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I
BIBLIOTHÈQUE 1
\ DE LA SCIENCE FRANÇAISE I
LE
SOCIALISME MUNICIPAL
EN ANGLETERRE
ET
SES RÉSULTATS FINANCIERS
SOGIflWSiaE IWUlïIGlPfllt
EN ANGLETERRE
ET
SES RÉSULTATS FINANCIERS
PAR
Raymond BOVERAT
Docteur en Droit
Diplômé de TEcoIe des Sciences politiques
« >
DEUXIEME EDITION
PARIS
LIBRAIBIE NOUVRLLB DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE
ARTHUR ROUSSEAU, ÉDITEUR
14, RUE 800FFL0T ET RUE TOULLIER, 13
1912
GIfl
• . I
r
PRÉFACE DE LA DEUXIÈME ÉDITION
Quatre ans se sont écoulés depuis la publication de
la première édition de cet ouvrage.
De nombreux exemples sont venus s'ajouter à ceux
que Ton possédait déjà de la complète incapacité de
TEtat et des municipalités au point de vue industriel et
commercial.
Le rachat des Chemins de fer de TOuest en a été jus-
qu'ici en France la preuve la plus éclatante ; grâce à lui,
le budget se trouve chaque année obéré d'une charge
nouvelle atteignant une cinquantaine de millions . L'ad-
ministration de ce réseau constitue un scandale sans
précédent dont souffrent non seulement tous ceux qui
Tutilisent, soit pour voyager, soit pour expédier des
marchandises, mais le pays tout entier.
Le désarroi, pour ne pas dire le gâchis qui régnait dans
le monopole des poudres, a éclaté au grand jour à la
suite de l'explosion du cuirassé « Liberté ».
Le déplorable fonctionnement du monopole des allu-
mettes et de celui des tabacs fait Tobjet de plaintes sans
cesse renouvelées.
Il semblerait que des expériences aussi concluantes
378136
Vf PREFACE DE LA DEUXIEME iSdiTION
auraient dû ouvrir les yeux de nos réformateurs et cal-
mer leur zèle.
Il n'en a rien été ; pour combattre la hausse des den-
rées, pour « régulariser leur prix », le gouvernement
vient de déposer un projet de loi autorisant les commu-
nes à créer des boulangeries et des boucheries munici-
pales ; pour combattre la cherté des loyers, il en dépose
un second autorisant les municipalités à construire elles-
mêmes des habitations à bon marché.
Sous une apparence généreuse, nous considérons ces
deux projets comme à la fois dangereux et injustes.
Dangereux parce qu'ils vont augmenter encore les char-
ges publiques déjà si lourdes ; injustes, parce qu'ils au-
ront ppur unique effet de ruiner nombre de petits com-
merçants et d'avantager les uns aux dépens des autres.
Municipalisme et étatisme se touchent de près ; ils
ont les mêmes inconvénients et les mêmes défauts, accu-
sés, plus qu'ailleurs peut-être, dans les pays démocrati-
ques comme le nôtre.
L'un comme l'autre, ils entraînent fatalement l'aug-
mentation des dépenses publiques ; ils compriment la
liberté, ils tuent l'esprit d'initiative, ils favorisent l'in-
trusion de la politique dans le domaine administratif;
sous leur empire, les considérations électorales prennent
une place d'autant plus funesle qu'elle est plus impor-
tante,dans le fonctionnement de services que seules de-
vraient régir des considérations économiques ou indus-
trielles*
PRIÎFAGE DE LA DEUXIÈME ÉDITION YII
Ce sont ces difTérents points que nous avions essayé
de faire ressortir dans notre ouvrage sur le « Socialisme
municipal en Angleterre ».
L'accueil favorable qu'avait reçu ce livre à son appa-
rition nous a décidé à le présenter une seconde fois au
public au moment où les questions dont il traite dans
un pays voisin et ami redeviennent dans le nôtre d'une
regrettable actualité.
Puisse sa lecture faire réfléchir ceux qui assument la
tâche, lourde entre toutes, de diriger leurs concitoyens
et de gérer le patrimoine national ; c'est notre vœu le
plus cher.
Paris, le 9 novembre 1911.
PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION
L'extraordinaire développement qu'ont pris depuis un
demi-siècle les doctrines socialistes etTaccueil enthousiaste
que leur ont fait non seulement les classes populaires, mais
aussi bon nombre d'écrivains et de penseurs des deux
mondes, constituera sans aucun doute, Tun des traits les
plus caractéristiques de Tépoque où nous vivons ; et ce fait
n'a rien qui doive nous étonner ; dernière venue des doc-
trines économiques, la théorie socialiste n'a pas seulement
pour elle le charme de la nouveauté ; elle sait nous séduire
par sa logique apparente et ses méthodes scientifiques,
nous conquérir par l'esprit de justice et l'aspiration vers
un état social meilleur dont elle semble au premier abord
imprégnée.
Longtemps, nous n'avons connu du socialisme que son
côté purement négatif, ses rêves généreux d'une humanité
meilleure. Mais pour cela il nous faut remonter à Tépoque
déjà lointaine où prévalait parmi les philosophes et les
hommes d'Etat la doctrine libérale, fille des économistes
de la fin du xviii* siècle et du commencement du xix* ; à
l'époque où la formule célèbre de Gournay : « Laisser faire,
laisser passer » semblait s'imposer comme une règle saine
et sensée à la fois dans la direction des affaires publiques.
Une telle doctrine prêtait peu, évidemment, à l'extension
du rôle de l'Etat, réduit alors dans presque tous les pays
X PRÉFACE DE LA PREMIERE ÉDITION
d*£urope à des foactîons simples et peu nombreuses, à
celle de juge et de gendarme.
Depuis cinquante ans au contraire, concurremment aux
transformations qui se produisaient coup sur coup daas la
situation industrielle et économique du monde occidental
par suite de la naissance de la grande industrie et de la
construction des chemins de fer d*une part, la diffusion de
Tinstruction et du droit de vote parmi les classes ouvrières
d'autre part, nous avons vu la conception de TEtat subir
dans beaucoup d'esprits un commencement de transforma-
tion. Michel Chevalier en France, StuartMill en Angleterre,
ont les premiers montré quelque tendance à répudier le
système de non-intervention absolue prêché jusque-là par
leurs devanciers.
Que leurs demandes étaient timides pourtant à côté de
celles de socialistes comme Rodbertus, Bebel, comme l'a-
méricain Bellamy, comme MM. Jaurès et Renard en France,
Webb et Shaw en Angleterre. Théoriciens et prophètes du
système collectiviste, les écrivains dont nous citons les
noms ont dépeint et détaillé le régime idéal sous lequel il
nous faudrait bon gré,mal gré,vivre dans un avenir plus ou
moins éloigné.
Notre intention n'est pas d'étudier dans ce livre les sys-
tèmes extrêmement nombreux qui ont fait à notre époque
l'objet d'une exposition dogmatique. Nous rappellerons
simplement qu'on distingue trois sortes de socialisme : le
socialisme d'Etat, le socialisme communal ou municipal et
le socialisme corporatif. Le premier, qui donne la propriété
des moyens de production et la direction des services indus-
triels et commerciaux à l'Etat ; le second, qui la confie aux
communes ; le troisième, qui la remet à des associations
libres.
PRÉPAGE DE LA PREMIERE ÉDITION XI
Rentre-t-il dans la sphère d'action légitime et utile des
pouvoirs publics de posséder les moyens de production et
dediriger les entreprises industrielles? Oui, répondent les
socialistes, et pour eux la question ne fait pas de doute.
Non, répond FËcole libérale, les services d'Etat doivent
être Texception ; et nombre d'auteurs, adeptes de la doctrine
classique ou de la doctrine interventionniste ont cherché à
établir une démarcation théorique entre le domaine d'ac-
tion de TEtat et celui des individus. Recherche pleine de dif-
ficultés, car si Ton accorde que TEtat doit se charger do tel
service, quelle raison invoquer pour lui refuser le droit de se
charger de tel autre ? Les collectivistes tranchent la diffi-
culté en la supprimant: sous le régime qu'ils rêvent, tout
sera fait par l'Etat.
Si nous en croyons M. PaulLeroy-Beaulieu, « l'Etat mo-
derne se trouve investi d'une façon complète en théorie et
qui tend à devenir complète en pratique de la toute-puis-
sance ; la toute-puissance, voilà l'attribut principal de l'Etat
moderne ».
Cette doctrine de la toute-puissance de l'Etat, née en Al-
lemagne, s*est infiltrée peu à peu dans les pays voisins de
l'empire germanique, Autriche, Italie, France et Angle-
terre. Parlements et conseils municipaux, législateurs et
administrateurs, elle les a tous imbus de Tidée qu'ils ont
une mission de civilisation à remplir à l'égard de leurs con-
citoyens et que, pour mener à bien cette mission, ils n'ont
qu'à légiférer et à étendre les fonctions et le rôle des pou-
voirs publics.
L'Angleterre n'a pas fait exception à la règle commune.
La mère patrie de l'Ecole libérale, qui, durant un siècle, a
pu servir d exemple vivant aux démonstrations des écono-
mistes, répudie peu à peu les anciennes doctrines sous les-
Xn PREFACE DE LA PREMIERE ÉDITION
quelles elle a grandi en force et en richesse et devient in-
terventionniste à l'exemple de ses voisins.
Si le socialisme d'Etat ne menace pas de prendre de long-
temps chez elle les proportions qu'il a prises en Allemagne
et qu'il se dispose à prendre en France, le socialisme mu-
nicipal y a fait en revanche des progrès extraordinairement
rapides. G*est l'Angleterre qui se trouve actuellement à la
tête du mouvement communal tendant à l'exploitation de
services publi'^s industriels et lucratifs. Elle est suivie de
près dans cette voie par les Etats-Unis, l'Allemagne, TAu-
triche-Hongrie, la Suisse et l'Italie.
Ce n'est pas toutefois sans la vive opposition d'une grande
partie des contribuables anglais que s'est effectuée la muni-
cipalisation des nombreux services jusque-là confiés à
l'initiative privée. Sur cette terre classique de l'individua-
lisme, la lutte ne pouvait manquer d'être vive, acharnée
même, entre les partisans de l'anicienne école et ceux de la
nouvelle. Il nous a paru qu'il serait intéressant d'en retracer
les différentes phases, de rechercher dans quelles circons-
tances elle avait pris naissance, de voir à quels résultats
elle avait conduit.
Si cette étude n'était pas un simple exposé des faits bien
plus qu'une critiqué, nous aurions désiré qu'elle portât
comme exergue le titre du célèbre pamphlet de Bastiat :
« Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas ». Il y aurait eu de
notre part quelque présomption à agir ainsi. Car, si nous
n'avons pas, au cours de ce volume et dans sa conclusion,
caché nos préférences pour un système de concurrence et
de liberté, du moins n'avons-nous pas prétendu faire d'un
point de vue théorique et spéculatif la critique des institu-
tions municipales anglaises. Nous avons simplement cher-
ché à montrer le fonctionnement des diverses grandes en-
PRÉFACE DE LA PREMIERE EDITION XIII
treprises dont elles ont pris lu direction et à placer sous les
yeux du lecteur français le vaste domaine sur lequel s'exerce
aujourd'hui Tambitieuse activité des ^rande^ cités d'Outre-
Manche.
Nous n'avons pas voulu nous contenter pourtant de tra-
cer le simple tableau de Thistoire, du fonctionnement et
des résultats pratiques immédiats de ces grands services
publics. Comme disait Bastiat, ces résultats premiers sont
ce qu'on voit. Ils forment le côté brillant du municipa-
lisme, et nous pourrions les comparer à l'orgueilleuse fa-
çade des hôtels de ville où s'abrite Tessaim toujours crois-
sant des fonctionnaires municipaux. Nous avons voulu
pénétrer dans ce bâtiment imposant à la fois par l'éclat de
sa nouveauté et par ses vastes dimensions et essayer de
voir ce qu'il cachait dans ses murs. Nous avons voulu sa-
voir ce que coûtaient ces usines à gaz et ces usines d'élec-
tricité, ces tramways, ces bains, ces maisons ouvrières
dont s'enorgueillit le nouveau municipalisme ; voir ce
qu'elles rapportaient, connaître l'influence qu^elles avaient
sur la marche des revenus publics, des dépenses et de la
dette.
La gravité du problème économique que pose le coût
sans cesse croissant du gouvernement local et l'urgence
qu'il y a à y porter remède sont des faits aujourd'hui recon-
nus de tous. Si l'augmentation des dépenses est la suite
naturelle, peut-être inévitable, de la représentation popu-
laire, et si la pression dont les conseils municipaux sont
l'objet de la part de leurs électeurs les pousse à la dépense
et au gaspillage, le véritable rôle de ces assemblées n'en
devrait pas moins consister à modérer la passion populaire
plutôt qu'à Texciter.
XIV PRISFAGE DE LA PREMIÂRE ÉDITION
A côté des cris de la masse irréfléchie qui demande des
améliorations coûteuses, s'élève bien la voix de quelques
hommes sages prêchant l'économie. Mais indépendamment
de ce fait qu'étant les moins nombreux ils sont naturel-
lement les moins forts, ils ne peuvent le plus souvent
donner que des conseils vagues, parfois difficiles, toujours
désagréables à suivre. Leurs adversaires, au contraire,
poursuivant un but net et défini, deviennent d'autant plus
populaires qu'ils se montrent plus prodigues. Les masses
aiment la prodigalité ; le luxe les flatte et elles assimilent
volontiers l'économie à Tavarice.
Ainsi va s'élargissant chaque année la déchirure que
fait au budget de l'Etat ou à ceux des communes une foule
inconsciente, avide, et qui, dans son aveuglement, semble
ignorer que c'est son argent même que Ton verse à ce
Trésor beaucoup plus fragile en réalité et beaucoup moins
riche qu'elle ne se plaît à le croire.
La bibliographie relative à la question du socialisme
municipal en Angleterre augmente chaque jour ; elle est
actuellement assez nombreuse. Nous donnons à la fin de ce
volume la liste des ouvrages que nous avons consultés.
îVous nous sommes principalement servi, dans la rédaction
de notre travail, du livre du major Darwin, intitulé : Mu-
nicipal Trade, du livre de Lord Avebury : On Muni-
cipal and National Trading ^ du livre plus ancien déjà de
M. Cari Hugo : Stâdteverwaltung und Mu7iizipal Sozia-
lismus in England ; des articles qu'a publiés le Times
d'août à novembre 1902; des deux grandes enquêtes par-
lementaires de 1900 et 1903 sur le « Municipal Trading »,
et enfin des rapports que publient chaque année les villes
municipalisatrices.
Nous avons tenu à étudier la question dans le pays
PRÉFACE DE LA. PREMIÈRE ÉDITION XV
même et à constater de visu les résultats obtenus dans les
principaux centres industriels anglais, à Birmingham, Li-
verpool, Manchester et Glasgow. Nous avons rencontré
dans toutes ces municipalités l'accueil le plus aimable, et
nous ne souhaitons qu'une chose : c'est que les personnes
qui viennent étudier en France les institutions municipales
soient reçues comme nous l'avons été. Nous tenons tout par-
ticulièrement à remercier à Birmingham, M. le conseiller H.
J. Sayer, chairman du Distress Committee, le City treasurer
M. Th. Henry Clare. et M. James Tart, secrétaire de TEs-
tates and burial Board ; à Liverpool, M. T. Shelmerdine,
Land Steward and Surveyor, et à Glasgow, M. J. Bowers,
senior deputy town clerk de cette ville.
Mais nous sommes plus particulièrement reconnaissant
à M. Herman David, agent consulaire de France à Birmin-
gham, à MM. Orlandi et Gauthier^ vice-consuls de France
à Liverpool et à Glasgow, de Textrème obligeance qu'ils
ont bien voulu nous témoigner. Ils ont contribué dans une
large mesure à faciliter une tâche peu aisée tant par l'éten-
due que par la complication du sujet.
Nous avons divisé notre travail en trois parties : la pre-
mière est un exposé des principaux services publics au-
jourd'hui municipalisés, la seconde traite de la politique
ouvrière, la troisième des impôts et de la dette locale.
Nous avons limité notre étude des régies municipales à
quatre grandes villes aujourd hui à la tète du mouvement ;
nous avons laissé de côté Londres, dont Thistoire municipale
demanderait à elle seule un volume. Nous ne nous flattons
pas d^avoir traité dans son entier une question aussi com-^
plexe et aussi touffue que celle du socialisme municipal
même limitée à la Grande-Bretagne.
Nous avons simplement voulu montrer au lecteur français
PREMIÈRE PARTIE
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES
CHAPITRE PREMIER
COUP D^ŒIL HISTORIQUE
L'expression de « Socialisme municipal » en France,
celle de « Municipal Trading » en Angleterre, bien que
désignant toutes deux un même état de choses, ne sont pas
Texacte traduction l'une de Tautre ; et nous pouvons ajouter
que ni Tune ni Pautre n'éveillent dans notre esprit Timage
véritable de la situation qu'elles devraient définir ; Texpres-
sion française ne fait pas ressortir le caractère industriel et
commerçant que revêt aujourd'hui le socialisme municipal ;
« Municipal Trading » ne rappelle au contraire que le côté
commercial du phénomène sans en montrer le sens social.
L'appellation de Socialisme municipal % d'ailleurs été
Tobjet de vives critiques, tant en France qu'en Angleterre
où elle semble effaroucher nombre de personnes, qui n'ont
point hésité cependant à favoriser son développement. On
a mis en avant pour la remplacer les dénominations de
« Municipalisme » et d' « Industrialisme » ; mais l'exprès-
4 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
sion (( Socialisme municipal » est d'un usage si couraat
aujourd'hui et si universellement comprise qu'aucune con-
fusion n*est à craindre en l'employant.
Le Socialisme municipal est la tendance qu*ont actuelle-
ment les municipalités, dans nombre de grands Etats, à
s'emparer des services publics et à « établir entre leurs
mains des monopoles sous le prétexte d*avantages que ce
système conférerait à la Société et aux individus qui la
composent, en supprimant les bénéfices à priori abusifs et
même monstrueux des entrepreneurs et des intermédiaires
en général ».
Le Socialisme municipal, nous demanderons-nous tout
d'abord, est-il un phénomène nouveau qui n'a fait son ap-
parition que dans la seconde moitié du xix"" siècle et dont
l'époque actuelle doit voir le plein développement ? Ou n'esl-
il pas simplement la survivance, la résurrection soudaine
d'un état de choses autrefois bien connu et qui, sous l'action
de certains facteurs, se manifeste à nouveau dans notre
organisme social?
Le problème n'est pas sans difficultés, et peut-être pour-
rait-on dire que ces deux hypothèses renferment Tune et
l'autre une part de vérité.
Les causes de l'introduction du Socialisme municipal dans
la société moderne sont multiples. M. des Cilleuls nous
semble les avoir bien résumées (1), sous les quatre titres
suivants, à savoir:
« 1** Les précédents établis sous plusieurs régimes poli-
tiques et dans divers pays sans qu*on ait soupçonné long-
temps ni le caractère ni la portée des dispositions adoptées.
« 2° L'essor des besoins matériels de la vie civilisée.
(1) Voir DBS Cilleuls, Le Socialisme municipal à travers les sièclex,
p.240.
COUP D CEIL HISTORIQUE 5
<c 3"" L'accroissemeat dlafluence de la classe populaire.
« 4* Les préju|çés répandus en matière économique et qu'il
est beaucoup plus difficile d'extirper que de faire pénétrer . »
M. des Cilleuls refuse d'ajouter à cette liste Textension
rapide des grandes villes au xix* siècle et reproche même
à certains auteurs d'avoir a travesti les phénomènes histo-
riques pour excuser Tintervention officielle en matière de
production et d'échange ».^otre intention n'est pas de faire
dans ce volume l'apologie de l'intervention officielle en
matière économique ; tout au contraire. Mais si nos besoins
matériels ont pris depuis un demi-siècle un tel essor, et si
la classe populaire a vu son influence s*accroitre de façon
si considérable, la cause n'en est-elle pas dans cette con-
centration d'une population . autrefois dispersée dans les
campagnes et qui a forcément senti se réveiller en elle des
aspirations matérielles et intellectuelles jusque-là endor-
mies? Nous n'hésiterons pas, pour notre part, à considérer
cette concentration de la population dans les grands centres
urbains et son afflux des campagnes vers les villes comme
la cause prédominante de l'activité croissante des assem-
blées municipales.
Le fait est frappant en lui-même, et les dernières stati s-
tiques nous prouvent surabondamment que ce mouvement
d'immigration urbaine n'a encore rien perdu de son inten-
sité première. Il s'est produit sur le continent comme il
s'est produit en Grande-Bretagne; c'est peut-être même
dans ce dernier pays que les déplacements ont été les plus
marqués.
Une phase nouvelle s'ouvrait en effet, quelques années
avant la fin du xyiii*" siècle, aux populations de l'Europe.
La découverte de la machine à vapeur et sa rapide appl i-
cation aux. industries les plus diverses firent faire à la pro-
O PREMIERE PARTIE. CHAPITRE PREAOER
(liictioa des progrès jusque-là incoaaus. Les capitaux s'ac-
cumulèreat et la richesse augmenta avec une rapidité dont
on n'avait jusqu'alors jamais vu d'exemples.
Les transformations que subit Tindustrie n'eurent pas
que des conséquences économiques ; elles en eurent de so-
ciales et de morales aussi. Les progrès extraordinaires de la
société moderne allaient en effet, au bout de très peu d an-
nées, avoir ce double résultat: 1^ de créer deux classes de
personnes intéressées toutes deux, mais de façon différente,
à la production des richesses, celle des travailleurs et celle
des capitalistes, et de donner naissance aux difficiles pro-
blèmes des relations du capital et du travail ; 2"" de boule-
verser la répartition de la population et de la concentrer
dans les grandes villes où ils suscitèrent son accroisse-
ment d'une manière prodigieuse.
Le recensement de 1901 a fait, comme les précédents,
ressortir en Grande-Bretagne une décroissance sérieuse et
continue de la population des districts ruraux, décroissance
plus grave en général entre 1891 et 1901 que dans les dix
années antérieures, marquée surtout dans les endroits
éloignés des centres industriels et manufacturiers et des
chemins de fer.
Ce mouvement tire son origine des causes multiples ; il
la doit notamment aux changements apportés aux méthodes
de culture, à l'introduction des machines agricoles, qui ont
diminué le nombre de mains nécessaires, à Taugmentation
constante des salaires qui a contraint nombre de fermiers
d se contenter du moins d'ouvriers possible, au développe-
ment de l'instruction aussi, difficile à concilier avec les
exigences de la vie rurale, à l'élévation du u Standard of
living )» et à Tambition croissante des enfanls des travail-
leurs d'améliorer un sort jusqu'ici bien précaire. Ajoutons
COUP DQEIL HI8TOBIQUE 7
à toutes ces raisons Timpossibilité d'arriver à une position
quelconque par le simple et rude travail de la terre» et nous
comprendrons que les campagnards aient en masse déserté
leurs champs pour se porter vers les villes.
Tous les efforts fails, tous les remèdes cherchés et pro-
posés pour empêcher Taccroissement de la population des
villes ont été inutiles : facilité d^açquérir des terrains,exemp
tionsou diminutions d'impôts, écoles pratiques, rien n'a
prévalu contre l'attrait qu'exerçaient les grands centres.
Que sert d'ailleurs de déplorer cette émigration et de cher-
cher les moyens de l'enrayer puisqu'on fait précisément
tout ce qu'il faut pour Tencourager en rendant le séjour
des villes d'année en année plus agréable et plus facile,par
les travaux de toutes sortes qu'on y exécute à grands frais,
généralement dans l'intérêt des classes ouvrières.
iNombre de personnes, et notamment les familles qui ont
des lils, subissent l'attraction des grandes cités parce qu'elles
pensent y trouver plus facilement une occupation pour
leurs enfants ; mais c'est aussi la vie des grandes villes, en-
tendons par là la promenade dans les rues à la fin de la
journée, après de longues heures de travail, le soir le théâ-
tre et les distractions de toutes sortes, bonnes et mauvaises,
qui en font le principal charme.
« L'éducation sous toutes ses formes, dit Sir Charles
Dilke(l), les distractions, les sports, c'est-à-dire presque
tout ce qui donne de l'intérêt à la vie, s'obtient plus facile-
ment et meilleur marché à la ville qu'à la campagne. Là est
toute la raison de ce mouvement de concentration que
certains considèrent plutôt comme un avantage que comme
un inconvénient. »
(1) Grande Revue, i*' décembre 1901.
8 PRSIilERB PARTIS. «^^ CHAPITRE PREMIER
Le recensement de 1901 pour l'Angleterre et le Pays de
Galles montre bien que Taugmentation de la population a
porté uniquement sur les villes. De 1891 à 1901, la popu-
lation totale a passé de 29.002.000 à ^2 527.000 habitants ;
mais, tandis que la population des districts urbains passait
de 21.745.000 à 25.058.000, gagnant ainsi 3.3(3.000 habi-
tants, celle des districts ruraux passait de 7.257.000 à
7.469.000, n'en gagnant que 212.000 seulement.
Le mouvement que nous signalons en Angleterre s*est
produit en Ecosseaireclamème incroyable rapidité. En 1801
la population totale de ce pays était de 1.600.000 habitants.
Tant au moral qu*au physique la race écossaise présentait
alors tous les caractères d'une population rurale. Aujour-
d'hui la proportion est renversée. Les Ecossais sont deve-
nus une population urbine. En 1901 la population totale
s'élève à 4.471.000. La proportion des habitants des villes
est passée de 38.1 ''/o en 1871 à 69.8 Vo en 1901 : dans le
même temps la population des campagnes est tombée Je
30.4 ^o du chilTre total à 19.8<*/». La population urbaine
s*est accrue en Ecosse de 18.58Vo entre 1891 et 1901 ; la
population des villages de 0.03 Vo seulement, la population
rurale a diminué de 4.60 7o-
Quant à la population urbaine en général, ce n'est pas
dans les anciens grands centres d'il y a deux siècles qu'elle
s'est le plus développée ; c'est dans les villes nouvelles qui
ne doivent leur prospérité qu'à l'essor de Tindustrie mo-
derne.
Birmingham qui compte aujourd'hui plus de 330.000 ha-
bitants^et qui, tant par ses dimensions que par le chiffre de
sa population, occupe la quatrième place parmi les villes
anglaises, ne renfermait que 13. DUO habitants en 1700,.
73.000 en 1801, 182.00U en 1841, 40U.0U0 en 1881.
COUP D OËlL HISTORIQUE Q
Ea 1720 Maachester ne comptait pas 10.000 habitants ;
dans la seconde moitié du xix* siècle elle augmente rapide-
ment, et de 20.000 en 1760 la population s'élève à 94.000
en 1801. Aujourd'hui Manchester renferme 764.000 habi-
tants (y compris Salford qui ne fait qu'un avec elle).
Liverpool ne commence à occuper une situation impor-
tante au point de vue commercial qu'au début du xviii'
siècle. La ville comptait 5.000 habitants en 1709, 12.000
en 1730, 26.000 en 1760, 77.000 en 1801. Durant le siècle
dernier sa croissance a été extraordinai rement rapide, et
elle renfermait en 1901 684.000 habitants.
Glasgow, la capitale industrielle et commerciale de
TËcosse et la seconde cité de Tempire, s'augmente constam-
ment. Elle comptait 656.000 habitants en 1891, 760.000 en
1901, 798.000 en 1905» 1 million au moins en y comprenant
les faubourgs.
La naissance de ces villes énormes a posé un problème
nouveau : celui de leur administration. Puisque la grande
majorité des familles doit désormais vivre dans les villes,
il faut faire en sorte qu'elles y vivent dans les meilleures
conditions possibles. Depuis le début de la période indus-
trielle ces conditions ont été souvent défectueuses, parfois
déplorables. Il est du devoir de tout gouvernement de veiller
à ce que la race ne dégénère pas dans les bouges des villes ;
il faut qu'il combatte les maladies, qu*il prévienne la con-
tagion, qu'il réussisse à faire baisser le taux de la mortalité
devant la science de Thygiène publique. Mais. s*il est du
devoir du gouvernement en général et de l'administration
des grandes villes en particulier, de poursuivre la réalisation
d'un état sanitiare aussi satisfaisant que possible» fait-il
également partie de leurs attributions de cherchera satis-
faire les besoins matériels de la vie civilisée ? C'est en cela
lO PREMIERE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
que réside ioal Tiiitérét de la question traitée dans cette
étude.
Les autorités municipales peuvent-elles, s'aventurer dans
rimmense domaine qui s'étend de Thygiène de Thabitation
jusqu'à l'organisation des cimetières, de la fourniture de
Teau dans les maisons jusqu'à la construction des é^outs,
de la production du gaz et de Télectricité, jusqu^à l'exploi-
tation des tramways, des téléphones et des dernières créa-
tions de la science moderne ?
Se contenteront-elles d'assurer le bien-être matériel des
habitants des villes ou bien ne devront-elles pas s'inquiéter
aussi de leur culture intellectuelle? Devront-elles fonder
des bibliothèques publiques, des musées, des écoles ? Percer
un ensemble de rues larges et claires, reliant au centre de
la cité grandissante, à TaijJe des moyens de transport les
plus perfectionnés les faubourgs de plus en plus lointains
de la ville ?
Une longue suite de questions, dont la solution a été plus
ou moins bien donnée, s'est ainsi posée aux municipalités,
depuis le milieu du xix® siècle, avec une insistance toute
particulière.
Si le développement du Socialisme municipal est un fait
nouveau, l'origine de cette méthode n'en remonte pas moins
très loin dans le passé, et nous en retrouvons les traces
'< dans les précédents établis sous plusieurs régimes politi-
ques et dans divers pays sans qu'on ait soupçonné long-
temps ni le caractère ni la portée des dispositions adoptées ».
Ces précédents ne font en effet pas défaut. Faut-il rappe-
ler que Rome commença à fournir de l'eau à ses habitants
312 ans avant J.-C, et que le système complet de ses qua-
torze aqueducs mesurait plus de 500 kilomètres? Les bains
de répoque impériale sont restés fameux dans l'histoire. A
COUP D CEIL HISTORIQUE 1 1
Athènes, les aqueducs des Pisistratides, taillés dans le roc
entre 527 et 510 avant J.-C, amenaient à la population de
la ville Teau dont elle avait besoin ; l'éducation était sous
la surveillance des autorités publiques, et Ton soumettait les
jeunes gens à un entraînement méthodique pour leur en-
seigner leurs devoirs de citoyens ; un im{>ôt spécial frap-
pait les étrangers habitant la ville.
L'alimentation ne fut pas Tun des moindres soucis des
gouvernements de l'antiquité ; sous Tempire, le gouverne-
ment romain organisa un service public pour l'approvision-
nement de la capitale et des provinces ; il achetait des blés
à Tétrauger, levait des tributs en céréales, organisait des
magasins publics et des réserves. Il rentrait dans les devoirs
des magistrats de veiller à ce que leurs villes fussent tou-
jours pourvues en abondance.
Le moyen-âge, tant en France qu'en Angleterre, nous
oiïre de nombreux exemples de Tintervention des munici-
palités dans les domaines les plus divers.
a A cette époque, dit M. des Cilleuls, prévalut dans tous
les pays d'Europe Tidée que toute agrégation reconnue
d'habitants forme une société où nul n'est ni tenu d'entrer,
ni libre de s'imposer : la résidence et le trafic furent mis au
nombre des prérogatives assurées aux sociétaires et à eux
seuls noji jure proprio sed jure civUaiis; le séjour d'étran-
gers, les échanges faits avec leur concours ne semblaient
résulter que d'une tolérance accordée dans la ihesure des
avantages à recueillir et en tout cas de l'absence ou de la
médiocrité des inconvénients à redouter.
u Cette cohésion excluait la faculté pour chaque affilié de
veiller isolément sur ses intérêts par des rapports exté-
rieurs ; les convenances individuelles devaient s'effacer de-
vant les exigences collectives. C'eût été. pensait-on, détruire
12 PUEMIERE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
la raison d*ètre de la personnalité communale généraliséer
peu à peu, que de souffrir ce qui était réputé une sorte de
dissociation des éléments qui la constituaient.
€ Pour prévenir ce résultat imaginaire, il parut indispen^
sable de fixer la manière de pourvoir à des besoins réputés
communs et d'en procurer la satisfaction d'après un mode
uniforme pour chaque localité. Quand on est entré dans cet
ordre d'idées, il devient impossible de savoir où Ton sUir-
rêtera ; l'arbitraire ne rencontre plus d'autre limite que
l'impossibilité de continuer sa marche. Bien n'est fertile en
déductions comme un faux principe, et rien n'est délicat
comme le triage du vrai et du faux dans les règles contin-
gentes .
€ Aussi, quels qu'aient été les changements qu'éprouvè-
rent avec le temps les vues ci-dessus décrites, la protectioa
forcée, discrétionnaire, des autorités locales en matière éco-
nomique s'est-elle maintenue à travers les siècles, sauf à
affecter des aspects variables suivant les époques, les pays
et les mœurs : on en trouvera la preuve dans les dévelop-
pements qui vont suivre. »
Dans l'étude très intéressante et très documentée qu*il a
faite du Socialisme municipal, M. des Gilleuls distingue
trois idées, trois tendances essentielles :
1° La tutelle de l'activité individuelle ; 2^ la confiscation
de l'activité individuelle ; S*" la concurrence à l'activité in-
dividuelle.
La tutelle de l'activité individuelle comprend les diverses
formes de Timmixtion officielle, et d'abord :.
a) Les règles établies dans l'intérêt présumé des produc-
teurs ou des intermédiaires. C'est ainsi qu*au moyen-àge,
tant en France qu'en Angleterre, les autorités municipales
érigèrent d'office des guildes ; que les magistrats locaux cru-
.
COUP d'obil historique i3
rent avoir le droit de permettre ou de défendre à des par-
liculiers d'ouvrir boutique; que le régime de tutelle Tut
toujours et partout d'une rigueur spéciale vis-à-vis des
professions affectant les subsistances.
b) S'il aestplus de mode aujourd'hui, au sein des assem-
blées municipales d'édicter des règles dans l'intérêt présumé
des producteurs, du moins la fixation des rapports entre
maîtres et ouvriers continue- t-elle à faire de nos jours,
comme au moyen-àge, Tobjet des règlements dés autorités
locales. Les méthodes actuelles ne sont qu'une survivance
des méthodes anciennes ; l'Angleterre nous offre de nom-
breux exemples de Tintervention des autorités publiques en
cette matière ; au xiv* et au xv^ siècles» le Liber Albus donne
le tarif des salaires d'artisans dontlafixationaété confiéeaux
magistrats municipaux (1). Une ordonnance d'Edouard I''''
porte « que si quelqu'un de la cité donne à un ouvrier
plus qu'il n'estécrit ou ordonné, il devra payer une amende
de 40 s. à la ville sans excuse possible ». Un act de la 23®
année du règne d'Edouard III (1349) règle le tarif des sa-
laires pour les laboureurs, charpentiers, etc. ; deux acts
d'Henri VIII, de 1512 et 1515, déclarent que tous les sa-
laires devront être fixés par des règlements. Un statut de
la cinquième année du règne d'Elisabeth (1564) et un act
de la 20*" année du règne de Georges II (1747) confient aux
juges de paix le soin de fixer les salaires d'après le prix du
pain. 11 faut aller jusqu'en 1824 pour trouver un statut de
la cinquième année du règne de Georges IV qui restreigne
le pouvoir des magistrats au rôle d'arbitre.
Il convient de remarquer qu'autrefois, c'était la fixation
d'un maximum des salaires qui faisait l'objet des préoccu-
(1) Voir DBS CiLLEULs, op, cit.^ p. 308.
l4 PRBMièRB PARTIE. CHAPITRE PREMIER
pations royales ou mimicipales ; qu aujourd'hui, c*est la
fixation d'un minimum ; mais qu*au bout du compte, si la
tendance actuelle est sans contredit plus généreuse, elle n^a-
boutit peut-être pas dans la pratique à de beaucoup meil-
leurs résultats.
Dans la tutelle de l'activité individuelle rentrent en troi-
sième lieu les règles établies dans l'intérêt présumé des
consommateurs ; dues à Tillusion funeste qu'il est possible
à Tautorité publique o de remplir le rôle de régulateur dans
l'ordre économique a. Ici encore les exemples abondent, si
Ton prend la peine de les chercher, et Ton en retrouve jus*
que dans Tantiquité.
Dioclétien applique à l'empire romain le principe du ma-
ximum ; sous les Carolingiens, des édits fixent le prix des
céréales et du pain. Au xii^ et au xui*" siècles, on voit l'au-
torité royale, tant en France qu'en Angleterre, fixer le bé-
néiice des boulangers en certaines localités (Assise du pain
et de la bière, 31" année du règne de Henri III) (1267).
Une autre loi de Henri III confie aux officiers municipaux
le soin de tarifer toutes les denrées. La taxe du pain, qui a
donné lieu en France à tant de règlements et de discussions^
a existé chez nos voisins d'Outre-Alanche tout comme chez,
nous ; elle ne fut supprimée à Londres qu'en 1815,et dans
Tensemble du Royaume-Uni qu'en 1836.
La tutelle de l'activité individuelle comprend en dernier
lieu, nous dit M. des Cilleuls, les règles établies dans Tin-
térét présumé des habitants. Parmi ces règles, citons celles
qui ont trait à la construction des maisons, au choix des
matériaux et à l'aspect extérieur des habitations. De même
qu'en Allemagne, en Autriche, en Suisse et en Italie, la po-
lice des constructions a fait en Angleterre Tobjet de nom-
breux acts de la part du pouvoir central (acts des 21^-22* an-
COUP d'œil historique i5
nées, chap. 98, et24*-25', chap. 61 du règne de Victoria).
« Pour Londres, les lois sur la police des bâtiments se suc*
cédèrent depuis le règne de la reine Anne (1702-1714).
Sous Georges HT il fut rendu 400 acts d'intérêt local ayant
le même objet et qui s*occupent en particulier de salu-
brité (1). »
Herbert Spencer a montré, dans plusieurs pages de son
livre r Individu contre l'Etat quelle gêne la fixation du
choix des matériaux avait à maintes reprises causée à l'in-
dustrie du bâtiment et à quels piètres résultats avait abouti
toute cette législation.
L*Etat et les municipalités ne se sont pas contentés de
guider, soi-disant pour leur bien, Taction des particuliers
au moyen des règlements les plus divers, ils ont été jusqu'à
la confîsquer.
C'est ainsi qu'on a vu au moyen-âge les villes ou les com-
munes s'approprier le monopole des foires et des marchés;
qu'on a vu certaines d'entre elles contraindre leurs habi-
tants et les marchands du dehors à apporter à la halle et à
ne vendre que là toutes des denrées alimentaires entrant
■
sur leur territoire, afin de s'assurer Tintégrale perception
des droits de douane ; qu'on peut citer maintes communes
qui possédaient des fours banaux dans lesquels les boulan-
gers et habitants devaient Taire cuire leur pain, et qu'on en
connaît qui acquirent des bâtiments à usage de boucherie
dont l'occupation était forcée pourlo débit de la viande.
On a vu mieux que cela, en France même. Poursuivie
par la crainte de famines,il est vrai trop fréquentes, la royauté
cherche à diverses reprises à étendre la culture du blé par
tous les moyens possibles. Vers le milieu de la Renaissance
(1) Des Cilleuls, ort, cii.j p. 73.
l6 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE PRLMIER
elle interdit de « délaisser les labours pour faire plants ex-
cessifs de vignes ».Sous le règne de Louis XIII,les Ëtats de
Bourgogne demandent qu'on arrache des vignes plantées
depuis quarante ans. C'est encore la crainte des famines qui
fait défendre aux xni* et xv® siècles la distillation des grains
alimentaires. Cette mesure, remise en vigueur par Napo-
léon I", subsiste sous la Restauration et le second Empire.
La Russie et TAngleterre imitent l'exemple de la France.
On va même, pour avantager les producteurs locaux et
créer à leur profit un privilège, jusqu*à exclure certaines
marchandises. Le commerce des vins a été soumis à des
restrictions de ce genre. Dans le midi de la France,les villes
connues pour leurs crus s*opposèrent fréquemment,du xiii^
au XVIII* siècle, à Tintroduction de vins apportés du dehors.
N'est-il pas permis de voir dans toutes ces mesures rori*
ginedu protectionnisme moderne,et notamment decet esprit
de protectionnisme local dont le Socialisme municipal nous
offre aujourd'hui de trop nombreux exemples?
Plus que la tutelle ou que la confiscation de l'activité
individuelle, la concurrence à l'activité individuelle sera la
forme moderne du Socialisme municipal. Sous ce régime,
la commune va se charger des services d'intérêt général
jusque-là laissés aux mains des particuliers, dans le but en
apparence aussi généreux que désintéressé de faire profiter
les contribuables de Téconomie que procurera la suppres-
sion du bénéfice de Tentrepreneur.
C'est par euphémisme que nous employons avec M. des
Gilleuls l'expression a concurrence à l'activité individuelle ».
La concurrence ne peut durer longtemps entre un particulier
livré à ses propres forces et une municipalité qui dispose de
toutes les ressources de ses contribuables. La municipalité
qui se charge d'un service le transforme tôt, ou tard, en
COUP DGEIL HISTORIQUE I7
monopole pour plus de sécurité, et ce qui n'avait été au
début que concurrence, se transforme souvent en confisca-
tion, en suppression de Tac ti vite des particuliers comme
dans les cas précédents. Le droit que prétendent avoir les
municipalités de faire concurrence à l'activité individuelle
c< repose tout entier au point de vue juridique sur une con-
fusion entre les pouvoirs de police et les droits de la per-
sonnalité civile » (1). Celte thèse, suivaot laquelle Faction
des autorités publiques est plus avantageuse pour la com-
munauté que l'action des particuliers, ne sert qu'à cacher les
« véritables motifs qui ont entraîné dans la voie du socia-
lisme municipal tant de villes européennes ou américaines,
lesquels motifs se réduisent à deux :
<( 1^ Créer au profit des caisses communales une source
de revenus importants n'ayant point lapparence fiscale ;
2*^ Avoir sous la main un nombreux personnel d'agents
intéressés au maintien des régies officielles et utilisables
comme agents électoraux. »
C'est dans ce double but, en grande partie du moins, que
les municipalités modernes ont bâti des manufactures et
des ateliers, construit des maisons ouvrières, employé l'eau,
le gaz, rélectricité, etc., à la satisfaction des besoins de la
vie privée.
Les marchés, les bains, les ports et les docks viennent
dans Tordre historique en tête de la liste des services d'in-^
térét commun que gèrent les municipalités. Il est des villes
anglaises et allemandes qui possèdent leurs marchés depuis
des centaines d'années. Vers le milieu du xix* siècle les
autorités locales songent à fournir Teau aux agglomérations
urbaines subitement agrandies ; vers 1860 commence la
(I) DesGillbuls, op. cit,^ p. 141.
Boverat 2
l8 PREMIÈIIE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
muDicipalisatioQ des usines à gaz ; les villes,après s*ètre con-
tentées au début d'éclairer leurs rues et les édifices publics,
en arrivent rapidement à vendre le gaz aux particuliers. En
1890 nous voyons apparaître les premières usines électri-
ques municipales dont la diffusion se poursuivra bientôt
par toute l'Angleterre avec une inquiétante rapidité.
Il y a quinze ou vingt ans la municipalisation n'en était
encore qu'à de timides essais ; aujourd'hui nous assistons
à la pleine floraison de l'activité municipale ; aujourd'hui
les communes transportent elles-mêmes leurs habitants
au moyen de réseaux perfectionnés de tramways, elles cons-
truisent des maisons pour la classe ouvrière, quaad elles
n'élèvent pas de magnifiques immeubles destinés au com-
merce ou aux classes aisées de la population ; elles établis-
sent des réseaux téléphoniques, bâtissent des bains et des la-
voirs, fabriquent des machines à vapeur et des dynamos, des
appareils à gaz et des appareils électriques, installent des
locaux munis d'appareils réfrigérants, des fabriques de
glace artificielle, fournissent du lait stérilisé. Elles possè-
dent des salles de concert, des hôtels et des vélodromes.
Elles font des opérations de banque, émettent des billets,
établissent des monls-de-piété, ouvrent des cabarets. On en
connaît qui voudraient posséder des houillères et vendre
du charbon au détail (Glasgow par exemple).
Mais toute médaille a son revers : la mise à exécution de
projets aussi ambitieux ne va pas sans entraîner de grosses
dépenses ; les contribuables anglais en savent quelque
chose : un coup d'œil sur Tétat de leurs finances locales
aura bientôt fait de nous renseigner.
Le tableau ci-dessous nous fait voir que le total des im->
pots locaux levés en Angleterre et dans le Pays de Galles
atteignait :
COUP D OEIL HISTORIQUE IQ
En 1874-1875 ......£ 19.198.579
18841885 25.666.552
1894-1895 33.855.283
1899-1900 40.734.219
1902-1903 50.328.412 (1).
L'augmentatioQ de ces impôts s*est donc produite dans
le dernier quart du xix* siècle avec une extraordinaire rapi-
dité que ne saurait justifier l'augmentation beaucoup plus
lente de la population. A eux seuls ces chiffres ne prouvent
pas sans doute que le socialisme municipal soit la cause
unique de cette augmentation ; ils prouvent simplement
que les autorités locales anglaises ont déployé dans ces
dernières années une activité inusitée et qu'elles se sont
montrées de plus en plus disposées à accepter de nouvelles
responsabilités.
Le contre-coup de ces entreprises industrielles sur les
finances locales apparaît mieux peut-être lorsqu^on étudie
les statistiques de la dette municipale. Le montant de la
dette des autorités locales aux dates suivantes était pour
TAngleterre et le Pays de Galles de :
En 1867-1868 £60.000.000
1874-1875 92.820.100
1884-1885 173.207.968
1894-1895 235.335 049
1899-1900 293.864.224
1902-1903 370.607.493(2).
A la iin de 1902-1903 le total des emprunts conclus psir
(f) Heporl of the Local Government Board, 1904-1905, p. CCXf.
(2) heporl of the Local Government Board, 1904-1905, p. CCXV.
20 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
les autorités locales de TAngleterre et du Pays de Galles
était de £ 277.000.000 plus élevé qu^â la fia de 1874-1875.
Le total des emprunts contractés par elles en 28 ans (de
1875-1876 à 1902-1903 inclus) s'élevait approximativemeat
à £407.597.255(1).
De 1874-1 875 à 1902 1903 les impôts locaux ont augmenté
de 162 7o> loB subventions du gouvernement impérial de
660.2 Vo, le total des emprunts de 299, 3 7o, la valeur
imposable (rateable value) de 65.3 Y» et la population de
39.1 Vo seulement.
Compare-t-on la situation financière de rAngleterreàcelle
des autres pays, on voit que nulle part ailleurs les entrepri-
ses municipales n ont pris un aussi grand développement.
La dette municipale atteint en effet par tète d'habitant :
Deile
Paya Année par tète d'habilaot
En Angleterre et Pays de Galles 1898 £ 8.8.0
Etats-Unis 1890 2.9.0
France 1899 3.14.0
Italie 1889 1.9.0
En 1902 la dette municipale anglaise atteint £ 10.10 s.
7 d. par tête.
Le rapide coup d*œil que nous venons de jeter sur This-
toire du Socialisme municipal nous montre donc : l"" que la
tendance municipaliste n'est pas chose absolument nouvelle;
ce n*est pas d*aujourd*hui que TEtat et les municipalités
prétendent intervenir dans les transactions économiques ;
autrefois ils se contentaient en général de les réglementer;
de nos jours ils veulent agir eux-mêmes pour le compte
de leurs habitants; 2*" il nous montre en second lieu que
II) Report oflhe Local Goiemment Board, 1904-1905, p. CCXVIIL
COUP D^GBIL HISTORIQUE 21
Textension des services publics coûte cher, qu'elle nécessite
remploi de gros capitaux et qu'elle entraine presque inévi-
tablement Taugmentation de la dette et celle des impôts.
L'attitude du Parlement anglais en face de cette politique
socialisante a souvent manqué de fermeté. Bien qu'il n'ait
pas toujours fait un accueil favorable aux demandes des
autorités locales désireuses de se lancer dans de nouvelles
industries, il n'a pas su, semble-t-il, définir assez nettement
les conditions de leur action, de leur responsabilité dont le
principe devient de jour en jour moins distinct. Il ne s'est
pas tracé de ligne de conduite bien nette, et la législation
récente porte la trace de son indécision ; il laisse en général
les municipalités libres d'agir, il leur ordonne ou leur défend
rarement de faire telle ou telle chose. C'est à chacune d'elles
de se construire une théorie de ses devoirs municipaux.
Or, l'idée qu'elles se font de leurs devoirs tend à devenir
de jour en jour plus vaste et plus compréhensive. Toujours
en mal de projets nouveaux et en quête d*argent pour les
mettre à exécution, l'idée du risque industriel ou commer-
cial ne les effraye plus. Au commencement du xrx* siècle la
loi défendaitaux corporations anglaises de faire des bénéfices
commerciaux ; aujourd'hui la réalisation de gros profits est
devenue leur unique préoccupation. Elles ne révent qu'ex-
propriation des grandes Compagnies, extension indéfinie
des services publics et constitution de monopoles munici-
paux. Il est grand temps de prendre parti dans la question
•et de voir s'il faut les encourager dans la voie qu'elles
suivent actuellement, ou s'il ne convient pas au contraire
de calmer l'esprit de réaction dont elles sont animées contre
l'individualisme.
CHAPITRE II
MUNICIPAUSMB BT COLLECTIVISMB.
ËQ s*engageant à fond dans ce municipalisme d*un nou-
veau genre, en assumant la direction d'entreprises qui jus-
que-là faisaient exclusivement partie du domaine de lindus-
trie privée, en employant directement les travailleurs, en
augmentant les impôts et en contractant des emprunts qui
atteignent un chiffre colossal, les autorités locales anglaises
ont-elles obéi à des principes directeurs, adoptés après mûre
réflexion ou bien se sont elles laissé entraîner par les évé-
nements et n*ont-elles suivi qu*une politique opportuniste ?
Se sont-elles dit: nous allons appliquer les doctrines so-
cialistes, chercher à réaliser les desiderata de leurs théori-
ciens ou bien le besoin d'argent qu'elles avaient pour Texé-
cution de leurs projets multiples et la satisfaction d'une
ambition sans cesse grandissante n'a-t-il pas été le point de
départ, le mobile de leur nouvelle conduite?
Adoptons sans hésiter la seconde de ces deux hypothèses
et répondons : oui, c'est le besoin d'argent qui a poussé les
villes au Municipalisme. (j'est là que nous trouverons la
meilleure raison de ce mouvement qui est en passe de
donner aux villes anglaises une face nouvelle. C'est du point
de vue financier qu'il nous faut considérer la politique mu-
nicipale anglaise pour comprendre les causes de sa naissance
et nous rendre compte de la signification qu'elle offre au-
jourd'hui.
MUNIGIPALISME ET COLLECTIVISME 23
Il est peu probable que Torganisatioa économique des
grandes villes eût été si profondément bouleversée pour la
seule satisfaction de mettre en pratique des doctrines restées
jusque-là sans application. Elle ne Ta été que parce que les
municipalités attendaient de ce bouleversement fait par
elles et pour elles des ressources nouvelles et importantes.
Mais le but de notre travail n'est pas de rechercher quelle
fut Tintention des promoteurs de cette politique. Ce sont
ses résultats que nous voulons mettre en relief, et nous
pouvons affirmer, sans crainte d'erreur, que ces résultats
se trouvent être en fait Tapplication pure et simple des
doctrines socialistes.
Pour le bien comprendre, un bref résumé deThistoire
do ces doctrines ne sera pas inutile. Le socialisme a subi
depuis le milieu du xix^ siècle bien des métamorphoses ;
d'u topique, il est devenu pratique. Les premiers en date
des socialistes du siècle dernier, Fourier et Saint-Simon,
rêvaient de transformer et de régénérer l'humanité tout
entière. Leur socialisme était universel. Une seconde géné-
ration d'écrivains, dont Karl Marx, Blanqui, Bakounine
furent les représentants, jette les fondements du socialisme
national ; ils voulaient réformer les Etats particuliers plutôt
que le genre humain dans son ensemble. Fourier et Saint-
Simon étaient des penseurs, Blanqui et Bakounine furent
des agitateurs qui ne voyaient le salut que dans la révolution
sociale. Du domaine tranquille du rêve nous descendons
avec eux au domaine agité des réalités révolutionnaires.
Aujourd'hui, l'idée d'une brusque transformation de la
société moderne s'efface dans un lointain plus vague. Cette
transformation s'opère cependant, et nous en démêlons va-
guement les commencements sans pouvoir en prédire la fin ;
spectateurs inconscients, nous assisterons à la réforme
34 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE II
lente, mais radicale de la société où nous vivons. Le révo-
lutionnarisme perd peu à peu du terrain, et si le réveil des
passions populaires, odieusement exploitées, nous rappelle
parfois qu*il compte encore des partisans, c'est plutôt du
côté de la législation que se porte actuellement refTort des
socialistes.
L*Angleterre, plus heureuse que la France, entend moins
aujourd'hui qu'il y a quinze ou vingt ans prêcher, pour la
réahsation de Tidéal socialiste, l'emploi de la force brutale.
Le parti socialiste, conduit par des hommes d*une adresse
et d'un tact remarquables, a su s'assimiler des méthodes
plus douces et plus silencieuses (1). Ses chefs ont compris
qu au milieu d'un peuple aussi pratique et aussi conserva-
teur que le sont les Anglais, une propagande bruyante en
faveur de la confiscation de la terre et du capital aurait peu
de chances de succès ; ils ont compris qu'on ne prendrait
pas d*assaut et par surprise la forteresse individualiste,
qu'il faudrait user de stratégie et la tourner en quelque
sorte. C'est la leçon que plus de soixante ans d expérience
ont enseignée aux socialistes; c'est la solution d'un pro-
blème auquel leurs chefs se sont consacrés, non seulement
avec adresse, mais avec succès. Le danger qui menace la
société moderne apparaît ainsi plus grave et plus réel, parce
que plus caché, que tous les dangers qu'ont pu faire courir
à nos pères les émeutes et les révolutions du siècle dernier.
Le parti socialiste vient en effet de trouver son plus solide
appui dans le cœur de la forteresse même.
Il n'y a rien dont l'Anglais soit en général aussi fier, à
fort juste titre d'ailleurs, que de la vigueur de ses institu-
tions locales, de l'intégrité et de l'habileté de ses magistrats
(1) Voir l'article deMarriot. Forlnighlly IlevieWy Dec. 1902.
MUNICIPALISME ET COLLECTIVISME 20
locaux. Aussi certaiaes personnes ont-elles fait le raison*
nement suivant: puisque le gouvernement local remplit ses
fonctions avec tant de succès, ne serait-il pas à la fois naturel
et logique de les élargir? Plus les intérêts confiés à l'ad-
ministrateur local seront importants, plus ses devoirs
seront variés, plus sa responsabilité financière ou écono-
mique sera grande, plus grande aussi seront la valeur et
la capacité des hommes disposés à entrer dans la sphère de
la politique locale.
L'argument est spécieux et les politiciens municipaux
savent en faire usage. Le malheur est qu'il ne vaut rien.
Plus le gouvernement local étendra ses fonctions, plus il
empiétera sur le domaine du commerce, plus Thomme
d'affaires ordinaire montrera de répugnance à lui consacrer
son temps et son travail, et plus la tendance qu'on a à
confier le contrôle des affaires locales à des fonctionnaires
salariés deviendra irrésistible. Règle générale, ces fonction-
naires seront à la fois capables et honnêtes, nous l'accor-
dons volontiers ; mais est-il à souhaiter que l'administration
locale, et dans une large mesure aussi Tentreprise industrielle
locale, passent sous le contrôle d'une bureaucratie ? Le
danger n'a rien de chimérique. Les dépositions des témoins
devant le Select Committee de 1900 et Tenquête du corres-
pondant du Times le montrent très clairement.
La gravité du péril provient précisément de ce qu'il passe
inaperçu. Pas à pas le socialiste moderne cherche à s'intro-
duire dans le gouvernement municipal pour en devenir le
maitre. Les arguments ne lui manquent pas pour faire
des transformations au premier abord insignifiantes, et c'est
dans le résultat final et accumulé de beaucoup de ces petites
transformations que réside le danger.
« Il ne s'agit plus, dit M. Bouet, pour le socialiste muni-
20 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE II
cipal de socialiser le genre humain ni même de nationaliser
une société quelconque ; il s'agit simplement de municipa-
liser les communes, de centraliser entre les mains des con-
seillers municipaux des services de plus en plus nombreux,
jusqu'à ce que la commune, c'est-à-dire la municipalité,
soit maîtresse des terres et des capitaux, directrice de la
production et dispensatrice des moyens de consomma-
tion (1). »
Tel est le programme qui reçoit en Angleterre Tapproba-
tion de personnes pleinement conservatrices sous d'autres
rapports et qui n'ont pas Tair de comprendre qu'en donnant
aux services municipaux une extension aussi vaste et aussi
rapide, elles font œuvre de socialisme.
« Nous sommes tous socialistes à présent », disait un jour
Sir William Harcourt à la Chambre des Communes, et le
prince de Galles (devenu plus tard Edouard VII) a fait à son
tour la même déclaration. Dans un article publié par la
Grande Revue (!«' décembre 1901), SirCharles Dilke recon-
naît que, dans le Royaume-Uni, le Socialisme municipal
remporte plus que dans tout autre pays du monde. Il y fait
de rapides conquêtes. « Celles-ci, j'en suis convaincu, ajoute-
t-il, n'offrent que desavantages^et jenevois pas quels obs-
tacles pourraient arrêter un tel développement. »
Si cet aveu répond exactement à la réalité des faits, il
doit remplir d'aise les socialistes, et, leur montrant que
leurs premiers efforts n'ont pas été inutiles, il leur permet
d'espérer de nouveau.\ et rapides progrès.
Les socialistes ont d'ailleurs eu jusqu'en ces derniers
temps la partie belle en Grande-Bretagne ; s'il est vrai,
comme le remarque Sir Charles Dilke, que « la majorité
(1) H. Rouet, Journal des Economistes^ juillet 1901.
MUNIGTPALISME ET COLLECTIVISME 27
des aldermen et des conseillers municipaux qui adminis-
trent actuellement les grandes villes sont des conservateurs.
Mais (que) les plus capables et les plus influents de tous sont
souvent des socialistes municipaux sans le savoir. » Et
quelques lignes plus bas il ajoute, parlant du corps électo-
ral : « Ces hommes et d*autres cent fois plus nombreux qui
ont pu désirer voter pour un candidat socialiste sans en
avoir Toccasion^sont tous d^enthousiastes socialistes muni-
cipaux. ALondres mème,oùron est plus impérialiste et où.
depuis quelques années, on a soutenu les gouvernements
conservateurs, plus volontiers que dans le reste du pays,
les élections pour le Conseil du Comté ont révélé l'exis-
tence d'un vaste corps d'électeurs qui, aux élections parle-
mentaires, votent pour les candidats conservateurs, et qui
dans les élections locales, votent pour des radicaux avancés
et dans certains cas pour les socialistes. La plupart de ces
derniers sont, eux aussi, d*entliousiastes socialistes munici-
paux. »
Ce ne sont pas seulement les conservateurs qui prêtent
aux doctrines socialistes un appui indirect et souvent incons-
cient. Aux dernières élections législatives, le parti libéral a
fait au «r Labour Party » toutes sortes d'avances^ et dans
certaines circonscriptions s'est elTacé devant ses candidats.
Libéraux, radicaux, progressistes, ont voté pour lui, espé-
rant que ses représentants soutiendrait un programme com^
mun avec le parti libéral. On sait la reconnaissance que lui
en témoigne aujourd'hui le parti socialiste (1).
Dans un discours qu'il a prononcé à Saltcoats, le 45 sep-
tembre 1906, Keir Hardie, le chef du « Labour Party », a
déclaré que le Labour Party devait manifestement être
(1) Voir Le Siècle du 11 octobre 1906, article dT. Guyot.
28 PREMièRE PARUE. CHAPITRE II
un parti socialiste, qu'entre le socialisme et le libéralisme
il y avait un gouffre sur lequel on ne pouvait jeter un pont
et que la lutte devait se poursuivre entre le u Labour Party »
d'un côté, le libéralisme et le conservatisme de Tautre,
jusqu'au moment où il n'y aurait plus que deux partis
dans TËtat : le parti socialiste et le parti antisocialiste.
Demandons-nous quel est alors le but que poursuit le
parti socialiste et quels sont les principaux points de sa nou-
velle doctrine M. Paul Leroy-Beaulieu les a résumés de la
manière suivante (Ij :
1« Faveur récente pour les sociétés coopératives et efforts
pour les transformer en instruments de propagande du col-
lectivisme ; 2^ étatisation ou municipalisation du plus grand
nombre d'industries possible ; S"" transformation des syndi-
cats en associations privilégiées investies d'une délégation
de l'autorité publique ; 4*" nouveau droit ouvrier, condi-
tions imposées au capital pour le subalterniser graduelle-
ment au travail ; 5<> réduction des fortunes et des revenus
par Timpôt progressif sur le revenu et les successions.
Quelques citations que nous extrayons des résolutions
adoptées par divers Congrès nous montreront mieux encore
le but que poursuivent ouvertement les socialistes lors-
qu'ils mettent la main sur les municipalités.
En .septembre 1900, le Congrès socialiste international,
réuni à Paris, adoptait la résolution suivante :
« Considérant que le terme <-■ Socialisme municipal » ne
désigne pas une espèce particulière de socialisme, maissim*
plement l'application des principes généraux du socialisme
à une sphère spéciale de l'activité politique ;
« Considérant que les réformes qui s'y ralluchent ne sont
(1) Voir Economiste Français , 19 mars 1904.
MUNIGIPALISME ET COLLECTIVISME 29
pas et ne peuvent être mises ea avant comme la réalisation
de TEtat collectiviste, mais jouent leur rôle dans la sphère
d'action dont les socialistes peuvent et doivent s'emparer
eu vue de préparer et de faciliter Tavènementde TËtat col-
lectiviste ;
« Considérant que la municipalité peut devenir un excel-
lent laboratoire d'activité économique locale en même temps
qu'une forteresse politique formidable à Tusage des majo-
rités socialistes locales contre la majorité bourgeoise de Tau-
torité centrale, une fois que le parti socialiste sera assez
puissant ;
c( Le Congrès déclare :
«r Qu'il est du devoir de tous les socialistes, sans pour
cela méconnaître Hmportance d'idées politiques plus larp;es,
de faire comprendre à tous la valeur de l'activité munici-
pale, de reconnaître dans toutes les réformes municipales
Timportance qui s'attache à elles en tant qu'embryons de
l'Etat collectiviste et de s^efforcer de municipaliser les ser-
vices publics tels que les transports urbains, l'éducation,
les boulangeries, l'assistance médicale, les hôpitaux, la
fourniture de l'eau, les bains et lavoirs, la distribution de la
force motrice, les travaux publics, la police, etc., et de
faire ea sorte que ces services deviennent des services mo-
dèles tant du point de vue de la communauté que du point
de vue des citoyens qui sont à son service.
« Que les corps locaux qui ne sont pas assez importants
pour entreprendre à eux seuls quelqu'une de ces réformes
devront se fédérer à d'autres pour atteindre ce but ;
M Qu'il est du devoir de tous les socialistes dans les pays
où l'organisation politique ne permet pas aux municipalités
d'employer ce moyen, de s'efforcer d'obtenir pour les au-
3o PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE H
iorités municipales une liberté et une indépendance suffi*
santés pour arriver à ces réformes. »
Ces citations suffisent à prouver que, de quelque nom
qu*on le nomme, le socialisme municipal est du socialisme
pur et simple et qu'il est regardé par les socialistes eux-
mêmes comme un acheminement vers la réalisation de
l'Etat collectiviste (1).
Les différents points de la résolution adoptée par le Con-
grès tenu à Paris en 1900 se retrouvent dans les program-
mes des diverses sociétés fondées en Angleterre pour la
propagation des doctrines socialistes.
Trois grandes organisations principales représentent en
Grande-Bretagne le parti socialiste ; ce sont : La Social
Démocratie Fédération, Tlndependent Labour Party et la
Fabian Society. Les deux premières, fondées en 1881 et
1893, sont des organes actifs qui ont cherché à organiser le
Parti socialiste du travail en Angleterre, à gagner les forces
politiques du Trade-Unionisme en les enlevant au contrôle
des partis capitalistes et à combiner ces forces en un parti
politique indépendant.
La « Fabian Society », fondée en 1883, se consacre plus
particulièrement à l'éducation socialiste de la masse au
moyen de brochures et de pamphlets. Elle ne présente pas
de candidats aux élections, bien que certains de ses mem-
bres aient été élus au Parlement.
Les trois sociétés peuvent différer légèrement dans leurs
idées et dans leur mode d'action, mais toutes trois sont
franchement collectivistes et leurs programmes sont pleine-
ment d'accord avec la résolution de 1900.
Dans celui de la Social Démocratie Fédération, ^^uv^ à
(1) Voir le Times du 19 août 1902.
MUMCIPALISMR ET COLLECTIVISMR 3l
côté du rachat des chemins de fer et des canaux par l'Etat,
de la nationalisation du sol et de la journée de travail fixée
légalement à huit heures sous peine d'emprisonnement, la
construction obligatoire par les corps publics de maisons
saines pour le peuple, l'exploitation en régie des services
de Teau, du gaz et de Télectricité, l'organisation d*un ser-
vice de tramways et d'omnibus et d'autres monopoles sem-
blables dans Tintérèt de la communauté entière.
Vlndependenl Labour Parly désire la création a d'une
République industrielle fondée sur la socialisation de la
terre et du capital ». Son programme demande la promul-
gation des mesures suivantes :
l"" Journée de travail de huit heures au maximum, six
jours de travail par semaine, maintien légal des fêtes aujour-
d'hui existantes et Labour Day (l^'' mai).
2"* Donner du travail à tout adulte capable qui en deman-
dera au taux fixé par les Trade- Unions, avec minimum
légal de ti d. par heure. Afin d'employer les postulants de
manière utile, les Conseils de paroisse, district, bourg et
comté recevront le pouvoir ; 1^ d*organiser et d'entrepren-
dre les industries qu'ils jugeront désirable d'entreprendre ;
2"* d'opérer des expropriations, d'acquérir, d'élever et de
manufacturer les bâtiments, matériaux ou autres articles
nécessaires à la marche de ces industries : 3^ de lever des
impôts sur la valeur locative des immeubles de leur district
«t de contracter des emprunts en donnant ces impôts comme
garantie.
Dans un pamphet intitulé : The Independent Labour
Party ; ce qu'il est et où il en esl^ on lit : « Que le socia-
lisme soit réalisable pratiquement, rien ne le montre mieux
que les récents progrès de la municipalisation. Le grand
point qu'ont prouvé ces expériences municipalistes est que
32 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II
les autorités publiques savent organiser le travail et pour-
voir aux besoins du peuple, non pas moins bien, ainsi qu'on
le disait jusqu'à ces derniers temps, mais beaucoup mieux
que les capitalistes particuliers. ToutTowo Council Anglais
projette dans son propre domaine quelque application plus
ou moins étendue de Tidée socialiste. Les vieilles notions
de Tentreprise individuelle disparaissent. »
La Fabian Society demande le transfert à la communauté
de tout le capital industriel qui peut être facilement admi-
nistré socialement, notamment (voir la Résolution soumise
par elle au Congrès international des travailleurs socialistes
et des Trade-Unions tenu à Londres en 1896j :
1^ La nationalisation immédiate de toutes les mines,
chemins de fer, canaux, télégraphes, téléphones, et autres
monopoles nationaux.
2"^ La municipalisation immédiate de la fourniture de
]'eau, du gaz, de la lumière électrique ; des docks, des
marchés, des tramways, du service des omnibus et des
monts-de-piété ; du service des bateaux à vapeur sur les
lacs et les rivières ; et de tous les autres monopoles locaux.
3"" L'entreprise immédiate par les autorités publiques.
a) de la fabrication et de la vente au détail du tabac et du
pain ; de la fourniture du charbon, du lait et autres objets
de première nécessité ; de la construction d'habitations pour
les ouvriers ; b) de la fabrication et de la vente au détail
des boissons alcooliques.
La politique ouvrière que recommande aux autorités pu-
bliques la c( Fabian Society » comprend la journée normale
de huit heures pour tous les employés des administrations
publiques, des salaires qui ne pourront descendre au-des-
sous du taux fixé par les « Trade-Unions m, le travail en
régie aussi souvent qu'il sera possible, la clause d'un salaire
MUNIGIPAUSMB ET OOLLBGTiyiSMB 33
normal (fair wages clause) là où il o y aura pas moyen d'é-
viter les services d*un entrepreneur, et la permission donnée
aux Conseils du travail locaux (Local Trade Councils) de se
servir gratuitement, ou contre une redevance purement no*-
minale, du « Town Hall » ou autres bâtiments publics pour
y tenir leurs réunions.
Non contents de chercher à convertir la masse populaire
à leur manière de voir^ n'est-il pas significatif de voir les
socialistes faire de la propagande jusque parmi les enfantSp
S'ils n'ont pas réussi à convertir la génération actuelle, du
moins cherchent-ils à convertir celle qui la suivra, et ce but,
ils espèrent l'atteindre au moyen d'écoles du dimanche
socialistes, institution inaugurée il y a quelques années à
Battersea et qu'on a imitée depuis en d'autres endroits. Lon-
dres et Glasgow nous offrent des exemples de ces écoles
où Ton apprend aux enfants à détester la société moderne
et où Ton représente le socialisme comme devant ramener
ici-bas un second paradis. Nous n'insisterons pas sur cette
tentative, ni sur les publications destinées aux enfants de
ces écoles et dont le Times a donné d'amusants extraits.
Bien des personnes semblent ne pas avoir encore compris
que la municipalisation des services publics et des entreprises
iQdividuelles,que tant d'autorités locales du typeprogressiste
sont en train d'effectuer, procède en ligne directe du pro-
gramme posé par les socialistes, non pas dans le but de
diminuer les impôts ou d'améliorer je fonctionnement des
services publics, mais pour arriver à l'Etat collectiviste visé
par la résolution de Paris.
« Qu'elles se rendent compte du fait ou non, et quels que
puissent être leurs motifs, les autorités locales en question
font inévitablement le jeu des socialistes. Encouragés par
leurs succès, ces derniers demandent :d'autres réformes,
Boverat 3
^t ils font actuellemeût preuve d'une énergie qui permet dé
supposer que le contribuable anglais aura fort à faire pour
'empêcher la socialisation des corps gouvernants, non seu-
lement dans leurs idées, mais aussi dans leur consti-
tution (1). >» '
Dans son livre intitulé Soaa/t^;/2 -m England^ Sydney
Webb célèbre le triomphe des socialistes et montre les
conquêtes qu'ils ont faites tantôt au grand jour, tantôt
encore, et bien plus souvent, sans qu'on s*en aperçoive.
Dans la préface de la troisième édition (1893), il remarque
que les progrès les plus importants de Topinion et de
l'œuvre socialistes ont été effectués en dehors des organi-
sations franchement socialistes, a Les trois grandes étapes
que nous avons parcourues, dit-il, depuis 1889 sont le
progrès triomphal du collectivisme au Conseil de Comté
de Londres, la conversion des vieilles Trade- Unions aux
idées nouvelles et le développement d'un parti du travail
absolument collectiviste. Les grosses majorités auxquelles
John Burns et autres socialistes déclarés ont été élus ne
sont pas plus significatives que la manière dont le parti
libéral fut, pour la métropole, obligé d*adopter et d'appuyer
activement le programme municipal, tel que l'avaient pro-
posé les socialistes. »
Vieux et nouveaux trade - unionistes sont maintenant
d'accord pour réclamer partout la journée de huit heures,
et les principes de la doctrine individualiste ne rencontrent
plus de partisans dans leurs rangs. Quant au « Labour
Party », ce n'est plus seulement au London County Council
qu'on le rencontre aujourd hui ; aux dernières élections lé-
•gislatives (190G), il a remporté un succès aussi grandqu'ioat-
(1) Times, i9 aoùtl902.
.MI7friCIPAU8BCE ET COLLECTIVISME 35
teadu de la part de beaucoup d'Anglais, et Tun de ses chefs,
John Burns, aiège au banc des membres du nouveau
cabinet lij>éraL Le « Labour Party » compte à présent à la
Chambre des Communes plus de cinquante membres, au
lieu d*une dizaine que renfermait la Chambre de Tan passé.
Il forme un parti ^ part qui, nous Tavons vu. ne veut se
mêler à aucun autre. Le « Labour Party )» est en eiïet una-
nimement collectiviste, et si, à la conférence de Bradford
(février 1893), on a décidé de garder le nom do parti du
travail plutôt que celui de parti socialiste, on adoptait en
même temps et presque à l'unanimité un programme fran-
chement collectiviste.
. Le développement du socialisme, s'est fait en Angleterre,
lentement^ subrepticement et sans à-coups, par une sorte
de phénomène d'infiltration, d'endosmose (permeation),
comme dit Sydney VVebb ; il s'est produit si graduelle-
ment que la grande majorité des citoyens ne se rend pas
compte encore jusqu'à quel point on a abandonné les prin-
cipes individualistes. Jusqu'aux dernières élections un ob-
servateur superficiel aurait pu déclarer que comme force
politique le socialisme n'existait pas en Angleterre. C'est
qu'il n'aurait pas compris, dit Sydney Webb, que le parti
conservateur anglais ne correspond en rien aux divers parti s
conservateurs ou réactionnaires du continent, mais qu'il
subit l'influence et l'infiltration constante d'idées nouvelles
qui lui viennent du côté adverse.
Dans le domaine économique le socialisme n'a pas fait de
moindres progrès. Il a perdu le caractère (( statique » qu'il
revêtait dans les œuvres des premiers penseurs du xix*
siècle pour revêtir un caractère purement a dynamique >:•
Depuis les ouvrages de Comte, de Darwin et de Spencer, dit
Webb, nous ne pouvons plus aujourd'hui nous figurer que
la société puisse rester toujours dans le même état.
36 PHEM lÈRB PARTIfi. — dltAPITRB II
, La nécessité d'un développement et d'une croissance cons-
tante de l'organisme social est devenue un axiome. Per-
sonne ne songe plus à un changement brusque et radical du
monde où nous vivons. « Le nouveau deviendra vieux de
lùi-mème, souvent avant qu'on ne lui ait reconnu son carac-
tère de nouveauté, et Thistoire ne nous montre- rien qu'une
constante et graduelle évolution. »
[ Au lieu de fonder comme autrefois de petites communau-
tés où la doctrine socialiste serait intégralement appliquée,
les socialistes préféreront effectuer parmi Tensemble des ci-
toyens des réformes partielles, plutôt que d*en opérer d^en^-
tiëres en dehors d'eux. La croissance du socialisme se fera
par expansion verticale au lieu de se faire par expansion
horizontale. Par cette méthode les progrès seront peut-être
lents, mais il n'y aura pas d'échec possible. Il n'est pas
d'exemple de peuple qui, ayant nationalisé ou municipalisé
un service public, soit revenu sur ses pas pour rétablir Tétat
de choses antérieur. Que sert de parler du socialisme de
l'avenir? N'y sommes-nous pas dès à présent plongés? Les
changements continuels d'une législation toujours plus
interventionniste et d'une organisation administrative tou-
jours plus compréhensive sont là pour le prouver. Et Sydney
Webb cite ù Tappui de sa théorie les quatre ordres de faits
suivants :
. 1^ Augmentation constante des restrictions imposées à
la propriété de la terre et du capital (Exemples : Règle-
ments du travail et de Tindustrie. Police sanitaire).
2° Remplacement graduel des entreprises industrielles
particulières par des administrations publiques (télégraphes
nationaux, tramways municipaux, écoles paroissiales).
3^ Absorption progressive par l'impôt de la rente du capi-
tal (Taxation of unearned incomes) et même du produit du
travail personnel (income-tax).
MUNICIPALISMK ET GOLLEGTI¥ISMB 87
. 4^JLa substitution de Tassistance publique à la bienfai-
sance privée pour le relèvement des classes inférieures.
Ces réformes revêtent un caratère nettement socialiste
(on ne s'en doute pas toujours, accoutumé que Ton est à
voir TEtat s'occuper de toutes choses) ; et, comme l'énumé-
ration précédente permet de s'en rendre compte , elles se
font dans la pratique comme dans la doctrine» dans la lé-
gislation comme dans l'économie politique.
Si la législation anglaise est depuis longtemps interven-
tionniste, c'est qu'avant même le succès des membres du
a Labour Party » aux élections générales en 1906, les vues
socialistes avaient au Parlement d'assez: nombreux repré-
sentants. Le changement de ton, dit Sydney Web b, des
chefs de la politique anglaise depuis 1880 est frappant et
augmente chaque jour, et il n'y aurait pas d'exagération à
dire que les idées socialistes ont complètement envahi le
parti radical, création des philosophes individualistes du
début du XIX* siècle. C'est ce fait qui a longtemps empêché
les socialistes de nom de figurer en personne au Parlement.
Mais des hommes qui, en Allemagne ou en PVance, auraient
pris rang parmi les socialistes avancés, continuaient en
Angleterre à s'intituler libéraux ou radicaux, tout en de-
mandant des mesures telles que la municipalisation du
territoire des villes, l'imposition des rentes, la construc-
tion de maisons ouvrières parles autorités publiques..
Montrer que depuis le début du xix® siècle, la législation
anglaise s'est inspirée de principes socialistes est chose
facile (1). Sydney Webb rappelle les lois de 1802 et 1819,
de 1825 et 1831 sur le travail des usines, le Reform Bill
de 1832, la loi sur les mines de 1842 et le Municipal Cor-
. (1) S. Webb, Chap. VJL
38 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPtTRB II
porations Act de 1835, qui a créé par centaines les foyers
d* énergie où se développe le socialisme local. La même
période a vu la naissance de la législation santtaîre et
d'innombrables Improvement Acts locaux qui, codifiés
une première fois en 1847 et 1848, furent finalement refon-
dus et rédigés à nouveau pour aboutir au Public Health
Act de 1875. C'est là une législation absolument socialiste
dans son caractère. Elle impose d'innombrables restrictions
au libre usage de la propriété privée et les droits du pro-
priétaire en sortent, dans Tintérôt général, notablement
amoindris. Grâce à son organisation politique, la commu-
nauté a assumé l'administration collective d'innombrables
services et lève, uniquement à l'avantage des classes
pauvres, une série de « rates » ou impôts sur la propriété
foncière et immobilière qui absorbent maintenant un large
pourcentage de sa rente annuelle. Tel est le genre de légis-
lation socialiste qui de jour en jour reçoit plus d'extension.
Abordons-nous le domaine de l'Economie politique, nous
y retrouvons tout aussi notable le changement que nous
venons de constater dans le domaine de la législation. Les
premiers maîtres de l'Economie politique avaient été des
individualistes. Le souvenir de la bureaucratie royale leur
faisait adopter la Règle du « Laisser faire ». A-t-on pensé
quelques dizaines d'années après Adam Smith qu'on avait
extrait de sa doctrine tout ce qu'elle renfermait de bon et
qu'il fallait demander à d'autres règles l'augmentation du
bien-être de l'humanité ; ou bien a-ton cru que cette doc-
trine de liberté ne pourrait enfanter aucun progrès, toujours
est-il qu'une conception nouvelle de l'Etat vers le socia-
lisme s'accentuait de plus en plus dans la littérature écono-
mique.
La publication de V Economie politique de John Stuart
MUNIGIPALI8ME ET COLLECTIVISME Sg
Mill en 1848 marque en fait la limite qui sépare la nouvelle
doctrine de Tancienne. La teinte de socialisme répandue
dans le livre de Mill alla s'accentuant à chaque édition,
jusqu'au jour de sa mort où son autobiographie vint révé-
ler au public sa répudiation de l'économie politique démo-
cratique pour un socialisme complet. Depuis, le progrès a
été rapide. Se fondant sur le rejet déflnitif de la théorie du
fonds des salaires, le développement et l'extension de la
loi ricardienne de la rente et la modification graduelle de
la théorie malthusienne, Sydney Webb prétend que la dif-
férence scientiGque entre l'économiste orthodoxe et le so-
cialiste est devenue une différence de terminologie qui n'a
plus que peu dimportance.
Arrivés au domaine de l'économie politique, il est une
question que nous ne pouvons passer sous silence : c'est
la comparaison souvent établie entre la coopération et le
socialisme municipal. Il importe d'en faire justice et de
montrer les sérieuses différences qui les séparent.
Qu'est-ce que la coopération, en effet? C'est le fait, delà
part de plusieurs individus, de s'associer pour produire, ou
pour consommer les objets nécessaires à l'existence. Le but
principal d'une société coopérative sera d'acheter en com-
mun et de revendre à ses membres au prix coûtant des
marchandises de bonne qualité, en réservant finalement
pour eux seuls les bénélices qu'eussent prélevés les intermé-
diaires.
La coopération mène-t-elle au collectivisme? est-elle une
forme de socialisme? ou au contraire n'est-elle pas un
remède aux défauts de Torganisalion capitaliste moderne
en même temps qu'un moyen d'échapper au socialisme ?
On peut faire un rapprochement entre le mouvement
^O PREBniRE F^ARTIE. — CHAPITRE II
municîpaliste et le mouvement coopératif, on peut les com-
parer, dire au besoin qu'ils procèdent du même principe:
suppression du bénéGce des intermédiaires par Tassociation
(quoique cette raison« souvent mise en avant parles muni-
cipalités, soit rarement vraie pour elles). Mais une diffé-
rence fondamentale les distingue dès Tabord.
« La municipalisation d'un service quelconque n'est que
Tassociation forcée de tous les citoyens dont Tautoriié pu*
blique prend l'initiative » (Montet) (1). La société coopéra-
tive ne comprend que des membres qui y sont entrés de
leur plein gré. « La coopération libre laisse subsister la
concurrence ; le socialisme municipal crée un monopole au
profit de la personne publique qui se substitue aux initia-
tives libres. » Et, comme le fait remarquer M. des Cilleuls
(p. 172). les frais étant plus lourds dans Tadministration des
établissements publics que dans Tindustrie privée, « à l'in-
verse du mécanisme des unions corporatives où la somme
que chaque sociétaire paie comme consommateur lui revient
en partie comme actionnaire, avec les répies municipales
l'avantage apparent que chaque habitant obtient comme
acheteur, il le rembourse en qualité de contribuable avec,
une majoration due aux frais de gestion ».
Collectivisme et coopération sont d'ailleurs choses si peu
semblables que les socialistes n'hésitent pas à repousser en
bloc le système coopératif comme ne devant leur donner
qu'une satisfaction incomplète et retarder plutôt que hâter
Tavènementdu régime social nouveau. John Stuart Mill
y voyait ou espérait y trouver un remède aux imperfections
du .système capitaliste (livre IV). Et Cairnes écrivait en
(1) Voir MoNTBT, Etudes sur le Socialisme municipal anglais.
MUNIGIPALISME ET COLLECTIVISME l^t.
1874 que le travailleur ne pourrait améliorer sa situation
qu'au moyen des coopératives de production (1).
Bien des années se sont écoulées depuis qu'on a prononcé
ces paroles, remarque Sydney Webb, et l'individualiste le
plus ardent doit reconnattre que la chance de la grande
masse des travailleurs de jamais s'élever par des associations
coopératives de production est devenue plus désespérée que
jamais.
La coopération serait un remède séduisant en tant qu'elle
permettrait au pauvre de s'enrichir sans appauvrir le riche,
et certains réformateurs sociaux, ne peuvent s'empêcher,
même à présent, de conserver Tespoir de trouver en elle le
moyen d'accomplir l'impossible.
Mais l'expérience d'une génération a montré la 'futilitéi
qull y aurait à attendre de ce côté la venue d un appui réel .
La part que joue la coopération dans Tindustrie anglaise est
encore trop peu considérable et il n'y a pas lieu d'espérer
en elle la solution du problème social (2). Tout au plus
peut-on la considérer comme un. entraînement moral utile^
une caisse d'épargne avantageuse mais risquée, un moyen
d'intéresser momentanément le citoyen aux affaires indus;-
trielles de son pays. Pour Sydney Webb la coopération
nest qu'une survivance de l'époque qui a précédé les com-
pagnies anonymes et les banques d'épargne. Aujourd'hui
les sociétés par actions gagnent rapidement du terrain sur
elle et la font sans cesse reculer. Est- il besoin de faire re-
marquer que même l'admirateur le plus fervent des vertus
de l'association aurait quelque peine à attendre du système
des sociétés anonymes le salut de la société ? ()r c'est dans
; (1) Cairvks, Some leading principles of polUical economy^ p. SIS^.
(2) S. Wbbb, p. 92.
42 PRBIUBRB PARTIE. — CHAPITRE n
cette voie, et noQ dans celle de la coopération, qae notre
régime industriel s'engage rapidement.
Coopération et socialisme sont donc choses bien différent
tes ; la plupart des économistes s'accordent à le reconnaître,
et la déclaration du chef du parti fabien nous confirme de
tous points dans notre opinion.
Nous avons cherché à montrer dans les pages précéden-
tes que le municipalisme était bel et bien du socialisme ; et
s'il se trouve parmi les contribuables anglais et leurs repré-
sentants des gens assez aveugles pour se méprendre sur la
signification réelle de ce mouvement, nous avons vu que le
socialisme se rend parfaitement compte de ce qu'il fait et
poursuit son chemin aidé par la science des uns et l'igno-
rance des autres.
Il nous reste à nous demander pourquoi le socialisme
municipal s'est si rapidement développé en Angleterre ;
nous avons indiqué déjà, comme causes de sa naissance,
la récente augmentation de la population des grandes vil-
les et le besoin d'argent qu'elles avaient pour Texôcution
des immenses travaux projetés par elles. Nous avons si-
gnalé rintérèt que peuvent avoir les municipalités à dis-
poser d'un nombreux personnel d'agents intéressés au
maintien des régies officielles et utilisables comme instru-
ments électoraux.
L'accroissement d'influence delà classe populaire, enfin»
— qui écoute aujourd'hui les orateurs socialistes comme
elle écouta jadis les apôtres de la religion chrétienne, parce
que tous deux lui promettent du nouveau — et le nouveau
n'est-il, pas quand on souffre, quelque chose comme le salut?
— l'accroissement d'influence de la classe populaire est
venu, disons- nous, favoriser l'essor du municipalisme en
lui octroyant l'appui des voix de la multitude.
HUNIC1PALI8MB ET COLLECTIVISME 43
II nous semble pourtant — c'est l'opinion de M. Daniel
Beliet dans sa brochure Socialisme itmunicipalisme — que
le développement tout particulièrement rapide du socia-
lis me municipal en Grande-Bretagne tient à deux causes,
propres à ce pays (1) :
« 1^ A l'esprit commerçant de la race anglaise qui fait
que les gens chargés des administrations municipales ont
pu facilement se laisser entraîner à transformer une charge
purement administrative en affaire commerciale qui devait
les intéresser d'autant plus par suite de ce caractère nouveau.
«2** A Torganisation libérale et un peu flottante, indé-
cise des groupements locaux. On a continuellement laissé
se constituer des corporations commerciales pour Texploi^
tation d'entreprises ressemblant à des services publics,
comme des exploitations de ports, et Ton a été amené na-
turellement à permettre à des municipalités proprement
dites, à des organismes administratifs de prendre en mains
des exploitations industrielles commerciales. »
Nous nous proposons d'étudier plus spécialement cette
seconde raison dans le chapitre III, en traitant du gouver-
nement local.
En résumé, le municipalisme est bel et bien du socialisme.
Il se réclame des mêmes principes, poursuit le même but
et ne diffère du socialisme que par les moyens qu'il préco*
nise — ce qui n'a pour nous que peu d'importance. Tous
deux sont autoritaires et centralisateurs à outrance.
Le municipalisme est donc plutôt un changement de
tactique du socialisme qu'un changement de système.^
L'idéal visé reste toujours le même : c'est la réorganisation
de notre société capitaliste sur un modèle nouveau, la
(t) D. Bellrt, Socialisme et municipalisme, p. .6.
44 phemièrb partie. — chapitre ii
substitution du régime d'autorité au régime de liberté dans
les relations sociales ; Tattribution & la municipalité ou au
conseil municipal des services qui jusqu'à présent avaient
été remplis par des particuliers et que le collectivisme pur
et simple voudrait confier à TEtat. Le but final serait la
centralisation dans les mains des conseillers municipaux
de tous les moyens de prôductioa et de tous les moyens de
consommation pour qu'ils puissent sagement régler la
marche des premiers et équitablement la distribution des
autres.
C*est par Tadoption de cette méthode que le socialisme
municipal prétend assurer à la collectivité la possession de
bénéfices qui sans lui seraient tombés. sous forme de divi-
dendes dans la poche des actionnaires, et quMl se flatte
d'arriver tout en réduisant pourtant considérablement les
tarifs et les prix de vente qu'aurait imposés une société
privée exploitant le même service, à une diminution des
impôts locaux, la caisse publique devant recevoir les profits
obtenus en fin d'exercice par l'entreprise commerciale.
u On voit que le programme est admirable, dit M. Daniel
lîellet, et l'on compte sans doute en arriver à supprimer
complètement les impôts en multipliant suffisamment et en
généralisant même les entreprises commerciales des muni-
cipalités de façon à répartir les bénéfices de l'industrie et
du commerce municipaux entre les ci-devant contribua-
bles. »
Malheureusement, jusqu'ici, c'est souvent au résultat
contraire que l'on est arrivé, et si certains services muni*
cipalisés ont réalisé des bénéfices permettant de diminuer
le taux des impôts, nous verrons bientôt que dans la plupart
des villes les services publics municipalisés coûtent non
pas ce qu'ils rapportent. — ce qui. serait. la perfection, —
MUNIGIPALI8MB ET G0LLBGTIVI8MB 45
mais plus qu*ils ne rapportent, et que les déficits qu'ils
laissent et les emprunts énormes dont ils ont été la cause,
loin de diminuer les impôts, les ont, en général, élevés d'une
façon continue et considérable durant le cours des dernières
années.
44 PREMIÀRB PARTIE. CHAPITRE II
substitution du régime d*autorité au régime de liberté dans
les relations sociales ; Tattribution à la municipalité ou au
conseil municipal des services qui jusqu'à présent avaient
été remplis par des particuliers et que le collectivisme pur
et simple voudrait confier à TEtat. Le but final serait la
centralisation dans les mains des conseillers municipaux
de tous les moyens de production et de tous les moyens de
consommation pour qu'ils puissent sagement régler la
marche des premiers et équitablement la distribution des
autres.
C'est par Tadoption de cette méthode que le socialisme
municipal prétend assurer à la collectivité la possession de
bénéfices qui sans lui seraient tombés sous forme de divi-
dendes dans la poche des actionnaires, et qu'il se flatte
d*arri^er tout en réduisant pourtant considérablement les
tarifs et les prix de vente qu'aurait imposés une société
privée exploitant le mémo service, à une diminution des
impôts locaux, la caisse publique devant recevoir les profits
obtenus en fin d'exercice par l'entreprise commerciale.
u On voit que le programme est admirable, dit M. Daniel
Bellet, et Ton compte sans doute en arriver à supprimer
complètement les impôts en multipliant suffisamment et en
généralisant même les entreprises commerciales des muni-
cipalités de façon à répartir les bénéfices de l'industrie et
du commerce municipaux entre les ci-devant contribua-
bles. »
Malheureusement, jusqu'ici, c'est souvent au résultat
contraire que Ton est arrivé, et si certains services muni-
cipalisés ont réalisé des bénéfices permettant de diminuer
le taux des impôts, nous verrons bientôt que dans la plupart
des villes les services publics municipalisés coûtent non
pas ce qu'ils rapportent. — ce qui. serait la perfection, —
MUNIGIPALISHE ET COLLECTIVISME 45
mais plus qu*ils ne rapportent, et que les déficits qu'ils
laissent et les emprunts énormes dont ils ont été la cause,
loin de diminuer les impôts, les ont, en général, élevés d'une
façon continue et considérable durant le cours des dernières
années.
48 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE III
-de la liberté anglaise »»,de « legs de la bureaucratie despoti-
que » accueillirent le projet, et ce n*est qu'en présence de
Tétat désespéré de la situation qu'on se décida à Tadopter.
Dans le bref résumé que nous allons donner de la légis-
lation municipale anglaise, nous ne remonterons pas plus
haut que Tordonnance de i835; c'est elle qui est venue
mettre un terme à la confusion et à la corruption dont souf-
frait alors le gouvernement local en Angleterre. Le premier
objet du Municipal Corporations Âctde 1835 fut de détruire
Texclusivisme des anciennes corporations et d'étendre le
<iroit de vote à tous ceux qui, en qualité d'occupant d'une
«laison d'habitation, d'une boutique ou d*un magasin ont
pendant trois ans payé le poor et le borough rate et sont
domiciliés dans un rayon de 7 miles à compter du centre du
borough. Sont privés de ce droit tous les étrangers et les
habitants mêmes du pays qui dans les douze derniers mois
ont reçu un secours de l'assistance publique.
Les « Overseers of the poor » dressent chaque année la
liste des citoyens actifs ; le maire et deux adjoints sont char-
gés de la reviser. Telle, était la partie fondamentale de la
loi de 1835. Elle faisait disparaître une fois pour toutes les
•corporations fermées et remettait l'administration de la
ville entre les mains de ses habitants, à condition qu1ls pos-
sédassent une habitation à eux propre. Restèrent privées du
droit de vote les personnes désignées sous le nom de « Lod-
^ers », c'est-à-dire louant une chambre ou payant pension
chez des étrangers.
D ans un deuxième paragraphe,la loi déclarait : <i La cor-
poration municipale d'une ville agit par l'intermédiaire d'un
Town Gouncil, et le conseil exerce tous les droits attribués
à la corporation par la présente loi. » Le Conseil se com-
pose du maire» des aldermen et des conseillers.
l'administration locale 4 g
Par une troisième disposition la loi donnait au Conseil
municipal Je droit de <• nommer des comités pris dans ses
rangs, soit en vue d*objets généraux, soit en vue d'objets
spéciaux pour Tacromplissement de tous les devoirs qui
dans ridée du Conseil seraient mieux remplis par de sem-
blables comités ; mais toutes leurs décisions devront être
soumises à Tapprobation du Conseil ».
La loi de 1835 changeait enfin le caractère des corpora-
tions en les faisant passer du rôle^de propriétaire à celui de
gardien, de dépositaire (trustée) de la propriété communale,
et les pouvoirs qu'on leur donnait durent être exercés eu
égard au but spécial que poursuivait la corporation. C'est
le grand principe auquel il faut se référer en Tabsence de
preuve contraire, et c'est lui qu'invoquent aujourd'hui les
adversaires du municipalisme, pour s'opposer aux progrès
de la municipalisation. La loi déclarait en dernier lieu que
le commerce était libre. Cette déclaration n'était pas inutile;
avant elle on ne pouvait exercer un commerce quelconque
sans l'autorisation de la municipalité. Dans toutes les lois
municipales postérieures à 1835 la liberté du commerce a
été expressément rappelée ; et Ton retrouve cette même
clause dans les chartes des villes récemment incorporées.
Telle fut, aux environs de 1835, la situation des corpora-
tions municipales anglaises. Arrêtées au début par nombre
de lois locales, par la concurrence d'autres corps publics et
de compagnies privées qui tenaient leurs privilèges du Par-
lement, les municipalités ont réussi, après une lutte longue
et opiniâtre, à attirer à elles tout ce qui a trait à l'adminis-
tration des villes. Le nettoyage, le pavage et l'éclairage des
voies publiques, pourneciterqu'un exemple, se trouvaient
entre les mains de commissaires spéciaux ; la fourniture de
l'eau et du gaz appartenait à des Compagnies privées. £n
BoTerat 4
5o PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITliE III
ua demi-sièclp d'agitation persévérante, nous verrons toutes
ces fonctions, enlevées les unes après les autres à leurs pré-
cédents détenteurs, venir grossir la liste aujourd'hui inter-
minable des attributions municipales.
La période qui s'étend de 1835 à 1882 a vu naître bien
des lois traitant de Tadministration des villes en général :
d'innombrables acts privés sont venus, d'autre part, régler
l'administration des villes considérées séparément. Nous
laissons de côté toute cette législation qui ne présente pas
pour nous d*intérèt immédiat et nous arrivons à Tannée
1882, où pour la seconde fois fut codifié le droit adminis-
tratif urbain. Cette codification n'apporta que peu de chan-
gements aux traits essentiels de la loi de 1835.
L'administration demeura entre les mains de conseillers
municipaux choisis au suffrage dirert par les citoyens. Les
conditions requises pour être électeur restèrent les mèmes,â
cette exception près que les femmes aussi, propriétaires ou
locataires d'une maison, reçurent le droit de vote. Les lod-
gers ne virent pas lever ^exclusion qui les frappait. Depuis
1882, est éligible aux fonctions de conseiller tout citoyen,
en sa seule qualité de citoyen, alors qu^autrefois réligibilitè
dépendait de la possession d'une fortune de £ 1.000 ou du
fait qu*on occupait une maison estimée 30 £dans l'évalua-
tion dressée pour la perception des impôts.
La nouvelle loi donnait au conseil municipal, pour dé-
penser comme il l'entendrait les revenus ordinaires de la
ville, une liberté bien plus grande que les lois précédentes.
Pour tout ce qui avait trait au contraire à la conclusion des
emprunts, à Tachât et à la vente de terrains, les conseils
ne purent agir qu'avec Tautorisation de la Trésorerie on
du Parlement. Ce n*est que pour Tacquisition de pièces de
terrain de 5 acres, nécessaires à la construction de bâti-
lVdmxnistration locale 5i
menls cominuaaax, qu'ouïes dispensa de cette autorisa^
tion.
Si la situation des villes n^a par conséquent subi dans
son ensemble que peu de changements depuis la promul-
gation de la loi de 1835, ]e domaine administratif des con-
seils municipaux sest d'autre part extraordinairement
accru, et c'est dans cette extension de Tactivité municipale,
dans cet envahissement de la sphère de l'entreprise privée
que consiste le changement énorme auquel nous assistons
depuis quelques dizaines d'années.
Quelles fonctions la loi de 1835 avait-elle confiées aux
municipalités ? L'amortissement et le service des intérêts
de la dette urbaine, le paiement des traitements des em*
ployés municipaux, la direction de la police locale, Tad*
ministration de la prison ; c'était tout. Leurs pouvoirs
n'allaient pas plus loin. La méfiance delà loi à l'égard des
autorités locales perçait dans la plupart des paragraphes.
Aujourd'hui l'activité des corporations embrasse les do-
maines les plus divers ; elle s'immisce dans la vie de l'in-
dividu, jusque dans l'intimité même de son logement ; elle
veille à la satisfaction des besoins les plus divers, dont il
y a cinquante ans un entrepreneur particulier eût été seul
à s'occuper.
En dehors du Municipal Corporations Act de 1882, plu-
sieurs autres lois générales, parmi lesquelles il faut rete-
nir le Pubhc Health Act de 1875 et l'Education Act de 1902
confèrent aux municipalités des pouvoirs importants. Le
Public Health Act de 187S est à tous égards le plus inté-
ressant ; c'est aussi le plus volumineux, puisqu'il contient
343 clauses et couvre 152 pages du Statute Book.
C'est en vertu des Public Health Acts que les Town
Councils jouent le rôle d'autorités sanitaires; qu'ils nom-
52 PREMIÈRE PARTIE. •»- CHAPITRE III
ment un officier médical de santé (médical officer of healtL)
et des inspecteurs chargés de faire connaître tout ce qui
peut troubler l'hygiène ou la tranquillité publiques (ins-
pectors of nuisances) : qu ils doivent veiller à la construc-
tion, dans leurborough, d*un système d'égouts, ainsi qu'au
bon état sanitaire des habitations ; pourvoir à lenlèvement
des ordures ménagères et à Tarrosage des rues et qu^ils
peuvent se charger de distribuer Teau lorsqu'il n^existe pas
de Compagnie privée qui s*en charge déjà.
C'est encore en vertu des Public Health Acts que le
Council a le droit de trancher les questions relatives : aux
hôtels et garnis (common lodging houses), logements
souterrains (cellar dwellings), à la viande malsaine, aux
maladies contagieuses et épidémiques, aux cimetières,
jardins publics, marchés et abattoirs, aux habitations ou-
vrières, etc. Cest en vertu du Public Health Act et avec
Tautorisation du Local Government board ou du board of
Trade qu'il construira des usines à gaz, des tramways, etc.
Entre autres lois générales énumérant les divers pou-
voirs des borough councils, lois qu*il faudrait étudier pour
avoir une connaissance complète de leur autorité, citons :
les lois sur les tramways, les bains, les bibliothèques pu-
bliques, etc. ; enfin, à côté de tout cela nous rencontrons
une législation innombrable, relative à l'assistance et à l'é-
ducation.
Les fonctions des municipalités peuvent donc se résumer
et se grouper de la façon suivante :
1^ Administration de la justice au moyen de tribunaux
civils et criminels.
2^ Création et organisation de la police.
3^ Administration de la propriété urbaine et levée des
impôts.
l'adbainistration logalb 53
i^ Nomination et renvoi des employés municipaux.
o"* Exécution des règlements sanitaires et des lois d'hy-
giène (Public Health Acts). Destruction des quartiers et des
maisons malsaines, construction de maisons ouvrières, etc.
6* Pavage, éclairage et nettoyage des rues et places :
fourniture de Teau et du gaz aux habitants. Construction
des égouts.
7° Construction et entretien des monuments publics, mu-
sées, bibliothèques, bains, lavoirs, etc.
8*" Construction et entretien de ports, docks, canaux.
9^ Administration de fondations bienfaisantes.
10° Contrôle à exercer sur la façon dont sont exécutés les
règlements promulgués par le ministère de l'instruction
publique, lorsqu'il n'existe pas dans la ville ou dans le dis-
trict d'autorité scolaire spéciale.
Il ne faudrait pas croire cependant que les conseils mu-
nicipaux puissent, suivant leur bon plaisir, exercer tous les
pouvoirs que nous venons d'énumérer en détail. Dans cer-
tains cas leurs pouvoirs sont obligatoires (mandatory),
dans d*autreSy ils ne sont que facultatifs (permissive). Ils
obtiennent la mise à exécution des mesures obligatoires au
moyen d'une action quils portent devant les tribunaux,
tandis que le Local Government Board et d'autres autorités
centrales jouissent d'un pouvoir de « compulsion ». Avant
de remplir une fonction facultative, le conseil doit s'assu-
rer de Tapprobation du Local Government Board donnée
par un provisional order, que confirmera formellement par
la suite le vote d'un provisional order Act par le Parle-
ment.
Tous ces provisional orders s'appuient sur des principes
généraux renfermés dans une loi générale, et le contrôle pra-
tique en appartient en réalité à une autorité compétente»
54 PREMlàlUS PARTIE. — CHAPITRB III
tandis que ]e contrôle du Parlement n'est qu'un contrôle
purement nominal.
Il y a enfin, comme nous le disions plus haut, une quan-
tité considérable de lois spéciales, votées pour Londres el
pour certaines des grandes villes anglaises, et qui confèrenl
à leurs conseils municipaux des pouvoirs additionnels.
Ces lois spéciales s appellent en Angleterre des « Frivate
Acts ». Elles servent à combler pour telle ou telle localité
soit des besoins à elle spéciaux, soit les lacunes de la loi
générale. Car malgré son désir de prévenir toutes les dif-
ficultés et de trancher d'avance toutes les contestations,
désir qui la rend souvent prolixe et fatigante à force de re-
pétitions, la loi anglaise pas plus que les autres lois ne sau
rait prévoir tous les cas qui se présenteront.
Une corporation désire-t-elle percer de nouvelles rues,
acheter une usine électrique, créer une ligne de tramways,
elle rédige un projet de loi (private bill) qu'elle présente
successivement à chacune des deux Chambres après 1 avoir
porté à la connaissance des intéressés, par de larges mesures
de publicité. Un fonctionnaire spécial appelé « examiner»
vérifie raccomplissement de ces formalités préliminaires.
Arrivé devant la Chambre des Communes ou devant la
Chambre des Lords (elles se partagent la besogne en deuÂi,
le bill est examiné par le Lord Chairman of Commiltees,
qui fait comparaître devant lui les promoteurs du projet,
c'est-à-dire soit un conseiller de la ville en question, soil
le Town Glerk, lesquels répondront aux diverses objections
qui leur seront faites. En même temps le ministère intéresse
(Local Government Board, Board of Trade ou Home Office;
faitun rapport surle bill etTenvoieau Lord Chairman et aux
promoteurs du projet. Le bill est ensuite soumis à Texamen
4' un Select Comniittee et arrive enfin devant la Chambre à
l'administration locale 55
laquelle appartient la Commission. Si le Parlement refuse
d'accorder les pouvoirs ainsi sollicités par Tautorité locale,
celle-ci doit se renfermer strictement dans les termes du
mandat qu'elle a reçu du législateur.
Le maire el les conseillers. — Nous avons vu quels étaient
dans leur ensemble les principaux pouvoirs que possédaient
les municipalités anglaises ; il reste à montrer par qui ces
pouvoirs sont exercés.
Les corporations municipales sont gouvernées par des
conseils, composés du maire, des aldermen et des conseil-
1ers. Le Conseil municipal est en Angleterre Tautorité locale
toute puissante, et sa suprématie est le trait le plus caracté-
ristique de tout le système municipal anglais.
Le borough council n exerce pourtant pas de contrôle
sur le schoolboard (conseil des écoles), ni sur les poorlaw
guardians (administrateurs de la loi des pauvres), et il serait
plus exact de dépeindre le système anglais comme un sys-
tème composé de plusieurs conseils locaux indépendants les
uns des autres.
Le Borough ou le Town Council comprend deux sortes
de membres : les conseillers (councillors), élus par l'en-
semble des citoyens, et les aldermen et le maire (mayor),
élus par le conseil ; mais ces deux classes de personnes
siègent ensemble dans un même corps qui exerce les pou-
voirs de la municipalité.
Les aldermen sont élus par les conseillers pour sixans ;
ils sont renouvelables par moitié à la fin de chaque période
de trois ans. Les aldermen ne sont pas nécessairement choi-
sis parmi les conseillers ; mais ils doivent réunir les condi-
tions requises pour être conseillers. Les conseillers sont
élus pour trois ans seulement. Tout citoyen peut être élu
56 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE UI
coQseiller. Quant au maire, il est élu chaque aaaée par le
conseil, et les changements de personnes sont fréquents. Le
conseil a le droit d*accorder au maire un certain traite-
ment ; mais les sommes qu*il touche ne servent qu'à le rem-
bourser, et souvent en partie seulement, des dépenses très
lourdes de la charge, telles que dîners, réceptions, etc.
Les pouvoirs du maire ue sont pas très vastes. On peut
les diviser en trois catégories : pouvoirs législatifs, admi-
nistratifs et judiciaires.
Pouvoirs législatifs: le maire est membre du conseil
qu'il préside, il possède les pouvoirs traditionnels d^un
président. Comme membre du conseil, il fait partie des
Comités et prend une part active à l'administration de la
ville : toutefois sa position de président Tem pèche de faire
de même dans les discussions du conseil.
Il peut réunir le conseil en session extraordinaire ; mais
il ne possède ni droit de veto, ni droit dinitiative spécial.
Au point de vue administratif rinfluence du maire anglais
est encore plus vague que celle dont il peut jouir au point
de vue législatif. Comme les autres membres du conseil, H
prend une part active à Tadministration en tant que mem-
bre des comités; mais il ne possède pas de pouvoir spécial
lui permettant de nommer aux fonctions municipales et il
n*exerce de direction ni sur les comités, ni sur les services
administratifs en général.
Au point de vue judiciaire le maire anglais est d'office
« justice of the peace » durant le temps de ses fonctions ;
et il le reste un an après ; il est bon toutefois de rappeler
que les grandes villes ont toutes des magistrats de police
payés qui remplissent régulièrement cet emploi.
La charge de Lord Mayor est obligatoire, et toute per-
sonne qui, y étant élue régulièrement, refuse de l'accepter,
l'administration locale 57
doit payer un shilliag d'amende (voir notamment le Règle-
ment de Birmingham).
Afin de mieux remplir les devoirs qui leur incombent,
les conseillers se divisent en comités, et nous savons qu ils
peuvent en créer autant qu'ils le désirent ; c'est au conseil
municipal de chaque ville à en fixer le nombre d'après ses
propres besoins.
C'est ainsi que Manchester compte 16 comités, Leeds 15,
Birmingham 18. Nous donnons la liste des comités de cette
dernière ville à titre de renseignement. Ce sont : le Baths
and Parks Committee, Estâtes, Finance, General Purposes»
Markets and Pairs, Health, Public Works, Watch, Lunatic
Asylums, Gas, Water, Free Libraries, Museam and School
of Art, Electric supply, Tramways, Housing, Education,
Distress Committee.
Le travail est fait dans chaque département par des
fonctionnaires permanents et payés. C'est ainsi qu'il y aura
un département de Thygiène publique, ayant à sa tète « the
médical offîcer of health » et un chief clerk comme direc-
teur ; qu'il y aura un département des chemins, égouts et
travaux publics sous la direction d*un borough treasurer et
d*un chief clerk ; même organisation pour les marchés, les
tramways, l'eau, le gaz et l'électricité ; le département cen-
tral s'appellera le gênerai business department et la direction
en sera confiée au town clerk, personnage important qui
trône au sommet de la hiérarchie officielle (1).
Le travail de chacun de ces départements est soumis au
contrôle d'un comité de Conseillers par le chief clerk et le
directeur du travail technique. Le comité prend des déci-
sions que Von réunit en une série de résolutions. Ces réso-
(I) Voir B. Shaw, Common sensé of Municipal Trading, p. tOi.
58 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE 111
hiliomiliBriiieut le rapport du comité, et à la première assem-
blée générale an cmneil municipal, le président du Comité
se lève et dépose son rapport, c'est-à-dire qu'il présente
toutes les décisions de son comité que le conseil peut à son
gré adopter ou ne pas adopter. Le rejet d'une de ces réso-
lutions n'entraine pas la démission du président du comité
qui continuera son travail après l'incident tout comme au-
paravant.
Disons, en terminant, un mot des dépenses locales ; le
conseil municipal fait face au moyen du gênerai district
fund aux dépenses qu'il exécute en tant qu'autorité sani-
taire. C'est à ce fonds que sont versées toutes les recettes
qu'il touche en qualité d'autorité sanitaire, y compris les
subventions du Trésor, les amendes, les loyers, enfin et
surtout le produit du gênerai district rate. Le gênerai district
rate est un impôt assis sur toute propriété imposable au
poor rate, mais levé directement par le conseil sans Tinter-
vention des overseers of the poor.
Le conseil municipal couvre, au moyen du Borough fund,
les dépenses qu'il fait en temps que corporation municipale.
C'est à ce fonds que vont les recettes que le conseil tire des
propriétés.communales et de certaines autres sources, et
notamment du borough rate. Le borough rate frappe les
propriétés sises dans le bourg et a pour base les évaluations
du poor rate ; il est levé par les overseers of the poor et non
par le conseil. Le Borough fund sert à payer le traitement
des fonctionnaires municipaux, les dépenses qu'occasionne
rétablissement des listes éIectorales,le coût de construction
et d'entretien des bâtiments du Conseil, les dépenses de
police et certains autres frais que spécifie la loi de 1882,
Nous reviendrons d'ailleurs sur les impôts dans la troisième
partie de ce volume.
L ADMINISTRATION LOCALE 69
En somme, à considérer uqo municipalité anglaise avec
les yeux et les idées d'un Français, le trait saillant qui doit
se dégager de cet examen est Tabsence complète de tout re-
présentant de Tautorilé centrale auprès des corps locaux.
Sans doute Faction du gouvernement central se fait bien
sentir de temps à autre ; nous avons vu qu*une autorité
locale ne peut contracter d'emprunts, acquérir de terres
ou de bâtiments, racheter des waterworks ou des usines à
gaz sans Tautorisation du Local Government Board ou
du Parlement.
Mais malgré ces quelques restrictions, quelles profondes
différences ne séparent pas le régime anglais du régime
français !
» EnFrance, dit M. Ârminjon (1), le fardeau de l'admi-
nistration active repose exclusivement dans le département
sur le préfet, dans la commune sur le maire.
(« En fait, les décisions sont prises, la fortune publique
est administrée, les finances sont gérées, le budget annuel
est préparé par un fonctionnaire relevant étroitement de
TEtat et étranger par principe au centre dont il est chargé.
« De 1 autre côté de la Manche,..., l'administration est au
contraire collégiale ; les divers conseils prennent toutes les
décisions soit directement, soit par Tintermédiaire de com-
missions déléguées. Le maire des municipalités, le chair-
man des conseils de comté, district ou paroisse jouent
le rôle d'un simple président sans pouvoir exécutif. Là où
il y a des agents d'exécution, ce sont des employés subal-
ternes qui, dans le bourg, le comté et la paroisse dépendent
complètement de l'autorité élective. »
La dépendance et la tutelle étroite où notre gouverne-
(1) Voir Arminjon, />Wmtnw/ra/<OM locale en Aw^leterve, thèse, Paris,
.1895.
QO PREMIÀRB PART». — CHAPITRE III
meut ceatral maintient les corps locaux contraste violem-
ment avec rindépendance presque complète dont jouissent
en Angleterre le bourg, la paroisse et le comté.
« On ne voit pas, continue M. Arminjon» l'autorité cen-
trale intervenir pour approuver, suspendre ou annuler les
décisions des autorités locales. Celles-ci statuent en principe
souverainement dans les limites de leur mandat légal, dont
l'autorité judiciaire détermine l'élendue en cas de contesta-
tions. Si elles abusent de leurs pouvoirs, c*est un point à ré-
gler entre elles et leurs électeurs, mais la couronne n'est pas
autorisée à les dissoudre. »
Grâce à cette organisation si différente de la nôtre, à
cette organisation où TEtat n'est pas comme chez nous
l'unique dispensateur de tout, grâce à ces comités nom-
breux dirigeant des services locaux qui en France seraient
du ressort de l'administration supérieure, le terrain se
trouvait tout préparé pour le rôle que jouent en ce mo-
ment la plupart des grandes municipalités anglaises : ces
administrations locales fonctionnent avec tant de sou-
plesse qu'on a souvent pu les comparer à des maisons de
commerce; non sans raison d'ailleurs, si Ton remarque
que les électeurs anglais envoient en général ou, plus exac-
tement, avaient jusqu'à ces derniers temps l'habitude
d'envoyer siéger dans les conseils municipaux, non pas
des politiciens professionnels, comme c'est trop souvent
le cas en Fronce, mais des commerçants et des ingénieurs
qui s'occupent d'administrer les affaires de lu commune
comme ils administrent leurs propres affaires.
C'est grâce à cette grande liberté et à cette grande sou-
plesse, jointes au sens commercial très développé des
membres qui les composent, que les municipalités anglaises
ont pu se transformer dans les quinze ou vingt dernières
l'administration locale 6i
années en '< trading corporations )), c^est-à-dire en vastes
établissements commerciaux dont M. Chamberlain com-
parait un jour les citoyens à des actionnaires qui rece-
vraient leurs dividendes sous forme d'une augmentation
du bien-être, de la santé et des avantages de toutes sortes
que confère une vie sociale bien organisée.
Mais cette seule comparaison suffit à faire ressortir le
danger du système municipal actuel ; car, qui dit entreprise
commerciale dit risque, c'est-à-dire chance de gain, mais
aussi chance de perte.
Comme le remarquait M. Sydney Morse (1), l'histoire
de la législation du gouvernement local nous prouve que
les corps locaux ont été créés pour gouverner et non pour
faire le commerce, L'Àct de 1835 qui organisa les autorités
locales modernes ne leur conféra pas le moindre pouvoir
de faire le commerce. L'idée qu'elles peuvent commercer
aussi bien que gouverner est de naissance récente ; mais
elle a germé si rapidement, que, non contentes de com-
mercer, les municipalités commencent déjà à spéculer. Nous
verrons par la suite si l'épithète sévère de « gambling cor-
porations » ou corporations joueuses qu'on leur a parfois
appliquée, ne convient pas en vérité à quelques-unes des
grandes villes anglaises qui se sont récemment lancées dans
le socialisme municipal.
(1) Conférence faite devant la Battersea municipal alliance, 24 jan-
vier 1905.
CHAPITRE IV
MONOPOLES ET SBRVlCtS PUBLICS.
Parmi les causes qui ont indirectement contribué à faci-
liter en Angleterre le développement du socialisme muni-
cipal, il semble qu'il faille citer la tendance à Tunification et à
la fusion des entreprises, qui se manifeste aujourd'hui de fa-
çon générale dans la grande industrie. G*est une vérité éco-
nomique bien souvent constatée que la concentration mèoe
au monopole, le monopole aux abus, et que les abus font
naître le contrôle des autorités publiques. Du contrôle à la
municipalisation, il n y a qu'un pas. Pourquoi ne pas le
franchir ? disent les Socialistes. La communauté ne pour-
rait qu*y gagner.
La concentration dans Tindustrie manufacturière, les
transports, le commerce, etc., est un fait aujourd'hui trop
connu et trop bien établi pour qu'il soit utile d*y insister.
La statistique et la simple observation des faits sont là pour
le prouver ; et Ton est du moins d'accord sur ses causes si
l'on ne s'entend pas sur les résultats qu il doit donner. Il y
a longtemps que les socialistes ont noté ce mouvement de
concentration et qu'ils l'ont jugé de diverses manières. Sis-
mondi le considérait comme un mal des plus sérieux ; Saint-
Simon y voyait au contraire un bien sans mélange. Karl
Marx,après eux, a essayé de concilier leurs théories adverses;
comme Sismondi, il pensait que la concentration est un
._^
MONOPOLES ET SEIIVICËS PUBLICS 63
mal parce qu'elle tend à rendre le prolétariat de plus eu
plus misérable; comme Saint-Simon^il estimait qu'elle e.^t un
bien parce qu'elle évite les frais de la concurrence et qu'un
jour, la concentration capitaliste ayant atteint son point
maximum, les prolétaires, maîtres du pouvoir, pourraient
exproprier ce petit nombre de gens qui possèdent à eux
seuls toute la fortune de la nation. Ce serait à la fois juste
et logique, a le mode de production collectif de la grande
industrie capitaliste n'étant pas compatible avec le monopolo
privé du capital et devant aboutir fatalement à la propriété
commune de tous les moyens de production, y compris le
sol » (1).
Ce que les socialistes oublient de faire remarquer, c'est
que, s'il s'est formé de grandes entreprises, les richesses ne
se sont pas accumulées dans des mains de moins en moins
nombreuses. Depuis la naissance des sociétés par actions,
les parts se trouvent réparties entre un nombre de person-
nes de plus en plus considérable. Parallèle au mouvement
de concentration que subit l'industrie, se produit en sens
inverse un mouvement de diffusion du capital.
K La cause du mouvement universel de concentration
capitaliste est bien connue, nous dit M. Bourguin (p. 142],
c*est la supériorité des grandes entreprises dans la concur-
rence qui le provoque avec la force irrésistible d'une loi
naturelle. »
Cette supériorité tient à ce que, disposant de gros capitaux,
une grande entreprise pourra toujours se procurerles machi-
nés les meilleures et les plus perfectionnées ; qu'elle pourra,
par de gros traitements, s'assurer les servicesdesdirecteurset
ingénieurs les plus capables, par des salaires élevés la main-
(1) Bourguin, Les systèmes socialistes, p! 128.
64 PRRMIERE PARTIE. CHAPITRE IV
d'œuvredes ouvriers les plus habiles. Elle organisera dans
ses ateliers le travail de la manière la plus économique, spé-
cialisera les tâches, poussera aussi loin que possible Tuti-
lisation des machines, traitera les déchets par quantités suf-
fisantes pour en retirer un profit, u De toutes manières le
grand établissement réalise des économies : sur la main-
d'œùvre,moins coûteuse malgré les hauts salaires de certains
ouvriers ; sur les matières utilisées sans déperdition ; sur
le machinisme, d'autant moins onéreux par unité de force
qu'il est plus puissant ; sur les frais généraux, d'autant
moins élevés par unité de produit que l'entreprise est plus
considérable (1). »
u Dans la partie commerciale de sa tâche, le grand en-
trepreneur n'est pas moins favorisé. Qu'il s'agisse d'achats
de matières premières ou de transports, ou même d'obli-
gâtions fiscales, les conditions sont généralement meilleu-
res pour celui qui opère par grandes masses. Au point de
vue de la vente, les grandes maisons peuvent se charger des
plus vastes commandes et organiser elles-mêmes l'exporta-
tion ; elles ont le moyen de se passer d'intermédiaires
onéreux... »
Voilà, tant au point de vue industriel que commercial,
les principaux avantages de la concentration ; on les a ré-
sumés dans une loi> baptisée loi du rendement plus que
proportionnel (law^ of increasing return).
Elle repose sur ce fait que dans la plupart^des industries,
mais spécialement dans celles où l'emploi des machines joue
un rôle important, la dépense en capital n'augmente pas
aussi vite que la production, et que le coât de production
diminue par conséquent à mesure que le total des mar-*
(t) BouRGuiN, op. cit., p. 143.
MONOPOLB8 ET SERVICES PUBUG8 65
chandîses produit s*accroit.PIus le manufacturier fait d'affai-
res, plus son entreprise lui rapporte de bénéfices ou meilleur
marché il peut vendre sa marchandise. Telle est, brièvement
énoncée cette loi du rendement plus que proportionnel
qui aboutit à rendre à tout concurrent nouveau très dif-
ficile l'entrée d'un domaine industriel quel qu'il soit et tend
par conséquent à faciliter la naissance des monopoles.
Cette tendance au monopole est particulièrement forte
dans certaines industries, comme le gaz etTélectricité, dont
l'exploitation ne peut se faire qu'au moyen de conduites
souterraines et de fils métalliques. Le monopole se produit
alors d'autant plus vite que ces tuyaux et ces fils ne sont
utilisables comme moyens de transport que d'une seule
usine au consommateur et non pas, comme les routes et
chemins de fer, de plusieurs usines concurrentes au même
consommateur.
La dépense énorme que chaque entrepreneur se trouve
alors obligé de faire vient limiter, automatiquement pour
ainsi dire, la concurrence. Prenons le cas du gaz : une Com-
pagnie a-t-elle posé ses conduites dans une rueet fournitelle
le gaz à la majorité des habitants de cette me, il est évident
que tout concurrent qui viendrait après elle ne pourrait espé-
rer fournir qu'une minorité de consommateurs. Pour fournir
cette minorité, il lui faudra dépenser presque autant d'ar-
gent que la première Compagnie en avait dépensé pour
fournir la majorité. D'où infériorité manifeste et limitation
de la concurrence, La concurrence faisant défaut, le con-
sommateur ne peut à son gré changer de fournisseur et
l'entreprise se transforme en monopole. Les progrès de la
science et les perfectionnements de l'outillage mécanique
ne font qu'accroître la Force de cette tendance. >
Accorde-t*on à deux Compagnies à la fois, comme on l'a
Boverat 5
66 PEEBflÈRB PARTIE. — CHAPITRE lY
souvent fait dans les villes anglaises, le droit de fournir le gaz
dans un même quartier, l'esprit de concurrence les pousse
au début à mener les travaux d'établissement et de pose des
tuyaux le plus rapidement possible. Mais une fois ces tra-
vaux terminés, elles vont se contenter chacune de leur pro-
pre domaine, sans chercher à empiéter sur celui du voisin (1).
La concurrence qu'elles avaient commencé par se faire ces-
sera. Bientôt même les deux Compagnies verront qu'elles
ont avantage à s'entendre et à se partager par contrat le ter.
rain qu'on leur a concédé ; finalement à se fondre en une
seule grande Compagnie, dont les frais généraux seront par
suite de Tabsence de concurrence, moins élevés et les béné-
fices plus grands. Voilà une application de la loi du rende-
ment plus que proportionnel faisant s'unir des Compagnies
rivales et disparaître la concurrence..
Non seulement les Compagnies rivales auront intérêt à
s'unir pour devenir plus puissantes, mais le consommateur
trouvera bien souvent son avantagea utiliser les servîcofrde
ia Compagnie la plus importante,etparlà, il aidera lui aussi
à la création du monopole. Prenons le cas des téléphones*
Une Compagnie fonctionne-t-elle depuis longtemps et à la
satisfaction du public dans une localité quelconque, qui
donc songerait à s'abonner à la Compagnie concurrente qui
vient de se fonder ? La communication d'un réseau à lautre
serait probablement très difficile à obtenir, l'intérêt de la
Compagnie la plus ancienne n^étant naturellement pas de
faciliter le développement de sa rivale. Des services de ce
genre sont presque forcément des monopoles et Tintérèt
même du consommateur veut qu'il en soit ainsi.
(1) Voir Darwin, Municipal Trade, ebap. III.
MONOPOLES ET SERVICES PUBLICS 67
La formation de monopoles dans les services publics a
encore une autre cause sur laquelle ont tout particulièrement
insisté les auteurs et les publicistes anglais. C'est le droit
que possèdent les Compagnies concessionnaires et la néces-
sité où elles setrouvent d'ailleurs de faire des travaux dans les
rues et d'y arrêter ou tout au moins d'y gêner la circulation.
Deux Compagnies concurrentes fournissent-elles le gaz aux
habitants d*une même rue, il y a de fortes chances qu'elles
ne fassent pas leurs travaux de réparation ou de pose de
luyaux toutes deux au même moment ; la circulation sera
sans cesse interrompue sur la voie publique et les autorités
locales aussi bien que les habitants trouveront au bout de
peu de temps que les avantages de la concurrence sont plus
que contrebalancés par les inconvénients qui en résultent.
14 11 fut un moment, nous dit M. Darwin (1), où six Compa-
gnies avaient posé leurs conduites dans Oxford Street, cau-
sant ainsi les plus graves embarras; embarras qu'on n'écarta
qu'en divisant la surface de la métropole entre les Compa-
gnies rivales qui ne s'étaient pas amalgamées auparavant».
II en est de même pour les tramways : fatiguées de tous les
ennuis que leur cause l'application d'un tel système, les au-
torités locales ne souhaitent plus qu^me chose : la dispari-
tion delà concurrence.
C'est ainsi que nombre d*industries se transforment tout
naturellement un jour ou l'autre en monopoles et qu'il
arrive un moment où la concurrence n'exerce plus aucune
influence sur les tarifs et les prix que demande le mono-
poleur ; rintervention de l'Etat s'impose alors tant pour
réglementer le prix que la qualité des marchandises ven-
dues : elle s'exerce en fait dans presque tous les pays. On
(1 ) Darwin, Mtmicipal Trade, chap. III.
68 PHEMIÈHG PARTIE. -^ CHAPITRE lY
ne peut autoriser une Compa^aie à exploiter un réseau de
tramways à l'intérieur d'une ville sans lui imposer en re-
tour certaines conditions et certaines charges ; lui laisser
une absolue liberté d'action serait de la dernière impré-
voyance. On pourra non seulement lui faire payer une re-
devance pour Texercice de son monopole ; mais dans Tin-
térèt même des voyageurs, il conviendra de fixer soit les
tarifs immédiatement applicables, soit les limites dans
lesquelles ils pourront se mouvoir. Le voyageur veut des
tarifs bas ; il reut être sûr qu'ils resteront bas et qu'on ne
les élèvera pas dans la suite. Concéder un monopole sans
restriction aucune serait s'exposer à ce risque. Et l'incerti-
tude n'est pas seulement désagréable, elle est de tous points
préjudiciable au commerce et à l'industrie dont elle entrave
le développement.
Si l'intervention de l'Etat s'impose en cas de monopole,
il reste à savoir de quelle façon elle devra s'exercer. L'Etat,
ou plutôt la municipalité, est en droit de refuser à une Com-
pagnie qui le lui demande la permission de faire des travaux
dans une rue pour y poser ses rails et ses tuyaux ; il peut
cependant la lui accorder en l'obligeant à souscrire à cer-
taines conditions qu'il se réserve de fixer lui-même ; il
acquiert de cette façon un droit de contrôle sur le monopole
qu ilva autoriser et que le jeu des circonstances précédem-
ment rappelées tendait de lui-même à créer. Mais l'autorité
locale possède un second moyen d'exercer son contrôle sur
toute industrie qui se transforme en monopole; c'est d'ex-
ploiter elle-même cette industrie ; soit en construisant les
usines nécessaires à la fabrication du produit (gaz, électri-
cité), soit en les rachetant à leurs propriétaires actuels.
L'autorité locale se trouve donc avoir le choix entre la
municipalisation d'une part et le contrôle des entreprises
MONOPOLES ET SERVICES PUBLICS 69
particulières d^autre part Reste à décider laquelle de ces
deux méthodes est la plus avantageuse à la commuQauté.
La question de savoir si l'Etat est capable de bien diriger
une industrie a depuis longtemps retenu Inattention des
Economistes. Jevons a donné quatre criteria permettant de
décider s'il existe quelque chance qu'une industrie donnée
soit ou ne soit pas bien gérée par une administration d'Etat .
a) D'après le premier de ces criteria, l'administration
d*Etat aurait chance de réussir chaque fois qu^on ne peut
unir, relier et coordonner entre elles des opérations nom-
breuses et étendues que par un système unique et extensif
de gouvernement (Exemple: service postal ou télégra-
phique).
b) Là où les opérations à effectuer revêtent un caractère
de routine invariable.
c) Là où elles se font sous les yeux du public ou pour le
service d'individus qui découvriront et publieront immé-
diatement toute faute ou tout relâchement qui se produirait
daas le service.
d) Lorsqu'il s'agit d'un service dont l'exploitation n*exige
qu'un capital peu important, de telle façon que le compte
annuel des revenus et des dépenses donne avec une exacti-
tude suffisante la véritable situation commerciale de l'entre-
prise.
Remarquons que dans les trois derniers cas, le simple
contrôle se justifierait tout aussi bien que l'exploitation par
l'Etat ou la municipalité, et qu^ils ne nous apprennent au
fond pas grand'chose de nouveau.
A côté des criteria que nous donne Jevons pour savoir à
quelles conditions on peut municipaliser une industrie, nous
voudrions encore citer Topinion de deux hommes qui ont
pris en Angleterre une part ardente dans la lutte pour et
70 PUEMIÈRE PAHTIB. — CHAPITRE IV
contre le municipalisme, opinion que nous recueillons dans
le Municipal Trading Report de 1900.
M. Chisholm, Lord Provost de Glasgow, considère cooime
nécessaire la réunion des trois conditions suivantes ou tout
au moins de deux d*entre elles pour qu'une corporation
puisse être autorisée à se charger d*un service public:
1 ^ il faut que pratiquement ce soit plus ou moins une néces-
sité ; 2'' et 3* que ce soit un monopole, nécessitant Tusage
des rues (1). A son avis, c'est dans ce cas seulement qu'une
corporation possède tous les titres nécessaires pour être en
droit de gérer l'entreprise.
Mr Sydney Morse (2) estime qu'à moins qu^il ne s'agisse
d'une entreprise intéressant tous les contribuables sans
exception, il n'est pas juste de faire courir des risques à des
c itoyens qui n'en retireront peut-être pas le moindre avan-
tage en retour. Le vrai principe consisterait à dire: les mu-
nicipalités ne devront se charger que des services pour
lesquels on pourrait, en toute justice, demander à chaque ci-
to yen de fournir une part du capital nécessaire à leur ex •
ploitation. Selon lui, c'est de la notion de res universi/aiis
de la loi romaine qu'elles devraient s'inspirer dans le choix
des entreprises qu'elles désirent gérer.
Toute cette question revient donc à savoir ce que c'est
qu'un service public ; question qui a fait verser beaucoup
d'encre et à laquelle il est difficile de donner une réponse
exacte, permettant de distinguer sûrement un service public
d'un autre qui ne Test pas.
<f Quand un besoin a un caractère d'universalité et d'uni-
formité suffisant pour qu'on puisse l'appeler besoin public,
(1) Rapport de 1900, p. 220.
(2) Rapport de 1900, p. 61.
MONOPOLES ET SERVICES PUBUGS, 7I
disait Bastiat (1), il peut coQveair à tous les hommes qui
font partie d'une même agglomération (commune, province,
nation) de pourvoir à la satisfaction de ce besoin par une
action ou par une délégation collective. En ce cas ils nom-
ment des fonctionnaires chargés de rendre et de distribuer
dans la communauté le service dont il s'agit et ils pourvoient
a sa rémunération par une cotisation qui est, du moins en
principe, proportionnelle aux facultés de chaque associé. »
En France,le Conseil d'Etat,dans un avis du 15 mars 1900,
estime qu'il y a service public quand il est pratiquement
impossible de s*en remettre à linitiative privée. C'est donc
pour lui une question d'espèce. Il estime que pourront être
exploitées aisément en régie : les industries anciennes, con-
nues dans leur fonctionnement, d'un débita peu près cons-
tant» ne courant pas grand risque et ne nécessitant pas
de grandes qualités commerciales.
Pour les Anglais en général, toute la question est de
savoir si l'entreprise municipale fera ses frais ou ne les fera
pas ; si elle u paiera » ou non. C'est malheureusement une
question qui laisse les municipalités et les socialistes com-
plètement indifférents ; et c'est d'autant plus regrettable
que chez eux la notion du service public est très compré-
hensive ; elle s'applique à la fourniture de l'eau, de l'éclai-
rage, de la force motrice, aux transports de tous genres, aux
téléphones, etc, ; à l'alimentation même.
Les municipalistes ne manquent pas d'arguments en
faveur de leur thèse; ils se réduisent à quatre princi-
paux (2) :
1^ Les pouvoirs publics peuvent emprunter plus facile-
(1) Bastiat. Harmonies Économiques (Services privés. Services
publics).
(2) Voir Davibs, Cos( of Municipal Trading^ p. 9,
73 PREMIÀBB PARTIE. '^ CHAPITRE IV
ment et à meilleur compte que ne le ferait une Compagnie
particulière ; laisser de vastes entreprises aux mains de
particuliers revient donc à faire le saîcrifice d'un avantage
économique,
2'' S'il est possible de réaliser un proGt en fournissant à
la collectivité quelque marchandise d'utilité générale, pour*
quoi la collectivité ne réaliserait-elle pas elle-même ce
profit?
3** Les motifs qui font agir Tentrepreneur particulier
sont égoïstes et intéressés et forment avec ceux des Towa
Councils un contraste peu à leur avantage.
4"" Si enfin, comme nous le voyons dans ce chapitre, cer-
taines industries se transforment nécessairement en mono-
poles, ne vaut-il pas mieux cent fois que ce soit le gouver-
nement qui possède ces monopoles plutôt que de simples
particuliers ?
Tels sont les arguments sur lesquels s'appuient en théo-
rie les partisans du municipalisme. Mais Texcellence de ces
arguments n'est pas la seule raison du développement du
socialisme municipal. Il existe à son développement d'au-
tres causes, psychologiques, plus humaines, qui ont fait
autant et peut-être plus pour la diffusion du municipalisme
que les arguments que nous venons de rappeler.
On ne peut nier qu'actuellement, en Angleterre, le muni-
cipalisme, c'est-à-dire le monopole aux mains des autorités
locales, ne soit plus populaire que la réglementation par
TRtat de Tindustrie privée ; et Ton s'est réclamé de cette
popularité comme d'un argument en faveur du socialisme
municipal. Mais pour que l'argument fût valable, il faudrait
savoir si cette faveur dont jouit le municipalisme part d'un
sentiment raisonné ou d'une croyance irréfléchie ; si cette
croyance, si répandue qu'elle soit^ est une preuve que Ta-
MONOPOLES ET SERVICES PUBLICS 78
doptioa du socialisme municipal est réellement avantafjreuse
à la communauté, et si le public se trouve avoir aussi faci-
lement el aussi fréquemment sous les yeux les arguments
contre la municipalisation que les arguments en sa faveur.
On sait quelle satisfaction, disons même quelle sorte de
fierté, éprouvent les habitants d'une ville à la voir s'em-
bellir et s'améliorer. La ville a-t-elle municipalisé le service
du gaz ou celui des tramways ? Il leur est agréable de se dire
qu ils ont une part, si minime soit-elle, dans la propri été
etTexploitation de ces services ; et ce sentiment même les
porte à augmenter plutôt qu'à diminuer le nombre de ces
exploitations. Mais ce désir prouve-t-il que la municipalisa-
tion soit avantageuse? En aucune façon.
Le socialisme municipal n*est peut-être pas aussi popu-
laire en réalité qu'il semble Tétre au premier abord. La
raison en est simple. Partout où existent de vastes exploita-
tions municipales, elles deviennent un fréquent sujet de dis-
cussion dans les réunions politiques publiques. La gestiondes
conseillers est-elle Tobjet de quelque critique ? ils ne met-
tront pas longtemps à répondre et à se défendre énergique-
ment ; la presse oiTicieuse locale entamera immédiatement
leur éloge. Attaquer au contraire ces exploitations dans les
villes où elles appartiennent à des particuliers ne ferait le jeu
d'aucun parti, à moins toutefois qu'on ne poursuive leur
municipalisation. Ces attaques seront donc plus rares et
passionneront moins l'opinion publique.
Ajoutons à cela que l'entrepreneur privé, dont la situation
nest pas à la merci d'une élection, a beaucoup moins d'in-
térêt que le conseiller municipal k faire célébrer par la près se
les mérites de son exploitation. Avez-vous besoin d'un ren-
seignement sur quelque compagnie de gaz et le demandez-
vous à son secrétaire ?I1 peut fort bien refuser de vous le
74 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
donner. Allez-vous, au contraire, trouver le towa clerk de
quelque grande ville ? II vous fait aussitôt remettre sur les
municipal gas-works de longs rapports, imprimés sur beau
papier et toujours élogieux (1). D'un côté donc renseigne-
ments nombreux et très optimistes, de Tautre reaseigne-
ments incomplets : ce fait seul suffit à rendre la comparai-
son difficile et fait voir à lopinion publique Tentreprise
municipale sous un jour beaucoup trop flatteur.
Les renseignements fournis par les fonctionnaires muni-
cipaux sont loin d'être d*une absolue impartialité ; il faut
se rappeler que les rapports municipaux sont généralement
marqués au coin de Toptimisme ; que les conseillers sont,
pour des raisons politiques,en proie à la tentation impérieuse
d'insister sur les mérites de leur gestion et d'oublier ses
défauts. Le désir qu'on a de hausser le conseil dont on
est membre au niveau du conseil des villes voisines fait
prêcher la création de nouvelles entreprises. Les conseillers
les plus énergiques et les plus influents seront précisément
ceux qui applaudiront davantage à tous les projets nou-
veaux, sans se demander quels avantages ils procureront.
