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Full text of "Le socialisme municipal en Angleterre et ses résultats financiers"

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I 


BIBLIOTHÈQUE  1 

\   DE  LA  SCIENCE  FRANÇAISE  I 


LE 


SOCIALISME  MUNICIPAL 


EN  ANGLETERRE 


ET 


SES  RÉSULTATS   FINANCIERS 


SOGIflWSiaE  IWUlïIGlPfllt 

EN    ANGLETERRE 


ET 


SES  RÉSULTATS  FINANCIERS 


PAR 


Raymond   BOVERAT 

Docteur  en  Droit 
Diplômé  de  TEcoIe  des  Sciences  politiques 


«  > 


DEUXIEME    EDITION 


PARIS 

LIBRAIBIE    NOUVRLLB    DE    DROIT   ET    DE   JURISPRUDENCE 

ARTHUR  ROUSSEAU,  ÉDITEUR 

14,  RUE  800FFL0T  ET  RUE  TOULLIER,  13 

1912 


GIfl 


•    .         I 


r 


PRÉFACE  DE  LA  DEUXIÈME  ÉDITION 


Quatre  ans  se  sont  écoulés  depuis  la  publication  de 
la  première  édition  de  cet  ouvrage. 

De  nombreux  exemples  sont  venus  s'ajouter  à  ceux 
que  Ton  possédait  déjà  de  la  complète  incapacité  de 
TEtat  et  des  municipalités  au  point  de  vue  industriel  et 
commercial. 

Le  rachat  des  Chemins  de  fer  de  TOuest  en  a  été  jus- 
qu'ici en  France  la  preuve  la  plus  éclatante  ;  grâce  à  lui, 
le  budget  se  trouve  chaque  année  obéré  d'une  charge 
nouvelle  atteignant  une  cinquantaine  de  millions  .  L'ad- 
ministration de  ce  réseau  constitue  un  scandale  sans 
précédent  dont  souffrent  non  seulement  tous  ceux  qui 
Tutilisent,  soit  pour  voyager,  soit  pour  expédier  des 
marchandises,  mais  le  pays  tout  entier. 

Le  désarroi, pour  ne  pas  dire  le  gâchis  qui  régnait  dans 
le  monopole  des  poudres,  a  éclaté  au  grand  jour  à  la 
suite  de  l'explosion  du  cuirassé  «  Liberté  ». 

Le  déplorable  fonctionnement  du  monopole  des  allu- 
mettes et  de  celui  des  tabacs  fait  Tobjet  de  plaintes  sans 
cesse  renouvelées. 

Il  semblerait  que  des  expériences  aussi  concluantes 


378136 


Vf  PREFACE   DE    LA    DEUXIEME  iSdiTION 

auraient  dû  ouvrir  les  yeux  de  nos  réformateurs  et  cal- 
mer leur  zèle. 

Il  n'en  a  rien  été  ;  pour  combattre  la  hausse  des  den- 
rées, pour  «  régulariser  leur  prix  »,  le  gouvernement 
vient  de  déposer  un  projet  de  loi  autorisant  les  commu- 
nes à  créer  des  boulangeries  et  des  boucheries  munici- 
pales ;  pour  combattre  la  cherté  des  loyers,  il  en  dépose 
un  second  autorisant  les  municipalités  à  construire  elles- 
mêmes  des  habitations  à  bon  marché. 

Sous  une  apparence  généreuse,  nous  considérons  ces 
deux  projets  comme  à  la  fois  dangereux  et  injustes. 
Dangereux  parce  qu'ils  vont  augmenter  encore  les  char- 
ges publiques  déjà  si  lourdes  ;  injustes,  parce  qu'ils  au- 
ront ppur  unique  effet  de  ruiner  nombre  de  petits  com- 
merçants et  d'avantager  les  uns  aux  dépens  des  autres. 

Municipalisme  et  étatisme  se  touchent  de  près  ;  ils 
ont  les  mêmes  inconvénients  et  les  mêmes  défauts, accu- 
sés, plus  qu'ailleurs  peut-être, dans  les  pays  démocrati- 
ques comme  le  nôtre. 

L'un  comme  l'autre,  ils  entraînent  fatalement  l'aug- 
mentation des  dépenses  publiques  ;  ils  compriment  la 
liberté,  ils  tuent  l'esprit  d'initiative,  ils  favorisent  l'in- 
trusion de  la  politique  dans  le  domaine  administratif; 
sous  leur  empire, les  considérations  électorales  prennent 
une  place  d'autant  plus  funesle  qu'elle  est  plus  impor- 
tante,dans  le  fonctionnement  de  services  que  seules  de- 
vraient régir  des  considérations  économiques  ou  indus- 
trielles* 


PRIÎFAGE   DE    LA   DEUXIÈME   ÉDITION  YII 

Ce  sont  ces  difTérents  points  que  nous  avions  essayé 
de  faire  ressortir  dans  notre  ouvrage  sur  le  «  Socialisme 
municipal  en  Angleterre  ». 

L'accueil  favorable  qu'avait  reçu  ce  livre  à  son  appa- 
rition nous  a  décidé  à  le  présenter  une  seconde  fois  au 
public  au  moment  où  les  questions  dont  il  traite  dans 
un  pays  voisin  et  ami  redeviennent  dans  le  nôtre  d'une 
regrettable  actualité. 

Puisse  sa  lecture  faire  réfléchir  ceux  qui  assument  la 
tâche,  lourde  entre  toutes,  de  diriger  leurs  concitoyens 
et  de  gérer  le  patrimoine  national  ;  c'est  notre  vœu  le 
plus  cher. 

Paris,  le  9  novembre  1911. 


PRÉFACE   DE  LA  PREMIÈRE  ÉDITION 


L'extraordinaire  développement  qu'ont  pris  depuis  un 
demi-siècle  les  doctrines  socialistes  etTaccueil  enthousiaste 
que  leur  ont  fait  non  seulement  les  classes  populaires,  mais 
aussi  bon  nombre  d'écrivains  et  de  penseurs  des  deux 
mondes,  constituera  sans  aucun  doute,  Tun  des  traits  les 
plus  caractéristiques  de  Tépoque  où  nous  vivons  ;  et  ce  fait 
n'a  rien  qui  doive  nous  étonner  ;  dernière  venue  des  doc- 
trines économiques,  la  théorie  socialiste  n'a  pas  seulement 
pour  elle  le  charme  de  la  nouveauté  ;  elle  sait  nous  séduire 
par  sa  logique  apparente  et  ses  méthodes  scientifiques, 
nous  conquérir  par  l'esprit  de  justice  et  l'aspiration  vers 
un  état  social  meilleur  dont  elle  semble  au  premier  abord 
imprégnée. 

Longtemps,  nous  n'avons  connu  du  socialisme  que  son 
côté  purement  négatif,  ses  rêves  généreux  d'une  humanité 
meilleure.  Mais  pour  cela  il  nous  faut  remonter  à  Tépoque 
déjà  lointaine  où  prévalait  parmi  les  philosophes  et  les 
hommes  d'Etat  la  doctrine  libérale,  fille  des  économistes 
de  la  fin  du  xviii*  siècle  et  du  commencement  du  xix*  ;  à 
l'époque  où  la  formule  célèbre  de  Gournay  :  «  Laisser  faire, 
laisser  passer  »  semblait  s'imposer  comme  une  règle  saine 
et  sensée  à  la  fois  dans  la  direction  des  affaires  publiques. 
Une  telle  doctrine  prêtait  peu,  évidemment,  à  l'extension 
du  rôle  de  l'Etat,  réduit  alors  dans  presque  tous  les  pays 


X  PRÉFACE   DE    LA    PREMIERE    ÉDITION 

d*£urope  à  des  foactîons  simples  et  peu  nombreuses,  à 
celle  de  juge  et  de  gendarme. 

Depuis  cinquante  ans  au  contraire,  concurremment  aux 
transformations  qui  se  produisaient  coup  sur  coup  daas  la 
situation  industrielle  et  économique  du  monde  occidental 
par  suite  de  la  naissance  de  la  grande  industrie  et  de  la 
construction  des  chemins  de  fer  d*une  part,  la  diffusion  de 
Tinstruction  et  du  droit  de  vote  parmi  les  classes  ouvrières 
d'autre  part,  nous  avons  vu  la  conception  de  TEtat  subir 
dans  beaucoup  d'esprits  un  commencement  de  transforma- 
tion. Michel  Chevalier  en  France, StuartMill  en  Angleterre, 
ont  les  premiers  montré  quelque  tendance  à  répudier  le 
système  de  non-intervention  absolue  prêché  jusque-là  par 
leurs  devanciers. 

Que  leurs  demandes  étaient  timides  pourtant  à  côté  de 
celles  de  socialistes  comme  Rodbertus,  Bebel,  comme  l'a- 
méricain Bellamy, comme  MM.  Jaurès  et  Renard  en  France, 
Webb  et  Shaw  en  Angleterre.  Théoriciens  et  prophètes  du 
système  collectiviste,  les  écrivains  dont  nous  citons  les 
noms  ont  dépeint  et  détaillé  le  régime  idéal  sous  lequel  il 
nous  faudrait  bon  gré,mal  gré,vivre  dans  un  avenir  plus  ou 
moins  éloigné. 

Notre  intention  n'est  pas  d'étudier  dans  ce  livre  les  sys- 
tèmes extrêmement  nombreux  qui  ont  fait  à  notre  époque 
l'objet  d'une  exposition  dogmatique.  Nous  rappellerons 
simplement  qu'on  distingue  trois  sortes  de  socialisme  :  le 
socialisme  d'Etat,  le  socialisme  communal  ou  municipal  et 
le  socialisme  corporatif.  Le  premier,  qui  donne  la  propriété 
des  moyens  de  production  et  la  direction  des  services  indus- 
triels et  commerciaux  à  l'Etat  ;  le  second,  qui  la  confie  aux 
communes  ;  le  troisième,  qui  la  remet  à  des  associations 
libres. 


PRÉPAGE   DE   LA    PREMIERE   ÉDITION  XI 

Rentre-t-il  dans  la  sphère  d'action  légitime  et  utile  des 
pouvoirs  publics  de  posséder  les  moyens  de  production  et 
dediriger  les  entreprises  industrielles?  Oui,  répondent  les 
socialistes,  et  pour  eux  la  question  ne  fait  pas  de  doute. 
Non,  répond  FËcole  libérale,  les  services  d'Etat  doivent 
être  Texception  ;  et  nombre  d'auteurs,  adeptes  de  la  doctrine 
classique  ou  de  la  doctrine  interventionniste  ont  cherché  à 
établir  une  démarcation  théorique  entre  le  domaine  d'ac- 
tion de  TEtat  et  celui  des  individus.  Recherche  pleine  de  dif- 
ficultés, car  si  Ton  accorde  que  TEtat  doit  se  charger  do  tel 
service,  quelle  raison  invoquer  pour  lui  refuser  le  droit  de  se 
charger  de  tel  autre  ?  Les  collectivistes  tranchent  la  diffi- 
culté en  la  supprimant:  sous  le  régime  qu'ils  rêvent,  tout 
sera  fait  par  l'Etat. 

Si  nous  en  croyons  M.  PaulLeroy-Beaulieu,  «  l'Etat  mo- 
derne se  trouve  investi  d'une  façon  complète  en  théorie  et 
qui  tend  à  devenir  complète  en  pratique  de  la  toute-puis- 
sance ;  la  toute-puissance,  voilà  l'attribut  principal  de  l'Etat 
moderne  ». 

Cette  doctrine  de  la  toute-puissance  de  l'Etat,  née  en  Al- 
lemagne, s*est  infiltrée  peu  à  peu  dans  les  pays  voisins  de 
l'empire  germanique,  Autriche,  Italie,  France  et  Angle- 
terre. Parlements  et  conseils  municipaux,  législateurs  et 
administrateurs,  elle  les  a  tous  imbus  de  Tidée  qu'ils  ont 
une  mission  de  civilisation  à  remplir  à  l'égard  de  leurs  con- 
citoyens et  que,  pour  mener  à  bien  cette  mission,  ils  n'ont 
qu'à  légiférer  et  à  étendre  les  fonctions  et  le  rôle  des  pou- 
voirs publics. 

L'Angleterre  n'a  pas  fait  exception  à  la  règle  commune. 
La  mère  patrie  de  l'Ecole  libérale,  qui,  durant  un  siècle,  a 
pu  servir  d  exemple  vivant  aux  démonstrations  des  écono- 
mistes, répudie  peu  à  peu  les  anciennes  doctrines  sous  les- 


Xn  PREFACE   DE   LA   PREMIERE   ÉDITION 

quelles  elle  a  grandi  en  force  et  en  richesse  et  devient  in- 
terventionniste à  l'exemple  de  ses  voisins. 

Si  le  socialisme  d'Etat  ne  menace  pas  de  prendre  de  long- 
temps chez  elle  les  proportions  qu'il  a  prises  en  Allemagne 
et  qu'il  se  dispose  à  prendre  en  France,  le  socialisme  mu- 
nicipal y  a  fait  en  revanche  des  progrès  extraordinairement 
rapides.  G*est  l'Angleterre  qui  se  trouve  actuellement  à  la 
tête  du  mouvement  communal  tendant  à  l'exploitation  de 
services  publi'^s  industriels  et  lucratifs.  Elle  est  suivie  de 
près  dans  cette  voie  par  les  Etats-Unis,  l'Allemagne,  TAu- 
triche-Hongrie,  la  Suisse  et  l'Italie. 

Ce  n'est  pas  toutefois  sans  la  vive  opposition  d'une  grande 
partie  des  contribuables  anglais  que  s'est  effectuée  la  muni- 
cipalisation  des  nombreux  services  jusque-là  confiés  à 
l'initiative  privée.  Sur  cette  terre  classique  de  l'individua- 
lisme, la  lutte  ne  pouvait  manquer  d'être  vive,  acharnée 
même,  entre  les  partisans  de  l'anicienne  école  et  ceux  de  la 
nouvelle.  Il  nous  a  paru  qu'il  serait  intéressant  d'en  retracer 
les  différentes  phases,  de  rechercher  dans  quelles  circons- 
tances elle  avait  pris  naissance,  de  voir  à  quels  résultats 
elle  avait  conduit. 

Si  cette  étude  n'était  pas  un  simple  exposé  des  faits  bien 
plus  qu'une  critiqué,  nous  aurions  désiré  qu'elle  portât 
comme  exergue  le  titre  du  célèbre  pamphlet  de  Bastiat  : 
«  Ce  qu'on  voit  et  ce  qu'on  ne  voit  pas  ».  Il  y  aurait  eu  de 
notre  part  quelque  présomption  à  agir  ainsi.  Car,  si  nous 
n'avons  pas,  au  cours  de  ce  volume  et  dans  sa  conclusion, 
caché  nos  préférences  pour  un  système  de  concurrence  et 
de  liberté,  du  moins  n'avons-nous  pas  prétendu  faire  d'un 
point  de  vue  théorique  et  spéculatif  la  critique  des  institu- 
tions municipales  anglaises.  Nous  avons  simplement  cher- 
ché à  montrer  le  fonctionnement  des  diverses  grandes  en- 


PRÉFACE   DE    LA    PREMIERE    EDITION  XIII 

treprises  dont  elles  ont  pris  lu  direction  et  à  placer  sous  les 
yeux  du  lecteur  français  le  vaste  domaine  sur  lequel  s'exerce 
aujourd'hui  Tambitieuse  activité  des  ^rande^  cités  d'Outre- 
Manche. 

Nous  n'avons  pas  voulu  nous  contenter  pourtant  de  tra- 
cer le  simple  tableau  de  Thistoire,  du  fonctionnement  et 
des  résultats  pratiques  immédiats  de  ces  grands  services 
publics.  Comme  disait  Bastiat,  ces  résultats  premiers  sont 
ce  qu'on  voit.  Ils  forment  le  côté  brillant  du  municipa- 
lisme,  et  nous  pourrions  les  comparer  à  l'orgueilleuse  fa- 
çade des  hôtels  de  ville  où  s'abrite  Tessaim  toujours  crois- 
sant des  fonctionnaires  municipaux.  Nous  avons  voulu 
pénétrer  dans  ce  bâtiment  imposant  à  la  fois  par  l'éclat  de 
sa  nouveauté  et  par  ses  vastes  dimensions  et  essayer  de 
voir  ce  qu'il  cachait  dans  ses  murs.  Nous  avons  voulu  sa- 
voir ce  que  coûtaient  ces  usines  à  gaz  et  ces  usines  d'élec- 
tricité, ces  tramways,  ces  bains,  ces  maisons  ouvrières 
dont  s'enorgueillit  le  nouveau  municipalisme  ;  voir  ce 
qu'elles  rapportaient,  connaître  l'influence  qu^elles  avaient 
sur  la  marche  des  revenus  publics,  des  dépenses  et  de  la 
dette. 

La  gravité  du  problème  économique  que  pose  le  coût 
sans  cesse  croissant  du  gouvernement  local  et  l'urgence 
qu'il  y  a  à  y  porter  remède  sont  des  faits  aujourd'hui  recon- 
nus de  tous.  Si  l'augmentation  des  dépenses  est  la  suite 
naturelle,  peut-être  inévitable,  de  la  représentation  popu- 
laire, et  si  la  pression  dont  les  conseils  municipaux  sont 
l'objet  de  la  part  de  leurs  électeurs  les  pousse  à  la  dépense 
et  au  gaspillage,  le  véritable  rôle  de  ces  assemblées  n'en 
devrait  pas  moins  consister  à  modérer  la  passion  populaire 
plutôt  qu'à  Texciter. 


XIV  PRISFAGE   DE    LA   PREMIÂRE   ÉDITION 

A  côté  des  cris  de  la  masse  irréfléchie  qui  demande  des 
améliorations  coûteuses,  s'élève  bien  la  voix  de  quelques 
hommes  sages  prêchant  l'économie.  Mais  indépendamment 
de  ce  fait  qu'étant  les  moins  nombreux  ils  sont  naturel- 
lement les  moins  forts,  ils  ne  peuvent  le  plus  souvent 
donner  que  des  conseils  vagues,  parfois  difficiles,  toujours 
désagréables  à  suivre.  Leurs  adversaires,  au  contraire, 
poursuivant  un  but  net  et  défini,  deviennent  d'autant  plus 
populaires  qu'ils  se  montrent  plus  prodigues.  Les  masses 
aiment  la  prodigalité  ;  le  luxe  les  flatte  et  elles  assimilent 
volontiers  l'économie  à  Tavarice. 

Ainsi  va  s'élargissant  chaque  année  la  déchirure  que 
fait  au  budget  de  l'Etat  ou  à  ceux  des  communes  une  foule 
inconsciente,  avide,  et  qui,  dans  son  aveuglement,  semble 
ignorer  que  c'est  son  argent  même  que  Ton  verse  à  ce 
Trésor  beaucoup  plus  fragile  en  réalité  et  beaucoup  moins 
riche  qu'elle  ne  se  plaît  à  le  croire. 

La  bibliographie  relative  à  la  question  du  socialisme 
municipal  en  Angleterre  augmente  chaque  jour  ;  elle  est 
actuellement  assez  nombreuse.  Nous  donnons  à  la  fin  de  ce 
volume  la  liste  des  ouvrages  que  nous  avons  consultés. 
îVous  nous  sommes  principalement  servi,  dans  la  rédaction 
de  notre  travail,  du  livre  du  major  Darwin,  intitulé  :  Mu- 
nicipal Trade,  du  livre  de  Lord  Avebury  :  On  Muni- 
cipal and  National  Trading  ^  du  livre  plus  ancien  déjà  de 
M.  Cari  Hugo  :  Stâdteverwaltung  und  Mu7iizipal  Sozia- 
lismus  in  England  ;  des  articles  qu'a  publiés  le  Times 
d'août  à  novembre  1902;  des  deux  grandes  enquêtes  par- 
lementaires de  1900  et  1903  sur  le  «  Municipal  Trading  », 
et  enfin  des  rapports  que  publient  chaque  année  les  villes 
municipalisatrices. 

Nous  avons  tenu   à   étudier  la   question  dans  le   pays 


PRÉFACE   DE   LA.    PREMIÈRE    ÉDITION  XV 

même  et  à  constater  de  visu  les  résultats  obtenus  dans  les 
principaux  centres  industriels  anglais,  à  Birmingham,  Li- 
verpool,  Manchester  et  Glasgow.  Nous  avons  rencontré 
dans  toutes  ces  municipalités  l'accueil  le  plus  aimable,  et 
nous  ne  souhaitons  qu'une  chose  :  c'est  que  les  personnes 
qui  viennent  étudier  en  France  les  institutions  municipales 
soient  reçues  comme  nous  l'avons  été.  Nous  tenons  tout  par- 
ticulièrement à  remercier  à  Birmingham,  M.  le  conseiller  H. 
J.  Sayer,  chairman  du  Distress  Committee,  le  City  treasurer 
M.  Th.  Henry  Clare.  et  M.  James  Tart,  secrétaire  de  TEs- 
tates  and  burial  Board  ;  à  Liverpool,  M.  T.  Shelmerdine, 
Land  Steward  and  Surveyor,  et  à  Glasgow,  M.  J.  Bowers, 
senior  deputy  town  clerk  de  cette  ville. 

Mais  nous  sommes  plus  particulièrement  reconnaissant 
à  M.  Herman  David,  agent  consulaire  de  France  à  Birmin- 
gham, à  MM.  Orlandi  et  Gauthier^  vice-consuls  de  France 
à  Liverpool  et  à  Glasgow,  de  Textrème  obligeance  qu'ils 
ont  bien  voulu  nous  témoigner.  Ils  ont  contribué  dans  une 
large  mesure  à  faciliter  une  tâche  peu  aisée  tant  par  l'éten- 
due que  par  la  complication  du  sujet. 

Nous  avons  divisé  notre  travail  en  trois  parties  :  la  pre- 
mière est  un  exposé  des  principaux  services  publics  au- 
jourd'hui municipalisés,  la  seconde  traite  de  la  politique 
ouvrière,  la  troisième  des  impôts  et  de  la  dette  locale. 

Nous  avons  limité  notre  étude  des  régies  municipales  à 
quatre  grandes  villes  aujourd  hui  à  la  tète  du  mouvement  ; 
nous  avons  laissé  de  côté  Londres, dont  Thistoire  municipale 
demanderait  à  elle  seule  un  volume.  Nous  ne  nous  flattons 
pas  d^avoir  traité  dans  son  entier  une  question  aussi  com-^ 
plexe  et  aussi  touffue  que  celle  du  socialisme  municipal 
même  limitée  à  la  Grande-Bretagne. 

Nous  avons  simplement  voulu  montrer  au  lecteur  français 


PREMIÈRE  PARTIE 


LES  EXPLOITATIONS  MUNICIPALES 


CHAPITRE  PREMIER 


COUP  D^ŒIL  HISTORIQUE 


L'expression  de  «  Socialisme  municipal  »  en  France, 
celle  de  «  Municipal  Trading  »  en  Angleterre,  bien  que 
désignant  toutes  deux  un  même  état  de  choses,  ne  sont  pas 
Texacte  traduction  l'une  de  Tautre  ;  et  nous  pouvons  ajouter 
que  ni  Tune  ni  Pautre  n'éveillent  dans  notre  esprit  Timage 
véritable  de  la  situation  qu'elles  devraient  définir  ;  Texpres- 
sion  française  ne  fait  pas  ressortir  le  caractère  industriel  et 
commerçant  que  revêt  aujourd'hui  le  socialisme  municipal  ; 
«  Municipal  Trading  »  ne  rappelle  au  contraire  que  le  côté 
commercial  du  phénomène  sans  en  montrer  le  sens  social. 

L'appellation  de  Socialisme  municipal  %  d'ailleurs  été 
Tobjet  de  vives  critiques,  tant  en  France  qu'en  Angleterre 
où  elle  semble  effaroucher  nombre  de  personnes,  qui  n'ont 
point  hésité  cependant  à  favoriser  son  développement.  On 
a  mis  en  avant  pour  la  remplacer  les  dénominations  de 
«  Municipalisme  »  et  d'  «  Industrialisme  »  ;  mais  l'exprès- 


4  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE   PREMIER 

sion  ((  Socialisme  municipal  »  est  d'un  usage  si  couraat 
aujourd'hui  et  si  universellement  comprise  qu'aucune  con- 
fusion n*est  à  craindre  en  l'employant. 

Le  Socialisme  municipal  est  la  tendance  qu*ont  actuelle- 
ment les  municipalités,  dans  nombre  de  grands  Etats,  à 
s'emparer  des  services  publics  et  à  «  établir  entre  leurs 
mains  des  monopoles  sous  le  prétexte  d*avantages  que  ce 
système  conférerait  à  la  Société  et  aux  individus  qui  la 
composent,  en  supprimant  les  bénéfices  à  priori  abusifs  et 
même  monstrueux  des  entrepreneurs  et  des  intermédiaires 
en  général  ». 

Le  Socialisme  municipal,  nous  demanderons-nous  tout 
d'abord,  est-il  un  phénomène  nouveau  qui  n'a  fait  son  ap- 
parition que  dans  la  seconde  moitié  du  xix""  siècle  et  dont 
l'époque  actuelle  doit  voir  le  plein  développement  ?  Ou  n'esl- 
il  pas  simplement  la  survivance,  la  résurrection  soudaine 
d'un  état  de  choses  autrefois  bien  connu  et  qui,  sous  l'action 
de  certains  facteurs,  se  manifeste  à  nouveau  dans  notre 
organisme  social? 

Le  problème  n'est  pas  sans  difficultés,  et  peut-être  pour- 
rait-on dire  que  ces  deux  hypothèses  renferment  Tune  et 
l'autre  une  part  de  vérité. 

Les  causes  de  l'introduction  du  Socialisme  municipal  dans 
la  société  moderne  sont  multiples.  M.  des  Cilleuls  nous 
semble  les  avoir  bien  résumées  (1),  sous  les  quatre  titres 
suivants,  à  savoir: 

«  1**  Les  précédents  établis  sous  plusieurs  régimes  poli- 
tiques et  dans  divers  pays  sans  qu*on  ait  soupçonné  long- 
temps ni  le  caractère  ni  la  portée  des  dispositions  adoptées. 

«  2°  L'essor  des  besoins  matériels  de  la  vie  civilisée. 

(1)  Voir  DBS  Cilleuls,  Le  Socialisme  municipal  à  travers  les  sièclex, 
p.240. 


COUP   D  CEIL  HISTORIQUE  5 

<c  3""  L'accroissemeat  dlafluence  de  la  classe  populaire. 

«  4*  Les  préju|çés  répandus  en  matière  économique  et  qu'il 
est  beaucoup  plus  difficile  d'extirper  que  de  faire  pénétrer .  » 

M.  des  Cilleuls  refuse  d'ajouter  à  cette  liste  Textension 
rapide  des  grandes  villes  au  xix*  siècle  et  reproche  même 
à  certains  auteurs  d'avoir  a  travesti  les  phénomènes  histo- 
riques pour  excuser  Tintervention  officielle  en  matière  de 
production  et  d'échange  ».^otre  intention  n'est  pas  de  faire 
dans  ce  volume  l'apologie  de  l'intervention  officielle  en 
matière  économique  ;  tout  au  contraire.  Mais  si  nos  besoins 
matériels  ont  pris  depuis  un  demi-siècle  un  tel  essor,  et  si 
la  classe  populaire  a  vu  son  influence  s*accroitre  de  façon 
si  considérable,  la  cause  n'en  est-elle  pas  dans  cette  con- 
centration d'une  population .  autrefois  dispersée  dans  les 
campagnes  et  qui  a  forcément  senti  se  réveiller  en  elle  des 
aspirations  matérielles  et  intellectuelles  jusque-là  endor- 
mies? Nous  n'hésiterons  pas,  pour  notre  part,  à  considérer 
cette  concentration  de  la  population  dans  les  grands  centres 
urbains  et  son  afflux  des  campagnes  vers  les  villes  comme 
la  cause  prédominante  de  l'activité  croissante  des  assem- 
blées municipales. 

Le  fait  est  frappant  en  lui-même,  et  les  dernières  stati  s- 
tiques  nous  prouvent  surabondamment  que  ce  mouvement 
d'immigration  urbaine  n'a  encore  rien  perdu  de  son  inten- 
sité première.  Il  s'est  produit  sur  le  continent  comme  il 
s'est  produit  en  Grande-Bretagne;  c'est  peut-être  même 
dans  ce  dernier  pays  que  les  déplacements  ont  été  les  plus 
marqués. 

Une  phase  nouvelle  s'ouvrait  en  effet,  quelques  années 
avant  la  fin  du  xyiii*"  siècle,  aux  populations  de  l'Europe. 
La  découverte  de  la  machine  à  vapeur  et  sa  rapide  appl  i- 
cation  aux. industries  les  plus  diverses  firent  faire  à  la  pro- 


O  PREMIERE   PARTIE.    CHAPITRE   PREAOER 

(liictioa  des  progrès  jusque-là  incoaaus.  Les  capitaux  s'ac- 
cumulèreat  et  la  richesse  augmenta  avec  une  rapidité  dont 
on  n'avait  jusqu'alors  jamais  vu  d'exemples. 

Les  transformations  que  subit  Tindustrie  n'eurent  pas 
que  des  conséquences  économiques  ;  elles  en  eurent  de  so- 
ciales et  de  morales  aussi.  Les  progrès  extraordinaires  de  la 
société  moderne  allaient  en  effet,  au  bout  de  très  peu  d  an- 
nées, avoir  ce  double  résultat:  1^  de  créer  deux  classes  de 
personnes  intéressées  toutes  deux,  mais  de  façon  différente, 
à  la  production  des  richesses,  celle  des  travailleurs  et  celle 
des  capitalistes,  et  de  donner  naissance  aux  difficiles  pro- 
blèmes des  relations  du  capital  et  du  travail  ;  2""  de  boule- 
verser la  répartition  de  la  population  et  de  la  concentrer 
dans  les  grandes  villes  où  ils  suscitèrent  son  accroisse- 
ment d'une  manière  prodigieuse. 

Le  recensement  de  1901  a  fait,  comme  les  précédents, 
ressortir  en  Grande-Bretagne  une  décroissance  sérieuse  et 
continue  de  la  population  des  districts  ruraux,  décroissance 
plus  grave  en  général  entre  1891  et  1901  que  dans  les  dix 
années  antérieures,  marquée  surtout  dans  les  endroits 
éloignés  des  centres  industriels  et  manufacturiers  et  des 
chemins  de  fer. 

Ce  mouvement  tire  son  origine  des  causes  multiples  ;  il 
la  doit  notamment  aux  changements  apportés  aux  méthodes 
de  culture,  à  l'introduction  des  machines  agricoles,  qui  ont 
diminué  le  nombre  de  mains  nécessaires,  à  Taugmentation 
constante  des  salaires  qui  a  contraint  nombre  de  fermiers 
d  se  contenter  du  moins  d'ouvriers  possible,  au  développe- 
ment de  l'instruction  aussi,  difficile  à  concilier  avec  les 
exigences  de  la  vie  rurale,  à  l'élévation  du  u  Standard  of 
living  )»  et  à  Tambition  croissante  des  enfanls  des  travail- 
leurs d'améliorer  un  sort  jusqu'ici  bien  précaire.  Ajoutons 


COUP  DQEIL  HI8TOBIQUE  7 

à  toutes  ces  raisons  Timpossibilité  d'arriver  à  une  position 
quelconque  par  le  simple  et  rude  travail  de  la  terre»  et  nous 
comprendrons  que  les  campagnards  aient  en  masse  déserté 
leurs  champs  pour  se  porter  vers  les  villes. 

Tous  les  efforts  fails,  tous  les  remèdes  cherchés  et  pro- 
posés pour  empêcher  Taccroissement  de  la  population  des 
villes  ont  été  inutiles  :  facilité  d^açquérir  des  terrains,exemp 
tionsou  diminutions  d'impôts,  écoles  pratiques,  rien  n'a 
prévalu  contre  l'attrait  qu'exerçaient  les  grands  centres. 
Que  sert  d'ailleurs  de  déplorer  cette  émigration  et  de  cher- 
cher les  moyens  de  l'enrayer  puisqu'on  fait  précisément 
tout  ce  qu'il  faut  pour  Tencourager  en  rendant  le  séjour 
des  villes  d'année  en  année  plus  agréable  et  plus  facile,par 
les  travaux  de  toutes  sortes  qu'on  y  exécute  à  grands  frais, 
généralement  dans  l'intérêt  des  classes  ouvrières. 

iNombre  de  personnes,  et  notamment  les  familles  qui  ont 
des  lils, subissent  l'attraction  des  grandes  cités  parce  qu'elles 
pensent  y  trouver  plus  facilement  une  occupation  pour 
leurs  enfants  ;  mais  c'est  aussi  la  vie  des  grandes  villes,  en- 
tendons par  là  la  promenade  dans  les  rues  à  la  fin  de  la 
journée,  après  de  longues  heures  de  travail,  le  soir  le  théâ- 
tre et  les  distractions  de  toutes  sortes,  bonnes  et  mauvaises, 
qui  en  font  le  principal  charme. 

«  L'éducation  sous  toutes  ses  formes,  dit  Sir  Charles 
Dilke(l),  les  distractions,  les  sports,  c'est-à-dire  presque 
tout  ce  qui  donne  de  l'intérêt  à  la  vie,  s'obtient  plus  facile- 
ment et  meilleur  marché  à  la  ville  qu'à  la  campagne. Là  est 
toute  la  raison  de  ce  mouvement  de  concentration  que 
certains  considèrent  plutôt  comme  un  avantage  que  comme 
un  inconvénient.  » 

(1)  Grande  Revue,  i*'  décembre  1901. 


8  PRSIilERB   PARTIS.    «^^  CHAPITRE  PREMIER 

Le  recensement  de  1901  pour  l'Angleterre  et  le  Pays  de 
Galles  montre  bien  que  Taugmentation  de  la  population  a 
porté  uniquement  sur  les  villes.  De  1891  à  1901,  la  popu- 
lation totale  a  passé  de  29.002.000  à  ^2  527.000  habitants  ; 
mais,  tandis  que  la  population  des  districts  urbains  passait 
de  21.745.000  à  25.058.000,  gagnant  ainsi  3.3(3.000  habi- 
tants, celle  des  districts  ruraux  passait  de  7.257.000  à 
7.469.000,  n'en  gagnant  que  212.000  seulement. 

Le  mouvement  que  nous  signalons  en  Angleterre  s*est 
produit  en  Ecosseaireclamème  incroyable  rapidité. En  1801 
la  population  totale  de  ce  pays  était  de  1.600.000  habitants. 
Tant  au  moral  qu*au  physique  la  race  écossaise  présentait 
alors  tous  les  caractères  d'une  population  rurale.  Aujour- 
d'hui la  proportion  est  renversée.  Les  Ecossais  sont  deve- 
nus une  population  urbine.  En  1901  la  population  totale 
s'élève  à  4.471.000.  La  proportion  des  habitants  des  villes 
est  passée  de  38.1  ''/o  en  1871  à  69.8  Vo  en  1901  :  dans  le 
même  temps  la  population  des  campagnes  est  tombée  Je 
30.4  ^o  du  chilTre  total  à  19.8<*/».  La  population  urbaine 
s*est  accrue  en  Ecosse  de  18.58Vo  entre  1891  et  1901  ;  la 
population  des  villages  de  0.03  Vo  seulement,  la  population 
rurale  a  diminué  de  4.60  7o- 

Quant  à  la  population  urbaine  en  général,  ce  n'est  pas 
dans  les  anciens  grands  centres  d'il  y  a  deux  siècles  qu'elle 
s'est  le  plus  développée  ;  c'est  dans  les  villes  nouvelles  qui 
ne  doivent  leur  prospérité  qu'à  l'essor  de  Tindustrie  mo- 
derne. 

Birmingham  qui  compte  aujourd'hui  plus  de  330.000  ha- 
bitants^et  qui,  tant  par  ses  dimensions  que  par  le  chiffre  de 
sa  population,  occupe  la  quatrième  place  parmi  les  villes 
anglaises,  ne  renfermait  que  13. DUO  habitants  en  1700,. 
73.000  en  1801,  182.00U  en  1841,  40U.0U0  en  1881. 


COUP   D  OËlL   HISTORIQUE  Q 

Ea  1720  Maachester  ne  comptait  pas  10.000  habitants  ; 
dans  la  seconde  moitié  du  xix*  siècle  elle  augmente  rapide- 
ment, et  de  20.000  en  1760  la  population  s'élève  à  94.000 
en  1801.  Aujourd'hui  Manchester  renferme  764.000  habi- 
tants (y  compris  Salford  qui  ne  fait  qu'un  avec  elle). 

Liverpool  ne  commence  à  occuper  une  situation  impor- 
tante au  point  de  vue  commercial  qu'au  début  du  xviii' 
siècle.  La  ville  comptait  5.000  habitants  en  1709,  12.000 
en  1730,  26.000  en  1760,  77.000  en  1801.  Durant  le  siècle 
dernier  sa  croissance  a  été  extraordinai rement  rapide,  et 
elle  renfermait  en  1901  684.000  habitants. 

Glasgow,  la  capitale  industrielle  et  commerciale  de 
TËcosse  et  la  seconde  cité  de  Tempire,  s'augmente  constam- 
ment. Elle  comptait  656.000  habitants  en  1891,  760.000  en 
1901, 798.000  en  1905»  1  million  au  moins  en  y  comprenant 
les  faubourgs. 

La  naissance  de  ces  villes  énormes  a  posé  un  problème 
nouveau  :  celui  de  leur  administration.  Puisque  la  grande 
majorité  des  familles  doit  désormais  vivre  dans  les  villes, 
il  faut  faire  en  sorte  qu'elles  y  vivent  dans  les  meilleures 
conditions  possibles.  Depuis  le  début  de  la  période  indus- 
trielle ces  conditions  ont  été  souvent  défectueuses,  parfois 
déplorables.  Il  est  du  devoir  de  tout  gouvernement  de  veiller 
à  ce  que  la  race  ne  dégénère  pas  dans  les  bouges  des  villes  ; 
il  faut  qu'il  combatte  les  maladies,  qu*il  prévienne  la  con- 
tagion, qu'il  réussisse  à  faire  baisser  le  taux  de  la  mortalité 
devant  la  science  de  Thygiène  publique.  Mais.  s*il  est  du 
devoir  du  gouvernement  en  général  et  de  l'administration 
des  grandes  villes  en  particulier,  de  poursuivre  la  réalisation 
d'un  état  sanitiare  aussi  satisfaisant  que  possible»  fait-il 
également  partie  de  leurs  attributions  de  cherchera  satis- 
faire les  besoins  matériels  de  la  vie  civilisée  ?  C'est  en  cela 


lO  PREMIERE   PARTIE.    CHAPITRE   PREMIER 

que  réside  ioal  Tiiitérét  de  la  question  traitée  dans  cette 
étude. 

Les  autorités  municipales  peuvent-elles,  s'aventurer  dans 
rimmense  domaine  qui  s'étend  de  Thygiène  de  Thabitation 
jusqu'à  l'organisation  des  cimetières,  de  la  fourniture  de 
Teau  dans  les  maisons  jusqu'à  la  construction  des  é^outs, 
de  la  production  du  gaz  et  de  Télectricité,  jusqu^à  l'exploi- 
tation des  tramways,  des  téléphones  et  des  dernières  créa- 
tions de  la  science  moderne  ? 

Se  contenteront-elles  d'assurer  le  bien-être  matériel  des 
habitants  des  villes  ou  bien  ne  devront-elles  pas  s'inquiéter 
aussi  de  leur  culture  intellectuelle?  Devront-elles  fonder 
des  bibliothèques  publiques,  des  musées,  des  écoles  ?  Percer 
un  ensemble  de  rues  larges  et  claires,  reliant  au  centre  de 
la  cité  grandissante,  à  TaijJe  des  moyens  de  transport  les 
plus  perfectionnés  les  faubourgs  de  plus  en  plus  lointains 
de  la  ville  ? 

Une  longue  suite  de  questions,  dont  la  solution  a  été  plus 
ou  moins  bien  donnée,  s'est  ainsi  posée  aux  municipalités, 
depuis  le  milieu  du  xix®  siècle,  avec  une  insistance  toute 
particulière. 

Si  le  développement  du  Socialisme  municipal  est  un  fait 
nouveau,  l'origine  de  cette  méthode  n'en  remonte  pas  moins 
très  loin  dans  le  passé,  et  nous  en  retrouvons  les  traces 
'<  dans  les  précédents  établis  sous  plusieurs  régimes  politi- 
ques et  dans  divers  pays  sans  qu'on  ait  soupçonné  long- 
temps ni  le  caractère  ni  la  portée  des  dispositions  adoptées  ». 

Ces  précédents  ne  font  en  effet  pas  défaut.  Faut-il  rappe- 
ler que  Rome  commença  à  fournir  de  l'eau  à  ses  habitants 
312  ans  avant  J.-C,  et  que  le  système  complet  de  ses  qua- 
torze aqueducs  mesurait  plus  de  500  kilomètres?  Les  bains 
de  répoque  impériale  sont  restés  fameux  dans  l'histoire.  A 


COUP   D  CEIL   HISTORIQUE  1 1 

Athènes,  les  aqueducs  des  Pisistratides,  taillés  dans  le  roc 
entre  527  et  510  avant  J.-C,  amenaient  à  la  population  de 
la  ville  Teau  dont  elle  avait  besoin  ;  l'éducation  était  sous 
la  surveillance  des  autorités  publiques,  et  Ton  soumettait  les 
jeunes  gens  à  un  entraînement  méthodique  pour  leur  en- 
seigner leurs  devoirs  de  citoyens  ;  un  im{>ôt  spécial  frap- 
pait les  étrangers  habitant  la  ville. 

L'alimentation  ne  fut  pas  Tun  des  moindres  soucis  des 
gouvernements  de  l'antiquité  ;  sous  Tempire,  le  gouverne- 
ment romain  organisa  un  service  public  pour  l'approvision- 
nement de  la  capitale  et  des  provinces  ;  il  achetait  des  blés 
à  Tétrauger,  levait  des  tributs  en  céréales,  organisait  des 
magasins  publics  et  des  réserves.  Il  rentrait  dans  les  devoirs 
des  magistrats  de  veiller  à  ce  que  leurs  villes  fussent  tou- 
jours pourvues  en  abondance. 

Le  moyen-âge,  tant  en  France  qu'en  Angleterre,  nous 
oiïre  de  nombreux  exemples  de  Tintervention  des  munici- 
palités dans  les  domaines  les  plus  divers. 

a  A  cette  époque,  dit  M.  des  Cilleuls,  prévalut  dans  tous 
les  pays  d'Europe  Tidée  que  toute  agrégation  reconnue 
d'habitants  forme  une  société  où  nul  n'est  ni  tenu  d'entrer, 
ni  libre  de  s'imposer  :  la  résidence  et  le  trafic  furent  mis  au 
nombre  des  prérogatives  assurées  aux  sociétaires  et  à  eux 
seuls  noji  jure  proprio  sed  jure  civUaiis;  le  séjour  d'étran- 
gers, les  échanges  faits  avec  leur  concours  ne  semblaient 
résulter  que  d'une  tolérance  accordée  dans  la  ihesure  des 
avantages  à  recueillir  et  en  tout  cas  de  l'absence  ou  de  la 
médiocrité  des  inconvénients  à  redouter. 

u  Cette  cohésion  excluait  la  faculté  pour  chaque  affilié  de 
veiller  isolément  sur  ses  intérêts  par  des  rapports  exté- 
rieurs ;  les  convenances  individuelles  devaient  s'effacer  de- 
vant les  exigences  collectives.  C'eût  été.  pensait-on,  détruire 


12  PUEMIERE   PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

la  raison  d*ètre  de  la  personnalité  communale  généraliséer 
peu  à  peu,  que  de  souffrir  ce  qui  était  réputé  une  sorte  de 
dissociation  des  éléments  qui  la  constituaient. 

€  Pour  prévenir  ce  résultat  imaginaire,  il  parut  indispen^ 
sable  de  fixer  la  manière  de  pourvoir  à  des  besoins  réputés 
communs  et  d'en  procurer  la  satisfaction  d'après  un  mode 
uniforme  pour  chaque  localité.  Quand  on  est  entré  dans  cet 
ordre  d'idées,  il  devient  impossible  de  savoir  où  Ton  sUir- 
rêtera  ;  l'arbitraire  ne  rencontre  plus  d'autre  limite  que 
l'impossibilité  de  continuer  sa  marche.  Bien  n'est  fertile  en 
déductions  comme  un  faux  principe,  et  rien  n'est  délicat 
comme  le  triage  du  vrai  et  du  faux  dans  les  règles  contin- 
gentes . 

€  Aussi,  quels  qu'aient  été  les  changements  qu'éprouvè- 
rent avec  le  temps  les  vues  ci-dessus  décrites,  la  protectioa 
forcée,  discrétionnaire,  des  autorités  locales  en  matière  éco- 
nomique s'est-elle  maintenue  à  travers  les  siècles,  sauf  à 
affecter  des  aspects  variables  suivant  les  époques,  les  pays 
et  les  mœurs  :  on  en  trouvera  la  preuve  dans  les  dévelop- 
pements qui  vont  suivre.  » 

Dans  l'étude  très  intéressante  et  très  documentée  qu*il  a 
faite  du  Socialisme  municipal,  M.  des  Gilleuls  distingue 
trois  idées,  trois  tendances  essentielles  : 

1°  La  tutelle  de  l'activité  individuelle  ;  2^  la  confiscation 
de  l'activité  individuelle  ;  S*"  la  concurrence  à  l'activité  in- 
dividuelle. 

La  tutelle  de  l'activité  individuelle  comprend  les  diverses 
formes  de  Timmixtion  officielle,  et  d'abord  :. 

a)  Les  règles  établies  dans  l'intérêt  présumé  des  produc- 
teurs ou  des  intermédiaires.  C'est  ainsi  qu*au  moyen-àge, 
tant  en  France  qu'en  Angleterre,  les  autorités  municipales 
érigèrent  d'office  des  guildes  ;  que  les  magistrats  locaux  cru- 


. 


COUP  d'obil  historique  i3 

rent  avoir  le  droit  de  permettre  ou  de  défendre  à  des  par- 
liculiers  d'ouvrir  boutique;  que  le  régime  de  tutelle  Tut 
toujours  et  partout  d'une  rigueur  spéciale  vis-à-vis  des 
professions  affectant  les  subsistances. 

b)  S'il  aestplus  de  mode  aujourd'hui,  au  sein  des  assem- 
blées municipales  d'édicter  des  règles  dans  l'intérêt  présumé 
des  producteurs,  du  moins  la  fixation  des  rapports  entre 
maîtres  et  ouvriers  continue- t-elle  à  faire  de  nos  jours, 
comme  au  moyen-àge,  Tobjet  des  règlements  dés  autorités 
locales.  Les  méthodes  actuelles  ne  sont  qu'une  survivance 
des  méthodes  anciennes  ;  l'Angleterre  nous  offre  de  nom- 
breux exemples  de  Tintervention  des  autorités  publiques  en 
cette  matière  ;  au  xiv*  et  au  xv^  siècles»  le  Liber  Albus  donne 
le  tarif  des  salaires  d'artisans  dontlafixationaété  confiéeaux 
magistrats  municipaux  (1).  Une  ordonnance  d'Edouard  I'''' 
porte  «  que  si  quelqu'un  de  la  cité  donne  à  un  ouvrier 
plus  qu'il  n'estécrit  ou  ordonné,  il  devra  payer  une  amende 
de  40  s.  à  la  ville  sans  excuse  possible  ».  Un  act  de  la  23® 
année  du  règne  d'Edouard  III  (1349)  règle  le  tarif  des  sa- 
laires pour  les  laboureurs,  charpentiers,  etc.  ;  deux  acts 
d'Henri  VIII,  de  1512  et  1515,  déclarent  que  tous  les  sa- 
laires devront  être  fixés  par  des  règlements.  Un  statut  de 
la  cinquième  année  du  règne  d'Elisabeth  (1564)  et  un  act 
de  la  20*"  année  du  règne  de  Georges  II  (1747)  confient  aux 
juges  de  paix  le  soin  de  fixer  les  salaires  d'après  le  prix  du 
pain.  11  faut  aller  jusqu'en  1824  pour  trouver  un  statut  de 
la  cinquième  année  du  règne  de  Georges  IV  qui  restreigne 
le  pouvoir  des  magistrats  au  rôle  d'arbitre. 

Il  convient  de  remarquer  qu'autrefois,  c'était  la  fixation 
d'un  maximum  des  salaires  qui  faisait  l'objet  des  préoccu- 

(1)  Voir  DBS  CiLLEULs,  op,  cit.^  p.  308. 


l4  PRBMièRB   PARTIE.    CHAPITRE   PREMIER 

pations  royales  ou  mimicipales  ;  qu  aujourd'hui,  c*est  la 
fixation  d'un  minimum  ;  mais  qu*au  bout  du  compte,  si  la 
tendance  actuelle  est  sans  contredit  plus  généreuse,  elle  n^a- 
boutit  peut-être  pas  dans  la  pratique  à  de  beaucoup  meil- 
leurs résultats. 

Dans  la  tutelle  de  l'activité  individuelle  rentrent  en  troi- 
sième lieu  les  règles  établies  dans  l'intérêt  présumé  des 
consommateurs  ;  dues  à  Tillusion  funeste  qu'il  est  possible 
à  Tautorité  publique  o  de  remplir  le  rôle  de  régulateur  dans 
l'ordre  économique  a.  Ici  encore  les  exemples  abondent,  si 
Ton  prend  la  peine  de  les  chercher,  et  Ton  en  retrouve  jus* 
que  dans  Tantiquité. 

Dioclétien  applique  à  l'empire  romain  le  principe  du  ma- 
ximum ;  sous  les  Carolingiens,  des  édits  fixent  le  prix  des 
céréales  et  du  pain.  Au  xii^  et  au  xui*"  siècles,  on  voit  l'au- 
torité royale,  tant  en  France  qu'en  Angleterre,  fixer  le  bé- 
néiice  des  boulangers  en  certaines  localités  (Assise  du  pain 
et  de  la  bière,  31"  année  du  règne  de  Henri  III)  (1267). 

Une  autre  loi  de  Henri  III  confie  aux  officiers  municipaux 
le  soin  de  tarifer  toutes  les  denrées.  La  taxe  du  pain,  qui  a 
donné  lieu  en  France  à  tant  de  règlements  et  de  discussions^ 
a  existé  chez  nos  voisins  d'Outre-Alanche  tout  comme  chez, 
nous  ;  elle  ne  fut  supprimée  à  Londres  qu'en  1815,et  dans 
Tensemble  du  Royaume-Uni  qu'en  1836. 

La  tutelle  de  l'activité  individuelle  comprend  en  dernier 
lieu,  nous  dit  M.  des  Cilleuls,  les  règles  établies  dans  Tin- 
térét  présumé  des  habitants.  Parmi  ces  règles,  citons  celles 
qui  ont  trait  à  la  construction  des  maisons,  au  choix  des 
matériaux  et  à  l'aspect  extérieur  des  habitations.  De  même 
qu'en  Allemagne,  en  Autriche,  en  Suisse  et  en  Italie, la  po- 
lice des  constructions  a  fait  en  Angleterre  Tobjet  de  nom- 
breux acts  de  la  part  du  pouvoir  central  (acts  des  21^-22*  an- 


COUP  d'œil  historique  i5 

nées,  chap.  98,  et24*-25',  chap.  61  du  règne  de  Victoria). 
«  Pour  Londres, les  lois  sur  la  police  des  bâtiments  se  suc* 
cédèrent  depuis  le  règne  de  la  reine  Anne  (1702-1714). 
Sous  Georges  HT  il  fut  rendu  400  acts  d'intérêt  local  ayant 
le  même  objet  et  qui  s*occupent  en  particulier  de  salu- 
brité (1).  » 

Herbert  Spencer  a  montré,  dans  plusieurs  pages  de  son 
livre  r  Individu  contre  l'Etat  quelle  gêne  la  fixation  du 
choix  des  matériaux  avait  à  maintes  reprises  causée  à  l'in- 
dustrie du  bâtiment  et  à  quels  piètres  résultats  avait  abouti 
toute  cette  législation. 

L*Etat  et  les  municipalités  ne  se  sont  pas  contentés  de 
guider,  soi-disant  pour  leur  bien,  Taction  des  particuliers 
au  moyen  des  règlements  les  plus  divers,  ils  ont  été  jusqu'à 
la  confîsquer. 

C'est  ainsi  qu'on  a  vu  au  moyen-âge  les  villes  ou  les  com- 
munes s'approprier  le  monopole  des  foires  et  des  marchés; 
qu'on  a  vu  certaines  d'entre  elles  contraindre  leurs  habi- 
tants et  les  marchands  du  dehors  à  apporter  à  la  halle  et  à 
ne  vendre  que  là  toutes  des  denrées  alimentaires  entrant 

■ 

sur  leur  territoire,  afin  de  s'assurer  Tintégrale  perception 
des  droits  de  douane  ;  qu'on  peut  citer  maintes  communes 
qui  possédaient  des  fours  banaux  dans  lesquels  les  boulan- 
gers et  habitants  devaient  Taire  cuire  leur  pain,  et  qu'on  en 
connaît  qui  acquirent  des  bâtiments  à  usage  de  boucherie 
dont  l'occupation  était  forcée  pourlo  débit  de  la  viande. 

On  a  vu  mieux  que  cela,  en  France  même.  Poursuivie 
par  la  crainte  de  famines,il  est  vrai  trop  fréquentes, la  royauté 
cherche  à  diverses  reprises  à  étendre  la  culture  du  blé  par 
tous  les  moyens  possibles.  Vers  le  milieu  de  la  Renaissance 

(1)  Des  Cilleuls,  ort,  cii.j  p. 73. 


l6  PREMIERE  PARTIE.    —   CHAPITRE   PRLMIER 

elle  interdit  de  «  délaisser  les  labours  pour  faire  plants  ex- 
cessifs de  vignes  ».Sous  le  règne  de  Louis  XIII,les  Ëtats  de 
Bourgogne  demandent  qu'on  arrache  des  vignes  plantées 
depuis  quarante  ans.  C'est  encore  la  crainte  des  famines  qui 
fait  défendre  aux  xni*  et  xv®  siècles  la  distillation  des  grains 
alimentaires.  Cette  mesure,  remise  en  vigueur  par  Napo- 
léon I",  subsiste  sous  la  Restauration  et  le  second  Empire. 
La  Russie  et  TAngleterre  imitent  l'exemple  de  la  France. 

On  va  même,  pour  avantager  les  producteurs  locaux  et 
créer  à  leur  profit  un  privilège,  jusqu*à  exclure  certaines 
marchandises.  Le  commerce  des  vins  a  été  soumis  à  des 
restrictions  de  ce  genre.  Dans  le  midi  de  la  France,les  villes 
connues  pour  leurs  crus  s*opposèrent  fréquemment,du  xiii^ 
au  XVIII*  siècle, à  Tintroduction  de  vins  apportés  du  dehors. 

N'est-il  pas  permis  de  voir  dans  toutes  ces  mesures  rori* 
ginedu  protectionnisme  moderne,et  notamment  decet  esprit 
de  protectionnisme  local  dont  le  Socialisme  municipal  nous 
offre  aujourd'hui  de  trop  nombreux  exemples? 

Plus  que  la  tutelle  ou  que  la  confiscation  de  l'activité 
individuelle,  la  concurrence  à  l'activité  individuelle  sera  la 
forme  moderne  du  Socialisme  municipal.  Sous  ce  régime, 
la  commune  va  se  charger  des  services  d'intérêt  général 
jusque-là  laissés  aux  mains  des  particuliers,  dans  le  but  en 
apparence  aussi  généreux  que  désintéressé  de  faire  profiter 
les  contribuables  de  Téconomie  que  procurera  la  suppres- 
sion du  bénéfice  de  Tentrepreneur. 

C'est  par  euphémisme  que  nous  employons  avec  M.  des 
Gilleuls  l'expression  a  concurrence  à  l'activité  individuelle  ». 
La  concurrence  ne  peut  durer  longtemps  entre  un  particulier 
livré  à  ses  propres  forces  et  une  municipalité  qui  dispose  de 
toutes  les  ressources  de  ses  contribuables.  La  municipalité 
qui  se  charge  d'un  service  le  transforme  tôt,  ou  tard,  en 


COUP   DGEIL  HISTORIQUE  I7 

monopole  pour  plus  de  sécurité,  et  ce  qui  n'avait  été  au 
début  que  concurrence,  se  transforme  souvent  en  confisca- 
tion, en  suppression  de  Tac ti vite  des  particuliers  comme 
dans  les  cas  précédents.  Le  droit  que  prétendent  avoir  les 
municipalités  de  faire  concurrence  à  l'activité  individuelle 
c<  repose  tout  entier  au  point  de  vue  juridique  sur  une  con- 
fusion entre  les  pouvoirs  de  police  et  les  droits  de  la  per- 
sonnalité civile  »  (1).  Celte  thèse,  suivaot  laquelle  Faction 
des  autorités  publiques  est  plus  avantageuse  pour  la  com- 
munauté que  l'action  des  particuliers,  ne  sert  qu'à  cacher  les 
«  véritables  motifs  qui  ont  entraîné  dans  la  voie  du  socia- 
lisme municipal  tant  de  villes  européennes  ou  américaines, 
lesquels  motifs  se  réduisent  à  deux  : 

<(  1^  Créer  au  profit  des  caisses  communales  une  source 
de  revenus  importants  n'ayant  point  lapparence  fiscale  ; 

2*^  Avoir  sous  la  main  un  nombreux  personnel  d'agents 
intéressés  au  maintien  des  régies  officielles  et  utilisables 
comme  agents  électoraux.  » 

C'est  dans  ce  double  but,  en  grande  partie  du  moins,  que 
les  municipalités  modernes  ont  bâti  des  manufactures  et 
des  ateliers,  construit  des  maisons  ouvrières,  employé  l'eau, 
le  gaz,  rélectricité,  etc.,  à  la  satisfaction  des  besoins  de  la 
vie  privée. 

Les  marchés,  les  bains,  les  ports  et  les  docks  viennent 
dans  Tordre  historique  en  tête  de  la  liste  des  services  d'in-^ 
térét  commun  que  gèrent  les  municipalités.  Il  est  des  villes 
anglaises  et  allemandes  qui  possèdent  leurs  marchés  depuis 
des  centaines  d'années.  Vers  le  milieu  du  xix*  siècle  les 
autorités  locales  songent  à  fournir  Teau  aux  agglomérations 
urbaines  subitement  agrandies  ;  vers  1860  commence  la 

(I)  DesGillbuls,  op.  cit,^  p.  141. 

Boverat  2 


l8  PREMIÈIIE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

muDicipalisatioQ  des  usines  à  gaz  ;  les  villes,après  s*ètre  con- 
tentées au  début  d'éclairer  leurs  rues  et  les  édifices  publics, 
en  arrivent  rapidement  à  vendre  le  gaz  aux  particuliers.  En 
1890  nous  voyons  apparaître  les  premières  usines  électri- 
ques municipales  dont  la  diffusion  se  poursuivra  bientôt 
par  toute  l'Angleterre  avec  une  inquiétante  rapidité. 

Il  y  a  quinze  ou  vingt  ans  la  municipalisation  n'en  était 
encore  qu'à  de  timides  essais  ;  aujourd'hui  nous  assistons 
à  la  pleine  floraison  de  l'activité  municipale  ;  aujourd'hui 
les  communes  transportent  elles-mêmes  leurs  habitants 
au  moyen  de  réseaux  perfectionnés  de  tramways,  elles  cons- 
truisent des  maisons  pour  la  classe  ouvrière,  quaad  elles 
n'élèvent  pas  de  magnifiques  immeubles  destinés  au  com- 
merce ou  aux  classes  aisées  de  la  population  ;  elles  établis- 
sent des  réseaux  téléphoniques, bâtissent  des  bains  et  des  la- 
voirs, fabriquent  des  machines  à  vapeur  et  des  dynamos,  des 
appareils  à  gaz  et  des  appareils  électriques,  installent  des 
locaux  munis  d'appareils  réfrigérants,  des  fabriques  de 
glace  artificielle,  fournissent  du  lait  stérilisé.  Elles  possè- 
dent des  salles  de  concert,  des  hôtels  et  des  vélodromes. 
Elles  font  des  opérations  de  banque,  émettent  des  billets, 
établissent  des  monls-de-piété,  ouvrent  des  cabarets.  On  en 
connaît  qui  voudraient  posséder  des  houillères  et  vendre 
du  charbon  au  détail  (Glasgow  par  exemple). 

Mais  toute  médaille  a  son  revers  :  la  mise  à  exécution  de 
projets  aussi  ambitieux  ne  va  pas  sans  entraîner  de  grosses 
dépenses  ;  les  contribuables  anglais  en  savent  quelque 
chose  :  un  coup  d'œil  sur  Tétat  de  leurs  finances  locales 
aura  bientôt  fait  de  nous  renseigner. 

Le  tableau  ci-dessous  nous  fait  voir  que  le  total  des  im-> 
pots  locaux  levés  en  Angleterre  et  dans  le  Pays  de  Galles 
atteignait  : 


COUP   D  OEIL   HISTORIQUE  IQ 

En   1874-1875  ......£  19.198.579 

18841885 25.666.552 

1894-1895 33.855.283 

1899-1900 40.734.219 

1902-1903 50.328.412  (1). 

L'augmentatioQ  de  ces  impôts  s*est  donc  produite  dans 
le  dernier  quart  du  xix*  siècle  avec  une  extraordinaire  rapi- 
dité que  ne  saurait  justifier  l'augmentation  beaucoup  plus 
lente  de  la  population.  A  eux  seuls  ces  chiffres  ne  prouvent 
pas  sans  doute  que  le  socialisme  municipal  soit  la  cause 
unique  de  cette  augmentation  ;  ils  prouvent  simplement 
que  les  autorités  locales  anglaises  ont  déployé  dans  ces 
dernières  années  une  activité  inusitée  et  qu'elles  se  sont 
montrées  de  plus  en  plus  disposées  à  accepter  de  nouvelles 
responsabilités. 

Le  contre-coup  de  ces  entreprises  industrielles  sur  les 
finances  locales  apparaît  mieux  peut-être  lorsqu^on  étudie 
les  statistiques  de  la  dette  municipale.  Le  montant  de  la 
dette  des  autorités  locales  aux  dates  suivantes  était  pour 
TAngleterre  et  le  Pays  de  Galles  de  : 

En  1867-1868 £60.000.000 

1874-1875 92.820.100 

1884-1885 173.207.968 

1894-1895 235.335  049 

1899-1900 293.864.224 

1902-1903 370.607.493(2). 

A  la  iin  de  1902-1903  le  total  des  emprunts  conclus  psir 

(f)  Heporl  of  the  Local  Government  Board,  1904-1905,  p.  CCXf. 
(2)  heporl  of  the  Local  Government  Board,  1904-1905,  p.  CCXV. 


20  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE   PREMIER 

les  autorités  locales  de  TAngleterre  et  du  Pays  de  Galles 
était  de  £  277.000.000  plus  élevé  qu^â  la  fia  de  1874-1875. 
Le  total  des  emprunts  contractés  par  elles  en  28  ans  (de 
1875-1876  à  1902-1903  inclus)  s'élevait  approximativemeat 
à  £407.597.255(1). 

De  1874-1 875  à  1902  1903  les  impôts  locaux  ont  augmenté 
de  162  7o>  loB  subventions  du  gouvernement  impérial  de 
660.2  Vo,  le  total  des  emprunts  de  299,  3  7o,  la  valeur 
imposable  (rateable  value)  de  65.3  Y»  et  la  population  de 
39.1  Vo  seulement. 

Compare-t-on  la  situation  financière  de  rAngleterreàcelle 
des  autres  pays,  on  voit  que  nulle  part  ailleurs  les  entrepri- 
ses municipales  n  ont  pris  un  aussi  grand  développement. 

La  dette  municipale  atteint  en  effet  par  tète  d'habitant  : 

Deile 
Paya  Année  par  tète  d'habilaot 

En  Angleterre  et  Pays  de  Galles  1898  £  8.8.0 

Etats-Unis 1890  2.9.0 

France 1899  3.14.0 

Italie 1889  1.9.0 

En  1902  la  dette  municipale  anglaise  atteint  £  10.10  s. 
7  d.  par  tête. 

Le  rapide  coup  d*œil  que  nous  venons  de  jeter  sur  This- 
toire  du  Socialisme  municipal  nous  montre  donc  :  l""  que  la 
tendance  municipaliste  n'est  pas  chose  absolument  nouvelle; 
ce  n*est  pas  d*aujourd*hui  que  TEtat  et  les  municipalités 
prétendent  intervenir  dans  les  transactions  économiques  ; 
autrefois  ils  se  contentaient  en  général  de  les  réglementer; 
de  nos  jours  ils  veulent  agir  eux-mêmes  pour  le  compte 
de  leurs  habitants;  2*"  il  nous  montre  en  second  lieu  que 

II)  Report  oflhe  Local  Goiemment  Board,  1904-1905,  p.  CCXVIIL 


COUP   D^GBIL   HISTORIQUE  21 

Textension  des  services  publics  coûte  cher,  qu'elle  nécessite 
remploi  de  gros  capitaux  et  qu'elle  entraine  presque  inévi- 
tablement Taugmentation  de  la  dette  et  celle  des  impôts. 

L'attitude  du  Parlement  anglais  en  face  de  cette  politique 
socialisante  a  souvent  manqué  de  fermeté.  Bien  qu'il  n'ait 
pas  toujours  fait  un  accueil  favorable  aux  demandes  des 
autorités  locales  désireuses  de  se  lancer  dans  de  nouvelles 
industries,  il  n'a  pas  su,  semble-t-il,  définir  assez  nettement 
les  conditions  de  leur  action,  de  leur  responsabilité  dont  le 
principe  devient  de  jour  en  jour  moins  distinct.  Il  ne  s'est 
pas  tracé  de  ligne  de  conduite  bien  nette,  et  la  législation 
récente  porte  la  trace  de  son  indécision  ;  il  laisse  en  général 
les  municipalités  libres  d'agir,  il  leur  ordonne  ou  leur  défend 
rarement  de  faire  telle  ou  telle  chose.  C'est  à  chacune  d'elles 
de  se  construire  une  théorie  de  ses  devoirs  municipaux. 

Or,  l'idée  qu'elles  se  font  de  leurs  devoirs  tend  à  devenir 
de  jour  en  jour  plus  vaste  et  plus  compréhensive.  Toujours 
en  mal  de  projets  nouveaux  et  en  quête  d*argent  pour  les 
mettre  à  exécution,  l'idée  du  risque  industriel  ou  commer- 
cial ne  les  effraye  plus.  Au  commencement  du  xrx*  siècle  la 
loi  défendaitaux  corporations  anglaises  de  faire  des  bénéfices 
commerciaux  ;  aujourd'hui  la  réalisation  de  gros  profits  est 
devenue  leur  unique  préoccupation.  Elles  ne  révent  qu'ex- 
propriation des  grandes  Compagnies,  extension  indéfinie 
des  services  publics  et  constitution  de  monopoles  munici- 
paux. Il  est  grand  temps  de  prendre  parti  dans  la  question 
•et  de  voir  s'il  faut  les  encourager  dans  la  voie  qu'elles 
suivent  actuellement,  ou  s'il  ne  convient  pas  au  contraire 
de  calmer  l'esprit  de  réaction  dont  elles  sont  animées  contre 
l'individualisme. 


CHAPITRE  II 


MUNICIPAUSMB   BT   COLLECTIVISMB. 


ËQ  s*engageant  à  fond  dans  ce  municipalisme  d*un  nou- 
veau genre,  en  assumant  la  direction  d'entreprises  qui  jus- 
que-là faisaient  exclusivement  partie  du  domaine  de  lindus- 
trie  privée,  en  employant  directement  les  travailleurs,  en 
augmentant  les  impôts  et  en  contractant  des  emprunts  qui 
atteignent  un  chiffre  colossal,  les  autorités  locales  anglaises 
ont-elles  obéi  à  des  principes  directeurs,  adoptés  après  mûre 
réflexion  ou  bien  se  sont  elles  laissé  entraîner  par  les  évé- 
nements et  n*ont-elles  suivi  qu*une  politique  opportuniste  ? 

Se  sont-elles  dit:  nous  allons  appliquer  les  doctrines  so- 
cialistes, chercher  à  réaliser  les  desiderata  de  leurs  théori- 
ciens ou  bien  le  besoin  d'argent  qu'elles  avaient  pour  Texé- 
cution  de  leurs  projets  multiples  et  la  satisfaction  d'une 
ambition  sans  cesse  grandissante  n'a-t-il  pas  été  le  point  de 
départ,  le  mobile  de  leur  nouvelle  conduite? 

Adoptons  sans  hésiter  la  seconde  de  ces  deux  hypothèses 
et  répondons  :  oui,  c'est  le  besoin  d'argent  qui  a  poussé  les 
villes  au  Municipalisme.  (j'est  là  que  nous  trouverons  la 
meilleure  raison  de  ce  mouvement  qui  est  en  passe  de 
donner  aux  villes  anglaises  une  face  nouvelle.  C'est  du  point 
de  vue  financier  qu'il  nous  faut  considérer  la  politique  mu- 
nicipale anglaise  pour  comprendre  les  causes  de  sa  naissance 
et  nous  rendre  compte  de  la  signification  qu'elle  offre  au- 
jourd'hui. 


MUNIGIPALISME    ET    COLLECTIVISME  23 

Il  est  peu  probable  que  Torganisatioa  économique  des 
grandes  villes  eût  été  si  profondément  bouleversée  pour  la 
seule  satisfaction  de  mettre  en  pratique  des  doctrines  restées 
jusque-là  sans  application.  Elle  ne  Ta  été  que  parce  que  les 
municipalités  attendaient  de  ce  bouleversement  fait  par 
elles  et  pour  elles  des  ressources  nouvelles  et  importantes. 

Mais  le  but  de  notre  travail  n'est  pas  de  rechercher  quelle 
fut  Tintention  des  promoteurs  de  cette  politique.  Ce  sont 
ses  résultats  que  nous  voulons  mettre  en  relief,  et  nous 
pouvons  affirmer,  sans  crainte  d'erreur,  que  ces  résultats 
se  trouvent  être  en  fait  Tapplication  pure  et  simple  des 
doctrines  socialistes. 

Pour  le  bien  comprendre,  un  bref  résumé  deThistoire 
do  ces  doctrines  ne  sera  pas  inutile.  Le  socialisme  a  subi 
depuis  le  milieu  du  xix^  siècle  bien  des  métamorphoses  ; 
d'u topique,  il  est  devenu  pratique.  Les  premiers  en  date 
des  socialistes  du  siècle  dernier,  Fourier  et  Saint-Simon, 
rêvaient  de  transformer  et  de  régénérer  l'humanité  tout 
entière.  Leur  socialisme  était  universel.  Une  seconde  géné- 
ration d'écrivains,  dont  Karl  Marx,  Blanqui,  Bakounine 
furent  les  représentants,  jette  les  fondements  du  socialisme 
national  ;  ils  voulaient  réformer  les  Etats  particuliers  plutôt 
que  le  genre  humain  dans  son  ensemble.  Fourier  et  Saint- 
Simon  étaient  des  penseurs,  Blanqui  et  Bakounine  furent 
des  agitateurs  qui  ne  voyaient  le  salut  que  dans  la  révolution 
sociale.  Du  domaine  tranquille  du  rêve  nous  descendons 
avec  eux  au  domaine  agité  des  réalités  révolutionnaires. 

Aujourd'hui,  l'idée  d'une  brusque  transformation  de  la 
société  moderne  s'efface  dans  un  lointain  plus  vague.  Cette 
transformation  s'opère  cependant,  et  nous  en  démêlons  va- 
guement les  commencements  sans  pouvoir  en  prédire  la  fin  ; 
spectateurs  inconscients,   nous  assisterons  à  la  réforme 


34  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    II 

lente,  mais  radicale  de  la  société  où  nous  vivons.  Le  révo- 
lutionnarisme  perd  peu  à  peu  du  terrain,  et  si  le  réveil  des 
passions  populaires,  odieusement  exploitées,  nous  rappelle 
parfois  qu*il  compte  encore  des  partisans,  c'est  plutôt  du 
côté  de  la  législation  que  se  porte  actuellement  refTort  des 
socialistes. 

L*Angleterre,  plus  heureuse  que  la  France,  entend  moins 
aujourd'hui  qu'il  y  a  quinze  ou  vingt  ans  prêcher,  pour  la 
réahsation  de  Tidéal  socialiste,  l'emploi  de  la  force  brutale. 
Le  parti  socialiste,  conduit  par  des  hommes  d*une  adresse 
et  d'un  tact  remarquables,  a  su  s'assimiler  des  méthodes 
plus  douces  et  plus  silencieuses  (1).  Ses  chefs  ont  compris 
qu  au  milieu  d'un  peuple  aussi  pratique  et  aussi  conserva- 
teur que  le  sont  les  Anglais,  une  propagande  bruyante  en 
faveur  de  la  confiscation  de  la  terre  et  du  capital  aurait  peu 
de  chances  de  succès  ;  ils  ont  compris  qu'on  ne  prendrait 
pas  d*assaut  et  par  surprise  la  forteresse   individualiste, 
qu'il  faudrait  user  de  stratégie  et  la  tourner  en  quelque 
sorte.  C'est  la  leçon  que  plus  de  soixante  ans  d  expérience 
ont  enseignée  aux  socialistes;  c'est  la  solution  d'un  pro- 
blème auquel  leurs  chefs  se  sont  consacrés,  non  seulement 
avec  adresse,  mais   avec  succès.  Le  danger  qui  menace  la 
société  moderne  apparaît  ainsi  plus  grave  et  plus  réel,  parce 
que  plus  caché,  que  tous  les  dangers  qu'ont  pu  faire  courir 
à  nos  pères  les  émeutes  et  les  révolutions  du  siècle  dernier. 
Le  parti  socialiste  vient  en  effet  de  trouver  son  plus  solide 
appui  dans  le  cœur  de  la  forteresse  même. 

Il  n'y  a  rien  dont  l'Anglais  soit  en  général  aussi  fier,  à 
fort  juste  titre  d'ailleurs,  que  de  la  vigueur  de  ses  institu- 
tions locales,  de  l'intégrité  et  de  l'habileté  de  ses  magistrats 

(1)  Voir  l'article  deMarriot.  Forlnighlly  IlevieWy  Dec.  1902. 


MUNICIPALISME    ET   COLLECTIVISME  20 

locaux.  Aussi  certaiaes  personnes  ont-elles  fait  le  raison* 
nement  suivant:  puisque  le  gouvernement  local  remplit  ses 
fonctions  avec  tant  de  succès,  ne  serait-il  pas  à  la  fois  naturel 
et  logique  de  les  élargir?  Plus  les  intérêts  confiés  à  l'ad- 
ministrateur local  seront  importants,  plus  ses  devoirs 
seront  variés,  plus  sa  responsabilité  financière  ou  écono- 
mique sera  grande,  plus  grande  aussi  seront  la  valeur  et 
la  capacité  des  hommes  disposés  à  entrer  dans  la  sphère  de 
la  politique  locale. 

L'argument  est  spécieux  et  les  politiciens  municipaux 
savent  en  faire  usage.  Le  malheur  est  qu'il  ne  vaut  rien. 
Plus  le  gouvernement  local  étendra  ses  fonctions,  plus  il 
empiétera  sur  le  domaine  du  commerce,  plus  Thomme 
d'affaires  ordinaire  montrera  de  répugnance  à  lui  consacrer 
son  temps  et  son  travail,  et  plus  la  tendance  qu'on  a  à 
confier  le  contrôle  des  affaires  locales  à  des  fonctionnaires 
salariés  deviendra  irrésistible.  Règle  générale,  ces  fonction- 
naires seront  à  la  fois  capables  et  honnêtes,  nous  l'accor- 
dons volontiers  ;  mais  est-il  à  souhaiter  que  l'administration 
locale,  et  dans  une  large  mesure  aussi  Tentreprise  industrielle 
locale,  passent  sous  le  contrôle  d'une  bureaucratie  ?  Le 
danger  n'a  rien  de  chimérique.  Les  dépositions  des  témoins 
devant  le  Select  Committee  de  1900  et  Tenquête  du  corres- 
pondant du  Times  le  montrent  très  clairement. 

La  gravité  du  péril  provient  précisément  de  ce  qu'il  passe 
inaperçu.  Pas  à  pas  le  socialiste  moderne  cherche  à  s'intro- 
duire dans  le  gouvernement  municipal  pour  en  devenir  le 
maitre.  Les  arguments  ne  lui  manquent  pas  pour  faire 
des  transformations  au  premier  abord  insignifiantes,  et  c'est 
dans  le  résultat  final  et  accumulé  de  beaucoup  de  ces  petites 
transformations  que  réside  le  danger. 

«  Il  ne  s'agit  plus,  dit  M.  Bouet,  pour  le  socialiste  muni- 


20  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    II 

cipal  de  socialiser  le  genre  humain  ni  même  de  nationaliser 
une  société  quelconque  ;  il  s'agit  simplement  de  municipa- 
liser  les  communes,  de  centraliser  entre  les  mains  des  con- 
seillers municipaux  des  services  de  plus  en  plus  nombreux, 
jusqu'à  ce  que  la  commune,  c'est-à-dire  la  municipalité, 
soit  maîtresse  des  terres  et  des  capitaux,  directrice  de  la 
production  et  dispensatrice  des  moyens  de  consomma- 
tion (1).  » 

Tel  est  le  programme  qui  reçoit  en  Angleterre  Tapproba- 
tion  de  personnes  pleinement  conservatrices  sous  d'autres 
rapports  et  qui  n'ont  pas  Tair  de  comprendre  qu'en  donnant 
aux  services  municipaux  une  extension  aussi  vaste  et  aussi 
rapide,  elles  font  œuvre  de  socialisme. 

«  Nous  sommes  tous  socialistes  à  présent  », disait  un  jour 
Sir  William  Harcourt  à  la  Chambre  des  Communes,  et  le 
prince  de  Galles  (devenu  plus  tard  Edouard  VII)  a  fait  à  son 
tour  la  même  déclaration.  Dans  un  article  publié  par  la 
Grande  Revue  (!«'  décembre  1901),  SirCharles  Dilke  recon- 
naît que,  dans  le  Royaume-Uni,  le  Socialisme  municipal 
remporte  plus  que  dans  tout  autre  pays  du  monde.  Il  y  fait 
de  rapides  conquêtes. «  Celles-ci,  j'en  suis  convaincu, ajoute- 
t-il,  n'offrent  que  desavantages^et  jenevois  pas  quels  obs- 
tacles pourraient  arrêter  un  tel  développement.  » 

Si  cet  aveu  répond  exactement  à  la  réalité  des  faits,  il 
doit  remplir  d'aise  les  socialistes,  et,  leur  montrant  que 
leurs  premiers  efforts  n'ont  pas  été  inutiles,  il  leur  permet 
d'espérer  de  nouveau.\  et  rapides  progrès. 

Les  socialistes  ont  d'ailleurs  eu  jusqu'en  ces  derniers 
temps  la  partie  belle  en  Grande-Bretagne  ;  s'il  est  vrai, 
comme  le  remarque  Sir  Charles  Dilke,  que  «  la  majorité 

(1)  H.  Rouet,  Journal  des  Economistes^  juillet  1901. 


MUNIGTPALISME   ET  COLLECTIVISME  27 

des  aldermen  et  des  conseillers  municipaux  qui  adminis- 
trent actuellement  les  grandes  villes  sont  des  conservateurs. 
Mais  (que)  les  plus  capables  et  les  plus  influents  de  tous  sont 
souvent  des  socialistes  municipaux  sans  le  savoir.  »  Et 
quelques  lignes  plus  bas  il  ajoute,  parlant  du  corps  électo- 
ral :  «  Ces  hommes  et  d*autres  cent  fois  plus  nombreux  qui 
ont  pu  désirer  voter  pour  un  candidat  socialiste  sans  en 
avoir  Toccasion^sont  tous  d^enthousiastes  socialistes  muni- 
cipaux. ALondres  mème,oùron  est  plus  impérialiste  et  où. 
depuis  quelques  années,  on  a  soutenu  les  gouvernements 
conservateurs,  plus  volontiers  que  dans  le  reste  du  pays, 
les  élections  pour  le  Conseil  du  Comté ont  révélé  l'exis- 
tence d'un  vaste  corps  d'électeurs  qui,  aux  élections  parle- 
mentaires, votent  pour  les  candidats  conservateurs,  et  qui 
dans  les  élections  locales,  votent  pour  des  radicaux  avancés 
et  dans  certains  cas  pour  les  socialistes.  La  plupart  de  ces 
derniers  sont,  eux  aussi, d*entliousiastes  socialistes  munici- 
paux. » 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  conservateurs  qui  prêtent 
aux  doctrines  socialistes  un  appui  indirect  et  souvent  incons- 
cient. Aux  dernières  élections  législatives,  le  parti  libéral  a 
fait  au  «r  Labour  Party  »  toutes  sortes  d'avances^  et  dans 
certaines  circonscriptions  s'est  elTacé  devant  ses  candidats. 
Libéraux,  radicaux,  progressistes,  ont  voté  pour  lui,  espé- 
rant que  ses  représentants  soutiendrait  un  programme  com^ 
mun  avec  le  parti  libéral.  On  sait  la  reconnaissance  que  lui 
en  témoigne  aujourd'hui  le  parti  socialiste  (1). 

Dans  un  discours  qu'il  a  prononcé  à  Saltcoats,  le  45  sep- 
tembre 1906,  Keir  Hardie,  le  chef  du  «  Labour  Party  »,  a 
déclaré  que  le   Labour  Party  devait  manifestement  être 

(1)  Voir  Le  Siècle  du  11  octobre  1906,  article  dT.  Guyot. 


28  PREMièRE    PARUE.    CHAPITRE   II 

un  parti  socialiste,  qu'entre  le  socialisme  et  le  libéralisme 
il  y  avait  un  gouffre  sur  lequel  on  ne  pouvait  jeter  un  pont 
et  que  la  lutte  devait  se  poursuivre  entre  le  u  Labour  Party  » 
d'un  côté,  le  libéralisme  et  le  conservatisme  de  Tautre, 
jusqu'au  moment  où  il  n'y  aurait  plus  que  deux  partis 
dans  TËtat  :  le  parti  socialiste  et  le  parti  antisocialiste. 

Demandons-nous  quel  est  alors  le  but  que  poursuit  le 
parti  socialiste  et  quels  sont  les  principaux  points  de  sa  nou- 
velle doctrine  M.  Paul  Leroy-Beaulieu  les  a  résumés  de  la 
manière  suivante  (Ij  : 

1«  Faveur  récente  pour  les  sociétés  coopératives  et  efforts 
pour  les  transformer  en  instruments  de  propagande  du  col- 
lectivisme ;  2^  étatisation  ou  municipalisation  du  plus  grand 
nombre  d'industries  possible  ;  S""  transformation  des  syndi- 
cats en  associations  privilégiées  investies  d'une  délégation 
de  l'autorité  publique  ;  4*"  nouveau  droit  ouvrier,  condi- 
tions imposées  au  capital  pour  le  subalterniser  graduelle- 
ment au  travail  ;  5<>  réduction  des  fortunes  et  des  revenus 
par  Timpôt  progressif  sur  le  revenu  et  les  successions. 

Quelques  citations  que  nous  extrayons  des  résolutions 
adoptées  par  divers  Congrès  nous  montreront  mieux  encore 
le  but  que  poursuivent  ouvertement  les  socialistes  lors- 
qu'ils mettent  la  main  sur  les  municipalités. 

En  .septembre  1900,  le  Congrès  socialiste  international, 
réuni  à  Paris,  adoptait  la  résolution  suivante  : 

«  Considérant  que  le  terme  <-■  Socialisme  municipal  »  ne 
désigne  pas  une  espèce  particulière  de  socialisme,  maissim* 
plement  l'application  des  principes  généraux  du  socialisme 
à  une  sphère  spéciale  de  l'activité  politique  ; 

«  Considérant  que  les  réformes  qui  s'y  ralluchent  ne  sont 

(1)  Voir  Economiste  Français ,  19  mars  1904. 


MUNIGIPALISME  ET   COLLECTIVISME  29 

pas  et  ne  peuvent  être  mises  ea  avant  comme  la  réalisation 
de  TEtat  collectiviste,  mais  jouent  leur  rôle  dans  la  sphère 
d'action  dont  les  socialistes  peuvent  et  doivent  s'emparer 
eu  vue  de  préparer  et  de  faciliter  Tavènementde  TËtat  col- 
lectiviste ; 

«  Considérant  que  la  municipalité  peut  devenir  un  excel- 
lent  laboratoire  d'activité  économique  locale  en  même  temps 
qu'une  forteresse  politique  formidable  à  Tusage  des  majo- 
rités socialistes  locales  contre  la  majorité  bourgeoise  de  Tau- 
torité  centrale,  une  fois  que  le  parti  socialiste  sera  assez 
puissant  ; 

c(  Le  Congrès  déclare  : 

«r  Qu'il  est  du  devoir  de  tous  les  socialistes,  sans  pour 
cela  méconnaître  Hmportance  d'idées  politiques  plus  larp;es, 
de  faire  comprendre  à  tous  la  valeur  de  l'activité  munici- 
pale, de  reconnaître  dans  toutes  les  réformes  municipales 
Timportance  qui  s'attache  à  elles  en  tant  qu'embryons  de 
l'Etat  collectiviste  et  de  s^efforcer  de  municipaliser  les  ser- 
vices publics  tels  que  les  transports  urbains,  l'éducation, 
les  boulangeries,  l'assistance  médicale,  les  hôpitaux,  la 
fourniture  de  l'eau,  les  bains  et  lavoirs,  la  distribution  de  la 
force  motrice,  les  travaux  publics,  la  police,  etc.,  et  de 
faire  ea  sorte  que  ces  services  deviennent  des  services  mo- 
dèles tant  du  point  de  vue  de  la  communauté  que  du  point 
de  vue  des  citoyens  qui  sont  à  son  service. 

«  Que  les  corps  locaux  qui  ne  sont  pas  assez  importants 
pour  entreprendre  à  eux  seuls  quelqu'une  de  ces  réformes 
devront  se  fédérer  à  d'autres  pour  atteindre  ce  but  ; 

M  Qu'il  est  du  devoir  de  tous  les  socialistes  dans  les  pays 
où  l'organisation  politique  ne  permet  pas  aux  municipalités 
d'employer  ce  moyen,  de  s'efforcer  d'obtenir  pour  les  au- 


3o  PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  H 

iorités  municipales  une  liberté  et  une  indépendance  suffi* 
santés  pour  arriver  à  ces  réformes.  » 

Ces  citations  suffisent  à  prouver  que,  de  quelque  nom 
qu*on  le  nomme,  le  socialisme  municipal  est  du  socialisme 
pur  et  simple  et  qu'il  est  regardé  par  les  socialistes  eux- 
mêmes  comme  un  acheminement  vers  la  réalisation  de 
l'Etat  collectiviste  (1). 

Les  différents  points  de  la  résolution  adoptée  par  le  Con- 
grès tenu  à  Paris  en  1900  se  retrouvent  dans  les  program- 
mes des  diverses  sociétés  fondées  en  Angleterre  pour  la 
propagation  des  doctrines  socialistes. 

Trois  grandes  organisations  principales  représentent  en 
Grande-Bretagne  le  parti  socialiste  ;  ce  sont  :  La  Social 
Démocratie  Fédération,  Tlndependent  Labour  Party  et  la 
Fabian  Society.  Les  deux  premières,  fondées  en  1881  et 
1893,  sont  des  organes  actifs  qui  ont  cherché  à  organiser  le 
Parti  socialiste  du  travail  en  Angleterre,  à  gagner  les  forces 
politiques  du  Trade-Unionisme  en  les  enlevant  au  contrôle 
des  partis  capitalistes  et  à  combiner  ces  forces  en  un  parti 
politique  indépendant. 

La  «  Fabian  Society  »,  fondée  en  1883,  se  consacre  plus 
particulièrement  à  l'éducation  socialiste  de  la  masse  au 
moyen  de  brochures  et  de  pamphlets.  Elle  ne  présente  pas 
de  candidats  aux  élections,  bien  que  certains  de  ses  mem- 
bres aient  été  élus  au  Parlement. 

Les  trois  sociétés  peuvent  différer  légèrement  dans  leurs 
idées  et  dans  leur  mode  d'action,  mais  toutes  trois  sont 
franchement  collectivistes  et  leurs  programmes  sont  pleine- 
ment d'accord  avec  la  résolution  de  1900. 

Dans  celui  de  la  Social  Démocratie  Fédération,  ^^uv^  à 

(1)  Voir  le  Times  du  19  août  1902. 


MUMCIPALISMR    ET   COLLECTIVISMR  3l 

côté  du  rachat  des  chemins  de  fer  et  des  canaux  par  l'Etat, 
de  la  nationalisation  du  sol  et  de  la  journée  de  travail  fixée 
légalement  à  huit  heures  sous  peine  d'emprisonnement,  la 
construction  obligatoire  par  les  corps  publics  de  maisons 
saines  pour  le  peuple,  l'exploitation  en  régie  des  services 
de  Teau,  du  gaz  et  de  Télectricité,  l'organisation  d*un  ser- 
vice de  tramways  et  d'omnibus  et  d'autres  monopoles  sem- 
blables dans  Tintérèt  de  la  communauté  entière. 

Vlndependenl  Labour  Parly  désire  la  création  a  d'une 
République  industrielle  fondée  sur  la  socialisation  de  la 
terre  et  du  capital  ».  Son  programme  demande  la  promul- 
gation des  mesures  suivantes  : 

l""  Journée  de  travail  de  huit  heures  au  maximum,  six 
jours  de  travail  par  semaine,  maintien  légal  des  fêtes  aujour- 
d'hui existantes  et  Labour  Day  (l^''  mai). 

2"*  Donner  du  travail  à  tout  adulte  capable  qui  en  deman- 
dera au  taux  fixé  par  les  Trade- Unions,  avec  minimum 
légal  de  ti  d.  par  heure.  Afin  d'employer  les  postulants  de 
manière  utile,  les  Conseils  de  paroisse,  district,  bourg  et 
comté  recevront  le  pouvoir  ;  1^  d*organiser  et  d'entrepren- 
dre les  industries  qu'ils  jugeront  désirable  d'entreprendre  ; 
2"*  d'opérer  des  expropriations,  d'acquérir,  d'élever  et  de 
manufacturer  les  bâtiments,  matériaux  ou  autres  articles 
nécessaires  à  la  marche  de  ces  industries  :  3^  de  lever  des 
impôts  sur  la  valeur  locative  des  immeubles  de  leur  district 
«t  de  contracter  des  emprunts  en  donnant  ces  impôts  comme 
garantie. 

Dans  un  pamphet  intitulé  :  The  Independent  Labour 
Party  ;  ce  qu'il  est  et  où  il  en  esl^  on  lit  :  «  Que  le  socia- 
lisme soit  réalisable  pratiquement,  rien  ne  le  montre  mieux 
que  les  récents  progrès  de  la  municipalisation.  Le  grand 
point  qu'ont  prouvé  ces  expériences  municipalistes  est  que 


32  PREMIÈRE    PARTIE.    —   CHAPITRE   II 

les  autorités  publiques  savent  organiser  le  travail  et  pour- 
voir aux  besoins  du  peuple,  non  pas  moins  bien,  ainsi  qu'on 
le  disait  jusqu'à  ces  derniers  temps,  mais  beaucoup  mieux 
que  les  capitalistes  particuliers.  ToutTowo  Council  Anglais 
projette  dans  son  propre  domaine  quelque  application  plus 
ou  moins  étendue  de  Tidée  socialiste.  Les  vieilles  notions 
de  Tentreprise  individuelle  disparaissent.  » 

La  Fabian  Society  demande  le  transfert  à  la  communauté 
de  tout  le  capital  industriel  qui  peut  être  facilement  admi- 
nistré socialement,  notamment  (voir  la  Résolution  soumise 
par  elle  au  Congrès  international  des  travailleurs  socialistes 
et  des  Trade-Unions  tenu  à  Londres  en  1896j  : 

1^  La  nationalisation  immédiate  de  toutes  les  mines, 
chemins  de  fer,  canaux,  télégraphes,  téléphones,  et  autres 
monopoles  nationaux. 

2"^  La  municipalisation  immédiate  de  la  fourniture  de 
]'eau,  du  gaz,  de  la  lumière  électrique  ;  des  docks,  des 
marchés,  des  tramways,  du  service  des  omnibus  et  des 
monts-de-piété  ;  du  service  des  bateaux  à  vapeur  sur  les 
lacs  et  les  rivières  ;  et  de  tous  les  autres  monopoles  locaux. 
3""  L'entreprise  immédiate  par  les  autorités  publiques. 
a)  de  la  fabrication  et  de  la  vente  au  détail  du  tabac  et  du 
pain  ;  de  la  fourniture  du  charbon,  du  lait  et  autres  objets 
de  première  nécessité  ;  de  la  construction  d'habitations  pour 
les  ouvriers  ;  b)  de  la  fabrication  et  de  la  vente  au  détail 
des  boissons  alcooliques. 

La  politique  ouvrière  que  recommande  aux  autorités  pu- 
bliques  la  c(  Fabian  Society  »  comprend  la  journée  normale 
de  huit  heures  pour  tous  les  employés  des  administrations 
publiques,  des  salaires  qui  ne  pourront  descendre  au-des- 
sous du  taux  fixé  par  les  «  Trade-Unions  m,  le  travail  en 
régie  aussi  souvent  qu'il  sera  possible,  la  clause  d'un  salaire 


MUNIGIPAUSMB   ET  OOLLBGTiyiSMB  33 

normal  (fair  wages  clause)  là  où  il  o  y  aura  pas  moyen  d'é- 
viter les  services  d*un  entrepreneur,  et  la  permission  donnée 
aux  Conseils  du  travail  locaux  (Local  Trade  Councils)  de  se 
servir  gratuitement,  ou  contre  une  redevance  purement  no*- 
minale,  du  «  Town  Hall  »  ou  autres  bâtiments  publics  pour 
y  tenir  leurs  réunions. 

Non  contents  de  chercher  à  convertir  la  masse  populaire 
à  leur  manière  de  voir^  n'est-il  pas  significatif  de  voir  les 
socialistes  faire  de  la  propagande  jusque  parmi  les  enfantSp 
S'ils  n'ont  pas  réussi  à  convertir  la  génération  actuelle,  du 
moins  cherchent-ils  à  convertir  celle  qui  la  suivra,  et  ce  but, 
ils  espèrent  l'atteindre  au  moyen  d'écoles  du  dimanche 
socialistes,  institution  inaugurée  il  y  a  quelques  années  à 
Battersea  et  qu'on  a  imitée  depuis  en  d'autres  endroits.  Lon- 
dres et  Glasgow  nous  offrent  des  exemples  de  ces  écoles 
où  Ton  apprend  aux  enfants  à  détester  la  société  moderne 
et  où  Ton  représente  le  socialisme  comme  devant  ramener 
ici-bas  un  second  paradis.  Nous  n'insisterons  pas  sur  cette 
tentative,  ni  sur  les  publications  destinées  aux  enfants  de 
ces  écoles  et  dont  le  Times  a  donné  d'amusants  extraits. 

Bien  des  personnes  semblent  ne  pas  avoir  encore  compris 
que  la  municipalisation  des  services  publics  et  des  entreprises 
iQdividuelles,que  tant  d'autorités  locales  du  typeprogressiste 
sont  en  train  d'effectuer,  procède  en  ligne  directe  du  pro- 
gramme posé  par  les  socialistes,  non  pas  dans  le  but  de 
diminuer  les  impôts  ou  d'améliorer  je  fonctionnement  des 
services  publics,  mais  pour  arriver  à  l'Etat  collectiviste  visé 
par  la  résolution  de  Paris. 

«  Qu'elles  se  rendent  compte  du  fait  ou  non,  et  quels  que 
puissent  être  leurs  motifs,  les  autorités  locales  en  question 
font  inévitablement  le  jeu  des  socialistes.  Encouragés  par 
leurs  succès,   ces  derniers  demandent  :d'autres  réformes, 

Boverat  3 


^t  ils  font  actuellemeût  preuve  d'une  énergie  qui  permet  dé 
supposer  que  le  contribuable  anglais  aura  fort  à  faire  pour 
'empêcher  la  socialisation  des  corps  gouvernants,  non  seu- 
lement dans  leurs  idées,  mais  aussi  dans  leur  consti- 
tution (1).  >»    ' 

Dans  son  livre  intitulé  Soaa/t^;/2 -m  England^  Sydney 
Webb  célèbre  le  triomphe  des  socialistes  et  montre  les 
conquêtes  qu'ils  ont  faites  tantôt  au  grand  jour,  tantôt 
encore,  et  bien  plus  souvent,  sans  qu'on  s*en  aperçoive. 
Dans  la  préface  de  la  troisième  édition  (1893),  il  remarque 
que  les  progrès  les  plus  importants  de  Topinion  et  de 
l'œuvre  socialistes  ont  été  effectués  en  dehors  des  organi- 
sations franchement  socialistes,  a  Les  trois  grandes  étapes 
que  nous  avons  parcourues,  dit-il,  depuis  1889  sont  le 
progrès  triomphal  du  collectivisme  au  Conseil  de  Comté 
de  Londres,  la  conversion  des  vieilles  Trade- Unions  aux 
idées  nouvelles  et  le  développement  d'un  parti  du  travail 
absolument  collectiviste.  Les  grosses  majorités  auxquelles 
John  Burns  et  autres  socialistes  déclarés  ont  été  élus  ne 
sont  pas  plus  significatives  que  la  manière  dont  le  parti 
libéral  fut,  pour  la  métropole,  obligé  d*adopter  et  d'appuyer 
activement  le  programme  municipal,  tel  que  l'avaient  pro- 
posé les  socialistes.  » 

Vieux  et  nouveaux  trade  -  unionistes  sont  maintenant 
d'accord  pour  réclamer  partout  la  journée  de  huit  heures, 
et  les  principes  de  la  doctrine  individualiste  ne  rencontrent 
plus  de  partisans  dans  leurs  rangs.  Quant  au  «  Labour 
Party  »,  ce  n'est  plus  seulement  au  London  County  Council 
qu'on  le  rencontre  aujourd  hui  ;  aux  dernières  élections  lé- 
•gislatives  (190G),  il  a  remporté  un  succès  aussi  grandqu'ioat- 

(1)  Times,  i9  aoùtl902. 


.MI7friCIPAU8BCE  ET  COLLECTIVISME  35 

teadu  de  la  part  de  beaucoup  d'Anglais,  et  Tun  de  ses  chefs, 
John  Burns,  aiège  au  banc  des  membres  du  nouveau 
cabinet  lij>éraL  Le  «  Labour  Party  »  compte  à  présent  à  la 
Chambre  des  Communes  plus  de  cinquante  membres,  au 
lieu  d*une  dizaine  que  renfermait  la  Chambre  de  Tan  passé. 
Il  forme  un  parti  ^  part  qui,  nous  Tavons  vu.  ne  veut  se 
mêler  à  aucun  autre.  Le  «  Labour  Party  )»  est  en  eiïet  una- 
nimement collectiviste,  et  si,  à  la  conférence  de  Bradford 
(février  1893),  on  a  décidé  de  garder  le  nom  do  parti  du 
travail  plutôt  que  celui  de  parti  socialiste,  on  adoptait  en 
même  temps  et  presque  à  l'unanimité  un  programme  fran- 
chement collectiviste. 

.  Le  développement  du  socialisme,  s'est  fait  en  Angleterre, 
lentement^  subrepticement  et  sans  à-coups,  par  une  sorte 
de  phénomène  d'infiltration,  d'endosmose  (permeation), 
comme  dit  Sydney  VVebb  ;  il  s'est  produit  si  graduelle- 
ment que  la  grande  majorité  des  citoyens  ne  se  rend  pas 
compte  encore  jusqu'à  quel  point  on  a  abandonné  les  prin- 
cipes individualistes.  Jusqu'aux  dernières  élections  un  ob- 
servateur superficiel  aurait  pu  déclarer  que  comme  force 
politique  le  socialisme  n'existait  pas  en  Angleterre.  C'est 
qu'il  n'aurait  pas  compris,  dit  Sydney  Webb,  que  le  parti 
conservateur  anglais  ne  correspond  en  rien  aux  divers  parti  s 
conservateurs  ou  réactionnaires  du  continent,  mais  qu'il 
subit  l'influence  et  l'infiltration  constante  d'idées  nouvelles 
qui  lui  viennent  du  côté  adverse. 

Dans  le  domaine  économique  le  socialisme  n'a  pas  fait  de 
moindres  progrès.  Il  a  perdu  le  caractère  ((  statique  »  qu'il 
revêtait  dans  les  œuvres  des  premiers  penseurs  du  xix* 
siècle  pour  revêtir  un  caractère  purement  a  dynamique  >:• 
Depuis  les  ouvrages  de  Comte,  de  Darwin  et  de  Spencer,  dit 
Webb,  nous  ne  pouvons  plus  aujourd'hui  nous  figurer  que 
la  société  puisse  rester  toujours  dans  le  même  état. 


36  PHEM lÈRB   PARTIfi.    —   dltAPITRB  II 

,  La  nécessité  d'un  développement  et  d'une  croissance  cons- 
tante de  l'organisme  social  est  devenue  un  axiome.  Per- 
sonne ne  songe  plus  à  un  changement  brusque  et  radical  du 
monde  où  nous  vivons.  «  Le  nouveau  deviendra  vieux  de 
lùi-mème,  souvent  avant  qu'on  ne  lui  ait  reconnu  son  carac- 
tère de  nouveauté,  et  Thistoire  ne  nous  montre- rien  qu'une 
constante  et  graduelle  évolution.  » 

[  Au  lieu  de  fonder  comme  autrefois  de  petites  communau- 
tés où  la  doctrine  socialiste  serait  intégralement  appliquée, 
les  socialistes  préféreront  effectuer  parmi  Tensemble  des  ci- 
toyens des  réformes  partielles,  plutôt  que  d*en  opérer  d^en^- 
tiëres  en  dehors  d'eux.  La  croissance  du  socialisme  se  fera 
par  expansion  verticale  au  lieu  de  se  faire  par  expansion 
horizontale.  Par  cette  méthode  les  progrès  seront  peut-être 
lents,  mais  il  n'y  aura  pas  d'échec  possible.  Il  n'est  pas 
d'exemple  de  peuple  qui,  ayant  nationalisé  ou  municipalisé 
un  service  public,  soit  revenu  sur  ses  pas  pour  rétablir  Tétat 
de  choses  antérieur.  Que  sert  de  parler  du  socialisme  de 
l'avenir?  N'y  sommes-nous  pas  dès  à  présent  plongés?  Les 
changements  continuels  d'une  législation  toujours  plus 
interventionniste  et  d'une  organisation  administrative  tou- 
jours plus  compréhensive  sont  là  pour  le  prouver.  Et  Sydney 
Webb  cite  ù  Tappui  de  sa  théorie  les  quatre  ordres  de  faits 
suivants  : 

.  1^  Augmentation  constante  des  restrictions  imposées  à 
la  propriété  de  la  terre  et  du  capital  (Exemples  :  Règle- 
ments du  travail  et  de  Tindustrie.  Police  sanitaire). 

2°  Remplacement  graduel  des  entreprises  industrielles 
particulières  par  des  administrations  publiques  (télégraphes 
nationaux,  tramways  municipaux,  écoles  paroissiales). 

3^  Absorption  progressive  par  l'impôt  de  la  rente  du  capi- 
tal (Taxation  of  unearned  incomes)  et  même  du  produit  du 
travail  personnel  (income-tax). 


MUNICIPALISMK   ET  GOLLEGTI¥ISMB  87 

.  4^JLa  substitution  de  Tassistance  publique  à  la  bienfai- 
sance privée  pour  le  relèvement  des  classes  inférieures. 

Ces  réformes  revêtent  un  caratère  nettement  socialiste 
(on  ne  s'en  doute  pas  toujours,  accoutumé  que  Ton  est  à 
voir  TEtat  s'occuper  de  toutes  choses)  ;  et,  comme  l'énumé- 
ration  précédente  permet  de  s'en  rendre  compte  ,  elles  se 
font  dans  la  pratique  comme  dans  la  doctrine»  dans  la  lé- 
gislation comme  dans  l'économie  politique. 

Si  la  législation  anglaise  est  depuis  longtemps  interven- 
tionniste, c'est  qu'avant  même  le  succès  des  membres  du 
a  Labour  Party  »  aux  élections  générales  en  1906,  les  vues 
socialistes  avaient  au  Parlement  d'assez:  nombreux  repré- 
sentants. Le  changement  de  ton,  dit  Sydney  Web b,  des 
chefs  de  la  politique  anglaise  depuis  1880  est  frappant  et 
augmente  chaque  jour,  et  il  n'y  aurait  pas  d'exagération  à 
dire  que  les  idées  socialistes  ont  complètement  envahi  le 
parti  radical,  création  des  philosophes  individualistes  du 
début  du  XIX*  siècle.  C'est  ce  fait  qui  a  longtemps  empêché 
les  socialistes  de  nom  de  figurer  en  personne  au  Parlement. 
Mais  des  hommes  qui,  en  Allemagne  ou  en  PVance,  auraient 
pris  rang  parmi  les  socialistes  avancés,  continuaient  en 
Angleterre  à  s'intituler  libéraux  ou  radicaux,  tout  en  de- 
mandant des  mesures  telles  que  la  municipalisation  du 
territoire  des  villes,  l'imposition  des  rentes,  la  construc- 
tion de  maisons  ouvrières  parles  autorités  publiques.. 

Montrer  que  depuis  le  début  du  xix®  siècle,  la  législation 
anglaise  s'est  inspirée  de  principes  socialistes  est  chose 
facile  (1).  Sydney  Webb  rappelle  les  lois  de  1802  et  1819, 
de  1825  et  1831  sur  le  travail  des  usines,  le  Reform  Bill 
de  1832,  la  loi  sur  les  mines  de  1842  et  le  Municipal  Cor- 

.  (1)  S.  Webb,  Chap.  VJL 


38  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPtTRB   II 

porations  Act  de  1835,  qui  a  créé  par  centaines  les  foyers 
d* énergie  où  se  développe  le  socialisme  local.  La  même 
période  a  vu  la  naissance  de  la  législation  santtaîre  et 
d'innombrables  Improvement  Acts  locaux  qui,  codifiés 
une  première  fois  en  1847  et  1848,  furent  finalement  refon- 
dus et  rédigés  à  nouveau  pour  aboutir  au  Public  Health 
Act  de  1875.  C'est  là  une  législation  absolument  socialiste 
dans  son  caractère. Elle  impose  d'innombrables  restrictions 
au  libre  usage  de  la  propriété  privée  et  les  droits  du  pro- 
priétaire en  sortent,  dans  Tintérôt  général,  notablement 
amoindris.  Grâce  à  son  organisation  politique,  la  commu- 
nauté a  assumé  l'administration  collective  d'innombrables 
services  et  lève,  uniquement  à  l'avantage  des  classes 
pauvres,  une  série  de  «  rates  »  ou  impôts  sur  la  propriété 
foncière  et  immobilière  qui  absorbent  maintenant  un  large 
pourcentage  de  sa  rente  annuelle.  Tel  est  le  genre  de  légis- 
lation socialiste  qui  de  jour  en  jour  reçoit  plus  d'extension. 

Abordons-nous  le  domaine  de  l'Economie  politique,  nous 
y  retrouvons  tout  aussi  notable  le  changement  que  nous 
venons  de  constater  dans  le  domaine  de  la  législation.  Les 
premiers  maîtres  de  l'Economie  politique  avaient  été  des 
individualistes.  Le  souvenir  de  la  bureaucratie  royale  leur 
faisait  adopter  la  Règle  du  «  Laisser  faire  ».  A-t-on  pensé 
quelques  dizaines  d'années  après  Adam  Smith  qu'on  avait 
extrait  de  sa  doctrine  tout  ce  qu'elle  renfermait  de  bon  et 
qu'il  fallait  demander  à  d'autres  règles  l'augmentation  du 
bien-être  de  l'humanité  ;  ou  bien  a-ton  cru  que  cette  doc- 
trine de  liberté  ne  pourrait  enfanter  aucun  progrès,  toujours 
est-il  qu'une  conception  nouvelle  de  l'Etat  vers  le  socia- 
lisme s'accentuait  de  plus  en  plus  dans  la  littérature  écono- 
mique. 

La  publication  de  V Economie  politique  de  John  Stuart 


MUNIGIPALI8ME   ET  COLLECTIVISME  Sg 

Mill  en  1848  marque  en  fait  la  limite  qui  sépare  la  nouvelle 
doctrine  de  Tancienne.  La  teinte  de  socialisme  répandue 
dans  le  livre  de  Mill  alla  s'accentuant  à  chaque  édition, 
jusqu'au  jour  de  sa  mort  où  son  autobiographie  vint  révé- 
ler au  public  sa  répudiation  de  l'économie  politique  démo- 
cratique pour  un  socialisme  complet.  Depuis,  le  progrès  a 
été  rapide.  Se  fondant  sur  le  rejet  déflnitif  de  la  théorie  du 
fonds  des  salaires,  le  développement  et  l'extension  de  la 
loi  ricardienne  de  la  rente  et  la  modification  graduelle  de 
la  théorie  malthusienne,  Sydney  Webb  prétend  que  la  dif- 
férence scientiGque  entre  l'économiste  orthodoxe  et  le  so- 
cialiste est  devenue  une  différence  de  terminologie  qui  n'a 
plus  que  peu  dimportance. 

Arrivés  au  domaine  de  l'économie  politique,  il  est  une 
question  que  nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  :  c'est 
la  comparaison  souvent  établie  entre  la  coopération  et  le 
socialisme  municipal.  Il  importe  d'en  faire  justice  et  de 
montrer  les  sérieuses  différences  qui  les  séparent. 

Qu'est-ce  que  la  coopération,  en  effet?  C'est  le  fait,  delà 
part  de  plusieurs  individus,  de  s'associer  pour  produire,  ou 
pour  consommer  les  objets  nécessaires  à  l'existence.  Le  but 
principal  d'une  société  coopérative  sera  d'acheter  en  com- 
mun et  de  revendre  à  ses  membres  au  prix  coûtant  des 
marchandises  de  bonne  qualité,  en  réservant  finalement 
pour  eux  seuls  les  bénélices  qu'eussent  prélevés  les  intermé- 
diaires. 

La  coopération  mène-t-elle  au  collectivisme? est-elle  une 
forme  de  socialisme?  ou  au  contraire  n'est-elle  pas  un 
remède  aux  défauts  de  Torganisalion  capitaliste  moderne 
en  même  temps  qu'un  moyen  d'échapper  au  socialisme  ? 

On  peut  faire  un  rapprochement  entre  le  mouvement 


^O  PREBniRE   F^ARTIE.    —   CHAPITRE    II 

municîpaliste  et  le  mouvement  coopératif,  on  peut  les  com- 
parer, dire  au  besoin  qu'ils  procèdent  du  même  principe: 
suppression  du  bénéGce  des  intermédiaires  par  Tassociation 
(quoique  cette  raison«  souvent  mise  en  avant  parles  muni- 
cipalités, soit  rarement  vraie  pour  elles).  Mais  une  diffé- 
rence fondamentale  les  distingue  dès  Tabord. 

«  La  municipalisation  d'un  service  quelconque  n'est  que 
Tassociation  forcée  de  tous  les  citoyens  dont  Tautoriié  pu* 
blique  prend  l'initiative  »  (Montet)  (1).  La  société  coopéra- 
tive ne  comprend  que  des  membres  qui  y  sont  entrés  de 
leur  plein  gré.  «  La  coopération  libre  laisse  subsister  la 
concurrence  ;  le  socialisme  municipal  crée  un  monopole  au 
profit  de  la  personne  publique  qui  se  substitue  aux  initia- 
tives libres.  »  Et,  comme  le  fait  remarquer  M.  des  Cilleuls 
(p.  172).  les  frais  étant  plus  lourds  dans  Tadministration  des 
établissements  publics  que  dans  Tindustrie  privée,  «  à  l'in- 
verse du  mécanisme  des  unions  corporatives  où  la  somme 
que  chaque  sociétaire  paie  comme  consommateur  lui  revient 
en  partie  comme  actionnaire,  avec  les  répies  municipales 
l'avantage  apparent  que  chaque  habitant  obtient  comme 
acheteur,  il  le  rembourse  en  qualité  de  contribuable  avec, 
une  majoration  due  aux  frais  de  gestion  ». 

Collectivisme  et  coopération  sont  d'ailleurs  choses  si  peu 
semblables  que  les  socialistes  n'hésitent  pas  à  repousser  en 
bloc  le  système  coopératif  comme  ne  devant  leur  donner 
qu'une  satisfaction  incomplète  et  retarder  plutôt  que  hâter 
Tavènementdu  régime  social  nouveau.  John  Stuart  Mill 
y  voyait  ou  espérait  y  trouver  un  remède  aux  imperfections 
du  .système  capitaliste  (livre  IV).   Et  Cairnes  écrivait  en 


(1)  Voir  MoNTBT,  Etudes  sur  le  Socialisme  municipal  anglais. 


MUNIGIPALISME   ET   COLLECTIVISME  l^t. 

1874  que  le  travailleur  ne  pourrait  améliorer  sa  situation 
qu'au  moyen  des  coopératives  de  production  (1). 

Bien  des  années  se  sont  écoulées  depuis  qu'on  a  prononcé 
ces  paroles,  remarque  Sydney  Webb,  et  l'individualiste  le 
plus  ardent  doit  reconnattre  que  la  chance  de  la  grande 
masse  des  travailleurs  de  jamais  s'élever  par  des  associations 
coopératives  de  production  est  devenue  plus  désespérée  que 
jamais. 

La  coopération  serait  un  remède  séduisant  en  tant  qu'elle 
permettrait  au  pauvre  de  s'enrichir  sans  appauvrir  le  riche, 
et  certains  réformateurs  sociaux,  ne  peuvent  s'empêcher, 
même  à  présent,  de  conserver  Tespoir  de  trouver  en  elle  le 
moyen  d'accomplir  l'impossible. 

Mais  l'expérience  d'une  génération  a  montré  la  'futilitéi 
qull  y  aurait  à  attendre  de  ce  côté  la  venue  d  un  appui  réel . 
La  part  que  joue  la  coopération  dans  Tindustrie  anglaise  est 
encore  trop  peu  considérable  et  il  n'y  a  pas  lieu  d'espérer 
en  elle  la  solution  du  problème  social  (2).  Tout  au  plus 
peut-on  la  considérer  comme  un.  entraînement  moral  utile^ 
une  caisse  d'épargne  avantageuse  mais  risquée,  un  moyen 
d'intéresser  momentanément  le  citoyen  aux  affaires  indus;- 
trielles  de  son  pays.  Pour  Sydney  Webb  la  coopération 
nest  qu'une  survivance  de  l'époque  qui  a  précédé  les  com- 
pagnies anonymes  et  les  banques  d'épargne.  Aujourd'hui 
les  sociétés  par  actions  gagnent  rapidement  du  terrain  sur 
elle  et  la  font  sans  cesse  reculer.  Est- il  besoin  de  faire  re- 
marquer que  même  l'admirateur  le  plus  fervent  des  vertus 
de  l'association  aurait  quelque  peine  à  attendre  du  système 
des  sociétés  anonymes  le  salut  de  la  société  ?  ()r  c'est  dans 

;   (1)  Cairvks,  Some  leading  principles  of  polUical  economy^  p.  SIS^. 
(2)  S.  Wbbb,  p.  92. 


42  PRBIUBRB   PARTIE.    —   CHAPITRE   n 

cette  voie,  et  noQ  dans  celle  de  la  coopération,  qae  notre 
régime  industriel  s'engage  rapidement. 

Coopération  et  socialisme  sont  donc  choses  bien  différent 
tes  ;  la  plupart  des  économistes  s'accordent  à  le  reconnaître, 
et  la  déclaration  du  chef  du  parti  fabien  nous  confirme  de 
tous  points  dans  notre  opinion. 

Nous  avons  cherché  à  montrer  dans  les  pages  précéden- 
tes que  le  municipalisme  était  bel  et  bien  du  socialisme  ;  et 
s'il  se  trouve  parmi  les  contribuables  anglais  et  leurs  repré- 
sentants des  gens  assez  aveugles  pour  se  méprendre  sur  la 
signification  réelle  de  ce  mouvement,  nous  avons  vu  que  le 
socialisme  se  rend  parfaitement  compte  de  ce  qu'il  fait  et 
poursuit  son  chemin  aidé  par  la  science  des  uns  et  l'igno- 
rance des  autres. 

Il  nous  reste  à  nous  demander  pourquoi  le  socialisme 
municipal  s'est  si  rapidement  développé  en  Angleterre  ; 
nous  avons  indiqué  déjà,  comme  causes  de  sa  naissance, 
la  récente  augmentation  de  la  population  des  grandes  vil- 
les et  le  besoin  d'argent  qu'elles  avaient  pour  Texôcution 
des  immenses  travaux  projetés  par  elles.  Nous  avons  si- 
gnalé rintérèt  que  peuvent  avoir  les  municipalités  à  dis- 
poser d'un  nombreux  personnel  d'agents  intéressés  au 
maintien  des  régies  officielles  et  utilisables  comme  instru- 
ments électoraux. 

L'accroissement  d'influence  delà  classe  populaire,  enfin» 

—  qui  écoute  aujourd'hui  les  orateurs  socialistes  comme 
elle  écouta  jadis  les  apôtres  de  la  religion  chrétienne,  parce 
que  tous  deux  lui  promettent  du  nouveau  —  et  le  nouveau 
n'est-il, pas  quand  on  souffre, quelque  chose  comme  le  salut? 

—  l'accroissement  d'influence  de  la  classe  populaire  est 
venu,  disons- nous,  favoriser  l'essor  du  municipalisme  en 
lui  octroyant  l'appui  des  voix  de  la  multitude. 


HUNIC1PALI8MB   ET   COLLECTIVISME  43 

II  nous  semble  pourtant  —  c'est  l'opinion  de  M.  Daniel 
Beliet  dans  sa  brochure  Socialisme  itmunicipalisme  —  que 
le  développement  tout  particulièrement  rapide  du  socia- 
lis  me  municipal  en  Grande-Bretagne  tient  à  deux  causes, 
propres  à  ce  pays  (1)  : 

«  1^  A  l'esprit  commerçant  de  la  race  anglaise  qui  fait 
que  les  gens  chargés  des  administrations  municipales  ont 
pu  facilement  se  laisser  entraîner  à  transformer  une  charge 
purement  administrative  en  affaire  commerciale  qui  devait 
les  intéresser  d'autant  plus  par  suite  de  ce  caractère  nouveau. 

«2**  A  Torganisation  libérale  et  un  peu  flottante,  indé- 
cise des  groupements  locaux.  On  a  continuellement  laissé 
se  constituer  des  corporations  commerciales  pour  Texploi^ 
tation  d'entreprises  ressemblant  à  des  services  publics, 
comme  des  exploitations  de  ports,  et  Ton  a  été  amené  na- 
turellement à  permettre  à  des  municipalités  proprement 
dites,  à  des  organismes  administratifs  de  prendre  en  mains 
des  exploitations  industrielles  commerciales.  » 

Nous  nous  proposons  d'étudier  plus  spécialement  cette 
seconde  raison  dans  le  chapitre  III,  en  traitant  du  gouver- 
nement local. 

En  résumé,  le  municipalisme  est  bel  et  bien  du  socialisme. 
Il  se  réclame  des  mêmes  principes,  poursuit  le  même  but 
et  ne  diffère  du  socialisme  que  par  les  moyens  qu'il  préco* 
nise  —  ce  qui  n'a  pour  nous  que  peu  d'importance.  Tous 
deux  sont  autoritaires  et  centralisateurs  à  outrance. 

Le  municipalisme  est  donc  plutôt  un  changement  de 
tactique  du  socialisme  qu'un  changement  de  système.^ 
L'idéal  visé  reste  toujours  le  même  :  c'est  la  réorganisation 
de  notre  société  capitaliste  sur  un  modèle   nouveau,  la 

(t)  D.  Bellrt,  Socialisme  et  municipalisme,  p.  .6. 


44  phemièrb  partie.  —  chapitre  ii 

substitution  du  régime  d'autorité  au  régime  de  liberté  dans 
les  relations  sociales  ;  Tattribution  &  la  municipalité  ou  au 
conseil  municipal  des  services  qui  jusqu'à  présent  avaient 
été  remplis  par  des  particuliers  et  que  le  collectivisme  pur 
et  simple  voudrait  confier  à  TEtat.  Le  but  final  serait  la 
centralisation  dans  les  mains  des  conseillers  municipaux 
de  tous  les  moyens  de  prôductioa  et  de  tous  les  moyens  de 
consommation  pour  qu'ils  puissent  sagement  régler  la 
marche  des  premiers  et  équitablement  la  distribution  des 
autres. 

C*est  par  Tadoption  de  cette  méthode  que  le  socialisme 
municipal  prétend  assurer  à  la  collectivité  la  possession  de 
bénéfices  qui  sans  lui  seraient  tombés. sous  forme  de  divi- 
dendes dans  la  poche  des  actionnaires,  et  quMl  se  flatte 
d'arriver  tout  en  réduisant  pourtant  considérablement  les 
tarifs  et  les  prix  de  vente  qu'aurait  imposés  une  société 
privée  exploitant  le  même  service,  à  une  diminution  des 
impôts  locaux,  la  caisse  publique  devant  recevoir  les  profits 
obtenus  en  fin  d'exercice  par  l'entreprise  commerciale. 

u  On  voit  que  le  programme  est  admirable,  dit  M.  Daniel 
lîellet,  et  l'on  compte  sans  doute  en  arriver  à  supprimer 
complètement  les  impôts  en  multipliant  suffisamment  et  en 
généralisant  même  les  entreprises  commerciales  des  muni- 
cipalités de  façon  à  répartir  les  bénéfices  de  l'industrie  et 
du  commerce  municipaux  entre  les  ci-devant  contribua- 
bles. » 

Malheureusement,  jusqu'ici,  c'est  souvent  au  résultat 
contraire  que  l'on  est  arrivé,  et  si  certains  services  muni* 
cipalisés  ont  réalisé  des  bénéfices  permettant  de  diminuer 
le  taux  des  impôts,  nous  verrons  bientôt  que  dans  la  plupart 
des  villes  les  services  publics  municipalisés  coûtent  non 
pas  ce  qu'ils  rapportent. —  ce  qui.  serait. la  perfection,  — 


MUNIGIPALI8MB   ET  G0LLBGTIVI8MB  45 

mais  plus  qu*ils  ne  rapportent,  et  que  les  déficits  qu'ils 
laissent  et  les  emprunts  énormes  dont  ils  ont  été  la  cause, 
loin  de  diminuer  les  impôts,  les  ont,  en  général,  élevés  d'une 
façon  continue  et  considérable  durant  le  cours  des  dernières 
années. 


44  PREMIÀRB   PARTIE.    CHAPITRE   II 

substitution  du  régime  d*autorité  au  régime  de  liberté  dans 
les  relations  sociales  ;  Tattribution  à  la  municipalité  ou  au 
conseil  municipal  des  services  qui  jusqu'à  présent  avaient 
été  remplis  par  des  particuliers  et  que  le  collectivisme  pur 
et  simple  voudrait  confier  à  TEtat.  Le  but  final  serait  la 
centralisation  dans  les  mains  des  conseillers  municipaux 
de  tous  les  moyens  de  production  et  de  tous  les  moyens  de 
consommation  pour  qu'ils  puissent  sagement  régler  la 
marche  des  premiers  et  équitablement  la  distribution  des 
autres. 

C'est  par  Tadoption  de  cette  méthode  que  le  socialisme 
municipal  prétend  assurer  à  la  collectivité  la  possession  de 
bénéfices  qui  sans  lui  seraient  tombés  sous  forme  de  divi- 
dendes dans  la  poche  des  actionnaires,  et  qu'il  se  flatte 
d*arri^er  tout  en  réduisant  pourtant  considérablement  les 
tarifs  et  les  prix  de  vente  qu'aurait  imposés  une  société 
privée  exploitant  le  mémo  service,  à  une  diminution  des 
impôts  locaux,  la  caisse  publique  devant  recevoir  les  profits 
obtenus  en  fin  d'exercice  par  l'entreprise  commerciale. 

u  On  voit  que  le  programme  est  admirable,  dit  M.  Daniel 
Bellet,  et  Ton  compte  sans  doute  en  arriver  à  supprimer 
complètement  les  impôts  en  multipliant  suffisamment  et  en 
généralisant  même  les  entreprises  commerciales  des  muni- 
cipalités de  façon  à  répartir  les  bénéfices  de  l'industrie  et 
du  commerce  municipaux  entre  les  ci-devant  contribua- 
bles. » 

Malheureusement,  jusqu'ici,  c'est  souvent  au  résultat 
contraire  que  Ton  est  arrivé,  et  si  certains  services  muni- 
cipalisés  ont  réalisé  des  bénéfices  permettant  de  diminuer 
le  taux  des  impôts,  nous  verrons  bientôt  que  dans  la  plupart 
des  villes  les  services  publics  municipalisés  coûtent  non 
pas  ce  qu'ils  rapportent. —  ce  qui.  serait  la  perfection,  — 


MUNIGIPALISHE   ET  COLLECTIVISME  45 

mais  plus  qu*ils  ne  rapportent,  et  que  les  déficits  qu'ils 
laissent  et  les  emprunts  énormes  dont  ils  ont  été  la  cause, 
loin  de  diminuer  les  impôts,  les  ont,  en  général,  élevés  d'une 
façon  continue  et  considérable  durant  le  cours  des  dernières 
années. 


48  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE   III 

-de  la  liberté  anglaise  »»,de  «  legs  de  la  bureaucratie  despoti- 
que »  accueillirent  le  projet,  et  ce  n*est  qu'en  présence  de 
Tétat  désespéré  de  la  situation  qu'on  se  décida  à  Tadopter. 

Dans  le  bref  résumé  que  nous  allons  donner  de  la  légis- 
lation municipale  anglaise,  nous  ne  remonterons  pas  plus 
haut  que  Tordonnance  de  i835;  c'est  elle  qui  est  venue 
mettre  un  terme  à  la  confusion  et  à  la  corruption  dont  souf- 
frait alors  le  gouvernement  local  en  Angleterre.  Le  premier 
objet  du  Municipal  Corporations  Âctde  1835  fut  de  détruire 
Texclusivisme  des  anciennes  corporations  et  d'étendre  le 
<iroit  de  vote  à  tous  ceux  qui,  en  qualité  d'occupant  d'une 
«laison  d'habitation,  d'une  boutique  ou  d*un  magasin  ont 
pendant  trois  ans  payé  le  poor  et  le  borough  rate  et  sont 
domiciliés  dans  un  rayon  de  7  miles  à  compter  du  centre  du 
borough.  Sont  privés  de  ce  droit  tous  les  étrangers  et  les 
habitants  mêmes  du  pays  qui  dans  les  douze  derniers  mois 
ont  reçu  un  secours  de  l'assistance  publique. 

Les  «  Overseers  of  the  poor  »  dressent  chaque  année  la 
liste  des  citoyens  actifs  ;  le  maire  et  deux  adjoints  sont  char- 
gés de  la  reviser.  Telle,  était  la  partie  fondamentale  de  la 
loi  de  1835.  Elle  faisait  disparaître  une  fois  pour  toutes  les 
•corporations  fermées  et  remettait  l'administration  de  la 
ville  entre  les  mains  de  ses  habitants, à  condition  qu1ls  pos- 
sédassent une  habitation  à  eux  propre.  Restèrent  privées  du 
droit  de  vote  les  personnes  désignées  sous  le  nom  de  «  Lod- 
^ers  »,  c'est-à-dire  louant  une  chambre  ou  payant  pension 
chez  des  étrangers. 

D  ans  un  deuxième  paragraphe,la  loi  déclarait  :  <i  La  cor- 
poration municipale  d'une  ville  agit  par  l'intermédiaire  d'un 
Town  Gouncil,  et  le  conseil  exerce  tous  les  droits  attribués 
à  la  corporation  par  la  présente  loi.  »  Le  Conseil  se  com- 
pose du  maire»  des  aldermen  et  des  conseillers. 


l'administration  locale  4  g 

Par  une  troisième  disposition  la  loi  donnait  au  Conseil 
municipal  Je  droit  de  <•  nommer  des  comités  pris  dans  ses 
rangs,  soit  en  vue  d*objets  généraux,  soit  en  vue  d'objets 
spéciaux  pour  Tacromplissement  de  tous  les  devoirs  qui 
dans  ridée  du  Conseil  seraient  mieux  remplis  par  de  sem- 
blables comités  ;  mais  toutes  leurs  décisions  devront  être 
soumises  à  Tapprobation  du  Conseil  ». 

La  loi  de  1835  changeait  enfin  le  caractère  des  corpora- 
tions en  les  faisant  passer  du  rôle^de  propriétaire  à  celui  de 
gardien,  de  dépositaire  (trustée)  de  la  propriété  communale, 
et  les  pouvoirs  qu'on  leur  donnait  durent  être  exercés  eu 
égard  au  but  spécial  que  poursuivait  la  corporation.  C'est 
le  grand  principe  auquel  il  faut  se  référer  en  Tabsence  de 
preuve  contraire,  et  c'est  lui  qu'invoquent  aujourd'hui  les 
adversaires  du  municipalisme,  pour  s'opposer  aux  progrès 
de  la  municipalisation.  La  loi  déclarait  en  dernier  lieu  que 
le  commerce  était  libre.  Cette  déclaration  n'était  pas  inutile; 
avant  elle  on  ne  pouvait  exercer  un  commerce  quelconque 
sans  l'autorisation  de  la  municipalité.  Dans  toutes  les  lois 
municipales  postérieures  à  1835  la  liberté  du  commerce  a 
été  expressément  rappelée  ;  et  Ton  retrouve  cette  même 
clause  dans  les  chartes  des  villes  récemment  incorporées. 
Telle  fut,  aux  environs  de  1835,  la  situation  des  corpora- 
tions municipales  anglaises.  Arrêtées  au  début  par  nombre 
de  lois  locales,  par  la  concurrence  d'autres  corps  publics  et 
de  compagnies  privées  qui  tenaient  leurs  privilèges  du  Par- 
lement, les  municipalités  ont  réussi,  après  une  lutte  longue 
et  opiniâtre,  à  attirer  à  elles  tout  ce  qui  a  trait  à  l'adminis- 
tration des  villes.  Le  nettoyage,  le  pavage  et  l'éclairage  des 
voies  publiques,  pourneciterqu'un  exemple,  se  trouvaient 
entre  les  mains  de  commissaires  spéciaux  ;  la  fourniture  de 
l'eau  et  du  gaz  appartenait  à  des   Compagnies  privées.  £n 

BoTerat  4 


5o  PREMIÈRE   PARTIE.    —    CHAPITliE    III 

ua  demi-sièclp  d'agitation  persévérante,  nous  verrons  toutes 
ces  fonctions, enlevées  les  unes  après  les  autres  à  leurs  pré- 
cédents détenteurs,  venir  grossir  la  liste  aujourd'hui  inter- 
minable des  attributions  municipales. 

La  période  qui  s'étend  de  1835  à  1882  a  vu  naître  bien 
des  lois  traitant  de  Tadministration  des  villes  en  général  : 
d'innombrables  acts  privés  sont  venus,  d'autre  part,  régler 
l'administration  des  villes  considérées  séparément.  Nous 
laissons  de  côté  toute  cette  législation  qui  ne  présente  pas 
pour  nous  d*intérèt  immédiat  et  nous  arrivons  à  Tannée 
1882,  où  pour  la  seconde  fois  fut  codifié  le  droit  adminis- 
tratif urbain.  Cette  codification  n'apporta  que  peu  de  chan- 
gements aux  traits  essentiels  de  la  loi  de  1835. 

L'administration  demeura  entre  les  mains  de  conseillers 
municipaux  choisis  au  suffrage  dirert  par  les  citoyens.  Les 
conditions  requises  pour  être  électeur  restèrent  les  mèmes,â 
cette  exception  près  que  les  femmes  aussi,  propriétaires  ou 
locataires  d'une  maison,  reçurent  le  droit  de  vote.  Les  lod- 
gers  ne  virent  pas  lever  ^exclusion  qui  les  frappait.  Depuis 
1882,  est  éligible  aux  fonctions  de  conseiller  tout  citoyen, 
en  sa  seule  qualité  de  citoyen,  alors  qu^autrefois  réligibilitè 
dépendait  de  la  possession  d'une  fortune  de  £  1.000  ou  du 
fait  qu*on  occupait  une  maison  estimée  30  £dans  l'évalua- 
tion dressée  pour  la  perception  des  impôts. 

La  nouvelle  loi  donnait  au  conseil  municipal,  pour  dé- 
penser comme  il  l'entendrait  les  revenus  ordinaires  de  la 
ville,  une  liberté  bien  plus  grande  que  les  lois  précédentes. 
Pour  tout  ce  qui  avait  trait  au  contraire  à  la  conclusion  des 
emprunts,  à  Tachât  et  à  la  vente  de  terrains,  les  conseils 
ne  purent  agir  qu'avec  Tautorisation  de  la  Trésorerie  on 
du  Parlement.  Ce  n*est  que  pour  Tacquisition  de  pièces  de 
terrain  de  5  acres,  nécessaires  à  la  construction  de  bâti- 


lVdmxnistration  locale  5i 

menls  cominuaaax,  qu'ouïes  dispensa  de  cette  autorisa^ 
tion. 

Si  la  situation  des  villes  n^a  par  conséquent  subi  dans 
son  ensemble  que  peu  de  changements  depuis  la  promul- 
gation de  la  loi  de  1835,  ]e  domaine  administratif  des  con- 
seils municipaux  sest  d'autre  part  extraordinairement 
accru,  et  c'est  dans  cette  extension  de  Tactivité  municipale, 
dans  cet  envahissement  de  la  sphère  de  l'entreprise  privée 
que  consiste  le  changement  énorme  auquel  nous  assistons 
depuis  quelques  dizaines  d'années. 

Quelles  fonctions  la  loi  de  1835  avait-elle  confiées  aux 
municipalités  ?  L'amortissement  et  le  service  des  intérêts 
de  la  dette  urbaine,  le  paiement  des  traitements  des  em* 
ployés  municipaux,  la  direction  de  la  police  locale,  Tad* 
ministration  de  la  prison  ;  c'était  tout.  Leurs  pouvoirs 
n'allaient  pas  plus  loin.  La  méfiance  delà  loi  à  l'égard  des 
autorités  locales  perçait  dans  la  plupart  des  paragraphes. 
Aujourd'hui  l'activité  des  corporations  embrasse  les  do- 
maines les  plus  divers  ;  elle  s'immisce  dans  la  vie  de  l'in- 
dividu, jusque  dans  l'intimité  même  de  son  logement  ;  elle 
veille  à  la  satisfaction  des  besoins  les  plus  divers,  dont  il 
y  a  cinquante  ans  un  entrepreneur  particulier  eût  été  seul 
à  s'occuper. 

En  dehors  du  Municipal  Corporations  Act  de  1882,  plu- 
sieurs autres  lois  générales,  parmi  lesquelles  il  faut  rete- 
nir le  Pubhc  Health  Act  de  1875  et  l'Education  Act  de  1902 
confèrent  aux  municipalités  des  pouvoirs  importants.  Le 
Public  Health  Act  de  187S  est  à  tous  égards  le  plus  inté- 
ressant ;  c'est  aussi  le  plus  volumineux,  puisqu'il  contient 
343  clauses  et  couvre  152  pages  du  Statute  Book. 

C'est  en  vertu  des  Public  Health  Acts  que  les  Town 
Councils  jouent  le  rôle  d'autorités  sanitaires;  qu'ils  nom- 


52  PREMIÈRE  PARTIE.   •»-   CHAPITRE   III 

ment  un  officier  médical  de  santé  (médical  officer  of  healtL) 
et  des  inspecteurs  chargés  de  faire  connaître  tout  ce  qui 
peut  troubler  l'hygiène  ou  la  tranquillité  publiques  (ins- 
pectors  of  nuisances)  :  qu  ils  doivent  veiller  à  la  construc- 
tion, dans  leurborough,  d*un  système  d'égouts,  ainsi  qu'au 
bon  état  sanitaire  des  habitations  ;  pourvoir  à  lenlèvement 
des  ordures  ménagères  et  à  Tarrosage  des  rues  et  qu^ils 
peuvent  se  charger  de  distribuer  Teau  lorsqu'il  n^existe  pas 
de  Compagnie  privée  qui  s*en  charge  déjà. 

C'est   encore  en   vertu  des  Public  Health  Acts  que  le 
Council  a  le  droit  de  trancher  les  questions  relatives  :  aux 
hôtels   et   garnis  (common  lodging   houses),    logements 
souterrains  (cellar  dwellings),  à  la  viande  malsaine,  aux 
maladies   contagieuses    et   épidémiques,  aux    cimetières, 
jardins  publics,  marchés  et  abattoirs,  aux  habitations  ou- 
vrières, etc.  Cest  en  vertu  du  Public  Health  Act  et  avec 
Tautorisation  du  Local  Government  board  ou  du  board  of 
Trade  qu'il  construira  des  usines  à  gaz,  des  tramways,  etc. 
Entre  autres  lois  générales  énumérant  les  divers  pou- 
voirs des  borough  councils,  lois  qu*il  faudrait  étudier  pour 
avoir  une  connaissance  complète  de  leur  autorité,  citons  : 
les  lois  sur  les  tramways,  les  bains,  les  bibliothèques  pu- 
bliques, etc.  ;  enfin,  à  côté  de  tout  cela  nous  rencontrons 
une  législation  innombrable,  relative  à  l'assistance  et  à  l'é- 
ducation. 

Les  fonctions  des  municipalités  peuvent  donc  se  résumer 
et  se  grouper  de  la  façon  suivante  : 

1^  Administration  de  la  justice  au  moyen  de  tribunaux 
civils  et  criminels. 

2^  Création  et  organisation  de  la  police. 
3^  Administration  de  la  propriété   urbaine  et  levée  des 
impôts. 


l'adbainistration  logalb  53 

i^  Nomination  et  renvoi  des  employés  municipaux. 

o"*  Exécution  des  règlements  sanitaires  et  des  lois  d'hy- 
giène (Public  Health  Acts).  Destruction  des  quartiers  et  des 
maisons  malsaines,  construction  de  maisons  ouvrières,  etc. 

6*  Pavage,  éclairage  et  nettoyage  des  rues  et  places  : 
fourniture  de  Teau  et  du  gaz  aux  habitants.  Construction 
des  égouts. 

7°  Construction  et  entretien  des  monuments  publics,  mu- 
sées, bibliothèques,  bains,  lavoirs,  etc. 

8*"  Construction  et  entretien  de  ports,  docks,  canaux. 

9^  Administration  de  fondations  bienfaisantes. 

10°  Contrôle  à  exercer  sur  la  façon  dont  sont  exécutés  les 
règlements  promulgués  par  le  ministère  de  l'instruction 
publique,  lorsqu'il  n'existe  pas  dans  la  ville  ou  dans  le  dis- 
trict d'autorité  scolaire  spéciale. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que  les  conseils  mu- 
nicipaux puissent,  suivant  leur  bon  plaisir,  exercer  tous  les 
pouvoirs  que  nous  venons  d'énumérer  en  détail.  Dans  cer- 
tains cas  leurs  pouvoirs  sont  obligatoires  (mandatory), 
dans  d*autreSy  ils  ne  sont  que  facultatifs  (permissive).  Ils 
obtiennent  la  mise  à  exécution  des  mesures  obligatoires  au 
moyen  d'une  action  quils  portent  devant  les  tribunaux, 
tandis  que  le  Local  Government  Board  et  d'autres  autorités 
centrales  jouissent  d'un  pouvoir  de  «  compulsion  ».  Avant 
de  remplir  une  fonction  facultative,  le  conseil  doit  s'assu- 
rer de  Tapprobation  du  Local  Government  Board  donnée 
par  un  provisional  order,  que  confirmera  formellement  par 
la  suite  le  vote  d'un  provisional  order  Act  par  le  Parle- 
ment. 

Tous  ces  provisional  orders  s'appuient  sur  des  principes 
généraux  renfermés  dans  une  loi  générale,  et  le  contrôle  pra- 
tique en  appartient  en  réalité  à  une  autorité  compétente» 


54  PREMlàlUS   PARTIE.    —  CHAPITRB   III 

tandis  que  ]e  contrôle  du  Parlement  n'est  qu'un  contrôle 
purement  nominal. 

Il  y  a  enfin,  comme  nous  le  disions  plus  haut,  une  quan- 
tité considérable  de  lois  spéciales,  votées  pour  Londres  el 
pour  certaines  des  grandes  villes  anglaises,  et  qui  confèrenl 
à  leurs  conseils  municipaux  des  pouvoirs  additionnels. 

Ces  lois  spéciales  s  appellent  en  Angleterre  des  «  Frivate 
Acts  ».  Elles  servent  à  combler  pour  telle  ou  telle  localité 
soit  des  besoins  à  elle  spéciaux,  soit  les  lacunes  de  la  loi 
générale.  Car  malgré  son  désir  de  prévenir  toutes  les  dif- 
ficultés et  de  trancher  d'avance  toutes  les  contestations, 
désir  qui  la  rend  souvent  prolixe  et  fatigante  à  force  de  re- 
pétitions, la  loi  anglaise  pas  plus  que  les  autres  lois  ne  sau 
rait  prévoir  tous  les  cas  qui  se  présenteront. 

Une  corporation  désire-t-elle  percer  de  nouvelles  rues, 

acheter  une  usine  électrique,  créer  une  ligne  de  tramways, 

elle  rédige  un  projet  de  loi  (private  bill)  qu'elle  présente 

successivement  à  chacune  des  deux  Chambres  après  1  avoir 

porté  à  la  connaissance  des  intéressés,  par  de  larges  mesures 

de  publicité.  Un  fonctionnaire  spécial  appelé  «  examiner» 

vérifie  raccomplissement  de  ces  formalités  préliminaires. 

Arrivé  devant  la  Chambre  des  Communes  ou  devant  la 

Chambre  des  Lords  (elles  se  partagent  la  besogne  en  deuÂi, 

le  bill  est  examiné  par  le  Lord  Chairman  of  Commiltees, 

qui  fait  comparaître  devant  lui  les  promoteurs  du  projet, 

c'est-à-dire  soit  un  conseiller  de  la  ville  en  question,  soil 

le  Town  Glerk,  lesquels  répondront  aux  diverses  objections 

qui  leur  seront  faites.  En  même  temps  le  ministère  intéresse 

(Local  Government  Board,  Board  of  Trade  ou  Home  Office; 

faitun  rapport  surle  bill  etTenvoieau  Lord  Chairman  et  aux 

promoteurs  du  projet.  Le  bill  est  ensuite  soumis  à  Texamen 

4' un  Select  Comniittee  et  arrive  enfin  devant  la  Chambre  à 


l'administration  locale  55 

laquelle  appartient  la  Commission.  Si  le  Parlement  refuse 
d'accorder  les  pouvoirs  ainsi  sollicités  par  Tautorité  locale, 
celle-ci  doit  se  renfermer  strictement  dans  les  termes  du 
mandat  qu'elle  a  reçu  du  législateur. 

Le  maire  el  les  conseillers.  —  Nous  avons  vu  quels  étaient 
dans  leur  ensemble  les  principaux  pouvoirs  que  possédaient 
les  municipalités  anglaises  ;  il  reste  à  montrer  par  qui  ces 
pouvoirs  sont  exercés. 

Les  corporations  municipales  sont  gouvernées  par  des 
conseils,  composés  du  maire,  des  aldermen  et  des  conseil- 
1ers.  Le  Conseil  municipal  est  en  Angleterre  Tautorité  locale 
toute  puissante,  et  sa  suprématie  est  le  trait  le  plus  caracté- 
ristique de  tout  le  système  municipal  anglais. 

Le  borough  council  n  exerce  pourtant  pas  de  contrôle 
sur  le  schoolboard  (conseil  des  écoles),  ni  sur  les  poorlaw 
guardians  (administrateurs  de  la  loi  des  pauvres),  et  il  serait 
plus  exact  de  dépeindre  le  système  anglais  comme  un  sys- 
tème composé  de  plusieurs  conseils  locaux  indépendants  les 
uns  des  autres. 

Le  Borough  ou  le  Town  Council  comprend  deux  sortes 
de  membres  :  les  conseillers  (councillors),  élus  par  l'en- 
semble des  citoyens,  et  les  aldermen  et  le  maire  (mayor), 
élus  par  le  conseil  ;  mais  ces  deux  classes  de  personnes 
siègent  ensemble  dans  un  même  corps  qui  exerce  les  pou- 
voirs de  la  municipalité. 

Les  aldermen  sont  élus  par  les  conseillers  pour  sixans  ; 
ils  sont  renouvelables  par  moitié  à  la  fin  de  chaque  période 
de  trois  ans.  Les  aldermen  ne  sont  pas  nécessairement  choi- 
sis parmi  les  conseillers  ;  mais  ils  doivent  réunir  les  condi- 
tions requises  pour  être  conseillers.  Les  conseillers  sont 
élus  pour  trois  ans  seulement.  Tout  citoyen  peut  être  élu 


56  PREMIERE   PARTIE.    CHAPITRE   UI 

coQseiller.  Quant  au  maire,  il  est  élu  chaque  aaaée  par  le 
conseil,  et  les  changements  de  personnes  sont  fréquents.  Le 
conseil  a  le  droit  d*accorder  au  maire  un  certain  traite- 
ment ;  mais  les  sommes  qu*il  touche  ne  servent  qu'à  le  rem- 
bourser, et  souvent  en  partie  seulement,  des  dépenses  très 
lourdes  de  la  charge,  telles  que  dîners,  réceptions,  etc. 

Les  pouvoirs  du  maire  ue  sont  pas  très  vastes.  On  peut 
les  diviser  en  trois  catégories  :  pouvoirs  législatifs,  admi- 
nistratifs et  judiciaires. 

Pouvoirs  législatifs:  le  maire  est  membre  du  conseil 
qu'il  préside,  il  possède  les  pouvoirs  traditionnels  d^un 
président.  Comme  membre  du  conseil,  il  fait  partie  des 
Comités  et  prend  une  part  active  à  l'administration  de  la 
ville  :  toutefois  sa  position  de  président  Tem pèche  de  faire 
de  même  dans  les  discussions  du  conseil. 

Il  peut  réunir  le  conseil  en  session  extraordinaire  ;  mais 
il  ne  possède  ni  droit  de  veto,  ni  droit  dinitiative  spécial. 

Au  point  de  vue  administratif  rinfluence  du  maire  anglais 
est  encore  plus  vague  que  celle  dont  il  peut  jouir  au  point 
de  vue  législatif.  Comme  les  autres  membres  du  conseil,  H 
prend  une  part  active  à  Tadministration  en  tant  que  mem- 
bre des  comités;  mais  il  ne  possède  pas  de  pouvoir  spécial 
lui  permettant  de  nommer  aux  fonctions  municipales  et  il 
n*exerce  de  direction  ni  sur  les  comités,  ni  sur  les  services 
administratifs  en  général. 

Au  point  de  vue  judiciaire  le  maire  anglais  est  d'office 
«  justice  of  the  peace  »  durant  le  temps  de  ses  fonctions  ; 
et  il  le  reste  un  an  après  ;  il  est  bon  toutefois  de  rappeler 
que  les  grandes  villes  ont  toutes  des  magistrats  de  police 
payés  qui  remplissent  régulièrement  cet  emploi. 

La  charge  de  Lord  Mayor  est  obligatoire,  et  toute  per- 
sonne qui,  y  étant  élue  régulièrement,  refuse  de  l'accepter, 


l'administration  locale  57 

doit  payer  un  shilliag  d'amende  (voir  notamment  le  Règle- 
ment de  Birmingham). 

Afin  de  mieux  remplir  les  devoirs  qui  leur  incombent, 
les  conseillers  se  divisent  en  comités,  et  nous  savons  qu  ils 
peuvent  en  créer  autant  qu'ils  le  désirent  ;  c'est  au  conseil 
municipal  de  chaque  ville  à  en  fixer  le  nombre  d'après  ses 
propres  besoins. 

C'est  ainsi  que  Manchester  compte  16  comités,  Leeds  15, 
Birmingham  18.  Nous  donnons  la  liste  des  comités  de  cette 
dernière  ville  à  titre  de  renseignement.  Ce  sont  :  le  Baths 
and  Parks  Committee,  Estâtes,  Finance,  General  Purposes» 
Markets  and  Pairs,  Health,  Public  Works,  Watch,  Lunatic 
Asylums,  Gas,  Water,  Free  Libraries,  Museam  and  School 
of  Art,  Electric  supply,  Tramways,  Housing,  Education, 
Distress  Committee. 

Le  travail  est  fait  dans  chaque  département  par  des 
fonctionnaires  permanents  et  payés.  C'est  ainsi  qu'il  y  aura 
un  département  de  Thygiène  publique,  ayant  à  sa  tète  «  the 
médical  offîcer  of  health  »  et  un  chief  clerk  comme  direc- 
teur ;  qu'il  y  aura  un  département  des  chemins,  égouts  et 
travaux  publics  sous  la  direction  d*un  borough  treasurer  et 
d*un  chief  clerk  ;  même  organisation  pour  les  marchés,  les 
tramways,  l'eau,  le  gaz  et  l'électricité  ;  le  département  cen- 
tral s'appellera  le  gênerai  business  department  et  la  direction 
en  sera  confiée  au  town  clerk,  personnage  important  qui 
trône  au  sommet  de  la  hiérarchie  officielle  (1). 

Le  travail  de  chacun  de  ces  départements  est  soumis  au 
contrôle  d'un  comité  de  Conseillers  par  le  chief  clerk  et  le 
directeur  du  travail  technique.  Le  comité  prend  des  déci- 
sions que  Von  réunit  en  une  série  de  résolutions.  Ces  réso- 

(I)  Voir  B.  Shaw,  Common  sensé  of  Municipal  Trading,  p.  tOi. 


58  PREMIÈRE   PARTIE.    —    CHAPITRE    111 

hiliomiliBriiieut  le  rapport  du  comité,  et  à  la  première  assem- 
blée générale  an  cmneil  municipal,  le  président  du  Comité 
se  lève  et  dépose  son  rapport,  c'est-à-dire  qu'il  présente 
toutes  les  décisions  de  son  comité  que  le  conseil  peut  à  son 
gré  adopter  ou  ne  pas  adopter.  Le  rejet  d'une  de  ces  réso- 
lutions n'entraine  pas  la  démission  du  président  du  comité 
qui  continuera  son  travail  après  l'incident  tout  comme  au- 
paravant. 

Disons,  en  terminant,  un  mot  des  dépenses  locales  ;  le 
conseil  municipal  fait  face  au  moyen  du  gênerai  district 
fund  aux  dépenses  qu'il  exécute  en  tant  qu'autorité  sani- 
taire. C'est  à  ce  fonds  que  sont  versées  toutes  les  recettes 
qu'il  touche  en  qualité  d'autorité  sanitaire,  y  compris  les 
subventions  du  Trésor,  les  amendes,  les  loyers,  enfin  et 
surtout  le  produit  du  gênerai  district  rate.  Le  gênerai  district 
rate  est  un  impôt  assis  sur  toute  propriété  imposable  au 
poor  rate,  mais  levé  directement  par  le  conseil  sans  Tinter- 
vention  des  overseers  of  the  poor. 

Le  conseil  municipal  couvre, au  moyen  du  Borough  fund, 
les  dépenses  qu'il  fait  en  temps  que  corporation  municipale. 
C'est  à  ce  fonds  que  vont  les  recettes  que  le  conseil  tire  des 
propriétés.communales  et  de  certaines  autres  sources,  et 
notamment  du  borough  rate.  Le  borough  rate  frappe  les 
propriétés  sises  dans  le  bourg  et  a  pour  base  les  évaluations 
du  poor  rate  ;  il  est  levé  par  les  overseers  of  the  poor  et  non 
par  le  conseil.  Le  Borough  fund  sert  à  payer  le  traitement 
des  fonctionnaires  municipaux,  les  dépenses  qu'occasionne 
rétablissement  des  listes  éIectorales,le  coût  de  construction 
et  d'entretien  des  bâtiments  du  Conseil,  les  dépenses  de 
police  et  certains  autres  frais  que  spécifie  la  loi  de  1882, 
Nous  reviendrons  d'ailleurs  sur  les  impôts  dans  la  troisième 
partie  de  ce  volume. 


L  ADMINISTRATION    LOCALE  69 

En  somme,  à  considérer  uqo  municipalité  anglaise  avec 
les  yeux  et  les  idées  d'un  Français,  le  trait  saillant  qui  doit 
se  dégager  de  cet  examen  est  Tabsence  complète  de  tout  re- 
présentant de  Tautorilé  centrale  auprès  des  corps  locaux. 

Sans  doute  Faction  du  gouvernement  central  se  fait  bien 
sentir  de  temps  à  autre  ;  nous  avons  vu  qu*une  autorité 
locale  ne  peut  contracter  d'emprunts,  acquérir  de  terres 
ou  de  bâtiments,  racheter  des  waterworks  ou  des  usines  à 
gaz  sans  Tautorisation  du  Local  Government  Board  ou 
du  Parlement. 

Mais  malgré  ces  quelques  restrictions,  quelles  profondes 
différences  ne  séparent  pas  le  régime  anglais  du  régime 
français  ! 

»  EnFrance,  dit  M.  Ârminjon  (1),  le  fardeau  de  l'admi- 
nistration active  repose  exclusivement  dans  le  département 
sur  le  préfet,  dans  la  commune  sur  le  maire. 

(«   En   fait,  les  décisions  sont  prises,  la  fortune  publique 
est  administrée,  les  finances  sont  gérées,  le  budget  annuel 
est  préparé  par  un  fonctionnaire  relevant  étroitement  de 
TEtat  et  étranger  par  principe  au  centre  dont  il  est  chargé. 
«  De  1  autre  côté  de  la  Manche,...,  l'administration  est  au 
contraire  collégiale  ;  les  divers  conseils  prennent  toutes  les 
décisions  soit  directement,  soit  par  Tintermédiaire  de  com- 
missions déléguées.   Le  maire  des  municipalités,  le  chair- 
man  des  conseils  de  comté,   district  ou    paroisse  jouent 
le  rôle  d'un  simple  président  sans  pouvoir  exécutif.  Là  où 
il  y  a  des  agents  d'exécution,  ce   sont  des  employés  subal- 
ternes qui,  dans  le  bourg,  le  comté  et  la  paroisse  dépendent 
complètement  de  l'autorité  élective.  » 
La  dépendance  et  la  tutelle  étroite  où  notre  gouverne- 

(1)  Voir  Arminjon, />Wmtnw/ra/<OM  locale  en  Aw^leterve,  thèse,  Paris, 
.1895. 


QO  PREMIÀRB   PART».    —   CHAPITRE   III 

meut  ceatral  maintient  les  corps  locaux  contraste  violem- 
ment avec  rindépendance  presque  complète  dont  jouissent 
en  Angleterre  le  bourg,  la  paroisse  et  le  comté. 

«  On  ne  voit  pas,  continue  M.  Arminjon»  l'autorité  cen- 
trale intervenir  pour  approuver,  suspendre  ou  annuler  les 
décisions  des  autorités  locales. Celles-ci  statuent  en  principe 
souverainement  dans  les  limites  de  leur  mandat  légal,  dont 
l'autorité  judiciaire  détermine  l'élendue  en  cas  de  contesta- 
tions. Si  elles  abusent  de  leurs  pouvoirs,  c*est  un  point  à  ré- 
gler  entre  elles  et  leurs  électeurs, mais  la  couronne  n'est  pas 
autorisée  à  les  dissoudre.  » 

Grâce  à  cette  organisation  si  différente  de  la  nôtre,  à 
cette  organisation  où  TEtat  n'est  pas  comme  chez  nous 
l'unique  dispensateur  de  tout,  grâce  à  ces  comités  nom- 
breux dirigeant  des  services  locaux  qui  en  France  seraient 
du  ressort  de  l'administration  supérieure,  le  terrain  se 
trouvait  tout  préparé  pour  le  rôle  que  jouent  en  ce  mo- 
ment la  plupart  des  grandes  municipalités  anglaises  :  ces 
administrations  locales  fonctionnent  avec  tant  de  sou- 
plesse qu'on  a  souvent  pu  les  comparer  à  des  maisons  de 
commerce;  non  sans  raison  d'ailleurs,  si  Ton  remarque 
que  les  électeurs  anglais  envoient  en  général  ou,  plus  exac- 
tement, avaient  jusqu'à  ces  derniers  temps  l'habitude 
d'envoyer  siéger  dans  les  conseils  municipaux,  non  pas 
des  politiciens  professionnels,  comme  c'est  trop  souvent 
le  cas  en  Fronce,  mais  des  commerçants  et  des  ingénieurs 
qui  s'occupent  d'administrer  les  affaires  de  lu  commune 
comme  ils  administrent  leurs  propres  affaires. 

C'est  grâce  à  cette  grande  liberté  et  à  cette  grande  sou- 
plesse, jointes  au  sens  commercial  très  développé  des 
membres  qui  les  composent,  que  les  municipalités  anglaises 
ont  pu  se  transformer  dans  les  quinze  ou  vingt  dernières 


l'administration  locale  6i 

années  en  '<  trading  corporations  )),  c^est-à-dire  en  vastes 
établissements  commerciaux  dont  M.  Chamberlain  com- 
parait un  jour  les  citoyens  à  des  actionnaires  qui  rece- 
vraient leurs  dividendes  sous  forme  d'une  augmentation 
du  bien-être,  de  la  santé  et  des  avantages  de  toutes  sortes 
que  confère  une  vie  sociale  bien  organisée. 

Mais  cette  seule  comparaison  suffit  à  faire  ressortir  le 
danger  du  système  municipal  actuel  ;  car,  qui  dit  entreprise 
commerciale  dit  risque,  c'est-à-dire  chance  de  gain,  mais 
aussi  chance  de  perte. 

Comme  le  remarquait  M.  Sydney  Morse  (1),  l'histoire 
de  la  législation  du  gouvernement  local  nous  prouve  que 
les  corps  locaux  ont  été  créés  pour  gouverner  et  non  pour 
faire  le  commerce,  L'Àct  de  1835  qui  organisa  les  autorités 
locales  modernes  ne  leur  conféra  pas  le  moindre  pouvoir 
de  faire  le  commerce.  L'idée  qu'elles  peuvent  commercer 
aussi  bien  que  gouverner  est  de  naissance  récente  ;  mais 
elle  a  germé  si  rapidement,  que,  non  contentes  de  com- 
mercer, les  municipalités  commencent  déjà  à  spéculer.  Nous 
verrons  par  la  suite  si  l'épithète  sévère  de  «  gambling  cor- 
porations »  ou  corporations  joueuses  qu'on  leur  a  parfois 
appliquée,  ne  convient  pas  en  vérité  à  quelques-unes  des 
grandes  villes  anglaises  qui  se  sont  récemment  lancées  dans 
le  socialisme  municipal. 

(1)  Conférence  faite  devant  la  Battersea  municipal  alliance,  24  jan- 
vier 1905. 


CHAPITRE  IV 


MONOPOLES  ET  SBRVlCtS  PUBLICS. 


Parmi  les  causes  qui  ont  indirectement  contribué  à  faci- 
liter en  Angleterre  le  développement  du  socialisme  muni- 
cipal, il  semble  qu'il  faille  citer  la  tendance  à  Tunification  et  à 
la  fusion  des  entreprises,  qui  se  manifeste  aujourd'hui  de  fa- 
çon générale  dans  la  grande  industrie.  G*est  une  vérité  éco- 
nomique bien  souvent  constatée  que  la  concentration  mèoe 
au  monopole,  le  monopole  aux  abus,  et  que  les  abus  font 
naître  le  contrôle  des  autorités  publiques.  Du  contrôle  à  la 
municipalisation,  il  n  y  a  qu'un  pas.  Pourquoi  ne  pas  le 
franchir  ?  disent  les  Socialistes.  La  communauté  ne  pour- 
rait qu*y  gagner. 

La  concentration  dans  Tindustrie  manufacturière,  les 
transports,  le  commerce,  etc.,  est  un  fait  aujourd'hui  trop 
connu  et  trop  bien  établi  pour  qu'il  soit  utile  d*y  insister. 
La  statistique  et  la  simple  observation  des  faits  sont  là  pour 
le  prouver  ;  et  Ton  est  du  moins  d'accord  sur  ses  causes  si 
l'on  ne  s'entend  pas  sur  les  résultats  qu  il  doit  donner.  Il  y 
a  longtemps  que  les  socialistes  ont  noté  ce  mouvement  de 
concentration  et  qu'ils  l'ont  jugé  de  diverses  manières.  Sis- 
mondi  le  considérait  comme  un  mal  des  plus  sérieux  ;  Saint- 
Simon  y  voyait  au  contraire  un  bien  sans  mélange.  Karl 
Marx,après  eux, a  essayé  de  concilier  leurs  théories  adverses; 
comme  Sismondi,  il  pensait  que  la  concentration  est  un 


._^ 


MONOPOLES    ET  SEIIVICËS    PUBLICS  63 

mal  parce  qu'elle  tend  à  rendre  le  prolétariat  de  plus  eu 
plus  misérable;  comme  Saint-Simon^il  estimait  qu'elle  e.^t  un 
bien  parce  qu'elle  évite  les  frais  de  la  concurrence  et  qu'un 
jour,  la  concentration  capitaliste  ayant  atteint  son  point 
maximum,  les  prolétaires,  maîtres  du  pouvoir,  pourraient 
exproprier  ce  petit  nombre  de  gens  qui  possèdent  à  eux 
seuls  toute  la  fortune  de  la  nation.  Ce  serait  à  la  fois  juste 
et  logique,  a  le  mode  de  production  collectif  de  la  grande 
industrie  capitaliste  n'étant  pas  compatible  avec  le  monopolo 
privé  du  capital  et  devant  aboutir  fatalement  à  la  propriété 
commune  de  tous  les  moyens  de  production,  y  compris  le 
sol  »  (1). 

Ce  que  les  socialistes  oublient  de  faire  remarquer,  c'est 
que,  s'il  s'est  formé  de  grandes  entreprises,  les  richesses  ne 
se  sont  pas  accumulées  dans  des  mains  de  moins  en  moins 
nombreuses.  Depuis  la  naissance  des  sociétés  par  actions, 
les  parts  se  trouvent  réparties  entre  un  nombre  de  person- 
nes de  plus  en  plus  considérable.  Parallèle  au  mouvement 
de  concentration  que  subit  l'industrie,  se  produit  en  sens 
inverse  un  mouvement  de  diffusion  du  capital. 

K  La  cause  du  mouvement  universel  de  concentration 
capitaliste  est  bien  connue,  nous  dit  M.  Bourguin  (p.  142], 
c*est  la  supériorité  des  grandes  entreprises  dans  la  concur- 
rence qui  le  provoque  avec  la  force  irrésistible  d'une  loi 
naturelle.  » 

Cette  supériorité  tient  à  ce  que, disposant  de  gros  capitaux, 
une  grande  entreprise  pourra  toujours  se  procurerles  machi- 
nés  les  meilleures  et  les  plus  perfectionnées  ;  qu'elle  pourra, 
par  de  gros  traitements, s'assurer  les  servicesdesdirecteurset 
ingénieurs  les  plus  capables,  par  des  salaires  élevés  la  main- 

(1)  Bourguin,   Les  systèmes  socialistes,  p!  128. 


64  PRRMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

d'œuvredes  ouvriers  les  plus  habiles.  Elle  organisera  dans 
ses  ateliers  le  travail  de  la  manière  la  plus  économique, spé- 
cialisera les  tâches,  poussera  aussi  loin  que  possible  Tuti- 
lisation  des  machines,  traitera  les  déchets  par  quantités  suf- 
fisantes pour  en  retirer  un  profit,  u  De  toutes  manières  le 
grand  établissement  réalise  des  économies  :  sur  la  main- 
d'œùvre,moins  coûteuse  malgré  les  hauts  salaires  de  certains 
ouvriers  ;  sur  les  matières  utilisées  sans  déperdition  ;  sur 
le  machinisme,  d'autant  moins  onéreux  par  unité  de  force 
qu'il  est  plus  puissant  ;  sur  les  frais  généraux,  d'autant 
moins  élevés  par  unité  de  produit  que  l'entreprise  est  plus 
considérable  (1).  » 

u  Dans  la  partie  commerciale  de  sa  tâche,  le  grand  en- 
trepreneur n'est  pas  moins  favorisé.  Qu'il  s'agisse  d'achats 
de  matières  premières  ou  de  transports,  ou  même  d'obli- 
gâtions  fiscales,  les  conditions  sont  généralement  meilleu- 
res pour  celui  qui  opère  par  grandes  masses.  Au  point  de 
vue  de  la  vente,  les  grandes  maisons  peuvent  se  charger  des 
plus  vastes  commandes  et  organiser  elles-mêmes  l'exporta- 
tion ;  elles  ont  le  moyen  de  se  passer  d'intermédiaires 
onéreux...  » 

Voilà,  tant  au  point  de  vue  industriel  que  commercial, 
les  principaux  avantages  de  la  concentration  ;  on  les  a  ré- 
sumés dans  une  loi>  baptisée  loi  du  rendement  plus  que 
proportionnel  (law^  of  increasing  return). 

Elle  repose  sur  ce  fait  que  dans  la  plupart^des  industries, 
mais  spécialement  dans  celles  où  l'emploi  des  machines  joue 
un  rôle  important,  la  dépense  en  capital  n'augmente  pas 
aussi  vite  que  la  production,  et  que  le  coât  de  production 
diminue  par  conséquent  à  mesure  que  le  total  des  mar-* 

(t)  BouRGuiN,  op.  cit.,  p.  143. 


MONOPOLB8   ET   SERVICES   PUBUG8  65 

chandîses  produit  s*accroit.PIus  le  manufacturier  fait  d'affai- 
res, plus  son  entreprise  lui  rapporte  de  bénéfices  ou  meilleur 
marché  il  peut  vendre  sa  marchandise.  Telle  est,  brièvement 
énoncée  cette  loi  du  rendement  plus  que  proportionnel 
qui  aboutit  à  rendre  à  tout  concurrent  nouveau  très  dif- 
ficile l'entrée  d'un  domaine  industriel  quel  qu'il  soit  et  tend 
par  conséquent  à  faciliter  la  naissance  des  monopoles. 

Cette  tendance  au  monopole  est  particulièrement  forte 
dans  certaines  industries,  comme  le  gaz  etTélectricité,  dont 
l'exploitation  ne  peut  se  faire  qu'au  moyen  de  conduites 
souterraines  et  de  fils  métalliques.  Le  monopole  se  produit 
alors  d'autant  plus  vite  que  ces  tuyaux  et  ces  fils  ne  sont 
utilisables  comme  moyens  de  transport  que  d'une  seule 
usine  au  consommateur  et  non  pas,  comme  les  routes  et 
chemins  de  fer,  de  plusieurs  usines  concurrentes  au  même 
consommateur. 

La  dépense  énorme  que  chaque  entrepreneur  se  trouve 
alors  obligé  de  faire  vient  limiter,  automatiquement  pour 
ainsi  dire,  la  concurrence.  Prenons  le  cas  du  gaz  :  une  Com- 
pagnie a-t-elle  posé  ses  conduites  dans  une  rueet  fournitelle 
le  gaz  à  la  majorité  des  habitants  de  cette  me,  il  est  évident 
que  tout  concurrent  qui  viendrait  après  elle  ne  pourrait  espé- 
rer fournir  qu'une  minorité  de  consommateurs.  Pour  fournir 
cette  minorité,  il  lui  faudra  dépenser  presque  autant  d'ar- 
gent que  la  première  Compagnie  en  avait  dépensé  pour 
fournir  la  majorité.  D'où  infériorité  manifeste  et  limitation 
de  la  concurrence,  La  concurrence  faisant  défaut,  le  con- 
sommateur ne  peut  à  son  gré  changer  de  fournisseur  et 
l'entreprise  se  transforme  en  monopole.  Les  progrès  de  la 
science  et  les  perfectionnements  de  l'outillage  mécanique 
ne  font  qu'accroître  la  Force  de  cette  tendance.  > 

Accorde-t*on  à  deux  Compagnies  à  la  fois,  comme  on  l'a 

Boverat  5 


66  PEEBflÈRB   PARTIE.    —   CHAPITRE   lY 

souvent  fait  dans  les  villes  anglaises, le  droit  de  fournir  le  gaz 
dans  un  même  quartier,  l'esprit  de  concurrence  les  pousse 
au  début  à  mener  les  travaux  d'établissement  et  de  pose  des 
tuyaux  le  plus  rapidement  possible.  Mais  une  fois  ces  tra- 
vaux terminés,  elles  vont  se  contenter  chacune  de  leur  pro- 
pre domaine, sans  chercher  à  empiéter  sur  celui  du  voisin  (1). 
La  concurrence  qu'elles  avaient  commencé  par  se  faire  ces- 
sera. Bientôt  même  les  deux  Compagnies  verront  qu'elles 
ont  avantage  à  s'entendre  et  à  se  partager  par  contrat  le  ter. 
rain  qu'on  leur  a  concédé  ;  finalement  à  se  fondre  en  une 
seule  grande  Compagnie, dont  les  frais  généraux  seront  par 
suite  de  Tabsence  de  concurrence,  moins  élevés  et  les  béné- 
fices plus  grands.  Voilà  une  application  de  la  loi  du  rende- 
ment plus  que  proportionnel  faisant  s'unir  des  Compagnies 
rivales  et  disparaître  la  concurrence.. 

Non  seulement  les  Compagnies  rivales  auront  intérêt  à 
s'unir  pour  devenir  plus  puissantes,  mais  le  consommateur 
trouvera  bien  souvent  son  avantagea  utiliser  les  servîcofrde 
ia  Compagnie  la  plus  importante,etparlà,  il  aidera  lui  aussi 
à  la  création  du  monopole.  Prenons  le  cas  des  téléphones* 
Une  Compagnie  fonctionne-t-elle  depuis  longtemps  et  à  la 
satisfaction  du  public  dans  une  localité  quelconque,  qui 
donc  songerait  à  s'abonner  à  la  Compagnie  concurrente  qui 
vient  de  se  fonder  ?  La  communication  d'un  réseau  à  lautre 
serait  probablement  très  difficile  à  obtenir,  l'intérêt  de  la 
Compagnie  la  plus  ancienne  n^étant  naturellement  pas  de 
faciliter  le  développement  de  sa  rivale.  Des  services  de  ce 
genre  sont  presque  forcément  des  monopoles  et  Tintérèt 
même  du  consommateur  veut  qu'il  en  soit  ainsi. 

(1)  Voir  Darwin,  Municipal  Trade,  ebap.  III. 


MONOPOLES   ET   SERVICES   PUBLICS  67 

La  formation  de  monopoles  dans  les  services  publics  a 
encore  une  autre  cause  sur  laquelle  ont  tout  particulièrement 
insisté  les  auteurs  et  les  publicistes  anglais.  C'est  le  droit 
que  possèdent  les  Compagnies  concessionnaires  et  la  néces- 
sité où  elles  setrouvent  d'ailleurs  de  faire  des  travaux  dans  les 
rues  et  d'y  arrêter  ou  tout  au  moins  d'y  gêner  la  circulation. 
Deux  Compagnies  concurrentes  fournissent-elles  le  gaz  aux 
habitants  d*une  même  rue,  il  y  a  de  fortes  chances  qu'elles 
ne  fassent  pas  leurs  travaux  de  réparation  ou  de  pose  de 
luyaux  toutes  deux  au  même  moment  ;  la  circulation  sera 
sans  cesse  interrompue  sur  la  voie  publique  et  les  autorités 
locales  aussi  bien  que  les  habitants  trouveront  au  bout  de 
peu  de  temps  que  les  avantages  de  la  concurrence  sont  plus 
que  contrebalancés  par  les  inconvénients  qui  en  résultent. 
14  11  fut  un  moment,  nous  dit  M.  Darwin  (1),  où  six  Compa- 
gnies avaient  posé  leurs  conduites  dans  Oxford  Street,  cau- 
sant ainsi  les  plus  graves  embarras;  embarras  qu'on  n'écarta 
qu'en  divisant  la  surface  de  la  métropole  entre  les  Compa- 
gnies rivales  qui  ne  s'étaient  pas  amalgamées  auparavant». 
II  en  est  de  même  pour  les  tramways  :  fatiguées  de  tous  les 
ennuis  que  leur  cause  l'application  d'un  tel  système, les  au- 
torités locales  ne  souhaitent  plus  qu^me  chose  :  la  dispari- 
tion delà  concurrence. 

C'est  ainsi  que  nombre  d*industries  se  transforment  tout 
naturellement  un  jour  ou  l'autre  en  monopoles  et  qu'il 
arrive  un  moment  où  la  concurrence  n'exerce  plus  aucune 
influence  sur  les  tarifs  et  les  prix  que  demande  le  mono- 
poleur ;  rintervention  de  l'Etat  s'impose  alors  tant  pour 
réglementer  le  prix  que  la  qualité  des  marchandises  ven- 
dues :  elle  s'exerce  en  fait  dans  presque  tous  les  pays.  On 

(1  )  Darwin,  Mtmicipal  Trade,  chap.  III. 


68  PHEMIÈHG   PARTIE.    -^  CHAPITRE    lY 

ne  peut  autoriser  une  Compa^aie  à  exploiter  un  réseau  de 
tramways  à  l'intérieur  d'une  ville  sans  lui  imposer  en  re- 
tour certaines  conditions  et  certaines  charges  ;  lui  laisser 
une  absolue  liberté  d'action  serait  de  la  dernière  impré- 
voyance. On  pourra  non  seulement  lui  faire  payer  une  re- 
devance pour  Texercice  de  son  monopole  ;  mais  dans  Tin- 
térèt  même  des  voyageurs,  il  conviendra  de  fixer  soit  les 
tarifs  immédiatement  applicables,  soit  les  limites  dans 
lesquelles  ils  pourront  se  mouvoir.  Le  voyageur  veut  des 
tarifs  bas  ;  il  reut  être  sûr  qu'ils  resteront  bas  et  qu'on  ne 
les  élèvera  pas  dans  la  suite.  Concéder  un  monopole  sans 
restriction  aucune  serait  s'exposer  à  ce  risque.  Et  l'incerti- 
tude n'est  pas  seulement  désagréable,  elle  est  de  tous  points 
préjudiciable  au  commerce  et  à  l'industrie  dont  elle  entrave 
le  développement. 

Si  l'intervention  de  l'Etat  s'impose  en  cas  de  monopole, 
il  reste  à  savoir  de  quelle  façon  elle  devra  s'exercer.  L'Etat, 
ou  plutôt  la  municipalité,  est  en  droit  de  refuser  à  une  Com- 
pagnie qui  le  lui  demande  la  permission  de  faire  des  travaux 
dans  une  rue  pour  y  poser  ses  rails  et  ses  tuyaux  ;  il  peut 
cependant  la  lui  accorder  en  l'obligeant  à  souscrire  à  cer- 
taines conditions  qu'il  se  réserve  de  fixer  lui-même  ;  il 
acquiert  de  cette  façon  un  droit  de  contrôle  sur  le  monopole 
qu  ilva  autoriser  et  que  le  jeu  des  circonstances  précédem- 
ment rappelées  tendait  de  lui-même  à  créer.  Mais  l'autorité 
locale  possède  un  second  moyen  d'exercer  son  contrôle  sur 
toute  industrie  qui  se  transforme  en  monopole;  c'est  d'ex- 
ploiter elle-même  cette  industrie  ;  soit  en  construisant  les 
usines  nécessaires  à  la  fabrication  du  produit  (gaz,  électri- 
cité), soit  en  les  rachetant  à  leurs  propriétaires  actuels. 

L'autorité  locale  se  trouve  donc  avoir  le  choix  entre  la 
municipalisation  d'une  part  et  le  contrôle  des  entreprises 


MONOPOLES  ET   SERVICES   PUBLICS  69 

particulières  d^autre  part  Reste  à  décider  laquelle  de  ces 
deux  méthodes  est  la  plus  avantageuse  à  la  commuQauté. 
La  question  de  savoir  si  l'Etat  est  capable  de  bien  diriger 
une  industrie  a  depuis  longtemps  retenu  Inattention  des 
Economistes.  Jevons  a  donné  quatre  criteria  permettant  de 
décider  s'il  existe  quelque  chance  qu'une  industrie  donnée 
soit  ou  ne  soit  pas  bien  gérée  par  une  administration  d'Etat . 

a)  D'après  le  premier  de  ces  criteria,  l'administration 
d*Etat  aurait  chance  de  réussir  chaque  fois  qu^on  ne  peut 
unir,  relier  et  coordonner  entre  elles  des  opérations  nom- 
breuses  et  étendues  que  par  un  système  unique  et  extensif 
de  gouvernement  (Exemple:  service  postal  ou  télégra- 
phique). 

b)  Là  où  les  opérations  à  effectuer  revêtent  un  caractère 
de  routine  invariable. 

c)  Là  où  elles  se  font  sous  les  yeux  du  public  ou  pour  le 
service  d'individus  qui  découvriront  et  publieront  immé- 
diatement toute  faute  ou  tout  relâchement  qui  se  produirait 
daas  le  service. 

d)  Lorsqu'il  s'agit  d'un  service  dont  l'exploitation  n*exige 
qu'un  capital  peu  important,  de  telle  façon  que  le  compte 
annuel  des  revenus  et  des  dépenses  donne  avec  une  exacti- 
tude suffisante  la  véritable  situation  commerciale  de  l'entre- 
prise. 

Remarquons  que  dans  les  trois  derniers  cas,  le  simple 
contrôle  se  justifierait  tout  aussi  bien  que  l'exploitation  par 
l'Etat  ou  la  municipalité,  et  qu^ils  ne  nous  apprennent  au 
fond  pas  grand'chose  de  nouveau. 

A  côté  des  criteria  que  nous  donne  Jevons  pour  savoir  à 
quelles  conditions  on  peut  municipaliser  une  industrie,  nous 
voudrions  encore  citer  Topinion  de  deux  hommes  qui  ont 
pris  en  Angleterre  une  part  ardente  dans  la  lutte  pour  et 


70  PUEMIÈRE    PAHTIB.    —    CHAPITRE    IV 

contre  le  municipalisme,  opinion  que  nous  recueillons  dans 
le  Municipal  Trading  Report  de  1900. 

M.  Chisholm,  Lord  Provost  de  Glasgow,  considère  cooime 
nécessaire  la  réunion  des  trois  conditions  suivantes  ou  tout 
au  moins  de  deux  d*entre  elles  pour  qu'une  corporation 
puisse  être  autorisée  à  se  charger  d*un  service  public: 
1  ^  il  faut  que  pratiquement  ce  soit  plus  ou  moins  une  néces- 
sité ;  2''  et  3*  que  ce  soit  un  monopole,  nécessitant  Tusage 
des  rues  (1).  A  son  avis,  c'est  dans  ce  cas  seulement  qu'une 
corporation  possède  tous  les  titres  nécessaires  pour  être  en 
droit  de  gérer  l'entreprise. 

Mr  Sydney  Morse  (2)  estime  qu'à  moins  qu^il  ne  s'agisse 
d'une  entreprise  intéressant  tous  les  contribuables  sans 
exception,  il  n'est  pas  juste  de  faire  courir  des  risques  à  des 
c  itoyens  qui  n'en  retireront  peut-être  pas  le  moindre  avan- 
tage en  retour.  Le  vrai  principe  consisterait  à  dire:  les  mu- 
nicipalités ne  devront  se  charger  que  des  services  pour 
lesquels  on  pourrait,  en  toute  justice,  demander  à  chaque  ci- 
to  yen  de  fournir  une  part  du  capital  nécessaire  à  leur  ex  • 
ploitation.  Selon  lui,  c'est  de  la  notion  de  res  universi/aiis 
de  la  loi  romaine  qu'elles  devraient  s'inspirer  dans  le  choix 
des  entreprises  qu'elles  désirent  gérer. 

Toute  cette  question  revient  donc  à  savoir  ce  que  c'est 
qu'un  service  public  ;  question  qui  a  fait  verser  beaucoup 
d'encre  et  à  laquelle  il  est  difficile  de  donner  une  réponse 
exacte,  permettant  de  distinguer  sûrement  un  service  public 
d'un  autre  qui  ne  Test  pas. 

<f  Quand  un  besoin  a  un  caractère  d'universalité  et  d'uni- 
formité suffisant  pour  qu'on  puisse  l'appeler  besoin  public, 

(1)  Rapport  de  1900,  p.  220. 

(2)  Rapport  de  1900,  p.  61. 


MONOPOLES   ET   SERVICES   PUBUGS,  7I 

disait  Bastiat  (1),  il  peut  coQveair  à  tous  les  hommes  qui 
font  partie  d'une  même  agglomération  (commune,  province, 
nation)  de  pourvoir  à  la  satisfaction  de  ce  besoin  par  une 
action  ou  par  une  délégation  collective.  En  ce  cas  ils  nom- 
ment des  fonctionnaires  chargés  de  rendre  et  de  distribuer 
dans  la  communauté  le  service  dont  il  s'agit  et  ils  pourvoient 
a  sa  rémunération  par  une  cotisation  qui  est,  du  moins  en 
principe,  proportionnelle  aux  facultés  de  chaque  associé.  » 

En  France,le  Conseil  d'Etat,dans  un  avis  du  15  mars  1900, 
estime  qu'il  y  a  service  public  quand  il  est  pratiquement 
impossible  de  s*en  remettre  à  linitiative  privée.  C'est  donc 
pour  lui  une  question  d'espèce.  Il  estime  que  pourront  être 
exploitées  aisément  en  régie  :  les  industries  anciennes,  con- 
nues dans  leur  fonctionnement,  d'un  débita  peu  près  cons- 
tant» ne  courant  pas  grand  risque  et  ne  nécessitant  pas 
de  grandes  qualités  commerciales. 

Pour  les  Anglais  en  général,  toute  la  question  est  de 
savoir  si  l'entreprise  municipale  fera  ses  frais  ou  ne  les  fera 
pas  ;  si  elle  u  paiera  »  ou  non.  C'est  malheureusement  une 
question  qui  laisse  les  municipalités  et  les  socialistes  com- 
plètement indifférents  ;  et  c'est  d'autant  plus  regrettable 
que  chez  eux  la  notion  du  service  public  est  très  compré- 
hensive  ;  elle  s'applique  à  la  fourniture  de  l'eau,  de  l'éclai- 
rage, de  la  force  motrice,  aux  transports  de  tous  genres,  aux 
téléphones,  etc,  ;  à  l'alimentation  même. 

Les  municipalistes  ne  manquent  pas  d'arguments  en 
faveur  de  leur  thèse;  ils  se  réduisent  à  quatre  princi- 
paux (2)  : 

1^  Les  pouvoirs  publics  peuvent  emprunter  plus  facile- 

(1)  Bastiat.    Harmonies  Économiques   (Services  privés.    Services 
publics). 

(2)  Voir  Davibs,  Cos(  of  Municipal  Trading^  p.  9, 


73  PREMIÀBB   PARTIE.    '^   CHAPITRE  IV 

ment  et  à  meilleur  compte  que  ne  le  ferait  une  Compagnie 
particulière  ;  laisser  de  vastes  entreprises  aux  mains  de 
particuliers  revient  donc  à  faire  le  saîcrifice  d'un  avantage 
économique, 

2''  S'il  est  possible  de  réaliser  un  proGt  en  fournissant  à 
la  collectivité  quelque  marchandise  d'utilité  générale,  pour* 
quoi  la  collectivité  ne  réaliserait-elle  pas  elle-même  ce 
profit? 

3**  Les  motifs  qui  font  agir  Tentrepreneur  particulier 
sont  égoïstes  et  intéressés  et  forment  avec  ceux  des  Towa 
Councils  un  contraste  peu  à  leur  avantage. 

4""  Si  enfin,  comme  nous  le  voyons  dans  ce  chapitre,  cer- 
taines industries  se  transforment  nécessairement  en  mono- 
poles, ne  vaut-il  pas  mieux  cent  fois  que  ce  soit  le  gouver- 
nement qui  possède  ces  monopoles  plutôt  que  de  simples 
particuliers  ? 

Tels  sont  les  arguments  sur  lesquels  s'appuient  en  théo- 
rie les  partisans  du  municipalisme.  Mais  Texcellence  de  ces 
arguments  n'est  pas  la  seule  raison  du  développement  du 
socialisme  municipal.  Il  existe  à  son  développement  d'au- 
tres causes,  psychologiques,  plus  humaines,  qui  ont  fait 
autant  et  peut-être  plus  pour  la  diffusion  du  municipalisme 
que  les  arguments  que  nous  venons  de  rappeler. 

On  ne  peut  nier  qu'actuellement,  en  Angleterre,  le  muni- 
cipalisme, c'est-à-dire  le  monopole  aux  mains  des  autorités 
locales,  ne  soit  plus  populaire  que  la  réglementation  par 
TRtat  de  Tindustrie  privée  ;  et  Ton  s'est  réclamé  de  cette 
popularité  comme  d'un  argument  en  faveur  du  socialisme 
municipal.  Mais  pour  que  l'argument  fût  valable,  il  faudrait 
savoir  si  cette  faveur  dont  jouit  le  municipalisme  part  d'un 
sentiment  raisonné  ou  d'une  croyance  irréfléchie  ;  si  cette 
croyance,  si  répandue  qu'elle  soit^  est  une  preuve  que  Ta- 


MONOPOLES   ET  SERVICES   PUBLICS  78 

doptioa  du  socialisme  municipal  est  réellement  avantafjreuse 
à  la  communauté,  et  si  le  public  se  trouve  avoir  aussi  faci- 
lement el  aussi  fréquemment  sous  les  yeux  les  arguments 
contre  la  municipalisation  que  les  arguments  en  sa  faveur. 

On  sait  quelle  satisfaction,  disons  même  quelle  sorte  de 
fierté,  éprouvent  les  habitants  d'une  ville  à  la  voir  s'em- 
bellir et  s'améliorer.  La  ville  a-t-elle  municipalisé  le  service 
du  gaz  ou  celui  des  tramways  ?  Il  leur  est  agréable  de  se  dire 
qu  ils  ont  une  part,  si  minime  soit-elle,  dans  la  propri  été 
etTexploitation  de  ces  services  ;  et  ce  sentiment  même  les 
porte  à  augmenter  plutôt  qu'à  diminuer  le  nombre  de  ces 
exploitations.  Mais  ce  désir  prouve-t-il  que  la  municipalisa- 
tion soit  avantageuse?  En  aucune  façon. 

Le  socialisme  municipal  n*est  peut-être  pas  aussi  popu- 
laire en  réalité  qu'il  semble  Tétre  au  premier  abord.  La 
raison  en  est  simple.  Partout  où  existent  de  vastes  exploita- 
tions municipales,  elles  deviennent  un  fréquent  sujet  de  dis- 
cussion dans  les  réunions  politiques  publiques. La gestiondes 
conseillers  est-elle  Tobjet  de  quelque  critique  ?  ils  ne  met- 
tront pas  longtemps  à  répondre  et  à  se  défendre  énergique- 
ment  ;  la  presse  oiTicieuse  locale  entamera  immédiatement 
leur  éloge.  Attaquer  au  contraire  ces  exploitations  dans  les 
villes  où  elles  appartiennent  à  des  particuliers  ne  ferait  le  jeu 
d'aucun  parti,  à  moins  toutefois  qu'on  ne  poursuive  leur 
municipalisation.  Ces  attaques  seront  donc  plus  rares  et 
passionneront  moins  l'opinion  publique. 

