jardin  s'honore 
Survit  dans  le  vieux  Saxe  où  le  Temps  pour  ofl'randp 
Grefl"e  la  fleur  d'aryunt  de  son  timbre  sonore. 

15. 


TABLE 

LES  MÉDAILLES  D'ARGILE 

faijeint   que  les  Dieux  m'aient  parlé i3 

MÉDAILLES  VOTIVES 

DÉDICACE '9 

Lî,    FEU 20 

PUELLA 22 

LA    PENSÉE 20 

EFFIGIE    nOUBLE ^4 

ÉTF 27 

l'eau 28 

la  prisonnière 29 

LA    DANSE 30 

LE  BUVEUR 3  I 

LA  COURONNE 32 

LE  MARAUDEUR .  .      35 

LA    FILEUSE 36 

VIA 37 

GHRYSILLA 38 

TIMANDRE 3g 


248  LE  3    MÉDAILLES   d'aIUJILE 

LA    MÈRE 40 

LA  RONCE 4  I 

l'oisive 42 

LA  BELLE  ANNEE 4^ 

l'ouvrier 


MÉDAILLES  AMOUREUSES 


44 


LA  TRACE 49 

l'infidèle 5  I 

LE  sommeil 52 

l'arc 53 

l'ivresse , 54 

som 50 

PllILÉNIS   ET    EUCRATE ^J 

LA  PROMENADE 58 

AUBE  d'automne 5r) 

-TROIS    sonnets   pour    BILITIS Gl 

l'amour  et   LE    SOMMEIL 04 

LE  PAS 05 

reconnaissance 00 

la  barque g7 

lever  de  lune 08 

l'aveugle. 70 

Écrio 71 

LE  BOUQUET  NOIR 72 

LA  MUSE ....  73 

MÉDAILLES  HÉROÏQUES 

le  centaure 77 

l'alerte 78 

-la  statue 79 


2/iO 


LE  CAPTIF 80 

LE  névEIL 81 

LA  VILLE 82 

l'accueil 83 

LE  FILS 85 

le  vétéran 86 

dionysiaque 87 

les  frères 83 

masque  tragique 9o 

PÉGASE 91 

LE  PIÈGE 93 

MÉDA  IL  L  ES  M.  1  /?  IXES 

■  LA  CONQUE 97 

SUR  LA  GRÈVE ...     98 

l'adieu 99 

le  passager 1 00 

-le  vieillard i  0  i 

le  départ , 102 

'  écuo  maiun. i  g  '1 

l'algue 1 06 

ode  marine i  o7 

l'empreinte I  I  O 

ÉGI.OGUE III 

PIIILOCTÈTE I  I  3 

-  APPARITION I  1 4 


LE  BUCHER  D'HERCULE 
Hercule  pour  mourir  monU  suj'  son  bâcher 117 


l-ES    MEDAILLES    D  AFIGILE 


HELENE  DE  SPARTE 


LE  BAIN 

I  E  FUSEAU 

1,'lLE  DE   CaANAÉ. 

LE   FOYER  

LA  BAROUE 


125 

129 

i3i 
i33 
i35 


LA  NUIT  DES  DIEUX 
Homme,  je  fai  suivi  longtemps i4c 


L'ARBRE  DE  LA  ROUTE 


LA  HALTE.  .  .  . 
LES  FEUILLES, 
.LE  LIVRE.  .  .  . 

l'amour  .... 

LES  ENNEHnS.  , 

l'illusion.  .  . 