On croit souvent bien faire alors qu'on essaye seulement de
faire bien : et c'est ainsi que les conseillers municipaux
voient toujours d'un œil trop favorable les entreprises qu'ils
dirigent pour le public.
Le danger ne viendra pas seulement des conseillers
municipaux ; il viendra aussi des fonctionnaires municipaux
salariés (2). « Plus ils seront énergiques et capables, remar-
que le major Darwin, plus il est probable qu'ils regarderont
d'un œil favorable l'extension du domaine municipal. La
création de nouvelles entreprises municipales a souvent
(t) V. Darwin, Municipal Trade.
(2) Darwin, Municipal Trade^ p. 61.
»*f\
MONOPOLES ET SERVICES PUBLICS 70
pour corollaire obligé une augmeutation du salaire des
fonctionaaires permanents. Si Ton a besoin de rautorisation
du Parlement, il faudra payer des honoraires considérables
aux solicitors dont beaucoup sont en même temps town
clerks : il serait absurde de nier que consciemmentou incons-
ciemment, bien des hommes se laissent influencer en faveur
de tout projet susceptible d'augmenter leurs émoluments.
Dans la déposition qu'il fit devant le Joint Select Gom-
mittee de 1900, M. Swinton disait que, d'après ses obser-
vations personnelles, ce sont vraiment, et dans une mesure
importante, les fonctionnaires des municipalités qui sont
responsables de la tendance municipaliste. Il est de leur
intérêt de rendre les attributions municipales aussi consi-
dérables que possible. Plus vastes seront ces attributions
et plus grandes les ramifications des entreprises dirigées
par la municipalité, plus forts seront les salaires que les
fonctionnaires permanents pourront logiquement réclamer.
<« Je fais plus spécialement allusion ici, disait-il, aux
clerks des autorités municipales. Ils sont fréquemment
payés d'après les affaires qu'ils font. Ils ne reçoivent pas
un simple salaire ; ils sont dans certains cas solicitors,
possèdent une clientèle, et reçoivent un paiement supplé-
mentaire calculé d'après le nombre des affaires qu'ils ont
faites pourTautorité locale. Bien plus, je me suis laissé dire
que parmi les parliamentary agents, certains ont l'habitude
de partager leurs honoraires avec les clerks. Il n'y a rien
de malhonnête à cela, mais j'estime que le principe est
mauvais. (Le partage se monte souvent au tiers.)
D'un point de vue général, la question se pose comme
suit : pourquoi les municipalités montrent-elles aujour-
d'hui tant d'ardeur, non seulement à proposer elles-mêmes
des Bills pour des entreprises municipales de tout genre,
76 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
mais à s*opposer aux Bills des particuliers ? C'est parce
que certains de leurs fonctionnaires sont intéressés pécu-
niairement dans TafFaire. Un tiers des honoraires que tou-
chent sur un bill les agents parlementaires représente une
fiçrosse somme d'argent pour ces petits employés. Elle peut
s'élever à plusieurs centaines de £.
C'est ainsi que l'orgueil local des masses populaires,
Taniour-propre des conseillers municipaux, l'intérêt pé-
cuniaire chez les fonctionnaires poussent de diverses façons
au développement du municipalisme et tendent à faire
croire que sa diffusion est non seulement un grand avan-
tage pour la communauté, mais que c'est un avantage
reconnu de tout le monde. Nous examinerons plus tard en
détailles divers inconvénients du Municipal trade. Con-
tentons-nous de les énoncer ici brièvement. On peut re-
procher au Municipal trade : l*" d'accroître démesurément
la dette locale ; 2* d'être un obstacle au progrès industriel ;
3*" de prendre trop de temps aux conseillers municipaux,
ce qui les empêche de consacrer assez d'attention aux ques-
tions municipales les plus importantes ; 4® de mêler plus
qu'il n'est nécessaire le gouvernement ou les municipa -
lités aux épineuses questions du travail ouvrier ; 5* do
faire courir aux municipalités le risque, trop souvent réa-
lisé, d'une perte finale.
Aussi la question est-elle de savoir laquelle des deux
méthodes, municipalisation ou contrôle de l'entreprise
particulière, offre le plus d'avantages à la communauté .
Il ne suffit pas, pour établir la supériorité de l'entreprise
municipale, de prouver qu'elle a brillamment réussi ; il
faut montrer que les autorités locales ont non seulement
géré ces entreprises industrielles mieux que les particu-
MONOPOLES ET SERVICES PUBLICS 77
]iers qu*elles ont remplacés, mais aussi qu'on n'aurait pas
obtenu de meilleurs résultats d'une autre façon, c'est-à-
dire en laissant Tentreprise aux mains des particuliers et
en modifiant soit la législation antérieure, soit le cahier
des charges.
L'opinion publique se laisse en outre beaucoup trop in-
fluencer par des résultats et des arguments tout extérieurs.
La fierté que ressentent des citoyens indépendants à l'idée
qu*ils possèdent collectivement de vastes entreprises est cer-
tainement accompagnée dans la plupart des cas, de cette
autre idée que cette propriété municipale leur est avanta-
geuse, qu'elle augmente les revenus publics et permettra
de diminuer les impôts. Or, c'est chose excessivement diffi-
cile, dit M. Darwin, que d'estimer le résultat moyen de la
rounicipalisation sur les impôts municipaux, parce que
bien souvent des faits qui paraissent évidents sont à eux
seuls trompeurs. L'homme ordinaire à qui on dit que les
municipalités abaissent les tarifs lorsqu'elles rachètent des
lignes de tramways antérieurement exploitées par des par-
ticuliers, se sent vivement frappé de cette affirmation ; il
écoute à peine un raisonnement tendant à lui prouver qu'en
prenant les précautions nécessaires, on aurait pu réduire
les tarifs tout autant ou même davantage, en laissant l'ex-
ploitation des tramways aux Compagnies. Il prêterait bien
moins d'attention encore aux arguments qu'on fait valoir
contre le municipalisme, tels qu'augmentation des chances
de corruption, augmentation de la somme de travail qui
retombe sur les municipalités, avantages de la libre con-
currence. (( Le bien produit par l'intervention de l'Etat, dit
Hadley (l},est souvent un fait visible et tangible; le mal qu'il
(f ) Hadlbt, Economies, p. 18.
78 PKSMIEBB PAKHE. CHAPITmE IT
fait est beaucoup plos indirect et oe peat s^apprécier qu'à
la suite d'une étude attentive. » Observation très judicieuse
et qui ne peut que nous confirmer dans notre opinion que
la popularité est un témoignage bien trompeur du succès
des institutions publiques.
Il ressoK des pages précédentes qu'un ensemble de cir-
constances a fait prendre à certaines industries le caractère
de monopoles ; qu*avec les progrès de la science cette ten-
dance se fortifie et que l'importance de la question aug-
mente avec l'accroissement de la population urbaine ; nous
savons enfin que les municipalités doivent choisir entre le
contrôle des monopoles particuliers et la munîcipalisation
de ces monopoles. Les municipalités anglaises paraissent
avoir souvent oublié, dans Tenthousiasme qu'elles manifes-
tent pour le Municipal Trade, qu'elles ont le choix entre les
deux solutions, et la longue série d'exploitations municipales
dont nous allons aborder Tétude en est la meilleure preuve.
CHAPITRE V
LA MUN1G1PALISAT10N DU SBUVIGB DBS BAUX.
L'eau étant par excellence un objet de première nécessité,
nous ne nous étonnerons pas de constater que la construc-
tion d*aqueducs, destinés à la fournir en abondance aux ha-
bitants des grandes villes, ne soit pas chose propre à notre
époque. Les peuples de lantiquité nous avaient montré
Texemple et, peut-être même étaient-ils arrivés du premier
coup à la perfection. La Rome actuelle, qui n'emploie que
pour partie les conduites d'eau de Tépoque impériale, est
est une des villes modernes qui disposent de la plus grande
quantité d'eau : elle en a pourtant sept fois moins aujour-
d'hui qu'au temps des Antonins.
Le sens de la propreté disparut en revanche au moyen-
âge ; les récits des chroniqueurs de cette époque suffisent
à peine à nous donner une idée de la saleté repoussante au
milieu de laquelle vivaient alors les populations, aussi bien
dans les villes que dans les campagnes, mais la fréquence
des épidémies et les ravages horribles qu'elles causaient
nous le prouvent surabondamment. C*est au début du xix^'
siècle seulement, que, donnant à Thygiène plus d'importance
qu'on ne lui en avait accordé jusqu'alors, on se préoccupe
de l'organisation du service des eaux. L'Angleterre s'y prit
d'assez bonne heure ; le rapide accroissement de sa popula-
tion urbaine mettait forcément chez elle le problème de l'eau
au premier plan. Il fallait le résoudre,et sa solution deman-
8o PREMIERE PARTIE. CHAPITRE Y
dait,tant au point de vue technique qu'au point de vueadmt
nistratif.une très grande adresse. On peut dire que la mu-
nicipalisation du service de Teau, jusqu'alors distribuée
par des Compagnies privées, marque [^ouverture d'une pé-
riode administrative nouvelle etTavènement du socialisme
municipal.
Même parmi les adversaires du municipalisme,ilse trouve
en Angleterre nombre de personnes disposées à admettre
que le service des eaux, du faitquH intéresse tous les mem-
bres d'une cité sans exception et qu1l a une importance sa-
nitaire toute particulière, peut être considéré comme rentrant
dans les attributions normales des municipalités. Quant à
ses partisans, ils ne manquent naturellement pas de faire
remarquer que Tunique préoccupation d'une société anony-
me sera de faire des profits et qu'il ne devrait pas être ques-
tion de profits lorsqu'il s'agit de la santé de milliers d*étres
humains. Ils se plaisent à rappeler l'exemple de quelques-
villes anglaises où les Compagnies n'ont pas su assurer à
une population toujours croissante la quantité d*eau dont
elle avait besoin. Ils citent avec orgueil les immenses
travaux qu'ont exécutés Liverpool, Manchester, Birmin-
gham et Glasgow et prétendent, ce qui n'est pas démontré,
que ces entreprises gigantesques étaient bien au-dessus
des forces de Compagnies privées. L'absence de dividendes
ou des déficits répétés ont vite fait, disent-ils, de tuer une
Compagnie. Une municipalité comble au contraire ses dé-
ficits à l'aide de l'impôt, elle emprunte à un laux très bas,
à moins de 3 0/0, ce que ne peuvent faire des particuliers.
L'exécution des travaux d'adduction demande une longue
suite d'années ; la ville qui n'a pas de dividende à payer
couvre facilement les intérêts du capital engagé au moyen
d'une contribution spéciale.
LA MUNIGIPALISATION DU SERVICE DES EAUX 8l
Dès une époque assez reculée, quelques municipalités
anglaises se mirent à distribuer elles-mêmes Teau à leurs
habitants. Southampton assure ce service depuis 1420^
Hull depuis 1447, etBath depuis 1500 ; mais ces faits n*ont
pour nous qu*un intérêt historique, car le nombre des
ouvrages possédés par des municipalités avant le milieu
du XIX® siècle était insigniBant. Depuis une cinquantaine
d*années, au contraire, elles ont, avec Tautorisation du
Parlement, exproprié la plupart des anciennes Compagnies.
Ce sont les grandes villes qui se sont mises, en Angle-
terre, à la tête du mouvement municipaliste ; Sheffield
donne l'exemple en 1830, Manchester l'imite en 184 7.
Glasgow et Birmingham font de même en 1855 et 1876. Les
huit grandes Compagnies qui fournissaient Teau à Londres
viennent elles-mêmes d'être rachetées, et c'est à un Joint
Board (the Metropolitan Water Board) que revient la charge
de ce service.
Peu nombreuses sont aujourd'hui les grandes villes où
la municipalité ne se charge pas du service des eaux. Il est
aux mains d'environ les 2/3 des conseils des County Bo-
roughs d'Angleterre et du Pays de Galles, de presque tous
les non county boroughs et d'environ la moitié des districts
urbains. Dans les douze villes dont les noms suivent, c'est
la municipalité qui a dès l'origine construit les ouvrages
nécessaires à l'adduction de l'eau. Ces villes sont : Bath,
Coventry, Halifax, Hastings, Huddersfield, Hull, Oxford,
Plymouth, Southampton, Swansea, WorcesteretCroydon.
Les autorités locales possèdent dans le Royaume-Uni tout
entier environ 1.050 entreprises d'eau. On ne compte en
Ecosse que 14 Compagnies, en Irlande pas une.
La municipalisation du service des eaux s'est faite sans
méthode lixe. Quand une municipalité décidait que, suivant
Boverat 6
82 PREMIERE PARTIE. CHAPITRR V
la phraséologie du préambule des Acts, il était « expédient »,
c'est-à-dire qu'il convenait, dans Tintérèt public, d'obtenir
le contrôle de la distribution, c'était affaire de négociations
avec les Compagnies ; et l'accord se faisait soit à l'amiable,
soit par arbitrage.
Bien que les lois n'aient prévu aucune facilité spéciale
pour le transfert aux corps publics des entreprises d'eau
appartenant aux particuliers, la politique immuable du
Parlement anglais depuis plusieurs années a été de ne
jamais refuser son autorisation à une autorité locale qui
cherchait à obtenir le contrôle de ce service. Il rentre
d'ailleurs dans les devoirs des municipalités de veiller à
ce que leurs villes soient bien fournies d'eau. Là où il
n'existe pas de Compagnie munie de pouvoirs légaux, le
District Council peut se charger de ce service ; là où il en
existe une, le Council peut la racheter ou prendre à bail ses
ouvrages et se faire payer par les habitants l'eau qu'il
leur fournit, soit au moyen d'un compteur, soit au moyen
d'un impôt.
Les autorités locales n'ayant pas eu pour but de faire des
profits sur la fourniture de Teau, ce sont les impôts géné-
raux qui, dans beaucoup de villes, subviennent au coût de
l'entreprise ; dans d'autres, on recouvre la dépense sur le
consommateur au moyen d'un water-rate ; c'est bien un
« rate », puisque l'occupant d'une maison paye générale-
ment suivant la valeur locative de sa maison et non d'après
la quantité d'eau qu'il consomme.
Toutes ces circonstances font que le service des eaux ne
peut être tout à fait assimilé à un service ordinaire. Il est,
pour beaucoup de municipalités anglaises qui regardent
évidemment comme illégitime tout profit fait sur un ob-
jet de première nécessité, l'occasion de pertes sérieuses.
LA MUNIGIPALISATION DU SERVICE DES EAUX 83
 d*autres, il procure des bénéfices que le Municipal Year
Book de 1906 estime être assez appréciables.
Au 31 mars 1902, 193 municipalités anglaises et galloi-
ses possédaient leurs waterworks ; le capital total de ces
entreprises se montait ࣠56.943. 01 6, et Ton estimait pour
les quatre années 1898-1902 ࣠2.032.756 leur profit brut
moyen, à £ 90.128 leur profit net(l).
Le tableau ci-dessous donne par régions le nombre et le
capital des entreprises publiques et privées ainsi que les re-
cettes et les dépenses des autorités locales.
Eau (2).
Capital des entreprises
appartenant
aux miinicipaliles aux Compagnies
Angleterre
et Pays
de Galles
Nombre
d'entrepr.
publiques
788
Nombre
d'entrepr.
privées
237
Ecosse. .
188
14
Irlande. .
69
0
Total. .
1.045
231
£ 56.255.336 £ 40.316.400
8.749.613 339.300
2.993.506 »
£ 67.998.457 £ 40.633.700
Hevenus et dépenses des autorités locales en 1900-1901.
Excédent des recelles
Recettes Dépenses sur les dépenses
Angleterre et Pays £ £ £
de Galles. . . 3.927.181 1.875.030 2.052.131
Ecosse .... 720.028 257.059 462.969
Irlande . . . _^ 213.359 330.575 'H 5.216
Total. . '. 4.862.568 2.462.684 2.399.884
* DéQcit.
(1) Voir le Rapport de Sir Henrt FowBER,5ur les Reprodveiiee Un-
dertaking».
(2) Voir le Municipal Year Book de 1 906 .
84 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE V
Le service des eaux esl actuellement de beaucoup le plus
importantde8servicesmunicipalises.il a été de 1894 à 18U9
Toccasiond'empruntssemontantà £15.000.000(1). Ces chif-
fres énormes s'expliquent par les difficultés qu'ont souvent
rencontrées les villes à fournir à leurs habitants une eau
bonne et abondante. Mais ce qui leur a coûté très cher aussi ,
c'est qu'elles ont voulu la fournir à bon marché : se refu-
sant, disaient-elles, à faire des bénéfices sur la vente de
Teau et à les employer au paiement d'autres dépenses ou à
lu réduction des impôts.
Aujourd'hui les grandes villes ne fournissent pas Teau à
leurs seuls habitants, mais très souvent aussi aux habitants
des faubourgs et des villes avoisinantes. Lorsqu'on 1879,
Manchester obtint par private act Tautorisation de trans-
former le lacThirlmere en un réservoir d*eauje Parlement
profita de cette loi pour introduire un nouveau principe.
Il décida que dans un certain rayon autour de Taqueduc
les populations auraient le droit d'exiger que la ville de
Manchester leur fournit l eau dont elles avaient besoin.
Il voulait par cette mesure empêcher l'établissement, au
profit des villes, do monopoles fort gênants pour les habi-
tants voisins des sources captées ; mais il ouvrait du même
coup un vaste domaine à l'activité des corporations. Ac-
tuellement cette activité ne s'étend plus seulement sur un
district bien délimité ; elle embrasse, au delà de cette limite»
des territoires immenses. C'est ainsi que Manchester four-
nit l'eau à un district de 85 miles carrés où vit une po-
pulation de plus de 1 million d'habitants, alors que la ville
n'en compte elle-même que 543.000.
Le Parlement a voulu assurer mieux encore la protectioQ
(1) Voir Municipal Trading Heparl, 1910, question 938.
LA MUNIGIPAU8ATION DU SERVICE DES EAUX 85
des districts extra-urbains qui reçoiventleureau des corpo-
rations urbaines. Il a pris soin de faire insérer dans les pri-
vate acts que les municipalités ne pourraient faire payer
leur eau plus cher au dehors de leurs limites qu'àTintérieur
de celles-ci. Ce qui n'est peut-être pas absolument juste, les
habitants de la ville se trouvant seuls alors à supporter les
risques et les frais de Tentreprise dont la population sub-
urbaine profite autant qu'eux (1).
Nous allons, dans les pages qui suivent, essayer de retra-
cer rapidement Thistoire de la municipalisation du service de
Teau dans quelques-unes des grandes villes anglaises et les
circonstances qui Font accompagnée. iNotre attention se
portera successivement sur Glasgow, Liverpool, Manches-
ter et Birmingham, qui, toutes quatre, ont exécuté d'im-
menses travaux d'adduction, leur permettant de distribuer
une eau aussi bonne et aussi abondante que possible.
L'eau à Glasgow.
En 1806, la Glasgow Water Company reçut l'autorisa-
tion de fournir à la ville de l'eau qu'elle prenait dans la
Clyde (Il faut espérer que la rivière était plus propre en ce
temps là qu'elle ne Test aujourd'hui !). Deux ans plus tard,
s'établissait une seconde Compagnie, la Cranstonhill Water
(1) f< A Liverpoul, dit M.Hooo {Stœdteverwaltung und Afunizipal So-
zialismus in England^^. 153),ceUe protection aboutit à une injustice.
La corporation de Liverpool n'a pas le droit d^établir un water rate
sur Teau qu'elle fournit aux districts extra- urbain s, elle ne peut exiger
d'eux qu'un paiement de 3 d. plus élevé ; comme on paye Teau 7 1/2 d.
à rintérieur de la ville, son prix se trouve être de 10 1/2 d. au dehors,
c'est-à-dire de 3 d. meilleur marché que dans la cité, dont les habi-
tants ont à payer en outre un water rate de 6 d. La loi oblige ainsi
la corporation à fournir à environ 300.000 habitants des districts voi-
sins Teau à un plus bas prix qu'à ses propres citoyens. )>
86 PEBMlàRB PARTIE. — CHAPITRE V
Company, qui puisait son eau à la même source que la pré-
cédente.
L'une distribuait Teau à la partie est de la ville, l'autre
à la partie ouest, et le liquide qu'elles donnaient toutes deux
était, parait-ilySi mauvais que Glasgow devint la cité la plus
malsaine du Royaume-Uni. Les deux Compagnies se tirent
trente années la guerre, se disputant les quartiers riches,
laissant sans eau les quartiers pauvres. Au bout de ce temps
elles décidèrent de se fondre en une seule, et, malgré la
vive opposition du Town Council, le Parlement sanctionna
en 1838 la fusion des deux Sociétés.
Cette fusion n*améliora guère le service. Glasgow ayant
pourtant chaque jour besoin d'une plus grande quantité
d'eau et la Compagnie ne réussissant pas à amener celle du
Loch Lubnaig, il fallait à tout prix trouver une solution.
Dès]1 845, on avait formé le projet d'amener à Glasgo^^
Teau du Loch Katrine. En 1854, Fidée fut reprise : le Con-
seil municipal ordonna une enquête, dont le résultat, favo-
rable au projet, amena devant le Parlement la déposition
d'un bill qui demandait Tautorisation nécessaire à lexécu-
tion immédiate des travaux. Mais le bill rencontra une
violente opposition et fut rejeté.
L'année suivante, en 1855, il était à nouveau repris.
Voté par les deux Chambres, il devint loi le 2 juillet 1835.
La lutte qu'il avait fallu soutenir devant le Parlement avait
coûté à la cité £ 26.000 ; mais la corporation recevait du
Parlement le droit d'en emprunter 700.000.
On racheta les deux Compagnies et le conseil municipal
nomma des Water-Commissionners avec pouvoir de délé-
guer leur autorité executive à un Water-Committee. L'in-
demnité accordée aux deux Compagnies prit la forme d'an-
nuités perpétuelles qui s'élevèrent à £ 27.000.
LA MUMCIPALISATION DU SERVICE DES EAUX 87
Les travaux furent éaormes ; il fallut creuser dans le roc
70 tunnels, mesurant 13 miles de longueur ; 27 aqueducs
amenèrent Teau par dessus les rivières et les gorges jus-
qu'au réservoir de Milngavie, situé à 8 miles de Glasgow
et d'où on la distribue directement aux divers quartiers de
la ville. Le coût total de l'entreprise s'éleva à £ 920.000 t
en mars 1860 le service public était inauguré.
Mais Glasgow s'accroissait si rapidement qu'on dut, au
bout de 10 années, songera prendre de nouvelles mesures
pour fournir à la population les quantités d'eau toujours
plus fortes dont elle avait besoin.
En 1885, le Parlement autorisait la dérivation des eaux
du Loch Arklet, dont le niveau est sensiblement supérieur
à celui du Loch Katrine. Si nous ajoutons à ces deux lacs
les réservoirs du côté sud, nous voyons que Glasgow pos-
sède aujourd'hui des réservoirs d'une capacité de 13 mille
millions de gallons. La corporation a écarté tout danger de
contamination en achetant au prix de £ 18.000 aux proprié-
taires riverains le droit de louer leurs terres ; la région
voisine des lacs se trouve ainsi condamnée à un perpétuel
isolement. L'eau est si pure qu*on n'a même pas besoin de
la filtrer.
L'ensemble de ces travaux a coûté très cher ; au 31 mai
1905, le total des sommes dépensées en travaux d'adduction,
indemnités, etc., s'élevait à £ 4.039 985. On n'en a pas
moins fait subir de constantes réductions au prix de Teau
depuis 50 ans. Lorsque Teau du Loch Katrine fut pour la
première fois amenée à Glasgow, on la payait, pour les
usages domestiques (domestic supply) 1 s. 2 d. par £ de
loyer ; aujourd'hui le taux en a été abaissé à 5 d. par £ ;
c'est-à-dire qu*il est inférieur de plus de moitié à celui
qu'avaient fixé les anciennes Compagnies.
88 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE Y
Les institutions charitables, les bains publics et les lavoirs
n'ont^pas à payer Teau dont ils se servent. L'ensemble des
réductions dont ont profité les consommateurs s'élevait en
1890 à plus de 1.200.000 £, de sorte que, remarquent les
municipalistes, si l'on avait laissé les tarifs à leur taux pri-
mitif, la dépense qu'ont occasionnée les travaux du Loch
Katrine serait aujourd'hui amortie.
Durant la première année de la gestion municipale, le re-
venu du service des eaux s'est élevé à £ 62.335.£n 1876-
1 877, après une réduction de tarifs considérable, à £ 136.203.
En 1904-1905 à £ 249.254.
Si nous prenons la peine de nous reporter aux comptes
de Tannée 1904-1905, nous voyons que les recettes ont at-
teint le chiffre de £ 249.254 15 s. 4 d.
et qu'en y ajoutant la balance cré-
ditrice de Tannée précédente, soit £ 16.333 0 0
on arrive à un total de £ 265.587 15 s. 4 d.
Les dépenses (service des annuités et de Tintérèt com-
pris) se sont montées à £ i90.763.15 s. 9d. LadilTérence
entre les recettes et les dépenses a donc été de £ 74.283
19 s. 7 d. L'amortissement de la dette ayant exigé £ 62.271
lis. 5 d., la balance créditrice se trouve réduite à £ 12.552
8 s. 2 d. Cette somme, dit le rapport du Comité, doit ser-
vir à payer les dépenses qu'ont entraînées les réparations
d u vieil aqueduc du Loch Katrine et celles du Gorbals main.
La corporation a, par divers acts du Parlement, reçu
Tautorisalion d'emprunter, pour les besoins du service des
eaux, une somme totale de £ 4.000.000. Les emprunts
qu'elle a contractés s'élèveut aujourd'hui à £ 3.561.305
17 s. 4 d. ; son fonds d'amortissement à € 1.320.407
10 s. 7 d.
La quantité d'eau fournie durant Tannée 1904-1905 à
•
LA MUNIGIPALI8ATION DU SERVICE DES EAUX 8g
la ville de Glasgow et aux districts avoisinanls a été de
63.622.793 gallons par jour en moyenne, en augmentation
de 1.712.659 gallons sur Tannée précédente. Les ouvrages
du Loch Katrine en fournissaient 59.044.443, ceux de
Gorbals 4.578. 350.
L*eaa à LiverpooL
Le service des eaux de Liverpool a passé par les mêmes
p hases que celui de Glasgow. A la fin du xvrii* siècle et
au commencement du xix®, Liverpool n'avait d'autre eau
que Teau des puits que l'on transportait à travers la ville,
dans des voitures spéciales, au nombre de 60 environ.
La population augmentant rapidement, la nécessité d'un
service un peu moins primitif commença à se faire sentir.
En 1799 un private Act créait « ihe Company of pro-
prietors of the Liverpool Water-Works » ; en 1822 un
second private act autorisait la formation de la « Liverpool
and Harrington C^ » et lui conférait le droit de construire
les ouvrages dont elle aurait besoin pour fournir Teau au
port et à la ville.
C'est ainsi que naquirent deux Compagnies rivales qui,
dès leur naissance, entrèrent en lutte à la recherche de la
clientèle. On les vit durant les premières années de leur
existence poser les conduites les unes à côté des autres
et chercher, par tous les moyens qu'emploient des com-
merçants rivaux, à s'attirer le plus grand nombre possible
de clients. Elles découvrirent bientôt que cette concur-
rence leur était ruineuse à Tune comme à l'autre ; elles
s'entendirent pour diviser en deux la surface qu'elles four-
nissaient d'eau, de telle façon que, dans des limites définies,
chaque Compagnie eût un monopole et fût libre de faire
go PREMIERE PARTIE. CHAPITRE V
payer les prix que les acts du Parlement rautorisaieQt à
imposer.
Si nous en croyons un rapport de la Commission d'hy-
<;iène de 1844 Teau fournie par les Compagnies était ab-
solument pure et sa qualité ne donnait pas le moindre
sujet de plainte ; mais étant donnée la densité de la popu-
lation, les quantités dont on disposait étaient notoiremeat
insuffisantes ; Teau ne coulait pas assez longtemps chaque
jour et les habitants en arrivaient à vivre dans des habitu-
des de saleté perpétuelle. Beaucoup de pauvres, dit le rap
port, mendiaient de Teau, d'autres la volaient. Si Ton avait
voulu tous les poursuivre, un juge y aurait passé son temps.
Dernier reproche : le prix de Teau était beaucoup trop
élevé.
La situation devenait menaçante pour la santé publique.
La corporation s'en émut et, en 1847, demanda et obtint du
Parlement un act autorisant Texécution des Rivin^ton
Works et le rachat des Compagnies. Aussitôt après le vote
de la loi, leurs usines passèrent à la corporation moyennant
un prix fixé par un arbitre.
La construction des réservoirs de Rivington commença
en 1852 et leur eau fut pour la première fois distribuée à
Liverpool en août 1857. Entre temps on avait creusé une
grande quantité de puits nouveaux.
L'A.ct de 1847 exigeait que la corporation fournît un
service d'eau constant, chose qui ne devint pourtant pos-
sible qu'après l'ouverture des ouvrages de Rivington. On
espérait qu'une fois ces travaux terminés on n'aurait plus
besoin de se servir de Teau des puits et qu'on économiserait
ainsi les frais de pompage et de refoulement. Il n'en fut rien.
L'eau de Rivington était de couleur brune et désagréable et
la population de Liverpool, habituée à une eau limpide,
LA MUNIC1PALI8ATION DU SERVICE DES EAUX QI
manifesta son mécontentement ; après de nombreuses dis-
cussions, il fut décidé qu'on continuerait à utiliser les puits
et qu'on mélangerait leur eau à celle des réservoirs de
Rivington, qu'on réussit d'ailleurs à clarifier peu après.
Aujourd'hui encore, on se sert d'un certain nombre des
anciens puits.
La population croissait toujours et le service des eauK ne
suffisait plus à ses besoins. En 1876, le Council essaya bien
de forera Bootle un grand puits artésien. Mais ce puits ne
donna pas les résultats qu'on en attendait, ni comme quan-
tité d'eau, ni comme qualité. 11 fallait dans un bref délai
trouver un autre moyen d'approvisionner la ville.
Un coup d'oeil sur la carte d'Angleterre montre que, par
suite de sa position géographique et du développement des
ndustries manufacturières en Lancashire, Liverpool ren-
contre de grandes difficultés à se procurer un service d'eau
abondante et pure. Au nord, s'étend un pays plat bordé par
la mer ; au sud coule la Mersey ; au delà de la Mersey
s'allonge la péninsule de Wirral, sur laquelle vit une
population relativement nombreuse ; on rencontre à l'ouest
le large estuaire de la rivière, et à l'est, dans le Lancashire
et le Gheshire,tout cours d'eau de quelque importance sert de
déversoir aux usines et aux égouts. C'est à des distances
considérables qu'il faut aller pour trouver une rivière capa-
ble de donner un volume d'eau pure à peu près suffisant.
Depuis plus d'un demi-siècle les districts montagneux
du nord du Pays de Galles, qu'on aperçoit de Liverpool,
avaient attiré l'attention des ingénieurs en raison des
pluies abondantes et fréquentes qui y tombent et du peu de
densité de leur population. En 1876, la corporation fit faire
une enquête pour savoir si l'on ne pourrait pas amener à
Liverpool l'eau de la rivière Virnwy. L'enquête aboutit à
93 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE Y
un rapport très favorable que le conseil municipal adopta
en juillet 1879. Le 6 août 1880, le vote d*une loi autorisait
le projet dont on commençait aussitôt Texécution.
Il ne s'agissait de rien moins que de transformer la vallée
de Yirnwy, dans le Montgomeryshire, en un lac artificiel.
Au fond de cette vallée s^élevait un village avec son église,
une école, des maisons, quelques fermes. On les racheta;
puis on construisit une digue énorme qui fît de la vallée ua
immense réservoir de 5 miles de long, d'une superlicie de
1.121 acres et d'une capacité de 12. 131.000.000 de gallons
(soit 54.600.000.000 de litres environ). L'exécution de ce
travail énorme coûta £ 2.132.867.
Le 28 novembre 1888 on commençait à renfermer Teau
dans le lac Yirnwy ; le 25 novembre 1889,reau coulait par
dessus la digue ; le lac avait mis juste un an à se remplir.
L'eau du lac Yirnwy arriva pour la première fois à Li ver-
pool en juillet 1891. En 1898 on s'aperçut qu'on aurait bien-
tôt besoin de quantités encore plus considérables, et Ton
décida de construire un second aqueduc parallèle au
premier et amenant Teau de Yirnwy à Prescot, localité
voisine de Liverpool. On est en train d'achever cette seconde
canalisation.
De même que Glasgow, Liverpool fournitTeau aux po-
pulations avoisinantes. La cité s'étend sur 23.29 miles
carrés, et la superficie totale où elle doit, en vertu des lois,
fournir de l'eau, est de 115 miles. En dehors des limites
obligatoires, elle en fournil encore 100 miles carrés, ce qui
porte à 215 miles carrés, renfermant plus de un million
d'habitanls,la superficie que la corporation de Liverpool ap-
provisionne d'eau.
Le total des quantités distribuées durant Tannée 1904
était de 10. 088. 312. 000 gallons, la quantité consommée
chaque jour par tète d'habitant de 30 gallons 795.
LA MUNIGIPALISATION DU SERVICE DES EAUX qS
ËQ 1846 on ne disposait que de 8 gallons 24 par tète.
Voici, pour Tannée 1902, et suivant leur provenance, les
quantités d'eau distribuées à Liverpool.
Les puits ont donné. . . . 1.352.834.000 gallons
Les réservoirs de Rivington. . 3.863.491 .000 —
Le lacdeVirnwy 5.228.162.000 —
L'eau de mer 115.326.000 —
Total 10.559.813.000 —
L'exécution de ces grands travaux a coûté à la ville de
Liverpool des sommes énormes. Depuis 1848, date de la
municipalisation du service de Teau, la dépense en capital
s'est élevée à £ 6.031.851 ; 2 millions de £ plus qu'à Glas-
gow. Il est vrai que les difficultés à surmonter étaient beau-
coup plus grandes, que Glasgow disposait autour d'elle de
lacs naturels nombreux et magnifiques et que TEcosse étant
un pays pluvieux par excellence,des sécheresses prolongées,
comme il s'en est produit à plusieurs reprises à Liverpool,
y sont un fait complètement inconnu.
Sur les £ 6 031 .851 qu'elle a dépensées pour la construc-
tion de ses waterworks, la ville de Liverpool doit encore
aujourd'hui £ 5.175.341, ayant remboursé ou versé au
compte du Sinking Fund une somme de £ 797. 149. Durant
l'année 1904, le revenu du service des eaux s'est élevé à
£ 315. 183, la dépense à £106.585. Mais comme le service
de la dette exige £ 180.104, qu'il a fallu verser au Sinking
Fund £ 41.500, le total des dépenses se trouve être de
£ 328.189 0 s. 6 d., supérieur par conséquent aux recettes
qui s'élèvent à £ 315.183 1 s. 9 d. seulement.
En général cependant les recettes balancent à peu près
9^ PUEMIÈRB PARTIE. CHAPITRE V
les dépenses, et d'après les comptes du Trésorier, si les pre-
mières se sont élevées de 1848 à 1904 à £ 10.095.641 15 s.
9 d., les secondes n'auraient été, durant la même période,
que de £ 10.085.597 2 s. 3 d. ; mais le service de la dette
est allé en augmentant constamment, et il est passé de
£ 149.423 18 s. 3 d. en 1894 à £ 1 80.103 19 s. 2 d. en 1904.
Dans les comptes de la corporation, les waterworks figu-
rent à Tactif pour une somme considérable, h peu de choses
près ce qu*ils ont coûté : en 1902, d'après les évaluations
officielles, ils représentent £ 5.337.007.
L'eau à Manchester
Ce fut jusqu'en 1847 une Compagnie particulière qui
fournit l'eau à Manchester au moyen d*ouvrages situés à
1 8 miles do distance ; mais cette Compagnie n*assurait,
parait-il, le service que d une façon tout à fait insuffisante,
et en 1847 la cité racheta l'entreprise qu'elle a développée
depuis cette époque d'une façon considérable. Les 16 réser-
voirs de Longdendale sont alimentés par l'eau des pluies
tombant sur une superficie de 30 miles carrés ; ils ont une
surface totale de 854 acres et une capacité de plus de
fi.000.000.000 de gallons.
Dès 1874, les ingénieurs de la municipalité s'aperçurent
que les sources de Tancien système ne suffiraient aux be-
soins de la ville que pendant six ou sept ans au plus, et ils
conseillèrent de transformer le lac Thirlmere, en Cumber-
land, en réservoir d'eau. La corporation présenta dans ce
but, en 1878, un bill qui fut l'occasion d'un débat très vio-
lent au Parlement. Il n'y eut pas moins de 33 pétitions de
propriétaires, d'autorités locales, etc., déposées contre le
bill. Cependant, grâce à la clause dont nous avons précé-
LA MUMCIPALISATION DU SEIIVIGE DES EAUX gS
demment parlé ( droit pour les districts voisins d'exiger la
fourniture de l'eau), le bill devint loi le 23 mai 1879. et la
corporation prit aussitôt ses mesures pour la mise à exécu-
tion de son plan. Le lac Thirlmere, ainsi devenu propriété
delà municipalité de Manchester, a été réuni à la ville par un
aqueduc de 95 miles de long. L'inauguration des travaux
eut lieu en 1894. Le lac Thirlmere mesure 2 miles de lon-
gueur ; pour que sa capacité pût répondre aux besoins de la
cité, il fallut élever son niveau de 50 pieds, et pour cela bâtir
une digue en maçonnerie de 56 pieds de haut. Ce travail
porta la capacité du lac à 36.900 millions de litres et sa su-
perficie de 328 à 793 acres.
La municipalité ne doit pas faire de bénéfice sur le service
des eaux ; s'il y en a un, elle doit l'employer à réduire le
a water-rate » « public » ou « domestic ». Le right honorable
J. Hoy, Lord Mayor de Manchester, trouvait, à ce propos
(voir sa déposition devant la Commission de 1902) (1), un
peu dur qu'il fût défendu à une ville comme Manchester de
tirer du service des eaux le moindre avantage pécuniaire ;
car alors que sa population n'est que de 550.000 habitants,
elle fournit l'eau à un nombre double de personnes,
1.100. 000 environ ; et le Lord Mayor prétendait qu'elle au-
rait bien le droit de se rémunérer des risques qu'elle a courus
et de l'argent qu'elle a dépensé en se faisant payer les ser-
vices qu'elle rend.
Ces travaux ont occasionné des dépenses considérables ;
elles s'élèvent : dépenses en capital de 1847 à 1904-1905 (in-
clus) à £ 6.908.678 (dont£ 1.431.962 ont été remboursées
ou versées au Sinking Fund) ; la dette actuelle du service
des eaux est de £ 5.679.836 ; on voit qu'elle dépasse d'en-
viron £ 500.000 celle de Liverpool.
(i) Report from Ihe Select Committee on Repayaient of Loans by
local Authorities, 1902, p. 75.
g6 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE V
La situation de ce service n*est d'ailleurs pas précisément
brillante à Manchester depuis quelques années; et s'il est
bon de ne pas faire de trop gros bénéfices sur une exploita-
tion de ce genre, du moins faudrait-il que les recettes et les
dépenses s'équilibrent à peu près.
Or, le total des sommes dues aux Banquiers et au
Trésorier par le compte Rovenu au 31 mars 1905étaitde
£162.869 4 s. 8d. contre £109. 831 16s.ld. en 1903, et
£l39.797 14s. 3d. enl904.
Le déficit total du compte Revenu est de £80.833 9 s. 11 d»
(dont £ 27. 833 11 s. 9 d. pour Tannée 1905) contre
£ 3t. 162 17 s. 7d. en 1903 et 52.999 18 s. 2 d. en 1904.
Le déficit probable pour 1906 est de £ 29.008 18 s. 4 d., ce
qui portera le déficit total à £ 109.842 8 s. 3 d.
Le tableau suivant nous permet de comparer les totaux
du revenu et de la dépense pour les trois années finissant
au 31 mars 1905.
Eau
1903 1904 1905
Revenu tolal. £306.669 11s.4d. 316.175 168.2d. 324.695 Ss.Sd.
Dépense totale
non compris
l^intérêt et
ramortissemt. 103.980 i3s.8d. 104.937 12s.ld. 106.651 13s8d-
Balance cré-
ditrice. . . £202.688 17s.8d. ^11.238 4s.ld. 218.043 14 8.9d.
Les dépenses en annuités, intérêts et dividendes distri-
bués aux porteurs de stock se chiffrent ainsi qu'il suit :
1903 1904 1905
Annuités, in-
térAtseldiv. £161.910 lOs.ld. 181.989 8s.lld. 191.412 i8.ild.
Versé au Sin-
king Fund. 47.308 1 Os. 8d. 51.085 15s.9d. 54.465 4 8.7d.
Total. . 219.219 08.9d. 233.075 4s.8d. 245.877 6s.6d.
LA MUMGIPALISATION DU SERVICE DES EAUX 97
Moins balance
cUdessus. . 202.688 17s.8d. 211. 238 is.ld. 218 043 14s.9d-
Déficit de l*an-
née . . . . 16.530 Ss.ld. 21.837 Os.Td. 27.833 lls.9d.
Si nous passons au compte capital, nous voyons qu'il
avait été emprunté au 31 mars
1904 £l0.977.fi4o 13 s. Hd.
et qu*on avait remboursé une
somme (le £ iî.MG 992 7 0
La dette au 31 mars 1904 était
de e 5.330.653 6 H
Au cours de l'année 1904-1905, on contracta des emprunts
s'élevantà £ 280.187 0 0
on remboursa d autre part . . £ 131.004 4 0
"£ 149 182 1() ~
Ce qui portait le montant de la dette au 31 mars 1905
à £ 5.530.(>23 Os. lld.
149,182 IB 0
Soit un total de '. . £ 5 079.836 2 11
Après inspection des comptes de l'eau de Tannée 1904-
1905, les auditeurs (inspecteurs des finances de la ville)
appellent tout spécialement l'attention sur les faits sui-
vants :
1** Déficit croissant qui va atteindre le chiffre de £ 109.842
8 s. 3 d.
2o Sommes chaque année plus fortes dues aux banquiers
et au Trésorier par le compte Revenu et qui s'élèvent à
£ 162.869 4 s. 8 d.
3® Absence totale d'amortissement (dépréciation}.
BoYerat 7
98 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE V
Ce reproche de ne pas tenir un compte suffisant de l'a-
mortissement est un reproche à adresser à la majorité des
entreprises municipales ; nous aurons l'occasion dV reve-
nir dans la troisième partie de ce volume.
Pour l'année 1905 190(>, le domestic water rate de Man-
chester est de 8 d. par £ et le public water rate de 2 d.
Diaprés le rapport du Water Committee, le service des
eaux n'a, durant toute l'année, subi aucune interruption ; la
consommation journalière a atteint une moyenne d'environ
35 1/4 millions de gallons,
Les travaux du lac Thirlmere sont à présent achevés et
permettent d'amener 20 millions de gallons d'eau par
jour.
De même que Glasgow, Manchester fournit a ses habi-
tants la force hydraulique ; nous y reviendrons à la fin de ce
chapitre ; auparavant nous jetterons encore un coup d'œil
surThistoire de Birmingham.
L'eau à Birmingham.
A Tinverse de la plupart des grandes villes anglaises, ce
n'est pas par l'eau que Birmingham a commencé la muni-
cipalisationde ses services publics ; M. Chamberlain, alors
maire de Birmingham, avait déjà, depuis un an, obtenu le
rachat de la Compagnie du gaz lorsqu'il demanda celui de
a Compagnie des eaux. Mais le motif qu'il invoqua n'était
plus le même ; il déclarait en effet devant le Comité de la
Chambre des Communes, chargé d'examiner le water bill,
« que dans le cas de l'eau, c'était avant tout une question
d'hygiène, tandis que dans le cas du gaz, c'était avant tout
une question de profit qui le faisait agir « ; et devant le
Select Committee, il allirmait encore : « Nous n'avons pas la
L\ MUMGIPALISATION DU SERVICE DES EAUX 99
moindre intention de faire un profit. Nous obtiendrons notre
profit de manière indirecte dans le confort procuré a la ville
et la bonne santé de ses habitants. » L*eau fournie à cette
époque à Birmingham par laGompap:nie était coûteuse, in-
suffisante, souvent impropre à la consommation ; la popu-
lation devait en grande partie compter sur l'eau des puits^
dont un certain nombre se trouvaient dangereusement con-
taminés.
Le projet de M. Chamberlain rencontra une approbation
unanime. On racheta la Compagnie pour£ 1.350.000 en-
viron, au moyen d'annuités perpétuelles, versées aux an-
ciens propriétaires de l'entreprise.
Le correspondant du Times lui-même reconnaît que la
situation géographique de Birmingham est telle qu'aucune
Compagnie particulière ne pourrait espérer aujourd'hui
fournir à cette ville Teau dont elle a besoin et faire en
même temps un bénéfice. Birmingham est bâtie sur un
plateau, au centre même de l'Angleterre, et certains de ses
quartiers s'élèvent à 600 pieds au-dessus du niveau de la
mer. Il faut dépenser, pour obtenir 20.000.000 de gallons
d'eau par jour à cette hauteur, plus de £ 20.000 par an rien
qu'en frais de pompage. Pis que cela : les sources aux-
quelles on avait longtemps eu recours s'épuisaient ou
étaient si contaminées qu'on ne pouvait plus s'en servir.
La municipalité se vit obligée d'aller chercher Teau au loin,
dans le pays de Galles, dans des réservoirs dont le plus
bas est à 800 pieds au-dessus du niveau de la mer et le plus
haut à 1.000.
Depuis le rachat de la Compagnie, la demande d'enu
n'avait en effet cessé d'aller en augmentant ; le VVater
C^oramittee avait dû procédera la construction de plusieurs
nouveaux réservoirs, à Shustoke et à Whitacre (1881 à
98 PREMIERE PART' ^HAPHl^*^
Ce reproche de ne paF> ^^^^ ^^
mortissement est un r ^ ' ^'^'
entreprises municipa'/
nir dans la Iroisièœ • ^
4'
^ 2,
Pour Tannée V\ ^^^
chester est de 8 «^ ' • "''^ .
D'après le " ^ venons. ^
eauxn^a, d .-0'^ capable V
consomn> ^" ^^'^^'^ l^^soin.
35 1/4' *^ nouvelle d'ailleurs et a\-
Lg, ,0 fois en 1870; on ne l'avait pas rei^
p^P ^.alisation, la politique du conseil municipal \
jV jiirs été de tirer toute l'eau possible des en virons de Bir-
fntrham et des ouvrages rachetés à la (lompaj^nie. ï^e"^
^n touchait à la limite des emprunts autorisés, et u a ''
falloir s'adresser de nouveau au Parlement.
En avril 1891 l'Alderman Sir Thomas Martineau déposa
le plus volumineux rapport qui ait traité de laq»^^^'^"
rapport sur le vu duquel le Comité des Eaux déclara au
Conseil : que les quantités d'eau dont on disposait actueU*
ment deviendraient probablement insuffisantes aux environ^
de 1900, et que pour obtenir un service satisfaisant à tou'*
les égards, il fallait aller à la limite du pays de Galles, cher-
cher Peau des rivières Elan et Claerwen.
Les travaux à exécuter comprendraient :
a Tn nouveau réservoir à Franklev, à une hauteur sulb*
saute pour approvisionner la majeure partie de la ville p^^
la seule force de la pesanteur.
Ai La construction de six réservoirs dans les vallées a^
l'Elan et de la Claerwen.
c l'n aqueduc, avec une pente de 200 pieds environ, re.
liant les réservoirs du Pays de Galles à Frankley (cetaqu^*
LA. MUMCIPALISATION DU SERVICE DES EAUX lOI
duc mesure 80 miles de longueur. Rappelons que celui de
Liverpool en mesure 68 et celui de Manchester 96). On esti-
mait que la dépense se monterait à £ 3.340.000 pour deux
conduites, à £ 5.654.000 pour cinq.
Le projet, soumis au conseil municipal de Birmingham
le 24 novembre 1891, fut approuvé à la majorité de 55 voix
contre 1. Un vote des citoyens l'approuva également, et le
16 février 1892 le bill passait en première lecture à la
Chambre des Communes où le présentaient les députés de
Birmingham, parmi lesquels M. Chamberlain.
Pour faire éclater son évidente nécessité, le projet rap-
pelait que rétendue de terrain à laquelle Birmingham four-
nit Teau est sensiblement plus vaste que le municipal bo-
rough ; que de 1871 à 1891 le nombre des maisons habitées
avait passé de 89 457 à 129.000, et la population de 449.000
à 648.000. De 8.30 millions de gallons en 1876, la consom-
mation journalière avait passé à 11.42 en 1881 ; à 12.70 en
1886, à 14.28 en 1889, à 16.82 en 1891-1892.
La consommation journalière par tète était de 25.75 gal-
lons pour tous usages, de 17 environ pour les usages domes-
tiques, taux très bas auquel on n*arrivait que grâce à une
excessive parcimonie. A Glasgow, où la quantité d'eau four-
nie par le Loch Katrine est pratiquement illimitée, la con-
sommation journalière par tête approche de 50 gallons.
On estimait qu'en 1900 la demande moyenne par habitant
serait de 20.2 {^allons, en 1915 de 30 galions. Or le maxi-
mum qu'on pensait pouvoir obtenir des 5 rivières et des
7 puits alors en usage n'était que de 19.25. La demande
moyenne telle qu'on Tévaluait dépasserait donc avant la fin
du siècle le maximum disponible.
Les réservoirs du Pays de Oalles se trouvant à une
grande hauteur permettraient d'économiser les frais de
K)2 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE V
pompes, soit £ 28.000 par aa environ. Enfin la composi-
tioa chimique de la nouvelle eau était bien supérieure à
celle de l'ancienne : semblable à celle du Loch Katrine dont
l'eau très douce convient parfaitement aux usages indus-
triels et diminue sensiblement la consommation de savon.
Le projet soumis au Parlement prévoyait une dépense
totale de £ 6.600.000 (la différence avec le chiffre précé-
demment cité tient à des achats additionnels de terrains,
etc.). On ne devait atteindre ce total qu'en lî)o5, à en
croire un tableau intéressant et détaillé des dépenses an-
nuelles et de la dépense en capital à la fin de chaque an-
née, de 18111 à 1055. Jl est depuis longtemps hors de doute
que le coût du nouvel ouvrage excédera de beaucoup le
chiffre soumis au Parlement, et qu'il ne suffira pas de
relever simplement le prix de Feau, mais qu'il faudra en-
core avoir recours aux impôts. La dépense totale en capital
qu'on estimait devoir se monter à la fin de lî*04-190o à
£ 3.092.000 se montait à £ 5.758.067 quand on est arrivé à
cette date(l).
Malgré une assez violente opposition, le bill subit avec
succès répreuve des trois lectures à la Chambres des (Com-
munes et à la Chambre des Lords du 16 février au 21 juin
1892. La sanction royale lui fut donnée le 27 juin 1892.
Le Birmingham (iOrporation Act de 1892 contient 77
sections II autorise la corporation à acheter les terrains
(1) Municipal Trading lieport, 1903, question 1786.
On avait évalué le coût de la première partie du projet à £ 3 . 300.000,
oelui de la deuxième à £ 2.200.000. En 1903 on avait dépassas pour
l^xécution de la première partie seule, le coût de Tensemble, par
suite des sommes énormes qu*il avait fallu payer pour l'achat des
terrains et en dommages intérèts.On 8*éiait vu contraint, pour finir la
première p^irtie, de demander au Parlement 1 autorisation d'emprunter
un demi million de £ de plus qu'il n*avait été prévu.
LA MUNIGIPALISATION DU SERVICE DES EAUX Io3
dont elle a besoin ; à construire les ouvrages nécessaires
et lui permet d'emprunter £ G.OOO.OOO, soit en Corporation
Stock, soit sur hypothèque (mortgage).
Les autorités locales dans un rayon de 15 miles de l'a-
queduc, pourront exiger qu'on leur fournisse Teau aux
conditions que fixe la loi.
L'acquisition des terrains commença aussitôt après le
vote de la loi, en juillet 18U2. En lî)04 le roi lui-môme
inaugurait les travaux.
Les ouvrages de l'Elan Valley ont été exécutés en ré-
gie parleWater Committee. Le Comité, estimant que la
construction des digues faisait peser sur lui une Irop lourde
responsabilité, et pour être sûr qu'elles offrissent toute
sécurité, refusa de les confier à un entrepreneur. La digue
de cahan Coch, à l'extrémité inférieure du svstème des ré-
servoirs, s'élève à 1 22 pieds au-dessus du lit de la rivière ;
son épaisseur à la base est de 122 pieds aussi, et sa lon-
gueur au sommet de 600 pieds. Il n'y a pas en Angleterre
d'ouvrage de cette sorte qu'on puisse lui comparer, excepté
la digue de Virnvvy, qu'a bâtie Liverpool (1).
Le reste de l'ouvrage a été exécuté par des entrepre-
neurs,et Ton sectionna dans ce butTaqueducensix parties.
L'exécution du « Wclsh Supply » a entraîné une éléva-
(1) Le nombre des ouvriers qui furent employés à ces travaux varia
de 1.200 à 1.500. Four les loger la municipalité bâtit en 1894 un village
en bois, à un demi-milede Jadigue. A côlé des maisons d'habitation
s* élevèrent une mission et une école, un Public Hall avec une biblio-
thèque, des bains, un hôpital pour les accidents et un autre pour les
maladies infectieuses. 11 fut défendu d'ouvrir des cabarets, mais la
municipalité établit une cantine pour la venteduvinet du tabac.
C'est, paralt-il, avec les bénéfices faits par cette cantine, qu'elle paya
les frais du service religieux, de la bibliothèque, et couvrit le déficit
laissé par les bains ainsi qu*une partie des dépenses de Thôpital.
io4
PREMIERE PARTIE. CHAPITRE Y
tion assez considérable de la water-rent, ainsi que l'indique
le tableau ci-dessous. (On sait qu'en Angleterre la somme
annuelle à payer pour l'eau qu'on consomme dépend en
général de la valeur locative de l'habitation qu'on occupe.
Ce prix s'appelle water-rent.)
Water-Rents payées par les occupants des maisons de
Birmingham (I).
Lojror hebdomadai
ro
Tarir
de 1886
Tarir
de It'SS
Tarif aulori»'
par le Parieœrot
£. 8. d.
£. S. d.
£. S. d.
(le 5 s. » d. à 6 s.
îid
0 10 0
1 4 0
1 4 0
7. 0 7.
9
1 0 0
i 7 0
1 11 0
8. 0 9.
0
1 4 0
1 10 0
1 11 0
9. 3 10.
0
1 4 0
1 18 0
2 4 0
Loyer anouel
£ 30
1 10 0
1 18 0
2 4 6
£ 35
1 12 0
2 5 0
2 9 6
£ 40
1 18 0
2 12 0
2 14 0
£ 30
2 6 0
2 17 0
2 17 0
£ 60
2 10 0
3 0 0
3 0 0
Le tableau n est pas complet, mais il suffit à montrer que
Taugmentation sur les anciens prix a varié de 0 à 50 J'.
On voulait obtenir une augmentation moyenne de 20 ,■'.
Toutefois, suivant les promesses faites, l'augmentation fut
moindre qcie les diminutions autrefois consenties.
Sans nier que des circonstances spéciales aient jusqu'à
un certain point justifié la municipalisation du service des
eaux à Birmingham, il n'en est pas moins à propos de faire
{^) yoïr ViscEy History of the Corporation of Birmingfiam, p. 327.
LA MUNICIPALISATION DU SERVICE DES EAUX I05
remarquer qu'on n'a pas, d'un point de vue strictement
financier, appliqué la politique la plus sage possible. Quand,
à l'époque du rachat de la Compagnie, M. Chamberlain
demandait qu'on augmentât la quantité d'eau fournie tout
en améliorant sa qualité, il prêchait aussi la réduction de
son prix ; ne voulant pas, disait-il, réaliser de profils au
détriment possible do Thygiène publique Cette politique
généreuse a peut-être été imprudente ; et les pertes qu'a
subies le service des eaux semblent le prouver.
Les réductions accordées en 1883 et 1884 partaient sans
doute d'évaluations trop optimistes, puisqu'elles occasion-
nèrent durant plusieurs années des pertes considérables.
En février 1887(1), les déficits accumulés atteignaient
1* 18.000 se décomposant comme suit ;
En 1883, le déficit fut de .... £ 4.174
1884, — .... 8.940
1883, — .... 7.643
1886, — .... 5.468
Total £ 26.225
Moins les profits antérieurement réa-
lisés 8.116
Déficit net £ 18.10î>
La perte ne fut que de £ 2.020 en 1887, et en 1888, il y eut
même un profit de £ 106, qui atteignit £ 2. 878 en 1889.
Mais les déficits accumulés ne furent définitivement couverts
que lors du rétablissement de taxes plus élevées, en 1893.
La quantité d'eau disponible n'a pas augmenté aussi vite
qu'on l'avait espéré. On estimait qu'en 1900 elle serait de
(i) Voir ViNCE, op, cit.,, p. 293.
io6
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE V
20 millions de gallons par jour en moyenne. En 1905 elle
n'est encore que de 18 millions.
ANNEES
EAU DISTRIBUÉE
PAR LA SRULB
force
de pesanteur
AU MOYBN
de9
pompes
TOTAL
nés QUANTITÉS
distribuées
QUANTITE .
D E\r DISTRIBCETE
par jour
MILLIONS DE GALLONS
I
4806
1898
1900
1902
1904
19U5
1.360
5.794
5.888
6.339
6.785
(> 683
5.276
5 . 794
5.888
6.339
6 785
6 683
6.636
Milliers
de gallons
15 917
16.178
18.239
18 640
18 013
18 230
i
Dans l'exposé du projet de 1892, on espérait qu'à partir
de 1902 ou n'aurait plus besoin d'avoir recours au système
des pompes. On voit que c'est eu 1905 seulement qu'on a
commencé à réduire le service des pompes et que ce sont
elles encore qui fournissent aujourd'hui la majeure partie
de l'eau consommée à Birmingham.
En 1905 on évaluait la population de Birmingham à
738.637 personnes et la consommation journalière moyenne
par tète à 24 .03 gallons
La situation (inancière du service des eaux à Birmingham
est toujours loin d'être brillante. NiM. Chamberlain ni ceux
qui soutinrent sa politique de municipalisation ne songèrent
qu il viendrait un moment où la quantité d'eau dont on
disposait ne pourrait plus suffire aux besoins d'une popu-
lation rapidement croissante. Uniquement préoccupés de
fournir à leur ville une eau à la fois bonne et peu coûteuse,
ils décidèrent d'employer les profits réalisés à l'abaisse-
ment du prix de l'eau, négligeant de créer au moyen de ces
LA MUMGIPALISATION DU SERVICE DES EAUX IO7
profits un fonds spécial qui permettrait de payer le coiit
des extensions futures.
Ce n'est qu'en 1892, après le vote de la nouvelle loi (1),
que fut créé un spécial water-fund destiné à faire face aux
déficits qui se produiraient durant les premières années du
fonctionnement du nouveau svstème. Ce fonds s'élevait a
£ 120.000 en 1900. Des déficits successifs devaient rapi-
dement le mettre à sec et obliger la municipalité à recou-
rir aux impôts.
I/Epitome du Blue Book de Birmingham donne de la si-
tuation du service des eaux en i904-190o lexposé suivant :
Le compte Revenu accuse un excédent de recettes sur
les dépenses pe £ 164.909, excédent porté au compte de
Profits et Pertes.
Le compte de Profits et Pertes accuse une perte de
£91.826, ainsi que le montrent les chiffres suivants :
Dépenses du service. . • . £106.936
SinkingFund 13. 6(50
Intérêts 240.82:;
Réserve 250
Total des dépenses . . . 36)i 691
Revenu total 271.865
Déficit £ 91.826
Pour combler ce déficit, on Ta divisé en deux : £ 43.000
ont été demandées au Borough rate (cette contribution équi-
var.t à un impôt de près de 4 d. par £) ; £ 46.826 ont été
transférées au compte Capital (d'après la section 22 du Bir-
minghan Corporation Water Act, 1902).
La dépense totale (compte Capital) faite en vertu des
(1) Municipal Trading Report, 1900, quest. 18S6.
I08 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE V
lois de 1875, 1879 et 1892 était au 31 mars 1905 de
£7.856.527. Le montant total des emprunts néfçociés, de
£7.i»i3.186.
Il ne faudrait pas croire que le déficit soit un fait particu-
lier à Tannée 1905 ; il dure régulièrement depuis 1899-1900 ;
il était de £ 6.479 en 1899-1900, de £ 32 737 en 1900-1901,
de£ 65.119 en 1901-1902, de £ 80.039 en 1902-1903, de
£ 85.057 en 1903-1904, de £ 91.826 en 1904-1905, et pour
Tannée 1905-1906 il est encore de £ 80.419. On ne s'atten-
dait pas, en 1906, à un déficit aussi considérable. On Tex-
plique par la nécessité où l'on a été d'avoir à nouveau re-
cours, durant les grandes chaleurs, à l'ancien service des
pompes, le réservoir de Caban Coch, dans TElan Valley,
s'étant alors trouvé insuffisamment pourvu d*eau, étatde
choses qui doit, on l'affirme du moins, ne plus se reproduire.
Depuis 1876, première année de la municipalisation, le
résultat financier s'est, comme on le voit, plus souvent tra-
duit par une perte que par un bénéfice, le total des profits
s'élevant durant cette période ࣠197.308 et les pertes à
£ 389.499.
L'exemple de Birmingham est instructif parce qu'il mon-
tre Temploi qu'on devrait faire des bénéfices des entreprises
municipales, quand elles en donnent ; il faudrait lesaccumu-
1er pour faire face aux besoins futurs, prévus ou imprévus,
et non pas sacrifier l'avenir au présent c<»mme le font trop
souvent les municipalités anglaises en réduisant les prix
outre mesure et en négligeant de tenir aucun compte de
l'amortissement. Los réductions dont ont profité durant un
temps les citoyens de Birmingham disparaissentaujourd hui
pour faire place aux augmentations d'impôts. C'est un
exemple que devraient tout particulièrement méditer des
villes comme Glasgow dont les conseillers municipaux ont
LA MUNIGIPALISATION DU SERVICE DES EAUX lOQ
une forte tendance à chercher la popularité dans des spé-
culations hasardeuses et des réductions de tarifs dans tout
service qui a eu la chance de réaliser un profit.
La municipalisation a beau avoir été rendue nécessaire à
Birmingham parles circonstances, il n'en est pas moins
vrai que, depuis le début de la gestion municipale jusqu'à
l'heure présente et jusqu'à l'exécution du Welsh Scheme
le service des eaux a fait preuve d'une absence totale de
sens commercial. Comment expliquer autrement ses défi-
cits répétés et ce fait, plus frappant encore, que le coût ac-
tuel des travaux du Welsh Scheme ait déjà dépassé de
£ 2.000.000 le coût prévu dans le projet?
CONCLUSION
Sans revenir sur la question de savoir si Ton doit, pour
des raisons de santé et d'hygiène publiques muuicipaliser
le service des eaux ou le laisser aux mains des particuliers,
nous remarquerons simplement en terminant que c'est pour-
tant un des services publics les plus faciles à exploiter, parce
qu'il n'exige pas de qualités commerciales spéciales. La
construction des ouvrages nécessaires à l'adduction de l'eau
peut être un travail difficile ; mais c'est affaire aux ingé-
nieurs. Une fois ce travail exécuté, la municipalité n'a plus
qu'à lai.sser aller les choses d'elles-mêmes. Elle n'a pas d'a-
chats de matières premières à faire, de machines perfection-
nées à se procurer, d'ouvriers nombreux à diriger, de sous-
produits à vendre. Elle n'a qu'à fixer ses tarifs à un taux
assez élevé pour couvrir ses frais et ses risques, et à sur-
veiller attentivement la marche de la consommation pour
IIO PKEMIËIIE PARTIE. — CHAPITRE V
être toujours en état de faire face à des besoins nouveaux,
et, en général, faciles à prévoir.
Or, que nous montre l'exemple des grandes villes que
nous venons de passer en revue, du moins celui de trois
d'entre elles ? C'est, qu'après comme avant la municipalisa-
tion, on a attendu que la quantité d'eau fournie fut manifes-
tement inférieure aux besoins de la consommation pour
chercher à l'augmenter; que les travaux énormes exécutés
pour l'adduction des eaux ont coûté très cher aux habitants,
bien plus cher souvent qu'on ne Tavait pensé ; qu'eniin les
tarifs ont généralement été fixés trop bas, puisque, dans
une même année, nous voyons Liverpool, Manchester et Bir-
mingham clore toutes trois leurs comptes par un déficit
plus ou moins important.
Le service des eaux étant un service simple, disons même,
le service public par excellence, s'il aboutit à de pareils ré-
sultats, qu'aurons-nous à dire des autres services^
ANNEXE AU CHAPITRE Y
LES MUNICIPALITES DISTRIBUTRICES DE FORCE HYDRAULIQUE.
I/eau n*est plus aujuurd'hui une boisson seulement : on
ne se contente pas de l'utiliser à Tarrosa^e des rues, aux
nettoyages,etc. ; avec les progrès de la mécanique moderne,
elle est devenue une force motrice de premier ordre. Mais si
Ton veut bien admettre que, n'ayant en vue que la santé et
rhygiène publiques dont elles sont dans une certaine mesu-
res responsables, les grandes cités aient le droit de surveiller
et de diriger leur service des eaux, on acceptera moins fa-
cilement Tétrange dérivation que certaines d'entre elles ont
fait subir au pouvoir qui leur avait été concédé, en utilisant
cette eau comme force motrice et en la vendant aux indus-
triels qui en ont besoin pour actionner leurs machines.
Ijorsqu'une ville demande à une loi la permission d'ac-
quérir, par voie d'expropriation, les terrains énormes où
elle captera des sources, bâtira des réservoirs, construira des
aqueducs, elle invoque la nécessité où elle se trouve de sa-
tisfaire les besoins généraux, mais bien délimités, de sa po-
pulation. Quand, au contraire, une municipalité s'établit
marchande de force motrice, elle ne peut pas dire qu'elle
n'agit que dans l'intérêt général. Peu nombreuses sont les
personnes qui Tutilisent, et si les ascenseurs se multiplient
aujourd'hui dans les grandes villes, le nombre en est encore
relativement restreint. De sorte qu'on finit par employer
112 ANNEXE DU CHAPITRE V
celte eau, recueillie par voie de contraiote, à un usage toul
autre que celui auquel on en teadait primitivement la desti-
ner.
L'action des municipalités ne peut s'expliquer que par
le besoin qui les dévore d'étendre leurs attributions et de
chercher, par tous les moyens possibles, à faire des béDé-
iices pécuniaires.
Ce n*est qu'aux environs de 18G0 que l'emploi delà force
hydraulique commença àrecevoir des applications pratiques.
En 1871, se forme à Londres une Société qui se propose de
distribuer la force hydraulique et reçoit à cet efîet une con-
cession du Parlement. Des Société» analogues se fondent
àllullen 1871, à Liverpool en 1872, et à Newport eni88i.
Elles ont le droit de se procurer elles-mêmes et comme elle^
l'entendent Teau nécessaire à leur industrie, mais ne peu-
vent remployer qu*à la distribution de la force hydraulique
et ne sont en aucun cas autorisées à la vendre aux particu-
liers.
Trois villes ont voulu se charger de distribuer la force
hydraulique à leurs habitants : ce sontManchester,Glasgow
et Birmingham.
En 1860, une Compagnie avait obtenu du Parlementla
permission de distribuer la force hydraulique à Londres;
d'abord, puis à Liverpool et à HuU (1). Elle chercha à en-
glober aussi Manchester dans le champ de son activité,
mais les bills qu'elle présenta dans ce but en 1867, 1872.
1887 et 1890 rencontrèrent de la part de la municipalité la
plus vive opposition et durent être retirés. La corporation
donnait de son opposition trois motifs : l"" fournissant l'eau
à la ville elle n'avait aucun intérêt à abandonnerTua quel-
(1) Voir Hugo, op, cil,, p. 197, 198.
LA FORGE HYDRAULIQUE Il3
conque de ses droits ou de ses privilèges à une Compagnie
particulière ; 2"" elle ne voulait pas que le remplacement de
la vapeur, dont la production exige beaucoup d'eau, par la
force hydraulique lui fît subir le moindre préjudice pécu-
niaire et cela au profit d'une Compagnie ; 3° elle ne voulait
pas donner à une Compagnie le droit de faire des travaux
dans ses rues et d'y interrompre la circulation.
Cependant, les essais répétés de la Compagnie pour ob-
tenir la distribution de la force hydraulique firent voir à la
corporation que l'entreprise devait présenter certains avan-
tages et, sur la proposition de son comité des eaux, elle se
décida à l'exploiter elle-même. La discussion que provoqua
le bill de 1890 avait montré que, par suite de la ooncentra-
tion des affaires dans une certaine partie de la cité, Man-
chester se prêtait parfaitement à la distribution de la force
hydraulique se faisant d'une station centrale, et que réta-
blissement de cette station devenait une nécessité. Aussi,
clans la loi de 181)1 sur l'administration de la ville de Man-
chester, eut-on soin d'introduire une clause autorisant la
corporation a vendre et à distribuer Teau sous pression
comme force hydraulique. Munie de ces pouvoirs, la muni-
cipalité entreprit la construction de grandes usines, qui fu-
rent achevées en 1894 (1).
Le VVater Committee, dans son rapport de 1905-190(5, dé-
clare que le service a très bien fonctioriné et continue à faire
des progrès constants. La distribution a pu se faire toute
Tannée sans interruption. La demande absorbe à présent
(1) Municipal Tradirif/ Report^ 1900, question 2315.
L'Alderman James SouUiern déclare ([ue ce n'est pas pour faire des
bénéficeâ pécuniaires, mais pour diminuer la fumée qui empeste Man-
cliester que la municipalité s'est ciiargée de fournir la force hydrau-
lique !
Bovcrat 8
II 4 ANNEXE DU CHAPITRE V
presque toute la force dont on dispose, et la constructioQ
d'une nouvelle station est devenue nécessaire : les travaux
commenceront sous peu.
La municipalité a, durant Tannée passée ^1903-1 906), vu sa
clientèle s'accroître de 23 établissements nouveaux, renfer-
mant 63 machines. Les stations hydrauliques municipales ali-
mentent aujourd'hui 1 .092 machines et 500 établissements.
La consommation totale de Teau employée à la production
de la force hydraulique s'élève, en 1905 1906,à 225.442.700
gallons, en augmentation de 31 .344.800 gallons sur raimée
précédente. La longueur totale des conduites hydrauliques
est de 20 miles 821 yards.
Nous <^vons que l'exemple de Manchester a trouvé de>
imitateurs. Dès 1892, Glasgow s'assurait, par un Act du
Parlement, le droit de procéder à la distribution de la force
hydraulique. L'inauguration des usines, de proportions
très vastes, et renfermant un ré.servoir en fer d'une capa-
cité d'environ 900.000 litres, eut lieu en juin 1895.
Jusqu'en 1900, de l'aveu même du Lord Provost M. S.
Ghisholm, l'entreprise ne rapporta rien: au contraire (i).
La dépense en capital s'élevait à cette date à £ 106.800 ; le
revenu annuel à £ (î.707 , les dépenses à £ 7.753 (dont
£ 1.002 à verser au SinkingFund); le déficit était de £ l.Oii.
c'est-à-dire que le Sinking Fund ne pouvait pas encore
fonctionner- D'après les comptes de Tannée financière
1901-1905, la dépense en capital s'élève à £ 129.886, lestlé-
penses de Tannée (compte Revenu) à £ 9.428 plus £ 1 .8î»i
pour le Sinking Fund, soit en tout £ 11.323 9 s. 5 d. Les
recettes s'étant élevées d'autre part à £ 1 1.980 0 s. 2 d., le
bénélice serait donc de £657.
(i; Municipal Trading Report, 1900, question 2739.
LA FORGE HYDRAULIQUE Il5
Mais si Ton remarque que c'est le service des eaux qui
a sur ses bénéfices comblé les pertes antérieures du service
de la force hydraulique, et qu'en 1905 ce dernier lui verse
de ce chef £ 823, on voit que ce bénéfice de £ 657 devien-
drait plus que problématique, si aux £11.980 de recettes
réelles, on n'ajoutait le loyer des maisons louées à des em-
ployés du service (soit £ 52 12 s. 9 d.) et la balance crédi-
trice de 19031904 (soit£ 113 19 s. H d.), ce qui permet
d'obtenir une balance égale de£ 1.246 12 s. 10 d.
Le rapport du Comité de Teau déclare que l'emploi de
la force hydraulique va croissant. Le nombre des machines
auxquelles on fournit actuellement la force est de 913, en
augmentation de 34 sur Tannée précédente.
La quantité d'eau fournie a été en 1904-1905 de 198.130
gallons en moyenne par jour. Elle n'avait été que de
183.464 en 1903-190, soit une augmentation de 14.666
gallons par jour.
Terminons en jetant un coup d'oeil sur ce qui a été fait
à Birmingham.
En mars 1890, le conseil municipal de cette ville décidait
la construction d'une station de force hydraulique, spécia-
lement destinée aux ascenseurs (1).
Le rapporteur du projet faisait observer que le nombre
d'ascenseurs auxquels on fournissait l'eau, était pa.<:sé de
39 en 1885 à 61 ; la water rental de £ 510 à £ 1 .000, et la
consommation d'eau de 30.000 à 80.000 gallons par jour.
Il allait falloir soit poser de nouveaux tuyaux, soit établir
des usines spéciales. On résolut d'installer des pompes, des
accumulateurs et des machines à gaz, permettant d'élever
la pression de 70 livres à 700 livres par pouce carré, ce qui
<i) Voir ViNCK» History of the corporation of Bii mingham. p. 292.
Il6 ANNEXE DU CHAPITRE V
réduirait considérablement le coût premier des ascenseurs
et de 9/10 la consommation d'eau. La corporation en béné-
ficierait indirectement par suite de l'augmentation de valeur
imposable (rateable value) que produirait réiévation des
loyers des appartements situés aux étages supérieurs» si
Tusage des ascenseurs venait à se généraliser. On vola
£ 15.000 pour Texécution des travaux.
On n'espérait pas que la nouvelle entreprise put faire des
bénéfices avant que le nombre des ascenseurs en usage eût
considérablement augmenté ; et en effet les profits, réa-
lisés sur la distribution de la force hydraulique, n*ont fait
leur apparition dans les comptes du service qu'en 1899-1900.
Ils furent cette année là de 20 £ ! En 1904-1905 les bénéfi-
cesse sont élevés à M 154.19 s. 1 d., chiffre peu considéra-
ble pour une entreprise comptant 15 années d'existence.
La corporation de Liverpool s'est montrée moins pressée
d'étendre le champ de ses attributions et a laissé à une
Compagnie le soin de distribuer la force hydraulique.
A la suite d'une entente avec la corporation, ï « Hydrau-
lie PowerConipany » a posé ses conduites dans une grande
partie de la cité, et grâce à une pression de 700 à 800 livres
par pouce carré, fournit, dans des conditions favorables, un
service plus économique que la pression relativement basse
des conduites ordinaires. La quantité d'eau ainsi utilisée en
1902 fut de 12o millions de gallons, alimentant 162 ma-
chines.
Il est peu probable que beaucoup de villes municipali-
sent ce service dans un avenir rapproché ; son emploi est
encore trop restreint pour qu'on puisse attendre de lui des
bénéfices sérieux ; l'exemple de Glasgow et celui de Bir-
mingham nous le montrent suffisamment.
CHAPITRE VI
LBS EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ.
La municipalîsation des usiner à gaz est en général de
date plus récente que celle de l'eau ; peu de villes s étaient,
avant 1860, chargées de ce service, et ce n'est que vers
1870-1880 qu'un mouvement vraiment sérieux de munici-
palîsation commence à se dessiner.
Les municipalités ne peuvent pas invoquer, pour pren-
dre en main la direction de ce nouveau service, des raisons
aussi plausibles qu'elles en savent trouver pour fournir
elles-mêmes Teau à leurs habitants ; la question hygiène
ne joue plus ici qu*un rôle secondaire, si même elle enjoué
un. Et lorsqu'elles n'avouent pas que c'est pour faire des
bénéfices qu'elles veulent fabriquer et distribuer le gaz,
elles prétendent que c'est pour le donner au meilleur
marché possible et supprimer les bénéfices exorbitants des
actionnaires des grandes Compagnies.
Les villes ne sont elles pas d'ailleurs, disent les muni-
cipalistes, grandes consommatrices de gaz pour l'éclairage
de leurs rues et de leurs monuments ? Y a-t-il un meilleur
moyen de prévenir les crimes de toutes sortes, dont les
grandes cités modernes offrent de trop fréquents exem-
ples, que d'éclairer à profusion la voie publique ? « Un
réverbère, a-t-on dit, vaut bien un policeman »
La fourniture du gaz réunissant en elle tous les caractères
irS PREMIEHE PARTIE. CHAPITRE VI
d'un monopole, ce n*est qu'aux mains d'une autorité publi-
que que ce monopole pourra ne pas entraîner trop d'abus;
elle seule pourra livrer le gaz au prix coûtant. Dans les
mains d*un entrepreneur, monopole signifiera exploitation
cynique de la communauté au profit de quelques capitalistes.
Sans compter Téclairage meilleur des voies publiques,
qui en est le premier eiïet, le bas prix du gaz permet encore
d'augmenter le bien-être de la population urbaine en géné-
ral ; le gaz à bon marché est un mode de chauffage avan-
tageux et commode à toutes les classes de la société, et
particuli^rement aux travailleurs. Sous ce rapport, ce sont
les villes d'Ecosse qui ont ouvert la voie ; les villes anglai-
ses les ont imitées. Leur intérêt n'est-il pas de développer
ce mode de chauffage au moment où Télectricité commence
à faire au gaz d'éclairage une concurrence sérieuse ?
Ainsi figurerait à côté de la distribution municipale de
Teau et de la lumière, celle d'une troisième richesse tout
aussi nécessaire à la vie : la chaleur.
Les municipalistes font enfin valoir, pour la municipaii-
sationdu gaz, deux motifs, qui s'appliquent aussi bien à
toutes les entreprises communales en général qu'au gaz en
particulier et qui nous semblent difiiciles à concilier avec
les arguments précédents ; le premier a trait aux ouvriers,
le second aux bénéfices réalisés sur la vente du gaz.
La classe ouvrière, dit M. Hugo (1), a tout intérêt à ce
que les usines à gaz deviennent la propriété des villes ;
parce que cette transformation améliorera son sort. Par
leur bulletm de vote, les ouvriers exercent sur la composi-
tion des conseils municipaux une influence considérable ;
ils n'en ont aucune sur celle des conseils d'administration
(I) Hugo, op. cit. y p. 18i.
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ II9
des grandes Compagnies. Pour agir contre ces dernières,
ils n'ont qu'une arme à deux tranchants : la grève. Ont-ils
obtenu des autorités municipales une augmentation de sa-
laire, une diminution des heures de travail, ils sont sûrs de
les conserver. [Is n'en peuvent pas dire autant des conces-
sions arrachées aux directeurs des usines particulières ; elles
leur sont bien souvent retirées au bout d'un temps plus ou
moins long.
La deuxième raison invoquée pour la municipalisation
des usines à gaz est une raison financière. La fabrication du
gaz constitue une source de revenus importants qui per-
mettront, dit-on, de diminuer le fardeau d'impôts toujours
plus lourd que supporte le contribuable. Les hauts divi-
dendes distribués par les Compagnies, montrent assez quels
bénéfices on est en droit d'attendre de cette exploitation.
Certaines villes ont en effet réalisé de jolis profits sur l'ex-
ploitation du gaz ; mais toute la question revient alors à
savoir si. Faisant des profits et payant leurs ouvriers plus
cher que les Compagnies, elles prennent du contribuable
tout le soin qu'elles en devraient prendre et ne spéculent
pas sur son dos tout comme de simples particuliers. Réali-
sent-elles un bénéfice sur le service du gaz ? C'est aux dé-
pens du consommateur qu'elles l'obtiennent ; c'est parce
qu'elles lui font payer la marchandise plus cher qu'elle ne
vaut réellement, qu'elles peuvent donner aux ouvriers mu-
nicipaux des salaires plus élevés, diminuer les impôts oh
bùtir de splendides édifices publics. Sont-elles en perte^
c'est avec l'argent de la communauté, aux frais de tous les
citoyens en général, même de ceux qui n'ont jamais fait
usage du gaz, qu'elles combleront leur déficit. L*illogisme
de la municipalisation ressort de la seule juxtaposition des
arguments mis en avant pour l'appuyer.
120 PRBMliEB PARTIE. CHAPITRE TI
L'emploi du gaz comme moyea d'éclairage remonte au
commencement du xix^ siècle environ et durant la pre-
mière moitié de ce siècle le service en appartint presque
exclusivement à des Compagnies. Cette industrie néces-
sitant la pose de tuyaux sous le sol des rues, elles devaient
obtenir Tautorisation des autorités locales, soit en vertu
d'une loi générale, soit d'un private Act. Mais comme le
désir de créer des entreprises municipales allait croissant,
bon nombre de ces Compagnies, cédant à une pression
plus ou moins forte, vendirent leurs droits et leurs pro-
priétés aux corporations municipales qui en entreprirent
alors Texploitation. Le nombre des usines privées est ce-
pendant encore en Angleterre presque double de celui des
«sines municipales, et des villes importantes, telles que
Londres, Liverpool, Shefiield, Bristol et Hull ont laissé à
des particuliers le soin de fabriquer et de distribuer le gaz.
De 184i à 1867 les villes anglaises ont racheté 13 Com-
pagnies du Gaz, de 1869 à 1878 elles en ont racheté 68 :
en 1879 elles ne rachetèrent que deux usines et dans les
treize années qui vont de 1880 à 1892 elles en rachetèrent
seulement 15 (1). En 1892 les villes reprirent leur politi-
que de rachat et acquirent 67 usines dans les onze années
1893-1903. Knviron 60 Y„ des municipalités anglaises qui
fabriquent leur gaz en régie ont acheté leurs usines une
fois qu*elles étaient bien établies, leurs affaires prospères,
leur personnel i)ien entraîné ; 40 7o d'entre elles seulement
ontosé courir le risque et prendre la peine de fonder une
entreprise de toutes pièces et de réunir un personnel ca-
pable.
Il faut attribuer le recul que subit la politique de rachat
entre 1879 et 1892 à la crainte que causa la concurrence
(1) Voir R. Meyer, Municipal Oamership inGreat Brilain, p. 174.
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ
121
de la lumière électrique. L'effroi fut si sérieux que les ac-
tions de certaines Compagnies de p;az baissèrent de »iO 7o*
Le nombre des autorités locales du Royaume- Uni qui
possèdent des usines à gaz était en 1905-1906 de 265 ; leur
capital atteignait £ 38.512.21)5. Leurs recettes s'élevaient
à £9.546.682 et leurs dépenses à s: 7.052.474. Elles fa-
briquaient 63.335.696.000 pieds cubes de gaz qu'elles li-
vraient à 2.148 260 consommateurs (1).
La même année le nombre des Compagnies était de 469 ;
leur capital de £ 82.729.040. Leurs recettes étaient de
£ 17.828.872, et leurs dépenses de £ 13 307.727. Elles
fabriquaient 105.311.980.000 pieds cubes de gaz, livrésà
2.588.917 consommateurs.
Le tableau comparatif, ci-après indique pour les autorités
locales et les Compagnies, les quantités de charbon utili-
sées, le gaz produit et le nombre de leurs consommateurs
de 1895 à 1904. 11 montre que malgré la concurrence des
municipalités Tindustrie privée tient encore la tète et que
ses progrès sont plus rapides que ceux des corporations.
QUANTITÉS DK
QUANTITÉS DE GAZ
NOMBRE
M
as
<
CHARBONS CONSOMMÉES
PRODUITES
DE CONSOMMATEURS
Com-
Autorités
Com-
Autorités
Com-
Autorités
paj!:Dies
locales
pagnies
locales
(Milliers)
pagnies
locales
Tonnes
Tonnes
Pieds cubes
1904
8 673.343
5.662.259
105.311 980
63 335.696
2.588 917
2.148.260
1903
8 528.823
5.673.013
101.490.083
62.717.759
2.385 348
2.045.738
1902
8.520 004
5.589.215
99.676.048
60.902.739
2.197 98-
1.970 738
1901
8. 1580.365
5.522.264
97.386 619
59 .300.278
2 048.359
1.872.633
1900
8.426 853
5.479.435
94.869.740
57.138 062
1.945.823
1.767.464
1809
8 321.187
5.289.501
91,794.898
55.360 059
1.817 649
1.667.008
1898
7.958 669
4 8K3.148
86.705.723
51.441.272
1 670.847
1.578 29t
1897
7.96.3.465
4.652.688
84.040.176
48 652.559
1.549.627
1.475.749
1890
7.681.710
4 614.969
80.015.323
47 026.280
1.431). 272
1 406.456
1895
7.531.131 i. 406.315
77.245.618
44.176.134
1.339.712
1.320.059
tl) Rapport du Board of Trade, année 1904.
122 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE VI
Une législation détaillée et minutieuse règle la fabrication
et la distribution du gaz par les autorités locales. ïEn
voici un bref résumé pour l'Angleterre et le Pays de
Galles.
D'après la section 161 du public Health Act de 1875, une
(( urban authority » a le droit :
a) Dépasser avec toute personne un contrat pour la four-
niture du gaz nécessaire à Téclairage des rues et des bâti-
ments publics de son district.
b) De fournir le gaz dans son district, ou dans telle partie
• du district qui n'est pas encore desservie par une Compag^nie
ou une personne dûment autorisée.
c) D'obtonir du Local Government Board un provisional
order (d'après le gas and waterworksfacilities Act, 1870)
autorisant 1 entreprise. D'après la section 162 du même
Act, l'autorité locale peut, toujours avec le consentement
du Local (jovernment Board et dans le but de fournir le gaz
à son district, acquérir à Tamiable l'usine d*une Compagnie
non autorisée.
Ainsi donc^ sauf sanction immédiate du Parlement, don
née par spécial Act, une autorité locale ne peut pas:
a) Fournir le gaz en dehors de son propre district.
b) Faire concurrence à une entreprise existant en vertu
d'une loi.
En Ecosse, l'autorité locale peut fournir le gaz en vertu
des dispositions du Burgh gas supply Act de 1876, mais ne
peut pas :
a) Faire concurrence à une entreprise existant en vertu
d'une loi.
6) A une entreprise existant sans autorisation de la loi,
sauf après le refus de cette Compagnie de se laisser racheter;
mais elle peut :
LES EXPLOITATIO>S MUNICIPALES DU GAZ 12?
c) Fournir le pjaz dans tout district adjacent au bourg,
non compris dans la surface de distribution de toute autre
entreprise autorisée.
En Irlande, le Public Health Act de 1878 (pour l'Irlande)
donne aux autorités urbaines et à Tlrish Local Government
Board des pouvoirs semblables à ceux des autorités urbai-
nes et du Local Government Board anglais.
Les autorités municipales les moins importantes ont été
les seules à se servir des dispositions de la loi générale. La
plupart des villes importantes tiennent leurs pouvoirs d Acts
spéciaux dont nous allons essayer de donner une idée dans
les lignes qui suivent. Les clauses généralement insérées
dans les privateÂcts autorisant les autorités locales à gérer
le service du gaz sont ainsi conçues :
1° Le conseil municipal peut fabriquer et vendre le gaz^
ainsi que ses sous-produits.
2® Il peut acheter, fournir, vendre ou louer, fixer, pla-
cer et réparer, sans pouvoir les fabriquer, les compteurs
à gaz, poêles, fourneaux, tuyaux et autres appareils ser-
vant à l'éclairage, au chauffage et à la cuisson des ali-
ments.
Beaucoup d'autorités locales sont néanmoins autorisées à
les fabriquer, en vertu de leurs Acts spéciaux, la prohibi-
tion n'ayant été strictement observée que depuis quelques
années. Les Acts fixent généralement aussi lepri.xde vente
maximum du gaz et le pouvoir d'éclairage qu'il doit pos-
séder.
L'autorité locale est requise de. rembourser dans une
période donnée, variant de quarante à soixante ans les^
emprunts quelle a contractés. Lorsqu'elle fournit du gaz
au delà de ses limites, on l'autorise parfois à user de tarifs
différentiels. Mais une clause réserve alors à l'autorité
124 PREBUÈRE PARTIE. CHAPITRE YI
extérieure au district le droit d'acheter la part de Tentreprise
qui se trouve sur son territoire.
Le prix moyen du gaz vendu par les autorités urbaines
serait, d*aprës certaines statistiques de 2 s. 8 d. par 1000
pieds cubes; alors que les Compagnies le font payer 2 s.
11 d. Mais en faisant cette comparaison, il faut se rappeler
que les districts desservis par les autorités locales sont en
général les plus populeux et par suite les plus rémunéra-
teurs. Dans l'ensemble, les renseignements dont on dispose
ne permettent pas de croire que dans des circonstances
analogues, le consommateur ait, pour ce qui est du prix à
payer,beaucoup plus d'avantages à être servi par une auto-
rité locale plutôt que par une Compagnie. Les comparai-
sons entre le prix du gaz dans un groupe de villes où les
usines appartiennent à des Compagnies et un autre groupe
où elles appartiennent aux municipalités ne prouvent pas
grand'chose; sinon que les circonstances ne sont sans doute
pas les mêmes ; en tous cas elles ne nous permettent pas de
savoir quels prix demanderaient actuellement les Compa-
gnies dans les villes qui ont effectué la municipalisation (1).
Si nous en croyons Sir Courtenay Boyle(voir rapport de
1900), la politique générale du Parlementa l'égard desbills
demandant le rachat obligatoire des entreprises de gaz par
les autorités locales semble être :
(I) Lord AvEBURY, op. cil.., p. 79 et suiv.
Lord Avebiiry estime que les contribuables n'ont pas eu à se féliciter
de la municipalisation des usines à gaz. «< 11 faut se rappeler, dit-il,
que la plupart des corporations qui fabriquent le gaz en régie sont de
grandes villes manufacturières qui font une énorme consommation de
gaz, et sont situées dans les districts houillers. Le^ Compagnies, au
contraire, sont en général beaucoup moins bien placées. En réalité
les Compagnies de Hristol, Bath, Liverpool, Newcastle et Sbeffield
sont les seules à Tégard desquelles on puisse établir une juste com-
paraison avec des villes telles que Manchester, Birmingham et Net-
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ
125
1° D'obliger toute Compagaie, non munie d'une autorisa-
tion, à vendre ses usines s1I est prouvé que sa gestion est
mauvaise, ou son gaz de mauvaise qualité.
2^ Lorsque cette preuve ne peut être faite, de ne pas ac-
tingham.
Voyons ce que coûtent les 1.000 pieds cubes de gaz, vendus par les
villes ou par les compagnies :
Corporations :
Nottingham . . .
2 s.
6 d
Bollon
2.
6.
Manchester. . . .
2.
4.
Lelcesler
2.
4.
Carlisie
2.
3.
Oldbam. 2 s. à. .
2.
3.
Salford,ls. ild. à
2.
3.
Bradford
2.
I.
Compagnies :
Bristol
2 s.
Bath
2.
1 d
Newcastle ....
1.
9.
Sheffield
i.
4.
Plymouth ....
1.
9.
Portsea
2.
4.
Rochester ....
2.
9.
Brighton
2.
10.
Toutes près des
mines
de charbon.
I
/
\
Près des mines
de charbon.
Loin des mines
de charbon.
On ne peut évidemment pas comparer les grandes cités manu-
facturières, situées au milieu ou tout près des districts houillers, aux
Compagnies de la Métropole ou aux Compagnies du sud de l'Angle-
terre où le charbon coûte beaucoup plus cher. Néanmoins, il nous faut
mentionner ce fait tout à Tavantage de Tenlreprise particulière, que
la < South Metropolitan (îas Company » ne fait payer son gaz que
2 s., soit 4 d. de moins que Manchester, malgré la dilTérence de prix
du charbon
« Si la South Metropolitan Gas Company faisait payer son gaz le même
prix que la corporation de Manchester, ses clients payeraient £ 208.000
de plus par an, qu'ils ne payent actuellement ; et si la corporation de
120 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VI
corder à rautorito locale le droit de rachat obligatoire ;
d'opérer cependant sur la Compagnie, lorsque le sentiment
populaire en faveur de la municipalisation est très fort, une
certaine pression pour l'engager à accep ter la vente à des
conditions avantageuses.
3^ Dans le cas d'une entreprise de gaz autorisée, de refu-
ser le rachat obligatoire.
i"" Dans aucun cas n'autoriser Tautorité locale à faire
concurrence à une entreprise de gaz existante.
Tel est à peu près Tétatde la législation anglaise actuelle,
relative aux entreprises des autorités locales. Avant d'exa-
miner avec quelque détail les entreprises de deux ou trois
villes choisies parmi les plus importantes, il n'est pas inu-
tile de jeter un coup d'œil sur la législation qui rég"it les
Compagnies privées et de voir si elle offre ou non les ga-
ranties qu'en peuvent attendre les citoyens.
C'est en 1847 qu'eut lieu la première codification des lois
relatives aux entreprises particulières : leurs traits les plus
caractéristiques se résument dans les dispositions suivantes :
limitation du dividende maximum à 10 "/o", versement de
Manchester faisait payer son gaz le même prix que la u Soulh Metro-
politan Gas Company » ses clients payeraient annuellement £ 79.000
de moins par an ; mais au lieu de réaliser un profit de £ G6.000, elle
ferait alors une perte de £ 13.000.
<c Où seraient les profits de Manchester, Nottingbam et Bol (on si elles
vendaient leur gaz au prix des Compagnies de Newcastle, Bristol et
Sheffield ? Les corporations font payer leur gaz un prix exorbitant et
déclarent ensuite qu'elles font des profits.
< A Noltingham, c'est la corporation qui fabrique le gaz ; à ShefGeld.
c'est une Compagnie. Il y a quinze ans le prix était le même dans les
deux villes. Depuis, il s'est élevé à Nottingham, il a baissé k Sheffield.
si bien qu'aujourd'hui on le paye en moyenne 2 s. 6 d. les 1 .000 pieds
x;ubes dans la première de ces deux villes, 1 s. 4 1/2 d. seulement
dans la seconde. >
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ I 27
Texcédent disponible à un foads de réserve, d'après une
proportion fixée par la loi. Abaissement du prix de vente
du gaz, chaque fois qu*une distribution de dividendes de
10 Vo 6^ 1^ dotation du fonds de réserve n'épuisent pas les
profits réalisés.
L'exécution de cette loi laissa beaucoup à désirer, les
Compagnies cherchaient à tourner ses dispositions en trans-
formant le capital-obligations en capital-actions et en dis-
tribuant aux actionnaires les nouvelles actions au pair et au
prorata du nombre de celles qu'ils possédaient déjà. Pour
empêcher ces deux manœuvres le législateur a,depuis 1873
inséré dans les PrivateBills une clause en vertu de laquelle
les obligations ne pourront être transformées qu'en actions
rapportant un dividende maximum de 5 ^'/o, actions qui
devront être dorénavant vendues aux enchères et non plus
distribuées au pair entre les anciens actionnaires.
Gomme dernière mesure de protection prise à Téf^arddes
consommateurs de gaz, il nous faut enfin signaler l'intro-
duction du système de Téchelle mobile {sliding scaiej^ qui
détermine Taugmentation permise du dividende parallèle-
ment à l'abaissement du prix de vente. C'est le Board of
Trade qui fixe le prix initial (standard price), gouvernant
l'application de l'échelle mobile. La Compagnie peut élever
le prix de son gaz, mais alors son dividende baissera ; dimi-
nue-t-elle le prix du gaz, elle pourra distribuer des dividen
des plus élevés ; tout Tengage doiie à baisser ses prix le
plus possible. Les municipalités ne distribuant pas de divi-
dende, il ne peut être question pour elles d'échelle mobile.
M. Vermaut (1) a clairement expliqué le fonctionnement
de la (( sliding scale ».« Prenons un cas concret. Supposons
(l) Vermaut, Les régies municipales en Angleterre, p. 20.
128 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE VI
un instant que les bases soient ainsi fixées : divideode ma-
ximum 10 Vo ; prix par 1 .000 pieds cubes de gaz 3 s 0 d.
Admettant que pour toute réduction de 1 d.par 1 .000 pieds
cubes le dividende puisse s'accroître de 1/4 Y^, il en ré-
sultera que si la Compagnie vend le gaz au prix de 3 s. 6 d.
les 1.000 pieds cubes, elle sera autorisée à distribuer un di-
vidende de 10 3/4 °/o ®t ainsi de suite. De même si le prix
de vente devient 4 s., le dividende maximum sera
ÎM/4Vo.»
Un autre système consiste à autoriser dans une zone
neutre certaines variations de prix, de 3 s. à 3 s 4 d. par
exeniple,de telle façon que la Compagnie bénéficie de l'abais-
sement au-dessous du minimum et souffre de l'élévation
au-dessus du maximum.
Knfin les autorités locales vérifient les compteurs des
Compagnies et examinent la puissance d'éclairage du gaz.
Comme on le voit, les pouvoirs publics ne manquent pas
de moyens d'action pour faire respecter par les Com-
pagnies les intérêts des consommateurs (i). « Non seule-
ment Tact de concession voté par le Parlement lui-même
limite la surface d'exploitation de la Compagnie, fixe son
capital et le taux d'émission de ses actions, le taux maximum
des dividendes, etc., énumère les conditions à remplir pour
émettre des obligations qui ne peuvent dépasser en général
le quart du capital actions, et, fait très important qui per-
met de fréquentes révisions des contrats, bien que les con-
cessions,sauf clause de rachat,soient perpétuelles, les Com-
pagnie» ne peuvent étendre le secteur concédé, ni émettre
aucune action ou faire aucun emprunt en sus de ce qui
est stipulé dans la loi les constituant, sans nouvelle autori-
(1) PiERRii Lehoy-Beaulikc, Econoniisle Ffançais, 14 décembre 1904.
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ 12g
sution législative. Les prix de vente maxima varient de ilt
G s. les 1.000 pieds cubes ». Nous avons vu qu'ils sont ra-
rement atteints.
Connaissant les conditions dans lesquelles autorités lo-
cales et Compagnies peuvent respectivement entreprendre
la fabrication et la distribution du gaz, nous allons retracer
en quelques pages Thistoire de la municipalisation à Man-
chester, Glasgow,Birmingham,et étudier ensuite deux ques-
tions qui se posent à propos de Texploitation municipale
et qui consistent à savoir si les communes ont le droit : lo de
fournir du gaz en dehors de leurs limites administratives,
2^ de fabriquer et de louer des appareils à gaz ?
La régie municipale du gaz à Manchester.
Manchester est la seule ville anglaise où la fabrication et
la distribution du gaz aient été constamment aux mains des
autorités locales. En 1824 les « Local Police Commissioners»
inauguraient la première usine à gaz gérée par une autorité
publique ; en 1843 ces ouvrages passaient à la corporation,
qui depuis leur a fait subir de perpétuels agrandissements.
Les quantités de gaz vendues atteignent à Manchester des
chiffres considérables, la ville fournissant le gaz aux districts
voisins, de même qu'elle leur fournit Teau ; si bien que la
surface où Ton brûle lo gaz de la corporation se trouve être
deux fois aussi étendue que la municipalité même.
Au 31 mars 1î)0o les dépenses totales en capital s'éle-
vaient à £ 2. 500. 136 ; à la même date la dette atteignait le
chiffre de £ 1.245.815. Le profit net (une fois faite la part
des intérêts de la dette et du service du Sinking Fund) s'élève
en 1905 à £64.455 contre £ 133.478 en 1903 et £ 93.841
en 1904. Cette décroissance s'explique en grande partie par
BoTcrat 9
i3o
PtlEMlÈRE PAtlTIË. — GbAPITtlB Vt
la réduction consentie sur le prix du gaz qui, en 1905, était
de 2 s. 4 d. et 2 s. 7 d. contre 2 s. 9 d. et 3 s. en 1903 et
2 s. 6. d. et 2 s. 9 d. en 1904(1).
Le « reserve fund » s'élève en 1905 à £ 147.607. Dans le
compte de Proûts et Pertes de Tannée 1904-1905, le revenu
s'élève h £ 688.954, les dépenses à £ 538. 164, le profit brut
à £ 150.790. Le Sinking Fund exigeant £ 42.610, le service
des intérêts £ 42.112, et la réserve £ 1.613,1e profit net
se fixe au chiffre cité plus haut de £ 64.455. Le tableau
suivant indique la marche de l'entreprise depuis 20 ans.
ADDée unissant
au 31 mars
. Service
des intérêts
Sinking
Fund
Profit net j
18A5
1800
1895
1900
1005
£29 300
29.036
30.304
38.400
42.112
£24.762
23 517
13.954
36 686
42.610
£50.963
42.023
90.438
73.964
64.455
Le montant total des profits employés en aide des impôts
de 1885 à 1905 est de £ 2. 689.301.
En revanche, depuis le 31 mars 1891, on n'a pas consacré
la moindre somme à Tamortissement. La dépense en terrains,
machines, etc., s'élevait alors à £ 1.356.532; elle est de
£ 2.506.136 au 31 mars 1905. Une serait que prudent de
faire à un taux convenable une part annuelle à ramortisse-
ment pour éviter le risque actuellement couru d'avoir subi-
tement à faire face sur les revenus à des dépenses extraor-
dinairement lourdes de renouvellement.
Quant au prix du gaz, il n'est pas fixe, il varie d'année en
année suivant les circonstances, et surtout suivant le cours
(1) Manchester, Abstracl of accounts^ 1904-1905.
Les E5CPtOltAtlÔN8 MUNIGlPAtfiS DU GA2
i3t
du charbon. En général il va baissant, quoiqu'on 1885 il
fût moins cher qu'en 1902. Il est plus cher au dehors qu'à
Pintérieur de la cité.
Prix .du gaz par 1000 pieds oubes.
Années
A rintérieur de la Cité
Au dehors de la Cité
1885
2 s. 8 d.
3 8. 2 d.
1890
2 6
3 0
1896
2 3
2 9
1899
2 3
2 6
1901
2 6
2 9
1902
2 9
3 0
1904
2 6
3 9
1905
2 4
2 7
Bien que/ dans les municipalités anglaises les comptes
de chaque entreprise soient spécialisés, nous voyons qu'on
emploie les profits du gaz en aide des impôts*; mais nous
voyons aussi dans les « estimâtes » de 1906-1907 qu'à l'oc-
casion de la visite du roi à Manchester, visite qui avait eu
lieu l'année précédente, on a puisé dans le reserve fund du
gaz pour faire face aux frais de la réception royale, une
somme de £ 8.897. La situation prospère de l'entreprise,
permet sans doute d'agir de la sorte ; ce n'en est pas moins
un procédé bizarre.
La régie municipale du gaz à Glasgow.
Durant un demi-siècle, la fabrication etia distribution du
gaz appartinrent à la « Glasgow Gas Light G"* » fondée en
1817. Elle fit de si rapides progrès qu'au bout de quatre
ans, elle se vit dans la nécessité de doubler son capital et
de demander au Parlement l'extension de ses pouvoirs, ce
qui lui fut accordé.
l32 PREMIÈRB PA1\T1E. — CHAPITRE VI
Toutefois, en 1825, une loi lui défendit de distribuer des
dividendes supérieurs à 10 ^/o- Or, au bout de peu de
temps on découvrit que la Compagnie payait sur son revenu
les frais d*extension de ses usines, désobéissant ainsi à la
loi et portant préjudice aux consommateurs. On cria beau-
coup, sans se décider à agir. En 183î>, pourtant, cinq com-
missaires nommés à un public meeting examinèrent les
comptes de la Gas Light C*" )> et trouvèrent qu*elle s'était,
par ses fraudes, endettée envers sa clientèle d'une somme
do £53 778. Ils suggérèrent qu'on pourrait liquider cette
dette en réduisant de 50 Yo pendant cinq ans le prix actuel
du gaz ; il est à peine besoin de dire qu'il ne fut pas tenu
compte de leur proposition. Durant huit ans encore la
Compagnie resta maîtresse de la situation ; mais le mé-
contentement du public était tel qu'une seconde Compa-
gnie se forma eji 1843 et obtint du Parlement les pouvoirs
nécessaires pour faire concurrence à la première. L'amé-
lioration du service qu'amena cette concurrence ne dura
pas longtemps, et les choses en revinrent bientôt à leur état
primitif. En 1857, une première tentative de rachat des
Compagnies échoua par suite de la lenteur qu'apporta dans
ses délibérations le conseil municipal. En 1867, enfin, il dé-
cidait, à la presque unanimité, qu'il était de l'intérêt public
que la distribution du gaz appartint au Town Council. En
1869 un bill autorisant le transfert des usines des deux
Compagnies à la municipalité devint loi.
La ville reprenait leur dette hypothécaire montant à
£ 120.000 et versait aux actionnaires une indemnité
qui prit la forme d'annuités perpétuelles s'élevant à
£35 000(1).
(1) Le capital des Compagnies s'élevait à £4(5.000. I^s aclion-
nairds des premières £ 300.000 avaient reçu tO */o, ceux des £ 115.000
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ l33
La corporation entra en possession des usines à gàz
le I®' juin 1869. La quantité de gaz vendu a passé de
1.026.000.000 de pieds cubes en 1869-1870, première an-
née de l'exploitation municipale, à 5.887.933.000 pieds
cubes en 1904-1 90S.
Malgré les réductions de prix successives, le revenu brut
est passé de £ 235.701 en 1870 à £ 800.177 en 1905. La cor-
poration fournit à présent le gaz à toute une population
vivant sur un territoire d'environ 16 miles de long sur
10 miles de large.
En 1898 le Town Gouncil décidait la construction de nou-
veaux gazomètres dont le coût fut estimé à £ 1.000.000,
L'aventure semblait à quelques personnes un peu risquée,
Télectricité pouvant un jour remplacer complètement le gaz
comme mode d'éclairage. L'on répondit que le jour où le
<
gaz ne servirait plus à nous éclairer, on l'utiliserait en quan-
tités bien plus considérables pour faire la cuisine, se chauf-
fer, actionner des moteurs. Il n*est que juste de faire remar-
quer que les quantités de gaz vendues à Glasgow dans un
but autre que Téclairage sont déjà considérables et crois-
sent rapidement. L*introduction des brûleurs à incandes-
cence semble, d'ailleurs, promettre au gaz une existence
fort longue encore.
restantes 7 i/2 */o de dividende sur le dernier exercice antérieur au
rachat. Diaprés les clauses de la vente, on transforma les dividendes
en annuités perpétuelles 9 **/<> pour les actionnaires qui avaient tou-
cbé 10 Vof en annuités 6 3/4 ^/o pour ceux qui possédaient les
actions 7 1/2 ; garanties sur les revenus de l'entreprise et par un im.
p6t spécial pouvant s'élever jusqu a G d. par £.
La corporation a le droit de racheter les annuités sur le marché ;
en 1902 elle a offert aux porteurs l'option entre leurs annuités et du
corporation stock 3 ^l*. A la suite du cette opération, le capital que
représentaient les annuités a été réduit de £ 415.000 à £ 280 038, et
la ville a contracté sous forme de corporation Stock 3 7o rachetable
en 1921 une dette de £ 269.493 (Siock Exchange Year Boohy 1906).
l34 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE VI
On avait au 31 mai 1900 dépensé en ouvrages, terrrains,
etc., un capital total de £ 2.420.382. A la même date, la
dette s'élevait à £ 1.918.836. £ 36.199 ont été consacrées à
ramortissement des machines et du matériel de production.
Le Sinking Fund s'élève à £ 347.497 (1).
Le revenu net de l'année 1904-1903 a été de £ 111 .371,
12 s, 3 d. Le service des annuités, des intérêts et du Sin-
king Fund a demandé £ 123.427 1 s. 3 d., laissant ainsi
.sur les opérations de Tannée un déficit de £ 12.033, 9 s. 0 d.
En 1904 le surplus n'avait été que de £ 61 8 s. 10 d., de
£48.104 8 s. 10 d. en 1903 et de £ 39.333 14 s. 1 d. en
1902.
En 1901, le déficit s'était élevé à £ 35.003, 0 s. 4 d.
Depuis 1870, l'exercice s'est à six reprises soldé par un dé-
ficit : et quatre fois les bénéfices ont été inférieurs à £ 100.
Le bénéfice le plus important est celui de 1903 avec
£ 48.000.
Le prix du gaz a passé de 4 s. 7 d. en 1870 à 4 s. en 1872 ;
à 3 s. 3 d. en 1873 ; à 3 s. 10 d. en 1880 ; à 3 s. 6 d. en
1883 ; 2 S.-6 d. en 1890 ; 2 s. 4 d. en 1896 ; 2 s. 2 d. en
1897 ; 2 s. 6 d. en 1901 et 1902 ; à 2 s. 1 d. en 1904 et
1903.
Depuis 1903, le gaz est vendu meilleur marché pour la
production de l'énergie que pour l'éclairage (2 s. 1 d. pour
l'éclairage et 2 s. pour les moteurs).
A l'inverse de ce qui se produit à Manchester, Glasgow
fournit le gaz aux habitants des faubourgs au même prix
qu'à ses citoyens. L'Act du Parlement qui l'autorisa à opé-
rer la municipalisation l'oblige à agir ainsi. Si nous en
croyons le témoignage du Lord Provost M. Ghisbolm, ce
{\) Report by the Committee on Gas Supply. Glasgow, 1904-1905.
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ l35
sont les localités voisines qui sont venues lui demander de
leur fournir le gaz que la grande cité fabriquait à meilleur
compte qu'elles et sur une plus vaste échelle.
La ville elle-même, qui est le plus grand consommateur
de gaz pour Téclairage des rues, des cours et des escaliers^
le paye au même prix que les particuliers . (Les villes
d'Ecosse éclairent en effet les escaliers des grandes maisons
où habitent à la fois de nombreux locataires, et la dépense
est supportée partie par la ville, partie par le propriétaire.)
Glasgow n^emploie pas comme Manchester ou Birmin-
gham ses profits en aide des impôts. Elle cherche, dit-elle,
à en faire le moins possible, et les consacre en général à
l'amélioration de l'entreprise qui les a réalisés. Nous revien-
drons à la fin de cette étude sur l'usage que doivent faire
de leurs profits les entreprises municipales.
Ne cherchant pas à faire de profits, Glasgow peut donc
vendre son gaz un prix raisonnable ; or le gaz à bon mar-
ché, sous son climat froid et brumeux, est certainement un
inestimable bienfait. La population pauvre peut Tutiliser
pour son éclairage et pour son chauffage, et le service du
gaz a sous ce rapport fait preuve d'une assez réelle initiative.
Il met en vente ou donne en location des poêles et des four-
neaux et a d'ailleurs tout intérêt à le faire, puisqu'il aug-
mente ainsi la consommation. Il vendait en i 887-1888, 1 .1 93
appareils de chauffage et de cuisine et en louait 1465. En
1892, il avait plus de 8.000 poêles à gaz en location dans
des maisons habitées par la classe ouvrière.
Au 31 mai 1905, le nombre des poêles en location était de
28.044. Le nombre des appareils do chauffage et de cuisine
par le gaz vendus durant Tannée se montait à 2.628 (1).
(i)Reporlby the Commillee on Gas Supply. 1904-1905.
l36 PUEMituE PARTIE. — CHAPITRE VI
La Régie Municipale du gaz à Birmingham.
La régie du gaz est peut-être celle dont la municipalité
de Birmingham se montre le plus Gère, et son histoire est
intéressante à plus d*un égard.
C'est au mois de janvier 1874 que M. Chamberlaio, alors
maire de Birmingham, présenta pour la première fois son
projet de rachat des deux Compagnies (la Birmingham Gas
Light and Coke C° et la Staffordshire Gas Company) qui
distribuaient le gaz à la ville.
Elu maire en 1873, M. Chamberlain faisait partie du
conseil depuis plusieurs années et y avait acquis une grande
influence. II joignait, à une connaissance profonde des
affaires de Birmingham, la ferme ambition d'accomplir de
grandes choses et une grande capacité politique et admi-
nistrative.
Il se mit en rapport avec les directeurs des deux Corn-
pagnies, et voyant qu'on pourrait obtenir le rachat à des
conditions raisonnables, fit part de son projet au Conseil
municipal en l'appuyant sur les arguments suivants :
Il n'aurait pas eu la hardiesse, disait-il, de déposer de-
vant le Conseil cette proposition si importante, s'il n'avait
eu la conviction que le Birmingham Town Council possédait
une réelle capacité commerciale et une grande expérience
des affaires, et que le plus parfait désintéressement animait
tous ses membres dans les services qu'ils rendaient à la
cité. Il rappelait au Conseil que Tadoption de sa proposition
aurait pour résultat de faire passer la dette municipale de
un demi-million à deux millions et demis de £; qu'elle fe-
rait de lui un grand employeur, augmentant du même coup
son influence, son pouvoir et sa responsabilité. Il estimait
que tons les monopoles autorisés par TEtat devraient être
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ 187
aux mains des représentants du peuple qui les administre-
rait par leur intermédiaire et en toucherait les bénéfices.
Actuellement le conseil ne disposait que de moyens in-
suffisants pour Taccomplissement des obligations et des res-
ponsabilités qui pesaient sur lui ; et il pensait que le poids
des impôts deviendrait à bref délai intolérable, si Tonne
trouvait pour y remédier quelque moyen du genre de celui
qu'il proposait à ses collègues. Le rachat aiderait à soula-
ger les contribuables d'un fardeau chaque jour plus onéreux
et plus oppressif.
M. Chamberlain réussit si bien à convaincre le conseil
municipal que celui-ci adopta, par 54 voix contre 2, une
résolution en faveur du rachat. Quand quelques mois plus
tard on procéda à la ratification de ce rachat, il n'y avait
plusqu*un seul opposant.
L'indemnité versée aux deux Compagnies prit la forme
d'annuités perpétuelles, représentant un capital d'environ
£ 2.000.000.
L'exécution du projet Chamberlain fut un événement de
grande importance dans l'histoire du gouvernement lo-
cal (1), non seulement en lui-même, mais parce qu*il con-
duisait & une extension considérable du Municipal Trading ;
directement et indirectement à la fois. Directement, parce
que nombre d'autorités locales dans le Black Country re-
cevaient le gaz de la StafTordshire C°, et qu'après le rachat
de cette dernière parla corporation de Birmingham, les au-
torités en question furent obligées de se prévaloir de leur
droit d'option pour racheter les parties de Tontreprise si-
tuées dans leurs districts respectifs ; tandis qu'indirectement
l'exemple donné par Birmingham exerçait une influence
considérable sur les municipalités du pays en général.
(1) Voir le Times, 25 septembre 1902.
i38
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VI
Le transfert eut pour résultat immédiat la substitution
d'une série de conduites et d'une série d'employés à deux ;
réconomie ainsi obtenue rendit disponibles des sommes
importantes qu'on put employer en aide des impôts.
Depuis que l'entreprise est aux mains de la municipa-
lité le service du gaz a versé chaque année au budget de
la ville une somme qui n'est jamais tombée au-dessous de
£ 19.000 (1886), s'est élevée eu 1897-1898 à £ 50.000, en
1902-1903 à £57.000, en 1904-1905 à £ 50.526. L'entre-
prise a payé en outre la plus grande partie des frais de
construction de la Birminghan Art Gallery, réduit les frais
de l'éclairage public au simple coût de fabrication, pourvu
largement à Tamortissement du matériel et de la dette et
a supporté sur ses revenus le coût de ses agrandisse-
ments, si bien qu'aujourd'hui les charges du capital ne
sont guère plus élevées qu*elles ne Tétaient il y a vingt ans,
quoique la fabrication du gaz atteigne un chiiïre trois fois
plus considérable.
Le tableau suivant donne la situation du Reserve fund,
du Sinking fund, et le compte Capital du département du
gaz à la fin de chaque année financière (1).
Années
Reserve fund
Sinking fund
Capital account
1875
£ »
£ »
£2.000.931
1880
50.000
73.486
2.142.262
1885
59.534
227.144
2.313.322
1890-1891
100.000
320.045
2.178.407
1895-1896
100.000
484.209
2.1.57.761
1900-1901
ltK).000
613.449
2.457 OU
1904-1905
100.000
757.427
2.566.904
En 1904-1093, le revenu brut était de £ 877.241, les
dépenses de £ 704.402, le profit brut de £ 172.839.
(1) ViNCE, op. cU.^ p. 268, et rapports du Comité du gaz*
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ iSg
■
£ 37.584 étaient versées au Sinkiag fund, £ 83.729
passaiePât au service de la dette, £ 1.000 à la réserve. Le
moDtant brut total des emprunts négociés, y compris les
annuités était de £ 2.908.949. Le montant total des som-
mes consacrées au rachat de la dette depuis le début de
l'entreprise était, à la fin de 1904-1905, de £ 757.427. La
balance des emprunts au remboursement desquels ils res-
tait à pourvoir s'élevait à £ 2.151.522.
Le principe qui a permis de maintenir le capital à un
chiffre presque stationnai re alors que la fabrication aug-
mentait de façon si considérable, a consisté à ne porter au
compte Capital que les additions de matériel susceptibles
d'augmenter la puissance productrice de l'entreprise (1) ; le
nouveau matériel ne fait-il que remplacer un matériel déjà
existant, on ne débite le capital que de la part seule qui
doit augmenter la production ; presque chaque année on le
réduit de la A'aleur des bâtiments et des machines aban-
données ; et si cette déduction est supérieure au coût du
matériel nouveau, les comptes font ressortir une diminution
réelle du capital. Le principe a toujours été appliqué avec
la plus grande prudence, et la dépense du capital telle que
les comptes nous la présentent doit être beaucoup moins
considérable que la valeur actuelle des usines. Le « Dépré-
ciation fund » a été si largement doté que le «Gascommittee »
a eu fréquemment en mains des sommes suffisantes pour
opérer des agrandissements considérables sans avoir à de-
mander au conseil l'autorisation de faire de nouveaux em-
prunts. On a même critiqué cette politique comme prudente
à l'excès, et on a reproché au comité de veiller aux intérêts
de la postérité aux dépens de la génération présente.
(1) ViNCB, op. cit., p. 269,
i4o
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE VI
Ces précautions trouvent à notre avis leur justification
dans le risque très réel que court tout mode d'éclairage
d'être un jour ou l'autre supplanté par un autre plus puis-
sant ou moins coûteux. C'est pour parer à ce danger que
Birmingham a formé son sinking fund plus rapidement
même que la loi ne le réclamait.
Voici, de cinq en cinq ans, les prix successifs du gaz et les
quantités qu'on en a fabriqué :
Années
1875
1880
1885
1890-1801
1805 1806
1000-1001
1904-1005
Gaz vendu
Pieds cubes
2.327.506.800
2.675.755.400
3.151.878.000
3.810.418.300
4.334.720.500
5.709.610.7 0
6.203.810.600
Prix du gaz
moins 5 ''/o d'escompte en
cas de payement immédiat
de 3 i
2/6
2/1
2/3
2/3
2/3
1/10
à 3/6 d.
» 3
» 2/5
9 2/7
• 2/7
« 2/9
» 2/6
Le prix varie suivant la quantité consommée ; les per-
sonnes qui consomment plus de 2o0.000 pieds cubes, le
payent 1 s. 10 d. les 1.000 pieds cubes; pour moins de
25.000 pieds cubes le prix est de 2 s. C d. : il y a en outre
des tarifs intermédiaires. On voit aussi que le prix du gaza
considérablement diminué depuis 1875, comme d'ailleurs
dans toutes les autres villes anglaises, qu'elles soient des-
servies par des Compagnies ou des usines municipales.
Signalons encore que le département du gaz se livre à
un commerce important de sous produits et qu'en 1904-1905
il a vendu pour £ 111.913 de coke et frésil (breeze), repré-
sentant 194.653 tonnes de coke et 48.843 tonnes de frésil ;
pour £ 35 406 de goudron et £ 49.781 d'ammoniaque,
représentant le premier 5 814.260 gallons, le second
17.326.075.
LES EXPLOITATIONS MUMGIPALES DU GAZ 1^1
Malgré ces résultats excessivemeat satisfaisants, Tentre-
prise municipale du gaz n'a pas échappé àquelques critiques.
Nous laissons de côté pour le moment la discussion à laquelle
donne lieu l'emploi qu'on doit faire des profits, et nous nous
contentons de signaler en passant la question des salaires
des employés du gaz.
■
Que les employés des usines municipales aient ou non
exercé sur Tesprit des conseillers désireux de conserver
leurs votes une influence irrégulière, on estime que la
somme payée en salaires à ses ouvriers par la corporation
dépasse de 30 ou 40.000 £ celle que leur donnerait une
Compagnie anonyme. C'est un problème que nous considé-
rerons plus à loisir dans un chapitre spécial. Disons simple-
ment que dans le troisième volume de l'histoire de la cor-
poration de Birmingham, où il donne une longue liste des
concessions accordées par le Conseil soit sous forme de ré-
duction des heures de travail, soit d^augmentations de salai-
res, M. Yince montre que de 1875 à 1897 ces concessions
représentent pour le contribuable une dépense équivalente
à une augmentation du Borough Rate de près de 4. d. par£ .
L'introduction des machines, en diminuant la main-*d'œuvre
nécessaire, a heureusement contrebalancé dans une certaine
mesure l'accroissement considérable du coût de travail.
De même qu'à Glasgow enfin, l'emploi du gaz a été en-
couragé sous toutes ses formes. Au 31 mars 1905 le dépar-
tement municipal avait fourni à ses clients 19.829 four-
neaux à gaz et vendu durant Tannée 545 poêles et four-
neaux.
Les poêles et fourneaux à gaz nous amènent à la discus-
.sion d'une question délicate que nous avons réservée pour
la fin de ce chapitre et que voici :
Les municipalités ont-elles le droit de fabriquer des ap-
t4a PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE Yt
pareils à gaz (gaz fiUings) et de les vendre ensuite à leur
clientèle ? La question s'est aussi posée pour Télectricité,
nous Texaminerons ici une fois pour toutes, car elle se pré-
sente exactement de la même façon dans les deux cas.
Cette question de la fabrication et de la vente des appareils
à gaz ou des appareils électriques a soulevé de nombreu-
ses discussions; et il est d'autant plus difficile de lui don-
ner une solution qu'elle touche aux limites qu*il faut fixer
au Municipal Trading. Elle s'est posée dans un certain
nombre de villes» à Birmingham, notamment, àSouthport,
Nottingham, Huddersfield» Bolton, Oldham (1).
Pour M. Darwin (2}, « c'est un sentiment d'injustice bien
défini qu'on éprouve en voyant le Municipal Trade faire
concurrence à l'industrie privée ; car dans des circonstances
de ce genre, le contribuable peut se trouver contraint de
contribuer de ses propres deniers à l'établissement d*un
rival, qui par sa concurrence même pourra lui faire subir
dans ses aiïaires des pertes matérielles considérables ».
Devant le comité d'enquête de 1900, les associations des
quincailliers (ironmongers) et do marchands d'objets de
fer ou de fonte firent entendre leurs protestations contre la
vente et la location de poêles à gaz par les municipalités,
notamment parce que leurs tarifs étaient, disaient-ils^si bas
qu'ils rendaient toute concurrence impossible (3). Comme
l'expliquait M. Smith, secrétaire général des associations
fédérées des Ironmongers, l'avantage que possède la cor-
poration sur le marchand an détail est celui-ci : elle peut
emprunter de l'argent à un taux bien moins élevé que lui,
variant de 2 3/4 à 3 74 Vo. alors que le commerçant ordinaire
(1) Municipal Trading Report, 1900, p. 230.
(2) Dabwin, op. cit., p. 98.
(3) Municipal Trading Report, 1900, quest. 2959.
LÈS ElPLOlTAtlONS MtJNICIt>AtES DtJ GAÎ5 I^S
sera peut-être obligé d'emprunter à S Vo- S'ils devaient dé-
buter tous deux avec un capital d'emprunt, leurs chances
seraient tout à fait inégales. Malgré cela, on lui demande,
à lui commerçant, de contribuer à sa propre ruine, pour
cette seule raison que la corporation jouit d'un monopole
et l'oblige à payer des impôts. £n sa qualité de contribuable
d'une part, de commerçant de l'autre, il se trouve payer de
deux façons.
Au commencement du xix"" siècle, on se préoccupait si
bien des intérêts du commerce, qu'en 1810, dans l'Act qui
créait la (v Gas Light and Coke C* >), le Parlement introdui-
sit, bien qu'il s'agit d'une Compagnie, une clause défen-
dant à la dite Compagnie de vendre ou de fournir aucun
poêle, tuyau, appareil ou machine quelle qu'elle fût, ser-
vant à distribuer le gaz à l'intérieur des habitations. En
1816, dans un Act postérieur et relatif à la même Com-
pagnie, nous retrouvons les mêmes prohibitions.
Ces restrictions furent trouvées gênantes et au bout
d'un certain laps de temps, l'autorisation fut donnée aux
Compagnies de fournir ces appareils. A l'époque où le
rachat des entreprises particulières par les autorités locales
commença, ces dernières reprirent, avec l'ensemble des
pouvoirs des Compagnies existantes, le droit de fournir des
appareils à gaz et souvent aussi le droit de les fabriquer.
Parfois encore les autorités locales ont obtenu par Act
spécial ce pouvoir de fabriquer et de vendre des appareils
à gaz ; l'Act de 1879 pour la ville de Stratford-on-Avon en
est un exemple. Il permettait au Local Board « de fabri-
quer, d'emmagasiner et de fournir du gaz et du coke,
ainsi que des compteurs, des appareils, des conduites et au-
tres articles relatifs à la fabrication et à l'emploi du gaz » (1).
(1) Municipal Trading Report, 1900, p. 23. quest. 305.
l44 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VI
A Birmingham, la corporation, non contente de vendre
ou de louer toutes sortes d*appareils à gaz, envoie jusque
chez les particuliers des ouvriers plombiers engagés par
elle pour faire les travaux de pose et de réparation (1).
Cette manière d'agir a causé le plus grand tort à nombre
de commerçants ; elle en a même ruiné quelques-uns.
Dès 1877 , les commerçants et ouvriers intéressés
avaient protesté contre la concurrence du service muni-
cipal. En 1889, ils renouvelèrent leur protestation ; la
corporation répondit qu'elle ne cherchait pas à faire Tou-
vrage à meilleur marché que les particuliers ; qu'ensuite,
en sa qualité de fabricant de gaz, son intérêt était d*aider
le consommateur à se procurer des appareils à la fois bons
et économiques, attendu que rien ne nuit davantage à la
consommation que le mécontentement dû à l'emploi d'ap-
pareils peu coûteux, mais gâcheurs, ou à un travail mal
exécuté.
Finalement, le service municipal persiste dans sa con-
currence, parce qu'il y trouve son avantage ; le consom-
mateur reste indifférent à la question, pourvu qu'il reçoive
à peu près ce dont il a besoin et qu'on ne le lui fasse pas
payer trop cher ; quant au fabricant en gros d'appareils,
il peut après tout préférer avoir affaire à une grande cor-
poration qu'à des maisons nombreuses, mais peu impor-
tantes.
D'après la loi actuelle, les Compagnies qui fournissent le
gaz ou l'électricité, ont le droit de fabriquer des appareils
et de les vendre à bas prix pour stimuler la vente de leur
produit principal ; elles peuvent de la sorte infliger des per-
tes aux commerçants et industriels, leurs rivaux ; aussi ces
(1) Voir le Times, 25 sept. 1902, el Vince, op. cil., p. 274,
LES EXPLOITATIONS ÂfUNlGIPALI^S DÛ GAZ l^b
derniers pourraient-ils formuler à leur égard le reproche
qu ils adressent aux autorités publiques.
Remarquons toutefois que si c'est d*un particulier que
vient la concurrence, on ne court pas le risque de voir les
impôts augmenter, si ses affaires périclitent; s'agit-il au
contraire d'une autorité publique en déconfiture, elle élè-»
vera le taux des impôts à payer pour combler le déficit
creusé par elle. G*est du point de vue de l'impôt qu'il faut
juger la concurrence que font les municipalités à Tindustrie
privée : et il apparaît alors comme très difficile d'approuver
leur conduite.
11 nous reste à traiter, avant déterminer ce chapitre, une
dernière question, où le côté commercial et spéculatif de
l'entreprise municipale apparaît plus nettement encore que
dans la précédente. C'est le cas d'une municipalité fournis-
sant le gaz ou l'électricité en dehors de ses limites adminis-
tratives et à d'autres personnes qu'à ses administrés. Le
cas se présente aussi pour les tramways, mais il reste tou-
jours le même.
Cette extension de l'entreprise municipale en dehors des
limites administratives de la municipalité qui la gère peut
se produire de plusieurs façons (1): soit par la concession
directe de pouvoirs donnés à cet effet, soit par transfert de
pouvoirs. Dans le premier cas, l'autorité locale est dès le
début de son entreprise autorisée à sortir de son district ;
dans le second, il se produit une absorption de pouvoirs an-
térieurement accordés à d'autres personnes. Quand une mu-
nicipalité rachète une Compagnie fabriquant soit le gaz,
soit l'éleclricité, il est rare que la superficie que fournissait
(1) Municipal Trading Report, 1900, p. 8 et 347.
Boverat 10
l46 PBEMlàRE PABTIE. — CHAPITRE VI
cette CompagQÎe coïncide exactement avec les limites admi-
nistratives de la municipalité ; et comme il est généralement
impossible, en pratique, de diviser une industrie en autant
de fragments qu'il y a de divisions administratives diCTéren-
tes, les municipalités qui rachètent des entreprises déjà exis-
tantes doivent fréquemment se charger de fournir Tune des
marchandises indiquées au dehors de leurs limites.
Quelquefois enfin, le Parlement autorise une municipa-
lité à fournir de Télectricité en gros, si Ton peut s*expri-
mer ainsi, à un autre corps public quelconque qui reçoit
Tautorisation de la distribuer à son tour en détail à ses
citoyens.
Quelques exemples nous feront d'ailleurs mieux compren-
dre la situation. Prenons Télectricité : s'agit-il d'une con-
cession directe de fournir au dehors, TEIectric Lighting Act
de 4882 décide qu'on pourra accorder aune autorité locale
l'autorisation de distribuer Télectricité sur une surface quel-
conque, quand bien même cette surface ne serait pas com-
prise dans les limites du district. Sir Courtenay BoyIe(l;
cite les pouvoirs accordés en vertu de cette loi, par le Board
of Trade aux corporations de Bolton (1898), de Birkenhead
(1899), etc.
S'agit-il d'un transfert de pouvoirs, nous voyons la cor-
poration de Manchester se faire transférer par un Act de
1897 les pouvoirs électriques des autorités locales des
districts adjacents à la cité. Les corporations de St-IIelen
en 1898, de Blackpool et de Glasgow en 1899 ont obtenu
les mêmes pouvoirs.
Certaines autorités enfin qui possèdent des usines élec-
triques ont reçu l'autorisation de fournir en gros l'élec-
(1) Municipal Trading Report^ 1900, p. 348.
LES EXPLOtTAtlONS MUNiCIt>ALBS t>U GA2 idr?
tricité à une seconde autorité qui en fait elle-même la dis-
tribution. Citons St-Helen en 1898, Blackpool, Rootle,
Salford en 1899.
Il en est exactement de même pour le gaz. Glasgow,
Birmingham, Manchester fournissent le gaz aux localités
environnantes, soit parce que les Compagnies qui exis-
taient avant le rachat le fournissaient déjà, soit parce que
ces localités moins importantes trouvent plus avantageux
de le demander à leurs grandes voisines que de le fabriquer
elles-mêmes.
Des tramways nous dirons encore la même chose ; il est
souvent utile, lorsqu^on construit un réseau^ de le pousser
jusque dans les districts populeux de l'extérieur, pour en
rendre l'exploitation aussi proH table que possible ; dans
beaucoup de cas aussi, il faut traverser le territoire d'une
seconde municipalité rien que pour relier deux parties d'une
même municipalité.
Trois alternatives se présentent alors :
a) On peut, et c'est le cas du Joint Board, confier l'ex-
ploitation du tramway à plusieurs municipalités.
b) Laisser chaque municipalité construire ses lignes sur
son territoire respectif et louer ensuite l'ensemble à un seul
concessionnaire (Bolton et Suburban tramways en 1874)«
c) ou bien laisser une seule municipalité exploiter à se^
risques et périls Tentreprise commune.
Depuis quelques annéeSv surtout depuis la construction
des tramways électriques, la tendance des municipalités à
sortir de leurs limites a été croissant. L'autorité locale sub-
urbaine ne demande en général pas mieux que de voir
arriver les tramways jusqu'à elle, lluddersfield, par exem-
ple, en exploite un réseau très complet et s'étendant très
en dehors de la ville même.
l48 PREMlIlRG PAtlTÏE. — CHAPITRE VI '
II peut être préférable que ce soit un seul et même corps
qui fasse tout l'ouvrage et le fasse bien, plutôt que de
laisser faire par morceaux à plusieurs autorités locales à
la fois. Actuellement, disait en 1900 Sir Gourtenay Boyle,
il n*y a pas pour les tramways de comités mixtes (joint
boards) comme il y en a pour les égouts ou les asiles dV
liénés. Les autorités locales des districts extérieurs n'ont
pas voix au chapitre.
Et cette exclusion n'a pas été naturellement sans provo-
quer de nombreuses protestations.L*extension du service au
delà des limites municipales donne en effet naissance à
nombre de questions difficiles à trancher, relatives au prix
qu'une municipalité peut avec équité imposer à ses clients
de Texlérieur.
Quand une municipalité fournit de l'électricité ou du gaz
ou exploite un tramway en dehors de ses limites, elle se
trouve occuper vis-à-vis des autorités extérieures une si-
tuation exactement semblable à celle d'une Compagnie
quelconque. Comme, d'autre part, les emprunts qu'elle a
contractés pour le rachat de ses entreprises ont pour ga-
rantie le revenu de ces mêmes entreprises et le local rate,
cette municipalité commerçante vient-elle à se trouver en
déficit, ce seront ses contribuables qui subiront une perte
au bénéfice des habitants du district extérieur, dont les
impôts ne seront pas touchés. Réalise-t elle des bénéfices?
Ses contribuables gagneront sur le dos des habitants de
l'extérieur. Cette manière d'agir aura pour résultat d'as-
similer les habitants de la municipalité productrice à des
actionnaires dont la participation se traduira directement
en profits ou en pertes pécuniaires.
S'il n'y a plus de différence pratique entre une muni-
cipalité de ce genre et une Compagnie, il n'y a plus de
LEi EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ l49
différence non plus dans lenr mentalité ; la municipalité,
malgré son prétendu désintéressement, va cherchera faire
le plus. gros bénéfice possible sur les clients étrangers à
soa district. Elle leur fera payer le gaz ou l'électricité plus
cher qu'à ses propres habitants ; ce dont on ne saurait
la blâmer, puisque les premiers n étant pas co-propriétaires
de l'entreprise ne courent pas le risque d'avoir à combler,
par des impôts plus élevés, les déficits de l'entreprise mu-
nicipale.
Seulement le peuple ne se tiendra pas toujours ce rai-
sonnement ; il ne regardera que le prix, et s'il constate
une différence trop élevée, il réclamera. Sa plainte sera
d'autant plus amère qu'il verra les profits de Tentreprise
largement appliqués à réduire les impôts de la corporation
propriétaire.
En 1896, le Board of Tradc reçut plusieurs mémoires
d*autorités urbaines auxquelles la corporation de Manches-
ter fournissait le gaz et qui se plaignaient des tarifs diffé-
rentiels qu'on avait établis, ainsi que de la location des
compteurs (1), qu'on ne faisait payer qu'à l'extérieur de la
cité et non pas à l'intérieur ; elles demandaient en consé-
quence au Board d'introduire un bill qui limiterait le
montant du profit que les corporations seraient en droit de
faire dans le cas où elles fourniraient le gaz à des consom-
mateurs habitant au dehors des limites municipales. Leurs
plaintes étaient d'autant plus vives que le comité du gaz
avait recommandé une réduction importante des prix au
dehors do la cité, mais que la corporation avait jugé préfé-
rable d'employer tous les profits en aide des impôts de la
cité ; de sorte que les consommateurs des districts ex-
(1) Municipal Trading Report, 1900, p. 351.
l5o* PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE IV
teneurs se trouvaient, bon gré, mal gré, contribuer pour
une part aux impôts de Manchester.
Les mêmes réclamations se sont produites pour South-
port qui faisait payer le ^az 3 s. et 3 s. 6 d. à l'extérieur au
lieu de 2 s. et 2 s. 6 d. à l'intérieur.
Il est intéressant de noter à ce propos que le Burghs
Gas Supply (Scotland) Act de 1876 décide (section 14) que
le prix fixé parles commissaires devra être établi de façon
à faire simplement face aux dépenses qu*entraineront la
fabrication, le service des intérêts du Sinking Fund et de
l'amortissement ; que les recettes provenant de la fabri-
cation et de la distribution du gaz ne devront être appli*
quées qu'aux améliorations et aux dépenses de ce service ;
et que toute balance de fin d'année devra être portée au
débit ou au crédit de Tannée suivante. Dans des circons-
tances semblables, les prix doivent être les mêmes pour
tous les consommateurs et le revenu du service du gaz
doit être crédité pour l'éclairage public d'une somme
calculée sur les mêmes tarifs que pour les consommateurs
ordinaires.
 notre avis, dailleurs, la taxe différentielle, du moment
qu'elle n'atteint pas un chiffre trop élevé, n'est pas injuste ;
puisqu'elle représente l'absence de risque, la certitude de
n'avoir pas à payer plus d'impôts en cas do déficit sur l'en-
treprise. Nous ne croyons pas qu'il y ait lieu de la sup-
primer là où elle existe.
' Il y a un moyen d'éviter les difficultés qui se produisent
entre autorités locales voisines, c'est la création d'un Joint
Board, <i*est-à-dire d'an conseil mixte composé de membres
des deux municipalités intéressées. Dans ce cas il n'y a
plus de commerce à Textérieur, « d'outside trading i» ;
tous les contribuables intéressés dans l'entreprise en sup-
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ IDI
porteront les risques easemble ; et il n'y aura plus de ré*
clamations du genre de celles que nous venons de rappeler.
Toute la question est de savoir si les deux autorités en
.présence parviendront à s'entendre. En général Tautorité
extérieure ne demande pas mieux que de former un Joint
Board (1). Mais les corporations des grandes villes, qui
dans tous les cas géreraient l'exploitation pour leur seule
cité, voient d'un mauvais œil l'intrusion d'un élément ex-
térieur dans le conseil d'administration de Tentreprise. Il
est probable qu'au cas où une loi rendrait les Joint Boards
obligatoires, on verrait surgir de nouvelles difficultés ;
il y aurait des froissements perpétuels entre les membres
des deux autorités. C'est pourtant, semble-t-il, le seul
moyen équitable de résoudre le problème.
