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Full text of "Les époques de la pensée de Pascal"

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h 




* • - ■ - • - 



Les Époques 



de la 

Pensée de Pascal 



À 



T.' • 



1 



DU MÊME AUTEUR 
A LA MÊxME LIBRAIRIE 



B. Pascal, les Pensées. — Texte critique (édition couronnée par 
rAcadémie Française, prix Saintour). In-4'*, lxl-469 pages. Fasc. 
Vides Collectanea Fnburgensia. 1896, Paris, Fontemoing et Fri- 
bourg, B. Veith. 20 fr. 

B. Pascal, Abrégé de la vie de Jésus. — Texte critique. In-8*>, viii- 
62 pages, 1897. Paris, Fontemoing et Fribourg, B. Veith. 2 fr.50. 

Le Génie Latin (la Race -^ le Milieu ^- le Moment — les Genres). 
In-16, 376 pages, 1900. 5 francs. 

Q. Pascal, Disoours sur les passions de rs^monr. -^ Nouvelle édition 
avec préface et notes. Petit ia-16, xv-32 pages, 1900. 1 fr. 50. 

Marc-AurAlb, Peniées. — Traduction nouvelle, aveo avertissement 
et note préliminaire. Dnixième édition revu9 9t çomgée, In-16f 
xxi-288 pages, 1902. 3fr. 60. 

Auouiin et Mlcolettei Ghante-fabie du xu* siècle, mise en français 
moderne, avec une préface de Joseph Bédier. Petit in-16 carré, 
xLvii-135 pages, 1901. 2fr. 50. 



EN PREPARATION 



Étude sur Sainte-Beuve. — Formation de son esprit et de sa mé- 
thode critique. 




1 



il 



CnSTAVE MICHAUT 






Les Époques 

de la 

Pensée de Pascal 

DEU)(IËiV|e ËQITIQN, REVUÇ gT AUQMENTËE 



ANCIENNE LIBRAIRIE TIIORIN £T FILS 

ALBERT FONTEMOING, ÉDITEUR 

4, RUE LE GOFF, 4 
190a 



V, 




AVERTISSEMENT 
DE LÀ DEUXIÈME ÉDITION 



J'ai pensé qu'il pouvait être utile de mettre à 
la portée d'un plus grand public, dans un format 
plus commode et à un prix plus accessible, l'étude 
que j'avais publiée sur Pascal comme introduction 
à mon édition critique des Pensées {CoUectanea 
Friburgensia^ VI, Fribourg, Suisse, 1896, cou- 
ronnée par l'Académie Française : prix Saintour). 
Je l'ai revue avec soin ; j'y ai corrigé les 
erreurs qu'on avait bien voulu m'y signaler; j'y ai 
ajouté bon nombre d'additions, en m'inspirant de 
ce qu'il a paru de meilleur sur Pascal depuis 1896. 

Je dois surtout beaucoup à MM. Brunschvigg 
[Pensées et opuscules^ Hachette, 1897, 2^ édition, 
1900), Lanson (article Pascal de la Grande Ency- 
clopédie^^ divers articles dans la Revue d'histoire 
littéraire)^ Giraud [Pascal^ l'homme^ C œuvre ^ 
rinfluence^ 2^ édition, Fontemoing, 1900), Bou- 
TROux [Pascal^ les grands écrivains Français, 
Hachette, 1900) et Hatzfeld [Pascal^ les grands 






139435 



CéimLi,:r -J:- 



VIII AVERTISSEMENT 

philosophes, Alcan, 1901). J'ai eu aussi entre les 
mains, grâce à M. Giraud, un extrait des notes 
prises par Taine sur Pascal à l'Ecole Normale et 
j'en ai pu tirer quelques remarques intéressantes. 
Je voudrais être sûr d'avoir bien su mettre à 
profit les secours précieux que j'ai trouvés dans 
ces divers ouvrages ^ 

G. Michaux. 

Décembre 1901. 



1. Les deux gravures insérées dans lo corps de Touvrage repré- 
sentent Pascal jeune et l*ascal sur son lit de mort; on dirait que le 
premier portrait a été fait à dessein pour donner à la postérité une 
image du brillant jeune homme à (]ui le « monde » plut (luelque 
temps et qui lui plut; mais le masque, que nous a conservé la 
piété de ses proches et de sa famille religieuse, nous offre, par une 
éloquente antithèse, la face austère et noble de Tascîète. Je remer- 
cie M. Gazier, «pii m'a aimablement communiqué ces deux 
épreuves. 

J'ai mis en frontispice la fameuse Cène de Philippe de Gham- 
IKiigne, non seulement pour sa beauté propre et la convenance 
qu'il y a entre Pascal et le peintr»' de Port-Royal, mais aussi à 
cause du petit problème que soulève ce tableau. On a cm — et 
cette opinion s'appuie du témoignage de Sainte-Beuve — que, dans 
la Cène^ «les figures des apôtres étaient copiées de celles des soli- 
taires» {Port-Royal^ 1, 26): saint Jean serait l'avocat Antoine 
Lemaître; saint Pierre, Tabbé de Sainl-(^yran ; Judas, Antoine Ar- 
nauld, ou, d'après d'autres, l.a Motlie Le Vayer, et le discii)lc du 
bord du tableau, Pascal. M. Gazier dément énergicpiement cette 
légende {Philippe et Jean-Iiap liste de Cliampui(/ne, Collection des 
Artistes célèbres^ 1802, p. 'fO). On comprend" cependant (lu'elle soit 
née précisément à cause de Pascal : le disciple sous les traits de 
qui Ton a cru le reconnaître le rai)2)elle assurément d'une façon 
étrange ((^f. Catalogue Villot des peintures du Louvre^ Ecole fla- 
mande)-^ et il ne semble pas illégitime de se demander si le peintre 
n'a i)as été frappé de la i»bysionomie de Pascal et, sans vouloir 
expressément la repnxluire, ne l'a pas — inconscienunent peut- 
être — retrouvée sous S(m pinceau. J'aime à met Ire It-s lecteurs 
à môme de se prononcer persoimellement. 

G. M. 



% 



LES ÉPOQUES 

DE LA 

PENSÉE DE PASCAL 



Il est impossible de bien comprendre l'œuvre de 
Pascal et plus particulièrement les Pensées^ si Ton 
ignore sa vie ; et parmi les écrivains du xvii" siècle, 
c'est un de ceux dont il importe le plus de 
connaître Thistoire pour se rendre un compte exact 
de leurs opinions et pour arriver à une pleine intelli- 
gence de leurs écrits. 

D'autres apologistes de la religion chrétienne ont 
du premier pas atteint le but et, fermement atta- 
chés tout d'abord à un principe unique, ils n'ont fait 
ensuite qu'en développer les conséquences : un Bos- 
suet par exemple, immuable dans sa doctrine, 
n'emploie tout son génie qu'à dérouler en quelque 
sorte, du centre de son orthodoxie, Ig théologie, la 
métaphysique, la morale, la politique et l'histoire. 
Pascal, lui, s'y' est repris à plusieurs fois avant 
d'arriver à l'entier repos dans la foi janséniste. 
Quoiqu'en réalité il ait moins varié qu'on ne le 

croirait à première vue et peut-être qu'il ne se l'est 

1 



2 LES EPOQUES 

imaginé lui-mtlme, il a paru cependant, aux diverses 
périodes de sa vie, dirigé tour à tour par des prin- 
cipes de conduite bien différents. De ces variations, 
nous retrouvons la trace dans les pages qu'il a 
écrites à chacune de ces époques : souvent nous y 
rencontrons des contradictions apparentes que sa 
biographie nous permet de résoudre, ou des contra- 
dictions réelles que sa biographie nous explique et 
dont elle nous fait mieux comprendre le sens et la 
portée. Pour pénétrer plus profondément sa pensée, 
il est donc nécessaire d'examiner attentivement de 
quel point il est parti, à quel point il est arrivé et 
par quels chemins, de traverse pour ainsi dire, il y 
est quelquefois parvenu. 

Sans doute, toutes les œuvres de Pascal n'exigent 
point également pour être comprises cette connais- 
sance intime de sa vie. On peut ne la point connaître 
et ne rien trouver d'obscur dans ses Traités scien- 
tifiques. Au contraire, ce sont eux qui nous éclairent 
sur rhistoire de sa pensée, puisqu'ils nous révèlent 
une face de son génie, qu'ils nous appreanent par 
leur seule existence vers quel ordre d'idées son es- 
prit s'est tourné un certain temps, qu'ils nous 
attestent combien il fut parfois éloigné du mépris 
janséniste de la science, qu'ils nous expliquent enfin 
certaines de ses habitudes de raisonnement et cer- 
tains caractères de sa méthode. 

Pour les Provinciales déjà, il n'est point inutile 



DE LA PENSEE DE PASCAL 3 

J'ôtre informé de sa biographie. Si elles sont des 
œuvres de polémique, inspirées par les Arnauld et 
les Nicole, construites avec les matériaux qu'ils 
avaient fournis, revues et corrigées d'après leurs 
conseils, composées dans un intérêt de secte par 
le «Secrétaire du Port-Royal* », elles sont aussi 
de l'auteur des Pensées, et sa personnalité s'y révèle 
mieux quand on connaît les événements qui ont 
alors fait naître et enflammé son zèle. 

Mais cela est encore bien plus nécessaire pour les 
Pensées et les Opuscules théologiques ou philoso- 
phiques. Car ces divers ouvrages n'étaient point 
destinés à être publiés ou bien ne devaient pas 
l'être dans la forme où nous les possédons actuelle- 
ment. Dans les uns, écrits par Pascal pour lui- 
même ou pour ses proches, nous saisissons pour 
ainsi dire son âme toute nue, précisément parce 
qu'il ne songeait point au public ; et dans les autres 
nous la surprenons de même, parce qu'ils n'étaient 
point encore prêts pour le public. Sainte-Beuve a 
dit^ que « Pascal, admirable quand il achève, est 
peut-être encore supérieur là où il fut interrompu ». 
Il n'entendait parler que de la forme, mais son ju- 
gement n'est pas moins vrai du fond. Les Pensées 



i. PP. Annat et NouET, Réponses aux Lettres provinciales publiées 
par le secrétaire du Port-Royal... (Liège, 1657.) 

2. Port-Royal, t. IH, p. 464. — Cf. aussi p. 391 : que ces fragments 
« nous font mieux voir et plus à fond Pascal lui-même ». 



k^ 



4 LES EPOQUES 

achevées et publiées par Pascal, c'aurait été sans 
doute un beau livre, d'une noble architecture et 
d'un art admirable; mais c'aurait été une Apologie 
du christianisme^ où le « moi haïssable » de Fau- 
teur se serait le plus possible effacé et aurait en 
partie^ disparu. Tel quel au contraire, c'est le re- 
cueil de ses idées, de ses impressions, de ses émo- 
tions quotidiennes, presque le journal de sa vie 
morale. 

Puisque le livre a ce caractère, puisque au corps 
de Touvrage dogmatique s'ajoutent certainement 
des pensées étrangères inspirées à Pascal par les 
événements de sa vie et datant des époques les 
plus diverses, on voit combien il importe pour les 
bien comprendre toutes de connaître ces événe- 
ments. Ainsi, on expliquera tel passage mal inter- 
prété en le rapprochant du fait qui Ta suggéré à 
l'auteur ; on supprimera les contradictions appa- 
rentes en replaçant chaque opinion dans le temps 
auquel elle appartient ; on entendra mieux les pen- 
sées d'une période en leur opposant les pensées 
contraires d'une période différente. Pour l'ensemble 
même de l'ouvrage, nous nous rendrons mieux 
compte de la conception du livre et du but que se 



1. Je dis en partie. Car on pourrait m'objecter que Bossuet, par 
exemple, bien qu'il ne cherche point à se mettre en scène, n'est 
pas absent de son Histoire des Variations, et que le « moi » de 
Pascal transparaît dans les Provinciales qu'il a lui-même rendues 
publiques. Je dis seulement qu'il y parait moins à nu. 



DE LA PENSEE DE PASCAL 5 

proposait Pascal, quand nous connaîtrons les cir- 
constances qui en ont fait naître l'idée chez lui, ce 
qui s'est passé pendant qu'il récrivait, et le public 
de lecteurs auxquels il le destinait ; nous sentirons 
mieux aussi ce qu'il peut y avoir d'original dans 
la méthode et dans le ton môme de cette Apologie^ si 
nous y retrouvons le souvenir et le remords d'un 
état d'esprit semblable à celui qu'il y veut guérir ; 
enfin, nous comprendrons mieux les dogmes qu'il 
embrasse et la morale qu'il en fait découler, quand 
nous le verrons, à la fin de sa vie, tout sacrifier 
pour les défendre et pour la suivre. 

En un mot, la vie de Pascal a réagi sur son 
œuvre : il en faut connaître les variations pour com- 
prendre les contradictions de ses écrits et c'est 
souvent par Textérieur, pour ainsi dire, qu'il fau- 
dra éclairer ses Pensées, Sa biographie est l'illustra- 
tion, et comme la lumière de son œuvre ^ 

1. Je citerai toujours les trois éditions : 

Havet (Deiagrave, 1897) : H. {tome et page ou 

article et pensée) ; 
Michaut(Fribourg, CoZZ. F/'i7>.,1896) : M. [pensée) \ 
Brunschvicg (Haciiette, 1300) : B. [page ou pensée); 

et pour les écrits qu'elles n'ont pas recueillis, 

Lahure (Hachette, 1866) : L. [tome et page). 

L'abréviation L. 0. M. [page) désigne l'édition des Lettres, 
Opuscules et Mémoires de A/™" Périer et de Jacqueline, sœurs de 
Pascal et de Marguerite Périer, sa nièce, donnée par Faugère 
(Paris, Vaton, 1845). 



% 



PREMIÈRE ÉPOQUE 

1635-1646 



/ 



LE MILIEU 



LA FAMILLE DE PASCAL *. RANG, FORTUNE. ETIENNE 

PASCAL : SES IDÉES ET SES SENTIMENTS EN MATIÈRE 
DE RELIGION ; SON GOUT POUR LES SCIENCES ET SES 
TRAVAUX. ÉDUCATION DE PASCAL. 



L'auteur, quel qu'il soit, du Discours sur les Pas- 
sions de V Amour a dit : « Je voudrais ne compter 
[la vie] que depuis la naissance de la raison et de- 
puis qu'on commence à être ébranlé par la raison, 
ce qui n'arrive pas ordinairement avant vingt ans: 
avant ce temps, on est un enfant; et un enfant n'est 
pas un homme ^ » Mais l'enfant prépare l'homme et 
les premières impressions reçues dans une âme en- 
core tendre par une raison qui s'éveille agissent 
puissamment sur un jeune esprit et contribuent 
pour une large part à former la pensée. 

\. H., t. H, p. 232; B., p. 124. 



10 LA PENSÉE DE PASCAL, I 

Pour Pascal en particulier, il est d^autant plus 
nécessaire d'étudier de près ses premières années, 
qu'il y a reçu une éducation exceptionnelle. On sait 
en effet qu'Etienne Pascal, ayant perdu sa femme, 
Antoinette Bégon, en 1626, voulut dès lors se con- 
sacrer entièrement à ses enfants. Il ne put se ré- 
soudre à confier son fils à des étrangers, ne le fit 
entrer dans aucun collège et fut toujours son 
unique maître ^ Il a donc pu diriger k sa guise l'es- 
prit de son fils, et le pénétrer de ses propres senti- 
ments. Comme Pascal avait alors trois ans, sa sœur 
Gilberte cinq, et Jacqueline un 2, qu'ils ont grandi 
sans être jamais séparés, l'intimité a dû être très 
grande entre eux et, malgré l'absence d'une mère"^, 
la famille de Pascal a eu sur lui une très puissante 
action, sans obstacle ni contrepoids : elle l'a un 
peu façonné à son image, et la connaître, c'est com- 
mencer à le connaître. 

La famille de Pascal avait été anoblie par 
Louis XI ^. Sur l'acte de naissance du fils^ le père 
est qualifié de « noble », la mère de « noble demoi- 



1. M"* Péribr, Vie de Biaise Pascal, H., t. I, p. lxiii; B., p. 2. 

2. Il était né le 19 juin 1623; Gilberte (M- Périer), le 3 jan- 
vier 1620; et Jacqueline (sœur Euphémie), le 4 octobre 1625. Etienne 
Périer avait eu une autre enfant morte en bas âge (Anthonia). 

3. Ce qu il y a d'un peu dur dans le caractère de Pascal ne 
s'expliquerait-il pas — dans une certaine mesure — par cette édu- 
cation exclusivement virile, où manquait la tendresse mater- 
nelle ? 

4. L. 0. M., Mémoire de Marguerite Périer, p. 418. 

5. Ibid.j Appendice 1, p. 475. 



ft 



LE MILIEU 11 

selle », et, dans son épitaphe, lui-même est appelé 
écuyer. Nous savons, d'ailleurs, qu'il avait des 
armoiries S puisqu'il les a changées après le miracle 
de la Sainte-Epine. Il était donc d'une bonne 
noblesse de robe; et, à considérer leur tableau 
généalogique 2, il semble qu'il y ait eu comme une 
dynastie des Pascal dans les cours de justice de 
l'Auvergne. Toutefois, si ancienne que fût sa 
noblesse, elle était cependant assez modeste : la 
noblesse de robe ne pouvait rivaliser avec la 
noblesse d'épée, et un magistrat de Parlement de 
province n'est pas un de ces personnages de 
marque qui priment en tout lieu. Ainsi sa nais- 
sance le plaçait à un rang intermédiaire, plus 
éloigné du peuple que des gentilshommes de grande 
race, dans cette haute bourgeoisie qui formait la 
classe la plus sérieuse de l'Etat. 

Son père, Etienne Pascal, possédait vraisembla- 
blement une certaine fortune. Nous n'avons point à 
ce sujet de renseignements très précis et trèssûrs^; 
nous savons seulement qu'il avait placé son bien 
en rentes sur l'Hôtel de Ville, puisqu'il fut un ins- 



1. Il prit un œil (ou un ciel) entouré d'une couronne d'épines. 
(Sainte-Beuve, Port-Royal^ III, 184.) — Seulement ces armoiries 
n'étaient peut-être qu'un cachet. 

2. L. 0. M., Appendice 2, p. 476. 

3. GoNOD, Recherches sur la maison où B. Pascal est ne, et sur 
la fortune d'Etienne Pascal (Glermont, 1847). Cf. Maurice Barrés, 
Peut-on conserver et doit-on conserver la maison de Pascal (Écho 
de Paris, 7 et 14 septembre 1900). 



12 LA PENSÉE DE PASCAL, I 

tant compromis par ses protestations contre le 
retranchement d'un quartier ^ Mais, pour qu'il 
renonçât à sa charge lucrative- et qu'il vint s'éta- 
blir à Paris sans y solliciter aucune fonction, lui 
qui avait un fils à élever et deux filles qu'alors il 
comptait bien marier toutes deux, il fallait assuré- 
ment que ses revenus lui assurassent une existence 
indépendante. 

Il est vrai que, en 1653, nous verrons Pascal es- 
sayer de retenir une part de la fortune paternelle 
que Jacqueline veut donner au couvent; la mère 
Agnès reconnaîtra alors « qu'il ne lui reste pas as- 
sez pour vivre comme les autres de sa condition'^ » ; 
et M""® Périer nous apprend que, plus tard, il avait 



1. En 1630, Etienne Périer avait vendu sa charge et la plus 
grande partie de ses biens et, en 1631, il s'était transporté avec 
tous les siens à Paris, où il comptait trouver plus de ressources 
pour l'éducation de son fils. 11 avait alors placé sa fortune en 
rentes sur l'Hôtel de Ville. En 1638, le chancelier Séguier retrancha 
un quartier de ces rentes et les porteurs se plaignirent : « 11 se dit 
ce jour-là des paroles et même, on fit quelques actions un peu 
violentes et séditieuses. » Comme Etienne Pascal « s'était ren- 
contré chez M. le chancelier avec beaucoup d'autres personnes 
qui avaient intérêt comme lui, aux rentes de l'Hôtel de Ville », il 
fut pris pour un des meneurs, et le cardinal le désigna avec trois 
autres pour être mis à la Bastille. Etienne Pascal se cacha : il 
revint au mois de septembre seulement, lorsque Jacqueline fut 
atteinte de la petite vérole: encore passa-t-il l'hiver enfermé dans 
sa maison. Il ne rentra en grâce qu'en avril 1639, après que Jac- 
queline eût joué, avec d'autres enfants, ÏAmour tijrannique de 
Scudéry devant le cardinal et eût su lui plaire (Cf. M"" Périer, 
Vie de Jacqueline Pascal, et Jacqueline Pascal, Letlve à son père, 
du 4 avril 1639, dans L. 0. M., p. 305). 

*2. n était second président en la Cour des aides de Clermont. 

3. Cf. L. O.M., Relalion de sœur Jacqueline de Sainte-Euphémie. 

p. m. 



LE MILIEU i3 

« peu de bien », que sa dépense « excédait son re- 
venu^ », et que parfois il était réduit à emprun- 
ter. Mais la fortune de son père était en ce moment 
partagée entre ses sœurs et lui ; ses maladies 
longues et pénibles lui avaient coûté beaucoup ; sa 
vie mondaine, à l'époque où parle la mère Agnès, 
devait Tentraîncr h des frais assez considérables, car 
il voulait sans doute égaler en tout les jeunes gens 
plus riches que lui avec lesquels il était lié; et, à 
la fin, c'étaient ses aumônes excessives qui le for- 
çaient à recourir aux banquiers. Dans la première 
période de sa vie, nous ne voyons jamais trace 
d'une pareille gêne et il a certainement vécu à son 
aise, sans privation, môme du superflu. 

La riche bourgeoisie et la noblesse de robe, sous 
l'Ancien Régime, ont toujours afl'ecté ime certaine 
indépendance en matière de religion. C'est parmi les 
notables et les magistrats que se sont recrutés les 
défenseurs les plus obstinés des libertés gallicanes 
menacées par les ultramontains. Et, h l'égard même 
de l'église gallicane ou du moins à l'égard du 
clergé, ils se piquaient de garder leur libre juge- 
ment et leur libre parler. Avec l'originalité et la 
verve en moins, avec la décence et la gravité en 
plus, la plupart semblent avoir eu les opinions qu'a 
exprimées un Guy-Patin, par exemple : leur reli- 
gion était solide, leur piété sincère, leur cœur 

1. Vie de Pascal^ H., t. I, p. lxxx; B., p. 27. 



14 LA PENSÉE DE PASCAL, I 

chrétien, mais leur langue franche et volontiers 
hardie. C'est pour cela d'ailleurs qu'ils ont si facile- 
ment accepté le jansénisme^ : cette doctrine austère 
satisfaisait à leurs tendances morales et à leur sé- 
rieux professionnel ; et elle se refusait à subir le 
joug de Rome, dans le temps oii le gallicanisme 
semblait s'y résigner — précisément pour la mieux 
combattre. 

Magistrat et d'une famille de magistrats, Etienne 
Pascal apportait dans les choses de la religion la 
môme gravité respectueuse, tempérée par la même 
liberté. Sa foi, sans aucun doute, était sans ré- 
serves : l'air du siècle était chrétien et le père de 
Pascal ne s'y sentait point gêné. C'est sans restric- 
tion aucune qu'il pouvait protester de son très 
grand respect pour la religion; et c'est tout natu- 
rellement qu'il l'inspirait à son fils, « lui donnant 
pour maxime que tout ce qui est l'objet de la foi 
ne le saurait être de la raison, et beaucoup moins 
y être soumis 2 ». 

Toutefois c'était im peu,semble-t-il, cette « reli- 
gion de coutume » dont parle Pascal, en déplorant 
qu'elle soit celle de tant de chrétiens -K Uniquement 
acceptée par l'esprit, elle ne pénétrait point, pour 
ainsi dire, jusqu'au cœur; elle n'était pas l'unique 

1 . Comme le protestantisme, à l'époque de François I" et Henri II, 
le stoïcisme au xvi* siècle. 

2. M"* Périer, Vie de Pascal. H., t. I, p. lxix; B., p. 11. 

3. Pensées, H., x,8 ; M., 424; B., 252. 



LE MILIEU 15 

inspiratrice des actions, la seule règle de la con- 

r 

duite. La religion aisée, indulgente, d'Etienne Pas- 
cal se conciliait sans peine avec les obligations et 
les plaisirs de la vie profane et mondaine : comme 
le dit sévèrement Thistorien de Port-Royal: « Il 
avait de la piété, mais elle n'était pas éclairée. Une 
connaissait pas encore les devoirs de la vie chré- 
tienne et il croyait pouvoir allier des vues de for- 
tune avec l'Evangile ^ » Ces sentiments ont plus 
tard laissé quelques traces dans la conduite d'Etienne 
Pascal, môme après sa conversion : comment expli- 
quer autrement que lui, un janséniste fervent, ait 
jusqu'à sa mort interdit à sa fille Jacqueline l'en- 
trée du couvent? 