LA  BÊTE 

le  philtre..  . 
le  retour . . . 
Le  regret..  .  . 

t,A  HACHE,  .  .  . 


l55 
l56 

i57 
i58 
iSy 
iGo 
161 
162 
i63 
1G4 
iG5 


LE  DERNIER   SOIR. 

l  X  VOIX 

VŒU 


A  TRAVERS  L'AN 


169 
172 
173 


ÉLÉGIE 175 

LE  JARDIN  MOUILLÉ 1  78 

LA    PROMENEUSE 180 

ODELETTE I  8  I 

FIN  DE  JOURNÉE 1  83 

STANCES I  84 

ODELETTE 1 86 

CONTRASTE 1 88 

MADRIGAL  LYRIQUE 189 

STROPHES  ALTERNÉES I  9  I 

VOYAGES 1 94 

ADIEUX 1 9O 

l'Échange 1 99 

RÉVEIL 200 

LA  HACHE  ET  LE  FILET 201 

CRÉPUSCULE  d'automne 2o3 

l'entrée  au  parc 2o4 

l'abri 207 

ODE 208 

BLANCHE  COURONNE 211 

l'adieu 2  1 3 

LES  PASSANTS  DU  PASSÉ 

LE  routier 219 

LE  MIGNON 220 

PORTRAIT    DOUBLE 221 

l'aBBESSE » 222 

LA  PAÏENNE 223 

LE  HUGUENOT 224 

LE    GENTILHOMME 225 


LES   MÉDAILLES    D'aHGILE 


LA  DAHE 22O 

TABLEAU  DE  BATAILLE 227 

LE  MARIN 228 

LE  COURTISAN 229 

PORTRAITS  DE    MAINS 2  3o 

l'oncle 23  I 

LE  CHASSEUR 282 

l'hommage 233 

LA  LISEUSE 23/| 

PANNEAU 235 

CHEVALIER  DE  MALTE 236 

MANES 287 

LE  SINGE 238 

l'amateur 23r) 

LE    CRÉOLE 2/(0 

LA  GALANT  ÉMIGRÉ 2^1 

LE   SOLDAT 2^2 

LA  DEMOISELLE * 2/i3 

LES  DEUX  SŒURS. 2 '4 

LA  PENDULE  DE  PORCELAI.NE 2 '5 


Poitiers.  —  Imp.  BUIS  et  ROY 


EXTRAIT  DU  CATALOGUE 

DES  ÉDITIONS  DV  MERCVRE  DE  FRANCE 


LEON    BOCQUET 
Les  Cygnes  noirs 

MARIE  DAUGUET 
Par  l'Amour 

EMILE  DESPAX 
La  Maison  des  Glycines 

EDOUARD    DUCOTE 

La  Prairie  en  fleurs 

Renaissance 

MAX  ELSKAMP 
La  Louange  de  la  Vie 

ANDRÉ  FONTAINAS 
Crépuscules 

PAUL     FORT 

L'Amour  marin , . .    , . . . . 

Ballades  Françaises.  .•...,..  =  .. 
Coxcomb,  ou    l'homme  tout  nu 

tombé  du  Paradis 

(Les  Hymnes  de    feu,    précédés 

de  Lucienne ,,,,,.,. 