Quoi qu'il en soit, on voit que la substitution des entre-
prises municipales aux Compagnies crée chaque jour des
difficultés nouvelles et que cette augmentation des attri-
butions municipales, n'étant pas faite pour faciliter la tâ-
che des corps gouvernants, n*a même pas toujours pour
résultat la complète satisfaction des contribuables.
Quelle conclusion tirer de cette étude sur la municipa-
lisation du gaz? C'est que le gaz, et avec lui l'eau, sont
sans doute les deux entreprises que les villes anglaises
ont gérées avec le plus de prudence et le plus de succès.
Mais si l'on peut citer en 1904-1905, 14 villes (sur 265)
dont les bénéfices réalisés sur la vente du gaz ont permis
de verser au budget communal des sommes variant de
£ 70.000 pour Manchester à £ 7.699 pour Stockton, on
pourrait aussi citer les noms de 40 villes, dont les comptes
({) Cf. Darwin, Municipal Trade, p. 378.
l52 PREMIÈRE PARTIE. GHAPFfRE VI
sont en déficit, les noms de beaucoup d'autres doat les
bénéfices sont insignifiants, et les noms des villes, trop
nombreuses, où la comptabilité est tenue de façon si bi-
zarre que Tamortissement du matériel, le salaire des era-
ployés« la location des bâtiments ne figurent pas ou ne
figurent qu'en partie sur les comptes de Tentreprise et où
les bénéfices apparents devraient se changer en pertes
réelles.
Si, grâce à l'intégrité des fonctionnaires de Tadminis-
tration locale anglaise, on ne peut pas citer de cas ana-
logues à celui de la régie du gaz à Philadelphie, — oii des
abus de toutes sortes obligèrent, après un essai malheu-
reux de muaicipalisation, à confier à nouveau l'entreprise
à une Compagnie privée — et si grâce à leur sens com-
mercial assez développé, on ne cite pas d'exemples de ges-
tion du genre de celle de Grenoble, où la municipalité
vendait en 1900 son coke 16 fr. la tonne, alors que le cours
général était de 40 fr., vendait son gaz plus cher que tou-
tes les villes environnantes et où, pour augmenter les bé-
néfices de la régie, le maire enjoignait aux habitants dé'
clairer les cours, allées et escaliers, faisant ouvrir d*office
chaque soir la prise alimentant les becs à ce destinés, —
tout ne se passe pas cependant sans accrocs.
On a vu l'administration municipale de Nottingham
payer son charbon 12 s. 10 d., alors que la Compagnie de
Sheffield ne payait le sien que 9 s. 11 d., uniquement parce
que ses fonctionnaires ne savaient pas acheter à bon marché.
Actuellement encore, Birmingham fait payer le gai 2 s.
6 d. les 1.000 pieds cubes à ses habitants, alors que ceux
de Sheffield, desservis par une Compagnie, ne le payent que
1 s. 5 d., supportent des taxes municipales moins élevées
et que la Compagnie trouve moyen de distribuer à ses ac-
«■
LES EXPLOITATIONS MUNICIPALES DU GAZ 1 53
tionaaires (les dividendes de iO Yo* Les prix ne signifient
pas grand'chose sans doute, nous Tavons déjà dit ; mais il
est bon de rappeler que les municipalités n ont pas le mo-
nopole du bon marché, tout au contraire.
En terminant, nous admettrons avec les municipalistes
qu'un certain nombre de villes ont fait des profits raisonna-
bles sur leurs entreprises de gaz, en remarquant que cela
ne suffit pas à prouver qu'on ait eu raison de municipaliser,
ni qu'il faille municipaliser à Tavenir toutes les usines à gaz.
Les villes qui ont réalisé les plus gros profils sont celles
qui ont opéré la municipalisation depuis le temps le plus
long ; mais par cela même qu'elles ont commencé leur ex-
ploitation à une époque ou les résultats que pouvait donner
une entreprise de gaz n'étaient pas exactement connus,
elles spéculaient, elles couraient le risque d'une perte,
comme elles couraient la chance de gagner de grosses som-
mes. Or la spéculation n a jamais, semble-t-il, fait partie
des attributions des municipalités. En matière financière,
leur premier et unique soin doit être de ménager l'argent
de leurs contribuables.
Les risques que fait aujourd'hui courir l'exploitation
d'usines à gaz ont considérablement diminué (1) ; mais les
chances de gain ont, elles aussi, décru, si bien que la muni-
cipalisation ne parait devoir exercer ni en bien, ni en mal,
une influence considérable sur les revenus publics. Le bé-
néfice ou la perte dépendra d'ailleurs toujours des conditions
dans lesquelles se sera effectué le rachat et de l'idée plus ou
moins brillante qu'on se faisait alors de l'avenir de l'entre-
prise. Or, que savons-nous de l'avenir du gaz ? Nos conseil-
lers municipaux les plus expérimentés ne sont pas meilleurs
juges de la question que ne l'étaient leurs prédécesseurs au
commencement du siècle dernier.
(1) Cf. Darwin, op, ci7., p. 192.
CHAPITRE VII
L'ÉLBGTRIGITâ.
L'application courante de rélectricité à l'éclairage ne re-
monte pas encore à une date bien éloignée de nous ; c'est
en 1880 qu'on l'utilisa pour la première fois, aux Etats-Unis,
à l'éclairage des rues. Depuis cette époque, l'industrie s est
développée dans ce pays avec une rapidité extraordinaire et
qui contraste de façon frappante avec la lenteur de ses pro-
grès en Angleterre. La raison de ce retard de nos voisins
n'est pas difficile à trouver, et l'on est généralement d'accord
pour Tattribuer à l'action fâcheuse d'une loi votée au mo-
ment même où l'industrie nouvelle entrait enfin dans le do-
maine de la pratique.
Les premières usines électriques fondées en Grande-Bre-
tagne par des particuliers furent celles d'Eastbourne et de
Hastings en 1882, de Londres en 1885. En 1889, Bradford
créait la première usine municipale. Puis vinrent celles de
Brighton et de St-Pancras en 1891.
Nulle part ailleurs les usines municipales ne sont aussi
nombreuses qu'en Angleterre. Nulle part leur proportion
n'est aussi forte par rapport aux établissements privés; et
il nous parait plus que probable que leur nombre ira tou-
jours en augmentant, la loi anglaise ayant donné aux com-
munes toutes facilités pour rétablissement des régies et le
rachat des entreprises particulières au bout d'un certain
nombre d'années.
--'••
L^^LEGTRICJTé l55
Quand Tusage de Télectricité se généralisa, TÂngleterre
entrait déjà dans la voie du municipalisme. C'était précisé-
ment Tépoque où la plupart des grandes villes rachetaient
aux Compagnies leurs usines à gaz, et le rachat de ces con^
cessions données à perpétuité s^était souvent fait, nous
venons de le voir, à des conditions onéreuses. Voulant se
garer pour rélectricité d'un danger analogue, on résolut de
demander sans tarder à la loi la protection nécessaire.
Le Parlement montra dès le début le désir qu'il avait
d'empêcher la création au bénéfice des particuliers de
nouveaux monopoles, et Ton retrouve dans toutes ses déli-
bérations et toutes ses discussions le souci constant de veiller
aux intérêts des municipalités en général, et des grandes
villes en particulier. Â-t-il réellement compris, en votant la
loi de 1882, quel était leur intérêt, c'est ce qui reste à savoir.
Voyons dans ses grandes lignes quelle était cette loi du
18 août 1882, et quelles restrictions elle imposait au libre
exercice de l'industrie électrique.
La première formalité à remplir par toute Compagnie qui
désire poser ses fils sous le soldes rues est de se munir
d'une licence du Board of Trade, licence qu'il ne peut lui-
même donner qu'avec l'autorisation préalable de l'autorité
locale intéressée. Le Board of Trade peut également déli-
vrer des <f Provi.sional Orders » sans limitation de temps et
sans l'assentiment de Tautorité locale. Mais des provisional
orders de ce genre ont besoin do la confirmation du Parle^
ment, et Ion peut y faire opposition au moyen du droit de
pétition.
La loi donne, d'autre part, au Board of Trade des pou-
voirs de réglementation très étendus. 11 peut imposer aux
concessionnaires telles conditions qu'il juge convenables,
limiter leur secteur, prévoir jusqu'aux moindres détails
l56 PREMIERE PARTIE. ~ CHAPITRE VU
du service, fixer les prix maxi ma, édicter des règlements
pour assurer uq éclairage suffisant et régulier. Il peut enfin
révoquer la licence et même TAct du Parlement en cas
d'inobservation de la part du concessionnaire des conditions
qui lui sont imposées ou d*inexécution des plans qu'il avait
fait approuver.
Mais le point vraiment important de la loi est la situation
privilégiée qu'elle confère aux autorités locales. Avaient-
elles obtenu un Provisional Order les autorisant à fournir
Télectricité ? Aucune Compagnie n*en pouvait plus obtenir
dans le même district ; on leur donnait un monopole pur et
simple. La loi les autorisait, en outre, à racheter les usines
des Compagnies au bout d'une première période de 21 ans
une fois écoulés et ensuite à des intervalles de 7 ans. Dans
lafixation du prix d'achat on ne ferait entrer en ligne de
compte que la valeur marchande réelle du terrain, des
machines, du matériel, etc. On n'accordait au concession-
naire aucune indemnité pour le dommage que lui causait
son expropriation, et on ne comptait pour rien la clientèle
ouïes bénéfices à venir.
. Malgré Tintention trop évidente du Parlement de faciliter
autant que possible aux autorités locales Texploitation du
nouveau mode d'éclairage et malgré le désir des municipa-
lités d'éviter la formation de monopoles analogues à ceux
qui s'étaient constitués pour le gaz, rares furent les muni-
cipalités qui témoignèrent quelque empressement à se lan-
cer dans la nouvelle voie. De 1882 à 1890, c'est à peine si
Ton peut citer une ville qui ait réellement cherché à four-
nir l'électricité à ses habitants ; les échecs de nombre d'en-
treprises particulières les effrayaient.
Jusqu'à l'amendement de 1888, il n'y eut pas à propre-
ment parler de distribution publique d'électricité en Grande-
l'électricité 167
Bretagne. C'est une vérité souvent constatée qu'il n*est
chose si difficile que de réunir de gros capitaux pour lancer
une industrie qui n'en est qu*à ses débuts. Or, TAct de 1882
n'avait vraiment rien d'encourageant ; étant donné l'état où
se trouvait alors l'industrie électrique, le terme de 21 ans
était beaucoup trop court pour assurer à l'argent risqué
une rémunération suffisante. Le résultat fut ce qu'il devait
être : on ne put faute de capitaux, constituer de grosses
entreprises ; et ce n'est qu'en 1888, quand la durée des
concessions eût été portée de 21 à 42 ans, que la distribu-
tion publique de l'électricité finit par faire quelques progrès.
A peine les villes avaient-elles vu que les particuliers
commençaient à réaliser des profits sur ce service qu'elles
voulurent le gérer elles-mêmes. Depuis ce moment les
municipalités anglaises ont eu pour politique constante de
s'opposer à la délivrance de provisional orders aux Com-
pagnies particulières, et pour mieux leur barrer le chemin,
elles ont commencé par en demander pour elles-mêmes,
avant même de savoir si elles installeraient ou non des
usines électriques municipales. Elles avaient ainsi deux
moyens à leur disposition, elles en ont largement usé.
Prenons le premier cas ; nous venons de dire qu'un par*
ticulier qui désire procéder dans un district quelconque à
la distribution de l'électricité doit se munir au préalable
d'un provisional order du Board of Trade ; et quoique le
Board of Trade puisse se passer du consentement de
l'autorité locale, il agit rarement sans le lui avoir demandé.
Les municipalités peuvent donc s'opposer eiïectivement à la
délivrance des provisional orders, et lorsqu'elles possèdent
déjà des usines à gaz exploitées en régie, elles ne manquent
pas de le faire, fondant ouvertement leur refus sur cette
seule raison qu'ayant consacré de grosses sommes à l'éta-
lès t>REMI^RE PARTIE. — ÔHAPItRE Vîï
hlissement de ces usines» elles en veulent tirer tout le parti
possible et n'entendent pas se susciter des rivaux.
Devant le Select Committee de 1900, M. Sydney Morse,
M. Campbell Swinton et Lord Avebury ont tous trois dé-
claré que cette hostilité avait sérieusement retardé les pro-
grès de l'éclairage électrique et que de nombreuses villes
en ont été longtemps privées, auxquelles il eût été dans
d'autres circonstances très facile de le donner.
La seconde des deux méthodes employées pour sauve-
garder de toute concurrence les usines à gaz municipales
consiste à obtenir un provisional order autorisant la création
d'une usine électrique municipale et à laisser dormir au
fond d'un carton, sans les utiliser, ces pouvoirs une fois
obtenus.
Ces procédés réussirent quelque temps à empêcher la
formation des Compagnies. C'est ainsi que la ville d'York,
qui avait obtenu un provisional order en 1892, Recommen-
çait à fournir l'électricité qu'en 1900. Birkenhead laissait
passer six ans (1890-1896) ; Bristol, dix ans (1883-1893) ;
Greenock, 16 ans (1883-1899) ; West-Ham 7 ans entre le
jour où elles avaient reçu leur provisional order et celui où
elle^ inauguraient le service électrique.
Nous trouvons parmi les annexes du rapport de 1900 un
tableau dressé par M. A. Campbell Swinton et donnant la
liste de 54 Municipal Electric Lighting Orders pour lesquels
quatre ans au moins, et souvent beaucoup plus, se sont
écoulés entre la délivrance de l'order et l'ouverture du
service.
II est difficile, en présence de pareils faits, de ne pas en
conclure qu'on avait demandé nombre de ces orders dans le
double but de protéger les usines à gaz municipales contre
la concurrence des particuliers et de se conserver le champ
L*^LECTRIC1T^ 1 69
libre, au cas où Ton voudrait un jour distribuer Télectricité
en régie.
Une loi récente, TElectric lighting Act de 1899, est enfin
venue régler Tusage que les autorités locales doivent faire
de leurs profits, si elles en font. D'après le paragraphe 7 de
cette loi, elles doivent, après avoir payé les dépenses d*ex-
ploitation et d'établissement, les intérêts, pourvu aux ver-
sements à faire au Sinkingfynd et à toutes autres dépenses
qui ne peuvent être portées au compte capital, créer un Re-
serve fund et l'accumuler à intérêts composés jusqu^à ce
qu'il atteigne le dixième du capital total de Tenlreprise. Le
Reserve fund fera face à tout déficit et à toute demande ou
réclamation suscitée à un moment quelconque par le fonc-
tionnement de Tentreprise.
L*Act décide en outre que les directeurs de la régie de-
vront porter au crédit du local rate le profit net disponible
ainsi que les revenus annuels du Reserve fund lorsqu'ils
atteindront la limite prescrite, ou à leur choix employer ce
surplus ou part de ce surplus soit à V u improvement » (amé-
lioration) du district qu'ils administrent, soit à la réduction
du capital qu'il a fallu emprunter pour fonder Tentreprise.
Au cas où les bénéfices annuels dépasseraient 5 7o du ca-
pital total de l'entreprise, les directeurs devront faire subir
au prix de l'électricité une réduction suffisante pour rame-
ner le profit à son taux maximum. £n cas de perte, l'impôt
local fera face à tout déficit que n'aurait pu combler le Re-
serve fund.
En 1901, le nombre des autorités locales exploitant en
régie Télectricité était de 163 ; leur capital s'élevait à
£ 14.943.122. On ne comptait que 63 Compagnies possé-
dant un capital de £ 1 0 . 954 . 1 88 .
En 1905, le nombre des entreprises municipales en ex-
l6o PREMIÈRE Ï^ARTIE. CHAPITRE YII
ploUation aiteîat 244 ; 90 entreprises sonl en cours de cons*
truction. Le chiffre des entreprises particulières n*est que
de 136 dans le premier cas, de 39 dans le second. Le capi-
tal des autorités locales s'élève à £ 35.000.000 environ,
celui des Compagnies à £ 32.000.000.
Si l'histoire de ces entreprises électriques est moins
longue et présente moins de péripéties que celle des ex-
ploitations de gaz, elle est aussi moins brillante au point de
vue financier. Ces régies ont en effet été pour leurs créa-
teurs l'occasion de trop nombreux déboires, et si Ton nous
fait remarquer que nombre de villes distribuent réleclricilé
à très bas prix, nous pourrons répondre par Texemple de
celles où le local rate vient chaque année combler les dé-
ficits de l'exploitation municipale.
La régie de Glasgow.
De 1882 à 1892, Télectricité ne fut fabriquée à Glasgow
que par des particuliers pour leur usage personnel. On ne
rencontre à cette époque qu*une seule Compagnie, peu
importante, et qui distribuait le courant à ses clients au
moyen de fils aériens. 11 n'en fallut pas plus pour éveiller
les idées de la municipalité ; en 1892 elle rachetait cette
Compagnie au prix de £ 15.000, et le 1*"^ mars de la même
année, elle inaugurait son service ; elle avait alors 37 clients.
Bientôt après, elle bâtissait une station centrale, et le
25 février 1893, éclairait pour la première fois àrélectricité
quelques-unes des principales rues.
En 1893, un an après le rachat, le nombre des consom-
mateurs était de 108 ; en 1896, il était de 855 ; en 1900, de
2.852; en 1905, de 11.643.
La quantité d'unités du Board of Trade vendues pas-
i/iLECTKicni i6i
sait de 287.712 en 1893 à 4.250.669 en 1900 et 18.248.468
ea 1905,
Le prix de Tunité fixé d'abord à 7 d. a été abaissé à 6 d.,
3 1/2 d., 3 d. et 1 1/2 d. suivant Tusage qu'on en fait et
la quantité qu'on en consomme.
L^entreprise eut des débuts fort pénibles^ et d'après la
déposition de M. S. Cbisholm, Lord Provost de Glasgow,
devant le comité de 1900, elle fut durant plusieurs années
menée sans grande énergie ; la cause en est qu'elle dépen-
dait du service du gaz, et était dirigée par un sous-comité
du comité du gaz, lequel ne tenait en aucune façon à fa-
voriser le développement d'un jeune rival, qui ne pouvait
que nuire au sien propre, ^ious faisions précédemment
allusion à cette rivalité des comités du gaz et de 1 électri-
cité : Glasgow n'est pas le seul exemple que Ton en puisse
citer.
Après bien des tergiversations, on se décide enfin à créer
un comité spécial de l'électricité qui gère Tontreprise avec
un peu plus d énergie. En 1898, la corporation fait un grand
effort et augmente le service de distribution ; mais le
nombre des consommateurs reste toujours si faible, que pour
en attirer davantage on réduit les prix de vente : notons
qu*à ce moment l'entreprise est déjà en déficit. Dans une
cité de 762.000 âmes, la municipalité de Glasgow ne dis-
tribue au 31 mai 1902 la lumière et Ténergie qu'à 5.374
consommateurs. Sur un capital de £ 962.726.000^ elle ne
réalise en 1901-1902 qu'en bénéfice de £ 1 1.430. 16 s. 3 d.
Reconnaissant que cette somme ne suffirait pas à faire
face à l'amortissement du capital de l'entreprise, le comité
et avec lui le conseil municipal ont pensé que la conduite
la plus sage à suivre serait de consacrer cet argent à la ré-
duction du capital. Autrement dit ce bénéfice de £ 11.000
fioverat 11
flfia PRBMli^RE PARTIE. — CHAPITRE Vit
se trouvait absorbé par la réduction de valeur d^un matériel
plus ou moins vieilli et le profit accusé après neuf années
d^exploitation ne suffisait même pas à couvrir les dépenses
d'amortissement .
Aujourd'hui, c'est-à-dire à la fin de 1904-1905, la situa-
tion s'est améliorée et la longue série des déficits (de 1893
à 1905, il y a eu 9 années déficitaires) semble être close.
Pour la première fois, depuis le début de l'entreprise,
£ 12.722 ont pu être versées au Reserve fund, dont le mon-
tant, jusqu'en 1905, n'était que de £ 4.000 provenant de
trois versements faits en 1898, 1899 et 1900. Le Sinkîng
fund a^ d'autre part, reçu £ 15.475.
La dépense en capital, durant l'année 1904-1905, s'est
élevée à £ 166.955, 16 s. 1 d. , et la dépense totale en capital
(moins l'amortissement) se monte au 31 mai 1905 à
£1.244.162, 12 s. 10 d. Elle n'était en 1893 que de £ 93.697
et de £609.484 en 1900.
Dans son rapport pour 1904-1905, le comité fait remar-
quer que les quantités de courant vendues pour actionner
des moteurs ont considérablement augmenté ; l'emploi de
l'électricité se généralise de plus en plus dans Tindustrie,
notamment dans celle des constructions en fer. Le nombre
total des moteurs en activité auxquels la municipalité four-
nissait la force au 31 mai 1905, était de 2.081, développant
9. 366 chevaux. Le nombre d'unités consommées par eux
pendant l'année s'élevait à 4.706.029, sur un total de
16.642.253 fournies aux particuliers.
L'électricité dont le prix varie pour l'éclairage domesti-
que de 6 d. à 3 1/2 d., suivant la quantité qu'on en con-
somme, ne coûte plus pour les moteurs que 1 1/2, 1 et 3/4
de d.
L^^LECTRIGIT^ l63
La Régie de Manchester.
Manchester suivit à peu de distance l'exemple de Glas-
gow. Dès 1882, aussitôt après la promulgation de la loi sur
réclairage électrique, le conseil municipal décidait qu'il
fallait autant que possible éviter la création d'une entreprise
particulière, dans un domaine qui convenait si bien à l'ac-
tivité d'une municipalité. Toutefois on s'en tint alors à cette
résolution. Ce n'est qu'en 1888, lorsque six Compagnies
particulières eurent demandé au Board of Trade des « pro«
visional orders » que la corporation décida qu'elle entrerait
elle-même en scène et n'accorderait son autorisation à
aucune des six.
Sur la proposition du comité du gaz, elle demanda Tan-
née suivante un « provisional order » que le Parlement
contirma en 1890. Un sous-comité spécial reçut la mission de
veiller à l'installation des stations génératrices. Les travaux
étaient achevés en 1893 et la distribution s'est faite sans
interruption depuis cette date. L'order de 1890 ne donnait
à la corporation le droit de fournir le courant qu'à une par-
tie de la cité ; en 1896 son pouvoir fut étendu à la cité en-
tière, et depuis elle fournit les districts environnants dont
elle s'est successivement fait transférer les « provisional or-
ders » : Denlon, Droyslden, Levenshulme, Moss Side et
Withington en 1897 ; Audenshaw^, Failsworth, Heaton
Norris et Gorton en 1899. De môme que pour l'eau et pour
le gaz, sa canalisation s'étend sur une superficie de plus
en plus vaste.
Lors de l'inauguration du service, en juillet 1893, la dé-
pense en capital atteignait £ 163.000. En 1899-1900 elle
s'élevait à £ 641.821. En 1904-1905 à £ 2.199.690. Le ser-
vice des intérêts qui ne demandait que £ 3..521 en 1894 de-
mande en 1905 £64.144.
l64 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VU
Le nombre des coasommateurs est allé sans cesse en aug-
mentant, mais il n'est pas encore très considérable pour une
ville de 700.000 habitants. Il était de 412 en 1894 ; de l.iiS
en 1896 ; de 1.981 en 1898 ; de 3.249 en 1900. En 1905 il
est de 5.729.
Les auditeurs, dans leur rapport, rappellent que la som-
me consacrée à Tamortissement en 1904-1905 s'élevait à
£ 38.327.17 s. 4 d. Ils font remarquer que si To a compte
pourvoir au renouvellement du matériel» le jour où il sera
hors d*usage, au moyen de ce fonds et sans emprunts
nouveaux, la somme ci-dessus est manifestement insuffi-
sante.
Si, d'autre part, on a Tintention de réemprunter, disent-
ils, il ne faut pas perdre de vue que l'existence du matériel
sera probablement de durée beaucoup plus courte que la
période accordée pour le remboursement des emprunts,
laquelle n'est en aucun cas inférieure à 25 ans. Il faudrait
donc demander Tautorisation d'emprunter dans un but
pour lequel on a déjà contracté une dette qui n'est pas en-
core amortie. En admettant qu on accorde Tautorisation
demandée, les contribuables à venir auront à supporter
ju.squ'au jour du complet remboursement des premiers
emprunts, un double fardeau correspondant aux versements
à faire aux deux Sinking funds et aux intérêts à payer pour
les deux emprunts. En d*autres termes, ils auront à paver
rintérét et Tamortissement d*un capital représentant un
matériel en grande partie disparu, et cela à un moment
où ils ne recevront en retour de leurs paiements que peu ou
prou de bénéfices.
Seuls des spécialistes peuvent résoudre cette question de
Tamortissement. Il semble bien cependant que la part qui
lui est faite est en général beaucoup trop faible, et qu'au
l'i^lectrigité
i65
lieu de verser au budget communal, comme on l'a fait de
1894 à 1905, uae somme de £ 52.479 en aide des impôts,
il eût été préférable d'augmenter la dotation des fonds de
réserve d'amortissement. En 1904-1905, l'électricité n'a
d'ailleurs rien donné aux impôts.
Le tableau ci-dessous nous indique le chiffre des intérêts
à payer, le montant du sinking fund, les bénélices réalisés,
et le prix de l'électricité dans les dernières années :
Sommes
Montant
Profit
Prix moyen
Années
payées en
du Sinking
intérêts
Tund
net
par unité
(8 mois)
£
£
£
4894
3.521
4.376
209 (déficit)
5 d. 50
1895
4 394
3.547
5.709
5 78
4900
13.692
12.935
9.764
3 25
4901
20.222
18.605
3.515
3 12
4902
21.754
25.018
7.634
3 07
1903
43.564
32.977
8.315
2 71
4904
51.474
49.199
6. 808
2 21
4905
64.144
59.492
4.543
2 44(1)
Manchester fournit l'électricité non seulement aux par-
ticuliers, mais encore à ses tramways. Le nombre total
d'unités fournies aux particuliers pour l'éclairage et la force
motrice était en 1904-1905 de 14.679.373. Le prix de l'unité
est passé de 8d. en 1893-1894, à6d. en 1895-1896, à 5 d. en
1897-1898, et il est encore à ce taux aujourd'hui. Pour la
force son prix varie de 1 d. 7/8 à 1 d.
La régie de LiverpooL
Liverpool ne s*opposa pas, comme Tavait fait Manchester,
à la formation de Compagnies particulières. Après divers
(1) Abslraci of AccounU (Manchester), année 1904-1905.
l66 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE VH
essais qui n'aboutirent pas, la a Liverpool Electric Sapply
Company « fut fondée le !•' juillet 1883. De 1883 à 1896,
elle construisit plusieurs stations génératrices. Sa carrière
fut dès le début des plus prospères et elle distribua chaque
année de gros dividendes à ses actionnaires. La corporation,
disait l'alderman Sir Thomas Hughes, ne s'était pas opposée
à la délivrance du Provisional order demandé parla Com-
pagnie parce qu'on en était encore à la période des es-
sais (1) ; mais elle s^était réservé le droit de rachat qu*elle
exerça en 1896, lorsqu'elle vit que la Compagnie était sortie
de la période des tâtonnements et que ses dividendes attei-
gnaient 6 °/q, La Compagnie possédait un capital de
£ 250.000. La corporation la racheta £ 400.000, « car nous
comprenions, continuait Sir Th. Hughes, que cette Compa-
gnie avait fait preuve d'initiative, qu^elle avait su dévelop-
per habilement ses affaires et qu'elle avait droit par con-
séquent à un juste profit sur ce capital, risqué par elle
dans une entreprise qui avait été jadis une spéculation. Le
marché fut conclu de gré à gré, sans le secours d'un ar-
bitre ».
A l'époque du rachat, c'est-à-dire en 1896, l'unité élec-
trique coûtait, pour l'éclairage, 7 */2 d. ; pour l'énergie, le
chauffage ou la cuisine 5 d. Aujourd'hui son prix a été
abaissée 3 3/4 d. et 3 d. dans le premier cas, à 2 d. et
1 1/2 d. dans le second. Il est de 3 3/4 d. par unité, pour
une consommation inférieure à 3.000 unités par trimes-
tre; de 3 d. au delà de 3.000. Même système pour l'é-
nergie.
En 1897, la corporation de Liverpool racheta le service
des tramways : preuve que lorsqu'on a commencé à mu-
(1) Municipal Trading Report^ 1900,
L'^LECTRIGITé 167
nicipaliser un service, on se trouve, de proche en proche,
amené à en municipal iser d'autres.
Presque partout en Angleterre, la municipàlisation de Té*
lectricité, opérée soi-disant dans le seul but de fournir .la
lumière, a conduit à la municipàlisation des tramways et à la
distribution aux particuliers eux-mêmes de l'énergie électri^
que ; on comprend aisément Tavantage qu'il y a à posséder
à la fois ces diverses exploitations ; leur union dans la même
main permet de grosses économies. La Compagnie qui four-
nissait la lumière seule n'avait à distribuer Télectricité que
la nuit seulement. Depuis que c'est la municipalité qui di-
rige Tentreprise et qu'elle fournit aux tramways la force
motrice, les machines fonctionnent nuit et jour, et il lui a
été possible d'abaisser le prix de l'unité dans des propor*
tions notables. Les tramways payent l'unité 1 d. 16 ; on la
compte 2d. pour l'éclairage public.
Le nombre total d'unités fournies aux particuliers en
1904-1905 a été de 10.069.856. L'éclairage public en a de-
mandé 284.634, les tramways 18.979.133, soit un total
général de 29.333.623 ; à 4 millions près, le même chiffre
qu'à Manchester. En 1896 (première année de la régie)
la municipalité n'avait distribué que 1.452.511 unités et
11.564.335 en 1900. Les principales rues de la cité sont
éclairées à Télectricité.
Au 31 décembre 1904, les dépenses en capital s'élevaient &
£ 1.718 713. Le Sinking fund à £ 87.910, le Reserve fund à
£ 75.556, le Renewal account à £ 58 046. Le service des in-
térêts demandait £ 53 775.
En 1904, ledépartementde l'électricité a versé au budget
de la ville, en aide du gênerai rate une somme de £ 16.934.
Les bénéfices de Tannée s'étaient élevés à £ 44 510, on.
les a partagés entre Tamortissement et les impôts. Jus-
l68 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE VU
qu'en 1901, le comité de rélectricité, désirant avant tout
réduire les prix et créer un fonds d^amortîssement, n'avait
pas voulu contribuer aux dépenses publiques. En 1902, il
donna pour la première fois, dans ce but, une somme de
£ 12.029.
La régie de Birmingham.
Birmingham, que nous nous plaisons souvent à regar-
der en France comme le paradis du socialisme municipal,
arrive, cette fois encore, la quatrième en date pour la muni-
cipalisation de Félectricité qu'elle n'opéra qu'en 1899.
Comme Liverpool, elle a d'abord laissé s'établir une Com-
pagnie, la c Birmingham Electric Supply Company ». Le
conseil municipal estimait, en 1888, qu'il serait imprudent
de risquer l'argent des contribuables dans une entreprise de
ce genre, sur laquelle on n'avait encore que des données in-
certaines : qu'il valait mieux attendre les résultats d'expé-
riences qui permettraient de déterminer s'il était possible
de réaliser de sérieuses économies en établissant, dans des
endroits où la terre et le charbon seraient à bon marché,
des stations génératrices envoyant au loin leur courant.
La Birmingham Electric Supply Company fut donc fon-
dée en 1890 ; elle ne fournissait Télectricité qu'aux princi-
pales rues commerçantes du centre de la cité. La corpora-
tion avait mis cette condition à son approbation, pour mé-
nager les profits de son usine à gaz ; cette politique de
marchandage aboutit à priver pendant 18 ans les personnes
qui n'habitaient pas le centre même de la cité, de la lumière
électrique. En 1893, la Compagnie demande l'extension de
son secteur, et la question de la municipalisation se trouve
posée pour la seconde fois. Cette fois encore, le comité
d'enquête est d'avis que l'expérience des villes qui ont mis
L'^LECTRIGITé 1 69
ce service en régie, n'est pas assez longue pour être pro-
bante, que les bénéfices des Compagnies sont peu impor-*
tants et qu'on ne peut raisonnablement espérer faire mieux
qu'elles. La liberté de la concurrence et le pouvoir du Board
of Trade de reviser les prix & la fin de toute période de 7 ans
suffiront à protéger les intérêts du public. Le conseil auto-
risa donc la Compagnie à demander une extension de son
secteur de distribution (order de 1894) et lui demanda en
revanche d'abaisser le prix de Tunité de 10 d. à 8 d. Au
bout de quelques années d'incertitude le succès commer-
cial de la Compagnie était assuré. Le nombre de ses clients
passait de 480 en 1895, à 664 en 1896 et 916 en 1897 ; ses
profits s'élevaient de £ 5.869 en 1895 à £ 9.181 en 1896 et
£12.962 en 1897.
En voyant ces résultats, le conseil fut immédiatement
d'avis que le risque de perte, le plus sérieux des obstacles
à la municipalisation, avait disparu, et qu'une entreprise
aussi rémunératrice devait passer aux mains de l'autorité
locale. Mais à peine était il question de racheter la Com-
pagnie que le cours des actions de £ 5, déjà au*desBus du
pair à ce moment, montait à £ 12 (1)
En juin 1898, le rachat était définitivement décidé et la
ville en fixait les termes d'accord avec la Compagnie. Elle
possédait un capital de £ 200.000 en actions de £ 5. Elle
avait dépensé £ 219.077 (compte capital à la fin de 1897) et
obtenu la permission d'augmenter ce capital jusqu^à
£ 300.000. Au moment où fut conclue la convention, le
prix des actions sur le marché atteignait £ 10,10s.O d.; il ser-
vit naturellement de base au rachat. La corporation paya
donc en tout £ 420.000 ; elle reprit l'entreprise entière, ac-
(1) Voir ViNCE, op. cil, y p. 287.
170 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VII
tif et passif, à partir du !•' janvier 1898. Elle garantissait
un dividende minimum de 6 Vo ^ partir de cette date jus-
qu'à celle où les opérations du rachat seraient terminées;
en attendant la Compagnie gérerait Tentreprise pour le
compte de la corporation. Le Parlement autorisa l'opéra-
tion par le Birmingham Corporation Act de 1899, et le
9 novembre on nommait les membres du premier comité
de l'électricité.
Le prix versé à la Compagnie parut à beaucoup de per-
sonnes trop élevé, puisque le service des intérêts et des
versements à faire au Sinking fund allait dès le début se
monter à £ 17.000, c'est-à-dire à £ 4.000 de plus que les bé-
néfices réalisés parla Compagnie en 1897. Elle n'avait dis-
tribué cette année-là qu'un dividende de 5 Vo» et c'était
l'attente d'un rachat avantageux bien plus que celle de bé-
néfices importants qui avait produit une hausse si considé-
rable des cours. Aussi, au bout des 15 mois finissant en
mars 1901,1e déficit était-il de £4.175; en 1901-1902 il
atteignait £ 4.813. On devait le combler au moyen du
c Renewal fund account » transmis par la Compagnie.
Le prix de l'électricité a subi une notable réduction : il
est aujourd'hui pour l'éclairage domestique de 5d. pour les
300 premières unités consommées durant un même tri-
mestre, de 3 1/2 d. au delà de 300. Pour la force motrice»
il est de 2 d. par unité pour les 300 premières unités con-
sommées durant un même trimestre, de 300 à 3.000 il des-
cend à 1 1/2 d. ; et au delà de 3,000 à 1 1/4 d. En cas de
payement immédiat des sommes dues, la municipalité fait
un escompte de 5 Vo-
En 1904-1905 la municipalité distribuait à 2.546 consom-
mateurs 4.645.027 unités électriques. Le compte revenu ac-
cusait un excédent de recettes sur les dépenses de £ 39.574,
l'électricité 171
porté au compte de Profits et Pertes. Après prélèvement des
sommes nécessaires au service des intérêts et de l'amortis-
sement de la dette, on a versé au Reserve fund le surplus
disponible, soit £ 10.789.
La dépense totale en capital, du début de Fentreprise au
31 mars 1905, s'élève à £ 665.424, et le Reserve fund à
£ 49.394. Le total des emprunts négociés est de £ 713.929,
sur lesquels on a remboursé £ 39.562. La dette actuelle s'é-
lève donc à £ 674.366.
La situation de Tentreprise est moins mauvaise sans doute
qu'il y a quelques années ; elle est encore loin d'être bril-
lante.
Les chifTres que nous venons de cîler font voir que Tu-
sage de l'électricité est encore fort peu répandu en Angle-
terre, puisque dans des villes comme Manchester, Liverpool
et Birmingham, qui renferment une population de 600.000
à 700.000 âmes, le nombre des consommateurs n'est en
moyenne que de 5.000. Ce n'est donc pas là un service de
première nécessité, sur lequel la municipalité ait le droit
de mettre la main dans l'intérêt de la communauté.
Si la gestion des grandes villes que nous venons de pas-
ser en revue ne laisse pas trop à désirer, il est loin d'en
être de même de la multitude des villes de moindre impor-
tance qui ont voulu imiter l'exemple de leurs grandes voi-
sines et dont beaucoup voient chaque année leur bilan se
solder par des pertes plus ou moins considérables.
Au 31 mars 1904, surles 190 entreprises municipales qui
fonctionnaient alors, 116 accusaient un profit, 74 une perte.
Le capital total dépensé par elles s'élevait à £ 26. 924.888 ;
il n'avait donné qu'un profit de £ 419.984, soit environ
11/2 7oï après prélèvement des sommes nécessaires au
paiement des intérêts et des versements à faire au Sinking'
172 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE Vil
fund. Onze de ces 1 16 autori lés locales, possédant ensemble
uti capital de £ 8.614.f>o0 réalisaient à elles seules plus de
la moitié de ce profit (£ 214.798). La balance restante de
£ 205.186 représente donc environ 1 7o de prolits sur le
reste du capital dépensé, qui s'élève à £ 18.310.238.
74 entreprises, soit plus de 38 Vo du nombre tolal ont
subi des pertes s'élevant à £ 80.504. Parmi les annexes au
rapport de 1902 sur le remboursement des emprunts con-
tractés par les autorités locales, figure (p. 388) un tableau
dressé par M. Henderson, membre du Stock Exchange de
Londres et donnant les noms de 60 villes dont les exploi-
tations électriques ont subi en 1900-1901 des pertes qui
atteignent un total de £ 92.280.
Le capital de ces entreprises étant de £ 6.018.470, son
amortissement à 3 Yo demanderait une somme annuelle de
£ 180. 554, ce qui porterait la perte totale à £ 272.834.
Enfin, dans un résumé des résultats financiers des régies
de Télectricité, allant jusqu'à la fin de 1903-1904, et publiée
parle London County Council, nous voyons que sur 14
borough councils distribuant Télectricité dans le comté de
Londres, les uns ont dû demander aux impôts, pour com-
bler leur déficit, une somme de £ 39.518, tandis que les
autres n*ont pu tirer de leur régie pour la verser au bud-
get communal, qu'une somme de £ 14.617. Rattersea,
Bermondsey, Poplar, Southwark et Woolwich n'avaient ni
fonds d'amortissement, ni fonds de réserve.
A Battersea, ville qui a reçu, avec beaucoup d'autres d'ail-
leurs, le surnom de municipal Mecca, de Mecque du socia-
lisme municipal, Tinstallation de l'usine électrique a coûtt\
£ 191 .497. Le service a commencé en septembre 1901. A la
fin de 1903-1904, on n'avait non seulement fait encore aucun
profit, mais les pertes s'élevaient à £ 12.000. Sur unepopu-
l'électricité 173
lation de 175.000 habitants on ne comptait que 541 con-
sommateurs. Bon nombre de contribuables payaient ainsi
une lumière dont ils ne se servaient pas et dont quelques
rares personnes profitaient à leurs dépens.
A Fulham, sur 150,000 habitants, il y avait 1.132 con-
sommateurs, et de 1901 à 1904, en trois ans, il avait fallu,
pour faire marcher Tentreprise électrique et le « Refuse des-
tructor » demander aux impôts £ 20. 297.
A Woolwîch le déficit de cette même année 1903-1904
s*élevaità £ 5. 708, et le nombre des consommateurs à 279
sur une population de 123.000 habitants.
A Accrington, où le service a été inauguré en septembre
1900, les déficits ont atteint en 1902 £ 1.559, en 1903
£ 1.323, en 1904 £876, en 1905 £ 1.351. Naturellement, il
n'y a ni amortissement, ni fonds de réserve. Les dépenses
en capital s'élèvent à £ 45.708. Sur 44.300 habitants on
compte 258 consommateurs.
A Dublin, le service est ouvert en 1892. En 1904, le dé-
ficit est de £ 12.536, en 1905 de £ 4.890. Le capital se
monte à £ 402.312, et on ne peut rien mettre de côté pour
l'amortissement.
A Oldham, où la régie existe depuis 1894, la perte en
1905 est de £ 1.037; à Poplar, de £ 1.271 ; à Peterbo-
rough de £ 905. A West Ham le service existe depuis
1898 ; en 1904 le déficit est de £ 3.788 ; en 1905 de £ 747.
La population compte 275.400 personnes, les consomma-
teurs ne sont que 995. La dépense en capital atteint
£ 318.273.
Mais tout cela ne vaut pas l'histoire de Bath qu'a rap-
portée le correspondant du Times (1). « L'histoire de Bath,
(1) The Times, 5 septembre 1902.
174 PREMIERE PARtlË. — GfiAPlTRE Vil
nous dit-il, est particulièrement instructive. La lumière
électrique y fut introduite par un fabricant de chaussures
qui aimait la science, et depuis 1890 le service y était fait
par une Compagnie qui avait obtenu du Board of Trade
une licence à cet effet. Plus tard, en 1896, ayant demandé
un provisional order, elle se heurta à ropposîtion de fa
corporation de Bath qui le demanda et l'obtint pour elle-
même. Ceci fait, la municipalité fit évaluer l'entreprise et
la racheta. Elle acquit ainsi pour £ 24.500 une entreprise
qui avait coûté £ 43.000 à ses fondateurs. On ne tint compte
ni de la clientèle qu'on estimait à £ 5.000, ni du profit
de £ 1.500 qu'accusait le dernier bilan de la Compagnie, ni
de ce fait que le matériel n'avait servi que 7 ans. »
Sous la direction de la corporation le service débuta en
1 897-1 898 par un déficit de £ 125 (il n étaitnaturellementpas
question d'amortissement). En 1898-1899 le déficit atteignait
le chiffre de £ 1.937, en 1900-1901 celui de £ 1.238 ».
L'hiver suivant, les usines pour l'aménagement desquel-
les la corporation avait dépensé £ 78.000 se trouvèrent
complètement hors d'usage, et l'ingénieur expert dont on
avait demandé l'avis déclara qu'il en coûterait £ 70.000
pour les remettre en parfait état.
Regrettant le marché qu'elle avait fait, la corporation
chercha à provoquer les offres de Compagnies qui la débar-
rasseraient de ce service onéreux ; mais ne recevant que
deux propositions peu satisfaisantes, elle se décida à conti-
niier elle-même l'exploitation. En 1904-1905 les résultats
sont toujours aussi mauvais et la balance aboutit à un dé-
ficit de £ 132. Sur une population de 50.000 personnes il
n'y a que 615 consommateurs, et c'est naturellement l'en-
semble des contribuables qui supporte ces pertes répétées.
Il est inutile de prolonger plus longtemps cette liste déjà
L*éLEGTRIGITl£ 176
loDgue. On admet que des Compagnies courent des risques
de ce genre qui rentrent dans les principes mêmes de toute
entreprise commerciale ; elles ont d'autant plus raison de
le faire qu'il n'est pas douteux que beaucoup de ces ex-
ploitations électriques auraient pleinement réussi au point
de vue financier, si elles avaient appartenu à des particu-
liers. Prenant les choses telles qu'elles se sont passées, il
est certain que les intérêts des contribuables ont souiTert
de Téchec de ces entréprises fondées sur la spéculation et
qui, règle générale, n^auraient pas dû être créées par des
autorités publiques, absolument incapables de les mener.
L'industrie électrique en a gravement souffert, elle aussi,
et son retard en est la preuve.
Les « refuse destructors » municipaux.
Nous ne voudrions pas finir ce chapitre plutôt amer de
rhistoire des municipalités anglaises, sans rappeler un es-
sai intéressant que quelques-unes d'entre elles viennent de
faire. Cherchant le meilleur moyen d'utiliser les ordures
ménagères et les détritus de toutes sortes qui s'amoncellent
chaque jour dans les grandes villes, la paroisse de St-Pan-
cras a eu Tidée de s'en servir pour produire la chaleur né-
cessaire au fonctionnement de ses dynamos. Plusieurs
villes brûlaient déjà leurs ordures dans des poêles gigantes-
ques appelés (( destructors », mais sans utiliser la chaleur
qu'ils dégageaient. On est depuis quelques années arrivé à
en tirer parti. L'exemple de St-Pancras a été suivi par Sho-
reditch qui utilise son destructor tout à la fois pour son
usine électrique, ses bains publics, ses lavoirs et sa biblio-
thèque populaire. Nottingham brûle les ordures et les dé-
tritus dans des destructors dont les plus récents fournissent
la vapeur nécessaire à la production de l'électricité.
176 PREMIÈRE PARTIE. — ^ CHAPITRE YII
Liverpool a égalemeut utilisé ses destructors ; six d^entre
eux fournissent aux usines électriques la chaleur dentelles
ont besoin ; la quantité d'ordures brûlées en 1904 s'élevait
à 188.000 tonnes environ, elle avait permis de produire
4.500.000 unités électriques, c'est-à-dire 15 ^U de la pro-
duction totale de l'année.
Nous empruntons à un livre publié par la municipalité
de Liverpool (1) la description d'un de ces destructors*.
(( L'installation consiste, nous dit-on, en une série de
foyers construits en briques et dont les parois internes sont
revêtues de briques réfractaires, au-dessus du niveau des
grilles sur lesquelles on brûle les détritus à Faide d'un cou-
rant d'air à haute pression. L'on amène les voitures et four-
gons pleins d'ordures, par un plan incliné, à une plateforme
commandant le sommet des fournaises, où l'on renverse
leur contenu. Les flammes et les gaz chauds produits par
la combustion des ordures circulent à travers les chaudières
tubulaires, et la vapeur ainsi créée sert à la fabrication du
mortier ainsi qu'à la production de l'électricité nécessaire à
l'éclairage et aux tramways. Quant aux scories, on les broie
et on en fait, en les agglomérant, des sortes de pavés dont
le poids total atteint 20.000 tonnes au bout de l'année, v
C'est certainement là une innovation intéressante et une
solution à la fois pratique et avantageuse de la question si
difficile de l'enlèvement des ordures et des détritus des
grandes villes. Il n'était que juste de la signaler.
(1 ] L iverpool Congress, p . 1 34
CHAPITRE VIII
LES TRAMWAYS.
II nous semble superflu de démontrer Vutilité, disons
même la nécessité, qu'il y a à doter les villes modernes à
population dense, de moyens de transport rapides et peu
coûteux ; la vaste superficie de nos grandes cités n^aurait
que des inconvénients si nous ne pouvions à tout moment,
à Taide de véhicules de toutes sortes, dont les tramways
électriques et les chemins de fer souterrains offrentaujour-
d'hui rimage la plus perfectionnée, nous transporter pour
une somme minime d'une extrémité à Tautre de leur ter-
ritoire.
C'est aux Etats-Unis, en 1852, que Ton établit pour la
première fois des lignes de tramways sur le sol même des
rues ; nulle part ailleurs ce mode de locomotion ne s'est
développé aussi rapidement que dans ce pays. C'est encore
une ville d'Amérique qui, la première, en 1885, se servit de
Télectricité pour actionner ses tramways; et depuis 1890
toutes les villes américaines ont avec ardeur poursuivi le
remplacement de la traction chevaline par la traction élec-
trique; à quelques rares exceptions près, c'est à Tinitiative
particulière que revient l'honneur des progrès réalisés dans
ce pays depuis une vingtaine d'années.
L'Angleterre, au contraire, a mis autant de lenteur à
adopter le nouveau système de traction qu'elle en avait mis
Boverat 12
178 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE VIII
à adopter la lumière électrique ; les deux choses vont d'ail-
leurs ensemble, et si, depuis quelques années, elle cherche
à rattraper le temps perdu, les chiffres que nous donneot
ses statistiques sont loin d'approcher de ceux de sa grande
rivale. Alors qu'en 1900 on comptait aux Etats-Unis 15.000
miles de tramways électriques, l'Angleterre n'en avait que
210 en 1899, 870 en 1902, 1.780 en 1905.
Cette fois encore, c'est à sa législation que sont imputables
les causes de son retard, bien que les conséquences fâcheu-
ses de la loi sur les tramways ne se soient fait sentir qu'assez
longtemps après sa promulgation. Avant d'examiner les
dispositions mêmes de cette loi, il ne sera pas inutile de
rechercher de quelles idées s'est inspiré le législateur et
dans quel but il a agi, lorsqu'il Ta votée.
Les arguments auxquels on a eu recours pour munici-
paliser les tramways sont à peu de chose près ceux dont
on s'était déjà servi pour obtenir la régie de Teau et du gaz.
Ils reposent sur la même idée : protéger le public contre
les méfaits possibles des Compagnies ; essayer de réserver
aux municipalités les bénéfices que peut procurer l'exploi-
tation d'un service public.
Le premier de ces arguments est que l'exploitation d'une
ligne de tramways entraîne une main-mise forcée sur la
voie publique et la nécessité d'y faire des travaux aussi
considérables que fréquents. Les droits qu'exercent ainsi
les Compagnies viennent se heurter à ceux des autorités
préposées à la garde et à Fentretien des rues et chemins ;
et cette fois, toutes deux travaillent à la surface, el non pas,
comme c'est le cas pour le gaz, Tune au-dessus et l'autre
au-dessous ; sans aucun doute la Municipalité doit l'em-
porter : mais ne lui sera-t-il pas souvent difficile d'obtenir
d'un particulier qu'il fasse ce qu'il est de son devoir de faire î
LBâ tRABIt^AYd 17g
Comment obliger une Compagnie dont les affaires péricli-
tent à réparer et à maintenir en bon état l'espace de i^oie
publique compris entre les rails ? Il n'y a qu'un moyen de
rétablir Tordre : c'est de racheter la Compagnie en faute. Or
le rachat est chose compliquée, et Ton éviterait toutes ces
difficultés en confiant à une autorité unique le soin de pro-
céder à la construction des routes et à la pose des rails,
Puisque l'autorité locale est chargée de l'entretien des
premières, n'est-il pas naturel de lui confier aussi le soin
d'établir les secondes et d'y faire les réparations nécessai-
res ? C'est pourquoi de nombreuses autorités locales se sont,
en Angleterre chargées de la construction de réseaux
qu'elles ont ensuite affermés à des Compagnies privées.
Le deuxième argument des municipalistes est que le ser-
vice des tramways constitue, au profit de celui qui l'exploite,
un véritable monopole. L'exploitation des tramways se
présente sous un aspect bien plus exclusif que l'exploita-
tion d'un service d'omnibus ; et bien qu'il y ait aujourd'hui
de nombreux exemples de lignes utilisées à la fois par les
voitures de plusieurs Compagnies, il n'en est pas moins
vrai qu'une réelle concurrence n'est guère possible et que
chaque Compagnie de tramways jouit, dans le secteur qui
lui est propre et dans les rues où elle a posé ses rails, d'un
véritable monopole. C'est le même argument que pour les
conduites de gaz ou les conduites d'eau, appliqué avec plus
de justesse même dans le cas actuel que dans le précédent.
Les municipalités des grandes villes doivent enfin s'in-
téresser tout particulièrement à l'établissement des tram-
ways pour une troisième raison : cette raison sera qu'ils
peuvent rendre à la population ouvrière d'immenses servi-
ces en lui permettant de se transporter chaque matin dans
le centre de la ville, aux usines et aux bureaux où elle tra-
l8o PREMIÈRE I^ARTIE. — CHAPITRE Yllt
vaille, et de regagner chaque soir ses maisons situées dans
les faubourgs ou dans la campagne même . On sait qu'en
Angleterre, les personnes aisées ont rarement leur domicile
près du centre de leurs affaires, mais qu'elles habitent en
général en dehors de la ville et font parfois en chemin de
fer de longs trajets pour se rendre de leur maison d'habita-
tion à leurs bureaux.
Seuls les gens riches peuvent se permettre ce luxe, et la
population ouvrière n'en peut sans doute pas faire autant;
il faut cependant éviter qu*elle s'entasse dans des bouges
infects ou de grandes bâtisses mal aérées, dont chacune cons-
titue un foyer d'épidémies ou de contagion. Il faut lui ofTrir
des moyens de transport aussi bon marché que possible
qui, pour 1 d., la conduiront jusque dans les faubourgs où
s'élèvent en rangées monotones ces innombrables petites
maisons de briques au toit d'ardoises, hautes d*un étage,
et contenant chacune deux ou trois chambres, logis de tout
bon ouvrier anglais.
Or, dit-on, les Compagnies concessionnaires sont toujours
prêtes à desservir les grandes artères du centre des villes ;
mais leur demandez-vous de construire de nouvelles lignes
à Tusage de la population des faubourgs, elles se récrient
et refusent d'exécuter les travaux qu'on attend d'elles.
Les municipalités, au contraire, établiront tout un ré-
seau, qui permettra la démolition des quartiers malsains
et l'établissement de la population ouvrière dans la ban-
lieue d'après les sages principes de la décentralisation, pro-
jet considérable qu'elles ne pourront toutefois exécuter
que du jour où on les autorisera non seulement à construire,
mais encore à exploiter leurs tramways.
Telles étaient les idées couramment répandues dans la
presse et même au Parlement lorsque l'essor subit des
tramvays rendit en 1870 le vote d'une loi nécessaire. 1
J
LES TRAMWAYS l8l
On avait iaséré dans les premiers en date des Private
Acts, ceux de 1868 et 1869 (1), qui permirent à deux Com-
pagnies d'exploiter les tramways de Liverpool et de Lon-
dres, des clauses conservant aux municipalités intéressées
le droit de racliat à certaines conditions. Mais la procédure
du Private Bill entraînait avec de nombreuses complica-
tions une grande perte de temps et d'argent ; pour obvier
à cet inconvénient, il fut décidé que les personnes dési*
reuses d*établir des tramways s*adresseraient directement
au Board of Trade pour lui demander ce qu'on appelle un
« provisional order >. (Nous avons déjà vu pour le gaz que
le provisional order est une sorte de licence ; provisoire en
ce sens seulement qu'il doit être formellement confirmé
par le Parlement avant que Ton puisse s'en réclamer.)
Le Tramways Actdel870 reproduit ce système. La nou-
velle loi simplifiait la procédure et en diminuait les frais ;
sous ce rapport on n'eut donc qu'à s'en féliciter. A d'autres
égards elles fut moins heureuse et nous allons voir qu'elle a
entravé de mille manières les progrès des entreprises élec*
triques. A l'époque du vote de cet Act, le gouvernement était
dans une phase de zèle et de réforme. II se souvenait dos
abus commis par certaines des Compagnies chargées du
service de l'eau et du gaz et il voulait, dans l'intérêt public,
en prévenir le retour de la part des Compagnies de tram-
ways.
Les mesures de protection qu'il adopta sont au nombre
de deux: ,
1° 11 donna à toute autorité locale le droit d'opposer son
veto à toute entreprise de tramways, qui aurait dans son
district les 2/3 au moins de son réseau. C'est le cas ordi-
naire dans les grandes villes.
(!) Voir rarticle de R. P. Porter, Engineering, 6/3/1903,
l82 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE VIU
2° Il décida de n'accorder de concessions que pour 21 ans
seulement et de donner à toute autorité locale le droit de
racheter Tentreprise particulière en (in de concession, à sa
valeur marchande (Scrap value ou old iron price).
Le Gouvernement ne prévoyait sans doute pas quel se-
rait l'effet de ces dispositions sur l'avenir des tramways et
il faut reconnaître qu'il a depuis quelques années fait des
efforts pour améliorer une situation que le droit de veto
et la courte durée des concessions avaient rendue si pré-
caire. Il faut dire aussi que l'influence désastreuse du
Tramways Âct ne se fit sentir pleinement que de long-ues
années après 1870, vers 1890 seulement, lorsqu'on com-
mença à entrevoir la possibilité de la traction électrique et
au moment o(i nombre de concessions touchaient à leur
fin. A ce même moment, le mouvement municipaliste fai-
sait de rapides progrès dans Topinion publique. C'est dans
la coïncidence de ces trois faits, Tun législatif, l'autre indus-
triel, le troisième social qu'il faut rechercher les causes de
Tétat actuel de la traction électrique en Angleterre.
Le droit de veto qu'accorde la loi aux municipalités a
considérablement gêné l'industrie privée ; plusieurs des dé-
positions faites devant le comité d'enquête de 1900 en font
foi.
Selon M. Gray (1), l'intention du Parlement, en votant
cette clause, était de permettre aux municipalités de décider
s'il y avait lieu d'établir ou non une ligne de tramways
dans telle ou telle rue. Cette disposition a malheureuse-
ment eu pour conséquence de faire prendre aux autorités lo-
cales 1 habitude d'imposer leurs conditions aux Compagnies,
lorsque ces dernières viennent leur demander leur consen-
tement ; elles ne s'inquiètent plus de la question de savoir
(1) Municipal Trading Report^ 1900, p, 25*
LES TRAMWAYS l83
si le tramway projeté doit servir ou noa Tintérêt public.
Elles ne savent qu*une chose : c'est que la loi exige leur au-»
torisation, et elles cherchent à tirer de cette prérogative
tout le parti possible. 11 y en a qui demandent aux Compa-
gnies de leur payer, pour Tusage des rues, une redevance
annuelle considérable, bien que la loi ne les y autorise en
aucune manière : il en est d'autres qui, désirant élargir
leurs rues, font promettre aux Compagnies de payer tous
les frais de l'élargissement et de l'achat des terrains, alors
qu'elles ne devraient payer que l'espace nécessaire à l'éta-
blissement de la voie. Il faut que les Compagnies permet*
tent à l'autorité locale de se servir de leurs poteaux pour
Téclaîrage électrique de la voie publique, pour la ventila-
tion des égouts, etc. Souvent aussi, il faut que tous les po-
teaux soient exactement du modèle et de la forme qu'im-
pose la municipalité, qu'ils soient peints de telle couleur ;
en fait, les obligations auxquelles doivent souscrire les Corn-*
pagnies sont innombrables.
M. Sydney Morse (Rapport 1900, p. 57) rappelait, à ce
propos, le mot expressif, mais malheureux, d'un chairnian
s'adressant à ses collègues : « Messieurs, leur disait-il, n'ou-
bliez pas que les promoteurs du projet ont à obtenir notre
consentement ; il faut les saigner à blanc » ( We should
bleed them).
On a vu dans plus d'un cas Tautorité locale demander que
ses membres puissent voyager gratis sur les voitures de la
Compagnie, et le président d'un comité de la Chambre des
Communes déclarait un jour, à propos d'un bill qui venait
d'échouer parce qu'il contenait des clauses de ce genre, que
les municipalités essayaient de se surpasser les unes les
autres en rapacité (t).
(1) Tbe Times, 5 septembre 1902.
l84 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE Vin
Maisce qui a plus que tout contribué à retarder rindustrie
anglaise en cette matière est la clause de rachat de l'Act de
1870, ainsi conçue : La municipalité a le droit de racheter
l'entreprise en fin de concession u à condition de payer la
valeur actuelle du tramway et de tous les terrains,bâtiaients,
ouvrages et matériel, sans avoir à tenir aucun compte des
profits passés ou présents de Tentreprise et sans que robli-
gation de vendre ou quelque autre considération que ce soit
puisse donner lieu à dommages intérêts ».
Ce n'est qu'aux environs de 4890, quand la plupart des
concessions arrivèrent à leur terme, qu'on s'aperçut des
effets déplorables de la loi (1). Sachant qu'elles allaient être
dans quelques années expropriées, à leur « market value »,
c'est-à-dire dépouillées à vil prix de leurs entreprises, les
Compagnies ne pouvaient songer à faire la moindre dépense
nouvelle de capital, et les efforts de leurs directeurs visaient
uniquement à réduire les dépenses et à compenser dans la
mesure du possible la perte que Ton allait subir. On limita
autant qu'on le put le service des voitures ; aux extensions,
on n'y songeait plus : c'eût été pure absurdité commerciale.
Les dernières années d'une Compagnie de tramways étaient
donc des années de décadence, de service insuffisant et mai
fait. Le public se plaignait ; il demandait aux Compagnies
d'adopter la traction électrique, demande bien vaine et bien
inutile, d'ailleurs, puisqu'on savait que les concessions ne
seraient pas renouvelées. C'est alors que l'opinion publique
se tourna vers les autorités locales, aux mains desquelles
les entreprises allaient passer, pour en obtenir les réformes
que les Compagnies lui refusaient.
Ce mouvement de Topinion publique a produit ses ré-
(1) R. P. Porter, Engineering. 1/3/ 1903.
LES TRAMWAYS l85
sullats. Les unes après les autres, les municipalités ont ra-
cheté leur réseau de tramways en fin de concession ; les
unes après les autres, elles ont adopté la traction électrique
en remplacement de la traction animale. Il ne faudrait pas
croire cependant que ce changement se soit fait de façon
rapide ; les municipalités les plus progressistes elles-mêmes,
Glasgow par exemple, laissèrent traîner pendant une pé*
riode beaucoup trop longue la question de la conversion, et
la traction électrique n'a fait entre leurs mains que des pro-
grès extrêmement lents.
Il nous reste à présent à voir comment la loi de 1870
ayant simplement permis aux municipalités de construire
leurs lignes de tramways et de les racheter au bout de 21
ans, lorsqu'elles ne les avaient pas construites, ces munici-
palités en sont venues à les exploiter elles-mêmes.
Nous savons que pour fonder et exploiter une entreprise
de tramways, Tobtention d'un provisional order est néces-
saire; peuvent demander ce provisionalorder: 1^ Tautorité
locale du district ; 2*" toute Compagnie ou toute personne
munie du consentement de Fautorité locale.
Mais la loi refusait en même temps à cette dernière le
droit d*exploi ter ses tramways et l'obligeait à les affermer à
une Compagnie concessionnaire (art. 19 de la loi).
Durant de longues années, l'interdiction de la mise en
régie des tramways fit partie de Tun des Standing Orders
des deux Chambres ; peu à peu le principe vint à changer ;
en 1896,1e Standing Order fut aboli, etaujourd'hui il n'existe
plus trace de prohibition de cette sorte.
L'année même du vote de la loi générale, Glasgow s'était
fait, par Private Act, donner le double droit de construire et
d'exploiter ses tramways. Le Standing Order de 1872, pro-
hibant l'exploitation municipale, n'avait pas encore à cette
l86 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE VIII
époque iaterprété la loi dans ce sens restrictif. Glasgow ne
se servit d'ailleurs pas de son droit avant 1894. Depuis 1896,
au contraire, il est de règle d'accorder aux municipalités,
tant par Bill que par provisional order, le droit d'exploiter
leurs tramways aussi librement que le font les Compagnies.
Dès 1882, cependant, une exception s'était produite ; elle
est bien connue en Angleterre, c'est celle d'Huddersfield, et
il nous faut la rappeler en quelques mots.
Un Improvement Act de 1880 (1) avait autorisé la ville
d'Huddersfield à construire des tramways. Les lignes cons-
trm4es, la corporation ne put trouver de concessionnaire
disposé à exploiter son réseau, par suite des pentes exces-
sivement rapides que présentent, en certains endroits, les
rues de cette ville.
Voyant que ses tramways lui restaient sur les bras, elle
demanda au Parlement une extension de ses pouvoirs ; on
mit de côté le Standing Order, et le HuddersBeld Corpora-
tion Act de 1882 (section 17) autorisa le Board of Trade à
donner à la corporation licence d*exploiter elle-même ses
tramways, après s'être assuré toutefois qu'elle ne pouvait
les affermer pour un prix convenable. L'Act disait encore
que si, à un moment quelconque, on venait à faire à la cor-
poration une offre raisonnable, elle devrait céder à Tauteur
de Toffre l'exploitation de ses lignes.
La corporation s'adressa aussitôt au Board of Trade qui,
en décembre 1882, lui accordait une licence que le Prési-
dent du Board (c'était alors M. Chamberlain) limita à 7 ans.
A son expiration, la licence a été renouvelée, et Hudders-
field exploite aujourd'hui encore ses tramways sur lesquels,
nous allons le voir, elle fait chaque année des pertes plus
ou moins considérables.
(1) Voir Annexes au Rapport de 1900, p. 349.
LES TRAMWAYS 187
On ne se fit pas faute d'invoquer ce précédent une fois
établi. Pendant plusieurs années cependant, le Board of
Trade refusa d'insérer dans les provisional orders qu'il dé-
livrait la clause d'Huddersfîeld, et le Parlement Timita. Gela
ne pouvait durer longtemps.
£n 1892, plusieurs autorités locales, dont le London Coun>
ty Council, les corporations de Blackpool, deNewcastle on
Tyne et de Newport déposèrent des bills qui renfermaient
rautorisationd'exploiterelles-mêmesleurs tramways. Black-
pool avait affermé son réseau de tramways électriques pour
un certain nombre d'années. En 1892 le bail touchait à son
terme et le concessionnaire ne consentit à le renouveler
qu^à des conditions que la corporation jugeait inacceptables.
La dissolution du Parlement ayant empêché le vote du
BlackpoolBillJamunicipalité,avecunediscrétionetunehar-
diesse qui lui font honneur, prit le taureau par les cornes
et se mit à exploiter elle-même ses tramways. L'année sui-
vante, un A.ct du Parlement légalisait le droit qu'elle s'était
arrogé. A la suite de cet incident^ le Gouvernement réunit
une Commission où siégeaient les autorités des deux Cham-
bres et le président du Board of Trade : cette Commission
décida d'accorder la clause d'HuddersQeld dans un bon nom*
bre de cas (Plymouth, Newcastle, Newport, etc.).
Aujourd'hui le Standing Order est aboli et la plupart des
grandes villes anglaises exploitent elles-mêmes leur réseau
de tramways municipaux.
Nous allons, dans les pages qui suivent, commencer par
indiquer la situation générale des entreprises publiques et
privées de tramways en Angleterre. Nous étudierons ensuite
et plus en détail, l'exemple de quelques grandes villes,
comme nous l'avons faitpour le gaz et l'électricité.
Voi^i, d'après un rapport du Board of Trade, quelle était,
l88 PREMIÈRE PARTIB. — CHAPITRE VIII
au mois deaoveinbre 1905, la situation de ces entreprises.
Depuis 1878, la longueur des lignes ouvertes au trafic a
passé de 269 miles à 2.117 miles ; la dépense en capital de
£ 4.207.350 à £ 52.675.152 ; le nombre dés passagers trans-
portés de 146 millions à 2.069 millions, et les recettes nettes
de £230.956 à £3.351.977.
En 1903-1904, la longueur de voie ouverte à la tractioa
électrique était de 1.462 miles sur un total de 1840. En
1904-1905 elle est de 1.780 miles sur 2.1l7.Le nombre de
miles 011 la traction électrique n'est pas utilisée a décru de
377 à 336 miles.
Le nombre des entreprises appartenant aux autorités lo-
cales a passé de 162 en 1904 à 174 en 1905 ; celui des en-
treprises particulières a diminué de 150 à 146 (1).
Les premières avaient dépensé un capital de £ 32.964.144.
Elles possédaient 1.396 miles de voies et transportaient
1.355.336. 775 voyageurs au tarif moyen de 1 d. 05. Leur
revenu net s'élevait à £ 2.216.597. Le capital des Compa-
gnies était de £ 19.711.008. Elles possédaient 721 miles de
voies et transportaient 713.546.361 voyageurs au prix
moyen de 1 d. 21. Leur revenu net s'élevait à £ 1. 135.490.
Le tableau ci-dessous donne quelques totaux, proportions
et pourcentages relatifs aux deux dernières années de ce
qu'on peut appeler la période de traction électrique, compa-
rée avec une période typique de la vapeur, c'est-à-dire une
période durant laquelle Tusage de la vapeur» appliquée
aux tramways, avait atteint son maximum, et une période
typique de la traction animale (2).
(1) Municipal Year Book, 1906, p. 392.
(2) Board of Trade, Tramways and ligtit railways [street and road),
novembre 1905.
LES TRAMWAYS
189
Longueur des lignes
en exploitation....
Nombre total de voya-
geurs transpor
oya-
-tés.
Capital dépensé par
naile de voie sim-
ple en exploitation.
Pourcentage des re-
cettes nettes k la
dépense totale....
Pourcentage des dé-
penses d'exploita-
tion aux recettes
brutes
Voyageurs transpor-
tés par mile
Tarif moyen par
voyageur
Somme payée en ré
duction des impôts
par les entreprises
des autorités loca
les
PÉRIODE ÉLECTRIOUB
1904-1905
2.M6.78
miles
2.068.913.226
£15.399
6.36
66.19
977.386
1.10 d.
£209.881
1903-1904
1.839.91
miles
1.799.342.673
£16.018
6.27
66.15
977.951
i.ll d.
£207.087
1898
(vapeur)
Période
typique
1.604.19
miles
858.485.542
£10.469
6.38
6.93
806.703
1.23 d.
1879
(chevaux)
Période
typique
321.27
miles
150.881.515
£9.877
3.97
83.81
469.641
1.84 d.
Ces chiffres nous montrent que le nombre de miles ou-
verts au trafic a doublé depuis 1898, c'est-à-dire depuis le
moment où le système de traction électrique à trolley a
commencé à se généraliser et que le nombre de miles dont
le réseau s'est augmenté Tannée passée est presque égal au
total général existant en 1879. Le nombre de voyageurs
transportés est deux fois et demie ce qu'il était en 1898,
presque 14 fois ce qu'il était en 1879, et le total atteint re-
présente 48 fois la population entière du Royaume- Uni.
Le capital dépensé par mile a augmenté d*environ 58%
IgO PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VIII
depuis Tépoque de la traction animale ; mais d*autre part
le pourcentage des recettes nettes au capital dépensé a aug-
menté dans une proportion relativement plus forte. Le
pourcentage des dépenses d'exploitation aux recettes bru-
tes du traBc laisse apparaître sous le régime de la traction
électrique une réduction marquée par rapport à Tépoque
où la traction à vapeur avait atteint son plus haut point
et une réduction encore plus forte par rapport à la période
animale. Le nombre des voyageurs transportés par mile
est sensiblement plus élevé qu'à Tépoque de la vapeur
et considérablement plus grand, ayant plus que doublé,
qu'à celle de la traction animale (1879). Le tarif moyen
par voyageur montre une tendance à diminuer; il a baissé
d'exactement trois farthings par parcours depuis 1879(1).
Ces résultats sont toutefois loin d'être aussi satisfaisants
qu'on pourrait le croire tout d'abord. M. Meyer le prouve
surabondamment dans l'étude qu'il a faite sur la propriété
municipale en Angleterre (p. 90). « En juin 1902, dit-il,
il y avait aux Etats-Unis 16.652 route-miles de tramways
(longueur des rues et routes suivies par les tramways) ;
la longueur des lignes elles-mêmes était de 22.589 miles.
14.000 miles de ces lignes se trouvaient à l'intérieur des
villes. La population urbaine du Royaume-Uni esta peu près
(1) Voici encore quelques indications relatives aux divers modes de
traction :
miles
Les voies des tramways mus & réiectrîcité mesurent. 1.780 i/2
— — A la vapeur 90 1/2
— — Au moyen d'un câble
— (cable System). ... 26 1/4
— — Par des moteurs & gaz . 4
— — A chevaux 210
— — Traction mixte. . . . , 5 1/2
Total 2.116 3/4
tËS TRAMWAYd Igt
la même que celle des Etats-Unis ; la longueur des lignes
de tramways devrait donc être à peu près la même dans les
villes des deux pays.
(( Or, en mars 1903, la longueur totale des routes et rues
suivies par les tramways, tant à Tintérieur qu'à Textérieur
des villes, n'était en Grande-Bretagne que de i.840 miles
et la longueur des voies (track mileage) ne dépassait pas
3.200 miles. 11 ressort de ces chiffres que la population qui
vit dans les cités et les villes du Royaume-Uni n'a à sa dis-
position que le quart des tramways que possède la popula-
tion urbaine des Etats-Unis. »
Les tramways municipaux dans quelques villes anglaises.
Hvddersfield. — Pour nous en tenir à Tordre des faits,
c'est Huddersfield que nous étudierons tout d'abord : elle
est, en effet, la première ville qui ait obtenu, après le vote
de la loi de 1870, le droit d'exploiter ses tramways ; d'un
point de vue financier, elle nous intéresse tout particuliè-
rement, car nous allons voir que si sa municipalité a fait
preuve d'une belle persévérance, elle n'est pas encore,
après 26 ans d'exploitation, arrivée à de très brillants résul-
tats.
Les difficultés que la corporation rencontra sur son che-
min furent à la fois sérieuses et nombreuses, sans avoir
cependant rien d'exceptionnel. Huddersfield est une ville
où les pentes sont très fortes et où la traction animale n'est
guère possible. On eut donc recours à la vapeur ; à peine
une année s était-elle écoulée depuis le début de la régie,
qu'une locomotive s'emballa sur la voie publique, renversa
une voiture et causa des dommages dont la réparation
coûta £ 10.000 à la ville, somme considérable dont le paye-
igs PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE YIII
ment vint sérieusement paralyser Tentreprise naissante.
A peine se relevait-elle de cette mésaventure qu'on s^aper-
çut que les lignes construites pour la traction animale ne
pouvaient pas servir à la traction mécanique ; il fallut les
reconstruire ; nouvelle et lourde dépense qu'eurent à sup-
porter les revenus annuels. En 1891, une chaudière éclate ;
il faut à nouveau payer une indemnité de £ 2.000 aux vic-
times de l'explosion. Malgré cette série de malheurs, la
corporation s'attache résolument à son entreprise dont les
contribuables comblent docilement les déficits. La traction
électrique a remplacé aujourd'hui la traction à vapeur ; le
service est peut-être devenu plus agréable, mais l'adoption
du nouveau système n a rien changé à ses résultais.
Le capital de l'entreprise a passé de £ 140.000 en 18^5-
1896 à £ 414.667 en 1904-1905 ; le nombre des voyageurs
de 4.308.289 en 1895-1896 à 12.838.150 en 1904-1905.
Les recettes totales s'élèvent à £ 69.809. Les dépenses,
y compris l'amortissement et le Sinking fund, à £ 70.312.
Le déficit est donc de £ 503.
Le déficit est d'ailleurs la règle dans cette malheureuse
entreprise ; en 1903-1904 son bilan se soldait par une perte
de £4.739; en 1902-1903 de £ 12.314; en 1901-1902 de
£ 9.145 ; en 1900-1901 de £ 10 100. C'est en général l'im-
pôt qui vient combler ces pertes ; à cet effet on l'élève de
3d par£ en 1902 ; de 7 d. en 1904; de 5 d. en 1905;
d'autres fois encore on puise l'argent qui manque au fonds
d'amortissement. En 1901, par exemple, on lui demande de
donner £ 5.000, en 1903 £ 12.314.
Il serait sans doute très désagréable, dans une ville de
100.000 habitants comme Huddersfield, de n'avoir pa.s de
tramways ; peut-être pourrait-on cependant les avoir à
meilleur compte, surtout h notre époque où la traction
LES TRAMWAYS IQS
électrique est venue diminuer d'une façon considérable
les frais d'expjoitation (1).
Glasgow, — Après Huddersfield, c'est Glasgow qui nous
offre le plus intéressant exemple de tramways municipaux ;
les municipalistes les citent avec orgueil comme Tun des
plus brillants succès du socialisme communal en Grande-
Bretagne.
Nous savons déjà que Glasgow avait, dès 1870, obtenu
par une loi l'autorisation de construire et d'exploiter ses
tramways ; que durant de longues années elle ne fit pas
usage de cette prérogative, et que c'est en 18f)4 seulement
que la municipalité décida d'exploiter elle-même son réseau.
Mais heureusement pour elle la population n'eut pas à
attendre si tard* pour avoir des tramways ; dès Tannée 1871,
la (* Glasgow Tramways and Omnibus Company » avait
obtenu une concession de 23 ans.
Les lignes furent construites par la corporation et affer-»
mées à la Compagnie aux conditions suivantes (2) :
La Compagnie payerait à la corporation : l"" Tintérèt an-
nuel des dépenses faites par cette dernière ; 2"^ un intérêt
de 3 "lo qu'on accumulerait pour rembourser la dette con-
tractée lors de la construction des lignes ; 3^ 4 °/o par an
(1) HuddersOeld a fait sur ses tramways une innovation assez inté-
ressante : chaque voiture porte une boite aux lettres que le conduc-
teur vide toutes les heures au bureau des tramways. Le Post Office
paye chaque année € 300 aux tramways pour le fonctionnement de ce
service qui permet de plus fréquentes distributions et dont Futilité se
fait surtout sentir dans la banlieue. Le nombre des lettres ainsi
transportées dépasse 10.000 par semaine ; on peut même, en payant
un supplément de 1 d., faire arrêter les tramways pour jeter une lettre
à la boite.
(2) Voir le Municipal Year Book de 1906.
BoTerat 13
ig4 PREMIERE PARTIE. — OHAPItRB Ytlt
du coût de construction pour exécuter les réparations né-
cessaires et rendre, en 1894, les lignes en parfait état à la
cité; l*' une redevance annuelle de £ 150 par mile pour
Fusage des rues ; S"* la Compagnie payerait toutes les autres
dépenses que la municipalité pourrait avoir à faire pour les
tramways.
En aucun cas les tarifs ne devaient dépasser 1 d. par
mile. En 33 ans la corporation retira de cet arrangement
un profit total de £ 63. 628 ; la plus forte des sommes
qu'elle ait touchées atteignit £ 5.660 en 1894, et la moyenne
des versements annuels fut de £ 2.766.
Cinq ans avant Texpiration de sa concession, la Compa-
gnie chercha à en obtenir le renouvellement et entra dans
ce but en négociations avec la municipalité ; mais trouvant
trop dures les conditions qu'on voulait lui imposer, elle
abandonna son projet et offrit à la corporation de lui ven-
dre son matériel. La corporation n'acceptait le marché
qu*à condition que la Compagnie s'engageât à ne pas lui
faire concurrence au moyen de lignes d'omnibus. Sur son
refus les négociations furent définitivement rompues en
avril 1892.
Au mois de juin de la même année, la corporation déci-
dait d'exploiter en régie, de construire de nouveaux bâti-
ments, d'acheter un nouveau matériel et de reprendre le
service elle-même le 1®' juillet 1894.
La tâche était énorme. Une fois les terrains achetés et
les formalités préliminaires remplies, il ne restait plus à
la municipalité qu'une seule année pour mener à bien son
ouvrage. En douze mois elle éleva neuf dépôts capables
d'abriter de 3.500 à 4.000 chevaux, bâtit d'immenses ma-
gasins et greniers à fourrage, des forges, construisit plus
de 240 voitures, acheta ses chevaux^ dont une épidémie
LES TRAMWAYS 1^5
d'iafluenza rendit au dernier moment Tentrainement im-
possible.
Le service commença cependant le i®' juillet 1894, mais,
avec 108 voitures seulement; ce n'est que quelques mois
après, les chevaux une fois guéris, qu*il put fonctionner à
nouveau régulièrement.
La mise en régie coïncida avec une réduction des tarifs de
33 Yo* l'introduction de la course à 1/2 d., et l'élévation
du salaire des employés.
La traction animale ne permettant pas l'organisation
d*un service suffisant, la municipalité décida, en 1898,
après enquête en Amérique et en Europe, de faire Texpé-
rience de la traction électrique. Elle essaya sur une ligne
de 2 1/4 miles le système du trolley ; les résultats en furent
si satisfaisants qu'en janvier 1899 elle décidait de l'appli-
quer à tout son réseau.
En avril 1901, les stations génératrices étaient achevées,
le réseau entier inauguré et le nombre des voitures consi-
dérablement augmenté.
Depuis 1903, la traction électrique a remplacé partout
la traction animale. 36 Yo du réseau se trouvent à présent
en dehors des limites municipales ; Glasgow est ainsi relié
à Pollokshaws, Paisley, Renfrew, Clydebank et à sept au-
tres des petites villes avoisinantes. La longueur totale des
lignes exploitées au 31 décembre 1905 était de 152 miles.
£n 1894 elle n'était que de 64 : en 1900 de 88.
Le nombre total des voyageurs est passé de 57.104.647
en 1894-1895 à 127.628.484 en 1899-1900 et à 195.767.519
en 1904-1905.
Le tarif en vigueur sur les tramways varie de 1/2 d. à
5 1/2d.
Le tableau ci-dessous indique le nombre de voyageurs
tgC
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VIII
transportés durant Tannée 1904-1905 selon le tarif qulb
ont payé et les recettes qu*a données chacun de ces ta-
rifs (1).
TARIF
1/2 d.
1 d.
1 1/2 d.
2 d.
2 1/2 d.
3 d.
|et au-dessus
divers
VOTAGBURS
Nombre
58.540.026
117.891.932
13.100.122
3.648.196
1.024.047
1.357.736
195.767.519
Pourcentage
29.90
60.22
6.69
1.87
» 53
» 79
100.00
RECBTTBS
Tolal
£121.958
491.239
81.873
30.401
10.667
20.312
7s9d
2 8
15
12
3
16
3
8
2
5
25 10 8
£759.480 8s 7d
Pourcentage
16.12
64.94
10.82
4.02
1.41
2.69
100.00
j
Le tarif de 1/2 d. représente 29,90 **/o des voyageurs et
seulement 16,12 ^/^ des recettes. Le tarif de 1 d. constitue
le plus fort soutien de ces recettes. Il représente 60 •/. des
voyageurs et 64.94 Vo des recettes, quatre fois c^ que rap-
portent les 1/2 d.
Le système des tarifs gradués, assez juste en lui-même
ne donne peut-être pas, d'un point de vue social et sani-
taire, d'excellents résultats. Dans son livre sur la propriété
municipale, M. R. Meyer en fait une très vive critique.
Il prétend que le tarif uniforme en usage en Amérique
est de beaucoup préférable ; à condition naturellement que
le tarif unique convienne aux bourses des petits marchands,
employés, ouvriers habiles, à toutes les personnes enfin
qui profiteront des progrès des moyens de transport pour
aller s'établir dans les faubourgs. C'est grâce à ce système,
dit-il, que les villes américaines ont, depuis l'établissement
(i) Voir le 11* rapport annuel du CSomité des Tramways de la corpo-
ration de Glasgow, 1904-1905.
LES TRABTWAYS I97
du trolley, pu procéder à une véritable déceatralisation de
leur population ; que ces petits marchaads, employés, ou-*
vriers bien payés ont pu aller s'installer dans la banlieue
et que les maisons qu'ils occupaient auparavatit, devenues
libres, ont pu servir de logement aux classes ouvrières.
Pour une somme de cinq cents, le citoyen de Boston
parcourt en tramway des distances variant do6 à 9 miles ;
rhabitant de Glasgow paye pour un même trajet 6, 7 ou 8
cents, tarif si élevé qu'il en devient prohibitif; car il nous
faut rappeler qu'une même somme d'argent représente
pour rhabitant de Glasgow une valeur de 30 "/o supérieure
à celle qu'elle représente pour celui des Etats-Unis, parce
qu'il lui est bien plus difficile de la gagner.
. A propos des tramways, M. Meyer rappelle un épisode
significatif et qui montre bien comment tout pas fait sur
le chemin de la municipalisation entraine forcément à en
faire un second, u La corporation de Glasgow, dit le Mn^
nicipal Journal, sur la proposition de M. Ferguson, a de-
mandé au Comité des Land Values, de faire une enquête
sur l'intérêt qu'il y aurait pour la corporation, à posséder
tous les terrains situés en dehors de ses limites, le long de
la route que suivra le tramvay, question des plus impor-
tantes et qui recevra, nous l'espérons, toute Tattention
qu'elle mérite de la part des autorités publiques qui possè-
dent ou songent à posséder des tramways. Le simple fait
pour une autorité locale d'entreprendre la construction d'un
tramway convertit des centaines d'acres de pâturages en
terrains à bAtir et la presque totalité de 1' « unearned incré-
ment )) ainsi produit tombe dans la poche des gens qui ont
été assez adroits pour acheter ces terrains et élever des
maisons dessus. Il y a bien des moyens d^alléget* le fardeau
des contribuables en ce pays... en voici un. C'est en effet
igS PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE TIII
le public qui crée la plus-vjalue (incrément) « qui tombe ac-
tuellement dans les poches de ceux qui n^ont rien fait pour
lagafçner ». C'est un phénomène bien connu que la cons-
truction destramvays de pénétration, en augmentant la va-
leur des terrains situés à Textérieur des villes^provoque la
baisse des propriétés du centre.
l^a proposition de M. Ferguson a peut-être réconcilié
la corporation de Glasgow avec Tidée qu'il serait utile, sinon
nécessaire, d*étendre jusque dans la banlieue le réseau de
ses tramways électriques. Elle a longtemps hésité à le faire,
craignant que ce système n'encourageât nombre de per-
sonnes et d'industries à quitter la ville même de Glasgow
et qu'une émigration de ce genre ne provoqu&t une diminu-
tion de la valeur imposable (taxable value) de la cité.
Voilà le genre d arguments auxquels ont recours les conseil-
lers municipalistes ; ne les avons-nous pas entendus pré-
cédemment dire que la municipalisation permettait tout au
contraire de décongestionner le centre des grandes villes l
L'illogisme n'est pas l'un de leurs moindres défauts.
L'exploitation des tramways a donné, en 1904-1905. les ré-
sultats suivants : les recettes totales ont été de £ 764 . 790
et les dépenses de £ 387.167 ; laissant une balance brute
de £ 377.623 ; de £ 380.736 si l'on v ajoute Tîntérèt du
« Surplus revenue ».
Cette somme a reçu remploi suivant :
£ s. d.
Ralance brute 380.736 12 6
dont il faut déduire : £ s. d.
Inlôrit dû sur le capilah 49.906 4 7
Sinkitti; fund • . . . 4r».9I9 8 9
Imvme ta\ 5.434 3 5
LES TRAMWAYS IQQ
Redevance à payer pour
les tramways de Govan et
dlbrox
S. 080 9
3
Paiement à la Compa-
gnie des tramways du dis-
trict de Paisley . . . .
915 1
4
Amortissement ...
81.114 13
4
Fonds de renouvellement
des voies permanentes . .
72.176 19 10
Dépensesparlementaires
890 18
6
Paiement au Gommon
Good
25.000 0
0
£ 287.437 19 0
Balance nette ... .
«...
£ 93.298 13 6
De ces £93.298 on a consacré £ 68.500 à Tamortisse-
ment spécial des bâtiments et du matériel et £ 24.798 au
Reserve Fund.
Le capital total dépensé depuis le commencement de Ten-
treprise s'élève à £ 2.763.382.
L'auteur des articles parus en 1902 dans le Times a
vivement attaqué les tramways de Glasgow. Citant des
articles du Glasgow Herald, il reproche à la municipa-
lité de baptiser du nom de profits des sommes qui ne sont
pas des profits du tout et qui devraient être consacrées à
l'amortissement : il se demande ce que deviendraient ces
profits si la municipalité avait à payer une redevance pour
Tusage des rues, comme elle en faisait payera l'ancienne
Compagnie et comme en payent les Compagnies dans
beaucoup de villes. Il lui reproche enfin d'avoir trop abaissé
les tarifs sous prétexte de faire participer les voyageurs à
ses bénéfices et de risquer de se trouver à court lorsqu'il
lui faudra faire face au coût d'installations nouvelles.
aOO PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE YIII
Lesuccèsdes tramways de Glasgow Q*est en somme qu'un
succès relatif ; le réseau tel qu'il existe aujourd'hui est loin
de répondre aux promesses qu'avait faites la corporation en
1870, lorsque, par la bouche deM. Munro, elle disait qu'une
fois propriétaire des tramways elle transporterait presque
pour rien les ouvriers et les personnes pauvres jusque dans
les faubourgs, à la porte des maisons qu'elle leur aurait elle-
même bâties.
Or» le recensement de 1901 a prouvé que la population
de Glasgow est de 760.000 âmes (1), que sa densité est
telle que 91.200 de ses habitants vivent dans la proportion
de 3 à 12 personnes dans une seule chambre.; qu'il y en a
194.284 qui vivent dans la proportion de 5 à 12 personnes
dans 2 chambres. En 1891, il ne se trouvait que 90.900 per-
sonnes dans le premier cas, 187.000 dans le second. Il
n'y a donc pas trace d'amélioration.
C'est pourtant à cet entassement excessif de la population
qu'il faut attribuer le taux élevé de la mortalité dans les
classes ouvrières. En 1901, ce taux était à Glasgow, pour
1.000 habitants, de : 11,2 pour les personnes ayant des
maisons ou appartements comprenant 4 chambres et plus ;
13,7 pour celles qui possédaient 3 chambres ; 21,3 pour
celles qui en possédaient 2 ; 32,7 pour celles dont le loge-
ment ne se composait que d'une chambre unique.
Si la politique qu'a suivie la corporation de Glasgow en
matière de tramways n'a pas donné les résultats sanitaires
qu'aurait pu donner une intelligente organisation du réseau,
il n'y a pas lieu non plus de se féliciter outre mesure de ses
résultats financiers. « En 1902-1903, dit M. Meyer, les tram-
ways donnaient un revenu brut de $ 3 271.000 ; sur ce re-
(1) Voir Mbyeh, Municipal Ownership in Grcat Britain.
LES TRAMWAYS 201
venu ils ^payaient $91.000 d'impôts, versaient $ 125.000
au (( Common good » et payaient au Sinkiug fund une
somme de $ 216.500, c est-à-dire qu'ils versaient à la ville
dans rintérèt du public en général une somme de $432.500
ou 13, { °/o àes recettes brutes ou $ 0.44 par tête d'habi-
tant.
«La Boston elevated Railway C% qui dessert une popula-
tion moins nombreuse que celle de Glasgow et de ses fau-
bourgs, voit ses recettes brutes s'élever à $ 12.000 000 et
paye à la ville, et par conséquent à la communauté, en
argent liquide et en services gratuits, une somme de
$ 1 .550.000 par an, soit prés de 13 °/o de ses recettes brutes,
ou $ 1,67 par tête d'habitant. Cette comparaison nous mon-
tre que la ville de Glasgow pourrait obtenir d'un réseau de
tramways bien installé et confié à une Compagnie, une
somme beaucoup plus importante que celle qu'elle retire de
l'exploitation d'un réseau municipal notoirement insuffi-
sant » (Il y avait en 1904 à Glasgow 1 mile de tramways
»
pour 6.700 habitants, il yen avait à la même date à Boston
1 mile pour 2.300).
Liverpool. — Jetons, après Glasgow, un coup d'œil sur la
ville de Liverpool qui a municipalisé ses tramways en 1897
et possède aujourd'hui Tun des plus beaux réseaux de l'An-
gleterre et peut-être du monde entier.
Les premiers essais qu'on ait tentés à Liverpool pour éta-
blir des tramways remontent à 1860 (1) ; ils ne furent pas
heureux ; la section du rail était telle qu'une fois posé, il
formait une sorte d'auge au-dessous de la surface de la rue,
disposition malencontreuse qui occasionna de nombreux
(1) Liverpool Congress (p. 115) ei Municipal Year Book,
a02 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE YHI
accidents et rendit la ligne si gênante. qu*il fallut TealeTer
au bout de peu de temps.
£n 1865, la Liverpool Tramways C^ Limited se fonde dans
le but d'établir des tramways dans un certain nombre des
principales rues de la cité. Dissoute, puis reformée, ce n'est
qu'en novembre 1869 qu'une partie des lignes autorisées
furent ouvertes au trafic ; les autres suivirent peu de temps
après.
Après diverses péripéties, la Liverpool Tramways C^ se
réunit en 1879 à la Liverpool United Tramways and Om-
nibus C'\ La même année, la nouvelle Compagnie conclut
avec la corporation un accord en vertu duquel cette der-
nière acquerrait les voies existantes pour £ 30.000, com-
pléterait la reconstruction des diverses lignes et afTermerait,
moyennant une redevance de 7 1/2 Vo sur le montant du
rachat, l'ensemble du réseau à la Compagnie, \^ corpora-
tion se chargeant de veiller à ses frais à l'entretien des
lignes.
Le 1*' janvier 1880 les lignes furent remises à la corpo-
ration et la Compagnie commença à les exploiter peu de
temps après. Le Liverpool Tramways Act de 1880 confirma
cet arrangement, et bientôt après la concession fut prolon-
gée de 21 ans, à partir du 1*' janvier 1884.
Les tramways de la Compagnie étaient des tramways à
chevaux; ils s'étaient tellement multipliés qu'en 1895,1a
redevance payée à la corporation s'élevait à £29.884. A
cette date la Compagnie distribuait un dividende deSVo-
Elle avait distribué ce même dividende durant les quatre
années précédentes et antérieurement à cela 7, 5 et 2 1/2 7o-
En 1895, la corporation obtint du Parlement que la su-
perficie de la cité fût portée de 5000 à 15.000 acres. Pres-
que tous les tramways se trouvèrent alors compris dans la
LES TRAMWAYS 203
cité mâme (1) ; Tarrangemeat déplut à la Compagnie, elle
fit opposition au bill et finalement obtint, comme compen-
sation au tort qu'elle prétendait subir, que sa concession
fût prolongée de 10 années, c'est-à-dire jusqu'au !•' jan-
vier 1915.
En 1896, elle intenta à la corporation une action en indem-
nité de £ 80.000 pour dommages causés à ses chevaux et à
ses voitures par le mauvais état des lignes. La municipalité
répondit que si les lignes se trouvaient en mauvais état, la
faute en était à la Compagnie qui ne les avait pas assez
ménagées et jetait sur les rails de Teau et du sable. Durant
ces querelles, le public, mécontent, se plaignait ; il voyait
des tramways électriques à l'étranger dans nombre de gran-
des villes. Il en voulait avoir à Liverpool et en réclamait
l'introduction à la Compagnie qui n'en faisait rien et se re-
tranchait derrière cette réponse qu'elle était entrain de pro-
céder à des essais. Finalement, voyant qu*on ne pouvait
non seulement rien obtenir d'elle, mais qu'elle réclamait
encore une indemnité formidable, la corporation décida de
la racheter. Elle y fut autorisée par le Liverpool Tramways
Actde 1897.
La somme versée à la Compagnie s'éleva ࣠567.375,
somme, parait-il, beaucoup trop forte, le capital de la
Compagnie n'étant à cette époque que de £ 4i5.000.
c( Nous savions bien, disait Sir Th. Hughes (2), que l'actif
de la Compagnie, si nous l'avions fait expertiser, n'aurait
pas atteint la valeur du capital ; mais nous sentions, d'autre
part, que nous ne pourrions rien faire de bon sans avoir le
contrôle complet de ces tramways ; nous conclûmes donc
le marché le meilleur que nous pûmes et payâmes la
(i) Municipal Trading Report. 1900, p. 165.
(2) Municipal Trading Report ^ 1900.
304 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE YIII
somme que l'on avait insérée dans TAct du Parlement >-.
Le cours des actions de la Compagnie qui n'était pas
très élevéy monta rapidement dès qu'on sut qu*il était
question de rachat : on pensait que la municipalité les
payerait un bon prix. La municipalité versa encore des
sommes considérables au chairmaû, aux directeurs, solici-
tors, comptables, vérificateurs, etc.
« Nous fûmes obligés d'en arriver là, continue sir Th.
Hughes, tout en sachant qu'au point de vue commercial
ce rachat constituait une très mauvaise opération, parce
que le public se plaignait chaque jour plus vivement. La
Compagnie n'exploitait pas certaines lignes du réseau sous
prétexte qu'elles ne l'auraient pas payée de ses frais. L'in-
tention de la corporation était d'établir un réseau complet
conçu dans le seul intérêt du public et sans s'inquiéter de
savoir si tel district pauvre serait d'un plus ou moins bon
rapport. Or l'on ne pouvait obliger la Compagnie à le faire.
Le public se plaignait aussi de la lenteur des tramways. Li-
verpool est en eiïet bàlie sur le flanc d'une colline, partant
des bords de la Mersey,et la traction y est difficile. Les jour-
naux accusaient encore la Compagnie de surmener ses
employés et ses chevaux^ on y parlait de l'esclavage des
blancs (white slavery). Les tarifs enfin étaient trop élevés.
Voilà l'ensemble des raisons qui nous décidèrent à racheter
l'entreprise. »
Le 1®^ septembre 1897, la corporation commençait l'ex-
ploitation de ses lignes qui s'étendaient sur 67 1/2 miles
dans la cité, 6 miles dans Bootle et environ 3/4 de miles
à Litherland. Résolue à remplacer la traction animale par
la traction mécanique, la corporation avait le choix entre
plusieurs systèmes. Après mûre réflexion, elle se décida
finalement en faveur du système do traction électrique à
LES TRAMWAYS 2o5
trolley. Elle Texpérimenta en 1898 sur une ligne de 6 miles,
entre St-Georges Church et leDingle. Pleinement satisfaite
des résultats, elle fit, dans les deux années qui suivirent,
construire ou reconstruire 100 miles de lignes anciennes
OU nouvelles auxquelles elle appliqua le nouveau mode
de traction. La longueur totale du réseau en exploitation
atteint aujourd'hui 104 miles.
La dépense totale en capital au 31 décembre 1905 s'éle-
vait à £ 1.898.812. Le revenu total de Tannée à £ 566.628
et les frais d'exploitation à £381.378, laissant un profit brut
de £185.250.
Les dépenses du service des intérêts et du Sinking fund
s'étant élevées à £ 109.291 8 s. 5 d.
Celles des Reserve et Déprécia-
tion f unds à £ 50.639 7 1
Soit au total £ 159.930 15 6
11 restait après avoir déduit du
profit brut £185.250 9 0
Les dépenses précédentes. . . £ 159.930 15 6
Un profit net de £ 25.319 13 6
dont on a crédité le gênerai rate.
Le rapport du comité des tramways de Liverpool pour
Tannée 1905 nous donne encore quelques détails sur le
nombre de voyageurs transportés et de miles parcourus, et
il les compare aux chiffres de la dernière année de la Com-
pagnie (1897).
206
PREBUÂRB PARTIE. — GttAPITRE Tni
Voyageurs
1897
1900
1905
Tramways électriques..
— à chevaux...
Omnibus
Total
30.596.229
7.812.855
50.068.531
19.051.873
5.247.552
82.367.958
119.123.6U
>
38.4U9.084
119.123.644
Parcours kn milrs
4.674.609
1.338.573
5.584.357
2.571.163
945.346
9.100.866
12.067.033
»
9
Tramways électriques. .
— à chevaux...
Omnibus
Total
6.013.182
12.067.033
Rbcettes
£ »
239.399
51.344
290.743
£ 284.759
105.212
27.603
£ 550.084
»
B
Tramways électriques. .
— à chevaux. . .
Omnibus
Total
417.574
530.084
L'augmentation en faveur de 1905 sur 1897 est de :
211, 37 7o sur les voyageurs ;
101, 39 Yo sur le nombre de miles parcourus ;
89, 84 % sur les recettes.
Les tarifs appliqués à Liverpool varient de 1 à 6 d. , celui
de 1/2 d. n'existe pas. De même qu'à Glasgow le tarif 1 d.
forme de beaucoup la plus grosse part du total, comme le
montre le tableau suivant :
Prix du Billet
Nombre de Billets vendus
Pourcentage
1 d.
1 1/2 d.
2d.
3 d.
4d.
5 d.
6 d.
1
106.353.445
1.231.422
10.799.346
532.814
115.302
2.976
88.339
89.280
1.034
9.066
0.447
0.097
0.002
0.074
119.123.644
100.000
LES tRAMWAYS 20?
Le tarif moyen par voyageur est de 1. 108 d. et le parcours
moyeu pour 1 d. de 2 miles 699 yards.
Quant aux profits faits par les tramways, on ne les a pas
dès le début versés en réduction du « gênerai rate » (voir
la déposition de M. Barrow devant le Select Committee de
1903, p. 94).
L'Act de 1897 autorisant le rachat de l'entreprise défen-
dait d*appliquer aucune part des profits en réduction des
impôts jusqu'en Tannée 1912. Quand elle vit pourtant en
1901 les résultats si satisfaisants de cette exploitation, la
municipalité se dit qu'il n y aurait rien de déraisonnable à
en faire bénéficier les contribuables dans une certaine me-
sure. Elle s'adressa donc au Parlement qui lui permit en
1902, d'opérer, au delà de £ 30.000, le transfert des profils
nets en réduction des impôts, à condition que la somme
transférée n'excédât en aucun cas le tiers de ces profits nets.
En 1902, par exemple, les profits ayant été de £ 75.000, on
consacra £ 25.000 à la réduction des impôts et £ 50.000 au
Renewal, Reserve and Dépréciation Account.
Si nous en croyons des articles qu'a publiés une revue
technique anglaise des plus sérieuses, ï Engineering (n'^du
8 avril 1904), les sommes consacrées au service des in-
térêts et de l'amortissement rembourseront sans doute en
un certain nombre d'années le capital emprunté ; mais, à
moinsqu'on ne change de manière d'agir et qu'on ne consa-
cre au Renewal et Dépréciation fund des sommes suffisan-
tes, les contribuables risquent de se trouver un jour, peut-
être même avant le complet remboursement des emprunts,
sans tramways et sans matériel. Une saine gestion exige-
rait qu'une partie des bénéfices actuels servissent à faire
face aux besoins futurs ; la constitution d'un Reserve fund
important s'impose absolument.
3o8 PREMlàRE PARTIE. — CHAPITRE yill
La muaicipalité n*a consacré que £ 50.639 au Réserve^
Renewal et Dépréciation account. Sur un capital de près de
2 millions de £ (1.898.000) cette somme ne représente guère
que 2 1/2 y». Elle apparaît manifestement insuffisante si
l'on prend la peine de songer combien courte est Texistence
d*un matériel électrique. Le temps viendra où les revenus
auront à supporter les frais des renouvellements, et l'em-
barras sera grave le jour où, pour y faire face, il faudra ré-
duire ou supprimer la somme versée en aide des impôts.
Nous ne prétendons pas donner notre opinion personnelle
sur la question si délicate de Tamortissement des capitaux
-et du matériel de grandes entreprises du genre des tram-
ways ; maison voit que l'opinion des gens du métier et des
ingénieurs spécialistes est qu'on ne lui faitjamais, même
dan^ les exploitations qui semblent le plus prospères, une
part assez large.
Il serait fastidieux d*étudier encore en détail les entre-
prises de Manchester et de Birmingham. Nous allons en
dire quelques mots seulement.
Manchester. — Les tramways de la ville de Manchester (1)
ont, dès le début, c'est-à-dire depuis 1875, appartenu à la
corporation, et c'est elle qui les a construits, afin de se ré-
server tous les droits relatifs à la voie publique ; n*étant pas
autorisée à les exploiter elle-même, elle les afferma, et jus-
qu'en 1901 c'est une Compagnie qui exploita les tramways
de la ville.
Avant l'expiration de sa concession, la corporation con-
clut avec la Compagnie un accord en vertu duquel elle au-
torisait cette dernière à poursuivre l'exploitation des tram-
(1) Voir Municipal Trading Report^ 1900, p. 193
LES TRAftfWAYS: aOQ
ways jusqu'au jour où ils auraient été recoastruits et adaptés
à la traction électrique par la corporation. La municipalité
signa encore des arrangements avec les autorités locales
voisines (1) pour reprendre la concession de leurs lignes
dans leurs districts respectifs et les exploiter en même temps
que les tramways de la cité.
Manchester et Salford se sont entendues pour que leurs
tramways puissent respectivement passer d'une ville dans
l'autre. La corporation projette enPmde construire de nou-
velles lignes qui la relieront à toutes les localités adjacentes.
Manchester nous offre ainsi un exemple des plus typi-
ques d'une ville exploitant un service en dehors de ses
propres limites ; on peut donc lui reprocher de spéculer
avec l'argent de ses contribuables. M. Southern, à qui Ton
avait posé l'objection en 1900, répondit que, du moment
où les autorités locales voisines donnaient leur consente-
ment au système, il n'y avait rien à redire ; mais n'est-ce
pas plutôt le consentement du contribuable lui-même qu'il
aurait fallu demander?
Manchester exploite directement et sans Joint Board les
réseaux des districts voisins (2) ; la question avait été dis-
cutée dans tous ces districts, et Ton était arrivé à la conclu-
sion unanime que le Joint Board ne constituait pas une
solution pratique, — sauf pour l'eau et les égouts, — at-
tendu que, dans le cas des tramways, il est des districts
dont la voie emprunte le territoire sur une grande lon-
gueur ; d'autres qu'elle ne fait que traverser sur un court
(1) FailsworUi, Droylsden, Âudensha^v, (îorton, Deaton, Levens-
halme, Heaton Norris, Stockport, Mosse Side, Withington et Stret-
ford.
(2> Municipal Trading Report, i900, p. 194.
Boverat 14
910 PREMièRE PARTIE. -^ GHAPÎtRB Vf If
espace ; que le trafic est intense dans Tun, presque nul dans
l'autre , etc.
Aussi s'en est-on tenu à Tarrangement suivant : la cor-
poration de Manchester devient concessionnaire des divers
« urban district Councils » pour leurs portions respec-
tives de tramways, moyennant lé versement d'ufie rede-
vance convenable qui les remboursera pleinement de toute
dépense en capital qu*ils seraient obligés de faire pour la re-
construction des lignes ou tout autre travail de ce genre.
La corporation exploite actuellement, au moyen de la
traction électrique un réseau d'environ 146 miles. L'entre-
prise électrique, municipale lui fournit le courant au prix de
1.40 d. par unité (mars 1905).
Le capital dépensé par Manchester dans Tentreprise des
tramways s'élevait, à la fin de 1904-1905, à £ 1.587.931. Le
nombre des voyageurs était de 126.900.875 payant en
moyenne 1 d.lO. Les recettes totales s'élevaient à £ 631.955;
les dépenses (y compris l'intérêt, Tamortissement et les
redevances payées aux districts voisins et s'élevant à
£10.000) ont atteint £ 580.055, laissant un surplus de
£ 51.000 qu'on a versé au budget communal. La contribu-
tion aux impôts ne devait être primitivement que de
£ 46.000 ; mais, lisons-nous dans le rapport des auditeurs
pour 1ÎI04-19Ô5, £ 5.000 ont été transférées du compte
« Renewal et Dépréciation » à r« Appropriation Account i»
ce qui a permis de porter à £ 51.000 la subvention quoa
donne au budget. Le Renewal et Dépréciation Ajccount ne
s'élève qu'à £ 185.085.8 s. 0 d. (au 31 mars 1905) ; pour
une entreprise aussi importante, ce n^est encore qu'un fai-
ble commencement; aussi répéterons-nous ici les observa-
tions que nous faisions pour Liverpool, et dirons-nous qn*il
vaudrait peut-être mieux laisser cet argent là où il est que
j
LB8 tRAMWAYd âlï
d'en faire prématurément bénéficier les contribuables. Les
tramways versent régulièrement de grosses sommes au
budget municipal, et dans les Estimâtes de 1906-1907 le
comité propose de consacrer à cet usage £ 55.000, sans
compter les £ 4.186 qui serviront à opérer le premier ver-
sement du prix d'achat d*un terrain destiné à un hôpital.
Birmingham. — L'histoire des tramways de la corpora-
tion de Birmingham n est pas encore assez longue pour
qu'on puisse l'écrire ; le principe de la municipalisationn'a
été accepté par son conseil municipal qu'en 1899. La pre-
mière ligne électrique date de 1904 ; une seconde vient d'être
inaugurée en 1906. Mais si Birmingham est de toutes les
grandes villes anglaises la moins bien partagée au point de
vue des tramways, la faute en est surtout à ses conseillers
qui se sont constamment opposés aux projets qu'on leur
soumettait.
Voici quelles conditions Birmingham imposait aux Gom*
• > ' *
pagnles concessionnaires (1): la cité construit le tramway
pour la Compagnie qui Texploitera ; mais cette dernière
s'engage àpayer, durant les 14 premières années de sa conces-
sion,une redevance annuelle égale à 4 ""/^ du coût d^étabiisse-
ment des lignes , et à 5 '^/o durant les 7 dernières années ; à
verser en outre chaque année dans un Sinking fund apparte**
nant à la cité une somme égale à 2,874 ""/o du coût du
tramway. Cette somme, placée à intérêts composés, don-
nera au botit de 21 ans un total égal à la dépense faite par la
cité pour l'établissement de ce tramway ; ce qui revient à
dire qu'au bout de 21 ans la cité aura recouvré le capital
qu'elle avait placé dans le tramway, et que durant tout ce
(i) Voir Metbr, Municipal Ownership in Great Britain, p. 132.
2t2 PREMIERE PAilTIfi. — CHAPITRE VIII
temps elle aura reçu 4 et 5 Vo de soq argent. Bien mieux,
la cité ne court pas le moindre risque de rien perdre du ca-
pital ainsi placé : la Compagnie doit en effet garantir Tac-
complissement de la promesse qu'elle a faite de payer 4 et
5 Yo pstr an, en donnant en dépôt à la cité, en argent
comptant, 50 Va du coût du tramway. En résumé, bien
que ne faisant rien et ne courant aucun risque, la cité re-
çoit, suivant les moments, 4 ou S °/o du coût d*établissement
des lignes et se fait rembourser de toutes ses dépenses en
21 ans.
La cité ne construit que le tramway lui-même et c'est à
la Compagnie concessionnaire de construire les bâtiments
et de se procurer les voitures et le matériel. A la fin de la
concession, la municipalité n'est pas tenue de racheter le
matériel de la Compagnie. Le capital qu*a consacré la Com-
pagnie à Tachât de tout son matériel en général ne reçoit
d'intérêt qu'une fois que toutes les dépenses d*exploitatioD,
y compris les versements au Sinking fund du matériel, ont
été payées et que la cité a touché les 6,874 ou 7.874 Y* du
coût d établissement.
11 n'est pas étonnant que ces conditions onéreuses aient
fait hésiter les capitalistes. A la fin de 1904, Birmingham
et ses faubourgs, dont la population totale s'élevait à
1 .287.000 personnes ne possédaient que 148 miles de tram-
ways, soit 1 mile par 8.700 habitants.
Dans le tome III de V Histoire de Birmingham M. Yince
s'exprime ainsi (p. 90) : « Durant les aunées 1884-188.*),
le Public Works Committee eut à examiner de nom-
breux projets qui, s'ils avaient été exécutés, auraient cou-
vert la ville d'un réseau de rails. Il serait fastidieux et
inutile d'essayer de donner l'histoire détaillée des projets
avortés et oubliés de cette époque et d'énumérer les bills
LES TRAMWAYS Ul3
et provisional orders que la corporation fut appelée à sou-
tenir ou à combattre. D*une façon générale la politique de
cette époque fut une politique d'opposition constante
à toutes les entreprises projetées. »
En 1896 et dans les années qui suivirent, plusieurs Corn*
pagnies proposèrent à la ville de Birmingham d'établir un
réseau de tramways électriques à troliey. Adoptant les
conclusions d*une commission d*études qu'elle avait en-
voyée visiter les principales grandes villes du continent,
la municipalité se décida contre le trolley et en faveur du
système de conduite souterraine. Aujourd'hui que la mu-
nicipalité construit et exploite à ses frais, elle s'est ralliée
au principe du trolley, dont elle ne voulait pas jadis, sous
prétexte qu'il défigurerait les rues de la cité.
La longueur de la ligne exploitée en régie au 31 mars
1905 était de 1 mile 647 yards. Les recettes étaient de
5: 19.102.18 s. 0 d. ; les dépenses de £ 10.338.16 s.tOd.,
laissant un proGt brut de £ 8.764.1 s. 2.d.
Le service des intérêts et du Sinkingfund s'éleva nt à près
de £ 3.000, les £ 5.801 restantes ont été versées au Reserve
fund.
La dépense en capital atteignait à cette date £68.694. Le
nombre de voyageurs transportés par la municipalité était
de 4.709.798, au prix moyen de 0,86 d. ; le nombre de miles
parcourus de 266.526(1).
(1) L*exeinple le plus frappant de mauvaise gestion et d'incapacité
municipale nous est certainement fourni par les tramways de Londres.
Nous avons laissé cette ville en dehors du cadre de notre étude, mais
les personnes que le sujet intéresserait feront bien de 8*y reporter.
2l4 première partie. — chapitre viii
Conclusion
Nous avons donné pour chacune des villes qae nous ve-
nons d*étudier le chiffre de leurs dépenses en capital et le
montant des bénéfices qu'elles accusent ; que penser de
Torigine et du taux de ces derniers ?
Il est bon de faire remarquer que ces bénéfices ne s ob-
tiennent pas seulement au prix de risques sérieux qui les
rendent très critiquables ; ils s'obtiennent souvent aussi par
des méthodes de comptabilité très différentes de celles
qu*emploient les Compagnies. Le montant des impôts, ra-
rement payés par une municipalité au même taux qu'ils le
seraient par une Compagnie particulière, le loyer des bâti-
ments publics où travaillent les employés de Tentreprise,
les élargissements de rues, portés à un autre compte que
celui des tramways pour lesquels ils sont généralement faits,
ne figurent que pour partie et souvent môme ne figurent
pas du tout dans les comptes municipaux.
M. Darwin (1) est d'avis que pour savoir ce que les mu-
nicipalités gagnent réellement à exploiter elles-mêmes leurs
tramways, il faudrait déduire des profits nets les redevan-
ces qu'elles auraient pu obtenir des Compagnies privées
en leur laissant les services aujourd'hui municipalisés. « On
verra, dit-il, dans les rapports du Local Government Board
(voir Municipal Trading Report, 1903, p. 233) que les proflls
nets des tramways possédés et exploités par les municipa-
lités anglaises étaient de £ ^1.904 par an en moyenne (pour
4 ans, de mars 1898 à mars 1902), les profits bruts s'élevant
à £ 373.981. Il est évident que si Ion avait affermé l'ex-
ploitation de ces tramways, les Compagnies concession-
(1) Voir Darwin, Municipal Trader p. 235,
LES TRAMWAYS
2l5
naires auraieat eu à payer des redevances à la municipa-
lité intéressée ; cherchons à déterminer à quelles sommes
ces redevances se seraient montées ? »
Partant de ce fait que dans les récentes négociations rela-
tives au renouvellement de la concession des tramways de
Birmingham, la redevance proposée par la Compagnie s'é-
levait à 15 Yo àes recettes brutes, M. Darwin en conclut
qu'en prenant ce chiffre comme base d'un calcul de
moyenne, les tramways municipaux anglais, à supposer
qu'on les concède à des Compagnies, rapporteraient plus
de £ 200.000 par an aux autorités locales. Ils leur en rap-
portent actuellement environ £ 80.000, mais il est probable
que ce chiffre pourra doubler ou tripler dans un avenir
plus ou moins rapproché.
Si nous en croyons cet auteur, en général fort indulgent
pour le Municipal Trade, il est très difGcile de savoir si les
municipalités ont réellement fait une bonne affaire en mu-
nicipalisant les tramways. Pour le temps présent, il est d'a-
vis qu'elles auraient eu plus d^avantage à les concéder à
des Compagnies ; elles y auraient couru moins de risques
aussi et se seraient chargées de moins de dettes.
Pour l'avenir, il estime que la possession des tramways
peiit assurer aux municipalités de gros revenus. Mais toute
la question est de savoir ce que nous réserve l'avenir. Le
système de traction électrique qui nous paratt aujourd'hui
le dernier mot de la perfection et du progrès pourrait bien
être détrôné quelque jour par un autre système plus rapide
ou moins coûteux. N'avons-nous pas vu en quelques années
les tramways à chevaux détrônés par les tramways à vapeur,
et ces derniers remplacés à leur tour par les tramways élec-
triques ?
Cette question du mode de locomotion qu'il y aura le
2l6 PnCMlÈRE PARTIE. — CHAPITRE VIII
plus d'avantages à employer dans un avenir rapproché fait
la préoccupation constante des ingénieurs. On songe aux
services que pourront rendre les omnibus automobiles em-
ployés aujourd'hui déjà par plusieurs grandes villes d'An-
gleterre et du continent. La loi italienne de 1903 n a-t-elle
pas prévu le service automobile comme pouvant rentrer
dans les attributions des municipalités (1) ?
Dans sa déposition devant le Select Committee de 1900
M. Campbell Swinton (2) disait qu*à son avis, la traction
électrique aurait son heure ; mais que tôt ou tard les auto-
mobiles la détrôneraient complètement. «Je puis avoir tort,
ajoutait-il, mais telle est mon opinion d^ingénieur, et beau*
coup de mes collègues pensent comme moi. » Les munici-
palités désireuses de protéger leurs tramways et de s'oppo-
ser à rintroduction des automobiles auront un moyen bien
simple à leur disposition : ce sera de laisser les routes en
mauvais état, au lieu de les asphalter et de chercher à les
rendre aussi planes que possible. Il est parfaitement loisi-
ble de faire cette supposition. Ce ne serait qu'une répétition
de la tactique qu'ont employée les municipalités proprié-
taires d'usines à gaz pour s'opposer à l'introduction de
l'électricité .
Le bilan des tramways municipaux anglais peut donc se
résumer de la façon suivante: proGts peu considérables
(1) <* On a fait des comparaisons en Angleterre sur les dépenses d'une
ligne desservie soit par des omnibus automobiles soit par des tramways
électriques. Les dépenses d'établissement pour une exploitation par
omnibus ne s'élèveraient guère qu'au quart de ce qu'elles sont pour
un réseau analogue de tramways, et les receltes nettes sont satisfai-
santes quand on se trouve en présence d*un service k départs fréquents
entratnant une bonne fréquentation .» (Voir D. Bellbt, Economiste
français, n«du 22 décembre f906, p. 905.)
(2) Municipal Trading Report, 1900, p. 104.
LES TRABfWAYS 21 7
pour le présent, si Ton fait à ramortissement une part suf-
fisante ; risques sérieux au point de vue financier. Espérance
de gros profits pour l'avenir, mais au cas seulement où au-
cune invention nouvelle ne viendrait à bref délai supplanter
la traction électrique.
Pour le moment il n'y a certainement pas lieu de se fé-
liciter de l'intervention des municipalités en la matière ;
comme nous le disions au début de ce chapitre, leur souci
constant d'empêcher la création de monopoles au profit des
particuliers, joint aux entraves apportées par les lois de
1870 et 1882, a considérablement retardé en Angleterre le
progrès de l'industrie électrique sous toutes ses formes.
En 1880,1a population urbaine de la Grande-Bretagne
n'avait pas le cinquième des tramways dont disposait à la
même époque celle des Etats-Unis, bien qu'elles fussent de
nombre à peu près égal toutes deux ; en 1900 elle en avait
encore beaucoup moins du tiers ; en 1904 elle n'en possé-
dait que le quart. En d'autres termes, l'application de la
doctrine municipaliste a abouti à paralyser de façon géné-
rale et permanente l'industrie privée ; mais les municipali-
tés ne s'en sont pas moins montrées absolument incapables
de remplir le vide qu*avait créé leur fâcheuse intervention.
C'est surtout quand on a voulu rattraper le temps perdu
que sont apparus les résultats déplorables de la conduite
qu*on avait suivie (l). Plusieurs des plus grandes villes an*
glaises ont dû recourir aux services d'ingénieurs américains
pour construire les réseaux des tramways qu'elles s*étaient
si tardivement décidées à adopter. (( On importe d'Amérique,
disait en 1900 M. Campbell Swinton, les 9/10 du matériel
des tramw^ays électriques actuellement en construction,
(i] Voir Campbell Swinton, Nineteenth Century, février 1900.
2l8 PREMIÈRB PARTIE. — CHAPITRE VIII
nos industriels n*ayant ni rexpérience ni routillage néces-
saires. Chose qui suffirait à faire retourner James Watt
dans sa tombe, la corporation de Glasgow, de la ville qui
vit jadis naître la machine à vapeur, a récemment reçu de
son ingénieur en chef le conseil de commander des machi-
nes à vapeur d*une valeur de £ 160.000 à une fabrique de
Milwaukee aux Etats-Unis, parce que les industriels anglais
ne sont pas en état de fournir les machines que réclament
les nouvelles installations électriques. C'est pour les mêmes
raisons qu'on a importé d'Amérique tout le matériel élec-
trique du London Central Railway et que Manchester et
d'autres municipalités achètent sur le continent la plupart
de leurs machines électriques. »
L'exploitation des tramways par les municipalités na
donc pas été sans entraîner de graves inconvénients ; les
témoignages que nous venons de rapporter en font foi, et
l'étude à laquelle nous venons de nous livrer dans trois ou
quatre des plus grandes villes anglaises, nous montre que
ce n'est pas par un sens commercial tr^s avisé que les mu-
nicipalités se sont fait remarquer; la première opération
de la municipalisation, celle du rachat, se fait les trois quarts
du temps dans des conditions déplorables. Dans le précé-
dent chapitre, nous avions vu les entreprises électriques ra-
chetées à un prix dérisoire ; dans celui-ci nous voyons les
entreprises de tramways acquises à un prix exorbitant. (1
semble qu'il soit impossible aux autorités locales de garder
un juste milieu et dé payer les choses à leur valeur mar-
chande.
Le tramway municipal apparaît à toute personne qui ne
se donne pas la peine d'approfondir les choses, de tous
points préférable au tramway des Compagnies. N'est-il pas
plus propre et plus confortable ? Quelle triste figure ne
LES TRAMWAYS 21 Q
font pas à Birmingham, à côté des tramways électriques de
la corporation, tout flambant neufs, les vieusc véhicules des
Compagnies encore existantes? Le prix des places y est en
général beaucoup moins cher, et n'est-ce pas là un second
avantage plus appréciable encore que le précédent ?
Voilà ce qu'on voit.
Ce qu'on ne voit pas, ce sont les déûcits de Tentreprise
dont la conséquence inévitable sera une augmentation d'im-
pôts. Mais c'est là une chose qu'il est inutile de chercher à
faire comprendre à la masse des citoyens. De deux choses
Tune, ou bien ils ne verront pas quel lien unit les deux
questions, ou bien ils ne prendront pas la peine de vous
écouter. Aussi n'est-il pas étonnant de voiries autorités lo-
cales projeter, sous l'influence populaire, de faire aller leurs
tramways jusque dans des districts où Ton ne peut raison-
nablement espérer faire aucun profit, c. Nous estimons, di-
sait M. Benn (membredu L, C. C.),que les tramways doi-
vent précéder la population et non la suivre (1). »
Ce mépris de toutes les considérations financières ne
peut se justifier que lorsqu'il s'agit d'entreprises munici^
pales ayant pour but la santé, l'ordre ou la moralité pu*
blique. Autrement il est sans excuse, et Ton ne peut nier
que les électeurs n'usent trop souvent de l'influence consi-
dérable qu'ils exercent sur les conseillers pour leur Faire
entreprendre des exploitations soi-disant rémunératrices,
mais que des directeurs de Compagnies particulières rejet-
teraient sans hésitation parce qu'ils verraient dès l'abord
que les résultats et les bénéfices qu'on en peut attendre ne
sont pas proportionnés aux risques à courir.
(1) Municipal Trading Report, 1900, quest. 4142.
CHAPITRE IX
LBS STATIONS GBNTRALBS DE FORGB ELECTRIQUE.
La désastreuse iafluence qu'a exercée la politique mu-
nicipaliste sur Tindustrie électrique ne s'est pas fait seotir
seulement en matière d^éclairage ou de tramways, elle s'est
fait sentir aussi et plus encore lors de la création de grandes
usines productrices de force motrice.
Les Etats-Unis les premiers, TAllemagne après eux, ont
compris Tavantage énorme que retire l'industrie ea géné-
ral de la fondation de ces usines. Avec elles, la supériorité
de Télectricité sur la vapeur apparaît, en effet, incontesta-
ble ; Tunité de force coûte moins cher ; l'hygiène et la sé-
curité augmentent à Tusine, la qualité et la quantité de
travail vont en progressant, les frais d'entretien dimi-
nuent (1).
Soit qu*elles n'aient pas compris la supériorité de cette
(1) Les Américains ont depuis plusieurs années substitué la force
électrique à la vapeur pour actionner les métiers (V. le Siècie^ih jan-
vier 1907). Ils s'y sont résolus après avoir procédé, selon leur coutume,
à une expérience comparative dans les deux Glatures Olympia et
Golumbia, dont l'une marchait à la vapeur et Fautre & réleclricité.
L'économie réalisée par l'emploi de la force électrique fut environ de
50 «/o. L^économie réalisée résultant de l'adoption de Télectricité atteint
pour la construction de l'usine 10 ^/o dans fes prix de revient des
bâtiments, 6t ^/o dans le prix des arbres et poulies de transmission
et 66 o/o dans le prix de courroies et des c&bles.
. '»,
LES STATIONS CENTRALES 321
méthode, soit que prévoyant au contraire son succès futur,
elles aient voulu s'en réserver le monopole, les munici-
palités anglaises se sont constamment opposées aux projets
des Compagnies qui se sont depuis quelques années formées
pour distribuer Télectricité sur de vastes espaces.
En 1898 les principaux industriels du district de Ches-
terdeld forment une Compagnie qui prend le nom de a The
gênerai '.Power Distribution Company » et demandent au
Parlement Tautorisation de fournir Télectricité sur une
superficie de 210 miles carrés, comprenant les irilles de
Sheffîeld et de Nottingham. La région qu'ils se proposaient
de desservir constituait Tun des districts les plus manufac-
turiers de toute TAngleterre ; sa population comptait 1 mil-
lion d'habitants, et pourtant il n*y avait que 1.546 maisons
ou personnes à faire usage du courant électrique. Les auto-
rités locales et des Compagnies s'étaient fait concéder dans
cette région une superficie de 66 miles carrés, mais n'étaient
en état de distribuer le courant que sur 4,5 miles carrés,
dans le centre même de Sheffield et de Nottingham. « A
Sheffield, dit M. Meyer (1), c'était une Compagnie qui four-
nissait le courant depuis 1893 aux conditions que lui
avait injposées la corporation, conditions si onéreuses que
la Compagnie se voyait contrainte à vendre 10 cents l'unité
électrique du Board of Trade. A Nottingham, c'était la
ville qui fournissait l'électricité depuis 1894 ; mais en 1898,
sur une population de 220.000 habitants, elle n'avait que
482 clients. La ville qui possédait Tusine à gaz, faisait
payer l'unité électrique de 6 à 12 cents. » Le « General
Power Distribution Bill » fixaitle prix maximum que serait
autorisée à demander la future Compagnie à 8 cents par
(1) Meyer, Municipal Ovmership in Gréai Britain^ p. 268.
322 PREMlèRE PARTIE. — CHAPITRE TU
UQÎté durant les 200 premières heures de chaque trimestre,
et à 4 cents durant le reste du trimestre.
Le bill fut soumis à Texamen d'un joint committee (co-
mité mixte) de la Chambre des Communes, qui Tapprouva.
Voté par les Lords en 1898, on n'eut pas le temps de le
soumettre aux Communes avant la session de 1899. Le
Lord Mayor de Manchester mit ce délai à profit pour réu-
nir une conférence des diverses municipalités du Lancas-
hire et du Cheshire, qui décida de s'opposer à ce bill, parce
qu'il faisait obstacle au monopole que les villes esti-
maient posséder. Bien que le projet eût reçu l'approbation
de toutes les chambres de commerce de la région inté-
ressée, il fut à la suite de cette conférence repoussé à la
Chambre des Communes par 164 voix contre 132.
Jj' Association des corporations municipales exerça à
cette occasion sur les membres du Parlement la pression
la plus vigoureuse et la plus adroitement combinée qu'on
puisse imaginer; plusieurs d'entre eux s'en plaignirent à
la Chambre ; leur situation était en effet des plus embarras-
sante, partagés qu ils étaient entre le désir de satisfaire les
vœux des Chambres de commerce et des gros industriels
de la région, et la crainte que leur inspiraient les tendances
interventionnistes des conseils municipaux.
En 1900, une nouvelle Compagnie déposa un bill analo-
gue au précédent : le Lancashire Electric Power Bill ; elle
désirait fournir la force électrique dans le Lancashire.
L'aire de distribution couvrait 1.000 miles carrés. La Com-
pagnie consentait à ne fournir le courant, à l'intérieur des
limites d'une autorité locale quelle qu'elle fût, municipale,,
urbaine ou rurale, qu'avec le consentement exprès de l'au-
torité locale intéressée. Le projet englobait 129 autorités
locales et 182 agglomérations urbaines, dont 16 seulement
LES STATIONS CENTRALES 223
possédaient des stations électriques centrales fournissant
le courant à un nombre très restreint de personnes.
La ville de Manchester, qui cherchait à devenir le seul
fournisseur d^électricité de toute la région, fit opposition
au bill. Sir James T. Woodhouse, représentant à la Cham-
bre des Communes de la Municipal Association, en réclama
le rejet sous prétexte qu'il ne provenait pas d'une auto-
rité publique désireuse d'agir pour le bien commun, mais
d'un simple syndicat de spéculateurs privés, désireux de
réaliser des bénéfices pécuniaires en se faisant passer pour
des hommes uniquement soucieux de satisfaire un besoin
public aussi pressant que général.
Le Parlement, cette fois, ne l'écouta pas. M. Macdona
lui-même, qui avait demandé le rejet du General Power
Distribution C^ Bill en 1899, déclara qu'il n'avait pas d'ob-
jection contre le Lancashire Power Bill, vu qu'il laisait toute
liberté aux autorités locales de fournir elles-mêmes Télec-
tricité à l'intérieur de leurs limites au cas où elles préfé-
reraient s'en charger, a Le pays commence à s'apercevoir»
disait-il, que les municipalités sont en train de constituer
à leur profit un gigantesque monopole et se proposent d'é-
trangler les entreprises privées de distribution de force
au moment même de leur naissance... Il comprend que la
lutte n'a pas été égale entre l'industrie particulière et les
municipalités. »
u On ne peut nier, disait également M. Ritchie, président
du Board of Trade, que l'industrie électrique ne soit en
Grande-Bretagne excessivement en retard, qu'il s'agisse
de la lumière ou de la force motrice ; elle est en retard sur
certains pays du continent, mais surtout sur les Ëtats-Unis
et le Canada. Il y a des villages aux Etats-Unis où Télec
tricité est mieux installée que dans nos plus grandes villes.
234 PREMlèRE PARTIE. — CHAPITRE IX
Il est graad temps d*agir. La loi de 1882 a porté un coap
néfaste au développement de Findustrie électrique, n
Le Parlement finit par voter le bill ; la Compagnie s'est
fondée ; mais elle a rencontré de la part des autorités lora-
les une telle mauvaise volonté qu'en février 1903 elle n'a-
vait pu encore établir qu'une seule des 4 stations généra-
trices projetées en 1900. En 1901 le Parlement vota le Der-
byshire and Nottinghamshire Electric Power Bill, malgré
l'opposition habituelle des principales autorités locales.
Le projet le plus important qui ait été voté en 1901
fut le Yorkshire Electric Power Bill qui couvrait Tensem-
ble des districts manufacturiers et miniers du Smitb York-
shire, soit une superficie de 1.800 miles carrés. Les corpo-
rations de Leeds, Bradford, Sheffield, combattirent le bill,
bien que la Compagnie, dans Tespoir d'obtenir leur con.
sentement, eût accepté de ne pas fournir la force électri-
que à rintérieur de leur territoire. Ces villes craignaient
évidemment que les grandes Compagnies ne vendissent
rélectricité meilleur marché qu'elles ne le faisaient et que
les manufacturiers installés à Tintérieur des limites ur-
baines ne se plaignissent d*avoir à payer la force et la lu-
mière plus cher que ne les payaient les manufacturiers
du dehors. C'est en effet ce qui arriva. Aujourd'hui les
Compagnies productrices de force vendent Télectricité à un
prix dont les municipalités n'avaient pas entrevu la
possibilité. Dans les environs de Manchester, par exemple,
on voit une Compagnie vendre le courant à un prix variant
de 1 cent à t, 5 cent Tunité. Or, en 1903, Manchester fai-
sait payer Tunité de force électrique de 3, 75 cents à 2 cents.
De 1900 à 1904, le Parlement a autorisé la création de
24 Compagnies (1). Les conditions auxquelles on leur a ac-
(1) Meyeb, op. cit., p. 289.
LES STATIONS CENTRALES 225
cordé leurs concession^ dépendent principalement du degré
d'opposition qu'ont manifestée les autorités locales intéres-
sées. Dans certains cas, l'Act autorise la Compagnie à four-
nir la force en bloc aux autorités locales et aux Compagnies
détentrices de Provisional Orders, et à distribuer directe-
ment le courant aux consommateurs eux-nièmes,à condition
d'obtenir un Provisional Order local. Dans d'autres cas, la
Compagnie est autorisée à fournir Ténergie en bloc » aux
distributeurs autorisés », c'est-à-dire aux détenteurs de
Provisional Orders et à fournir directement à toute per-
sonne la force motrice et la lumière destinée à éclairer les
locaux où il est fait usage de cette force : à condition d'ob-
tenir dans les deux cas, s'il existe déjà dans le district où
l'on se trouve un concessionnaire (autorité locale ou Com-
pagnie), le consentement de ce concessionnaire. Refuse-t-il
son consentement, le Board-of Trade peut décider qu'on
s'en passera, si, à son avis, ce concessionnaire ne veut ou
no peut pas fournir au consommateur la force dont il a
besoin à un prix et dans un délai raisonnables.
En général le Board of Trade use de son influence au pro
fit des municipalités, et aux dépens de Tentreprise particu-
lière.
En 1898, la Chambre des Lords, reconnaissant que la
législation de l'électricité était tout à fait défectueuse,
nomma unecommissionqu'ellechargea d'étudier la question
des stations productrices de force. La Commission conclut
à certaines modifications ; à trois reprises le gouvernement
Balfour essaya de les faire voter, mais chaque fois Toppo-
sition de la Municipal Corporations 'Association Tempêcha
lie le faire.
En juin 1904, quand le Bill arriva en seconde lecture à
Bovernt 15
226 PREBaÈRE PARTIE. CHAPITRE IX
la Chambre des Lovà»^\e MunicipalJoumal écrÎTit (ITjuin
1904) :
u Autant que nous le sachions, nous avons été les seuls a
iittirer Tattentiou sur la dangereuse abrogation que cache
cette mesure d*un principe qu'on croyait fortement établi.
Les corporations qui possèdent déjà leurs usines électrique>
auraient tort de croire que cette mesure ne les touchera pas
Elle les touchera très matériellement. Quand, plus tard.
les districts urbains pourront obtenir leur courant à moitié
prix de ce qu'il coûte aux corporations municipales, le>
consommateurs des grandes villes ne voudront plus payer
le leur un prix aussi haut. Ils demanderont à être placés
dans les mêmes conditions que les consommateurs de l'ex-
térieur et ils auront la justice pour eux. Que deviendront
alors les usines municipales d'électricité ? »
Mais de quel droit, demandons-nous, contraindrait on
des manufacturiers, par amour aveugle du MunicipalTra-
ding, à payer la force électrique deux fois plus cher qu'elle
ne vaut? Et si on les force à agir ainsi, comment soutien-
dront-ils la concurrence de l'étranger ? Il faut, si l'on veut
sincèrement qu'ils réussissent, leur fournir la force à aussi
bas prix que possible.
L'opposition stupide des municipalités a abouti à ce triste"
résultat qu*en 1902, alors qu'aux Etats-Unis on comptait
3.620 stations centrales d'électricité, on n'en comptait en
Grande-Bretagne que 457 seulement. Ces chiOfres n'ont pas
besoin de commentaires: ils montrent d'une partce que
peut faire l'entreprise particulière dégagée de toutes en-
traves ; ce que produisent, d'autre part, l'intervention admi-
nistrative et la tutelle municipale.
CHAPITRE X
Lbs téléphones.
L'activité débordante des municipalités anglaises n'a eu
garde d'oublier que s'il était un service qui présentât le
caractère du monopole, c'était bien celui des téléphones ;
laisser un monopole aux mains des particuliers leur eût
paru choquant ; et les plus entreprenantes d'entre elles ont
voulu ajouter ce nouveau service à la liste déjà longue de
ceux qu'elles exploitaient.
En Angleterre, l'industrie des téléphones appartint exclu-
sivement à Torigine à des Compagnies privées dont la plus
importante était la National Téléphone Company. En 1892.
la loi sur les téléphones a donné au gouvernement le droit
de racheter les lignes principales appartenant aux diverses
Compagnies et d'établir un système général reliant entre
elles les villes les plus importantes du pays. Pendant le
cours des négociations qui en résultèrent, la National Télé-
phone Company racheta toutes les Compagnies moins im-
portantes, si bien que le gouvernement se trouva finale-
ment face^à face avec elle seule.
Un arrangement intervint alors en vertu duquel le Post
Master General exploiterait lui-même les lignes princi-
pales tout en laissant à la Compagnie le soin d'organiser le
service intérieur des villes ou Exchange Business. Le gou-
vernement ne s'engageait en aucune façon à ne pas per-
2:t8 PUEMIÈRE PAUTIE. -^ CHAPITRE X
mettre quelque jour au Fost Office de lui faire concurrence
si bon lui seoiblait.
La National Téléphone C^ a joui pendant plusieurs années
d'un complet monopole ; mais son service, qu*OQ trouvait
à la fois trop cher et insuffisant, souleva dans le public de
nombreuses protestations. Malgré ces plaintes, et bien
qu'à la suite du rachat des Compagnies rivales elle eût au^
mente son capital d*une façon, paraît-il, exagérée, la Na-
tional Téléphone G^ réalisait de gros bénéfices et distribuait
de beaux dividendes. Il eût donc été fort coûteux de la ra-
cheter elle-même. Aussi le Poât Master General déclaïa-
t-il, en mars 1897, que le gouvernement ne songeait nullt"-
ment à la racheter ; qu'en décembre 1911 les droits de b
Compagnie expireraient naturellement; qu'elle n'aurait
alors à vendre que son matériel, que le gouvernement ne
serait pas tenu de lui reprendre.