Et môme, la famille de Pascal était d'abord telle- 
ment éloignée des voies d'un christianisme aus- 
tère qu'elle avait contre la vie religieuse des pré- 
ventions qui ne sont point sans nous surprendre. 
M"' Périer ne nous dit-elle pas de celle qui sera 
plus tard sœur Euphémie : « qu'elle avait un grand 
éloignement et même un peu de inépris pour la re- 
ligion [c'est-à-dire ici le couvent], parce qu'elle 
croyait qu'on pratiquait des choses qui n'étaient pas 
capables de satisfaire un esprit raisonnable 2. » Il 

r 

n'est pas jusqu'à ce respect qu'Etienne Pascal 



1. Histoire générale de Port-Royal^ t. III. 

2. M"* PéRiBR, \ie de Jacqueline^ L. G. M., p. 61, 



L.-_. 



16 LA PENSEE DE PASCAL, [ 

manifestait pour la religion, en séparant si nette- 
ment les choses de la raison des choses de la foi, 
qui n'atteste le même état d'esprit. Un partage si 
net, si absolu, a sans doute pour but de ne point 
compromettre ou dégrader la religion en y mêlant 
rien de profane ; mais n'est-il pas vrai que de lui 
réserver si scrupuleusement son domaine, c'est 
aussi lui interdire le domaine de la raison, c'est 
séculariser, ou, comme nous dirions, laïciser toute 
une partie de la vie ? Un respect qui interdit toute 
familiarité avec les choses saintes mène peut-être 
tout droit à une certaine indifférence pratique. 

Sans doute, cette indifférence n'est point du tout 
celle que nous pourrions trouver dans la bourgeoisie 
de notre temps. Le siècle est alors si généralement 
croyant, l'esprit de cette génération est si naturel- 
lement tourné vers la religion, que cette tiédeur se 
concilie fort bien avec une foi sincère et même 
superstitieuse. Déjà le lien est rompu qui avait si 
étroitement rattaché la raison et la foi*; mais, 
pendant quelque temps encore, elles feront route 
de conserve. En un mot, l'indépendance de la pensée 
chez le père de Pascal est celle d'un homme modéré, 
ami de la tradition et de la règle, élevé au milieu 
des enseignements du christianisme, en un temps 
voisin de celui où des incrédules comme le prince 

1. Cf. GiRAUD, Pascal^ p. 8 sq. ; État des espints et des doctrines 
en France entre 1620 et 1640. 



LE MILIEU 17 

de Condé et la princesse Palatine, ne se sentant 
point sûrs dans leur impiété, avaient besoin de s'y 
encourager et essayaient dans celte intention de 
brûler un morceau de la vraie croix. 

Nous en avons une preuve bien significative dans 
Tétrange histoire de sorcellerie que raconte Margue- 
rite Périer^ Biaise encore tout jeune étant grave- 
ment malade, une sorcière fut contrainte d'avouer 
qu'elle lui avait jeté un sort; menacée et battue par 
le grand-père, elle sauva l'enfant, en transportant 
le sort sur un chat qui mourut. L'état d'esprit d'un 
homme instruit, d'un magistrat, qui ajoute foi à ces 
incantations, nous est devenu étranger : les hommes 
les plus religieux de notre temps sont jaloux d'éviter 
le reproche de superstition; mais c'est une preuve 
du moins qu'au xv!!"* siècle, on était singulièrement 
plus enclin à croire au surnaturel que nous ne le 
sommes aujourd'hui, et Pascal lui-même a continué 
de croire aux sortilèges '-\ En tout cas, ce récit de 
Marguerite Périer doit être noté : une époque où 
de semblables croyances sont ré])andues est plus 
capable aussi d'une foi sans réserve. 

Mais, à ce moment, le père de Pascal n'est pas encore 
arrivé à la ferveur passionnée du jansénisme. 11 est 
tout au monde, tout aux'études profanes. Nous avons 

1. L. 0. M. Mémoire de M.irfçueritc Pcricr, p. 447. — Voir aussi 
Tépisode de la sorcière (iansTextraordiiiairc histoire de M. de Basolc 
(Recueil d'Utrecht, p. 174). 

2. Cf. Pensées, H., xxiii, 23 ; M., 773 et 422; B., 817 et 818. 

2 



18 LA PENSEE DE PASCAL, I 

peu de renseignements sur ce qu'il pensait de la 
philosophie de Descaries ; mais nous savons que 
le P. MersenneS le factotum de Descartes et son 
représentant à Paris, qui tenait les savants au 
courant des idées de son maître, était en relations 
étroites avec Etienne Pascal. De plus, le principe 
de la séparation de la raison et de la foi — qui 
d'ailleurs se trouve déjà dans Montaigne — est un 
des principes fondamentaux du cartésianisme : 
Tauteur du Discours de la méthode a toujours témoi- 
gné — ou atlecté — pour la religion et la morale 
ce même respect (jue professait Etienne Pascal. 
Enlin la méthode, sinon la philosophie de Descartes, 
était bien faite pour plaire à ce chrétien qui 
n'avait rien d'un ascète. C'est seulement quand une 
croyance est très vivante en nous que nous pensons 
à tout examiner à sa lumière, à en faire, pour ainsi 
dire, la pierre de touche des théories étrangères. Le 
cartésianisme ne pourra s'accorder avec le jansé- 
nisme^ qui méprise le monde et la science; il s'accor- 



\. Marin Mersenne (1.j88-1G48), religieux minime, ami déjeunasse 
de Descartes au collège de ï^a Flèche. En philosophie et en théo- 
logie, il est un des devanciers de Iluet, et comme lui, appuyait 
volontiers la foi sur le scepticisme. En science, il s'occupait surtout 
de mathématiques. Cf. l'article d'HAUHÉAu {Nouvelle bibliographie 
générale de Firmin Didot). 

2. Cf. Bhunetière, Etudes critiques^ 4° série : Jansénistes et Car- 
tésiens. — Taine disait de Descartes : « Mauvais chrétien. On a 
même cru que ses pratiques religieuses n'étaient que des conces- 
sions aux exigences religieuses du temps. Il n'a point l'esprit chré- 
tien; il se fait une morale provisoire; il cherche les hautes vérités 
métaphysiques, comme si elles n'étaient pas de la religion. Il met la 



LE MILIEU ♦ i9 

dait sans peine avec ce christianisme facile qui se 
concilie sans peine avec toutes les jouissances hon- 
nêtes de la vie et toutes les curiosités de l'esprit. 
En effet, Etienne Pascal se livrait avec ardeur et 
sans aucun scrupule aux recherches scientifiques. 
La conformité des goûts et des connaissances 
l'avait lié avec le P. Mersennc, avec les trois ma- 
thématiciens et géomètres, RobervaU, Fermât-, 



religion dans un coin de son esprit, sans la toucher pour s'en ser- 
vir ni pour l'attaquer. La religion consiste pour lui en la croyance 
machinale aux dogmes et en les pratiques qui en suivent. Il ne 
voit dans la religion que la matière^ le dogme et les rites, non le 
fond^ la philosophie et la morale » {Notes inédites). — Il faut 
noter pourtant que l'opposition foncière du cartésianisme et du 
jansénisme est longtemps restée inaperçue (Voir les preuves 
significatives qu'en donne Lanson, Littérat. française, p. 396, et se 
souvenir de la sympathie que des hommes comme BéruUe por- 
taient à Descartes. Cf. aussi Blondel, le Christianisme de Descaries ^ 
dans Rev. de métaphysique^ juillet 1896). 

1. GUles Persone de Roberval (1602-1675), professeur pendant 
quarante ans au Collège de France. Il « était un géomètre de 
génie. Il fit avancer la théorie de la Cycloïde, que seul Pascal 
acheva ; il inventa la méthode des indivisibles, qui était une ap- 
plication géométrique de ce que devait être en analyse pure le 
calcul différentiel et il traça la voie à Newton par sa méthode géo- 
métrique pour déterminer la tangente à une courbe quelconque. » 
(Bruxschvico, p. 7, note.) Il fut l'adversaire obstiné de Descartes 
depuis 1638, parce que Descartes avait paru faire peu de cas de 
ses travaux sur l'aire de la cycloïde. 

2. Pierre de Fermât (1601-1665), conseiller au Parlement de Tou- 
louse. « Avant Descartes peut-être, il avait appliqué la méthode 
de l'algèbre à la résolution des lieux géométriques; en tout cas, 
il fut le seul à indiquer une méthode pour résoudre les problèmes 
de maximum et de minimum qui était le pressentiment du calcul 
différentiel. D'autre part, il fut l'un des premiers qui étudièrent le 
calcul des probabilités et ses profondes spéculations sur les 
nombres sont célèbres ; certains théorèmes dont il n'a pas donné 
la démonstration, tout en faisant savoir qu'il la possédait, de- 
meurent aujourd'hui sans démonstration. » (Brunschvicg, loc. cil.) 
Il eut, lui aussi, un différend retentissant avec Descartes. Cf. l'ar- 
ticle enthousiaste et détaillé de la Nouvelle Biographie (générale. 



20 * LA PENSEE DE PASCAL, I 

Desargues*, avec Carcavi^, Mydorgo*\ Le Railleur^, 
et d'autres savants. Toutes les semaines, on se réu- 
nissait chez le P. Mersenne pour s'y communiquer 
des travaux, se proposer des problèmes de mathé- 
matiques ou des questions de physique et discuter 
les inventions des étrangers, avec qui on entre- 
tenait un commerce réglé de lettres. C'est à cette 
libre académie, devenue plus tard l'Académie des 

1. Gaspard Desargues de Lyon (1593-1662). 11 « s'occupait prin- 
cipalement des propriétés des coniques et de la géométrie segmen- 
taire ; mais il apportait dans cette étude un esprit généralisateur 
qui faisait Tadmiration de Descartes. Il s'est livré aussi à Tétude 
des questions relatives à la représentation des solides et la coupe 
des pierres, et par là, il a mérité d'être appelé par Poncelet le 
Monge de son siècle. Très habile en architecture et en mécanique, 
il essaya d'initier les architectes de son temps aux méthodes scien- 
tifiques». (Brunscbvico, loc. cit.) Dans ses Basais pour les coniques^ 
Pascal se reconnaît son disciple : « Nous démontrerons aussi la 
propriété suivante, dont le premier inventeur est M. Desargues, 
lyonnais, un des plus grands esprits de ce temps et des plus 
versés aux mathématiques, et entre autres, aux coniques, dont 
les écrits sur cette matière, quoiqu'en petit nombre, en ont 
donné un ample témoignage à ceux qui auront voulu en recevoir 
l'intelligence, ie veux bien avouer que je dois le peu que j'ai 
trouvé en cette matière à ses écrits, et que j'ai tâché d'imiter, 
autant qu'il m'a été possible, sa méthode sur ce sujet. » (L., III, 
p. 184.) C'est sur cette phrase que Descartes, avec quelque mal- 
veillance, s'appuya pour soutenir que les Essais n'avaient aucune 
originalité. 

Les trois géomètres précédents sont les véritables maîtres de 
Descartes. (Voir sur eux Desboves, Etude sur Pascal et les géo- 
mètres contemporains. Delagrave, 1878.) 

2. Pierre de Garcavi, lyonnais lui aussi (? — 1684), conseiller au 
grand conseil de Paris, puis sous Colbert, bibliothécaire du roi; 
un des premiers membres de l'Académie des sciences. 

3. Claude Mydorge (1583-1647), lié avec Descartes au siège de la 
Rochelle, prit le parti de Fermât contre Descartes, mais s'entremit 
entre eux comme médiateur. Il s'est adonné surtout à la fabrica- 
tion de verres et de miroirs perfectionnés pour les études de phy- 
sique. 

4. Le Pailleur, parmi ces savants, était surtout un amateur. 




LE MILIEU 21 

sciences*, que Pascal a dédié plusieurs ouvrages 
en 1654 : Ceieberrimœ matheseos Academiœ Pari- 
siensi ; et le père de Pascal y tenait une place im- 
portante. Nous le voyons toujours s'intéresser vive- 
ment aux inventions de son fils : c'est à lui que 
Pascal dédia ses Nouvelles expériences touchant le 
vide (1647), et c'est lui qui, en 1648, écrivit au 



1. L'Académie des Sciences ne fut fondée qu'en 1666. Auparavant, 
les réunions des savants s'étaient faites chez le P. Mersenne, puis 
« chez de Montmor, maître des requêtes, et ensuite chez Thévenot» 
(Fontenelle). Il est à remarquer que, sauf le P. Mersenne, la plupart , 
de ces savants étaient adversaires de Descartes; Gassendi même 
prit part à ces assemblées. On s'explique ainsi que Pascal et 
Descartes n'aient jamais vraiment sympathisé ensemble. Mais 
l'opposition vient surtout peut-être de la différence de leurs esprits. 
— Cf. Taine, Différence et contraste entre Pascal et Descaries : 
« L'un, modéré en tout, cherchant tant qu'il ne trouve pas l'évidence, 
mais s'arrêtant alors, doué d'une curiosité calme, n'ayant point 
d'angoisse et d'excès dans son amour de savoir, douteur par 
méthode et non par nature, aimant la science seule, s'occupant 
moins de morale que de métaphysique et de géométrie, savant 
par excellence et bien plus qu'homme, heureux et tranquille dans 
la conscience de sa certitude, ayant quelque chose de froid, un 
peu égoïste, ne cherchant qu'à repaître son esprit de vérités abs- 
traites et pures, ne s'occupant guère du problème de la destinée 
humaine. Pascal, au contraire, tout passion, tout ardeur, esprit 
impétueux aux éclairs de génie, comprenant le vrai non par une 
méthode logique et lente, par des illuminations d'intelligence, 
d'une imagination extrêmement vive et nette; prompt d'esprit, 
pénétrant d'un coup et par un mouvement instantané jusqu'au 
fond de plusieurs vérités profondes ; éclairant tout d'un coup un 
abtme; âme pleine de douleur, d'anxiétés, de doutes, cherchant la 
vérité avec gémissements et angoisses » {Notes inédiles). — Voir 
là-dessus, Baillbt, Vie de Descaries (Paris, 1691); IIavet, Descartes 
et Pascal [Rev. politique et littéraire^ 29 août 1885) ; Adam, Pascal 
et Descartes (Rev. philosophique, 1887, t. II) ; Fouillée, Descartes 
(Hachette, 1893); P. Tanxery, Descartes physicien {Rev. de meta- 
physique^ juillet, 1896) ; Bernard Bhuxues, le Mécanisme cartésien 
et la physique actuelle {Quinzaine^ V" juillet, 15 décembre 1893) 
15 janvier 1897) ; Brunschvico, p. 42-43; Giral'd,p. 23-24 et 32-33; le 
lieutenant Périer dans le Pascal d'IlATZFELo. 



22 LA PENSEE DE PASCAL, I 

P. Noël la longue et énergique épître, où il défend 
à la fois et les théories scientifiques et Thonneur 
de son fils. 

Pourtant il ne fit point aux sciences une part 
excessive dans l'éducation de Pascal. Au contraire, 
« comme il savait que la mathématique est une 
science qui remplit et qui satisfait beaucoup l'esprit, 
dit M""^ Périer, il ne voulut point que mon frère en 
eût aucune connaissance, de peur que cela ne le 
rendît négligent pour la [langue] latine et les autres 
langues dans lesquelles il voulait le perfectionner ». 
Et il avait caché les livres de mathématiques, se 
gardant môme de parler de cette science en pré- 
sence de l'enfant. On sait comment ses précautions 
furent déjouées et comment un beau jour il sur- 
prit son fils occupé à se démontrer à lui-même, 
avec des « barres » et des « ronds » la trente-deuxième 
proposition du premier livre d'Euclide : que la somme 
des angles d'un triangle est égale à deux droits'. 

Selon M"'*' Périer, Pascal avait réellement réin- 
venté les mathématiques, posant d'abord de lui-même 
des définitions et des axiomes, et trouvant la série 
successive des démonstrations antérieures. Ce pro- 
dige a paru incroyable. L'historien des mathéma- 
tiques, Montucla, a supposé que Pascal n'avait peut- 
être pas suivi la marche même d'Euclide : « Cette 
proposition dérive de deux autres des lignes paral- 

1. Vie de Pascal. IL, t. I, p. lxv ; B., p. 5. 



LE MILIEU 23 

lèles qu'il n'est pas impossible à un esprit juste et 
né pour la géométrie d'apercevoir, quoique peut- 
être il ne pût se les démontrer rigoureusement ^ » 
Tallemant des Réaux était même allé plus loin; et, 
nous ne savons sur quel fondement, il raconte que 
Pascal avait lu en cachette un Euclide et en avait 
compris seul les six premiers livres-. Mais, en 
admettant même la version la plus modeste, l'apti- 
tude de Pascal aux mathématiques et son génie n'en 
resteraient pas moins merveilleux. 

r 

M™* Périer nous dit aussi qu'Etienne Pascal avait 
une méthode particulière — toute de raisonnement 
et de logique — pour enseigner le latin, le grec, et 
« les diverses parties de la philosophie ». Et, d'après 
les renseignements qu'elle nous donne, il est aisé 
de voir que l'éducation de Pascal fut, sinon exclu- 
sivement scientifique, au moins toute philosophique 
et intellectuelle^. 

Fût-ce, comme Etienne Pascal le craignait, parce 
que les sciences ont exclusivement absorbé l'esprit 
de son fils? Fût-ce parce que le père était lui-môme 
peu capable de bien enseigner tout ce qui échap- 
pait à sa compétence de savant? Toujours cst-il que 
Pascal ne paraît pas avoir connu grand'chose en 

1. Histoire des mathématiques (Agasse, Paris, an Vil), t. If, 
p. 62. 

2. lUstoinettes, 188-189. 

3. Vie de Pascal^ IL, t. I, p. lxiv; B., p. 3 sq. — Cf. Adam, 
Éducation de Pascal {Revue bourguignonne de Venscignement 
secondaire et de renseignement supérieur^ 1888.) 



24 LA PENSEE DE PASCAL, I 

dehors de la géométrie et la physique. Il parle 
assez rarement des anciens, et, d'ordinaire, ce qu'il 
en sait lui vient de Montaigne*. De la littérature 
française, il n'a guère lu que ce même Montaigne, 
et son disciple Charron-, quelques traités de 
Du Vair-^, peut-être quelques œuvres de saint Fran- 
çois de Sales'', les pièces de Corneille qui était lié 
avec sa famille^, Descartes naturellement, plus tard 
Balzac et peut-être quelques autres ouvrages h la 
mode^'. Quant aux études plus sérieuses de théo- 
logie et de philosophie, il s'y est adonné trop tard 
pour en être bien instruit, s'il faut en croire et 
Nicole', et cet oratorien qui le trouvait « si 

1. Il a lu Épitecte, mais sans doute dans la traduction du 
P. Goulu ou dans celle de Du Vair (Cf. Giraud, loc. cit., p. 21, 
note). — lia peut-être lu Gicéron, dont il blâme les « fausses beautés » 
(Pensées^ IL, vu, 35; M., 739; B., 31); mais il se peut aussi qu'il 
ait emprunté ce jugement à Montaigne ou au chevalier de Méré 
(Cf. surtout Œuvres, II, 2). — Il connaissait Sénéque [Reo. d'Hisl. 
lut. de la France, 1897, p. 315-316). — En revanche, il n'avait « au- 
cune leinlure » (rilouiérc et, à en croire une phrase (équivoque 
d'ailleurs) d'un janséniste obscur, < il n'avait jamais pu le goûter » 
(Port-Royal, IV, 600). 

2. Cf. Pensées, H., vi, 33; M., 446; B., 62. 

3. Cf. Fr. Collet, Un fait inédit de la vie de Pascal (Paris, 1848). 

4. Cf. Strowski, Saint François de Sales (Pion, 1898), liv. V, 
ch. V : Les traces de cette doctrine [du Traité de V amour de Dieu] 
dans Pascal et Rossuet. 

5. C'est lui qui a remercié les juges des Palinods de Rouen, au 
nom de la famille de Jacqueline (1640). 

6. Cf. Pensées, H., xxv, 68; M., 756; B.,13, où il fait mention 
d\irf amène ou le grand Cyrus. — Voir aussi la Première lettre 
de Racine à l'auteur des Visionnaires. 

7. Nicole traite Pascal de «Ramasseur de coquilles» (PoW-Boya/, 
m, 184, note). — Cf. dans VÉloge de Pascal du même Nicole: «Non 
enim eruditione multiplici laborisque diligentia [ingenium] cen- 
sendum est : sit doctorum vulgaris illalaus, non ejus sane qui ad 
inveniendas potius quam ad discendas scientias natus erat. » 



LE MILIEU 25 

intelligent, mais si ignorant^ ». 11 se peut que ces 
théologiens exagèrent et qu'ils fassent simplement 
allusion à une ignorance bien naturelle des arcanes 
de la théologie ; mais il n'en est pas moins vrai que 
Pascal avait assez peu lu et que toutes ses connais- 
sances historiques dans les Provinciales et dans les 
Pensées lui viennent ou de Montaigne, ou des notes 
fournies par Port-Royal, ou de quelques livres très 
spéciaux, comme le Pugio Fidei-, 

Ainsi, grâce à Téducation qu'il avait reçue et à 
ses dispositions merveilleuses'^, Pascal se précipita 
dans d'étude des sciences avec l'impétuosité de sa 
nature ardente. Il s'y mit tout entier, et les travaux 
de géométrie et de physique suffirent d'abord à 
cette imagination si fougueuse et à cette sensibilité 
plus tard si emportée. 

1. Le P. Thomassin de l'Oratoire. {Port-Royal^ III, 8o, note). 

2. Cf. la Préface de rédition Molimek. — Aurait-il lu aussi le 
Commentaire sur la vie d'Appollonius d'ÀRTUS Thomas, et le Trac- 
latus de reprohatione sententiœ Pilât i de Ludovicus Montaltus ? 
(VoirTarticle de M. Jovy et la Rev. cVHist. litt., 1895, p. 248.) 
— Aurait-il lu la Morosophie de Guillaume de la Perrière ? (Voir 
l'article de M. Parturier dans la Rev. cVlUst. litl., 1900, p. 297.) 

3. Cf. notamment, pour sa <f promptitude aux nombres » et sa 
« mémoire prodigieuse » des choses encore plus que des mots, 
Port'Royalj II, 501-502 et 462. — Rapprocher de ces dispositions 
extraordinaires et de cette éducation anormale, les dispositions et 
l'éducation d'un autre savant, moderne celui-là, Joseph Bertrand. 
{Eloge par M. Darbocx, Académie des sciences, 16 décembre 1901.) 



11 



LES DÉBUTS 



LA JEUNESSE DE PASCAL l LA RELIGION ET LE MONDE. — 

PREMIERS TRAVAUX SCIENTIFIQUES. PASCAL A ROUEN I 

LA MACHINE ARITHMÉTIQUE. AMOUR DE LA SCIENCE 

ET DE LA GLOIRE. 



C'est dans tout le feu de cet enthousiasme pour 
la science que Pascal passa de Tenfance h la jeu- 
nesse, de Tâge où Ton reçoit docilement les inspi- 
rations des parents et des maîtres, à Tâge où « Ton 
commence à être ébranlé par la raison ». Ce ne fut 
chez lui qu'une insensible transition. Guidé dès ses 
plus jeunes années par un père attentif, il a, en 
toute confiance, accepté ses leçons, suivi ses idées, 
acquis peu h peu ses opinions et même ses goûts. 

En particulier, il ne fait aucune difficulté d'ad- 
mettre l'absolue séparation de la raison et de la 
foi. Nous avons à ce sujet le témoignage très pré- 
cis de M"'*' Périer. Elle voit une protection spéciale 



' LES DÉBUTS 27 

de Dieu dans la façon dont son frère a été préservé 
« du libertinage en ce qui touche la religion, ayant 
toujours borné sa curiosité aux choses naturelles ». 
Les leçons d'Etienne Pascal « avaient fait, dit-elle, 
une si grande et si vive impression sur son esprit 
que, quelque discours qu'il entendît faire aux 
libertins, il n'en était nullement ému ; et quoiqu'il 
fût fort jeune, il les regardait comme des gens qui 
étaient dans ce faux principe, que la raison humaine 
est au-dessus de toutes choses et qui ne connais- 
saient pas la nature do la foi; et ainsi, cet esprit 
si grand, si vaste et si rempli de curiosité, qui 
cherchait avec tant de soin la cause et la raison de 
tout, était en môme temps soumis à toutes les 
choses de la religion comme un enfant; et cette 
simplicité a régné en lui toute sa vie ' ». On retrouve 
en effet la trace de tels sentiments même dans 
ses ouvrages profanes. C'est ainsi, qu'à la fin de son 
Traité des sections coniques (1639-1640) il écrit : 
c< Si l'on juge que la chose mérite d'être continuée, 
nous essaierons de la pousser jusqu'où Dieu nous 
donnera la force de la conduire-. » Cette mention 
de Dieu à la fin d'un ouvrage de géométrie est 
tout au moins le témoignage d'une foi assez pré- 
sente. 