Ajoutons  à  cela  que  l'entrepreneur  privé,  dont  la  situation 
nest  pas  à  la  merci  d'une  élection,  a  beaucoup  moins  d'in- 
térêt que  le  conseiller  municipal  k  faire  célébrer  par  la  près  se 
les  mérites  de  son  exploitation.  Avez-vous  besoin  d'un  ren- 
seignement sur  quelque  compagnie  de  gaz  et  le  demandez- 
vous  à  son  secrétaire  ?I1  peut  fort  bien  refuser  de  vous  le 


74  PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  IV 

donner.  Allez-vous,  au  contraire,  trouver  le  towa  clerk  de 
quelque  grande  ville  ?  II  vous  fait  aussitôt  remettre  sur  les 
municipal  gas-works  de  longs  rapports,  imprimés  sur  beau 
papier  et  toujours  élogieux  (1).  D'un  côté  donc  renseigne- 
ments nombreux  et  très  optimistes,  de  Tautre  reaseigne- 
ments  incomplets  :  ce  fait  seul  suffit  à  rendre  la  comparai- 
son difficile  et  fait  voir  à  lopinion  publique  Tentreprise 
municipale  sous  un  jour  beaucoup  trop  flatteur. 

Les  renseignements  fournis  par  les  fonctionnaires  muni- 
cipaux sont  loin  d'être  d*une  absolue  impartialité  ;  il  faut 
se  rappeler  que  les  rapports  municipaux  sont  généralement 
marqués  au  coin  de  Toptimisme  ;  que  les  conseillers  sont, 
pour  des  raisons  politiques,en  proie  à  la  tentation  impérieuse 
d'insister  sur  les  mérites  de  leur  gestion  et  d'oublier  ses 
défauts.  Le  désir  qu'on  a  de  hausser  le  conseil  dont  on 
est  membre  au  niveau  du  conseil  des  villes  voisines  fait 
prêcher  la  création  de  nouvelles  entreprises.  Les  conseillers 
les  plus  énergiques  et  les  plus  influents  seront  précisément 
ceux  qui  applaudiront  davantage  à  tous  les  projets  nou- 
veaux, sans  se  demander  quels  avantages  ils  procureront. 
On  croit  souvent  bien  faire  alors  qu'on  essaye  seulement  de 
faire  bien  :  et  c'est  ainsi  que  les  conseillers  municipaux 
voient  toujours  d'un  œil  trop  favorable  les  entreprises  qu'ils 
dirigent  pour  le  public. 

Le  danger  ne  viendra  pas  seulement  des  conseillers 
municipaux  ;  il  viendra  aussi  des  fonctionnaires  municipaux 
salariés  (2).  «  Plus  ils  seront  énergiques  et  capables,  remar- 
que le  major  Darwin,  plus  il  est  probable  qu'ils  regarderont 
d'un  œil  favorable  l'extension  du  domaine  municipal.  La 
création   de  nouvelles  entreprises  municipales  a  souvent 

(t)  V.  Darwin,  Municipal  Trade. 
(2)  Darwin,  Municipal  Trade^  p.  61. 


»*f\ 


MONOPOLES  ET    SERVICES   PUBLICS  70 

pour  corollaire  obligé  une  augmeutation  du  salaire  des 
fonctionaaires  permanents.  Si  Ton  a  besoin  de  rautorisation 
du  Parlement,  il  faudra  payer  des  honoraires  considérables 
aux  solicitors  dont  beaucoup  sont  en  même  temps  town 
clerks  :  il  serait  absurde  de  nier  que  consciemmentou  incons- 
ciemment, bien  des  hommes  se  laissent  influencer  en  faveur 
de  tout  projet  susceptible  d'augmenter  leurs  émoluments. 

Dans  la  déposition  qu'il  fit  devant  le  Joint  Select  Gom- 
mittee  de  1900,  M.  Swinton  disait  que,  d'après  ses  obser- 
vations personnelles,  ce  sont  vraiment,  et  dans  une  mesure 
importante,  les  fonctionnaires  des  municipalités  qui  sont 
responsables  de  la  tendance  municipaliste.  Il  est  de  leur 
intérêt  de  rendre  les  attributions  municipales  aussi  consi- 
dérables que  possible.  Plus  vastes  seront  ces  attributions 
et  plus  grandes  les  ramifications  des  entreprises  dirigées 
par  la  municipalité,  plus  forts  seront  les  salaires  que  les 
fonctionnaires  permanents  pourront  logiquement  réclamer. 

<«  Je  fais  plus  spécialement  allusion  ici,  disait-il,  aux 
clerks  des  autorités  municipales.  Ils  sont  fréquemment 
payés  d'après  les  affaires  qu'ils  font.  Ils  ne  reçoivent  pas 
un  simple  salaire  ;  ils  sont  dans  certains  cas  solicitors, 
possèdent  une  clientèle,  et  reçoivent  un  paiement  supplé- 
mentaire calculé  d'après  le  nombre  des  affaires  qu'ils  ont 
faites  pourTautorité  locale.  Bien  plus,  je  me  suis  laissé  dire 
que  parmi  les  parliamentary  agents,  certains  ont  l'habitude 
de  partager  leurs  honoraires  avec  les  clerks.  Il  n'y  a  rien 
de  malhonnête  à  cela,  mais  j'estime  que  le  principe  est 
mauvais.  (Le  partage  se  monte  souvent  au  tiers.) 

D'un  point  de  vue  général,  la  question  se  pose  comme 
suit  :  pourquoi  les  municipalités  montrent-elles  aujour- 
d'hui tant  d'ardeur,  non  seulement  à  proposer  elles-mêmes 
des  Bills  pour  des  entreprises  municipales  de  tout  genre, 


76  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

mais  à  s*opposer  aux  Bills  des  particuliers  ?  C'est  parce 
que  certains  de  leurs  fonctionnaires  sont  intéressés  pécu- 
niairement dans  TafFaire.  Un  tiers  des  honoraires  que  tou- 
chent sur  un  bill  les  agents  parlementaires  représente  une 
fiçrosse  somme  d'argent  pour  ces  petits  employés.  Elle  peut 
s'élever  à  plusieurs  centaines  de  £. 

C'est  ainsi  que  l'orgueil  local  des  masses  populaires, 
Taniour-propre  des  conseillers  municipaux,  l'intérêt  pé- 
cuniaire chez  les  fonctionnaires  poussent  de  diverses  façons 
au  développement  du  municipalisme  et  tendent  à  faire 
croire  que  sa  diffusion  est  non  seulement  un  grand  avan- 
tage pour  la  communauté,  mais  que  c'est  un  avantage 
reconnu  de  tout  le  monde.  Nous  examinerons  plus  tard  en 
détailles  divers  inconvénients  du  Municipal  trade.  Con- 
tentons-nous de  les  énoncer  ici  brièvement.  On  peut  re- 
procher au  Municipal  trade  :  l*"  d'accroître  démesurément 
la  dette  locale  ;  2*  d'être  un  obstacle  au  progrès  industriel  ; 
3*"  de  prendre  trop  de  temps  aux  conseillers  municipaux, 
ce  qui  les  empêche  de  consacrer  assez  d'attention  aux  ques- 
tions municipales  les  plus  importantes  ;  4®  de  mêler  plus 
qu'il  n'est  nécessaire  le  gouvernement  ou  les  municipa  - 
lités  aux  épineuses  questions  du  travail  ouvrier  ;  5*  do 
faire  courir  aux  municipalités  le  risque,  trop  souvent  réa- 
lisé, d'une  perte  finale. 

Aussi  la  question  est-elle  de  savoir  laquelle  des  deux 
méthodes,  municipalisation  ou  contrôle  de  l'entreprise 
particulière,  offre  le  plus  d'avantages  à  la  communauté . 
Il  ne  suffit  pas,  pour  établir  la  supériorité  de  l'entreprise 
municipale,  de  prouver  qu'elle  a  brillamment  réussi  ;  il 
faut  montrer  que  les  autorités  locales  ont  non  seulement 
géré  ces  entreprises  industrielles  mieux  que  les  particu- 


MONOPOLES   ET   SERVICES   PUBLICS  77 

]iers  qu*elles  ont  remplacés,  mais  aussi  qu'on  n'aurait  pas 
obtenu  de  meilleurs  résultats  d'une  autre  façon,  c'est-à- 
dire  en  laissant  Tentreprise  aux  mains  des  particuliers  et 
en  modifiant  soit  la  législation  antérieure,  soit  le  cahier 
des  charges. 

L'opinion  publique  se  laisse  en  outre  beaucoup  trop  in- 
fluencer par  des  résultats  et  des  arguments  tout  extérieurs. 
La  fierté  que  ressentent  des  citoyens  indépendants  à  l'idée 
qu*ils  possèdent  collectivement  de  vastes  entreprises  est  cer- 
tainement accompagnée  dans  la  plupart  des  cas,  de  cette 
autre  idée  que  cette  propriété  municipale  leur  est  avanta- 
geuse, qu'elle  augmente  les  revenus  publics  et  permettra 
de  diminuer  les  impôts.  Or,  c'est  chose  excessivement  diffi- 
cile, dit  M.  Darwin,  que  d'estimer  le  résultat  moyen  de  la 
rounicipalisation   sur  les  impôts    municipaux,  parce  que 
bien  souvent  des  faits  qui  paraissent  évidents  sont  à  eux 
seuls  trompeurs.  L'homme  ordinaire  à  qui  on  dit  que  les 
municipalités  abaissent  les  tarifs  lorsqu'elles  rachètent  des 
lignes  de  tramways  antérieurement  exploitées  par  des  par- 
ticuliers, se  sent  vivement  frappé  de  cette  affirmation  ;  il 
écoute  à  peine  un  raisonnement  tendant  à  lui  prouver  qu'en 
prenant  les  précautions  nécessaires,  on  aurait  pu  réduire 
les  tarifs  tout  autant  ou  même  davantage,  en  laissant  l'ex- 
ploitation des  tramways  aux  Compagnies.  Il  prêterait  bien 
moins  d'attention  encore  aux  arguments  qu'on  fait  valoir 
contre  le  municipalisme,  tels  qu'augmentation  des  chances 
de  corruption,  augmentation  de  la  somme  de  travail  qui 
retombe  sur  les  municipalités,  avantages  de  la  libre  con- 
currence. ((  Le  bien  produit  par  l'intervention  de  l'Etat,  dit 
Hadley  (l},est  souvent  un  fait  visible  et  tangible;  le  mal  qu'il 

(f  )  Hadlbt,  Economies,  p.  18. 


78  PKSMIEBB   PAKHE.    CHAPITmE   IT 

fait  est  beaucoup  plos  indirect  et  oe  peat  s^apprécier  qu'à 
la  suite  d'une  étude  attentive.  »  Observation  très  judicieuse 
et  qui  ne  peut  que  nous  confirmer  dans  notre  opinion  que 
la  popularité  est  un  témoignage  bien  trompeur  du  succès 
des  institutions  publiques. 

Il  ressoK  des  pages  précédentes  qu'un  ensemble  de  cir- 
constances a  fait  prendre  à  certaines  industries  le  caractère 
de  monopoles  ;  qu*avec  les  progrès  de  la  science  cette  ten- 
dance se  fortifie  et  que  l'importance  de  la  question  aug- 
mente avec  l'accroissement  de  la  population  urbaine  ;  nous 
savons  enfin  que  les  municipalités  doivent  choisir  entre  le 
contrôle  des  monopoles  particuliers  et  la  munîcipalisation 
de  ces  monopoles.  Les  municipalités  anglaises  paraissent 
avoir  souvent  oublié,  dans  Tenthousiasme  qu'elles  manifes- 
tent pour  le  Municipal  Trade,  qu'elles  ont  le  choix  entre  les 
deux  solutions, et  la  longue  série  d'exploitations  municipales 
dont  nous  allons  aborder  Tétude  en  est  la  meilleure  preuve. 


CHAPITRE  V 


LA  MUN1G1PALISAT10N  DU  SBUVIGB   DBS  BAUX. 


L'eau  étant  par  excellence  un  objet  de  première  nécessité, 
nous  ne  nous  étonnerons  pas  de  constater  que  la  construc- 
tion d*aqueducs, destinés  à  la  fournir  en  abondance  aux  ha- 
bitants des  grandes  villes,  ne  soit  pas  chose  propre  à  notre 
époque.  Les  peuples  de  lantiquité  nous  avaient  montré 
Texemple  et,  peut-être  même  étaient-ils  arrivés  du  premier 
coup  à  la  perfection.  La  Rome  actuelle,  qui  n'emploie  que 
pour  partie  les  conduites  d'eau  de  Tépoque  impériale,  est 
est  une  des  villes  modernes  qui  disposent  de  la  plus  grande 
quantité  d'eau  :  elle  en  a  pourtant  sept  fois  moins  aujour- 
d'hui qu'au  temps  des  Antonins. 

Le  sens  de  la  propreté  disparut  en  revanche  au  moyen- 
âge  ;  les  récits  des  chroniqueurs  de  cette  époque  suffisent 
à  peine  à  nous  donner  une  idée  de  la  saleté  repoussante  au 
milieu  de  laquelle  vivaient  alors  les  populations,  aussi  bien 
dans  les  villes  que  dans  les  campagnes,  mais  la  fréquence 
des  épidémies  et  les  ravages  horribles  qu'elles  causaient 
nous  le  prouvent  surabondamment.  C*est  au  début  du  xix^' 
siècle  seulement,  que, donnant  à  Thygiène  plus  d'importance 
qu'on  ne  lui  en  avait  accordé  jusqu'alors,  on  se  préoccupe 
de  l'organisation  du  service  des  eaux.  L'Angleterre  s'y  prit 
d'assez  bonne  heure  ;  le  rapide  accroissement  de  sa  popula- 
tion urbaine  mettait  forcément  chez  elle  le  problème  de  l'eau 
au  premier  plan.  Il  fallait  le  résoudre,et  sa  solution  deman- 


8o  PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    Y 

dait,tant  au  point  de  vue  technique  qu'au  point  de  vueadmt 
nistratif.une  très  grande  adresse.  On  peut  dire  que  la  mu- 
nicipalisation  du  service  de  Teau,  jusqu'alors  distribuée 
par  des  Compagnies  privées,  marque  [^ouverture  d'une  pé- 
riode administrative  nouvelle  etTavènement  du  socialisme 
municipal. 

Même  parmi  les  adversaires  du  municipalisme,ilse  trouve 
en  Angleterre  nombre  de  personnes  disposées  à  admettre 
que  le  service  des  eaux,  du  faitquH  intéresse  tous  les  mem- 
bres d'une  cité  sans  exception  et  qu1l  a  une  importance  sa- 
nitaire toute  particulière, peut  être  considéré  comme  rentrant 
dans  les  attributions  normales  des  municipalités.  Quant  à 
ses  partisans,  ils  ne  manquent  naturellement  pas  de  faire 
remarquer  que  Tunique  préoccupation  d'une  société  anony- 
me sera  de  faire  des  profits  et  qu'il  ne  devrait  pas  être  ques- 
tion de  profits  lorsqu'il  s'agit  de  la  santé  de  milliers  d*étres 
humains.  Ils  se  plaisent  à  rappeler  l'exemple  de  quelques- 
villes  anglaises  où  les  Compagnies  n'ont  pas  su  assurer  à 
une  population  toujours  croissante  la  quantité  d*eau  dont 
elle    avait  besoin.  Ils   citent  avec  orgueil  les   immenses 
travaux  qu'ont  exécutés  Liverpool,  Manchester,  Birmin- 
gham et  Glasgow  et  prétendent,  ce  qui  n'est  pas  démontré, 
que  ces  entreprises  gigantesques  étaient  bien  au-dessus 
des  forces  de  Compagnies  privées.  L'absence  de  dividendes 
ou  des  déficits  répétés  ont  vite  fait,  disent-ils,  de  tuer  une 
Compagnie.  Une  municipalité  comble  au  contraire  ses  dé- 
ficits à  l'aide  de  l'impôt,  elle  emprunte  à  un  laux  très  bas, 
à  moins  de  3  0/0,  ce  que  ne  peuvent  faire  des  particuliers. 
L'exécution  des  travaux  d'adduction  demande  une  longue 
suite  d'années  ;  la  ville  qui  n'a  pas  de  dividende  à  payer 
couvre  facilement  les  intérêts  du  capital  engagé  au  moyen 
d'une  contribution  spéciale. 


LA   MUNIGIPALISATION   DU   SERVICE   DES   EAUX  8l 

Dès  une  époque  assez  reculée,  quelques  municipalités 
anglaises  se  mirent  à  distribuer  elles-mêmes  Teau  à  leurs 
habitants.  Southampton  assure  ce  service  depuis  1420^ 
Hull  depuis  1447,  etBath  depuis  1500  ;  mais  ces  faits  n*ont 
pour  nous  qu*un  intérêt  historique,  car  le  nombre  des 
ouvrages  possédés  par  des  municipalités  avant  le  milieu 
du  XIX®  siècle  était  insigniBant.  Depuis  une  cinquantaine 
d*années,  au  contraire,  elles  ont,  avec  Tautorisation  du 
Parlement,  exproprié  la  plupart  des  anciennes  Compagnies. 

Ce  sont  les  grandes  villes  qui  se  sont  mises,  en  Angle- 
terre, à  la  tête  du  mouvement  municipaliste  ;  Sheffield 
donne  l'exemple  en  1830,  Manchester  l'imite  en  184  7. 
Glasgow  et  Birmingham  font  de  même  en  1855  et  1876. Les 
huit  grandes  Compagnies  qui  fournissaient  Teau  à  Londres 
viennent  elles-mêmes  d'être  rachetées,  et  c'est  à  un  Joint 
Board  (the  Metropolitan  Water  Board)  que  revient  la  charge 
de  ce  service. 

Peu  nombreuses  sont  aujourd'hui  les  grandes  villes  où 
la  municipalité  ne  se  charge  pas  du  service  des  eaux.  Il  est 
aux  mains  d'environ  les  2/3  des  conseils  des  County  Bo- 
roughs  d'Angleterre  et  du  Pays  de  Galles,  de  presque  tous 
les  non  county  boroughs  et  d'environ  la  moitié  des  districts 
urbains.  Dans  les  douze  villes  dont  les  noms  suivent,  c'est 
la  municipalité  qui  a  dès  l'origine  construit  les  ouvrages 
nécessaires  à  l'adduction  de  l'eau.  Ces  villes  sont  :  Bath, 
Coventry,  Halifax,  Hastings,  Huddersfield,  Hull,  Oxford, 
Plymouth,  Southampton,  Swansea,  WorcesteretCroydon. 
Les  autorités  locales  possèdent  dans  le  Royaume-Uni  tout 
entier  environ  1.050  entreprises  d'eau.  On  ne  compte  en 
Ecosse  que  14  Compagnies,  en  Irlande  pas  une. 

La  municipalisation  du  service  des  eaux  s'est  faite  sans 
méthode  lixe.  Quand  une  municipalité  décidait  que,  suivant 

Boverat  6 


82  PREMIERE  PARTIE.  CHAPITRR  V 

la  phraséologie  du  préambule  des  Acts,  il  était  «  expédient  », 
c'est-à-dire  qu'il  convenait,  dans  Tintérèt  public,  d'obtenir 
le  contrôle  de  la  distribution,  c'était  affaire  de  négociations 
avec  les  Compagnies  ;  et  l'accord  se  faisait  soit  à  l'amiable, 
soit  par  arbitrage. 

Bien  que  les  lois  n'aient  prévu  aucune  facilité  spéciale 
pour  le  transfert  aux  corps  publics  des  entreprises  d'eau 
appartenant  aux  particuliers,  la  politique  immuable  du 
Parlement  anglais  depuis  plusieurs  années  a  été  de  ne 
jamais  refuser  son  autorisation  à  une  autorité  locale  qui 
cherchait  à  obtenir  le  contrôle  de  ce  service.  Il  rentre 
d'ailleurs  dans  les  devoirs  des  municipalités  de  veiller  à 
ce  que  leurs  villes  soient  bien  fournies  d'eau.  Là  où  il 
n'existe  pas  de  Compagnie  munie  de  pouvoirs  légaux,  le 
District  Council  peut  se  charger  de  ce  service  ;  là  où  il  en 
existe  une,  le  Council  peut  la  racheter  ou  prendre  à  bail  ses 
ouvrages  et  se  faire  payer  par  les  habitants  l'eau  qu'il 
leur  fournit,  soit  au  moyen  d'un  compteur,  soit  au  moyen 
d'un  impôt. 

Les  autorités  locales  n'ayant  pas  eu  pour  but  de  faire  des 
profits  sur  la  fourniture  de  Teau,  ce  sont  les  impôts  géné- 
raux qui,  dans  beaucoup  de  villes,  subviennent  au  coût  de 
l'entreprise  ;  dans  d'autres,  on  recouvre  la  dépense  sur  le 
consommateur  au  moyen  d'un  water-rate  ;  c'est  bien  un 
«  rate  »,  puisque  l'occupant  d'une  maison  paye  générale- 
ment suivant  la  valeur  locative  de  sa  maison  et  non  d'après 
la  quantité  d'eau  qu'il  consomme. 

Toutes  ces  circonstances  font  que  le  service  des  eaux  ne 
peut  être  tout  à  fait  assimilé  à  un  service  ordinaire.  Il  est, 
pour  beaucoup  de  municipalités  anglaises  qui  regardent 
évidemment  comme  illégitime  tout  profit  fait  sur  un  ob- 
jet de  première  nécessité,  l'occasion  de  pertes  sérieuses. 


LA    MUNIGIPALISATION   DU    SERVICE  DES   EAUX  83 

  d*autres,  il  procure  des  bénéfices  que  le  Municipal  Year 
Book  de  1906  estime  être  assez  appréciables. 

Au  31  mars  1902,  193  municipalités  anglaises  et  galloi- 
ses possédaient  leurs  waterworks  ;  le  capital  total  de  ces 
entreprises  se  montait  ࣠ 56.943.  01 6, et  Ton  estimait  pour 
les  quatre  années  1898-1902  ࣠ 2.032.756  leur  profit  brut 
moyen,  à  £  90.128  leur  profit  net(l). 

Le  tableau  ci-dessous  donne  par  régions  le  nombre  et  le 
capital  des  entreprises  publiques  et  privées  ainsi  que  les  re- 
cettes et  les  dépenses  des  autorités  locales. 

Eau  (2). 

Capital  des  entreprises 
appartenant 
aux  miinicipaliles       aux  Compagnies 


Angleterre 
et    Pays 
de  Galles 

Nombre 
d'entrepr. 
publiques 

788 

Nombre 

d'entrepr. 

privées 

237 

Ecosse.     . 

188 

14 

Irlande.    . 

69 

0 

Total.    . 

1.045 

231 

£  56.255.336     £  40.316.400 
8.749.613  339.300 

2.993.506  » 


£  67.998.457    £  40.633.700 
Hevenus  et  dépenses  des  autorités  locales  en  1900-1901. 

Excédent  des  recelles 
Recettes  Dépenses       sur  les  dépenses 

Angleterre  et  Pays            £  £  £ 

de  Galles.     .     .     3.927.181  1.875.030  2.052.131 

Ecosse    ....        720.028  257.059  462.969 

Irlande    .     .     .    _^ 213.359  330.575  'H  5.216 

Total.    .  '.     4.862.568  2.462.684  2.399.884 

*  DéQcit. 

(1)  Voir  le  Rapport  de  Sir  Henrt  FowBER,5ur  les  Reprodveiiee   Un- 
dertaking». 

(2)  Voir  le  Municipal  Year  Book  de  1 906 . 


84  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE   V 

Le  service  des  eaux  esl  actuellement  de  beaucoup  le  plus 
importantde8servicesmunicipalises.il  a  été  de  1894  à  18U9 
Toccasiond'empruntssemontantà  £15.000.000(1). Ces  chif- 
fres énormes  s'expliquent  par  les  difficultés  qu'ont  souvent 
rencontrées  les  villes  à  fournir  à  leurs  habitants  une  eau 
bonne  et  abondante. Mais  ce  qui  leur  a  coûté  très  cher  aussi , 
c'est  qu'elles  ont  voulu  la  fournir  à  bon  marché  :  se  refu- 
sant, disaient-elles,  à  faire  des  bénéfices  sur  la  vente  de 
Teau  et  à  les  employer  au  paiement  d'autres  dépenses  ou  à 
lu  réduction  des  impôts. 

Aujourd'hui  les  grandes  villes  ne  fournissent  pas  Teau  à 
leurs  seuls  habitants,  mais  très  souvent  aussi  aux  habitants 
des  faubourgs  et  des  villes  avoisinantes.  Lorsqu'on  1879, 
Manchester  obtint  par  private  act  Tautorisation  de  trans- 
former le  lacThirlmere  en  un  réservoir  d*eauje  Parlement 
profita  de  cette  loi  pour  introduire  un  nouveau  principe. 
Il  décida  que  dans  un  certain  rayon  autour  de  Taqueduc 
les  populations  auraient  le  droit  d'exiger  que  la  ville  de 
Manchester  leur  fournit  l  eau  dont  elles  avaient  besoin. 
Il  voulait  par  cette  mesure  empêcher  l'établissement,  au 
profit  des  villes,  do  monopoles  fort  gênants  pour  les  habi- 
tants voisins  des  sources  captées  ;  mais  il  ouvrait  du  même 
coup  un  vaste  domaine  à  l'activité  des  corporations.  Ac- 
tuellement  cette  activité  ne  s'étend  plus  seulement  sur  un 
district  bien  délimité  ;  elle  embrasse, au  delà  de  cette  limite» 
des  territoires  immenses.  C'est  ainsi  que  Manchester  four- 
nit l'eau  à  un  district  de  85  miles  carrés  où  vit  une  po- 
pulation de  plus  de  1  million  d'habitants,  alors  que  la  ville 
n'en   compte  elle-même  que  543.000. 

Le  Parlement  a  voulu  assurer  mieux  encore  la  protectioQ 

(1)  Voir  Municipal  Trading  Heparl,  1910,  question  938. 


LA   MUNIGIPAU8ATION   DU   SERVICE   DES   EAUX  85 

des  districts  extra-urbains  qui  reçoiventleureau  des  corpo- 
rations urbaines.  Il  a  pris  soin  de  faire  insérer  dans  les  pri- 
vate  acts  que  les  municipalités  ne  pourraient  faire  payer 
leur  eau  plus  cher  au  dehors  de  leurs  limites  qu'àTintérieur 
de  celles-ci.  Ce  qui  n'est  peut-être  pas  absolument  juste,  les 
habitants  de  la  ville  se  trouvant  seuls  alors  à  supporter  les 
risques  et  les  frais  de  Tentreprise  dont  la  population  sub- 
urbaine profite  autant  qu'eux  (1). 

Nous  allons,  dans  les  pages  qui  suivent,  essayer  de  retra- 
cer rapidement  Thistoire  de  la  municipalisation  du  service  de 
Teau  dans  quelques-unes  des  grandes  villes  anglaises  et  les 
circonstances  qui  Font  accompagnée.  iNotre  attention  se 
portera  successivement  sur  Glasgow,  Liverpool,  Manches- 
ter et  Birmingham,  qui,  toutes  quatre,  ont  exécuté  d'im- 
menses travaux  d'adduction,  leur  permettant  de  distribuer 
une  eau  aussi  bonne  et  aussi  abondante  que  possible. 

L'eau  à  Glasgow. 

En  1806,  la  Glasgow  Water  Company  reçut  l'autorisa- 
tion de  fournir  à  la  ville  de  l'eau  qu'elle  prenait  dans  la 
Clyde  (Il  faut  espérer  que  la  rivière  était  plus  propre  en  ce 
temps  là  qu'elle  ne  Test  aujourd'hui  !).  Deux  ans  plus  tard, 
s'établissait  une  seconde  Compagnie,  la  Cranstonhill  Water 

(1)  f<  A  Liverpoul,  dit  M.Hooo  {Stœdteverwaltung  und  Afunizipal  So- 
zialismus  in  England^^.  153),ceUe  protection  aboutit  à  une  injustice. 
La  corporation  de  Liverpool  n'a  pas  le  droit  d^établir  un  water  rate 
sur  Teau  qu'elle  fournit  aux  districts  extra- urbain  s,  elle  ne  peut  exiger 
d'eux  qu'un  paiement  de  3  d.  plus  élevé  ;  comme  on  paye  Teau  7  1/2  d. 
à  rintérieur  de  la  ville,  son  prix  se  trouve  être  de  10  1/2  d.  au  dehors, 
c'est-à-dire  de  3  d.  meilleur  marché  que  dans  la  cité,  dont  les  habi- 
tants ont  à  payer  en  outre  un  water  rate  de  6  d.  La  loi  oblige  ainsi 
la  corporation  à  fournir  à  environ  300.000  habitants  des  districts  voi- 
sins Teau  à  un  plus  bas  prix  qu'à  ses  propres  citoyens.  )> 


86  PEBMlàRB    PARTIE.    —    CHAPITRE   V 

Company,  qui  puisait  son  eau  à  la  même  source  que  la  pré- 
cédente. 

L'une  distribuait  Teau  à  la  partie  est  de  la  ville,  l'autre 
à  la  partie  ouest,  et  le  liquide  qu'elles  donnaient  toutes  deux 
était,  parait-ilySi  mauvais  que  Glasgow  devint  la  cité  la  plus 
malsaine  du  Royaume-Uni.  Les  deux  Compagnies  se  tirent 
trente  années  la  guerre,  se  disputant  les  quartiers  riches, 
laissant  sans  eau  les  quartiers  pauvres.  Au  bout  de  ce  temps 
elles  décidèrent  de  se  fondre  en  une  seule,  et,  malgré  la 
vive  opposition  du  Town  Council,  le  Parlement  sanctionna 
en  1838  la  fusion  des  deux  Sociétés. 

Cette  fusion  n*améliora  guère  le  service.  Glasgow  ayant 
pourtant  chaque  jour  besoin  d'une  plus  grande  quantité 
d'eau  et  la  Compagnie  ne  réussissant  pas  à  amener  celle  du 
Loch  Lubnaig,  il  fallait  à  tout  prix  trouver  une  solution. 

Dès]1 845,  on  avait  formé  le  projet  d'amener  à  Glasgo^^ 
Teau  du  Loch  Katrine.  En  1854,  Fidée  fut  reprise  :  le  Con- 
seil municipal  ordonna  une  enquête,  dont  le  résultat,  favo- 
rable au  projet,  amena  devant  le  Parlement  la  déposition 
d'un  bill  qui  demandait  Tautorisation  nécessaire  à  lexécu- 
tion  immédiate  des  travaux.  Mais  le  bill  rencontra  une 
violente  opposition  et  fut  rejeté. 

L'année  suivante,  en  1855,  il  était  à  nouveau  repris. 
Voté  par  les  deux  Chambres,  il  devint  loi  le  2  juillet  1835. 
La  lutte  qu'il  avait  fallu  soutenir  devant  le  Parlement  avait 
coûté  à  la  cité  £  26.000  ;  mais  la  corporation  recevait  du 
Parlement  le  droit  d'en  emprunter  700.000. 

On  racheta  les  deux  Compagnies  et  le  conseil  municipal 
nomma  des  Water-Commissionners  avec  pouvoir  de  délé- 
guer leur  autorité  executive  à  un  Water-Committee.  L'in- 
demnité accordée  aux  deux  Compagnies  prit  la  forme  d'an- 
nuités perpétuelles  qui  s'élevèrent  à  £  27.000. 


LA   MUMCIPALISATION   DU    SERVICE    DES   EAUX  87 

Les  travaux  furent  éaormes  ;  il  fallut  creuser  dans  le  roc 
70  tunnels,  mesurant  13  miles  de  longueur  ;  27  aqueducs 
amenèrent  Teau  par  dessus  les  rivières  et  les  gorges  jus- 
qu'au réservoir  de  Milngavie,  situé  à  8  miles  de  Glasgow 
et  d'où  on  la  distribue  directement  aux  divers  quartiers  de 
la  ville.  Le  coût  total  de  l'entreprise  s'éleva  à  £  920.000  t 
en  mars  1860  le  service  public  était  inauguré. 

Mais  Glasgow  s'accroissait  si  rapidement  qu'on  dut,  au 
bout  de  10  années,  songera  prendre  de  nouvelles  mesures 
pour  fournir  à  la  population  les  quantités  d'eau  toujours 
plus  fortes  dont  elle  avait  besoin. 

En  1885,  le  Parlement  autorisait  la  dérivation  des  eaux 
du  Loch  Arklet,  dont  le  niveau  est  sensiblement  supérieur 
à  celui  du  Loch  Katrine.  Si  nous  ajoutons  à  ces  deux  lacs 
les  réservoirs  du  côté  sud,  nous  voyons  que  Glasgow  pos- 
sède aujourd'hui  des  réservoirs  d'une  capacité  de  13  mille 
millions  de  gallons.  La  corporation  a  écarté  tout  danger  de 
contamination  en  achetant  au  prix  de  £  18.000  aux  proprié- 
taires riverains  le  droit  de  louer  leurs  terres  ;  la  région 
voisine  des  lacs  se  trouve  ainsi  condamnée  à  un  perpétuel 
isolement.  L'eau  est  si  pure  qu*on  n'a  même  pas  besoin  de 
la  filtrer. 

L'ensemble  de  ces  travaux  a  coûté  très  cher  ;  au  31  mai 
1905,  le  total  des  sommes  dépensées  en  travaux  d'adduction, 
indemnités,  etc.,  s'élevait  à  £  4.039  985.  On  n'en  a  pas 
moins  fait  subir  de  constantes  réductions  au  prix  de  Teau 
depuis  50  ans.  Lorsque  Teau  du  Loch  Katrine  fut  pour  la 
première  fois  amenée  à  Glasgow,  on  la  payait,  pour  les 
usages  domestiques  (domestic  supply)  1  s.  2  d.  par  £  de 
loyer  ;  aujourd'hui  le  taux  en  a  été  abaissé  à  5  d.  par  £  ; 
c'est-à-dire  qu*il  est  inférieur  de  plus  de  moitié  à  celui 
qu'avaient  fixé  les  anciennes  Compagnies. 


88  PREMIÈRE   PARTIE.    —    CHAPITRE  Y 

Les  institutions  charitables,  les  bains  publics  et  les  lavoirs 
n'ont^pas  à  payer  Teau  dont  ils  se  servent.  L'ensemble  des 
réductions  dont  ont  profité  les  consommateurs  s'élevait  en 
1890  à  plus  de  1.200.000  £,  de  sorte  que,  remarquent  les 
municipalistes,  si  l'on  avait  laissé  les  tarifs  à  leur  taux  pri- 
mitif, la  dépense  qu'ont  occasionnée  les  travaux  du  Loch 
Katrine  serait  aujourd'hui  amortie. 

Durant  la  première  année  de  la  gestion  municipale,  le  re- 
venu du  service  des  eaux  s'est  élevé  à  £  62.335.£n  1876- 
1 877, après  une  réduction  de  tarifs  considérable, à  £  136.203. 
En  1904-1905  à  £  249.254. 

Si  nous  prenons  la  peine  de  nous  reporter  aux  comptes 
de  Tannée  1904-1905,  nous  voyons  que  les  recettes  ont  at- 
teint le  chiffre  de £  249.254  15  s.  4  d. 

et  qu'en  y  ajoutant  la  balance  cré- 
ditrice de  Tannée  précédente,  soit    £     16.333    0       0 
on  arrive  à  un  total  de £  265.587  15  s.  4  d. 

Les  dépenses  (service  des  annuités  et  de  Tintérèt  com- 
pris) se  sont  montées  à  £  i90.763.15  s.  9d.  LadilTérence 
entre  les  recettes  et  les  dépenses  a  donc  été  de  £  74.283 
19  s.  7  d.  L'amortissement  de  la  dette  ayant  exigé  £  62.271 
lis.  5  d.,  la  balance  créditrice  se  trouve  réduite  à  £  12.552 
8  s.  2  d.  Cette  somme,  dit  le  rapport  du  Comité,  doit  ser- 
vir à  payer  les  dépenses  qu'ont  entraînées  les  réparations 
d  u  vieil  aqueduc  du  Loch  Katrine  et  celles  du  Gorbals  main. 

La  corporation  a,  par  divers  acts  du  Parlement,  reçu 
Tautorisalion  d'emprunter,  pour  les  besoins  du  service  des 
eaux,  une  somme  totale  de  £  4.000.000.  Les  emprunts 
qu'elle  a  contractés  s'élèveut  aujourd'hui  à  £  3.561.305 
17  s.  4  d.  ;  son  fonds  d'amortissement  à  €  1.320.407 
10  s.  7  d. 

La  quantité  d'eau  fournie  durant  Tannée  1904-1905  à 


• 


LA   MUNIGIPALI8ATION    DU    SERVICE  DES    EAUX  8g 

la  ville  de  Glasgow  et  aux  districts  avoisinanls  a  été  de 
63.622.793  gallons  par  jour  en  moyenne,  en  augmentation 
de  1.712.659  gallons  sur  Tannée  précédente.  Les  ouvrages 
du  Loch  Katrine  en  fournissaient  59.044.443,  ceux  de 
Gorbals  4.578.  350. 

L*eaa  à  LiverpooL 

Le  service  des  eaux  de  Liverpool  a  passé  par  les  mêmes 
p  hases  que  celui  de  Glasgow.  A  la  fin  du  xvrii*  siècle  et 
au  commencement  du  xix®,  Liverpool  n'avait  d'autre  eau 
que  Teau  des  puits  que  l'on  transportait  à  travers  la  ville, 
dans  des  voitures  spéciales,  au  nombre  de  60  environ. 

La  population  augmentant  rapidement,  la  nécessité  d'un 
service  un  peu  moins  primitif  commença  à  se  faire  sentir. 
En  1799  un  private  Act  créait  «  ihe  Company  of  pro- 
prietors  of  the  Liverpool  Water-Works  »  ;  en  1822  un 
second  private  act  autorisait  la  formation  de  la  «  Liverpool 
and  Harrington  C^  »  et  lui  conférait  le  droit  de  construire 
les  ouvrages  dont  elle  aurait  besoin  pour  fournir  Teau  au 
port  et  à  la  ville. 

C'est  ainsi  que  naquirent  deux  Compagnies  rivales  qui, 
dès  leur  naissance,  entrèrent  en  lutte  à  la  recherche  de  la 
clientèle.  On  les  vit  durant  les  premières  années  de  leur 
existence  poser  les  conduites  les  unes  à  côté  des  autres 
et  chercher,  par  tous  les  moyens  qu'emploient  des  com- 
merçants rivaux,  à  s'attirer  le  plus  grand  nombre  possible 
de  clients.  Elles  découvrirent  bientôt  que  cette  concur- 
rence leur  était  ruineuse  à  Tune  comme  à  l'autre  ;  elles 
s'entendirent  pour  diviser  en  deux  la  surface  qu'elles  four- 
nissaient d'eau,  de  telle  façon  que,  dans  des  limites  définies, 
chaque  Compagnie  eût  un  monopole  et  fût  libre  de  faire 


go  PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    V 

payer  les  prix  que  les  acts  du  Parlement  rautorisaieQt  à 
imposer. 

Si  nous  en  croyons  un  rapport  de  la  Commission  d'hy- 
<;iène  de  1844  Teau  fournie  par  les  Compagnies  était  ab- 
solument pure  et  sa  qualité  ne  donnait  pas  le  moindre 
sujet  de  plainte  ;  mais  étant  donnée  la  densité  de  la  popu- 
lation, les  quantités  dont  on  disposait  étaient  notoiremeat 
insuffisantes  ;  Teau  ne  coulait  pas  assez  longtemps  chaque 
jour  et  les  habitants  en  arrivaient  à  vivre  dans  des  habitu- 
des de  saleté  perpétuelle.  Beaucoup  de  pauvres,  dit  le  rap 
port,  mendiaient  de  Teau,  d'autres  la  volaient.  Si  Ton  avait 
voulu  tous  les  poursuivre,  un  juge  y  aurait  passé  son  temps. 
Dernier  reproche  :  le  prix  de  Teau  était  beaucoup  trop 
élevé. 

La  situation  devenait  menaçante  pour  la  santé  publique. 
La  corporation  s'en  émut  et,  en  1847,  demanda  et  obtint  du 
Parlement  un  act  autorisant  Texécution  des  Rivin^ton 
Works  et  le  rachat  des  Compagnies.  Aussitôt  après  le  vote 
de  la  loi,  leurs  usines  passèrent  à  la  corporation  moyennant 
un  prix  fixé  par  un  arbitre. 

La  construction  des  réservoirs  de  Rivington  commença 
en  1852  et  leur  eau  fut  pour  la  première  fois  distribuée  à 
Liverpool  en  août  1857.  Entre  temps  on  avait  creusé  une 
grande  quantité  de  puits  nouveaux. 

L'A.ct  de  1847  exigeait  que  la  corporation  fournît  un 
service  d'eau  constant,  chose  qui  ne  devint  pourtant  pos- 
sible qu'après  l'ouverture  des  ouvrages  de  Rivington.  On 
espérait  qu'une  fois  ces  travaux  terminés  on  n'aurait  plus 
besoin  de  se  servir  de  Teau  des  puits  et  qu'on  économiserait 
ainsi  les  frais  de  pompage  et  de  refoulement.  Il  n'en  fut  rien. 
L'eau  de  Rivington  était  de  couleur  brune  et  désagréable  et 
la  population  de  Liverpool,  habituée  à  une  eau  limpide, 


LA    MUNIC1PALI8ATION   DU    SERVICE    DES   EAUX  QI 

manifesta  son  mécontentement  ;  après  de  nombreuses  dis- 
cussions, il  fut  décidé  qu'on  continuerait  à  utiliser  les  puits 
et  qu'on  mélangerait  leur  eau  à  celle  des  réservoirs  de 
Rivington,  qu'on  réussit  d'ailleurs  à  clarifier  peu  après. 
Aujourd'hui  encore,  on  se  sert  d'un  certain  nombre  des 
anciens  puits. 

La  population  croissait  toujours  et  le  service  des  eauK  ne 
suffisait  plus  à  ses  besoins.  En  1876,  le  Council  essaya  bien 
de  forera  Bootle  un  grand  puits  artésien.  Mais  ce  puits  ne 
donna  pas  les  résultats  qu'on  en  attendait,  ni  comme  quan- 
tité d'eau,  ni  comme  qualité.  11  fallait  dans  un  bref  délai 
trouver  un  autre  moyen  d'approvisionner  la  ville. 

Un  coup  d'oeil  sur  la  carte  d'Angleterre  montre  que,  par 
suite  de  sa  position  géographique  et  du  développement  des 
ndustries  manufacturières  en  Lancashire,  Liverpool  ren- 
contre de  grandes  difficultés  à  se  procurer  un  service  d'eau 
abondante  et  pure.  Au  nord,  s'étend  un  pays  plat  bordé  par 
la  mer  ;  au  sud  coule  la  Mersey  ;  au  delà  de  la  Mersey 
s'allonge  la  péninsule  de  Wirral,  sur  laquelle  vit  une 
population  relativement  nombreuse  ;  on  rencontre  à  l'ouest 
le  large  estuaire  de  la  rivière,  et  à  l'est,  dans  le  Lancashire 
et  le  Gheshire,tout  cours  d'eau  de  quelque  importance  sert  de 
déversoir  aux  usines  et  aux  égouts.  C'est  à  des  distances 
considérables  qu'il  faut  aller  pour  trouver  une  rivière  capa- 
ble de  donner  un  volume  d'eau  pure  à  peu  près  suffisant. 

Depuis  plus  d'un  demi-siècle  les  districts  montagneux 
du  nord  du  Pays  de  Galles,  qu'on  aperçoit  de  Liverpool, 
avaient  attiré  l'attention  des  ingénieurs  en  raison  des 
pluies  abondantes  et  fréquentes  qui  y  tombent  et  du  peu  de 
densité  de  leur  population.  En  1876,  la  corporation  fit  faire 
une  enquête  pour  savoir  si  l'on  ne  pourrait  pas  amener  à 
Liverpool  l'eau  de  la  rivière  Virnwy.  L'enquête  aboutit  à 


93  PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    Y 

un  rapport  très  favorable  que  le  conseil  municipal  adopta 
en  juillet  1879.  Le  6  août  1880,  le  vote  d*une  loi  autorisait 
le  projet  dont  on  commençait  aussitôt  Texécution. 

Il  ne  s'agissait  de  rien  moins  que  de  transformer  la  vallée 
de  Yirnwy,  dans  le  Montgomeryshire,  en  un  lac  artificiel. 
Au  fond  de  cette  vallée  s^élevait  un  village  avec  son  église, 
une  école,  des  maisons,  quelques  fermes.  On  les  racheta; 
puis  on  construisit  une  digue  énorme  qui  fît  de  la  vallée  ua 
immense  réservoir  de  5  miles  de  long,  d'une  superlicie  de 
1.121  acres  et  d'une  capacité  de  12. 131.000.000  de  gallons 
(soit  54.600.000.000  de  litres  environ).  L'exécution  de  ce 
travail  énorme  coûta  £  2.132.867. 

Le  28  novembre  1888  on  commençait  à  renfermer  Teau 
dans  le  lac  Yirnwy  ;  le  25  novembre  1889,reau  coulait  par 
dessus  la  digue  ;  le  lac  avait  mis  juste  un  an  à  se  remplir. 

L'eau  du  lac  Yirnwy  arriva  pour  la  première  fois  à  Li ver- 
pool  en  juillet  1891. En  1898  on  s'aperçut  qu'on  aurait  bien- 
tôt besoin  de  quantités  encore  plus  considérables,  et  Ton 
décida  de  construire  un  second  aqueduc  parallèle  au 
premier  et  amenant  Teau  de  Yirnwy  à  Prescot,  localité 
voisine  de  Liverpool.  On  est  en  train  d'achever  cette  seconde 
canalisation. 

De  même  que  Glasgow,  Liverpool  fournitTeau  aux  po- 
pulations avoisinantes.  La  cité  s'étend  sur  23.29  miles 
carrés,  et  la  superficie  totale  où  elle  doit,  en  vertu  des  lois, 
fournir  de  l'eau,  est  de  115  miles.  En  dehors  des  limites 
obligatoires, elle  en  fournil  encore  100  miles  carrés,  ce  qui 
porte  à  215  miles  carrés,  renfermant  plus  de  un  million 
d'habitanls,la  superficie  que  la  corporation  de  Liverpool  ap- 
provisionne d'eau. 

Le  total  des  quantités  distribuées  durant  Tannée  1904 
était  de  10. 088. 312. 000  gallons,  la  quantité  consommée 
chaque  jour  par  tète  d'habitant  de  30  gallons  795. 


LA    MUNIGIPALISATION   DU   SERVICE   DES  EAUX  qS 

ËQ  1846  on  ne  disposait  que  de  8  gallons  24  par  tète. 

Voici,  pour  Tannée  1902,  et  suivant  leur  provenance,  les 
quantités  d'eau  distribuées  à  Liverpool. 

Les  puits  ont  donné.     .     .     .  1.352.834.000  gallons 

Les  réservoirs  de  Rivington.     .  3.863.491 .000      — 

Le   lacdeVirnwy 5.228.162.000      — 

L'eau   de   mer 115.326.000      — 


Total 10.559.813.000      — 

L'exécution  de  ces  grands  travaux  a  coûté  à  la  ville  de 
Liverpool  des  sommes  énormes.  Depuis  1848,  date  de  la 
municipalisation  du  service  de  Teau,  la  dépense  en  capital 
s'est  élevée  à  £  6.031.851  ;  2  millions  de  £  plus  qu'à  Glas- 
gow. Il  est  vrai  que  les  difficultés  à  surmonter  étaient  beau- 
coup plus  grandes,  que  Glasgow  disposait  autour  d'elle  de 
lacs  naturels  nombreux  et  magnifiques  et  que  TEcosse  étant 
un  pays  pluvieux  par  excellence,des  sécheresses  prolongées, 
comme  il  s'en  est  produit  à  plusieurs  reprises  à  Liverpool, 
y  sont  un  fait  complètement  inconnu. 

Sur  les  £  6  031 .851  qu'elle  a  dépensées  pour  la  construc- 
tion de  ses  waterworks,  la  ville  de  Liverpool  doit  encore 
aujourd'hui  £  5.175.341,  ayant  remboursé  ou  versé  au 
compte  du  Sinking  Fund  une  somme  de  £  797. 149. Durant 
l'année  1904,  le  revenu  du  service  des  eaux  s'est  élevé  à 
£  315.  183,  la  dépense  à  £106.585.  Mais  comme  le  service 
de  la  dette  exige  £  180.104,  qu'il  a  fallu  verser  au  Sinking 
Fund  £  41.500,  le  total  des  dépenses  se  trouve  être  de 
£  328.189  0  s.  6  d.,  supérieur  par  conséquent  aux  recettes 
qui  s'élèvent  à  £  315.183  1  s.  9  d.  seulement. 

En  général  cependant  les  recettes  balancent  à  peu  près 


9^  PUEMIÈRB  PARTIE.  CHAPITRE  V 

les  dépenses,  et  d'après  les  comptes  du  Trésorier,  si  les  pre- 
mières se  sont  élevées  de  1848  à  1904  à  £  10.095.641  15  s. 
9  d.,  les  secondes  n'auraient  été,  durant  la  même  période, 
que  de  £  10.085.597  2  s.  3  d.  ;  mais  le  service  de  la  dette 
est  allé  en  augmentant  constamment,  et  il  est  passé  de 
£  149.423  18  s.  3  d.  en  1894  à  £  1 80.103  19  s.  2  d.  en  1904. 
Dans  les  comptes  de  la  corporation,  les  waterworks  figu- 
rent à  Tactif  pour  une  somme  considérable,  h  peu  de  choses 
près  ce  qu*ils  ont  coûté  :  en  1902,  d'après  les  évaluations 
officielles,  ils  représentent  £  5.337.007. 

L'eau  à  Manchester 

Ce  fut  jusqu'en  1847  une  Compagnie  particulière  qui 
fournit  l'eau  à  Manchester  au  moyen  d*ouvrages  situés  à 
1 8  miles  do  distance  ;  mais  cette  Compagnie  n*assurait, 
parait-il,  le  service  que  d  une  façon  tout  à  fait  insuffisante, 
et  en  1847  la  cité  racheta  l'entreprise  qu'elle  a  développée 
depuis  cette  époque  d'une  façon  considérable.  Les  16  réser- 
voirs de  Longdendale  sont  alimentés  par  l'eau  des  pluies 
tombant  sur  une  superficie  de  30  miles  carrés  ;  ils  ont  une 
surface  totale  de  854  acres  et  une  capacité  de  plus  de 
fi.000.000.000  de  gallons. 

Dès  1874,  les  ingénieurs  de  la  municipalité  s'aperçurent 
que  les  sources  de  Tancien  système  ne  suffiraient  aux  be- 
soins de  la  ville  que  pendant  six  ou  sept  ans  au  plus, et  ils 
conseillèrent  de  transformer  le  lac  Thirlmere,  en  Cumber- 
land,  en  réservoir  d'eau.  La  corporation  présenta  dans  ce 
but,  en  1878,  un  bill  qui  fut  l'occasion  d'un  débat  très  vio- 
lent au  Parlement.  Il  n'y  eut  pas  moins  de  33  pétitions  de 
propriétaires,  d'autorités  locales,  etc.,  déposées  contre  le 
bill.  Cependant,  grâce  à  la  clause  dont  nous  avons  précé- 


LA    MUMCIPALISATION    DU    SEIIVIGE    DES    EAUX  gS 

demment  parlé  (  droit  pour  les  districts  voisins  d'exiger  la 
fourniture  de  l'eau),  le  bill  devint  loi  le  23  mai  1879.  et  la 
corporation  prit  aussitôt  ses  mesures  pour  la  mise  à  exécu- 
tion de  son  plan.  Le  lac  Thirlmere,  ainsi  devenu  propriété 
delà  municipalité  de  Manchester,  a  été  réuni  à  la  ville  par  un 
aqueduc  de  95  miles  de  long.  L'inauguration  des  travaux 
eut  lieu  en  1894.  Le  lac  Thirlmere  mesure  2  miles  de  lon- 
gueur ;  pour  que  sa  capacité  pût  répondre  aux  besoins  de  la 
cité,  il  fallut  élever  son  niveau  de  50  pieds, et  pour  cela  bâtir 
une  digue  en  maçonnerie  de  56  pieds  de  haut.  Ce  travail 
porta  la  capacité  du  lac  à  36.900  millions  de  litres  et  sa  su- 
perficie de  328  à  793  acres. 

La  municipalité  ne  doit  pas  faire  de  bénéfice  sur  le  service 
des  eaux  ;  s'il  y  en  a  un,  elle  doit  l'employer  à  réduire  le 
a  water-rate  »  «  public  »  ou  «  domestic  ».  Le  right  honorable 
J.  Hoy,  Lord  Mayor  de   Manchester,  trouvait,  à  ce  propos 
(voir  sa  déposition  devant  la  Commission  de  1902)  (1),  un 
peu  dur  qu'il  fût  défendu  à  une  ville  comme  Manchester  de 
tirer  du  service  des  eaux  le  moindre  avantage  pécuniaire  ; 
car  alors  que  sa  population  n'est  que  de  550.000  habitants, 
elle   fournit  l'eau    à  un    nombre   double   de    personnes, 
1.100. 000  environ  ;  et  le  Lord  Mayor  prétendait  qu'elle  au- 
rait bien  le  droit  de  se  rémunérer  des  risques  qu'elle  a  courus 
et  de  l'argent  qu'elle  a  dépensé  en  se  faisant  payer  les  ser- 
vices qu'elle  rend. 

Ces  travaux  ont  occasionné  des  dépenses  considérables  ; 
elles  s'élèvent  :  dépenses  en  capital  de  1847  à  1904-1905  (in- 
clus) à  £  6.908.678  (dont£  1.431.962  ont  été  remboursées 
ou  versées  au  Sinking  Fund)  ;  la  dette  actuelle  du  service 
des  eaux  est  de  £  5.679.836  ;  on  voit  qu'elle  dépasse  d'en- 
viron £  500.000  celle  de  Liverpool. 

(i)  Report  from  Ihe  Select  Committee  on  Repayaient  of  Loans  by 
local  Authorities,  1902,  p.  75. 


g6  PREMIERE  PARTIE.  —  CHAPITRE  V 

La  situation  de  ce  service  n*est  d'ailleurs  pas  précisément 
brillante  à  Manchester  depuis  quelques  années;  et  s'il  est 
bon  de  ne  pas  faire  de  trop  gros  bénéfices  sur  une  exploita- 
tion de  ce  genre,  du  moins  faudrait-il  que  les  recettes  et  les 
dépenses  s'équilibrent  à  peu  près. 

Or,  le  total   des   sommes   dues  aux  Banquiers    et  au 
Trésorier  par  le  compte  Rovenu  au  31  mars  1905étaitde 
£162.869  4  s.  8d.  contre  £109.  831  16s.ld.  en  1903,  et 
£l39.797  14s.  3d.  enl904. 

Le  déficit  total  du  compte  Revenu  est  de  £80.833  9  s.  11  d» 
(dont  £  27.  833  11  s.  9  d.  pour  Tannée  1905)  contre 
£  3t.  162  17  s.  7d.  en  1903  et  52.999  18  s.  2  d.  en  1904. 
Le  déficit  probable  pour  1906  est  de  £  29.008  18  s.  4  d.,  ce 
qui  portera  le  déficit  total  à  £  109.842  8  s.  3  d. 

Le  tableau  suivant  nous  permet  de  comparer  les  totaux 
du  revenu  et  de  la  dépense  pour  les  trois  années  finissant 
au  31  mars  1905. 

Eau 

1903  1904  1905 

Revenu  tolal.  £306.669  11s.4d.     316.175  168.2d.     324.695    Ss.Sd. 

Dépense  totale 
non  compris 
l^intérêt     et 

ramortissemt.      103.980  i3s.8d.     104.937  12s.ld.     106.651  13s8d- 

Balance   cré- 
ditrice.   .   .     £202.688  17s.8d.    ^11.238    4s.ld.     218.043  14  8.9d. 

Les  dépenses  en  annuités,  intérêts  et  dividendes  distri- 
bués aux  porteurs  de  stock  se  chiffrent  ainsi  qu'il  suit  : 

1903  1904  1905 

Annuités,  in- 

térAtseldiv.  £161.910  lOs.ld.  181.989  8s.lld.  191.412  i8.ild. 

Versé  au  Sin- 

king  Fund.  47.308  1  Os. 8d.  51.085  15s.9d.  54.465  4  8.7d. 

Total.  .  219.219    08.9d.  233.075    4s.8d.  245.877  6s.6d. 


LA   MUMGIPALISATION    DU   SERVICE    DES    EAUX  97 

Moins  balance 

cUdessus.  .  202.688  17s.8d.    211. 238    is.ld.    218  043  14s.9d- 
Déficit  de  l*an- 

née  .   .   .   .  16.530    Ss.ld.      21.837    Os.Td.      27.833      lls.9d. 

Si  nous  passons  au  compte  capital,   nous  voyons  qu'il 
avait  été  emprunté  au  31  mars 

1904 £l0.977.fi4o  13  s.  Hd. 

et  qu*on  avait   remboursé  une 

somme  (le £    iî.MG  992     7        0 

La  dette  au  31  mars  1904  était 
de e    5.330.653     6      H 

Au  cours  de  l'année  1904-1905,  on  contracta  des  emprunts 

s'élevantà £       280.187     0        0 

on  remboursa  d  autre  part     .     .     £       131.004     4        0 

"£       149  182  1()         ~ 

Ce  qui  portait  le  montant  de  la  dette  au  31  mars  1905 

à £       5.530.(>23  Os.  lld. 

149,182  IB      0 

Soit  un  total  de    '.     .    £       5  079.836  2      11 

Après  inspection  des  comptes  de  l'eau  de  Tannée  1904- 
1905,  les  auditeurs  (inspecteurs  des  finances  de  la  ville) 
appellent  tout  spécialement  l'attention  sur  les  faits  sui- 
vants : 

1**  Déficit  croissant  qui  va  atteindre  le  chiffre  de  £  109.842 
8  s.  3  d. 

2o  Sommes  chaque  année  plus  fortes  dues  aux  banquiers 
et  au  Trésorier  par  le  compte  Revenu  et  qui  s'élèvent  à 
£  162.869  4  s.  8  d. 

3®  Absence  totale  d'amortissement  (dépréciation}. 

BoYerat  7 


98  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    V 

Ce  reproche  de  ne  pas  tenir  un  compte  suffisant  de  l'a- 
mortissement est  un  reproche  à  adresser  à  la  majorité  des 
entreprises  municipales  ;  nous  aurons  l'occasion  dV  reve- 
nir dans  la  troisième  partie  de  ce  volume. 

Pour  l'année  1905  190(>,  le  domestic  water  rate  de  Man- 
chester est  de  8  d.  par  £  et  le  public  water  rate  de  2  d. 

Diaprés  le  rapport  du  Water  Committee,  le  service  des 
eaux  n'a,  durant  toute  l'année,  subi  aucune  interruption  ;  la 
consommation  journalière  a  atteint  une  moyenne  d'environ 
35  1/4  millions  de  gallons, 

Les  travaux  du  lac  Thirlmere  sont  à  présent  achevés  et 
permettent  d'amener  20  millions  de  gallons  d'eau  par 
jour. 

De  même  que  Glasgow,  Manchester  fournit  a  ses  habi- 
tants la  force  hydraulique  ;  nous  y  reviendrons  à  la  fin  de  ce 
chapitre  ;  auparavant  nous  jetterons  encore  un  coup  d'œil 
surThistoire  de  Birmingham. 

L'eau  à  Birmingham. 

A  Tinverse  de  la  plupart  des  grandes  villes  anglaises,  ce 
n'est  pas  par  l'eau  que  Birmingham  a  commencé  la   muni- 
cipalisationde  ses  services  publics  ;  M.  Chamberlain,  alors 
maire  de  Birmingham,  avait  déjà,  depuis  un  an,  obtenu  le 
rachat  de  la  Compagnie  du  gaz  lorsqu'il  demanda  celui  de 
a  Compagnie  des  eaux.  Mais  le  motif  qu'il  invoqua  n'était 
plus  le  même  ;  il  déclarait  en  effet  devant  le  Comité  de   la 
Chambre  des  Communes,  chargé  d'examiner  le  water  bill, 
«  que  dans  le  cas  de  l'eau,  c'était  avant  tout  une   question 
d'hygiène,  tandis  que  dans  le  cas  du  gaz,  c'était  avant  tout 
une  question  de  profit  qui  le  faisait  agir  «  ;  et  devant  le 
Select  Committee,  il  allirmait  encore  :  «  Nous  n'avons  pas  la 


L\    MUMGIPALISATION    DU    SERVICE    DES  EAUX  99 

moindre  intention  de  faire  un  profit.  Nous  obtiendrons  notre 
profit  de  manière  indirecte  dans  le  confort  procuré  a  la  ville 
et  la  bonne  santé  de  ses  habitants.  »  L*eau  fournie  à  cette 
époque  à  Birmingham  par  laGompap:nie  était  coûteuse,  in- 
suffisante, souvent  impropre  à  la  consommation  ;  la  popu- 
lation devait  en  grande  partie  compter  sur  l'eau  des  puits^ 
dont  un  certain  nombre  se  trouvaient  dangereusement  con- 
taminés. 

Le  projet  de  M.  Chamberlain  rencontra  une  approbation 
unanime.  On  racheta  la  Compagnie  pour£  1.350.000  en- 
viron, au  moyen  d'annuités  perpétuelles,  versées  aux  an- 
ciens propriétaires  de  l'entreprise. 

Le  correspondant  du  Times  lui-même  reconnaît  que  la 
situation  géographique  de  Birmingham  est  telle  qu'aucune 
Compagnie  particulière  ne  pourrait  espérer  aujourd'hui 
fournir  à  cette  ville  Teau  dont  elle  a  besoin  et  faire  en 
même  temps  un  bénéfice.  Birmingham  est  bâtie  sur  un 
plateau,  au  centre  même  de  l'Angleterre,  et  certains  de  ses 
quartiers  s'élèvent  à  600  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la 
mer.  Il  faut  dépenser,  pour  obtenir  20.000.000  de  gallons 
d'eau  par  jour  à  cette  hauteur,  plus  de  £  20.000  par  an  rien 
qu'en  frais  de  pompage.  Pis  que  cela  :  les  sources  aux- 
quelles on  avait  longtemps  eu  recours  s'épuisaient  ou 
étaient  si  contaminées  qu'on  ne  pouvait  plus  s'en  servir. 
La  municipalité  se  vit  obligée  d'aller  chercher  Teau  au  loin, 
dans  le  pays  de  Galles,  dans  des  réservoirs  dont  le  plus 
bas  est  à  800  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer  et  le  plus 
haut  à  1.000. 

Depuis  le  rachat  de  la  Compagnie,  la  demande  d'enu 
n'avait  en  effet  cessé  d'aller  en  augmentant  ;  le  VVater 
C^oramittee  avait  dû  procédera  la  construction  de  plusieurs 
nouveaux  réservoirs,  à  Shustoke  et  à  Whitacre  (1881  à 


98  PREMIERE    PART'  ^HAPHl^*^ 


Ce  reproche  de  ne  paF>  ^^^^  ^^ 

mortissement  est  un  r    ^  '  ^'^' 

entreprises  municipa'/ 
nir  dans  la  Iroisièœ  •  ^ 


4' 


^   2, 


Pour  Tannée  V\  ^^^ 
chester  est  de  8    «^  '  •  "''^  . 

D'après  le      "  ^  venons.  ^ 

eauxn^a,  d  .-0'^  capable  V 

consomn>  ^"  ^^'^^'^  l^^soin. 

35  1/4'  *^  nouvelle  d'ailleurs  et  a\- 

Lg,  ,0  fois  en  1870;  on  ne  l'avait  pas  rei^ 

p^P  ^.alisation,  la  politique  du  conseil  municipal  \ 

jV         jiirs  été  de  tirer  toute  l'eau  possible  des  en  virons  de  Bir- 
fntrham  et  des  ouvrages  rachetés  à  la  (lompaj^nie.  ï^e"^ 
^n  touchait  à  la  limite  des  emprunts  autorisés, et  u  a '' 
falloir  s'adresser  de  nouveau  au  Parlement. 

En  avril  1891  l'Alderman  Sir  Thomas  Martineau  déposa 
le  plus  volumineux  rapport  qui  ait  traité  de  laq»^^^'^" 
rapport  sur  le  vu  duquel  le  Comité  des  Eaux  déclara  au 
Conseil  :  que  les  quantités  d'eau  dont  on  disposait  actueU* 
ment  deviendraient  probablement  insuffisantes  aux  environ^ 
de  1900,  et  que  pour  obtenir  un  service  satisfaisant  à  tou'* 
les  égards,  il  fallait  aller  à  la  limite  du  pays  de  Galles, cher- 
cher Peau  des  rivières  Elan  et  Claerwen. 
Les  travaux  à  exécuter  comprendraient  : 
a   Tn  nouveau  réservoir  à  Franklev,  à  une  hauteur  sulb* 
saute  pour  approvisionner  la  majeure  partie  de  la  ville  p^^ 
la  seule  force  de  la  pesanteur. 

Ai  La  construction  de  six  réservoirs  dans  les  vallées  a^ 
l'Elan  et  de  la  Claerwen. 

c   l'n  aqueduc,  avec  une  pente  de  200  pieds  environ,  re. 
liant  les  réservoirs  du  Pays  de  Galles  à  Frankley  (cetaqu^* 


LA.    MUMCIPALISATION   DU    SERVICE   DES    EAUX  lOI 

duc  mesure  80  miles  de  longueur.  Rappelons  que  celui  de 
Liverpool  en  mesure  68  et  celui  de  Manchester  96).  On  esti- 
mait que  la  dépense  se  monterait  à  £  3.340.000  pour  deux 
conduites,  à  £  5.654.000  pour  cinq. 

Le  projet,  soumis  au  conseil  municipal  de  Birmingham 
le  24  novembre  1891,  fut  approuvé  à  la  majorité  de  55  voix 
contre  1.  Un  vote  des  citoyens  l'approuva  également,  et  le 
16  février  1892  le  bill  passait  en  première  lecture  à  la 
Chambre  des  Communes  où  le  présentaient  les  députés  de 
Birmingham,  parmi  lesquels  M.  Chamberlain. 

Pour  faire  éclater  son  évidente  nécessité,  le  projet  rap- 
pelait que  rétendue  de  terrain  à  laquelle  Birmingham  four- 
nit Teau  est  sensiblement  plus  vaste  que  le  municipal  bo- 
rough  ;  que  de  1871  à  1891  le  nombre  des  maisons  habitées 
avait  passé  de  89  457  à  129.000,  et  la  population  de  449.000 
à  648.000.  De  8.30  millions  de  gallons  en  1876,  la  consom- 
mation journalière  avait  passé  à  11.42  en  1881  ;  à  12.70  en 
1886,  à  14.28  en  1889,  à  16.82  en  1891-1892. 

La  consommation  journalière  par  tète  était  de  25.75  gal- 
lons pour  tous  usages,  de  17  environ  pour  les  usages  domes- 
tiques, taux  très  bas  auquel  on  n*arrivait  que  grâce  à  une 
excessive  parcimonie.  A  Glasgow,  où  la  quantité  d'eau  four- 
nie par  le  Loch  Katrine  est  pratiquement  illimitée,  la  con- 
sommation journalière  par  tête  approche  de  50  gallons. 

On  estimait  qu'en  1900  la  demande  moyenne  par  habitant 
serait  de  20.2  {^allons,  en  1915  de  30  galions.  Or  le  maxi- 
mum qu'on  pensait  pouvoir  obtenir  des  5  rivières  et  des 
7  puits  alors  en  usage  n'était  que  de  19.25.  La  demande 
moyenne  telle  qu'on  Tévaluait  dépasserait  donc  avant  la  fin 
du  siècle  le  maximum  disponible. 

Les  réservoirs  du  Pays  de  Oalles  se  trouvant  à  une 
grande   hauteur  permettraient  d'économiser  les  frais  de 


K)2  PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    V 

pompes,  soit  £  28.000  par  aa  environ.  Enfin  la  composi- 
tioa  chimique  de  la  nouvelle  eau  était  bien  supérieure  à 
celle  de  l'ancienne  :  semblable  à  celle  du  Loch  Katrine  dont 
l'eau  très  douce  convient  parfaitement  aux  usages  indus- 
triels et  diminue  sensiblement  la  consommation  de  savon. 

Le  projet  soumis  au  Parlement  prévoyait  une  dépense 
totale  de  £  6.600.000  (la  différence  avec  le  chiffre  précé- 
demment cité  tient  à  des  achats  additionnels  de  terrains, 
etc.).  On  ne  devait  atteindre  ce  total  qu'en  lî)o5,  à  en 
croire  un  tableau  intéressant  et  détaillé  des  dépenses  an- 
nuelles et  de  la  dépense  en  capital  à  la  fin  de  chaque  an- 
née, de  18111  à  1055.  Jl  est  depuis  longtemps  hors  de  doute 
que  le  coût  du  nouvel  ouvrage  excédera  de  beaucoup  le 
chiffre  soumis  au  Parlement,  et  qu'il  ne  suffira  pas  de 
relever  simplement  le  prix  de  Feau,  mais  qu'il  faudra  en- 
core avoir  recours  aux  impôts.  La  dépense  totale  en  capital 
qu'on  estimait  devoir  se  monter  à  la  fin  de  lî*04-190o  à 
£  3.092.000  se  montait  à  £  5.758.067  quand  on  est  arrivé  à 
cette  date(l). 

Malgré  une  assez  violente  opposition,  le  bill  subit  avec 
succès  répreuve  des  trois  lectures  à  la  Chambres  des  (Com- 
munes et  à  la  Chambre  des  Lords  du  16  février  au  21  juin 
1892.  La  sanction  royale  lui  fut  donnée  le  27  juin  1892. 

Le  Birmingham  (iOrporation  Act  de  1892  contient  77 
sections   II  autorise  la  corporation  à  acheter  les  terrains 

(1)  Municipal  Trading  lieport,  1903,  question  1786. 

On  avait  évalué  le  coût  de  la  première  partie  du  projet  à  £  3 .  300.000, 
oelui  de  la  deuxième  à  £  2.200.000.  En  1903  on  avait  dépassas  pour 
l^xécution  de  la  première  partie  seule,  le  coût  de  Tensemble,  par 
suite  des  sommes  énormes  qu*il  avait  fallu  payer  pour  l'achat  des 
terrains  et  en  dommages  intérèts.On  8*éiait  vu  contraint,  pour  finir  la 
première  p^irtie,  de  demander  au  Parlement  1  autorisation  d'emprunter 
un  demi  million  de  £  de  plus  qu'il  n*avait  été  prévu. 


LA    MUNIGIPALISATION    DU    SERVICE    DES    EAUX  Io3 

dont  elle  a  besoin  ;  à  construire  les  ouvrages  nécessaires 
et  lui  permet  d'emprunter  £  G.OOO.OOO,  soit  en  Corporation 
Stock,  soit  sur  hypothèque  (mortgage). 

Les  autorités  locales  dans  un  rayon  de  15  miles  de  l'a- 
queduc, pourront  exiger  qu'on  leur  fournisse  Teau  aux 
conditions  que  fixe  la  loi. 

L'acquisition  des  terrains  commença  aussitôt  après  le 
vote  de  la  loi,  en  juillet  18U2.  En  lî)04  le  roi  lui-môme 
inaugurait  les  travaux. 

Les  ouvrages  de  l'Elan  Valley  ont  été  exécutés  en  ré- 
gie parleWater  Committee.  Le  Comité,  estimant  que  la 
construction  des  digues  faisait  peser  sur  lui  une  Irop  lourde 
responsabilité,  et  pour  être  sûr  qu'elles  offrissent  toute 
sécurité,  refusa  de  les  confier  à  un  entrepreneur.  La  digue 
de  cahan  Coch,  à  l'extrémité  inférieure  du  svstème  des  ré- 
servoirs,  s'élève  à  1 22  pieds  au-dessus  du  lit  de  la  rivière  ; 
son  épaisseur  à  la  base  est  de  122  pieds  aussi,  et  sa  lon- 
gueur au  sommet  de  600  pieds.  Il  n'y  a  pas  en  Angleterre 
d'ouvrage  de  cette  sorte  qu'on  puisse  lui  comparer,  excepté 
la  digue  de  Virnvvy,  qu'a  bâtie  Liverpool  (1). 

Le  reste  de  l'ouvrage  a  été  exécuté  par  des  entrepre- 
neurs,et  Ton  sectionna  dans  ce  butTaqueducensix  parties. 

L'exécution  du  «  Wclsh  Supply  »  a  entraîné  une  éléva- 

(1)  Le  nombre  des  ouvriers  qui  furent  employés  à  ces  travaux  varia 
de  1.200  à  1.500.  Four  les  loger  la  municipalité  bâtit  en  1894  un  village 
en  bois,  à  un  demi-milede  Jadigue.  A  côlé  des  maisons  d'habitation 
s* élevèrent  une  mission  et  une  école,  un  Public  Hall  avec  une  biblio- 
thèque, des  bains,  un  hôpital  pour  les  accidents  et  un  autre  pour  les 
maladies  infectieuses.  11  fut  défendu  d'ouvrir  des  cabarets,  mais  la 
municipalité  établit  une  cantine  pour  la  venteduvinet  du  tabac. 
C'est,  paralt-il,  avec  les  bénéfices  faits  par  cette  cantine,  qu'elle  paya 
les  frais  du  service  religieux,  de  la  bibliothèque,  et  couvrit  le  déficit 
laissé  par  les  bains  ainsi  qu*une  partie  des  dépenses  de  Thôpital. 


io4 


PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    Y 


tion  assez  considérable  de  la  water-rent,  ainsi  que  l'indique 
le  tableau  ci-dessous.  (On  sait  qu'en  Angleterre  la  somme 
annuelle  à  payer  pour  l'eau  qu'on  consomme  dépend  en 
général  de  la  valeur  locative  de  l'habitation  qu'on  occupe. 
Ce  prix  s'appelle  water-rent.) 

Water-Rents  payées  par  les  occupants  des  maisons  de 

Birmingham  (I). 


Lojror  hebdomadai 

ro 

Tarir 
de  1886 

Tarir 
de  It'SS 

Tarif  aulori»' 
par  le  Parieœrot 

£.  8.  d. 

£.  S.  d. 

£.  S.  d. 

(le  5  s.  »  d.  à  6  s. 

îid 

0  10  0 

1     4  0 

1       4  0 

7.     0         7. 

9 

1     0  0 

i     7  0 

1    11    0 

8.     0         9. 

0 

1     4  0 

1  10  0 

1    11   0 

9.    3       10. 

0 

1     4  0 

1  18  0 

2     4  0 

Loyer  anouel 

£  30 

1  10  0 

1  18  0 

2     4  6 

£  35 

1  12  0 

2     5  0 

2     9  6 

£  40 

1  18  0 

2  12  0 

2  14  0 

£  30 

2    6  0 

2  17  0 

2  17  0 

£  60 

2  10  0 

3    0  0 

3     0  0 

Le  tableau  n  est  pas  complet,  mais  il  suffit  à  montrer  que 
Taugmentation  sur  les  anciens  prix  a  varié  de  0  à  50  J'. 
On  voulait  obtenir  une  augmentation  moyenne  de  20  ,■'. 
Toutefois,  suivant  les  promesses  faites,  l'augmentation  fut 
moindre  qcie  les  diminutions  autrefois  consenties. 

Sans  nier  que  des  circonstances  spéciales  aient  jusqu'à 
un  certain  point  justifié  la  municipalisation  du  service  des 
eaux  à  Birmingham,  il  n'en  est  pas  moins  à  propos  de  faire 

{^)  yoïr  ViscEy  History  of  the  Corporation  of  Birmingfiam,    p.   327. 


LA   MUNICIPALISATION    DU    SERVICE   DES   EAUX  I05 

remarquer  qu'on  n'a  pas,  d'un  point  de  vue  strictement 
financier,  appliqué  la  politique  la  plus  sage  possible.  Quand, 
à  l'époque  du  rachat  de  la  Compagnie,  M.  Chamberlain 
demandait  qu'on  augmentât  la  quantité  d'eau  fournie  tout 
en  améliorant  sa  qualité,  il  prêchait  aussi  la  réduction  de 
son  prix  ;  ne  voulant  pas,  disait-il,  réaliser  de  profils  au 
détriment  possible  do  Thygiène  publique  Cette  politique 
généreuse  a  peut-être  été  imprudente  ;  et  les  pertes  qu'a 
subies  le  service  des  eaux  semblent  le  prouver. 

Les  réductions  accordées  en  1883  et  1884  partaient  sans 
doute  d'évaluations  trop  optimistes,  puisqu'elles  occasion- 
nèrent durant  plusieurs  années  des  pertes  considérables. 

En  février  1887(1),  les  déficits  accumulés  atteignaient 
1*  18.000  se  décomposant  comme  suit  ; 

En  1883,  le  déficit  fut  de  ....  £    4.174 

1884,            —  ....  8.940 

1883,            —  ....  7.643 

1886,            —  ....  5.468 

Total £  26.225 

Moins  les  profits  antérieurement  réa- 
lisés      8.116 

Déficit  net £  18.10î> 

La  perte  ne  fut  que  de  £  2.020  en  1887,  et  en  1888,  il  y  eut 
même  un  profit  de  £  106,  qui  atteignit  £  2.  878  en  1889. 
Mais  les  déficits  accumulés  ne  furent  définitivement  couverts 
que  lors  du  rétablissement  de  taxes  plus  élevées,  en  1893. 

La  quantité  d'eau  disponible  n'a  pas  augmenté  aussi  vite 
qu'on  l'avait  espéré.  On  estimait  qu'en  1900  elle  serait  de 

(i)  Voir  ViNCE,  op,  cit.,,  p.  293. 


io6 


PREMIERE    PARTIE.    —    CHAPITRE    V 


20  millions  de  gallons  par  jour  en  moyenne.  En  1905  elle 
n'est  encore  que  de  18  millions. 


ANNEES 


EAU     DISTRIBUÉE 


PAR    LA    SRULB 

force 
de  pesanteur 


AU    MOYBN 

de9 
pompes 


TOTAL 

nés  QUANTITÉS 

distribuées 


QUANTITE     . 


D  E\r  DISTRIBCETE 


par  jour 


MILLIONS      DE      GALLONS 


I 


4806 
1898 
1900 
1902 
1904 
19U5 


1.360 


5.794 

5.888 
6.339 
6.785 
(>  683 
5.276 


5 .  794 
5.888 
6.339 
6  785 
6  683 
6.636 


Milliers 
de  gallons 
15  917 
16.178 
18.239 
18  640 
18  013 
18  230 


i 


Dans  l'exposé  du  projet  de  1892,  on  espérait  qu'à  partir 
de  1902  ou  n'aurait  plus  besoin  d'avoir  recours  au  système 
des  pompes.  On  voit  que  c'est  eu  1905  seulement  qu'on  a 
commencé  à  réduire  le  service  des  pompes  et  que  ce  sont 
elles  encore  qui  fournissent  aujourd'hui  la  majeure  partie 
de  l'eau  consommée  à  Birmingham. 

En  1905  on  évaluait  la  population  de  Birmingham  à 
738.637  personnes  et  la  consommation  journalière  moyenne 
par  tète  à  24 .03  gallons 

La  situation  (inancière  du  service  des  eaux  à  Birmingham 
est  toujours  loin  d'être  brillante. NiM.  Chamberlain  ni  ceux 
qui  soutinrent  sa  politique  de  municipalisation  ne  songèrent 
qu  il  viendrait  un  moment  où  la  quantité  d'eau  dont  on 
disposait  ne  pourrait  plus  suffire  aux  besoins  d'une  popu- 
lation rapidement  croissante.  Uniquement  préoccupés  de 
fournir  à  leur  ville  une  eau  à  la  fois  bonne  et  peu  coûteuse, 
ils  décidèrent  d'employer  les  profits  réalisés  à  l'abaisse- 
ment du  prix  de  l'eau,  négligeant  de  créer  au  moyen  de  ces 


LA    MUMGIPALISATION    DU    SERVICE    DES    EAUX  IO7 

profits  un  fonds  spécial  qui  permettrait  de  payer  le  coiit 
des  extensions  futures. 

Ce  n'est  qu'en  1892,  après  le  vote  de  la  nouvelle  loi  (1), 
que  fut  créé  un  spécial  water-fund  destiné  à  faire  face  aux 
déficits  qui  se  produiraient  durant  les  premières  années  du 
fonctionnement  du  nouveau  svstème.  Ce  fonds  s'élevait  a 
£  120.000  en  1900.  Des  déficits  successifs  devaient  rapi- 
dement le  mettre  à  sec  et  obliger  la  municipalité  à  recou- 
rir aux  impôts. 

I/Epitome  du  Blue  Book  de  Birmingham  donne  de  la  si- 
tuation du  service  des  eaux  en  i904-190o  lexposé  suivant  : 

Le  compte  Revenu  accuse  un  excédent  de  recettes  sur 
les  dépenses  pe  £  164.909,  excédent  porté  au  compte  de 
Profits  et  Pertes. 

Le  compte  de  Profits  et  Pertes  accuse  une  perte  de 
£91.826,  ainsi  que  le  montrent  les  chiffres  suivants  : 

Dépenses  du  service.       .     •     .  £106.936 

SinkingFund 13. 6(50 

Intérêts 240.82:; 

Réserve 250 

Total  des  dépenses     .     .     .  36)i  691 

Revenu  total 271.865 

Déficit £     91.826 

Pour  combler  ce  déficit,  on  Ta  divisé  en  deux  :  £  43.000 
ont  été  demandées  au  Borough  rate  (cette  contribution  équi- 
var.t  à  un  impôt  de  près  de  4  d.  par  £)  ;  £  46.826  ont  été 
transférées  au  compte  Capital  (d'après  la  section  22  du  Bir- 
minghan  Corporation  Water  Act,  1902). 

La  dépense    totale  (compte  Capital)  faite  en  vertu  des 

(1)  Municipal  Trading  Report,  1900,  quest.  18S6. 


I08  PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  V 

lois  de  1875,  1879  et  1892  était  au  31  mars  1905  de 
£7.856.527.  Le  montant  total  des  emprunts  néfçociés,  de 
£7.i»i3.186. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  le  déficit  soit  un  fait  particu- 
lier à  Tannée  1905  ;  il  dure  régulièrement  depuis  1899-1900  ; 
il  était  de  £  6.479  en  1899-1900,  de  £  32  737  en  1900-1901, 
de£  65.119  en  1901-1902,  de  £  80.039  en  1902-1903,  de 
£  85.057  en  1903-1904,  de  £  91.826  en  1904-1905,  et  pour 
Tannée  1905-1906  il  est  encore  de  £  80.419.  On  ne  s'atten- 
dait pas,  en  1906,  à  un  déficit  aussi  considérable.  On  Tex- 
plique  par  la  nécessité  où  l'on  a  été  d'avoir  à  nouveau  re- 
cours, durant  les  grandes  chaleurs,  à  l'ancien  service  des 
pompes,  le  réservoir  de  Caban  Coch,  dans  TElan  Valley, 
s'étant  alors  trouvé  insuffisamment  pourvu  d*eau,  étatde 
choses  qui  doit,  on  l'affirme  du  moins,  ne  plus  se  reproduire. 

Depuis  1876,  première  année  de  la  municipalisation,  le 
résultat  financier  s'est,  comme  on  le  voit,  plus  souvent  tra- 
duit par  une  perte  que  par  un  bénéfice,  le  total  des  profits 
s'élevant  durant  cette  période  ࣠ 197.308  et  les  pertes  à 
£  389.499. 

L'exemple  de  Birmingham  est  instructif  parce  qu'il  mon- 
tre Temploi  qu'on  devrait  faire  des  bénéfices  des  entreprises 
municipales,  quand  elles  en  donnent  ;  il  faudrait  lesaccumu- 
1er  pour  faire  face  aux  besoins  futurs,  prévus  ou  imprévus, 
et  non  pas  sacrifier  l'avenir  au  présent  c<»mme  le  font  trop 
souvent  les  municipalités  anglaises  en  réduisant  les  prix 
outre  mesure  et  en  négligeant  de  tenir  aucun  compte  de 
l'amortissement.  Los  réductions  dont  ont  profité  durant  un 
temps  les  citoyens  de  Birmingham  disparaissentaujourd  hui 
pour  faire  place  aux  augmentations  d'impôts.  C'est  un 
exemple  que  devraient  tout  particulièrement  méditer  des 
villes  comme  Glasgow  dont  les  conseillers  municipaux  ont 


LA    MUNIGIPALISATION    DU    SERVICE   DES    EAUX  lOQ 

une  forte  tendance  à  chercher  la  popularité  dans  des  spé- 
culations hasardeuses  et  des  réductions  de  tarifs  dans  tout 
service  qui  a  eu  la  chance  de  réaliser  un  profit. 

La  municipalisation  a  beau  avoir  été  rendue  nécessaire  à 
Birmingham  parles  circonstances,  il  n'en  est  pas  moins 
vrai  que,  depuis  le  début  de  la  gestion  municipale  jusqu'à 
l'heure  présente  et  jusqu'à  l'exécution  du  Welsh  Scheme 
le  service  des  eaux  a  fait  preuve  d'une  absence  totale  de 
sens  commercial.  Comment  expliquer  autrement  ses  défi- 
cits répétés  et  ce  fait,  plus  frappant  encore,  que  le  coût  ac- 
tuel des  travaux  du  Welsh  Scheme  ait  déjà  dépassé  de 
£  2.000.000  le  coût  prévu  dans  le  projet? 


CONCLUSION 

Sans  revenir  sur  la  question  de  savoir  si  Ton  doit,  pour 
des  raisons  de  santé  et  d'hygiène  publiques  muuicipaliser 
le  service  des  eaux  ou  le  laisser  aux  mains  des  particuliers, 
nous  remarquerons  simplement  en  terminant  que  c'est  pour- 
tant un  des  services  publics  les  plus  faciles  à  exploiter,  parce 
qu'il  n'exige  pas  de  qualités  commerciales  spéciales.  La 
construction  des  ouvrages  nécessaires  à  l'adduction  de  l'eau 
peut  être  un  travail  difficile  ;  mais  c'est  affaire  aux  ingé- 
nieurs. Une  fois  ce  travail  exécuté,  la  municipalité  n'a  plus 
qu'à  lai.sser  aller  les  choses  d'elles-mêmes.  Elle  n'a  pas  d'a- 
chats de  matières  premières  à  faire,  de  machines  perfection- 
nées à  se  procurer,  d'ouvriers  nombreux  à  diriger,  de  sous- 
produits  à  vendre.  Elle  n'a  qu'à  fixer  ses  tarifs  à  un  taux 
assez  élevé  pour  couvrir  ses  frais  et  ses  risques,  et  à  sur- 
veiller attentivement  la  marche  de  la  consommation  pour 


IIO  PKEMIËIIE    PARTIE.     —    CHAPITRE    V 

être  toujours  en  état  de  faire  face  à  des  besoins  nouveaux, 
et,  en  général,  faciles  à  prévoir. 

Or,  que  nous  montre  l'exemple  des  grandes  villes  que 
nous  venons  de  passer  en  revue,  du  moins  celui  de  trois 
d'entre  elles  ?  C'est,  qu'après  comme  avant  la  municipalisa- 
tion,  on  a  attendu  que  la  quantité  d'eau  fournie  fut  manifes- 
tement inférieure  aux  besoins  de  la  consommation  pour 
chercher  à  l'augmenter;  que  les  travaux  énormes  exécutés 
pour  l'adduction  des  eaux  ont  coûté  très  cher  aux  habitants, 
bien  plus  cher  souvent  qu'on  ne  Tavait  pensé  ;  qu'eniin  les 
tarifs  ont  généralement  été  fixés  trop  bas,  puisque,  dans 
une  même  année, nous  voyons  Liverpool,  Manchester  et  Bir- 
mingham clore  toutes  trois  leurs  comptes  par  un  déficit 
plus  ou  moins  important. 

Le  service  des  eaux  étant  un  service  simple,  disons  même, 
le  service  public  par  excellence,  s'il  aboutit  à  de  pareils  ré- 
sultats, qu'aurons-nous  à  dire  des  autres  services^ 


ANNEXE  AU  CHAPITRE  Y 


LES  MUNICIPALITES  DISTRIBUTRICES    DE  FORCE  HYDRAULIQUE. 


I/eau  n*est  plus  aujuurd'hui  une  boisson  seulement  :  on 
ne  se  contente  pas  de  l'utiliser  à  Tarrosa^e  des  rues,  aux 
nettoyages,etc.  ;  avec  les  progrès  de  la  mécanique  moderne, 
elle  est  devenue  une  force  motrice  de  premier  ordre.  Mais  si 
Ton  veut  bien  admettre  que,  n'ayant  en  vue  que  la  santé  et 
rhygiène  publiques  dont  elles  sont  dans  une  certaine  mesu- 
res responsables,  les  grandes  cités  aient  le  droit  de  surveiller 
et  de  diriger  leur  service  des  eaux,  on  acceptera  moins  fa- 
cilement Tétrange  dérivation  que  certaines  d'entre  elles  ont 
fait  subir  au  pouvoir  qui  leur  avait  été  concédé,  en  utilisant 
cette  eau  comme  force  motrice  et  en  la  vendant  aux  indus- 
triels qui  en  ont  besoin  pour  actionner  leurs  machines. 

Ijorsqu'une  ville  demande  à  une  loi  la  permission  d'ac- 
quérir, par  voie  d'expropriation,  les  terrains  énormes  où 
elle  captera  des  sources, bâtira  des  réservoirs,  construira  des 
aqueducs,  elle  invoque  la  nécessité  où  elle  se  trouve  de  sa- 
tisfaire les  besoins  généraux,  mais  bien  délimités,  de  sa  po- 
pulation. Quand,  au  contraire,  une  municipalité  s'établit 
marchande  de  force  motrice,  elle  ne  peut  pas  dire  qu'elle 
n'agit  que  dans  l'intérêt  général.  Peu  nombreuses  sont  les 
personnes  qui  Tutilisent,  et  si  les  ascenseurs  se  multiplient 
aujourd'hui  dans  les  grandes  villes,  le  nombre  en  est  encore 
relativement  restreint.  De  sorte  qu'on  finit  par  employer 


112  ANNEXE    DU    CHAPITRE    V 

celte  eau,  recueillie  par  voie  de  contraiote,  à  un  usage  toul 
autre  que  celui  auquel  on  en teadait  primitivement  la  desti- 
ner. 

L'action  des  municipalités  ne  peut  s'expliquer  que  par 
le  besoin  qui  les  dévore  d'étendre  leurs  attributions  et  de 
chercher,  par  tous  les  moyens  possibles,  à  faire  des  béDé- 
iices  pécuniaires. 

Ce  n*est  qu'aux  environs  de  18G0  que  l'emploi  delà  force 
hydraulique  commença  àrecevoir  des  applications  pratiques. 
En  1871,  se  forme  à  Londres  une  Société  qui  se  propose  de 
distribuer  la  force  hydraulique  et  reçoit  à  cet  efîet  une  con- 
cession du  Parlement.  Des  Société»  analogues  se  fondent 
àllullen  1871,  à  Liverpool  en  1872,  et  à  Newport  eni88i. 
Elles  ont  le  droit  de  se  procurer  elles-mêmes  et  comme  elle^ 
l'entendent  Teau  nécessaire  à  leur  industrie,  mais  ne  peu- 
vent remployer  qu*à  la  distribution  de  la  force  hydraulique 
et  ne  sont  en  aucun  cas  autorisées  à  la  vendre  aux  particu- 
liers. 

Trois  villes  ont  voulu  se  charger  de  distribuer  la  force 
hydraulique  à  leurs  habitants  :  ce  sontManchester,Glasgow 
et  Birmingham. 

En  1860,  une  Compagnie  avait  obtenu  du  Parlementla 
permission  de  distribuer  la  force  hydraulique  à  Londres; 
d'abord,  puis  à  Liverpool  et  à  HuU  (1).  Elle  chercha  à  en- 
glober aussi  Manchester  dans  le  champ  de  son  activité, 
mais  les  bills  qu'elle  présenta  dans  ce  but  en  1867, 1872. 
1887  et  1890  rencontrèrent  de  la  part  de  la  municipalité  la 
plus  vive  opposition  et  durent  être  retirés.  La  corporation 
donnait  de  son  opposition  trois  motifs  :  l""  fournissant  l'eau 
à  la  ville  elle  n'avait  aucun  intérêt  à  abandonnerTua  quel- 

(1)  Voir  Hugo,  op,  cil,,  p.  197,  198. 


LA    FORGE   HYDRAULIQUE  Il3 

conque  de  ses  droits  ou  de  ses  privilèges  à  une  Compagnie 
particulière  ;  2""  elle  ne  voulait  pas  que  le  remplacement  de 
la  vapeur,  dont  la  production  exige  beaucoup  d'eau,  par  la 
force  hydraulique  lui  fît  subir  le  moindre  préjudice  pécu- 
niaire et  cela  au  profit  d'une  Compagnie  ;  3°  elle  ne  voulait 
pas  donner  à  une  Compagnie  le  droit  de  faire  des  travaux 
dans  ses  rues  et  d'y  interrompre  la  circulation. 

Cependant,  les  essais  répétés  de  la  Compagnie  pour  ob- 
tenir la  distribution  de  la  force  hydraulique  firent  voir  à  la 
corporation  que  l'entreprise  devait  présenter  certains  avan- 
tages et,  sur  la  proposition  de  son  comité  des  eaux,  elle  se 
décida  à  l'exploiter  elle-même.  La  discussion  que  provoqua 
le  bill  de  1890  avait  montré  que,  par  suite  de  la  ooncentra- 
tion  des  affaires  dans  une  certaine  partie  de  la  cité,  Man- 
chester se  prêtait  parfaitement  à  la  distribution  de  la  force 
hydraulique  se  faisant  d'une  station  centrale,  et  que  réta- 
blissement de  cette  station  devenait  une  nécessité.  Aussi, 
clans  la  loi  de  181)1  sur  l'administration  de  la  ville  de  Man- 
chester, eut-on  soin  d'introduire  une  clause  autorisant  la 
corporation  a  vendre  et  à  distribuer  Teau  sous  pression 
comme  force  hydraulique.  Munie  de  ces  pouvoirs,  la  muni- 
cipalité entreprit  la  construction  de  grandes  usines,  qui  fu- 
rent achevées  en  1894  (1). 

Le  VVater  Committee,  dans  son  rapport  de  1905-190(5,  dé- 
clare que  le  service  a  très  bien  fonctioriné  et  continue  à  faire 
des  progrès  constants.  La  distribution  a  pu  se  faire  toute 
Tannée  sans  interruption.   La  demande  absorbe  à   présent 

(1)  Municipal  Tradirif/  Report^  1900,  question  2315. 

L'Alderman  James  SouUiern  déclare  ([ue  ce  n'est  pas  pour  faire  des 
bénéficeâ  pécuniaires, mais  pour  diminuer  la  fumée  qui  empeste  Man- 
cliester  que  la  municipalité  s'est  ciiargée  de  fournir  la  force  hydrau- 
lique ! 

Bovcrat  8 


II 4  ANNEXE    DU    CHAPITRE    V 

presque  toute  la  force  dont  on  dispose,  et  la  constructioQ 
d'une  nouvelle  station  est  devenue  nécessaire  :  les  travaux 
commenceront  sous  peu. 

La  municipalité  a, durant  Tannée  passée  ^1903-1 906), vu  sa 
clientèle  s'accroître  de  23  établissements  nouveaux,  renfer- 
mant 63  machines.  Les  stations  hydrauliques  municipales  ali- 
mentent aujourd'hui  1 .092  machines  et  500  établissements. 

La  consommation  totale  de  Teau  employée  à  la  production 
de  la  force  hydraulique  s'élève,  en  1905  1906,à  225.442.700 
gallons,  en  augmentation  de  31 .344.800  gallons  sur  raimée 
précédente.  La  longueur  totale  des  conduites  hydrauliques 
est  de  20  miles  821  yards. 

Nous  <^vons  que  l'exemple  de  Manchester  a  trouvé  de> 
imitateurs.  Dès  1892,  Glasgow  s'assurait,  par  un  Act  du 
Parlement,  le  droit  de  procéder  à  la  distribution  de  la  force 
hydraulique.  L'inauguration  des  usines,  de  proportions 
très  vastes,  et  renfermant  un  ré.servoir  en  fer  d'une  capa- 
cité d'environ  900.000  litres,  eut  lieu  en  juin  1895. 

Jusqu'en  1900,  de  l'aveu  même  du  Lord  Provost  M. S. 
Ghisholm,  l'entreprise  ne  rapporta  rien:  au  contraire  (i). 
La  dépense  en  capital  s'élevait  à  cette  date  à  £  106.800  ;  le 
revenu  annuel  à  £  (î.707  ,  les  dépenses  à  £  7.753  (dont 
£  1.002  à  verser  au  SinkingFund);  le  déficit  était  de  £  l.Oii. 
c'est-à-dire  que  le  Sinking  Fund  ne  pouvait  pas  encore 
fonctionner-  D'après  les  comptes  de  Tannée  financière 
1901-1905,  la  dépense  en  capital  s'élève  à  £  129.886,  lestlé- 
penses  de  Tannée  (compte  Revenu)  à  £  9.428  plus  £  1 .8î»i 
pour  le  Sinking  Fund,  soit  en  tout  £  11.323  9  s.  5  d.  Les 
recettes  s'étant  élevées  d'autre  part  à  £  1 1.980  0  s.  2  d.,  le 
bénélice  serait  donc  de  £657. 

(i;  Municipal  Trading  Report,  1900,  question  2739. 


LA   FORGE    HYDRAULIQUE  Il5 

Mais  si  Ton  remarque  que  c'est  le  service  des  eaux  qui 
a  sur  ses  bénéfices  comblé  les  pertes  antérieures  du  service 
de  la  force  hydraulique,  et  qu'en  1905  ce  dernier  lui  verse 
de  ce  chef  £  823,  on  voit  que  ce  bénéfice  de  £  657  devien- 
drait plus  que  problématique,  si  aux  £11.980  de  recettes 
réelles,  on  n'ajoutait  le  loyer  des  maisons  louées  à  des  em- 
ployés du  service  (soit  £  52  12  s.  9  d.)  et  la  balance  crédi- 
trice de  19031904  (soit£  113  19  s.  H  d.),  ce  qui  permet 
d'obtenir  une  balance  égale  de£  1.246  12  s.  10  d. 

Le  rapport  du  Comité  de  Teau  déclare  que  l'emploi  de 
la  force  hydraulique  va  croissant.  Le  nombre  des  machines 
auxquelles  on  fournit  actuellement  la  force  est  de  913,  en 
augmentation  de  34  sur  Tannée  précédente. 

La  quantité  d'eau  fournie  a  été  en  1904-1905  de  198.130 
gallons  en  moyenne  par  jour.  Elle  n'avait  été  que  de 
183.464  en  1903-190,  soit  une  augmentation  de  14.666 
gallons  par  jour. 

Terminons  en  jetant  un  coup  d'oeil  sur  ce  qui  a  été  fait 
à  Birmingham. 

En  mars  1890,  le  conseil  municipal  de  cette  ville  décidait 
la  construction  d'une  station  de  force  hydraulique,  spécia- 
lement destinée  aux  ascenseurs  (1). 

Le  rapporteur  du  projet  faisait  observer  que  le  nombre 
d'ascenseurs  auxquels  on  fournissait  l'eau,  était  pa.<:sé  de 
39  en  1885  à  61  ;  la  water  rental  de  £  510  à  £  1 .000,  et  la 
consommation  d'eau  de  30.000  à  80.000  gallons  par  jour. 
Il  allait  falloir  soit  poser  de  nouveaux  tuyaux,  soit  établir 
des  usines  spéciales.  On  résolut  d'installer  des  pompes,  des 
accumulateurs  et  des  machines  à  gaz,  permettant  d'élever 
la  pression  de  70  livres  à  700  livres  par  pouce  carré,  ce  qui 

<i)  Voir  ViNCK»  History  of  the  corporation  of  Bii  mingham.  p.  292. 


Il6  ANNEXE   DU    CHAPITRE    V 

réduirait  considérablement  le  coût  premier  des  ascenseurs 
et  de  9/10  la  consommation  d'eau.  La  corporation  en  béné- 
ficierait indirectement  par  suite  de  l'augmentation  de  valeur 
imposable  (rateable  value)  que  produirait  réiévation  des 
loyers  des  appartements  situés  aux  étages  supérieurs»  si 
Tusage  des  ascenseurs  venait  à  se  généraliser.  On  vola 
£  15.000  pour  Texécution  des  travaux. 

On  n'espérait  pas  que  la  nouvelle  entreprise  put  faire  des 
bénéfices  avant  que  le  nombre  des  ascenseurs  en  usage  eût 
considérablement  augmenté  ;  et  en  effet  les  profits,  réa- 
lisés sur  la  distribution  de  la  force  hydraulique,  n*ont  fait 
leur  apparition  dans  les  comptes  du  service  qu'en  1899-1900. 
Ils  furent  cette  année  là  de  20  £  !  En  1904-1905  les  bénéfi- 
cesse  sont  élevés  à  M  154.19  s.  1  d.,  chiffre  peu  considéra- 
ble pour  une  entreprise  comptant  15  années  d'existence. 

La  corporation  de  Liverpool  s'est  montrée  moins  pressée 
d'étendre  le  champ  de  ses  attributions  et  a  laissé  à  une 
Compagnie  le  soin  de  distribuer  la  force  hydraulique. 

A  la  suite  d'une  entente  avec  la  corporation,  ï  «  Hydrau- 
lie  PowerConipany  »  a  posé  ses  conduites  dans  une  grande 
partie  de  la  cité,  et  grâce  à  une  pression  de  700  à  800  livres 
par  pouce  carré,  fournit,  dans  des  conditions  favorables,  un 
service  plus  économique  que  la  pression  relativement  basse 
des  conduites  ordinaires.  La  quantité  d'eau  ainsi  utilisée  en 
1902  fut  de  12o  millions  de  gallons,  alimentant  162  ma- 
chines. 

Il  est  peu  probable  que  beaucoup  de  villes  municipali- 
sent  ce  service  dans  un  avenir  rapproché  ;  son  emploi  est 
encore  trop  restreint  pour  qu'on  puisse  attendre  de  lui  des 
bénéfices  sérieux  ;  l'exemple  de  Glasgow  et  celui  de  Bir- 
mingham nous  le  montrent  suffisamment. 


CHAPITRE  VI 


LBS  EXPLOITATIONS  MUNICIPALES  DU  GAZ. 


La  municipalîsation  des  usiner  à  gaz  est  en  général  de 
date  plus  récente  que  celle  de  l'eau  ;  peu  de  villes  s  étaient, 
avant  1860,  chargées  de  ce  service,  et  ce  n'est  que  vers 
1870-1880  qu'un  mouvement  vraiment  sérieux  de  munici- 
palîsation commence  à  se  dessiner. 

Les  municipalités  ne  peuvent  pas  invoquer,  pour  pren- 
dre en  main  la  direction  de  ce  nouveau  service,  des  raisons 
aussi  plausibles  qu'elles  en  savent  trouver  pour  fournir 
elles-mêmes  Teau  à  leurs  habitants  ;  la  question  hygiène 
ne  joue  plus  ici  qu*un  rôle  secondaire,  si  même  elle  enjoué 
un.  Et  lorsqu'elles  n'avouent  pas  que  c'est  pour  faire  des 
bénéfices  qu'elles  veulent  fabriquer  et  distribuer  le  gaz, 
elles  prétendent  que  c'est  pour  le  donner  au  meilleur 
marché  possible  et  supprimer  les  bénéfices  exorbitants  des 
actionnaires  des  grandes  Compagnies. 

Les  villes  ne  sont  elles  pas  d'ailleurs,  disent  les  muni- 
cipalistes,  grandes  consommatrices  de  gaz  pour  l'éclairage 
de  leurs  rues  et  de  leurs  monuments  ?  Y  a-t-il  un  meilleur 
moyen  de  prévenir  les  crimes  de  toutes  sortes,  dont  les 
grandes  cités  modernes  offrent  de  trop  fréquents  exem- 
ples, que  d'éclairer  à  profusion  la  voie  publique  ?  «  Un 
réverbère,  a-t-on  dit,  vaut  bien  un  policeman   » 

La  fourniture  du  gaz  réunissant  en  elle  tous  les  caractères 


irS  PREMIEHE    PARTIE.    CHAPITRE    VI 

d'un  monopole,  ce  n*est  qu'aux  mains  d'une  autorité  publi- 
que que  ce  monopole  pourra  ne  pas  entraîner  trop  d'abus; 
elle  seule  pourra  livrer  le  gaz  au  prix  coûtant.  Dans  les 
mains  d*un  entrepreneur,  monopole  signifiera  exploitation 
cynique  de  la  communauté  au  profit  de  quelques  capitalistes. 

Sans  compter  Téclairage  meilleur  des  voies  publiques, 
qui  en  est  le  premier  eiïet,  le  bas  prix  du  gaz  permet  encore 
d'augmenter  le  bien-être  de  la  population  urbaine  en  géné- 
ral ;  le  gaz  à  bon  marché  est  un  mode  de  chauffage  avan- 
tageux et  commode  à  toutes  les  classes  de  la  société,  et 
particuli^rement  aux  travailleurs.  Sous  ce  rapport,  ce  sont 
les  villes  d'Ecosse  qui  ont  ouvert  la  voie  ;  les  villes  anglai- 
ses les  ont  imitées.  Leur  intérêt  n'est-il  pas  de  développer 
ce  mode  de  chauffage  au  moment  où  Télectricité  commence 
à  faire  au  gaz  d'éclairage  une  concurrence  sérieuse  ? 

Ainsi  figurerait  à  côté  de  la  distribution  municipale  de 
Teau  et  de  la  lumière,  celle  d'une  troisième  richesse  tout 
aussi  nécessaire  à  la  vie  :  la  chaleur. 

Les  municipalistes  font  enfin  valoir,  pour  la  municipaii- 
sationdu  gaz,  deux  motifs,  qui  s'appliquent  aussi  bien  à 
toutes  les  entreprises  communales  en  général  qu'au  gaz  en 
particulier  et  qui  nous  semblent  difiiciles  à  concilier  avec 
les  arguments  précédents  ;  le  premier  a  trait  aux  ouvriers, 
le  second  aux  bénéfices  réalisés  sur  la  vente  du  gaz. 

La  classe  ouvrière,  dit  M.  Hugo  (1),  a  tout  intérêt  à  ce 
que  les  usines  à  gaz  deviennent  la  propriété  des  villes  ; 
parce  que  cette  transformation  améliorera  son  sort.  Par 
leur  bulletm  de  vote,  les  ouvriers  exercent  sur  la  composi- 
tion des  conseils  municipaux  une  influence  considérable  ; 
ils  n'en  ont  aucune  sur  celle  des  conseils  d'administration 

(I)  Hugo,  op.  cit. y  p.  18i. 


LES    EXPLOITATIONS    MUNICIPALES   DU    GAZ  II9 

des  grandes  Compagnies.  Pour  agir  contre  ces  dernières, 
ils  n'ont  qu'une  arme  à  deux  tranchants  :  la  grève.  Ont-ils 
obtenu  des  autorités  municipales  une  augmentation  de  sa- 
laire, une  diminution  des  heures  de  travail,  ils  sont  sûrs  de 
les  conserver.  [Is  n'en  peuvent  pas  dire  autant  des  conces- 
sions arrachées  aux  directeurs  des  usines  particulières  ;  elles 
leur  sont  bien  souvent  retirées  au  bout  d'un  temps  plus  ou 
moins  long. 

La  deuxième  raison  invoquée  pour  la  municipalisation 
des  usines  à  gaz  est  une  raison  financière.  La  fabrication  du 
gaz  constitue  une  source  de  revenus  importants  qui  per- 
mettront, dit-on,  de  diminuer  le  fardeau  d'impôts  toujours 
plus  lourd  que  supporte  le  contribuable.  Les  hauts  divi- 
dendes distribués  par  les  Compagnies,  montrent  assez  quels 
bénéfices  on  est  en  droit  d'attendre  de  cette  exploitation. 

Certaines  villes  ont  en  effet  réalisé  de  jolis  profits  sur  l'ex- 
ploitation du  gaz  ;  mais  toute  la  question  revient  alors  à 
savoir  si.  Faisant  des  profits  et  payant  leurs  ouvriers  plus 
cher  que  les  Compagnies,  elles  prennent  du  contribuable 
tout  le  soin  qu'elles  en  devraient  prendre  et  ne  spéculent 
pas  sur  son  dos  tout  comme  de  simples  particuliers.  Réali- 
sent-elles un  bénéfice  sur  le  service  du  gaz  ?  C'est  aux  dé- 
pens du  consommateur  qu'elles  l'obtiennent  ;  c'est  parce 
qu'elles  lui  font  payer  la  marchandise  plus  cher  qu'elle  ne 
vaut  réellement,  qu'elles  peuvent  donner  aux  ouvriers  mu- 
nicipaux des  salaires  plus  élevés,  diminuer  les  impôts  oh 
bùtir  de  splendides  édifices  publics.  Sont-elles  en  perte^ 
c'est  avec  l'argent  de  la  communauté,  aux  frais  de  tous  les 
citoyens  en  général,  même  de  ceux  qui  n'ont  jamais  fait 
usage  du  gaz,  qu'elles  combleront  leur  déficit.  L*illogisme 
de  la  municipalisation  ressort  de  la  seule  juxtaposition  des 
arguments  mis  en  avant  pour  l'appuyer. 


120  PRBMliEB    PARTIE.    CHAPITRE   TI 

L'emploi  du  gaz  comme  moyea  d'éclairage  remonte  au 
commencement  du  xix^  siècle  environ  et  durant  la  pre- 
mière moitié  de  ce  siècle  le  service  en  appartint  presque 
exclusivement  à  des  Compagnies.  Cette  industrie  néces- 
sitant la  pose  de  tuyaux  sous  le  sol  des  rues,  elles  devaient 
obtenir  Tautorisation  des  autorités  locales,  soit  en  vertu 
d'une  loi  générale,  soit  d'un  private  Act.  Mais  comme  le 
désir  de  créer  des  entreprises  municipales  allait  croissant, 
bon  nombre  de  ces  Compagnies,  cédant  à  une  pression 
plus  ou  moins  forte,  vendirent  leurs  droits  et  leurs  pro- 
priétés aux  corporations  municipales  qui  en  entreprirent 
alors  Texploitation.  Le  nombre  des  usines  privées  est  ce- 
pendant encore  en  Angleterre  presque  double  de  celui  des 
«sines  municipales,  et  des  villes  importantes,  telles  que 
Londres,  Liverpool,  Shefiield,  Bristol  et  Hull  ont  laissé  à 
des  particuliers  le  soin  de  fabriquer  et  de  distribuer  le  gaz. 

De  184i  à  1867  les  villes  anglaises  ont  racheté  13  Com- 
pagnies du  Gaz,  de  1869  à  1878  elles  en  ont  racheté  68  : 
en  1879  elles  ne  rachetèrent  que  deux  usines  et  dans  les 
treize  années  qui  vont  de  1880  à  1892  elles  en  rachetèrent 
seulement  15  (1).  En  1892  les  villes  reprirent  leur  politi- 
que de  rachat  et  acquirent  67  usines  dans  les  onze  années 
1893-1903.  Knviron  60  Y„  des  municipalités  anglaises  qui 
fabriquent  leur  gaz  en  régie  ont  acheté  leurs  usines  une 
fois  qu*elles  étaient  bien  établies,  leurs  affaires  prospères, 
leur  personnel  i)ien  entraîné  ;  40  7o  d'entre  elles  seulement 
ontosé  courir  le  risque  et  prendre  la  peine  de  fonder  une 
entreprise  de  toutes  pièces  et  de  réunir  un  personnel  ca- 
pable. 

Il  faut  attribuer  le  recul  que  subit  la  politique  de  rachat 
entre  1879  et  1892  à  la  crainte  que  causa  la  concurrence 

(1)  Voir  R.  Meyer,  Municipal  Oamership  inGreat  Brilain,  p.  174. 


LES   EXPLOITATIONS    MUNICIPALES    DU    GAZ 


121 


de  la  lumière  électrique.  L'effroi  fut  si  sérieux  que  les  ac- 
tions de  certaines  Compagnies  de  p;az  baissèrent  de  »iO  7o* 

Le  nombre  des  autorités  locales  du  Royaume- Uni  qui 
possèdent  des  usines  à  gaz  était  en  1905-1906  de  265  ;  leur 
capital  atteignait  £  38.512.21)5.  Leurs  recettes  s'élevaient 
à  £9.546.682  et  leurs  dépenses  à  s:  7.052.474.  Elles  fa- 
briquaient 63.335.696.000  pieds  cubes  de  gaz  qu'elles  li- 
vraient à  2.148  260  consommateurs  (1). 

La  même  année  le  nombre  des  Compagnies  était  de  469  ; 
leur  capital  de  £  82.729.040.  Leurs  recettes  étaient  de 
£  17.828.872,  et  leurs  dépenses  de  £  13  307.727.  Elles 
fabriquaient  105.311.980.000  pieds  cubes  de  gaz,  livrésà 
2.588.917  consommateurs. 

Le  tableau  comparatif,  ci-après  indique  pour  les  autorités 
locales  et  les  Compagnies,  les  quantités  de  charbon  utili- 
sées, le  gaz  produit  et  le  nombre  de  leurs  consommateurs 
de  1895  à  1904.  11  montre  que  malgré  la  concurrence  des 
municipalités  Tindustrie  privée  tient  encore  la  tète  et  que 
ses  progrès  sont  plus  rapides  que  ceux  des  corporations. 


QUANTITÉS  DK 

QUANTITÉS    DE    GAZ 

NOMBRE 

M 

as 

< 

CHARBONS  CONSOMMÉES 

PRODUITES 

DE  CONSOMMATEURS 

Com- 

Autorités 

Com- 

Autorités 

Com- 

Autorités 

paj!:Dies 

locales 

pagnies 

locales 
(Milliers) 

pagnies 

locales 

Tonnes 

Tonnes 

Pieds    cubes 

1904 

8  673.343 

5.662.259 

105.311  980 

63  335.696 

2.588  917 

2.148.260 

1903 

8  528.823 

5.673.013 

101.490.083 

62.717.759 

2.385  348 

2.045.738 

1902 

8.520  004 

5.589.215 

99.676.048 

60.902.739 

2.197  98- 

1.970  738 

1901 

8. 1580.365 

5.522.264 

97.386  619 

59  .300.278 

2  048.359 

1.872.633 

1900 

8.426  853 

5.479.435 

94.869.740 

57.138  062 

1.945.823 

1.767.464 

1809 

8  321.187 

5.289.501 

91,794.898 

55.360  059 

1.817  649 

1.667.008 

1898 

7.958  669 

4  8K3.148 

86.705.723 

51.441.272 

1  670.847 

1.578  29t 

1897 

7.96.3.465 

4.652.688 

84.040.176 

48  652.559 

1.549.627 

1.475.749 

1890 

7.681.710 

4  614.969 

80.015.323 

47  026.280 

1.431).  272 

1  406.456 

1895 

7.531.131    i. 406.315 

77.245.618 

44.176.134 

1.339.712 

1.320.059 

tl)  Rapport  du  Board  of  Trade,  année  1904. 


122  PREMIERE    PARTIE.  CHAPITRE   VI 

Une  législation  détaillée  et  minutieuse  règle  la  fabrication 
et  la  distribution  du  gaz  par  les  autorités  locales.  ïEn 
voici  un  bref  résumé  pour  l'Angleterre  et  le  Pays  de 
Galles. 

D'après  la  section  161  du  public  Health  Act  de  1875, une 
((  urban  authority  »  a  le  droit  : 

a)  Dépasser  avec  toute  personne  un  contrat  pour  la  four- 
niture du  gaz  nécessaire  à  Téclairage  des  rues  et  des  bâti- 
ments publics  de  son  district. 

b)  De  fournir  le  gaz  dans  son  district,  ou  dans  telle  partie 
•    du  district  qui  n'est  pas  encore  desservie  par  une  Compag^nie 

ou  une  personne  dûment  autorisée. 

c)  D'obtonir  du  Local  Government  Board  un  provisional 
order  (d'après  le  gas  and  waterworksfacilities  Act,  1870) 
autorisant  1  entreprise.  D'après  la  section  162  du  même 
Act,  l'autorité  locale  peut,  toujours  avec  le  consentement 
du  Local  (jovernment  Board  et  dans  le  but  de  fournir  le  gaz 
à  son  district,  acquérir  à  Tamiable  l'usine  d*une  Compagnie 
non  autorisée. 

Ainsi  donc^  sauf  sanction  immédiate  du  Parlement,  don 
née  par  spécial  Act,  une  autorité  locale  ne  peut  pas: 

a)  Fournir  le  gaz  en  dehors  de  son  propre  district. 

b)  Faire  concurrence  à  une  entreprise  existant  en  vertu 
d'une  loi. 

En  Ecosse,  l'autorité  locale  peut  fournir  le  gaz  en  vertu 
des  dispositions  du  Burgh  gas  supply  Act  de  1876,  mais  ne 
peut  pas  : 

a)  Faire  concurrence  à  une  entreprise  existant  en  vertu 
d'une  loi. 

6)  A  une  entreprise  existant  sans  autorisation  de  la  loi, 
sauf  après  le  refus  de  cette  Compagnie  de  se  laisser  racheter; 
mais  elle  peut  : 


LES    EXPLOITATIO>S   MUNICIPALES   DU    GAZ  12? 

c)  Fournir  le  pjaz  dans  tout  district  adjacent  au  bourg, 
non  compris  dans  la  surface  de  distribution  de  toute  autre 
entreprise  autorisée. 

En  Irlande,  le  Public  Health  Act  de  1878  (pour  l'Irlande) 
donne  aux  autorités  urbaines  et  à  Tlrish  Local  Government 
Board  des  pouvoirs  semblables  à  ceux  des  autorités  urbai- 
nes et  du  Local  Government  Board  anglais. 

Les  autorités  municipales  les  moins  importantes  ont  été 
les  seules  à  se  servir  des  dispositions  de  la  loi  générale.  La 
plupart  des  villes  importantes  tiennent  leurs  pouvoirs  d  Acts 
spéciaux  dont  nous  allons  essayer  de  donner  une  idée  dans 
les  lignes  qui  suivent.  Les  clauses  généralement  insérées 
dans  les  privateÂcts  autorisant  les  autorités  locales  à  gérer 
le  service  du  gaz  sont  ainsi  conçues  : 

1°  Le  conseil  municipal  peut  fabriquer  et  vendre  le  gaz^ 
ainsi  que  ses  sous-produits. 

2®  Il  peut  acheter,  fournir,  vendre  ou  louer,  fixer,  pla- 
cer et  réparer,  sans  pouvoir  les  fabriquer,  les  compteurs 
à  gaz,  poêles,  fourneaux,  tuyaux  et  autres  appareils  ser- 
vant à  l'éclairage,  au  chauffage  et  à  la  cuisson  des  ali- 
ments. 

Beaucoup  d'autorités  locales  sont  néanmoins  autorisées  à 
les  fabriquer,  en  vertu  de  leurs  Acts  spéciaux,  la  prohibi- 
tion n'ayant  été  strictement  observée  que  depuis  quelques 
années.  Les  Acts  fixent  généralement  aussi  lepri.xde  vente 
maximum  du  gaz  et  le  pouvoir  d'éclairage  qu'il  doit  pos- 
séder. 

L'autorité  locale  est  requise  de.  rembourser  dans  une 
période  donnée,  variant  de  quarante  à  soixante  ans  les^ 
emprunts  quelle  a  contractés.  Lorsqu'elle  fournit  du  gaz 
au  delà  de  ses  limites,  on  l'autorise  parfois  à  user  de  tarifs 
différentiels.   Mais    une  clause  réserve  alors  à  l'autorité 


124  PREBUÈRE    PARTIE.    CHAPITRE   YI 

extérieure  au  district  le  droit  d'acheter  la  part  de  Tentreprise 
qui  se  trouve  sur  son  territoire. 

Le  prix  moyen  du  gaz  vendu  par  les  autorités  urbaines 
serait,  d*aprës  certaines  statistiques  de  2  s.  8  d.  par  1000 
pieds  cubes;  alors  que  les  Compagnies  le  font  payer  2  s. 
11  d.  Mais  en  faisant  cette  comparaison,  il  faut  se  rappeler 
que  les  districts  desservis  par  les  autorités  locales  sont  en 
général  les  plus  populeux  et  par  suite  les  plus  rémunéra- 
teurs. Dans  l'ensemble,  les  renseignements  dont  on  dispose 
ne  permettent  pas  de  croire  que  dans  des  circonstances 
analogues,  le  consommateur  ait,  pour  ce  qui  est  du  prix  à 
payer,beaucoup  plus  d'avantages  à  être  servi  par  une  auto- 
rité locale  plutôt  que  par  une  Compagnie.  Les  comparai- 
sons entre  le  prix  du  gaz  dans  un  groupe  de  villes  où  les 
usines  appartiennent  à  des  Compagnies  et  un  autre  groupe 
où  elles  appartiennent  aux  municipalités  ne  prouvent  pas 
grand'chose;  sinon  que  les  circonstances  ne  sont  sans  doute 
pas  les  mêmes  ;  en  tous  cas  elles  ne  nous  permettent  pas  de 
savoir  quels  prix  demanderaient  actuellement  les  Compa- 
gnies dans  les  villes  qui  ont  effectué  la  municipalisation  (1). 

Si  nous  en  croyons  Sir  Courtenay  Boyle(voir  rapport  de 
1900), la  politique  générale  du  Parlementa  l'égard  desbills 
demandant  le  rachat  obligatoire  des  entreprises  de  gaz  par 
les  autorités  locales  semble  être  : 

(I)  Lord  AvEBURY,  op.  cil..,  p.  79  et  suiv. 

Lord  Avebiiry  estime  que  les  contribuables  n'ont  pas  eu  à  se  féliciter 
de  la  municipalisation  des  usines  à  gaz.  «<  11  faut  se  rappeler,  dit-il, 
que  la  plupart  des  corporations  qui  fabriquent  le  gaz  en  régie  sont  de 
grandes  villes  manufacturières  qui  font  une  énorme  consommation  de 
gaz,  et  sont  situées  dans  les  districts  houillers.  Le^  Compagnies,  au 
contraire,  sont  en  général  beaucoup  moins  bien  placées.  En  réalité 
les  Compagnies  de  Hristol,  Bath,  Liverpool,  Newcastle  et  Sbeffield 
sont  les  seules  à  Tégard  desquelles  on  puisse  établir  une  juste  com- 
paraison avec  des  villes  telles  que  Manchester,  Birmingham  et  Net- 


LES    EXPLOITATIONS  MUNICIPALES   DU    GAZ 


125 


1°  D'obliger  toute  Compagaie,  non  munie  d'une  autorisa- 
tion, à  vendre  ses  usines  s1I  est  prouvé  que  sa  gestion  est 
mauvaise,  ou  son  gaz  de  mauvaise  qualité. 

2^  Lorsque  cette  preuve  ne  peut  être  faite,  de  ne  pas  ac- 

tingham. 

Voyons  ce  que  coûtent  les  1.000  pieds  cubes  de  gaz,  vendus  par  les 
villes  ou  par  les  compagnies  : 


Corporations  : 

Nottingham  .   .   . 

2  s. 

6  d 

Bollon 

2. 

6. 

Manchester.  .   .   . 

2. 

4. 

Lelcesler 

2. 

4. 

Carlisie 

2. 

3. 

Oldbam.  2  s.  à.   . 

2. 

3. 

Salford,ls.  ild.  à 

2. 

3. 

Bradford 

2. 

I. 

Compagnies  : 

Bristol 

2  s. 

Bath 

2. 

1  d 

Newcastle  .... 

1. 

9. 

Sheffield 

i. 

4. 

Plymouth  .... 

1. 

9. 

Portsea 

2. 

4. 

Rochester  .... 

2. 

9. 

Brighton 

2. 

10. 

Toutes  près  des 

mines 

de  charbon. 


I 

/ 

\ 


Près  des  mines 
de  charbon. 


Loin  des  mines 
de  charbon. 


On  ne  peut  évidemment  pas  comparer  les  grandes  cités  manu- 
facturières, situées  au  milieu  ou  tout  près  des  districts  houillers,  aux 
Compagnies  de  la  Métropole  ou  aux  Compagnies  du  sud  de  l'Angle- 
terre où  le  charbon  coûte  beaucoup  plus  cher.  Néanmoins,  il  nous  faut 
mentionner  ce  fait  tout  à  Tavantage  de  Tenlreprise  particulière,  que 
la  <  South  Metropolitan  (îas  Company  »  ne  fait  payer  son  gaz  que 
2  s.,  soit  4  d.  de  moins  que  Manchester,  malgré  la  dilTérence  de  prix 
du  charbon 

«  Si  la  South  Metropolitan  Gas  Company  faisait  payer  son  gaz  le  même 
prix  que  la  corporation  de  Manchester,  ses  clients  payeraient  £  208.000 
de  plus  par  an,  qu'ils  ne  payent  actuellement  ;  et  si  la  corporation  de 


120  PREMIÈRE  PARTIE.    —    CHAPITRE    VI 

corder  à  rautorito  locale  le  droit  de  rachat  obligatoire  ; 
d'opérer  cependant  sur  la  Compagnie,  lorsque  le  sentiment 
populaire  en  faveur  de  la  municipalisation  est  très  fort,  une 
certaine  pression  pour  l'engager  à  accep  ter  la  vente  à  des 
conditions  avantageuses. 

3^  Dans  le  cas  d'une  entreprise  de  gaz  autorisée,  de  refu- 
ser le  rachat  obligatoire. 

i""  Dans  aucun  cas  n'autoriser  Tautorité  locale  à  faire 
concurrence  à  une  entreprise  de  gaz  existante. 

Tel  est  à  peu  près  Tétatde  la  législation  anglaise  actuelle, 
relative  aux  entreprises  des  autorités  locales.  Avant  d'exa- 
miner avec  quelque  détail  les  entreprises  de  deux  ou  trois 
villes  choisies  parmi  les  plus  importantes,  il  n'est  pas  inu- 
tile de  jeter  un  coup  d'œil  sur  la  législation  qui  rég"it  les 
Compagnies  privées  et  de  voir  si  elle  offre  ou  non  les  ga- 
ranties qu'en  peuvent  attendre  les  citoyens. 

C'est  en  1847  qu'eut  lieu  la  première  codification  des  lois 
relatives  aux  entreprises  particulières  :  leurs  traits  les  plus 
caractéristiques  se  résument  dans  les  dispositions  suivantes  : 
limitation  du  dividende  maximum  à  10  "/o",  versement  de 

Manchester  faisait  payer  son  gaz  le  même  prix  que  la  u  Soulh  Metro- 
politan Gas  Company  »  ses  clients  payeraient  annuellement  £  79.000 
de  moins  par  an  ;  mais  au  lieu  de  réaliser  un  profit  de  £  G6.000,  elle 
ferait  alors  une  perte  de  £  13.000. 

<c  Où  seraient  les  profits  de  Manchester,  Nottingbam  et  Bol  (on  si  elles 
vendaient  leur  gaz  au  prix  des  Compagnies  de  Newcastle,  Bristol  et 
Sheffield  ?  Les  corporations  font  payer  leur  gaz  un  prix  exorbitant  et 
déclarent  ensuite  qu'elles  font  des  profits. 

<  A  Noltingham,  c'est  la  corporation  qui  fabrique  le  gaz  ;  à  ShefGeld. 
c'est  une  Compagnie.  Il  y  a  quinze  ans  le  prix  était  le  même  dans  les 
deux  villes.  Depuis,  il  s'est  élevé  à  Nottingham,  il  a  baissé  k  Sheffield. 
si  bien  qu'aujourd'hui  on  le  paye  en  moyenne  2  s.  6  d.  les  1 .000  pieds 
x;ubes  dans  la  première  de  ces  deux  villes,  1  s.  4  1/2  d.  seulement 
dans  la  seconde.  > 


LES    EXPLOITATIONS   MUNICIPALES  DU  GAZ  I  27 

Texcédent  disponible  à  un  foads  de  réserve,  d'après  une 
proportion  fixée  par  la  loi.  Abaissement  du  prix  de  vente 
du  gaz,  chaque  fois  qu*une  distribution  de  dividendes  de 
10  Vo  6^  1^  dotation  du  fonds  de  réserve  n'épuisent  pas  les 
profits  réalisés. 

L'exécution  de  cette  loi  laissa  beaucoup  à  désirer,  les 
Compagnies  cherchaient  à  tourner  ses  dispositions  en  trans- 
formant le  capital-obligations  en  capital-actions  et  en  dis- 
tribuant aux  actionnaires  les  nouvelles  actions  au  pair  et  au 
prorata  du  nombre  de  celles  qu'ils  possédaient  déjà.  Pour 
empêcher  ces  deux  manœuvres  le  législateur  a,depuis  1873 
inséré  dans  les  PrivateBills  une  clause  en  vertu  de  laquelle 
les  obligations  ne  pourront  être  transformées  qu'en  actions 
rapportant  un  dividende  maximum  de  5  ^'/o,  actions  qui 
devront  être  dorénavant  vendues  aux  enchères  et  non  plus 
distribuées  au  pair  entre  les  anciens  actionnaires. 

Gomme  dernière  mesure  de  protection  prise  à  Téf^arddes 
consommateurs  de  gaz,  il  nous  faut  enfin  signaler  l'intro- 
duction du  système  de  Téchelle  mobile  {sliding  scaiej^  qui 
détermine  Taugmentation  permise  du  dividende  parallèle- 
ment à  l'abaissement  du  prix  de  vente.  C'est  le  Board  of 
Trade  qui  fixe  le  prix  initial  (standard  price),  gouvernant 
l'application  de  l'échelle  mobile.  La  Compagnie  peut  élever 
le  prix  de  son  gaz,  mais  alors  son  dividende  baissera  ;  dimi- 
nue-t-elle  le  prix  du  gaz,  elle  pourra  distribuer  des  dividen 
des  plus  élevés  ;  tout  Tengage  doiie  à  baisser  ses  prix  le 
plus  possible.  Les  municipalités  ne  distribuant  pas  de  divi- 
dende, il  ne  peut  être  question  pour  elles  d'échelle  mobile. 

M.  Vermaut  (1)  a  clairement  expliqué  le  fonctionnement 
de  la  ((  sliding  scale  ».«  Prenons  un  cas  concret.  Supposons 

(l)  Vermaut,  Les  régies  municipales  en  Angleterre,  p.  20. 


128  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE    VI 

un  instant  que  les  bases  soient  ainsi  fixées  :  divideode  ma- 
ximum 10  Vo  ;  prix  par  1 .000  pieds  cubes  de  gaz  3  s  0  d. 
Admettant  que  pour  toute  réduction  de  1  d.par  1 .000  pieds 
cubes  le  dividende  puisse  s'accroître  de  1/4  Y^,  il  en  ré- 
sultera que  si  la  Compagnie  vend  le  gaz  au  prix  de  3  s.  6  d. 
les  1.000  pieds  cubes,  elle  sera  autorisée  à  distribuer  un  di- 
vidende de  10  3/4  °/o  ®t  ainsi  de  suite.  De  même  si  le  prix 
de  vente  devient  4  s.,  le  dividende  maximum  sera 
ÎM/4Vo.» 

Un  autre  système  consiste  à  autoriser  dans  une  zone 
neutre  certaines  variations  de  prix,  de  3  s.  à  3  s  4  d.  par 
exeniple,de  telle  façon  que  la  Compagnie  bénéficie  de  l'abais- 
sement au-dessous  du  minimum  et  souffre  de  l'élévation 
au-dessus  du  maximum. 

Knfin  les  autorités  locales  vérifient  les  compteurs  des 
Compagnies  et  examinent  la  puissance  d'éclairage  du  gaz. 

Comme  on  le  voit,  les  pouvoirs  publics  ne  manquent  pas 
de  moyens  d'action  pour  faire  respecter  par  les  Com- 
pagnies les  intérêts  des  consommateurs  (i).  «  Non  seule- 
ment Tact  de  concession  voté  par  le  Parlement  lui-même 
limite  la  surface  d'exploitation  de  la  Compagnie,  fixe  son 
capital  et  le  taux  d'émission  de  ses  actions, le  taux  maximum 
des  dividendes,  etc.,  énumère  les  conditions  à  remplir  pour 
émettre  des  obligations  qui  ne  peuvent  dépasser  en  général 
le  quart  du  capital  actions,  et,  fait  très  important  qui  per- 
met de  fréquentes  révisions  des  contrats,  bien  que  les  con- 
cessions,sauf  clause  de  rachat,soient  perpétuelles,  les  Com- 
pagnie» ne  peuvent  étendre  le  secteur  concédé,  ni  émettre 
aucune  action  ou  faire  aucun  emprunt  en  sus  de  ce  qui 
est  stipulé  dans  la  loi  les  constituant,  sans  nouvelle  autori- 

(1)  PiERRii  Lehoy-Beaulikc,  Econoniisle  Ffançais,  14  décembre  1904. 


LES   EXPLOITATIONS   MUNICIPALES   DU  GAZ  12g 

sution  législative.  Les  prix  de  vente  maxima  varient  de  ilt 
G  s.  les  1.000  pieds  cubes  ».  Nous  avons  vu  qu'ils  sont  ra- 
rement atteints. 

Connaissant  les  conditions  dans  lesquelles  autorités  lo- 
cales et  Compagnies  peuvent  respectivement  entreprendre 
la  fabrication  et  la  distribution  du  gaz,  nous  allons  retracer 
en  quelques  pages  Thistoire  de  la  municipalisation  à  Man- 
chester, Glasgow,Birmingham,et  étudier  ensuite  deux  ques- 
tions qui  se  posent  à  propos  de  Texploitation  municipale 
et  qui  consistent  à  savoir  si  les  communes  ont  le  droit  :  lo  de 
fournir  du  gaz  en  dehors  de  leurs  limites  administratives, 
2^  de  fabriquer  et  de  louer  des  appareils  à  gaz  ? 

La  régie  municipale  du  gaz  à  Manchester. 

Manchester  est  la  seule  ville  anglaise  où  la  fabrication  et 
la  distribution  du  gaz  aient  été  constamment  aux  mains  des 
autorités  locales. En  1824  les  «  Local  Police  Commissioners» 
inauguraient  la  première  usine  à  gaz  gérée  par  une  autorité 
publique  ;  en  1843  ces  ouvrages  passaient  à  la  corporation, 
qui  depuis  leur  a  fait  subir  de  perpétuels  agrandissements. 
Les  quantités  de  gaz  vendues  atteignent  à  Manchester  des 
chiffres  considérables, la  ville  fournissant  le  gaz  aux  districts 
voisins,  de  même  qu'elle  leur  fournit  Teau  ;  si  bien  que  la 
surface  où  Ton  brûle  lo  gaz  de  la  corporation  se  trouve  être 
deux  fois  aussi  étendue  que  la  municipalité  même. 

Au  31  mars  1î)0o  les  dépenses  totales  en  capital  s'éle- 
vaient à  £  2. 500. 136  ;  à  la  même  date  la  dette  atteignait  le 
chiffre  de  £  1.245.815.  Le  profit  net  (une  fois  faite  la  part 
des  intérêts  de  la  dette  et  du  service  du  Sinking  Fund)  s'élève 
en  1905  à  £64.455  contre  £  133.478  en  1903  et  £  93.841 
en  1904.  Cette  décroissance  s'explique  en  grande  partie  par 

BoTcrat  9 


i3o 


PtlEMlÈRE   PAtlTIË.    —    GbAPITtlB    Vt 


la  réduction  consentie  sur  le  prix  du  gaz  qui,  en  1905,  était 
de  2  s.  4  d.  et  2  s.  7  d.  contre  2  s.  9  d.  et  3  s.  en  1903  et 
2  s.  6.  d.  et  2  s.  9  d.  en  1904(1). 

Le  «  reserve  fund  »  s'élève  en  1905  à  £  147.607.  Dans  le 
compte  de  Proûts  et  Pertes  de  Tannée  1904-1905,  le  revenu 
s'élève  h  £  688.954,  les  dépenses  à  £  538. 164,  le  profit  brut 
à  £  150.790.  Le  Sinking  Fund  exigeant  £  42.610,  le  service 
des  intérêts  £  42.112,  et  la  réserve  £  1.613,1e  profit  net 
se  fixe  au  chiffre  cité  plus  haut  de  £  64.455.  Le  tableau 
suivant  indique  la  marche  de  l'entreprise  depuis  20  ans. 


ADDée  unissant 
au  31  mars 

.  Service 
des    intérêts 

Sinking 
Fund 

Profit  net        j 

18A5 
1800 
1895 
1900 
1005 

£29  300 
29.036 
30.304 
38.400 
42.112 

£24.762 
23  517 
13.954 
36  686 
42.610 

£50.963 
42.023 
90.438 
73.964 
64.455 

Le  montant  total  des  profits  employés  en  aide  des  impôts 
de  1885  à  1905  est  de  £  2.  689.301. 

En  revanche,  depuis  le  31  mars  1891,  on  n'a  pas  consacré 
la  moindre  somme  à  Tamortissement.  La  dépense  en  terrains, 
machines,  etc.,  s'élevait  alors  à  £  1.356.532;  elle  est  de 
£  2.506.136 au  31  mars  1905.  Une  serait  que  prudent  de 
faire  à  un  taux  convenable  une  part  annuelle  à  ramortisse- 
ment  pour  éviter  le  risque  actuellement  couru  d'avoir  subi- 
tement à  faire  face  sur  les  revenus  à  des  dépenses  extraor- 
dinairement  lourdes  de  renouvellement. 

Quant  au  prix  du  gaz,  il  n'est  pas  fixe,  il  varie  d'année  en 
année  suivant  les  circonstances,  et  surtout  suivant  le  cours 

(1)  Manchester,   Abstracl  of  accounts^  1904-1905. 


Les  E5CPtOltAtlÔN8   MUNIGlPAtfiS   DU   GA2 


i3t 


du  charbon.  En  général  il  va  baissant,  quoiqu'on  1885  il 
fût  moins  cher  qu'en  1902.  Il  est  plus  cher  au  dehors  qu'à 
Pintérieur  de  la  cité. 

Prix  .du  gaz  par  1000  pieds  oubes. 


Années 

A  rintérieur  de  la  Cité 

Au  dehors  de  la  Cité 

1885 

2  s.    8  d. 

3  8.     2  d. 

1890 

2         6 

3         0 

1896 

2         3 

2         9 

1899 

2         3 

2         6 

1901 

2          6 

2          9 

1902 

2          9 

3          0 

1904 

2         6 

3          9 

1905 

2          4 

2          7 

Bien  que/ dans  les  municipalités  anglaises  les  comptes 
de  chaque  entreprise  soient  spécialisés,  nous  voyons  qu'on 
emploie  les  profits  du  gaz  en  aide  des  impôts*;  mais  nous 
voyons  aussi  dans  les  «  estimâtes  »  de  1906-1907  qu'à  l'oc- 
casion de  la  visite  du  roi  à  Manchester,  visite  qui  avait  eu 
lieu  l'année  précédente,  on  a  puisé  dans  le  reserve  fund  du 
gaz  pour  faire  face  aux  frais  de  la  réception  royale,  une 
somme  de  £  8.897.  La  situation  prospère  de  l'entreprise, 
permet  sans  doute  d'agir  de  la  sorte  ;  ce  n'en  est  pas  moins 
un  procédé  bizarre. 


La  régie  municipale  du  gaz  à  Glasgow. 

Durant  un  demi-siècle,  la  fabrication  etia  distribution  du 
gaz  appartinrent  à  la  «  Glasgow  Gas  Light  G"*  »  fondée  en 
1817.  Elle  fit  de  si  rapides  progrès  qu'au  bout  de  quatre 
ans,  elle  se  vit  dans  la  nécessité  de  doubler  son  capital  et 
de  demander  au  Parlement  l'extension  de  ses  pouvoirs,  ce 
qui  lui  fut  accordé. 


l32  PREMIÈRB    PA1\T1E.    —    CHAPITRE    VI 

Toutefois,  en  1825,  une  loi  lui  défendit  de  distribuer  des 
dividendes  supérieurs  à  10  ^/o-  Or,  au  bout  de  peu  de 
temps  on  découvrit  que  la  Compagnie  payait  sur  son  revenu 
les  frais  d*extension  de  ses  usines,  désobéissant  ainsi  à  la 
loi  et  portant  préjudice  aux  consommateurs.  On  cria  beau- 
coup, sans  se  décider  à  agir.  En  183î>,  pourtant,  cinq  com- 
missaires nommés  à  un  public  meeting  examinèrent  les 
comptes  de  la  Gas  Light  C*"  )>  et  trouvèrent  qu*elle  s'était, 
par  ses  fraudes,  endettée  envers  sa  clientèle  d'une  somme 
do  £53  778.  Ils  suggérèrent  qu'on  pourrait  liquider  cette 
dette  en  réduisant  de  50  Yo  pendant  cinq  ans  le  prix  actuel 
du  gaz  ;  il  est  à  peine  besoin  de  dire  qu'il  ne  fut  pas  tenu 
compte  de  leur  proposition.  Durant  huit  ans  encore  la 
Compagnie  resta  maîtresse  de  la  situation  ;  mais  le  mé- 
contentement du  public  était  tel  qu'une  seconde  Compa- 
gnie se  forma  eji  1843  et  obtint  du  Parlement  les  pouvoirs 
nécessaires  pour  faire  concurrence  à  la  première.  L'amé- 
lioration du  service  qu'amena  cette  concurrence  ne  dura 
pas  longtemps,  et  les  choses  en  revinrent  bientôt  à  leur  état 
primitif.  En  1857,  une  première  tentative  de  rachat  des 
Compagnies  échoua  par  suite  de  la  lenteur  qu'apporta  dans 
ses  délibérations  le  conseil  municipal.  En  1867,  enfin,  il  dé- 
cidait, à  la  presque  unanimité,  qu'il  était  de  l'intérêt  public 
que  la  distribution  du  gaz  appartint  au  Town  Council.  En 
1869  un  bill  autorisant  le  transfert  des  usines  des  deux 
Compagnies  à  la  municipalité  devint  loi. 

La  ville  reprenait  leur  dette  hypothécaire  montant  à 
£  120.000  et  versait  aux  actionnaires  une  indemnité 
qui  prit  la  forme  d'annuités  perpétuelles  s'élevant  à 
£35  000(1). 

(1)  Le  capital  des  Compagnies  s'élevait  à  £4(5.000.   I^s  aclion- 
nairds  des  premières  £  300.000  avaient  reçu  tO  */o,  ceux  des  £  115.000 


LES   EXPLOITATIONS    MUNICIPALES   DU    GAZ  l33 

La  corporation  entra  en  possession  des  usines  à  gàz 
le  I®'  juin  1869.  La  quantité  de  gaz  vendu  a  passé  de 
1.026.000.000  de  pieds  cubes  en  1869-1870,  première  an- 
née de  l'exploitation  municipale,  à  5.887.933.000  pieds 
cubes  en  1904-1 90S. 

Malgré  les  réductions  de  prix  successives,  le  revenu  brut 
est  passé  de  £  235.701  en  1870  à  £  800.177  en  1905.  La  cor- 
poration fournit  à  présent  le  gaz  à  toute  une  population 
vivant  sur  un  territoire  d'environ  16  miles  de  long  sur 
10  miles  de  large. 

En  1898  le  Town  Gouncil  décidait  la  construction  de  nou- 
veaux gazomètres  dont  le  coût  fut  estimé  à  £  1.000.000, 
L'aventure  semblait  à  quelques  personnes  un  peu  risquée, 
Télectricité  pouvant  un  jour  remplacer  complètement  le  gaz 
comme  mode  d'éclairage.  L'on  répondit  que  le  jour  où  le 

< 

gaz  ne  servirait  plus  à  nous  éclairer,  on  l'utiliserait  en  quan- 
tités bien  plus  considérables  pour  faire  la  cuisine,  se  chauf- 
fer, actionner  des  moteurs.  Il  n*est  que  juste  de  faire  remar- 
quer que  les  quantités  de  gaz  vendues  à  Glasgow  dans  un 
but  autre  que  Téclairage  sont  déjà  considérables  et  crois- 
sent rapidement.  L*introduction  des  brûleurs  à  incandes- 
cence semble,  d'ailleurs,  promettre  au  gaz  une  existence 
fort  longue  encore. 

restantes  7  i/2  */o  de  dividende  sur  le  dernier  exercice  antérieur  au 
rachat.  Diaprés  les  clauses  de  la  vente,  on  transforma  les  dividendes 
en  annuités  perpétuelles  9  **/<>  pour  les  actionnaires  qui  avaient  tou- 
cbé  10  Vof  en  annuités  6  3/4  ^/o  pour  ceux  qui  possédaient  les 
actions  7  1/2  ;  garanties  sur  les  revenus  de  l'entreprise  et  par  un  im. 
p6t  spécial  pouvant  s'élever  jusqu  a  G  d.  par  £. 

La  corporation  a  le  droit  de  racheter  les  annuités  sur  le  marché  ; 
en  1902  elle  a  offert  aux  porteurs  l'option  entre  leurs  annuités  et  du 
corporation  stock  3  ^l*.  A  la  suite  du  cette  opération,  le  capital  que 
représentaient  les  annuités  a  été  réduit  de  £  415.000  à  £  280  038,  et 
la  ville  a  contracté  sous  forme  de  corporation  Stock  3  7o  rachetable 
en  1921  une  dette  de  £  269.493  (Siock  Exchange  Year  Boohy  1906). 


l34  PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  VI 

On  avait  au  31  mai  1900  dépensé  en  ouvrages,  terrrains, 
etc.,  un  capital  total  de  £  2.420.382.  A  la  même  date,  la 
dette  s'élevait  à  £  1.918.836.  £  36.199  ont  été  consacrées  à 
ramortissement  des  machines  et  du  matériel  de  production. 
Le  Sinking  Fund  s'élève  à  £  347.497  (1). 

Le  revenu  net  de  l'année  1904-1903  a  été  de  £  111 .371, 
12  s,  3  d.  Le  service  des  annuités,  des  intérêts  et  du  Sin- 
king Fund  a  demandé  £  123.427  1  s.  3  d.,  laissant  ainsi 
.sur  les  opérations  de  Tannée  un  déficit  de  £  12.033,  9  s.  0  d. 
En  1904  le  surplus  n'avait  été  que  de  £  61  8  s.  10  d.,  de 
£48.104  8  s.  10  d.  en  1903  et  de  £  39.333  14  s.  1  d.  en 
1902. 

En  1901,  le  déficit  s'était  élevé  à  £  35.003,  0  s.  4  d. 
Depuis  1870,  l'exercice  s'est  à  six  reprises  soldé  par  un  dé- 
ficit :  et  quatre  fois  les  bénéfices  ont  été  inférieurs  à  £  100. 
Le  bénéfice  le  plus  important  est  celui  de  1903  avec 
£  48.000. 

Le  prix  du  gaz  a  passé  de  4  s.  7  d.  en  1870  à 4  s.  en  1872  ; 
à  3  s.  3  d.  en  1873  ;  à  3  s.  10  d.  en  1880  ;  à  3  s.  6  d.  en 
1883  ;  2  S.-6  d.  en  1890  ;  2  s.  4  d.  en  1896  ;  2  s.  2  d.  en 
1897  ;  2  s.  6  d.  en  1901  et  1902  ;  à  2  s.  1  d.  en  1904  et 
1903. 

Depuis  1903,  le  gaz  est  vendu  meilleur  marché  pour  la 
production  de  l'énergie  que  pour  l'éclairage  (2  s.  1  d.  pour 
l'éclairage  et  2  s.  pour  les  moteurs). 

A  l'inverse  de  ce  qui  se  produit  à  Manchester,  Glasgow 
fournit  le  gaz  aux  habitants  des  faubourgs  au  même  prix 
qu'à  ses  citoyens.  L'Act  du  Parlement  qui  l'autorisa  à  opé- 
rer la  municipalisation  l'oblige  à  agir  ainsi.  Si  nous  en 
croyons  le  témoignage  du  Lord  Provost  M.  Ghisbolm,  ce 

{\)  Report  by  the  Committee  on  Gas  Supply.  Glasgow,  1904-1905. 


LES  EXPLOITATIONS    MUNICIPALES    DU   GAZ  l35 

sont  les  localités  voisines  qui  sont  venues  lui  demander  de 
leur  fournir  le  gaz  que  la  grande  cité  fabriquait  à  meilleur 
compte  qu'elles  et  sur  une  plus  vaste  échelle. 

La  ville  elle-même,  qui  est  le  plus  grand  consommateur 
de  gaz  pour  Téclairage  des  rues,  des  cours  et  des  escaliers^ 
le  paye  au  même  prix  que  les  particuliers .  (Les  villes 
d'Ecosse  éclairent  en  effet  les  escaliers  des  grandes  maisons 
où  habitent  à  la  fois  de  nombreux  locataires,  et  la  dépense 
est  supportée  partie  par  la  ville,  partie  par  le  propriétaire.) 

Glasgow  n^emploie  pas  comme  Manchester  ou  Birmin- 
gham ses  profits  en  aide  des  impôts.  Elle  cherche,  dit-elle, 
à  en  faire  le  moins  possible,  et  les  consacre  en  général  à 
l'amélioration  de  l'entreprise  qui  les  a  réalisés.  Nous  revien- 
drons à  la  fin  de  cette  étude  sur  l'usage  que  doivent  faire 
de  leurs  profits  les  entreprises  municipales. 

Ne  cherchant  pas  à  faire  de  profits,  Glasgow  peut  donc 
vendre  son  gaz  un  prix  raisonnable  ;  or  le  gaz  à  bon  mar- 
ché, sous  son  climat  froid  et  brumeux,  est  certainement  un 
inestimable  bienfait.  La  population  pauvre  peut  Tutiliser 
pour  son  éclairage  et  pour  son  chauffage,  et  le  service  du 
gaz  a  sous  ce  rapport  fait  preuve  d'une  assez  réelle  initiative. 
Il  met  en  vente  ou  donne  en  location  des  poêles  et  des  four- 
neaux et  a  d'ailleurs  tout  intérêt  à  le  faire,  puisqu'il  aug- 
mente ainsi  la  consommation.  Il  vendait  en  i  887-1888, 1 .1 93 
appareils  de  chauffage  et  de  cuisine  et  en  louait  1465.  En 
1892,  il  avait  plus  de  8.000  poêles  à  gaz  en  location  dans 
des  maisons  habitées  par  la  classe  ouvrière. 

Au  31  mai  1905,  le  nombre  des  poêles  en  location  était  de 
28.044.  Le  nombre  des  appareils  do  chauffage  et  de  cuisine 
par  le  gaz  vendus  durant  Tannée  se  montait  à  2.628  (1). 

(i)Reporlby  the  Commillee  on  Gas  Supply.  1904-1905. 


l36  PUEMituE  PARTIE.  —  CHAPITRE  VI 

La  Régie  Municipale  du  gaz  à  Birmingham. 

La  régie  du  gaz  est  peut-être  celle  dont  la  municipalité 
de  Birmingham  se  montre  le  plus  Gère,  et  son  histoire  est 
intéressante  à  plus  d*un  égard. 

C'est  au  mois  de  janvier  1874  que  M.  Chamberlaio,  alors 
maire  de  Birmingham,  présenta  pour  la  première  fois  son 
projet  de  rachat  des  deux  Compagnies  (la  Birmingham  Gas 
Light  and  Coke  C°  et  la  Staffordshire  Gas  Company)  qui 
distribuaient  le  gaz  à  la  ville. 

Elu  maire  en  1873,  M.  Chamberlain  faisait  partie  du 
conseil  depuis  plusieurs  années  et  y  avait  acquis  une  grande 
influence.  II  joignait,  à  une  connaissance  profonde  des 
affaires  de  Birmingham,  la  ferme  ambition  d'accomplir  de 
grandes  choses  et  une  grande  capacité  politique  et  admi- 
nistrative. 

Il  se  mit  en  rapport  avec  les  directeurs  des  deux  Corn- 
pagnies,  et  voyant  qu'on  pourrait  obtenir  le  rachat  à  des 
conditions  raisonnables,  fit  part  de  son  projet  au  Conseil 
municipal  en  l'appuyant  sur  les  arguments  suivants  : 

Il  n'aurait  pas  eu  la  hardiesse,  disait-il,  de  déposer  de- 
vant le  Conseil  cette  proposition  si  importante,  s'il  n'avait 
eu  la  conviction  que  le  Birmingham  Town  Council  possédait 
une  réelle  capacité  commerciale  et  une  grande  expérience 
des  affaires,  et  que  le  plus  parfait  désintéressement  animait 
tous  ses  membres  dans  les  services  qu'ils  rendaient  à  la 
cité.  Il  rappelait  au  Conseil  que  Tadoption  de  sa  proposition 
aurait  pour  résultat  de  faire  passer  la  dette  municipale  de 
un  demi-million  à  deux  millions  et  demis  de  £;  qu'elle  fe- 
rait de  lui  un  grand  employeur,  augmentant  du  même  coup 
son  influence,  son  pouvoir  et  sa  responsabilité.  Il  estimait 
que  tons  les  monopoles  autorisés  par  TEtat  devraient  être 


LES    EXPLOITATIONS    MUNICIPALES    DU    GAZ  187 

aux  mains  des  représentants  du  peuple  qui  les  administre- 
rait par  leur  intermédiaire  et  en  toucherait  les  bénéfices. 

Actuellement  le  conseil  ne  disposait  que  de  moyens  in- 
suffisants pour  Taccomplissement  des  obligations  et  des  res- 
ponsabilités qui  pesaient  sur  lui  ;  et  il  pensait  que  le  poids 
des  impôts  deviendrait  à  bref  délai  intolérable,  si  Tonne 
trouvait  pour  y  remédier  quelque  moyen  du  genre  de  celui 
qu'il  proposait  à  ses  collègues.  Le  rachat  aiderait  à  soula- 
ger les  contribuables  d'un  fardeau  chaque  jour  plus  onéreux 
et  plus  oppressif. 

M.  Chamberlain  réussit  si  bien  à  convaincre  le  conseil 
municipal  que  celui-ci  adopta,  par  54  voix  contre  2,  une 
résolution  en  faveur  du  rachat.  Quand  quelques  mois  plus 
tard  on  procéda  à  la  ratification  de  ce  rachat,  il  n'y  avait 
plusqu*un  seul  opposant. 

L'indemnité  versée  aux  deux  Compagnies  prit  la  forme 
d'annuités  perpétuelles,  représentant  un  capital  d'environ 
£  2.000.000. 

L'exécution  du  projet  Chamberlain  fut  un  événement  de 
grande  importance  dans  l'histoire  du  gouvernement  lo- 
cal (1),  non  seulement  en  lui-même,  mais  parce  qu*il  con- 
duisait  &  une  extension  considérable  du  Municipal  Trading  ; 
directement  et  indirectement  à  la  fois.  Directement,  parce 
que  nombre  d'autorités  locales  dans  le  Black  Country  re- 
cevaient le  gaz  de  la  StafTordshire  C°,  et  qu'après  le  rachat 
de  cette  dernière  parla  corporation  de  Birmingham,  les  au- 
torités en  question  furent  obligées  de  se  prévaloir  de  leur 
droit  d'option  pour  racheter  les  parties  de  Tontreprise  si- 
tuées dans  leurs  districts  respectifs  ;  tandis  qu'indirectement 
l'exemple  donné  par  Birmingham  exerçait  une  influence 
considérable  sur  les  municipalités  du  pays  en  général. 

(1)  Voir  le  Times,  25  septembre  1902. 


i38 


PREMIÈRE  PARTIE.    —    CHAPITRE    VI 


Le  transfert  eut  pour  résultat  immédiat  la  substitution 
d'une  série  de  conduites  et  d'une  série  d'employés  à  deux  ; 
réconomie  ainsi  obtenue  rendit  disponibles  des  sommes 
importantes  qu'on  put  employer  en  aide  des  impôts. 

Depuis  que  l'entreprise  est  aux  mains  de  la  municipa- 
lité le  service  du  gaz  a  versé  chaque  année  au  budget  de 
la  ville  une  somme  qui  n'est  jamais  tombée  au-dessous  de 
£  19.000  (1886),  s'est  élevée  eu  1897-1898  à  £  50.000,  en 
1902-1903  à  £57.000,  en  1904-1905  à  £  50.526.  L'entre- 
prise  a  payé  en  outre  la  plus  grande  partie  des  frais  de 
construction  de  la  Birminghan  Art  Gallery,  réduit  les  frais 
de  l'éclairage  public  au  simple  coût  de  fabrication,  pourvu 
largement  à  Tamortissement  du  matériel  et  de  la  dette  et 
a  supporté  sur  ses  revenus  le  coût  de  ses  agrandisse- 
ments, si  bien  qu'aujourd'hui  les  charges  du  capital  ne 
sont  guère  plus  élevées  qu*elles  ne  Tétaient  il  y  a  vingt  ans, 
quoique  la  fabrication  du  gaz  atteigne  un  chiiïre  trois  fois 
plus  considérable. 

Le  tableau  suivant  donne  la  situation  du  Reserve  fund, 
du  Sinking  fund,  et  le  compte  Capital  du  département  du 
gaz  à  la  fin  de  chaque  année  financière  (1). 


Années 

Reserve  fund 

Sinking  fund 

Capital  account 

1875 

£       » 

£          » 

£2.000.931 

1880 

50.000 

73.486 

2.142.262 

1885 

59.534 

227.144 

2.313.322 

1890-1891 

100.000 

320.045 

2.178.407 

1895-1896 

100.000 

484.209 

2.1.57.761 

1900-1901 

ltK).000 

613.449 

2.457  OU 

1904-1905 

100.000 

757.427 

2.566.904 

En  1904-1093,  le  revenu  brut  était  de  £  877.241,    les 
dépenses  de  £  704.402,  le  profit  brut  de  £  172.839. 

(1)  ViNCE,  op.  cU.^  p.  268,  et  rapports  du  Comité  du  gaz* 


LES   EXPLOITATIONS   MUNICIPALES   DU    GAZ  iSg 

■ 

£  37.584  étaient  versées  au  Sinkiag  fund,  £  83.729 
passaiePât  au  service  de  la  dette,  £  1.000  à  la  réserve.  Le 
moDtant  brut  total  des  emprunts  négociés,  y  compris  les 
annuités  était  de  £  2.908.949.  Le  montant  total  des  som- 
mes consacrées  au  rachat  de  la  dette  depuis  le  début  de 
l'entreprise  était,  à  la  fin  de  1904-1905,  de  £  757.427.  La 
balance  des  emprunts  au  remboursement  desquels  ils  res- 
tait  à  pourvoir  s'élevait  à  £  2.151.522. 

Le  principe  qui  a  permis  de  maintenir  le  capital  à  un 
chiffre  presque  stationnai re  alors  que  la  fabrication  aug- 
mentait de  façon  si  considérable,  a  consisté  à  ne  porter  au 
compte  Capital  que  les  additions  de  matériel  susceptibles 
d'augmenter  la  puissance  productrice  de  l'entreprise  (1)  ;  le 
nouveau  matériel  ne  fait-il  que  remplacer  un  matériel  déjà 
existant,  on  ne  débite  le  capital  que  de  la  part  seule  qui 
doit  augmenter  la  production  ;  presque  chaque  année  on  le 
réduit  de  la  A'aleur  des  bâtiments  et  des  machines  aban- 
données ;  et  si  cette  déduction  est  supérieure  au  coût  du 
matériel  nouveau,  les  comptes  font  ressortir  une  diminution 
réelle  du  capital.  Le  principe  a  toujours  été  appliqué  avec 
la  plus  grande  prudence,  et  la  dépense  du  capital  telle  que 
les  comptes  nous  la  présentent  doit  être  beaucoup  moins 
considérable  que  la  valeur  actuelle  des  usines.  Le  «  Dépré- 
ciation fund  »  a  été  si  largement  doté  que  le  «Gascommittee  » 
a  eu  fréquemment  en  mains  des  sommes  suffisantes  pour 
opérer  des  agrandissements  considérables  sans  avoir  à  de- 
mander au  conseil  l'autorisation  de  faire  de  nouveaux  em- 
prunts. On  a  même  critiqué  cette  politique  comme  prudente 
à  l'excès,  et  on  a  reproché  au  comité  de  veiller  aux  intérêts 
de  la  postérité  aux  dépens  de  la  génération  présente. 

(1)  ViNCB,  op. cit.,  p.  269, 


i4o 


PREMIERE    PARTIE.     —    CHAPITRE    VI 


Ces  précautions  trouvent  à  notre  avis  leur  justification 
dans  le  risque  très  réel  que  court  tout  mode  d'éclairage 
d'être  un  jour  ou  l'autre  supplanté  par  un  autre  plus  puis- 
sant ou  moins  coûteux.  C'est  pour  parer  à  ce  danger  que 
Birmingham  a  formé  son  sinking  fund  plus  rapidement 
même  que  la  loi  ne  le  réclamait. 

Voici, de  cinq  en  cinq  ans, les  prix  successifs  du  gaz  et  les 
quantités  qu'on  en  a  fabriqué  : 


Années 


1875 

1880 

1885 

1890-1801 

1805  1806 

1000-1001 

1904-1005 


Gaz  vendu 
Pieds  cubes 


2.327.506.800 
2.675.755.400 
3.151.878.000 
3.810.418.300 
4.334.720.500 
5.709.610.7  0 
6.203.810.600 


Prix  du  gaz 

moins  5  ''/o  d'escompte  en 

cas  de  payement  immédiat 


de  3  i 
2/6 
2/1 
2/3 
2/3 
2/3 
1/10 


à  3/6  d. 
»  3 
»  2/5 

9  2/7 
•  2/7 
«  2/9 
»  2/6 


Le  prix  varie  suivant  la  quantité  consommée  ;  les  per- 
sonnes qui  consomment  plus  de  2o0.000  pieds  cubes,  le 
payent  1  s.  10  d.  les  1.000  pieds  cubes;  pour  moins  de 
25.000  pieds  cubes  le  prix  est  de  2  s.  C  d.  :  il  y  a  en  outre 
des  tarifs  intermédiaires.  On  voit  aussi  que  le  prix  du  gaza 
considérablement  diminué  depuis  1875,  comme  d'ailleurs 
dans  toutes  les  autres  villes  anglaises,  qu'elles  soient  des- 
servies par  des  Compagnies  ou  des  usines  municipales. 

Signalons  encore  que  le  département  du  gaz  se  livre  à 
un  commerce  important  de  sous  produits  et  qu'en  1904-1905 
il  a  vendu  pour  £  111.913  de  coke  et  frésil  (breeze),  repré- 
sentant 194.653  tonnes  de  coke  et  48.843  tonnes  de  frésil  ; 
pour  £  35  406  de  goudron  et  £  49.781  d'ammoniaque, 
représentant  le  premier  5  814.260  gallons,  le  second 
17.326.075. 


LES    EXPLOITATIONS   MUMGIPALES   DU    GAZ  1^1 

Malgré  ces  résultats  excessivemeat  satisfaisants,  Tentre- 
prise  municipale  du  gaz  n'a  pas  échappé  àquelques  critiques. 
Nous  laissons  de  côté  pour  le  moment  la  discussion  à  laquelle 
donne  lieu  l'emploi  qu'on  doit  faire  des  profits,  et  nous  nous 
contentons  de  signaler  en  passant  la  question  des  salaires 
des  employés  du  gaz. 

■ 

Que  les  employés  des  usines  municipales  aient  ou  non 
exercé  sur  Tesprit  des  conseillers  désireux  de  conserver 
leurs  votes  une  influence  irrégulière,  on  estime  que  la 
somme  payée  en  salaires  à  ses  ouvriers  par  la  corporation 
dépasse  de  30  ou  40.000  £  celle  que  leur  donnerait  une 
Compagnie  anonyme.  C'est  un  problème  que  nous  considé- 
rerons plus  à  loisir  dans  un  chapitre  spécial.  Disons  simple- 
ment que  dans  le  troisième  volume  de  l'histoire  de  la  cor- 
poration de  Birmingham,  où  il  donne  une  longue  liste  des 
concessions  accordées  par  le  Conseil  soit  sous  forme  de  ré- 
duction des  heures  de  travail,  soit  d^augmentations  de  salai- 
res, M.  Yince  montre  que  de  1875  à  1897  ces  concessions 
représentent  pour  le  contribuable  une  dépense  équivalente 
à  une  augmentation  du  Borough  Rate  de  près  de  4.  d.  par£ . 
L'introduction  des  machines,  en  diminuant  la  main-*d'œuvre 
nécessaire,  a  heureusement  contrebalancé  dans  une  certaine 
mesure  l'accroissement  considérable  du  coût  de  travail. 

De  même  qu'à  Glasgow  enfin,  l'emploi  du  gaz  a  été  en- 
couragé sous  toutes  ses  formes.  Au  31  mars  1905  le  dépar- 
tement municipal  avait  fourni  à  ses  clients  19.829  four- 
neaux à  gaz  et  vendu  durant  Tannée  545  poêles  et  four- 
neaux. 

Les  poêles  et  fourneaux  à  gaz  nous  amènent  à  la  discus- 
.sion  d'une  question  délicate  que  nous  avons  réservée  pour 
la  fin  de  ce  chapitre  et  que  voici  : 

Les  municipalités  ont-elles  le  droit  de  fabriquer  des  ap- 


t4a  PREMIERE   PARTIE.    —  CHAPITRE   Yt 

pareils  à  gaz  (gaz  fiUings)  et  de  les  vendre  ensuite  à  leur 
clientèle  ?  La  question  s'est  aussi  posée  pour  Télectricité, 
nous  Texaminerons  ici  une  fois  pour  toutes,  car  elle  se  pré- 
sente exactement  de  la  même  façon  dans  les  deux  cas. 

Cette  question  de  la  fabrication  et  de  la  vente  des  appareils 
à  gaz  ou  des  appareils  électriques  a  soulevé  de  nombreu- 
ses discussions;  et  il  est  d'autant  plus  difficile  de  lui  don- 
ner une  solution  qu'elle  touche  aux  limites  qu*il  faut  fixer 
au  Municipal  Trading.  Elle  s'est  posée  dans  un  certain 
nombre  de  villes»  à  Birmingham,  notamment,  àSouthport, 
Nottingham,  Huddersfield»  Bolton,  Oldham  (1). 

Pour  M.  Darwin  (2},  «  c'est  un  sentiment  d'injustice  bien 
défini  qu'on  éprouve  en  voyant  le  Municipal  Trade  faire 
concurrence  à  l'industrie  privée  ;  car  dans  des  circonstances 
de  ce  genre,  le  contribuable  peut  se  trouver  contraint  de 
contribuer  de  ses  propres  deniers  à  l'établissement  d*un 
rival,  qui  par  sa  concurrence  même  pourra  lui  faire  subir 
dans  ses  aiïaires  des  pertes  matérielles  considérables  ». 

Devant  le  comité  d'enquête  de  1900,  les  associations  des 
quincailliers  (ironmongers)  et  do  marchands  d'objets  de 
fer  ou  de  fonte  firent  entendre  leurs  protestations  contre  la 
vente  et  la  location  de  poêles  à  gaz  par  les  municipalités, 
notamment  parce  que  leurs  tarifs  étaient,  disaient-ils^si  bas 
qu'ils  rendaient  toute  concurrence  impossible  (3).  Comme 
l'expliquait  M.  Smith,  secrétaire  général  des  associations 
fédérées  des  Ironmongers,  l'avantage  que  possède  la  cor- 
poration sur  le  marchand  an  détail  est  celui-ci  :  elle  peut 
emprunter  de  l'argent  à  un  taux  bien  moins  élevé  que  lui, 
variant  de  2  3/4  à  3  74  Vo.  alors  que  le  commerçant  ordinaire 

(1)  Municipal  Trading  Report,  1900,  p.  230. 

(2)  Dabwin,  op.  cit.,  p.  98. 

(3)  Municipal  Trading  Report,  1900,  quest.  2959. 


LÈS   ElPLOlTAtlONS   MtJNICIt>AtES   DtJ   GAÎ5  I^S 

sera  peut-être  obligé  d'emprunter  à  S  Vo-  S'ils  devaient  dé- 
buter tous  deux  avec  un  capital  d'emprunt,  leurs  chances 
seraient  tout  à  fait  inégales.  Malgré  cela,  on  lui  demande, 
à  lui  commerçant,  de  contribuer  à  sa  propre  ruine,  pour 
cette  seule  raison  que  la  corporation  jouit  d'un  monopole 
et  l'oblige  à  payer  des  impôts.  £n  sa  qualité  de  contribuable 
d'une  part,  de  commerçant  de  l'autre,  il  se  trouve  payer  de 
deux  façons. 

Au  commencement  du  xix""  siècle,  on  se  préoccupait  si 
bien  des  intérêts  du  commerce,  qu'en  1810,  dans  l'Act  qui 
créait  la  (v  Gas  Light  and  Coke  C*  >),  le  Parlement  introdui- 
sit, bien  qu'il  s'agit  d'une  Compagnie,  une  clause  défen- 
dant à  la  dite  Compagnie  de  vendre  ou  de  fournir  aucun 
poêle,  tuyau,  appareil  ou  machine  quelle  qu'elle  fût,  ser- 
vant à  distribuer  le  gaz  à  l'intérieur  des  habitations.  En 
1816,  dans  un  Act  postérieur  et  relatif  à  la  même  Com- 
pagnie, nous  retrouvons  les  mêmes  prohibitions. 

Ces  restrictions  furent  trouvées  gênantes  et  au  bout 
d'un  certain  laps  de  temps,  l'autorisation  fut  donnée  aux 
Compagnies  de  fournir  ces  appareils.  A  l'époque  où  le 
rachat  des  entreprises  particulières  par  les  autorités  locales 
commença,  ces  dernières  reprirent,  avec  l'ensemble  des 
pouvoirs  des  Compagnies  existantes,  le  droit  de  fournir  des 
appareils  à  gaz  et  souvent  aussi  le  droit  de  les  fabriquer. 

Parfois  encore  les  autorités  locales  ont  obtenu  par  Act 
spécial  ce  pouvoir  de  fabriquer  et  de  vendre  des  appareils 
à  gaz  ;  l'Act  de  1879  pour  la  ville  de  Stratford-on-Avon  en 
est  un  exemple.  Il  permettait  au  Local  Board  «  de  fabri- 
quer, d'emmagasiner  et  de  fournir  du  gaz  et  du  coke, 
ainsi  que  des  compteurs,  des  appareils,  des  conduites  et  au- 
tres articles  relatifs  à  la  fabrication  et  à  l'emploi  du  gaz  »  (1). 

(1)  Municipal  Trading  Report,  1900,  p.  23.  quest.  305. 


l44  PREMIÈRE    PARTIE.    —     CHAPITRE  VI 

A  Birmingham,  la  corporation,  non  contente  de  vendre 
ou  de  louer  toutes  sortes  d*appareils  à  gaz,  envoie  jusque 
chez  les  particuliers  des  ouvriers  plombiers  engagés  par 
elle  pour  faire  les  travaux  de  pose  et  de  réparation  (1). 
Cette  manière  d'agir  a  causé  le  plus  grand  tort  à  nombre 
de  commerçants  ;  elle  en  a  même  ruiné  quelques-uns. 

Dès  1877  ,  les  commerçants  et  ouvriers  intéressés 
avaient  protesté  contre  la  concurrence  du  service  muni- 
cipal. En  1889,  ils  renouvelèrent  leur  protestation  ;  la 
corporation  répondit  qu'elle  ne  cherchait  pas  à  faire  Tou- 
vrage  à  meilleur  marché  que  les  particuliers  ;  qu'ensuite, 
en  sa  qualité  de  fabricant  de  gaz,  son  intérêt  était  d*aider 
le  consommateur  à  se  procurer  des  appareils  à  la  fois  bons 
et  économiques,  attendu  que  rien  ne  nuit  davantage  à  la 
consommation  que  le  mécontentement  dû  à  l'emploi  d'ap- 
pareils peu  coûteux,  mais  gâcheurs,  ou  à  un  travail  mal 
exécuté. 

Finalement,  le  service  municipal  persiste  dans  sa  con- 
currence, parce  qu'il  y  trouve  son  avantage  ;  le  consom- 
mateur reste  indifférent  à  la  question,  pourvu  qu'il  reçoive 
à  peu  près  ce  dont  il  a  besoin  et  qu'on  ne  le  lui  fasse  pas 
payer  trop  cher  ;  quant  au  fabricant  en  gros  d'appareils, 
il  peut  après  tout  préférer  avoir  affaire  à  une  grande  cor- 
poration qu'à  des  maisons  nombreuses,  mais  peu  impor- 
tantes. 

D'après  la  loi  actuelle,  les  Compagnies  qui  fournissent  le 
gaz  ou  l'électricité,  ont  le  droit  de  fabriquer  des  appareils 
et  de  les  vendre  à  bas  prix  pour  stimuler  la  vente  de  leur 
produit  principal  ;  elles  peuvent  de  la  sorte  infliger  des  per- 
tes aux  commerçants  et  industriels,  leurs  rivaux  ;  aussi  ces 

(1)  Voir  le  Times,  25  sept.  1902,  el  Vince,  op.  cil.,  p.  274, 


LES   EXPLOITATIONS    ÂfUNlGIPALI^S    DÛ   GAZ  l^b 

derniers  pourraient-ils  formuler  à  leur  égard  le  reproche 
qu  ils  adressent  aux  autorités  publiques. 

Remarquons  toutefois  que  si  c'est  d*un  particulier  que 
vient  la  concurrence,  on  ne  court  pas  le  risque  de  voir  les 
impôts  augmenter,  si  ses  affaires  périclitent;  s'agit-il  au 
contraire  d'une  autorité  publique  en  déconfiture,  elle  élè-» 
vera  le  taux  des  impôts  à  payer  pour  combler  le  déficit 
creusé  par  elle.  G*est  du  point  de  vue  de  l'impôt  qu'il  faut 
juger  la  concurrence  que  font  les  municipalités  à  Tindustrie 
privée  :  et  il  apparaît  alors  comme  très  difficile  d'approuver 
leur  conduite. 

11  nous  reste  à  traiter,  avant  déterminer  ce  chapitre,  une 
dernière  question,  où  le  côté  commercial  et  spéculatif  de 
l'entreprise  municipale  apparaît  plus  nettement  encore  que 
dans  la  précédente.  C'est  le  cas  d'une  municipalité  fournis- 
sant le  gaz  ou  l'électricité  en  dehors  de  ses  limites  adminis- 
tratives et  à  d'autres  personnes  qu'à  ses  administrés.  Le 
cas  se  présente  aussi  pour  les  tramways,  mais  il  reste  tou- 
jours le  même. 

Cette  extension  de  l'entreprise  municipale  en  dehors  des 
limites  administratives  de  la  municipalité  qui  la  gère  peut 
se  produire  de  plusieurs  façons  (1):  soit  par  la  concession 
directe  de  pouvoirs  donnés  à  cet  effet,  soit  par  transfert  de 
pouvoirs.  Dans  le  premier  cas,  l'autorité  locale  est  dès  le 
début  de  son  entreprise  autorisée  à  sortir  de  son  district  ; 
dans  le  second,  il  se  produit  une  absorption  de  pouvoirs  an- 
térieurement accordés  à  d'autres  personnes.  Quand  une  mu- 
nicipalité rachète  une  Compagnie  fabriquant  soit  le  gaz, 
soit  l'éleclricité,  il  est  rare  que  la  superficie  que  fournissait 

(1)  Municipal  Trading  Report,  1900,  p.  8  et  347. 

Boverat  10 


l46  PBEMlàRE    PABTIE.    —   CHAPITRE    VI 

cette  CompagQÎe  coïncide  exactement  avec  les  limites  admi- 
nistratives de  la  municipalité  ;  et  comme  il  est  généralement 
impossible,  en  pratique,  de  diviser  une  industrie  en  autant 
de  fragments  qu'il  y  a  de  divisions  administratives  diCTéren- 
tes,  les  municipalités  qui  rachètent  des  entreprises  déjà  exis- 
tantes doivent  fréquemment  se  charger  de  fournir  Tune  des 
marchandises  indiquées  au  dehors  de  leurs  limites. 

Quelquefois  enfin,  le  Parlement  autorise  une  municipa- 
lité à  fournir  de  Télectricité  en  gros,  si  Ton  peut  s*expri- 
mer  ainsi,  à  un  autre  corps  public  quelconque  qui  reçoit 
Tautorisation  de  la  distribuer  à  son  tour  en  détail  à  ses 
citoyens. 

Quelques  exemples  nous  feront  d'ailleurs  mieux  compren- 
dre la  situation.  Prenons  Télectricité  :  s'agit-il  d'une  con- 
cession directe  de  fournir  au  dehors,  TEIectric  Lighting  Act 
de  4882  décide  qu'on  pourra  accorder  aune  autorité  locale 
l'autorisation  de  distribuer  Télectricité  sur  une  surface  quel- 
conque, quand  bien  même  cette  surface  ne  serait  pas  com- 
prise dans  les  limites  du  district.  Sir  Courtenay  BoyIe(l; 
cite  les  pouvoirs  accordés  en  vertu  de  cette  loi,  par  le  Board 
of  Trade  aux  corporations  de  Bolton  (1898),  de  Birkenhead 
(1899),  etc. 

S'agit-il  d'un  transfert  de  pouvoirs,  nous  voyons  la  cor- 
poration de  Manchester  se  faire  transférer  par  un  Act  de 
1897  les  pouvoirs  électriques  des  autorités  locales  des 
districts  adjacents  à  la  cité.  Les  corporations  de  St-IIelen 
en  1898,  de  Blackpool  et  de  Glasgow  en  1899  ont  obtenu 
les  mêmes  pouvoirs. 

Certaines  autorités  enfin  qui  possèdent  des  usines  élec- 
triques ont  reçu  l'autorisation  de  fournir  en  gros  l'élec- 

(1)  Municipal  Trading  Report^  1900,  p.  348. 


LES   EXPLOtTAtlONS   MUNiCIt>ALBS  t>U   GA2  idr? 

tricité  à  une  seconde  autorité  qui  en  fait  elle-même  la  dis- 
tribution. Citons  St-Helen  en  1898,  Blackpool,  Rootle, 
Salford  en  1899. 

Il  en  est  exactement  de  même  pour  le  gaz.  Glasgow, 
Birmingham,  Manchester  fournissent  le  gaz  aux  localités 
environnantes,  soit  parce  que  les  Compagnies  qui  exis- 
taient avant  le  rachat  le  fournissaient  déjà,  soit  parce  que 
ces  localités  moins  importantes  trouvent  plus  avantageux 
de  le  demander  à  leurs  grandes  voisines  que  de  le  fabriquer 
elles-mêmes. 

Des  tramways  nous  dirons  encore  la  même  chose  ;  il  est 
souvent  utile,  lorsqu^on  construit  un  réseau^  de  le  pousser 
jusque  dans  les  districts  populeux  de  l'extérieur,  pour  en 
rendre  l'exploitation  aussi  proH table  que  possible  ;  dans 
beaucoup  de  cas  aussi,  il  faut  traverser  le  territoire  d'une 
seconde  municipalité  rien  que  pour  relier  deux  parties  d'une 
même  municipalité. 

Trois  alternatives  se  présentent  alors  : 

a)  On  peut,  et  c'est  le  cas  du  Joint  Board,  confier  l'ex- 
ploitation du  tramway  à  plusieurs  municipalités. 

b)  Laisser  chaque  municipalité  construire  ses  lignes  sur 
son  territoire  respectif  et  louer  ensuite  l'ensemble  à  un  seul 
concessionnaire  (Bolton  et  Suburban  tramways  en  1874)« 

c)  ou  bien  laisser  une  seule  municipalité  exploiter  à  se^ 
risques  et  périls  Tentreprise  commune. 

Depuis  quelques  annéeSv  surtout  depuis  la  construction 
des  tramways  électriques,  la  tendance  des  municipalités  à 
sortir  de  leurs  limites  a  été  croissant.  L'autorité  locale  sub- 
urbaine ne  demande  en  général  pas  mieux  que  de  voir 
arriver  les  tramways  jusqu'à  elle,  lluddersfield,  par  exem- 
ple, en  exploite  un  réseau  très  complet  et  s'étendant  très 
en  dehors  de  la  ville  même. 


l48  PREMlIlRG    PAtlTÏE.    —    CHAPITRE    VI     ' 

II  peut  être  préférable  que  ce  soit  un  seul  et  même  corps 
qui  fasse  tout  l'ouvrage  et  le  fasse  bien,  plutôt  que  de 
laisser  faire  par  morceaux  à  plusieurs  autorités  locales  à 
la  fois.  Actuellement,  disait  en  1900  Sir  Gourtenay  Boyle, 
il  n*y  a  pas  pour  les  tramways  de  comités  mixtes  (joint 
boards)  comme  il  y  en  a  pour  les  égouts  ou  les  asiles  dV 
liénés.  Les  autorités  locales  des  districts  extérieurs  n'ont 
pas  voix  au  chapitre. 

Et  cette  exclusion  n'a  pas  été  naturellement  sans  provo- 
quer de  nombreuses  protestations.L*extension  du  service  au 
delà  des  limites  municipales  donne  en  effet  naissance  à 
nombre  de  questions  difficiles  à  trancher,  relatives  au  prix 
qu'une  municipalité  peut  avec  équité  imposer  à  ses  clients 
de  Texlérieur. 

Quand  une  municipalité  fournit  de  l'électricité  ou  du  gaz 
ou  exploite  un  tramway  en  dehors  de  ses  limites,  elle  se 
trouve  occuper  vis-à-vis  des  autorités  extérieures  une  si- 
tuation exactement  semblable  à  celle  d'une  Compagnie 
quelconque.  Comme,  d'autre  part,  les  emprunts  qu'elle  a 
contractés  pour  le  rachat  de  ses  entreprises  ont  pour  ga- 
rantie le  revenu  de  ces  mêmes  entreprises  et  le  local  rate, 
cette  municipalité  commerçante  vient-elle  à  se  trouver  en 
déficit,  ce  seront  ses  contribuables  qui  subiront  une  perte 
au  bénéfice  des  habitants  du  district  extérieur,  dont  les 
impôts  ne  seront  pas  touchés.  Réalise-t  elle  des  bénéfices? 
Ses  contribuables  gagneront  sur  le  dos  des  habitants  de 
l'extérieur.  Cette  manière  d'agir  aura  pour  résultat  d'as- 
similer les  habitants  de  la  municipalité  productrice  à  des 
actionnaires  dont  la  participation  se  traduira  directement 
en  profits  ou  en  pertes  pécuniaires. 

S'il  n'y  a  plus  de  différence  pratique  entre  une  muni- 
cipalité de  ce  genre  et  une  Compagnie,  il  n'y  a  plus  de 


LEi    EXPLOITATIONS  MUNICIPALES    DU   GAZ  l49 

différence  non  plus  dans  lenr  mentalité  ;  la  municipalité, 
malgré  son  prétendu  désintéressement,  va  cherchera  faire 
le  plus. gros  bénéfice  possible  sur  les  clients  étrangers  à 
soa  district.  Elle  leur  fera  payer  le  gaz  ou  l'électricité  plus 
cher  qu'à  ses  propres  habitants  ;  ce  dont  on  ne  saurait 
la  blâmer,  puisque  les  premiers  n  étant  pas  co-propriétaires 
de  l'entreprise  ne  courent  pas  le  risque  d'avoir  à  combler, 
par  des  impôts  plus  élevés,  les  déficits  de  l'entreprise  mu- 
nicipale. 

Seulement  le  peuple  ne  se  tiendra  pas  toujours  ce  rai- 
sonnement ;  il  ne  regardera  que  le  prix,  et  s'il  constate 
une  différence  trop  élevée,  il  réclamera.  Sa  plainte  sera 
d'autant  plus  amère  qu'il  verra  les  profits  de  Tentreprise 
largement  appliqués  à  réduire  les  impôts  de  la  corporation 
propriétaire. 

En  1896,  le  Board  of  Tradc  reçut  plusieurs  mémoires 
d*autorités  urbaines  auxquelles  la  corporation  de  Manches- 
ter fournissait  le  gaz  et  qui  se  plaignaient  des  tarifs  diffé- 
rentiels qu'on  avait  établis,  ainsi  que  de  la  location  des 
compteurs  (1),  qu'on  ne  faisait  payer  qu'à  l'extérieur  de  la 
cité  et  non  pas  à  l'intérieur  ;  elles  demandaient  en  consé- 
quence au  Board  d'introduire  un  bill  qui  limiterait  le 
montant  du  profit  que  les  corporations  seraient  en  droit  de 
faire  dans  le  cas  où  elles  fourniraient  le  gaz  à  des  consom- 
mateurs habitant  au  dehors  des  limites  municipales.  Leurs 
plaintes  étaient  d'autant  plus  vives  que  le  comité  du  gaz 
avait  recommandé  une  réduction  importante  des  prix  au 
dehors  do  la  cité,  mais  que  la  corporation  avait  jugé  préfé- 
rable d'employer  tous  les  profits  en  aide  des  impôts  de  la 
cité  ;  de  sorte  que  les  consommateurs  des  districts  ex- 

(1)  Municipal  Trading  Report,  1900,  p.  351. 


l5o*  PREMIERE   PARTIE.    —   CHAPITRE   IV 

teneurs  se  trouvaient,  bon  gré,  mal  gré,  contribuer  pour 
une  part  aux  impôts  de  Manchester. 

Les  mêmes  réclamations  se  sont  produites  pour  South- 
port  qui  faisait  payer  le  ^az  3  s.  et  3  s.  6  d.  à  l'extérieur  au 
lieu  de  2  s.  et  2  s.  6  d.  à  l'intérieur. 

Il  est  intéressant  de  noter  à  ce  propos  que  le  Burghs 
Gas  Supply  (Scotland)  Act  de  1876  décide  (section  14)  que 
le  prix  fixé  parles  commissaires  devra  être  établi  de  façon 
à  faire  simplement  face  aux  dépenses  qu*entraineront  la 
fabrication,  le  service  des  intérêts  du  Sinking  Fund  et  de 
l'amortissement  ;  que  les  recettes  provenant  de  la  fabri- 
cation et  de  la  distribution  du  gaz  ne  devront  être  appli* 
quées  qu'aux  améliorations  et  aux  dépenses  de  ce  service  ; 
et  que  toute  balance  de  fin  d'année  devra  être  portée  au 
débit  ou  au  crédit  de  Tannée  suivante.  Dans  des  circons- 
tances semblables,  les  prix  doivent  être  les  mêmes  pour 
tous  les  consommateurs  et  le  revenu  du  service  du  gaz 
doit  être  crédité  pour  l'éclairage  public  d'une  somme 
calculée  sur  les  mêmes  tarifs  que  pour  les  consommateurs 
ordinaires. 

  notre  avis,  dailleurs,  la  taxe  différentielle,  du  moment 
qu'elle  n'atteint  pas  un  chiffre  trop  élevé,  n'est  pas  injuste  ; 
puisqu'elle  représente  l'absence  de  risque,  la  certitude  de 
n'avoir  pas  à  payer  plus  d'impôts  en  cas  do  déficit  sur  l'en- 
treprise. Nous  ne  croyons  pas  qu'il  y  ait  lieu  de  la  sup- 
primer là  où  elle  existe. 