Le Post Office s'est également opposé à rétablissement
dans une même localité de services concurrents, pour
s'éviter en 1911 des frais d'expropriation trop considérable^
au cas^où Ton voudrait à cette époque racheter tout le n-
seau. Il n y a guère d*avantages à voir s'établir dans une
même ville deux services téléphoniques concurrents, c'est
une cause de retards et de difficultés sans nombre chaque
fois que Ton veut obtenir la communication d'un réseau a
l'autre; c'est une perte de travail et de matériel, une
perte d'argent aussi pour beaucoup de personnes que c^
système oblige à payer chaque année deux abonnemenN
au lieu d'un. Partageant cette manière de voir, le gouver-
nement ^nglais avait refusé d'autoriser l'établissement d'un
service hiunicipal à Glasgow, dont les conseillers se fai-
saient particulièrement remarquer parleurs plaintes et leur
hostilité contre la Compagnie. Dès 1893, ils s'adressaient
LES TÉLÉPHONES 229
au Post Master pour obtenir de lui la permission d^établir
un service de téléphones à l'intérieur de la ville et de Tex-
ploiter. La ville était, disaient-ils, en état d'assurer un ser-
vice qui répondrait à tous les besoins et qui, muni des plus
récents perfectionnements, remplacerait avantageusement
le service insuffisant et vieilli de la Compagnie. L'abonne-
ment enfin, au lieu de £ 10, n'en coûterait plus que 5
par an.
Le Post Master refusa d'accorder la concession demandée ;
il déclara que le gouvernement était en train de racheter
les lignes principales et songeait à reprendre le service en-
tier des téléphones. Glasgow revint à la charge régulière-
ment pendant six ans, à des intervalles plus ou moins longs ;
sa persévérance finit par lui réussir : en 1899, elle obtint la
permission d'établir un service téléphonique ; non pas que
le Post Master eût changé d*avis et pensât que cette con-
currence pût avoir du bon, mais, comme le disait M. Ghis-
holm en 1900, a il finit par nous accorder son autorisation,
bien moins parce que nous Pavions convaincu que parce
que nous l'avions lassé ».
Aujourd'hui, voici quelle est la situation générale en
Grande-Bretagne : les municipalités ont le droit d'établir
et d'exploiter des entreprises téléphoniques en se fondant
sur les clauses du Telegraph's Acide 1899; elles deman-
dent au Post Mater General les licences nécessaires. Celle
de la corporation de Glasgow prend fin en 1913 ; celles de
Hull et de Guernesey ne vont que jusqu'en 1911 ; Ports-
mouth et Brightonont chacune demandé une concession de
25 ans, tandis que Swansea n'a réclamé que 20 ans. La
concession de la National Téléphone Company expire nor-
malement en 1911. Toutefois, d'après les dispositions de
TAct de 1899, le Post Master General devra (mais dans les
a30 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE X
seuls endroits où elle a une rivale) étendre sa concessioQ
jusqu'à la date où expirera la licence concurrente.
La corporation de HuU a jugé utile d'assurer rîntercom-
munication avec le réseau de la Compagnie, et la corpora-
tion de Swansea a demandé à le faire. Celles de Glasgow,
de Brighton et Porlsmouth ne l'ont pas demandé. Le Aluni-
cipal Year Book{éà\\Aon de 1906, p. ol3) nous dit que tous
les faits concourent à prouver qu'avec un service satisfai-
sant, des tarifs bas « et une certaine somm&de patriotisme
civique l » les entreprises municipales arrivent rapidement
à une situation meilleure que celles des Compagnies.
Grâce à la persévérance dont a fait preuve la rorporatioQ
de Glasgow, les municipalités ont le droit d'exploiter leur
entreprise librement et sans que le State Department
puisse intervenir dans leurs affaires. Quand Glasgow fut
sur le point d'établir son entreprise, le Post Office voulut
l'obliger à se servir d'appareils désignés par l'ingéaieur iJe
ce Department, sur qui ne devait pas, en cas d'échec,
retomber la moindre responsabilité. Elle protesta, et fina-
lement obtint qu'on laisserait les municipalités organiser
leur réseau comme elles l'entendraient.
Voici brièvement résumée quelle était la situation des
entreprises téléphoniques municipales à la fin de 190.').
Le service municipal de Guernesey en est à sa huitième-
année d'exploitation ; celui de la corporation de Glasgow à
sa cinquième année; celui de la corporation de Portsmoulh
est en usage depuis 2 ans et 10 mois.
L'entreprise municipale de Swansea a deux années
d'existence. Le téléphone de la corporation de Brigthon a
été inauguré en 1902, celui de UuU a commencée fonction-
ner en septembre 1904 avec 1.600 abonnés, u Toutes ces
entreprises, dit le Municipal Year Book. ont réussi au tri-
LES TELEPHONES 23 1
pie point de vue technique, pratique et financier. » Le
doute n'en plane pas moins, est-il obligé d'ajouter, sur
l'avenir des téléphones municipaux. Etant donné que le
Parlement a approuvé le principe de leur rachat et de leur
concentration dans les mains du Fost^Offîcc, il semble peu
probable qu'on accorde aux municipalités de nouvelles
concessions ; tandis que tout laisse supposer qu*on fera des
efTorLs pour engager les municipalités qui possèdent déjà
des téléphones à y renoncer en faveur du Post-Office. « Si
cette éventualité venait à se réaliser, conclut le rédacteur
du Municipal Year Book^ les tarifs bon marché dont les
municipalités avaient prouvé la possibilité seraient bientôt
relégués dans le domaine du passé. »
On voit, par les quelques passages que nous venons de
citer, le ton dithyrambique des écrivains municipalistes
lorsqu'ils parlent des exploitations municipales. La réalité
est pourtant loin d'être aussi brillante, en matière télépho-
nique surtout.
La régie des téléphones à GlasgOTiv.
La régie des téléphones fut inaugurée à Glasgow en
avril 1901. Nous venons de voir que la municipalité de
celte ville invoqua, pour se lancer dans cette nouvelle
entreprise, l'insuffisance du service local de la National
Téléphone G** et la cherté de ses tarifs. La corporation
projetait rétablissement d'un service téléphonique ne coû-
tant que cinq guinées, et sur lequel elle prétendait encore
être en état de réaliser un profit. Etait-ce possible ou ne
rétait-ce pas ? c'est ce qui reste à savoir ; mais pour ce qui
est de rinsuffisance du service, il n'est que juste de rappe-
ler que la faute n'en pouvait pas être tout entière rejetée
sur la Gompagnie.
233 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE X
ËQ 1896, la National Téléphone G*^ reconnaissant qu'il
était nécessaire d'améliorer le service qu'elle avait installé
à Glasgow, résolut de reconstruire tout son réseau, et, pen-
sant qu'il valait mieux faire passer ses fils sous le soi, de-
manda à la corporation l'autorisation nécessaire. Après de
longues négociations cette autorisation lui fut refusée, et la
Gompagnie dut, comme parle passé, continuer à n'em-
ployer que des fils aériens et se procurer comme elle le pou-
vait les permissions que leur pose nécessite à chaque instant.
G'est au refus de la municipalité de Glasgow de permettre
à la National Téléphone G"" d'établir un réseau métallique
souterrain, qu'il faut en grande partie attribuer Tinsuffi-
sance du service des téléphones. Ge refus était parfaîtemenl
déraisonnable et ne pouvait se justifier que par le désir dont
brûlait la corporation d'établir un système de téléphones
lui appartenant en propre et de placer la National Télé-
phone G"* dans une situation tout à fait désavantageuse vis-
à-vis d'elle dans la lutte qu'elles allaient entreprendre à la
recherche de la clientèle. La municipalité faisait en somme
du mauvais service de la Gompagnie, dont elle était en
partie la cause, un argument en faveur de la municipalisa-
tion.
La gestion financière de cette régie a été malheureuse à
tousdes points de vue. La municipalité a commencé par
dépenser £ IG.OOO en frais parlementaires et prélimi-
naires de toutes sortes. En outre, bien que le coût de Ten-
treprise ne dût pas, d'après les premiers devis, dépasser
£ 121.000, les comptes faisaient apparaître au bout des
neuf premiers mois d'exploitation une dépense de £ 192.613.
u Get accroissement considérable s'explique, nous dit
le Times (1), par ce fait que l'ouvrage fut exécuté sur une
(1) Time^, 30 septembre 1902.
LES Tl^LépHONES 233
bien plus grande échelle qu'on ne l*avait d'abord prévu. »
On n'en est pas moins étonné de voir qu'on a déjà dé-
pensé une somme de £ 200.000 pour une entreprise dont
la concession expire au 31 décembre 1913, époque où le
Post-Master gênerai pourra acquérir à la valeur marchande
qu'il aura alors tout le matériel en état de répondre aux
besoins du service. Gomme c*est aux risques de l'ensemble
des contribuables et dans l'intérêt supposé d'une partie
seulement d'entre eux que la ville s'est chargée d*une
aussigrosseresponsabilite.il ne sera peut-être pas mau-
vais de regarder d'un peu près les résultats de cette
exploitation.
La corporation a commencé par acheter la plus grande
partie de son matériel à une époque d'inflation des prix, si
bien que le cuivre et le fer lui ont à eux seuls coûté 20 Vo
de plus qu'ils ne coûtèrent quelque temps après. L'un des
conseillers montra que cette seule baisse représentait pour
Tentreprise une diminution de valeur de £ 11.000.
Au bout d'un an, la dépense totale dépassait de ^0 Vo
les plus hautes évaluations. Pour chaque £ qu'on croyait
devoir dépenser, on avait dépensé 30 s.
Ce n'est pas tout : l'étude des comptes municipaux
nous prouve encore que Textension du réseau, c'est-à-dire
l'établissement de nouvelles lignes, coûte plus cher cha-
que année et que la proportion du revenu brut au capital
baisse régulièrement depuis le début de l'entreprise. Si
nous nous reportons aux comptes de l'année 1904-1905,
nous voyons que les 957 nouvelles stations qui furent du-
rant ces douze mois ajoutées au réseau ont coûté en moyenne
i* 31 chacune. Le projet original ne prévoyait qu'une dé-
pense en capital de £ 19 par ligne et par abonné. Le coût
moyen d'établissement des stations atteint actuellement
23/| PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE X
1*28.10 4., si bien qu'on a dépassé de plus de 75 7 J^
coût d'établissement primitif. En 1904, rétablissemcnl
d'une station nouvelle occasionnait une dépense addition
nelle moyenne de capital de £ 22 par station. En ilKi.
il en entraine une de £31.
Les frais d'exploitation augmentent plus rapidement que
les recettes. La proportion des dépenses d'exploitation
(non compris l'intérêt et l'amortissement) au revenu est
passée de 31,68 % en 1901-1902 à 54,02 7o en iWi-VM
etàr)8,41 V^en 1904-1905.
« Cette rapide augmentation des dépenses d'exploitation,
correspondant à une très faible augmentation des affaires
détruit donc complètement la théorie du Comité des télé
phones d'après laquelle toute ligne supplémentain* équi-
vaudrait à un accroissement proportionnel du revenu
net (1). »
Le compte Revenu accuse en 1904-1903 une balance cn-
ditrice de £ 1.504 qu'on a versée au Dépréciation fuml;
le versement avait été de £ 3.650 Tannée précédente. Le
Dépréciation fund atteint un chiffre de £ 7.247. Pounin
capital total de £ 350.000 auquel ne correspond plus qu'un
matériel aujourd'hui en grande partie vieilli et passé tie
mode, c'est là une somme absolument insignifiante ; surtout
lorsque l'on songe que l'entreprise ne dispose plus devant
elle que d'une période de sept années.
Etant donnée la situation actuelle des téléphones muni-
cipaux, il est peu probable que la corporation de Glasgow
mette à exécution le projet qu'elle avait autrefois faitoni-
ciellement annoncer par les journaux d'abandonner son
ancien matériel téléphonique et de le changer contre un
(1) Engineering, 15 septembre 1905.
LES TÉLÉPHONES 235
autre tout à fait moderne. La réalisation d\ine semblable
transformation coûterait au minimum £ 100.000 et la
corporation a maintenant engagé dans ses Qls et des ma-
gnétos tout à fait démodés plus de £ 100.000. Tout serait à
refaire. et pour obtenir un résultat satisfaisant, il faudrait
mettre de côté tout le matériel dont on se sert aujourd'hui.
Glasgow ne le peut plus; le Parlement a porté aux en-
treprises municipales le coup de massue final le jour où
il a approuvé la politique du gouvernement en matière de
téléphones. Le Post Master gênerai pourra donc, quand
il le voudra, offrir le rachat du réseau. Ce serait peut-être
en somme pour Glasgow même la meilleure solution. « On
comprend aisément qu'une corporation riche et puissante
comme elle ressente quelque amertume d'un échec qui
l'atteint à la fois dans son orgueil et dans son prestige.
Mais son Conseil municipal ne doit s'en prendre qu à lui-
même ; attendu qu'il s'est lancé dans cette entreprise diffi-
cile, d'ordre essentiellement technique, sans lui avoir con*
sacré la moindre part de 1 étude ou de la réflexion qu'elle
demandait. Le système est défectueux, ses progrès sont
nuls, ses dépenses s'accroissent .sans cesse: le Reserve fund
est insignifiant ; le capital beaucoup trop considérable. Un
jour ou l'autre il faudra bien que la corporation de Glasgow
se rende à l'évidence et, renfonçant son orgueil, qu'elle
vende ses téléphones au meilleur prix qu'elle en pourra
trouver (1). »
La municipalité donne à ses clients le choix entre plu-
sieurs tarifs. L'abonnement de £ 5. 5 s. donne droit à un
nombre illimité de communications. Avec le « toll service »,
au contraire, l'abonné ne paye que £ 3. 10 s. par an ; mais
(t) Enoinbering, 15 septembre 1905.
236 PREMlfeRE PARTIE. — CHAPITRE X
s'il a droit à un nombre illimité de communications à Tin-
térieur de la ville, toute communication avec le dehors lui
coûte 1 d.
L'abonnement à la Compagnie coûtait £ tO. Il n'en fau-
drait pas conclure que rétablissement du réseau municipal
ait permis à l'ensemble des contribuables d^économiser.
comme on Ta dit, £ 25.000 par an et à chaque abonné £ 4.
15 s. A qui se sert de cet argument il n'y a qu^à répondre
qu*étant donné que 3.000 maisons de commerce ont offi-
ciellement déclaré avoir adopté à la fois le service de la
municipalité et celui de la régie pour être sûres d'avoir la
communication avec les abonnés des deux systèmes, il
semble tout au contraire que les maisons en question, loin
d'avoir rien gagné à ce changement, aient dépensé au mi-
nimum £ 15.000 par an de plus qu'elles ne l'auraient fait
s'il n'avait existé qu*un seul service.
Glasgow n'est pas la seule ville du Royaume-Uni qui ait
municipalisé ses téléphones. Guernesey l'avait devancée
dans cette voie et fut même la première autorité locale à
construire un réseau téléphonique indépendant. Le service
y débuta en 1898 ; il en est aujourd'hui (1906) à sa huitième
année d'exploitation. On compte actuellement dans l'île
1.162 stations téléphoniques, ce qui, pour une population
de 40.300 habitants, donne un téléphone par 34 personnes,
chiffre le plus élevé de tout le Royaume. Comme à Glasgow,
il y a plusieurs tarifs : le tarif A :versementfixede £ 1. 10 s.
par an et 1 d. par communication ; le tarif B : £ 2. 5 s. par an
et 1/2 d. par communication. Le tarif C, qui coûte £ 5 par
an, donne droit à 3.200 communications sans paiement
supplémentaire. C'est du premier de ces trois tarifs qu'on
fait le plus grand usage.
A HuU, la régie date de 1904. Le service illimité coûte
£ 1.261
914
£ 347
16 s.
12
4
11 d.
0
11
420
£ 73
9
4
0
6
LES TÉLÉPHONES 287
£ 6. 6 S. par an ; le « toli service » £ 3 par an et 1 d. par
communication.
En 1904-1905 les revenus de ce département se sont éle-
ves a««»a««**a
Les dépenses d'exploitation à
Soit un bénéfice brut de . .
L'intérêt des emprunts étant
de
Le déficit net atteint. . . .
avant même qu'il ait été question de Sinking fund ou
d'amortissement. La dépense ' en capital se monte à
£30.369.19 s. 2d.
La corporation de Portsmouth a inauguré le service té-
léphonique en mars 1903.Eile possède aujourd'hui 2.147 ins
truments en exploitation. Elle fait payer le service illimité
£ 5. 17 s. 6 d. par an, le (( toU service » £ 3. 10 s. et 1/2 d.
par communication. Ses comptes accusent un bénéfice do
£ 1.972» mais ne parlent pas de l'amortissement.
Les téléphones municipaux ont été ouverts à Swansea
en novembre 1903. Le service illimité y coûte £ 5 par an ;
le (( toll rate » £3 par an et 1 d. par communication. La cor-
poration prétend faire un bénéfice net de £ 739. 1 1 s. 7 d. ;
mais pas plus que Portsmouth ou que HuU, elle ne songe
à amortir son matériel,
Brighton a inauguré son réseau en novembre Id03. Le
service illimité y coûte £5.10 s. par an; le toll rate £ 3.10 s.
par an et 1 denier par communication; la ville accuse un
bénéfice de £413. 14 s. 4 d. ; la dette des téléphones atteint ,
£ i5.859 ; la dépense en capital s'est montée en 1904-1905
à £ 19.196. Il n'est pas question d'amortissement.
Voilà la liste des entreprises municipales actuellement
en exploitation. Il nous faut dire un mot d'un service mort
238 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE X
aujourd'hui, celui de Tunbridge Wells ; son inaug^uratioa
avait eu lieu eu juillet 1901. La corporation ne comptait,
malgré les avis qu on ne lui avait pas ménagés, que sur
300 abonnés environ; au bout de quelques mois elle en
avait 900 qu'il fallait desservir au moyen d un système de
fils tout à fait insuffisant. La National Téléphone C* qui
faisait auparavant payer son abonnement £ 8, l'abaissa
࣠4 pour faire concurrence au service de la municipalité.
lequel coûtait £ 5. 17 s. 6 d. L'entreprise municipale ren-
contra parmi les adversaires du socialisme municipal et les
propriétaires fonciers des environs la plus vive opposition.
Aux élections de 1902 les défenseurs du téléphone muni-
cipal furent battus et parmi eux le chairman du Téléphone
Committee. Quelques jours après, le Conseil municipal
décidait, par 19 voix contre 8, de renoncer à la régie du télé-
phone et de remettre ce service à la National Téléphone C*.
Le Post Master General, M. Âusten Chamberlain, approuva
sa décision. La Compagnie a repris l'entreprise municipale
avec toutes les obligations qui pesaient sur elle, en s'enga-
geant à ne plus faire payer à l'avenir le service illimité
que £ 6 au lieu de £ 8.
Il ne nous semble pas qu'en matière de téléphone la
concurrence soit sinon chose possible, du moins utile.
M. Gaine (gênerai manager de la National Téléphone C"'
disait devant le Comité d'enquête de 1900 que le service
téléphonique est une branche du service télégraphique de
l'Etat, et que, s'il n est pas aux mains de l'Etat» il devrait,
tout comme un chemin de fer, former Tobjet d'un monopole
soumis au contrôle du Parlement.
La multiplication des réseaux, exploités d'après des re-
nflements différents et des méthodes différentes, crée d'in-
surmontables diflicultés qui s*opposent en pratique à Téta-
LES téliSphoneb 23g
blissement d'ua service efficace. Le meilleur système serait
donc celui d'une grande Compagnie, soumise au contrôle
des Chambres, liée comme toute Compagnie concession-
naire, et en matière de tarifs notamment, par son cahier des
charges.
Il ne nous semble pas, quant à nous, que le service
téléphonique soit un service dont la municipalisation puisse
s'appuyer sur de bien solides arguments. Le Lord Provost
de Glasgow, M. Chisholm, invoquait en 1900 les trois rai-
sons suivantes en faveur de la régie: 1*» le téléphone est
devenu une nécessité delà vie commerciale; 2° c'est un
monopole ; «3*" il exige Tusage des rues. M. Chisholm désire,
avec les muntcipalistes, voir le prix de Tabonnemeut abaissé
(le telle façon que tout le monde puisse se servir du télé-
phone pour appeler le médecin, faire ses commandes aux
différents fournisseurs, Tutiliser enfin pour tous les besoins
de la vie ordinaire. Son but est très louable sans doute ;
mais, comme le disait M. Gaine, à quelque prix qu'on four-
nisse le téléphone, il n*y aura toujours qu'un petit nombre
de personnes à s'en servir.
On peut, sans crainte d'erreur, baser le calcul de ce nom
bre sur ce fait que toute personne, payant moins de £ 20
d*impôts par an à la ville, ne demandera pas d'abonnement.
Prenons, par exemple, une personne habitant un petit cot-
tage taxé à moins de £ 20 ; quand bien même vous lui of-
fririez le service téléphonique pour £ 1 au lieu de £ 10, elle
n'en voudra pas. « Nous avons, dit M. Gaine, tant pour cette
enquête que pour d'autres, pris lu peine de rechercher quels
étaient les faits, et nous avons vu qu'à Glasgow 85 % du
chiffre total des contribuables payaient moins de £20 d'im-
pôts par an. Par conséquent, en admettant même que tout
contribuable imposé à plus de £ 20 souscrive un abonne-
2^0 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE X
ment, la municipalité ne fournirait encore le service qu'à
15 "^/o de la communauté, c^est- à-dire à Tinfime minorité».
Il sera donc impossible de soutenir que le téléphone pro-
fite à tous les citoyens, sans distinction de classe ; le télé-
phone n'est pas encore un besoin assez général pour que
l'on ait le droit de songer à y donner satisfaction au moyen
de Timpôt. Nous dirons de lui comme de Télectricité: c'e*«t
un service où le progrès n'a pas dit son dernier mot, où de
nombreux perfectionnements peuvent se faire dans uq
avenir rapproché, et où il n'est par conséquent ni nécessaire
ni prudent de risquer l'argent des contribuables.
C*est un service enfin dont l'exploitation doit se faire
sous une direction unique, et sur de vastes espaces; mais
non pas sur le territoire restreint d'une seule municipalité.
CHAPITRE XI
Lus HABITATIONS OUVRIÈRES.
L*attention du public et des autorités locales ne s'est guère
portée sur la condition sanitaire des maisons ouvrières
avant le milieu du xix® siècle ; pour être plus précis, nous
«lirons que c'est à 1 épidémie de choléra de 1832 qu'il faut
remonter pour trouver trace de leur intervention en la ma-
tière. Dans toute une série de rapports, les PoorLaw Com -
missioners ont à cette époque traité la question des mala-
dies dans les classes pauvres de la population. En 1848, le
^gouvernement organise le General Board of Public Health
et promulgue la première loi relative à l'hygiène publique.
De 1840 à 1871, le Parlement vote plusieurs autres lois
permettant aux municipalités de prendre les mesures sani>
taires qu'elles jugeraient nécessaires; nombre de villes
ôtaient alors constamment ravagées par des épidémies et
des maladies contagieuses que provoquaient la densité trop
«grande de la population, le manque d*habitations, leur sa-
leté, la mauvaise eau, les émanations enfin des ordures
ménagères qu'on laissait pourrir sur la voie publique,
La liste complète des lois relatives au logement de la
classe ouvrière est aujourd'hui extrêmement longue. Elle
commence avec les deux lois de 1831, dont Tune, le Com-
iiion Lodging Houses Act, organisait l'inspection des Com-
iijon Lodging Houses ou hôtels meublés tandis que raiilie
Bovernt IG
oJlVi PREMIERE PARTIE. CHAPITRE M
accordait aux « Councils of incorporated boroughs »
et aux local Boards le droit, soit de construire des maisons
ouvrières sur des terrains leur appartenant, soit d*acquérir
et de louer des maisons déjà existantes. L'Act rejetait sur le
Poor Rate les dépenses qu'occasionneraient ces opérations.
Vient ensuite la loi de 1866 (29 Victoria 28) autorisant les
Public Works Loan Commissioners (Commissaires des
emprunts pour travaux publics) à faire des avances aux
municipalités qui désireraient construire des maisons ou-
vrières.
En 1868 le Parlement vote un nouvel Acl (31-32 Victoria
130) dont le but est de donner aux ouvriers et aux artisan*^
des logements plus confortables. L'autorité locale aura le
droit d*ordonner la démolition partielle ou totale des maisons
qu'elle considérerait comme dangereuses pour la santé de
leurs locataires ou tout au moins comme impropres à servir
de logement et d'établir, pour faire face à ces dépenses, un
impôt local spécial.
Citons encore le GrossWct de 1875 (Arlizans and Labon-
rers Dwellings Improvement Act) voté pour faciliter raniê-
lioration des habitations des classes laborieuses dans les
grandes villes, pour permettre à Tautorité locale dans Ie>
Urban Sanitary Districts de déclarer que les maisons, ruel>
les et passages insalubres seront traités comme « uahealtiiv
areas » (espaces malsains), de procéder dans ces endroits à
un « Improvement scheme )), c'est-à-dire aux améliorations
indispensables, et de fournir aux habitants des maisons dé-
molies un logement dont le plan devrait Atre soumis à l'ap-
probation du Local Government Board. On autorisait les
municipalités à poursuivre par voie d'expropriation l'exé-
cution de ces améliorations, dont elles devaient couvrir la
dépense au moyen d'emprunts ou d impôts locaux levéi»en
vertu des Public Health Acts.
LKS HABITATIONS OUVRIÈRES 2^3
Quatre ans plus tard, l'Act de 1879 (42-43 Victoria 63)
détermine la manière dont il faudra procéder à la fixation
de Tindemnité et les déductions que l'arbitre devra lui faire
subir au cas où les maisons démolies auraient été une gène
(nuisance) ou un danger pour la santé publique, soit qu'el-
les fussent malsaines en elles-mêmes, ou qu'elles abritassent
une population *rop nombreuse.
En 1882 le Parlement vota une nouvelle loi destinée à
corriger les Artizans and Labourers Dwellings Acts anté-
rieurs, traitant, comme celle de 1879, de la question des in-
demnités et décidant que toutes les améliorations faites par
les propriétaires ou locataires d'un immeuble après l'an-
nonce de rimprovement Schemene pourraient, sons aucun
prétexte, permettre d'obtenir une indemnité plus forte. L'au-
torité locale recevait, avec l'autorisation d'acheter et de dé-
molir les maisons malsaines,le droit de faire payer aux pro-
priétaires des immeubles laissés debout, dans le cas ou la
démolition des immeubles adjacents aurait eu pour effet
d'augmenter la valeur des premiers, les frais de l'indem-
nité jusqu'à concurrence de cette augmentation de valeur.
En 1885, l'Act connu sous le nom de < Housing of the
Working Classes Art » de 1885 apporte un certain nom-
bre de modifications aux Labouring Classes Lodging Hou-
ses Acts promulgués entre 1851 et 1867.
En 1890 nous arrivons enfin à la codification de cette
législation si touffue des habitations ouvrières. Le « Hou-
sing of the Working Classes Act » de 1890 donne aux au-
torités locales le pouvoir de démolir les maisons bâties sur
des espaces insalubres et de bâtir à leur place et de louer
des habitations appropriées au logement des classes ou-
vrières.
Cet Act de 1890 a lui-même été modifié à plusieurs re-
244 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XI
prises par d'autres lois postérieures dont la plus réceole
remonte à 1903. Le but de cette dernière loi est de : 1° fa-
ciliter Texécution financière des projets municipaux en
écartant diverses restrictions précédemment posées à la
négociation des emprunts et en étendant à 80 ans la pé-
riode de remboursement des emprunts contractés pour la
construction des maisons ouvrières ; 2'' de simplifier la pro
cédure relative à la fermeture des maisons malsaines et à
leur démolition ; 3° d^assurer, par des dispositions plus sê-
vèreSf un logement aux personnes déplacées au cas où, eo
vertu de Railway Bills ou de Local Improvement Acis, on
aurait démoli un certain nombre de maisons habitées par
la population ouvrière.
C'est depuis 1890 surtout que ces opérations de cons-
truction municipales ont pris une grande extension. Il
nous faudra donc étudier d'un peu près cette loi de 189(i.
Elle se divise en trois parties.
La première partie traite du dégagement de vastes espa-
ces malsains situés dans les districts urbains et de Texé-
cution des améliorations qu*on veut y réaliser. Le London
County Gouncil et tous les Urban district councils peuvent
s'en prévaloir. La procédure est entamée par V officier
médical de santé (médical officer of health) qui, soit de
son propre mouvement, soit à la requête de deux magis-
trats (justices of the peace) ou de douze contribuables,
doit visiter toute surface malsaine située dans le dis-
trict, voir les dangers qu'elle fait courir à la population et
rédiger un rapport ofBciel qu'il envoie à Tautorité locaK'
(sections 5 et 79 de la loi). L'ofticier médical de santé dt -
clare-t-il que le terrain n'est pas malsain, tout groupe de
douze contribuables peut en appeler au Local Government
Boartl ; le Board nomme un expert aux conclusions duquel
l'autorité locale est obligée de se conformer.
LES HABITATIONS OUVRIERES 2^5
Lorsqu'on a de la sorte officiellement déclaré un terrain
malsain, Tautorité locale doit, si ses ressources le lui per-
mettent, procéder aux améliorations nécessaires (make an
Improvement Scheme). Elle peut ne pas confiner exacte-
ment son projet aux limites de la surface malsaine, mais y
rattacher des terrains qu'elle considère comme indispensa-
bles k son exécution. Au cas où l'autorité locale ne pren-
drait pas elle-même ces mesures, il appartiendrait au Local
(rovernment Board de le faire et de les rendre exécutoires
par tt mandamus ».
La municipalité fait, par voie d annonces et d'affiches,
connaître au public son projet ; le Local Government
Board procède ensuite à une enquête locale et rend un
« Provisional order » approuvant le projet. Transformé en
biil, il est présenté au Parlement et voté par lui. Ces for*
malités remplies, l'autorité locale peut démolir les maisons,
dégager le terrain, percer ou élargir des rues, à condition
d'indemniser les propriétaires et toutes autres personnes
auxquelles l'exécution des travaux causerait quelque dom-
ma<re.
Les anciennes maisons une fois démolies^ la loi ordonne
aux municipalités de fournir des logements aux personnes
qu'elles viennent de déplacer. Elles devront, dans ce but,
créer une caisse spéciale, un « Dwelling House Impro-
vement fund » qui centralisera les recettes et les dépenses
afférentes à l'opération. Quant aux emprunts, elles les
négocieront comme à l'ordinaire. Elles devront enfin,
avant de commencer leurs travaux de reconstruction pré-
senter leurs plans au Local Government Board et s'assurer
son approbation.
Yoici, dans leur ensemble, les principales dispositions de
la première partie de l'Act de 1890. La procédure en est à la
Il46 PRBMièRB PARTIE. — CHAPITRE XI
fois longue, eanuyeuse et coûteuse. Les dépenses ioitiab
qu elle entraîne sont si considérables qu'on a vu le LondaD
County Council dépenser £ 100 par tète d'homme, de femme
ou d^enfant, auxquels il destinait les maisons qu'il allait
construi repavant même d'en avoir posé la première briqae.
La première partie de la loi vise les groupes compactsde
maisons malsaines.
La deuxième partie donne à l'autorité locale pouvoir da-
girà l'égard d'habitations malsaines isolées. Elle trait'*:
1° de l'inspection périodique qu'il faudra faire dans chaque
district pour savoirs'il renferme ou non des logementsinsa-
lubres (section 32) ; 2"" de la fermeture et de la démolition de
ces maisons, qu'elles soient occupées ou non (sections^Oet
37): 3"" delà suppression des bâtiments quipriventleurs voi-
sins d air et de lumière (obstructive buildings) ; 4<^ delà re-
construction de maisons sur les terrains où il vient d'élre
procédé à ces démolitions.
Cette fois encore, c'est Tofficier médical de santé, ou î
son défaut quatre contribuables, qui informent rautoritéio-
cale de l'existence de toute maison qu'ils considèrent.
1^ comme dangereuse pour la santé des personnes qui Tlia-
bitent, 2° comme rendant inhabitables les habitations voi-
sines, soit parce qu'elle les prive d'air, soil pour toute
autre raison.
Le rapport du médical offîcer une fois rédigé, le plan des
améliorations à faire est dressé et le propriétaire mis en de
meure de les exécuter. S il ne remet pas dans le délai
prescrit son immeuble en bon état, les magistrats lo-
caux délivreront sur la demande de la municipalité un
ordre de fermeture, un « closing order ». Si, après la déli-
vrance du closing order,la maison demeure un danger pour
la santé publique, l'autorité locale peut ordonner au propne-
LES HABITATIOXS OUVRIERES 2^7
taire de la démolir, ou la détruire elle-même, si besoin est.
La troisième partie est de beaucoup la plus intéressante
au point de vue du socialisme municipal parce qu'elle permet
aux autorités locales de construire des maisons destinées
aux classes ouvrières chaque fois qu'elles jugent à propos
de le faire. Excepté pour les districts ruraux, il n'existe pas
de dispositions limitant en quoi que ce soit le pouvoir de
Tautorité locale : elle n'a pas à prouver que la population
du district manque de logements ; il n^est pas nécessaire
qu'elle ait auparavant fait fermer ou démolir un certain
nombre de maisons malsaines. L'autorité locale bâtira
quand elle le voudra, et pour les motifs qui lui plairont.
Elle aura même le droit de recourir à l'expropriation pour
acquérir les terrains.
Le terrain acquis dans le but visé par la loi pourra être
situé soit à l'intérieur, soit à l'extérieur du district (sec-
lion 7 du Housing Act de 1900). Le prix versé représentera
sa juste valeur marchande (fairmarket value), augmentée
de 10 <^/o comme compensation au dommage causé par
Texpropriation. En cas de désaccord, un arbitre nommé
par le Local Goverument Board tranchera le différend.
Les terrains une fois achetés, le Conseil municipal peut :
l"" soit les louer à des Compagnies ou à des entrepreneurs
de construction qui devront y construire des habitations
ouvrières (section 5 de l'Act de 1900) ; 2° soit entrepren-
dre lui-même : a) la construction de ces maisons (block
dwellings ou cottages) ; b) l'achat, la réparation ou la re-
construction des maisons existantes. Il peut enfin les ven-
dre au bout de 7 ans, s'il le juge nécessaire, ou simple-
ment désirable.
Les Urban District Coiincils et les Town Councils, qui
veulent, en s'appuyant sur cette troisième partie, se pro-
248 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE Xi
curer de Targeat pour acquérir des terrains et y construire
des maisons, peuvent, soit emprunter aux Public Works
Loan Commissioners, soit émettre des titres (stock), garan-
tis par Timpôt local, h condition d*obtenir le consente-
ment du Local Government Board et de s'engager à rem-
bourser Temprunt dans une période maxima de 80 an-
nées.
La troisième partie de l'Act autorise donc les autorités
locales à bâtir pour les classes ouvrières des maisons nou-
velles sur des terrains jusque-là non bâtis. Elle leur permet
d'élever des habitations, de les meubler, de les louer, sans
le consentement du Local Government Board. li n'est
plus ici question de remplacer des maisons démolies dont
Tentassement et le mauvais état constituaient un danger
pour la santé publique. Nous nous trouvons en présence du
socialisme municipal pur et simple.
L'œuvre qu*ont accomplie les autorités locales en cette
matière revêt donc successivement trois aspects diffé-
rents (1) :
!• S'appuyant sur divers Public Health Acts, elles ont
cherché à obtenir: a) la suppression des « nuisances >i :on
appelle nuisance tout ce qui gène la sécurité ou Thy^iène
publique) ; 6) à prévenir Tentassement dans une même
demeure d'un trop grand nombre de personnes ; c) à ren-
dre saines les maisons existantes ; d) à faire exécuter les
règlements relatifs à la construction des maisons nouvelles
suivant les principes de l'hygiène moderne ; e) à réglemen-
ter la police et l'organisation des garnis (ou common lod-
ging houses).
2° S*appuyant sur la deuxième partie du Housing of the
(l) Voir Munv'ipal Year Book, 1906, p. 470.
LES HABITATIONS OUVRIÈRES 2^9
working Classes Act de 1890, les autorités locales ont pour-
suivi la réparation ou la démolition de maisons malsaines
isolées, de constructions gênantes pour leurs voisines, et
de petits pâtés de maisons inhabitables par elles-mêmes ou
qui en rendaient d*autres inhabitables ; se fondant sur TAr-
tizans' Dwellings Act et la première partie de TAct de 1890,
elles ont exproprié de vastes espaces insalubres sur les-
quels elles ont ensuite rebâti.
d"" Invoquant enfin la troisième partie de TAct de 1890,
elles ont construit elles-mêmes ou encouragé la construc-
tion d'habitations nouvelles et saines, sous forme de mai
sons modèles, de block dwellings, d'appartements et de
cottages.
Les sommes qu'ont empruntées les municipalités an>
glaises pour la construction des maisons ouvrières et la
destruction des logements malsains atteignent aujourd'hui
des chiffres considérables (1).
A la fin de 1902-1903, la dette contractée pour la cons-
truction de maisons ouvrières s'élevait à £ 7.176.510. Les
dépenses annuelles faites dans le même but (annuelles en
ce sens qu'elles sont prélevées sur le budget ordinaire des
autorités locales) s'élevaient en 1884-1885 à £ 105.989 ; en
1900-1901 ,à £ 85.fi95 ; en 1902 03,à £ 96.596. Les dépenses
auxquelles il a été fait face au moyen d'emprunts s'élevaient
en 1884-1885 à £ 39.557; en 1900-1901 à £455.729; en
1901-1902 à £ 779.274 ; en 1902-1903 à £ 651.920.
Durant l'année qui finit au 31 mars 1904, le Local Go-
vernment Board a autorisé les municipalités anglaises à
emprunter, d'après le Housing of the Working Classes Act,
une somme totale de £ 653.526.
(1) liepori of the Local Government Boardj 1904-1905, pp. 714 et sui -.
25o PRBMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XI
En 20 ans, de 1885 & 1904, les emprunts se soatélerésà
£ 4.632.502. La plus grosse somme empruntée en uae an-
née J année 1903, atteint £ 1.031.476. Depuis 1899, les
emprunts qu*on contracte chaque année ne sont pas des-
cendus au-dessous de £ 339.000,alorsque de 1885 à 1899,
le plus gros chiffre atteint avait été de £ 211.360 (en 1892j.
Les sommes empruntées suivent, comme on le voit, une
marche ascendante très accusée, et comme une bonne par-
tie des « slums » (bouges) les plus répugnants est aujour-
d'hui détruite, c'est principalement en se fondant sur la
troisième partie de TAct de 1890 qui leur permet de cons-
truire des maisons nouvelles sans en avoir démoli d^ancien-
nés, que les municipalités contractent leurs emprunts. De
plus en plus elles tendent à se transformer en entrepre-
neurs de construction.
II reste maintenant à voir comment cet arp^ent a été dé-
pensé et à quels résultats pratiques sont arrivées les villes
anglaises.
Trois raisons principales, dit le major Darwin (1)^ ont
poussé les municipalités anglaises à construire des maisons
ouvrières ; ce sont : 1** leur désir d'appliquer les doctrines
socialistes et d'offrir à très bon marché aux classes ouvriè-
res des maisons qu*une subvention budgétaire permet de
louer à perte. L*argument des logements à boa marché
frappe vivement la population pauvre. et les conseillers so-
cialistes ne manquent pas de le mettre en avant aax jours
d'élections, créant ainsi parmi les gens sans instruction
une fausse impression des avantages que procurerait l'ap-
plication des systèmes socialistes ; 2*" leur désir de fournir
aux habitants des maisons démolies des logements nou-
(1) Darwin, op. cil., p. 320.
LES HABITATIONS OUVRIÈEBS 25 1
veaux, plus confortables et plus sains, et de réduire ainsi
à leur minimum des souffrances en fait inévitables ; 3"" le
troisième motif qui les pousse è agir est leur désir de com-
bler toute insuffisance réelle ou prétendue du nombre des
logements, en bâtissant sur des terrains restés libres jus-^
que-là.
Si nous en croyons les municipalistes, il faut sans hési-
tation soumettre dans les villes la propriété bâtie au con-
trôle de Tautorité publique, parce qu'elle constitue dans ces
circonstances un monopole absolu.
Les faits prouveraient d*ailleurs de façon incontestable
que dans beaucoup de cas l'initiative particulière ne peut
faire face sous ce rapport aux besoins des ouvriers, les spé-
culateurs refusant de se mettre de la partie quand ils esti-
ment qu*il n'y a pas de bénéfices à retirer de lopération
(problème, ajoute judicieusement le major Darwin, dont ils
sont en général bien meilleurs juges que n'importe quel
corps élu).
Les constructeurs particuliers se montrant ainsi inférieurs
à leur t&chc, l'Etat construisant d'autre part des maisons à
la fois plus hygiéniques et plus commodes et se préoccupant
seul du bien-être matériel et moral des habitants des villes,
on en devrait logiquement conclure qu'il faut k Tavenir
lui laisser le soin de bâtir toutes les maisons.
Mais raisonner de la sorte, c'est oublier qu'on peut choi-
sir entre la construction municipale et la construction pair-
ticulière en observation des règlements sanitaires par TEtat.
Avec des règlements bien faits, on arrivera plus rapidement
peut être, et certainement à moins de frais, au but qu'on
se propose. Le soin de les appliquer incombant aux muni-
cipalités, il y a bien plus de chances qu'ils le soient tant
que les constructions seront faites par des particuliers, que
'2^2 PRBMIERB PARTIE. CHAPITRE XI
lorsqu'elles seront exécutées en régie. La municipalité sera
forcément plus indulgente pour elle-même que pour un
entrepreneur qu'elle est toujours plus ou moins portée à
considérer d*un mauvais œil et les maisons bâties par elle
ne remporteront ni au point de vue esthétique, ni au poiol
de vue hygiénique sur celles qu'auraient bâties des particu-
liers.
Le dernier argument qu'invoquent les municipalités eM
le bon exemple que la construction en régie donnerait soi-
disant aux bâtisseurs et aux propriétaires. La recherche et
la construction d un type nouveau de maisons peuvent en-
traîner d'assez lourdes dépenses, et Ton comprend aisément
que des particuliers ne se sentent pas toujours prêts à entre-
prendre une tâche de ce genre. Sous ce rapport les efforts
de quelques généreux philanthropes ont pourtant plus fait
que tous les conseils municipaux. Sans contester qu'il
puisse être, dans une certaine mesure, légitime de dépenser
Targent public à rechercher quel est le type de maison qui
convient le mieux aux classes pauvres, nous remarquerons
qirune municipalité n'a besoin, en tout et pour tout, pour
Texécution de cette tâche, que d'un architecte adroit, et
qu'il ne lui est nullement nécessaire de se transformer en
entrepreneur.
Mais si^ dans le but d'élever le niveau d*existence des
classes misérables de la société, lautorité locale en vientà
bâtir des habitations très supérieures comme installation
à relies dont les gens de ces classes avaient l'habitude, dans
l'espérance qu'ils les occuperont, elle n'arrivera, en {rcnè-
ral, qu'à des résultats insignifiants ou tout autres queceux
qu'elle attendait. Les maisons bâties par elle ne seront pas
occupées par les misérables auxquels on les destinait ; et les
entrepreneurs n'apporteront aucun changement dans le type
LES HABITATIONS OUVRIÈRES 253
des maisons qu'ils bâtissent pour la classe dont Tautorité
locale cherche précisément à améliorer la situation ; comme
toutes les personnes qui construisent pour retirer de leur
argent un loyer convenable, ils ne s*inspirent q ue de prin-
cipes économiques et non pas d'exemples, quMls soient
d'ailleurs bons ou mauvais.
Voici, brièvement exposés, les principaux arguments des
municipalistes. Nous n'avons pas insisté sur les inconvé-
nients trop évidents par eux-mêmes de l'entassement dans
d*horri blés taudis d'une foule de misérables qui y vivent
pèle-mèle, sans air et sans lumière. Tant au point de vue
sanitaire qu'au point de vue moral, il est du devoir des mu-
nicipalités urbaines d'intervenir et de porter à coup de pio-
che un peu de jour et de lumière dans ces foyers d'infection
et d'immoralité. Mais démolition et construction sont deux
choses absolument différentes ; et si la conduite des mu-
nicipalités nous paraît toute tracée dans le premier cas,
nous leur dénions en revanche^ dans le second, le droit de
rebâtir pour leur propre compte, et nous nous proposons de
montrer, par l'exemple de quelques villes anglaises, les résul-
tats très peu satisfaisants auxquels cette manière d*agir les
a jusqu'ici conduites.
Olasgow.
La première de ces villes sera Glasgow, la ville la plus
peuplée après Londres et la plus industrielle du Royaume-
Uni. Nulle part le mouvement qui porte les populations des
campagnes vers les villes ne s'est fait sentir aussi violem-
ment qu'en Ecosse ; nous avons vu dans le premier chapi-
tre que la population urbaine de ce pays a en effet aug-
menté de 18,20 7o de \^li à 1881 ; de 14,06 Vo de 1881 à
1891 ; de 18,58 Vo de 1891 à 1901.
2bi PUBMIÈRE PAHTIE. CHAPITRE XI
C'est naturellement à Glasgow que le phénomène s'est
manifesté avec le plus d'intensité ; et dès le milieu du siècle
dernier (vers 1846], l'attention des administrateurs et des
médecins était attirée sur la densité extraordinaire etTétat
sanitaire déplorable de la population du centre de la ville.
Tous les rapports Faits à cette époque sont unanimes à
représenter Glasgow comme le type de Tendroit malsain (1).
La densité de la population atteignait, dans certaines parties
de la ville, 1.000 personnes par acre. Les rues étaient si
étroites que d'une maison à Tautre les habitants pouvaient
se donner la main. Les u back to back hou.ses », c est-à-
dire les maisons sans cour et presque contigues abondaient.
Nombre de logements n*avaient de fenêtres ni sur la courni
surla rue et ne recevaient la lumière que des corridors inté-
rieurs. Dans des ruelles étroites et obscures vivaient entas-
sée.^ 500, 600 et même 700 personnes.
Dans le centre de la ville, 51.300 personnes vivaient sur
88 acres ; la densité de la population atteignait en cet eo-
droit 583 personnes par acre, alors que pour la ville entière
elle n'était en moyenne que de 83 personnes par acre,
u Partout une saleté incroyable et des masses de vermioe.
Il n'y a pas lieu de s'étonner que, dans ces cooditions, les
épidémies de choléra fussent terriblement fréquentes. Des
quartiers pauvres, elles s'étendaient et gagnaient jusquauv
quartiers habités par les classes riches qu'elles troublaient
dans leur repos et dans leur tranquillité (2). » Le souri de
la conservation décida les conseillers municipaux à nommer
un comité spécial chargé d'étudier l'état sanitaire de la ville.
Ce comité conclut en 1859 à la création d'un service d'ins-
pection sanitaire des logements ; à rétablissement d'unsvs-
(1) Voir Hugo, op» cil., pp 84 et 85.
(2) Hugo, op. cil.
LUS IIADITATIO.NS OUVRIERES 255
tèoie d'égouts bien compris, à la constructioQ de bains et
de lavoirs publics, à la démolition des quartiers les plus
malsains et à la construction de maisons ouvrières conve-
nables.
En 1862, la corporation reçut par private Act les droits
qu'elle demandait, et en 1866 par le Glasgow City Impro-
vement Act, elle obtenait pleins pouvoirs pour jeter à bas
40 des quartiers les plus peuplés dans lesquels la mortalité
s*éleva, par suite d'épidémies, en 1865, jusqu a 52,21 et
plus tard même jusqu'à 70 Voo. L exécution de la loi Fut
confiée à un comité spécial, llmprovement Trust, qui se
composait principalement de membres du Conseil munici-
pal. Il reçut le droit d'exproprier dans le centre de la ville
un terrain de 88 acres sur lequel s*élevaient 10.000 de-
meures et vivaient 51.294 personnes. Il perça 30 nouvelles
rues, parmi lesquelles Saltmarket, High Street, Trongate,
Bridgegate, en élargit 26 et fit recouvrir deux rivières qui
roulaient leurs eaux immondes à travers les districts en
question.
L'improvement Âct n'aurait jamais dû être considéré
comme un « Housing Scheme », c'est-à-dire comme un
projet de construction de maisons ouvrières,etle LordPro-
vost, M. Chisholm, prétend qu'il ne Ta jamais été. Durant
les premières années de son existence, le Trust se consacra
en effet à Tachât des « slums » et à la vente des terrains ex-
propriés, une fois débarrassés de leurs anciennes habita-
tions.
Malgré ces ventes, de vastes terrains lui restaient encore
sur les bras, quand les années de dépression arrivèrent.
Le terrain rendu libre par les démolitions ne trouvait ache-
teur à aucun prix. M. Chisholm constate le fait et dit
qu'il fallait de deux choses Tune, ou que les constructeurs
206 PREMIÈIIE PAUÏIE. CHAPITRE XI
se fussent entendus pour rester à Técart jusqu*au jour où
la corporation se montrerait disposées accepter unpiix
absolument dérisoire, ou bien qu'ils eussent perdu toute
espérance de voir un jour la partie centrale de la ville re-
trouver quelque prospérité. La corporation résolut donc,
dit-il, de construire elle-même.
Le correspondant du Times (1) ne voit pas les choses
tout à fait sous le même jour. Il nous dit qu'une notable
portion du terrain fut vendue « on chief rent » ou u feu
duty » (2) d'une valeur en capital de £ 300.000 ; mais que
les prix trop élevés que demandait la corporation, les dé-
molitions trop nombreuses auxquelles on avait procédé en
très peu de temps et la dispersion dans les districts voisins
de lii population qui logeait auparavant à cet endroit firent
qu'il n'y eut alors que peu d'offres d'achat et de location
et que plusieurs des premiers constructeurs essuyèrent des
pertes considérables.Mis en garde par cet exemple^d'autres
se refusèrent à courir la même aventure et la corporation,
ne voulant pas de son côté réduire le prix de ses terrains,
ils finirent par lui rester jusqu'en 1888, date où elle résolut
de bâtir pour son propre compte.
L'ouvrage qu'entreprit alors le Trust n'était pas le loge-
ment des classes pauvres, mais la construction d*immeu>
blés qu'on destinait au commerce ou à l'habitation bour-
geoise.M. Chisholm déclare qu'il n'était jamais à cette épo-
que venu à ridée du Conseil municipal qu'il pût rentrer
dans ses attributions de pourvoir au logement des classes
ouvrières. La politique de construction du Trust fut donc
menée sur une base tout à fait commerciale ;. là où il a
(1) Times, 30 septembre 1902.
(2) On appelle en Ecosse c feu duty » le paiement annuel fait par
le possesseur d'un terrain & celui qui le lui a cédé à peipétuité.
LES HABITATIONS OUVRIÈRES 257
pensé que, grâce à sa situation, le terrain conviendrait plus
particulièrement à des boutiques ou à des locaux commer-
ciaux, il en a élevé qu*on a loués à leur pleine valeur mar-
chande. Ce fut le cas des maisons bâties à Saltmarket,
Highstreety Trongate, et dans quelques autres parties de la
cité.
■ Pour faire face aux frais d'exécution de Tlmprovement
Scheme, le Trust fut autorisé à contracter des emprunts
jusqu'à concurrence de £ 1.500.000 et à lever dans la cité
un impôt, basé sur la valeur locative des demeures, qu*on
fixa pour la première année à 6 d. par £, à 4 d. durant les
quatre années suivantes et qu*on réduisit graduellement à
i d., chiffre auquel il resta jusqu'à ce qu'on cessât de le
lever, en 1888.
Les achats de terrains et la construction des maisons ont
occasionné une dépense de £2.416.884 (1). Déduction faite
du prix des terrains vendus et de la valeur en capital des
«feu duty » créés, soit £ 1.172.851, on trouve que le coût
net des améliorations auxquelles il a été procédé s'élève à
£1.244.033, au 31 mai 1905. En regard de ces dépenses, la
corporation possède actuellement des terrains et immeu-
bles qu'elle évalue à £ 923.165. De Taveu même de la cor-
poration et en admettant que ses évaluations ne soient pas
trop optimistes, le déficit s'élèverait donc, au cas où Ton
voudrait procéder à une réalisation de ces biens, à £ 320.867.
Les opérations du Trust ont eu pendant vingt ans leur
répercussion sur les impôts, et de 1866 à 1895, la somme
qu'on leur a demandée s^est élevée à un total de £ 597'.003.
A la Hn de son rapport sur Tlmprovement Scheme (1866
à 1895), le trésorier, M. Nicol, fait remarquer qu'en retour
(1) Voir le rapport de 1904-1905 sur les « Glasgow Improrement Acis
de isee à i895yK
Uoverat 17
^58 PREBCIBRE PARTIE. — CHAPITRE XI
de cette char^^e les contribuables de Glasgow ont obtenu :
i^ TAlexandra Park; 2"" 98.929 pieds carrés de terrain qu'on
a employé au percement de 30 rues nouvelles et à Télargis-
sèment de 26 rues déjà existantes ; 3"" des avantages sani-
taires et sociaux de toutes sortes qu'ont produits raméliora-
tion des voies publiques, la construction d*égouts et autres
travaux d'intérêt général coûtant ensemble £ 106.279.
La corporation a donc construit, en vertu de ce premier
Improvement Act» des immeubles pouvant convenir au
gros commerce ou à la résidence bourgeoise, mais elle n'a
pas essayé de fournir de logements à la population pauvre
chasséedes slums quelle démolissait,à ces 50.000 personnes
qui s'entassaient jadis dans les bouges malsains du centre
de la ville et qui s'en sont allés encombrer d'autres parties
de la cité. Glasgow n'a rien fait pour la classe des artisans
pauvres, pour ceux qui gagnent moins de 21 s. par semaine,
si ce n'est de les chasser de place en place, a to keep them
moving » .
Remarquons qu'après les avoir achetées et jusqu'à leur
démolition, Tlmprovement Trust continua à louer ces mai-
sons malsaines et à en toucher les loyers ; et qu*ilfut ainsi,
il y a 20 ou 25 ans, fun des plus gros propriétaires de tau-
dis et de bouges de toute la cité.
Si rimprovement Scheme de 1866 avait fait beaucoup ga-
gner à Glasgow au point de vue esthétique, s*il lui avait
permis de bâtir de belles maisons et de percer de belles rues
à des endroits où s'élevaient des ruelles étroites et des ha-
bitations malsaines, les résultats tant financiers que sociaux
qu'en retirait la ville laissaient beaucoup à désirer.
La corporation n*en sollicita et n'en obtint pas moins par
le Glasgow Improvement and General Powers Act de 1897
l'autorisation d'eiïectuer de nouvelles améliorations sur six
LES HABITATIONS OUVRlèREB 269
autres espaces malsaios, dont la politique précédemment*
suivie avait eu pour résultat d'empirer tellement la condi-
tion qu'ils constituaient une source de réels dangers pour la
cité. La municipalité fut ainsi autorisée à élargir Nelson
Street, de Troûgate à South Albion Street ; et à acquérir à
l'amiable, soit à l'intérieur, soit à Textérieur de la cité et
jusqu'à concurrence de 25 acre s^ des terrains sur lesquels
elle élèverait des habitations pour la classe ouvrière.
La corporation reçut en même temps la permission
d'emprunter £560.000, remboursables en 60 ans et de lever
un impôt de 1 d. par £ qui lui permettrait de mettre l'Act
à exécution. £n fait l'impôt n'a jamais dépassé 3/4 d.
Cette fois encore, dédaignant les leçons d'une première
expérience, la Corporation n*a pas cherché à fournir un
logement à la classe même de personnes qu'elle avait dé~
logées. C'est ainsi qu'à lendroit où s'élevaient autrefois les
slums^ elle a bâti de nouveaux édifices destinés au com*.
merce, tandis qu'elle a construit près d'Alexandra Park, à
1 1/2 mile des slums démolis et de tout centre d'industrie,
des habitations qui ne conviendront qu'à des gens gagnant
de 22 à 26 s. par semaine. Certaines personnes prétendent
même qu'on ne les construit dans ces parages lointains que
pour permettre aux employés des usines à gaz municipales
qui s'élèvent à côté du Parc d'y trouver un logement à bon
compte.
L'ensemble des immeubles bâtis par le City Improve-
ment Department se composait en 1902 de 36 propriétés
différentes, renfermant 1.515 logements de tous genres, et
187 boutiques ou locaux destinés au commerce (1). Parmi
ces logements, 500 environ pouvaient convenir aux classes
(1) Kat, The Corporation of Glasgow as owners of shops, lenements
and warefiousesy 1902. .'
a6o PREMIÂBE PARTIE. CHAPITRE XI
les plus pauvres ; ils consistaient en une chambre d'un
loyer annuel moyen de £ 5, soit 1 s. 11 d. par semaine,
ou en deux chambres d*un loyer moyen de £ 8. 5 s., soil
3 s. 2 d. par semaine ; les impôts étant à la charge du
locataire. Les derniers bâtiments qu'ait achevés Tlmpro-
yement Department sont les logis de Saint-James Road
et de Haghill. L'on s'est tout spécialement assuré en les
louant que leurs locataires appartenaient bien à la classe la
plus pauvre, et Ton a posé en règle que les postulants dont
les salaires ne dépasseraient pas 26 s. par semaine devraient
obtenir la préférence pour la location des logis composés
de deux chambres, et que ceux dont les gains n*excéde-
raient pas 22 s. devraient être préférés pour les chambres
seules. Â l'aide des renseignements ainsi recueillis sur les
salaires des locataires, on a pu dresser le tableau suivant
■
qui montre quelles personnes la corporation a logées dans
ses bâtiments :
49 des locataires touchent un salaire hebdomadaire moyeu
inférieur à 24 s.
105 touchent un salaire moyen de 21/«i
27 femmes gagnent environ 10/3
Les locataires des logis les plus grands appartiennent à
la classe des ouvriers qualifiés et se composent de méca-
niciens, de tanneurs, d'ouvriers forgerons et ciseleurs. Les
travailleurs non qualifiés comprennent les ouvriers moins
payés, mais possédant un emploi régulier et se composent
«n grande partie d'hommes travaillant dans les mêmes mé-
tiers que les autres locataires de la classe qualifiée. Les lo-
cataires femmes sont des veuves qui gagnent leur miséra-
ble existence en faisant des ménages ou vivent des secours
que leur donnent leurs enfants.
LES HABITATIONS OUVRIERES 26 1
La plus grande partie des habitations ouvrières munici-
pales de Glasgow consiste en logements de 1 ou 2 chambres,
et il est très rare que chaque logis possède un w.-c. spécial ;
dans beaucoup de cas le même w.-c. sert à 4 locataires.
On n'a pas songé, en les construisant, à faciliter l'enlève-
ment des cendres et des ordures ménagères des logis
situés aux étages supérieurs, que l'on est obligé de des-
cendre dans des seaux jusqu'à la fosse aux ordures placée
dans la cour.
On ne rencontre que très rarement des offices (scuUery),
et les cours intérieures sont fréquemment communes à
plusieurs maisons. Nous verrons tout à Theure que, sous
ous les rapports, Tinstallation des maisons ouvrières de
Liverpool et de Birmingham semble beaucoup mieux com-
prise.
En résumé, les logements de Glasgow ne sont pas en
général occupés par des locataires appartenant à la classe
véritablement miséreuse ; ils sont ordinairement convena-
blement meublés, et la corporation déclare à qui veut l'en-
tendre qu'elle n*a pas eu jusqu'ici Tintention de fournir des
habitations à la classe vraiment pauvre.
Le récit que nous venons de faire et les chiiïres que
nous avons donnés nous montrent que la ville de Glasgow
n*a pas été particulièrement heureuse dans l'exécution de
ses Improvement Schemes (1). Les démolitions de mai-
sons, les améliorations dispendieuses imposées à des pro-
priétaires qui, ne pouvant augmenter leurs loyers en
proportion, se trouvèrent souvent obligés de vendre à
perte, ont causé à diverses reprises des .crises immobilières
graves et longues, qui n'ont fait qu'accroître la difficulté
(t) Voir V Economiste français du 24 mai 1902. Arlicle de Pierre
Lerot-Bbaulibu.
202 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
du problème du logement, qu'on cherchait à résoudre. On
a même prétendu que certains conseillers ou leurs amis
auraient su, grâce à cette politique, réaliser des bénéfices
aussi considérables qu'illicites.
Quoi qu'il en soit, « l'industrie du bâtiment, dit M.Pierre
Leroy -Beaulieu, s'est trouvée arrêtée, faute de sécurité,
chacun craignant l'intervention ou la concurrence de la
municipalité. On a déséquilibré le marché de la propriété
immobilière, favorisé les spéculations louches, provoqué
une crise du bâtiment et dépensé beaucoup, jusqu'à com-
promettre presque les finances de la ville, ce qui retombe
sur tout le monde sans améliorer bien sérieusement le sort
des classes pauvres ».
« Il y a une mesure qu'il ne faut pas dépasser, sans
quoi le remède risque de devenir pire que le mal, car tout
n'est pas de faire évacuer les logements insalubres, il faut
les remplacer; or là commencent des difficultés inextri-
cables, des dépenses illimitées qui peuvent avoir pour
conséquence des perturbations profondes de toute la vie
économique d'une ville et atteindre ainsi fort durement les
masses que Ton voulait soulager. »
La corporation de Glasgow, partie de Tidée d'assurer
rhygiène publique de la ville, en est arrivée à se livrera
une vaste spéculation sur les terrains et les immeubles,
spéculation qui lui a coûté fort cher (environ 2 1/2 mil*
lions de £) et qui ne rapporte, pour Tannée finissant an
31 mai 1905, que £ 3.987 15 s. 10 d. (versées à Tamortis-
sement et au fonds de réser\*e), chiffre dérisoire quand on
songe aux sommes énormes qu il a fallu durant 20 ans
demander à l'impôt.
LES HABITATIONS OUVRIÈRES 203
Liverpool.
De même que Glasgow, Liverpool a longtemps été une
(les villes les plus malsaines d'Angleterre; le taux de la
mortalité y atteignait encore 25 '^'oo ^ la fin du xix' siècle.
Dans certains quartiers où la densité de la population sT;-
levait à 250 personnes par acre, la mortalité dépassait sen-
siblement cette moyenne et variait de 38 à 41 Voo-
L'attention de la municipalité avait été attirée dès 1842
sur les conditions particulièrement défectueuses dans les-
quelles vivaient une grande partie des classes les plus pau-
vres ; mais, qu'il faille attribuer l'inertie des autorités pu-
bliques au manque total de connaissances hygiéniques,
général d'ailleurs à cette époque, ou à l'indifférence de Topi-
nion publique à ce sujet, toujours est-il qu'on ne prit pour
remédier au mal que quelques mesures inefficaces.
Vingt ans plus tard, cependant, grâce aux progrès de
la science sanitaire, grâce encore à Tappui d'une opinion
publique plus éclairée, la corporation connaissait parfaite-
ment le nombre des maisons malsaines existant à Liver-
pool. En 1863, un comité spécial du conseil appelait l'at-
tention de ce dernier sur Télat de malpropreté où se trou-
vaient les cours et passages de la ville et demandait qu'on
apportât un amendement au Liverpool sanitary Act de
1842, et qu'on créât, si c'était nécessaire pour porter re-
mède à la situation, un impôt additionnel de 1 d. par £ au
maximum. La corporation approuva le conseil de son Go-
mité et demanda au Parlement de modifier le local Act de
1842, que vint finalement remplacer le « Liverpool sani-
tary Amendment Act » de 1864.
Get Acte a lui-même subi depuis diverses modifications,
mais c'est en vertu de ses dispositions que la municipalité
264 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
a exécuté la plus grosse partie de son œuvre. En fait, ce
n'est qu'en 1902 et pour un cas spécial que la corporation
adopta « The Housing of the Working Classes Act » de 1890.
Les clauses du Sanitary Amendaient Act de 1864 sont
particulièrement importantes, et il n*ost peut-être pas de
ville dans le Royaume- Uni qui possède sous ce rapport de
pouvoirs aussi étendus que Liverp^ol. Ils peuvent se ré-
sumer brièvement de la façon suivante :
1* L'officier médical de santé commence par faire au
Conseil un rapport le prévenant que certaines maisons,
qu'il spécifie, sont réellement inhabitables.
2° Le conseil approuve le rapport et l'envoie au Clerk of
the Peace ; connaissance doit en être donnée aux proprié-
tairesdes maisons visées.
3° Le rapport est porté devant le grand Jury des sessions
trimestrielles (Quarter Sessions) qui, après avoir entendu
les témoins et s'être transporté sur les lieux, décide si oui
ou non les maisons visées dans le rapport sont malsaines
et doivent être démolies ; s'il se décide pour la démolition,
sa décision s'appelle un « presentment >:.
Lorsque les immeubles ont été « présentés » par le grand
Jury, la municipalité les acquiert à l'amiable ou par arbi-
trage,de la même manière qu^elle le ferait en vertu du Hou-
sing of the Working Classes Act de 1890. La seule diffé-
rence à noter est que, d'après le Local Act, le propriétaire
a le droit de déclarer quMl préfère garder son terrain et ne
recevoir d'indemnité que pour la démolition des bâtiments.
Les principaux avantages delà procédure du Local Act
sont : 1" sa simplicité, sa rapidité et son bon marché : 2^ le
fait que c'est la corporation qui dirige elle-même les opéra-
tions sans avoir besoin de s'adresser au Local Government
Board pour obtenir de lui un provisional order. On sait
LES HABITATIONS OUVRIÈRES 205
que la première partie de TAct de 1890 impose au contraire
une procédure longue et coûteuse.
Les inconvénieitts qu'il présente au point de vue munici-
pal par rapport à la loi de 1890 sont : l"* qu'il permet aux pro-
priétaires de garder leurs terrains ; 2° qu*il ne permet pas
à la corporation d'acquérir d'autres immeubles que ceux qui
servent à Thabitation etseulement lorsqu'ils sont malsains
en eux-mêmes. On en pourrait conclure à première vue qu^il
est difficile à la corporation d'acquérir* en s'appuyant sur
cette loi, de vastes espaces pouvant servir à la reconstruc-
tion et qu'elle se trouvera plus probablement propriétaire
de morceaux isolés, difficiles à utiliser convenablement. En
pratique cependant cette difficulté ne s'est généralement
pas présentée ; et dans les quelques cas où la municipalité
n'avait pu acquérir certains terrains dont elle avait besoin,
elle les acquit dans la suite en vertu de la troisième partie
du Housing of the Working Classes Act de 1890.
Le local Act a en somme fort bien fonctionné et a rendu
à Liverpool de grands services pour la destruction des lo-
gements malsains.
On estime qu'en 1864 il y avait environ 22.000 maisons
dont rinstallation ne répondait en aucune façon aux règles
de rhygiène. Voici ce qu^elles sont aujourd'hui devenues :
Maisons acquises en vertu de TAct de 1864. 8.150
Démolies pour les besoins du commerce ou
toute autre raison 4.000
Une récente inspection montre que le nom-
bre actuel des immeubles malsains est de . . 9.943
Total 22.093
Le coût total des opérations de démolitions s'élevait en
1906 à environ £ 490.000. Exception faite pour les St Mar-
266 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
lin's Cottages, bulis en 1869, c'est en 1885 que la corpora-
tion fit son premier efTort pour fournir des logements aux
personnes qu^elle avait chassées de leurs anciennes demeu-
res. Cette année là elle construisait les Victoria Square
Dwellings ; cinq ans plus tard, en 1890, elle bâtit ceux de
Juvenal Street; ces deux groupes de bâtiments contiennent
ensemble 371 logements et donnent abri à 1.382 personnes.
Ces maisons une fois bâties, on s'aperçut qu'on n'avait
encore rien fait pour les misérables qu'on avait dépossédés,
parce que les loyers des maisons nouvelles étaient bien plus
élevés que ceux des anciennes et dépassaient sensiblement
les moyens des personnes auxquelles on les destinait ; il
faut se rappeler, en effet, que les 3/4 des locataires expul-
sés ne payaient qu'environ 2 s 6 d., 3 s. au plus par se-
maine, pour avoir sur une cour ou sur une impasse un logis
de deux ou trois chambres.
Depuis 1896, la municipalité a voulu que les bâtiments
élevés par elle fussent exclusivement réservés aux anciens
locataires dépossédés. L'adoption de ce principe a forcé,
nous dit-on, à laisser les maisons inoccupées pendant un
temps souvent fort long : quoique, si on Teût voulu, on eût
pu les louer immédiatement à une classe beaucoup plus
relevée de locataires. C'est précisément l'écueil qu'on cher-
chait à éviter : le Housing Committee tint bon, et Ton n'ac-
cepte comme locataires que les habitants des maisons récem-
ment démolies.
Les travaux de démolition avaient été menés assez rapi-
dement, et en 1899 un rapport du médical officer of heallh
montrait que, bien que les particuliers eussent bâti 793 mai-
sons sur des terrains que leur avait vendus la corporation,
et qu'elle-même en eût construit un certain nombre, il
restait encore 3.056 personnes auxquelles il fallait fournir
LES HABITATIONS OUVRIÈRES 267
un logement. C'est alors que le Local Government Board
décida qu'il faudrait combler ce vide avant de commencer
de nouvelles démolitions ; en octobre 1899 la corporation
lui donnait Tassurance qu'il en serait ainsifait.
Nous ne nous étonnerons donc pas de constater que
la corporation a beaucoup construit durant ce3 dernières
années. En 1901, elle a élevé les Dryden Street Dwellings,
qui renferment 182 « tenements » ou logements.
En 1902, elle a élevé les Kempston Street Dwellings
qui renferment 79 logements, les Fontenoy Street Dwel-
lings qui en renferment 16, et les Kew and Newsham Streets
Dwellings qui en renferment 114.
En 1903, elle a élevé les Adiington Street Dwellings qui
renferment 235 logements.
Enfin, elle achevait en 1903 les habitations de Gildarts
Gardens et de Ârley Street qui contiennent ensemble 149
« tenements »,et celles de Mill Street qui en renferment 1 15.
La construction des bâtiments ci-dessus a coûté
£ 243.000 environ. On évaluait en 1903 le coût annuel des
démolitions à £ 17.000, celui des constructions à £ 4.200,
soit une dépense totale de £ 21.300, équivalente à un im-
pôt de 1 3/4 d. par £. En février 1903, le conseil municipal
adoptait enfin un projet de construction de maisons ou-
vrières dans Hornby Street, lesquelles devaient contenir
450 logements et entraîner une dépense de £ 150.000.
Avant de s'occuper de la classe réellement pauvre, la
corporation de Liverpool avait bâti sur les emplacements
des anciens slums des maisons qui ne convenaient qu*à
des ouvriers gagnant un salaire assez élevé. Comme
exemple de ce genre de demeures, citons les « Victoria
Square Dwellings » élevés en 1885. Ces bâtiments se com-
posent de «« blocks » de cinq étages contenant 270 logements
^68 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
et 12 boutiques. L*air et la lumière y arrivent en abon-
dance. Au centre s'étend une grande place recouverte
d*asphalte et où les enfants peuvent jouer et prendre leurs
ébats. Chacun des 13 blocks dont la réunion forme Victoria
Square, renferme 22 logements. Chaque block a son entrée
particulière sur la rue ou sur la cour.
Les logements d'une chambre mesurent 12 pieds sur 12.
Dans ceux qui se composent de deux chambres, la « living
room » (chambre où Ton se tient) mesure 13 pieds sur
12 pieds 4 pouces,et la chambre à coucher 13 pieds 3 pou-
ces sur 9 pieds 7 pouces. Dans ceux de trois chambres, la
« living room » mesure 13 pieds sur 12.4 ; la seconde
chambre 15.3 sur 9.7 ; la troisième 13 pieds sur 8.6 .
La hauteur des plafonds est de 9 pieds. Les locataires de
quatre logements contigus ont en commun Tusage d'une
buanderie munie dune chaudière et de tout ce qu'il faut
pour faire la lessive ; il y a enfin deux w.-c, chacun d'eux
commun à deux logements.
Le gaz est posé partout et fourni au moyen de comp-
teurs automatiques aux locataires qui en font la demande.
C'est la corporation qui paye les impôts. Le comité de
rhabitation a fixé la valeur du terrain sur lequel il avait
bâti à 22 s. 6 d. le yard carré ; la surface totale qu'il pos-
sède mesurant 900 pieds carrés, il en a dans ses comptes
inscrit le coût à £ 10.125 ; nous verrons à la fin de ce cha-
pitre qu'il l'avait bel et bien payé £ 3 le yard carré.
La construction des bâtiments ayant coûté £ 57.952, la
corporation estime le coût total de cette opération à £ 68.077
(£57.952 + 10.125).
Voici à titre de renseignement le taux de quelques loyers
(Rez-de-chaussée, premier et second étages). Les Victoria
Square Dwellings renferment :
LES HAB/ITATIO.XS OUVRIÈRES 269
4 logements de 3 chambres loués à 5' 6d par semaine.
39 — 5 3 —
5 de 2 chambres 4 6 —
12 — 4 3 —
58 — 4 » — •
3 — 3 9—.
3 — 3 G _
troisième et dernier étages
2 logements de 3 chambres loués à 5* » —
21 — 4 9<i —
5 de 2 chambres 4 » —
2 — 3 9 —
11 — 3 6 —
fil — 3 3 —
2 _ 3
»
21 logements de une chambre loués à 1 9 —
Le nombre total des chambres, y compris les chambres
des surveillants, est de 610.
L'ensemble des loyers donne par semaine une somme de
£ 53, 15 8. 9d., par an de £ 2.797, 0 s. 0 d. Le loyer des
boutiques rapporte annuellement £ 238, 0 s. U d.
Durant les 10 dernières années (1896-1905) le total des
loyers dus à la corporation s'élevait à £ 30.937, 6 s. 3 d.
Elle en avait reçu, quand parut le rapport auquel nous em-
pruntons ces chiffres, £ 29.983, 14s. 7 d., soit 97 °/o du total ;
les logements inoccupés durant la période susdite représen-
tent une perte de £ 546, 15 s. 1 d. , l'arriéré irrécouvrable
s^élevait ù £ 646, 3 s. 7 d. ; les sommes dues par des loca-
taires habitant encore Timmeuble étant de £ 79, 11 s. 6 d.
Durant Tannée qui finit au 31 décembre 1905, les re-
cettes des Victoria Square Dwellings se sont élevées
270 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE XI
à £ 2.994 15 S. 9d.
Les dépenses à t. 446 10 2
Soit un excédent des recettes
sur les dépenses de .... £ 1.548 5 7
Suivant les rapports de la municipalité, Tintérèt de l'ar-
gent qu'elle a consacré à cette opération serait donc de £ 2,
5 s. 5 d. 3/4 par £ 100 en 1905 ; il aurait été de £ 2, 7 s.
7 d. 1/2 en moyenne pour la période qui s'étend de 1887 à
1905. Mais le calcul est absolument trompeur, puisqu'il
n'est pas tenu un compte exact de la valeur du terrain et
qu'on Testime au tiers seulement de ce qu'il a été réellement
payé.
Les Labourers' Dwellings, Juvenal Street, sont un autre
block du même genre que le précédent. La municipalité les
estime dans ses comptes à £ 16.166. Les loyers y sont à peu
près les mêmes qu'à Victoria Square. L'intérêt qu*ils rap-
portent serait de £ 2, 10 s. 7 1/2 d. en 1905 ; de £ 3, 1 s.
3 1/2 d. en moyenne dans la dernière période de 15 années.
Les Kew Street Dwellings, inaugurés en 1903, réalisent
d'aussi près que possible les desiderata de Thygiène mo-
derne. Réservées aux locataires expulsés des maisons insa-
lubreSy ces habitations comprennent 3 blocks de trois éta-
ges renfermant 114 logements, dont 70 de 2 chambres, 34 de
3 chambres et 10 de 4 chambres ; soit un total de 282 cham-
bres.
Chaque logement de 2 ou 3 chambres situé au rez-de-
chaussée a son office, sa cour, et son w. c. particulier;
les logements de 4 chambres situés au premier étage ont
chacun leur w. c. et leur casier h charbon particuliers.
Ici encore le gaz est posé partout et fourni sur demande
au moyen de compteurs automatiques. La hauteur des
plafonds varie de 8 à 9 pieds.
LES HABITATIONS OUVRIERES 27 1
On estime le coût total de cette opération à £ 22.3;i8
4 S. 0 d. (soit £ 2.338.4 s. 0 d. pour Tacbat des terrains et
£ 20.000 pour la construction des maisons).
Le loyer des logements varie de 5 s. par semaine pour
ceux qui se composent de 4 chambres, à 3 s. 6d.,. 3 s. et
2 s. 9 d. pour les logements de deux chambres, suivant
l'étage.
Le tableau suivant donne la situation exacte au 31 dé
cembre 1905« de ce qu'avait fait la municipalité de Liver-
pool pour le logement des classes ouvrières (1).
Liverpool semble avoir apporté plus de prudence que
Glasgow dans les opérations de démolition et d'améliora-
tion qu'elle a exécutées ; elle s'est montrée plus soucieuse
que la ville précédente de bâtir des maisons spécialement
destinées aux habitants des anciens slums et de les louer
à des prix possibles pour eux. Enfin, elle ne s'est pas livrée
à de vastes spéculations sur les terrains et ne s'est pas
mise dans la nécessité de demander à l'impôt des sommes
aussi considérables. Ce n'est pourtant que grâce à l'impôt
qu'elle a pu créer un Sinking fund, les bénéfices réalisés
sur les loyers étant trop minimes pour lui permettre de
le Taire. Si nous en croyons M. Taylor (2), chairman du
Housing Committee, il n'y aurait pas d'autre moyen d'en
créer un. Tout au plus, disait-il, quand on se livre à des
opérations de ce genre, peut-on retirer l'intérêt de son ar-
gent. Si vraiment la gestion municipale ne peut donner
de meilleurs résultats, il n'est pas à désirer qu'elle s'é-
tende. Nombre de sociétés particulières se sont fondées
(1) Liverpool. Arlizans and Laboiirers' DwelUngs^ p. 53.
(2) Voir sa déposition devant le Comité de 1902. Heport on Rtpay-
tnenl of Loans, p. 150.
1
272
PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
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LES HABITATIONS OUVRIERES Wji
dans le but de dcaner des maisons à la population ou-
vrière, qui non seulement distribuent à leurs actionnaires
rintérèt normal de leur argent, mais savent encore faire
la part de l'amortissement, sans avoir pourtant, en cas de
déficit, la ressource de plonger la main dans la caisse pu-
blique ou la poche du contribuable, comme le font les con-
seils municipaux.
Birmingham .
La question des habitations ouvrières s^est posée à Bir-
mingham comme elle s'était posée à tilasgow ou à Lieerpool,
et dans l'œuvre de cette troisième ville nous retrouvons,
mêlé à un souci réel de l'assainissement, le désir manifeste
de spéculer et de réaliser des bénéfices pécuniaires sur là
vente des terrains ou la location des maisons. Le nom de
Joseph Chamberlain est étroitement lié à la tâche énorme
que Birmingham a entreprise, comme il était déjà uni à
celui de la municipalisation du gazetdeTeau dans cette
ville ; c est en 1875 que Chamberlain, alors maire de Bir-
mingham, forma le projet de transformer complètement
la ville et d'y percer de grandes voies qui rendraient les
communications plus faciles et donneraient à la cité un
aspect moins sale et moins déplaisant.
C'est en s'appuyant sur a l'Artizans and Labourers
Dwellings Act >) de 1875 que la corporation put mettre à
exécution ses vastes projets. Le premier espace insalubre
dont elle se soit occupée s'étendait sur une surface de 93
acres entre New Street au Sud et Aston Road au Nord. Sur
ce terrain, situé au plein centre de la ville, s'élevaient 4.000
maisons vieilles et délabrées où vivaient 20 000 personnes.
Le taux de la mortalité y variait de 40 à 97 ^oo» c'est-à-
dire qu'il y était deux fois plus fort que dans les parties
BoTerat 18
374 PREMIERE PAllTie. — CHAPITRE XI
saines du district* L'absence de voies publiques larges se
faisait enfin depuis longtemps sentir dans cette ville qui
croissait rapidement, et c*est peut-être cette deuxième rai-
son plus encore que son souci de voir la classe ouvrière
habiter des logements salubres qui décida le contribuable à
accepter la lourde charge qu'on allait lui imposer.
Le district en question fut donc déclaré malsain, mais la
corporation commença par n'en acheter qu'une partie, soit
environ 45 acres et 1867 maisons, dont elle jeta bas 4 .200.
Elle répara les autres et les rendit habitables, en en démo-
lissant quelques-unes dans les endroits où elles étaient
trop serrées, en y reconstruisant les w. c, en en pavant
les cours et en établissant un sytème d'égouts bien com-
pris.
La corporation a loué la plus grande partie des terrains
ainsi acquis en « building lease » d'une durée de 75 ans,
c'est-à-dire qu'elle a donné les terrains à bail pour la
période indiquée avec obligation d'y construire des mai-
sons.
A l'expiration de ces 75 ans, la ville de Birmingham en-
trera en possession de ces énormes bâtiments que les par-
ticuliers ont construits dans les nouvelles rues percées lors
de rimprovement Scheme, et notamment dans Corporation
Street. On estime que le revenu futur de ces immeubles
atteindra £ 100.000 par an. La location du terrain (ground
rents) rapporte aujourd'hui à la corporation £ 45.902 par
an, et celle des bâtiments qu'on a laissés debout s^élève à
17.109 (brut). L'exécution de cette œuvre immense a
coûté fort cher ; au 31 mars 1905, la dépense totale attei-
gnait £ 1.730.303 ; il a fallu pour y subvenir négocier de
très gros emprunts. Le service des intérèU exige à lui seul
£ 50.000 par an ; pour payer ces intérêts et faire face à
LES HABITATIONS OUVRIERES 270
ramortissement delà dette, il faut chaque année demander
aux contribuables une somme importante ; le « Borough
rate d a versé dans ce but, pour l'année finissant au 31 mars
1905, une somme de £ 19.000. Il en avait versé £ 20.000
de 1879 à 1886 ;£ 25.000 de 1887 à 1892. La somme
allait alors en décroissant pour retomber à £ 15.000 en
1900.
Ce rapide exposé de ce que fut Tlmprovement Scheme
nous montre que Birmingham est aujourd'hui, comme
Glasgow, gros propriétaire foncier. Dans un certain nom-
bre d'années, elle possédera les plus beaux quartiers de la
ville et réalisera ainsi, sinon la nationalisation rêvée par
les socialistes, du moins la municipalisation du sol et des
habitations.
Il est sans doute fort utile de démolir des slums et d*en
chasser les gens qui y habitent ; c'est une tâche dont tout
conseiller municipal peut un jour ou Fautre tirer gloire ;
mais si Ton poursuit réellement le bien des classes ou-
vrières, et si Ton ne veut pas voir la situation sanitaire
aller en empirant dans d'autres districts, que les démoli-
tions faites auront pour inévitable résultat de surpeiipler à
leur tour, il faut songer à fournir un logement aux gens
qu'on a expulsés en masse. Or, si la corporation de Bir-
mingham avait envie de gagner de Targent en spéculant
sur les terrains et de rendre sa ville belle et plaisante à
Tœil, elle s'est moins occupée de la construction des ha-
bitations ouvrières et du sort des personnes qu^elle avait
dépossédées.
II ne fait pas le moindre doute, dit M. Vince [History of
the Corporation of Birmingham^ vol. III, p. 352) que
lorsqu'il fut pour la première fois question de Tlmprove-
ment Scheme, le Conseil municipal avait la ferme intention
276 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
de fournir des maisons meilleures aux travailleurs et ar-
tisans que les travaux d'amélioration et d'assainissement
auraient privés de leurs habitations. Les plans de recons-
truction dont parlaient, bien que de façon vague, les pre-
miers avocats de Tlmprovcment Scheme étaient bien plus
considérables que ceux qu'exécuta postérieurement la cor-
poration. Nous trouvons une explication des modifications
que subit ainsi la politique de 1875 dans un rapport de
1884, où il est dit que, malgré les démolitions, les logements
ne font pas défaut, 8 7o des maisons louées de 2 s. 6 d., à
7 s. par semaine étant inoccupées ; que la surpopulation
n'existe pas à proprement parler à Birmingham ; qu'enfin
Tétat sanitaire des logements est en général satisfaisant.
Malgré Toptimisme de ce rapport, optimisme peut-être
exagéré d'ailleurs, llmprovement Committee estimant
que les particuliers ne bâtissaient pas assez vite pour rem-
placer les maisons démolies, prépara de son côté un plan
qu'il soumit au Conseil en juin 1885. Il proposait la cons-
truction de « Block Tenements » du genre de ceux
qu'avaient bâtis à Liverpool la municipalité ou à Londres
le Peabody Trust. Mais le Conseil municipal repoussa son
projet pour diverses raisons : parce que le système des ap-
partements (flat System) entraîne à l'immoralité ; que
l'exemple de Londres, où l'extrême cherté du terrain oblige
de recourir au « Block System » ne pouvait être valablement
invoqué ; qu'à Liverpool, Newcastle, Birkenhead, le sys-
tème des (( flats » ne rapportait que de 2 à 4 Vo que le
projet laissait de côté la véritable question qui est de four-
nir un logement à des personnes gagnant moins de 1 £ par
semaine.
Quatre ans s'écoulèrent sans qu'il fût présenté de nou-
veau projet. Enfin, en juillet 1889, llmprovement Com-
LES HABITATIONS OUVRIERES 277
mittee présenta celui qu'on désigne sous ie nom de Ryder
Street Scheme. Il fut adopté sans grande opposition ; on
avait oiïert aux particuliers de leur louer ce terrain 8 d. le
yard carré ; mais personne n*en av^it voulu, et depuis 6 ans
il restait vacant. La démolitiondes maisons malsaines avait
été trop rapidement poussée dans ce quartier et la dépopu-
lation qui en était résultée avait empêché la location des ter-
rains devenus libres. La corporation y construisit 22 maisons
(cottages), hautes de deux étages et renfermant chacune
cinq chambres. On en évaluait le coût à £ 4.000 environ
et le revenu net à £ 200. En septembre 1890, ces maisons
étaient achevées et louées immédiatement pour 5 s. 6 d. par
semaine à des locataires appartenant à une classe relative-
ment aisée. Le résultat financier était donc meilleur qu'on
ne Tespérait : et, chose fort intéressante, dit M. Yince, on
avait réussi à employer de façon rémunératrice un terrain
dont les particuliers n'avaient point voulu. Nous nous con-
tenterons de demander, pour notre part, si la corporation
remplissait exactement le programme qu'elle s'était tracé
de loger la classe ouvrière, un loyer de 5 s. représentant
déjà une somme assez élevée pour des ouvriers ; il est vrai
que les locataires de Ryder Street gagnent au minimum
30 s. par semaine. Il faudrait savoir en outre si le résultat
financier de cette opération est aussi bon qu'on le prétend ;
or, en 1904-1905 les maisons de Ryder Street ont laissé un
déficit de £ 2.5 s. 9 d., et en 1905-1906 elles n'ont rapporté
que £ 74.4 s. 3 d.
Enhardi par cette première expérience, le Comité propo-
sait en février 1891 un nouveau projet de démolition et de
construction, le Lawrence Street Scheme, sur une surface
voisine de la première.
La Birmingham Daily Post a donné de ces bâtiments la
278 PREMIÈRB PARTIE. CHAPITRE XI
description suivante (n*" du 9 mars 1893) : « Les maisons,
dit-elle, sont gentilles et bien construites. Les « terrace
houses » ne sont pas bâties dos à dos selon Tantique et
mauvaise habitude de Birmingham, mais elles ont chacune
une porte sur le devant et une autre sur le derrière. Les por-
tes de derrière s'ouvrent sur une cour de 36 pieds de large,
pavée en briques, suffisante pour qu'on puisse y faire sécher
le linge ou y laisser jouer les enfants. Les maisons d'un
loyer de 5 s.6 d. ont au rez-de-chaussée une chambre (livinj^:-
room) de 13 pieds carrés et une cuisine de 12 pieds sur 9,
munie d'un évier en fer et d'un petit fourneau. A côté de la
cuisine un garde-manger et un casier à charbon, sous la
cage de l'escalier. Au 1®^ étage, deux chambres à coucher :
sous le toit, une troisième chambre mansardée, éclairée par
deux lucarnes, donnant Tune sur la rue et l'autre sur la
cour. Dans chaque maison il y a un poêle et de bonnes che-
minées. On y trouve aussi des compteurs à gaz automati-
ques, donnant, pour 1 d., 25 pieds cubes de ^az, c'est- à dire
une quantité suffisante pour tenir un bec allumé pendant
cinq heures. Chaque logis a son w. c. avec chasse d'eau:
l'installation sanitaire est bien comprise. »
Ces maisons n'ont pas coûté £ 180 chacune ; elles rap-
portaient en 1904-1905 un loyer brut de £ 1.229 1 s. H d. ;
net de £ 179 5 s. 2 d. ; en 1905-1906, un loyer brut de
£ 1.235 10 s. 0 d.; net de £ 347 7 s. 0 d.
Gomme le chiffre des loyers l'indique, ces maisons sont
encore trop chères pour beaucoup de gens ; aussi, en 1894,
à la suite d'un rapport du médical officer of health, l'at-
tention de la municipalité se porta-t-elle sur le quartier de
Milk Street. Il s'agissait de deux terrains, le premier d'une
superficie de 6.160 yards, le second de 4.030 yards. On
proposait de procéder à leur expropriation, de démolir les
LES HABITATIONS OUVRIERES 279
immeubles insalubres qui s'y élevaient, et d'y reconstruire
116 maisons nouvelles.
La dépense d'achat devait se monter à £ 16.000, celle de
reconstruction ࣠18.000.
La municipalité s'appuyait cette fois sur le « Housing
of the working classes Act » de 1890. Elle n'avait agi jus-
que-là qu'en vertu de TAcl de 1875 et de local Acts posté-
rieurement obtenus. En invoquant la première partie de la
loi de 1890, le Conseil municipal donnait à Tlmprovement
Gommittee le droit de procéder à des améliorations et à
des démolitions en dehors même de V « Improvement
area ». Le projet rencontra quelque opposition ; on faisait
remarquer qu'il était facile au Conseil d'obtenir la ferme-
ture des maisons jugées malsaines, sans pour cela les
racheter ; que, s'il se montrait enclin à suivre une politique
de rachat au lieu de mettre les propriétaires en demeure
de procéder aux réparations nécessaires, il leur offrirait en
quelque sorte une prime à la négligence. Finalement, la
seconde des deux surfaces en question fut seule déclarée
«r unhealthy area ».
Le Local Government Board accorda un « order » que
le Parlement sanctionna en 1895. La corporation était au-
torisée à acheter le terrain et à en démolir les maisons ; la
démolition devait se faire en plusieurs fois, la municipalité
ne pouvant bâtir elle-même qu'au cas où elle ne trouverait
ni à vendre ni à louer les terrains à des personnes qui
s*engageraient à bâtir dessus des maisons ouvrières. En
1897, l'Jmprovement Committee déclara qu'il n'avait pas
reçu d'offre et soumit au Conseil un plan de reconstruc-
tion. Ce plan rencontra une si vive opposition qu'on dut le
retirer momentanément ; on se contenta de nommer un
sous-comité spécial dont les membres iillèrent visiter les
28o PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
maisons ouvrières nouvellement construites à Londres,
Bristol, Liverpool et Manchester, sans trouver rien qui
leur plût, par suite de leur répugnance pour le a flat Sys-
tem ». Peu à peu, cependant, on finit par s'entendre ;
les bâtiments projetés furent divisés en 4 « terraces » de
maisons à deux étages ; chaque étage forme un logement
dont le loyer varie de 3 s. à 4/6 ^t.5 s. suivant la superficie
des pièces.
Le nombre des maisons de Milk Street est de 61 (56 la-
bourers' cottages et 3 arlizans' dwellings un peu plus
grandes que les autres). Vingt-quatre de ces cottages ont
chacun une chambre d'habitation (liviugroom)de 13 pieds
de large sur 14 de long et 8 pieds 6 de hauteur et une
chambre à coucher de 12,2 sur 9,6. Les 32 autres maisons
ont une living room de 13,4 sur 14, une première chambre
à coucher de 8,2 sur 14, et une deuxième de 9 sur 9.
Chaque logis a son office particulier, son garde-manger et
son water-closet avec chasse d'eau. Les logis des étages
supérieurs ont un tuyau spécial permettant de vider les
ordures ménagères sans descendre dans la cour. Les mai-
sons sont bien aérées et donnent par derrière sur une cour
de 30 pieds de large. L'achat du terrain a coûté £ 6.000 et
la construction des maisons £ 10 100. Eu 1904-1905, le
chiffre des loyers payés à la corporation dépassait de £ 12,
6 s. 8 d. le chiffre des dépenses ; en 1905-1906, les deux
chiffres s'équilibraient. Ce serait parfait si l'on portait dans
les comptes municipaux le terrain au prix auquel il a été
payé ; mais les calculs précédents reposent sur la supposi-
tion bizarre que le terrain n'a coûté que £ 1.007 (soit
15 s. par yard). Quant aux autres £ 5.000, on ne les consi-
dère que comme une dépense faite par la ville dans un but
sanitaire Jdi esthétique.
LES HABITATIONS OUVRIERES 28 1
La corporation de Birmingham se trouve ainsi posséder
164 maisons ouvrières sur lesquelles elle ferait, si nous en
croyons la comptabilité municipale, un léger bénéfice : sur
lesquelles elle perd en réalité beaucoup lorsqu'on établit
correctement le compte des dépenses de ce service.
M. le conseiller J. S. Nettlefold, actuellement chairman
du Housing Committee de Birmingham, a relevé cette façon
plutôt étrange de tenir la comptabilité municipale (1). c. Si
Ton tient, dit-il, un compte exact du prix d*achat du ter-
rain et de toutes les autres dépenses qu'on a faites, les
maisons de Ryder Street représentent pour les impôts une
charge d'environ 2 s. 8 d. par maison et par semaine, et celles
de Lawrence Street une charge d'environ 1 s. 3 d. Il est
facile de vérifier ces chiffres en se reportant aux comptes
officiels. »
(( Les loyers de ces maisons dépassent de beaucoup les
moyens delà classe pauvre, de celle qu'a dépossédée Tlm-
provement Scheme. Le résultat de ces améliorations a donc
été de taxer la masse au bénéfice de quelques personnes
seulement ; ces quelques personnes n'en retirent même en
réalité aucun avantage, car en examinant ces maisons et
en comparant leurs loyers avec ceux des maisons sem-
blables bâties dans les circonstances ordinaires, on voit
que les locataires de ces maisons municipales payent bien
dans son plein le loyer qu'elles valent. Telle étant la situa-
tion, il n'est pas difficile de comprendre que si, d'un côté,
personne n'a intérêt à ce que la municipalité soit proprié-
taire de ces maisons, la masse entière des contribuables se
trouve, de l'autre côté, taxée pour soutenir une entreprise
qui constitue une détestable opération commerciale (com-
mercial failure). »
(1) Voir J. S. Nettlefold, A Housing Policy, p. 12.
282 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
Plus loin, parlant de» maisons que la municipalité proje-
tait de bâtir dans Potter Street, M. Nettlefold dit encore :
« quelles sont un exemple frappant de ce que Ton peut
faire avec des chiffres. Le 18 juin 1901, on présentait au
City Gouncil des comptes qui faisaient ressortir un profit
de 19 s. 6 d. par an. Le terrain qui mvait coûté 1 s. 6 d. le
yard carré, et qu*on n'avait pas voulu céder aux particuliers
à moins de 2 s. 9d. n'était compté que 5 d. le yard carré.
L'intérêt et le Sinking fund ne figuraient que pour£ 516
par an, alors qu'il fut démontré par la suite qu'ils auraient
dû être portés pour £ 559.4 s. 3 d. Le 3 juin 1902, on pré-
sentait enfin des chiffres corrects, montrant que si Ton avait
mis le projet k exécution il aurait coûté chaque année aux
contribuables £ 203.6 s. 7d. Les constructeurs municipaux
n'essayèrent pas de combattre sérieusement les comptes
ainsi corrigés, et le projet fut abandonné. »
On trouve dans les comptes annuels des maisons pos-
sédées par la corporation de Birmingham et exploitées par
son Estâtes Commiltee un autre exemple de cette méthode
de comptabilité.
Depuis de longues années, TEstates Committee publie
des comptes où il n*est jamais question de la valeur du
terrain sur lequel les maisons s'élèvent. Au bas de la page
se trouve simplement une petite note disant que la balance
créditrice équivaut à une « ground rent » de tant par yard :
mais sans mentionner ce que le terrain coûte à la corpora-
tion. A la séance du 7 mai 1901, un conseiller demanda
combien le terrain avait coûté. Après bien des difiicultés on
finit par obtenir les chiffres demandés et les calculs furent
refaits; l'enquête eut pour résultat d'informer pour la
première fois le public que les maisons ouvrières de Bir-
mingham, sur lesquelles on avait jusque-là cru faiie un
LES HABITATIONS OUVRIERES
283
profit, constituaient on réalité une charge pour les impôts.
Et M. Nettlefold corrige comme suit les comptes de la cor-
poration:
Ryder Street . . .
22 cottages
Milk Siref^X
61 cottages
Comptes du
Comité ne tenant
pas compte du
coût des terrains
Balance créditrice
£83 1s. 5 d.
(Balance débitrice]
UO 10 2
Comptes
complets tenant
compte du
coût des terrains
Bilance débitrice
£ 153 3s. 7 d
383 19 2
Chnrge
qui retombe
sur les
impôts par logis
et
par semaine
2 s. 8 d.
Le déficit des maisons de Milk Street dans les deux sys-
tèmes est en grande partie dû à des réparations qui sem-
blent justifier les plaintes qu'on n'a pas cessé d'élever
contre la main-d'œuvre et les matériaux employés dans la
construction de ces maisons.
Il semble que la municipalité de Birmingham commence
à se rendre compte qu'elle a fait fausse route ; aussi déclare-
t-elle à présent qu'elle a seulement voulu montrer à l'en-
treprise privée ce qu'on pouvait et ce qu'il fallait faire,
faire voir quel était le genre de construction à la fois le
plus économique et le plus hygiénique. En réalité, elle ne
veut plus construire parce qu'elle s'aperçoit qu'elle perd
de l'argent et qu'elle voit que les maisons qu'elle pourrait
bâtir maintenant coûteraient plus cher que les anciennes
par suite de l'augmentation du prix de la main-d'œuvre et
de celui des matériaux.
Aussi cherche -t-elle plutôt à rendre habitables les mai-
sons vieilles ou en mauvais état en demandant au « magis-
trate » (justice of the peace) ce qu'on appelle un «closing
284 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XI
order». Ordre est donné au propriétaire, sous peine de
voir fermer sa maison, d'exécuter dans un délai donné, les
réparations que l'autorité municipale juge nécessaires. Si
les maisons sont trop serrées et se cachent réciproquement
Tair et la lumière et que les locataires des maisons de
derrière n'aient accès à leurs demeures que par un étroit
et obscur tunnel qui passe sous la maison de devant, on
abattra cette dernière pour donner du jour aux maisons de
derrière. La municipalité ne paiera même qu'une indemnité
minime en ce cas, la destruction d'une maison donnant de
la valeur aux autres en les rendant habitables et en per-
mettant de ne pas prendre à leur égard de closing order. La
procédure du closing order est très rapide et ne demande
aucun délai.
De janvier 1902 à juin 1905, l'œuvre du Birmingham City
Oouncil Housing Department se résume ainsi (1) :
Maisons déclarées inhabitables 2.363
Maisons rendues habitables 560
Maisons en réparation 283
Maisons démolies 258
Avertissements envoyés, mais dont le délai
n'est pas encore expiré 1.254
Closing orders obtenus 589
Dans ces dernières années, le Conseil municipal de Bir-
mingham a eu la sagesse de renoncer à deux projets très
coûteux : ceux de Saint Lawrence's Parish et de Bordeslev
Green. Dans le cas de Bordesley Green, on avait acheté le
terrain exprès pour bâtir des maisons ouvrières ; le Housing
Committee s*opposa pourtant dans son rapport à leur cons-
truction (1901). « Dans l'état actuel des finances de la cita,
(1) Voir Nettlefold, op. cU,, p. 45.
LES HABITATIONS OUVRIÈRES 285
dîsait-il, le Comité juge tout à fait inopportun de se lancer
dans une vaste spéculation de constructions. Dans son rap-
port du 18 juinl901.1e Health Committee afipelle l'attention
sur ce fait que tout le district environnant se b&tit rapide-
ment; il serait donc tout à fait déraisonnable de faire échec
à ce mouvement par une concurrence municipale. Les mai-
sons que Ton construirait seraient d'ailleurs fort probable-
ment habitées par une classe de personnes à laquelle il n'est
aucunement nécessaire que la municipalité fournisse des lo-
gements. Les membres du Comité partagent sincèrement
le désir de voir fournir aux classes ouvrières des maisons
plus nombreuses et mieux installées ; ils ont l'intention de
faire tout ce qui sera en leur pouvoir pour encourager les
particuliers en cette voie. L'amélioration des moyens de
communication obtenue par le percement de nouvelles rues
et Textension du réseau des tramw^ays pourraient rendre de
grands services. La modification de (Quelques règlements
relatifs à la construction des maisons, règlements qui aug-
mentent actuellement le coût de Tédifice sans en augmenter
Futilité ou la solidité, seraient également fort utiles.
« Pour ces raisons, votre Comité recommande au Conseil
de ne pas construire lui-même de maisons dans Bordesley
Green, mais d'autoriser le Housing Committee à louer ce
terrain à un ou plusieurs locataires sérieux qui, par les ter-
mes de leur contrat» devront y bâtir des habitations ouvriè-
res, les maintenir en bon état, les réparer et veiller à ce
qu'elles servent à Tusage auquel on les destine, la corpora-
tion se réservant le droit d'agir s'il est contrevenu en quoi
que ce soit aux termes du contrat. »
Le Conseil municipal adopta cette recommandation, et ce
faisant donna un exemple que l'on peut offrir aux médita-
tions des corporations qui, pour résoudre la question, cher-
286 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
chent d'autres moyens que ces spéculatioQs coûteuses et
risquées que la construction parles municipalités implique
si souvent.
Sans vouloir nous étendre indéfiniment sur cette ques-
tion, nous dirons encore quelques mots de Manchester,
chacune des grandes villes anglaises offrant en cette matière
un intérêt qui lui est propre et une physionomie particu-
lière.
Manchester.
A l'exemple de Liverpool, sa voisine et sa rivale, Man-
chester a commencé vers Tannée 1884 à s'occuper des «in-
sanitary areas » en s'appuyant sur l'Ârtizans'Dwellings
Act de 1875. Le taux élevé de la mortalité y était dû. comme
dans les villes précédentes, à l'extraordinaire densité d*une
population qui, dans des ruelles étroites, des cours et des
passages obscurs, habitait des maisons malsaines.humides
et bâties les unes sur les autres. Il y variait en général de
26 à 50 ""/oo et atteignait en certains endroits 80 Yoo-
Le percement de rues nouvelles et la construction de
grandes stations de chemin de fer, entraînant la démolition
de milliers de vieilles maisons, n'avait fait qu'accroître le
mal (1). Voulant absolument porter remède à la situation,
la corporation acheta, en avril 1891, TOldham Road area,
d'une superficie de 18.269 yards carrés, sur laquelle s'éle-
vaient 239 maisons, renfermant 1.250 personnes. L'opéra-
tion coûta £97.481. Pende temps après la municipalité
faisait de même pour la PoUard Street area. La surface
dont il s'agissait cette fois ne mesurait que 5.474 yards car-
rés, renfermant 85 maisons et 396 personnes. La dépense
fut de £ 9.546.
(1) Manchester, Housing of Ihe Working Classes^ 1899.
KES HABITATIONS OUVRIERES 287
Les démolitions achevées, la muaicipalité reconstruisit
de nouvelles maisons sur remplacement de anciennes.
I^e « block » de Oldham Road se compose des maisons
hautes de cinq étages, bâties sur un large rectangle de
4.i02 yards carrés de superficie, dans le genre des Victoria
Square Dwellings de Liverpool. lies logis comprennent en
général deux chambres, une liTing room de 174 pieds car-
rés et 1.566 pieds cubes et une chambre à coucher de 108
pieds carrés et 972 pieds cubes. La hauteur des plafonds est
de 9 pieds. Ces habitations sont bien comprises au point de
vue hygiénique. Les w. c. sont bien installés, les ordures
ménagères se vident facilement au moyen de conduites
spéciales. Des compteurs automatiques fournissent le gaz
à volonté. Les loyers varient de 3 s 6 d. à 5 s. par semaine.
Une chambre seule se loue de 2 s. 6 d. à 3 s*
La construction de ces maisons a donné au point de vue
sanitaire de bons résultats. Le taux delà mortalité a baissé
de 39 Yo sur l'emplacement d'Oldham Road area, de
36 Vo sur celui de PoUard Street. Leur inconvénient est
d'avoir coûté fort cher à la municipalité qui, dit le Munici-
pal Year Book (édition de 1906, p. 494), n^a pas cherché à
exécuter ses u rehousing schemes » sur une base commer-
ciale, mais a résolu de les considérer comme un des actes
de la grande œuvre d*amélioration sanitaire dont les impôts
doivent supporter une large part.
Trouvant la procédure imposée par la première partie de
TAct de 1890 trop coûteuse et peu satisfaisante en somme,
la corporation résolut de s'appuyer sur une section du Man-
chester Corporation Waterworks and Improvement Act de
1 867 ainsi conçue ( 1 ) :
(t) Voir Times, 21 octobre 1902.
288 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XI
« Dans tous les cas où il sera certifié à la corporation
par un inspecteur des « nuisances » ou deux experts méde-
cins qn'uae maison ou partie d'une maison est impropre
à l'habitation, la corporation pourra, par un ordre affiché
visiblement sur cet immeuble ou partie do cet immeuble,
déclarer quMl est impropre à l'habitation et qu'on ne doit
pas, après la date spécifiée, continuer à Thabiter. Toute
personne qui, après la date indiquée dans l'ordre, louera ou
occupera, ou contiauera de louer ou d'occuper, ou laissera
sciemment occuper ce bâtiment, sera passible d'une amende
de £ 5 ; au cas où elle persévérerait dans sa conduite, d'une
amende de 40 s. par jour ; si, toutefois, après la promulga-
tion de Tordre, la maison est réparée et remise en bon état,
la corporation pourra révoquer son ordre qui cessera alors
de produire aucun effet. »
A Taide de ces pouvoirs la corporation a fait, depuis
1885, fermer environ 7.432 maisons. On en a rouvert 3.334
après leur avoir fait subir d'importantes améliorations au
point de vue de Taération, de la lumière et de Tinstailatioa
sanitaire. Le propriétaire supporte dans son entier le coût
des améliorations à exécuter pour que la corporation retire
son closing order. Dans quelques cas il a fallu, pour rendre
habitable un groupe de maisons, en démolir une sur trois ;
le terrain occupé par la maison démolie reste libre ou sert
de cour aux maisons avoisinantes. Là où le fait s'est produit
la corporation a accordé une indemnité de £ 15 pour cha-
que maison qu'on démolissait, et le montant des sommes
payées pour l'exécution des améliorations considérables
qu'on a exécutées ne s'élève qu'au modeste total de £
25.000.
Manchester nous offre donc, dit le Times, Texcellent
exemple d'une ville où la municipalité a fait beaucoup
LES HABITATIONS OUYBIERES 28g
d*ouvrage pour relativement peu d'argent et avec le mini-
mum d'intervention possible.
On sait combien de frais et de difficultés entraine la pro-
cédure qu'impose la première partie de FAct de 1890. Hull
a eu, la première en Angleterre, l'ingénieuse idée d'utiliser
la deuxième partie du même Act dans un but pour lequel
on a généralement recours à la première partie. Bien que
la deuxième partie s'applique aux habitations malsaines
considérées séparément, la corporation de Hull s'est dit
qu'en intentant simultanément une action contre chacune
des maisons d'un groupe important d'habitations insalu-
bres, on pourrait procéder à l'assainissement d*une surface
énorme tout aussi effectivement qu'en ayant recours à la
partie 1. En 2 ans 1/2 la corporation démolit, ou obtint
ainsi des closing orders contre 385 maisons, s'élevant en
cinq endroits différents de la ville et couvrant une super-
ficie de 15.181 square yards, sans plus de dépenses et de
difficultés que n'en entraînent la nomination de deux offi-
ciers sanitaires, la préparation des plans et l'introduction
des actions devant les tribunaux locaux ; le résultat fut
tout aussi satisfaisant que si la corporation avait eu recours
à la première partie de l'Act de 1890 et s'était soumise aux
formalités coûteuses d'une enquête du Local Government
Board, d'un Provisional order, d'un Spécial Act du Parle-
ment, peut-être enfin d'un arbitrage. Second avantagea
retenir, la corporation ne se trouvant pas obligée de fournir
un logement aux gens qu'elle avait expulsés et ne faisant
d'autre part pas mine de vouloir construire elle-même, les
particuliers eurent vite fait de bâtir, dans un rayon de un
mile du centre de la ville et en se conformant aux règle-
ments du Local Government Board, un nombre suffisant
de cottages, d'un loyer de 3 s. 9 d. par semaine. Hull se
BoTerat 19
3gO PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
débarrassa de la sorte des plus horribles slums et assura
du même coup, et sans peine, à sa population pauvre, des
logements sains et peu coûteux.
Nous ne pouvons» avant de conclure, résister au désir de
rappeler l'histoire des habitations ouvrières de Sheffield (1).
La ville avait acheté, pour y élever des cottages qu'elle
destinait aux ouvriers les plus aisés et aux employés, un
terrain situé dans ce qu'on appelait autrefois la « residen-
tial neighbourhood o à environ 3 miles du centre de la ville.
Mais ce terrain s'étendait sur le flanc d'une colline à pente
si rapide, qu'après Tavoir acheté la corporation s'aperçut
qu*on ne pourrait l'utiliser qu'à la condition d'en acheter
davantage et de construire une route en lacets, allant de la
crête jusqu'à la vallée. On naurait, paraît-il, choisi cet
endroit précis pour y construire des habitations ouvrières
qu'à l'instigation de quelques-uns des esprits « dirigeants *)
du Sheffield Town Gouncil et pour provoquer une invasion
démocratique du côté des plus riches domaines des habitants
de Sheffield. N*était-ce pas un bon tour à jouer au clan des
aristocrates : « Let's us put some up at Ranmoor )>, aurait
dit Tun des conseillers « and gie'em a turn ». Mais la cor-
poration comptait sans son hôte. Bien qu'ayant acquis le
terrain pour une somme relativement peu élevée, elle fut
obligée de payer un bon prix le terrain supplémentaire
qu^xigea la construction de la route en zig-zag et condam-
née à verser une indemnité considérable pour dommage
causé aux propriétés d'agrément qui se trouvaient aux alen-
tours immédiats et diminution de leur valeur ; jugement
que confirma en appel la King's Bench Division delà haute
cour de justice.
(1) Voir Times y 21 octobre 1902.
LES HABITATIONS OUVRIÈRES 2g I
Voilà comment réussit à Sheffield la spéculation qu*avaît
faîte la corporation pour fournir des maisons à des gens
auxquels les constructeurs particuliers en auraient très bien
fourni ; comment elle a choisi un emplacement si difficile et
si éloigné du centre des affaires que peu d'artisans on d'em-
ployés y voudront aller ; comment elle a finalement payé son
terrain si cher que, si elle ne veut pas perdre sur cette opé-
ration, elle devra fixer ses loyers à un prix notablement
supérieur à celui que peuvent payer les personnes auxquel-
les elles destinait ces maisons.
Ces exemples suffisent à prouver le danger des entrepri-
ses municipales. Nous n'avons que trop insisté sur eux.
Nous citerons simplement les noms des villes de Bath,
bradford, Brighton, Devonport, Newcastle on Tyne, Not-
tingham, Plymouth, Salford, en Angleterre; d'Aberdeen,
Edimbourg, Leith en Ecosse, comme ceux des villes qui se
sont le plus occupées de la construction des maisons ou-
vrières.
Nous voudrions à présent résumer en quelques pages les
résultats de l'intervention communale et Topinion de per-
sonnes compétentes en la matière. Nous avons, au commen-
cement de ce chapitre, exposé quels étaient les arguments
favorables à l'action municipale. Passons, en nous appuyant
sur les faits que nous venons de citer, aux arguments invo-
qués contre elle.
Du premier argument, il a été souvent fait usage dans
les discussions politiques. On sait que, d'après la première
partie de l'Act de 1890 les autorités locales doivent, lors-
qu'elles procèdent à la démolition d'un grand nombre de
maisons, fournir dans le voisinage même des logements aux
gens qu'elles ont dépossédés, afin de diminuer, dans lame-
sure du possible, les souffrances que provoque ce déplace-
ag3 PREMIÈRE PARTIS. —^ CHAPITRE XI
méat forcé. De tous côtés pourlant,on entend répéter que les
locataires des nouvelles maisons ne sont pour ainsi dire
jamais les anciens habitants des slums ; la chose est par*
faitement vraie, et la raison en est double : 1^ les nou-
veaux loyers sont trop chers pour ces misérables ; 2^ cette
espèce de gens refuse d*habiter dans des maisons conve-
nables.
Les loyers sont trop chers : nous les avons vu s*élever
presque partout à 5 s. ou 5 8.6 d. par semaine ; or, il n*y a
que des ouvriers gagnant de 30 à 40 s. qui puissent consa-
crer de pareilles sommes à leur logement.
Aussi voit-on les maisons municipales propres, bien
aérées et pourvues de toutes les commodités modernes,
recherchées, dès le moment où on commence à les cons-
truire, par une classe de locataires tout autres que ceux
auxquels on les destinait. Mais la municipalité ne s'en plaint
pas, tout au contraire ; elle n'est que trop contente d*avoir
affaire à des gens propres et décents, payant régulièrement
leur loyer ; elle ne garde d'ailleurs pas de gens sales et
tenant mal leur maison; et Ton s'explique comment lors-
qu'à Whitechapel, par exemple, on offrait de jolies cham-
bres à 1 s. 6 d. par semaine, les gens de la plus basse
classe préféraient payer 4 s, 6 d. dans des taudis ignobles
où il n'y avait ni portier soucieux de la propreté, ni opi-
nion publique réclamant des mœurs régulières.
Ils vivent dans les slums parce qu'ils y jouissent d'une
liberté plus grande. Four eux la transition est trop rapide
des slums et de leur désordre aux maisons modèles et à
leurs règlements sévères : elle suppose un changement de
condition trop brusque.
Les municipalités cherchent à se justifier du haut prix
de leurs loyers en disant que si ce sont des locataires d'une
LES HABITATIONS OUVRIERES 2g3
classe supérieure qui viennent habiter les logements qu'elles
construisent, du moins ces derniers laissent-ils aux anciens
habitants des slums les habitations qu'ils viennent eux-
•
mêmes de quitter et qui valent certainement mieux que ces
slums. La transformation, le passage d*un niveau à l'autre
se produit alors par degrés, petit à petit. Ce serait, suivant
les mum'cipalistes, la meilleure manière de procéder à l'é-
gard des misérables. Quelques efforts que l'on fasse et
quelques précautions que Ton prenne, les dépossédés ne
reviennent jamais en grand nombre dans les nouvelles
maisons ; on les chasse de taudis en taudis, on ne les loge
pas.
Comme le disait Lord Rosebery dans un discours qu'il
prononçait à Shoreditch à l'inauguration de maisons ou-
vrières : (( Vous avez logé 300 familles, mais vous en avez
déplacé bien davantage »; c'est une drôle de manière de
loger les pauvres, . laissait-il entendre aux municipalistes.
Avec de tels procédés, plus on loge de misérables, plus il
s'en trouve sans abri.
Voilà les résultats qu'on obtient au point de vue loge-
ment; les résultats financiers ne laissent pas moins à dési-
rer. L*achat de terrains et la construction des maisons
coûtent en général excessivement cher aux municipalités
qui se livrent à ces opérations. Gomme elles ne font d'autre
part pas payer dans son plein à leurs locataires la valeur
commerciale des demeures qu'ils occupent (pour être plus
sûres de louer à des ouvriers), elles aboutissent à leur
faire un véritable cadeau dont les contribuables supportent
finalement les frais. C'est ainsi qu'à Liverpool (1), on loue
les chambres des maisons ouvrières à 33 ""/^ au-dessous de
leur véritable valeur commerciale.
(l)Cf. Municipal Trading lieporl, 1900, questions 2277, 2293.
2f)i PREMIERE PARTIE. CHAPITRE XI
Il est vrai que le cadeau est parfois involontaire ; aous
avons vu qu à Birmingham, il fallait demander de l'argent
aux impôts, alors qu'on pensait au contraire réaliser un
bénéfice ; mais parfois aussi, il est volontaire ; il faut alors
que le riche paye la partie du loyer que le pauvre ne peut
pas payer. C'est ainsi qu'à Staiïord, le loyer des logis mu-
nicipaux ne devant pas dépasser 4 s. par semaine, on de-
mandait à l'impôt toute somme nécessaire au service de
l'emprunt et du Sinking fund et que ne pouvait couvrir le
montant des loyers. Nous avons vu devant le Select Com-
mittee de 1900, M. Th. Hughes, de Liverpool, déclarer
qu'il était impossible de procéder à rétablissement d'un
Sinkingfund pour les maisons ouvrières sans recourir aux
impôts.
Il n'est pas étonnant qu'offrant un logis pour une somme
inférieure à sa valeur réelle, les municipalités reçoivent des
offres de personnes prêtes à payer un prix plus fort que
celui qu'on en demande. Dans son discours de Shoreditch,
Lord Rosebery a parlé < de la sage discrimination qu*il
faut exercer pour refuser des locataires qui offrent bien plus
que le loyer demandé par Tautorité locale ». N*est-il pas
à craindre, qu'après avoir dépensé par milliers de £ Targent
des contribuables pour arriver à ce résultat piquant de
louer des maisons au-dessous de leur valeur commerciale,
un pareil système n'ouvre la voie à la corruption sous
toutes ses formes ? Que penser d'un soûs-comité chargé de
désigner les locataires qui seront dignes d'habiter telle
maison municipale ? Est-on bien sûr qu'il ne tiendra pas
compte de leurs opinions politiques ou religieuses P N'est-
il pas à craindre que, par suite du groupement des mai-
sons municipales dans un même quartier, on n'arrive, par
un (( sage discrimination *>, à grouper les bons électeurs ?
LES HABITATIONS OUVRIÈRES 2g5
Le jeu en vaudrait la chandelle. Et les Anglais, si fiers à
juste titre de Tintégrité de leur administration locale, se
demandent avec inquiétude ce qui se produirait le jour où
le système viendrait à se généraliser davantage.
Les perles que subissent les municipalités sur les mai-
sons ouvrières sont d'autant moins excusables de leur part
qu'elles ne tiennent pas toujours dans leur comptabilité
un juste compte de la valeur des terrains sur lesquels
elles ont bâti ; cette manière de procéder est très répandue ;
nous lavons rencontrée à Birmingham, à Liverpool : nous
la retrouvons à Londres. Lorsque le LondonCountyCoun-
cil paya £ 200.000 remplacement de la brasserie Reid pour
y construire des maisons qu'il destinait aux personnes
déplacées par le percement d*une nouvelle rue allant du
Strand à Holborn, il inscrivit le terrain pour £ 43.000 et
porta les £ 135.000 restantes à Tlmprovement Account (1).
Demande-t-on si les bâtiments en question payent, c'est sur
la base de £ 43.000 qu'on fera les calculs ; c'est un piège
pour qui n'est pas au courant du procédé ; c'est un désastre
pur et simple si l'on trouve moyen d'accuser des pertes
après avoir eu recours à un pareil artifice.
Cette façon détenir la comptabilité municipale constitue
Tune des supériorités, peu enviable d'ailleurs, que possè-
lient sur les particuliers les autorités locales ; à d'autres
points de vue, au contraire, la situation de ces dernières
est moins bonne que celle des particuliers, il leur faut, en
efTet obtenir pour leurs plans l'approbation des autorités
centrales, ce qui ne va pas toujours sans longueurs et sans
difficultés. C'est ainsi qu*un membre d'un Housing Com-
mit tee écrivait :
« Nous ne sentons que trop que l'intervention du Local
(1) Times, 21 octobre 1902.
296 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
Goverament Board entraîne d'importants retards et cause
de sérieux inconvénients, parfois même des pertes sérieu-
ses. Je puis citer tel cas où nos plans étaient prêts, où, en
nous mettant à Tœuvre sur-le-champ, nous aurions pu bâ-
tir nos maisons pour tel prix. Le Local Government Board
nous a fait attendre plusieurs mois son autorisation ; durant
ce temps le prix des matériaux a considérablement aug-
menté ; tous nos devis et tous nos plans se sont trouvés
renversés. »
A Tinconvénient des lenteurs administratives viendront
encore s'ajouter les inspirations parfois malheureuses des
fonctionnaires municipaux qui, par gloriole et pour faire
parler d'eux, voudront faire quelque chose de bien ou de
joli et feront ajouter aux maisons toutes sortes de déco-
rations et d'ornements qu'une compagnie bien dirigée
mettrait soigneusement de côté. Est-ce un a municipal
Works department » qu'on charge de la construction des
maisons, il faut s'attendre à voir les maçons et tous les
ouvriers en général travailler plus lentement qu'ils ne le
feraient au service d'un entrepreneur particulier et à voir
les frais de toutes sortes atteindre des chiffres bien supé-
rieurs. Il n'en peut d'ailleurs être autrement. Il y aura for-
cément des périodes où le « works department » n'aura rien
ou presque rien à faire, puisqu'il ne peut travailler que
pour la municipalité, et non pas, comme un particulier,
pour le premier capitaliste venu ; dans ces moments d'oi-
siveté involontaire, la dépense n'en marchera pas moins.
Lorsqu'il aura de Touvrage, ses frais seront plus élevés dans
ce cas encore, parce que les salaires qu'il payera seront gé-
néralement plus haut, les heures de travail plus courtes et
que la discipline sera moins stricte.
Enfin, remarque importante à faire, l'autorité locale en
LES HABITATIONS OUYRIiSRES 'IQJ
question jouera le double rôle d'inspecteur el d'inspecté ;
la qualité de Touvrage ne pourra qu'y perdre, le coût en
augmentera ; caries ingénieurs municipaux, les inspecteurs
sanitaires et employés aux travaux auront tendance à ne
pas relever les fautes des architectes, constructeurs et plom-
biers municipaux avec autant de soin et de promptitude
qu'ils le feraient s'il s'agissait d'une entreprise privée.
L'autorité locale confie-t-elle au contraire à un entrepre-
neur l'exécution de ses travaux (1), ce dernier les lui fera
payer plus cher qu'à une Compagnie ou un particulier,
pour cette raison qu'on l'obligera à souscrire à des condi-
tions de tous genres, relatives soit au travail des ouvriers,
soit au choix des matériaux, et que toutes ces restrictions
augmenteront forcément ses frais.
Pour couvrir ces dépenses généralement considérables,
les municipalités sont obligées de demander des loyers qui
dépassent de beaucoup les moyens de la classe pauvre.
Rien ne montre mieux l'ironie de la situation qu'une péti-
tion adressée en septembre 1901 au London Counly Coun-
cil, pétition dont les signataires demandaient pour tous les
employés de ce corps un salaire minimum de 30 s. par se-
maine ; cette somme, disaient-ils en substance, est la plus
basse qu'on puisse regardera Londres comme un <« living
wage », puisque toute personne qui en reçoit une moin-
dre ne peut se loger dans les habitations qu a élevées le
Conseil pour les pauvres de la métropole.
An cas où la construction municipale viendrait à se gé-
néraliser, on aurait en outre de fortes chances de ne plus
trouver de maisons bâties suivant un plan qui vous con-
vienne et répondant à vos désirs. On nous dira sans doute
que les municipalités se sont bien acquittées de la fourni-
(1) Times, 21 octobre, 1902.
^g8 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XI
ture de Teau et du gaz ; mais la qualité de Peau et du gaz
fournis dans un même endroit est partout la même ; en fait
de maisons^ il en faut non seulement de tous les modèles,
mais il en faut sans cesse bâtir sur des modèles nouveaux.
Il est fort probable que, du jour où une municipalité serait
seule à construire des maisons, elle s*en tiendrait à un ou
deux types et n* écouterait plus ni les conseils, ni les de*
mandes que les particuliers pourraient lui adresser.
Actuellement, le plus grave inconvénient de Tactioa mu-
nicipale est qu'elle tue Taction individuelle. Toute maison
que bâtit Tautoritc, dit M. Nettlefold, arrête la construction
d'au moins quatre maisons que bâtiraient les particuliers ;
Birmingham en est un exemple. Le dépôt du projet de Bor-
desley Green eut pour effet immédiat d'arrêter de vastes
opérations de construction qu*on avait jusque là poussées
activement dans ce voisinage. Quand le Conseil municipal
eut abandonné le projet de Potter Street et renoncé à cons-
truire des logements dans le centre de la cité, deux autres
projets, dus à l'initiative particulière, furent aussitôt mis à
exécution, qui en fournirent à la classe ouvrière un nombre
bien plus considérable. Les mêmes faits se sont produits à
Londres et dans d'autres villes. Tout ce qu'a fait à Londres
l'entreprise particulière, on le doit à des Compagnies ou à
des trusts dont la fondation est antérieure à la création du
liOndon County (1889) ; depuis la création de ce corps, il
ne s'en forme pour ainsi dire plus.
Or les quelques maisons que peut bâtir une autorité locale
ne sont qu'une goutte d'eau dans l'innombrable océan de
logements dont a besoin toute communauté tant soit peu
importante ; généraliser la construction en régie, c'est ris-
quer de tuer l'action individuelle par la peur que lui inspire
une concurrence dont l'impôt paye les frais.
LES HABITATIONS OUVRIÈRES 2()9
Les principaux membres du parti socialiste anglais de-
mandent la construction de maisons ouvrières par les mu-
nicipalités et la mettent à leur programme au moment même
où plusieurs des grandes villes à tendances miinicipalis tes,
telles que Birmingham et Manchester, seniblent vouloir y
renoncer.
Il est vrai que pour eux la question n*est pas de savoir si
l'action municipale n'est qu'une ressource dernière, à la-
quelle on ne recourt que pour réaliser ce que Teffort indé-
pendant ne veut pas ou ne peut pas (aire ; la question est
de savoir s'il faut actuellement substituer l'action munici-
pale à l'action particulière. La communauté a besoin de
maisons : c'est donc à elle de les fournir, à elle de les pos-
séder. La communauté sera propriétaire des habitations
comme elle le sera de tous les moyens de production ; elle
ne deviendra pas seulement l'employeur universel» elle sera
le propriétaire foncier universel.
On ne voit pas très clairement l'avantage qu'il y aurait à
payer son loyer à la municipalité plutôt qu'à un propriétaire
quelconque ; car les municipalités n*ont, bien entendu, pas
la moindre intention de nous loger gratuitement.
Dans son livre : Common sensé of Municipal Trading,
pamphlet en faveur du municipalisme (p. 72), Bernard
Shaw nous dit que, quand bien même une municipalité
posséderait tout le terrain compris entre ses limites, il fau-
drait qu'elle continue à faire payer aux occupants, y com-
pris ses propres bureaux, un loyer proportionné aux avan-
tages qu'offriraient les locaux en question soit pour le
commerce, soit pour l'habitation ; mais elle pourrait, dit-iL
totaliser l'ensemble de ces loyers et établir ainsi sur une
base économique absolument saine, et moyennant un juste
loyer, ce qu'il appelle un « minimum moral de logement )>
300 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XI
(a moral minimum of House accommodation). Il reconnaît
qu'aujourd*hui les municipalités doivent fouler aux pieds
tous les principes économiques en achetant la terre à sa
valeur réelle sur le marché et en lui attribuant dans leurs
comptes une valeur purement Gctive, le contribuable com-
blant bénévolement la différence qui existe entre cette valeur
fictive et la valeur réelle.
Il est obligé (p. 73) de concéder à ses adversaires qu'ac-
tuellement, et au point de vue commercial, on ne peut rien
attendre de ces projets de maisons ouvrières ; mais il ter-
mine en déclarant que, tant que les municipalités ne possé-
deront pas toute la terre comprise entre leurs limites et ne
seront pas aussi libres d'en disposer et de bâtir dessus que
le sont aujourd'hui les propriétaires fonciers, le problème
de r habitation ne recevra pas de solution satisfaisante.
Quant à Sidney Webb (1), il note en passant que ce
genre de socialisme municipal qui consiste à loger les
pauvres, conduit à faire absorber par les impôts une part
continuellement croissante des revenus du pays ; et il estime
que cette augmentation des impôts locaux n'est qu*une
forme inconsciente de la nationalisation graduelle du sol.
Dans L'individu contre PElat, Spencer revient à diverses
reprises sur ce sujet et nous montre les maux qui peuvent
résulter d^une excessive réglementation ou d'une trop
grande extension de l'action municipale. « En se faisant
constructeur de maisons, dit-il (p. 52), les corps muni-
cipaux abaissent inévitablement la valeur des maisons
différemment construites et arrêtent la construction d'au-
tres. Chaque prescription touchant la manière de bâtir et
la disposition des logements diminue les profits du cons-
(1) Cf. Sidney Wkbb, Socialtsm in England, p. 109.
1
mmÊÊk
LES HABITATIONS OUVRIERES 3oi
tructeur et le pousse à employer soa capital là où ses pro-
fits ne sont pas ainsi diminués. Qu arrivera~t-il néeessai-
rement ? La construction des maisons et surtout de petites
maisons rencontrant des difficultés toujours plus nom-
breuses, l'autorité locale sera encore sollicitée davantage de
suppléer à ce qui manque. Les corps municipaux ou autres
auront à construire un nombre de maisons de plus en plus
grand ou devront acheter les maisons devenues invenda-
bles à des particuliers pour les raisons susdites ; ils auront
en réalité plus d'avantages à acheter ces dernières, vu la
grande diminution de leur valeur, qu à en construire de
nouvelles », . -
Et plus loin (p. 81), revenant sur le même sujet de la ré-
glementation et sur celui de la destruction trop précipitée
des « slums », Spencer ajoute : « Voyez ce que les légis-
lateurs ont fait : par une mauvaise assiette de Timpôt, en
élevant le prix des briques et du bois de charpente, ils ont
augmenté les frais de construction et poussé dans un but
d*économie à employer des matériaux en quantité insuffi-
sante. Pour empêcher TefTet de ces mesures sur les loge-
mentSy ils ont établi, à la façon du moyen-âge, des rè-
glements qui prescrivaient ta qualité de la marchandise
produite et n*ont pas songé qu'en exigeant une qualité su-
périeure et en augmentant par conséquent le prix de revient,
ils limiteraient la demande et diminueraient TofFre dans
Ta venir. En créant de nouvelles charges locales, ils ont
récemment mis de nouveaux obstacles à la construction de
petites maisons. Enfin, après avoir par des mesures succes-
sives amené la construction de maisons en mauvais état et
produit un manque de maisons plus confortables, ils ont
remédié à l'encombrement des habitations de pauvres gens
en diminuant l'espace qui déjà ne pouvait les contenir. Qui
3oa PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XI
fandrait-ii donc blâmer des misères des quartiers pauvres?
Contre qui devraient s*élever les cris douloureux des pros-
crits de Londres ? »
La construction par les municipalités des habitations ou-
vrières n'est pas seulement l'un des faits les plus intéres-
sants de la tendance interventionniste actuelle : elle est aussi
Fun des plus instructifs. Elle montre bien comment une
première mesure en entraîne forcément une autre ; corn-
ment après avoir simplement voulut réglementer l'action des
particuliers, Tautorité publique en arrive bientôt à vouloir
agir elle-même ; et comment, malgré tout, elle ne réalise
pas finalement le but qu'elle s^était proposé.
ANxNEXE AU CHAPITRE XI
LES MUNICIPAL LOCGING-HOUSES.
(Hôtelleries municipales).
Parallèlement à la construction d'habitations ouvrières,
quelques villes anglaises ont entrepris la construction de
« model lodging-houses », c*est-à dire d'hôtelleries munici-
pales modèles. Elles y ont été poussées par une triple rai-
son: i^ par une pensée de pitié à l'égard des malheureux
qui n*ont pas de domicile fixe ; 2° par une raison sanitaire ;
3"" par une raison de police.
Toute ville un peu importante renferme une population
mobile et bohème, vivant dans des garnis et des hôtels
louches, refuges des vagabonds et des criminels de toute
sorte. Ces taudis sont le plus souvent aussi des foyers d*in-
fection et de maladies contagieuses. Ils ont tout naturelle-
ment attiré l'attention des municipalités.
La ville qui s*est le plus occupée de cette question est
Glasgow (1). Son Improvement Committee, dont nous
avons déjà parlé plus haut, ouvrit les deux premières mo-
del lodging houses en 1870. Il le fit parce que les entrepri-
ses privées de ce genre dépassaient alors, parait il, en sa-
leté, en puanteur, en surpopulation et en immoralité tout
ce qu'on peut imaginer. Des centaines de personnes des
(i) Voir Huoo, op. ciL, p. 103.
3o4 ANNEXE AU CHAPITRE XI
«deux sexes dormaient pêle-mêle, entassées dans des loge-
ments obscurs et humides. La police ne s'en occupait pas,
les autorités sanitaires non plus. Le Comité se mit à l'œu-
vre et construisit, en 1870, deux grandes lodging houses :
depuis on en a bâti plusieurs autres dans différentes parties
de la ville. La municipalité possède aujourd'hui sept lod-
ging houses (dont Tune réservée aux femmes), qui peuvent
ensemble abriter chaque nuit2.166 hommes et 248 femmes.
Chaque personne qui s'y présente obtient pour la nuit une
petite chambre séparée; on met en outre à sa disposition,
une grande cuisine, un fourneau toujours allumé, une salle
à manger et une salle de récréation commune. Ces maisons
renferment des bains et tout ce qu'il faut pour laver des
vêtements et les faire sécher. Le coût d'un lit varie de 3 1/2
d. pour les hommes et 3 d. pour les femmes à 6 d. pour
24 heures.
Les chambres cubent dans les anciennes maisons, 331
pieds, dans les nouvelles de 412 à 435. Ces lodging houses
municipales ont été, lors de leur création, un véritable pro-
grès et ont rendu d'inappréciables services aux personnes
de la classe ouvrière qui les utilisent. Elles leur ont non
seulement procuré un abri convenable, mais elles ont hftté
la disparition des anciens garnis et montré ce qu'on pourrait
faire désormais dans ce genre.
Au point de vue de l'hygiène publique, la création de ces
lodging houses n'a pas été moins utile ; elle a permis de
combattre les épidémies qui couvaient sans cesse dans les
établissements privés de cette espèce et se propageaient
parmi la classe qui les fréquentait.
D'après les comptes de Tannée 1904-1905, les résultats
financiers de cette entreprise ne sont pas mauvais. Les re-
cettes ont atteint £ 13.281 17 s. 1 d. et les dépenses d'en-
LES MUNICIPAL LODGING-HOUSES 3o5
tretien £ 9.236 14 s. 3 d. Le bénéfice net a donc élé de
£ 4.045 2 s. 10 d. et, si Ton en déduit £ 183.6 s. 9 d. de
«ground rents » payables pour remplacement de quatre
de ces lodging houses, de £ 3.861 16 s. 1 d. soit £ 3. 10 s.
7 3/4 d. o/o du coût premier des terrains et des constructions
(£ 109.343) ou £ 4. 8 s. 7 d. «/e du chiffre actuel que
Tamortissement à réduit à £ 87.190.
Tous ces garnis offrent à leurs clients des lits à diffé^
rents prix. Ce sont les moins chers, ceux de 3 1/2 d., qui
sont le plus demandés. Prenons par exemple la lodging
house de Portugal Street. Nous voyons qu'en 1904-1905 :
266 personnes ont pris des chambres à6d. = £613 0
51.349 — 4 1/2= 962 15 11
25.551 — 4d.= 425 17 0
85.420 — 3 1/2= 1.245 14 2
Dans celle de Drygate (lodging house pour hommes
comme la précédente) :
6.201 personnes ont pris des chambres à 6d. = £ 155 0 6
59.643 — 4 1/2 = 1.118 6 1
59.622 — 3 1/2= 869 9 9
Dans celle de Moncur Street (lodging house pour
femmes) :
1.117 personnes ont pris des chambres à 6 d. = £ 27 18 6
17.602 — 4d. = 293 7 4
17.548 — 3 1/2= 255 18 2
40.633 — 3 d. = 507 18 3
Les lodging houses ont rapporté :
En 1900-1901 £4.592 19 s.5 d. soit £ 4 4 0. Vo du coût premier
1901-1902
4.869 Os.O
—
4 9
0 3/4 Vo
1902 1903
5.023 13. 9
—
4 11
10 1/2 o/o
190:M904
5.164 12. 0
— -
4 16
2 Vo
1904-1905
4.045 2. 10
—
3 13
113/4»/,
Bovcrat
20
3o6 ANNEXE AU CHAPITRE XI
En 1894-1895 le bénéfice s'élevait à £ 5.539 et représen-
tait un intérêt sur le capital engagé de 5.35 Vo>
L'exemple donné par la corporation fut suivi par les parti-
culiers qui ont b&ti de nombreuses maisons de ce genre. Les
lodging houses municipales sont pourtant plus pleines que
jamais, et Ton y rencontre beaucoup d'hommes qui pour-
raient et devraient avoir des logis bien autrement confortii-
bles.
(( Beaucoup d'ouvriei;s« dit le Times (1), considèrent les
lodging houses comme un refuge, à Tégard de femmes qu*ils
désirent quitter ; ils s'y font inscrire sous de faux noms
pour qu'elles ne puissent pas les y découvrir. 11 en est
d'autres qui, gagnant de bons salaires, cherchent à réduire
à son minimum le coût de Texistence, afin de dépenser au
cabaret le plus d'argent qu'ils peuvent. Beaucoup de raisons
portent à croire que le problème de l'habitation à Glasgow,
comme dans d'autres villes, se lie étroitement à celui de la
boisson. »
Ces sept lodging houses n'acceptant que des hommes et
des femmes sans enfants, excluent précisément la classe qui
mérite le plus d'être aidée ; celle des veufs et des veuves
avec enfants en bas âge que leur métier oblige à rester ab-
sents toute la journée. Aussi, l'Improvement Committee ré-
solut-il de créer en 1895 une maison qui répondit à ce
besoin, un « municipal family home », et de louer des
chambres à des familles.
Le nouveau bâtiment fut inauguré en mars 1896 11 con-
tient 160 chambres, une salle à manger, une salle de récréa-
tion, une cuisine et une crèche. Le terrain et les bâtiments
ont coûté £ 17.000 pour 160 personnes, soit environ £ 106
(1) Times, 30 septembre 1902.