Cependant, les sentiments religieux de Pascal, 



1. Vie de Pascal^ II., t. I, p. lxix ; B., p. 11, 

2. L., 111,183. 



28 LA PENSÉE DE PASCAL, I 

pour être sincères, n'avaient rien de cette intransi- 
geance à laquelle ils sont arrivés plus tard. Ses 
sœurs, tout en affirmant la persistance de sa foi, 
ne disent rien sur la piété qu'il aurait manifestée 
dans sa jeunesse. Or, pour qui a lu le Nécrologe 
de Port-Royal^ il est bien certain qu'on n'eût point 
oublié de noter cette piété, si elle avait eu rien de 
remarquable. 

Lisons d'ailleurs la Prière sur le bon usage des 
maladies, qui doit faire allusion à cette époque, 
puisque les éditeurs nous apprennent que Pascal 
«la composa étant encore jeune». Il y reconnaît 
que " sa vie passée a été exempte de crimes », 
c'est-à-dire sans doute d'inconduite et d'incrédulité, 
car, dans son ardeur janséniste, l'incrédulité lui 
eût paru un crime. Mais il s'y reproche « sa négli- 
gence continuelle, le mauvais usage des sacre- 
ments, le mépris de la parole de Dieu, l'oisiveté, 
et l'inutilité totale [au point de vue du salut, évi- 
demment] de ses actions et de ses pensées, enfin, 
la perte du temps que Dieu lui avait donné pour 
l'adorer*». Il a aimé le bonheur, envié « une for- 
tune avantageuse, une réputation glorieuse, une 
santé robuste », parce qu'elles lui permettaient « de 
s'abandonner avec moins de retenue, dans l'abon- 
dance des délices de la vie et d'en mieux goûter 

1. l viii, H., t. II, 223 sq. ; B., p. 56.— Cf. H. Joly, Mainte 
Thérèse (Lecoflre,^1902), p. 32. 



LES DEBUTS 29 

les plaisirs*». Son cœur était «rempli des idées, 
des soins, des inquiétudes et des attachements du 
monde ^ » et le monde « a été l'objet de ses dé- 
lices^». 

En effet, la situation du père de Pascal était 
devenue assez brillante pour que son fils fût davan- 
tage porté aux distractions profanes et se laissât 
un peu séduire au monde ^. Etienne Pascal avait 
été nommé, en 1639, intendant pour les tailles en 
Normandie, conjointement avec M. de Paris. On 
sait quelle était la presque omnipotence des inten- 
dants en province et quel personnage ils y jouaient. 
Ajoutons que les deux intendants, à partir de 1643, 
exercèrent un pouvoir extraordinaire en raison de 
la révolte des Va-nu-pieds et que le terrible cardi- 
nal de Richelieu avait montré pour le père de Pascal 
une indulgence rare, puis une bienveillance flat- 
teuse. Aussi devait-il compter parmi les notables 
de Rouen et avoir des relations avec la plus haute 
société : dans l'affaire du frère Saint- Ange, nous 
voyons Pascal en visite chez des conseillers du par- 
lement et lié avec des jeunes gens de la noblesse 
de robe. La famille avait donc des idées profanes : 
c'est alors (1641) que Gilberte épousa son cousin 

1. 8 IX. 

2. g IV. 

3. g V. 

4. Cf. Bouquet, articles sur Pascal à Rouen [Bulletin de la Com- 
mission des antiquités de la Seine-Inférieure^ i^^^\ Journal de 
Bouen, juillet 1888). 



30 LA PENSÉE DE PASCAL, I 

Périor, et il ne semble pas qu'en cette occasion 
personne se soit fait les scrupules que se feront 
plus tard et Port-Royal et Pascal et M"'*' Périer 
elle-même. Ainsi, Pascal, jeune, heureux, « parfai- 
tement beau* », fier de la prospérité de sa maison, 
appuyé sur la protection du tout-puissant cardinal, 
ouvrait son ûme à Tespérance et h la vie. 

D'ailleurs, il n'avait pas seulement toutes les 
faveurs de la fortune, il avait déjà la gloire. Le 
bruit de ses étonnantes aptitudes scientifiques s'était 
répandu, et Descaries lui-même — si prompt du 
reste à s'inquiéter — en avait pris ombrage. 11 
persistait' ù soutenir que le Traité des sections 
coniques ne pouvait pas être du jeune Pascal, mais 
que son père, le véritable auteur, lui en cédait 
sans doute Thonneur, par amour paternel. Du 
moins, l'invention de la Machine arithmétique ne 
fut pas contestée au jeune homme. C'est pour aider 
son père dans « les calculs infinis » que lui impo- 
sait la tenue des livres, qu'il en avait conçu l'idée ; 
et, pour parachever son invention, il se donna une 
peine hors de proportion assurément avec l'utilité 
qu'on en peut retirer -^ 

Cette recherche passionnée, qui ruine sa santé 
déjà ébranlée, cette obstination à triompher des 

1. L. 0. M. Métnoire de Marguerite Périer, p. 444. 

2. Lettre au P. Mersenne . 

3. Cf. Bertrand, Blaùie Pascal (Galmann-Lévy, 1891), et, au con- 
traire, radiniration de Leibniz. 



LES DEBUTS 31 

difficultés théoriques ou matérielles, des atteintes 
de la maladie ou des maladresses des ouvriers, 
nous révèlent un trait important du caractère de 
Pascal. Toute sa vie, il se jettera avec le même élan 
dans la voie qu'il vient de découvrir, il luttera 
contre la nature, contre les autres, contre lui-môme, 
tant qu'il n'aura pas atteint le but qu'il « cherche 
en gémissant » ou réalisé l'idéal qu'il a rêvé. Pour 
le moment (1645), il est tout géomètre, et il place 
au premier rang cette « véritable science, qui, par 
une préférence toute particulière, a l'avantage de 
ne rien enseigner qu'elle ne démontre^ ». 

Ce n'est pas tout : à cette date, son ardeur pour 
la science est encore excitée par l'amour de la 
gloire. Sa Machine enfin achevée, il se hâte d'en 
rendre la description publique, afin que tous la 
connaissent et sachent « qu'elle est le coup d'essai 
d'un jeune homme de vingt ans-». Ce n'est rien 
moins qu'un personnage illustre comme le chan- 
celier Séguier qu'il choisit, pour lui dédier sa 
découverte. Et, dans son Avis à ceux qui verront la 
Machine arithmétique^ rien n'est plus curieux que 
la fierté avec laquelle il énumère soigneusement 
les difficultés qu'il a vaincues, si ce n'est l'empor- 
tement avec lequel il se plaint que des ouvriers 
maladroits, en construisant de mauvaises machines, 



1. Dédicace au cîiancelier Réguler (164.')), B., p. 47. 

2. Ibid. 



>.. 



32 LA PENSÉE DE PASCAL, I 

discréditent la sienne et compromettent sa gloire. 
II n'a pas assez de mépris ironique pour le « bon- 
homme » qui, sans rien connaître aux sciences, « a 
eu la hardiesse » de rivaliser avec lui, pour la 
machine imparfaite, « Tavorton » qu'il a produit, et 
pour la naïve admiration de « ceux qui n'y con- 
naissent rien » ; et son premier mouvement de 
dépit à cette vue le pousse à tout laisser là sur le 
champ K C'est bien la marque de ce goût de Texcel- 
lence, libido excellendi^ dont M™® Périer nous 



1. Voici ce texte très curieux : «Cher lecteur, » dit- il, après avoir 
mis en garde contre les « mauvaises copies de cette machine qui 
pourraient être produites par la présomption des artisans », « cher 
lecteur, j'ai sujet particulier de te donner ce dernier avis, après 
avoir vu de mes yeux une fausse exécution de ma pensée faite par 
un ouvrier de la ville de Rouen, horloger de profession, lequel, sur 
le simple récit qui lui fut fait de mon premier modèle que j'avais 
fait quelques mois auparavant, eut assez de hardiesse pour en 
entreprendre un autre, et qui, plus est, par une autre espèce de 
mouvement ; mais, comme le bonhomme n'a d'autre talent que 
celui de manier adroitement ses outils, et qu'il ne sait pas seule- 
ment si la géométrie et la mécanique sont au monde : aussi (quoi- 
qu'il soit très habile en son art, et même très industrieux en 
plusieurs choses qui n'en sont point), ne fit-il qu'une pièce inutile, 
propre véritablement, polie et très bien limée par le dehors, mais 
tellement imparfaite au dedans, qu'elle n'est d'aucun usage. Tou- 
tefois, à cause seulement de sa nouveauté, elle ne fut pas sans 
estime parmi ceux qui n'y connaissaient rien, et, nonobstant tous 
les défauts essentiels que l'épreuve y fit reconnaître, ne laissa pas 
de trouver place dans le cabinet d'un curieux de la même ville 
rempli de plusieurs autres pièces rares et ingénieuses. L'aspect de 
ce petit avorton me déplut au dernier point, et refroidit tellement 
l'ardeur avec laquelle je faisais alors travailler à l'accomplisse- 
ment de mon modèle, qu'à l'instant même, je donnai congé à tous 
mes ouvriers, résolu de quitter entièrement mon entreprise, par la 
juste appréhension que je conçus qu'une pareille hardiesse ne pût 
venir à plusieurs autres, et que les fausses copies qu'ils pouvaient 
produire de cette nouvelle pensée n'en ruinassent l'estime dès sa 
naissance avec l'utilité que le public pouvait en recevoir. Mais 



LES DEBUTS 33 

apprend que plus tard il se défendait attentive- 
ment *. 

Ainsi, dans cette première période de sa vie, 
l'amour de la science et l'amour de la gloire capti- 
vaient toutes les puissances de son âme, et la 
religion, réduite h un rôle effacé, n'occupait qu'une 
place secondaire dans sa pensée et dans ses actions. 
« Il était bien éloigné de Dieu, dit l'austère his- 
torien de Port-Royal, puisqu'il aimait les diver- 
tissements qui ne peuvent s'accorder avec son 
esprit 2. » 



quelque temps après, M. le chancelier, ayant daigné honorer de 
sa vue mon premier modèle, et donner le témoignage de l'estime 
qu'il faisait de cette invention, me fit commandement de la 
mettre en sa perfection; et, pour dissiper la crainte qui m'avait 
retenu quelque temps, il lui plut de retrancher le mal dès sa 
racine, et d'empêcher le cours qu'il pouvait prendre au préjudice 
de ma réputation et au désavantage du public, par la grâce qu'il 
me fit de m'accorder un privilège, qui n'est pas ordinaire, et qui 
étouffe avant leur naissance ces avortons illégitimes qui pourraient 
être engendrés ailleurs que de la légitime et nécessaire alliance de 
la théorie avec l'art, y- (L , t. 111, p. 188.) — Il faut avouer qu'il 
y a loin de ce style au style des Provinciales et des Pensées. 

1. Cf. Augustinus^ t. Ill, l. lll, ch. viii. — Il faut pourtant croire 
que malgré lui, il lui en est resté quelque chose jusqu'à la fin: 
« Dans les conversations, dit l'historien de Port-Royal, il paraissait 
un peu dominemt et décisif à ceux qui ne le connaissaient pas ; 
mais on reconnaissait bientôt que ce n'était que la vivacité et la 
justesse de son esprit qui le faisaient ainsi parler. » {histoire de 
Vahbaye de Port-Royal^ t. IV.) 

2. Histoire générale de Port-Royal, t. III. 



.3 



DEUXIÈME EPOQUE 

1646-1649 



I 



LE PBEMIEB JANSÉNISME 



LA PREMIÈRE « CONVERSION » I NATURE, CIRCONSTANCES, 

CAUSES. LES ÉCRITS JANSÉNISTES : PRIÈRE SUR LE 

BON USAGE DES MALADIES, LETTRE SUR LA MORT, 
LETTRES, ETC. l'aFFAIRE SAINT-ANGE. 

C'est dans le courant de l'année 1646 qu'eut lieu 
ce qu'on appelle la « première conversion » de Pas- 
cal. Cette expression est universellement admise et 
comme consacrée par la longue habitude de tous 
ceux qui ont parlé de lui ; mais il importe d'en bien 
éclaircir le sens. Nous savons assez exactement ce 
qu'il était avant et ce qu'il fut après la première 
conversion : le mot ne risque donc pas ici de nous 
induire en erreur ; au contraire, les années mon- 
daines qui ont procédé la seconde, nous sont mal 
connues; et, à prendre le terme dans sa significa- 
tion ordinaire, nous pourrions en tirer des conclu- 
sions excessives sur cette période obscure. 



38 LA PENSÉE DE PASCAL, II 

Dans une conversion. l'intelligence joue un rôle, 
puisque la vérité d'une doctrine et la fausseté d'une 
autre sont saisies par Tesprit; la sensibilité enjoué 
un aussi, puisque des mobiles affectifs peuvent avoir 
déterminé ou favorisé l'adhésion de l'intelligence ; 
la volonté enfin joue le sien, puisque le converti 
doit conformer désormais sa vie à sa nouvelle foi. 
Or pour nous, c'est avant tout ce qu'il y a A^intel- 
lectiiel dans une conversion, qui la constitue à pro- 
prement parler : on se convertit quand on change 
de croyance, quand on passe d'une doctrine hétéro- 
doxe ou de la négation de toute doctrine religieuse 
à une doctrine orthodoxe. 

Il n'en est pas toujours de même au xvu" siècle. 
Sans doute on y parle de la « conversion » de Tu- 
renne et la grande affaire du siècle finissant sera la 
i< conversion » des protestants. Mais dans bien des 
cas le mot a une portée de beaucoup plus restreinte. 
Se convertir alors, ce n'est plus changer de croyance, 
c'est revenir pour s'y attacher plus fermement à 
une doctrine quelque peu délaissée, c'est se dégager 
de la vie du monde pour renaître à la vie chré- 
tienne. M"' de Longueville, M""' de Sablé, M"'*^ de la 
Vallière se sont «converties » ; or, si elles avaient 
commis des fautes retentissantes, enfreint les lois 
de la morale et de la religion, elles ne s'étaient 
point abandonnées à une impiété systématique; 
c'est donc uniquement la réforme de leurs mœurs 



LE PREMIER JANSENISME 39 

que l'on veut désigner par ce mot. A plus forte rai- 
son en scra-t-il de même de Pascal : il n'a pas à se 
reprocher de pareils écarts de conduite, il s'est tout 
au plus laissé aller à une certaine indifférence reli- 
gieuse; il n'y a pas là matière à une abjuration, à 
une conversion véritable. 

Ajoutons que ceux qui ont les premiers employé 
cette expression étaient des jansénistes ; et les jan- 
sénistes avaient leur vocabulaire à eux. Le jansé- 
nisme ayant tous les caractères d'une secte, par le 
petit nombre des fidèles, par les soupçons qu'il exci- 
tait et les persécutions qu'il avait à subir, par les 
voies mystérieuses dont il était contraint d'user, par 
l'opposition tranchée qu'il voyait entre la pureté dé 
ses doctrines et la corruption des dogmes dans 
TEglise, par l'austérité morale qu'il affichait, était 
facilement porlé à se servir de bien grands mots. 
Pris individuellement, chacun y était humble, car 
une foi sincère lui en faisait un devoir; mais il en 
est un peu de l'humilité dans les sectes comme de 
la pauvreté dans les ordres mendiants : tous les 
membres de Tordre méprisent réellement les 
richesses pour leur propre compte, mais ils les 
recherchent pour le compte de la société; et le 
désintéressement qu'ils se reconnaissent, le senti- 
ment du devoir auquel ils se croient tenus, un reste 
d'amour-propre caché sous la forme de l'esprit de 
corps, les rendent d'autant plus hardis dans cette 



40 LA PENSEE DE PASCAL, II 

poursuite qu'ils s'y efforcent en toute sûreté de 
conscience. Ainsi le janséniste, reportant sur le 
petit troupeau dont il fait partie tout Tamour-propre 
dont il se dépouille, convaincu de posséder lui et 
les siens la vérité absolue, est poussé à exagérer en 
parole la distance qui le sépare de ceux qui ne sont 
pas fidèles et à transformer des nuances de doctrine 
en des oppositions violentes. Toutes les sectes qui 
ont la prétention de réformer le monde en sont là, ; 
et les termes si forts qu'emploient les jansénistes 
ne doivent pas plus être pris à la lettre que les exa- 
gérations des puritains par exemple. 

La conversion de Pascal aura donc consisté à pas- 
ser d'une tiédeur respectueuse au zèle enflammé des 
stoïciens du christianisme ; mais cette transforma- 
tion s'est faite dans le sein de l'Eglise et il n'a pas 
eu à y rentrer, puisqu'il n'en était pas sortie 

On connaît les circonstances de cette conversion. 

r 

Etienne Pascal, au mois de janvier 1646, s'était dé- 
mis la cuisse en tombant sur la glace. lient recours 
à deux gentilshommes du pays, La Bouteillerie et 
Deslandes, tous deux disciples du curé janséniste 
de Rouen, Guiilebert, et devenus guérisseurs assez 
habiles en soignant les pauvres. Ils s'installèrent 
pendant trois mois chez lui et y répandirent la bonne 



1. Cf. une «conversion)/ du même genre chez sainte Thérèse 
dans les premières années de sa vie religieuse (H. Joly, loc. cit., 
p. 31-33). 



LK PREMIER JANSENISME 41 

parole de la doctrine nouvelle. «On voulut lire les 
livres de piété qu'ils lisaient, afin de s'instruire de 
la religion comme ils relaient. Ce fut ainsi que la 
famille de Pascal commença à prendre connaissance 
des ouvrages de Jansénius [par la lecture du Dis- 
cours sur la Réformation de r homme intérieur^ dont 
il est l'auteur], de ceux de M. de Saint-Cyran, de 
. M. Arnauld et d'autres de ce genre dont la lecture 
ne fit qu'augmenter le désir qu'ils avaient de se 
donner à Dieu^ » 

C'est alors que Pascal prit la résolution « de ne 
vivre que pour Dieu, et de n'avoir point d'autre 
objet que lui*^ ». Son esprit de géomètre fut frappé 
de la logique du raisonnement janséniste ; l'austé- 
rité de cette doctrine qui lui offrait la joie sombre 
du sacrifice a séduit son âme emportée ; et il l'a 
embrassée avec d'autant plus d'ardeur que son ima- 
gination avait été déjà ébranlée et sa sensibilité 
surexcitée par les atteintes de la maladie. 

En effet, la santé de Pascal était alors gravement 
compromise. Dès son enfance déjà, il avait dû être 
assez débile, puisque l'on crut à un sort jeté sur lui. 
Plus tard, son travail incessant, son application 
exclusive aux matières ardues de la science l'affai- 
blirent encore ; et lui-même déclare qu'à partir de 



1. Histoire générale de Porl-Royal, t. III. — Pour le Discours^ 
voir Pappendice 2. 

2. M** PiRiBR, Vie de Biaise Pascal. IL, 1. 1, p. lxviii; B., p. 11. 



42 LA PENSÉE DE PASCAL, II 

dix-huit ans il ne passa plus un jour sans douleur. 
A cela vint s'ajouter la fatigue extrôme que lui 
causèrent Tinvention et Icxécution de sa Ma- 
chine arithmétique. 11 fut atteint d'une paralysie 
qui le tenait « depuis la ceinture jusqu'en bas* », il 
ne pouvait marcher sans béquille : ses jambes et 
ses pieds restèrent inertes, froids et comme morts. 
Jusqu'au temps de sa vie mondaine, il fut sous le 
coup de cette maladie. En 1648, il dut aller se faire 
soigner à Paris, et dans sa Lettre à M"'' Périer, du 
26 janvier, il se plaint « que son indisposition l'em- 
pôche d'écrire, et qu'il ait peu d'heures de loisir et 
de santé- ». Lui qui s'était ouvert si naturellement 
aux joies du monde, on voit quel désespoir lui 
eussent causé ses infirmités continuelles sans le 
secours de sa foi; mais elle avait saisi son esprit 
et rempli son cœur, elle le consolait de ces dis- 
grâces en les lui montrant comme une faveur toute 
spéciale, la marque de la prédestination et un effet 
de la miséricorde de Dieu pour lui. 

C'est le témoignage de Pascal lui-même qui 
nous permet d'affirmer que sa maladie est pour 
beaucoup dans sa conversion. Dans la Prière sur 
le bon usage des tnalndies^ il rappelle « les maux 
qu'il souffre et ceux qui le menacent » et il invoque 

1. L. 0. M., Mémoire de Marguerite Périer, p. 452. Cf. Ciiakles 
Bixet-Sanglé. La maladie de Pascal {Aîinales viédico-psi/cholo- 
giques^ mars-avril 1809). 

2. B., p. 84. 



LE PREMIER JANSENISME 43 

comme un titre auprès de Dieu « les plaies que la 
main de Dieu lui a faites^ ». 11 lui semble, pour 
ainsi dire, que ces soufifrances lui donnent des droits 
et qu'il y a comme un compte ouvert entre Dieu et 
lui. Oui, c'est par pure bonté que son Créateur Ta 
mis « dans l'incapacité de jouir des douceurs de 
la santé et des plaisirs du monde », qu'il a « détruit 
à son égard toutes choses dans Taffaiblissement où 
il Ta réduit », qu'il Ta << plongé dans cette espèce 
de mort, séparé du monde, dénué de tous les objets 
de ses attachements », pour le retirer « de Tusage 
criminel et délicieux du monde^ ». Mais il est juste 
alors que Dieu achève son œuvre : « il ne Ta pas 
laissé languir sans consolation dans les souffrances 
naturelles » ; qu'il ne l'abandonne donc point c aux 
douleurs de la nature, sans les consolations de 
l'Esprit divin », qu'il « console maintenant et 
adoucisse ses souffrances par la grâce de son Fils 
unique », pour le combler enfin « d'une béatitude 
toute pure, dans la gloire de son Fils unique^ ». 
Bien significatifs encore sont le ton de résignation 
de la fin et la prière touchante qui y est faite au 
Souverain Maître de disposer le cœur et la volonté 
de Pascal à la souffrance. 

Ainsi ses douleurs excessives ne lui arrachent 



1. g IX. H., t. II, p. 228; B., 61 

2. g m. 

3. \ IX. 



44 LA PENSÉE DE PASCAL, II 

pas seulement des plaintes, mais encore et surtout 
elles prédisposent son âme à la foi. Elles ont fortifié 
en lui cette conviction qu'il doit être récompensé. 
Elles lui ont en quelque sorte persuadé (bien que 
cette idée ne s'accorde pas avec la gratuité de la 
grâce), que Dieu serait injuste s'il ne lui envoyait 
point des grâces particulières, et que, par suite, le 
jansénisme où il s'engage est la vraie, la seule 
vraie doctrine. 

11 fut donc le « premier touché », mais il entraîna 
vite toute sa famille à sa suite. « Il eut, dit le Recueil 
(PUtrecht^ assez de peine à faire comprendre à Jac- 
queline qu'elle ne pouvait allier deux choses aussi 
contraires, Tesprit du monde qu'elle aimait et celui 
de la piété qu'elle commençait à goûter, qu'il n'était 
pas possible, selon l'Evangile, de servir en même 
temps Dieu etle monde. . . Enfin, il réussit par ses dis- 
cours et par ses exemples à lui persuader de ne plus 
penser qu'à Dieu; dont [ce dont] elle lui témoigna 
toujours une grande reconnaissance, se regardant 
comme sa fille*. » Dès lors elle ne se conduisit que 
d'après ses avis, et c'est par son conseil qu'elle 
refusa un beau mariage et qu'elle songea plus tard 
à entrer en religion. C'est aussi Pascal qui « con- 
vertit » son père, son autre sœur et son beau-frère 
à la lin de cette même année 1646. La ferveur de sa 

1. p. 251. 



LE PBEMIBB JANSENISME 45 

foi était contagieuse et lui donnait sur ses proches 
un ascendant irrésistible^. 

Le fond du jansénisme, on le sait, c'est l'impor- 
tance donnée aux deux dogmes de la tache origi- 
ginelle et de la grâce. La nature, pour un jansé- 
niste, est depuis la chute absolument corrompue et, 
par elle-même, ne saurait tendre qu'au mal : les 
instincts de l'homme sont pervers, sa raison impuis- 
sante à découvrir la vérité, sa volonté dépravée. 
C'est par un don purement gratuit de Dieu que 
l'homme est remis au rang pour lequel il était fait 
et dont il est déchu : Dieu seul lui montre la vérité 
et lui donne la foi. Dieu seul lui montre le bien et 
lui donne la force de l'accomplir. Encore s'est-il 
réservé le droit d'élire qui il plaît; c'est à son gré, 
par une sorte de caprice, qu'il prédestine invincible- 
ment les hommes ou au salut ou au malheur éter- 
nels. Telles sont bien les idées qu'expriment tous 
les écrits de Pascal à cette époque- : la Prière sur 
le bon usage des maladies^ et quelques Lettres à 
Jacqueline et à M™* Périer. Ajoutons-y la Lettre sur 
la mort de son père, qui, bien que postérieure de 

1. Cf. D*" Charles BiNET, la Suggestion religieuse et réciproque 
dans la famille de Pascal (Rev. de Vhypnotisme^ décembre 1896). 
« Hypnotisme »,« suggestion», ces facéties sont renouvelées de 
celle du D' Lélut. — Cf. aussi Garsonnet, Port-Royal et la méde- 
cine aliéniste (Paris, 1868). 