'  Il  y  a  un  moyen  d'éviter  les  difficultés  qui  se  produisent 
entre  autorités  locales  voisines,  c'est  la  création  d'un  Joint 
Board,  <i*est-à-dire  d'an  conseil  mixte  composé  de  membres 
des  deux  municipalités  intéressées.  Dans  ce  cas  il  n'y  a 
plus  de  commerce  à  Textérieur,  «  d'outside  trading  i»  ; 
tous  les  contribuables  intéressés  dans  l'entreprise  en  sup- 


LES   EXPLOITATIONS    MUNICIPALES   DU    GAZ  IDI 

porteront  les  risques  easemble  ;  et  il  n'y  aura  plus  de  ré* 
clamations  du  genre  de  celles  que  nous  venons  de  rappeler. 
Toute  la  question  est  de  savoir  si  les  deux  autorités  en 
.présence  parviendront  à  s'entendre.  En  général  Tautorité 
extérieure  ne  demande  pas  mieux  que  de  former  un  Joint 
Board  (1).  Mais  les  corporations  des  grandes  villes,  qui 
dans  tous  les  cas  géreraient  l'exploitation  pour  leur  seule 
cité,  voient  d'un  mauvais  œil  l'intrusion  d'un  élément  ex- 
térieur dans  le  conseil  d'administration  de  Tentreprise.  Il 
est  probable  qu'au  cas  où  une  loi  rendrait  les  Joint  Boards 
obligatoires,  on  verrait  surgir  de  nouvelles  difficultés  ; 
il  y  aurait  des  froissements  perpétuels  entre  les  membres 
des  deux  autorités.  C'est  pourtant,  semble-t-il,  le  seul 
moyen  équitable  de  résoudre  le  problème. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  voit  que  la  substitution  des  entre- 
prises municipales  aux  Compagnies  crée  chaque  jour  des 
difficultés  nouvelles  et  que  cette  augmentation  des  attri- 
butions municipales,  n'étant  pas  faite  pour  faciliter  la  tâ- 
che des  corps  gouvernants,  n*a  même  pas  toujours  pour 
résultat  la  complète  satisfaction  des  contribuables. 

Quelle  conclusion  tirer  de  cette  étude  sur  la  municipa- 
lisation  du  gaz?  C'est  que  le  gaz,  et  avec  lui  l'eau,  sont 
sans  doute  les  deux  entreprises  que  les  villes  anglaises 
ont  gérées  avec  le  plus  de  prudence  et  le  plus  de  succès. 

Mais  si  l'on  peut  citer  en  1904-1905,  14  villes  (sur  265) 
dont  les  bénéfices  réalisés  sur  la  vente  du  gaz  ont  permis 
de  verser  au  budget  communal  des  sommes  variant  de 
£  70.000  pour  Manchester  à  £  7.699  pour  Stockton,  on 
pourrait  aussi  citer  les  noms  de  40  villes,  dont  les  comptes 

({)  Cf.  Darwin,  Municipal  Trade,  p.  378. 


l52  PREMIÈRE  PARTIE.  GHAPFfRE  VI 

sont  en  déficit,  les  noms  de  beaucoup  d'autres  doat  les 
bénéfices  sont  insignifiants,  et  les  noms  des  villes,  trop 
nombreuses,  où  la  comptabilité  est  tenue  de  façon  si  bi- 
zarre que  Tamortissement  du  matériel,  le  salaire  des  era- 
ployés«  la  location  des  bâtiments  ne  figurent  pas  ou  ne 
figurent  qu'en  partie  sur  les  comptes  de  Tentreprise  et  où 
les  bénéfices  apparents  devraient  se  changer  en  pertes 
réelles. 

Si,  grâce  à  l'intégrité  des  fonctionnaires  de  Tadminis- 
tration  locale  anglaise,  on  ne  peut  pas  citer  de  cas  ana- 
logues à  celui  de  la  régie  du  gaz  à  Philadelphie,  —  oii  des 
abus  de  toutes  sortes  obligèrent,  après  un  essai  malheu- 
reux de  muaicipalisation,  à  confier  à  nouveau  l'entreprise 
à  une  Compagnie  privée  —  et  si  grâce  à  leur  sens  com- 
mercial assez  développé,  on  ne  cite  pas  d'exemples  de  ges- 
tion du  genre  de  celle  de  Grenoble,  où  la  municipalité 
vendait  en  1900  son  coke  16  fr.  la  tonne,  alors  que  le  cours 
général  était  de  40  fr.,  vendait  son  gaz  plus  cher  que  tou- 
tes les  villes  environnantes  et  où,  pour  augmenter  les  bé- 
néfices de  la  régie,  le  maire  enjoignait  aux  habitants  dé' 
clairer  les  cours,  allées  et  escaliers,  faisant  ouvrir  d*office 
chaque  soir  la  prise  alimentant  les  becs  à  ce  destinés,  — 
tout  ne  se  passe  pas  cependant  sans  accrocs. 

On  a  vu  l'administration  municipale  de  Nottingham 
payer  son  charbon  12  s.  10  d.,  alors  que  la  Compagnie  de 
Sheffield  ne  payait  le  sien  que  9  s.  11  d.,  uniquement  parce 
que  ses  fonctionnaires  ne  savaient  pas  acheter  à  bon  marché. 

Actuellement  encore,  Birmingham  fait  payer  le  gai  2  s. 
6  d.  les  1.000  pieds  cubes  à  ses  habitants,  alors  que  ceux 
de  Sheffield,  desservis  par  une  Compagnie,  ne  le  payent  que 
1  s.  5  d.,  supportent  des  taxes  municipales  moins  élevées 
et  que  la  Compagnie  trouve  moyen  de  distribuer  à  ses  ac- 


«■ 


LES   EXPLOITATIONS    MUNICIPALES   DU    GAZ  1 53 

tionaaires  (les  dividendes  de  iO  Yo*  Les  prix  ne  signifient 
pas  grand'chose  sans  doute,  nous  Tavons  déjà  dit  ;  mais  il 
est  bon  de  rappeler  que  les  municipalités  n  ont  pas  le  mo- 
nopole du  bon  marché,  tout  au  contraire. 

En  terminant,  nous  admettrons  avec  les  municipalistes 
qu'un  certain  nombre  de  villes  ont  fait  des  profits  raisonna- 
bles sur  leurs  entreprises  de  gaz,  en  remarquant  que  cela 
ne  suffit  pas  à  prouver  qu'on  ait  eu  raison  de  municipaliser, 
ni  qu'il  faille  municipaliser  à  Tavenir  toutes  les  usines  à  gaz. 
Les  villes  qui  ont  réalisé  les  plus  gros  profils  sont  celles 
qui  ont  opéré  la  municipalisation  depuis  le  temps  le  plus 
long  ;  mais  par  cela  même  qu'elles  ont  commencé  leur  ex- 
ploitation à  une  époque  ou  les  résultats  que  pouvait  donner 
une  entreprise  de  gaz  n'étaient  pas  exactement  connus, 
elles  spéculaient,  elles  couraient  le  risque  d'une  perte, 
comme  elles  couraient  la  chance  de  gagner  de  grosses  som- 
mes. Or  la  spéculation  n  a  jamais,  semble-t-il,  fait  partie 
des  attributions  des  municipalités.  En  matière  financière, 
leur  premier  et  unique  soin  doit  être  de  ménager  l'argent 
de  leurs  contribuables. 

Les  risques  que  fait  aujourd'hui  courir  l'exploitation 
d'usines  à  gaz  ont  considérablement  diminué  (1)  ;  mais  les 
chances  de  gain  ont,  elles  aussi,  décru,  si  bien  que  la  muni- 
cipalisation ne  parait  devoir  exercer  ni  en  bien,  ni  en  mal, 
une  influence  considérable  sur  les  revenus  publics.  Le  bé- 
néfice ou  la  perte  dépendra  d'ailleurs  toujours  des  conditions 
dans  lesquelles  se  sera  effectué  le  rachat  et  de  l'idée  plus  ou 
moins  brillante  qu'on  se  faisait  alors  de  l'avenir  de  l'entre- 
prise. Or,  que  savons-nous  de  l'avenir  du  gaz  ?  Nos  conseil- 
lers municipaux  les  plus  expérimentés  ne  sont  pas  meilleurs 
juges  de  la  question  que  ne  l'étaient  leurs  prédécesseurs  au 
commencement  du  siècle  dernier. 

(1)  Cf.  Darwin,  op,  ci7.,  p.  192. 


CHAPITRE  VII 


L'ÉLBGTRIGITâ. 


L'application  courante  de  rélectricité  à  l'éclairage  ne  re- 
monte pas  encore  à  une  date  bien  éloignée  de  nous  ;  c'est 
en  1880  qu'on  l'utilisa  pour  la  première  fois,  aux  Etats-Unis, 
à  l'éclairage  des  rues.  Depuis  cette  époque,  l'industrie  s  est 
développée  dans  ce  pays  avec  une  rapidité  extraordinaire  et 
qui  contraste  de  façon  frappante  avec  la  lenteur  de  ses  pro- 
grès en  Angleterre.  La  raison  de  ce  retard  de  nos  voisins 
n'est  pas  difficile  à  trouver,  et  l'on  est  généralement  d'accord 
pour  Tattribuer  à  l'action  fâcheuse  d'une  loi  votée  au  mo- 
ment même  où  l'industrie  nouvelle  entrait  enfin  dans  le  do- 
maine de  la  pratique. 

Les  premières  usines  électriques  fondées  en  Grande-Bre- 
tagne par  des  particuliers  furent  celles  d'Eastbourne  et  de 
Hastings  en  1882,  de  Londres  en  1885.  En  1889,  Bradford 
créait  la  première  usine  municipale.  Puis  vinrent  celles  de 
Brighton  et  de  St-Pancras  en  1891. 

Nulle  part  ailleurs  les  usines  municipales  ne  sont  aussi 
nombreuses  qu'en  Angleterre.  Nulle  part  leur  proportion 
n'est  aussi  forte  par  rapport  aux  établissements  privés;  et 
il  nous  parait  plus  que  probable  que  leur  nombre  ira  tou- 
jours en  augmentant,  la  loi  anglaise  ayant  donné  aux  com- 
munes toutes  facilités  pour  rétablissement  des  régies  et  le 
rachat  des  entreprises  particulières  au  bout  d'un  certain 
nombre  d'années. 


--'•• 


L^^LEGTRICJTé  l55 

Quand  Tusage  de  Télectricité  se  généralisa,  TÂngleterre 
entrait  déjà  dans  la  voie  du  municipalisme.  C'était  précisé- 
ment Tépoque  où  la  plupart  des  grandes  villes  rachetaient 
aux  Compagnies  leurs  usines  à  gaz,  et  le  rachat  de  ces  con^ 
cessions  données  à  perpétuité  s^était  souvent  fait,  nous 
venons  de  le  voir,  à  des  conditions  onéreuses.  Voulant  se 
garer  pour  rélectricité  d'un  danger  analogue,  on  résolut  de 
demander  sans  tarder  à  la  loi  la  protection  nécessaire. 

Le  Parlement  montra  dès  le  début  le  désir  qu'il  avait 
d'empêcher  la  création  au  bénéfice  des  particuliers  de 
nouveaux  monopoles,  et  Ton  retrouve  dans  toutes  ses  déli- 
bérations et  toutes  ses  discussions  le  souci  constant  de  veiller 
aux  intérêts  des  municipalités  en  général,  et  des  grandes 
villes  en  particulier.  Â-t-il  réellement  compris,  en  votant  la 
loi  de  1882, quel  était  leur  intérêt,  c'est  ce  qui  reste  à  savoir. 

Voyons  dans  ses  grandes  lignes  quelle  était  cette  loi  du 
18  août  1882,  et  quelles  restrictions  elle  imposait  au  libre 
exercice  de  l'industrie  électrique. 

La  première  formalité  à  remplir  par  toute  Compagnie  qui 
désire  poser  ses  fils  sous  le  soldes  rues  est  de  se  munir 
d'une  licence  du  Board  of  Trade,  licence  qu'il  ne  peut  lui- 
même  donner  qu'avec  l'autorisation  préalable  de  l'autorité 
locale  intéressée.  Le  Board  of  Trade  peut  également  déli- 
vrer des  <f  Provi.sional  Orders  »  sans  limitation  de  temps  et 
sans  l'assentiment  de  Tautorité  locale.  Mais  des  provisional 
orders  de  ce  genre  ont  besoin  do  la  confirmation  du  Parle^ 
ment,  et  Ion  peut  y  faire  opposition  au  moyen  du  droit  de 
pétition. 

La  loi  donne,  d'autre  part,  au  Board  of  Trade  des  pou- 
voirs de  réglementation  très  étendus.  11  peut  imposer  aux 
concessionnaires  telles  conditions  qu'il  juge  convenables, 
limiter  leur  secteur,  prévoir  jusqu'aux   moindres  détails 


l56  PREMIERE    PARTIE.     ~    CHAPITRE    VU 

du  service,  fixer  les  prix  maxi  ma,  édicter  des  règlements 
pour  assurer  uq  éclairage  suffisant  et  régulier.  Il  peut  enfin 
révoquer  la  licence  et  même  TAct  du  Parlement  en  cas 
d'inobservation  de  la  part  du  concessionnaire  des  conditions 
qui  lui  sont  imposées  ou  d*inexécution  des  plans  qu'il  avait 
fait  approuver. 

Mais  le  point  vraiment  important  de  la  loi  est  la  situation 
privilégiée  qu'elle  confère  aux  autorités  locales.  Avaient- 
elles  obtenu  un  Provisional  Order  les  autorisant  à  fournir 
Télectricité  ?  Aucune  Compagnie  n*en  pouvait  plus  obtenir 
dans  le  même  district  ;  on  leur  donnait  un  monopole  pur  et 
simple.  La  loi  les  autorisait,  en  outre,  à  racheter  les  usines 
des  Compagnies  au  bout  d'une  première  période  de  21  ans 
une  fois  écoulés  et  ensuite  à  des  intervalles  de  7  ans.  Dans 
lafixation  du  prix  d'achat  on  ne  ferait  entrer  en  ligne  de 
compte  que  la  valeur  marchande  réelle  du  terrain,  des 
machines,  du  matériel,  etc.  On  n'accordait  au  concession- 
naire aucune  indemnité  pour  le  dommage  que  lui  causait 
son  expropriation,  et  on  ne  comptait  pour  rien  la  clientèle 
ouïes  bénéfices  à  venir. 

.  Malgré  Tintention  trop  évidente  du  Parlement  de  faciliter 
autant  que  possible  aux  autorités  locales  Texploitation  du 
nouveau  mode  d'éclairage  et  malgré  le  désir  des  municipa- 
lités d'éviter  la  formation  de  monopoles  analogues  à  ceux 
qui  s'étaient  constitués  pour  le  gaz,  rares  furent  les  muni- 
cipalités qui  témoignèrent  quelque  empressement  à  se  lan- 
cer dans  la  nouvelle  voie.  De  1882  à  1890,  c'est  à  peine  si 
Ton  peut  citer  une  ville  qui  ait  réellement  cherché  à  four- 
nir l'électricité  à  ses  habitants  ;  les  échecs  de  nombre  d'en- 
treprises particulières  les  effrayaient. 

Jusqu'à  l'amendement  de  1888,  il  n'y  eut  pas  à  propre- 
ment parler  de  distribution  publique  d'électricité  en  Grande- 


l'électricité  167 

Bretagne.  C'est  une  vérité  souvent  constatée  qu'il  n*est 
chose  si  difficile  que  de  réunir  de  gros  capitaux  pour  lancer 
une  industrie  qui  n'en  est  qu*à  ses  débuts.  Or,  TAct  de  1882 
n'avait  vraiment  rien  d'encourageant  ;  étant  donné  l'état  où 
se  trouvait  alors  l'industrie  électrique,  le  terme  de  21  ans 
était  beaucoup  trop  court  pour  assurer  à  l'argent  risqué 
une  rémunération  suffisante.  Le  résultat  fut  ce  qu'il  devait 
être  :  on  ne  put  faute  de  capitaux,  constituer  de  grosses 
entreprises  ;  et  ce  n'est  qu'en  1888,  quand  la  durée  des 
concessions  eût  été  portée  de  21  à  42  ans,  que  la  distribu- 
tion publique  de  l'électricité  finit  par  faire  quelques  progrès. 

A  peine  les  villes  avaient-elles  vu  que  les  particuliers 
commençaient  à  réaliser  des  profits  sur  ce  service  qu'elles 
voulurent  le  gérer  elles-mêmes.  Depuis  ce  moment  les 
municipalités  anglaises  ont  eu  pour  politique  constante  de 
s'opposer  à  la  délivrance  de  provisional  orders  aux  Com- 
pagnies particulières,  et  pour  mieux  leur  barrer  le  chemin, 
elles  ont  commencé  par  en  demander  pour  elles-mêmes, 
avant  même  de  savoir  si  elles  installeraient  ou  non  des 
usines  électriques  municipales.  Elles  avaient  ainsi  deux 
moyens  à  leur  disposition,  elles  en  ont  largement  usé. 

Prenons  le  premier  cas  ;  nous  venons  de  dire  qu'un  par* 
ticulier  qui  désire  procéder  dans  un  district  quelconque  à 
la  distribution  de  l'électricité  doit  se  munir  au  préalable 
d'un  provisional  order  du  Board  of  Trade  ;  et  quoique  le 
Board  of  Trade  puisse  se  passer  du  consentement  de 
l'autorité  locale,  il  agit  rarement  sans  le  lui  avoir  demandé. 
Les  municipalités  peuvent  donc  s'opposer  eiïectivement  à  la 
délivrance  des  provisional  orders,  et  lorsqu'elles  possèdent 
déjà  des  usines  à  gaz  exploitées  en  régie,  elles  ne  manquent 
pas  de  le  faire,  fondant  ouvertement  leur  refus  sur  cette 
seule  raison  qu'ayant  consacré  de  grosses  sommes  à  l'éta- 


lès  t>REMI^RE   PARTIE.    —   ÔHAPItRE   Vîï 

hlissement  de  ces  usines»  elles  en  veulent  tirer  tout  le  parti 
possible  et  n'entendent  pas  se  susciter  des  rivaux. 

Devant  le  Select  Committee  de  1900,  M.  Sydney  Morse, 
M.  Campbell  Swinton  et  Lord  Avebury  ont  tous  trois  dé- 
claré que  cette  hostilité  avait  sérieusement  retardé  les  pro- 
grès de  l'éclairage  électrique  et  que  de  nombreuses  villes 
en  ont  été  longtemps  privées,  auxquelles  il  eût  été  dans 
d'autres  circonstances  très  facile  de  le  donner. 

La  seconde  des  deux  méthodes  employées  pour  sauve- 
garder de  toute  concurrence  les  usines  à  gaz  municipales 
consiste  à  obtenir  un  provisional  order  autorisant  la  création 
d'une  usine  électrique  municipale  et  à  laisser  dormir  au 
fond  d'un  carton,  sans  les  utiliser,  ces  pouvoirs  une  fois 
obtenus. 

Ces  procédés  réussirent  quelque  temps  à  empêcher  la 
formation  des  Compagnies.  C'est  ainsi  que  la  ville  d'York, 
qui  avait  obtenu  un  provisional  order  en  1892,  Recommen- 
çait à  fournir  l'électricité  qu'en  1900.  Birkenhead  laissait 
passer  six  ans  (1890-1896)  ;  Bristol,  dix  ans  (1883-1893)  ; 
Greenock,  16  ans  (1883-1899)  ;  West-Ham  7  ans  entre  le 
jour  où  elles  avaient  reçu  leur  provisional  order  et  celui  où 
elle^  inauguraient  le  service  électrique. 

Nous  trouvons  parmi  les  annexes  du  rapport  de  1900  un 
tableau  dressé  par  M.  A.  Campbell  Swinton  et  donnant  la 
liste  de  54  Municipal  Electric  Lighting  Orders  pour  lesquels 
quatre  ans  au  moins,  et  souvent  beaucoup  plus,  se  sont 
écoulés  entre  la  délivrance  de  l'order  et  l'ouverture  du 
service. 

II  est  difficile,  en  présence  de  pareils  faits,  de  ne  pas  en 
conclure  qu'on  avait  demandé  nombre  de  ces  orders  dans  le 
double  but  de  protéger  les  usines  à  gaz  municipales  contre 
la  concurrence  des  particuliers  et  de  se  conserver  le  champ 


L*^LECTRIC1T^  1 69 

libre,  au  cas  où  Ton  voudrait  un  jour  distribuer  Télectricité 
en  régie. 

Une  loi  récente,  TElectric  lighting  Act  de  1899,  est  enfin 
venue  régler  Tusage  que  les  autorités  locales  doivent  faire 
de  leurs  profits,  si  elles  en  font.  D'après  le  paragraphe  7  de 
cette  loi,  elles  doivent,  après  avoir  payé  les  dépenses  d*ex- 
ploitation  et  d'établissement,  les  intérêts,  pourvu  aux  ver- 
sements à  faire  au  Sinkingfynd  et  à  toutes  autres  dépenses 
qui  ne  peuvent  être  portées  au  compte  capital,  créer  un  Re- 
serve fund  et  l'accumuler  à  intérêts  composés  jusqu^à  ce 
qu'il  atteigne  le  dixième  du  capital  total  de  Tenlreprise.  Le 
Reserve  fund  fera  face  à  tout  déficit  et  à  toute  demande  ou 
réclamation  suscitée  à  un  moment  quelconque  par  le  fonc- 
tionnement de  Tentreprise. 

L*Act  décide  en  outre  que  les  directeurs  de  la  régie  de- 
vront porter  au  crédit  du  local  rate  le  profit  net  disponible 
ainsi  que  les  revenus  annuels  du  Reserve  fund  lorsqu'ils 
atteindront  la  limite  prescrite,  ou  à  leur  choix  employer  ce 
surplus  ou  part  de  ce  surplus  soit  à  V  u  improvement  »  (amé- 
lioration) du  district  qu'ils  administrent,  soit  à  la  réduction 
du  capital  qu'il  a  fallu  emprunter  pour  fonder  Tentreprise. 
Au  cas  où  les  bénéfices  annuels  dépasseraient  5  7o  du  ca- 
pital total  de  l'entreprise,  les  directeurs  devront  faire  subir 
au  prix  de  l'électricité  une  réduction  suffisante  pour  rame- 
ner le  profit  à  son  taux  maximum.  £n  cas  de  perte,  l'impôt 
local  fera  face  à  tout  déficit  que  n'aurait  pu  combler  le  Re- 
serve fund. 

En  1901,  le  nombre  des  autorités  locales  exploitant  en 
régie  Télectricité  était  de  163  ;  leur  capital  s'élevait  à 
£  14.943.122.  On  ne  comptait  que  63  Compagnies  possé- 
dant un  capital  de  £  1 0 .  954 . 1 88 . 

En  1905,  le  nombre  des  entreprises  municipales  en  ex- 


l6o  PREMIÈRE    Ï^ARTIE.    CHAPITRE   YII 

ploUation  aiteîat  244  ;  90  entreprises  sonl  en  cours  de  cons* 
truction.  Le  chiffre  des  entreprises  particulières  n*est  que 
de  136  dans  le  premier  cas,  de  39  dans  le  second.  Le  capi- 
tal des  autorités  locales  s'élève  à  £  35.000.000  environ, 
celui  des  Compagnies  à  £  32.000.000. 

Si  l'histoire  de  ces  entreprises  électriques  est  moins 
longue  et  présente  moins  de  péripéties  que  celle  des  ex- 
ploitations de  gaz,  elle  est  aussi  moins  brillante  au  point  de 
vue  financier.  Ces  régies  ont  en  effet  été  pour  leurs  créa- 
teurs l'occasion  de  trop  nombreux  déboires,  et  si  Ton  nous 
fait  remarquer  que  nombre  de  villes  distribuent  réleclricilé 
à  très  bas  prix,  nous  pourrons  répondre  par  Texemple  de 
celles  où  le  local  rate  vient  chaque  année  combler  les  dé- 
ficits de  l'exploitation  municipale. 

La  régie  de  Glasgow. 

De  1882  à  1892,  Télectricité  ne  fut  fabriquée  à  Glasgow 
que  par  des  particuliers  pour  leur  usage  personnel.  On  ne 
rencontre  à  cette  époque  qu*une  seule  Compagnie,  peu 
importante,  et  qui  distribuait  le  courant  à  ses  clients  au 
moyen  de  fils  aériens.  11  n'en  fallut  pas  plus  pour  éveiller 
les  idées  de  la  municipalité  ;  en  1892  elle  rachetait  cette 
Compagnie  au  prix  de  £  15.000,  et  le  1*"^  mars  de  la  même 
année,  elle  inaugurait  son  service  ;  elle  avait  alors  37  clients. 

Bientôt  après,  elle  bâtissait  une  station  centrale,  et  le 
25  février  1893,  éclairait  pour  la  première  fois  àrélectricité 
quelques-unes  des  principales  rues. 

En  1893,  un  an  après  le  rachat,  le  nombre  des  consom- 
mateurs était  de  108  ;  en  1896,  il  était  de  855  ;  en  1900,  de 
2.852;  en  1905,  de  11.643. 

La  quantité  d'unités  du  Board  of  Trade  vendues  pas- 


i/iLECTKicni  i6i 

sait  de  287.712  en  1893  à  4.250.669  en  1900  et  18.248.468 
ea  1905, 

Le  prix  de  Tunité  fixé  d'abord  à  7  d.  a  été  abaissé  à  6  d., 
3  1/2  d.,  3  d.  et  1  1/2  d.  suivant  Tusage  qu'on  en  fait  et 
la  quantité  qu'on  en  consomme. 

L^entreprise  eut  des  débuts  fort  pénibles^  et  d'après  la 
déposition  de  M.  S.  Cbisholm,  Lord  Provost  de  Glasgow, 
devant  le  comité  de  1900,  elle  fut  durant  plusieurs  années 
menée  sans  grande  énergie  ;  la  cause  en  est  qu'elle  dépen- 
dait du  service  du  gaz,  et  était  dirigée  par  un  sous-comité 
du  comité  du  gaz,  lequel  ne  tenait  en  aucune  façon  à  fa- 
voriser le  développement  d'un  jeune  rival,  qui  ne  pouvait 
que  nuire  au  sien  propre,  ^ious  faisions  précédemment 
allusion  à  cette  rivalité  des  comités  du  gaz  et  de  1  électri- 
cité :  Glasgow  n'est  pas  le  seul  exemple  que  Ton  en  puisse 
citer. 

Après  bien  des  tergiversations,  on  se  décide  enfin  à  créer 
un  comité  spécial  de  l'électricité  qui  gère  Tontreprise  avec 
un  peu  plus  d  énergie.  En  1898,  la  corporation  fait  un  grand 
effort   et  augmente   le   service  de  distribution  ;  mais  le 
nombre  des  consommateurs  reste  toujours  si  faible,  que  pour 
en  attirer  davantage  on  réduit  les  prix  de  vente  :  notons 
qu*à  ce  moment  l'entreprise  est  déjà  en  déficit.  Dans  une 
cité  de   762.000  âmes,  la  municipalité  de  Glasgow  ne  dis- 
tribue au  31  mai  1902  la  lumière  et  Ténergie  qu'à  5.374 
consommateurs.  Sur  un  capital  de  £  962.726.000^  elle  ne 
réalise  en  1901-1902  qu'en  bénéfice  de  £  1 1.430.  16  s.  3  d. 
Reconnaissant  que  cette  somme  ne  suffirait  pas  à  faire 
face  à  l'amortissement  du  capital  de  l'entreprise,  le  comité 
et  avec  lui  le  conseil  municipal  ont  pensé  que  la  conduite 
la  plus  sage  à  suivre  serait  de  consacrer  cet  argent  à  la  ré- 
duction du  capital.  Autrement  dit  ce  bénéfice  de  £  11.000 

fioverat  11 


flfia  PRBMli^RE   PARTIE.    —   CHAPITRE   Vit 

se  trouvait  absorbé  par  la  réduction  de  valeur  d^un  matériel 
plus  ou  moins  vieilli  et  le  profit  accusé  après  neuf  années 
d^exploitation  ne  suffisait  même  pas  à  couvrir  les  dépenses 
d'amortissement . 

Aujourd'hui,  c'est-à-dire  à  la  fin  de  1904-1905,  la  situa- 
tion s'est  améliorée  et  la  longue  série  des  déficits  (de  1893 
à  1905,  il  y  a  eu  9  années  déficitaires)  semble  être  close. 
Pour  la  première  fois,  depuis  le  début  de  l'entreprise, 
£  12.722  ont  pu  être  versées  au  Reserve  fund,  dont  le  mon- 
tant, jusqu'en  1905,  n'était  que  de  £  4.000  provenant  de 
trois  versements  faits  en  1898,  1899  et  1900.  Le  Sinkîng 
fund  a^  d'autre  part,  reçu  £  15.475. 

La  dépense  en  capital,  durant  l'année  1904-1905,  s'est 
élevée  à  £  166.955,  16  s.  1  d. ,  et  la  dépense  totale  en  capital 
(moins  l'amortissement)  se  monte  au  31  mai  1905  à 
£1.244.162,  12  s.  10  d.  Elle  n'était  en  1893  que  de  £  93.697 
et  de  £609.484  en  1900. 

Dans  son  rapport  pour  1904-1905,  le  comité  fait  remar- 
quer que  les  quantités  de  courant  vendues  pour  actionner 
des  moteurs  ont  considérablement  augmenté  ;  l'emploi  de 
l'électricité  se  généralise  de  plus  en  plus  dans  Tindustrie, 
notamment  dans  celle  des  constructions  en  fer.  Le  nombre 
total  des  moteurs  en  activité  auxquels  la  municipalité  four- 
nissait la  force  au  31  mai  1905,  était  de  2.081,  développant 
9.  366  chevaux.  Le  nombre  d'unités  consommées  par  eux 
pendant  l'année  s'élevait  à  4.706.029,  sur  un  total  de 
16.642.253  fournies  aux  particuliers. 

L'électricité  dont  le  prix  varie  pour  l'éclairage  domesti- 
que de  6  d.  à  3  1/2  d.,  suivant  la  quantité  qu'on  en  con- 
somme, ne  coûte  plus  pour  les  moteurs  que  1  1/2,  1  et  3/4 
de  d. 


L^^LECTRIGIT^  l63 

La  Régie  de  Manchester. 

Manchester  suivit  à  peu  de  distance  l'exemple  de  Glas- 
gow. Dès  1882,  aussitôt  après  la  promulgation  de  la  loi  sur 
réclairage  électrique,  le  conseil  municipal  décidait  qu'il 
fallait  autant  que  possible  éviter  la  création  d'une  entreprise 
particulière,  dans  un  domaine  qui  convenait  si  bien  à  l'ac- 
tivité d'une  municipalité.  Toutefois  on  s'en  tint  alors  à  cette 
résolution.  Ce  n'est  qu'en  1888,  lorsque  six  Compagnies 
particulières  eurent  demandé  au  Board  of  Trade  des  «  pro« 
visional  orders  »  que  la  corporation  décida  qu'elle  entrerait 
elle-même  en  scène  et  n'accorderait  son  autorisation  à 
aucune  des  six. 

Sur  la  proposition  du  comité  du  gaz,  elle  demanda  Tan- 
née suivante  un  «  provisional  order  »  que  le  Parlement 
contirma  en  1890.  Un  sous-comité  spécial  reçut  la  mission  de 
veiller  à  l'installation  des  stations  génératrices.  Les  travaux 
étaient  achevés  en  1893  et  la  distribution  s'est  faite  sans 
interruption  depuis  cette  date.  L'order  de  1890  ne  donnait 
à  la  corporation  le  droit  de  fournir  le  courant  qu'à  une  par- 
tie de  la  cité  ;  en  1896  son  pouvoir  fut  étendu  à  la  cité  en- 
tière, et  depuis  elle  fournit  les  districts  environnants  dont 
elle  s'est  successivement  fait  transférer  les  «  provisional  or- 
ders »  :  Denlon,  Droyslden,  Levenshulme,  Moss  Side  et 
Withington  en  1897  ;  Audenshaw^,  Failsworth,  Heaton 
Norris  et  Gorton  en  1899.  De  môme  que  pour  l'eau  et  pour 
le  gaz,  sa  canalisation  s'étend  sur  une  superficie  de  plus 
en  plus  vaste. 

Lors  de  l'inauguration  du  service,  en  juillet  1893,  la  dé- 
pense en  capital  atteignait  £  163.000.  En  1899-1900  elle 
s'élevait  à  £  641.821.  En  1904-1905  à  £  2.199.690.  Le  ser- 
vice des  intérêts  qui  ne  demandait  que  £  3..521  en  1894  de- 
mande en  1905  £64.144. 


l64  PREMIÈRE   PARTIE.     —   CHAPITRE    VU 

Le  nombre  des  coasommateurs  est  allé  sans  cesse  en  aug- 
mentant, mais  il  n'est  pas  encore  très  considérable  pour  une 
ville  de  700.000  habitants.  Il  était  de  412  en  1894  ;  de  l.iiS 
en  1896  ;  de  1.981  en  1898  ;  de  3.249  en  1900.  En  1905  il 
est  de  5.729. 

Les  auditeurs,  dans  leur  rapport,  rappellent  que  la  som- 
me consacrée  à  Tamortissement  en  1904-1905  s'élevait  à 
£  38.327.17  s.  4  d.  Ils  font  remarquer  que  si  To a  compte 
pourvoir  au  renouvellement  du  matériel»  le  jour  où  il  sera 
hors  d*usage,  au  moyen  de  ce  fonds  et  sans  emprunts 
nouveaux,  la  somme  ci-dessus  est  manifestement  insuffi- 
sante. 

Si,  d'autre  part,  on  a  Tintention  de  réemprunter,  disent- 
ils,  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  l'existence  du  matériel 
sera  probablement  de  durée  beaucoup  plus  courte  que  la 
période  accordée  pour  le  remboursement  des  emprunts, 
laquelle  n'est  en  aucun  cas  inférieure  à  25  ans.  Il  faudrait 
donc  demander  Tautorisation  d'emprunter  dans  un  but 
pour  lequel  on  a  déjà  contracté  une  dette  qui  n'est  pas  en- 
core amortie.  En  admettant  qu  on  accorde  Tautorisation 
demandée,  les  contribuables  à  venir  auront  à  supporter 
ju.squ'au  jour  du  complet  remboursement  des  premiers 
emprunts,  un  double  fardeau  correspondant  aux  versements 
à  faire  aux  deux  Sinking  funds  et  aux  intérêts  à  payer  pour 
les  deux  emprunts.  En  d*autres  termes,  ils  auront  à  paver 
rintérét  et  Tamortissement  d*un  capital  représentant  un 
matériel  en  grande  partie  disparu,  et  cela  à  un  moment 
où  ils  ne  recevront  en  retour  de  leurs  paiements  que  peu  ou 
prou  de  bénéfices. 

Seuls  des  spécialistes  peuvent  résoudre  cette  question  de 
Tamortissement.  Il  semble  bien  cependant  que  la  part  qui 
lui  est  faite  est  en  général  beaucoup  trop  faible,  et  qu'au 


l'i^lectrigité 


i65 


lieu  de  verser  au  budget  communal,  comme  on  l'a  fait  de 
1894  à  1905,  uae  somme  de  £  52.479  en  aide  des  impôts, 
il  eût  été  préférable  d'augmenter  la  dotation  des  fonds  de 
réserve  d'amortissement.  En  1904-1905,  l'électricité  n'a 
d'ailleurs  rien  donné  aux  impôts. 

Le  tableau  ci-dessous  nous  indique  le  chiffre  des  intérêts 
à  payer,  le  montant  du  sinking  fund,  les  bénélices  réalisés, 
et  le  prix  de  l'électricité  dans  les  dernières  années  : 


Sommes 

Montant 

Profit 

Prix    moyen 

Années 

payées  en 

du    Sinking 

intérêts 

Tund 

net 

par  unité 

(8  mois) 

£ 

£ 

£ 

4894 

3.521 

4.376 

209  (déficit) 

5  d.  50 

1895 

4  394 

3.547 

5.709 

5        78 

4900 

13.692 

12.935 

9.764 

3        25 

4901 

20.222 

18.605 

3.515 

3        12 

4902 

21.754 

25.018 

7.634 

3        07 

1903 

43.564 

32.977 

8.315 

2        71 

4904 

51.474 

49.199 

6. 808 

2        21 

4905 

64.144 

59.492 

4.543 

2        44(1) 

Manchester  fournit  l'électricité  non  seulement  aux  par- 
ticuliers, mais  encore  à  ses  tramways.  Le  nombre  total 
d'unités  fournies  aux  particuliers  pour  l'éclairage  et  la  force 
motrice  était  en  1904-1905  de  14.679.373.  Le  prix  de  l'unité 
est  passé  de  8d.  en  1893-1894,  à6d.  en  1895-1896,  à  5  d.  en 
1897-1898,  et  il  est  encore  à  ce  taux  aujourd'hui.  Pour  la 
force  son  prix  varie  de  1  d.  7/8  à  1  d. 

La  régie  de  LiverpooL 

Liverpool  ne  s*opposa  pas,  comme  Tavait  fait  Manchester, 
à  la  formation  de  Compagnies  particulières.  Après  divers 


(1)  Abslraci  of  AccounU  (Manchester),  année  1904-1905. 


l66  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    VH 

essais  qui  n'aboutirent  pas,  la  a  Liverpool  Electric  Sapply 
Company  «  fut  fondée  le  !•'  juillet  1883.  De  1883  à  1896, 
elle  construisit  plusieurs  stations  génératrices.  Sa  carrière 
fut  dès  le  début  des  plus  prospères  et  elle  distribua  chaque 
année  de  gros  dividendes  à  ses  actionnaires.  La  corporation, 
disait  l'alderman  Sir  Thomas  Hughes,  ne  s'était  pas  opposée 
à  la  délivrance  du  Provisional  order  demandé  parla  Com- 
pagnie parce  qu'on  en  était  encore  à  la  période  des  es- 
sais (1)  ;  mais  elle  s^était  réservé  le  droit  de  rachat  qu*elle 
exerça  en  1896,  lorsqu'elle  vit  que  la  Compagnie  était  sortie 
de  la  période  des  tâtonnements  et  que  ses  dividendes  attei- 
gnaient 6  °/q,  La  Compagnie  possédait  un  capital  de 
£  250.000.  La  corporation  la  racheta  £  400.000,  «  car  nous 
comprenions,  continuait  Sir  Th.  Hughes,  que  cette  Compa- 
gnie avait  fait  preuve  d'initiative,  qu^elle  avait  su  dévelop- 
per habilement  ses  affaires  et  qu'elle  avait  droit  par  con- 
séquent à  un  juste  profit  sur  ce  capital,  risqué  par  elle 
dans  une  entreprise  qui  avait  été  jadis  une  spéculation.  Le 
marché  fut  conclu  de  gré  à  gré,  sans  le  secours  d'un  ar- 
bitre ». 

A  l'époque  du  rachat,  c'est-à-dire  en  1896,  l'unité  élec- 
trique coûtait,  pour  l'éclairage,  7  */2  d.  ;  pour  l'énergie,  le 
chauffage  ou  la  cuisine  5  d.  Aujourd'hui  son  prix  a  été 
abaissée  3  3/4  d.  et  3  d.  dans  le  premier  cas,  à  2  d.  et 
1  1/2  d.  dans  le  second.  Il  est  de  3  3/4  d.  par  unité,  pour 
une  consommation  inférieure  à  3.000  unités  par  trimes- 
tre; de  3  d.  au  delà  de  3.000.  Même  système  pour  l'é- 
nergie. 

En  1897,  la  corporation  de  Liverpool  racheta  le  service 
des  tramways  :  preuve  que  lorsqu'on  a  commencé  à  mu- 

(1)  Municipal  Trading  Report^  1900, 


L'^LECTRIGITé  167 

nicipaliser  un  service,  on  se  trouve,  de  proche  en  proche, 
amené  à  en  municipal iser  d'autres. 

Presque  partout  en  Angleterre,  la  municipàlisation  de  Té* 
lectricité,  opérée  soi-disant  dans  le  seul  but  de  fournir  .la 
lumière,  a  conduit  à  la  municipàlisation  des  tramways  et  à  la 
distribution  aux  particuliers  eux-mêmes  de  l'énergie  électri^ 
que  ;  on  comprend  aisément  Tavantage  qu'il  y  a  à  posséder 
à  la  fois  ces  diverses  exploitations  ;  leur  union  dans  la  même 
main  permet  de  grosses  économies.  La  Compagnie  qui  four- 
nissait la  lumière  seule  n'avait  à  distribuer  Télectricité  que 
la  nuit  seulement.  Depuis  que  c'est  la  municipalité  qui  di- 
rige Tentreprise  et  qu'elle  fournit  aux  tramways  la  force 
motrice,  les  machines  fonctionnent  nuit  et  jour,  et  il  lui  a 
été  possible  d'abaisser  le  prix  de  l'unité  dans  des  propor* 
tions  notables.  Les  tramways  payent  l'unité  1  d.  16  ;  on  la 
compte  2d.  pour  l'éclairage  public. 

Le  nombre  total  d'unités  fournies  aux  particuliers  en 
1904-1905  a  été  de  10.069.856.  L'éclairage  public  en  a  de- 
mandé 284.634,  les  tramways  18.979.133,  soit  un  total 
général  de  29.333.623  ;  à  4  millions  près,  le  même  chiffre 
qu'à  Manchester.  En  1896  (première  année  de  la  régie) 
la  municipalité  n'avait  distribué  que  1.452.511  unités  et 
11.564.335  en  1900.  Les  principales  rues  de  la  cité  sont 
éclairées  à  Télectricité. 

Au  31  décembre  1904,  les  dépenses  en  capital  s'élevaient  & 
£  1.718  713.  Le  Sinking  fund  à  £  87.910,  le  Reserve  fund  à 
£  75.556,  le  Renewal  account  à  £  58  046.  Le  service  des  in- 
térêts  demandait  £  53  775. 

En  1904,  ledépartementde  l'électricité  a  versé  au  budget 
de  la  ville,  en  aide  du  gênerai  rate  une  somme  de  £  16.934. 
Les  bénéfices  de  Tannée  s'étaient  élevés  à  £  44  510,  on. 
les  a  partagés  entre  Tamortissement  et  les  impôts.  Jus- 


l68  PREMIERE    PARTIE.    —    CHAPITRE    VU 

qu'en  1901,  le  comité  de  rélectricité,  désirant  avant  tout 
réduire  les  prix  et  créer  un  fonds  d^amortîssement,  n'avait 
pas  voulu  contribuer  aux  dépenses  publiques.  En  1902,  il 
donna  pour  la  première  fois,  dans  ce  but,  une  somme  de 
£  12.029. 

La  régie  de  Birmingham. 

Birmingham,  que  nous  nous  plaisons  souvent  à  regar- 
der en  France  comme  le  paradis  du  socialisme  municipal, 
arrive,  cette  fois  encore,  la  quatrième  en  date  pour  la  muni- 
cipalisation  de  Félectricité  qu'elle  n'opéra  qu'en  1899. 

Comme  Liverpool,  elle  a  d'abord  laissé  s'établir  une  Com- 
pagnie, la  c  Birmingham  Electric  Supply  Company  ».  Le 
conseil  municipal  estimait,  en  1888,  qu'il  serait  imprudent 
de  risquer  l'argent  des  contribuables  dans  une  entreprise  de 
ce  genre,  sur  laquelle  on  n'avait  encore  que  des  données  in- 
certaines :  qu'il  valait  mieux  attendre  les  résultats  d'expé- 
riences qui  permettraient  de  déterminer  s'il  était  possible 
de  réaliser  de  sérieuses  économies  en  établissant,  dans  des 
endroits  où  la  terre  et  le  charbon  seraient  à  bon  marché, 
des  stations  génératrices  envoyant  au  loin  leur  courant. 

La  Birmingham  Electric  Supply  Company  fut  donc  fon- 
dée en  1890  ;  elle  ne  fournissait  Télectricité  qu'aux  princi- 
pales rues  commerçantes  du  centre  de  la  cité.  La  corpora- 
tion avait  mis  cette  condition  à  son  approbation,  pour  mé- 
nager les  profits  de  son  usine  à  gaz  ;  cette  politique  de 
marchandage  aboutit  à  priver  pendant  18  ans  les  personnes 
qui  n'habitaient  pas  le  centre  même  de  la  cité,  de  la  lumière 
électrique.  En  1893,  la  Compagnie  demande  l'extension  de 
son  secteur,  et  la  question  de  la  municipalisation  se  trouve 
posée  pour  la  seconde  fois.  Cette  fois  encore,  le  comité 
d'enquête  est  d'avis  que  l'expérience  des  villes  qui  ont  mis 


L'^LECTRIGITé  1 69 

ce  service  en  régie,  n'est  pas  assez  longue  pour  être  pro- 
bante, que  les  bénéfices  des  Compagnies  sont  peu  impor-* 
tants  et  qu'on  ne  peut  raisonnablement  espérer  faire  mieux 
qu'elles.  La  liberté  de  la  concurrence  et  le  pouvoir  du  Board 
of  Trade  de  reviser  les  prix  &  la  fin  de  toute  période  de  7  ans 
suffiront  à  protéger  les  intérêts  du  public.  Le  conseil  auto- 
risa donc  la  Compagnie  à  demander  une  extension  de  son 
secteur  de  distribution  (order  de  1894)  et  lui  demanda  en 
revanche  d'abaisser  le  prix  de  Tunité  de  10  d.  à  8  d.  Au 
bout  de  quelques  années  d'incertitude  le  succès  commer- 
cial de  la  Compagnie  était  assuré.  Le  nombre  de  ses  clients 
passait  de  480  en  1895,  à  664  en  1896  et  916  en  1897  ;  ses 
profits  s'élevaient  de  £  5.869  en  1895  à  £  9.181  en  1896  et 
£12.962  en  1897. 

En  voyant  ces  résultats,  le  conseil  fut  immédiatement 
d'avis  que  le  risque  de  perte,  le  plus  sérieux  des  obstacles 
à  la  municipalisation,  avait  disparu,  et  qu'une  entreprise 
aussi  rémunératrice  devait  passer  aux  mains  de  l'autorité 
locale.  Mais  à  peine  était  il  question  de  racheter  la  Com- 
pagnie que  le  cours  des  actions  de  £  5,  déjà  au*desBus  du 
pair  à  ce  moment,  montait  à  £  12  (1) 

En  juin  1898,  le  rachat  était  définitivement  décidé  et  la 
ville  en  fixait  les  termes  d'accord  avec  la  Compagnie.  Elle 
possédait  un  capital  de  £  200.000  en  actions  de  £  5.  Elle 
avait  dépensé  £  219.077  (compte  capital  à  la  fin  de  1897)  et 
obtenu  la  permission  d'augmenter  ce  capital  jusqu^à 
£  300.000.  Au  moment  où  fut  conclue  la  convention,  le 
prix  des  actions  sur  le  marché  atteignait  £  10,10s.O  d.;  il  ser- 
vit naturellement  de  base  au  rachat.  La  corporation  paya 
donc  en  tout  £  420.000  ;  elle  reprit  l'entreprise  entière,  ac- 

(1)  Voir  ViNCE,  op.  cil, y  p.  287. 


170  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    VII 

tif  et  passif,  à  partir  du  !•' janvier  1898.  Elle  garantissait 
un  dividende  minimum  de  6  Vo  ^  partir  de  cette  date  jus- 
qu'à celle  où  les  opérations  du  rachat  seraient  terminées; 
en  attendant  la  Compagnie  gérerait  Tentreprise  pour  le 
compte  de  la  corporation.  Le  Parlement  autorisa  l'opéra- 
tion par  le  Birmingham  Corporation  Act  de  1899,  et  le 
9  novembre  on  nommait  les  membres  du  premier  comité 
de  l'électricité. 

Le  prix  versé  à  la  Compagnie  parut  à  beaucoup  de  per- 
sonnes trop  élevé,  puisque  le  service  des  intérêts  et  des 
versements  à  faire  au  Sinking  fund  allait  dès  le  début  se 
monter  à  £  17.000,  c'est-à-dire  à  £  4.000  de  plus  que  les  bé- 
néfices réalisés  parla  Compagnie  en  1897.  Elle  n'avait  dis- 
tribué cette  année-là  qu'un  dividende  de  5  Vo»  et  c'était 
l'attente  d'un  rachat  avantageux  bien  plus  que  celle  de  bé- 
néfices importants  qui  avait  produit  une  hausse  si  considé- 
rable des  cours.  Aussi,  au  bout  des  15  mois  finissant  en 
mars  1901,1e  déficit  était-il  de  £4.175;  en  1901-1902  il 
atteignait  £  4.813.  On  devait  le  combler  au  moyen  du 
c  Renewal  fund  account  »  transmis  par  la  Compagnie. 

Le  prix  de  l'électricité  a  subi  une  notable  réduction  :  il 
est  aujourd'hui  pour  l'éclairage  domestique  de  5d.  pour  les 
300  premières  unités  consommées  durant  un  même  tri- 
mestre, de  3  1/2  d.  au  delà  de  300.  Pour  la  force  motrice» 
il  est  de  2  d.  par  unité  pour  les  300  premières  unités  con- 
sommées durant  un  même  trimestre,  de  300  à  3.000  il  des- 
cend à  1  1/2  d.  ;  et  au  delà  de  3,000  à  1  1/4  d.  En  cas  de 
payement  immédiat  des  sommes  dues,  la  municipalité  fait 
un  escompte  de  5  Vo- 

En  1904-1905  la  municipalité  distribuait  à  2.546  consom- 
mateurs 4.645.027  unités  électriques.  Le  compte  revenu  ac- 
cusait un  excédent  de  recettes  sur  les  dépenses  de  £  39.574, 


l'électricité  171 

porté  au  compte  de  Profits  et  Pertes.  Après  prélèvement  des 
sommes  nécessaires  au  service  des  intérêts  et  de  l'amortis- 
sement de  la  dette,  on  a  versé  au  Reserve  fund  le  surplus 
disponible,  soit  £  10.789. 

La  dépense  totale  en  capital,  du  début  de  Fentreprise  au 
31  mars  1905,  s'élève  à  £  665.424,  et  le  Reserve  fund  à 
£  49.394.  Le  total  des  emprunts  négociés  est  de  £  713.929, 
sur  lesquels  on  a  remboursé  £  39.562.  La  dette  actuelle  s'é- 
lève donc  à  £  674.366. 

La  situation  de  Tentreprise  est  moins  mauvaise  sans  doute 
qu'il  y  a  quelques  années  ;  elle  est  encore  loin  d'être  bril- 
lante. 

Les  chifTres  que  nous  venons  de  cîler  font  voir  que  Tu- 
sage  de  l'électricité  est  encore  fort  peu  répandu  en  Angle- 
terre, puisque  dans  des  villes  comme  Manchester,  Liverpool 
et  Birmingham,  qui  renferment  une  population  de  600.000 
à  700.000  âmes,  le  nombre  des  consommateurs  n'est  en 
moyenne  que  de  5.000.  Ce  n'est  donc  pas  là  un  service  de 
première  nécessité,  sur  lequel  la  municipalité  ait  le  droit 
de  mettre  la  main  dans  l'intérêt  de  la  communauté. 

Si  la  gestion  des  grandes  villes  que  nous  venons  de  pas- 
ser en  revue  ne  laisse  pas  trop  à  désirer,  il  est  loin  d'en 
être  de  même  de  la  multitude  des  villes  de  moindre  impor- 
tance qui  ont  voulu  imiter  l'exemple  de  leurs  grandes  voi- 
sines et  dont  beaucoup  voient  chaque  année  leur  bilan  se 
solder  par  des  pertes  plus  ou  moins  considérables. 

Au  31  mars  1904,  surles  190  entreprises  municipales  qui 
fonctionnaient  alors,  116  accusaient  un  profit,  74  une  perte. 
Le  capital  total  dépensé  par  elles  s'élevait  à  £  26.  924.888  ; 
il  n'avait  donné  qu'un  profit  de  £  419.984,  soit  environ 
11/2  7oï  après  prélèvement  des  sommes  nécessaires  au 
paiement  des  intérêts  et  des  versements  à  faire  au  Sinking' 


172  PREMIÈRE    PARTIE.    —   CHAPITRE    Vil 

fund.  Onze  de  ces  1 16  autori lés  locales,  possédant  ensemble 
uti  capital  de  £  8.614.f>o0  réalisaient  à  elles  seules  plus  de 
la  moitié  de  ce  profit  (£  214.798).  La  balance  restante  de 
£  205.186  représente  donc  environ  1  7o  de  prolits  sur  le 
reste  du  capital  dépensé,  qui  s'élève  à  £  18.310.238. 

74  entreprises,  soit  plus  de  38  Vo  du  nombre  tolal  ont 
subi  des  pertes  s'élevant  à  £  80.504.  Parmi  les  annexes  au 
rapport  de  1902  sur  le  remboursement  des  emprunts  con- 
tractés par  les  autorités  locales,  figure  (p.  388)  un  tableau 
dressé  par  M.  Henderson,  membre  du  Stock  Exchange  de 
Londres  et  donnant  les  noms  de  60  villes  dont  les  exploi- 
tations électriques  ont  subi  en  1900-1901  des  pertes  qui 
atteignent  un  total  de  £  92.280. 

Le  capital  de  ces  entreprises  étant  de  £  6.018.470,  son 
amortissement  à  3  Yo  demanderait  une  somme  annuelle  de 
£  180.  554,  ce  qui  porterait  la  perte  totale  à  £  272.834. 

Enfin,  dans  un  résumé  des  résultats  financiers  des  régies 
de  Télectricité,  allant  jusqu'à  la  fin  de  1903-1904,  et  publiée 
parle  London  County  Council,  nous  voyons  que  sur  14 
borough  councils  distribuant  Télectricité  dans  le  comté  de 
Londres,  les  uns  ont  dû  demander  aux  impôts,  pour  com- 
bler leur  déficit,  une  somme  de  £  39.518,  tandis  que  les 
autres  n*ont  pu  tirer  de  leur  régie  pour  la  verser  au  bud- 
get communal,  qu'une  somme  de  £  14.617.  Rattersea, 
Bermondsey,  Poplar,  Southwark  et  Woolwich  n'avaient  ni 
fonds  d'amortissement,  ni  fonds  de  réserve. 

A  Battersea,  ville  qui  a  reçu,  avec  beaucoup  d'autres  d'ail- 
leurs, le  surnom  de  municipal  Mecca,  de  Mecque  du  socia- 
lisme municipal,  Tinstallation  de  l'usine  électrique  a  coûtt\ 
£  191 .497.  Le  service  a  commencé  en  septembre  1901.  A  la 
fin  de  1903-1904,  on  n'avait  non  seulement  fait  encore  aucun 
profit,  mais  les  pertes  s'élevaient  à  £  12.000.  Sur  unepopu- 


l'électricité  173 

lation  de  175.000  habitants  on  ne  comptait  que  541  con- 
sommateurs. Bon  nombre  de  contribuables  payaient  ainsi 
une  lumière  dont  ils  ne  se  servaient  pas  et  dont  quelques 
rares  personnes  profitaient  à  leurs  dépens. 

A  Fulham,  sur  150,000  habitants,  il  y  avait  1.132  con- 
sommateurs, et  de  1901  à  1904,  en  trois  ans,  il  avait  fallu, 
pour  faire  marcher  Tentreprise  électrique  et  le  «  Refuse  des- 
tructor  »  demander  aux  impôts  £  20.  297. 

A  Woolwîch  le  déficit  de  cette  même  année  1903-1904 
s*élevaità  £  5.  708,  et  le  nombre  des  consommateurs  à  279 
sur  une  population  de  123.000  habitants. 

A  Accrington,  où  le  service  a  été  inauguré  en  septembre 
1900,  les  déficits  ont  atteint  en  1902  £  1.559,  en  1903 
£  1.323,  en  1904  £876,  en  1905  £  1.351.  Naturellement,  il 
n'y  a  ni  amortissement,  ni  fonds  de  réserve.  Les  dépenses 
en  capital  s'élèvent  à  £  45.708.  Sur  44.300  habitants  on 
compte  258  consommateurs. 

A  Dublin,  le  service  est  ouvert  en  1892.  En  1904,  le  dé- 
ficit est  de  £  12.536,  en  1905  de  £  4.890.  Le  capital  se 
monte  à  £  402.312,  et  on  ne  peut  rien  mettre  de  côté  pour 
l'amortissement. 

A  Oldham,  où  la  régie  existe  depuis  1894,  la  perte  en 
1905  est  de  £  1.037;  à  Poplar,  de  £  1.271  ;  à  Peterbo- 
rough  de  £  905.  A  West  Ham  le  service  existe  depuis 
1898  ;  en  1904  le  déficit  est  de  £  3.788  ;  en  1905  de  £  747. 
La  population  compte  275.400  personnes,  les  consomma- 
teurs ne  sont  que  995.  La  dépense  en  capital  atteint 
£  318.273. 

Mais  tout  cela  ne  vaut  pas  l'histoire  de  Bath  qu'a  rap- 
portée le  correspondant  du  Times  (1).  «  L'histoire  de  Bath, 

(1)  The  Times,  5  septembre  1902. 


174  PREMIERE   PARtlË.    —   GfiAPlTRE    Vil 

nous  dit-il,  est  particulièrement  instructive.  La  lumière 
électrique  y  fut  introduite  par  un  fabricant  de  chaussures 
qui  aimait  la  science,  et  depuis  1890  le  service  y  était  fait 
par  une  Compagnie  qui  avait  obtenu  du  Board  of  Trade 
une  licence  à  cet  effet.  Plus  tard,  en  1896,  ayant  demandé 
un  provisional  order,  elle  se  heurta  à  ropposîtion  de  fa 
corporation  de  Bath  qui  le  demanda  et  l'obtint  pour  elle- 
même.  Ceci  fait,  la  municipalité  fit  évaluer  l'entreprise  et 
la  racheta.  Elle  acquit  ainsi  pour  £  24.500  une  entreprise 
qui  avait  coûté  £  43.000  à  ses  fondateurs.  On  ne  tint  compte 
ni  de  la  clientèle  qu'on  estimait  à  £  5.000,  ni  du  profit 
de  £  1.500  qu'accusait  le  dernier  bilan  de  la  Compagnie,  ni 
de  ce  fait  que  le  matériel  n'avait  servi  que  7  ans.  » 

Sous  la  direction  de  la  corporation  le  service  débuta  en 
1 897-1 898  par  un  déficit  de  £  125  (il  n  étaitnaturellementpas 
question  d'amortissement).  En  1898-1899  le  déficit  atteignait 
le  chiffre  de  £  1.937,  en  1900-1901  celui  de  £  1.238  ». 

L'hiver  suivant,  les  usines  pour  l'aménagement  desquel- 
les la  corporation  avait  dépensé  £  78.000  se  trouvèrent 
complètement  hors  d'usage,  et  l'ingénieur  expert  dont  on 
avait  demandé  l'avis  déclara  qu'il  en  coûterait  £  70.000 
pour  les  remettre  en  parfait  état. 

Regrettant  le  marché  qu'elle  avait  fait,  la  corporation 
chercha  à  provoquer  les  offres  de  Compagnies  qui  la  débar- 
rasseraient de  ce  service  onéreux  ;  mais  ne  recevant  que 
deux  propositions  peu  satisfaisantes,  elle  se  décida  à  conti- 
niier  elle-même  l'exploitation.  En  1904-1905  les  résultats 
sont  toujours  aussi  mauvais  et  la  balance  aboutit  à  un  dé- 
ficit de  £  132.  Sur  une  population  de  50.000  personnes  il 
n'y  a  que  615  consommateurs,  et  c'est  naturellement  l'en- 
semble des  contribuables  qui  supporte  ces  pertes  répétées. 

Il  est  inutile  de  prolonger  plus  longtemps  cette  liste  déjà 


L*éLEGTRIGITl£  176 

loDgue.  On  admet  que  des  Compagnies  courent  des  risques 
de  ce  genre  qui  rentrent  dans  les  principes  mêmes  de  toute 
entreprise  commerciale  ;  elles  ont  d'autant  plus  raison  de 
le  faire  qu'il  n'est  pas  douteux  que  beaucoup  de  ces  ex- 
ploitations électriques  auraient  pleinement  réussi  au  point 
de  vue  financier,  si  elles  avaient  appartenu  à  des  particu- 
liers. Prenant  les  choses  telles  qu'elles  se  sont  passées,  il 
est  certain  que  les  intérêts  des  contribuables  ont  souiTert 
de  Téchec  de  ces  entréprises  fondées  sur  la  spéculation  et 
qui,  règle  générale,  n^auraient  pas  dû  être  créées  par  des 
autorités  publiques,  absolument  incapables  de  les  mener. 

L'industrie  électrique  en  a  gravement  souffert,  elle  aussi, 
et  son  retard  en  est  la  preuve. 

Les  «  refuse  destructors  »  municipaux. 

Nous  ne  voudrions  pas  finir  ce  chapitre  plutôt  amer  de 
rhistoire  des  municipalités  anglaises,  sans  rappeler  un  es- 
sai intéressant  que  quelques-unes  d'entre  elles  viennent  de 
faire.  Cherchant  le  meilleur  moyen  d'utiliser  les  ordures 
ménagères  et  les  détritus  de  toutes  sortes  qui  s'amoncellent 
chaque  jour  dans  les  grandes  villes,  la  paroisse  de  St-Pan- 
cras  a  eu  Tidée  de  s'en  servir  pour  produire  la  chaleur  né- 
cessaire au  fonctionnement  de  ses  dynamos.  Plusieurs 
villes  brûlaient  déjà  leurs  ordures  dans  des  poêles  gigantes- 
ques appelés  ((  destructors  »,  mais  sans  utiliser  la  chaleur 
qu'ils  dégageaient.  On  est  depuis  quelques  années  arrivé  à 
en  tirer  parti.  L'exemple  de  St-Pancras  a  été  suivi  par  Sho- 
reditch  qui  utilise  son  destructor  tout  à  la  fois  pour  son 
usine  électrique,  ses  bains  publics,  ses  lavoirs  et  sa  biblio- 
thèque populaire.  Nottingham  brûle  les  ordures  et  les  dé- 
tritus dans  des  destructors  dont  les  plus  récents  fournissent 
la  vapeur  nécessaire  à  la  production  de  l'électricité. 


176  PREMIÈRE   PARTIE.    — ^   CHAPITRE    YII 

Liverpool  a  égalemeut  utilisé  ses  destructors  ;  six  d^entre 
eux  fournissent  aux  usines  électriques  la  chaleur  dentelles 
ont  besoin  ;  la  quantité  d'ordures  brûlées  en  1904  s'élevait 
à  188.000  tonnes  environ,  elle  avait  permis  de  produire 
4.500.000  unités  électriques,  c'est-à-dire  15  ^U  de  la  pro- 
duction totale  de  l'année. 

Nous  empruntons  à  un  livre  publié  par  la  municipalité 
de  Liverpool  (1)  la  description  d'un  de  ces  destructors*. 

((  L'installation  consiste,  nous  dit-on,  en  une  série  de 
foyers  construits  en  briques  et  dont  les  parois  internes  sont 
revêtues  de  briques  réfractaires,  au-dessus  du  niveau  des 
grilles  sur  lesquelles  on  brûle  les  détritus  à  Faide  d'un  cou- 
rant d'air  à  haute  pression.  L'on  amène  les  voitures  et  four- 
gons pleins  d'ordures,  par  un  plan  incliné,  à  une  plateforme 
commandant  le  sommet  des  fournaises,  où  l'on  renverse 
leur  contenu.  Les  flammes  et  les  gaz  chauds  produits  par 
la  combustion  des  ordures  circulent  à  travers  les  chaudières 
tubulaires,  et  la  vapeur  ainsi  créée  sert  à  la  fabrication  du 
mortier  ainsi  qu'à  la  production  de  l'électricité  nécessaire  à 
l'éclairage  et  aux  tramways.  Quant  aux  scories,  on  les  broie 
et  on  en  fait,  en  les  agglomérant,  des  sortes  de  pavés  dont 
le  poids  total  atteint  20.000  tonnes  au  bout  de  l'année,  v 

C'est  certainement  là  une  innovation  intéressante  et  une 
solution  à  la  fois  pratique  et  avantageuse  de  la  question  si 
difficile  de  l'enlèvement  des  ordures  et  des  détritus  des 
grandes  villes.  Il  n'était  que  juste  de  la  signaler. 

(1  ]  L  iverpool  Congress,  p .  1 34 


CHAPITRE  VIII 


LES  TRAMWAYS. 


II  nous  semble  superflu  de  démontrer  Vutilité,  disons 
même  la  nécessité,  qu'il  y  a  à  doter  les  villes  modernes  à 
population  dense,  de  moyens  de  transport  rapides  et  peu 
coûteux  ;  la  vaste  superficie  de  nos  grandes  cités  n^aurait 
que  des  inconvénients  si  nous  ne  pouvions  à  tout  moment, 
à  Taide  de  véhicules  de  toutes  sortes,  dont  les  tramways 
électriques  et  les  chemins  de  fer  souterrains  offrentaujour- 
d'hui  rimage  la  plus  perfectionnée,  nous  transporter  pour 
une  somme  minime  d'une  extrémité  à  Tautre  de  leur  ter- 
ritoire. 

C'est  aux  Etats-Unis,  en  1852,  que  Ton  établit  pour  la 
première  fois  des  lignes  de  tramways  sur  le  sol  même  des 
rues  ;  nulle  part  ailleurs  ce  mode  de  locomotion  ne  s'est 
développé  aussi  rapidement  que  dans  ce  pays.  C'est  encore 
une  ville  d'Amérique  qui,  la  première,  en  1885,  se  servit  de 
Télectricité  pour  actionner  ses  tramways;  et  depuis  1890 
toutes  les  villes  américaines  ont  avec  ardeur  poursuivi  le 
remplacement  de  la  traction  chevaline  par  la  traction  élec- 
trique; à  quelques  rares  exceptions  près,  c'est  à  Tinitiative 
particulière  que  revient  l'honneur  des  progrès  réalisés  dans 
ce  pays  depuis  une  vingtaine  d'années. 

L'Angleterre,  au  contraire,  a  mis  autant  de  lenteur  à 
adopter  le  nouveau  système  de  traction  qu'elle  en  avait  mis 

Boverat  12 


178  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE   VIII 

à  adopter  la  lumière  électrique  ;  les  deux  choses  vont  d'ail- 
leurs ensemble,  et  si,  depuis  quelques  années,  elle  cherche 
à  rattraper  le  temps  perdu,  les  chiffres  que  nous  donneot 
ses  statistiques  sont  loin  d'approcher  de  ceux  de  sa  grande 
rivale.  Alors  qu'en  1900  on  comptait  aux  Etats-Unis  15.000 
miles  de  tramways  électriques,  l'Angleterre  n'en  avait  que 
210  en  1899,  870  en  1902,  1.780  en  1905. 

Cette  fois  encore, c'est  à  sa  législation  que  sont  imputables 
les  causes  de  son  retard,  bien  que  les  conséquences  fâcheu- 
ses de  la  loi  sur  les  tramways  ne  se  soient  fait  sentir  qu'assez 
longtemps  après  sa  promulgation.  Avant  d'examiner  les 
dispositions  mêmes  de  cette  loi,  il  ne  sera  pas  inutile  de 
rechercher  de  quelles  idées  s'est  inspiré  le  législateur  et 
dans  quel  but  il  a  agi,  lorsqu'il  Ta  votée. 

Les  arguments  auxquels  on  a  eu  recours  pour  munici- 
paliser  les  tramways  sont  à  peu  de  chose  près  ceux  dont 
on  s'était  déjà  servi  pour  obtenir  la  régie  de  Teau  et  du  gaz. 
Ils  reposent  sur  la  même  idée  :  protéger  le  public  contre 
les  méfaits  possibles  des  Compagnies  ;  essayer  de  réserver 
aux  municipalités  les  bénéfices  que  peut  procurer  l'exploi- 
tation d'un  service  public. 

Le  premier  de  ces  arguments  est  que  l'exploitation  d'une 
ligne  de  tramways  entraîne  une  main-mise  forcée  sur  la 
voie  publique  et  la  nécessité  d'y  faire  des  travaux  aussi 
considérables  que  fréquents.  Les  droits  qu'exercent  ainsi 
les  Compagnies  viennent  se  heurter  à  ceux  des  autorités 
préposées  à  la  garde  et  à  Fentretien  des  rues  et  chemins  ; 
et  cette  fois,  toutes  deux  travaillent  à  la  surface,  el  non  pas, 
comme  c'est  le  cas  pour  le  gaz,  Tune  au-dessus  et  l'autre 
au-dessous  ;  sans  aucun  doute  la  Municipalité  doit  l'em- 
porter :  mais  ne  lui  sera-t-il  pas  souvent  difficile  d'obtenir 
d'un  particulier  qu'il  fasse  ce  qu'il  est  de  son  devoir  de  faire  î 


LBâ   tRABIt^AYd  17g 

Comment  obliger  une  Compagnie  dont  les  affaires  péricli- 
tent à  réparer  et  à  maintenir  en  bon  état  l'espace  de  i^oie 
publique  compris  entre  les  rails  ?  Il  n'y  a  qu'un  moyen  de 
rétablir  Tordre  :  c'est  de  racheter  la  Compagnie  en  faute. Or 
le  rachat  est  chose  compliquée,  et  Ton  éviterait  toutes  ces 
difficultés  en  confiant  à  une  autorité  unique  le  soin  de  pro- 
céder à  la  construction  des  routes  et  à  la  pose  des  rails, 

Puisque  l'autorité  locale  est  chargée  de  l'entretien  des 
premières,  n'est-il  pas  naturel  de  lui  confier  aussi  le  soin 
d'établir  les  secondes  et  d'y  faire  les  réparations  nécessai- 
res ?  C'est  pourquoi  de  nombreuses  autorités  locales  se  sont, 
en  Angleterre  chargées  de  la  construction  de  réseaux 
qu'elles  ont  ensuite  affermés  à  des  Compagnies  privées. 

Le  deuxième  argument  des  municipalistes  est  que  le  ser- 
vice des  tramways  constitue,  au  profit  de  celui  qui  l'exploite, 
un  véritable  monopole.  L'exploitation  des  tramways  se 
présente  sous  un  aspect  bien  plus  exclusif  que  l'exploita- 
tion d'un  service  d'omnibus  ;  et  bien  qu'il  y  ait  aujourd'hui 
de  nombreux  exemples  de  lignes  utilisées  à  la  fois  par  les 
voitures  de   plusieurs  Compagnies,  il  n'en  est  pas  moins 
vrai  qu'une  réelle  concurrence  n'est  guère  possible  et  que 
chaque  Compagnie  de  tramways  jouit,  dans  le  secteur  qui 
lui  est  propre  et  dans  les  rues  où  elle  a  posé  ses  rails,  d'un 
véritable  monopole.  C'est  le  même  argument  que  pour  les 
conduites  de  gaz  ou  les  conduites  d'eau,  appliqué  avec  plus 
de  justesse  même  dans  le  cas  actuel  que  dans  le  précédent. 
Les  municipalités  des  grandes  villes  doivent  enfin  s'in- 
téresser tout  particulièrement  à  l'établissement  des  tram- 
ways pour  une  troisième  raison  :  cette  raison  sera  qu'ils 
peuvent  rendre  à  la  population  ouvrière  d'immenses  servi- 
ces en  lui  permettant  de  se  transporter  chaque  matin  dans 
le  centre  de  la  ville,  aux  usines  et  aux  bureaux  où  elle  tra- 


l8o  PREMIÈRE   I^ARTIE.    —   CHAPITRE    Yllt 

vaille,  et  de  regagner  chaque  soir  ses  maisons  situées  dans 
les  faubourgs  ou  dans  la  campagne  même .  On  sait  qu'en 
Angleterre,  les  personnes  aisées  ont  rarement  leur  domicile 
près  du  centre  de  leurs  affaires,  mais  qu'elles  habitent  en 
général  en  dehors  de  la  ville  et  font  parfois  en  chemin  de 
fer  de  longs  trajets  pour  se  rendre  de  leur  maison  d'habita- 
tion à  leurs  bureaux. 

Seuls  les  gens  riches  peuvent  se  permettre  ce  luxe,  et  la 
population  ouvrière  n'en  peut  sans  doute  pas  faire  autant; 
il  faut  cependant  éviter  qu*elle  s'entasse  dans  des  bouges 
infects  ou  de  grandes  bâtisses  mal  aérées, dont  chacune  cons- 
titue un  foyer  d'épidémies  ou  de  contagion.  Il  faut  lui  ofTrir 
des  moyens  de  transport  aussi  bon  marché  que  possible 
qui,  pour  1  d.,  la  conduiront  jusque  dans  les  faubourgs  où 
s'élèvent  en  rangées  monotones  ces  innombrables  petites 
maisons  de  briques  au  toit  d'ardoises,  hautes  d*un  étage, 
et  contenant  chacune  deux  ou  trois  chambres,  logis  de  tout 
bon  ouvrier  anglais. 

Or,  dit-on,  les  Compagnies  concessionnaires  sont  toujours 
prêtes  à  desservir  les  grandes  artères  du  centre  des  villes  ; 
mais  leur  demandez-vous  de  construire  de  nouvelles  lignes 
à  Tusage  de  la  population  des  faubourgs,  elles  se  récrient 
et  refusent  d'exécuter  les  travaux  qu'on  attend  d'elles. 

Les  municipalités,  au  contraire,  établiront  tout  un  ré- 
seau, qui  permettra  la  démolition  des  quartiers  malsains 
et  l'établissement  de  la  population  ouvrière  dans  la  ban- 
lieue d'après  les  sages  principes  de  la  décentralisation,  pro- 
jet considérable  qu'elles  ne  pourront  toutefois  exécuter 
que  du  jour  où  on  les  autorisera  non  seulement  à  construire, 
mais  encore  à  exploiter  leurs  tramways. 

Telles  étaient  les  idées  couramment  répandues  dans  la 
presse  et  même  au  Parlement  lorsque  l'essor  subit  des 
tramvays  rendit  en  1870  le  vote  d'une  loi  nécessaire.  1 


J 


LES    TRAMWAYS  l8l 

On  avait  iaséré  dans  les  premiers  en  date  des  Private 
Acts,  ceux  de  1868  et  1869  (1),  qui  permirent  à  deux  Com- 
pagnies d'exploiter  les  tramways  de  Liverpool  et  de  Lon- 
dres, des  clauses  conservant  aux  municipalités  intéressées 
le  droit  de  racliat  à  certaines  conditions.  Mais  la  procédure 
du  Private  Bill  entraînait  avec  de  nombreuses  complica- 
tions une  grande  perte  de  temps  et  d'argent  ;  pour  obvier 
à  cet  inconvénient,  il  fut  décidé  que  les  personnes  dési* 
reuses  d*établir  des  tramways  s*adresseraient  directement 
au  Board  of  Trade  pour  lui  demander  ce  qu'on  appelle  un 
«  provisional  order  >.  (Nous  avons  déjà  vu  pour  le  gaz  que 
le  provisional  order  est  une  sorte  de  licence  ;  provisoire  en 
ce  sens  seulement  qu'il  doit  être  formellement  confirmé 
par  le  Parlement  avant  que  Ton  puisse  s'en  réclamer.) 

Le  Tramways  Actdel870  reproduit  ce  système.  La  nou- 
velle loi  simplifiait  la  procédure  et  en  diminuait  les  frais  ; 
sous  ce  rapport  on  n'eut  donc  qu'à  s'en  féliciter.  A  d'autres 
égards  elles  fut  moins  heureuse  et  nous  allons  voir  qu'elle  a 
entravé  de  mille  manières  les  progrès  des  entreprises  élec* 
triques.  A  l'époque  du  vote  de  cet  Act,  le  gouvernement  était 
dans  une  phase  de  zèle  et  de  réforme.  II  se  souvenait  dos 
abus  commis  par  certaines  des  Compagnies  chargées  du 
service  de  l'eau  et  du  gaz  et  il  voulait,  dans  l'intérêt  public, 
en  prévenir  le  retour  de  la  part  des  Compagnies  de  tram- 
ways. 

Les  mesures  de  protection  qu'il  adopta  sont  au  nombre 
de  deux:  , 

1°  11  donna  à  toute  autorité  locale  le  droit  d'opposer  son 
veto  à  toute  entreprise  de  tramways,  qui  aurait  dans  son 
district  les  2/3  au  moins  de  son  réseau.  C'est  le  cas  ordi- 
naire dans  les  grandes  villes. 

(!)  Voir  rarticle  de  R.  P.  Porter,  Engineering,  6/3/1903, 


l82  PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    VIU 

2°  Il  décida  de  n'accorder  de  concessions  que  pour  21  ans 
seulement  et  de  donner  à  toute  autorité  locale  le  droit  de 
racheter  Tentreprise  particulière  en  (in  de  concession,  à  sa 
valeur  marchande  (Scrap  value  ou  old  iron  price). 

Le  Gouvernement  ne  prévoyait  sans  doute  pas  quel  se- 
rait l'effet  de  ces  dispositions  sur  l'avenir  des  tramways  et 
il  faut  reconnaître  qu'il  a  depuis  quelques  années  fait  des 
efforts  pour  améliorer  une  situation  que  le  droit  de  veto 
et  la  courte  durée  des  concessions  avaient  rendue  si  pré- 
caire. Il  faut  dire  aussi  que  l'influence  désastreuse  du 
Tramways  Âct  ne  se  fit  sentir  pleinement  que  de  long-ues 
années  après  1870,  vers  1890  seulement,  lorsqu'on  com- 
mença à  entrevoir  la  possibilité  de  la  traction  électrique  et 
au  moment  o(i  nombre  de  concessions  touchaient  à  leur 
fin.  A  ce  même  moment,  le  mouvement  municipaliste  fai- 
sait de  rapides  progrès  dans  Topinion  publique.  C'est  dans 
la  coïncidence  de  ces  trois  faits,  Tun  législatif,  l'autre  indus- 
triel, le  troisième  social  qu'il  faut  rechercher  les  causes  de 
Tétat  actuel  de  la  traction  électrique  en  Angleterre. 

Le  droit  de  veto  qu'accorde  la  loi  aux  municipalités  a 
considérablement  gêné  l'industrie  privée  ;  plusieurs  des  dé- 
positions faites  devant  le  comité  d'enquête  de  1900  en  font 
foi. 

Selon  M.  Gray  (1),  l'intention  du  Parlement,  en  votant 
cette  clause,  était  de  permettre  aux  municipalités  de  décider 
s'il  y  avait  lieu  d'établir  ou  non  une  ligne  de  tramways 
dans  telle  ou  telle  rue.  Cette  disposition  a  malheureuse- 
ment eu  pour  conséquence  de  faire  prendre  aux  autorités  lo- 
cales 1  habitude  d'imposer  leurs  conditions  aux  Compagnies, 
lorsque  ces  dernières  viennent  leur  demander  leur  consen- 
tement ;  elles  ne  s'inquiètent  plus  de  la  question  de  savoir 

(1)  Municipal  Trading  Report^  1900,  p,  25* 


LES   TRAMWAYS  l83 

si  le  tramway  projeté  doit  servir  ou  noa  Tintérêt  public. 
Elles  ne  savent  qu*une  chose  :  c'est  que  la  loi  exige  leur  au-» 
torisation,  et  elles  cherchent  à  tirer  de  cette  prérogative 
tout  le  parti  possible.  11  y  en  a  qui  demandent  aux  Compa- 
gnies de  leur  payer,  pour  Tusage  des  rues,  une  redevance 
annuelle  considérable,  bien  que  la  loi  ne  les  y  autorise  en 
aucune  manière  :  il  en  est  d'autres  qui,  désirant  élargir 
leurs  rues,  font  promettre  aux  Compagnies  de  payer  tous 
les  frais  de  l'élargissement  et  de  l'achat  des  terrains,  alors 
qu'elles  ne  devraient  payer  que  l'espace  nécessaire  à  l'éta- 
blissement de  la  voie.  Il  faut  que  les  Compagnies  permet* 
tent  à  l'autorité  locale  de  se  servir  de  leurs  poteaux  pour 
Téclaîrage  électrique  de  la  voie  publique,  pour  la  ventila- 
tion  des  égouts,  etc.  Souvent  aussi,  il  faut  que  tous  les  po- 
teaux soient  exactement  du  modèle  et  de  la  forme  qu'im- 
pose la  municipalité,  qu'ils  soient  peints  de  telle  couleur  ; 
en  fait,  les  obligations  auxquelles  doivent  souscrire  les  Corn-* 
pagnies  sont  innombrables. 

M.  Sydney  Morse  (Rapport  1900,  p.  57)  rappelait,  à  ce 
propos,  le  mot  expressif,  mais  malheureux,  d'un  chairnian 
s'adressant  à  ses  collègues  :  «  Messieurs,  leur  disait-il,  n'ou- 
bliez pas  que  les  promoteurs  du  projet  ont  à  obtenir  notre 
consentement  ;  il  faut  les  saigner  à  blanc  »  ( We  should 
bleed  them). 

On  a  vu  dans  plus  d'un  cas  Tautorité  locale  demander  que 
ses  membres  puissent  voyager  gratis  sur  les  voitures  de  la 
Compagnie,  et  le  président  d'un  comité  de  la  Chambre  des 
Communes  déclarait  un  jour,  à  propos  d'un  bill  qui  venait 
d'échouer  parce  qu'il  contenait  des  clauses  de  ce  genre,  que 
les  municipalités  essayaient  de  se  surpasser  les  unes  les 
autres  en  rapacité  (t). 

(1)  Tbe  Times,  5  septembre  1902. 


l84  PREMIERE   PARTIE.    CHAPITRE    Vin 

Maisce  qui  a  plus  que  tout  contribué  à  retarder  rindustrie 
anglaise  en  cette  matière  est  la  clause  de  rachat  de  l'Act  de 
1870,  ainsi  conçue  :  La  municipalité  a  le  droit  de  racheter 
l'entreprise  en  fin  de  concession  u  à  condition  de  payer  la 
valeur  actuelle  du  tramway  et  de  tous  les  terrains,bâtiaients, 
ouvrages  et  matériel,  sans  avoir  à  tenir  aucun  compte  des 
profits  passés  ou  présents  de  Tentreprise  et  sans  que  robli- 
gation  de  vendre  ou  quelque  autre  considération  que  ce  soit 
puisse  donner  lieu  à  dommages  intérêts  ». 

Ce  n'est  qu'aux  environs  de  4890,  quand  la  plupart  des 
concessions  arrivèrent  à  leur  terme,  qu'on  s'aperçut  des 
effets  déplorables  de  la  loi  (1).  Sachant  qu'elles  allaient  être 
dans  quelques  années  expropriées,  à  leur  «  market  value  », 
c'est-à-dire  dépouillées  à  vil  prix  de  leurs  entreprises,  les 
Compagnies  ne  pouvaient  songer  à  faire  la  moindre  dépense 
nouvelle  de  capital,  et  les  efforts  de  leurs  directeurs  visaient 
uniquement  à  réduire  les  dépenses  et  à  compenser  dans  la 
mesure  du  possible  la  perte  que  Ton  allait  subir.  On  limita 
autant  qu'on  le  put  le  service  des  voitures  ;  aux  extensions, 
on  n'y  songeait  plus  :  c'eût  été  pure  absurdité  commerciale. 
Les  dernières  années  d'une  Compagnie  de  tramways  étaient 
donc  des  années  de  décadence,  de  service  insuffisant  et  mai 
fait.  Le  public  se  plaignait  ;  il  demandait  aux  Compagnies 
d'adopter  la  traction  électrique,  demande  bien  vaine  et  bien 
inutile,  d'ailleurs,  puisqu'on  savait  que  les  concessions  ne 
seraient  pas  renouvelées.  C'est  alors  que  l'opinion  publique 
se  tourna  vers  les  autorités  locales,  aux  mains  desquelles 
les  entreprises  allaient  passer,  pour  en  obtenir  les  réformes 
que  les  Compagnies  lui  refusaient. 

Ce  mouvement  de  Topinion  publique  a  produit  ses  ré- 

(1)  R.  P.  Porter,  Engineering.  1/3/  1903. 


LES   TRAMWAYS  l85 

sullats.  Les  unes  après  les  autres,  les  municipalités  ont  ra- 
cheté  leur  réseau  de  tramways  en  fin  de  concession  ;  les 
unes  après  les  autres,  elles  ont  adopté  la  traction  électrique 
en  remplacement  de  la  traction  animale.  Il  ne  faudrait  pas 
croire  cependant  que  ce  changement  se  soit  fait  de  façon 
rapide  ;  les  municipalités  les  plus  progressistes  elles-mêmes, 
Glasgow  par  exemple,  laissèrent  traîner  pendant  une  pé* 
riode  beaucoup  trop  longue  la  question  de  la  conversion,  et 
la  traction  électrique  n'a  fait  entre  leurs  mains  que  des  pro- 
grès extrêmement  lents. 

Il  nous  reste  à  présent  à  voir  comment  la  loi  de  1870 
ayant  simplement  permis  aux  municipalités  de  construire 
leurs  lignes  de  tramways  et  de  les  racheter  au  bout  de  21 
ans,  lorsqu'elles  ne  les  avaient  pas  construites,  ces  munici- 
palités en  sont  venues  à  les  exploiter  elles-mêmes. 

Nous  savons  que  pour  fonder  et  exploiter  une  entreprise 
de  tramways,  Tobtention  d'un  provisional  order  est  néces- 
saire; peuvent  demander  ce  provisionalorder:  1^  Tautorité 
locale  du  district  ;  2*"  toute  Compagnie  ou  toute  personne 
munie  du  consentement  de  Fautorité  locale. 

Mais  la  loi  refusait  en  même  temps  à  cette  dernière  le 
droit  d*exploi ter  ses  tramways  et  l'obligeait  à  les  affermer  à 
une  Compagnie  concessionnaire  (art.  19  de  la  loi). 

Durant  de  longues  années,  l'interdiction  de  la  mise  en 
régie  des  tramways  fit  partie  de  Tun  des  Standing  Orders 
des  deux  Chambres  ;  peu  à  peu  le  principe  vint  à  changer  ; 
en  1896,1e  Standing  Order  fut  aboli,  etaujourd'hui  il  n'existe 
plus  trace  de  prohibition  de  cette  sorte. 

L'année  même  du  vote  de  la  loi  générale,  Glasgow  s'était 
fait,  par  Private  Act,  donner  le  double  droit  de  construire  et 
d'exploiter  ses  tramways.  Le  Standing  Order  de  1872,  pro- 
hibant l'exploitation  municipale,  n'avait  pas  encore  à  cette 


l86  PREMIERE    PARTIE.    —   CHAPITRE    VIII 

époque  iaterprété  la  loi  dans  ce  sens  restrictif.  Glasgow  ne 
se  servit  d'ailleurs  pas  de  son  droit  avant  1894.  Depuis  1896, 
au  contraire,  il  est  de  règle  d'accorder  aux  municipalités, 
tant  par  Bill  que  par  provisional  order,  le  droit  d'exploiter 
leurs  tramways  aussi  librement  que  le  font  les  Compagnies. 

Dès  1882,  cependant,  une  exception  s'était  produite  ;  elle 
est  bien  connue  en  Angleterre,  c'est  celle  d'Huddersfield,  et 
il  nous  faut  la  rappeler  en  quelques  mots. 

Un  Improvement  Act  de  1880  (1)  avait  autorisé  la  ville 
d'Huddersfield  à  construire  des  tramways.  Les  lignes  cons- 
trm4es,  la  corporation  ne  put  trouver  de  concessionnaire 
disposé  à  exploiter  son  réseau,  par  suite  des  pentes  exces- 
sivement rapides  que  présentent,  en  certains  endroits,  les 
rues  de  cette  ville. 

Voyant  que  ses  tramways  lui  restaient  sur  les  bras,  elle 
demanda  au  Parlement  une  extension  de  ses  pouvoirs  ;  on 
mit  de  côté  le  Standing  Order,  et  le  HuddersBeld  Corpora- 
tion Act  de  1882  (section  17)  autorisa  le  Board  of  Trade  à 
donner  à  la  corporation  licence  d*exploiter  elle-même  ses 
tramways,  après  s'être  assuré  toutefois  qu'elle  ne  pouvait 
les  affermer  pour  un  prix  convenable.  L'Act  disait  encore 
que  si,  à  un  moment  quelconque,  on  venait  à  faire  à  la  cor- 
poration une  offre  raisonnable,  elle  devrait  céder  à  Tauteur 
de  Toffre  l'exploitation  de  ses  lignes. 

La  corporation  s'adressa  aussitôt  au  Board  of  Trade  qui, 
en  décembre  1882,  lui  accordait  une  licence  que  le  Prési- 
dent du  Board  (c'était  alors  M.  Chamberlain)  limita  à  7  ans. 
A  son  expiration,  la  licence  a  été  renouvelée,  et  Hudders- 
field  exploite  aujourd'hui  encore  ses  tramways  sur  lesquels, 
nous  allons  le  voir,  elle  fait  chaque  année  des  pertes  plus 
ou  moins  considérables. 

(1)  Voir  Annexes  au  Rapport  de  1900,  p.  349. 


LES   TRAMWAYS  187 

On  ne  se  fit  pas  faute  d'invoquer  ce  précédent  une  fois 
établi.  Pendant  plusieurs  années  cependant,  le  Board  of 
Trade  refusa  d'insérer  dans  les  provisional  orders  qu'il  dé- 
livrait la  clause  d'Huddersfîeld,  et  le  Parlement  Timita.  Gela 
ne  pouvait  durer  longtemps. 

£n  1892,  plusieurs  autorités  locales,  dont  le  London  Coun> 
ty  Council,  les  corporations  de  Blackpool,  deNewcastle  on 
Tyne  et  de  Newport  déposèrent  des  bills  qui  renfermaient 
rautorisationd'exploiterelles-mêmesleurs  tramways. Black- 
pool avait  affermé  son  réseau  de  tramways  électriques  pour 
un  certain  nombre  d'années.  En  1892  le  bail  touchait  à  son 
terme  et  le  concessionnaire  ne  consentit  à  le  renouveler 
qu^à  des  conditions  que  la  corporation  jugeait  inacceptables. 
La  dissolution  du  Parlement  ayant  empêché  le  vote  du 
BlackpoolBillJamunicipalité,avecunediscrétionetunehar- 
diesse  qui  lui  font  honneur,  prit  le  taureau  par  les  cornes 
et  se  mit  à  exploiter  elle-même  ses  tramways.  L'année  sui- 
vante,  un  A.ct  du  Parlement  légalisait  le  droit  qu'elle  s'était 
arrogé.  A  la  suite  de  cet  incident^  le  Gouvernement  réunit 
une  Commission  où  siégeaient  les  autorités  des  deux  Cham- 
bres et  le  président  du  Board  of  Trade  :  cette  Commission 
décida  d'accorder  la  clause  d'HuddersQeld  dans  un  bon  nom* 
bre  de  cas  (Plymouth,  Newcastle,  Newport,  etc.). 

Aujourd'hui  le  Standing  Order  est  aboli  et  la  plupart  des 
grandes  villes  anglaises  exploitent  elles-mêmes  leur  réseau 
de  tramways  municipaux. 

Nous  allons,  dans  les  pages  qui  suivent,  commencer  par 
indiquer  la  situation  générale  des  entreprises  publiques  et 
privées  de  tramways  en  Angleterre.  Nous  étudierons  ensuite 
et  plus  en  détail,  l'exemple  de  quelques  grandes  villes, 
comme  nous  l'avons  faitpour  le  gaz  et  l'électricité. 

Voi^i,  d'après  un  rapport  du  Board  of  Trade,  quelle  était, 


l88  PREMIÈRE    PARTIB.    —    CHAPITRE    VIII 

au  mois  deaoveinbre  1905,  la  situation  de  ces  entreprises. 

Depuis  1878,  la  longueur  des  lignes  ouvertes  au  trafic  a 
passé  de  269  miles  à  2.117  miles  ;  la  dépense  en  capital  de 
£  4.207.350  à  £  52.675.152  ;  le  nombre  dés  passagers  trans- 
portés de  146  millions  à  2.069  millions,  et  les  recettes  nettes 
de  £230.956  à  £3.351.977. 

En  1903-1904,  la  longueur  de  voie  ouverte  à  la  tractioa 
électrique  était  de  1.462  miles  sur  un  total  de  1840.  En 
1904-1905  elle  est  de  1.780  miles  sur  2.1l7.Le  nombre  de 
miles  011  la  traction  électrique  n'est  pas  utilisée  a  décru  de 
377  à  336  miles. 

Le  nombre  des  entreprises  appartenant  aux  autorités  lo- 
cales a  passé  de  162  en  1904  à  174  en  1905  ;  celui  des  en- 
treprises particulières  a  diminué  de  150  à  146  (1). 

Les  premières  avaient  dépensé  un  capital  de  £  32.964.144. 
Elles  possédaient  1.396  miles  de  voies  et  transportaient 
1.355.336.  775  voyageurs  au  tarif  moyen  de  1  d.  05.  Leur 
revenu  net  s'élevait  à  £  2.216.597.  Le  capital  des  Compa- 
gnies était  de  £  19.711.008.  Elles  possédaient  721  miles  de 
voies  et  transportaient  713.546.361  voyageurs  au  prix 
moyen  de  1  d.  21.  Leur  revenu  net  s'élevait  à  £  1.  135.490. 

Le  tableau  ci-dessous  donne  quelques  totaux,  proportions 
et  pourcentages  relatifs  aux  deux  dernières  années  de  ce 
qu'on  peut  appeler  la  période  de  traction  électrique,  compa- 
rée avec  une  période  typique  de  la  vapeur,  c'est-à-dire  une 
période  durant  laquelle  Tusage  de  la  vapeur»  appliquée 
aux  tramways,  avait  atteint  son  maximum,  et  une  période 
typique  de  la  traction  animale  (2). 


(1)  Municipal  Year  Book,  1906,  p.  392. 

(2)  Board  of  Trade,  Tramways  and  ligtit  railways  [street  and  road), 
novembre  1905. 


LES   TRAMWAYS 


189 


Longueur  des  lignes 
en  exploitation.... 


Nombre  total  de  voya- 
geurs transpor 


oya- 
-tés. 


Capital  dépensé  par 
naile  de  voie  sim- 
ple en  exploitation. 

Pourcentage  des  re- 
cettes nettes  k  la 
dépense  totale.... 

Pourcentage  des  dé- 
penses d'exploita- 
tion aux  recettes 
brutes 


Voyageurs  transpor- 
tés par  mile 


Tarif     moyen      par 
voyageur 


Somme  payée  en  ré 
duction  des  impôts 
par  les  entreprises 
des  autorités  loca 
les 


PÉRIODE    ÉLECTRIOUB 


1904-1905 


2.M6.78 
miles 

2.068.913.226 


£15.399 


6.36 


66.19 
977.386 
1.10  d. 


£209.881 


1903-1904 


1.839.91 
miles 

1.799.342.673 


£16.018 


6.27 


66.15 


977.951 


i.ll  d. 


£207.087 


1898 
(vapeur) 
Période 
typique 


1.604.19 
miles 

858.485.542 


£10.469 


6.38 


6.93 


806.703 


1.23  d. 


1879 

(chevaux) 

Période 

typique 


321.27 
miles 

150.881.515 


£9.877 


3.97 


83.81 


469.641 


1.84  d. 


Ces  chiffres  nous  montrent  que  le  nombre  de  miles  ou- 
verts au  trafic  a  doublé  depuis  1898,  c'est-à-dire  depuis  le 
moment  où  le  système  de  traction  électrique  à  trolley  a 
commencé  à  se  généraliser  et  que  le  nombre  de  miles  dont 
le  réseau  s'est  augmenté  Tannée  passée  est  presque  égal  au 
total  général  existant  en  1879.  Le  nombre  de  voyageurs 
transportés  est  deux  fois  et  demie  ce  qu'il  était  en  1898, 
presque  14  fois  ce  qu'il  était  en  1879,  et  le  total  atteint  re- 
présente 48  fois  la  population  entière  du  Royaume-  Uni. 

Le  capital  dépensé  par  mile  a  augmenté  d*environ  58% 


IgO  PREMIÈRE   PARTIE.    —    CHAPITRE    VIII 

depuis  Tépoque  de  la  traction  animale  ;  mais  d*autre  part 
le  pourcentage  des  recettes  nettes  au  capital  dépensé  a  aug- 
menté dans  une  proportion  relativement  plus  forte.  Le 
pourcentage  des  dépenses  d'exploitation  aux  recettes  bru- 
tes du  traBc  laisse  apparaître  sous  le  régime  de  la  traction 
électrique  une  réduction  marquée  par  rapport  à  Tépoque 
où  la  traction  à  vapeur  avait  atteint  son  plus  haut  point 
et  une  réduction  encore  plus  forte  par  rapport  à  la  période 
animale.  Le  nombre  des  voyageurs  transportés  par  mile 
est  sensiblement  plus  élevé  qu'à  Tépoque  de  la  vapeur 
et  considérablement  plus  grand,  ayant  plus  que  doublé, 
qu'à  celle  de  la  traction  animale  (1879).  Le  tarif  moyen 
par  voyageur  montre  une  tendance  à  diminuer;  il  a  baissé 
d'exactement  trois  farthings  par  parcours  depuis  1879(1). 
Ces  résultats  sont  toutefois  loin  d'être  aussi  satisfaisants 
qu'on  pourrait  le  croire  tout  d'abord.  M.  Meyer  le  prouve 
surabondamment  dans  l'étude  qu'il  a  faite  sur  la  propriété 
municipale  en  Angleterre  (p.  90).  «  En  juin  1902,  dit-il, 
il  y  avait  aux  Etats-Unis  16.652  route-miles  de  tramways 
(longueur  des  rues  et  routes  suivies  par  les  tramways)  ; 
la  longueur  des  lignes  elles-mêmes  était  de  22.589  miles. 
14.000  miles  de  ces  lignes  se  trouvaient  à  l'intérieur  des 
villes.  La  population  urbaine  du  Royaume-Uni  esta  peu  près 

(1)  Voici  encore  quelques  indications  relatives  aux  divers  modes  de 

traction  : 

miles 

Les  voies  des  tramways  mus  &  réiectrîcité  mesurent.     1.780  i/2 

—  —  A  la  vapeur 90  1/2 

—  —  Au    moyen    d'un  câble 

—  (cable  System).   ...  26  1/4 

—  —  Par  des  moteurs  &  gaz  .  4 

—  —  A  chevaux 210 

—  —  Traction  mixte.   .   .   .   , 5  1/2 

Total 2.116  3/4 


tËS   TRAMWAYd  Igt 

la  même  que  celle  des  Etats-Unis  ;  la  longueur  des  lignes 
de  tramways  devrait  donc  être  à  peu  près  la  même  dans  les 
villes  des  deux  pays. 

((  Or,  en  mars  1903,  la  longueur  totale  des  routes  et  rues 
suivies  par  les  tramways,  tant  à  Tintérieur  qu'à  Textérieur 
des  villes,  n'était  en  Grande-Bretagne  que  de  i.840  miles 
et  la  longueur  des  voies  (track  mileage)  ne  dépassait  pas 
3.200  miles.  11  ressort  de  ces  chiffres  que  la  population  qui 
vit  dans  les  cités  et  les  villes  du  Royaume-Uni  n'a  à  sa  dis- 
position que  le  quart  des  tramways  que  possède  la  popula- 
tion urbaine  des  Etats-Unis.  » 

Les  tramways  municipaux  dans  quelques  villes  anglaises. 

Hvddersfield.  —  Pour  nous  en  tenir  à  Tordre  des  faits, 
c'est  Huddersfield  que  nous  étudierons  tout  d'abord  :  elle 
est,  en  effet,  la  première  ville  qui  ait  obtenu,  après  le  vote 
de  la  loi  de  1870,  le  droit  d'exploiter  ses  tramways  ;  d'un 
point  de  vue  financier,  elle  nous  intéresse  tout  particuliè- 
rement, car  nous  allons  voir  que  si  sa  municipalité  a  fait 
preuve  d'une  belle  persévérance,  elle  n'est  pas  encore, 
après  26  ans  d'exploitation,  arrivée  à  de  très  brillants  résul- 
tats. 

Les  difficultés  que  la  corporation  rencontra  sur  son  che- 
min furent  à  la  fois  sérieuses  et  nombreuses,  sans  avoir 
cependant  rien  d'exceptionnel.  Huddersfield  est  une  ville 
où  les  pentes  sont  très  fortes  et  où  la  traction  animale  n'est 
guère  possible.  On  eut  donc  recours  à  la  vapeur  ;  à  peine 
une  année  s  était-elle  écoulée  depuis  le  début  de  la  régie, 
qu'une  locomotive  s'emballa  sur  la  voie  publique,  renversa 
une  voiture  et  causa  des  dommages  dont  la  réparation 
coûta  £  10.000  à  la  ville,  somme  considérable  dont  le  paye- 


igs  PREMIERE   PARTIE.    —    CHAPITRE   YIII 

ment  vint  sérieusement  paralyser  Tentreprise  naissante. 
A  peine  se  relevait-elle  de  cette  mésaventure  qu'on  s^aper- 
çut  que  les  lignes  construites  pour  la  traction  animale  ne 
pouvaient  pas  servir  à  la  traction  mécanique  ;  il  fallut  les 
reconstruire  ;  nouvelle  et  lourde  dépense  qu'eurent  à  sup- 
porter les  revenus  annuels.  En  1891,  une  chaudière  éclate  ; 
il  faut  à  nouveau  payer  une  indemnité  de  £  2.000  aux  vic- 
times de  l'explosion.  Malgré  cette  série  de  malheurs,  la 
corporation  s'attache  résolument  à  son  entreprise  dont  les 
contribuables  comblent  docilement  les  déficits.  La  traction 
électrique  a  remplacé  aujourd'hui  la  traction  à  vapeur  ;  le 
service  est  peut-être  devenu  plus  agréable,  mais  l'adoption 
du  nouveau  système  n  a  rien  changé  à  ses  résultais. 

Le  capital  de  l'entreprise  a  passé  de  £  140.000  en  18^5- 
1896  à  £  414.667  en  1904-1905  ;  le  nombre  des  voyageurs 
de  4.308.289  en  1895-1896  à  12.838.150  en  1904-1905. 

Les  recettes  totales  s'élèvent  à  £  69.809.  Les  dépenses, 
y  compris  l'amortissement  et  le  Sinking  fund,  à  £  70.312. 
Le  déficit  est  donc  de  £  503. 

Le  déficit  est  d'ailleurs  la  règle  dans  cette  malheureuse 
entreprise  ;  en  1903-1904  son  bilan  se  soldait  par  une  perte 
de  £4.739;  en  1902-1903  de  £  12.314;  en  1901-1902  de 
£  9.145  ;  en  1900-1901  de  £  10  100.  C'est  en  général  l'im- 
pôt qui  vient  combler  ces  pertes  ;  à  cet  effet  on  l'élève  de 
3d  par£  en  1902  ;  de  7  d.  en  1904;  de  5  d.  en  1905; 
d'autres  fois  encore  on  puise  l'argent  qui  manque  au  fonds 
d'amortissement.  En  1901,  par  exemple,  on  lui  demande  de 
donner  £  5.000,  en  1903  £  12.314. 

Il  serait  sans  doute  très  désagréable,  dans  une  ville  de 
100.000  habitants  comme  Huddersfield,  de  n'avoir  pa.s  de 
tramways  ;  peut-être  pourrait-on  cependant  les  avoir  à 
meilleur  compte,  surtout  h  notre  époque  où  la  traction 


LES   TRAMWAYS  IQS 

électrique  est  venue   diminuer   d'une  façon  considérable 
les  frais  d'expjoitation  (1). 

Glasgow,  — Après  Huddersfield,  c'est  Glasgow  qui  nous 
offre  le  plus  intéressant  exemple  de  tramways  municipaux  ; 
les  municipalistes  les  citent  avec  orgueil  comme  Tun  des 
plus  brillants  succès  du  socialisme  communal  en  Grande- 
Bretagne. 

Nous  savons  déjà  que  Glasgow  avait,  dès  1870,  obtenu 
par  une  loi  l'autorisation  de  construire  et  d'exploiter  ses 
tramways  ;  que  durant  de  longues  années  elle  ne  fit  pas 
usage  de  cette  prérogative,  et  que  c'est  en  18f)4  seulement 
que  la  municipalité  décida  d'exploiter  elle-même  son  réseau. 
Mais  heureusement  pour  elle  la  population  n'eut  pas  à 
attendre  si  tard* pour  avoir  des  tramways  ;  dès  Tannée  1871, 
la  (*  Glasgow  Tramways  and  Omnibus  Company  »  avait 
obtenu  une  concession  de  23  ans. 

Les  lignes  furent  construites  par  la  corporation  et  affer-» 
mées  à  la  Compagnie  aux  conditions  suivantes  (2)  : 

La  Compagnie  payerait  à  la  corporation  :  l""  Tintérèt  an- 
nuel des  dépenses  faites  par  cette  dernière  ;  2"^  un  intérêt 
de  3  "lo  qu'on  accumulerait  pour  rembourser  la  dette  con- 
tractée lors  de  la  construction  des  lignes  ;  3^  4  °/o  par  an 

(1)  HuddersOeld  a  fait  sur  ses  tramways  une  innovation  assez  inté- 
ressante :  chaque  voiture  porte  une  boite  aux  lettres  que  le  conduc- 
teur vide  toutes  les  heures  au  bureau  des  tramways.  Le  Post  Office 
paye  chaque  année  €  300  aux  tramways  pour  le  fonctionnement  de  ce 
service  qui  permet  de  plus  fréquentes  distributions  et  dont  Futilité  se 
fait  surtout  sentir  dans  la  banlieue.  Le  nombre  des  lettres  ainsi 
transportées  dépasse  10.000  par  semaine  ;  on  peut  même,  en  payant 
un  supplément  de  1  d.,  faire  arrêter  les  tramways  pour  jeter  une  lettre 
à  la  boite. 

(2)  Voir  le  Municipal  Year  Book  de  1906. 

BoTerat  13 


ig4  PREMIERE  PARTIE.    —  OHAPItRB   Ytlt 

du  coût  de  construction  pour  exécuter  les  réparations  né- 
cessaires et  rendre,  en  1894,  les  lignes  en  parfait  état  à  la 
cité;  l*' une  redevance  annuelle  de  £  150  par  mile  pour 
Fusage  des  rues  ;  S"*  la  Compagnie  payerait  toutes  les  autres 
dépenses  que  la  municipalité  pourrait  avoir  à  faire  pour  les 
tramways. 

En  aucun  cas  les  tarifs  ne  devaient  dépasser  1  d.  par 
mile.  En  33  ans  la  corporation  retira  de  cet  arrangement 
un  profit  total  de  £  63.  628  ;  la  plus  forte  des  sommes 
qu'elle  ait  touchées  atteignit  £  5.660  en  1894,  et  la  moyenne 
des  versements  annuels  fut  de  £  2.766. 

Cinq  ans  avant  Texpiration  de  sa  concession,  la  Compa- 
gnie chercha  à  en  obtenir  le  renouvellement  et  entra  dans 
ce  but  en  négociations  avec  la  municipalité  ;  mais  trouvant 
trop  dures  les  conditions  qu'on  voulait  lui  imposer,  elle 
abandonna  son  projet  et  offrit  à  la  corporation  de  lui  ven- 
dre son  matériel.  La  corporation  n'acceptait  le  marché 
qu*à  condition  que  la  Compagnie  s'engageât  à  ne  pas  lui 
faire  concurrence  au  moyen  de  lignes  d'omnibus.  Sur  son 
refus  les  négociations  furent  définitivement  rompues  en 
avril  1892. 

Au  mois  de  juin  de  la  même  année,  la  corporation  déci- 
dait d'exploiter  en  régie,  de  construire  de  nouveaux  bâti- 
ments, d'acheter  un  nouveau  matériel  et  de  reprendre  le 
service  elle-même  le  1®' juillet  1894. 

La  tâche  était  énorme.  Une  fois  les  terrains  achetés  et 
les  formalités  préliminaires  remplies,  il  ne  restait  plus  à 
la  municipalité  qu'une  seule  année  pour  mener  à  bien  son 
ouvrage.  En  douze  mois  elle  éleva  neuf  dépôts  capables 
d'abriter  de  3.500  à  4.000  chevaux,  bâtit  d'immenses  ma- 
gasins et  greniers  à  fourrage,  des  forges,  construisit  plus 
de  240  voitures,  acheta  ses  chevaux^  dont  une  épidémie 


LES  TRAMWAYS  1^5 

d'iafluenza  rendit  au  dernier  moment  Tentrainement  im- 
possible. 

Le  service  commença  cependant  le  i®' juillet  1894,  mais, 
avec  108  voitures  seulement;  ce  n'est  que  quelques  mois 
après,  les  chevaux  une  fois  guéris,  qu*il  put  fonctionner  à 
nouveau  régulièrement. 

La  mise  en  régie  coïncida  avec  une  réduction  des  tarifs  de 
33  Yo*  l'introduction  de  la  course  à  1/2  d.,  et  l'élévation 
du  salaire  des  employés. 

La  traction  animale  ne  permettant  pas  l'organisation 
d*un  service  suffisant,  la  municipalité  décida,  en  1898, 
après  enquête  en  Amérique  et  en  Europe,  de  faire  Texpé- 
rience  de  la  traction  électrique.  Elle  essaya  sur  une  ligne 
de  2  1/4  miles  le  système  du  trolley  ;  les  résultats  en  furent 
si  satisfaisants  qu'en  janvier  1899  elle  décidait  de  l'appli- 
quer à  tout  son  réseau. 

En  avril  1901,  les  stations  génératrices  étaient  achevées, 
le  réseau  entier  inauguré  et  le  nombre  des  voitures  consi- 
dérablement augmenté. 

Depuis  1903,  la  traction  électrique  a  remplacé  partout 
la  traction  animale.  36  Yo  du  réseau  se  trouvent  à  présent 
en  dehors  des  limites  municipales  ;  Glasgow  est  ainsi  relié 
à  Pollokshaws,  Paisley,  Renfrew,  Clydebank  et  à  sept  au- 
tres des  petites  villes  avoisinantes.  La  longueur  totale  des 
lignes  exploitées  au  31  décembre  1905  était  de  152  miles. 
£n  1894  elle  n'était  que  de  64  :  en  1900  de  88. 

Le  nombre  total  des  voyageurs  est  passé  de  57.104.647 
en  1894-1895  à  127.628.484  en  1899-1900  et  à  195.767.519 
en  1904-1905. 

Le  tarif  en  vigueur  sur  les  tramways  varie  de  1/2  d.  à 
5  1/2d. 
Le  tableau  ci-dessous  indique  le  nombre  de  voyageurs 


tgC 


PREMIÈRE    PARTIE.    —   CHAPITRE   VIII 


transportés  durant  Tannée  1904-1905  selon  le  tarif  qulb 
ont  payé  et  les  recettes  qu*a  données  chacun  de  ces  ta- 
rifs (1). 


TARIF 


1/2  d. 

1  d. 

1  1/2  d. 

2  d. 

2  1/2  d. 

3  d. 
|et  au-dessus 

divers 


VOTAGBURS 


Nombre 


58.540.026 
117.891.932 

13.100.122 
3.648.196 
1.024.047 
1.357.736 


195.767.519 


Pourcentage 


29.90 
60.22 
6.69 
1.87 
»  53 
»  79 


100.00 


RECBTTBS 


Tolal 


£121.958 
491.239 
81.873 
30.401 
10.667 
20.312 


7s9d 
2    8 


15 

12 

3 

16 


3 
8 
2 
5 


25  10    8 


£759.480    8s  7d 


Pourcentage 


16.12 

64.94 

10.82 

4.02 

1.41 

2.69 


100.00 


j 


Le  tarif  de  1/2  d.  représente  29,90  **/o  des  voyageurs  et 
seulement  16,12  ^/^  des  recettes.  Le  tarif  de  1  d.  constitue 
le  plus  fort  soutien  de  ces  recettes.  Il  représente  60  •/.  des 
voyageurs  et  64.94  Vo  des  recettes,  quatre  fois  c^  que  rap- 
portent les  1/2  d. 

Le  système  des  tarifs  gradués,  assez  juste  en  lui-même 
ne  donne  peut-être  pas,  d'un  point  de  vue  social  et  sani- 
taire, d'excellents  résultats.  Dans  son  livre  sur  la  propriété 
municipale,  M.  R.  Meyer  en  fait  une  très  vive  critique. 

Il  prétend  que  le  tarif  uniforme  en  usage  en  Amérique 
est  de  beaucoup  préférable  ;  à  condition  naturellement  que 
le  tarif  unique  convienne  aux  bourses  des  petits  marchands, 
employés,  ouvriers  habiles,  à  toutes  les  personnes  enfin 
qui  profiteront  des  progrès  des  moyens  de  transport  pour 
aller  s'établir  dans  les  faubourgs.  C'est  grâce  à  ce  système, 
dit-il,  que  les  villes  américaines  ont,  depuis  l'établissement 

(i)  Voir  le  11*  rapport  annuel  du  CSomité  des  Tramways  de  la  corpo- 
ration de  Glasgow,  1904-1905. 


LES   TRABTWAYS  I97 

du  trolley,  pu  procéder  à  une  véritable  déceatralisation  de 
leur  population  ;  que  ces  petits  marchaads,  employés,  ou-* 
vriers  bien  payés  ont  pu  aller  s'installer  dans  la  banlieue 
et  que  les  maisons  qu'ils  occupaient  auparavatit,  devenues 
libres,  ont  pu  servir  de  logement  aux  classes  ouvrières. 

Pour  une  somme  de  cinq  cents,  le  citoyen  de  Boston 
parcourt  en  tramway  des  distances  variant  do6  à  9  miles  ; 
rhabitant  de  Glasgow  paye  pour  un  même  trajet  6,  7  ou  8 
cents,  tarif  si  élevé  qu'il  en  devient  prohibitif;  car  il  nous 
faut  rappeler  qu'une  même  somme  d'argent  représente 
pour  rhabitant  de  Glasgow  une  valeur  de  30  "/o  supérieure 
à  celle  qu'elle  représente  pour  celui  des  Etats-Unis,  parce 
qu'il  lui  est  bien  plus  difficile  de  la  gagner. 
.   A  propos  des  tramways,  M.  Meyer  rappelle  un  épisode 
significatif  et  qui  montre  bien  comment  tout  pas  fait  sur 
le  chemin  de  la  municipalisation  entraine  forcément  à  en 
faire  un  second,  u  La  corporation  de  Glasgow,  dit  le  Mn^ 
nicipal  Journal,  sur  la  proposition  de  M.  Ferguson,  a  de- 
mandé au  Comité  des  Land  Values,  de  faire  une  enquête 
sur  l'intérêt  qu'il  y  aurait  pour  la  corporation,  à  posséder 
tous  les  terrains  situés  en  dehors  de  ses  limites,  le  long  de 
la  route  que  suivra  le  tramvay,  question  des  plus  impor- 
tantes et  qui  recevra,  nous   l'espérons,  toute  Tattention 
qu'elle  mérite  de  la  part  des  autorités  publiques  qui  possè- 
dent ou  songent  à  posséder  des  tramways.  Le  simple  fait 
pour  une  autorité  locale  d'entreprendre  la  construction  d'un 
tramway  convertit  des  centaines  d'acres  de  pâturages  en 
terrains  à  bAtir  et  la  presque  totalité  de  1'  «  unearned  incré- 
ment ))  ainsi  produit  tombe  dans  la  poche  des  gens  qui  ont 
été  assez  adroits  pour  acheter  ces  terrains  et  élever  des 
maisons  dessus.  Il  y  a  bien  des  moyens  d^alléget*  le  fardeau 
des  contribuables  en  ce  pays...  en  voici  un.  C'est  en  effet 


igS  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE  TIII 

le  public  qui  crée  la  plus-vjalue  (incrément)  «  qui  tombe  ac- 
tuellement dans  les  poches  de  ceux  qui  n^ont  rien  fait  pour 
lagafçner  ».  C'est  un  phénomène  bien  connu  que  la  cons- 
truction destramvays  de  pénétration,  en  augmentant  la  va- 
leur des  terrains  situés  à  Textérieur  des  villes^provoque  la 
baisse  des  propriétés  du  centre. 

l^a  proposition  de  M.  Ferguson  a  peut-être  réconcilié 
la  corporation  de  Glasgow  avec  Tidée  qu'il  serait  utile,  sinon 
nécessaire,  d*étendre  jusque  dans  la  banlieue  le  réseau  de 
ses  tramways  électriques.  Elle  a  longtemps  hésité  à  le  faire, 
craignant  que  ce  système  n'encourageât  nombre  de  per- 
sonnes et  d'industries  à  quitter  la  ville  même  de  Glasgow 
et  qu'une  émigration  de  ce  genre  ne  provoqu&t  une  diminu- 
tion de  la  valeur  imposable  (taxable  value)  de  la  cité. 
Voilà  le  genre  d  arguments  auxquels  ont  recours  les  conseil- 
lers municipalistes  ;  ne  les  avons-nous  pas  entendus  pré- 
cédemment dire  que  la  municipalisation  permettait  tout  au 
contraire  de  décongestionner  le  centre  des  grandes  villes  l 
L'illogisme  n'est  pas  l'un  de  leurs  moindres  défauts. 

L'exploitation  des  tramways  a  donné, en  1904-1905. les  ré- 
sultats suivants  :  les  recettes  totales  ont  été  de  £  764 .  790 
et  les  dépenses  de  £  387.167  ;  laissant  une  balance  brute 
de  £  377.623  ;  de  £  380.736  si  l'on  v  ajoute  Tîntérèt  du 
«  Surplus  revenue  ». 

Cette  somme  a  reçu  remploi  suivant  : 

£  s.  d. 

Ralance  brute 380.736  12  6 

dont  il  faut  déduire  :  £       s.    d. 

Inlôrit  dû  sur  le  capilah  49.906  4  7 
Sinkitti;  fund  •  .  .  .  4r».9I9  8  9 
Imvme  ta\ 5.434    3    5 


LES  TRAMWAYS  IQQ 


Redevance  à  payer  pour 

les  tramways  de  Govan  et 

dlbrox 

S.  080    9 

3 

Paiement  à  la  Compa- 

gnie des  tramways  du  dis- 

trict de  Paisley  .     .     .     . 

915     1 

4 

Amortissement    ... 

81.114  13 

4 

Fonds  de  renouvellement 

des  voies  permanentes .     . 

72.176  19  10 

Dépensesparlementaires 

890  18 

6 

Paiement  au   Gommon 

Good 

25.000    0 

0 
£  287.437  19  0 

Balance  nette  ...     . 

«... 

£    93.298  13  6 

De  ces  £93.298  on  a  consacré  £  68.500  à  Tamortisse- 
ment  spécial  des  bâtiments  et  du  matériel  et  £  24.798  au 
Reserve  Fund. 

Le  capital  total  dépensé  depuis  le  commencement  de  Ten- 
treprise  s'élève  à  £  2.763.382. 

L'auteur  des  articles  parus  en  1902  dans  le  Times  a 
vivement  attaqué  les  tramways  de  Glasgow.  Citant  des 
articles  du  Glasgow  Herald,  il  reproche  à  la  municipa- 
lité de  baptiser  du  nom  de  profits  des  sommes  qui  ne  sont 
pas  des  profits  du  tout  et  qui  devraient  être  consacrées  à 
l'amortissement  :  il  se  demande  ce  que  deviendraient  ces 
profits  si  la  municipalité  avait  à  payer  une  redevance  pour 
Tusage  des  rues,  comme  elle  en  faisait  payera  l'ancienne 
Compagnie  et  comme  en  payent  les  Compagnies  dans 
beaucoup  de  villes.  Il  lui  reproche  enfin  d'avoir  trop  abaissé 
les  tarifs  sous  prétexte  de  faire  participer  les  voyageurs  à 
ses  bénéfices  et  de  risquer  de  se  trouver  à  court  lorsqu'il 
lui  faudra  faire  face  au  coût  d'installations  nouvelles. 


aOO  PREMIÈRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   YIII 

Lesuccèsdes  tramways  de  Glasgow  Q*est  en  somme  qu'un 
succès  relatif  ;  le  réseau  tel  qu'il  existe  aujourd'hui  est  loin 
de  répondre  aux  promesses  qu'avait  faites  la  corporation  en 
1870,  lorsque,  par  la  bouche  deM.  Munro,  elle  disait  qu'une 
fois  propriétaire  des  tramways  elle  transporterait  presque 
pour  rien  les  ouvriers  et  les  personnes  pauvres  jusque  dans 
les  faubourgs,  à  la  porte  des  maisons  qu'elle  leur  aurait  elle- 
même  bâties. 

Or»  le  recensement  de  1901  a  prouvé  que  la  population 
de  Glasgow  est  de  760.000  âmes  (1),  que  sa  densité  est 
telle  que  91.200  de  ses  habitants  vivent  dans  la  proportion 
de  3  à  12  personnes  dans  une  seule  chambre.;  qu'il  y  en  a 
194.284  qui  vivent  dans  la  proportion  de  5  à  12  personnes 
dans  2  chambres.  En  1891,  il  ne  se  trouvait  que  90.900  per- 
sonnes dans  le  premier  cas,  187.000  dans  le  second.  Il 
n'y  a  donc  pas  trace  d'amélioration. 

C'est  pourtant  à  cet  entassement  excessif  de  la  population 
qu'il  faut  attribuer  le  taux  élevé  de  la  mortalité  dans  les 
classes  ouvrières.  En  1901,  ce  taux  était  à  Glasgow,  pour 
1.000  habitants,  de  :  11,2  pour  les  personnes  ayant  des 
maisons  ou  appartements  comprenant  4  chambres  et  plus  ; 
13,7  pour  celles  qui  possédaient  3  chambres  ;  21,3  pour 
celles  qui  en  possédaient  2  ;  32,7  pour  celles  dont  le  loge- 
ment ne  se  composait  que  d'une  chambre  unique. 

Si  la  politique  qu'a  suivie  la  corporation  de  Glasgow  en 
matière  de  tramways  n'a  pas  donné  les  résultats  sanitaires 
qu'aurait  pu  donner  une  intelligente  organisation  du  réseau, 
il  n'y  a  pas  lieu  non  plus  de  se  féliciter  outre  mesure  de  ses 
résultats  financiers.  «  En  1902-1903,  dit  M.  Meyer,  les  tram- 
ways donnaient  un  revenu  brut  de  $  3  271.000  ;  sur  ce  re- 

(1)  Voir  Mbyeh,  Municipal  Ownership  in  Grcat  Britain. 


LES   TRAMWAYS  201 

venu  ils  ^payaient  $91.000  d'impôts,  versaient  $  125.000 
au  ((  Common  good  »  et  payaient  au  Sinkiug  fund  une 
somme  de  $  216.500,  c  est-à-dire  qu'ils  versaient  à  la  ville 
dans  rintérèt  du  public  en  général  une  somme  de  $432.500 
ou  13, {  °/o  àes  recettes  brutes  ou  $  0.44  par  tête  d'habi- 
tant. 

«La  Boston  elevated  Railway  C%  qui  dessert  une  popula- 
tion moins  nombreuse  que  celle  de  Glasgow  et  de  ses  fau- 
bourgs, voit  ses  recettes  brutes  s'élever  à  $  12.000  000  et 
paye  à  la  ville,  et  par  conséquent  à  la  communauté,  en 
argent  liquide  et  en  services  gratuits,  une  somme  de 
$  1 .550.000  par  an,  soit  prés  de  13  °/o  de  ses  recettes  brutes, 
ou  $  1,67  par  tête  d'habitant.  Cette  comparaison  nous  mon- 
tre que  la  ville  de  Glasgow  pourrait  obtenir  d'un  réseau  de 
tramways  bien  installé  et  confié  à  une  Compagnie,  une 
somme  beaucoup  plus  importante  que  celle  qu'elle  retire  de 
l'exploitation  d'un  réseau  municipal  notoirement  insuffi- 
sant »  (Il  y  avait  en  1904  à  Glasgow  1  mile  de  tramways 

» 

pour  6.700  habitants,  il  yen  avait  à  la  même  date  à  Boston 
1  mile  pour  2.300). 

Liverpool.  —  Jetons,  après  Glasgow,  un  coup  d'œil  sur  la 
ville  de  Liverpool  qui  a  municipalisé  ses  tramways  en  1897 
et  possède  aujourd'hui  Tun  des  plus  beaux  réseaux  de  l'An- 
gleterre et  peut-être  du  monde  entier. 

Les  premiers  essais  qu'on  ait  tentés  à  Liverpool  pour  éta- 
blir des  tramways  remontent  à  1860  (1)  ;  ils  ne  furent  pas 
heureux  ;  la  section  du  rail  était  telle  qu'une  fois  posé,  il 
formait  une  sorte  d'auge  au-dessous  de  la  surface  de  la  rue, 
disposition  malencontreuse  qui  occasionna  de  nombreux 

(1)  Liverpool  Congress  (p.  115)  ei  Municipal  Year  Book, 


a02         PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  YHI 

accidents  et  rendit  la  ligne  si  gênante.  qu*il  fallut  TealeTer 
au  bout  de  peu  de  temps. 

£n  1865,  la  Liverpool  Tramways  C^  Limited  se  fonde  dans 
le  but  d'établir  des  tramways  dans  un  certain  nombre  des 
principales  rues  de  la  cité.  Dissoute,  puis  reformée,  ce  n'est 
qu'en  novembre  1869  qu'une  partie  des  lignes  autorisées 
furent  ouvertes  au  trafic  ;  les  autres  suivirent  peu  de  temps 
après. 

Après  diverses  péripéties,  la  Liverpool  Tramways  C^  se 
réunit  en  1879  à  la  Liverpool  United  Tramways  and  Om- 
nibus C'\  La  même  année,  la  nouvelle  Compagnie  conclut 
avec  la  corporation  un  accord  en  vertu  duquel  cette  der- 
nière acquerrait  les  voies  existantes  pour  £  30.000,  com- 
pléterait la  reconstruction  des  diverses  lignes  et  afTermerait, 
moyennant  une  redevance  de  7  1/2  Vo  sur  le  montant  du 
rachat,  l'ensemble  du  réseau  à  la  Compagnie,  \^  corpora- 
tion se  chargeant  de  veiller  à  ses  frais  à  l'entretien  des 
lignes. 

Le  1*' janvier  1880  les  lignes  furent  remises  à  la  corpo- 
ration et  la  Compagnie  commença  à  les  exploiter  peu  de 
temps  après.  Le  Liverpool  Tramways  Act  de  1880  confirma 
cet  arrangement,  et  bientôt  après  la  concession  fut  prolon- 
gée de  21  ans,  à  partir  du  1*'  janvier  1884. 

Les  tramways  de  la  Compagnie  étaient  des  tramways  à 
chevaux;  ils  s'étaient  tellement  multipliés  qu'en  1895,1a 
redevance  payée  à  la  corporation  s'élevait  à  £29.884.  A 
cette  date  la  Compagnie  distribuait  un  dividende  deSVo- 
Elle  avait  distribué  ce  même  dividende  durant  les  quatre 
années  précédentes  et  antérieurement  à  cela  7,  5  et  2  1/2  7o- 

En  1895,  la  corporation  obtint  du  Parlement  que  la  su- 
perficie de  la  cité  fût  portée  de  5000  à  15.000  acres.  Pres- 
que tous  les  tramways  se  trouvèrent  alors  compris  dans  la 


LES   TRAMWAYS  203 

cité  mâme  (1)  ;  Tarrangemeat  déplut  à  la  Compagnie,  elle 
fit  opposition  au  bill  et  finalement  obtint,  comme  compen- 
sation au  tort  qu'elle  prétendait  subir,  que  sa  concession 
fût  prolongée  de  10  années,  c'est-à-dire  jusqu'au  !•'  jan- 
vier 1915. 

En  1896,  elle  intenta  à  la  corporation  une  action  en  indem- 
nité de  £  80.000  pour  dommages  causés  à  ses  chevaux  et  à 
ses  voitures  par  le  mauvais  état  des  lignes.  La  municipalité 
répondit  que  si  les  lignes  se  trouvaient  en  mauvais  état,  la 
faute  en  était  à  la  Compagnie  qui  ne  les  avait  pas  assez 
ménagées  et  jetait  sur  les  rails  de  Teau  et  du  sable.  Durant 
ces  querelles,  le  public,  mécontent,  se  plaignait  ;  il  voyait 
des  tramways  électriques  à  l'étranger  dans  nombre  de  gran- 
des villes.  Il  en  voulait  avoir  à  Liverpool  et  en  réclamait 
l'introduction  à  la  Compagnie  qui  n'en  faisait  rien  et  se  re- 
tranchait derrière  cette  réponse  qu'elle  était  entrain  de  pro- 
céder à  des  essais.  Finalement,  voyant  qu*on  ne  pouvait 
non  seulement  rien  obtenir  d'elle,  mais  qu'elle  réclamait 
encore  une  indemnité  formidable,  la  corporation  décida  de 
la  racheter.  Elle  y  fut  autorisée  par  le  Liverpool  Tramways 
Actde  1897. 

La  somme  versée  à  la  Compagnie  s'éleva  ࣠ 567.375, 
somme,  parait-il,  beaucoup  trop  forte,  le  capital  de  la 
Compagnie  n'étant  à  cette  époque  que  de  £  4i5.000. 
c(  Nous  savions  bien,  disait  Sir  Th.  Hughes  (2),  que  l'actif 
de  la  Compagnie,  si  nous  l'avions  fait  expertiser,  n'aurait 
pas  atteint  la  valeur  du  capital  ;  mais  nous  sentions,  d'autre 
part,  que  nous  ne  pourrions  rien  faire  de  bon  sans  avoir  le 
contrôle  complet  de  ces  tramways  ;  nous  conclûmes  donc 
le  marché  le  meilleur  que  nous  pûmes  et  payâmes  la 

(i)  Municipal  Trading  Report.  1900,  p.  165. 
(2)  Municipal  Trading  Report ^  1900. 


304  PREMIÈRE   PARTIE.    —    CHAPITRE    YIII 

somme  que  l'on  avait  insérée  dans  TAct  du  Parlement  >-. 

Le  cours  des  actions  de  la  Compagnie  qui  n'était  pas 
très  élevéy  monta  rapidement  dès  qu'on  sut  qu*il  était 
question  de  rachat  :  on  pensait  que  la  municipalité  les 
payerait  un  bon  prix.  La  municipalité  versa  encore  des 
sommes  considérables  au  chairmaû,  aux  directeurs,  solici- 
tors,  comptables,  vérificateurs,  etc. 

«  Nous  fûmes  obligés  d'en  arriver  là,  continue  sir  Th. 
Hughes,  tout  en  sachant  qu'au  point  de  vue  commercial 
ce  rachat  constituait  une  très  mauvaise  opération,  parce 
que  le  public  se  plaignait  chaque  jour  plus  vivement.  La 
Compagnie  n'exploitait  pas  certaines  lignes  du  réseau  sous 
prétexte  qu'elles  ne  l'auraient  pas  payée  de  ses  frais.  L'in- 
tention de  la  corporation  était  d'établir  un  réseau  complet 
conçu  dans  le  seul  intérêt  du  public  et  sans  s'inquiéter  de 
savoir  si  tel  district  pauvre  serait  d'un  plus  ou  moins  bon 
rapport.  Or  l'on  ne  pouvait  obliger  la  Compagnie  à  le  faire. 
Le  public  se  plaignait  aussi  de  la  lenteur  des  tramways.  Li- 
verpool  est  en  eiïet  bàlie  sur  le  flanc  d'une  colline,  partant 
des  bords  de  la  Mersey,et  la  traction  y  est  difficile. Les  jour- 
naux accusaient  encore  la  Compagnie  de  surmener  ses 
employés  et  ses  chevaux^  on  y  parlait  de  l'esclavage  des 
blancs  (white  slavery).  Les  tarifs  enfin  étaient  trop  élevés. 
Voilà  l'ensemble  des  raisons  qui  nous  décidèrent  à  racheter 
l'entreprise.  » 

Le  1®^  septembre  1897,  la  corporation  commençait  l'ex- 
ploitation de  ses  lignes  qui  s'étendaient  sur  67  1/2  miles 
dans  la  cité,  6  miles  dans  Bootle  et  environ  3/4  de  miles 
à  Litherland.  Résolue  à  remplacer  la  traction  animale  par 
la  traction  mécanique,  la  corporation  avait  le  choix  entre 
plusieurs  systèmes.  Après  mûre  réflexion,  elle  se  décida 
finalement  en  faveur  du  système  do  traction  électrique  à 


LES   TRAMWAYS  2o5 

trolley.  Elle  Texpérimenta  en  1898  sur  une  ligne  de  6  miles, 
entre  St-Georges  Church  et  leDingle.  Pleinement  satisfaite 
des  résultats,  elle  fit,  dans  les  deux  années  qui  suivirent, 
construire  ou  reconstruire  100  miles  de  lignes  anciennes 
OU  nouvelles  auxquelles  elle  appliqua  le  nouveau  mode 
de  traction.  La  longueur  totale  du  réseau  en  exploitation 
atteint  aujourd'hui  104  miles. 

La  dépense  totale  en  capital  au  31  décembre  1905  s'éle- 
vait à  £  1.898.812.  Le  revenu  total  de  Tannée  à  £  566.628 
et  les  frais  d'exploitation  à  £381.378,  laissant  un  profit  brut 
de  £185.250. 

Les  dépenses  du  service  des  intérêts  et  du  Sinking  fund 
s'étant  élevées  à £  109.291     8  s.  5  d. 

Celles  des  Reserve  et  Déprécia- 
tion f unds  à £    50.639    7      1 

Soit  au  total £  159.930  15      6 

11  restait  après  avoir  déduit  du 
profit  brut £185.250     9      0 

Les  dépenses  précédentes.     .     .     £  159.930  15      6 

Un  profit  net  de £    25.319  13      6 

dont  on  a  crédité  le  gênerai  rate. 

Le  rapport  du  comité  des  tramways  de  Liverpool  pour 
Tannée  1905  nous  donne  encore  quelques  détails  sur  le 
nombre  de  voyageurs  transportés  et  de  miles  parcourus,  et 
il  les  compare  aux  chiffres  de  la  dernière  année  de  la  Com- 
pagnie (1897). 


206 


PREBUÂRB   PARTIE.    —    GttAPITRE   Tni 


Voyageurs 

1897 

1900 

1905 

Tramways  électriques.. 

—        à  chevaux... 

Omnibus 

Total 

30.596.229 
7.812.855 

50.068.531 

19.051.873 

5.247.552 

82.367.958 

119.123.6U 

> 

38.4U9.084 

119.123.644 

Parcours  kn  milrs 

4.674.609 
1.338.573 

5.584.357 

2.571.163 

945.346 

9.100.866 

12.067.033 

» 

9 

Tramways  électriques. . 

—         à  chevaux... 

Omnibus 

Total 

6.013.182 

12.067.033 

Rbcettes 

£         » 
239.399 
51.344 

290.743 

£     284.759 

105.212 

27.603 

£       550.084 

» 

B 

Tramways  électriques. . 

—        à  chevaux. . . 

Omnibus 

Total 

417.574 

530.084 

L'augmentation  en  faveur  de  1905  sur  1897  est  de  : 
211,  37  7o  sur  les  voyageurs  ; 
101,  39  Yo  sur  le  nombre  de  miles  parcourus  ; 
89,  84  %  sur  les  recettes. 

Les  tarifs  appliqués  à  Liverpool  varient  de  1  à  6  d. ,  celui 
de  1/2  d.  n'existe  pas.  De  même  qu'à  Glasgow  le  tarif  1  d. 
forme  de  beaucoup  la  plus  grosse  part  du  total,  comme  le 
montre  le  tableau  suivant  : 


Prix  du  Billet 

Nombre  de  Billets  vendus 

Pourcentage 

1  d. 
1  1/2  d. 
2d. 
3  d. 
4d. 

5  d. 

6  d. 

1 

106.353.445 

1.231.422 

10.799.346 

532.814 

115.302 

2.976 

88.339 

89.280 
1.034 
9.066 
0.447 
0.097 
0.002 
0.074 

119.123.644 

100.000 

LES   tRAMWAYS  20? 

Le  tarif  moyen  par  voyageur  est  de  1. 108  d.  et  le  parcours 
moyeu  pour  1  d.  de  2  miles  699  yards. 

Quant  aux  profits  faits  par  les  tramways,  on  ne  les  a  pas 
dès  le  début  versés  en  réduction  du  «  gênerai  rate  »  (voir 
la  déposition  de  M.  Barrow  devant  le  Select  Committee  de 
1903,  p.  94). 

L'Act  de  1897  autorisant  le  rachat  de  l'entreprise  défen- 
dait d*appliquer  aucune  part  des  profits  en  réduction  des 
impôts  jusqu'en  Tannée  1912.  Quand  elle  vit  pourtant  en 
1901  les  résultats  si  satisfaisants  de  cette  exploitation,  la 
municipalité  se  dit  qu'il  n  y  aurait  rien  de  déraisonnable  à 
en  faire  bénéficier  les  contribuables  dans  une  certaine  me- 
sure. Elle  s'adressa  donc  au  Parlement  qui  lui  permit  en 
1902,  d'opérer,  au  delà  de  £  30.000,  le  transfert  des  profils 
nets  en  réduction  des  impôts,  à  condition  que  la  somme 
transférée  n'excédât  en  aucun  cas  le  tiers  de  ces  profits  nets. 
En  1902,  par  exemple,  les  profits  ayant  été  de  £  75.000,  on 
consacra  £  25.000  à  la  réduction  des  impôts  et  £  50.000  au 
Renewal,  Reserve  and  Dépréciation  Account. 

Si  nous  en  croyons  des  articles  qu'a  publiés  une  revue 
technique  anglaise  des  plus  sérieuses,  ï Engineering  (n'^du 
8  avril  1904),  les  sommes  consacrées  au  service  des  in- 
térêts et  de  l'amortissement  rembourseront  sans  doute  en 
un  certain  nombre  d'années  le  capital  emprunté  ;  mais,  à 
moinsqu'on  ne  change  de  manière  d'agir  et  qu'on  ne  consa- 
cre au  Renewal  et  Dépréciation  fund  des  sommes  suffisan- 
tes, les  contribuables  risquent  de  se  trouver  un  jour,  peut- 
être  même  avant  le  complet  remboursement  des  emprunts, 
sans  tramways  et  sans  matériel.  Une  saine  gestion  exige- 
rait qu'une  partie  des  bénéfices  actuels  servissent  à  faire 
face  aux  besoins  futurs  ;  la  constitution  d'un  Reserve  fund 
important  s'impose  absolument. 


3o8  PREMlàRE   PARTIE.   —   CHAPITRE   yill 

La  muaicipalité  n*a  consacré  que  £  50.639  au  Réserve^ 
Renewal  et  Dépréciation  account.  Sur  un  capital  de  près  de 
2  millions  de  £  (1.898.000)  cette  somme  ne  représente  guère 
que  2  1/2  y».  Elle  apparaît  manifestement  insuffisante  si 
l'on  prend  la  peine  de  songer  combien  courte  est  Texistence 
d*un  matériel  électrique.  Le  temps  viendra  où  les  revenus 
auront  à  supporter  les  frais  des  renouvellements,  et  l'em- 
barras  sera  grave  le  jour  où,  pour  y  faire  face,  il  faudra  ré- 
duire ou  supprimer  la  somme  versée  en  aide  des  impôts. 

Nous  ne  prétendons  pas  donner  notre  opinion  personnelle 
sur  la  question  si  délicate  de  Tamortissement  des  capitaux 
-et  du  matériel  de  grandes  entreprises  du  genre  des  tram- 
ways ;  maison  voit  que  l'opinion  des  gens  du  métier  et  des 
ingénieurs  spécialistes  est  qu'on  ne  lui  faitjamais,  même 
dan^  les  exploitations  qui  semblent  le  plus  prospères,  une 
part  assez  large. 

Il  serait  fastidieux  d*étudier  encore  en  détail  les  entre- 
prises de  Manchester  et  de  Birmingham.  Nous  allons  en 
dire  quelques  mots  seulement. 

Manchester. — Les  tramways  de  la  ville  de  Manchester  (1) 
ont,  dès  le  début,  c'est-à-dire  depuis  1875,  appartenu  à  la 
corporation,  et  c'est  elle  qui  les  a  construits,  afin  de  se  ré- 
server tous  les  droits  relatifs  à  la  voie  publique  ;  n*étant  pas 
autorisée  à  les  exploiter  elle-même,  elle  les  afferma,  et  jus- 
qu'en 1901  c'est  une  Compagnie  qui  exploita  les  tramways 
de  la  ville. 

Avant  l'expiration  de  sa  concession,  la  corporation  con- 
clut avec  la  Compagnie  un  accord  en  vertu  duquel  elle  au- 
torisait cette  dernière  à  poursuivre  l'exploitation  des  tram- 

(1)  Voir  Municipal  Trading  Report^  1900,  p.  193 


LES  TRAftfWAYS:  aOQ 

ways  jusqu'au  jour  où  ils  auraient  été  recoastruits  et  adaptés 
à  la  traction  électrique  par  la  corporation.  La  municipalité 
signa  encore  des  arrangements  avec  les  autorités  locales 
voisines  (1)  pour  reprendre  la  concession  de  leurs  lignes 
dans  leurs  districts  respectifs  et  les  exploiter  en  même  temps 
que  les  tramways  de  la  cité. 

Manchester  et  Salford  se  sont  entendues  pour  que  leurs 
tramways  puissent  respectivement  passer  d'une  ville  dans 
l'autre.  La  corporation  projette  enPmde  construire  de  nou- 
velles lignes  qui  la  relieront  à  toutes  les  localités  adjacentes. 

Manchester  nous  offre  ainsi  un  exemple  des  plus  typi- 
ques d'une  ville  exploitant  un  service  en  dehors  de  ses 
propres  limites  ;  on  peut  donc  lui  reprocher  de  spéculer 
avec  l'argent  de  ses  contribuables.  M.  Southern,  à  qui  Ton 
avait  posé  l'objection  en  1900,  répondit  que,  du  moment 
où  les  autorités  locales  voisines  donnaient  leur  consente- 
ment au  système,  il  n'y  avait  rien  à  redire  ;  mais  n'est-ce 
pas  plutôt  le  consentement  du  contribuable  lui-même  qu'il 
aurait  fallu  demander? 

Manchester  exploite  directement  et  sans  Joint  Board  les 
réseaux  des  districts  voisins  (2)  ;  la  question  avait  été  dis- 
cutée dans  tous  ces  districts,  et  Ton  était  arrivé  à  la  conclu- 
sion unanime  que  le  Joint  Board  ne  constituait  pas  une 
solution  pratique,  —  sauf  pour  l'eau  et  les  égouts,  —  at- 
tendu que,  dans  le  cas  des  tramways,  il  est  des  districts 
dont  la  voie  emprunte  le  territoire  sur  une  grande  lon- 
gueur ;  d'autres  qu'elle  ne  fait  que  traverser  sur  un  court 


(1)  FailsworUi,  Droylsden,  Âudensha^v,  (îorton,  Deaton,  Levens- 
halme,  Heaton  Norris,  Stockport,  Mosse  Side,  Withington  et  Stret- 
ford. 

(2>  Municipal  Trading  Report,  i900,  p.  194. 

Boverat  14 


910  PREMièRE  PARTIE.   -^   GHAPÎtRB   Vf  If 

espace  ;  que  le  trafic  est  intense  dans  Tun,  presque  nul  dans 
l'autre ,  etc. 

Aussi  s'en  est-on  tenu  à  Tarrangement  suivant  :  la  cor- 
poration de  Manchester  devient  concessionnaire  des  divers 
«  urban  district  Councils  »  pour  leurs  portions  respec- 
tives de  tramways,  moyennant  lé  versement  d'ufie  rede- 
vance convenable  qui  les  remboursera  pleinement  de  toute 
dépense  en  capital  qu*ils  seraient  obligés  de  faire  pour  la  re- 
construction des  lignes  ou  tout  autre  travail  de  ce  genre. 
La  corporation  exploite  actuellement,  au  moyen  de  la 
traction  électrique  un  réseau  d'environ  146  miles.  L'entre- 
prise électrique,  municipale  lui  fournit  le  courant  au  prix  de 
1.40  d.  par  unité  (mars  1905). 

Le  capital  dépensé  par  Manchester  dans  Tentreprise  des 
tramways  s'élevait,  à  la  fin  de  1904-1905,  à  £  1.587.931.  Le 
nombre  des  voyageurs  était  de  126.900.875  payant    en 
moyenne  1  d.lO.  Les  recettes  totales  s'élevaient  à  £  631.955; 
les  dépenses  (y  compris  l'intérêt,  Tamortissement  et   les 
redevances    payées   aux   districts   voisins  et   s'élevant   à 
£10.000)  ont  atteint  £  580.055,  laissant    un  surplus  de 
£  51.000  qu'on  a  versé  au  budget  communal.  La  contribu- 
tion aux    impôts    ne    devait   être  primitivement  que  de 
£  46.000  ;  mais,  lisons-nous  dans  le  rapport  des  auditeurs 
pour  1ÎI04-19Ô5,  £  5.000  ont  été  transférées  du   compte 
«  Renewal  et  Dépréciation  »  à  r«  Appropriation  Account  i» 
ce  qui  a  permis  de  porter  à  £  51.000  la  subvention  quoa 
donne  au  budget.  Le  Renewal  et  Dépréciation  Ajccount  ne 
s'élève  qu'à  £  185.085.8  s.  0  d.  (au  31  mars  1905)  ;   pour 
une  entreprise  aussi  importante,  ce  n^est  encore  qu'un  fai- 
ble commencement;  aussi  répéterons-nous  ici  les  observa- 
tions que  nous  faisions  pour  Liverpool,  et  dirons-nous  qn*il 
vaudrait  peut-être  mieux  laisser  cet  argent  là  où  il  est  que 


j 


LB8   tRAMWAYd  âlï 

d'en  faire  prématurément  bénéficier  les  contribuables.  Les 
tramways  versent  régulièrement  de  grosses  sommes  au 
budget  municipal,  et  dans  les  Estimâtes  de  1906-1907  le 
comité  propose  de  consacrer  à  cet  usage  £  55.000,  sans 
compter  les  £  4.186  qui  serviront  à  opérer  le  premier  ver- 
sement du  prix  d'achat  d*un  terrain  destiné  à  un  hôpital. 

Birmingham.  —  L'histoire  des  tramways  de  la  corpora- 
tion de  Birmingham  n  est  pas  encore  assez  longue  pour 
qu'on  puisse  l'écrire  ;  le  principe  de  la  municipalisationn'a 
été  accepté  par  son  conseil  municipal  qu'en  1899.  La  pre- 
mière ligne  électrique  date  de  1904  ;  une  seconde  vient  d'être 
inaugurée  en  1906.  Mais  si  Birmingham  est  de  toutes  les 
grandes  villes  anglaises  la  moins  bien  partagée  au  point  de 
vue  des  tramways,  la  faute  en  est  surtout  à  ses  conseillers 
qui  se  sont  constamment  opposés  aux  projets  qu'on  leur 
soumettait. 

Voici  quelles  conditions  Birmingham  imposait  aux  Gom* 

•  >  '      * 

pagnles  concessionnaires  (1):  la  cité  construit  le  tramway 
pour  la  Compagnie  qui  Texploitera  ;  mais  cette  dernière 
s'engage  àpayer,  durant  les  14  premières  années  de  sa  conces- 
sion,une  redevance  annuelle  égale  à  4  ""/^  du  coût  d^étabiisse- 
ment  des  lignes ,  et  à  5  '^/o  durant  les  7  dernières  années  ;  à 
verser  en  outre  chaque  année  dans  un  Sinking  fund  apparte** 
nant  à  la  cité  une  somme  égale  à  2,874  ""/o  du  coût  du 
tramway.  Cette  somme,  placée  à  intérêts  composés,  don- 
nera au  botit  de  21  ans  un  total  égal  à  la  dépense  faite  par  la 
cité  pour  l'établissement  de  ce  tramway  ;  ce  qui  revient  à 
dire  qu'au  bout  de  21  ans  la  cité  aura  recouvré  le  capital 
qu'elle  avait  placé  dans  le  tramway,  et  que  durant  tout  ce 

(i)  Voir  Metbr,  Municipal  Ownership  in  Great  Britain,  p.  132. 


2t2  PREMIERE   PAilTIfi.    —   CHAPITRE  VIII 

temps  elle  aura  reçu  4  et  5  Vo  de  soq  argent.  Bien  mieux, 
la  cité  ne  court  pas  le  moindre  risque  de  rien  perdre  du  ca- 
pital ainsi  placé  :  la  Compagnie  doit  en  effet  garantir  Tac- 
complissement  de  la  promesse  qu'elle  a  faite  de  payer  4  et 
5  Yo  pstr  an,  en  donnant  en  dépôt  à  la  cité,  en  argent 
comptant,  50  Va  du  coût  du  tramway.  En  résumé,  bien 
que  ne  faisant  rien  et  ne  courant  aucun  risque,  la  cité  re- 
çoit, suivant  les  moments,  4  ou  S  °/o  du  coût  d*établissement 
des  lignes  et  se  fait  rembourser  de  toutes  ses  dépenses  en 
21  ans. 

La  cité  ne  construit  que  le  tramway  lui-même  et  c'est  à 
la  Compagnie  concessionnaire  de  construire  les  bâtiments 
et  de  se  procurer  les  voitures  et  le  matériel.  A  la  fin  de  la 
concession,  la  municipalité  n'est  pas  tenue  de  racheter  le 
matériel  de  la  Compagnie.  Le  capital  qu*a  consacré  la  Com- 
pagnie à  Tachât  de  tout  son  matériel  en  général  ne  reçoit 
d'intérêt  qu'une  fois  que  toutes  les  dépenses  d*exploitatioD, 
y  compris  les  versements  au  Sinking  fund  du  matériel,  ont 
été  payées  et  que  la  cité  a  touché  les  6,874  ou  7.874  Y*  du 
coût  d  établissement. 

11  n'est  pas  étonnant  que  ces  conditions  onéreuses  aient 
fait  hésiter  les  capitalistes.  A  la  fin  de  1904,  Birmingham 
et  ses  faubourgs,  dont  la  population  totale  s'élevait  à 
1 .287.000  personnes  ne  possédaient  que  148  miles  de  tram- 
ways, soit  1  mile  par  8.700  habitants. 

Dans  le  tome  III  de  V Histoire  de  Birmingham  M.  Yince 
s'exprime  ainsi  (p.  90)  :  «  Durant  les  aunées  1884-188.*), 
le  Public  Works  Committee  eut  à  examiner  de  nom- 
breux projets  qui,  s'ils  avaient  été  exécutés,  auraient  cou- 
vert la  ville  d'un  réseau  de  rails.  Il  serait  fastidieux  et 
inutile  d'essayer  de  donner  l'histoire  détaillée  des  projets 
avortés  et  oubliés  de  cette  époque  et  d'énumérer  les  bills 


LES   TRAMWAYS  Ul3 

et  provisional  orders  que  la  corporation  fut  appelée  à  sou- 
tenir ou  à  combattre.  D*une  façon  générale  la  politique  de 
cette  époque  fut  une  politique  d'opposition  constante 
à  toutes  les  entreprises  projetées.  » 

En  1896  et  dans  les  années  qui  suivirent,  plusieurs  Corn* 
pagnies  proposèrent  à  la  ville  de  Birmingham  d'établir  un 
réseau  de  tramways  électriques  à  troliey.  Adoptant  les 
conclusions  d*une  commission  d*études  qu'elle  avait  en- 
voyée visiter  les  principales  grandes  villes  du  continent, 
la  municipalité  se  décida  contre  le  trolley  et  en  faveur  du 
système  de  conduite  souterraine.  Aujourd'hui  que  la  mu- 
nicipalité construit  et  exploite  à  ses  frais,  elle  s'est  ralliée 
au  principe  du  trolley,  dont  elle  ne  voulait  pas  jadis,  sous 
prétexte  qu'il  défigurerait  les  rues  de  la  cité. 

La  longueur  de  la  ligne  exploitée  en  régie  au  31  mars 
1905  était  de  1  mile  647  yards.  Les  recettes  étaient  de 
5:  19.102.18  s.  0  d.  ;  les  dépenses  de  £  10.338.16 s.tOd., 
laissant  un  proGt  brut  de  £  8.764.1  s.  2.d. 

Le  service  des  intérêts  et  du  Sinkingfund  s'éleva nt  à  près 
de  £  3.000,  les  £  5.801  restantes  ont  été  versées  au  Reserve 
fund. 

La  dépense  en  capital  atteignait  à  cette  date  £68.694.  Le 
nombre  de  voyageurs  transportés  par  la  municipalité  était 
de  4.709.798,  au  prix  moyen  de  0,86  d.  ;  le  nombre  de  miles 
parcourus  de  266.526(1). 

(1)  L*exeinple  le  plus  frappant  de  mauvaise  gestion  et  d'incapacité 
municipale  nous  est  certainement  fourni  par  les  tramways  de  Londres. 
Nous  avons  laissé  cette  ville  en  dehors  du  cadre  de  notre  étude,  mais 
les  personnes  que  le  sujet  intéresserait  feront  bien  de  8*y  reporter. 


2l4  première  partie.  —  chapitre  viii 

Conclusion 

Nous  avons  donné  pour  chacune  des  villes  qae  nous  ve- 
nons d*étudier  le  chiffre  de  leurs  dépenses  en  capital  et  le 
montant  des  bénéfices  qu'elles  accusent  ;  que  penser  de 
Torigine  et  du  taux  de  ces  derniers  ? 

Il  est  bon  de  faire  remarquer  que  ces  bénéfices  ne  s  ob- 
tiennent pas  seulement  au  prix  de  risques  sérieux  qui  les 
rendent  très  critiquables  ;  ils  s'obtiennent  souvent  aussi  par 
des  méthodes  de  comptabilité  très  différentes  de  celles 
qu*emploient  les  Compagnies.  Le  montant  des  impôts,  ra- 
rement payés  par  une  municipalité  au  même  taux  qu'ils  le 
seraient  par  une  Compagnie  particulière,  le  loyer  des  bâti- 
ments publics  où  travaillent  les  employés  de  Tentreprise, 
les  élargissements  de  rues,  portés  à  un  autre  compte  que 
celui  des  tramways  pour  lesquels  ils  sont  généralement  faits, 
ne  figurent  que  pour  partie  et  souvent  môme  ne  figurent 
pas  du  tout  dans  les  comptes  municipaux. 

M.  Darwin  (1)  est  d'avis  que  pour  savoir  ce  que  les  mu- 
nicipalités gagnent  réellement  à  exploiter  elles-mêmes  leurs 
tramways,  il  faudrait  déduire  des  profits  nets  les  redevan- 
ces qu'elles  auraient  pu  obtenir  des  Compagnies  privées 
en  leur  laissant  les  services  aujourd'hui  municipalisés.  «  On 
verra,  dit-il,  dans  les  rapports  du  Local  Government  Board 
(voir  Municipal  Trading  Report,  1903,  p.  233)  que  les  proflls 
nets  des  tramways  possédés  et  exploités  par  les  municipa- 
lités anglaises  étaient  de  £  ^1.904  par  an  en  moyenne  (pour 
4  ans,  de  mars  1898  à  mars  1902),  les  profits  bruts  s'élevant 
à  £  373.981.  Il  est  évident  que  si  Ion  avait  affermé  l'ex- 
ploitation de  ces  tramways,    les  Compagnies  concession- 

(1)  Voir  Darwin,  Municipal  Trader  p.  235, 


LES  TRAMWAYS 


2l5 


naires  auraieat  eu  à  payer  des  redevances  à  la  municipa- 
lité intéressée  ;  cherchons  à  déterminer  à  quelles  sommes 
ces  redevances  se  seraient  montées  ?  » 

Partant  de  ce  fait  que  dans  les  récentes  négociations  rela- 
tives au  renouvellement  de  la  concession  des  tramways  de 
Birmingham,  la  redevance  proposée  par  la  Compagnie  s'é- 
levait à  15  Yo  àes  recettes  brutes,  M.  Darwin  en  conclut 
qu'en  prenant  ce  chiffre  comme  base  d'un  calcul  de 
moyenne,  les  tramways  municipaux  anglais,  à  supposer 
qu'on  les  concède  à  des  Compagnies,  rapporteraient  plus 
de  £  200.000  par  an  aux  autorités  locales.  Ils  leur  en  rap- 
portent actuellement  environ  £  80.000,  mais  il  est  probable 
que  ce  chiffre  pourra  doubler  ou  tripler  dans  un  avenir 
plus  ou  moins  rapproché. 

Si  nous  en  croyons  cet  auteur,  en  général  fort  indulgent 
pour  le  Municipal  Trade,  il  est  très  difGcile  de  savoir  si  les 
municipalités  ont  réellement  fait  une  bonne  affaire  en  mu- 
nicipalisant  les  tramways.  Pour  le  temps  présent,  il  est  d'a- 
vis qu'elles  auraient  eu  plus  d^avantage  à  les  concéder  à 
des  Compagnies  ;  elles  y  auraient  couru  moins  de  risques 
aussi  et  se  seraient  chargées  de  moins  de  dettes. 

Pour  l'avenir,  il  estime  que  la  possession  des  tramways 
peiit  assurer  aux  municipalités  de  gros  revenus.  Mais  toute 
la  question  est  de  savoir  ce  que  nous  réserve  l'avenir.  Le 
système  de  traction  électrique  qui  nous  paratt  aujourd'hui 
le  dernier  mot  de  la  perfection  et  du  progrès  pourrait  bien 
être  détrôné  quelque  jour  par  un  autre  système  plus  rapide 
ou  moins  coûteux.  N'avons-nous  pas  vu  en  quelques  années 
les  tramways  à  chevaux  détrônés  par  les  tramways  à  vapeur, 
et  ces  derniers  remplacés  à  leur  tour  par  les  tramways  élec- 
triques ? 

Cette  question  du  mode  de  locomotion  qu'il  y  aura  le 


2l6  PnCMlÈRE    PARTIE.    —   CHAPITRE    VIII 

plus  d'avantages  à  employer  dans  un  avenir  rapproché  fait 
la  préoccupation  constante  des  ingénieurs.  On  songe  aux 
services  que  pourront  rendre  les  omnibus  automobiles  em- 
ployés aujourd'hui  déjà  par  plusieurs  grandes  villes  d'An- 
gleterre et  du  continent.  La  loi  italienne  de  1903  n  a-t-elle 
pas  prévu  le  service  automobile  comme  pouvant  rentrer 
dans  les  attributions  des  municipalités  (1)  ? 

Dans  sa  déposition  devant  le  Select  Committee  de  1900 
M.  Campbell  Swinton  (2)  disait  qu*à  son  avis,  la  traction 
électrique  aurait  son  heure  ;  mais  que  tôt  ou  tard  les  auto- 
mobiles la  détrôneraient  complètement.  «Je  puis  avoir  tort, 
ajoutait-il,  mais  telle  est  mon  opinion  d^ingénieur,  et  beau* 
coup  de  mes  collègues  pensent  comme  moi.  »  Les  munici- 
palités désireuses  de  protéger  leurs  tramways  et  de  s'oppo- 
ser à  rintroduction  des  automobiles  auront  un  moyen  bien 
simple  à  leur  disposition  :  ce  sera  de  laisser  les  routes  en 
mauvais  état,  au  lieu  de  les  asphalter  et  de  chercher  à  les 
rendre  aussi  planes  que  possible.  Il  est  parfaitement  loisi- 
ble de  faire  cette  supposition.  Ce  ne  serait  qu'une  répétition 
de  la  tactique  qu'ont  employée  les  municipalités  proprié- 
taires d'usines  à  gaz  pour  s'opposer  à  l'introduction  de 
l'électricité . 

Le  bilan  des  tramways  municipaux  anglais  peut  donc  se 
résumer  de  la  façon  suivante:  proGts  peu  considérables 

(1)  <*  On  a  fait  des  comparaisons  en  Angleterre  sur  les  dépenses  d'une 
ligne  desservie  soit  par  des  omnibus  automobiles  soit  par  des  tramways 
électriques.  Les  dépenses  d'établissement  pour  une  exploitation  par 
omnibus  ne  s'élèveraient  guère  qu'au  quart  de  ce  qu'elles  sont  pour 
un  réseau  analogue  de  tramways,  et  les  receltes  nettes  sont  satisfai- 
santes quand  on  se  trouve  en  présence  d*un  service  k  départs  fréquents 
entratnant  une  bonne  fréquentation  .»  (Voir  D.  Bellbt,  Economiste 
français,  n«du  22  décembre  f906,  p.  905.) 

(2)  Municipal  Trading  Report,    1900,  p.  104. 


LES  TRABfWAYS  21 7 

pour  le  présent,  si  Ton  fait  à  ramortissement  une  part  suf- 
fisante ;  risques  sérieux  au  point  de  vue  financier.  Espérance 
de  gros  profits  pour  l'avenir,  mais  au  cas  seulement  où  au- 
cune invention  nouvelle  ne  viendrait  à  bref  délai  supplanter 
la  traction  électrique. 

Pour  le  moment  il  n'y  a  certainement  pas  lieu  de  se  fé- 
liciter de  l'intervention  des  municipalités  en  la  matière  ; 
comme  nous  le  disions  au  début  de  ce  chapitre,  leur  souci 
constant  d'empêcher  la  création  de  monopoles  au  profit  des 
particuliers,  joint  aux  entraves  apportées  par  les  lois  de 
1870  et  1882,  a  considérablement  retardé  en  Angleterre  le 
progrès  de  l'industrie  électrique  sous  toutes  ses  formes. 

En  1880,1a  population  urbaine  de  la  Grande-Bretagne 
n'avait  pas  le  cinquième  des  tramways  dont  disposait  à  la 
même  époque  celle  des  Etats-Unis,  bien  qu'elles  fussent  de 
nombre  à  peu  près  égal  toutes  deux  ;  en  1900  elle  en  avait 
encore  beaucoup  moins  du  tiers  ;  en  1904  elle  n'en  possé- 
dait que  le  quart.  En  d'autres  termes,  l'application  de  la 
doctrine  municipaliste  a  abouti  à  paralyser  de  façon  géné- 
rale et  permanente  l'industrie  privée  ;  mais  les  municipali- 
tés ne  s'en  sont  pas  moins  montrées  absolument  incapables 
de  remplir  le  vide  qu*avait  créé  leur  fâcheuse  intervention. 

C'est  surtout  quand  on  a  voulu  rattraper  le  temps  perdu 
que  sont  apparus  les  résultats  déplorables  de  la  conduite 
qu*on  avait  suivie  (l).  Plusieurs  des  plus  grandes  villes  an* 
glaises  ont  dû  recourir  aux  services  d'ingénieurs  américains 
pour  construire  les  réseaux  des  tramways  qu'elles  s*étaient 
si  tardivement  décidées  à  adopter.  ((  On  importe  d'Amérique, 
disait  en  1900  M.  Campbell  Swinton,  les  9/10  du  matériel 
des  tramw^ays  électriques  actuellement  en  construction, 

(i]  Voir  Campbell  Swinton,  Nineteenth  Century,  février  1900. 


2l8  PREMIÈRB   PARTIE.    —   CHAPITRE    VIII 

nos  industriels  n*ayant  ni  rexpérience  ni  routillage  néces- 
saires. Chose  qui  suffirait  à  faire  retourner  James  Watt 
dans  sa  tombe,  la  corporation  de  Glasgow,  de  la  ville  qui 
vit  jadis  naître  la  machine  à  vapeur,  a  récemment  reçu  de 
son  ingénieur  en  chef  le  conseil  de  commander  des  machi- 
nes à  vapeur  d*une  valeur  de  £  160.000  à  une  fabrique  de 
Milwaukee  aux  Etats-Unis,  parce  que  les  industriels  anglais 
ne  sont  pas  en  état  de  fournir  les  machines  que  réclament 
les  nouvelles  installations  électriques.  C'est  pour  les  mêmes 
raisons  qu'on  a  importé  d'Amérique  tout  le  matériel  élec- 
trique du  London  Central  Railway  et  que  Manchester  et 
d'autres  municipalités  achètent  sur  le  continent  la  plupart 
de  leurs  machines  électriques.  » 

L'exploitation  des  tramways  par  les  municipalités  na 
donc  pas  été  sans  entraîner  de  graves  inconvénients  ;  les 
témoignages  que  nous  venons  de  rapporter  en  font  foi,  et 
l'étude  à  laquelle  nous  venons  de  nous  livrer  dans  trois  ou 
quatre  des  plus  grandes  villes  anglaises,  nous  montre  que 
ce  n'est  pas  par  un  sens  commercial  tr^s  avisé  que  les  mu- 
nicipalités se  sont  fait  remarquer;  la  première  opération 
de  la  municipalisation,  celle  du  rachat,  se  fait  les  trois  quarts 
du  temps  dans  des  conditions  déplorables.  Dans  le  précé- 
dent chapitre,  nous  avions  vu  les  entreprises  électriques  ra- 
chetées à  un  prix  dérisoire  ;  dans  celui-ci  nous  voyons  les 
entreprises  de  tramways  acquises  à  un  prix  exorbitant.  (1 
semble  qu'il  soit  impossible  aux  autorités  locales  de  garder 
un  juste  milieu  et  dé  payer  les  choses  à  leur  valeur  mar- 
chande. 

Le  tramway  municipal  apparaît  à  toute  personne  qui  ne 
se  donne  pas  la  peine  d'approfondir  les  choses,  de  tous 
points  préférable  au  tramway  des  Compagnies.  N'est-il  pas 
plus  propre    et  plus  confortable  ?  Quelle  triste  figure  ne 


LES    TRAMWAYS  21  Q 

font  pas  à  Birmingham,  à  côté  des  tramways  électriques  de 
la  corporation,  tout  flambant  neufs,  les  vieusc  véhicules  des 
Compagnies  encore  existantes?  Le  prix  des  places  y  est  en 
général  beaucoup  moins  cher,  et  n'est-ce  pas  là  un  second 
avantage  plus  appréciable  encore  que  le  précédent  ? 

Voilà  ce  qu'on  voit. 

Ce  qu'on  ne  voit  pas,  ce  sont  les  déûcits  de  Tentreprise 
dont  la  conséquence  inévitable  sera  une  augmentation  d'im- 
pôts. Mais  c'est  là  une  chose  qu'il  est  inutile  de  chercher  à 
faire  comprendre  à  la  masse  des  citoyens.  De  deux  choses 
Tune,  ou  bien  ils  ne  verront  pas  quel  lien  unit  les  deux 
questions,  ou  bien  ils  ne  prendront  pas  la  peine  de  vous 
écouter.  Aussi  n'est-il  pas  étonnant  de  voiries  autorités  lo- 
cales projeter,  sous  l'influence  populaire,  de  faire  aller  leurs 
tramways  jusque  dans  des  districts  où  Ton  ne  peut  raison- 
nablement espérer  faire  aucun  profit,  c.  Nous  estimons,  di- 
sait M.  Benn  (membredu  L,  C.  C.),que  les  tramways  doi- 
vent précéder  la  population  et  non  la  suivre  (1).  » 

Ce  mépris  de  toutes  les  considérations  financières  ne 
peut  se  justifier  que  lorsqu'il  s'agit  d'entreprises  munici^ 
pales  ayant  pour  but  la  santé,  l'ordre  ou  la  moralité  pu* 
blique.  Autrement  il  est  sans  excuse,  et  Ton  ne  peut  nier 
que  les  électeurs  n'usent  trop  souvent  de  l'influence  consi- 
dérable qu'ils  exercent  sur  les  conseillers  pour  leur  Faire 
entreprendre  des  exploitations  soi-disant  rémunératrices, 
mais  que  des  directeurs  de  Compagnies  particulières  rejet- 
teraient sans  hésitation  parce  qu'ils  verraient  dès  l'abord 
que  les  résultats  et  les  bénéfices  qu'on  en  peut  attendre  ne 
sont  pas  proportionnés  aux  risques  à  courir. 

(1)  Municipal  Trading  Report,  1900,  quest.  4142. 


CHAPITRE  IX 


LBS  STATIONS  GBNTRALBS  DE  FORGB  ELECTRIQUE. 


La  désastreuse  iafluence  qu'a  exercée  la  politique  mu- 
nicipaliste  sur  Tindustrie  électrique  ne  s'est  pas  fait  seotir 
seulement  en  matière  d^éclairage  ou  de  tramways,  elle  s'est 
fait  sentir  aussi  et  plus  encore  lors  de  la  création  de  grandes 
usines  productrices  de  force  motrice. 

Les  Etats-Unis  les  premiers,  TAllemagne  après  eux,  ont 
compris  Tavantage  énorme  que  retire  l'industrie  ea  géné- 
ral de  la  fondation  de  ces  usines.  Avec  elles,  la  supériorité 
de  Télectricité  sur  la  vapeur  apparaît,  en  effet,  incontesta- 
ble ;  Tunité  de  force  coûte  moins  cher  ;  l'hygiène  et  la  sé- 
curité augmentent  à  Tusine,  la  qualité  et  la  quantité  de 
travail  vont  en  progressant,  les  frais  d'entretien  dimi- 
nuent (1). 

Soit  qu*elles  n'aient  pas  compris  la  supériorité  de  cette 

(1)  Les  Américains  ont  depuis  plusieurs  années  substitué  la  force 
électrique  à  la  vapeur  pour  actionner  les  métiers  (V.  le  Siècie^ih  jan- 
vier 1907).  Ils  s'y  sont  résolus  après  avoir  procédé,  selon  leur  coutume, 
à  une  expérience  comparative  dans  les  deux  Glatures  Olympia  et 
Golumbia,  dont  l'une  marchait  à  la  vapeur  et  Fautre  &  réleclricité. 
L'économie  réalisée  par  l'emploi  de  la  force  électrique  fut  environ  de 
50  «/o.  L^économie  réalisée  résultant  de  l'adoption  de  Télectricité  atteint 
pour  la  construction  de  l'usine  10  ^/o  dans  fes  prix  de  revient  des 
bâtiments,  6t  ^/o  dans  le  prix  des  arbres  et  poulies  de  transmission 
et  66  o/o  dans  le  prix  de  courroies  et  des  c&bles. 


.  '», 


LES    STATIONS   CENTRALES  321 

méthode,  soit  que  prévoyant  au  contraire  son  succès  futur, 
elles  aient  voulu  s'en  réserver  le  monopole,  les  munici- 
palités anglaises  se  sont  constamment  opposées  aux  projets 
des  Compagnies  qui  se  sont  depuis  quelques  années  formées 
pour  distribuer  Télectricité  sur  de  vastes  espaces. 

En  1898  les  principaux  industriels  du  district  de  Ches- 
terdeld  forment  une  Compagnie  qui  prend  le  nom  de  a  The 
gênerai  '.Power  Distribution  Company  »  et  demandent  au 
Parlement  Tautorisation  de  fournir  Télectricité  sur  une 
superficie  de  210  miles  carrés,  comprenant  les  irilles  de 
Sheffîeld  et  de  Nottingham.  La  région  qu'ils  se  proposaient 
de  desservir  constituait  Tun  des  districts  les  plus  manufac- 
turiers de  toute  TAngleterre  ;  sa  population  comptait  1  mil- 
lion d'habitants,  et  pourtant  il  n*y  avait  que  1.546  maisons 
ou  personnes  à  faire  usage  du  courant  électrique.  Les  auto- 
rités locales  et  des  Compagnies  s'étaient  fait  concéder  dans 
cette  région  une  superficie  de  66  miles  carrés, mais  n'étaient 
en  état  de  distribuer  le  courant  que  sur  4,5  miles  carrés, 
dans  le  centre  même  de  Sheffield  et  de  Nottingham.  «  A 
Sheffield,  dit  M.  Meyer  (1),  c'était  une  Compagnie  qui  four- 
nissait le  courant  depuis  1893  aux  conditions  que  lui 
avait  injposées  la  corporation,  conditions  si  onéreuses  que 
la  Compagnie  se  voyait  contrainte  à  vendre  10  cents  l'unité 
électrique  du  Board  of  Trade.  A  Nottingham,  c'était  la 
ville  qui  fournissait  l'électricité  depuis  1894  ;  mais  en  1898, 
sur  une  population  de  220.000  habitants,  elle  n'avait  que 
482  clients.  La  ville  qui  possédait  Tusine  à  gaz,  faisait 
payer  l'unité  électrique  de  6  à  12  cents.  »  Le  «  General 
Power  Distribution  Bill  »  fixaitle  prix  maximum  que  serait 
autorisée  à  demander  la  future  Compagnie  à  8  cents  par 

(1)  Meyer,  Municipal  Ovmership  in  Gréai  Britain^  p.  268. 


322  PREMlèRE   PARTIE.    —    CHAPITRE   TU 

UQÎté  durant  les  200  premières  heures  de  chaque  trimestre, 
et  à  4  cents  durant  le  reste  du  trimestre. 

Le  bill  fut  soumis  à  Texamen  d'un  joint  committee  (co- 
mité mixte)  de  la  Chambre  des  Communes,  qui  Tapprouva. 
Voté  par  les  Lords  en  1898,  on  n'eut  pas  le  temps  de  le 
soumettre  aux  Communes  avant  la  session  de  1899.  Le 
Lord  Mayor  de  Manchester  mit  ce  délai  à  profit  pour  réu- 
nir une  conférence  des  diverses  municipalités  du  Lancas- 
hire  et  du  Cheshire,  qui  décida  de  s'opposer  à  ce  bill,  parce 
qu'il  faisait  obstacle  au  monopole  que  les  villes  esti- 
maient posséder.  Bien  que  le  projet  eût  reçu  l'approbation 
de  toutes  les  chambres  de  commerce  de  la  région  inté- 
ressée, il  fut  à  la  suite  de  cette  conférence  repoussé  à  la 
Chambre  des  Communes  par  164  voix  contre  132. 

Jj' Association  des  corporations  municipales  exerça  à 
cette  occasion  sur  les  membres  du  Parlement  la  pression 
la  plus  vigoureuse  et  la  plus  adroitement  combinée  qu'on 
puisse  imaginer;  plusieurs  d'entre  eux  s'en  plaignirent  à 
la  Chambre  ;  leur  situation  était  en  effet  des  plus  embarras- 
sante, partagés  qu  ils  étaient  entre  le  désir  de  satisfaire  les 
vœux  des  Chambres  de  commerce  et  des  gros  industriels 
de  la  région,  et  la  crainte  que  leur  inspiraient  les  tendances 
interventionnistes  des  conseils  municipaux. 

En  1900,  une  nouvelle  Compagnie  déposa  un  bill  analo- 
gue au  précédent  :  le  Lancashire  Electric  Power  Bill  ;  elle 
désirait  fournir  la  force  électrique  dans  le  Lancashire. 
L'aire  de  distribution  couvrait  1.000  miles  carrés.  La  Com- 
pagnie consentait  à  ne  fournir  le  courant,  à  l'intérieur  des 
limites  d'une  autorité  locale  quelle  qu'elle  fût,  municipale,, 
urbaine  ou  rurale,  qu'avec  le  consentement  exprès  de  l'au- 
torité locale  intéressée.  Le  projet  englobait  129  autorités 
locales  et  182  agglomérations  urbaines,  dont  16  seulement 


LES   STATIONS   CENTRALES  223 

possédaient  des  stations  électriques  centrales  fournissant 
le  courant  à  un  nombre  très  restreint  de  personnes. 

La  ville  de  Manchester,  qui  cherchait  à  devenir  le  seul 
fournisseur  d^électricité  de  toute  la  région,  fit  opposition 
au  bill.  Sir  James  T.  Woodhouse,  représentant  à  la  Cham- 
bre des  Communes  de  la  Municipal  Association,  en  réclama 
le  rejet  sous  prétexte  qu'il  ne  provenait  pas  d'une  auto- 
rité publique  désireuse  d'agir  pour  le  bien  commun,  mais 
d'un  simple  syndicat  de  spéculateurs  privés,  désireux  de 
réaliser  des  bénéfices  pécuniaires  en  se  faisant  passer  pour 
des  hommes  uniquement  soucieux  de  satisfaire  un  besoin 
public  aussi  pressant  que  général. 

Le  Parlement,  cette  fois,  ne  l'écouta  pas.  M.  Macdona 
lui-même,  qui  avait  demandé  le  rejet  du  General  Power 
Distribution  C^  Bill  en  1899,  déclara  qu'il  n'avait  pas  d'ob- 
jection contre  le  Lancashire  Power  Bill,  vu  qu'il  laisait  toute 
liberté  aux  autorités  locales  de  fournir  elles-mêmes  Télec- 
tricité  à  l'intérieur  de  leurs  limites  au  cas  où  elles  préfé- 
reraient s'en  charger,  a  Le  pays  commence  à  s'apercevoir» 
disait-il,  que  les  municipalités  sont  en  train  de  constituer 
à  leur  profit  un  gigantesque  monopole  et  se  proposent  d'é- 
trangler les  entreprises  privées  de  distribution  de  force 
au  moment  même  de  leur  naissance...  Il  comprend  que  la 
lutte  n'a  pas  été  égale  entre  l'industrie  particulière  et  les 
municipalités.  » 

u  On  ne  peut  nier,  disait  également  M.  Ritchie,  président 
du  Board  of  Trade,  que  l'industrie  électrique  ne  soit  en 
Grande-Bretagne  excessivement  en  retard,  qu'il  s'agisse 
de  la  lumière  ou  de  la  force  motrice  ;  elle  est  en  retard  sur 
certains  pays  du  continent,  mais  surtout  sur  les  Ëtats-Unis 
et  le  Canada.  Il  y  a  des  villages  aux  Etats-Unis  où  Télec 
tricité  est  mieux  installée  que  dans  nos  plus  grandes  villes. 


234  PREMlèRE   PARTIE.    —    CHAPITRE  IX 

Il  est  graad  temps  d*agir.  La  loi  de  1882  a  porté  un  coap 
néfaste  au  développement  de  Findustrie  électrique,  n 

Le  Parlement  finit  par  voter  le  bill  ;  la  Compagnie  s'est 
fondée  ;  mais  elle  a  rencontré  de  la  part  des  autorités  lora- 
les  une  telle  mauvaise  volonté  qu'en  février  1903  elle  n'a- 
vait pu  encore  établir  qu'une  seule  des  4  stations  généra- 
trices projetées  en  1900.  En  1901  le  Parlement  vota  le  Der- 
byshire  and  Nottinghamshire  Electric  Power  Bill,  malgré 
l'opposition  habituelle  des  principales  autorités  locales. 

Le  projet  le  plus  important  qui  ait  été  voté  en  1901 
fut  le  Yorkshire  Electric  Power  Bill  qui  couvrait  Tensem- 
ble  des  districts  manufacturiers  et  miniers  du  Smitb  York- 
shire, soit  une  superficie  de  1.800  miles  carrés.  Les  corpo- 
rations de  Leeds,  Bradford,  Sheffield,  combattirent  le  bill, 
bien  que  la  Compagnie,  dans  Tespoir  d'obtenir  leur  con. 
sentement,  eût  accepté  de  ne  pas  fournir  la  force  électri- 
que à  rintérieur  de  leur  territoire.  Ces  villes  craignaient 
évidemment  que  les  grandes  Compagnies  ne  vendissent 
rélectricité  meilleur  marché  qu'elles  ne  le  faisaient  et  que 
les  manufacturiers  installés  à  Tintérieur  des  limites  ur- 
baines ne  se  plaignissent  d*avoir  à  payer  la  force  et  la  lu- 
mière plus  cher  que  ne  les  payaient  les  manufacturiers 
du  dehors.  C'est  en  effet  ce  qui  arriva.  Aujourd'hui  les 
Compagnies  productrices  de  force  vendent  Télectricité  à  un 
prix  dont  les  municipalités  n'avaient  pas  entrevu  la 
possibilité.  Dans  les  environs  de  Manchester,  par  exemple, 
on  voit  une  Compagnie  vendre  le  courant  à  un  prix  variant 
de  1  cent  à  t,  5  cent  Tunité.  Or,  en  1903,  Manchester  fai- 
sait payer  Tunité  de  force  électrique  de  3,  75  cents  à  2  cents. 
De  1900  à  1904,  le  Parlement  a  autorisé  la  création  de 
24  Compagnies  (1).  Les  conditions  auxquelles  on  leur  a  ac- 

(1)  Meyeb,  op.  cit.,  p.  289. 


LES   STATIONS   CENTRALES  225 

cordé  leurs  concession^  dépendent  principalement  du  degré 
d'opposition  qu'ont  manifestée  les  autorités  locales  intéres- 
sées. Dans  certains  cas,  l'Act  autorise  la  Compagnie  à  four- 
nir la  force  en  bloc  aux  autorités  locales  et  aux  Compagnies 
détentrices  de  Provisional  Orders,  et  à  distribuer  directe- 
ment le  courant  aux  consommateurs  eux-nièmes,à  condition 
d'obtenir  un  Provisional  Order  local.  Dans  d'autres  cas,  la 
Compagnie  est  autorisée  à  fournir  Ténergie  en  bloc  »  aux 
distributeurs  autorisés  »,  c'est-à-dire  aux  détenteurs  de 
Provisional  Orders  et  à  fournir  directement  à  toute  per- 
sonne la  force  motrice  et  la  lumière  destinée  à  éclairer  les 
locaux  où  il  est  fait  usage  de  cette  force  :  à  condition  d'ob- 
tenir dans  les  deux  cas,  s'il  existe  déjà  dans  le  district  où 
l'on  se  trouve  un  concessionnaire  (autorité  locale  ou  Com- 
pagnie), le  consentement  de  ce  concessionnaire.  Refuse-t-il 
son  consentement,  le  Board-of  Trade  peut  décider  qu'on 
s'en  passera,  si,  à  son  avis,  ce  concessionnaire  ne  veut  ou 
no  peut  pas  fournir  au  consommateur  la  force  dont  il  a 
besoin  à  un  prix  et  dans  un  délai  raisonnables. 

En  général  le  Board  of  Trade  use  de  son  influence  au  pro 
fit  des  municipalités,  et  aux  dépens  de  Tentreprise  particu- 
lière. 

En  1898,  la  Chambre  des  Lords,  reconnaissant  que  la 
législation  de  l'électricité  était  tout  à  fait  défectueuse, 
nomma  unecommissionqu'ellechargea  d'étudier  la  question 
des  stations  productrices  de  force.  La  Commission  conclut 
à  certaines  modifications  ;  à  trois  reprises  le  gouvernement 
Balfour  essaya  de  les  faire  voter,  mais  chaque  fois  Toppo- 
sition  de  la  Municipal  Corporations  'Association  Tempêcha 
lie  le  faire. 

En  juin  1904,  quand  le  Bill  arriva  en  seconde  lecture  à 

Bovernt  15 


226  PREBaÈRE   PARTIE.    CHAPITRE    IX 

la  Chambre  des  Lovà»^\e  MunicipalJoumal  écrÎTit  (ITjuin 
1904) : 

u  Autant  que  nous  le  sachions,  nous  avons  été  les  seuls  a 
iittirer  Tattentiou  sur  la  dangereuse  abrogation  que  cache 
cette  mesure  d*un  principe  qu'on  croyait  fortement  établi. 
Les  corporations  qui  possèdent  déjà  leurs  usines  électrique> 
auraient  tort  de  croire  que  cette  mesure  ne  les  touchera  pas 
Elle  les  touchera  très  matériellement.  Quand,  plus  tard. 
les  districts  urbains  pourront  obtenir  leur  courant  à  moitié 
prix  de  ce  qu'il  coûte  aux  corporations  municipales,  le> 
consommateurs  des  grandes  villes  ne  voudront  plus  payer 
le  leur  un  prix  aussi  haut.  Ils  demanderont  à  être  placés 
dans  les  mêmes  conditions  que  les  consommateurs  de  l'ex- 
térieur et  ils  auront  la  justice  pour  eux.  Que  deviendront 
alors  les  usines  municipales  d'électricité  ?  » 

Mais  de  quel  droit,  demandons-nous,  contraindrait  on 
des  manufacturiers,  par  amour  aveugle  du  MunicipalTra- 
ding,  à  payer  la  force  électrique  deux  fois  plus  cher  qu'elle 
ne  vaut?  Et  si  on  les  force  à  agir  ainsi,  comment  soutien- 
dront-ils la  concurrence  de  l'étranger  ?  Il  faut,  si  l'on  veut 
sincèrement  qu'ils  réussissent,  leur  fournir  la  force  à  aussi 
bas  prix  que  possible. 

L'opposition  stupide  des  municipalités  a  abouti  à  ce  triste" 
résultat  qu*en  1902,  alors  qu'aux  Etats-Unis  on  comptait 
3.620  stations  centrales  d'électricité,  on  n'en  comptait  en 
Grande-Bretagne  que  457  seulement.  Ces  chiOfres  n'ont  pas 
besoin  de  commentaires:  ils  montrent  d'une  partce  que 
peut  faire  l'entreprise  particulière  dégagée  de  toutes  en- 
traves ;  ce  que  produisent,  d'autre  part,  l'intervention  admi- 
nistrative et  la  tutelle  municipale. 


CHAPITRE  X 


Lbs    téléphones. 


L'activité  débordante  des  municipalités  anglaises  n'a  eu 
garde  d'oublier  que  s'il  était  un  service  qui  présentât  le 
caractère  du  monopole,  c'était  bien  celui  des  téléphones  ; 
laisser  un  monopole  aux  mains  des  particuliers  leur  eût 
paru  choquant  ;  et  les  plus  entreprenantes  d'entre  elles  ont 
voulu  ajouter  ce  nouveau  service  à  la  liste  déjà  longue  de 
ceux  qu'elles  exploitaient. 

En  Angleterre,  l'industrie  des  téléphones  appartint  exclu- 
sivement à  Torigine  à  des  Compagnies  privées  dont  la  plus 
importante  était  la  National  Téléphone  Company.  En  1892. 
la  loi  sur  les  téléphones  a  donné  au  gouvernement  le  droit 
de  racheter  les  lignes  principales  appartenant  aux  diverses 
Compagnies  et  d'établir  un  système  général  reliant  entre 
elles  les  villes  les  plus  importantes  du  pays.  Pendant  le 
cours  des  négociations  qui  en  résultèrent,  la  National  Télé- 
phone Company  racheta  toutes  les  Compagnies  moins  im- 
portantes, si  bien  que  le  gouvernement  se  trouva  finale- 
ment face^à  face  avec  elle  seule. 

Un  arrangement  intervint  alors  en  vertu  duquel  le  Post 
Master  General  exploiterait  lui-même  les  lignes  princi- 
pales  tout  en  laissant  à  la  Compagnie  le  soin  d'organiser  le 
service  intérieur  des  villes  ou  Exchange  Business.  Le  gou- 
vernement ne  s'engageait  en  aucune  façon  à  ne  pas  per- 


2:t8  PUEMIÈRE   PAUTIE.    -^   CHAPITRE    X 

mettre  quelque  jour  au  Fost  Office  de  lui  faire  concurrence 
si  bon  lui  seoiblait. 

La  National  Téléphone  C^  a  joui  pendant  plusieurs  années 
d'un  complet  monopole  ;  mais  son  service,  qu*OQ  trouvait 
à  la  fois  trop  cher  et  insuffisant,  souleva  dans  le  public  de 
nombreuses  protestations.  Malgré  ces  plaintes,  et  bien 
qu'à  la  suite  du  rachat  des  Compagnies  rivales  elle  eût  au^ 
mente  son  capital  d*une  façon,  paraît-il,  exagérée,  la  Na- 
tional Téléphone  G^  réalisait  de  gros  bénéfices  et  distribuait 
de  beaux  dividendes.  Il  eût  donc  été  fort  coûteux  de  la  ra- 
cheter elle-même.  Aussi  le  Poât  Master  General  déclaïa- 
t-il,  en  mars  1897,  que  le  gouvernement  ne  songeait  nullt"- 
ment  à  la  racheter  ;  qu'en  décembre  1911  les  droits  de  b 
Compagnie  expireraient  naturellement;  qu'elle  n'aurait 
alors  à  vendre  que  son  matériel,  que  le  gouvernement  ne 
serait  pas  tenu  de  lui  reprendre. 

Le  Post  Office  s'est  également  opposé  à  rétablissement 
dans  une  même  localité  de  services  concurrents,  pour 
s'éviter  en  1911  des  frais  d'expropriation  trop  considérable^ 
au  cas^où  Ton  voudrait  à  cette  époque  racheter  tout  le  n- 
seau.  Il  n  y  a  guère  d*avantages  à  voir  s'établir  dans  une 
même  ville  deux  services  téléphoniques  concurrents,  c'est 
une  cause  de  retards  et  de  difficultés  sans  nombre  chaque 
fois  que  Ton  veut  obtenir  la  communication  d'un  réseau  a 
l'autre;  c'est  une  perte  de  travail  et  de  matériel,  une 
perte  d'argent  aussi  pour  beaucoup  de  personnes  que  c^ 
système  oblige  à  payer  chaque  année  deux  abonnemenN 
au  lieu  d'un.  Partageant  cette  manière  de  voir,  le  gouver- 
nement ^nglais  avait  refusé  d'autoriser  l'établissement  d'un 
service  hiunicipal  à  Glasgow,  dont  les  conseillers  se  fai- 
saient particulièrement  remarquer  parleurs  plaintes  et  leur 
hostilité  contre  la  Compagnie.  Dès  1893,  ils  s'adressaient 


LES    TÉLÉPHONES  229 

au  Post  Master  pour  obtenir  de  lui  la  permission  d^établir 
un  service  de  téléphones  à  l'intérieur  de  la  ville  et  de  Tex- 
ploiter.  La  ville  était,  disaient-ils,  en  état  d'assurer  un  ser- 
vice qui  répondrait  à  tous  les  besoins  et  qui,  muni  des  plus 
récents  perfectionnements,  remplacerait  avantageusement 
le  service  insuffisant  et  vieilli  de  la  Compagnie.  L'abonne- 
ment enfin,  au  lieu  de  £  10,  n'en  coûterait  plus  que  5 
par  an. 