LES MUNICIPAL LODGING*HOU8ES 307
par tète. Les chambres ont une superGcie de 13 pieds sur
8 et une hauteur de 10 1/2 à 12 suivant l'étage (1). Le mo-
bilier des chambres comprend un lit de fer, un matelas de
crin et un matelas de plume, un lit d^enfant en fer, une
petite commode^ une table, deux chaises, et un miroir. Les
chambres sont éclairées à Télectricité et chauffées au moyen
d'un calorifère à eau chaude.
Le prix de pension pour un veuf et un enfant est de
7 s 4 d. par semaine
Pour un veuf et deux enfants.
— et trois enfants.
— et quatre enfants
— et cinq enfants.
8/8
9/6
H/6
13/6
Ce tarif comprend le logement seulement pour les hom-
mes, le logement et la pension pour les enfants. Le tarif de
la pension pour les adultes est le suivant ; déjeûner du ma-
tin 2 1/2 d. ; dîner 4 d. ; thé 3 d. Le family home fournit
des « nurses > sans paiement supplémentaire. Les enfants
sont ainsi surveillés pendant ia journée, peuvent jouer et
dormir dans des locaux spéciaux. Les locataires peuvent
eux-mêmes préparer leur repas dans la cuisine commune
et le manger ensuite dans la salle à manger, ou bien le faire
cuire moyennant payement d'une somme insignifiante. Le
nombre moyen des habitants du home, d'après un calcul
fait sur une période de trois mois en 1905, était de 240.
Cette institution part d'une excellente intention et rend
certainement de grands services à une classe de gens par-
ticulièrement intéressante. Sa principale utilité réside en
ceci que les enfants, au lieu d'être abandonnés à eux-mêmes
en Tabsence du père et de la mère, se trouvent toute la jour-
(i) Municipal Year Book. Edition 1906, p. 486.
3o8 ANNEXE AU CHAPITRE XI
née sous la direction de femmes qui les surveillent et les
instruisent même. C'est d'ailleurs, par le but qu'elle se pro-
pose tout au moins, une institution d'assistance bien plus
qu'une entreprise commerciale ; elle sort un peu des limites
de notre sujet : mais il était intéressant de la signaler. De
même que les autres lodging bouses, le family bome n'est
pas occupé par les plus pauvres des pauvres, mais renferme
fréquemment des personnes gagnant des salaires assez
élevés.
Dès 1853, c'est-à-dire longtemps avant Glasgow, Uud-
dersfield avait bâti une modellodging bouse qui lui avait
coûté £ 5.000 et qui se divisait en trois sections, réservées
la première aux bommes, la seconde aux femmes, la troi-
sième aux gens mariés. L'établissement fut agrandi en
1878. Les hommes payent 3 d., les femmes 5 d., les mé-
nages 6 d. Il renferme 163 lits pour les bommes, 12 pour
les femmes, 10 pour les ménages.
Parmi les autres villes qui possèdent des lodging bouses,
nous pouvons citer Aberdeen (avec 252 lits) ; Belfast (222) :
Croydon (101) ; Darvven (130) ; Lancaster (99) ; Leith
(200) ; Manchester (363) ; Salford (285) ; Soutbampton
(186). Les prix sont généralement plus élevés qu'à Glasgow,
mais ne dépassent jamais 6. d. Londres a également une
lodging bouse à Parker Street (224 lits). D'après le Muni-
cipal Year Book (p. 485, édit. 1906), le coût d'établisse-
ment de ces lodging bouses varie de £ 37 à 71 par personne
que l'on veut y loger.
Dans certaines villes comme Glasgow, les lodging bou-
ses donnent un bénéfice ; dans d'autres, elles sont au con-
traire un fardeau pour les impôts.
497
990
985
931
386
458
1.023
1.134
4.333
4.451
2-020
__
2.602
LES MUNICIPAL LODGING-HOUSGS 3o9
A Belfast les receltes atteignent £ 1.713 les dép. £ 1.730
Darwen —
Huddersfîeld —
l!ancaster —
Leitli —
Manchester —
Salford —
Il existe encore des lodging houses à Blackburn, Bury,
Paîsley et Perth.
Comme nous le disions tout à Theure, les municipalités
ont eu d'excellentes raisons pour s'occuper des lodging
houses ; elles ont établi des modèles intéressants et donné
aux particuliers un bon exemple. Peut-être auraient-elles
pu s'en tenir à une ou deux constructions chacune, au lieu
d'en bâtir sept comme Glasgow qui, selon son habitude, a
cherché à transformer ce service d'assistance en une en-
treprise commerciale ordinaire.
CHAPITRE XII
LES BAINS ET LAVOIRS MUNICIPAUX
Le premier Act relatif aux Bains publics et lavoirs re-
monte à 1846 ; il avait pour but d'encourager et de faciliter
leur établissement : il y a pleinement réussi et le Municipal
Vear Book de i9QQ donne les noms de 225 villes exploi-
tant aujourd'hui des établissement de bains municipaux.
J/Act de 1846 et les mesures complémentaires qu^on a
votées depuis font partie de la série des Adoptive Acts.
c'est-à-dire des lois que les municipalités peuvent à leur gré
adopter ou ne pas adopter.
L' Act de 1878 autorise la construction de piscines cou-
vertes et la fermeture des bains pour les cinq mois d'hi-
ver ; durant ce temps, les bains peuvent être transformés
en gymnases ou lieux de récréation, et d'après TAmending
Act de 1899, on peut même, après autorisation, s'en servir
comme salle de concert ou salle de bal. En vertu de TAct
de 1882, l'autorité locale peut également acquérir ou louer
des bains qui, bien que n'étant pas à l'intérieur des limi-
tes du bourg ou de la paroisse, en sont dans le voisinage
immédiat; mais elle ne doit pas, en établissant ses tarifs,
dépasser ceux qu*ont fixés les lois de 1847 et 1879.
Il n'y a d'ailleurs pas qu'en Angleterre qu'on rencontre
des établissements de bains municipaux ; on en trouve aux
Etats-Unis, en Allemagne, et même on France, où la ville
LG8 BAINS ET LAVOIRS MUNICIPAUX 3ll
de Paris^a depuis 1896, ouvert plusieurs piscines publi-
ques (I).
L'histoire des bains nous montre très clairement com-
ment un servi'^e, qui n'avait rien de commercial à son ori-
gine,se transforme peu à peu en ce que nos voisins appellent
une (c remunerative undertaking ». Nous allons le voir en
étudiant l'histoire et la situation actuelle de quelques villes
anglaises.
La première ville qui ait bâti des bains et des lavoirs
est Liverpool, et sa première intervention en cette matière
remonte à 1842.
Jusqu^à la fm du xviii^' siècle, Liverpool n'eut pas de
bains publics. En 1794 la corporation acheta pour £ 4.000
un établissement privé situé à l'extrémité de New-Quay
qu'elle embellit et agrandit. En 1820 ces bains disparais-
sent pour laisser la place au Prince's Dock ; en 1822 le
conseil décide à nouveau de pourvoir aux besoins de la
population ; il construit les bains de Saint-Georges
(St George*s Baths) qu'il inaugure en 1828. Bâtis sur un
mauvais terrain, leur construction a coûté £ 24.481 ; et leur
entretien continue à coûter très cher chaque année. En 1902,
la dépense totale qu'ils avaient occasionnée depuis leur ori-
gine s'élevait à £ 43 659.13 s. 3 d.
En mai 1842, la corporation élève sur un terrain de Up-
per Frederick Street, le premier établissement de bains
publics d'Angleterre auquel on ait annexé un lavoir. En
1846 elle renouvelle cette expérience sur une plus grande
échelle et bâtit dans Paul Street un établissement qui lui
coûte £ 10.532.
Eu mai 1851 elle ouvre les bains de Cornwallis Street.
En juin 1853, elle inaugure ceux de Margaret Street, en
(1) Cf. Stehblin, Eami sur U socialism'* municipal, Ihôso 1901.
3l2 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XII
1872 elle commence les baîas et lavoirs de Steble Streel
qu elle ouvre au public en 1874. En 1877 elle ouvre les
bains de Westminster Road ; en 1878 les bains et lavoirs
de Lodge Lane et en 1879 ceux de Burroughs Gardens.
Liverpool se trouve être alors la ville du Royaume-Uni
la plus riche en établissements de ce genre. Chacun de ses
districts a son établissement de bains ; aussi pendant 16 ans
n*en bâtit-elle point de nouveaux.
£n 1894 le Baths Committee étudie longuement la ques-
tion de savoir s*il ne faudrait pas fournir des bains en plein
air aux enfants pauvres; ces enfants se baignaient en été
dans Teau sale du canal et les noyades y étaient fréquentes.
En 1895 on inaugure, tout à côté du canal auquel on veut
faire concurrence, les premiers bains de plein air, les Bur-
lington Street Baths. Leur succès est si considérable qu'il
induit le conseil à construire trois autres établissements du
même genre, inaugurés : celui deGore Street en août 1898,
celui de Green Lane en mars 1899, celui de Mansfield Street
en juin de la même année. Les bains de Gore Street et de
MansHeld Street possèdent des gymnases couverts où les
enfants peuvent jouer en sortant de l'eau.
En 1905, 557.569 enfants se sont baignés dans ces quatre
établissements. Durant la belle saison, le bain de Mansfield
Street a été réservé aux filles à onze reprises ; 9.898 s'y
sont baignées. Le plus grand nombre de garçons qui se
soient baignés en un seul jour atteint 4. 817, le 22 juin, à
Burlington Street. En 1902, ces bains gratuits revenaient
à la corporation à 0,45 de penny chacun.
En août 1899, l'ingénieur en chef des bains et lavoirs
soumet au Baths Committee un rapport dont on Tavait
chargé sur la création de bains pour la classe pauvre
(People's Baths).
LES BAINS ET LAVOIRS MUNICIPAUX 3l3
Le terme de People's Baths s'applique aux établisse-
ments employés exclusivement aux soins de propreté et où
Ton donne principalement des bains par aspersion et par
pluie circulaire. Ils ne possèdent pas de piscine pour la
natation. Le conseil acheta donc un terrain à Beacon Street,
dans un quartier pauvre, et qui convenait parfaitement à
une expérience de ce genre. L'établissement fut ouvert le
1 juillet 1902 ; il était en Angleterre le premier dans son
genre.
Par suite de l'extension des limites de la cité, le conseil
a résolu de construire dans Lister Drive et Wavertree de
nouveaux bains qui lui coûtent les premiers £ 24.000, les
seconds £ 26.000. L'on trouve ainsi des bains publics mu-
nicipaux à peu près dans tous les quartiers de Liverpool.
Le Baths Gommittee s*efforce d'administrer ses bains et
lavoirs d'après des principes commerciaux ; mais la ques-
tion pécuniaire cède naturellement le pas à la question
hygiène ; aussi les résultats de l'exploitation ne sont-ils pas
des plus brillants. Gomme le disait Sir Th. Hughes (1):
« Si nous avons établi un grand nombre de bains publics,
ce n'est ni dans l'idée d'en retirer des bénéfices, ni non
plus pour perdre de l'argent, quoique ce soit le résultat
auquel nous soyons arrivés. La ville n'a songé qu'à amé-
liorer l'état sanitaire de ses citoyens les plus pauvres et à
leur donner, notamment pour laver leurs vêtements et
pour se laver eux-mêmes à un prix infime, des facilités
qu'ils ne pourraient trouver chez eux. Les prix ont été fixés si
bas, qu'encore actuellement ils ne paient pas les frais d'ex-
ploitation ; et quant aux frais de construction, c'est la cor-
poration qui les a supportés sur ses ressources person-
nelles. ))
(1) Municipal Trading Report, 1900, quest. 2261.
3l4 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XII
Le comité des bains estime que pour obtenir que les per-
sonnes appartenant aux classes pauvres se baignent régu-
lièrement, il faut enseigner aux enfants les avantages du
bain. C'est à cette fin que, sans parler des bains gratuits
qu*ils peuvent prendre en plein air, l'ensemble des enfants
qui fréquentent les Elementary Schools de la cité ont, du-
rant les heures d'école, le libre usage des piscines dont l'en-
trée est ordinairement payante. En 1905, les enfants des
écoles ont pris ainsi 134.245 bains, soit 13.116 de plus
que Tannée précédente.
L'augmentation graduelle du nombre des baigneurs
payants montre Tutilité qu'il y a à faire baigner les enfants
non seulement dans les établissements à ciel ouvert, mais
aussi dans les établissements payants. En 1894, alors qu'il
n y avait pas encore de bains gratuits, le nombre des bai-
gneurs payants n'était que de 431.894 ; en 1905, avec quatre
bains à ciel ouvert, et les bains gratuits offerts aux enfants
des écoles, on compte 698.211 baigneurs payants, soit une
augmentation de 266.317 personnes, preuve certaine que ce
n'est pas peine perdue de donner à la jeunesse des habi-
tudes de propreté. Les baigneurs gratuits de 1895 forment
une partie des baigneurs payants d'aujourd'hui.
En 1905, le nombre total des bains pris dans les divers
établissements municipaux s*est élevé à 1.396.8i2, dont
1.196.175 bains de piscine et 200.667 bains particuliers;
c'est une augmentation de 94.064 sur le chiffre de 1904;
c'est aussi le chiffre le plus haut qu'on ait constaté jus-
qu'ici.
Il y a 60 clubs de natation pour les hommes, 36 pour
les femmes ; ces dernières fréquentent les piscines davan-
tage chaque année; 19.061 femmes se sont baignées en
1905 dans la seule piscine de Gornwallis Street, la plus
importante de celles qui leur sont réservées.
LES BAINS ET LAVOIRS MUNICIPAUX 3l5
Les bains de piscine de première classe coûtent en gé-
néral 6 d. : ceux de seconde classe 3 d. Les bains particuliers
consistent soit en bains de vapeur (2 s. ou ! s. suivant la
classe) ; soit en bains d*eau de mer (1 s. ou 6 d.), soit en
bains d'eau douce (8 d. ou 6 d.). Les clubs obtiennent des
prix spéciaux pour leurs membres. Liverpool a eu la raison
de ne pas établir de bains turcs, ne voulant s'occuper ex-
clusivement que de la population pauvre.
Ces entreprises pèchent malheureusement par leurs ré-
sultats financiers. Il n*est pas un seul des établissements
de Liverpool qui arrive à couvrir ses dépenses au moyen
de ses seules recettes. En 190ei, les frais d'exploitation s'éle-
vaient à £ 14.842 5 s. 5 d.
et en y ajoutant les versements à faire
au Sinking Fund et le service des in-
térêts à £ 19.405 H 9
les recettes n'étant que de .... £ 9.559 15 4
le déficit atteint .... '. £ 9.845 16 5
Il est à peu de chose près le même tous les ans.
Lavoirs publics.
La corporation possède en outre cinq lavoirs publics dont
trois sont annexés à des établissements de bains. Le plus
récent d'entre eux a été ouvert en juillet 1905. Ils sont si-
tués dans les districts les plus pauvres de la cité, bien ins-
tallés, divisés en stalles où les femmes peuvent commodé-
ment laver leur linge ; dans d'autres salles elles peuvent le
faire sécher et le repasser. Cinq mille familles environ blan-
chissent chaque semaine leur linge dans ces lavoirs. Mais
les statistiques n'indiquent pas de mouvement de progres-
sion très marqué, et la situation reste plutôt stationtiaire
3l6 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XII
depuis quelques années. En 1901, le nombre des laveuses
était de 188.209 et les recettes s'élevaient à £2. 212. En
1905 il n'y a plus que 182. 6S4 laveuses, et les recettes sont
descendues à £ 1.962. Le rapport de 1905 explique assez
vaguement cette baisse en disant que trop de personnes
manquent d*emploi dans les classes ouvrières.
Il semble que Liverpool ait fait jusqu*ici tout ce qu*une
ville peut faire au point de vue hygiénique et sanitaire dans
l'intérêt des classes ouvrières. C'est une expérience qui lui
coûte cher cependant, puisqu*après avoir dépensé un capi
tal de £215.305, elle se trouve chaque année en déficit d'une
somme de 9.000 à 10.000 £ environ.
Birmingham.
Cinq ans après le vole de la loi sur les bains de iBiti,
c'est à-dire en 1851, Birmingham décidait deTadopter. Elle
éleva cette année là dans Kent Street les premiers bains
publics qu'elle ait bâtis ; ils lui coûtèrent environ £ 20.000.
Ce fut, parait-il, un grand succès, et une centaine de mille
de baigneurs les fréquentèrent dès la première année. En
1860, la corporation ouvre un second établissement, celui
de Woodcock Street, un troisième en 1862 à Norlhwood
Street ; en 1863, elle inaugure un quatrième établissement,
et le nombre des baigneurs atteint bientôt 400.000 par an.
Ces bains peuvent servir tout Tannée et sont chauffés durant
rhiver. En 1883 on bàtitlesbainsdeMonument Road; puis
vingt ans se passent sans qu'on fasse rien ; enfin en 19U2
on inaugure ceux de Green Lane, à Small Heath.
Il faut chercher la raison de cette inaction prolongée dans
le peu de succès qu'avaient rencontré les premiers efforts
faits par le Conseil municipal pour encourager la propreté
LES BAINS ET LAVOIRS MUNICIPAUX 817
et Tart de la natatioa. Les statistiques n*étaient pas récon-
fortantes en efTet; le nombre des baigneurs n'augmentait
plus, il diminuait même , de 445.545 en 1884, il descendait
progressivement à 318 864 en 1894-1895 pour remonter à
479.633 en 1899-1900. Ce n est que dans les dernières
années que le mouvement ascensionnel a repris. Dans les
12 années qui vont de 1851 à 1864,Ies bains rapportaient un
léger bénéfice (à condition de ne pas tenir compte, à vrai
dire, des intérêts du capital dépensé). Actuellement, l'argent
versé par les baigneurs a depuis longtemps cessé de couvrir
les frais d'exploitation. De 1890 à 1900, la perte moyenne
annuelle a été de £ 3.500 ; elle est bien plus considérable
aujourd'hui.
« En 1900, disait M. Vince {op. cit. , p. 152), pour chaque
ticket d'entrée distribué, le contribuable verse 2 1/4 d. On
comprend que dans ces conditions, le Conseil ait montré
quelque répugnance à construire de nouveaux établisse*
ments. Ce n'est qu'après quinze ans de discussions et de
projets, qu'il donna son consentement à celui de Green
Lane, ouvert en 1902. De même que Liverpool, Birmingham
a installé des bains gratuits en plein air dans les parcs de
Cannon Hill et de Victoria.
A Cannon Hill, on comptait 31.565 baigneurs en 1903,
41.453 en 1904, 80.565 en 1905. A Victoria Park, 21.144
en 1903, 30.133 en 1904, 38303 en 1905, soit un total pour
1905 de 138.868 baigneurs de plein air.
De même que Liverpool, Birmingham a voulu offrir des
bains gratuits aux enfants des écoles ; en 1904-1905, 80.423
enfants des écoles élémentaires delà cité en ont profité ;
on n'en comptait que 65.973 l'année précédente. La cor-
poration de Birmingham est encore en train de faire cons-
truire des bains à Balsall Heath, et elle en pousse active-
3l8 PUEMIÈRE PAUTIE. CHAPITRE XII
ment la construction dans le but de fournir, dit le Baths
Comniittee, de Touvrage aux ouvriers sans travail durant
l'hiver (Rapport du Baths Committee 1905, p. 6).
Birmingham a dépensé pour la construction de ses bains
un capital de £ 129.803. En 1904-1905, les recettes se sont
élevées à £ 7.282 9 3. 1 d.
Les dépenses à . . . . 15.933 5. 7
soit un déficit de ... . £ 8.650 16 s. 6 d.
(sont inclus dans le chiffre des dépenses le paiement des
intérêts et les versements au Sinkiag fund).
Quelque intérêt qu'il y ait à ce que la population prenne
des habitudes de propreté, il semble que la ville prodigue
un peu largent des contribuables en perdant £ 8.650 dans
une entreprise de ce genre.
Birmingham n'a pas installé de lavoirs municipaux,
chaque famille habitant en général une petite maison sé-
parée, où elle peut faire sa lessive, et non pas d'immenses
bâtisses, communes à des centaines de locataires, comme
nous en avons rencontré à Liverpool ou à Glasgow.
Glasgow.
Dès 1862, la ville de Glasgow obtint l'autorisation d'éta-
blir des bains publics, et en 1875, elle commença la cons-
truction d'un premier établissement qu'elle ouvrit en 1878.
On compte aujourd'hui, dans cette ville, 8 établissements
de bains municipaux et 6 lavoirs publics. Les bains y sont
excessivement bon marché, et dans plusieurs d'entre eux, le
bain de piscine ne coûte que 2 d. L'installation des lavoirs
est bien comprise ; pour une somme de 2 d. la femme qui
vient y laver son linge a à sa disposition un système de
chaudières perfeclionné, des baquets et de l'eau chaude et
LES BAINS ET LAVOIRS MUNICIPAUX SlQ
froide à volonté. La lessive faite, le linge est séché en deux
ou trois minutes au moyen de machines centrifuges, puis
posé sur des cadres mobiles qui remmènent dans une
chambre à température élevée. Enfin, si elle le désire, elle
peut se servir d*une large calandre, mue comme tout le
reste de la machinerie à la vapeur ; au bout d'une heure,
elle rentre chez elle avec son panier d'effets blanchis, séchés
et repassés.
Mais, chose encore plus intéressante pour nous, la cité
dirige dans chacun de ces établissements une blanchisserie
qui recrute sa clientèle dans toutes les classes de la société.
C'est sans doute le désir d'atténuer le déficit que laisse
chaque année l'exploitation des bains et des lavoirs qui a
poussé la corporation & se lancer dans cette entreprise ;
malgré ses efforts, elle n'y réussit guère. En 1904-1905,
les dépenses des établissements de bains se sont montées à
£26.842 18 s. 4d. et les recettes à £ 16.295 1 s. 4 d.,
laissant un déficit de £ 10.547 17 s. 0 d. qui monte même
à £ 18.000 si l'on tient compte du service des intérêts et
du Sinking fund qui s'élève pour cette dernière année à
£7.508. Glasgow a dépensé pour la construction de ses
bains et lavoirs une somme totale de £ 240.960.
Manchester.
Manchester adopta en 1877 la loi sur les établissements
de bains. Elle en possède aujourd'hui dix et en construit
encore deux nouveaux. On peut y prendre des bains de
toutes sortes : bains de baignoire ordinaires, bains de pis-
cine, bains turcs, etc. Les prix y sont excessivement bas : le
bain de piscine de première classe coûte 4 d. pour les adul-
tes, 2 d. pour les garçons au-dessus de 14 ans ; le bain de
320 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XII
deuxième classe, 2 d. pour les adultes et 1 d. pour les
garçons au-dessous de 14 aas. Le mercredi, les bains ne
coûtent même que 1 d. pour les hommes, 1/2 d. pour les
enfants. Manchester possède aussi des piscines pour les
femmes ; le prix du bain y varie de 4 d. à 1/2 d. Elle possède
enCn deux lavoirs publics, l'un à New-Islington, l'autre dans
Pryme-Stret. Moyennant le paiement de 1 1/2 d. pour une
heure, les femmes ont droit àTusagede l'eau, des baquets,
des chaudières, séchoirs, calandre mue & la vapeur, fers à
repasser, etc.
La municipalité fait imprimer des prospectus donnant
l'adresse de ces établissements de bains et leurs prix, avec
les heures d*ouverture et de fermeture, les conditions spé-
ciales faites aux clubs, aux écoles, etc., le nom du Superin-
tendent gênerai et son n° de téléphone. On voit que la cor-
poration désire qu'on se serve de ses bains et qu^elle ne
reste pas inactive. N*empèche que, malgré tout, ses établis-
sements lui coûtent fort cher ; en 1904-1905 les dépenses se
sont élevées à £ 26.743
Les recettes à 7.051
Soit un déficit sur l'exploitation seule
de 19.692
Que le service des intérêts et du Sin-
king fund s'élevant à 5.878
porte à 25.570
C'est tous les ans à peu près la même chose ; pour
1906-1907 on estime que le déficit se montera à £ 22.986.
Manchester a, depuis 1877, dépensé pour la construction
de ses bains un capital total de £ 216.565.
Parmi les villes qui possèdent des établissements de bains
municipaux et n'ont pas à se féliciter des résultats de leur
LES BAINS BT LAVOIRS MUNICIPAUX 331
exploitation, nous pouvons citer Battersea (1) où les dé-
penses s'élèvent à £ 15.619 et les recettes £ 3.606 ; capital
dépensé £ 95.000. Belfast : recettes £ 2.478, dépenses
£ 7.052, capital £ 38.350. Brighton : recettes £ 1.923, dé-
penses £ 4.393, capital £ 22.205. Cdimbourg : recettes
£6.147, dépenses £ 13.061. capital £ 87.327. Leeds : re-
cettes £ 4.452, dépenses £ 9.138, capital £ 114.743. New-
castle upon Tyne : recettes £ 4.452, dépenses £ 10 348, capi-
tal £ 35.679. Oldham : recettes £ 2.138, dépenses £ 6.959,
capital £ 104.709. Shoreditch : recettes £ 5.130, dépenses
£ 16.958, capital £ 149.268, etc. (Dans le chiffre des dé-
penses sont comprises les sommes payées en intérêts ou en
versements au Sinking fund).
£n somme, on peut dire que toutes les villes anglaises
perdent sur le service des bains, lin rapport annexé diU Mu-
nicipal Trading Report de 1903 et relatif aux « Reproductive
undertakings » le constatait déjà ; de 1898 à 1902, c'est-à-
dire durant quatre ans, la perte annuelle moyenne des villes
anglaises a été de £ 124.295.
Toutes n'ont pas eu cependant, pour excuser des dépenses
et des pertes aussi considérables, le souci de Thygiëne publi-
que et de la santé de leurs habitants ; et nous ne voudrions
pas terminer ce chapitre sans rappeler l'exemple d'une d'en-
tre elles qui n*a dépensé des sommes importantes que dans
un esprit de lucre et de spéculation ; nous voulons parler
d'Harrogate. Nous empruntons les renseignements suivants
au Municipal Trading Reportde 1900 (déposition de M. Ward,
alderman du borough d'Harrogate et chairman du Baths
Committee (p. 202).
En 1884, la ville d'Harrogate, qui venait de recevoir sa
(t) Voir le Municipal Year Book de 1906.
Boverat 21
333 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE XII
charte d'incorporation, envoya une commission sur le con-
tinent pour étudier les divers systèmes de bains. Au cours
de son voyage en Europe, cette commission remarqua que
le gouvernement et les autorités municipales de divers pays
possédaient de vastes établissements et elle en fît part au
Conseil municipal, lequel mis au courant de cet état de
choses, n*eut rien de plus pressé que de le copier pour faire
concurrence aux stations thermales du continent. Il acheta
un terrain sur lequel s'élevait un ancien établissement de
bains connu sous le nom de « Old Montpellier Baths », de
construction toute primitive et dans un état de délabrement
pitoyable ; il le fit démolir, en construisit un nouveau, les
Royal Baths, magnifique établissement qui lui coûta
s: 120.000. (( Dans cet établissement, dit M. Ward, nous ne
donnons pas seulement des bains sulfureux, mais encore
une grande variété de bains, comme on en donne sur le
continent, des douches, des massages, etc. ; des bains où
Ton combine les effets des rayons lumineux et des rayons
caloriques, des bains de tourbe, des bains de couleur {sic}
et d'électricité (colour and electric baths) et tous les bains
spéciaux de la thérapeutique moderne (1). >'
Comme il est essentiel d'autre part, quand on fait une
saison d'eaux dans un endroit quelconque, d'y trouver des
distractions, Ilarrogate fut autorisée à en donner à ses bai-
gneurs : elle possède une salie de concert et un orchestre de
tout premier ordre (lirstciass band;, qui joue le matin pour
les buveurs d'eau, l'après midi pour les promeneurs dans
le petit parc que possède la corporation, et le soir pour les
personnes qui fréquentent la salle de concert (2).
« Nous avons, en outre, ajoute M. Ward, envoyé une
(1) Municipal Trading Report. Question 2530.
(2) Question 2534.
LES BAINS ET LAVOIRS MUNICIPAUX SlS
députation sur le continent pour y examiner le système des
Kursaals.et nous nous proposons d'en construire un qui coû-
tera £ 35.000, afin de donner des distractions aux baigneurs
qui se plaignent de n'en avoir pas assez. Les malades boivent
de Teau et prennent leurs bains, mais demandent aussi
qu'on les amuse; puisque les particuliers ne leur fournis-
sent pas assez de distractions, c'est à la corporation de s*en
cbarger. »
La population de Harrogate a augmenté rapidement ; elle
était de 4.200 habitants en 1861, de 13.900 en 1891, de
21.000 en 1900, de 31.000 en 1905 ; c'est fort heureux pour
elle, car la dette du Borou^h, qui s'élevait en 1900 à
£ 660.000, s'élève en 1905 à £910.000. Les^sommes dépen-
sées pour la construction des bains atteignent £ 194.170.
En 1904-1905 les recettes se montent à £23 575, les dépen-
ses à £ 23.626.
M. Ward reconnaît bien qu'on fait une perte sur les
bains (1) ; « mais notre situation est quelque peu singulière,
dit-il, c*est cette perte qui nous fait vivre. Le bénéfice que
retire indirectement la ville de Harrogate du séjour qu'y
font une foule d'étrangers fait plus que compenser la perte
directe que nous pouvons faire sur l'exploitation de nos
établissements. En notre qualité de corporation, nous som-
mes en état d'agir ainsi ; il serait absolument impossible à
une Compagnie d'en faire autant, puisqu'elle ne pourrait
tirer de son exploitation le revenu nécessaire au paiement
de ses dividendes. » La perte qui résulte de l'application de
cette méthode est naturellement comblée à Taide d'un im-
pôt dont le taux croit ou décroît suivant que le déficit est
plus ou moins considérable.
(t) Question 2541.
324 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE XII
Harrogate compte d'ailleurs parmi les municipalités les
plus entreprenantes, bien qu'elle soit une ville de fondation
récente. Elle a municipalisé le plus de services qu'elle a pu
et possède, depuis 1893, le droit de faire de la réclame, droit
qu'on n'a que très rarement accordé aux municipalités an-
glaises. Elle pose des affiches dans les gares de chemins
de fer, donne aux Compagnies des vues de la ville, pour
qu'elles en ornent leurs wagons, et met des annonces dans
les journaux et dans les revues médicales.
Harrogate est, après bien d'autres* un exemple frappant
de la légèreté avec laquelle les petites villes anglaises se
la ncent dans des entreprises municipales excessivement
coûteuses et sortent des fonctions que la loi assigne aux
municipalités pour empiéter sur un domaine que la pru-
dence la plus élémentaire recommande de laisser à l'action
individuelle.
L'institution des bains publics est chose excellente en
elle-même, et d'un point de vue hygiénique on ne peutque
féliciter les municipalités anglaises des efforts qu'elles ont
faits.
Nous remarquerons toutefois avec le Times j que les dé-
penses considérables qu'a provoquées la construction des
piscines prêtent à de sérieuses critiques. La natation rentre
plutôt dans le chapitre des sports que dans celui de la santé
publique. Bien que la propreté, et par conséquent les bains,
soient essentiels à la santé, l'homme qui n'est pas propre
en se jetant à la piscine risque de contaminer les autres bai-
gneurs, quelque bénéfice qu'il puisse dériver lui-même de
son immersion. C'est un fait aujourd'hui établi qu'à peu
d exceptions près les piscines municipales entraînent une
perte annuelle ; puisqu'il en est ainsi, il faut bien se deman-
der si les autorités locales ne pourraient pas satisfaire aux
LES BAINS ET LAVOIRS MUNICIPAUX 325
besoins de la commuDauté sans se lancer dans des dépen-
ses aussi follement prodigues que celles qui figurent souvent
sous ce titre. L'on voit sans cesse des municipalités dépen-
ser pour un seul établissement de bains des sommes énor-
mes variant de £ 25.000 à £ 60.000 ; à moins d'avoir la cer-
titude qu'ils feront leurs frais, on devrait, semble-t-il, les
construire de façon plus économique.
Battersea n'a-t-elle pas dépensé £ 56.000 à construire
UQ second établissement de bains, les Nine Elm Baths,
alors que le premier suffisait parfaitement? Le Fulham
Borough Council a consacré £ 43.000 à bâtir des bains et
des lavoirs qui, si nous en croyons un discours prononcé
par le maire lors de leur inauguration, resteront vingt ou
trente ans sans rien rapporter à la ville. Jusque-là le con-
tribuable aura à payer chaque année un impôt supplémen-
taire de 2 d. par £ pour combler leur déficit.
Liverpool parait au contraire avoir trouvé la vraie solu-
tion en ouvrant dans certains districts des bains à ciel
ouvert dont il est cependant possible de chauffer Teau ;
leur installation n*a pas coûté cher (entre £ 700 et £ 3.000)
■
et ils répondent, tout aussi bien que des bâtiments somp-
tueux, au but que Ton se propose. Quant aux lavoirs
annexés aux bains publics, ils peuvent sans doute rendre
de grands services aux femmes des classes pauvres ; mais
l'usage qu^on en fait ne justifie pas toujours les dépenses
considérables qu'ils occasionnent. A Shoreditch, à Liver-
pool (voir les rapports du Comité des bains de cette ville)
et dans d'autres endroits, on a souvent remarqué que les
lavoirs servaient à des femmes qui lavaient non le linge de
leurs familles, mais celui d'autres personnes, et qui faisaient
ainsi concurrence aux blanchisseuses de métier.
Quant aux bains turcs, bains russes, bains de vapeur,
320 PREMIERB PARTIE. — CHAPITRE XII
baÎQS spéciaux et médicaux de tous genres, qui tous ne
vivent que grâce aux subventions de l'impôt, on cherche
vainement la raison de leur création ; et Ton se demande
avec anxiété si Ton ne pourrait pas parfois prendre un peu
plus en considération les intérêts des contribuables.
CHAPITRE XIII
LBS MARCHES BT ABATTOIRS MUNICIPAUX.
Si nous avions, dans cette étude des entreprises munici-
pales, suivi Tordre chronologique, c'est par les marchés
qu'il nous eût sans doute fallu commencer. Dès le Moyen-
âge on a vu dans le centre de TEurope maintes municipa-
lités posséder leurs marchés, et bien des villes allemandes
pourraient en retracer Thistoire jusqu'au xni^, certaines
même jusqu'au x* siècle. En France, avant la Révolution,
les privilèges relatifs aux marchés appartenaient en général
aux seigneurs justiciers ; ce n*est qu'en 1790 que les com-
munes les leur reprirent. Ces privilèges furent, en Angle-
terre, accordés à l'origine par la couronne, plus tard par le
Parlement, et indifféremment à des particuliers ou à des
municipalités.
Ce n'est qu'au milieu du xix^ siècle qu'un mouvement
favorable au rachat des marchés, jadis concédés à des parti-
culiers, commença à se dessiner ; plusieurs des grandes
villes anglaises les rachetèrent & cette époque aux « Lords
of the Manor».
Le mouvement conserve aujourd'hui encore toute son
intensité ; le total des emprunts contractés par les autorités
locales pour le rachat ou la construction de marchés s'éle-
vait en 19021903 à £ 7.663.708, et les emprunts faits du-
rant la seule année 1902-1903 à £ 458.782.
L'administration et l'exploitation d'un marché réunissent-
338 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XIU
elles les éléments, les caractères d'une entreprise commer-
ciale ? Etant donné les habitudes françaises, il est permis
d*hésiter avant de répondre, et à première vue oo serait
tenté de dire que c'est une erreur de faire rentrer une entre-
prise de ce genre dans une discussion sur le socialisme mu-
nicipal. Nous remarquerons simplement, quant à nous, que
ces marchés constituent fréquemment des propriétés fort
rémunératrices ; et si le lecteur veut bien se rappeler qu'aux
marchés municipaux on ajoute actuellement comme an-
nexes des abattoirs, des caves frigorifiques, la fabrication
même et la vente de la glace, il comprendra aisément la
difficulté qu'il y a à laisser les marchés municipaux en
dehors d'une étude sur le Municipal Trading.
Les sections 166 et 167 du Public Health Act de 4873,
indiquent de quels pouvoirs jouissent les autorités urbaines
relativement à l'établissement des marchés. La première
de ces deux sections donne aux urban district councils,
avec le consentement des propriétaires et des contribuables
du district, ou auxtown counciis avec le consentement des
deux tiers de leurs membres, le droit d*établir et de bâtir
un marché à condition de ne pas porter préjudice aux pri-
vilèges que pourrait déjà posséder dans le même district une
personne quelconque, et sans s'être au préalable assuré de
son consentement. L'emplacement choisi doit être situé
dans le district ou le Borough lui-même, et les règlements
relatifs au marché ne peuvent être mis en vigueur, ni les
péages levés avant d'avoir reçu la sanction du Local Govern-
ment Board.
Pour ce qui est des abattoirs, les Anglais sont, au point
de vue municipaliste, assez en retard sur les pays de l'Eu-
rope continentale ; ils espèrent pourtant voir bientôt dispa*
raitre dans toutes les grandes villes les établissements par-
LES MARCHÉS ET ABATTOIRS MUNICIPAUX 32g
ticuliers de ce genre qui y existent encore. « Il y a 18 ans,
dit le Municipal Year Book {édii. 1906, p. 503), le nombre
de villes, petites on grandes, qui avaient contracté des em-
prunts pour construire des abattoirs n'était que de 27 ; il
y a 11 ans, il était de 48. Il dépasse aujourd'hui la cen-
taine. )) Â Londres, la plus grande partie des bêtes abattues
le sont encore dans des abattoirs particuliers. Glasgow pos-
sède le plus grand marché de bétail et le plus grand abat->
toir public d*Ecosse. Edimbourg en a construit un aussi,
et Leeds possède un magnifique abattoir, véritable modèle
de ce qu'il faut à une grande cité moderne.
Le Public Health Âct de 1875 laissait aux municipalités
etauxurban councils le soin de construire des abattoirs
et de rédiger les règlements relatifs à leur exploitation ; il
leur donne le droit d*accorder ou de refuser les licences
nécessaires à la création de nouveaux établissements par
des particuliers. Les fonctionnaires désignés par eux pour-
ront, à tout moment, pénétrer dans les bâtiments utilisés
comme abattoirs et procéder à leur inspection. La licence
n'est accordée que pour un temps donné, et toute condam-
nation prononcée pour vente ou mise en vente de viande
malsaine en autorise la révocation.
G*est le souci de la santé publique qui pousse évidem-
ment ici les municipalités à intervenir, et en général les ré-
sultats de leur intervention ont été plutôt bienfaisants. Il y
a près de 600 ans, en 1338, un décret défendait aux bou-
chers d*Oxford d'abattre le bétail à Tintérieur de la ville,
'( parce que plusieurs personnes de marque étaient mortes,
empoisonnées par les mauvaises odeurs » (1). On rapporte
que plus tard, et jusqu'en 1852, le Sniithlield Market de
(1) Voir le Municipal Year Book, 1906, p. 504.
33o PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE XIII
Londres fut t< une abomination pour la ville et une honte
constante pour ses autorités )>. Un grand nombre des abat-
toirs particuliers existant encore dans les grandes villes
anglftiaes ne sont pas aménagés pour Tusage auquel on les
emploie. Us ii*oiit en général ni assez dVir, ni assez d'eau,
et il n*est malheureuseoient pas toujours possible de les
inspecter de façon suffisante et de garantir le public con-
tre la consommation de viande malsaine ou malade. L'é-
tendue du danger ressort des constatations dn professeur
Fleming, suivant lesquelles 5 Vo environ du bétail anglais
serait tuberculeux. Dans les abattoirs municipaux la vente
de viande malade est sinon impossible, du moins très diffi-
cile. C'est donc bien un but hygiénique qu'ont poursuivi les
municipalités en établissant ces abattoirs ; mais il nous faut
reconnaître que même au point de vue financier ils n'ont
pas donné de mauvais résultats.
Examinons maintenant les marchés de quelques grandes
villes et les résultats de leur exploitation.
Olasgcw.
Glasgow confiait jadis à son Town Council le soin de fixer
le prix de la viande et de la boisson. Le commencement du
XIX* siècle vit disparaître les restes de cette réglementation
moyenâgeuse, et depuis 1846 tous les droits de douane et
d'octroi qui frappaient les marchandises à leur entrée dans la
ville ont été abolis. En 1865 la corporation obtint par une loi
le contrôle et la réglementation de ses marchés, et elle pos-
sède aujourd'hui : 1"" le marché central des fruits et légumes
(fruit and vegetable market), où se traitent toutes les
affaires de commission et de gros ; 2"* le marché au poisson
(fish market) ; 3^ le marché des vieux habits (old clothes
LES MARGHés ET ABATTOIRS MOMIGIPAUX 33 1
market) ; i" le marché au bétail où Ton vend chaqae aa«
née 4 ou 500.000 bêtes élevées dans le pays même ; 5*" le
marché de la viande abattue (dead méat market), établi en
1876 lorsque Timporlation du bétail d'Amérique prit une
grande extension ; 6*" les abattoirs municipaux ; 7"" les
grands parcs et abattoirs des docks, situés des deux côtés
de la Glyde, à Yorkhill et à Shieldhall. Le bétail importé
vivant d*Amérique doit, en vertu des règlements sanitaires,
être abattu dans les docks mêmes pour prévenir la propa-
gation des maladies contagieuses.
Glasgow a consacré £322.934 à la construction de ses
marchés. En général les recettes suffisent à couvrir large-
ment les dépenses, et pendant longtemps le revenu net
moyen qu*ont donné les marchés s'est maintenu à £ 5.000.
L'année 1904 1905 a été moins bonne que les précédentes
et n'a donné qu'un bénéfice de £ 724. 12 s. 1 d. ; le revenu
ordinaire s'étant élevé à £ 29.629 9 s. 6 d., les dépenses à
£ 28.904 17 s. 5 d. (y compris le service des intérêts et les
versements au Sinking fund).
Birmingham.
La ville de Birmingham racheta en 1824 à leur proprié-
taire, pour une somme de £ 12.300, les marchés, les ter-
rains sur lesquels ils s*élevaient, et les privilèges concédés
en même temps qu'eux. Elle possède aujourd'hui sept
marchés : l"" le Market Hall, sorte de halle centrale et de
marché général dans les sous-sols duquel on a établi de
vastes caves frigorifiques ; 2"" le vegetable market pour la
vente en gros des légumes ; 3*" le marché au poisson ;
i^ le marché de la viande ; 5* un marché aux cochons (pig
market) ; 6® un autre marché pour la viande (city méat
332 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE XIH
market) ; 7"* un marché pour le bétail. Birmiagham pos-
sède égalemeut un vaste abattoir placé sous la directioa de
la muaicipalité* Le capital total consacré par la ville à Tac-
quisition et la construction de ses marchés s'élève (1) à
£ 443.103, sur lesquelles on a demandé à l'emprunt
£ 307.715. Les dépenses pour Tannée 1904-1905 se sont
montées à £ 34.842, les recettes à £ 38.488, laissant à la
ville un bénéfice de £ 3.646.
Depuis 20 ans, la corporation a dépensé plus de £ 200.000
à Tagrandissement et h la construction des marchés. L'aug-
mentation des recettes est heureusement venue compen-
ser Taugmentation des charges annuelles ; ajoutons que la
corporation n'a pas cherché à abuser de ses a market rights »
et à en tirer de trop gros profits ; c'est ainsi qu'elle devait
agir d'ailleurs, puisque c'est un droit qu'elle n'exerce que
dans l'intérêt général. Le Conseil municipal n'a voulu,
dit-on, que faciliter leur tâche aux commerçants en leur
fournissant une meilleure installation et développer, autant
qu'il dépendait de lui, l'importance de Birmingham en tant
que centre de distribution des objets d'alimentation.
Depuis une vingtaine, d'années les bénéfices varient de
£ 1.000 à £ 4. 000.Depuisl885,seuIe l'année 1894-1895 s'est
soldée par un déficit de £ 629. Les revenus des marchés,
qui n'étaient que de £ 19.541 en 1885, ont atteint, comme
nous Tavons vu, par une progression constante le chiffre de
£ 38.488 : les dépenses ont suivi le même mouvement et
sont passées de £ 15.763 en 1885 à £ 34.842 en 1905.
Manchester.
La ville de Manchester est, comme les précédentes, pro-
V
[1^ Birmingham Financial Slalement^ 1904-1905, p. 85.
LES MARGHlSs ET ABATl^OIRS MUNICIPAUX 333
prictaire de ses marchés. Elle les racheta au « Lord of the Ma-
nor », sir Oswald Mosley, en 1846, en vertu d'un Act local
voté dans ce but deux ans auparavant. Le prix du rachat
fut fixé à £ 200.000, et l'on convint que la corporation se
libterait par versements annuels de £ i.OOO ; ces verse-
fts ont cessé il y a une dizaine d'années.
Depuis 1846 la corporation a notablement agrandi ses
[arches ; elle en a créé de nouveaux, elle a établi des abat-
>irs et, depuis que le percement du canal maritime a fait
le Manchester un port, elle a construit des wharfs pour le
fdébarquement du bétail importé et des abattoirs spéciaux
.M pour lui. Outre les £ 200.000 versées au Lord of the Manor
pour le rachat de son privilège, la ville de Manchester a dé-
pensé pour ses marchés une somme de £ 620.798, ce qui
porte le total actuel de ses dépenses à £ 820.798. Les recet-
tes de ce service ont toujours dépassé les dépenses, et de-
puis 1884 les sommes annuellement versées par lui au Bud-
get communal en aide des impôts ont varié de £ 10.000 à
£ 17.000, la moyenne oscillant aux environs de £ 15.000.
En 1904-1905 (1), les recettes se sont élevées à £ 73.956
13 s. 9 d. ; les dépenses (intérêt et amortissement compris)
à £ 62.114.4 s. 11 d., soitunbénéBce de £ 11.842 8 s. lOd.
qu'on a versé au surplus et Sinking fund.
)^ Mais comme on avait, d'autre part, promis de verser
% m^ 14 000 pour venir en aide aux impôts, on a retiré de ce
^^Jurplus et Sinking fund £ 14.000 après n'y avoir versé que
£ 11.842 seulement.
De même qu'à Birmingham, les recettes et les dépenses
ont depuis 20 ans constamment progressé. De £ 45.124 en
1885, les premières sont aujourd'hui passées à £ 73.956,
(1) Manchester, Abslraci of Accounis, p. 826
334 PREMIÈRE PARTIE. >-- CHAPITRE XIIJ
les secondes de £ 30.592 à £ 62.114; comme la somme
versée en aide des impôts est fixée à Tavatice et lors de ré-
tablissement du budget, elle s*est fréquemment trouvée
supérieure aux bénéfices réalisés, ainsi que le montre
l'exemple de l'année 1905. En 1885 le bénéfice était de
£ 14.532 ; la somme versée aux impôts fut de £ 13.000 ; en
1887 le surplus est de £ 11.711, on verse aux impôts
£15.000; en 1895 le surplus est de £ 13.500, versé aux
impôts £ 16.000. En 1900, surplus de £15.117, versé aux
impôts £17.000.
Manchester possède aussi des caves frigorifiques (coldair
stores) dont la construction a coûté plus de £ 80.000. On
s'en sert principalement pour conserver la viande fraîche,
u Quelque encombrement qu'il y ait sur le marché, disait
M. Southern au comité de 1900, que ce soit de poisson ou
de toute autre marchandise, on a recours à ces magasias
où tout se conserve en parfait état. »
En 1906-1907, les marchés ne verseront au budget qu'une
somme de £ 1.064 par suite des frais d'exploitation et des
réparations qui atteindront cette année un chilTre très élevé.
Manchester possède actuellement 4 abattoirs, 6 marchés.
2 caves à air froid, et un wharf pour le bétail importé Je
Tétranger.
Iiiverpool.
Liverpool possède un marché municipal depuis 1709;
année oii la Reine Anne concéda par une charte « à ses
<imés et féaux sujets les maire, baillis et citoyens de la ville
de Liverpool le droit de posséder et d'exploiter un nouveau
marché, dy lever et d'y recevoir des droits, profits etavan-
tages légaux et raisonnables, à eux et à leurs successeurs,
et pour toujours » (1).
J1) Voir Liverpool Congress, p. 146.
i
LES MARCHES ET ABATTOIRS MUNICIPAUX 335
En 1819 la corporation obtint du Parlement une loi qui
l'autorisait à lever des droits de péa^e et de location dans
tous les marchés actuels ou futurs et à faire tous les règle-
ments qu elle jugerait utiles à la bonne organisation et au
bon fonctionnement de ses marchés. Plusieurs Acts addi-
tionnels sont venus, depuis le vote de cette première loi, fixer
les pouvoirs de la municipalité en cette matière. Elle possède
actuellement six marchés qui lui ont coûté, tant pour Tachât
du terrain que pour la construction des bÂtiments, £284.144,
11 s. 10 d. Us sont placés sous le contrôle d'un xMarketCom-
mittee qui se divise en autant de sous-comitos qu'il y a de
marchés. Leurs membres se réunissent une fois par semaine
au marché même pour y régler les questions courantes
telles que les loyers des stalles, etc. (1).
Liverpool possède, pourrait-on dire, deux espèces de
marchés : les uns où se traitent les affaires de gros, où les
principaux fermiers vendent aux grands marchands de
comestibles, les autres où les petits fermiers viennent eux-
mêmes vendre leur marchandise au détail à la population
des quartiers pauvres.
Les recettes des marchés se sont élevées en 4905 à
£ 37.174 1 s. 5 d., les dépenses à £ 19.437 10 s. 2 d., soit
un bénéfice de £ 17.736 11 s. 3 d., équivalant à un intérêt
de 6 1/4 Yo du capital dépensé.
La dette contractée par la corporation pour ses marchés
s'élève à£40. 633 13 s. Od. Les profits que procure l'exploi-
tation de ce service vont au General city fund, c'est-à-dire
en aide des impôts.
Les marchés de Liverpool, au nombre de 6, sont : 1"" le
St-Johns Marketoù Ton vend un peu de tout : fruits, fleurs,
(f) Municipal Trading Report, 1900. Quest. 2252.
336 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE XIII
légumes, viande, volaille, etc. ; très fréquenté par le pu-
blic qui y trouve réuni en un même endroit tout ce dont il
a besoin; 2^ le marché au poisson pour la vente au détail
(Retail iish market) ; S"" le marché au poisson pour la vente
en gros (Wholesale fish market) ; on a apporté à ce marché
en 1905 : 526.095 caisses de poisson pesant environ i5.93''i
tonnes ; 4^ le marché en gros pour les légumes, fruits el
foin ; on estime à 74.147 tonnes le poids des produits agri-
coles, à 22.067 tonnes le poids du foin qu'on y a apporté
durant l'année ; o*" le St-Martins Market, pour la vente
d'objets fabriqués de peu de valeur ; on y trouve de vieux
habits et toutes sortes d'objets d*occasion ; c'est le marché
qui rapporte le moins à la corporation, mais il rend des
services à la classe pauvre ; 6** le marché au bétail (catile
market) fondé par une Compagnie en 1832 et racheté en
1900 pour £ 38.200 parla corporation, lorsqu'elle voulut
placer le commerce du bétail sous le contrôle municipal.
Près de 400.000 têtes de bétail y sont passées en 1905 ;
soit 340.000 moutons et 40.000 bêtes à cornes environ. Ce
chiffre est inférieur à celui des années précédentes. En 1902
le nombre des bètes vendues à ce marché atteignit 5S1.000.
Le Cattle market reçoit le bétail importé vivant d'Irlande
et du Canada ; l'importation de ce bétail d'Amérique est
soumise à certaines restrictions sanitaires, gênantes, paraît-
il ; et Liverpool, qui est avec Londres le port oii Ton en
débarque la plus grande quantité, désirerait vivement voir
lever ces restrictions qui nuisent, dit-elle, à l'extension de
son commerce.
On oblige en effet à abattre le bétail au port de débar-
quement, par crainte des maladies contagieuses. Ce cattle
market est le seul des marchés municipaux qui ne rap-
LES MARCHES ET ABATTOIRS MUNICIPAUX
337
porte rien à la ville de LiverpooL En 1905, son bilan s'est
tradnit par un déGcit de £ 1.372 Os. 3 d.
Les recettes des marchés n^ont pas suivi à Liverpool une
progression aussi rapide qu*à Birmingham ou Manchester.
De £ 28.000 il y a une vingtaine d'années, elles sont au^
jourd'hui passées à £ 38.000. A Tinverse des grandes villes
que nous venons dépasser en revue, Liverpool n*apas en-^
core d'abattoirs municipaux.
Si les marchés municipaux ne sont pas encore univer-
sellement répandus en Grande-Bretagne, ils constituent de
beaucoup le système le plus commun dans les boroughs et
dans les villes, comme le montre le tableau suivant que
nous empruntons à un rapport de la Royal Commission on
Markets.
MAHCHB8 CONTRÙLKS
1 PAR
Londres
Boron(hs
Ufi>an AU-
iricis qui ne
•ont pu
des borouirht
Rural
Disirictt
Total
> Aatorités locales
Compagnies
Particuliers
8
2
2
1
216
12
23
4
1
5
89
34
109
11
11
12
8
18
142
24
10
40
313
64
274
39
22
. 57
Autres associations de
oersonnes
1 Droits analogues aux
droits de marchés
Pas de marchés
1
13
201
266
242
769
D'autre part, dans le rapport qu'a dressé Sir Henry
Fowler pour l'Angleterre et le Pays de Galles, nous voyons
que les marchés municipaux, au nombre de 228, auraient
rapporté en moyenne, entre 1898 et 1902, un profit net
de £ 83.782. Les villes qui confient à lautorité locale le
soin de contrôler les marchés ne font en somme que se
conformer à une tradition fort ancienne. Les tendances
socialistes modernes se rencontrent ici avec les manièi'es
BoTerat 22
338 PREMIERE PARTIR. — CHAPITRE XIII
d'agir de nos ancêtres ; nous avons vu d'ailleurs qu*il y a
des villes qui tirent de l'exploitation de ce service de gros
revenus. La municipalisation des marchés n'a donc rien de
nouveau ; et elle ne devrait rien avoir qui puisse nous
effrayer, si elle ne conduisait indirectement, mais rapide-
ment pourtant, à la construction d'abattoirs municipaux,
auxquels succèdent les caves frigorifiques et les fabriques
de glace municipales.
A Bradford, nous dit le correspondant du Times (1 s
deux syndicats avaient ouvert des réservoirs frigorihques
et une fabrique de glace artificielle et comptaient parmi
leurs clients un grand nombre de bouchers au détail.
Gomme leurs locaux se trouvaient à une certaine distance
du marché local, la corporation résolut d'installer des caves
frigorifiques municipales, sur un terrain attenant à Saint-
James Market. On chercha à s^opposer à son projet, en
arguant de la concurrence injuste qu'elle allait faire aux
particuliers ; elle répondit qu'il y avait place à la fois pour
l'entreprise privée et pour la sienne ; elle mit à exécution
son projet qui lui coûta (y compris une extension du mar-
ché) £ 23.000.
Manchester, Liverpool, Birmingham, Leeds et d'autres
cités ont dépensé de grosses sommes dans un but sembla-
ble. La corporation de VVolverhampton a reçu l'autori-
sation non seulement de vendre de la glace aux commer-
çants installés au marché, mais de disposer du surplus de
glace disponible et de le vendre aux commerçants de la ville
en général. Le jour où Tenvie lui prendra de fournir de la
glace à tout le borough, la corporation n'aura qu'à veiller
à ce que ce « surplus » suffise à faire face à toutes les de-
mandes qui pourront se produire.
(t) Voir le Times au 23 août 1902.
LES MARCHÉS ET ABATTOIRS MUNICIPAUX SSq
Nous ne voyons pas, en résumé, qu'il y ait lieu de faire
de sérieuses objections à la municipalisation des .marchés.
C'est un service où l'action des municipalités peut se faire
sentir de façon réellement utile au point de vue sanitaire,
au point de vue de Tinspection de la viande et des denrées
alimentaires en général.
Les marchés tiennent en outre un peu de la place publi-
que; ils sont des lieux de réunion; il faut que la police
municipale puisse s'y exercer librement.
Nous sommes habitués en France à voir les marchés aux
mains des municipalités. Nous ne nous étonnons pas d'ap-
prendre que les communes anglaises veuillent en faire au-
tant. Mais si nous admettons aisément que la municipalité
possède un ou plusieurs marchés, en dirige l'exploitation» y
eue des stalles et des boutiques, nous ne pourrons que dé-
sapprouver la création des services nouveaux qu'on vou-
drait y annexer, tels que la fabrication de la glace ou toute
industrie venant faire concurrence à Tactivité individuelle.
Non seulement ces services nouveaux demandent des con-
naissances techniques et une prudence financière que ne
possèdent pas toujours les conseillers municipaux, mais on
oe peut pas appuyer leur municipalisation sur l'intérêt gé-
néral et les besoins de la communauté comme on peut le
faire pour les marchés.
À
CHAPITRE XIV
LES CIMETIERES.
Presque partout aujourd'hui Tautorité municipale s'est
chargée d'assurer la sépulture des morts. Au poiat de vue
de la salubrité et de l'hygiène publique, un contrôle sévère
est en effet absolument nécessaire en cette matière. Il con-
vient de rendre obligatoire dans le plus court délai l'enter-
rement des personnes décédées ; lorsqu'il n y a pas de fa<
mille pour payer les frais de Tenterrement, c^est à la
commune de faire le nécessaire ; en tous pays, les choses
se passent de la même façon.
En prévision de l'accroissement probable des grandes
villes dans un avenir rapproché, les autorités locales se
trouvent souvent obligées de consacrer & l'achat de terrains,
qu'elles transformeront en cimetières, de grosses sommes
qui ne rapporteront rien durant de longues années. Quelque
coûteux que puissent être les cimetières publics, ils semblent
bien être, cependant, tant au point de vue sanitaire qu*au
point de vue social, une nécessité pratique, et nous ne son-
geons nullement à protester ici contre le principe même de
la municipalisation.
En Europe les cimetières appartiennent presque partout
aux municipalités ; il n'y a que l'Allemagne et la Hollande
où Ton trouve encore des cimetières privés à côté des ci-
metières municipaux. Aux Etats-Unis, au contraire, la ma-
LES CIMETIÈRES 3^1
jorité des cimetières appartiennent à des particuliers. II en
fut longtemps de même en Angleterre, et ce n*est qu' assez
récemment que les corporations urbaines ont regardé la
création et Texploitation des cimetières comme rentrant
dans leurs attributions. Jusque-là les cimetières étaient
restés aux mains, soit de comités spéciaux, appelés c Burial
Boards », soit de Compagnies particulières. Un mouvement
de réaction s*est produit contre ces dernières auxquelles on
a pu reprocher, quelquefois avec raison, de pousser trop
loin l'exploitation commerciale des cimetières, de fixer trop
haut leurs tarifs et de ne pas tenir assez compte des princi-
pes sanitaires.
On peut, en vertu des Burial Âcts (il en existe toute une
série, votés entre 1852 et 1885) constituer des burial boards
dont le rôle sera de créer et d'administrer les cimetières. Le
burial board est élu dans les paroisses urbaines pur l'as-
semblée paroissiale (vestry) avec le consentement de Tur-
ban district council ; mais les town councils et les urban
district councils exercent aujourd'hui sur leur propre terri-
toire les pouvoirs des burial boards qu'ils absorbent gra-
duellement sur toute la surface du pays. Cette matière est
actuellement régie par le Burials Act de 1900, lequel a trans-
féré au Local Government Board les pouvoirs et les devoirs
relatifs à Tusage et aux règlements sanitaires des cimetiè-
res qu'avait possédés jusque-là le Home Secretary ; c'est le
Local Government Board qui rend les orders relatifs à la
fermeture et à l'ouverture des cimetières et qui s'occupe de
toutes les matières touchant à la santé publique. C'est lui
qui fixe le tarif des enterrements. C'est au contraire le
Home Office qui s'occupe de toutes les questions ecclésias-
tiques, qui règle les salaires dus au clergé, aux ministres
du culte et aux fossoyeurs.
3^2 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE XIY
Le Crémation Act de 1902 autorise les autorités qui ont
charge des cimetières à établir des fours crématoires et sou-
met la crémation aux règlements du Home Secretary.
Le rapport de Sir Henry Fowler surles Reproductive lîn-
dertakings montre quau mois de mars 1902, 143 boroughs
en Angleterre et dans le pays de Galles possédaient des ci-
metières municipaux ; que leur capital total s'élevait à
£ 2.382.805, et que pour les quatre années 1898-1902, la
perte moyenne annuellement subie sur ce service s*était éle-
vée à £63.784.
La municipalité de Birmingham possède depuis 1863 un
cimetière à Witton. Elle a dépensé pour ce cimetière un
capital de £ 48.200. En 19041 905, ses receltes ont atteint
£ 4.509, ses dépenses £ 4.599. Les années qui se soldent par
un bénéfice sont rares, les pertes sont fréquentes et souvent
assez fortes. En 1890-1891 le déficit fut de £532 ; en 1894-
1895 de £ 194 ; en 1895-1896 de £ 141 ; en 1898-1899 de
£ 277. Ces pertes tiennent en grande partie à ce que les ta-
rifs des inhumations ont été fixés très bas.
Liverpool possède deux cimetières, Tun depuis 1856,
Tautre depuis 1878 ; elle a dépensé pour les établir un ca-
pital de £103.000. Les recettes de 1904-1905 s'élèvent à
£ 12.118, les dépenses à £ 10.855.
Manchester possède quatre cimetières municipaux ; le
début de Texploitation remonte à 1867 ; ils ont entraîné une
dépense en capital de £ 182.223. Leurs recettes s'élèvent
en 1904-1905 ࣠11 .795, leurs dépenses ࣠12.575. De 1898
à 1902 la perte moyenne annuelle a été de £ 1.180.
Leeds possède cinq cimetières municipaux qui lui ont
coûté £ 101.562. En 1904-1905 ses recettes s élevaient à
£ 3. 906, ses dépenses à £ 6.026.
Huddersfield a deux cimetières municipaux qui ont coûté
LES CIMETIÈRES 343
£31.002 à établir ; ils rapportent £ 1.795 et coûtent £2.418.
Nottingham en possède deux, qui lui ont coûté £ 19.512,
leurs recettes s'élèvent à £ 745 et les dépenses à £ 1.774.
La plupart des grandes villes anglaises. possèdent aujour-
d'hui des cimetières municipaux ; et pourtant celle d'entre
elles qui depuis quarante ans se trouve à la tète du mou*
vement municipal, Glasgow, n'a pas encore de cimetière
municipal.
« L'action municipale et ses bienfaits, dit le Municipal
Year Book (p. 345), suivent pas à pas le citoyen de Glas*
gow dans toutes les phases de sa vie ; mais bien qu'il puisse
appeler le médecin par le téléphone municipal lorsqu'il
se sent malade, il ne peut se faire enterrer dans un cime-
tière municipal après sa mort ; les cimetières municipaux
ne se font remarquer que par leur absence. » Quel dom*
mage ! et quelle angoisse ne doit pas être celle du munici-
paliste à Tidée qu'il ne dormira pas en terre sainte son der-
nier sommeil !
Une fois la municipalisation des cimetières opérée, on a
installé des fours crématoires municipaux. « La corporation
de HuU, dit le Times (1), a donnéTexempleen janvier 1901
en ouvrant un four crématoire dont la construction a coûté
£3.122; le nombre total des incinérations faites durant
cette première année n'a été que de 17. La municipalité a
en outre récemment dépensé £ 450 à construire près du four
crématoire un bâtiment qui pourra renfermer un millier d'ur-
nes et l'on rapporte que « dans Topinion de plusieurs des
membres du comité des parcs et des cimetières, cette addi-
tion contribuera àpopnlariser l'incinération dans la cité ».Ën
d'autres termes, on espère que des personnes qui ne vou-
(1) rimes, 23 août 1902.
344 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XIY
laieat pas se faire incinérer auparavant y seront plus dispo-
sées, lorsqu'elles sauront que leur urne pourra reposer
dans une niche élégante, à Tintérieur d'un bâtiment muni-
cipal à ce destiné. Liverpool» Sheffield, Leicester, d'^autres
villes encore possèdent des fours crématoires.
Les pertes que les villes anglaises subissent du fait des ci-
metières tiennent sans doute aux tarifs très bas qu'elles ont
mis en vigueur. Bien que l'administration des cimetières
constitue moins que toute autre un service de nature com-
merciale, et qu'il serait honteux de chercher à exploiter les
sentiments de respect et de piété que les membres vivants
d^une famille peuvent avoir pour leurs morts eu faisant
payer des prix exorbitants les enterrements et les conces-
sions de terrains, manière d'agir dont les pauvres gens souf-
friraient plus particulièrement, peut-être pourrait-on s'ar-
ranger cependant, par une gestion prudente et intelligente
à la fois, pour faire couvrir les dépenses parles recettes des
enterrements, au lieu d'être obligé de demandera l'impôt
de combler les déficits trop considérables qu'entraîne régu
li^irement Texploitation en régie de ce service.
CHAPITRE XV
BNTRBPEISES DIVERSES EXÉGUTEBS OU PROJETÉES.
Nous avons, dans les précédents chapitres, étudié les plus
importantes des entreprises municipales ; entreprises qu'on
rencontre aujourd'hui en Grande-Bretagne dans la plupart
des grands centres et qui ont nécessité l'emploi de capitaux
énormes, le recours aux emprunts, Taugmentution brusque
du nombre des employés et des ouvriers municipaux.
A côté de ces entreprises aussi connues que considérables,
it en est d'autres que l'on ne trouve que dans quelques
villes seulement, tentatives isolées que nous nous borne-
rons à signaler. Nous voudrions dire un mot des ports et
des canaux, des bateaux à vapeur, des dépôts de lait, théâ-
tres, hôpitaux, etc., possédés et dirigés par des municipa-
lités.
Des ports et docks, nous dirons qu'il s'en trouve sous la
direction des municipalités aux Ëtats-Unis, en Allemagne
et en Hollande ; mais que dans les autres pays leur cons-
truction et leur entretien sont plus fréquemment confiés au
gouvernement central.
M En France, dit M. Berthélemy {Traité de droit admi-
nistratifs p. 672), c'est TËtatqui établit, améliore et entre-
tient l'accès des ports maritimes : il construit les quais. Il
laisse au contraire à l'initiative privée (Chambres de com-
merce et Compagnies de chemins de fer) le soin de fournir
346 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XV
l'outillage nécessaire à l*usage des ports... Les communes
parfois participent à ces dépenses. »
En Angleterre, nous voyons quelques autorités locales
diriger leurs ports, depuis plus de trois siècles ; mais pour
cette raison sans doute qu'on a commencé la construction
des ports à une époque où les corps municipaux avaient
moins de pouvoirs qu'à présent, nous les trouvons fréquem-
ment placés aujourd'hui sous la direction de spécial boards
ou de trusts. Dans ces boards, à côté des représentants du
commerce local, siègent ordinairement un certain nombre
de membres présentés par la municipalité intéressée et
nommés sur sa demande : ce qui fait que les ports adminis-
trés par ces boards ressemblent à beaucoup d*égards à des
entreprises municipales. On peut répondre, il est vrai, que
les sommes consacrées à la création et Tentretien des ports
et canaux n*ont pas le caractère d'un placement commer-
cial, que ces dépenses ne rapportent pas de profit immé-
diat à la municipalité qui les fait, qu'elles sont assimilables
H tous les points de vue aux dépenses que font chaque année
les autorités publiques pour les routes et les voies terres-
tres. D'après le dernier rapport du Local Government
Board (1904-1905) la dette qu'ont contractée les autorités
locales pour la construction des ports, jetées, quais et docks
s'élève à la somme de £ 39.743.881.
L'étude du port de Liverpool, le second du Royaume-Uni
après Londres, nous donnera une idée de ce qu'est Fadmi-
nistration d'un grand port de commerce chez nos voisins.
La direction en est confiée dans son ensemble au (« Mersev
Docks and Harbour Board » créé par acte du Parlement
pour remplir ces fonctions. Il se compose de 28 membres,
dont 24 sont élus par les Docks Ratepayers (littéralement :
contribuables des docks), c'est-à-dire par les personnes qui
ENTREPRISES DIVERSES 34?
paient des impôts et des droits sur leurs navires et leurs
marchandises, et dont les 4 antres sont nommés par les
« Alersey Conservancy Commissioners », savoir : le pre-
mier Lord de l'Amirauté, le Chancelier du Duché de Lan-
castre, et le Président du Board of Trade.
Les membres du Hoard sont tous des commerçants, oc-
cupant de hautes positions et jouissant de la meilleure ré-
putation ; ils ne touchent pas de traitement, la qualité de
membre du Board étant un honneur auquel ne peuvent pré-
tendre que les hommes les plus distingués et les plus com-
pétents.
Les revenus dont dispose le Board pour améliorer et
entretenir la surface énorme que couvrent la rivière et les
bassins, proviennent des droits que paient, suivant leur
tonnage et sur les marchandises qu'ils transportent, les
navires entrant dans le port. Le paiement des intérêts de
la dette, les frais de réparation, d'entretien et de direction
absorbent en grande partie le revenu qui s*élève pourtant
à £ 1 .500.000 par an. Le Board veille à ce que le chiffre de
ses recettes ne dépasse pas d'une somme trop forte celui de
ses dépenses ; lorsque par suite du développement Au
commerce, le fait se produit, il procède à une réduction
des droits qu'il lève, là où ils lui semblent se faire le plus
lourdement sentir et ramène ainsi, du moins pour un temps,
le niveau de ses revenus à celui de ses dépenses.
Le Board fournit l'outillage nécessaire à l'usage du port ;
il installe des grues, des treuils, des pontons et possède
plusieurs grues flottantes d'une force colossale ; il a bâti
des magasins généraux énormes ; c'est à lui qu'appartien-
nent les dragues chargées de maintenir à une profondeur
constante le lit de la Mersey. Le travail que fournit ce Board,
tant au point de vue administratif qu'au point de vue
348 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XV
commercial, est considérable ; nous n'insisterons pas cepen-
dant sur ce sujet ; ce n'est pas pour le lecteur français un
fait nouveau que de voir les ports aux mains des autorités
publiques, qu'il s'agisse de TEtat, de municipalités ou de
corps spéciaux. C'est d'ailleurs dans des questions de ce
genre que l'intervention gouvernementale nous semble
offrir le moins de danger; les mêmes raisons qui ont fait
confier à TEtat la construction et lentretien des voies
terrestres permettent de demander qu'on lui confie égale-
ment la création et l'entretien des ports maritimes.
Nous allons consacrer encore quelques minutes d'atten-
tion à une entreprise analogue qui a jadis fait couler en
Angleterre des flots d'encre ; nous voulons parler du canal
maritime de Manchester {The Manchester Ship canal).
L'idée première de l'entreprise n'appartient pas à la
municipalité de cette ville, bien qu'elle ait, dès le début,
donné à la Compagnie qui l'avait lancée sa plus chaude
approbation. Cette Compagnie avait déjà dépensé 10 mil-
lions de £et creusé la plus grande partie du canal, lorsque
les fonds lui firent défaut et que son entrepreneur mourut.
En proie au plus grave embarras, elle se retourna vers la
corporation et lui demanda de l'aider à terminer son œuvre;
on pensait qu'il n'en coûterait pas plus de 3 millions de £.
Le Parlement autorisa la corporation à emprunter ces
3 millions et à les prêter à la Compagnie ; malheureuse-
ment, cette somme ne suffit pas; il fallut demander et
emprunter encore deux autres millions. Cette avance de
£ 5 millions a longtemps été pour lu ville de Manchester un
sérieux fardeau ; les intérêts dus et non payés par la Compa-
gnie finirent par s'élever à plus de £ 1 million. < Personne
cependant, dit Talderman Southern (1), ne songe à s'en
(!) Municipal Trading Report, 1909, p. 196.
ENTEEPRISE8 DIVERSES 3^9
plaindre, tant Ton sent bien que les avantages qu'en retire
la communauté l'emportent sur la charge qui pèse sur
elle. »
L'approbation ne semble pas avoir été aussi universelle
que veut bien le dire M. Soulhern, mais il est certain qu'un
fort courant d'opinion soutint alors le Conseil municipal.
Le Parlement avait stipulé que la Ship Canal Company
paierait sur la somme qu'on lui prêtait un intérêt plus fort
que la corporation même ne l'avait demandé: il pensait
que puisque le risque couru était considérable, il convenait
que rintérét fût, lui aussi, élevée et c'est pour cette raison
qu'il le fixa à 4 1/2 7o.
L'entreprise (commencée en 1881) végéta longtemps. En
1K99 la ville était encore obligée de lever un impôt supplé-
mentaire de 1 s. 1 d. par £ pour subvenir aux frais du ca-
nal. La Compagnie ne payait pas dans leur totalité les inté-
rêts de l'emprunt qu'on lui avait consenti, et au lieu de
£ 212.000 n'en versait que £ 30.000.
La corporation nomme onze des membres du Conseil de
direction ; la Compagnie n'en nomme que dix. La corpora-
tion possède donc un privilège que le Manchester Ship Canal
(Finance) Act de 1904 a rendu perpétuel. Ce même Act a
réduit de 4 1/2 à 3 1/2 le taux de 1 intérêt dû par la Com-
pagnie sur les 5 millions de £ qu'on lui a prêtés, et ramené
ainsi le paiement annuel de £ 212.000 à £ 160.000. Au cas
cil la Compagnie ne pourrait payer cette somme sur ses
revenus, elle la complétera par l'émission de u préférence
stock » 3 1/2 Vo- Au 31 décembre 1904, l'arriéré des inté-
rêts dû par la Compagnie du canal s'élevait à £ 1.803.990.
Heureusement pour les contribuables de iManchester, la
somme que paie la Compagnie du canal va maintenant en
augmentant chaque année. L'impôt supplémentaire qu'on
35o
PREMIERB PAUTIE. CHAPITRE XV
leur demande par £ n'est plus que 4 1/2 d. en 1905. La
Compagnie a versé à la corporation £ 123. 213 d'intérêts,
et a émis, afin de compléter les £ 150.000 qu'elle doit, pour
£ 36 757 de Manchester Ship Canal préférence Stock que
la corporation accepte en paiement et souscrit à la Compa-
gnie.
Les recettes croissent actuellement beaucoup plus vite
que les dépenses qu'elles dépassent enfin de façon sensible.
Recettes
Dépenses
1895
£ 137.474 .
£ 115.329 (frais de dragage
portés au compte
Capital.)
1900
290.829 . ,
207.080
1901
309.51 G .
207.455
1902
3.58.491 , .
217.536
1903
397.025 .
230.849
1904
418.043 . .
240 295
1905
449.436 . .
246.746
L'entreprise est en bonne voie maintenant et il n'y a pas
de raison pour que sa situation ne continue pas à s'amé-
liorer.
Le cas du Manchester Ship Canal est un cas tout à fait
spécial d'entreprise municipale ; il fait exception à la règle
bien établie qu'on ne doit pas permettre à une corporation
de souscrire à une entreprise privée. Etant donné Timpor-
tance de la somme avancée, l'exception n'en est que plus
remarquable. On pourrait cependant citer quelques autres
exemples de villes qui ont été autorisées à souscrire à des
entreprises particulières. HuU a reçu la permission de
souscrire £ 100.000 pour un chemin de fer. La cité de Lon-
dres a également contribué aux dépenses de construction
ENTREPRISES DIVERSES 35 1
d'un autre chemia de fer. Ce sont, répétons-le» des cas
exceptionnels.
Avant de quitter les questions maritimes, disons un mot
des bacs à vapeur (ferries) qiie possèdent et exploitent cer*
laines municipalités ; les rapports du Local Government
Board nous apprennentqu'en 1902-1903 le total des emprunts
contractés pour la construction des ponts et bateaux (bridges
and ferries) s élevait à £ 4.678.268 (dont £ 209 812 em*
pruntées en 1902-1903). La corporation de Birkenhead ex-
ploite plusieurs lignes de ferries qui font le service sur la
Mersey entre Rirkenhoad etLiverpool. Le trafic entre les
deux rives est considérable ; les départs sont fréquents, les
bateaux peu luxueux, aussi la municipalité de Birkenhead
arrive t- elle à réaliser sur ce service nu bénéfice sérieux,
qui dépasse £ 6.000 en 1905 et atteint parfois £ 10.000. Il
n'en est pas de même des ferries du London County Coun-
cil. Ces bateaux ont commencé leur service sur la Tamise
le 17 juin 1905, c'est à-dire près de 3 mois après l'ouverture
de Tannée financière 1905-1906 ; eu 9 mois ils ont creusé un
déficit de £ 51.205. On estime qu'en 1906-1907 le déficit
atteindra £ 51.955, ce qui, si les prévisions se réalisent,
portera la perte totale à £ 102. 16Ô en moins de deux ans.
Les résultatsde 1905 1906 ne sont sans doute queoeux d'une
année incomplète : ils n'en sont pas moins déplorables.
Quelque riche que puisse être une ville comme Londres,
une perte de £ 50.000 sur un service qui n'a fonctionné que
9 mois dépasse vraiment les bornes permises et ne prouve
pas en faveur de la gestion municipale.
Abordons-nous à présent les questions d'hygiène, nous
voyons que plusieurs municipalités anglaises ont, pour
enrayer le taux trop élevé de la mortalité infantile dans les
352 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XV
quartiers pauvres, décidé de distribuer du lait stérilisé (1).
L'idée de fournir aux mères de familles du lait municipal
stérilisé pour leurs nourrissons est née à St-Helens il y a
8 ou 9 ans déjà. Liverpool, DukinOeld, York, Ashton-
under-Lyne, Belfast, Glasgow, Battersea, plusieurs autres
villea encore ont suivi cet exemple, malgré les protesta-
tions que les marchands de lait élevèrent contre cette con-
currence injuste ; n'étaient-iis pas, disaient-ils non sans
raison, en état, tout aussi bien que les autorités locales elie*^
mêmes, de fournir du lait stérilisé, surtout lorsque ces der-
nières ne possèdent ni vaches, ni fermes ?
A Saint Helens (voir la déposition de M. Jeeves» ancien
town clerk de la ville, devant le Comité de 1900) (2), le
taux de la mortalité infantile était particulièrement élevé.
Il atteignait 176 ^ j^o alors qu'une moyenne établie à l'aide
des statistiques de 33 grandes villes n arrivait qu'à 170. En
1899, la moyenne des 33 mêmes villes s'élevait à 182 ; celle
de St-Helens descendait, par suite de la distribution de lait
stérilisé, à 157. La corporation avait envoyé une commis-
sion étudier en France la stérilisation du lait, et décidé de
fournir non seulement le liquide, mais encore les bouteilles
que les mères rapportent chaque jour pour qu'on les
nettoie ; on leur en donne de propres eu échange. La muni-
cipalité achète le lait à des marchands de lait et le revend
ensuite à un prix qui la rembourse presque de ses dépen-
ses ; elle prétend ainsi ne pas faire la moindre concurrence
au commerce des particuliers et poursuivre, sans nuire à
personne, le but sanitaire qu*elle s*est proposé.
La mortalité infantile avait, àLiverpool, également attiré
Tattention des autorités et des hygiénistes. Entre autres
(1) Voir Times, 23 aoiU 1902.
(2) Municipal Trading lUpori, 1900, p. 253.
ENTREPRISES DIVERSES 353
mesures prises pour enrayer le mal, on cite rétablissement
de dépôts qui fournissent à la population pauvre du lait
« stérilisé et humanisé «>. Les dépenses de ce service ont
atteint en 1904 £ 3.633 18 s. 6d., les recettes £ 1.670 0 s.
6 d. Le déficit s'élève donc à £ 1.957 18 s. 0 d. (1). Il est
dans une certaine mesure excusable puisqu'il s'agit ici d'une
institution sanitaire et non d'une entreprise commerciale»
Glasgow fournit aussi du lait stérilisé dans des bouteilles
munies de têtières. Ce service lui a rapporté £ 806 1 s. 8 d.
en 1904-1905 et lui a coûté £ 3.761 19 s. 1 d. Il faut dire
que ces chiffres se rapportent à la première année de l'ex-
ploitation et <)ue, dans le chiffre des dépenses, l'installation
des dépôts et des stérilisateurs figure pour environ £2.000.
Les établissements municipaux créés pour la vente du
lait stérilisé sont en général placés sous la direction de
femmes en état de donner aux femmes du peuple les con-
seils dont elles ont besoin pour élever leurs enfants en bas
âge.
Après la municipalisation du lait, on a, à maintes repri-
ses, proposé celle des boissons alcooliques. Un sous- co-
mité du Glasgow Town Council y avait songé : la corpora-
tion aurait établi dans certains quartiers des débits de
boisson dont on aurait employé les profits à la satisfaction
de quelque besoin public. Le projet n'obtint pas l'approba-
tion du Conseil. Le Town Council de Oevonport a résolu
de demander pour lui-même toutes les licences qu'il juge-
rait nécessaires, dans les nouveaux districts de son bo-
rough (2) ; plusieurs autres municipalités ont gardé les
débits de boisson tombés enti*e leurs mains à la suite de
(1) Linerpool Account s, 1904, p. 93.
(2) Times, 23 août 1902.
Boverat 23
354 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE XV
Texécution d' « Improvement Schemes » et les font ex-
ploiter par des fonctionnaires municipaux.
M. des Cilleuls rappelle {op. cit., p. 168) qu'à Elan, près
de Birmingham, fonctionnent des débits de boissons muni-
cipaux et que pour prévenir un échec pratique la police
employa trois moyens :
{''Achat de la plupart des public-houses.
2'' Refus systématique de toute nouvelle licence.
3° Concurrence irrésistible aux récalcitrants.
u A Manchester, dit-il, la municipalité a opéré de même
pour les brasseries, bars et hôtels ; de 1892 à 1897 elle
acquit 29 établissements, en ferma 21 et en revendit 3 ;le
tout revint à plus de 2.150.000 fr., déduction faite des re-
ventes. »
De la liqueur aux refuges pour ivrognes, iln*yaqu'un
pus. Plusieurs autorités locales ont entrepris de guérir les
personnes atteintes de ce vice soit en construisant elles-
mêmes des maisons spéciales où elles les feront soigner,
soit en accordant des subsides à des œuvres privées. C'est
ainsi que (jlasgow^ a acheté dans le Airshyre une vaste
demeure où l'on poursuivra la guérison des ivrognes des
deux sexes et que le London County Council a dépensé
£ 20.000 à bâtir à Horley, dans le Surrey, un refuge quil
destine au même genre de malades.
La municipalisation des hôpitaux trouve, elle aussi, des
avocats convaincus ; beaucoup d*Anglais considèrent comme
proche le jour où, pour construire ou entretenir des hôpi-
taux, il sera nécessaire d'avoir recours soit à Taide du gou-
vernement, soit aux subventions des municipalités. Long-
temps les autorités locales se sont bornées à construire des
hôpitaux pour les fiévreux et pour les personnes atteintes
ENTREPRISES DIVERSES 355
de la petite vérole ; elles abandonnaient habituellement à
rinitiative privée les hôpitaux où Ton soignait les autres
maladies ou n'en construisaient qu*en suivant la procédure
(lu Private Bill. En 1893, Blackburn obtint de cette façon
rautorisation d'élever ou d'agrandir tout hôpital, infirmerie
ou dispensaire situé dans son district. Le Local Govern-
ment Board déclara même, postérieurement à cette date,
qu'une autorité locale pouvait fonder et entretenirun hôpital
à Taide des impôts ; la municipalisation des hôpitaux n'au-
rait par conséquent rien d'illégal en elle-même. Birming-
ham, Manchester, Liverpool, Glasgow et nombre de
grandes villes possèdent des hôpitaux magnifiques et tout
récemment construits, dont l'entretien coûte chaque année
<les sommes considérables. Sheffield, Edimbourg, Halifax,
ont décidé d'élever des sanatoria. Dans beaucoup d'endroits
néanmoins, on n'a rien changé aux anciennes habitudes, et
Tes municipalités continuent à laisser à la générosité des
particuliers le soin de subvenir à la création et à l'entretien
des hôpitaux.
Au point de vue sanitaire les villes anglaises ont fait,
dans le dernier quart du xix® siècle, de très sensibles pro-
grès ; elles sont devenues plus propres et ont construit des
systèmes perfectionnés d'égouts ; avec une ingéniosité re-
marquable, leurs municipalités ont cherché et réussi à tirer
parti des détritus de toutes sortes qui chaque jour s'amon-
cellent dans les grandes villes. Nous avons déjà vu qu'elles
avaient bâti des a destructors » énormes dont elles faisaient
servir la chaleur à la production de rélectricito et qu'elles
utilisaient les résidus de la combustion à fabriquer une
sorte de mortier, qu'on agglomère en pavés et dalles; les
villes qui se livrent à cette industrie deviennent chaque
jour plus nombreuses ; parmi elles, citons Birmingham,
356 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XV
Liverpool, (ilasgow, Sheffield, Bradford, etc. Elles se ser-
vent de ces dalles pour le pavage de leurs rues et de leurs
trottoirs, quelquefois aussi elles les utilisent dans la cons-
truction des maisons. Lorsqu'elles en ont plus qu'il ne leur
en faut pourleurs propres besoins, elles les vendent au public
comme le ferait un simple marchand. C'est ainsi que la
municipalité de Bootle (1) insère dans la Liverpool Daily
Post des annonces invitant les entrepreneurs à soumis-
sionner pour Tachât de 3.000 yards de dalles agglomérées
(concrète flags). L'Aston Manor urban district council en-
voie des circulaires, dans lesquelles il offre des dalles ana-
logues,véritables prospectus commerciaux qui mentionnent
les prix, la qualité et la nature de la marchandise. C'est un
article pour la vente duquel les municipalités font à Tin-
dustrie particulière une concurrence des plus sérieuses;
elles vendent en effet très bon marché, jusqu'à 25 •/«, pa-
rait-il, au-dessous du coût de fabrication.
Ces dalles ne sont pas toujours, dit-on, d'une qualitt-
supérieure ; mais les municipalités trouvent moyen de s*en
défaire en spécifiant, dans les contrats qu'elles passent
avec les entrepreneurs, qu'il faudra les employer dans
l'exécution de tel ou tel travail.
Plusieurs villes anglaises transforment aujourd'hui en
engrais les matières solides roulées par leurs égouts.
C'est dans ce but que Glasgow a établi à Dalmarnock,
sur les bords de la Clyde, d'immenses bâtiments où les
matières solides des égouts, extraites chimiquement par
le procédé de la précipitation, puis pressées et agglomé-
rées en g&teaux cubiques, sont finalement vendues comme
engrais. La ville a même récemment construit un appareil
(t) Voir Municipal Trading Beport, 1900 ; Queat. 4168-4170.
ENTREPRISES DIVERSES 357
séchoir permettant de traiter ces gâteaux par quantités
considérables et de les réduire en une poudre, qu'elle a
baptisée du nom de « globe fertiliser ».
Glasgow dérive de la vente de ces gâteaux et de cette
poudre des revenus considérables ; c'est ainsi qu'à Dal-
marnock (Ëastern purification works) on a vendu en 1904-
1905 pour £ 544.17 s. 3 d.de globefertilizer; pour £413.4
s. 1 d. de (c rough manure » (engrais brut) et de «pressed
cake )) (engrais agglomérés en cubes). A Dalmuir, pour £ 36
de u rough manure ».
Glasgow possède des « refuse destructors » et des « uti-
lisers», c'est à-dire des fours pour brûler et des machi-
nes pour passer au crible la masse énorme de détritus et
d'ordures de toutes sortes qu'on ramasse chaque jour dans
ses rues. La quantité totale ainsi traitée en 1904-1905 s'élève
à 302. 663 tonnes. Le <* cleansing department » possède
plus de 500 wagons de chemins de fer et vend ses produits
aux fermiers de la moitié des comtés d'Ecosse. Il possède
à Ryding, Robroyston et Maryburgh des propriétés d*une
superficie de 1515 acres. « Le Cleansing Department, dit le
Municipal Year Book (p. 347) a transformé d'inutiles
pays de marais en un paradis agricole » ; il a des chemins
de fer sur ses propriétés, il possède des carrières et des
ateliers.
Nombreuses, nous l'avons déjà vu, sont les corporations
qui réalisent de sérieux bénéfices sur la vente des produits
résiduels du gaz. Manchester fait un commerce considéra-
ble dé savon, d'huile, de suif, de mortier, d'autres mar-
chandises encore qu'elle tire de déchets et de détritus de
tout genre. Son «cleansing department )> est le plus im-
portant du Royaume-Uni ; il a ramassé, trié et traité en
1904-1905, 353.399 tonnes de déchets, provenant des vidan-
358 PUEMIËRE PAHTIE. CHAPITRE XV
ges, du balayage des rues, des marchés et des abattoirs. Il
est propriétaire de deux vastes terrainsdeS.GHl acres où Ton
se débarrasse des ordures de la cité ; il possède des ateliers
où Ton fabrique des outils, des voitures, des brosses, des
machines, etc. Oa ne brûle dans les destructors que ce qui
ne peut servir réellement à rien.
Non contentes de vendre Tengrais qu'elles extraient des
matières solides des égouts, les municipalités possèdent
encore des fermes sur lesquelles elles déversent le liquide
de ces mêmes égouts, cultivent des légumes et élèvent de«
animaux domestiques. La corporation de Torquay élève
des lapins et emploie, dit elle, à la « réduction » des impôts
les bénéfices qu'elle réalise sur la vente de ces rongeurs.
Celle de Tunbridge Wells fait croître du houblon, celle de
Liverpool de la betterave sur les fermes d'épandage de
Walton. Colchester possède des parcs à huîtres munici-
paux, et si l'Angleterre, suivant l'exemple de Catane, n*a
pas encore de boulangerie municipale, faute n'en est pas,
en tous cas, aux socialistes qui en ont bien souvent fait la
proposition. On a fait une campagne et même une pétition,
qu'un membre du Parlement voulut bien appuyer, pour
faire conlier à l'Etat la fabrication du pain. L'exécution de
ce projet eût coûté, pour la seule ville de Londres, plus de
£ 10.000.000, sans compter les indemnités énormes qu'il
aurait fallu payer aux boulangers expropriés. Il n'y aurait
plus eu de boulangeries particulières, et en cas de grève
des ouvriers municipaux, on se serait trouvé dans l'agréable
alternative de mourir de faim ou de manger du biscuit de
mer !
Les municipalités de Brighton et de Doncaster possèdent
des champs de course qui leur rapportent annuellement
de 2 à 3.000 £, Brighton et Southborough ont des théâtres
municipaux. West-Ham a dû renoncer, à regret, à établir
ENTREPRISES DIVERSES 359
un atelier de reliure municipal et Battersea à créer une im-
primerie. La première de ces deux villes se console en ven-
dant des pavés et des dalles, la seconde a établi une scierie
où elle débite le bois dont elle a besoin. Cardiff en possède
également une où elle transforme en pavés, sans le secours
de qui que ce soit, le bois qu'elle.importe d'Australie.
Dans les districts du Nord de l'Angleterre on a plusieurs
fois proposé d'autoriser les municipalités à acheter des mi-
nes de charbon : sans d'ailleurs indiquer comment on se
procurerait les sommes énormes que nécessiterait Tachât
de ces mines, et sans prouver que les municipalités, en
employant elles mêmes les mineurs, produiraient plus et
rencontreraient dans leurs rapports avec les ouvriers moins
de difficultés que les Compagnies particulières.
Nottingham possède une volière et Brighton un aqua-
rium dont la construction a coûté £ 30.000 et dont l'ex-
ploitation se traduit pour les contribuables par une perte
d'environ £50 par semaine ; les tristes résultats de son
exploitation vont probablement décider la corporation à
le remettre à un concessionnaire. Harrogate possède, ou-
tre ses bains, un jardin d'hiver, un kursaal (£ 43.000), les
salles de concert de Royal Spa et des jardins ; elle donne à
ses baigneurs des feux d'artifice.
Plusieurs municipalités, Bournemouth entre autres, pos-
sèdent des « Golf links » ; d'autres sont propriétaires dé
vélodromes.
Les municipalités ne sont pas en général insensibles à
Tart et à la musique, et il n'y a pas une plage anglaise tant
soit peu en vogue qui n'ait sa « Municipal Band » qu'on
peut aller matin et soir entendre jouer au bord de la mer,
sur le i< Front ». La corporation de Halifax a, dans un bill,
demandé la permission de lever un impôt de 1/2 d. pour
36o PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE XV
couvrir les frais de ses concerts et des représentations mu-
sicales. West Hain et Battersea, ces deux sanctuaires du
socialisme municipal, régalent, même en hiver, mais à
leurs frais*bien entendu, leurs contribuables de musique.
En 1905, Liverpool dépense en concerts publics une somme
de£1.143.
Non contentes d'orner de fleurs les jardins et les places
publiques, certaines municipalités, Glasgow, Liverpool,
Leicester notamment, fournissent pour les fenêtres des
maisons situées dans les districts pauvres et populeux
des caisses pleines de plantes et de Oeurs. Celle de Li-
verpool est très lière d'avoir en 1905 envoyé 916 de ces
« window boxes » et <( d'avoir ainsi égayé rexistence de
personnes obligées d'habiter des rues aussi tristes et aussi
peu intéressantes ». Elle adresse des félicitations au
Comité des parcs qui a si bien su s'acquitter de ses de-
voirs.
L'énumération pourrait continuer encore pendant plu-
sieurs pages de toutes les entreprises que les municipalités
anglaises ont peu à peu réussi à faire rentrer dans leurs
attributions. Sachant toutes les diflicultés que présente,
même pour une personne qui s y consacre exclusivement,
lu gestion d'une seule affaire, quel n'est pas notre étonne-
ment lorsque nous songeons que toutes les entreprises que
nous venons de rappeler vont se trouver dirigées par une
assemblée de conseillers, dont les seules fonctions consis-
taient primitivement, et devraient encore consister, à régler
lesquestions.de police, d'hygiène publique et de voirie.
Qui sont ces conseillers ? Les a-t-on mis en état, par un
entraînement spécial, de bien remplir leurs fonctions ? En
aucune façon. Vont-ils y consacrer tout leur temps et toute
leur énergie P Encore aaoins. x\ous les verrons s'acquitter
ENTREPRISES DIVERSES 36 1
de ce monceau de devoirs difficiles comme d'un plaisir, dans
les moments de loisirs que leur laissent leurs occupations
journalières. En sortant de son usine, de son bureau, ou de
sa boutique, l'industriel, le commerçant et le boutiquier
vont s^acheminer vers la salle où leur comité tient ses séan-
ces ; ils s'y rendront en amateurs, comme ils se rendraient
à leur club ou à une réunion quelconque, ne possédant en
général, sur Tentreprise dont on leur remet naïvement la di-
rection que des connaissances excessive ment vagues. Que
leur importe ? Ils savent que l'argent qu'ils vont y risquer
n'est pas le leur, mais celui de contribuables indolents que
des fautes et des erreurs financières même grossières au-
ront peine à sortir de leur torpeur. Dénués de toute expé-
rience des affaires municipales avant leur élection, ce n'est
certainement pas leur nouveau titre d'édile qui leur confè-
rera les qualités d'administrateur qui leur seraient pourtant
bien nécessaires pour faire face à une tâche aussi ardue ;
il est à craindre au contraire qu'il ne les mette dans un état
d'esprit où le plus ou moins de capacité qu'ils pouvaient
avoir avant leur élection se trouvera soudain paralysé ;
où ils ne songeront plus qu'à satisfaire les intérêts d'élec-
teurs influents et rapaces, de la bonne volonté desquels ils
savent que leur sort dépend. Nous nous proposons de mon-
trer, dans les seconde et troisième parties de cette étude, les
résultats politiques et financiers auxquels conduit infailli-
blement un pareil système.
DEUXIÈME PARTIE
LA POLITIQUE OUVRIÈRE
DES MUNICIPALITÉS ANGLAISES
J
DEUXIÈME PARTIE
LA. POLITIQUE OUVRIÈRE DES
MUNICIPALITÉS ANGLAISES
CHAPITRE PREMIER
OUVRIERS ET EMPLOYÉS. — SALAIRES BT HEURES DE TRAVAIL.
L'étude de la politique ouvrière des municipalités anglai-
ses soulève une double questipn : celle des salaires payés
aux ouvriers; celle de la régie directe. Nous les étudierons
successivement.
La question du taux des salaires et la durée du travail
est le point autour duquel gravite depuis des siècles toute
l'agitation ouvrière ; tout entrepreneur, et Tautorité locale
lorsqu'elle revêt cette qualité, doit prendre position dans la
question. Mais le moindre examen du problème montre que
la situation des ouvriers vis-à-vis des entrepreneurs parti-
culiers n'est pas la même que celle qu'ils occupent vis-à-vis
des municipalités. Leur unique moyen de pression à Tégard
des premiers est la grève ; le principal moyen de défense
des entrepreneurs le renvoi. Travaillent-ils au contraire pour
des autorités locales nées de Télection, les ouvriers se trou-
366 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
vent vis-à-vis d'elles dans un rapport double et tout diiïê-
rent du précédent. Us sont, d'un côté, ses ouvriers, et leurs
relations sont alors celles d*employés à employeur ; ils sont,
de l'autre, des électeurs en face d'une autorité locale qu'ils
ont choisie, et qui n'est pas, comme l'entrepreneur privé,
irresponsable vis-à-vis d'eux. Devant le corps électoral le
Town Council répond de toutes ses actions. Bien plus, la
classe ouvrière, disposant, grâce à son droit de vote, d'une
influence directe sur la composition de ce Conseil, pourra
y envoyer des défenseurs qui prendront sa cause en main el
chercheront à lui faire obtenir des salaires élevés et des
journées de travail d'une lon«j;ueur raisonnable.
La candidature des conseillers ouvriers, relativement ré-
cente encore, a déjà fait beaucoup parler d'elle ; ces conseil-
lers ont aujourd'hui des sièges dans presque toutes les mu-
nicipalités ; dans certaines assemblées même, ils ontpendant
un temps disposé d'une majorité absolue. Quelque fût leur
nombre d'ailleurs, ils ont partout exercé une influence
considérable. Ils ont gagné à leurs idées des députés con-
servateurs ou bourgeois jusque-là peu favorables à leur
politique. Au London County Council, on a vu le groupe
au débat si petit des députés socialistes et ouvriers réussir à
convertir à ses idées la majorité progressiste du Conseil.
C'est le Conseil de Comté de Londres qui a montré aux villes
anglaises la voie nouvelle où, à son exemple, elles se sont
presque toutes engagées avec plus ou moins de rapidité.
Il serait trop long de retracer ici l'histoire de.s différentes
mesures au moyen desquelles les Conseils municipaux ont
cherché à améliorer la condition de leurs ouvriers. Il en est
une cependant qu^il est intéressant de rappeler: c'est l'intro-
duction de la« Pair Wages Clause » (clause du juste salaire)
dans les contrats passés par les municipalités avec leurs
entrepreneurs pour l'exécution de leurs travaux publics.
OUVRIERS ET EMPLOYlés 867
Cette clause fut adoptée par le London County Gouncil
le 3 mars 1889 (1). Depuis une dizaine d'années environ^
les syndicats de la métropole menaient une campagne per«
sévérante pour obtenir des autorités locales et gouverne-
mentales qu'elles n'accordassent de travaux qu'aux mai-
sons qui payaient un salaire raisonnable, entendons le
salaire syndical. C'est le School Board de Londres qui, le
premier, s'occupa de la question. En janvier 188U son co-
mité de construction décidait de repousser un contrat sous
prétexte que l'entrepreneur ne payait pas de salaires suffi-
sants ; il proposait qu*à l'avenir tout entrepreneur s'en-
gageât, lors de la conclusion du contrat, à payer aux
ouvriers qu'il emploierait un salaire au moins égal au
salaire minimum couramment payé dans le métier. Le taux
de ce salaire minimum fut fixé dans un projet spécial
d'après les salaires syndicaux et adopté finalement par le
School Board dans sa séance du 7 février 1889. C'était la
première fois qu'une autorité publique en Angleterre pres-
crivait à ses entrepreneurs le taux des salaires qu'ils auraient
à payer. La résolution était ainsi conçue : « Partout où sera
en vigueur l'échelle des salaires de Londres, l'entrepreneur
ne devra pas payer à ses ouvriers un salaire inférieur au sa-
laire minimum constaté dans les différents métiers. Dans
tous les autres districts où Téchelle des salaires de Londres
ne sera pas en vigueur, l'entrepreneur devra payer à ses
ouvriers et à tous autres ouvriers indirectement employés
par lui à Texécution de son contrat, un salaire qui ne sera
pas inférieur au salaire minimum alors en usage et géné-
ralement payé aux ouvriers. » Le 3 mars 1889, le London
County Council adoptait une clause presque identique à
celle que venait d'adopter le School Board.
(\) Hugo, op. cr<,, pp. 2*7-248.
368 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
La rédaction un peu obscure de cette clause eut pour effet
^l'écarter des adjudications les meilleurs des entrepreneurs
de travaux publics. Sur la proposition de John Burns (27
mai 1892), le Conseil remplaça la clause ci-dessus par une
nouvelle clause exigeant de tous les adjudicataires qu'ils
affirmassent par écrit qu*ils payaient les salaires des syndi-
cats et observaient la durée de travail fixée par les Trade-
Unions. La résolution fut pour une rédaction plus détaillée
renvoyée à un comité spécial, lequel s'occupa plus parti
culièrement de la question de savoir comment on pourrait
garantir efficacement l'exécution exacte des contrats rela-
tivement au taux des salaires et à la durée du travail. Le
moyen juridique le plus sûr parut être la préparation et
Tadoption d'un règlement spécial sur les soumissions. Le
London County Council dressa donc une liste des salaires
et des heures de travail que le Conseil lui-même, aussi
bien que ses entrepreneurs, devrait observer pour tous les
travaux à exécuter dans un rayon de 20 miles. En dehors
de ce rayon, on se conformerait aux salaires et aux heures
de travail approuvés par les syndicats des districts intéressés.
Le L. C. C. (1) s*est réservé le droit de fixer les salaires
mi ni ma des métiers dont les ouvriers n'ont pas formé de
-syndicats, et il a, en conséquence, fixé les salaires à 2i s.
pour les hommes et 18 s. pour les femmes ; salaire très
raisonnable par rapport à ceux que touchent couramment
à Londres les ouvriers non qualifiés. Pour empêcher que
^entrepreneur n*échappàt à ces conditions au moyen de
cessions totales ou partielles de son contrat, il fut interdit
de faire de semblables cessions sans le consentement préa-
lable du Conseil, consentement qui n'est accordé que si le
(1) L. C. C est l*abrévialion courante pour London County Council.
OUVRIERS ET EMPLOYÉS 36g
SOUS- contractant s'enga<;e à observer les conditions du
preiuier contrat.
Ce régime ne s'appliqua d'abord qu*aux soumissions re-
latives à Texécution de certains travaux, et notamment à la
construction de bâtiments et à celle des égouts. On i'éten-
dit ensuite à la fabrication des marchandises et des matières
brutes. Finalement on ajouta dans les marchés passés pour
la fourniture des objets d'habillement, chapeaux, manteaux,
etc., et pour empêcher qu'ils ne fussent fabriqués dans les
conditions du sweating, une clause spéciale ainsi conçue :
«r Les entrepreneurs s'engagent expressément à faire exé-
eu ter dans leurs ateliers mêmes tout le travail que néces-
sitera Texécution de ce contrat. » Toute contravention est
punissable d'une amende de 100 £ que le L. G. G. se réserve
de retenir surlo prix ronvenu.
L'introduction de la Pair Wages Clause témoignait de
la part du L. G. G. d'un réel souci du bien-être de ses ou-
vriers. Mais son adoption par un nombre considérable Je
villes et son application à Londres même suggère certaines
réflexions. A plusieurs repri.ses le cas suivant s'est pré-
senté, où le L. G. G. n'ayant trouvé pour soumissionner que
des entrepreneurs étrangers à Londres, mais qu'il obligeait
cependant à payer de fair wages, on aboutissait à ce ré-
sultat bizarre que le contribuable de Londres, et par consé-
quent l'ouvrier de Londres, se trouvait faire de ses propres
deniers un cadeau à des travailleurs étrangers. Pour
remédier à cet inconvénient il n'est pas de proposition
qu'on n'ait faite. On commença par dire qu'il ne fallait
confier Texécution des contrats qu'à des maisons de Lon-
dres ; point n'est besoin de longue réflexion pour voir que
cette mesure, en supprimant toute concurrence extérieure,
aboutirait rapidement à laisser le L. C. G. aux mains de
Boverat 24
370 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
quelques entrepreneurs seulement, situation fâcheuse à
tous égards, et dont ce corps ne pourrait sortir qu'en exé-
cutant lui-même ses travaux en régie (1). Un second
membre du L. C.G. allant plus loin encore, demanda que
les travaux à exécuter par le L. C. G. dans les difTérentes
paroisses fussent confiés à des ouvriers de la paroisse ou
du district intéressé ; [iroposition absurde, qui fut heureu
sèment repoussée, mais qui montre bien jusqu'où peuvent
mener les fantaisies de Tesprit syndical ou des groupements
ouvriers.
En avril 1896, un autre membre du Conseil faisait la
proposition suivante : « Chaque fois que le L. C. C, deman-
dait-il, procédera à une adjudication en vue de Texécution
de travaux publics ou de la fourniture de marchandises
quelconques, le bureau d'adjudication devra, pour 6xer
son choix, tenir compte de la différence existant entre les
salaires de Londres et ceux des autres villes et donner de
préférence le contrat k la maison de Londres, à supposer
que ce soit une bonne maison et que le chiffre plus élevé
de sa soumission ne soit attribuable qu'à la différence des
salaires, d Le mémorandum dont cette proposition était
accompagnée donnait quelques exemples de ces différen-
ces, parfois considérables. Dans Tindustrie des machines,
elles atteignent 4 et 6 s. par semaine, dans la construction
des navires quelques shillings. A Glasgow certaines classées
de travailleurs touchent 10 shillings de moins qu'à Lon-
dres ; c'est à Londres également que les cordonniers et
tailleurs gagnent le plus. Cette proposition ne fut heureu-
sement pas adoptée. Quelles n*eussent pas été les consé-
quences d'une semblable politique? Elle aurait commencé
(1) Hugo, op. cit., p. 251.
OUVRIERS ET EMPLOYAS 3^1
par exclure des adjudications les meilleures maisons de la
province et laissé le L. G. G. entre les mains des maisotis
de Londres. L'exécution, dans la métropole même, de
toutes les constructions et de tous les produits nécessaires
au L. G. G., en admettant sa possibilité, eût sans doute
donné de l'ouvrage à un certain nombre de sans-travail, et
cela au taux fixé par les syndicats. Mais, pour la province,
cette politique eût signifié une diminution de travail dont
le premier effet aurait été de mettre sur le pavé un certain
nombre de travailleurs, lesquels eussent immédiatement
commencé à émigrer vers la capitale comme vers un para*
dis. Leur nombre eût vite dépassé le nombre de personnes
auxquelles la nouvelle politique aurait donné du travail, et
l'aventure se serait finalement terminée par une baisse
générale des salaires et une augmentation du nombre des
sans travail ; c'est-à-dire qu'on aurait abouti au résultat
contraire de celui qu'on cherchait à atteindre. Qu'on s'ima-
gine la généralisation de cette politique protectionniste,
chaque ville obligée de demander tout ce dont elle a besoin
à l'industrie de la localité : ce serait Tautorité locale livrée
à l'exploitation des entrepreneurs, forcée de payer toutes
choses moitié plus cher queleurvaleur réelle, contrainte de
se passer ou d^attendre longtemps des objets qu'elle aurait
pu avoir autre part, rapidement et ji bon compte. G'est là
une politique dont la réalisation mènerait à la création de
petits Etats ennemis, ou tout au moins étrangers les uns
aux autres, au sein même d'un grand Etat ; à la création, à
l'intérieur d'un même pays, de barrières semblables aux
barrières douanières que les différents Etats dressent aujour-
d'hui les uns contre les autres.
De façon générale on peutdire que la préoccupation cons-
tante des conseils municipaux anglais depuis une quinzaiae
372 DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
d'anaées a été d'assurer un salaire convenable aux ouvriers
qu'ils employaient soit directement, soit indirectement par
rintermédiairede leurs entrepreneurs. Nous allons essayer
de montrer à Taide de quelques cbifTres pris dans les rap-
ports officiels comment on est arrivé à ce but et quelle dif-
férence sépare aujourd'hui, tant au point de vue de leur
taux que de leur stabilité, les salaires municipaux de ceux
de Tindustrie privée. Nous verrons ensuite les résultats qu*a
produits ce système.
La Chambre des Communes a fait publier, au mois d 'août
1905, un rapport intitulé : k Contracts of local authorities
(wages) ». Il nous donne le texte des contrats des autorités
locales qui insèrent dans leurs marchés de travaux publics
des conditions spéciales, relatives soit aux salaires, soit à
la condition des personnes employées. Ony retrouve-à peu
près partout les mêmes clauses ; elles visent à lobtention du
salaire normal, à la prohibition du marchandage (sous-con-
trat) ; parfois encore elles fixent un minimum de salaire.
Les contrats passés parla ville de Londres, par exemple,
sont ainsi conçus :
« Pendant toute la durée de son contrat, Tentrepreneur
devra observer et remplir toutes les conditions suivantes :
« A. — 1^ Payer aux ouvriers (les apprentis exceptés)
employés par lui à Texécution de son contrat, les salaires
au taux prescrit à la cinquième cédule, et pour chaque in-
fraction à cette clause payer au Conseil comme dommages
intérêts et non comme peine une somme de 5 £.
« 2° Observer et faire observer par ses ouvriers un nom
bre d'heures de travail qui ne pourra être supérieur au
nombre d'heures prescrit par la cédule 7 et pour chaque
infraction à cette stipulation, il payera au Conseil, comme
dommages-intérêts et non comme peine, pour chaque jour
OUVRIERS ET EMPLOYAS ^^3
OÙ une infraction de ce genre aura été commise et pour
chaque ouvrier à Fégard duquel elle Taura été, la somme
de 5 s. par heure de chaque jour où Touvrier aura été em-
ployé par Tentrepreneur au delà du nombre maximum
d^heures prescrit à la cédule 7; à condition toutefois de ne
pas interpréter cette stipulation de manière à empêcher le
travail supplémentaire lorsque ce travail supplémentaire
n^est pas en opposition avec les règles des Trade-Unions
intéressées.
a 3" L'entrepreneur devra faire afficher dans tout atelier,
fabrique ou chantier occupé par ses ouvriers pour Texécu-
tion de son contrat, de façon à pouvoir être aisément lue
par chacun d'eux, une copie clairement imprimée ou écrite
de la 7« cédule ci -jointe.
(c 4'' L'entrepreneur devra, à tout moment,«chaque fois
qu*il en sera prié parle clerk du Council, produire aux fonc-
tionnaires que l'on déléguera à cet effet, le livre des heures
de travail et de salaires, pour que Ton puisse savoir s'il se
conforme ou non aux conditions du contrat.
« 5** Au cas où un ouvrier employé par Tentrepreneur
viendrait à ne pas recevoir le salaire convenu, le Council
pourra payer à cet ouvrier la différence séparant le mon-
tant des salaires que lui a payés l'entrepreneur de celui
qu'il aurait reçu, si Ton avait observé les clauses relatives
au salaire ; il pourra déduire de toute somme due à l'entre-
preneur le montant de la dite différence ainsi payée à l'on-
vrier.
« B. — L'entrepreneur ne pourra, sans le consentement
écrit du Council, ni céder son contrat, que ce soit en tota*
lité ou pour partie, ni conclure de sous-contrat pour l'exé-
cution de tout travail. Pour chaque infraction à cette clause,
il payera une somme de £ 200.
374 DEUXIEME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
« Au cas où Tentrepreneur contreviendrait à une ou plu-
sieurs des stipulations susdites, le conseil, au lieu de lai
réclamer le versement des dommages-intérêts payables par
lui, aura le droit de résilier son contrat. »
Quand les entrepreneurs obtiennent la permission de sous-
traiter, on insère dans les contrats passés avec eux les
clauses suivantes :
« 1^ Les sous- traités ne seront conclus qu'avec les mai-
sons ou les personnes agréées par le L. C. C.
(( 2*" Aucun sous-traité ne pourra avoir pour conséquence
de dégager Tentrepreneur de sa responsabilité ou de ses
obligations ; il sera responsable des actes, fautes, né-
gligences du sous-entrepreneur aussi pleinement que des
siennes propres.
« 3^ Dan^ tout sous-traité sera insérée une convention par
laquelle le sous-entrepreneur s'engage : 1" à payer à ses
ouvriers les salaires prévus et à ne pas les faire travailler
plus que le nombre d'heures fixé dans le cahier des char-
ges ; 2"" à faire afficher les clauses de ce sous-conirat et à
montrer ses feuilles et livres de travail et d'heures aux fonc-
tionnaires que le conseil déléguera à cet effet.
« i^ Pour toute infraction à cette convention de la part
du sous-entrepreneur, l'entrepreneur payera £ 5 au con-
seil; et pour chaque infraction aux heures de travail il
paiera 5 shillings pour chaque heure de chaque jour et
pour chaque ouvrier employé au delà du nombre d'heures
réglementaires. »
Le L. C. C. insère enfin dans ses marchés de travaux
publics, mais seulement lorsqu'il juge son insertion dési-
rable, et sur la recommandation expresse du comité inté-
ressé, la clause suivante :
« Au cas où après la conclusion du contrat un taux diffé-
OUVRIERS ET EMPLOYES 375
rent de salaires ou des heures diflérentes de travail vien-
draient à être acceptées par les associations de patron^ et
les unions ouvrières dans le métier et dans le district où
l'ouvrage est fait, le taux des salaires et des heures ainsi
modifié sera, à partir de la date de cet accord et pour le
temps seulement où il restera en vigueur, considéré com-
me substitué au taux prévu dans cette partie de la cédule
pour le même genre de travail. ))
On nous pardonnera la longueur de ces citations ; elles
ont leur intérêt, puisque la politique ouvrière du L. C. C.
a trouvé des imitateurs non seulement en Grande-Bretagne,
mais à Tétranger, en France notamment, et que les décrets
de 1899 s'en sont visiblement inspirés.
De façon générale, on peut dire qu'aujourd'hui toutes
les grandes villes anglaises, et avec elles un nombre con-
sidérable de petites, ont adopté et insèrent dans leurs con-
trats des conditions sinon identiques, du moins analogues à
celles qu'a posées le L. C. C.
C'est ainsi qu'à Birmingham, Tentrepreneur s'engage à
ne pas payer à ses ouvriers un salaire inférieur au salaire
minimum reconnu comme courant dans le district où l'ou-
vrage doit être exécuté ; la municipalité obtient-elle la
preuve que Tentrepreneurou le sous-entrepreneur ont payé
des salaires inférieurs au minimum prévu, l'entrepreneur
est condamné à lui payer 20 s. par infraction commise.
A Liverpool, les conditions sont à peu près les mêmes ; à
Bradford, l'entrepreneur doit prouver que durant les trois
mois qui ont immédiatement précédé la date de sa soumis-
sion, il a payé à tous ses ouvriers le taux normal des salaires
tel qu'il a été fixé par Taccord de la Masters' Association et
des Trade Unions intéressées. Au cas où il contreviendrait à
la fair wages clause, il serait pour cinq ans exclu des adju-
dications à venir.
376 DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
A (jloucester, il est dit que, dans tous les contrats passés
par leCouncil, on donnera, chaque fois que cela sera pos-
sible, la préférence aux entrepreneurs locaux. A Halifax,
après avoir stipulé que Tentrepreneur devra payer à ses
ouvriers le « standard rate ofwages » du district, on ajoute
que le standard rate n'est dû qu'à i< Touvrier moyen ».à
r c( average workman h, c'est à dire à rhomiue capable de
lutter à conditions égales avec ses camarades ; si au con-
traire, pour cause de vieillesse, d'infirmité physique ou
morale, il est incapable de le faire, il sera loisible à Tem-
ployeur et à remployé de s'entendre entre eux pour fixer
un juste taux de rémunération.
A Manchester, en vertu d'un standing order adopté le
l*"^ avril 1903. les entrepreneurs travaillant pour le compte
du conseil doivent payer à leurs ouvriers le standard rate
of wages reconnu par les associations de patrons et les
unions ouvrières dans les différents districts où l'ouvrage
est exécuté et ne peuvent défendre à leurs ouvriers de se
mettre d'un syndicat ou de continuer à en faire partie.
A Glasgow, ne peuvent soumissionner que les entrepre-
neurs et les maisons qui payent à tous leurs ouvriers le
standard rate of wages, et, s'il n'y a pas de standard rate.
les salaires reconnus justes et raisonnables dans les dis-
tricts où l'on exécutera le travail. A Dundee, Edimbourg,
Aberdeen, les conditions sont les mêmes qu'à Glasgow. A
Aberavon, l'entrepreneur doit donner à ses ouvriers le
standard rate of wages et ne pas les payer moins de 6 d.
par heure, sous peine d'une amende de 1 £ par chaque
infraction qu'il commettra ; à Folkestone, l'entrepreneur
doit autant que possible employer des ouvriers de la localité.
En Irlande^ nous voyons plusieurs villes fixer des taux
minima de salaires. Ces taux sont d'ailleurs en général
OUVRIERS ET EMPLOYÉS 877
très bas. Belfast, dans un contrat de novembre 1904, con-
clu pour la reconstruction de ses tramways, décide que
« le taux minimum des salaires ne devra pas être moindre
de 18 s. 6 d. par semaine. En faisant exécuter Touvrage,
l'entrepreneur devra donner la préférence au travail local ».
Ce qu'il nous faut retenir en somme, c'est que dans
tous les contrats passés par les autorités locales, on ren-
contre aujourd'hui la clause du juste salaire. Mais les fair
wages étant forcément quelque chose d'incertain et de
changeant, seront, suivant les endroits et les opinions poli-
tiques des Conseils municipaux, soit le salaire fixé par
r accord des associations de patrons et des trade-unions,
soit le tarif établi par les trade-unions seules (Battersea,
Fulham, Shoreditch, par exemple), soit encore, s'il n'y a
ni trade-unions, ni associations patronales, le salaire cou-
rant dans le district où le travail est exécuté. On voit enfin
que diverses clauses, rares encore, tendent à fixer un mi-
nimum de salaires et qu'un certain nombre de villes obli-
gent l'entrepreneur à employer les ouvriers de la localité
de préférence à d'autres ; qu'enfin la défense de sous-traiter
sans autorisation préalable est générale.
Si des ouvriers employés par un entrepreneur pour le
compte de la corporation, nous passons aux ouvriers em-
ployés par la corporation même, nous allons trouver de
nombreuses preuves de la sollicitude plus grande encore
q u'elle leur témoigne.
Le rapport que publia le London County Council à la fin
de janvier 1904 (1), deux semaines avant les élections mu-
nicipales, nous fournit à cet égard un document des plus
intéressant non seulement en lui-môme, mais aussi par
( I ) L. C. G. (Rate* of pay and hours of labour) .
378 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
Tesprit qui a poussé à sa publication. Il commence par
rappeler les augmentations de salaires et les diminutions
des heures de travail que le conseil a consenties i ses
employés depuis sa création. Il montre que dans beau-
coup de cas le L. G. G. a consenti des augmentations de
15 Vo sur les salaires que payait l'ancien Metropolitan
Board of Works de 1888 ; malgré que, fort souvent, la durée
du travail ait été en même temps sérieusement réduite.
G*est ainsi que les bateliers (boatmen) qui en 1888 rece-
vaient 25 s. par semaine et travaillaient 72 heures, reçoi veut
en 1903 27 s. et travaillent de 48 à 54 heures, suivant que
Ton se trouve en hiver ou en été ; que les soutiers (coal
trimmers) qui gagnaient 26 s. pour 60 heures, gagnent
29 s. 3 d. pour 54 ; que les agents de police (constables) qui
gagnaient de 24 à 25 s. pour 58 h. 1/2, reçoivent en 1903
27 s. pour un travail de 48 à 54 heures ; que les mécani-
ciens (engine drivers) qui gagnaient 33 s. pour 60 heures
gagnent 38 s. 6 d. pour 56 heures. Ainsi de suite pour les
autres métiers.
Un deuxième tableau de ce même rapport nous permet
de comparer les salaires et les heures de travail en vigueur
autrefois, à Tépoque des Gompagnies absorbées aujour-
d'hui par leL. G. G., aux salaires et heures de travail tels
que les a récemment fixés cette dernière assemblée. De
1899 à 1903, les salaires des maçons ont passé de 9 d. par
heure à 10 1/2 d. ; leurs heures de travail de 56 1/2 à 50 ;
les salaires des chak'retiers ont monté de 26 s. à 33 s., bien
que leurs heures aient été réduites de 68 à 60 ; ceux des
marteleurs (hammermen) de 6 1/2 d. par heure à 7 d. ;
ceux des jardiniers de 24 s. à 27 s. par semaine ; ceux des
plombiers de 9 d. à 11 d. ; ceux des scieurs de 6 et 7 1/2 d,
à 10 d. ; ceux des tourneurs de 6 1/2 d. à 8 d. 3/4 d
OUVRIERS ET EMPLOYAS 879
et 9 1/4 d. ; ceux des charrons de 7 1/2 d. et 9 d. à 9 d. par
heure. Toutes ces augmentations, dont plusieurs atteignent
29 «/o, ont été consenties depuis 1899; bien que diaprés les
rapports du Board of Trade, le taux général des salaires
dans la mécanique et le bâtiment (engineering and building
trades) n'ait pas augmenté de 1 Vo '» or, c'est précisément
à ces deux sections que se rapportent la plupart des aug-
mentations signalées. Il est vrai que sous Tinfluence de la
majorité socialiste, le Conseil a, dans beaucoup de cas, ré-
duit le temps durant lequel un homme est autorisé à tra-
vailler chaque semaine ; si bien que, finalement, sous un
pareil système, Touvrier ne gagne pas toujours davantage,
malgré l'augmentation de son salaire horaire. Nous ne sa-
vons pas jusqu'à quel point cette excessive limitation des
heures de travail est goûtée des bons ouvriers. Les anciens
employeurs avaient peut-être imposé des journées de tra-
vail trop longues; ce n'est pas une raison pour tomber
aujourd'hui dans Texcës contraire.
C'est au zèle d'un de ses anciens Labour leaders,
M. John Burns, que le L. G. C. doit de s'être lancé si har-
diment dans cette politique ouvrière nouvelle. Chaque fois
qu'il l'a pu, le Conseil a cherché à réduire les heures de
travail de ses ouvriers et à assurer à chacun d'eux un jour
de repos sur sept. Sa politique d'élévation des salaires et de
diminution de la journée de travail a augmenté les dépen-
ses de £ 300.000 à £ 350.000 par an. Mais si nous en
croyons les socialistes, cette somme est plus que com-
pensée par l'ardeur, le zèle et Fintelligence plus grande
que déploierait aujourd'hui l'innombrable armée des em-
ployés et ouvriers municipaux. Nous allons voir tout à
l'heure si cette affirmation correspond bien à la réalité des
faits (Voir le chapitre suivant).
38o DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
Nous voudrions pour le moment passer en revue quel-
ques-unes des grandes villes anglaises qui ont suivi Texem-
pie de Londres et montrer quelles augmentations de salai-
res elles ont consenties à leurs ouvriers.
Prenons ceux de la municipalité de Birmingham ; dans
son histoire de la corporation de cette ville, M. Vince (l!
remarque que, une fois au moins dans la dernière quin-
zaine d'années, on a dans chacun des départements de la
corporation qui emploient des ouvriers qualifiés ou non
qualifiés, élevé le taux des salaires ou réduit le nombre des
heures de travail. L*effet accumulé de ces concessions sur
les impôts finit par atteindre un chiffre assez sérieux,
puisque au total elles ont augmenté d'au moins £ 50.000
la dépense annuelle du Conseil.
Le 3 février 1891 , le Conseil vote h l'unanimité une
résolution tendant aune application plus rigoureuse delà
« Pair wages clause » dans les contrats passés par la cor-
poration. Il décide de donner aux divers comités des ins-
tructions précises pour qu'ils n'acceptent pas de soumissions
de personnes ou de maisons connues pour payer des
salaires inférieurs au taux minimum courant dans le dis-
trict où le travail est exécuté, et les avise de faire insérer
cette clause dans toutes les affiches relatives aux adjudi-
cations.
La question d'une limitation générale des heures de
travail fut soulevée par le conseiller Stevens, le 7 mars
1893. Il voulait que toutes les personnes, employées par la
corporation et gagnant moins de £ 150 par an, ne travail-
lassent en aucun cas plus de 53 heures par semaine, et qu'on
comptât comme temps supplémentaire (overtime) payé
(1) Voir ViNCE, op. cit., p. 388 et 389.
ouvriehs et employés 38 i
une fois et quart, tout travail fait au delà de ces 53 heures.
Le gênerai purposes committee, chargé de faire un rapport
sur cette proposition, montra que la limitation à o3 heures
entraînerait une dépense de capital de £ 26.000 et augmen-
terait de£ 30.626 la somme qu'on dépensait chaque année
en salaires. Il déclara que les conditions accordées par la
corporation à ses employés pouvaient avantageusement
soutenir la comparaison avec celles qu'accordaient d'au très-
corporations ou d'autres patrons employant la même
classe de travailleurs et que Tadoption d'une semaine de
travail d'une durée uniforme ne pourrait qu'être nuisible
au service public et charger les contribuables d'un fardeau
nouveau et injustifiable. Le Conseil approuva le rapport par
47 voix contre 6.
C'est encore en mars 1893 que le gênerai purposes com-
mittee, chargé à la suite d'un vole du conseil de faire un
second rapport sur la question suivante : pouvait-on trou-
ver et donner de l'ouvrage aux ouvriers sans travail, ha-
bitant la cité, répondit, après s'être livré à une enquête et
avoir montré les divers inconvénients qu'offrirait cette
manière d'agir, quil n'avait pas à proposer do plan qui
permit de donner du travail aux ouvriers sans emploi.
Ces quelques échecs n'ont pas empêché la politique
ouvrière que poursuivent un certain nombre des conseil-
lers municipaux de triompher à maintes reprises ; nous
n'avons, pour nous en persuader, qu^à jeter un rapide
coup d'oeil sur rhistoire des salaires payés dans les diffé-
rents services municipaux.
(Chapitre des travaux publics : les salaires des charre-
tiers et des balayeurs ont été augmentés en 1889 ; ils le
sont à nouveau en 1898 ; cette dernière augmentation
coïncide avec une augmentation générale des salaires
payés aux travailleurs non qualifiés.
382 DEUXIEME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
Chapitre de Thygiène publique : en 1890 les salaires
des conducteurs des voitures de vidanges, voitures à ordu-
res, etc., ont été élevés de 2 s. ; en 18%, on applique le
système des trois équipes, travaillant 8 heures chacune,
aux mécaniciens et chauiïeurs dont le travail se trouve
réduit de 59 h. 1/2 à 48 heures par semaine. En 1897, les
salaires des charretiers, qui ne recevaient pas plus de
24 s. par semaine, sont élevés d'un shilling, et leurs heures
de travail fixées de façon à ne pas les occuper plus de 54
heures par semaine.
Chapitre de la police : en 1890, Téchelle des salaires est
modifiée et la paye initiale élevée de 23 à 24 s. par semaine ;
on diminue le temps de service exigé jusque-là pour pas-
ser d*une classe à une autre. Le nouveau tarif fixe les
salaires des constables à 24 s. pendant 6 mois» 25 s. pen-
dant six autres mois, à 26 s. pendant 3 ans, 28 pendant trois
autres années, et enfin, au bout de ce temps à 30 s. ; les
(( sergeants » touchent 32 s. pendant un an, 34 et 36 s.
pendant deux périodes de 3 années chacune, puis 38 s.
En 1897, le Conseil fait une nouvelle concession et élève
la paye maxima des sergeants à 40 s. au bout de neuf an-
nées de service, et celle des constables à 31 s. après 10 ans
et 32 s. après 15 ans de services.
La municipalité a fait de 1885 à 1900 de nombreuses
concessions aux employés du gaz, soit qu*elle ait réduit
leurs heures de travail, soit qu'elle ait augmenté leurs sa-
laires. M. Vince estime que le coût accumulé de ces chan-
gements équivaut, pour le contribuable, à une augmenta-
lion de 4 d. par £ dans' le BoroughBate. En 18871e<]onseil
donne, par 25 voix contre 21 et malgré Topposition du
comité du gaz, l'ordre de payer le travail fait le dimanche
une fois et demie ce qu'est payé le travail de la semaine. En
OUVRIERS ET EMPLOYAS 383
1 888, il approuve un projet de congés pour les chauffeurs,
dont le coût s'élève à £ 580. En 1893 une nouvelle exten-
sion des congés porte à £ 1.500 le coût total de ces conces-
sions. En octobre 1889, on apporte aux conditions dans
lesquelles se faisait jusque-là le travail d'importants chan-
gements. Suivant l'exemple des Compagnies de Londres,
le comité du gaz substitue des équipes de huit heures à
celles de douze heures. Cette innovation réduit sensible-
ment la quantité d'ouvrage fait par chaque homme et
entraîne une augmentation proportionnelle du nombre des
ouvriers employés. On estime à £ 14.000 la dépense sup-
plémentaire qu'occasionna cette réduction des heures de
travail ; c'est une dépense qui s'élève naturellement à me-
sure que la production s'accroit. En 1894 elle atteint
£ 17.500 ; en 1899-1900, £ 26.00.
En 1890, Taugmentation des salaires des charretiers et
des travailleurs non qualifiés coûte à la corporation £ 600,
à la fin de 1891 la réduction des heures de travail de 54 à
53 par semaine provoque une augmentation de dépenses
de £ 700. En février 1897, les ouvriers gaziers demandent
la révision des heures et des salaires adoptés en 1889.
Leurs demandes entraînaient des changements dont le coût
annuel se serait élevé à £ 18.750. Après de longues discus-
sions, une transaction intervient ; Taugmentation annuelle
des salaires est fixée à £ 9.000.
Birmingham n'est pas un cas particulier; toutes les au-
tres grandes villes anglaises à tendances municipalistes
ont fait comme elle ; mais, fait digne d'attention, c'est sur-
tout lorsqu'elles rachètent une entreprise jusque-là dirigée
par des particuliers, comme les usines à gaz ou les réseaux
de tramways, qu'on les voit soucieuses de relever le salaire
des ouvriers aGn de se rendre plus populaires. C'est une
384 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
constatation qui ressort de toutes les dépositions des town
clerks devant le sélect committee de 1900.
A Liverpool, sir Th. Hufçhes nous dit, en 1900 (4), c'est-
à-dire trois ans après le rachat, que la corporation a si
bien amélioré la situation des employés des tramvays que
leur salaire hebdomadaire moyen est à présent de 5 s. su-
périeur à ce qu'il était sous la direction de la Compagnie.
« Nous leur donnons des uniformes, ajoute-t-il, et nous
avons créé des classes de mérite qui leur permettent d^ob-
tenir des salaires supplémentaires lorsque leur conduite
est exemplaire et qu'ils sont méritants. » La durée de leur
travail a été réduite d'environ 3 heures par jour.
Manchester a également amélioré après le rachat la posi-
tion des employés des tramways. Le Conseil a fait adopter
une semaine de 54 heures de travail, soit une réduction
d'un peu plus de 16 heures par semaine, sur le temps de
présence que devaient les conducteurs et gardiens au ser-
vice de la Compagnie. Leurs salaires ont été augmentés ;
on leur a fourni des uniformes. Le coût de ces concession s
se monte à £ 40.000 par an environ.
Lorsque la municipalité de Glasgow reprit à son compte
l'exploitation des tramways, elle réduisit non seulement
de façon sensible les heures de travail des employés, mais
augmenta leurs salaires de 5 s. par semaine environ. Les
employés des services de Teau et du gaz touchent des salai-
res supérieurs de 20 Vo à ceux que leur donnaient les an-
ciennes Compagnies. Il est vrai que le rachat de ces Com-
pagnies remonte déjà loin et que depuis cette époque les
salaires ont augmenté de façon générale dans tout le pays.
N'empêche qu'en moyenne les salaires que paie la mu-
(l) Municipal Trading Report, 1900; Quest. 2125.
OUVRIERS ET EMPLOYAS 385
nicipalité de Glasgow, supportent avantageusement la com-
paraison avec les salaires de toute autre] municipalité. Les
« Stalwarts » eux-mêmes, le parti politique avancé de Glas-
gow, craignent actuellement de les fixer à un gtaux très
supérieur k celui que paient les employeurs et entrepre-
neurs particuliers et se montrent plutôt partisans d'une
réduction des heures de travail que d^une augmentation des
salaires.
Les rapports publiés chaque année par le Board of Trade
(Labour department) sur les changements qui se produisent
dans le taux des salaires et les heures de travail nous four-
nissent eux aussi des renseignements fort intéressants.
Alors que de 1900 à 1904, durant quatre années consécuti-
ves, les variations de salaires se traduisent pour Tensemble
des ouvriers anglais par des réductions, nous voyons les
salaires municipaux conserver une stabilité parfaite et pro-
gresser légèrement chaque année.
En 1904, le nombre total des personnes employées par
les autorités publiques, qui ont été touchées par des
changements de salaires, a atteint 8.245. Le montant net
par semaine des augmentations consenties a été de £ 656
18 s. Od. (1).
Tous les changements ont consisté en des augmentations
de salaires. Le nombre des ouvriers qu'elles ont affectés fut
cette année-là légèrement inférieur à ce qu'il avait été en
1903, plutôt plus grand qu'en 1902, mais bien moindre
qu'en aucune des années comprises entre 1896 et 190f . Le
montant net de l'augmentation des salaires fut cependant
un peu plus grand qu'en 1903 ou 1902.
(i ) Report on changes in rates of wages and hours of labour in 1904
{Board of Trade), p. 34.
Boverat 25
386
DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
Le tableau ci-dessous nous donne de 1895 à 1904 le nom-
bre d'ouvriers qu'ont affectés les changements de salaires et
le montant net des augmentations.
L
Nombre d'ouvriers
ANNKSS
affectés
1803
6.035
1896
14.523
1807
20.082
1808
12.130
1800
10 524
1000
31.743
1001
27 628
1002
7 871
1003
8.650
1004
8.245
Montant net de l
'aiigvneotation
par semaine des salaires.
par comparaison
avec cbaiiae
année précédente
£ 558
17 8.
882
0
1.513
19
856
11
1.147
19
2.502
7
1.832
13
602
0
511
13
656
18
J
Le nombre total des ouvriers employés par les autorités
publiques, qui ont été touchés par des changements dans
leurs heures de travail, a été de 2.U80 (en 1904), dont 74 ont
vu augmenter et 2.006 réduire la durée de leur travail
hebdomadaire. Les 74 qu'a touchés une augmentation
sont des employés de la municipalité de Gateshead dont
on a porté le temps de travail de 50 à 51 heures 1/2 par
semaine. La plus importante des réductions est celle qu'on
a consentie aux ouvriers paveurs de Manchester, qui ne
travaillent plus que 50 au lieu de 53 heures. Le résultat
net de tous ces changements aboutit à une diminution de
7 889 heures de travail par semaine.
La tendance actuelle des municipalités anglaises, surtout
de celles d'entre elles que dirigent des Conseils socialistes,
est de relever de façon exagérée les salaires des ouvriers
non qualifiés. A Sheffield, on augmente eu 1904 le salaire
des chauffeurs du destructor de 2 s. par semaine et on le
OUVRIERS ET EMPLOYAS 887
porte à 30 8. A Bermondsey (Londres) celui des égoutiers
est augmente de 1 s. 3 d. à 2 s. et porté à 30 s. A East-Ham ,
relui des balayeurs est augmenté de 2 s. par semaine et
poi té à 30 s. A Finsbury, celui des charretiers augmenté
de 2 k. et celui des'laniers (Qushers) de 3/ sont tous les
deux portés à 30 s. A Poplar et à St-Pancras le salaire des
balayeurs est porté à 30 s.
Ces exemples nous montrent Tavantage énorme qu*il
y a pour un ouvrier à travailler pour une municipalité
plutôt que pour un particulier. Une fois engagé par une
corporation, un homme est généralement sûr d'être gardé
par elle, quoi qu'il arrive ; à tous égards il fait partie d*une
classe absolument privilégiée. Mais les employés des mu-
nicipalités ne sont pas des privilégiés en ce sens seulement
qu'ils obtiennent d'ordinaire le taux des salaires fixés par
les trade-unions et même quelquefois davantage pour
une somme de travail très modérée ; mais en ce sens aussi
qu'alors que les salaires des hommes et des femmes tra-
vaillant dans des conditions ordinaires s'abaissent ou s'élè-
vent suivant Tétatdu marché de travail, et baissent souvent
de façon très sensible, les salaires des personnes employées
par les autorités locales n*ont qu'une tendance unique, la
tendance à la hausse. Nous donnons ci-dessous pour les ou-
vriers de Tindustrie privée un tableau analogue à celui que
nous avons précédemment donné pour ceux des autorités
publiques ; il fait ressortir une tendance très nette à la baisse
depuis trois ans.
Ainsi, en 1004, plusde 800.000 personnes ont été attein-
tes par des variations du taux des salaires. Parmi elles
784.000 ont supporté des diminutions s'élevant à £ 40 000
par semaine ; 16.000 seulement obtenaient des augmenta-
tions montant ࣠1.200 par semaine. Le résultat net de
388
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE PBEBUER
tous ces chaagemeats fait ressortir une diminution d'envi-
ron £ 39.200 sur Tannée précédente.
ANNiBS
AUGMtNTATION
Ouvriers
affectés
1895
1896
1897
1898
1899
1900
1901
1902
1903
190i
Totol
par
semaine
DIMINUTION
Ouvriers
alTectés
80.107
379 975
560.707
1.000.240
1.170 937
1.109.284
42d.715
91.812
21.327
16.054
6.159
33.648
32.861
81.500
90.418
211.412
40.790
5 326
1 541
1.202
349.645
167.^57
13.855
11.865
1.132
23 010
489. S18
789.891
874.721
784.604
Total
par
semaine
TOTAL
Ouvriers
alTeclés
34 284
7.129
1.354
787
104
2.822
117.377
7.921
39.868
40.432
«Mi dl0ltB«L t — \
par
avvc
434.708
605.404
597 U4
1.012.119
1.172.069
1.132.386
928.926
887.206
896 598
80U.658
28.125
26.519
31
80
507
713
00 314
208 fm
76.587
72 SB
38.327
39.230
(1)
Ces statistiques nous prouvent que, tandis que les particu-
liers,entrepreneurs ou commerçants, se voient fréquemment
contraints par les exigences de la production ou de la concur-
rence à réduire les salaires de leurs ouvriers, les municipa-
lités commerçantes, indifférentes aux considérations écono-
miques ordinaires, n'en maintiennent pas moins les salaires
à un taux élevé soit en réduisant leurs profits jusqu*au point
de les faire disparaître, soit en ayant recours aux împôts.Si
bien qu'il peut se faire que, par suite de Taugmentation des
impôts due à des causes de ce genre, l'ouvrier ordinaire, dont
les salaires ont subi une diniinution, ait à payer pour son
logement un loyer plus haut, au bénéfice de l'ouvrier muni-
cipal dont les salaires ont au contraire augmenté.