2. Taine : « Pascal parle avec une austérité dure de nouveau 
converti, une farouche aversion pour le monde, une dévotion 
âpre : cette dévotion est comme un réseau d'épines qui Tenveloppe 
tout entier. » {Note citée par Giraud, Essai sur Taine^ p. 48.) 



46 LA PENSÉE DE PASCAL, II 

quelques années et datant de sa vie mondaine, est 
pleine des mômes croyances réapparues en lui sous 
le coup de la douleur. 

« Heureux, s'écrie Pascal, dans la Prière sur le 
bon usage des maladies^ heureux ceux qui, avec 
une liberté entière et une pente invincible de leur 
volonté, aiment parfaitement et librement ce qu'ils 
sont obligés d'aimer nécessairement* »; et il 
reconnaît humblement, que tout ce qu'il a de bon 
en lui, lui vient de Dieu seul, « car les mouve- 
ments naturels de son cœur se portant vers les 
créatures ou vers lui-même, ne peuvent qu'irriter 
le Seigneur- »; « ni la maladie, ni la santé, ni les 
discours, ni les livres, ni les Ecritures sacrées, ni 
l'Evangile, ni les mystères les plus saints, ni les 
aumônes, ni les jeûnes, ni les mortifications, ni les 
miracles, ni l'usage des Sacrements, ni le sacrifice 
du Corps de Jésus-Christ, ni tous les efforts de 
l'homme, ni ceux de tout le monde ensemble ne 
peuvent rien du tout, si Dieu n'accompagne toutes 
ces choses d'une assistance tout extraordinaire de 
sa grâce^ » ; car « le monde est naturellement l'objet 
des délices de l'homme, bien qu'il sente qu'il ne 
peut aimer le monde sans déplaire à Dieu, sans 
se nuire et sans se déshonorer^ ». L'idée de la 



1. g V. 

2. g VI. 

3. g IV. 

4. i V. 



LE PREMIER JANSENISME 47 

corruption profonde de l'homme, de la perversité 
du monde, de la distinction arbitraire des élus et 
des réprouvés, de la toute-puissance de la grâce, 
voilà, avec des cris de douleur et d'humbles remer- 
ciements, toute cette longue prière. 

Nous retrouvons les mêmes principes rigides et la 
môme ferveur dans les lettres que Pascal écrivit de 
Paris à M"'* Périer en janvier 1648 et que Jacque- 
line et Pascal écrivirent à M™® Périer aux mois 
d'avril et de novembre de la même année ' : on sait 
que Pascal et Jacqueline, en ce moment à Paris, 
suivaient régulièrement les sermons de Singlin et 
avaient des relations étroites avec Port-Royal. Se- 
lon Pascal « il n'est point de crime qui ne soit plus 
injurieux pour Dieu, et plus détestable que d'aimer 
souverainement les créatures » ; et ils ne sont 
« véritablement parents )),Gilberte, Jacqueline et 
lui, que depuis le jour où ils ont été unis par la 
grâce (avril). On ne peut, suivant lui, apercevoir 
« les moyeng de salut sans une lumière surnatu- 
relle » (avril) ; et la seule manière de les connaître, 
c'est « de les connaître par le mouvement intérieur 
de Dieu » ; par conséquent, remercier les hommes 
qui se sont entremis pour faire connaître la vérité, 
c'est <( former une petite opposition à la vue de 
Dieu » (novembre). Mais c'est peut-être la lettre du 
mois de janvier qui nous peint le mieux la vivacité 

1. B., p. 84 (26 janvier), 87 (1 avril), 91 (3 novembre). 



48 LA PENSEE DE PASCAL, II 

des sentiments religieux dont il était enflammé. Il 
y encourage Jacqueline à u la continuation du 
grand dessein » que Dieu lui a inspiré, c'est-à-dire 
à entrer en religion, et nous le saisissons là dans 
toute la ferveur de son prosélytisme. Il ne se con- 
tente pas d'avoir amené sa sœur au jansénisme, il 
veut encore pousser plus loin dans la voie dé la 
perfection. La vie religieuse lui semble la seule 
digne d'une âme à qui Dieu a révélé la vérité. 

La Lettre sur la mort de son père respire d'un 
bout à l'autre les mêmes sentiments* : mépris delà 
vie, car « tout ce qui est dans les hommes est abo- 
minable » ; — soumission aux décrets de la Provi- 
dence, car « Dieu n'a pas abandonné ses élus au 
caprice et au hasard » ; — défiance de la nature, 
car « elle nous tente continuellement et l'appétit con- 
cupiscible désire souvent »; — espoir en la grâce 
de Dieu, car « sans Lui, nous ne pouvons rien faire, 
et ses plus saintes paroles ne prennent point en 
nous» ; — enfin, un effort effrayant pour se détacher 
des sentiments naturels, pour considérer la mort 
d'un père « comme une suite indispensable, inévi- 
table, juste, sainte, utile au bien de l'Eglise et à l'exal- 
tation de la grandeur de Dieu, d'un arrêt de sa Pro- 
vidence », pour « vouloir avec Lui, en Lui et pour 
Lui, la chose qu'il a voulue ». Et pourtant, Pascal 
n'est pas encore arrivé au détachement austère de la 

4. H., t. II, p. 235; B., p. 95. 



LE PREMIER JANSÉNISME 49 

dernière période de sa vie ; il semble que de temps 
en temps sa volonté fléchisse et que sa voix fai- 
blisse dans larécitalion de ces durs conseils, quand 
il invite ses sœurs à reporter chacune sur l'autre 
et sur lui Tamour qu'ils avaient pour leur père et à 
« hériter de TaiTection qu'il leur portait pour 
s'aimer encore plus cordialement s'il est possible ». 
Nous avons une autre preuve de 4'ai'deur de ses 
croyances dans raffaire de Jacques Forton, dit Saint- 
Ange (février-avril 1()47). Cet ancien religieux ', con- 
versant avec quelques jeunes gens, avait soutenu, 
entre autres thèses suspectes : « qu'un espritvigou- 
reux peut, sans la foi, parvenir par son raisonnement 
à la connaissance de tous les mystères de la religion, 
que la foi n'est aux faibles qu'un supplément au dé- 
faut de leur raisonnement, etc.. » Ces opinions de- 
vaient évidemment révolter l'esprit de Pascal : elles 
contredisaient cette idée de la séparation de la raison 
et de la foi qui lui était si chère et rendaient inutile 
l'intervention de la grâce pour la conversion des 
hommes. Aussi n'est-il pas étonnant quïl se soit 
opposé de tout son pouvoir à la propagation de ces 
doctrines et qu'il ait poursuivi âprement Saint- Ange 
jusqu'à ce que ce dernier les eût désavouées. 

1. Cf.' Cil. Uhbain, Un épisode de la vie de J.-P. Camus et de Pascal. 
{Revue d'histoire littéraire, l.j janvier 1895). Cet article complète 
celui de Cousin sur le môme sujet [Bibliothèque de VÊcole des 
Chartes^ 7 octobre 1843). — Voir aussi de BEAiiiErAiRE, 1\'\ffaire 
Saint-Ange {Actes de V Académie de Houe n. lî)01). 



4 



50 LA PKNSKE \)K PASCAL, II 

11 est môme curieux de voir combien son zèle 
dépassa celui de J.-P. Camus, évoque de Belley, 
et suppléant de M^*^ de Harlay; Tarchevéque de 
Uouen paraît presque avoir eu peur de Pascal, et il 
semble, à vrai dire, plus désireux de le satisfaire 
que personnellement préoccupé de cette hérésie. 
11 est bien certain du reste, que, comme le dit sa 
sœur, Pascal s'est proposé uniquement de « dé- 
tromper Frère Saint-Ange lui-même, et de l'empê- 
cher de séduire les jeunes gens* », et la sincérité 
de son désintéressement doit un peu excuser le 
trop grand acharnement qu'il mit dans cette affaire. 
Le sentiment du devoir qui le rend ici persécuteur 
est le môme qui plus tard fera de lui un martyr -. 



1. Vie de Pascal^ H., t. I, p Lxix; B., p. 12. 

2. M. Brnnschvicg fait une remarque curieuse, c'est que Jacques 
Forlon, ou frère Saint-Ange, a peut-otrc le premier inspiré à 
Pascal cette idée de la conciliation des contraires, qui tient une 
si grande place dans les Pensées. Il disait « que ni les jésuites, ni 
Jansénius n'avaient connu entièrement la vérité, mais seule- 
ment une partie d'icelle... que, pour son sentiment, il embrassait 
ce qu'il y avait de véritable dans toutes ces deux opinions, et 
qu'en cela consistait l'excellence de sa doctrine, que tout ce qui se 
rencontrait de véritable, épars dans toutes les opinions, se ren- 
contrait, ramené en son lustre dans sa doctrine, et que tous les 
sentiments, même les plus extravagants des anciens philosophes, 
et les opinions qui semblaient les plus ridicules quand on les con- 
sidérait détachées des vrais principes, étaient néanmoins véri- 
tables et paraissaient très conformes à la raison, unies aux prin- 
cipes de sa doctrine, parce f(u'on connaît toujours la vérité, et 
qu'on ne se trompe jamais qu'en n'en connaissant qu'une partie, 
ou en excluant quelque chose... », etc. Cf. Cousin, loc. cit. 



Il 



SCIENCE ET JANSÉNISME 



TRAVAUX, DÉCOUVERTES ET POLÉMIQUES SCIENTIFIQUES '. 
LA PESANTEUR DE l'aIR, LE VIDE, l'ÉQUILIBRE DES 
LIQUEURS, ETC. — LE JANSÉNISME ET LES ÉTUDES PRO- 
FANES. 

Ce n'est point cependant que Pascal en fût déjà 
à mépriser entièrement la raison. S'il niait qu'elle 
eût assez d'autorité dans les matières delà foi, il en 
reconnaissait du moins la puissance dans le do- 
maine qui lui appartient et la regardait même 
comme un auxiliaire quelquefois utile de la foi. Il 
soutenait à M. Rebours, disciple de Saint-Cyran, 
« que l'on peut, suivant les principes même du sens 
commun, démontrer beaucoup de choses que les 
adversaires disent lui être contraires, et que le rai- 
sonnement bien conduit portait à les croire quoi- 
qu'il faille les croire sans V aide du raisonnement^ ^k 

1. Lettre k M-* Périer, 26 Janvier 1648. B., p. 86. 



52 LA PENSÉE DE PASCAL, II 

Tout en la maintenant à la seconde place, il 
n*anéantissait donc pas encore la raison en face de 
la foi. 

Si d'ailleurs il n'adoptait pas les principes du 
cartésianisme, toujours est-il qu'il continuait d'en 
appliquer la méthode. Sans doute il est opposé à 
la « manière subtile » de Descartes, mais dans l'en- 
trevue qu'il eut avec le philosophe au mois de 
septembre 1G47, il s'en attira cet éloge « qu'il par- 
lait avec raison ^ » et qu'on avait plaisir à dis- 
cuter avec lui. De plus, dans tout le cours de sa 
polémique avec P. Noël, il emploie une méthode 
et professe des principes tout cartésiens : — l'indé- 
pendance de la raison dans la science et dans 
l'étude des phénomènes naturels : « Nous réservons 
pour les mystères de la foi que le Saint-Esprit lui- 
même nous a révélés cette soumission d'esprit qui 
qui porte notre croyance à des mystères cachés aux 
sens et h la raison; » — la seule autorité de l'évi- 
dence : « On ne doit jamais porter un jugement 
décisif... que ce que l'on affirme ne paraisse si clai- 
rement et si distinctement de soi-même aux sens 
étala raison... que l'esprit n'ait aucun moyen de 
douter de sa certitude fet c'est ce qu'on appelle 
axiomes ) ou qu'il ne se déduise par des consé- 
quences infaillibles et nécessaires des axiomes, etc.» 
— et par suite le rejet de toute autre autorité sinon 

1. L. 0. M., Lettre de Jacqueline, 25 septembre, p. 310. 



SCIENCE ET JANSENISME 53 

en matière d'histoire ou de foi : « Sur les sujets de 
cette matière, nous ne faisons aucun fondement 

sur les autorités nous n*y avons nul égard que 

dans les matières historiques. » Et il le répèle encore 
dans son Récit de quelques expériences sur téqui- 
libre des liqueurs : « Il n'est pas permis de nous 
départir légèrement des maximes que nous tenons 
de Tantiquité, si nous n y sommes obligés par des 
preuves indubitables et invincibles. Mais, dans ce 
cas, je tiens que ce serait une extrême faiblesse de 
s'en faire le moindre scrupule ^ » Voilà certes des 
professions de foi qui ne sont pas d'un pyrrhonien, 
ni d'un ennemi de la raison. 

Il y a même une contradiction singulière entre 
les préceptes du jansénisme et son amour pour la 
science, comme entre les affirmations des jansé- 
nistes et la vérité des fails. Dans tous ses écrits, et 
notamment dans son Discours de la Réformation de 
r homme intérieur dont Pascal avait, nous dit-on, 
été très frappé, Jansénius attaque très vivement 
les trois concupiscences et entre autres la concu- 
piscence du savoir, libido sciendi. 11 y blâme « cette 
recherche des secrets de la nature qui ne nous 
regardent point, qu'il est inutile de connaître, et 
que les hommes ne veulent savoir que pour les 
savoir seulement » ; car « lorsque nous sommes 
revenus à nous-mêmes et que nous nous élevons 

1. L., m, 8-49. 



54 LA PENSEE DE PASCAL, II 

pour contempler cette beauté incomparable de la 
la vie éternelle, où réside la connaissance certaine 
et salutaire de toutes les choses, cette multitude 
d'images et de fantômes, dont la vanité a rempli notre 
esprit et notre cœur, nous attaque et nous porte en 
bas ^ ». De son côté le Recueil (TUtrecht dit : « [Pascal] 
comprit que la religion chrétienne oblige à ne vivre 
que pour Dieu, à ne rechercher que lui, à ne tra- 
vailler que pour lui plaire... 11 résolut de terminer 
les curieuses recherches auxquelles il s'était appli- 
qué tout entier jusqu'alors, pour ne penser qu'à 
Tunique chose que Jésus-Christ appelle nécessaire. 
Il ne fit plus d'autre étude que celle de la religion '-. » 
Or, dans cette période de ferveur, où il aurait 
dû ne pas s'occuper, et où l'on nous dit qu'il ne 
s'est pas occupé des sciences, nous le voyons, au 
contraire, y travailler sans cesse. En 1646, il répète 
à Rouen, avec M. Petit, les expériences que Tori- 
celli avait faites en Italie et prouve la pesanteur 
de l'air; — et c'est Tannée de sa cojiversion. En 
1647, il publie ses Nouvelles expériences sur le vide^ 
il a des entrevues et des discussions scientifiques 
avec Descartes, il soutient sur des sujets de 
sciences une polémique avec le P. Noël, il en- 
tretient Le Tailleur de ses théories sur le vide. 



1. Cité par Sainte-Beuve, Port-Royal, t. II, p. 479-480. — Cf. 
appendice 2. 

2. P. 250. D'après M— Périer, H., t. I, p. lxviii; B., p. 11. 



SCIENCE ET JANSENISME 55 

il prie M. Périer de faire des expériences sur le 
Puy-de-Dôme; — et c'est Tannée où il donne libre 
carrière à l'intempérance de son zèle contre le 
frère Saint-Ange, Tannée où probablement il écrit 
la Prière sur le bon tirage des maladies. En 1648, il 
est toujours en discussion avec le P. Noël, il s'oc- 
cupe des expériences dont son beau-frère lui a enfin 
transmis la relation, il publie son Récit de quelques 
expériences sur f équilibre des liqueurs; — et c'est 
Tannée où il écrit à ses suMirs des lettres qui res- 
pirent un tel détachement du monde, où il accom- 
pagne Jacqueline aux sermons de Singlin et se mot 
en relations directes avec Port-Royal, Tannée où 
il pousse sa sœur au couvent et se charge de de- 
mander lui-môme l'autorisation paternelle. Ajou- 
tons que de 16 i7 à 1651, il travaille à son Traité 
du vide dont il nous reste un fragment de préface^, 
qu'il continue h perfectionner la Machine arithmé- 
tique, qu'il sollicite et obtient, en 1649, un privi- 
lège royal, pour s'en réserver la gloire et le profit 
exclusifs. 

Et non seulement il s'occupe de sciences; mais 
on dirait qu'il s'y donne tout entier- : il était. 



1. Cf. Nourrisson, De ridée du plein et du vide chez Descarfes 
et Pascal {Séances de VAc. des sciences morales^ 1881), et Pascal 
physicien et philosophe (Perrin, 1888). 

2. Lisez la Préface du liécil des expériences sur le vide, et re- 
marquez combien s'y montre l'orgueil de sa découverte, et comme 
il y tient : « J'ai jugé à propos de vous donner cet abrégé par 
avance, parce qu'ayant fait ces expériences avec beaucoup de 



58 LA PENSÉE DE PASCAL, II 

Domal, ne s'en est fait d'étudier les lois civiles. Il 
n'aura pas poussé jusqu'au bout la logique de ses 
doctrines et il se sera refusé à voir les consé- 
quences extrêmes et pénibles pour lui, de ses prin- 
cipes étroits. 

Ou bien, peut-être croyait-il déjà à l'inutilité des 
sciences et comprenait-il l'opposition qu'il y a entre 
le jansénisme pur et la curiosité profane, mais sans 
pouvoir résister au démon de la géométrie et de la 
physique, h Tamour invincible pour la science dont 
il était dominé. Il a parlé quelque part*, des preuves 
métaphysiques « qui frappent peu et qui ne servent 
aux hommes que dans l'instant qu'ils voient la 
démonstration, car, une heure après, ils craignent 
de s'être trompés». Peut-être en est-il de même de 
son mépris systématique pour les sciences. Quand 
il lisait Jansénius, quand il écoutait Singlin, quand, 
sous le coup de la souffrance, il écrivait sa Prière 
sur le bon usage des maladies^ alors certes il mépri- 
sait bien sincèrement la science. Mais, une fois ces 
moments d'ardeur passés, après quelque intervalle 
écoulé, l'exemple de son père moins rigide que lui, 
les lettres des savants ses correspondants, la nou- 
veauté des théories proposées, Tétrangeté des faits 
récemment découverts, l'originalité d'un problème, 
tout cela le tentait, sollicitait invinciblement son 
esprit (comme le lit plus lard la Roulette, à une 

1. Pensées, IL, x. . î : M., 544 : IL, HiS. 



SCIENCE ET JANSENISME 59 

époque cependant où il était bien désabusé) et il se 
laissait aller à s'occuper de la science, se flattant 
peut-être que c'était la dernière fois. 

Mais que Ton adopte l'une ou l'autre de ces hypo- 
thèses, un fait reste certain : son jansénisme, si 
fervent qu'il pût être, n'avait pas encore pénétré 
jusqu'à la partie la plus intime de son âme; Pascal 
ne l'avait pas converti pour ainsi dire en son sang 
et en sa chair ; tout au fond de son cœur, la jeu- 
nesse, la nature, les instincts irrésistibles de 
l'homme s'agitaient sourdement. En dépit de ses 
efforts, il n'était point parvenu à cet idéal que, 
dans son exagération passionnée, il appelle 1' « abê- 
tissement». Et c'est pour cela qu'il a pu, pendant 
quelque temps encore, échapper à la contrainte de 
ses théories : il y a en lui quelque chose qui répugne 
à mourir au monde, et avant la dernière et défini- 
tive victoire de sa volonté, son cœur veut un mo- 
ment s'épanouir et fleurir à la vie. 



.oliCèr.. ... 



TROISIÈME ÉPOQUE 

1649-1654 



PÉRIODE MONDAINE 



INTERRUPTION FORCÉE DES ÉTUDES DE PASCAL I VOYAGE 

EN AUVERGNE. LIAISON AVEC LE DUC DE ROANNEZ : 

RETOUR AUX ÉTUDES ET AUX TRAVAUX SCIENTIFIQUES. 

En effet, tout engagé qu'il ait paru un moment 
dans la voie du salut, il ne laissa point cependant 
de revenir peu à peu au monde. Il se détendit 
quelque peu de la sévérité de ses principes et de la 
rigidité de sa conduite : comme dit plus tard le 
Recueil d'Utrecht, « il regarda un peu derrière lui ». 
« L'application prodigieuse qu'il avait donnée aux 
sciences, lui avait causé diverses incommodités, qui 
engagèrent les médecins à lui ordonner de quitter 
toute étude... 11 s'engagea insensiblement à revoir 
le monde, à jouer, à se divertir pour passer le 
temps*. » 

1. Recueil d'Utrecht^ p. 257. 



6# :.A i'EN<F:E bE S'AS^AL. III 

•iVsl là une des péri».»de> les plus inléressantes 
de la vie de Pascal et Jonl la pleine connaissance 
jellerail un grand j«»ur et sur le reste de sa vie et 
sur ses écrits. Suivant l'idée que l'un se fait de son 
genre de vie entre IGiîJ et l*>5i, on est en effet 
porté à retrouver dans les Pensées une inspiration 
toute différente : on y voit ou la démarche suprême 
dun sceptique, effrayé du néant où il s'égare et qui 
recourt désespérément à la foi, ou la conversion 
d'un libertin -, ou un simple retour à la ferveur 
janséniste après un instant dattiédissement de la 
foi et de sécheresse de cœur. Et ce qu'on lit, ce 
qu'on croit d»*viner dans les phrases inachevées et 
entre les lignes des Pensées, varie naturellement 
suivant que l'on admet l'un ou l'autre. 

Ce qui rend la question plus difficile, c'est qu'il 
nous reste de lui peu d'écrits authentiques, dans 
lesquels nous puissions retrouver l'état de son esprit 
et de ses croyances à cette époque ; nous en sommes 
réduits au témoignage de ses deux sœurs. Or, si le 
jansénisme plus tendre de M""* Périer la pousse à 
jeter un voile sur les erreurs de son frère mort, le 
jansénisme intransigeant de Sœur Euphémie la 
pousse au contraire a user do bien grands mots en 
parlant de ses égarements. Toutes deux sont donc 
un peu suspectes et la vérité doit être entre les 
atténuations de Tune et les exagérations de l'autre. 

C'est par degrés que Pascal en vint au point 



PERIODE MONDAINE 65 

d'inspirer de si vives inquiétudes à sa sœur Jac- 
queline. Son zèle a môme dû commencer à se relâ- 
cher du vivant et du consentement de leur pôre^, 
tout janséniste que fût ce dernier. Etienne Pascal 
avait appris avec un mélange de joie chrétienne et 
de douleur paternelle que sa fille voulait se faire 
religieuse. Ses sentiments de père furent les plus 
forts; il lui opposa un refus formel, blâma vive- 
ment Pascal d'avoir encouragé sa sœur et s'efforça 
de les ramener tous deux à la vie de la société. Du 
mois de mai 1649 au mois de juin 1650, il emmena 
ses enfants en Auvergne. 11 espérait que, dans ce 
pays, où il avait beaucoup de parents et de rela- 
tions, où il aurait beaucoup de visites à faire et à 
recevoir, ses enfants seraient contraints de vivre au 
milieu du monde et y reprendraient goût. Ses pre- 
jets furent déçus par la fermeté de sa fille; elle sui- 
vit dès lors un régime tout monacal où se fortifia 
sa vocation-; mais ils réussirent du moins pour 
Biaise. Désœuvré, privé par Tordre des médecins 



1. M. Gazier {But. de la liltérat. française^ Colin, 1897, p. 500) 
croit que c'est après la mort de son père, en 1652, que Pascal 
« s*enfonça dans le monde ». Il semble bien pourtant que son 
« relâchement » ait dû commencer plus tôt : on comprend bien 
mieux un retour passager au jansénisme sous le coup de la douleur, 
qu'un amour subit de la vie mondaine, moins de trois mois après 
la mort de son père. D'ailleurs, les témoignages du Recueil cVVlrec ht 
et de Marguerite Périer sont formels : « La mort de mon père ne lui 
donna que plus de facilité et de moyens pour cow^mwe?^ ce train de 
vie. » (Recueil^ p. 238.) « Mon grand-père mourut ; il continua à se 
mettre dans le monde. » (Marguerite Péhie», L. 0. M., p. 43.) 