Le  Post  Master  refusa  d'accorder  la  concession  demandée  ; 
il  déclara  que  le  gouvernement  était  en  train  de  racheter 
les  lignes  principales  et  songeait  à  reprendre  le  service  en- 
tier des  téléphones.  Glasgow  revint  à  la  charge  régulière- 
ment pendant  six  ans,  à  des  intervalles  plus  ou  moins  longs  ; 
sa  persévérance  finit  par  lui  réussir  :  en  1899,  elle  obtint  la 
permission  d'établir  un  service  téléphonique  ;  non  pas  que 
le  Post  Master  eût  changé  d*avis  et  pensât  que  cette  con- 
currence pût  avoir  du  bon,  mais,  comme  le  disait  M.  Ghis- 
holm  en  1900,  a  il  finit  par  nous  accorder  son  autorisation, 
bien  moins  parce  que  nous  Pavions  convaincu  que  parce 
que  nous  l'avions  lassé  ». 

Aujourd'hui,  voici  quelle  est  la  situation  générale  en 
Grande-Bretagne  :  les  municipalités  ont  le  droit  d'établir 
et  d'exploiter  des  entreprises  téléphoniques  en  se  fondant 
sur  les  clauses  du  Telegraph's  Acide  1899;  elles  deman- 
dent au  Post  Mater  General  les  licences  nécessaires.  Celle 
de  la  corporation  de  Glasgow  prend  fin  en  1913  ;  celles  de 
Hull  et  de  Guernesey  ne  vont  que  jusqu'en  1911  ;  Ports- 
mouth  et  Brightonont  chacune  demandé  une  concession  de 
25  ans,  tandis  que  Swansea  n'a  réclamé  que  20  ans.  La 
concession  de  la  National  Téléphone  Company  expire  nor- 
malement en  1911.  Toutefois,  d'après  les  dispositions  de 
TAct  de  1899,  le  Post  Master  General  devra  (mais  dans  les 


a30  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    X 

seuls  endroits  où  elle  a  une  rivale)  étendre  sa  concessioQ 
jusqu'à  la  date  où  expirera  la  licence  concurrente. 

La  corporation  de  HuU  a  jugé  utile  d'assurer  rîntercom- 
munication  avec  le  réseau  de  la  Compagnie,  et  la  corpora- 
tion de  Swansea  a  demandé  à  le  faire.  Celles  de  Glasgow, 
de  Brighton  et  Porlsmouth  ne  l'ont  pas  demandé.  Le  Aluni- 
cipal  Year  Book{éà\\Aon  de  1906,  p.  ol3)  nous  dit  que  tous 
les  faits  concourent  à  prouver  qu'avec  un  service  satisfai- 
sant, des  tarifs  bas  «  et  une  certaine  somm&de  patriotisme 
civique  l  »  les  entreprises  municipales  arrivent  rapidement 
à  une  situation  meilleure  que  celles  des  Compagnies. 

Grâce  à  la  persévérance  dont  a  fait  preuve  la  rorporatioQ 
de  Glasgow,  les  municipalités  ont  le  droit  d'exploiter  leur 
entreprise  librement  et  sans  que  le  State  Department 
puisse  intervenir  dans  leurs  affaires.  Quand  Glasgow  fut 
sur  le  point  d'établir  son  entreprise,  le  Post  Office  voulut 
l'obliger  à  se  servir  d'appareils  désignés  par  l'ingéaieur  iJe 
ce  Department,  sur  qui  ne  devait  pas,  en  cas  d'échec, 
retomber  la  moindre  responsabilité.  Elle  protesta,  et  fina- 
lement obtint  qu'on  laisserait  les  municipalités  organiser 
leur  réseau  comme  elles  l'entendraient. 

Voici  brièvement  résumée  quelle  était  la  situation  des 
entreprises  téléphoniques  municipales  à  la  fin  de  190.'). 

Le  service  municipal  de  Guernesey  en  est  à  sa  huitième- 
année  d'exploitation  ;  celui  de  la  corporation  de  Glasgow  à 
sa  cinquième  année;  celui  de  la  corporation  de  Portsmoulh 
est  en  usage  depuis  2  ans  et  10  mois. 

L'entreprise  municipale  de  Swansea  a  deux  années 
d'existence.  Le  téléphone  de  la  corporation  de  Brigthon  a 
été  inauguré  en  1902,  celui  de  UuU  a  commencée  fonction- 
ner en  septembre  1904  avec  1.600  abonnés,  u  Toutes  ces 
entreprises,  dit  le  Municipal  Year  Book.  ont  réussi  au  tri- 


LES   TELEPHONES  23 1 

pie  point  de  vue  technique,  pratique  et  financier.  »  Le 
doute  n'en  plane  pas  moins,  est-il  obligé  d'ajouter,  sur 
l'avenir  des  téléphones  municipaux.  Etant  donné  que  le 
Parlement  a  approuvé  le  principe  de  leur  rachat  et  de  leur 
concentration  dans  les  mains  du  Fost^Offîcc,  il  semble  peu 
probable  qu'on  accorde  aux  municipalités  de  nouvelles 
concessions  ;  tandis  que  tout  laisse  supposer  qu*on  fera  des 
efTorLs  pour  engager  les  municipalités  qui  possèdent  déjà 
des  téléphones  à  y  renoncer  en  faveur  du  Post-Office.  «  Si 
cette  éventualité  venait  à  se  réaliser,  conclut  le  rédacteur 
du  Municipal  Year  Book^  les  tarifs  bon  marché  dont  les 
municipalités  avaient  prouvé  la  possibilité  seraient  bientôt 
relégués  dans  le  domaine  du  passé.  » 

On  voit,  par  les  quelques  passages  que  nous  venons  de 
citer,  le  ton  dithyrambique  des  écrivains  municipalistes 
lorsqu'ils  parlent  des  exploitations  municipales.  La  réalité 
est  pourtant  loin  d'être  aussi  brillante,  en  matière  télépho- 
nique surtout. 

La  régie  des  téléphones  à  GlasgOTiv. 

La  régie  des  téléphones  fut  inaugurée  à  Glasgow  en 
avril  1901.  Nous  venons  de  voir  que  la  municipalité  de 
celte  ville  invoqua,  pour  se  lancer  dans  cette  nouvelle 
entreprise,  l'insuffisance  du  service  local  de  la  National 
Téléphone  G**  et  la  cherté  de  ses  tarifs.  La  corporation 
projetait  rétablissement  d'un  service  téléphonique  ne  coû- 
tant que  cinq  guinées,  et  sur  lequel  elle  prétendait  encore 
être  en  état  de  réaliser  un  profit.  Etait-ce  possible  ou  ne 
rétait-ce  pas  ?  c'est  ce  qui  reste  à  savoir  ;  mais  pour  ce  qui 
est  de  rinsuffisance  du  service,  il  n'est  que  juste  de  rappe- 
ler que  la  faute  n'en  pouvait  pas  être  tout  entière  rejetée 
sur  la  Gompagnie. 


233  PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  X 

ËQ  1896,  la  National  Téléphone  G*^  reconnaissant  qu'il 
était  nécessaire  d'améliorer  le  service  qu'elle  avait  installé 
à  Glasgow,  résolut  de  reconstruire  tout  son  réseau,  et,  pen- 
sant qu'il  valait  mieux  faire  passer  ses  fils  sous  le  soi,  de- 
manda à  la  corporation  l'autorisation  nécessaire.  Après  de 
longues  négociations  cette  autorisation  lui  fut  refusée,  et  la 
Gompagnie  dut,  comme  parle  passé,  continuer  à  n'em- 
ployer que  des  fils  aériens  et  se  procurer  comme  elle  le  pou- 
vait les  permissions  que  leur  pose  nécessite  à  chaque  instant. 
G'est  au  refus  de  la  municipalité  de  Glasgow  de  permettre 
à  la  National  Téléphone  G""  d'établir  un  réseau  métallique 
souterrain,  qu'il  faut  en  grande  partie  attribuer  Tinsuffi- 
sance  du  service  des  téléphones.  Ge  refus  était  parfaîtemenl 
déraisonnable  et  ne  pouvait  se  justifier  que  par  le  désir  dont 
brûlait  la  corporation  d'établir  un  système  de  téléphones 
lui  appartenant  en  propre  et  de  placer  la  National  Télé- 
phone G"*  dans  une  situation  tout  à  fait  désavantageuse  vis- 
à-vis  d'elle  dans  la  lutte  qu'elles  allaient  entreprendre  à  la 
recherche  de  la  clientèle.  La  municipalité  faisait  en  somme 
du  mauvais  service  de  la  Gompagnie,  dont  elle  était  en 
partie  la  cause,  un  argument  en  faveur  de  la  municipalisa- 
tion. 

La  gestion  financière  de  cette  régie  a  été  malheureuse  à 
tousdes  points  de  vue.  La  municipalité  a  commencé  par 
dépenser  £  IG.OOO  en  frais  parlementaires  et  prélimi- 
naires de  toutes  sortes.  En  outre,  bien  que  le  coût  de  Ten- 
treprise  ne  dût  pas,  d'après  les  premiers  devis,  dépasser 
£  121.000,  les  comptes  faisaient  apparaître  au  bout  des 
neuf  premiers  mois  d'exploitation  une  dépense  de  £  192.613. 
u  Get  accroissement  considérable  s'explique,  nous  dit 
le  Times  (1),  par  ce  fait  que  l'ouvrage  fut  exécuté  sur  une 

(1)  Time^,  30  septembre  1902. 


LES   Tl^LépHONES  233 

bien  plus  grande  échelle  qu'on  ne  l*avait  d'abord  prévu.  » 
On  n'en  est  pas  moins  étonné  de  voir  qu'on  a  déjà  dé- 
pensé une  somme  de  £  200.000  pour  une  entreprise  dont 
la  concession  expire  au  31  décembre  1913,  époque  où  le 
Post-Master  gênerai  pourra  acquérir  à  la  valeur  marchande 
qu'il  aura  alors  tout  le  matériel  en  état  de  répondre  aux 
besoins  du  service.  Gomme  c*est  aux  risques  de  l'ensemble 
des  contribuables  et  dans  l'intérêt  supposé  d'une  partie 
seulement  d'entre  eux  que  la  ville  s'est  chargée  d*une 
aussigrosseresponsabilite.il  ne  sera  peut-être  pas  mau- 
vais de  regarder  d'un  peu  près  les  résultats  de  cette 
exploitation. 

La  corporation  a  commencé  par  acheter  la  plus  grande 
partie  de  son  matériel  à  une  époque  d'inflation  des  prix,  si 
bien  que  le  cuivre  et  le  fer  lui  ont  à  eux  seuls  coûté  20  Vo 
de  plus  qu'ils  ne  coûtèrent  quelque  temps  après.  L'un  des 
conseillers  montra  que  cette  seule  baisse  représentait  pour 
Tentreprise  une  diminution  de  valeur  de  £  11.000. 

Au  bout  d'un  an,  la  dépense  totale  dépassait  de  ^0  Vo 
les  plus  hautes  évaluations.  Pour  chaque  £  qu'on  croyait 
devoir  dépenser,  on  avait  dépensé  30  s. 

Ce  n'est  pas  tout  :  l'étude  des  comptes  municipaux 
nous  prouve  encore  que  Textension  du  réseau,  c'est-à-dire 
l'établissement  de  nouvelles  lignes,  coûte  plus  cher  cha- 
que année  et  que  la  proportion  du  revenu  brut  au  capital 
baisse  régulièrement  depuis  le  début  de  l'entreprise.  Si 
nous  nous  reportons  aux  comptes  de  l'année  1904-1905, 
nous  voyons  que  les  957  nouvelles  stations  qui  furent  du- 
rant ces  douze  mois  ajoutées  au  réseau  ont  coûté  en  moyenne 
i*  31  chacune.  Le  projet  original  ne  prévoyait  qu'une  dé- 
pense en  capital  de  £  19  par  ligne  et  par  abonné.  Le  coût 
moyen  d'établissement  des  stations  atteint  actuellement 


23/|  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE   X 

1*28.10  4.,  si  bien  qu'on  a  dépassé  de  plus  de  75  7  J^ 
coût  d'établissement  primitif.  En  1904,  rétablissemcnl 
d'une  station  nouvelle  occasionnait  une  dépense  addition 
nelle  moyenne  de  capital  de  £  22  par  station.  En  ilKi. 
il  en  entraine  une  de  £31. 

Les  frais  d'exploitation  augmentent  plus  rapidement  que 
les  recettes.  La  proportion  des  dépenses  d'exploitation 
(non  compris  l'intérêt  et  l'amortissement)  au  revenu  est 
passée  de  31,68  %  en  1901-1902  à  54,02  7o  en  iWi-VM 
etàr)8,41  V^en  1904-1905. 

«  Cette  rapide  augmentation  des  dépenses  d'exploitation, 
correspondant  à  une  très  faible  augmentation  des  affaires 
détruit  donc  complètement  la  théorie  du  Comité  des  télé 
phones  d'après  laquelle  toute  ligne  supplémentain*  équi- 
vaudrait à  un  accroissement  proportionnel  du  revenu 
net  (1).  » 

Le  compte  Revenu  accuse  en  1904-1903  une  balance  cn- 
ditrice  de  £  1.504  qu'on  a  versée  au  Dépréciation  fuml; 
le  versement  avait  été  de  £  3.650  Tannée  précédente.  Le 
Dépréciation  fund  atteint  un  chiffre  de  £  7.247.  Pounin 
capital  total  de  £  350.000  auquel  ne  correspond  plus  qu'un 
matériel  aujourd'hui  en  grande  partie  vieilli  et  passé  tie 
mode,  c'est  là  une  somme  absolument  insignifiante  ;  surtout 
lorsque  l'on  songe  que  l'entreprise  ne  dispose  plus  devant 
elle  que  d'une  période  de  sept  années. 

Etant  donnée  la  situation  actuelle  des  téléphones  muni- 
cipaux, il  est  peu  probable  que  la  corporation  de  Glasgow 
mette  à  exécution  le  projet  qu'elle  avait  autrefois  faitoni- 
ciellement  annoncer  par  les  journaux  d'abandonner  son 
ancien  matériel  téléphonique  et  de  le  changer  contre  un 

(1)  Engineering,  15  septembre  1905. 


LES   TÉLÉPHONES  235 

autre  tout  à  fait  moderne.  La  réalisation  d\ine  semblable 
transformation  coûterait  au  minimum  £  100.000  et  la 
corporation  a  maintenant  engagé  dans  ses  Qls  et  des  ma- 
gnétos tout  à  fait  démodés  plus  de  £  100.000.  Tout  serait  à 
refaire. et  pour  obtenir  un  résultat  satisfaisant,  il  faudrait 
mettre  de  côté  tout  le  matériel  dont  on  se  sert  aujourd'hui. 

Glasgow  ne  le  peut  plus;  le  Parlement  a  porté  aux  en- 
treprises municipales  le  coup  de  massue  final  le  jour  où 
il  a  approuvé  la  politique  du  gouvernement  en  matière  de 
téléphones.  Le  Post  Master  gênerai  pourra  donc,  quand 
il  le  voudra,  offrir  le  rachat  du  réseau.  Ce  serait  peut-être 
en  somme  pour  Glasgow  même  la  meilleure  solution.  «  On 
comprend  aisément  qu'une  corporation  riche  et  puissante 
comme  elle  ressente  quelque  amertume  d'un  échec  qui 
l'atteint  à  la  fois  dans  son  orgueil  et  dans  son  prestige. 
Mais  son  Conseil  municipal  ne  doit  s'en  prendre  qu  à  lui- 
même  ;  attendu  qu'il  s'est  lancé  dans  cette  entreprise  diffi- 
cile, d'ordre  essentiellement  technique,  sans  lui  avoir  con* 
sacré  la  moindre  part  de  1  étude  ou  de  la  réflexion  qu'elle 
demandait.  Le  système  est  défectueux,  ses  progrès  sont 
nuls,  ses  dépenses  s'accroissent  .sans  cesse:  le  Reserve  fund 
est  insignifiant  ;  le  capital  beaucoup  trop  considérable.  Un 
jour  ou  l'autre  il  faudra  bien  que  la  corporation  de  Glasgow 
se  rende  à  l'évidence  et,  renfonçant  son  orgueil,  qu'elle 
vende  ses  téléphones  au  meilleur  prix  qu'elle  en  pourra 
trouver  (1).  » 

La  municipalité  donne  à  ses  clients  le  choix  entre  plu- 
sieurs tarifs.  L'abonnement  de  £  5.  5  s.  donne  droit  à  un 
nombre  illimité  de  communications.  Avec  le  «  toll  service  », 
au  contraire,  l'abonné  ne  paye  que  £  3.  10  s.  par  an  ;  mais 

(t)  Enoinbering,  15  septembre  1905. 


236  PREMlfeRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    X 

s'il  a  droit  à  un  nombre  illimité  de  communications  à  Tin- 
térieur  de  la  ville,  toute  communication  avec  le  dehors  lui 
coûte  1  d. 

L'abonnement  à  la  Compagnie  coûtait  £  tO.  Il  n'en  fau- 
drait pas  conclure  que  rétablissement  du  réseau  municipal 
ait  permis  à  l'ensemble  des  contribuables  d^économiser. 
comme  on  Ta  dit,  £  25.000  par  an  et  à  chaque  abonné  £  4. 
15  s.  A  qui  se  sert  de  cet  argument  il  n'y  a  qu^à  répondre 
qu*étant  donné  que  3.000  maisons  de  commerce  ont  offi- 
ciellement déclaré  avoir  adopté  à  la  fois  le  service  de  la 
municipalité  et  celui  de  la  régie  pour  être  sûres  d'avoir  la 
communication  avec  les  abonnés  des  deux  systèmes,  il 
semble  tout  au  contraire  que  les  maisons  en  question,  loin 
d'avoir  rien  gagné  à  ce  changement,  aient  dépensé  au  mi- 
nimum £  15.000  par  an  de  plus  qu'elles  ne  l'auraient  fait 
s'il  n'avait  existé  qu*un  seul  service. 

Glasgow  n'est  pas  la  seule  ville  du  Royaume-Uni  qui  ait 
municipalisé  ses  téléphones.  Guernesey  l'avait  devancée 
dans  cette  voie  et  fut  même  la  première  autorité  locale  à 
construire  un  réseau  téléphonique  indépendant.  Le  service 
y  débuta  en  1898  ;  il  en  est  aujourd'hui  (1906)  à  sa  huitième 
année  d'exploitation.  On  compte  actuellement  dans  l'île 
1.162  stations  téléphoniques,  ce  qui,  pour  une  population 
de  40.300  habitants,  donne  un  téléphone  par 34  personnes, 
chiffre  le  plus  élevé  de  tout  le  Royaume.  Comme  à  Glasgow, 
il  y  a  plusieurs  tarifs  :  le  tarif  A  :versementfixede  £  1.  10  s. 
par  an  et  1  d.  par  communication  ;  le  tarif  B  :  £  2.  5  s.  par  an 
et  1/2  d.  par  communication.  Le  tarif  C,  qui  coûte  £  5  par 
an,  donne  droit  à  3.200  communications  sans  paiement 
supplémentaire.  C'est  du  premier  de  ces  trois  tarifs  qu'on 
fait  le  plus  grand  usage. 

A  HuU,  la  régie  date  de  1904.   Le  service  illimité  coûte 


£  1.261 

914 

£  347 

16  s. 
12 
4 

11  d. 
0 
11 

420 
£   73 

9 
4 

0 

6 

LES    TÉLÉPHONES  287 

£  6.  6  S.  par  an  ;  le  «  toli  service  »  £  3  par  an  et  1  d.  par 
communication. 

En  1904-1905  les  revenus  de  ce  département  se  sont  éle- 
ves  a««»a««**a 

Les  dépenses  d'exploitation  à 

Soit  un  bénéfice  brut  de     .     . 

L'intérêt  des  emprunts  étant 
de 

Le  déficit  net  atteint.  .  .  . 
avant  même  qu'il  ait  été  question  de  Sinking  fund  ou 
d'amortissement.  La  dépense  '  en  capital  se  monte  à 
£30.369.19  s.  2d. 

La  corporation  de  Portsmouth  a  inauguré  le  service  té- 
léphonique en  mars  1903.Eile  possède  aujourd'hui  2.147  ins 
truments  en  exploitation.  Elle  fait  payer  le  service  illimité 
£  5.  17  s.  6  d.  par  an,  le  ((  toU  service  »  £  3.  10  s.  et  1/2  d. 
par  communication.  Ses  comptes  accusent  un  bénéfice  do 
£  1.972»  mais  ne  parlent  pas  de  l'amortissement. 

Les  téléphones  municipaux  ont  été  ouverts  à  Swansea 
en  novembre  1903.  Le  service  illimité  y  coûte  £  5  par  an  ; 
le  ((  toll  rate  »  £3  par  an  et  1  d.  par  communication.  La  cor- 
poration prétend  faire  un  bénéfice  net  de  £  739.  1 1  s.  7  d.  ; 
mais  pas  plus  que  Portsmouth  ou  que  HuU,  elle  ne  songe 
à  amortir  son  matériel, 

Brighton  a  inauguré  son  réseau  en  novembre  Id03.  Le 
service  illimité  y  coûte  £5.10  s.  par  an;  le  toll  rate  £  3.10  s. 
par  an  et  1  denier  par  communication;  la  ville  accuse  un 
bénéfice  de  £413.  14  s.  4  d.  ;  la  dette  des  téléphones  atteint  , 
£  i5.859  ;  la  dépense  en  capital  s'est  montée  en  1904-1905 
à  £  19.196.  Il  n'est  pas  question  d'amortissement. 

Voilà  la  liste  des  entreprises  municipales  actuellement 
en  exploitation.  Il  nous  faut  dire  un  mot  d'un  service  mort 


238  PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE  X 

aujourd'hui,  celui  de  Tunbridge  Wells  ;  son  inaug^uratioa 
avait  eu  lieu  eu  juillet  1901.  La  corporation  ne  comptait, 
malgré  les  avis  qu  on  ne  lui  avait  pas  ménagés,  que  sur 
300  abonnés  environ;  au  bout  de  quelques  mois  elle  en 
avait  900  qu'il  fallait  desservir  au  moyen  d  un  système  de 
fils  tout  à  fait  insuffisant.  La  National  Téléphone  C*  qui 
faisait  auparavant  payer  son  abonnement  £  8,  l'abaissa 
࣠ 4  pour  faire  concurrence  au  service  de  la  municipalité. 
lequel  coûtait  £  5.  17  s.  6  d.  L'entreprise  municipale  ren- 
contra parmi  les  adversaires  du  socialisme  municipal  et  les 
propriétaires  fonciers  des  environs  la  plus  vive  opposition. 

Aux  élections  de  1902  les  défenseurs  du  téléphone  muni- 
cipal furent  battus  et  parmi  eux  le  chairman  du  Téléphone 
Committee.  Quelques  jours  après,  le  Conseil  municipal 
décidait,  par  19  voix  contre  8,  de  renoncer  à  la  régie  du  télé- 
phone et  de  remettre  ce  service  à  la  National  Téléphone  C*. 
Le  Post  Master  General,  M.  Âusten  Chamberlain, approuva 
sa  décision.  La  Compagnie  a  repris  l'entreprise  municipale 
avec  toutes  les  obligations  qui  pesaient  sur  elle,  en  s'enga- 
geant  à  ne  plus  faire  payer  à  l'avenir  le  service  illimité 
que  £  6  au  lieu  de  £  8. 

Il  ne  nous  semble  pas  qu'en  matière  de  téléphone  la 
concurrence  soit  sinon  chose  possible,  du  moins  utile. 
M.  Gaine  (gênerai  manager  de  la  National  Téléphone  C"' 
disait  devant  le  Comité  d'enquête  de  1900  que  le  service 
téléphonique  est  une  branche  du  service  télégraphique  de 
l'Etat,  et  que,  s'il  n  est  pas  aux  mains  de  l'Etat»  il  devrait, 
tout  comme  un  chemin  de  fer,  former  Tobjet  d'un  monopole 
soumis  au  contrôle  du  Parlement. 

La  multiplication  des  réseaux,  exploités  d'après  des  re- 
nflements différents  et  des  méthodes  différentes,  crée  d'in- 
surmontables diflicultés  qui  s*opposent  en  pratique  à  Téta- 


LES  téliSphoneb  23g 

blissement  d'ua  service  efficace.  Le  meilleur  système  serait 
donc  celui  d'une  grande  Compagnie,  soumise  au  contrôle 
des  Chambres,  liée  comme  toute  Compagnie  concession- 
naire, et  en  matière  de  tarifs  notamment,  par  son  cahier  des 
charges. 

Il  ne  nous  semble  pas,  quant  à  nous,  que  le  service 
téléphonique  soit  un  service  dont  la  municipalisation  puisse 
s'appuyer  sur  de  bien  solides  arguments.  Le  Lord  Provost 
de  Glasgow,  M.  Chisholm,  invoquait  en  1900  les  trois  rai- 
sons suivantes  en  faveur  de  la  régie:  1*»  le  téléphone  est 
devenu  une  nécessité  delà  vie  commerciale;  2°  c'est  un 
monopole  ;  «3*"  il  exige  Tusage  des  rues. M.  Chisholm  désire, 
avec  les  muntcipalistes,  voir  le  prix  de  Tabonnemeut  abaissé 
(le  telle  façon  que  tout  le  monde  puisse  se  servir  du  télé- 
phone pour  appeler  le  médecin,  faire  ses  commandes  aux 
différents  fournisseurs,  Tutiliser  enfin  pour  tous  les  besoins 
de  la  vie  ordinaire.  Son  but  est  très  louable  sans  doute  ; 
mais,  comme  le  disait  M.  Gaine,  à  quelque  prix  qu'on  four- 
nisse le  téléphone,  il  n*y  aura  toujours  qu'un  petit  nombre 
de  personnes  à  s'en  servir. 

On  peut,  sans  crainte  d'erreur,  baser  le  calcul  de  ce  nom 
bre  sur  ce  fait  que  toute  personne,  payant  moins  de  £  20 
d*impôts  par  an  à  la  ville,  ne  demandera  pas  d'abonnement. 
Prenons,  par  exemple,  une  personne  habitant  un  petit  cot- 
tage taxé  à  moins  de  £  20  ;  quand  bien  même  vous  lui  of- 
fririez le  service  téléphonique  pour  £  1  au  lieu  de  £  10,  elle 
n'en  voudra  pas.  «  Nous  avons,  dit  M.  Gaine,  tant  pour  cette 
enquête  que  pour  d'autres,  pris  lu  peine  de  rechercher  quels 
étaient  les  faits,  et  nous  avons  vu  qu'à  Glasgow  85  %  du 
chiffre  total  des  contribuables  payaient  moins  de  £20  d'im- 
pôts par  an.  Par  conséquent,  en  admettant  même  que  tout 
contribuable  imposé  à  plus  de  £  20  souscrive  un  abonne- 


2^0  PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    X 

ment,  la  municipalité  ne  fournirait  encore  le  service  qu'à 
15  "^/o  de  la  communauté,  c^est- à-dire  à  Tinfime  minorité». 

Il  sera  donc  impossible  de  soutenir  que  le  téléphone  pro- 
fite à  tous  les  citoyens,  sans  distinction  de  classe  ;  le  télé- 
phone n'est  pas  encore  un  besoin  assez  général  pour  que 
l'on  ait  le  droit  de  songer  à  y  donner  satisfaction  au  moyen 
de  Timpôt.  Nous  dirons  de  lui  comme  de  Télectricité:  c'e*«t 
un  service  où  le  progrès  n'a  pas  dit  son  dernier  mot,  où  de 
nombreux  perfectionnements  peuvent  se  faire  dans  uq 
avenir  rapproché,  et  où  il  n'est  par  conséquent  ni  nécessaire 
ni  prudent  de  risquer  l'argent  des  contribuables. 

C*est  un  service  enfin  dont  l'exploitation  doit  se  faire 
sous  une  direction  unique,  et  sur  de  vastes  espaces;  mais 
non  pas  sur  le  territoire  restreint  d'une  seule  municipalité. 


CHAPITRE  XI 


Lus  HABITATIONS  OUVRIÈRES. 


L*attention  du  public  et  des  autorités  locales  ne  s'est  guère 
portée  sur  la  condition  sanitaire  des  maisons  ouvrières 
avant  le  milieu  du  xix®  siècle  ;  pour  être  plus  précis,  nous 
«lirons  que  c'est  à  1  épidémie  de  choléra  de  1832  qu'il  faut 
remonter  pour  trouver  trace  de  leur  intervention  en  la  ma- 
tière. Dans  toute  une  série  de  rapports,  les  PoorLaw  Com  - 
missioners  ont  à  cette  époque  traité  la  question  des  mala- 
dies dans  les  classes  pauvres  de  la  population.  En  1848,  le 
^gouvernement  organise  le  General  Board  of  Public  Health 
et  promulgue  la  première  loi  relative  à  l'hygiène  publique. 

De  1840  à  1871,  le  Parlement  vote  plusieurs  autres  lois 
permettant  aux  municipalités  de  prendre  les  mesures  sani> 
taires  qu'elles  jugeraient  nécessaires;  nombre  de  villes 
ôtaient  alors  constamment  ravagées  par  des  épidémies  et 
des  maladies  contagieuses  que  provoquaient  la  densité  trop 
«grande  de  la  population,  le  manque  d*habitations,  leur  sa- 
leté, la  mauvaise  eau,  les  émanations  enfin  des  ordures 
ménagères  qu'on  laissait  pourrir  sur  la  voie  publique, 

La  liste  complète  des  lois  relatives  au  logement  de  la 
classe  ouvrière  est  aujourd'hui  extrêmement  longue.  Elle 
commence  avec  les  deux  lois  de  1831,  dont  Tune,  le  Com- 
iiion  Lodging  Houses  Act,  organisait  l'inspection  des  Com- 
iijon  Lodging   Houses  ou  hôtels  meublés  tandis  que  raiilie 

Bovernt  IG 


oJlVi  PREMIERE    PARTIE. CHAPITRE    M 

accordait  aux  «  Councils  of  incorporated  boroughs  » 
et  aux  local  Boards  le  droit,  soit  de  construire  des  maisons 
ouvrières  sur  des  terrains  leur  appartenant,  soit  d*acquérir 
et  de  louer  des  maisons  déjà  existantes. L'Act  rejetait  sur  le 
Poor  Rate  les  dépenses  qu'occasionneraient  ces  opérations. 

Vient  ensuite  la  loi  de  1866  (29  Victoria  28)  autorisant  les 
Public  Works  Loan  Commissioners  (Commissaires  des 
emprunts  pour  travaux  publics)  à  faire  des  avances  aux 
municipalités  qui  désireraient  construire  des  maisons  ou- 
vrières. 

En  1868  le  Parlement  vote  un  nouvel  Acl  (31-32  Victoria 
130)  dont  le  but  est  de  donner  aux  ouvriers  et  aux  artisan*^ 
des  logements  plus  confortables.  L'autorité  locale  aura  le 
droit  d*ordonner  la  démolition  partielle  ou  totale  des  maisons 
qu'elle  considérerait  comme  dangereuses  pour  la  santé  de 
leurs  locataires  ou  tout  au  moins  comme  impropres  à  servir 
de  logement  et  d'établir,  pour  faire  face  à  ces  dépenses,  un 
impôt  local  spécial. 

Citons  encore  le  GrossWct  de  1875  (Arlizans  and  Labon- 
rers  Dwellings  Improvement  Act)  voté  pour  faciliter  raniê- 
lioration  des  habitations  des  classes  laborieuses  dans  les 
grandes  villes,  pour  permettre  à  Tautorité  locale  dans  Ie> 
Urban  Sanitary  Districts  de  déclarer  que  les  maisons,  ruel> 
les  et  passages  insalubres  seront  traités  comme  «  uahealtiiv 
areas  »  (espaces  malsains),  de  procéder  dans  ces  endroits  à 
un  «  Improvement  scheme  )),  c'est-à-dire  aux  améliorations 
indispensables,  et  de  fournir  aux  habitants  des  maisons  dé- 
molies un  logement  dont  le  plan  devrait  Atre  soumis  à  l'ap- 
probation du  Local  Government  Board.  On  autorisait  les 
municipalités  à  poursuivre  par  voie  d'expropriation  l'exé- 
cution de  ces  améliorations,  dont  elles  devaient  couvrir  la 
dépense  au  moyen  d'emprunts  ou  d  impôts  locaux  levéi»en 
vertu  des  Public  Health  Acts. 


LKS    HABITATIONS   OUVRIÈRES  2^3 

Quatre  ans  plus  tard,  l'Act  de  1879  (42-43  Victoria  63) 
détermine  la  manière  dont  il  faudra  procéder  à  la  fixation 
de  Tindemnité  et  les  déductions  que  l'arbitre  devra  lui  faire 
subir  au  cas  où  les  maisons  démolies  auraient  été  une  gène 
(nuisance)  ou  un  danger  pour  la  santé  publique,  soit  qu'el- 
les fussent  malsaines  en  elles-mêmes,  ou  qu'elles  abritassent 
une  population  *rop  nombreuse. 

En  1882  le  Parlement  vota  une  nouvelle  loi  destinée  à 
corriger  les  Artizans  and  Labourers  Dwellings  Acts  anté- 
rieurs, traitant,  comme  celle  de  1879,  de  la  question  des  in- 
demnités et  décidant  que  toutes  les  améliorations  faites  par 
les  propriétaires  ou  locataires  d'un  immeuble  après  l'an- 
nonce de  rimprovement  Schemene  pourraient,  sons  aucun 
prétexte,  permettre  d'obtenir  une  indemnité  plus  forte.  L'au- 
torité locale  recevait,  avec  l'autorisation  d'acheter  et  de  dé- 
molir les  maisons  malsaines,le  droit  de  faire  payer  aux  pro- 
priétaires des  immeubles  laissés  debout,  dans  le  cas  ou  la 
démolition  des  immeubles  adjacents  aurait  eu  pour  effet 
d'augmenter  la  valeur  des  premiers,  les  frais  de  l'indem- 
nité jusqu'à  concurrence  de  cette  augmentation  de  valeur. 
En  1885,  l'Act  connu  sous  le  nom  de  <  Housing  of  the 
Working  Classes  Art  »  de  1885  apporte  un  certain  nom- 
bre de  modifications  aux  Labouring  Classes  Lodging  Hou- 
ses  Acts  promulgués  entre  1851  et  1867. 

En  1890  nous  arrivons  enfin  à  la  codification  de  cette 
législation  si  touffue  des  habitations  ouvrières.  Le  «  Hou- 
sing  of  the  Working  Classes  Act  »  de  1890  donne  aux  au- 
torités locales  le  pouvoir  de  démolir  les  maisons  bâties  sur 
des  espaces  insalubres  et  de  bâtir  à  leur  place  et  de  louer 
des  habitations  appropriées  au  logement  des  classes  ou- 
vrières. 

Cet  Act  de  1890  a  lui-même  été  modifié  à  plusieurs  re- 


244  PREMIÈRE    PARTIE.    —   CHAPITRE    XI 

prises  par  d'autres  lois  postérieures  dont  la  plus  réceole 
remonte  à  1903.  Le  but  de  cette  dernière  loi  est  de  :  1°  fa- 
ciliter Texécution  financière  des  projets  municipaux  en 
écartant  diverses  restrictions  précédemment  posées  à  la 
négociation  des  emprunts  et  en  étendant  à  80  ans  la  pé- 
riode de  remboursement  des  emprunts  contractés  pour  la 
construction  des  maisons  ouvrières  ;  2''  de  simplifier  la  pro 
cédure  relative  à  la  fermeture  des  maisons  malsaines  et  à 
leur  démolition  ;  3°  d^assurer,  par  des  dispositions  plus  sê- 
vèreSf  un  logement  aux  personnes  déplacées  au  cas  où,  eo 
vertu  de  Railway  Bills  ou  de  Local  Improvement  Acis,  on 
aurait  démoli  un  certain  nombre  de  maisons  habitées  par 
la  population  ouvrière. 

C'est  depuis  1890  surtout  que  ces  opérations  de  cons- 
truction municipales  ont  pris  une  grande  extension.  Il 
nous  faudra  donc  étudier  d'un  peu  près  cette  loi  de  189(i. 
Elle  se  divise  en  trois  parties. 

La  première  partie  traite  du  dégagement  de  vastes  espa- 
ces malsains  situés  dans  les  districts  urbains  et  de  Texé- 
cution  des  améliorations  qu*on  veut  y  réaliser.  Le  London 
County  Gouncil  et  tous  les  Urban  district  councils  peuvent 
s'en  prévaloir.  La  procédure  est  entamée  par  V  officier 
médical  de  santé  (médical  officer  of  health)  qui,  soit  de 
son  propre  mouvement,  soit  à  la  requête  de  deux  magis- 
trats (justices  of  the  peace)  ou  de  douze  contribuables, 
doit  visiter  toute  surface  malsaine  située  dans  le  dis- 
trict, voir  les  dangers  qu'elle  fait  courir  à  la  population  et 
rédiger  un  rapport  ofBciel  qu'il  envoie  à  Tautorité  locaK' 
(sections  5  et  79  de  la  loi).  L'ofticier  médical  de  santé  dt - 
clare-t-il  que  le  terrain  n'est  pas  malsain,  tout  groupe  de 
douze  contribuables  peut  en  appeler  au  Local  Government 
Boartl  ;  le  Board  nomme  un  expert  aux  conclusions  duquel 
l'autorité  locale  est  obligée  de  se  conformer. 


LES   HABITATIONS   OUVRIERES  2^5 

Lorsqu'on  a  de  la  sorte  officiellement  déclaré  un  terrain 
malsain,  Tautorité  locale  doit,  si  ses  ressources  le  lui  per- 
mettent, procéder  aux  améliorations  nécessaires  (make  an 
Improvement  Scheme).  Elle  peut  ne  pas  confiner  exacte- 
ment son  projet  aux  limites  de  la  surface  malsaine,  mais  y 
rattacher  des  terrains  qu'elle  considère  comme  indispensa- 
bles k  son  exécution.  Au  cas  où  l'autorité  locale  ne  pren- 
drait pas  elle-même  ces  mesures,  il  appartiendrait  au  Local 
(rovernment  Board  de  le  faire  et  de  les  rendre  exécutoires 
par  tt  mandamus  ». 

La  municipalité  fait,  par  voie  d  annonces  et  d'affiches, 
connaître  au  public  son  projet  ;  le  Local  Government 
Board  procède  ensuite  à  une  enquête  locale  et  rend  un 
«  Provisional  order  »  approuvant  le  projet.  Transformé  en 
biil,  il  est  présenté  au  Parlement  et  voté  par  lui.  Ces  for* 
malités  remplies,  l'autorité  locale  peut  démolir  les  maisons, 
dégager  le  terrain,  percer  ou  élargir  des  rues,  à  condition 
d'indemniser  les  propriétaires  et  toutes  autres  personnes 
auxquelles  l'exécution  des  travaux  causerait  quelque  dom- 
ma<re. 

Les  anciennes  maisons  une  fois  démolies^  la  loi  ordonne 
aux  municipalités  de  fournir  des  logements  aux  personnes 
qu'elles  viennent  de  déplacer.  Elles  devront,  dans  ce  but, 
créer  une  caisse  spéciale,  un  «  Dwelling  House  Impro- 
vement fund  »  qui  centralisera  les  recettes  et  les  dépenses 
afférentes  à  l'opération.  Quant  aux  emprunts,  elles  les 
négocieront  comme  à  l'ordinaire.  Elles  devront  enfin, 
avant  de  commencer  leurs  travaux  de  reconstruction  pré- 
senter leurs  plans  au  Local  Government  Board  et  s'assurer 
son  approbation. 

Yoici,  dans  leur  ensemble,  les  principales  dispositions  de 
la  première  partie  de  l'Act  de  1890.  La  procédure  en  est  à  la 


Il46  PRBMièRB   PARTIE.    —  CHAPITRE   XI 

fois  longue,  eanuyeuse  et  coûteuse.  Les  dépenses  ioitiab 
qu  elle  entraîne  sont  si  considérables  qu'on  a  vu  le  LondaD 
County  Council  dépenser  £  100  par  tète  d'homme,  de  femme 
ou  d^enfant,  auxquels  il  destinait  les  maisons  qu'il  allait 
construi repavant  même  d'en  avoir  posé  la  première  briqae. 

La  première  partie  de  la  loi  vise  les  groupes  compactsde 
maisons  malsaines. 

La  deuxième  partie  donne  à  l'autorité  locale  pouvoir  da- 
girà  l'égard  d'habitations  malsaines  isolées.  Elle  trait'*: 
1°  de  l'inspection  périodique  qu'il  faudra  faire  dans  chaque 
district  pour  savoirs'il  renferme  ou  non  des  logementsinsa- 
lubres  (section  32)  ;  2""  de  la  fermeture  et  de  la  démolition  de 
ces  maisons,  qu'elles  soient  occupées  ou  non  (sections^Oet 
37):  3""  delà  suppression  des  bâtiments  quipriventleurs  voi- 
sins d  air  et  de  lumière  (obstructive  buildings)  ;  4<^  delà  re- 
construction de  maisons  sur  les  terrains  où  il  vient  d'élre 
procédé  à  ces  démolitions. 

Cette  fois  encore,  c'est  Tofficier  médical  de  santé,  ou  î 
son  défaut  quatre  contribuables,  qui  informent  rautoritéio- 
cale  de  l'existence  de  toute  maison  qu'ils  considèrent. 
1^  comme  dangereuse  pour  la  santé  des  personnes  qui  Tlia- 
bitent,  2°  comme  rendant  inhabitables  les  habitations  voi- 
sines, soit  parce  qu'elle  les  prive  d'air,  soil  pour  toute 
autre  raison. 

Le  rapport  du  médical  offîcer  une  fois  rédigé,  le  plan  des 
améliorations  à  faire  est  dressé  et  le  propriétaire  mis  en  de 
meure  de  les  exécuter.  S  il  ne  remet  pas  dans  le  délai 
prescrit  son  immeuble  en  bon  état,  les  magistrats  lo- 
caux délivreront  sur  la  demande  de  la  municipalité  un 
ordre  de  fermeture,  un  «  closing  order  ».  Si,  après  la  déli- 
vrance du  closing  order,la  maison  demeure  un  danger  pour 
la  santé  publique,  l'autorité  locale  peut  ordonner  au  propne- 


LES    HABITATIOXS   OUVRIERES  2^7 

taire  de  la  démolir,  ou  la  détruire  elle-même,  si  besoin  est. 

La  troisième  partie  est  de  beaucoup  la  plus  intéressante 
au  point  de  vue  du  socialisme  municipal  parce  qu'elle  permet 
aux  autorités  locales  de  construire  des  maisons  destinées 
aux  classes  ouvrières  chaque  fois  qu'elles  jugent  à  propos 
de  le  faire.  Excepté  pour  les  districts  ruraux,  il  n'existe  pas 
de  dispositions  limitant  en  quoi  que  ce  soit  le  pouvoir  de 
Tautorité  locale  :  elle  n'a  pas  à  prouver  que  la  population 
du  district  manque  de  logements  ;  il  n^est  pas  nécessaire 
qu'elle  ait  auparavant  fait  fermer  ou  démolir  un  certain 
nombre  de  maisons  malsaines.  L'autorité  locale  bâtira 
quand  elle  le  voudra,  et  pour  les  motifs  qui  lui  plairont. 
Elle  aura  même  le  droit  de  recourir  à  l'expropriation  pour 
acquérir  les  terrains. 

Le  terrain  acquis  dans  le  but  visé  par  la  loi  pourra  être 
situé  soit  à  l'intérieur,  soit  à  l'extérieur  du  district  (sec- 
lion  7  du  Housing  Act  de  1900).  Le  prix  versé  représentera 
sa  juste  valeur  marchande  (fairmarket  value),  augmentée 
de  10  <^/o  comme  compensation  au  dommage  causé  par 
Texpropriation.  En  cas  de  désaccord,  un  arbitre  nommé 
par  le  Local  Goverument  Board  tranchera  le  différend. 

Les  terrains  une  fois  achetés,  le  Conseil  municipal  peut  : 
l""  soit  les  louer  à  des  Compagnies  ou  à  des  entrepreneurs 
de  construction  qui  devront  y  construire  des  habitations 
ouvrières  (section  5  de  l'Act  de  1900)  ;  2°  soit  entrepren- 
dre lui-même  :  a)  la  construction  de  ces  maisons  (block 
dwellings  ou  cottages)  ;  b)  l'achat,  la  réparation  ou  la  re- 
construction des  maisons  existantes.  Il  peut  enfin  les  ven- 
dre au  bout  de  7  ans,  s'il  le  juge  nécessaire,  ou  simple- 
ment désirable. 

Les  Urban  District  Coiincils  et  les  Town  Councils,  qui 
veulent,  en  s'appuyant  sur  cette  troisième  partie,  se  pro- 


248  PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  Xi 

curer  de  Targeat  pour  acquérir  des  terrains  et  y  construire 
des  maisons,  peuvent,  soit  emprunter  aux  Public  Works 
Loan  Commissioners,  soit  émettre  des  titres  (stock),  garan- 
tis par  Timpôt  local,  h  condition  d*obtenir  le  consente- 
ment du  Local  Government  Board  et  de  s'engager  à  rem- 
bourser Temprunt  dans  une  période  maxima  de  80  an- 
nées. 

La  troisième  partie  de  l'Act  autorise  donc  les  autorités 
locales  à  bâtir  pour  les  classes  ouvrières  des  maisons  nou- 
velles sur  des  terrains  jusque-là  non  bâtis.  Elle  leur  permet 
d'élever  des  habitations,  de  les  meubler,  de  les  louer,  sans 
le  consentement  du  Local  Government  Board.  li  n'est 
plus  ici  question  de  remplacer  des  maisons  démolies  dont 
Tentassement  et  le  mauvais  état  constituaient  un  danger 
pour  la  santé  publique.  Nous  nous  trouvons  en  présence  du 
socialisme  municipal  pur  et  simple. 

L'œuvre  qu*ont  accomplie  les  autorités  locales  en  cette 
matière  revêt  donc  successivement  trois  aspects  diffé- 
rents (1)  : 

!•  S'appuyant  sur  divers  Public  Health  Acts,  elles  ont 
cherché  à  obtenir:  a)  la  suppression  des  «  nuisances  >i  :on 
appelle  nuisance  tout  ce  qui  gène  la  sécurité  ou  Thy^iène 
publique)  ;  6)  à  prévenir  Tentassement  dans  une  même 
demeure  d'un  trop  grand  nombre  de  personnes  ;  c)  à  ren- 
dre saines  les  maisons  existantes  ;  d)  à  faire  exécuter  les 
règlements  relatifs  à  la  construction  des  maisons  nouvelles 
suivant  les  principes  de  l'hygiène  moderne  ;  e)  à  réglemen- 
ter la  police  et  l'organisation  des  garnis  (ou  common  lod- 
ging  houses). 

2°  S*appuyant  sur  la  deuxième  partie  du  Housing  of  the 

(l)  Voir  Munv'ipal  Year  Book,  1906,  p.  470. 


LES   HABITATIONS   OUVRIÈRES  2^9 

working  Classes  Act  de  1890,  les  autorités  locales  ont  pour- 
suivi la  réparation  ou  la  démolition  de  maisons  malsaines 
isolées,  de  constructions  gênantes  pour  leurs  voisines,  et 
de  petits  pâtés  de  maisons  inhabitables  par  elles-mêmes  ou 
qui  en  rendaient  d*autres  inhabitables  ;  se  fondant  sur  TAr- 
tizans'  Dwellings  Act  et  la  première  partie  de  TAct  de  1890, 
elles  ont  exproprié  de  vastes  espaces  insalubres  sur  les- 
quels elles  ont  ensuite  rebâti. 

d""  Invoquant  enfin  la  troisième  partie  de  TAct  de  1890, 
elles  ont  construit  elles-mêmes  ou  encouragé  la  construc- 
tion d'habitations  nouvelles  et  saines,  sous  forme  de  mai 
sons  modèles,  de  block  dwellings,  d'appartements  et  de 
cottages. 

Les  sommes  qu'ont  empruntées  les  municipalités  an> 
glaises  pour  la  construction  des  maisons  ouvrières  et  la 
destruction  des  logements  malsains  atteignent  aujourd'hui 
des  chiffres  considérables  (1). 

A  la  fin  de  1902-1903,  la  dette  contractée  pour  la  cons- 
truction de  maisons  ouvrières  s'élevait  à  £  7.176.510.  Les 
dépenses  annuelles  faites  dans  le  même  but  (annuelles  en 
ce  sens  qu'elles  sont  prélevées  sur  le  budget  ordinaire  des 
autorités  locales)  s'élevaient  en  1884-1885  à  £  105.989  ;  en 
1900-1901  ,à  £  85.fi95  ;  en  1902  03,à  £  96.596.  Les  dépenses 
auxquelles  il  a  été  fait  face  au  moyen  d'emprunts  s'élevaient 
en  1884-1885  à  £  39.557;  en  1900-1901  à  £455.729;  en 
1901-1902  à  £  779.274  ;  en  1902-1903  à  £  651.920. 

Durant  l'année  qui  finit  au  31  mars  1904,  le  Local  Go- 
vernment Board  a  autorisé  les  municipalités  anglaises  à 
emprunter,  d'après  le  Housing  of  the  Working  Classes  Act, 
une  somme  totale  de  £  653.526. 

(1)  liepori  of  the  Local  Government  Boardj  1904-1905,  pp.  714  et  sui  -. 


25o  PRBMIÈRE    PARTIE.   —    CHAPITRE    XI 

En  20  ans,  de  1885  &  1904,  les  emprunts  se  soatélerésà 
£  4.632.502.  La  plus  grosse  somme  empruntée  en  uae  an- 
née J  année  1903,  atteint  £  1.031.476.  Depuis  1899,  les 
emprunts  qu*on  contracte  chaque  année  ne  sont  pas  des- 
cendus au-dessous  de  £  339.000,alorsque  de  1885  à  1899, 
le  plus  gros  chiffre  atteint  avait  été  de  £  211.360  (en  1892j. 
Les  sommes  empruntées  suivent,  comme  on  le  voit,  une 
marche  ascendante  très  accusée,  et  comme  une  bonne  par- 
tie des  «  slums  »  (bouges)  les  plus  répugnants  est  aujour- 
d'hui détruite,  c'est  principalement  en  se  fondant  sur  la 
troisième  partie  de  TAct  de  1890  qui  leur  permet  de  cons- 
truire des  maisons  nouvelles  sans  en  avoir  démoli  d^ancien- 
nés,  que  les  municipalités  contractent  leurs  emprunts.  De 
plus  en  plus  elles  tendent  à  se  transformer  en  entrepre- 
neurs de  construction. 

II  reste  maintenant  à  voir  comment  cet  arp^ent  a  été  dé- 
pensé et  à  quels  résultats  pratiques  sont  arrivées  les  villes 

anglaises. 

Trois  raisons  principales,  dit  le  major  Darwin  (1)^  ont 
poussé  les  municipalités  anglaises  à  construire  des  maisons 
ouvrières  ;  ce  sont  :  1**  leur  désir  d'appliquer  les  doctrines 
socialistes  et  d'offrir  à  très  bon  marché  aux  classes  ouvriè- 
res des  maisons  qu*une  subvention  budgétaire  permet  de 
louer  à  perte.  L*argument  des  logements  à  boa  marché 
frappe  vivement  la  population  pauvre. et  les  conseillers  so- 
cialistes ne  manquent  pas  de  le  mettre  en  avant  aax  jours 
d'élections,  créant  ainsi  parmi  les  gens  sans  instruction 
une  fausse  impression  des  avantages  que  procurerait  l'ap- 
plication des  systèmes  socialistes  ;  2*"  leur  désir  de  fournir 
aux  habitants  des  maisons  démolies  des  logements  nou- 

(1)  Darwin,  op.  cil.,  p.  320. 


LES   HABITATIONS   OUVRIÈEBS  25 1 

veaux,  plus  confortables  et  plus  sains,  et  de  réduire  ainsi 
à  leur  minimum  des  souffrances  en  fait  inévitables  ;  3""  le 
troisième  motif  qui  les  pousse  è  agir  est  leur  désir  de  com- 
bler toute  insuffisance  réelle  ou  prétendue  du  nombre  des 
logements,  en  bâtissant  sur  des  terrains  restés  libres  jus-^ 
que-là. 

Si  nous  en  croyons  les  municipalistes,  il  faut  sans  hési- 
tation soumettre  dans  les  villes  la  propriété  bâtie  au  con- 
trôle de  Tautorité  publique,  parce  qu'elle  constitue  dans  ces 
circonstances  un  monopole  absolu. 

Les  faits  prouveraient  d*ailleurs  de  façon  incontestable 
que  dans  beaucoup  de  cas  l'initiative  particulière  ne  peut 
faire  face  sous  ce  rapport  aux  besoins  des  ouvriers,  les  spé- 
culateurs refusant  de  se  mettre  de  la  partie  quand  ils  esti- 
ment qu*il  n'y  a  pas  de  bénéfices  à  retirer  de  lopération 
(problème,  ajoute  judicieusement  le  major  Darwin,  dont  ils 
sont  en  général  bien  meilleurs  juges  que  n'importe  quel 
corps  élu). 

Les  constructeurs  particuliers  se  montrant  ainsi  inférieurs 
à  leur  t&chc,  l'Etat  construisant  d'autre  part  des  maisons  à 
la  fois  plus  hygiéniques  et  plus  commodes  et  se  préoccupant 
seul  du  bien-être  matériel  et  moral  des  habitants  des  villes, 
on  en  devrait  logiquement  conclure  qu'il  faut  k  Tavenir 
lui  laisser  le  soin  de  bâtir  toutes  les  maisons. 

Mais  raisonner  de  la  sorte,  c'est  oublier  qu'on  peut  choi- 
sir entre  la  construction  municipale  et  la  construction  pair- 
ticulière  en  observation  des  règlements  sanitaires  par  TEtat. 
Avec  des  règlements  bien  faits,  on  arrivera  plus  rapidement 
peut  être,  et  certainement  à  moins  de  frais,  au  but  qu'on 
se  propose.  Le  soin  de  les  appliquer  incombant  aux  muni- 
cipalités, il  y  a  bien  plus  de  chances  qu'ils  le  soient  tant 
que  les  constructions  seront  faites  par  des  particuliers,  que 


'2^2  PRBMIERB   PARTIE.    CHAPITRE    XI 

lorsqu'elles  seront  exécutées  en  régie.  La  municipalité  sera 
forcément  plus  indulgente  pour  elle-même  que  pour  un 
entrepreneur  qu'elle  est  toujours  plus  ou  moins  portée  à 
considérer  d*un  mauvais  œil  et  les  maisons  bâties  par  elle 
ne  remporteront  ni  au  point  de  vue  esthétique,  ni  au  poiol 
de  vue  hygiénique  sur  celles  qu'auraient  bâties  des  particu- 
liers. 

Le  dernier  argument  qu'invoquent  les  municipalités  eM 
le  bon  exemple  que  la  construction  en  régie  donnerait  soi- 
disant  aux  bâtisseurs  et  aux  propriétaires.  La  recherche  et 
la  construction  d  un  type  nouveau  de  maisons  peuvent  en- 
traîner d'assez  lourdes  dépenses,  et  Ton  comprend  aisément 
que  des  particuliers  ne  se  sentent  pas  toujours  prêts  à  entre- 
prendre une  tâche  de  ce  genre.  Sous  ce  rapport  les  efforts 
de  quelques  généreux  philanthropes  ont  pourtant  plus  fait 
que  tous  les  conseils  municipaux.  Sans  contester  qu'il 
puisse  être,  dans  une  certaine  mesure,  légitime  de  dépenser 
Targent  public  à  rechercher  quel  est  le  type  de  maison  qui 
convient  le  mieux  aux  classes  pauvres,  nous  remarquerons 
qirune  municipalité  n'a  besoin,  en  tout  et  pour  tout,  pour 
Texécution  de  cette  tâche,  que  d'un  architecte  adroit,  et 
qu'il  ne  lui  est  nullement  nécessaire  de  se  transformer  en 
entrepreneur. 

Mais  si^  dans  le  but  d'élever  le  niveau  d*existence  des 
classes  misérables  de  la  société,  lautorité  locale  en  vientà 
bâtir  des  habitations  très  supérieures  comme  installation 
à  relies  dont  les  gens  de  ces  classes  avaient  l'habitude,  dans 
l'espérance  qu'ils  les  occuperont,  elle  n'arrivera,  en  {rcnè- 
ral,  qu'à  des  résultats  insignifiants  ou  tout  autres  queceux 
qu'elle  attendait.  Les  maisons  bâties  par  elle  ne  seront  pas 
occupées  par  les  misérables  auxquels  on  les  destinait  ;  et  les 
entrepreneurs  n'apporteront  aucun  changement  dans  le  type 


LES   HABITATIONS   OUVRIÈRES  253 

des  maisons  qu'ils  bâtissent  pour  la  classe  dont  Tautorité 
locale  cherche  précisément  à  améliorer  la  situation  ;  comme 
toutes  les  personnes  qui  construisent  pour  retirer  de  leur 
argent  un  loyer  convenable,  ils  ne  s*inspirent  q  ue  de  prin- 
cipes économiques  et  non  pas  d'exemples,  quMls  soient 
d'ailleurs  bons  ou  mauvais. 

Voici,  brièvement  exposés,  les  principaux  arguments  des 
municipalistes.  Nous  n'avons  pas  insisté  sur  les  inconvé- 
nients trop  évidents  par  eux-mêmes  de  l'entassement  dans 
d*horri blés  taudis  d'une  foule  de  misérables  qui  y  vivent 
pèle-mèle,  sans  air  et  sans  lumière.  Tant  au  point  de  vue 
sanitaire  qu'au  point  de  vue  moral,  il  est  du  devoir  des  mu- 
nicipalités urbaines  d'intervenir  et  de  porter  à  coup  de  pio- 
che un  peu  de  jour  et  de  lumière  dans  ces  foyers  d'infection 
et  d'immoralité.  Mais  démolition  et  construction  sont  deux 
choses  absolument  différentes  ;  et  si  la  conduite  des  mu- 
nicipalités nous  paraît  toute  tracée  dans  le  premier  cas, 
nous  leur  dénions  en  revanche^  dans  le  second,  le  droit  de 
rebâtir  pour  leur  propre  compte,  et  nous  nous  proposons  de 
montrer,  par  l'exemple  de  quelques  villes  anglaises, les  résul- 
tats très  peu  satisfaisants  auxquels  cette  manière  d*agir  les 
a  jusqu'ici  conduites. 

Olasgow. 

La  première  de  ces  villes  sera  Glasgow,  la  ville  la  plus 
peuplée  après  Londres  et  la  plus  industrielle  du  Royaume- 
Uni.  Nulle  part  le  mouvement  qui  porte  les  populations  des 
campagnes  vers  les  villes  ne  s'est  fait  sentir  aussi  violem- 
ment qu'en  Ecosse  ;  nous  avons  vu  dans  le  premier  chapi- 
tre que  la  population  urbaine  de  ce  pays  a  en  effet  aug- 
menté de  18,20  7o  de  \^li  à  1881  ;  de  14,06  Vo  de  1881  à 
1891  ;  de  18,58  Vo  de  1891  à  1901. 


2bi  PUBMIÈRE    PAHTIE.    CHAPITRE    XI 

C'est  naturellement  à  Glasgow  que  le  phénomène  s'est 
manifesté  avec  le  plus  d'intensité  ;  et  dès  le  milieu  du  siècle 
dernier  (vers  1846],  l'attention  des  administrateurs  et  des 
médecins  était  attirée  sur  la  densité  extraordinaire  etTétat 
sanitaire  déplorable  de  la  population  du  centre  de  la  ville. 
Tous  les  rapports  Faits  à  cette  époque  sont  unanimes  à 
représenter  Glasgow  comme  le  type  de  Tendroit  malsain  (1). 
La  densité  de  la  population  atteignait,  dans  certaines  parties 
de  la  ville,  1.000  personnes  par  acre.  Les  rues  étaient  si 
étroites  que  d'une  maison  à  Tautre  les  habitants  pouvaient 
se  donner  la  main.  Les  u  back  to  back  hou.ses  »,  c  est-à- 
dire  les  maisons  sans  cour  et  presque  contigues  abondaient. 
Nombre  de  logements  n*avaient  de  fenêtres  ni  sur  la  courni 
surla  rue  et  ne  recevaient  la  lumière  que  des  corridors  inté- 
rieurs. Dans  des  ruelles  étroites  et  obscures  vivaient  entas- 
sée.^ 500,  600  et  même  700  personnes. 

Dans  le  centre  de  la  ville,  51.300  personnes  vivaient  sur 
88  acres  ;  la  densité  de  la  population  atteignait  en  cet  eo- 
droit  583  personnes  par  acre,  alors  que  pour  la  ville  entière 
elle  n'était  en  moyenne  que  de  83  personnes  par  acre, 
u  Partout  une  saleté  incroyable  et  des  masses  de  vermioe. 
Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  que,  dans  ces  cooditions,  les 
épidémies  de  choléra  fussent  terriblement  fréquentes.  Des 
quartiers  pauvres,  elles  s'étendaient  et  gagnaient  jusquauv 
quartiers  habités  par  les  classes  riches  qu'elles  troublaient 
dans  leur  repos  et  dans  leur  tranquillité  (2).  »  Le  souri  de 
la  conservation  décida  les  conseillers  municipaux  à  nommer 
un  comité  spécial  chargé  d'étudier  l'état  sanitaire  de  la  ville. 
Ce  comité  conclut  en  1859  à  la  création  d'un  service  d'ins- 
pection sanitaire  des  logements  ;  à  rétablissement  d'unsvs- 

(1)  Voir  Hugo,  op»  cil.,  pp   84  et  85. 

(2)  Hugo,  op.  cil. 


LUS    IIADITATIO.NS    OUVRIERES  255 

tèoie  d'égouts  bien  compris,  à  la  constructioQ  de  bains  et 
de  lavoirs  publics,  à  la  démolition  des  quartiers  les  plus 
malsains  et  à  la  construction  de  maisons  ouvrières  conve- 
nables. 

En  1862,  la  corporation  reçut  par  private  Act  les  droits 
qu'elle  demandait,  et  en  1866  par  le  Glasgow  City  Impro- 
vement  Act,  elle  obtenait  pleins  pouvoirs  pour  jeter  à  bas 
40  des  quartiers  les  plus  peuplés  dans  lesquels  la  mortalité 
s*éleva,  par  suite  d'épidémies,  en  1865,  jusqu  a  52,21  et 
plus  tard  même  jusqu'à  70  Voo.  L  exécution  de  la  loi  Fut 
confiée  à  un  comité  spécial,  llmprovement  Trust,  qui  se 
composait  principalement  de  membres  du  Conseil  munici- 
pal. Il  reçut  le  droit  d'exproprier  dans  le  centre  de  la  ville 
un  terrain  de  88  acres  sur  lequel  s*élevaient  10.000  de- 
meures  et  vivaient  51.294  personnes.  Il  perça  30  nouvelles 
rues,  parmi  lesquelles  Saltmarket,  High  Street,  Trongate, 
Bridgegate,  en  élargit  26  et  fit  recouvrir  deux  rivières  qui 
roulaient  leurs  eaux  immondes  à  travers  les  districts  en 
question. 

L'improvement  Âct  n'aurait  jamais  dû  être  considéré 
comme  un  «  Housing  Scheme  »,  c'est-à-dire  comme  un 
projet  de  construction  de  maisons  ouvrières,etle  LordPro- 
vost,  M.  Chisholm,  prétend  qu'il  ne  Ta  jamais  été.  Durant 
les  premières  années  de  son  existence,  le  Trust  se  consacra 
en  effet  à  Tachât  des  «  slums  »  et  à  la  vente  des  terrains  ex- 
propriés, une  fois  débarrassés  de  leurs  anciennes  habita- 
tions. 

Malgré  ces  ventes,  de  vastes  terrains  lui  restaient  encore 
sur  les  bras,  quand  les  années  de  dépression  arrivèrent. 
Le  terrain  rendu  libre  par  les  démolitions  ne  trouvait  ache- 
teur à  aucun  prix.  M.  Chisholm  constate  le  fait  et  dit 
qu'il  fallait  de  deux  choses  Tune,  ou  que  les  constructeurs 


206  PREMIÈIIE    PAUÏIE.    CHAPITRE    XI 

se  fussent  entendus  pour  rester  à  Técart  jusqu*au  jour  où 
la  corporation  se  montrerait  disposées  accepter  unpiix 
absolument  dérisoire,  ou  bien  qu'ils  eussent  perdu  toute 
espérance  de  voir  un  jour  la  partie  centrale  de  la  ville  re- 
trouver quelque  prospérité.  La  corporation  résolut  donc, 
dit-il,  de  construire  elle-même. 

Le  correspondant  du  Times  (1)  ne  voit  pas  les  choses 
tout  à  fait  sous  le  même  jour.  Il  nous   dit  qu'une  notable 
portion  du  terrain  fut  vendue  «  on  chief  rent  »  ou  u   feu 
duty  »  (2)  d'une  valeur  en  capital  de  £  300.000  ;  mais  que 
les  prix  trop  élevés  que  demandait  la  corporation,  les  dé- 
molitions trop  nombreuses  auxquelles  on  avait  procédé  en 
très  peu  de  temps  et  la  dispersion  dans  les  districts  voisins 
de  lii  population  qui  logeait  auparavant  à  cet  endroit  firent 
qu'il  n'y  eut  alors  que  peu  d'offres  d'achat  et  de  location 
et  que  plusieurs  des  premiers  constructeurs  essuyèrent  des 
pertes  considérables.Mis  en  garde  par  cet  exemple^d'autres 
se  refusèrent  à  courir  la  même  aventure  et  la  corporation, 
ne  voulant  pas  de  son  côté  réduire  le  prix  de  ses  terrains, 
ils  finirent  par  lui  rester  jusqu'en  1888,  date  où  elle  résolut 
de  bâtir  pour  son  propre  compte. 

L'ouvrage  qu'entreprit  alors  le  Trust  n'était  pas  le  loge- 
ment des  classes  pauvres,  mais  la  construction  d*immeu> 
blés  qu'on  destinait  au  commerce  ou  à  l'habitation  bour- 
geoise.M.  Chisholm  déclare  qu'il  n'était  jamais  à  cette  épo- 
que venu  à  ridée  du  Conseil  municipal  qu'il  pût  rentrer 
dans  ses  attributions  de  pourvoir  au  logement  des  classes 
ouvrières.  La  politique  de  construction  du  Trust  fut  donc 
menée  sur  une  base  tout  à  fait  commerciale  ;.  là  où    il  a 

(1)  Times,  30  septembre  1902. 

(2)  On  appelle  en  Ecosse  c  feu  duty   »  le  paiement  annuel  fait  par 
le  possesseur  d'un  terrain  &  celui  qui  le  lui  a  cédé  à  peipétuité. 


LES   HABITATIONS   OUVRIÈRES  257 

pensé  que,  grâce  à  sa  situation,  le  terrain  conviendrait  plus 
particulièrement  à  des  boutiques  ou  à  des  locaux  commer- 
ciaux, il  en  a  élevé  qu*on  a  loués  à  leur  pleine  valeur  mar- 
chande. Ce  fut  le  cas  des  maisons  bâties  à  Saltmarket, 
Highstreety  Trongate,  et  dans  quelques  autres  parties  de  la 
cité. 

■  Pour  faire  face  aux  frais  d'exécution  de  Tlmprovement 
Scheme,  le  Trust  fut  autorisé  à  contracter  des  emprunts 
jusqu'à  concurrence  de  £  1.500.000  et  à  lever  dans  la  cité 
un  impôt,  basé  sur  la  valeur  locative  des  demeures,  qu*on 
fixa  pour  la  première  année  à  6  d.  par  £,  à  4  d.  durant  les 
quatre  années  suivantes  et  qu*on  réduisit  graduellement  à 
i  d.,  chiffre  auquel  il  resta  jusqu'à  ce  qu'on  cessât  de  le 
lever,  en  1888. 

Les  achats  de  terrains  et  la  construction  des  maisons  ont 
occasionné  une  dépense  de  £2.416.884  (1).  Déduction  faite 
du  prix  des  terrains  vendus  et  de  la  valeur  en  capital  des 
«feu  duty  »  créés,  soit  £  1.172.851,  on  trouve  que  le  coût 
net  des  améliorations  auxquelles  il  a  été  procédé  s'élève  à 
£1.244.033,  au  31  mai  1905.  En  regard  de  ces  dépenses,  la 
corporation  possède  actuellement  des  terrains  et  immeu- 
bles qu'elle  évalue  à  £  923.165.  De  Taveu  même  de  la  cor- 
poration et  en  admettant  que  ses  évaluations  ne  soient  pas 
trop  optimistes,  le  déficit  s'élèverait  donc,  au  cas  où  Ton 
voudrait  procéder  à  une  réalisation  de  ces  biens,  à  £  320.867. 

Les  opérations  du  Trust  ont  eu  pendant  vingt  ans  leur 
répercussion  sur  les  impôts,  et  de  1866  à  1895,  la  somme 
qu'on  leur  a  demandée  s^est  élevée  à  un  total  de  £  597'.003. 
A  la  Hn  de  son  rapport  sur  Tlmprovement  Scheme  (1866 
à  1895),  le  trésorier,  M.  Nicol,  fait  remarquer  qu'en  retour 

(1)  Voir  le  rapport  de  1904-1905  sur  les  «  Glasgow  Improrement  Acis 
de  isee  à  i895yK 

Uoverat  17 


^58  PREBCIBRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   XI 

de  cette  char^^e  les  contribuables  de  Glasgow  ont  obtenu  : 
i^  TAlexandra  Park;  2""  98.929  pieds  carrés  de  terrain  qu'on 
a  employé  au  percement  de  30  rues  nouvelles  et  à  Télargis- 
sèment  de  26  rues  déjà  existantes  ;  3""  des  avantages  sani- 
taires et  sociaux  de  toutes  sortes  qu'ont  produits  raméliora- 
tion  des  voies  publiques,  la  construction  d*égouts  et  autres 
travaux  d'intérêt  général  coûtant  ensemble  £  106.279. 

La  corporation  a  donc  construit,  en  vertu  de  ce  premier 
Improvement  Act»  des  immeubles  pouvant  convenir  au 
gros  commerce  ou  à  la  résidence  bourgeoise,  mais  elle  n'a 
pas  essayé  de  fournir  de  logements  à  la  population  pauvre 
chasséedes  slums  quelle  démolissait,à  ces  50.000  personnes 
qui  s'entassaient  jadis  dans  les  bouges  malsains  du  centre 
de  la  ville  et  qui  s'en  sont  allés  encombrer  d'autres  parties 
de  la  cité.  Glasgow  n'a  rien  fait  pour  la  classe  des  artisans 
pauvres,  pour  ceux  qui  gagnent  moins  de  21  s.  par  semaine, 
si  ce  n'est  de  les  chasser  de  place  en  place,  a  to  keep  them 
moving  » . 

Remarquons  qu'après  les  avoir  achetées  et  jusqu'à  leur 
démolition,  Tlmprovement  Trust  continua  à  louer  ces  mai- 
sons malsaines  et  à  en  toucher  les  loyers  ;  et  qu*ilfut  ainsi, 
il  y  a  20  ou  25  ans,  fun  des  plus  gros  propriétaires  de  tau- 
dis et  de  bouges  de  toute  la  cité. 

Si  rimprovement  Scheme  de  1866  avait  fait  beaucoup  ga- 
gner à  Glasgow  au  point  de  vue  esthétique,  s*il  lui  avait 
permis  de  bâtir  de  belles  maisons  et  de  percer  de  belles  rues 
à  des  endroits  où  s'élevaient  des  ruelles  étroites  et  des  ha- 
bitations malsaines,  les  résultats  tant  financiers  que  sociaux 
qu'en  retirait  la  ville  laissaient  beaucoup  à  désirer. 

La  corporation  n*en  sollicita  et  n'en  obtint  pas  moins  par 
le  Glasgow  Improvement  and  General  Powers  Act  de  1897 
l'autorisation  d'eiïectuer  de  nouvelles  améliorations  sur  six 


LES   HABITATIONS    OUVRlèREB  269 

autres  espaces  malsaios,  dont  la  politique  précédemment* 
suivie  avait  eu  pour  résultat  d'empirer  tellement  la  condi- 
tion qu'ils  constituaient  une  source  de  réels  dangers  pour  la 
cité.  La  municipalité  fut  ainsi  autorisée  à  élargir  Nelson 
Street,  de  Troûgate  à  South  Albion  Street  ;  et  à  acquérir  à 
l'amiable,  soit  à  l'intérieur,  soit  à  Textérieur  de  la  cité  et 
jusqu'à  concurrence  de  25  acre s^  des  terrains  sur  lesquels 
elle  élèverait  des  habitations  pour  la  classe  ouvrière. 

La  corporation  reçut  en  même  temps  la  permission 
d'emprunter  £560.000,  remboursables  en  60  ans  et  de  lever 
un  impôt  de  1  d.  par  £  qui  lui  permettrait  de  mettre  l'Act 
à  exécution.  £n  fait  l'impôt  n'a  jamais  dépassé  3/4  d. 

Cette  fois  encore,  dédaignant  les  leçons  d'une  première 
expérience,  la  Corporation  n*a  pas  cherché  à  fournir  un 
logement  à  la  classe  même  de  personnes  qu'elle  avait  dé~ 
logées.  C'est  ainsi  qu'à  lendroit  où  s'élevaient  autrefois  les 
slums^  elle  a  bâti  de  nouveaux  édifices  destinés  au  com*. 
merce,  tandis  qu'elle  a  construit  près  d'Alexandra  Park,  à 
1  1/2  mile  des  slums  démolis  et  de  tout  centre  d'industrie, 
des  habitations  qui  ne  conviendront  qu'à  des  gens  gagnant 
de  22  à  26  s.  par  semaine.  Certaines  personnes  prétendent 
même  qu'on  ne  les  construit  dans  ces  parages  lointains  que 
pour  permettre  aux  employés  des  usines  à  gaz  municipales 
qui  s'élèvent  à  côté  du  Parc  d'y  trouver  un  logement  à  bon 
compte. 

L'ensemble  des  immeubles  bâtis  par  le  City  Improve- 
ment  Department  se  composait  en  1902  de  36  propriétés 
différentes,  renfermant  1.515  logements  de  tous  genres,  et 
187  boutiques  ou  locaux  destinés  au  commerce  (1).  Parmi 
ces  logements,  500  environ  pouvaient  convenir  aux  classes 

(1)  Kat,  The  Corporation  of  Glasgow  as  owners  of  shops,  lenements 
and  warefiousesy  1902.  .' 


a6o  PREMIÂBE   PARTIE.    CHAPITRE    XI 

les  plus  pauvres  ;  ils  consistaient  en  une  chambre  d'un 
loyer  annuel  moyen  de  £  5,  soit  1  s.  11  d.  par  semaine, 
ou  en  deux  chambres  d*un  loyer  moyen  de  £  8.  5  s.,  soil 
3  s.  2  d.  par  semaine  ;  les  impôts  étant  à  la  charge  du 
locataire.  Les  derniers  bâtiments  qu'ait  achevés  Tlmpro- 
yement  Department  sont  les  logis  de  Saint-James  Road 
et  de  Haghill.  L'on  s'est  tout  spécialement  assuré  en  les 
louant  que  leurs  locataires  appartenaient  bien  à  la  classe  la 
plus  pauvre,  et  Ton  a  posé  en  règle  que  les  postulants  dont 
les  salaires  ne  dépasseraient  pas  26  s.  par  semaine  devraient 
obtenir  la  préférence  pour  la  location  des  logis  composés 
de  deux  chambres,  et  que  ceux  dont  les  gains  n*excéde- 
raient  pas  22  s.  devraient  être  préférés  pour  les  chambres 
seules.  Â  l'aide  des  renseignements  ainsi  recueillis  sur  les 
salaires  des    locataires,  on  a  pu  dresser  le  tableau  suivant 

■ 

qui  montre  quelles  personnes  la  corporation  a  logées  dans 
ses  bâtiments  : 

49  des  locataires  touchent  un  salaire  hebdomadaire  moyeu 

inférieur  à 24  s. 

105  touchent  un  salaire  moyen  de 21/«i 

27  femmes  gagnent  environ 10/3 

Les  locataires  des  logis  les  plus  grands  appartiennent  à 
la  classe  des  ouvriers  qualifiés  et  se  composent  de  méca- 
niciens, de  tanneurs,  d'ouvriers  forgerons  et  ciseleurs.  Les 
travailleurs  non  qualifiés  comprennent  les  ouvriers  moins 
payés,  mais  possédant  un  emploi  régulier  et  se  composent 
«n  grande  partie  d'hommes  travaillant  dans  les  mêmes  mé- 
tiers que  les  autres  locataires  de  la  classe  qualifiée.  Les  lo- 
cataires femmes  sont  des  veuves  qui  gagnent  leur  miséra- 
ble existence  en  faisant  des  ménages  ou  vivent  des  secours 
que  leur  donnent  leurs  enfants. 


LES    HABITATIONS    OUVRIERES  26 1 

La  plus  grande  partie  des  habitations  ouvrières  munici- 
pales de  Glasgow  consiste  en  logements  de  1  ou  2  chambres, 
et  il  est  très  rare  que  chaque  logis  possède  un  w.-c.  spécial  ; 
dans  beaucoup  de  cas  le  même  w.-c.  sert  à  4  locataires. 
On  n'a  pas  songé,  en  les  construisant,  à  faciliter  l'enlève- 
ment des  cendres  et  des  ordures  ménagères  des  logis 
situés  aux  étages  supérieurs,  que  l'on  est  obligé  de  des- 
cendre dans  des  seaux  jusqu'à  la  fosse  aux  ordures  placée 
dans  la  cour. 

On  ne  rencontre  que  très  rarement  des  offices  (scuUery), 
et  les  cours  intérieures  sont  fréquemment  communes  à 
plusieurs  maisons.  Nous  verrons  tout  à  Theure  que,  sous 
ous  les  rapports,  Tinstallation  des  maisons  ouvrières  de 
Liverpool  et  de  Birmingham  semble  beaucoup  mieux  com- 
prise. 

En  résumé,  les  logements  de  Glasgow  ne  sont  pas  en 
général  occupés  par  des  locataires  appartenant  à  la  classe 
véritablement  miséreuse  ;  ils  sont  ordinairement  convena- 
blement meublés, et  la  corporation  déclare  à  qui  veut  l'en- 
tendre qu'elle  n*a  pas  eu  jusqu'ici  Tintention  de  fournir  des 
habitations  à  la  classe  vraiment  pauvre. 

Le  récit  que  nous  venons  de  faire  et  les  chiiïres  que 
nous  avons  donnés  nous  montrent  que  la  ville  de  Glasgow 
n*a  pas  été  particulièrement  heureuse  dans  l'exécution  de 
ses  Improvement  Schemes  (1).  Les  démolitions  de  mai- 
sons, les  améliorations  dispendieuses  imposées  à  des  pro- 
priétaires qui,  ne  pouvant  augmenter  leurs  loyers  en 
proportion,  se  trouvèrent  souvent  obligés  de  vendre  à 
perte,  ont  causé  à  diverses  reprises  des  .crises  immobilières 
graves  et  longues,  qui  n'ont  fait  qu'accroître  la  difficulté 

(t)  Voir  V Economiste  français  du  24  mai  1902.  Arlicle  de  Pierre 
Lerot-Bbaulibu. 


202  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE    XI 

du  problème  du  logement,  qu'on  cherchait  à  résoudre.  On 
a  même  prétendu  que  certains  conseillers  ou  leurs  amis 
auraient  su,  grâce  à  cette  politique,  réaliser  des  bénéfices 
aussi  considérables  qu'illicites. 

Quoi  qu'il  en  soit,  «  l'industrie  du  bâtiment,  dit  M.Pierre 
Leroy -Beaulieu,  s'est  trouvée  arrêtée,  faute  de  sécurité, 
chacun  craignant  l'intervention  ou  la  concurrence  de  la 
municipalité.  On  a  déséquilibré  le  marché  de  la  propriété 
immobilière,  favorisé  les  spéculations  louches,  provoqué 
une  crise  du  bâtiment  et  dépensé  beaucoup,  jusqu'à  com- 
promettre presque  les  finances  de  la  ville,  ce  qui  retombe 
sur  tout  le  monde  sans  améliorer  bien  sérieusement  le  sort 
des  classes  pauvres  ». 

«  Il  y  a  une  mesure  qu'il  ne  faut  pas  dépasser,  sans 
quoi  le  remède  risque  de  devenir  pire  que  le  mal,  car  tout 
n'est  pas  de  faire  évacuer  les  logements  insalubres,  il  faut 
les  remplacer;  or  là  commencent  des  difficultés  inextri- 
cables, des  dépenses  illimitées  qui  peuvent  avoir  pour 
conséquence  des  perturbations  profondes  de  toute  la  vie 
économique  d'une  ville  et  atteindre  ainsi  fort  durement  les 
masses  que  Ton  voulait  soulager.  » 

La  corporation  de  Glasgow,  partie  de  Tidée  d'assurer 
rhygiène  publique  de  la  ville,  en  est  arrivée  à  se  livrera 
une  vaste  spéculation  sur  les  terrains  et  les  immeubles, 
spéculation  qui  lui  a  coûté  fort  cher  (environ  2  1/2  mil* 
lions  de  £)  et  qui  ne  rapporte,  pour  Tannée  finissant  an 
31  mai  1905,  que  £  3.987  15  s.  10  d.  (versées  à  Tamortis- 
sement  et  au  fonds  de  réser\*e),  chiffre  dérisoire  quand  on 
songe  aux  sommes  énormes  qu  il  a  fallu  durant  20  ans 
demander  à  l'impôt. 


LES   HABITATIONS   OUVRIÈRES  203 


Liverpool. 


De  même  que  Glasgow,  Liverpool  a  longtemps  été  une 
(les  villes  les  plus  malsaines  d'Angleterre;  le  taux  de  la 
mortalité  y  atteignait  encore  25  '^'oo  ^  la  fin  du  xix'  siècle. 
Dans  certains  quartiers  où  la  densité  de  la  population  sT;- 
levait  à  250  personnes  par  acre,  la  mortalité  dépassait  sen- 
siblement cette  moyenne  et  variait  de  38  à  41  Voo- 

L'attention  de  la  municipalité  avait  été  attirée  dès  1842 
sur  les  conditions  particulièrement  défectueuses  dans  les- 
quelles vivaient  une  grande  partie  des  classes  les  plus  pau- 
vres ;  mais,  qu'il  faille  attribuer  l'inertie  des  autorités  pu- 
bliques au  manque  total  de  connaissances  hygiéniques, 
général  d'ailleurs  à  cette  époque, ou  à  l'indifférence  de  Topi- 
nion  publique  à  ce  sujet,  toujours  est-il  qu'on  ne  prit  pour 
remédier  au  mal  que  quelques  mesures  inefficaces. 

Vingt  ans  plus  tard,  cependant,  grâce  aux  progrès  de 
la  science  sanitaire,  grâce  encore  à  Tappui  d'une  opinion 
publique  plus  éclairée,  la  corporation  connaissait  parfaite- 
ment le  nombre  des  maisons  malsaines  existant  à  Liver- 
pool.  En  1863,  un  comité  spécial  du  conseil  appelait  l'at- 
tention de  ce  dernier  sur  Télat  de  malpropreté  où  se  trou- 
vaient les  cours  et  passages  de  la  ville  et  demandait  qu'on 
apportât  un  amendement  au  Liverpool  sanitary  Act  de 
1842,  et  qu'on  créât,  si  c'était  nécessaire  pour  porter  re- 
mède à  la  situation,  un  impôt  additionnel  de  1  d.  par  £  au 
maximum.  La  corporation  approuva  le  conseil  de  son  Go- 
mité  et  demanda  au  Parlement  de  modifier  le  local  Act  de 
1842,  que  vint  finalement  remplacer  le  «  Liverpool  sani- 
tary Amendment  Act  »  de  1864. 

Get  Acte  a  lui-même  subi  depuis  diverses  modifications, 
mais  c'est  en  vertu  de  ses  dispositions  que  la  municipalité 


264  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XI 

a  exécuté  la  plus  grosse  partie  de  son  œuvre.  En  fait,  ce 
n'est  qu'en  1902  et  pour  un  cas  spécial  que  la  corporation 
adopta  «  The  Housing  of  the  Working  Classes  Act  »  de  1890. 

Les  clauses  du  Sanitary  Amendaient  Act  de  1864  sont 
particulièrement  importantes,  et  il  n*ost  peut-être  pas  de 
ville  dans  le  Royaume- Uni  qui  possède  sous  ce  rapport  de 
pouvoirs  aussi  étendus  que  Liverp^ol.  Ils  peuvent  se  ré- 
sumer brièvement  de  la  façon  suivante  : 

1*  L'officier  médical  de  santé  commence  par  faire  au 
Conseil  un  rapport  le  prévenant  que  certaines  maisons, 
qu'il  spécifie,  sont  réellement  inhabitables. 

2°  Le  conseil  approuve  le  rapport  et  l'envoie  au  Clerk  of 
the  Peace  ;  connaissance  doit  en  être  donnée  aux  proprié- 
tairesdes  maisons  visées. 

3°  Le  rapport  est  porté  devant  le  grand  Jury  des  sessions 
trimestrielles  (Quarter  Sessions)  qui,  après  avoir  entendu 
les  témoins  et  s'être  transporté  sur  les  lieux,  décide  si  oui 
ou  non  les  maisons  visées  dans  le  rapport  sont  malsaines 
et  doivent  être  démolies  ;  s'il  se  décide  pour  la  démolition, 
sa  décision  s'appelle  un  «  presentment  >:. 

Lorsque  les  immeubles  ont  été  «  présentés  »  par  le  grand 
Jury,  la  municipalité  les  acquiert  à  l'amiable  ou  par  arbi- 
trage,de  la  même  manière  qu^elle  le  ferait  en  vertu  du  Hou- 
sing of  the  Working  Classes  Act  de  1890.  La  seule  diffé- 
rence à  noter  est  que,  d'après  le  Local  Act,  le  propriétaire 
a  le  droit  de  déclarer  quMl  préfère  garder  son  terrain  et  ne 
recevoir  d'indemnité  que  pour  la  démolition  des  bâtiments. 

Les  principaux  avantages  delà  procédure  du  Local  Act 
sont  :  1"  sa  simplicité,  sa  rapidité  et  son  bon  marché  :  2^  le 
fait  que  c'est  la  corporation  qui  dirige  elle-même  les  opéra- 
tions sans  avoir  besoin  de  s'adresser  au  Local  Government 
Board  pour  obtenir  de  lui  un  provisional  order.  On  sait 


LES    HABITATIONS    OUVRIÈRES  205 

que  la  première  partie  de  TAct  de  1890  impose  au  contraire 
une  procédure  longue  et  coûteuse. 

Les  inconvénieitts  qu'il  présente  au  point  de  vue  munici- 
pal par  rapport  à  la  loi  de  1890  sont  :  l"*  qu'il  permet  aux  pro- 
priétaires de  garder  leurs  terrains  ;  2°  qu*il  ne  permet  pas 
à  la  corporation  d'acquérir  d'autres  immeubles  que  ceux  qui 
servent  à  Thabitation  etseulement  lorsqu'ils  sont  malsains 
en  eux-mêmes.  On  en  pourrait  conclure  à  première  vue  qu^il 
est  difficile  à  la  corporation  d'acquérir*  en  s'appuyant  sur 
cette  loi,  de  vastes  espaces  pouvant  servir  à  la  reconstruc- 
tion et  qu'elle  se  trouvera  plus  probablement  propriétaire 
de  morceaux  isolés,  difficiles  à  utiliser  convenablement.  En 
pratique  cependant  cette  difficulté  ne  s'est  généralement 
pas  présentée  ;  et  dans  les  quelques  cas  où  la  municipalité 
n'avait  pu  acquérir  certains  terrains  dont  elle  avait  besoin, 
elle  les  acquit  dans  la  suite  en  vertu  de  la  troisième  partie 
du  Housing  of  the  Working  Classes  Act  de  1890. 

Le  local  Act  a  en  somme  fort  bien  fonctionné  et  a  rendu 
à  Liverpool  de  grands  services  pour  la  destruction  des  lo- 
gements malsains. 

On  estime  qu'en  1864  il  y  avait  environ  22.000  maisons 
dont  rinstallation  ne  répondait  en  aucune  façon  aux  règles 
de  rhygiène.  Voici  ce  qu^elles  sont  aujourd'hui  devenues  : 

Maisons  acquises  en  vertu  de  TAct  de  1864.  8.150 
Démolies  pour  les  besoins  du  commerce  ou 

toute  autre  raison 4.000 

Une  récente  inspection  montre  que  le  nom- 
bre actuel  des  immeubles  malsains  est  de  .     .  9.943 

Total 22.093 

Le  coût  total  des  opérations  de  démolitions  s'élevait  en 
1906  à  environ  £  490.000.  Exception  faite  pour  les  St  Mar- 


266  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XI 

lin's  Cottages,  bulis  en  1869,  c'est  en  1885  que  la  corpora- 
tion fit  son  premier  efTort  pour  fournir  des  logements  aux 
personnes  qu^elle  avait  chassées  de  leurs  anciennes  demeu- 
res. Cette  année  là  elle  construisait  les  Victoria  Square 
Dwellings  ;  cinq  ans  plus  tard,  en  1890,  elle  bâtit  ceux  de 
Juvenal  Street;  ces  deux  groupes  de  bâtiments  contiennent 
ensemble  371  logements  et  donnent  abri  à  1.382  personnes. 

Ces  maisons  une  fois  bâties,  on  s'aperçut  qu'on  n'avait 
encore  rien  fait  pour  les  misérables  qu'on  avait  dépossédés, 
parce  que  les  loyers  des  maisons  nouvelles  étaient  bien  plus 
élevés  que  ceux  des  anciennes  et  dépassaient  sensiblement 
les  moyens  des  personnes  auxquelles  on  les  destinait  ;  il 
faut  se  rappeler,  en  effet,  que  les  3/4  des  locataires  expul- 
sés ne  payaient  qu'environ  2  s  6  d.,  3  s.  au  plus  par  se- 
maine, pour  avoir  sur  une  cour  ou  sur  une  impasse  un  logis 
de  deux  ou  trois  chambres. 

Depuis  1896,  la  municipalité  a  voulu  que  les  bâtiments 
élevés  par  elle  fussent  exclusivement  réservés  aux  anciens 
locataires  dépossédés.  L'adoption  de  ce  principe  a  forcé, 
nous  dit-on,  à  laisser  les  maisons  inoccupées  pendant  un 
temps  souvent  fort  long  :  quoique,  si  on  Teût  voulu,  on  eût 
pu  les  louer  immédiatement  à  une  classe  beaucoup  plus 
relevée  de  locataires.  C'est  précisément  l'écueil  qu'on  cher- 
chait à  éviter  :  le  Housing  Committee  tint  bon,  et  Ton  n'ac- 
cepte comme  locataires  que  les  habitants  des  maisons  récem- 
ment démolies. 

Les  travaux  de  démolition  avaient  été  menés  assez  rapi- 
dement, et  en  1899  un  rapport  du  médical  officer  of  heallh 
montrait  que,  bien  que  les  particuliers  eussent  bâti  793  mai- 
sons sur  des  terrains  que  leur  avait  vendus  la  corporation, 
et  qu'elle-même  en  eût  construit  un  certain  nombre,  il 
restait  encore  3.056  personnes  auxquelles  il  fallait  fournir 


LES    HABITATIONS   OUVRIÈRES  267 

un  logement.  C'est  alors  que  le  Local  Government  Board 
décida  qu'il  faudrait  combler  ce  vide  avant  de  commencer 
de  nouvelles  démolitions  ;  en  octobre  1899  la  corporation 
lui  donnait  Tassurance  qu'il  en  serait  ainsifait. 

Nous  ne  nous  étonnerons  donc  pas  de  constater  que 
la  corporation  a  beaucoup  construit  durant  ce3  dernières 
années.  En  1901,  elle  a  élevé  les  Dryden  Street  Dwellings, 
qui  renferment  182  «  tenements  »  ou  logements. 

En  1902,  elle  a  élevé  les  Kempston  Street  Dwellings 
qui  renferment  79  logements,  les  Fontenoy  Street  Dwel- 
lings qui  en  renferment  16, et  les  Kew  and  Newsham  Streets 
Dwellings  qui  en  renferment  114. 

En  1903,  elle  a  élevé  les  Adiington  Street  Dwellings  qui 
renferment  235  logements. 

Enfin,  elle  achevait  en  1903  les  habitations  de  Gildarts 
Gardens  et  de  Ârley  Street  qui  contiennent  ensemble  149 
«  tenements  »,et  celles  de  Mill  Street  qui  en  renferment  1 15. 

La  construction  des  bâtiments  ci-dessus  a  coûté 
£  243.000  environ.  On  évaluait  en  1903  le  coût  annuel  des 
démolitions  à  £  17.000,  celui  des  constructions  à  £  4.200, 
soit  une  dépense  totale  de  £  21.300,  équivalente  à  un  im- 
pôt de  1  3/4  d.  par  £.  En  février  1903,  le  conseil  municipal 
adoptait  enfin  un  projet  de  construction  de  maisons  ou- 
vrières dans  Hornby  Street,  lesquelles  devaient  contenir 
450  logements  et  entraîner  une  dépense  de  £  150.000. 

Avant  de  s'occuper  de  la  classe  réellement  pauvre,  la 
corporation  de  Liverpool  avait  bâti  sur  les  emplacements 
des  anciens  slums  des  maisons  qui  ne  convenaient  qu*à 
des  ouvriers  gagnant  un  salaire  assez  élevé.  Comme 
exemple  de  ce  genre  de  demeures,  citons  les  «  Victoria 
Square  Dwellings  »  élevés  en  1885.  Ces  bâtiments  se  com- 
posent de  ««  blocks  »  de  cinq  étages  contenant  270  logements 


^68  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XI 

et  12  boutiques.  L*air  et  la  lumière  y  arrivent  en  abon- 
dance. Au  centre  s'étend  une  grande  place  recouverte 
d*asphalte  et  où  les  enfants  peuvent  jouer  et  prendre  leurs 
ébats.  Chacun  des  13  blocks  dont  la  réunion  forme  Victoria 
Square,  renferme  22  logements.  Chaque  block  a  son  entrée 
particulière  sur  la  rue  ou  sur  la  cour. 

Les  logements  d'une  chambre  mesurent  12  pieds  sur  12. 
Dans  ceux  qui  se  composent  de  deux  chambres,  la  «  living 
room  »  (chambre  où  Ton  se  tient)  mesure  13  pieds  sur 
12  pieds  4  pouces,et  la  chambre  à  coucher  13  pieds  3  pou- 
ces sur  9  pieds  7  pouces.  Dans  ceux  de  trois  chambres,  la 
«  living  room  »  mesure  13  pieds  sur  12.4  ;  la  seconde 
chambre  15.3  sur  9.7  ;  la  troisième  13  pieds  sur  8.6 . 

La  hauteur  des  plafonds  est  de  9  pieds.  Les  locataires  de 
quatre  logements  contigus  ont  en  commun  Tusage  d'une 
buanderie  munie  dune  chaudière  et  de  tout  ce  qu'il  faut 
pour  faire  la  lessive  ;  il  y  a  enfin  deux  w.-c,  chacun  d'eux 
commun  à  deux  logements. 

Le  gaz  est  posé  partout  et  fourni  au  moyen  de  comp- 
teurs automatiques  aux  locataires  qui  en  font  la  demande. 
C'est  la  corporation  qui  paye  les  impôts.  Le  comité  de 
rhabitation  a  fixé  la  valeur  du  terrain  sur  lequel  il  avait 
bâti  à  22  s.  6  d.  le  yard  carré  ;  la  surface  totale  qu'il  pos- 
sède mesurant  900  pieds  carrés,  il  en  a  dans  ses  comptes 
inscrit  le  coût  à  £  10.125  ;  nous  verrons  à  la  fin  de  ce  cha- 
pitre qu'il  l'avait  bel  et  bien  payé  £  3  le  yard  carré. 

La  construction  des  bâtiments  ayant  coûté  £  57.952,  la 
corporation  estime  le  coût  total  de  cette  opération  à  £  68.077 
(£57.952  +  10.125). 

Voici  à  titre  de  renseignement  le  taux  de  quelques  loyers 
(Rez-de-chaussée,  premier  et  second  étages).  Les  Victoria 
Square  Dwellings  renferment  : 


LES   HAB/ITATIO.XS   OUVRIÈRES  269 

4  logements  de  3  chambres  loués  à  5'  6d  par  semaine. 
39                                 —                    5  3  — 

5  de  2  chambres             4  6  — 
12                                  —                   4  3  — 

58  —  4  »  —     • 

3  —  3  9—. 

3  —  3  G  _ 

troisième  et  dernier  étages 

2  logements  de  3  chambres  loués  à  5*  »  — 

21  —  4  9<i  — 

5  de  2  chambres  4  »  — 

2  —  3  9  — 

11  —  3  6  — 

fil  —  3  3  — 

2  _  3 


» 


21  logements  de  une  chambre  loués  à  1     9  — 

Le  nombre  total  des  chambres,  y  compris  les  chambres 
des  surveillants,  est  de  610. 

L'ensemble  des  loyers  donne  par  semaine  une  somme  de 
£  53,  15  8.  9d.,  par  an  de  £  2.797,  0  s.  0  d.  Le  loyer  des 
boutiques  rapporte  annuellement  £  238,  0  s.  U  d. 

Durant  les  10  dernières  années  (1896-1905)  le  total  des 
loyers  dus  à  la  corporation  s'élevait  à  £  30.937,  6  s.  3  d. 
Elle  en  avait  reçu,  quand  parut  le  rapport  auquel  nous  em- 
pruntons ces  chiffres,  £  29.983, 14s.  7  d.,  soit 97  °/o  du  total  ; 
les  logements  inoccupés  durant  la  période  susdite  représen- 
tent une  perte  de  £  546,  15  s.  1  d. ,  l'arriéré  irrécouvrable 
s^élevait  ù  £  646,  3  s.  7  d.  ;  les  sommes  dues  par  des  loca- 
taires habitant  encore  Timmeuble  étant  de  £  79,  11  s.  6  d. 

Durant  Tannée  qui  finit  au  31  décembre  1905,  les  re- 
cettes des  Victoria    Square    Dwellings    se    sont   élevées 


270  PREMIERE  PARTIE.     —    CHAPITRE    XI 

à £  2.994  15  S.  9d. 

Les  dépenses  à t. 446  10  2 

Soit  un  excédent  des  recettes 

sur  les  dépenses  de     ....  £  1.548      5  7 

Suivant  les  rapports  de  la  municipalité,  Tintérèt  de  l'ar- 
gent qu'elle  a  consacré  à  cette  opération  serait  donc  de  £  2, 
5  s.  5  d.  3/4  par  £  100  en  1905  ;  il  aurait  été  de  £  2,  7  s. 
7  d.  1/2  en  moyenne  pour  la  période  qui  s'étend  de  1887  à 
1905.  Mais  le  calcul  est  absolument  trompeur,  puisqu'il 
n'est  pas  tenu  un  compte  exact  de  la  valeur  du  terrain  et 
qu'on  Testime  au  tiers  seulement  de  ce  qu'il  a  été  réellement 
payé. 

Les  Labourers'  Dwellings,  Juvenal  Street,  sont  un  autre 
block  du  même  genre  que  le  précédent.  La  municipalité  les 
estime  dans  ses  comptes  à  £  16.166.  Les  loyers  y  sont  à  peu 
près  les  mêmes  qu'à  Victoria  Square.  L'intérêt  qu*ils  rap- 
portent  serait  de  £  2,  10  s.  7  1/2  d.  en  1905  ;  de  £  3,  1  s. 
3  1/2  d.  en  moyenne  dans  la  dernière  période  de  15  années. 

Les  Kew  Street  Dwellings,  inaugurés  en  1903,  réalisent 
d'aussi  près  que  possible  les  desiderata  de  Thygiène  mo- 
derne. Réservées  aux  locataires  expulsés  des  maisons  insa- 
lubreSy  ces  habitations  comprennent  3  blocks  de  trois  éta- 
ges renfermant  114  logements,  dont  70  de  2  chambres,  34  de 
3  chambres  et  10  de  4  chambres  ;  soit  un  total  de  282  cham- 
bres. 

Chaque  logement  de  2  ou  3  chambres  situé  au  rez-de- 
chaussée  a  son  office,  sa  cour,  et  son  w.  c.  particulier; 
les  logements  de  4  chambres  situés  au  premier  étage  ont 
chacun  leur  w.  c.  et  leur  casier  h  charbon  particuliers. 

Ici  encore  le  gaz  est  posé  partout  et  fourni  sur  demande 
au  moyen  de  compteurs  automatiques.  La  hauteur  des 
plafonds  varie  de  8  à  9  pieds. 


LES    HABITATIONS   OUVRIERES  27 1 

On  estime  le  coût  total  de  cette  opération  à  £  22.3;i8 
4  S.  0  d.  (soit  £  2.338.4  s.  0  d.  pour  Tacbat  des  terrains  et 
£  20.000  pour  la  construction  des  maisons). 

Le  loyer  des  logements  varie  de  5  s.  par  semaine  pour 
ceux  qui  se  composent  de  4  chambres,  à  3  s.  6d.,.  3  s.  et 
2  s.  9  d.  pour  les  logements  de  deux  chambres,  suivant 
l'étage. 

Le  tableau  suivant  donne  la  situation  exacte  au  31  dé 
cembre  1905«  de  ce  qu'avait  fait  la  municipalité  de  Liver- 
pool  pour  le  logement  des  classes  ouvrières  (1). 

Liverpool  semble  avoir  apporté  plus  de  prudence  que 
Glasgow  dans  les  opérations  de  démolition  et  d'améliora- 
tion qu'elle  a  exécutées  ;  elle  s'est  montrée  plus  soucieuse 
que  la  ville  précédente  de  bâtir  des  maisons  spécialement 
destinées  aux  habitants  des  anciens  slums  et  de  les  louer 
à  des  prix  possibles  pour  eux.  Enfin,  elle  ne  s'est  pas  livrée 
à  de  vastes  spéculations  sur  les  terrains  et  ne  s'est  pas 
mise  dans  la  nécessité  de  demander  à  l'impôt  des  sommes 
aussi  considérables.  Ce  n'est  pourtant  que  grâce  à  l'impôt 
qu'elle  a  pu  créer  un  Sinking  fund,  les  bénéfices  réalisés 
sur  les  loyers  étant  trop  minimes  pour  lui  permettre  de 
le  Taire.  Si  nous  en  croyons  M.  Taylor  (2),  chairman  du 
Housing  Committee,  il  n'y  aurait  pas  d'autre  moyen  d'en 
créer  un.  Tout  au  plus,  disait-il,  quand  on  se  livre  à  des 
opérations  de  ce  genre,  peut-on  retirer  l'intérêt  de  son  ar- 
gent. Si  vraiment  la  gestion  municipale  ne  peut  donner 
de  meilleurs  résultats,  il  n'est  pas  à  désirer  qu'elle  s'é- 
tende. Nombre  de  sociétés  particulières  se  sont  fondées 

(1)  Liverpool.  Arlizans  and  Laboiirers'  DwelUngs^  p.  53. 

(2)  Voir  sa  déposition  devant  le  Comité  de  1902.  Heport  on  Rtpay- 
tnenl  of  Loans,  p.  150. 


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272 


PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XI 


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LES    HABITATIONS    OUVRIERES  Wji 

dans  le  but  de  dcaner  des  maisons  à  la  population  ou- 
vrière, qui  non  seulement  distribuent  à  leurs  actionnaires 
rintérèt  normal  de  leur  argent,  mais  savent  encore  faire 
la  part  de  l'amortissement,  sans  avoir  pourtant,  en  cas  de 
déficit,  la  ressource  de  plonger  la  main  dans  la  caisse  pu- 
blique ou  la  poche  du  contribuable,  comme  le  font  les  con- 
seils municipaux. 

Birmingham . 

La  question  des  habitations  ouvrières  s^est  posée  à  Bir- 
mingham comme  elle  s'était  posée  à  tilasgow  ou  à  Lieerpool, 
et  dans  l'œuvre  de  cette  troisième  ville  nous  retrouvons, 
mêlé  à  un  souci  réel  de  l'assainissement,  le  désir  manifeste 
de  spéculer  et  de  réaliser  des  bénéfices  pécuniaires  sur  là 
vente  des  terrains  ou  la  location  des  maisons.  Le  nom  de 
Joseph  Chamberlain  est  étroitement  lié  à  la  tâche  énorme 
que  Birmingham  a  entreprise,  comme  il  était  déjà  uni  à 
celui  de  la  municipalisation  du  gazetdeTeau  dans  cette 
ville  ;  c  est  en  1875  que  Chamberlain,  alors  maire  de  Bir- 
mingham, forma  le  projet  de  transformer  complètement 
la  ville  et  d'y  percer  de  grandes  voies  qui  rendraient  les 
communications  plus  faciles  et  donneraient  à  la  cité  un 
aspect  moins  sale  et  moins  déplaisant. 

C'est  en  s'appuyant  sur  a  l'Artizans  and  Labourers 
Dwellings  Act  >)  de  1875  que  la  corporation  put  mettre  à 
exécution  ses  vastes  projets.  Le  premier  espace  insalubre 
dont  elle  se  soit  occupée  s'étendait  sur  une  surface  de  93 
acres  entre  New  Street  au  Sud  et  Aston  Road  au  Nord.  Sur 
ce  terrain,  situé  au  plein  centre  de  la  ville,  s'élevaient  4.000 
maisons  vieilles  et  délabrées  où  vivaient  20  000  personnes. 
Le  taux  de  la  mortalité  y  variait  de  40  à  97  ^oo»  c'est-à- 
dire  qu'il  y  était  deux  fois  plus  fort  que  dans  les  parties 
BoTerat  18 


374  PREMIERE    PAllTie.    —    CHAPITRE    XI 

saines  du  district*  L'absence  de  voies  publiques  larges  se 
faisait  enfin  depuis  longtemps  sentir  dans  cette  ville  qui 
croissait  rapidement,  et  c*est  peut-être  cette  deuxième  rai- 
son plus  encore  que  son  souci  de  voir  la  classe  ouvrière 
habiter  des  logements  salubres  qui  décida  le  contribuable  à 
accepter  la  lourde  charge  qu'on  allait  lui  imposer. 

Le  district  en  question  fut  donc  déclaré  malsain,  mais  la 
corporation  commença  par  n'en  acheter  qu'une  partie,  soit 
environ  45  acres  et  1867  maisons,  dont  elle  jeta  bas  4 .200. 
Elle  répara  les  autres  et  les  rendit  habitables,  en  en  démo- 
lissant quelques-unes  dans  les  endroits  où  elles  étaient 
trop  serrées,  en  y  reconstruisant  les  w.  c,  en  en  pavant 
les  cours  et  en  établissant  un  sytème  d'égouts  bien  com- 
pris. 

La  corporation  a  loué  la  plus  grande  partie  des  terrains 
ainsi  acquis  en  «  building  lease  »  d'une  durée  de  75  ans, 
c'est-à-dire  qu'elle  a  donné  les  terrains  à  bail  pour  la 
période  indiquée  avec  obligation  d'y  construire  des  mai- 
sons. 

A  l'expiration  de  ces  75  ans,  la  ville  de  Birmingham  en- 
trera en  possession  de  ces  énormes  bâtiments  que  les  par- 
ticuliers ont  construits  dans  les  nouvelles  rues  percées  lors 
de  rimprovement  Scheme,  et  notamment  dans  Corporation 
Street.  On  estime  que  le  revenu  futur  de  ces  immeubles 
atteindra  £  100.000  par  an.  La  location  du  terrain  (ground 
rents)  rapporte  aujourd'hui  à  la  corporation  £  45.902  par 
an,  et  celle  des  bâtiments  qu'on  a  laissés  debout  s^élève  à 

17.109  (brut).  L'exécution  de  cette  œuvre  immense  a 
coûté  fort  cher  ;  au  31  mars  1905,  la  dépense  totale  attei- 
gnait £  1.730.303  ;  il  a  fallu  pour  y  subvenir  négocier  de 
très  gros  emprunts.  Le  service  des  intérèU  exige  à  lui  seul 
£  50.000  par  an   ;  pour  payer  ces  intérêts  et  faire  face  à 


LES   HABITATIONS    OUVRIERES  270 

ramortissement  delà  dette,  il  faut  chaque  année  demander 
aux  contribuables  une  somme  importante  ;  le  «  Borough 
rate  d  a  versé  dans  ce  but,  pour  l'année  finissant  au  31  mars 
1905,  une  somme  de  £  19.000.  Il  en  avait  versé  £  20.000 
de  1879  à  1886  ;£  25.000  de  1887  à  1892.  La  somme 
allait  alors  en  décroissant  pour  retomber  à  £  15.000  en 
1900. 

Ce  rapide  exposé  de  ce  que  fut  Tlmprovement  Scheme 
nous  montre  que  Birmingham  est  aujourd'hui,  comme 
Glasgow,  gros  propriétaire  foncier.  Dans  un  certain  nom- 
bre d'années,  elle  possédera  les  plus  beaux  quartiers  de  la 
ville  et  réalisera  ainsi,  sinon  la  nationalisation  rêvée  par 
les  socialistes,  du  moins  la  municipalisation  du  sol  et  des 
habitations. 

Il  est  sans  doute  fort  utile  de  démolir  des  slums  et  d*en 
chasser  les  gens  qui  y  habitent  ;  c'est  une  tâche  dont  tout 
conseiller  municipal  peut  un  jour  ou  Fautre  tirer  gloire  ; 
mais  si  Ton  poursuit  réellement  le  bien  des  classes  ou- 
vrières, et  si  Ton  ne  veut  pas  voir  la  situation  sanitaire 
aller  en  empirant  dans  d'autres  districts,  que  les  démoli- 
tions faites  auront  pour  inévitable  résultat  de  surpeiipler  à 
leur  tour,  il  faut  songer  à  fournir  un  logement  aux  gens 
qu'on  a  expulsés  en  masse.  Or,  si  la  corporation  de  Bir- 
mingham avait  envie  de  gagner  de  Targent  en  spéculant 
sur  les  terrains  et  de  rendre  sa  ville  belle  et  plaisante  à 
Tœil,  elle  s'est  moins  occupée  de  la  construction  des  ha- 
bitations ouvrières  et  du  sort  des  personnes  qu^elle  avait 
dépossédées. 

II  ne  fait  pas  le  moindre  doute,  dit  M.  Vince  [History  of 
the  Corporation  of  Birmingham^  vol.  III,  p.  352)  que 
lorsqu'il  fut  pour  la  première  fois  question  de  Tlmprove- 
ment  Scheme,  le  Conseil  municipal  avait  la  ferme  intention 


276  PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  XI 

de  fournir  des  maisons  meilleures  aux  travailleurs  et  ar- 
tisans que  les  travaux  d'amélioration  et  d'assainissement 
auraient  privés  de  leurs  habitations.  Les  plans  de  recons- 
truction dont  parlaient,  bien  que  de  façon  vague,  les  pre- 
miers avocats  de  Tlmprovcment  Scheme  étaient  bien  plus 
considérables  que  ceux  qu'exécuta  postérieurement  la  cor- 
poration. Nous  trouvons  une  explication  des  modifications 
que  subit  ainsi  la  politique  de  1875  dans  un  rapport  de 
1884,  où  il  est  dit  que,  malgré  les  démolitions,  les  logements 
ne  font  pas  défaut,  8  7o  des  maisons  louées  de  2  s.  6  d.,  à 
7  s.  par  semaine  étant  inoccupées  ;  que  la  surpopulation 
n'existe  pas  à  proprement  parler  à  Birmingham  ;  qu'enfin 
Tétat  sanitaire  des  logements  est  en  général  satisfaisant. 

Malgré  Toptimisme  de  ce  rapport,  optimisme  peut-être 
exagéré  d'ailleurs,  llmprovement  Committee  estimant 
que  les  particuliers  ne  bâtissaient  pas  assez  vite  pour  rem- 
placer les  maisons  démolies,  prépara  de  son  côté  un  plan 
qu'il  soumit  au  Conseil  en  juin  1885.  Il  proposait  la  cons- 
truction de  «  Block  Tenements  »  du  genre  de  ceux 
qu'avaient  bâtis  à  Liverpool  la  municipalité  ou  à  Londres 
le  Peabody  Trust.  Mais  le  Conseil  municipal  repoussa  son 
projet  pour  diverses  raisons  :  parce  que  le  système  des  ap- 
partements (flat  System)  entraîne  à  l'immoralité  ;  que 
l'exemple  de  Londres,  où  l'extrême  cherté  du  terrain  oblige 
de  recourir  au  «  Block  System  »  ne  pouvait  être  valablement 
invoqué  ;  qu'à  Liverpool,  Newcastle,  Birkenhead,  le  sys- 
tème des  ((  flats  »  ne  rapportait  que  de  2  à  4  Vo  que  le 
projet  laissait  de  côté  la  véritable  question  qui  est  de  four- 
nir un  logement  à  des  personnes  gagnant  moins  de  1  £  par 
semaine. 

Quatre  ans  s'écoulèrent  sans  qu'il  fût  présenté  de  nou- 
veau projet.  Enfin,  en  juillet  1889,  llmprovement  Com- 


LES   HABITATIONS   OUVRIERES  277 

mittee  présenta  celui  qu'on  désigne  sous  ie  nom  de  Ryder 
Street  Scheme.  Il  fut  adopté  sans  grande  opposition  ;  on 
avait  oiïert  aux  particuliers  de  leur  louer  ce  terrain  8  d.  le 
yard  carré  ;  mais  personne  n*en  av^it  voulu,  et  depuis  6  ans 
il  restait  vacant.  La  démolitiondes  maisons  malsaines  avait 
été  trop  rapidement  poussée  dans  ce  quartier  et  la  dépopu- 
lation qui  en  était  résultée  avait  empêché  la  location  des  ter- 
rains devenus  libres. La  corporation  y  construisit  22  maisons 
(cottages),  hautes  de  deux  étages  et  renfermant  chacune 
cinq  chambres.  On  en  évaluait  le  coût  à  £  4.000  environ 
et  le  revenu  net  à  £  200.  En  septembre  1890,  ces  maisons 
étaient  achevées  et  louées  immédiatement  pour  5  s.  6  d.  par 
semaine  à  des  locataires  appartenant  à  une  classe  relative- 
ment aisée.  Le  résultat  financier  était  donc  meilleur  qu'on 
ne  Tespérait  :  et,  chose  fort  intéressante,  dit  M.  Yince,  on 
avait  réussi  à  employer  de  façon  rémunératrice  un  terrain 
dont  les  particuliers  n'avaient  point  voulu.  Nous  nous  con- 
tenterons de  demander,  pour  notre  part,  si  la  corporation 
remplissait  exactement  le  programme  qu'elle  s'était  tracé 
de  loger  la  classe  ouvrière,  un  loyer  de  5  s.  représentant 
déjà  une  somme  assez  élevée  pour  des  ouvriers  ;  il  est  vrai 
que  les  locataires  de  Ryder  Street  gagnent  au  minimum 
30  s.  par  semaine.  Il  faudrait  savoir  en  outre  si  le  résultat 
financier  de  cette  opération  est  aussi  bon  qu'on  le  prétend  ; 
or,  en  1904-1905  les  maisons  de  Ryder  Street  ont  laissé  un 
déficit  de  £  2.5  s.  9  d.,  et  en  1905-1906  elles  n'ont  rapporté 
que  £  74.4  s.  3  d. 

Enhardi  par  cette  première  expérience,  le  Comité  propo- 
sait en  février  1891  un  nouveau  projet  de  démolition  et  de 
construction,  le  Lawrence  Street  Scheme,  sur  une  surface 
voisine  de  la  première. 

La  Birmingham  Daily  Post  a  donné  de  ces  bâtiments  la 


278  PREMIÈRB   PARTIE.    CHAPITRE    XI 

description  suivante  (n*"  du  9  mars  1893)  :  «  Les  maisons, 
dit-elle,  sont  gentilles  et  bien  construites.  Les  «  terrace 
houses  »  ne  sont  pas  bâties  dos  à  dos  selon  Tantique  et 
mauvaise  habitude  de  Birmingham,  mais  elles  ont  chacune 
une  porte  sur  le  devant  et  une  autre  sur  le  derrière.  Les  por- 
tes de  derrière  s'ouvrent  sur  une  cour  de  36  pieds  de  large, 
pavée  en  briques,  suffisante  pour  qu'on  puisse  y  faire  sécher 
le  linge  ou  y  laisser  jouer  les  enfants.  Les  maisons  d'un 
loyer  de  5  s.6  d.  ont  au  rez-de-chaussée  une  chambre  (livinj^:- 
room)  de  13  pieds  carrés  et  une  cuisine  de  12  pieds  sur  9, 
munie  d'un  évier  en  fer  et  d'un  petit  fourneau.  A  côté  de  la 
cuisine  un  garde-manger  et  un  casier  à  charbon,  sous  la 
cage  de  l'escalier.  Au  1®^  étage,  deux  chambres  à  coucher  : 
sous  le  toit,  une  troisième  chambre  mansardée,  éclairée  par 
deux  lucarnes,  donnant  Tune  sur  la  rue  et  l'autre  sur  la 
cour.  Dans  chaque  maison  il  y  a  un  poêle  et  de  bonnes  che- 
minées. On  y  trouve  aussi  des  compteurs  à  gaz  automati- 
ques, donnant,  pour  1  d.,  25  pieds  cubes  de  ^az,  c'est- à  dire 
une  quantité  suffisante  pour  tenir  un  bec  allumé  pendant 
cinq  heures.  Chaque  logis  a  son  w.  c.  avec  chasse  d'eau: 
l'installation  sanitaire  est  bien  comprise.  » 

Ces  maisons  n'ont  pas  coûté  £  180  chacune  ;  elles  rap- 
portaient en  1904-1905  un  loyer  brut  de  £  1.229  1  s.  H  d.  ; 
net  de  £  179  5  s.  2  d.  ;  en  1905-1906,  un  loyer  brut  de 
£  1.235  10  s.  0  d.;  net  de  £  347  7  s.  0  d. 

Gomme  le  chiffre  des  loyers  l'indique,  ces  maisons  sont 
encore  trop  chères  pour  beaucoup  de  gens  ;  aussi, en  1894, 
à  la  suite  d'un  rapport  du  médical  officer  of  health,  l'at- 
tention de  la  municipalité  se  porta-t-elle  sur  le  quartier  de 
Milk  Street.  Il  s'agissait  de  deux  terrains,  le  premier  d'une 
superficie  de  6.160  yards,  le  second  de  4.030  yards.  On 
proposait  de  procéder  à  leur  expropriation,  de  démolir  les 


LES    HABITATIONS   OUVRIERES  279 

immeubles  insalubres  qui  s'y  élevaient,  et  d'y  reconstruire 
116  maisons  nouvelles. 

La  dépense  d'achat  devait  se  monter  à  £  16.000,  celle  de 
reconstruction  ࣠ 18.000. 

La  municipalité  s'appuyait  cette  fois  sur  le  «  Housing 
of  the  working  classes  Act  »  de  1890.  Elle  n'avait  agi  jus- 
que-là qu'en  vertu  de  TAcl  de  1875  et  de  local  Acts  posté- 
rieurement obtenus.  En  invoquant  la  première  partie  de  la 
loi  de  1890,  le  Conseil  municipal  donnait  à  Tlmprovement 
Gommittee  le  droit  de  procéder  à  des  améliorations  et  à 
des  démolitions  en  dehors  même  de  V  «  Improvement 
area  ».  Le  projet  rencontra  quelque  opposition  ;  on  faisait 
remarquer  qu'il  était  facile  au  Conseil  d'obtenir  la  ferme- 
ture des  maisons  jugées  malsaines,  sans  pour  cela  les 
racheter  ;  que,  s'il  se  montrait  enclin  à  suivre  une  politique 
de  rachat  au  lieu  de  mettre  les  propriétaires  en  demeure 
de  procéder  aux  réparations  nécessaires,  il  leur  offrirait  en 
quelque  sorte  une  prime  à  la  négligence.  Finalement,  la 
seconde  des  deux  surfaces  en  question  fut  seule  déclarée 
«r  unhealthy  area  ». 

Le  Local  Government  Board  accorda  un  «  order  »  que 
le  Parlement  sanctionna  en  1895.  La  corporation  était  au- 
torisée à  acheter  le  terrain  et  à  en  démolir  les  maisons  ;  la 
démolition  devait  se  faire  en  plusieurs  fois,  la  municipalité 
ne  pouvant  bâtir  elle-même  qu'au  cas  où  elle  ne  trouverait 
ni  à  vendre  ni  à  louer  les  terrains  à  des  personnes  qui 
s*engageraient  à  bâtir  dessus  des  maisons  ouvrières.  En 
1897,  l'Jmprovement  Committee  déclara  qu'il  n'avait  pas 
reçu  d'offre  et  soumit  au  Conseil  un  plan  de  reconstruc- 
tion. Ce  plan  rencontra  une  si  vive  opposition  qu'on  dut  le 
retirer  momentanément  ;  on  se  contenta  de  nommer  un 
sous-comité  spécial  dont  les  membres  iillèrent  visiter  les 


28o  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XI 

maisons  ouvrières  nouvellement  construites  à  Londres, 
Bristol,  Liverpool  et  Manchester,  sans  trouver  rien  qui 
leur  plût,  par  suite  de  leur  répugnance  pour  le  a  flat  Sys- 
tem ».  Peu  à  peu,  cependant,  on  finit  par  s'entendre  ; 
les  bâtiments  projetés  furent  divisés  en  4  «  terraces  »  de 
maisons  à  deux  étages  ;  chaque  étage  forme  un  logement 
dont  le  loyer  varie  de  3  s.  à  4/6  ^t.5  s.  suivant  la  superficie 
des  pièces. 

Le  nombre  des  maisons  de  Milk  Street  est  de  61  (56  la- 
bourers'  cottages  et  3  arlizans'  dwellings  un  peu  plus 
grandes  que  les  autres).  Vingt-quatre  de  ces  cottages  ont 
chacun  une  chambre  d'habitation  (liviugroom)de  13  pieds 
de  large  sur  14  de  long  et  8  pieds  6  de  hauteur  et  une 
chambre  à  coucher  de  12,2  sur  9,6.  Les  32  autres  maisons 
ont  une  living  room  de  13,4  sur  14,  une  première  chambre 
à  coucher  de  8,2  sur  14,  et  une  deuxième  de  9  sur  9. 
Chaque  logis  a  son  office  particulier,  son  garde-manger  et 
son  water-closet  avec  chasse  d'eau.  Les  logis  des  étages 
supérieurs  ont  un  tuyau  spécial  permettant  de  vider  les 
ordures  ménagères  sans  descendre  dans  la  cour.  Les  mai- 
sons sont  bien  aérées  et  donnent  par  derrière  sur  une  cour 
de  30  pieds  de  large.  L'achat  du  terrain  a  coûté  £  6.000  et 
la  construction  des  maisons  £  10  100.  Eu  1904-1905,  le 
chiffre  des  loyers  payés  à  la  corporation  dépassait  de  £  12, 
6  s.  8  d.  le  chiffre  des  dépenses  ;  en  1905-1906,  les  deux 
chiffres  s'équilibraient.  Ce  serait  parfait  si  l'on  portait  dans 
les  comptes  municipaux  le  terrain  au  prix  auquel  il  a  été 
payé  ;  mais  les  calculs  précédents  reposent  sur  la  supposi- 
tion bizarre  que  le  terrain  n'a  coûté  que  £  1.007  (soit 
15  s.  par  yard).  Quant  aux  autres  £  5.000,  on  ne  les  consi- 
dère que  comme  une  dépense  faite  par  la  ville  dans  un  but 
sanitaire  Jdi  esthétique. 


LES    HABITATIONS    OUVRIERES  28 1 

La  corporation  de  Birmingham  se  trouve  ainsi  posséder 
164  maisons  ouvrières  sur  lesquelles  elle  ferait,  si  nous  en 
croyons  la  comptabilité  municipale,  un  léger  bénéfice  :  sur 
lesquelles  elle  perd  en  réalité  beaucoup  lorsqu'on  établit 
correctement  le  compte  des  dépenses  de  ce  service. 

M.  le  conseiller  J.  S.  Nettlefold,  actuellement  chairman 
du  Housing  Committee  de  Birmingham, a  relevé  cette  façon 
plutôt  étrange  de  tenir  la  comptabilité  municipale  (1).  c.  Si 
Ton  tient,  dit-il,  un  compte  exact  du  prix  d*achat  du  ter- 
rain et  de  toutes  les  autres  dépenses  qu'on  a  faites,  les 
maisons  de  Ryder  Street  représentent  pour  les  impôts  une 
charge  d'environ  2  s.  8  d.  par  maison  et  par  semaine, et  celles 
de  Lawrence  Street  une  charge  d'environ  1  s.  3  d.  Il  est 
facile  de  vérifier  ces  chiffres  en  se  reportant  aux  comptes 
officiels.  » 

((  Les  loyers  de  ces  maisons  dépassent  de  beaucoup  les 
moyens  delà  classe  pauvre,  de  celle  qu'a  dépossédée  Tlm- 
provement  Scheme.  Le  résultat  de  ces  améliorations  a  donc 
été  de  taxer  la  masse  au  bénéfice  de  quelques  personnes 
seulement  ;  ces  quelques  personnes  n'en  retirent  même  en 
réalité  aucun  avantage,  car  en  examinant  ces  maisons  et 
en  comparant  leurs  loyers  avec  ceux  des  maisons  sem- 
blables bâties  dans  les  circonstances  ordinaires,  on  voit 
que  les  locataires  de  ces  maisons  municipales  payent  bien 
dans  son  plein  le  loyer  qu'elles  valent.  Telle  étant  la  situa- 
tion, il  n'est  pas  difficile  de  comprendre  que  si,  d'un  côté, 
personne  n'a  intérêt  à  ce  que  la  municipalité  soit  proprié- 
taire de  ces  maisons,  la  masse  entière  des  contribuables  se 
trouve,  de  l'autre  côté,  taxée  pour  soutenir  une  entreprise 
qui  constitue  une  détestable  opération  commerciale  (com- 
mercial failure).  » 

(1)  Voir  J.  S.  Nettlefold,  A  Housing  Policy,  p.  12. 


282  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XI 

Plus  loin,  parlant  de»  maisons  que  la  municipalité  proje- 
tait de  bâtir  dans  Potter  Street,  M.  Nettlefold  dit  encore  : 
«  quelles  sont  un  exemple  frappant  de  ce  que  Ton  peut 
faire  avec  des  chiffres.  Le  18  juin  1901,  on  présentait  au 
City  Gouncil  des  comptes  qui  faisaient  ressortir  un  profit 
de  19  s.  6  d.  par  an.  Le  terrain  qui  mvait  coûté  1  s.  6  d.  le 
yard  carré,  et  qu*on  n'avait  pas  voulu  céder  aux  particuliers 
à  moins  de  2  s.  9d.  n'était  compté  que  5  d.  le  yard  carré. 
L'intérêt  et  le  Sinking  fund  ne  figuraient  que  pour£  516 
par  an,  alors  qu'il  fut  démontré  par  la  suite  qu'ils  auraient 
dû  être  portés  pour  £  559.4  s.  3  d.  Le  3  juin  1902,  on  pré- 
sentait enfin  des  chiffres  corrects,  montrant  que  si  Ton  avait 
mis  le  projet  k  exécution  il  aurait  coûté  chaque  année  aux 
contribuables  £  203.6  s.  7d.  Les  constructeurs  municipaux 
n'essayèrent  pas  de  combattre  sérieusement  les  comptes 
ainsi  corrigés,  et  le  projet  fut  abandonné.  » 

On  trouve  dans  les  comptes  annuels  des  maisons  pos- 
sédées par  la  corporation  de  Birmingham  et  exploitées  par 
son  Estâtes  Commiltee  un  autre  exemple  de  cette  méthode 
de  comptabilité. 

Depuis  de  longues  années,  TEstates  Committee  publie 
des  comptes  où  il  n*est  jamais  question  de  la  valeur  du 
terrain  sur  lequel  les  maisons  s'élèvent.  Au  bas  de  la  page 
se  trouve  simplement  une  petite  note  disant  que  la  balance 
créditrice  équivaut  à  une  «  ground  rent  »  de  tant  par  yard  : 
mais  sans  mentionner  ce  que  le  terrain  coûte  à  la  corpora- 
tion. A  la  séance  du  7  mai  1901,  un  conseiller  demanda 
combien  le  terrain  avait  coûté.  Après  bien  des  difiicultés  on 
finit  par  obtenir  les  chiffres  demandés  et  les  calculs  furent 
refaits;  l'enquête  eut  pour  résultat  d'informer  pour  la 
première  fois  le  public  que  les  maisons  ouvrières  de  Bir- 
mingham, sur  lesquelles  on  avait  jusque-là  cru  faiie  un 


LES   HABITATIONS   OUVRIERES 


283 


profit,  constituaient  on  réalité  une  charge  pour  les  impôts. 
Et  M.  Nettlefold  corrige  comme  suit  les  comptes  de  la  cor- 
poration: 


Ryder  Street . . . 
22  cottages 


Milk  Siref^X 

61  cottages 


Comptes  du 

Comité  ne  tenant 

pas  compte  du 

coût  des  terrains 

Balance  créditrice 


£83     1s.     5  d. 

(Balance  débitrice] 
UO  10        2 


Comptes 
complets   tenant 

compte  du 
coût  des  terrains 

Bilance  débitrice 


£   153     3s.  7  d 
383  19      2 


Chnrge 

qui  retombe 

sur  les 

impôts  par  logis 

et 

par  semaine 


2  s.    8  d. 


Le  déficit  des  maisons  de  Milk  Street  dans  les  deux  sys- 
tèmes est  en  grande  partie  dû  à  des  réparations  qui  sem- 
blent justifier  les  plaintes  qu'on  n'a  pas  cessé  d'élever 
contre  la  main-d'œuvre  et  les  matériaux  employés  dans  la 
construction  de  ces  maisons. 

Il  semble  que  la  municipalité  de  Birmingham  commence 
à  se  rendre  compte  qu'elle  a  fait  fausse  route  ;  aussi  déclare- 
t-elle  à  présent  qu'elle  a  seulement  voulu  montrer  à  l'en- 
treprise privée  ce  qu'on  pouvait  et  ce  qu'il  fallait  faire, 
faire  voir  quel  était  le  genre  de  construction  à  la  fois  le 
plus  économique  et  le  plus  hygiénique.  En  réalité,  elle  ne 
veut  plus  construire  parce  qu'elle  s'aperçoit  qu'elle  perd 
de  l'argent  et  qu'elle  voit  que  les  maisons  qu'elle  pourrait 
bâtir  maintenant  coûteraient  plus  cher  que  les  anciennes 
par  suite  de  l'augmentation  du  prix  de  la  main-d'œuvre  et 
de  celui  des  matériaux. 

Aussi  cherche -t-elle  plutôt  à  rendre  habitables  les  mai- 
sons vieilles  ou  en  mauvais  état  en  demandant  au  «  magis- 
trate  »  (justice  of  the  peace)  ce  qu'on  appelle  un  «closing 


284  PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  XI 

order».  Ordre  est  donné  au  propriétaire,  sous  peine  de 
voir  fermer  sa  maison,  d'exécuter  dans  un  délai  donné,  les 
réparations  que  l'autorité  municipale  juge  nécessaires.  Si 
les  maisons  sont  trop  serrées  et  se  cachent  réciproquement 
Tair  et  la  lumière  et  que  les  locataires  des  maisons  de 
derrière  n'aient  accès  à  leurs  demeures  que  par  un  étroit 
et  obscur  tunnel  qui  passe  sous  la  maison  de  devant,  on 
abattra  cette  dernière  pour  donner  du  jour  aux  maisons  de 
derrière.  La  municipalité  ne  paiera  même  qu'une  indemnité 
minime  en  ce  cas,  la  destruction  d'une  maison  donnant  de 
la  valeur  aux  autres  en  les  rendant  habitables  et  en  per- 
mettant de  ne  pas  prendre  à  leur  égard  de  closing  order.  La 
procédure  du  closing  order  est  très  rapide  et  ne  demande 
aucun  délai. 

De  janvier  1902  à  juin  1905,  l'œuvre  du  Birmingham  City 
Oouncil  Housing  Department  se  résume  ainsi  (1)  : 

Maisons  déclarées  inhabitables 2.363 

Maisons  rendues  habitables 560 

Maisons  en  réparation 283 

Maisons  démolies 258 

Avertissements  envoyés,    mais  dont  le  délai 

n'est  pas  encore  expiré 1.254 

Closing  orders  obtenus 589 

Dans  ces  dernières  années,  le  Conseil  municipal  de  Bir- 
mingham a  eu  la  sagesse  de  renoncer  à  deux  projets  très 
coûteux  :  ceux  de  Saint  Lawrence's  Parish  et  de  Bordeslev 
Green.  Dans  le  cas  de  Bordesley  Green,  on  avait  acheté  le 
terrain  exprès  pour  bâtir  des  maisons  ouvrières  ;  le  Housing 
Committee  s*opposa  pourtant  dans  son  rapport  à  leur  cons- 
truction (1901).  «  Dans  l'état  actuel  des  finances  de  la  cita, 

(1)  Voir  Nettlefold,  op.  cU,,  p.  45. 


LES    HABITATIONS    OUVRIÈRES  285 

dîsait-il,  le  Comité  juge  tout  à  fait  inopportun  de  se  lancer 
dans  une  vaste  spéculation  de  constructions.  Dans  son  rap- 
port du  18  juinl901.1e  Health  Committee  afipelle  l'attention 
sur  ce  fait  que  tout  le  district  environnant  se  b&tit  rapide- 
ment; il  serait  donc  tout  à  fait  déraisonnable  de  faire  échec 
à  ce  mouvement  par  une  concurrence  municipale.  Les  mai- 
sons que  Ton  construirait  seraient  d'ailleurs  fort  probable- 
ment habitées  par  une  classe  de  personnes  à  laquelle  il  n'est 
aucunement  nécessaire  que  la  municipalité  fournisse  des  lo- 
gements. Les  membres  du  Comité  partagent  sincèrement 
le  désir  de  voir  fournir  aux  classes  ouvrières  des  maisons 
plus  nombreuses  et  mieux  installées  ;  ils  ont  l'intention  de 
faire  tout  ce  qui  sera  en  leur  pouvoir  pour  encourager  les 
particuliers  en  cette  voie.  L'amélioration  des  moyens  de 
communication  obtenue  par  le  percement  de  nouvelles  rues 
et  Textension  du  réseau  des  tramw^ays  pourraient  rendre  de 
grands  services.  La  modification  de  (Quelques  règlements 
relatifs  à  la  construction  des  maisons,  règlements  qui  aug- 
mentent actuellement  le  coût  de  Tédifice  sans  en  augmenter 
Futilité  ou  la  solidité,  seraient  également  fort  utiles. 

«  Pour  ces  raisons,  votre  Comité  recommande  au  Conseil 
de  ne  pas  construire  lui-même  de  maisons  dans  Bordesley 
Green,  mais  d'autoriser  le  Housing  Committee  à  louer  ce 
terrain  à  un  ou  plusieurs  locataires  sérieux  qui,  par  les  ter- 
mes de  leur  contrat»  devront  y  bâtir  des  habitations  ouvriè- 
res, les  maintenir  en  bon  état,  les  réparer  et  veiller  à  ce 
qu'elles  servent  à  Tusage  auquel  on  les  destine,  la  corpora- 
tion se  réservant  le  droit  d'agir  s'il  est  contrevenu  en  quoi 
que  ce  soit  aux  termes  du  contrat.  » 

Le  Conseil  municipal  adopta  cette  recommandation,  et  ce 
faisant  donna  un  exemple  que  l'on  peut  offrir  aux  médita- 
tions des  corporations  qui,  pour  résoudre  la  question,  cher- 


286  PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  XI 

chent  d'autres  moyens  que  ces  spéculatioQs  coûteuses  et 
risquées  que  la  construction  parles  municipalités  implique 
si  souvent. 

Sans  vouloir  nous  étendre  indéfiniment  sur  cette  ques- 
tion, nous  dirons  encore  quelques  mots  de  Manchester, 
chacune  des  grandes  villes  anglaises  offrant  en  cette  matière 
un  intérêt  qui  lui  est  propre  et  une  physionomie  particu- 
lière. 

Manchester. 

A  l'exemple  de  Liverpool,  sa  voisine  et  sa  rivale,  Man- 
chester a  commencé  vers  Tannée  1884  à  s'occuper  des  «in- 
sanitary  areas  »  en  s'appuyant  sur  l'Ârtizans'Dwellings 
Act  de  1875.  Le  taux  élevé  de  la  mortalité  y  était  dû. comme 
dans  les  villes  précédentes,  à  l'extraordinaire  densité  d*une 
population  qui,  dans  des  ruelles  étroites,  des  cours  et  des 
passages  obscurs,  habitait  des  maisons  malsaines.humides 
et  bâties  les  unes  sur  les  autres.  Il  y  variait  en  général  de 
26  à  50  ""/oo  et  atteignait  en  certains  endroits  80  Yoo- 

Le  percement  de  rues  nouvelles  et  la  construction  de 
grandes  stations  de  chemin  de  fer,  entraînant  la  démolition 
de  milliers  de  vieilles  maisons,  n'avait  fait  qu'accroître  le 
mal  (1).  Voulant  absolument  porter  remède  à  la  situation, 
la  corporation  acheta,  en  avril  1891,  TOldham  Road  area, 
d'une  superficie  de  18.269  yards  carrés,  sur  laquelle  s'éle- 
vaient 239  maisons,  renfermant  1.250  personnes.  L'opéra- 
tion coûta  £97.481.  Pende  temps  après  la  municipalité 
faisait  de  même  pour  la  PoUard  Street  area.  La  surface 
dont  il  s'agissait  cette  fois  ne  mesurait  que  5.474  yards  car- 
rés, renfermant  85  maisons  et  396  personnes.  La  dépense 
fut  de  £  9.546. 

(1)  Manchester,    Housing  of  Ihe  Working  Classes^  1899. 


KES    HABITATIONS   OUVRIERES  287 

Les  démolitions  achevées,  la  muaicipalité  reconstruisit 
de  nouvelles  maisons  sur  remplacement  de  anciennes. 
I^e  «  block  »  de  Oldham  Road  se  compose  des  maisons 
hautes  de  cinq  étages,  bâties  sur  un  large  rectangle  de 
4.i02  yards  carrés  de  superficie,  dans  le  genre  des  Victoria 
Square  Dwellings  de  Liverpool.  lies  logis  comprennent  en 
général  deux  chambres,  une  liTing  room  de  174  pieds  car- 
rés et  1.566  pieds  cubes  et  une  chambre  à  coucher  de  108 
pieds  carrés  et  972  pieds  cubes.  La  hauteur  des  plafonds  est 
de  9  pieds.  Ces  habitations  sont  bien  comprises  au  point  de 
vue  hygiénique.  Les  w.  c.  sont  bien  installés,  les  ordures 
ménagères  se  vident  facilement  au  moyen  de  conduites 
spéciales.  Des  compteurs  automatiques  fournissent  le  gaz 
à  volonté.  Les  loyers  varient  de  3  s  6  d.  à  5  s.  par  semaine. 
Une  chambre  seule  se  loue  de  2  s.  6  d.  à  3  s* 

La  construction  de  ces  maisons  a  donné  au  point  de  vue 
sanitaire  de  bons  résultats.  Le  taux  delà  mortalité  a  baissé 
de  39  Yo  sur  l'emplacement  d'Oldham  Road  area,  de 
36  Vo  sur  celui  de  PoUard  Street.  Leur  inconvénient  est 
d'avoir  coûté  fort  cher  à  la  municipalité  qui,  dit  le  Munici- 
pal Year  Book  (édition  de  1906,  p.  494),  n^a  pas  cherché  à 
exécuter  ses  u  rehousing  schemes  »  sur  une  base  commer- 
ciale, mais  a  résolu  de  les  considérer  comme  un  des  actes 
de  la  grande  œuvre  d*amélioration  sanitaire  dont  les  impôts 
doivent  supporter  une  large  part. 

Trouvant  la  procédure  imposée  par  la  première  partie  de 
TAct  de  1890  trop  coûteuse  et  peu  satisfaisante  en  somme, 
la  corporation  résolut  de  s'appuyer  sur  une  section  du  Man- 
chester Corporation  Waterworks  and  Improvement  Act  de 
1 867  ainsi  conçue  (  1  )  : 

(t)  Voir  Times,  21  octobre  1902. 


288  PREMIÈRE    PARTIE.    —     CHAPITRE    XI 

«  Dans  tous  les  cas  où  il  sera  certifié  à  la  corporation 
par  un  inspecteur  des  «  nuisances  »  ou  deux  experts  méde- 
cins qn'uae  maison  ou  partie  d'une  maison  est  impropre 
à  l'habitation,  la  corporation  pourra,  par  un  ordre  affiché 
visiblement  sur  cet  immeuble  ou  partie  do  cet  immeuble, 
déclarer  quMl  est  impropre  à  l'habitation  et  qu'on  ne  doit 
pas,  après  la  date  spécifiée,  continuer  à  Thabiter.  Toute 
personne  qui,  après  la  date  indiquée  dans  l'ordre, louera  ou 
occupera,  ou  contiauera  de  louer  ou  d'occuper,  ou  laissera 
sciemment  occuper  ce  bâtiment,  sera  passible  d'une  amende 
de  £  5  ;  au  cas  où  elle  persévérerait  dans  sa  conduite,  d'une 
amende  de  40  s.  par  jour  ;  si,  toutefois,  après  la  promulga- 
tion de  Tordre,  la  maison  est  réparée  et  remise  en  bon  état, 
la  corporation  pourra  révoquer  son  ordre  qui  cessera  alors 
de  produire  aucun  effet.  » 

A  Taide  de  ces  pouvoirs  la  corporation  a  fait,  depuis 
1885,  fermer  environ  7.432  maisons.  On  en  a  rouvert  3.334 
après  leur  avoir  fait  subir  d'importantes  améliorations  au 
point  de  vue  de  Taération,  de  la  lumière  et  de  Tinstailatioa 
sanitaire.  Le  propriétaire  supporte  dans  son  entier  le  coût 
des  améliorations  à  exécuter  pour  que  la  corporation  retire 
son  closing  order.  Dans  quelques  cas  il  a  fallu,  pour  rendre 
habitable  un  groupe  de  maisons,  en  démolir  une  sur  trois  ; 
le  terrain  occupé  par  la  maison  démolie  reste  libre  ou  sert 
de  cour  aux  maisons  avoisinantes.  Là  où  le  fait  s'est  produit 
la  corporation  a  accordé  une  indemnité  de  £  15  pour  cha- 
que maison  qu'on  démolissait,  et  le  montant  des  sommes 
payées  pour  l'exécution  des  améliorations  considérables 
qu'on  a  exécutées  ne  s'élève  qu'au  modeste  total  de  £ 
25.000. 

Manchester  nous   offre  donc,   dit  le  Times,  Texcellent 
exemple  d'une  ville  où  la  municipalité  a  fait    beaucoup 


LES   HABITATIONS   OUYBIERES  28g 

d*ouvrage  pour  relativement  peu  d'argent  et  avec  le  mini- 
mum d'intervention  possible. 

On  sait  combien  de  frais  et  de  difficultés  entraine  la  pro- 
cédure qu'impose  la  première  partie  de  FAct  de  1890.  Hull 
a  eu,  la  première  en  Angleterre,  l'ingénieuse  idée  d'utiliser 
la  deuxième  partie  du  même  Act  dans  un  but  pour  lequel 
on  a  généralement  recours  à  la  première  partie.  Bien  que 
la  deuxième  partie  s'applique  aux  habitations   malsaines 
considérées  séparément,   la  corporation  de  Hull  s'est  dit 
qu'en  intentant  simultanément  une  action  contre  chacune 
des  maisons  d'un  groupe  important  d'habitations  insalu- 
bres, on  pourrait  procéder  à  l'assainissement  d*une  surface 
énorme  tout  aussi  effectivement  qu'en  ayant  recours  à  la 
partie  1.  En  2  ans  1/2  la  corporation  démolit,  ou  obtint 
ainsi  des  closing  orders  contre  385  maisons,  s'élevant  en 
cinq  endroits  différents  de  la  ville  et  couvrant  une  super- 
ficie de  15.181  square  yards,  sans  plus  de  dépenses  et  de 
difficultés  que  n'en  entraînent  la  nomination  de  deux  offi- 
ciers sanitaires,  la  préparation  des  plans  et  l'introduction 
des  actions  devant  les  tribunaux  locaux  ;  le  résultat  fut 
tout  aussi  satisfaisant  que  si  la  corporation  avait  eu  recours 
à  la  première  partie  de  l'Act  de  1890  et  s'était  soumise  aux 
formalités  coûteuses  d'une  enquête  du  Local  Government 
Board,  d'un  Provisional  order,  d'un  Spécial  Act  du  Parle- 
ment, peut-être  enfin  d'un  arbitrage.   Second  avantagea 
retenir,  la  corporation  ne  se  trouvant  pas  obligée  de  fournir 
un  logement  aux  gens  qu'elle  avait  expulsés  et  ne  faisant 
d'autre  part  pas  mine  de  vouloir  construire  elle-même,  les 
particuliers  eurent  vite  fait  de  bâtir,  dans  un  rayon  de  un 
mile  du  centre  de  la  ville  et  en  se  conformant  aux  règle- 
ments du  Local  Government  Board,   un  nombre  suffisant 
de  cottages,  d'un  loyer  de  3  s.  9  d.  par  semaine.  Hull  se 

BoTerat  19 


3gO  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE   XI 

débarrassa  de  la  sorte  des  plus  horribles  slums  et  assura 
du  même  coup,  et  sans  peine,  à  sa  population  pauvre,  des 
logements  sains  et  peu  coûteux. 

Nous  ne  pouvons»  avant  de  conclure,  résister  au  désir  de 
rappeler  l'histoire  des  habitations  ouvrières  de  Sheffield  (1). 

La  ville  avait  acheté,  pour  y  élever  des  cottages  qu'elle 
destinait  aux  ouvriers  les  plus  aisés  et  aux  employés,  un 
terrain  situé  dans  ce  qu'on  appelait  autrefois  la  «  residen- 
tial  neighbourhood  o  à  environ  3  miles  du  centre  de  la  ville. 
Mais  ce  terrain  s'étendait  sur  le  flanc  d'une  colline  à  pente 
si  rapide,  qu'après  Tavoir  acheté  la  corporation  s'aperçut 
qu*on  ne  pourrait  l'utiliser  qu'à  la  condition  d'en  acheter 
davantage  et  de  construire  une  route  en  lacets,  allant  de  la 
crête  jusqu'à  la  vallée.  On  naurait,  paraît-il,  choisi  cet 
endroit  précis  pour  y  construire  des  habitations  ouvrières 
qu'à  l'instigation  de  quelques-uns  des  esprits  «  dirigeants  *) 
du  Sheffield  Town  Gouncil  et  pour  provoquer  une  invasion 
démocratique  du  côté  des  plus  riches  domaines  des  habitants 
de  Sheffield.  N*était-ce  pas  un  bon  tour  à  jouer  au  clan  des 
aristocrates  :  «  Let's  us  put  some  up  at  Ranmoor  )>,  aurait 
dit  Tun  des  conseillers  «  and  gie'em  a  turn  ».  Mais  la  cor- 
poration comptait  sans  son  hôte.  Bien  qu'ayant  acquis  le 
terrain  pour  une  somme  relativement  peu  élevée,  elle  fut 
obligée  de  payer  un  bon  prix  le  terrain  supplémentaire 
qu^xigea  la  construction  de  la  route  en  zig-zag  et  condam- 
née à  verser  une  indemnité  considérable  pour  dommage 
causé  aux  propriétés  d'agrément  qui  se  trouvaient  aux  alen- 
tours immédiats  et  diminution  de  leur  valeur  ;  jugement 
que  confirma  en  appel  la  King's  Bench  Division  delà  haute 
cour  de  justice. 

(1)  Voir  Times  y  21  octobre  1902. 


LES    HABITATIONS   OUVRIÈRES  2g  I 

Voilà  comment  réussit  à  Sheffield  la  spéculation  qu*avaît 
faîte  la  corporation  pour  fournir  des  maisons  à  des  gens 
auxquels  les  constructeurs  particuliers  en  auraient  très  bien 
fourni  ;  comment  elle  a  choisi  un  emplacement  si  difficile  et 
si  éloigné  du  centre  des  affaires  que  peu  d'artisans  on  d'em- 
ployés y  voudront  aller  ;  comment  elle  a  finalement  payé  son 
terrain  si  cher  que,  si  elle  ne  veut  pas  perdre  sur  cette  opé- 
ration, elle  devra  fixer  ses  loyers  à  un  prix  notablement 
supérieur  à  celui  que  peuvent  payer  les  personnes  auxquel- 
les elles  destinait  ces  maisons. 

Ces  exemples  suffisent  à  prouver  le  danger  des  entrepri- 
ses municipales.  Nous  n'avons  que  trop  insisté  sur  eux. 
Nous  citerons  simplement  les  noms  des  villes  de  Bath, 
bradford,  Brighton,  Devonport,  Newcastle  on  Tyne,  Not- 
tingham,  Plymouth,  Salford,  en  Angleterre;  d'Aberdeen, 
Edimbourg,  Leith  en  Ecosse,  comme  ceux  des  villes  qui  se 
sont  le  plus  occupées  de  la  construction  des  maisons  ou- 
vrières. 

Nous  voudrions  à  présent  résumer  en  quelques  pages  les 
résultats  de  l'intervention  communale  et  Topinion  de  per- 
sonnes compétentes  en  la  matière.  Nous  avons,  au  commen- 
cement de  ce  chapitre,  exposé  quels  étaient  les  arguments 
favorables  à  l'action  municipale.  Passons,  en  nous  appuyant 
sur  les  faits  que  nous  venons  de  citer,  aux  arguments  invo- 
qués contre  elle. 

Du  premier  argument,  il  a  été  souvent  fait  usage  dans 
les  discussions  politiques.  On  sait  que,  d'après  la  première 
partie  de  l'Act  de  1890  les  autorités  locales  doivent,  lors- 
qu'elles procèdent  à  la  démolition  d'un  grand  nombre  de 
maisons,  fournir  dans  le  voisinage  même  des  logements  aux 
gens  qu'elles  ont  dépossédés,  afin  de  diminuer,  dans  lame- 
sure  du  possible,  les  souffrances  que  provoque  ce  déplace- 


ag3  PREMIÈRE    PARTIS.    —^    CHAPITRE    XI 

méat  forcé.  De  tous  côtés  pourlant,on  entend  répéter  que  les 
locataires  des  nouvelles  maisons  ne  sont  pour  ainsi  dire 
jamais  les  anciens  habitants  des  slums  ;  la  chose  est  par* 
faitement  vraie,  et  la  raison  en  est  double  :  1^  les  nou- 
veaux loyers  sont  trop  chers  pour  ces  misérables  ;  2^  cette 
espèce  de  gens  refuse  d*habiter  dans  des  maisons  conve- 
nables. 

Les  loyers  sont  trop  chers  :  nous  les  avons  vu  s*élever 
presque  partout  à  5  s.  ou  5  8.6  d.  par  semaine  ;  or,  il  n*y  a 
que  des  ouvriers  gagnant  de  30  à  40  s.  qui  puissent  consa- 
crer de  pareilles  sommes  à  leur  logement. 

Aussi  voit-on  les  maisons  municipales  propres,  bien 
aérées  et  pourvues  de  toutes  les  commodités  modernes, 
recherchées,  dès  le  moment  où  on  commence  à  les  cons- 
truire, par  une  classe  de  locataires  tout  autres  que  ceux 
auxquels  on  les  destinait.  Mais  la  municipalité  ne  s'en  plaint 
pas,  tout  au  contraire  ;  elle  n'est  que  trop  contente  d*avoir 
affaire  à  des  gens  propres  et  décents,  payant  régulièrement 
leur  loyer  ;  elle  ne  garde  d'ailleurs  pas  de  gens  sales  et 
tenant  mal  leur  maison;  et  Ton  s'explique  comment  lors- 
qu'à Whitechapel,  par  exemple,  on  offrait  de  jolies  cham- 
bres à  1  s.  6  d.  par  semaine,  les  gens  de  la  plus  basse 
classe  préféraient  payer  4  s,  6  d.  dans  des  taudis  ignobles 
où  il  n'y  avait  ni  portier  soucieux  de  la  propreté,  ni  opi- 
nion publique  réclamant  des  mœurs  régulières. 

Ils  vivent  dans  les  slums  parce  qu'ils  y  jouissent  d'une 
liberté  plus  grande.  Four  eux  la  transition  est  trop  rapide 
des  slums  et  de  leur  désordre  aux  maisons  modèles  et  à 
leurs  règlements  sévères  :  elle  suppose  un  changement  de 
condition  trop  brusque. 

Les  municipalités  cherchent  à  se  justifier  du  haut  prix 
de  leurs  loyers  en  disant  que  si  ce  sont  des  locataires  d'une 


LES    HABITATIONS   OUVRIERES  2g3 

classe  supérieure  qui  viennent  habiter  les  logements  qu'elles 
construisent,  du  moins  ces  derniers  laissent-ils  aux  anciens 

habitants  des  slums  les  habitations  qu'ils  viennent  eux- 

• 

mêmes  de  quitter  et  qui  valent  certainement  mieux  que  ces 
slums.  La  transformation,  le  passage  d*un  niveau  à  l'autre 
se  produit  alors  par  degrés,  petit  à  petit.  Ce  serait,  suivant 
les  mum'cipalistes,  la  meilleure  manière  de  procéder  à  l'é- 
gard des  misérables.  Quelques  efforts  que  l'on  fasse  et 
quelques  précautions  que  Ton  prenne,  les  dépossédés  ne 
reviennent  jamais  en  grand  nombre  dans  les  nouvelles 
maisons  ;  on  les  chasse  de  taudis  en  taudis,  on  ne  les  loge 
pas. 

Comme  le  disait  Lord  Rosebery  dans  un  discours  qu'il 
prononçait  à  Shoreditch  à  l'inauguration  de  maisons  ou- 
vrières :  ((  Vous  avez  logé  300  familles,  mais  vous  en  avez 
déplacé  bien  davantage  »;  c'est  une  drôle  de  manière  de 
loger  les  pauvres, .  laissait-il  entendre  aux  municipalistes. 
Avec  de  tels  procédés,  plus  on  loge  de  misérables,  plus  il 
s'en  trouve  sans  abri. 

Voilà  les  résultats  qu'on  obtient  au  point  de  vue  loge- 
ment; les  résultats  financiers  ne  laissent  pas  moins  à  dési- 
rer. L*achat  de  terrains  et  la  construction  des  maisons 
coûtent  en  général  excessivement  cher  aux  municipalités 
qui  se  livrent  à  ces  opérations.  Gomme  elles  ne  font  d'autre 
part  pas  payer  dans  son  plein  à  leurs  locataires  la  valeur 
commerciale  des  demeures  qu'ils  occupent  (pour  être  plus 
sûres  de  louer  à  des  ouvriers),  elles  aboutissent  à  leur 
faire  un  véritable  cadeau  dont  les  contribuables  supportent 
finalement  les  frais.  C'est  ainsi  qu'à  Liverpool  (1),  on  loue 
les  chambres  des  maisons  ouvrières  à  33  ""/^  au-dessous  de 
leur  véritable  valeur  commerciale. 

(l)Cf.  Municipal  Trading  lieporl,  1900,  questions  2277,  2293. 


2f)i  PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    XI 

Il  est  vrai  que  le  cadeau  est  parfois  involontaire  ;  aous 
avons  vu  qu  à  Birmingham,  il  fallait  demander  de  l'argent 
aux  impôts,  alors  qu'on  pensait  au  contraire  réaliser  un 
bénéfice  ;  mais  parfois  aussi,  il  est  volontaire  ;  il  faut  alors 
que  le  riche  paye  la  partie  du  loyer  que  le  pauvre  ne  peut 
pas  payer.  C'est  ainsi  qu'à  Staiïord,  le  loyer  des  logis  mu- 
nicipaux ne  devant  pas  dépasser  4  s.  par  semaine,  on  de- 
mandait à  l'impôt  toute  somme  nécessaire  au  service  de 
l'emprunt  et  du  Sinking  fund  et  que  ne  pouvait  couvrir  le 
montant  des  loyers.  Nous  avons  vu  devant  le  Select  Com- 
mittee  de  1900,  M.  Th.  Hughes,  de  Liverpool,  déclarer 
qu'il  était  impossible  de  procéder  à  rétablissement  d'un 
Sinkingfund  pour  les  maisons  ouvrières  sans  recourir  aux 
impôts. 

Il  n'est  pas  étonnant  qu'offrant  un  logis  pour  une  somme 
inférieure  à  sa  valeur  réelle,  les  municipalités  reçoivent  des 
offres  de  personnes  prêtes  à  payer  un  prix  plus  fort  que 
celui  qu'on  en  demande.  Dans  son  discours  de  Shoreditch, 
Lord  Rosebery  a  parlé  <  de  la  sage  discrimination  qu*il 
faut  exercer  pour  refuser  des  locataires  qui  offrent  bien  plus 
que  le  loyer  demandé  par  Tautorité  locale  ».  N*est-il  pas 
à  craindre,  qu'après  avoir  dépensé  par  milliers  de  £  Targent 
des  contribuables  pour  arriver  à  ce  résultat  piquant  de 
louer  des  maisons  au-dessous  de  leur  valeur  commerciale, 
un  pareil  système  n'ouvre  la  voie  à  la  corruption  sous 
toutes  ses  formes  ?  Que  penser  d'un  soûs-comité  chargé  de 
désigner  les  locataires  qui  seront  dignes  d'habiter  telle 
maison  municipale  ?  Est-on  bien  sûr  qu'il  ne  tiendra  pas 
compte  de  leurs  opinions  politiques  ou  religieuses  P  N'est- 
il  pas  à  craindre  que,  par  suite  du  groupement  des  mai- 
sons municipales  dans  un  même  quartier,  on  n'arrive,  par 
un  ((  sage  discrimination  *>,  à  grouper  les  bons  électeurs  ? 


LES   HABITATIONS    OUVRIÈRES  2g5 

Le  jeu  en  vaudrait  la  chandelle.  Et  les  Anglais,  si  fiers  à 
juste  titre  de  Tintégrité  de  leur  administration  locale,  se 
demandent  avec  inquiétude  ce  qui  se  produirait  le  jour  où 
le  système  viendrait  à  se  généraliser  davantage. 

Les  perles  que  subissent  les  municipalités  sur  les  mai- 
sons ouvrières  sont  d'autant  moins  excusables  de  leur  part 
qu'elles  ne  tiennent  pas  toujours  dans  leur  comptabilité 
un  juste  compte  de  la  valeur  des  terrains  sur  lesquels 
elles  ont  bâti  ;  cette  manière  de  procéder  est  très  répandue  ; 
nous  lavons  rencontrée  à  Birmingham,  à  Liverpool  :  nous 
la  retrouvons  à  Londres.  Lorsque  le  LondonCountyCoun- 
cil  paya  £  200.000  remplacement  de  la  brasserie  Reid  pour 
y  construire  des  maisons  qu'il  destinait  aux  personnes 
déplacées  par  le  percement  d*une  nouvelle  rue  allant  du 
Strand  à  Holborn,  il  inscrivit  le  terrain  pour  £  43.000  et 
porta  les  £  135.000  restantes  à  Tlmprovement  Account  (1). 
Demande-t-on  si  les  bâtiments  en  question  payent,  c'est  sur 
la  base  de  £  43.000  qu'on  fera  les  calculs  ;  c'est  un  piège 
pour  qui  n'est  pas  au  courant  du  procédé  ;  c'est  un  désastre 
pur  et  simple  si  l'on  trouve  moyen  d'accuser  des  pertes 
après  avoir  eu  recours  à  un  pareil  artifice. 

Cette  façon  détenir  la  comptabilité  municipale  constitue 
Tune  des  supériorités,  peu  enviable  d'ailleurs,  que  possè- 
lient  sur  les  particuliers  les  autorités  locales  ;  à  d'autres 
points  de  vue,  au  contraire,  la  situation  de  ces  dernières 
est  moins  bonne  que  celle  des  particuliers,  il  leur  faut,  en 
efTet  obtenir  pour  leurs  plans  l'approbation  des  autorités 
centrales,  ce  qui  ne  va  pas  toujours  sans  longueurs  et  sans 
difficultés.  C'est  ainsi  qu*un  membre  d'un  Housing  Com- 
mit tee  écrivait  : 

«  Nous  ne  sentons  que  trop  que  l'intervention  du  Local 

(1)  Times,  21  octobre  1902. 


296  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XI 

Goverament  Board  entraîne  d'importants  retards  et  cause 
de  sérieux  inconvénients,  parfois  même  des  pertes  sérieu- 
ses. Je  puis  citer  tel  cas  où  nos  plans  étaient  prêts,  où,  en 
nous  mettant  à  Tœuvre  sur-le-champ,  nous  aurions  pu  bâ- 
tir nos  maisons  pour  tel  prix.  Le  Local  Government  Board 
nous  a  fait  attendre  plusieurs  mois  son  autorisation  ;  durant 
ce  temps  le  prix  des  matériaux  a  considérablement  aug- 
menté ;  tous  nos  devis  et  tous  nos  plans  se  sont  trouvés 
renversés.  » 

A  Tinconvénient  des  lenteurs  administratives  viendront 
encore  s'ajouter  les  inspirations  parfois  malheureuses  des 
fonctionnaires  municipaux  qui,  par  gloriole  et  pour  faire 
parler  d'eux,  voudront  faire  quelque  chose  de  bien  ou  de 
joli  et  feront  ajouter  aux  maisons  toutes  sortes  de  déco- 
rations et  d'ornements  qu'une  compagnie  bien  dirigée 
mettrait  soigneusement  de  côté.  Est-ce  un  a  municipal 
Works  department  »  qu'on  charge  de  la  construction  des 
maisons,  il  faut  s'attendre  à  voir  les  maçons  et  tous  les 
ouvriers  en  général  travailler  plus  lentement  qu'ils  ne  le 
feraient  au  service  d'un  entrepreneur  particulier  et  à  voir 
les  frais  de  toutes  sortes  atteindre  des  chiffres  bien  supé- 
rieurs. Il  n'en  peut  d'ailleurs  être  autrement.  Il  y  aura  for- 
cément des  périodes  où  le  «  works  department  »  n'aura  rien 
ou  presque  rien  à  faire,  puisqu'il  ne  peut  travailler  que 
pour  la  municipalité,  et  non  pas,  comme  un  particulier, 
pour  le  premier  capitaliste  venu  ;  dans  ces  moments  d'oi- 
siveté involontaire,  la  dépense  n'en  marchera  pas  moins. 
Lorsqu'il  aura  de  Touvrage,  ses  frais  seront  plus  élevés  dans 
ce  cas  encore,  parce  que  les  salaires  qu'il  payera  seront  gé- 
néralement plus  haut,  les  heures  de  travail  plus  courtes  et 
que  la  discipline  sera  moins  stricte. 

Enfin,  remarque  importante  à  faire,  l'autorité  locale  en 


LES   HABITATIONS   OUYRIiSRES  'IQJ 

question  jouera  le  double  rôle  d'inspecteur  el  d'inspecté  ; 
la  qualité  de  Touvrage  ne  pourra  qu'y  perdre,  le  coût  en 
augmentera  ;  caries  ingénieurs  municipaux,  les  inspecteurs 
sanitaires  et  employés  aux  travaux  auront  tendance  à  ne 
pas  relever  les  fautes  des  architectes,  constructeurs  et  plom- 
biers municipaux  avec  autant  de  soin  et  de  promptitude 
qu'ils  le  feraient  s'il  s'agissait  d'une  entreprise  privée. 

L'autorité  locale  confie-t-elle  au  contraire  à  un  entrepre- 
neur l'exécution  de  ses  travaux  (1),  ce  dernier  les  lui  fera 
payer  plus  cher  qu'à  une  Compagnie  ou  un  particulier, 
pour  cette  raison  qu'on  l'obligera  à  souscrire  à  des  condi- 
tions de  tous  genres,  relatives  soit  au  travail  des  ouvriers, 
soit  au  choix  des  matériaux,  et  que  toutes  ces  restrictions 
augmenteront  forcément  ses  frais. 

Pour  couvrir  ces  dépenses  généralement  considérables, 
les  municipalités  sont  obligées  de  demander  des  loyers  qui 
dépassent  de  beaucoup  les  moyens  de  la  classe  pauvre. 
Rien  ne  montre  mieux  l'ironie  de  la  situation  qu'une  péti- 
tion adressée  en  septembre  1901  au  London  Counly  Coun- 
cil,  pétition  dont  les  signataires  demandaient  pour  tous  les 
employés  de  ce  corps  un  salaire  minimum  de  30  s.  par  se- 
maine ;  cette  somme,  disaient-ils  en  substance,  est  la  plus 
basse  qu'on  puisse  regardera  Londres  comme  un  <«  living 
wage  »,  puisque  toute  personne  qui  en  reçoit  une  moin- 
dre ne  peut  se  loger  dans  les  habitations  qu  a  élevées  le 
Conseil  pour  les  pauvres  de  la  métropole. 

An  cas  où  la  construction  municipale  viendrait  à  se  gé- 
néraliser, on  aurait  en  outre  de  fortes  chances  de  ne  plus 
trouver  de  maisons  bâties  suivant  un  plan  qui  vous  con- 
vienne et  répondant  à  vos  désirs.  On  nous  dira  sans  doute 
que  les  municipalités  se  sont  bien  acquittées  de  la  fourni- 

(1)  Times,  21  octobre,  1902. 


^g8  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XI 

ture  de  Teau  et  du  gaz  ;  mais  la  qualité  de  Peau  et  du  gaz 
fournis  dans  un  même  endroit  est  partout  la  même  ;  en  fait 
de  maisons^  il  en  faut  non  seulement  de  tous  les  modèles, 
mais  il  en  faut  sans  cesse  bâtir  sur  des  modèles  nouveaux. 
Il  est  fort  probable  que,  du  jour  où  une  municipalité  serait 
seule  à  construire  des  maisons,  elle  s*en  tiendrait  à  un  ou 
deux  types  et  n* écouterait  plus  ni  les  conseils,  ni  les  de* 
mandes  que  les  particuliers  pourraient  lui  adresser. 

Actuellement,  le  plus  grave  inconvénient  de  Tactioa  mu- 
nicipale est  qu'elle  tue  Taction  individuelle.  Toute  maison 
que  bâtit  Tautoritc,  dit  M.  Nettlefold,  arrête  la  construction 
d'au  moins  quatre  maisons  que  bâtiraient  les  particuliers  ; 
Birmingham  en  est  un  exemple.  Le  dépôt  du  projet  de  Bor- 
desley  Green  eut  pour  effet  immédiat  d'arrêter  de  vastes 
opérations  de  construction  qu*on  avait  jusque  là  poussées 
activement  dans  ce  voisinage.  Quand  le  Conseil  municipal 
eut  abandonné  le  projet  de  Potter  Street  et  renoncé  à  cons- 
truire des  logements  dans  le  centre  de  la  cité,  deux  autres 
projets,  dus  à  l'initiative  particulière,  furent  aussitôt  mis  à 
exécution,  qui  en  fournirent  à  la  classe  ouvrière  un  nombre 
bien  plus  considérable.  Les  mêmes  faits  se  sont  produits  à 
Londres  et  dans  d'autres  villes.  Tout  ce  qu'a  fait  à  Londres 
l'entreprise  particulière,  on  le  doit  à  des  Compagnies  ou  à 
des  trusts  dont  la  fondation  est  antérieure  à  la  création  du 
liOndon  County  (1889)  ;  depuis  la  création  de  ce  corps,  il 
ne  s'en  forme  pour  ainsi  dire  plus. 

Or  les  quelques  maisons  que  peut  bâtir  une  autorité  locale 
ne  sont  qu'une  goutte  d'eau  dans  l'innombrable  océan  de 
logements  dont  a  besoin  toute  communauté  tant  soit  peu 
importante  ;  généraliser  la  construction  en  régie,  c'est  ris- 
quer de  tuer  l'action  individuelle  par  la  peur  que  lui  inspire 
une  concurrence  dont  l'impôt  paye  les  frais. 


LES  HABITATIONS   OUVRIÈRES  2()9 

Les  principaux  membres  du  parti  socialiste  anglais  de- 
mandent la  construction  de  maisons  ouvrières  par  les  mu- 
nicipalités et  la  mettent  à  leur  programme  au  moment  même 
où  plusieurs  des  grandes  villes  à  tendances  miinicipalis tes, 
telles  que  Birmingham  et  Manchester,  seniblent  vouloir  y 
renoncer. 

Il  est  vrai  que  pour  eux  la  question  n*est  pas  de  savoir  si 
l'action  municipale  n'est  qu'une  ressource  dernière,  à  la- 
quelle on  ne  recourt  que  pour  réaliser  ce  que  Teffort  indé- 
pendant ne  veut  pas  ou  ne  peut  pas  (aire  ;  la  question  est 
de  savoir  s'il  faut  actuellement  substituer  l'action  munici- 
pale à  l'action  particulière.  La  communauté  a  besoin  de 
maisons  :  c'est  donc  à  elle  de  les  fournir,  à  elle  de  les  pos- 
séder. La  communauté  sera  propriétaire  des  habitations 
comme  elle  le  sera  de  tous  les  moyens  de  production  ;  elle 
ne  deviendra  pas  seulement  l'employeur  universel»  elle  sera 
le  propriétaire  foncier  universel. 

On  ne  voit  pas  très  clairement  l'avantage  qu'il  y  aurait  à 
payer  son  loyer  à  la  municipalité  plutôt  qu'à  un  propriétaire 
quelconque  ;  car  les  municipalités  n*ont,  bien  entendu,  pas 
la  moindre  intention  de  nous  loger  gratuitement. 

Dans  son  livre  :  Common  sensé  of  Municipal  Trading, 
pamphlet  en  faveur  du  municipalisme  (p.  72),  Bernard 
Shaw  nous  dit  que,  quand  bien  même  une  municipalité 
posséderait  tout  le  terrain  compris  entre  ses  limites,  il  fau- 
drait qu'elle  continue  à  faire  payer  aux  occupants,  y  com- 
pris ses  propres  bureaux,  un  loyer  proportionné  aux  avan- 
tages qu'offriraient  les  locaux  en  question  soit  pour  le 
commerce,  soit  pour  l'habitation  ;  mais  elle  pourrait,  dit-iL 
totaliser  l'ensemble  de  ces  loyers  et  établir  ainsi  sur  une 
base  économique  absolument  saine,  et  moyennant  un  juste 
loyer,  ce  qu'il  appelle  un  «  minimum  moral  de  logement  )> 


300  PREMIÈRE   PARTIE.    —  CHAPITRE   XI 

(a  moral  minimum  of  House  accommodation).  Il  reconnaît 
qu'aujourd*hui  les  municipalités  doivent  fouler  aux  pieds 
tous  les  principes  économiques  en  achetant  la  terre  à  sa 
valeur  réelle  sur  le  marché  et  en  lui  attribuant  dans  leurs 
comptes  une  valeur  purement  Gctive,  le  contribuable  com- 
blant bénévolement  la  différence  qui  existe  entre  cette  valeur 
fictive  et  la  valeur  réelle. 

Il  est  obligé  (p.  73)  de  concéder  à  ses  adversaires  qu'ac- 
tuellement, et  au  point  de  vue  commercial,  on  ne  peut  rien 
attendre  de  ces  projets  de  maisons  ouvrières  ;  mais  il  ter- 
mine  en  déclarant  que,  tant  que  les  municipalités  ne  possé- 
deront pas  toute  la  terre  comprise  entre  leurs  limites  et  ne 
seront  pas  aussi  libres  d'en  disposer  et  de  bâtir  dessus  que 
le  sont  aujourd'hui  les  propriétaires  fonciers,  le  problème 
de  r habitation  ne  recevra  pas  de  solution  satisfaisante. 

Quant  à  Sidney  Webb  (1),  il  note  en  passant  que  ce 
genre  de  socialisme  municipal  qui  consiste  à  loger  les 
pauvres,  conduit  à  faire  absorber  par  les  impôts  une  part 
continuellement  croissante  des  revenus  du  pays  ;  et  il  estime 
que  cette  augmentation  des  impôts  locaux  n'est  qu*une 
forme  inconsciente  de  la  nationalisation  graduelle  du  sol. 

Dans  L'individu  contre  PElat,  Spencer  revient  à  diverses 
reprises  sur  ce  sujet  et  nous  montre  les  maux  qui  peuvent 
résulter  d^une  excessive  réglementation  ou  d'une  trop 
grande  extension  de  l'action  municipale.  «  En  se  faisant 
constructeur  de  maisons,  dit-il  (p.  52),  les  corps  muni- 
cipaux abaissent  inévitablement  la  valeur  des  maisons 
différemment  construites  et  arrêtent  la  construction  d'au- 
tres. Chaque  prescription  touchant  la  manière  de  bâtir  et 
la  disposition  des  logements  diminue  les  profits  du  cons- 

(1)  Cf.  Sidney  Wkbb,  Socialtsm  in  England,  p.  109. 


1 


mmÊÊk 


LES   HABITATIONS    OUVRIERES  3oi 

tructeur  et  le  pousse  à  employer  soa  capital  là  où  ses  pro- 
fits ne  sont  pas  ainsi  diminués.  Qu  arrivera~t-il  néeessai- 
rement  ?  La  construction  des  maisons  et  surtout  de  petites 
maisons  rencontrant  des  difficultés  toujours  plus  nom- 
breuses, l'autorité  locale  sera  encore  sollicitée  davantage  de 
suppléer  à  ce  qui  manque.  Les  corps  municipaux  ou  autres 
auront  à  construire  un  nombre  de  maisons  de  plus  en  plus 
grand  ou  devront  acheter  les  maisons  devenues  invenda- 
bles à  des  particuliers  pour  les  raisons  susdites  ;  ils  auront 
en  réalité  plus  d'avantages  à  acheter  ces  dernières,  vu  la 
grande  diminution  de  leur  valeur,  qu  à  en  construire  de 
nouvelles  »,  .      - 

Et  plus  loin  (p.  81),  revenant  sur  le  même  sujet  de  la  ré- 
glementation et  sur  celui  de  la  destruction  trop  précipitée 
des  «  slums  »,  Spencer  ajoute  :  «  Voyez  ce  que  les  légis- 
lateurs ont  fait  :  par  une  mauvaise  assiette  de  Timpôt,  en 
élevant  le  prix  des  briques  et  du  bois  de  charpente,  ils  ont 
augmenté  les  frais  de  construction  et  poussé  dans  un  but 
d*économie  à  employer  des  matériaux  en  quantité  insuffi- 
sante. Pour  empêcher  TefTet  de  ces  mesures  sur  les  loge- 
mentSy  ils  ont  établi,  à  la  façon  du  moyen-âge,  des  rè- 
glements qui  prescrivaient  ta  qualité  de  la  marchandise 
produite  et  n*ont  pas  songé  qu'en  exigeant  une  qualité  su- 
périeure et  en  augmentant  par  conséquent  le  prix  de  revient, 
ils  limiteraient  la  demande  et  diminueraient  TofFre  dans 
Ta  venir.  En  créant  de  nouvelles  charges  locales,  ils  ont 
récemment  mis  de  nouveaux  obstacles  à  la  construction  de 
petites  maisons.  Enfin,  après  avoir  par  des  mesures  succes- 
sives amené  la  construction  de  maisons  en  mauvais  état  et 
produit  un  manque  de  maisons  plus  confortables,  ils  ont 
remédié  à  l'encombrement  des  habitations  de  pauvres  gens 
en  diminuant  l'espace  qui  déjà  ne  pouvait  les  contenir.  Qui 


3oa  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE  XI 

fandrait-ii  donc  blâmer  des  misères  des  quartiers  pauvres? 
Contre  qui  devraient  s*élever  les  cris  douloureux  des  pros- 
crits  de  Londres  ?  » 

La  construction  par  les  municipalités  des  habitations  ou- 
vrières n'est  pas  seulement  l'un  des  faits  les  plus  intéres- 
sants de  la  tendance  interventionniste  actuelle  :  elle  est  aussi 
Fun  des  plus  instructifs.  Elle  montre  bien  comment  une 
première  mesure  en  entraîne  forcément  une  autre  ;  corn- 
ment  après  avoir  simplement  voulut  réglementer  l'action  des 
particuliers,  Tautorité  publique  en  arrive  bientôt  à  vouloir 
agir  elle-même  ;  et  comment,  malgré  tout,  elle  ne  réalise 
pas  finalement  le  but  qu'elle  s^était  proposé. 


ANxNEXE  AU  CHAPITRE  XI 

LES   MUNICIPAL    LOCGING-HOUSES. 

(Hôtelleries  municipales). 


Parallèlement  à  la  construction  d'habitations  ouvrières, 
quelques  villes  anglaises  ont  entrepris  la  construction  de 
«  model  lodging-houses  »,  c*est-à  dire  d'hôtelleries  munici- 
pales modèles.  Elles  y  ont  été  poussées  par  une  triple  rai- 
son: i^  par  une  pensée  de  pitié  à  l'égard  des  malheureux 
qui  n*ont  pas  de  domicile  fixe  ;  2°  par  une  raison  sanitaire  ; 
3""  par  une  raison  de  police. 

Toute  ville  un  peu  importante  renferme  une  population 
mobile  et  bohème,  vivant  dans  des  garnis  et  des  hôtels 
louches,  refuges  des  vagabonds  et  des  criminels  de  toute 
sorte.  Ces  taudis  sont  le  plus  souvent  aussi  des  foyers  d*in- 
fection  et  de  maladies  contagieuses.  Ils  ont  tout  naturelle- 
ment attiré  l'attention  des  municipalités. 

La  ville  qui  s*est  le  plus  occupée  de  cette  question  est 
Glasgow  (1).  Son  Improvement  Committee,  dont  nous 
avons  déjà  parlé  plus  haut,  ouvrit  les  deux  premières  mo- 
del lodging  houses  en  1870.  Il  le  fit  parce  que  les  entrepri- 
ses privées  de  ce  genre  dépassaient  alors,  parait  il,  en  sa- 
leté, en  puanteur,  en  surpopulation  et  en  immoralité  tout 
ce  qu'on  peut  imaginer.   Des  centaines  de  personnes  des 

(i)  Voir  Huoo,  op.  ciL,  p.  103. 


3o4  ANNEXE   AU    CHAPITRE    XI 

«deux  sexes  dormaient  pêle-mêle,  entassées  dans  des  loge- 
ments obscurs  et  humides.  La  police  ne  s'en  occupait  pas, 
les  autorités  sanitaires  non  plus.  Le  Comité  se  mit  à  l'œu- 
vre et  construisit,  en  1870,  deux  grandes  lodging  houses  : 
depuis  on  en  a  bâti  plusieurs  autres  dans  différentes  parties 
de  la  ville.  La  municipalité  possède  aujourd'hui  sept  lod- 
ging houses  (dont  Tune  réservée  aux  femmes),  qui  peuvent 
ensemble  abriter  chaque  nuit2.166  hommes  et  248  femmes. 
Chaque  personne  qui  s'y  présente  obtient  pour  la  nuit  une 
petite  chambre  séparée;  on  met  en  outre  à  sa  disposition, 
une  grande  cuisine,  un  fourneau  toujours  allumé,  une  salle 
à  manger  et  une  salle  de  récréation  commune.  Ces  maisons 
renferment  des  bains  et  tout  ce  qu'il  faut  pour  laver  des 
vêtements  et  les  faire  sécher.  Le  coût  d'un  lit  varie  de  3  1/2 
d.  pour  les  hommes  et  3  d.  pour  les  femmes  à  6  d.  pour 
24  heures. 

Les  chambres  cubent  dans  les  anciennes  maisons,  331 
pieds,  dans  les  nouvelles  de  412  à  435.  Ces  lodging  houses 
municipales  ont  été,  lors  de  leur  création,  un  véritable  pro- 
grès  et  ont  rendu  d'inappréciables  services  aux  personnes 
de  la  classe  ouvrière  qui  les  utilisent.  Elles  leur  ont  non 
seulement  procuré  un  abri  convenable,  mais  elles  ont  hftté 
la  disparition  des  anciens  garnis  et  montré  ce  qu'on  pourrait 
faire  désormais  dans  ce  genre. 

Au  point  de  vue  de  l'hygiène  publique,  la  création  de  ces 
lodging  houses  n'a  pas  été  moins  utile  ;  elle  a  permis  de 
combattre  les  épidémies  qui  couvaient  sans  cesse  dans  les 
établissements  privés  de  cette  espèce  et  se  propageaient 
parmi  la  classe  qui  les  fréquentait. 

D'après  les  comptes  de  Tannée  1904-1905,  les  résultats 
financiers  de  cette  entreprise  ne  sont  pas  mauvais.  Les  re- 
cettes ont  atteint  £  13.281  17  s.  1  d.  et  les  dépenses  d'en- 


LES    MUNICIPAL   LODGING-HOUSES  3o5 

tretien  £  9.236  14  s.  3  d.  Le  bénéfice  net  a  donc  élé  de 
£  4.045  2  s.  10  d.  et,  si  Ton  en  déduit  £  183.6  s.  9  d.  de 
«ground  rents  »  payables  pour  remplacement  de  quatre 
de  ces  lodging  houses,  de  £  3.861  16  s.  1  d.  soit  £  3.  10  s. 
7  3/4  d.  o/o  du  coût  premier  des  terrains  et  des  constructions 
(£  109.343)  ou  £  4.  8  s.  7  d.  «/e  du  chiffre  actuel  que 
Tamortissement  à  réduit  à  £  87.190. 

Tous  ces  garnis  offrent  à  leurs  clients  des  lits  à  diffé^ 
rents  prix.  Ce  sont  les  moins  chers,  ceux  de  3  1/2  d.,  qui 
sont  le  plus  demandés.  Prenons  par  exemple  la  lodging 
house  de  Portugal  Street.  Nous  voyons  qu'en  1904-1905  : 

266  personnes  ont  pris  des  chambres  à6d.  =  £613    0 

51.349                           —  4  1/2=  962  15  11 

25.551                            —  4d.=  425  17    0 

85.420                           —  3  1/2=  1.245  14    2 

Dans  celle  de  Drygate  (lodging  house  pour  hommes 
comme  la  précédente)  : 

6.201  personnes  ont  pris  des  chambres  à  6d.  =  £  155    0    6 
59.643  —  4  1/2  =  1.118    6     1 

59.622  —  3  1/2=      869    9    9 

Dans  celle  de  Moncur  Street  (lodging  house  pour 
femmes)  : 

1.117  personnes  ont  pris  des  chambres  à  6  d.  =  £    27  18  6 

17.602                              —                            4d.  =      293  7  4 

17.548                              —                          3  1/2=      255  18  2 

40.633                             —                           3  d.  =      507  18  3 

Les  lodging  houses  ont  rapporté  : 

En  1900-1901  £4.592  19  s.5  d.  soit  £  4    4    0.       Vo  du  coût  premier 


1901-1902 

4.869    Os.O 

— 

4    9 

0  3/4  Vo 

1902  1903 

5.023  13.     9 

— 

4  11 

10  1/2  o/o 

190:M904 

5.164  12.    0 

— - 

4  16 

2        Vo 

1904-1905 

4.045    2.  10 

— 

3  13 

113/4»/, 

Bovcrat 

20 


3o6  ANNEXE    AU    CHAPITRE    XI 

En  1894-1895  le  bénéfice  s'élevait  à  £  5.539  et  représen- 
tait un  intérêt  sur  le  capital  engagé  de  5.35  Vo> 

L'exemple  donné  par  la  corporation  fut  suivi  par  les  parti- 
culiers qui  ont  b&ti  de  nombreuses  maisons  de  ce  genre.  Les 
lodging  houses  municipales  sont  pourtant  plus  pleines  que 
jamais,  et  Ton  y  rencontre  beaucoup  d'hommes  qui  pour- 
raient et  devraient  avoir  des  logis  bien  autrement  confortii- 
bles. 

((  Beaucoup  d'ouvriei;s«  dit  le  Times  (1),  considèrent  les 
lodging  houses  comme  un  refuge,  à  Tégard  de  femmes  qu*ils 
désirent  quitter  ;  ils  s'y  font  inscrire  sous  de  faux  noms 
pour  qu'elles  ne  puissent  pas  les  y  découvrir.  11  en  est 
d'autres  qui,  gagnant  de  bons  salaires,  cherchent  à  réduire 
à  son  minimum  le  coût  de  Texistence,  afin  de  dépenser  au 
cabaret  le  plus  d'argent  qu'ils  peuvent.  Beaucoup  de  raisons 
portent  à  croire  que  le  problème  de  l'habitation  à  Glasgow, 
comme  dans  d'autres  villes,  se  lie  étroitement  à  celui  de  la 
boisson.  » 

Ces  sept  lodging  houses  n'acceptant  que  des  hommes  et 
des  femmes  sans  enfants,  excluent  précisément  la  classe  qui 
mérite  le  plus  d'être  aidée  ;  celle  des  veufs  et  des  veuves 
avec  enfants  en  bas  âge  que  leur  métier  oblige  à  rester  ab- 
sents  toute  la  journée.  Aussi,  l'Improvement  Committee  ré- 
solut-il de  créer  en  1895  une  maison  qui  répondit  à  ce 
besoin,  un  «  municipal  family  home  »,  et  de  louer  des 
chambres  à  des  familles. 

Le  nouveau  bâtiment  fut  inauguré  en  mars  1896  11  con- 
tient 160  chambres,  une  salle  à  manger,  une  salle  de  récréa- 
tion, une  cuisine  et  une  crèche.  Le  terrain  et  les  bâtiments 
ont  coûté  £  17.000  pour  160  personnes,  soit  environ  £  106 

(1)  Times,  30  septembre  1902. 


LES   MUNICIPAL   LODGING*HOU8ES  307 

par  tète.  Les  chambres  ont  une  superGcie  de  13  pieds  sur 
8  et  une  hauteur  de  10  1/2  à  12  suivant  l'étage  (1).  Le  mo- 
bilier des  chambres  comprend  un  lit  de  fer,  un  matelas  de 
crin  et  un  matelas  de  plume,  un  lit  d^enfant  en  fer,  une 
petite  commode^  une  table,  deux  chaises,  et  un  miroir.  Les 
chambres  sont  éclairées  à  Télectricité  et  chauffées  au  moyen 
d'un  calorifère  à  eau  chaude. 

Le  prix  de  pension  pour  un  veuf  et  un  enfant  est  de 

7  s  4  d.  par  semaine 


Pour  un  veuf  et  deux  enfants. 

—  et  trois  enfants. 

—  et  quatre    enfants 

—  et  cinq  enfants. 