(1) Board oj trade {labour deparlment). Report on changes in raies o/
toages and hours of labour^ \90ijp. M,
OUVRIERS ET EMPLOYÉS SSq
Plus d^une fois, et en maint emiroit, on a pu constater les
graves inconvénients qu'il y a à donner aux employés des
municipHlités des salaires plus élevés queceux qu'ils touche-
raient si Ton observait le cours du marché du travail ; la
ville de Sfaeffield en oiïre un exemple remarquable (1).
La corporation avait en effet donné à ses employés des
salaires si élevés que nombre d'ouvriers locaux trouvèrent
qu*il leur serait plus avantageux de quitter les métiers
qualifiés qu'ils exerçaient et de sefaireconducteursdc tram-
ways ou même balayeurs des rues. Beaucoup d'entre eux
abandonnèrent ainsi la coutellerie. Les manufacturiers n'a-
vaient qu'à payer de meilleurs gages, répondra-t-on, pour
engager leurs ouvriers à rester. La réponse ne vaut rien,
car s'il est toujours loisible à la municipalité de Sheffield
de payer les salaires qu'il lui plait, puisqu'elle dispose des
impôts locaux pour remplir sa caisse, les employeurs, au
contraire, ont à faire face aune concurrence intérieure et
extérieure qui ne leur permet pas de donner à leurs ouvriers
des salaires de pure fantaisie. Et ce n'est pas leur faciliter
leur tâche que de prendre de semblables mesures.
Gomme le dit M. Colsonpour un cas analogue (balayeurs
de la ville de Paris) (voir son traité à' Economie politique^
tome I.page 407), voilà des gens <i qui consacrent leur
temps à un emploi dans lequel leur force et leur talent sont
fort mal utilisés et dont ils privent des malheureux incapa-
bles de gagner leur vie autrement. Toutes les fois que les
administrations publiques paient ainsi un travail manuel ou
intellectuel beaucoup plus cher qu'il ne vaut, elles amènent
un relèvement inutile, mais inévitable, dans le niveau du
recrutement, et au lieu d'améliorer la situation du person-
(1) Voir le Times du 10 septembre 1902.
390 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PRKMIER
nel auquel les emplois inférieurs reviendraient naturelle-
ment, elles l'en dépossèdent. »
Malgré tout, l'ouvrier est en général favorable au socia-
lisme municipal, parce que pour lui, municipalisme et
amélioration de son sort, ou plus exactement de son salaire,
sont synonymes. Ce n*est pas de ce point de vue qu'il nous
faut considérer la question : il faut nous demander s'il est
légitime de donner à l'ouvrier municipal un salaire plu:»
élevé et si l'on peut raisonnablement voir dans cette manière
d*agir un argument en faveur du municipalisme.
L'insertion de la « fair wages clause » part d'un très loua-
ble sentiment ; mais pourquoi, se demande M. Darwin (t ),
« Touvrier qui construit un tramway pour le compte
d*un entrepreneur recevrait-il un salaire plus élevé parce
que le tramway qu'il construit sera un jour propriété mu-
nicipale et non pas propriété d'une Compagnie? Si Ton a
raison d'augmenter artificiellement le salaire dans un cas.
il faut le faire aussi dans Tautre »>. Logiquement il faut ren-
dre rinsertion de la fair wages clause obligatoire dans tous
les contrats ou ne Tinsérer dans aucun : Ton verrait alors
disparaître la soi-disant supériorité de Tindustrie munici-
pale sur rindustrie particulière.
L*emploi direct du travail, disent les socialistes, offre
deux avantages distincts : 1® l'ouvrier travaille dans de
bien meilleures conditions, lorsqu'il est uu service d*une
municipalité, que lorsque c est un particulier qui l'emploie.
Pour un même travail, il reçoit un salaire plus élevé ; sa
journée de travail est moins longue; pour lui enfin le
sweating n'existe pas. Le nombre de personnes qui se trou-
vent ainsi directement bénéficier des applications du so-
(1) Voir sur cette question le chapitre II du livre du major Darwin
à qui nous empruntons la plupart des arguments qui suivent.
OUVRIERS ET EMPLOYAS 3g I
cialisme municipal est considérable ; 2"* le bon exemple que
donneront aux employeurs privés pour la durée du travail,
le taux des salaires et les conditions d'emploi, les munici-
palités propriétaires d'entreprises industrielles, rejaillira
favorablement sur les hommes qu'ils emploieront. Directe-
ment et indirectement, l'action des municipalités profitera
à tout le monde.
Allant plus loin, quelques avocats du Municipal Trade
réclament comme un mérite de leur système le traitement
meilleur qu'il permet d'accorder aux employés municipaux
et cherchent en même temps à prouver que l'entreprise
municipale ne revient pas nécessairement plus cher que
l'entreprise privée. Si l'une de ces assertions est vraie, il
faut pourtant que Tautre soit fausse, fait remarquer M. Dar-
win. M Si les municipalités ne paient pas leurs ouvriers
mieux que les entrepreneurs privés, comment peuvent-
elles leur donner le bon exemple? Mais si le salaire de
l'ouvrier municipal est plus élevé que le salaire de l'ouvrier
privé, n'en résulte-t-il pas forcément que le coût de pro-
duction doit être plus élevé dans l'entreprise municipale
que dans l'entreprise privée ? On a cherché de diverses
façons à sortir de ce dilemme ; on n'y est pas arrivé.
Les municipalistes ont dit qu'en renonçant à confier
l'exécution des travaux publics à un entrepreneur, et en les
exécutant en régie, on économise le profit de l'enlrepre-
neur, et qu'en conséquence le paiement aux ouvriers de
salaires plus élevés n'entraînera pas d'augmentation du
coût total. Il faudrait d'abord prouver qu'en travaillant
en régie on réussit à faire l'économie du profit de Tentre-
preneur ; pour nous, il ne fait pas de doute qu'un entre-
preneur personnellement intéressé au succès de son
entreprise, ne réussisse mieux en général qu'un contre-
396 DECXIEME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
consommateurs des marchandises produites par les usines
municipales. »
Voici qui devrait suffire, ce nous semble, à faire condam-
ner rhabitude qu on a prise de payer les ouvriers munici-
paux plus cher que ceux qui travaillent pour des particu-
liers. Tous les ouvriers ne payent-ils pas des impôts, soit
directement, soit indirectement, lorsqu*ils paient leur
loyer? Ne voyagent ils pas en nombre énorme dans les
tramways municipaux ? Ne consommeut-ils pas du gaz, de
Teau et d*autres articles que leur vendent les autorités
locales ?
« Quelque léger que puisse être le fardeau qu'on va leur
imposer, dit M. Darwin, comment excuser une méthode
qui consiste à taxer des ouvriers, soit comme contribuables
soit comme consommateurs, et à réduire ainsi à un certain
niveau le revenu dont ils disposent afin d*élever au-dessus
de ce même niveau le revenu d'un nombre relativement
petit d'ouvriers vivant dans la même localité et faisant le
lAême genre d'ouvrage ? Pourquoi, pour avantager le
travailleur municipal, ferait-on subir le moindre dommage
à Touvrier privé? Le désir que nous ressentons tous de
voir s*améliorer le sort du travailleur municipal ne justifie
en rien une mesure de ce genre. »
Il existe d'autres raisons un peu moins évidentes peut-
être, pour lesquelles on ne devrait pas faire de l'ouvrier
municipal une classe spécialement privilégiée. Lui donner
des avantages exceptionnels, c'est le rendre exceptionnelle-
ment anxieux de conserver sa position, c'est augmenter,
comme nous le verrons dans le chapitre suivant, les chances
de corruption.
« L'élévation du salaire des ouvriers municipaux au-des-
sus du niveau moyen du marché est chose dangereuse enfin
OUVRIERS ET EMPLOYAS 897
parce que ne reposant sur aucun principe» il n'est pas de
raison pour qu'elle ait de limites. Si Ton admet qu'il faut
payer les ouvriers des corporations 5 Y^ de plus que les
ouvriers de l'industrie privée, pourquoi leur refuserait-on
des salaires de 10 ou 50 7o plus élevés ? »
Il n'est personne qui puisse blâmer des employés de faire
de constants et légitimes efforts pour obtenir une augmenta-
tion de leur salaire; c'est leur intérét,commec'estrintérèt de
la communauté de résister à leurs demandes ; mais elle aura
d'autant plus de peine à le faire qu'elle aura abandonné le
salutaire principe de les payer au taux normal du marché.
Et si Ton finit par leur céder, par leur donner ce qui n*est
en somme que Téquivalent d'une subvention fournie par les
impôts, que répondra-t-on aux autres ouvriers qui vou-
dront en obtenir autant? Quelles raisons aura- t-on de ne
l'accorder qu à une classe aussi arbitrairement choisie ?
Rapidement on se trouvera placé dans une situation aussi
dangereuse qu'insoluble par la seule faute de l'intervention
municipale.
On n'essaye plus guère aujourd'hui de justifier Temploi
d'ouvriers municipaux payés cher ou travaillant peu par
des motifs charitables ou par cette raison que la journée de
travail très courte permet de donner de l'ouvrage à plus de
monde. Les travaux publics et l'assistance publique sont
deux choses distinctes, bien, que certaines municipalités
anglaises ne paraissent pas encore très pénétrées de cette
vérité. Nous voyons tout autant d'objections à accorder à
l'ouvrier municipal des journées de travail trop courtes
qu'à lui payer un salaire trop haut; mais il est tout aussi
déplorable au point de vue financier d'employer à un ou-
vrage plus d'ouvriers qu'il n'est réellement nécessaire que
de payer trop cher des ouvriers qui ne sont qu'en nombre
suffisant.
3g8 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
S inspirer de principes charitables dans le choix des
employés municipaux, ce serait renoncer à les choisir poar
leur habileté et leur capacité. Employer des ouvriers parce
qu'ils ne trouvent pas d'ouvrage autre part, ce serait, tant
au point de vue de l'exécution technique des travaux qu'au
point de vue financier se lancer dans une voie partîculi^^e-
ment dangereuse ; ce serait, sur une plus petite échelle,
renouveler Texpérience que nous avons faite en France des
ateliers nationaux.
Finalement, nous ne voyons pas par quels arguments le
socialisme municipal peut se justifier de payer le travail
municipal plus cher que le travail privé. Si les municipa-
lités dépensent en salaires pour exécuter un travail plus
d'argent que n'en dépenseraient des particuliers, loin d*v
voir le moindre avantage, nous y verrons un signe de Fin-
fériorité du Municipal Trade et une raison suffisante pour
le repousser.
Les arguments que produisent en cette matière les par-
tisans du socialisme municipal ne résistent pas à un examen
attentif ; et si les inconvénients financiers de ce svstème
nous apparaissent ici dans la note à payer, nous verrons que
ses inconvénients moraux, tout aussi sérieux peut-être, se
traduisent dans la vie politique ou administrative de façon
également regrettable ; ce sont eux que nous nous propo-
sons d'étudier dans le prochain chapitre*
CHAPITRE II
RAPPORTS DBS OUVRIERS MUNICIPAUX AVKG LBS CORPORATIONS.
LE DROIT DE VOTE DBS EMPLOYÉS MUNICIPAUX.
Nous avons au début du précédent chapitre noté la posi-
tion particulière qu'occupaient respectivement les ouvriers
d'une municipalité et les conseillers municipaux les uns à
regard des autres ; le rapport qui existe entre eux est dou-
ble, disions-nous ; il est d'abord celui d'employeur à em-
ployé ; il est aussi, et il devient de plus en plus, celui d'é-
lecteur à élu. Les conséquences de cette situation chez un
peuple en général aussi pondéré, aussi sage que les Anglais,
lorsqu'il s'agit de la gestion des affaires publiques, sont des
plus intéressantes à étudier pour nous autres Français ; ce
que nous aurons à en dire ne nous fera que mieux compren-
dre les résultats probablement bien pires auxquels nous
arriverions rapidement, si nous nous lancions sans réflexion
dans la voie du Municipal Trading.
C'est un phénomène qui n'est pas particulier à l'Angle-
terre que celui de l'augmentation rapide du nombre des per-
sonnes employées par les autorités publiques ; on l'observe
en France, en Allemagne, aux Etats-Unis, en Australie,
partout où TËtat étend chaque jour davantage son influence
el ses attributions. C'est du jour en effet où il se reconnaît
des devoirs économiques à l'égard de ses nationaux que
l'armée de ses employés et de ses bureaucrates commence
400 DEUXIÈME PAUTIE. CHAPITRE II
à preadre des proportions fantastiques ; au lieu de quelques
personnes chargées de recueillir les impôts et de mainte-
nir Tordre public, il s'entoure d'une nuée de fonctionnaires
qu'il mèld à tous les actes de notre vie. Nous ne pourrons
plus consommer une marchandise, utiliser un moyen de
transport, louer un logement, qui n'ait été fabriqué, cons-
truit, installé, par les employés de l'autorité publique, dis-
tributrice de toutes choses.
L'accroissement du nombre des employés municipaux —
c'est de ceux là que nous nous occuperons plus particuliè-
rement— n'est pas un danger imaginaire. Le nombre de
voix toujours plus grand dont ils disposent aux élections
commence à leur donner conscience de leur influence, et
Ion peut dès à présent entendre les chefs du parti socialiste,
joyeux et Gers de leurs progrès rapides, leur expliquer l'u-
sage qu'ils doivent faire de leur force nouvelle.
A la onzième conférence annuelle de l'Association des em-
ployés municipaux (Municipal Employées Association)tenue
en mai 1905, M. Keir Hardie a déclaré qu'en sa qualité de
socialiste, il était tout à fait favorable à la création d'une
union des employés municipaux et qu il était heureux de
constater les merveilleux progrès de l'Association. En feuil-
letant dernièrement des documents parlementaires, il était
par hasard tombé sur l'un d'eux qui l'avait, dit-il, justement
étonné, car il lui avait appris que Ton comptait, dans le
Royaume-Uni, plus de deux millions d'employés munici-
paux. Le nombre total des salariés étant de quatorze mil-
lions, le fait présentait un intérêt tout particulier.
Il est assez difficile de déterminer avec exactitude le nom-
bre des personnes employées directement parles municipa-
lités. Mais si l'on songe au nombre considérable de villes
qui ont actuellement municipalisé les usines à gaz, Télectri-
RAPPORTS DES OUVRIERS MUNICIPAUX ÂOJ
citéy les tramways, pour ne parler que des entreprises les
plus importantes, le chifTre de deux millions que cite le lea*
der socialiste n'a en somme rien qui doive nous étonner.
Et pourtant rinfluence que les employés municipaux peu-
vent exercer et exercent en fuit aux élections locales dans
un but purement égoïste, n*est pas chose que la commu-
nauté puisse regarder d'un œil indiiïérent. Le fait que ce
sont les élus qui fixeront les salaires de leurs électeurs et
qu'ils auront à mettre d'un côté de la balance les bulletins
de vote, deTautre les augmentations de salaires, nous mon-
tre la position spécialement embarrassante des conseillers
municipaux et fait prévoir de quelle manière ils résoudront
en général la délicate question qu'on leur pose.
Un semblable état de cho^^s ne pouvait laisser le contri-
buable an.;lais indiiï.Went. S il n'aime pas qu'on fasseàsa
bourse de trop fortes saignées, il est fier aussi, et jusqu'à
présent à juste titre, de l'intégrité de ses fonctionnaires
locaux. Aussi un mouvement assez fort s'est-il produit dans
ces dernières années, à propos du droit de vote des employés
des autorités publiques, tant de l'Etat q ue des municipali-
tés. Le Conseil municipal, en eiïet, joue dans une certaine
mesure vis-à vis de la ville le rôle que joue le gouvernement
vis-à-vis de la nation ; mais tandis que les employés au ser-
vice du gouvernement, à l'exception des ouvriers des docks,
sont dispersés par tout le pays, ceux des autorités locales
sont centralisés, ce qui ne peut qu'aggraver le danger poli-
tique auquel nous faisons allusion. On a souvent protesté
contre la pression que les employés de TËtat arrivent à
exercer sur les membres du Parlement. Il y a bien des an-
nées déjà, M' Gladstone hésitait, pour cette raison même,
à donner le droit de vote aux « civil servants » ( employés
civils), et l'objection principale de Lord Salisbury à la natio-
Uoverat 26
402 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE II
iQtaiisatioades téléphones aurait été raccroissement énorme
du nombre d employés d*Etat que ce rachat eût occasionné.
Le. danger est très rcel et les débats de la Chambre des Coin-
munes à propos du Post Office, le 30 avril 1903, l'ont bien
montré. Le Post Master General (M. Austen Chamberlain:
disait que u nombre de membres de cette chambre connais-
saient la pression qu'exerçaient les employés du Post Office,
et qu'ils redoutaient tout particulièrement cette pression au
moment des élections ; d'honorables gentlemen, apparte-
nant à tous les partis, étaient venus le trouver et lui deman-
der de les protéger dans Taccomplissement de leurs fonc-
tions publiques contre la pression que cherchaient à exer-
cer sur eux les employés du Post Office ». M. John Burns
lui-même déclarait que « là où existait la pression dont
parlaitle Post Master General, le vrai remède consisterait à
priver les employés du Post Office de leur bulletin de vote»,
et il affirmait qu*il était prêt à voter cette mesuré. Le mai
est aigu dans les colonies australiennes où, d'après le Mel-
bourne Argus^ les gens au service de TËtat forment pres-
que la majorité des noms inscrits sur les listes électorales.
Lorsqu'il s*agit des municipalités, le cas est encore plus
grave ; devant le Joint Select Committee on Muniripal Tra-
ding de 1900, lord Avebury, à qui 1 on demandait son avis
sur le rôle des municipalités dans les questions ouvrières,
répondit : « Il semble qu*il y ait une difficulté toute parti-
culière pour les membres d'une municipalité à fixer les
salaires de leurs propres électeurs. . . C'est, à mon avis, une
raison et une forte raison pour interdire aux municipalités
de s'engager dans des transactions de ce genre. »
Le seul moyen de prévenir les inconvénienMrès sérieux
de la pression électorale consisterait à priver de leur droit
de vote les employés municipaux pour les élections mu-
nicipales ; ridée fait son chemin.
RAPPORTS DES OUVRIERS MUNICIPAUX 4o3
Sir Thomas Hughes, deux fois maire de Liverpool, et
sous beaucoup de rapports ardent municipaliste, ne se fait
pas dillusions à ce sujet (1). » J'ai toujours prévu ce dan-
ger, déclaret-il : c'est pourquoi je ne me suis jamais sou-
cié de pousser les entreprises municipales plus loin qu'il
nétait nécessaire... J'approuve hautement le principe
qu'ont adopté nombre de fonctionnaires de tout grade de
ne jamais prendre part aux élections, et je voudrais qu'il
fût suivi de tous les employés. J'ai vu un très honnête
homme perdre son siège de conseiller uniquement parce
qu'on pensait qu'il n'était pas favorable aux revendications
des ouvriers municipaux... J'estime que du jour où un
homme devient employé de la corporation, il ne devrait
plus être autorisé à se choisir ses supérieurs. »
M. 0. Smith, town clerk de Birmingham, à qui Ton
demandait s'il voyait un danger quelconque, politique ou
autre, à ce qu'une corporation employât un grand nom-
bre d'ouvriers, répondait(2) : « que la question était bien
vaste ; qu'il pensait qu'il y avait là un danger dont on
devait se préoccuper... » Il exprimait son désir personnel
de voir tous les employés municipaux privés de leur droit
de vote. Et TAlderman Southern, de Manchester, témoi-
gnant les mêmes craintes et disant qu'on pouvait redouter
de voir un jour les. employés municipaux s'unir et voter
tous ensemble pour un même candidat, sans égard à sa
capacité, mais simplement parce qu il leur aurait promis
une augmentation de leurs salaires, préconisait le même
remède que son collègue de Birmingham.
Le Lord Provost de Glasgow, M. S. Chisholm, chef
d* une cité qui emploie plus de 13.000 ouvriers et employés,
(1) Municipal Trading Report, 1900, quest. 2304..
(2) Municipal Trading Heporl, 1900, quest. 1947.
4o4 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II
déclarait en 1902 que, pour lui, le danger résidait dans la
création d'une union des employés municipaux dont la
pression, lors des élections, pourrait détruire le meillenr
des gouvernements locaux. En voyant croître le danger,
il avait souvent pensé que bientôt peut-être le temps vien-
drait où il faudrait priver de leur droit de vote les employés
de la municipalité. Si Ton ne voulait pas en arriver à cette
extrémité, il faudrait leur donner une représentation spé-
ciale, sectionnelle, disait-il» et soigneusement différenciée.
Mais la privation du droit de vote ne ferait nullement
l'affaire du Labour Party ; l'application d'une pareille
mesure ferait disparaître la moitié des attraits de la muni-
cipalisation. Le socialiste municipal du type avancé ne
cache à personne qu*il entend se servir de son bulletin
de vote pour améliorer sa situation. Aujourd'hui, les ou-
vriers sont peut-être encore lesemployés du Conseil ; mais,
si la tendance actuelle persiste, le temps n'est pas loin où,
comme on Ta dit, c'est le Conseil qui sera l'employé de ses
ouvriers. Malgré toute leur honnêteté et leurs bonnes
résolutions, les conseillers municipaux ne seraient pas
des hommes s'ils n'étaient susceptibles de se laisser in-
fluencer par la pression de leurs employés.
Comment ne se laisseraient-ils pas d'ailleurs plus ou
moins influencer par eux, maintenant que l'accroissement
énorme do leur nombre a abouti à la création de l'As-
sociation des employés municipaux (la Municipal Em-
ployées 'Association) dont les sections embrassent le pays
dans toutes ses parties ? L'un des principaux objets qu'elle
s'est proposé est d'influencer les autorités locales pour
assurer à ses membres des salaires plus élevés ; c'est-à-
dire qu'elle tend à créer une classe privilégiée de personnes
dont les membres ne poursuivent qu'un but purement
RAPPORTS DES OUVRIERS MUNICIPAUX 4o5
égoïste et ne s*intéresseat pas au bien-être général de la
communauté. La Municipal Employées 'Association ne
compte encore, il est vrai, que 10.000 membres, mais elle
gagne rapidement en force et en importance, puisqu*il y a
quatre ans seulement, en 1902, elle n'avait que 2.000
adhérents.
Parmi ses desiderata, tels qu'elle les a exposés dans un
pamphlet intitulé : « Ce que nous voulons » (What we want),
nous relevons (1) : 1^ pour tout adulte màle un salaire
minimum de 30 s. par semaine à Londres et de 28 s. dans
les grandes villes de la province ; 2"" 48 heures de travail
par semaine au maximum; 3** les mêmes salaires et les
mêmes heures de travail dans tous les districts pour tous les
grades d*employés. Il n'y aura donc pas seulement un salaire
minimum et une semaine de 48 heures, mais tous les em-
ployés d'un même grade, les bons comme les mauvais,
recevront exactement le même salaire.
Le paragraphe suivant, intitulé « How we do it » (com-
ment nous y arriverons), est encore plus significatif. Nous
y arriverons, dit-il, en posant des questions aux candidats
aux élections municipales et en ne votant pas pour ceux
qui refuseraient de s'engager d'une façon formelle à faire
ce que nous demandons.
Si les choses continuent de la .sorte, on verra bientôt ap-
paraître le mandat impératif qui possède d'ailleurs toutes
les sympathies des Socialistes. Ce seront alors les employés
de la corporation et non plus les conseillers qui dirigeront
les affaires.
A côté de la Municipal Employées ' Association, qui a son
siège à Londres et des sections en province, se sont formées
(1) Voir le Times du 10 septembre 1901.
4o6 DEUXIEME PARTIE. CHAPITRE II
de nombreuses associations locales de travailleurs muni-
cipaux. Nous pourrions citer parmi elles tlie City of Wesl-
niinster Municipal Labour Union, the Bolton Corporation
Servants * Society, the HuU Corporation Employées Pro-
tection Society, the Liverpool Corporation Workmen's
Union, the Birmingham City et District Lampmen's Union,
the Glasgow Corporation Worker's Union, the Belfast
Municipal Employées and other Workers Trade Union.
Ces sociétés de moindre importance sont en général affiliées
à une fédération nationale qui les soutient dans les luttes
qu'elles engagent contre leurs municipalités respectives.
A côté de ces associations et de ces trade- unionsorganisées
pour soutenir en tout temps les intérêts matériels des ou-
vriers, existent d'autres organisations qui ont spécialement
pour but de faire triompher aux élections municipales les
candidats ouvriers ; but qu'elles ont souvent atteint grâce
à l'apathie de la classe bourgeoise.
A Edimbourg (1), the Edinburgh Municipal Workers
Committee se compose de représentants du Trades Coun-
cil, d'environ 90 sections de Trade -Unions, de la Société
Coopérative et de rindependent Labour Party. Chacun de
ces corps nomme trois délégués, lesquels choisissent à leur
tour les candidats aux Assemblées locales, Town Counril,
School Board et Parish Council. C'est le Comité qui four-
nit à ses candidats, au moyen de fonds qui proviennent de
contributions volontaires et de souscriptions recueillies
parmi les membres des Trade-Unions, Targent dont ils ont
besoin. Il tient en plein air des meetings de propagande
et demande que la municipalité construise des maisons
ouvrières, fournisse à ses contribuables le charbon et la
(1) Voir le Times du 10 septembre 1902.
RAPPORTS DES OCVUIERS MUNICIPAUX ^oj
boisson, bâtisse des hôpitaux municipaux pour le? tuber-^
culeux, sans parler de l'intervention que Ion attend et que
l'on exige d'elle dans toutes les questions ouvrières.
A Dundee, la composition du comité est à peu près la
nu'mo qu*à Edimbourg; à Bristol, le Municipal Workers
Commîtlee n'est choisi que par les Trade-Unions seulement.
A West Ham, Sheffield, Bradford,Swansea, se sont formées
des organisations analogues. A West Ffam, aux élections
municipales de 1899. les socialistes demandaient un sa-
laire minimum de 30 s par semaine pour tous les em-
ployés de la corporation. « Votez pour moi, répétaient
comme un refrain les candidats socialistes, et je vous vo-
terai la journée de huit heures et un salaire de 30 s. »
Les contribuables de West Ham savent aujourd'hui ce qu'il
leur en coûte de ne s'être pas plus énergiquement opposés
à cette politique.
Mais 1 exemple le plus intéressant, sinon le plus probant
à citer, parce que c'est celui d'une grande ville, est l'exem-
ple de Glasgow.
Le socialisme n'a commencé à jouer un rdie actif dans
la vie publique de cette ville qu à partir de la visite que
lui fit le célèbre Henry George (1). Un parti socialiste se
fonda alors dont l'indifférence ordinaire des classes moyen-
nes favorisa le développement et le succès ; ainsi apparut
au Glasgow Town Council un parti du Travail dont les
membres, secrétaires de Trade-Unions et autres, se firent
connaître sous le nom de « Stalwarts » (les vaillants). Les
Stalwarts ont, pour soutenir leurs candidats à l'époque des
élections, une organisation spéciale, le Glasgow Workers'
Municipal Election Gommittee. Ce comité comprend des dé-
<1) rtVîicv^ octobre 1902.
4o8 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II
légués de FUnited Trades Council, des Trade-Unîons loca-
les, du Coopérative Municipal Election Committee, de
r United Irish League, de Tlndependent Labour Parly et de
la Social Démocratie Fédération. Les candidats n'obtien-
nent l'aide du comité qu*à la condition de s'engager à sou-
tenir activement son programme. Ils doivent lui faire con-
naître tous les cadeaux qu'on aurait pu leur faire en dehors
des fonds qu'il leur a lui même remis.
Le programme du Glasgow Workers' Municipal Elec-
tion Committee varie chaque année : aux élections de 1901,
il réclamait entre autres choses : « que les ouvriers de la
corporation ne travaillent pas plus de 48 heures par se-
maine au maximum et qu*on leur paye les salaires fixés
parles Trade-Unions ; que pleine liberté leur soit laissée
de faire partie des Trade-Unions, (Coopératives, Sociétés
amicales, et qu'on leur reconnaisse le droit de se faire repré-
senter dans toutes les négociations par leurs représentants
accrédités ». Il réclamait Temploi direct du Travail et réta-
blissement d'un département municipal des travaux publics
(Works department) chargé, chaque fois que cela serait
possible, de l'exécution des entreprises industrielles du
Council. Pour éviter un trop grand entassement de la popu-
lation, la municipalité construirait en dehors des limites de
la ville des maisons ouvrières dont le prix de location cou-
vrirait simplement les frais de construction et d entretien.
Four prévenir la propagation de la tuberculose et des ma-
ladies infectieuses, la corporation achèterait et élèverait
des vaches parfaitement saines et fournirait elle-même le
lait aux hôpitaux et aux dispensaires. Nous avons vu dans
un précédent chapitre que ce vœu vient d'être, partielle-
ment au moins, réalisé.
Le comité proposait encore de demander au Parlement
RAPPORTS DBS OUVRIERS MUNICIPAUX ^OQ
les pouvoirs nécessaires à la municipalisationdu commerce
des liqueurs, Tachât de terrains, Tacquisition et Texploita-
tion de mines de charbons, la fourniture de ce charbon aux
particuliers et l'établissement de banques municipales.
A côté de ce comité spécialement formé pour les élections,
les employés de la corporation ont leur Trade-Union parti-
culière, la Glasgow Corporation Workers Union, qui a pour
objet d'assurer l'élection an Town Council de membres du
parti du Travail. L'ITnion fait plutôt (i de la liberté de ses
adhérents; d'après 1 article 15 de son règlement, tout mem-
bre qui aura discuté les alTaires de la société ou critiqué Tun
de ses fonctionnaires en dehors des meetings, ou donné des
renseignements aux partis adverses, sera cité devant Texé-
cutif, condamné à une amende pour la première infraction et
exclu de la Société pour la seconde. Cette société a su, dit le
Times ^ entretenir parmi les ouvriers une agitation perpé-
tuelle ; elle a provoqué plusieurs grèves, dont une des em-
ployés de la voirie (Cleansing Department) ; lors de cette
dernière grève, les rues de Glasgow ne furent pas nettoyées
durant quatre jours.
Le développement du socialisme finit cependant par se
heurter dans cette ville à une opposition marquée de la
classe moyenne ; la Citizens' Union, fondée en mai 18!)8,
cherche à faire élire au Glasgow Town Council des person-
nes qui connaissent quelque chose aux affaires municipales
et soient capables d'administrer convenablement la cité.
Aux élections de 1898, F Union réussit à battre deux des
principaux membres du parti socialiste et à faire élire un
grand nombre de ses candidats. Son action a été utile, sans
doute, mais elle n'a pas suffi, et l'on n'est pas près de voir
le Conseil municipal de Glasgow renoncer aux extravagan-
ces financières dont il a déjà donné tant d'exemples.
4lO DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II
Ce que nous veaoas de dire de Glasgow, nous poumons
ie dire avec plus de force encore des villes d'Halifax et sur-
tout de West Ham, véritables laboratoires de socialisme
municipal. A West Ham, le mandat impératif avec démis-
sion signée à Tavance, jouit de toutes les faveurs du parti
socialiste ; lorsqu'ils possédaient la majorité au Conseil,
les membres de ce parti, nous dit le Times (1), votaient en
bloc d'après une délibération tenue la veille de la séance,
délibération dont on leur communiquait le résultat et où ils
n'étaient souvent que quelques-uns à assister. Un petit bou-
tiquier, que Tappui des socialistes avait fait nommer al-
derman, s'imagina un jour qu'il pourrait voter comme bon
lui semblait. Le lendemain même des pancartes s'étalaient
(levant sa boutique, prévenant les ouvriers de ne plus rien
lui acheter.
C'est encore à West-Ham que Ton a vu le Conseil Munici-
pal retarder l'ouverture de ses séances jusqu'à 5 et 6 heures
du soir, à partir du moment où les socialistes furent arrivés
au pouvoir, pour permettre aux employés de corporation,
leurs électeurs^ d'assister, grâce à la journée de 8 heures,
aux débats du Conseil. Les égoutiers, les charretiers, les
balayeurs venaient appuyer, soit simplement de leur pré-
sence, soit souvent aussi, lorsque le débat s^animait, de
leurs cris, les discours de leurs conseillers. On applaudissait
les socialistes, on sifflait et on injuriait leurs adversaires.
La salle du conseil fut le théâtre de scènes tumultueuses. Oa
discutait pendant des heures sur des questions de salaires,
des augmentations de 1 shilling par semaine ; mais on
votait des dépenses énormes, sans même s'en apercevoir.
C'est ainsi qu'on vota un jonr £ 60. 000 pour la construc-
(1) Times du 16 septembre 1902.
KATM>aTS DBS OUVRIERS MUNICIPAUX ^H
tion de bains qui ne devaient coûter que £ 27. 000, et sans
que personne du comité des bains en eût connaissance.
Cela s'était fait en fin de séance, au milieu dn bruit et
de l'ahurissement général. Les socialistes se livrèrent à
de telles extravagances qu'on forma, en juillet 1899, une
Municipal Alliance pour leur résister. Elle réussit à faire
élire en 1901 un nombre suffisant de ses candidats pour te*
nir en échec le parti avancé. Mais le mal était fait, et West
Ham supporte et supportera longtemps encore le poids des
aventures où l'avaient entraînée ses conseillers socialistes.
La conclusion à tirer des exemples qui précèdent est que,
si les élections doivent se faire à l'avenir sur de telles ques-
tions, il y a de fortes chances pour que les conseillers élus
ne soient pas des hommes en état de remplir la première
des tâches qui leur incombent, c'est-à-dire la gestion des
finances de la Cité. Leurs succès aux Conseils municipaux
dégoûteront peu à peu de se représenter les personnes les
plus capables ; elles ne voudront pas courir le risque d*un
écliec et le mal ira ainsi toujours en empirant.
Un de nos principaux griefs contre l'accroissement conti-
nuel du nombre des employés de la corporation .sera donc
qu'il augmente les chances de la corruption municipale.
L'électeur payé par un corps public quelconque sera tou-
jours tenté, d'une part, de se servir de son vote dans un
but uniquement personnel ; les corps élus, de Tautre, au-
ront tendance à distribuer des places pour récompenser des
services politiques. Tel sera presque toujours le résultat de
remploi direct du travail par un gouvernement démocra-
tique. Parlant de la pression qu'exercent sur les membres
du Parlement pour obtenir des augmentations de salaires,
les employés des corps publics, M. Lecky (1) dit qu'on
{i) LsGRT, Democracy and iiberty, vol. Il, p. 387.
a 12 DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II
imaginerait difficilement une habitude mieux inventée
pour démoraliser les collèges électoraux jusqu'à la moelle,
et plus certaine, si elle venait à se répandre, de détruire
tout sentiment de patriotisme dans la nation.
Nous avons montré tout à T heure que les salaires des
employés municipaux, au rebours de ceux de Tindustrie
privée, ne baissent jamais ; la raison en est simple. Cha-
que fois qu'ils ont à trancher une question de ce genre, les
conseillers municipaux ne songent plus qu'à une chose :
rinfluence que leur décision pourra avoir sur le vote de
leurs électeurs. Bientôt les candidats aux sièges de conseil-
ler en viendront à faire des promesses aussi démoralisantes
pour eux-mêmes que pour ceux qui les auront cMus Eo
butte aux demandes les plus déraisonnables des unions
d'employés municipaux, les fepréseutants des villes se trou-
veront dans la pénible alternative ou de voter des conces-
sions dont ils connaissent la folie ou de perdre leur siège.
A mesure que le nombre des électeurs émargeant au
budget local augmentera, on verra non seulement les hom-
mes consciencieux et les hommes de valeur échouer de plus
en plus souvent aux élections, mais on les verra aussi de
moins en moins disposés à entamer la lutte électorale. Ce
n'est pas en eiïet lutter à armes égales que d'avoir à com-
battre un adversaire peu scrupuleux et en état d'exerc«r
sur un groupe nombreux d'électeurs une influence illégi-
time. Les questions de salaires sont en outre des questions
souvent désagréables à régler ; or, plus une municipalité
aura d'ouvriers et d'employés, plus elles se représenteront
fréquemment. Les mille désagréments qu'elles procureront
aux conseillers, soit lors de leur élection, soit dans l'accom-
plissement de leur mandat, écarteront rapidement des as-
semblées municipales les hommes qui pourraient y jouer
RAPPORTS DES OUVRIERS MUNICIPAUX /JlS
le rôle le plus utile ; et leur abstention serait, en Angleterre^
où les pouvoirs conférés aux Conseils municipaux sont très
vastes, plus fâcheuse que partout ailleurs. Le mal commence
déjà à se faire sentir^ et M. J. Chamberlain le signalait dans
un discours qu'il prononça au printemps de 1906 à Bir-
mingham à roccasion de son 70® anniversaire,
La démoralisation des électeurs entraînant forcément
celle des élus, les considérations de parti le céderont à tou-
tes les autres, la politique s'introduira partout et Ton ne
donnera plus de place à personne sans rechercher aupara-
vant quelles peuvent être ses opinions et ses tendances .
Bientôt cette façon d'agir paraîtra toute naturelle ; on aura
fait If! premier pas dans le sentier de la corruption. Satis-
faire au moyen de Timpôt un électeur qui en vit déjà, n'est-
ce pas une chose fort simple ? Qu importent quelques mil-
liers de £ de plus distribuées chaque année en salaires et en
traitements, si Ton est sûr, en agissant ainsi, de se mainte-
nir au pouvoir? Ne croit-on pas toujours représenter le pro-
grès ? N'est on pas toujours disposé à regarder comme un
malheur public la défaite de son parti ?
D'échelon en échelon, on en arrive ainsi au système de.^^
dépouilles (spoils System) (1) où non seulement toutes les
places vacantes ne sont plus distribuées qu'aux hommes
du parti au pouvoir, mais où Ton retire des emplois à leurs
titulaires pour les donner àses partisans. Les Etats-Unis
nous eu oiïrentde nombreux et tristes exemples ; ce n est
pas sous ce rapport qu'il faut chercher à leur ressemblei*.
Du jour où l'on commencera à compter sur le vote des
employés municipaux, le parti au pouvoir sera naturelle-
ment tenté d'augmenter le nombre de ces voles et de favori-
(i) Voir Darwin, op, cit,^ pages 110 et 111.
4l4 DEUXIEME PARTIE. CHAPITRE II
fler la politique de municipalisation chaque fois que l'occa-
sion s'en présentera. Etant donné quW est d'ailleurs plus
facile, surtout avec une administration qui n'est pas abso-
lument intègre, de municipaliser une industrie quelconque
que de la soustraire an contrôle public une fois qu'elle y
aura été placée, le mal a une tendance naturelle à empirer
plutôt qu*à guérir.
Nous nous trouverons ainsi enfermés dans un cercle vi-
cieux : la corruption tendant à augmenter le nombre des
votes contrôlés et toute augmentation du nombre des
électeurs contrôlés tendant à augmenter la corruption.
La ï*éponse que Ton fait d'ordinaire à notre argument
est que le nombre des électeurs payés sur le budget lo-
cal n est pas suffisant pour être une cause de rorruptioa.
Cette prétention n'est pas fondée ; la lutte électorale est
très vive dans un grand nombre de circonscriptions, et le
déplacement de quelques votes suffit à changer le résultat
d*une élection.
Nous avons montré tout à l'heure ce que peut faire un
petit groupe d'électeurs fortement disciplinés, tel que
TEdinburgh Municipal Workers' Committee. L'observa-
tion s'applique spécialement aux élections municipales.
Si le nombre des votants qui reçoivent leurs salaires de
la municipalité ne constitue encore qu'une minorité, il
a de fortes chances pour se transformer progressivement
en majorité, au fur et à mesure des progrès de la muni-
cipalisation. Organisés comme ils le sont, votant tous
dans le même sens, les employés municipaux sont forcé-
ment destinés à jouer un rôle important dans toutes les
élections.
Un fait s'est produit en 1902 à Birmingham, qui montre
comment on sait organiser leur vote et le faire servir à
RAPPORTS DES OUVRIERS MUNICIPAUX ^I^
la réalisation des plans municipalistes. La corporation
avait résolu de soumettre au Parlement un bill qui lui per-
mettrait de reprendre et d*exploiter le réseau des tram-
ways urbains ; la sanction des contribuables étant néces-
saire à son projet, on procéda à un scrutin ; sur 102.712
électeurs inscrits, 15.742 seulement, soit (5 Yu daignè-
rent se déranger. Mais parmi eux, les employés munici-
paux venaient naturellement au premier rang et, s'il faut
en croire le « Daily News d^ « il n'était pas édifiant de voir
de hauts fonctionnaires de la corporation mener aux urnes
des bandes d'ouvriers de la municipalité et leur expliquer
comment il fallait voter en faveur du bill ». Le casn*estpas
unique et Ton en cite d'analogues dans les autres villes
anglaises ; en admettant même que les ouvriers municipaux
Reconstituent pas encore un danger par leur nombre, ils
en constituent un déjà par Tétat d'esprit qu'ils tendent à
créer.
Enfin, pour ce qui est de la discipline, il est certain que
les Tonctionnaires municipaux ont sur leurs ouvriers beau-
coup moins d'autorité que les particuliers. Lorsqu'il se
présentera des difficultés entre surveillants ou contremaî-
tres et ouvriers, les conseillers auront tendance à prendre
le parti des ouvriers, sachant qu'ils sont le nombre et que
les faveurs qu'ils lenr témoigneront leur attireront des
voix : tandis que le renvoi du fonctionnaire ou contremaî-
tre en question,juste ou injuste, ne leur fera certainement
pas perdre plus de un ou deux votes.
Le simple fait que le renvoi d'un ouvrier peut provoquer
une discussion publique en séance du conseil suffit à faire
hésiter les chefs de service à se porter à une pareille extré-
mité (1), même dans le cas où ce serait la seule chose à
(1) Municipal Trading HepoNj 1900, question 3290.
CHAPITRE III
x'bX^XUTION en RéoiB DIRECTE DBS TRAVAUX DBS MUNICIPALITÉS.
LBS (( WORKS DKPARTMENTS ».
L^appIicatioQ des doctrines socialistes a conduit, depais
un certain nombre d'années déjà, les autorités locales ur-
baines à se passer des services des entrepreneurs et à exé-
cuter en régie leurs travaux publics. Elles ont commeacé
par des opérations simples, telles que le nettoyage et le
pavage de leurs rues, la construction de quelques égouts,
pour s'attaquer ensuite à la construction d'aqueducs énor-
mes (comme par exemple leTown Council de Birmingham!
ou de maisons ouvrières. Le London Gountv Council a
voulu à son tour imiter l'exemple que lui donnaient les
villes de la province ; il s'est trouvé d'ailleurs tout naturel-
lement poussé dans cette voie, sa politique ouvrière ayant
abouti peu à peu à écarter de lui tous les entrepreneurs
consciencieux.
Nous avons vu dans le chapitre I«' de la seconde partie
qu'en mai 1892 le L. d. G. avait, sur la motion de M. John
Burns, adopté une proposition en vertu de laquelle les en-
trepreneurs s'engageaient à payer à leurs ouvriers les sa-
laires des trade-unions et à observer les heures et les
conditions de travail fixées par elles (1). Chaque infraction
(1) Municipal Trading Report, 1900. Déposition de M. Stiepberd,
p. 276.
1
I
. l'exiScution en r^gie directe il g
aux stipulations prévues entrainait une amende, et on les
obligeait même à laisser inspecter et copier leurs livres de
salaires partout conseiller qui en témoignerait le désir ou
toute personne que la corporation déléguerait à cet effet*
On conçoit facilement l'accueil que firent de grands entre-
preneurs, directeurs d'entreprises importantes» possesseurs
de gros capitaux, et peu accoutumés à se voir soupçonnés
de la sorte, à Tidée de se livrer par contrat, pieds et poings
liés, aux membres d'une municipalité, et de s'engager,
non seulement à agir conformément aux règles des trade-
unions, mais encore à ouvrir leurs livres à tout conseiller
municipal, membre d'une trade-union, qui viendrait les
déranger à leur bureau lorsque la fantaisie lui en pren-
drait.
Le résultat le plus clair de la politique du L. C. C. fut,
qu*effrayés des charges nouvelles que le législateur leur
imposait, un certain nombre d*entrepreneurs renoncèrent à
prendre part aux adjudications de travaux publics. Ceux
qui continuèrent à le faire demandèrent des prix bien
plus élevés qu'auparavant.
De fait, les maisons qui soumissionnaient encore n'é-
taient que des maisons de second ordre, peu solides, aussi
prêtes à accepter un contrat sur la moindre chance qu'elles
croyaient avoir de réaliser un bénéKce, qu'à l'abandon-
ner en son milieu au cas où surgirait une difficulté im-
prévue.
Il n'est pas étonnant que, dans ces conditions, le London
County Gouncil se soit bientôt trouvé dans une position
des plus embarrassantes, conséquence logique de la poli-
tique inaugurée par ses Labour Members. Des protesta-
tions ne s'en élevèrent pas moins ; leâ uns prétendirent
que les entrepreneurs avaient formé une coalition con-
^32 DEUXIÈME PA.RTIE. — CHAPITRE III
sans opposition : sa gestion prêta à bien des critiques et fut
par mouients si déplorable que, quatre ans après sa fonda-
tion, ou sonfçeaà te supprimer : nous faisons allusion au
scandale qu*il provoqua en novembre i 896. Ce scandale
naquit à la suite de la découverte par M. E. Haward, con-
trôleur des finances municipales, de transferts absolument
irréguliers, faits pour combler au moyen des bénéfices réa-
lisés sur un compte les délicits probables ou constatés d'un
autre compte.
Il fallut, après une enquête, se séparer des cinq princi-
paux fonctionnaires du département ; sans doute on ne les
soupçonnait pas d^avoir personnellement tiré profit des irré-
gularités qu'ils avaient commises dans la comptabilité ; fait
significatif que révéla cette enquête : ces irrégularités na-
vaient été provoquées que parle désir intense qui rongeait
ces fonctionnaires de faire triompher la théorie progressiste,
suivant laquelle Temploi direct du travail, tel que le prati-
quait le Works department, était ou devait être un succès.
Il était si loin d*ôtre un succès que, depuis Tinauguration
du Works department en Tannée 1893 jusqu'en Février
1902, le coût des travaux exécutés par lui avait, nous dit le
rime.?, dépassé de près de £ 79.000 les estimations primi-
tives..
Durant Tannée 1904-1905 le works department a exécuta*
des travaux dont le coût total s'élève ù£ 662.000. il en a
d'autresen train pour £ 1.352.000. 11 aemployé en moyenne
3.382 ouvriers ; leurs salaires lui ont coûté £ 278.000.
L'activité ne parait pas être la qualité première de ces
travailleurs. « Il y a quelque temps, dit Lord Avebury (1).
on demanda au chairman du Works Département Commit-
(i) I^RD Avebury, On municipal and national Trading, p. G8.
L*BXl£cUTIOr« EN RÉGIE DIRECTE 4^3
tee combien de briques un maçon du London County Coun-
cil posait en un jour. II répondit qu*il s*en informerait.
Questionné ànouveau, il déclara qu'il était difficilede répon-
dre à cette question, mais qu*un ouvrier devait poser envi-
ronSOO briques dans sa journée. L'ouvrier américain, me
dit-on, en pose en moyenne 2.000 par jour ; il arrive même
à 2.700. Il n'y a pas lieu de s'étonner que le works départ-
ment dépasse souvent ses devis de beaucoup. »
Il n'aurait pourtant pas grand mérite à ne pas les dépas-
ser, puisque c'est lui qui les dresse ; mais de quelle manière
s'y prend-il, c'est ce qu'on ne sait pas trop. Ce comité
est un comité fermé, a c< close borough », disait de lui Sir
Melville Beachcroft, ancien vice-président du L. G. C, et
les représentants du parti modéré ne sont pas admis à y
siéger.
Le Parks Coromittee avait confié au Works Department
r exécution de sept ouvrages diiïérents. Les devis en furent
dépassés de 36,14 %. Le coût des travaux e^^écutés précé-
demment par des entrepreneurs était au contraire resté de
6 *^/o inférieur au devis.
Le Pire Brigade Committee (service des pompiers) n'eut
pas à se féliciter davantage d'avoir eu recours aux services
du Works Department.
Le London County Council n^est pas la seule autorité
publique qui ait eu de la sorte recours à la régie. Son
exemple a trouvé des imitateurs. Les paroisses de Saint-
Paneras et de Battersea ont, elles aussi, installé des dé-
partements spéciaux pour l'exécution des travaux publics.
D'autres villes encore ont adopté ce système, toutes aux
environs de 1893 ; parmi elles nous pouvons citer Ëast-Ham
Oldham, West-Ham, etc.
L'exemplede WestHam est peut'^tremème plus instructif
4^4.-77^^ DEUXlèaiB PARTIE. CHAPITRE III
que celui du L. C. C. Ne cherchant d'un côté qu'à faire le
plus possible pour leurs amis, de l'autre qu'à gagner pour
eux-mêmes le plus de voix possible parmi les ouvriers,
les conseillers de WesUHam n'avaient pour atteindre ce
double but qu*un moyen : créer des emplois municipaux
en nombre infini. Ils commencèrent donc par demander
la création d'un Works Department (1), demande que le
Conseil agréa sans opposition.
Des ouvriers furent embauchés, le département installé,
et le soin de son exploitation remis à un directeur ; c'était
à lui qu'on devait désormais confier l'exécution de tous les
travaux publics décidés par le Conseil ; Ton renonçait
définitivement aux services des entrepreneurs. On ne ga-
gna rien à ce changement de méthode. La façon dont on
exécutait Pouvrage était telle qu'un alderman a pu l'appeler
avec autant d'esprit que de justesse <( la municipalisation
de la paresse » (the municipalization of laziness). On
n'exerçait pour ainsi dire pas de contrôle sur les hommes
qui faisaient ce qu'ils voulaient. Deux ou trois membres du
Conseil, constructeurs de leur métier, étant allés voir un
jour ce que devenait certain ouvrage, constatèrent que deux
hommes avaient passé trois semaines sur une tâche qu'un
homme seul aurait dû finir en trois jours. Aussi le coût
des travaux atteignait-il des sommes fantastiques. Des
réparations au Stratford Town Hall qui ne devaient coûter
que £900 en coulèrent £2.000, sans que l'on eût rien fait
de plus que ce qu'on avait eu dès l'abord l'intention de
faire* Deux ans après l'inauguration du Works Depart-
ment, on procéda à une évaluation de tous les travaux
qu'il avait exécutés, et l'on découvrit alors qu'ils coû-
(1) Voir le Times du 16 septembre 1902.
L*BXÉGUTION EN R^GIE DIRECTE ^u5'
taieat à la corporation £ 50.000 de plus qu'ils ne lui au-
raient coûté si on les avait confiés à des entrepreneurs.
Pour certains gros travaux la différence qui séparait leur
coût réel des sommes que l'on aurait payées à des adjudica-
taires variait de 11 à 40 V^ (1 ). A la suite de ces constata-
tions on arrêta pendant un temps les opérations du Works
Department.
Mais aux élections municipales de 1898, le parti socialiste
triompha sur toute la ligne, et ses membres se trouvèrent
en majorité au Conseil ; la classe moyenne fit preuve à cette
occasion d'une telle indifférenceet d'une telle apathie, que,
dans une circonscription de lU.OOO électeurs inscrits» un
socialiste fut élu qui n'avait obtenu que 400 voix.
L'un des premiers usages que firent les conseillers
socialistes du pouvoir qu'ils venaient de conquérir fut de
rétablir le Works Department. Peu leur importait qu'il
eût entraîné une perte de £ 50.000, puisqu'il leur permet*
tait de procurer de l'emploi à leurs partisans et d'améliorer
ainsi, de façon indirecte, l'avenir du parti socialiste. L*un
de ses adhérents les plus notables répétait constamment
en chambre du conseil (2) : « Je me soucie peu des impôts
et de ceux qui les payent. Ce qui m'intéresse, ce sont les
personnes qui m'ont envoyé ici. » Et pour que les
ouvriers du Works Department ressuscité eussent immé-
diatement un travail important d'assuré, on décida de leur
confier la construction d'un grand hôpital dont on évaluait
le coût à £ 100.000. Le département n'était même pas
encore formé ; il n'y avait pas de matériel prêt : c'étaient
là matières de détail. Au bout de quelques mois passés à
(1) The Accountanl, 31 juillet 1897.
(2) Voir Times, 16 septembre 1902.
4^6 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE HI
organiser le département, on se mit à i ouvrage ; Thôpitalfut
construit ; une fow achevé, il coûtait £ (5.000 de plus que
les plus Fortes évaluations.
Ce résultat n'a rien d'étonnant ; 4a jour au lendemain,
la majorité socialiste avait en ellet donné aux employés de
la corporation, non seulement la journée de huit heures*
mais encore des salaires plus élevés. Les ouvriers en pri-
rent si à leur aise qu'il fallut les faire aider par des entre-
preneurs ordinaires ; la corporation avait d'ailleurs intérêt
à le faire, puisque les entrepreneurs demandaient de 9 s.
6 d. à 10 s 6. d. par jour pour un cheval, une voiture et
un homme, et que les dépenses du stabling departmeot
s'élevaient à 11 s. 1 1/2 d. par jour. L'exploitation da
« Stabling Département » se traduisait pour le borough par
une perte annuelle de £ 8.000. L'elTet combiné de la ré-
duction des heures de travail et de l'élévation des salaires
fut d'augmenter d'environ £ 12.000 par an le coût de Fou-
vrage fait par la corporation ; £ 12.000 qu'elle aurait éco-
nomisées si au lieu d'exécuter le travail en régie, elle l'a-
vait fait faire par des entrepreneurs.
La discipline était déplorable ; renvoyait-on un ouvrier
pour ivresse ou négligence? il allait trouver tout simple-
ment un membre du parti socialiste qui portait aussitôt son
aiïaire, non pas devant un comité, mais devant le conseil
entier, où elle provoquait d'interminables discussions ; rè-
gle générale, on finissait par réintégrer l'ouvrier et répri-
mander le directeur des travaux ou le contre -maître.
Pour ce qui est des trade-unions, on ne se contenta pas
d'accorder régulièrement aux ouvriers les tarifs'et les con-
ditions générales de travail fixées par ces associations ;
on vit un alderman demander aux ouvriers de lui mon-
trer leurs (( union tickets » ; des ouvriers nonunionnisies
l'exécution en riégib directe 4^7
furent congédiés à la demande des unionnistes qui mena-
çaient de se mettre en grève ; et Ton renvoya un ingénieur
en chef, homme capable et comptant de longues années de
services, parce qu'il ne plaisait pas aux socialistes et qu'il
avait refusé — à moins d'en recevoir Tordre formel du
Town Council — de n'employer que du trade-union labour.
£n 1899, les socialistes se livrèrent à de telles extrava-
gances que le parti modéré finit par s*émouvoir et former
une « municipal alliance » qui les battit aux premières
élections et leur enleva la majorité. L'esprit de municipalisa-
tion n'en est pas moins demeuré très fort à West llam, et
son Works Department existe encore aujourd'hui.
Que conclure de l'exemple de Londres et de WestHam ?
Qu'une municipalité peut de temps à autre exécuter,
aussi bien qu'un entrepreneur,certains travaux de moyenne
importance, des travaux de pavage ou de construction
d'égouts, par exemple. Certaines personnes prétendent
même que si le Works Department est bien dirigé, si 1 on
donne à l'ingénieur en chef une latitude suffisante et qu'on
lui permette d'exercer librement son initiative, il pourra
venir à bout d'un ouvrage à meilleur compte qu'un en-
trepreneur. Mais le fond de la question consiste à savoir
s*il y a vraiment grand avantage à ce que la corporation
se transforme en entrepreneur. Nous ne le croyons pas.
Une municipalité ne peut pas régulariser et répartir, au-
tomatiquement en quelque sorte, sur une ou plusieurs
années l'exécution d*un ouvrage ou la dépense qu'il entraî-
nera.L'importance et le genre des travaux à exécuter variant
sans cesse lui imposent la tâche particulièrement difficile
de chercher un emploi permanent à ses ingénieurs et à
ses ouvriers. Cette recherche la poussera à leur faire faire
des travaux dont Tutilité se faisait plus ou moins sentir. S'il
4 28 DEUXIEMB PARTIE. — CHAPITRE III
est de régie que les municipaliiés emploient leurs servi-
teurs d*une façon permanente, la question se présente,
semble-t-il, sous un jour difFérent lorsqu'il s^agit d'un
service sujet aux fluctuations et aux influences que nous
venons de mentionner.
La véritable raison pour laquelle les socialistes pous-
sent à la création d'un Works Department n'est pas qu'ils
pensent que la régie directe puisse faire faire des écono-
mies à la communauté ; les faits ont trop souvent démenti
cette assertion, et les questions d'argent les laissent indif*
férents. Ils veulent la régie directe pour augmenter le
nombre des fonctions municipales et celui des personnes
payées par les municipalités. Ils la veulent parce qu*ils
visent à la transformation des autorités locales en em-
ployeurs universels du travail et au transfert à TËtat ou àla
municipalité de tous les moyens de production.
La création des Works Departments nous permet une
fois de plus de constater à quel point la municipalisatioa
est une maladie contagieuse, qui sévit à la fois sur les
personnes et sur les institutions. Les villes anglaises,proprié-
taires d'usines à gaz, du service de Teau ou des lignes de
tramways, avaient besoin d'ouvriers spéciaux, de plombiers,
de menuisiers, de serruriers, etc., pour entretenir et ré-
parer leur matériel. Parfois même elles allaient jusqu'à les
envoyer travailler chez les particuliers. Peu à peu, le sys-
tème s'est étendu et généralisé. Au lieu de laisser chaque
comité avoir ses ouvriers à lui, on s'est demandé pourquoi
la municipalité n'établirait pas un département spécial qui
centraliserait les travaux de ces divers comités et les exé-
cuterait à leur place. Une fois les travaux centralisés et le
département spécial créé, on ne pouvait évidemment plus
se contenter d'opérations insignifiantes. On chercha et on
L^EXécUTION EN R^GIE DIRECTE 4^9
trouva, pour justifier l'existence du Works Department,
d'importants travaux. L'expérience a malheureusement
prouvé que la raison que Ton donnait de leur création,
c'est-à-dire les économies qu'ils permettaient de réaliser
sur lé coût des travaux, ne vaut absolument rien ; et les
faits ont montré que ce sont non seulement les dépasse-
ments de devis, mais encore l'augmentation des frais géné-
raux qui ont été la règle de toutes ces administrations
publiques.
ANiNEXE AU CHAPITRE III
LES « LABOUR BURBAUS »
Nous rappellerons, en terminant ce chapitre, que les
bourses du travail sont peu répandues en Angleterre et a y
jouent pas le rôle qu*elles ont joué ou qu'elles jouent encore
dans divers autres pays. Plusieurs villes anglaises, néan-
moins, et notamment les paroisses des environs de Londres
ont créé des bureaux du travail, des a Labour Kureaus >:.
(]lhelsea, St- Paneras. Battersea, Islington, etc., ont, durant
rhiver 1892-1893, et à l'instigation du London Counly
Council, créé des Labour Bureaus pour venir en aide aux
ouvriers sans travail.
Salforden créa un la même année et pourles mêmes rai
sons. Les bureaux de Plymoutb et de Liverpool ont étt^
créés en 1894 ; celui de Glasgow ne fut fondé qu'en 189t>.
L'organisation de ce service ne parait pas être, en général
encore très avancée : Liverpool n'y consacrait d'ailleurs, en
1904, que £94 8 s. 1 d.
Glasgow dépense un peu plus pour son Labour Bureau
qui en 1904-1903 lui coûtait £ 389 13 s. 4 d. L'origine de ce
bureau remonte aux efforts faits en 1886 pour venir en aide
à la détresse des sans-travail. Un bureau provisoire fut alors
établi ; la crise finie, on le supprima.
De temps à autre, pourtant, on discutait au Conseil muni-
cipal la question de son rétablissement, et en août 1896 on
LES LABOUR M BUREAU8 » 43l
procédait à Touverture du bureau qui existe encore aujour-
d'hui. On l'a placé sous le contrôle d'un comité spécial de
la corporation, et tous les ans le conseil vote la subvention
qu'on lui accordera. Elle a sensiblement augmenté depuis
quelques années. Les socialistes trouvent cependant qu'on
n'y consacre pas encore assez d*ar^entetque la parcimonie
dont on fait preuve à Fégard de cette institution Tempèche
de donner tous les résultats qu'on en pourrait attendre.
Nous ne contestons pas que ces u labour bureau s » ne
puissent rendre certains services ; mais il n'est pas en leur
pouvoir d'inventer des emplois lorsqu'il n'y en a pas d'odert.
Aussi leur action est-elle forcément limitée ; et quand le
mal est général et porte sur un grand nombre d'ouvriers,
comme c'est parfois le cas dans certaines grandes villes
industrielles, ils ne sont plus d'aucun secours aux travail-
leurs en détresse.
TROISIEME PARTIE
LES FINANCES LOCALES
Doverat 2S
TROISIÈME PARTIE
LES FINANCES LOCALES
CHAPITRE PREMIER
l'augmentation des dépenses locales, DfcS IMPÔTS ET DE LA
DETTE. — PART DE CETTE AUGMENTATION QUI REVIENT AUX
ENTREPRISES REPRODUCTIVES.
La progression coastante des dépenses publiques et,
parallèlement à elle, la progression des impôts et des em-
prunts, est un fait trop connu de Thistoire financière de
l'Europe contemporaine pour qu'il soit utile d'y insister
dans cette étude. Nous nous bornerons dans ce chapitre à
étudier la croissance de la dette locale anglaise et des im-
pôts locaux pendant le dernier quart du XIX* siècle et les
premières années du xx* siècle et à rechercher quelles sont
les causes qui ont pu en provoquer l'accroissement si ra-
pide.
Pour bien comprendre ce phénomène, peut-être ne sera-
t-il pas inutile de dire auparavant quelques mots du régime
financier actuellement en vigueur en Angleterre. Nous
436 TROISlèfifE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
empruntOQs aux ouvrages de MM. Graham et Fairlie(i)
et au Municipal Year Book (édit. de 1906) la plupart des
renseignements qui suivent.
Le système d'imposition local en Angleterre.
Le système anglais d'imposition local diffère essentiel-
lement du système français et de ceux qu'on rencontre sur
le continent en général. L'octroi, en premier lieu, y est
chose pour ainsi dire inconnue, et tous les impôts y sont
assis sur la propriété réelle, c'est-à-dire sur le sol et les
bâtiments. En second lieu, les taxes ainsi levées sont basées
non pas sur la valeur en capital de la propriété, mais sur
sa valeur locative annuelle. En troisième lieu, ces taxes
sur la valeur locative de la propriété sont essentiellement
locales et absolument indépendantes et distinctes des taxes
levées par TEtat. La différence est si tranchée que les im-
positions locales ne s'appellent pas taxes, mais raies ; et
que le terme de taxes est exclusivement réservé aux impo-
sitions destinées à Faire face aux dépenses nationales (na-
tional exchequer).
Si la base du système est unique, le régime anglais
présente encore ceci de particulier qu il comporte une grande
variété de levées distinctes, s^effectuant sur cette base uni-
que pour les divers besoins du gouvernement locaL Ces
différentes levées sont généralement faites par des autorités
locales différentes, mais il se présente aussi des cas où la
même autorité locale lève à elle seule plusieurs impôts
(rates). L'étude de la taxation locale anglaise comporte
donc Tétudd de ces divers impôts.
(1) Graham y Taxai ion local and impérial and local gotemtnenL
Fairlib, Municipal administration.
I^AUOMBNTATIOPr DBS DEPENSES LOCALES 43^
Actuellement les divers impôts locaux ont tous pour base
le poor rate, définitivement établi, comme on le sait, sous
le règne d'Elisabeth. Les taxes locales antérieures au poor
rate ont disparu ou se sont fondues dans quelqu'un des
impôt créés par la suite : on les lève sur la même base que
lui. L'impôt pour Tentretien des grandes routes (highway
rate) remonte à une loi de 1691. Plusieurs impôts de
moindre importance ont été établis au commencement du
xrx* siècle qui se sont fondus depuis dans le Gounty rate.
Le Borough rate date de 1835, et le Public Health Act de
1848 autorisait les districts urbains à lever un « gênerai dis-
trict rate » pour toute &n conforme à la loi. En 1870, enfin,
le School rate fut établi : il devait subvenir aux frais du nou-
veau système d écoles élémentairesinauguré à cette époque.
Parmi la grande variété des taxes locales, beaucoup
n*ont pas seulement pour base le poor rate, mais sont as-
sises et levées en même temps que lui sous le nom de
« precept rates » (littéralement : impôts levés en vertu d'un
mandat). On appelle u precept rate » l'impôt que lève une
autorité conformément à une demande périodique ou
« precept » d'une autre autorité. G est ainsi que le Gounty
rate, le Borough rate, le School Board rate, le Burial
Board rate et le Rural Sanilary rate sont généralement levés
comme precept rates.
Le « gênerai district rate » levé par les autorités des
districts urbains pour l'exécution de travaux sanitaires ou
autres, est de beaucoup Tinipôt le plus important qui soit
actuellement levé en dehors du c< poor rate ». A côté de lui
on cite encore un « private improvement rate », imposi-
tion spéciale levée à Toceasion d'améliorations, telles que
la fourniture de l'eau, la construction d'un égout, ou le pa*
vage d'une rue dans un district nouvellement bâti et sur
la propriété seulement qui en profite directement.
438 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
Quand on veut établir l'assiette de l'impôt local, oa com-
mence par déterminer la valeur locative brute estimée,
(c tbe gross estimated reniai » basée sur la rente annuelle
que verserait un locataire qui payerait les dimes et autres
taxes ordinairement à la charge du locataire.
De cette valeur brute on déduit la dépense moyenne
qu entraînent annuellement les frais d'entretien, de répa-
rations et d'assurances ; la balance ainsi obtenue constitue
la (f rateable value >* ou valeur de la matière imposable.
S'agitil de chemins de fer, d'usines à gaz, de mines, etc..
il est tenu compte, dansTestimatiôn à laquelle on procède,
de l'augmentation de valeur que donne à l'entreprise son
caractère de monopole. Une fois établis la u rateable value &
totale d'une paroisse donnée et le montant d'impôts qu'on
désire y lever, le montant de la taxe par chaque £ de c ra-
teable value » est facile à déterminer : il suffit de faire une
simple division dont le quotient sera le « rate » cherché.
Ainsi, si sur une superficie donnée, on veut lever £ i .000
d'impôts et que sa rateable value soit de£ 20.000^ Timpôt
par £ sera de 1 shilling. Dans les grandes villes le rate va-
rie généralement de 5 à8 s. par£ .
A bien des égards ce système d'impôts est très imparfait.
Les réévaluations de la propriété ne sont pas assez fréquen-
tes ; il n y a pas d'uniformité dans l'échelle des déductions
ù faire des « gross rentals ». En dehors de Londres, la va-
leur locative telle qu'elle ressort des évaluations auxquelles
on procède pour l'assiette des impositions locales est très
inférieure à celle que fixent les fonctionnaires de l'Etat pour
l'assiette de rincome Tax. Enfin, l'imposition directe de la
taxe sur la personne occupant l'immeuble impose aux classes
ouvrières un lourd fardeau: elles dépensent en loyer une
large part de leur revenu.
:L*AUGBI£79TATION DBS DÉPENSES LOCALES ^OQ
Au point de vue financier, la tâche de ladministration
locale anglaise peut se diviser en trois parties : V' forma-
tion du budget ; 2** assiette et levée des impôts ; 3? inspec-
tion et contrôle des dépenses.
a) Lies autorités locales préparent leurs budgets annuels
de recettes et de dépenses avec la plus entière liberté ; les
différentes autorités d'une même ville restent sous ce rap-
port absolument indépendantes les unes à Tégard des autres .
Ce Tait est en grande partie dû au système de la spécialité
des taxes. Chaque town cou ncil, school board, boardof poor
lawguardians a son comité de finances qui prépare et sou-
met au conseil entier un budget provisoire qu'on discute et
qu*on corrige avant de l'adopter définitivement. L'autorité
centrale ne s'en occupe pas. Seules deux sortes d'opérations
financières nécessitent son approbation préalable : l'achat
et la vente des propriétés municipales, la négociation de s
emprunts,
b) Pour tout ce qui touche à l'assiette de l'impôt, Tes^
timation de la valeur des propriétés imposables est généra-
lement laissée aux poor law authorities : ou plutôt, les
autres autorités locales s'en tiennent généralement aux éva-
luations faites pour la poor law. Tout Town Council a cepen-
dant le droit de faire faire une évaluation spéciale s'il ne con*
sidère pas comme exacte celle qu'on a faite pour le poor rate.
c) Tandis que la préparation des budgets, l'assiette et la
levée des taxes se font ainsi librement, hors de tout contrôle
du gouvernement central, les dépenses des autorités locales
de toutes classes — à l'exception d*une seule, la plus impor-
tante il est vrai, celle des autorités urbaines — sont soumi-
ses au contrôle des agents du Local Government Board. Nous
nous proposons de revenir plus en détaildans un autre cha-
pitre sur le contrôle des comptes municipaux ; car cette qnes-
44o TROISIÈME PARTIE. -^ CHAPITRE- PREMIER
tioQ a tout particulièrement retenu Tattention du Parlement
et do public lors des dernières enquêtes sur le Municipal
Trading.
De ce rapide exposé du système financier anglais noas
retiendrons deux choses : 1^ que les municipalités anglaises
jouissent, pour lever leurs impôts, d*nne très grande libert^é:
2^ que le poids de ces Jmpôts retombe entièrement sur la
propriété immobilière.
Ces deux constatations ont leur intérêt ; elles nous permet-
tront de comprendre : 1° comment les impôts ont pu dans
certaines villes s'élever si rapidement dans les trente der-
n ières années ; 2^ comment de grandes entreprises, telles
que les chemins de fer, les docks, de grandes usines ont vu
le urs impositions augmenter à la même époque de façon
exagérée et inquiétante.
M. Goscbena donné, dans un rapport qu'il lit en 1870 en
qualité de président du Foor Law Board, Tun des meilleurs
exposés que Ton ait fait de la croissance des impositions
locales. Dans ce rapport, il diviseen trois périodes les 67 an-
nées qui séparent 1803 de 1870.
Dans la première période, qui va de 1803 à 1840, les
principales taxes locales sont le poor rate, le county rate, le
church rate et le highway rate. Durant la seconde période, qui
s'étend de 1841 à 1851, le police rate et le borongh rate font
leurapparition ; durant la troisièmepériode enfin, c'est-à-dire
de 1851 à 1869, on assiste à la naissance des sanitary rates
et town rates autres queleborough rate. M. Goschen mon-
tre que ce sont ces impôts relativement modernes qui ont
été la cause directe de Taccroissement si considérable des
impositions locales.
En 1803, dit-il, les recettes des anciens impôts, c*est-à-
dire du poor rate, des county, church et highway rates
L^ AUGMENTATION DES DEPENSES LOCALES 44 >
s^élevaient à £ 5.348.000. En iai7, elles s'élevaient à
£10.107.000; en 182Tà£9.5i4.000; en 1841 à£8. 101.000;
en 1851 à £ 8.916.000 ; en 1862 à £ 12.207.000 ; en 1868 à
€ 16.800.000 ; en 1891 à £ 27.818.000 ; en 1898 à
£ 37.605.000 ; en 1902-1903 le total des impôts locaux s'éle-
vait à £ 50.328.000.
La croissance des impôts s*est donc produite avec une
extraordinaire rapidité dans !e dernier quart du xix* siècle
et surtout dans ses dix dernières années. Rappelons que
les chiffres ci-dessus s'appliquent uniquement aux impôts
levés dans un intérêt public général et ne comprennent
pas lea droits, péages et autres impositions analogues ni
les recettes que les autorités locales peuvent tirer d'en-
treprises qu'elles gèrent à leurs risques et périls.
Les recettes des autorités locales d'Angleterre et du
Pays de Galles s'élevaient en 1902-1903 à £93.935.417. Si
Ton y ajoute une somme de £ 35.271.367 provenant d'em-
prunts, elles atteignaient £ 129.206.784.
Ces recettes se décomposaient de la manière suivante :
Impôts (public rates) £ 50.328.412
Subsides du gouvernement . . . 12.782.803
Total. . . . 63.111.215
Rentes et proQts provenant de pro-
priétés 2.412.144
Amendes, etc 988.266
Revenus des :
1^ Entreprises d'eau . £ 4.184.611
2» Gaz 7.168,705
S'* Electricité . . . 1.881.265
4» Tramways . . . 3.797.758
442 TIlOISlèME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
S*» Ports, docks . . 3.228.666
6*» Marchés. . . . 895.594
7** Cimetières, fermes
d'épaiiddge, bains, la-
voirs, hèpitaux, biblio-
thèques 1.198.908
22.355.507
Remboursement de dépenses faites
pour des travaux publics procurant un
bénéfice à des particuliers et autres tra-
vaux de privateimprovemént . . . 1.850.845
Autres recettes 3.217.440
Total (emprunts exclus) . £ 93.935.417
Emprunts 35.271.367
Recettes totales (emprunts compris). £ 129.206.784(1)
Les impôts ou public rates figurent dans le total ci-
dessus de £ 129 millions pour 39 Vo ; les subsides du
gouvernement pour 9, 9 °/o î les revenus des entreprises
d'eau, de gaz, d'électricité et de tramways pour 13, 2 7o ;
les emprunts pour 27, 3 °/o.
Voyons maintenant à quoi Ton emploie cet argent.
Les dépenses totalea des autorités locales durant l'an-
née 1902-1903 se sont élevées à £ 128 968.743.
£ 20.287.264, soit 15 Vo de ce total, ont été consacrées
au remboursement d'emprunts et au paienient des intérêts
de ces emprunts. Les principaux autres chapitres de dé-
penses sont l'entretien des grandes routes, Tassistance
publique, Téducation, la police, les tramways, le gaz, Teau,
etc.
(i) Local Government ^oard, Rapport 1 904- 1905, pageCC.
l'augmentation DB8- DEPENSES . LOCALES
443
Le tableau ci-dessbus indique la part exacte qui revient
à chacun d^eux ;
Dép«ttiet
auxquelle* Il rst
fait faco
aatmneol qu'avec
Targmit
dM ampriMla
Grandes routes,
Poots et Bacs.
Assistance publi-
que »...
Rducation
Police.
Tramways
Usines à gaz....
Eau
Electricité
Ports, quais, docks
Egouts
£
10.240.504
12.42d.i00
10.816.038
5.720.038
2.417 711
5.381.018
1.725 075
1 214.190
1.880.235
1.061.702
DépeuMs
auxquelles il est
fait face
an moyen d'effl-
prnals
£
o! 638. 164
2.920 096
2.502 541
194.100
4.675.591
955 732
4 304.959
4.161 794
1.509.615
2.502.611
Oépensji totale
(exclusive
du rembuursemsQt
dts emprimw
et du p«it>nieiit
des tniëréU)
I
£
16.878.668
15.346.295
13.318.579
5.914.147
7.093.302
6 3.16.750
6.030 0.34
5.375 984
3 398.850
4«464.313
Poar-
ceiiiage
13.1
11.9
10.3
4.6
5.5
4.9
4.7
4.2
2 K
3.5
(1)
En comparant entre eux les chiiïres des années 1884-1885
et 1902-1903, on voitque les augmentations les plus sensibles
portent sur le remboursement des emprunts et le paiement
des intérêts qui passent de £9.878.531 à £ 20 287.264. Les
secours aux pauvres qui en 1884 s élevaient à £ 8.402.553
s'élèvent eu 1903 à £ 12.848.323 ; 1 éducation passe de
£ 3.190.851 à £ 10.816.038 ; les tramways de £ 16. 117. à
£ 2.417.711 ; les gas works dé £2.429 148 à £ 5.381.0.18 ;
les water works de £ 792.624 à £ 1.723. 075 (2).
Le total des dépenses auxquelles il n'est pas fait face au
moyen d emprunts passe de £ 44.053.904 en 1884-1885 à
£92.882.545 en 1902-1903, c'est-à-dire qu'il a plus que dou-
blé en 18 ans. Les emprunts contractés en 1884-1885 s'éle-
(1) Local Government ffoard, 1904-1905, p. CGV. Année Onancîère
1902-1903.
(2) Local Government Board^ p. 715.
444 TROISIÈME PARTIE. -— < CHAPITRE PREMIBR
vaient࣠10.445.163 ; en 1902, ils atteignent £36.086.198,
plus du triple.
Les dépenses totales, y compris les emprunts, se chifTreat
finalementpar£S4499.067enl884-1885etpar£l28.968.74:}
en 1902-1903.
Le total des dépenses relatives aux entreprises reproduc-
tives auxquelles il a été fait face au moyen d'emprunts était
en 1884-1885 de £ 3.522.376; en 1902-1903 il est de
£ 16.709.794 ; il a presque quintuplé.
Le total des sommes payées au moyen d*emprunts dans
un but autre que la création d^entreprises reproductives
était de £ 6.922.787 en 1884-1885; de £ 19.37&.404 en
1902-1903.
Le tableau suivant nous indique les principaux objets
pour lesquels il a été conclu des emprunts durant Tannée
1902-1903 et le montant de chacun de ces emprunts. La dette
des autorités locales à la iin de cette même année atteignait
le chiffre colossal de £ 370.607.493 (soit plus de 9.265
millions de francs) (1).
De ce total de £370.607.493, £ 175.395.698. soit 47,3 •/•
avaient été empruntés pour des entreprises reproductives.
Dans ce total de 370 millions de £, Londres fîgure pour
£ 67.515.225 ; le reste de l'Angleterre et du Pays de Galles
pour £ 303,092.268.
(1) Local Oovernment Board^ p. GGVI.
L* AUGMENTATION DES DEPENSES LOCALES
445
I
OBJET DE L'EMPRUNT
1
Eau
Grandes routes
Ports, quais, docks
Ecoles, etc • • •
Egouts
Gaz
Electricité • • •
Tramways
Lois des pauvres
Asiles d'aliénés
Marnhés
Parcs, jardins publics
Habitations ouvrières
BAtiments publics
Hôpitaux
Avances à la Compagnie du
Canal de Aianchesler . •
Pont« et bacs
-GtfDelières
Construction de digues pour
rivières et défense contre la
mer ••••
Bains et lavoirs
Postes de police, prisons, etc...
Tunnels sous la Tamise
Travaux de c Private Impro-
vement •
Pompes à incendie et postes de
pompiers
Bibliothèques publiques, mu-
sées, écoles de science et
dart
Chemins de fer légers (light
rail ways)
Autres travaux
Total
MONTANT
DBS KMPRONTS
conclus
en 1902-1003
4.050.083
4.7U 340
1.706.764
2.450 508
2.481.701
1.214 086
4 034.204
4.600.303
1.652 075
1.263.066
458.782
845 973
353.523
432.257
021.657
200.812
220.845
78.603
251.470
I6:{.9I0
205.740
365.001
210.140
43.963
88.191
1.213.373
35.271.367
TOTAL
DaS BMrBUNTS
existant
A la Un de 1902-19031
63.130.859
43 918.732
30.743.881
35.228.374
34.652.048
23.110.019
18.550.120
17.137.744
12.284.022
9.151.721
7.663.708
7.585.912
7.176.510
6.726.249
5.914.620
5.080.226
4.678 268
3.106.088
2.767.782
2.676.326
1.718.994
1.558.944
1.525.405
1.409.505
1.134.850
276.053
12.690.543
370.607.493
Le tableau ci-dessous montre Tauginentation en tant pour
446
TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
cent des sommes provenant des impôts ou des subsides du
Gouvernement impérial, celle des emprunts, de la valeur
delà matière imposable et de la population, lorsque Tod
compare entre elles les années 1874-1875 et 1902-1903 et
quelques autres années intermédiaires.
ANNÉES
I879-8U
1884 85
t880-UO
t80i-95
480900
1902-0.'^
comparé* à
1874-75
1 879-80
1884-85
1889-90
1894 95
1897-98
Augmentation pour cent dans
Monum
de*
impAu
14,7
16,6
8,0
22,2
20,3
33.8
SitMldeo
du ffoinrer-
neni^nt'
impérial
1902-03
— 190102
1902 03 —
1874-75
8,4
162.1
63,7
31.6
80,1
37,9'
36 2
16,5
loipôU
etiuMda»
'réunis
w
18,6
18.2
16,9
25.2
23,7
29,9'
Km-
pranU
2,0 7.0
660,2
202,3
7,9
***i«i
299,3
▼■In»
15 7
8.8
3,4
7,1
0.0
13,3
2.4
65,3
Popcl*-
tJ«B
esi
C.9
6 1
5.7
3.8
.1,9
5.9
1 ^
39.1
(1)
Ces chiffres se passent de commentaires ; ils montrenl
mieux qu^aucune dissertation que, tandis que la population
et la rateable value augmentaient suivant un taux lent et
régulier, les impôts et les emprunts, sous Faction des idées
et des tendances progressistes, croissaient dans une pro-
portion vertigineuse.
La dette des autorités locales a suivi une progression
des plus rapides ainsi que le fait voir cet autre tableau :
(1) Local Government Board^ p. GGXIII.
l'augmentation des dépenses LOCALES'
447
FIN
DE L'aNJIÉB
MONTANT
DB LA DBTTB
FIN
DB fAHStE
MONTANT
DB LA DBTTB
1874-1875
1879 I8i80
1884-1885
1889-1800
1804 1805
£ 92.820.100
13H 934.070
173.207.968
198 671.312
235.335.040
1809 1000
1000-1001
1001-1002
1002-1903
£293.K64.?24
316.704.222
343.416.582
370.607.403
Le montant moyen de la dette par £ de rateable value
était pour TAngleterre et le Pays de Galles d'environ 16 s.
en 1874-1875 ; il est de £ 1 18 s. 9 d. en 1902-1903.
Le montant moyen de la dette par tète d habitant était
de £ 3. 18 s. 3 d., en 1874-1875 ; il est de £ 11 4 s. 8 d.,
en 1902 1903.
Le simple rapprochement des chiffres de la dette des
autorités locales d'Angleterre et du Pays de Galles et de
celui de la dette nationale à la fin des années financières
1874-1875 et 1902-1903 montre les changements considé-
rables qui se sont produits en moins de 30 ans.
FIN
DB l'aNN^B
Dette nationale
du
Royaume-Uni
Dette
des autorités locales
d'Angleterre
et du Pays de
Galles
Proportion
en tant pour °/o
de la
délie locale
à la dette nationale
1874 1875
1002-1003
Augmentatioo.
£767.268.559
708.340.100
£ 02 820.100
370.607.403
12.10
46.42
£ 31.080.631
£277.787.303
(2)
Si nous nous reportions à des chiffres vieux de quel-
ques années, c'est-à-dire antérieurs à la guerre du Trans-
[[) Local Governme.nl Board, p. CCXV, 1904-1905.
(2) Locnl Oovemmeni Hoard, p. CCXVII.
4^8 TROISIEME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
vaal, nous verrions qu'entre 1875 et 1898 la dette natio-
nale avait été réduite de (31 millions de £; tandis que
durant la raènie période, la dette locale s'était accrue de
£ 170 millions.
En 1902-1903 la dette locale dufioyaume-Uni tout entier
c'est-à-dire de TÂngleterre, de TEcosse et de l'Irlande
atteint le chiffre de £ 437.874.787 ; les recettes des autori-
tés locales du Royaume-Uni (y compris £ 39.774.000
d'emprunts) s*élèvent ࣠1S2.291.000, celles de TEtat pour
la même année 1902-1903 à £ 151. S51. 698, pour 1904-1905
à £143.370.404.
Les dépenses totales des autorités locales du Royaume-
Uni s élèvent en 1902-1903 à £ 152.165.000, celles de l'Etat
à £ 184.483.708 (liquidation de la guerre du Transvaai)
en 1902-1 903 et à £ 141 .956.497 en 1904-1905. Les dépenses
des autorités locales ont donc. atteint et même dépassé le
chiffre des dépenses du gouvernement impérial.
En somme, on voit que les dépenses locales vont s'ac-
croissant actuellement par bonds énormes ; que le chapitre
le plus lourd des dépenses locales est aujourd'hui celui du
service des intérêts et de Tamortissement de la dette ; que
la proportion des dépenses payées au moyen d'emprunts
va croissant rapidement; qu'elle était de 12,8 Yo en 1889*
1890;del8,3 7o en 1894-1895; de 24,6 •/• en 1899-1900:
qu'elle est de 27,3 Vo en 1902-1903.
Qu'en 28 ans, alors que la population n'augmentait que
de 39 Yo et la rateable value de 63,3 ""/o seulement. le mon-
tant des impôts s'élevait au contraire de 162,1 Yt» ; •celui
des subsides du Gouvernement de 660 Yo ; celui des em-
prunts de 299 '•/o.
Que 47 Yo de la dette des autorités locales ont été con-
tractés pour des entreprises soi-disant reproductives et que
L^AUGM£NTATION DES DÉPENSES LOCALES
449
l'on persévère dans cette voie malgré tous les avertisse-
ments reçus, puisqu'en 1902-1903, 30 ^o àes emprunts
contractés doivent aller aux « reproductive undertakings » .
Le malheur est que ces entreprises soi-disant reproduc-
tives de profits ne le soient en réalité que de dettes et de
déficits. Nous ne nions pas sans doute que certaines d'entre
elles, en certains endroits, ne fassent des bénéfices, mais
elles sont la minorité; et si, prenant l'ensemble des en-
treprises municipales anglaises, nous mettons dans Tun
des plateaux de la balance leurs recettes, dans Tautre leurs
dépenses, nous constatons que le second plateau est bien
plus lourd que le premier.
Le tableau suivant le montre clairement.Nous remprun-
tons au A/y/r^ici/^a/ Year Book de 1906» c'est-à-dire à un
ouvrage fait pour les municipalistes et composé par eux,
sous la direction de M. R. Donald, directeur du Municipal
Journal et bien connu pour ses idées progressistes.
ENTREPRISES MUNICIPALES REPRODUCTIVES.
• ■«•••
Bains et lavoirs
Cimetières
Electricité
Gaz
l'orts et docks
Habitations ouvrières..
Marchés
Abattoirs
Téléphones
Tramways
Kau
RECETTES
Angleterre
el Pays de
Galles
Total £
247.285
383.507
1.881. 265
7.168.705
3 228.666
223 208
895 594
37.632
nil
3.797.758
4.184.611
22.048.231
Ecosse
DÉPENSES
Anjçieterre
el Fays de
Galles
33.045
35.579
337.429
1.841 334
1.031.872
94.946
49.159
38.267
35.104
844.512
819.317
563.297
622.715
1.919.293
6.706.744
3.329.020
304.752
793.49^
40.751
nil
3.291.185
4.595.189
5.160.474
22.166.440
Ecosse
61 459
70.632
333 475
1.750.908
1.066.599
122.705
30.975
37.458
33.320
806.308
834.329
5.148.168
(1) Municipal Year liook, 1906, p. 599.
Uovcrat
29
45o TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
Ce tableau nous prouve qu en Angleterre et dans le Pays
de Galles lexcédent des dépenses sur les recettes est de
£ 118.209 ; qu'en Ecosse il y a au contraire un excédent
de recettes sur les dépenses de £ 12.306. « Ces résultats
sont naturellement obtenus, ajoute le Municipal Year Bock,
en tenant un compte exact du service des emprunts ». —
C'est heureux — » et même dans quelques cas d*un amor-
tissement spécial. Il faut donc les prendre comme montrant
le Municipal Trading sous son pire aspect. Dans l'intérêt
même du public, continue-t-il, on ne doit pas réaliser de
profits sur l'exploitation des bains et des cimetières ; à ne
considérer d'ailleurs que le gaz, les marchés et les tram-
ways, on voit qu'ils rapportent annuellement en Angleterre
et dans le pays de Galles un profit net de £ 1 .OOU 000. »
C'est parfait ; mais une chose est certaine aussi, c'est que
les bénéfices des entreprises prospères ne suffisent pas à
couvrir les déficits de celles qui ne le sont pas. Qu'arrive-
t-il alors ? C'est que le poids de ces déficits retombe sur les
impôts, qui vont croissant à mesure que se développe le
régime de municipalisation. On constate que c'est dans les
villes les plus municipalisatrices que la proportion de la
dette au nombre des habitants et à la rateable value est la
plus forte, chose à laquelle les socialistes ne voient d'ailleurs
aucun inconvénient ; mais fait plus significatif et plus in-
quiétant, c'est dans ces villes aussi que les impôts sont le
plus élevés. Nous n'avons qu'àjeter les yeux sur quelques-
unes des villes les plus fières de leurs entreprises munici-
pales pour nous en rendre compte ; pour voir qu'à Leeds
par exemple, limpôt par £ de rateable value est de 8 s. 8 d. ;
à Liverpool do 7 s. 8 d. 7/8 ; à Manchester de 8 s. 0 1/3 d. ;
à UuddersGeld de 8 s. 3 3/4 d. ; à Wolverhampton de 9 s.
5 d., à East-Ham de 10 s. 4 d. ; à West-Ham de 10 s.
L AUGMENTATION DES DEPENSES LOCALES 4&I
8 d., alors que la moyenne générale dans le pays n'atteint
pas 6 s. par £ (exactement 5 s. 7,4 d. en 1902-1903 pour
r Angleterre et le Pays de Galles). Ces chiffres sont exces-
sivement élevés, et Tonne voit pas trop jusqu'ici en quoi
consiste Taide financière que devaient apporter aux con-
tribuables les profits des entreprises municipales.
Nous avons montré, dans plusieurs des tableaux qui pré-
cèdent, l'augmentation du chiffre actuel des impôts par
rapport à ce qu'A était il y a environ 25 ans. Cette augmen-
tation est inquiétante en elle-même ; elle l'est plus encore
lorsqu'on songe qu'elle a pu se produire malgré un très
sensible accroissement de la valeur imposable des propriétés
taxées. La « rateable value » de l'Angleterre et du pays de
Galles est en effet passée de £ 115.646.631 en 1874 à
£ 199.355.590 en 1904 (1), et comme le faisait remarquer
Lord Avebury, non seulement on augmente l'impôt, mais
on augmente « Tassessment », on estime plus haut la va-
leur des propriétés imposées, si bien que le contribuable
voit croître de deux façons à la fois la somme qu'il lui
faut payer sous forme de contributions.
Un tel état de choses est plein de dangers : il n'a pas
manqué d'attirer l'attention des personnes prudentes.
Nous n'avons, pour nous en convaincre, qu'à jeter les
yeux sur le discours que prononça, le 19 avril 1904, le
chancelier de l'échiquier, M. Austen Chamberlain, lorsqu'il
présenta son projet de budget à la Chambre des Com-
munes.
« Je crois, disait-iL qu'il serait intéressant de laisser
de côté pour un instant la dette nationale et de nous re-
tourner vers la dette locale. Elle mérite bien qu'on s'arrête
(1) Rapport du Local Government Doard, 1904-1905, p. CGXII.
452 TROISIEME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
à elle. Nous enteadons souvent dire ou suggérer que la
baisse considérable des valeurs gouvernementales et au-
tres titres de premier ordre dans les dernières années
n*apour cause exclusive que les emprunts extravagants
qu'a contractés l'Etat. A une époque de grande guerre,
l'emprunt devient une nécessité, mais je crois qu^ea élo-
diant la question d'un peu plus près, on verrait que d'autres
causes ont contribué à faire baisser le cours de ces valeurs
de premier ordre et que, pour permettre aux emprunts
de l'Etat et à ceux des autorités locales de retrouver leur
ancien crédit, les autorités locales, aussi bien que Téchi-
quier, devraient se mettre d'accord pour restreindre pen-
dant un temps leurs demandes. » 11 rappelle ensuite ia
croissance rapide de la dette locale : « Dans la période de
20 années qui s'étend de 1880 à 1900, alors qu*en Angle-
terre et dans le Pays de Galles la dette locale augmentait Je
£ 157.000.000, celle de l'Etat diminuait de £ 132.000.000 ;
mais quand, par suite des exigences d*uoe guerre
sérieuse et prolongée, le gouvernement impérial se vit
contraint d'emprunter à nouveau, il ne se produisit pa»
dans les demandes d'argent des autorités locales de res-
triction qui pût faire compensation à ses emprunts. Dans
les trois années finissant au 31 mars 1902, les autorités loca-
les du Royaume-Uni ont emprunté plus de£ 103. 000.000.
La somme totale qu^est venue ajouter à la dette nationale
une guerre qui troubla l'équilibre de quatre années finan-
cières, ne représente qu'environ 4 ans 1/2 des emprunt^
que contractent actuellement les autorités locales du
Royaume-Uni. w
« Sans doute, ajoutait M. Âusten Chamberlain, les auto-
rités locales ne contractent en grande partie cette dette que
pour faire face aux obligations que le Parlement leur iui-
L* AUGMENTATION DES DEPENSES LOCALES 4^3
pose. C'est signe, à mon avis, qu'il faut nous arrêter* au
lieu de continuer à leur imposer de nouvelles charges. Sans
doute encore, une portion considérable de cette même dette
sert à créer des entreprises rémunératrices ou qu'on espère
tout au moins devoir être rémunératrices. N*empéche que
dans la plupart des cas ce sont les ressources des contribua-
bles qui servent de garantie directe ou éventuelle à ces
emprunts,
« Tôt ou tard, il faudra crier halle et cesser d'hypothé-
quer ainsi l'avenir . Malgré le succès de la dernière émis-
sion du London County Council, bien des signes nous prou-
vent qu'on fait aujourd'hui aux autorités locales moins bon^
accueil sur le marché de l'argent qu'il y a quelques années.
Mal reçues de ce côté« elles se retournent naturellement
vers TElat et lui demandent de les sortir de leurs difficul-
tés. On avait établi le fonds des emprunts locaux (Local
Loans Fund) pour faire profiter les autorités locales, et
spécialement celles d'entre elles qui ne sont pas en bonne
posture pour emprunter elles-mêmes, du crédit supérieur
de TEtat. Mais l'Etat a le droit de faire un choix entre les d e-
mandes qu'on lui adresse. Il n'est pas admissible qu'après
avoir gâché le marché par des demandes d*argent trop con-
sidérables, les autorités locales aient le droit de contraindre
l'Etat à s'adresser lui-même à ce marché ainsi abîmé.
« Pour faire échec à ce système et préserver le Local Loans
Fund de pertes certaines, le Trésor s'est vu dans lobliga-
tion d'élever le taux des emprunts consentis par les com-
missaires des emprunts pour travaux publics (Public
Works Loan Gommissioners). Je suis en train d*examiner,
avec mon honorable ami le Président du Local Govern-
(1) The Times, 20 avril 1904.
à
454 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
m(*nt Board et les commissaires, s*il ne serait pas prodent
do restreiadre plus encore qu'auparavant ces prêts aux
seules autorités qui sont le moins en situation iïem-
prunter elles-mêmes dans des conditions raisonnables et de
les limiter aux emplois que cette chambre a spéciale-
ment désiré encourager. En tous cas l'Etat ne peut pas con-
tinuer à distribuer Targent d'une main aussi prodigue que
dans ces dernières années, maintenant que cet argent est
cher et que les banques d'épargne (saving banks) ne nous
offrent plus d'aussi importantes ressources qu'autrefois ».
11 faut se rappeler en outre que la dette nationale est une
dette d'un genre tout spécial, que TEtat n'est pas tenu de
rembourser. 11 n'en est pas de même de la dette locale. A
part quelques valeurs qui ne sont rachetables qu'avec le
consentement de leurs détenteurs, l'argent que Ton a prêté
aux autorités locales constitue un véritable prêt, rembour-
sable à une date fixée à Favance et indépendamment du
succès ou de l'échec de Tentreprise dans laquelle elles Tont
employé.
Aux arguments précédents, les municipalistes ne man-
quent pas de répondre que l'on n'a contracté la dette mu-
nicipale que pour créer des entreprises rémunératrices qui,
dès aujourd'hui, ne sont pas seulement la source de profiLs
plus ou moins considérables, mais qui, dans un avenir
rapproché mettront les villes qui les possèdent dans uoe
situation des plus prospères, le jour où elles auront terminé
le remboursement de ces emprunts. Maigre consolation à
donner à des contribuables qui constat(*nt que les impôts
augmentent par tout le pays de façon extravagante et parti-
culièrement nuisible aux intérêts commerciaux ; consola-
tion qui n'en est pas une en réalité, si, comme nous le ver-
rons plus tard, aussitôt le remboursement des premiers
l'augmentation des dépenses locales 455
efnpruQts terminé, peuUêtre mAme avant, les villes doi-
vent en contracter de nouveaux pour renouveler le maté-
riel vieilli et démodé de leurs entreprises.
Ce n'est pas dans la dette seule que réside le danger du
Municipal Trading : il nous apparaît menaçant encore pour
l*avenir des finances municipales sous un autre aspect : de
façon graduelle, mais sûre, ouvriers et employés des mu-
nicipalités arrivent à Tàge où ils ont droit à des pensions
et à des retraites. Maîtres d'école, policemen, poor law of-
ficers, gaziers, électriciens, employés des tratfiways et des
téléphones, des gens de toute profession et de tout métier
continueront à émarger au budget municipal le jour où ils ne
rendront plus à la communauté aucun service. Etant donné
que Ton n'a pas toujours constitué de réserves suffisantes
pour faire face au service de ces pensions sans cesse plus
coûteuses, on peut, sans crainte d'erreur, prédire que les
contribuables anglais se verroni un jour obligés de rému-
nérer des services rendus à la génération précédente et de
payer sous forme de pensions 25 ou 50 millions de £ de
plus qu ils n'en comptaient payer dans un avenir rappro-
ché (Ij.
Le total des dépenses locales n'augmente pas seulement
parce que les municipalités voient chaque jour s'étendre
davantage le champ de leurs attributions, mais parce que
les conseillers municipaux, tout en engageant dans l'inté-
rêt de leurs administrés des dépenses considérables, en
font, dans leur intérêt propre, d'autres qui, pour être moins
importantes, n'en donnent pas moins à réfléchir.
Dans un article du 28 août 1902, le correspondant du
Times en cite un certain nombre qu'il a glanées çà et là
(1) Voir PoiiTER. Conrérenoe faite à Belfast le !2 se temhre 1902.
456 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
dans les comptes municipaux et qui ne manquent pas de
piquant. Elles nous montrent que les conseillers anglais
aiment à faire bonne chère, à mener une vie confortable
et qu'ils gaspillent joyeusement l'argent de leurs contri-
buables.
« L'envoi de députations à Londres constitue, nous dit-
il. Tune des caractéristiques de la vie municipale en pro-
vince ; il n'y a que trop de raisons de supposer que le dé-
part de ces missions est trop souvent décidé sans motifs
suffisants et qu'on les considère comme de petits congés
bien dus à des aldermen ou à des conseillers accablés de
travail. » Parfois on va visiter d'autres villes de la province
sous prétexte d'étudier Tinstallation de leur usine électrique
ou le régime de leurs tramways ; l'inspection des ouvrages
de la corporation même devient souvent l'occasion d'une
agréable excursion. M. J. W. T. Morrissey, auditeur élu de
la ville de Liverpool, a jeté quelque lumière sur ce sujet
peu connu dans un rapport dont nous extrayons, parmi
beaucoup d autres, les passages suivants :
L'inspection annuelle du comité des bains coûte aux
contribuables, le 22 mai, une somme de £ 27, 1 s. 6 d. qui
se décompose ainsi qu'il suit :
24 dîners à 7 s. 6 d £ 9 0 s. 0 d.
Champagne 9 16 6
Autres vins et liqueurs .... 2 15 0
Eaux minérales, café, cigares . . 5 10 0
Total £ ^7 1 s. 6d.
Les représentants de la démocratie française, en géné-
ral plus économes des fonds municipaux que les conseillers
anglais, ne dépensent évidemment pas tant d'argent en
Champagne ; mais il se pourrait que le jour où ils auront
l'augmentation des dépenses locales fibj
occasion d'inspecter autant de travaux et d'usines que leurs
collègues d'Outre-Manche, ils se sentent incités à banque-
ter comme eux.
« Le 14 mars, dit M. Morrissey, une députation du co-
mité des tramways se rendit à Preston pour examiner des
voitures électriques en cours de construction. L'excursion
était totalement inutile ; la députation n'en dépensa pas
moins £ 18,6 s. de notre argent, ainsi que le montre le
compte suivant :
21 dtnersà 6 s £ 6 6 s. Od.
13 bouteilles de Champagne. . . 7 3 0
Autres vins et liqueurs .... 1 10 0
Eaux minérales, café, etc. ... 16 0
Cigares 116 0
Chambre £ 0 5 s. 0
Total £ 18 6 s. Od.
Dans un autre rapport relatif à Tétat des comptes de la
corporation à la fin de 1901, M. Morrissey montre que
parmi les dépenses qu'entraîna Tincorporation de Garston,
dépenses qui s'élevèrent à £ 2.851 12 s. 10 d., on relevait
pour £ 70 de déjeuners et de dîners. Soit :
1211unchsà5s £30 5 s. Od.
Garçons (service) 3 15 0
6 dtnersà 4 s 14 0
Fleurs 0 6 0
Garçons et glace 13 0
Diners et rafraîchissements ... 11 5 6
Cigares 2 0 0
Vins et liqueurs (129 bouteilles) . 20 6 4
Total £70 4 s. 10 d.
Passons-nous des banquets à la procédure, nous décou-
458 TROISIEME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
vrons qu'il faut dépenser f 34, 7 s. 4 d. pour payer £ 36
de dommages-intérêts au propriétaire d'un cheval blessé, et
que pour en payer £ 60 à un autre individu, il en coûte à
la corporation £ 92 17 s. 8 d. de frais.
Un pamphlet de M. Dransfleld, auditeur élu de la ville
de Leeds, intitulé : « Extravagances municipales ou Rai-
sons pour lesquelles ie public devrait protéger ses intérêts »,
nous montre que la situation dans cette dernière ville est
exactement la même qu'à Liverpool. Le mal est général ;
il est donc permis de se demander si, après avoir sup-
primé une fois pour toutes les banquets et le Champagne,
on ne pourrait pas réduire aussi, dans des proportions no-
tables, les dépenses qu'entraînent les voyages d'études que
font en groupe les conseillers municipaux, soit .sur le con-
tinent, soit en Angleterre même ; sans doute Ton en peut
rapporter des renseignements utiles ] mais point n*est be-
soin pour cela d!une délégation ; un ou deux ingénieurs
au courant de situation, feront en moins de temps et à
meilleur compte un bien meilleur ouvrage.
Enfin, dernière cause d'accroissement des dépenses,
une municipalité ne saurait se loger dans un bâtiment
simple d'aspect ; il lui faut un hôtel de ville magnifique,
plus beau et plus luxueux que celui de la ville voisine, sa
rivale ; il lui faut des salons somptueux et brillamment dé-
corés. M. Dransfield cite, pour Leeds, de curieux exemples
de ce besoin de luxe municipal : c'est un fait facile à
constater d'ailleurs dans toutes les grandes villes anglaises.
(( Il peut sembler mesquin, dit le correspondant du Tt-
me^ (i), de s'attarder à de telles critiques; elles servent
à montrer pourquoi les impôts croissent de façon si cens-
<i:. Voir le Tùnes du 28 août 1902.
l'augmentation des dépenses LOGALB8 . 4^9
tante. Co n'est pas seulement l'exécution des grands tra-
vaux publics qu'exigent la santé et la sûreté de la commu-
nauté ; ni les entreprises municipales de toutes sortes, où
se sont aventurées les autorités locales, ni les dépenses
somptuaires qu'on a faites pour les « masses » aux frais
de ceux qu'on suppose posséder quelque chose ; ce n'est
pas seulement tout cela qui fait croître les impôts ; c'est
Tesprit général du système de gouvernement local qui s'ac-
corde pleinement avec ce principe fondamental du socia-
lisme municipal, et qui consiste à regarder la bourse du
contribuable comme une corne d'abondance qui n*a pas
plus de fond que les projets du municipaliste n*ont de
limite. »
Il nous faut pourtant reconnaître que l'augmentation
des charges locales n'est pas uniquement due à Taction
des municipalités. Partout où les impôts ont beaucoup
augmenté, les diverses autorités de la ville ou du comité
ont pris rhabitude de se rejeter le blâme de Tune à l'autre.
Municipalité, School Board et Board of Guardians procla-
ment, chacun pour son compte, leur amour de l'économie
et se lamentent sur la prodigalité du voisin. En réalité,
tons les corps publics sont aujourd'hui, en Angleterre,
plus ou moins imprégnés de l'esprit du socialisme muni-
cipal. Les School Boards, comme les municipalités, par-
tent de cette même idée qu'il faut faire le plus possible
pour le peuple sans s'inquiéter de savoir qui paiera la
dépense ; les labour members poursuivent leur politique
socialiste dans l'une comme dans Tautre de ces assem-
blées ; grâce à l'adoption de la fair wages clause et au soin
qu'ils prennent de ne confier Texécution des contrats de
travaux publics qu'à des entrepreneurs qui payent les
plus hauts salaires des trade-unions, ils font bâtir des
46o TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
écoles qui finisseQt par revenir excessivement cher. Le
système des cantines scolaires s'introduit à Londres, qui
ne rêve que d'imiter le système parisien dont rapplication
a donné lieu pourtant à bien des abus. Les instituteurs
et maîtres d'école réclament sans cesse des augmentations
de traitement ; ils commencent à former des sortes de trade-
unions et à considérer comme une raison suffisante pour
demander et obtenir une augmentation générale des trai-
tements le fail qu'une ville aura fait à ses instituteurs
une concession de ce genre.
Les dépenses de l'Assistance publique s'accroissent éga-
lement de façon considérable et leur progression est bien
plus rapide que celle de la population. En Angleterre et
dans le paysde Galles, elles ontpasséde£ 8.434.000 enl889-
1890 à £ 13.609.000 en 1902-1903. L'augmentation de la
population anglaise ne suffit pas à justifier ces chiffres» et
si l'Angleterre traverse par moments des crises indus-
trielles violentes où elle se trouve en face de milliers d'ou-
vriers sans emploi^ ces crises ne sont ni nouvelles, ni éter-
nelles, et n'expliquent pas à elles seules la croissance ré-
gulière et rapide des dépenses d'assistance.
Les socialistes se sont introduits dans les boards of guar-
dians comme ils se sont introduits ailleurs ; ils avaient à le
faire un intérêt de premier ordre. Si les workbouses d1l y
a 40 ans ressemblaient plus à des prisons qu'à des établis-
sements d'assistance, la tendance actuelle nous mène à
l'autre extrême. Une enquête récente a démontré jusqu'où
pouvaient aller, dans la voie de la prodigalité, certaines
municipalités qui traitaient les indigents des workbouses
comme des voyageurs le sont dans un hôtel de luxe.
Les guardians socialistes, ou membres du labour party.
ne se sont pas montrés moins généreux dans la distribu-
tion des secours à domicile.
l'augmentation des dépenses locales 46 1
L'action des trade-unions enfin et l'établissement d'un
salaire minimum dans certains districts, s'opposant à Tem*
ploi des hommes âgés, ont contribué à rejeter sur la pa-
roisse les frais de leur entretien et à augmenter ainsi le
coût de la poor Law. La fixation d'un salaire minimum, ou,
comme nous le disions plus haut, la concession aux ouvriers
m unicipaux de salaires trop élevés a pour conséquence fa-
tale le renvoi immédiat des hommes Agés ou partiellement
infirmes qu'on avait employés jusque-là à des travaux fa-
ciles, comme le balayage des rues, par exemple, moyen-
nant un salaire modéré. Privés de leur gagne-pain, ces in-
dividus se trouvent alors obligés soit d'aller au workhouse,
soit tout au moins de demander des secours à leur paroisse.
L'action des School Boards et celle des Boards of Guar-
dians mérite donc d'être signalée, elle aussi, après celle des
municipalités, quand on parle de l'augmentation des dépen-
ses locales. Quelle que soit la forme qu'il revête, le socia-
lisme municipal se traduit toujours par des dépenses exces-
sives ; mais quel que soit le corps qui les fasse, Targent
sort toujours de la bourse du contribuable et, c est ajuste
titre que M. Fairlie a pu écrire que « le développement
énorme de la dette constitue l'un des plus sérieux problè-
mes des finances municipales ». .
L'on a dit parfois que puisque ce sont des autorités nées
de l'élection qui ont créé cette dette, le contribuable tient
dans ses propres mains le remède au mal dont il se plaint,
sous forme de bulletin de vote. Cette réponse ne peut nous
satisfaire. La multiplicité des corps locaux est trop grande
pour que les citoyens puissent leur consacrer assez d'atten-
tion. En dehors des corporations municipales, on rencon-
tre, en effet, les Gounty Councils, les Parish Councils, les
DistrictCouncils, les Boards ofGuardians, les School Boards,
462 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
les Highway Boards, les Burial Boards, Harbour Board^,
Yestries, d'autres encore sans doute ; si bien qu'il n'y a pas
une personne sur 1.000 qui comprenne véritablement le
mécanisme de la machine politique et administrative qui
la gouverne ou qui trouve le temps de faire usage de son
droit de vote chaque fois qu'on procède à des élections. On
nesaitqu*une chose, c*estqueles impôts deviennent plus
lourds chaque année et qu'il faut les payer.
La conclusion à tirer des pages précédentes est qu'il im-
porte de mettre un frein : l'^ aux emprunts ; 2"* aux dépenses.
La chose est sans doute plus facile à dire qu'à faire, et
la prodigalité, outre qu*elle a plus de charmes, est aussi
plus aisée à pratiquer que Téconomie.
Pour les emprunts, il semble cependant que si le gouver-
nement voulait réellement les restreindre,il pourrait le faire,
comme le recommandait M. Austen Chamberlain, en ne
les autorisant plus aussi facilement à Tavenir ; c'est une po-
litique qui» avec un peu de fermeté, pourrait produire d'ex-
cellents résultats, étant donné que les autorités locales ne
peuvent contracter d'emprunts sans Tautorisation du gou-
vernement.
Quanta réduire les dépenses, il n'y faut pas songer;
ce serait un fort beau résultat que d'arriver à modérer leur
marche ascendante ; mais pour cela il faudrait changer Tes-
prit public ; or, nous savons bien que ce n'est pas là l'ou-
vrage d'un jour et que le courant qui Tentraine aujourd'hui
est trop fort pour qu'on puisse l'arrêter subitement. Oa
pourrait néanmoins prendre en attendant quelques mesures
aussi sages que faciles : interdire, par exemple, comme le
proposait M. Davies (i), aux membres des Conseils munici-
(1,1 Davies, Cost of- Municipal Trading^ p. 5.
L AUGMENTATION DES DEPENSES LOCALES 46S
paux et à ceux du Londoa GouQty Councii notamment, dont
le budget atteint des chiffres énormes, de proposer tellesdé-
penses qu'il leur plait ou qu'il plait à leurs électeurs. Cène
serait qu*étendre aux membres des conseils municipaux
rincapacité relative dont sont frappés en matière financière
les membres de la Chambre des Communes, incapacité
qu'ils apprécient fort justement. Le conseiller municipal,
commerçant ou industriel, entouré de collègues comme lut
dans les affaires, et qui sont plus ou moins ses clients, ne
peut examiner leurs propositions avec une économie trop ri-
gide ; patron des ouvriers municipaux et leur élu en même
temps, il se sent encore moins le courage de leur refuser les
augmentations de salaires qu'ils réclament ; gardien delà
bourse publique, il se trouve ainsi placé dans la position la
plus difficile et la plus embarrassante qu'on puisse imagi-
ner. Mais au lieu d'en être le cerbère farouche qui ne l'ou-
vre qu'à regret, il s'en fait l'intendant prodigue qui prend
plaisir à en gaspiller le contenu.
CHAPITRE II
LES EMPRUNTS MUNICIPAUX.
Les dettes ne sont pas en elles-mêmes un trait nouveau
des finances municipales ; mais tant par leur objet que par
leur montant, les dettes municipales actuelles diffèrent ra-
dicalement de celles des périodes antérieures. Dans le$
siècles passés, les localités contractaient des dettes pour
faire face aux demandes extraordinaires de la couronne ou
pour se procurer les ressources que nécessitaient les opé-
rations militaires ; la dette avait alors quelque chose d*ex-
ceptionnel ; les dettes perpétuelles étaient rares et leur
montant presque insignifiant. Depuis, le caractère de>
dettes locales a changé ; on les contracte aujourd'hui pour
la construction d ouvrages durables, de monuments publics,
d'aqueducs, d'hôpitaux, d'écoles, le percement des rue>
nouvelles, la fondation d^entreprises commerciales, telle
qu'usines à gaz, tramways, usines électriques, etc. Nous
nous empressons de reconnaître que leur but répond à des
besoins autrement dignes d'intérêt que de fournir des res-
sources pour les dépenses somptuaires de la couronne ou
les dépenses militaires. Aussi n'est-ce pas leur objet que
nous critiquons, mais la façon dont elles sont engagées et le
fardeau qu'elles font peser sur les contribuables.
Nous avons assisté dans le précédent chapitre à Taugmen-
tation constante et rapide de la dette municipale, principa-
LES EMPRUNTS MUNICIPAUX 465
lement durant les cinquante dernières années. Il nous reste
à voir comment on a contracté cette dette et quelles ont été
les conditions générales de son émission et de son rembour-
sement.
Nous savons déjàque, malgré la très grande indépendance
dont jouissent les municipalités anglaises, elles ne peuvent
contracter d'emprunts sans Tautorisation du gouvernement
central et que cette autorisation leur est accordée tantôt par
le Parlement sous forme de loi. tantôt par le liocal Govern-
ment Board ou le Board of Trade.
lin rapport (1), présenté en 1902 par une Commission
parlementaire qu'on avait chargée d'étudier le rembourse-
ment des emprunts faits par les autorités locales, nous
donne à ce sujet des renseignements fort intéressants. Nous
nous référerons fréquemment à lui dans le cours de ce
chapitre.
La politique du Parlement anglais depuis de longues
années a été d'exiger le remboursement en un nombre dé-
terminé d'années des emprunts contractés par les autori-
tés locales et d'empêcher l'établissemenl d'aucune dette
locale perpétuelle. Afin d'arriver à ce but, toute loi qui con-
fère à une autorité locale le droit d'emprunter, spéciûe la
période maxima dans laquelle se fera le remboursement.
Les lois anglaises donnent néanmoins au ministère compé-
tent une certaine liberté d'action et lui laissent le soin de
décider quel sera le terme du remboursement de chaque
emprunt.
En Angleterre et dans le Pays de Galles, les périodes
spécifiées par les lois varient de 10 à 60 ans ; et le Public
Health Act de 1875 fixe de façon générale à 60 ans la pé-
riode de remboursement des emprunts municipaux.
(1) Repayaient of Loans by local authorities, juin 1902.
liovcrat 30
466 TROISIÈME PARTIE. CHAPITHE II
C*est au Local Government Board que revient la plos
grande partie du travail consistant à contrôler les emprunts
des autorités locales en Angleterre ; on voit d'après ce que
nous venons de dire qu'il jouit vis-à-vis des autorités locales
d'une grande liberté et d'un réel pouvoir,
Le Board possède un état-major d'inp^énîeurs et de méde-
cins inspecteurs dont le rôle est de faire des enquêtes loca-
les sur la situation dans laquelle se trouve Tautorité qui
veut emprunter. L'enquête est généralement obligatoire ;
elle a pour but de rechercher la durée probable et Futilité
de l'ouvrage projeté» et l'inspecteur doit indiquer au Board
quelle estla période de remboursement qu il convient, selon
lui, d'accorder.
Le Local Government Board et le Board of Trade esti-
ment que les périodes maxima mentionnées dans les lois
générales se rapportent aux parties les plus durables de
Touvrage pour la construction duquel l'autorité locale de-
mande à emprunter. Aussi procèdent-ils d ordinaire pour
chacune des parties de Touvrage projeté à l'examen des
évaluations qu'on leur soumet, et assignent-ils à chacune
d'elles en particulier un terme spécial de remboursement ;
enfin, pour éviter la multiplicité trop grande des emprunts,
ils ont pris l'habitude d'accorder pour tout l'emprunt ce
qu'on appelle une période moyenne (equated period). Celte
disjonction et cette égalisation aboutissent à réduire daas
la pratique les périodes de remboursement au-dessous de^
périodes maxima que spécifient les lois ; toutefois, Ton n*v
a pas recours lorsque les sommes comprises dans chaque
groupe atteignent un chiffre important et que Tautorité lo-
cale exprime sa préférence pour des emprunts séparés (1-.
(i) Voici un exemple d* < Equation ».
(Il s'agit d'un emprunt contracté pour rinstallation d'une usine à
LES EMPRUNTS MUNICIPAUX
467
En procédant à cette fixation des périodes de rembourse-
ment, le Local Government Board ne tient pas seulement
compte de Texistence utile probable de chacune des parties
de l'ouvrage pour la construction duquel on désire emprun-
ter, mais aussi de la situation future probable de la localité
au point de vue dette, pour éviter aux contribuables à venir
de se trouver un jour indûment surchargés, et par consé-
quent moins apte^à remplir lesdevoirsquileurincomberont.
Outre les pouvoirs qu'elles tiennent de lois générales, la
plupart des grandes municipalités ont obtenu de Local Acts
le droit d'emprunter pour des objets variés ; elles ont ainsi
emprunté de grosses sommes, dont ces mêmes Acts ont fixé
le montant et la période de remboursement. Toutefois le
recours au PrivateBill leur permettait d'oblenir des périodes
de remboursement excessivement longues ; dès 1882, l'at-
Kaz).
DESCRIPTION
OB L* OUVRAGE
BÂtimeDls
Conduites
Gazomètres
Appareils de condendatioD . . .
Appareils d'épurntion
Benches (plateforiiies sur les-
quelles ou étale le coke
pour Téteindre)
Compteurs
Coroues
Total £
COLT
ESTIMÉ
£
2.500
1 245
1.500
530
1.000
t. 200
53n
600
9.i05
TERME
HABITUEL
X 30 ans
X 30
X an
X 30
X 20
X 15
X 10
X 2
DiviMDt le Iota]
donne 23 ana 9
£
75.000
37.350
45.000
15.V00
20.000
18.000
5.300
1.200
217.750
La période accordée serait donc de 24 ans (V. Report on Repay*
mentof Loans by Local Anthorities, 1902, p. 201).
468 TROISIEME PARTIE. — CHAPITRE II
tentioQ de la Chambre des Communes était attirée sur ce
fait; après enquête elle décida qu'à moins d^absolue néces-
sité elle n'accorderait plus de période supérieure à 60 ans.
Elle introduisit cette limitation dans un de ses Standing Or-
ders et depuis n'y a fait exception que quatre fois (pour des
travaux d'adduction d eau).
Lorsque, au lieu d'emprunter elle-même. Tau to ri té locale
obtient son prêt du Public Works Loan Board, c'est aux com-
missaires de ce Board que revient le soin de déterminer la
période de remboursement et de rédiger les règlements re-
latifs aux conditions de l'emprunt. Us doivent, en procédant
à cette fixation, tenir compte de la durée probable de Tou-
vrage et de l'avantage qu'il y a à en faire payer le coût par
la génération même qui en profitera directement.
La politique générale des commissaires est de pousser les
autorités locales à accepter de courtes périodes de rembour-
sement, et de ne pas leur laisser rejeter sur la postérité une
aussi grosse part que possible du fardeau de Temprunt.
L'un des moyens qu'ils emploient dans ce but consiste à se
contenter d'un taux d'intérêt assez bas lorsque la période de
remboursement est courte, mais d'en exiger un plus haut
lorsque la période de remboursement est longue.
En 1902 les taux d'intérêt en vigueur avaient été fixé^
comme suit par une minute du Trésor du 31 janvier 190U.
Période de remboursement Taux d'iotërét
N'excédant pas 30 ans . . . . 3 1/4 ^o par an
— 40 ans .... 3 1/2 V, —
— 50 ans .... 3 3/4 Vo —
Une minute du 3 mars 1904 a relevé respectivement à 3
3/4, 4 et 4 1/4 le taux des emprunts remboursables en 30, 40
et 50 ans. Nul doute que la politique des commissaires n'ait
LES EMPRUNTS MUNICIPAUX ^69
réussi à influencer la longueur des périodes de rembourse*
ment demandées par les autorités locales désireuses d*em-
prunter. La proportion pour cent des emprunts les plus
longs (c'est à dire de ceux qui sont contractés pour 40 et
50 ans), accordés par les commissaires, au montant total
de ces emprunts, a baissé d'une moyenne de 11 ,04 °/o dans
les cinq années 18881892 aune moyenne de 3,01 Vo dans
les cinq années 1898*1902. Les commissaires sont autorisés
à faire des prêts aux conseils de Comté .de Bourg, de Dis*
trict ou de Paroisse. Une longue série de lois, mais notam-
ment une loi de 1875 et une autre de 189B ont fixé les objets
en vue desquels il est permis aux commissaires d'avancer
de l'argent aux autorités locales ; citons : les asiles d'aliénés,
les cimetières, la conservation des rivières, les ports, docks,
bibliothèques publiques, musées, workhouses, écoles,
etc. (1).
Divers modes de remboursement.
Après avoir étudié la durée des périodes de rembourse-
ment, le comité devait aussi s occuper des différentes mé-
thodes au moyen desquelles peut s'effectuer ce rembourse-
ment, et il rappelait que d'après le Public Health Act de
1875 (sect. 234) les autorités locales doivent rembourser
l'argent qu'elles ont emprunté soit au moyen de versements
annuels égaux (« equalannualinstalments ») décapitai ou
(1) Les Public Works Loan Commissioners ont refusé d'avancer
£ 27.000 au School Board de West-Ham ^Lord Avebury, op. cit.j p. 38),
parce que les impôts de cette localité ne sélèvent pas à moins de
10 8. 2 d. par £ ; il y a peu de temps le L. C. C. a opposé un même
refus aux demandes d*emprunt du Pulham Borough Council à cause
du trop gros chiffre de sa dette. En 1898 Fulham avait une dette de
£ 103 685 ; aujourd'hui elle atteint £ 393.855. Il ne faut regretter
qu'une chose, c'est que les Public Works Loan Commissioners et le
L. C. C. n'aient pas adopté plus tôt cette politique circonspecte.
470 TROISlàME PARTIE. CHAPITRE II
de capital et d'intérêts ; soit en mettant chaque année de
côté, sous forme de fonds d'amortissement (sinking fund),
une somme qui, accumulée par le procédé des intérêts
composés et employée à Tachât de bons de l'échiquier
(Exchequer Bills) ou autres valeurs d'Etat, sufBra après le
paiement de toutes les dépenses à rembourser Targeot
emprunté, dans la période autorisée.
D existe donc trois principaux modes de remboursement,
que prescrivent la loi générale et la majorité des acts locaux.
Ce sont :
1° Le remboursement du capital, par portions annuelles
toujours égales, et parallèlement à lui le service des intérêts
sur la somme qui n*est pas encore remboursée. C'est ce
qu'on appelle Tlnstalment System.
2^ Le remboursement par payements partiels, annuels
et égaux, de capital et d'intérêts combinés, c'est-à-dire
par annuité terminable.
3^ La constitution d'un fonds d'amortissement (sinkin^^
fund) qu'on accumule à intérêts composés.
Le montant du fardeau rejeté sur la postérité par l'exten-
sion de la période de remboursement varie suivant que
l'on adopte Tune ou l'autre de ces méthodes. En Angle-
terre et en Irlande, on penche pour la seconde et la troi-
sième de ces méthodes de remboursement ; en Ecosse, au
contraire, on préfère la première qui entraine un paiement
total de capital et d'intérêt beaucoup moindre que les deux
autres, quoique le fardeau quelle impose durant les pre-
mières années soit plus lourd, ainsi que le montrent les
chi lires suivants :
Remboursement d*un emprunt de £ 100 par périodes
do 30, 40 et 50 ans, au moyen :
A) de llnstalment System ;
B) du système des annuités à 3 V« d'intérêt.
LES EMPRUNTS MUNICIPAUX
471
l
30 ans
40 ans
50 ans
B . .
A . .
B . .
A .
B . .
Paiement
k /aire la 1'*
année
£ 8. d.
6 6 8
2 0
5 10
4 6
5 0
3 17
0
6
0
9
Paiement
À Taire lu der-
nière année
£ s. d.
3 8 8
5 2 0
2 11
4 6
2 1
3 17
6
6
3
9
Total paré
£ s. d.
146 10 0
153 1 2
161 10 0
173 1 0
176 10 0
194 6 7
(t)
Plusieurs des témoins appelés ont, d'autre part, mis sous
les yeux du comité des tableaux qui montrent le soulage-
ment qu'apporterait aux contribuables actuels Textension
des périodes de remboursement s'effectuant au moyen du
système des annuités ; et le comité lui-même attire Tatten-
tion du public sur le tableau ci-dessous qui montre la somme
annuelle qu'exige, tant en capital qu'en intérêts, le rem-
boursement d*un emprunt de £ 10. OOd contracté au taux de
3 ^lo pour diverses périodes dont la plus longue ne dépasse
pas 60 ans.
Période pour laquelle est contracté
l'Emprunt
Somme annuelle k
payer
10. .
20. .
30. .
Années
£
1.172
672
510
433
389
361 (2)
40
50
00
1 • • •.
(1) Hepori on Repaymenlof Loans by local aulhorilies^ p. VIII
(2) lleporl on Repayment of /A)anx by local auihorities, p. iX.
^']^ TBOISIÈMB PARTIE. GHAPITRB II
seiuble-t-il, une compensation suffisante à Tioi productivité
de l'ouvrage* tant qu'il n'est pas terminé.
En concluant, le comité proposait quelques modifica-
tions aux périodes de remboursement en usage.
Voici* à titre de renseignement, la longueur des pério-
des que Ton accorde aux municipalités pour le rembour-
sement de leurs emprunts. Nous avons déjà dit que ces
périodes variaient suivant la loi d'abord, mais aussi sui-
vant la volonté du Local Government Board, et qu*ii exista
pour chaque espèce d'entreprises, une durée générale-
ment applicable. Pour les tramways par exemple on ac-
corde une période de 30 à 35 ans ; pour le gaz, de 30 à
40 ans ; pour Teau, de 50 à 60 ans ; pour une usine élec-
trique, de 25 à 30 ans ; pour une installation de télépho-
nes, 25 ans ; pour un marché, 60 ans ; des égouts, 30 ans:
un (( refuse destructor », 15 ans ; pour les bains, si c'est une
piscine, 30 ans ; si ce sont des bains turcs, 20 ans ; etc.
On a parfaitement raison de s'opposer à la tendance que
manifestent trop souvent les autorités locales de rejeter le
poids des emprunts actuels sur les contribuables à venir;
ces derniers auront eux-mêmes bien assez de devoirs nou-
veaux à remplir, devoirs dont laccomplissement leur sera
d'autant plus difficile que les engagements financiers con-
tractés aujourd'hui à leurs frais aurontdépassé les avantages
qu'ils en doivent tirer.
Vu l'augmentation de la dette locale, le comité exprimait
Tavis que le seul système financièrement correct est celui
qui consiste à faire payer à chaque génération la plus grosse
part de ses propres dépenses. C'est un fait souvent constaté
que plus longue est la période de remboursement, moins
Tautorité qui contracte l'emprunt se montre soucieuse de le
restreindre au plus faible chiiïre possible.
LES EMPBUNT8 MUNICIPAUX ^7^
Avant de sanctionner un emprunt, le Local Government
Board voit sur quels pouvoirs se fonde la demande qu'on
lui adresse; quelles limites ont été fixées au droit d'emr
prunterque possède l'autorité locale ; et, quand l'ouvrage
projeté n'est pas de première importance, le Board recherche
si ces pouvoirs d'emprunt dont l'autorité locale n'a pas en-
core fait usage ne seront pas, à bref délai, réclamés dans le
district même pour l'exécution des travaux sanitaires
urgents.
Malgré toutes ces précautions, et quelle que soit la pru-
dence que le Board apporte à la fixation des périodes de
remboursement, il lui arrive parfois de se tromper sur la
durée de l'existence utile d'un ouvrage ; pour qu'il en fût
autrement, il faudrait que ses fonctionnaires eussent reçu
le don de propliétiser Ta venir. Or, ils n ont même ni le pou-
voir de surveiller l'exécution des plans qu'on leur soumet,
ni le moyen de contrôler Tentretien des ouvrages après
leur achèvement. Les variations du chiffre de la popula-
tion, les progrès delà science, des intempéries exception-
nellement violentes, mille autres causes enfin peuvent
renverser des calculs basés sur la plus longue expérience.
Le Local Government Board a fourni aux membres du
comité rexemple de 29 cas où les ouvrages municipaux
n'ont pas duré aussi longtemps que la période accordée
pour le remboursement ; preuve que l'on ne saurait se
montrer trop prudent en cette matière.
Une fois l'emprunt autorisé, le Local Government Board
s'assure qu'on rapplique bien à Tobjet pour lequel on Ta
contracté. Il a pour cela plusieurs moyens à sa disposition.
S'il apparaît que l'autorité locale ne fait pas de l'emprunt
l'usage qu'elle aurait dû en faire, le Board peut,par un order,
enjoindre les corrections qu'il juge nécessaires ; s'il n'est
476 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE II
pas tenu compte de ses observations, Torder peut être rendu
exécutoire par lettre de mandamus ( writ of mandamus)
(38 et 39 Victoria, C. 89, sect. 33-38).
Depuis 1873, plusieurs acts locaux et provisional orders
ont décidé que les autorités locales devraient adresser cha-
que année au Local Government Board des rapports sur la
gestion de leurs emprunts ; le Board a le droit de recourir
aux sanctions précédentes s'il saperçoit que Ton ne s'est
pas conformé aux dispositions légales.
A c6té de ce contrôle direct existe un contrôle indirect
qui n'est pas moins efficace. Il réside dans le pouvoir que
possède le Jjocal Government Board de sanctionner ou de
refuser de sanctionner l'emprunt auquel désire procéder
Tautorité locale. Le Board peut en effet rechercher quelle a
été la conduite antérieure de la municipalité, examiner l'or-
ganisation de ses sinking funds ; voir si le capital et les in-
térêts dus par elle ont été payés régulièrement et sans délais ;
si elle a fait de l'argent de ses emprunts un emploi honnête
et sage ; contrôler en un mot Thistoire entière de l'autorité
qui lui adresse une demande.
L'enquête n'est-elle pas satisfaisante, Tautorité centrale
pourra refuser son approbation au nouvel emprunt jusqa à
complète réparation des irrégularités commises et contrain-
dre de la sorte l'autorité locale à se conformera la loi.
Une fois l'autorisation d'emprunter obtenue, voyons de
quelle manière une municipalité peut emprunter. Elle a
pour cela plusieurs moyens à sa disposition:
Elle peut :
1° Emettre des fonds publics ou rentes rachetables (stock).
2^ Emettre des emprunts hypothécaires, obligations no-
minatives ou au porteur, des annuités terminables, ou des
billets.
/.'-I
LES EMPRUNTS MUNICIPAUX U'JJ
3° Elle peut enfin se faire faire des avances par son ban*
quier ; le cas est fréquent en Angleterre.
Emprunts en rentes racheta blés .
L'avantage qu'il y a à emprunter en stock rachetable
tient à ce que le stock est une valeur généralement popu-
laire ; qu'elle permet à Tautorité locale qui a besoin d'une
grosse somme d'argent de l'obtenir rapidement ; qu'elle
est facilement négociable sur le marché, une fois surtout
qu'on a obtenu qu'elle soit cotée au Stock Exchange et
qu'elle a été de la sorte rendue facilement divisible et trans-
férable.
Le second avantage que présente l'émission de rentes
rachetables vient de ce qu'on en émet en une fois une
somme assez considérable pour n'avoir pas besoin de recou-
rir sans cesse à de nouveaux emprunts. La période de rem-
boursement enfin étant longue, le préteur ne peut récla-
mer son argent qu'à l'expiration de cette période. C'est
un avantage qui n'est pas sans contrepartie d'ailleurs, car
rémission de rentes rachetables à longue échéance empê-
che, au cas où le marché de l'argent prend une tournure
plus favorable, l'autorité locale de profiter du taux d'inté-
rêt plus avantageux qui vient s'offrir à elle pour racheter et
réemprunter.
L'émission de rentes rachetables est pourtant un moyen
si pratique que la plupart des grandes municipalités an-
glaises y ont eu recours, et que les fonds publics de plusieurs
d'entre elles s'élèvent aujourd'hui à des chiffres considéra-
bles. La question se pose alors de savoir s'il vaut mieux,
pour ces municipalités, lorsqu'elles désirent emprunter,
avoir déjà une grosse dette ou n'en avoir qu'une petite,
47^ TROISlàMB PARTIE. — CHAPITRE II
Devant les deux commissions d*enquête sur le Municipal
Trading en 1900 (1)^ et sur le remboursement des emprunts
en 1902 (2) M. Jeeves, Town Clerk de Leeds,a soutenu celte
théorie financière, exacte jusqu'à un certain point, mais
dangereuse aussi, que plus grosse sera la dette, iDeilIeur
sera le crédit de la municipalité qui s*en trouve chargée.
Loin de rendre les emprunts futurs plus difficiles, le fait
d'avoir déjà sur le marché un nombre considérable de titres
(M. Jeeves parlait ici de la dette reproductive, c'est-à-dire
celle qui représente Tactif des entreprises municipales' doit
les rendre au contraire plus faciles, et il citait à Tappui de
son opinion l'avis de plusieurs banquiers et agents de
change. 11 estimait lui-même que tant qu'une augmenta-
tion suffisante de Tactif correspondrait à l'augmentation du
passif, plus la dette municipale serait considérable, plus
bas serait le taux auquel on pourrait emprunter ; et ceci
pour des raisons purement financières. Au point de vue du
Stock Exchange, disait-il, il ne fait pas le moindre doute que
plus le montant de la dette sera considérable, plus le mar-
ché sera libre ; or, plus le marché sera libre, plus les cours
le seront aussi.
Cette bienfaisante liberté des cours n'a malheureusement
pas suffi à produire leur hausse ; les prévisions de M. Jeeves
ont été démenties par les faits ; la dette a bien augmenté
depuis le jour où il faisait sa déposition, mais les valeurs
municipales ont baissé et le taux de Tintérèt a remonté.
Quand bien même d'autres causes auraient contribué à pro-
duire ce résultat, il est bien 'évident que les émissions con-
tinuelles dont les autorités locales inondent le marché n*ont
pas contribué à raffermir leur crédit déjà ébranlé.
(1) Municipal Trading Report^ 1900, p. 246.
(2) IXeport on Hepayment of Loans by local AulhorUies, p. 151.
LES EMPRUNTS MUNICIPAUX ^79
Si Témissioa de rentes amortissables par les municipali-
tés est une opération dangereuse en somme par la facilité
même avec laquelle elle se fait, du moins sait-on générale-
ment quel est le total des valeurs qu'elles ont mises par ce
moyen en circulation et par combien se chiffre le montant
de leur dette. Mais, comme nous le disions tout àTheure,
les municipalités n'ont pas que ce moyen d'emprunter, elles
en ont d'autres moins connus, dont quelques-uns même
risquent de porter atteinte à la solidité ou à la correction de
leurs finances : nous voulons parler des « overdrafts » et
des « promissory notes ».
Annuités.
Avant de nous occuper de ces dernières, disons toutefois
un mot des annuités qu'ont employées plusieurs villes,
Glasgow et Birmingham notamment, lorsqu'elles ont ra-
cheté aux Compagnies qui les possédaient les ouvrages
construits pour Tadductionde Teau et la fabrication du gaz.
L'opération de rachat avait pour corollaire naturel un em-
prunt qui, au lieu de se faire par l'émission de rentes, se fit
par rémission d'annuités.
Lorsque la ville de Glasgow acquit en 1855 les ouvrages
Je la Glasgow Waterworks C° et ceux de la Gorbal Gravi-
tation Waterworks C°, elle remit aux porteurs d'actions de
^es deux Compagnies des annuités perpétuelles, s'élevantà
£ 26.967, 6 s. par an, payables le 15 mai et le 15 novem-
bre et transférables à volonté (1). Un Sinking Fund a été
organisé pour procéder au rachat de ces annuités: il en
avait en 1906 racheté pour une somme de £3.896, 17 s.
.3 d., réduisant ainsi leur montant à £ 23.070, 8 s. 9 d. En
(1) Voir le Stocfî Exchange Year Book, 1906.
48o TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE II
1905, le titre donnant droit à une annuité d'une £ était cote
sur le marché £ 31, 10 s. (l'émission avait été faite ࣠23).
Birn^in^^ham racheta, elle aussi, sous l'impulsion de
M.Chamberlain.Ia Compagnie qui lui fournissait l'eau et re-
mit aux actionnaires de cette dernière des annuités perpé-
tuelles, garanties par l'entreprise d'eau et le borough rate,
dont le montant annuel s'élevait en 1905 à £ 50.562 Ils.
11 d. Ces annuités sont perpétuelles^ mais la corporation
peut, d'accord avec les porteurs, les racheter à n*imporlc
quel moment. Aussi le montant primitif en a-t-il été réduit
au chiffre ci-dessus à la suite de rachats s*élevant à £ 3.928
8 s. 1 d. d'annuités. La corporation doit pourvoir à l'extinc-
tion de ces annuités en 95 ans, à partir de 1875. Le dernier
cours coté (tin de 1905) était de £ 32 pour 1 £ d'aoauité
(pair £25^.
La Compagnie du gaz de Birmingham a été égalemeot
rachetée au moyen d'annuités qui s'élevaient en 1905 à
£ 50.771, 16 s. 11 d. par an et qui ont pour garantie les re-
venus de l'entreprise du gaz et le borough rate. Ces annuités
sont perpétuelles, mais la corporation peut les racheter
quand elle le veut ; le montant primitif en a été ainsi rame-
né au chiffre ci-dessus, la corporation en ayant racheté
£ 7.518 3 s. 1 d. La corporation doit eu outre pourvoira
l'extinction des annuités en 85 ans à partir de 1875. Le der-
nier prix de £ 1 d'annuité était de £ 32. Il est monté jus-
qu'à £ 37. L'usine à gaz de Birmingham est d'ailleurs une
des entreprises municipales les plus prospères du Boyaume-
Uni. Elle dispose chaque année de tels surplus que sonsin-
king fund est plus important que ne l'exige la loi et qu'elle
pourra racheter ces annuités avant l'expiration du délai de
83 ans qu'on lui avait accordé.