2. M"* Périer, Vie de Jacqueline (L. 0. M., p. 66). 

3 



\ 



66 LA PENSEE DE PASCAL, m 

de ses occupations ordinaires, il se lança pour se 
distraire dans la société de Clermonl. Il v tint sa 
place parmi les Leaux esprits de la ville, s'il faut 
en croire Fléchier. qui nous le représente fort em- 
pressé auprès de la « Sapho du pays^ ». 

Une fois de retour à Paris, il continua. Sans 
doute, le chagrin qu'il eut de la mort de son 
père le ramena quelque temps aux pensées de l'as- 
cétisme le plus austère. Mais cetle mort le laissait 
seul puisque Gilberte était mariée et que Jacque- 
line, <( la personne du monde qu'assurément il ai- 
mait le plus->», entrait à Port-Royal malgré les 
efforts qu'il faisait pour l'en empêcher 3. Il se laissa 



1. Mémoires sur les grands jours d'Auvergne. — D'autres auteurs 
rafjportent cette anecilote nu second voyaige de Pascal, en juini652. 
Cf. Adam, l.'n si'jour de Pascal en Auvergne [Rev. bourguignonne de 
l'ensnif/nement secondaire et de renseignement supérieur, 1887). 

2. M""" i*hiiiKH, Vie de Pascal. H., t. I, p. Lxxxiii ; B., p. 30. 

3. il faut que je reproduise ici le récit qu'a laissé M-* Périer de 
cett*; séparation. Ce n'est pas seulement dans sa simplicité natu- 
relle et dans sa froideur voulue, une des plus belles pages de 
notre littérature: ce n'est pas seulement un document qui nous 
révc'le les âmes de ces trois personnes; c'est aussi pour moi un 
arf(uinont : combien Pascal n'a-t-il pas dû se trouver désemparé, 
abandonné subitement d'une telle sœur, et dans de telles circons- 
tances ? ^ 

« Au mois de septembre de l'année 1651, écrit M"* Périer, mon 
père étant tombé malade de la maladie dont il mourut, elle [Jac- 
queline] s'appliqua à lui rendre service avec tout le soin imagi- 
nable jour et nuit. On peut dire qu'elle ne faisait autre chose; car, 
lorsqu'elle voyait qu'elle n'était pas nécessaire auprès de lui, elle 
se retirait dans son cabinet où elle était prosternée en larmes, 
priant sans c«^sse pour lui, comme elle me l'a dit elle-même. Enfin, 
nonobstant tout cela, Dieu en disposa selon sa volonté, et mon 
père mourut le iii septembre. On nous le fit savoir à l'heure 
même; mais comme j'étais en couches, nous ne pûmes être à Paris 
qu'à la fin du mois de novembre. Dans cet intervalle, mon frère, 



PERIODE MONDAINE 67 

entraîner par son ennui et par ses amis, il s'aban- 
donna à l'élan de sa jeunesse trop tôt et trop violem- 
ment comprimée. 

Ce fut précisément dans cette année 1651, 

qui était sensiblement affligé et qui recevait beaucoup de conso- 
lations de ma sœur, s'imagina que sa charité la porterait à de- 
meurer avec lui au moins un an, pour lui aider à se résoudre 
dans ce malheur. Il lui en parla, mais d'une manière qui faisait 
tellement voir qu'il s'en tenait assuré qu'elle n'osa le contredire, 
de peur de redoubler sa douleur, de sorte que cela l'obligea de 
dissimuler jusqu'à notre arrivée. Alors elle me dit que son inten- 
tion était d'entrer en religion aussitôt que nos partages seraient 
faits ; mais qu'elle épargnerait mon frère en lui faisant accroire 
qu'elle y allait faire seulement une retraite. Elle disposa toutes 
choses pour cela en ma présence. Nos partages furent signés le 
dernier jour de décembre, et elle prit jour pour entrer le 4 janvier. 
La veille de ce jour-là, elle me pria d'en dire quelque chose à 
mon frère, le soir, afin qu'il ne fût pas si surpris. Je le fis avec 
le plus de précaution que je pus; mais, quoique je lui dise que ce 
n'était qu'une retraite pour connaître un peu cette sorte de vie, il 
ne laissa pas d'en être fort touché. Il se retira donc fort triste 
dans sa chambre, sans voir ma sœur qui était alors dans un petit 
cabinet où elle avait accoutumé de faire sa prière. Elle n'en sortit 
qu'après que mon frère fût hors de la chambre, parce qu'elle crai- 
gnait que sa vue ne lui donnât au cœur. Je lui dis de sa part les 
paroles de tendresse qu'il m'avait dites, après quoi nous nous allâmes 
tous coucher. Mais quoique je consentisse de tout mon cœur à ce 
qu'elle faisedt, à cause que je croyais que c'était le plus grand 
bien qui lui pût arriver, néanmoins la grandeur de cette résolution 
m'étonnait de telle sorte et m'occupait si fort l'esprit, que je n'en 
dormis point de toute la nuit. Sur les sept heures, comme je 
voyais que ma sœur ne se levait point, je crus qu'elle n'avait pas 
dormi non plus, et j'eus peur qu'elle ne fût incommodée, de sorte 
que j'allai à son lit, où je la trouvait fort endormie. Le bruit que 
je fis l'ayant réveillée, elle me demanda quelle heure il était; je le lui 
dis, et lui ayant demandé comment elle se portait, et si elle avait 
bien dormi, elle me dit qu'elle se portait bien et qu'elle avait fort 
bien dormi. Ainsi elle se leva, s'habilla et s'en alla, faisant cette 
action comme toutes les autres, dans une tranquillité et une égalité 
d'esprit inconcevables. Nous ne nous dîmes point adieu, de crainte 
de nous attendrir, et je me détournai de son passage, lorsque je 
la vis prête à sortir. Voilà de quelle manière elle quitta le monde. 
Ce fut le 4 janvier de l'année 1652, étant alors âgée de vingt- 
■ix ans et trois mois. » (L. 0. M., p. 72-73.) 



68 LA PENSKE DE PASCAL, III 

semble-t-il, qu'il entra en relations de plus en 
plus étroites avec le jeune duc de Roannez^ Leur 
liaison fut bientôt si intime qu'il eut une chambre 
à rhôtel de son « cher ami », qu'il l'accompagna 
dans un voyage h son gouvernement du Poitou'-' et 
qu'il se crut plus tard obligé de lui demander per- 
mission, quand il voulut se retirer du monde. Par 
l'intermédiaire du duc, il se trouva introduit dans 
la société du chevalier de Méré-^, le grand maître de 
la politesse et le professeur des belles manières du 
temps, du joueur Miton'*, du « libertin » Des Bar- 

1. Arthur Goufûer, duc de Roannez, mort en 1696. Il était tout 
jeune à ce moment-là, puisqu'il « n'avait guère que vingt-quatre 
ans », quand l'exemple de Pascal le convertit. 

2. Cf. Fk. Collet, Un fait inédit de la vie de Pascal; Moliniek, 
Préface des Pensées de Pascal (Lemerre, 1877-79), p. 15; Adau, Un 
séjour de Pascal en Auvergne. — Notons, pour ce voyage vu 
Poitou, que Sainle-Bcuve hésitait à y croire: « la conjecture qu'il 
[Collet] émet me paraît très sujelto à contestation, et elle reste à 
mes yeux fort douteuse» {Porf. lilt.s lll, 95, note). 

3. Georges Brossin, chevalier de Méré (1610-1685). Il était con- 
sidéré comme le type de « l'honnête homme », et n'avait que le 
tort d'en faire un peu trop profession : « Vhonnêteté fut pour lui 
une religion et l'ardeur de son zèle l'entraîna à trop faire le prédi- 
cateur ; du moins fit-il de nombreuses conversions» (Brunschvicg, 
p. 117). Voir sur le chevalier de Méré, Sainte-Beuve (Por. lilt., 
III, 85) ; NouKHissoN, Pascal et le chevalier de Méré {Correspondant, 
10 mai 1882); Tarlicle de G. Deschamps {le Temps, 14 juillet 1895); 
la page de Taixe (Giraud, Essai sur Taine, 3' édition, Hachette, 
1902, p. 220); et l'article de M. Faguet {Rev. des Cours et Con- 
férences, 26 mars et 9 avril 1896). 

4. Homme du monde, lui aussi, mais plus indifférent et plus 
désabusé que Méré, le Mérimée du temps, selon Theureuse compa- 
raison de Giraud {Pascal, 43). Il a peut-être, aux yeux de Pascal, 
plus pleinement réalisé le type de l'honnête homme que Méré lui- 
même. Brunschvicg (p. 118) cite une lettre de Méré à Miton :«Ce 
que vous me mandez de notre ami est admirable, et la préférence 
sur Descartes et sur Platon dont il m'honore m'a bien fait rire... », 
et croit que Fami en question est Pascal ; cela « donnerait la me- 



PERIODE MONDAINE 69 

reaux*, de la duchesse d'Aiguillon et de M""* de Sablé. 
Grâce aux uns et aux autres, le savant reparut et le 
mondain apparut en lui. 

Son amitié avec le duc de Roannez était née d'une 
communauté de goûts et d'études scientifiques. Les 
quelques mois de repos qu'il avait pris lui per- 
mirent de revenir à ses travaux. Son enthousiasme 
semble même s'accroître. Dans la Lettre qu'en 1652, 
il adresse à la reine Christine en lui envoyant sa 
Machine-, il fait un magnifique éloge de la science. 
Il y compare le pouvoir dos savants sur les esprits 
inférieurs à celui des rois sur leurs sujets, et ce 
n'est pas le pouvoir des rois qu'il met au premier 
rang : « Le pouvoir des rois sur les sujets n'est, 
ce me semble, qu'une image du pouvoir des esprits 
sur les esprits qui leur sont inférieurs, sur lesquels 
ils exercent le droit de persuader, ce qui est parmi 
eux ce que le droit de commander est dans le gou- 
vernement politique. Ce second empire me paraît 

sure de Fimpression faite sur lui par Miton ». De fait, Pascal, qui 
dans ses Pensées se souvient de Méré sans le citer jamais, cite plu- 
sieurs fcis Miton (11., xxv, 92 bis, 92 ter, vi, 20; M, 818, 747, 
207; B., 192, 448, 4oo)l. 

1. 1602-1673, l'épicurien, auteur après sa conversion, du fameux 
sonnet : 

« Mon Dieu, tes jugements sont remplis d'équité, etc. » 

C'est de lui que Guy-Patin disait : « 11 a infecté bien des pauvres 
jeunes gens i\c son libertinage; sa conversation était bien dango- 
rcuso cl fort postilento au public. » Et Boursault lui envoyait une 
loltro : «A M. Des BaiTeaux,qui ne croit en Dieu que lorsqu'il est 
iiinladr. » 
2. Elle la lui avait fait demander par son médecin, Bourdelot. 



70 LA PENSÉE DE PASCAL, III 

d'un ordre d'autant plus élevé, que les esprits sont 
d'un ordre plus élevé que les corps et d'autant plus 
équitable qu'il ne peut être départi et conservé que 
par le mérite, au lieu que l'autre peut l'être par la 
naissance, ou par la fortune ^ » 

Pour le moment, on le voit, Pascal ne trouve 
rien à mettre au-dessus de la gloire de la science; 
le temps n'est pas venu encore, où il proclamera 
que la distance des corps aux esprits n'est rien en 
présence de la distance « infiniment plus infinie, des 
esprits à la charité », et où il abîmera la grandeur 
d'Archimède devant la sainteté de Jésus-Christ 2. 
En 1651, il écrit plusieurs lettres fort vives à 
M. de Ribeyre pour se défendre d'avoir dépouillé 
Torricelli de ses découvertes et pour réfuter les 
thèses de quelques Jésuites qui l'en accusaient^; il 
y annonce aussi qu'il a achevé le Traité sur le vide. 
Va\ 1651 encore, il travaille à ses traités De réqiii- 
lihre (les liqueurs^ et De la pesanteur de la masse de 
l'air qu'il songe à publier en 1653. En 1654, il 



1. B., p. 112. — Cf. Mahc-Aurèle, VIII, m: «Que sont Alexandre, 
Clésar, Pompée, en face de Diogène, Heraclite, Socrate ? car ceux- 
ci connaissaient les choses, leurs causes, leur nature etc. » 

2. Pensées, H., xvii. 1 ; M.. 138; B., 793. 

3. « 11 y a de certaines personnes aimant la nouveauté, qui veulent 
se dire les inventeurs d'une certaine expérience, dont Torricelli est 
l'auteur, qui a été faite en Pologne; et, nonobstant cela, ces per- 
sonnes voulant se l'attribuer, après l'avoir faite en Normandie, 
sont venues la publier en Auvergne. » Prologue des thèses soute- 
nues dans le Collège des Jésuites de Montfervand (L., 111, 73). 

4. Cf. Thurot, Recherches historiques sur le principe d'Archi- 
mède [Rev. archéol.y 1868). 



/ 



PERIODE MONDAINE 71 

présente dix Mémoires à l'Académie des sciences ^ 
entretient avec Fermât une discussion par lettres 
sur les jeux de hasard et le calcul des probabilités 
et écrit ses traités du triangle arithmétique et des 
ordres numériques'^. Il était donc tout à la science. 
D'ailleurs, le fragment que nous possédons de 
son Traité du vide nous le montre fort cartésien. 11 
s'y occupe moins du vide en lui-même que de graves 
questions de méthode. Gomme Descartes, il met à 
part la religion et les faits surnaturels mais pro- 
clame en tout le reste l'indépendance de la raison; 
comme lui, il affiche un certain dédain des études 
historiques et dénie toute valeur aux témoignages 
des anciens dans les choses d'observation et de rai- 
sonnement; il n'est pas jusqu'à ce passage obscur, 
sur « l'incertitude des choses les plus vraisem- 
blables si elles ne sont pas comprises dans les 
Livres sacrés^ », qui ne paraisse correspondre h 
cette théorie de Descartes : le principe de l'évidence 
« n'est assuré qu'à cause que Dieu est, ou existe^ ». 
11 n'y a pas là une simple rencontre d'opinions. 
Pascal, à cette époque, était bien un disciple de 
Descartes : « Descartes que vous estimez tant », lui 



1. Ou du moins à la libre Académie qui la précéda, et dont nous 
avons parlé plus haut. 

2. Délègue {Essai sui^ les travaux de Pascal touchant la géomé- 
trie infinitésimale, Dnnkerque, 1869) a montré que ce dernier traité 
contient déjà toute la substance du calcul dilTérentiel et intégral. 

3. H., t. II, p. 267; B., p. 75. 

4. Discours de la méthodej partie IV. 



LiC#^.^ / 



72 LA PENSÉE DE PASCAL, III 

dit Méré dans sa lettre. Et comme nous savons 
qu'il rejetait cependant certaines doctrines du philo- 
sophe (matière subtile, « manière d'expliquer toutes 
choses ))), il apparaît que son admiration s'adresse 
surtout à la méthode rationnelle inaugurée par 
Descartes. 

Ce trait est à noter, car il persistera : môme chez 
l'auteur des Pensées, contempteur de la science et 
de la philosophie, on retrouvera les habitudes 
d'esprit du géomètre et du logicien. 



\ 



II 



LE MONDE ET LES LETTRES 



influence du chevalier de méré. la rhétorique 

de pascal. — discours sur les passions de 
l'amour. 



Si Tamitié du duc de Roanncz ramena Pascal à 
son ancien amour de la science, sa liaison avec le 
chevalier de Méré eut sur lui bien plus d'influence 
encore, car elle lui ouvrit une voie nouvelle. C'est 
avec Méré qu'il fit son apprentissage du monde. 
Jusqu'alors en effet il n'avait gut>re eu d'occasions 
de se former à Télégance et aux belles manières. 
A son premier séjour à Paris (1631-1639), il était 
bien jeune pour s'instruire du bel usage; puis, 
Etienne Pascal, voyait plutôt les savants, gens de 
bonne compagnie mais de vie bourgeoise, que les 
courtisans ou les grands seigneurs, et sa disgrâce 
momentanée (1638-1639) n'était pas pour favoriser 
l'éducation mondaine de son fils. De seize à vingt- 



74 LA PENSEE DE PASCAL, m 

cinq ans 1639-1648;, le jeune homme était resté à 
Rouen, fréquentant surtout chez les familles des 
conseillers du Parlement, que j'imagine peu au 
courant de la dernière mode parisienne et des élé- 
gances du Louvre. Il était bien revenu à Paris pour 
y demeurer de 1648 à 1649; mais il ne voyait alors 
que Port-Royal. Aussi ne nous étonnerons-nous 
pas qu'en débutant dans le monde il s'y soit montré 
à la fois trop géomètre et trop provincial. Dans la 
lettrt* fameuse qu'il lui a adressée, Méré lui 
reproche de causer comme on démontre, et de 
mettre ses idées ou les idées des autres en forme 
de théorème * ; et, dans le Traité de l'Esprit^ où il 



1. Il est bon de citer ici quelques passages importants de cette 
lettre incroyable : « Vous souvenez-vous de m'avoir dit une fois 
que vous n étiez plus si persuadé de Vexcellence des mathéma- 
iiques* Vous mVorivez à cette heure quejcoows en ai tout à fait 
désabusé et que je vous ai découvert des choses que vous n'eussiez 
jamais vues, si vous ne m'eussiez connu. Je ne sais pourtant 
Monsieur, si vous m'êtes si obligé que vous le pensez. Il vous 
reste encore une habitude que vous avez prise en cette science, à 
ne jutjer de yuoi que ce soit que par vos longues démonstration y 
qui le plus souvent sont fausses. Ces longs raisonnements, tirés 
de ligne en ligne, vous emptVhent d'abord d'entrer en des con- 
naissances plus hautes, qui ne trompent jamads. Je vous avertis 
aussi que vous perdez par là un grand avantage, car lorsqu'on a 
Tesprit vif et les yeux fins, on remarque à la mine et à lair des 
personnes qu'on voit quantité de choses qui peuvent beaucoup 
servir; et si vous demandiez, selon votre coutume^ à celui qui sait 
profiter de ces sortes d'observations, sur quels principes elles sont 
fondées, peut-être vous dirait-il qu'il n'en sait rien, et que ce ne 
sont des preuves que pour lui. Vous croyez d'ailleurs que, pour 
avoir l'esprit juste et ne pas faire un fau.x raisonnement, il vous 
suffit de suivre vos figures sans vous en éloigner; et je vous jure 
que ce n'est presque rien non plus que cet art de raisonner par 
les règles dont les petits esprits et les demi-savants font tant de 
cas. Le plus difficile et le plus nécessaire pour cela, dépend de 






\^, 



LE MONDE ET LES LETTRES 75 

semble bien faire allusion à Pascal, il le représente 
comme un grand mathématicien, mais « qui ne 



pénétrer en quoi consistent les choses qui se présentent, soit qu'on 
veuille les opposer ou les comparer, ou les assembler ou les sépa- 
rer, et dans les discours, en tirer des conséquences bien justes. 
Vos nombres ni ce raisonnement artiûciel ne font pas connaître 
ce que les choses sont : il faut les étudier par une autre voie; mais 
vous demeurez toujours dans les erreurs où les fausses démonstra- 
tions de la géométrie vous ont jeté^ et je ne vous croirai point tout 
à fait guéri des mathématiques, tant que vous soutiendrez que 
ces petits corps, dont nous disputâmes l'autre jour, se peuvent 
diviser jusques à l'infini... Je vous apprends que dès qu'il entre 
tant soit peu d'infini dans une question, elle devient inexplicable, 
parce que l'esprit se trouble et se confond ; de sorte qu'on en 
trouve mieux la vérité par le sentiment naturel que par vos démons- 
trations... Vous savez que j'ai découvert dans les mathématiques 
des choses si rares, que les plus savants des anciens n'en ont 
jamais rien dit, et desquelles les meilleurs mathématiciens d'Eu- 
rope ont été surpris. Vous avez écrit sur mes inventions, aussi 
bien que M. Huguens [Huygens], M. de Fermât et tant d'autres qui 
les ont admirées. Vous devez juger par là que je ne conseille h 
personne de mépriser cette science, et, pour dire le vrai, elle peut 
servir pourvu qu'on ne s'y attache pas trop ; car d'ordinaire, ce 
qu'on y cherche si curieusement me parait inutile, et le temps 
qu'on y donne pourrait être mieux employé. 11 me semble aussi 
que les raisons qu'on trouve en cette science, pour peu qu'elles 
soient obscures ou contre le sentiment, doivent rendre les consé- 
quences qu'on en tire fort suspectes, surtout, comme je l'ai dit, 
quand il s'y mêle de l'infini... IJ faut se souvenir que le bon sens 
ne se trompe guère^ et qu'à la réserve des choses surnaturelles, 
tout ce qui le choque est faux... Nous ignorons plusieurs choses 
dont nous ne devons parler que douteu sèment, conmie nous en 
connaissons beaucoup d'autres que nous pouvons décider... : dou- 
tons si la lune cause le flux et le reflux de l'océan, si c'est la terre 
ou le ciel qui tourne, et si les plantes qu'on nomme sensitives 
ont du sentiment; mais assurons que la neige nous éblouit, que 
le soleil nous éclaire et nous échauffe, et que Vespril et l'honnêteté 
sont au-dessus de tout... Du reste, vous espérez de connaître tout 
à force d'étudier le monde, je veux dire le monde naturel, dans la 
simplicité qu'il a plu à Dieu de le créer ; car, pour le monde artifi- 
ciel qui dépend des institutions des hommes, vous le nér/ligez à 
comparaison de Vautre et je vous en sais bon gré. Aussi, je prends 
garde que les gens de ce monde artificiel ne se mettent pas en 
peine de l'autre, et, lorsqu'on leur en parle, c'est un langage qui 
les surprend. Mais je vous avertis qu'outre ce monde naturel qui 



76 LA PENSEE DE PASCAL, IH 

sait que cela » et « qui n'a pas les agréments du 
monde* ». 

A celte époque donc, Pascal n*élait pas encore 
cet <' honnête homme » dont on ne peut dire « ni : 
il est mathématicien, ni : prédicateur, ni : éloquent; 
mais : il est honnêle homme ^ » ; car, comme le disait 
Méré, « un honnête homme n'a pas de métier^ ». 
Avec cet inconscient pédantisme, Pascal montrait 
un goût bien retardataire et des admirations qui 
sentaient leur province. Nous l'avons vu séduit par 
le bel esprit d'une <. Sapho » auvergnate ; et au 
début de son voyage avec Méré, il semblait faire 
grand cas des « écrits de du Vair ou des bons mots 
du lieutenant criminel d'O ». Mais il avait Tesprit 
naturellement vif et fin : il vit bien que ses juge- 
ments étaient démodés et paraissaient ridicules aux 
parisiens qui raccompagnaient ; il observa dès lors 

tombe sous la connaissance des sens, il y en a un autre invisible 
et que c'est dans celui-là que vous pouvez atteindre à la plus 
baute science. Ceux qui ne s'informent que du monde corporel 
jugent pour l'ordinaire fort mal, et toujours grossièrement, 
comme hescarlea que vous estimez tant... » {Lettre^ xix.) 

Dans cette lettre — d'un ton un peu bien cavïilier : Leibniz 
indigné renvoie dédaigneusement Méré à l'école {Œuvres, 11, 92). 
— nous trouvons de précieux renseignements sur les idées de 
Pascal à cette époque, et sur le genre de conseils que Méré a pu 
lui donner. N'y trouvons-nous pas aussi le germe de certaines 
Pensées, sur l'esprit de finesse et de géométrie (H., vu, 2 bis: M.. 
fi39 ; B., 1) par exemple, peut-être aussi sur les trois mondes 
écbelonnés de la matière, de l'esprit et de la charité* (H., xvii, 1: 
M., 138; B., 793)? 

i. Cf. Collet, loc. cit. — Et se souvenir d'ailleurs quo son hypo- 
thèse n'est pas «iémontrée. 

2. Pensées, H., vi, 15 Aw,lo 1er; M., 21, 74i; B., 36. 35. 

3. Tome I.p. 190. 



\ 



LE MONDE ET LES LETTRES 77 

silencieusement, s'informa avec soin et, à l'arri- 
vée, il était déjà corrigée C'est bien ainsi qu'on 
se le représente en effet, un peu arriéré, un peu 
gauche, mais suppléant vite aux lacunes de son 
éducation mondaine par la pénétration de son 
intelligence et par la justesse de son coup d'oeil. 