8/8 

9/6 

H/6 

13/6 


Ce  tarif  comprend  le  logement  seulement  pour  les  hom- 
mes, le  logement  et  la  pension  pour  les  enfants.  Le  tarif  de 
la  pension  pour  les  adultes  est  le  suivant  ;  déjeûner  du  ma- 
tin 2  1/2  d.  ;  dîner  4  d.  ;  thé  3  d.  Le  family  home  fournit 
des  «  nurses  >  sans  paiement  supplémentaire.  Les  enfants 
sont  ainsi  surveillés  pendant  ia  journée,  peuvent  jouer  et 
dormir  dans  des  locaux  spéciaux.  Les  locataires  peuvent 
eux-mêmes  préparer  leur  repas  dans  la  cuisine  commune 
et  le  manger  ensuite  dans  la  salle  à  manger,  ou  bien  le  faire 
cuire  moyennant  payement  d'une  somme  insignifiante.  Le 
nombre  moyen  des  habitants  du  home,  d'après  un  calcul 
fait  sur  une  période  de  trois  mois  en  1905,  était  de  240. 

Cette  institution  part  d'une  excellente  intention  et  rend 
certainement  de  grands  services  à  une  classe  de  gens  par- 
ticulièrement intéressante.  Sa  principale  utilité  réside  en 
ceci  que  les  enfants,  au  lieu  d'être  abandonnés  à  eux-mêmes 
en  Tabsence  du  père  et  de  la  mère,  se  trouvent  toute  la  jour- 

(i)  Municipal  Year  Book.  Edition  1906,  p.  486. 


3o8  ANNEXE    AU    CHAPITRE    XI 

née  sous  la  direction  de  femmes  qui  les  surveillent  et  les 
instruisent  même.  C'est  d'ailleurs,  par  le  but  qu'elle  se  pro- 
pose tout  au  moins,  une  institution  d'assistance  bien  plus 
qu'une  entreprise  commerciale  ;  elle  sort  un  peu  des  limites 
de  notre  sujet  :  mais  il  était  intéressant  de  la  signaler.  De 
même  que  les  autres  lodging  bouses,  le  family  bome  n'est 
pas  occupé  par  les  plus  pauvres  des  pauvres,  mais  renferme 
fréquemment  des  personnes  gagnant  des  salaires  assez 
élevés. 

Dès  1853,  c'est-à-dire  longtemps  avant  Glasgow,  Uud- 
dersfield  avait  bâti  une  modellodging  bouse  qui  lui  avait 
coûté  £  5.000  et  qui  se  divisait  en  trois  sections,  réservées 
la  première  aux  bommes,  la  seconde  aux  femmes,  la  troi- 
sième aux  gens  mariés.  L'établissement  fut  agrandi  en 
1878.  Les  hommes  payent  3  d.,  les  femmes  5  d.,  les  mé- 
nages 6  d.  Il  renferme  163  lits  pour  les  bommes,  12  pour 
les  femmes,  10  pour  les  ménages. 

Parmi  les  autres  villes  qui  possèdent  des  lodging  bouses, 
nous  pouvons  citer  Aberdeen  (avec  252  lits)  ;  Belfast  (222)  : 
Croydon  (101)  ;  Darvven  (130)  ;  Lancaster  (99)  ;  Leith 
(200)  ;  Manchester  (363)  ;  Salford  (285)  ;  Soutbampton 
(186).  Les  prix  sont  généralement  plus  élevés  qu'à  Glasgow, 
mais  ne  dépassent  jamais  6.  d.  Londres  a  également  une 
lodging  bouse  à  Parker  Street  (224  lits).  D'après  le  Muni- 
cipal Year  Book  (p.  485,  édit.  1906),  le  coût  d'établisse- 
ment de  ces  lodging  bouses  varie  de  £  37  à  71  par  personne 
que  l'on  veut  y  loger. 

Dans  certaines  villes  comme  Glasgow,  les  lodging  bou- 
ses donnent  un  bénéfice  ;  dans  d'autres,  elles  sont  au  con- 
traire un  fardeau  pour  les  impôts. 


497 

990 

985 

931 

386 

458 

1.023 



1.134 

4.333 



4.451 

2-020 

__ 

2.602 

LES   MUNICIPAL   LODGING-HOUSGS  3o9 

A  Belfast  les  receltes  atteignent  £  1.713  les  dép.  £  1.730 

Darwen  — 

Huddersfîeld  — 

l!ancaster  — 

Leitli  — 

Manchester  — 

Salford  — 

Il  existe  encore  des  lodging  houses  à  Blackburn,  Bury, 
Paîsley  et  Perth. 

Comme  nous  le  disions  tout  à  Theure,  les  municipalités 
ont  eu  d'excellentes  raisons  pour  s'occuper  des  lodging 
houses  ;  elles  ont  établi  des  modèles  intéressants  et  donné 
aux  particuliers  un  bon  exemple.  Peut-être  auraient-elles 
pu  s'en  tenir  à  une  ou  deux  constructions  chacune,  au  lieu 
d'en  bâtir  sept  comme  Glasgow  qui,  selon  son  habitude,  a 
cherché  à  transformer  ce  service  d'assistance  en  une  en- 
treprise commerciale  ordinaire. 


CHAPITRE  XII 


LES  BAINS  ET  LAVOIRS  MUNICIPAUX 


Le  premier  Act  relatif  aux  Bains  publics  et  lavoirs  re- 
monte à  1846  ;  il  avait  pour  but  d'encourager  et  de  faciliter 
leur  établissement  :  il  y  a  pleinement  réussi  et  le  Municipal 
Vear  Book  de  i9QQ  donne  les  noms  de  225  villes  exploi- 
tant aujourd'hui  des  établissement  de  bains  municipaux. 
J/Act  de  1846  et  les  mesures  complémentaires  qu^on  a 
votées  depuis  font  partie  de  la  série  des  Adoptive  Acts. 
c'est-à-dire  des  lois  que  les  municipalités  peuvent  à  leur  gré 
adopter  ou  ne  pas  adopter. 

L' Act  de  1878  autorise  la  construction  de  piscines  cou- 
vertes et  la  fermeture  des  bains  pour  les  cinq  mois  d'hi- 
ver ;  durant  ce  temps,  les  bains  peuvent  être  transformés 
en  gymnases  ou  lieux  de  récréation,  et  d'après  TAmending 
Act  de  1899,  on  peut  même,  après  autorisation,  s'en  servir 
comme  salle  de  concert  ou  salle  de  bal.  En  vertu  de  TAct 
de  1882,  l'autorité  locale  peut  également  acquérir  ou  louer 
des  bains  qui,  bien  que  n'étant  pas  à  l'intérieur  des  limi- 
tes du  bourg  ou  de  la  paroisse,  en  sont  dans  le  voisinage 
immédiat;  mais  elle  ne  doit  pas,  en  établissant  ses  tarifs, 
dépasser  ceux  qu*ont  fixés  les  lois  de  1847  et  1879. 

Il  n'y  a  d'ailleurs  pas  qu'en  Angleterre  qu'on  rencontre 
des  établissements  de  bains  municipaux  ;  on  en  trouve  aux 
Etats-Unis,  en  Allemagne,  et  même  on  France,  où  la  ville 


LG8    BAINS    ET   LAVOIRS    MUNICIPAUX  3ll 

de   Paris^a  depuis  1896,  ouvert  plusieurs  piscines  publi- 
ques (I). 

L'histoire  des  bains  nous  montre  très  clairement  com- 
ment un  servi'^e,  qui  n'avait  rien  de  commercial  à  son  ori- 
gine,se  transforme  peu  à  peu  en  ce  que  nos  voisins  appellent 
une  (c  remunerative  undertaking  ».  Nous  allons  le  voir  en 
étudiant  l'histoire  et  la  situation  actuelle  de  quelques  villes 
anglaises. 

La  première  ville  qui  ait  bâti  des  bains  et  des  lavoirs 
est  Liverpool,  et  sa  première  intervention  en  cette  matière 
remonte  à  1842. 

Jusqu^à  la  fm  du  xviii^'  siècle,  Liverpool  n'eut  pas  de 
bains  publics.  En  1794  la  corporation  acheta  pour  £  4.000 
un  établissement  privé  situé  à  l'extrémité  de  New-Quay 
qu'elle  embellit  et  agrandit.  En  1820  ces  bains  disparais- 
sent pour  laisser  la  place  au  Prince's  Dock  ;  en  1822  le 
conseil  décide  à  nouveau  de  pourvoir  aux  besoins  de  la 
population  ;  il  construit  les  bains  de  Saint-Georges 
(St  George*s  Baths)  qu'il  inaugure  en  1828.  Bâtis  sur  un 
mauvais  terrain,  leur  construction  a  coûté  £  24.481  ;  et  leur 
entretien  continue  à  coûter  très  cher  chaque  année.  En  1902, 
la  dépense  totale  qu'ils  avaient  occasionnée  depuis  leur  ori- 
gine s'élevait  à  £  43  659.13  s.  3  d. 

En  mai  1842,  la  corporation  élève  sur  un  terrain  de  Up- 
per  Frederick  Street,  le  premier  établissement  de  bains 
publics  d'Angleterre  auquel  on  ait  annexé  un  lavoir.  En 
1846  elle  renouvelle  cette  expérience  sur  une  plus  grande 
échelle  et  bâtit  dans  Paul  Street  un  établissement  qui  lui 
coûte  £  10.532. 

Eu  mai  1851  elle  ouvre  les  bains  de  Cornwallis  Street. 
En  juin  1853,  elle  inaugure  ceux  de  Margaret  Street,  en 

(1)  Cf.  Stehblin,  Eami  sur  U  socialism'*  municipal,  Ihôso  1901. 


3l2  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    XII 

1872  elle  commence  les  baîas  et  lavoirs  de  Steble  Streel 
qu  elle  ouvre  au  public  en  1874.  En  1877  elle  ouvre  les 
bains  de  Westminster  Road  ;  en  1878  les  bains  et  lavoirs 
de  Lodge  Lane  et  en  1879  ceux  de  Burroughs  Gardens. 

Liverpool  se  trouve  être  alors  la  ville  du  Royaume-Uni 
la  plus  riche  en  établissements  de  ce  genre.  Chacun  de  ses 
districts  a  son  établissement  de  bains  ;  aussi  pendant  16  ans 
n*en  bâtit-elle  point  de  nouveaux. 

£n  1894  le  Baths  Committee  étudie  longuement  la  ques- 
tion de  savoir  s*il  ne  faudrait  pas  fournir  des  bains  en  plein 
air  aux  enfants  pauvres;  ces  enfants  se  baignaient  en  été 
dans  Teau  sale  du  canal  et  les  noyades  y  étaient  fréquentes. 
En  1895  on  inaugure,  tout  à  côté  du  canal  auquel  on  veut 
faire  concurrence,  les  premiers  bains  de  plein  air,  les  Bur- 
lington Street  Baths.  Leur  succès  est  si  considérable  qu'il 
induit  le  conseil  à  construire  trois  autres  établissements  du 
même  genre, inaugurés  :  celui  deGore  Street  en  août  1898, 
celui  de  Green  Lane  en  mars  1899,  celui  de  Mansfield  Street 
en  juin  de  la  même  année.  Les  bains  de  Gore  Street  et  de 
MansHeld  Street  possèdent  des  gymnases  couverts  où  les 
enfants  peuvent  jouer  en  sortant  de  l'eau. 

En  1905,  557.569  enfants  se  sont  baignés  dans  ces  quatre 
établissements.  Durant  la  belle  saison,  le  bain  de  Mansfield 
Street  a  été  réservé  aux  filles  à  onze  reprises  ;  9.898  s'y 
sont  baignées.  Le  plus  grand  nombre  de  garçons  qui  se 
soient  baignés  en  un  seul  jour  atteint  4.  817,  le  22  juin,  à 
Burlington  Street.  En  1902,  ces  bains  gratuits  revenaient 
à  la  corporation  à  0,45  de  penny  chacun. 

En  août  1899,  l'ingénieur  en  chef  des  bains  et  lavoirs 
soumet  au  Baths  Committee  un  rapport  dont  on  Tavait 
chargé  sur  la  création  de  bains  pour  la  classe  pauvre 
(People's  Baths). 


LES    BAINS    ET   LAVOIRS   MUNICIPAUX  3l3 

Le  terme  de  People's  Baths  s'applique  aux  établisse- 
ments employés  exclusivement  aux  soins  de  propreté  et  où 
Ton  donne  principalement  des  bains  par  aspersion  et  par 
pluie  circulaire.  Ils  ne  possèdent  pas  de  piscine  pour  la 
natation.  Le  conseil  acheta  donc  un  terrain  à  Beacon  Street, 
dans  un  quartier  pauvre,  et  qui  convenait  parfaitement  à 
une  expérience  de  ce  genre.  L'établissement  fut  ouvert  le 
1  juillet  1902  ;  il  était  en  Angleterre  le  premier  dans  son 
genre. 

Par  suite  de  l'extension  des  limites  de  la  cité,  le  conseil 
a  résolu  de  construire  dans  Lister  Drive  et  Wavertree  de 
nouveaux  bains  qui  lui  coûtent  les  premiers  £  24.000,  les 
seconds  £  26.000.  L'on  trouve  ainsi  des  bains  publics  mu- 
nicipaux à  peu  près  dans  tous  les  quartiers  de  Liverpool. 

Le  Baths  Gommittee  s*efforce  d'administrer  ses  bains  et 
lavoirs  d'après  des  principes  commerciaux  ;  mais  la  ques- 
tion pécuniaire  cède  naturellement  le  pas  à  la  question 
hygiène  ;  aussi  les  résultats  de  l'exploitation  ne  sont-ils  pas 
des  plus  brillants.  Gomme  le  disait  Sir  Th.  Hughes  (1): 
«  Si  nous  avons  établi  un  grand  nombre  de  bains  publics, 
ce  n'est  ni  dans  l'idée  d'en  retirer  des  bénéfices,  ni  non 
plus  pour  perdre  de  l'argent,  quoique  ce  soit  le  résultat 
auquel  nous  soyons  arrivés.  La  ville  n'a  songé  qu'à  amé- 
liorer l'état  sanitaire  de  ses  citoyens  les  plus  pauvres  et  à 
leur  donner,  notamment  pour  laver  leurs  vêtements  et 
pour  se  laver  eux-mêmes  à  un  prix  infime,  des  facilités 
qu'ils  ne  pourraient  trouver  chez  eux.  Les  prix  ont  été  fixés  si 
bas,  qu'encore  actuellement  ils  ne  paient  pas  les  frais  d'ex- 
ploitation ;  et  quant  aux  frais  de  construction,  c'est  la  cor- 
poration qui  les  a  supportés  sur  ses  ressources  person- 
nelles. )) 

(1)  Municipal  Trading  Report,  1900,  quest.  2261. 


3l4  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE  XII 

Le  comité  des  bains  estime  que  pour  obtenir  que  les  per- 
sonnes appartenant  aux  classes  pauvres  se  baignent  régu- 
lièrement, il  faut  enseigner  aux  enfants  les  avantages  du 
bain.  C'est  à  cette  fin  que,  sans  parler  des  bains  gratuits 
qu*ils  peuvent  prendre  en  plein  air,  l'ensemble  des  enfants 
qui  fréquentent  les  Elementary  Schools  de  la  cité  ont,  du- 
rant les  heures  d'école,  le  libre  usage  des  piscines  dont  l'en- 
trée est  ordinairement  payante.  En  1905,  les  enfants  des 
écoles  ont  pris  ainsi  134.245  bains,  soit  13.116  de  plus 
que  Tannée  précédente. 

L'augmentation  graduelle  du  nombre  des  baigneurs 
payants  montre  Tutilité  qu'il  y  a  à  faire  baigner  les  enfants 
non  seulement  dans  les  établissements  à  ciel  ouvert,  mais 
aussi  dans  les  établissements  payants.  En  1894,  alors  qu'il 
n  y  avait  pas  encore  de  bains  gratuits,  le  nombre  des  bai- 
gneurs payants  n'était  que  de  431.894  ;  en  1905, avec  quatre 
bains  à  ciel  ouvert,  et  les  bains  gratuits  offerts  aux  enfants 
des  écoles,  on  compte  698.211  baigneurs  payants,  soit  une 
augmentation  de  266.317  personnes,  preuve  certaine  que  ce 
n'est  pas  peine  perdue  de  donner  à  la  jeunesse  des  habi- 
tudes  de  propreté.  Les  baigneurs  gratuits  de  1895  forment 
une  partie  des  baigneurs  payants  d'aujourd'hui. 

En  1905,  le  nombre  total  des  bains  pris  dans  les  divers 
établissements  municipaux  s*est  élevé  à  1.396.8i2,  dont 
1.196.175  bains  de  piscine  et  200.667  bains  particuliers; 
c'est  une  augmentation  de  94.064  sur  le  chiffre  de  1904; 
c'est  aussi  le  chiffre  le  plus  haut  qu'on  ait  constaté  jus- 
qu'ici. 

Il  y  a  60  clubs  de  natation  pour  les  hommes,  36  pour 
les  femmes  ;  ces  dernières  fréquentent  les  piscines  davan- 
tage chaque  année;  19.061  femmes  se  sont  baignées  en 
1905  dans  la  seule  piscine  de  Gornwallis  Street,  la  plus 
importante  de  celles  qui  leur  sont  réservées. 


LES    BAINS    ET   LAVOIRS   MUNICIPAUX  3l5 

Les  bains  de  piscine  de  première  classe  coûtent  en  gé- 
néral 6  d.  :  ceux  de  seconde  classe  3  d.  Les  bains  particuliers 
consistent  soit  en  bains  de  vapeur  (2  s.  ou  !  s.  suivant  la 
classe)  ;  soit  en  bains  d*eau  de  mer  (1  s.  ou  6  d.),  soit  en 
bains  d'eau  douce  (8  d.  ou  6  d.).  Les  clubs  obtiennent  des 
prix  spéciaux  pour  leurs  membres.  Liverpool  a  eu  la  raison 
de  ne  pas  établir  de  bains  turcs,  ne  voulant  s'occuper  ex- 
clusivement que  de  la  population  pauvre. 

Ces  entreprises  pèchent  malheureusement  par  leurs  ré- 
sultats financiers.  Il  n*est  pas  un  seul  des  établissements 
de  Liverpool  qui  arrive  à  couvrir  ses  dépenses  au  moyen 
de  ses  seules  recettes.  En  190ei,  les  frais  d'exploitation  s'éle- 
vaient à £  14.842   5  s.  5  d. 

et  en  y  ajoutant  les  versements  à  faire 
au  Sinking  Fund  et  le  service  des  in- 
térêts à £    19.405     H      9 

les  recettes  n'étant  que  de     ....       £     9.559     15      4 
le  déficit  atteint    ....    '.      £    9.845     16      5 

Il  est  à  peu  de  chose  près  le  même  tous  les  ans. 

Lavoirs  publics. 

La  corporation  possède  en  outre  cinq  lavoirs  publics  dont 
trois  sont  annexés  à  des  établissements  de  bains.  Le  plus 
récent  d'entre  eux  a  été  ouvert  en  juillet  1905.  Ils  sont  si- 
tués dans  les  districts  les  plus  pauvres  de  la  cité,  bien  ins- 
tallés, divisés  en  stalles  où  les  femmes  peuvent  commodé- 
ment laver  leur  linge  ;  dans  d'autres  salles  elles  peuvent  le 
faire  sécher  et  le  repasser.  Cinq  mille  familles  environ  blan- 
chissent chaque  semaine  leur  linge  dans  ces  lavoirs.  Mais 
les  statistiques  n'indiquent  pas  de  mouvement  de  progres- 
sion très  marqué,  et  la  situation  reste  plutôt  stationtiaire 


3l6  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XII 

depuis  quelques  années.  En  1901,  le  nombre  des  laveuses 
était  de  188.209  et  les  recettes  s'élevaient  à  £2.  212.  En 
1905  il  n'y  a  plus  que  182. 6S4  laveuses,  et  les  recettes  sont 
descendues  à  £  1.962.  Le  rapport  de  1905  explique  assez 
vaguement  cette  baisse  en  disant  que  trop  de  personnes 
manquent  d*emploi  dans  les  classes  ouvrières. 

Il  semble  que  Liverpool  ait  fait  jusqu*ici  tout  ce  qu*une 
ville  peut  faire  au  point  de  vue  hygiénique  et  sanitaire  dans 
l'intérêt  des  classes  ouvrières.  C'est  une  expérience  qui  lui 
coûte  cher  cependant,  puisqu*après  avoir  dépensé  un  capi 
tal  de  £215.305,  elle  se  trouve  chaque  année  en  déficit  d'une 
somme  de  9.000  à  10.000  £  environ. 

Birmingham. 

Cinq  ans  après  le  vole  de  la  loi  sur  les  bains  de  iBiti, 
c'est  à-dire  en  1851,  Birmingham  décidait  deTadopter.  Elle 
éleva  cette  année  là  dans  Kent  Street  les  premiers  bains 
publics  qu'elle  ait  bâtis  ;  ils  lui  coûtèrent  environ  £  20.000. 
Ce  fut,  parait-il,  un  grand  succès,  et  une  centaine  de  mille 
de  baigneurs  les  fréquentèrent  dès  la  première  année.  En 
1860,  la  corporation  ouvre  un  second  établissement,  celui 
de  Woodcock  Street,  un  troisième  en  1862  à  Norlhwood 
Street  ;  en  1863,  elle  inaugure  un  quatrième  établissement, 
et  le  nombre  des  baigneurs  atteint  bientôt  400.000  par  an. 
Ces  bains  peuvent  servir  tout  Tannée  et  sont  chauffés  durant 
rhiver.  En  1883  on  bàtitlesbainsdeMonument  Road;  puis 
vingt  ans  se  passent  sans  qu'on  fasse  rien  ;  enfin  en  19U2 
on  inaugure  ceux  de  Green  Lane,  à  Small  Heath. 

Il  faut  chercher  la  raison  de  cette  inaction  prolongée  dans 
le  peu  de  succès  qu'avaient  rencontré  les  premiers  efforts 
faits  par  le  Conseil  municipal  pour  encourager  la  propreté 


LES   BAINS    ET   LAVOIRS   MUNICIPAUX  817 

et  Tart  de  la  natatioa.  Les  statistiques  n*étaient  pas  récon- 
fortantes en  efTet;  le  nombre  des  baigneurs  n'augmentait 
plus,  il  diminuait  même  ,  de  445.545  en  1884,  il  descendait 
progressivement  à  318  864  en  1894-1895  pour  remonter  à 
479.633  en  1899-1900.  Ce  n  est  que  dans  les  dernières 
années  que  le  mouvement  ascensionnel  a  repris.  Dans  les 
12  années  qui  vont  de  1851  à  1864,Ies  bains  rapportaient  un 
léger  bénéfice  (à  condition  de  ne  pas  tenir  compte,  à  vrai 
dire,  des  intérêts  du  capital  dépensé).  Actuellement,  l'argent 
versé  par  les  baigneurs  a  depuis  longtemps  cessé  de  couvrir 
les  frais  d'exploitation.  De  1890  à  1900,  la  perte  moyenne 
annuelle  a  été  de  £  3.500  ;  elle  est  bien  plus  considérable 
aujourd'hui. 

«  En  1900,  disait  M.  Vince  {op.  cit. ,  p.  152),  pour  chaque 
ticket  d'entrée  distribué,  le  contribuable  verse  2  1/4  d.  On 
comprend  que  dans  ces  conditions,  le  Conseil  ait  montré 
quelque  répugnance  à  construire  de  nouveaux  établisse* 
ments.  Ce  n'est  qu'après  quinze  ans  de  discussions  et  de 
projets,  qu'il  donna  son  consentement  à  celui  de  Green 
Lane,  ouvert  en  1902.  De  même  que  Liverpool,  Birmingham 
a  installé  des  bains  gratuits  en  plein  air  dans  les  parcs  de 
Cannon  Hill  et  de  Victoria. 

A  Cannon  Hill,  on  comptait  31.565  baigneurs  en  1903, 
41.453  en  1904,  80.565  en  1905.  A  Victoria  Park,  21.144 
en  1903,  30.133  en  1904,  38303  en  1905,  soit  un  total  pour 
1905  de  138.868  baigneurs  de  plein  air. 

De  même  que  Liverpool,  Birmingham  a  voulu  offrir  des 
bains  gratuits  aux  enfants  des  écoles  ;  en  1904-1905,  80.423 
enfants  des  écoles  élémentaires  delà  cité  en  ont  profité  ; 
on  n'en  comptait  que  65.973  l'année  précédente.  La  cor- 
poration  de  Birmingham  est  encore  en  train  de  faire  cons- 
truire des  bains  à  Balsall  Heath,  et  elle  en  pousse  active- 


3l8  PUEMIÈRE  PAUTIE.    CHAPITRE    XII 

ment  la  construction  dans  le  but  de  fournir,  dit  le  Baths 
Comniittee,  de  Touvrage  aux  ouvriers  sans  travail  durant 
l'hiver  (Rapport  du  Baths  Committee  1905,  p.  6). 

Birmingham  a  dépensé  pour  la  construction  de  ses  bains 
un  capital  de  £  129.803.  En  1904-1905,  les  recettes  se  sont 
élevées  à £     7.282     9  3.     1  d. 

Les  dépenses  à  .     .     .     .  15.933     5.        7 

soit  un  déficit  de     ...     .  £    8.650  16  s.     6  d. 

(sont  inclus  dans  le  chiffre  des  dépenses  le  paiement  des 
intérêts  et  les  versements  au  Sinkiag  fund). 

Quelque  intérêt  qu'il  y  ait  à  ce  que  la  population  prenne 
des  habitudes  de  propreté,  il  semble  que  la  ville  prodigue 
un  peu  largent  des  contribuables  en  perdant  £  8.650 dans 
une  entreprise  de  ce  genre. 

Birmingham  n'a  pas  installé  de  lavoirs  municipaux, 
chaque  famille  habitant  en  général  une  petite  maison  sé- 
parée, où  elle  peut  faire  sa  lessive,  et  non  pas  d'immenses 
bâtisses,  communes  à  des  centaines  de  locataires,  comme 
nous  en  avons  rencontré  à  Liverpool  ou  à  Glasgow. 

Glasgow. 

Dès  1862,  la  ville  de  Glasgow  obtint  l'autorisation  d'éta- 
blir des  bains  publics,  et  en  1875,  elle  commença  la  cons- 
truction d'un  premier  établissement  qu'elle  ouvrit  en  1878. 
On  compte  aujourd'hui,  dans  cette  ville,  8  établissements 
de  bains  municipaux  et  6  lavoirs  publics.  Les  bains  y  sont 
excessivement  bon  marché,  et  dans  plusieurs  d'entre  eux,  le 
bain  de  piscine  ne  coûte  que  2  d.  L'installation  des  lavoirs 
est  bien  comprise  ;  pour  une  somme  de  2  d.  la  femme  qui 
vient  y  laver  son  linge  a  à  sa  disposition  un  système  de 
chaudières  perfeclionné,  des  baquets  et  de  l'eau  chaude  et 


LES   BAINS   ET   LAVOIRS    MUNICIPAUX  SlQ 

froide  à  volonté.  La  lessive  faite,  le  linge  est  séché  en  deux 
ou  trois  minutes  au  moyen  de  machines  centrifuges,  puis 
posé  sur  des  cadres  mobiles  qui  remmènent  dans  une 
chambre  à  température  élevée.  Enfin,  si  elle  le  désire,  elle 
peut  se  servir  d*une  large  calandre,  mue  comme  tout  le 
reste  de  la  machinerie  à  la  vapeur  ;  au  bout  d'une  heure, 
elle  rentre  chez  elle  avec  son  panier  d'effets  blanchis,  séchés 
et  repassés. 

Mais,  chose  encore  plus  intéressante  pour  nous,  la  cité 
dirige  dans  chacun  de  ces  établissements  une  blanchisserie 
qui  recrute  sa  clientèle  dans  toutes  les  classes  de  la  société. 
C'est  sans  doute  le  désir  d'atténuer  le  déficit  que  laisse 
chaque  année  l'exploitation  des  bains  et  des  lavoirs  qui  a 
poussé  la  corporation  &  se  lancer  dans  cette  entreprise  ; 
malgré  ses  efforts,  elle  n'y  réussit  guère.  En  1904-1905, 
les  dépenses  des  établissements  de  bains  se  sont  montées  à 
£26.842  18  s.  4d.  et  les  recettes  à  £  16.295  1  s.  4  d., 
laissant  un  déficit  de  £  10.547  17  s.  0  d.  qui  monte  même 
à  £  18.000  si  l'on  tient  compte  du  service  des  intérêts  et 
du  Sinking  fund  qui  s'élève  pour  cette  dernière  année  à 
£7.508.  Glasgow  a  dépensé  pour  la  construction  de  ses 
bains  et  lavoirs  une  somme  totale  de  £  240.960. 

Manchester. 

Manchester  adopta  en  1877  la  loi  sur  les  établissements 
de  bains.  Elle  en  possède  aujourd'hui  dix  et  en  construit 
encore  deux  nouveaux.  On  peut  y  prendre  des  bains  de 
toutes  sortes  :  bains  de  baignoire  ordinaires,  bains  de  pis- 
cine, bains  turcs,  etc.  Les  prix  y  sont  excessivement  bas  :  le 
bain  de  piscine  de  première  classe  coûte  4  d.  pour  les  adul- 
tes, 2  d.  pour  les  garçons  au-dessus  de  14  ans  ;  le  bain  de 


320  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XII 

deuxième  classe,  2  d.  pour  les  adultes  et  1  d.  pour  les 
garçons  au-dessous  de  14  aas.  Le  mercredi,  les  bains  ne 
coûtent  même  que  1  d.  pour  les  hommes,  1/2  d.  pour  les 
enfants.  Manchester  possède  aussi  des  piscines  pour  les 
femmes  ;  le  prix  du  bain  y  varie  de  4  d.  à  1/2  d.  Elle  possède 
enCn  deux  lavoirs  publics,  l'un  à  New-Islington,  l'autre  dans 
Pryme-Stret.  Moyennant  le  paiement  de  1  1/2  d.  pour  une 
heure,  les  femmes  ont  droit  àTusagede  l'eau,  des  baquets, 
des  chaudières,  séchoirs,  calandre  mue  &  la  vapeur,  fers  à 
repasser,  etc. 

La  municipalité  fait  imprimer  des  prospectus  donnant 
l'adresse  de  ces  établissements  de  bains  et  leurs  prix,  avec 
les  heures  d*ouverture  et  de  fermeture,  les  conditions  spé- 
ciales faites  aux  clubs,  aux  écoles,  etc.,  le  nom  du  Superin- 
tendent  gênerai  et  son  n°  de  téléphone.  On  voit  que  la  cor- 
poration désire  qu'on  se  serve  de  ses  bains  et  qu^elle  ne 
reste  pas  inactive.  N*empèche  que,  malgré  tout,  ses  établis- 
sements lui  coûtent  fort  cher  ;  en  1904-1905  les  dépenses  se 
sont  élevées  à £     26.743 

Les  recettes  à 7.051 

Soit  un  déficit  sur  l'exploitation  seule 
de 19.692 

Que  le  service  des  intérêts  et  du  Sin- 

king  fund  s'élevant  à 5.878 

porte  à 25.570 

C'est  tous  les  ans  à  peu  près  la  même  chose  ;  pour 
1906-1907  on  estime  que  le  déficit  se  montera  à  £  22.986. 

Manchester  a,  depuis  1877,  dépensé  pour  la  construction 
de  ses  bains  un  capital  total  de  £  216.565. 

Parmi  les  villes  qui  possèdent  des  établissements  de  bains 
municipaux  et  n'ont  pas  à  se  féliciter  des  résultats  de  leur 


LES    BAINS   BT   LAVOIRS   MUNICIPAUX  331 

exploitation,  nous  pouvons  citer  Battersea  (1)  où  les  dé- 
penses s'élèvent  à  £  15.619  et  les  recettes  £  3.606  ;  capital 
dépensé  £  95.000.  Belfast  :  recettes  £  2.478,  dépenses 
£  7.052,  capital  £  38.350.  Brighton  :  recettes  £  1.923,  dé- 
penses £  4.393,  capital  £  22.205.  Cdimbourg  :  recettes 
£6.147,  dépenses  £  13.061.  capital  £  87.327.  Leeds  :  re- 
cettes £  4.452,  dépenses  £  9.138,  capital  £  114.743.  New- 
castle  upon  Tyne  :  recettes  £  4.452,  dépenses  £  10  348,  capi- 
tal £  35.679.  Oldham  :  recettes  £  2.138,  dépenses  £  6.959, 
capital  £  104.709.  Shoreditch  :  recettes  £  5.130,  dépenses 
£  16.958,  capital  £  149.268,  etc.  (Dans  le  chiffre  des  dé- 
penses sont  comprises  les  sommes  payées  en  intérêts  ou  en 
versements  au  Sinking  fund). 

£n  somme,  on  peut  dire  que  toutes  les  villes  anglaises 
perdent  sur  le  service  des  bains,  lin  rapport  annexé  diU  Mu- 
nicipal Trading  Report  de  1903  et  relatif  aux  «  Reproductive 
undertakings  »  le  constatait  déjà  ;  de  1898  à  1902,  c'est-à- 
dire  durant  quatre  ans,  la  perte  annuelle  moyenne  des  villes 
anglaises  a  été  de  £  124.295. 

Toutes  n'ont  pas  eu  cependant,  pour  excuser  des  dépenses 
et  des  pertes  aussi  considérables,  le  souci  de  Thygiëne  publi- 
que et  de  la  santé  de  leurs  habitants  ;  et  nous  ne  voudrions 
pas  terminer  ce  chapitre  sans  rappeler  l'exemple  d'une  d'en- 
tre elles  qui  n*a  dépensé  des  sommes  importantes  que  dans 
un  esprit  de  lucre  et  de  spéculation  ;  nous  voulons  parler 
d'Harrogate.  Nous  empruntons  les  renseignements  suivants 
au  Municipal  Trading  Reportde  1900  (déposition de  M.  Ward, 
alderman  du  borough  d'Harrogate  et  chairman  du  Baths 
Committee  (p.  202). 

En  1884,  la  ville  d'Harrogate,  qui  venait  de  recevoir  sa 


(t)  Voir  le  Municipal  Year  Book  de  1906. 

Boverat  21 


333  PREMIERE  PARTIE.    —   CHAPITRE   XII 

charte  d'incorporation,  envoya  une  commission  sur  le  con- 
tinent pour  étudier  les  divers  systèmes  de  bains.  Au  cours 
de  son  voyage  en  Europe,  cette  commission  remarqua  que 
le  gouvernement  et  les  autorités  municipales  de  divers  pays 
possédaient  de  vastes  établissements  et  elle  en  fît  part  au 
Conseil  municipal,  lequel  mis  au  courant  de  cet  état  de 
choses,  n*eut  rien  de  plus  pressé  que  de  le  copier  pour  faire 
concurrence  aux  stations  thermales  du  continent.  Il  acheta 
un  terrain  sur  lequel  s'élevait  un  ancien  établissement  de 
bains  connu  sous  le  nom  de  «  Old  Montpellier  Baths  »,  de 
construction  toute  primitive  et  dans  un  état  de  délabrement 
pitoyable  ;  il  le  fit  démolir,  en  construisit  un  nouveau,  les 
Royal  Baths,  magnifique  établissement  qui  lui  coûta 
s:  120.000.  ((  Dans  cet  établissement,  dit  M.  Ward,  nous  ne 
donnons  pas  seulement  des  bains  sulfureux,  mais  encore 
une  grande  variété  de  bains,  comme  on  en  donne  sur  le 
continent,  des  douches,  des  massages,  etc.  ;  des  bains  où 
Ton  combine  les  effets  des  rayons  lumineux  et  des  rayons 
caloriques,  des  bains  de  tourbe,  des  bains  de  couleur  {sic} 
et  d'électricité  (colour  and  electric  baths)  et  tous  les  bains 
spéciaux  de  la  thérapeutique  moderne  (1).  >' 

Comme  il  est  essentiel  d'autre  part,  quand  on  fait  une 
saison  d'eaux  dans  un  endroit  quelconque,  d'y  trouver  des 
distractions,  Ilarrogate  fut  autorisée  à  en  donner  à  ses  bai- 
gneurs :  elle  possède  une  salie  de  concert  et  un  orchestre  de 
tout  premier  ordre  (lirstciass  band;,  qui  joue  le  matin  pour 
les  buveurs  d'eau,  l'après  midi  pour  les  promeneurs  dans 
le  petit  parc  que  possède  la  corporation,  et  le  soir  pour  les 
personnes  qui  fréquentent  la  salle  de  concert  (2). 

«  Nous  avons,  en  outre,  ajoute  M.  Ward,  envoyé  une 

(1)  Municipal  Trading  Report.  Question  2530. 

(2)  Question  2534. 


LES    BAINS    ET   LAVOIRS    MUNICIPAUX  SlS 

députation  sur  le  continent  pour  y  examiner  le  système  des 
Kursaals.et  nous  nous  proposons  d'en  construire  un  qui  coû- 
tera £  35.000,  afin  de  donner  des  distractions  aux  baigneurs 
qui  se  plaignent  de  n'en  avoir  pas  assez.  Les  malades  boivent 
de  Teau  et  prennent  leurs  bains,  mais  demandent  aussi 
qu'on  les  amuse;  puisque  les  particuliers  ne  leur  fournis- 
sent pas  assez  de  distractions,  c'est  à  la  corporation  de  s*en 
cbarger.  » 

La  population  de  Harrogate  a  augmenté  rapidement  ;  elle 
était  de  4.200  habitants  en  1861,  de  13.900  en  1891,  de 
21.000  en  1900,  de  31.000  en  1905  ;  c'est  fort  heureux  pour 
elle,  car  la  dette  du  Borou^h,  qui  s'élevait  en  1900  à 
£  660.000,  s'élève  en  1905  à  £910.000.  Les^sommes  dépen- 
sées pour  la  construction  des  bains  atteignent  £  194.170. 
En  1904-1905  les  recettes  se  montent  à  £23  575,  les  dépen- 
ses à  £  23.626. 

M.  Ward  reconnaît  bien  qu'on  fait  une  perte  sur  les 
bains  (1)  ;  «  mais  notre  situation  est  quelque  peu  singulière, 
dit-il,  c*est  cette  perte  qui  nous  fait  vivre.  Le  bénéfice  que 
retire  indirectement  la  ville  de  Harrogate  du  séjour  qu'y 
font  une  foule  d'étrangers  fait  plus  que  compenser  la  perte 
directe  que  nous  pouvons  faire  sur  l'exploitation  de  nos 
établissements.  En  notre  qualité  de  corporation,  nous  som- 
mes en  état  d'agir  ainsi  ;  il  serait  absolument  impossible  à 
une  Compagnie  d'en  faire  autant,  puisqu'elle  ne  pourrait 
tirer  de  son  exploitation  le  revenu  nécessaire  au  paiement 
de  ses  dividendes.  »  La  perte  qui  résulte  de  l'application  de 
cette  méthode  est  naturellement  comblée  à  Taide  d'un  im- 
pôt dont  le  taux  croit  ou  décroît  suivant  que  le  déficit  est 
plus  ou  moins  considérable. 

(t)  Question  2541. 


324  PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE   XII 

Harrogate  compte  d'ailleurs  parmi  les  municipalités  les 
plus  entreprenantes,  bien  qu'elle  soit  une  ville  de  fondation 
récente.  Elle  a  municipalisé  le  plus  de  services  qu'elle  a  pu 
et  possède,  depuis  1893,  le  droit  de  faire  de  la  réclame,  droit 
qu'on  n'a  que  très  rarement  accordé  aux  municipalités  an- 
glaises. Elle  pose  des  affiches  dans  les  gares  de  chemins 
de  fer,  donne  aux  Compagnies  des  vues  de  la  ville,  pour 
qu'elles  en  ornent  leurs  wagons,  et  met  des  annonces  dans 
les  journaux  et  dans  les  revues  médicales. 

Harrogate  est,  après  bien  d'autres*  un  exemple  frappant 
de  la  légèreté  avec  laquelle  les  petites  villes  anglaises  se 
la  ncent  dans  des  entreprises  municipales  excessivement 
coûteuses  et  sortent  des  fonctions  que  la  loi  assigne  aux 
municipalités  pour  empiéter  sur  un  domaine  que  la  pru- 
dence la  plus  élémentaire  recommande  de  laisser  à  l'action 
individuelle. 

L'institution  des  bains  publics  est  chose  excellente  en 
elle-même,  et  d'un  point  de  vue  hygiénique  on  ne  peutque 
féliciter  les  municipalités  anglaises  des  efforts  qu'elles  ont 
faits. 

Nous  remarquerons  toutefois  avec  le  Times j  que  les  dé- 
penses considérables  qu'a  provoquées  la  construction  des 
piscines  prêtent  à  de  sérieuses  critiques.  La  natation  rentre 
plutôt  dans  le  chapitre  des  sports  que  dans  celui  de  la  santé 
publique.  Bien  que  la  propreté,  et  par  conséquent  les  bains, 
soient  essentiels  à  la  santé,  l'homme  qui  n'est  pas  propre 
en  se  jetant  à  la  piscine  risque  de  contaminer  les  autres  bai- 
gneurs, quelque  bénéfice  qu'il  puisse  dériver  lui-même  de 
son  immersion.  C'est  un  fait  aujourd'hui  établi  qu'à  peu 
d  exceptions  près  les  piscines  municipales  entraînent  une 
perte  annuelle  ;  puisqu'il  en  est  ainsi,  il  faut  bien  se  deman- 
der si  les  autorités  locales  ne  pourraient  pas  satisfaire  aux 


LES    BAINS    ET    LAVOIRS    MUNICIPAUX  325 

besoins  de  la  commuDauté  sans  se  lancer  dans  des  dépen- 
ses aussi  follement  prodigues  que  celles  qui  figurent  souvent 
sous  ce  titre.  L'on  voit  sans  cesse  des  municipalités  dépen- 
ser pour  un  seul  établissement  de  bains  des  sommes  énor- 
mes variant  de  £  25.000  à  £  60.000  ;  à  moins  d'avoir  la  cer- 
titude qu'ils  feront  leurs  frais,  on  devrait,  semble-t-il,  les 
construire  de  façon  plus  économique. 

Battersea  n'a-t-elle  pas  dépensé  £  56.000  à  construire 
UQ  second  établissement  de  bains,  les  Nine  Elm  Baths, 
alors  que  le  premier  suffisait  parfaitement?  Le  Fulham 
Borough  Council  a  consacré  £  43.000  à  bâtir  des  bains  et 
des  lavoirs  qui,  si  nous  en  croyons  un  discours  prononcé 
par  le  maire  lors  de  leur  inauguration,  resteront  vingt  ou 
trente  ans  sans  rien  rapporter  à  la  ville.  Jusque-là  le  con- 
tribuable aura  à  payer  chaque  année  un  impôt  supplémen- 
taire de  2  d.  par  £  pour  combler  leur  déficit. 

Liverpool  parait  au  contraire  avoir  trouvé  la  vraie  solu- 
tion en  ouvrant  dans  certains  districts  des  bains  à  ciel 
ouvert  dont  il  est  cependant  possible  de  chauffer  Teau  ; 
leur  installation  n*a  pas  coûté  cher  (entre  £  700  et  £  3.000) 

■ 

et  ils  répondent,  tout  aussi  bien  que  des  bâtiments  somp- 
tueux, au  but  que  Ton  se  propose.  Quant  aux  lavoirs 
annexés  aux  bains  publics,  ils  peuvent  sans  doute  rendre 
de  grands  services  aux  femmes  des  classes  pauvres  ;  mais 
l'usage  qu^on  en  fait  ne  justifie  pas  toujours  les  dépenses 
considérables  qu'ils  occasionnent.  A  Shoreditch,  à  Liver- 
pool (voir  les  rapports  du  Comité  des  bains  de  cette  ville) 
et  dans  d'autres  endroits,  on  a  souvent  remarqué  que  les 
lavoirs  servaient  à  des  femmes  qui  lavaient  non  le  linge  de 
leurs  familles,  mais  celui  d'autres  personnes,  et  qui  faisaient 
ainsi  concurrence  aux  blanchisseuses  de  métier. 
Quant  aux  bains  turcs,  bains  russes,  bains  de  vapeur, 


320  PREMIERB   PARTIE.    —    CHAPITRE    XII 

baÎQS  spéciaux  et  médicaux  de  tous  genres,  qui  tous  ne 
vivent  que  grâce  aux  subventions  de  l'impôt,  on  cherche 
vainement  la  raison  de  leur  création  ;  et  Ton  se  demande 
avec  anxiété  si  Ton  ne  pourrait  pas  parfois  prendre  un  peu 
plus  en  considération  les  intérêts  des  contribuables. 


CHAPITRE  XIII 


LBS  MARCHES  BT   ABATTOIRS  MUNICIPAUX. 


Si  nous  avions,  dans  cette  étude  des  entreprises  munici- 
pales, suivi  Tordre  chronologique,  c'est  par  les  marchés 
qu'il  nous  eût  sans  doute  fallu  commencer.  Dès  le  Moyen- 
âge  on  a  vu  dans  le  centre  de  TEurope  maintes  municipa- 
lités posséder  leurs  marchés,  et  bien  des  villes  allemandes 
pourraient  en  retracer  Thistoire  jusqu'au  xni^,  certaines 
même  jusqu'au  x*  siècle.  En  France,  avant  la  Révolution, 
les  privilèges  relatifs  aux  marchés  appartenaient  en  général 
aux  seigneurs  justiciers  ;  ce  n*est  qu'en  1790  que  les  com- 
munes les  leur  reprirent.  Ces  privilèges  furent,  en  Angle- 
terre, accordés  à  l'origine  par  la  couronne,  plus  tard  par  le 
Parlement,  et  indifféremment  à  des  particuliers  ou  à  des 
municipalités. 

Ce  n'est  qu'au  milieu  du  xix^  siècle  qu'un  mouvement 
favorable  au  rachat  des  marchés,  jadis  concédés  à  des  parti- 
culiers, commença  à  se  dessiner  ;  plusieurs  des  grandes 
villes  anglaises  les  rachetèrent  &  cette  époque  aux  «  Lords 
of  the  Manor». 

Le  mouvement  conserve  aujourd'hui  encore  toute  son 
intensité  ;  le  total  des  emprunts  contractés  par  les  autorités 
locales  pour  le  rachat  ou  la  construction  de  marchés  s'éle- 
vait en  19021903  à  £  7.663.708,  et  les  emprunts  faits  du- 
rant la  seule  année  1902-1903  à  £  458.782. 

L'administration  et  l'exploitation  d'un  marché  réunissent- 


338  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XIU 

elles  les  éléments,  les  caractères  d'une  entreprise  commer- 
ciale ?  Etant  donné  les  habitudes  françaises,  il  est  permis 
d*hésiter  avant  de  répondre,  et  à  première  vue  oo  serait 
tenté  de  dire  que  c'est  une  erreur  de  faire  rentrer  une  entre- 
prise de  ce  genre  dans  une  discussion  sur  le  socialisme  mu- 
nicipal. Nous  remarquerons  simplement,  quant  à  nous,  que 
ces  marchés  constituent  fréquemment  des  propriétés  fort 
rémunératrices  ;  et  si  le  lecteur  veut  bien  se  rappeler  qu'aux 
marchés  municipaux  on  ajoute  actuellement  comme  an- 
nexes des  abattoirs,  des  caves  frigorifiques,  la  fabrication 
même  et  la  vente  de  la  glace,  il  comprendra  aisément  la 
difficulté  qu'il  y  a  à  laisser  les  marchés  municipaux  en 
dehors  d'une  étude  sur  le  Municipal  Trading. 

Les  sections  166  et  167  du  Public  Health  Act  de  4873, 
indiquent  de  quels  pouvoirs  jouissent  les  autorités  urbaines 
relativement  à  l'établissement  des  marchés.  La  première 
de  ces  deux  sections  donne  aux  urban  district  councils, 
avec  le  consentement  des  propriétaires  et  des  contribuables 
du  district,  ou  auxtown  counciis  avec  le  consentement  des 
deux  tiers  de  leurs  membres,  le  droit  d*établir  et  de  bâtir 
un  marché  à  condition  de  ne  pas  porter  préjudice  aux  pri- 
vilèges que  pourrait  déjà  posséder  dans  le  même  district  une 
personne  quelconque,  et  sans  s'être  au  préalable  assuré  de 
son  consentement.  L'emplacement  choisi  doit  être  situé 
dans  le  district  ou  le  Borough  lui-même,  et  les  règlements 
relatifs  au  marché  ne  peuvent  être  mis  en  vigueur,  ni  les 
péages  levés  avant  d'avoir  reçu  la  sanction  du  Local  Govern- 
ment Board. 

Pour  ce  qui  est  des  abattoirs,  les  Anglais  sont,  au  point 
de  vue  municipaliste,  assez  en  retard  sur  les  pays  de  l'Eu- 
rope continentale  ;  ils  espèrent  pourtant  voir  bientôt  dispa* 
raitre  dans  toutes  les  grandes  villes  les  établissements  par- 


LES   MARCHÉS    ET   ABATTOIRS    MUNICIPAUX  32g 

ticuliers  de  ce  genre  qui  y  existent  encore.  «  Il  y  a  18  ans, 
dit  le  Municipal  Year  Book  {édii.  1906,  p.  503),  le  nombre 
de  villes,  petites  on  grandes,  qui  avaient  contracté  des  em- 
prunts pour  construire  des  abattoirs  n'était  que  de  27  ;  il 
y  a  11  ans,  il  était  de  48.  Il  dépasse  aujourd'hui  la  cen- 
taine. ))  Â  Londres,  la  plus  grande  partie  des  bêtes  abattues 
le  sont  encore  dans  des  abattoirs  particuliers.  Glasgow  pos- 
sède le  plus  grand  marché  de  bétail  et  le  plus  grand  abat-> 
toir  public  d*Ecosse.  Edimbourg  en  a  construit  un  aussi, 
et  Leeds  possède  un  magnifique  abattoir,  véritable  modèle 
de  ce  qu'il  faut  à  une  grande  cité  moderne. 

Le  Public  Health  Âct  de  1875  laissait  aux  municipalités 
etauxurban  councils  le  soin  de  construire  des  abattoirs 
et  de  rédiger  les  règlements  relatifs  à  leur  exploitation  ;  il 
leur  donne  le  droit  d*accorder  ou  de  refuser  les  licences 
nécessaires  à  la  création  de  nouveaux  établissements  par 
des  particuliers.  Les  fonctionnaires  désignés  par  eux  pour- 
ront, à  tout  moment,  pénétrer  dans  les  bâtiments  utilisés 
comme  abattoirs  et  procéder  à  leur  inspection.  La  licence 
n'est  accordée  que  pour  un  temps  donné,  et  toute  condam- 
nation prononcée  pour  vente  ou  mise  en  vente  de  viande 
malsaine  en  autorise  la  révocation. 

G*est  le  souci  de  la  santé  publique  qui  pousse  évidem- 
ment ici  les  municipalités  à  intervenir,  et  en  général  les  ré- 
sultats de  leur  intervention  ont  été  plutôt  bienfaisants.  Il  y 
a  près  de  600  ans,  en  1338,  un  décret  défendait  aux  bou- 
chers d*Oxford  d'abattre  le  bétail  à  Tintérieur  de  la  ville, 
'(  parce  que  plusieurs  personnes  de  marque  étaient  mortes, 
empoisonnées  par  les  mauvaises  odeurs  »  (1).  On  rapporte 
que  plus  tard,  et  jusqu'en  1852,  le  Sniithlield  Market  de 

(1)  Voir  le  Municipal  Year  Book,  1906,  p.  504. 


33o  PREMIERE    PARTIE.    —    CHAPITRE   XIII 

Londres  fut  t<  une  abomination  pour  la  ville  et  une  honte 
constante  pour  ses  autorités  )>.  Un  grand  nombre  des  abat- 
toirs  particuliers  existant  encore  dans  les  grandes  villes 
anglftiaes  ne  sont  pas  aménagés  pour  Tusage  auquel  on  les 
emploie.  Us  ii*oiit  en  général  ni  assez  dVir,  ni  assez  d'eau, 
et  il  n*est  malheureuseoient  pas  toujours  possible  de  les 
inspecter  de  façon  suffisante  et  de  garantir  le  public  con- 
tre la  consommation  de  viande  malsaine  ou  malade.  L'é- 
tendue du  danger  ressort  des  constatations  dn  professeur 
Fleming,  suivant  lesquelles  5  Vo  environ  du  bétail  anglais 
serait  tuberculeux.  Dans  les  abattoirs  municipaux  la  vente 
de  viande  malade  est  sinon  impossible,  du  moins  très  diffi- 
cile. C'est  donc  bien  un  but  hygiénique  qu'ont  poursuivi  les 
municipalités  en  établissant  ces  abattoirs  ;  mais  il  nous  faut 
reconnaître  que  même  au  point  de  vue  financier  ils  n'ont 
pas  donné  de  mauvais  résultats. 

Examinons  maintenant  les  marchés  de  quelques  grandes 
villes  et  les  résultats  de  leur  exploitation. 

Olasgcw. 

Glasgow  confiait  jadis  à  son  Town  Council  le  soin  de  fixer 
le  prix  de  la  viande  et  de  la  boisson.  Le  commencement  du 
XIX*  siècle  vit  disparaître  les  restes  de  cette  réglementation 
moyenâgeuse,  et  depuis  1846  tous  les  droits  de  douane  et 
d'octroi  qui  frappaient  les  marchandises  à  leur  entrée  dans  la 
ville  ont  été  abolis.  En  1865  la  corporation  obtint  par  une  loi 
le  contrôle  et  la  réglementation  de  ses  marchés,  et  elle  pos- 
sède aujourd'hui  :  1""  le  marché  central  des  fruits  et  légumes 
(fruit  and  vegetable  market),  où  se  traitent  toutes  les 
affaires  de  commission  et  de  gros  ;  2"*  le  marché  au  poisson 
(fish  market)  ;  3^  le  marché  des  vieux  habits  (old  clothes 


LES   MARGHés   ET   ABATTOIRS   MOMIGIPAUX  33 1 

market)  ;  i"  le  marché  au  bétail  où  Ton  vend  chaqae  aa« 
née  4  ou  500.000  bêtes  élevées  dans  le  pays  même  ;  5*"  le 
marché  de  la  viande  abattue  (dead  méat  market),  établi  en 
1876  lorsque  Timporlation  du  bétail  d'Amérique  prit  une 
grande  extension  ;  6*"  les  abattoirs  municipaux  ;  7""  les 
grands  parcs  et  abattoirs  des  docks,  situés  des  deux  côtés 
de  la  Glyde,  à  Yorkhill  et  à  Shieldhall.  Le  bétail  importé 
vivant  d*Amérique  doit,  en  vertu  des  règlements  sanitaires, 
être  abattu  dans  les  docks  mêmes  pour  prévenir  la  propa- 
gation des  maladies  contagieuses. 

Glasgow  a  consacré  £322.934  à  la  construction  de  ses 
marchés.  En  général  les  recettes  suffisent  à  couvrir  large- 
ment les  dépenses,  et  pendant  longtemps  le  revenu  net 
moyen  qu*ont  donné  les  marchés  s'est  maintenu  à  £  5.000. 
L'année  1904  1905  a  été  moins  bonne  que  les  précédentes 
et  n'a  donné  qu'un  bénéfice  de  £  724.  12  s.  1  d.  ;  le  revenu 
ordinaire  s'étant  élevé  à  £  29.629  9  s.  6  d.,  les  dépenses  à 
£  28.904  17  s.  5  d.  (y  compris  le  service  des  intérêts  et  les 
versements  au  Sinking  fund). 

Birmingham. 

La  ville  de  Birmingham  racheta  en  1824  à  leur  proprié- 
taire, pour  une  somme  de  £  12.300,  les  marchés,  les  ter- 
rains sur  lesquels  ils  s*élevaient,  et  les  privilèges  concédés 
en  même  temps  qu'eux.  Elle  possède  aujourd'hui  sept 
marchés  :  l""  le  Market  Hall,  sorte  de  halle  centrale  et  de 
marché  général  dans  les  sous-sols  duquel  on  a  établi  de 
vastes  caves  frigorifiques  ;  2""  le  vegetable  market  pour  la 
vente  en  gros  des  légumes  ;  3*"  le  marché  au  poisson  ; 
i^  le  marché  de  la  viande  ;  5*  un  marché  aux  cochons  (pig 
market)  ;  6®  un  autre  marché  pour  la  viande  (city  méat 


332  PREMIERE    PARTIE.    —    CHAPITRE   XIH 

market)  ;  7"*  un  marché  pour  le  bétail.  Birmiagham  pos- 
sède égalemeut  un  vaste  abattoir  placé  sous  la  directioa  de 
la  muaicipalité*  Le  capital  total  consacré  par  la  ville  à  Tac- 
quisition  et  la  construction  de  ses  marchés  s'élève  (1)  à 
£  443.103,  sur  lesquelles  on  a  demandé  à  l'emprunt 
£  307.715.  Les  dépenses  pour  Tannée  1904-1905  se  sont 
montées  à  £  34.842,  les  recettes  à  £  38.488,  laissant  à  la 
ville  un  bénéfice  de  £  3.646. 

Depuis  20  ans,  la  corporation  a  dépensé  plus  de  £  200.000 
à  Tagrandissement  et  h  la  construction  des  marchés.  L'aug- 
mentation des  recettes  est  heureusement  venue  compen- 
ser Taugmentation  des  charges  annuelles  ;  ajoutons  que  la 
corporation  n'a  pas  cherché  à  abuser  de  ses  a  market  rights  » 
et  à  en  tirer  de  trop  gros  profits  ;  c'est  ainsi  qu'elle  devait 
agir  d'ailleurs,  puisque  c'est  un  droit  qu'elle  n'exerce  que 
dans  l'intérêt  général.  Le  Conseil  municipal  n'a  voulu, 
dit-on,  que  faciliter  leur  tâche  aux  commerçants  en  leur 
fournissant  une  meilleure  installation  et  développer,  autant 
qu'il  dépendait  de  lui,  l'importance  de  Birmingham  en  tant 
que  centre  de  distribution  des  objets  d'alimentation. 

Depuis  une  vingtaine,  d'années  les  bénéfices  varient  de 
£  1.000  à  £  4. 000.Depuisl885,seuIe  l'année  1894-1895  s'est 
soldée  par  un  déficit  de  £  629.  Les  revenus  des  marchés, 
qui  n'étaient  que  de  £  19.541  en  1885,  ont  atteint,  comme 
nous  Tavons  vu, par  une  progression  constante  le  chiffre  de 
£  38.488  :  les  dépenses  ont  suivi  le  même  mouvement  et 
sont  passées  de  £  15.763  en  1885  à  £  34.842  en  1905. 

Manchester. 
La  ville  de  Manchester  est,  comme  les  précédentes,  pro- 


V 


[1^  Birmingham  Financial  Slalement^  1904-1905,  p.  85. 


LES   MARGHlSs   ET   ABATl^OIRS    MUNICIPAUX  333 

prictaire  de  ses  marchés. Elle  les  racheta  au  «  Lord  of  the  Ma- 
nor  »,  sir  Oswald  Mosley,  en  1846,  en  vertu  d'un  Act  local 
voté  dans  ce  but  deux  ans  auparavant.  Le  prix  du  rachat 
fut  fixé  à  £  200.000,  et  l'on  convint  que  la  corporation  se 
libterait  par  versements  annuels  de  £  i.OOO  ;  ces  verse- 
fts  ont  cessé  il  y  a  une  dizaine  d'années. 
Depuis  1846  la  corporation  a  notablement  agrandi  ses 
[arches  ;  elle  en  a  créé  de  nouveaux,  elle  a  établi  des  abat- 
>irs  et,  depuis  que  le  percement  du  canal  maritime  a  fait 
le  Manchester  un  port,  elle  a  construit  des  wharfs  pour  le 
fdébarquement  du  bétail  importé  et  des  abattoirs  spéciaux 
.M  pour  lui.  Outre  les  £  200.000  versées  au  Lord  of  the  Manor 
pour  le  rachat  de  son  privilège,  la  ville  de  Manchester  a  dé- 
pensé pour  ses  marchés  une  somme  de  £  620.798,  ce  qui 
porte  le  total  actuel  de  ses  dépenses  à  £  820.798.  Les  recet- 
tes de  ce  service  ont  toujours  dépassé  les  dépenses,  et  de- 
puis 1884  les  sommes  annuellement  versées  par  lui  au  Bud- 
get communal  en  aide  des  impôts  ont  varié  de  £  10.000  à 
£  17.000,  la  moyenne  oscillant  aux  environs  de  £  15.000. 
En  1904-1905  (1),  les  recettes  se  sont  élevées  à  £  73.956 
13  s.  9  d.  ;  les  dépenses  (intérêt  et  amortissement  compris) 
à  £  62.114.4  s.  11  d.,  soitunbénéBce  de  £  11.842  8  s.  lOd. 
qu'on  a  versé  au  surplus  et  Sinking  fund. 
)^     Mais  comme  on  avait,  d'autre  part,  promis  de  verser 
%  m^  14  000  pour  venir  en  aide  aux  impôts,  on  a  retiré  de  ce 
^^Jurplus  et  Sinking  fund  £  14.000  après  n'y  avoir  versé  que 
£  11.842  seulement. 

De  même  qu'à  Birmingham,  les  recettes  et  les  dépenses 
ont  depuis  20  ans  constamment  progressé.  De  £  45.124  en 
1885,  les  premières  sont  aujourd'hui  passées  à  £  73.956, 

(1)  Manchester,  Abslraci  of  Accounis,  p.  826 


334  PREMIÈRE    PARTIE.    >--    CHAPITRE    XIIJ 

les  secondes  de  £  30.592  à  £  62.114;  comme  la  somme 
versée  en  aide  des  impôts  est  fixée  à  Tavatice  et  lors  de  ré- 
tablissement du  budget,  elle  s*est  fréquemment  trouvée 
supérieure  aux  bénéfices  réalisés,  ainsi  que  le  montre 
l'exemple  de  l'année  1905.  En  1885  le  bénéfice  était  de 
£  14.532  ;  la  somme  versée  aux  impôts  fut  de  £  13.000  ;  en 
1887  le  surplus  est  de  £  11.711,  on  verse  aux  impôts 
£15.000;  en  1895  le  surplus  est  de  £  13.500,  versé  aux 
impôts  £  16.000.  En  1900,  surplus  de  £15.117,  versé  aux 
impôts  £17.000. 

Manchester  possède  aussi  des  caves  frigorifiques  (coldair 
stores)  dont  la  construction  a  coûté  plus  de  £  80.000.  On 
s'en  sert  principalement  pour  conserver  la  viande  fraîche, 
u  Quelque  encombrement  qu'il  y  ait  sur  le  marché,  disait 
M.  Southern  au  comité  de  1900,  que  ce  soit  de  poisson  ou 
de  toute  autre  marchandise,  on  a  recours  à  ces  magasias 
où  tout  se  conserve  en  parfait  état.  » 

En  1906-1907,  les  marchés  ne  verseront  au  budget  qu'une 
somme  de  £  1.064  par  suite  des  frais  d'exploitation  et  des 
réparations  qui  atteindront  cette  année  un  chilTre  très  élevé. 

Manchester  possède  actuellement  4  abattoirs,  6  marchés. 

2  caves  à  air  froid,  et  un  wharf  pour  le  bétail  importé  Je 

Tétranger. 

Iiiverpool. 

Liverpool  possède  un  marché  municipal  depuis  1709; 
année  oii  la  Reine  Anne  concéda  par  une  charte  «  à  ses 
<imés  et  féaux  sujets  les  maire,  baillis  et  citoyens  de  la  ville 
de  Liverpool  le  droit  de  posséder  et  d'exploiter  un  nouveau 
marché,  dy  lever  et  d'y  recevoir  des  droits,  profits  etavan- 
tages  légaux  et  raisonnables,  à  eux  et  à  leurs  successeurs, 
et  pour  toujours  »  (1). 

J1)  Voir  Liverpool  Congress,  p.  146. 


i 


LES   MARCHES   ET   ABATTOIRS    MUNICIPAUX  335 

En  1819  la  corporation  obtint  du  Parlement  une  loi  qui 
l'autorisait  à  lever  des  droits  de  péa^e  et  de  location  dans 
tous  les  marchés  actuels  ou  futurs  et  à  faire  tous  les  règle- 
ments qu  elle  jugerait  utiles  à  la  bonne  organisation  et  au 
bon  fonctionnement  de  ses  marchés.  Plusieurs  Acts  addi- 
tionnels sont  venus,  depuis  le  vote  de  cette  première  loi,  fixer 
les  pouvoirs  de  la  municipalité  en  cette  matière.  Elle  possède 
actuellement  six  marchés  qui  lui  ont  coûté,  tant  pour  Tachât 
du  terrain  que  pour  la  construction  des  bÂtiments,  £284.144, 
11  s.  10  d.  Us  sont  placés  sous  le  contrôle  d'un  xMarketCom- 
mittee  qui  se  divise  en  autant  de  sous-comitos  qu'il  y  a  de 
marchés.  Leurs  membres  se  réunissent  une  fois  par  semaine 
au  marché  même  pour  y  régler  les  questions  courantes 
telles  que  les  loyers  des  stalles,  etc.  (1). 

Liverpool  possède,  pourrait-on  dire,  deux  espèces  de 
marchés  :  les  uns  où  se  traitent  les  affaires  de  gros,  où  les 
principaux  fermiers  vendent  aux  grands  marchands  de 
comestibles,  les  autres  où  les  petits  fermiers  viennent  eux- 
mêmes  vendre  leur  marchandise  au  détail  à  la  population 
des  quartiers  pauvres. 

Les  recettes  des  marchés  se  sont  élevées  en  4905  à 
£  37.174  1  s.  5  d.,  les  dépenses  à  £  19.437  10  s.  2  d.,  soit 
un  bénéfice  de  £  17.736  11  s.  3  d.,  équivalant  à  un  intérêt 
de  6  1/4  Yo  du  capital  dépensé. 

La  dette  contractée  par  la  corporation  pour  ses  marchés 
s'élève  à£40.  633  13  s.  Od.  Les  profits  que  procure  l'exploi- 
tation de  ce  service  vont  au  General  city  fund,  c'est-à-dire 
en  aide  des  impôts. 

Les  marchés  de  Liverpool,  au  nombre  de  6,  sont  :  1""  le 
St-Johns  Marketoù  Ton  vend  un  peu  de  tout  :  fruits,  fleurs, 

(f)  Municipal  Trading  Report,  1900.  Quest.  2252. 


336  PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE   XIII 

légumes,  viande,  volaille,  etc.  ;  très  fréquenté  par  le  pu- 
blic qui  y  trouve  réuni  en  un  même  endroit  tout  ce  dont  il 
a  besoin;  2^  le  marché  au  poisson  pour  la  vente  au  détail 
(Retail  iish  market)  ;  S""  le  marché  au  poisson  pour  la  vente 
en  gros  (Wholesale  fish  market)  ;  on  a  apporté  à  ce  marché 
en  1905  :  526.095  caisses  de  poisson  pesant  environ  i5.93''i 
tonnes  ;  4^  le  marché  en  gros  pour  les  légumes,  fruits  el 
foin  ;  on  estime  à  74.147  tonnes  le  poids  des  produits  agri- 
coles, à  22.067  tonnes  le  poids  du  foin  qu'on  y  a  apporté 
durant  l'année  ;  o*"  le  St-Martins  Market,  pour  la  vente 
d'objets  fabriqués  de  peu  de  valeur  ;  on  y  trouve  de  vieux 
habits  et  toutes  sortes  d'objets  d*occasion  ;  c'est  le  marché 
qui  rapporte  le  moins  à  la  corporation,  mais  il  rend  des 
services  à  la  classe  pauvre  ;  6**  le  marché  au  bétail  (catile 
market)  fondé  par  une  Compagnie  en  1832  et  racheté  en 
1900  pour  £  38.200  parla  corporation,  lorsqu'elle  voulut 
placer  le  commerce  du  bétail  sous  le  contrôle  municipal. 
Près  de  400.000  têtes  de  bétail  y  sont  passées  en  1905  ; 
soit  340.000  moutons  et  40.000  bêtes  à  cornes  environ.  Ce 
chiffre  est  inférieur  à  celui  des  années  précédentes.  En  1902 
le  nombre  des  bètes  vendues  à  ce  marché  atteignit  5S1.000. 

Le  Cattle  market  reçoit  le  bétail  importé  vivant  d'Irlande 
et  du  Canada  ;  l'importation  de  ce  bétail  d'Amérique  est 
soumise  à  certaines  restrictions  sanitaires,  gênantes,  paraît- 
il  ;  et  Liverpool,  qui  est  avec  Londres  le  port  oii  Ton  en 
débarque  la  plus  grande  quantité,  désirerait  vivement  voir 
lever  ces  restrictions  qui  nuisent,  dit-elle,  à  l'extension  de 
son  commerce. 

On  oblige  en  effet  à  abattre  le  bétail  au  port  de  débar- 
quement, par  crainte  des  maladies  contagieuses.  Ce  cattle 
market  est  le  seul  des   marchés   municipaux  qui  ne  rap- 


LES    MARCHES    ET   ABATTOIRS    MUNICIPAUX 


337 


porte  rien  à  la  ville  de  LiverpooL  En  1905,  son  bilan  s'est 
tradnit  par  un  déGcit  de  £  1.372  Os.  3  d. 

Les  recettes  des  marchés  n^ont  pas  suivi  à  Liverpool  une 
progression  aussi  rapide  qu*à  Birmingham  ou  Manchester. 
De  £  28.000  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  elles  sont  au^ 
jourd'hui  passées  à  £  38.000.  A  Tinverse  des  grandes  villes 
que  nous  venons  dépasser  en  revue,  Liverpool  n*apas  en-^ 
core  d'abattoirs  municipaux. 

Si  les  marchés  municipaux  ne  sont  pas  encore  univer- 
sellement répandus  en  Grande-Bretagne,  ils  constituent  de 
beaucoup  le  système  le  plus  commun  dans  les  boroughs  et 
dans  les  villes,  comme  le  montre  le  tableau  suivant  que 
nous  empruntons  à  un  rapport  de  la  Royal  Commission  on 
Markets. 


MAHCHB8     CONTRÙLKS 

1                           PAR 

Londres 

Boron(hs 

Ufi>an  AU- 
iricis  qui  ne 

•ont  pu 
des  borouirht 

Rural 
Disirictt 

Total 

>  Aatorités  locales 

Compagnies 

Particuliers 

8 
2 
2 

1 

216 
12 
23 

4 

1 
5 

89 

34 

109 

11 

11 

12 

8 

18 

142 

24 

10 
40 

313 

64 

274 

39 

22 
.     57 

Autres   associations    de 
oersonnes 

1  Droits     analogues    aux 

droits  de  marchés 

Pas  de  marchés 

1 

13 

201 

266 

242 

769 

D'autre  part,  dans  le  rapport  qu'a  dressé  Sir  Henry 
Fowler  pour  l'Angleterre  et  le  Pays  de  Galles,  nous  voyons 
que  les  marchés  municipaux,  au  nombre  de  228,  auraient 
rapporté  en  moyenne,  entre  1898  et  1902,  un  profit  net 
de  £  83.782.  Les  villes  qui  confient  à  lautorité  locale  le 
soin  de  contrôler  les  marchés  ne  font  en  somme  que  se 
conformer  à  une  tradition  fort  ancienne.  Les  tendances 
socialistes  modernes  se  rencontrent  ici  avec  les  manièi'es 

BoTerat  22 


338  PREMIERE    PARTIR.    —    CHAPITRE   XIII 

d'agir  de  nos  ancêtres  ;  nous  avons  vu  d'ailleurs  qu*il  y  a 
des  villes  qui  tirent  de  l'exploitation  de  ce  service  de  gros 
revenus.  La  municipalisation  des  marchés  n'a  donc  rien  de 
nouveau  ;  et  elle  ne  devrait  rien  avoir  qui  puisse  nous 
effrayer,  si  elle  ne  conduisait  indirectement,  mais  rapide- 
ment pourtant,  à  la  construction  d'abattoirs  municipaux, 
auxquels  succèdent  les  caves  frigorifiques  et  les  fabriques 
de  glace  municipales. 

A  Bradford,  nous  dit  le  correspondant  du  Times  (1  s 
deux  syndicats  avaient  ouvert  des  réservoirs  frigorihques 
et  une  fabrique  de  glace  artificielle  et  comptaient  parmi 
leurs  clients  un  grand  nombre  de  bouchers  au  détail. 
Gomme  leurs  locaux  se  trouvaient  à  une  certaine  distance 
du  marché  local,  la  corporation  résolut  d'installer  des  caves 
frigorifiques  municipales,  sur  un  terrain  attenant  à  Saint- 
James  Market.  On  chercha  à  s^opposer  à  son  projet,  en 
arguant  de  la  concurrence  injuste  qu'elle  allait  faire  aux 
particuliers  ;  elle  répondit  qu'il  y  avait  place  à  la  fois  pour 
l'entreprise  privée  et  pour  la  sienne  ;  elle  mit  à  exécution 
son  projet  qui  lui  coûta  (y  compris  une  extension  du  mar- 
ché) £  23.000. 

Manchester,  Liverpool,  Birmingham,  Leeds  et  d'autres 
cités  ont  dépensé  de  grosses  sommes  dans  un  but  sembla- 
ble. La  corporation  de  VVolverhampton  a  reçu  l'autori- 
sation non  seulement  de  vendre  de  la  glace  aux  commer- 
çants installés  au  marché,  mais  de  disposer  du  surplus  de 
glace  disponible  et  de  le  vendre  aux  commerçants  de  la  ville 
en  général.  Le  jour  où  Tenvie  lui  prendra  de  fournir  de  la 
glace  à  tout  le  borough,  la  corporation  n'aura  qu'à  veiller 
à  ce  que  ce  «  surplus  »  suffise  à  faire  face  à  toutes  les  de- 
mandes qui  pourront  se  produire. 

(t)  Voir  le  Times  au  23  août  1902. 


LES   MARCHÉS    ET   ABATTOIRS   MUNICIPAUX  SSq 

Nous  ne  voyons  pas,  en  résumé,  qu'il  y  ait  lieu  de  faire 
de  sérieuses  objections  à  la  municipalisation  des  .marchés. 
C'est  un  service  où  l'action  des  municipalités  peut  se  faire 
sentir  de  façon  réellement  utile  au  point  de  vue  sanitaire, 
au  point  de  vue  de  Tinspection  de  la  viande  et  des  denrées 
alimentaires  en  général. 

Les  marchés  tiennent  en  outre  un  peu  de  la  place  publi- 
que; ils  sont  des  lieux  de  réunion;  il  faut  que  la  police 
municipale  puisse  s'y  exercer  librement. 

Nous  sommes  habitués  en  France  à  voir  les  marchés  aux 
mains  des  municipalités.  Nous  ne  nous  étonnons  pas  d'ap- 
prendre que  les  communes  anglaises  veuillent  en  faire  au- 
tant.  Mais  si  nous  admettons  aisément  que  la  municipalité 
possède  un  ou  plusieurs  marchés,  en  dirige  l'exploitation»  y 
eue  des  stalles  et  des  boutiques,  nous  ne  pourrons  que  dé- 
sapprouver la  création  des  services  nouveaux  qu'on  vou- 
drait y  annexer,  tels  que  la  fabrication  de  la  glace  ou  toute 
industrie  venant  faire  concurrence  à  Tactivité  individuelle. 
Non  seulement  ces  services  nouveaux  demandent  des  con- 
naissances techniques  et  une  prudence  financière  que  ne 
possèdent  pas  toujours  les  conseillers  municipaux,  mais  on 
oe  peut  pas  appuyer  leur  municipalisation  sur  l'intérêt  gé- 
néral et  les  besoins  de  la  communauté  comme  on  peut  le 
faire  pour  les  marchés. 


À 


CHAPITRE  XIV 


LES  CIMETIERES. 


Presque  partout  aujourd'hui  Tautorité  municipale  s'est 
chargée  d'assurer  la  sépulture  des  morts.  Au  poiat  de  vue 
de  la  salubrité  et  de  l'hygiène  publique,  un  contrôle  sévère 
est  en  effet  absolument  nécessaire  en  cette  matière.  Il  con- 
vient de  rendre  obligatoire  dans  le  plus  court  délai  l'enter- 
rement des  personnes  décédées  ;  lorsqu'il  n  y  a  pas  de  fa< 
mille  pour  payer  les  frais  de  Tenterrement,  c^est  à  la 
commune  de  faire  le  nécessaire  ;  en  tous  pays,  les  choses 
se  passent  de  la  même  façon. 

En  prévision  de  l'accroissement  probable  des  grandes 
villes  dans  un  avenir  rapproché,  les  autorités  locales  se 
trouvent  souvent  obligées  de  consacrer  &  l'achat  de  terrains, 
qu'elles  transformeront  en  cimetières,  de  grosses  sommes 
qui  ne  rapporteront  rien  durant  de  longues  années.  Quelque 
coûteux  que  puissent  être  les  cimetières  publics,  ils  semblent 
bien  être,  cependant,  tant  au  point  de  vue  sanitaire  qu*au 
point  de  vue  social,  une  nécessité  pratique,  et  nous  ne  son- 
geons nullement  à  protester  ici  contre  le  principe  même  de 
la  municipalisation. 

En  Europe  les  cimetières  appartiennent  presque  partout 
aux  municipalités  ;  il  n'y  a  que  l'Allemagne  et  la  Hollande 
où  Ton  trouve  encore  des  cimetières  privés  à  côté  des  ci- 
metières municipaux.  Aux  Etats-Unis,  au  contraire,  la  ma- 


LES   CIMETIÈRES  3^1 

jorité  des  cimetières  appartiennent  à  des  particuliers.  II  en 
fut  longtemps  de  même  en  Angleterre,  et  ce  n*est  qu'  assez 
récemment  que  les  corporations  urbaines  ont  regardé  la 
création  et  Texploitation  des  cimetières  comme  rentrant 
dans  leurs  attributions.  Jusque-là  les  cimetières  étaient 
restés  aux  mains,  soit  de  comités  spéciaux,  appelés  c  Burial 
Boards  »,  soit  de  Compagnies  particulières.  Un  mouvement 
de  réaction  s*est  produit  contre  ces  dernières  auxquelles  on 
a  pu  reprocher,  quelquefois  avec  raison,  de  pousser  trop 
loin  l'exploitation  commerciale  des  cimetières,  de  fixer  trop 
haut  leurs  tarifs  et  de  ne  pas  tenir  assez  compte  des  princi- 
pes sanitaires. 

On  peut,  en  vertu  des  Burial  Âcts  (il  en  existe  toute  une 
série,  votés  entre  1852  et  1885)  constituer  des  burial  boards 
dont  le  rôle  sera  de  créer  et  d'administrer  les  cimetières.  Le 
burial  board  est  élu  dans  les  paroisses  urbaines  pur  l'as- 
semblée paroissiale  (vestry)  avec  le  consentement  de  Tur- 
ban district  council  ;  mais  les  town  councils  et  les  urban 
district  councils  exercent  aujourd'hui  sur  leur  propre  terri- 
toire les  pouvoirs  des  burial  boards  qu'ils  absorbent  gra- 
duellement sur  toute  la  surface  du  pays.  Cette  matière  est 
actuellement  régie  par  le  Burials  Act  de  1900,  lequel  a  trans- 
féré au  Local  Government  Board  les  pouvoirs  et  les  devoirs 
relatifs  à  Tusage  et  aux  règlements  sanitaires  des  cimetiè- 
res qu'avait  possédés  jusque-là  le  Home  Secretary  ;  c'est  le 
Local  Government  Board  qui  rend  les  orders  relatifs  à  la 
fermeture  et  à  l'ouverture  des  cimetières  et  qui  s'occupe  de 
toutes  les  matières  touchant  à  la  santé  publique.  C'est  lui 
qui  fixe  le  tarif  des  enterrements.  C'est  au  contraire  le 
Home  Office  qui  s'occupe  de  toutes  les  questions  ecclésias- 
tiques, qui  règle  les  salaires  dus  au  clergé,  aux  ministres 
du  culte  et  aux  fossoyeurs. 


3^2  PREMIERE   PARTIE.    CHAPITRE   XIY 

Le  Crémation  Act  de  1902  autorise  les  autorités  qui  ont 
charge  des  cimetières  à  établir  des  fours  crématoires  et  sou- 
met la  crémation  aux  règlements  du  Home  Secretary. 

Le  rapport  de  Sir  Henry  Fowler  surles  Reproductive  lîn- 
dertakings  montre  quau  mois  de  mars  1902,  143  boroughs 
en  Angleterre  et  dans  le  pays  de  Galles  possédaient  des  ci- 
metières municipaux  ;  que  leur  capital  total  s'élevait  à 
£  2.382.805,  et  que  pour  les  quatre  années  1898-1902,  la 
perte  moyenne  annuellement  subie  sur  ce  service  s*était  éle- 
vée à  £63.784. 

La  municipalité  de  Birmingham  possède  depuis  1863  un 
cimetière  à  Witton.  Elle  a  dépensé  pour  ce  cimetière  un 
capital  de  £  48.200.  En  19041 905,  ses  receltes  ont  atteint 
£  4.509,  ses  dépenses  £  4.599.  Les  années  qui  se  soldent  par 
un  bénéfice  sont  rares,  les  pertes  sont  fréquentes  et  souvent 
assez  fortes.  En  1890-1891  le  déficit  fut  de  £532  ;  en  1894- 
1895  de  £  194  ;  en  1895-1896  de  £  141  ;  en  1898-1899  de 
£  277.  Ces  pertes  tiennent  en  grande  partie  à  ce  que  les  ta- 
rifs des  inhumations  ont  été  fixés  très  bas. 

Liverpool  possède  deux  cimetières,  Tun  depuis  1856, 
Tautre  depuis  1878  ;  elle  a  dépensé  pour  les  établir  un  ca- 
pital de  £103.000.  Les  recettes  de  1904-1905  s'élèvent  à 
£  12.118,  les  dépenses  à  £  10.855. 

Manchester  possède  quatre  cimetières  municipaux  ;  le 
début  de  Texploitation  remonte  à  1867  ;  ils  ont  entraîné  une 
dépense  en  capital  de  £  182.223.  Leurs  recettes  s'élèvent 
en  1904-1905  ࣠ 11 .795,  leurs  dépenses  ࣠ 12.575.  De  1898 
à  1902  la  perte  moyenne  annuelle  a  été  de  £  1.180. 

Leeds  possède  cinq  cimetières  municipaux  qui  lui  ont 
coûté  £  101.562.  En  1904-1905  ses  recettes  s  élevaient  à 
£  3. 906, ses  dépenses  à  £  6.026. 

Huddersfield  a  deux  cimetières  municipaux  qui  ont  coûté 


LES    CIMETIÈRES  343 

£31.002  à  établir  ;  ils  rapportent  £  1.795  et  coûtent  £2.418. 

Nottingham  en  possède  deux,  qui  lui  ont  coûté  £  19.512, 
leurs  recettes  s'élèvent  à  £  745  et  les  dépenses  à  £  1.774. 

La  plupart  des  grandes  villes  anglaises. possèdent  aujour- 
d'hui des  cimetières  municipaux  ;  et  pourtant  celle  d'entre 
elles  qui  depuis  quarante  ans  se  trouve  à  la  tète  du  mou* 
vement  municipal,  Glasgow,  n'a  pas  encore  de  cimetière 
municipal. 

«  L'action  municipale  et  ses  bienfaits,  dit  le  Municipal 
Year  Book  (p.  345),  suivent  pas  à  pas  le  citoyen  de  Glas* 
gow  dans  toutes  les  phases  de  sa  vie  ;  mais  bien  qu'il  puisse 
appeler  le  médecin  par  le  téléphone  municipal  lorsqu'il 
se  sent  malade,  il  ne  peut  se  faire  enterrer  dans  un  cime- 
tière municipal  après  sa  mort  ;  les  cimetières  municipaux 
ne  se  font  remarquer  que  par  leur  absence.  »  Quel  dom* 
mage  !  et  quelle  angoisse  ne  doit  pas  être  celle  du  munici- 
paliste  à  Tidée  qu'il  ne  dormira  pas  en  terre  sainte  son  der- 
nier sommeil  ! 

Une  fois  la  municipalisation  des  cimetières  opérée,  on  a 
installé  des  fours  crématoires  municipaux.  «  La  corporation 
de  HuU,  dit  le  Times  (1),  a  donnéTexempleen  janvier  1901 
en  ouvrant  un  four  crématoire  dont  la  construction  a  coûté 
£3.122;  le  nombre  total  des  incinérations  faites  durant 
cette  première  année  n'a  été  que  de  17.  La  municipalité  a 
en  outre  récemment  dépensé  £  450  à  construire  près  du  four 
crématoire  un  bâtiment  qui  pourra  renfermer  un  millier  d'ur- 
nes et  l'on  rapporte  que  «  dans  Topinion  de  plusieurs  des 
membres  du  comité  des  parcs  et  des  cimetières,  cette  addi- 
tion contribuera  àpopnlariser  l'incinération  dans  la  cité  ».Ën 
d'autres  termes,  on  espère  que  des  personnes  qui  ne  vou- 

(1)  rimes,  23  août  1902. 


344  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE    XIY 

laieat  pas  se  faire  incinérer  auparavant  y  seront  plus  dispo- 
sées, lorsqu'elles  sauront  que  leur  urne  pourra  reposer 
dans  une  niche  élégante,  à  Tintérieur  d'un  bâtiment  muni- 
cipal à  ce  destiné.  Liverpool»  Sheffield,  Leicester,  d'^autres 
villes  encore  possèdent  des  fours  crématoires. 

Les  pertes  que  les  villes  anglaises  subissent  du  fait  des  ci- 
metières tiennent  sans  doute  aux  tarifs  très  bas  qu'elles  ont 
mis  en  vigueur.  Bien  que  l'administration  des  cimetières 
constitue  moins  que  toute  autre  un  service  de  nature  com- 
merciale, et  qu'il  serait  honteux  de  chercher  à  exploiter  les 
sentiments  de  respect  et  de  piété  que  les  membres  vivants 
d^une  famille  peuvent  avoir  pour  leurs  morts  eu  faisant 
payer  des  prix  exorbitants  les  enterrements  et  les  conces- 
sions de  terrains,  manière  d'agir  dont  les  pauvres  gens  souf- 
friraient plus  particulièrement,  peut-être  pourrait-on  s'ar- 
ranger cependant,  par  une  gestion  prudente  et  intelligente 
à  la  fois,  pour  faire  couvrir  les  dépenses  parles  recettes  des 
enterrements,  au  lieu  d'être  obligé  de  demandera  l'impôt 
de  combler  les  déficits  trop  considérables  qu'entraîne  régu 
li^irement  Texploitation  en  régie  de  ce  service. 


CHAPITRE  XV 


BNTRBPEISES   DIVERSES  EXÉGUTEBS  OU  PROJETÉES. 


Nous  avons,  dans  les  précédents  chapitres,  étudié  les  plus 
importantes  des  entreprises  municipales  ;  entreprises  qu'on 
rencontre  aujourd'hui  en  Grande-Bretagne  dans  la  plupart 
des  grands  centres  et  qui  ont  nécessité  l'emploi  de  capitaux 
énormes,  le  recours  aux  emprunts,  Taugmentution  brusque 
du  nombre  des  employés  et  des  ouvriers  municipaux. 

A  côté  de  ces  entreprises  aussi  connues  que  considérables, 
it  en  est  d'autres  que  l'on  ne  trouve  que  dans  quelques 
villes  seulement,  tentatives  isolées  que  nous  nous  borne- 
rons à  signaler.  Nous  voudrions  dire  un  mot  des  ports  et 
des  canaux,  des  bateaux  à  vapeur,  des  dépôts  de  lait,  théâ- 
tres, hôpitaux,  etc.,  possédés  et  dirigés  par  des  municipa- 
lités. 

Des  ports  et  docks,  nous  dirons  qu'il  s'en  trouve  sous  la 
direction  des  municipalités  aux  Ëtats-Unis,  en  Allemagne 
et  en  Hollande  ;  mais  que  dans  les  autres  pays  leur  cons- 
truction et  leur  entretien  sont  plus  fréquemment  confiés  au 
gouvernement  central. 

M  En  France,  dit  M.  Berthélemy  {Traité  de  droit  admi- 
nistratifs p.  672),  c'est  TËtatqui  établit,  améliore  et  entre- 
tient l'accès  des  ports  maritimes  :  il  construit  les  quais.  Il 
laisse  au  contraire  à  l'initiative  privée  (Chambres  de  com- 
merce et  Compagnies  de  chemins  de  fer)  le  soin  de  fournir 


346         PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  XV 

l'outillage  nécessaire  à  l*usage  des  ports...  Les  communes 
parfois  participent  à  ces  dépenses.  » 

En  Angleterre,  nous  voyons  quelques  autorités  locales 
diriger  leurs  ports,  depuis  plus  de  trois  siècles  ;  mais  pour 
cette  raison  sans  doute  qu'on  a  commencé  la  construction 
des  ports  à  une  époque  où  les  corps  municipaux  avaient 
moins  de  pouvoirs  qu'à  présent,  nous  les  trouvons  fréquem- 
ment placés  aujourd'hui  sous  la  direction  de  spécial  boards 
ou  de  trusts.  Dans  ces  boards,  à  côté  des  représentants  du 
commerce  local,  siègent  ordinairement  un  certain  nombre 
de  membres  présentés  par  la  municipalité  intéressée  et 
nommés  sur  sa  demande  :  ce  qui  fait  que  les  ports  adminis- 
trés par  ces  boards  ressemblent  à  beaucoup  d*égards  à  des 
entreprises  municipales.  On  peut  répondre,  il  est  vrai,  que 
les  sommes  consacrées  à  la  création  et  Tentretien  des  ports 
et  canaux  n*ont  pas  le  caractère  d'un  placement  commer- 
cial, que  ces  dépenses  ne  rapportent  pas  de  profit  immé- 
diat à  la  municipalité  qui  les  fait,  qu'elles  sont  assimilables 
H  tous  les  points  de  vue  aux  dépenses  que  font  chaque  année 
les  autorités  publiques  pour  les  routes  et  les  voies  terres- 
tres. D'après  le  dernier  rapport  du  Local  Government 
Board  (1904-1905)  la  dette  qu'ont  contractée  les  autorités 
locales  pour  la  construction  des  ports,  jetées,  quais  et  docks 
s'élève  à  la  somme  de  £  39.743.881. 

L'étude  du  port  de  Liverpool,  le  second  du  Royaume-Uni 
après  Londres,  nous  donnera  une  idée  de  ce  qu'est  Fadmi- 
nistration  d'un  grand  port  de  commerce  chez  nos  voisins. 
La  direction  en  est  confiée  dans  son  ensemble  au  («  Mersev 
Docks  and  Harbour  Board  »  créé  par  acte  du  Parlement 
pour  remplir  ces  fonctions.  Il  se  compose  de  28  membres, 
dont  24  sont  élus  par  les  Docks  Ratepayers  (littéralement  : 
contribuables  des  docks),  c'est-à-dire  par  les  personnes  qui 


ENTREPRISES  DIVERSES  34? 

paient  des  impôts  et  des  droits  sur  leurs  navires  et  leurs 
marchandises,  et  dont  les  4  antres  sont  nommés  par  les 
«  Alersey  Conservancy  Commissioners  »,  savoir  :  le  pre- 
mier Lord  de  l'Amirauté,  le  Chancelier  du  Duché  de  Lan- 
castre,  et  le  Président  du  Board  of  Trade. 

Les  membres  du  Hoard  sont  tous  des  commerçants,  oc- 
cupant de  hautes  positions  et  jouissant  de  la  meilleure  ré- 
putation ;  ils  ne  touchent  pas  de  traitement,  la  qualité  de 
membre  du  Board  étant  un  honneur  auquel  ne  peuvent  pré- 
tendre que  les  hommes  les  plus  distingués  et  les  plus  com- 
pétents. 

Les  revenus  dont  dispose  le  Board  pour  améliorer  et 
entretenir  la  surface  énorme  que  couvrent  la  rivière  et  les 
bassins,  proviennent  des  droits  que  paient,  suivant  leur 
tonnage  et  sur  les  marchandises  qu'ils  transportent,  les 
navires  entrant  dans  le  port.  Le  paiement  des  intérêts  de 
la  dette,  les  frais  de  réparation,  d'entretien  et  de  direction 
absorbent  en  grande  partie  le  revenu  qui  s*élève  pourtant 
à  £  1 .500.000  par  an.  Le  Board  veille  à  ce  que  le  chiffre  de 
ses  recettes  ne  dépasse  pas  d'une  somme  trop  forte  celui  de 
ses  dépenses  ;  lorsque  par  suite  du  développement  Au 
commerce,  le  fait  se  produit,  il  procède  à  une  réduction 
des  droits  qu'il  lève,  là  où  ils  lui  semblent  se  faire  le  plus 
lourdement  sentir  et  ramène  ainsi,  du  moins  pour  un  temps, 
le  niveau  de  ses  revenus  à  celui  de  ses  dépenses. 

Le  Board  fournit  l'outillage  nécessaire  à  l'usage  du  port  ; 
il  installe  des  grues,  des  treuils,  des  pontons  et  possède 
plusieurs  grues  flottantes  d'une  force  colossale  ;  il  a  bâti 
des  magasins  généraux  énormes  ;  c'est  à  lui  qu'appartien- 
nent les  dragues  chargées  de  maintenir  à  une  profondeur 
constante  le  lit  de  la  Mersey.  Le  travail  que  fournit  ce  Board, 
tant   au    point  de  vue    administratif  qu'au  point  de  vue 


348  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    XV 

commercial,  est  considérable  ;  nous  n'insisterons  pas  cepen- 
dant sur  ce  sujet  ;  ce  n'est  pas  pour  le  lecteur  français  un 
fait  nouveau  que  de  voir  les  ports  aux  mains  des  autorités 
publiques,  qu'il  s'agisse  de  TEtat,  de  municipalités  ou  de 
corps  spéciaux.  C'est  d'ailleurs  dans  des  questions  de  ce 
genre  que  l'intervention  gouvernementale  nous  semble 
offrir  le  moins  de  danger;  les  mêmes  raisons  qui  ont  fait 
confier  à  TEtat  la  construction  et  lentretien  des  voies 
terrestres  permettent  de  demander  qu'on  lui  confie  égale- 
ment la  création  et  l'entretien  des  ports  maritimes. 

Nous  allons  consacrer  encore  quelques  minutes  d'atten- 
tion à  une  entreprise  analogue  qui  a  jadis  fait  couler  en 
Angleterre  des  flots  d'encre  ;  nous  voulons  parler  du  canal 
maritime  de  Manchester  {The  Manchester  Ship  canal). 

L'idée   première   de    l'entreprise  n'appartient  pas  à  la 
municipalité  de  cette  ville,  bien  qu'elle  ait,  dès  le  début, 
donné  à  la  Compagnie  qui  l'avait  lancée  sa  plus  chaude 
approbation.  Cette  Compagnie  avait  déjà  dépensé  10  mil- 
lions de  £et  creusé  la  plus  grande  partie  du  canal,  lorsque 
les  fonds  lui  firent  défaut  et  que  son  entrepreneur  mourut. 
En  proie  au  plus  grave  embarras,  elle  se  retourna  vers  la 
corporation  et  lui  demanda  de  l'aider  à  terminer  son  œuvre; 
on  pensait  qu'il  n'en  coûterait  pas  plus  de  3  millions  de  £. 
Le  Parlement  autorisa   la    corporation  à   emprunter  ces 
3  millions  et  à  les  prêter  à  la  Compagnie  ;  malheureuse- 
ment,  cette  somme  ne  suffit  pas;  il  fallut   demander  et 
emprunter  encore  deux  autres  millions.  Cette  avance  de 
£  5  millions  a  longtemps  été  pour  lu  ville  de  Manchester  un 
sérieux  fardeau  ;  les  intérêts  dus  et  non  payés  par  la  Compa- 
gnie finirent  par  s'élever  à  plus  de  £  1  million.  <  Personne 
cependant,  dit  Talderman  Southern  (1),   ne  songe  à  s'en 

(!)  Municipal  Trading  Report,  1909,  p.  196. 


ENTEEPRISE8    DIVERSES  3^9 

plaindre,  tant  Ton  sent  bien  que  les  avantages  qu'en  retire 
la  communauté  l'emportent  sur  la  charge  qui  pèse  sur 
elle.  » 

L'approbation  ne  semble  pas  avoir  été  aussi  universelle 
que  veut  bien  le  dire  M.  Soulhern,  mais  il  est  certain  qu'un 
fort  courant  d'opinion  soutint  alors  le  Conseil  municipal. 

Le  Parlement  avait  stipulé  que  la  Ship  Canal  Company 
paierait  sur  la  somme  qu'on  lui  prêtait  un  intérêt  plus  fort 
que  la  corporation  même  ne  l'avait  demandé:  il  pensait 
que  puisque  le  risque  couru  était  considérable,  il  convenait 
que  rintérét  fût,  lui  aussi,  élevée  et  c'est  pour  cette  raison 
qu'il  le  fixa  à  4  1/2  7o. 

L'entreprise  (commencée  en  1881)  végéta  longtemps.  En 
1K99  la  ville  était  encore  obligée  de  lever  un  impôt  supplé- 
mentaire de  1  s.  1  d.  par  £  pour  subvenir  aux  frais  du  ca- 
nal. La  Compagnie  ne  payait  pas  dans  leur  totalité  les  inté- 
rêts de  l'emprunt  qu'on  lui  avait  consenti,  et  au  lieu  de 
£  212.000  n'en  versait  que  £  30.000. 

La  corporation  nomme  onze  des  membres  du  Conseil  de 
direction  ;  la  Compagnie  n'en  nomme  que  dix.  La  corpora- 
tion possède  donc  un  privilège  que  le  Manchester  Ship  Canal 
(Finance)  Act  de  1904  a  rendu  perpétuel.  Ce  même  Act  a 
réduit  de  4  1/2  à  3  1/2  le  taux  de  1  intérêt  dû  par  la  Com- 
pagnie sur  les  5  millions  de  £  qu'on  lui  a  prêtés,  et  ramené 
ainsi  le  paiement  annuel  de  £  212.000  à  £  160.000.  Au  cas 
cil  la  Compagnie  ne  pourrait  payer  cette  somme  sur  ses 
revenus,  elle  la  complétera  par  l'émission  de  u  préférence 
stock  »  3  1/2  Vo-  Au  31  décembre  1904,  l'arriéré  des  inté- 
rêts dû  par  la  Compagnie  du  canal  s'élevait  à  £  1.803.990. 

Heureusement  pour  les  contribuables  de  iManchester,  la 
somme  que  paie  la  Compagnie  du  canal  va  maintenant  en 
augmentant  chaque  année.  L'impôt  supplémentaire  qu'on 


35o 


PREMIERB    PAUTIE.    CHAPITRE    XV 


leur  demande  par  £  n'est  plus  que  4  1/2  d.  en  1905.  La 
Compagnie  a  versé  à  la  corporation  £  123.  213  d'intérêts, 
et  a  émis,  afin  de  compléter  les  £  150.000  qu'elle  doit,  pour 
£  36  757  de  Manchester  Ship  Canal  préférence  Stock  que 
la  corporation  accepte  en  paiement  et  souscrit  à  la  Compa- 


gnie. 


Les  recettes  croissent  actuellement  beaucoup  plus  vite 
que  les  dépenses  qu'elles  dépassent  enfin  de  façon  sensible. 


Recettes 

Dépenses 

1895 

£  137.474     . 

£  115.329  (frais  de  dragage 
portés  au  compte 
Capital.) 

1900 

290.829     .     , 

207.080 

1901 

309.51  G     . 

207.455 

1902 

3.58.491     ,     . 

217.536 

1903 

397.025     . 

230.849 

1904 

418.043     .     . 

240  295 

1905 

449.436     .     . 

246.746 

L'entreprise  est  en  bonne  voie  maintenant  et  il  n'y  a  pas 
de  raison  pour  que  sa  situation  ne  continue  pas  à  s'amé- 
liorer. 

Le  cas  du  Manchester  Ship  Canal  est  un  cas  tout  à  fait 
spécial  d'entreprise  municipale  ;  il  fait  exception  à  la  règle 
bien  établie  qu'on  ne  doit  pas  permettre  à  une  corporation 
de  souscrire  à  une  entreprise  privée.  Etant  donné  Timpor- 
tance  de  la  somme  avancée,  l'exception  n'en  est  que  plus 
remarquable.  On  pourrait  cependant  citer  quelques  autres 
exemples  de  villes  qui  ont  été  autorisées  à  souscrire  à  des 
entreprises  particulières.  HuU  a  reçu  la  permission  de 
souscrire  £  100.000  pour  un  chemin  de  fer.  La  cité  de  Lon- 
dres a  également  contribué  aux  dépenses  de  construction 


ENTREPRISES   DIVERSES  35 1 

d'un  autre  chemia  de  fer.  Ce  sont,  répétons-le»  des  cas 
exceptionnels. 

Avant  de  quitter  les  questions  maritimes,  disons  un  mot 
des  bacs  à  vapeur  (ferries)  qiie  possèdent  et  exploitent  cer* 
laines  municipalités  ;  les  rapports  du  Local  Government 
Board  nous  apprennentqu'en  1902-1903  le  total  des  emprunts 
contractés  pour  la  construction  des  ponts  et  bateaux  (bridges 
and  ferries)  s  élevait  à  £  4.678.268  (dont  £  209  812  em* 
pruntées  en  1902-1903).  La  corporation  de  Birkenhead  ex- 
ploite plusieurs  lignes  de  ferries  qui  font  le  service  sur  la 
Mersey  entre  Rirkenhoad  etLiverpool.  Le  trafic  entre  les 
deux  rives  est  considérable  ;  les  départs  sont  fréquents,  les 
bateaux  peu  luxueux,  aussi  la  municipalité  de  Birkenhead 
arrive  t- elle  à  réaliser  sur  ce  service  nu  bénéfice  sérieux, 
qui  dépasse  £  6.000  en  1905  et  atteint  parfois  £  10.000.  Il 
n'en  est  pas  de  même  des  ferries  du  London  County  Coun- 
cil.  Ces  bateaux  ont  commencé  leur  service  sur  la  Tamise 
le  17  juin  1905,  c'est  à-dire  près  de  3  mois  après  l'ouverture 
de  Tannée  financière  1905-1906  ;  eu  9  mois  ils  ont  creusé  un 
déficit  de  £  51.205.  On  estime  qu'en  1906-1907  le  déficit 
atteindra  £  51.955,  ce  qui,  si  les  prévisions  se  réalisent, 
portera  la  perte  totale  à  £  102. 16Ô  en  moins  de  deux  ans. 
Les  résultatsde  1905  1906  ne  sont  sans  doute  queoeux  d'une 
année  incomplète  :  ils  n'en  sont  pas  moins  déplorables. 
Quelque  riche  que  puisse  être  une  ville  comme  Londres, 
une  perte  de  £  50.000  sur  un  service  qui  n'a  fonctionné  que 
9  mois  dépasse  vraiment  les  bornes  permises  et  ne  prouve 
pas  en  faveur  de  la  gestion  municipale. 

Abordons-nous  à  présent  les  questions  d'hygiène,  nous 
voyons  que  plusieurs  municipalités  anglaises  ont,  pour 
enrayer  le  taux  trop  élevé  de  la  mortalité  infantile  dans  les 


352  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    XV 

quartiers  pauvres,  décidé  de  distribuer  du  lait  stérilisé  (1). 
L'idée  de  fournir  aux  mères  de  familles  du  lait  municipal 
stérilisé  pour  leurs  nourrissons  est  née  à  St-Helens  il  y  a 
8  ou  9  ans  déjà.  Liverpool,  DukinOeld,  York,  Ashton- 
under-Lyne,  Belfast,  Glasgow,  Battersea,  plusieurs  autres 
villea  encore  ont  suivi  cet  exemple,  malgré  les  protesta- 
tions  que  les  marchands  de  lait  élevèrent  contre  cette  con- 
currence injuste  ;  n'étaient-iis  pas,  disaient-ils  non  sans 
raison,  en  état,  tout  aussi  bien  que  les  autorités  locales  elie*^ 
mêmes,  de  fournir  du  lait  stérilisé,  surtout  lorsque  ces  der- 
nières ne  possèdent  ni  vaches,  ni  fermes  ? 

A  Saint  Helens  (voir  la  déposition   de  M.  Jeeves»  ancien 
town  clerk  de  la  ville,  devant  le  Comité  de  1900)  (2),  le 
taux  de  la  mortalité  infantile  était  particulièrement  élevé. 
Il  atteignait  176  ^  j^o  alors  qu'une  moyenne  établie  à  l'aide 
des  statistiques  de  33  grandes  villes  n  arrivait  qu'à  170.  En 
1899,  la  moyenne  des  33  mêmes  villes  s'élevait  à  182  ;  celle 
de  St-Helens  descendait,  par  suite  de  la  distribution  de  lait 
stérilisé,  à  157.  La  corporation  avait  envoyé  une  commis- 
sion étudier  en  France  la  stérilisation  du  lait,  et  décidé  de 
fournir  non  seulement  le  liquide,  mais  encore  les  bouteilles 
que  les  mères  rapportent    chaque   jour  pour  qu'on  les 
nettoie  ;  on  leur  en  donne  de  propres  eu  échange.  La  muni- 
cipalité achète  le  lait  à  des  marchands  de  lait  et  le  revend 
ensuite  à  un  prix  qui  la  rembourse  presque  de  ses  dépen- 
ses ;  elle  prétend  ainsi  ne  pas  faire  la  moindre  concurrence 
au  commerce  des  particuliers  et  poursuivre,  sans  nuire  à 
personne,  le  but  sanitaire  qu*elle  s*est  proposé. 

La  mortalité  infantile  avait,  àLiverpool,  également  attiré 
Tattention  des  autorités  et  des  hygiénistes.  Entre  autres 

(1)  Voir  Times,  23  aoiU  1902. 

(2)  Municipal  Trading  lUpori,  1900,  p.  253. 


ENTREPRISES   DIVERSES  353 

mesures  prises  pour  enrayer  le  mal,  on  cite  rétablissement 
de  dépôts  qui  fournissent  à  la  population  pauvre  du  lait 
«  stérilisé  et  humanisé  «>.  Les  dépenses  de  ce  service  ont 
atteint  en  1904  £  3.633  18  s.  6d.,  les  recettes  £  1.670  0  s. 
6  d.  Le  déficit  s'élève  donc  à  £  1.957  18  s.  0  d.  (1).  Il  est 
dans  une  certaine  mesure  excusable  puisqu'il  s'agit  ici  d'une 
institution  sanitaire  et  non  d'une  entreprise  commerciale» 

Glasgow  fournit  aussi  du  lait  stérilisé  dans  des  bouteilles 
munies  de  têtières.  Ce  service  lui  a  rapporté  £  806  1  s.  8  d. 
en  1904-1905  et  lui  a  coûté  £  3.761  19  s.  1  d.  Il  faut  dire 
que  ces  chiffres  se  rapportent  à  la  première  année  de  l'ex- 
ploitation et  <)ue,  dans  le  chiffre  des  dépenses,  l'installation 
des  dépôts  et  des  stérilisateurs  figure  pour  environ  £2.000. 

Les  établissements  municipaux  créés  pour  la  vente  du 
lait  stérilisé  sont  en  général  placés  sous  la  direction  de 
femmes  en  état  de  donner  aux  femmes  du  peuple  les  con- 
seils dont  elles  ont  besoin  pour  élever  leurs  enfants  en  bas 
âge. 

Après  la  municipalisation  du  lait,  on  a,  à  maintes  repri- 
ses, proposé  celle  des  boissons  alcooliques.  Un  sous- co- 
mité du  Glasgow  Town  Council  y  avait  songé  :  la  corpora- 
tion aurait  établi  dans  certains  quartiers  des  débits  de 
boisson  dont  on  aurait  employé  les  profits  à  la  satisfaction 
de  quelque  besoin  public.  Le  projet  n'obtint  pas  l'approba- 
tion du  Conseil.  Le  Town  Council  de  Oevonport  a  résolu 
de  demander  pour  lui-même  toutes  les  licences  qu'il  juge- 
rait nécessaires,  dans  les  nouveaux  districts  de  son  bo- 
rough  (2)  ;  plusieurs  autres  municipalités  ont  gardé  les 
débits  de  boisson  tombés  enti*e  leurs  mains  à  la  suite  de 

(1)  Linerpool  Account  s,  1904,  p.  93. 

(2)  Times,  23  août  1902. 

Boverat  23 


354         PREMIERE  PARTIE.  CHAPITRE  XV 

Texécution  d'  «   Improvement  Schemes  »  et  les  font  ex- 
ploiter par  des  fonctionnaires  municipaux. 

M.  des  Cilleuls  rappelle  {op.  cit.,  p.  168)  qu'à  Elan,  près 
de  Birmingham,  fonctionnent  des  débits  de  boissons  muni- 
cipaux et  que  pour  prévenir  un  échec  pratique  la  police 
employa  trois  moyens  : 

{''Achat  de  la  plupart  des  public-houses. 

2''  Refus  systématique  de  toute  nouvelle  licence. 

3°  Concurrence  irrésistible  aux  récalcitrants. 

u  A  Manchester,  dit-il,  la  municipalité  a  opéré  de  même 
pour  les  brasseries,  bars  et  hôtels  ;  de  1892  à  1897  elle 
acquit  29  établissements,  en  ferma  21  et  en  revendit  3  ;le 
tout  revint  à  plus  de  2.150.000  fr.,  déduction  faite  des  re- 
ventes. » 

De  la  liqueur  aux  refuges  pour  ivrognes,  iln*yaqu'un 
pus.  Plusieurs  autorités  locales  ont  entrepris  de  guérir  les 
personnes  atteintes  de  ce  vice  soit  en  construisant  elles- 
mêmes  des  maisons  spéciales  où  elles  les  feront  soigner, 
soit  en  accordant  des  subsides  à  des  œuvres  privées.  C'est 
ainsi  que  (jlasgow^  a  acheté  dans  le  Airshyre  une  vaste 
demeure  où  l'on  poursuivra  la  guérison  des  ivrognes  des 
deux  sexes  et  que  le  London  County  Council  a  dépensé 
£  20.000  à  bâtir  à  Horley,  dans  le  Surrey,  un  refuge  quil 
destine  au  même  genre  de  malades. 

La  municipalisation  des  hôpitaux  trouve,  elle  aussi,  des 
avocats  convaincus  ;  beaucoup  d*Anglais considèrent  comme 
proche  le  jour  où,  pour  construire  ou  entretenir  des  hôpi- 
taux, il  sera  nécessaire  d'avoir  recours  soit  à  Taide  du  gou- 
vernement, soit  aux  subventions  des  municipalités.  Long- 
temps les  autorités  locales  se  sont  bornées  à  construire  des 
hôpitaux  pour  les  fiévreux  et  pour  les  personnes  atteintes 


ENTREPRISES    DIVERSES  355 

de  la  petite  vérole  ;  elles  abandonnaient  habituellement  à 
rinitiative  privée  les  hôpitaux  où  Ton  soignait  les  autres 
maladies  ou  n'en  construisaient  qu*en  suivant  la  procédure 
(lu  Private  Bill.  En  1893,  Blackburn  obtint  de  cette  façon 
rautorisation  d'élever  ou  d'agrandir  tout  hôpital,  infirmerie 
ou  dispensaire  situé  dans  son  district.  Le  Local  Govern- 
ment Board  déclara  même,  postérieurement  à  cette  date, 
qu'une  autorité  locale  pouvait  fonder  et  entretenirun  hôpital 
à  Taide  des  impôts  ;  la  municipalisation  des  hôpitaux  n'au- 
rait par  conséquent  rien  d'illégal  en  elle-même.  Birming- 
ham, Manchester,  Liverpool,  Glasgow  et  nombre  de 
grandes  villes  possèdent  des  hôpitaux  magnifiques  et  tout 
récemment  construits,  dont  l'entretien  coûte  chaque  année 
<les  sommes  considérables.  Sheffield,  Edimbourg,  Halifax, 
ont  décidé  d'élever  des  sanatoria.  Dans  beaucoup  d'endroits 
néanmoins,  on  n'a  rien  changé  aux  anciennes  habitudes,  et 
Tes  municipalités  continuent  à  laisser  à  la  générosité  des 
particuliers  le  soin  de  subvenir  à  la  création  et  à  l'entretien 
des  hôpitaux. 

Au  point  de  vue  sanitaire  les  villes  anglaises  ont  fait, 
dans  le  dernier  quart  du  xix®  siècle,  de  très  sensibles  pro- 
grès ;  elles  sont  devenues  plus  propres  et  ont  construit  des 
systèmes  perfectionnés  d'égouts  ;  avec  une  ingéniosité  re- 
marquable, leurs  municipalités  ont  cherché  et  réussi  à  tirer 
parti  des  détritus  de  toutes  sortes  qui  chaque  jour  s'amon- 
cellent dans  les  grandes  villes.  Nous  avons  déjà  vu  qu'elles 
avaient  bâti  des  a  destructors  »  énormes  dont  elles  faisaient 
servir  la  chaleur  à  la  production  de  rélectricito  et  qu'elles 
utilisaient  les  résidus  de  la  combustion  à  fabriquer  une 
sorte  de  mortier,  qu'on  agglomère  en  pavés  et  dalles;  les 
villes  qui  se  livrent  à  cette  industrie  deviennent  chaque 
jour  plus  nombreuses  ;  parmi  elles,  citons   Birmingham, 


356         PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  XV 

Liverpool,  (ilasgow,  Sheffield,  Bradford,  etc.  Elles  se  ser- 
vent de  ces  dalles  pour  le  pavage  de  leurs  rues  et  de  leurs 
trottoirs,  quelquefois  aussi  elles  les  utilisent  dans  la  cons- 
truction des  maisons. Lorsqu'elles  en  ont  plus  qu'il  ne  leur 
en  faut  pourleurs  propres  besoins, elles  les  vendent  au  public 
comme  le  ferait  un  simple  marchand.  C'est  ainsi  que  la 
municipalité  de  Bootle  (1)  insère  dans  la  Liverpool  Daily 
Post  des  annonces  invitant  les  entrepreneurs  à  soumis- 
sionner pour  Tachât  de  3.000  yards  de  dalles  agglomérées 
(concrète  flags).  L'Aston  Manor  urban  district  council  en- 
voie des  circulaires,  dans  lesquelles  il  offre  des  dalles  ana- 
logues,véritables  prospectus  commerciaux  qui  mentionnent 
les  prix,  la  qualité  et  la  nature  de  la  marchandise.  C'est  un 
article  pour  la  vente  duquel  les  municipalités  font  à  Tin- 
dustrie  particulière  une  concurrence  des  plus  sérieuses; 
elles  vendent  en  effet  très  bon  marché,  jusqu'à  25  •/«,  pa- 
rait-il, au-dessous  du  coût  de  fabrication. 

Ces  dalles  ne  sont  pas  toujours,  dit-on,  d'une  qualitt- 
supérieure  ;  mais  les  municipalités  trouvent  moyen  de  s*en 
défaire  en  spécifiant,  dans  les  contrats  qu'elles  passent 
avec  les  entrepreneurs,  qu'il  faudra  les  employer  dans 
l'exécution  de  tel  ou  tel  travail. 

Plusieurs  villes  anglaises  transforment  aujourd'hui  en 
engrais  les  matières  solides  roulées  par  leurs  égouts. 

C'est  dans  ce  but  que  Glasgow  a  établi  à  Dalmarnock, 
sur  les  bords  de  la  Clyde,  d'immenses  bâtiments  où  les 
matières  solides  des  égouts,  extraites  chimiquement  par 
le  procédé  de  la  précipitation,  puis  pressées  et  agglomé- 
rées en  g&teaux  cubiques,  sont  finalement  vendues  comme 
engrais.  La  ville  a  même  récemment  construit  un  appareil 

(t)  Voir  Municipal  Trading  Beport,  1900  ;  Queat.  4168-4170. 


ENTREPRISES    DIVERSES  357 

séchoir  permettant  de  traiter  ces  gâteaux  par  quantités 
considérables  et  de  les  réduire  en  une  poudre,  qu'elle  a 
baptisée  du  nom  de  «  globe  fertiliser  ». 

Glasgow  dérive  de  la  vente  de  ces  gâteaux  et  de  cette 
poudre  des  revenus  considérables  ;  c'est  ainsi  qu'à  Dal- 
marnock  (Ëastern  purification  works)  on  a  vendu  en  1904- 
1905  pour  £  544.17  s.  3  d.de  globefertilizer;  pour  £413.4 
s.  1  d.  de  (c  rough  manure  »  (engrais  brut)  et  de  «pressed 
cake  ))  (engrais  agglomérés  en  cubes).  A  Dalmuir,  pour  £  36 
de  u  rough  manure  ». 

Glasgow  possède  des  «  refuse  destructors  »  et  des  «  uti- 
lisers»,  c'est  à-dire  des  fours  pour  brûler  et  des  machi- 
nes pour  passer  au  crible  la  masse  énorme  de  détritus  et 
d'ordures  de  toutes  sortes  qu'on  ramasse  chaque  jour  dans 
ses  rues. La  quantité  totale  ainsi  traitée  en  1904-1905  s'élève 
à  302.  663  tonnes.  Le  <*  cleansing  department  »  possède 
plus  de  500  wagons  de  chemins  de  fer  et  vend  ses  produits 
aux  fermiers  de  la  moitié  des  comtés  d'Ecosse.  Il  possède 
à  Ryding,  Robroyston  et  Maryburgh  des  propriétés  d*une 
superficie  de  1515  acres.  «  Le  Cleansing  Department,  dit  le 
Municipal  Year  Book  (p.  347)  a  transformé  d'inutiles 
pays  de  marais  en  un  paradis  agricole  »  ;  il  a  des  chemins 
de  fer  sur  ses  propriétés,  il  possède  des  carrières  et  des 
ateliers. 

Nombreuses,  nous  l'avons  déjà  vu,  sont  les  corporations 
qui  réalisent  de  sérieux  bénéfices  sur  la  vente  des  produits 
résiduels  du  gaz.  Manchester  fait  un  commerce  considéra- 
ble dé  savon,  d'huile,  de  suif,  de  mortier,  d'autres  mar- 
chandises  encore  qu'elle  tire  de  déchets  et  de  détritus  de 
tout  genre.  Son  «cleansing  department  )>  est  le  plus  im- 
portant du  Royaume-Uni  ;  il  a  ramassé,  trié  et  traité  en 
1904-1905,  353.399  tonnes  de  déchets,  provenant  des  vidan- 


358  PUEMIËRE    PAHTIE.    CHAPITRE   XV 

ges,  du  balayage  des  rues,  des  marchés  et  des  abattoirs.  Il 
est  propriétaire  de  deux  vastes  terrainsdeS.GHl  acres  où  Ton 
se  débarrasse  des  ordures  de  la  cité  ;  il  possède  des  ateliers 
où  Ton  fabrique  des  outils,  des  voitures,  des  brosses,  des 
machines,  etc.  Oa  ne  brûle  dans  les  destructors  que  ce  qui 
ne  peut  servir  réellement  à  rien. 

Non  contentes  de  vendre  Tengrais  qu'elles  extraient  des 
matières  solides  des  égouts,  les  municipalités  possèdent 
encore  des  fermes  sur  lesquelles  elles  déversent  le  liquide 
de  ces  mêmes  égouts,  cultivent  des  légumes  et  élèvent de« 
animaux  domestiques.  La  corporation  de  Torquay  élève 
des  lapins  et  emploie,  dit  elle,  à  la  «  réduction  »  des  impôts 
les  bénéfices  qu'elle  réalise  sur  la  vente  de  ces  rongeurs. 
Celle  de Tunbridge  Wells  fait  croître  du  houblon,  celle  de 
Liverpool  de  la  betterave  sur  les  fermes  d'épandage  de 
Walton.  Colchester  possède  des  parcs  à  huîtres  munici- 
paux, et  si  l'Angleterre,  suivant  l'exemple  de  Catane,  n*a 
pas  encore  de  boulangerie  municipale,  faute  n'en  est  pas, 
en  tous  cas,  aux  socialistes  qui  en  ont  bien  souvent  fait  la 
proposition.  On  a  fait  une  campagne  et  même  une  pétition, 
qu'un  membre  du  Parlement  voulut  bien  appuyer,  pour 
faire  conlier  à  l'Etat  la  fabrication  du  pain.  L'exécution  de 
ce  projet  eût  coûté,  pour  la  seule  ville  de  Londres,  plus  de 
£  10.000.000,  sans  compter  les  indemnités  énormes  qu'il 
aurait  fallu  payer  aux  boulangers  expropriés.  Il  n'y  aurait 
plus  eu  de  boulangeries  particulières,  et  en  cas  de  grève 
des  ouvriers  municipaux, on  se  serait  trouvé  dans  l'agréable 
alternative  de  mourir  de  faim  ou  de  manger  du  biscuit  de 
mer  ! 

Les  municipalités  de  Brighton  et  de  Doncaster  possèdent 
des  champs  de  course  qui  leur  rapportent  annuellement 
de  2  à  3.000  £,  Brighton  et  Southborough  ont  des  théâtres 
municipaux.  West-Ham  a  dû  renoncer,  à  regret,  à  établir 


ENTREPRISES    DIVERSES  359 

un  atelier  de  reliure  municipal  et  Battersea  à  créer  une  im- 
primerie. La  première  de  ces  deux  villes  se  console  en  ven- 
dant des  pavés  et  des  dalles,  la  seconde  a  établi  une  scierie 
où  elle  débite  le  bois  dont  elle  a  besoin.  Cardiff  en  possède 
également  une  où  elle  transforme  en  pavés,  sans  le  secours 
de  qui  que  ce  soit,  le  bois  qu'elle.importe  d'Australie. 

Dans  les  districts  du  Nord  de  l'Angleterre  on  a  plusieurs 
fois  proposé  d'autoriser  les  municipalités  à  acheter  des  mi- 
nes de  charbon  :  sans  d'ailleurs  indiquer  comment  on  se 
procurerait  les  sommes  énormes  que  nécessiterait  Tachât 
de  ces  mines,  et  sans  prouver  que  les  municipalités,  en 
employant  elles  mêmes  les  mineurs,  produiraient  plus  et 
rencontreraient  dans  leurs  rapports  avec  les  ouvriers  moins 
de  difficultés  que  les  Compagnies  particulières. 

Nottingham  possède  une  volière  et  Brighton  un  aqua- 
rium  dont  la  construction  a  coûté  £  30.000  et  dont  l'ex- 
ploitation se  traduit  pour  les  contribuables  par  une  perte 
d'environ  £50  par  semaine  ;  les  tristes  résultats  de  son 
exploitation  vont  probablement  décider  la  corporation  à 
le  remettre  à  un  concessionnaire.  Harrogate  possède,  ou- 
tre ses  bains,  un  jardin  d'hiver,  un  kursaal  (£  43.000),  les 
salles  de  concert  de  Royal  Spa  et  des  jardins  ;  elle  donne  à 
ses  baigneurs  des  feux  d'artifice. 

Plusieurs  municipalités,  Bournemouth  entre  autres,  pos- 
sèdent des  «  Golf  links  »  ;  d'autres  sont  propriétaires  dé 
vélodromes. 

Les  municipalités  ne  sont  pas  en  général  insensibles  à 
Tart  et  à  la  musique,  et  il  n'y  a  pas  une  plage  anglaise  tant 
soit  peu  en  vogue  qui  n'ait  sa  «  Municipal  Band  »  qu'on 
peut  aller  matin  et  soir  entendre  jouer  au  bord  de  la  mer, 
sur  le  i<  Front  ».  La  corporation  de  Halifax  a,  dans  un  bill, 
demandé  la  permission  de  lever  un  impôt  de  1/2  d.  pour 


36o         PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  XV 

couvrir  les  frais  de  ses  concerts  et  des  représentations  mu- 
sicales. West  Hain  et  Battersea,  ces  deux  sanctuaires  du 
socialisme  municipal,  régalent,  même  en  hiver,  mais  à 
leurs  frais*bien  entendu,  leurs  contribuables  de  musique. 
En  1905,  Liverpool  dépense  en  concerts  publics  une  somme 
de£1.143. 

Non  contentes  d'orner  de  fleurs  les  jardins  et  les  places 
publiques,  certaines  municipalités,  Glasgow,  Liverpool, 
Leicester  notamment,  fournissent  pour  les  fenêtres  des 
maisons  situées  dans  les  districts  pauvres  et  populeux 
des  caisses  pleines  de  plantes  et  de  Oeurs.  Celle  de  Li- 
verpool est  très  lière  d'avoir  en  1905  envoyé  916  de  ces 
«  window  boxes  »  et  <(  d'avoir  ainsi  égayé  rexistence  de 
personnes  obligées  d'habiter  des  rues  aussi  tristes  et  aussi 
peu  intéressantes  ».  Elle  adresse  des  félicitations  au 
Comité  des  parcs  qui  a  si  bien  su  s'acquitter  de  ses  de- 
voirs. 

L'énumération  pourrait  continuer  encore  pendant  plu- 
sieurs pages  de  toutes  les  entreprises  que  les  municipalités 
anglaises  ont  peu  à  peu  réussi  à  faire  rentrer  dans  leurs 
attributions.  Sachant  toutes  les  diflicultés  que  présente, 
même  pour  une  personne  qui  s  y  consacre  exclusivement, 
lu  gestion  d'une  seule  affaire,  quel  n'est  pas  notre  étonne- 
ment  lorsque  nous  songeons  que  toutes  les  entreprises  que 
nous  venons  de  rappeler  vont  se  trouver  dirigées  par  une 
assemblée  de  conseillers,  dont  les  seules  fonctions  consis- 
taient primitivement,  et  devraient  encore  consister,  à  régler 
lesquestions.de  police,  d'hygiène  publique  et  de  voirie. 
Qui  sont  ces  conseillers  ?  Les  a-t-on  mis  en  état,  par  un 
entraînement  spécial,  de  bien  remplir  leurs  fonctions  ?  En 
aucune  façon.  Vont-ils  y  consacrer  tout  leur  temps  et  toute 
leur  énergie  P  Encore  aaoins.  x\ous  les  verrons  s'acquitter 


ENTREPRISES    DIVERSES  36 1 

de  ce  monceau  de  devoirs  difficiles  comme  d'un  plaisir,  dans 
les  moments  de  loisirs  que  leur  laissent  leurs  occupations 
journalières.  En  sortant  de  son  usine,  de  son  bureau,  ou  de 
sa  boutique,  l'industriel,  le  commerçant  et  le  boutiquier 
vont  s^acheminer  vers  la  salle  où  leur  comité  tient  ses  séan- 
ces ;  ils  s'y  rendront  en  amateurs,  comme  ils  se  rendraient 
à  leur  club  ou  à  une  réunion  quelconque,  ne  possédant  en 
général,  sur  Tentreprise  dont  on  leur  remet  naïvement  la  di- 
rection que  des  connaissances  excessive  ment  vagues.  Que 
leur  importe  ?  Ils  savent  que  l'argent  qu'ils  vont  y  risquer 
n'est  pas  le  leur,  mais  celui  de  contribuables  indolents  que 
des  fautes  et  des  erreurs  financières  même  grossières  au- 
ront peine  à  sortir  de  leur  torpeur.  Dénués  de  toute  expé- 
rience des  affaires  municipales  avant  leur  élection,  ce  n'est 
certainement  pas  leur  nouveau  titre  d'édile  qui  leur  confè- 
rera  les  qualités  d'administrateur  qui  leur  seraient  pourtant 
bien  nécessaires  pour  faire  face  à  une  tâche  aussi  ardue  ; 
il  est  à  craindre  au  contraire  qu'il  ne  les  mette  dans  un  état 
d'esprit  où  le  plus  ou  moins  de  capacité  qu'ils  pouvaient 
avoir  avant  leur  élection  se  trouvera  soudain  paralysé  ; 
où  ils  ne  songeront  plus  qu'à  satisfaire  les  intérêts  d'élec- 
teurs influents  et  rapaces,  de  la  bonne  volonté  desquels  ils 
savent  que  leur  sort  dépend.  Nous  nous  proposons  de  mon- 
trer, dans  les  seconde  et  troisième  parties  de  cette  étude,  les 
résultats  politiques  et  financiers  auxquels  conduit  infailli- 
blement un  pareil  système. 


DEUXIÈME  PARTIE 


LA  POLITIQUE  OUVRIÈRE 
DES  MUNICIPALITÉS  ANGLAISES 


J 


DEUXIÈME  PARTIE 

LA.  POLITIQUE  OUVRIÈRE  DES 
MUNICIPALITÉS   ANGLAISES 


CHAPITRE  PREMIER 


OUVRIERS  ET  EMPLOYÉS.  —  SALAIRES   BT    HEURES  DE  TRAVAIL. 


L'étude  de  la  politique  ouvrière  des  municipalités  anglai- 
ses soulève  une  double  questipn  :  celle  des  salaires  payés 
aux  ouvriers;  celle  de  la  régie  directe.  Nous  les  étudierons 
successivement. 

La  question  du  taux  des  salaires  et  la  durée  du  travail 
est  le  point  autour  duquel  gravite  depuis  des  siècles  toute 
l'agitation  ouvrière  ;  tout  entrepreneur,  et  Tautorité  locale 
lorsqu'elle  revêt  cette  qualité,  doit  prendre  position  dans  la 
question.  Mais  le  moindre  examen  du  problème  montre  que 
la  situation  des  ouvriers  vis-à-vis  des  entrepreneurs  parti- 
culiers n'est  pas  la  même  que  celle  qu'ils  occupent  vis-à-vis 
des  municipalités.  Leur  unique  moyen  de  pression  à  Tégard 
des  premiers  est  la  grève  ;  le  principal  moyen  de  défense 
des  entrepreneurs  le  renvoi.  Travaillent-ils  au  contraire  pour 
des  autorités  locales  nées  de  Télection,  les  ouvriers  se  trou- 


366  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

vent  vis-à-vis  d'elles  dans  un  rapport  double  et  tout  diiïê- 
rent  du  précédent.  Us  sont,  d'un  côté,  ses  ouvriers,  et  leurs 
relations  sont  alors  celles  d*employés  à  employeur  ;  ils  sont, 
de  l'autre,  des  électeurs  en  face  d'une  autorité  locale  qu'ils 
ont  choisie,  et  qui  n'est  pas,  comme  l'entrepreneur  privé, 
irresponsable  vis-à-vis  d'eux.  Devant  le  corps  électoral  le 
Town  Council  répond  de  toutes  ses  actions.  Bien  plus,  la 
classe  ouvrière,  disposant,  grâce  à  son  droit  de  vote,  d'une 
influence  directe  sur  la  composition  de  ce  Conseil,  pourra 
y  envoyer  des  défenseurs  qui  prendront  sa  cause  en  main  el 
chercheront  à  lui  faire  obtenir  des  salaires  élevés  et  des 
journées  de  travail  d'une  lon«j;ueur  raisonnable. 

La  candidature  des  conseillers  ouvriers,  relativement  ré- 
cente encore,  a  déjà  fait  beaucoup  parler  d'elle  ;  ces  conseil- 
lers ont  aujourd'hui  des  sièges  dans  presque  toutes  les  mu- 
nicipalités ;  dans  certaines  assemblées  même,  ils  ontpendant 
un  temps  disposé  d'une  majorité  absolue.  Quelque  fût  leur 
nombre  d'ailleurs,  ils  ont  partout  exercé  une  influence 
considérable.  Ils  ont  gagné  à  leurs  idées  des  députés  con- 
servateurs ou  bourgeois  jusque-là  peu  favorables  à  leur 
politique.  Au  London  County  Council,  on  a  vu  le  groupe 
au  débat  si  petit  des  députés  socialistes  et  ouvriers  réussir  à 
convertir  à  ses  idées  la  majorité  progressiste  du  Conseil. 
C'est  le  Conseil  de  Comté  de  Londres  qui  a  montré  aux  villes 
anglaises  la  voie  nouvelle  où,  à  son  exemple,  elles  se  sont 
presque  toutes  engagées  avec  plus  ou  moins  de  rapidité. 

Il  serait  trop  long  de  retracer  ici  l'histoire  de.s  différentes 
mesures  au  moyen  desquelles  les  Conseils  municipaux  ont 
cherché  à  améliorer  la  condition  de  leurs  ouvriers.  Il  en  est 
une  cependant  qu^il  est  intéressant  de  rappeler:  c'est  l'intro- 
duction de  la«  Pair  Wages  Clause  »  (clause  du  juste  salaire) 
dans  les  contrats  passés  par  les  municipalités  avec  leurs 
entrepreneurs  pour  l'exécution  de  leurs  travaux  publics. 


OUVRIERS   ET   EMPLOYlés  867 

Cette  clause  fut  adoptée  par  le  London  County  Gouncil 
le  3  mars  1889  (1).  Depuis  une  dizaine  d'années  environ^ 
les  syndicats  de  la  métropole  menaient  une  campagne  per« 
sévérante  pour  obtenir  des  autorités  locales  et  gouverne- 
mentales qu'elles  n'accordassent  de  travaux  qu'aux  mai- 
sons qui  payaient  un  salaire  raisonnable,  entendons  le 
salaire  syndical.  C'est  le  School  Board  de  Londres  qui,  le 
premier,  s'occupa  de  la  question.  En  janvier  188U  son  co- 
mité de  construction  décidait  de  repousser  un  contrat  sous 
prétexte  que  l'entrepreneur  ne  payait  pas  de  salaires  suffi- 
sants ;  il  proposait  qu*à  l'avenir  tout  entrepreneur  s'en- 
gageât, lors  de  la  conclusion  du  contrat,  à  payer  aux 
ouvriers  qu'il  emploierait  un  salaire  au  moins  égal  au 
salaire  minimum  couramment  payé  dans  le  métier.  Le  taux 
de  ce  salaire  minimum  fut  fixé  dans  un  projet  spécial 
d'après  les  salaires  syndicaux  et  adopté  finalement  par  le 
School  Board  dans  sa  séance  du  7  février  1889.  C'était  la 
première  fois  qu'une  autorité  publique  en  Angleterre  pres- 
crivait à  ses  entrepreneurs  le  taux  des  salaires  qu'ils  auraient 
à  payer.  La  résolution  était  ainsi  conçue  :  «  Partout  où  sera 
en  vigueur  l'échelle  des  salaires  de  Londres,  l'entrepreneur 
ne  devra  pas  payer  à  ses  ouvriers  un  salaire  inférieur  au  sa- 
laire minimum  constaté  dans  les  différents  métiers.  Dans 
tous  les  autres  districts  où  Téchelle  des  salaires  de  Londres 
ne  sera  pas  en  vigueur,  l'entrepreneur  devra  payer  à  ses 
ouvriers  et  à  tous  autres  ouvriers  indirectement  employés 
par  lui  à  Texécution  de  son  contrat,  un  salaire  qui  ne  sera 
pas  inférieur  au  salaire  minimum  alors  en  usage  et  géné- 
ralement payé  aux  ouvriers.  »  Le  3  mars  1889,  le  London 
County  Council  adoptait  une  clause  presque  identique  à 
celle  que  venait  d'adopter  le  School  Board. 

(\)  Hugo,  op.  cr<,,  pp.  2*7-248. 


368  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

La  rédaction  un  peu  obscure  de  cette  clause  eut  pour  effet 
^l'écarter  des  adjudications  les  meilleurs  des  entrepreneurs 
de  travaux  publics.  Sur  la  proposition  de  John  Burns  (27 
mai  1892),  le  Conseil  remplaça  la  clause  ci-dessus  par  une 
nouvelle  clause  exigeant  de  tous  les  adjudicataires  qu'ils 
affirmassent  par  écrit  qu*ils  payaient  les  salaires  des  syndi- 
cats et  observaient  la  durée  de  travail  fixée  par  les  Trade- 
Unions.  La  résolution  fut  pour  une  rédaction  plus  détaillée 
renvoyée  à  un  comité  spécial,  lequel  s'occupa  plus  parti 
culièrement  de  la  question  de  savoir  comment  on  pourrait 
garantir  efficacement  l'exécution  exacte  des  contrats  rela- 
tivement au  taux  des  salaires  et  à  la  durée  du  travail.  Le 
moyen  juridique  le  plus  sûr  parut  être  la  préparation  et 
Tadoption  d'un  règlement  spécial  sur  les  soumissions.  Le 
London  County  Council  dressa  donc  une  liste  des  salaires 
et  des  heures  de  travail  que  le  Conseil  lui-même,  aussi 
bien  que  ses  entrepreneurs,  devrait  observer  pour  tous  les 
travaux  à  exécuter  dans  un  rayon  de  20  miles.  En  dehors 
de  ce  rayon,  on  se  conformerait  aux  salaires  et  aux  heures 
de  travail  approuvés  par  les  syndicats  des  districts  intéressés. 
Le  L.  C.  C.  (1)  s*est  réservé  le  droit  de  fixer  les  salaires 
mi  ni  ma  des  métiers  dont  les  ouvriers  n'ont  pas  formé  de 
-syndicats,  et  il  a,  en  conséquence,  fixé  les  salaires  à  2i  s. 
pour  les  hommes  et  18  s.  pour  les  femmes  ;  salaire  très 
raisonnable  par  rapport  à  ceux  que  touchent  couramment 
à  Londres  les  ouvriers  non  qualifiés.  Pour  empêcher  que 
^entrepreneur  n*échappàt  à  ces  conditions  au  moyen  de 
cessions  totales  ou  partielles  de  son  contrat,  il  fut  interdit 
de  faire  de  semblables  cessions  sans  le  consentement  préa- 
lable du  Conseil,  consentement  qui  n'est  accordé  que  si  le 

(1)  L.  C.  C  est  l*abrévialion  courante  pour  London  County  Council. 


OUVRIERS   ET    EMPLOYÉS  36g 

SOUS- contractant   s'enga<;e  à    observer  les  conditions  du 
preiuier  contrat. 

Ce  régime  ne  s'appliqua  d'abord  qu*aux  soumissions  re- 
latives à  Texécution  de  certains  travaux,  et  notamment  à  la 
construction  de  bâtiments  et  à  celle  des  égouts.  On  i'éten- 
dit  ensuite  à  la  fabrication  des  marchandises  et  des  matières 
brutes. Finalement  on  ajouta  dans  les  marchés  passés  pour 
la  fourniture  des  objets  d'habillement,  chapeaux,  manteaux, 
etc.,  et  pour  empêcher  qu'ils  ne  fussent  fabriqués  dans  les 
conditions  du  sweating,  une  clause  spéciale  ainsi  conçue  : 
«r  Les  entrepreneurs  s'engagent  expressément  à  faire  exé- 
eu  ter  dans  leurs  ateliers  mêmes  tout  le  travail  que  néces- 
sitera Texécution  de  ce  contrat.  »  Toute  contravention  est 
punissable  d'une  amende  de  100  £  que  le  L.  G.  G.  se  réserve 
de  retenir  surlo  prix  ronvenu. 

L'introduction  de  la  Pair  Wages  Clause  témoignait  de 
la  part  du  L.  G.  G.  d'un  réel  souci  du  bien-être  de  ses  ou- 
vriers. Mais  son  adoption  par  un  nombre  considérable  Je 
villes  et  son  application  à  Londres  même  suggère  certaines 
réflexions.  A  plusieurs  repri.ses  le  cas  suivant  s'est  pré- 
senté, où  le  L.  G. G.  n'ayant  trouvé  pour  soumissionner  que 
des  entrepreneurs  étrangers  à  Londres,  mais  qu'il  obligeait 
cependant  à  payer  de  fair  wages,  on  aboutissait  à  ce  ré- 
sultat bizarre  que  le  contribuable  de  Londres,  et  par  consé- 
quent l'ouvrier  de  Londres,  se  trouvait  faire  de  ses  propres 
deniers  un  cadeau  à  des  travailleurs  étrangers.  Pour 
remédier  à  cet  inconvénient  il  n'est  pas  de  proposition 
qu'on  n'ait  faite.  On  commença  par  dire  qu'il  ne  fallait 
confier  Texécution  des  contrats  qu'à  des  maisons  de  Lon- 
dres ;  point  n'est  besoin  de  longue  réflexion  pour  voir  que 
cette  mesure,  en  supprimant  toute  concurrence  extérieure, 
aboutirait  rapidement  à  laisser  le  L.  C.  G.  aux  mains  de 

Boverat  24 


370  DEUXIÈME   PARTIE.    CHAPITRE  PREMIER 

quelques  entrepreneurs  seulement,  situation  fâcheuse  à 
tous  égards,  et  dont  ce  corps  ne  pourrait  sortir  qu'en  exé- 
cutant lui-même  ses  travaux  en  régie  (1).  Un  second 
membre  du  L.  C.G.  allant  plus  loin  encore,  demanda  que 
les  travaux  à  exécuter  par  le  L.  C.  G.  dans  les  difTérentes 
paroisses  fussent  confiés  à  des  ouvriers  de  la  paroisse  ou 
du  district  intéressé  ;  [iroposition  absurde,  qui  fut  heureu 
sèment  repoussée,  mais  qui  montre  bien  jusqu'où  peuvent 
mener  les  fantaisies  de  Tesprit  syndical  ou  des  groupements 
ouvriers. 

En  avril  1896,  un  autre  membre  du  Conseil  faisait  la 
proposition  suivante  :  «  Chaque  fois  que  le  L.  C.  C,  deman- 
dait-il, procédera  à  une  adjudication  en  vue  de  Texécution 
de  travaux  publics  ou  de  la  fourniture  de  marchandises 
quelconques,  le  bureau  d'adjudication  devra,  pour  6xer 
son  choix,  tenir  compte  de  la  différence  existant  entre  les 
salaires  de  Londres  et  ceux  des  autres  villes  et  donner  de 
préférence  le  contrat  k  la  maison  de  Londres,  à  supposer 
que  ce  soit  une  bonne  maison  et  que  le  chiffre  plus  élevé 
de  sa  soumission  ne  soit  attribuable  qu'à  la  différence  des 
salaires,  d  Le  mémorandum  dont  cette  proposition  était 
accompagnée  donnait  quelques  exemples  de  ces  différen- 
ces, parfois  considérables.  Dans  Tindustrie  des  machines, 
elles  atteignent  4  et  6  s.  par  semaine,  dans  la  construction 
des  navires  quelques  shillings.  A  Glasgow  certaines  classées 
de  travailleurs  touchent  10  shillings  de  moins  qu'à  Lon- 
dres ;  c'est  à  Londres  également  que  les  cordonniers  et 
tailleurs  gagnent  le  plus.  Cette  proposition  ne  fut  heureu- 
sement pas  adoptée.  Quelles  n*eussent  pas  été  les  consé- 
quences d'une  semblable  politique?  Elle  aurait  commencé 

(1)  Hugo,  op.  cit.,  p.  251. 


OUVRIERS   ET    EMPLOYAS  3^1 

par  exclure  des  adjudications  les  meilleures  maisons  de  la 
province  et  laissé  le  L.  G.  G.  entre  les  mains  des  maisotis 
de  Londres.  L'exécution,  dans   la  métropole  même,  de 
toutes  les  constructions  et  de  tous  les  produits  nécessaires 
au  L.  G.  G.,  en  admettant  sa  possibilité,  eût  sans  doute 
donné  de  l'ouvrage  à  un  certain  nombre  de  sans-travail,  et 
cela  au  taux  fixé  par  les  syndicats.  Mais,  pour  la  province, 
cette  politique  eût  signifié  une  diminution  de  travail  dont 
le  premier  effet  aurait  été  de  mettre  sur  le  pavé  un  certain 
nombre  de  travailleurs,  lesquels  eussent  immédiatement 
commencé  à  émigrer  vers  la  capitale  comme  vers  un  para* 
dis.  Leur  nombre  eût  vite  dépassé  le  nombre  de  personnes 
auxquelles  la  nouvelle  politique  aurait  donné  du  travail,  et 
l'aventure  se  serait   finalement   terminée  par  une  baisse 
générale  des  salaires  et  une  augmentation  du  nombre  des 
sans  travail  ;  c'est-à-dire  qu'on  aurait  abouti  au   résultat 
contraire  de  celui  qu'on  cherchait  à  atteindre.  Qu'on  s'ima- 
gine la  généralisation  de  cette  politique  protectionniste, 
chaque  ville  obligée  de  demander  tout  ce  dont  elle  a  besoin 
à  l'industrie  de  la  localité  :  ce  serait  Tautorité  locale  livrée 
à  l'exploitation  des  entrepreneurs,  forcée  de  payer  toutes 
choses  moitié  plus  cher  queleurvaleur  réelle,  contrainte  de 
se  passer  ou  d^attendre  longtemps  des  objets  qu'elle  aurait 
pu  avoir  autre  part,  rapidement  et  ji  bon  compte.  G'est  là 
une  politique  dont  la  réalisation  mènerait  à  la  création  de 
petits  Etats  ennemis,   ou  tout  au  moins  étrangers  les  uns 
aux  autres,  au  sein  même  d'un  grand  Etat  ;  à  la  création,  à 
l'intérieur  d'un  même  pays,  de  barrières  semblables  aux 
barrières  douanières  que  les  différents  Etats  dressent  aujour- 
d'hui les  uns  contre  les  autres. 

De  façon  générale  on  peutdire  que  la  préoccupation  cons- 
tante des  conseils  municipaux  anglais  depuis  une  quinzaiae 


372  DEUXIEME   PARTIE.    —   CHAPITRE   PREMIER 

d'anaées  a  été  d'assurer  un  salaire  convenable  aux  ouvriers 
qu'ils  employaient  soit  directement,  soit  indirectement  par 
rintermédiairede  leurs  entrepreneurs.  Nous  allons  essayer 
de  montrer  à  Taide  de  quelques  cbifTres  pris  dans  les  rap- 
ports officiels  comment  on  est  arrivé  à  ce  but  et  quelle  dif- 
férence sépare  aujourd'hui,  tant  au  point  de  vue  de  leur 
taux  que  de  leur  stabilité,  les  salaires  municipaux  de  ceux 
de  Tindustrie  privée.  Nous  verrons  ensuite  les  résultats  qu*a 
produits  ce  système. 

La  Chambre  des  Communes  a  fait  publier,  au  mois  d 'août 
1905,  un  rapport  intitulé  :  k  Contracts  of  local  authorities 
(wages)  ».  Il  nous  donne  le  texte  des  contrats  des  autorités 
locales  qui  insèrent  dans  leurs  marchés  de  travaux  publics 
des  conditions  spéciales,  relatives  soit  aux  salaires,  soit  à 
la  condition  des  personnes  employées.  Ony  retrouve-à  peu 
près  partout  les  mêmes  clauses  ;  elles  visent  à  lobtention  du 
salaire  normal,  à  la  prohibition  du  marchandage  (sous-con- 
trat) ;  parfois  encore  elles  fixent  un  minimum  de  salaire. 

Les  contrats  passés  parla  ville  de  Londres,  par  exemple, 
sont  ainsi  conçus  : 

«  Pendant  toute  la  durée  de  son  contrat,  Tentrepreneur 
devra  observer  et  remplir  toutes  les  conditions  suivantes  : 

«  A.  —  1^  Payer  aux  ouvriers  (les  apprentis  exceptés) 
employés  par  lui  à  Texécution  de  son  contrat,  les  salaires 
au  taux  prescrit  à  la  cinquième  cédule,  et  pour  chaque  in- 
fraction à  cette  clause  payer  au  Conseil  comme  dommages 
intérêts  et  non  comme  peine  une  somme  de  5  £. 

«  2°  Observer  et  faire  observer  par  ses  ouvriers  un  nom 
bre  d'heures  de  travail  qui  ne  pourra  être  supérieur  au 
nombre  d'heures  prescrit  par  la  cédule  7  et  pour  chaque 
infraction  à  cette  stipulation,  il  payera  au  Conseil,  comme 
dommages-intérêts  et  non  comme  peine,  pour  chaque  jour 


OUVRIERS   ET  EMPLOYAS  ^^3 

OÙ  une  infraction  de  ce  genre  aura  été  commise  et  pour 
chaque  ouvrier  à  Fégard  duquel  elle  Taura  été,  la  somme 
de  5  s.  par  heure  de  chaque  jour  où  Touvrier  aura  été  em- 
ployé par  Tentrepreneur  au  delà  du  nombre  maximum 
d^heures  prescrit  à  la  cédule  7;  à  condition  toutefois  de  ne 
pas  interpréter  cette  stipulation  de  manière  à  empêcher  le 
travail  supplémentaire  lorsque  ce  travail  supplémentaire 
n^est  pas  en  opposition  avec  les  règles  des  Trade-Unions 
intéressées. 

a  3"  L'entrepreneur  devra  faire  afficher  dans  tout  atelier, 
fabrique  ou  chantier  occupé  par  ses  ouvriers  pour  Texécu- 
tion  de  son  contrat,  de  façon  à  pouvoir  être  aisément  lue 
par  chacun  d'eux,  une  copie  clairement  imprimée  ou  écrite 
de  la  7«  cédule  ci -jointe. 

(c  4''  L'entrepreneur  devra,  à  tout  moment,«chaque  fois 
qu*il  en  sera  prié  parle  clerk  du  Council,  produire  aux  fonc- 
tionnaires que  l'on  déléguera  à  cet  effet,  le  livre  des  heures 
de  travail  et  de  salaires,  pour  que  Ton  puisse  savoir  s'il  se 
conforme  ou  non  aux  conditions  du  contrat. 

«  5**  Au  cas  où  un  ouvrier  employé  par  Tentrepreneur 
viendrait  à  ne  pas  recevoir  le  salaire  convenu,  le  Council 
pourra  payer  à  cet  ouvrier  la  différence  séparant  le  mon- 
tant des  salaires  que  lui  a  payés  l'entrepreneur  de  celui 
qu'il  aurait  reçu,  si  Ton  avait  observé  les  clauses  relatives 
au  salaire  ;  il  pourra  déduire  de  toute  somme  due  à  l'entre- 
preneur le  montant  de  la  dite  différence  ainsi  payée  à  l'on- 
vrier. 

«  B.  —  L'entrepreneur  ne  pourra,  sans  le  consentement 
écrit  du  Council,  ni  céder  son  contrat,  que  ce  soit  en  tota* 
lité  ou  pour  partie,  ni  conclure  de  sous-contrat  pour  l'exé- 
cution de  tout  travail.  Pour  chaque  infraction  à  cette  clause, 
il  payera  une  somme  de  £  200. 


374  DEUXIEME   PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

«  Au  cas  où  Tentrepreneur  contreviendrait  à  une  ou  plu- 
sieurs des  stipulations  susdites,  le  conseil,  au  lieu  de  lai 
réclamer  le  versement  des  dommages-intérêts  payables  par 
lui,  aura  le  droit  de  résilier  son  contrat.  » 

Quand  les  entrepreneurs  obtiennent  la  permission  de  sous- 
traiter,  on  insère  dans  les  contrats  passés  avec  eux  les 
clauses  suivantes  : 

«  1^  Les  sous- traités  ne  seront  conclus  qu'avec  les  mai- 
sons ou  les  personnes  agréées  par  le  L.  C.  C. 

((  2*"  Aucun  sous-traité  ne  pourra  avoir  pour  conséquence 
de  dégager  Tentrepreneur  de  sa  responsabilité  ou  de  ses 
obligations  ;  il  sera  responsable  des  actes,  fautes,  né- 
gligences du  sous-entrepreneur  aussi  pleinement  que  des 
siennes  propres. 

«  3^  Dan^  tout  sous-traité  sera  insérée  une  convention  par 
laquelle  le  sous-entrepreneur  s'engage  :  1"  à  payer  à  ses 
ouvriers  les  salaires  prévus  et  à  ne  pas  les  faire  travailler 
plus  que  le  nombre  d'heures  fixé  dans  le  cahier  des  char- 
ges ;  2""  à  faire  afficher  les  clauses  de  ce  sous-conirat  et  à 
montrer  ses  feuilles  et  livres  de  travail  et  d'heures  aux  fonc- 
tionnaires que  le  conseil  déléguera  à  cet  effet. 

«  i^  Pour  toute  infraction  à  cette  convention  de  la  part 
du  sous-entrepreneur,  l'entrepreneur  payera  £  5  au  con- 
seil; et  pour  chaque  infraction  aux  heures  de  travail  il 
paiera  5  shillings  pour  chaque  heure  de  chaque  jour  et 
pour  chaque  ouvrier  employé  au  delà  du  nombre  d'heures 
réglementaires.   » 

Le  L.  C.  C.  insère  enfin  dans  ses  marchés  de  travaux 
publics,  mais  seulement  lorsqu'il  juge  son  insertion  dési- 
rable, et  sur  la  recommandation  expresse  du  comité  inté- 
ressé, la  clause  suivante  : 

«  Au  cas  où  après  la  conclusion  du  contrat  un  taux  diffé- 


OUVRIERS    ET   EMPLOYES  375 

rent  de  salaires  ou  des  heures  diflérentes  de  travail  vien- 
draient à  être  acceptées  par  les  associations  de  patron^  et 
les  unions  ouvrières  dans  le  métier  et  dans  le  district  où 
l'ouvrage  est  fait,  le  taux  des  salaires  et  des  heures  ainsi 
modifié  sera,  à  partir  de  la  date  de  cet  accord  et  pour  le 
temps  seulement  où  il  restera  en  vigueur,  considéré  com- 
me substitué  au  taux  prévu  dans  cette  partie  de  la  cédule 
pour  le  même  genre  de  travail.  )) 

On  nous  pardonnera  la  longueur  de  ces  citations  ;  elles 
ont  leur  intérêt,  puisque  la  politique  ouvrière  du  L.  C.  C. 
a  trouvé  des  imitateurs  non  seulement  en  Grande-Bretagne, 
mais  à  Tétranger,  en  France  notamment,  et  que  les  décrets 
de  1899  s'en  sont  visiblement  inspirés. 

De  façon  générale,  on  peut  dire  qu'aujourd'hui  toutes 
les  grandes  villes  anglaises,  et  avec  elles  un  nombre  con- 
sidérable de  petites,  ont  adopté  et  insèrent  dans  leurs  con- 
trats des  conditions  sinon  identiques,  du  moins  analogues  à 
celles  qu'a  posées  le  L.  C.  C. 

C'est  ainsi  qu'à  Birmingham,  Tentrepreneur  s'engage  à 
ne  pas  payer  à  ses  ouvriers  un  salaire  inférieur  au  salaire 
minimum  reconnu  comme  courant  dans  le  district  où  l'ou- 
vrage doit  être  exécuté  ;  la  municipalité  obtient-elle  la 
preuve  que  Tentrepreneurou  le  sous-entrepreneur  ont  payé 
des  salaires  inférieurs  au  minimum  prévu,  l'entrepreneur 
est  condamné  à  lui  payer  20  s.  par  infraction  commise. 

A  Liverpool,  les  conditions  sont  à  peu  près  les  mêmes  ;  à 
Bradford,  l'entrepreneur  doit  prouver  que  durant  les  trois 
mois  qui  ont  immédiatement  précédé  la  date  de  sa  soumis- 
sion, il  a  payé  à  tous  ses  ouvriers  le  taux  normal  des  salaires 
tel  qu'il  a  été  fixé  par  Taccord  de  la  Masters'  Association  et 
des  Trade  Unions  intéressées.  Au  cas  où  il  contreviendrait  à 
la  fair  wages  clause,  il  serait  pour  cinq  ans  exclu  des  adju- 
dications à  venir. 


376  DEUXIEME    PARTIE.     —    CHAPITRE    PREMIER 

A  (jloucester,  il  est  dit  que,  dans  tous  les  contrats  passés 
par  leCouncil,  on  donnera,  chaque  fois  que  cela  sera  pos- 
sible, la  préférence  aux  entrepreneurs  locaux.  A  Halifax, 
après  avoir  stipulé  que  Tentrepreneur  devra  payer  à  ses 
ouvriers  le  «  standard  rate  ofwages  »  du  district,  on  ajoute 
que  le  standard  rate  n'est  dû  qu'à  i<  Touvrier  moyen  ».à 
r  c(  average  workman  h,  c'est  à  dire  à  rhomiue  capable  de 
lutter  à  conditions  égales  avec  ses  camarades  ;  si  au  con- 
traire, pour  cause  de  vieillesse,  d'infirmité  physique  ou 
morale,  il  est  incapable  de  le  faire,  il  sera  loisible  à  Tem- 
ployeur  et  à  remployé  de  s'entendre  entre  eux  pour  fixer 
un  juste  taux  de  rémunération. 

A  Manchester,  en  vertu  d'un  standing  order  adopté  le 
l*"^  avril  1903.  les  entrepreneurs  travaillant  pour  le  compte 
du  conseil  doivent  payer  à  leurs  ouvriers  le  standard  rate 
of  wages  reconnu  par  les  associations  de  patrons  et  les 
unions  ouvrières  dans  les  différents  districts  où  l'ouvrage 
est  exécuté  et  ne  peuvent  défendre  à  leurs  ouvriers  de  se 
mettre  d'un  syndicat  ou  de  continuer  à  en  faire  partie. 

A  Glasgow,  ne  peuvent  soumissionner  que  les  entrepre- 
neurs et  les  maisons  qui  payent  à  tous  leurs  ouvriers  le 
standard  rate  of  wages,  et,  s'il  n'y  a  pas  de  standard  rate. 
les  salaires  reconnus  justes  et  raisonnables  dans  les  dis- 
tricts où  l'on  exécutera  le  travail.  A  Dundee,  Edimbourg, 
Aberdeen,  les  conditions  sont  les  mêmes  qu'à  Glasgow.  A 
Aberavon,  l'entrepreneur  doit  donner  à  ses  ouvriers  le 
standard  rate  of  wages  et  ne  pas  les  payer  moins  de  6  d. 
par  heure,  sous  peine  d'une  amende  de  1  £  par  chaque 
infraction  qu'il  commettra  ;  à  Folkestone,  l'entrepreneur 
doit  autant  que  possible  employer  des  ouvriers  de  la  localité. 

En  Irlande^  nous  voyons  plusieurs  villes  fixer  des  taux 
minima  de   salaires.  Ces  taux   sont  d'ailleurs  en  général 


OUVRIERS  ET   EMPLOYÉS  877 

très  bas.  Belfast,  dans  un  contrat  de  novembre  1904,  con- 
clu pour  la  reconstruction  de  ses  tramways,  décide  que 
«  le  taux  minimum  des  salaires  ne  devra  pas  être  moindre 
de  18  s.  6  d.  par  semaine.  En  faisant  exécuter  Touvrage, 
l'entrepreneur  devra  donner  la  préférence  au  travail  local  ». 

Ce  qu'il  nous  faut  retenir  en  somme,  c'est  que  dans 
tous  les  contrats  passés  par  les  autorités  locales,  on  ren- 
contre aujourd'hui  la  clause  du  juste  salaire.  Mais  les  fair 
wages  étant  forcément  quelque  chose  d'incertain  et  de 
changeant,  seront,  suivant  les  endroits  et  les  opinions  poli- 
tiques des  Conseils  municipaux,  soit  le  salaire  fixé  par 
r  accord  des  associations  de  patrons  et  des  trade-unions, 
soit  le  tarif  établi  par  les  trade-unions  seules  (Battersea, 
Fulham,  Shoreditch,  par  exemple),  soit  encore,  s'il  n'y  a 
ni  trade-unions,  ni  associations  patronales,  le  salaire  cou- 
rant dans  le  district  où  le  travail  est  exécuté.  On  voit  enfin 
que  diverses  clauses,  rares  encore,  tendent  à  fixer  un  mi- 
nimum de  salaires  et  qu'un  certain  nombre  de  villes  obli- 
gent l'entrepreneur  à  employer  les  ouvriers  de  la  localité 
de  préférence  à  d'autres  ;  qu'enfin  la  défense  de  sous-traiter 
sans  autorisation  préalable  est  générale. 

Si  des  ouvriers  employés  par  un  entrepreneur  pour  le 
compte  de  la  corporation,  nous  passons  aux  ouvriers  em- 
ployés par  la  corporation  même,  nous  allons  trouver  de 
nombreuses  preuves  de  la  sollicitude  plus  grande  encore 
q  u'elle  leur  témoigne. 

Le  rapport  que  publia  le  London  County  Council  à  la  fin 
de  janvier  1904  (1),  deux  semaines  avant  les  élections  mu- 
nicipales, nous  fournit  à  cet  égard  un  document  des  plus 
intéressant  non  seulement  en  lui-môme,  mais  aussi  par 

(  I  )  L.  C.  G.  (Rate*  of  pay  and  hours  of  labour) . 


378  DEUXIÈME  PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

Tesprit  qui  a  poussé  à  sa  publication.  Il  commence  par 
rappeler  les  augmentations  de  salaires  et  les  diminutions 
des  heures  de  travail  que  le  conseil  a  consenties  i  ses 
employés  depuis  sa  création.  Il  montre  que  dans  beau- 
coup de  cas  le  L.  G.  G.  a  consenti  des  augmentations  de 
15  Vo  sur  les  salaires  que  payait  l'ancien  Metropolitan 
Board  of  Works  de  1888  ;  malgré  que,  fort  souvent,  la  durée 
du  travail  ait  été  en  même  temps  sérieusement  réduite. 
G*est  ainsi  que  les  bateliers  (boatmen)  qui  en  1888  rece- 
vaient 25  s.  par  semaine  et  travaillaient  72  heures,  reçoi  veut 
en  1903  27  s.  et  travaillent  de  48  à  54  heures,  suivant  que 
Ton  se  trouve  en  hiver  ou  en  été  ;  que  les  soutiers  (coal 
trimmers)  qui  gagnaient  26  s.  pour  60  heures,  gagnent 
29  s.  3  d.  pour  54  ;  que  les  agents  de  police  (constables)  qui 
gagnaient  de  24  à  25  s.  pour  58  h.  1/2,  reçoivent  en  1903 
27  s.  pour  un  travail  de  48  à  54  heures  ;  que  les  mécani- 
ciens (engine  drivers)  qui  gagnaient  33  s.  pour  60  heures 
gagnent  38  s.  6  d.  pour  56  heures.  Ainsi  de  suite  pour  les 
autres  métiers. 

Un  deuxième  tableau  de  ce  même  rapport  nous  permet 
de  comparer  les  salaires  et  les  heures  de  travail  en  vigueur 
autrefois,  à  Tépoque  des  Gompagnies  absorbées  aujour- 
d'hui par  leL.  G.  G.,  aux  salaires  et  heures  de  travail  tels 
que  les  a  récemment  fixés  cette  dernière  assemblée.  De 
1899  à  1903,  les  salaires  des  maçons  ont  passé  de  9  d.  par 
heure  à  10  1/2  d.  ;  leurs  heures  de  travail  de  56  1/2  à  50  ; 
les  salaires  des  chak'retiers  ont  monté  de  26  s.  à  33  s.,  bien 
que  leurs  heures  aient  été  réduites  de  68  à  60  ;  ceux  des 
marteleurs  (hammermen)  de  6  1/2  d.  par  heure  à  7  d.  ; 
ceux  des  jardiniers  de  24  s.  à  27  s.  par  semaine  ;  ceux  des 
plombiers  de  9  d.  à  11  d.  ;  ceux  des  scieurs  de  6  et  7  1/2  d, 
à  10  d.  ;  ceux  des  tourneurs  de  6  1/2  d.  à  8  d.  3/4  d 


OUVRIERS   ET   EMPLOYAS  879 

et  9  1/4  d.  ;  ceux  des  charrons  de  7  1/2  d.  et  9  d.  à  9  d.  par 
heure.  Toutes  ces  augmentations,  dont  plusieurs  atteignent 
29  «/o,  ont  été  consenties  depuis  1899;  bien  que  diaprés  les 
rapports  du  Board  of  Trade,  le  taux  général  des  salaires 
dans  la  mécanique  et  le  bâtiment  (engineering  and  building 
trades)  n'ait  pas  augmenté  de  1  Vo  '»  or,  c'est  précisément 
à  ces  deux  sections  que  se  rapportent  la  plupart  des  aug- 
mentations signalées.  Il  est  vrai  que  sous  Tinfluence  de  la 
majorité  socialiste,  le  Conseil  a,  dans  beaucoup  de  cas,  ré- 
duit le  temps  durant  lequel  un  homme  est  autorisé  à  tra- 
vailler chaque  semaine  ;  si  bien  que,  finalement,  sous  un 
pareil  système,  Touvrier  ne  gagne  pas  toujours  davantage, 
malgré  l'augmentation  de  son  salaire  horaire.  Nous  ne  sa- 
vons pas  jusqu'à  quel  point  cette  excessive  limitation  des 
heures  de  travail  est  goûtée  des  bons  ouvriers.  Les  anciens 
employeurs  avaient  peut-être  imposé  des  journées  de  tra- 
vail trop  longues;  ce  n'est  pas  une  raison  pour  tomber 
aujourd'hui  dans  Texcës  contraire. 

C'est  au  zèle  d'un  de  ses  anciens  Labour  leaders, 
M.  John  Burns,  que  le  L.  G.  C.  doit  de  s'être  lancé  si  har- 
diment dans  cette  politique  ouvrière  nouvelle.  Chaque  fois 
qu'il  l'a  pu,  le  Conseil  a  cherché  à  réduire  les  heures  de 
travail  de  ses  ouvriers  et  à  assurer  à  chacun  d'eux  un  jour 
de  repos  sur  sept.  Sa  politique  d'élévation  des  salaires  et  de 
diminution  de  la  journée  de  travail  a  augmenté  les  dépen- 
ses de  £  300.000  à  £  350.000  par  an.  Mais  si  nous  en 
croyons  les  socialistes,  cette  somme  est  plus  que  com- 
pensée par  l'ardeur,  le  zèle  et  Fintelligence  plus  grande 
que  déploierait  aujourd'hui  l'innombrable  armée  des  em- 
ployés et  ouvriers  municipaux.  Nous  allons  voir  tout  à 
l'heure  si  cette  affirmation  correspond  bien  à  la  réalité  des 
faits  (Voir  le  chapitre  suivant). 


38o  DEUXIÈME   PARTIE.    —   CHAPITRE   PREMIER 

Nous  voudrions  pour  le  moment  passer  en  revue  quel- 
ques-unes  des  grandes  villes  anglaises  qui  ont  suivi  Texem- 
pie  de  Londres  et  montrer  quelles  augmentations  de  salai- 
res elles  ont  consenties  à  leurs  ouvriers. 

Prenons  ceux  de  la  municipalité  de  Birmingham  ;  dans 
son  histoire  de  la  corporation  de  cette  ville,  M.  Vince  (l! 
remarque  que,  une  fois  au  moins  dans  la  dernière  quin- 
zaine d'années,  on  a  dans  chacun  des  départements  de  la 
corporation  qui  emploient  des  ouvriers  qualifiés  ou  non 
qualifiés,  élevé  le  taux  des  salaires  ou  réduit  le  nombre  des 
heures  de  travail.  L*effet  accumulé  de  ces  concessions  sur 
les  impôts  finit  par  atteindre  un  chiffre  assez  sérieux, 
puisque  au  total  elles  ont  augmenté  d'au  moins  £  50.000 
la  dépense  annuelle  du  Conseil. 

Le  3  février  1891 ,  le  Conseil  vote  h  l'unanimité  une 
résolution  tendant  aune  application  plus  rigoureuse  delà 
«  Pair  wages  clause  »  dans  les  contrats  passés  par  la  cor- 
poration. Il  décide  de  donner  aux  divers  comités  des  ins- 
tructions précises  pour  qu'ils  n'acceptent  pas  de  soumissions 
de  personnes  ou  de  maisons  connues  pour  payer  des 
salaires  inférieurs  au  taux  minimum  courant  dans  le  dis- 
trict où  le  travail  est  exécuté,  et  les  avise  de  faire  insérer 
cette  clause  dans  toutes  les  affiches  relatives  aux  adjudi- 
cations. 

La  question  d'une  limitation  générale  des  heures  de 
travail  fut  soulevée  par  le  conseiller  Stevens,  le  7  mars 
1893.  Il  voulait  que  toutes  les  personnes,  employées  par  la 
corporation  et  gagnant  moins  de  £  150  par  an,  ne  travail- 
lassent en  aucun  cas  plus  de  53  heures  par  semaine,  et  qu'on 
comptât  comme   temps   supplémentaire  (overtime)   payé 

(1)  Voir  ViNCE,  op.  cit.,  p.  388  et  389. 


ouvriehs  et  employés  38 i 

une  fois  et  quart,  tout  travail  fait  au  delà  de  ces  53  heures. 
Le  gênerai  purposes  committee,  chargé  de  faire  un  rapport 
sur  cette  proposition,  montra  que  la  limitation  à  o3  heures 
entraînerait  une  dépense  de  capital  de  £  26.000  et  augmen- 
terait de£  30.626  la  somme  qu'on  dépensait  chaque  année 
en  salaires.  Il  déclara  que  les  conditions  accordées  par  la 
corporation   à  ses  employés  pouvaient  avantageusement 
soutenir  la  comparaison  avec  celles  qu'accordaient  d'au  très- 
corporations   ou   d'autres   patrons    employant    la  même 
classe  de  travailleurs  et  que  Tadoption  d'une  semaine  de 
travail  d'une  durée  uniforme  ne  pourrait  qu'être  nuisible 
au  service  public  et  charger  les  contribuables  d'un  fardeau 
nouveau  et  injustifiable.  Le  Conseil  approuva  le  rapport  par 
47  voix  contre  6. 

C'est  encore  en  mars  1893  que  le  gênerai  purposes  com- 
mittee, chargé  à  la  suite  d'un  vole  du  conseil  de  faire  un 
second  rapport  sur  la  question  suivante  :  pouvait-on  trou- 
ver et  donner  de  l'ouvrage  aux  ouvriers  sans  travail,  ha- 
bitant la  cité,  répondit,  après  s'être  livré  à  une  enquête  et 
avoir  montré  les  divers  inconvénients  qu'offrirait  cette 
manière  d'agir,  quil  n'avait  pas  à  proposer  do  plan  qui 
permit  de  donner  du  travail  aux  ouvriers  sans  emploi. 

Ces  quelques  échecs  n'ont  pas  empêché  la  politique 
ouvrière  que  poursuivent  un  certain  nombre  des  conseil- 
lers municipaux  de  triompher  à  maintes  reprises  ;  nous 
n'avons,  pour  nous  en  persuader,  qu^à  jeter  un  rapide 
coup  d'oeil  sur  rhistoire  des  salaires  payés  dans  les  diffé- 
rents services  municipaux. 

(Chapitre  des  travaux  publics  :  les  salaires  des  charre- 
tiers et  des  balayeurs  ont  été  augmentés  en  1889  ;  ils  le 
sont  à  nouveau  en  1898  ;  cette  dernière  augmentation 
coïncide  avec  une  augmentation  générale  des  salaires 
payés  aux  travailleurs  non  qualifiés. 


382  DEUXIEME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

Chapitre  de  Thygiène  publique  :  en  1890  les  salaires 
des  conducteurs  des  voitures  de  vidanges,  voitures  à  ordu- 
res, etc.,  ont  été  élevés  de  2  s.  ;  en  18%,  on  applique  le 
système  des  trois  équipes,  travaillant  8  heures  chacune, 
aux  mécaniciens  et  chauiïeurs  dont  le  travail  se  trouve 
réduit  de  59  h.  1/2  à  48  heures  par  semaine.  En  1897,  les 
salaires  des  charretiers,  qui  ne  recevaient  pas  plus  de 
24  s.  par  semaine,  sont  élevés  d'un  shilling,  et  leurs  heures 
de  travail  fixées  de  façon  à  ne  pas  les  occuper  plus  de  54 
heures  par  semaine. 

Chapitre  de  la  police  :  en  1890,  Téchelle  des  salaires  est 
modifiée  et  la  paye  initiale  élevée  de  23  à  24  s.  par  semaine  ; 
on  diminue  le  temps  de  service  exigé  jusque-là  pour  pas- 
ser d*une  classe  à  une  autre.  Le  nouveau  tarif  fixe  les 
salaires  des  constables  à  24  s.  pendant  6  mois»  25  s.  pen- 
dant six  autres  mois,  à  26  s.  pendant  3  ans,  28  pendant  trois 
autres  années,  et  enfin,  au  bout  de  ce  temps  à  30  s.  ;  les 
((  sergeants  »  touchent  32  s.  pendant  un  an,  34  et  36  s. 
pendant  deux  périodes  de  3  années  chacune,  puis  38  s. 
En  1897,  le  Conseil  fait  une  nouvelle  concession  et  élève 
la  paye  maxima  des  sergeants  à  40  s.  au  bout  de  neuf  an- 
nées de  service,  et  celle  des  constables  à  31  s.  après  10  ans 
et  32  s.  après  15  ans  de  services. 

La  municipalité  a  fait  de  1885  à  1900  de  nombreuses 
concessions  aux  employés  du  gaz,  soit  qu*elle  ait  réduit 
leurs  heures  de  travail,  soit  qu'elle  ait  augmenté  leurs  sa- 
laires. M.  Vince  estime  que  le  coût  accumulé  de  ces  chan- 
gements équivaut,  pour  le  contribuable,  à  une  augmenta- 
lion  de  4  d.  par  £  dans' le  BoroughBate.  En  18871e<]onseil 
donne,  par  25  voix  contre  21  et  malgré  Topposition  du 
comité  du  gaz,  l'ordre  de  payer  le  travail  fait  le  dimanche 
une  fois  et  demie  ce  qu'est  payé  le  travail  de  la  semaine.  En 


OUVRIERS    ET   EMPLOYAS  383 

1 888,  il  approuve  un  projet  de  congés  pour  les  chauffeurs, 
dont  le  coût  s'élève  à  £  580.  En  1893  une  nouvelle  exten- 
sion des  congés  porte  à  £  1.500  le  coût  total  de  ces  conces- 
sions. En  octobre  1889,  on  apporte  aux  conditions  dans 
lesquelles  se  faisait  jusque-là  le  travail  d'importants  chan- 
gements. Suivant  l'exemple  des  Compagnies  de  Londres, 
le  comité  du  gaz  substitue  des  équipes  de  huit  heures  à 
celles  de  douze  heures.  Cette  innovation  réduit  sensible- 
ment la  quantité  d'ouvrage  fait  par  chaque   homme  et 
entraîne  une  augmentation  proportionnelle  du  nombre  des 
ouvriers  employés.  On  estime  à  £  14.000  la  dépense  sup- 
plémentaire qu'occasionna  cette  réduction  des  heures  de 
travail  ;  c'est  une  dépense  qui  s'élève  naturellement  à  me- 
sure que  la  production   s'accroit.    En  1894  elle  atteint 
£  17.500  ;  en  1899-1900,  £  26.00. 

En  1890,  Taugmentation  des  salaires  des  charretiers  et 
des  travailleurs  non  qualifiés  coûte  à  la  corporation  £  600, 
à  la  fin  de  1891  la  réduction  des  heures  de  travail  de  54  à 
53  par  semaine  provoque  une  augmentation  de  dépenses 
de  £  700.  En  février  1897,  les  ouvriers  gaziers  demandent 
la  révision  des  heures  et  des  salaires  adoptés  en  1889. 
Leurs  demandes  entraînaient  des  changements  dont  le  coût 
annuel  se  serait  élevé  à  £  18.750.  Après  de  longues  discus- 
sions, une  transaction  intervient  ;  Taugmentation  annuelle 
des  salaires  est  fixée  à  £  9.000. 

Birmingham  n'est  pas  un  cas  particulier;  toutes  les  au- 
tres grandes  villes  anglaises  à  tendances  municipalistes 
ont  fait  comme  elle  ;  mais,  fait  digne  d'attention,  c'est  sur- 
tout lorsqu'elles  rachètent  une  entreprise  jusque-là  dirigée 
par  des  particuliers,  comme  les  usines  à  gaz  ou  les  réseaux 
de  tramways,  qu'on  les  voit  soucieuses  de  relever  le  salaire 
des  ouvriers  aGn  de  se  rendre  plus  populaires.  C'est  une 


384  DEUXIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE   PREMIER 

constatation  qui  ressort  de  toutes  les  dépositions  des  town 
clerks  devant  le  sélect  committee  de  1900. 

A  Liverpool,  sir  Th.  Hufçhes  nous  dit,  en  1900  (4),  c'est- 
à-dire  trois  ans  après  le  rachat,  que  la  corporation  a  si 
bien  amélioré  la  situation  des  employés  des  tramvays  que 
leur  salaire  hebdomadaire  moyen  est  à  présent  de  5  s.  su- 
périeur à  ce  qu'il  était  sous  la  direction  de  la  Compagnie. 
«  Nous  leur  donnons  des  uniformes,  ajoute-t-il,  et  nous 
avons  créé  des  classes  de  mérite  qui  leur  permettent  d^ob- 
tenir  des  salaires  supplémentaires  lorsque  leur  conduite 
est  exemplaire  et  qu'ils  sont  méritants.  »  La  durée  de  leur 
travail  a  été  réduite  d'environ  3  heures  par  jour. 

Manchester  a  également  amélioré  après  le  rachat  la  posi- 
tion des  employés  des  tramways.  Le  Conseil  a  fait  adopter 
une  semaine  de  54  heures  de  travail,  soit  une  réduction 
d'un  peu  plus  de  16  heures  par  semaine,  sur  le  temps  de 
présence  que  devaient  les  conducteurs  et  gardiens  au  ser- 
vice de  la  Compagnie.  Leurs  salaires  ont  été  augmentés  ; 
on  leur  a  fourni  des  uniformes.  Le  coût  de  ces  concession  s 
se  monte  à  £  40.000  par  an  environ. 

Lorsque  la  municipalité  de  Glasgow  reprit  à  son  compte 
l'exploitation  des  tramways,  elle  réduisit  non  seulement 
de  façon  sensible  les  heures  de  travail  des  employés,  mais 
augmenta  leurs  salaires  de  5  s.  par  semaine  environ.  Les 
employés  des  services  de  Teau  et  du  gaz  touchent  des  salai- 
res supérieurs  de  20  Vo  à  ceux  que  leur  donnaient  les  an- 
ciennes Compagnies.  Il  est  vrai  que  le  rachat  de  ces  Com- 
pagnies remonte  déjà  loin  et  que  depuis  cette  époque  les 
salaires  ont  augmenté  de  façon  générale  dans  tout  le  pays. 
N'empêche  qu'en  moyenne  les  salaires  que  paie  la  mu- 

(l)  Municipal  Trading  Report,  1900;  Quest.  2125. 


OUVRIERS    ET   EMPLOYAS  385 

nicipalité  de  Glasgow,  supportent  avantageusement  la  com- 
paraison avec  les  salaires  de  toute  autre]  municipalité.  Les 
«  Stalwarts  »  eux-mêmes,  le  parti  politique  avancé  de  Glas- 
gow, craignent  actuellement  de  les  fixer  à  un  gtaux  très 
supérieur  k  celui  que  paient  les  employeurs  et  entrepre- 
neurs particuliers  et  se  montrent  plutôt  partisans  d'une 
réduction  des  heures  de  travail  que  d^une  augmentation  des 
salaires. 

Les  rapports  publiés  chaque  année  par  le  Board  of  Trade 
(Labour  department)  sur  les  changements  qui  se  produisent 
dans  le  taux  des  salaires  et  les  heures  de  travail  nous  four- 
nissent eux  aussi  des  renseignements  fort  intéressants. 
Alors  que  de  1900  à  1904,  durant  quatre  années  consécuti- 
ves, les  variations  de  salaires  se  traduisent  pour  Tensemble 
des  ouvriers  anglais  par  des  réductions,  nous  voyons  les 
salaires  municipaux  conserver  une  stabilité  parfaite  et  pro- 
gresser légèrement  chaque  année. 

En  1904,  le  nombre  total  des  personnes  employées  par 
les  autorités  publiques,  qui  ont  été  touchées  par  des 
changements  de  salaires,  a  atteint  8.245.  Le  montant  net 
par  semaine  des  augmentations  consenties  a  été  de  £  656 
18  s.  Od.  (1). 

Tous  les  changements  ont  consisté  en  des  augmentations 
de  salaires.  Le  nombre  des  ouvriers  qu'elles  ont  affectés  fut 
cette  année-là  légèrement  inférieur  à  ce  qu'il  avait  été  en 
1903,  plutôt  plus  grand  qu'en  1902,  mais  bien  moindre 
qu'en  aucune  des  années  comprises  entre  1896  et  190f .  Le 
montant  net  de  l'augmentation  des  salaires  fut  cependant 
un  peu  plus  grand  qu'en  1903  ou  1902. 

(i  )  Report  on  changes  in  rates  of  wages  and  hours  of  labour  in  1904 
{Board  of  Trade),  p.  34. 

Boverat  25 


386 


DEUXIÈME   PARTIE.    CHAPITRE   PREMIER 


Le  tableau  ci-dessous  nous  donne  de  1895  à  1904  le  nom- 
bre d'ouvriers  qu'ont  affectés  les  changements  de  salaires  et 
le  montant  net  des  augmentations. 


L 


Nombre  d'ouvriers 

ANNKSS 

affectés 

1803 

6.035 

1896 

14.523 

1807 

20.082 

1808 

12.130 

1800 

10  524 

1000 

31.743 

1001 

27  628 

1002 

7  871 

1003 

8.650 

1004 

8.245 

Montant  net  de  l 

'aiigvneotation 

par  semaine  des  salaires. 

par  comparaison 

avec  cbaiiae 

année   précédente 

£      558 

17  8. 

882 

0 

1.513 

19 

856 

11 

1.147 

19 

2.502 

7 

1.832 

13 

602 

0 

511 

13 

656 

18 

J 


Le  nombre  total  des  ouvriers  employés  par  les  autorités 
publiques,  qui  ont  été  touchés  par  des  changements  dans 
leurs  heures  de  travail,  a  été  de  2.U80  (en  1904),  dont  74  ont 
vu  augmenter  et  2.006  réduire  la  durée  de  leur  travail 
hebdomadaire.  Les  74  qu'a  touchés  une  augmentation 
sont  des  employés  de  la  municipalité  de  Gateshead  dont 
on  a  porté  le  temps  de  travail  de  50  à  51  heures  1/2  par 
semaine.  La  plus  importante  des  réductions  est  celle  qu'on 
a  consentie  aux  ouvriers  paveurs  de  Manchester,  qui  ne 
travaillent  plus  que  50  au  lieu  de  53  heures.  Le  résultat 
net  de  tous  ces  changements  aboutit  à  une  diminution  de 
7  889  heures  de  travail  par  semaine. 

La  tendance  actuelle  des  municipalités  anglaises,  surtout 
de  celles  d'entre  elles  que  dirigent  des  Conseils  socialistes, 
est  de  relever  de  façon  exagérée  les  salaires  des  ouvriers 
non  qualifiés.  A  Sheffield,  on  augmente  eu  1904  le  salaire 
des  chauffeurs  du  destructor  de  2  s.  par  semaine  et  on  le 


OUVRIERS    ET    EMPLOYAS  887 

porte  à  30  8.  A  Bermondsey  (Londres)  celui  des  égoutiers 
est  augmente  de  1  s.  3  d.  à  2  s.  et  porté  à  30  s.  A  East-Ham , 
relui  des  balayeurs  est  augmenté  de  2  s.  par  semaine  et 
poi  té  à  30  s.  A  Finsbury,  celui  des  charretiers  augmenté 
de  2  k.  et  celui  des'laniers  (Qushers)  de  3/ sont  tous  les 
deux  portés  à  30  s.  A  Poplar  et  à  St-Pancras  le  salaire  des 
balayeurs  est  porté  à  30  s. 

Ces  exemples  nous  montrent  Tavantage  énorme  qu*il 
y  a  pour  un  ouvrier  à  travailler  pour  une  municipalité 
plutôt  que  pour  un  particulier.  Une  fois  engagé  par  une 
corporation,  un  homme  est  généralement  sûr  d'être  gardé 
par  elle,  quoi  qu'il  arrive  ;  à  tous  égards  il  fait  partie  d*une 
classe  absolument  privilégiée.  Mais  les  employés  des  mu- 
nicipalités ne  sont  pas  des  privilégiés  en  ce  sens  seulement 
qu'ils  obtiennent  d'ordinaire  le  taux  des  salaires  fixés  par 
les  trade-unions  et  même  quelquefois  davantage  pour 
une  somme  de  travail  très  modérée  ;  mais  en  ce  sens  aussi 
qu'alors  que  les  salaires  des  hommes  et  des  femmes  tra- 
vaillant dans  des  conditions  ordinaires  s'abaissent  ou  s'élè- 
vent suivant  Tétatdu  marché  de  travail,  et  baissent  souvent 
de  façon  très  sensible,  les  salaires  des  personnes  employées 
par  les  autorités  locales  n*ont  qu'une  tendance  unique,  la 
tendance  à  la  hausse.  Nous  donnons  ci-dessous  pour  les  ou- 
vriers de  Tindustrie  privée  un  tableau  analogue  à  celui  que 
nous  avons  précédemment  donné  pour  ceux  des  autorités 
publiques  ;  il  fait  ressortir  une  tendance  très  nette  à  la  baisse 
depuis  trois  ans. 

Ainsi,  en  1004,  plusde  800.000  personnes  ont  été  attein- 
tes par  des  variations  du  taux  des  salaires.  Parmi  elles 
784.000  ont  supporté  des  diminutions  s'élevant  à  £  40  000 
par  semaine  ;  16.000  seulement  obtenaient  des  augmenta- 
tions montant  ࣠ 1.200  par  semaine.  Le  résultat  net  de 


388 


DEUXIEME    PARTIE.     —   CHAPITRE    PBEBUER 


tous  ces  chaagemeats  fait  ressortir  une  diminution  d'envi- 
ron £  39.200  sur  Tannée  précédente. 


ANNiBS 


AUGMtNTATION 


Ouvriers 
affectés 


1895 
1896 
1897 
1898 
1899 
1900 
1901 
1902 
1903 
190i 


Totol 

par 

semaine 


DIMINUTION 


Ouvriers 
alTectés 


80.107 

379  975 

560.707 

1.000.240 

1.170  937 

1.109.284 

42d.715 

91.812 

21.327 

16.054 


6.159 

33.648 

32.861 

81.500 

90.418 

211.412 

40.790 

5  326 

1  541 

1.202 


349.645 

167.^57 

13.855 

11.865 

1.132 

23  010 

489. S18 

789.891 

874.721 

784.604 


Total 

par 

semaine 


TOTAL 


Ouvriers 
alTeclés 


34  284 

7.129 

1.354 

787 

104 

2.822 

117.377 

7.921 

39.868 

40.432 


«Mi  dl0ltB«L  t  —  \ 

par 
avvc 


434.708 

605.404 

597  U4 

1.012.119 

1.172.069 

1.132.386 

928.926 

887.206 

896  598 

80U.658 


28.125 
26.519 


31 

80 


507 
713 


00  314 

208  fm 
76.587 
72  SB 
38.327 
39.230 


(1) 

Ces  statistiques  nous  prouvent  que,  tandis  que  les  particu- 
liers,entrepreneurs  ou  commerçants, se  voient  fréquemment 
contraints  par  les  exigences  de  la  production  ou  de  la  concur- 
rence à  réduire  les  salaires  de  leurs  ouvriers,  les  municipa- 
lités commerçantes,  indifférentes  aux  considérations  écono- 
miques ordinaires,  n'en  maintiennent  pas  moins  les  salaires 
à  un  taux  élevé  soit  en  réduisant  leurs  profits  jusqu*au  point 
de  les  faire  disparaître,  soit  en  ayant  recours  aux  împôts.Si 
bien  qu'il  peut  se  faire  que,  par  suite  de  Taugmentation  des 
impôts  due  à  des  causes  de  ce  genre,  l'ouvrier  ordinaire, dont 
les  salaires  ont  subi  une  diniinution,  ait  à  payer  pour  son 
logement  un  loyer  plus  haut,  au  bénéfice  de  l'ouvrier  muni- 
cipal dont  les  salaires  ont  au  contraire  augmenté. 

(1)  Board  oj  trade  {labour  deparlment).  Report  on  changes  in  raies  o/ 
toages and  hours  of  labour^  \90ijp.  M, 


OUVRIERS  ET    EMPLOYÉS  SSq 

Plus  d^une  fois,  et  en  maint  emiroit,  on  a  pu  constater  les 
graves  inconvénients  qu'il  y  a  à  donner  aux  employés  des 
municipHlités  des  salaires  plus  élevés  queceux  qu'ils  touche- 
raient si  Ton  observait  le  cours  du  marché  du  travail  ;  la 
ville  de  Sfaeffield  en  oiïre  un  exemple  remarquable  (1). 