L
1.B8 EMPRUNTS MUNICIPAUX 48l
Emprunts hypothécaires.
Les municipalités ont encore, pour emprunter, un autre
moyen dont elles se servent aujourd'hui plus qu'elles ne
Vont jamais fait auparavant ; elles empruntent sur hypothè-
que ou sous forme d'obligations hypothécaires (debentures).
Elles commençaient à s'apercevoir en effet que le public
en quête de placements pour son argent, regardait d'un
mauvais œil les trop fréquentes émissions de stoôk ; mais
elles furent aussi poussées à employer cette nouvelle mé-
thode par cette autre raison que les. banquiers ne se mon-
traient plus aussi disposés qu'autrefois à leur consentir des
avances (bank overdrafts).
A condition de ne pas les contracter à un taux d'intérêt
trop élevé, ni pour une trop longue période dans un mo-
ment où l'argent est cher, la pratique des emprunts hypo-
thécaires ne saurait être blâmée. Règle générale cependant,
il n*est pas prudent de faire des emprunts hypothécaires
qui ne soient remboursables qu'au bout d'un temps très
long. Les emprunts à court terme valent mieux, parce que:
â) le jour où le prix de l'argent baissera, on pourra rem-
bourser la dette existante et réemprunter à un taux d^inté-
rêt moins élevé ; b) parce qu'ils permettent d'emprunter par
petites sommes, en tout temps et en tout endroit ; c) parce
qu'ils permettent de faire face plus économiquement et plus
facilement anx besoins financiers de la corporation ; d) parce
qu'enfin le recours aux avances des banques est par ce
moyen réduit à son minimum.
Ces avantages ont naturellement pour contre* partie l'in-
convénient des emprunts à court terme; c'est-à-dire le ris-
que d'avoir à rembourser à bref délai et d'être forcé de réem-
prunter à un taux d'intérêt plus élevé.
BoTerat 3f
À
4^3 TROIBIÀMB PARTIE. CHAPITRE II
L'hypothèque que donne la corporation, lorsqu'elle se lirre
à une opération de ce genre, n*est bien entendu pas une hj*
pothèque spéciale, consentie sur un bien particulier: mais
une hypothèque générale, grevant Tensemble de ses pro-
priétés ou plus souvent encore Tensenible de ses reveoas.
Lorsqu'elle désire emprunter de l'argent de cette façon, elle
met simplement une annonce dans un journal quelconque.
C'est ainsi que dans la Birmingham Daily Posi du 17 mai
1906, à la première page des réclames, nous trouvons deus
annonces. Tune du Gounty Borough de Devonport. Tauire
de la City de Birmingham. La première e^t ainsi conçue :
CouNTY Borough db Dbvonport
Emprunt hypothécaire £ 3 1/2 Vo
I
La corporation est disposée à recevoir des sommes de
£ 100 et au-dessu3, à 6 mois de date (on six months notice)
ou pour une période n'excédant pas cinq ans, sur la garan-
tie de tous les revenus de la corporation.
Intérêts payables deux fois par an, le 30 juin et le 31 dé-
cembre.
Pour plus amples détails s'adresser à
H. J. U'OARB, Trésorier du Borough.
Municipal Offices y Devonport. 10. mai 1906.
Voici maintenant celle de Birmingham :
LKS EMPRUNTS MUIUCIPAUX .483
-- c ' ;■ ' . ■ ■ .
* City OF Birmingham;
■
Le trésorier est disposé, à conclure des emprunts de
£, 100 et au-dessus (en multiples de £ 50), qui auront pour
garantie les revenus de la corporation, y compris les impôts
locaux, au taux de £ 3,5 s. pour cent par an, remboursa-
bles à n'importe quel moment à 6 mois de préavis d un
côté oii de l'autre, — ou encore pour des périodes fixes
variant de 3 à 10 ans, au taux de £ 3 10 s. par an, à condi-
tion de prévenir, d'un côlé comme de l'autre, du rembour-
sement, six mois avant Texpiration du terme: à défaut de
cet avertissement l'emprunt continuera au même taux jus-
qu'à ce qu'on ait fait un avertissement 6 mois àPavancé.
Intérêts payables deux fois par an : le !«' janvier et le
1" juillet.
Les oiïres de prêt doivent être faites personnellement ou
par lettre à
Thomas H. Clare, trésorier de la Cité.
The Ciouncîl House. Birmingham, 19 octobre 190S.
Birmingham avait également reçu en 1883 le droit d'é-
mettre des obligations hypothécaires municipales (corpora-
tioQ.mortgages) de £ 10 chaque, à 3 1/2 7o (l)t afîndof-
frîr aux ouvriers et autres personnes qui le désireraient un
placement sur pour de petites économies. Une première
émission de £ 50. 000 eut lieu en 1883 ; une autre émission
de£ 50.000 également suivit en décembre 1884. Cette inno-
vation obtint un grand succès. A la fin de 1887 les souscrip-
tions atteignaient £96.320; et le trésorier continuait à
recevoir des demandes s'élevant à £ 300 par semaine. Mais
depuis la première émission le taux courant de Tangent pour
(1) VbtrViNCB, Hisiory ofifte' Corporation ûf Birmingham^ p. 52. >
484 TROISlàME PARTIE. CHAPITRE II
les emprunts à court terme était desceadu de 3 1/2**/» à
3. Le Conseil municipal résolut en conséquence, le 2 août
1887, de réduire l'intérêt de ces obligations à 3 %, en préve-
nant 12 mois à i*avance de la réduction ; toutefois rémission
en restait autorisée. A partir de ce moment et malgré h
baisse continuelle du loyer de l'argent, la corporation ne
fit plus subir aucune réduction à l'intérêt de ses obligations.
A la fin de septembre 1899, on avait emprunté de la sorte
£ 1 52.470, et remboursé £ 85.050, le total des sommes
encore placées s^élevait à £ 67. 420. Les souscriptions
avaient donc atteint £ 100.000 dans les quatre premières
années et £ 52.470 seulement dans les 12 années suivantes.
En agissant ainsi, la corporation remplissait en quelque
sorte le rêle de caisse d'épargne et se procurait en même
temps l'argent dont elle avait besoin.
Les corporations empruntent encore de l'argent en émet-
tant des billets municipaux, sortes de billets à ordre et de
billets de banque, qu'on appelle Gorporationi bills ou pro-
missory notes.
Les <« promissory notes » se différencient des billets à
ordre et des chèques en ce que ces derniers sont des ordres
de payer, et qu'elles sont au contraire des promesses it
payer une certaine somme et n'ont pas besoin d'être ac-
ceptées. II faut simplement qu'elles soient signées de \t
personne qui contracte l'engagement; elles sont payables
soit à telle personne nominativement désignée, soit au (tor-
teur.
Un certain nombre de villes anglaises ont aujourd'hui
le pouvoir d'émettre des promissory notes. Elles y ont
recours lorsque, voulant contracter un emprunt pour une
somme considérable, le marché deTargent se trouve n'ê-
LES EMPRUNTS MUMGIPAUX 48S
tre pas, à ce moment là, favorable à une émission de
stock ; grâce à ces promissory notes, elles se procurent
sur-le-champ Fargent dont elles ont besoin et peuvent
attendre tranquillement le moment propice pour consoli-
der leur emprunt.
r/est Londres qui la première obtint, en 1883, le pou*
voir d'émettre des promissory notes. La limite des émis-
sions, fixée d*abord à £ 1 million, fut portée en i900 à
£ 2 millions (1). Le minimum de chaque bill est de
£ 1. 000 ; c'est on point important à retenir. Ce droit avait
été primitivement accordé à la ville de Londres pour lui
permettre de se procurer momentanément de l'argent en
attendant rémission de nouveaux stocks et de façon à éviter
rémission à de trop courts intervalles de nouveaux titres
sur le marché, cause inévitable de baisse.
Glasgow obtint en 1896 des pouvoirs semblables, et la
limite des émissions, fixée primitivement à £ 250.000, fut
en 1899 élevée à £500.000.
Edimbourg reçut en 1899 le même pouvoir, pour
£ 250.000. Ni pour Glasgow, ni pour Edimbourg il n'a été
fixé de minimum au montant de chaque bill en particulier.
Leeds a reçu, en 1899 également, Tautorisation d*em-
prunter de la sorte une somme maxima de £ 300.000,
mais elle ne peut émettre de bill dont le montant serai t
inférieur à £ 1.000. Liverpool enfm obtint, par un act de
1900, Tautorisation d'émettre pour £ 500.000 de ces bills ,
leur valeur minima étant fixée à £ 1.000.
On remarquera que les lois autorisant l'émission de ces
bills fixent, on même temps que le maximum de l'émission,
le montant minimum de chaque bill. Il faut en effet pré-
(i) Municipal Trading Report, 1900, p. 310.
48& TROISlàMB PARTIE. — GHAPlTItE II
venir la créatioa de coupures trop faibles dont on arrive-
mit à se servir comme de monnaie et qui finiraient par
jouer le rôle d'assifiçnats municipaux. Ce serait un très
sérieux danger, et c*est pourquoi Ton a, règle n^énérale,
fixé d'accord avec les intéressés, le minimum de ces pro-
mîssory notes au chiffre déjà considérable de £ 500 ; od
en cite pourtant de £ 200 seulement.
La durée ordinaire de ces bills est d'une année ; c*est>
à-dire que les corporations s'engagent à les rembourser
un an après qu'elles les ont émis. Elles en émettent sou-
vent pour des sommes importantes. Le Stock Exchange
Year Book de 1906 nous dit en effet que la ville de Bir-
mingham a émis pour £ 300.000 de bills, de £ 1.000 et de
£ 5,000 chaque, en juin 1905, payables le 15 juin 1906 à
la banque d'Angleterre. Le preneur de ces billets ne les
paye naturellement pas la somme même à laquelle ils don-
nent droit ; on lui fait un escompte qui varie suivant Télat
du marché. Les bills de Birmingham, de juin 1905, avaient
été émis à un taux d'escompte de £ 2 14 s. 4,47 d. V«.
Le Local Government Board et le Parlement ont toa-
j^ours montré une certaine répugnance à accorder aux
municipalités Tautorisation d émettre des promissory no-
tes. Ils craignent qu*elles n'aient recours à ce moyen pour
cacher le montant réel de leurs emprunts, dont le contrùie
devient, dans ces conditions, extrêmement difficile. Aujour-
d'hui le nombre des villes à qui Ton a donné ce pouvoir
est relativement assez considérable.
Voici, à titre d'exemple, le modèle d'un corporation bill
éipis par la ville de Liverpool.
LB8 BupRURTs mnooiPAinc 487
«901 1901
000 00 Due 24 th Jiily 1901 000 00
Liverpool Corporation Biîl,
Liverpool24thJuly 1900..
This Liverpool Corporation Bill entitles ... or order to
pay ment of one thousand pou nds at ihe Bank ofEngland
London, oui of the revenues ofthe Corporation of Liverpool
onthe24th. July 1901.
£ 1.000.
Sealed by order the Corporation of Liverpool.
' TowN Clbrk. Controllèr. Lord Mayor. '
Avances faites aux municipalités parles banquiers.
. Les municipalités possèdent enfin un dernier moyen de
se procurer de l'argent ; ce moyen consiste à se faire faire
des avances (overdrafts) par leurs banquiers : disons toiit
de suite que ce procédé n*a pas en général l'approbation des
personnes qui s'intéressent aux questions de finances muni^
cipales (1).
C'est par cette méthode ou des méthodes analogues que
beaucoup de corporations se font avancer des sommes con*
sidérables, tant en compte courant qu'en compte capital.
La période de remboursement de ces emprunts non auto-
risés dépend entièrement de la volonté des parties. Ce sys^^
tème qui aboutit à répartir le coût d'un ouvrage sur une
période illimitée ou fixée par l'emprunteur lui-même ne'
peut être adopté par les autorités locales dont les comptes
so nt soumis au contrôle des auditeurs du Local Governinent
tèn.
(1) V. Munitipàl Trading Heport, 1903, p. 121, déposition de M. Tritr
488 TROISIÈME PAR7IB. ^-- CttAPITHB II
Boa rd ; mais ce contrôle gouvernemental (go vemmeat au-
dit) faisant défaut dans la plupart des corporations munici-
pales, elles ont toute liberté pour agir à leur guise et s'en-
detter comme il leur plait.
Les overdrafts atteignent parfois des sommes considéra-
bles : on en cite qui dépassent £ 100.000. Analogues en ceci
aux promissory notes Jls servent souvent aux Corporations
à attendre le moment favorable à une émission de rentes*
Les municipalités arrivent en somme à contracter, par ce
procédé, des emprunts, sans la sanction du Parlement ou
du Local Government Boa rd ou de qui que ce soit. Elles
vont simplement trouver leur trésorier, généralement ban-
quier de la localité ; elles lui demandent de leur avancer
Targent dont elles ont besoin et lui promettent de le rem-
bourser par la suite, soit au moyen d'impôts dont la le^ée
u*est pas encore faite, soit au moyen de recettes de leurs
entreprises reproductives, lorsqu'elles en possèdent qui
méritent ce nom.
SirChandos Leigh déclarait, devant le Select Committee
de 1900('p. 41), qu'au lieu d'avoir recours à ces overdrafts,
il vaudrait beaucoup mieux agir ouvertement et se procurer
de Targent au moyen de bills ou de promissory notes, que
tout le monde connaît et dont l'émission est officielle. Il
disait que les overdrafts devraient figurer dans les comptes
des municipalités, lesquels ne devraient rien avoir de caché
pour les contribuables. Par suite de ces pratiques, il devient
souvent difficile de déterminer avec exactitude Tendette-
ment réel et total d'une municipalité, et Ton peut affirmer
que les emprunts contractés en vertu de lois générales on
de private acts ne le donnent jamais exactement.
Chaque jour les municipalités s'engagent déplus en plus
dans des opérations financières qui touchent de près aux
LES EMPRUNTS MUNICIPAUX 48^
apératioQs des baaques; elles vont même jusqu*à faire
coacurrence à ces dernières.
Les municipalités acceptent des dépôts d^argent .
A la rénnion de llndustriel Freedom League du 30 juin
190S, M. Francis W. Buxton disait que nombre de muni-
cipalités recevaient des dépôts d'argent ; on en comptait
cinquanteau moins, parmi lesquelles Edimbourg, Stoke-on-
Trent, Glasgow, etc. Glasgow a emprunté près de £ 3 mil-
lions en emprunts à court terme. En 1903 elle avait pour
£ 2 millions d'emprunts qu'elle pouvait être obligée de rem-
bourser sur avertissement donné un mois à l'avance seule-
ment. « Je suis banquier, ajoutait M. Francis Buxton, et
en même temps, membre de la Public Works Loan Com-
mission. En cette double qualité, je sais que les banquiers
et les commissaires de prêts pour travaux publics sont bien
plus circonspects qu*ils ne Tétaient il y a une ou deux an-
nées seulement, lorsqu'il s*agit de prêter de Targent aux
municipalités ; je doute fort que si la municipalité de Glas-
gow, s' adressant subitement à l'un de nous, demandait
qu*on lui avance £ 1 million pour rembourser ses déposants,
à supposer qu'ils se précipitassent aux guichets de la cor-
poration pour réclamer leur argent, pût se procurer cette
somme avec facilité. »
Quelle garantie les déposants obtiennent-ils en général?
On leur remet un récépissé, et leur dépôt, qui n'est pas ga-
ranti par les impôts, ne l'est que par la simple bonne foi des
municipalités. Si ce procédé n'offre pas grande sécurité
pour les déposants, il nous semble très dangereux d'autre
part pour les municipalités elles-mêmes, et pourtant il s é-
tend de plus en plus.
490 TROIBlèME PARTIE. — GHAPITBE II
En mai 1905, la municipalité d^Ëdimbourg faisait s&Toir
par voie d'anaoace qu'elle acceptait des prêts temporaires
remboursables à uq mois d'avertissement (repayable oa
one month*s notice) et qu'elle s'en^^ageait à verser aux dé-
posants un intérêt qui suivrait les fluctuations du taux des
4épôts des banques écossaises, mais lui resterait constam*
ment de 1/2 Vo supérieur.
Glasgow fait de même ; le Glasgow Herald du 23 juin
1903 contenait Tannonce suivante :
Glasgow Corporatioii Loans.
9
« The subscriber is authorised to receive loans at one
month's notice, interest at 1/2 percent, over the deposit
rate of the scottishbanks. fluctuatiog therewith ; also loans
on mortgage repayable 11 th November 1906 or later at 3Y.
per annum. »
Les corporations d'Edimbourg et de Glasgow cherchent
ainsi à détourner le public des banques écossaises et à l'at-
tirer vers leurs guichets par lattrait de ce bénéfice de 1/2 */«.
Elles y réussissent dans une certaine mesure et reçoivent
de la sorte en dépôt des sommes considérables. C'est une
nouvelle extension des attributions municipales et uu em-
piétement sur l'activité des particuliers ; empiétement à la
fois dangereux et répréhensible par suite des risques finan-
ciers très sérieux qu'il entraine avec lui.
Ceci dit des inconvénients du système, il nous faut recon-
naître d'autre part que les méthodes auxquelles ont recoars
les municipalités anglaises sont généralement extrêmement
ingénieuses et que la trésorerie de Glasgow en pi^rticulier
administre les finances de la cité de façon tout à fait habile ;
JiES BltPRUNTS MpNIGIPAIlX 4^1
n émettaat jamais d*eQ[ip:runts lorsque le mai^ché est contre
elle,: iqal^ empruntant de Targent à court terme et se tirant
dTaffatre atec des « bills », tout à fait comme le ferait une
maison de commerce.
La dette dNine municipalité comprend en général une
assez, grande variété do titres ; sous ce rap^port la dette de
Glasgow nous fournit un exemple intéressante étudier, car
elle se compose de3 titres les plus divers (1).
C'est ainsi qu'on y trouvait en 1903 : des annuités du
gaz rapportant 9 **/« et 6 3/4 Vo ; une dette consolidée 4 V®
contractée pour Tadduction de leau ; du Stock 3 1/2 7©»
3 1/4 7o. 3 Vo, et 2 1/2 V^.
Qu'elle comprenait encore une dette hypothécaire dési-
gnée sous les noms de : Glasgow Corporation Loans fund
i\Iortgàges« Glasgow City Improvement Department Mort-
gages, Corporation of Glasgow Cômmon Good Estate Mort-
gages ; enfm des Glasgow Corporation bills et promissory
notes.
Parmi les différents titres' qui composent le Glasgow
Stock, les uns. sont rachetàbles (redeemable stock) ; les
autres ne le sont pas (irredeemable stock). Le Local Go-
vernment Board n'autorise plus les municipalités à créer
de valeurs irrache tables ; nous avons vu que tous les em-
prunts qu'il sanctionne doivent être remboursés dans un
certain délai.
La corporation n'a. pas offert au public tous les titres de
sa dette au même prix. £ 500.000 de 3 \/2 Vo, par exemple,
remboursables en 1914, ont été en mars 1884 émises au
pair. En septembre 1886, £ 71 :300 de 3 1/2 Vo furent offer-
.: (1) Voir Municipal Trading Report, 1903, p. 400.
4921 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE II
tes aux souscripteurs par adjudication publique aa prix mi-
aimnm de 101 «/o ®t livrées au prix moyea de £ 101, 1 s.
3 l'^2d. Ces titres sont remboursables au pair le 15 mai
1914.
Le 3 1/4 *»/o remboursable en 1907 avait été émis partie
au pair en septembre 1887, partie par adjudication publique
en murs 1888, au prix moyen de £ 101 13 s. H 3/4 d. —
£ 500.000 de 3 Vo furent émises en mars 1891 et posté-
rieurement, au pair. En mars 1894, £ 200.000 de ce même
3 ^/o furent offertes par adjudication publique et souscrites
au prix moyen de £ 103. La corporation en émit ensuite
£100.000 au prix moyen de £ 104 2 s. 5 d. En 1899 et
1900, on put procéder à de nouvelles émissions au pair; au-
jourd'hui ces titres sont tombés à £ 95.
Birmingham possède aussi une dette composée dediver*»
ses valeurs ; elle a des rentes 3 1/2 <>/o, 3 '/e et 2 1/2 7»-
Ltverpool a du 3 1/2 Vo, du 2 3/4 et du 2 1/2 •/<,.
Depuis quelques années le taux de l'intérêt a sensible*
ment remonté, et il ne serait plus possibleaux villes anglai-
ses d^emprunter aujourd'hui à 2 1/2 Vo- Le rapport du Lo-
cal Government Board pour 1904-1905 (p. CXLV) nous
apprend que le stock dont il a autorisé rémission durant
Tannée rapporte 3 ^o- Ce stock est rachetable au pair par
Tautorité locale au bout d^une période de 20 ans à dater de
rémission et doit être remboursé dans une période déter-
minée, qui varie selon les cas entre 40 et 60 ans.
Ces emprunts municipaux sont garantis tantôt par les
impôts locaux, tantôt par les revenus de certaines proprié-
tés des corporations.
A Birmingham, le stock 3 1/2 ""/^ est garanti par le bo-
rough Fund, le borough rate et Tlmprovement rate, par les
entreprises d'eau et de gaz^ de la cité, et par les revenus des
LE8 BMPAUNTS . MUNICIPAUX '^93
autres propriétésdelacorporatioa.Les stocksSVo^tS 1/2 Yo
ont la même garantie.
A Glasgow,, la garantie donnée aax divers titres dont se
compose le stock réside dans le pouvoir que possède la cor-
poration de lever des impôts dans la limite de la cité. La
corporation est tenuede créer un loans fund pour assurer le
paiement des intérêts et des dividendes, le remboursement
des sommes empruntées et le rachat du stock.
*Le stock de Liverpool a pour garantie le City rate et les
propriétés réelles et personnelles de la corporation ; les ra-
chats se font à Taide d'un sinking fund.
A Manchester le stock consolidé non rachetable (sauf con-
sentement des porteurs)a pour garantie lecity rate et toutes
les propriétés réelles ou autros delà corporation, y compris
les usines d'ean, de gaz, d*électricité, les tramways et les
marchés. Le stock rachetable (qui comprend £ 5.000.000
émis pour la construction du Ship Canal) est garanti parle
city fund et le city rate.
Conclusion
Nous avons vu, dans ce chapitre et dans le chapitre pré-
cédent, quelle avait été, d'une part, Taugmentation des
impôts, et quel avait été, d'autre, part, Taccroissement en-
core plus considérable de la dette ; ot nous avons pu cons-
tater, fait important, que depuis une vingtaine d'années la
part des dépenses municipales couvertes au moyen d*em-
prunts a été croissant beaucoup plus vite que celle que cou-
vrent les impôts.
494 TROISi&MB PARTIE. --—CHAPITRE II
Là question de savoir s*il vaut mieux avoir recours & Teni-
prunt ou à l'impôt pour faire face à- des dépenses extraor-
dinaires ou dont on attend un bénéfice durable n'est pas
neuve, elle a été bien des fois posée et fort longuement
traitée. Nous penchons à croire que les municipalités an-
glaises ont abusé de Temprunt et qu'il eût été plus sage de
leur part de demander à Timpôt des sommes plus considé-
rables qu'elles ne Tout fait pour Texécution des innombra-
bles travaux qu'elles ont récemment entrepris.
Les socialistes ne partagent naturellement pas cette
manière de voir ; aujourd'hui l'emprunt est encore pour eux
le procédé le meilleur que Ton puisse employer. Ne serait-
on pas en droit pourtant de trouver ce langage fallacieux
sur leurs lèvres, lorsqu'on entend certains d'entre eux dé-
clarer que le jour où ils arriveront au pouvoir, ils commen-
ceront par répud»er les emprunts faits par la classe capita-
liste sous les régimes antérieurs ?
Que Touprèche d'ailleurs l'emploi de Timpôt on le recours
à l'emprunt, c'est toujours du même point de vue que Ton
se place, du point de vue de l'économie et de la meilleure
utilisation des forces de la communauté. Dans son livre
intitulé : Common sensp of Municipal Trading (p. 100),
M. Bernard Shaw nous dit que la saine théorie financière
veut que Ton considère comme dépense de capital toute dé-
pense faite pour travaux publics.
a II faut, dit-il, aller chercher le capital sur le marché
où il coûte le moins cher, les impôts ne servant qu'à payer
les intérêts et à constituer le sihking fiind. Lorsqu'une
municipalité, qui peut emprunter à moins de 4 .0/0, extor-
que délibérément, pour l'exécution de travaux publics, dn
rapital H (ies commerçants qui doivédt se le :procurer à un
taux variant de 10 à 40 %, et même davantage, .il est êvr-
LES EMPRUNTS MUNICIPAUX . ^9^
dent qu'elle agit Yis*à-Tis de ses malheureux contribuables
avec la pire prodigalité possible^ Kn pratique, tout dépend
de la durée de Touvrage ; il serait absurde de payer Tins-»
tallation d*une usine électrique sur le revenu d'un semestre ;
il serait stnpide de contracter un emprunt pour enlever un
tas de neige ; mais entre ces deux extrêmes il y a terrain à
controverse ; et Ton a généralement une tendance beau-
cou'p trop forte à croire que c'est être économe que de
payer immédiatement. Cette méthode entraine en pratique
rétablissement d1mp6ts si élevés que les contribuables dans
la gène (struggling ratepayers) se voient contraints d*em-
prunter pour les payer : il est évident qu'ils font alors un
emprunt sur leur propre crédit de particuliers à un taux
d'intérêt comparativement exorbitant, au lieu de le faire
au taux de leur crédit public, par l'entremise de la muni-
cipalité, lie tels procédés ne sont dus qu'à l'habitude qu'on
a prise d'appeler dette le capital d'une municipalité. Le
Municipal Trading est le meilleur remède qui puisse nous
guérir de cette habitude ; il aura l'avantage d*accoutumer
les conseillers et les auditeurs à comprendre l'intérêt des
contribuables de façon plus intelligente et plus raisonnée
qulls ne Tout fait jusqu'à présent, m
Nous sommes quelque peu étonnés d'entendre M. Ber-
nard Shaw nous dire qu'un grand nombre de contribuables
se voient contraints d'emprunter pour payer leurs impôts.
Sans doute les contributions sont élevées dans les grandes
villes anglaises et notamment dans celles où fleurit le so-
cialisme municipal. Nous avons entendu bien dés gens se
plaindre du taux exagéré des impôts locaux ; mais nous
sommes certains que les personne? obligées d'emprunter
pour payer leurs impôts sont et seront toujours Texception'.
Ce n'est pas en se plaça,nt d'un pareil point de vue que l'on
'49^ TROisiàms partis. -« grapitrb ii
peut raisonnablement critiquer la valeur d une méthode
financière. Quant à cette affirmation que le Municipal Tra-
•<ling est le meilleur remède pour nous débarrasser de nos
habitudes de gaspillage et arriver à l'économie, on nou^
permettra de dire qu'elle nous est plus que suspecte.
Tout le monde heureusement ne partage pas l'opinion d«
M. Shawetpourla plupart des personnes s'occupant de
questions financières, il no fait pas de doute que ce système
adopté aujourd'hui par nombre d'autorités locales de rem-
boursements et d'emprunts perpétuels est du pur gaspillage
et de la simple extravagance. Chacune de ces opérations
entraine en effet des frais de négociation, des frais parle-
mentaires et des dépenses de procédure qui, s ajoutant au
coût premier de l'emprunt, finissent par rendre très lourd
le service des intérêts. Un tableau dressé par Taudîteur
professionnel de Worcester et annexé au rapport de 190-i
(p. 404) montrait fort bien le résultat auquel avaient abouti
32 années de petits emprunts sans cesse répétés, etce qu'au-
rait été ce résultat si la corporation avait demandé aux im-
pôts les sommes dont elle avait besoin pour rexécutîon de
ses travaux. Il faisait voir qu'entre 1866 et 1897 cette po-
litique avait entraîné pour les contribuables une perte de
^ 8o. 328, se décomposant en intérêt et frais de toutes sortes.
Ne serait il pus plus sage à tous égards de payer sur les
revenus ordinaires de la corporation toutes lesdépenses d^eo-
t retien et de renouvellement, au lieu de les payer au moyen
d'emprunts? Lorsque les grandes Compagnies de chemins
de fer veulent bâtir de nouvelles locomotives, elles ont soin
d'en renouveler chaque année un certain nombre et rem-
placent graduellement leur matériel vieilli. Celles d'entre
elles du moins qui sont gérées d'après de bons principe^:
financiers n'ont pas recours à l'emprunt pour les renouvel-
lements.
LES EMPRUNTS MUNICIPAUX ^97
Les municipalités devraient faire comme les Compa;^nies
de chemins de fer ; supposons qu'une corporation veuille
procéder au repavage de ses rues qui sont en mauvais état.
Elle a le choix entre deux méthodes : 1*^ elle peut, pour
payer les frais de l'opération, contracter un emprunt de
£ 20.000 par exemple, remboursable en dix ans, durée pro-
bable du pavage : 2^ au lieu de faire un emprunt, elle peut,
tous les ans, consacrera la réfection d'une partie Je son pa-
vage une somme de £ 2.000. qu'elle demandera aux impôts.
Elle évitera ainsi de payer chaque année Tintérêt de l'em-
prunt sur la partie qui n*est pas encore remboursée. C'est
une méthode qu'on ne peut appliquer sans doute qu'à des
travaux d'importance secondaire ; elle n'en est pas moins
utile et les municipalités pourraient y avoir recours plus
souveni qu'elles ne le font
Enfin, notre dernière objection à Temprunt sera qu'il
permet de rejeter avec trop de facilité la charge du présent
sur l'avenir, un avenirauquel les municipalités anglaises se
préparent à léguer un héritage déjà très lourd, alors que
tout porte à croire qu'il aura à faire face à des charges en-
core plus nombreuses que les charges actuelles.
Telle est l'opinion que soutient M. Kershaw, assistant
secretary of the Local Government Board, devant le comité
d'enquête de 1902 (p. 2) : « Rien ne nous indique, disait-
il, que nous approchions d'une période où tous les besoins
humains qu'une autorité locale peut satisfaire ou pourra être
appelée a satisfaire à l'avenir auront été comblés.
Si nous jetons les yeux sur les lois des dernières années,
sur les Muséums andGymnasiums Acts, theTelegraph Act
de 1899 (autorisant les autorités locales à établir un réseau
téléphoni(pie),the MilitaryLands Act, the Small Uwellings
Acquisition Act, the Light Railways Act, the Inebriates Act,
Boverat 32
49^ TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE II
the Isolation Hospitals Act et le Local Governmeat Acide
1894, nous voyons que toutes ces lois ont coasidérablement
élargi le champ (Inactivité des autorités locales et dans une
certaine mesure aussi le nombre même de ces autorités loca-
les ; ce double accroissement rend plus probable que jamais
l'augmentation des emprunts et celle des impôts.
Allons un peu plus loin ; regardons les matières qui re-
tiennent actuellement l'attention du Parlement et du public:
4S*est d'abord la question de la tuberculose, entraînant h
construction de sanatoria par les autorités locales, et dans
certains cas le paiement de dommages-intérêts ; c'est en-
suite la question de l'amélioration des moyens de commu-
nication rendue nécessaire par la découverte de nouveaux
systèmes de traction, Télargisse iif>nt et la reconstruction
des rues et ponts, la question des retraites aux vieillards
et enfin, dépense plus importante encore, les inspections
chaque jour plus fréquentes et plus minutieuses dont on
charge les fonctionnaires des autorités locales en toutes
sortes de matières. Quand je songe à tout cela, disait
M. Kershaw, il me semble plus que probable que pour en-
tretenir les ouvrages actuels, pour les agrandir et faire face
aux besoins d'une population croissante et aux devoirs ad-
ditionnels qui incomberont sans doute aux autorités locales
à venir, nous verrons de nouveaux emprunts et des impôts
plus élevés. »
Etant donné qu'une généiation, dans le sens large du
mot, dure de 30 à 40 ans, que nous ne pouvons guère pré-
voir Tavenir au delà de cette période et qu'il est probable
qu'au bout de 30 ou 40 ans les attributions des autorités
locales se seront largement accrues, il nous semble desira-
blo que les emprunts s'élèvent au chiffre le moins haut pos-
LES EMPRUNTS MUNICIPAUX
499
sîble et qu'ils soient en tous cas tous remboursés durant cet
espace de temps.
La théorie de M. Kershaw nous paraît tout à fait juste.
On peut avoir recours à l'emprunt dans certaines circons-
tances ; mais c'est un expédient qui risque de devenir dan-
gereux entre des mains prodigues. Souvenons-nous qu'en
compromettant la situation financière actuelle, nous com-
promettons aussi celle de Tavenir et que les réformes futu-
res ne seront possibles qu*ù condition de nous trouver au-
jourd'hui dans une situation financièrement forte.
CHAPITRE m
LBS SINK1N6 FUNDS.
La dette municipale anglaise se composant de fonds
amortissables, il nous reste à étudier le mécanisme de cet
amortissement ; il se fait à Taide de Sinking fuads ou fonds
d'amortissement, qui servent à rembourser la dette en un
temps donné. On s'est beaucoup occupé dans ces dernières
années du fonctionnement de ces sinking funds, notamment
dans les deux enquêtes faites, en lUOO et en 1903 sur le
Municipal Trading, et en 1902 sur le remboursement des
emprunts contractés par les autorités locales.
On peut comparer la dette municipale à la fois au capi-
tal actions des sociétés anonymes et à leur capital obliga-
tions. Comme le capital obligations, elle doit en efîet être
remboursée dans un temps donné ; comme lui, elle a pour
garantie Tactif de Tentreprise. Mais tandis qu'il n*est pas
question de rembourser le capital actions aux actionnaires
au cas où l'en! reprise érhoue, la dette locale reste tou-
jours remboursable, quel que soit le succès de l'entreprise
municipale, et son remboursement est toujours possible
puisqu'elle a pour garantie Tensemble des impôts du dis-
trict ; garantie en fait illimitée, la municipalité pouvant,
à son choix, élever Tassiette deTimpôt aussi bien que Tim-
pôt lui-même
Nous savons déjà en quoi consiste un sinking fund ;
c'est une caisse ou l'on verse chaque année une somme
fixe qu'on laisse s'accumuler à intérêts composés jusqu'à
LES SINKING FUND8 5oi
ce qu'elle suffise à rembourser le total de Temprunt. Les
sinking funds ont leur raison d'être dans le risque de
perte qui se mêle à toute entreprise commerciale muni-
cipale, perte qu'il faudra peut être combler par des contri-
butions additionnelles. Ce risque est parfois très considé-
rable. Si les municipalités empruntaient, comme le font
les compagnies ou les commerçants en ne donnant comme
garantie que les prolits et Tactif de Tentreprise pour la-
quelle elles empruntent, les contribuables ne se trouveraient
sans doute pas exposés au danger de voir s'élever leurs
impositions. Mais on ne peut raisonnablement songer à
émettre ainsi des emprunts publics ; car, à moins de don-
ner aux souscripteurs des pouvoirs quelque peu sembla-
bles à ceux qui permettent aux actionnaires de nommer
leurs directeurs, c*est-à-dire de laisser aux détenteurs des
titres le soin de nommer le Town Council, arrangement a
priori impossible, on ne trouverait probablement pas de
personnes disposées à donner l'argent dont on a besoin.
On est donc obligé, lors de la négociation de Temprunt,
d'en rejeter le risque sur les contribuables; risque dont
la responsabilité première repose d'ailleurs sur ceux d'en-
tre eux qui, par leur vote, ont envoyé siéger à rassemblée
municipale les conseillers mêmes qui contractent lemprunt
en question. Puisque risque il y a, il sera du devoir des
municipalités de le diminuer dans la mesure du possible et
de s'assurer qu'on ne le rejette pas sur la postérité. En un
mot, il faudra faire le nécessaire pour assurer le rembour-
sement graduel et régulier des emprunts contractés sur la
garantie de la propriété réelle dans lensemble du district.
Avant toute discussion, rappelons qu'il existe diverses
espèces de fonds d'amortissement, qui diffèrent d'ailleurs
plus par leur nom que par leur nature même. Les lois
503 TROISIEME PARTIE. — CHAPITRE IH
aaglaises distinguent en effet : l"* les Loans Funds ou
fonds d'emprunts ; 2"" les Rédemption Funds ou fonds de
rachat ; 3'' les Sinking Funds on fonds d'amortisse-
ment (1).
« Loans Fund » est le titre donné par nombre d*Acts
locaux au fonds que les municipalités doivent établir
pour le rachat du Stock qu'elles ont émis et le paiement
des intérêts de ce Stock. Ce n^est donc pas seulement uq
fonds d'amortissement destiné à rembourser le capital de
leur dette ; son rôle est, comme on le voit, double, et les
comptes du « Loans Fund » montrent séparément les som-
mes mises de côté * 1^ pour le remboursement du Stock :
2° pour le paiement des intérêts. Le montant des sommes
de la première catégorie, représente la portion Sinking fund
du Loans fund.
« Rédemption fund » est le] titre doni\é par les règle*
ments du Local Government Board au fonds que les au-
torités locales doivent créer pour le rachat des titres
qu'elles ont émis en vertu de la partie V du Public
Health Acts Amendment, 1890 ; c'est un sinking fuod
applicable à une classe particulière de la dette.
» Sinking Fund » est le terme généralement applicable
au fonds mis de côté pour le remboursement des emprunts»
lorsqu^on s'en sert, par opposition à Loans fund ou à Rédemp-
tion fund, il s'applique plus spécialement au fonds qui
doit assurer le remboursement de la dette hypothécaire
plutôt que le rachat du Stock.
Nous avons vu tout à rheure( 3^ partie, chap. I) que les
autorités locales remboursent chaque année des sommes
considérables au moyen des Sinking funds, Loans funds et
(1) Voir Rapport, 1902, p, 386. .
LES 8INKINO FUND8 5o3
Rédemption funds et que ces remboursements constituent
même à présent le plus gros chapitre de leurs dépenses. Les
sommes dont sont dotés ces fonds ne s'accumulent pas né-
cessairement jusqu^au bout de la période accordée pour le
remboursement. Les lois qui autorisent les municipalités à
emprunter les contraignent ou leur permettent parfois de
rembourser ces emprunts par fractions. Si c'est par exem-
ple du Stock qu'elles ont émis, les autorités locales sont au
tprisées à le racheter sur le marché, sans toutefois pouvoir
obliger les détenteurs des titres à s*en séparer avant l'arrivée
de l'époque où ils sont régulièrement remboursables.
La première question qui se pose à propos du fonction-
nement des Sinking Funds, question que nous avons signa-
lée dans le cours du précédent chapitre, est de savoir à quel
moment doivent commencer les versements réglementaires.
On sait que les municipalités ont une forte lendancoà de-
mander au capital même de l'entreprise les sommes que
nécessitent les versements ou le service des intérêts durant
les premières années. Dans les débuts d'une entreprise d'eau
ou de tramways, dans ceux d'une usine électrique ou .d*un
réseau téléphonique, il y a nécessairement une période du-
rant laquelle le capital employé reste entièrement ou par-
tiellement improductif. L'entreprise se trouvera très sérieu-
sement handicapée si^ en dehors des intérêts, elle doit dès
ce moment opérer sur ses revenus des versements impor-
tants au Sinking fund. Nous avons vu que le Comité d'en-
quête de .1902 voulait que les versements commençassent
tout de suite ; les avis sont partagés cependant, et certaines
personnes prétendent qu'une pareille méthode peut avoir de
très fâcheuses conséquences et empêcher non seulemenft le
développement de Tindustrie même que Ton vient de créer,
mais .réagir sur toutes les autres et placer les oHinafactu-
5o4 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE III
riers et commerçants de certaines villes dans une situation
désavantageuse vis-à-vis de leurs rivaux anglais ou étran-
gers. Il est, dit on. de Tintérét de tous les producteurs
d'avoir à bon marché Teau, le gaz, l'électricité. Imposer
aux entreprises qui fournissent ces produits, lorsqu'elles
sont encotedans leur enfance, des charges trop lourdes, c'est
non seulement nuire à leur prospérité, mais nuire dans une
mesure égale au commerce en général, et quel que soit le
désir que Ton ait de diminuer le fardeau de la postérité,
rendre à cette postérité même un service plus que douteux.
A Tappui de cette théorie, M. Murray rappelle l'histoire
des Walerworks de la corporation de Glasgow. L'Act de
1855 exempta, dit il, pendant 15 ans le service de l'eau de
tout versement au SinkingFund, etlorqu'en 1885 on exécuta
de nouveaux travaux, la même exemption fut accordée à
nouveau pour une période de cinq ans.
u L'expérience a surabondamment prouvé qu*on eut par-
faitement raison d'agir de la sorte ; alors que nos prédéces-
seurs payaient pour l'usage de l'eau le prix très élevé de i. s
4 d. par £ de loyer, nous pouvons aujourd'hui user de ce
liquide telles quantités qu'il nous plaît pour 5 d. par £. Si
dès son début l'entreprise avait dû intégralement assurer le
service du Sinking fund, on aurait, dans les années qui sui-
virent l'exécution des travaux, payé l'eau plus cher encore
que 1 s. 4 d., et durant un temps très long, on n'aurait pas
retiré le moindre avantage des ouvrages que Ton venait de
construire, pour nous soulager, nous, qui payons l'eau le
tiers de ce prix. »
Nous ne nierons pas que cette théorie ne renferme une
part de vérité ; remarquons toutefois que M. Murray a très
adroitement choisi comme exemple les aqueducs et réser-
voirs que Glasgow éleva pour l'adduction de Teau, ouvrages
LES 8INKING FONDS 5o5
essentiellement durables et d'entretien peu coûteux. Ajou-
tons que Teau étant et devant toujours être un objet de
première nécessité, il n'est pas loisible d'en élever trop
haut le prix ; on n'en peut pas dire autant des tramways,
du gaz ou de l'électricité, et 1 exception, justifiable dans un
cas, ne l'est pas forcément dans les autres
La question la plus importante qu'aient soulevée les
Sinking Funds est celle de Temploi qu'il convient de faire
de l'argent qu'ils renferment ; question très controversée
et qui a provoqué de nombreuses discussions entre les par-
tisans des divers systèmes.
Une première méthode consiste à consacrer l'argent du
Sinking fund soit au rachat immédiat des titres de l'em-
prunt même, c'est-à-dire à la réduction du montant de cet
emprunt, soit à l'achat de valeurs légales (statutory securi-
ties) que l'on gardera et dont on accumulera les intérêts jus-
qu'au dernier jour de l'emprunt.
Parmi ces valeurs figurent les corporation Stocks ; une
corporation peut donc employer l'argent de son Sinkingfund
à l'achat des litres d'autres corporations ; par suite des rela-
tions étroites qu'a créées entre les municipalités l'organisa-
tion de la Municipal Corporation Association, lesfondsdispo-
nibles des Sinkingfundsreçoiventfréquemmentcetemploi.
Le procédé ne nous semble pas parfait; il aboutit à rendre
en quelque sorte solidaires les uns des autres les Sinking
fundsde diverses corporations et par conséquent aussi leurs
diverses entreprises reproductives ; néanmoins il a l'appro-
bation de la loi.
Telle est la vraie forme du Sinking fund , ce n'est mal-
heureusement pas la seule qui soit en usage. Il en est une
autre qui consiste à employer l'argent du Sinking fund
dans les entreprises mêmes de la municipalité débitrice.
5o6 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE III
Daas.ia plupart des lois acluelles, les corporations deman-
dent et oblWMieiit le pouvoir d'agir de la sorte (i); on (or-
me bien un reserve fund, mm au lieu de le rendre complè-
tement distinct de l'entreprise municipale, oa s'arrange pour
qu*il ne fasse qu*un avec elle pu quelque autre eaireprise
reproductive de la corporation. La municipalité de Liyer-
pool fut, en 1894, la première à se faire donner ce pouvoir ;
Leicester l'imita en 1897 ; et depuis cette époque beaucoup
de villes ont obtenu des pouvoirs analogues ; au 31 mars
1901 on en comptait 21.
Une loi de 1905, relative à Leeds, nous dit que « chaque
fois que la corporation a été autorisée légalement à em-
prunter de Targent dans un but quelconque, elle peut, au
lieu d'exercer son droit d'emprunt par l'émission de nou-
veaux titres, exercer ce dit droit et se procurer le dit argent
soit en totalité, soit en p>irtie, en employant dans c<* but
tout argent qui fait actuellement partie de son Rédemption
fund ». Ce qui revient à dire que leSinking fund.. destiné à
rembourser un emprunt contracté quelques années aupa-
ravant, mais détourné de son but, disparaîtra un jour ou
l'autre dans un nouvel emprunt.
C'est une pure plaisanterie que de créer un Sinking fund
dans de telles conditions^; autant n'en pas oréer du tout.
Le jour où lemprunt arrivera à son. terme, on ne pourra
pas le rembourser* parce qu'il ny aura plus de fonds dis-
ponibles et que Targent qu'on destinait à cet usage a été
versé depuis dans d antres entreprises.
Les emprunts toujours renouvelés, finissent par n*étre
jamais remboursés, et le chiffre de la dette,. au lieu de dé-
croître, va toujours en augmentant.
(1) Rapport 190^, quest. 4508.
LB8 8INKING FUND8 507
Cette méthode n'en a pas moins l'entière approbation des
municipalistes. M. Jeeves. town clerk de Leeds(l), partant
de ce principe que prévenir la création d^ine nouvelle dette
équivaut à en rembourser une ancienne, soutient que le
fonctionnement du Sinking fund ordinaire entraîne plus de
frais qu'il ne procure \l'avaatages. Verser chaque année
telle somme au Sinking fund pour le remboursement deli^
dette, garder cet argent et le placer à intérêts composés^
ou racheter le Stock au prix du marché, à l'instant même
où l'on rachète cette dette, en contracter une autre sur le
même marché pour de nouvelles entreprises, n'est-ce pas là
une conduite de tous points déraisonnable? La vraie soli|tioa
du problème consiste à ne pas prendre de mesures pour le
remboursement des emprunts, à n*en pas émettre de nou-
veaux, mais à employer l'argent du Sinking fund qu'on avait
constitué à la création de services nouveaux ou à l'exten-
sion des anciens.
On se servira du Sinking fund de Tusine à gaz pour dé-
velopper 1 usine électrique. Pourquoi ne pas le faire? dit
M. Jeeves^ puisque toutes ces entreprises constituent, avec
les impôts, une seule et même garantie de la dette munici»
pale. Voici d'ailleurs en pratique comment les choses se
passeront. Supposons par exemple qu'on ait autrefois émis
un emprunt de £ 2.000.000 pour la construction d'une
usine à gaz, que les versements au Sinking fund de cet em-
prunt s'élèvent à £ 20.000 par an et que leur accumulation
forme un total de £ 400.000. Supposons maintenant qu'on
veuille installer une usine électrique ; il va falloir réem-«
prunter pour se procurer l'argent nécessaire ; mais au liea
de le demander directement au public, on le demandera à.
(i; Voir Rapport 1903, p. 74. ...
5o8 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE III
ce Sinking fiind de £ 400.000 qu'on détourne ainsi de son
but primitif, l'amortissement de la dette du gaz.
Cette pratique n'est pas sans inconvénient; elle permet
aux municipalités d*engager trop facilement des dépenses
nouvelles. Si la ville de Leeds voulait émettre un emprunt
pour fonder une nouvelle entreprise, son conseil examine-
rait la question avec beaucoup d'attention ; il ferait procé-
der à de soigneuses estimations ; le Local GovernmentBoard
donnerait son avis. Se borne-t-on, au contraire, à transfé-
rer des unes aux autres les surplus des entreprises munici-
pales, on prend l'habitude de compter sur les ressources
des Sinking funds pour faire face aux besoins nouveaux et
échapper au contrôle de l'autorité centrale ; c'est de l'em-
ploi de pareils procédés que résulte finalement un relàche-
ment général des méthodes financières.
Au 31 mars 1901 Birmingham avait ainsi emprunté aux
Sinking funds créés pour le remboursement de son Stock,
pour les faire servir à de nouvelles dépenses de capital, des
sommes s'élevant à un total de£8i9. 697. Leicester£71.694.
Liverpool £ 63 324. Newcastle upon Tyne £ 39.338. Wol-
verhampton £ 83.996 (1).
Les grandes municipalités peuvent aussi se servir de l'ar-
gent de leur Sinking fund pour le prêter à d*autres villes
ou plus exactement à d autres autorités, dépendant d'elles
ou n'en dépendant pas. C'est ainsi que le London County
Council consent aux Borough Councils des prêts que ces
derniers ont le droit de lui rembourser par versements an-
nuels ou semestriels. Cette méthode met le County Council
dans la nécessité de procéder au placement de ces verse-
ments au moment où ils se produisent, et lui fait en pratique
(1) Voir Rapport. 1902. Annexes, p. 387.
LES 8INKING FUNDS 509
courir le risque de voir son Sinkiagfund ne pas lui rappor-
ter pendant une longue suite d*années le taux d*intérèt que
Targent prêté lui coûtait primitivement ; aussi a-t-il pris
r habitude de faire payer à ses emprunteurs un loyer légè-
rement plus fort que celui qu*il payait lui-même pour les
sommes qu'il leur procurait, et c^est ce bénéfice minime qui
couvre les frais de replacement (reinvestment) et dans une
faible mesure les risques de perte.
« Nous prêtons aux Borough Councils à 3 1/2 7o9 disait
en 1903 M. Uaward, comptroUerdu London Gounty Coun-
cil, et notre dernier emprunt nous coûte £ 3. 6 s. 8 d. (p ar
£ 100) ; nous prêtons au School Board et au Metropolitan
Asylums Board au taux le plus bas que nous puissions
pratiquement leur consentir, à £ 3 8 s. 9 d. ; ils nous em-
pruntent de grosses sommes et lious faisons généralement
de petites distinctions entre ces deux corps centraux et lea
autorités des districts moins importants de Londres aux-
quels nous faisons payer l'argent un peu plus cher, en chif-
fres ronds 3 1/2 **/o .»
En 1902, M. Paton disait de même d Edimbourg (1) :
" Nous ne nous contentons pas de nous prêter virtuellement
de l'argent à nous-mêmes ou den prêter à nos « spending
committees », mais nous en prêtons aux commissaires du
gaz (gas commissioners, distincts du Town Council d'Edim-
bourg, parce qu'ils représentent les burghs d'Edimbourg et
de Leith). Nous en prêtons au School Board et à un petit
trust connu sous le nom de « the water of Leith purification
and sevveragc commission » et nous avons le droit de con-
sentir des prêts aux parish councils. Mais il nous est d'autre
part défendu d'en consentir à des entreprises particulières ;
(1; Voir Rapport 1902, p. 140.
'>5lO TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE III
nous ne prêtons qu*aux autres autorité!» locales et & nous
mêmes ».
On voit avec quelle ingéniosité les villes anglaises savent
utiliser l'argent qu*elles ontentre les mains ; on peut se de-
mander si elles n'agissent pas parfois cependant avec un
peu trop d'assurance et si surtout elles ne comptent pas trop
sur la garantie que leur fournissent les impôts pour combler
les pertes possibles.
Tout le long des enquêtes faites par le Parlement sur le
Municipal Trading, nous entendons, en effet, répéter la même
antienne par les niunicipali^tes : le système des emprunts
aux Sinking funds et les placements d*argent en valeurs
municipales ne font courir aucun danger aux porteurs des
titres, parce que, si l'entreprise ne va pas, les impôts sont
là, tout près, pour combler ses déficits.
On voit à quels raisonnements conduit un système où la
garantie fournie par les impôts vient combler les pertes dues
à Tinexpérience des comités directeurs ou la manvaise ges-
tion des entreprises industrielles. Un coinmerçant qui gère
mal son affaire marche droit à la ruine ou à la faillite ; une
municipalité qui fait de même n'a qu'à augmenter ses im-
pôts et tout continue à marcher comme par le passé. Mais
le mal, pour être moins visible et ne se produire que plus
tard, n'en existe pas moins ; au lieu d'atteindre gravement
quelquespersonnes seulement, commec'estle cas lorsqu'une
entreprise particulière fait faillite, il se trouve réparti sur la
communauté entière ; il atteint tout le monde au lieu de ne
frapper que ceux qui Tout causé. C'est dans ce manque de
sanction directe et immédiate, dans Tabsencede responsa-
bilité financière des directeurs de l'entreprise que consiste,
selon nous, le plus sérieux défaut de l'entreprise municipale.
Le principal argument sur lequel s'appuient les munici-
LES SINKING FUNDS 5ll
palistes pour placer leurs réserves dans les entreprises mê-
mesde la corporationesl qu'ils évitent,^ràce àcette méthode,
le risquede voir baisser les valeurs (valeurs d'Etat ou autres)
à Tachât desquelles ils seraient autrement obligés de consa-
crer leurs réserves. L'argument n'est pas parfait ; en toute
chose il faut tenir compte des moyennes.
Sous linfluence de causes diverses, il se peut que depuis
quelques annéesdesvaleursde toutpremier ordre aient cons-
tamment baissé ; il est certain que tôt ou tard elles remon-
teront. Commele dit M. Kay (i) : » Si largument municipal
était bon, les banques ne devraient alors placer leurs fonds
de réserve que dans leurs propres affaires ou n'avoir pas de
réserve du tout ; les Compa<j^nies d'assurance ne devraient
placer d'argent qu'en prêtant sur leurs propres polices, et
personne ne devrait faire de placement sous prétexte que les
cours pourraient baisser ; par conséquent aucune entreprise
ne devrait avoir de reserve fund placé en valeurs autres que
les siennes propres. Au bout du compte on revient toujours
à la clé de voûte du système municipaliste : le recours ait
droit de lever les impôts. »
Il faut d'ailleurs se garder de confondre, comme beau-
coup de municipalistes semblent le faire, « diminution de
la dette »> et m augmentation du capital » : les deux opéra-
tions ne reviennent pas au même ; il ne faut pas dire, lors-
que le Loans Department reçoit de certains départements
de la«*orporation des sommes plus ou moins considérables
et qu il les prêté à nouveau à d'autres départements, qu'il
emploie cet argent au remboursement de la dette de la cor-
poration. C'est se méprendre étrangement, à notre avis*, que
de considérer comme une réduction de dette ce qui n'est
(!) A. Kay, Municipal Trading, p. 23.
5l2 TUOISIÈM6 PARTIE. — CHAPITRE III
en réalité qu'une augmentation de capital. Sous le fallacieux
prétexte de réduire la dette, il convient donc de ne pas pous-
ser trop loin cette augmentation du capital communal.
Autant il est imprudent de rejeter sur la génération qui
nous succédera le coût des améliorations que nous opérons
aujourd'hui, autant il est inutile de charger la génération
présente pour faire à nos descendants cadeau d*un énorme
capital entièrement libéré. Or, la méthode qui consiste à
remployer sans cesse l'argent des SinkingFund daas de
nouvelles entreprises muniripales revient précisément à
cela ; elle permet d^augmenter automatiquement le capital
communal.
En supposant» comme le faisait M. Kay, que les parcs et
torrains de Glasgow appartenant à la municipalité conser-
vent leur valeur actuelle ; que les terrains sur lesquels s'élè-
vent les bâtiments municipaux augmentent suffisamment
de valeur pour couvrir la légère détérioration de ces bâti-
ments durant les 50 prochaines années ; que toute la ma-
chinerie et le matériel de la corporation soient régulière-
ment remplacés et renouvelés, et maintenus sur le revenu
même au niveau des nécessités modernes; suppositions
parfaitement raisonnables et en harmonie avec les métho-
des actuelles; en supposant enlin qu'à Tavenir comme dans
le présent et dans le passé, on autorise régulièrement la
municipalité à placer l'argent de ses Sinking funds dans un
cercle toujours plus vaste d'entreprises commerciales qui
auront leurs propres Sinking funds, à quels résultats arrive-
t-on ?
iM. Kuy pensait qu'en estimant les versementsau Sinking
fund au chiffre moyen de £ 210 000 par an, et le capital ac-
tuellement accumulé à £ 3.755 500, le capital communal de
Glasgow atteindrait dans cinquante ans d'ici £ 40. 149.000.
LES 8INKIN6 FUNDS 5l3
£ 3.755.500 à 3 Vo à intérêts
composés donnent en 50 ans £ 16.463 000
£ 210.000 par an, accumulés
à intérêts composés à 3 7», donnent £ 23.686.000
£40.149.000
Or, durant les centaines d'années de son existence, Glas-
gow n'avait en 1891 accumulé qu'un capital communal de
£ 1.134.433. De 1891 à 1902, elle a plus que triplé ce total.
Si les opérations de la corporation continuent à s'étendre,
le capital communal s'accroîtra sous le présent système
encore plus rapidement qu'autrefois, aspirant et ensevelis-
sant Targent des contribuables dans toutes sortes d'entre-
prises municipales où il n'est plus possible de le réaliser.
La critique de M. Kay, que nous reproduisons ici, ne vise
pas tant à montrer que les finances de Glasgow sont mau-
vaises qu'à montrer que la façon dont on les gère en fait un
véritable fardeau pour la génération actuelle. Chaque dé-
partement a bien son Sinking fund qu'il administre correc-
tement ; mais comme l'argent qu'il y verse ne va pas au
delà du Loans Department, parce que ce dernier le replace
dans d'autres entreprises, le Sinking fund finit par n'être
plus qu'une fiction et ne plus répondre en rien à son rôle
primitif, bien qu'on se conforme en fait à la lettre de la loi.
Il n'y a pas que Glasgow qui préfère employer l'argent
de son Sinking fund, soit à la création de nouvelles entre-
prises, soit à des prêts à des autorités locales plutôt qu'à
l'achat de valeurs d'Etat ; et si nous recherchons dans les
comptes de la municipalité de Liverpool (City of Liverpool
Accounts, p. 212) l'emploi qu'on a faitdes sommes versées
au Sinking fund, nous voyons que parmi des placements
dont le total s'élève à £ 1.046.627. 13 s. 8 d., les consolidés
Boverat 33
5l4 TROISlàMfi PARTIE. — CHAPITRE Ifl
23/4 Vo notamment, et le stock hindou 3 7o et 3 1/ 2 <> „ ne
figurent pas pour un centime.
Les prêts aux autorités locales sont au contraire fréquents
et importants ; c*est ainsi que la ville de Liverpool a prêté
£ 28.530 au School Board de Burton on Trent ; £ 12.000 à la
corporation de Barrow in Furness ; £ 90.000 à celle de
Sunderland ; £ 100.000 à celle de Tynemoutb ; £ 35.473 à
rUrban District Council de Great Grosby ; £ 61 . 672 à ce-
lui de Malvern ; £ 37.872 au School Board de West-Ham :
£ 52.379 à celui de Wolverhampton.
Mais la corporation de Liverpool prête aussi l'argent de
ses Sinking funds à d'autres autorités de la ville même :
c'est ainsi que £ 480.837 figurent au compte de la Liver-
pool éducation authority et £ 5.000 à celui du Liveqiool
Buriai Board.
Cette manière d'agir a sur le placement en valeurs d'Etat
l'avantage qu'elle supprime le danger de voir ces valeurs
baisser entre le jour où on les achète et celui où on voudra
les réaliser. Mais elle no supprime un danger que pour le
remplacer par un autre, pire encore; car une fois l'argent de
ces Sinking funds ainsi placé, la réalisation en devient sinon
impossible, du moins extrêmement difficile. De plus en
plus, on s'habitue à ne plus compter que sur la garantie des
impôts qui supporteront le fardeau de toutes les maladresses
et de toutes les imprudences financières commises ; de plus
en plus enfin le champ d'action de Tentreprise municipale
va s'étendant grâce aux sommes toujours plus considérables
dont ce système lui permet de disposer.
Tel est actuellement le fonctionnement du Sinking fund
des municipalités anglaises. A beaucoup d'égards, il nous
rappelle l'histoire du Sinking fund de la dette nationale.
Tout le monde connaît le système si séduisant en appa-
LES 8INKIN6 FUND8
5l5
rence du D' Richard Price ; en 1786, William Pilt résolut
de le mettre en pratique ; Tépreuve lui fut funeste et Tex-
périence se termina finalement par une perte d'argent très
sensible.
Indifférentes aux leçons du passé, les municipalités
anglaises n*en ont pas moins adopté ce système, qui n'a
jamais en pratique donné de résultats satisfaisants, au lieu
de racheter les titres de leur dette au fur et à mesure
qu'elles ont de Targent disponible, ce qui serait, à notre
avis, la seule politique véritablement sage et prudente.
Voici, d'après un tableau publié dans le rapport de 1905
(annexes, p. 398) le taux des versements à faire au Sinking
fund et les périodes de remboursement de la Dette pour
quelques-unes des entreprises de la ville de Glasgow.
BltTRXPRlSIS RéMUNtoATRiCES.
Taux du Siakiny fond fixé
par la loi.
Nooibr* d'jiBPéM
au boit duqMl
la Sinkiof fuod doit
avoir rambouraé la dei u
GAZ
Dette antérieure à juin
1901.
Dette contractée d'après
la section 22 de TAct de
1901
Le Sinking fund est
accumulé au taux de
1 0/0 et l*on continue à
payer Tintérèt sur la
dette remboursée.
2Vo
Sinking fund accumulé
au taux de 1 0/0 avec
intérêts sur la dette rem-
boursée.
2 1/2 o/o
45 ans.
40 ans.
51 ans.
40 ans.
ÉLECTRICITÉ
Dette antérieure à juin
1901
Dette contractée d'après
VXci de 1901 ......
EAU
1 1/2 •/.
66 2/3 ans.
MARCHÉS et ABATTOIRS
TÉLÉPHONES
Telle somme annuelle
qui accumulée à 4 */o
remboursera la dette en
50 ans.
3 1/3
50 ans.
30 «ans.
TRAMWAYS
2 1/2 •/« accumulés.
31 ans.
CHAPITRE IV
l'amortissement du capital et du matAribl dans les
entreprises municipales.
{Dépréciation).
Nous avons, dans le précédent chapitre, étudié la ques-
tion du Sinking Fund, expression que l'on traduit d'ordi-
naire en français par fonds d'amortissement, mais qu^on
rendrait plus exactement par celle de fonds de rembourse-
ment. Le Sinking fund sert en effet à rembourser la dette
que Ton a contractée ; le « dépréciation fund m, auquel nous
arrivons maintenant, sert à maintenir en bon état le maté-
riel de l'entreprise et à amasser une somme sufGsante pour
le remplacer lorsqu'il sera usé et détérioré par un usage
prolongé.
Il n'y a donc pas de comparaison possible entre ces deux
fonds : la « dépréciation » représente l'usure du matériel et
des machines, et cette usure se produit de façon constante,
qu'on y pare ou qu'on n'y pare pas. C'est une dépense qui
fait en réalité partie des frais d'exploitation et que l'on doit
prélever sur les recettes. C'est un capital qui s'use chaque
jour, chaque semaine ou chaque année suivant les cas. Le
Sinking fund, au contraire, est une réserve que l'on consti-
tue pour racheter une dette ; il est essentiellement différent
d'un dépréciation fund, sinon dans son fonctionnement, du
moins par le but qu'il poursuit.
l'amortissement du capital 5i7
m
La a depreciatioQ »* peut provenir de causes diverses ; elle
peut être provoquée par Tusage, et il n'y a pas de machine
qui ne s'use plus ou moins rapidement ; elle peut survenir
à la suite d'améliorations qu'ont adoptées des industriels
concurrents ; elle peut être enfin due au remplacement de
machines anciennes par des machines d'un nouveau mo-
dèle.
Rembourser la dette est très bien ; mais la valeur de
Tobjet qu'on rembourse risque de changer du tout au tout
et de disparaître même complètement avant la fin de la pé-
riode de remboursement, si Ton ne prend pas soin de
maintenir cet objet en bon état par des réparations cons-
tantes. En Ecosse, on reconnaît bien la différence qui
sépare la dépréciation de Tamortissement ; dans les bourgs
anglais, au contraire» les deux mots sont souvent employés
Tun pour l'autre ; et cette confusion n'est pas sans entraî-
ner de fâcheuses conséquences.
On entend quelquefois dire qu'il faut prélever sur les
profits les sommes nécessaires à l'amortissement. C'est
une erreur ; dans toute entreprise commerciale, l'amortisse-
ment est une dépense à imputer non pas sur les profits, mais
sur les recettes ; il n'y a pas de profit réel tant que les ver-
sements à faire au dépréciation fund n'ont pas été effectués.
L'usure du matériel fait tout autant partie des dépenses an-
nuelles que les salaires ou le combustible ; c'est du capital
consommé pour produire un certain résultat et qu'il faut
remplacer avant de pouvoir accuser le moindre profit. Dans
une Compagnie anonyme quelconque on appelle profit ce
qui reste après qu'on a pourvu à l'amortissement et aux
autres dépenses. Théoriquement il devrait en être de même
dans les entreprises municipales ; il n en est pas de même
en pratique. Beaucoup de municipalités soutiennent en effet
5l8 TROI8IEMK PAHTIE. CHAPITRE IV
qu'elles n'ont nul besoin d^amortir leur capital du moment
qu'elles ont pourvu à la création d'un Sinking fund. Les
unes parlent ainsi par la bouche de leurs conseillers socia-
listes : d'autres le disent parce que les mauvais résultats de
leurs entreprises ne permettent pas de consacrer un cen-
time à la dépréciation. M. Bemis a soutenu cette thèse dans
son livre « Municipal Monopolfes ». Une Compagnie, dit-
il, doit pourvoir à l'amortissement, une municipalité n'a
pas besoin de le faire, et voici pourquoi : le conseil munici-
pal peut taxer toute la propriété imposable des citoyens
d'une ville, lorsqu*arrive le moment de remplacer les an-
ciennes machines par des nouvelles. Dans une Compagnie
privée, seul le capital dont on dispose permet de procéder
à cet achat. Dans le premier cas, l'augmentation de Timpôt
local nécessitée par le remplacement de la machinerie serait
tellement insignifiante qu'elle ne vaudrait pas la peine qu'on
en parle ; dans Tautre, la somme à prélever serait si con-
sidérable qu'elle ferait disparaître les dividendes et rédui-
rait dans une si forte proportion la valeur des titres for-
mant le capital qu'elle ne leur laisserait plus qu\in pur
intérêt de spéculation.
M. Bateson, trésorier de Blackpool, répondait en 1903(1),
aux membres du Comité d'enquête, qu*à son avis les som-
mes versées au Sinking fund suffisaient largement à assu-
rer Tamortissement nécessaire ; étant donné que le Local
ijovernment Board, le Board of Trade et le Parlement ba-
sent les périodes de remboursement qu'ils accordent sur
l'existence présumée de Touvrage pour la construction du-
quel ils permettent d'emprunter. C'est ainsi que Blackpool
n'amortit ni ses tramways, ni ses usines électriques; leur
(l) Municipal Trading Report, 1903, p. 148.
l'amortissement du capital 5i9
amortissement se fait soi-disant au moyen du Sinking
fund.
M. Darwin, dans son livre sur le Municipal Trade, soutient
la même opinion ; il reconnaît la nécessité de Tamortisse-
ment pour les entreprises privées ; il trouve Tamortissement
peu utile pour les entreprises municipales, n Pour les en-
treprises publiques, dit-il, dont on rembourse la dette en
un certain nombre d'années, le cas est différent. Prenons
par exemple une entreprise municipale dans les comptes
de laquelle il n*est pas fait de part annuelle à la déprécia-
tion, mais dont la dette sera cependant complètement
amortie au bout de 30 ans. A la fin de cette période, il n'y
aura plus ni passif ni actif. Il n'y aura, il est vrai, pas de
fonds pour recommencer l'entreprise, mais les citoyens de
cette époque ne seront pas en droit de se plaindre ; car ils
n^auront rien souscrit et n'auront rien perdu ». M. Darwin
reconnaît cependant, quelques lignes plus bas, que le mon-
tant des sommes consacré à la dépréciation parait bien
faible.
Il n'est donc pas de ceux qui soutiennent que la dépré-
ciation est inutile lorsqu'il existe un Sinkingfund ; mais il
prétend que Texistence d'un Sinking fund permet de faire
dans les entreprises municipales la part plus petite à la
dépréciation. Quant à dire que les citoyens de l'avenir n'au-
ront aucun sujet de plainte, puisque, n*ayant rien sous-
crit ils n'auront rien perdu, on nous permettra de remar-
quer que les contribuables futurs vont se trouver dans l'al-
ternative d'emprunter à nouveau ou de laisser sombrer
Tentreprise. Le second de ces deux moyens est à rejeter
sans discussion ; quant au premier, le passif de la généra-
tion qui nous succédera sera bien assez lourd à lui seul,
sans qu'on Toblige à contracter de nouvelles dettes pour
520 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV
f
continuer Texploitation d'entreprises fondées par nous. Le
Parlement interdit avec raison aux municipalités de con-
tracter des dettes permanentes et exige qu'elles les rem-
boursent au moyen des Stnking funds ; mais il n*a pas
songé qu'il faudrait, aussitôt le premier emprunt rem-
boursé, en contracter un autre dans un but identique.
La nécessité de la dépréciation une fois admise, à quel
taux faut-il la calculer ? Il est assez difficile de faire à cette
question une réponse catégorique, et seuls des experts en la
matière peuvent donner un avis raisonné. L'étude de la
dépréciation est une étude à la fois très délicate et très
compliquée, où Ton ne peut se prononcer avec quelques
chances de certitude qu'après de longues et nombreuses
recherches.
Pour calculer correctement le taux de Tamortissement^
il faudrait tenir compte non seulement de Tusure, des
accidents, de la possibilité d'inventions nouvelles qui ren-
dront les anciennes usines inutiles ou insuffisantes, des
erreurs de jugement, mais aussi du déclin possible de la
population par suite du déclin du commerce, de Témigra-
tion de certaines industries vers d*autres centres, etc.,
toutes choses qui se passeront dans un avenir plus ou moins
éloigné et que nous sommes incapables d'apprécier en
pleine connaissance de cause.
Règle générale, on part de ce principe quMl faut chercher
à déterminer le taux de détérioration du matériel et à
maintenir le capital à sa valeur primitive. La comptabilité
idéale consisterait à calculer la vie moyenne utile de chaque
article du matériel et, en divisant son coût premier par le
nombre d'années qu'il durera probablement, à trouver la
somme qu'il faut dépenser annuellement pour amortir le
capital au moyen d'un « dépréciation fund », qu'on alimente-
l'amortissement du capital 521
rait au moyen des recettes, comme un article régulier des
dépenses d*exploitatioa. Dans la plupart des cas, tout ce
que Ton peut faire et* tout ce qu'il est nécessaire défaire,
c'estde rechercher la durée d'existence des différentes parties
du capital et d'en établir la moyenne (ce qu'on appelle en
anglais « to equate the varions lives »).
Les experts du Local Government Board et les fonction-
naires chargés d'éclairer de leurs conseils les comités par-
lementaires ont principalement, sinon exclusivement en vue
le remboursement de l'emprunt durant la vie de l'objet ;
en tous cas en deux générations. Ils ne s'occupent pas de la
question d'entretien, de dépréciation ou de renouvellement
et autorisent implicitement les municipalités à faire cette
déduction : que, lorsque le matériel qu'avait permis d'ache-
ter l'emprunt sera usé ou démodé, on pourra contracter un
nouvel emprunt pour le remplacer. Cotte manière d'agir
laisse à l'entière discrétion des autorités locales la question
de savoir si elles feront plus qu^elles ne sont obligées de
faire par les Acts qu'elles ont obtenus du Parlement, et si
elles créeront un fonds de renouvellement ou de déprécia-
tion en même temps qu'elles rembourseront la dette dans
la période prescrite. C'est ce que font quelques villes écos-
saises ; c'est ce que beaucoup de villes anglaises négligent
absolument de faire pour les raisons que nous avons expo-
sées.
Chacune de ces deux méthodes a suscité des critiques ;
on a dit qu'agir suivant la première, c'était prendre trop de
soin de la postérité et faire dans son intérêt supporter aux
contribuables actuels un fardeau à la fois lourd et injuste ;
on a dit que se conformera la seconde, c'était ne pas se
préoccuper assez de l'avenir et se montrer souverainement
imprévoyant.
5a 2 TROISliME PARTIE. — GHAPITIIE IT
Le second de ces deux reproches est parfaitement exact ;
non seulement les municipalités anglaises se proposent sans
aucun doute de réemprunter indéfiniment pour des entre-
prises toujours semblables, mais dès maintenant elles pré-
tendent obtenir des périodes de remboursement de plus en
plus longues. Le Local Government Board ne les suit heureu-
sement pas dans la voie où elles cherchent à Tamener ; s'il
cédait, nous verrions les contribuables anglais payer, quel-
ques dizaines d'années après la destruction des usines à gaz,
les intérêts des emprunts négociés pour leur construction
et rembourser des dettes contractées pour rétablissement
de tramways électriques hors d*usage et rendus inutiles par
des découvertes nouvelles.
Le sujet de la dépréciation n*a nulle part été traité en
détail pour les entreprises municipales, bien quMl en ait été
souvent question dans les enquêtes parlementaires, notam-
ment dans celles de 1902 et de 1903. Cependant les rapports
de Sir H. Fowler sur les entreprises reproductives des
municipalités anglaises donnent le total des sommes qu'elles
consacrent à la dépréciation, et c^est sur ces rapports que
s'est basé M. Schooling dans l'étude qu'a publiée le Windsor
Magazine de Janvier 1905.
Après un exposé des résultats en général assez misérables
des entreprises municipales, M. Schooling remarque que,
d'après le rapport du comité d'enquête de 1903 (p. 232-233),
on n'a mis de côté pour amortir un capital total de
£ 121.1 70. 000 entièrement consacré à des reproductive
undertakings, que £ 193.274 seulement.
Les constatations auxquelles il se livre ensuite nous ré-
vèlent des faits simplement fantastiques. Prend-on par
exemple les immenses ouvrages récemment élevés par les
villes anglaises pour Tadduction de l'eau^ ouvrages qui ont
L*AMORTI88BMENT DU CAPITAL 5a3
entraîné une dépense en capital de £ 56.943.016, nous
voyons que la somme annuelle que Ton économise en vue de
leur dépréciation et des renouvellements toujours coûteux
qui s'imposent forcément de temps à autre n'atteint que le
chiffre ridiculement faible de 11 1/2 d. par £ 100 de ca-
pital.
D'après les rapports de Sir H. Fowler, le profit annuel
moyen des entreprises d'eau serait de 3 s. 2 d. par£ 100 de
capital ; encore n'arrive-t-on à ce résultat qu'en prenant
pour base de calcul le taux d'amortissement que nous ve-
nons de rappeler. Dès l'instant où Ton voudrait faire une
part raisonnable, si minime fût-elle, à la dépréciation, ce
profit de 3 s. 2 d. disparaîtrait immédiatement pour faire
place à une perte sérieuse.
Il n'y a qu'à prendre successivement toutes les autres
entreprises reproductives pour arriver au même résultat et
voir que, par suite de l'insuffisance grotesque des sommes
consacrées annuellement à l'amortissement, le total des
soi disant profits se transforme dans la réalité en pertes
considérables. Demandez donc à un ingénieur électricien
ce qu'il pense d'un amortissement annuel de 3 s. 2 1/2 d.
par £ 100 de capital, sur un outillage électrique qui a coûté
£ 12.510.000!
Il n*est pas le moins du monde question d'amortir les
cimetières, les bains et lavoirs, ou les habitations ouvrières.
Passe encore pour les cimetières dont l'amortissement
n'exige sans doute pas des sommes importantes ; mais
pour les deux autres entreprises, l'imprévoyance dont on
fait preuve est absolument sans excuses. Le taux d'amor-
tissement des marchés est de 2 d. par £ 100. La somme de
10 s. 4 d. consacrée à celui des tramways parait un progrès
considérable sur les exemples précédents. Qu'on se rap-
524
TROISIEME PARTIE. CHAPITRE IV
pelle seulement avec quelle ruiueuse rapidité s*use leur
matériel, et loa verra que cette somme encore est tout
simplement enfantine.
Voici, d'après le rapport de 1903 (p. 232-233) les sommes
annuelles qu'ont en moyenne consacrées à Tamortissement
de leurs entreprises les municipalités anglaises, durant une
période de quatre ans (mars 1898-mars 1902).
Entreprises
reproductives
Eau
Gaz
Electricité
Tramways
Marchés
Ports, jetées
Cimetières
Bains et lavoirs
Habitations ouvrières..
Autres entreprises re-
productives
Total £
Capital placé
dans chaque en-
treprise
56.940.000
24.030.000
12.510 000
9.750 000
6.180 000
5.420.000
2.380.000
1.990.000
1.230.00U
720.000
121.170.000
Somme annuelle
consacrée h
Tamortissement
27 266
79.972
19.970
50.307
500
4.499
nil
nll
nil
10.760
193.274
Proportion
•/. par £ 100
de capital
Os llf/2d
6 8
3 2 1/3
10 4
0 2
1 8
nil
nil
nU
30 2
3s. 2 l/2d.
Le total annuel des sommes consacrées à Tamortisse-
ment, qui, dans les entreprises ordinaires forme un chapitre
important des dépenses, est si Taible ici que le montant de
cet amortissement par £ 100 de capital s'exprime en deniers
et demi-deniers au lieu de £ sterling.
Est-il possible d'imaginer rien de plus burlesque que cette
somme de 3 s. 2 1/2 d. par £ 100 consacrée à l'amortisse-
ment d'un capital de £ 121.170.000?
Etant donné que la majeure partie de ce capital se trouve
L AMORTISSEMENT DU CAPITAL 525
placée dans des entreprises où l'usure des machines et du
matériel est rapide, M. Schooling estime qu'un versement
annuel au dépréciation fund de 5 7o du capital dépensé cons-
tituerait un versement encore fort modéré. Aussi propose-
t-il de rectifier comme suit les chiffres du rapport de Sir
H. Fowler.
Capital employé £ 121.170.000
5 °/o de ce capital pour l'amortisse-
ment annuel 6.058.500
Amortissement annuel opéré par les
municipalités 193.274
Somme supplémentaire quil faudrait
chaque année consacrer à l'amortisse-
ment 5.865.226
Moins le profit net qu'accusent les Mu-
nicipalités, profit qui disparait à pré-
sent 378.281
Ce qui porte la perte nette annuelle
des 1.029 entreprises reproductives à. . £ 5.486.945
On voit qu'en faisant à l'amortissement une part annuelle
tout à fait modérée, l'exploitation de ces 1.029 entreprises
reproductives aboutit à une perte annuelle de £5.486.945
et non pas, comme on le prétendait^ à un profit de £ 378.281 .
La perte nette à laquelle aboutit l'exploitation des diverses
entreprises que dirigent les municipalités d'Angleterre et
du Pays de Galles (Londres excepté) s'élève donc à £ 4. 10 s.
7 d. pour cent par an, approximativement ce que devrait
être leur profit, à supposer qu'elles fussent convenablement
dirigées.
Les chiffres que nous venons de donner ne représen-
tent qu'une moyenne, et comme toute moyenne, ils ne
nous donnent qu'une idée imparfaite de l'état de choses
5a 6 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE IV
existant. Certaines entreprises, les tramways de Glasgow
par exemple, se trouvent dans une situation financière
telle qu'ils semblent pouvoir braver toutes les éventualités :
de pareils cas sont l'exception pourtant, et, à Glasgow
même, la situation des usines électriques et du réseau
des téléphones devrait donner des inquiétudes à toutes les
personnes quelque peu soucieuses de leur avenir. Aussi
M. Murray, ancien trésorier de Glasgow, déclarait-il, en
1903 (1), que par tout le Royaume-Uni, les corporations
propriétaires d'entreprises industrielles ou commerciales
devraient être obligées de se conformer à la même règle :
que le gouvernement devrait, par une loi, rendre Tamor-
tissement obligatoire ; qu'il ne fallait pas que Bolton pût
suivre une méthode et Glasgow une autre, et il deman-
dait enfîn qu'il fût absolument interdit de toucher aux
profits avant d'avoir fait la part de l'amortissement.
L'honorable S. Chisholm, Lord Provost de Glasgow,
disait également, devant le comité de 1902, que toutes les
municipalités devraient tenir un « dépréciation account »,
et que celles qui n'en avaient pas, devaient être contrain-
tes d'en créer un. Il reconnaissait et soulignait la distinc-
tion qui existe entre le Sinking fund et le dépréciation
fund, le dépréciation fund servant à faire face d*abord aux
réparations nécessaires et à l'entretien de Touvrage, à le
renouveler ensuite complètement le jour où il se trouve
hors d'usage.
Aussi le comité d'enquête de 1902 faisait- il dans son
rapport les constatations et les recommandations suivantes
(p. XIII, n'» 40),
< Quelques-uns des témoins qui ont déposé pour le
(1) Voir Rapport 1903, p. t38. Quest. 2421.
L AMORTISSEMENT DU CAPITAL Gsy
compte des grandes corporations ont bien assuré au co-
mité que ces villes avaient créé des fonds de réparation
ou d*amortissement pour la plupart de leurs entreprises,
mais le rapport de Sir H. Fowler de 1899 montre que sur
une moyenne de cinq années la contribution moyenne an-
nuelle des municipalités à ces fonds ne se monte qu'à 1/10
de 1 pour cent du total des dettes reproductives.
« Les versements à faire à ces fonds sont, en Angleterre
et en Irlande, très rarement obligatoires et les sommes
qu*on y consacre prêtent en général à la critique.
« Le Comité recommande qu'on donne aux autorités qui
sanctionnent les emprunts le pouvoir de poser comme con-
dition de leur sanction qu'il sera pourvu au coût probable
annuel et moyen des réparations à faire à l'ouvrage du-
rant la durée de l'emprunt. Le montant des sommes néces-
saires devrait être fixé par cette autorité et dépendrait de la
nature du travail pour lequel Temprunt est contracté et de
la méthode suivant laquelle il sera procédé à son rembour-
sement. Des inspecteurs nommés par le gouvernement
s'assureraient qu^on se conforme à cette règle. ))
L'inspection des finances municipales par des fonction-
naires du gouvernement central est le remède prôné depuis
longtemps contre les abus financiers des corporations, elle
a fait l'objet des études du comité d'enquête de 1903 ; elle
fera celui de notre prochain chapitre.
CHAPITRE V
L*l NSPKCl'ION DBS GOMPIES MUNICIPAUX.
Pour savoir s'il faut ou non encourager les entreprises
municipales, il convient d*étre tout d'abord fixé sur leur
véritable situation. Nous n*avons actuellement des résul-
tats financiers moyens des régies municipales anglaises
qu'une connaissance très imparfaite, et notre ignorance a
pour cause principale la façon à la fois compliquée et con-
fuse dont la plupart des corps locaux tiennent leur compta-
bilité.
L'impression générale des personnes qui ont étudié les
comptes municipaux est que ces comptes sont trompeurs,
parce qu'on ne les tient pas comme on tient ceux d'une
usine ou d'une maison de commerce. On s'aperçoit bien vite,
lorsqu'on les étudie, a qu'ils sont non pas commerciaux,
mais administratifs, et qu'ils omettent ou atténuent des ar-
ticles qui jouent un rôle important dans le bilan des socié-
tés de droit commun » (1).
Nous venons de voir combien insuffisante est la dotation
des fonds d'amortissement et quelles corrections il faut faire
subir aux résultats officiels des régies, lorsque l'on en tient
compte. Ce n'est pas tout ; on porte au compte municipal
général, au lieu de les faire supporter par l'entreprise même
qui les occasionne, une grande partie des frais qu'entraîne
(1) Cheysson, Bulletin de la Société iT Economie potitiquey février
1904.
L^INSPEGTION DES COMPTES MUNICIPAUX 029
le travail de* bureau, travail qui correspond à celui qu'exé-
cutent dans une Compagnie, le secrétaire, les sollici tors, les
comptables, etc. On fait de même pour le loyer des offices
et locaux où travaillent les employés de Tentreprise, loyer
dont on ne tient pas compte, dont on n'a pas Tair de soup-
çonner Texistence et qui finit par rentrer dans les dépenses
pré né raies.
Il devient, en présence de telles méthodes, presque im-
possible de comparer les résultats des entreprises privées
à ceux des entreprises municipales. Les premières suppor-
tent des frais considérables, dont les secondes ne s'inquiè-
tent même pas, bien qu'ils n'en existent pourtant pas moins
pour cela. Mais ce n'est pas seulement la comparaison des
entreprises privées et des régies qui se trouve rendue diffi-
cile par suite de la diversité des systèmes de comptabilité
auxquels on a recours; c'est aussi la comparaison des régies
entre elles et de leurs résultats financiers ; car il n en est
peut-être pas deux, dans deux villes différentes, qui s'ins-
pirent exactement des mêmes principes.
Le Joint Select Committee on Municipal Trading de 1903,
pressé par le temps, na pu étudier dans son ensemble la
question du socialisme municipal ; mais il a consacré toute,
son attention à quelques-uns des aspects de la question, et
notamment à la manière dont sont tenus les comptes muni-
cipaux. Il a voulu voir sous quelle forme ils étaient prépa-
rés, à quel contrôle on les soumettait, quel droit avaient les
contribuables deseles faire montrer. C'est sur ces trois ques-
tions que les dépositions des témoins ont plus particulière-
ment porté.
u Quelle que soit l'opinion qu'on se fasse, lisons-nous
dans le rapport, des limites exactes qu'il faut assigner au
Municipal Trading, il est évidemment fort important que
Boverat 34
53 O TROISIÈME PARTIE. — - CHAPITRE V
partout ou il existe, les contribuables ne soient pas moins
pleinement et régulièrement informés du succès ou de
réchec de chaque entreprise que ne le sont les actionnaires
d'une société commerciale ordinaire.
« Par suite du nombre toujours croissant et de rimportance
toujours grandissante des entreprises municipales, il est
tout à fait désirable qu'on applique par tout le pays un seul
et même système de comptabilité.
u Le comité a consacré toute son attention à la questico
de l'inspection (audit) des finances municipales ; il recom-
mande qu'on applique un système uniforme dMnspectioa
aux autorités locales les plus importantes, notamment aux
conseils de comtés, de cités, de villes, de bourgs ou de dis-
tricts urbains. »
L'inspection des comptes des corporations municipales
est actuellement réglée en Angleterre et dans le Pays de
Galles, à quelques exceptions près, par le Municipal Corpo-
rations Act de 1882. Cet Act décide (section 25) qu*il y aura
dans tout borough trois auditeurs : deux nommés parles
citoyens et appelés pour cette raison auditeurs électifs ; le
troisième nommé directement par le maire et appelé « ma-
yof's auditor ». Tandis queTauditeur électif doit réunir les
qualités requises pour être conseiller, mais ne peut être ni
membre du conseil, ni town-clerk, ni trésorier, l'auditeur
du maire doit au contraire être membre du conseil. Les
auditeurs sont nommés pour un an.
Les comptes de la municipalité sont remis par le tréso-
rier aux auditeurs, accompagnés des pièces et des quittan-
ces nécessaires à leur examen. L'inspection terminée, le
trésorier fait imprimer et publier un résumé des comptes de
l'année, dont tout contribuable du borough doit pouvoir
prendre connaissance. Des exemplaires en sont délivrés aux
personnes qui le désirent, pour un prix raisonnable.
l'inspection DBS COMPTES MUNICIPAUX 53 1
Les membres du comité ont estimé que ce système n'as-
surait pas une inspection assez efficace des comptes des
corporations. Il n est d'ailleurs pas appliqué partout. En
e(Tet, continue le rapport, « les County councils, les London
Borough councilsy les Urban District councils sont sans
exception soumis à Tinspection du Local Government
Board ». Cette inspection est confi<^eà des District auditors,
qui, règle générale, ne sont pas des comptables de pro-
fession et ne paraissent guère qualifiés pour remplir le tra-
vail qu*on attend d'eux.
« Le comité reconnaitque Tapplication de ce système d'ins-<
pection aux corporations municipales provoquerait de leur
part une sérieuse opposition et n*est par conséquent pas
possible ; le seul fait que les district auditors ne sont pas
des comptables les rend d*ailleurs impropres à Taccomplis-
sement de cette tâche longue et compliquée, consistant à
examiner les comptes d'entreprises qui ne sont en réalité
que de grandes entreprises commerciales.
« Le comité recommande en conséquence :
« a) D*abolir les systèmes d'inspection actuellement appli-
cables aux corporations, aux councils et urban district coun-
cils d Angleterre et du Pays de Galles ;
« b) Que les trois classes d'autorités ci-dessus mention-
nées nomment des auditeurs, membres de Tlnstitut des
Chartered Accountants ou de Tlncorporated Society of ac-
countants and auditors ;
(4 c) Que dans tous les cas, la nomination soit soumise à
l'approbation du Local Government Board, lequel entendrait
auparavant les objections des contribuables. L'auditeur,
qui remplirait cette fonction pour une période de cinq ans
au maximum, pourrait être renommé une seconde fois et
ne pourrait être congédié par l'autorité locale sans la sanc*
tion du Board ;
532 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE V
<i d) En cas de désaccord entre Tautorî té locale et son au-
diteur, au sujet du traitement de ce dernier, le Local Go-
vernment Board aurait le pouvoir de trancher le différend ;
(( e) La méthode écossaise consistant à nommer des audi-
teurs pris dans un autre endroit, de préférence à des hom-
mes du pays, pour examiner les comptes des petits bourgs
devrait être adoptée en Angleterre, dans des cas semblables.
« Le comité estime qu'il serait bon d'expliquer, par une
loi ou un règlement, que le devoir des personnes auxquelles
on confie l'inspection des comptes locaux ne consiste pas
uniquement à certifier l'exactitude matérielle des chiffres.
Il recommande donc que :
« à) L'auditeur puisse examiner tous les papiers, livres,
comptes, quittances, sanctions donnéesaux emprunts, etc. ;
en un mot tout ce dont il a besoin pour procéder à son ins-
pection et donner son certificat ;
« 6) Il devrait avoir le droit d exiger des fonctionnaires de
l'autorité locale toutes les informations et explications né-
cessaires à Taccomplissementde son devoir;
« c) Il devrait certifier :
1* Qu'il a trouvé les comptes en ordre ou en dé.sordre,
suivant les cas ;
2* Qu*il a été tenu des comptes distincts de toutes les en-
treprises commerciales et qu'on a bien porté les dépenses
aux comptes de celles qui doivent réellement les payer ;
3<^ Qu*à son avis les comptes publiés par le trésorier don-
nent une idée exacte et correcte des transactions opérées et
des résultats de l'entreprise pour la période dont il est
question.
(( 4° Que l'on a opéré sur les revenus de la corporation des
prélèvements suffisants pour le remboursement des em-
prunts^ que tous les articles de recettes et de dépenses et
L*INSPEGTION DES COMPTES BfUxMGIPAUX 533
tout le passif connu ont bien été portés en compte et que
Ton a dans tous les cas exactement apprécié la valeur de
l'actif. »>
Le comité pensait enfin qu'on devrait demander aux
auditeurs de donner leur opinion sur la nécessité des re-
serve funds et sur la question de savoir si les sommes mises
de côté pour faire face à Tamortissement et à Tusure du
matériel en dehors des Sinking funds légaux, sont ou non
suffisantes.
Telles étaient les principales mesures que proposèrent
dans leur rapport les membres du comité de 1903. Hs
avaient parfaitement raison, semble-til, de demander que
la nomination des auditeursjusqu'ici laissée aux contribua-
bles, fût confiée à l'autorité locale elle-même, sous le con-
trôle du Local Government Board. L'ensemble des citoyens
ne porte à ce genre d'élections qu'un intérêt en général fort
médiocre. A Birmingham, par exemple, en 1895, sur
92.545 électeurs inscrits, il n'y eut que 230 votants; en
1899 il n'y en eut que228 sur 100.327.
Longtemps les fonctions d'auditeur ne furent pas rétri-
buées ; elles étaient en général remplies par des jeunes gens
de bonne condition qui faisaient de la sorte leurs débuts
dans la vie municipale. C'est à partir de 1875 seulement,
après le vote du Public Health Act, que T'auditeur put ré-
clamer à la corporation une somme de £ 2.2 s. par jour
pour les services qu'il lui rendait.
Le contrôle de l'auditeur électif n'est d'ailleurs pas le seul
auquel soient soumis les comptes municipaux ; à Birmin-
gham par exemple, chacun des 18 comités duTown Council
nomme des auditeurs distincts, comptables diplômés (char-
tered accountants) pour jexaminer leurs comptes. Chacun
de ces comptes a donc été examiné à fond par un compta-
ble diplômé avant d'arriver à l'auditeur électif.
534 TROISIÈME PARTIS. CHAPITRE V
Le GoQseil municipal de Manchester a adopté le même
système : une Gompac^aie de comptables diplômés examine
chaque année les livres de la municipalité. « Nous changeons
de « firm » tous les 3 ans, disait M. Williams, auditeur élec
tif de la ville (1), pour que Touvrage ne reste pas trop long-
temps entre les mêmes mains et que les vues des hommes
qui remplissent ces fonctions ne se stéréotypent pas... Il y
a des moments où les auditeurs professionnels ont jusqu'à
10 employés travaillant à la fois au Town Hall sur les livres
de la corporation. L*inspection est continue. En pratique,
les auditeurs professionnels passent leur temps à examiner
les livres, et le résultat de cette manière d*agir est qae les
auditeurs élus peuvent signer les comptes et certiGer qu'ils
sont corrects dans les quatre mois qui suivent la tin de
Tannée municipale. »
Les auditeurs professionnels dont parle M. Williams sont
choisis et nommés par les membres du Conseil.
Tandis que les comptes des Town Gouncils sont examinés
par des auditeurs qui n'ont pas le droit de « disallowance »
ou de « surcharge », c'est-à-dire le droit de désapprouver
telle dépense, mais doivent se contenter de vérifier Texac-
titude des comptes qui leur sont soumis ; qui n'ont, lors-
qu'un paiement leur semble illégal, aucune autorité pour
trancher la question et ne peuvent que présenter des obser-
vations ; tandis, disions-nous, que le rôle des auditeurs élec-
tifs est ainsi restreint à fort peu de chose, les comptes des
district councils urbains et ruraux ainsi que ceux des county
councils sont examinés par des auditeurs, nommés par le
Local Government Board, et qui ont le pouvoir de disallo-
wance et de surcharge à l'égard de toute dépense qu'il
regardent comme illégale.
(1) Municipal Trading Report, 1903, p. 159.
L*IN8PBGTION DES COMPTES MUiNICIPAUX 535
Les corporations municipales ne veulent naturellement
pas entendre parler d*une inspection gouvernementale ; elles
s*y opposent pour quatre raisons. La première serait le re-
tard qu'elle occasionnerait dans la publication des comptes ;
la seconde, la difficulté que l'auditeur éprouverait, dans le
cas des grands bourgs, à prendre pleine connaissance des
nombreux acts locaux spéciaux au Borough ; la troisième,
l'irritation que causerait le pouvoir de disallowance accordé
à l'auditeur du gouvernement ; on a même prétendu que
des hommes occupant de hautes positions pourraient hési-
ter à devenir membres des Town councils à l'avenir, par
crainte de s'exposer à ces surcharges. La quatrième objec-
tion enfin, serait que sous ce système on pourrait désap-
prouver une dépense raisonnable en elle-même, parce que
techniquement illégale.
Il n*est guère difficile de répondre à ces objections :
a) Texanien des comptes municipaux peut être commencé
et poussé très loin avant la fin de l'année financière ; b) Tau-
diteur ne sera pas long, si c'est un homme intelligent, à
s'assimiler tontes les lois spéciales dont la connaissance lui
est nécessaire pour remplir ses fonctions ; c) dans le cas des
county councils, personne ne s'est offensé du contrôle gou-
vernemental ; pourquoi les corporations s'en offusqueraient-
elles ? ; d) pour ce qui est des dépenses techniquement illé-
gales, Tautorité locale n'a qu*à les faire approuver par le
Local Government Board, procédure qui prive Tauditeurde
son droit de surcharge.
Le système que propose le comité ne nous parait pas
mauvais en soi ; mais rien ne prouve qu'une fois adopté,
on observera les dispositions qu*il prescrit et qu'elles ne
resteront pas lettre morte, comme c'est parfois le cas dans
les districts ou l'inspection est actuellement déjà confiée à
des auditeurs du gouvernement.
536 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE V
A Fulham par exemple (1), nous voyons Taudlteur gou-
vernemental, après avoir relevé un certain nombre de dé-
penses illégales, remarquer qu'on n*a tenu aucun compte du
reproche qu'il avait fait les années précédentes de mêler les
comptes du <« dust-destructor » et de Tappareil à fabriquer
les briques avec ceux de Tusine électrique. 11 signale même
des faits plus graves : on ne fait pas supporter aux revenus
de Fentreprise électrique une part suffisante des frais d'éta-
blissement et Ton s'est servi du reserve fundde rélectrîcité
pour exécuter des travaux de pavage. On a, parait-il, fait
un usage semblable du reserve-fund du cimetière. L'on
a de la sorte dépensé £ 5.000, dont on a réparti le rembour-
sement sur un certain nombre d'années. Ce qui rend cette
manière d'agir particulièrement répréhensible, c'est que le
conseil exécute ces travaux de pavage au moyen d'un em-
prunt, en dépit du refus du London County Gouncil de sanc-
tionner dans ce but des emprunts à court terme. « Le Ful-
ham Borough Gouncil, dit le Standard, montre un désir
évident de se débarrasser du peu de contrôle qu'exercent
sur ses extravagances les autorités centrales. »
Quoi qu'ait dit et recommandé le Joint Select Committee
de 1903, les autorités locales continuent à nommer leurs
auditeurs ; et la Municipal Corporations' Association a
jusqu'ici réussi à empêcher qu'il ne fût fait do loi relative
à l'inspection des comptes municipaux et s'inspirant des
conclusions du comité. Les recommandations de ce comité
étaient parfaitement raisonnables ; et puisque les adversai-
res du Municipal Trading prétendent que les comptes muni-
cipaux sont trompeurs, les représentants des corporations
n'avaient, pour confondre leurs opposants et se justifier
(i) Voir Standard, 5 juin 1906.
l'inspection des comptes municipaux 537
eux-mêmes d'un seul coup, qu'à accepter Tinspection ré-
clamée ; mais il aurait fallu pour cela qu'ils eussent pleine
confiance dans Texactitude. et la correction de leurs métho-
des de comptabilité, ce qui n'est pas.
C*est en vain que les chambres de commerce ont à
maintes reprises demandé Tadoption des recommandations
du Joint Gommittee. Tout ce que Ton put obtenir du gou-
vernement de M. Balfour fut la promesse qu'il nommerait
un Departmental Committee pour étudier la question ; on
n'a même pas nommé ce comité.
La loi exige pourtant que les auditeurs des Compagnies
privées soient aussi indépendants que. possible des direc-
teurs ; et cela, dans le but de sauvegarder les intérêts des
actionnaires et de leur permettre d'obtenir des informa-
tions correctes sur la situation financière de l'affaire ; il
nous semble qu'une loi devrait assurer de la même façon
l'indépendance de Tauditeur municipal contre toute inter-
vention des Town.Councils, pour sauvegarder les intérêts
des contribuables et leur faciliter les efforts qu'ils font pour
se former un jugement correct sur les questions qui tou-
chent aux finances delà municipalité,
Le meilleur moyen consisterait sans doute à faire nom-
mer tous les auditeurs municipaux par le gouvernement
central, comme cela se fait actuellement pour le London
County Gouncil et la plupart des corps gouvernants autres
que les Municipal Corporations. Ces auditeurs ne se con-
tenteraient pas d'examiner la légalité des paiements opérés ;
ils exerceraient une inspection détaillée et couiplëte, basée
sur des principes commerciaux.
Pour qu'ils puissent tous, dans l'examen des comptes
municipaux, s'inspirer des mêmes principes, il convien-
drait de trancher, par une loi ou un règlement, les ques-
538 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE V
lions suivantes, savoir : 1° s*il est possible de porter à
d'autres comptes des dépenses faites dans l*intérèt d'une
entreprise spéciale ; 2"" de se servir des profits réalisés sar
une entreprise commerciale pour combler les déficits d'une
autre ; 3' d'employer les profits à un objet pour lequel Tau-
torité locale n'a pas le droit de lever d'impôts; 4* s*il faut
employer les profits à réduire les impôts ou à abaisser tes
tarifs et à améliorer le service.
Voici, semble-t-il, les principaux points à résoudre et
les principales mesures qu'il serait bon de prendre dans
la situation présente. Seule une action de ce genre per-
mettrait peut-être d'introduire un peu plus d'uniformité et
de clarté dans les comptes des entreprises municipales.
Il est peu probable cependant qu'il soit de sitôt rien mo-
difié à rétat de choses actuel, puisque les enquêtes succes-
sives sur le Municipal Tradin^^ n*ont conduit à aucun ré-
sultat et que les municipalités tiennent avant tout à
conserver leur entière liberté et à pouvoir disposer de leur
argent comme elles l'entendent.
CHAPITRE VI
LES IMPÔTS LOCAUX ET LEUR REPERCUSSION
SUR l'industrie privée.
Dans le premier chapitre de la troisième partie, Tatten-
tion du lecteur a été attirée sur la croissance rapide des
impôts, des dépenses et de la dette des autorités locales.
Dans le présent chapitre, nous nous proposons d'étudier
la répercussion qu'a eue sur l'industrie privée la croissance
de ces impôts et de montrer de quelle façon elle a affecté
rindustriel ou le commerçant.
Nous rappelions tout à Theure, d'après le dernier rapport
du Local Government Board (1904-1905) que les impôts
locaux sont passés de £ 19.198.579 en 1874-1875, à
£ 50.328.412 en 1902-1903, pour l'Angleterre et le Pays de
Galles, soit en 28 ans une ^augmentation de 162. 1 7o '> il
nous faut constater à présent que ce n'est pas seulement le
total des impôts locaux qui a augmenté, fait que pourrait
fort naturellement expliquer la seule augmentation de la
population ; c'est la somme d'impôts payée par chaque ha-
bitant en particulier qui a crû de façon considérable. A
Londres, le chiffre des « rates » par tète d'habitant est passé
de £ 1. 8 s. 0 d. en 1879-1880, à £ 3. 0 s. 6 d. en 4902-
1903, et dans le reste de l'Angleterre et du Pays de Galles
de £ 0 15 s. 6 d. en 1879-1880, à £ 1 5 s. 8 d. en 19021903.
54o TROISIEME PARTIE. CHAPITRE VI
Le montant moyen des impôts par £ d'évaluation (average
aniount per pound of valuation^ est passé à Londres de
4 s. 3 d. en 1879-1880 à 6 s. 9 d. en 1902-1903 ; dans le
reste de F Angleterre et du Pays de Galles de 3 s. 0,9 d. en
1879-1880 à 5 s. 3,2 d. en 1902-1903 ; dans Tensemble
de TAngleterre et du Pays de Galles de 3 s. 3 d. à 5 s. 7 d.
Une aussi forte augmentation ne pouvait manquer de
faire sérieusement sentir ses effets sur toute la population
et la propriété imposable, foncière, immobilière ou indus-
trielle. Comme le disait le correspondant du Times i\):
« depuis les plus grandes entreprises du Royaume-Uni
jusqu'au locataire d*un logement ne comprenant dans une
<( lodging-house » modèle qu'une chambre unique, dont
on a augmenté le loyer pour satisfaire aux demandes du
percepteur, il serait difficile de trouver une industrie ou un
individu qui n'ait pas été plus ou moins affecté par l'aug-
mentation des charges locales » .
L'on assiste ainsi d'un côté au triomphe des municipa-
listes, fiers d'avoir mis à exécution une notable partie de
leur programme ; et de l'autre aux lamentations de la masse
des commerçants, industriels, banquiers, directeurs de
chemins de fer, manufacturiers, boutiquiers, etc., qui tous
gémissent sous le poids toujours plus lourd des impôts
dont on les accable.
C'est vraiment pousser Tironie un peu loin que de
chercher à les calmer en leur disant que dans 40 ou 60 ans
d'ici, lorsque toutes les dettes municipales auront été rem-
boursées, leurs descendants vivront sans soucis d*aucune
sorte dans des cités quel'application progressive des théories
municipalistes aura transformées en paradis terrestres. Ils
(1) Times, 2 septembre 1902.
LES IMPÔTS LOCAUX ET LEUR B^PEUGUSSIOX 5^1
pensent à eux d*abord avant deson^içer à leurs descendants
et ils ont pleinement raison d*agir de la sorte ; avant d a-
planir la route pour leurs petits enfants, n*ont-ils pas, s*iLs
veulent vivre, à lutter contre la concurrence qui se dresse
partout autour d'eux, sous cent formes diverses, concur-
redce intérieure, concurrence étrangère, concurrence mu-
nicipale ? N'ont*ils pas à se défendre contre cette dernière
surtout, qui, heureuse, leur fait perdre une partie de leur
clientèle ; malheureuse, a sa répercussion directe sur les
impôts et finit toujours d'une façon ou d'une autre par les
atteindre en leur qualité de contribuables ?
L*immense développement de la propriété industrielle
n'est pas passé inaperçu aux yeux des financiers du muni-
cipalisme. Us ont tout particulièrement frappé les grandes
usines et les vastes entreprises, les sociétés anonymes, les^^
Compagnies de chemins de fer, tous les grands producteurs,
toutes les forces vives de la nation. Il semble qu'ils aient
pris plaisir à contrarier par une insatiable avidité le progrès
iadustriel sous toutes ses formes et Ton cite de cette poli-
tique de nombreux et déplorables exemples.
11 y a quelques années (1) des commerçants de Londres
et (le Manchester prièrent les manufacturiers de la ville de
Derby de se mettre à confectionner un certain genre de
garniture pour robes et manteaux, qu'on avait jusque là
fait principalement venir de Saxe.
Quelques-uns des manufacturiers de Derby adoptèrent
ridée, se rendirent en Saxe, et, voyant que l'établissement
de cette industrie en Angleterre ne présenterait pas d'insur-
montables difficultés, achetèrent de nouvelles machines et
se mirent à Tœuvre. Pour être en état de faire concurrence
(1) 7*imes, 2 septembre 1902.
5^3 TROISIBIfB PARTIE. CHAnrmS VI
aux fabrîcaatâ allemands, il leur avait évidemment blla
établir leurs prix de façon très exacte et très rigoareme;
mais ils avaient compté sans le percepteur. La ville de
Derby a en effet succombé à Tattraction du socialisme mo-
nicipal ; sa corporation fournit Teau et Télectricité, contrôle
les marchés, les abattoirs, les bains et les lavoirs, le
cimetière, la bibliothèque, le musée et une galerie artisti-
que, etc., exploite enfin un réseau de tramways électriqoes.
Elle gère toutes ces entreprises aux risques des contribua-
bles, c'est-à-dire à leurs frais. Aussi, la nouvelle industrie
venait-elle à peine d'être créée, que Ton frappait sa machi-
nerie d'un impôt tel, qu*il absorbait presque complètement
la marge du profit sur lequel avaient compté les manufactu-
riers, rendant à peu près vains tous les efforts qu'ils avaient
faits.
Tel est le genre d'encouragement que reçoit Tindustrie
privée dans le système municipaliste. Qu'importe après
tout aux conseillers socialistes la ruine de telle ou telle in-
dustrie? 11 leur faut, pour Texécution de leurs plans, de
l'argent ; pour robtenir,iIs auront recours à tous les moyens
possibles, bons ou mauvais, peu leur en chaut. Reconnais-
sons qu'ils sont en Angleterre passés maîtres dans l'art
d'arracher au contribuable tout ce dont il est possible de le
dépouiller. Le problème étant de recueillir le plus d'argent
possible, sans avoir Tair d'augmenter les impôts, la solu-
tion en sera simple, bien qu'elle n'abuse que l'observateur
naïf et ne trompe jamais le contribuable. Elle consiste à
élever les évaluations, c'est à-dire à estimer, lors de la
fixation de l'impôt, la valeur des propriétés imposables du
borough au chiffre le plus haut possible et à faire payer le
même impôt par £ sur une évaluation plus élevée.
Dans une lettre qu'il adressait au Leeds Mercury du
LES IMPÔTS LOCAUX ET LEUR HÉPERCUSSION 5/|3
28 octobre 1901, un coatribuable de Leeds explique com-
ment les choses se passent : « En six ans, dit-il, la dette de
la cité a augmenté d^environ £3 000.000. Qu*a-t-on fait
alors? On a procédé à une nouvelle évaluation de la pro-
priété imposable de la cité et Ton a augmenté la rateable
value d*un million de £ ; ce qui revient à dire qu'on a aug-
menté les impôts sans en changer le taux par £. »
A Yarrow, dit encore le correspondant du Times, les im-
pôts sur les habitations sont bas, parce que les membres du
Town Gouncil et du Board of Guardians sont pour la plu-
part des propriétaires qui tiennent à ne pas trop payer de
contributions ; ce sont les mêmes personnes qui composent
Tassessment committee (comité chargé de procéder aux
évaluations) : là leur tactique est tout autre; ils cherchent à
fixer la valeur des usines au chiffre le plus haut possible,
car plus elles payeront, moins ils auront à payer eux-mêmes
G^est une méthode que Ton applique fréquemment, surtout
aux Gompagnies et aux Sociétés anonymes. A Swansea,
Tassessment committee avait si fortement relevé l'assiette
de l'impôt qu'on obtint des recettes trop considérables et
qu'on put diminuer le taux de l'impôt par £ : ce qui n'em-
pêcha pas les contribuables de payer encore plus qu'aupa-
ravant.
Les municipalistes ont donc deux moyens à leur disposi-
tion pour augmenter le rendement des impôts ; le premier
consistant à élever franchement le taux de l'impôt par £ ; le
second, plus sournois, à laisser invariable le chiffre de Tim-
position par £, mais à élever l'évaluation en £ de la valeur
imposable des propriétés. L'emploi de l'un n'exclut pas
l'emploi de l'autre, et l'on a su très ingénieusement les com-
biner.
Ce sont en général les grandes sociétés, grandes Compa-
5/|4 TROISièME PARTIE. — CHAPITBB VI .
gniesdecheminsdeferoudedocks, qui semblentavoirle pins
souffert de Taugmentation des impositions locales ; c'est sur
elles que les municipalités ont cherché à rejeter la part la
plus considérable du fardeau qu'elles ont créé. Mais leurs
conseillers se trompent étrangement s'ils croient qu'une
semblable méthode ne nuit pas aux intérêts du public tout
autant qu*à ceux des Compagnies. En vertu de la loi d'in-
cidence, la Compagnie des Docks cherche à se rattraper des
impositions qu'elle paye sur les propriétaires de navires,
les propriétaires de navires sur les commerçants» les com-
merçantssurles consommateurs ; les Compagnies de chemins
de fer qui payent des impôts formidables en font forcément
retomber le poids sur les voyageurs, soit qu'elles ne rédui-
sent pus leurs tarifs, soitqu'elles n'offrent pas à leurs clients
les facilités et le confort qu*elles pourraient leur offrir, si
leur situation financière était plus satisfaisante.
LaLondon and India Docks Company,dont les propriétés
s'étendent sur 23 paroisses différentes et comprennent les
Ëast and West India Docks, les London and St-Katharina
Docks, les Royal Victoria and Royal Albert Docks, les
Tilbury Docks et beaucoup d'autres magasins situés dans la
ville même, payaient en 1890,en impôts locaux, une somme
de £ 58.499. En 1900cette somme éUit passée à £ 101. ilC.
soit une augmentation de plus de'£ 42.000 en dix ans. Dans
la paroisse de West-Ham, la Compagnie paye £ 6.000 par
an pour le seul School Board rate. Le chiffre de ses contri-
butions représentait en 1900 près de 2 1/4 ^/^ du capital.
Si desdocks nous passons aux chemins de fer, nous voyons
qu'ils ne sont pas mieux traités et que la somme dMmpôls
qu'ils ont à payer croit de façon extraordinairement rapide.
Le Great Western Railway payait en 1901, tant en impôts
d'Etat qu'enimpôtsmunicipaux,£ 444.074 contre £220.713
LES IMPÔTS LOCAUX ET LEUR REPERCUSSION
545
en 1891 (1), soit une augmentation en dix ans de £ 223.000.
En 1905, cette même Compagnie a payé, en un seul semes-
tre, tant en rates qu'en taxes, une somme de £ 300. 000, soit
£ 18.000 de plus que l'année précédente et près de 2^0 du
capital ordinaire de la Compagnie (2).
Le London and North Western Railway a vu ses impôts
augmenter de £ 19.000 durant le second semestre de 1901.
La London and Brighton South Coast C** a vu s'élever les
siens de près de £ 12.000, le Great Northern et le London
and South Western ont vu les leurs s'élever de£ 10.000, le
Great Eastern de près de £ 9.000, et le South Eastern and
Chatham de €7.000.
La North Eastern C^ constate qu'alors qu'en 1891 les
m rates and taxes » payées par elle représentaient 1 2 Vo du
dividende ordinaire des actionnaires, en 1901, ils en repré-
sentaient 24 7o, c'est-à-dire presque le quart du revenu de
la Compagnie ; les impôts que paye la Great Central Com-
pany ont augmenté de 60 ""/od^i^s les 10 dernières années.
Le total des impôts payés (en rates et taxes) par les
Compagnies de chemins de fer d'Angleterre et du Pays de
Galles, d'Ecosse et d'Irlande de 1894 à 1900 s'élève d'après
les rapports du Board of Trade aux chiffres suivants :
i ' ' 1
ANGLETËKRE
ANNÉES
IXOSSE
IRLANDE
TOTAL
ET PAYS DB GALLES
\
£
£
£
1894
2.509.183
219.641
86.448
2.815.272
4895
2.689.423
232.945
88.362
3.010.730
1896
2 838.525
222.415
87.949
3.148.889
1897
2 946.632
248.669
98.300
3.293.631
1898
3.045.766
272.992
105.581
3.424.339
1899
3.187.364
283.123
111.150
3.?i81 637
1900
3.341.512
292.019
123.622
3.757.153
(1) Times, 2 septembre 1902.
(2) Raffalovich, Le marché financier, 1905-1906, p. 121.
Boverat
35
546 TROISIEME PARTIE. — CHAPITRE VI
En 7 ans, la somme à payer a augmenté de £ 942.000.
Le total payé en rates et taxes par 39 Compagnies de che-
mins de fer sur lesquelles on possède des renseigne-
ments plus complets, est passé de £ 2.142.956 en 1891, à
£3.729.528 en 1901, soit une augmentation de 73.4o <" o.
bien que durant ces 10 années le capital de ces Compagnies
n'ait augmenté que de 20.72 Y^ seulement et les recettes
brutes de 26.37 Vo.
En 1890 les rates et taxes absorbaient 2. 81 ''/o des recettes
brutes des chemins de fer du Royaume-Uni. En 1904 elles
en absorbaient 4.23 Yo î ou encore 5.77 Y^ des recettes
nettes dans la première année, 10 Yo dans la seconde.
Un peut objecter que les chiffres ci-dessus comprennent
à la fois les rates et les taxes, c'est-à-dire les impôts payés
aux communes aussi bien que ceux que Ton paye à TEtat.
l^a démonstration n'en sera que plus frappante si nous
nous en tenons aux seuls impôts locaux (1) : telle grande
Compagnie de chemins de Ter de Londres qui payait en
1882 £ 76.703de raies et en 1885 £ 82.403, en payait en 1890
£ 106.692. en 1895 £135.311, eu 1900£ 180.000, en 1901
£ 199.429. Entre 1882 et 1901 cette seule Cx)mpagme avait
payé en impôts locaux une somme totale de £2.452.772.
L^augmentation des impositions s'explique sans doute en
partie par Taugmentation de la valeur des propriétés et
du matériel de la Compagnie ; mais elle est hors de toute
proportion avec elle.
Non seulement les Compagnies voient croître sans cesse
la note qu'elles ont à payer aux Municipalités sous forme
d'impôts locaux, mais elles se trouvent d'autre part en butte
à la concurrence des plus sérieuses que leur font les tram-
ât) Voir Times, 2 septembre 1902.
LES IMPÔTS LOCAUX ET LEUR REPERCUSSION 5^7
ways installés à grands frais pat* ces mêmes municipalités.
« Le London and North Western Railway, dit le Times, se
trouve subventionner indirectement des tramways muni-
cipaux en 46 endroits différents ; dans le second semestre
de 1901y le chiffre de ses voyageurs de troisième classe est
descendu de 422.000. Comme la baisse s'est principalement
produite sur les transports de 1 ou 2 d., elle s'explique par
l'exploitation de lignes de tramways nouvelles et particu-
lièrement de tramways électriques dans les environs des
grandes villes ».
Durant la même période, le réseau ferré du Midland
transportait 316.000 passagers de troisième classe de moins
que Tannée précédente par suite de la concurrence que lui
font les tramways de grandes villes telles que Bradford,
Sheffield, Birmingham, Bristol et Nottingham. Nous savons
qu'il s*en faut de beaucoup que tous ces tramways aient
donné des résultats financiers très brillants et quelques-uns
d'entre eux ont même coûté fort cher aux contribuables.
Aussi n'est-ce pas le côté le moins bizarre et le moins in-
juste de cette affaire que ce soient ces Compagnies, qui
souffrent le plus de la concurrence des tramways, qui aient
à payer une notable part de leurs frais d'établissemen t et
d'exploitation.
Ce n'est pas aux seules municipalités des villes, mais à
celles des campagnes aussi, que les Compagnies de chemins
de fer ont à payer de gros impôts. Elles sont la caisse où
Ton n a qu'à puiser lorsqu'on se trouve avoir de forts be-
soins d'argent. « Il y a, dit le Times, beaucoup de paroisses
rurales où la Compagnie de chemins de fer paye à elle seule
la moitié des impôts bien qu'elle n'y ait même pas une sta-
tion. Il y en a d'autres où la proportion payée par la Com-
pagnie atteint 75 Vo) ^^ '^^ ^^ cite quelques-unes où la
i
548 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE VI
GompagDÎe paye en pratique la presque totalité des impôts
locaux. ^
lia mémoire inséré dans le rapport de la Royal Commis-
sion on Local Taxation montre que dans six paroisses où
Févaluation générale (gênerai assessment) par acre de ter-
rain varie de 18 s. 6 d. à £ 6. 1 s. 6 d., Tassessment par
acre de terrain qu'occupe le Great Western Railway varie,
dans ces mêmes paroisses, de £ 38 à £ 284. Dans la paroisse
de Basildon, par exemple» dont la population ne compte
que 600 à 700 personnes, dont la superficie totale en acres
n*est que de 3.083, 1 évaluation totale des propriétés (total
gênerai assessment) est de £l0.i93 et le gênerai assess-
ment par acre de £ 3, 6 s. La ligne principale du Great
Western Railway traverse cette paroisse (sans retirer sans
doute grand bénéfice du trafic local) et du fait que cette com-
pagnie a le bonheur de posséder 24 1/2 acres de terrain en
cet endroit, elle est cotée (assessed) à £ 6.974, soit £284
par acre de terrain.
Ces quelques exemples suffisent à montrer l'importance
des charges que supportent les grandes Compagnies du fait
des impôts locaux. Il n'est pas étonnant qu'elles protestent
et demandent à n'être imposées que dans la mesure où elles
sont appelées à bénéficier elles-mêmes des travaux queToo
veut exécuter dans la localité. Elles ne demandent pas mieux
que de contribuer aux travaux d'utilité générale, aux dépen-
ses d'hygiène par exemple, mais elles se refusent à payer
les frais d'entreprises extravagantes ou somptuaires ou de
services municipaux qui, comme les tramw^ays, doivent
leur faire une concurrence désastreuse. D'après les sections
211 et 229 des Acts 38 et 39 de Victoria, elles ne devraient
être imposées qu'au quart pour toutes les dépenses qu'en-
traînent les applications du Public Health Act Le plus
LES IMPÔTS LOCAUX ET LEUR REPERCUSSION 5^9
souvent les corps locaux ignorent cette disposition ou n'en
ont cure, et préfèrent, au mépris de la loi, avoir recours à
d'autres acts pour faire payer aux Compagnies des taxes
plus considérables.
Les Compagnies du gaz, nous dit Lord Avebury, parta-
gent le même sort(l). En 1898, les rates el taxes payées
par la Cas Light and Coke C*" étaient de £ 220.000, repré*
sentant 2, 51 d. par 1.000 pieds cubes de gaz ; en 1903, ils
s^étaient élevés à £289.000 représentant 3, 29 d. par 1.000
pieds cubes.
Or, ces grandes Compagnies, tant Compagnies de docks
que Compagnies de chemins de fer ou Compagnies du gaz,
ne votant pas et n'ayant pas de représentants ofGciels dans
les assemblées municipales, n'ont pas le moindre contrôle
sur la façon dont sera dépensé cet argent qu'elles fournis-
sent pourtant en majeure partie. Rien ne montre mieux Tin-
justice delà méthode actuelle que le tableau suivant.
TABIiEAU
montrant la rateable value [valeur imposable) des boroughs
ci-dessous, larateable value des propriétés appartenant à des
Compagnies dans ces mômes boroughs, et la proportion de
la seconde à la première ,2).
Liverpool. . .
Manchester ,
Birmingham
Leeds
ShefAeld....
West-Ham.
Holborn . . .
Total Rateable
BATBABLB VALUK
Proportion
value
DBS COMPAGNIES
£
£
4. 568. OU
1.480.421
32,4
4.119.315
1.317.360
32,0
2.8K8.048
809.044
28,0
2.073.498
550.674
26,6
1.784.489
537.181
30,1
1.292.744
449.297
34,7
1.030.852
315.737
30,6
(1) Voir séance annuelle de ilndustriai Freedom League, 30 juin
1905.
(2) Voir Lord Avebury, on Municipal and National Trading^ p. 163.
550 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE VI
Cette question de la représentation des Compagnies ano-
nymes dont on entend actuellement parler souvent en An-
gleterre est grosse de difficultés. On ne songe pas, sans
doute, à donner aux représentants d*une Compagnie, pour
les élections municipales, un nombre de voix proportionnel
au chiffre d'impôts que paye cette Compagnie. Dans une
paroisse du genre de celle dont nous parlions tout à Theure,
où la seule Compagnie de chemins de fer paye en pratique
la totalité des impôts locaux et où ne réside fort probable-
ment aucun actionnaire, un semblable système arrêterait
toute tentative de progrès, que ce soit en matière d'éduca-
tion, d'hygiène ou de récréation ; car les actionnaires enjoin-
draient naturellement à leurs représentants de s'opposer à
rétablissement de tous impôts dont ils n'attendraient pas en
retour un bénéfice certain.
Ce système, qui a ses avantages, aurait donc aussi ses
inconvénients, et il commencerait par entraîner un rema-
niement complet de tout le régime électoral.
Mais Taspect des choses change du tout au tout lors-
qu'on considère la question du droit de vote des Compa-
gnies par rapport au Municipal Trading (1). Cette fois ce
n'est plus le pauvre qu'il faut défendre contre le riche ; c'est
le riche qu*il faut défendre à cause même de sa richesse. Ce
sont les impôts que va payer la grande Compagnie ano-
nyme qui permettront à la municipalité de créer des entre-
prises rivales et de payera ses ouvriers et employés de
hauts salaires. Aujourd'hui, les Compagnies paient ces im-
pôts sans pouvoir protester contre leur taux, et encore
moins contre l'emploi qu'on en va faire. En admettant
qu'on leur donne le droit de vote, elles ne s'opposeraient
(1) Voir Darwin, Municipal Trade.
LES IMPÔTS LOCAUX ET LEUR RÉPERCUSSION 55 1
certainement pas à la création d entreprises qui auraient
pour résultat soit de diminuer les impositions, soit d'ac-
croUre la valeur de leurs propriétés ou de celles du borough
en général. 11 nV aurait en fait pas de raison pour ne pas
accorder à leurs actionnaires un nombre de voix propor-
tionnel aux impôts qu'ils payent, si la question du Munici-
pal Trade se trouvait seule en jeu. « Logiquement, il n'y
aurait plus qu'à créer un corps électif spécial que Ton char-
gerait de l'exploitation des entreprises de ce genre, et à ba-
ser le nombre de votes de chaque électeur sur le montant
de ses impôts. » M. Oarwi pense qu'on pourrait de la sorte
enrayer la tendance qu*ont les municipalités à se lancer dans
des entreprises par trop risquées et créer du même coup un
corps plus apte que ne le sont les corporations ordinaires
à diriger les industries municipalisées ; il ne se cache pas
toutefois les difficultés que rencontrerait l'exécution d'un
pareil plan, tant au point de vue politique, qu'au point de
vue administratif. L'idée nous semble plus ingénieuse que
pratique, et c'est au premier de ces titres que nous la signa-
lons.
Le total formidable d'impositions qu'ont à payer les
Compagnies n'est pas le seul objet de leurs protestations.
Elles protestent aussi contre la façon dont les évaluations
sont faites. '< La manière dont il y est procédé, dit le corres-
pondant du Times (1), ne constitue pas seulement une in-
justice, mais même un scandale. » Le système en vigueur
en Ecosse et en Irlande donne, paraît-il, des résultats à peu
près satisfaisants ; dans ces deux pays, c'est un officier de
la couronne qui procède aux évaluations d'ensemble et qui
répartit la somme à laquelle il est arrivé entre les différen-
(1) Voir Timet, 2 septembre 1902.
552 TROISli^MB PARTIE. — CHAPITRE VI
tes paroisses que traverse le réseau. En Aagleterre et dans
le Pays de Galles, au contraire, chaque autorité fait elle-
même une [évaluation spéciale pour son propre district ;
elleVonfie ce travail à un évaluateur de profession, auquel
elle alloue non pas une somme fixe, mais une commission
sur le total des évaluations auxquelles il a lui-même pro-
cédé.
Fréquemment Tévaluateur attend des employés de la
Compagnie de chemins de fer qu*ils fassent pour lui la par-
tie la plus difficile et la plus ennuyeuse de sa tâche ; celle
qui consiste à déterminer, à Taide de paperasses innombra-
bles, quelles sont les recettes de la ligne dans une paroisse
donnée. Si la Compagnie ne se charge pas de ce travail et
que révaluateur ne se donne pas la peine de le faire lui-
même, il fixe n importe quel chiffre ; vient-on à lui repro-
cher rinexactitude de son évaluation ? il se retranche der-
rière cet argument que si son évaluation est incorrecte, c'est
que les fonctionnaires de la Compagnie ne lui ont pas fourni
les documents dont il avait besoin pour arriver à un résul-
tat exact.
Quel que soit le travail préparatoire, Tévaluateur a évi-
demmenttout avantage à fixer Tassessment aussi haut qu'il
le pourra ; car s*il ne le porte pas à un chiffre plus élevé que
Tannée précédente, il risque de ne recevoir aucune rémo-
nération.
Le Times cite un jugement rendu par M. H. B. Middletoo,
chairman of the DorsetQuarter Sessions, sur un appel fait
pour une question d'impôts parla London and South Wes-
tern Railway C^ contre la Foole Union et duquel il ressort
que le salaire de Tévaluateur consistait en une remise de
10 "/o sur toute augmentation de la valeur imposable du
chemin de fer. M. Middleton, blâmant de tels procédés,
montrait à quels résultats ils pouvaient conduire.
LES IMPÔTS LOCAUX ET LEUR REPERCUSSION b5.^
Ce n*est d'ailleurs pas chose facile aux Compagnies que
d^obtenirréparatioQ des dommages gabelles subissent, et les
frais qu'elles ont à faire pour que justice leur soi treadue sont
en tous cas considérables. Un seul appel aux Quarter Ses-
sions ne coûte pas moins de £ 1 .000 ; il peut coûter jusqu'à
£ 4.000 et £5.000. Si la Compagnie gagne son procès, c'est
à Taulorité locale de payer les frais ; mais cette dernière
sait si bien se rattraper à la prochaine levée d'impôts qu'il
est souvent plus avantageux à la Compagnie de se soumet-
tre à Tinjustice que d'essayer d'en obtenir le redressement.
Le seul remède consisterait à faire faire les évaluations
par un évaluateur du gouvernement (a government valuer)
qui n'aurait pas d*intérét personnel à rendre telle décision
plutôt que telle autre.
On ne s'étonnera plus, si l'on prend la peine de se remé-
morer tous les faits que nous venons de passer en revue,
de voir que le fardeau des impositions locales soit un cons-
tant sujet de plaintes de la part des actionnaires des Compa-
gnies dans leurs réunions bisannuelles ; plainte justifiée
d'ailleurs, car ce fardeau va croissant à mesure que s'étend
l'activité municipale.
Si les actionnaires sont les premiers àsouiTrir de cet état
de choses^ le public en souffre lui aussi de façon indirecte.
Les grandes Compagnies sont les vaches à lait des fmanciers
municipalistes. Comme le remarquait lord Claud Hamilton ,
chairmande la Great Ëastern Railway Company, elles sont
obligées de faire grande attention à ne pas se laisser aller à
de trop grosses dépenses de capital : car, si, cédant à la près*
sion d'un corps local, elles venaient à bâtir en quelque en-
droit une grande et belle station, elles verraient tout aus-
sitôt (( monter comme une fusée le chiiïre de leurs imposi-
tions »,
554 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE TI
Quelle différence, dit le correspondant du Times^ entre
cette manière d'agir et l'exemple qu'a donné aux Etats-Unis
la ville de Boston. Sentant le besoin d'une gare nouvelle,
cette ville résolut d'acheter et d'exproprier elle-même les
terrains nécessaires, puis les remit gratis à la Compagnie
pour qu'elle pût y bâtir le splendide édifice où s'alignent
aujourd'hui 27 voies parallèles.
Sans aller si loin que les Américains, il est facile de voir
que si les municipalités anglaises s^étaient donné pour but
d'entraver tout progrès et toute initiative venant des Com-
pagnies de chemins de fer, elles ne pouvaient s'y prendre
mieuxqu'elles ne l'ont fait en lesaccablant d'impôts. Enagis-
sant de la sorte, elles ont souvent causé plus de dommages
au public qu'elles ne lui ont, d'un autre côté, procuré d'a-
vantages.
Enracinées au sol par leur industrie même, ne pouvant
pour toute défense que protester contre les abus dont elles
sont Tobjet, les grandes Compagnies de chemins de fer sont
peut-être les victimes les plus intéressantes du municipa-
lisme ; elles n'en sont pas les seules ; il est d'autres indus-
tries qui ont, elles aussi, eu la malchance d'attirer plus spé-
cialement Tattention des fmanciers socialisants ; industries
de toutes sortes, moins importantes que celles que nous
venons dépasser en revue, mais vigoureuses cependant et
occupant des ouvriers par milliers. Voyons quel sort on
leur a fait et comment elles ont supporté les impositions
toujours plus élevées dont les municipalités les ont grati-
fiées.
L'un des résultats les plus frappants de cette politique
financière est sans contredit le mouvement d'émigration qui
se manifeste parmi les industriels de la métropole et les fait
quitter Londres pour aller s'établiraux environs de quelque
LES IMPÔTS LOCAUX BT LEUR REPERCUSSION 555
grande vilie de la province. Ce mouvemeat est des plus si-
gnificatifs et l'importance de cette émigration industrielle
mérite d*étre soulignée, car elle est une leçon pour tous les
corps gouvernants des grandes villes. » Un fait seulement,
lit-on dans ï Engineering du 20 avril 1906, devrait mettre
un frein aux rêves ambitieux du conseiller de Comté, et ce
fait est le suivant : tandis qu*il y a quelques années, la pro*
portion de propriété imposable (rateableproperty), c'est-à-
dire d'immeubles, vacante à Londres, variait de 2 à 2 1 /2 ^/^
du total des propriétés, cette proportion est actuellement
de 4 Vo« L.6 fardeau des impositions que supportent les per-
sonnes restantes a forcément augmenté dans la même me-
sure (toute augmentation due à un accroissement des dépen-
ses municipales mise à part) et la conséquence de tout ceci
est que nombre d'autres maisons avec leurs employés sont
en train de se rallier à la politique du sauve-qui-peut. »>
Bien des raisons poussaient depuis longtemps à cette
émigration, engageant les manufacturiers à aller se fixer
loin de la métropole surpeuplée ; la politique progressiste
du London County Council a été le coup final, celui qui
les a contraints à prendre une décision.
L'augmentation des « rates » d'abord, la promulgation
de toutes sortes de règlements relatifs aux constructions,
en apportant de sérieuses entraves à l'exploitation écono-
mique des usines, en empêchant de continuer à employer
à des usages industriels de vieilles maisons dont on se ser-
vait encore, cent raisons financières et administratives ont
fait très sérieusement considérer au manufacturier londo-^
ni en l'économie qu'il lui serait possible de retirer d'un
transport à la campagne, de l'adoption d'un outillage mo-
derne et d'une organisation meilleure de ses locaux. Il est
difficile d'exécuter de grands changements et de réorganiser
556 TROISlèniE PARTIE. — CHAPITRE VI
de foad en comble le matériel d'une usine installée depuis
longtemps déjà. Il faut faire table rase de rancien état de
choses pour réaliser.de vraies réformes et mettre à profit
les derniers progrès de la science. A la campagne, le loyer
sera moins cher, on aura plus de terrain pour s'étendre, et,
partant, toute facilité pour construire une usine qui n*auni
qu*un seul étage et que la lumière du jour éclairera dans
ses moindres recoins. Qu*on ajoute à cela les avantages
d*une machinerie nouvelle, et Ton comprendra quelle éco-
nomie ou est en droit d'attendre d'une telle opération .
La difficulté de trouver de la main-d'œuvre n'existe pas
pour l'industriel qui transporte ses usines à quelques miles
seulement de la métropole ; l'ouvrier n'hésite pas aie suivre,
puisque ce changement ne l'éloigné guère des endroits
qu'il avait l'habitude de fréquenter jusqu'alors et qu'il lui
permet en outre de se procurer un confort matériel auquel
il ne pourrait prétendre à l'intérieur même de Londres.
Nous sommes en mesure, pour indiquer l'importance de
ce mouvement d'émigration, de citer les noms d*un certain
nombre de grandes maisons qui ont quitté la métropole
pour aller s'établir soit dans ses environs, soit dans la
banlieue de quelque grande ville de province, où le poids
des impôts locaux se fait moins lourdement sentir que dans
la capitale.
La fabrique d'appareils télégraphiques Henley est allée
s'établir à Gravesend ; la fabrique d'objets ecclésiastiques
métalliques de Messrs Benham and Fronde s^est transportée
à Willesden Junction; la société anonyme dirigée par
Messrs Philip and Son pour l'impression des cartes géo-
graphiques s'est transportée, elle aussi, au même endroit
que la précédente. Une grande fabrique de produits chi-
miques est allée s^tablir à Southall ; Messrs Hancock et
LES IMPÔTS LOCAUX ET LEUR lléPERCUSSION ÔDy
Corfield, fabricants de fer émaillé^ont émigré à Mitcham ;
une fabrique de cirage à Southgate ; une Compagnie de
phonographes à Wandsworth ; une fabrique de céruse à
Brimsdown ; la Heatly Gresham Engineering C^, ingé-
nieurs-constructeurs, s'en est allée à First Garden City,
Letchworth , et Messrs Werner, Pfleiderer et Perkins, autre
iirm d'ingénieurs-constructeurs àPeterborough.
La grande maison de constructions maritimes Yarrow
and C^' a décidé de quitter les bords de la Tamise et d'aller,
installer ses ateliers dans le Nord, sur la Glyde, les impôts
croissants dont la frappe la municipalité lui rendant impos-
sible la concurrence avec les établissements analogues ins-
tallés en province. D'ici à un ou deux ans, les ateliers Var-
row,qui font vivre 1.200 ouvriers du faubourg populeux et
pauvre de Poplar seront fermés, ou plutôt transférés dans
une autre partie de TAnglelerre.
La maison Thornycroft conserve son chantier à Chiswick
(Londres), mais vient d'en monter un nouveau à Southamp-
ton et d'installer des ateliers pour la construction des auto-
mobiles à Basingstoke (Hampshire), bien que la position
de Chiswick soit plus centrale et à certains égards plus avan-
tageuse. Les deux fabriques de pompes Simpson and C^,
la Vaux Hall Iron Works C^, la fabrique de machines à
travailler le bois Ransome and C"" ont, elles aussi, quitté
Londres pour différents endroits.
Ce ne sont pas seulement les usines qui quittent Lon-
dres, mais les gens riches, les simples particuliers qui pos-
sédaient des maisons ou des appartements dans les quar-
tiers aristocratiques delà capitale, qui vendent leur maison
ou ne renouvellent pas leur bail et viennent à leurs aiïairesle
matin et en partent le soir en automobile, utilisant ainsi les
derniers progrès de la locomotion mécanique pour se dé-
fendre contre la politique du L. C. C. »
558 TROISIEME PARTIE. -* CHAPITRE VI
Que prouve ce mouvement d'émigration de la capitale vers
la province, se produisant si rapidement et sur une si vaste
échelle, sinon que la conduite du conseil de comté de Lon-
dres a été essentiellement imprudente et irréfléchie ? Quel
profit s*imagine-t-il retirer de sa politique financière à la
fois avide et gaspilleuse? Sans doute le rendement des im-
pôts ne va pas, malgré toutes ces fautes, diminuer du jour
au lendemain dans des proportions inquiétantes. Mais les
faits que nous venons de rappeler n'en constituent pas
moins un signe de mécontentement indéniable, un avertis-
sement que la majorité progressiste du L. C. C. ne devrait
pas négliger, pour peu qu'elle tienne à conserver au conseil
le pouvoir qu'elle y possède depuis plusieurs années.
Le chiffre de 60 s. 5 d. que nous donnions au début de ce
chapitre comme étant celui des impôts locaux dans la mé-
tropole, par tète d*habitant, est tout simplement fantasti-
que et laisse supposer, puisqu'il est une moyenne, qu'un
certain nombre de personnes ont à payer des contributions
énormes. L'impôt municipal atteint maintenant de 33 à 60 "^ ^
de la valeur locative des immeubles. |^Dans certains quar-
tiers les locataires s'en vont par centaines et beaucoup de
gens renoncent à vivre à Londres, précisément à cause du
fardeau de l'impôt local. Dans les quartiers riches et élé-
gants de Londres, on n'a jamais vu autant de maisons in-
habitées qu'à présent.
Aux élections municipales du 1^** novembre 1906, les
progressistes ont perdu Ja majorité qu'ils possédaient dans
les BoFough Gouncils londoniens. Le même sort pourrait
bien attendre, en mars 1907, ceux du London County Coun-
cil, si d'ici là ils ne se montrent pas un peu plus économes
de l'argent des contribuables. (1)
(i) Depuis que ces lignes ont été écrites, les élections au London
LES IMPÔTS LOCAUX ET LEUR R^PERGUSSION 55^
La croissance des impôts municipaux n*est pas un phé-
nomène particulier à Londres ; nous avons vu qu*il s*était
aussi produit à Glasgow, Birmingham, Manchester, mais
nulle part les effets de cette hausse ne semblent avoir eu
une répercussion aussi fâcheuse sur l'industrie que dans la
métropole. Londres n'étant pas seulement la capitale po-
litique, mais la capitale commerciale et le premier port
d'Angleterre et du monde, le fait que nous signalons n*en
est que plus frappant et que plus instructif.