Idylles  antiques 

Montagne 

Paris  Sentimental  ou  le  Roman 

de  nos  vingt  ans 

Le  Roman  de  Louis  XI 

PAUL  GERARDY 
Roseaux 

LOUIS   PAYEN 
Les  Voiles  blanches 


MAURICE    POTTECHER 
Le  Chemin  du  Repos 

HENRI  GHEON 
La  Solitude  de  l'Eté 

CHARLES  GUÉRIN 

Le  Cœur  solitaire 

L'Homme  intérieur 

Le  Semeur  de  Cendres 

A.-FERDINAND  HEROLD 

Au  hasard  des  chemins 

Images  tendres  et  merveilleuses, 

ROBERT  p'HUMIÈRES 
Ou  Désir  aux  Destinées 

\  HENRIK  IBSEN 

!  lésies 

\ 


Poésie 

FRANCIS  JAMMES 

3  5q       De  l'Angelus  de  l'Aube  à  l'Ange- 

lus  du  Soir 3.5o 

„  _         Clairières  dans  le  Ciel 3.5o 

•  Le  Deuil  des  Primevères 3.5o 

Le  Triomphe  de  la  Vie 3 .  5o 

^•^0  .GUSTAVE  KAHN 

Le  Livre  d  Images , . . , 3 .  5o 

3.5o      Premiers  Poèmes 3.5o 

3.5o  KLINGSOR 

Schéhérazade 3 .  5o 

3  c;„  MARC  LAFARGUE 

"^•^°      L'Age  d'Or 3.5o 

„   r-  JULES  LAFORGUE 

0.00      Poésies  complètes 3.5o 

LOUIS  LE  CARDONNEL 
3.5o       Poèmes ; 3.5o 

3-5o  SÉBASTIEN,  CHARLES  LECONTE 

Le  Sang  de  Méduse 3 .  oo 

3.5o       La  Tentation  de  l'Homme 3.5o 

3   .  CHARLES  VAN  LERBERGHE 

o.oo       La  Chanson  d'Eve 3.5o 

3.5o      Entrevisions 3.5o 

^•^°  GRÉGOIRE    LE    ROY 

La  Chanson  du  Pauvre 3.oo 

^^°  STUART  MERRILL 

à.oo      Poèmes,  1887- 1897 3.5o 

Les  Quatre  Saisons 3 .  5o 

^•^°  ADRIEN   MITHOUARD 

Les  Impossibles  Noces 2.5o 

3.5o      Le  Pauvre  Pécheur 3.5o 

ALBERT  MOCKEL 
3     »       Clartés 3     » 

JEAN  MORÉAS 
3  5o      ^^^  Stances 3 .  5o 

MARIE  ET.  JACQUES  NERVAT 
Les  Rêves  unis 3.5o 

^•^°  PIERRE  QUILLARD 

o'r*^      La  Lyre  héroïque  et  dolente. ...     3.5o 

ERNEST  RAYNAUD 
La  Couronne  des  Jours 3.5o 

\  ^n  HUGUES  REBELL  .,       ^  ^ 

*'^"      Chants  de  la  Pluie  et  du  Soleil.     3.5o 

,  r  HENRI  DE    RÉGNIER 

^'^°      La  Cité  des  Eaux 3,5o 

Les  Jeux  rustiques  et  divins...  3.5o 

3.5o      Les  Médailles  d'Argile 3.5o 


Poèmes,  1 887-1 892 

Premiers  Poèmes 

La  Sandale  ailée 

LIONEL  DES  RIEUX 

Le  Chœur  des  Muses 

^             ARTHUR  RIMBAUD 
Œuvres   de    Jean-Arthur    Rim- 
baud  

r     »,        .   P.^-N.  ROINARD 
La  Mort  du  Rêve 

RONSARD 
Le  Livre  de  Folastries 

SAINTE-BEUVE 
Le  Livre  d'Amour 

ALBERT  SAMAIN 

Le  Chariot  d'Or 

Aux  Flancs  du  Vase,  suivi  de 
Polyphème  et  de  Poèmes  ina- 
chevés   

Au  Jardin  de  l'Infante 

PAUL  SOUCHON 
La  Beauté  de  Paris 


—  2  — 

3.5o  LAURENT  TAILHADE 

^  •  ^o       Poèmes  aristophanesques 3 .  5o 

R  -H.  DE  VANDELBOURG 
3,5o       La  Chaîne  des  Heures 3.5o 

EMILE  VERHAEREN 

3 .  «^0      Les  Forces  tumultueuses 3 .  5o  ,' 

La  Multiple  Splendeur ,.  3*50 

3.5o      Poèmes \  3^50 

Poèmes,  nouvelle  série 3,5o 

3.5o      Poèmes,  nie  série '    ''  3^5^ 

Les  Villes  Tentaculaires,  précé- 

3  5o          ^^^^  ^^^   Campagnes  Halluci- 
nées      3  50 

3.5o  FRANCIS  VIELÉ-GRIFFIN 

Clarté  de  Vie 3 .  5© 

3  5o      ^^  Légende  ailée  de  Wieland  le 

3*50       „  Forgeron 3.50 

Phocas  le  Jardinier 3.5o 

Plus  loin 3 .  5o 

3.60      Poèmes  et  Poésies 3.5o. 


Collection    de  Romans 


CLAIRE  ALBANE 
L'Amour  tout  simple 

ANONYME 
Lettres  d'amour  d'une  Anglaise. 