La  corporation  avait  en  effet  donné  à  ses  employés  des 
salaires  si  élevés  que  nombre  d'ouvriers  locaux  trouvèrent 
qu*il  leur  serait  plus  avantageux  de  quitter  les  métiers 
qualifiés  qu'ils  exerçaient  et  de  sefaireconducteursdc  tram- 
ways ou  même  balayeurs  des  rues.  Beaucoup  d'entre  eux 
abandonnèrent  ainsi  la  coutellerie.  Les  manufacturiers  n'a- 
vaient qu'à  payer  de  meilleurs  gages,  répondra-t-on,  pour 
engager  leurs  ouvriers  à  rester.  La  réponse  ne  vaut  rien, 
car  s'il  est  toujours  loisible  à  la  municipalité  de  Sheffield 
de  payer  les  salaires  qu'il  lui  plait,  puisqu'elle  dispose  des 
impôts  locaux  pour  remplir  sa  caisse,  les  employeurs,  au 
contraire,  ont  à  faire  face  aune  concurrence  intérieure  et 
extérieure  qui  ne  leur  permet  pas  de  donner  à  leurs  ouvriers 
des  salaires  de  pure  fantaisie.  Et  ce  n'est  pas  leur  faciliter 
leur  tâche  que  de  prendre  de  semblables  mesures. 

Gomme  le  dit  M.  Colsonpour  un  cas  analogue  (balayeurs 
de  la  ville  de  Paris)  (voir  son  traité  à' Economie  politique^ 
tome  I.page  407),  voilà  des  gens  <i  qui  consacrent  leur 
temps  à  un  emploi  dans  lequel  leur  force  et  leur  talent  sont 
fort  mal  utilisés  et  dont  ils  privent  des  malheureux  incapa- 
bles de  gagner  leur  vie  autrement.  Toutes  les  fois  que  les 
administrations  publiques  paient  ainsi  un  travail  manuel  ou 
intellectuel  beaucoup  plus  cher  qu'il  ne  vaut,  elles  amènent 
un  relèvement  inutile,  mais  inévitable,  dans  le  niveau  du 
recrutement,  et  au  lieu  d'améliorer  la  situation  du  person- 

(1)  Voir  le  Times  du  10  septembre  1902. 


390  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   PRKMIER 

nel  auquel  les  emplois  inférieurs  reviendraient  naturelle- 
ment, elles  l'en  dépossèdent.  » 

Malgré  tout,  l'ouvrier  est  en  général  favorable  au  socia- 
lisme municipal,  parce  que  pour  lui,  municipalisme  et 
amélioration  de  son  sort,  ou  plus  exactement  de  son  salaire, 
sont  synonymes.  Ce  n*est  pas  de  ce  point  de  vue  qu'il  nous 
faut  considérer  la  question  :  il  faut  nous  demander  s'il  est 
légitime  de  donner  à  l'ouvrier  municipal  un  salaire  plu:» 
élevé  et  si  l'on  peut  raisonnablement  voir  dans  cette  manière 
d*agir  un  argument  en  faveur  du  municipalisme. 

L'insertion  de  la  «  fair  wages  clause  »  part  d'un  très  loua- 
ble sentiment  ;  mais  pourquoi,  se  demande  M.  Darwin  (t  ), 
«  Touvrier  qui  construit  un  tramway  pour  le  compte 
d*un  entrepreneur  recevrait-il  un  salaire  plus  élevé  parce 
que  le  tramway  qu'il  construit  sera  un  jour  propriété  mu- 
nicipale et  non  pas  propriété  d'une  Compagnie?  Si  Ton  a 
raison  d'augmenter  artificiellement  le  salaire  dans  un  cas. 
il  faut  le  faire  aussi  dans  Tautre  »>.  Logiquement  il  faut  ren- 
dre rinsertion  de  la  fair  wages  clause  obligatoire  dans  tous 
les  contrats  ou  ne  Tinsérer  dans  aucun  :  Ton  verrait  alors 
disparaître  la  soi-disant  supériorité  de  Tindustrie  munici- 
pale sur  rindustrie  particulière. 

L*emploi  direct  du  travail,  disent  les  socialistes,  offre 
deux  avantages  distincts  :  1®  l'ouvrier  travaille  dans  de 
bien  meilleures  conditions,  lorsqu'il  est  uu  service  d*une 
municipalité,  que  lorsque  c  est  un  particulier  qui  l'emploie. 
Pour  un  même  travail,  il  reçoit  un  salaire  plus  élevé  ;  sa 
journée  de  travail  est  moins  longue;  pour  lui  enfin  le 
sweating  n'existe  pas.  Le  nombre  de  personnes  qui  se  trou- 
vent ainsi  directement  bénéficier  des  applications  du  so- 

(1)  Voir  sur  cette  question  le  chapitre  II  du  livre  du  major  Darwin 
à  qui  nous  empruntons  la  plupart  des  arguments  qui  suivent. 


OUVRIERS   ET   EMPLOYAS  3g  I 

cialisme  municipal  est  considérable  ;  2"*  le  bon  exemple  que 
donneront  aux  employeurs  privés  pour  la  durée  du  travail, 
le  taux  des  salaires  et  les  conditions  d'emploi,  les  munici- 
palités propriétaires  d'entreprises  industrielles,  rejaillira 
favorablement  sur  les  hommes  qu'ils  emploieront.  Directe- 
ment et  indirectement,  l'action  des  municipalités  profitera 
à  tout  le  monde. 

Allant  plus  loin,  quelques  avocats  du  Municipal  Trade 
réclament  comme  un  mérite  de  leur  système  le  traitement 
meilleur  qu'il  permet  d'accorder  aux  employés  municipaux 
et  cherchent  en  même  temps  à  prouver  que  l'entreprise 
municipale  ne  revient  pas  nécessairement  plus  cher  que 
l'entreprise  privée.  Si  l'une  de  ces  assertions  est  vraie,  il 
faut  pourtant  que  Tautre  soit  fausse,  fait  remarquer  M.  Dar- 
win. M  Si  les  municipalités  ne  paient  pas  leurs  ouvriers 
mieux  que  les  entrepreneurs  privés,  comment  peuvent- 
elles  leur  donner  le  bon  exemple?  Mais  si  le  salaire  de 
l'ouvrier  municipal  est  plus  élevé  que  le  salaire  de  l'ouvrier 
privé,  n'en  résulte-t-il  pas  forcément  que  le  coût  de  pro- 
duction doit  être  plus  élevé  dans  l'entreprise  municipale 
que  dans  l'entreprise  privée  ?  On  a  cherché  de  diverses 
façons  à  sortir  de  ce  dilemme  ;  on  n'y  est  pas  arrivé. 

Les  municipalistes  ont  dit  qu'en  renonçant  à  confier 
l'exécution  des  travaux  publics  à  un  entrepreneur,  et  en  les 
exécutant  en  régie,  on  économise  le  profit  de  l'enlrepre- 
neur,  et  qu'en  conséquence  le  paiement  aux  ouvriers  de 
salaires  plus  élevés  n'entraînera  pas  d'augmentation  du 
coût  total.  Il  faudrait  d'abord  prouver  qu'en  travaillant 
en  régie  on  réussit  à  faire  l'économie  du  profit  de  Tentre- 
preneur  ;  pour  nous,  il  ne  fait  pas  de  doute  qu'un  entre- 
preneur personnellement  intéressé  au  succès  de  son 
entreprise,  ne  réussisse  mieux  en  général  qu'un  contre- 


396  DECXIEME   PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

consommateurs  des  marchandises  produites  par  les  usines 
municipales.  » 

Voici  qui  devrait  suffire,  ce  nous  semble,  à  faire  condam- 
ner rhabitude  qu  on  a  prise  de  payer  les  ouvriers  munici- 
paux plus  cher  que  ceux  qui  travaillent  pour  des  particu- 
liers. Tous  les  ouvriers  ne  payent-ils  pas  des  impôts,  soit 
directement,  soit  indirectement,  lorsqu*ils  paient  leur 
loyer?  Ne  voyagent  ils  pas  en  nombre  énorme  dans  les 
tramways  municipaux  ?  Ne  consommeut-ils  pas  du  gaz,  de 
Teau  et  d*autres  articles  que  leur  vendent  les  autorités 
locales  ? 

«  Quelque  léger  que  puisse  être  le  fardeau  qu'on  va  leur 
imposer,  dit  M.  Darwin,  comment  excuser  une  méthode 
qui  consiste  à  taxer  des  ouvriers,  soit  comme  contribuables 
soit  comme  consommateurs,  et  à  réduire  ainsi  à  un  certain 
niveau  le  revenu  dont  ils  disposent  afin  d*élever  au-dessus 
de  ce  même  niveau  le  revenu  d'un  nombre  relativement 
petit  d'ouvriers  vivant  dans  la  même  localité  et  faisant  le 
lAême  genre  d'ouvrage  ?  Pourquoi,  pour  avantager  le 
travailleur  municipal,  ferait-on  subir  le  moindre  dommage 
à  Touvrier  privé?  Le  désir  que  nous  ressentons  tous  de 
voir  s*améliorer  le  sort  du  travailleur  municipal  ne  justifie 
en  rien  une  mesure  de  ce  genre.  » 

Il  existe  d'autres  raisons  un  peu  moins  évidentes  peut- 
être,  pour  lesquelles  on  ne  devrait  pas  faire  de  l'ouvrier 
municipal  une  classe  spécialement  privilégiée.  Lui  donner 
des  avantages  exceptionnels,  c'est  le  rendre  exceptionnelle- 
ment anxieux  de  conserver  sa  position,  c'est  augmenter, 
comme  nous  le  verrons  dans  le  chapitre  suivant,  les  chances 
de  corruption. 

«  L'élévation  du  salaire  des  ouvriers  municipaux  au-des- 
sus du  niveau  moyen  du  marché  est  chose  dangereuse  enfin 


OUVRIERS    ET   EMPLOYAS  897 

parce  que  ne  reposant  sur  aucun  principe»  il  n'est  pas  de 
raison  pour  qu'elle  ait  de  limites.  Si  Ton  admet  qu'il  faut 
payer  les  ouvriers  des  corporations  5  Y^  de  plus  que  les 
ouvriers  de  l'industrie  privée,  pourquoi  leur  refuserait-on 
des  salaires  de  10  ou  50  7o  plus  élevés  ?  » 

Il  n'est  personne  qui  puisse  blâmer  des  employés  de  faire 
de  constants  et  légitimes  efforts  pour  obtenir  une  augmenta- 
tion de  leur  salaire;  c'est  leur  intérét,commec'estrintérèt  de 
la  communauté  de  résister  à  leurs  demandes  ;  mais  elle  aura 
d'autant  plus  de  peine  à  le  faire  qu'elle  aura  abandonné  le 
salutaire  principe  de  les  payer  au  taux  normal  du  marché. 
Et  si  Ton  finit  par  leur  céder,  par  leur  donner  ce  qui  n*est 
en  somme  que  Téquivalent  d'une  subvention  fournie  par  les 
impôts,  que  répondra-t-on  aux  autres  ouvriers  qui  vou- 
dront en  obtenir  autant?  Quelles  raisons  aura- t-on  de  ne 
l'accorder  qu  à  une  classe  aussi  arbitrairement  choisie  ? 
Rapidement  on  se  trouvera  placé  dans  une  situation  aussi 
dangereuse  qu'insoluble  par  la  seule  faute  de  l'intervention 
municipale. 

On  n'essaye  plus  guère  aujourd'hui  de  justifier  Temploi 
d'ouvriers  municipaux  payés  cher  ou  travaillant  peu  par 
des  motifs  charitables  ou  par  cette  raison  que  la  journée  de 
travail  très  courte  permet  de  donner  de  l'ouvrage  à  plus  de 
monde.  Les  travaux  publics  et  l'assistance  publique  sont 
deux  choses  distinctes,  bien,  que  certaines  municipalités 
anglaises  ne  paraissent  pas  encore  très  pénétrées  de  cette 
vérité.  Nous  voyons  tout  autant  d'objections  à  accorder  à 
l'ouvrier  municipal  des  journées  de  travail  trop  courtes 
qu'à  lui  payer  un  salaire  trop  haut;  mais  il  est  tout  aussi 
déplorable  au  point  de  vue  financier  d'employer  à  un  ou- 
vrage plus  d'ouvriers  qu'il  n'est  réellement  nécessaire  que 
de  payer  trop  cher  des  ouvriers  qui  ne  sont  qu'en  nombre 
suffisant. 


3g8  DEUXIÈME   PARTIE.    —   CHAPITRE   PREMIER 

S  inspirer  de  principes  charitables  dans  le  choix  des 
employés  municipaux,  ce  serait  renoncer  à  les  choisir  poar 
leur  habileté  et  leur  capacité.  Employer  des  ouvriers  parce 
qu'ils  ne  trouvent  pas  d'ouvrage  autre  part,  ce  serait,  tant 
au  point  de  vue  de  l'exécution  technique  des  travaux  qu'au 
point  de  vue  financier  se  lancer  dans  une  voie  partîculi^^e- 
ment  dangereuse  ;  ce  serait,  sur  une  plus  petite  échelle, 
renouveler  Texpérience  que  nous  avons  faite  en  France  des 
ateliers  nationaux. 

Finalement,  nous  ne  voyons  pas  par  quels  arguments  le 
socialisme  municipal  peut  se  justifier  de  payer  le  travail 
municipal  plus  cher  que  le  travail  privé.  Si  les  municipa- 
lités dépensent  en  salaires  pour  exécuter  un  travail  plus 
d'argent  que  n'en  dépenseraient  des  particuliers,  loin  d*v 
voir  le  moindre  avantage,  nous  y  verrons  un  signe  de  Fin- 
fériorité  du  Municipal  Trade  et  une  raison  suffisante  pour 
le  repousser. 

Les  arguments  que  produisent  en  cette  matière  les  par- 
tisans du  socialisme  municipal  ne  résistent  pas  à  un  examen 
attentif  ;  et  si  les  inconvénients  financiers  de  ce  svstème 
nous  apparaissent  ici  dans  la  note  à  payer,  nous  verrons  que 
ses  inconvénients  moraux,  tout  aussi  sérieux  peut-être,  se 
traduisent  dans  la  vie  politique  ou  administrative  de  façon 
également  regrettable  ;  ce  sont  eux  que  nous  nous  propo- 
sons d'étudier  dans  le  prochain  chapitre* 


CHAPITRE  II 

RAPPORTS    DBS    OUVRIERS   MUNICIPAUX  AVKG  LBS    CORPORATIONS. 
LE   DROIT   DE  VOTE  DBS  EMPLOYÉS  MUNICIPAUX. 


Nous  avons  au  début  du  précédent  chapitre  noté  la  posi- 
tion particulière  qu'occupaient  respectivement  les  ouvriers 
d'une  municipalité  et  les  conseillers  municipaux  les  uns  à 
regard  des  autres  ;  le  rapport  qui  existe  entre  eux  est  dou- 
ble, disions-nous  ;  il  est  d'abord  celui  d'employeur  à  em- 
ployé ;  il  est  aussi,  et  il  devient  de  plus  en  plus,  celui  d'é- 
lecteur à  élu.  Les  conséquences  de  cette  situation  chez  un 
peuple  en  général  aussi  pondéré,  aussi  sage  que  les  Anglais, 
lorsqu'il  s'agit  de  la  gestion  des  affaires  publiques,  sont  des 
plus  intéressantes  à  étudier  pour  nous  autres  Français  ;  ce 
que  nous  aurons  à  en  dire  ne  nous  fera  que  mieux  compren- 
dre les  résultats  probablement  bien  pires  auxquels  nous 
arriverions  rapidement,  si  nous  nous  lancions  sans  réflexion 
dans  la  voie  du  Municipal  Trading. 

C'est  un  phénomène  qui  n'est  pas  particulier  à  l'Angle- 
terre que  celui  de  l'augmentation  rapide  du  nombre  des  per- 
sonnes employées  par  les  autorités  publiques  ;  on  l'observe 
en  France,  en  Allemagne,  aux  Etats-Unis,  en  Australie, 
partout  où  TËtat  étend  chaque  jour  davantage  son  influence 
el  ses  attributions.  C'est  du  jour  en  effet  où  il  se  reconnaît 
des  devoirs  économiques  à  l'égard  de  ses  nationaux  que 
l'armée  de  ses  employés  et  de  ses  bureaucrates  commence 


400  DEUXIÈME    PAUTIE.    CHAPITRE    II 

à  preadre  des  proportions  fantastiques  ;  au  lieu  de  quelques 
personnes  chargées  de  recueillir  les  impôts  et  de  mainte- 
nir Tordre  public,  il  s'entoure  d'une  nuée  de  fonctionnaires 
qu'il  mèld  à  tous  les  actes  de  notre  vie.  Nous  ne  pourrons 
plus  consommer  une  marchandise,  utiliser  un  moyen  de 
transport,  louer  un  logement,  qui  n'ait  été  fabriqué,  cons- 
truit, installé,  par  les  employés  de  l'autorité  publique,  dis- 
tributrice de  toutes  choses. 

L'accroissement  du  nombre  des  employés  municipaux  — 
c'est  de  ceux  là  que  nous  nous  occuperons  plus  particuliè- 
rement—  n'est  pas  un  danger  imaginaire.  Le  nombre  de 
voix  toujours  plus  grand  dont  ils  disposent  aux  élections 
commence  à  leur  donner  conscience  de  leur  influence,  et 
Ion  peut  dès  à  présent  entendre  les  chefs  du  parti  socialiste, 
joyeux  et  Gers  de  leurs  progrès  rapides,  leur  expliquer  l'u- 
sage qu'ils  doivent  faire  de  leur  force  nouvelle. 

A  la  onzième  conférence  annuelle  de  l'Association  des  em- 
ployés municipaux  (Municipal  Employées  Association)tenue 
en  mai  1905,  M.  Keir  Hardie  a  déclaré  qu'en  sa  qualité  de 
socialiste,  il  était  tout  à  fait  favorable  à  la  création  d'une 
union  des  employés  municipaux  et  qu  il  était  heureux  de 
constater  les  merveilleux  progrès  de  l'Association.  En  feuil- 
letant dernièrement  des  documents  parlementaires,  il  était 
par  hasard  tombé  sur  l'un  d'eux  qui  l'avait,  dit-il,  justement 
étonné,  car  il  lui  avait  appris  que  Ton  comptait,  dans  le 
Royaume-Uni,  plus  de  deux  millions  d'employés  munici- 
paux. Le  nombre  total  des  salariés  étant  de  quatorze  mil- 
lions, le  fait  présentait  un  intérêt  tout  particulier. 

Il  est  assez  difficile  de  déterminer  avec  exactitude  le  nom- 
bre des  personnes  employées  directement  parles  municipa- 
lités. Mais  si  l'on  songe  au  nombre  considérable  de  villes 
qui  ont  actuellement  municipalisé  les  usines  à  gaz,  Télectri- 


RAPPORTS   DES   OUVRIERS   MUNICIPAUX  ÂOJ 

citéy  les  tramways,  pour  ne  parler  que  des  entreprises  les 
plus  importantes,  le  chifTre  de  deux  millions  que  cite  le  lea* 
der  socialiste  n'a  en  somme  rien  qui  doive  nous  étonner. 

Et  pourtant  rinfluence  que  les  employés  municipaux  peu- 
vent exercer  et  exercent  en  fuit  aux  élections  locales  dans 
un  but  purement  égoïste,  n*est  pas  chose  que  la  commu- 
nauté puisse  regarder  d'un  œil  indiiïérent.  Le  fait  que  ce 
sont  les  élus  qui  fixeront  les  salaires  de  leurs  électeurs  et 
qu'ils  auront  à  mettre  d'un  côté  de  la  balance  les  bulletins 
de  vote,  deTautre  les  augmentations  de  salaires,  nous  mon- 
tre la  position  spécialement  embarrassante  des  conseillers 
municipaux  et  fait  prévoir  de  quelle  manière  ils  résoudront 
en  général  la  délicate  question  qu'on  leur  pose. 

Un  semblable  état  de  cho^^s  ne  pouvait  laisser  le  contri- 
buable an.;lais  indiiï.Went.  S  il  n'aime  pas  qu'on  fasseàsa 
bourse  de  trop  fortes  saignées,  il  est  fier  aussi,  et  jusqu'à 
présent  à  juste  titre,  de  l'intégrité  de  ses  fonctionnaires 
locaux.  Aussi  un  mouvement  assez  fort  s'est-il  produit  dans 
ces  dernières  années,  à  propos  du  droit  de  vote  des  employés 
des  autorités  publiques,  tant  de  l'Etat  q  ue  des  municipali- 
tés. Le  Conseil  municipal,  en  eiïet,  joue  dans  une  certaine 
mesure  vis-à  vis  de  la  ville  le  rôle  que  joue  le  gouvernement 
vis-à-vis  de  la  nation  ;  mais  tandis  que  les  employés  au  ser- 
vice du  gouvernement,  à  l'exception  des  ouvriers  des  docks, 
sont  dispersés  par  tout  le  pays,  ceux  des  autorités  locales 
sont  centralisés,  ce  qui  ne  peut  qu'aggraver  le  danger  poli- 
tique auquel  nous  faisons  allusion.  On  a  souvent  protesté 
contre  la  pression  que  les  employés  de  TËtat  arrivent  à 
exercer  sur  les  membres  du  Parlement.  Il  y  a  bien  des  an- 
nées déjà,  M'  Gladstone  hésitait,  pour  cette  raison  même, 
à  donner  le  droit  de  vote  aux  «  civil  servants  »  (  employés 
civils),  et  l'objection  principale  de  Lord  Salisbury  à  la  natio- 

Uoverat  26 


402  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

iQtaiisatioades  téléphones  aurait  été  raccroissement  énorme 
du  nombre  d  employés  d*Etat  que  ce  rachat  eût  occasionné. 
Le.  danger  est  très  rcel  et  les  débats  de  la  Chambre  des  Coin- 
munes  à  propos  du  Post  Office,  le  30  avril  1903,  l'ont  bien 
montré.  Le  Post  Master  General  (M.  Austen  Chamberlain: 
disait  que  u  nombre  de  membres  de  cette  chambre  connais- 
saient la  pression  qu'exerçaient  les  employés  du  Post  Office, 
et  qu'ils  redoutaient  tout  particulièrement  cette  pression  au 
moment  des  élections  ;  d'honorables  gentlemen,  apparte- 
nant à  tous  les  partis,  étaient  venus  le  trouver  et  lui  deman- 
der de  les  protéger  dans  Taccomplissement  de  leurs  fonc- 
tions publiques  contre  la  pression  que  cherchaient  à  exer- 
cer  sur  eux  les  employés  du  Post  Office  ».  M.  John  Burns 
lui-même  déclarait  que  «  là  où  existait  la  pression  dont 
parlaitle  Post  Master  General,  le  vrai  remède  consisterait  à 
priver  les  employés  du  Post  Office  de  leur  bulletin  de  vote», 
et  il  affirmait  qu*il  était  prêt  à  voter  cette  mesuré.  Le  mai 
est  aigu  dans  les  colonies  australiennes  où,  d'après  le  Mel- 
bourne Argus^  les  gens  au  service  de  TËtat  forment  pres- 
que la  majorité  des  noms  inscrits  sur  les  listes  électorales. 

Lorsqu'il  s*agit  des  municipalités,  le  cas  est  encore  plus 
grave  ;  devant  le  Joint  Select  Committee  on  Muniripal  Tra- 
ding de  1900,  lord  Avebury,  à  qui  1  on  demandait  son  avis 
sur  le  rôle  des  municipalités  dans  les  questions  ouvrières, 
répondit  :  «  Il  semble  qu*il  y  ait  une  difficulté  toute  parti- 
culière pour  les  membres  d'une  municipalité  à  fixer  les 
salaires  de  leurs  propres  électeurs. . .  C'est,  à  mon  avis,  une 
raison  et  une  forte  raison  pour  interdire  aux  municipalités 
de  s'engager  dans  des  transactions  de  ce  genre.  » 

Le  seul  moyen  de  prévenir  les  inconvénienMrès  sérieux 
de  la  pression  électorale  consisterait  à  priver  de  leur  droit 
de  vote  les  employés  municipaux  pour  les  élections  mu- 
nicipales ;  ridée  fait  son  chemin. 


RAPPORTS   DES   OUVRIERS   MUNICIPAUX  4o3 

Sir  Thomas  Hughes,  deux  fois  maire  de  Liverpool,  et 
sous  beaucoup  de  rapports  ardent  municipaliste,  ne  se  fait 
pas  dillusions  à  ce  sujet  (1).  »  J'ai  toujours  prévu  ce  dan- 
ger, déclaret-il  :  c'est  pourquoi  je  ne  me  suis  jamais  sou- 
cié de  pousser  les  entreprises  municipales  plus  loin  qu'il 
nétait  nécessaire...  J'approuve  hautement  le  principe 
qu'ont  adopté  nombre  de  fonctionnaires  de  tout  grade  de 
ne  jamais  prendre  part  aux  élections,  et  je  voudrais  qu'il 
fût  suivi  de  tous  les  employés.  J'ai  vu  un  très  honnête 
homme  perdre  son  siège  de  conseiller  uniquement  parce 
qu'on  pensait  qu'il  n'était  pas  favorable  aux  revendications 
des  ouvriers  municipaux...  J'estime  que  du  jour  où  un 
homme  devient  employé  de  la  corporation,  il  ne  devrait 
plus  être  autorisé  à  se  choisir  ses  supérieurs.  » 

M.  0.  Smith,  town  clerk  de  Birmingham,  à  qui  Ton 
demandait  s'il  voyait  un  danger  quelconque,  politique  ou 
autre,  à  ce  qu'une  corporation  employât  un  grand  nom- 
bre d'ouvriers,  répondait(2)  :  «  que  la  question  était  bien 
vaste  ;  qu'il  pensait  qu'il  y  avait  là  un  danger  dont  on 
devait  se  préoccuper...  »  Il  exprimait  son  désir  personnel 
de  voir  tous  les  employés  municipaux  privés  de  leur  droit 
de  vote.  Et  TAlderman  Southern,  de  Manchester,  témoi- 
gnant les  mêmes  craintes  et  disant  qu'on  pouvait  redouter 
de  voir  un  jour  les.  employés  municipaux  s'unir  et  voter 
tous  ensemble  pour  un  même  candidat,  sans  égard  à  sa 
capacité,  mais  simplement  parce  qu  il  leur  aurait  promis 
une  augmentation  de  leurs  salaires,  préconisait  le  même 
remède  que  son  collègue  de  Birmingham. 

Le    Lord   Provost   de  Glasgow,  M.  S.  Chisholm,  chef 
d* une  cité  qui  emploie  plus  de  13.000  ouvriers  et  employés, 

(1)  Municipal  Trading  Report,  1900,  quest.  2304.. 

(2)  Municipal  Trading  Heporl,  1900,  quest.  1947. 


4o4  DEUXIÈME   PARTIE.     —    CHAPITRE   II 

déclarait  en  1902  que,  pour  lui,  le  danger  résidait  dans  la 
création  d'une  union  des  employés  municipaux  dont  la 
pression,  lors  des  élections,  pourrait  détruire  le  meillenr 
des  gouvernements  locaux.  En  voyant  croître  le  danger, 
il  avait  souvent  pensé  que  bientôt  peut-être  le  temps  vien- 
drait où  il  faudrait  priver  de  leur  droit  de  vote  les  employés 
de  la  municipalité.  Si  Ton  ne  voulait  pas  en  arriver  à  cette 
extrémité,  il  faudrait  leur  donner  une  représentation  spé- 
ciale, sectionnelle,  disait-il»  et  soigneusement  différenciée. 

Mais  la  privation  du  droit  de  vote  ne  ferait  nullement 
l'affaire  du  Labour  Party  ;  l'application  d'une  pareille 
mesure  ferait  disparaître  la  moitié  des  attraits  de  la  muni- 
cipalisation.  Le  socialiste  municipal  du  type  avancé  ne 
cache  à  personne  qu*il  entend  se  servir  de  son  bulletin 
de  vote  pour  améliorer  sa  situation.  Aujourd'hui,  les  ou- 
vriers sont  peut-être  encore  lesemployés  du  Conseil  ;  mais, 
si  la  tendance  actuelle  persiste,  le  temps  n'est  pas  loin  où, 
comme  on  Ta  dit,  c'est  le  Conseil  qui  sera  l'employé  de  ses 
ouvriers.  Malgré  toute  leur  honnêteté  et  leurs  bonnes 
résolutions,  les  conseillers  municipaux  ne  seraient  pas 
des  hommes  s'ils  n'étaient  susceptibles  de  se  laisser  in- 
fluencer par  la  pression  de  leurs  employés. 

Comment  ne  se  laisseraient-ils  pas  d'ailleurs  plus  ou 
moins  influencer  par  eux,  maintenant  que  l'accroissement 
énorme  do  leur  nombre  a  abouti  à  la  création  de  l'As- 
sociation des  employés  municipaux  (la  Municipal  Em- 
ployées 'Association)  dont  les  sections  embrassent  le  pays 
dans  toutes  ses  parties  ?  L'un  des  principaux  objets  qu'elle 
s'est  proposé  est  d'influencer  les  autorités  locales  pour 
assurer  à  ses  membres  des  salaires  plus  élevés  ;  c'est-à- 
dire  qu'elle  tend  à  créer  une  classe  privilégiée  de  personnes 
dont  les   membres  ne  poursuivent   qu'un  but  purement 


RAPPORTS   DES   OUVRIERS   MUNICIPAUX  4o5 

égoïste  et  ne  s*intéresseat  pas  au  bien-être  général  de  la 
communauté.  La  Municipal  Employées  'Association  ne 
compte  encore,  il  est  vrai,  que  10.000  membres,  mais  elle 
gagne  rapidement  en  force  et  en  importance,  puisqu*il  y  a 
quatre  ans  seulement,  en  1902,  elle  n'avait  que  2.000 
adhérents. 

Parmi  ses  desiderata,  tels  qu'elle  les  a  exposés  dans  un 
pamphlet  intitulé  :  «  Ce  que  nous  voulons  »  (What  we  want), 
nous  relevons  (1)  :  1^  pour  tout  adulte  màle  un  salaire 
minimum  de  30  s.  par  semaine  à  Londres  et  de  28  s.  dans 
les  grandes  villes  de  la  province  ;  2""  48  heures  de  travail 
par  semaine  au  maximum;  3**  les  mêmes  salaires  et  les 
mêmes  heures  de  travail  dans  tous  les  districts  pour  tous  les 
grades  d*employés.  Il  n'y  aura  donc  pas  seulement  un  salaire 
minimum  et  une  semaine  de  48  heures,  mais  tous  les  em- 
ployés d'un  même  grade,  les  bons  comme  les  mauvais, 
recevront  exactement  le  même  salaire. 

Le  paragraphe  suivant,  intitulé  «  How  we  do  it  »  (com- 
ment nous  y  arriverons),  est  encore  plus  significatif.  Nous 
y  arriverons,  dit-il,  en  posant  des  questions  aux  candidats 
aux  élections  municipales  et  en  ne  votant  pas  pour  ceux 
qui  refuseraient  de  s'engager  d'une  façon  formelle  à  faire 
ce  que  nous  demandons. 

Si  les  choses  continuent  de  la  .sorte,  on  verra  bientôt  ap- 
paraître le  mandat  impératif  qui  possède  d'ailleurs  toutes 
les  sympathies  des  Socialistes.  Ce  seront  alors  les  employés 
de  la  corporation  et  non  plus  les  conseillers  qui  dirigeront 
les  affaires. 

A  côté  de  la  Municipal  Employées  '  Association,  qui  a  son 
siège  à  Londres  et  des  sections  en  province,  se  sont  formées 

(1)  Voir  le  Times  du  10  septembre  1901. 


4o6  DEUXIEME   PARTIE.    CHAPITRE    II 

de  nombreuses  associations  locales  de  travailleurs  muni- 
cipaux. Nous  pourrions  citer  parmi  elles  tlie  City  of  Wesl- 
niinster  Municipal  Labour  Union,  the  Bolton  Corporation 
Servants  *  Society,  the  HuU  Corporation  Employées  Pro- 
tection Society,  the  Liverpool  Corporation  Workmen's 
Union,  the  Birmingham  City  et  District  Lampmen's  Union, 
the  Glasgow  Corporation  Worker's  Union,  the  Belfast 
Municipal  Employées  and  other  Workers  Trade  Union. 
Ces  sociétés  de  moindre  importance  sont  en  général  affiliées 
à  une  fédération  nationale  qui  les  soutient  dans  les  luttes 
qu'elles  engagent  contre  leurs  municipalités  respectives. 

A  côté  de  ces  associations  et  de  ces  trade- unionsorganisées 
pour  soutenir  en  tout  temps  les  intérêts  matériels  des  ou- 
vriers, existent  d'autres  organisations  qui  ont  spécialement 
pour  but  de  faire  triompher  aux  élections  municipales  les 
candidats  ouvriers  ;  but  qu'elles  ont  souvent  atteint  grâce 
à  l'apathie  de  la  classe  bourgeoise. 

A  Edimbourg  (1),  the  Edinburgh  Municipal  Workers 
Committee  se  compose  de  représentants  du  Trades  Coun- 
cil,  d'environ  90  sections  de  Trade -Unions,  de  la  Société 
Coopérative  et  de  rindependent  Labour  Party.  Chacun  de 
ces  corps  nomme  trois  délégués,  lesquels  choisissent  à  leur 
tour  les  candidats  aux  Assemblées  locales,  Town  Counril, 
School  Board  et  Parish  Council.  C'est  le  Comité  qui  four- 
nit à  ses  candidats,  au  moyen  de  fonds  qui  proviennent  de 
contributions  volontaires  et  de  souscriptions  recueillies 
parmi  les  membres  des  Trade-Unions,  Targent  dont  ils  ont 
besoin.  Il  tient  en  plein  air  des  meetings  de  propagande 
et  demande  que  la  municipalité  construise  des  maisons 
ouvrières,  fournisse  à  ses  contribuables  le  charbon  et  la 

(1)  Voir  le  Times  du  10  septembre  1902. 


RAPPORTS   DES    OCVUIERS    MUNICIPAUX  ^oj 

boisson,  bâtisse  des  hôpitaux  municipaux  pour  le?  tuber-^ 
culeux,  sans  parler  de  l'intervention  que  Ion  attend  et  que 
l'on  exige  d'elle  dans  toutes  les  questions  ouvrières. 

A  Dundee,  la  composition  du  comité  est  à  peu  près  la 
nu'mo  qu*à  Edimbourg;  à  Bristol,  le  Municipal  Workers 
Commîtlee  n'est  choisi  que  par  les  Trade-Unions  seulement. 
A  West  Ham,  Sheffield,  Bradford,Swansea,  se  sont  formées 
des  organisations  analogues.  A  West  Ffam,  aux  élections 
municipales  de  1899.  les  socialistes  demandaient  un  sa- 
laire minimum  de  30  s  par  semaine  pour  tous  les  em- 
ployés de  la  corporation.  «  Votez  pour  moi,  répétaient 
comme  un  refrain  les  candidats  socialistes,  et  je  vous  vo- 
terai la  journée  de  huit  heures  et  un  salaire  de  30  s.  » 
Les  contribuables  de  West  Ham  savent  aujourd'hui  ce  qu'il 
leur  en  coûte  de  ne  s'être  pas  plus  énergiquement  opposés 
à  cette  politique. 

Mais  1  exemple  le  plus  intéressant,  sinon  le  plus  probant 
à  citer,  parce  que  c'est  celui  d'une  grande  ville,  est  l'exem- 
ple de  Glasgow. 

Le  socialisme  n'a  commencé  à  jouer  un  rdie  actif  dans 
la  vie  publique  de  cette  ville  qu  à  partir  de  la  visite  que 
lui  fit  le  célèbre  Henry  George  (1).  Un  parti  socialiste  se 
fonda  alors  dont  l'indifférence  ordinaire  des  classes  moyen- 
nes favorisa  le  développement  et  le  succès  ;  ainsi  apparut 
au  Glasgow  Town  Council  un  parti  du  Travail  dont  les 
membres,  secrétaires  de  Trade-Unions  et  autres,  se  firent 
connaître  sous  le  nom  de  «  Stalwarts  »  (les  vaillants).  Les 
Stalwarts  ont,  pour  soutenir  leurs  candidats  à  l'époque  des 
élections,  une  organisation  spéciale,  le  Glasgow  Workers' 
Municipal  Election  Gommittee.  Ce  comité  comprend  des  dé- 

<1)  rtVîicv^  octobre  1902. 


4o8  DEUXIÈME   PARTIE.    —    CHAPITRE   II 

légués  de  FUnited  Trades  Council,  des  Trade-Unîons  loca- 
les, du  Coopérative  Municipal  Election  Committee,  de 
r  United  Irish  League,  de  Tlndependent  Labour  Parly  et  de 
la  Social  Démocratie  Fédération.  Les  candidats  n'obtien- 
nent l'aide  du  comité  qu*à  la  condition  de  s'engager  à  sou- 
tenir activement  son  programme.  Ils  doivent  lui  faire  con- 
naître tous  les  cadeaux  qu'on  aurait  pu  leur  faire  en  dehors 
des  fonds  qu'il  leur  a  lui  même  remis. 

Le  programme  du  Glasgow  Workers'  Municipal  Elec- 
tion Committee  varie  chaque  année  :  aux  élections  de  1901, 
il  réclamait  entre  autres  choses  :  «  que  les  ouvriers  de  la 
corporation  ne  travaillent  pas  plus  de  48  heures  par  se- 
maine au  maximum  et  qu*on  leur  paye  les  salaires  fixés 
parles  Trade-Unions  ;  que  pleine  liberté  leur  soit  laissée 
de  faire  partie  des  Trade-Unions,  (Coopératives,  Sociétés 
amicales, et  qu'on  leur  reconnaisse  le  droit  de  se  faire  repré- 
senter dans  toutes  les  négociations  par  leurs  représentants 
accrédités  ».  Il  réclamait  Temploi  direct  du  Travail  et  réta- 
blissement d'un  département  municipal  des  travaux  publics 
(Works  department)  chargé,  chaque  fois  que  cela  serait 
possible,  de  l'exécution  des  entreprises  industrielles  du 
Council.  Pour  éviter  un  trop  grand  entassement  de  la  popu- 
lation, la  municipalité  construirait  en  dehors  des  limites  de 
la  ville  des  maisons  ouvrières  dont  le  prix  de  location  cou- 
vrirait simplement  les  frais  de  construction  et  d  entretien. 
Four  prévenir  la  propagation  de  la  tuberculose  et  des  ma- 
ladies infectieuses,  la  corporation  achèterait  et  élèverait 
des  vaches  parfaitement  saines  et  fournirait  elle-même  le 
lait  aux  hôpitaux  et  aux  dispensaires.  Nous  avons  vu  dans 
un  précédent  chapitre  que  ce  vœu  vient  d'être,  partielle- 
ment au  moins,  réalisé. 

Le  comité  proposait  encore  de  demander  au  Parlement 


RAPPORTS   DBS  OUVRIERS   MUNICIPAUX  ^OQ 

les  pouvoirs  nécessaires  à  la  municipalisationdu  commerce 
des  liqueurs,  Tachât  de  terrains,  Tacquisition  et  Texploita- 
tion  de  mines  de  charbons,  la  fourniture  de  ce  charbon  aux 
particuliers  et  l'établissement  de  banques  municipales. 

A  côté  de  ce  comité  spécialement  formé  pour  les  élections, 
les  employés  de  la  corporation  ont  leur  Trade-Union  parti- 
culière, la  Glasgow  Corporation  Workers  Union,  qui  a  pour 
objet  d'assurer  l'élection  an  Town  Council  de  membres  du 
parti  du  Travail.  L'ITnion  fait  plutôt  (i  de  la  liberté  de  ses 
adhérents;  d'après  1  article  15  de  son  règlement,  tout  mem- 
bre qui  aura  discuté  les  alTaires  de  la  société  ou  critiqué  Tun 
de  ses  fonctionnaires  en  dehors  des  meetings,  ou  donné  des 
renseignements  aux  partis  adverses,  sera  cité  devant  Texé- 
cutif,  condamné  à  une  amende  pour  la  première  infraction  et 
exclu  de  la  Société  pour  la  seconde.  Cette  société  a  su,  dit  le 
Times ^  entretenir  parmi  les  ouvriers  une  agitation  perpé- 
tuelle ;  elle  a  provoqué  plusieurs  grèves,  dont  une  des  em- 
ployés de  la  voirie  (Cleansing  Department)  ;  lors  de  cette 
dernière  grève,  les  rues  de  Glasgow  ne  furent  pas  nettoyées 
durant  quatre  jours. 

Le  développement  du  socialisme  finit  cependant  par  se 
heurter  dans  cette  ville  à  une  opposition  marquée  de  la 
classe  moyenne  ;  la  Citizens'  Union,  fondée  en  mai  18!)8, 
cherche  à  faire  élire  au  Glasgow  Town  Council  des  person- 
nes qui  connaissent  quelque  chose  aux  affaires  municipales 
et  soient  capables  d'administrer  convenablement  la  cité. 
Aux  élections  de  1898,  F  Union  réussit  à  battre  deux  des 
principaux  membres  du  parti  socialiste  et  à  faire  élire  un 
grand  nombre  de  ses  candidats.  Son  action  a  été  utile,  sans 
doute,  mais  elle  n'a  pas  suffi,  et  l'on  n'est  pas  près  de  voir 
le  Conseil  municipal  de  Glasgow  renoncer  aux  extravagan- 
ces financières  dont  il  a  déjà  donné  tant  d'exemples. 


4lO  DEUXIÈME   PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

Ce  que  nous  veaoas  de  dire  de  Glasgow,  nous  poumons 
ie  dire  avec  plus  de  force  encore  des  villes  d'Halifax  et  sur- 
tout de  West  Ham,  véritables  laboratoires  de  socialisme 
municipal.  A  West  Ham,  le  mandat  impératif  avec  démis- 
sion signée  à  Tavance,  jouit  de  toutes  les  faveurs  du  parti 
socialiste  ;  lorsqu'ils  possédaient  la  majorité  au  Conseil, 
les  membres  de  ce  parti,  nous  dit  le  Times  (1),  votaient  en 
bloc  d'après  une  délibération  tenue  la  veille  de  la  séance, 
délibération  dont  on  leur  communiquait  le  résultat  et  où  ils 
n'étaient  souvent  que  quelques-uns  à  assister.  Un  petit  bou- 
tiquier, que  Tappui  des  socialistes  avait  fait  nommer  al- 
derman,  s'imagina  un  jour  qu'il  pourrait  voter  comme  bon 
lui  semblait.  Le  lendemain  même  des  pancartes  s'étalaient 
(levant  sa  boutique,  prévenant  les  ouvriers  de  ne  plus  rien 
lui  acheter. 

C'est  encore  à  West-Ham  que  Ton  a  vu  le  Conseil  Munici- 
pal retarder  l'ouverture  de  ses  séances  jusqu'à  5  et  6  heures 
du  soir,  à  partir  du  moment  où  les  socialistes  furent  arrivés 
au  pouvoir,  pour  permettre  aux  employés  de  corporation, 
leurs  électeurs^  d'assister,  grâce  à  la  journée  de  8  heures, 
aux  débats  du  Conseil.  Les  égoutiers,  les  charretiers,  les 
balayeurs  venaient  appuyer,  soit  simplement  de  leur  pré- 
sence, soit  souvent  aussi,  lorsque  le  débat  s^animait,  de 
leurs  cris,  les  discours  de  leurs  conseillers.  On  applaudissait 
les  socialistes,  on  sifflait  et  on  injuriait  leurs  adversaires. 
La  salle  du  conseil  fut  le  théâtre  de  scènes  tumultueuses.  Oa 
discutait  pendant  des  heures  sur  des  questions  de  salaires, 
des  augmentations  de  1  shilling  par  semaine  ;  mais  on 
votait  des  dépenses  énormes,  sans  même  s'en  apercevoir. 
C'est  ainsi  qu'on  vota  un  jonr  £  60.  000  pour  la  construc- 

(1)  Times  du  16  septembre  1902. 


KATM>aTS   DBS   OUVRIERS   MUNICIPAUX  ^H 

tion  de  bains  qui  ne  devaient  coûter  que  £  27. 000,  et  sans 
que  personne  du  comité  des  bains  en  eût  connaissance. 
Cela  s'était  fait  en  fin  de  séance,  au  milieu  dn  bruit  et 
de  l'ahurissement  général.  Les  socialistes  se  livrèrent  à 
de  telles  extravagances  qu'on  forma,  en  juillet  1899,  une 
Municipal  Alliance  pour  leur  résister.  Elle  réussit  à  faire 
élire  en  1901  un  nombre  suffisant  de  ses  candidats  pour  te* 
nir  en  échec  le  parti  avancé.  Mais  le  mal  était  fait,  et  West 
Ham  supporte  et  supportera  longtemps  encore  le  poids  des 
aventures  où  l'avaient  entraînée  ses  conseillers  socialistes. 

La  conclusion  à  tirer  des  exemples  qui  précèdent  est  que, 
si  les  élections  doivent  se  faire  à  l'avenir  sur  de  telles  ques- 
tions, il  y  a  de  fortes  chances  pour  que  les  conseillers  élus 
ne  soient  pas  des  hommes  en  état  de  remplir  la  première 
des  tâches  qui  leur  incombent,  c'est-à-dire  la  gestion  des 
finances  de  la  Cité.  Leurs  succès  aux  Conseils  municipaux 
dégoûteront  peu  à  peu  de  se  représenter  les  personnes  les 
plus  capables  ;  elles  ne  voudront  pas  courir  le  risque  d*un 
écliec  et  le  mal  ira  ainsi  toujours  en  empirant. 

Un  de  nos  principaux  griefs  contre  l'accroissement  conti- 
nuel du  nombre  des  employés  de  la  corporation  .sera  donc 
qu'il  augmente  les  chances  de  la  corruption  municipale. 
L'électeur  payé  par  un  corps  public  quelconque  sera  tou- 
jours tenté,  d'une  part,  de  se  servir  de  son  vote  dans  un 
but  uniquement  personnel  ;  les  corps  élus,  de  Tautre,  au- 
ront tendance  à  distribuer  des  places  pour  récompenser  des 
services  politiques.  Tel  sera  presque  toujours  le  résultat  de 
remploi  direct  du  travail  par  un  gouvernement  démocra- 
tique. Parlant  de  la  pression  qu'exercent  sur  les  membres 
du  Parlement  pour  obtenir  des  augmentations  de  salaires, 
les  employés  des  corps  publics,  M.  Lecky  (1)  dit  qu'on 

{i)  LsGRT,  Democracy  and  iiberty,  vol.  Il,  p.  387. 


a  12  DEUXIEME    PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

imaginerait  difficilement  une  habitude  mieux  inventée 
pour  démoraliser  les  collèges  électoraux  jusqu'à  la  moelle, 
et  plus  certaine,  si  elle  venait  à  se  répandre,  de  détruire 
tout  sentiment  de  patriotisme  dans  la  nation. 

Nous  avons  montré  tout  à  T heure  que  les  salaires  des 
employés  municipaux,  au  rebours  de  ceux  de  Tindustrie 
privée,  ne  baissent  jamais  ;  la  raison  en  est  simple.  Cha- 
que  fois  qu'ils  ont  à  trancher  une  question  de  ce  genre,  les 
conseillers  municipaux  ne  songent  plus  qu'à  une  chose  : 
rinfluence  que  leur  décision  pourra  avoir  sur  le  vote  de 
leurs  électeurs.  Bientôt  les  candidats  aux  sièges  de  conseil- 
ler en  viendront  à  faire  des  promesses  aussi  démoralisantes 
pour  eux-mêmes  que  pour  ceux  qui  les  auront  cMus  Eo 
butte  aux  demandes  les  plus  déraisonnables  des  unions 
d'employés  municipaux,  les  fepréseutants  des  villes  se  trou- 
veront dans  la  pénible  alternative  ou  de  voter  des  conces- 
sions dont  ils  connaissent  la  folie  ou  de  perdre  leur  siège. 

A  mesure  que  le  nombre  des  électeurs  émargeant  au 
budget  local  augmentera,  on  verra  non  seulement  les  hom- 
mes consciencieux  et  les  hommes  de  valeur  échouer  de  plus 
en  plus  souvent  aux  élections,  mais  on  les  verra  aussi  de 
moins  en  moins  disposés  à  entamer  la  lutte  électorale.  Ce 
n'est  pas  en  eiïet  lutter  à  armes  égales  que  d'avoir  à  com- 
battre un  adversaire  peu  scrupuleux  et  en  état  d'exerc«r 
sur  un  groupe  nombreux  d'électeurs  une  influence  illégi- 
time. Les  questions  de  salaires  sont  en  outre  des  questions 
souvent  désagréables  à  régler  ;  or,  plus  une  municipalité 
aura  d'ouvriers  et  d'employés,  plus  elles  se  représenteront 
fréquemment.  Les  mille  désagréments  qu'elles  procureront 
aux  conseillers,  soit  lors  de  leur  élection,  soit  dans  l'accom- 
plissement de  leur  mandat,  écarteront  rapidement  des  as- 
semblées municipales  les  hommes  qui  pourraient  y  jouer 


RAPPORTS    DES    OUVRIERS   MUNICIPAUX  /JlS 

le  rôle  le  plus  utile  ;  et  leur  abstention  serait,  en  Angleterre^ 
où  les  pouvoirs  conférés  aux  Conseils  municipaux  sont  très 
vastes,  plus  fâcheuse  que  partout  ailleurs.  Le  mal  commence 
déjà  à  se  faire  sentir^  et  M.  J.  Chamberlain  le  signalait  dans 
un  discours  qu'il  prononça  au  printemps  de  1906  à  Bir- 
mingham à  roccasion  de  son  70®  anniversaire, 

La  démoralisation  des  électeurs  entraînant  forcément 
celle  des  élus,  les  considérations  de  parti  le  céderont  à  tou- 
tes les  autres,  la  politique  s'introduira  partout  et  Ton  ne 
donnera  plus  de  place  à  personne  sans  rechercher  aupara- 
vant quelles  peuvent  être  ses  opinions  et  ses  tendances . 
Bientôt  cette  façon  d'agir  paraîtra  toute  naturelle  ;  on  aura 
fait  If!  premier  pas  dans  le  sentier  de  la  corruption.  Satis- 
faire au  moyen  de  Timpôt  un  électeur  qui  en  vit  déjà, n'est- 
ce  pas  une  chose  fort  simple  ?  Qu  importent  quelques  mil- 
liers de  £  de  plus  distribuées  chaque  année  en  salaires  et  en 
traitements,  si  Ton  est  sûr,  en  agissant  ainsi,  de  se  mainte- 
nir au  pouvoir?  Ne  croit-on  pas  toujours  représenter  le  pro- 
grès ?  N'est  on  pas  toujours  disposé  à  regarder  comme  un 
malheur  public  la  défaite  de  son  parti  ? 

D'échelon  en  échelon,  on  en  arrive  ainsi  au  système  de.^^ 
dépouilles  (spoils  System)  (1)  où  non  seulement  toutes  les 
places  vacantes  ne  sont  plus  distribuées  qu'aux  hommes 
du  parti  au  pouvoir,  mais  où  Ton  retire  des  emplois  à  leurs 
titulaires  pour  les  donner  àses  partisans.  Les  Etats-Unis 
nous  eu  oiïrentde  nombreux  et  tristes  exemples  ;  ce  n  est 
pas  sous  ce  rapport  qu'il  faut  chercher  à  leur  ressemblei*. 

Du  jour  où  l'on  commencera  à  compter  sur  le  vote  des 
employés  municipaux,  le  parti  au  pouvoir  sera  naturelle- 
ment tenté  d'augmenter  le  nombre  de  ces  voles  et  de  favori- 

(i)  Voir  Darwin,  op,  cit,^  pages  110  et  111. 


4l4  DEUXIEME    PARTIE.    CHAPITRE   II 

fler  la  politique  de  municipalisation  chaque  fois  que  l'occa- 
sion  s'en  présentera.  Etant  donné  quW  est  d'ailleurs  plus 
facile,  surtout  avec  une  administration  qui  n'est  pas  abso- 
lument intègre,  de  municipaliser  une  industrie  quelconque 
que  de  la  soustraire  an  contrôle  public  une  fois  qu'elle  y 
aura  été  placée,  le  mal  a  une  tendance  naturelle  à  empirer 
plutôt  qu*à  guérir. 

Nous  nous  trouverons  ainsi  enfermés  dans  un  cercle  vi- 
cieux :  la  corruption  tendant  à  augmenter  le  nombre  des 
votes  contrôlés  et  toute  augmentation  du  nombre  des 
électeurs  contrôlés  tendant  à  augmenter  la  corruption. 

La  ï*éponse  que  Ton  fait  d'ordinaire  à  notre  argument 
est  que  le  nombre  des  électeurs  payés  sur  le  budget  lo- 
cal n  est  pas  suffisant  pour  être  une  cause  de  rorruptioa. 
Cette  prétention  n'est  pas  fondée  ;  la  lutte  électorale  est 
très  vive  dans  un  grand  nombre  de  circonscriptions,  et  le 
déplacement  de  quelques  votes  suffit  à  changer  le  résultat 
d*une  élection. 

Nous  avons  montré  tout  à  l'heure  ce  que  peut  faire  un 
petit  groupe  d'électeurs  fortement  disciplinés,  tel  que 
TEdinburgh  Municipal  Workers'  Committee.  L'observa- 
tion  s'applique  spécialement  aux  élections  municipales. 
Si  le  nombre  des  votants  qui  reçoivent  leurs  salaires  de 
la  municipalité  ne  constitue  encore  qu'une  minorité,  il 
a  de  fortes  chances  pour  se  transformer  progressivement 
en  majorité,  au  fur  et  à  mesure  des  progrès  de  la  muni- 
cipalisation. Organisés  comme  ils  le  sont,  votant  tous 
dans  le  même  sens,  les  employés  municipaux  sont  forcé- 
ment destinés  à  jouer  un  rôle  important  dans  toutes  les 
élections. 

Un  fait  s'est  produit  en  1902  à  Birmingham,  qui  montre 
comment  on  sait  organiser  leur  vote  et  le  faire  servir  à 


RAPPORTS   DES   OUVRIERS   MUNICIPAUX  ^I^ 

la  réalisation  des  plans  municipalistes.  La  corporation 
avait  résolu  de  soumettre  au  Parlement  un  bill  qui  lui  per- 
mettrait de  reprendre  et  d*exploiter  le  réseau  des  tram- 
ways urbains  ;  la  sanction  des  contribuables  étant  néces- 
saire à  son  projet,  on  procéda  à  un  scrutin  ;  sur  102.712 
électeurs  inscrits,  15.742  seulement,  soit  (5  Yu  daignè- 
rent se  déranger.  Mais  parmi  eux,  les  employés  munici- 
paux venaient  naturellement  au  premier  rang  et,  s'il  faut 
en  croire  le  «  Daily  News  d^  «  il  n'était  pas  édifiant  de  voir 
de  hauts  fonctionnaires  de  la  corporation  mener  aux  urnes 
des  bandes  d'ouvriers  de  la  municipalité  et  leur  expliquer 
comment  il  fallait  voter  en  faveur  du  bill  ».  Le  casn*estpas 
unique  et  Ton  en  cite  d'analogues  dans  les  autres  villes 
anglaises  ;  en  admettant  même  que  les  ouvriers  municipaux 
Reconstituent  pas  encore  un  danger  par  leur  nombre,  ils 
en  constituent  un  déjà  par  Tétat  d'esprit  qu'ils  tendent  à 
créer. 

Enfin,  pour  ce  qui  est  de  la  discipline,  il  est  certain  que 
les  Tonctionnaires  municipaux  ont  sur  leurs  ouvriers  beau- 
coup moins  d'autorité  que  les  particuliers.  Lorsqu'il  se 
présentera  des  difficultés  entre  surveillants  ou  contremaî- 
tres et  ouvriers,  les  conseillers  auront  tendance  à  prendre 
le  parti  des  ouvriers,  sachant  qu'ils  sont  le  nombre  et  que 
les  faveurs  qu'ils  lenr  témoigneront  leur  attireront  des 
voix  :  tandis  que  le  renvoi  du  fonctionnaire  ou  contremaî- 
tre en  question,juste  ou  injuste,  ne  leur  fera  certainement 
pas  perdre  plus  de  un  ou  deux  votes. 

Le  simple  fait  que  le  renvoi  d'un  ouvrier  peut  provoquer 
une  discussion  publique  en  séance  du  conseil  suffit  à  faire 
hésiter  les  chefs  de  service  à  se  porter  à  une  pareille  extré- 
mité (1),  même  dans  le  cas  où  ce  serait  la  seule  chose  à 

(1)  Municipal  Trading  HepoNj  1900,  question  3290. 


CHAPITRE  III 

x'bX^XUTION  en  RéoiB   DIRECTE  DBS  TRAVAUX  DBS  MUNICIPALITÉS. 

LBS  ((  WORKS    DKPARTMENTS    ». 


L^appIicatioQ  des  doctrines  socialistes  a  conduit,  depais 
un  certain  nombre  d'années  déjà,  les  autorités  locales  ur- 
baines à  se  passer  des  services  des  entrepreneurs  et  à  exé- 
cuter en  régie  leurs  travaux  publics.  Elles  ont  commeacé 
par  des  opérations  simples,  telles  que  le  nettoyage  et  le 
pavage  de  leurs  rues,  la  construction  de  quelques  égouts, 
pour  s'attaquer  ensuite  à  la  construction  d'aqueducs  énor- 
mes (comme  par  exemple  leTown  Council  de  Birmingham! 
ou  de  maisons  ouvrières.  Le  London  Gountv  Council  a 
voulu  à  son  tour  imiter  l'exemple  que  lui  donnaient  les 
villes  de  la  province  ;  il  s'est  trouvé  d'ailleurs  tout  naturel- 
lement poussé  dans  cette  voie,  sa  politique  ouvrière  ayant 
abouti  peu  à  peu  à  écarter  de  lui  tous  les  entrepreneurs 
consciencieux. 

Nous  avons  vu  dans  le  chapitre  I«'  de  la  seconde  partie 
qu'en  mai  1892  le  L.  d.  G.  avait,  sur  la  motion  de  M.  John 
Burns,  adopté  une  proposition  en  vertu  de  laquelle  les  en- 
trepreneurs s'engageaient  à  payer  à  leurs  ouvriers  les  sa- 
laires des  trade-unions  et  à  observer  les  heures  et  les 
conditions  de  travail  fixées  par  elles  (1).  Chaque  infraction 


(1)  Municipal  Trading  Report,  1900.  Déposition  de  M.  Stiepberd, 
p.  276. 


1 

I 


.  l'exiScution  en  r^gie  directe  il  g 

aux  stipulations  prévues  entrainait  une  amende,  et  on  les 
obligeait  même  à  laisser  inspecter  et  copier  leurs  livres  de 
salaires  partout  conseiller  qui  en  témoignerait  le  désir  ou 
toute  personne  que  la  corporation  déléguerait  à  cet  effet* 
On  conçoit  facilement  l'accueil  que  firent  de  grands  entre- 
preneurs,  directeurs  d'entreprises  importantes»  possesseurs 
de  gros  capitaux,  et  peu  accoutumés  à  se  voir  soupçonnés 
de  la  sorte,  à  Tidée  de  se  livrer  par  contrat,  pieds  et  poings 
liés,  aux  membres  d'une  municipalité,  et  de  s'engager, 
non  seulement  à  agir  conformément  aux  règles  des  trade- 
unions,  mais  encore  à  ouvrir  leurs  livres  à  tout  conseiller 
municipal,  membre  d'une  trade-union,  qui  viendrait  les 
déranger  à  leur  bureau  lorsque  la  fantaisie  lui  en  pren- 
drait. 

Le  résultat  le  plus  clair  de  la  politique  du  L.  C.  C.  fut, 
qu*effrayés  des  charges  nouvelles  que  le  législateur  leur 
imposait,  un  certain  nombre  d*entrepreneurs  renoncèrent  à 
prendre  part  aux  adjudications  de  travaux  publics.  Ceux 
qui  continuèrent  à  le  faire  demandèrent  des  prix  bien 
plus  élevés  qu'auparavant. 

De  fait,  les  maisons  qui  soumissionnaient  encore  n'é- 
taient que  des  maisons  de  second  ordre,  peu  solides,  aussi 
prêtes  à  accepter  un  contrat  sur  la  moindre  chance  qu'elles 
croyaient  avoir  de  réaliser  un  bénéKce,  qu'à  l'abandon- 
ner en  son  milieu  au  cas  où  surgirait  une  difficulté  im- 
prévue. 

Il  n'est  pas  étonnant  que,  dans  ces  conditions,  le  London 
County  Gouncil  se  soit  bientôt  trouvé  dans  une  position 
des  plus  embarrassantes,  conséquence  logique  de  la  poli- 
tique inaugurée  par  ses  Labour  Members.  Des  protesta- 
tions ne  s'en  élevèrent  pas  moins  ;  leâ  uns  prétendirent 
que  les   entrepreneurs  avaient  formé  une  coalition  con- 


^32  DEUXIÈME  PA.RTIE.    —    CHAPITRE    III 

sans  opposition  :  sa  gestion  prêta  à  bien  des  critiques  et  fut 
par  mouients  si  déplorable  que,  quatre  ans  après  sa  fonda- 
tion,  ou  sonfçeaà  te  supprimer  :  nous  faisons  allusion  au 
scandale  qu*il  provoqua  en  novembre  i 896.  Ce  scandale 
naquit  à  la  suite  de  la  découverte  par  M.  E.  Haward,  con- 
trôleur des  finances  municipales,  de  transferts  absolument 
irréguliers,  faits  pour  combler  au  moyen  des  bénéfices  réa- 
lisés sur  un  compte  les  délicits  probables  ou  constatés  d'un 
autre  compte. 

Il  fallut,  après  une  enquête,  se  séparer  des  cinq  princi- 
paux fonctionnaires  du  département  ;  sans  doute  on  ne  les 
soupçonnait  pas  d^avoir  personnellement  tiré  profit  des  irré- 
gularités  qu'ils  avaient  commises  dans  la  comptabilité  ;  fait 
significatif  que  révéla  cette  enquête  :  ces  irrégularités  na- 
vaient  été  provoquées  que  parle  désir  intense  qui  rongeait 
ces  fonctionnaires  de  faire  triompher  la  théorie  progressiste, 
suivant  laquelle  Temploi  direct  du  travail,  tel  que  le  prati- 
quait le  Works  department,  était  ou  devait  être  un  succès. 

Il  était  si  loin  d*ôtre  un  succès  que,  depuis  Tinauguration 
du  Works  department  en  Tannée  1893  jusqu'en  Février 
1902,  le  coût  des  travaux  exécutés  par  lui  avait,  nous  dit  le 
rime.?,  dépassé  de  près  de  £  79.000  les  estimations  primi- 
tives.. 

Durant  Tannée  1904-1905  le  works  department  a  exécuta* 
des  travaux  dont  le  coût  total  s'élève  ù£  662.000.  il  en  a 
d'autresen  train  pour  £  1.352.000. 11  aemployé  en  moyenne 
3.382  ouvriers  ;  leurs  salaires  lui  ont  coûté  £  278.000. 

L'activité  ne  parait  pas  être  la  qualité  première  de  ces 
travailleurs.  «  Il  y  a  quelque  temps,  dit  Lord  Avebury  (1). 
on  demanda  au  chairman  du  Works  Département  Commit- 

(i)  I^RD  Avebury,  On  municipal  and  national  Trading,  p.  G8. 


L*BXl£cUTIOr«    EN    RÉGIE   DIRECTE  4^3 

tee  combien  de  briques  un  maçon  du  London  County  Coun- 
cil  posait  en  un  jour.  II  répondit  qu*il  s*en  informerait. 
Questionné  ànouveau,  il  déclara  qu'il  était  difficilede  répon- 
dre à  cette  question,  mais  qu*un  ouvrier  devait  poser  envi- 
ronSOO  briques  dans  sa  journée.  L'ouvrier  américain,  me 
dit-on,  en  pose  en  moyenne  2.000  par  jour  ;  il  arrive  même 
à  2.700.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  que  le  works  départ- 
ment  dépasse  souvent  ses  devis  de  beaucoup.  » 

Il  n'aurait  pourtant  pas  grand  mérite  à  ne  pas  les  dépas- 
ser, puisque  c'est  lui  qui  les  dresse  ;  mais  de  quelle  manière 
s'y  prend-il,  c'est  ce  qu'on  ne  sait  pas  trop.  Ce  comité 
est  un  comité  fermé,  a  c<  close  borough  »,  disait  de  lui  Sir 
Melville  Beachcroft,  ancien  vice-président  du  L.  G.  C,  et 
les  représentants  du  parti  modéré  ne  sont  pas  admis  à  y 
siéger. 

Le  Parks  Coromittee  avait  confié  au  Works  Department 
r exécution  de  sept  ouvrages  diiïérents.  Les  devis  en  furent 
dépassés  de  36,14  %.  Le  coût  des  travaux  e^^écutés  précé- 
demment par  des  entrepreneurs  était  au  contraire  resté  de 
6  *^/o  inférieur  au  devis. 

Le  Pire  Brigade  Committee  (service  des  pompiers)  n'eut 
pas  à  se  féliciter  davantage  d'avoir  eu  recours  aux  services 
du  Works  Department. 

Le  London  County  Council  n^est  pas  la  seule  autorité 
publique  qui  ait  eu  de  la  sorte  recours  à  la  régie.  Son 
exemple  a  trouvé  des  imitateurs.  Les  paroisses  de  Saint- 
Paneras  et  de  Battersea  ont,  elles  aussi,  installé  des  dé- 
partements spéciaux  pour  l'exécution  des  travaux  publics. 
D'autres  villes  encore  ont  adopté  ce  système,  toutes  aux 
environs  de  1893  ;  parmi  elles  nous  pouvons  citer  Ëast-Ham 
Oldham,  West-Ham,  etc. 

L'exemplede  WestHam  est  peut'^tremème  plus  instructif 


4^4.-77^^      DEUXlèaiB  PARTIE.    CHAPITRE  III 

que  celui  du  L.  C.  C.  Ne  cherchant  d'un  côté  qu'à  faire  le 
plus  possible  pour  leurs  amis,  de  l'autre  qu'à  gagner  pour 
eux-mêmes  le  plus  de  voix  possible  parmi  les  ouvriers, 
les  conseillers  de  WesUHam  n'avaient  pour  atteindre  ce 
double  but  qu*un  moyen  :  créer  des  emplois  municipaux 
en  nombre  infini.  Ils  commencèrent  donc  par  demander 
la  création  d'un  Works  Department  (1),  demande  que  le 
Conseil  agréa  sans  opposition. 

Des  ouvriers  furent  embauchés,  le  département  installé, 
et  le  soin  de  son  exploitation  remis  à  un  directeur  ;  c'était 
à  lui  qu'on  devait  désormais  confier  l'exécution  de  tous  les 
travaux   publics   décidés  par  le  Conseil  ;  Ton   renonçait 
définitivement  aux  services  des  entrepreneurs.  On  ne  ga- 
gna rien  à  ce  changement  de  méthode.  La  façon  dont  on 
exécutait  Pouvrage  était  telle  qu'un  alderman  a  pu  l'appeler 
avec  autant  d'esprit  que  de  justesse  <(  la  municipalisation 
de  la  paresse  »  (the  municipalization   of  laziness).    On 
n'exerçait  pour  ainsi  dire  pas  de  contrôle  sur  les  hommes 
qui  faisaient  ce  qu'ils  voulaient.  Deux  ou  trois  membres  du 
Conseil,  constructeurs  de  leur  métier,  étant  allés  voir  un 
jour  ce  que  devenait  certain  ouvrage,  constatèrent  que  deux 
hommes  avaient  passé  trois  semaines  sur  une  tâche  qu'un 
homme  seul  aurait  dû  finir  en  trois  jours.  Aussi  le  coût 
des  travaux   atteignait-il  des  sommes  fantastiques.    Des 
réparations  au  Stratford  Town  Hall  qui  ne  devaient  coûter 
que  £900  en  coulèrent  £2.000,  sans  que  l'on  eût  rien  fait 
de  plus  que  ce  qu'on  avait  eu  dès  l'abord   l'intention  de 
faire*   Deux  ans  après  l'inauguration  du  Works  Depart- 
ment, on  procéda  à  une  évaluation  de  tous  les   travaux 
qu'il  avait  exécutés,   et  l'on  découvrit  alors  qu'ils  coû- 

(1)  Voir  le  Times  du  16  septembre  1902. 


L*BXÉGUTION    EN    R^GIE   DIRECTE  ^u5' 

taieat  à  la  corporation  £  50.000  de  plus   qu'ils  ne  lui  au- 
raient coûté  si  on  les  avait  confiés  à  des  entrepreneurs. 

Pour  certains  gros  travaux  la  différence  qui  séparait  leur 
coût  réel  des  sommes  que  l'on  aurait  payées  à  des  adjudica- 
taires variait  de  11  à  40  V^  (1  ).  A  la  suite  de  ces  constata- 
tions on  arrêta  pendant  un  temps  les  opérations  du  Works 
Department. 

Mais  aux  élections  municipales  de  1898,  le  parti  socialiste 
triompha  sur  toute  la  ligne,  et  ses  membres  se  trouvèrent 
en  majorité  au  Conseil  ;  la  classe  moyenne  fit  preuve  à  cette 
occasion  d'une  telle  indifférenceet  d'une  telle  apathie,  que, 
dans  une  circonscription  de  lU.OOO  électeurs  inscrits»  un 
socialiste  fut  élu  qui  n'avait  obtenu  que  400  voix. 

L'un  des  premiers  usages  que  firent  les  conseillers 
socialistes  du  pouvoir  qu'ils  venaient  de  conquérir  fut  de 
rétablir  le  Works  Department.  Peu  leur  importait  qu'il 
eût  entraîné  une  perte  de  £  50.000,  puisqu'il  leur  permet* 
tait  de  procurer  de  l'emploi  à  leurs  partisans  et  d'améliorer 
ainsi,  de  façon  indirecte,  l'avenir  du  parti  socialiste.  L*un 
de  ses  adhérents  les  plus  notables  répétait  constamment 
en  chambre  du  conseil  (2)  :  «  Je  me  soucie  peu  des  impôts 
et  de  ceux  qui  les  payent.  Ce  qui  m'intéresse,  ce  sont  les 
personnes  qui  m'ont  envoyé  ici.  »  Et  pour  que  les 
ouvriers  du  Works  Department  ressuscité  eussent  immé- 
diatement un  travail  important  d'assuré,  on  décida  de  leur 
confier  la  construction  d'un  grand  hôpital  dont  on  évaluait 
le  coût  à  £  100.000.  Le  département  n'était  même  pas 
encore  formé  ;  il  n'y  avait  pas  de  matériel  prêt  :  c'étaient 
là  matières  de  détail.  Au  bout  de  quelques  mois  passés  à 


(1)  The  Accountanl,  31  juillet  1897. 

(2)  Voir  Times,  16  septembre  1902. 


4^6  DEUXIÈME  PARTIE.    CHAPITRE  HI 

organiser  le  département,  on  se  mit  à  i  ouvrage  ;  Thôpitalfut 
construit  ;  une  fow  achevé,  il  coûtait  £  (5.000  de  plus  que 
les  plus  Fortes  évaluations. 

Ce  résultat  n'a  rien  d'étonnant  ;  4a  jour  au  lendemain, 
la  majorité  socialiste  avait  en  ellet  donné  aux  employés  de 
la  corporation,  non  seulement  la  journée  de  huit  heures* 
mais  encore  des  salaires  plus  élevés.  Les  ouvriers  en  pri- 
rent si  à  leur  aise  qu'il  fallut  les  faire  aider  par  des  entre- 
preneurs ordinaires  ;  la  corporation  avait  d'ailleurs  intérêt 
à  le  faire,  puisque  les  entrepreneurs  demandaient  de  9  s. 
6  d.  à  10  s  6.  d.  par  jour  pour  un  cheval,  une  voiture  et 
un  homme,  et  que  les  dépenses  du  stabling  departmeot 
s'élevaient  à  11  s.  1  1/2  d.  par  jour.  L'exploitation  da 
«  Stabling  Département  »  se  traduisait  pour  le  borough  par 
une  perte  annuelle  de  £  8.000.  L'elTet  combiné  de  la  ré- 
duction des  heures  de  travail  et  de  l'élévation  des  salaires 
fut  d'augmenter  d'environ  £  12.000  par  an  le  coût  de  Fou- 
vrage  fait  par  la  corporation  ;  £  12.000  qu'elle  aurait  éco- 
nomisées si  au  lieu  d'exécuter  le  travail  en  régie,  elle  l'a- 
vait fait  faire  par  des  entrepreneurs. 

La  discipline  était  déplorable  ;  renvoyait-on  un  ouvrier 
pour  ivresse  ou  négligence?  il  allait  trouver  tout  simple- 
ment un  membre  du  parti  socialiste  qui  portait  aussitôt  son 
aiïaire,  non  pas  devant  un  comité,  mais  devant  le  conseil 
entier,  où  elle  provoquait  d'interminables  discussions  ;  rè- 
gle générale,  on  finissait  par  réintégrer  l'ouvrier  et  répri- 
mander le  directeur  des  travaux  ou  le  contre -maître. 

Pour  ce  qui  est  des  trade-unions,  on  ne  se  contenta  pas 
d'accorder  régulièrement  aux  ouvriers  les  tarifs'et  les  con- 
ditions générales  de  travail  fixées  par  ces  associations  ; 
on  vit  un  alderman  demander  aux  ouvriers  de  lui  mon- 
trer leurs  ((  union  tickets  »  ;  des  ouvriers  nonunionnisies 


l'exécution  en  riégib  directe  4^7 

furent  congédiés  à  la  demande  des  unionnistes  qui  mena- 
çaient de  se  mettre  en  grève  ;  et  Ton  renvoya  un  ingénieur 
en  chef,  homme  capable  et  comptant  de  longues  années  de 
services,  parce  qu'il  ne  plaisait  pas  aux  socialistes  et  qu'il 
avait  refusé  —  à  moins  d'en  recevoir  Tordre  formel  du 
Town  Council  —  de  n'employer  que  du  trade-union  labour. 

£n  1899,  les  socialistes  se  livrèrent  à  de  telles  extrava- 
gances que  le  parti  modéré  finit  par  s*émouvoir  et  former 
une  «  municipal  alliance  »  qui  les  battit  aux  premières 
élections  et  leur  enleva  la  majorité.  L'esprit  de  municipalisa- 
tion  n'en  est  pas  moins  demeuré  très  fort  à  West  llam,  et 
son  Works  Department  existe  encore  aujourd'hui. 

Que  conclure  de  l'exemple  de  Londres  et  de  WestHam  ? 
Qu'une  municipalité  peut  de  temps  à  autre  exécuter, 
aussi  bien  qu'un  entrepreneur,certains  travaux  de  moyenne 
importance,  des  travaux  de  pavage  ou  de  construction 
d'égouts,  par  exemple.  Certaines  personnes  prétendent 
même  que  si  le  Works  Department  est  bien  dirigé,  si  1  on 
donne  à  l'ingénieur  en  chef  une  latitude  suffisante  et  qu'on 
lui  permette  d'exercer  librement  son  initiative,  il  pourra 
venir  à  bout  d'un  ouvrage  à  meilleur  compte  qu'un  en- 
trepreneur. Mais  le  fond  de  la  question  consiste  à  savoir 
s*il  y  a  vraiment  grand  avantage  à  ce  que  la  corporation 
se  transforme  en  entrepreneur.  Nous  ne  le  croyons  pas. 
Une  municipalité  ne  peut  pas  régulariser  et  répartir,  au- 
tomatiquement en  quelque  sorte,  sur  une  ou  plusieurs 
années  l'exécution  d*un  ouvrage  ou  la  dépense  qu'il  entraî- 
nera.L'importance  et  le  genre  des  travaux  à  exécuter  variant 
sans  cesse  lui  imposent  la  tâche  particulièrement  difficile 
de  chercher  un  emploi  permanent  à  ses  ingénieurs  et  à 
ses  ouvriers.  Cette  recherche  la  poussera  à  leur  faire  faire 
des  travaux  dont  Tutilité  se  faisait  plus  ou  moins  sentir.  S'il 


4 28  DEUXIEMB  PARTIE.    —    CHAPITRE  III 

est  de  régie  que  les  municipaliiés  emploient  leurs  servi- 
teurs d*une  façon  permanente,  la  question  se  présente, 
semble-t-il,  sous  un  jour  difFérent  lorsqu'il  s^agit  d'un 
service  sujet  aux  fluctuations  et  aux  influences  que  nous 
venons  de  mentionner. 

La  véritable  raison  pour  laquelle  les  socialistes  pous- 
sent à  la  création  d'un  Works  Department  n'est  pas  qu'ils 
pensent  que  la  régie  directe  puisse  faire  faire  des  écono- 
mies à  la  communauté  ;  les  faits  ont  trop  souvent  démenti 
cette  assertion,  et  les  questions  d'argent  les  laissent  indif* 
férents.  Ils  veulent  la  régie  directe  pour  augmenter  le 
nombre  des  fonctions  municipales  et  celui  des  personnes 
payées  par  les  municipalités.  Ils  la  veulent  parce  qu*ils 
visent  à  la  transformation  des  autorités  locales  en  em- 
ployeurs universels  du  travail  et  au  transfert  à  TËtat  ou  àla 
municipalité  de  tous  les  moyens  de  production. 

La  création  des  Works  Departments  nous  permet  une 
fois  de  plus  de  constater  à  quel  point  la  municipalisatioa 
est  une  maladie  contagieuse,  qui  sévit  à  la  fois  sur  les 
personnes  et  sur  les  institutions.  Les  villes  anglaises,proprié- 
taires  d'usines  à  gaz,  du  service  de  Teau  ou  des  lignes  de 
tramways, avaient  besoin  d'ouvriers  spéciaux,  de  plombiers, 
de  menuisiers,  de  serruriers,  etc.,  pour  entretenir  et  ré- 
parer leur  matériel.  Parfois  même  elles  allaient  jusqu'à  les 
envoyer  travailler  chez  les  particuliers.  Peu  à  peu,  le  sys- 
tème s'est  étendu  et  généralisé.  Au  lieu  de  laisser  chaque 
comité  avoir  ses  ouvriers  à  lui,  on  s'est  demandé  pourquoi 
la  municipalité  n'établirait  pas  un  département  spécial  qui 
centraliserait  les  travaux  de  ces  divers  comités  et  les  exé- 
cuterait à  leur  place.  Une  fois  les  travaux  centralisés  et  le 
département  spécial  créé,  on  ne  pouvait  évidemment  plus 
se  contenter  d'opérations  insignifiantes.  On  chercha  et  on 


L^EXécUTION    EN    R^GIE    DIRECTE  4^9 

trouva,  pour  justifier  l'existence  du  Works  Department, 
d'importants  travaux.  L'expérience  a  malheureusement 
prouvé  que  la  raison  que  Ton  donnait  de  leur  création, 
c'est-à-dire  les  économies  qu'ils  permettaient  de  réaliser 
sur  lé  coût  des  travaux,  ne  vaut  absolument  rien  ;  et  les 
faits  ont  montré  que  ce  sont  non  seulement  les  dépasse- 
ments de  devis,  mais  encore  l'augmentation  des  frais  géné- 
raux qui  ont  été  la  règle  de  toutes  ces  administrations 
publiques. 


ANiNEXE  AU  CHAPITRE  III 


LES    «  LABOUR  BURBAUS  » 


Nous  rappellerons,  en  terminant  ce  chapitre,  que  les 
bourses  du  travail  sont  peu  répandues  en  Angleterre  et  a  y 
jouent  pas  le  rôle  qu*elles  ont  joué  ou  qu'elles  jouent  encore 
dans  divers  autres  pays.  Plusieurs  villes  anglaises,  néan- 
moins, et  notamment  les  paroisses  des  environs  de  Londres 
ont  créé  des  bureaux  du  travail,  des  a  Labour  Kureaus  >:. 
(]lhelsea,  St- Paneras.  Battersea,  Islington,  etc.,  ont,  durant 
rhiver  1892-1893,  et  à  l'instigation  du  London  Counly 
Council,  créé  des  Labour  Bureaus  pour  venir  en  aide  aux 
ouvriers  sans  travail. 

Salforden  créa  un  la  même  année  et  pourles  mêmes  rai 
sons.  Les  bureaux  de  Plymoutb  et  de  Liverpool  ont  étt^ 
créés  en  1894  ;  celui  de  Glasgow  ne  fut  fondé  qu'en  189t>. 
L'organisation  de  ce  service  ne  parait  pas  être,  en  général 
encore  très  avancée  :  Liverpool  n'y  consacrait  d'ailleurs,  en 
1904,  que  £94  8  s.  1  d. 

Glasgow  dépense  un  peu  plus  pour  son  Labour  Bureau 
qui  en  1904-1903  lui  coûtait  £  389  13  s.  4  d.  L'origine  de  ce 
bureau  remonte  aux  efforts  faits  en  1886  pour  venir  en  aide 
à  la  détresse  des  sans-travail.  Un  bureau  provisoire  fut  alors 
établi  ;  la  crise  finie,  on  le  supprima. 

De  temps  à  autre,  pourtant,  on  discutait  au  Conseil  muni- 
cipal la  question  de  son  rétablissement,  et  en  août  1896  on 


LES   LABOUR    M  BUREAU8    »  43l 

procédait  à  Touverture  du  bureau  qui  existe  encore  aujour- 
d'hui. On  l'a  placé  sous  le  contrôle  d'un  comité  spécial  de 
la  corporation,  et  tous  les  ans  le  conseil  vote  la  subvention 
qu'on  lui  accordera.  Elle  a  sensiblement  augmenté  depuis 
quelques  années.  Les  socialistes  trouvent  cependant  qu'on 
n'y  consacre  pas  encore  assez  d*ar^entetque  la  parcimonie 
dont  on  fait  preuve  à  Fégard  de  cette  institution  Tempèche 
de  donner  tous  les  résultats  qu'on  en  pourrait  attendre. 

Nous  ne  contestons  pas  que  ces  u  labour  bureau  s  »  ne 
puissent  rendre  certains  services  ;  mais  il  n'est  pas  en  leur 
pouvoir  d'inventer  des  emplois  lorsqu'il  n'y  en  a  pas  d'odert. 
Aussi  leur  action  est-elle  forcément  limitée  ;  et  quand  le 
mal  est  général  et  porte  sur  un  grand  nombre  d'ouvriers, 
comme  c'est  parfois  le  cas  dans  certaines  grandes  villes 
industrielles,  ils  ne  sont  plus  d'aucun  secours  aux  travail- 
leurs en  détresse. 


TROISIEME   PARTIE 


LES  FINANCES  LOCALES 


Doverat  2S 


TROISIÈME  PARTIE 


LES  FINANCES  LOCALES 


CHAPITRE  PREMIER 

l'augmentation  des  dépenses  locales,  DfcS  IMPÔTS  ET  DE  LA 
DETTE.  —  PART  DE  CETTE  AUGMENTATION  QUI  REVIENT  AUX 
ENTREPRISES  REPRODUCTIVES. 


La  progression  coastante  des  dépenses  publiques  et, 
parallèlement  à  elle,  la  progression  des  impôts  et  des  em- 
prunts, est  un  fait  trop  connu  de  Thistoire  financière  de 
l'Europe  contemporaine  pour  qu'il  soit  utile  d'y  insister 
dans  cette  étude.  Nous  nous  bornerons  dans  ce  chapitre  à 
étudier  la  croissance  de  la  dette  locale  anglaise  et  des  im- 
pôts locaux  pendant  le  dernier  quart  du  XIX*  siècle  et  les 
premières  années  du  xx*  siècle  et  à  rechercher  quelles  sont 
les  causes  qui  ont  pu  en  provoquer  l'accroissement  si  ra- 
pide. 

Pour  bien  comprendre  ce  phénomène,  peut-être  ne  sera- 
t-il  pas  inutile  de  dire  auparavant  quelques  mots  du  régime 
financier  actuellement  en  vigueur   en  Angleterre.  Nous 


436  TROISlèfifE   PARTIE.    —   CHAPITRE   PREMIER 

empruntOQs  aux  ouvrages  de  MM.  Graham  et  Fairlie(i) 
et  au  Municipal  Year  Book  (édit.  de  1906)  la  plupart  des 
renseignements  qui  suivent. 

Le  système  d'imposition  local  en  Angleterre. 

Le  système  anglais  d'imposition  local  diffère  essentiel- 
lement du  système  français  et  de  ceux  qu'on  rencontre  sur 
le  continent  en  général.  L'octroi,  en  premier  lieu,  y  est 
chose  pour  ainsi  dire  inconnue,  et  tous  les  impôts  y  sont 
assis  sur  la  propriété  réelle,  c'est-à-dire  sur  le  sol  et  les 
bâtiments.  En  second  lieu,  les  taxes  ainsi  levées  sont  basées 
non  pas  sur  la  valeur  en  capital  de  la  propriété,  mais  sur 
sa  valeur  locative  annuelle.  En  troisième  lieu,  ces  taxes 
sur  la  valeur  locative  de  la  propriété  sont  essentiellement 
locales  et  absolument  indépendantes  et  distinctes  des  taxes 
levées  par  TEtat.  La  différence  est  si  tranchée  que  les  im- 
positions locales  ne  s'appellent  pas  taxes,  mais  raies  ;  et 
que  le  terme  de  taxes  est  exclusivement  réservé  aux  impo- 
sitions destinées  à  Faire  face  aux  dépenses  nationales  (na- 
tional exchequer). 

Si  la  base  du  système  est  unique,  le  régime  anglais 
présente  encore  ceci  de  particulier  qu  il  comporte  une  grande 
variété  de  levées  distinctes,  s^effectuant  sur  cette  base  uni- 
que pour  les  divers  besoins  du  gouvernement  locaL  Ces 
différentes  levées  sont  généralement  faites  par  des  autorités 
locales  différentes,  mais  il  se  présente  aussi  des  cas  où  la 
même  autorité  locale  lève  à  elle  seule  plusieurs  impôts 
(rates).  L'étude  de  la  taxation  locale  anglaise  comporte 
donc  Tétudd  de  ces  divers  impôts. 

(1)  Graham  y    Taxai  ion  local  and  impérial  and    local    gotemtnenL 
Fairlib,  Municipal  administration. 


I^AUOMBNTATIOPr  DBS   DEPENSES  LOCALES  43^ 

Actuellement  les  divers  impôts  locaux  ont  tous  pour  base 
le  poor  rate,  définitivement  établi,  comme  on  le  sait,  sous 
le  règne  d'Elisabeth.  Les  taxes  locales  antérieures  au  poor 
rate  ont  disparu  ou  se  sont  fondues  dans  quelqu'un  des 
impôt  créés  par  la  suite  :  on  les  lève  sur  la  même  base  que 
lui.  L'impôt  pour  Tentretien  des  grandes  routes  (highway 
rate)   remonte  à  une  loi   de  1691.  Plusieurs    impôts  de 
moindre  importance  ont  été  établis  au  commencement  du 
xrx*  siècle  qui    se  sont  fondus  depuis  dans  le  Gounty  rate. 
Le  Borough  rate  date  de  1835,  et  le  Public  Health  Act  de 
1848  autorisait  les  districts  urbains  à  lever  un  «  gênerai  dis- 
trict rate  »  pour  toute  &n  conforme  à  la  loi.  En  1870,  enfin, 
le  School  rate  fut  établi  :  il  devait  subvenir  aux  frais  du  nou- 
veau système  d  écoles  élémentairesinauguré  à  cette  époque. 
Parmi  la  grande  variété   des  taxes  locales,  beaucoup 
n*ont  pas  seulement  pour  base  le  poor  rate,  mais  sont  as- 
sises et  levées  en  même  temps  que  lui  sous  le  nom  de 
«  precept  rates  »  (littéralement  :  impôts  levés  en  vertu  d'un 
mandat).  On  appelle  u  precept  rate  »  l'impôt  que  lève  une 
autorité   conformément  à    une  demande    périodique  ou 
«  precept  »  d'une  autre  autorité.  G  est  ainsi  que  le  Gounty 
rate,  le  Borough  rate,    le  School   Board  rate,    le  Burial 
Board  rate  et  le  Rural  Sanilary  rate  sont  généralement  levés 
comme  precept  rates. 

Le  «  gênerai  district  rate  »  levé  par  les  autorités  des 
districts  urbains  pour  l'exécution  de  travaux  sanitaires  ou 
autres,  est  de  beaucoup  Tinipôt  le  plus  important  qui  soit 
actuellement  levé  en  dehors  du  c<  poor  rate  ».  A  côté  de  lui 
on  cite  encore  un  «  private  improvement  rate  »,  imposi- 
tion spéciale  levée  à  Toceasion  d'améliorations,  telles  que 
la  fourniture  de  l'eau,  la  construction  d'un  égout,  ou  le  pa* 
vage  d'une  rue  dans  un  district  nouvellement  bâti  et  sur 
la  propriété  seulement  qui  en  profite  directement. 


438  TROISIÈME   PARTIE.    —  CHAPITRE  PREMIER 

Quand  on  veut  établir  l'assiette  de  l'impôt  local,  oa  com- 
mence par  déterminer  la  valeur  locative  brute  estimée, 
(c  tbe  gross  estimated  reniai  »  basée  sur  la  rente  annuelle 
que  verserait  un  locataire  qui  payerait  les  dimes  et  autres 
taxes  ordinairement  à  la  charge  du  locataire. 

De  cette  valeur  brute  on  déduit  la  dépense  moyenne 
qu  entraînent  annuellement  les  frais  d'entretien,  de  répa- 
rations et  d'assurances  ;  la  balance  ainsi  obtenue  constitue 
la  (f  rateable  value  >*  ou  valeur  de  la  matière  imposable. 
S'agitil  de  chemins  de  fer,  d'usines  à  gaz,  de  mines,  etc.. 
il  est  tenu  compte,  dansTestimatiôn  à  laquelle  on  procède, 
de  l'augmentation  de  valeur  que  donne  à  l'entreprise  son 
caractère  de  monopole.  Une  fois  établis  la  u  rateable  value  & 
totale  d'une  paroisse  donnée  et  le  montant  d'impôts  qu'on 
désire  y  lever,  le  montant  de  la  taxe  par  chaque  £  de  c  ra- 
teable value  »  est  facile  à  déterminer  :  il  suffit  de  faire  une 
simple  division  dont  le  quotient  sera  le  «  rate  »  cherché. 

Ainsi,  si  sur  une  superficie  donnée,  on  veut  lever  £  i  .000 
d'impôts  et  que  sa  rateable  value  soit  de£  20.000^  Timpôt 
par  £  sera  de  1  shilling.  Dans  les  grandes  villes  le  rate  va- 
rie généralement  de  5  à8  s.  par£  . 

A  bien  des  égards  ce  système  d'impôts  est  très  imparfait. 
Les  réévaluations  de  la  propriété  ne  sont  pas  assez  fréquen- 
tes ;  il  n  y  a  pas  d'uniformité  dans  l'échelle  des  déductions 
ù  faire  des  «  gross  rentals  ».  En  dehors  de  Londres,  la  va- 
leur locative  telle  qu'elle  ressort  des  évaluations  auxquelles 
on  procède  pour  l'assiette  des  impositions  locales  est  très 
inférieure  à  celle  que  fixent  les  fonctionnaires  de  l'Etat  pour 
l'assiette  de  rincome  Tax.  Enfin,  l'imposition  directe  de  la 
taxe  sur  la  personne  occupant  l'immeuble  impose  aux  classes 
ouvrières  un  lourd  fardeau:  elles  dépensent  en  loyer  une 
large  part  de  leur  revenu. 


:L*AUGBI£79TATION   DBS   DÉPENSES   LOCALES  ^OQ 

Au  point  de  vue  financier,  la  tâche  de  ladministration 
locale  anglaise  peut  se  diviser  en  trois  parties  :  V'  forma- 
tion du  budget  ;  2**  assiette  et  levée  des  impôts  ;  3?  inspec- 
tion et  contrôle  des  dépenses. 

a)  Lies  autorités  locales  préparent  leurs  budgets  annuels 
de  recettes  et  de  dépenses  avec  la  plus  entière  liberté  ;  les 
différentes  autorités  d'une  même  ville  restent  sous  ce  rap- 
port absolument  indépendantes  les  unes  à  Tégard  des  autres . 
Ce  Tait  est  en  grande  partie  dû  au  système  de  la  spécialité 
des  taxes.  Chaque  town  cou ncil,  school  board,  boardof  poor 
lawguardians  a  son  comité  de  finances  qui  prépare  et  sou- 
met au  conseil  entier  un  budget  provisoire  qu'on  discute  et 
qu*on  corrige  avant  de  l'adopter  définitivement.  L'autorité 
centrale  ne  s'en  occupe  pas.  Seules  deux  sortes  d'opérations 
financières  nécessitent  son  approbation  préalable  :  l'achat 
et  la  vente  des  propriétés  municipales,  la  négociation  de  s 
emprunts, 

b)  Pour  tout  ce  qui  touche  à  l'assiette  de  l'impôt,  Tes^ 
timation  de  la  valeur  des  propriétés  imposables  est  généra- 
lement laissée  aux  poor  law  authorities  :  ou  plutôt,  les 
autres  autorités  locales  s'en  tiennent  généralement  aux  éva- 
luations faites  pour  la  poor  law.  Tout  Town  Council  a  cepen- 
dant le  droit  de  faire  faire  une  évaluation  spéciale  s'il  ne  con* 
sidère  pas  comme  exacte  celle  qu'on  a  faite  pour  le  poor  rate. 

c)  Tandis  que  la  préparation  des  budgets,  l'assiette  et  la 
levée  des  taxes  se  font  ainsi  librement,  hors  de  tout  contrôle 
du  gouvernement  central,  les  dépenses  des  autorités  locales 
de  toutes  classes  —  à  l'exception  d*une  seule,  la  plus  impor- 
tante il  est  vrai,  celle  des  autorités  urbaines  —  sont  soumi- 
ses au  contrôle  des  agents  du  Local  Government  Board.  Nous 
nous  proposons  de  revenir  plus  en  détaildans  un  autre  cha- 
pitre sur  le  contrôle  des  comptes  municipaux  ;  car  cette  qnes- 


44o  TROISIÈME   PARTIE.    -^    CHAPITRE-  PREMIER 

tioQ  a  tout  particulièrement  retenu  Tattention  du  Parlement 
et  do  public  lors  des  dernières  enquêtes  sur  le  Municipal 
Trading. 

De  ce  rapide  exposé  du  système  financier  anglais  noas 
retiendrons  deux  choses  :  1^  que  les  municipalités  anglaises 
jouissent,  pour  lever  leurs  impôts,  d*nne  très  grande  libert^é: 
2^  que  le  poids  de  ces  Jmpôts  retombe  entièrement  sur  la 
propriété  immobilière. 

Ces  deux  constatations  ont  leur  intérêt  ;  elles  nous  permet- 
tront de  comprendre  :  1°  comment  les  impôts  ont  pu  dans 
certaines  villes  s'élever  si  rapidement  dans  les  trente  der- 
n  ières  années  ;  2^  comment  de  grandes  entreprises,  telles 
que  les  chemins  de  fer,  les  docks,  de  grandes  usines  ont  vu 
le  urs  impositions  augmenter  à  la  même  époque  de  façon 
exagérée  et  inquiétante. 

M.  Goscbena  donné,  dans  un  rapport  qu'il  lit  en  1870  en 
qualité  de  président  du  Foor  Law  Board,  Tun  des  meilleurs 
exposés  que  Ton  ait  fait  de  la  croissance  des  impositions 
locales.  Dans  ce  rapport,  il  diviseen  trois  périodes  les  67  an- 
nées qui  séparent  1803  de  1870. 

Dans  la  première  période,  qui  va  de  1803  à  1840,  les 
principales  taxes  locales  sont  le  poor  rate,  le  county  rate,  le 
church  rate  et  le  highway  rate. Durant  la  seconde  période, qui 
s'étend  de  1841  à  1851, le  police  rate  et  le  borongh  rate  font 
leurapparition  ;  durant  la  troisièmepériode  enfin, c'est-à-dire 
de  1851  à  1869,  on  assiste  à  la  naissance  des  sanitary  rates 
et  town  rates  autres  queleborough  rate.  M.  Goschen  mon- 
tre que  ce  sont  ces  impôts  relativement  modernes  qui  ont 
été  la  cause  directe  de  Taccroissement  si  considérable  des 
impositions  locales. 

En  1803,  dit-il,  les  recettes  des  anciens  impôts,  c*est-à- 
dire  du  poor  rate,  des  county,  church   et  highway   rates 


L^ AUGMENTATION   DES   DEPENSES    LOCALES  44  > 

s^élevaient  à  £  5.348.000.  En  iai7,  elles  s'élevaient  à 
£10.107.000;  en  182Tà£9.5i4.000;  en  1841  à£8. 101.000; 
en  1851  à  £  8.916.000  ;  en  1862  à  £  12.207.000  ;  en  1868  à 
€  16.800.000  ;  en  1891  à  £  27.818.000  ;  en  1898  à 
£  37.605.000  ;  en  1902-1903  le  total  des  impôts  locaux  s'éle- 
vait  à  £  50.328.000. 

La  croissance  des  impôts  s*est  donc  produite  avec  une 
extraordinaire  rapidité  dans  !e  dernier  quart  du  xix*  siècle 
et  surtout  dans  ses  dix  dernières  années.  Rappelons  que 
les  chiffres  ci-dessus  s'appliquent  uniquement  aux  impôts 
levés  dans  un  intérêt  public  général  et  ne  comprennent 
pas  lea  droits,  péages  et  autres  impositions  analogues  ni 
les  recettes  que  les  autorités  locales  peuvent  tirer  d'en- 
treprises qu'elles  gèrent  à  leurs  risques  et  périls. 

Les  recettes  des  autorités  locales  d'Angleterre  et  du 
Pays  de  Galles  s'élevaient  en  1902-1903  à  £93.935.417.  Si 
Ton  y  ajoute  une  somme  de  £  35.271.367  provenant  d'em- 
prunts, elles  atteignaient  £  129.206.784. 

Ces  recettes  se  décomposaient  de  la  manière  suivante  : 

Impôts  (public  rates) £    50.328.412 

Subsides  du  gouvernement     .     .     .  12.782.803 

Total.     .     .     .  63.111.215 

Rentes  et  proQts  provenant  de  pro- 
priétés       2.412.144 

Amendes,  etc 988.266 

Revenus  des  : 

1^  Entreprises  d'eau  .  £  4.184.611 

2»  Gaz 7.168,705 

S'*  Electricité    .     .     .  1.881.265 

4»  Tramways   .     .     .  3.797.758 


442  TIlOISlèME    PARTIE.    CHAPITRE   PREMIER 

S*»  Ports,  docks     .     .        3.228.666 
6*»  Marchés.      .     .     .  895.594 
7**  Cimetières,  fermes 
d'épaiiddge,    bains,    la- 
voirs, hèpitaux,  biblio- 
thèques          1.198.908 

22.355.507 
Remboursement  de  dépenses  faites 
pour  des  travaux  publics  procurant  un 
bénéfice  à  des  particuliers  et  autres  tra- 
vaux de  privateimprovemént     .     .     .  1.850.845 

Autres  recettes 3.217.440 

Total  (emprunts  exclus)     .     £    93.935.417 
Emprunts 35.271.367 


Recettes  totales  (emprunts  compris).    £  129.206.784(1) 

Les  impôts  ou  public  rates  figurent  dans  le  total  ci- 
dessus  de  £  129  millions  pour  39  Vo  ;  les  subsides  du 
gouvernement  pour  9,  9  °/o  î  les  revenus  des  entreprises 
d'eau,  de  gaz,  d'électricité  et  de  tramways  pour  13,  2  7o  ; 
les  emprunts  pour  27,  3  °/o. 

Voyons  maintenant  à  quoi  Ton  emploie  cet  argent. 

Les  dépenses  totalea  des  autorités  locales  durant  l'an- 
née 1902-1903  se  sont  élevées  à  £  128  968.743. 

£  20.287.264,  soit  15  Vo  de  ce  total,  ont  été  consacrées 
au  remboursement  d'emprunts  et  au  paienient  des  intérêts 
de  ces  emprunts.  Les  principaux  autres  chapitres  de  dé- 
penses sont  l'entretien  des  grandes  routes,  Tassistance 
publique,  Téducation,  la  police,  les  tramways,  le  gaz,  Teau, 
etc. 

(i)  Local  Government  ^oard, Rapport  1 904- 1905,  pageCC. 


l'augmentation   DB8-  DEPENSES  .  LOCALES 


443 


Le  tableau  ci-dessbus  indique  la  part  exacte  qui  revient 
à  chacun  d^eux  ; 


Dép«ttiet 
auxquelle*  Il  rst 

fait  faco 

aatmneol  qu'avec 

Targmit 

dM   ampriMla 


Grandes  routes, 
Poots  et  Bacs. 

Assistance  publi- 
que  »... 

Rducation 

Police. 

Tramways 

Usines  à  gaz.... 

Eau 

Electricité 

Ports,  quais,  docks 

Egouts 


£ 
10.240.504 

12.42d.i00 
10.816.038 
5.720.038 
2.417  711 
5.381.018 
1.725  075 
1  214.190 
1.880.235 
1.061.702 


DépeuMs 
auxquelles  il  est 

fait  face 

an    moyen     d'effl- 

prnals 


£ 
o! 638. 164 

2.920  096 
2.502  541 

194.100 
4.675.591 

955  732 
4  304.959 
4.161  794 
1.509.615 
2.502.611 


Oépensji    totale 

(exclusive 

du  rembuursemsQt 

dts  emprimw 

et  du  p«it>nieiit 

des  tniëréU) 


I 


£ 
16.878.668 

15.346.295 
13.318.579 
5.914.147 
7.093.302 
6  3.16.750 
6.030  0.34 
5.375  984 
3  398.850 
4«464.313 


Poar- 

ceiiiage 


13.1 

11.9 
10.3 
4.6 
5.5 
4.9 
4.7 
4.2 
2  K 
3.5 


(1) 

En  comparant  entre  eux  les  chiiïres  des  années  1884-1885 
et  1902-1903, on  voitque  les  augmentations  les  plus  sensibles 
portent  sur  le  remboursement  des  emprunts  et  le  paiement 
des  intérêts  qui  passent  de  £9.878.531  à  £  20  287.264.  Les 
secours  aux  pauvres  qui  en  1884  s  élevaient  à  £  8.402.553 
s'élèvent  eu  1903  à  £  12.848.323  ;  1  éducation  passe  de 
£  3.190.851  à  £  10.816.038  ;  les  tramways  de  £  16.  117.  à 
£  2.417.711  ;  les  gas  works  dé  £2.429  148  à  £  5.381.0.18  ; 
les  water  works  de  £  792.624  à  £  1.723.  075  (2). 

Le  total  des  dépenses  auxquelles  il  n'est  pas  fait  face  au 
moyen  d  emprunts  passe  de  £  44.053.904  en  1884-1885  à 
£92.882.545  en  1902-1903,  c'est-à-dire  qu'il  a  plus  que  dou- 
blé  en  18  ans.  Les  emprunts  contractés  en  1884-1885  s'éle- 

(1)  Local  Government  ffoard,  1904-1905,  p.  CGV.  Année  Onancîère 
1902-1903. 

(2)  Local  Government  Board^  p.  715. 


444  TROISIÈME   PARTIE.    -— <   CHAPITRE   PREMIBR 

vaient࣠ 10.445.163  ;  en  1902,  ils  atteignent  £36.086.198, 
plus  du  triple. 

Les  dépenses  totales,  y  compris  les  emprunts,  se  chifTreat 
finalementpar£S4499.067enl884-1885etpar£l28.968.74:} 
en  1902-1903. 

Le  total  des  dépenses  relatives  aux  entreprises  reproduc- 
tives auxquelles  il  a  été  fait  face  au  moyen  d'emprunts  était 
en  1884-1885  de  £  3.522.376;  en  1902-1903  il  est  de 
£  16.709.794  ;  il  a  presque  quintuplé. 

Le  total  des  sommes  payées  au  moyen  d*emprunts  dans 
un  but  autre  que  la  création  d^entreprises  reproductives 
était  de  £  6.922.787  en  1884-1885;  de  £  19.37&.404  en 
1902-1903. 

Le  tableau  suivant  nous  indique  les  principaux  objets 
pour  lesquels  il  a  été  conclu  des  emprunts  durant  Tannée 
1902-1903  et  le  montant  de  chacun  de  ces  emprunts. La  dette 
des  autorités  locales  à  la  iin  de  cette  même  année  atteignait 
le  chiffre  colossal  de  £  370.607.493  (soit  plus  de  9.265 
millions  de  francs)  (1). 

De  ce  total  de  £370.607.493,  £  175.395.698.  soit  47,3  •/• 
avaient  été  empruntés  pour  des  entreprises  reproductives. 
Dans  ce  total  de  370  millions  de  £,  Londres  fîgure  pour 
£  67.515.225  ;  le  reste  de  l'Angleterre  et  du  Pays  de  Galles 
pour  £  303,092.268. 

(1)  Local  Oovernment  Board^  p.  GGVI. 


L* AUGMENTATION    DES    DEPENSES    LOCALES 


445 


I 


OBJET    DE    L'EMPRUNT 


1 


Eau 

Grandes  routes 

Ports,  quais,  docks 

Ecoles,  etc • •  • 

Egouts 

Gaz 

Electricité •  •  • 

Tramways 

Lois  des  pauvres 

Asiles  d'aliénés 

Marnhés 

Parcs,  jardins  publics 

Habitations  ouvrières 

BAtiments  publics 

Hôpitaux 

Avances  à  la  Compagnie  du 
Canal  de  Aianchesler  .  • 

Pont«  et  bacs 

-GtfDelières 

Construction  de  digues  pour 
rivières  et  défense  contre  la 
mer •••• 

Bains  et  lavoirs 

Postes  de  police,  prisons,  etc... 

Tunnels  sous  la  Tamise 

Travaux  de  c  Private  Impro- 
vement  • 

Pompes  à  incendie  et  postes  de 
pompiers 

Bibliothèques  publiques,  mu- 
sées, écoles  de  science  et 
dart 

Chemins    de    fer    légers    (light 

rail  ways) 

Autres   travaux 

Total 


MONTANT 

DBS     KMPRONTS 

conclus 
en    1902-1003 


4.050.083 

4.7U  340 

1.706.764 

2.450  508 

2.481.701 

1.214  086 

4  034.204 

4.600.303 

1.652  075 

1.263.066 

458.782 

845  973 

353.523 

432.257 

021.657 


200.812 
220.845 


78.603 
251.470 
I6:{.9I0 
205.740 

365.001 

210.140 

43.963 

88.191 
1.213.373 

35.271.367 


TOTAL 

DaS      BMrBUNTS 

existant 
A  la  Un  de  1902-19031 


63.130.859 

43  918.732 

30.743.881 

35.228.374 

34.652.048 

23.110.019 

18.550.120 

17.137.744 

12.284.022 

9.151.721 

7.663.708 

7.585.912 

7.176.510 

6.726.249 

5.914.620 

5.080.226 
4.678  268 
3.106.088 


2.767.782 
2.676.326 
1.718.994 
1.558.944 

1.525.405 

1.409.505 

1.134.850 

276.053 
12.690.543 


370.607.493 


Le  tableau  ci-dessous  montre  Tauginentation  en  tant  pour 


446 


TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE  PREMIER 


cent  des  sommes  provenant  des  impôts  ou  des  subsides  du 
Gouvernement  impérial,  celle  des  emprunts,  de  la  valeur 
delà  matière  imposable  et  de  la  population,  lorsque  Tod 
compare  entre  elles  les  années  1874-1875  et  1902-1903  et 
quelques  autres  années  intermédiaires. 


ANNÉES 


I879-8U 
1884  85 
t880-UO 
t80i-95 
480900 
1902-0.'^ 


comparé*  à 


1874-75 
1 879-80 
1884-85 
1889-90 
1894  95 
1897-98 


Augmentation  pour  cent  dans 


Monum 

de* 
impAu 


14,7 
16,6 
8,0 
22,2 
20,3 
33.8 


SitMldeo 

du  ffoinrer- 

neni^nt' 

impérial 


1902-03 


—         190102 


1902  03  — 


1874-75 


8,4 


162.1 


63,7 

31.6 

80,1 

37,9' 

36  2 

16,5 


loipôU 

etiuMda» 

'réunis 


w 


18,6 
18.2 
16,9 
25.2 
23,7 
29,9' 


Km- 
pranU 


2,0  7.0 


660,2 


202,3 


7,9 


***i«i 


299,3 


▼■In» 


15  7 
8.8 
3,4 
7,1 
0.0 

13,3 


2.4 


65,3 


Popcl*- 

tJ«B 

esi 


C.9 

6  1 

5.7 

3.8 
.1,9 
5.9 


1  ^ 


39.1 


(1) 

Ces  chiffres  se  passent  de  commentaires  ;  ils  montrenl 
mieux  qu^aucune  dissertation  que,  tandis  que  la  population 
et  la  rateable  value  augmentaient  suivant  un  taux  lent  et 
régulier,  les  impôts  et  les  emprunts,  sous  Faction  des  idées 
et  des  tendances  progressistes,  croissaient  dans  une  pro- 
portion vertigineuse. 

La  dette  des  autorités  locales  a  suivi  une  progression 
des  plus  rapides  ainsi  que  le  fait  voir  cet  autre  tableau  : 


(1)  Local  Government  Board^  p.  GGXIII. 


l'augmentation    des  dépenses  LOCALES' 


447 


FIN 

DE    L'aNJIÉB 

MONTANT 
DB    LA    DBTTB 

FIN 
DB      fAHStE 

MONTANT 
DB    LA    DBTTB 

1874-1875 
1879  I8i80 
1884-1885 
1889-1800 
1804  1805 

£  92.820.100 
13H  934.070 
173.207.968 
198  671.312 
235.335.040 

1809  1000 

1000-1001 
1001-1002 
1002-1903 

£293.K64.?24 
316.704.222 
343.416.582 
370.607.403 

Le  montant  moyen  de  la  dette  par  £  de  rateable  value 
était  pour  TAngleterre  et  le  Pays  de  Galles  d'environ  16  s. 
en  1874-1875  ;  il  est  de  £  1  18  s.  9  d.  en  1902-1903. 

Le  montant  moyen  de  la  dette  par  tète  d  habitant  était 
de  £  3.  18  s.  3  d.,  en  1874-1875  ;  il  est  de  £  11  4  s.  8  d., 
en  1902  1903. 

Le  simple  rapprochement  des  chiffres  de  la  dette  des 
autorités  locales  d'Angleterre  et  du  Pays  de  Galles  et  de 
celui  de  la  dette  nationale  à  la  fin  des  années  financières 
1874-1875  et  1902-1903  montre  les  changements  considé- 
rables qui  se  sont  produits  en  moins  de  30  ans. 


FIN 
DB    l'aNN^B 

Dette  nationale 

du 
Royaume-Uni 

Dette 

des  autorités  locales 

d'Angleterre 

et  du  Pays  de 

Galles 

Proportion 

en    tant   pour  °/o 

de  la 

délie  locale 
à  la  dette  nationale 

1874  1875 
1002-1003 

Augmentatioo. 

£767.268.559 
708.340.100 

£   02  820.100 
370.607.403 

12.10 
46.42 

£  31.080.631 

£277.787.303 

(2) 

Si  nous  nous  reportions  à  des  chiffres  vieux  de  quel- 
ques années,  c'est-à-dire  antérieurs  à  la  guerre  du  Trans- 

[[)  Local  Governme.nl  Board,  p.  CCXV,  1904-1905. 
(2)  Locnl  Oovemmeni  Hoard,  p.  CCXVII. 


4^8  TROISIEME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

vaal,  nous  verrions  qu'entre  1875  et  1898  la  dette  natio- 
nale avait  été  réduite  de  (31  millions  de  £;  tandis  que 
durant  la  raènie  période,  la  dette  locale  s'était  accrue  de 
£  170  millions. 

En  1902-1903  la  dette  locale  dufioyaume-Uni  tout  entier 
c'est-à-dire  de  TÂngleterre,  de  TEcosse  et  de  l'Irlande 
atteint  le  chiffre  de  £  437.874.787  ;  les  recettes  des  autori- 
tés locales  du  Royaume-Uni  (y  compris  £  39.774.000 
d'emprunts)  s*élèvent  ࣠ 1S2.291.000,  celles  de  TEtat  pour 
la  même  année  1902-1903  à  £  151. S51. 698,  pour  1904-1905 
à  £143.370.404. 

Les  dépenses  totales  des  autorités  locales  du  Royaume- 
Uni  s  élèvent  en  1902-1903  à  £  152.165.000,  celles  de  l'Etat 
à  £  184.483.708  (liquidation  de  la  guerre  du  Transvaai) 
en  1902-1 903  et  à  £  141 .956.497  en  1904-1905.  Les  dépenses 
des  autorités  locales  ont  donc. atteint  et  même  dépassé  le 
chiffre  des  dépenses  du  gouvernement  impérial. 

En  somme,  on  voit  que  les  dépenses  locales  vont  s'ac- 
croissant  actuellement  par  bonds  énormes  ;  que  le  chapitre 
le  plus  lourd  des  dépenses  locales  est  aujourd'hui  celui  du 
service  des  intérêts  et  de  Tamortissement  de  la  dette  ;  que 
la  proportion  des  dépenses  payées  au  moyen  d'emprunts 
va  croissant  rapidement;  qu'elle  était  de  12,8  Yo  en  1889* 
1890;del8,3  7o  en  1894-1895;  de  24,6  •/•  en  1899-1900: 
qu'elle  est  de  27,3  Vo  en  1902-1903. 

Qu'en  28  ans,  alors  que  la  population  n'augmentait  que 
de  39  Yo  et  la  rateable  value  de  63,3  ""/o  seulement.  le  mon- 
tant des  impôts  s'élevait  au  contraire  de  162,1  Yt»  ;  •celui 
des  subsides  du  Gouvernement  de  660  Yo  ;  celui  des  em- 
prunts de  299  '•/o. 

Que  47  Yo  de  la  dette  des  autorités  locales  ont  été  con- 
tractés pour  des  entreprises  soi-disant  reproductives  et  que 


L^AUGM£NTATION    DES    DÉPENSES   LOCALES 


449 


l'on  persévère  dans  cette  voie  malgré  tous  les  avertisse- 
ments reçus,  puisqu'en  1902-1903,  30  ^o  àes  emprunts 
contractés  doivent  aller  aux  «  reproductive  undertakings  » . 
Le  malheur  est  que  ces  entreprises  soi-disant  reproduc- 
tives de  profits  ne  le  soient  en  réalité  que  de  dettes  et  de 
déficits.  Nous  ne  nions  pas  sans  doute  que  certaines  d'entre 
elles,  en  certains  endroits,  ne  fassent  des  bénéfices,  mais 
elles  sont  la  minorité;  et  si,  prenant  l'ensemble  des  en- 
treprises municipales  anglaises,  nous  mettons  dans  Tun 
des  plateaux  de  la  balance  leurs  recettes,  dans  Tautre  leurs 
dépenses,  nous  constatons  que  le  second  plateau  est  bien 
plus  lourd  que  le  premier. 

Le  tableau  suivant  le  montre  clairement.Nous  remprun- 
tons au  A/y/r^ici/^a/  Year  Book  de  1906»  c'est-à-dire  à  un 
ouvrage  fait  pour  les  municipalistes  et  composé  par  eux, 
sous  la  direction  de  M.  R.  Donald,  directeur  du  Municipal 
Journal  et  bien  connu  pour  ses  idées  progressistes. 


ENTREPRISES  MUNICIPALES    REPRODUCTIVES. 


•    ■«••• 


Bains  et  lavoirs 

Cimetières 

Electricité 

Gaz 

l'orts  et  docks 

Habitations  ouvrières.. 

Marchés 

Abattoirs 

Téléphones 

Tramways 

Kau 


RECETTES 


Angleterre 

el    Pays    de 

Galles 


Total £ 


247.285 

383.507 

1.881. 265 

7.168.705 

3  228.666 

223  208 

895  594 

37.632 

nil 

3.797.758 

4.184.611 


22.048.231 


Ecosse 


DÉPENSES 


Anjçieterre 

el    Fays    de 

Galles 


33.045 

35.579 

337.429 

1.841  334 

1.031.872 

94.946 

49.159 

38.267 

35.104 

844.512 

819.317 


563.297 

622.715 

1.919.293 

6.706.744 

3.329.020 

304.752 

793.49^ 

40.751 

nil 

3.291.185 

4.595.189 


5.160.474 


22.166.440 


Ecosse 


61  459 
70.632 

333  475 
1.750.908 
1.066.599 

122.705 
30.975 
37.458 
33.320 

806.308 

834.329 


5.148.168 


(1)  Municipal  Year  liook,  1906,  p.  599. 
Uovcrat 


29 


45o  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

Ce  tableau  nous  prouve  qu  en  Angleterre  et  dans  le  Pays 
de  Galles  lexcédent  des  dépenses  sur  les  recettes  est  de 
£  118.209  ;  qu'en  Ecosse  il  y  a  au  contraire  un   excédent 
de  recettes  sur  les  dépenses  de  £  12.306.  «  Ces    résultats 
sont  naturellement  obtenus,  ajoute  le  Municipal  Year  Bock, 
en  tenant  un  compte  exact  du  service  des  emprunts  ». — 
C'est  heureux  —  »  et  même  dans  quelques  cas  d*un  amor- 
tissement spécial.  Il  faut  donc  les  prendre  comme  montrant 
le  Municipal  Trading  sous  son  pire  aspect.   Dans   l'intérêt 
même  du  public,  continue-t-il,  on  ne  doit  pas  réaliser  de 
profits  sur  l'exploitation  des  bains  et  des  cimetières  ;  à  ne 
considérer  d'ailleurs  que  le  gaz,  les  marchés  et  les  tram- 
ways, on  voit  qu'ils  rapportent  annuellement  en  Angleterre 
et  dans  le  pays  de  Galles  un  profit  net  de  £  1  .OOU  000.  » 
C'est  parfait  ;  mais  une  chose  est  certaine  aussi,  c'est  que 
les  bénéfices  des  entreprises  prospères  ne  suffisent  pas  à 
couvrir  les  déficits  de  celles  qui  ne  le  sont  pas.  Qu'arrive- 
t-il  alors  ?  C'est  que  le  poids  de  ces  déficits  retombe  sur  les 
impôts,  qui  vont  croissant  à  mesure  que  se   développe  le 
régime  de  municipalisation.  On  constate  que  c'est  dans  les 
villes  les  plus  municipalisatrices  que  la  proportion  de  la 
dette  au  nombre  des  habitants  et  à  la  rateable  value  est  la 
plus  forte,  chose  à  laquelle  les  socialistes  ne  voient  d'ailleurs 
aucun  inconvénient  ;  mais  fait  plus  significatif  et  plus  in- 
quiétant, c'est  dans  ces  villes  aussi  que  les  impôts  sont  le 
plus  élevés.  Nous  n'avons  qu'àjeter  les  yeux  sur  quelques- 
unes  des  villes  les  plus  fières  de  leurs  entreprises  munici- 
pales pour  nous  en  rendre  compte  ;  pour  voir  qu'à   Leeds 
par  exemple,  limpôt  par  £  de  rateable  value  est  de  8  s.  8  d.  ; 
à  Liverpool  do  7  s.  8  d.  7/8  ;  à  Manchester  de  8  s.  0  1/3  d.  ; 
à  UuddersGeld  de  8  s.  3  3/4  d.  ;  à  Wolverhampton  de  9  s. 
5  d.,  à  East-Ham  de  10  s.  4  d.  ;  à  West-Ham  de   10  s. 


L  AUGMENTATION  DES  DEPENSES  LOCALES       4&I 

8  d.,  alors  que  la  moyenne  générale  dans  le  pays  n'atteint 
pas  6  s.  par  £  (exactement  5  s.  7,4  d.  en  1902-1903  pour 
r Angleterre  et  le  Pays  de  Galles).  Ces  chiffres  sont  exces- 
sivement élevés,  et  Tonne  voit  pas  trop  jusqu'ici  en  quoi 
consiste  Taide  financière  que  devaient  apporter  aux  con- 
tribuables les  profits  des  entreprises  municipales. 

Nous  avons  montré,  dans  plusieurs  des  tableaux  qui  pré- 
cèdent, l'augmentation  du  chiffre  actuel  des  impôts  par 
rapport  à  ce  qu'A  était  il  y  a  environ  25  ans.  Cette  augmen- 
tation est  inquiétante  en  elle-même  ;  elle  l'est  plus  encore 
lorsqu'on  songe  qu'elle  a  pu  se  produire  malgré  un  très 
sensible  accroissement  de  la  valeur  imposable  des  propriétés 
taxées.  La  «  rateable  value  »  de  l'Angleterre  et  du  pays  de 
Galles  est  en  effet  passée  de  £  115.646.631  en  1874  à 
£  199.355.590  en  1904  (1),  et  comme  le  faisait  remarquer 
Lord  Avebury,  non  seulement  on  augmente  l'impôt,  mais 
on  augmente  «  Tassessment  »,  on  estime  plus  haut  la  va- 
leur des  propriétés  imposées,  si  bien  que  le  contribuable 
voit  croître  de  deux  façons  à  la  fois  la  somme  qu'il  lui 
faut  payer  sous  forme  de  contributions. 

Un  tel  état  de  choses  est  plein  de  dangers  :  il  n'a  pas 
manqué  d'attirer  l'attention  des  personnes  prudentes. 

Nous  n'avons,  pour  nous  en  convaincre,  qu'à  jeter  les 
yeux  sur  le  discours  que  prononça,  le  19  avril  1904,  le 
chancelier  de  l'échiquier,  M.  Austen  Chamberlain,  lorsqu'il 
présenta  son  projet  de  budget  à  la  Chambre  des  Com- 
munes. 

«  Je  crois,  disait-iL  qu'il  serait  intéressant  de  laisser 
de  côté  pour  un  instant  la  dette  nationale  et  de  nous  re- 
tourner vers  la  dette  locale.  Elle  mérite  bien  qu'on  s'arrête 

(1)  Rapport  du  Local  Government  Doard,  1904-1905,  p.  CGXII. 


452  TROISIEME   PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

à  elle.  Nous  enteadons  souvent  dire  ou  suggérer  que  la 
baisse  considérable  des  valeurs  gouvernementales  et  au- 
tres titres  de  premier  ordre  dans  les  dernières  années 
n*apour  cause  exclusive  que  les  emprunts  extravagants 
qu'a  contractés  l'Etat.  A  une  époque  de  grande  guerre, 
l'emprunt  devient  une  nécessité,  mais  je  crois  qu^ea  élo- 
diant  la  question  d'un  peu  plus  près,  on  verrait  que  d'autres 
causes  ont  contribué  à  faire  baisser  le  cours  de  ces  valeurs 
de  premier  ordre  et  que,  pour  permettre  aux  emprunts 
de  l'Etat  et  à  ceux  des  autorités  locales  de  retrouver  leur 
ancien  crédit,  les  autorités  locales,  aussi  bien  que  Téchi- 
quier,  devraient  se  mettre  d'accord  pour  restreindre  pen- 
dant un  temps  leurs  demandes.  »  11  rappelle  ensuite  ia 
croissance  rapide  de  la  dette  locale  :  «  Dans  la  période  de 
20  années  qui  s'étend  de  1880  à  1900,  alors  qu*en  Angle- 
terre et  dans  le  Pays  de  Galles  la  dette  locale  augmentait  Je 
£  157.000.000,  celle  de  l'Etat  diminuait  de  £  132.000.000  ; 
mais  quand,  par  suite  des  exigences  d*uoe  guerre 
sérieuse  et  prolongée,  le  gouvernement  impérial  se  vit 
contraint  d'emprunter  à  nouveau,  il  ne  se  produisit  pa» 
dans  les  demandes  d'argent  des  autorités  locales  de  res- 
triction qui  pût  faire  compensation  à  ses  emprunts.  Dans 
les  trois  années  finissant  au  31  mars  1902,  les  autorités  loca- 
les du  Royaume-Uni  ont  emprunté  plus  de£  103.  000.000. 
La  somme  totale  qu^est  venue  ajouter  à  la  dette  nationale 
une  guerre  qui  troubla  l'équilibre  de  quatre  années  finan- 
cières, ne  représente  qu'environ  4  ans  1/2  des  emprunt^ 
que  contractent  actuellement  les  autorités  locales  du 
Royaume-Uni.  w 

«  Sans  doute,  ajoutait  M.  Âusten  Chamberlain,  les  auto- 
rités locales  ne  contractent  en  grande  partie  cette  dette  que 
pour  faire  face  aux  obligations  que  le  Parlement  leur  iui- 


L* AUGMENTATION    DES   DEPENSES   LOCALES  4^3 

pose.  C'est  signe,  à  mon  avis,  qu'il  faut  nous  arrêter*  au 
lieu  de  continuer  à  leur  imposer  de  nouvelles  charges.  Sans 
doute  encore,  une  portion  considérable  de  cette  même  dette 
sert  à  créer  des  entreprises  rémunératrices  ou  qu'on  espère 
tout  au  moins  devoir  être  rémunératrices.  N*empéche  que 
dans  la  plupart  des  cas  ce  sont  les  ressources  des  contribua- 
bles qui  servent  de  garantie  directe  ou  éventuelle  à  ces 
emprunts, 

«  Tôt  ou  tard,  il  faudra  crier  halle  et  cesser  d'hypothé- 
quer ainsi  l'avenir .  Malgré  le  succès  de  la  dernière  émis- 
sion du  London  County  Council,  bien  des  signes  nous  prou- 
vent qu'on  fait  aujourd'hui  aux  autorités  locales  moins  bon^ 
accueil  sur  le  marché  de  l'argent  qu'il  y  a  quelques  années. 
Mal  reçues  de  ce  côté«  elles  se  retournent  naturellement 
vers  TElat  et  lui  demandent  de  les  sortir  de  leurs  difficul- 
tés. On  avait  établi  le  fonds  des  emprunts  locaux  (Local 
Loans  Fund)  pour  faire  profiter  les  autorités  locales,  et 
spécialement  celles  d'entre  elles  qui  ne  sont  pas  en  bonne 
posture  pour  emprunter  elles-mêmes,  du  crédit  supérieur 
de  TEtat.  Mais  l'Etat  a  le  droit  de  faire  un  choix  entre  les  d  e- 
mandes  qu'on  lui  adresse.  Il  n'est  pas  admissible  qu'après 
avoir  gâché  le  marché  par  des  demandes  d*argent  trop  con- 
sidérables, les  autorités  locales  aient  le  droit  de  contraindre 
l'Etat  à  s'adresser  lui-même  à  ce  marché  ainsi  abîmé. 

«  Pour  faire  échec  à  ce  système  et  préserver  le  Local  Loans 
Fund  de  pertes  certaines,  le  Trésor  s'est  vu  dans  lobliga- 
tion  d'élever  le  taux  des  emprunts  consentis  par  les  com- 
missaires des  emprunts  pour  travaux  publics  (Public 
Works  Loan  Gommissioners).  Je  suis  en  train  d*examiner, 
avec  mon  honorable  ami  le  Président  du  Local  Govern- 

(1)  The  Times,  20  avril  1904. 


à 


454  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

m(*nt  Board  et  les  commissaires,  s*il  ne  serait  pas  prodent 
do  restreiadre  plus  encore  qu'auparavant  ces  prêts  aux 
seules  autorités  qui  sont  le  moins  en  situation  iïem- 
prunter  elles-mêmes  dans  des  conditions  raisonnables  et  de 
les  limiter  aux  emplois  que  cette  chambre  a  spéciale- 
ment désiré  encourager.  En  tous  cas  l'Etat  ne  peut  pas  con- 
tinuer à  distribuer  Targent  d'une  main  aussi  prodigue  que 
dans  ces  dernières  années,  maintenant  que  cet  argent  est 
cher  et  que  les  banques  d'épargne  (saving  banks)  ne  nous 
offrent  plus  d'aussi  importantes   ressources  qu'autrefois  ». 

11  faut  se  rappeler  en  outre  que  la  dette  nationale  est  une 
dette  d'un  genre  tout  spécial,  que  TEtat  n'est  pas  tenu  de 
rembourser.  11  n'en  est  pas  de  même  de  la  dette  locale.  A 
part  quelques  valeurs  qui  ne  sont  rachetables  qu'avec  le 
consentement  de  leurs  détenteurs,  l'argent  que  Ton  a  prêté 
aux  autorités  locales  constitue  un  véritable  prêt,  rembour- 
sable à  une  date  fixée  à  Favance  et  indépendamment  du 
succès  ou  de  l'échec  de  Tentreprise  dans  laquelle  elles  Tont 
employé. 

Aux  arguments  précédents,  les  municipalistes  ne  man- 
quent pas  de  répondre  que  l'on  n'a  contracté  la  dette  mu- 
nicipale que  pour  créer  des  entreprises  rémunératrices  qui, 
dès  aujourd'hui,  ne  sont  pas  seulement  la  source  de  profiLs 
plus  ou  moins  considérables,  mais  qui,  dans  un  avenir 
rapproché  mettront  les  villes  qui  les  possèdent  dans  uoe 
situation  des  plus  prospères,  le  jour  où  elles  auront  terminé 
le  remboursement  de  ces  emprunts.  Maigre  consolation  à 
donner  à  des  contribuables  qui  constat(*nt  que  les  impôts 
augmentent  par  tout  le  pays  de  façon  extravagante  et  parti- 
culièrement nuisible  aux  intérêts  commerciaux  ;  consola- 
tion qui  n'en  est  pas  une  en  réalité,  si,  comme  nous  le  ver- 
rons plus  tard,    aussitôt  le  remboursement  des  premiers 


l'augmentation  des  dépenses  locales  455 

efnpruQts  terminé,  peuUêtre  mAme  avant,  les  villes  doi- 
vent en  contracter  de  nouveaux  pour  renouveler  le  maté- 
riel vieilli  et  démodé  de  leurs  entreprises. 

Ce  n'est  pas  dans  la  dette  seule  que  réside  le  danger  du 
Municipal  Trading  :  il  nous  apparaît  menaçant  encore  pour 
l*avenir  des  finances  municipales  sous  un  autre  aspect  :  de 
façon  graduelle,  mais  sûre,  ouvriers  et  employés  des  mu- 
nicipalités arrivent  à  Tàge  où  ils  ont  droit  à  des  pensions 
et  à  des  retraites.  Maîtres  d'école,  policemen,  poor  law  of- 
ficers,  gaziers,  électriciens,  employés  des  tratfiways  et  des 
téléphones,  des  gens  de  toute  profession  et  de  tout  métier 
continueront  à  émarger  au  budget  municipal  le  jour  où  ils  ne 
rendront  plus  à  la  communauté  aucun  service.  Etant  donné 
que  Ton  n'a  pas  toujours  constitué  de  réserves  suffisantes 
pour  faire  face  au  service  de  ces  pensions  sans  cesse  plus 
coûteuses,  on  peut,  sans  crainte  d'erreur,  prédire  que  les 
contribuables  anglais  se  verroni  un  jour  obligés  de  rému- 
nérer des  services  rendus  à  la  génération  précédente  et  de 
payer  sous  forme  de  pensions  25  ou  50  millions  de  £  de 
plus  qu  ils  n'en  comptaient  payer  dans  un  avenir  rappro- 
ché (Ij. 

Le  total  des  dépenses  locales  n'augmente  pas  seulement 
parce  que  les  municipalités  voient  chaque  jour  s'étendre 
davantage  le  champ  de  leurs  attributions,  mais  parce  que 
les  conseillers  municipaux,  tout  en  engageant  dans  l'inté- 
rêt de  leurs  administrés  des  dépenses  considérables,  en 
font,  dans  leur  intérêt  propre,  d'autres  qui,  pour  être  moins 
importantes,  n'en  donnent  pas  moins  à  réfléchir. 

Dans  un  article  du  28  août  1902,  le  correspondant  du 
Times  en  cite  un  certain  nombre  qu'il  a  glanées  çà  et  là 

(1)  Voir  PoiiTER.  Conrérenoe  faite  à  Belfast  le  !2  se  temhre  1902. 


456  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE   PREMIER 

dans  les  comptes  municipaux  et  qui  ne  manquent  pas  de 
piquant.  Elles  nous  montrent  que  les  conseillers  anglais 
aiment  à  faire  bonne  chère,  à  mener  une  vie  confortable 
et  qu'ils  gaspillent  joyeusement  l'argent  de  leurs  contri- 
buables. 

«  L'envoi  de  députations  à  Londres  constitue,  nous  dit- 
il.  Tune  des  caractéristiques  de  la  vie  municipale  en  pro- 
vince ;  il  n'y  a  que  trop  de  raisons  de  supposer  que  le  dé- 
part de  ces  missions  est  trop  souvent  décidé  sans  motifs 
suffisants  et  qu'on  les  considère  comme  de  petits  congés 
bien  dus  à  des  aldermen  ou  à  des  conseillers  accablés  de 
travail.  »  Parfois  on  va  visiter  d'autres  villes  de  la  province 
sous  prétexte  d'étudier  Tinstallation  de  leur  usine  électrique 
ou  le  régime  de  leurs  tramways  ;  l'inspection  des  ouvrages 
de  la  corporation  même  devient  souvent  l'occasion  d'une 
agréable  excursion.  M.  J.  W.  T.  Morrissey,  auditeur  élu  de 
la  ville  de  Liverpool,  a  jeté  quelque  lumière  sur  ce  sujet 
peu  connu  dans  un  rapport  dont  nous  extrayons,  parmi 
beaucoup  d  autres,  les  passages  suivants  : 

L'inspection  annuelle  du  comité  des  bains  coûte  aux 
contribuables,  le  22  mai,  une  somme  de  £  27,  1  s.  6  d.  qui 
se  décompose  ainsi  qu'il  suit  : 

24  dîners  à  7  s.  6  d £       9  0  s.  0  d. 

Champagne 9  16  6 

Autres  vins  et  liqueurs  ....  2  15  0 

Eaux  minérales,  café,  cigares  .     .  5  10  0 

Total £   ^7  1  s.  6d. 

Les  représentants  de  la  démocratie  française,  en  géné- 
ral plus  économes  des  fonds  municipaux  que  les  conseillers 
anglais,  ne  dépensent  évidemment  pas  tant  d'argent  en 
Champagne  ;  mais  il  se  pourrait  que  le  jour  où  ils  auront 


l'augmentation  des  dépenses  locales  fibj 

occasion  d'inspecter  autant  de  travaux  et  d'usines  que  leurs 
collègues  d'Outre-Manche,  ils  se  sentent  incités  à  banque- 
ter comme  eux. 

«  Le  14  mars,  dit  M.  Morrissey,  une  députation  du  co- 
mité  des  tramways  se  rendit  à  Preston  pour  examiner  des 
voitures  électriques  en  cours  de  construction.  L'excursion 
était  totalement  inutile  ;  la  députation  n'en  dépensa  pas 
moins  £  18,6  s.  de  notre  argent,  ainsi  que  le  montre  le 
compte  suivant  : 

21  dtnersà  6  s £    6       6  s.      Od. 

13  bouteilles  de  Champagne.     .     .  7      3          0 

Autres  vins  et  liqueurs    ....  1     10          0 

Eaux  minérales,  café,  etc.     ...  16          0 

Cigares 116          0 

Chambre £    0      5  s.     0 

Total £  18       6  s.     Od. 

Dans  un  autre  rapport  relatif  à  Tétat  des  comptes  de  la 
corporation  à  la  fin  de  1901,  M.  Morrissey  montre  que 
parmi  les  dépenses  qu'entraîna  Tincorporation  de  Garston, 
dépenses  qui  s'élevèrent  à  £  2.851  12  s.  10  d.,  on  relevait 
pour  £  70  de  déjeuners  et  de  dîners.  Soit  : 

1211unchsà5s £30       5  s.  Od. 

Garçons  (service) 3     15  0 

6  dtnersà  4  s 14  0 

Fleurs 0       6  0 

Garçons  et  glace 13  0 

Diners  et  rafraîchissements  ...  11       5  6 

Cigares 2      0  0 

Vins  et  liqueurs  (129  bouteilles)     .  20       6  4 

Total £70       4  s.  10  d. 

Passons-nous  des  banquets  à  la  procédure,   nous  décou- 


458  TROISIEME    PARTIE.    —    CHAPITRE   PREMIER 

vrons  qu'il  faut  dépenser  f  34,  7  s.  4  d.  pour  payer  £  36 
de  dommages-intérêts  au  propriétaire  d'un  cheval  blessé,  et 
que  pour  en  payer  £  60  à  un  autre  individu,  il  en  coûte  à 
la  corporation  £  92  17  s.  8  d.  de  frais. 

Un  pamphlet  de  M.  Dransfleld,  auditeur  élu  de  la  ville 
de  Leeds,  intitulé  :  «  Extravagances  municipales  ou  Rai- 
sons pour  lesquelles  ie  public  devrait  protéger  ses  intérêts  », 
nous  montre  que  la  situation  dans  cette  dernière  ville  est 
exactement  la  même  qu'à  Liverpool.  Le  mal  est  général  ; 
il  est  donc  permis  de  se  demander  si,  après  avoir  sup- 
primé une  fois  pour  toutes  les  banquets  et  le  Champagne, 
on  ne  pourrait  pas  réduire  aussi,  dans  des  proportions  no- 
tables, les  dépenses  qu'entraînent  les  voyages  d'études  que 
font  en  groupe  les  conseillers  municipaux,  soit  .sur  le  con- 
tinent, soit  en  Angleterre  même  ;  sans  doute  Ton  en  peut 
rapporter  des  renseignements  utiles  ]  mais  point  n*est  be- 
soin pour  cela  d!une  délégation  ;  un  ou  deux  ingénieurs 
au  courant  de  situation,  feront  en  moins  de  temps  et  à 
meilleur  compte  un  bien  meilleur  ouvrage. 

Enfin,  dernière  cause  d'accroissement  des  dépenses, 
une  municipalité  ne  saurait  se  loger  dans  un  bâtiment 
simple  d'aspect  ;  il  lui  faut  un  hôtel  de  ville  magnifique, 
plus  beau  et  plus  luxueux  que  celui  de  la  ville  voisine,  sa 
rivale  ;  il  lui  faut  des  salons  somptueux  et  brillamment  dé- 
corés. M.  Dransfield  cite,  pour  Leeds,  de  curieux  exemples 
de  ce  besoin  de  luxe  municipal  :  c'est  un  fait  facile  à 
constater  d'ailleurs  dans  toutes  les  grandes  villes  anglaises. 

((  Il  peut  sembler  mesquin,  dit  le  correspondant  du  Tt- 
me^  (i),  de  s'attarder  à  de  telles  critiques;  elles  servent 
à  montrer  pourquoi  les  impôts  croissent  de  façon  si  cens- 

<i:.  Voir  le  Tùnes  du  28  août  1902. 


l'augmentation    des   dépenses   LOGALB8    .  4^9 

tante.  Co  n'est  pas  seulement  l'exécution  des  grands  tra- 
vaux publics  qu'exigent  la  santé  et  la  sûreté  de  la  commu- 
nauté ;  ni  les  entreprises  municipales  de  toutes  sortes,  où 
se  sont  aventurées  les  autorités  locales,  ni  les  dépenses 
somptuaires  qu'on  a  faites  pour  les  «  masses  »  aux  frais 
de  ceux  qu'on  suppose  posséder  quelque  chose  ;  ce  n'est 
pas  seulement  tout  cela  qui  fait  croître  les  impôts  ;  c'est 
Tesprit  général  du  système  de  gouvernement  local  qui  s'ac- 
corde pleinement  avec  ce  principe  fondamental  du  socia- 
lisme municipal,  et  qui  consiste  à  regarder  la  bourse  du 
contribuable  comme  une  corne  d'abondance  qui  n*a  pas 
plus  de  fond  que  les  projets  du  municipaliste  n*ont  de 
limite.  » 

Il  nous  faut  pourtant  reconnaître  que  l'augmentation 
des  charges  locales  n'est  pas  uniquement  due  à  Taction 
des  municipalités.  Partout  où  les  impôts  ont  beaucoup 
augmenté,  les  diverses  autorités  de  la  ville  ou  du  comité 
ont  pris  rhabitude  de  se  rejeter  le  blâme  de  Tune  à  l'autre. 
Municipalité,  School  Board  et  Board  of  Guardians  procla- 
ment, chacun  pour  son  compte,  leur  amour  de  l'économie 
et  se  lamentent  sur  la  prodigalité  du  voisin.  En  réalité, 
tons  les  corps  publics  sont  aujourd'hui,  en  Angleterre, 
plus  ou  moins  imprégnés  de  l'esprit  du  socialisme  muni- 
cipal. Les  School  Boards,  comme  les  municipalités,  par- 
tent de  cette  même  idée  qu'il  faut  faire  le  plus  possible 
pour  le  peuple  sans  s'inquiéter  de  savoir  qui  paiera  la 
dépense  ;  les  labour  members  poursuivent  leur  politique 
socialiste  dans  l'une  comme  dans  Tautre  de  ces  assem- 
blées ;  grâce  à  l'adoption  de  la  fair  wages  clause  et  au  soin 
qu'ils  prennent  de  ne  confier  Texécution  des  contrats  de 
travaux  publics  qu'à  des  entrepreneurs  qui  payent  les 
plus  hauts   salaires  des  trade-unions,    ils  font  bâtir  des 


46o  TROISIÈME    PARTIE.    —   CHAPITRE   PREMIER 

écoles  qui  finisseQt  par  revenir  excessivement  cher.  Le 
système  des  cantines  scolaires  s'introduit  à  Londres,  qui 
ne  rêve  que  d'imiter  le  système  parisien  dont  rapplication 
a  donné  lieu  pourtant  à  bien  des  abus.  Les  instituteurs 
et  maîtres  d'école  réclament  sans  cesse  des  augmentations 
de  traitement  ;  ils  commencent  à  former  des  sortes  de  trade- 
unions  et  à  considérer  comme  une  raison  suffisante  pour 
demander  et  obtenir  une  augmentation  générale  des  trai- 
tements le  fail  qu'une  ville  aura  fait  à  ses  instituteurs 
une  concession  de  ce  genre. 

Les  dépenses  de  l'Assistance  publique  s'accroissent  éga- 
lement de  façon  considérable  et  leur  progression  est  bien 
plus  rapide  que  celle  de  la  population.  En  Angleterre  et 
dans  le  paysde  Galles, elles ontpasséde£  8.434.000  enl889- 
1890  à  £  13.609.000  en  1902-1903.  L'augmentation  de  la 
population  anglaise  ne  suffit  pas  à  justifier  ces  chiffres»  et 
si  l'Angleterre  traverse  par  moments  des  crises  indus- 
trielles violentes  où  elle  se  trouve  en  face  de  milliers  d'ou- 
vriers sans  emploi^  ces  crises  ne  sont  ni  nouvelles,  ni  éter- 
nelles, et  n'expliquent  pas  à  elles  seules  la  croissance  ré- 
gulière et  rapide  des  dépenses  d'assistance. 

Les  socialistes  se  sont  introduits  dans  les  boards  of  guar- 
dians  comme  ils  se  sont  introduits  ailleurs  ;  ils  avaient  à  le 
faire  un  intérêt  de  premier  ordre.  Si  les  workbouses  d1l  y 
a  40  ans  ressemblaient  plus  à  des  prisons  qu'à  des  établis- 
sements d'assistance,  la  tendance  actuelle  nous  mène  à 
l'autre  extrême.  Une  enquête  récente  a  démontré  jusqu'où 
pouvaient  aller,  dans  la  voie  de  la  prodigalité,  certaines 
municipalités  qui  traitaient  les  indigents  des  workbouses 
comme  des  voyageurs  le  sont  dans  un  hôtel  de  luxe. 

Les  guardians  socialistes,  ou  membres  du  labour  party. 
ne  se  sont  pas  montrés  moins  généreux  dans  la  distribu- 
tion des  secours  à  domicile. 


l'augmentation  des  dépenses  locales  46 1 

L'action  des  trade-unions  enfin  et  l'établissement  d'un 
salaire  minimum  dans  certains  districts,  s'opposant  à  Tem* 
ploi  des  hommes  âgés,  ont  contribué  à  rejeter  sur  la  pa- 
roisse les  frais  de  leur  entretien  et  à  augmenter  ainsi  le 
coût  de  la  poor  Law.  La  fixation  d'un  salaire  minimum,  ou, 
comme  nous  le  disions  plus  haut,  la  concession  aux  ouvriers 
m  unicipaux  de  salaires  trop  élevés  a  pour  conséquence  fa- 
tale le  renvoi  immédiat  des  hommes  Agés  ou  partiellement 
infirmes  qu'on  avait  employés  jusque-là  à  des  travaux  fa- 
ciles, comme  le  balayage  des  rues,  par  exemple,  moyen- 
nant un  salaire  modéré.  Privés  de  leur  gagne-pain,  ces  in- 
dividus se  trouvent  alors  obligés  soit  d'aller  au  workhouse, 
soit  tout  au  moins  de  demander  des  secours  à  leur  paroisse. 

L'action  des  School  Boards  et  celle  des  Boards  of  Guar- 
dians  mérite  donc  d'être  signalée,  elle  aussi,  après  celle  des 
municipalités,  quand  on  parle  de  l'augmentation  des  dépen- 
ses locales.  Quelle  que  soit  la  forme  qu'il  revête,  le  socia- 
lisme municipal  se  traduit  toujours  par  des  dépenses  exces- 
sives ;  mais  quel  que  soit  le  corps  qui  les  fasse,  Targent 
sort  toujours  de  la  bourse  du  contribuable  et,  c  est  ajuste 
titre  que  M.  Fairlie  a  pu  écrire  que  «  le  développement 
énorme  de  la  dette  constitue  l'un  des  plus  sérieux  problè- 
mes des  finances  municipales  ».     . 

L'on  a  dit  parfois  que  puisque  ce  sont  des  autorités  nées 
de  l'élection  qui  ont  créé  cette  dette,  le  contribuable  tient 
dans  ses  propres  mains  le  remède  au  mal  dont  il  se  plaint, 
sous  forme  de  bulletin  de  vote.  Cette  réponse  ne  peut  nous 
satisfaire.  La  multiplicité  des  corps  locaux  est  trop  grande 
pour  que  les  citoyens  puissent  leur  consacrer  assez  d'atten- 
tion. En  dehors  des  corporations  municipales,  on  rencon- 
tre, en  effet,  les  Gounty  Councils,  les  Parish  Councils,  les 
DistrictCouncils,  les  Boards  ofGuardians, les  School  Boards, 


462  TROISIÈME    PARTIE.    —  CHAPITRE    PREMIER 

les  Highway  Boards,  les  Burial  Boards,  Harbour  Board^, 
Yestries,  d'autres  encore  sans  doute  ;  si  bien  qu'il  n'y  a  pas 
une  personne  sur  1.000  qui  comprenne  véritablement  le 
mécanisme  de  la  machine  politique  et  administrative  qui 
la  gouverne  ou  qui  trouve  le  temps  de  faire  usage  de  son 
droit  de  vote  chaque  fois  qu'on  procède  à  des  élections.  On 
nesaitqu*une  chose,  c*estqueles  impôts  deviennent  plus 
lourds  chaque  année  et  qu'il  faut  les  payer. 

La  conclusion  à  tirer  des  pages  précédentes  est  qu'il  im- 
porte de  mettre  un  frein  :  l'^  aux  emprunts  ;  2"*  aux  dépenses. 

La  chose  est  sans  doute  plus  facile  à  dire  qu'à  faire,  et 
la  prodigalité,  outre  qu*elle  a  plus  de  charmes,  est  aussi 
plus  aisée  à  pratiquer  que  Téconomie. 

Pour  les  emprunts,  il  semble  cependant  que  si  le  gouver- 
nement voulait  réellement  les  restreindre,il  pourrait  le  faire, 
comme  le  recommandait  M.  Austen  Chamberlain,  en  ne 
les  autorisant  plus  aussi  facilement  à  Tavenir  ;  c'est  une  po- 
litique qui»  avec  un  peu  de  fermeté,  pourrait  produire  d'ex- 
cellents résultats,  étant  donné  que  les  autorités  locales  ne 
peuvent  contracter  d'emprunts  sans  Tautorisation  du  gou- 
vernement. 

Quanta  réduire  les  dépenses,  il  n'y  faut  pas  songer; 
ce  serait  un  fort  beau  résultat  que  d'arriver  à  modérer  leur 
marche  ascendante  ;  mais  pour  cela  il  faudrait  changer  Tes- 
prit  public  ;  or,  nous  savons  bien  que  ce  n'est  pas  là  l'ou- 
vrage d'un  jour  et  que  le  courant  qui  Tentraine  aujourd'hui 
est  trop  fort  pour  qu'on  puisse  l'arrêter  subitement.  Oa 
pourrait  néanmoins  prendre  en  attendant  quelques  mesures 
aussi  sages  que  faciles  :  interdire,  par  exemple,  comme  le 
proposait  M.  Davies  (i),  aux  membres  des  Conseils  munici- 

(1,1  Davies,  Cost  of- Municipal  Trading^  p.  5. 


L  AUGMENTATION    DES    DEPENSES   LOCALES  46S 

paux  et  à  ceux  du  Londoa  GouQty  Councii  notamment,  dont 
le  budget  atteint  des  chiffres  énormes, de  proposer  tellesdé- 
penses  qu'il  leur  plait  ou  qu'il  plait  à  leurs  électeurs.  Cène 
serait  qu*étendre  aux  membres  des  conseils  municipaux 
rincapacité  relative  dont  sont  frappés  en  matière  financière 
les  membres  de  la  Chambre  des  Communes,  incapacité 
qu'ils  apprécient  fort  justement.  Le  conseiller  municipal, 
commerçant  ou  industriel,  entouré  de  collègues  comme  lut 
dans  les  affaires,  et  qui  sont  plus  ou  moins  ses  clients,  ne 
peut  examiner  leurs  propositions  avec  une  économie  trop  ri- 
gide ;  patron  des  ouvriers  municipaux  et  leur  élu  en  même 
temps,  il  se  sent  encore  moins  le  courage  de  leur  refuser  les 
augmentations  de  salaires  qu'ils  réclament  ;  gardien  delà 
bourse  publique,  il  se  trouve  ainsi  placé  dans  la  position  la 
plus  difficile  et  la  plus  embarrassante  qu'on  puisse  imagi- 
ner. Mais  au  lieu  d'en  être  le  cerbère  farouche  qui  ne  l'ou- 
vre qu'à  regret,  il  s'en  fait  l'intendant  prodigue  qui  prend 
plaisir  à  en  gaspiller  le  contenu. 


CHAPITRE  II 


LES  EMPRUNTS  MUNICIPAUX. 


Les  dettes  ne  sont  pas  en  elles-mêmes  un  trait  nouveau 
des  finances  municipales  ;  mais  tant  par  leur  objet  que  par 
leur  montant,  les  dettes  municipales  actuelles  diffèrent  ra- 
dicalement de  celles  des  périodes  antérieures.  Dans  le$ 
siècles  passés,  les  localités  contractaient  des  dettes  pour 
faire  face  aux  demandes  extraordinaires  de  la  couronne  ou 
pour  se  procurer  les  ressources  que  nécessitaient  les  opé- 
rations militaires  ;  la  dette  avait  alors  quelque  chose  d*ex- 
ceptionnel  ;  les  dettes  perpétuelles  étaient  rares  et  leur 
montant  presque  insignifiant.  Depuis,  le  caractère  de> 
dettes  locales  a  changé  ;  on  les  contracte  aujourd'hui  pour 
la  construction  d  ouvrages  durables,  de  monuments  publics, 
d'aqueducs,  d'hôpitaux,  d'écoles,  le  percement  des  rue> 
nouvelles,  la  fondation  d^entreprises  commerciales,  telle 
qu'usines  à  gaz,  tramways,  usines  électriques,  etc.  Nous 
nous  empressons  de  reconnaître  que  leur  but  répond  à  des 
besoins  autrement  dignes  d'intérêt  que  de  fournir  des  res- 
sources pour  les  dépenses  somptuaires  de  la  couronne  ou 
les  dépenses  militaires.  Aussi  n'est-ce  pas  leur  objet  que 
nous  critiquons, mais  la  façon  dont  elles  sont  engagées  et  le 
fardeau  qu'elles  font  peser  sur  les  contribuables. 

Nous  avons  assisté  dans  le  précédent  chapitre  à  Taugmen- 
tation  constante  et  rapide  de  la  dette  municipale,  principa- 


LES    EMPRUNTS   MUNICIPAUX  465 

lement  durant  les  cinquante  dernières  années.  Il  nous  reste 
à  voir  comment  on  a  contracté  cette  dette  et  quelles  ont  été 
les  conditions  générales  de  son  émission  et  de  son  rembour- 
sement. 

Nous  savons déjàque,  malgré  la  très  grande  indépendance 
dont  jouissent  les  municipalités  anglaises,  elles  ne  peuvent 
contracter  d'emprunts  sans  Tautorisation  du  gouvernement 
central  et  que  cette  autorisation  leur  est  accordée  tantôt  par 
le  Parlement  sous  forme  de  loi.  tantôt  par  le  liocal  Govern- 
ment Board  ou  le  Board  of  Trade. 

lin  rapport  (1),  présenté  en  1902  par  une  Commission 
parlementaire  qu'on  avait  chargée  d'étudier  le  rembourse- 
ment des  emprunts  faits  par  les  autorités  locales,  nous 
donne  à  ce  sujet  des  renseignements  fort  intéressants.  Nous 
nous  référerons  fréquemment  à  lui  dans  le  cours  de  ce 
chapitre. 

La  politique  du  Parlement  anglais  depuis  de  longues 
années  a  été  d'exiger  le  remboursement  en  un  nombre  dé- 
terminé d'années  des  emprunts  contractés  par  les  autori- 
tés locales  et  d'empêcher  l'établissemenl  d'aucune  dette 
locale  perpétuelle.  Afin  d'arriver  à  ce  but,  toute  loi  qui  con- 
fère à  une  autorité  locale  le  droit  d'emprunter,  spéciûe  la 
période  maxima  dans  laquelle  se  fera  le  remboursement. 
Les  lois  anglaises  donnent  néanmoins  au  ministère  compé- 
tent une  certaine  liberté  d'action  et  lui  laissent  le  soin  de 
décider  quel  sera  le  terme  du  remboursement  de  chaque 
emprunt. 

En  Angleterre  et  dans  le  Pays  de  Galles,  les  périodes 
spécifiées  par  les  lois  varient  de  10  à  60  ans  ;  et  le  Public 
Health  Act  de  1875  fixe  de  façon  générale  à  60  ans  la  pé- 
riode de  remboursement  des  emprunts  municipaux. 

(1)  Repayaient  of  Loans  by  local  authorities,  juin  1902. 

liovcrat  30 


466  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITHE    II 

C*est  au  Local  Government  Board  que  revient  la  plos 
grande  partie  du  travail  consistant  à  contrôler  les  emprunts 
des  autorités  locales  en  Angleterre  ;  on  voit  d'après  ce  que 
nous  venons  de  dire  qu'il  jouit  vis-à-vis  des  autorités  locales 
d'une  grande  liberté  et  d'un  réel  pouvoir, 

Le  Board  possède  un  état-major  d'inp^énîeurs  et  de  méde- 
cins inspecteurs  dont  le  rôle  est  de  faire  des  enquêtes  loca- 
les sur  la  situation  dans  laquelle  se  trouve  Tautorité  qui 
veut  emprunter.  L'enquête  est  généralement  obligatoire  ; 
elle  a  pour  but  de  rechercher  la  durée  probable  et  Futilité 
de  l'ouvrage  projeté»  et  l'inspecteur  doit  indiquer  au  Board 
quelle  estla  période  de  remboursement  qu  il  convient,  selon 
lui,  d'accorder. 

Le  Local  Government  Board  et  le  Board  of  Trade  esti- 
ment que  les  périodes  maxima  mentionnées  dans  les  lois 
générales  se  rapportent  aux  parties  les  plus  durables  de 
Touvrage  pour  la  construction  duquel  l'autorité  locale  de- 
mande à  emprunter.  Aussi  procèdent-ils  d  ordinaire  pour 
chacune  des  parties  de  Touvrage  projeté  à  l'examen  des 
évaluations  qu'on  leur  soumet,  et  assignent-ils  à  chacune 
d'elles  en  particulier  un  terme  spécial  de  remboursement  ; 
enfin,  pour  éviter  la  multiplicité  trop  grande  des  emprunts, 
ils  ont  pris  l'habitude  d'accorder  pour  tout  l'emprunt  ce 
qu'on  appelle  une  période  moyenne  (equated  period).  Celte 
disjonction  et  cette  égalisation  aboutissent  à  réduire  daas 
la  pratique  les  périodes  de  remboursement  au-dessous  de^ 
périodes  maxima  que  spécifient  les  lois  ;  toutefois,  Ton  n*v 
a  pas  recours  lorsque  les  sommes  comprises  dans  chaque 
groupe  atteignent  un  chiffre  important  et  que  Tautorité  lo- 
cale exprime  sa  préférence  pour  des  emprunts  séparés  (1-. 

(i)  Voici  un  exemple  d*  <  Equation    ». 

(Il  s'agit  d'un  emprunt  contracté  pour  rinstallation  d'une  usine  à 


LES   EMPRUNTS   MUNICIPAUX 


467 


En  procédant  à  cette  fixation  des  périodes  de  rembourse- 
ment, le  Local  Government  Board  ne  tient  pas  seulement 
compte  de  Texistence  utile  probable  de  chacune  des  parties 
de  l'ouvrage  pour  la  construction  duquel  on  désire  emprun- 
ter, mais  aussi  de  la  situation  future  probable  de  la  localité 
au  point  de  vue  dette,  pour  éviter  aux  contribuables  à  venir 
de  se  trouver  un  jour  indûment  surchargés,  et  par  consé- 
quent moins  apte^à  remplir  lesdevoirsquileurincomberont. 

Outre  les  pouvoirs  qu'elles  tiennent  de  lois  générales,  la 
plupart  des  grandes  municipalités  ont  obtenu  de  Local  Acts 
le  droit  d'emprunter  pour  des  objets  variés  ;  elles  ont  ainsi 
emprunté  de  grosses  sommes,  dont  ces  mêmes  Acts  ont  fixé 
le  montant  et  la  période  de  remboursement.  Toutefois  le 
recours  au  PrivateBill  leur  permettait  d'oblenir  des  périodes 
de  remboursement  excessivement  longues  ;  dès  1882,  l'at- 


Kaz). 


DESCRIPTION 

OB        L*  OUVRAGE 


BÂtimeDls 

Conduites 

Gazomètres 

Appareils  de  condendatioD . . . 

Appareils  d'épurntion 

Benches  (plateforiiies  sur  les- 
quelles ou  étale  le  coke 
pour  Téteindre) 

Compteurs 

Coroues 

Total £ 


COLT 

ESTIMÉ 

£ 

2.500 
1  245 
1.500 
530 
1.000 

t. 200 
53n 

600 

9.i05 

TERME 


HABITUEL 


X  30  ans 
X  30 
X  an 
X  30 
X  20 


X  15 
X  10 
X    2 


DiviMDt    le    Iota] 
donne  23  ana  9 


£ 

75.000 
37.350 
45.000 
15.V00 
20.000 


18.000 
5.300 
1.200 


217.750 


La  période  accordée  serait  donc  de  24  ans   (V.  Report  on  Repay* 
mentof  Loans  by  Local  Anthorities,  1902,  p.  201). 


468  TROISIEME  PARTIE.   —    CHAPITRE    II 

tentioQ  de  la  Chambre  des  Communes  était  attirée  sur  ce 
fait;  après  enquête  elle  décida  qu'à  moins  d^absolue  néces- 
sité elle  n'accorderait  plus  de  période  supérieure  à  60  ans. 
Elle  introduisit  cette  limitation  dans  un  de  ses  Standing  Or- 
ders  et  depuis  n'y  a  fait  exception  que  quatre  fois  (pour  des 
travaux  d'adduction  d  eau). 

Lorsque,  au  lieu  d'emprunter  elle-même.  Tau  to  ri  té  locale 
obtient  son  prêt  du  Public  Works  Loan  Board,  c'est  aux  com- 
missaires de  ce  Board  que  revient  le  soin  de  déterminer  la 
période  de  remboursement  et  de  rédiger  les  règlements  re- 
latifs aux  conditions  de  l'emprunt.  Us  doivent,  en  procédant 
à  cette  fixation,  tenir  compte  de  la  durée  probable  de  Tou- 
vrage  et  de  l'avantage  qu'il  y  a  à  en  faire  payer  le  coût  par 
la  génération  même  qui  en  profitera  directement. 

La  politique  générale  des  commissaires  est  de  pousser  les 
autorités  locales  à  accepter  de  courtes  périodes  de  rembour- 
sement, et  de  ne  pas  leur  laisser  rejeter  sur  la  postérité  une 
aussi  grosse  part  que  possible  du  fardeau  de  Temprunt. 
L'un  des  moyens  qu'ils  emploient  dans  ce  but  consiste  à  se 
contenter  d'un  taux  d'intérêt  assez  bas  lorsque  la  période  de 
remboursement  est  courte,  mais  d'en  exiger  un  plus  haut 
lorsque  la  période  de  remboursement  est  longue. 

En  1902  les  taux  d'intérêt  en  vigueur  avaient  été  fixé^ 
comme  suit  par  une  minute  du  Trésor  du  31  janvier  190U. 

Période  de  remboursement  Taux  d'iotërét 

N'excédant  pas  30  ans     .     .     .     .     3  1/4  ^o  par  an 

—  40  ans     ....     3  1/2  V,     — 

—  50  ans     ....     3  3/4  Vo    — 

Une  minute  du  3  mars  1904  a  relevé  respectivement  à  3 
3/4,  4  et  4  1/4  le  taux  des  emprunts  remboursables  en  30,  40 
et  50  ans.  Nul  doute  que  la  politique  des  commissaires  n'ait 


LES   EMPRUNTS   MUNICIPAUX  ^69 

réussi  à  influencer  la  longueur  des  périodes  de  rembourse* 
ment  demandées  par  les  autorités  locales  désireuses  d*em- 
prunter.  La  proportion  pour  cent  des  emprunts  les  plus 
longs  (c'est  à  dire  de  ceux  qui  sont  contractés  pour  40  et 
50  ans),  accordés  par  les  commissaires,  au  montant  total 
de  ces  emprunts,  a  baissé  d'une  moyenne  de  11 ,04  °/o  dans 
les  cinq  années  18881892  aune  moyenne  de  3,01  Vo  dans 
les  cinq  années  1898*1902.  Les  commissaires  sont  autorisés 
à  faire  des  prêts  aux  conseils  de  Comté  .de  Bourg,  de  Dis* 
trict  ou  de  Paroisse.  Une  longue  série  de  lois,  mais  notam- 
ment une  loi  de  1875  et  une  autre  de  189B  ont  fixé  les  objets 
en  vue  desquels  il  est  permis  aux  commissaires  d'avancer 
de  l'argent  aux  autorités  locales  ;  citons  :  les  asiles  d'aliénés, 
les  cimetières,  la  conservation  des  rivières,  les  ports,  docks, 
bibliothèques  publiques,  musées,  workhouses,  écoles, 
etc.  (1). 

Divers  modes  de  remboursement. 

Après  avoir  étudié  la  durée  des  périodes  de  rembourse- 
ment, le  comité  devait  aussi  s  occuper  des  différentes  mé- 
thodes au  moyen  desquelles  peut  s'effectuer  ce  rembourse- 
ment, et  il  rappelait  que  d'après  le  Public  Health  Act  de 
1875  (sect.  234)  les  autorités  locales  doivent  rembourser 
l'argent  qu'elles  ont  emprunté  soit  au  moyen  de  versements 
annuels  égaux  («  equalannualinstalments  »)  décapitai  ou 

(1)  Les  Public  Works  Loan  Commissioners  ont  refusé  d'avancer 
£  27.000  au  School  Board  de  West-Ham  ^Lord  Avebury,  op.  cit.j  p.  38), 
parce  que  les  impôts  de  cette  localité  ne  sélèvent  pas  à  moins  de 
10  8.  2  d.  par  £  ;  il  y  a  peu  de  temps  le  L.  C.  C.  a  opposé  un  même 
refus  aux  demandes  d*emprunt  du  Pulham  Borough  Council  à  cause 
du  trop  gros  chiffre  de  sa  dette.  En  1898  Fulham  avait  une  dette  de 
£  103  685  ;  aujourd'hui  elle  atteint  £  393.855.  Il  ne  faut  regretter 
qu'une  chose,  c'est  que  les  Public  Works  Loan  Commissioners  et  le 
L.  C.  C.  n'aient  pas  adopté  plus  tôt  cette  politique  circonspecte. 


470  TROISlàME   PARTIE.    CHAPITRE    II 

de  capital  et  d'intérêts  ;  soit  en  mettant  chaque  année  de 
côté,  sous  forme  de  fonds  d'amortissement  (sinking  fund), 
une  somme  qui,  accumulée  par  le  procédé  des  intérêts 
composés  et  employée  à  Tachât  de  bons  de  l'échiquier 
(Exchequer  Bills)  ou  autres  valeurs  d'Etat,  sufBra  après  le 
paiement  de  toutes  les  dépenses  à  rembourser  Targeot 
emprunté,   dans  la  période  autorisée. 

D  existe  donc  trois  principaux  modes  de  remboursement, 
que  prescrivent  la  loi  générale  et  la  majorité  des  acts  locaux. 
Ce  sont  : 

1°  Le  remboursement  du  capital,  par  portions  annuelles 
toujours  égales, et  parallèlement  à  lui  le  service  des  intérêts 
sur  la  somme  qui  n*est  pas  encore  remboursée.  C'est  ce 
qu'on  appelle  Tlnstalment  System. 

2^  Le  remboursement  par  payements  partiels,  annuels 
et  égaux,  de  capital  et  d'intérêts  combinés,  c'est-à-dire 
par  annuité  terminable. 

3^  La  constitution  d'un  fonds  d'amortissement  (sinkin^^ 
fund)  qu'on  accumule  à  intérêts  composés. 

Le  montant  du  fardeau  rejeté  sur  la  postérité  par  l'exten- 
sion de  la  période  de  remboursement  varie  suivant  que 
l'on  adopte  Tune  ou  l'autre  de  ces  méthodes.  En  Angle- 
terre et  en  Irlande,  on  penche  pour  la  seconde  et  la  troi- 
sième de  ces  méthodes  de  remboursement  ;  en  Ecosse,  au 
contraire,  on  préfère  la  première  qui  entraine  un  paiement 
total  de  capital  et  d'intérêt  beaucoup  moindre  que  les  deux 
autres,  quoique  le  fardeau  quelle  impose  durant  les  pre- 
mières années  soit  plus  lourd,  ainsi  que  le  montrent  les 
chi lires  suivants  : 

Remboursement  d*un  emprunt  de  £  100  par  périodes 
do  30,  40  et  50  ans,  au  moyen  : 

A)  de  llnstalment  System  ; 

B)  du  système  des  annuités  à  3  V«  d'intérêt. 


LES   EMPRUNTS    MUNICIPAUX 


471 


l 


30  ans 


40  ans 


50  ans 


B  .  . 

A  .  . 

B  .  . 

A  . 

B  .  . 


Paiement 

k  /aire    la    1'* 

année 


£      8.    d. 
6      6      8 


2      0 


5  10 

4  6 

5  0 
3  17 


0 
6 
0 
9 


Paiement 
À  Taire  lu  der- 
nière année 


£  s.  d. 
3  8  8 
5      2      0 


2  11 

4  6 

2  1 

3  17 


6 
6 
3 
9 


Total  paré 


£  s.   d. 

146  10    0 

153  1     2 

161  10    0 

173  1     0 

176  10    0 

194  6    7 

(t) 


Plusieurs  des  témoins  appelés  ont,  d'autre  part,  mis  sous 
les  yeux  du  comité  des  tableaux  qui  montrent  le  soulage- 
ment qu'apporterait  aux  contribuables  actuels  Textension 
des  périodes  de  remboursement  s'effectuant  au  moyen  du 
système  des  annuités  ;  et  le  comité  lui-même  attire  Tatten- 
tion  du  public  sur  le  tableau  ci-dessous  qui  montre  la  somme 
annuelle  qu'exige,  tant  en  capital  qu'en  intérêts,  le  rem- 
boursement d*un  emprunt  de  £  10. OOd  contracté  au  taux  de 
3  ^lo  pour  diverses  périodes  dont  la  plus  longue  ne  dépasse 
pas  60  ans. 


Période  pour  laquelle  est  contracté 
l'Emprunt 

Somme  annuelle  k 
payer 

10.     . 
20.     . 
30.     . 

Années 

£ 

1.172 
672 
510 
433 
389 
361  (2) 

40 

50 

00 

1                 •        •        •. 

(1)  Hepori  on  Repaymenlof  Loans  by  local  aulhorilies^  p.  VIII 

(2)  lleporl  on  Repayment  of  /A)anx  by  local  auihorities,  p.  iX. 


^']^  TBOISIÈMB    PARTIE.    GHAPITRB   II 

seiuble-t-il,  une  compensation  suffisante  à  Tioi productivité 
de  l'ouvrage*  tant  qu'il  n'est  pas  terminé. 

En  concluant,  le  comité  proposait  quelques  modifica- 
tions aux  périodes  de  remboursement  en  usage. 

Voici*  à  titre  de  renseignement,  la  longueur  des  pério- 
des que  Ton  accorde  aux  municipalités  pour  le  rembour- 
sement de  leurs  emprunts.  Nous  avons  déjà  dit  que  ces 
périodes  variaient  suivant  la  loi  d'abord,  mais  aussi  sui- 
vant la  volonté  du  Local  Government  Board,  et  qu*ii  exista 
pour  chaque  espèce  d'entreprises,  une  durée  générale- 
ment applicable.  Pour  les  tramways  par  exemple  on  ac- 
corde une  période  de  30  à  35  ans  ;  pour  le  gaz,  de  30  à 
40  ans  ;  pour  Teau,  de  50  à  60  ans  ;  pour  une  usine  élec- 
trique, de  25  à  30  ans  ;  pour  une  installation  de  télépho- 
nes, 25  ans  ;  pour  un  marché,  60  ans  ;  des  égouts,  30  ans: 
un  ((  refuse  destructor  »,  15  ans  ;  pour  les  bains,  si  c'est  une 
piscine,  30  ans  ;  si  ce  sont  des  bains  turcs,  20  ans  ;  etc. 

On  a  parfaitement  raison  de  s'opposer  à  la  tendance  que 
manifestent  trop  souvent  les  autorités  locales  de  rejeter  le 
poids  des  emprunts  actuels  sur  les  contribuables  à  venir; 
ces  derniers  auront  eux-mêmes  bien  assez  de  devoirs  nou- 
veaux à  remplir,  devoirs  dont  laccomplissement  leur  sera 
d'autant  plus  difficile  que  les  engagements  financiers  con- 
tractés aujourd'hui  à  leurs  frais  aurontdépassé  les  avantages 
qu'ils  en  doivent  tirer. 

Vu  l'augmentation  de  la  dette  locale,  le  comité  exprimait 
Tavis  que  le  seul  système  financièrement  correct  est  celui 
qui  consiste  à  faire  payer  à  chaque  génération  la  plus  grosse 
part  de  ses  propres  dépenses.  C'est  un  fait  souvent  constaté 
que  plus  longue  est  la  période  de  remboursement,  moins 
Tautorité  qui  contracte  l'emprunt  se  montre  soucieuse  de  le 
restreindre  au  plus  faible  chiiïre  possible. 


LES    EMPBUNT8   MUNICIPAUX  ^7^ 

Avant  de  sanctionner  un  emprunt,  le  Local  Government 
Board  voit  sur  quels  pouvoirs  se  fonde  la  demande  qu'on 
lui  adresse;  quelles  limites  ont  été  fixées  au  droit  d'emr 
prunterque  possède  l'autorité  locale  ;  et,  quand  l'ouvrage 
projeté  n'est  pas  de  première  importance, le  Board  recherche 
si  ces  pouvoirs  d'emprunt  dont  l'autorité  locale  n'a  pas  en- 
core fait  usage  ne  seront  pas,  à  bref  délai,  réclamés  dans  le 
district  même  pour  l'exécution  des  travaux  sanitaires 
urgents. 

Malgré  toutes  ces  précautions,  et  quelle  que  soit  la  pru- 
dence que  le  Board  apporte  à  la  fixation  des  périodes  de 
remboursement,  il  lui  arrive  parfois  de  se  tromper  sur  la 
durée  de  l'existence  utile  d'un  ouvrage  ;  pour  qu'il  en  fût 
autrement,  il  faudrait  que  ses  fonctionnaires  eussent  reçu 
le  don  de  propliétiser  Ta  venir.  Or,  ils  n  ont  même  ni  le  pou- 
voir de  surveiller  l'exécution  des  plans  qu'on  leur  soumet, 
ni  le  moyen  de  contrôler  Tentretien  des  ouvrages  après 
leur  achèvement.  Les  variations  du  chiffre  de  la  popula- 
tion, les  progrès  delà  science,  des  intempéries  exception- 
nellement  violentes,  mille  autres  causes  enfin  peuvent 
renverser  des  calculs  basés  sur  la  plus  longue  expérience. 

Le  Local  Government  Board  a  fourni  aux  membres  du 
comité  rexemple  de  29  cas  où  les  ouvrages  municipaux 
n'ont  pas  duré  aussi  longtemps  que  la  période  accordée 
pour  le  remboursement  ;  preuve  que  l'on  ne  saurait  se 
montrer  trop  prudent  en  cette  matière. 

Une  fois  l'emprunt  autorisé,  le  Local  Government  Board 
s'assure  qu'on  rapplique  bien  à  Tobjet  pour  lequel  on  Ta 
contracté.  Il  a  pour  cela  plusieurs  moyens  à  sa  disposition. 
S'il  apparaît  que  l'autorité  locale  ne  fait  pas  de  l'emprunt 
l'usage  qu'elle  aurait  dû  en  faire,  le  Board  peut,par  un  order, 
enjoindre  les  corrections  qu'il  juge  nécessaires  ;  s'il  n'est 


476  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   II 

pas  tenu  compte  de  ses  observations,  Torder  peut  être  rendu 
exécutoire  par  lettre  de  mandamus  (  writ  of  mandamus) 
(38  et  39  Victoria,  C.  89,  sect.  33-38). 

Depuis  1873,  plusieurs  acts  locaux  et  provisional  orders 
ont  décidé  que  les  autorités  locales  devraient  adresser  cha- 
que année  au  Local  Government  Board  des  rapports  sur  la 
gestion  de  leurs  emprunts  ;  le  Board  a  le  droit  de  recourir 
aux  sanctions  précédentes  s'il  saperçoit  que  Ton  ne  s'est 
pas  conformé  aux  dispositions  légales. 

A  c6té  de  ce  contrôle  direct  existe  un  contrôle  indirect 
qui  n'est  pas  moins  efficace.  Il  réside  dans  le  pouvoir  que 
possède  le  Jjocal  Government  Board  de  sanctionner  ou  de 
refuser  de  sanctionner  l'emprunt  auquel  désire  procéder 
Tautorité  locale.  Le  Board  peut  en  effet  rechercher  quelle  a 
été  la  conduite  antérieure  de  la  municipalité,  examiner  l'or- 
ganisation de  ses  sinking  funds  ;  voir  si  le  capital  et  les  in- 
térêts dus  par  elle  ont  été  payés  régulièrement  et  sans  délais  ; 
si  elle  a  fait  de  l'argent  de  ses  emprunts  un  emploi  honnête 
et  sage  ;  contrôler  en  un  mot  Thistoire  entière  de  l'autorité 
qui  lui  adresse  une  demande. 

L'enquête  n'est-elle  pas  satisfaisante,  Tautorité  centrale 
pourra  refuser  son  approbation  au  nouvel  emprunt  jusqa  à 
complète  réparation  des  irrégularités  commises  et  contrain- 
dre de  la  sorte  l'autorité  locale  à  se  conformera  la  loi. 

Une  fois  l'autorisation  d'emprunter  obtenue,  voyons  de 
quelle  manière  une  municipalité  peut  emprunter.  Elle  a 
pour  cela  plusieurs  moyens  à  sa  disposition: 

Elle  peut  : 

1°  Emettre  des  fonds  publics  ou  rentes  rachetables  (stock). 

2^  Emettre  des  emprunts  hypothécaires,  obligations  no- 
minatives ou  au  porteur,  des  annuités  terminables,  ou  des 
billets. 


/.'-I 


LES    EMPRUNTS    MUNICIPAUX  U'JJ 

3°  Elle  peut  enfin  se  faire  faire  des  avances  par  son  ban* 
quier  ;  le  cas  est  fréquent  en  Angleterre. 


Emprunts  en  rentes  racheta  blés . 

L'avantage  qu'il  y  a  à  emprunter  en  stock  rachetable 
tient  à  ce  que  le  stock  est  une  valeur  généralement  popu- 
laire ;  qu'elle  permet  à  Tautorité  locale  qui  a  besoin  d'une 
grosse  somme  d'argent  de  l'obtenir  rapidement  ;  qu'elle 
est  facilement  négociable  sur  le  marché,  une  fois  surtout 
qu'on  a  obtenu  qu'elle  soit  cotée  au  Stock  Exchange  et 
qu'elle  a  été  de  la  sorte  rendue  facilement  divisible  et  trans- 
férable. 

Le  second  avantage  que  présente  l'émission  de  rentes 
rachetables  vient  de  ce  qu'on  en  émet  en  une  fois  une 
somme  assez  considérable  pour  n'avoir  pas  besoin  de  recou- 
rir sans  cesse  à  de  nouveaux  emprunts.  La  période  de  rem- 
boursement enfin  étant  longue,  le  préteur  ne  peut  récla- 
mer son  argent  qu'à  l'expiration  de  cette  période.  C'est 
un  avantage  qui  n'est  pas  sans  contrepartie  d'ailleurs,  car 
rémission  de  rentes  rachetables  à  longue  échéance  empê- 
che, au  cas  où  le  marché  de  l'argent  prend  une  tournure 
plus  favorable,  l'autorité  locale  de  profiter  du  taux  d'inté- 
rêt plus  avantageux  qui  vient  s'offrir  à  elle  pour  racheter  et 
réemprunter. 

L'émission  de  rentes  rachetables  est  pourtant  un  moyen 
si  pratique  que  la  plupart  des  grandes  municipalités  an- 
glaises y  ont  eu  recours,  et  que  les  fonds  publics  de  plusieurs 
d'entre  elles  s'élèvent  aujourd'hui  à  des  chiffres  considéra- 
bles. La  question  se  pose  alors  de  savoir  s'il  vaut  mieux, 
pour  ces  municipalités,  lorsqu'elles  désirent  emprunter, 
avoir  déjà  une  grosse  dette  ou  n'en  avoir  qu'une  petite, 


47^  TROISlàMB    PARTIE.    —    CHAPITRE   II 

Devant  les  deux  commissions  d*enquête  sur  le  Municipal 
Trading  en  1900  (1)^  et  sur  le  remboursement  des  emprunts 
en  1902  (2)  M.  Jeeves,  Town  Clerk  de  Leeds,a  soutenu  celte 
théorie  financière,  exacte  jusqu'à  un  certain  point,  mais 
dangereuse  aussi,  que  plus  grosse  sera  la  dette,  iDeilIeur 
sera  le  crédit  de  la  municipalité  qui  s*en  trouve  chargée. 
Loin  de  rendre  les  emprunts  futurs  plus  difficiles,  le  fait 
d'avoir  déjà  sur  le  marché  un  nombre  considérable  de  titres 
(M.  Jeeves  parlait  ici  de  la  dette  reproductive,  c'est-à-dire 
celle  qui  représente  Tactif  des  entreprises  municipales'  doit 
les  rendre  au  contraire  plus  faciles,  et  il  citait  à  Tappui  de 
son  opinion  l'avis  de  plusieurs  banquiers  et  agents  de 
change.  11  estimait  lui-même  que  tant  qu'une  augmenta- 
tion suffisante  de  Tactif  correspondrait  à  l'augmentation  du 
passif,  plus  la  dette  municipale  serait  considérable,  plus 
bas  serait  le  taux  auquel  on  pourrait  emprunter  ;  et  ceci 
pour  des  raisons  purement  financières.  Au  point  de  vue  du 
Stock  Exchange,  disait-il,  il  ne  fait  pas  le  moindre  doute  que 
plus  le  montant  de  la  dette  sera  considérable,  plus  le  mar- 
ché sera  libre  ;  or,  plus  le  marché  sera  libre,  plus  les  cours 
le  seront  aussi. 

Cette  bienfaisante  liberté  des  cours  n'a  malheureusement 
pas  suffi  à  produire  leur  hausse  ;  les  prévisions  de  M.  Jeeves 
ont  été  démenties  par  les  faits  ;  la  dette  a  bien  augmenté 
depuis  le  jour  où  il  faisait  sa  déposition,  mais  les  valeurs 
municipales  ont  baissé  et  le  taux  de  Tintérèt  a  remonté. 
Quand  bien  même  d'autres  causes  auraient  contribué  à  pro- 
duire ce  résultat,  il  est  bien 'évident  que  les  émissions  con- 
tinuelles dont  les  autorités  locales  inondent  le  marché  n*ont 
pas  contribué  à  raffermir  leur  crédit  déjà  ébranlé. 

(1)  Municipal  Trading  Report^  1900,  p.  246. 

(2)  IXeport  on  Hepayment  of  Loans  by  local  AulhorUies,  p.  151. 


LES    EMPRUNTS   MUNICIPAUX  ^79 

Si  Témissioa  de  rentes  amortissables  par  les  municipali- 
tés est  une  opération  dangereuse  en  somme  par  la  facilité 
même  avec  laquelle  elle  se  fait,  du  moins  sait-on  générale- 
ment quel  est  le  total  des  valeurs  qu'elles  ont  mises  par  ce 
moyen  en  circulation  et  par  combien  se  chiffre  le  montant 
de  leur  dette.  Mais,  comme  nous  le  disions  tout  àTheure, 
les  municipalités  n'ont  pas  que  ce  moyen  d'emprunter,  elles 
en  ont  d'autres  moins  connus,  dont  quelques-uns  même 
risquent  de  porter  atteinte  à  la  solidité  ou  à  la  correction  de 
leurs  finances  :  nous  voulons  parler  des  «  overdrafts  »  et 
des  «  promissory  notes  ». 

Annuités. 

Avant  de  nous  occuper  de  ces  dernières,  disons  toutefois 
un  mot  des  annuités  qu'ont  employées  plusieurs  villes, 
Glasgow  et  Birmingham  notamment,  lorsqu'elles  ont  ra- 
cheté aux  Compagnies  qui  les  possédaient  les  ouvrages 
construits  pour  Tadductionde  Teau  et  la  fabrication  du  gaz. 
L'opération  de  rachat  avait  pour  corollaire  naturel  un  em- 
prunt qui,  au  lieu  de  se  faire  par  l'émission  de  rentes,  se  fit 
par  rémission  d'annuités. 

Lorsque  la  ville  de  Glasgow  acquit  en  1855  les  ouvrages 
Je  la  Glasgow  Waterworks  C°  et  ceux  de  la  Gorbal  Gravi- 
tation Waterworks  C°,  elle  remit  aux  porteurs  d'actions  de 
^es  deux  Compagnies  des  annuités  perpétuelles,  s'élevantà 
£  26.967,  6  s.  par  an,  payables  le  15  mai  et  le  15  novem- 
bre et  transférables  à  volonté  (1).  Un  Sinking  Fund  a  été 
organisé  pour  procéder  au  rachat  de  ces  annuités:  il  en 
avait  en  1906  racheté  pour  une  somme  de  £3.896,  17  s. 
.3   d.,  réduisant  ainsi  leur  montant  à  £  23.070,  8  s.  9  d.  En 

(1)  Voir  le  Stocfî  Exchange  Year  Book,  1906. 


48o  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE   II 

1905,  le  titre  donnant  droit  à  une  annuité  d'une  £  était  cote 
sur  le  marché  £  31,  10  s.  (l'émission  avait  été  faite  ࣠ 23). 

Birn^in^^ham  racheta,  elle  aussi,  sous  l'impulsion  de 
M.Chamberlain.Ia  Compagnie  qui  lui  fournissait  l'eau  et  re- 
mit aux  actionnaires  de  cette  dernière  des  annuités  perpé- 
tuelles, garanties  par  l'entreprise  d'eau  et  le  borough  rate, 
dont  le  montant  annuel  s'élevait  en  1905  à  £  50.562  Ils. 
11  d.  Ces  annuités  sont  perpétuelles^  mais  la  corporation 
peut,  d'accord  avec  les  porteurs,  les  racheter  à  n*imporlc 
quel  moment.  Aussi  le  montant  primitif  en  a-t-il  été  réduit 
au  chiffre  ci-dessus  à  la  suite  de  rachats  s*élevant  à  £  3.928 
8  s.  1  d.  d'annuités.  La  corporation  doit  pourvoir  à  l'extinc- 
tion de  ces  annuités  en  95  ans,  à  partir  de  1875.  Le  dernier 
cours  coté  (tin  de  1905)  était  de  £  32  pour  1  £  d'aoauité 
(pair  £25^. 

La  Compagnie  du  gaz  de  Birmingham  a  été  égalemeot 
rachetée  au  moyen  d'annuités  qui  s'élevaient  en  1905  à 
£  50.771,  16  s.  11  d.  par  an  et  qui  ont  pour  garantie  les  re- 
venus de  l'entreprise  du  gaz  et  le  borough  rate.  Ces  annuités 
sont  perpétuelles,  mais  la  corporation  peut  les  racheter 
quand  elle  le  veut  ;  le  montant  primitif  en  a  été  ainsi  rame- 
né au  chiffre  ci-dessus,  la  corporation  en  ayant  racheté 
£  7.518  3  s.  1  d.  La  corporation  doit  eu  outre  pourvoira 
l'extinction  des  annuités  en  85  ans  à  partir  de  1875.  Le  der- 
nier prix  de  £  1  d'annuité  était  de  £  32.  Il  est  monté  jus- 
qu'à £  37.  L'usine  à  gaz  de  Birmingham  est  d'ailleurs  une 
des  entreprises  municipales  les  plus  prospères  du  Boyaume- 
Uni.  Elle  dispose  chaque  année  de  tels  surplus  que  sonsin- 
king  fund  est  plus  important  que  ne  l'exige  la  loi  et  qu'elle 
pourra  racheter  ces  annuités  avant  l'expiration  du  délai  de 
83  ans  qu'on  lui  avait  accordé. 


L 


1.B8   EMPRUNTS  MUNICIPAUX  48l 


Emprunts  hypothécaires. 


Les  municipalités  ont  encore,  pour  emprunter,  un  autre 
moyen  dont  elles  se  servent  aujourd'hui  plus  qu'elles  ne 
Vont  jamais  fait  auparavant  ;  elles  empruntent  sur  hypothè- 
que ou  sous  forme  d'obligations  hypothécaires  (debentures). 
Elles  commençaient  à  s'apercevoir  en  effet  que  le  public 
en  quête  de  placements  pour  son  argent,  regardait  d'un 
mauvais  œil  les  trop  fréquentes  émissions  de  stoôk  ;  mais 
elles  furent  aussi  poussées  à  employer  cette  nouvelle  mé- 
thode par  cette  autre  raison  que  les.  banquiers  ne  se  mon- 
traient plus  aussi  disposés  qu'autrefois  à  leur  consentir  des 
avances  (bank  overdrafts). 