C'est à ce moment sans doute, que Pascal consi- 
dérant le (* long temps qu'il avait passé dans l'étude 
des sciences abstraites... commença l'étude de 
l'homme - ». 11 reconnut que la méthode des mathé- 
matiques n'était point la seule, et qu'elle ne pou- 
vait rien hors de son domaine. A côté des principes, 
des axiomes et de leurs conséquences, qu'il avait 
jusque-là regardés comme les uniques objets de la 
connaissance rationnelle (la religion étant à part), 
il aperçut des choses plus compliquées, plus déli- 
cates et plus subtiles, les choses vivantes de l'esprit 
humain et de la société, qu'il faut avoir « bonne 
vue » pour voir : il distingua l'esprit de géométrie 
et l'esprit de finesse*^. Le premier c'était l'esprit 
« aux vues nettes, dures et inflexibles », la mé- 
thode sévère qui lui avait permis de faire ses décou- 
vertes. Mais il y renonçait en partie, il ne voulait 
plus se rendre ridicule en procédant, toujours par 
principes, démonstrations et conséquences. 11 vou- 



1. Cf. Collet, loc. cit. — Toujours si son hypothèse est admise. 

2. Pensées, H., vi, 23 ; M., 708 ; B., 144. 

3. Pensées, H., vu, 2, 2 bis; M., 452, 639 ; B., 1, 2. 



78 LA PENSÉE DE PASCAL, m 

lait acquérir cette « souplesse de pensée qui s'ap- 
plique en même temps aux diverses parties » des 
objets, ou comme le lui dit Méré, avoir désormais 
« Tesprit fin et les yeux fins, pour remarquer à la 
mine et à Tair des personnes qu'il verrait quantité 
de choses qui pourraient beaucoup servir* ». Il 
voyait bien que le chevalier son modèle n'était 
point un esprit géométrique, lui « qui ne se pouvait 
du tout tourner vers les principes de la géométrie » ; 
mais il espérait pour son compte, concilier les 
deux, « posséder à la fois et la force et la flexibilité 
de Tesprit ». 

Ainsi, ce queTusage exclusif de la méthode géo- 
métrique aurait pu donner à son intelligence de 
trop formaliste et de trop étroit, il s'en défaisait 
peu à peu, puisqu'il en arrivait à comprendre « qu'il 
y a des choses tellement délicates et si nombreuses, 
qu'il faut un sens bien délicat et bien net pour les 
sentir et [pour] juger droit et juste, selon ce senti- 
ment, sans pouvoir le plus souvent les démontrer 
par ordre comme en géométrie^ parce qu'on n'en pos- 
sède pas ainsi les principes, et que ce serait une 
chose infinie de l'entreprendre^ ». Et pour la pre- 
mière fois apparaît chez lui ce mépris de la démons- 
tration, cette confiance en l'intuition directe, au sen- 
timent instinctif, que nous verrons dans X^sPensées, 

1. Lettre de Méré. 

2. Pensées, H., vu, 2 his\ M., 639; B., 1. 



LE MONDE ET LES LETTRES 79 

Mais, pour acquérir ce « sens délicat et net )),ce 
ne sont rien que des conseils, si bons soient-ils ; 
il faut la pratique, il faut se mêler à la vie ou 
« môme s'y enfoncer », se former insensiblement 
par la fréquentation des « honnêtes gens » et des 
dames ^ « La science et Térudition, dit Méré, produi- 
sent beaucoup de sots et c'est en pratiquant ceux 
qui ont de Tesprit qu'on devient honnête homme '^. » 
C'est ce que fit Pascal, qui se mit en relations avec 
les amis du duc et du chevalier. Ainsi, nous savons 
par la gazette de Loret du 14 avril 1652, qu'il fit 
une sorte de conférence privée chez la duchesse 
d'Aiguillon'^ et on le vit assez souvent chez M""® de 

1. Méré, III, 12. — « Le chevalier recommande beaucoup cet en- 
tretien aux dames ; c'est là seulement que l'esprit se fait et que 
rhonnôte homme s'achève; car, comme il le remarque très bien, 
les hommes sont tout d'une pièce tant qu'ils restent entre eux. » 
(Saixte-Belve, Port. tilt. 111, 88.) 

2. Ibid., 11,46. 

3. « Je me reucontrai, raulre jour 

Dedans le petit Luxembourg, 
Auquel beau lieu que Dieu bénie, 
Se trouve grande compagnie. 
Tant duchesses que cordons-bleus. 
Pour voir les effets merveilleux 
D'un ouvrage d'arithmétique, 
Autrement de mathématique. 
Où, par un secret sans égal, 

Un auteur qu'on nomme Pascal 
Fit voir une spéculative 
Si claire et si persuasive, 
Touchant le calcul et le jet 
Qu'on admira le grand projet. 
Il fit encore sur les fontaines 
Des démonstrations si pleines 
Desprit et de subtilité. 
Que Ion vit bien, en vérité. 
Qu'un très beau génie il possède, 
Et qu'on le traita d'Ai'chimède ». 

{La Muse historique.) 



80 l.A PKNSEE DE PASCAL, III 

Sablé, dont le salon précieux était alors florissant. 
A ce moment, « toute la France », comme ditM""" de 
Sévigné — c'est-à-dire la partie la plus brillante de 
la société, le Tout-Paris d'aujourd'hui — toute la 
France s adonnait aux lettres. L'hôtel de Rambouil- 
let avait ofl'ert Texemple et le modèle des ruelles 
littéraires et de tous côtés on Timitait. Méré, l'arbitre 
de toutes les élégances, qui suivait la mode quand 
il ne la faisait pas, devait avoir des principes à lui 
sur le bon goût. Il dut servir de guide à Pascal, qui 
semble avoir jusque-là singulièrement négligé les 
lettres. C'est alors, sans doute que l'auteur des 
Peîîsées fit sa rhétorique^ : c'est alors qu'il comprit 
la supériorité du naturel sur les faux clinquants du 
mauvais goût, les défauts de certaines façons vicieuses 
de s'exprimer, le ridicule des vaines périphrases, 
des fausses antithèses, des puériles élégances; c'est 
alors qu'il lut des romans, qu'il fréquenta la 
comédie et en goûta le charme dangereux, qu'il 
apprit à discuter congrûment des mérites d'un 
sonnet-, etc. Tout cela, il l'eût sans doute trouvé 



1. Pensées, II., vu, 25, 28, xxv, 2;>, 25 bis, 25 /er, 130, xxiv, 94, 
VII, 20, 22, xxv, r»8. XXIV, 64, vu, 24, etc. ; M., 329, 701, 334,753, 
363, 23, 450, 326, 756,956, 328, etc.; B., 33, 29, 56, 15, 59, 54, 30,19, 
27, 13, il, 32, etc. — Cf. Espinas, la Théorie littéraire de Pascal 
{Annales de la Faculté de Bordeaux, t. 111) ; Filoz, l'Esthétique de 
i^ascaZ (La Rochelle, 1884); Boltuoux, VArt de persuader d'après 
Pascal {Rev. des Cours et Conférences, 11 mai 1898); E. Faguet, les 
Idées littéraires de Pascal {Rev. des Cours et Conférences^ 13 dé- 
cembre 1900); et G. Michaux, appendice 5. 

2. Pascal a-t-il, lui aussi, commis de petits ouvrages dans le 



LE MONDE ET LES LETTRES 81 

OU fait par lui-même ; mais les conseils du cheva- 
lier n'y ont point été inutiles. 

Les belles lettres et la galanterie formaient les 
occupations ordinaires des « précieuses » et des 
« honnêtes gens ». Les Pensées sur l'éloquence, le 
goût et l'art d'écrire nous sont une preuve que 
Pascal s'est, comme les autres, occupé de littéra- 
ture ; le Discours sur les Passions de V Amour nous 
serait un témoignage qu'il n'a pas non plus négligé 
la galanterie *. L'authenticité de ce morceau a été 
contestée, et pour des raisons qui ne sont pas sans 

goût précieux à la mode du temps? On lui attribue les deux pièces 
de vers suivantes : 



Les plaisirs innocents ont choisi pour asile 
Ce palais, où l'art semble épuiser son pouvoir : 
Si l'œil de tous côtés est charmé de le voir. 
Le cœur à l'habiter goûte un bonheur tranquille. 

On y voit dans mille canaux 

Folâtrer de jeunes Naïades, 

Les dieux de la terre et des eaux 

Y choisissent leui's promenades ; 

Mais les maitres de ces beaux lieux 
Nous y font oublier et la terre et les cieux. 

II 

De ces beaux lieux, j(;une et charma nie hôtesse, 

Votre crayon m'a tracé le dessin, 

J'aurais voulu suivre de votre main 

J^a grâce et la délicatesse. 
Mais pourquoi n'ai-je pu, j)eignant ces dieux en lair, 
Pour rendre plus brillante une aimable <léesse 

Lui donner vos traits et votre air? 

Ces deux morceaux seraient écrits de sa main au dos de deux 
tableaux du château de Fontenay-le-Gomte, près de Poitiers. Ils 
dateraient de son voyage en Poitou, de l'époque où il voulait faire 
le mondain, sans s'être encore dépouillé de ses goûts provinciaux ; 
ia « Sapho » de Clermont les eut admirés. 

1. Cf. Nouvelle édition par G. Micuaut (Fontemoing, 1900). 

6 



82 LA PENSÉE DE PASCAL, UT 

valeur*. Les arguments contraires paraissent pour- 
tant plus plausibles encore : il y a dans le Discours 
bien des idées de Pascal et, chose plus significative 
encore, des expressions qui lui sont propres ; bien 
des traits (.^datants y révèlent son génie ; et Ton no 
doit pas trop s'arrêter au contraste que présentent 
avec le reste de sa vie les thi?ories presque épicu- 
riennes qui s'y expriment : car, enfin, il faut bien 
que Pascal ait fait quelque chose pour mériter les 
anathèmes de la mère Agnès. A ces raisons, s'en 
ajoute une autre — extérieure celle-là — et qui 
cependant n'est point non plus sans force. Ce texte 
nous est parvenu dans un recueil d'écrits jansé- 
nistes avec la mention : <* On Tattribue à M. Pascal. »> 
Or, pour qu\m janséniste, un disciple de cette doc- 
trine ascétique, ait attribué au grand homme du 
parti une œuvre qui respire des sentiments si pro- 
fanes et presque païens, ne faut-il point qu'il n'ait 
pu faire autrement et que les probabilités accumu- 
lées aient forcé sa conviction 2? 

Mais, si Ton admet que ce discours est bien de 
Pascal, toutes les difficultés ne sont pas encore ré- 
solues. La vraie question est de savoir ce que fau- 
teur y a mis de lui-même, dans quelle mesure il y 

1. Mais alors de qui serait-il? S'il était de Méré, il est assez 
remarquable pour qu'on l'ait imprimé dans ses œuvres. En tout 
cas, il serait assurément de quelqu'un de son groupe. 

2. J'ai un scrupule : les jansénistes avaient-lis tous autant d'es- 
prit critique que je le suppose ici? La lecture du Recueil d'Utrecht 
lui-môme ne m'encourage guère à le penser. 



LE MONDE ET LES LETTRES 83 

traduit — et nous révèle — des sentiments réel- 
lement éprouvés. Je l'avoue, il ne me semble pas 
que dans ce discours respire une passion véritable 
et rien ne m'y paraît prouver qu'à l'époque où il l'a 
écrit, Pascal eût quelque amour au cœur. Quand 
j'y considère la subtilité des idées, les sentiments 
si raffinés, l'union étrange de la préciosité et de la 
logique, les distinctions forcées, ce qu'on sent là 
de recherche ou même d'affectation, je croirais plu- 
tôt que Pascal a simplement voulu faire œuvre de 
littérateur. Ce pourrait être la solution d'un de ces 
problèmes de casuistique galante comme on aimait 
à en agiter dans la chambre bleue de l'incomparable 
Arthénicc. Beaucoup des pensées que l'on rencontre 
dans cet ouvrage, si improprement appelé discours ^, 
sont en réalité des sentences détachées, souvent ai- 
guisées en traits et qui ont des airs de maximes. 
On se demande alors si Pascal ne l'aurait pas écrit 
pour M"*" de Sablé : on sait en effet que l'un des 
fragments des Pensées a été retrouvé dans les pa- 
piers de la marquise, à qui sans doute l'auteur l'avait 
communiqué; le discours a pu avoir la même des- 
tination. Ce serait donc une œuvre faite pour le pu- 
blic, et non pas un de ces opuscules, pour ainsi 
dire confidentiels, que Pascal écrivit pour lui seuP. 

1. Cf. Sully-Pkuduomme, Examen du discou7's sur les passiojis de 
V amour {Rev, des Deux Mondes, 15 juillet 1890). 

2. On sait pourtant que M. Boutiioux — avec qui il est inquiétant 
de ne pas se sentir d'accord — écrit : « U est certain que plusieurs 



84 LA PENSEE DE PASCAL, lU 

Est-ce à dire cependant qu'il n'y faille voir qu'un 
jeu d'esprit et que nous n'en puissions rien conclure 
sur les sentiments qu'il éprouvait alors ? On n'ose- 
rait point aller jusque-là. Et tout d'abord, le choix 
du sujet est bien significatif. Que Pascal étudie 
avec une si évidente complaisance une passion qui 
met la créature en un rang réservé par le Jansé- 
nisme au seul Créateur, voilà qui doit nous étonner. 
Qu'elle est loin l'austérité de ces lettres à M"'' Pé- 
ricr (i()48), où il semble fouler aux pieds les affec- 
tions naturelles pour ne célébrer que les affections 
plus hautes qu'inspire la grâce divine ^ ! Et dans 
le ton aussi, se rc'vèle un état de l'esprit ou plutôt 
du cœur, bien nouveau chez Pascal. Ces mots ar- 
dents, cette peinture du bonheur qu'apporte Tamour, 
cette proclamation des droits de l'amour confondu 
avec la raison môme, si tout cela n'est pas d'une 
âme dojà éprise, ce n'est pas du moins d'une âme 

passa^fcs font l'effet d'une confidence... Il est vraisembl&ble qu'il a 
aimé et mAme qu'il a aimé une personne de condition supérieure à 
la sienne. » [Pascal, p. 61.) C'était aussi l'avis de Cousin {Des Pen- 
sées de lUfscaf, Ladrange et Joubert, 1847), de Havet (édition des 
Pensées), et de Uavaiss(jn [la Philosophie de Pascal : Rev. des Deux 
Mondes^ 15 mars 1897). Fauokhe (édition des Pen^e'c»), de Lescube 
(édition du Discours, librairie des Bibliophiles, 1881), Ricard {les 
Premiers Jansénistes pI Port-Royal, Pion, 1883), Dérome (édition 
des Provinciales^ (inrnier, 188.-i) et M. Molimeh peut-être (édition 
Lcmerrr, 1877) vont jusqu'à nommer M"' de Koannez. De l'avis 
oppose sont Saintk-Beivk (Porl-Rof/al, II, 509), MM. Gazibr {le 
Roman de Pascal, Rev politique et littéraire^ 24 novembre 1877), 
fiiHAUu (p. 46), BuiîNSciivicr, (p. 123), et M. Bruxetière, qui, lui, 
semble même douter de l'authenticité du discours {De quelques iror 
vatij' récents sur Pascal^ dans Etudes critiques^ 111, 42). 
1. B., p. 84 sq. 



LE MONDE ET LES LETTRES 85 

indifférente. « A force de parler d'amour, dit-il, on 
devient amoureux. » Pour lui, môle comme il l'était 
aux discussions sentimentales des précieuses, son 
imagination fut ébranlée : « le cœur rempli de toutes 
les beautés et de toutes les douceurs de Tamour, 
l'âme et l'esprit persuadés de son innocence, il était 
tout préparé à en recevoir les premières impres- 
sions, ou plutôt à chercher l'occasion de les faire 
naître dans le cœur de quelqu'un pour recevoir les 
mômes plaisirs et les mêmes sacrifices^ », comme 
quand il sortait de la comédie. Mais rien ne nous 
autorise à croire que cette vague disposition à la 
tendresse ait trouvé oii se prendre : on s'accorde gé- 
néralement à rejeter le roman de son amour pour 
M"* de Roannez -. Marguerite Périer nous dit qu'il 
songeait à se marier^ ; et le Discours parle du plaisir 
d'aimer « sans égalité de condition » et « sans l'oser 
dire». Ce renseignement et ces allusions ne se con- 
cilient guère ; mais pourquoi y voir des allusions? 
On a cru aussi que Pascal à cette époque se se- 
rait occupé de politique, et avec des vues person- 
nelles d'ambition^ : mais il n'y en a nulle trace 

1. Pensées, H., xxiv, 64; M., 956; B., 11. 

2. Cf. Gazier, loc. cit. 

3. L. 0. M., p. io3 : « Il prit la résolution de suivre le train com- 
mun du monde, c'est-à-dire de prendre une charge et se marier; 
et, prenant ses mesures pour Vun et pour Vautre^ il en conférait 
avec ma tante... qui gémissait... » 

4. M. DÉRoaiE, Introduction à l'édition des Provinciales (Garnier); 
J. Denis, Vues politiques et sociales de Pascal (Gaen, Delcsques, 
in-8% 1893). 



86 I.A PENSEE DE PASCAL, III 

dans SCS œuvres. Tout ce qu'il a pu écrire de plus 
dur sur la faiblesse des rois, de plus hardi sur Tin- 
justice de rhérédité et de la primogéniture, de plus 
méprisant dans sa défense de la hiérarchie sociale 
par ses raisons de derrière la tête, tout cela, comme 
ses attaques contre la science ou la justice, rentre 
dans le plan général de la grande attaque qu'il a 
menée contre la nature et la société humaines. As- 
surément, il n'a pas pu voir la Fronde sans y ap- 
prendre beaucoup; sous ses yeux, le pouvoir royal 
fut discuté, les principes du gouvernement livrés à 
la polémique des pamphlétaires, la révolte un ins- 
tant victorieuse, et la personne môme des rois me- 
nacée ; c'est bien de là que doit lui venir l'audace 
de quelques-uns de ses jugements. Mais, nous sa- 
vons par M""*" Périer, qu'il s'indignait fort de rebel- 
lions des frondeurs, et qu'il refusa « des avantages 
considérables» pour ne point s'y associera II es! 
bien peu vraisemblable qu'il ait pris aux aiïairos 
publiques un autre intén^t que celui qu'y prend un 
sujet fidèle : « Pour le monde artificiel qui dépend 
des institutions des hommes, lui dit Méré, vous le 
négligez et je vous en sais bon gré^ » 

1. II., t. I, p. Lxxxv; B., p. 32. — M*"" Pcrier insiste là-dessus parce 
que les Jansénistes étaient suspects : « Le roi était prévenu, dit 
Racine, [c'est-à-dire: avait celte prévention que] que les Jansé- 
nistes n'étaient pas bien intentionnés pour sa personne et pour son 
état; et ils avaient eux-mêmes, sans y penser, donné occasion de 
lui inspirer ces sentiments, etc. » {Abréf/é de r/iist. de Port-Royal.) 

2. Lettre à Pascal. 




\..;. 



III 



LA « DISSIPATION » DE PASCAL 



CONFLIT DE M™' PÉRIER ET DE PASCAL AVEC SŒUR 

EUPUÉMIE. LE « LIBERTINAGE » AU XVII® SIÈCLE. 

ATTIÉDISSEMENT DES SENTIMENTS RELIGIEUX DE 

PASCAL. 



Les occupations scientifiques et les éludes litté- 
raires, la vie du monde et la fréquentation des sa- 
lons ne remplissaient pas seules la vie de Pascal. 
« Il s'était engagé insensiblement à revoir le monde, 
h youer, à se divertir, dit le Recueil d'Utrecht, Au 
commencement, cela était modéré, mais enfin il se 
livra tout entier à la vanité, à l'inutilité, au plaisir 
et à l'amusement, sans se laisser aller cependant à 
aucun dérèglement honteux *. » Nous savons que 
Miton et Méré étaient joueurs, etMéré, dans plusieurs 
de ses lettres, se plaint des créanciers importuns. 

1. P. 237. 



88 LA PENSÉE DE PASCAL, m 

Entraîné à les imiter, Pascal se trouva vite dans 
rembarras, car sa fortune ne lui permettait pas des 
dépenses excessives : «il avait peine à vivre comme 
ceux de sa condition », avoue la sévère mère Agnès 
elle-même ^ 

C'est sans doute par cette raison qu'il faut expli- 
quer ses dissentiments passagers avec Sœur Euphé- 
mie. Après la mort d'Etienne Pascal, il aurait bien 
voulu retenir auprès de lui sa sœur Jacqueline; 
mais si elle avait obéi à un père, elle n'entendait 
point se soumettre aux volontés de son frère. Il eut 
beau faire l'opposition la plus vive : elle n'en tint 
aucun compte et il fut réduit à lui accorder d'assez 
mauvaise grâce son consentement — quand elle 
se fut arrangée de manière à s'en pouvoir passer. 
Seulement quand Jacqueline, du couvent où elle 
s'était retirée, écrivit à M""® Périer et à Pascal qu'elle 
voulait donner son bien aux pauvres, ils s'en offen- 
sèrent tous deux. Invoquant certains arrangements 
de famille qu'elle avait signés avant d^entrer à Port- 
Royal, ils lui firent observer que leurs biens étaient 
restés indivis, qu'elle n'avait pas le droit d'en dis- 
poser; ils la menacèrent même d'un procès, dans des 
lettres séparées mais « d'un même style, où sans 
lui dire qu'ils fussent choqués, ils la traitaient ce- 
pendant comme l'étant beaucoup ». En un mot w ils 
prirent tous deux les choses dans un esprit tout sé- 

1. L. 0. M., p. 201. Relation de Sœur Euphémie. 



LA « DISSIPATION » DE PASCAL 89 

culier* ». Jacqueline dépeint avec beaucoup de force 
le chagrin dans lequel la plongea cette conduite im- 
prévue. Son frère, dans une visite qu'il lui fit, vit 
son désespoir et en fut touché : « De son propre 
mouvement, il se résolut à mettre ordre à cette 
affaire, s'offrant même de prendre sur lui toutes les 
charges et tous les risques du bien. » Mais, à 
ce qu'il semble, ce fut plus par point d'honneur 
et par amour fraternel que par esprit de dévotion. 
Que faut-il penser de cette affaire et jusqu'à quel 
point devons-nous l'en blâmer? Tout d'abord il faut 
bien noter qu'il était dans son droit et Jacqueline 
elle-même le reconnaît- : s'il a soutenu ses inté- 
rêts avec un peu d'âpreté, il ne voulait point dé- 
pouiller sa sœur. Puis M'"'' Périer qui, elle, n'était 
pas mondaine et avait gardé sa ferveur janséniste, 
s'était rangée de son côté et voulait comme lui em- 
pêcher Jacqueline de faire des libéralités au cou- 
vent. Légalement parlant, il est irréprochable. Mais 
enfin il n'avait pas comme M. et M'"'' Périer à dé- 
fendre les intérêts et à assurer l'avenir de plusieurs 
enfants, il ne songeait en cela qu'à lui-même et à 
ses plaisirs : « Il était trop du monde et même dans 

1. L. 0. M., p. 179. Relation de Sœur Eupliémie. 

2. «Je sais bien qu'à la rigueur elles [les «raisons de chicane» 
qu'alléguaient Pascal et M"" Périer] étaient véritahles, mais nous 
n'avions pas accoutumé d'en user ensemble » [Relation, L. 0. M., 
p. 180). — Cf. Barroux, Pièces notaHéea concernant Pascal [Bulletin 
du Comité des travaux historiques, p. 148. Leroux, 1888) ; et 
V* DB Grouchy, Pièces notariées concernant Pascal [Bulletin de la 
Société d'Histoire de Paris, mars-avril 1890). 



00 LA PENSÉE DE PASCAL, III 

la vanité et les amusements, pour préférer les au- 
mônes que voulait faire sa sœur, à sa commodité 
particulière * . » 

A ceux qui vivaient dans le véritable esprit du 
jansénisme, son état paraissait désespéré, et ils se 
disaient avec la mère Agnès ([u'a il n'y avait pas même 
lieu d'attendre un miracle de la grâce en une personne 
conwie lui ». Jusqu'où s'est-il donc laissé aller? 
comment se comporta-t-il à l'égard des préceptes 
moraux et des enseignements dogmatiques de la reli- 
gion ? en un mot, fut-il ou ne fut-il pas « libertin » ? 

Pour co qui est du libertinage au sens moderne 
de ce mot, du libertinage des mœurs, nous pouvons 
hardiment répondre que non. « Il n'avait point 
d'attache pour les autres, dit M"'' Périer ; je ne parle 
pas de ces attaches criminelles et dangereuses, cela 
est grossier, et tout le monde le voit bien, etc...*^. » 
Songeons à Timporlance que le christianisme 
à toujours attachée à celte vertu de la chasteté ; 
rappelons-nous que, pour des dévots, comme ledit 
La Bruyère '^ l'incontinence est le plus horrible des 
crimes ou même le seul crime qu'ils connaissent; 
relisons les pages où Saint-Cyran interdit la prê- 
trise à tout homme qui aurait une fois péché contre 

1. L. 0. M., p. 196. 

2. II., 1. 1, p. Lxxxiii; B.,p.30. Et un peu plus haut: « Sa pureté..., 
vie. » — On sait que Pascal avait «effacé clans son livre de Montaigne 
tout ce qui était contre la cliasteté » {Port-Royal^ IV, 599). 