AUREL 
IjBS  Jeux  de  la  Flamme 


MARCEL  BATILLIAT 

La  Beauté 

Chair  mystique 

La  Joie 

Versailies-aux-Fantômes 

MAURICE  BEAUBOURG 

Dieu,  ou  pas  Dieu 

La  rue  Amoureuse 

ALOYSIUS  BERTRAND 
Gaspard  de  la  Nuit 

LÉON  BLOY 
La  Femme  pauvre 

JUDITH  CLADEL 
Confessions  d'une  Amante 

MRS  W  K  CLIFFORD 

Lettres   d'amour   d'une   Femme 
du  monde . 


3.5o 
3,5o 
3.5o 

3.5o 
3.5o 
3.5o 
3.5o 

3.5o 
3.5o 

3.5o 
3.5o 
S.bo 

3.5o 


J -A    COULANGHEON 

Le  Béguin  de  Gô 

L'Inversion  sentimentale 

Les  Jeux  de  la  Préfecture. ....'. 

GASTON  DANVILLE 

L'Amour  Magicien 

Contes  d'Au-delà .'.*..*!.' 

Le  Parfum  de  volupté , 

Les  Reflets  du  Miroir ...... .  ! .' . 

JACQUES  DAURELLE 
La  Troisième  Héloïse. 

ALBERT  DELACOUR 
L'Evangile  de  Jacques  Clément. 

Le  Pape  rouge 

Le  Roy .*.'.*.*.*.'.'. 

LOUIS  DELATTRE 
La  Loi  de  Péché :. . . . 

GRAZIA    DELEDDA 

Les  Tentations 


EUGENE  DEMOLDER 

L'Agonie  d'Albion 

L'Arche  de  M.  GheuQus. ...... 

Le  Cœur  des  Pauvres 

Le  Jardinier  de  la  Pompadour.' 


3.5o 
3.5o 
3.5o 

3.5o 
6  » 
3.5o 
3.5o 

3.5o^ 

3.5o 
3.5o 
3.5o 

3.5o 
3.5p 

3 

2  » 
3.5(1 
3.5c 


Les  Patins  de  la  Reine   de  Hol- 
lande  

La  Route  d'Emeraude 

CHARLES  DERENNES 
L'Amour  fessé 


DOSTOÏEVSKI 

Carnet  d'un  Inconnu 

Le  Double 

EDOUARD  DUCOTÉ 
Aventures . . 

EDOUARD  DUJAROIN 
L'Initiation  au  Péché  et   à   l'A- 
mour  

Les  Lauriers  sont  coupés 

LOUIS  DUMUR 

Un  Coco  de  génie 

Pauline  ou  la  liberté  de  l'amour. 

GEORGES  EEKHOUD 

L'Autre  Vue 

Le  Cycle  patibulaire 

Escal-Vigor 

La  Faneuse  d'amour 

Mes  Communions 

\                ALBERT  ERLANDE 
J'olîe  Personne. 

Le  Paradis  des  Vierges  sages... 

LAURENT    EVRARD 
Le  Danger 

GABRIEL  FAURE 
La  dernière  Journée  de  Sapphô. 

ANDRÉ  FONTAINAS 
L'Indécis 

L'Ornement  de  la  Solitude 

ANDRE  GIDE 

L'Immoraliste 

Les  Nourritures  Terrestres 

Le  Prométhée  mal  enchaîné. . . . 