A  condition  de  ne  pas  les  contracter  à  un  taux  d'intérêt 
trop  élevé,  ni  pour  une  trop  longue  période  dans  un  mo- 
ment où  l'argent  est  cher,  la  pratique  des  emprunts  hypo- 
thécaires ne  saurait  être  blâmée.  Règle  générale  cependant, 
il  n*est  pas  prudent  de  faire  des  emprunts  hypothécaires 
qui  ne  soient  remboursables  qu'au  bout  d'un  temps  très 
long.  Les  emprunts  à  court  terme  valent  mieux,  parce  que: 
â)  le  jour  où  le  prix  de  l'argent  baissera,  on  pourra  rem- 
bourser la  dette  existante  et  réemprunter  à  un  taux  d^inté- 
rêt  moins  élevé  ;  b)  parce  qu'ils  permettent  d'emprunter  par 
petites  sommes,  en  tout  temps  et  en  tout  endroit  ;  c)  parce 
qu'ils  permettent  de  faire  face  plus  économiquement  et  plus 
facilement  anx  besoins  financiers  de  la  corporation  ;  d)  parce 
qu'enfin  le  recours  aux  avances  des  banques  est  par  ce 
moyen  réduit  à  son  minimum. 

Ces  avantages  ont  naturellement  pour  contre* partie  l'in- 
convénient des  emprunts  à  court  terme;  c'est-à-dire  le  ris- 
que d'avoir  à  rembourser  à  bref  délai  et  d'être  forcé  de  réem- 
prunter à  un  taux  d'intérêt  plus  élevé. 

BoTerat  3f 


À 


4^3  TROIBIÀMB   PARTIE.    CHAPITRE    II 

L'hypothèque  que  donne  la  corporation,  lorsqu'elle  se  lirre 
à  une  opération  de  ce  genre,  n*est  bien  entendu  pas  une  hj* 
pothèque  spéciale,  consentie  sur  un  bien  particulier:  mais 
une  hypothèque  générale,  grevant  Tensemble  de  ses  pro- 
priétés ou  plus  souvent  encore  Tensenible  de  ses  reveoas. 
Lorsqu'elle  désire  emprunter  de  l'argent  de  cette  façon,  elle 
met  simplement  une  annonce  dans  un  journal  quelconque. 
C'est  ainsi  que  dans  la  Birmingham  Daily  Posi  du  17  mai 
1906,  à  la  première  page  des  réclames,  nous  trouvons  deus 
annonces.  Tune  du  Gounty  Borough  de  Devonport.  Tauire 
de  la  City  de  Birmingham.  La  première  e^t  ainsi  conçue  : 

CouNTY  Borough  db  Dbvonport 


Emprunt  hypothécaire  £  3  1/2  Vo 

I 

La  corporation  est  disposée  à  recevoir  des  sommes  de 
£  100  et  au-dessu3,  à  6  mois  de  date  (on  six  months  notice) 
ou  pour  une  période  n'excédant  pas  cinq  ans,  sur  la  garan- 
tie de  tous  les  revenus  de  la  corporation. 

Intérêts  payables  deux  fois  par  an,  le  30  juin  et  le  31  dé- 
cembre. 

Pour  plus  amples  détails  s'adresser  à 

H.  J.  U'OARB,  Trésorier  du  Borough. 
Municipal  Offices  y  Devonport.  10.  mai  1906. 

Voici  maintenant  celle  de  Birmingham  : 


LKS   EMPRUNTS  MUIUCIPAUX  .483 

--         c   '      ;■  '      .  ■  ■  . 

*    City  OF  Birmingham; 

■ 

Le  trésorier  est  disposé,  à  conclure  des  emprunts  de 
£,  100  et  au-dessus  (en  multiples  de  £  50),  qui  auront  pour 
garantie  les  revenus  de  la  corporation,  y  compris  les  impôts 
locaux,  au  taux  de  £  3,5  s.  pour  cent  par  an,  remboursa- 
bles à  n'importe  quel  moment  à  6  mois  de  préavis  d  un 
côté  oii  de  l'autre,  —  ou  encore  pour  des  périodes  fixes 
variant  de  3  à  10  ans,  au  taux  de  £  3  10  s.  par  an,  à  condi- 
tion de  prévenir,  d'un  côlé  comme  de  l'autre,  du  rembour- 
sement, six  mois  avant  Texpiration  du  terme:  à  défaut  de 
cet  avertissement  l'emprunt  continuera  au  même  taux  jus- 
qu'à ce  qu'on  ait  fait  un  avertissement  6  mois  àPavancé. 

Intérêts  payables  deux  fois  par  an  :  le  !«'  janvier  et  le 
1"  juillet. 

Les  oiïres  de  prêt  doivent  être  faites  personnellement  ou 
par  lettre  à 

Thomas  H.  Clare,  trésorier  de  la  Cité. 

The  Ciouncîl  House.  Birmingham,  19  octobre  190S. 

Birmingham  avait  également  reçu  en  1883  le  droit  d'é- 
mettre des  obligations  hypothécaires  municipales  (corpora- 
tioQ.mortgages)  de  £  10  chaque,  à  3  1/2  7o  (l)t  afîndof- 
frîr  aux  ouvriers  et  autres  personnes  qui  le  désireraient  un 
placement  sur  pour  de  petites  économies.  Une  première 
émission  de  £  50.  000  eut  lieu  en  1883  ;  une  autre  émission 
de£  50.000  également  suivit  en  décembre  1884.  Cette  inno- 
vation obtint  un  grand  succès.  A  la  fin  de  1887  les  souscrip- 
tions atteignaient  £96.320;  et  le  trésorier  continuait  à 
recevoir  des  demandes  s'élevant  à  £  300  par  semaine.  Mais 
depuis  la  première  émission  le  taux  courant  de  Tangent  pour 

(1)  VbtrViNCB,  Hisiory  ofifte' Corporation  ûf  Birmingham^  p.  52.  > 


484  TROISlàME   PARTIE.    CHAPITRE   II 

les  emprunts  à  court  terme  était  desceadu  de  3  1/2**/»  à 
3.  Le  Conseil  municipal  résolut  en  conséquence,  le  2  août 
1887,  de  réduire  l'intérêt  de  ces  obligations  à  3  %,  en  préve- 
nant 12  mois  à  i*avance  de  la  réduction  ;  toutefois  rémission 
en  restait  autorisée.  A  partir  de  ce  moment  et  malgré  h 
baisse  continuelle  du  loyer  de  l'argent,  la  corporation  ne 
fit  plus  subir  aucune  réduction  à  l'intérêt  de  ses  obligations. 
A  la  fin  de  septembre  1899,  on  avait  emprunté  de  la  sorte 
£  1  52.470,  et  remboursé  £  85.050,  le  total  des  sommes 
encore  placées  s^élevait  à  £  67.  420.  Les  souscriptions 
avaient  donc  atteint  £  100.000  dans  les  quatre  premières 
années  et  £  52.470  seulement  dans  les  12  années  suivantes. 
En  agissant  ainsi,  la  corporation  remplissait  en  quelque 
sorte  le  rêle  de  caisse  d'épargne  et  se  procurait  en  même 
temps  l'argent  dont  elle  avait  besoin. 

Les  corporations  empruntent  encore  de  l'argent  en  émet- 
tant des  billets  municipaux,  sortes  de  billets  à  ordre  et  de 
billets  de  banque,  qu'on  appelle  Gorporationi  bills  ou  pro- 
missory  notes. 

Les  <«  promissory  notes  »  se  différencient  des  billets  à 
ordre  et  des  chèques  en  ce  que  ces  derniers  sont  des  ordres 
de  payer,  et  qu'elles  sont  au  contraire  des  promesses  it 
payer  une  certaine  somme  et  n'ont  pas  besoin  d'être  ac- 
ceptées. II  faut  simplement  qu'elles  soient  signées  de  \t 
personne  qui  contracte  l'engagement;  elles  sont  payables 
soit  à  telle  personne  nominativement  désignée,  soit  au  (tor- 
teur. 

Un  certain  nombre  de  villes  anglaises  ont  aujourd'hui 
le  pouvoir  d'émettre  des  promissory  notes.  Elles  y  ont 
recours  lorsque,  voulant  contracter  un  emprunt  pour  une 
somme  considérable,  le  marché  deTargent  se  trouve  n'ê- 


LES   EMPRUNTS  MUMGIPAUX  48S 

tre  pas,  à  ce  moment  là,  favorable  à  une  émission  de 
stock  ;  grâce  à  ces  promissory  notes,  elles  se  procurent 
sur-le-champ  Fargent  dont  elles  ont  besoin  et  peuvent 
attendre  tranquillement  le  moment  propice  pour  consoli- 
der leur  emprunt. 

r/est  Londres  qui  la  première  obtint,  en  1883,  le  pou* 
voir  d'émettre  des  promissory  notes.  La  limite  des  émis- 
sions, fixée  d*abord  à  £  1  million,  fut  portée  en  i900  à 
£  2  millions  (1).  Le  minimum  de  chaque  bill  est  de 
£  1.  000  ;  c'est  on  point  important  à  retenir.  Ce  droit  avait 
été  primitivement  accordé  à  la  ville  de  Londres  pour  lui 
permettre  de  se  procurer  momentanément  de  l'argent  en 
attendant  rémission  de  nouveaux  stocks  et  de  façon  à  éviter 
rémission  à  de  trop  courts  intervalles  de  nouveaux  titres 
sur  le  marché,  cause  inévitable  de  baisse. 

Glasgow  obtint  en  1896  des  pouvoirs  semblables,  et  la 
limite  des  émissions,  fixée  primitivement  à  £  250.000,  fut 
en  1899  élevée  à  £500.000. 

Edimbourg  reçut  en  1899  le  même  pouvoir,  pour 
£  250.000.  Ni  pour  Glasgow,  ni  pour  Edimbourg  il  n'a  été 
fixé  de  minimum  au  montant  de  chaque  bill  en  particulier. 

Leeds  a  reçu,  en  1899  également,  Tautorisation  d*em- 
prunter  de  la  sorte  une  somme  maxima  de  £  300.000, 
mais  elle  ne  peut  émettre  de  bill  dont  le  montant  serai  t 
inférieur  à  £  1.000.  Liverpool  enfm  obtint,  par  un  act  de 
1900,  Tautorisation  d'émettre  pour  £  500.000  de  ces  bills  , 
leur  valeur  minima  étant  fixée  à  £  1.000. 

On  remarquera  que  les  lois  autorisant  l'émission  de  ces 
bills  fixent,  on  même  temps  que  le  maximum  de  l'émission, 
le  montant  minimum  de  chaque  bill.  Il  faut  en  effet  pré- 

(i)  Municipal  Trading  Report,  1900,  p.  310. 


48&  TROISlàMB   PARTIE.    —    GHAPlTItE    II 

venir  la  créatioa  de  coupures  trop  faibles  dont  on  arrive- 
mit  à  se  servir  comme  de  monnaie  et  qui  finiraient  par 
jouer  le  rôle  d'assifiçnats  municipaux.  Ce  serait  un  très 
sérieux  danger,  et  c*est  pourquoi  Ton  a,  règle  n^énérale, 
fixé  d'accord  avec  les  intéressés,  le  minimum  de  ces  pro- 
mîssory  notes  au  chiffre  déjà  considérable  de  £  500  ;  od 
en  cite  pourtant  de  £  200  seulement. 

La  durée  ordinaire  de  ces  bills  est  d'une  année  ;  c*est> 
à-dire  que  les  corporations  s'engagent  à  les  rembourser 
un  an  après  qu'elles  les  ont  émis.  Elles  en  émettent  sou- 
vent pour  des  sommes  importantes.  Le  Stock  Exchange 
Year  Book  de  1906  nous  dit  en  effet  que  la  ville  de  Bir- 
mingham a  émis  pour  £  300.000  de  bills,  de  £  1.000  et  de 
£  5,000  chaque,  en  juin  1905,  payables  le  15  juin  1906  à 
la  banque  d'Angleterre.  Le  preneur  de  ces  billets  ne  les 
paye  naturellement  pas  la  somme  même  à  laquelle  ils  don- 
nent droit  ;  on  lui  fait  un  escompte  qui  varie  suivant  Télat 
du  marché.  Les  bills  de  Birmingham,  de  juin  1905,  avaient 
été  émis  à  un  taux  d'escompte  de  £  2  14  s.  4,47  d.  V«. 

Le  Local  Government  Board  et  le  Parlement  ont  toa- 
j^ours  montré  une  certaine  répugnance  à  accorder  aux 
municipalités  Tautorisation  d  émettre  des  promissory  no- 
tes. Ils  craignent  qu*elles  n'aient  recours  à  ce  moyen  pour 
cacher  le  montant  réel  de  leurs  emprunts,  dont  le  contrùie 
devient,  dans  ces  conditions,  extrêmement  difficile.  Aujour- 
d'hui le  nombre  des  villes  à  qui  Ton  a  donné  ce  pouvoir 
est  relativement  assez  considérable. 

Voici,  à  titre  d'exemple,  le  modèle  d'un  corporation  bill 
éipis  par  la  ville  de  Liverpool. 


LB8  BupRURTs  mnooiPAinc  487 

«901  1901 


000    00  Due  24  th  Jiily  1901  000    00 

Liverpool  Corporation  Biîl, 

Liverpool24thJuly  1900.. 

This  Liverpool  Corporation  Bill  entitles  ...  or  order  to 
pay ment  of  one  thousand  pou nds  at  ihe  Bank  ofEngland 
London,  oui  of  the  revenues  ofthe Corporation  of  Liverpool 
onthe24th.  July  1901. 

£  1.000. 

Sealed  by  order  the  Corporation  of  Liverpool. 

'  TowN  Clbrk.  Controllèr.  Lord  Mayor.  ' 

Avances  faites  aux  municipalités  parles  banquiers. 

.  Les  municipalités  possèdent  enfin  un  dernier  moyen  de 
se  procurer  de  l'argent  ;  ce  moyen  consiste  à  se  faire  faire 
des  avances  (overdrafts)  par  leurs  banquiers  :  disons  toiit 
de  suite  que  ce  procédé  n*a  pas  en  général  l'approbation  des 
personnes  qui  s'intéressent  aux  questions  de  finances  muni^ 
cipales  (1). 

C'est  par  cette  méthode  ou  des  méthodes  analogues  que 
beaucoup  de  corporations  se  font  avancer  des  sommes  con* 
sidérables,  tant  en  compte  courant  qu'en  compte  capital. 
La  période  de  remboursement  de  ces  emprunts  non  auto- 
risés dépend  entièrement  de  la  volonté  des  parties.  Ce  sys^^ 
tème  qui  aboutit  à  répartir  le  coût  d'un  ouvrage  sur  une 
période  illimitée  ou  fixée  par  l'emprunteur  lui-même  ne' 
peut  être  adopté  par  les  autorités  locales  dont  les  comptes 
so  nt  soumis  au  contrôle  des  auditeurs  du  Local  Governinent 


tèn. 


(1)  V.  Munitipàl  Trading  Heport,  1903,  p.  121,  déposition  de  M.  Tritr 


488  TROISIÈME   PAR7IB.  ^--  CttAPITHB    II 

Boa rd  ;  mais  ce  contrôle  gouvernemental  (go vemmeat  au- 
dit) faisant  défaut  dans  la  plupart  des  corporations  munici- 
pales, elles  ont  toute  liberté  pour  agir  à  leur  guise  et  s'en- 
detter comme  il  leur  plait. 

Les  overdrafts  atteignent  parfois  des  sommes  considéra- 
bles :  on  en  cite  qui  dépassent  £  100.000.  Analogues  en  ceci 
aux  promissory  notes  Jls  servent  souvent  aux  Corporations 
à  attendre  le  moment  favorable  à  une  émission  de  rentes* 
Les  municipalités  arrivent  en  somme  à  contracter,  par  ce 
procédé,  des  emprunts,  sans  la  sanction  du  Parlement  ou 
du  Local  Government  Boa  rd  ou  de  qui  que  ce  soit.  Elles 
vont  simplement  trouver  leur  trésorier,  généralement  ban- 
quier de  la  localité  ;  elles  lui  demandent  de  leur  avancer 
Targent  dont  elles  ont  besoin  et  lui  promettent  de  le  rem- 
bourser par  la  suite,  soit  au  moyen  d'impôts  dont  la  le^ée 
u*est  pas  encore  faite,  soit  au  moyen  de  recettes  de  leurs 
entreprises  reproductives,  lorsqu'elles  en  possèdent  qui 
méritent  ce  nom. 

SirChandos  Leigh  déclarait,  devant  le  Select  Committee 
de  1900('p.  41),  qu'au  lieu  d'avoir  recours  à  ces  overdrafts, 
il  vaudrait  beaucoup  mieux  agir  ouvertement  et  se  procurer 
de  Targent  au  moyen  de  bills  ou  de  promissory  notes,  que 
tout  le  monde  connaît  et  dont  l'émission  est  officielle.  Il 
disait  que  les  overdrafts  devraient  figurer  dans  les  comptes 
des  municipalités,  lesquels  ne  devraient  rien  avoir  de  caché 
pour  les  contribuables.  Par  suite  de  ces  pratiques,  il  devient 
souvent  difficile  de  déterminer  avec  exactitude  Tendette- 
ment  réel  et  total  d'une  municipalité,  et  Ton  peut  affirmer 
que  les  emprunts  contractés  en  vertu  de  lois  générales  on 
de  private  acts  ne  le  donnent  jamais  exactement. 

Chaque  jour  les  municipalités  s'engagent  déplus  en  plus 
dans  des  opérations  financières  qui  touchent  de  près  aux 


LES    EMPRUNTS   MUNICIPAUX  48^ 

apératioQs  des  baaques;  elles  vont  même  jusqu*à  faire 
coacurrence  à  ces  dernières. 


Les  municipalités  acceptent  des  dépôts  d^argent . 

A  la  rénnion  de  llndustriel  Freedom  League  du  30  juin 
190S,  M.  Francis  W.  Buxton  disait  que  nombre  de  muni- 
cipalités recevaient  des  dépôts  d'argent  ;  on  en  comptait 
cinquanteau  moins,  parmi  lesquelles  Edimbourg,  Stoke-on- 
Trent,  Glasgow,  etc.  Glasgow  a  emprunté  près  de  £  3  mil- 
lions en  emprunts  à  court  terme.  En  1903  elle  avait  pour 
£  2  millions  d'emprunts  qu'elle  pouvait  être  obligée  de  rem- 
bourser sur  avertissement  donné  un  mois  à  l'avance  seule- 
ment. «  Je  suis  banquier,  ajoutait  M.  Francis  Buxton,  et 
en  même  temps,  membre  de  la  Public  Works  Loan  Com- 
mission. En  cette  double  qualité,  je  sais  que  les  banquiers 
et  les  commissaires  de  prêts  pour  travaux  publics  sont  bien 
plus  circonspects  qu*ils  ne  Tétaient  il  y  a  une  ou  deux  an- 
nées seulement,  lorsqu'il  s*agit  de  prêter  de  Targent  aux 
municipalités  ;  je  doute  fort  que  si  la  municipalité  de  Glas- 
gow, s' adressant  subitement  à  l'un  de  nous,   demandait 
qu*on  lui  avance  £  1  million  pour  rembourser  ses  déposants, 
à  supposer  qu'ils  se  précipitassent  aux  guichets   de  la  cor- 
poration pour  réclamer  leur  argent,  pût  se  procurer  cette 
somme  avec  facilité.  » 

Quelle  garantie  les  déposants  obtiennent-ils  en  général? 
On  leur  remet  un  récépissé,  et  leur  dépôt,  qui  n'est  pas  ga- 
ranti par  les  impôts,  ne  l'est  que  par  la  simple  bonne  foi  des 
municipalités.  Si  ce  procédé  n'offre  pas  grande  sécurité 
pour  les  déposants,  il  nous  semble  très  dangereux  d'autre 
part  pour  les  municipalités  elles-mêmes,  et  pourtant  il  s  é- 
tend  de  plus  en  plus. 


490  TROIBlèME   PARTIE.    —   GHAPITBE   II 

En  mai  1905,  la  municipalité  d^Ëdimbourg  faisait  s&Toir 
par  voie  d'anaoace  qu'elle  acceptait  des  prêts  temporaires 
remboursables  à  uq  mois  d'avertissement  (repayable  oa 
one  month*s  notice)  et  qu'elle  s'en^^ageait  à  verser  aux  dé- 
posants un  intérêt  qui  suivrait  les  fluctuations  du  taux  des 
4épôts  des  banques  écossaises,  mais  lui  resterait  constam* 
ment  de  1/2  Vo  supérieur. 

Glasgow  fait  de  même  ;  le  Glasgow  Herald  du  23  juin 
1903  contenait  Tannonce  suivante  : 


Glasgow  Corporatioii  Loans. 

9 

«  The  subscriber  is  authorised  to  receive  loans  at  one 
month's  notice,  interest  at  1/2  percent,  over  the  deposit 
rate  of  the  scottishbanks.  fluctuatiog  therewith  ;  also  loans 
on  mortgage  repayable  11  th  November  1906  or  later  at  3Y. 
per  annum.  » 

Les  corporations  d'Edimbourg  et  de  Glasgow  cherchent 
ainsi  à  détourner  le  public  des  banques  écossaises  et  à  l'at- 
tirer vers  leurs  guichets  par  lattrait  de  ce  bénéfice  de  1/2  */«. 
Elles  y  réussissent  dans  une  certaine  mesure  et  reçoivent 
de  la  sorte  en  dépôt  des  sommes  considérables.  C'est  une 
nouvelle  extension  des  attributions  municipales  et  uu  em- 
piétement sur  l'activité  des  particuliers  ;  empiétement  à  la 
fois  dangereux  et  répréhensible  par  suite  des  risques  finan- 
ciers très  sérieux  qu'il  entraine  avec  lui. 

Ceci  dit  des  inconvénients  du  système,  il  nous  faut  recon- 
naître d'autre  part  que  les  méthodes  auxquelles  ont  recoars 
les  municipalités  anglaises  sont  généralement  extrêmement 
ingénieuses  et  que  la  trésorerie  de  Glasgow  en  pi^rticulier 
administre  les  finances  de  la  cité  de  façon  tout  à  fait  habile  ; 


JiES   BltPRUNTS   MpNIGIPAIlX  4^1 

n  émettaat  jamais  d*eQ[ip:runts  lorsque  le  mai^ché  est  contre 
elle,:  iqal^  empruntant  de  Targent  à  court  terme  et  se  tirant 
dTaffatre  atec  des  «  bills  »,  tout  à  fait  comme  le  ferait  une 
maison  de  commerce. 

La  dette  dNine  municipalité  comprend  en  général  une 
assez,  grande  variété  do  titres  ;  sous  ce  rap^port  la  dette  de 
Glasgow  nous  fournit  un  exemple  intéressante  étudier,  car 
elle  se  compose  de3  titres  les  plus  divers  (1). 

C'est  ainsi  qu'on  y  trouvait  en  1903  :  des  annuités  du 
gaz  rapportant  9  **/«  et  6  3/4  Vo  ;  une  dette  consolidée  4  V® 
contractée  pour  Tadduction  de  leau  ;  du  Stock  3  1/2  7©» 
3  1/4  7o.  3  Vo,  et  2  1/2  V^. 

Qu'elle  comprenait  encore  une  dette  hypothécaire  dési- 
gnée sous  les  noms  de  :  Glasgow  Corporation  Loans  fund 
i\Iortgàges«  Glasgow  City  Improvement  Department  Mort- 
gages,  Corporation  of  Glasgow  Cômmon  Good  Estate  Mort- 
gages  ;  enfm  des  Glasgow  Corporation  bills  et  promissory 
notes. 

Parmi  les  différents  titres'  qui  composent  le  Glasgow 
Stock,  les  uns.  sont  rachetàbles  (redeemable  stock)  ;  les 
autres  ne  le  sont  pas  (irredeemable  stock).  Le  Local  Go- 
vernment Board  n'autorise  plus  les  municipalités  à  créer 
de  valeurs  irrache tables  ;  nous  avons  vu  que  tous  les  em- 
prunts qu'il  sanctionne  doivent  être  remboursés  dans  un 
certain  délai. 

La  corporation  n'a. pas  offert  au  public  tous  les  titres  de 
sa  dette  au  même  prix.  £  500.000  de  3  \/2  Vo,  par  exemple, 
remboursables  en  1914,  ont  été  en  mars  1884  émises  au 
pair.  En  septembre  1886,  £  71 :300  de  3  1/2  Vo  furent  offer- 

.:  (1)  Voir  Municipal  Trading  Report,  1903,  p.  400. 


4921  TROISIÈME    PARTIE.    —   CHAPITRE    II 

tes  aux  souscripteurs  par  adjudication  publique  aa  prix  mi- 
aimnm  de  101  «/o  ®t  livrées  au  prix  moyea  de  £  101,  1  s. 
3  l'^2d.  Ces  titres  sont  remboursables  au  pair  le  15  mai 
1914. 

Le  3  1/4  *»/o  remboursable  en  1907  avait  été  émis  partie 
au  pair  en  septembre  1887,  partie  par  adjudication  publique 
en  murs  1888,  au  prix  moyen  de  £  101  13  s.  H  3/4  d.  — 
£  500.000  de  3  Vo  furent  émises  en  mars  1891  et  posté- 
rieurement, au  pair.  En  mars  1894,  £  200.000  de  ce  même 
3  ^/o  furent  offertes  par  adjudication  publique  et  souscrites 
au  prix  moyen  de  £  103.  La  corporation  en  émit  ensuite 
£100.000  au  prix  moyen  de  £  104  2  s.  5  d.  En  1899  et 
1900,  on  put  procéder  à  de  nouvelles  émissions  au  pair;  au- 
jourd'hui ces  titres  sont  tombés  à  £  95. 

Birmingham  possède  aussi  une  dette  composée  dediver*» 
ses  valeurs  ;  elle  a  des  rentes  3  1/2  <>/o,  3  '/e  et  2  1/2  7»- 

Ltverpool  a  du  3  1/2  Vo,  du  2  3/4  et  du  2  1/2  •/<,. 

Depuis  quelques  années  le  taux  de  l'intérêt  a  sensible* 
ment  remonté,  et  il  ne  serait  plus  possibleaux  villes  anglai- 
ses d^emprunter  aujourd'hui  à  2  1/2  Vo-  Le  rapport  du  Lo- 
cal Government  Board  pour  1904-1905  (p.  CXLV)  nous 
apprend  que  le  stock  dont  il  a  autorisé  rémission  durant 
Tannée  rapporte  3  ^o-  Ce  stock  est  rachetable  au  pair  par 
Tautorité  locale  au  bout  d^une  période  de  20  ans  à  dater  de 
rémission  et  doit  être  remboursé  dans  une  période  déter- 
minée, qui  varie  selon  les  cas  entre  40  et  60  ans. 

Ces  emprunts  municipaux  sont  garantis  tantôt  par  les 
impôts  locaux,  tantôt  par  les  revenus  de  certaines  proprié- 
tés des  corporations. 

A  Birmingham,  le  stock  3  1/2  ""/^  est  garanti  par  le  bo- 
rough  Fund,  le  borough  rate  et  Tlmprovement  rate,  par  les 
entreprises  d'eau  et  de  gaz^  de  la  cité,  et  par  les  revenus  des 


LE8   BMPAUNTS  .  MUNICIPAUX  '^93 

autres  propriétésdelacorporatioa.Les  stocksSVo^tS  1/2  Yo 
ont  la  même  garantie. 

A  Glasgow,,  la  garantie  donnée  aax  divers  titres  dont  se 
compose  le  stock  réside  dans  le  pouvoir  que  possède  la  cor- 
poration de  lever  des  impôts  dans  la  limite  de  la  cité.  La 
corporation  est  tenuede  créer  un  loans  fund  pour  assurer  le 
paiement  des  intérêts  et  des  dividendes,  le  remboursement 
des  sommes  empruntées  et  le  rachat  du  stock. 

*Le  stock  de  Liverpool  a  pour  garantie  le  City  rate  et  les 
propriétés  réelles  et  personnelles  de  la  corporation  ;  les  ra- 
chats se  font  à  Taide  d'un  sinking  fund. 

A  Manchester  le  stock  consolidé  non  rachetable  (sauf  con- 
sentement des  porteurs)a  pour  garantie  lecity  rate  et  toutes 
les  propriétés  réelles  ou  autros  delà  corporation,  y  compris 
les  usines  d'ean,  de  gaz,  d*électricité,  les  tramways  et  les 
marchés.  Le  stock  rachetable  (qui  comprend  £  5.000.000 
émis  pour  la  construction  du  Ship  Canal)  est  garanti  parle 
city  fund  et  le  city  rate. 


Conclusion 

Nous  avons  vu,  dans  ce  chapitre  et  dans  le  chapitre  pré- 
cédent, quelle  avait  été,  d'une  part,  Taugmentation  des 
impôts,  et  quel  avait  été,  d'autre,  part,  Taccroissement  en- 
core plus  considérable  de  la  dette  ;  ot  nous  avons  pu  cons- 
tater, fait  important,  que  depuis  une  vingtaine  d'années  la 
part  des  dépenses  municipales  couvertes  au  moyen  d*em- 
prunts  a  été  croissant  beaucoup  plus  vite  que  celle  que  cou- 
vrent les  impôts. 


494  TROISi&MB  PARTIE.    --—CHAPITRE   II 

Là  question  de  savoir  s*il  vaut  mieux  avoir  recours  &  Teni- 
prunt  ou  à  l'impôt  pour  faire  face  à-  des  dépenses  extraor- 
dinaires ou  dont  on  attend  un  bénéfice  durable  n'est  pas 
neuve,  elle  a  été  bien  des  fois  posée  et  fort  longuement 
traitée.  Nous  penchons  à  croire  que  les  municipalités  an- 
glaises ont  abusé  de  Temprunt  et  qu'il  eût  été  plus  sage  de 
leur  part  de  demander  à  Timpôt  des  sommes  plus  considé- 
rables qu'elles  ne  Tout  fait  pour  Texécution  des  innombra- 
bles travaux  qu'elles  ont  récemment  entrepris. 

Les  socialistes  ne  partagent  naturellement  pas  cette 
manière  de  voir  ;  aujourd'hui  l'emprunt  est  encore  pour  eux 
le  procédé  le  meilleur  que  Ton  puisse  employer.  Ne  serait- 
on  pas  en  droit  pourtant  de  trouver  ce  langage  fallacieux 
sur  leurs  lèvres,  lorsqu'on  entend  certains  d'entre  eux  dé- 
clarer que  le  jour  où  ils  arriveront  au  pouvoir,  ils  commen- 
ceront par  répud»er  les  emprunts  faits  par  la  classe  capita- 
liste sous  les  régimes  antérieurs  ? 

Que  Touprèche  d'ailleurs  l'emploi  de  Timpôt  on  le  recours 
à  l'emprunt,  c'est  toujours  du  même  point  de  vue  que  Ton 
se  place,  du  point  de  vue  de  l'économie  et  de  la  meilleure 
utilisation  des  forces  de  la  communauté.  Dans  son  livre 
intitulé  :  Common  sensp  of  Municipal  Trading  (p.  100), 
M.  Bernard  Shaw  nous  dit  que  la  saine  théorie  financière 
veut  que  Ton  considère  comme  dépense  de  capital  toute  dé- 
pense faite  pour  travaux  publics. 

a  II  faut,  dit-il,  aller  chercher  le  capital  sur  le  marché 
où  il  coûte  le  moins  cher,  les  impôts  ne  servant  qu'à  payer 
les  intérêts  et  à  constituer  le  sihking  fiind.  Lorsqu'une 
municipalité,  qui  peut  emprunter  à  moins  de  4 .0/0,  extor- 
que délibérément,  pour  l'exécution  de  travaux  publics,  dn 
rapital  H  (ies  commerçants  qui  doivédt  se  le  :procurer  à  un 
taux  variant  de  10  à  40  %,  et  même  davantage,  .il  est  êvr- 


LES  EMPRUNTS   MUNICIPAUX      .  ^9^ 

dent  qu'elle  agit  Yis*à-Tis  de  ses  malheureux  contribuables 
avec  la  pire  prodigalité  possible^  Kn  pratique,  tout  dépend 
de  la  durée  de  Touvrage  ;  il  serait  absurde  de  payer  Tins-» 
tallation  d*une  usine  électrique  sur  le  revenu  d'un  semestre  ; 
il  serait  stnpide  de  contracter  un  emprunt  pour  enlever  un 
tas  de  neige  ;  mais  entre  ces  deux  extrêmes  il  y  a  terrain  à 
controverse  ;  et  Ton  a  généralement  une  tendance  beau- 
cou'p  trop  forte  à  croire  que  c'est  être  économe  que  de 
payer  immédiatement.  Cette  méthode  entraine  en  pratique 
rétablissement  d1mp6ts  si  élevés  que  les  contribuables  dans 
la  gène  (struggling  ratepayers)  se  voient  contraints  d*em- 
prunter  pour  les  payer  :  il  est  évident  qu'ils  font  alors  un 
emprunt  sur  leur  propre  crédit  de  particuliers  à  un  taux 
d'intérêt  comparativement  exorbitant,    au  lieu  de  le  faire 
au  taux  de  leur  crédit  public,  par  l'entremise  de  la  muni- 
cipalité, lie  tels  procédés  ne  sont  dus  qu'à  l'habitude  qu'on 
a  prise  d'appeler  dette  le  capital  d'une  municipalité.   Le 
Municipal  Trading  est  le  meilleur  remède  qui  puisse  nous 
guérir  de  cette  habitude  ;  il  aura  l'avantage  d*accoutumer 
les  conseillers  et  les  auditeurs  à  comprendre  l'intérêt  des 
contribuables  de  façon  plus   intelligente  et  plus  raisonnée 
qulls  ne  Tout  fait  jusqu'à  présent,  m 

Nous  sommes  quelque  peu  étonnés  d'entendre  M.  Ber- 
nard Shaw  nous  dire  qu'un  grand  nombre  de  contribuables 
se  voient  contraints  d'emprunter  pour  payer  leurs  impôts. 
Sans  doute  les  contributions  sont  élevées  dans  les  grandes 
villes  anglaises  et  notamment  dans  celles  où  fleurit  le  so- 
cialisme municipal.  Nous  avons  entendu  bien  dés  gens  se 
plaindre  du  taux  exagéré  des  impôts  locaux  ;  mais  nous 
sommes  certains  que  les  personne?  obligées  d'emprunter 
pour  payer  leurs  impôts  sont  et  seront  toujours  Texception'. 
Ce  n'est  pas  en  se  plaça,nt  d'un  pareil  point  de  vue  que  l'on 


'49^  TROisiàms  partis.  -«  grapitrb  ii 

peut  raisonnablement  critiquer  la  valeur  d  une  méthode 
financière.  Quant  à  cette  affirmation  que  le  Municipal Tra- 
•<ling  est  le  meilleur  remède  pour  nous  débarrasser  de  nos 
habitudes  de  gaspillage  et  arriver  à  l'économie,  on  nou^ 
permettra  de  dire  qu'elle  nous  est  plus  que  suspecte. 

Tout  le  monde  heureusement  ne  partage  pas  l'opinion  d« 
M.  Shawetpourla  plupart  des  personnes  s'occupant  de 
questions  financières,  il  no  fait  pas  de  doute  que  ce  système 
adopté  aujourd'hui  par  nombre  d'autorités  locales  de  rem- 
boursements et  d'emprunts  perpétuels  est  du  pur  gaspillage 
et  de  la  simple  extravagance.  Chacune  de  ces  opérations 
entraine  en  effet  des  frais  de  négociation,  des  frais  parle- 
mentaires et  des  dépenses  de  procédure  qui,  s  ajoutant  au 
coût  premier  de  l'emprunt,  finissent  par  rendre  très  lourd 
le  service  des  intérêts.  Un  tableau  dressé  par  Taudîteur 
professionnel  de  Worcester  et  annexé  au  rapport  de  190-i 
(p.  404)  montrait  fort  bien  le  résultat  auquel  avaient  abouti 
32  années  de  petits  emprunts  sans  cesse  répétés,  etce  qu'au- 
rait été  ce  résultat  si  la  corporation  avait  demandé  aux  im- 
pôts les  sommes  dont  elle  avait  besoin  pour  rexécutîon  de 
ses  travaux.  Il  faisait  voir  qu'entre  1866  et  1897  cette  po- 
litique avait  entraîné  pour  les  contribuables  une  perte  de 
^  8o.  328,  se  décomposant  en  intérêt  et  frais  de  toutes  sortes. 

Ne  serait  il  pus  plus  sage  à  tous  égards  de  payer  sur  les 
revenus  ordinaires  de  la  corporation  toutes  lesdépenses  d^eo- 
t retien  et  de  renouvellement,  au  lieu  de  les  payer  au  moyen 
d'emprunts?  Lorsque  les  grandes  Compagnies  de  chemins 
de  fer  veulent  bâtir  de  nouvelles  locomotives,  elles  ont  soin 
d'en  renouveler  chaque  année  un  certain  nombre  et  rem- 
placent graduellement  leur  matériel  vieilli.  Celles  d'entre 
elles  du  moins  qui  sont  gérées  d'après  de  bons  principe^: 
financiers  n'ont  pas  recours  à  l'emprunt  pour  les  renouvel- 
lements. 


LES    EMPRUNTS   MUNICIPAUX  ^97 

Les  municipalités  devraient  faire  comme  les  Compa;^nies 
de  chemins  de  fer  ;  supposons  qu'une  corporation  veuille 
procéder  au  repavage  de  ses  rues  qui  sont  en  mauvais  état. 
Elle  a  le  choix  entre  deux  méthodes  :  1*^  elle  peut,  pour 
payer  les  frais  de  l'opération,  contracter  un  emprunt  de 
£  20.000  par  exemple,  remboursable  en  dix  ans,  durée  pro- 
bable du  pavage  :  2^  au  lieu  de  faire  un  emprunt,  elle  peut, 
tous  les  ans,  consacrera  la  réfection  d'une  partie  Je  son  pa- 
vage  une  somme  de  £  2.000.  qu'elle  demandera  aux  impôts. 
Elle  évitera  ainsi  de  payer  chaque  année  Tintérêt  de  l'em- 
prunt sur  la  partie  qui  n*est  pas  encore  remboursée.  C'est 
une  méthode  qu'on  ne  peut  appliquer  sans  doute  qu'à  des 
travaux  d'importance  secondaire  ;  elle  n'en  est  pas  moins 
utile  et  les  municipalités  pourraient  y  avoir  recours  plus 
souveni  qu'elles  ne  le  font 

Enfin,  notre  dernière  objection  à  Temprunt  sera  qu'il 
permet  de  rejeter  avec  trop  de  facilité  la  charge  du  présent 
sur  l'avenir,  un  avenirauquel  les  municipalités  anglaises  se 
préparent  à  léguer  un  héritage  déjà  très  lourd,  alors  que 
tout  porte  à  croire  qu'il  aura  à  faire  face  à  des  charges  en- 
core plus  nombreuses  que  les  charges  actuelles. 

Telle  est  l'opinion  que  soutient  M.  Kershaw,  assistant 
secretary  of  the  Local  Government  Board,  devant  le  comité 
d'enquête  de  1902  (p.  2)  :  «  Rien  ne  nous  indique,  disait- 
il,  que  nous  approchions  d'une  période  où  tous  les  besoins 
humains  qu'une  autorité  locale  peut  satisfaire  ou  pourra  être 
appelée  a  satisfaire  à  l'avenir  auront  été  comblés. 

Si  nous  jetons  les  yeux  sur  les  lois  des  dernières  années, 
sur  les  Muséums  andGymnasiums  Acts,  theTelegraph  Act 
de  1899  (autorisant  les  autorités  locales  à  établir  un  réseau 
téléphoni(pie),the  MilitaryLands  Act,  the  Small  Uwellings 
Acquisition  Act,  the  Light  Railways  Act,  the  Inebriates  Act, 

Boverat  32 


49^  TROISIÈME   PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

the  Isolation  Hospitals  Act et  le  Local  Governmeat  Acide 
1894,  nous  voyons  que  toutes  ces  lois  ont  coasidérablement 
élargi  le  champ  (Inactivité  des  autorités  locales  et  dans  une 
certaine  mesure  aussi  le  nombre  même  de  ces  autorités  loca- 
les  ;  ce  double  accroissement  rend  plus  probable  que  jamais 
l'augmentation  des  emprunts  et  celle  des  impôts. 

Allons  un  peu  plus  loin  ;  regardons  les  matières  qui  re- 
tiennent actuellement  l'attention  du  Parlement  et  du  public: 
4S*est  d'abord  la  question  de  la  tuberculose,  entraînant  h 
construction  de  sanatoria  par  les  autorités  locales,  et  dans 
certains  cas  le  paiement  de  dommages-intérêts  ;  c'est  en- 
suite la  question  de  l'amélioration  des  moyens  de  commu- 
nication rendue  nécessaire  par  la  découverte  de  nouveaux 
systèmes  de  traction,  Télargisse  iif>nt  et  la  reconstruction 
des  rues  et  ponts,  la  question  des  retraites  aux  vieillards 
et  enfin,  dépense  plus  importante  encore,  les  inspections 
chaque  jour  plus  fréquentes  et  plus  minutieuses  dont  on 
charge  les  fonctionnaires  des  autorités  locales  en  toutes 
sortes  de  matières.  Quand  je  songe  à  tout  cela,  disait 
M.  Kershaw,  il  me  semble  plus  que  probable  que  pour  en- 
tretenir les  ouvrages  actuels,  pour  les  agrandir  et  faire  face 
aux  besoins  d'une  population  croissante  et  aux  devoirs  ad- 
ditionnels qui  incomberont  sans  doute  aux  autorités  locales 
à  venir,  nous  verrons  de  nouveaux  emprunts  et  des  impôts 
plus  élevés.  » 

Etant  donné  qu'une  généiation,  dans  le  sens  large  du 
mot,  dure  de  30  à  40  ans,  que  nous  ne  pouvons  guère  pré- 
voir Tavenir  au  delà  de  cette  période  et  qu'il  est  probable 
qu'au  bout  de  30  ou  40  ans  les  attributions  des  autorités 
locales  se  seront  largement  accrues,  il  nous  semble  desira- 
blo  que  les  emprunts  s'élèvent  au  chiffre  le  moins  haut  pos- 


LES  EMPRUNTS    MUNICIPAUX 


499 


sîble  et  qu'ils  soient  en  tous  cas  tous  remboursés  durant  cet 
espace  de  temps. 

La  théorie  de  M.  Kershaw  nous  paraît  tout  à  fait  juste. 
On  peut  avoir  recours  à  l'emprunt  dans  certaines  circons- 
tances ;  mais  c'est  un  expédient  qui  risque  de  devenir  dan- 
gereux entre  des  mains  prodigues.  Souvenons-nous  qu'en 
compromettant  la  situation  financière  actuelle,  nous  com- 
promettons aussi  celle  de  Tavenir  et  que  les  réformes  futu- 
res ne  seront  possibles  qu*ù  condition  de  nous  trouver  au- 
jourd'hui dans  une  situation  financièrement  forte. 


CHAPITRE  m 


LBS    SINK1N6   FUNDS. 


La  dette  municipale  anglaise  se  composant  de  fonds 
amortissables,  il  nous  reste  à  étudier  le  mécanisme  de  cet 
amortissement  ;  il  se  fait  à  Taide  de  Sinking  fuads  ou  fonds 
d'amortissement,  qui  servent  à  rembourser  la  dette  en  un 
temps  donné.  On  s'est  beaucoup  occupé  dans  ces  dernières 
années  du  fonctionnement  de  ces  sinking  funds,  notamment 
dans  les  deux  enquêtes  faites,  en  lUOO  et  en  1903  sur  le 
Municipal  Trading,  et  en  1902  sur  le  remboursement  des 
emprunts  contractés  par  les  autorités  locales. 

On  peut  comparer  la  dette  municipale  à  la  fois  au  capi- 
tal actions  des  sociétés  anonymes  et  à  leur  capital  obliga- 
tions. Comme  le  capital  obligations,  elle  doit  en  efîet  être 
remboursée  dans  un  temps  donné  ;  comme  lui,  elle  a  pour 
garantie  Tactif  de  Tentreprise.  Mais  tandis  qu'il  n*est  pas 
question  de  rembourser  le  capital  actions  aux  actionnaires 
au  cas  où  l'en!  reprise  érhoue,  la  dette  locale  reste  tou- 
jours remboursable,  quel  que  soit  le  succès  de  l'entreprise 
municipale,  et  son  remboursement  est  toujours  possible 
puisqu'elle  a  pour  garantie  Tensemble  des  impôts  du  dis- 
trict ;  garantie  en  fait  illimitée,  la  municipalité  pouvant, 
à  son  choix,  élever  Tassiette  deTimpôt  aussi  bien  que  Tim- 
pôt  lui-même 

Nous  savons  déjà  en  quoi  consiste  un  sinking  fund  ; 
c'est  une  caisse  ou  l'on  verse  chaque  année  une  somme 
fixe  qu'on  laisse  s'accumuler  à  intérêts  composés  jusqu'à 


LES   SINKING    FUND8  5oi 

ce  qu'elle  suffise  à  rembourser  le  total  de  Temprunt.  Les 
sinking  funds  ont  leur  raison  d'être  dans  le  risque  de 
perte  qui  se  mêle  à  toute  entreprise  commerciale  muni- 
cipale, perte  qu'il  faudra  peut  être  combler  par  des  contri- 
butions additionnelles.  Ce  risque  est  parfois  très  considé- 
rable. Si  les  municipalités  empruntaient,  comme  le  font 
les  compagnies  ou  les  commerçants  en  ne  donnant  comme 
garantie  que  les  prolits  et  Tactif  de  Tentreprise  pour  la- 
quelle elles  empruntent,  les  contribuables  ne  se  trouveraient 
sans  doute  pas  exposés  au  danger  de  voir  s'élever  leurs 
impositions.  Mais  on  ne  peut  raisonnablement  songer  à 
émettre  ainsi  des  emprunts  publics  ;  car,  à  moins  de  don- 
ner aux  souscripteurs  des  pouvoirs  quelque  peu  sembla- 
bles à  ceux  qui  permettent  aux  actionnaires  de  nommer 
leurs  directeurs,  c*est-à-dire  de  laisser  aux  détenteurs  des 
titres  le  soin  de  nommer  le  Town  Council,  arrangement  a 
priori  impossible,  on  ne  trouverait  probablement  pas  de 
personnes  disposées  à  donner  l'argent  dont  on  a  besoin. 
On  est  donc  obligé,  lors  de  la  négociation  de  Temprunt, 
d'en  rejeter  le  risque  sur  les  contribuables;  risque  dont 
la  responsabilité  première  repose  d'ailleurs  sur  ceux  d'en- 
tre eux  qui,  par  leur  vote,  ont  envoyé  siéger  à  rassemblée 
municipale  les  conseillers  mêmes  qui  contractent  lemprunt 
en  question.  Puisque  risque  il  y  a,  il  sera  du  devoir  des 
municipalités  de  le  diminuer  dans  la  mesure  du  possible  et 
de  s'assurer  qu'on  ne  le  rejette  pas  sur  la  postérité.  En  un 
mot,  il  faudra  faire  le  nécessaire  pour  assurer  le  rembour- 
sement graduel  et  régulier  des  emprunts  contractés  sur  la 
garantie  de  la  propriété  réelle  dans  lensemble  du  district. 
Avant  toute  discussion,  rappelons  qu'il  existe  diverses 
espèces  de  fonds  d'amortissement,  qui  diffèrent  d'ailleurs 
plus  par  leur  nom  que  par  leur  nature  même.  Les  lois 


503  TROISIEME   PARTIE.    —  CHAPITRE   IH 

aaglaises  distinguent  en  effet  :  l"*  les  Loans  Funds  ou 
fonds  d'emprunts  ;  2""  les  Rédemption  Funds  ou  fonds  de 
rachat  ;  3''  les  Sinking  Funds  on  fonds  d'amortisse- 
ment (1). 

«  Loans  Fund  »  est  le  titre  donné  par  nombre  d*Acts 
locaux  au  fonds  que  les  municipalités  doivent  établir 
pour  le  rachat  du  Stock  qu'elles  ont  émis  et  le  paiement 
des  intérêts  de  ce  Stock.  Ce  n^est  donc  pas  seulement  uq 
fonds  d'amortissement  destiné  à  rembourser  le  capital  de 
leur  dette  ;  son  rôle  est,  comme  on  le  voit,  double,  et  les 
comptes  du  «  Loans  Fund  »  montrent  séparément  les  som- 
mes  mises  de  côté  *  1^  pour  le  remboursement  du  Stock  : 
2°  pour  le  paiement  des  intérêts.  Le  montant  des  sommes 
de  la  première  catégorie,  représente  la  portion  Sinking  fund 
du  Loans  fund. 

«  Rédemption  fund  »  est  le]  titre  doni\é  par  les  règle* 
ments  du  Local  Government  Board  au  fonds  que  les  au- 
torités  locales  doivent  créer  pour  le  rachat  des  titres 
qu'elles  ont  émis  en  vertu  de  la  partie  V  du  Public 
Health  Acts  Amendment,  1890  ;  c'est  un  sinking  fuod 
applicable  à  une  classe  particulière  de  la  dette. 

»  Sinking  Fund  »  est  le  terme  généralement  applicable 
au  fonds  mis  de  côté  pour  le  remboursement  des  emprunts» 
lorsqu^on  s'en  sert,  par  opposition  à  Loans  fund  ou  à  Rédemp- 
tion fund,  il  s'applique  plus  spécialement  au  fonds  qui 
doit  assurer  le  remboursement  de  la  dette  hypothécaire 
plutôt  que  le  rachat  du  Stock. 

Nous  avons  vu  tout  à  rheure(  3^  partie,  chap.  I)  que  les 
autorités  locales  remboursent  chaque  année  des  sommes 
considérables  au  moyen  des  Sinking  funds,  Loans  funds  et 

(1)  Voir  Rapport,  1902,  p,  386.  . 


LES  8INKINO    FUND8  5o3 

Rédemption  funds  et  que  ces  remboursements  constituent 
même  à  présent  le  plus  gros  chapitre  de  leurs  dépenses.  Les 
sommes  dont  sont  dotés  ces  fonds  ne  s'accumulent  pas  né- 
cessairement jusqu^au  bout  de  la  période  accordée  pour  le 
remboursement.  Les  lois  qui  autorisent  les  municipalités  à 
emprunter  les  contraignent  ou  leur  permettent  parfois  de 
rembourser  ces  emprunts  par  fractions.  Si  c'est  par  exem- 
ple du  Stock  qu'elles  ont  émis,  les  autorités  locales  sont  au 
tprisées  à  le  racheter  sur  le  marché,  sans  toutefois  pouvoir 
obliger  les  détenteurs  des  titres  à  s*en  séparer  avant  l'arrivée 
de  l'époque  où  ils  sont  régulièrement  remboursables. 

La  première  question  qui  se  pose  à  propos  du  fonction- 
nement des  Sinking  Funds,  question  que  nous  avons  signa- 
lée dans  le  cours  du  précédent  chapitre,  est  de  savoir  à  quel 
moment  doivent  commencer  les  versements  réglementaires. 
On  sait  que  les  municipalités  ont  une  forte  lendancoà  de- 
mander au  capital  même  de  l'entreprise  les  sommes  que 
nécessitent  les  versements  ou  le  service  des  intérêts  durant 
les  premières  années.  Dans  les  débuts  d'une  entreprise  d'eau 
ou  de  tramways,  dans  ceux  d'une  usine  électrique  ou  .d*un 
réseau  téléphonique,  il  y  a  nécessairement  une  période  du- 
rant laquelle  le  capital  employé  reste  entièrement  ou  par- 
tiellement improductif.  L'entreprise  se  trouvera  très  sérieu- 
sement handicapée  si^  en  dehors  des  intérêts,  elle  doit  dès 
ce  moment  opérer  sur  ses  revenus  des  versements  impor- 
tants au  Sinking  fund.  Nous  avons  vu  que  le  Comité  d'en- 
quête de  .1902  voulait  que  les  versements  commençassent 
tout  de  suite  ;  les  avis  sont  partagés  cependant,  et  certaines 
personnes  prétendent  qu'une  pareille  méthode  peut  avoir  de 
très  fâcheuses  conséquences  et  empêcher  non  seulemenft  le 
développement  de  Tindustrie  même  que  Ton  vient  de  créer, 
mais  .réagir  sur  toutes  les  autres  et  placer  les  oHinafactu- 


5o4  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   III 

riers  et  commerçants  de  certaines  villes  dans  une  situation 
désavantageuse  vis-à-vis  de  leurs  rivaux  anglais  ou  étran- 
gers. Il  est,  dit  on.  de  Tintérét  de  tous  les  producteurs 
d'avoir  à  bon  marché  Teau,  le  gaz,  l'électricité.  Imposer 
aux  entreprises  qui  fournissent  ces  produits,  lorsqu'elles 
sont  encotedans  leur  enfance,  des  charges  trop  lourdes, c'est 
non  seulement  nuire  à  leur  prospérité,  mais  nuire  dans  une 
mesure  égale  au  commerce  en  général,  et  quel  que  soit  le 
désir  que  Ton  ait  de  diminuer  le  fardeau  de  la  postérité, 
rendre  à  cette  postérité  même  un  service  plus  que  douteux. 

A  Tappui  de  cette  théorie,  M.  Murray  rappelle  l'histoire 
des  Walerworks  de  la  corporation  de  Glasgow.  L'Act  de 
1855  exempta,  dit  il,  pendant  15  ans  le  service  de  l'eau  de 
tout  versement  au  SinkingFund,  etlorqu'en  1885  on  exécuta 
de  nouveaux  travaux,  la  même  exemption  fut  accordée  à 
nouveau  pour  une  période  de  cinq  ans. 

u  L'expérience  a  surabondamment  prouvé  qu*on  eut  par- 
faitement raison  d'agir  de  la  sorte  ;  alors  que  nos  prédéces- 
seurs payaient  pour  l'usage  de  l'eau  le  prix  très  élevé  de  i.  s 
4  d.  par  £  de  loyer,  nous  pouvons  aujourd'hui  user  de  ce 
liquide  telles  quantités  qu'il  nous  plaît  pour  5  d.  par  £.  Si 
dès  son  début  l'entreprise  avait  dû  intégralement  assurer  le 
service  du  Sinking  fund,  on  aurait,  dans  les  années  qui  sui- 
virent l'exécution  des  travaux,  payé  l'eau  plus  cher  encore 
que  1  s.  4  d.,  et  durant  un  temps  très  long,  on  n'aurait  pas 
retiré  le  moindre  avantage  des  ouvrages  que  Ton  venait  de 
construire,  pour  nous  soulager,  nous,  qui  payons  l'eau  le 
tiers  de  ce  prix.  » 

Nous  ne  nierons  pas  que  cette  théorie  ne  renferme  une 
part  de  vérité  ;  remarquons  toutefois  que  M. Murray  a  très 
adroitement  choisi  comme  exemple  les  aqueducs  et  réser- 
voirs que  Glasgow  éleva  pour  l'adduction  de  Teau,  ouvrages 


LES   8INKING    FONDS  5o5 

essentiellement  durables  et  d'entretien  peu  coûteux.  Ajou- 
tons que  Teau  étant  et  devant  toujours  être  un  objet  de 
première  nécessité,  il  n'est  pas  loisible  d'en  élever  trop 
haut  le  prix  ;  on  n'en  peut  pas  dire  autant  des  tramways, 
du  gaz  ou  de  l'électricité,  et  1  exception,  justifiable  dans  un 
cas,  ne  l'est  pas  forcément  dans  les  autres 

La  question  la  plus  importante  qu'aient  soulevée  les 
Sinking  Funds  est  celle  de  Temploi  qu'il  convient  de  faire 
de  l'argent  qu'ils  renferment  ;  question  très  controversée 
et  qui  a  provoqué  de  nombreuses  discussions  entre  les  par- 
tisans des  divers  systèmes. 

Une  première  méthode  consiste  à  consacrer  l'argent  du 
Sinking  fund  soit  au  rachat  immédiat  des  titres  de  l'em- 
prunt même,  c'est-à-dire  à  la  réduction  du  montant  de  cet 
emprunt,  soit  à  l'achat  de  valeurs  légales  (statutory  securi- 
ties)  que  l'on  gardera  et  dont  on  accumulera  les  intérêts  jus- 
qu'au dernier  jour  de  l'emprunt. 

Parmi  ces  valeurs  figurent  les  corporation  Stocks  ;  une 
corporation  peut  donc  employer  l'argent  de  son  Sinkingfund 
à  l'achat  des  litres  d'autres  corporations  ;  par  suite  des  rela- 
tions  étroites  qu'a  créées  entre  les  municipalités  l'organisa- 
tion de  la  Municipal  Corporation  Association, lesfondsdispo- 
nibles  des  Sinkingfundsreçoiventfréquemmentcetemploi. 
Le  procédé  ne  nous  semble  pas  parfait;  il  aboutit  à  rendre 
en  quelque  sorte  solidaires  les  uns  des  autres  les  Sinking 
fundsde  diverses  corporations  et  par  conséquent  aussi  leurs 
diverses  entreprises  reproductives  ;  néanmoins  il  a  l'appro- 
bation de  la  loi. 

Telle  est  la  vraie  forme  du  Sinking  fund  ,  ce  n'est  mal- 
heureusement pas  la  seule  qui  soit  en  usage.  Il  en  est  une 
autre  qui  consiste  à  employer  l'argent  du  Sinking  fund 
dans  les  entreprises  mêmes  de  la  municipalité  débitrice. 


5o6  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE   III 

Daas.ia  plupart  des  lois  acluelles,  les  corporations  deman- 
dent et  oblWMieiit  le  pouvoir  d'agir  de  la  sorte  (i);  on  (or- 
me bien  un  reserve  fund,  mm  au  lieu  de  le  rendre  complè- 
tement distinct  de  l'entreprise  municipale, oa  s'arrange  pour 
qu*il  ne  fasse  qu*un  avec  elle  pu  quelque  autre  eaireprise 
reproductive  de  la  corporation.  La  municipalité  de  Liyer- 
pool  fut,  en  1894,  la  première  à  se  faire  donner  ce  pouvoir  ; 
Leicester  l'imita  en  1897  ;  et  depuis  cette  époque  beaucoup 
de  villes  ont  obtenu  des  pouvoirs  analogues  ;  au  31  mars 
1901   on  en  comptait  21. 

Une  loi  de  1905,  relative  à  Leeds,  nous  dit  que  «  chaque 
fois  que  la  corporation  a  été  autorisée  légalement  à  em- 
prunter de  Targent  dans  un  but  quelconque,  elle  peut,  au 
lieu  d'exercer  son  droit  d'emprunt  par  l'émission  de  nou- 
veaux titres,  exercer  ce  dit  droit  et  se  procurer  le  dit  argent 
soit  en  totalité,  soit  en  p>irtie,  en  employant  dans  c<*  but 
tout  argent  qui  fait  actuellement  partie  de  son  Rédemption 
fund  ».  Ce  qui  revient  à  dire  que  leSinking  fund.. destiné  à 
rembourser  un  emprunt  contracté  quelques  années  aupa- 
ravant, mais  détourné  de  son  but,  disparaîtra  un  jour  ou 
l'autre  dans  un  nouvel  emprunt. 

C'est  une  pure  plaisanterie  que  de  créer  un  Sinking  fund 
dans  de  telles  conditions^;  autant  n'en  pas  oréer  du  tout. 
Le  jour  où  lemprunt  arrivera  à  son. terme,  on  ne  pourra 
pas  le  rembourser*  parce  qu'il  ny  aura  plus  de  fonds  dis- 
ponibles et  que  Targent  qu'on  destinait  à  cet  usage  a  été 
versé  depuis  dans  d  antres  entreprises. 

Les  emprunts  toujours  renouvelés,  finissent  par  n*étre 
jamais  remboursés,  et  le  chiffre  de  la  dette,. au  lieu  de  dé- 
croître, va  toujours  en  augmentant. 

(1)  Rapport  190^,  quest.  4508. 


LB8   8INKING    FUND8  507 

Cette  méthode  n'en  a  pas  moins  l'entière  approbation  des 
municipalistes.  M.  Jeeves.  town  clerk  de  Leeds(l),  partant 
de  ce  principe  que  prévenir  la  création  d^ine  nouvelle  dette 
équivaut  à  en  rembourser  une  ancienne,  soutient  que  le 
fonctionnement  du  Sinking  fund  ordinaire  entraîne  plus  de 
frais  qu'il  ne  procure  \l'avaatages.  Verser  chaque  année 
telle  somme  au  Sinking  fund  pour  le  remboursement  deli^ 
dette,  garder  cet  argent  et  le  placer  à  intérêts  composés^ 
ou  racheter  le  Stock  au  prix  du  marché,  à  l'instant  même 
où  l'on  rachète  cette  dette,  en  contracter  une  autre  sur  le 
même  marché  pour  de  nouvelles  entreprises, n'est-ce  pas  là 
une  conduite  de  tous  points  déraisonnable?  La  vraie soli|tioa 
du  problème  consiste  à  ne  pas  prendre  de  mesures  pour  le 
remboursement  des  emprunts,  à  n*en  pas  émettre  de  nou- 
veaux, mais  à  employer  l'argent  du  Sinking  fund  qu'on  avait 
constitué  à  la  création  de  services  nouveaux  ou  à  l'exten- 
sion des  anciens. 

On  se  servira  du  Sinking  fund  de  Tusine  à  gaz  pour  dé- 
velopper 1  usine  électrique.  Pourquoi  ne  pas  le  faire?  dit 
M.  Jeeves^  puisque  toutes  ces  entreprises  constituent,  avec 
les  impôts,  une  seule  et  même  garantie  de  la  dette  munici» 
pale.  Voici  d'ailleurs  en  pratique  comment  les  choses  se 
passeront.  Supposons  par  exemple  qu'on  ait  autrefois  émis 
un  emprunt  de  £  2.000.000  pour  la  construction  d'une 
usine  à  gaz,  que  les  versements  au  Sinking  fund  de  cet  em- 
prunt s'élèvent  à  £  20.000  par  an  et  que  leur  accumulation 
forme  un  total  de  £  400.000.  Supposons  maintenant  qu'on 
veuille  installer  une  usine  électrique  ;  il  va  falloir  réem-« 
prunter  pour  se  procurer  l'argent  nécessaire  ;  mais  au  liea 
de  le  demander  directement  au  public,  on  le  demandera  à. 

(i;  Voir  Rapport  1903,  p.   74.  ... 


5o8  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    III 

ce  Sinking  fiind  de  £  400.000  qu'on  détourne  ainsi  de  son 
but  primitif,  l'amortissement  de  la  dette  du  gaz. 

Cette  pratique  n'est  pas  sans  inconvénient;  elle  permet 
aux  municipalités  d*engager  trop  facilement  des  dépenses 
nouvelles.  Si  la  ville  de  Leeds  voulait  émettre  un  emprunt 
pour  fonder  une  nouvelle  entreprise,  son  conseil  examine- 
rait la  question  avec  beaucoup  d'attention  ;  il  ferait  procé- 
der à  de  soigneuses  estimations  ;  le  Local GovernmentBoard 
donnerait  son  avis.  Se  borne-t-on,  au  contraire,  à  transfé- 
rer des  unes  aux  autres  les  surplus  des  entreprises  munici- 
pales, on  prend  l'habitude  de  compter  sur  les  ressources 
des  Sinking  funds  pour  faire  face  aux  besoins  nouveaux  et 
échapper  au  contrôle  de  l'autorité  centrale  ;  c'est  de  l'em- 
ploi de  pareils  procédés  que  résulte  finalement  un  relàche- 
ment  général  des  méthodes  financières. 

Au  31  mars  1901  Birmingham  avait  ainsi  emprunté  aux 
Sinking  funds  créés  pour  le  remboursement  de  son  Stock, 
pour  les  faire  servir  à  de  nouvelles  dépenses  de  capital,  des 
sommes  s'élevant  à  un  total  de£8i9. 697.  Leicester£71.694. 
Liverpool  £  63  324.  Newcastle  upon  Tyne  £  39.338.  Wol- 
verhampton  £  83.996  (1). 

Les  grandes  municipalités  peuvent  aussi  se  servir  de  l'ar- 
gent de  leur  Sinking  fund  pour  le  prêter  à  d*autres  villes 
ou  plus  exactement  à  d  autres  autorités,  dépendant  d'elles 
ou  n'en  dépendant  pas.  C'est  ainsi  que  le  London  County 
Council  consent  aux  Borough  Councils  des  prêts  que  ces 
derniers  ont  le  droit  de  lui  rembourser  par  versements  an- 
nuels ou  semestriels.  Cette  méthode  met  le  County  Council 
dans  la  nécessité  de  procéder  au  placement  de  ces  verse- 
ments au  moment  où  ils  se  produisent,  et  lui  fait  en  pratique 

(1)  Voir  Rapport.  1902.  Annexes,  p.  387. 


LES    8INKING    FUNDS  509 

courir  le  risque  de  voir  son  Sinkiagfund  ne  pas  lui  rappor- 
ter pendant  une  longue  suite  d*années  le  taux  d*intérèt  que 
Targent  prêté  lui  coûtait  primitivement  ;  aussi  a-t-il  pris 
r habitude  de  faire  payer  à  ses  emprunteurs  un  loyer  légè- 
rement plus  fort  que  celui  qu*il  payait  lui-même  pour  les 
sommes  qu'il  leur  procurait,  et  c^est  ce  bénéfice  minime  qui 
couvre  les  frais  de  replacement  (reinvestment)  et  dans  une 
faible  mesure  les  risques  de  perte. 

«  Nous  prêtons  aux  Borough  Councils  à  3  1/2  7o9  disait 
en  1903  M.  Uaward,  comptroUerdu  London  Gounty  Coun- 
cil,  et  notre  dernier  emprunt  nous  coûte  £  3.  6  s.  8  d.  (p  ar 
£  100)  ;  nous  prêtons  au  School  Board  et  au  Metropolitan 
Asylums  Board  au  taux  le  plus  bas  que  nous  puissions 
pratiquement  leur  consentir,  à  £  3  8  s.  9  d.  ;  ils  nous  em- 
pruntent de  grosses  sommes  et  lious  faisons  généralement 
de  petites  distinctions  entre  ces  deux  corps  centraux  et  lea 
autorités  des  districts  moins  importants  de  Londres  aux- 
quels nous  faisons  payer  l'argent  un  peu  plus  cher,  en  chif- 
fres ronds  3  1/2  **/o .» 

En  1902,  M.  Paton  disait  de  même  d  Edimbourg  (1)  : 
"  Nous  ne  nous  contentons  pas  de  nous  prêter  virtuellement 
de  l'argent  à  nous-mêmes  ou  den  prêter  à  nos  «  spending 
committees  »,  mais  nous  en  prêtons  aux  commissaires  du 
gaz  (gas  commissioners,  distincts  du  Town  Council  d'Edim- 
bourg, parce  qu'ils  représentent  les  burghs  d'Edimbourg  et 
de  Leith).  Nous  en  prêtons  au  School  Board  et  à  un  petit 
trust  connu  sous  le  nom  de  «  the  water  of  Leith  purification 
and  sevveragc  commission  »  et  nous  avons  le  droit  de  con- 
sentir des  prêts  aux  parish  councils.  Mais  il  nous  est  d'autre 
part  défendu  d'en  consentir  à  des  entreprises  particulières  ; 

(1;  Voir  Rapport  1902,  p.  140. 


'>5lO  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    III 

nous  ne  prêtons  qu*aux  autres  autorité!»  locales  et  &  nous 
mêmes  ». 

On  voit  avec  quelle  ingéniosité  les  villes  anglaises  savent 
utiliser  l'argent  qu*elles  ontentre  les  mains  ;  on  peut  se  de- 
mander si  elles  n'agissent  pas  parfois  cependant  avec  un 
peu  trop  d'assurance  et  si  surtout  elles  ne  comptent  pas  trop 
sur  la  garantie  que  leur  fournissent  les  impôts  pour  combler 
les  pertes  possibles. 

Tout  le  long  des  enquêtes  faites  par  le  Parlement  sur  le 
Municipal  Trading,  nous  entendons,  en  effet, répéter  la  même 
antienne  par  les  niunicipali^tes  :  le  système  des  emprunts 
aux  Sinking  funds  et  les  placements  d*argent  en  valeurs 
municipales  ne  font  courir  aucun  danger  aux  porteurs  des 
titres,  parce  que,  si  l'entreprise  ne  va  pas,  les  impôts  sont 
là,  tout  près,  pour  combler  ses  déficits. 

On  voit  à  quels  raisonnements  conduit  un  système  où  la 
garantie  fournie  par  les  impôts  vient  combler  les  pertes  dues 
à  Tinexpérience  des  comités  directeurs  ou  la  manvaise  ges- 
tion des  entreprises  industrielles.  Un  coinmerçant  qui  gère 
mal  son  affaire  marche  droit  à  la  ruine  ou  à  la  faillite  ;  une 
municipalité  qui  fait  de  même  n'a  qu'à  augmenter  ses  im- 
pôts et  tout  continue  à  marcher  comme  par  le  passé.  Mais 
le  mal,  pour  être  moins  visible  et  ne  se  produire  que  plus 
tard,  n'en  existe  pas  moins  ;  au  lieu  d'atteindre  gravement 
quelquespersonnes  seulement,  commec'estle  cas  lorsqu'une 
entreprise  particulière  fait  faillite,  il  se  trouve  réparti  sur  la 
communauté  entière  ;  il  atteint  tout  le  monde  au  lieu  de  ne 
frapper  que  ceux  qui  Tout  causé.  C'est  dans  ce  manque  de 
sanction  directe  et  immédiate,  dans  Tabsencede  responsa- 
bilité financière  des  directeurs  de  l'entreprise  que  consiste, 
selon  nous,  le  plus  sérieux  défaut  de  l'entreprise  municipale. 

Le  principal  argument  sur  lequel  s'appuient  les  munici- 


LES    SINKING    FUNDS  5ll 

palistes  pour  placer  leurs  réserves  dans  les  entreprises  mê- 
mesde  la  corporationesl  qu'ils  évitent,^ràce  àcette  méthode, 
le  risquede  voir  baisser  les  valeurs  (valeurs  d'Etat  ou  autres) 
à  Tachât  desquelles  ils  seraient  autrement  obligés  de  consa- 
crer  leurs  réserves.  L'argument  n'est  pas  parfait  ;  en  toute 
chose  il  faut  tenir  compte  des  moyennes. 

Sous  linfluence  de  causes  diverses,  il  se  peut  que  depuis 
quelques  annéesdesvaleursde  toutpremier  ordre  aient  cons- 
tamment baissé  ;  il  est  certain  que  tôt  ou  tard  elles  remon- 
teront. Commele  dit  M.  Kay  (i)  :  »  Si  largument  municipal 
était  bon,  les  banques  ne  devraient  alors  placer  leurs  fonds 
de  réserve  que  dans  leurs  propres  affaires  ou  n'avoir  pas  de 
réserve  du  tout  ;  les  Compa<j^nies  d'assurance  ne  devraient 
placer  d'argent  qu'en  prêtant  sur  leurs  propres  polices,  et 
personne  ne  devrait  faire  de  placement  sous  prétexte  que  les 
cours  pourraient  baisser  ;  par  conséquent  aucune  entreprise 
ne  devrait  avoir  de  reserve  fund  placé  en  valeurs  autres  que 
les  siennes  propres.  Au  bout  du  compte  on  revient  toujours 
à  la  clé  de  voûte  du  système  municipaliste  :  le  recours  ait 
droit  de  lever  les  impôts.  » 

Il  faut  d'ailleurs  se  garder  de  confondre,  comme  beau- 
coup de  municipalistes  semblent  le  faire,  «  diminution  de 
la  dette  »>  et  m  augmentation  du  capital  »  :  les  deux  opéra- 
tions ne  reviennent  pas  au  même  ;  il  ne  faut  pas  dire,  lors- 
que le  Loans  Department  reçoit  de  certains  départements 
de  la«*orporation  des  sommes  plus  ou  moins  considérables 
et  qu  il  les  prêté  à  nouveau  à  d'autres  départements,  qu'il 
emploie  cet  argent  au  remboursement  de  la  dette  de  la  cor- 
poration. C'est  se  méprendre  étrangement,  à  notre  avis*,  que 
de  considérer  comme  une  réduction  de  dette  ce  qui  n'est 

(!)  A.  Kay,  Municipal  Trading,  p.  23. 


5l2  TUOISIÈM6    PARTIE.    —   CHAPITRE    III 

en  réalité  qu'une  augmentation  de  capital.  Sous  le  fallacieux 
prétexte  de  réduire  la  dette,  il  convient  donc  de  ne  pas  pous- 
ser trop  loin  cette  augmentation  du  capital  communal. 
Autant  il  est  imprudent  de  rejeter  sur  la  génération  qui 
nous  succédera  le  coût  des  améliorations  que  nous  opérons 
aujourd'hui,  autant  il  est  inutile  de  charger  la  génération 
présente  pour  faire  à  nos  descendants  cadeau  d*un  énorme 
capital  entièrement  libéré.  Or,  la  méthode  qui  consiste  à 
remployer  sans  cesse  l'argent  des  SinkingFund  daas  de 
nouvelles  entreprises  muniripales  revient  précisément  à 
cela  ;  elle  permet  d^augmenter  automatiquement  le  capital 
communal. 

En  supposant»  comme  le  faisait  M.  Kay,  que  les  parcs  et 
torrains  de  Glasgow  appartenant  à  la  municipalité  conser- 
vent leur  valeur  actuelle  ;  que  les  terrains  sur  lesquels  s'élè- 
vent les  bâtiments  municipaux  augmentent  suffisamment 
de  valeur  pour  couvrir  la  légère  détérioration  de  ces  bâti- 
ments durant  les  50  prochaines  années  ;  que  toute  la  ma- 
chinerie  et  le  matériel  de  la  corporation  soient  régulière- 
ment remplacés  et  renouvelés,  et  maintenus  sur  le  revenu 
même  au  niveau  des  nécessités  modernes;  suppositions 
parfaitement  raisonnables  et  en  harmonie  avec  les  métho- 
des actuelles;  en  supposant  enlin  qu'à  Tavenir  comme  dans 
le  présent  et  dans  le  passé,  on  autorise  régulièrement  la 
municipalité  à  placer  l'argent  de  ses  Sinking  funds  dans  un 
cercle  toujours  plus  vaste  d'entreprises  commerciales  qui 
auront  leurs  propres  Sinking  funds,  à  quels  résultats  arrive- 
t-on  ? 

iM.  Kuy  pensait  qu'en  estimant  les  versementsau  Sinking 
fund  au  chiffre  moyen  de  £  210  000  par  an,  et  le  capital  ac- 
tuellement accumulé  à  £  3.755  500,  le  capital  communal  de 
Glasgow  atteindrait  dans  cinquante  ans  d'ici  £  40.  149.000. 


LES   8INKIN6   FUNDS  5l3 

£   3.755.500  à  3   Vo  à  intérêts 
composés  donnent  en  50  ans £  16.463  000 

£  210.000  par    an,    accumulés 
à  intérêts  composés   à  3    7»,    donnent      £  23.686.000 

£40.149.000 

Or,  durant  les  centaines  d'années  de  son  existence,  Glas- 
gow n'avait  en  1891  accumulé  qu'un  capital  communal  de 
£  1.134.433.  De  1891  à  1902,  elle  a  plus  que  triplé  ce  total. 
Si  les  opérations  de  la  corporation  continuent  à  s'étendre, 
le  capital  communal  s'accroîtra  sous  le  présent  système 
encore  plus  rapidement  qu'autrefois,  aspirant  et  ensevelis- 
sant Targent  des  contribuables  dans  toutes  sortes  d'entre- 
prises municipales  où  il  n'est  plus  possible  de  le  réaliser. 

La  critique  de  M.  Kay,  que  nous  reproduisons  ici,  ne  vise 
pas  tant  à  montrer  que  les  finances  de  Glasgow  sont  mau- 
vaises qu'à  montrer  que  la  façon  dont  on  les  gère  en  fait  un 
véritable  fardeau  pour  la  génération  actuelle.  Chaque  dé- 
partement a  bien  son  Sinking  fund  qu'il  administre  correc- 
tement ;  mais  comme  l'argent  qu'il  y  verse  ne  va  pas  au 
delà  du  Loans  Department,  parce  que  ce  dernier  le  replace 
dans  d'autres  entreprises,  le  Sinking  fund  finit  par  n'être 
plus  qu'une  fiction  et  ne  plus  répondre  en  rien  à  son  rôle 
primitif,  bien  qu'on  se  conforme  en  fait  à  la  lettre  de  la  loi. 

Il  n'y  a  pas  que  Glasgow  qui  préfère  employer  l'argent 
de  son  Sinking  fund,  soit  à  la  création  de  nouvelles  entre- 
prises, soit  à  des  prêts  à  des  autorités  locales  plutôt  qu'à 
l'achat  de  valeurs  d'Etat  ;  et  si  nous  recherchons  dans  les 
comptes  de  la  municipalité  de  Liverpool  (City  of  Liverpool 
Accounts,  p.  212)  l'emploi  qu'on  a  faitdes  sommes  versées 
au  Sinking  fund,  nous  voyons  que  parmi  des  placements 

dont  le  total  s'élève  à  £  1.046.627. 13  s.  8  d.,  les  consolidés 

Boverat  33 


5l4  TROISlàMfi   PARTIE.    —   CHAPITRE   Ifl 

23/4  Vo  notamment,  et  le  stock  hindou  3  7o  et  3  1/  2  <>  „  ne 
figurent  pas  pour  un  centime. 

Les  prêts  aux  autorités  locales  sont  au  contraire  fréquents 
et  importants  ;  c*est  ainsi  que  la  ville  de  Liverpool  a  prêté 
£  28.530  au  School  Board  de  Burton  on  Trent  ;  £  12.000  à  la 
corporation  de  Barrow  in  Furness  ;  £  90.000  à  celle  de 
Sunderland  ;  £  100.000  à  celle  de  Tynemoutb  ;  £  35.473  à 
rUrban  District  Council  de  Great  Grosby  ;  £  61 .  672  à  ce- 
lui de  Malvern  ;  £  37.872  au  School  Board  de  West-Ham  : 
£  52.379  à  celui  de  Wolverhampton. 

Mais  la  corporation  de  Liverpool  prête  aussi  l'argent  de 
ses  Sinking  funds  à  d'autres  autorités  de  la  ville  même  : 
c'est  ainsi  que  £  480.837  figurent  au  compte  de  la  Liver- 
pool éducation  authority  et  £  5.000  à  celui  du  Liveqiool 
Buriai  Board. 

Cette  manière  d'agir  a  sur  le  placement  en  valeurs  d'Etat 
l'avantage  qu'elle  supprime  le  danger  de  voir  ces  valeurs 
baisser  entre  le  jour  où  on  les  achète  et  celui  où  on  voudra 
les  réaliser.  Mais  elle  no  supprime  un  danger  que  pour  le 
remplacer  par  un  autre,  pire  encore;  car  une  fois  l'argent  de 
ces  Sinking  funds  ainsi  placé,  la  réalisation  en  devient  sinon 
impossible,  du  moins  extrêmement  difficile.  De  plus  en 
plus,  on  s'habitue  à  ne  plus  compter  que  sur  la  garantie  des 
impôts  qui  supporteront  le  fardeau  de  toutes  les  maladresses 
et  de  toutes  les  imprudences  financières  commises  ;  de  plus 
en  plus  enfin  le  champ  d'action  de  Tentreprise  municipale 
va  s'étendant  grâce  aux  sommes  toujours  plus  considérables 
dont  ce  système  lui  permet  de  disposer. 

Tel  est  actuellement  le  fonctionnement  du  Sinking  fund 
des  municipalités  anglaises.  A  beaucoup  d'égards,  il  nous 
rappelle  l'histoire  du  Sinking  fund  de  la  dette  nationale. 
Tout  le  monde  connaît  le  système  si  séduisant  en  appa- 


LES    8INKIN6   FUND8 


5l5 


rence  du  D'  Richard  Price  ;  en  1786,  William  Pilt  résolut 
de  le  mettre  en  pratique  ;  Tépreuve  lui  fut  funeste  et  Tex- 
périence  se  termina  finalement  par  une  perte  d'argent  très 
sensible. 

Indifférentes  aux  leçons  du  passé,  les  municipalités 
anglaises  n*en  ont  pas  moins  adopté  ce  système,  qui  n'a 
jamais  en  pratique  donné  de  résultats  satisfaisants,  au  lieu 
de  racheter  les  titres  de  leur  dette  au  fur  et  à  mesure 
qu'elles  ont  de  Targent  disponible,  ce  qui  serait,  à  notre 
avis,  la  seule  politique  véritablement  sage  et  prudente. 


Voici,  d'après  un  tableau  publié  dans  le  rapport  de  1905 
(annexes,  p.  398)  le  taux  des  versements  à  faire  au  Sinking 
fund  et  les  périodes  de  remboursement  de  la  Dette  pour 
quelques-unes  des  entreprises  de  la  ville  de  Glasgow. 


BltTRXPRlSIS  RéMUNtoATRiCES. 

Taux  du  Siakiny  fond  fixé 
par  la   loi. 

Nooibr*  d'jiBPéM 

au  boit   duqMl 

la  Sinkiof  fuod  doit 

avoir  rambouraé  la  dei  u 

GAZ 

Dette    antérieure    à    juin 
1901. 

Dette     contractée    d'après 
la   section  22    de  TAct    de 
1901 

Le   Sinking   fund    est 
accumulé    au    taux    de 
1  0/0  et  l*on  continue  à 
payer    Tintérèt    sur    la 
dette  remboursée. 

2Vo 

Sinking  fund  accumulé 
au  taux    de  1   0/0   avec 
intérêts  sur  la  dette  rem- 
boursée. 

2  1/2   o/o 

45  ans. 
40  ans. 

51  ans. 
40  ans. 

ÉLECTRICITÉ 
Dette    antérieure    à  juin 
1901 

Dette     contractée    d'après 
VXci  de  1901   ...... 

EAU 

1  1/2  •/. 

66  2/3  ans. 

MARCHÉS  et  ABATTOIRS 
TÉLÉPHONES 

Telle  somme  annuelle 
qui   accumulée  à   4   */o 
remboursera  la  dette  en 
50  ans. 

3  1/3 

50  ans. 
30  «ans. 

TRAMWAYS 

2  1/2  •/«  accumulés. 

31  ans. 

CHAPITRE  IV 

l'amortissement  du  capital  et  du  matAribl  dans  les 

entreprises  municipales. 

{Dépréciation). 


Nous  avons,  dans  le  précédent  chapitre,  étudié  la  ques- 
tion du  Sinking  Fund,  expression  que  l'on  traduit  d'ordi- 
naire en  français  par  fonds  d'amortissement,  mais  qu^on 
rendrait  plus  exactement  par  celle  de  fonds  de  rembourse- 
ment. Le  Sinking  fund  sert  en  effet  à  rembourser  la  dette 
que  Ton  a  contractée  ;  le  «  dépréciation  fund  m,  auquel  nous 
arrivons  maintenant,  sert  à  maintenir  en  bon  état  le  maté- 
riel de  l'entreprise  et  à  amasser  une  somme  sufGsante  pour 
le  remplacer  lorsqu'il  sera  usé  et  détérioré  par  un  usage 
prolongé. 

Il  n'y  a  donc  pas  de  comparaison  possible  entre  ces  deux 
fonds  :  la  «  dépréciation  »  représente  l'usure  du  matériel  et 
des  machines,  et  cette  usure  se  produit  de  façon  constante, 
qu'on  y  pare  ou  qu'on  n'y  pare  pas.  C'est  une  dépense  qui 
fait  en  réalité  partie  des  frais  d'exploitation  et  que  l'on  doit 
prélever  sur  les  recettes.  C'est  un  capital  qui  s'use  chaque 
jour,  chaque  semaine  ou  chaque  année  suivant  les  cas.  Le 
Sinking  fund,  au  contraire,  est  une  réserve  que  l'on  consti- 
tue pour  racheter  une  dette  ;  il  est  essentiellement  différent 
d'un  dépréciation  fund,  sinon  dans  son  fonctionnement,  du 
moins  par  le  but  qu'il  poursuit. 


l'amortissement  du  capital  5i7 

m 

La  a  depreciatioQ  »*  peut  provenir  de  causes  diverses  ;  elle 
peut  être  provoquée  par  Tusage,  et  il  n'y  a  pas  de  machine 
qui  ne  s'use  plus  ou  moins  rapidement  ;  elle  peut  survenir 
à  la  suite  d'améliorations  qu'ont  adoptées  des  industriels 
concurrents  ;  elle  peut  être  enfin  due  au  remplacement  de 
machines  anciennes  par  des  machines  d'un  nouveau  mo- 
dèle. 

Rembourser  la  dette  est  très  bien  ;  mais  la  valeur  de 
Tobjet  qu'on  rembourse  risque  de  changer  du  tout  au  tout 
et  de  disparaître  même  complètement  avant  la  fin  de  la  pé- 
riode de  remboursement,  si  Ton  ne  prend  pas  soin  de 
maintenir  cet  objet  en  bon  état  par  des  réparations  cons- 
tantes. En  Ecosse,  on  reconnaît  bien  la  différence  qui 
sépare  la  dépréciation  de  Tamortissement  ;  dans  les  bourgs 
anglais,  au  contraire»  les  deux  mots  sont  souvent  employés 
Tun  pour  l'autre  ;  et  cette  confusion  n'est  pas  sans  entraî- 
ner de  fâcheuses  conséquences. 

On  entend  quelquefois  dire  qu'il  faut  prélever  sur  les 
profits  les  sommes  nécessaires  à  l'amortissement.  C'est 
une  erreur  ;  dans  toute  entreprise  commerciale,  l'amortisse- 
ment est  une  dépense  à  imputer  non  pas  sur  les  profits,  mais 
sur  les  recettes  ;  il  n'y  a  pas  de  profit  réel  tant  que  les  ver- 
sements à  faire  au  dépréciation  fund  n'ont  pas  été  effectués. 
L'usure  du  matériel  fait  tout  autant  partie  des  dépenses  an- 
nuelles que  les  salaires  ou  le  combustible  ;  c'est  du  capital 
consommé  pour  produire  un  certain  résultat  et  qu'il  faut 
remplacer  avant  de  pouvoir  accuser  le  moindre  profit.  Dans 
une  Compagnie  anonyme  quelconque  on  appelle  profit  ce 
qui  reste  après  qu'on  a  pourvu  à  l'amortissement  et  aux 
autres  dépenses.  Théoriquement  il  devrait  en  être  de  même 
dans  les  entreprises  municipales  ;  il  n  en  est  pas  de  même 
en  pratique.  Beaucoup  de  municipalités  soutiennent  en  effet 


5l8  TROI8IEMK   PAHTIE.    CHAPITRE   IV 

qu'elles  n'ont  nul  besoin  d^amortir  leur  capital  du  moment 
qu'elles  ont  pourvu  à  la  création  d'un  Sinking  fund.  Les 
unes  parlent  ainsi  par  la  bouche  de  leurs  conseillers  socia- 
listes :  d'autres  le  disent  parce  que  les  mauvais  résultats  de 
leurs  entreprises  ne  permettent  pas  de  consacrer  un  cen- 
time à  la  dépréciation.  M.  Bemis  a  soutenu  cette  thèse  dans 
son  livre  «  Municipal  Monopolfes  ».  Une  Compagnie,  dit- 
il,  doit  pourvoir  à  l'amortissement,  une  municipalité  n'a 
pas  besoin  de  le  faire,  et  voici  pourquoi  :  le  conseil  munici- 
pal peut  taxer  toute  la  propriété  imposable  des  citoyens 
d'une  ville,  lorsqu*arrive  le  moment  de  remplacer  les  an- 
ciennes machines  par  des  nouvelles.  Dans  une  Compagnie 
privée,  seul  le  capital  dont  on  dispose  permet  de  procéder 
à  cet  achat.  Dans  le  premier  cas,  l'augmentation  de  Timpôt 
local  nécessitée  par  le  remplacement  de  la  machinerie  serait 
tellement  insignifiante  qu'elle  ne  vaudrait  pas  la  peine  qu'on 
en  parle  ;  dans  Tautre,  la  somme  à  prélever  serait  si  con- 
sidérable  qu'elle  ferait  disparaître  les  dividendes  et  rédui- 
rait dans  une  si  forte  proportion  la  valeur  des  titres  for- 
mant le  capital  qu'elle  ne  leur  laisserait  plus  qu\in  pur 
intérêt  de  spéculation. 

M.  Bateson,  trésorier  de  Blackpool,  répondait  en  1903(1), 
aux  membres  du  Comité  d'enquête,  qu*à  son  avis  les  som- 
mes versées  au  Sinking  fund  suffisaient  largement  à  assu- 
rer Tamortissement  nécessaire  ;  étant  donné  que  le  Local 
ijovernment  Board,  le  Board  of  Trade  et  le  Parlement  ba- 
sent les  périodes  de  remboursement  qu'ils  accordent  sur 
l'existence  présumée  de  Touvrage  pour  la  construction  du- 
quel ils  permettent  d'emprunter.  C'est  ainsi  que  Blackpool 
n'amortit  ni  ses  tramways,  ni  ses  usines  électriques;  leur 

(l)  Municipal  Trading  Report,  1903,  p.  148. 


l'amortissement  du  capital  5i9 

amortissement  se  fait  soi-disant  au   moyen   du  Sinking 
fund. 

M.  Darwin,  dans  son  livre  sur  le  Municipal  Trade,  soutient 
la  même  opinion  ;  il  reconnaît  la  nécessité  de  Tamortisse- 
ment  pour  les  entreprises  privées  ;  il  trouve  Tamortissement 
peu  utile  pour  les  entreprises  municipales,  n  Pour  les  en- 
treprises publiques,  dit-il,  dont  on  rembourse  la  dette  en 
un  certain  nombre  d'années,  le  cas  est  différent.  Prenons 
par  exemple  une  entreprise  municipale  dans  les  comptes 
de  laquelle  il  n*est  pas  fait  de  part  annuelle  à  la  déprécia- 
tion, mais  dont  la  dette  sera  cependant  complètement 
amortie  au  bout  de  30  ans.  A  la  fin  de  cette  période,  il  n'y 
aura  plus  ni  passif  ni  actif.  Il  n'y  aura,  il  est  vrai,  pas  de 
fonds  pour  recommencer  l'entreprise,  mais  les  citoyens  de 
cette  époque  ne  seront  pas  en  droit  de  se  plaindre  ;  car  ils 
n^auront  rien  souscrit  et  n'auront  rien  perdu  ».  M.  Darwin 
reconnaît  cependant,  quelques  lignes  plus  bas,  que  le  mon- 
tant des  sommes  consacré  à  la  dépréciation  parait  bien 
faible. 

Il  n'est  donc  pas  de  ceux  qui  soutiennent  que  la  dépré- 
ciation est  inutile  lorsqu'il  existe  un  Sinkingfund  ;  mais  il 
prétend  que  Texistence  d'un  Sinking  fund  permet  de  faire 
dans  les  entreprises  municipales  la  part  plus  petite  à  la 
dépréciation.  Quant  à  dire  que  les  citoyens  de  l'avenir  n'au- 
ront aucun  sujet  de  plainte,  puisque,  n*ayant  rien  sous- 
crit ils  n'auront  rien  perdu,  on  nous  permettra  de  remar- 
quer que  les  contribuables  futurs  vont  se  trouver  dans  l'al- 
ternative d'emprunter  à  nouveau  ou  de  laisser  sombrer 
Tentreprise.  Le  second  de  ces  deux  moyens  est  à  rejeter 
sans  discussion  ;  quant  au  premier,  le  passif  de  la  généra- 
tion qui  nous  succédera  sera  bien  assez  lourd  à  lui  seul, 
sans  qu'on  Toblige  à  contracter  de  nouvelles  dettes  pour 


520  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE   IV 


f 


continuer  Texploitation  d'entreprises  fondées  par  nous.  Le 
Parlement  interdit  avec  raison  aux  municipalités  de  con- 
tracter des  dettes  permanentes  et  exige  qu'elles  les  rem- 
boursent au  moyen  des  Stnking  funds  ;  mais  il  n*a  pas 
songé  qu'il  faudrait,  aussitôt  le  premier  emprunt  rem- 
boursé, en  contracter  un  autre  dans  un  but  identique. 

La  nécessité  de  la  dépréciation  une  fois  admise,  à  quel 
taux  faut-il  la  calculer  ?  Il  est  assez  difficile  de  faire  à  cette 
question  une  réponse  catégorique,  et  seuls  des  experts  en  la 
matière  peuvent  donner  un  avis  raisonné.  L'étude  de  la 
dépréciation  est  une  étude  à  la  fois  très  délicate  et  très 
compliquée,  où  Ton  ne  peut  se  prononcer  avec  quelques 
chances  de  certitude  qu'après  de  longues  et  nombreuses 
recherches. 

Pour  calculer  correctement  le  taux  de  Tamortissement^ 
il  faudrait  tenir  compte  non  seulement  de  Tusure,  des 
accidents,  de  la  possibilité  d'inventions  nouvelles  qui  ren- 
dront les  anciennes  usines  inutiles  ou  insuffisantes,  des 
erreurs  de  jugement,  mais  aussi  du  déclin  possible  de  la 
population  par  suite  du  déclin  du  commerce,  de  Témigra- 
tion  de  certaines  industries  vers  d*autres  centres,  etc., 
toutes  choses  qui  se  passeront  dans  un  avenir  plus  ou  moins 
éloigné  et  que  nous  sommes  incapables  d'apprécier  en 
pleine  connaissance  de  cause. 

Règle  générale,  on  part  de  ce  principe  quMl  faut  chercher 
à  déterminer  le  taux  de  détérioration  du  matériel  et  à 
maintenir  le  capital  à  sa  valeur  primitive.  La  comptabilité 
idéale  consisterait  à  calculer  la  vie  moyenne  utile  de  chaque 
article  du  matériel  et,  en  divisant  son  coût  premier  par  le 
nombre  d'années  qu'il  durera  probablement,  à  trouver  la 
somme  qu'il  faut  dépenser  annuellement  pour  amortir  le 
capital  au  moyen  d'un  «  dépréciation  fund  »,  qu'on  alimente- 


l'amortissement   du    capital  521 

rait  au  moyen  des  recettes,  comme  un  article  régulier  des 
dépenses  d*exploitatioa.  Dans  la  plupart  des  cas,  tout  ce 
que  Ton  peut  faire  et*  tout  ce  qu'il  est  nécessaire  défaire, 
c'estde  rechercher  la  durée  d'existence  des  différentes  parties 
du  capital  et  d'en  établir  la  moyenne  (ce  qu'on  appelle  en 
anglais  «  to  equate  the  varions  lives  »). 

Les  experts  du  Local  Government  Board  et  les  fonction- 
naires chargés  d'éclairer  de  leurs  conseils  les  comités  par- 
lementaires ont  principalement,  sinon  exclusivement  en  vue 
le  remboursement  de  l'emprunt  durant  la  vie  de  l'objet  ; 
en  tous  cas  en  deux  générations.  Ils  ne  s'occupent  pas  de  la 
question  d'entretien,  de  dépréciation  ou  de  renouvellement 
et  autorisent  implicitement  les  municipalités  à  faire  cette 
déduction  :  que,  lorsque  le  matériel  qu'avait  permis  d'ache- 
ter l'emprunt  sera  usé  ou  démodé,  on  pourra  contracter  un 
nouvel  emprunt  pour  le  remplacer.  Cotte  manière  d'agir 
laisse  à  l'entière  discrétion  des  autorités  locales  la  question 
de  savoir  si  elles  feront  plus  qu^elles  ne  sont  obligées  de 
faire  par  les  Acts  qu'elles  ont  obtenus  du  Parlement,  et  si 
elles  créeront  un  fonds  de  renouvellement  ou  de  déprécia- 
tion en  même  temps  qu'elles  rembourseront  la  dette  dans 
la  période  prescrite.  C'est  ce  que  font  quelques  villes  écos- 
saises ;  c'est  ce  que  beaucoup  de  villes  anglaises  négligent 
absolument  de  faire  pour  les  raisons  que  nous  avons  expo- 
sées. 

Chacune  de  ces  deux  méthodes  a  suscité  des  critiques  ; 
on  a  dit  qu'agir  suivant  la  première,  c'était  prendre  trop  de 
soin  de  la  postérité  et  faire  dans  son  intérêt  supporter  aux 
contribuables  actuels  un  fardeau  à  la  fois  lourd  et  injuste  ; 
on  a  dit  que  se  conformera  la  seconde,  c'était  ne  pas  se 
préoccuper  assez  de  l'avenir  et  se  montrer  souverainement 
imprévoyant. 


5a 2  TROISliME   PARTIE.    —    GHAPITIIE   IT 

Le  second  de  ces  deux  reproches  est  parfaitement  exact  ; 
non  seulement  les  municipalités  anglaises  se  proposent  sans 
aucun  doute  de  réemprunter  indéfiniment  pour  des  entre- 
prises toujours  semblables,  mais  dès  maintenant  elles  pré- 
tendent obtenir  des  périodes  de  remboursement  de  plus  en 
plus  longues. Le  Local  Government  Board  ne  les  suit  heureu- 
sement pas  dans  la  voie  où  elles  cherchent  à  Tamener  ;  s'il 
cédait,  nous  verrions  les  contribuables  anglais  payer,  quel- 
ques dizaines  d'années  après  la  destruction  des  usines  à  gaz, 
les  intérêts  des  emprunts  négociés  pour  leur  construction 
et  rembourser  des  dettes  contractées  pour  rétablissement 
de  tramways  électriques  hors  d*usage  et  rendus  inutiles  par 
des  découvertes  nouvelles. 

Le  sujet  de  la  dépréciation  n*a  nulle  part  été  traité  en 
détail  pour  les  entreprises  municipales,  bien  quMl  en  ait  été 
souvent  question  dans  les  enquêtes  parlementaires,  notam- 
ment dans  celles  de  1902  et  de  1903.  Cependant  les  rapports 
de  Sir  H.  Fowler  sur  les  entreprises  reproductives  des 
municipalités  anglaises  donnent  le  total  des  sommes  qu'elles 
consacrent  à  la  dépréciation,  et  c^est  sur  ces  rapports  que 
s'est  basé  M.  Schooling  dans  l'étude  qu'a  publiée  le  Windsor 
Magazine  de  Janvier  1905. 

Après  un  exposé  des  résultats  en  général  assez  misérables 
des  entreprises  municipales,  M.  Schooling  remarque  que, 
d'après  le  rapport  du  comité  d'enquête  de  1903  (p.  232-233), 
on  n'a  mis  de  côté  pour  amortir  un  capital  total  de 
£  121.1 70. 000  entièrement  consacré  à  des  reproductive 
undertakings,  que  £  193.274  seulement. 

Les  constatations  auxquelles  il  se  livre  ensuite  nous  ré- 
vèlent des  faits  simplement  fantastiques.  Prend-on  par 
exemple  les  immenses  ouvrages  récemment  élevés  par  les 
villes  anglaises  pour  Tadduction  de  l'eau^  ouvrages  qui  ont 


L*AMORTI88BMENT   DU   CAPITAL  5a3 

entraîné  une  dépense  en  capital  de  £  56.943.016,  nous 
voyons  que  la  somme  annuelle  que  Ton  économise  en  vue  de 
leur  dépréciation  et  des  renouvellements  toujours  coûteux 
qui  s'imposent  forcément  de  temps  à  autre  n'atteint  que  le 
chiffre  ridiculement  faible  de  11  1/2  d.  par  £  100  de  ca- 
pital. 

D'après  les  rapports  de  Sir  H.  Fowler,  le  profit  annuel 
moyen  des  entreprises  d'eau  serait  de  3  s.  2  d.  par£  100  de 
capital  ;  encore  n'arrive-t-on  à  ce  résultat  qu'en  prenant 
pour  base  de  calcul  le  taux  d'amortissement  que  nous  ve- 
nons de  rappeler.  Dès  l'instant  où  Ton  voudrait  faire  une 
part  raisonnable,  si  minime  fût-elle,  à  la  dépréciation,  ce 
profit  de  3  s.  2  d.  disparaîtrait  immédiatement  pour  faire 
place  à  une  perte  sérieuse. 

Il  n'y  a  qu'à  prendre  successivement  toutes  les  autres 
entreprises  reproductives  pour  arriver  au  même  résultat  et 
voir  que,  par  suite  de  l'insuffisance  grotesque  des  sommes 
consacrées  annuellement  à  l'amortissement,  le  total  des 
soi  disant  profits  se  transforme  dans  la  réalité  en  pertes 
considérables.  Demandez  donc  à  un  ingénieur  électricien 
ce  qu'il  pense  d'un  amortissement  annuel  de  3  s.  2  1/2  d. 
par  £  100  de  capital,  sur  un  outillage  électrique  qui  a  coûté 
£  12.510.000! 

Il  n*est  pas  le  moins  du  monde  question  d'amortir  les 
cimetières,  les  bains  et  lavoirs,  ou  les  habitations  ouvrières. 
Passe  encore  pour  les  cimetières  dont  l'amortissement 
n'exige  sans  doute  pas  des  sommes  importantes  ;  mais 
pour  les  deux  autres  entreprises,  l'imprévoyance  dont  on 
fait  preuve  est  absolument  sans  excuses.  Le  taux  d'amor- 
tissement des  marchés  est  de  2  d.  par  £  100.  La  somme  de 
10  s.  4  d.  consacrée  à  celui  des  tramways  parait  un  progrès 
considérable  sur  les  exemples  précédents.  Qu'on  se  rap- 


524 


TROISIEME    PARTIE.    CHAPITRE    IV 


pelle  seulement  avec  quelle  ruiueuse  rapidité  s*use  leur 
matériel,  et  loa  verra  que  cette  somme  encore  est  tout 
simplement  enfantine. 

Voici,  d'après  le  rapport  de  1903  (p.  232-233)  les  sommes 
annuelles  qu'ont  en  moyenne  consacrées  à  Tamortissement 
de  leurs  entreprises  les  municipalités  anglaises,  durant  une 
période  de  quatre  ans  (mars  1898-mars  1902). 


Entreprises 
reproductives 


Eau 

Gaz 

Electricité 

Tramways 

Marchés 

Ports,  jetées 

Cimetières 

Bains  et  lavoirs 

Habitations  ouvrières.. 

Autres  entreprises   re- 

productives 

Total £ 


Capital  placé 
dans  chaque  en- 
treprise 


56.940.000 
24.030.000 
12.510  000 
9.750  000 
6.180  000 
5.420.000 
2.380.000 
1.990.000 
1.230.00U 

720.000 


121.170.000 


Somme  annuelle 

consacrée  h 
Tamortissement 


27  266 
79.972 
19.970 
50.307 
500 

4.499 

nil 

nll 

nil 

10.760 


193.274 


Proportion 

•/.  par  £  100 

de  capital 


Os  llf/2d 
6       8 
3      2  1/3 
10      4 

0  2 

1  8 
nil 
nil 
nU 

30      2 


3s.   2  l/2d. 


Le  total  annuel  des  sommes  consacrées  à  Tamortisse- 
ment,  qui,  dans  les  entreprises  ordinaires  forme  un  chapitre 
important  des  dépenses,  est  si  Taible  ici  que  le  montant  de 
cet  amortissement  par  £  100  de  capital  s'exprime  en  deniers 
et  demi-deniers  au  lieu  de  £  sterling. 

Est-il  possible  d'imaginer  rien  de  plus  burlesque  que  cette 
somme  de  3  s.  2  1/2  d.  par  £  100  consacrée  à  l'amortisse- 
ment  d'un  capital  de  £  121.170.000? 

Etant  donné  que  la  majeure  partie  de  ce  capital  se  trouve 


L  AMORTISSEMENT   DU    CAPITAL  525 

placée  dans  des  entreprises  où  l'usure  des  machines  et  du 
matériel  est  rapide,  M.  Schooling  estime  qu'un  versement 
annuel  au  dépréciation  fund  de  5  7o  du  capital  dépensé  cons- 
tituerait un  versement  encore  fort  modéré.  Aussi  propose- 
t-il  de  rectifier  comme  suit  les  chiffres  du  rapport  de  Sir 
H.  Fowler. 

Capital  employé £  121.170.000 

5  °/o  de  ce  capital  pour  l'amortisse- 
ment  annuel 6.058.500 

Amortissement  annuel  opéré  par  les 
municipalités 193.274 

Somme  supplémentaire  quil  faudrait 
chaque  année  consacrer  à  l'amortisse- 
ment   5.865.226 

Moins  le  profit  net  qu'accusent  les  Mu- 
nicipalités,  profit  qui  disparait  à  pré- 
sent  378.281 

Ce  qui  porte  la  perte  nette  annuelle 
des    1.029    entreprises    reproductives  à.  .    £  5.486.945 

On  voit  qu'en  faisant  à  l'amortissement  une  part  annuelle 
tout  à  fait  modérée,  l'exploitation  de  ces  1.029  entreprises 
reproductives  aboutit  à  une  perte  annuelle  de  £5.486.945 
et  non  pas,  comme  on  le  prétendait^  à  un  profit  de  £  378.281 . 
La  perte  nette  à  laquelle  aboutit  l'exploitation  des  diverses 
entreprises  que  dirigent  les  municipalités  d'Angleterre  et 
du  Pays  de  Galles  (Londres  excepté)  s'élève  donc  à  £  4. 10  s. 
7  d.  pour  cent  par  an,  approximativement  ce  que  devrait 
être  leur  profit,  à  supposer  qu'elles  fussent  convenablement 
dirigées. 

Les  chiffres  que  nous  venons  de  donner  ne  représen- 
tent qu'une  moyenne,  et  comme  toute  moyenne,  ils  ne 
nous  donnent  qu'une  idée  imparfaite  de  l'état  de  choses 


5a  6  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    IV 

existant.  Certaines  entreprises,  les  tramways  de  Glasgow 
par  exemple,  se  trouvent  dans  une  situation  financière 
telle  qu'ils  semblent  pouvoir  braver  toutes  les  éventualités  : 
de  pareils  cas  sont  l'exception  pourtant,  et,  à  Glasgow 
même,  la  situation  des  usines  électriques  et  du  réseau 
des  téléphones  devrait  donner  des  inquiétudes  à  toutes  les 
personnes  quelque  peu  soucieuses  de  leur  avenir.  Aussi 
M.  Murray,  ancien  trésorier  de  Glasgow,  déclarait-il,  en 
1903  (1),  que  par  tout  le  Royaume-Uni,  les  corporations 
propriétaires  d'entreprises  industrielles  ou  commerciales 
devraient  être  obligées  de  se  conformer  à  la  même  règle  : 
que  le  gouvernement  devrait,  par  une  loi,  rendre  Tamor- 
tissement  obligatoire  ;  qu'il  ne  fallait  pas  que  Bolton  pût 
suivre  une  méthode  et  Glasgow  une  autre,  et  il  deman- 
dait enfîn  qu'il  fût  absolument  interdit  de  toucher  aux 
profits  avant  d'avoir  fait  la  part  de  l'amortissement. 

L'honorable  S.  Chisholm,  Lord  Provost  de  Glasgow, 
disait  également,  devant  le  comité  de  1902,  que  toutes  les 
municipalités  devraient  tenir  un  «  dépréciation  account  », 
et  que  celles  qui  n'en  avaient  pas,  devaient  être  contrain- 
tes d'en  créer  un.  Il  reconnaissait  et  soulignait  la  distinc- 
tion qui  existe  entre  le  Sinking  fund  et  le  dépréciation 
fund,  le  dépréciation  fund  servant  à  faire  face  d*abord  aux 
réparations  nécessaires  et  à  l'entretien  de  Touvrage,  à  le 
renouveler  ensuite  complètement  le  jour  où  il  se  trouve 
hors  d'usage. 

Aussi  le  comité  d'enquête  de  1902  faisait- il  dans  son 
rapport  les  constatations  et  les  recommandations  suivantes 
(p.  XIII,  n'»  40), 
<  Quelques-uns   des  témoins   qui  ont   déposé  pour  le 

(1)  Voir  Rapport  1903,  p.  t38.  Quest.  2421. 


L  AMORTISSEMENT  DU   CAPITAL  Gsy 

compte  des  grandes  corporations  ont  bien  assuré  au  co- 
mité que  ces  villes  avaient  créé  des  fonds  de  réparation 
ou  d*amortissement  pour  la  plupart  de  leurs  entreprises, 
mais  le  rapport  de  Sir  H.  Fowler  de  1899  montre  que  sur 
une  moyenne  de  cinq  années  la  contribution  moyenne  an- 
nuelle des  municipalités  à  ces  fonds  ne  se  monte  qu'à  1/10 
de  1  pour  cent  du  total  des  dettes  reproductives. 

«  Les  versements  à  faire  à  ces  fonds  sont,  en  Angleterre 
et  en  Irlande,  très  rarement  obligatoires  et  les  sommes 
qu*on  y  consacre  prêtent  en  général  à  la  critique. 

«  Le  Comité  recommande  qu'on  donne  aux  autorités  qui 
sanctionnent  les  emprunts  le  pouvoir  de  poser  comme  con- 
dition de  leur  sanction  qu'il  sera  pourvu  au  coût  probable 
annuel  et  moyen  des  réparations  à  faire  à  l'ouvrage  du- 
rant la  durée  de  l'emprunt.  Le  montant  des  sommes  néces- 
saires devrait  être  fixé  par  cette  autorité  et  dépendrait  de  la 
nature  du  travail  pour  lequel  Temprunt  est  contracté  et  de 
la  méthode  suivant  laquelle  il  sera  procédé  à  son  rembour- 
sement. Des  inspecteurs  nommés  par  le  gouvernement 
s'assureraient  qu^on  se  conforme  à  cette  règle.  )) 

L'inspection  des  finances  municipales  par  des  fonction- 
naires du  gouvernement  central  est  le  remède  prôné  depuis 
longtemps  contre  les  abus  financiers  des  corporations,  elle 
a  fait  l'objet  des  études  du  comité  d'enquête  de  1903  ;  elle 
fera  celui  de  notre  prochain  chapitre. 


CHAPITRE  V 


L*l  NSPKCl'ION   DBS   GOMPIES  MUNICIPAUX. 


Pour  savoir  s'il  faut  ou  non  encourager  les  entreprises 
municipales,  il  convient  d*étre  tout  d'abord  fixé  sur  leur 
véritable  situation.  Nous  n*avons  actuellement  des  résul- 
tats financiers  moyens  des  régies  municipales  anglaises 
qu'une  connaissance  très  imparfaite,  et  notre  ignorance  a 
pour  cause  principale  la  façon  à  la  fois  compliquée  et  con- 
fuse dont  la  plupart  des  corps  locaux  tiennent  leur  compta- 
bilité. 

L'impression  générale  des  personnes  qui  ont  étudié  les 

comptes  municipaux  est  que  ces  comptes  sont  trompeurs, 
parce  qu'on  ne  les  tient  pas  comme  on  tient  ceux  d'une 
usine  ou  d'une  maison  de  commerce.  On  s'aperçoit  bien  vite, 
lorsqu'on  les  étudie,  a  qu'ils  sont  non  pas  commerciaux, 
mais  administratifs,  et  qu'ils  omettent  ou  atténuent  des  ar- 
ticles qui  jouent  un  rôle  important  dans  le  bilan  des  socié- 
tés de  droit  commun  »  (1). 

Nous  venons  de  voir  combien  insuffisante  est  la  dotation 
des  fonds  d'amortissement  et  quelles  corrections  il  faut  faire 
subir  aux  résultats  officiels  des  régies,  lorsque  l'on  en  tient 
compte.  Ce  n'est  pas  tout  ;  on  porte  au  compte  municipal 
général,  au  lieu  de  les  faire  supporter  par  l'entreprise  même 
qui  les  occasionne,  une  grande  partie  des  frais  qu'entraîne 

(1)  Cheysson,  Bulletin  de  la  Société  iT Economie  potitiquey  février 
1904. 


L^INSPEGTION    DES   COMPTES    MUNICIPAUX  029 

le  travail  de*  bureau,  travail  qui  correspond  à  celui  qu'exé- 
cutent dans  une  Compagnie,  le  secrétaire,  les  sollici tors,  les 
comptables,  etc.  On  fait  de  même  pour  le  loyer  des  offices 
et  locaux  où  travaillent  les  employés  de  Tentreprise,  loyer 
dont  on  ne  tient  pas  compte,  dont  on  n'a  pas  Tair  de  soup- 
çonner Texistence  et  qui  finit  par  rentrer  dans  les  dépenses 
pré  né  raies. 

Il  devient,  en  présence  de  telles  méthodes,  presque  im- 
possible de  comparer  les  résultats  des  entreprises  privées 
à  ceux  des  entreprises  municipales.  Les  premières  suppor- 
tent des  frais  considérables,  dont  les  secondes  ne  s'inquiè- 
tent même  pas,  bien  qu'ils  n'en  existent  pourtant  pas  moins 
pour  cela.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  la  comparaison  des 
entreprises  privées  et  des  régies  qui  se  trouve  rendue  diffi- 
cile par  suite  de  la  diversité  des  systèmes  de  comptabilité 
auxquels  on  a  recours;  c'est  aussi  la  comparaison  des  régies 
entre  elles  et  de  leurs  résultats  financiers  ;  car  il  n  en  est 
peut-être  pas  deux,  dans  deux  villes  différentes,  qui  s'ins- 
pirent exactement  des  mêmes  principes. 

Le  Joint  Select  Committee  on  Municipal  Trading  de  1903, 
pressé  par  le  temps,  na  pu  étudier  dans  son  ensemble  la 
question  du  socialisme  municipal  ;  mais  il  a  consacré  toute, 
son  attention  à  quelques-uns  des  aspects  de  la  question,  et 
notamment  à  la  manière  dont  sont  tenus  les  comptes  muni- 
cipaux. Il  a  voulu  voir  sous  quelle  forme  ils  étaient  prépa- 
rés, à  quel  contrôle  on  les  soumettait,  quel  droit  avaient  les 
contribuables  deseles  faire  montrer.  C'est  sur  ces  trois  ques- 
tions que  les  dépositions  des  témoins  ont  plus  particulière- 
ment porté. 

u  Quelle  que  soit  l'opinion  qu'on  se  fasse,  lisons-nous 
dans  le  rapport,  des  limites  exactes  qu'il  faut  assigner  au 
Municipal  Trading,  il  est  évidemment  fort  important  que 

Boverat  34 


53 O  TROISIÈME  PARTIE.    — -    CHAPITRE   V 

partout  ou  il  existe,  les  contribuables  ne  soient  pas  moins 
pleinement  et  régulièrement  informés  du  succès  ou  de 
réchec  de  chaque  entreprise  que  ne  le  sont  les  actionnaires 
d'une  société  commerciale  ordinaire. 

«  Par  suite  du  nombre  toujours  croissant  et  de  rimportance 
toujours  grandissante  des  entreprises  municipales,  il  est 
tout  à  fait  désirable  qu'on  applique  par  tout  le  pays  un  seul 
et  même  système  de  comptabilité. 

u  Le  comité  a  consacré  toute  son  attention  à  la  questico 
de  l'inspection  (audit)  des  finances  municipales  ;  il  recom- 
mande qu'on  applique  un  système  uniforme  dMnspectioa 
aux  autorités  locales  les  plus  importantes,  notamment  aux 
conseils  de  comtés,  de  cités,  de  villes,  de  bourgs  ou  de  dis- 
tricts urbains.  » 

L'inspection  des  comptes  des  corporations  municipales 
est  actuellement  réglée  en  Angleterre  et  dans  le  Pays  de 
Galles,  à  quelques  exceptions  près,  par  le  Municipal  Corpo- 
rations Act  de  1882.  Cet  Act  décide  (section  25)  qu*il  y  aura 
dans  tout  borough  trois  auditeurs  :  deux  nommés  parles 
citoyens  et  appelés  pour  cette  raison  auditeurs  électifs  ;  le 
troisième  nommé  directement  par  le  maire  et  appelé  «  ma- 
yof's  auditor  ».  Tandis  queTauditeur  électif  doit  réunir  les 
qualités  requises  pour  être  conseiller,  mais  ne  peut  être  ni 
membre  du  conseil,  ni  town-clerk,  ni  trésorier,  l'auditeur 
du  maire  doit  au  contraire  être  membre  du  conseil.  Les 
auditeurs  sont  nommés  pour  un  an. 

Les  comptes  de  la  municipalité  sont  remis  par  le  tréso- 
rier aux  auditeurs,  accompagnés  des  pièces  et  des  quittan- 
ces nécessaires  à  leur  examen.  L'inspection  terminée,  le 
trésorier  fait  imprimer  et  publier  un  résumé  des  comptes  de 
l'année,  dont  tout  contribuable  du  borough  doit  pouvoir 
prendre  connaissance.  Des  exemplaires  en  sont  délivrés  aux 
personnes  qui  le  désirent,  pour  un  prix  raisonnable. 


l'inspection    DBS   COMPTES    MUNICIPAUX  53 1 

Les  membres  du  comité  ont  estimé  que  ce  système  n'as- 
surait pas  une  inspection  assez  efficace  des  comptes  des 
corporations.  Il  n  est  d'ailleurs  pas  appliqué  partout.  En 
e(Tet,  continue  le  rapport,  «  les  County  councils,  les  London 
Borough  councilsy  les  Urban  District  councils  sont  sans 
exception  soumis  à  Tinspection  du  Local  Government 
Board  ».  Cette  inspection  est  confi<^eà  des  District  auditors, 
qui,  règle  générale,  ne  sont  pas  des  comptables  de  pro- 
fession et  ne  paraissent  guère  qualifiés  pour  remplir  le  tra- 
vail qu*on  attend  d'eux. 

«  Le  comité  reconnaitque  Tapplication  de  ce  système  d'ins-< 
pection  aux  corporations  municipales  provoquerait  de  leur 
part  une  sérieuse  opposition  et  n*est  par  conséquent  pas 
possible  ;  le  seul  fait  que  les  district  auditors  ne  sont  pas 
des  comptables  les  rend  d*ailleurs  impropres  à  Taccomplis- 
sement  de  cette  tâche  longue  et  compliquée,  consistant  à 
examiner  les  comptes  d'entreprises  qui  ne  sont  en  réalité 
que  de  grandes  entreprises  commerciales. 

«  Le  comité  recommande  en  conséquence  : 

«  a)  D*abolir  les  systèmes  d'inspection  actuellement  appli- 
cables aux  corporations,  aux  councils  et  urban  district  coun- 
cils d  Angleterre  et  du  Pays  de  Galles  ; 

«  b)  Que  les  trois  classes  d'autorités  ci-dessus  mention- 
nées nomment  des  auditeurs,  membres  de  Tlnstitut  des 
Chartered  Accountants  ou  de  Tlncorporated  Society  of  ac- 
countants  and  auditors  ; 

(4  c)  Que  dans  tous  les  cas,  la  nomination  soit  soumise  à 
l'approbation  du  Local  Government  Board,  lequel  entendrait 
auparavant  les  objections  des  contribuables.  L'auditeur, 
qui  remplirait  cette  fonction  pour  une  période  de  cinq  ans 
au  maximum,  pourrait  être  renommé  une  seconde  fois  et 
ne  pourrait  être  congédié  par  l'autorité  locale  sans  la  sanc* 
tion  du  Board  ; 


532  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    V 

<i  d)  En  cas  de  désaccord  entre  Tautorî  té  locale  et  son  au- 
diteur, au  sujet  du  traitement  de  ce  dernier,  le  Local  Go- 
vernment Board  aurait  le  pouvoir  de  trancher  le  différend  ; 

((  e)  La  méthode  écossaise  consistant  à  nommer  des  audi- 
teurs pris  dans  un  autre  endroit,  de  préférence  à  des  hom- 
mes  du  pays,  pour  examiner  les  comptes  des  petits  bourgs 
devrait  être  adoptée  en  Angleterre,  dans  des  cas  semblables. 

«  Le  comité  estime  qu'il  serait  bon  d'expliquer,  par  une 
loi  ou  un  règlement,  que  le  devoir  des  personnes  auxquelles 
on  confie  l'inspection  des  comptes  locaux  ne  consiste  pas 
uniquement  à  certifier  l'exactitude  matérielle  des  chiffres. 
Il  recommande  donc  que  : 

«  à)  L'auditeur  puisse  examiner  tous  les  papiers,  livres, 
comptes,  quittances,  sanctions  donnéesaux  emprunts,  etc.  ; 
en  un  mot  tout  ce  dont  il  a  besoin  pour  procéder  à  son  ins- 
pection et  donner  son  certificat  ; 

«  6)  Il  devrait  avoir  le  droit  d  exiger  des  fonctionnaires  de 
l'autorité  locale  toutes  les  informations  et  explications  né- 
cessaires à  Taccomplissementde  son  devoir; 

«  c)  Il  devrait  certifier  : 

1*  Qu'il  a  trouvé  les  comptes  en  ordre  ou  en  dé.sordre, 
suivant  les  cas  ; 

2*  Qu*il  a  été  tenu  des  comptes  distincts  de  toutes  les  en- 
treprises commerciales  et  qu'on  a  bien  porté  les  dépenses 
aux  comptes  de  celles  qui  doivent  réellement  les  payer  ; 

3<^  Qu*à  son  avis  les  comptes  publiés  par  le  trésorier  don- 
nent une  idée  exacte  et  correcte  des  transactions  opérées  et 
des  résultats  de  l'entreprise  pour  la  période  dont  il  est 
question. 

((  4°  Que  l'on  a  opéré  sur  les  revenus  de  la  corporation  des 
prélèvements  suffisants  pour  le  remboursement  des  em- 
prunts^ que  tous  les  articles  de  recettes  et  de  dépenses  et 


L*INSPEGTION   DES   COMPTES    BfUxMGIPAUX  533 

tout  le  passif  connu  ont  bien  été  portés  en  compte  et  que 
Ton  a  dans  tous  les  cas  exactement  apprécié  la  valeur  de 
l'actif.  »> 

Le  comité  pensait  enfin  qu'on  devrait  demander  aux 
auditeurs  de  donner  leur  opinion  sur  la  nécessité  des  re- 
serve funds  et  sur  la  question  de  savoir  si  les  sommes  mises 
de  côté  pour  faire  face  à  Tamortissement  et  à  Tusure  du 
matériel  en  dehors  des  Sinking  funds  légaux,  sont  ou  non 
suffisantes. 

Telles  étaient  les  principales  mesures  que  proposèrent 
dans  leur  rapport  les  membres  du  comité  de  1903.  Hs 
avaient  parfaitement  raison,  semble-til,  de  demander  que 
la  nomination  des  auditeursjusqu'ici  laissée  aux  contribua- 
bles, fût  confiée  à  l'autorité  locale  elle-même,  sous  le  con- 
trôle du  Local  Government  Board.  L'ensemble  des  citoyens 
ne  porte  à  ce  genre  d'élections  qu'un  intérêt  en  général  fort 
médiocre.  A  Birmingham,  par  exemple,  en  1895,  sur 
92.545  électeurs  inscrits,  il  n'y  eut  que  230  votants;  en 
1899  il  n'y  en  eut  que228  sur  100.327. 

Longtemps  les  fonctions  d'auditeur  ne  furent  pas  rétri- 
buées ;  elles  étaient  en  général  remplies  par  des  jeunes  gens 
de  bonne  condition  qui  faisaient  de  la  sorte  leurs  débuts 
dans  la  vie  municipale.  C'est  à  partir  de  1875  seulement, 
après  le  vote  du  Public  Health  Act,  que  T'auditeur  put  ré- 
clamer à  la  corporation  une  somme  de  £  2.2  s.  par  jour 
pour  les  services  qu'il  lui  rendait. 

Le  contrôle  de  l'auditeur  électif  n'est  d'ailleurs  pas  le  seul 
auquel  soient  soumis  les  comptes  municipaux  ;  à  Birmin- 
gham par  exemple,  chacun  des  18  comités  duTown  Council 
nomme  des  auditeurs  distincts,  comptables  diplômés  (char- 
tered  accountants)  pour  jexaminer  leurs  comptes.  Chacun 
de  ces  comptes  a  donc  été  examiné  à  fond  par  un  compta- 
ble diplômé  avant  d'arriver  à  l'auditeur  électif. 


534  TROISIÈME   PARTIS.    CHAPITRE    V 

Le  GoQseil  municipal  de  Manchester  a  adopté  le  même 
système  :  une  Gompac^aie  de  comptables  diplômés  examine 
chaque  année  les  livres  de  la  municipalité.  «  Nous  changeons 
de  «  firm  »  tous  les  3  ans,  disait  M.  Williams,  auditeur élec 
tif  de  la  ville  (1),  pour  que  Touvrage  ne  reste  pas  trop  long- 
temps entre  les  mêmes  mains  et  que  les  vues  des  hommes 
qui  remplissent  ces  fonctions  ne  se  stéréotypent  pas...  Il  y 
a  des  moments  où  les  auditeurs  professionnels  ont  jusqu'à 
10  employés  travaillant  à  la  fois  au  Town  Hall  sur  les  livres 
de  la  corporation.  L*inspection  est  continue.  En  pratique, 
les  auditeurs  professionnels  passent  leur  temps  à  examiner 
les  livres,  et  le  résultat  de  cette  manière  d*agir  est  qae  les 
auditeurs  élus  peuvent  signer  les  comptes  et  certiGer  qu'ils 
sont  corrects  dans  les  quatre  mois  qui  suivent  la  tin  de 
Tannée  municipale.  » 

Les  auditeurs  professionnels  dont  parle  M.  Williams  sont 
choisis  et  nommés  par  les  membres  du  Conseil. 

Tandis  que  les  comptes  des  Town  Gouncils  sont  examinés 
par  des  auditeurs  qui  n'ont  pas  le  droit  de  «  disallowance  » 
ou  de  «  surcharge  »,  c'est-à-dire  le  droit  de  désapprouver 
telle  dépense,  mais  doivent  se  contenter  de  vérifier  Texac- 
titude  des  comptes  qui  leur  sont  soumis  ;  qui  n'ont,  lors- 
qu'un paiement  leur  semble  illégal,  aucune  autorité  pour 
trancher  la  question  et  ne  peuvent  que  présenter  des  obser- 
vations ;  tandis,  disions-nous,  que  le  rôle  des  auditeurs  élec- 
tifs est  ainsi  restreint  à  fort  peu  de  chose,  les  comptes  des 
district  councils  urbains  et  ruraux  ainsi  que  ceux  des  county 
councils  sont  examinés  par  des  auditeurs,  nommés  par  le 
Local  Government  Board,  et  qui  ont  le  pouvoir  de  disallo- 
wance et  de  surcharge  à  l'égard  de  toute  dépense  qu'il 
regardent  comme  illégale. 

(1)  Municipal  Trading  Report,  1903,  p.  159. 


L*IN8PBGTION    DES    COMPTES   MUiNICIPAUX  535 

Les  corporations  municipales  ne  veulent  naturellement 
pas  entendre  parler  d*une  inspection  gouvernementale  ;  elles 
s*y  opposent  pour  quatre  raisons.  La  première  serait  le  re- 
tard qu'elle  occasionnerait  dans  la  publication  des  comptes  ; 
la  seconde,  la  difficulté  que  l'auditeur  éprouverait,  dans  le 
cas  des  grands  bourgs,  à  prendre  pleine  connaissance  des 
nombreux  acts  locaux  spéciaux  au  Borough  ;  la  troisième, 
l'irritation  que  causerait  le  pouvoir  de  disallowance  accordé 
à  l'auditeur  du  gouvernement  ;  on  a  même  prétendu  que 
des  hommes  occupant  de  hautes  positions  pourraient  hési- 
ter à  devenir  membres  des  Town  councils  à  l'avenir,  par 
crainte  de  s'exposer  à  ces  surcharges.  La  quatrième  objec- 
tion enfin,  serait  que  sous  ce  système  on  pourrait  désap- 
prouver une  dépense  raisonnable  en  elle-même,  parce  que 
techniquement  illégale. 

Il  n*est  guère  difficile  de  répondre  à  ces  objections  : 
a)  Texanien  des  comptes  municipaux  peut  être  commencé 
et  poussé  très  loin  avant  la  fin  de  l'année  financière  ;  b)  Tau- 
diteur  ne  sera  pas  long,  si  c'est  un  homme  intelligent,  à 
s'assimiler  tontes  les  lois  spéciales  dont  la  connaissance  lui 
est  nécessaire  pour  remplir  ses  fonctions  ;  c)  dans  le  cas  des 
county  councils,  personne  ne  s'est  offensé  du  contrôle  gou- 
vernemental ;  pourquoi  les  corporations  s'en  offusqueraient- 
elles  ?  ;  d)  pour  ce  qui  est  des  dépenses  techniquement  illé- 
gales, Tautorité  locale  n'a  qu*à  les  faire  approuver  par  le 
Local  Government  Board,  procédure  qui  prive  Tauditeurde 
son  droit  de  surcharge. 

Le  système  que  propose  le  comité  ne  nous  parait  pas 
mauvais  en  soi  ;  mais  rien  ne  prouve  qu'une  fois  adopté, 
on  observera  les  dispositions  qu*il  prescrit  et  qu'elles  ne 
resteront  pas  lettre  morte,  comme  c'est  parfois  le  cas  dans 
les  districts  ou  l'inspection  est  actuellement  déjà  confiée  à 
des  auditeurs  du  gouvernement. 


536  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    V 

A  Fulham  par  exemple  (1),  nous  voyons  Taudlteur  gou- 
vernemental, après  avoir  relevé  un  certain  nombre  de  dé- 
penses illégales,  remarquer  qu'on  n*a  tenu  aucun  compte  du 
reproche  qu'il  avait  fait  les  années  précédentes  de  mêler  les 
comptes  du  <«  dust-destructor  »  et  de  Tappareil  à  fabriquer 
les  briques  avec  ceux  de  Tusine  électrique.  11  signale  même 
des  faits  plus  graves  :  on  ne  fait  pas  supporter  aux  revenus 
de  Fentreprise  électrique  une  part  suffisante  des  frais  d'éta- 
blissement et  Ton  s'est  servi  du  reserve  fundde  rélectrîcité 
pour  exécuter  des  travaux  de  pavage.  On  a,  parait-il,  fait 
un  usage  semblable  du  reserve-fund  du  cimetière.  L'on 
a  de  la  sorte  dépensé  £  5.000,  dont  on  a  réparti  le  rembour- 
sement sur  un  certain  nombre  d'années.  Ce  qui  rend  cette 
manière  d'agir  particulièrement  répréhensible,  c'est  que  le 
conseil  exécute  ces  travaux  de  pavage  au  moyen  d'un  em- 
prunt, en  dépit  du  refus  du  London  County  Gouncil  de  sanc- 
tionner dans  ce  but  des  emprunts  à  court  terme.  «  Le  Ful- 
ham Borough  Gouncil,  dit  le  Standard,  montre  un  désir 
évident  de  se  débarrasser  du  peu  de  contrôle  qu'exercent 
sur  ses  extravagances  les  autorités  centrales.  » 

Quoi  qu'ait  dit  et  recommandé  le  Joint  Select  Committee 
de  1903,  les  autorités  locales  continuent  à  nommer  leurs 
auditeurs  ;  et  la  Municipal  Corporations'  Association  a 
jusqu'ici  réussi  à  empêcher  qu'il  ne  fût  fait  do  loi  relative 
à  l'inspection  des  comptes  municipaux  et  s'inspirant  des 
conclusions  du  comité.  Les  recommandations  de  ce  comité 
étaient  parfaitement  raisonnables  ;  et  puisque  les  adversai- 
res du  Municipal  Trading  prétendent  que  les  comptes  muni- 
cipaux sont  trompeurs,  les  représentants  des  corporations 

n'avaient,  pour  confondre  leurs  opposants  et  se  justifier 

(i)  Voir  Standard,  5  juin  1906. 


l'inspection  des  comptes  municipaux  537 

eux-mêmes  d'un  seul  coup,  qu'à  accepter  Tinspection  ré- 
clamée ;  mais  il  aurait  fallu  pour  cela  qu'ils  eussent  pleine 
confiance  dans  Texactitude.  et  la  correction  de  leurs  métho- 
des de  comptabilité,  ce  qui  n'est  pas. 

C*est  en  vain  que  les  chambres  de  commerce  ont  à 
maintes  reprises  demandé  Tadoption  des  recommandations 
du  Joint  Gommittee.  Tout  ce  que  Ton  put  obtenir  du  gou- 
vernement de  M.  Balfour  fut  la  promesse  qu'il  nommerait 
un  Departmental  Committee  pour  étudier  la  question  ;  on 
n'a  même  pas  nommé  ce  comité. 

La  loi  exige  pourtant  que  les  auditeurs  des  Compagnies 
privées  soient  aussi  indépendants  que.  possible  des  direc- 
teurs ;  et  cela,  dans  le  but  de  sauvegarder  les  intérêts  des 
actionnaires  et  de  leur  permettre  d'obtenir  des  informa- 
tions correctes  sur  la  situation  financière  de  l'affaire  ;  il 
nous  semble  qu'une  loi  devrait  assurer  de  la  même  façon 
l'indépendance  de  Tauditeur  municipal  contre  toute  inter- 
vention des  Town.Councils,  pour  sauvegarder  les  intérêts 
des  contribuables  et  leur  faciliter  les  efforts  qu'ils  font  pour 
se  former  un  jugement  correct  sur  les  questions  qui  tou- 
chent aux  finances  delà  municipalité, 

Le  meilleur  moyen  consisterait  sans  doute  à  faire  nom- 
mer tous  les  auditeurs  municipaux  par  le  gouvernement 
central,  comme  cela  se  fait  actuellement  pour  le  London 
County  Gouncil  et  la  plupart  des  corps  gouvernants  autres 
que  les  Municipal  Corporations.  Ces  auditeurs  ne  se  con- 
tenteraient pas  d'examiner  la  légalité  des  paiements  opérés  ; 
ils  exerceraient  une  inspection  détaillée  et  couiplëte,  basée 
sur  des  principes  commerciaux. 

Pour  qu'ils  puissent  tous,  dans  l'examen  des  comptes 
municipaux,  s'inspirer  des  mêmes  principes,  il  convien- 
drait de  trancher,  par  une  loi  ou  un  règlement,  les  ques- 


538  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    V 

lions  suivantes,  savoir  :  1°  s*il  est  possible  de  porter  à 
d'autres  comptes  des  dépenses  faites  dans  l*intérèt  d'une 
entreprise  spéciale  ;  2""  de  se  servir  des  profits  réalisés  sar 
une  entreprise  commerciale  pour  combler  les  déficits  d'une 
autre  ;  3'  d'employer  les  profits  à  un  objet  pour  lequel  Tau- 
torité  locale  n'a  pas  le  droit  de  lever  d'impôts;  4*  s*il  faut 
employer  les  profits  à  réduire  les  impôts  ou  à  abaisser  tes 
tarifs  et  à  améliorer  le  service. 

Voici,  semble-t-il,  les  principaux  points  à  résoudre  et 
les  principales  mesures  qu'il  serait  bon  de  prendre  dans 
la  situation  présente.  Seule  une  action  de  ce  genre  per- 
mettrait peut-être  d'introduire  un  peu  plus  d'uniformité  et 
de  clarté  dans  les  comptes  des  entreprises   municipales. 

Il  est  peu  probable  cependant  qu'il  soit  de  sitôt  rien  mo- 
difié à  rétat  de  choses  actuel,  puisque  les  enquêtes  succes- 
sives sur  le  Municipal  Tradin^^  n*ont  conduit  à  aucun  ré- 
sultat et  que  les  municipalités  tiennent  avant  tout  à 
conserver  leur  entière  liberté  et  à  pouvoir  disposer  de  leur 
argent  comme  elles  l'entendent. 


CHAPITRE    VI 


LES  IMPÔTS  LOCAUX  ET  LEUR  REPERCUSSION 

SUR  l'industrie  privée. 


Dans  le  premier  chapitre  de  la  troisième  partie,  Tatten- 
tion  du  lecteur  a  été  attirée  sur  la  croissance  rapide  des 
impôts,  des  dépenses  et  de  la  dette  des  autorités  locales. 
Dans  le  présent  chapitre,  nous  nous  proposons  d'étudier 
la  répercussion  qu'a  eue  sur  l'industrie  privée  la  croissance 
de  ces  impôts  et  de  montrer  de  quelle  façon  elle  a  affecté 
rindustriel  ou  le  commerçant. 

Nous  rappelions  tout  à  Theure,  d'après  le  dernier  rapport 
du  Local  Government  Board  (1904-1905)  que  les  impôts 
locaux  sont  passés  de  £  19.198.579  en  1874-1875,  à 
£  50.328.412  en  1902-1903,  pour  l'Angleterre  et  le  Pays  de 
Galles,  soit  en  28  ans  une  ^augmentation  de  162.  1  7o  '>  il 
nous  faut  constater  à  présent  que  ce  n'est  pas  seulement  le 
total  des  impôts  locaux  qui  a  augmenté,  fait  que  pourrait 
fort  naturellement  expliquer  la  seule  augmentation  de  la 
population  ;  c'est  la  somme  d'impôts  payée  par  chaque  ha- 
bitant en  particulier  qui  a  crû  de  façon  considérable.  A 
Londres,  le  chiffre  des  «  rates  »  par  tète  d'habitant  est  passé 
de  £  1. 8  s.  0  d.  en  1879-1880,  à  £  3.  0  s.  6  d.  en  4902- 
1903,  et  dans  le  reste  de  l'Angleterre  et  du  Pays  de  Galles 
de  £  0  15  s.  6  d.  en  1879-1880,  à  £  1  5  s.  8  d.  en  19021903. 


54o  TROISIEME    PARTIE.    CHAPITRE    VI 

Le  montant  moyen  des  impôts  par  £  d'évaluation  (average 
aniount  per  pound  of  valuation^  est  passé  à  Londres  de 
4  s.  3  d.  en  1879-1880  à  6  s.  9  d.  en  1902-1903  ;  dans  le 
reste  de  F  Angleterre  et  du  Pays  de  Galles  de  3  s.  0,9  d.  en 
1879-1880  à  5  s.  3,2  d.  en  1902-1903  ;  dans  Tensemble 
de  TAngleterre  et  du  Pays  de  Galles  de  3  s.  3  d.  à  5  s.  7  d. 

Une  aussi  forte  augmentation  ne  pouvait  manquer  de 
faire  sérieusement  sentir  ses  effets  sur  toute  la  population 
et  la  propriété  imposable,  foncière,  immobilière  ou  indus- 
trielle. Comme  le  disait  le  correspondant  du  Times  i\): 
«  depuis  les  plus  grandes  entreprises  du  Royaume-Uni 
jusqu'au  locataire  d*un  logement  ne  comprenant  dans  une 
<(  lodging-house  »  modèle  qu'une  chambre  unique,  dont 
on  a  augmenté  le  loyer  pour  satisfaire  aux  demandes  du 
percepteur,  il  serait  difficile  de  trouver  une  industrie  ou  un 
individu  qui  n'ait  pas  été  plus  ou  moins  affecté  par  l'aug- 
mentation des  charges  locales  » . 

L'on  assiste  ainsi  d'un  côté  au  triomphe  des  municipa- 
listes,  fiers  d'avoir  mis  à  exécution  une  notable  partie  de 
leur  programme  ;  et  de  l'autre  aux  lamentations  de  la  masse 
des  commerçants,  industriels,  banquiers,  directeurs  de 
chemins  de  fer,  manufacturiers,  boutiquiers,  etc.,  qui  tous 
gémissent  sous  le  poids  toujours  plus  lourd  des  impôts 
dont  on  les  accable. 

C'est  vraiment  pousser  Tironie  un  peu  loin  que  de 
chercher  à  les  calmer  en  leur  disant  que  dans  40  ou  60  ans 
d'ici,  lorsque  toutes  les  dettes  municipales  auront  été  rem- 
boursées, leurs  descendants  vivront  sans  soucis  d*aucune 
sorte  dans  des  cités  quel'application  progressive  des  théories 
municipalistes  aura  transformées  en  paradis  terrestres.  Ils 

(1)  Times,  2  septembre  1902. 


LES   IMPÔTS   LOCAUX  ET   LEUR    B^PEUGUSSIOX  5^1 

pensent  à  eux  d*abord  avant  deson^içer  à  leurs  descendants 
et  ils  ont  pleinement  raison  d*agir  de  la  sorte  ;  avant  d  a- 
planir  la  route  pour  leurs  petits  enfants,  n*ont-ils  pas,  s*iLs 
veulent  vivre,  à  lutter  contre  la  concurrence  qui  se  dresse 
partout  autour  d'eux,  sous  cent  formes  diverses,  concur- 
redce  intérieure,  concurrence  étrangère,  concurrence  mu- 
nicipale ?  N'ont*ils  pas  à  se  défendre  contre  cette  dernière 
surtout,  qui,  heureuse,  leur  fait  perdre  une  partie  de  leur 
clientèle  ;  malheureuse,  a  sa  répercussion  directe  sur  les 
impôts  et  finit  toujours  d'une  façon  ou  d'une  autre  par  les 
atteindre  en  leur  qualité  de  contribuables  ? 

L*immense  développement  de  la  propriété  industrielle 
n'est  pas  passé  inaperçu  aux  yeux  des  financiers  du  muni- 
cipalisme.  Us  ont  tout  particulièrement  frappé  les  grandes 
usines  et  les  vastes  entreprises,  les  sociétés  anonymes,  les^^ 
Compagnies  de  chemins  de  fer,  tous  les  grands  producteurs, 
toutes  les  forces  vives  de  la  nation.  Il  semble  qu'ils  aient 
pris  plaisir  à  contrarier  par  une  insatiable  avidité  le  progrès 
iadustriel  sous  toutes  ses  formes  et  Ton  cite  de  cette  poli- 
tique de  nombreux  et  déplorables  exemples. 

11  y  a  quelques  années  (1)  des  commerçants  de  Londres 
et  (le  Manchester  prièrent  les  manufacturiers  de  la  ville  de 
Derby  de  se  mettre  à  confectionner  un  certain  genre  de 
garniture  pour  robes  et  manteaux,  qu'on  avait  jusque  là 
fait  principalement  venir  de  Saxe. 

Quelques-uns  des  manufacturiers  de  Derby  adoptèrent 
ridée,  se  rendirent  en  Saxe,  et,  voyant  que  l'établissement 
de  cette  industrie  en  Angleterre  ne  présenterait  pas  d'insur- 
montables difficultés,  achetèrent  de  nouvelles  machines  et 
se  mirent  à  Tœuvre.  Pour  être  en  état  de  faire  concurrence 

(1)  7*imes,  2  septembre  1902. 


5^3  TROISIBIfB   PARTIE.  CHAnrmS    VI 

aux  fabrîcaatâ  allemands,  il  leur  avait  évidemment  blla 
établir  leurs  prix  de  façon  très  exacte  et  très  rigoareme; 
mais  ils  avaient  compté  sans  le  percepteur.  La  ville  de 
Derby  a  en  effet  succombé  à  Tattraction  du  socialisme  mo- 
nicipal  ;  sa  corporation  fournit  Teau  et  Télectricité,  contrôle 
les  marchés,  les  abattoirs,  les  bains  et  les  lavoirs,  le 
cimetière,  la  bibliothèque,  le  musée  et  une  galerie  artisti- 
que, etc.,  exploite  enfin  un  réseau  de  tramways  électriqoes. 
Elle  gère  toutes  ces  entreprises  aux  risques  des  contribua- 
bles, c'est-à-dire  à  leurs  frais.  Aussi,  la  nouvelle  industrie 
venait-elle  à  peine  d'être  créée,  que  Ton  frappait  sa  machi- 
nerie d'un  impôt  tel,  qu*il  absorbait  presque  complètement 
la  marge  du  profit  sur  lequel  avaient  compté  les  manufactu- 
riers, rendant  à  peu  près  vains  tous  les  efforts  qu'ils  avaient 
faits. 

Tel  est  le  genre  d'encouragement  que  reçoit  Tindustrie 
privée  dans  le  système  municipaliste.  Qu'importe  après 
tout  aux  conseillers  socialistes  la  ruine  de  telle  ou  telle  in- 
dustrie? 11  leur  faut,  pour  Texécution  de  leurs  plans,  de 
l'argent  ;  pour  robtenir,iIs  auront  recours  à  tous  les  moyens 
possibles,  bons  ou  mauvais,  peu  leur  en  chaut.  Reconnais- 
sons qu'ils  sont  en  Angleterre  passés  maîtres  dans  l'art 
d'arracher  au  contribuable  tout  ce  dont  il  est  possible  de  le 
dépouiller.  Le  problème  étant  de  recueillir  le  plus  d'argent 
possible,  sans  avoir  Tair  d'augmenter  les  impôts,  la  solu- 
tion en  sera  simple,  bien  qu'elle  n'abuse  que  l'observateur 
naïf  et  ne  trompe  jamais  le  contribuable.  Elle  consiste  à 
élever  les  évaluations,  c'est  à-dire  à  estimer,  lors  de  la 
fixation  de  l'impôt,  la  valeur  des  propriétés  imposables  du 
borough  au  chiffre  le  plus  haut  possible  et  à  faire  payer  le 
même  impôt  par  £  sur  une  évaluation  plus  élevée. 

Dans  une  lettre  qu'il  adressait  au  Leeds   Mercury  du 


LES   IMPÔTS   LOCAUX    ET   LEUR    HÉPERCUSSION  5/|3 

28  octobre  1901,  un  coatribuable  de  Leeds  explique  com- 
ment les  choses  se  passent  :  «  En  six  ans,  dit-il,  la  dette  de 
la  cité  a  augmenté  d^environ  £3  000.000.  Qu*a-t-on  fait 
alors?  On  a  procédé  à  une  nouvelle  évaluation  de  la  pro- 
priété imposable  de  la  cité  et  Ton  a  augmenté  la  rateable 
value  d*un  million  de  £  ;  ce  qui  revient  à  dire  qu'on  a  aug- 
menté les  impôts  sans  en  changer  le  taux  par  £.  » 

A  Yarrow,  dit  encore  le  correspondant  du  Times,  les  im- 
pôts sur  les  habitations  sont  bas,  parce  que  les  membres  du 
Town  Gouncil  et  du  Board  of  Guardians  sont  pour  la  plu- 
part des  propriétaires  qui  tiennent  à  ne  pas  trop  payer  de 
contributions  ;  ce  sont  les  mêmes  personnes  qui  composent 
Tassessment  committee  (comité  chargé  de  procéder  aux 
évaluations)  :  là  leur  tactique  est  tout  autre;  ils  cherchent  à 
fixer  la  valeur  des  usines  au  chiffre  le  plus  haut  possible, 
car  plus  elles  payeront, moins  ils  auront  à  payer  eux-mêmes 
G^est  une  méthode  que  Ton  applique  fréquemment,  surtout 
aux  Gompagnies  et  aux  Sociétés  anonymes.  A  Swansea, 
Tassessment  committee  avait  si  fortement  relevé  l'assiette 
de  l'impôt  qu'on  obtint  des  recettes  trop  considérables  et 
qu'on  put  diminuer  le  taux  de  l'impôt  par  £  :  ce  qui  n'em- 
pêcha pas  les  contribuables  de  payer  encore  plus  qu'aupa- 
ravant. 

Les  municipalistes  ont  donc  deux  moyens  à  leur  disposi- 
tion pour  augmenter  le  rendement  des  impôts  ;  le  premier 
consistant  à  élever  franchement  le  taux  de  l'impôt  par  £  ;  le 
second, plus  sournois,  à  laisser  invariable  le  chiffre  de  Tim- 
position  par  £,  mais  à  élever  l'évaluation  en  £  de  la  valeur 
imposable  des  propriétés.  L'emploi  de  l'un  n'exclut  pas 
l'emploi  de  l'autre, et  l'on  a  su  très  ingénieusement  les  com- 
biner. 

Ce  sont  en  général  les  grandes  sociétés,  grandes  Compa- 


5/|4  TROISièME    PARTIE.    —    CHAPITBB    VI  . 

gniesdecheminsdeferoudedocks,  qui semblentavoirle pins 
souffert  de  Taugmentation  des  impositions  locales  ;  c'est  sur 
elles  que  les  municipalités  ont  cherché  à  rejeter  la  part  la 
plus  considérable  du  fardeau  qu'elles  ont  créé.  Mais  leurs 
conseillers  se  trompent  étrangement  s'ils  croient  qu'une 
semblable  méthode  ne  nuit  pas  aux  intérêts  du  public  tout 
autant  qu*à  ceux  des  Compagnies.  En  vertu  de  la  loi  d'in- 
cidence, la  Compagnie  des  Docks  cherche  à  se  rattraper  des 
impositions  qu'elle  paye  sur  les  propriétaires  de  navires, 
les  propriétaires  de  navires  sur  les  commerçants»  les  com- 
merçantssurles  consommateurs  ;  les  Compagnies  de  chemins 
de  fer  qui  payent  des  impôts  formidables  en  font  forcément 
retomber  le  poids  sur  les  voyageurs,  soit  qu'elles  ne  rédui- 
sent pus  leurs  tarifs,  soitqu'elles  n'offrent  pas  à  leurs  clients 
les  facilités  et  le  confort  qu*elles  pourraient  leur  offrir,  si 
leur  situation  financière  était  plus  satisfaisante. 

LaLondon  and  India  Docks  Company,dont  les  propriétés 
s'étendent  sur  23  paroisses  différentes  et  comprennent  les 
Ëast  and  West  India  Docks,  les  London  and  St-Katharina 
Docks,  les  Royal  Victoria  and  Royal  Albert  Docks,  les 
Tilbury  Docks  et  beaucoup  d'autres  magasins  situés  dans  la 
ville  même, payaient  en  1890,en  impôts  locaux,  une  somme 
de  £  58.499.  En  1900cette  somme  éUit  passée  à  £  101. ilC. 
soit  une  augmentation  de  plus  de'£  42.000  en  dix  ans.  Dans 
la  paroisse  de  West-Ham,  la  Compagnie  paye  £  6.000  par 
an  pour  le  seul  School  Board  rate.  Le  chiffre  de  ses  contri- 
butions représentait  en  1900  près  de  2  1/4  ^/^  du  capital. 
Si  desdocks  nous  passons  aux  chemins  de  fer, nous  voyons 
qu'ils  ne  sont  pas  mieux  traités  et  que  la  somme  dMmpôls 
qu'ils  ont  à  payer  croit  de  façon  extraordinairement  rapide. 
Le  Great  Western  Railway  payait  en  1901, tant  en  impôts 
d'Etat  qu'enimpôtsmunicipaux,£  444.074  contre  £220.713 


LES  IMPÔTS  LOCAUX  ET  LEUR  REPERCUSSION 


545 


en  1891  (1),  soit  une  augmentation  en  dix  ans  de  £  223.000. 
En  1905,  cette  même  Compagnie  a  payé, en  un  seul  semes- 
tre, tant  en  rates  qu'en  taxes,  une  somme  de  £  300. 000, soit 
£  18.000  de  plus  que  l'année  précédente  et  près  de  2^0  du 
capital  ordinaire  de  la  Compagnie  (2). 

Le  London  and  North  Western  Railway  a  vu  ses  impôts 
augmenter  de  £  19.000  durant  le  second  semestre  de  1901. 
La  London  and  Brighton  South  Coast  C**  a  vu  s'élever  les 
siens  de  près  de  £  12.000,  le  Great  Northern  et  le  London 
and  South  Western  ont  vu  les  leurs  s'élever  de£  10.000,  le 
Great  Eastern  de  près  de  £  9.000,  et  le  South  Eastern  and 
Chatham  de  €7.000. 

La  North  Eastern  C^  constate  qu'alors  qu'en  1891  les 
m  rates  and  taxes  »  payées  par  elle  représentaient  1 2  Vo  du 
dividende  ordinaire  des  actionnaires,  en  1901,  ils  en  repré- 
sentaient 24  7o,  c'est-à-dire  presque  le  quart  du  revenu  de 
la  Compagnie  ;  les  impôts  que  paye  la  Great  Central  Com- 
pany ont  augmenté  de  60  ""/od^i^s  les  10  dernières  années. 

Le  total  des  impôts  payés   (en  rates  et  taxes)  par  les 

Compagnies  de  chemins  de  fer  d'Angleterre  et  du  Pays  de 
Galles,  d'Ecosse  et  d'Irlande  de  1894  à  1900  s'élève  d'après 
les  rapports  du  Board  of  Trade  aux  chiffres  suivants  : 


i       '     '         1 

ANGLETËKRE 

ANNÉES 

IXOSSE 

IRLANDE 

TOTAL 

ET  PAYS  DB  GALLES 

\ 

£ 

£ 

£ 

1894 

2.509.183 

219.641 

86.448 

2.815.272 

4895 

2.689.423 

232.945 

88.362 

3.010.730 

1896 

2  838.525 

222.415 

87.949 

3.148.889 

1897 

2  946.632 

248.669 

98.300 

3.293.631 

1898 

3.045.766 

272.992 

105.581 

3.424.339 

1899 

3.187.364 

283.123 

111.150 

3.?i81  637 

1900 

3.341.512 

292.019 

123.622 

3.757.153 

(1)  Times,  2  septembre  1902. 

(2)  Raffalovich,  Le  marché  financier,  1905-1906,  p.  121. 
Boverat 


35 


546  TROISIEME   PARTIE.    —  CHAPITRE    VI 

En  7  ans,  la  somme  à  payer  a  augmenté  de  £  942.000. 
Le  total  payé  en  rates  et  taxes  par  39  Compagnies  de  che- 
mins de  fer  sur  lesquelles  on  possède  des  renseigne- 
ments plus  complets,  est  passé  de  £  2.142.956  en  1891,  à 
£3.729.528  en  1901,  soit  une  augmentation  de  73.4o  <"  o. 
bien  que  durant  ces  10  années  le  capital  de  ces  Compagnies 
n'ait  augmenté  que  de  20.72  Y^  seulement  et  les  recettes 
brutes  de  26.37  Vo. 

En  1890  les  rates  et  taxes  absorbaient  2.  81  ''/o  des  recettes 
brutes  des  chemins  de  fer  du  Royaume-Uni.  En  1904  elles 
en  absorbaient  4.23  Yo  î  ou  encore  5.77  Y^  des  recettes 
nettes  dans  la  première  année,  10  Yo  dans  la  seconde. 

Un  peut  objecter  que  les  chiffres  ci-dessus  comprennent 
à  la  fois  les  rates  et  les  taxes,  c'est-à-dire  les  impôts  payés 
aux  communes  aussi  bien  que  ceux  que  Ton  paye  à  TEtat. 
l^a  démonstration  n'en  sera  que  plus  frappante  si  nous 
nous  en  tenons  aux  seuls  impôts  locaux  (1)  :  telle  grande 
Compagnie  de  chemins  de  Ter  de  Londres  qui  payait  en 
1882  £  76.703de  raies  et  en  1885  £  82.403, en  payait  en  1890 
£  106.692.  en  1895  £135.311,  eu  1900£  180.000,  en  1901 
£  199.429.  Entre  1882  et  1901  cette  seule  Cx)mpagme  avait 
payé  en  impôts  locaux  une  somme  totale  de  £2.452.772. 
L^augmentation  des  impositions  s'explique  sans  doute  en 
partie  par  Taugmentation  de  la  valeur  des  propriétés  et 
du  matériel  de  la  Compagnie  ;  mais  elle  est  hors  de  toute 
proportion  avec  elle. 

Non  seulement  les  Compagnies  voient  croître  sans  cesse 
la  note  qu'elles  ont  à  payer  aux  Municipalités  sous  forme 
d'impôts  locaux,  mais  elles  se  trouvent  d'autre  part  en  butte 
à  la  concurrence  des  plus  sérieuses  que  leur  font  les  tram- 
ât) Voir  Times,  2  septembre  1902. 


LES  IMPÔTS  LOCAUX  ET  LEUR  REPERCUSSION     5^7 

ways  installés  à  grands  frais  pat*  ces  mêmes  municipalités. 
«  Le  London  and  North  Western  Railway,  dit  le  Times,  se 
trouve  subventionner  indirectement  des  tramways  muni- 
cipaux en  46  endroits  différents  ;  dans  le  second  semestre 
de  1901y  le  chiffre  de  ses  voyageurs  de  troisième  classe  est 
descendu  de  422.000.  Comme  la  baisse  s'est  principalement 
produite  sur  les  transports  de  1  ou  2  d.,  elle  s'explique  par 
l'exploitation  de  lignes  de  tramways  nouvelles  et  particu- 
lièrement de  tramways  électriques  dans  les  environs  des 
grandes  villes  ». 

Durant  la  même  période,  le  réseau  ferré  du  Midland 
transportait  316.000  passagers  de  troisième  classe  de  moins 
que  Tannée  précédente  par  suite  de  la  concurrence  que  lui 
font  les  tramways  de  grandes  villes  telles  que  Bradford, 
Sheffield,  Birmingham,  Bristol  et  Nottingham.  Nous  savons 
qu'il  s*en  faut  de  beaucoup  que  tous  ces  tramways  aient 
donné  des  résultats  financiers  très  brillants  et  quelques-uns 
d'entre  eux  ont  même  coûté  fort  cher  aux  contribuables. 

Aussi  n'est-ce  pas  le  côté  le  moins  bizarre  et  le  moins  in- 
juste de  cette  affaire  que  ce  soient  ces  Compagnies,  qui 
souffrent  le  plus  de  la  concurrence  des  tramways,  qui  aient 
à  payer  une  notable  part  de  leurs  frais  d'établissemen  t  et 
d'exploitation. 

Ce  n'est  pas  aux  seules  municipalités  des  villes,  mais  à 
celles  des  campagnes  aussi,  que  les  Compagnies  de  chemins 
de  fer  ont  à  payer  de  gros  impôts.  Elles  sont  la  caisse  où 
Ton  n  a  qu'à  puiser  lorsqu'on  se  trouve  avoir  de  forts  be- 
soins d'argent.  «  Il  y  a,  dit  le  Times,  beaucoup  de  paroisses 
rurales  où  la  Compagnie  de  chemins  de  fer  paye  à  elle  seule 
la  moitié  des  impôts  bien  qu'elle  n'y  ait  même  pas  une  sta- 
tion. Il  y  en  a  d'autres  où  la  proportion  payée  par  la  Com- 
pagnie atteint  75  Vo)  ^^  '^^  ^^  cite  quelques-unes  où  la 


i 


548  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VI 

GompagDÎe  paye  en  pratique  la  presque  totalité  des  impôts 
locaux.  ^ 

lia  mémoire  inséré  dans  le  rapport  de  la  Royal  Commis- 
sion on  Local  Taxation  montre  que  dans  six  paroisses  où 
Févaluation  générale  (gênerai  assessment)  par  acre  de  ter- 
rain  varie  de  18  s.  6  d.  à  £  6.  1  s.  6  d.,  Tassessment  par 
acre  de  terrain  qu'occupe  le  Great  Western  Railway  varie, 
dans  ces  mêmes  paroisses,  de  £  38  à  £  284.  Dans  la  paroisse 
de  Basildon,  par  exemple»  dont  la  population  ne  compte 
que  600  à  700  personnes,  dont  la  superficie  totale  en  acres 
n*est  que  de  3.083,  1  évaluation  totale  des  propriétés  (total 
gênerai  assessment)  est  de  £l0.i93  et  le  gênerai  assess- 
ment par  acre  de  £  3,  6  s.  La  ligne  principale  du  Great 
Western  Railway  traverse  cette  paroisse  (sans  retirer  sans 
doute  grand  bénéfice  du  trafic  local)  et  du  fait  que  cette  com- 
pagnie a  le  bonheur  de  posséder  24  1/2  acres  de  terrain  en 
cet  endroit,  elle  est  cotée  (assessed)  à  £  6.974,  soit  £284 
par  acre  de  terrain. 

Ces  quelques  exemples  suffisent  à  montrer  l'importance 
des  charges  que  supportent  les  grandes  Compagnies  du  fait 
des  impôts  locaux.  Il  n'est  pas  étonnant  qu'elles  protestent 
et  demandent  à  n'être  imposées  que  dans  la  mesure  où  elles 
sont  appelées  à  bénéficier  elles-mêmes  des  travaux  queToo 
veut  exécuter  dans  la  localité.  Elles  ne  demandent  pas  mieux 
que  de  contribuer  aux  travaux  d'utilité  générale,  aux  dépen- 
ses d'hygiène  par  exemple,  mais  elles  se  refusent  à  payer 
les  frais  d'entreprises  extravagantes  ou  somptuaires  ou  de 
services  municipaux  qui,  comme  les  tramw^ays,  doivent 
leur  faire  une  concurrence  désastreuse.  D'après  les  sections 
211  et  229  des  Acts  38  et  39  de  Victoria,  elles  ne  devraient 
être  imposées  qu'au  quart  pour  toutes  les  dépenses  qu'en- 
traînent  les  applications  du  Public  Health  Act  Le  plus 


LES  IMPÔTS  LOCAUX  ET  LEUR  REPERCUSSION     5^9 


souvent  les  corps  locaux  ignorent  cette  disposition  ou  n'en 
ont  cure,  et  préfèrent,  au  mépris  de  la  loi,  avoir  recours  à 
d'autres  acts  pour  faire  payer  aux  Compagnies  des  taxes 
plus  considérables. 

Les  Compagnies  du  gaz,  nous  dit  Lord  Avebury,  parta- 
gent le  même  sort(l).  En  1898,  les  rates  el  taxes  payées 
par  la  Cas  Light  and  Coke  C*"  étaient  de  £  220.000,  repré* 
sentant  2,  51  d.  par  1.000  pieds  cubes  de  gaz  ;  en  1903,  ils 
s^étaient  élevés  à  £289.000  représentant  3,  29  d.  par  1.000 
pieds  cubes. 

Or,  ces  grandes  Compagnies,  tant  Compagnies  de  docks 
que  Compagnies  de  chemins  de  fer  ou  Compagnies  du  gaz, 
ne  votant  pas  et  n'ayant  pas  de  représentants  ofGciels  dans 
les  assemblées  municipales,  n'ont  pas  le  moindre  contrôle 
sur  la  façon  dont  sera  dépensé  cet  argent  qu'elles  fournis- 
sent pourtant  en  majeure  partie.  Rien  ne  montre  mieux  Tin- 
justice  delà  méthode  actuelle  que  le  tableau  suivant. 

TABIiEAU 
montrant  la  rateable  value  [valeur  imposable)  des  boroughs 
ci-dessous,  larateable  value  des  propriétés  appartenant  à  des 
Compagnies  dans  ces  mômes  boroughs,  et  la  proportion  de 
la  seconde  à  la  première  ,2). 


Liverpool. . . 
Manchester  , 
Birmingham 

Leeds  

ShefAeld.... 
West-Ham. 
Holborn    . . . 


Total  Rateable 

BATBABLB   VALUK 

Proportion 

value 

DBS  COMPAGNIES 

£ 

£ 

4. 568. OU 

1.480.421 

32,4 

4.119.315 

1.317.360 

32,0 

2.8K8.048 

809.044 

28,0 

2.073.498 

550.674 

26,6 

1.784.489 

537.181 

30,1 

1.292.744 

449.297 

34,7 

1.030.852 

315.737 

30,6 

(1)  Voir  séance  annuelle  de  ilndustriai  Freedom   League,  30  juin 
1905. 

(2)  Voir  Lord  Avebury,  on  Municipal  and  National  Trading^  p.  163. 


550  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VI 

Cette  question  de  la  représentation  des  Compagnies  ano- 
nymes dont  on  entend  actuellement  parler  souvent  en  An- 
gleterre est  grosse  de  difficultés.  On  ne  songe  pas,  sans 
doute,  à  donner  aux  représentants  d*une  Compagnie,  pour 
les  élections  municipales,  un  nombre  de  voix  proportionnel 
au  chiffre  d'impôts  que  paye  cette  Compagnie.  Dans  une 
paroisse  du  genre  de  celle  dont  nous  parlions  tout  à  Theure, 
où  la  seule  Compagnie  de  chemins  de  fer  paye  en  pratique 
la  totalité  des  impôts  locaux  et  où  ne  réside  fort  probable- 
ment  aucun  actionnaire,  un  semblable  système  arrêterait 
toute  tentative  de  progrès,  que  ce  soit  en  matière  d'éduca- 
tion, d'hygiène  ou  de  récréation  ;  car  les  actionnaires  enjoin- 
draient naturellement  à  leurs  représentants  de  s'opposer  à 
rétablissement  de  tous  impôts  dont  ils  n'attendraient  pas  en 
retour  un  bénéfice  certain. 

Ce  système,  qui  a  ses  avantages,  aurait  donc  aussi  ses 
inconvénients,  et  il  commencerait  par  entraîner  un  rema- 
niement complet  de  tout  le  régime  électoral. 

Mais  Taspect  des  choses  change  du  tout  au  tout  lors- 
qu'on considère  la  question  du  droit  de  vote  des  Compa- 
gnies par  rapport  au  Municipal  Trading  (1).  Cette  fois  ce 
n'est  plus  le  pauvre  qu'il  faut  défendre  contre  le  riche  ;  c'est 
le  riche  qu*il  faut  défendre  à  cause  même  de  sa  richesse.  Ce 
sont  les  impôts  que  va  payer  la  grande  Compagnie  ano- 
nyme qui  permettront  à  la  municipalité  de  créer  des  entre- 
prises rivales  et  de  payera  ses  ouvriers  et  employés  de 
hauts  salaires.  Aujourd'hui,  les  Compagnies  paient  ces  im- 
pôts sans  pouvoir  protester  contre  leur  taux,  et  encore 
moins  contre  l'emploi  qu'on  en  va  faire.  En  admettant 
qu'on  leur  donne  le  droit  de  vote,  elles  ne  s'opposeraient 

(1)  Voir  Darwin,  Municipal  Trade. 


LES    IMPÔTS   LOCAUX    ET   LEUR    RÉPERCUSSION  55 1 

certainement  pas  à  la  création  d  entreprises  qui  auraient 
pour  résultat  soit  de  diminuer  les  impositions,  soit  d'ac- 
croUre  la  valeur  de  leurs  propriétés  ou  de  celles  du  borough 
en  général.  11  nV  aurait  en  fait  pas  de  raison  pour  ne  pas 
accorder  à  leurs  actionnaires  un  nombre  de  voix  propor- 
tionnel aux  impôts  qu'ils  payent,  si  la  question  du  Munici- 
pal Trade  se  trouvait  seule  en  jeu.  «  Logiquement,  il  n'y 
aurait  plus  qu'à  créer  un  corps  électif  spécial  que  Ton  char- 
gerait de  l'exploitation  des  entreprises  de  ce  genre,  et  à  ba- 
ser le  nombre  de  votes  de  chaque  électeur  sur  le  montant 
de  ses  impôts.  »  M.  Oarwi  pense  qu'on  pourrait  de  la  sorte 
enrayer  la  tendance  qu*ont  les  municipalités  à  se  lancer  dans 
des  entreprises  par  trop  risquées  et  créer  du  même  coup  un 
corps  plus  apte  que  ne  le  sont  les  corporations  ordinaires 
à  diriger  les  industries  municipalisées  ;  il  ne  se  cache  pas 
toutefois  les  difficultés  que  rencontrerait  l'exécution  d'un 
pareil  plan,  tant  au  point  de  vue  politique,  qu'au  point  de 
vue  administratif.  L'idée  nous  semble  plus  ingénieuse  que 
pratique,  et  c'est  au  premier  de  ces  titres  que  nous  la  signa- 
lons. 

Le  total  formidable  d'impositions  qu'ont  à  payer  les 
Compagnies  n'est  pas  le  seul  objet  de  leurs  protestations. 
Elles  protestent  aussi  contre  la  façon  dont  les  évaluations 
sont  faites.  '<  La  manière  dont  il  y  est  procédé,  dit  le  corres- 
pondant du  Times  (1),  ne  constitue  pas  seulement  une  in- 
justice, mais  même  un  scandale.  »  Le  système  en  vigueur 
en  Ecosse  et  en  Irlande  donne,  paraît-il,  des  résultats  à  peu 
près  satisfaisants  ;  dans  ces  deux  pays,  c'est  un  officier  de 
la  couronne  qui  procède  aux  évaluations  d'ensemble  et  qui 
répartit  la  somme  à  laquelle  il  est  arrivé  entre  les  différen- 

(1)  Voir  Timet,  2  septembre  1902. 


552  TROISli^MB   PARTIE.    —    CHAPITRE    VI 

tes  paroisses  que  traverse  le  réseau.  En  Aagleterre  et  dans 
le  Pays  de  Galles,  au  contraire,  chaque  autorité  fait  elle- 
même  une  [évaluation  spéciale  pour  son  propre  district  ; 
elleVonfie  ce  travail  à  un  évaluateur  de  profession,  auquel 
elle  alloue  non  pas  une  somme  fixe,  mais  une  commission 
sur  le  total  des  évaluations  auxquelles  il  a  lui-même  pro- 
cédé. 

Fréquemment  Tévaluateur  attend  des  employés  de  la 
Compagnie  de  chemins  de  fer  qu*ils  fassent  pour  lui  la  par- 
tie la  plus  difficile  et  la  plus  ennuyeuse  de  sa  tâche  ;  celle 
qui  consiste  à  déterminer,  à  Taide  de  paperasses  innombra- 
bles, quelles  sont  les  recettes  de  la  ligne  dans  une  paroisse 
donnée.  Si  la  Compagnie  ne  se  charge  pas  de  ce  travail  et 
que  révaluateur  ne  se  donne  pas  la  peine  de  le  faire  lui- 
même,  il  fixe  n  importe  quel  chiffre  ;  vient-on  à  lui  repro- 
cher rinexactitude  de  son  évaluation  ?  il  se  retranche  der- 
rière cet  argument  que  si  son  évaluation  est  incorrecte,  c'est 
que  les  fonctionnaires  de  la  Compagnie  ne  lui  ont  pas  fourni 
les  documents  dont  il  avait  besoin  pour  arriver  à  un  résul- 
tat exact. 

Quel  que  soit  le  travail  préparatoire,  Tévaluateur  a  évi- 
demmenttout  avantage  à  fixer  Tassessment  aussi  haut  qu'il 
le  pourra  ;  car  s*il  ne  le  porte  pas  à  un  chiffre  plus  élevé  que 
Tannée  précédente,  il  risque  de  ne  recevoir  aucune  rémo- 
nération. 

Le  Times  cite  un  jugement  rendu  par  M.  H.  B.  Middletoo, 
chairman  of  the  DorsetQuarter  Sessions,  sur  un  appel  fait 
pour  une  question  d'impôts  parla  London  and  South  Wes- 
tern Railway  C^  contre  la  Foole  Union  et  duquel  il  ressort 
que  le  salaire  de  Tévaluateur  consistait  en  une  remise  de 
10  "/o  sur  toute  augmentation  de  la  valeur  imposable  du 
chemin  de  fer.  M.  Middleton,  blâmant  de  tels  procédés, 
montrait  à  quels  résultats  ils  pouvaient  conduire. 


LES    IMPÔTS    LOCAUX   ET   LEUR    REPERCUSSION  b5.^ 

Ce  n*est  d'ailleurs  pas  chose  facile  aux  Compagnies  que 
d^obtenirréparatioQ  des  dommages  gabelles  subissent,  et  les 
frais  qu'elles  ont  à  faire  pour  que  justice  leur  soi  treadue  sont 
en  tous  cas  considérables.  Un  seul  appel  aux  Quarter  Ses- 
sions ne  coûte  pas  moins  de  £  1 .000  ;  il  peut  coûter  jusqu'à 
£  4.000  et  £5.000.  Si  la  Compagnie  gagne  son  procès,  c'est 
à  Taulorité  locale  de  payer  les  frais  ;  mais  cette  dernière 
sait  si  bien  se  rattraper  à  la  prochaine  levée  d'impôts  qu'il 
est  souvent  plus  avantageux  à  la  Compagnie  de  se  soumet- 
tre à  Tinjustice  que  d'essayer  d'en  obtenir  le  redressement. 

Le  seul  remède  consisterait  à  faire  faire  les  évaluations 
par  un  évaluateur  du  gouvernement  (a  government  valuer) 
qui  n'aurait  pas  d*intérét  personnel  à  rendre  telle  décision 
plutôt  que  telle  autre. 

On  ne  s'étonnera  plus,  si  l'on  prend  la  peine  de  se  remé- 
morer tous  les  faits  que  nous  venons  de  passer  en  revue, 
de  voir  que  le  fardeau  des  impositions  locales  soit  un  cons- 
tant sujet  de  plaintes  de  la  part  des  actionnaires  des  Compa- 
gnies dans  leurs  réunions  bisannuelles  ;  plainte  justifiée 
d'ailleurs,  car  ce  fardeau  va  croissant  à  mesure  que  s'étend 
l'activité  municipale. 

Si  les  actionnaires  sont  les  premiers  àsouiTrir  de  cet  état 
de  choses^  le  public  en  souffre  lui  aussi  de  façon  indirecte. 
Les  grandes  Compagnies  sont  les  vaches  à  lait  des  fmanciers 
municipalistes.  Comme  le  remarquait  lord  Claud  Hamilton , 
chairmande  la  Great  Ëastern  Railway  Company,  elles  sont 
obligées  de  faire  grande  attention  à  ne  pas  se  laisser  aller  à 
de  trop  grosses  dépenses  de  capital  :  car,  si,  cédant  à  la  près* 
sion  d'un  corps  local,  elles  venaient  à  bâtir  en  quelque  en- 
droit une  grande  et  belle  station,  elles  verraient  tout  aus- 
sitôt ((  monter  comme  une  fusée  le  chiiïre  de  leurs  imposi- 
tions », 


554  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE   TI 

Quelle  différence,  dit  le  correspondant  du  Times^  entre 
cette  manière  d'agir  et  l'exemple  qu'a  donné  aux  Etats-Unis 
la  ville  de  Boston.  Sentant  le  besoin  d'une  gare  nouvelle, 
cette  ville  résolut  d'acheter  et  d'exproprier  elle-même  les 
terrains  nécessaires,  puis  les  remit  gratis  à  la  Compagnie 
pour  qu'elle  pût  y  bâtir  le  splendide  édifice  où  s'alignent 
aujourd'hui  27  voies  parallèles. 

Sans  aller  si  loin  que  les  Américains,  il  est  facile  de  voir 
que  si  les  municipalités  anglaises  s^étaient  donné  pour  but 
d'entraver  tout  progrès  et  toute  initiative  venant  des  Com- 
pagnies de  chemins  de  fer,  elles  ne  pouvaient  s'y  prendre 
mieuxqu'elles  ne  l'ont  fait  en  lesaccablant  d'impôts.  Enagis- 
sant  de  la  sorte,  elles  ont  souvent  causé  plus  de  dommages 
au  public  qu'elles  ne  lui  ont,  d'un  autre  côté,  procuré  d'a- 
vantages. 

Enracinées  au  sol  par  leur  industrie  même,  ne  pouvant 
pour  toute  défense  que  protester  contre  les  abus  dont  elles 
sont  Tobjet,  les  grandes  Compagnies  de  chemins  de  fer  sont 
peut-être  les  victimes  les  plus  intéressantes  du  municipa- 
lisme  ;  elles  n'en  sont  pas  les  seules  ;  il  est  d'autres  indus- 
tries qui  ont,  elles  aussi,  eu  la  malchance  d'attirer  plus  spé- 
cialement Tattention  des  fmanciers  socialisants  ;  industries 
de  toutes  sortes,  moins  importantes  que  celles  que  nous 
venons  dépasser  en  revue,  mais  vigoureuses  cependant  et 
occupant  des  ouvriers  par  milliers.  Voyons  quel  sort  on 
leur  a  fait  et  comment  elles  ont  supporté  les  impositions 
toujours  plus  élevées  dont  les  municipalités  les  ont  grati- 
fiées. 

L'un  des  résultats  les  plus  frappants  de  cette  politique 
financière  est  sans  contredit  le  mouvement  d'émigration  qui 
se  manifeste  parmi  les  industriels  de  la  métropole  et  les  fait 
quitter  Londres  pour  aller  s'établiraux  environs  de  quelque 


LES   IMPÔTS   LOCAUX   BT  LEUR   REPERCUSSION  555 

grande  vilie  de  la  province.  Ce  mouvemeat  est  des  plus  si- 
gnificatifs et  l'importance  de  cette  émigration  industrielle 
mérite  d*étre  soulignée,  car  elle  est  une  leçon  pour  tous  les 
corps  gouvernants  des  grandes  villes.  »  Un  fait  seulement, 
lit-on  dans  ï Engineering  du  20  avril  1906,  devrait  mettre 
un  frein  aux  rêves  ambitieux  du  conseiller  de  Comté,  et  ce 
fait  est  le  suivant  :  tandis  qu*il  y  a  quelques  années,  la  pro* 
portion  de  propriété  imposable  (rateableproperty),  c'est-à- 
dire  d'immeubles,  vacante  à  Londres,  variait  de  2  à  2  1  /2  ^/^ 
du  total  des  propriétés,  cette  proportion  est  actuellement 
de  4  Vo«  L.6  fardeau  des  impositions  que  supportent  les  per- 
sonnes restantes  a  forcément  augmenté  dans  la  même  me- 
sure (toute  augmentation  due  à  un  accroissement  des  dépen- 
ses municipales  mise  à  part)  et  la  conséquence  de  tout  ceci 
est  que  nombre  d'autres  maisons  avec  leurs  employés  sont 
en  train  de  se  rallier  à  la  politique  du  sauve-qui-peut.  »> 

Bien  des  raisons  poussaient  depuis  longtemps  à  cette 
émigration,  engageant  les  manufacturiers  à  aller  se  fixer 
loin  de  la  métropole  surpeuplée  ;  la  politique  progressiste 
du  London  County  Council  a  été  le  coup  final,  celui  qui 
les  a  contraints  à  prendre  une  décision. 

L'augmentation  des  «  rates  »  d'abord,  la  promulgation 
de  toutes  sortes  de  règlements  relatifs  aux  constructions, 
en  apportant  de  sérieuses  entraves  à  l'exploitation  écono- 
mique des  usines,  en  empêchant  de  continuer  à  employer 
à  des  usages  industriels  de  vieilles  maisons  dont  on  se  ser- 
vait encore,  cent  raisons  financières  et  administratives  ont 
fait  très  sérieusement  considérer  au  manufacturier  londo-^ 
ni  en  l'économie  qu'il  lui  serait  possible  de  retirer  d'un 
transport  à  la  campagne,  de  l'adoption  d'un  outillage  mo- 
derne et  d'une  organisation  meilleure  de  ses  locaux.  Il  est 
difficile  d'exécuter  de  grands  changements  et  de  réorganiser 


556  TROISlèniE    PARTIE.    —     CHAPITRE    VI 

de  foad  en  comble  le  matériel  d'une  usine  installée  depuis 
longtemps  déjà.  Il  faut  faire  table  rase  de  rancien  état  de 
choses  pour  réaliser.de  vraies  réformes  et  mettre  à  profit 
les  derniers  progrès  de  la  science.  A  la  campagne,  le  loyer 
sera  moins  cher,  on  aura  plus  de  terrain  pour  s'étendre,  et, 
partant,  toute  facilité  pour  construire  une  usine  qui  n*auni 
qu*un  seul  étage  et  que  la  lumière  du  jour  éclairera  dans 
ses  moindres  recoins.  Qu*on  ajoute  à  cela  les  avantages 
d*une  machinerie  nouvelle,  et  Ton  comprendra  quelle  éco- 
nomie ou  est  en  droit  d'attendre  d'une  telle  opération . 

La  difficulté  de  trouver  de  la  main-d'œuvre  n'existe  pas 
pour  l'industriel  qui  transporte  ses  usines  à  quelques  miles 
seulement  de  la  métropole  ;  l'ouvrier  n'hésite  pas  aie  suivre, 
puisque  ce  changement  ne  l'éloigné  guère  des  endroits 
qu'il  avait  l'habitude  de  fréquenter  jusqu'alors  et  qu'il  lui 
permet  en  outre  de  se  procurer  un  confort  matériel  auquel 
il  ne  pourrait  prétendre  à  l'intérieur  même  de  Londres. 

Nous  sommes  en  mesure,  pour  indiquer  l'importance  de 
ce  mouvement  d'émigration,  de  citer  les  noms  d*un  certain 
nombre  de  grandes  maisons  qui  ont  quitté  la  métropole 
pour  aller  s'établir  soit  dans  ses  environs,  soit  dans  la 
banlieue  de  quelque  grande  ville  de  province,  où  le  poids 
des  impôts  locaux  se  fait  moins  lourdement  sentir  que  dans 
la  capitale. 

La  fabrique  d'appareils  télégraphiques  Henley  est  allée 
s'établir  à  Gravesend  ;  la  fabrique  d'objets  ecclésiastiques 
métalliques  de  Messrs  Benham  and  Fronde  s^est  transportée 
à  Willesden  Junction;  la  société  anonyme  dirigée  par 
Messrs  Philip  and  Son  pour  l'impression  des  cartes  géo- 
graphiques s'est  transportée,  elle  aussi,  au  même  endroit 
que  la  précédente.  Une  grande  fabrique  de  produits  chi- 
miques est  allée  s^tablir  à  Southall  ;  Messrs  Hancock  et 


LES    IMPÔTS  LOCAUX    ET    LEUR    lléPERCUSSION  ÔDy 

Corfield,  fabricants  de  fer  émaillé^ont  émigré  à  Mitcham  ; 
une  fabrique  de  cirage  à  Southgate  ;  une  Compagnie  de 
phonographes  à  Wandsworth  ;  une  fabrique  de  céruse  à 
Brimsdown  ;  la  Heatly  Gresham  Engineering  C^,  ingé- 
nieurs-constructeurs, s'en  est  allée  à  First  Garden  City, 
Letchworth , et  Messrs  Werner,  Pfleiderer  et  Perkins,  autre 
iirm  d'ingénieurs-constructeurs  àPeterborough. 

La  grande  maison  de  constructions  maritimes  Yarrow 
and  C^'  a  décidé  de  quitter  les  bords  de  la  Tamise  et  d'aller, 
installer  ses  ateliers  dans  le  Nord,  sur  la  Glyde,  les  impôts 
croissants  dont  la  frappe  la  municipalité  lui  rendant  impos- 
sible la  concurrence  avec  les  établissements  analogues  ins- 
tallés en  province.  D'ici  à  un  ou  deux  ans,  les  ateliers  Var- 
row,qui  font  vivre  1.200  ouvriers  du  faubourg  populeux  et 
pauvre  de  Poplar  seront  fermés,  ou  plutôt  transférés  dans 
une  autre  partie  de  TAnglelerre. 

La  maison  Thornycroft  conserve  son  chantier  à  Chiswick 
(Londres),  mais  vient  d'en  monter  un  nouveau  à  Southamp- 
ton  et  d'installer  des  ateliers  pour  la  construction  des  auto- 
mobiles à  Basingstoke  (Hampshire),  bien  que  la  position 
de  Chiswick  soit  plus  centrale  et  à  certains  égards  plus  avan- 
tageuse. Les  deux  fabriques  de  pompes  Simpson  and  C^, 
la  Vaux  Hall  Iron  Works  C^,  la  fabrique  de  machines  à 
travailler  le  bois  Ransome  and  C""  ont,  elles  aussi,  quitté 
Londres  pour  différents  endroits. 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  usines  qui  quittent  Lon- 
dres, mais  les  gens  riches,  les  simples  particuliers  qui  pos- 
sédaient des  maisons  ou  des  appartements  dans  les  quar- 
tiers aristocratiques  delà  capitale,  qui  vendent  leur  maison 
ou  ne  renouvellent  pas  leur  bail  et  viennent  à  leurs  aiïairesle 
matin  et  en  partent  le  soir  en  automobile,  utilisant  ainsi  les 
derniers  progrès  de  la  locomotion  mécanique  pour  se  dé- 
fendre contre  la  politique  du  L.  C.  C.       » 


558  TROISIEME    PARTIE.    -*    CHAPITRE  VI 

Que  prouve  ce  mouvement  d'émigration  de  la  capitale  vers 
la  province,  se  produisant  si  rapidement  et  sur  une  si  vaste 
échelle,  sinon  que  la  conduite  du  conseil  de  comté  de  Lon- 
dres a  été  essentiellement  imprudente  et  irréfléchie  ?  Quel 
profit  s*imagine-t-il  retirer  de  sa  politique  financière  à  la 
fois  avide  et  gaspilleuse?  Sans  doute  le  rendement  des  im- 
pôts ne  va  pas,  malgré  toutes  ces  fautes,  diminuer  du  jour 
au  lendemain  dans  des  proportions  inquiétantes.  Mais  les 
faits  que  nous  venons  de  rappeler  n'en  constituent  pas 
moins  un  signe  de  mécontentement  indéniable,  un  avertis- 
sement que  la  majorité  progressiste  du  L.  C.  C.  ne  devrait 
pas  négliger,  pour  peu  qu'elle  tienne  à  conserver  au  conseil 
le  pouvoir  qu'elle  y  possède  depuis  plusieurs  années. 

Le  chiffre  de  60  s.  5  d.  que  nous  donnions  au  début  de  ce 
chapitre  comme  étant  celui  des  impôts  locaux  dans  la  mé- 
tropole, par  tète  d*habitant,  est  tout  simplement  fantasti- 
que et  laisse  supposer,  puisqu'il  est  une  moyenne,  qu'un 
certain  nombre  de  personnes  ont  à  payer  des  contributions 
énormes. L'impôt  municipal  atteint  maintenant  de  33  à  60  "^  ^ 
de  la  valeur  locative  des  immeubles.  |^Dans  certains  quar- 
tiers les  locataires  s'en  vont  par  centaines  et  beaucoup  de 
gens  renoncent  à  vivre  à  Londres,  précisément  à  cause  du 
fardeau  de  l'impôt  local.  Dans  les  quartiers  riches  et  élé- 
gants de  Londres,  on  n'a  jamais  vu  autant  de  maisons  in- 
habitées qu'à  présent. 

Aux  élections  municipales  du  1^**  novembre  1906,  les 
progressistes  ont  perdu  Ja  majorité  qu'ils  possédaient  dans 
les  BoFough  Gouncils  londoniens.  Le  même  sort  pourrait 
bien  attendre, en  mars  1907, ceux  du  London  County  Coun- 
cil,  si  d'ici  là  ils  ne  se  montrent  pas  un  peu  plus  économes 
de  l'argent  des  contribuables.  (1) 

(i)  Depuis  que  ces  lignes  ont  été  écrites,  les  élections  au  London 


LES    IMPÔTS    LOCAUX    ET   LEUR  R^PERGUSSION  55^ 

La  croissance  des  impôts  municipaux  n*est  pas  un  phé- 
nomène particulier  à  Londres  ;  nous  avons  vu  qu*il  s*était 
aussi  produit  à  Glasgow,  Birmingham,  Manchester,  mais 
nulle  part  les  effets  de  cette  hausse  ne  semblent  avoir  eu 
une  répercussion  aussi  fâcheuse  sur  l'industrie  que  dans  la 
métropole.  Londres  n'étant  pas  seulement  la  capitale  po- 
litique, mais  la  capitale  commerciale  et  le  premier  port 
d'Angleterre  et  du  monde,  le  fait  que  nous  signalons  n*en 
est  que  plus  frappant  et  que  plus  instructif. 

Coiinty  Gouncil  ont  eu  lieu.  Les  faits  ont  justiQé  nos  prévisions.  Les 
progressistes  ont  subi  une  défaite  complète,  et  la  majorité  du  Conseil 
appartient  désormais  aux  modérés  et  aux  conservateurs. 

Dans  l'ancienne  assemblée  84  sièges  appartenaient  aux  progressis- 
tes ou  libéraux  et  radicaux,  34  aux  modérés.  Dans  la  nouvelle  les  mo- 
dérés en  ont  79,  n'en  laissant  aux  progressistes  que  38  ;  le  siège  res- 
tant est  à  un  indépendant.  La  lutte  a  été  des  plus  vive8,et  la  preuve  en 
est  dans  l'augmentation  du  pourcentage  des  électeurs  qui  a  passé  de 
45.  7  «/»  en  1902  à  52.  66  Vo  en  1907.  A  Battersea,  fief  de  M.  Jobn 
Burns,  le  candidat  socialiste  a  été  battu  par  un  modéré,  tandis  que 
pas  un  seul  socialiste  pur  ne  parvenait  à  se  faire  élire  dans  les  autres 
circonscriptions. 