3. De la mode. 



LA « DISSIPATION » DE PASCAL 91 

la chasteté; et nous demeurons convaincu que, si 
Pascal eût commis une faute de cette nature, il 
en eût éprouvé de vifs remords, dont Texpression se 
retrouverait dans ses écrits. Or, dans les passages 
où il exprime le plus pleinement l'idée de Thumi- 
lité chrétienne, où il a le sentiment le plus fort de 
la corruption des hommes, on ne sent pas Thumilia- 
tion cuisante qu'il eût éprouvée à ce seul souvenir, 
on ne voit pas, pour ainsi dire, la rougeur de la 
honte dont il eût été saisi. 

La chose est d'abord moins claire en ce qui re- 
garde le libertinage de la pensée, l'incrédulité. Et 
comme il ne nous resle pas de document bien pré- 
cis sur cette période de la vie de Pascal, il nous 
faut avant tout rappeler quel était l'état général des 
esprits alors et plus particulièrement quel il était 
dans la société de Méré. 

A la fin du xvi° siècle, le catholicisme Tavait défi- 
nitivement emporté en France; mais les luttes qu'il 
avait dû soutenir n'avaient pas laissé do l'affaiblir. 
A la suite des polémiques violentes entre les ré- 
formés et les catholiques, où chacun s'appuyant sur 
la m ùme révélation l'interprétait différemment, à la 
suite des excès qui, dans les deux camps, avaient 
déshonoré les doctrines, à la suite d'une sorte de 
renaissance du naturalisme et de la philosophie an- 
ciennes, surtout du stoïcisme et de l'épicuréisme, un 
vif ébranlement avait été donné aux esprits : beau- 



92 LA PENSEE DE PASCAL, m 

coup s'arrêtèrent à Tincuriosîté et h l*indifférence, 
d'autres allèrent jusque un vague panthéisme, 
h une confuse adoration de la Nature. C'étaient 
ces « athées »» dont le P. Garasse atout au long com- 
battu les doctrines et dont le nombre à Paris môme 
effrayait le P.Mersenne*. Montaigne était leur chef 
(le chœur : on sait quel vif succès et combien d'édi- 
tions eurent alors les Essais; on sait tout ce que Pas- 
cal lui a fait d'emprunts el comme il s'est cru obligé 
(le lecombattre.Aprèslui,venaient un certain nombre 
d'écrivains, à des degrés divers sceptiques, indiffé- 
rents, ou incrédules : Charron peut-être, à coup sûr 
Gabriel Naudé, LamotheLe Vayer, Guy- Patin, Théo- 
phile de Viau, Saint-Evremond, Des Barreaux, etc. 
Le libertinage existait donc bien, et c'était même en 
partie contre Inique réagissait le jansénisme, comme 
la préciosité avait réagi contre la grossièreté de la 
littérature et des mœurs. 

Mais les « libertins » du xvii* sii^cle ne ressemblent 
guère aux « philosophes » du xviii®. Leur incrédu- 
lité est plus pratique que théorique ; et s'ils 
s'affranchissent des enseignements de l'Eglise, ils 
ne se soucient guère de substituer des théories 

1. Voir P. Garasse, Doctrine cuneuse des beaux espnts de ce 
temps (1623 ; — P. Mersenxe. Quaestiones celeberHmae in Genesim 
cum accuiTata textus explicnlione. In hoc volumine athei et deislœ 
impiKjnanlar (1623) : avec la liste des athées du temps; — 
IJossuET, Oraison funèbre d'Anne de Gonzague; — J. Denis, Scep- 
tiques et libertins de In première moitié du xvn* siècle (Caen^ 
Delesques, in-8', 1893); — U. Thamin, la Philosophie morale en 
France au xvii* siècle [Revue des Cours^ 2 janvier 1896). 




LA «DISSIPATION» DE PASCAL 93 

bioD nettes aux dogmes chrétiens. Ils n'en sont pas 
encore à la propagande ouverte, ils n'en sont qu'à 
Tindififérence. En effet, ils avaient des tendances 
plutôt que des doctrines ^ Comment en eût-il été 
autrement, puisque ni la critique religieuse ni 
l'exégèse n'étaient encore nées ? Aussi leur scepti- 
cisme ne ressemblait-il point à l'incrédulité tran- 
quille à laquelle peut arriver de nos jours un 
homme qui rejette les religions révélées. 11 était 
chancelant, incertain de lui-même, et bien souvent, 
comme pour un La Fontaine ou pour un Des Bar- 
reaux, la peur de la mort suffisait à les convertir. 
Ce n'était pas de l'incrédulité véritable, c'était plu- 
tôt de l'impiété. 

Descartes, sans le savoir peut-être et surtout 
sans le vouloir*, leur fit faire un pas de plus : il 
leur apprendra à mettre purement et simplement à 
l'écart les choses religieuses, comme ne dépendant 
point de la raison. Grâce à lui, de l'irréligion pro- 
vocante, on passera à un respect affecté; et ce res- 
pect n'est qu'un acheminement vers l'irusouciance 
absolue, chose plus grave que l'irréligion. 

Au fond, Méré ne se distingue guère des liber- 
tins. Comme eux, il pense que « la vie ne mérite 



1. Voir Brumstiére, Eludes critiques: 4* série, la philosophie de 
Molière; 5* série, la formation de Vidée de Progrès. 

2. Voir Bruxktière, Etudes critiques : 4* série, Jansénistes et Car- 
tésiens; — Lan8u>% V Influence de Descartes sur la littérature fran- 
çaise {Revue de métaphysique ^ juillet 1896); — et Blondel, loc, cit. 



94 LA PENSÉE DE PASCAL, III 

pas qu'on se mette si fort en peine de quelle manière 
on la passe » ; comme eux, « il ne songe qu'à bien 
vivre, ou pour mieux dire, à passer la vie agréa- 
blement». De même, si Miton croit en Dieu, c'est 
« par bénéfice d'invpntaire » ; s'il écrit un Traité de 
rimmorfalitv de Vdme^ c'pst à condition de pouvoir 
dire à TonMlle de ses amis en le leur montrant 
« qu'il <Uait De la mortalité^ ». Mais le libertinage 
à la Théophile était trop inconvenant et trop 
débraillé, le libertinage à la Guy-Patin, trop 
bourgeois et trop gaulois pour être bien vu dans 
la société polie. Il semble que pour le chevalier 
et ses amis, la religion ait fait partie d'un ensemble 
d'élégances et de convenances, dont un « honnête 
homme » ne peut s'affranchir. Leur indilTérence 
religieuse restait contenue dans les strictes limites 
du bon ton-. 

Pascal ne pouvait point échapper à l'influence du 
milieu où il vivait. Sa résistance à la vocation de 
sa sœur, en est une preuve suffisante. C'était un 
sentiment bien naturel qui le poussait h garder 
avec lui la seule personne qui lui restât après le 

1. Salnïe-Belvk, Purl-Roi/al, 111. 30:î iiole. 

2. Ils faisaient, pour des raisons de convenance mondaine, ce que 
faisait un ancien doyen de la Faculté des Lettres de Paris pour des 
raisons de convenance civique : « Le cardinal Lavigerie, encore 
abbé et professeur en Sorbonne, vit un jour à sa messe M. Victor 
Le Clerc. L'abbé félicita Tilluslre humaniste de cette piété qu'il ne 
soupçonnait pas. « Je vais à la messe, répondit M. Le Clerc, parce 
« que Gicéron me Va prescrit dans son Traité des lois. » (Strowski, 
loc. cit.^ p. 13.) 



\J 



LA « DISSIPATION )> DE PASCAL 95 

mariage de Gilberte et la mort de son père ; mais 
que sont les sentiments naturels pour un vrai jan- 
séniste, pour un homme qui sait encore comprendre 
les mystérieux appels de la grâce ? 

Et pourtant, quoi qu'en pensât la mère Agnès, 
tout n'était point perdu. Dans sa préface du Traité 
du vide (de 1647 h 1451?), Pascal parle avec «hor- 
reur » de la « malice » et de V «insolence des témé- 
raires » qui^ « employant le raisonnement seul dans 

la théologie la profauent impunément^ ». On 

reconnaît bien les traces de l'ancienne flamme et 
l'on retrouve celui qui a si vivement poursuivi la 
punition du F. Saint-Ange. Et puis partout où plus 
tard il parlera des incrédules, il n'a point, ce me 
semble, le langage d'un homme qui connaîtrait 
leur état par sa propre expérience. « Cette négli- 
gence en une affaire où il s'agit d'eux-mêmes, de 
leur tout, [r]irrite phis qu'elle ne [l'jattendrit; elle 
[l'Jétonne et l'épouvante : c'est un monstre pour 
[lui]. » Il y voit «un enchantement incompréhen- 
sible^ un assoupissement surnaturel » ; il en montre 
les raisons dans un amour-propre mal placé; il fait 
voir le ridicule et la bassesse des arguments de 
« ces gens-là »: il juge que « rien n'accuse davantage 
une extrême faiblesse d'esprit, que de ne pas con- 
naître le malheur d'un homme sans Dieu'^... ». Par- 



1. H., t. II, p. 266; B., p. 76. 

2. Pensées, H., ix, 1; M., 898; B., 194. 



96 LA PENSÉE DE PASCAL, lU 

lerait-il ainsi s'il eût été lui-même incrédule et 
témoignerait-il un si rude mépris pour ses com- 
pagnons de misère? 11 a bien pu dire, dans le 
parchemin qu'il portait toujours sur lui, qu'il avait 
« fui, renoncé, crucifié » Jésus-Christ; mais de ces 
exagérations d'une âme passionnée, il serait témé- 
raire de tirer des conclusions trop précises. 

Comme un feu qui dort sous la cendre, ses sen- 
timents s'étaient affaiblis peu à peu : les soucis du 
monde occupaient toutes les facultés de son âme; 
mais au fond de son cœur la foi vivait toujours. 
Qu'un effort, qu'une vive secousse le tire du tour- 
billon mondain auquel il s'est laissé entraîner, et, 
sans avoir besoin d'arracher en quelque sorte 
l'incrédulité de son cœur, il lui suffira, pour se 
convertir, de rentrer en lui-même. 



QUATRIEME ÉPOQUE 



1654-1(36^ 



« 




.. _■■ cl 



1 



DEFmiTIVE CONVERSION 



LES CAUSES : L ACCIDENT DE KEUILLY, LA MALADIE, LE 
DÉSENCHANTEMENT, l'iNFLUENCE DE JACQUELINE, LE 

TRAVAIL INTÉRIEUR DE SA PENSÉE. l'eXTASE, LE 

SERMON SUR LE (( COMMENCEMENT DE LA VIE DES 
CHRÉTIENS». PASCAL A PORT-ROYAL. 

Les vains amusements du monde n'avaient pas 
en eux de quoi remplir Tâme de Pascal. « L'homme, 
dit-il, n'est produit que pour l'infinité ^ » Aussi, 
quand il se fût convaincu que tout ce qui est 
humain est périssable et «fini», il revint h la 
religion, qui seule pouvait le satisfaire. Quelles 
sont les causes de cette seconde « conversion ^ », oii 

1. Préface du Traité du Vide, H., t. II, p. 270; B., p. 79. 

2. Od a dit sur cette seconde conversion bien des choses roma- 
nesques, et les Encyclopédistes — qui ne péchaient pas en général 
par excès d*imagination, mais qui avaient leur idée — ont préparé 
wne ample matière à l'imagination des Romantiques. Par réaction 
maintenant, on tendrait volontiers à négliger ou à nier en bloc tous 
les faits dont les uns et les autres ont tiré parti : et M. Boutroux 



• * * - n* * •' 

* * . - " 



400 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

les jansénistes ont vu un coup de la grâce et la main 
de l)ieu même ? « Le Seigneur le poursuivait depuis 
longtemps, dit Thistorien de Port-Royal ^... et la 
Providence disposa divers cvc^nements pour le déta- 
cher peu à peu de ce qui était l'objet de ses passions. » 
L'un de ces événements providentiels fut-il 
Taccidont du pont de Neuilly^? Cette aventure ne 
paraît pas avoir eu dans la vie de Pascal Timpor- 
tance qu'on a voulu lui donner. Sans doute, quand 
ses chevaux emportés furent précipités dans le 
fleuve et qu'il n'échappa lui-môme à la mort que 

(qui, en cela, je l'avoue, me paraît aller un peu loin) passe sous 
silence (ch. iv) môme les mieux attestés, les conversations et 
les sollicitations de Jacqueline par exemple. Ne pourrait-on trou- 
ver un moyen terme et suivre la v(»ie intermédiaire que suit Sainte- 
Beuve quand il parle de la conversion de Rancô [Port, cont., 1, 
p. j4 sq.)? Il dément les légendes mensongères (la tête coupée de 
M"'° de Montbazon) ; il indique sans insister les événements dra- 
matiques (jui ont pu le frapper (« la mort de quelques personnes 
de considération du nombre de ses meilleurs amis ») ; enfin il s'at- 
tache surtout il mettre en lumière les faits simples et presque vul- 
gaires qui ont donné occasion au travail intérieur de sa pensée (la 
rencontre du bei'ger). Et alors il conclut avec justesse, avec péné- 
tration, et avec raison, me scmblc-t-il : « Je ne crois pas que je 
m'abuse, il me semble que la pensée divine, si elle se ménage l'en- 
trée dans les cœurs mortels, doit le faire souvent par ces voies si 
paisibles et si unies, et, qu'après les grands coups portés^ il lui 
su/'/if, pour f/ar/ner à elle, de ces simples cl dirins enchanlemenh* 
(p. o7). — ci". j»Mnr Xriiilly. Vorl-Hunnl, III, 380 ri .'iOi. 

\. Tome III, liv. ix.' 

2. ('et accident est connu, il « si vrai, j)ar un témoin unique, 
anonyme, de troisième ou quatrième main :« M. Arnould de Saint- 
Victor, curé de Chambourcy, dit qu'il a appris de M. le prieur de 
Barillon, ami deM'"' Périer, que, etc.. » (L. 0. M., p. 470. Cf. Délègue, 
Élude sur la dernière conversion de Pascal (Paris, 1869) et le silence 
de M. Boutroux). — Pourtant, le Recueil d'Utrecht en parle dan.^ 
un mémoire qu'il affirme « fait sur un assez grand nombre de 
]tièces originales Irourécs pamni lo>i papiers de .V"'" Marr/uerile 
Périer^ (p. i>:JS). 




DEFINITIVE CONVERSION 101 

par la rupture inespérée des traits — si cela eut 
lieu en effet, — il dut éprouver une certaine frayeur ; 
mais, ni le témoignage bien postérieur de Tabbé 
Boileau *, ni Tinsistance suspecte de Voltaire-, ne 
suffisent à nous persuader que son esprit en ait été 
ébranlé pour le reste de sa vie : l'anecdote de 
Tabîme, que depuis ce jour, il aurait vu sans cesse 
ouvert à ses côtés, paraît controuvée-\ D'ailleurs, 
un tel accident ne saurait être, à lui seitl,, la cma^e 
d'une conversion : ce n'en peut être que l'occasion. 
Pour qu'il produisît un tel changement, il fallait 
que le cœur et l'esprit de Pascal y fussent prédis- 
posés. Un franc libertin, un athée paisible dans son 



1. '« Cela me fait souvenir de M. Pascal dont la comparaison ne 
vous déplaira pas... Ce grand esprit croyait toujours voir un abîme 
à son côté gauche et y faisait mettre une chaise pour se rassurer; 
je sais l'histoire d'origine. Ses amis, son confesseur, son directeur 
avaient beau lui dire qu'il n'avait rien à craindre, il convenait de 
tout cela avec eux, car il n'était nullement visionnaire; et un quart 
d'heure après, il se creusait de nouveau le précipice qui l'effrayait. » 
Écrit à une demoiselle atteinte de terreurs imaginaires {Lettres sur 
divers sujets de morale et de piété. Paris, 1737, t. i, p. 206). 

2. « Qu'on ne se lasse pas de répéter que, depuis l'accident de 
Neuilly, le cerveau de Pascal était dérangé» {Lettre à Condorcet). 
Et ces autres passages que cite Hatzfeld (/'ascaZ, Alcan, 1901) : « il 
n'est pas étonnant qu'un homme d'un tempérament délicat, d'une 
imagination triste comme Pascal, soit, t\ force de mauvais régime, 
parvenu à déranger les organes de son cerveau. » — «... C'est une 
chose bien singulière que Pascal et Abadie, les deux défenseurs de 
la religion chrétienne que l'on cite le plus, soient tous deux morts 
fous. » 

;^. Le Recueil d*Utrecfd., qui regarde i)Ourtant l'accident du pont 
de Neuilly comme un des divers événements que « la Providence 
disposa pour le détacher peu à peu de ce qui était l'objet de ses 
passions », dit simplement : « Cet accident fît prendre à M. Pascal 
la résolution de rompre ces promenades et de mener une vie plus 
retirée» (p. 2r>8). 



402 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

incr(?dulit(^ n'en eût guère tiré d'autre enseigne- 
ment qu'une leçon de prudence. Enfin, et surtout, 
les premiers troubles de conscience qu'éprouva 
Pascal lui sont antérieurs ^ : il n'en est donc certai- 
nement pas le motif. 

Faut-il attribuer sa conversion h Tétat chancelant 
de sa santé et au désespoir qu'il a pu éprouver de 
se voir privé parla maladie des joies de ce monde? 
Nous savons, on effet, qu'à ce moment, le mal dont 
avait déjà souffert Pascal lui était revenu. Quand 
Jacqueline annonce à M"** Périer le retour édifiant 
de son frère, elle ajoute : « Quoiqu'il se trouve 
plus mal qu'il n'ait fait depuis longtemps, cela ne 
l'éloigné nullement de son entreprise ; » et dans la 
lettre suivante, elle rappelle que les médecins lui 
avaient défendu de veiller et de jeûner, et rapporte 
que maintenant il ne peut même plus souper 2. 
D'autre part, à lire les pensées de Pascal sur la 
mort, il semble que l'idée en ait étrangement 
occupé son esprit. Dans le Mystère de Jésus, il 
entend le Rédempteur lui-môme qui lui dit : « Les 
médecins ne te guériront pas, car tu mourras à la 
fin. » 11 semble qu'il éprouve de l'horreur quand il 
pense qu'on « mourra seul » et comme un tremble- 



1. Cf. le récit de Jacqueline : «Tout ce que je puis vous dire, 
c'est... (ju'encorc qu'il ait, drpvis plus d'un an, un grand mépris 
du monde, etc. » Lettre du 8 décembre 1654 (L. 0. M., p. 352^. 

2. Lettres du 8 décembre 1654 et du 25 janvier 1655 (L. O. M., 
p. 352, 356) 



^ 



DÉFINITIVE CONVERSION 103 

ment physique quand il s'écrie : « C'est une chose 
horrible de sentir s'écouler tout ce qu'on possède ^ » 
Si la pensée de la mort — et plus encore, du juge- 
ment qui la suit — produisait sur lui cette impres- 
sion de trouble profond, n'est-il pas naturel qu'il 
ait regardé la maladie comme un avertissement 
d'en haut et qu'il ait cherché dans la foi l'assurance 
d'une vie éternelle? 

D'ailleurs, le désenchantement amené par la ma- 
ladie peut avoir été accru encore par les déceptions 
qu'il aura trouvées dans cette vie où il s'était jeté 
avec tant d'ardeur, « dans ce bourbier du monde » 
qu'il avait « embrassé avec tant d'empressement'-^ ». 
Les esprits ardents comme était le sien vont vite au 
bout des choses. Son imagination s'était forge des 
chimères sur le monde où il pénétrait; la réalité le 
désabusa. Il y vivait avec de jeunes gens dont le 
rang et la fortune étaient supérieurs aux siens; et, 
quelque effort qu'il fît pour les égaler, il ne pouvait 
ni se donner la noblesse de race ni augmenter ses 
revenus insuffisants. L'amitié même du duc de 
Roannez ne parvenait pas à dissimuler la différence 
des situations et des fortunes, et Pascal devait res- 
sentir une certaine humiliation à jouir d'un luxe 
qui n'était pas à lui. N'y a-t-il pas un souvenir per- 



2. Pensées, H., xxiv, 16 bis; M., 492; B., 212. 

3. Lettres de Jacqueline à Pascal du 19 janvier 1655 (L. 0. M., 
p. 333;. 



104 LA PENSKi: DE PASCAL, IV 

sonnet ' dans cotto pensée : « Les choses qui nous 
tiennent le plus, comme de cacher son peu de bien, 
ce n'est souvent presque rien. C'est un néant f/ur 
Ho/rt* imagination grossi/ en montagne »? Et n'y a-t-il 
pas une trace de ces mortifications d'amour-propro 
dans le ton amer dont il parle de la noblesse, qui 
a drs dix-tiuit ans met un tiomnie eu passe, connu 
et respecté, comme un autre pourrait avoir mérité 
à cinquante >» et lui fait « gagner trente ans, sans 
peine- >»? Il avait cru trouver le bonheur, et n'avait 
trouvé que désappointement et désenchantement. 
Ajoutons-y surtout riniluence de Jacqueline, 
devenue Steur Kuphémie•^ C'était la personne qu'il 
aimait le plus, nous dit l'historien de Port-Royal; 
•< car il y avait une telle correspondance entre leurs 
sentiments qu'ils convenaient de tout; leurs deux 
cœurs n'étaient qu'un cu»ur et ils trouvaient l'un 
dans l'autre des consolations qui ne se peuvent 
comprendre qut* par ceux qui y ont passé »>. Ils 
avaient tous deux nu^me nature d'esprit et môme 
raractore; c'était avcM* elh» (|ue Pascal avait le ])liis 
vécu ; il TavîMl convertie, puis poussée aij couvent; 
il lui devait les émotions religieuses les plus pro- 



1. Pensées, IL, v, 18: M.. 3:iG: D.. 8."» (et la première rédarlion : 
cacher sa naissance) et U., v. L'I; M., 027; IL, 322. 

•2. Pensées, IL, v, 1".: M., 027; D., 322. 

3. C'est la seule cause que M*"" Périer allègue : « Comme Dieu 
l'appelait à une grande perferlion... il se servit de ma sœur pour 
ce dessein .. Elle lui persuada ce qu'il lui avait persuadé le premier, 
de quitter absolument le monde...» (IL, t. I. p. i.xxii; B , p. 1"».' 



DÉFINITIVE CONVERSION lOo 

fondes : c'était Tenfant de son âme et elle aimait à 
s'appeler sa fille. D'autant plus passionnée qu'elle 
s'appliquait h mieux réprimer les mouvements de 
son cœur, douée d'une persévérance inébranlable 
qu'elle montra plus tard dans sa lutte avec Rome, 
enfoncée dans son jansénisme par la persécution 
qu'elle voyait approcher*, Jacqueline se sentait 
attachée à lui non seulement par les liens de la 
parenté naturelle, mais encore par les liens bien 
plus forts d'une parenté mystique. Elle ne pouvait 
se décider à laisser Pascal perdre son ame et, « gé- 
missant de voir celui qui lui avait fait connaître le 
néant des choses du monde, s'y plonger lui-môme 
de plus en plus, elle lui en parlait avec autant de 
douceur que de force^». Accueilli à toutes ses 
visites par des prières et des exhortations pres- 
santes, gagné par la ferveur qu'il sentait dans les 
paroles de sa sœur, comment Pascal aurait-il pu se 
défendre, lui qui déjà chanceUnt et se trouvait en 
lutte avec lui-nii^me? 

En effet, si toutc^s ces causes (mt favorisé la 
seconde conversion de 1 fiscal, elles ne suffisent 
point à l'expliquer. Des incrédules ont pu souffrir 
de pareilles déceptions, supporter de pareilles dou- 
leurs physiques, ôtre en butte aux mômes suppli- 

1. Cf. Sainte-Kei-vk, Pnrl-IUnjal, III,3.")0 s<|<|.; Coi^is, Jargueline 
Pascal (Didier, 1845); Mahie Dltoit, Jacqueline Pascal (Fischbacher, 
1897). 

2. Histoire ffénérale de Port-Royal, t. 111. 



iOfi LA PENSEE DE PASCAL, IV 

cations pionses, sans en être ébranlés. Pour lui, il 
était dans cot état que les mystiques de tous les 
temps appellent l'état de sécheresse, où le croyant 
voit supprimée la communication entre Dieu et lui, 
où son âme est impuissante à éprouver les senti- 
ments d'amour divin dont elle était auparavant inon- 
dée. Mais la foi n'était point complètement étouffée 
en lui : affaissée pour ainsi dire sur elle-même, elle 
commcMiçait dés lors à se réveiller. Sa conversion a 
été amenée, préparée de loin par le sourd et lent 
travail de sa pensée intérieure. Ce n'a pas été un 
brusque retour h la vérité, le coup de foudre du 
chemin do Damas, une de ces révolutions morales 
qui, du jour au lendemain, bouleversent une âme; 
c'a été une lente évolution traversée de contradic- 
tions et de luttes, l'accroissement progressif du 
germe de foi qui subsistait en lui. Pour un incré- 
dule qui se convertit, il y a, semble-t-il,un moment 
précis où il cesse d'être incrédule : il y a une rup- 
ture dans sa pensée. Une preuve nouvelle que Pas- 
cal n'a pas été incrédule, ce serait donc que sa con- 
version s'est faite insensiblement. 