Coiinty Gouncil ont eu lieu. Les faits ont justiQé nos prévisions. Les
progressistes ont subi une défaite complète, et la majorité du Conseil
appartient désormais aux modérés et aux conservateurs.
Dans l'ancienne assemblée 84 sièges appartenaient aux progressis-
tes ou libéraux et radicaux, 34 aux modérés. Dans la nouvelle les mo-
dérés en ont 79, n'en laissant aux progressistes que 38 ; le siège res-
tant est à un indépendant. La lutte a été des plus vive8,et la preuve en
est dans l'augmentation du pourcentage des électeurs qui a passé de
45. 7 «/» en 1902 à 52. 66 Vo en 1907. A Battersea, fief de M. Jobn
Burns, le candidat socialiste a été battu par un modéré, tandis que
pas un seul socialiste pur ne parvenait à se faire élire dans les autres
circonscriptions.
CHAPITRE Vil
DB L*AFFÂIBLISSEMENT DE L*ESPR1T D'BNTRBPiaSB
DANS LES INDUSTRIES MUNIGIPAUSÂBS.
Nous avons passé en revue, dans le cours de cette étude,
les principales questions qu'a posées le développement ra-
pide du socialisme municipal en Angleterre ; nous avons
exposé le mécanisme administratif et les résultats financiers
des principales entreprises municipales. Avant de rappeler
quels remèdes on a proposé pour parer aux inconvénients
du municipalisme, nous voudrions jeter un coup d'œilsur
les trois questions suivantes, qui n'ont pas été traitées dans
la première partie de ce livre et qui font chez nos voisins
d*Outre-]Manche Tobjet de vives controverses :
1^ L'esprit d'entreprisea-t-il une tendance à s'affaiblir et à
disparaître dans les services municipalisés ?
2"* Les fonctions des conseillers municipaux ne sont-elles
pas aujourd'hui trop nombreuses?
3"* Les municipalités ont-elles le droit de faire des profits
s ur Texploitation des services publics ?
Nous n'avons pas l'intention de rechercher ici si la con-
currence est en soi une chose bonne ou mauvaise ; ce serait
revenir sur une discussion aussi ancienne que la science
économique elle-même et nous égarer dans la théorie pure,
alors que nous désirons rester sur le terrain des faits ; nous
nous limiterons donc, autant qu'il nous sera possible, au
côté exclusivement pratique de la question, et nous verrons
DE L ESPRIT I>'eKTREPRI8E 56 Ï
si la disparition de toute concurrence a sur les entreprises
municipales de bons ou de mauvais effets.
Affirmer que les résultats de la concurrence industrielle
sont mauvais dans leur ensemble lorsqu'on les compare
aux résultats qu'on pourrait obtenir par l'introduction de
quelque autre système est faire profession de foi de socia-
lisme et résumer en une seule phrase Tessence même de
cette doctrine. Nous n'avons pas Tintention d*en essayer la
réfutation dans les pages qui suivent. Contentons-nous de
résumer brièvement les avantages et les désavantages'
qu'entraîne inévitablement le régime industriel sous lequel
nous vivons actuellement.
Le régime de libre concurrence aboutit plus sûrement
que tout autre système à réunir dans Tendroit même où
la demande en est la plus considérable tous les biens et
tous les services dont rechange est nécessaire à Texistence
humaine. C'est grâce à ce système que nous obtenons aussi
facilement que possible la marchandise de l'espèce que
nous désirons ; c'est lui qui, mieux que toute disposition
légale, maintient les prix au plus bas cours possible et fait
profiter la communauté dans son ensemble des bienfaits du
progrès industriel. Sous ce régime, mieux que sous tout
autre régime de centralisation, les hommes les plus capa-
bles dépassent les autres et prennent la tète ; et rien n'est
plus heureux que leur succès, puisque le progrès des peu-
ples dépend principalement de la capacité des hommes qui
occupent chez eux les positions dominantes.
On ne saurait nier pourtantque le système actuel ne pré-
sente des inconvénients sérieux ; que le triomphe des forts
ne signifie la défaite des faibles ; que la lutte pour Texis-
tence ne soit souvent cruelle ; que le régime de concur-
rence n'entraîne avec lui des doubles emplois, des pertes
Boverat 36
562 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE VII
de temps, de travail et d'argent. Mais quelle médaille n'a
son revers? Est-il rien, jusqu'ici, qui nous permette de
supposer qu'on obtiendrait de meilleurs résultats sous un
régime socialiste ?
Qui dit concurrence, dit effort et lutte, c'est-à-dire souf-
france ; et de même que nous cherchons tous à nous pro-
téger contre la souffrance, nous cherchons à nous protéger
contre la concurrence chaque fois que nous le pouvons et
par tous les moyens dont nous disposons ; municipalités
commerçantes et commerçants particuliers, obéissant ici
tous deux aux mêmes motifs, demanderont toujours à être
protégés.
Mais si ce désir leur est commun, les moyens qu'ils ont
de le réaliser diffèrent en revanche fort sensiblement. Les
municipalités ont en effet à bien des égards plus de facilités
et plus d occasions que le particulier de se défendre contre
la concurrence ; elles en proliteront, tout comme le feraient
les particuliers, s'ils étaient à la place des corporations.
Les municipalités peuvent, en premier lieu, racheter
plus facilement que les particuliers les entreprises de leurr
rivaux et fondre ainsi en une seule deux entreprises con-
currentes. Grâce aux ressources financières ou à Tinfluence
politique dont elles disposent, elles jouissent d'avantages
à elles propres, lorsqu>illeur prend Tenvie d'écraser ou d'in-
timider leurs rivaux ; enGn, elles peuvent user de leur pou-
voir administratif pour se protéger elles-mêmes. L'usage
fréquent et la combinaison de ces trois procédés a fini par
constituer une méthode d'action dont le but final est deli-
n)iter la concurrence et d'en sauvegarder l'entreprise mu-
nicipalisée. Nous avons plus d'une fois déjà eu roccasion
d'en signaler les fâcheux résultats.
La concurrence disparait d'abord par suite du rachat par
DE l'esprit d'entreprise 563
la municipalité d^une industrie rivale d'un de ses services ;
tel est le cas quand une corporation qui gère déjà Tusine à
gaz rachète Tusine électrique. Lorsque le fait se produit,
toute concurrence disparait en pratique. I/un des deux mo-
des d'éclairage est même parfois sacrifié à l'autre, ce qui
arrive quand la corporation considère la fabrication et la
vente de l'électricité comme un accessoire à la fabrication
et à la vente du gaz. La municipalité, au lieu d'offrir alors
rélectricité à ses clients avec insistance, en commerçant
soucieux de la prospérité de ses affaires (instead of offering
and urging it, disait M. Chisholm, Lord Provost de Glas-
gow) (1), ne la fournira qu*aux personnes qui en auront fait
spécialement la demande ; Glasgow nous a, pendant un
temps, fourni de cette conduite un exemple qui n'est certai-
nement pas unique en son genre.
Lorsque, comme c'est aujourd'hui généralement le cas,
ce sont des comités différents qui ont charge l'un du gaz,
Tautre de l'électricité, il pourra bien y avoir entre eux
quelque rivalité. Mais ce serait se bien tromper que de
croire que cette rivalité puisse donner des résultats analo-
gues à ceux que produit la concurrence née du désir qui
possède le particulier, industriel ou commerçant quel qu'il
soit, d'obtenir des profits plus considérables. En supposant
que la fabrication et la vente du gaz et de rélectricité
eussent partout appartenu à des administrations publiques,
il nous semble plus que douteux que les expériences qu'on
a faites pour Temploi des becs à incandescence eussent été
poussées avec la vigueur qu'ont déployées les Compagnies
privées intéressées dans cette découverte ; le public aurait
donc souffert dans ce cas de la disparition de la concurrence
causée par la municipalisation de ces deux industries.
(1) Voir Rapport 1900. Quest. 2731.
564 TROIBlàMB PARTIE. — CHAPITRE VII
Nous avons, dans les premiers chapitres de ce livre^
montré que si Ton avait laissé en Grande-Bretagne autant
de liberté à l'entreprise particulière qu*on en a laissé aux
Etats Unis, le Royaume-Uni aurait aujourd'hui quatre fois
plus de tramways qu'il n*en a ; nous avons vu qu'alors
qu'on comptait en 1902 aux Etats-Unis *3.620 stations cen-
trales productrices d'électricité, on n'en comptait en Angle-
terre que 457 ; que Tusage du téléphone était beaucoup
moins développé chez nos voisins qu'en Amérique ; qu a
décourager et à entraver Tentreprise privée, on n'a réussi
qu'à obliger les constructeurs de tramways ou d'usines à
importer d'Amérique ou d'Allemagne tout le matériel élec-
trique. Non seulement l'Angleterre n'a pas su tirer profit
de ces découvertes nouvelles, au point de vue des commo-
dités de l'existence, mais les ouvriers anglais ont perdu oa
manqué de gagner les sommes qu'on a dépensées en achats
à l'étranger.
M. Meyer a montré, dans son livre sur la propriété mu-
nicipale, ce que serait aujourd'hui le nombre -des personnes
employées dans les téléphones, les tramways, Tiadustrie
électrique, si l'Angleterre avait, dans ces derniers temps,
progressé aussi vite que les Etats-Unis.
En 1905, ily avait en Grande-Bretagne 13.000 personnes
employées dans les téléphones. Aux Etats-Unis, il y en avait
79.000. Si le réseau téléphonique avait atteint dans le pre-
mier de ces pays un aussi grand développement que dans
le second, 50.000 personnes y trouveraient aujourd'hui un
emploi, à leur grand avantage et à celui du public.
En 1902, les Etats-Unis comptaient 3.620 stations élec-
triques centrales, employant en moyenne 8 personnes cha-
cune,soit au total 30.300. Quatre ans plus tard, la Grande-
Bretagne ne possédait que 384 stations; eût-elle été aussi
DE l'esprit d'entreprise 565
bien pourvue que les Etats-Unis, elle en aurait eu 1.260 et
aurait employé 7.000 personnes de plus.
En 1902, les Etats-Unis possédaient dans leurs districts
urbains 21.300 miles de tramways, employant en moyenne
6, 5 personnes par mile. En 1906, la Grande-Bretagne ne
possédait que 3.040 miles de tramways. Proportionnelle-
ment elle aurait dû en avoir 14.000, dans l'exploitation des-
quels 71.500 personnes auraient dû trouver leur emploi.
L*histoire de l'électricité et de ses applications industrielles
en Angleterre est peut-être le meilleur exemple que Ton
puisse citer du manque d'esprit d'entreprise des municipa-
lités ou du mauvais usage qu'elles font de l'initiative dont
elles disposent. Nous ne nous attarderons pas sur ce sujet
que nous avons déjà étudié tout au long. Rappelons sim-
plement que le Board of Trade ne donnant pas, règle géné-
rale, de provisional orders aux particuliers qui désirent éta-
blir une usine électrique, sans le consentement préalable
des autorités locales intéressées, ces dernières opposent très
fréquemment un refus aux demandes qui leur sont ainsi
faites, alléguant, soit qu'elles ont l'intention d'exploiter
elles-mêmes le service en régie, soit encore qu'ayant dé-
pensé pour établir leur usme à gaz des sommes considéra-
bles, elles ne veulent pas favoriser le développement d'une
industrie rivale qui risquerait de faire baisser leurs recettes.
L'aveu est cynique et il montre jusqu'à quel point les
municipalités savent pousser Tindifférence et le mépris
qu'elles nourrissent pouf l'intérêt et la commodité des
consommateurs.
Le cas est à peu près le même, ou du moins les résultats
auxquels on arrive sont à peu près identiques, lorsque les
municipalités, après avoir demandé un provisional order
pour elles-mêmes, ne l'utilisent pas durant de longues
années.
566 TROISIÈME PARTIE. -— CHAPITRE VII
L'apathie, le manque de clairvoyance ou de bonne volonté
des assemblées municipales ne se montre jamais si bien
que dans les exemples précédents. L'on en peut déduire
que l'entreprise municipale a beaucoup moins de chances
de succès que l'entreprise particulière, dans toute industrie
soumise au régime de la concurrence ; s*il est vrai que le
succès d'une affaire dépende avant tout d*une bonne direc-
tion, de connaissances spéciales, du degré d'initiativedon t
font preuve les personnes placées à sa tète (1).
En cas de monopole, ces qualités peuvent, jusqu'à un
certain point, faire défaut,sans que les résultats de Texploi-
tation en soient sérieusement affectés. Protégé contre toute
concurrence, le service municipal est alors le maître de la
situation. A peine remaçquera-t-on le mal qu'il cause par
suite de la difficulté qu'on éprouvera à établir une compa-
raison avec des industries du même genre situées dans un
autre endroit. S'agit il au contraire d'une industrie exigeant
de réelles qualités commerciales, de la fabrication d'appa-
reils électriques, par exemple, toute absence des qualités
que doit posséder un conseil de direction aboutirait forcé-
ment soit à la stagnation de cette industrie, soit à sa ban-
queroute,si les services municipaux ne savaient compenser
leur infériorité pari établissement d'un système protecteur.
On nous dira sans doute que les conseils de direction
sont généralement tout aussi ignorants des questions tech-
niques que peuvent Tétre les comités d'un Town Councîl.
Soit ; mais ce que les membres d'un Town Council ne pos-
séderont jamais au même degré que ceux d'un conseil de
direction, c'est cette qualité si importante, qui consiste à
savoir dans quelle mesure on peut avoir confiance en d'au-
(1) Voir Darwin, Municipal Trade, chap. X.
DE l'esprit d'eiSTUEPRISE 667
très personnes pour obtenir à la longue de meilleurs résul-
tats ; confiance en ses ingénieurs, en ses managers, en ses
subordonnés. Ces deux qualités, la confiance et l'initiative,
sont celles dont on a le plus besoin dans l'exploitation des
industries soumises au régime de la concurrence ; et sMl est
vrai, comme le disait devant le comité d'enquête en 1900
l*Hon. Chandos Leigh (l),que les municipalités « nVientja-
mais rien inventé et n'aient jamais été les premières à faire
l'application d'une invention quelconque, qu'il s'agisse des
tramways, du gaz ou de l'électricité », seules industries
dans lesquelles elles se soient lancées sur une vaste échelle,
il nous faut reconnaître que l'absence de confiance et d'ini-
tiative sont des traits caractéristiques de tous les services
exploités en régie.
u C'est de la direction que dépend le succès d'une affaire
industrielle, nous dit M. Cheysson (2). Un directeur indus-
triel est choisi pour sa capacité technique. C'est un spécia-
liste qui a fait ses preuves et dont la vie s'est passée à con-
quérir un à un les titres et les aptitudes nécessaires à
l'exercice du commandement. Il n'en est pas de même pour
le directeur municipal qui est brusquement appelé, le plus
souvent par des raisons extra-professionnelles, à des fonc-
tions auxquelles il n'était qu'insuffisamment préparé, n
Ceci est peut-être plus vrai de la France que de TAngle-
terre,où malgré Tinfluence abusive que commencent à exer-
cer les membres du Labour Party et ceux des Trade-
llnions, les directeurs techniques sont en général conve-
nablement choisis et possèdent les connaissances qu'on est
en droit d'attendre d'eux. L'observation suivante nous
semble plus juste :
« En outre, continue M. Cheysson, même à égalité de ta-
(1) Rapport 1900. Quest. 619 et 1132.
(2) Bulietin delà Société (T Economie Poli tique ^ février 1904.
568 thoisièmb partie. — chapitre vu
leat, le directeur municipal ne peut pas tirer parti de son
habileté particulière dans la même mesure que son collè-
gue de rindustrie privée. Ce dernier est libre de ses mouve-
ments, agit d'après son tact commercial et profite des oc-
casions qui s'offrent à lui. Le fonctionnaire^au contraire,est
gêné par les règlements, par la bureaucratie, par le souci
de sa responsabilité qu'il cherche à couvrir contre les soup-
çons, les délations des fournisseurs évincés ou des subal-
ternes aigris. C'est ainsi qu*on a vu souvent le même hom-
me que les hasards de sa carrière ont mis tour à tour au
service de TËtat ou des Compagnies, déployer ou perdre
ses aptitudes commerciales suivant qu'il était esclave da
formalisme ou le maître de sa gestion.
c< Inspirés par la défiance, les règlements garrottent à
ce point le personnel administratif, qu'ils peuvent ea
effet le préserver des faux pas, — et encore en est-on
absolument sûr ? — mais à la condition de l'empêcher en
même temps de courir. Or en industrie, il faut souvent
courir sous peine d'arriver trop tard. Par exemple, pour le
renouvellement de l'outillage, pour de nouvelles installa-
tions, l'agrandissement des ateliers, Tacquisition d'appro-
visionnements avantageux qui passent à bonne portée et
qui sont menacés d'une hausse prochaine, la conclusion de
marchés d'avenir, on a souvent besoin de prendre un parti
d'urgence et de disposer de ressources immédiates sauf à
faire appel au crédit. IMais si, avant d'agir, on doit en réfé*
rer à des assemblées délibérantes, attendre des autorisa-
tions qui sont longues à venir — quand elles viennent —
l'occasion qui fuit rapide est déjà loin. D'ailleurs les bud-
gets publics manquent d'élasticité et ne se prêtent pas à ces
à-coup financiers que comporte l'industrie ; à ces avances
qui grèvent le présent pour des transformations plus tard
DE l'espbit d'entreprise SGq
fructueuses. L'iudustrie ofGcielle est doue forcément attar-
dée : elle est en outre impuissante à se plier aux exigences
de la consommation, à suivre ses progrès, et elle sera par-
fois même obligée de la décourager par l'élévation de ses
tarifs, pour ne pas transformer les moyens de production et
les mettre au niveau des besoins accrus (Voyez par exem-
ple le service des téléphones à Paris). »
Une autre conséquence fâcheuse du Municipal Trade
résulte de la tendance, fort naturelle d'ailleurs, qu'ont les
autorités locales à confiner leurs entreprises aux limites de
leur circonscription administrative ; les municipalités qui
se sont mises à construire des maisons nous en fournissent
un exemple. Lorsque les aCTaires ne vont pas autour de lui,
un entrepreneur de constructions actif et adroit cherche de
Touvrage dans d'autres districts, souvent à des distances
considérables. Le comité chargé delà direction de cette in-
dustrie municipale ne peut adopter une semblable méthode.
Or, toute limitation du champ de Tentreprise doit accroî-
tre nécessairement le coût de la construction municipale,
car durant les périodes de calme ou d'arrêt complet, les dé-
penses courantes ne s'arrêtent pas ; et il faut les recouvrer
durant les périodes d'activité. Si quelque genre de cons-
truction vient jamais à passer complètement aux mains des
municipalistes, TefiTet produit ne différera guère de celui
qu'entraînerait l'établissement dans chaque circonscrip-
tion administrative d'un système protecteur sévère, au
moyen duquel on empêcherait tous les commerçants du
dehors de venir faire concurrence à ceux de l'intérieur. Il
nous sera fort probablement donné d'assister, à propos des
entreprises municipales à des résultats plus ou moins ana-
logues à ceux d'un système protecteur, parce que les di-
recteurs des entreprises municipales, corps politiques dé-
070 TROISIEME PAHTIB. CHAPITRE VII
pendant d*une élection, succomberont fréquemment à la
tentation de donner leurs commandes et d'accorder leurs
contrats exclusivement à des industriels et entrepreneurs
de leur circonscription. Des Compagnies privées, au con-
traire, se laisseront plus vraisemblablement guider dans
leurs transactions par le prix et la qualité des marchandi-
ses ou des services qu'elles veulent obtenir ; elles ne se
laisseront pas influencer par d'autres considérations ; aussi
auront-elles plus de chances de recueillir les bénéfices de
la concurrence que se font ceux qui désirent les servir.
Toute restriction de ce genre à la liberté du commerce abou-
tit fatalement à l'augmentation du coût de fabrication de
l'objet fourni, et par conséquent de son prix de vente ; tout
système qui tend à confiner la fabrication, Tachât ou la
vente des marchandises à Tintérieur d*un même district
doit produire ces fâcheux résultats ; et ces tendances à la
restriction et la protection sont bien plus à craindre de la
part du municipal que du private trade.
Le fait seul que la municipalité commerçante recherche
la protection sous toutes. ses formes montre qu*elle ne se
sent pas solide et n'ose pas voler de ses propres ailes ; il
nous prouve que les gens qui dirigent les services munici-
paux manquent de confiance en eux-mêmes^ parce qu'ils
manquent non seulement de connaissances techniques suf-
fisantes, mais d'initiative. Le mal est grave, parr^ que tut
ou tard cette protection tuera l'initiative privée, même lors-
que la municipalité n'aura pas eu recours au système de
protection qui lui assure le plus haut degré de sécurité,
c'est-à dire au monopole. Nous l'avons plusieurs fois mon-
tré dans la première partie de celte étude, à propos des
tramways notamment, et des maisons ouvrières. Les par-
ticuliers ne sont pas assez imprudents pour se mesurer avec
DE l'esprit D'eNTIŒPRISB 671
un service public qui dispose de ressources illimitées et
perd sans sourciller, puisqu'il perd non pas son argent, mais
celui des contribuables. Chaque fois que les municipalités
ont imaginé de satisfaire à Tun quelconque des besoins gé-
néraux de la population, le résultat a été le même ; elles ont
fait le vide autour d'elles, non sans se causer à elles-mêmes
et sans causer à autrui des embarras parfois très graves,
Tarrét de l'entreprise privée qu'elles ont étouffée les forçant
à aller tout-à-coup beaucoup plus loin qu elles n'avaient
tout d'abord prétendu le faire.
Une autre infériorité du service public sur l'industrie pri-
vée est que le premier, en tranquille possession de son mo-
nopole, ne cherche pas à perfectionner ses machines ou son
outillage ; il se plaît dans la stagnation ; et ce n'est pas
l'Etat, sous quelque forme qu'il se présente à nous, qui
sera capable de développer et de susciter les grandes inven-
tions; il ny a d'ailleurs là-dedans rien qui doive nous sur-
prendre.
Ce n'est pas à FËtat, dit Spencer (1), que nous devons les
nombreuses inventions qui nous permettent de vivre au-
jourd'hui notre vie moderne a depuis l'invention de la bêche
jusqu'à celle du téléphone. Ce n'est pas l'Etat qui a rendu
possible la navigation lointaine par des découvertes astro-
nomiques ; ce n'est pas TEtat qui a fait en physique, en
chimie, et dans les autres sciences les découvertes qui gui-
dent aujourd'hui nos manufacturiers ; ce n'est pas l'Etat qui
inventa des machines capables de produire toutes sortes de
produits, de transporter les hommes et les choses d'un lieu
à un autre, d'améliorer notre bien-être de mille manières.
Les transactions mondiales qui s'exécutent dans les bureaux
(1) Cf. Spencer, L'individu contre l'Etat.
î>72 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE VII
des marchands, le trafic intense qui remplit nos rues, le
système de vente au détail qui met toute chose à notre por-
tée, et place à notre porte même tous les objets nécessaires
à Texistence, ne sont pas d'origine gouvernementale ».
Non seulement le système municipaliste ne suscite pas
le progrès, mais il semble le redouter comme une ruine,
parce que les progrès de la science entraînent le renouvel-
le ment et le remplacement de machines et d'un matériel
qu'on croyait devoir durer de longues années encore. Dans
un discours qui précéda le vote de Tenquète sur le Muni-
cipal Trading, M. Arthur Balfour se demandait ce qui ad-
viendrait, dans le régime du municipalisme, si les systèmes
actuels d'éclairage et de transport venaient à être profon-
dément modifiés par les découvertes de la science qui trans-
forme incessamment toutes choses. « En pareil cas, tant pis
pour la Compagnie concessionnaire ! disait M. Cheysson,
mais avec la régie municipale, Taléa de ces éventualités
retombe sur les contribuables, non sans de fâcheux retards
dans Tapplication de ces progrès et dans le bénéfice qui
devrait en résulter pour les consommateurs. » L'objection
est très grave et les municipalistes en sentent parfaitement
l'importance. Mais ils ont confiance dans leur bonne étoile,
et surtout dans la force du monopole, qui seul peut les
sauver de la ruine, au prix il est vrai de la plus grande gène
du consommateur.
Nous venons de voir à quels dangers on expose une in-
du strie en la municipalisant ; ces dangers, sérieux déjà
pour les industries qui font Tobjet d*un monopole, appa-
r aissent beaucoup plus graves lorsqu'il s'agit d'industries
généralement soumises au régime de libre concurrence ;
or les municipalités anglaises tendent justement à muni-
cipaliser les secondes aussi bien que les premières. Comme
DE LESPRIT D*ENTREPRI8E b'ji
nous le disions tout à l'heure, les résultats de cette poli-
tique ne seront pas sans quelque analogie avec ceux d'un
système douanier protecteur, c*est-à-dire que le prix des
marchandises augmentera et que le consommateur verra
diminuer les chances qu'il a de se procurer l'article qu*il
considère comme lui convenant le mieux. Comme le
disait Stuart Mill, u l'Etat en excluant ou en remplaçant
l'action des particuliers substitue aux meilleurs agents des
agents moins capables, ou tout au moins substitue sa ma-
nière défaire les choses à Tinfinie variété des méthodes qui
seraient essayées par un certain nombre de personnes éga-
lement capables et tendant au même but : concurrence
infiniment plus favorable au progrès que tout système uni-
forme » (1).
(1) Stuart Mill^ Principes d'Economie politique, liv. V, chap. XI, § 5^
576 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE VIII
tout ce qu'il a à faire. Une Compagnie d'assurance prudente
préférerait assurer sur la vie un premier ministre plutôt
qu'un chairman municipal, à supposer que ce chairman
montrât quelque tendance à faire son ouvrage bien et sérieu-
sement. »
Pour qu'un municipaliste avéré, comme Test JM. Bernard
Shaw, fasse un pareil aveu, il faut que vraiment les muni-
cipalités soient débordées de besogne. Mais il est vrai,
d'autre part, que rien n'est si facile que de siéger dans ud
conseil municipal et de n*y rien faire. On dit souvent que
la Chambre des Communes est le club le plus agréable de
Londres ; il serait bien plus vrai de dire qu'un conseil
municipal est, pour la plupart de ses membres, le meilleur
club auquel ils puissent prétendre. » Un conseiller peut être
profondément paresseux et être en même temps, je ue dis
pas seulement populaire parmi ses collègues, mais pourvu
qu*il ait quelque facilité de parole, parmi les contribuab les
aussi. Il passe pour un homme très occupé, alors qu'il n'e st
qu'un homme qui aime la société, assiste à toutes les réu-
nions des comités et n'y fait rien. »
Bernard Shaw est forcé de constater qu'il n'y a pas
moyen de forcer à travailler un conseiller municipal qui
ne veut rien faire ; sur ce, il demande si la communauté
n'aurait pas intérêt à donner un traitement à ses conseillers.
Mais ici le socialiste qu'est M. Shaw laisse passer le bout de
Toreille. Il se livre à une critique sévère du conseiller
bourgeois auquel il reproche son avarice sordide et son
exclusivisme de commerçant, et du conseiller, membre de
l'aristocratie, auquel il reproche son indiiïérence et son igno-
rance des besoins populaires. Puis, passant au conseiller ou-
vrier, il nous dit que la concession d'un traitement convena-
ble, en enlevant toute force au reproche qu'on adresse si
DE l'aUGBIENTATION DES FONCTIONS b'j'J
souvent aux candidats sans fortune de ne rechercher le siège
de conseiller que pour des motifs intéressés et des besoins
d'argentyleur permettrait d'acquérir cette préparation à la vie
publique, sans laquelle ils risquent d*ètre socialement dange*
reuxenproportion directede leurtalent etde leur conviction.
Les Labour représentatives sont, suivant Bernard Shaw,
d'excellents conseillers; d'abord parce qu'on n'est pas indul-
gent pour eux ; ensuite parce qu'ils prennent en général leur
tâche publique très au sérieux, n sont libres de cette pression
sociale qui, parmi les hommes d'affaires de la classe moyen-
ne, conduit à tant de tolérance réciproque des petits tripota-
ges et irrégularités vénielles ; ont l'indépendance des per-
sonnes qui exercent des professions libérales sans avoir leurs
préjugés de classe ; sont exceptionnellement sensibles à la
dignité de la sobriété et d*une existence respectable ; et
payant ordinairement des loyers inclusifs (c'est-à-dire des
loyers dont le total comprend à la fois la location du logis et
le montant des impôts), ne repoussent jamais de propos
délibéré l'exécution d'un travail public nécessaire, sous
prétexte qu'elle pourrait enti*a!ner un supplément d'impôt
de un huitième de penny par £ ».
A côté du Labour Member siège le petit boutiquier dont
rhorizon limité se borne à vouloir maintenir les impôts au
taux le plus bas possible et à mettre des bâtons dans les
roues à toutes les entreprises municipales. Si nous en
croyons M. Shaw, ce petit boutiquier exerce dans la vie
municipale une influence tyrannique. Tandis qu'il est pres-
que impossible de faire voter les ouvriers et les gens riches,
le travailleur manuel et le Cityman qui, a rentrant le soir
fatigués chez eux, ne veulent pas ressortir par l'âpre obs-
curité de novembre pour aller à pied dans la boue, jusqu'au
bureau de vote, à la requête de ce fléau enthousiaste qu'est
Boverat 31
578 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE VIII
Tagent électoral ». le petit boutiquier qui n'a pour votera
n'importe quel moment de la journée qu'à quitter quelques
instants sa boutique, met dans Turne le nom de Tun de ses
confrères, boutiquier comme lui, dont Tapathie du c^rps
électoral permet le facile triomphe.
Ce tableau n'est pas sans renfermer une part de vérité ;
une grande partie des hommes intelligents et capables De
s'occupent pas des élections municipales ; mais si le petit
boutiquier manque parfois de largeur dans les idées, son
action sociale nous parait moins dangereuse cependant que
celle de l'ouvrier dont l'enthousiasme ignorant risque de
provoquer les pires désastres.
Si des partisans militants du ^Socialisme municipal
comme Bernard Shaw reconnaissent que la composition
des conseils municipaux laisse souvent à désirer, qu'en di-
ront des personnes hostiles au Municipalisme, comme le
correspondant du Times^ ou simplement impartiales, com-
me le major Darwin ?
Le Municipal Trade, dit ce dernier (1), entraine pour les
autorités locales un surcroît d'ouvrage énorme qui a pour
double conséquence : 1*" de diminuer le temps que les as-
semblées municipales peuvent consacrer à leurs devoirs es-
sentiels ; 2« d'abaisser le degré moyen de capacité adminis-
trative des autorités locales, en augmentant la répugnance
des hommes occupés déjà par leurs propres affaires à don-
ner leur temps aux affaires publiques. Aujourd*hui comme
autrefois, Ton continue sans doute à voir une foule de per-
sonnes désireuses de siéger dans les conseils des grandes
villes ; mais il n'en est plus de même dans les districts moins
importants. Le désir que ressent un homme de devenir con-
(1) Darwin, Municipal Trade, p. 101.
DE L AUGMENTATION DES FONCTIONS 671)
seiller n est pas une garantie suffisante de sa capacité. Il se
peut que riiomme oisif, le commerçant retiré des affaires,
quel que soit le travail ou le temps qu*on exigera d'eux,
soient toujours disposés à offrir leurs services. Mais ce n'est
pas d'eux qu*on a le plus besoin ; ce qu'il faut aux corpora-
tions, ce sont des commerçants ou des personnes exerçant
une profession libérale, jeunes encore, actifs et capables. Ce
sont précisément ceux-là que l'augmentation d'ouvrage dont
on accable les assemblées municipales, va effrayer. Déjà
Ton constate chez les hommes des classes dirigeantes, sans
distinction d'ailleurs de métier ou de profession, une ten-
dance à s'abstenir de prendre part à l'administration publi-
que de nos grandes cités. Or ce sont eux justement dont la
présence est la plus nécessaire, une fois qu'on s'est lancé
dans la voie du Municipal Trade ; plus ils seront rares
dans les conseils municipaux, moins les autorités locales se
montreront capables de bien gérer leurs entreprises indus-
trielles et commerciales.
Il est d'autre part évident que la création de tout nouveau
service a pour résultat de diminuer le temps dont dispo-
saient jusque-là les autorités locales pour l'accomplissement
de leurs devoirs essentiels, à moins d'augmenter soit le
nombre total de leurs heures de travail, soit le nombre de
leurs membres. Il n'y a rien d'impossible à cela ; mais l'ap-
plication d'une telle méthode aboutirait probablement à faire
élire aux assemblées locales des hommes encore moins capa-
bles en moyenne d'administrer les affaires de la commune
que ceux qu'on élit actuellement; citant Bernard Shaw,
nous disions tout à l'heure qu'on obtiendrait peut-être plus
de travail et plus de services des conseillers municipaux,
en leur accordant un traitement; M. Darwin n'est pas de
cet avis ; pour lui, on n'obtiendra rien de bon d'un système
58o TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE VIII
qui consisterait à donner des salaires modérés à des hom-
mes élus pour remplir des devoirs techniques. Le fait que
Ton paye quelqu*un pour remplir une besogne ne prouve
pas qu'il la fasse bien : les députés français qui touchent un
traitement aujourd'hui fort convenable, ne travaillent pas
mieux, tant s'en faut, que leurs collègues anglais qui n'en
touchent aucun ; il n'a pas été donné de constater jusqu ici
que la capacité des premiers augmente en raison des éléva-
tions de traitement qu'ils s'accordent si facilement.
Le Times est encore plussévère dans ses appréciations (L.
La question se pose de savoir, dit il, si la capacité du
personnel des conseils municipaux s'est accrue dans la
même proportion qu'ont augmenté les devoirs et les respon-
sabilités qui incombent aux administrateurs locaux sous le
régime du nouveau municipalisme.
Personne ne niera que lorsqu'une municipalité se propose
degérer une entreprise commerciale, ses membres devraient
faire preuve d'un degré d'intelligence et de capacité qui leur
permette de supporter aisément la comparaison avec les
directeurs de ces grandes Compagnies que le socialisme
municipal brûle de supplanter. De fait, le représentant du
nouveau municipalisme devrait même faire preuve d'une
intelligence et d'une capacité relativement beaucoup plus
grandes ; car, tandis que l'homme d'affaires ordinaire re-
garde comme une tâche largement suffisante la direction
d'un réseau de tramways, d'une usine à gaz ou d'un secteur
électrique, ne suppose-t-on pas au contraire le conseiller
municipal d'aujourd'hui capable de contrôler des entreprises
de ce genre en nombre inHni et de veiller en outre à des
intérêts publics de toute espèce ? Qu'importe qu il n'ait de
(t) Voir le Times, 8 septembre 1902.
DE l'augmentation DES FONCTIONS 58 1
toutes ces matières à son arrivée au conseil aucune connais-
sance pratique et qu'il ne doive être membre de ce corps
que quelques années seulement ! Du seul fait que la majo-
rité des électeurs de sa circonscription a porté ses voix sur
lui, il se trouve soudain revêtu de la capacité qu'exige Tex*
ploitation d'une usine à gaz, d*un tramway, ou d'un réseau
téléphonique. Viendrait-il à demander, dans la vie ordinaire
des affaires, qu'on lui confie la direction de l'une quelcon-
que de ces entreprises, la première question qu'on lui po-
serait serait: quels titres avez-vous à faire valoir? L'on
imagine quelle réponse lui serait faite s'il avait à confesser
quMl n'est en quoi que ce soit préparé à remplir cet emploi
ou que le seul titre qu'il puisse invoquer pour obtenir la
direction d'une usine à gaz est qu'il a jadis été mêlé à des
affaires de tramways.
Le rôle du conseiller municipal devenant de jour en jour
plus difficile, il est extrêmement important, pour le bien
même du pays, que les hommes d'affaires les plus capables
ne renoncent pas à prendre part à Toeuvre du gouverne-
ment local. Plus que jamais, il est à désirer, sous le régime
du nouveau municipalisme, qu'ils se joignent aux corps
locaux, qui ont tout spécialement besoin de leur aide.
S'ils ne trouvaient malheureusement pas toujours le temps
de le faire quand l'autorité locale se contentait d'entretenir
le sol des rues et de construire les égouts, n'hésiteront-ils
pas bien davantage encore» dans les conditions actuelles,
à poser leurs candidatures ?
Sans parler du sentiment d'hostilité que ressentira tou-
jours tout commerçant ou industriel à l'égard d'une mu-
nicipalité qui vient lui faire concurrence et diminuer ses
gains, en créant un service public nouveau, analogue à
celui dont l'exploitation constituait son métier, d'autres
58a TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE VIII
considérations peuvent Tempécher de chercher à se faire
élire conseiller. Tel grand manufacturier qui, grâce à ses
aptitudes et à la pratique qu'il a des affaires, serait en
état de rendre de grands services en qualité de membre
d'une corporation aux tendances commerciales, se sentira
peu disposé à sacrifier non seulement son temps, mais
aussi les contrats qu'il pourrait obtenir en restant hoi?
du conseil ; contrats auxquels il devra renoncer une fois
élu à ce corps. Le nombre des marchés de travaux publics
augmente à chaque extension de l'entreprise municipale,
et nous avons noté la tendance croissante que manifestent
certaines municipalités à les réserver aux entrepreneurs de
la localité même. Il arrivera et il est arrivé déjà, dans ie
nord de l'Angleterre notamment, que ces marchés de tra-
vaux ou de fournitures, passés avec des entrepreneurs ou
des commerçants membres du conseil municipal, fassent
naître des difficultés, pour ne pas dire des scandales.
Là ne se bornent pas les inconvénients qu'il peut y
avoir à rechercher la situation de conseiller. Le Times { I )
raconte l'histoire d'un grand manufacturier, homme intel-
ligent et actif, que l'opposition des chefs des trade-unions
locales fit échouer aux élections municipales. Tout le temps
de la campagne électorale, il fut violemment attaqué, non
seulement pour ses opinions et son programme politique,
mais jusque dans la gestion de ses propres affaires et dans
sa vie privée. L'exemple n'est pas nouveau, et le fait n'est
pas isolé ; nous en voyons couramment en France de sem-
blables. Cette élection eut pour résultat, non seulement de
laisser sur le carreau un homme capable, mais de dégoûter
dans la région tous les hommes d'affaires de se représenter
(1) Le Times, 8 septembre 1902.
DE l'aUGIIBNTATION DES FONCTIONS 583
aux élections locales ; si bien que le conseil municipal de
la ville où le fait se passait, après s'être lancé à corps perdu
dans toutes sortes d'entreprises aux risques et aux frais
des contribuables, se trouve aujourd'hui composé de sol-
licitors qui regardent la politique locale comme un moyen
de se faire connaître et de gagner plus d'argent, ou de di-
recteurs de trade-unions qui n ont qu*une idée : augmenter
les salaires et le nombre des employés municipaux.
Que faut-il conclure de tout ceci ? Sinon que la capacité
des conseillers a tendance à diminuer plutôt qu'à s'ac-
c roi tre, à mesure que les autorités publiques s'occupent
davantage d'entreprises commerciales. Le succès ou Téchec
de ces entreprises dépendant presque exclusivement de la
direction qu'on leur donne, nous discutons là un problème
qui mériterait, semble-t-il, de la part des partisans du Mu-
nicipal Trading, autant d'attention qu'il en reçoit de ses
adversaires.
Du fait même que l'administration de ces communes
nouveau genre entraine la conclusion de tant de contrats
importants, Temploi de tant de travail et l'application sur
une si vaste échelle des principes fondamentaux du socia-
lisme intégral, nombre de personnes cherchent à s'intro-
duire dans les assemblées municipales qui ne les considèrent
que comme un moyen d'avantager^ aux dépens des autres,
la classe dont ils font eux-mêmes partie, et d'encourager
sous toutes les formes possibles l'expansion de Tidée
socialiste.
Les hommes capables s'en vont, d'autres qui le sont
beaucoup moins les remplacent ; car Télément modéré et
Télément socialiste ont peine à vivre ensemble, non. seule-
ment pour des raisons politiques, mais pour toutes sortes
d*autres raisons. Comme on Ta très judicieusement fait ob-
584 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE VIÏI
server: « Comment le public peuMl espérer que des hom-
mes qui ont atteint des positions hautes et influentes, con-
sentent à devenir membres de corporations où ils auront à
fréquenter d'autres hommes qui n*ont aucun sens de la
logique, qui ne sont parlementaires ni dans leur langage,
ni dans leurs manières et qui n*ont pas une idée en dehors
de leurs propres fins égoïstes ? »
Le croquis suivant donne une idée assez exacte du type
de conseiller ouvrier socialiste, fréquent aujourd'hui dans
les assemblées municipales (Voir le Social Democrat, nu-
méro de décembre 1900, citant un article du Blackburn
Weekly Telegraph),
(( Le conseiller X... a joué dans sa vie bien des rôles;
jadis ouvrier carrier, il a creusé dans la pierre ; à présent,
il creuse dans le grand livre de la municipalité. Son seul
moyen d'existence connu est une place de secrétaire de la
section locale de Tunion des travailleurs du gaz, qui ne lui
demande pas grand travail, mais ne lui rapporte aussi que
peu d'argent. Ses triomphes populaires n'ont pas apporté
beaucoup de grain à son moulin ; il ne connaît que trop ce
manque de sous qui ^knt tant les hommes publics (this
lack of pence that vexes public men). Nous doutons fort que
Tom X.., ait jamais gagné 30 s. par semaine. L*autre soir
pourtant, nous l'avons entendu faire de Tœuvre municipale
accomplie durant l'année et considérée d*un point de vue
socialiste, un résumé qu'aucun autre membre du conseil
n'aurait pu faire avec plus de lucidité de style, de bon sens
et d'ironie enjouée. »
Nous ne doutons pas que le conseiller en question ne
mérite les louanges qu'on lui décerne etquil ne soit lui-
même un excellent homme. Et pourtant la première idée de
toute personne impartiale ne sera-t-elle pas qu'un homme
DE L* AUGMENTATION DES FONCTIONS 585
qui n*a jamais gagaé 30 s. par semaine ne possède peut-
être pas cette connaissance pratique de la finance et de la
direction des affaires industrielles, qui le désignerait tout
naturellement pour gérer ou exécuter ces grandes entre-
prises auxquelles Blackburn n'est pas restée étrangère? Le
conseiller X... n*est pas une exception et, sans mettre le
moins du monde en doute Thonnêteté ou la sincérité des
hommes de son genre, la question se pose pourtant de
savoir si l'on peut, en pleine confiance, leur laisser la ges-
tion des finances municipales au moment précis où elle
devient de plus en plus difficile.
On répond souvent à cette objection qu*on peut se fier
aux autres membres du conseil pour veiller à ce que les
hommes de la classe en question ne soient pas nommés des
comités où ils pourraient faire quelque mal, ou pour les
tenir en échec s'ils arrivaient à s'y faire nommer. Cette ré-
ponse n'en est pas une ; elle ne vaut rien pour les munici-
palités avancées presque entièrement composées de socia-
listes et dans lesquelles les membres des partis extrêmes
sont justement ceux qui ont le plus de succès (Poplar et
West Ham par exemple) ; elle ne vaut rien ensuite, parce
qu'en admettant que l'emploi de ce procédé fût possible, il
aboutirait à faire retomber sur les épaules des membres les
plus capables du conseil tout le poids des affaires publiques,
solution aussi injuste en elle-même que peu pratique en
réalité.
Qu'arrive-t-il forcément? C'est que la création de tant
d^entreprises municipales, le fardeau supplémentaire sous
le poids duquel plient les conseillers les plus capables,
l'élection aux corps locaux d'individus que leurs occupa-
tions antérieures n'ont en quoi que ce soit préparé à la di-
rection ou au contrôle des grands services industriels, au-
586 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE VIII
roat pour résultat de rejeter de plus en plus les devoirs du
gouvernemeat local sur les fonctiounaires de la commune
et de créer une bureaucratie municipale dont la formation
constitue tout le contraire d*un progrès. A chaque fois que
Ton fonde un service nouveau ou que Ton en agrandit un
ancien, il faut bien augmenter soit le nombre, soit Tauto-
rite des fonctionnaires communaux ; le moment approche
où la bureaucratie anglaise soutiendra victorieusement
peut-être la comparaison avec celle des pays du continent.
Demandons-nous à présent de quelle façon on choisit
ces fonctionnaires auxquels on confiera dorénavant le plus
clair de Touvrage ? Demandons-nous à quel mode de recru-
tement on s'est rallié et quelles garanties on offre aux ad-
ministrés ?
Qu'il s'agisse d'entreprises particulières ou d'entreprises
municipales, il est certain que dans un cas comme dans
l'autre le favoritisme ne manquera pas déjouer un rôle et
de produire de mauvais effets ; mais il est certain aussi
qu'il a beaucoup plus de chances de se faire sentir dans le
second cas que dans le premier ; le comité directeur d'une
entreprise municipale se souciant bien moins de son succès
final qu'une assemblée d'actionnaires (i).
Le favoritisme n'est pas, croyons-nous, le seul danger
de l'entreprise municipale ; son extension nous en fait pré-
voir un plus grave : nous voulons parler de la modicité des
traitements que les municipalités offrent aux directeurs de
leurs entreprises, quand on les compare à ceux que peu-
vent obtenir dans l'industrie privée des hommes actifs et
intelligents. Une première sélection va se faire d'elle-même
qui n'est pas avantageuse aux municipalités : sachant qu'ils
(1) Voir Darwin, Municipal Tradt, p. 151, 152 et 453.
DR L*AUGMENTATION DBS FONCTIONS 587
peuvent trouver mieux autre part, les ingénieurs et les ma-
nagers les plus capables ne chercheront pas à entrer au
service des corps locaux.
L'industrie particulière leur donne en eiïet des traite-
ments plus élevés; le directeur d'une entreprise particu-
lière n'hésite pas à augmenter les salaires des principaux
employés, lorsque cette augmentation lui permet d'en obte-
nir de plus capables et d'accroître le chiffre de ses profits
bruts ; et il sait à peu près dans quelle mesure il a intérêt
à le faire.
Les conseils municipaux, au contraire, ne paraissent pas
se bien rendre compte de l'avantage qu'ils auraient à em-
ployer des fonctionnaires largement payés ; souvent même,
c'est un moyen pour leurs membres de se rendre populai-
res que de s'opposer à la concession de gros traitements.
C'est un fait universellement reconnu que les démocraties
ont tendance à donner à leurs fonctionnaires principaux des
traitements bien inférieurs à ceux qu'ils toucheraient dans
l'industrie privée pour remplir une tâche analogue. Plus
importante est la position, plus on surveille jalousement
l'augmentation du traitement. Le journal le « Labour Lea-
der » (1) parle des conseillers socialistes de Wolverhamp-
ton qui savent combiner harmonieusement et efficacement
leurs efforts pour s'opposer à toute augmentation du salaire
des fonctionnaires aussi longtemps que la municipalité ne
payera pas à ses ouvriers le « standard rate of wages » ;
ces conseillers ne se rendent apparemment pas compte le
moins du monde, que les classes ouvrières souffriront au-
tant que les autres de la mauvaise gestion des municipal
trades.
[\) Volr^Times, 8 septembre 1902.
58S TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE VIII
Puisqu^en moyenne les salaires des hauts fonctionnaires
municipaux sont légèrement inférieurs à ceux que touchent
ries personnes qui remplissent dans Tindustrie privée des
fonctions analogues, force nous est bien de conclure, qu*à
moins de supposer que les directeurs des entreprises par-
ticulières se connaissent moins bien en affaires que les con-
seillers, les profits nets des municipal trades sont moindres
actuellement quMlsne le seraient si Ton consentait adonner
des traitements plus élevés.
A noter encore, entre autres effets du régime bureau-
cratique qu'est celui des conseils municipaux, la tendance
qu'ils ont à adopter le système d'avancement à Tancien-
neté, système qui rend plus difficile aux hommes les plus
capables l'accès aux plus hautes positions. Par crainte de
provoquer en séance publique du conseil des discussions
fâcheuses, on fait avancer tout le monde de façon uniforme.
L^absence de discussions publiques facilite dans l'industrie
privée Tavancement au choix et permet en conséquence
d'obtenir à meilleur compte une exploitation plus efficace.
Ce n'est pas que nous niions les avantages delà publicité;
elle en possède de très certains, peut dans certains cas
faire cesser les tripotages et garantit les fonctionnaires
contre tout traitement brutal et grossier.
L'instabilité du personnel constituera le dernier vice du
système municipal ; elle n'en est pas le moindre ; c'est
un fait constant que les fonctionnaires municipaux occupent
généralement moins longtemps le même poste que les
fonctionnaires similaires de l'industrie privée. Cette insta-
bilité s'accentue d'autant plus que le pays vit sous un ré-
gime plus démocratique. Elle est si grande aux Etats-Unis
qu'ilexiste un mot spécial pour la désigner : le spoil systeni,
le système des dépouilles au vainqueur, possède aujour-
DE l'augmentation DES FONCTIONS 689
d'hui rapprobatioQ des politiciens de tous les pays (1).
Daas son livre sur les monopoles municipaux, M. Bemis,
quoique partisan, nous dit-il, de l'extension de la propriété
publique, constate que, d'après des rapports officiels qui
vont de 1882 à 1896, le personnel des waterworks change
constamment.
Quand bien même les mauvais résultats d'un pareil sys-
tème ne se feraient pas encore sentir en Angleterre actuel-
lement, le germe en existe pourtant qui n'attend qu'une
occasion favorable pour se développer. Le triomphe du
parti socialiste aux élections législatives pourrait bien être
cette occasion.
La croissance des entreprises municipales, tant en nom-
bre qu'en importance, et la moindre capacité des nouveaux
élus aboutissent, on le voit, à créer une bureaucratie dont
le pouvoir augmente chaque jour et dont les membres se-
ront bientôt les véritables chefs de l'administration des allai-
res locales. Autant et plus peut-être que les conseils muni-
cipaux, c'est cette bureaucratie qui favorise l'expansion du
municipalisme ; car elle sait qu'elle ne peut que gagner à
tous égards, que ce soit au point de vue politique ou au
point de vue pécuniaire, au développement illimité des ser-
vices publics. Mais chaque fois qu'elle étend plus loin su
puissance, l'industriel ou le commerçant peut se dire qu'on
vient de fermer un débouché à son activité, et le contribua-
ble se préparer à solder des impôts dont le taux aura aug-
menté de quelques deniers par £ depuis la fin de l'année
précédente.
(1) Voir Lerot- Beau LIEU, LElat moderne el$es foncliom, p. G6.
CHAPITRE IX
risquils et profits.
Plusieurs des chapitres de la première partie de ce volume
ont été consacrés à Tétude pratique des résultats financiers
des régies municipales. Tl nous a été donné de constater que
leurs bilans se soldent tantôt par des bénéfices et tantôt par
des pertes, et de noter que les municipalités tirent de Texis-
tence ou de la possibilité de ces bénéfices un de leurs argu-
ments les plus sérieux en faveur du Municipal Trade. Lais-
sons à présent les chiffres de côté et voyons d'un point de
vue théorique quel succès on est en droit d'attendre des
entreprises municipales. Considérons les résultats obtenus
jusqu'ici et demandons-nous dans quelle mesure on peut se
fier à ces résultats passés pour fixer la ligne de conduite à
suivre à l'avenir.
Et d'abord que faut-il entendre exactement par ce mot
« profit » ? Tl est important de le bien définir avant de nous
engager dans la discussion qui va suivre.
Prenons, si l'on veut, le cas d'une municipalité qui pos-
sède une usine à gaz ; cette municipalité va retirer de la
vente de son gaz un certain revenu ; au moyen de ce revenu
elle payera les dépenses d'exploitation, c'est-à-dire lestrai-
tements de ses fonctionnaires, les salaires de ses ouvriers
et le coût des matières premières. S'il lui reste quelque
chose une fois ces paiements faits, ce reste ou ce surplus
RISQUES ET PROFITS 69 1
s'appellera profit brut, en anglais» gross profit ». Ce profit
brut équivaut par conséquent au dividende annuel que tou-
chent, dans des conditions normales, les actionnaires d'une
Compagnie, à supposer que cette Compagnie n'ait pas d'in*
térèts à payer ou. de dette à rembourser. Prouver que l'usine
à gaz municipale a réalisé un profit brut ne suHira pas à
démontrer que cette entreprise constitue un succès financier.
Car, sur ce profit brut Tautorité locale devra payer l'intérêt
de la dette qu'elle a contractée pour construire ou acheter
son usine à gaz et pourvoir, au moyen d*un sinking fund, au
remboursement de cette dette. Si pourtant, après avoir
pourvu non seulement aux dépenses d'exploitation, mais au
remboursement du capital et au paiement des intérêts, il lui
reste encore un surplus, ce surplus sera son profit net : c'est-
à-dire le bénéfice net que la municipalité commerçante aura
retiré de l'exploitation de son entreprise et qu'elle versera
tout entier dans les caisses publiques. Au contraire, il y aura
perte lorsqne l'entreprise n'aura pu faire face à tous les
frais que nous venons d'énumérer (i).
Comme le fait très judicieusement remarquer le major
Darwin, il est nécessaire d'insister sur ce fait qu'il s'agit
d'une comparaison entre deux méthodes et qu'il faut tou-
jours envisager les deux côtés de la question. Il nous
faut considérer non seulement le chiffre des recettes qui
tombent dans les caisses municipales lorsqu'on municipalise
une industrie, mais aussi ce qu'auraient été ces recettes si
Ton avait laissé cette industrie aux mains des particuliers.
Pour nous faire mieux comprendre, prenons un exemple,
et voyons ce qui se passe en matière d'impôts. Quand Tusinc
H gaz appartient à la municipalité, le paiement des impôts
(i) Voir le chapitre VII de Touvrage du major Darwin auquel nou&
empruntons la plupart des arguments qui suivent.
bQ'Jt TUOIS1F.ME PAKTIE. CHAPITRE IX
qui frappent cette usine équivaut à un simple transfert d'ar-
gent d*un compte municipal à un autre. Puisqu'il ne s*a«:it
que d'une simple opération d'écritures, pourquoi ne pas la
supprimer purement et simplement ? La tentation est forte
et bien des corps locaux y ont succombé (1).
. Ainsi, quand bien même une municipalité n'aurait rien
gagné du tout à se charger de Texploitation du gaz, il lui
serait cependant possible d'accuser un profit net considéra*
ble rien qu'en omettant de faire payer les impôts à ses pro
près usines. Mais ceci n'est qu'un artifice de comptabilité
qui n'est pas défendable, et cet exemple nous fait bien voir
q u'il ne suffit pas de montrer qu on a réalisé un profit net
pour prouver que la municipalisation constitue un succès
financier.
A côté des dépenses d'exploitation, en général beaucoup
plus fortes dans les industries municipalisées que dans les
industries privées, et des impôts que les municipalités ne
font pas toujours payer dans leur plein à leurs propriétés,il
nous faut, dans la comparaison que nous cherchons à éta-
blir, tenir compte d'un élément beaucoup plus important :
nous voulons parler des rentes oufredevances souvent consi-
dérables que payent aux autorités locale.s des Compagnies
particulières,parexempledesCompagniesde tramways, pour
(t) C'est ainsi que M. J. P. Elms, secrétaire de TAssociation des
contribuables de Newport, déclare que la municipalité de son borougb
possède une usine électrique coulant k peu près £ 100.000, cequi,au
taux de 4 ^/q, donnerait une valeur imposable (a net rateable value
de £ 4.000.
Cette usine ne figure actuellement sur le registre des contributions
que pour £ 432, mais on cbercbe k imposer vingt fois plus la Com-
pagnie locale du gaz, entreprise particulière dont la concurrence
gène la vente de Télectricité communale (Voir Lord Avbbury, On
Municipal and Nalional Trading ^ p. 66).
RISQIJES ET PROFITS ÔqS
avoir le droit de faire circuler leurs voitures sur les voies
publiques. Les villes qui exploitent en régie ne touchent
naturellement pas de redevances de ce genre.
Pour se faire une idée à peu près exacte des résultats
auxquels aboutit la nounicipalisation, il faut donc débiter
les comptes des industries municipalisées, non seulement
(les impôts locaux payés dans leur plein, mais procéder
aussi à une estimation des redevances qu'on eût pu de-
mander aux Compagnies concessionnaires, et de la valeur
en argent de tous les services qu'on aurait pu les forcer à
rendre gratuitement ; déduire enfin les totaux auxquels
on est arrivé à la suite de ces estimations, des profits nets
que réalise la municipalité. Ce n'est qu'alors qu'on pourra
se rendre compte de l'avantage que la communauté retire
de lamunicipalisation des diverses industries dont elle a la
direction.
Jusqu'ici notre comparaison n'a porté que sur cette por-
tion des recettes brutes qui, lorsque l'entreprise appartient
à des particuliers, sert à faire face soit aux dépenses d'ex-
ploitation, soit au paiement des redevances ou autres ser-
vices à rendre à la municipalité. Il nous reste à voir main-
tenant si, par la municipalisation d'une industrie quel-
conque, on peut retenir au bénéfice du public la portion
restante de ce profit brut, celle qui dans les Compagnies
est payable en dividendes et en intérêts, aux actionnaires
et aux porteurs d'obligations.
En essayant de résoudre cette question, nous sommes
amenés à en traiter du même coup deux autres très impor-
tantes : la première est celle du risque inhérent à toute
entreprise commerciale; la seconde consistée savoir si,
comme on le dit souvent, les profits des entreprises muni-
Boverat 38
5g4 TROISIÈMB PARTIE. CHAPITRE IX
cipales sont dus au taux d'intérêt peu élevé auquel les
municipalités trouvent à emprunter.
Commençons par la question du risque commercial :
quand une municipalité entreprend Texploitatioa d'une
entreprise quelconque, elle peut soit créer cette entreprise
de toutes pièces, soit acheter quelque entreprise déjà exis-
tante. Supposons qu'on se trouve dans le dernier c^s et
que la Compagnie que Ton rachète ne paye pas de rede-
vance à la municipalité. Admettons que rexploîtatîon ne
sera ni meilleure ni plus mauvaise après la mise en régie
qu'elle ne Tétait avant. Au point de vue financier, la com-
munauté aura-t-elle dans ces circonstances quelque avan-
tage à municipaliser cette industrie ?
(( Si, dit M. Darwin, un propriétaire foncier emprunte
sur hypothèque à 3 ^/o une somme d^argent à son banquier,
et qu'avec cet argent il achète des actions de quelque en-
treprise industrielle donnant un dividende de 8 V09 il retire
de Targentqu'il a emprunté un revenu de 5 Vo> aussi long-
temps que dure cette heureuse situation de ses affaires.
Mais si, au lieu de spéculer sur cette valeur spéciale, il
place la somme qu'il a empruntée en obligations de che-
mins de fer rapportant 3 Yo» il Q^ retirera de son opération
aucun bénéfice. La raison en est évidente. Le public en
quête de placements procède à une estimation du risque
que comporte Tentreprise industrielle en question, et s'il
est possible d obtenir un intérêt de 8 ^'/o en achetant des
actions dans d'autres entreprises qui, croit-on, ne com-
portent pas plus de risques, personne ne voudra payer les
actions de l'entreprise dont nous parlons un prix assez
élevé pour en retirer un intérêt moindre de 8 "/o. L'intérêt
que rapporte telle valeur constitue en fait la mesure du
risque, tel qu'on l'estime dans le monde commercial. Ce
RISQUES ET PROFITS 5g5
que nous venons de dire s'applique spécialement aux va-
leurs industrielles et aux obligations de chemins de fer ;
mais des considérations analogues gouvernent le taux d'in-
térêt que demandera le banquier pour prêter son argent
au propriétaire foncier. En réalité, le banquier estime la
valeur du gage que lui offre le landlord, tout comme le
font les détenteurs d'obligations à Tégard du gage que leur
offre la Compagnie de chemins de fer ; aussi le landlord
doit-il payer à son banquier à peu près le même taux d'in-
térêt que la Compagnie de chemins de fer aux porteurs de
ses obligations. Le landlord ne pourra donc espérer retirer
aucun profit de sa transaction, si, lorsqu'il place de l'ar-
gent qu'il emprunte, il n'accepte pas de courir un risque
plus grand que celui que comporte le gage qu'il offre ; et
plus grand sera le risque qu'il accepte, plus grands seront
ses gains possibles, mais plus grandes aussi ses chances de
pertes.
La spéculation que fait une municipalité, quand elle achète
une usine à gaz à sa valeur marchande au moyen d argent
qu'elle vient d'emprunter sur le marché, est de tous points
semblable à la spéculation du landlord. On ne peut guère
le nier, et s'il en est ainsi, force nous est de conclure qu'on
n'aurait pu retirer le moindre avantage de la municipalisa*
lion de l'usine à gaz, si Ton avait dans le public regardé les
actions de la Compagnie du gaz comme un placement aussi
sûr que la dette de la ville. Car alors l'intérêt que recevaient
les actionnaires de la Compagnie du gaz n'aurait pas été
plus élevé que l'intérêt que paye la ville à ses créanciers ;
et la municipalité devrait payer en intérêts sur les sommes
qu'elle a empruntées pour acheter l'usine à gaz une somme
égale à celle qu'elle touche sous forme de profits. Ils'en suit
donc, conclut M. Darvin, qu'on ne peut accroître les rêve-
5g6 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE IX
nus muncipaux qu'à condition de se charger d'entreprises
dont l'exploitation comporte quelques risques.
Si, pour réaliser un proiit, la municipalité doit consentir
à courir un risque, il n*en est pas moins vrai que son pres-
tige plus grand,prestige qui provient sans doute de ce qu'elle
peut étendre plus loin que des Compagnies particulières et
parmi un public plus nombreux le champ de ses opérations
financières, lui permet de contracter ses emprunts à un taux
plus bas que celui qu'ont à payer des Compagnies, touteques-
tion de risque mise à part ; et que ce taux particulièrement
bas nestpas sans influence sur les profits qu'elle peut réali-
ser.Cet argument n*est pas sans renfermer une part de vérité.
Mais ce qu'il faut retenir,c'est que la principale diiîérencequi
sépare ri ntérét que payent les municipalités de Tiatérét que
paye à ses actionnaires une Compagnie particulière, a*a rien
à faire avec le prestige et dépend entièrement des risques
que courent les propriétaires des titres. Il ne fait de doute
pour personne que si un town council, voulant emprunter
de rargent,prévenait que les intérêts de la dette qu'il con-
tracte ne seront payables que sur les profits de Tusine à gaz
à l'achat de laquelle il destine le montant de Temprunt.il lui
faudrait payer un taux d'intérêt plus élevé qu*il ne le fait
pour les dettes municipales ordinaires dont la garantie est
illimitée.
Le prestige de la municipalité n'entre certainement pour
rien dans la comparaison qu'on établit entre ces deux espè-
ces d'emprunts municipaux, et la différence qui sépare le taux
des intérêts payés dans les deux cas provient uniquement
du risque que l'on court de voir les profits de l'usine à gaz
municipale diminuer à l'avenir. Le procédé qui consisterait
à acheter une usine à gaz avec l'argent d'un emprunt
n'ayant pour seule garantie que les profits de cette usine»
RISQUES ET PROFITS 697
présenterait l'avantage de prémunir la ville contre toute
perte au cas où l'éclairage électrique viendrait à détrôner
complètement Téclairage par le gaz. Les détenteurs des
obligations municipales gaz toucheraient alors un taux
d*intérèt moindre qu'au début ; ils supporteraient la perte
à eux seuls. Aussi la municipalité pourrait-elle considérer
letauxdeô ®/o qu'elle avait consenti à payer pour un emprunt
conclu sur la seule garantie de Tusine à gaz (au lieu du
taux de 3 % qu'elle paye à l'ordinaire) comme une assu-
rance contre toute perte que pourrait entraîner à l'avenir
Texploitation de cette entreprise ; car, en consentant à
payer cet excès d'intérêt, elle se décharge de ses risques de
perte sur d'autres personnes.
Si l'on veut bien y réfléchir, c'est précisément à ce résul-
tat que Ton serait arrivé en laissant l'usine à gaz aux mains
des particuliers, puisque les actionnaires eussent été les
seuls à pâtir. De tout ceci, nous pouvons conclure que
lorsqu'on exploite une industrie en régie, une partie des
profits que l'on réalise est eu réalité due à ce fait que la
municipalité néglige de s'assurer contre un risque, contre
lequel elle est tout naturellement assurée aussi longtemps
que l'entreprise reste aux mains des particuliers. « Une
maison de commerce qui cesserait de s'assurer contre
Tincendie pourrait accuser un accroissement correspondant
de profits aussi longtemps qu'il ne se produirait pas de
sinistre : mais serait-elle en droit d'invoquer cette augmen-
tation de ses profits comme une preuve de la sagesse de sa
conduite ? Evidemment non. Est-il plus sage,de la part d'une
municipalité, de se réclamer du montant total des profits de
ses entreprises municipales pour prouver combien elle a
eu raison d'adopter une politique municipaliste? Non,
puisqu'une partie de ses profits n'est due qu'à ce fait qu'elle
598 TROISIEME PABTIG. — CHAPITRE IX
prend à son compte un risque contre lequel elle était autre-
fois garantie. » Le profit statistique n*est souvent qu'un
profit apparent : ce n'est pas toujours un gain réel pour la
communauté.
Du jour où la municipalité se met à spéculer (car la
municipalîsation dun service public n*est pas autre chose
qu'une spéculation), ses gains vont dépendre, comme ceux
de tout spéculateur, soit de son habileté, soit de connaissan-
ces supérieures à la moyenne des autres spéculateurs, soit
aussi et surtout du hasard. Rèçle générale, les municipa-
lités ne font pas, en matière commerciale, preuve d*uQe
extraordinaire habileté ; c'est un fait à constater chaque fois
qu'elles rachètent une entreprise particulière pour la mettre
en régie, qu'elles la payent plutôt trop cher que pas assez.
Cette infériorité qui se montre ainsi dès le début d'une ex-
ploitation ne disparaîtra pas par la suite ; elle ne perdra pas
une occasion de se manifester, qu'il s'agisse d'achat de
matières premières, de matériel ou de vente de marchandi-
ses. Les conseillers municipaux n ont aucune aptitude à la
spéculation, et d'ailleurs la spéculation ne fait pas partie de
leurs attributions. Il ne faut donc pas compter qu^ils seront
plus adroits que la majorité des spéculateurs; en mettant les
chosesau mieux, on peut avancer que la perte ouïe gain au-
quel aboutit la municipalisation de toute industrie est un peu
matière dechance.Ët ceprofit ou cette perte resteront matière
de chance tant que les conseils municipaux n'auront pas reçu
le don de prophétie. L'exemple des villes auxquelles la mu-
nicipalisation d'un service a réussi ne prouve pas grand'-
chose: il n'est pas deux villes qui se trouvent exactement
dans les mêmes conditions ; et d'ailleurs, du jour où, se
fondant sur un grand nombre d'exemples,on s'aperçoit que
les risques qu'il y a à municipaliser telle industrie décrois-
«ISQUES ET PROFITS Sq^
seat, de ce jour là on peut se dire que les chances de retirer
des profits considérables de son exploitation décroissent
également. C'est ce qui s'est produit pour le gaz. Si cer-
taines villes ont pu faire des profits considérables sur leurs
usines à gaz, c'est qu'elles les ont créées ou achetées <\ un
moment où, en agissant de la sorte, elles couraient de gros
risques ; aujourd'hui l'exploitation et le rendement d'une
usine à gaz sont choses dont une longue expérience a fait
disparaître l'incertitude ; les villes qui municipaliseront le
gaz à présent peuvent donc espérer ne pas perdre, mais
elles sont sûres de ne pas réaliser de gros bénéfices.
Revenons au profit, et prenons le cas d'une municipalité
qui réalise des bénéfices sur une entreprise quelconque. La
première question qui se pose est celle-ci : quel emploi
doit-elle faire de ses bénéfices ? Supposons, pour com-
mencer, qu'elle a remboursé toutes les dettes contractées
pour fonder l'entreprise. Va-t-elle faire bénéficier de ce
profit net qu'elle continue à réaliser, le consommateur ou
bien le contribuable ? Le premier sous forme do réduction
des prix, le second sous forme de réduction d'impôts ? Dans
la résolution de ce problème, la corporation éprouvera les
plus grandes difficultés à tenir la balance* égale entre le
contribuable copropriétaire de l'usine municipale et le con-
tribuable consommateur.
Le consommateur peut réclamer ce profit pour cette
raison qu'on n'a formé le Sinking fund, dont l'accumulation
a permis le remboursement de la dette, qu'à l'aide de Tar-
gent qu'il a payé ; toutefois sa réclamation n'est logique
que dans la mesure oiî il a dû payer les marchaadises que
lui vendait la municipalité plus cher qu'il ne les aurait
payées au cas ou ce service serait resté aux mains des par-
600 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE IX
ticuliers ; c est-à-dire en proportion seulement de Timpôt
indirect qu'il a payé de la sorte.
Le contribuable copropriétaire peut, d'autre part, faire va-
loir que le Sinkingfund n a été constitué, et cela dans une
grande mesure, qu'à l'aide des contributions additionnelles
qu'on lui a indûment fait supporter; que la inunicipa-
lisation de l'industrie en question équivalait en fait à une
spéculation où il était seul à répondre des pertes. La spé-
culation ayant réussi, c'est lui qui doit en recueillir les
bénéfices. La question est, comme on le voit, fort difficile
à trancher et, quoi que Ton fasse. Ton est à peu près sûr de
commettre une injustice. Les deux exemples suivants voct
le prouver.
« ANottingham, dit M. Davies (1), la corporation réa-
lise sur la vente de son gaz un profit important, et Tannée
dernière, devant l'un des comités du Parlement, un ma-
nufacturier éminent se plaignait amèrement que les gros
consommateurs fussent obligés de payer leur gaz un prix
exorbitant pour permettre à la municipalité de diminuer le
taux de ses impôts. Le profit réalisé sur la vente du gaz
suffisait, disait-il, à couvrir en entier le coût de l'admirable
Technical IJniversity de Nottingham ; on forçait ainsi les
gros manufacturiers à fournir des facilités d'éducation
simplement extravagantes pour la ville, avec de l'argent
pris dans leur poche pour l'unique raison qu'ils étaient,
pourles besoins de leur commerce, les plus gros consom-
mateurs de gaz. Une semblable manière d'agir revient en
somme à voler le riche pour donner au pauvre.
A Sheflield, au contraire, la corporation, ayant réalisé un
profit sur l'exploitation de ses tramways, propose d'em-
(1) D. H. Davibs, The Cosl of Municipal Trading, p. il.
RISQUES ET PROFITS 60I
ployer £ 12.000 de ceprofitàla réduction des impôts locaux ;
siiioiv, elle serait obligée d'augmenter de 2 d. par £ le gê-
nerai district rate. La population ouvrière qui habite le long
de la route du tramway s'est soulevée à cette proposition.
Ces ouvriers ont dit qu'ils étaient pratiquement les seuls à
se servir du tramway, qu'une diminution du District rate ne
signifiait rien pour eux, que les riches propriétaires seraient
les seuls à en profiter, En réalité l'emploi qu'on proposait
de faire des profits, dans ce cas, revenait à voler le pauvre
pour donner au riche.
Que faire alors ? Faut-il supprimer les profits ? Nous étu-
dierons tout à rheure ce que vaut cette solution. Voyons
auparavant quel usage il convient de faire des profits, tant
que les dettes municipales ne sont encore que partiellement
remboursées, cas aujourd'hui le plus fréquent.
Un certain nombre d'autorités locales sont en état de faire
des profits nets considérables, sans que le prix des produits
qu'elles vendent soit assez élevé pour aboutir à imposer une
taxe sur les objets vendus. Que faut-il faire de ces surplus?
Doit-on les donner au consommateur, au contribuable, où
doit-on les employer à hâter le rachat de la dette munici-
pale?
Ce n'est pas le moment, semble-t-il, d'en faire bénéficier
le consommateur; réduire les tarifs serait dangereux,
puisque ce serait risquer de tarir la source des profits à
venir, profits dont l'existence est absolument nécessaire à
la constitution du Sinking fund. Réduire la dette sera bien
préférable. Ce sera d'ailleurs réduire le risque des contri-
buables, et ces derniers ont un intérêt tout aussi sérieux, s'il
n'est pas tout aussi immédiat, à voir décroître le chiffre de
cette dette qu'à voir diminuer le montant de leurs imposi-
tions.
602 TROISIÈME PAIITIE. CHAPITRE IX
M. Darwin estime que, pour diminuer dans la mesure du
possible la difficulté de ces questions, les antorités locales
devraient généralement fixer le prix des marchandises qu'el-
les fournissent à peu près au niveau de ceux auxquels s'ar-
rêtent les commerçants particuliers. Lorsque le montant des
profits nets le permettrait, on rembourserait les emprunts
un peu plus rapidement qu'on ne le fait à présent. Lorsque
les dettes municipales contractées pour des entreprises com-
merciales seraient entièrement rachetées, on devrait appli-
quer à rallègement des impôts les profits nets même con-
sidérables ; tant qu'elles ne seraient que partiellement
rachetées, une partie des profits nets devrait aller au con-
tribuable et une autre partie hâter le remboursement de la
dette ; mais avant le remboursement de cette dette, on ne
devrait faire que très peu de profit net, et seulement lors-
qu'on aurait rintention d'imposer une taxe ou de retirer une
rente de l'industrie en question.
Nous arrivons enfin à la question que nous posions tout
à l'heure : les profits nets doivent-ils être prohibés ?
Aiin d écarter des municipalités la fâcheuse tentation
qu'elles ont de se lancer dans des entreprises d'un genre spé-
culatif, on a souvent proposé de défendre absolument les
profits ; ou tout au moins Ton a demandé que ces profits ne
servent jamais à diminuer le chiffre des impositions. La
prohibition du profit n'est pas sans provoquer de sérieuses
difficultés, difficultés du genre de celles qu'on rencontre cha-
que fois qu'on veut fixer par des règlements ou par des lois
le taux des prix ou des bénéfices. M. Darwin pense qu'une
méthode qui consisterait à faire absorber les profits par la
réduction des prix aurait sur le commerce les mêmes mau-
vais résultats que ceux qui peuvent résulter de la distribu-
tion de primes considérables aux consommateurs de cer-
UISQUBS ET PROFITS 6o5
laines marchandises. Peut-être objectera-t-on, dit-il, que
les profits sont prohibés dans le municipal trade écossais.
Glasgow s'est toujours conformé à ce principe qu'il faut re-
garder chaque service public comme un compartiment
étanche qui ne doit ni donner d'argent aux autres services,
ni en recevoir d^eux. Les profits que la ville réalise servent
par conséquent à diminuer les tarifs ou à améliorer le fonc-
tionnement des divers services. Cette politique de renon-
cement parait au premier abord sage et équitable puis-
qu'elle permet à chaque citoyen de recevoir une part plus
ou moins grande des bénéfices, suivant qu'il fait plus ou
moins usage des services publics municipaux.
Mais Texemple de Glasgow ne suffit pas néanmoins à
prouver la sagesse de la prohibition ; car Ton ne pourra
pleinement en ressentir les effets que lorsque le rembour-
sement des emprunts municipaux sera plus avancé qu'il
ne Test aujourd'hui.
La réduction exagérée des tarifs, opérée à Taide des pro-
fits, a de réels inconvénients et ne sert peut-être pas, en fin
de compte, les intérêts du consommateur autant qu'on se
l'imagine.
Prenons le cas d'un réseau de tramways par exemple (1).
Supposons que sa dette soit remboursée et qu'on réduise
les tarifs à un taux juste suffisant pour couvrir les frais de
l'exploitation. Quel inconvénient y a-t-il à le faire ? Aucun,
répond ra-t-on tout d'abord. Les tramways auront plus de
voyageurs, les omnibus en auront moins, voilà tout. Il n'y
aurait pas d'objection à faire à cette méthode si l'on avait
la certitude que le service des tramways put faire face à
tous ses besoins nouveaux : extension du réseau, renou-
(1) Voir Darwin, op, cit., chap. XII.
6oS TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE IX
vellement du matériel, sans accroitre le chiflre de ses dé-
penses en capital. Mais il n'est pas de commerce ou d'in-
dustrie qui, dans des conditions normales, n'ait besoin de
temps à autre d'un capital nouveau; chaque fois qu*il en
est ainsi, de fortes raisons conseillent de maintenir les prix
et les tarifs des services municipaux au niveau commercial
ordinaire, alors même que Ton réaliserait sur ces services
de considérables profits. Après le remboursement de leurs
dettes il se peut que les municipalités soient en état d'abais*
ser leurs tarifs de plus de 20 Yo ; mais cette réduction des
tarifs, bien au-dessous du niveau de ceux que sont obligés
de faire payer des particuliers ou des municipalités qui
n'ont pas encore remboursé leurs emprunts, aurait sur Je
commerce en général un eiïet des plus déprimants, pour ne
pas dire des plus désastreux. Une fois que les tarifs au-
raient été réduits de la sorte, il deviendrait très difficile de
faire comprendre au public la nécessité de tarifs plus élevés
dans d'autres circonstances. Une municipalité qui adopte-
rait ce système serait donc moins désireuse d'étendre son
réseau de tramways dans de nouveaux districts, parce que,
pour faire face au service des intérêts et du Sinking fund
du nouvel emprunt, elle aurait à élever ses tarifs et crain-
drait de se le faire reprocher. De même, les compagnies par-
ticulières auraient dans un vaste rayon autour de cette ville,
bien plus de peine à obtenir leurs concessions à des condi-
tions raisonnables ; les entreprises privées comme les en-
treprises publiques souffriraient donc toutes deux de l'ap-
plication de cette méthode. C'est, nous semble-t-il, une
raison des plus sérieuses pour décider, qu'en cas de mono-
pole, c'est au contribuable et non pas au consommateur
que devraient aller les bénéfices des entreprises munici-
pales, une fois le remboursement de la dette achevé.
RISQUES ET PROFITS 6o&
Les profits peuvent être absorbés d'autres manières qu'en
réduction de prix ; en versements à des fonds tels que le
Common Good de Glasgow» par exemple, auquel vont une
partie des profits des tramways. Mais si ces fonds couvrent
des dépenses que payeraient les impôts, en l'absence de ces
fonds, tout versement qui leur est fait, aboutit au résultat
qu'aurait donné l'emploi direct des profits à Tallègement des
impôts ; se sert-on de ces fonds pour payer des dépenses
auxquelles on ne pourrait en aucun cas faire face à Taide
d'impôts locaux, tout versement qui leur est fait sur les de-
niers publics risque de conduire aux pires extravagances.
Aussi nous parait-il très difficile d'imaginer un règlement
qui, prohibant les profits, soit à la fois pratique et inoiïen-
sif. C'est chose imprudente, pour ne pas dire impossible,
que de chercher à diminuer par de tels moyens les tentations
du municipal trade.
Quelques lois que Ion fasse, le municipalisme aura tou-
jours pour résultat de faire courir des risques au contribua-
ble ou au consommateur, et ce qu'il y a de plus intolérable
dans la conduite des municipalités, c'est qu'elles imposent
ce risque à leurs habitants sans même les consulter. Passe
encore pour des objets de première nécessité, du genre de
l'eau, dont tout le monde a journellement besoin en plus ou
moins grande quantité ; mais le cas est tout diiïérent et le
contribuable a vraiment le droit de se plaindre, quand sa
municipalité lui fait courir un risque pour Fonder une entre*
prise qui ne lui sera, à lui particulier, d*aucune utilité ;
c'est dans ces circonstances, semble-t-il, qu'il serait en droit
de demander une compensation qui, logiquement, devrait
prendre une forme pécuniaire, se traduire par exemple par
une réduction d'impôts. Or c'est précisément dans ces entre-
prises, dont l'établissement fait courir de gros risques aux
6o6 TROISIEMB PARTIE. — CHAPITRE IX
contribuables, parce qu'un petit nombre d'entre eux seule-
ment en profitera (il existe bien des villes où Ton ne ren-
contre pas plus de 15 Yo des maisons qui soient pourvues
de Télectricité ou du téléphone), qu'il est impossible d'éle-
ver les prix à un taux suffisant pour qu'ils soient rémuné-
rateurs et permettent de réaliser un profit à l'aide duquel
on pourrait accorder la compensation en question. Le bilan
de ces entreprises se solde très généralement par une perte,
et c'est l'ensemble des contribuables, qui ne profite pas du
service, qui se trouve en payer les frais. Il n'est peut-être
pas de plus sérieuse objection que celle- là à adresser au
Municipal Trade.
Ëst^l d*ailleurs nécessaire de prohiber les profits? Ces
profits seront toujours l'exception, parce que les municipa-
lités, comme TEtat, comme tous les corps publics, auront
toujours tendance à fixer leurs prix plutôt trop bas que trop
haut. La moyenne des électeurs est extrêmement sensible aux
avantages des bas prix ; il n'en comprennent pas les incon-
vénients.Ils ne comprennent pas que toute diminution dans
le prix du gaz, qui n'a pas sa raison d'être dans une dimi-
nution du coût de production, équivaut à une augmentation
des impôts et par conséquent des loyers. Les impôts, ils les
subissent sans murmurer comme si c'était le destin qui en
fixait le taux ; les produits de l'usine à gaz, au contraire,
leur semblent dépendre bien davantage du contrôle des hom-
mes. Les prix ne pouvant rester toujours immuables, les
autorités locales, dans le désir qu'elles ont de se rendre po-
pulaires, les abaisseront bien lorsque leurs proGts tendront
à augmenter ; mais elles ne les élèveront pas quand leurs
bénéfices diminueront, et préféreront se tirer d'affaire en
augmentant les impôts. Les oscillations inévitables du coût
de production tendront par conséquent à provoquer un
RISQUES BT PROFITS 607
mouvement continuel de baisse dans les prix des marchan-
dises fournies par les municipalités ; et quels que puissent
être les inconvénients de cette baisse, il ne paraît pas possi-
ble de l'arrêter ; c'est ce danger qui nous fait craindre que
la limitation ou la prohibition des profits ne soit une me-
sure imprudente.
Nous résumerons cette discussion en disant : qu'il n'est
pas discutable qu'on ne puisse réaliser de gros profits sur
la vente de marchandises de première nécessité, telles que
Teau, ou simplement utiles à une grande partie des mem-
bres d'une communauté telles que le gaz et Télectricilé :
mais nous rappellerons quMi ne rentre pas dans les attri-
butions d'un corps administratif de faire des profits. Paire
des profits, c'est faire de la mauvaise finance municipale.
C'est voler Pierre pour payer Paul, c'est voler le consom-
mateur pour soulager le contribuable, prendre le contenu
d'une poche pour le verser dans une autre. « Mais nous
ne cherchons à faire des profits que pour alléger le poids
des impôts », répondent les municipalistes. Il n'y aurait
nul besoin de les alléger, ces impôts, si les municipalités
voulaient bien s'en tenir à leurs véritables fonctions. Ce
sont les municipalités commerçantes qui ont besoin de
profits pour couvrir et pour déguiser leurs pertes. C'est en
cela que réside toute la fausseté de l'argument u profits ».
Il n'est pas besoin d'être savant économiste pour savoir
que pour s'assurer de gros profits, il faut consentir à
courir de gros risques et que, en l'absence de risques, la
concurrence n'est pas longue à se produire et à réduire le
profit à son minimum. L'élément risque existe-t-il, la cor-
poration qui l'accepte sort de son rôle, et foule aux pieds
le mandat que lui avaient confié les contribuables. Une
autorité locale n'est pas faite pour spéculer. Car d'où tire-
6o8 TROISIEME PARTIE. CHAPITRE IX
t-elie i*argent nécessaire à ses spéculations ? Soit directe-
ment de l'impôt, soit d'emprunts qu'elle contracte en don-
nant les impôts en garantie. Dans un cas comme daus
Tautre, c'est le contribuable qu'elle engage sans son consen-
tement dans une spéculation dont ii devra supporter tous
les dangers et toutes les pertes.
De quelque côté qu'on Tenvisage, cette question du
proGt apparaît en somme comme un des plus difficiles pro-
blèmes du socialisme municipal. Forcer les autorités lo-
cales à gérer leurs entreprises sans faire de profits ne
diminuerait en rien les inconvénients de leurs opérations
commerciales ; en fait, cette mesure pourrait même les aug-
menter. L*absorption obligatoire des profits s'eGTectuant
soit par une augmentation nouvelle des salaires des em-
ployés municipaux, soit par une réduction dans le loyer des
habitations possédées et louées par la municipalité, ne pour-
rait qu'accroître le danger de corruption que nous avons
signalé dans un précédent chapitre. S'effectuant au moyen
d'une réduction des prix, elle risquerait d'avoir sur le com-
merce des particuliers une répercussion plus fâcheuse que
le Municipal Trade nen a eu jusqu'à présent.
La prohibition des profits vise plus à détruire un argu-
ment qu'à guérir un mal ; et si elle ne détruit pas l'argument,
elle risque de donner au mal plus de force. La meilleure
réponse à faire à cette proposition est de rappeler que la
défense de faire des profits en Ecosse n'a pas empêché le dé-
veloppement du Municipal Trade. 11 est impossible d'ail-
leurs, en étudiant cette matière, de ne pas tenir compte de
l'opposition formidable que soulèverait toute proposition
tendant à forcer de grandes cités telle que Birmingham et
Manchester à renoncer aux profits énormes qu'elles font
actuellement et à augmenter d'une somme égale le chiffre
RISQUES ET PROFITS 609
de leurs impôts locaux. C'est pourquoi la prohibition lé-
gsde des profits ne nous semble pas une solution heureuse
du problème.
L*espoir de faire des profits n'en reste pas moins Tun des
principaux objets qu'ont en vue les partisans du municipa-
lisme ; et comme ce n'est pas dans ce but qu'on devrait
fonder des entreprises municipales, il n'y aurait que des
avantages à diminuer cette tentation. Le projet de prohibi-
tion des profits a d'ailleurs reçu Tappui des hommes les
plus compétents, et comme toute autre proposition visant
au même but, il mérite de retenir sérieusement l'attention
des personnes qui s'occupent des questions municipales.
Boverat 39
CHAPITRE X
CONCLUSION.
i\ous avons essayé de montrer, dans le cours de cet ou-
vrage, le fonctionnement et le développement des entre-
prises municipales en Angleterre. Nous avons suivi dans
quelques-unes des villes industrielles les plus importantes,
Birmingham, Liverpool, Manchester et Glasgow, depuis
le moment de leur naissance jusqu'à aujourd'hui, Texpan-
sion des divers services industriels dont elles se sont char-
gées ; nous avons vu les municipalités se substituer aux
entrepreneurs privés dans l'exploitation des services publics
qui revêtent un caractère de monopole, comme ceux de
1 eau et du gaz d'abord, des tramways ensuite ; nous avons
vu comment elles en sont venues à faire concurrence aux
particuliers sur d'autres domaines, comment elles se sont
transformées en manufacturiers, en commerçants, en ingé-
nieurs et en architectes. Nous avons montré les progrès
de cette transformation dans T histoire des services de Teau,
du gaz, des tramways, de Télectricité, des téléphones, des
bains et des maisons ouvrières ; dans l'histoire des règle-
ments sur les salaires et de la régie directe. Nous avons vu
de quelle extraordinaire façon s'était augmenté le nombre
des fonctions remplies par les corporations municipales de-
puis la première ordonnance de 1833 jusqu'aux derniers
Private Acts.
CONCLUSION 6 1 I
Avant 1835, ractivité des corporations municipales se
bornait à administrer les biens et la fortune de la ville ;
des comités particuliers avaient charge de Téclairage des
rues, de leur pavage et de leur nettoyage. Aujourd'hui la
ville fournit, à toute personne qui habite dans ses murs,
l'eau ; elle éclaire les rues et parfois même Tintérieur des
maisons ; elle distribue le gaz nécessaire à l'éclairage do-
mestique, au chauffage ou à la cuisine, et livre au consom-
mateur les becs, poêles ou fourneaux dont il a besoin ;
elle fournit l'électricité, le téléphone, la force motrice ; elle
offre à ses habitants des bains municipaux, une bibliothèque
municipale, un musée municipal, des parcs municipaux.
Parfois môme, comme Glasgow, elle va jusqu'à se trans-
former en blanchisseuse et à laver le linge de ses contri-
buables. Elle élève des écoles et bâtit des hôpitaux, soigne
ses citoyens lorsqu'ils tombent malades, désinfecte leur
demeure, leur linge et leur mobilier et loge leur famille
durant le temps de la désinfection. A leur mort, elle les
enterre dans le cimetière municipal et dresse sur leurs
tombes, selon leur désir, une simple croix ou un monument
magnifique. De leur naissance jusqu'à leur décès la ville
suit ses enfanU d'un œil soucieux et les entoure de ses soi ns
maternels.
Cette activité débordante, qui s*étend aujourd'hui déjà
sur un immense domaine^ ne semble pourtant pas avoir
épuisé le moins du monde les aspirations des municipa-
listes ; Tappétit leur vient en mangeant ; plus ils gèrent de
services, plus ils veulent en gérer. Ne désespérons pas de
voir un jour les citoyens des villes anglaises obligés d'aller
acheter leur nourriture et leurs vêtements aux magasins
municipaux — en attendant que notre tour, à nous Fran-
çais, vienne de les imiter.
Ci 2 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE X
Voilà ce que nous a montré la première partie de cet
ouvrage ; la seconde nous a appris ce qu'il en coûte d*étre
servi par une municipalité. Les Anglais, dont nous nouH
plaisoussi souvent à rappeler le caractère pratique, se sont,
dès le début de l'opposition qu*a suscitée le mouvement
municipaliste, posé cette question: « Does municipal
tradingpay? » (Le commerce municipal fait- il ses frais?).
Il n'est peut-être pas suffisant de se demander si le Muni-
cipal Trading fait des bénéfices ou réussit à joindre les deux
bouts ;.il faudrait savoir aussi ce qu'il en coûte au contribua-
ble pour que sa municipalité puisse joindre les deux bouts ou
accuser un bénéfice. Les socialistes, tout pleins delà logique
de leur système, de s'écrier : le Municipal Trading n'est pas
une question dechiilres, c'est une question de principes ; les
entreprises industrielles des municipalités peuvent être bon-
nes et utiles même en ne donnant p<*é de profit. « Pour nous
exprimer dans le langage technique des économistes, dit
Bernard Shaw, Tentreprise publique fait des adaires pour
gagner la valeur d'usage ou l'utilité totale de l'activité in-
dustrielle,tandis que Tentreprise commerciale ne peut comp-
ter que sur la valeur en échange ou utilité marginale (i). >•
a Lorsqu'une société anonyme, dit-il plus loin, dépense
plus qu'elle ne gagne, son bilan se traduit par une perle.
Lorsqu'une autorité publique agit de la sorte, elle peut
cependant déclarer qu elle fait un bénéfice énorme... Il est
parfaitement possible k une municipalité de s'engager dans
cent commerces différents, d'accuser une perte commerciale
sur chacun d eux à la lin de chaque semestre et de persé-
vérer malgré tout dans sa conduite avec la pleine approba-
tion et les félicitations des contribuables mêmes qui auront
(1) Voir B. Shaw, Common sensé of Municipal Trading ^ p.35.
CONCLUSION' Ôl3
H combler la perte. Son gain total ne peut se mesurer : et l'on
ne peut évaluer ses succèsqu'en se reportant constamment
aux statistiques de la fortune et de Thygiène publiques.
Si l'on avait, il y a cent ans, pu dresser les statistiques
sanitaires et criminelles de la ville de Manchester pour
voir en quoi consistait sa prétendue prospérité sous le
régime de Tentreprise privée toute puissante, qui donc au-
rait osé glorifier un régime industriel <f qui épuisait neuf
générations d'hommes en une seule » sous prétexte qu'il
produisait «a commercial peerage of cotton lords», c'est*
à-dire une noblesse qui ne devait ses titres qu'au com-
merce du coton ? »
Il nous semble que M. Bernard Shaw, dans son apologie
du municipalisme et sa critique du régime individualiste,
sort un peu de la question. Nous n'avons jamais reproché
aux municipalités d'avoir dépensé trop d'argent à assurer
un état sanitaire aussi parfait que possible par la destruc-
tion de vieux quartiers, le percement de rues larges et
claires, la construction dhôpitaux, etc. Ce que nous leur
reprochons, c'est de s'être lancées dans toutes sortes d*en-
treprises et d'opérations commerciales dont l'hygiène ou
l'intérêt public n'étaient que le prétexte, et la spéculation,
l'espoir de gagner de l'argent, le but dernier. En quoi Man-
chester et Birmingham sont-elles devenues des villes plus
saines à habiter, parce qu'au lieu de laisser fabriquer le gaz
et l'électricité par des Compagnies, ce sont les corporations
de ces deux villes qui s'en chargent actuellement? En quoi
les citoyens de Glasgow se portent-ils mieux parce que la
ville exploite elle-même les tramways et le réseau des
téléphones ? Nous n'avons que des éloges à adresser aux
villes anglaises pour l'œuvre sanitaire qu'elles ont accom-
plie depuis une quarantaine d'années ; les statistiques sont
6l4 THOISfÈMB PARTIE. — CHAPITRE X
ik pour attester les résultats obtenus. Mais encore une fois ne
confondons pas ce qui est hygiène et ce qui est entreprise
commerciale ; les deux choses n'ont le plus souvent rien à
faire Tune avec l'autre.
Nous avons à plusieurs reprises, dans le cours de cette
étude, exposé les arguments pour et contre le Municipal
Trading ; le moment est venu de les résumer brièvement.
Contre le Municipal Trading on a fait valoir : 1" Qu'il
symbolise le monopole, tue la concurrence et fait échec
au progrès industriel et commercial : 2° Qu'il augmente
sérieusement le danger de corruption municipale ; 3* Qu'il
empêche les conseils municipaux de remplir leurs devoirs
essentiels aussi bien qu'ils le devraient ; i"" Que l'exploi-
tation en régie est plus coûteuse que Texploitation parti*
culière ; 5"" Qu'elle donne à certaines autorités locales
seulement, et non pas à toutes» le pouvoir de lever des
contributions indirectes sur certains produits ; 6* Qu'il est
extrêmement difficile de faire retomber le fardeau d^une
entreprise commerciale sur les épaules de ceux qui doivent
le porter et de ne pas en faire peser la charge sur ceux qui
n'en retirent aucun profit ; qu'il semble impossible enfin
de tracer une ligne de démarcation entre les industries que
pourraient sans trop d'inconvénients exploiter les munici-
palités, et celles qu'elles devraient laisser aux particuliers.
Nous pourrions ajouter à ces arguments l'inconvénient
qu'il y a à augmenter de façon si considérable la dette mu-
nicipale, à mêler les municipalités aux questions ouvrières,
à supprimer le contrôle qu'exerçaient avant la mise en ré-
gie les municipalités mêmes sur le fonctionnement des
services industriels ; point sur lequel nous n'avons pas
insisté et qui a pourtant son importance ; car autant la
CONCLUSION 6i5
municipalité a teadance à se montrer exigeante et ta-
tillonne à regard de ses concessionnaires, autant elle sera
indulgente pour elle-même et satisfaite de la manière dont
elle gérera le service ; ne laissant aux contribuables mécoii-
tents et mal servis d'autre recours que celui d'une plainte
qu'on n'examinera le plus souvent même pas.
Les arguments en faveur du Municipal Trading seraient,
d'autre part : 1^ qu'il permet aux ouvriers des municipali-
tés d'être mieux traités et de recevoir un salaire plus
haut que lorsqu'ils ont affaire à des particuliers ou à des
Compagnies. Nous avons vu que cet argument est à re-
jeter parce que TËtat n*a pas le droit de choisir une classe
spéciale qu'il comblera de faveurs aux frais des autres
contribuables.
2^ Le second argument sur lequel s'appuie le Municipal
Trading est qu'il permet de faire des bénéfices qu'on peut
employer soit à la réduction des prix, soit à celle des
impôts. Mais nous savons qu'en donnant en concession à
des Compagnies l'exploitation de ces entreprises rémuné-
ratriceSy les municipalités réaliseraient, sans courir le moin-
dre risque, des bénéfices nets tout aussi importants. Une
expérience déjà longue tend à prouver que le progrès est
plus rapide dans l'industrie particulière que dans les ser-
vices municipaux, et les statistiques indiquent que toute
augmentation des dépenses municipales causée par lafon>
dation d'entreprises rémunératrices a pour résultat une aug-
mentation immédiate de la taxation locale (1).
3° Le dernier et le plus sérieux des arguments munici-
palistes est que les conseillers, différant en cela des direc-
teurs, ne se laisseront pas guider par la seule pensée d'un
(1) Darwin, op. cit., p. 431.
6l6 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE X
profit à réaliser et porteront plus promptement remède aux
abus qui se produiront, dût-il en coûter quelque dépense
supplémentaire ; qu'ils seront toujours prêts à créer les di^
vers services nécessaires au bien-être et à la santé physi-
que et morale des habitants d'une communauté, services
d'une nécessité primordiale, mais qui ne sont pas assez ré-
munérateurs pour tenter les capitalistes particuliers. L'ar-
gument municipaliste ne s'applique pas sans force et sans
vérité aux monopoles que Ton a concédés à des particu-
liers ; il n'a pas grande valeur à l'égard des industries sou-
mises au régime de concurrence, et l'on peut le retourner
contre le municipal trade lui-même, qui dégénère toujours
tôt'ou tard en monopole, et qui, en retirant aux consom-
mateurs la faculté de changer de fournisseurs à leur gré,
les prive de la seule garantie qu'ils ont d'être bien servis.
Tels sont les principaux arguments pour et contre le
Municipal Trade ; la critique municipaliste ne s'applique
réellement avec justesse qu'au cas des monopoles particu-
liers. Le monopole d'une Compagnie n'aboutit pas toujours
à d'excellents résultats ; du moins garde-t-il sur le mono-
pole de Tautorilé locale l'avantage de garantir les finances
de la municipalité contre tout risque de désastre financier.
Le major Darwin arrive, à la fin de son livré, à cette con-
clusion qu'il est certaines entreprises dont il est préférable
de laisser la gestion aux corps locaux nés de l'élection,
d'autres qu'il vaut mieux confier aux soins des particuliers.
En attendant toute nouvelle enquête, il seraitdisposé à ad-
mettre que les marchés, les bains publics, les abattoirs et
les cimetières seraient mieux en d'autres mains qu'entre
celles des particuliers ; qu'on pourrait de façon générale
municipaliser le service de l'eau; que l'exploitation des
ports devraitétre remise aux autorités locales ou à des corps
CONCLUSION 6 1 7
publics spécialement constitués à cet effet ; qu'il ne man-
que pas de raisons pour laisser la propriété (mais non Tex-
ploitation) des lignes de tramways et le soin de les réparer
aux municipalités ; mais que, repaie générale, il vaut mieux
laisser aux particuliers la propriété des téléphones, des
usines à gaz et des usines électriques, des tramways et de
toutes les industries véritablement soumises au régime de
concurrence.
Il avoue pourtant, à son grand regret, qu*illui est impos-
sible de trouver quelque critérium qui permette de décider
à Tavenir quelles sont les industries que Ton peut munici-
paliser ; quelles sont celles à Tégard desquelles il vaut
mieux s'abstenir. Et comme le correspondant du Times, il
pense que le mieux serait de s'en remettre au Parlement
du soin de trancher la question.
Vu la difficulté du problème, les Chambres ne pourraient
peut-être pas édicter de règle absolument fixe, susceptible
de s'appliquer à tous les cas qui se présenteraient ; elles
seraient obligées de laisser une certaine liberté d'action aux
municipalités intéressées. En attendant, M. Darwin ne pro-
pose que quelques mesures radicales ; il demande que dé-
fense expresse soit faite aux municipalités de fabriquer des
appareils électriques, d^ètre propriétaires de maisons, ou
d*en construire sans avoir recours à un entrepreneur. Quant
aux entreprises de gaz, d'électricité ou de tramways, tout
en étant d'avis qu'elles seraient bien mieux aux mains des
particuliers et bien que beaucoup de membres du Parle-
ment partagent sa manière de voir, il sait qu'il est impos-
sible d'en retirer la propriété aux municipalités qui les pos-
sèdent déjà, et qu'il sera difficile d'en refuser l'accession à
celles qui ne l'ont pas encore, mais qui la convoitent. Tout
ce que le Parlement peut faire pour limiter le Municipal
<>l8 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE X
Trading, c est de changer ses Standing Orders (Règlements
des Chambres), d'établir de nouveaux précélents et d'igno-
rer quelques-uns des anciens. L'établissement d'une règle
iixe, prohibant absolument telle ou telle entreprise, ne se-
rait d*aucune utilité. Dites à un socialiste qu'il ne faut pas
que la municipalité se charge de la distribution de rélec-
tricité parce que la loi le défend^ il vous répondra simple-
ment qu'il faut changer la loi. Ce n'est pas en posant une
règle ou en édictant un principe qu'on Fempèchera de faire
une chose qu'il croit avantageuse. Nos eflorts doivent uni-
quement tendre à le convaincre que son projet est nuisible,
lorsqu'il en est réellement ainsi, et que les inconvénienLs
qui en résulteraient pour la communauté dépasseraient les
avantages qu'elle en pourrait retirer.
Mais ce n'est pas parce qu'il e?t difficile de poser une rè-
gle fixe et constante qu'il nous faut rester dans l'inaction.
Lés autorités locales ne sont allées que trop loin déjà dans
la voie du Municipal Trading; si on ne les en empêche elles
iront plus loin encore. Il convient donc de prendre dès main-
tenant certaines mesures, certaines sauvegardes, comme dit
M. Darwin, destinées à nous garantir à l'avenir. Ces mesu-
res seront de deux sortes : les unes d'ordre économique,
les autres d'ordre politique ;les premières désirables en elles-
mêmes, les secondes prises pour assurer une fin désirable.
Au nombre des sauvegardes économiques figureront cer-
taines réformes relatives au commerce privé. C*est ainsi
qu'on pourrait renforcer le contrôle qu'exercent les autori-
tés locales sur les monopoles particuliers, bien que toute
augmentation de contrôle risque de conduire au devant de
dangers identiques à ceux qui s'attachent au Municipal Tra-
de. Les dangers que présente le contrôle des entreprises
privées étant moins forts pourtant que ceux de l'entreprise
CONCLUSION 619
municipale, de deux maux, choisissons le moindre et adop-
tons le contrôle des entreprises particulières.
Pour ce qui est des concessions, on pourrait les accorder
sans en limiter, à Tavance et de manière immuable,le nom-
bre d*années. et conserver au profit des autorités locales un
droit de rachat qu'elles exerceraient dans des conditions
telles qu il ne saurait étouffer Tentreprise particulière. Il
faudrait apporter de sérieuses restrictions au droit de veto
que possèdent actuellement les municipalités à légard des
entreprises privées ; donnera ces municipalités un réel pou-
voir d'inspection sur toutes les affaires des Compagnies con-
cessionnaires des services publics, créer enfin des commis-
sions techniques indépendantes, chargées de trancher les
différends qui s'élèveraient entre les autorités locales et les
Compagnies détentrices de monopoles à Tintérieur de leur
district. L'adoption de ces réformes permettrait de retirer
des entreprises privées les avantages que peuvent présenter
les régies municipales, tout en évitant les risques et les in-
convénients de ces dernières.
Les freins d'ordre politique que Ton a jusqu'ici suggérés
pour calmer Tardeur des municipalités consistent essentiel-
lement à limiter leur dette et à leur défendre de faire des
profits.
En limitant la dette on ne ferait que suivre l'exemple des
Etats-Unis ; et bien que la « Debt limit clause » ait été édic-
tée aux Etats-Unis plutôt pour prévenir l'excès de subven-
tions aux Compagnies privées que pour faire échec au
Municipal Trade, il n*y a pas de raison pour que TAngleterre
ne soit pas en droit, en l'adoptant, d'en attendre d'aussi bons
résultats.
Dans une conférence qu'il a faite à Belfast devant la
Hritish Association, M. Porter rappelait comment, entre
ti'AO TBOI&lÊlfe PABTIE. CH^f-fTBi: ^
1840 et 1850, les villes et les Etats se jelfr^-nl csd.^ i»> ^-i-
trepri^s de rhemins de fer. Ce fat alors ose vt-riiat'î^ i - *
rrontag^ieu^e qui se termina par aoe banqu^roote ^^xirrLr
[>*H contribuables américains de cette époqne. *^t-s*^ «"il-
pots pour payer les frais d'entreprises qu'on aurait du iaT«sr
à I industrie privée, intentèrent la règle qu'on connai: vl^
le nom de w Debt iimit clause •, Depuis ces jours» de drst--
tre financier et de ruine du crédit national et local, la ^maif^
majorité des Etats ont, sous une forme on soas ane aotir.
inséré cette clause dans leur constitution. La * debt limita-
tion »> varie de 10 "/o de la valeur imposable de la propHrl"
à New- York, à 5 "/<, dans beaucoup des Etats de rOoe>t.
Il est même des Etats où elle descend à 2 * ... Aux Etats-
l'nis Teslimation delà valeurdes propriétés se fait en capi-
tal, et non en revenu comme en Angleterre). Ainsi, eo
estimant la valeur de la propriété imposable dans la cité de
New- York à £ 000.000.000, la limite de la dette serait de
fC 00.000.000.
I^ limitation de la dette pourrait dans une certaine me-
sure diminuer le danger financier que court une ville quia
largement favorisé le développement du socialisme muni-
cipal et qui. pour une cause ou pour une autre, voit avant
le complet remboursement de sa dette, sa population dimi-
nuer. Quand cette hypothèse se réalise, les profits munici-
paux décroissent, mais les impositions locales augmentent.
Si nous en croyons M. Darwin, elles ont même des chances
d augmenter en progression géométrique; car toute aug-
mentation des impôts aura pour effet d'augmenter le désir
des habitants d'abandonner une cité aussi mal partagée, et
hi conséquence de tout nouveau départ d'habitants sera de
rendre plus lourde la charge de ceux qui restent. Alors se
trouveront réunies toutes les conditions qui sont nécessaires
CONCLUSION 621
pour produire un désastre commercial et une banqueroute
municipale.
Il ne faudrait pas, d*un autre côté, que cette limitation du
pouvoir d'emprunt eût pour résultat de faire négliger aux
autorités locales Taccomplissement de certaines de leurs
fonctions essentielles, ni la fixation d'une limite pour effet
de provoquer ou de hâter l'accroissement de la dette jus-
qu'au niveau permis, effet fréquent de ce genre délimita-
tions. Finalement le major Darwin, estimant qu'une pareille
mesure serait fort impopulaire, ne conseille pas de l'adop-
ter pour le moment.
Lord Avebury n'est pas de cet avis ; il croit au contraire
qu'il faut fixer une proportion entre le total de la dette locale
et la rateable value (valeur imposable) du district. Il ne faut
pas permettre, dit-il, que le total des emprunts dépasse la
somme que représente la valeur des propriétés imposables
en deux années (two years'borrowing of the assessable va-
lue]. Seul le Parlement aurait le droit de permettre aux
municipalités de franchir cette limite.
Aujourd'hui Hudderstield a emprunté une somme égale
non pas à deux ans, mais à sept ans d'assessabie value ;
Stockton de 7 également ; Halifax de 6, Blackburn de .'}
3/4 ^1). Dans beaucoup d'autres villes importantes la dette
dépasse de quatre fois et plus la rateable value. C'est là une
situatiçn dangereuse. Quel que soit l'actif qui corresponde
à ces dettes, le capitaliste anglais commence à se montrer
moins confiant qu'autrefois, et le cours des fonds munici-
paux a baissé dans des proportions considérables depuis
quelques années. En 1906, West-Ham émettant un em-
prunt 3 0/0 a dû l'offrir à 84 ; Croydon offrait le sieaà 88 1 /2,
le Surrey County Council à 92.
(!) Voir Lord Avedury, On Municipal and Sational Trading, p. 37.
6a2 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE X
Bien que toutes ces valeurs municipales soient ce que
Ton appelle des « trustée securities », r/est-à-dire des
valeurs dans lesquelles on devrait pouvoir avoir une ron-
fiance absolue, puisque la loi autorise les tuteurs et les dé-
positaires de sommes d*argent à en acheter, le public coid>
menée à faire des distinctions entre elles. Aujourd'hui les
villes qui ont des dettes trop considérables ou ont été obli-
gées de demander à leurs contribuables un trop grand effort
pour soutenir leurs entreprises municipales, voient baisser
leur crédit. Le stock 3 »/o du L. C. C, coté en 1905 à Îi7 ! 2
et en 1902 a 101 1/2 est descendu à 88 1/4 à fin 1906. Si le
conseil désirait maintenant émettre du stock 3 Vo« ■! ponr>
rait à peine en obtenir 85, de sorte qu'il a perdu la facilité
d'emprunter comme autrefois à 3 Vo et qu'il aura par con-
séquent bien plus de peine que jadis à faire des profits sur
ses entreprises municipales.
D*après des estimations modérées* on peut admettre que
l'augmentation de la dette municipale a provoqué une baisse
d^environ 10 "/„ des prix du Stock qui la compose.
Un autre moyen de prévenir raccroissement de la dette
municipale consisterait k donner aux citoyens le droit de
s'opposer par leur vote à la conclusion par leur commune
de tout nouvel emprunt ; ils recevraient par la poste une
notice leur expliquant le montant et le but de Temprunt:
on pourrait la faire accompagner du rapport de Tinspectenr
du Local Government Board chargé de l'examen du projet.
Le projet ne pourrait être adopté et mis à exécution avant
d'avoir reçu Tapprobation des contribuables de la localité:
les employés de la corporation ne prendaient naturellement
pas part À ce scrutin. M. Darwin pense que la majorité des
citoyens, moins bien disposés en général en faveur du Mu-
nicipal Trade que les conseillers eux-mêmes, se rangeraient
CONCLUSION G^S-
k Tavis du Local Government Board, et qu'un projet dé-
conseillé par une autorité aussi indépendante que ce Board
aurait bien des chances d'être repoussé. Lord Avebury voit
également dans ce moyen une précieuse garantie contre Tex •
travagance municipale sous toutes ses formes. Nous pen-
chons plutôt à croire que les citoyens se désintéresseraient
4e ces scrutins supplémentaires, relatifs aux emprunts lo-
caux,encore plus que des élections municipales elles-mêmes:
ils auraient tout autant de peine à sortir de leur apathie
pour exprimer leur approbation qu'ils en ont à manifester
même leur mécontentement.
Certaines personnes ont aussi pensé qu*il serait possible
d'entraver le développement du socialisme municipal en
prohibant les profits. Beaucoup d'autorités locales, disions-
nous dans le précédent chapitre, se laissent tenter outre
mesure par l'espoir de réduire de la sorte les imposition»
locales ; les partisans du Municipal Trade s'en servent
comme d'un argument en faveur de leur système.
Nous venons de traiter tout au long la question des
profits ; nous sommes d'avis que les municipalités ne doi-
vent pas chercher à en faire sur les entreprises commer-
ciales ou industrielles qu'elles dirigent, et qu'au cas où elles
en feraient, elles doivent les utiliser à rembourser leur dette
d'abord, à amortir leur capital et leur matériel ensuite.
La réduction trop grande des prix, l'abaissement trop con-
sidérable des tarifs ont de sérieux inconvénients non seule-
ment pour lindustrie privée concurrente, mais pour l'en-
treprise municipale elle-même. Mieux vaut encore consacrer
les profits à la réduction des impôts. Les prohiber ne serait
pas un moyen d'étouffer le socialisme municipal ; il s'est
développé à Glasgow où les profits ne servent pas à dimi-
nuer les impôts. Aussi est-ce une mesure sur l'application
62 i TKOISIÈME PARTIE. CHAPITRE \
de laquelle il convient de ne pas fonder de trop grandes
espérances.
La meilleure façon d'améliorer la situation fînaatière
serait peut-être de procéder à la réforme du système élec-
toral actuellement en vigueur dans le gouvernement locd.
<( Il y a, dit M. Darwin, des millions d'électeurs anglais qui
ne payent pas d'impôts et qui ne comprennent pas que
leurs loyers se ressentent de toute augmentation ou dimi-
nution des impôts qui retombent sur leurs propriétaires II
se peut que les loyers ne subissent pas immédiatement et
uniformément le contre- coup de Timpôt, mais en moyenne
ei à la longue on peut affirmer que les locataires sont aussi
des contribuables. C'est une vérité dont il importe de se
pénétrer ; ce serait un immense progrès de faire payer les
impôts par les locataires eux-mêmes ou défaire, de quelque
autre façon, sentir à tous les électeurs qu'ils sont en réalité
des. contribuables. 11 n*est pas de mesure qui puisse aussi
sûrement que celle-là rendre les municipalités économes. »
Bien que les membres de la Royal Commission on Local
Taxation soient d*avis qu*on rencontrerait dans la prati-
que des difficultés insurmontables à lever directement les
contributions sur cette masse considérable de personnes
appartenant aux classes les plus pauvres, locataires d'une
semaine qui se transportent fréquemment d'un logement à
un autre, nous nous permettons de mettre jusqu'à un
certain point cette affirmation en doute, étant donné qu*en
Ecosse tous les locataires payent eux-mêmes leurs impots.
En tous cas, on pourrait diminuer le nombre des électeurs
non imposés ; et quand ce ne serait qu'un moyen d'attirer
leur attention sur toutes les matières susceptibles d'affecter
la taxation locale, Tabolition du a Compounding sysleni »
(qui consiste de la part du propriétaire à faire payer à ses
CONCLUSION 635
locataires uae somme globale coroprenaatàla fois ce qu'ils
doivent comme loyer et comme impôts) serait un bienfait
inappréciable.
Lord Avebury demande lui aussi une modification du
compounding System. Il veut que chaque locataire con-
naisse exactement le montant des impôts qu'il a à payer.
L'apathie-des habitants delà Métropole pour les affaires
municipales est bien connue, dit il, et la grande augmen-
talion du nombre des appartements et des habitations
ouvrières ne tend qu'à augmenter le mal. A Londres sur
700.000 assessments (cotes), il y en a plus de 300.000 qui
ont trait à des maisons et des habitations où les locataires
ne payent pas eux-mêmes les impôts. C'est-à-dire qu'il
ya à Londres plus du tiers et près de la moitié des élec-
teurs qui ne sont pas directement imposés (1).
A Holborn, 56 Yo des électeurs inscrits ne payent pas
eux-mêmes les impôts. Le Town Clerk de Birmingham,
M. Edward Orford Smith, dans sa déposition devant le
Municipal TradingCommittee de 1900, disait que 70 à 75 7o
des personnes habitant Birmingham étaient des n com-
ponnd householders » . 11 semble que les impôts soient d'au-
tant plus hauts que la proportion des compound house-
liolders qui ne payent pas d'impôts est plus grande. C'est
ainsi qu'à West-Ham, où les impôts sont exceptionnelle-
ment élevés (puisqu'ils atteignent en 1906, 9 s. 8. d. par £),
sur 48.000 logements imposés, il y a 34.000 compounders.
Quelques-unes des Compagnies qui bâtissent des maisons
ouvrières commencent à rendre leurs locataires personnel-
lement responsables du paiement des impôts pour les
logements qu'ils occupent. Miss Octavia Hill estime que
(l) Lord AvBBURY, On Municipal and National Tradimj, p. 157.
BoTerat 40
626 TROISIEME PAHTIE. — CHAPITRE X
c^est ainsi qu'il faut procéder ; que le meilleur remède
consisterait à abolir le compound householder et à faire en
sorte que ceux qui payent les impôts s'aperçoivent qu'ils
les payent. Actuellement, ils ignorent quelle part énorme
de leur loyer s'en va en impôts. S'ils avaient une notion
un peu plus nette de ce qui se passe, peut-être rempliraient-
ils un peu mieux leurs devoirs de citoyens et s'intéresse-
raientils davantage aux affaires de la municipalité.
n G était autrefois un axiome du parti libéral, dit Lord
Avebury, que la taxation et le droit de vote doivent aller
ensemble et que ce soit ceux qui payent les impôts qui
aient le droit de régler les dépenses. Actuellement tout si^
trouve arrangé de telle façon que des milliers de personnes
votent qui ne payent pas d'impôts, et que ceux qui payent
le plus d'impôts n'ont pas le droit de vote. »
La chambre de commerce de Londres a maintes fois
demandé que les Compagnies fussent autorisées à voter,
et l'association des chambres de commerce a fait sienne
cette proposition. Sir Albert Rollit a fait la même demande
à la Chambre des Communes, où elle a d'ailleurs rencontré
de la part de socialistes la plus véhémente opposition. Sir
Robert Giffen proposait, lui aussi, un système de représen-
tation des intérêts où les principaux landlords de chaque
district auraient eu une représentation spéciale.
Rappelons enfin qu'on a maintes fois proposé d'enlever
le droit de vote pour les élections municipales aux em-
ployés des municipalités, trop directement intéressés an
développement du municipalisme sous toutes ses formes.
Il est évident que si l'on veut obtenir des réformes, il
faut commencer par modifier la législation existante. C*e>t
forger une espérance vaine que de compter sur le systènu*
représentatif, tel qu'il existe actuellement, pour arrêter Tes-
CONCLUSION 627
sor du socialisme municipal. Les citoyens possèdent le
droit de vote sans doute, mais ce droit ils ne l'exercent pas
par suite du nombre trop grand des corps locaux soumis
à réiection. Car les Municipal Corporations ne sont pas les
seuls rouages du gouvernement local ; à cAté d*elles il y a
les County Councils, les Parish Councils, les District Coun-
cils, les Boards of Guardians, les School Boards, les
Burial Boards, etc. Il n'est personne qui comprenne exacte-
ment le fonctionnement de ce mécanisme si compliqué ; ré-
sultat : on ne vote pas.
C'est le plus souvent par paresse que rélecteur ne vote
pas; mais parfois aussi, il s'abstient parce qu'il sait que tout
effort de sa part serait vain. Que se passe-t-il, par exemple
lorsqu'il prend envie à une corporation municipale d'ex-
ploiter en régie un nouveau service ? Nous savons qu*il faut
qu'elle obtienne avant toute chose un Private Act du Parle-
ment ; et qu'elle ne peut déposer son bill avant de Tavoir
fait approuver par une assemblée de contribuables. Mais
presque invariablement ces assemblées ne sont qu'une
simple farce. Personne n'y vient. « Règle générale le town
clerk envoie chercher le concierge de Town Hall et quel-
ques employés pris au hasard dans les bureaux pour qu^l
y ait au moins apparence de réunion. Puis on adopte les
résolutions dont on a besoin ^1). »
Les contribuables peuvent encore s'opposer au bill lors-
qu'il arrive devant un Select Comroittee ; mais une oppo-
sition de ce genre est chose à la fois très sérieuse et très
coûteuse. Les frais n'en peuvent être évalués à moins de
£300. Réussit-on à faire rejeter le bill, on n'est pas pour
cela remboursé de ses dépenses. Qui donc voudra les faire
(1) D. H. Dayies, Traction and Transmission ^ 1901, p. 97.
628 TROISIÈME PARTIB. CHAPITRE X
dans de telles conditions ? Il n*est pas de contribuables, ni
même de groupe de contribuables se réunissant dans ce
but, dont les impôts puissent augmenter soudain d*une pa-
reille somme. Au bout du compte le bili passe sans ren-
contrer d'opposition et le mal se trouve établi pour toujours.
On demandera peut-être pourquoi les gros contribuables
ne se réunissent pas pour assister en nombre au ce borough
meeting ». Ils ne le font pas parce que ce serait pour eux
perdre leur temps que d*agir ainsi. Au moyen de son or-
ganisation et du pouvoir dont elle dispose en sa qualité
d*employeur, la municipalité est certaine d'amener, si c'est
nécessaire, une foule toujours plus nombreuse que Top-
position.
Ces observations tendent à montrer qu*à moins de chan-
gement radical dans le caractère des électeurs, il ne faut
pas compter sur le système représentatif pour arrêter la
croissance de ce communisme insidieux et irresponsable.
N'empêche que Ton pourrait, comme le demande M. Dar-
win, introduire dans la procédure parlementaire certains
changements, dans le but daugmenter les facilités données
aux particuliers ou aux associations pour faire opposition
aux bills que les corporations présentent au Parlement.
En dernier lieu se pose la question de l'inspection des
comptes municipaux et du « government audit ». Pour que
les contribuables sachent réellement à quoi s'en tenir, il n'y
a qu'un moyen, c*est de donner aux comptes des entrepri-
ses commerciales municipales la plus grande publicité pos-
sible ; d'assurer leur exactitude et de les présenter de telle
façon qu'ils puissent être aisément compris de tous. Rappe-
lons que le Joint Select Committee publia son rapport à la
lin de la session de 1903 et que les recommandations qu'il
CONCLUSION : 62g
faisait tendaient à i abolition du système d'inspection ac-
tuellement en vigueur dans les corporations, Count}^ Gouncils
et Ilrban District Gouncils ; et à la nomination par les mu-
nicipalités, sauf approbation du Local Government Board,
d'inspecteurs professionnels indépendants. Le comité avait
également exprimé le vœu qu'il fût prescrit un modèle de
comptes, u a standard form of accounts », à l'usage des au-
torités locales.
G est par ce moyen seulement qu'on pourrait arriver à
obtenir des résultats exacts des a trading departments » des
autorités locales et à établir des comparaisons valables soit
entre les ditTérentes villes, soit entre les villes et les Com-
pagnies.
Nous dirons, qu'en résumé, sous le régime du socialisme
municipal, nous avons vu :
1^ Que les dépenses locales augmentent bien plus vite que
la rateable property, c'est-à-dire que la valeur de la pro-
priété imposable ;
2^ Que la dette locale augmente plus vite, elle aussi, que
la rateable property ;
3"* Que les municipalités se trouvent mêlées aux problèmes
ouvriers les plus difficiles ;
4^ Qu'elles ne font de profits sur leurs entreprises indus-
trielles que lorsqu'elles possèdent un monopole ; qu'il n'y a
guère que sur la fabrication du gaz qu'elles gagnent réguliè-
rement ; que même dans ce cas leurs profits sont peu im-
portants ; que leur comptabilité est mal tenue ;
5^ Que le municipal trade gène, de mille façons, l'entre-
prise particulière et s'oppose à son progrès ;
6® Qu'il est à la fois imprudent et injuste de donner le
63o TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE X
droit de vote à des personnes qui ne payent pas dUmpôts et
d*en priver ceux qui en payent le plus (1).
Le programme des réformes que devront poursuivre les
adversaires du socialisme municipal pourra se résumer en
trois propositions :
l"" Empêcher chaque fois que cela sera possible la créa-
tion de nouvelles entreprises municipales ;
2"" Diminuer les inconvénients inhérentsàleur fonctionne-
ment une fois qu*elles ont été créées ;
3^ Faire en sorte que l'exploitation des monopoles con-
cédés aux particuliers réponde à l'avenir aux besoins du
public mieux qu*elle n'y répond aujourd'hui.
Il ne manque malheureusement pas de raisons qui ren-
dent Texécution de ce programme particulièrement difficile.
Si les économistes et hommes d'Etat de la première partie
du xix^ siècle étaient imbus, à Texcès peut-être, des idées
individualistes, il est certain qu'actuellement on commence
à aller trop loin dans l'autre sens. Nous nous plaisons à
reconnaître avec les auteurs anglais de tous les partis que
les autorités locales anglaises constituent, dans leur ensem-
ble, des corps admirables et que les conseillers municipaux
méritent toutes sortes de louanges pour Timmense quan-
tité de travail qu'ils entreprennent et exécutent volontaire-
ment chaque année. Ce sont des hommes industrieux, in-
tègres, dévoués au bien de la communauté ; mais comme
beaucoup de leurs compatriotes, ils se sont laissé entraîner
trop avant dans l'application des idées socialistes. Nous
avons dans l'un des premiers chapitres de ce livre noté les
changements qui sont en train de se produire dans les con-
ceptions économiques et les progrès considérables que fait
(1) Voir Lord âvbburt, op, cil.
CONCLUSION 63 1
le socialisme, tant en théorie qu'en pratique ; et ce triomphe
des idées socialistes se manifeste, comme le remarque Spen-
cer dans sa préface de Tlndividu contre l'Etat, de deux
façons: parFabus des règlements d'une part, l'augmenta-
tation des charges publiques de Tautre.
« Depuis 1860, dit-il, des mesures dictatoriales se multi-
pliant rapidement ont continuellement tendu à restreindre
les libertés individuelles, et cela de deux manières : des ré-
glementations ont été établies chaque année en plus grand
nombre, qui imposent une contrainte au citoyen là où ses
actes étaient auparavant complètement libres et le forcent
à accomplir des actes qu'il pouvait auparavant accomplir ou
ne pas accomplir à volonté. En même temps des charges
publiques de plus en plus lourdes, surtout locales, ont res-
treint davantage sa liberté en diminuant cette portion de ses
profits qu'il peut dépenser à sa guise et en augmentant la
portion qui lui est enlevée pour être dépensée selon le bon
plaisir des agents publics. »
Mais la plupart des citoyens paraissent ne pas s'aperce-
voir de ces inconvénients ; les attributions gouvernemen-
tales vont se multipliant sans cesse, car les règlements s'ap-
pellent les uns les autres.
« Chaque nouvelle ingérence de l'Etat fortifie l'opinion
tacite d'après laquelle c'est le devoir de TEtat de remédier
à tous les maux et d'assurer tous les biens. Les citoyens en
général, amenés à regarder les bienfaits reçus par l'inter-
médiaire des agents publics comme des bienfaits gratuits,
sont continuellement séduits par l'espoir d'en recevoir da-
vantage (1).
(( En vérité, plnsTintervention de l'Etat augmente, plus
(1) Spencer, ^individu contre i'Eiatj p. 42 (traduction J. Gerschel).
632 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE X
cette notion se répand parmi les citoyens que tout doit être
fait pour eux et rien par eux. L'idée que le but désiré doit être
atteint par Faction individuelle ou des associations particu-
lières devient de plus en plus étran^^ère à chaque génération
et ridée qu'il doit être atteint par le concours du gouverne-
ment devient de plus en plus familière, jusqu'à ce qu'enfin
Tintervention du gouvernement vienne à être regardée
comme le seul moyen pratique (1) .»
£t pourtant l'Etat semble incapable de bien remplir même
ses fonctions essentielles, comme celle de la défense exté-
rieure du pays, par exemple. Spencer a consacré quelques
pages de son livre /u^//ce (p. 273, trad. M. E. Castelot) à
montrer de quelle façon piteuse étaient administrés les dé-
partements de la guerre et de la marine ; u la gestion de
Tamirauté est telle, dit le rapport de mars 1887, qu'en peu
de mois elle conduirait une maison de commerce à la ban-
queroute ». Nous avons relevé dans cette étude des entre-
prises municipales bien des exemples d'une semblable in-
compétence , et s'il n'en est pas qui aient abouti à la
banqueroute véritable, c'est grâce à ce fait seulement que
le contribuable est toujours là, patient et résigné, tendant
sa bourse au conseiller municipal qui y puise à pleines
mains. Les entreprises municipales succèdent aux entre-
prises municipales, et la conduite des villes anglaises semble
s'inspirer de ces paroles de Bernard Shaw (2) : » Le gou
vernement devrait saisir toutes les occasions d'augmenter
les pouvoirs des autorités locales pour les mettre en état de
forcer l'entreprise privée jusque dans.sa propre sphère (un-
til they are able to force private enterprise into its proper
(0 Spencer, V individu contre V Etat, p. 41.
(2) Shaw, Fabianism and the Empire^ 1900, p. 73
CONCLUSION 633
sphère), qui n*est pas Texploi talion des besoins communs
et des procédés connus, mais la sphère de l'invention, de
Tinitiative et la création de nouvelles méthodes et de nou-
velles industries ».
Bernard Shaw semble avoir pris pour idéal l'organisa-
tion autocratique de la Russie où tout est fait par TËtat.
Ce n'est pas TAngleterre, en effet, c'est la Russie qui
serait le paradis du socialisme municipal, si nous en
croyons un article de la Fortnightly Review de janvier 1 903.
<c Taudis qu'en Angleterre de savants économistes étudient
dans le Times les maux que provoque l'introduction du so-
cialisme municipal et discutent solennellement, comme un
problème nouveau et difficile, la municipalisation des tram-
ways, tout en Russie, depuis le commerce de la boulange-
rie jusqu'à celui de la librairie, a été municipalisé. L*Etat
se contente d'exécuter les transports de TEmpire, d'ex-
ploiter les mines et de vendre de la vodka, mais le gou-
vernement local ne fixe pas de limite à sa propre activité.
La (t Duma » et le « Zemstvo » vendent des machines agri-
coles, des livres, des médicaments et des^ lanternes ma-
giques, dirigent des théâtres, organisent des conférences,
traduisent Milton et Molière et expurgent Dostoïewsky
pour le bénéfice des masses. Tandis que la cité de Londres
se demande si elle possédera jamais ses tramways, la ville
de Tiflis fait concurrence aux bouchers en détail et vend à
crédit, contre des versements mensuels, des machines à
coudre à des couturières dans la gène. »
Ce tableau du dernier des pays autocratiques pourrait
bien s'appliquer à TAngleterre dans quelques dizaines
d'années d'ici, si les vœux et les prétentions des socialistes
venaient à se réaliser. Souhaitons que ce ne soit pas ce-
lui de la France : les quelques villes qui ont vu triompher
634 THOISlèMB PARTIE. — CHAPITRE X
daos le seia de leur conseil municipal la majorité socia-
liste ont eu plus d'une fois loccasion de s'en repentir.
Marseille, Toulon, Brest, Uoubaîx, pour ne citer que celles-
là, en savent quelque chose : et si c*est là le paradis qa'on
nous promet, il ne restera à ceux qui s'y trouveront qu ane
chose à faire : le quitter aussi vite que possible pour ré-
tablir un régime qui, malgré toutes ses imperfections,
était certainement moins tyrannique et moins odieux.
L'exemple des villes anglaises, quelque peu attrayant qa*il
soit, à certains égards, ne nous donne qu'une faible idée de
rétat où se trouveraient nos villes françaises au bout de
quelques années d'un semblable régime de socialisme mu-
nicipal. Ce ne serait pas seulement les finances boulever-
sées, ce serait la bureaucratie triomphante, la désorgani-
sation des manufactures d Etat et des arsenaux, de tous les
services publics, créés à grands frais par les municipalités,
le personnel ouvrier régentant les chefs et les adminisitra-
tions, la corruption et la pression sous toutes ses formes,
du haut en bas de Téchelle. « Quelles sont à l'heure ac-
tuelle, se demande M. Paul Leroy Beaulieu (1), dans les
sociétés les plus démocratiques la liberté et la di^^nité des
fonctionnaires ? Les circulaires ministérielles avec leurs
prescriptions brutales en temps d'élection notamment, les
révocations ou déplacements arbitraires sont d'une élo-
quence démonstrative à ce sujet. Cet assujettissement de
rindividu fonctionnaire à ceux qui détiendront les pouvoirs
publics sera singulièrement renforcé quand il n'y aura pas
le contrepoids de la concurrence des administrations pri-
vées. L*individu fonctionnaire, et alors tous le seront, se
trouvera littéralement la chose, nous ne disons pas de TElat.
(1) Paul Lbrot Bbaulibu, LecoHectivisme,^* édition.
CONCLUSION 635
une abstraction, malades politiciens qui se seront mis en pos-
session de l'Etat. Un joug formidable pèsera sur tous. »
Nous n*en sommes pas encore là, mais nous en pren-
drions rapidement le chemin, si nous voulions imiter en
France Texempledes grandes cités anglaises. Moins pon-
dérés que nos voisins du Nord, nous serions sans doute
plus imprudents encore qu'ils ne Tout été ; et nous mêle-
rions, sans tarder, le domaine économique et le domaine
politique, qu'ils ont jusqu'ici plus ou moins bien réussi à
maintenir séparés.
Stuart Mill,dans son Traité cf Economie politique ( I ),nous
mettait en garde contre le danger où nous sommes tombés.
(c Les véritables motifs pour laisser aux associations parti-
culières tout ce qu'elles sont en état de faire existent dans
toute leur force, lors même qu'il serait certain que des
fonctionnaires publics s'^acquittcraient aussi bien qu'elles
de la besogne. Ces motifs ont déjà été indiqués ; cest l'in-
convénient de surcharger Tattention des principaux fonc-
tionnaires et de les détourner de fonctions qu'eux seuls peu-
vent remplir pour des choses qui peuvent être assez bien
faites sans eux ; c*est le danger de grossir sans nécessité
Tautorité directe et Tinfluence indirecte du gouvernement
et de multiplier les occasions de conflits entre ses agents et
les particuliers ; c'est Tinconvénientde concentrer dans une
bureaucratie dominante toute Thahileté et Texpérience dans
la gestion de grands intérêts et toute la puissance d'action
combinée qui existe dans la société ; habitude dont Tusage
établit entre les citoyens et le gouvernement des rapports
semblables à ceux qui existent entre un enfant mineur et
son tuteur et qui est la cause principale de l'infériorité po-
(1) Stuart Miu., Economie polUiqnc, liv. V, chop. XI.
636 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE X
litique qui a jusqu'àce jour caractérisé les habitaQts des pays
trop gouvernés du continent soit avec, soit sans la forme du
gouvernement représentatif. >
Les municipalités anglaises feraient bien de rapprendre
la leçon de Stuart Mill ; peut-être verraient^elles que les
moyens qu'elles emploient actuellement ne sont ni les seuls,
ni les meilleurs de ceux qu'elles pourraient employer pour
nous mener ^ la réalisation de cette fin idéale du plus grand
bien-être pour tous, vers laquelle tendent tous les cœurs
généreux.
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COMPAKAISON DES MESURES FRANÇAISES
ET ANGLAISES
MESURES DE LONGUEUR
Inch, Pouce (i/36 du yard).
Foot, Pied (1/3 du yard).
Yard impérial.
Fathom (2 yards).
Pôle ou perch (5 1/2 yards).
Furlong (220 yards).
31ile( 1760 yards).
2,539 centimètres.
3,047 décimètres.
0,914 mètre.
1,828 mètre.
5,029 mètres.
201,164 mètres.
1.609,314 mètres.
MESURES DE SUPERFICIE
Pied carré.
Yard carré.
Rod (perch carré).
Rood (1.210 yards carrés).
Acre (4.840 yards carrés).
Square mile (mile carré).
= 640 acres.
0,092 mètre carré.
0,836 mètre carré.
25,291 mètres carrés.
10,116 ares.
0,404 hectare.
259 hectares (2.589.894 mq).
Mètre carré.
Hectare.
1,196 yard carré.
2,471 acres.
644 COMPARAISON DES MESURES FRANÇAISES ET ANGLAISES
MESURES DE CAPACITE
Fini (1/8 de gallon). 0,567 litre.
Quart (1/4 de gallon). M 35 litre.
Gallon impérial. 4,543 litres.
Bushel ^8 gallons). 3(>,347 litres.
Quarter (8 bushels). 2,907 hectolitres.
Pied cube (cubic foot). 0,028 mètre cube.
Litre. 1,760 pint.
Hectolitre. 22,009 gallons.
Mètre cube. 35,316 pieds cubes.
POIDS {Sysiime avoir du poids)
Ounce (1/16 de livre] oz. 28,349 grammes.
Pound (livre ou l. b.) 453,592 grammes.
Quintal ou hundred-
weight (cwt)=ll2 Ibs. 50.802 kilogrammes.
Ton=20 cwt. 1 .016,048 kilogrammes.
MONNAIES
Pound sterling (£}.
(=20 sh. =240 d.) 25 fr. 22
i shilling (1 sh. ou 1/=12 d.) 1 fr. 25
1 penny (1 d.) 0 fr. 10
1/2 penny (1/2 d). 0 fr. 05
1 farthing (1/4 d.). 0 fr. 002 1/2
La guinée^ monnaie nominale, vaut 21 shillings.
TABLE DES MATIÈRES
PlŒFACB,
Pages
1
PREMIERE PARTIE
Les exploitations municipales.
(Chapitre I. -- Coup d'œil historique 3
Chapitre II. — Municipalisme et collectivisme 22
Chapitre III. — L*admini8tration locale 46
(Chapitre IV. — Monopoles et services publics 62
Chapitre V. — La municipalisation du service des eaux. . . 79
Annexe au Chapitre Y. — Les municipalités distributrices de
force hydraulique 111
Chapitbe VI. — Les exploitations municipales de gaz. . . . 117
Chapitre VIÏ. — L'électricité. loi
(Chapitre VllI. — I^es tramways 177
Chapitre IX. — Les stations centrales de force électrique. . . 220
Chapitre X. — Les téléphones 227
Chapitre XI. — Les habitations ouvrières 241
Annexe au Chapitre XI. — Les municipal Lodging Houses. . . 303
Chapitre XII. — Les bains et lavoirs municipaux 310
646 TABLE DES MATIERES
Chapitre XIII. — Les marchés et abattoirs municipaux .... 327
Chapitre XIV. — Les cimetières 340
Chapitre XV. — Entreprises diverses 34r;
DEUXIEME PARTIE
La politique ouvrière.
Chapitre I. -- Ouvriers et employés. Salaires et heures de
travail 3rr.
Chapitre II. — Rapports des ouvriers municipaux avec les cor-
porations. Le droit de vote des employés municipaux. . . . 3L4'j
Chapitre 111. — De l'exécution en régie des travaux des muni-
cipalités. Les Works dcpartments 41 S
Annexe au Chapitre IIL — Les Labour bureaux 430
1 1
TROISIEME PARTIE
Les finances locales.
Chapitre I. — L'augmentation des dépenses locales, des im-
pôts et de la dette. Part de cette augmentation qui revient
aux entreprises reproductives 4
Chapitre II. — Les emprunts municipaux 4tîl
Chapitre 111. — Les Sinking fonds 50»
Chapitre IV. — L'amortissement du capital et du matériel
dans les entreprises municipales (dépréciation) 51î»
Chapitre V. — L'inspection des comptes municipaux .... o2S
C iVapitre VI. — Les impùts locaux et leur répercussion sur Tin-
dustrie privée 53^
i
TABLE DES MATIERES ijfi'j
Chapitre VU. — De l'affaiblissement de l'esprit d'enlreprisedans
les industries municipalisées 560
Chapitre VIlï. — De l'augmentation des fonctions municipa-
les. La capacité des conseillers. La croissance de la bureau-
cratie 574
Chapitre IX. — Risques et profits 590
Chapitre X. — Conclusion 610
Bibliographie 637
Comparaison des mesures françaises et anglaises 643
imp. J. Thevenot» Saint-Dizier (Haute-Marne)
<^
YC «7322
»^g^p ' —