CHAPITRE  Vil 


DB  L*AFFÂIBLISSEMENT  DE  L*ESPR1T  D'BNTRBPiaSB 
DANS  LES  INDUSTRIES  MUNIGIPAUSÂBS. 


Nous  avons  passé  en  revue,  dans  le  cours  de  cette  étude, 
les  principales  questions  qu'a  posées  le  développement  ra- 
pide du  socialisme  municipal  en  Angleterre  ;  nous  avons 
exposé  le  mécanisme  administratif  et  les  résultats  financiers 
des  principales  entreprises  municipales.  Avant  de  rappeler 
quels  remèdes  on  a  proposé  pour  parer  aux  inconvénients 
du  municipalisme,  nous  voudrions  jeter  un  coup  d'œilsur 
les  trois  questions  suivantes,  qui  n'ont  pas  été  traitées  dans 
la  première  partie  de  ce  livre  et  qui  font  chez  nos  voisins 
d*Outre-]Manche  Tobjet  de  vives  controverses  : 

1^  L'esprit  d'entreprisea-t-il  une  tendance  à  s'affaiblir  et  à 
disparaître  dans  les  services  municipalisés  ? 

2"*  Les  fonctions  des  conseillers  municipaux  ne  sont-elles 
pas  aujourd'hui  trop  nombreuses? 

3"*  Les  municipalités  ont-elles  le  droit  de  faire  des  profits 
s  ur  Texploitation  des  services  publics  ? 

Nous  n'avons  pas  l'intention  de  rechercher  ici  si  la  con- 
currence est  en  soi  une  chose  bonne  ou  mauvaise  ;  ce  serait 
revenir  sur  une  discussion  aussi  ancienne  que  la  science 
économique  elle-même  et  nous  égarer  dans  la  théorie  pure, 
alors  que  nous  désirons  rester  sur  le  terrain  des  faits  ;  nous 
nous  limiterons  donc,  autant  qu'il  nous  sera  possible,  au 
côté  exclusivement  pratique  de  la  question,  et  nous  verrons 


DE   L  ESPRIT   I>'eKTREPRI8E  56  Ï 

si  la  disparition  de  toute  concurrence  a  sur  les  entreprises 
municipales  de  bons  ou  de  mauvais  effets. 

Affirmer  que  les  résultats  de  la  concurrence  industrielle 
sont  mauvais  dans  leur  ensemble  lorsqu'on  les  compare 
aux  résultats  qu'on  pourrait  obtenir  par  l'introduction  de 
quelque  autre  système  est  faire  profession  de  foi  de  socia- 
lisme et  résumer  en  une  seule  phrase  Tessence  même  de 
cette  doctrine.  Nous  n'avons  pas  Tintention  d*en  essayer  la 
réfutation  dans  les  pages  qui  suivent.  Contentons-nous  de 
résumer  brièvement  les  avantages  et  les  désavantages' 
qu'entraîne  inévitablement  le  régime  industriel  sous  lequel 
nous  vivons  actuellement. 

Le  régime  de  libre  concurrence  aboutit  plus  sûrement 
que  tout  autre  système  à  réunir  dans  Tendroit  même  où 
la  demande  en  est  la  plus  considérable  tous  les  biens  et 
tous  les  services  dont  rechange  est  nécessaire  à  Texistence 
humaine.  C'est  grâce  à  ce  système  que  nous  obtenons  aussi 
facilement  que  possible  la  marchandise  de  l'espèce  que 
nous  désirons  ;  c'est  lui  qui,  mieux  que  toute  disposition 
légale,  maintient  les  prix  au  plus  bas  cours  possible  et  fait 
profiter  la  communauté  dans  son  ensemble  des  bienfaits  du 
progrès  industriel.  Sous  ce  régime,  mieux  que  sous  tout 
autre  régime  de  centralisation,  les  hommes  les  plus  capa- 
bles dépassent  les  autres  et  prennent  la  tète  ;  et  rien  n'est 
plus  heureux  que  leur  succès,  puisque  le  progrès  des  peu- 
ples dépend  principalement  de  la  capacité  des  hommes  qui 
occupent  chez  eux  les  positions  dominantes. 

On  ne  saurait  nier  pourtantque  le  système  actuel  ne  pré- 
sente des  inconvénients  sérieux  ;  que  le  triomphe  des  forts 
ne  signifie  la  défaite  des  faibles  ;  que  la  lutte  pour  Texis- 
tence  ne  soit  souvent  cruelle  ;  que  le  régime  de  concur- 
rence n'entraîne  avec  lui  des  doubles  emplois,  des  pertes 

Boverat  36 


562  TROISIÈME    PARTIE.  CHAPITRE    VII 

de  temps,  de  travail  et  d'argent.  Mais  quelle  médaille  n'a 
son  revers?  Est-il  rien,  jusqu'ici,  qui  nous  permette  de 
supposer  qu'on  obtiendrait  de  meilleurs  résultats  sous  un 
régime  socialiste  ? 

Qui  dit  concurrence,  dit  effort  et  lutte,  c'est-à-dire  souf- 
france ;  et  de  même  que  nous  cherchons  tous  à  nous  pro- 
téger contre  la  souffrance,  nous  cherchons  à  nous  protéger 
contre  la  concurrence  chaque  fois  que  nous  le  pouvons  et 
par  tous  les  moyens  dont  nous  disposons  ;  municipalités 
commerçantes  et  commerçants  particuliers,  obéissant  ici 
tous  deux  aux  mêmes  motifs,  demanderont  toujours  à  être 
protégés. 

Mais  si  ce  désir  leur  est  commun,  les  moyens  qu'ils  ont 
de  le  réaliser  diffèrent  en  revanche  fort  sensiblement.  Les 
municipalités  ont  en  effet  à  bien  des  égards  plus  de  facilités 
et  plus  d  occasions  que  le  particulier  de  se  défendre  contre 
la  concurrence  ;  elles  en  proliteront,  tout  comme  le  feraient 
les  particuliers,  s'ils  étaient  à  la  place  des  corporations. 

Les  municipalités  peuvent,  en  premier  lieu,  racheter 
plus  facilement  que  les  particuliers  les  entreprises  de  leurr 
rivaux  et  fondre  ainsi  en  une  seule  deux  entreprises  con- 
currentes. Grâce  aux  ressources  financières  ou  à  Tinfluence 
politique  dont  elles  disposent,  elles  jouissent  d'avantages 
à  elles  propres,  lorsqu>illeur  prend  Tenvie  d'écraser  ou  d'in- 
timider leurs  rivaux  ;  enGn,  elles  peuvent  user  de  leur  pou- 
voir administratif  pour  se  protéger  elles-mêmes.  L'usage 
fréquent  et  la  combinaison  de  ces  trois  procédés  a  fini  par 
constituer  une  méthode  d'action  dont  le  but  final  est  deli- 
n)iter  la  concurrence  et  d'en  sauvegarder  l'entreprise  mu- 
nicipalisée.  Nous  avons  plus  d'une  fois  déjà  eu  roccasion 
d'en  signaler  les  fâcheux  résultats. 

La  concurrence  disparait  d'abord  par  suite  du  rachat  par 


DE  l'esprit  d'entreprise  563 

la  municipalité  d^une  industrie  rivale  d'un  de  ses  services  ; 
tel  est  le  cas  quand  une  corporation  qui  gère  déjà  Tusine  à 
gaz  rachète  Tusine  électrique.  Lorsque  le  fait  se  produit, 
toute  concurrence  disparait  en  pratique.  I/un  des  deux  mo- 
des d'éclairage  est  même  parfois  sacrifié  à  l'autre,  ce  qui 
arrive  quand  la  corporation  considère  la  fabrication  et  la 
vente  de  l'électricité  comme  un  accessoire  à  la  fabrication 
et  à  la  vente  du  gaz.  La  municipalité,  au  lieu  d'offrir  alors 
rélectricité  à  ses  clients  avec  insistance,  en  commerçant 
soucieux  de  la  prospérité  de  ses  affaires  (instead  of  offering 
and  urging  it,  disait  M.   Chisholm,  Lord  Provost  de  Glas- 
gow) (1),  ne  la  fournira  qu*aux  personnes  qui  en  auront  fait 
spécialement  la  demande  ;  Glasgow  nous  a,  pendant  un 
temps,  fourni  de  cette  conduite  un  exemple  qui  n'est  certai- 
nement pas  unique  en  son  genre. 

Lorsque,  comme  c'est  aujourd'hui  généralement  le  cas, 
ce  sont  des  comités  différents  qui  ont  charge  l'un  du  gaz, 
Tautre  de  l'électricité,  il  pourra  bien  y  avoir  entre  eux 
quelque    rivalité.   Mais  ce  serait  se  bien  tromper  que  de 
croire  que  cette  rivalité  puisse  donner  des  résultats  analo- 
gues à  ceux  que  produit  la  concurrence  née  du  désir  qui 
possède  le  particulier,  industriel  ou  commerçant  quel  qu'il 
soit,  d'obtenir  des  profits  plus  considérables.  En  supposant 
que  la  fabrication  et   la  vente  du  gaz  et  de  rélectricité 
eussent  partout  appartenu  à  des  administrations  publiques, 
il  nous  semble  plus  que  douteux  que  les  expériences  qu'on 
a  faites  pour  Temploi  des  becs  à  incandescence  eussent  été 
poussées  avec  la  vigueur  qu'ont  déployées  les  Compagnies 
privées  intéressées  dans  cette  découverte  ;  le  public  aurait 
donc  souffert  dans  ce  cas  de  la  disparition  de  la  concurrence 
causée  par  la  municipalisation  de  ces  deux  industries. 

(1)  Voir  Rapport  1900.  Quest.  2731. 


564  TROIBlàMB   PARTIE.    —   CHAPITRE    VII 

Nous  avons,  dans  les  premiers  chapitres  de  ce  livre^ 
montré  que  si  Ton  avait  laissé  en  Grande-Bretagne  autant 
de  liberté  à  l'entreprise  particulière  qu*on  en  a  laissé  aux 
Etats  Unis,  le  Royaume-Uni  aurait  aujourd'hui  quatre  fois 
plus  de  tramways  qu'il  n*en  a  ;  nous  avons  vu  qu'alors 
qu'on  comptait  en  1902  aux  Etats-Unis  *3.620  stations  cen- 
trales productrices  d'électricité,  on  n'en  comptait  en  Angle- 
terre que  457  ;  que  Tusage  du  téléphone  était  beaucoup 
moins  développé  chez  nos  voisins  qu'en  Amérique  ;  qu  a 
décourager  et  à  entraver  Tentreprise  privée,  on  n'a  réussi 
qu'à  obliger  les  constructeurs  de  tramways  ou  d'usines  à 
importer  d'Amérique  ou  d'Allemagne  tout  le  matériel  élec- 
trique. Non  seulement  l'Angleterre  n'a  pas  su  tirer  profit 
de  ces  découvertes  nouvelles,  au  point  de  vue  des  commo- 
dités de  l'existence,  mais  les  ouvriers  anglais  ont  perdu  oa 
manqué  de  gagner  les  sommes  qu'on  a  dépensées  en  achats 
à  l'étranger. 

M.  Meyer  a  montré,  dans  son  livre  sur  la  propriété  mu- 
nicipale, ce  que  serait  aujourd'hui  le  nombre  -des  personnes 
employées  dans  les  téléphones,  les  tramways,  Tiadustrie 
électrique,  si  l'Angleterre  avait,  dans  ces  derniers  temps, 
progressé  aussi  vite  que  les  Etats-Unis. 

En  1905,  ily  avait  en  Grande-Bretagne  13.000  personnes 
employées  dans  les  téléphones.  Aux  Etats-Unis,  il  y  en  avait 
79.000.  Si  le  réseau  téléphonique  avait  atteint  dans  le  pre- 
mier de  ces  pays  un  aussi  grand  développement  que  dans 
le  second,  50.000  personnes  y  trouveraient  aujourd'hui  un 
emploi,  à  leur  grand  avantage  et  à  celui  du  public. 

En  1902,  les  Etats-Unis  comptaient  3.620  stations  élec- 
triques centrales,  employant  en  moyenne  8  personnes  cha- 
cune,soit  au  total  30.300.  Quatre  ans  plus  tard,  la  Grande- 
Bretagne  ne  possédait  que  384  stations;  eût-elle  été  aussi 


DE  l'esprit  d'entreprise  565 

bien  pourvue  que  les  Etats-Unis,  elle  en  aurait  eu  1.260  et 
aurait  employé  7.000  personnes  de  plus. 

En  1902,  les  Etats-Unis  possédaient  dans  leurs  districts 
urbains  21.300  miles  de  tramways,  employant  en  moyenne 
6,  5  personnes  par  mile.  En  1906,  la  Grande-Bretagne  ne 
possédait  que  3.040  miles  de  tramways.  Proportionnelle- 
ment elle  aurait  dû  en  avoir  14.000,  dans  l'exploitation  des- 
quels 71.500  personnes  auraient  dû  trouver  leur  emploi. 

L*histoire  de  l'électricité  et  de  ses  applications  industrielles 
en  Angleterre  est  peut-être  le  meilleur  exemple  que  Ton 
puisse  citer  du  manque  d'esprit  d'entreprise  des  municipa- 
lités ou  du  mauvais  usage  qu'elles  font  de  l'initiative  dont 
elles  disposent.  Nous  ne  nous  attarderons  pas  sur  ce  sujet 
que  nous  avons  déjà  étudié  tout  au  long.  Rappelons  sim- 
plement que  le  Board  of  Trade  ne  donnant  pas,  règle  géné- 
rale, de  provisional  orders  aux  particuliers  qui  désirent  éta- 
blir une  usine  électrique,  sans  le  consentement  préalable 
des  autorités  locales  intéressées,  ces  dernières  opposent  très 
fréquemment  un  refus  aux  demandes  qui  leur  sont  ainsi 
faites,  alléguant,  soit  qu'elles  ont  l'intention  d'exploiter 
elles-mêmes  le  service  en  régie,  soit  encore  qu'ayant  dé- 
pensé pour  établir  leur  usme  à  gaz  des  sommes  considéra- 
bles, elles  ne  veulent  pas  favoriser  le  développement  d'une 
industrie  rivale  qui  risquerait  de  faire  baisser  leurs  recettes. 

L'aveu  est  cynique  et  il  montre  jusqu'à  quel  point  les 
municipalités  savent  pousser  Tindifférence  et  le  mépris 
qu'elles  nourrissent  pouf  l'intérêt  et  la  commodité  des 
consommateurs. 

Le  cas  est  à  peu  près  le  même,  ou  du  moins  les  résultats 
auxquels  on  arrive  sont  à  peu  près  identiques,  lorsque  les 
municipalités,  après  avoir  demandé  un  provisional  order 
pour  elles-mêmes,  ne  l'utilisent  pas  durant  de  longues 
années. 


566  TROISIÈME    PARTIE.    -—     CHAPITRE    VII 

L'apathie,  le  manque  de  clairvoyance  ou  de  bonne  volonté 
des  assemblées  municipales  ne  se  montre  jamais  si  bien 
que  dans  les  exemples  précédents.  L'on  en  peut  déduire 
que  l'entreprise  municipale  a  beaucoup  moins  de  chances 
de  succès  que  l'entreprise  particulière,  dans  toute  industrie 
soumise  au  régime  de  la  concurrence  ;  s*il  est  vrai  que  le 
succès  d'une  affaire  dépende  avant  tout  d*une  bonne  direc- 
tion, de  connaissances  spéciales,  du  degré  d'initiativedon  t 
font  preuve  les  personnes  placées  à  sa  tète  (1). 

En  cas  de  monopole,  ces  qualités  peuvent,  jusqu'à  un 
certain  point,  faire  défaut,sans  que  les  résultats  de  Texploi- 
tation  en  soient  sérieusement  affectés.  Protégé  contre  toute 
concurrence,  le  service  municipal  est  alors  le  maître  de  la 
situation.  A  peine  remaçquera-t-on  le  mal  qu'il  cause  par 
suite  de  la  difficulté  qu'on  éprouvera  à  établir  une  compa- 
raison avec  des  industries  du  même  genre  situées  dans  un 
autre  endroit.  S'agit  il  au  contraire  d'une  industrie  exigeant 
de  réelles  qualités  commerciales,  de  la  fabrication  d'appa- 
reils électriques,  par  exemple,  toute  absence  des  qualités 
que  doit  posséder  un  conseil  de  direction  aboutirait  forcé- 
ment soit  à  la  stagnation  de  cette  industrie,  soit  à  sa  ban- 
queroute,si  les  services  municipaux  ne  savaient  compenser 
leur  infériorité  pari  établissement  d'un  système  protecteur. 

On  nous  dira  sans  doute  que  les  conseils  de  direction 
sont  généralement  tout  aussi  ignorants  des  questions  tech- 
niques que  peuvent  Tétre  les  comités  d'un  Town  Councîl. 
Soit  ;  mais  ce  que  les  membres  d'un  Town  Council  ne  pos- 
séderont jamais  au  même  degré  que  ceux  d'un  conseil  de 
direction,  c'est  cette  qualité  si  importante,  qui  consiste  à 
savoir  dans  quelle  mesure  on  peut  avoir  confiance  en  d'au- 

(1)  Voir  Darwin,  Municipal  Trade,  chap.  X. 


DE    l'esprit   d'eiSTUEPRISE  667 

très  personnes  pour  obtenir  à  la  longue  de  meilleurs  résul- 
tats ;  confiance  en  ses  ingénieurs,  en  ses  managers,  en  ses 
subordonnés.  Ces  deux  qualités,  la  confiance  et  l'initiative, 
sont  celles  dont  on  a  le  plus  besoin  dans  l'exploitation  des 
industries  soumises  au  régime  de  la  concurrence  ;  et  sMl  est 
vrai,  comme  le  disait  devant  le  comité  d'enquête  en  1900 
l*Hon.  Chandos  Leigh  (l),que  les  municipalités  «  nVientja- 
mais  rien  inventé  et  n'aient  jamais  été  les  premières  à  faire 
l'application  d'une  invention  quelconque,  qu'il  s'agisse  des 
tramways,  du  gaz  ou  de  l'électricité  »,  seules  industries 
dans  lesquelles  elles  se  soient  lancées  sur  une  vaste  échelle, 
il  nous  faut  reconnaître  que  l'absence  de  confiance  et  d'ini- 
tiative sont  des  traits  caractéristiques  de  tous  les  services 
exploités  en  régie. 

u  C'est  de  la  direction  que  dépend  le  succès  d'une  affaire 
industrielle,  nous  dit  M.  Cheysson  (2).  Un  directeur  indus- 
triel est  choisi  pour  sa  capacité  technique.  C'est  un  spécia- 
liste qui  a  fait  ses  preuves  et  dont  la  vie  s'est  passée  à  con- 
quérir un  à  un  les  titres  et  les  aptitudes  nécessaires  à 
l'exercice  du  commandement.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour 
le  directeur  municipal  qui  est  brusquement  appelé,  le  plus 
souvent  par  des  raisons  extra-professionnelles,  à  des  fonc- 
tions auxquelles  il  n'était  qu'insuffisamment  préparé,  n 

Ceci  est  peut-être  plus  vrai  de  la  France  que  de  TAngle- 
terre,où  malgré  Tinfluence  abusive  que  commencent  à  exer- 
cer les  membres  du  Labour  Party  et  ceux  des  Trade- 
llnions,  les  directeurs  techniques  sont  en  général  conve- 
nablement choisis  et  possèdent  les  connaissances  qu'on  est 
en  droit  d'attendre  d'eux.  L'observation  suivante  nous 
semble  plus  juste  : 

«  En  outre,  continue  M.  Cheysson,  même  à  égalité  de  ta- 

(1)  Rapport  1900.  Quest.  619  et  1132. 

(2)  Bulietin  delà  Société  (T  Economie  Poli  tique  ^  février  1904. 


568  thoisièmb  partie.  —  chapitre  vu 

leat,  le  directeur  municipal  ne  peut  pas  tirer  parti  de  son 
habileté  particulière  dans  la  même  mesure  que  son  collè- 
gue de  rindustrie  privée.  Ce  dernier  est  libre  de  ses  mouve- 
ments, agit  d'après  son  tact  commercial  et  profite  des  oc- 
casions qui  s'offrent  à  lui.  Le  fonctionnaire^au  contraire,est 
gêné  par  les  règlements,  par  la  bureaucratie,  par  le  souci 
de  sa  responsabilité  qu'il  cherche  à  couvrir  contre  les  soup- 
çons, les  délations  des  fournisseurs  évincés  ou  des  subal- 
ternes aigris.  C'est  ainsi  qu*on  a  vu  souvent  le  même  hom- 
me que  les  hasards  de  sa  carrière  ont  mis  tour  à  tour  au 
service  de  TËtat  ou  des  Compagnies,  déployer  ou  perdre 
ses  aptitudes  commerciales  suivant  qu'il  était  esclave  da 
formalisme  ou  le  maître  de  sa  gestion. 

c<  Inspirés  par  la  défiance,  les  règlements  garrottent  à 
ce  point  le  personnel  administratif,  qu'ils  peuvent  ea 
effet  le  préserver  des  faux  pas,  —  et  encore  en  est-on 
absolument  sûr  ?  —  mais  à  la  condition  de  l'empêcher  en 
même  temps  de  courir.  Or  en  industrie,  il  faut  souvent 
courir  sous  peine  d'arriver  trop  tard.  Par  exemple,  pour  le 
renouvellement  de  l'outillage,  pour  de  nouvelles  installa- 
tions, l'agrandissement  des  ateliers,  Tacquisition  d'appro- 
visionnements avantageux  qui  passent  à  bonne  portée  et 
qui  sont  menacés  d'une  hausse  prochaine,  la  conclusion  de 
marchés  d'avenir,  on  a  souvent  besoin  de  prendre  un  parti 
d'urgence  et  de  disposer  de  ressources  immédiates  sauf  à 
faire  appel  au  crédit.  IMais  si,  avant  d'agir,  on  doit  en  réfé* 
rer  à  des  assemblées  délibérantes,  attendre  des  autorisa- 
tions qui  sont  longues  à  venir  —  quand  elles  viennent  — 
l'occasion  qui  fuit  rapide  est  déjà  loin.  D'ailleurs  les  bud- 
gets publics  manquent  d'élasticité  et  ne  se  prêtent  pas  à  ces 
à-coup  financiers  que  comporte  l'industrie  ;  à  ces  avances 
qui  grèvent  le  présent  pour  des  transformations  plus  tard 


DE  l'espbit  d'entreprise  SGq 

fructueuses.  L'iudustrie  ofGcielle  est  doue  forcément  attar- 
dée :  elle  est  en  outre  impuissante  à  se  plier  aux  exigences 
de  la  consommation,  à  suivre  ses  progrès,  et  elle  sera  par- 
fois même  obligée  de  la  décourager  par  l'élévation  de  ses 
tarifs,  pour  ne  pas  transformer  les  moyens  de  production  et 
les  mettre  au  niveau  des  besoins  accrus  (Voyez  par  exem- 
ple le  service  des  téléphones  à  Paris).  » 

Une  autre  conséquence  fâcheuse  du  Municipal  Trade 
résulte  de  la  tendance,  fort  naturelle  d'ailleurs,  qu'ont  les 
autorités  locales  à  confiner  leurs  entreprises  aux  limites  de 
leur  circonscription  administrative  ;  les  municipalités  qui 
se  sont  mises  à  construire  des  maisons  nous  en  fournissent 
un  exemple.  Lorsque  les  aCTaires  ne  vont  pas  autour  de  lui, 
un  entrepreneur  de  constructions  actif  et  adroit  cherche  de 
Touvrage  dans  d'autres  districts,  souvent  à  des  distances 
considérables.  Le  comité  chargé  delà  direction  de  cette  in- 
dustrie municipale  ne  peut  adopter  une  semblable  méthode. 
Or,  toute  limitation  du  champ  de  Tentreprise  doit  accroî- 
tre nécessairement  le  coût  de  la  construction  municipale, 
car  durant  les  périodes  de  calme  ou  d'arrêt  complet,  les  dé- 
penses courantes  ne  s'arrêtent  pas  ;  et  il  faut  les  recouvrer 
durant  les  périodes  d'activité.  Si  quelque  genre  de  cons- 
truction vient  jamais  à  passer  complètement  aux  mains  des 
municipalistes,  TefiTet  produit  ne  différera  guère  de  celui 
qu'entraînerait  l'établissement  dans  chaque  circonscrip- 
tion administrative  d'un  système  protecteur  sévère,  au 
moyen  duquel  on  empêcherait  tous  les  commerçants  du 
dehors  de  venir  faire  concurrence  à  ceux  de  l'intérieur.  Il 
nous  sera  fort  probablement  donné  d'assister,  à  propos  des 
entreprises  municipales  à  des  résultats  plus  ou  moins  ana- 
logues à  ceux  d'un  système  protecteur,  parce  que  les  di- 
recteurs des  entreprises  municipales,  corps  politiques  dé- 


070  TROISIEME    PAHTIB.    CHAPITRE    VII 

pendant  d*une  élection,  succomberont  fréquemment  à  la 
tentation  de  donner  leurs  commandes  et  d'accorder  leurs 
contrats  exclusivement  à  des  industriels  et  entrepreneurs 
de  leur  circonscription.  Des  Compagnies  privées,  au  con- 
traire, se  laisseront  plus  vraisemblablement  guider  dans 
leurs  transactions  par  le  prix  et  la  qualité  des  marchandi- 
ses ou  des  services  qu'elles  veulent  obtenir  ;  elles  ne  se 
laisseront  pas  influencer  par  d'autres  considérations  ;  aussi 
auront-elles  plus  de  chances  de  recueillir  les  bénéfices  de 
la  concurrence  que  se  font  ceux  qui  désirent  les  servir. 
Toute  restriction  de  ce  genre  à  la  liberté  du  commerce  abou- 
tit fatalement  à  l'augmentation  du  coût  de  fabrication  de 
l'objet  fourni,  et  par  conséquent  de  son  prix  de  vente  ;  tout 
système  qui  tend  à  confiner  la  fabrication,  Tachât  ou  la 
vente  des  marchandises  à  Tintérieur  d*un  même  district 
doit  produire  ces  fâcheux  résultats  ;  et  ces  tendances  à  la 
restriction  et  la  protection  sont  bien  plus  à  craindre  de  la 
part  du  municipal  que  du  private  trade. 

Le  fait  seul  que  la  municipalité  commerçante  recherche 
la  protection  sous  toutes. ses  formes  montre  qu*elle  ne  se 
sent  pas  solide  et  n'ose  pas  voler  de  ses  propres  ailes  ;  il 
nous  prouve  que  les  gens  qui  dirigent  les  services  munici- 
paux manquent  de  confiance  en  eux-mêmes^  parce  qu'ils 
manquent  non  seulement  de  connaissances  techniques  suf- 
fisantes, mais  d'initiative.  Le  mal  est  grave,  parr^  que  tut 
ou  tard  cette  protection  tuera  l'initiative  privée,  même  lors- 
que la  municipalité  n'aura  pas  eu  recours  au  système  de 
protection  qui  lui  assure  le  plus  haut  degré  de  sécurité, 
c'est-à  dire  au  monopole.  Nous  l'avons  plusieurs  fois  mon- 
tré dans  la  première  partie  de  celte  étude,  à  propos  des 
tramways  notamment,  et  des  maisons  ouvrières.  Les  par- 
ticuliers ne  sont  pas  assez  imprudents  pour  se  mesurer  avec 


DE    l'esprit   D'eNTIŒPRISB  671 

un  service  public  qui  dispose  de  ressources  illimitées  et 
perd  sans  sourciller,  puisqu'il  perd  non  pas  son  argent,  mais 
celui  des  contribuables.  Chaque  fois  que  les  municipalités 
ont  imaginé  de  satisfaire  à  Tun  quelconque  des  besoins  gé- 
néraux de  la  population,  le  résultat  a  été  le  même  ;  elles  ont 
fait  le  vide  autour  d'elles,  non  sans  se  causer  à  elles-mêmes 
et  sans  causer  à  autrui  des  embarras  parfois  très  graves, 
Tarrét  de  l'entreprise  privée  qu'elles  ont  étouffée  les  forçant 
à  aller  tout-à-coup  beaucoup  plus  loin  qu  elles  n'avaient 
tout  d'abord  prétendu  le  faire. 

Une  autre  infériorité  du  service  public  sur  l'industrie  pri- 
vée est  que  le  premier,  en  tranquille  possession  de  son  mo- 
nopole, ne  cherche  pas  à  perfectionner  ses  machines  ou  son 
outillage  ;  il  se  plaît  dans  la  stagnation  ;  et  ce  n'est  pas 
l'Etat,  sous  quelque  forme  qu'il  se  présente  à  nous,  qui 
sera  capable  de  développer  et  de  susciter  les  grandes  inven- 
tions; il  ny  a  d'ailleurs  là-dedans  rien  qui  doive  nous  sur- 
prendre. 

Ce  n'est  pas  à  FËtat,  dit  Spencer  (1),  que  nous  devons  les 
nombreuses  inventions  qui  nous  permettent  de  vivre  au- 
jourd'hui notre  vie  moderne  a  depuis  l'invention  de  la  bêche 
jusqu'à  celle  du  téléphone.  Ce  n'est  pas  l'Etat  qui  a  rendu 
possible  la  navigation  lointaine  par  des  découvertes  astro- 
nomiques ;  ce  n'est  pas  TEtat  qui  a  fait  en  physique,  en 
chimie,  et  dans  les  autres  sciences  les  découvertes  qui  gui- 
dent aujourd'hui  nos  manufacturiers  ;  ce  n'est  pas  l'Etat  qui 
inventa  des  machines  capables  de  produire  toutes  sortes  de 
produits,  de  transporter  les  hommes  et  les  choses  d'un  lieu 
à  un  autre,  d'améliorer  notre  bien-être  de  mille  manières. 
Les  transactions  mondiales  qui  s'exécutent  dans  les  bureaux 

(1)  Cf.  Spencer,  L'individu  contre  l'Etat. 


î>72  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    VII 

des  marchands,  le  trafic  intense  qui  remplit  nos  rues,  le 
système  de  vente  au  détail  qui  met  toute  chose  à  notre  por- 
tée, et  place  à  notre  porte  même  tous  les  objets  nécessaires 
à  Texistence,  ne  sont  pas  d'origine  gouvernementale  ». 

Non  seulement  le  système  municipaliste  ne  suscite  pas 
le  progrès,  mais  il  semble  le  redouter  comme  une  ruine, 
parce  que  les  progrès  de  la  science  entraînent  le  renouvel- 
le ment  et  le  remplacement  de  machines  et  d'un  matériel 
qu'on  croyait  devoir  durer  de  longues  années  encore.  Dans 
un  discours  qui  précéda  le  vote  de  Tenquète  sur  le  Muni- 
cipal Trading,  M.  Arthur  Balfour  se  demandait  ce  qui  ad- 
viendrait, dans  le  régime  du  municipalisme,  si  les  systèmes 
actuels  d'éclairage  et  de  transport  venaient  à  être  profon- 
dément modifiés  par  les  découvertes  de  la  science  qui  trans- 
forme incessamment  toutes  choses.  «  En  pareil  cas,  tant  pis 
pour  la  Compagnie  concessionnaire  !  disait  M.  Cheysson, 
mais  avec  la  régie  municipale,  Taléa  de  ces  éventualités 
retombe  sur  les  contribuables,  non  sans  de  fâcheux  retards 
dans  Tapplication  de  ces  progrès  et  dans  le  bénéfice  qui 
devrait  en  résulter  pour  les  consommateurs.  »  L'objection 
est  très  grave  et  les  municipalistes  en  sentent  parfaitement 
l'importance.  Mais  ils  ont  confiance  dans  leur  bonne  étoile, 
et  surtout  dans  la  force  du  monopole,  qui  seul  peut  les 
sauver  de  la  ruine,  au  prix  il  est  vrai  de  la  plus  grande  gène 
du  consommateur. 

Nous  venons  de  voir  à  quels  dangers  on  expose  une  in- 
du strie  en  la  municipalisant  ;  ces  dangers,  sérieux  déjà 
pour  les  industries  qui  font  Tobjet  d*un  monopole,  appa- 
r  aissent  beaucoup  plus  graves  lorsqu'il  s'agit  d'industries 
généralement  soumises  au  régime  de  libre  concurrence  ; 
or  les  municipalités  anglaises  tendent  justement  à  muni- 
cipaliser  les  secondes  aussi  bien  que  les  premières.  Comme 


DE   LESPRIT   D*ENTREPRI8E  b'ji 

nous  le  disions  tout  à  l'heure,  les  résultats  de  cette  poli- 
tique ne  seront  pas  sans  quelque  analogie  avec  ceux  d'un 
système  douanier  protecteur,  c*est-à-dire  que  le  prix  des 
marchandises  augmentera  et  que  le  consommateur  verra 
diminuer  les  chances  qu'il  a  de  se  procurer  l'article  qu*il 
considère  comme  lui  convenant  le  mieux.  Comme  le 
disait  Stuart  Mill,  u  l'Etat  en  excluant  ou  en  remplaçant 
l'action  des  particuliers  substitue  aux  meilleurs  agents  des 
agents  moins  capables,  ou  tout  au  moins  substitue  sa  ma- 
nière  défaire  les  choses  à  Tinfinie  variété  des  méthodes  qui 
seraient  essayées  par  un  certain  nombre  de  personnes  éga- 
lement capables  et  tendant  au  même  but  :  concurrence 
infiniment  plus  favorable  au  progrès  que  tout  système  uni- 
forme »  (1). 

(1)  Stuart  Mill^ Principes  d'Economie  politique,  liv.  V,  chap.  XI,  §  5^ 


576  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VIII 

tout  ce  qu'il  a  à  faire.  Une  Compagnie  d'assurance  prudente 
préférerait  assurer  sur  la  vie  un  premier  ministre  plutôt 
qu'un  chairman  municipal,  à  supposer  que  ce  chairman 
montrât  quelque  tendance  à  faire  son  ouvrage  bien  et  sérieu- 
sement. » 

Pour  qu'un  municipaliste  avéré,  comme  Test  JM.  Bernard 
Shaw,  fasse  un  pareil  aveu,  il  faut  que  vraiment  les  muni- 
cipalités soient  débordées  de  besogne.  Mais  il  est  vrai, 
d'autre  part,  que  rien  n'est  si  facile  que  de  siéger  dans  ud 
conseil  municipal  et  de  n*y  rien  faire.  On  dit  souvent  que 
la  Chambre  des  Communes  est  le  club  le  plus  agréable  de 
Londres  ;  il  serait  bien  plus  vrai  de  dire  qu'un  conseil 
municipal  est,  pour  la  plupart  de  ses  membres,  le  meilleur 
club  auquel  ils  puissent  prétendre.  »  Un  conseiller  peut  être 
profondément  paresseux  et  être  en  même  temps,  je  ue  dis 
pas  seulement  populaire  parmi  ses  collègues,  mais  pourvu 
qu*il  ait  quelque  facilité  de  parole,  parmi  les  contribuab  les 
aussi.  Il  passe  pour  un  homme  très  occupé,  alors  qu'il  n'e  st 
qu'un  homme  qui  aime  la  société,  assiste  à  toutes  les  réu- 
nions des  comités  et  n'y  fait  rien.  » 

Bernard  Shaw  est  forcé  de  constater  qu'il  n'y  a  pas 
moyen  de  forcer  à  travailler  un  conseiller  municipal  qui 
ne  veut  rien  faire  ;  sur  ce,  il  demande  si  la  communauté 
n'aurait  pas  intérêt  à  donner  un  traitement  à  ses  conseillers. 
Mais  ici  le  socialiste  qu'est  M. Shaw  laisse  passer  le  bout  de 
Toreille.  Il  se  livre  à  une  critique  sévère  du  conseiller 
bourgeois  auquel  il  reproche  son  avarice  sordide  et  son 
exclusivisme  de  commerçant,  et  du  conseiller,  membre  de 
l'aristocratie, auquel  il  reproche  son  indiiïérence  et  son  igno- 
rance des  besoins  populaires.  Puis,  passant  au  conseiller  ou- 
vrier, il  nous  dit  que  la  concession  d'un  traitement  convena- 
ble, en  enlevant  toute  force  au  reproche  qu'on  adresse  si 


DE    l'aUGBIENTATION    DES    FONCTIONS  b'j'J 

souvent  aux  candidats  sans  fortune  de  ne  rechercher  le  siège 
de  conseiller  que  pour  des  motifs  intéressés  et  des  besoins 
d'argentyleur  permettrait  d'acquérir  cette  préparation  à  la  vie 
publique, sans  laquelle  ils  risquent  d*ètre  socialement  dange* 
reuxenproportion  directede  leurtalent  etde  leur  conviction. 
Les  Labour  représentatives  sont,  suivant  Bernard  Shaw, 
d'excellents  conseillers;  d'abord  parce  qu'on  n'est  pas  indul- 
gent pour  eux  ;  ensuite  parce  qu'ils  prennent  en  général  leur 
tâche  publique  très  au  sérieux,  n  sont  libres  de  cette  pression 
sociale  qui,  parmi  les  hommes  d'affaires  de  la  classe  moyen- 
ne, conduit  à  tant  de  tolérance  réciproque  des  petits  tripota- 
ges et  irrégularités  vénielles  ;  ont  l'indépendance  des  per- 
sonnes qui  exercent  des  professions  libérales  sans  avoir  leurs 
préjugés  de  classe  ;  sont  exceptionnellement  sensibles  à  la 
dignité  de  la  sobriété  et  d*une  existence    respectable  ;  et 
payant  ordinairement  des  loyers  inclusifs   (c'est-à-dire  des 
loyers  dont  le  total  comprend  à  la  fois  la  location  du  logis  et 
le  montant  des  impôts),  ne  repoussent  jamais  de  propos 
délibéré  l'exécution  d'un  travail  public  nécessaire,  sous 
prétexte  qu'elle  pourrait  enti*a!ner  un  supplément  d'impôt 
de  un  huitième  de  penny  par  £  ». 

A  côté  du  Labour  Member  siège  le  petit  boutiquier  dont 
rhorizon  limité  se  borne  à  vouloir  maintenir  les  impôts  au 
taux  le  plus  bas  possible  et  à  mettre  des  bâtons  dans  les 
roues  à  toutes  les  entreprises  municipales.  Si  nous  en 
croyons  M.  Shaw,  ce  petit  boutiquier  exerce  dans  la  vie 
municipale  une  influence  tyrannique.  Tandis  qu'il  est  pres- 
que impossible  de  faire  voter  les  ouvriers  et  les  gens  riches, 
le  travailleur  manuel  et  le  Cityman  qui,  a  rentrant  le  soir 
fatigués  chez  eux,  ne  veulent  pas  ressortir  par  l'âpre  obs- 
curité de  novembre  pour  aller  à  pied  dans  la  boue,  jusqu'au 
bureau  de  vote,  à  la  requête  de  ce  fléau  enthousiaste  qu'est 

Boverat  31 


578  TROISIÈME   PARTIE.    —    CHAPITRE    VIII 

Tagent  électoral  ».  le  petit  boutiquier  qui  n'a  pour  votera 
n'importe  quel  moment  de  la  journée  qu'à  quitter  quelques 
instants  sa  boutique,  met  dans  Turne  le  nom  de  Tun  de  ses 
confrères,  boutiquier  comme  lui,  dont  Tapathie  du  c^rps 
électoral  permet  le  facile  triomphe. 

Ce  tableau  n'est  pas  sans  renfermer  une  part  de  vérité  ; 
une  grande  partie  des  hommes  intelligents  et  capables  De 
s'occupent  pas  des  élections  municipales  ;  mais  si  le  petit 
boutiquier  manque  parfois  de  largeur  dans  les  idées,  son 
action  sociale  nous  parait  moins  dangereuse  cependant  que 
celle  de  l'ouvrier  dont  l'enthousiasme  ignorant  risque  de 
provoquer  les  pires  désastres. 

Si  des  partisans  militants  du  ^Socialisme  municipal 
comme  Bernard  Shaw  reconnaissent  que  la  composition 
des  conseils  municipaux  laisse  souvent  à  désirer,  qu'en  di- 
ront des  personnes  hostiles  au  Municipalisme,  comme  le 
correspondant  du  Times^  ou  simplement  impartiales,  com- 
me le  major  Darwin  ? 

Le  Municipal  Trade,  dit  ce  dernier  (1),  entraine  pour  les 
autorités  locales  un  surcroît  d'ouvrage  énorme  qui  a  pour 
double  conséquence  :  1*"  de  diminuer  le  temps  que  les  as- 
semblées municipales  peuvent  consacrer  à  leurs  devoirs  es- 
sentiels ;  2«  d'abaisser  le  degré  moyen  de  capacité  adminis- 
trative des  autorités  locales,  en  augmentant  la  répugnance 
des  hommes  occupés  déjà  par  leurs  propres  affaires  à  don- 
ner leur  temps  aux  affaires  publiques.  Aujourd*hui  comme 
autrefois,  Ton  continue  sans  doute  à  voir  une  foule  de  per- 
sonnes désireuses  de  siéger  dans  les  conseils  des  grandes 
villes  ;  mais  il  n'en  est  plus  de  même  dans  les  districts  moins 
importants.  Le  désir  que  ressent  un  homme  de  devenir  con- 

(1)  Darwin,  Municipal  Trade,  p.  101. 


DE    L  AUGMENTATION    DES    FONCTIONS  671) 

seiller  n  est  pas  une  garantie  suffisante  de  sa  capacité.  Il  se 
peut  que  riiomme  oisif,  le  commerçant  retiré  des  affaires, 
quel  que  soit  le  travail  ou  le  temps  qu*on  exigera  d'eux, 
soient  toujours  disposés  à  offrir  leurs  services.  Mais  ce  n'est 
pas  d'eux  qu*on  a  le  plus  besoin  ;  ce  qu'il  faut  aux  corpora- 
tions, ce  sont  des  commerçants  ou  des  personnes  exerçant 
une  profession  libérale,  jeunes  encore,  actifs  et  capables. Ce 
sont  précisément  ceux-là  que  l'augmentation  d'ouvrage  dont 
on  accable  les  assemblées  municipales,  va  effrayer.  Déjà 
Ton  constate  chez  les  hommes  des  classes  dirigeantes,  sans 
distinction  d'ailleurs  de  métier  ou  de  profession,  une  ten- 
dance à  s'abstenir  de  prendre  part  à  l'administration  publi- 
que de  nos  grandes  cités.  Or  ce  sont  eux  justement  dont  la 
présence  est  la  plus  nécessaire,  une  fois  qu'on  s'est  lancé 
dans  la  voie  du  Municipal  Trade  ;  plus  ils  seront  rares 
dans  les  conseils  municipaux, moins  les  autorités  locales  se 
montreront  capables  de  bien  gérer  leurs  entreprises  indus- 
trielles et  commerciales. 

Il  est  d'autre  part  évident  que  la  création  de  tout  nouveau 
service  a  pour  résultat  de  diminuer  le  temps  dont  dispo- 
saient jusque-là  les  autorités  locales  pour  l'accomplissement 
de  leurs  devoirs  essentiels,  à  moins  d'augmenter  soit  le 
nombre  total  de  leurs  heures  de  travail,  soit  le  nombre  de 
leurs  membres.  Il  n'y  a  rien  d'impossible  à  cela  ;  mais  l'ap- 
plication d'une  telle  méthode  aboutirait  probablement  à  faire 
élire  aux  assemblées  locales  des  hommes  encore  moins  capa- 
bles en  moyenne  d'administrer  les  affaires  de  la  commune 
que  ceux  qu'on  élit  actuellement;  citant  Bernard  Shaw, 
nous  disions  tout  à  l'heure  qu'on  obtiendrait  peut-être  plus 
de  travail  et  plus  de  services  des  conseillers  municipaux, 
en  leur  accordant  un  traitement;  M.  Darwin  n'est  pas  de 
cet  avis  ;  pour  lui,  on  n'obtiendra  rien  de  bon  d'un  système 


58o  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   VIII 

qui  consisterait  à  donner  des  salaires  modérés  à  des  hom- 
mes élus  pour  remplir  des  devoirs  techniques.  Le  fait  que 
Ton  paye  quelqu*un  pour  remplir  une  besogne  ne  prouve 
pas  qu'il  la  fasse  bien  :  les  députés  français  qui  touchent  un 
traitement  aujourd'hui  fort  convenable,  ne  travaillent  pas 
mieux,  tant  s'en  faut,  que  leurs  collègues  anglais  qui  n'en 
touchent  aucun  ;  il  n'a  pas  été  donné  de  constater  jusqu  ici 
que  la  capacité  des  premiers  augmente  en  raison  des  éléva- 
tions de  traitement  qu'ils  s'accordent  si  facilement. 

Le  Times  est  encore  plussévère  dans  ses  appréciations  (L. 
La  question  se  pose  de  savoir,  dit  il,  si  la  capacité  du 
personnel  des  conseils  municipaux  s'est  accrue  dans  la 
même  proportion  qu'ont  augmenté  les  devoirs  et  les  respon- 
sabilités qui  incombent  aux  administrateurs  locaux  sous  le 
régime  du  nouveau  municipalisme. 

Personne  ne  niera  que  lorsqu'une  municipalité  se  propose 
degérer  une  entreprise  commerciale,  ses  membres  devraient 
faire  preuve  d'un  degré  d'intelligence  et  de  capacité  qui  leur 
permette  de  supporter  aisément  la  comparaison  avec  les 
directeurs  de  ces  grandes  Compagnies  que  le  socialisme 
municipal  brûle  de  supplanter.  De  fait,  le  représentant  du 
nouveau  municipalisme  devrait  même  faire  preuve  d'une 
intelligence  et  d'une  capacité  relativement  beaucoup  plus 
grandes  ;  car,  tandis  que  l'homme  d'affaires  ordinaire  re- 
garde comme  une  tâche  largement  suffisante  la  direction 
d'un  réseau  de  tramways,  d'une  usine  à  gaz  ou  d'un  secteur 
électrique,  ne  suppose-t-on  pas  au  contraire  le  conseiller 
municipal  d'aujourd'hui  capable  de  contrôler  des  entreprises 
de  ce  genre  en  nombre  inHni  et  de  veiller  en  outre  à  des 
intérêts  publics  de  toute  espèce  ?  Qu'importe  qu  il  n'ait  de 

(t)  Voir  le  Times,  8  septembre  1902. 


DE    l'augmentation    DES    FONCTIONS  58 1 

toutes  ces  matières  à  son  arrivée  au  conseil  aucune  connais- 
sance pratique  et  qu'il  ne  doive  être  membre  de  ce  corps 
que  quelques  années  seulement  !  Du  seul  fait  que  la  majo- 
rité des  électeurs  de  sa  circonscription  a  porté  ses  voix  sur 
lui,  il  se  trouve  soudain  revêtu  de  la  capacité  qu'exige  Tex* 
ploitation  d'une  usine  à  gaz,  d*un  tramway,  ou  d'un  réseau 
téléphonique.  Viendrait-il  à  demander,  dans  la  vie  ordinaire 
des  affaires,  qu'on  lui  confie  la  direction  de  l'une  quelcon- 
que de  ces  entreprises,  la  première  question  qu'on  lui  po- 
serait serait:  quels  titres  avez-vous  à  faire  valoir?  L'on 
imagine  quelle  réponse  lui  serait  faite  s'il  avait  à  confesser 
quMl  n'est  en  quoi  que  ce  soit  préparé  à  remplir  cet  emploi 
ou  que  le  seul  titre  qu'il  puisse  invoquer  pour  obtenir  la 
direction  d'une  usine  à  gaz  est  qu'il  a  jadis  été  mêlé  à  des 
affaires  de  tramways. 

Le  rôle  du  conseiller  municipal  devenant  de  jour  en  jour 
plus  difficile,  il  est  extrêmement  important,  pour  le  bien 
même  du  pays,  que  les  hommes  d'affaires  les  plus  capables 
ne  renoncent  pas  à  prendre  part  à  Toeuvre  du  gouverne- 
ment local.  Plus  que  jamais,  il  est  à  désirer,  sous  le  régime 
du  nouveau  municipalisme,  qu'ils  se  joignent  aux  corps 
locaux,  qui  ont  tout  spécialement  besoin  de  leur  aide. 
S'ils  ne  trouvaient  malheureusement  pas  toujours  le  temps 
de  le  faire  quand  l'autorité  locale  se  contentait  d'entretenir 
le  sol  des  rues  et  de  construire  les  égouts,  n'hésiteront-ils 
pas  bien  davantage  encore»  dans  les  conditions  actuelles, 
à  poser  leurs  candidatures  ? 

Sans  parler  du  sentiment  d'hostilité  que  ressentira  tou- 
jours tout  commerçant  ou  industriel  à  l'égard  d'une  mu- 
nicipalité qui  vient  lui  faire  concurrence  et  diminuer  ses 
gains,  en  créant  un  service  public  nouveau,  analogue  à 
celui   dont  l'exploitation  constituait  son  métier,   d'autres 


58a  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    VIII 

considérations  peuvent  Tempécher  de  chercher  à  se  faire 
élire  conseiller.  Tel  grand  manufacturier  qui,  grâce  à  ses 
aptitudes  et  à  la  pratique  qu'il  a  des  affaires,  serait  en 
état  de  rendre  de  grands  services  en  qualité  de  membre 
d'une  corporation  aux  tendances  commerciales,  se  sentira 
peu  disposé  à  sacrifier  non  seulement  son  temps,  mais 
aussi  les  contrats  qu'il  pourrait  obtenir  en  restant  hoi? 
du  conseil  ;  contrats  auxquels  il  devra  renoncer  une  fois 
élu  à  ce  corps.  Le  nombre  des  marchés  de  travaux  publics 
augmente  à  chaque  extension  de  l'entreprise  municipale, 
et  nous  avons  noté  la  tendance  croissante  que  manifestent 
certaines  municipalités  à  les  réserver  aux  entrepreneurs  de 
la  localité  même.  Il  arrivera  et  il  est  arrivé  déjà,  dans  ie 
nord  de  l'Angleterre  notamment,  que  ces  marchés  de  tra- 
vaux ou  de  fournitures,  passés  avec  des  entrepreneurs  ou 
des  commerçants  membres  du  conseil  municipal,  fassent 
naître  des  difficultés,  pour  ne  pas  dire  des  scandales. 

Là  ne  se  bornent  pas  les  inconvénients  qu'il  peut  y 
avoir  à  rechercher  la  situation  de  conseiller.  Le  Times  { I  ) 
raconte  l'histoire  d'un  grand  manufacturier,  homme  intel- 
ligent et  actif,  que  l'opposition  des  chefs  des  trade-unions 
locales  fit  échouer  aux  élections  municipales.  Tout  le  temps 
de  la  campagne  électorale,  il  fut  violemment  attaqué,  non 
seulement  pour  ses  opinions  et  son  programme  politique, 
mais  jusque  dans  la  gestion  de  ses  propres  affaires  et  dans 
sa  vie  privée.  L'exemple  n'est  pas  nouveau,  et  le  fait  n'est 
pas  isolé  ;  nous  en  voyons  couramment  en  France  de  sem- 
blables. Cette  élection  eut  pour  résultat,  non  seulement  de 
laisser  sur  le  carreau  un  homme  capable,  mais  de  dégoûter 
dans  la  région  tous  les  hommes  d'affaires  de  se  représenter 

(1)  Le  Times,  8  septembre  1902. 


DE  l'aUGIIBNTATION   DES   FONCTIONS  583 

aux  élections  locales  ;  si  bien  que  le  conseil  municipal  de 
la  ville  où  le  fait  se  passait,  après  s'être  lancé  à  corps  perdu 
dans  toutes  sortes  d'entreprises  aux  risques  et  aux  frais 
des  contribuables,  se  trouve  aujourd'hui  composé  de  sol- 
licitors  qui  regardent  la  politique  locale  comme  un  moyen 
de  se  faire  connaître  et  de  gagner  plus  d'argent,  ou  de  di- 
recteurs de  trade-unions  qui  n  ont  qu*une  idée  :  augmenter 
les  salaires  et  le  nombre  des  employés  municipaux. 

Que  faut-il  conclure  de  tout  ceci  ?  Sinon  que  la  capacité 
des  conseillers  a  tendance  à  diminuer  plutôt  qu'à  s'ac- 
c roi tre,  à  mesure  que  les  autorités  publiques  s'occupent 
davantage  d'entreprises  commerciales.  Le  succès  ou  Téchec 
de  ces  entreprises  dépendant  presque  exclusivement  de  la 
direction  qu'on  leur  donne,  nous  discutons  là  un  problème 
qui  mériterait,  semble-t-il,  de  la  part  des  partisans  du  Mu- 
nicipal Trading,  autant  d'attention  qu'il  en  reçoit  de  ses 
adversaires. 

Du  fait  même  que  l'administration  de  ces  communes 
nouveau  genre  entraine  la  conclusion  de  tant  de  contrats 
importants,  Temploi  de  tant  de  travail  et  l'application  sur 
une  si  vaste  échelle  des  principes  fondamentaux  du  socia- 
lisme intégral,  nombre  de  personnes  cherchent  à  s'intro- 
duire dans  les  assemblées  municipales  qui  ne  les  considèrent 
que  comme  un  moyen  d'avantager^  aux  dépens  des  autres, 
la  classe  dont  ils  font  eux-mêmes  partie,  et  d'encourager 
sous  toutes  les  formes  possibles  l'expansion  de  Tidée 
socialiste. 

Les  hommes  capables  s'en  vont,  d'autres  qui  le  sont 
beaucoup  moins  les  remplacent  ;  car  Télément  modéré  et 
Télément  socialiste  ont  peine  à  vivre  ensemble,  non.  seule- 
ment pour  des  raisons  politiques,  mais  pour  toutes  sortes 
d*autres  raisons.  Comme  on  Ta  très  judicieusement  fait  ob- 


584  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE  VIÏI 

server:  «  Comment  le  public  peuMl  espérer  que  des  hom- 
mes qui  ont  atteint  des  positions  hautes  et  influentes,  con- 
sentent à  devenir  membres  de  corporations  où  ils  auront  à 
fréquenter  d'autres  hommes  qui  n*ont  aucun  sens  de  la 
logique,  qui  ne  sont  parlementaires  ni  dans  leur  langage, 
ni  dans  leurs  manières  et  qui  n*ont  pas  une  idée  en  dehors 
de  leurs  propres  fins  égoïstes  ?  » 

Le  croquis  suivant  donne  une  idée  assez  exacte  du  type 
de  conseiller  ouvrier  socialiste,  fréquent  aujourd'hui  dans 
les  assemblées  municipales  (Voir  le  Social  Democrat,  nu- 
méro de  décembre  1900,  citant  un  article  du  Blackburn 
Weekly  Telegraph), 

((  Le  conseiller  X...  a  joué  dans  sa  vie  bien  des  rôles; 
jadis  ouvrier  carrier,  il  a  creusé  dans  la  pierre  ;  à  présent, 
il  creuse  dans  le  grand  livre  de  la  municipalité.  Son  seul 
moyen  d'existence  connu  est  une  place  de  secrétaire  de  la 
section  locale  de  Tunion  des  travailleurs  du  gaz,  qui  ne  lui 
demande  pas  grand  travail,  mais  ne  lui  rapporte  aussi  que 
peu  d'argent.  Ses  triomphes  populaires  n'ont  pas  apporté 
beaucoup  de  grain  à  son  moulin  ;  il  ne  connaît  que  trop  ce 
manque  de  sous  qui  ^knt  tant  les  hommes  publics  (this 
lack  of  pence  that  vexes  public  men).  Nous  doutons  fort  que 
Tom  X..,  ait  jamais  gagné  30  s.  par  semaine.  L*autre  soir 
pourtant,  nous  l'avons  entendu  faire  de  Tœuvre  municipale 
accomplie  durant  l'année  et  considérée  d*un  point  de  vue 
socialiste,  un  résumé  qu'aucun  autre  membre  du  conseil 
n'aurait  pu  faire  avec  plus  de  lucidité  de  style,  de  bon  sens 
et  d'ironie  enjouée.  » 

Nous  ne  doutons  pas  que  le  conseiller  en  question  ne 
mérite  les  louanges  qu'on  lui  décerne  etquil  ne  soit  lui- 
même  un  excellent  homme.  Et  pourtant  la  première  idée  de 
toute  personne  impartiale  ne  sera-t-elle  pas  qu'un  homme 


DE  L* AUGMENTATION    DES    FONCTIONS  585 

qui  n*a  jamais  gagaé  30  s.  par  semaine  ne  possède  peut- 
être  pas  cette  connaissance  pratique  de  la  finance  et  de  la 
direction  des  affaires  industrielles,  qui  le  désignerait  tout 
naturellement  pour  gérer  ou  exécuter  ces  grandes  entre- 
prises auxquelles  Blackburn  n'est  pas  restée  étrangère?  Le 
conseiller  X...  n*est  pas  une  exception  et,  sans  mettre  le 
moins  du  monde  en  doute  Thonnêteté  ou  la  sincérité  des 
hommes  de  son  genre,  la  question  se  pose  pourtant  de 
savoir  si  l'on  peut,  en  pleine  confiance,  leur  laisser  la  ges- 
tion des  finances  municipales  au  moment  précis  où  elle 
devient  de  plus  en  plus  difficile. 

On  répond  souvent  à  cette  objection  qu*on  peut  se  fier 
aux  autres  membres  du  conseil  pour  veiller  à  ce  que  les 
hommes  de  la  classe  en  question  ne  soient  pas  nommés  des 
comités  où  ils  pourraient  faire  quelque  mal,  ou  pour  les 
tenir  en  échec  s'ils  arrivaient  à  s'y  faire  nommer.  Cette  ré- 
ponse n'en  est  pas  une  ;  elle  ne  vaut  rien  pour  les  munici- 
palités avancées  presque  entièrement  composées  de  socia- 
listes et  dans  lesquelles  les  membres  des  partis  extrêmes 
sont  justement  ceux  qui  ont  le  plus  de  succès  (Poplar  et 
West  Ham  par  exemple)  ;  elle  ne  vaut  rien  ensuite,  parce 
qu'en  admettant  que  l'emploi  de  ce  procédé  fût  possible,  il 
aboutirait  à  faire  retomber  sur  les  épaules  des  membres  les 
plus  capables  du  conseil  tout  le  poids  des  affaires  publiques, 
solution  aussi  injuste  en  elle-même  que  peu  pratique  en 
réalité. 

Qu'arrive-t-il  forcément?  C'est  que  la  création  de  tant 
d^entreprises  municipales,  le  fardeau  supplémentaire  sous 
le  poids  duquel  plient  les  conseillers  les  plus  capables, 
l'élection  aux  corps  locaux  d'individus  que  leurs  occupa- 
tions antérieures  n'ont  en  quoi  que  ce  soit  préparé  à  la  di- 
rection ou  au  contrôle  des  grands  services  industriels,   au- 


586  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VIII 

roat  pour  résultat  de  rejeter  de  plus  en  plus  les  devoirs  du 
gouvernemeat  local  sur  les  fonctiounaires  de  la  commune 
et  de  créer  une  bureaucratie  municipale  dont  la  formation 
constitue  tout  le  contraire  d*un  progrès.  A  chaque  fois  que 
Ton  fonde  un  service  nouveau  ou  que  Ton  en  agrandit  un 
ancien,  il  faut  bien  augmenter  soit  le  nombre,  soit  Tauto- 
rite  des  fonctionnaires  communaux  ;  le  moment  approche 
où  la  bureaucratie  anglaise  soutiendra  victorieusement 
peut-être  la  comparaison  avec  celle  des  pays  du  continent. 

Demandons-nous  à  présent  de  quelle  façon  on  choisit 
ces  fonctionnaires  auxquels  on  confiera  dorénavant  le  plus 
clair  de  Touvrage  ?  Demandons-nous  à  quel  mode  de  recru- 
tement on  s'est  rallié  et  quelles  garanties  on  offre  aux  ad- 
ministrés ? 

Qu'il  s'agisse  d'entreprises  particulières  ou  d'entreprises 
municipales,  il  est  certain  que  dans  un  cas  comme  dans 
l'autre  le  favoritisme  ne  manquera  pas  déjouer  un  rôle  et 
de  produire  de  mauvais  effets  ;  mais  il  est  certain  aussi 
qu'il  a  beaucoup  plus  de  chances  de  se  faire  sentir  dans  le 
second  cas  que  dans  le  premier  ;  le  comité  directeur  d'une 
entreprise  municipale  se  souciant  bien  moins  de  son  succès 
final  qu'une  assemblée  d'actionnaires  (i). 

Le  favoritisme  n'est  pas,  croyons-nous,  le  seul  danger 
de  l'entreprise  municipale  ;  son  extension  nous  en  fait  pré- 
voir un  plus  grave  :  nous  voulons  parler  de  la  modicité  des 
traitements  que  les  municipalités  offrent  aux  directeurs  de 
leurs  entreprises,  quand  on  les  compare  à  ceux  que  peu- 
vent obtenir  dans  l'industrie  privée  des  hommes  actifs  et 
intelligents.  Une  première  sélection  va  se  faire  d'elle-même 
qui  n'est  pas  avantageuse  aux  municipalités  :  sachant  qu'ils 

(1)  Voir  Darwin,  Municipal  Tradt,  p.  151,  152  et  453. 


DR    L*AUGMENTATION   DBS    FONCTIONS  587 

peuvent  trouver  mieux  autre  part,  les  ingénieurs  et  les  ma- 
nagers les  plus  capables  ne  chercheront  pas  à  entrer  au 
service  des  corps  locaux. 

L'industrie  particulière  leur  donne  en  eiïet  des  traite- 
ments plus  élevés;  le  directeur  d'une  entreprise  particu- 
lière n'hésite  pas  à  augmenter  les  salaires  des  principaux 
employés,  lorsque  cette  augmentation  lui  permet  d'en  obte- 
nir de  plus  capables  et  d'accroître  le  chiffre  de  ses  profits 
bruts  ;  et  il  sait  à  peu  près  dans  quelle  mesure  il  a  intérêt 
à  le  faire. 

Les  conseils  municipaux,  au  contraire,  ne  paraissent  pas 
se  bien  rendre  compte  de  l'avantage  qu'ils  auraient  à  em- 
ployer des  fonctionnaires  largement  payés  ;  souvent  même, 
c'est  un  moyen  pour  leurs  membres  de  se  rendre  populai- 
res que  de  s'opposer  à  la  concession  de  gros  traitements. 
C'est  un  fait  universellement  reconnu  que  les  démocraties 
ont  tendance  à  donner  à  leurs  fonctionnaires  principaux  des 
traitements  bien  inférieurs  à  ceux  qu'ils  toucheraient  dans 
l'industrie  privée  pour  remplir  une  tâche  analogue.  Plus 
importante  est  la  position,  plus  on  surveille  jalousement 
l'augmentation  du  traitement.  Le  journal  le  «  Labour  Lea- 
der »  (1)  parle  des  conseillers  socialistes  de  Wolverhamp- 
ton  qui  savent  combiner  harmonieusement  et  efficacement 
leurs  efforts  pour  s'opposer  à  toute  augmentation  du  salaire 
des  fonctionnaires  aussi  longtemps  que  la  municipalité  ne 
payera  pas  à  ses  ouvriers  le  «  standard  rate  of  wages  »  ; 
ces  conseillers  ne  se  rendent  apparemment  pas  compte  le 
moins  du  monde,  que  les  classes  ouvrières  souffriront  au- 
tant que  les  autres  de  la  mauvaise  gestion  des  municipal 
trades. 

[\)  Volr^Times,  8  septembre  1902. 


58S  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VIII 

Puisqu^en  moyenne  les  salaires  des  hauts  fonctionnaires 
municipaux  sont  légèrement  inférieurs  à  ceux  que  touchent 
ries  personnes  qui  remplissent  dans  Tindustrie  privée  des 
fonctions  analogues,  force  nous  est  bien  de  conclure,  qu*à 
moins  de  supposer  que  les  directeurs  des  entreprises  par- 
ticulières se  connaissent  moins  bien  en  affaires  que  les  con- 
seillers, les  profits  nets  des  municipal  trades  sont  moindres 
actuellement  quMlsne  le  seraient  si  Ton  consentait  adonner 
des  traitements  plus  élevés. 

A  noter  encore,  entre  autres  effets  du  régime  bureau- 
cratique qu'est  celui  des  conseils  municipaux,  la  tendance 
qu'ils  ont  à  adopter  le  système  d'avancement  à  Tancien- 
neté,  système  qui  rend  plus  difficile  aux  hommes  les  plus 
capables  l'accès  aux  plus  hautes  positions.  Par  crainte  de 
provoquer  en  séance  publique  du  conseil  des  discussions 
fâcheuses,  on  fait  avancer  tout  le  monde  de  façon  uniforme. 
L^absence  de  discussions  publiques  facilite  dans  l'industrie 
privée  Tavancement  au  choix  et  permet  en  conséquence 
d'obtenir  à  meilleur  compte  une  exploitation  plus  efficace. 
Ce  n'est  pas  que  nous  niions  les  avantages  delà  publicité; 
elle  en  possède  de  très  certains,  peut  dans  certains  cas 
faire  cesser  les  tripotages  et  garantit  les  fonctionnaires 
contre  tout  traitement  brutal  et  grossier. 

L'instabilité  du  personnel  constituera  le  dernier  vice  du 
système  municipal  ;  elle  n'en  est  pas  le  moindre  ;  c'est 
un  fait  constant  que  les  fonctionnaires  municipaux  occupent 
généralement  moins  longtemps  le  même  poste  que  les 
fonctionnaires  similaires  de  l'industrie  privée.  Cette  insta- 
bilité s'accentue  d'autant  plus  que  le  pays  vit  sous  un  ré- 
gime plus  démocratique.  Elle  est  si  grande  aux  Etats-Unis 
qu'ilexiste  un  mot  spécial  pour  la  désigner  :  le  spoil  systeni, 
le  système  des  dépouilles  au  vainqueur,  possède  aujour- 


DE    l'augmentation    DES    FONCTIONS  689 

d'hui  rapprobatioQ  des  politiciens  de  tous  les  pays  (1). 
Daas  son  livre  sur  les  monopoles  municipaux,  M.  Bemis, 
quoique  partisan,  nous  dit-il,  de  l'extension  de  la  propriété 
publique,  constate  que,  d'après  des  rapports  officiels  qui 
vont  de  1882  à  1896,  le  personnel  des  waterworks  change 
constamment. 

Quand  bien  même  les  mauvais  résultats  d'un  pareil  sys- 
tème ne  se  feraient  pas  encore  sentir  en  Angleterre  actuel- 
lement, le  germe  en  existe  pourtant  qui  n'attend  qu'une 
occasion  favorable  pour  se  développer.  Le  triomphe  du 
parti  socialiste  aux  élections  législatives  pourrait  bien  être 
cette  occasion. 

La  croissance  des  entreprises  municipales,  tant  en  nom- 
bre qu'en  importance,  et  la  moindre  capacité  des  nouveaux 
élus  aboutissent,  on  le  voit,  à  créer  une  bureaucratie  dont 
le  pouvoir  augmente  chaque  jour  et  dont  les  membres  se- 
ront bientôt  les  véritables  chefs  de  l'administration  des  allai- 
res  locales.  Autant  et  plus  peut-être  que  les  conseils  muni- 
cipaux, c'est  cette  bureaucratie  qui  favorise  l'expansion  du 
municipalisme  ;  car  elle  sait  qu'elle  ne  peut  que  gagner  à 
tous  égards,  que  ce  soit  au  point  de  vue  politique  ou  au 
point  de  vue  pécuniaire,  au  développement  illimité  des  ser- 
vices publics.  Mais  chaque  fois  qu'elle  étend  plus  loin  su 
puissance,  l'industriel  ou  le  commerçant  peut  se  dire  qu'on 
vient  de  fermer  un  débouché  à  son  activité,  et  le  contribua- 
ble se  préparer  à  solder  des  impôts  dont  le  taux  aura  aug- 
menté de  quelques  deniers  par  £  depuis  la  fin  de  l'année 
précédente. 

(1)  Voir  Lerot- Beau  LIEU,  LElat  moderne  el$es  foncliom,  p.  G6. 


CHAPITRE  IX 


risquils  et  profits. 


Plusieurs  des  chapitres  de  la  première  partie  de  ce  volume 
ont  été  consacrés  à  Tétude  pratique  des  résultats  financiers 
des  régies  municipales.  Tl  nous  a  été  donné  de  constater  que 
leurs  bilans  se  soldent  tantôt  par  des  bénéfices  et  tantôt  par 
des  pertes,  et  de  noter  que  les  municipalités  tirent  de  Texis- 
tence  ou  de  la  possibilité  de  ces  bénéfices  un  de  leurs  argu- 
ments les  plus  sérieux  en  faveur  du  Municipal  Trade.  Lais- 
sons à  présent  les  chiffres  de  côté  et  voyons  d'un  point  de 
vue  théorique  quel  succès  on  est  en  droit  d'attendre  des 
entreprises  municipales.  Considérons  les  résultats  obtenus 
jusqu'ici  et  demandons-nous  dans  quelle  mesure  on  peut  se 
fier  à  ces  résultats  passés  pour  fixer  la  ligne  de  conduite  à 
suivre  à  l'avenir. 

Et  d'abord  que  faut-il  entendre  exactement  par  ce  mot 
«  profit  »  ?  Tl  est  important  de  le  bien  définir  avant  de  nous 
engager  dans  la  discussion  qui  va  suivre. 

Prenons,  si  l'on  veut,  le  cas  d'une  municipalité  qui  pos- 
sède une  usine  à  gaz  ;  cette  municipalité  va  retirer  de  la 
vente  de  son  gaz  un  certain  revenu  ;  au  moyen  de  ce  revenu 
elle  payera  les  dépenses  d'exploitation,  c'est-à-dire  lestrai- 
tements  de  ses  fonctionnaires,  les  salaires  de  ses  ouvriers 
et  le  coût  des  matières  premières.  S'il  lui  reste  quelque 
chose  une  fois  ces  paiements  faits,  ce  reste  ou  ce  surplus 


RISQUES    ET   PROFITS  69 1 

s'appellera  profit  brut,  en  anglais»  gross  profit  ».  Ce  profit 
brut  équivaut  par  conséquent  au  dividende  annuel  que  tou- 
chent, dans  des  conditions  normales,  les  actionnaires  d'une 
Compagnie,  à  supposer  que  cette  Compagnie  n'ait  pas  d'in* 
térèts  à  payer  ou.  de  dette  à  rembourser.  Prouver  que  l'usine 
à  gaz  municipale  a  réalisé  un  profit  brut  ne  suHira  pas  à 
démontrer  que  cette  entreprise  constitue  un  succès  financier. 
Car,  sur  ce  profit  brut  Tautorité  locale  devra  payer  l'intérêt 
de  la  dette  qu'elle  a  contractée  pour  construire  ou  acheter 
son  usine  à  gaz  et  pourvoir,  au  moyen  d*un  sinking  fund,  au 
remboursement  de  cette  dette.  Si  pourtant,  après  avoir 
pourvu  non  seulement  aux  dépenses  d'exploitation,  mais  au 
remboursement  du  capital  et  au  paiement  des  intérêts,  il  lui 
reste  encore  un  surplus,  ce  surplus  sera  son  profit  net  :  c'est- 
à-dire  le  bénéfice  net  que  la  municipalité  commerçante  aura 
retiré  de  l'exploitation  de  son  entreprise  et  qu'elle  versera 
tout  entier  dans  les  caisses  publiques.  Au  contraire,  il  y  aura 
perte  lorsqne  l'entreprise  n'aura  pu  faire  face  à  tous  les 
frais  que  nous  venons  d'énumérer  (i). 

Comme  le  fait  très  judicieusement  remarquer  le  major 
Darwin,  il  est  nécessaire  d'insister  sur  ce  fait  qu'il  s'agit 
d'une  comparaison  entre  deux  méthodes  et  qu'il  faut  tou- 
jours envisager  les  deux  côtés  de  la  question.  Il  nous 
faut  considérer  non  seulement  le  chiffre  des  recettes  qui 
tombent  dans  les  caisses  municipales  lorsqu'on  municipalise 
une  industrie,  mais  aussi  ce  qu'auraient  été  ces  recettes  si 
Ton  avait  laissé  cette  industrie  aux  mains  des  particuliers. 
Pour  nous  faire  mieux  comprendre,  prenons  un  exemple, 
et  voyons  ce  qui  se  passe  en  matière  d'impôts. Quand  Tusinc 
H  gaz  appartient  à  la  municipalité,  le  paiement  des  impôts 

(i)  Voir  le  chapitre  VII  de  Touvrage  du  major  Darwin  auquel  nou& 
empruntons  la  plupart  des  arguments  qui  suivent. 


bQ'Jt  TUOIS1F.ME    PAKTIE.    CHAPITRE    IX 

qui  frappent  cette  usine  équivaut  à  un  simple  transfert  d'ar- 
gent d*un  compte  municipal  à  un  autre.  Puisqu'il  ne  s*a«:it 
que  d'une  simple  opération  d'écritures,  pourquoi  ne  pas  la 
supprimer  purement  et  simplement  ?  La  tentation  est  forte 
et  bien  des  corps  locaux  y  ont  succombé  (1). 

.  Ainsi,  quand  bien  même  une  municipalité  n'aurait  rien 
gagné  du  tout  à  se  charger  de  Texploitation  du  gaz,  il  lui 
serait  cependant  possible  d'accuser  un  profit  net  considéra* 
ble  rien  qu'en  omettant  de  faire  payer  les  impôts  à  ses  pro 
près  usines.  Mais  ceci  n'est  qu'un  artifice  de  comptabilité 
qui  n'est  pas  défendable,  et  cet  exemple  nous  fait  bien  voir 
q  u'il  ne  suffit  pas  de  montrer  qu  on  a  réalisé  un  profit  net 
pour  prouver  que  la  municipalisation  constitue  un  succès 
financier. 

A  côté  des  dépenses  d'exploitation,  en  général  beaucoup 
plus  fortes  dans  les  industries  municipalisées  que  dans  les 
industries  privées,  et  des  impôts  que  les  municipalités  ne 
font  pas  toujours  payer  dans  leur  plein  à  leurs  propriétés,il 
nous  faut,  dans  la  comparaison  que  nous  cherchons  à  éta- 
blir, tenir  compte  d'un  élément  beaucoup  plus  important  : 
nous  voulons  parler  des  rentes  oufredevances  souvent  consi- 
dérables que  payent  aux  autorités  locale.s  des  Compagnies 
particulières,parexempledesCompagniesde  tramways, pour 

(t)  C'est  ainsi  que  M.  J.  P.  Elms,  secrétaire  de  TAssociation  des 
contribuables  de  Newport,  déclare  que  la  municipalité  de  son  borougb 
possède  une  usine  électrique  coulant  k  peu  près  £  100.000,  cequi,au 
taux  de  4  ^/q, donnerait  une  valeur  imposable  (a  net  rateable  value 
de  £  4.000. 

Cette  usine  ne  figure  actuellement  sur  le  registre  des  contributions 
que  pour  £  432,  mais  on  cbercbe  k  imposer  vingt  fois  plus  la  Com- 
pagnie locale  du  gaz,  entreprise  particulière  dont  la  concurrence 
gène  la  vente  de  Télectricité  communale  (Voir  Lord  Avbbury,  On 
Municipal  and  Nalional  Trading ^  p.  66). 


RISQIJES   ET   PROFITS  ÔqS 

avoir  le  droit  de  faire  circuler  leurs  voitures  sur  les  voies 
publiques.  Les  villes  qui  exploitent  en  régie  ne  touchent 
naturellement  pas  de  redevances  de  ce  genre. 

Pour  se  faire  une  idée  à  peu  près  exacte  des  résultats 
auxquels  aboutit  la  nounicipalisation,  il  faut  donc  débiter 
les  comptes  des  industries  municipalisées,  non  seulement 
(les  impôts  locaux  payés  dans  leur  plein,  mais  procéder 
aussi  à  une  estimation  des  redevances  qu'on  eût  pu  de- 
mander aux  Compagnies  concessionnaires,  et  de  la  valeur 
en  argent  de  tous  les  services  qu'on  aurait  pu  les  forcer  à 
rendre  gratuitement  ;  déduire  enfin  les  totaux  auxquels 
on  est  arrivé  à  la  suite  de  ces  estimations,  des  profits  nets 
que  réalise  la  municipalité.  Ce  n'est  qu'alors  qu'on  pourra 
se  rendre  compte  de  l'avantage  que  la  communauté  retire 
de  lamunicipalisation  des  diverses  industries  dont  elle  a  la 
direction. 

Jusqu'ici  notre  comparaison  n'a  porté  que  sur  cette  por- 
tion des  recettes  brutes  qui,  lorsque  l'entreprise  appartient 
à  des  particuliers,  sert  à  faire  face  soit  aux  dépenses  d'ex- 
ploitation, soit  au  paiement  des  redevances  ou  autres  ser- 
vices à  rendre  à  la  municipalité.  Il  nous  reste  à  voir  main- 
tenant si,  par  la  municipalisation  d'une  industrie  quel- 
conque, on  peut  retenir  au  bénéfice  du  public  la  portion 
restante  de  ce  profit  brut,  celle  qui  dans  les  Compagnies 
est  payable  en  dividendes  et  en  intérêts,  aux  actionnaires 
et  aux  porteurs  d'obligations. 

En  essayant  de  résoudre  cette  question,  nous  sommes 
amenés  à  en  traiter  du  même  coup  deux  autres  très  impor- 
tantes :  la  première  est  celle  du  risque  inhérent  à  toute 
entreprise  commerciale;  la  seconde  consistée  savoir  si, 
comme  on  le  dit  souvent,  les  profits  des  entreprises  muni- 

Boverat  38 


5g4  TROISIÈMB   PARTIE.    CHAPITRE    IX 

cipales  sont  dus  au  taux  d'intérêt  peu  élevé  auquel  les 
municipalités  trouvent  à  emprunter. 

Commençons  par  la  question  du  risque  commercial  : 
quand  une  municipalité  entreprend  Texploitatioa  d'une 
entreprise  quelconque,  elle  peut  soit  créer  cette  entreprise 
de  toutes  pièces,  soit  acheter  quelque  entreprise  déjà  exis- 
tante. Supposons  qu'on  se  trouve  dans  le  dernier  c^s  et 
que  la  Compagnie  que  Ton  rachète  ne  paye  pas  de  rede- 
vance à  la  municipalité.  Admettons  que  rexploîtatîon  ne 
sera  ni  meilleure  ni  plus  mauvaise  après  la  mise  en  régie 
qu'elle  ne  Tétait  avant.  Au  point  de  vue  financier,  la  com- 
munauté aura-t-elle  dans  ces  circonstances  quelque  avan- 
tage à  municipaliser  cette  industrie  ? 

((  Si,  dit  M.  Darwin,  un  propriétaire  foncier  emprunte 
sur  hypothèque  à  3  ^/o  une  somme  d^argent  à  son  banquier, 
et  qu'avec  cet  argent  il  achète  des  actions  de  quelque  en- 
treprise industrielle  donnant  un  dividende  de  8  V09  il  retire 
de  Targentqu'il  a  emprunté  un  revenu  de  5  Vo>  aussi  long- 
temps que  dure  cette  heureuse  situation  de  ses  affaires. 
Mais  si,  au  lieu  de  spéculer  sur  cette  valeur  spéciale,  il 
place  la  somme  qu'il  a  empruntée  en  obligations  de  che- 
mins de  fer  rapportant  3  Yo»  il  Q^  retirera  de  son  opération 
aucun  bénéfice.  La  raison  en  est  évidente.  Le  public  en 
quête  de  placements  procède  à  une  estimation  du  risque 
que  comporte  Tentreprise  industrielle  en  question,  et  s'il 
est  possible  d  obtenir  un  intérêt  de  8  ^'/o  en  achetant  des 
actions  dans  d'autres  entreprises  qui,  croit-on,  ne  com- 
portent pas  plus  de  risques,  personne  ne  voudra  payer  les 
actions  de  l'entreprise  dont  nous  parlons  un  prix  assez 
élevé  pour  en  retirer  un  intérêt  moindre  de  8  "/o.  L'intérêt 
que  rapporte  telle  valeur  constitue  en  fait  la  mesure  du 
risque,  tel  qu'on  l'estime  dans  le  monde  commercial.  Ce 


RISQUES  ET   PROFITS  5g5 

que  nous  venons  de  dire  s'applique  spécialement  aux  va- 
leurs industrielles  et  aux  obligations  de  chemins  de  fer  ; 
mais  des  considérations  analogues  gouvernent  le  taux  d'in- 
térêt que  demandera  le  banquier  pour  prêter  son  argent 
au  propriétaire  foncier.  En  réalité,  le  banquier  estime  la 
valeur  du  gage  que  lui  offre  le  landlord,  tout  comme  le 
font  les  détenteurs  d'obligations  à  Tégard  du  gage  que  leur 
offre  la  Compagnie  de  chemins  de  fer  ;  aussi  le  landlord 
doit-il  payer  à  son  banquier  à  peu  près  le  même  taux  d'in- 
térêt que  la  Compagnie  de  chemins  de  fer  aux  porteurs  de 
ses  obligations.  Le  landlord  ne  pourra  donc  espérer  retirer 
aucun  profit  de  sa  transaction,  si,  lorsqu'il  place  de  l'ar- 
gent qu'il  emprunte,  il  n'accepte  pas  de  courir  un  risque 
plus  grand  que  celui  que  comporte  le  gage  qu'il  offre  ;  et 
plus  grand  sera  le  risque  qu'il  accepte,  plus  grands  seront 
ses  gains  possibles,  mais  plus  grandes  aussi  ses  chances  de 
pertes. 

La  spéculation  que  fait  une  municipalité, quand  elle  achète 
une  usine  à  gaz  à  sa  valeur  marchande  au  moyen  d  argent 
qu'elle  vient  d'emprunter  sur  le  marché, est  de  tous  points 
semblable  à  la  spéculation  du  landlord.  On  ne  peut  guère 
le  nier,  et  s'il  en  est  ainsi,  force  nous  est  de  conclure  qu'on 
n'aurait  pu  retirer  le  moindre  avantage  de  la  municipalisa* 
lion  de  l'usine  à  gaz,  si  Ton  avait  dans  le  public  regardé  les 
actions  de  la  Compagnie  du  gaz  comme  un  placement  aussi 
sûr  que  la  dette  de  la  ville.  Car  alors  l'intérêt  que  recevaient 
les  actionnaires  de  la  Compagnie  du  gaz  n'aurait  pas  été 
plus  élevé  que  l'intérêt  que  paye  la  ville  à  ses  créanciers  ; 
et  la  municipalité  devrait  payer  en  intérêts  sur  les  sommes 
qu'elle  a  empruntées  pour  acheter  l'usine  à  gaz  une  somme 
égale  à  celle  qu'elle  touche  sous  forme  de  profits.  Ils'en  suit 
donc,  conclut  M.  Darvin,  qu'on  ne  peut  accroître  les  rêve- 


5g6  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    IX 

nus  muncipaux  qu'à  condition  de  se  charger  d'entreprises 
dont  l'exploitation  comporte  quelques  risques. 

Si,  pour  réaliser  un  proiit,  la  municipalité  doit  consentir 
à  courir  un  risque,  il  n*en  est  pas  moins  vrai  que  son  pres- 
tige plus  grand,prestige  qui  provient  sans  doute  de  ce  qu'elle 
peut  étendre  plus  loin  que  des  Compagnies  particulières  et 
parmi  un  public  plus  nombreux  le  champ  de  ses  opérations 
financières, lui  permet  de  contracter  ses  emprunts  à  un  taux 
plus  bas  que  celui  qu'ont  à  payer  des  Compagnies,  touteques- 
tion  de  risque  mise  à  part  ;  et  que  ce  taux  particulièrement 
bas  nestpas  sans  influence  sur  les  profits  qu'elle  peut  réali- 
ser.Cet  argument  n*est  pas  sans  renfermer  une  part  de  vérité. 
Mais  ce  qu'il  faut  retenir,c'est  que  la  principale  diiîérencequi 
sépare  ri ntérét  que  payent  les  municipalités  de  Tiatérét  que 
paye  à  ses  actionnaires  une  Compagnie  particulière, a*a  rien 
à  faire  avec  le  prestige  et  dépend  entièrement  des  risques 
que  courent  les  propriétaires  des  titres.  Il  ne  fait  de  doute 
pour  personne  que  si  un  town  council,  voulant  emprunter 
de  rargent,prévenait  que  les  intérêts  de  la  dette  qu'il  con- 
tracte ne  seront  payables  que  sur  les  profits  de  Tusine  à  gaz 
à  l'achat  de  laquelle  il  destine  le  montant  de  Temprunt.il  lui 
faudrait  payer  un  taux  d'intérêt  plus  élevé  qu*il  ne  le  fait 
pour  les  dettes  municipales  ordinaires  dont  la  garantie  est 
illimitée. 

Le  prestige  de  la  municipalité  n'entre  certainement  pour 
rien  dans  la  comparaison  qu'on  établit  entre  ces  deux  espè- 
ces d'emprunts  municipaux, et  la  différence  qui  sépare  le  taux 
des  intérêts  payés  dans  les  deux  cas  provient  uniquement 
du  risque  que  l'on  court  de  voir  les  profits  de  l'usine  à  gaz 
municipale  diminuer  à  l'avenir.  Le  procédé  qui  consisterait 
à  acheter  une  usine  à  gaz  avec  l'argent  d'un  emprunt 
n'ayant  pour  seule  garantie  que  les  profits  de  cette  usine» 


RISQUES    ET   PROFITS  697 

présenterait  l'avantage  de  prémunir  la  ville  contre  toute 
perte  au  cas  où  l'éclairage  électrique  viendrait  à  détrôner 
complètement  Téclairage  par  le  gaz.  Les  détenteurs  des 
obligations  municipales  gaz  toucheraient  alors  un  taux 
d*intérèt  moindre  qu'au  début  ;  ils  supporteraient  la  perte 
à  eux  seuls.  Aussi  la  municipalité  pourrait-elle  considérer 
letauxdeô  ®/o  qu'elle  avait  consenti  à  payer  pour  un  emprunt 
conclu  sur  la  seule  garantie  de  Tusine  à  gaz  (au  lieu  du 
taux  de  3  %  qu'elle  paye  à  l'ordinaire)  comme  une  assu- 
rance contre  toute  perte  que  pourrait  entraîner  à  l'avenir 
Texploitation  de  cette  entreprise  ;  car,  en  consentant  à 
payer  cet  excès  d'intérêt,  elle  se  décharge  de  ses  risques  de 
perte  sur  d'autres  personnes. 

Si  l'on  veut  bien  y  réfléchir,  c'est  précisément  à  ce  résul- 
tat que  Ton  serait  arrivé  en  laissant  l'usine  à  gaz  aux  mains 
des  particuliers,  puisque  les  actionnaires  eussent  été  les 
seuls  à  pâtir.  De  tout  ceci,  nous  pouvons  conclure  que 
lorsqu'on  exploite  une  industrie  en  régie,  une  partie  des 
profits  que  l'on  réalise  est  eu  réalité  due  à  ce  fait  que  la 
municipalité  néglige  de  s'assurer  contre  un  risque,  contre 
lequel  elle  est  tout  naturellement  assurée  aussi  longtemps 
que  l'entreprise  reste  aux  mains  des  particuliers.  «  Une 
maison  de  commerce  qui  cesserait  de  s'assurer  contre 
Tincendie  pourrait  accuser  un  accroissement  correspondant 
de  profits  aussi  longtemps  qu'il  ne  se  produirait  pas  de 
sinistre  :  mais  serait-elle  en  droit  d'invoquer  cette  augmen- 
tation de  ses  profits  comme  une  preuve  de  la  sagesse  de  sa 
conduite  ?  Evidemment  non.  Est-il  plus  sage,de  la  part  d'une 
municipalité, de  se  réclamer  du  montant  total  des  profits  de 
ses  entreprises  municipales  pour  prouver  combien  elle  a 
eu  raison  d'adopter  une  politique  municipaliste?  Non, 
puisqu'une  partie  de  ses  profits  n'est  due  qu'à  ce  fait  qu'elle 


598  TROISIEME   PABTIG.    —    CHAPITRE    IX 

prend  à  son  compte  un  risque  contre  lequel  elle  était  autre- 
fois garantie.  »  Le  profit  statistique  n*est  souvent  qu'un 
profit  apparent  :  ce  n'est  pas  toujours  un  gain  réel  pour  la 
communauté. 

Du  jour  où  la  municipalité  se  met  à  spéculer  (car  la 
municipalîsation  dun  service  public  n*est  pas  autre  chose 
qu'une  spéculation),  ses  gains  vont  dépendre,  comme  ceux 
de  tout  spéculateur,  soit  de  son  habileté, soit  de  connaissan- 
ces supérieures  à  la  moyenne  des  autres  spéculateurs,  soit 
aussi  et  surtout  du  hasard.  Rèçle  générale,  les  municipa- 
lités ne  font  pas,  en  matière  commerciale,  preuve  d*uQe 
extraordinaire  habileté  ;  c'est  un  fait  à  constater  chaque  fois 
qu'elles  rachètent  une  entreprise  particulière  pour  la  mettre 
en  régie,  qu'elles  la  payent  plutôt  trop  cher  que  pas  assez. 
Cette  infériorité  qui  se  montre  ainsi  dès  le  début  d'une  ex- 
ploitation ne  disparaîtra  pas  par  la  suite  ;  elle  ne  perdra  pas 
une  occasion  de  se  manifester,  qu'il  s'agisse  d'achat  de 
matières  premières,  de  matériel  ou  de  vente  de  marchandi- 
ses. Les  conseillers  municipaux  n  ont  aucune  aptitude  à  la 
spéculation,  et  d'ailleurs  la  spéculation  ne  fait  pas  partie  de 
leurs  attributions.  Il  ne  faut  donc  pas  compter  qu^ils  seront 
plus  adroits  que  la  majorité  des  spéculateurs;  en  mettant  les 
chosesau mieux,  on  peut  avancer  que  la  perte  ouïe  gain  au- 
quel aboutit  la  municipalisation  de  toute  industrie  est  un  peu 
matière  dechance.Ët  ceprofit  ou  cette  perte  resteront  matière 
de  chance  tant  que  les  conseils  municipaux  n'auront  pas  reçu 
le  don  de  prophétie.  L'exemple  des  villes  auxquelles  la  mu- 
nicipalisation d'un  service  a  réussi  ne  prouve  pas  grand'- 
chose:  il  n'est  pas  deux  villes  qui  se  trouvent  exactement 
dans  les  mêmes  conditions  ;  et  d'ailleurs,  du  jour  où,  se 
fondant  sur  un  grand  nombre  d'exemples,on  s'aperçoit  que 
les  risques  qu'il  y  a  à  municipaliser  telle  industrie  décrois- 


«ISQUES    ET   PROFITS  Sq^ 

seat,  de  ce  jour  là  on  peut  se  dire  que  les  chances  de  retirer 
des  profits  considérables  de  son  exploitation  décroissent 
également.  C'est  ce  qui  s'est  produit  pour  le  gaz.  Si  cer- 
taines villes  ont  pu  faire  des  profits  considérables  sur  leurs 
usines  à  gaz,  c'est  qu'elles  les  ont  créées  ou  achetées  <\  un 
moment  où,  en  agissant  de  la  sorte,  elles  couraient  de  gros 
risques  ;  aujourd'hui  l'exploitation  et  le  rendement  d'une 
usine  à  gaz  sont  choses  dont  une  longue  expérience  a  fait 
disparaître  l'incertitude  ;  les  villes  qui  municipaliseront  le 
gaz  à  présent  peuvent  donc  espérer  ne  pas  perdre,  mais 
elles  sont  sûres  de  ne  pas  réaliser  de  gros  bénéfices. 

Revenons  au  profit,  et  prenons  le  cas  d'une  municipalité 
qui  réalise  des  bénéfices  sur  une  entreprise  quelconque.  La 
première  question  qui  se  pose  est  celle-ci  :  quel  emploi 
doit-elle  faire  de  ses  bénéfices  ?  Supposons,  pour  com- 
mencer, qu'elle  a  remboursé  toutes  les  dettes  contractées 
pour  fonder  l'entreprise.  Va-t-elle  faire  bénéficier  de  ce 
profit  net  qu'elle  continue  à  réaliser,  le  consommateur  ou 
bien  le  contribuable  ?  Le  premier  sous  forme  do  réduction 
des  prix,  le  second  sous  forme  de  réduction  d'impôts  ?  Dans 
la  résolution  de  ce  problème,  la  corporation  éprouvera  les 
plus  grandes  difficultés  à  tenir  la  balance*  égale  entre  le 
contribuable  copropriétaire  de  l'usine  municipale  et  le  con- 
tribuable consommateur. 

Le  consommateur  peut  réclamer  ce  profit  pour  cette 
raison  qu'on  n'a  formé  le  Sinking  fund,  dont  l'accumulation 
a  permis  le  remboursement  de  la  dette,  qu'à  l'aide  de  Tar- 
gent  qu'il  a  payé  ;  toutefois  sa  réclamation  n'est  logique 
que  dans  la  mesure  oiî  il  a  dû  payer  les  marchaadises  que 
lui  vendait  la  municipalité  plus  cher  qu'il  ne  les  aurait 
payées  au  cas  ou  ce  service  serait  resté  aux  mains  des  par- 


600  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    IX 

ticuliers  ;  c  est-à-dire  en  proportion  seulement  de  Timpôt 
indirect  qu'il  a  payé  de  la  sorte. 

Le  contribuable  copropriétaire  peut,  d'autre  part,  faire  va- 
loir que  le  Sinkingfund  n  a  été  constitué,  et  cela  dans  une 
grande  mesure,  qu'à  l'aide  des  contributions  additionnelles 
qu'on  lui  a  indûment  fait  supporter;  que  la  inunicipa- 
lisation  de  l'industrie  en  question  équivalait  en  fait  à  une 
spéculation  où  il  était  seul  à  répondre  des  pertes.  La  spé- 
culation ayant  réussi,  c'est  lui  qui  doit  en  recueillir  les 
bénéfices.  La  question  est,  comme  on  le  voit,  fort  difficile 
à  trancher  et,  quoi  que  Ton  fasse.  Ton  est  à  peu  près  sûr  de 
commettre  une  injustice.  Les  deux  exemples  suivants  voct 
le  prouver. 

«  ANottingham,  dit  M.  Davies  (1),  la  corporation  réa- 
lise sur  la  vente  de  son  gaz  un  profit  important,  et  Tannée 
dernière,  devant  l'un  des  comités  du  Parlement,  un  ma- 
nufacturier éminent  se  plaignait  amèrement  que  les  gros 
consommateurs  fussent  obligés  de  payer  leur  gaz  un  prix 
exorbitant  pour  permettre  à  la  municipalité  de  diminuer  le 
taux  de  ses  impôts.  Le  profit  réalisé  sur  la  vente  du  gaz 
suffisait,  disait-il,  à  couvrir  en  entier  le  coût  de  l'admirable 
Technical  IJniversity  de  Nottingham  ;  on  forçait  ainsi  les 
gros  manufacturiers  à  fournir  des  facilités  d'éducation 
simplement  extravagantes  pour  la  ville,  avec  de  l'argent 
pris  dans  leur  poche  pour  l'unique  raison  qu'ils  étaient, 
pourles  besoins  de  leur  commerce,  les  plus  gros  consom- 
mateurs de  gaz.  Une  semblable  manière  d'agir  revient  en 
somme  à  voler  le  riche  pour  donner  au  pauvre. 

A  Sheflield,  au  contraire,  la  corporation,  ayant  réalisé  un 
profit  sur  l'exploitation  de  ses  tramways,  propose  d'em- 

(1)  D.  H.  Davibs,  The  Cosl  of  Municipal  Trading,  p.  il. 


RISQUES    ET   PROFITS  60I 

ployer  £  12.000  de  ceprofitàla  réduction  des  impôts  locaux  ; 
siiioiv,  elle  serait  obligée  d'augmenter  de  2  d.  par  £  le  gê- 
nerai district  rate.  La  population  ouvrière  qui  habite  le  long 
de  la  route  du  tramway  s'est  soulevée  à  cette  proposition. 
Ces  ouvriers  ont  dit  qu'ils  étaient  pratiquement  les  seuls  à 
se  servir  du  tramway,  qu'une  diminution  du  District  rate  ne 
signifiait  rien  pour  eux,  que  les  riches  propriétaires  seraient 
les  seuls  à  en  profiter,  En  réalité  l'emploi  qu'on  proposait 
de  faire  des  profits,  dans  ce  cas,  revenait  à  voler  le  pauvre 
pour  donner  au  riche. 

Que  faire  alors  ?  Faut-il  supprimer  les  profits  ?  Nous  étu- 
dierons tout  à  rheure  ce  que  vaut  cette  solution.  Voyons 
auparavant  quel  usage  il  convient  de  faire  des  profits,  tant 
que  les  dettes  municipales  ne  sont  encore  que  partiellement 
remboursées,  cas  aujourd'hui  le  plus  fréquent. 

Un  certain  nombre  d'autorités  locales  sont  en  état  de  faire 
des  profits  nets  considérables,  sans  que  le  prix  des  produits 
qu'elles  vendent  soit  assez  élevé  pour  aboutir  à  imposer  une 
taxe  sur  les  objets  vendus.  Que  faut-il  faire  de  ces  surplus? 
Doit-on  les  donner  au  consommateur,  au  contribuable,  où 
doit-on  les  employer  à  hâter  le  rachat  de  la  dette  munici- 
pale? 

Ce  n'est  pas  le  moment,  semble-t-il,  d'en  faire  bénéficier 
le  consommateur;  réduire  les  tarifs  serait  dangereux, 
puisque  ce  serait  risquer  de  tarir  la  source  des  profits  à 
venir,  profits  dont  l'existence  est  absolument  nécessaire  à 
la  constitution  du  Sinking  fund.  Réduire  la  dette  sera  bien 
préférable.  Ce  sera  d'ailleurs  réduire  le  risque  des  contri- 
buables, et  ces  derniers  ont  un  intérêt  tout  aussi  sérieux, s'il 
n'est  pas  tout  aussi  immédiat,  à  voir  décroître  le  chiffre  de 
cette  dette  qu'à  voir  diminuer  le  montant  de  leurs  imposi- 
tions. 


602  TROISIÈME    PAIITIE.    CHAPITRE    IX 

M.  Darwin  estime  que,  pour  diminuer  dans  la  mesure  du 
possible  la  difficulté  de  ces  questions,  les  antorités  locales 
devraient  généralement  fixer  le  prix  des  marchandises  qu'el- 
les fournissent  à  peu  près  au  niveau  de  ceux  auxquels  s'ar- 
rêtent les  commerçants  particuliers.  Lorsque  le  montant  des 
profits  nets  le  permettrait,  on  rembourserait  les  emprunts 
un  peu  plus  rapidement  qu'on  ne  le  fait  à  présent.  Lorsque 
les  dettes  municipales  contractées  pour  des  entreprises  com- 
merciales seraient  entièrement  rachetées,  on  devrait  appli- 
quer à  rallègement  des  impôts  les  profits  nets  même  con- 
sidérables ;  tant  qu'elles  ne  seraient  que  partiellement 
rachetées,  une  partie  des  profits  nets  devrait  aller  au  con- 
tribuable et  une  autre  partie  hâter  le  remboursement  de  la 
dette  ;  mais  avant  le  remboursement  de  cette  dette,  on  ne 
devrait  faire  que  très  peu  de  profit  net,  et  seulement  lors- 
qu'on aurait  rintention  d'imposer  une  taxe  ou  de  retirer  une 
rente  de  l'industrie  en  question. 

Nous  arrivons  enfin  à  la  question  que  nous  posions  tout 
à  l'heure  :  les  profits  nets  doivent-ils  être  prohibés  ? 

Aiin  d  écarter  des  municipalités  la  fâcheuse  tentation 
qu'elles  ont  de  se  lancer  dans  des  entreprises  d'un  genre  spé- 
culatif, on  a  souvent  proposé  de  défendre  absolument  les 
profits  ;  ou  tout  au  moins  Ton  a  demandé  que  ces  profits  ne 
servent  jamais  à  diminuer  le  chiffre  des  impositions.  La 
prohibition  du  profit  n'est  pas  sans  provoquer  de  sérieuses 
difficultés,  difficultés  du  genre  de  celles  qu'on  rencontre  cha- 
que fois  qu'on  veut  fixer  par  des  règlements  ou  par  des  lois 
le  taux  des  prix  ou  des  bénéfices.  M.  Darwin  pense  qu'une 
méthode  qui  consisterait  à  faire  absorber  les  profits  par  la 
réduction  des  prix  aurait  sur  le  commerce  les  mêmes  mau- 
vais résultats  que  ceux  qui  peuvent  résulter  de  la  distribu- 
tion de  primes  considérables  aux  consommateurs  de  cer- 


UISQUBS    ET    PROFITS  6o5 

laines  marchandises.  Peut-être  objectera-t-on,  dit-il,  que 
les  profits  sont  prohibés  dans  le  municipal  trade  écossais. 
Glasgow  s'est  toujours  conformé  à  ce  principe  qu'il  faut  re- 
garder chaque  service  public  comme  un  compartiment 
étanche  qui  ne  doit  ni  donner  d'argent  aux  autres  services, 
ni  en  recevoir  d^eux.  Les  profits  que  la  ville  réalise  servent 
par  conséquent  à  diminuer  les  tarifs  ou  à  améliorer  le  fonc- 
tionnement des  divers  services.  Cette  politique  de  renon- 
cement parait  au  premier  abord  sage  et  équitable  puis- 
qu'elle permet  à  chaque  citoyen  de  recevoir  une  part  plus 
ou  moins  grande  des  bénéfices,  suivant  qu'il  fait  plus  ou 
moins  usage  des  services  publics  municipaux. 

Mais  Texemple  de  Glasgow  ne  suffit  pas  néanmoins  à 
prouver  la  sagesse  de  la  prohibition  ;  car  Ton  ne  pourra 
pleinement  en  ressentir  les  effets  que  lorsque  le  rembour- 
sement des  emprunts  municipaux  sera  plus  avancé  qu'il 
ne  Test  aujourd'hui. 

La  réduction  exagérée  des  tarifs,  opérée  à  Taide  des  pro- 
fits, a  de  réels  inconvénients  et  ne  sert  peut-être  pas, en  fin 
de  compte,  les  intérêts  du  consommateur  autant  qu'on  se 
l'imagine. 

Prenons  le  cas  d'un  réseau  de  tramways  par  exemple  (1). 
Supposons  que  sa  dette  soit  remboursée  et  qu'on  réduise 
les  tarifs  à  un  taux  juste  suffisant  pour  couvrir  les  frais  de 
l'exploitation.  Quel  inconvénient  y  a-t-il  à  le  faire  ?  Aucun, 
répond ra-t-on  tout  d'abord.  Les  tramways  auront  plus  de 
voyageurs,  les  omnibus  en  auront  moins,  voilà  tout.  Il  n'y 
aurait  pas  d'objection  à  faire  à  cette  méthode  si  l'on  avait 
la  certitude  que  le  service  des  tramways  put  faire  face  à 
tous  ses  besoins  nouveaux  :  extension  du  réseau,  renou- 

(1)  Voir  Darwin,  op,  cit.,  chap.  XII. 


6oS  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE  IX 

vellement  du  matériel,  sans  accroitre  le  chiflre  de  ses  dé- 
penses en  capital.  Mais  il  n'est  pas  de  commerce  ou  d'in- 
dustrie qui,  dans  des  conditions  normales,  n'ait  besoin  de 
temps  à  autre  d'un  capital  nouveau;  chaque  fois  qu*il  en 
est  ainsi,  de  fortes  raisons  conseillent  de  maintenir  les  prix 
et  les  tarifs  des  services  municipaux  au  niveau  commercial 
ordinaire,  alors  même  que  Ton  réaliserait  sur  ces  services 
de  considérables  profits.  Après  le  remboursement  de  leurs 
dettes  il  se  peut  que  les  municipalités  soient  en  état  d'abais* 
ser  leurs  tarifs  de  plus  de  20  Yo  ;  mais  cette  réduction  des 
tarifs,  bien  au-dessous  du  niveau  de  ceux  que  sont  obligés 
de  faire  payer  des  particuliers  ou  des  municipalités  qui 
n'ont  pas  encore  remboursé  leurs  emprunts,  aurait  sur  Je 
commerce  en  général  un  eiïet  des  plus  déprimants,  pour  ne 
pas  dire  des  plus  désastreux.  Une  fois  que  les  tarifs  au- 
raient été  réduits  de  la  sorte,  il  deviendrait  très  difficile  de 
faire  comprendre  au  public  la  nécessité  de  tarifs  plus  élevés 
dans  d'autres  circonstances.  Une  municipalité  qui  adopte- 
rait ce  système  serait  donc  moins  désireuse  d'étendre  son 
réseau  de  tramways  dans  de  nouveaux  districts,  parce  que, 
pour  faire  face  au  service  des  intérêts  et  du  Sinking  fund 
du  nouvel  emprunt,  elle  aurait  à  élever  ses  tarifs  et  crain- 
drait de  se  le  faire  reprocher.  De  même,  les  compagnies  par- 
ticulières auraient  dans  un  vaste  rayon  autour  de  cette  ville, 
bien  plus  de  peine  à  obtenir  leurs  concessions  à  des  condi- 
tions raisonnables  ;  les  entreprises  privées  comme  les  en- 
treprises publiques  souffriraient  donc  toutes  deux  de  l'ap- 
plication de  cette  méthode.  C'est,  nous  semble-t-il,  une 
raison  des  plus  sérieuses  pour  décider,  qu'en  cas  de  mono- 
pole, c'est  au  contribuable  et  non  pas  au  consommateur 
que  devraient  aller  les  bénéfices  des  entreprises  munici- 
pales, une  fois  le  remboursement  de  la  dette  achevé. 


RISQUES    ET   PROFITS  6o& 

Les  profits  peuvent  être  absorbés  d'autres  manières  qu'en 
réduction  de  prix  ;  en  versements  à  des  fonds  tels  que  le 
Common  Good  de  Glasgow»  par  exemple,  auquel  vont  une 
partie  des  profits  des  tramways.  Mais  si  ces  fonds  couvrent 
des  dépenses  que  payeraient  les  impôts,  en  l'absence  de  ces 
fonds,  tout  versement  qui  leur  est  fait,  aboutit  au  résultat 
qu'aurait  donné  l'emploi  direct  des  profits  à  Tallègement  des 
impôts  ;  se  sert-on  de  ces  fonds  pour  payer  des  dépenses 
auxquelles  on  ne  pourrait  en  aucun  cas  faire  face  à  Taide 
d'impôts  locaux,  tout  versement  qui  leur  est  fait  sur  les  de- 
niers publics  risque  de  conduire  aux  pires  extravagances. 
Aussi  nous  parait-il  très  difficile  d'imaginer  un  règlement 
qui,  prohibant  les  profits,  soit  à  la  fois  pratique  et  inoiïen- 
sif.  C'est  chose  imprudente,  pour  ne  pas  dire  impossible, 
que  de  chercher  à  diminuer  par  de  tels  moyens  les  tentations 
du  municipal  trade. 

Quelques  lois  que  Ion  fasse,  le municipalisme  aura  tou- 
jours pour  résultat  de  faire  courir  des  risques  au  contribua- 
ble ou  au  consommateur,  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  intolérable 
dans  la  conduite  des  municipalités,  c'est  qu'elles  imposent 
ce  risque  à  leurs  habitants  sans  même  les  consulter.  Passe 
encore  pour  des  objets  de  première  nécessité,  du  genre  de 
l'eau,  dont  tout  le  monde  a  journellement  besoin  en  plus  ou 
moins  grande  quantité  ;  mais  le  cas  est  tout  diiïérent  et  le 
contribuable  a  vraiment  le  droit  de  se  plaindre,  quand  sa 
municipalité  lui  fait  courir  un  risque  pour  Fonder  une  entre* 
prise  qui  ne  lui  sera,  à  lui  particulier,  d*aucune  utilité  ; 
c'est  dans  ces  circonstances, semble-t-il,  qu'il  serait  en  droit 
de  demander  une  compensation  qui,  logiquement,  devrait 
prendre  une  forme  pécuniaire,  se  traduire  par  exemple  par 
une  réduction  d'impôts.  Or  c'est  précisément  dans  ces  entre- 
prises, dont  l'établissement  fait  courir  de  gros  risques  aux 


6o6  TROISIEMB    PARTIE.    —   CHAPITRE   IX 

contribuables,  parce  qu'un  petit  nombre  d'entre  eux  seule- 
ment en  profitera  (il  existe  bien  des  villes  où  Ton  ne  ren- 
contre pas  plus  de  15  Yo  des  maisons  qui  soient  pourvues 
de  Télectricité  ou  du  téléphone),  qu'il  est  impossible  d'éle- 
ver les  prix  à  un  taux  suffisant  pour  qu'ils  soient  rémuné- 
rateurs et  permettent  de  réaliser  un  profit  à  l'aide  duquel 
on  pourrait  accorder  la  compensation  en  question.  Le  bilan 
de  ces  entreprises  se  solde  très  généralement  par  une  perte, 
et  c'est  l'ensemble  des  contribuables,  qui  ne  profite  pas  du 
service,  qui  se  trouve  en  payer  les  frais.  Il  n'est  peut-être 
pas  de  plus  sérieuse  objection  que  celle-  là  à  adresser  au 
Municipal  Trade. 

Ëst^l  d*ailleurs  nécessaire  de  prohiber  les  profits?   Ces 
profits  seront  toujours  l'exception,  parce  que  les  municipa- 
lités, comme  TEtat,  comme  tous  les  corps  publics,  auront 
toujours  tendance  à  fixer  leurs  prix  plutôt  trop  bas  que  trop 
haut.  La  moyenne  des  électeurs  est  extrêmement  sensible  aux 
avantages  des  bas  prix  ;  il  n'en  comprennent  pas  les  incon- 
vénients.Ils  ne  comprennent  pas  que  toute  diminution  dans 
le  prix  du  gaz,  qui  n'a  pas  sa  raison  d'être  dans  une  dimi- 
nution du  coût  de  production,  équivaut  à  une  augmentation 
des  impôts  et  par  conséquent  des  loyers.  Les  impôts,  ils  les 
subissent  sans  murmurer  comme  si  c'était  le  destin  qui  en 
fixait  le  taux  ;  les  produits  de  l'usine  à  gaz,  au  contraire, 
leur  semblent  dépendre  bien  davantage  du  contrôle  des  hom- 
mes. Les  prix  ne  pouvant  rester  toujours  immuables,  les 
autorités  locales,  dans  le  désir  qu'elles  ont  de  se  rendre  po- 
pulaires, les  abaisseront  bien  lorsque  leurs  proGts  tendront 
à  augmenter  ;  mais  elles  ne  les  élèveront  pas  quand  leurs 
bénéfices  diminueront,   et  préféreront  se  tirer  d'affaire  en 
augmentant  les  impôts.  Les  oscillations  inévitables  du  coût 
de   production  tendront  par  conséquent  à  provoquer  un 


RISQUES   BT   PROFITS  607 

mouvement  continuel  de  baisse  dans  les  prix  des  marchan- 
dises fournies  par  les  municipalités  ;  et  quels  que  puissent 
être  les  inconvénients  de  cette  baisse, il  ne  paraît  pas  possi- 
ble de  l'arrêter  ;  c'est  ce  danger  qui  nous  fait  craindre  que 
la  limitation  ou  la  prohibition  des  profits  ne  soit  une  me- 
sure imprudente. 

Nous  résumerons  cette  discussion  en  disant  :  qu'il  n'est 
pas  discutable  qu'on  ne  puisse  réaliser  de  gros  profits  sur 
la  vente  de  marchandises  de  première  nécessité,  telles  que 
Teau,  ou  simplement  utiles  à  une  grande  partie  des  mem- 
bres d'une  communauté  telles  que  le  gaz  et  Télectricilé  : 
mais  nous  rappellerons  quMi  ne  rentre  pas  dans  les  attri- 
butions d'un  corps  administratif  de  faire  des  profits.  Paire 
des  profits,  c'est  faire  de  la  mauvaise  finance  municipale. 
C'est  voler  Pierre  pour  payer  Paul,  c'est  voler  le  consom- 
mateur pour  soulager  le  contribuable,  prendre  le  contenu 
d'une  poche  pour  le  verser  dans  une  autre.  «  Mais  nous 
ne  cherchons  à  faire  des  profits  que  pour  alléger  le  poids 
des  impôts  »,  répondent  les  municipalistes.  Il  n'y  aurait 
nul  besoin  de  les  alléger,  ces  impôts,  si  les  municipalités 
voulaient  bien  s'en  tenir  à  leurs  véritables  fonctions.  Ce 
sont  les  municipalités  commerçantes  qui  ont  besoin  de 
profits  pour  couvrir  et  pour  déguiser  leurs  pertes.  C'est  en 
cela  que  réside  toute  la  fausseté  de  l'argument  u  profits  ». 
Il  n'est  pas  besoin  d'être  savant  économiste  pour  savoir 
que  pour  s'assurer  de  gros  profits,    il   faut   consentir   à 
courir  de  gros  risques  et  que,  en  l'absence  de  risques,  la 
concurrence  n'est  pas  longue  à  se  produire  et  à  réduire  le 
profit  à  son  minimum.  L'élément  risque  existe-t-il,  la  cor- 
poration qui  l'accepte  sort  de  son  rôle,  et  foule  aux  pieds 
le  mandat  que    lui  avaient  confié  les  contribuables.  Une 
autorité  locale  n'est  pas  faite  pour  spéculer.  Car  d'où  tire- 


6o8  TROISIEME    PARTIE.    CHAPITRE    IX 

t-elie  i*argent  nécessaire  à  ses  spéculations  ?  Soit  directe- 
ment de  l'impôt,  soit  d'emprunts  qu'elle  contracte  en  don- 
nant les  impôts  en  garantie.  Dans  un  cas  comme  daus 
Tautre,  c'est  le  contribuable  qu'elle  engage  sans  son  consen- 
tement dans  une  spéculation  dont  ii  devra  supporter  tous 
les  dangers  et  toutes  les  pertes. 

De  quelque  côté  qu'on  Tenvisage,  cette  question  du 
proGt  apparaît  en  somme  comme  un  des  plus  difficiles  pro- 
blèmes du  socialisme  municipal.  Forcer  les  autorités  lo- 
cales à  gérer  leurs  entreprises  sans  faire  de  profits  ne 
diminuerait  en  rien  les  inconvénients  de  leurs  opérations 
commerciales  ;  en  fait,  cette  mesure  pourrait  même  les  aug- 
menter. L*absorption  obligatoire  des  profits  s'eGTectuant 
soit  par  une  augmentation  nouvelle  des  salaires  des  em- 
ployés municipaux,  soit  par  une  réduction  dans  le  loyer  des 
habitations  possédées  et  louées  par  la  municipalité,  ne  pour- 
rait qu'accroître  le  danger  de  corruption  que  nous  avons 
signalé  dans  un  précédent  chapitre.  S'effectuant  au  moyen 
d'une  réduction  des  prix,  elle  risquerait  d'avoir  sur  le  com- 
merce des  particuliers  une  répercussion  plus  fâcheuse  que 
le  Municipal  Trade  nen  a  eu  jusqu'à  présent. 

La  prohibition  des  profits  vise  plus  à  détruire  un  argu- 
ment qu'à  guérir  un  mal  ;  et  si  elle  ne  détruit  pas  l'argument, 
elle  risque  de  donner  au  mal  plus  de  force.  La  meilleure 
réponse  à  faire  à  cette  proposition  est  de  rappeler  que  la 
défense  de  faire  des  profits  en  Ecosse  n'a  pas  empêché  le  dé- 
veloppement du  Municipal  Trade.  11  est  impossible  d'ail- 
leurs, en  étudiant  cette  matière,  de  ne  pas  tenir  compte  de 
l'opposition  formidable  que  soulèverait  toute  proposition 
tendant  à  forcer  de  grandes  cités  telle  que  Birmingham  et 
Manchester  à  renoncer  aux  profits  énormes  qu'elles  font 
actuellement  et  à  augmenter  d'une  somme  égale  le  chiffre 


RISQUES   ET    PROFITS  609 

de  leurs  impôts  locaux.  C'est  pourquoi  la  prohibition  lé- 
gsde  des  profits  ne  nous  semble  pas  une  solution  heureuse 
du  problème. 

L*espoir  de  faire  des  profits  n'en  reste  pas  moins  Tun  des 
principaux  objets  qu'ont  en  vue  les  partisans  du  municipa- 
lisme  ;  et  comme  ce  n'est  pas  dans  ce  but  qu'on  devrait 
fonder  des  entreprises  municipales,  il  n'y  aurait  que  des 
avantages  à  diminuer  cette  tentation.  Le  projet  de  prohibi- 
tion des  profits  a  d'ailleurs  reçu  Tappui  des  hommes  les 
plus  compétents,  et  comme  toute  autre  proposition  visant 
au  même  but,  il  mérite  de  retenir  sérieusement  l'attention 
des  personnes  qui  s'occupent  des  questions  municipales. 


Boverat  39 


CHAPITRE  X 


CONCLUSION. 


i\ous  avons  essayé  de  montrer,  dans  le  cours  de  cet  ou- 
vrage, le  fonctionnement  et  le  développement  des  entre- 
prises municipales  en  Angleterre.  Nous  avons  suivi  dans 
quelques-unes  des  villes  industrielles  les  plus  importantes, 
Birmingham,  Liverpool,  Manchester  et  Glasgow,  depuis 
le  moment  de  leur  naissance  jusqu'à  aujourd'hui,  Texpan- 
sion  des  divers  services  industriels  dont  elles  se  sont  char- 
gées ;  nous  avons  vu  les  municipalités  se  substituer  aux 
entrepreneurs  privés  dans  l'exploitation  des  services  publics 
qui  revêtent  un  caractère  de  monopole,  comme  ceux  de 
1  eau  et  du  gaz  d'abord,  des  tramways  ensuite  ;  nous  avons 
vu  comment  elles  en  sont  venues  à  faire  concurrence  aux 
particuliers  sur  d'autres  domaines,  comment  elles  se  sont 
transformées  en  manufacturiers,  en  commerçants,  en  ingé- 
nieurs et  en  architectes.  Nous  avons  montré  les  progrès 
de  cette  transformation  dans  T histoire  des  services  de  Teau, 
du  gaz,  des  tramways,  de  Télectricité,  des  téléphones,  des 
bains  et  des  maisons  ouvrières  ;  dans  l'histoire  des  règle- 
ments sur  les  salaires  et  de  la  régie  directe.  Nous  avons  vu 
de  quelle  extraordinaire  façon  s'était  augmenté  le  nombre 
des  fonctions  remplies  par  les  corporations  municipales  de- 
puis la  première  ordonnance  de  1833  jusqu'aux  derniers 
Private  Acts. 


CONCLUSION  6 1  I 

Avant  1835,  ractivité  des  corporations  municipales  se 
bornait  à  administrer  les  biens  et  la  fortune  de  la  ville  ; 
des  comités  particuliers  avaient  charge  de  Téclairage  des 
rues,  de  leur  pavage  et  de  leur  nettoyage.  Aujourd'hui  la 
ville  fournit,  à  toute  personne  qui  habite  dans  ses  murs, 
l'eau  ;  elle  éclaire  les  rues  et  parfois  même  Tintérieur  des 

maisons  ;  elle  distribue  le  gaz  nécessaire  à  l'éclairage  do- 
mestique, au  chauffage  ou  à  la  cuisine,  et  livre  au  consom- 
mateur les  becs,  poêles  ou  fourneaux  dont  il  a  besoin  ; 
elle  fournit  l'électricité,  le  téléphone,  la  force  motrice  ;  elle 
offre  à  ses  habitants  des  bains  municipaux,  une  bibliothèque 
municipale,  un  musée  municipal,  des  parcs  municipaux. 
Parfois  môme,  comme  Glasgow,  elle  va  jusqu'à  se  trans- 
former en  blanchisseuse  et  à  laver  le  linge  de  ses  contri- 
buables. Elle  élève  des  écoles  et  bâtit  des  hôpitaux,  soigne 
ses  citoyens  lorsqu'ils  tombent  malades,  désinfecte  leur 
demeure,  leur  linge  et  leur  mobilier  et  loge  leur  famille 
durant  le  temps  de  la  désinfection.  A  leur  mort,  elle  les 
enterre  dans  le  cimetière  municipal  et  dresse  sur  leurs 
tombes,  selon  leur  désir,  une  simple  croix  ou  un  monument 
magnifique.  De  leur  naissance  jusqu'à  leur  décès  la  ville 
suit  ses  enfanU  d'un  œil  soucieux  et  les  entoure  de  ses  soi  ns 
maternels. 

Cette  activité  débordante,  qui  s*étend  aujourd'hui  déjà 
sur  un  immense  domaine^  ne  semble  pourtant  pas  avoir 
épuisé  le  moins  du  monde  les  aspirations  des  municipa- 
listes  ;  Tappétit  leur  vient  en  mangeant  ;  plus  ils  gèrent  de 
services,  plus  ils  veulent  en  gérer.  Ne  désespérons  pas  de 
voir  un  jour  les  citoyens  des  villes  anglaises  obligés  d'aller 
acheter  leur  nourriture  et  leurs  vêtements  aux  magasins 
municipaux — en  attendant  que  notre  tour,  à  nous  Fran- 
çais, vienne  de  les  imiter. 


Ci 2  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    X 

Voilà  ce  que  nous  a  montré  la  première  partie  de  cet 
ouvrage  ;  la  seconde  nous  a  appris  ce  qu'il  en  coûte  d*étre 
servi  par  une  municipalité.  Les  Anglais,  dont  nous  nouH 
plaisoussi  souvent  à  rappeler  le  caractère  pratique,  se  sont, 
dès  le  début  de  l'opposition  qu*a  suscitée  le  mouvement 
municipaliste,  posé  cette  question:  «  Does  municipal 
tradingpay?  »  (Le  commerce  municipal  fait- il  ses  frais?). 
Il  n'est  peut-être  pas  suffisant  de  se  demander  si  le  Muni- 
cipal Trading  fait  des  bénéfices  ou  réussit  à  joindre  les  deux 
bouts  ;.il  faudrait  savoir  aussi  ce  qu'il  en  coûte  au  contribua- 
ble pour  que  sa  municipalité  puisse  joindre  les  deux  bouts  ou 
accuser  un  bénéfice.  Les  socialistes,  tout  pleins  delà  logique 
de  leur  système, de  s'écrier  :  le  Municipal  Trading  n'est  pas 
une  question  dechiilres, c'est  une  question  de  principes  ;  les 
entreprises  industrielles  des  municipalités  peuvent  être  bon- 
nes et  utiles  même  en  ne  donnant  p<*é  de  profit.  «  Pour  nous 
exprimer  dans  le  langage  technique  des  économistes,  dit 
Bernard  Shaw,  Tentreprise  publique  fait  des  adaires  pour 
gagner  la  valeur  d'usage  ou  l'utilité  totale  de  l'activité  in- 
dustrielle,tandis  que  Tentreprise  commerciale  ne  peut  comp- 
ter que  sur  la  valeur  en  échange  ou  utilité  marginale  (i).  >• 

a  Lorsqu'une  société  anonyme,  dit-il  plus  loin,  dépense 
plus  qu'elle  ne  gagne,  son  bilan  se  traduit  par  une  perle. 
Lorsqu'une  autorité  publique  agit  de  la  sorte,  elle  peut 
cependant  déclarer  qu  elle  fait  un  bénéfice  énorme...  Il  est 
parfaitement  possible  k  une  municipalité  de  s'engager  dans 
cent  commerces  différents,  d'accuser  une  perte  commerciale 
sur  chacun  d  eux  à  la  lin  de  chaque  semestre  et  de  persé- 
vérer malgré  tout  dans  sa  conduite  avec  la  pleine  approba- 
tion et  les  félicitations  des  contribuables  mêmes  qui  auront 

(1)  Voir  B.  Shaw,  Common  sensé  of  Municipal  Trading ^  p.35. 


CONCLUSION'  Ôl3 

H  combler  la  perte. Son  gain  total  ne  peut  se  mesurer  :  et  l'on 
ne  peut  évaluer  ses  succèsqu'en  se  reportant  constamment 
aux  statistiques  de  la  fortune  et  de  Thygiène  publiques. 
Si  l'on  avait,  il  y  a  cent  ans,  pu  dresser  les  statistiques 
sanitaires  et  criminelles  de  la  ville  de  Manchester  pour 
voir  en  quoi  consistait  sa  prétendue  prospérité  sous  le 
régime  de  Tentreprise  privée  toute  puissante,  qui  donc  au- 
rait osé  glorifier  un  régime  industriel  <f  qui  épuisait  neuf 
générations  d'hommes  en  une  seule  »  sous  prétexte  qu'il 
produisait  «a  commercial  peerage  of  cotton  lords», c'est* 
à-dire  une  noblesse  qui  ne  devait  ses  titres  qu'au  com- 
merce du  coton  ?  » 

Il  nous  semble  que  M.  Bernard  Shaw,  dans  son  apologie 
du  municipalisme  et  sa  critique  du  régime  individualiste, 
sort  un  peu  de  la  question.  Nous  n'avons  jamais  reproché 
aux  municipalités  d'avoir  dépensé  trop  d'argent  à  assurer 
un  état  sanitaire  aussi  parfait  que  possible  par  la  destruc- 
tion de  vieux  quartiers,  le  percement  de  rues  larges  et 
claires,  la  construction  dhôpitaux,  etc.  Ce  que  nous  leur 
reprochons,  c'est  de  s'être  lancées  dans  toutes  sortes  d*en- 
treprises  et  d'opérations  commerciales  dont  l'hygiène  ou 
l'intérêt  public  n'étaient  que  le  prétexte,  et  la  spéculation, 
l'espoir  de  gagner  de  l'argent,  le  but  dernier.  En  quoi  Man- 
chester et  Birmingham  sont-elles  devenues  des  villes  plus 
saines  à  habiter,  parce  qu'au  lieu  de  laisser  fabriquer  le  gaz 
et  l'électricité  par  des  Compagnies, ce  sont  les  corporations 
de  ces  deux  villes  qui  s'en  chargent  actuellement?  En  quoi 
les  citoyens  de  Glasgow  se  portent-ils  mieux  parce  que  la 
ville  exploite  elle-même  les  tramways  et  le  réseau  des 
téléphones  ?  Nous  n'avons  que  des  éloges  à  adresser  aux 
villes  anglaises  pour  l'œuvre  sanitaire  qu'elles  ont  accom- 
plie depuis  une  quarantaine  d'années  ;  les  statistiques  sont 


6l4  THOISfÈMB    PARTIE.   —    CHAPITRE    X 

ik  pour  attester  les  résultats  obtenus. Mais  encore  une  fois  ne 
confondons  pas  ce  qui  est  hygiène  et  ce  qui  est  entreprise 
commerciale  ;  les  deux  choses  n'ont  le  plus  souvent  rien  à 
faire  Tune  avec  l'autre. 

Nous  avons  à  plusieurs  reprises,  dans  le  cours  de  cette 
étude,  exposé  les  arguments  pour  et  contre  le  Municipal 
Trading  ;  le  moment  est  venu  de  les  résumer  brièvement. 

Contre  le  Municipal  Trading  on  a  fait  valoir  :  1"  Qu'il 
symbolise  le  monopole,  tue  la  concurrence  et  fait  échec 
au  progrès  industriel  et  commercial  :  2°  Qu'il  augmente 
sérieusement  le  danger  de  corruption  municipale  ;  3*  Qu'il 
empêche  les  conseils  municipaux  de  remplir  leurs  devoirs 
essentiels  aussi  bien  qu'ils  le  devraient  ;  i""  Que  l'exploi- 
tation en  régie  est  plus  coûteuse  que  Texploitation  parti* 
culière  ;  5""  Qu'elle  donne  à  certaines  autorités  locales 
seulement,  et  non  pas  à  toutes»  le  pouvoir  de  lever  des 
contributions  indirectes  sur  certains  produits  ;  6*  Qu'il  est 
extrêmement  difficile  de  faire  retomber  le  fardeau  d^une 
entreprise  commerciale  sur  les  épaules  de  ceux  qui  doivent 
le  porter  et  de  ne  pas  en  faire  peser  la  charge  sur  ceux  qui 
n'en  retirent  aucun  profit  ;  qu'il  semble  impossible  enfin 
de  tracer  une  ligne  de  démarcation  entre  les  industries  que 
pourraient  sans  trop  d'inconvénients  exploiter  les  munici- 
palités, et  celles  qu'elles  devraient  laisser  aux  particuliers. 

Nous  pourrions  ajouter  à  ces  arguments  l'inconvénient 
qu'il  y  a  à  augmenter  de  façon  si  considérable  la  dette  mu- 
nicipale, à  mêler  les  municipalités  aux  questions  ouvrières, 
à  supprimer  le  contrôle  qu'exerçaient  avant  la  mise  en  ré- 
gie les  municipalités  mêmes  sur  le  fonctionnement  des 
services  industriels  ;  point  sur  lequel  nous  n'avons  pas 
insisté  et  qui  a  pourtant  son  importance  ;  car  autant  la 


CONCLUSION  6i5 

municipalité  a  teadance  à  se  montrer  exigeante  et  ta- 
tillonne à  regard  de  ses  concessionnaires,  autant  elle  sera 
indulgente  pour  elle-même  et  satisfaite  de  la  manière  dont 
elle  gérera  le  service  ;  ne  laissant  aux  contribuables  mécoii- 
tents  et  mal  servis  d'autre  recours  que  celui  d'une  plainte 
qu'on  n'examinera  le  plus  souvent  même  pas. 

Les  arguments  en  faveur  du  Municipal  Trading  seraient, 
d'autre  part  :  1^  qu'il  permet  aux  ouvriers  des  municipali- 
tés d'être  mieux  traités  et  de  recevoir  un  salaire  plus 
haut  que  lorsqu'ils  ont  affaire  à  des  particuliers  ou  à  des 
Compagnies.  Nous  avons  vu  que  cet  argument  est  à  re- 
jeter parce  que  TËtat  n*a  pas  le  droit  de  choisir  une  classe 
spéciale  qu'il  comblera  de  faveurs  aux  frais  des  autres 
contribuables. 

2^  Le  second  argument  sur  lequel  s'appuie  le  Municipal 
Trading  est  qu'il  permet  de  faire  des  bénéfices  qu'on  peut 
employer  soit  à  la  réduction  des  prix,  soit  à  celle  des 
impôts.  Mais  nous  savons  qu'en  donnant  en  concession  à 
des  Compagnies  l'exploitation  de  ces  entreprises  rémuné- 
ratriceSy  les  municipalités  réaliseraient,  sans  courir  le  moin- 
dre risque,  des  bénéfices  nets  tout  aussi  importants.  Une 
expérience  déjà  longue  tend  à  prouver  que  le  progrès  est 
plus  rapide  dans  l'industrie  particulière  que  dans  les  ser- 
vices municipaux,  et  les  statistiques  indiquent  que  toute 
augmentation  des  dépenses  municipales  causée  par  lafon> 
dation  d'entreprises  rémunératrices  a  pour  résultat  une  aug- 
mentation immédiate  de  la  taxation  locale  (1). 

3°  Le  dernier  et  le  plus  sérieux  des  arguments  munici- 
palistes  est  que  les  conseillers,  différant  en  cela  des  direc- 
teurs, ne  se  laisseront  pas  guider  par  la  seule  pensée  d'un 

(1)  Darwin,  op.  cit.,  p.  431. 


6l6  TROISIÈME    PARTIE. CHAPITRE    X 

profit  à  réaliser  et  porteront  plus  promptement  remède  aux 
abus  qui  se  produiront,  dût-il  en  coûter  quelque  dépense 
supplémentaire  ;  qu'ils  seront  toujours  prêts  à  créer  les  di^ 
vers  services  nécessaires  au  bien-être  et  à  la  santé  physi- 
que et  morale  des  habitants  d'une  communauté,  services 
d'une  nécessité  primordiale,  mais  qui  ne  sont  pas  assez  ré- 
munérateurs pour  tenter  les  capitalistes  particuliers.  L'ar- 
gument municipaliste  ne  s'applique  pas  sans  force  et  sans 
vérité  aux  monopoles  que  Ton  a  concédés  à  des  particu- 
liers ;  il  n'a  pas  grande  valeur  à  l'égard  des  industries  sou- 
mises au  régime  de  concurrence,  et  l'on  peut  le  retourner 
contre  le  municipal  trade  lui-même,  qui  dégénère  toujours 
tôt'ou  tard  en  monopole,  et  qui,  en  retirant  aux  consom- 
mateurs la  faculté  de  changer  de  fournisseurs  à  leur  gré, 
les  prive  de  la  seule  garantie  qu'ils  ont  d'être  bien  servis. 

Tels  sont  les  principaux  arguments  pour  et  contre  le 
Municipal  Trade  ;  la  critique  municipaliste  ne  s'applique 
réellement  avec  justesse  qu'au  cas  des  monopoles  particu- 
liers. Le  monopole  d'une  Compagnie  n'aboutit  pas  toujours 
à  d'excellents  résultats  ;  du  moins  garde-t-il  sur  le  mono- 
pole de  Tautorilé  locale  l'avantage  de  garantir  les  finances 
de  la  municipalité  contre  tout  risque  de  désastre  financier. 

Le  major  Darwin  arrive,  à  la  fin  de  son  livré,  à  cette  con- 
clusion qu'il  est  certaines  entreprises  dont  il  est  préférable 
de  laisser  la  gestion  aux  corps  locaux  nés  de  l'élection, 
d'autres  qu'il  vaut  mieux  confier  aux  soins  des  particuliers. 
En  attendant  toute  nouvelle  enquête,  il  seraitdisposé  à  ad- 
mettre que  les  marchés,  les  bains  publics,  les  abattoirs  et 
les  cimetières  seraient  mieux  en  d'autres  mains  qu'entre 
celles  des  particuliers  ;  qu'on  pourrait  de  façon  générale 
municipaliser  le  service  de  l'eau;  que  l'exploitation  des 
ports  devraitétre  remise  aux  autorités  locales  ou  à  des  corps 


CONCLUSION  6 1 7 

publics  spécialement  constitués  à  cet  effet  ;  qu'il  ne  man- 
que pas  de  raisons  pour  laisser  la  propriété  (mais  non  Tex- 
ploitation)  des  lignes  de  tramways  et  le  soin  de  les  réparer 
aux  municipalités  ;  mais  que,  repaie  générale,  il  vaut  mieux 
laisser  aux  particuliers  la  propriété  des  téléphones,  des 
usines  à  gaz  et  des  usines  électriques,  des  tramways  et  de 
toutes  les  industries  véritablement  soumises  au  régime  de 
concurrence. 

Il  avoue  pourtant,  à  son  grand  regret,  qu*illui  est  impos- 
sible de  trouver  quelque  critérium  qui  permette  de  décider 
à  Tavenir  quelles  sont  les  industries  que  Ton  peut  munici- 
paliser  ;  quelles  sont  celles  à  Tégard  desquelles  il  vaut 
mieux  s'abstenir.  Et  comme  le  correspondant  du  Times,  il 
pense  que  le  mieux  serait  de  s'en  remettre  au  Parlement 
du  soin  de  trancher  la  question. 

Vu  la  difficulté  du  problème,  les  Chambres  ne  pourraient 
peut-être  pas  édicter  de  règle  absolument  fixe,  susceptible 
de  s'appliquer  à  tous  les  cas  qui  se  présenteraient  ;  elles 
seraient  obligées  de  laisser  une  certaine  liberté  d'action  aux 
municipalités  intéressées.  En  attendant,  M.  Darwin  ne  pro- 
pose que  quelques  mesures  radicales  ;  il  demande  que  dé- 
fense  expresse  soit  faite  aux  municipalités  de  fabriquer  des 
appareils  électriques,  d^ètre  propriétaires  de  maisons,  ou 
d*en  construire  sans  avoir  recours  à  un  entrepreneur.  Quant 
aux  entreprises  de  gaz,  d'électricité  ou  de  tramways,  tout 
en  étant  d'avis  qu'elles  seraient  bien  mieux  aux  mains  des 
particuliers  et  bien  que  beaucoup  de  membres  du  Parle- 
ment partagent  sa  manière  de  voir,  il  sait  qu'il  est  impos- 
sible d'en  retirer  la  propriété  aux  municipalités  qui  les  pos- 
sèdent déjà,  et  qu'il  sera  difficile  d'en  refuser  l'accession  à 
celles  qui  ne  l'ont  pas  encore,  mais  qui  la  convoitent.  Tout 
ce  que  le  Parlement  peut  faire  pour  limiter  le  Municipal 


<>l8  TROISIÈME    PARTIE.  CHAPITRE    X 

Trading,  c  est  de  changer  ses  Standing  Orders  (Règlements 
des  Chambres),  d'établir  de  nouveaux  précélents  et  d'igno- 
rer quelques-uns  des  anciens.  L'établissement  d'une  règle 
iixe,  prohibant  absolument  telle  ou  telle  entreprise,  ne  se- 
rait d*aucune  utilité.  Dites  à  un  socialiste  qu'il  ne  faut  pas 
que  la  municipalité  se  charge  de  la  distribution  de  rélec- 
tricité  parce  que  la  loi  le  défend^  il  vous  répondra  simple- 
ment qu'il  faut  changer  la  loi.  Ce  n'est  pas  en  posant  une 
règle  ou  en  édictant  un  principe  qu'on  Fempèchera  de  faire 
une  chose  qu'il  croit  avantageuse.  Nos  eflorts  doivent  uni- 
quement tendre  à  le  convaincre  que  son  projet  est  nuisible, 
lorsqu'il  en  est  réellement  ainsi,  et  que  les  inconvénienLs 
qui  en  résulteraient  pour  la  communauté  dépasseraient  les 
avantages  qu'elle  en  pourrait  retirer. 

Mais  ce  n'est  pas  parce  qu'il  e?t  difficile  de  poser  une  rè- 
gle fixe  et  constante  qu'il  nous  faut  rester  dans  l'inaction. 
Lés  autorités  locales  ne  sont  allées  que  trop  loin  déjà  dans 
la  voie  du  Municipal  Trading;  si  on  ne  les  en  empêche  elles 
iront  plus  loin  encore.  Il  convient  donc  de  prendre  dès  main- 
tenant certaines  mesures,  certaines  sauvegardes, comme  dit 
M.  Darwin,  destinées  à  nous  garantir  à  l'avenir.  Ces  mesu- 
res seront  de  deux  sortes  :  les  unes  d'ordre  économique, 
les  autres  d'ordre  politique  ;les  premières  désirables  en  elles- 
mêmes,  les  secondes  prises  pour  assurer  une  fin  désirable. 

Au  nombre  des  sauvegardes  économiques  figureront  cer- 
taines réformes  relatives  au  commerce  privé.  C*est  ainsi 
qu'on  pourrait  renforcer  le  contrôle  qu'exercent  les  autori- 
tés locales  sur  les  monopoles  particuliers,  bien  que  toute 
augmentation  de  contrôle  risque  de  conduire  au  devant  de 
dangers  identiques  à  ceux  qui  s'attachent  au  Municipal  Tra- 
de.  Les  dangers  que  présente  le  contrôle  des  entreprises 
privées  étant  moins  forts  pourtant  que  ceux  de  l'entreprise 


CONCLUSION  619 

municipale,  de  deux  maux,  choisissons  le  moindre  et  adop- 
tons le  contrôle  des  entreprises  particulières. 

Pour  ce  qui  est  des  concessions,  on  pourrait  les  accorder 
sans  en  limiter,  à  Tavance  et  de  manière  immuable,le  nom- 
bre d*années.  et  conserver  au  profit  des  autorités  locales  un 
droit  de  rachat  qu'elles  exerceraient  dans  des  conditions 
telles  qu  il  ne  saurait  étouffer  Tentreprise  particulière.  Il 
faudrait  apporter  de  sérieuses  restrictions  au  droit  de  veto 
que  possèdent  actuellement  les  municipalités  à  légard  des 
entreprises  privées  ;  donnera  ces  municipalités  un  réel  pou- 
voir d'inspection  sur  toutes  les  affaires  des  Compagnies  con- 
cessionnaires des  services  publics,  créer  enfin  des  commis- 
sions techniques  indépendantes,  chargées  de  trancher  les 
différends  qui  s'élèveraient  entre  les  autorités  locales  et  les 
Compagnies  détentrices  de  monopoles  à  Tintérieur  de  leur 
district.  L'adoption  de  ces  réformes  permettrait  de  retirer 
des  entreprises  privées  les  avantages  que  peuvent  présenter 
les  régies  municipales,  tout  en  évitant  les  risques  et  les  in- 
convénients de  ces  dernières. 

Les  freins  d'ordre  politique  que  Ton  a  jusqu'ici  suggérés 
pour  calmer  Tardeur  des  municipalités  consistent  essentiel- 
lement à  limiter  leur  dette  et  à  leur  défendre  de  faire  des 
profits. 

En  limitant  la  dette  on  ne  ferait  que  suivre  l'exemple  des 
Etats-Unis  ;  et  bien  que  la  «  Debt  limit  clause  »  ait  été  édic- 
tée aux  Etats-Unis  plutôt  pour  prévenir  l'excès  de  subven- 
tions aux  Compagnies  privées  que  pour  faire  échec  au 
Municipal  Trade,  il  n*y  a  pas  de  raison  pour  que  TAngleterre 
ne  soit  pas  en  droit,  en  l'adoptant,  d'en  attendre  d'aussi  bons 
résultats. 

Dans  une  conférence  qu'il  a  faite  à  Belfast  devant  la 
Hritish  Association,   M.  Porter  rappelait  comment,  entre 


ti'AO  TBOI&lÊlfe    PABTIE.  CH^f-fTBi:     ^ 

1840  et  1850,  les  villes  et  les  Etats  se  jelfr^-nl  csd.^  i»>  ^-i- 
trepri^s  de  rhemins  de  fer.  Ce  fat  alors  ose  vt-riiat'î^  i  -  * 
rrontag^ieu^e  qui  se  termina  par  aoe  banqu^roote  ^^xirrLr 
[>*H  contribuables  américains  de  cette  époqne.  *^t-s*^  «"il- 
pots  pour  payer  les  frais  d'entreprises  qu'on  aurait  du  iaT«sr 
à  I  industrie  privée,  intentèrent  la  règle  qu'on  connai:  vl^ 
le  nom  de  w  Debt  iimit  clause  •,  Depuis  ces  jours»  de  drst-- 
tre  financier  et  de  ruine  du  crédit  national  et  local,  la  ^maif^ 
majorité  des  Etats  ont,  sous  une  forme  on  soas  ane  aotir. 
inséré  cette  clause  dans  leur  constitution.  La  *  debt  limita- 
tion »>  varie  de  10  "/o  de  la  valeur  imposable  de  la  propHrl" 
à  New- York,  à  5  "/<,  dans  beaucoup  des  Etats  de  rOoe>t. 
Il  est  même  des  Etats  où  elle  descend  à  2  *  ...  Aux  Etats- 
l'nis  Teslimation  delà  valeurdes  propriétés  se  fait  en  capi- 
tal, et  non  en  revenu  comme  en  Angleterre).  Ainsi,  eo 
estimant  la  valeur  de  la  propriété  imposable  dans  la  cité  de 
New- York  à  £  000.000.000,  la  limite  de  la  dette  serait  de 
fC  00.000.000. 

I^  limitation  de  la  dette  pourrait  dans  une  certaine  me- 
sure diminuer  le  danger  financier  que  court  une  ville  quia 
largement  favorisé  le  développement  du  socialisme  muni- 
cipal et  qui.  pour  une  cause  ou  pour  une  autre,  voit  avant 
le  complet  remboursement  de  sa  dette,  sa  population  dimi- 
nuer. Quand  cette  hypothèse  se  réalise,  les  profits  munici- 
paux décroissent,  mais  les  impositions  locales  augmentent. 
Si  nous  en  croyons  M.  Darwin,  elles  ont  même  des  chances 
d  augmenter  en  progression  géométrique;  car  toute  aug- 
mentation des  impôts  aura  pour  effet  d'augmenter  le  désir 
des  habitants  d'abandonner  une  cité  aussi  mal  partagée,  et 
hi  conséquence  de  tout  nouveau  départ  d'habitants  sera  de 
rendre  plus  lourde  la  charge  de  ceux  qui  restent.  Alors  se 
trouveront  réunies  toutes  les  conditions  qui  sont  nécessaires 


CONCLUSION  621 

pour  produire  un  désastre  commercial  et  une  banqueroute 
municipale. 

Il  ne  faudrait  pas,  d*un  autre  côté,  que  cette  limitation  du 
pouvoir  d'emprunt  eût  pour  résultat  de  faire  négliger  aux 
autorités  locales  Taccomplissement  de  certaines  de  leurs 
fonctions  essentielles,  ni  la  fixation  d'une  limite  pour  effet 
de  provoquer  ou  de  hâter  l'accroissement  de  la  dette  jus- 
qu'au niveau  permis,  effet  fréquent  de  ce  genre  délimita- 
tions. Finalement  le  major  Darwin,  estimant  qu'une  pareille 
mesure  serait  fort  impopulaire,  ne  conseille  pas  de  l'adop- 
ter pour  le  moment. 

Lord  Avebury  n'est  pas  de  cet  avis  ;  il  croit  au  contraire 
qu'il  faut  fixer  une  proportion  entre  le  total  de  la  dette  locale 
et  la  rateable  value  (valeur  imposable)  du  district.  Il  ne  faut 
pas  permettre,  dit-il,  que  le  total  des  emprunts  dépasse  la 
somme  que  représente  la  valeur  des  propriétés  imposables 
en  deux  années  (two  years'borrowing  of  the  assessable  va- 
lue]. Seul  le  Parlement  aurait  le  droit  de  permettre  aux 
municipalités  de  franchir  cette  limite. 

Aujourd'hui  Hudderstield  a  emprunté  une  somme  égale 
non  pas  à  deux  ans,  mais  à  sept  ans  d'assessabie  value  ; 
Stockton  de  7  également  ;  Halifax  de  6,  Blackburn  de  .'} 
3/4  ^1).  Dans  beaucoup  d'autres  villes  importantes  la  dette 
dépasse  de  quatre  fois  et  plus  la  rateable  value.  C'est  là  une 
situatiçn  dangereuse.  Quel  que  soit  l'actif  qui  corresponde 
à  ces  dettes,  le  capitaliste  anglais  commence  à  se  montrer 
moins  confiant  qu'autrefois,  et  le  cours  des  fonds  munici- 
paux a  baissé  dans  des  proportions  considérables  depuis 
quelques  années.  En  1906,  West-Ham  émettant  un  em- 
prunt 3  0/0  a  dû  l'offrir  à  84  ;  Croydon  offrait  le  sieaà  88  1  /2, 
le  Surrey  County  Council  à  92. 

(!)  Voir  Lord  Avedury,  On  Municipal  and  Sational  Trading,  p.  37. 


6a2  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE  X 

Bien  que  toutes  ces  valeurs  municipales  soient  ce  que 
Ton  appelle  des  «  trustée  securities  »,  r/est-à-dire  des 
valeurs  dans  lesquelles  on  devrait  pouvoir  avoir  une  ron- 
fiance  absolue,  puisque  la  loi  autorise  les  tuteurs  et  les  dé- 
positaires de  sommes  d*argent  à  en  acheter,  le  public  coid> 
menée  à  faire  des  distinctions  entre  elles.  Aujourd'hui  les 
villes  qui  ont  des  dettes  trop  considérables  ou  ont  été  obli- 
gées  de  demander  à  leurs  contribuables  un  trop  grand  effort 
pour  soutenir  leurs  entreprises  municipales,  voient  baisser 
leur  crédit.  Le  stock  3  »/o  du  L.  C.  C,  coté  en  1905  à  Îi7  !  2 
et  en  1902  a  101 1/2  est  descendu  à  88  1/4  à  fin  1906.  Si  le 
conseil  désirait  maintenant  émettre  du  stock  3  Vo«  ■!  ponr> 
rait  à  peine  en  obtenir  85,  de  sorte  qu'il  a  perdu  la  facilité 
d'emprunter  comme  autrefois  à  3  Vo  et  qu'il  aura  par  con- 
séquent bien  plus  de  peine  que  jadis  à  faire  des  profits  sur 
ses  entreprises  municipales. 

D*après  des  estimations  modérées*  on  peut  admettre  que 
l'augmentation  de  la  dette  municipale  a  provoqué  une  baisse 
d^environ  10  "/„  des  prix  du  Stock  qui  la  compose. 

Un  autre  moyen  de  prévenir  raccroissement  de  la  dette 
municipale  consisterait  k  donner  aux  citoyens  le  droit  de 
s'opposer  par  leur  vote  à  la  conclusion  par  leur  commune 
de  tout  nouvel  emprunt  ;  ils  recevraient  par  la  poste  une 
notice  leur  expliquant  le  montant  et  le  but  de  Temprunt: 
on  pourrait  la  faire  accompagner  du  rapport  de  Tinspectenr 
du  Local  Government  Board  chargé  de  l'examen  du  projet. 
Le  projet  ne  pourrait  être  adopté  et  mis  à  exécution  avant 
d'avoir  reçu Tapprobation  des  contribuables  de  la  localité: 
les  employés  de  la  corporation  ne  prendaient  naturellement 
pas  part  À  ce  scrutin. M.  Darwin  pense  que  la  majorité  des 
citoyens,  moins  bien  disposés  en  général  en  faveur  du  Mu- 
nicipal Trade  que  les  conseillers  eux-mêmes,  se  rangeraient 


CONCLUSION  G^S- 

k  Tavis  du  Local  Government  Board,  et  qu'un  projet  dé- 
conseillé par  une  autorité  aussi  indépendante  que  ce  Board 
aurait  bien  des  chances  d'être  repoussé.  Lord  Avebury  voit 
également  dans  ce  moyen  une  précieuse  garantie  contre  Tex  • 
travagance  municipale  sous  toutes  ses  formes. Nous  pen- 
chons plutôt  à  croire  que  les  citoyens  se  désintéresseraient 
4e  ces  scrutins  supplémentaires,  relatifs  aux  emprunts  lo- 
caux,encore  plus  que  des  élections  municipales  elles-mêmes: 
ils  auraient  tout  autant  de  peine  à  sortir  de  leur  apathie 
pour  exprimer  leur  approbation  qu'ils  en  ont  à  manifester 
même  leur  mécontentement. 

Certaines  personnes  ont  aussi  pensé  qu*il  serait  possible 
d'entraver  le  développement  du  socialisme  municipal  en 
prohibant  les  profits.  Beaucoup  d'autorités  locales,  disions- 
nous  dans  le  précédent  chapitre,  se  laissent  tenter  outre 
mesure  par  l'espoir  de  réduire  de  la  sorte  les  imposition» 
locales  ;  les  partisans  du  Municipal  Trade  s'en  servent 
comme  d'un  argument  en  faveur  de  leur  système. 

Nous  venons  de  traiter  tout  au  long  la  question  des 
profits  ;  nous  sommes  d'avis  que  les  municipalités  ne  doi- 
vent pas  chercher  à  en  faire  sur  les  entreprises  commer- 
ciales ou  industrielles  qu'elles  dirigent,  et  qu'au  cas  où  elles 
en  feraient,  elles  doivent  les  utiliser  à  rembourser  leur  dette 
d'abord,  à  amortir  leur  capital  et  leur  matériel  ensuite. 
La  réduction  trop  grande  des  prix,  l'abaissement  trop  con- 
sidérable des  tarifs  ont  de  sérieux  inconvénients  non  seule- 
ment pour  lindustrie  privée  concurrente,  mais  pour  l'en- 
treprise municipale  elle-même.  Mieux  vaut  encore  consacrer 
les  profits  à  la  réduction  des  impôts.  Les  prohiber  ne  serait 
pas  un  moyen  d'étouffer  le  socialisme  municipal  ;  il  s'est 
développé  à  Glasgow  où  les  profits  ne  servent  pas  à  dimi- 
nuer les  impôts.  Aussi  est-ce  une  mesure  sur  l'application 


62 i  TKOISIÈME    PARTIE.   CHAPITRE    \ 

de  laquelle  il  convient  de  ne  pas  fonder  de  trop  grandes 
espérances. 

La  meilleure  façon  d'améliorer  la  situation  fînaatière 
serait  peut-être  de  procéder  à  la  réforme  du  système  élec- 
toral actuellement  en  vigueur  dans  le  gouvernement  locd. 
<(  Il  y  a,  dit  M.  Darwin,  des  millions  d'électeurs  anglais  qui 
ne  payent  pas  d'impôts  et  qui  ne  comprennent  pas  que 
leurs  loyers  se  ressentent  de  toute  augmentation  ou  dimi- 
nution des  impôts  qui  retombent  sur  leurs  propriétaires  II 
se  peut  que  les  loyers  ne  subissent  pas  immédiatement  et 
uniformément  le  contre- coup  de  Timpôt,  mais  en  moyenne 
ei  à  la  longue  on  peut  affirmer  que  les  locataires  sont  aussi 
des  contribuables.  C'est  une  vérité  dont  il  importe  de  se 
pénétrer  ;  ce  serait  un  immense  progrès  de  faire  payer  les 
impôts  par  les  locataires  eux-mêmes  ou  défaire,  de  quelque 
autre  façon,  sentir  à  tous  les  électeurs  qu'ils  sont  en  réalité 
des. contribuables.  11  n*est  pas  de  mesure  qui  puisse  aussi 
sûrement  que  celle-là  rendre  les  municipalités  économes.  » 

Bien  que  les  membres  de  la  Royal  Commission  on  Local 
Taxation  soient  d*avis  qu*on  rencontrerait  dans  la  prati- 
que des  difficultés  insurmontables  à  lever  directement  les 
contributions  sur  cette  masse  considérable  de  personnes 
appartenant  aux  classes  les  plus  pauvres,  locataires  d'une 
semaine  qui  se  transportent  fréquemment  d'un  logement  à 
un  autre,  nous  nous  permettons  de  mettre  jusqu'à  un 
certain  point  cette  affirmation  en  doute,  étant  donné  qu*en 
Ecosse  tous  les  locataires  payent  eux-mêmes  leurs  impots. 
En  tous  cas,  on  pourrait  diminuer  le  nombre  des  électeurs 
non  imposés  ;  et  quand  ce  ne  serait  qu'un  moyen  d'attirer 
leur  attention  sur  toutes  les  matières  susceptibles  d'affecter 
la  taxation  locale,  Tabolition  du  a  Compounding  sysleni  » 
(qui  consiste  de  la  part  du  propriétaire  à  faire  payer  à  ses 


CONCLUSION  635 

locataires  uae  somme  globale  coroprenaatàla  fois  ce  qu'ils 
doivent  comme  loyer  et  comme  impôts)  serait  un  bienfait 
inappréciable. 

Lord  Avebury  demande  lui  aussi  une  modification  du 
compounding  System.  Il  veut  que  chaque  locataire  con- 
naisse exactement  le  montant  des  impôts  qu'il  a  à  payer. 
L'apathie-des  habitants  delà  Métropole  pour  les  affaires 
municipales  est  bien  connue,  dit  il,  et  la  grande  augmen- 
talion  du  nombre  des  appartements  et  des  habitations 
ouvrières  ne  tend  qu'à  augmenter  le  mal.  A  Londres  sur 
700.000  assessments  (cotes),  il  y  en  a  plus  de  300.000  qui 
ont  trait  à  des  maisons  et  des  habitations  où  les  locataires 
ne  payent  pas  eux-mêmes  les  impôts.  C'est-à-dire  qu'il 
ya  à  Londres  plus  du  tiers  et  près  de  la  moitié  des  élec- 
teurs qui  ne  sont  pas  directement  imposés  (1). 

A  Holborn,  56  Yo  des  électeurs  inscrits  ne  payent  pas 
eux-mêmes  les  impôts.  Le  Town  Clerk  de  Birmingham, 
M.  Edward  Orford  Smith,  dans  sa  déposition  devant  le 
Municipal  TradingCommittee  de  1900,  disait  que  70  à  75  7o 
des  personnes  habitant  Birmingham  étaient  des  n  com- 
ponnd  householders  » .  11  semble  que  les  impôts  soient  d'au- 
tant plus  hauts  que  la  proportion  des  compound  house- 
liolders  qui  ne  payent  pas  d'impôts  est  plus  grande.  C'est 
ainsi  qu'à  West-Ham,  où  les  impôts  sont  exceptionnelle- 
ment élevés  (puisqu'ils  atteignent  en  1906,  9  s.  8.  d.  par  £), 
sur  48.000  logements  imposés,  il  y  a  34.000  compounders. 
Quelques-unes  des  Compagnies  qui  bâtissent  des  maisons 
ouvrières  commencent  à  rendre  leurs  locataires  personnel- 
lement responsables  du  paiement  des  impôts  pour  les 
logements  qu'ils  occupent.  Miss  Octavia  Hill  estime  que 


(l)  Lord  AvBBURY,  On  Municipal  and  National  Tradimj,  p.  157. 
BoTerat  40 


626  TROISIEME   PAHTIE.    —  CHAPITRE    X 

c^est  ainsi  qu'il  faut  procéder  ;  que  le  meilleur  remède 
consisterait  à  abolir  le  compound  householder  et  à  faire  en 
sorte  que  ceux  qui  payent  les  impôts  s'aperçoivent  qu'ils 
les  payent.  Actuellement,  ils  ignorent  quelle  part  énorme 
de  leur  loyer  s'en  va  en  impôts.  S'ils  avaient  une  notion 
un  peu  plus  nette  de  ce  qui  se  passe,  peut-être  rempliraient- 
ils  un  peu  mieux  leurs  devoirs  de  citoyens  et  s'intéresse- 
raientils  davantage  aux  affaires  de  la  municipalité. 

n  G  était  autrefois  un  axiome  du  parti  libéral,  dit  Lord 
Avebury,  que  la  taxation  et  le  droit  de  vote  doivent  aller 
ensemble  et  que  ce  soit  ceux  qui  payent  les  impôts  qui 
aient  le  droit  de  régler  les  dépenses.  Actuellement  tout  si^ 
trouve  arrangé  de  telle  façon  que  des  milliers  de  personnes 
votent  qui  ne  payent  pas  d'impôts,  et  que  ceux  qui  payent 
le  plus  d'impôts  n'ont  pas  le  droit  de  vote.  » 

La  chambre  de  commerce  de  Londres  a  maintes  fois 
demandé  que  les  Compagnies  fussent  autorisées  à  voter, 
et  l'association  des  chambres  de  commerce  a  fait  sienne 
cette  proposition.  Sir  Albert  Rollit  a  fait  la  même  demande 
à  la  Chambre  des  Communes,  où  elle  a  d'ailleurs  rencontré 
de  la  part  de  socialistes  la  plus  véhémente  opposition.  Sir 
Robert  Giffen  proposait,  lui  aussi,  un  système  de  représen- 
tation des  intérêts  où  les  principaux  landlords  de  chaque 
district  auraient  eu  une  représentation  spéciale. 

Rappelons  enfin  qu'on  a  maintes  fois  proposé  d'enlever 
le  droit  de  vote  pour  les  élections  municipales  aux  em- 
ployés des  municipalités,  trop  directement  intéressés  an 
développement  du  municipalisme  sous  toutes  ses   formes. 

Il  est  évident  que  si  l'on  veut  obtenir  des  réformes,  il 
faut  commencer  par  modifier  la  législation  existante.  C*e>t 
forger  une  espérance  vaine  que  de  compter  sur  le  systènu* 
représentatif,  tel  qu'il  existe  actuellement,  pour  arrêter  Tes- 


CONCLUSION  627 

sor  du  socialisme  municipal.  Les  citoyens  possèdent  le 
droit  de  vote  sans  doute,  mais  ce  droit  ils  ne  l'exercent  pas 
par  suite  du  nombre  trop  grand  des  corps  locaux  soumis 
à  réiection.  Car  les  Municipal  Corporations  ne  sont  pas  les 
seuls  rouages  du  gouvernement  local  ;  à  cAté  d*elles  il  y  a 
les  County  Councils,  les  Parish  Councils,  les  District  Coun- 
cils,  les  Boards  of  Guardians,  les  School  Boards,  les 
Burial  Boards,  etc.  Il  n'est  personne  qui  comprenne  exacte- 
ment le  fonctionnement  de  ce  mécanisme  si  compliqué  ;  ré- 
sultat :  on  ne  vote  pas. 

C'est  le  plus  souvent  par  paresse  que  rélecteur  ne  vote 
pas;  mais  parfois  aussi, il  s'abstient  parce  qu'il  sait  que  tout 
effort  de  sa  part  serait  vain.  Que  se  passe-t-il,  par  exemple 
lorsqu'il  prend  envie  à  une  corporation  municipale  d'ex- 
ploiter en  régie  un  nouveau  service  ?  Nous  savons  qu*il  faut 
qu'elle  obtienne  avant  toute  chose  un  Private  Act  du  Parle- 
ment ;  et  qu'elle  ne  peut  déposer  son  bill  avant  de  Tavoir 
fait  approuver  par  une  assemblée  de  contribuables.  Mais 
presque  invariablement  ces  assemblées  ne  sont  qu'une 
simple  farce.  Personne  n'y  vient.  «  Règle  générale  le  town 
clerk  envoie  chercher  le  concierge  de  Town  Hall  et  quel- 
ques employés  pris  au  hasard  dans  les  bureaux  pour  qu^l 
y  ait  au  moins  apparence  de  réunion.  Puis  on  adopte  les 
résolutions  dont  on  a  besoin  ^1).  » 

Les  contribuables  peuvent  encore  s'opposer  au  bill  lors- 
qu'il arrive  devant  un  Select  Comroittee  ;  mais  une  oppo- 
sition de  ce  genre  est  chose  à  la  fois  très  sérieuse  et  très 
coûteuse.  Les  frais  n'en  peuvent  être  évalués  à  moins  de 
£300.  Réussit-on  à  faire  rejeter  le  bill,  on  n'est  pas  pour 
cela  remboursé  de  ses  dépenses.  Qui  donc  voudra  les  faire 

(1)  D.  H.  Dayies,  Traction  and  Transmission ^  1901,  p.  97. 


628  TROISIÈME    PARTIB.    CHAPITRE    X 

dans  de  telles  conditions  ?  Il  n*est  pas  de  contribuables,  ni 
même  de  groupe  de  contribuables  se  réunissant  dans  ce 
but,  dont  les  impôts  puissent  augmenter  soudain  d*une  pa- 
reille somme.  Au  bout  du  compte  le  bili  passe  sans  ren- 
contrer d'opposition  et  le  mal  se  trouve  établi  pour  toujours. 

On  demandera  peut-être  pourquoi  les  gros  contribuables 
ne  se  réunissent  pas  pour  assister  en  nombre  au  ce  borough 
meeting  ».  Ils  ne  le  font  pas  parce  que  ce  serait  pour  eux 
perdre  leur  temps  que  d*agir  ainsi.  Au  moyen  de  son  or- 
ganisation et  du  pouvoir  dont  elle  dispose  en  sa  qualité 
d*employeur,  la  municipalité  est  certaine  d'amener,  si  c'est 
nécessaire,  une  foule  toujours  plus  nombreuse  que  Top- 
position. 

Ces  observations  tendent  à  montrer  qu*à  moins  de  chan- 
gement radical  dans  le  caractère  des  électeurs,  il  ne  faut 
pas  compter  sur  le  système  représentatif  pour  arrêter  la 
croissance  de  ce  communisme  insidieux  et  irresponsable. 

N'empêche  que  Ton  pourrait,  comme  le  demande  M.  Dar- 
win, introduire  dans  la  procédure  parlementaire  certains 
changements,  dans  le  but  daugmenter  les  facilités  données 
aux  particuliers  ou  aux  associations  pour  faire  opposition 
aux  bills  que  les  corporations  présentent  au  Parlement. 

En  dernier  lieu  se  pose  la  question  de  l'inspection  des 
comptes  municipaux  et  du  «  government  audit  ».  Pour  que 
les  contribuables  sachent  réellement  à  quoi  s'en  tenir,  il  n'y 
a  qu'un  moyen,  c*est  de  donner  aux  comptes  des  entrepri- 
ses commerciales  municipales  la  plus  grande  publicité  pos- 
sible ;  d'assurer  leur  exactitude  et  de  les  présenter  de  telle 
façon  qu'ils  puissent  être  aisément  compris  de  tous.  Rappe- 
lons que  le  Joint  Select  Committee  publia  son  rapport  à  la 
lin  de  la  session  de  1903  et  que  les  recommandations  qu'il 


CONCLUSION    :  62g 

faisait  tendaient  à  i  abolition  du  système  d'inspection  ac- 
tuellement en  vigueur  dans  les  corporations, Count}^  Gouncils 
et  Ilrban  District  Gouncils  ;  et  à  la  nomination  par  les  mu- 
nicipalités, sauf  approbation  du  Local  Government  Board, 
d'inspecteurs  professionnels  indépendants.  Le  comité  avait 
également  exprimé  le  vœu  qu'il  fût  prescrit  un  modèle  de 
comptes,  u  a  standard  form  of  accounts  »,  à  l'usage  des  au- 
torités locales. 

G  est  par  ce  moyen  seulement  qu'on  pourrait  arriver  à 
obtenir  des  résultats  exacts  des  a  trading  departments  »  des 
autorités  locales  et  à  établir  des  comparaisons  valables  soit 
entre  les  ditTérentes  villes,  soit  entre  les  villes  et  les  Com- 
pagnies. 

Nous  dirons,  qu'en  résumé,  sous  le  régime  du  socialisme 
municipal,  nous  avons  vu  : 

1^  Que  les  dépenses  locales  augmentent  bien  plus  vite  que 
la  rateable  property,  c'est-à-dire  que  la  valeur  de  la  pro- 
priété imposable  ; 

2^  Que  la  dette  locale  augmente  plus  vite,  elle  aussi,  que 
la  rateable  property  ; 

3"*  Que  les  municipalités  se  trouvent  mêlées  aux  problèmes 
ouvriers  les  plus  difficiles  ; 

4^  Qu'elles  ne  font  de  profits  sur  leurs  entreprises  indus- 
trielles que  lorsqu'elles  possèdent  un  monopole  ;  qu'il  n'y  a 
guère  que  sur  la  fabrication  du  gaz  qu'elles  gagnent  réguliè- 
rement ;  que  même  dans  ce  cas  leurs  profits  sont  peu  im- 
portants ;  que  leur  comptabilité  est  mal  tenue  ; 

5^  Que  le  municipal  trade  gène,  de  mille  façons,  l'entre- 
prise particulière  et  s'oppose  à  son  progrès  ; 

6®  Qu'il  est  à  la  fois  imprudent  et  injuste  de  donner  le 


63o  TROISIÈME    PARTIE.    —   CHAPITRE    X 

droit  de  vote  à  des  personnes  qui  ne  payent  pas  dUmpôts  et 
d*en  priver  ceux  qui  en  payent  le  plus  (1). 

Le  programme  des  réformes  que  devront  poursuivre  les 
adversaires  du  socialisme  municipal  pourra  se  résumer  en 
trois  propositions  : 

l""  Empêcher  chaque  fois  que  cela  sera  possible  la  créa- 
tion de  nouvelles  entreprises  municipales  ; 

2""  Diminuer  les  inconvénients  inhérentsàleur  fonctionne- 
ment une  fois  qu*elles  ont  été  créées  ; 

3^  Faire  en  sorte  que  l'exploitation  des  monopoles  con- 
cédés aux  particuliers  réponde  à  l'avenir  aux  besoins  du 
public  mieux  qu*elle  n'y  répond  aujourd'hui. 

Il  ne  manque  malheureusement  pas  de  raisons  qui  ren- 
dent Texécution  de  ce  programme  particulièrement  difficile. 
Si  les  économistes  et  hommes  d'Etat  de  la  première  partie 
du  xix^  siècle  étaient  imbus,  à  Texcès  peut-être,  des  idées 
individualistes,  il  est  certain  qu'actuellement  on  commence 
à  aller  trop  loin  dans  l'autre  sens.  Nous  nous  plaisons  à 
reconnaître  avec  les  auteurs  anglais  de  tous  les  partis  que 
les  autorités  locales  anglaises  constituent,  dans  leur  ensem- 
ble, des  corps  admirables  et  que  les  conseillers  municipaux 
méritent  toutes  sortes  de  louanges  pour  Timmense  quan- 
tité de  travail  qu'ils  entreprennent  et  exécutent  volontaire- 
ment chaque  année.  Ce  sont  des  hommes  industrieux,  in- 
tègres, dévoués  au  bien  de  la  communauté  ;  mais  comme 
beaucoup  de  leurs  compatriotes,  ils  se  sont  laissé  entraîner 
trop  avant  dans  l'application  des  idées  socialistes.  Nous 
avons  dans  l'un  des  premiers  chapitres  de  ce  livre  noté  les 
changements  qui  sont  en  train  de  se  produire  dans  les  con- 
ceptions économiques  et  les  progrès  considérables  que  fait 

(1)  Voir  Lord  âvbburt,  op,  cil. 


CONCLUSION  63 1 

le  socialisme,  tant  en  théorie  qu'en  pratique  ;  et  ce  triomphe 
des  idées  socialistes  se  manifeste,  comme  le  remarque  Spen- 
cer dans  sa  préface  de  Tlndividu  contre  l'Etat,  de  deux 
façons:  parFabus  des  règlements  d'une  part,  l'augmenta- 
tation  des  charges  publiques  de  Tautre. 

«  Depuis  1860,  dit-il,  des  mesures  dictatoriales  se  multi- 
pliant rapidement  ont  continuellement  tendu  à  restreindre 
les  libertés  individuelles,  et  cela  de  deux  manières  :  des  ré- 
glementations ont  été  établies  chaque  année  en  plus  grand 
nombre,  qui  imposent  une  contrainte  au  citoyen  là  où  ses 
actes  étaient  auparavant  complètement  libres  et  le  forcent 
à  accomplir  des  actes  qu'il  pouvait  auparavant  accomplir  ou 
ne  pas  accomplir  à  volonté.  En  même  temps  des  charges 
publiques  de  plus  en  plus  lourdes,  surtout  locales,  ont  res- 
treint davantage  sa  liberté  en  diminuant  cette  portion  de  ses 
profits  qu'il  peut  dépenser  à  sa  guise  et  en  augmentant  la 
portion  qui  lui  est  enlevée  pour  être  dépensée  selon  le  bon 
plaisir  des  agents  publics.  » 

Mais  la  plupart  des  citoyens  paraissent  ne  pas  s'aperce- 
voir de  ces  inconvénients  ;  les  attributions  gouvernemen- 
tales vont  se  multipliant  sans  cesse,  car  les  règlements  s'ap- 
pellent les  uns  les  autres. 

«  Chaque  nouvelle  ingérence  de  l'Etat  fortifie  l'opinion 
tacite  d'après  laquelle  c'est  le  devoir  de  TEtat  de  remédier 
à  tous  les  maux  et  d'assurer  tous  les  biens.  Les  citoyens  en 
général,  amenés  à  regarder  les  bienfaits  reçus  par  l'inter- 
médiaire des  agents  publics  comme  des  bienfaits  gratuits, 
sont  continuellement  séduits  par  l'espoir  d'en  recevoir  da- 
vantage (1). 

((  En  vérité,  plnsTintervention  de  l'Etat  augmente,  plus 

(1)  Spencer,   ^individu  contre  i'Eiatj  p.  42  (traduction  J.  Gerschel). 


632  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   X 

cette  notion  se  répand  parmi  les  citoyens  que  tout  doit  être 
fait  pour  eux  et  rien  par  eux.  L'idée  que  le  but  désiré  doit  être 
atteint  par  Faction  individuelle  ou  des  associations  particu- 
lières  devient  de  plus  en  plus  étran^^ère  à  chaque  génération 
et  ridée  qu'il  doit  être  atteint  par  le  concours  du  gouverne- 
ment devient  de  plus  en  plus  familière,  jusqu'à  ce  qu'enfin 
Tintervention  du  gouvernement  vienne  à  être  regardée 
comme  le  seul  moyen  pratique  (1)  .» 

£t  pourtant  l'Etat  semble  incapable  de  bien  remplir  même 
ses  fonctions  essentielles,  comme  celle  de  la  défense  exté- 
rieure du  pays,  par  exemple.  Spencer  a  consacré  quelques 
pages  de  son  livre /u^//ce  (p.  273,  trad.  M.  E.  Castelot)  à 
montrer  de  quelle  façon  piteuse  étaient  administrés  les  dé- 
partements de  la  guerre  et  de  la  marine  ;  u  la  gestion  de 
Tamirauté  est  telle,  dit  le  rapport  de  mars  1887,  qu'en  peu 
de  mois  elle  conduirait  une  maison  de  commerce  à  la  ban- 
queroute ».  Nous  avons  relevé  dans  cette  étude  des  entre- 
prises municipales  bien  des  exemples  d'une  semblable  in- 
compétence ,  et  s'il  n'en  est  pas  qui  aient  abouti  à  la 
banqueroute  véritable,  c'est  grâce  à  ce  fait  seulement  que 
le  contribuable  est  toujours  là,  patient  et  résigné,  tendant 
sa  bourse  au  conseiller  municipal  qui  y  puise  à  pleines 
mains.  Les  entreprises  municipales  succèdent  aux  entre- 
prises municipales,  et  la  conduite  des  villes  anglaises  semble 
s'inspirer  de  ces  paroles  de  Bernard  Shaw  (2)  :  »  Le  gou 
vernement  devrait  saisir  toutes  les  occasions  d'augmenter 
les  pouvoirs  des  autorités  locales  pour  les  mettre  en  état  de 
forcer  l'entreprise  privée  jusque  dans.sa  propre  sphère  (un- 
til  they  are  able  to  force  private  enterprise  into  its  proper 


(0  Spencer,  V individu  contre  V Etat,  p.  41. 

(2)  Shaw,  Fabianism  and  the  Empire^  1900,  p.  73 


CONCLUSION  633 

sphère),  qui  n*est  pas  Texploi talion  des  besoins  communs 
et  des  procédés  connus,  mais  la  sphère  de  l'invention,  de 
Tinitiative  et  la  création  de  nouvelles  méthodes  et  de  nou- 
velles industries  ». 

Bernard  Shaw  semble  avoir  pris  pour  idéal  l'organisa- 
tion  autocratique  de  la  Russie  où  tout  est  fait  par  TËtat. 
Ce  n'est  pas  TAngleterre,  en  effet,  c'est  la  Russie  qui 
serait  le  paradis  du  socialisme  municipal,  si  nous  en 
croyons  un  article  de  la  Fortnightly  Review  de  janvier  1 903. 
<c  Taudis  qu'en  Angleterre  de  savants  économistes  étudient 
dans  le  Times  les  maux  que  provoque  l'introduction  du  so- 
cialisme municipal  et  discutent  solennellement,  comme  un 
problème  nouveau  et  difficile,  la  municipalisation  des  tram- 
ways, tout  en  Russie,  depuis  le  commerce  de  la  boulange- 
rie jusqu'à  celui  de  la  librairie,  a  été  municipalisé.  L*Etat 
se  contente  d'exécuter  les  transports  de  TEmpire,  d'ex- 
ploiter les  mines  et  de  vendre  de  la  vodka,  mais  le  gou- 
vernement local  ne  fixe  pas  de  limite  à  sa  propre  activité. 
La  (t  Duma  »  et  le  «  Zemstvo  »  vendent  des  machines  agri- 
coles, des  livres,  des  médicaments  et  des^  lanternes  ma- 
giques, dirigent  des  théâtres,  organisent  des  conférences, 
traduisent  Milton  et  Molière  et  expurgent  Dostoïewsky 
pour  le  bénéfice  des  masses.  Tandis  que  la  cité  de  Londres 
se  demande  si  elle  possédera  jamais  ses  tramways,  la  ville 
de  Tiflis  fait  concurrence  aux  bouchers  en  détail  et  vend  à 
crédit,  contre  des  versements  mensuels,  des  machines  à 
coudre  à  des  couturières  dans  la  gène.  » 

Ce  tableau  du  dernier  des  pays  autocratiques  pourrait 
bien  s'appliquer  à  TAngleterre  dans  quelques  dizaines 
d'années  d'ici,  si  les  vœux  et  les  prétentions  des  socialistes 
venaient  à  se  réaliser.  Souhaitons  que  ce  ne  soit  pas  ce- 
lui de  la  France  :  les  quelques  villes  qui  ont  vu  triompher 


634  THOISlèMB   PARTIE.    —    CHAPITRE    X 

daos  le  seia  de  leur  conseil  municipal  la  majorité  socia- 
liste ont  eu  plus  d'une  fois  loccasion  de  s'en  repentir. 
Marseille,  Toulon,  Brest,  Uoubaîx,  pour  ne  citer  que  celles- 
là,  en  savent  quelque  chose  :  et  si  c*est  là  le  paradis  qa'on 
nous  promet,  il  ne  restera  à  ceux  qui  s'y  trouveront  qu  ane 
chose  à  faire  :  le  quitter  aussi  vite  que  possible  pour  ré- 
tablir un  régime  qui,  malgré  toutes  ses  imperfections, 
était  certainement  moins  tyrannique  et  moins  odieux. 
L'exemple  des  villes  anglaises,  quelque  peu  attrayant  qa*il 
soit,  à  certains  égards,  ne  nous  donne  qu'une  faible  idée  de 
rétat  où  se  trouveraient  nos  villes  françaises  au  bout  de 
quelques  années  d'un  semblable  régime  de  socialisme  mu- 
nicipal. Ce  ne  serait  pas  seulement  les  finances  boulever- 
sées, ce  serait  la  bureaucratie  triomphante,  la  désorgani- 
sation des  manufactures  d  Etat  et  des  arsenaux,  de  tous  les 
services  publics,  créés  à  grands  frais  par  les  municipalités, 
le  personnel  ouvrier  régentant  les  chefs  et  les  adminisitra- 
tions,  la  corruption  et  la  pression  sous  toutes  ses  formes, 
du  haut  en  bas  de  Téchelle.  «  Quelles  sont  à  l'heure  ac- 
tuelle, se  demande  M.  Paul  Leroy  Beaulieu  (1),  dans  les 
sociétés  les  plus  démocratiques  la  liberté  et  la  di^^nité  des 
fonctionnaires  ?  Les  circulaires  ministérielles  avec  leurs 
prescriptions  brutales  en  temps  d'élection  notamment,  les 
révocations  ou  déplacements  arbitraires  sont  d'une  élo- 
quence démonstrative  à  ce  sujet.  Cet  assujettissement  de 
rindividu  fonctionnaire  à  ceux  qui  détiendront  les  pouvoirs 
publics  sera  singulièrement  renforcé  quand  il  n'y  aura  pas 
le  contrepoids  de  la  concurrence  des  administrations  pri- 
vées. L*individu  fonctionnaire,  et  alors  tous  le  seront,  se 
trouvera  littéralement  la  chose,  nous  ne  disons  pas  de  TElat. 

(1)  Paul  Lbrot  Bbaulibu,  LecoHectivisme,^*  édition. 


CONCLUSION  635 

une  abstraction, malades  politiciens  qui  se  seront  mis  en  pos- 
session de  l'Etat.  Un  joug  formidable  pèsera  sur  tous.  » 

Nous  n*en  sommes  pas  encore  là,  mais  nous  en  pren- 
drions rapidement  le  chemin,  si  nous  voulions  imiter  en 
France  Texempledes  grandes  cités  anglaises.  Moins  pon- 
dérés que  nos  voisins  du  Nord,  nous  serions  sans  doute 
plus  imprudents  encore  qu'ils  ne  Tout  été  ;  et  nous  mêle- 
rions, sans  tarder,  le  domaine  économique  et  le  domaine 
politique,  qu'ils  ont  jusqu'ici  plus  ou  moins  bien  réussi  à 
maintenir  séparés. 

Stuart  Mill,dans  son  Traité  cf  Economie  politique  (  I  ),nous 
mettait  en  garde  contre  le  danger  où  nous  sommes  tombés. 
(c  Les  véritables  motifs  pour  laisser  aux  associations  parti- 
culières tout  ce  qu'elles  sont  en  état  de  faire  existent  dans 
toute  leur  force,  lors  même  qu'il  serait  certain  que  des 
fonctionnaires  publics  s'^acquittcraient  aussi  bien  qu'elles 
de  la  besogne.  Ces  motifs  ont  déjà  été  indiqués  ;  cest  l'in- 
convénient  de  surcharger  Tattention  des  principaux  fonc- 
tionnaires et  de  les  détourner  de  fonctions  qu'eux  seuls  peu- 
vent remplir  pour  des  choses  qui  peuvent  être  assez  bien 
faites  sans  eux  ;  c*est  le  danger  de  grossir  sans  nécessité 
Tautorité  directe  et  Tinfluence  indirecte  du  gouvernement 
et  de  multiplier  les  occasions  de  conflits  entre  ses  agents  et 
les  particuliers  ;  c'est  Tinconvénientde  concentrer  dans  une 
bureaucratie  dominante  toute  Thahileté  et  Texpérience  dans 
la  gestion  de  grands  intérêts  et  toute  la  puissance  d'action 
combinée  qui  existe  dans  la  société  ;  habitude  dont  Tusage 
établit  entre  les  citoyens  et  le  gouvernement  des  rapports 
semblables  à  ceux  qui  existent  entre  un  enfant  mineur  et 
son  tuteur  et  qui  est  la  cause  principale  de  l'infériorité  po- 

(1)  Stuart  Miu.,  Economie polUiqnc,  liv.  V,  chop.  XI. 


636  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    X 

litique  qui  a  jusqu'àce  jour  caractérisé  les  habitaQts  des  pays 
trop  gouvernés  du  continent  soit  avec,  soit  sans  la  forme  du 
gouvernement  représentatif.  > 

Les  municipalités  anglaises  feraient  bien  de  rapprendre 
la  leçon  de  Stuart  Mill  ;  peut-être  verraient^elles  que  les 
moyens  qu'elles  emploient  actuellement  ne  sont  ni  les  seuls, 
ni  les  meilleurs  de  ceux  qu'elles  pourraient  employer  pour 
nous  mener  ^  la  réalisation  de  cette  fin  idéale  du  plus  grand 
bien-être  pour  tous,  vers  laquelle  tendent  tous  les  cœurs 
généreux. 


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COMPAKAISON  DES  MESURES  FRANÇAISES 

ET  ANGLAISES 


MESURES  DE  LONGUEUR 


Inch,  Pouce  (i/36  du  yard). 

Foot,  Pied  (1/3  du  yard). 

Yard  impérial. 

Fathom  (2  yards). 

Pôle  ou  perch  (5  1/2  yards). 

Furlong  (220  yards). 

31ile(  1760  yards). 


2,539  centimètres. 
3,047  décimètres. 
0,914  mètre. 
1,828  mètre. 
5,029  mètres. 
201,164  mètres. 
1.609,314  mètres. 


MESURES  DE  SUPERFICIE 


Pied  carré. 
Yard  carré. 
Rod  (perch  carré). 
Rood  (1.210  yards  carrés). 
Acre  (4.840  yards  carrés). 
Square  mile  (mile  carré). 
=  640  acres. 


0,092  mètre  carré. 

0,836  mètre  carré. 
25,291   mètres  carrés. 
10,116  ares. 

0,404  hectare. 

259  hectares  (2.589.894  mq). 


Mètre  carré. 
Hectare. 


1,196  yard  carré. 
2,471  acres. 


644       COMPARAISON    DES   MESURES   FRANÇAISES  ET  ANGLAISES 


MESURES  DE  CAPACITE 

Fini  (1/8  de  gallon).  0,567  litre. 

Quart  (1/4  de  gallon).  M  35  litre. 

Gallon  impérial.  4,543  litres. 

Bushel  ^8  gallons).  3(>,347  litres. 

Quarter  (8  bushels).  2,907  hectolitres. 

Pied  cube  (cubic  foot).  0,028  mètre  cube. 

Litre.  1,760  pint. 

Hectolitre.  22,009  gallons. 

Mètre  cube.  35,316  pieds  cubes. 


POIDS  {Sysiime  avoir  du  poids) 

Ounce  (1/16  de  livre]  oz.  28,349  grammes. 

Pound  (livre  ou  l.  b.)  453,592  grammes. 
Quintal  ou  hundred- 

weight  (cwt)=ll2  Ibs.  50.802  kilogrammes. 

Ton=20  cwt.  1 .016,048  kilogrammes. 


MONNAIES 

Pound  sterling  (£}. 

(=20  sh.  =240  d.)  25  fr.  22 
i  shilling  (1  sh.  ou  1/=12  d.)  1  fr.  25 

1  penny  (1  d.)  0  fr.  10 

1/2  penny  (1/2  d).  0  fr.  05 

1  farthing  (1/4  d.).  0  fr.  002  1/2 

La  guinée^  monnaie  nominale,  vaut  21  shillings. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PlŒFACB, 


Pages 

1 


PREMIERE  PARTIE 


Les  exploitations  municipales. 


(Chapitre       I.  --  Coup  d'œil  historique 3 

Chapitre     II.  —  Municipalisme  et  collectivisme 22 

Chapitre    III.  —  L*admini8tration  locale 46 

(Chapitre    IV.  —  Monopoles  et  services  publics 62 

Chapitre     V.  —  La  municipalisation  du  service  des  eaux.   .   .  79 

Annexe  au  Chapitre  Y.    —   Les  municipalités  distributrices  de 

force  hydraulique 111 

Chapitbe    VI.  — Les  exploitations  municipales  de  gaz.    .       .    .  117 

Chapitre  VIÏ.  —  L'électricité.           loi 

(Chapitre  VllI.  —  I^es  tramways 177 

Chapitre    IX.  —  Les  stations  centrales  de  force  électrique.    .    .  220 

Chapitre      X.  —  Les  téléphones 227 

Chapitre    XI.  —  Les  habitations  ouvrières 241 

Annexe  au  Chapitre  XI.  —  Les  municipal  Lodging  Houses.   .    .  303 

Chapitre  XII.  — Les  bains  et  lavoirs  municipaux 310 


646  TABLE    DES    MATIERES 

Chapitre  XIII.  —  Les  marchés  et  abattoirs  municipaux  ....  327 

Chapitre  XIV.  —  Les  cimetières 340 

Chapitre  XV.  —  Entreprises  diverses 34r; 


DEUXIEME  PARTIE 
La  politique  ouvrière. 


Chapitre      I.  --  Ouvriers  et  employés.  Salaires  et  heures  de 
travail 3rr. 


Chapitre      II.  —  Rapports  des  ouvriers  municipaux  avec  les  cor- 
porations. Le  droit  de  vote  des  employés  municipaux.    .    .    .     3L4'j 

Chapitre    111.  —  De  l'exécution  en  régie  des  travaux  des  muni- 
cipalités. Les  Works  dcpartments 41 S 

Annexe  au  Chapitre  IIL  —  Les  Labour  bureaux 430 


1 1 


TROISIEME  PARTIE 
Les  finances  locales. 

Chapitre  I.  —  L'augmentation  des  dépenses  locales,  des  im- 
pôts et  de  la  dette.  Part  de  cette  augmentation  qui  revient 
aux  entreprises  reproductives 4 

Chapitre      II.  — Les  emprunts  municipaux      4tîl 

Chapitre    111.  —  Les  Sinking  fonds 50» 

Chapitre  IV.  —  L'amortissement  du  capital  et  du  matériel 
dans  les  entreprises  municipales  (dépréciation) 51î» 

Chapitre     V.  —  L'inspection  des  comptes  municipaux  ....     o2S 

C  iVapitre  VI.  —  Les  impùts  locaux  et  leur  répercussion  sur  Tin- 
dustrie  privée 53^ 


i 


TABLE    DES    MATIERES  ijfi'j 

Chapitre  VU.  —  De  l'affaiblissement  de  l'esprit  d'enlreprisedans 

les  industries  municipalisées 560 

Chapitre  VIlï.  —  De  l'augmentation  des  fonctions  municipa- 
les. La  capacité  des  conseillers.  La  croissance  de  la  bureau- 
cratie   574 

Chapitre     IX.    —   Risques  et  profits 590 

Chapitre    X.  —  Conclusion 610 

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Comparaison  des  mesures   françaises  et  anglaises 643 


imp.  J.  Thevenot»  Saint-Dizier  (Haute-Marne) 


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