Le  Voyage  d'Urien,  suivi  de  Pa- 

ludes 

A.  GILBERT  DE  VOISINS 
La  Petite  Angoisse 

GINKO    ET    BILOBA 
Le  Voluptueux  Voyage  ou  les  Pè- 
lerines de  Venise 

MAXIME  GORKI 

L'Angoisse 

L'Annonciateur  de  la  Tempête. . 

Les  Déchus 

Les  Vagabonds 

Varenka  Olessova 


~  3    - 

REMY  DE   GOURMONT 

3_5o       Les  Chevaux  de  Diomède 3.5o 

3_5o       Un  Cœur  virginal. 'i.bo 

Une  Nuit  au  Luxembourg 3.5o 

2  c-       D'un  Pays  lointain 3 .  5o 

Le  Pèlerin  du  Silence 3.5o 

Le  Songe  d'une  femme 3 .  5o 

î'^°  THOMAS  HARDY 

^•^o      Barbara 3.5o 

„  f.  FRANK  HARRIS 

0.00      Montés  le  Matador 3. 5o 

A-FERDINAND  HEROLD 

L'Abbaye  de  Sainte-Aphrodise, .  2     « 

3.5o       Les  Contes  du  Vampire 3.5o 

'  CHARLES-HENRY   HIRSCH 

La  Possession 3 .  5o 

3.5o       La  Vierge  aux  tulipes 3.5o 

^■^°  EDMOND  JALOUX 

L'Agonie  de  l'Amour 3  5o 

3.5o      L'Ecole  des  Mariages. 3.5o 

3.5o      Le  Jeune  Homme  au  Masque. . .  3.5o 

3 .  5o      Les  Sangsues 3 .  5o 

|-^°  FRANCIS  JAMMES 

'*  •  ''^       Almaïde  d'Etremont 2     » 

Pensée  des  Jardins 2     » 

3 .  5o       Pomme  d'Anis .....    2     » 

3.5û       Le  Roman  du  Lièvre 3.5o 

ALFRED  JARRY 

3  5q      Les  Jours  et  les  Nuits 3 .  5o 

ALBERT  JUHELLÉ 

o     -       La  Crise  virile 3 .  5o 

GUSTAVE    KAHN 

,  r         Le  Conte  de  l'Or  et  du  Silence..  3.5o 

a'    ,  RUDYARD  KIPLING 

Les  Bâtisseurs  de  Ponts 3 .5o 

L'Histoire  des  Gadsby 3.5o 

^•^°       L'Homme  qui  voulut  être  roi, , .  3.5o 

^■^°       Kim 3  50 

^     '       Le  Livre  de  la  Jungle 3.5o 

Le  Second  Livre  de  la  Jungle, . .  3.5o 

"^•^^       La  plus  belle  Histoire  du  monde  3.5o 

Stalky  et  Cie 3.5o 

3.5o       Sur  le  Mur  de  la  Ville 3.5o 

HUBERT  KRAINS 

Amours  rustiques S-.So 

3.5o       Le  Pain  noir 3.5o 

MARIE  KRYSINSKA 

3  5o       La  Force  du  Désir 3.5o 

3.5o  LACLOS 

3.5o       Les  Liaisons  dangereuses    (édi- 

3.5o  lion  collalionnee    sur  le   ma- 

3,5o          nuscrit) 3.5o 


—  8  — 


TALLENIANT    DES   REAUX 

Les  plus  belles  pages  de  Talle- 

mant  des  Réaux 3 .  5o 


CASIMIR  STRYIENSKI 
Soirées  du  Steadhal-Glub 3 .  5o 

ARCHAG  TCHOBANIAN 

L'Arménie,  son  Histoire,  sa  Lit- 
térature, son  rôle  en  Orient.,     i     » 
Les  Trouvères  arméniens 3 .  5o 

TEI-SAN 
Notes  sur  l'Art  japonais  :  La  Pein- 
ture et  la  Gravure 3.5o 


Notes  sur  l'Art  japonais:  La  Scul- 
pture et  la  Ciselure 3.5o 

THÉOPHILE 

Les  plus  belles  pages  de  Théo- 
phile      3     » 

TOLSTOÏ 

Vie  et  Œuvre,  Mémoires,  2  vol.     7     » 

E-  VIGIÉ-LECOCQ 
La  Poésie  contemporaine,  i884- 

1896 3.5o 

^       OSCAR  WILDE 

De  Profundis,  précédé  de  Lettres 
écritesdelaprisonet  suivi  delà 
Ballade  de  la  Geôle  de  Reading    3.5o 


Philosophie  —  Science  —  jSocioIog^ie 


EDMOND    BARTHELEMY 
Thomas  Garlyle 3 .  5o 

H.-B.  BREWSTER 
L'Ame  païenne 3. 5o 

THOMAS  CARLYLE 
Pamphlets  du  Dernier  Jour  ....     3.5o 
Sartor   Resartus 3 .5o 

J.-A.  DULAURE 

Des    Divinités  génératrices   {Le 

Culte  du  Phallus) 3 .  5o 

JULES  DE  GAULTIER 

Le  Bovarysme 3 ,  5o 

La  Fiction  universelle 3 .  5o 

De  Kant  à  Nietzsche 3 .  5o 

Nietzsche  et  la  Réforme  philoso- 
phique    3 .  5o 

Les  Raisons  de  l'Idéalisme 3.5o 

REMY  DE  GOURMpNT 

Physique  de  l'amour.  Essai  sur 

l'instinct  sexuel 3 .  5o 

Promenades  Philosophiques...,     3.5o 

PIERRE  LASSERRE 

Les   Idées  de  Nietzsche   sur   la 

Musique 3,5o 

La  Morale  de  Nietzsche 3 .  5o 

MAURICE   MAETERLINCK 

Le  Trésor  des  Humbles 3.5o 

MULTATULI 
Pages  choisies 3. 5o 


FREDERIC  NIETZSCHE 

AiBsi  parlait  Zarathoustra 3 , 

Aurore. 3 

Le  Crépuscule  des  Idoles,  le  Cas 
Wagner,     Nietzsche     contre 

Wagner,  l'Antéchrist. ., , 3, 

Le  Gai  savoir 3 

La  Généalogie  de  la  Morale 3 , 

Humain,  trop  Humain  (ire  par- 
tie)      3 

L'Origine  de  la  Tragédie 3, 

Pages  choisies 3 , 

Par  delà  le  bien  et  le  mal.'. ....     3 , 
La  Volonté  de  Puissance,  2  vo« 

lûmes 7 

Le  Voyageur  et  son  Ombre  {Hu- 
main, trop  Humain,  2'  par- 
tie)      3. 

PÉLADAN 

Supplique  à  S.  S.  le  Pape  PieX 
pour  la  réforme  des  canons  en 
matière  de  divorce i 

CARL  SIGER 
Essai  sur  la  Colonisation 3 , 

LÉON  TOLSTOÏ 
Dernières  Paroles 3 , 

H -G.  WELLS 

Anticipations 3 , 

La  Découverte  de  l'Avenir i 


5o 
5o 


5o 
5o 
5o^' 

5o 

5(.  < 
5(    i 

5(  ; 


5o 


5o 


5o  H 


5o 


A 


K 


Poitiers.  —  Imp.- Biais  et  Hoy,  7,  r_    Victor-Hu^o. 


University  of  British  Columbia  Library 

DUE  DATE 


nCT  3 1  1996 

^IG;jT-4q^ 

mygf4f^^ 

ET-6        BP    74-453 


^ 


MERCVRE    DE   FRANCE 

XXVI,    RVE    DE    CONDÉ    PARIS-Vl" 

Parait  le  i»""  et  le  i5  de  chaque  mois,  et  forme  dans  Tannée  six  volumes. 

Littérature,  Poésie,  Théâtre,   Musique,  Peinture,  Sculpture 

Philosophie,  Histoire,  Sociologie   Sciences,  Voyages 

Bibliophilie,  Sciences    occultes 

CriUque,  Littératures  étrangères,  Revue  de  la  Quinzaine 

La  Revue  de  la  Quinzaine  s'alimente  à  l'étrançer  autant  qu'en  France; 
Plie  offre  un  nombre  considérable  de  documents,  et  constitue  une  sorte  d  «  en- 
cyclopédie au  jour  le  jour  »  du  mouvement  universel  des  idées.  Elle  se  compose 
des  rubriques  suivantes  • 


Epilogues  (actualité):  Remy  deGour- 

mont. 
Les  Poèmes  :  Pierre  Ouillard, 
Les  Romans:  Rachilde. 
Littérature  :  Jean  de  Gourmont. 
Littérature    dramatique    :    Georges 

Polti. 
Histoire:    Edmond  Barthélémy. 
Philosophie:  Jules  de  Gaultier. 
Psychologie  :  Gaston  Banville. 
Le  Mouvement  scientifique:  Georges 

Bohn.  ,.     , 

Psychiatrie  et    Sciences  médicales  : 

Docteur  Albert  Prieur. 
Science  sociale  :  Henri  Mazel. 
Ethnographie,    Folklore  :     A.     van 

Genncp.  ,,    , . 

Archéologie,  Foi/ayes  :  Charles  Merki. 
Questions  juridiques  :  José  Théry. 
Questions  militaires  et  maritimes  : 

Jean  Norel. 
Questions  coloniales  :  Cari  Siger. 
Questions    morales   et    religieuses  : 

Louis  Le  Cardonnel. 
Esotérisme  et   Spiritisme  :  Jacques 

Brieu. 
Les  Bibliothèques  :  Gabriel  Renaudé. 
L,es  Revues:  Charies-Henry  Hirsch. 
Les  Journaux:  R.  de  Bury. 
Les  Théâtres  :  A.-Ferdinand  Herold. 


Musique  :  Jean  Marnold. 
Art  moderne:  Charles  Morice. 
Art  ancien:  Tristan  Leclère. 
Musées  et  Collections  :  Auguste  Màr- 

guillier. 
Chronique  du  Midi  :  Paul  Souchon . 
Chronique  de  Bruxelles  :  G.  Eekhoiid 
Lettres  allemandes  :  Henri  Albert. 
Lettres  anglaises  :  Henry. -D.  Davray. 
Lettres  italiennes  :  Rtcdoito  Canudo 
Lettres  espagnoles:  Gomez  Carrillo. 
Lettres  portugaises  :  Philéas  Lebesgut 

Lettres   hispano-américaines:   Eugé- 
nie Diaz  Romero. 

Lettres  néo-grecques  :  Demetrius  As- 
teriotis. 

Lettres  roumaines  :    Marcel  Montan. 
don. 

Lettres  russes:  E.  Séménofi. 

Lettres  polonaises  :  Michel  Mutermilch 

Lettres  néerlandaises  :  H.  Messet. 

Lettres  Scandinaves  :  P.  G.  La  Ghes- 
nais.  ,.     ,   „        j 

Lettres  hongroises  :  Félix  de  Gerando. 

Lettres  tchèques  :  William  Ritter. 

La  France  jugée  à  l'Etranger:  Lucile 
Dubois. 

Variétés:  X... 

La  Curiosité  :  Jacques  Daurelic. 

Publications  récentes  :  Mercure. 

Echos  :  Mercure. 


Les  abonnements  partent  du  premier  des   mois  de  janvier,  avril, 
juillet  et  octobre 


France 

Un  numéro 1 .25 

Un  AN 25  fr. 

Six  mois 14     d 

Trois   mois 8     d 


Étranger 

Un  NUMERO 1  -50 

Un  an 30  fr. 

Six  MOIS.  .*. 17     " 

Trois  mois 10      d 


Poitiers.  -  Imprimerie  du  Mercure  de  France.'  BLAIS  et  ROY,  7,  rue  Victor-Hugo.