Vers la iin de septembre, il s'ouvrit à sa sœur 
«d'une manière qui lui lit pitié»; il lui avoua', 
que, « parmi toutes les choses qui pouvaient contri- 
buer à lui faire aimer le monde et auxquelles on 
avait raison de le croire fort attaché, il était de telle 

1. Lettre de Jacqueline du 25 janvier 1655 (L. 0. M., p. 356). 



DEFINITIVE CONVERSION 107 

sorte sollicité de quitter tout cela, et par une aver- 
sion extrême qu'il avait des folies et des amuse- 
ments du monde, et par le reproche continuel que 
lui faisait sa conscience, qu'il se trouvait détaché 
de toutes choses, d'une telle manière qu'il ne l'avait 
jamais été de la sorte, ni rien d'approchant». Et, 
depuis ce jour, il lui fit des visites « si fréquentes 
et si longues qu'il semblait qu'elle n'avait plus 
d'autre ouvrage à faire que de l'entretenir». 

Mais, malgré ces bonnes dispositions, tout n'était 
point fini ; son esprit combattu ne pouvait se déta- 
cher du monde : « 11 était, disait-il, dans un si grand 
abandonnement du côté de Dieu, qu'il ne sentait 
aucun attrait de ce côté-là ; il s'y portait néanmoins 
de tout son pouvoir, mais il sentait bien que c'était 
plus sa raison et son propreesprit qui l'excitaient, que 
non pas le mouvement de l'esprit de Dieu. » Dans 
cet état pénible, il ne pouvait trouver le bonheur 
ni dans le monde ni dans la religion : l'un le fati- 
guait et inquiétait sa conscience tourmentée, l'autre 
n'avait encore point de charme pour lui et lui lais- 
sait toute sa sécheresse de cœur. Pour nous servir 
des termes dont il use dans son opuscule Sur la con- 
version du pécheur : « Un scrupule continuel com- 
battait son âme dans la jouissance... des choses oii 
elle s'abandonnait auparavant avec une pleine effu- 
sion de cœur; mais elle trouvait encore plus d'amer- 
tume dans les exercices de piété que dans les vani- 



i08 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

trs (lu mondée » C'est apparemment le souvenir de 
ces luttes qui lui faisait dire plus tard : « Il est vrai 
qu'il y a bien do la peine en entrant dans la piété... 
Notre cœuT se sent déchiré entre des efforts con- 
Iniires, clc.^ » 

Ces troubles continuels trouvèrent enfin leur 
l(»rm(» le 23 novembre 1651, dans Textase qu'il 
eut, le soir, entre dix heures et demie et minuit. 
(]ette extase n'a donc pas été la cause, mais bien 
plutôt le couronnement de sa conversion. Elle fait 
connaître la date où cessèrent définitivement ses 
incertitudes, où furent rompues sans retour les 
dernières de ces a horribles attaches » qui le 
retenaient au monde : h partir de ce jour, il vit 
clairement le but fuyant qu'il cherchait en vain 
jusqu'alors, et il s'en saisit pour jamais. 

Mais, si b» sens et la portée de cet événement 
no sauraioni otre douteux, il n'en est pas ainsi de 
sa nature mônu». L'« Amulette » — disons avec lo 
W Guerrier le Mémorial, pour éviter le mot fâcheux 
que Condorcet a lancé non sans motif — le Mémo- 
rial donc est-il simplement la formule écrite dos 
fermes résolutions que Pascal aurait prises après une 
méditation nocturne et ([u'il tenait à conserver tou- 
jours sous ses yeux? Y a-t-il quelque chose de plus 
et serait-ce le picnix monument d'une grAce toute 

i. U., t. II, p. 31u;D., p. 197. 

2. Pensées, H., xxiv, 61 tev\ M., 2.j9; B., 498. 



/ 



1 



DEFINITIVE CONVERSION 109 

spéciale qu'il aurait tenue de la bonté de Dieu, d'un 
ravissement*? La vue seule du fac-similé du papier 
trouvé dans les habits de Pascal suffit à prouver 
qu'il ne s agit point simplement d'un acte de bon 
propos. Ce mot Feu détaché au début, cette croix 
radiée qui domine, ces cris «joie, joie, pleurs de 
joie! » cet appel « mon Dieu, me quittcrez-vous? », 
tout cela ne peut s'expliquer que si Ton admet 
qu'après une méditation intense et une oraison 
passionnée, il se sentit en présence de Dieu^. Et, 

1. Cf. FoissET, Sur Vauiulclte de Pascal [Annales de philosoplùe 
chrétienne^ 183o). 

2. Cf. la première apparition à sainte ïtirrèse (H. Joly, p. 33). 
Voir aussi la nuit du P. Gratry et do Sécrétan (P. Chai:vin, le P. 
iiralry, Biuuil, 1901, p. lo et p. 21). — C'est ce que le D' Lélut 
appelait une '< hallucination o : VAmulelLe de Pascal, pour servira 
l histoire des hallucinalions (Bailliore, 1846). Cr. D*" Charles Bl\ei- 
Sanglk, la Maladie de Pascal (Annales médico-psychologiques, 
luars-avril 1899) : Pascal est un «neurasthénique héréditaire»! 
De bonne foi, qu'est-ce qu'un homme, je ne dis pas janséniste, ni 
catholique, ni chrétien, ni même religieux, mais un peu intelligent 
[les choses religieuses, peut trouver là qui ressemble à une hallu- 
cination ou à de la neurasthénie? En face de ces conceptions 
étroites, et pour ainsi dire grossières de la «raison», donnons- 
nous le plaisir de relire une page admirable et profonde, où un 
L'crivnin, en bien des points si éloigné de Pascal, se montre digne 
le lui et peut aider à le comprendre. 

« La raison, qui est la fille aînée de notre intelligence, doit s'as- 
seoir sur le seuil de notre vie morale, après avoir entr'ouvert les 
)ortes souterraines derrière lesquelles sommeillent prisonnières les 
orces vives et instinctives de notre être. Elle attend, sa l.'nnpe i\ 
a main; et sa seule présence rend ce seuil Inabordable à tout ce 
:jui n'est pas encore conforme à la nature de la lumière. Plus avant, 
lans les régions où ses rayons ne pénètrent pas, la vie obscure 
îontiDue. Elle ne s'en inquiète point, elle s'en réjouit au contraire. 
211e sait qu'aux yeux du Dieu qu'elle désire, tout ce qui n'a pas 
ranchi l'arcade lumineuse, songe, pensée, acte même, ne peut rien 
ijouter, ne peut rien enlèvera l'être idéal qu'elle forme. Le devoir 
le sa flamme est d'être aussi claire, aussi étendue que possible, et 
le ne pas abandonner son poste. Elle n'iiésitc j)as tant qu'il n\v a 



110 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

dans le Mystère de Jésus, ce dialogue que Pascal 
enji^agti avec son Sauveur n'est-il point un souvenir 
de cette preniièiv entrevue, où il se serait directe- 
ment entrot(Miu avec le Dieu vivant, « d'Abraham, 
(Tlsaac et de Jacob »? C'est ce ravissement qui a fait 
cesser en lui la sécheresse de Tâme dont il se plai- 
gnait à sa sœur, et qui aura mis enfin d'accord 
son cuMir touché et sa raison convaincue. 

Pourtant tout n'était pas fini encore. Si Pascal pro- 
mettait dans son Mémorial : « Soumission totale à 
Jésus-(ihrist et à mon directeur », c'est qu'il avait 
(( cru de telle sorte que [sa sœur] ne le connaissait 
plus... en rhu milité, en la soumission, en la défiance 
et au mépris de soi-même ». Mais restait à choisir ce 



qu'une agitation d'instincts inférieurs et de ténèbres. Mais il arrive 
que parmi les captives ({ui s'éveillent, des forces plus éclatantes 
qu'eile-méine s'approchent de l'entrée. Elles répandent une lumière 
plus iuiuiatérlelle, plus dill'use, plus incompréhensible que celle 
de la flamme nette et ferme que protège sa main. Ce sont les 
puissances de l'amour, du bien inexplicable, d'autres plus mysté- 
rieuses, plus infinies encore qui demandent à passer. Que faire? 
Si elle s'est as^i.-ti- sur le seuil, alors qu'elle n'avait pas acquis le 
droit de s'y asseoir pnrco qu'elle n'avait pas encore eu le courage 
d'apprendre qu'elle n'él.iii jtMs soiilo au monde, elle se trouble, elle 
a peur, elle referme les portes; et si jamais elle se résout à les 
rouvrir, elle ne retrouve (|u'une poignée de cendres légères au bas 
des marches sombres. Mais si sa force ne tremble pas, parce que 
tout ce qu'elle n'a pu apprendre lui a du moins appris qu'aucune 
lumière n'est dangereuse, que dans là vie de la raison on peut ris- 
'/uer la raison même dans une clarté plus grande^ d'ineffables 
échanges auront lieu, de lampe à lampe, sur le seuil. Des gouttes 
d'une huile inconnue se mêleront avec l'huile de la sagesse humaine ; 
et, quand les blanches étrangères seront passées, la flamme de sa 
lampe, à jamais transformée, s'élèvera plus haute, plus puissante 
et plus pure entre les cu'onnes du porche agrandi. » (Maurice 
M.4:ili.i,i.n':k. la Sa(/esse et la destinée, Charpentier, p. 78 sq.) 



DÉFINITIVE CONVERSION 111 

directeur auquel il se soumettrait « d'un assujétis- 
sement parfait » ; et là dessus « il eut à rendre en 
lui-môme bien des combats ». Sans doute, il y avait 
M un reste d'indépendance caché dans le fond du 
cœur, qui faisait arme de tout » ; car tout persuadé 
qu'il fût « qu'il lui fallait [un guide] et quoique 
celui qui lui fallait fût tout trouvé et qu'il ne pût 
penser à d'autres », il hésitait encore : « La défiance 
qu'il avait de lui-même faisait qu'il craignait de se 
tromper par trop d'affection, non pas dans les qualités 
de la personne, mais sur la vocation dont il ne 
voyait point de marque certaine ^ » 

Cette fois encore, la voie lui fut montrée. « Dieu 
permit, dit Marguerite Périer-, qu'un jour de la Gon- 

1. Lettre de Jacqueline, 25 janvier 1655 (L. 0. M., p. 358). 

2. Mémoire de Marguerite Périer (L 0. M., p. 453-454). — 
J'insiste sur ces détails, parce qu'il y a ici des opinions bien diffé- 
rentes. Pour M. Délègue {loc. cit.), suivi en cela par MM. Giraud 
et Boutroux, Marguerite Périer se trompe : le sermon décisif aurait 
eu lieu la fête de la Présentation de la Vierge, le 21 septembre, 
deux jours avant Textase, qu'ainsi il aurait en quelque sorte pro- 
iroquée. Et Ton voit bien ce qui a amené cette hypothèse : l'extase 
resterait ainsi le couronnement et pour ainsi dire le bouquet 
de la conversion. — Le sujet du sermon, dit M. Délègue, ne se 
rapporte pas bien à la fête de la Conception. — Cet argument me 
parait assez faible : les prédicateurs n'accrochent pas toujours 1res 
exactement leurs sujets ni à leur texte ni àleur jour ; et d'ailleurs, 
il n^est pas absurde, à propos de la Conception de la sainte 
Vierge, de parler « du commencement de la vie des chrétiens ». — Le 
Mémorial, dit-il encore, « prouve qu'à cette date Pascal s'était déjà 
définitivement rangé sous l'austère direction du Port-Royal «. — 
Ost tirer trop les choses à soi; le Mémorial prouve que Pascal 
s'était donné à Dieu, qu'il s'était promis d'obéir à son directeur ; 
mai:i ce directeur était-il déjà choisi ? La lettre de Jacqueline, du 
2.*j janvier (cf. les passages que j'en ai oilés dans lo texte), inoiiLn* 
précisément que ce choix ne fut pas immédiat et qu'il y eut v^ bleu 
des combats » : je placerais ces combats entre le 23 novembre et 



t 



\L. 



112 LA PEN8KK DE 1»ASCAL, IV 

c<*ptioii do la sainte Vierge, il allât voir ma tante 
<»t demeurât au parloir avec elle durant qu'on 



le s décembre. — Enûn, dit M. Deiègiie, dans sa lettre du 8 décembru, 
Jacqueline « annonçait à M"" Périer la conversion de son frère 
comme un fait déjà accompli au moins depuis quelques jours». 
— La conversion, oui ; mais il faut noter que Jacqueline ajoute «sans 
néanmoins qu'il ait encore déterminé dans quel genre de vie »; or, 
selon Marfçuerite Périer, c'est ce discours qui lui a fait voir quel 
j^enre de vie il devait embrasser et c'est « peu de jours après» 
que Pascal « se détermina à rompre entièrement avec le monde». 
Si le sermon est du 21 se[)tembre, et si dix-sept jours après Pascal 
est encore hésitant, que vient- on nous parler de Tinfluence déci- 
sive et immédiate de ce sermon? 

Des deux lettres de Jacqueline je tirerais des conclusions 
toutes contraires à celles de M. Délègue. Dans la lettre du 25 jan- 
vier, Jacqueline divise Thistoire de son frère en trois moments: 
1* il est converti, mais hésite sur le choix d'un guide ; 2' U accepte 
comme guide M. Singlin: .V « après cela néanmoins, ce ne fut 
pas fait, car il fallait bien d'autres choses pour faire résoudre 
M. Singlin ^•. Dans la lettre du S décembre, nous en sommes 
juste au st'cuutl liiuuicnt : 1" Pascal est < dans un grand désir 
frétre tout |à Dieu], sans néanmoins qu'il ait encore déterminé 
dans quel genre de vie >-• : *2" « il est tout rendu à la conduite de 
M. S... et J'espère que ce sera dans une soumission d'enfant, car 
il ne lui a pas encore accordé ; j'espère néanmoins qu'à la fin il 
ne nous refusera pas ». — D'après cela il me semble : que Pascal, 
qui, avant le S décembre, hésitait à prendre pour directeur M. Sin- 
glin malgré les exhortations de sa sœur, est revenu ce jouMà 
lui dire qu'il se « rendait à sa conduite » ; — que Jacqueline Périer, 
qui connaît <v rappn'hension [qu'a M. SinglinJ de s'engager en de 
pareilles atfaires » et l'infirmité qui « lui enôtcpres(|ue le moyen», 
a peur d'un refus, mais espère ])ourtant en sa charité : — enfin qu'elle 
se hâte le jour mcme de prévenir sa sœur de ce <*onsentement, 
pour elle si prc«'ieux. de son frère : la lettre est visiblement 
écrite hâtivement (<t tnut c(» que je puis vous dire, n'ayant pas de 
temps... »l.'. ; cl l'est visiblement la premièrefois que Jacqueline 
parle à su soMir des dispositions de son frère (<t 11 n'est pas rai- 
sonnable que vous ignoriez plus longtemps.., etc. ?>}; elle a donc 
attendu pour le faire que Pascal eût choisi son guide : eût-elle 
gardé dix-sept jours une nouvelle si grave, qui la réjouissait 
tant et qui devait tant réjouir M"» Périer? 

Mais il y a encore i(!i des difficultés. Dans sa lettre du 8 dé- 
cembre, Jacqueline Pascal ne dit pas un mot du sermon que 
Pascal aurait entendu ce jour-là (ou en tout cas avant ce jour-là): 
dans sa lettre du :*.'i janvier elle dit : «Je ino contenterai de lui 



DEFINITIVE CONVERSION 113 

disait nones avant le sermon. Lorsqu'il fut achevé 
de sonner, elle le quitta et lai, do son côté, entra 
dans Téglise pour entendre le sermon, sans savoir 
que c'était là oîiDieu Tattendait. 11 trouva le prédi- 
cateur en chaire, aussi il vit bien que ma tante ne 
pouvait pas lui avoir parlé ; le sermon fut, au sujet 
de la Conception de la sainte Vierge, sur le commen- 

dire... [suivenl ses raisons]... Il ne me souvient plus si ce fut cela 
qui le fit rendre, ou si ce fut la grâce qui croissait dans lui comme 
à vue d'œil, qui dissipa tous les nuages qui s'opposaient à un si 
heureux commencement sans se servir de raisons; mais, quoi qu'il 
en soit, il fut bientôt rendu », et du sermon pas un mot non plus. 
Pourtant, Marguerite Périer n'a certainement inventé ni Texis- 
tence ni le plan ni l'influence du sermon. Comment expliquer ce 
silence? — Il est à remarquer que personne, du vivant de Pascal, n'a 
parlé de l'extase et le Mémorial, on le sait, n'a été découvert 
qu'après sa mort. Je croirais volontiers que, par humilité, par 
une sorte de pudeur religieuse, il aura gardé le silence sur ces 
choses, où il aura cru reconnaître l'intervention toute spéciale de 
Dieu en sa faveur : plus tard, il aura pu révéler celui des deux 
signes divins oi'i Dieu s'était manifesté de la manière la plus 
commune, sans parler à personne (si ce n'est peut-être à son 
directeur et sous le secret de la direction) de l'extase, du signe 
le plus miraculeux et le plus exceptionnel. 

Enfin, de qui est ce sermon ? Tout le monde, je crois (sauf 
M. Délègue : « un prédicateur dont le nom ne nous est pas par- 
venu »), nomme M. Singlin. Et, en effet, le sermon a été publié 
dans les Instimctions chrétiennes de Singlin (Cf. Gazier, Litt. franc. 
de Colin, t. IV, p. 591). Seulement ces instructions ont été rédigées 
non par Singlin, mais par Lemaîtrc de Sacy ou même le grand 
Amauld, sur les canevas de Singlin {ibicL, p. 5G7). Où ont-ils pris 
ce canevas-ci? Dans les papiers de Singlin? Alors l'attribution 
est certaine et encore il se pourrait cjne ce ne fût pas le discours 
entendu par Pascal, mais un discours sur le même sujet. Mais ne 
l'auraient-ils pas pris dans le texte de Marguerite Périer, en l'attri- 
buant à Singlin, comme le Recueil (VVtrecht, pour cette seule 
raison que Singlin était le directeur de Port-Koyal et, sans doute, 
son prédicateur ordinaire? Dans ce dernier cas, pour maintenir 
Pattribution commune, il faudrait d'abord résoudre quelques diffi- 
cultés. — Si c'était M. Singlin qui eût parlé, ce sermon aurait eu 
bien moins d'importance pour Pascal : l'incertitude qui le tour- 
mentait était de savoir s'il devait suivre les conseils de M. Singlin, 

8 



Ïl4 :.A Î'EXSKE ItE PASCAL, H' 

c»/mc-nt de la vie îles chréliens et sur Timportaiice 
lie les rendre >aints en ne s'engageant pas comme 
font presque tous l«^s irens du monde, par Thabitude, 
par la coutume et par des raisons do bienséance 
toutes humaines dans des char^s et dans des ma- 
riages: il montra comment il fallait consulter Dieu 
avant que de s'y engager et bien examiner si on 
pouvait faire son salut et si on n'y trouverait point 
d'obstacles. Comme c'rtait \h précisément son état et 

se d'-cid' r |irt-riscuient sur le disi-ours de M. Singlin, c'est une 
espèce de itrrolr vii-ii-ux. D'autre part, d'aprôs Marguerite Périer, 
re i{iii l'a frappr. c'est que < tout rela ait été dit pour lui », alors 
qu'il était sûr que Jai'queline n'avait pas prévenu le prédicateur; 
cela ne peut s'entendre que d'un prédicateur de passage et qui 
vient au rouvent juste avant son sermon; Jacqueline avait eu 
mille occasitins dt-puis bien des jours d'entretenir M. Singlin de 
l'état de son frère, et sans doute elle lui en avait parlé, ou tout au 
moins Pascal pouvait penser qu'elle lui en avait parlé. — De plus, 
si cent été .M. Singlin. Jacqueline n'aurait pas manqué de faire 
d'elle-mt>me le rai»prochement que Pascal a fait entre ce sermon 
et ses préoccupations, surtout, si comme il est bien probable, elle 
avait parlé de son frère à M. Singlin: avec le culte qu'elle portait 
à son directeur, elle n'eût pas manqué île lui attribuer le mérite 
d'avoir enfin vaincu les hésitations de Pascal, et elle ne dirait pas : 
<' 11 ne me souvient plus si, etc. »> — Enûn. M. Sin^^lin prêchait-il 
alors? 11 est bien invraisemblable qu'il ait pu supporter en décem- 
bre la fatigue de la chaire, alors qu'il continuait le mois suivant à 
ne pouvoir supporter la fatigue, bien moindre, des conversations de 
direction : « Son infirmité qui continue toujours, dit Jacqueline 
le 2.'J janvier, lui en ôte presque le moyen, parce qu'il ne saurait 
presque parler sans se faire un grand mal.» — D'après tout cela, 
il me semble que le sermon dut être d'un prédicateur d'occasion 
et c'est là précisément ce qui aura le plus frai)pé l'esprit et l'ima- 
gination de Pascal : les paroles de M. Singlin — informé de tout ou 
qui pouvait l'être — eussent été à ses yeux des avis humains ; les 
paroles d'un inconnu, qui ne le connaissait pas et qui parlait si 
bien «pour lui ?>. c'étaient des avis divins. On retrouve d'ailleurs 
dans l'histoire d(; Port-Koyal des épisodes analogues : n'est-ce pas 
par l'indigne Père Basile que Dieu, dans le sermon de 1608, aurait 
<» converti » la mère Angélique et commencé la réforme de Port- 
Royal ? (Cf. Port'RoyaL t. I, p. 92.) 



DEFINITIVE CONVERSION 115 

sa disposition et que le prédicateur prêcha avec 
beaucoup de véhémence et de force, il fut vivement 
touché, et croyant que tout cela avait été dit pour 
lui, il le prit de même. » Ainsi, il lui sembla que 
par la bouche de son ministre, Dieu lui-môme 
venait l'appeler ; quelque temps après il répondait: 
« Seigneur, me voici! » 

En janvier 1655, à l'âge de trente-deux ans, 
il quittait le monde et entrait à Port-Royal : il 
faisait sa « renonciation totale et douce », il se sou- 
mettait « d'une soumission totale à Jésus-Christ et 
à son directeur )),M. Singlin. 



L -'■. 



II 



LA RETRAITE A PORT-ROYAL 



LES SCIENCES l DE l'eSPRIT GÉOMÉTRIQUE. LA PHILO- 
SOPHIE : ENTRETIEN AVEC M. DE 8AC1. — LA 
THÉOLOGIE : LES PREMIÈRES PROVINCIALES. 

En renonçant au monde, Pascal n'avait pas en- 
core, semble-t-il, abjuré toutes les vanités de 
l'esprit. 

« 11 était revenu au vain amour des sciences,» 
dit riiistorien de Port-RoyaP. Singlin, après avoir 
accepté de diriger sa conscience sur les instances 
de sœur Euphémie, l'avait exhorté « à faire un 
voyage h la campagne, pour être plus à soi qu'il 
n'était à cause du r(»tour de son bon ami [le duc 
de RoannezJ qui l'occupait tout entier-^ ». Pascal 
s'était retiré dans une des maisons de M. de Luynes, 
au château de Vaumurier, puis, ne se trouvant pas 

1. Tome m. 

2. Letti'e de Jacqueline du 25 janvier 1655 (L. 0. M., p. 361). 



LA RETRAITE A PORT-ROYAL 117 

assez seul, il avait demandé une cellule à Port- 
Royal. Or Port-Royal à cette époque était tout car- 
tésien, et M. de Liancourt, Arnauld, Nicole, qui 
s'occupaient de science, appliquaient dans leurs 
discussions de logique, de géométrie, de physique, 
les principes tout cartésiens que ces derniers ont 
exposés plus tard dans la Logique de Port-Royal, 
Peut-être Pascal se <Tut-il autorisé par l'exemple 
de chrétiens si austères et de jansénistes si éclai- 
rés à s'occuper encore des sciences ; et ils ne s'y 
opposèrent nullement : Singlin n'avait-il pas décidé 
que « M. Arnauld lui prêterait le collet en ce qui 
regardait les hautes sciences ^ » ? 

Seule, sa sœur, son ancienne directrice, s'en 
inquiétait un peu et lui murmurait doucement 
quelques observations : « Je ne sais... comment 
M. de Saci s'accommode d'un pénitent si réjoui et 
qui prétend satisfaire aux vaines joies et aux diver- 
tissements du monde par des joies un peu plus rai- 
sonnables et par des jeux d'esprit plus permis^ au 
lieu de les expier par des larmes continuelles 2. » 
Elle l'aurait volontiers réduit aux seuls travaux 
intellectuels qui pouvaient être utiles aux Petites 
Écoles^ : l'invention d'une méthode nouvelle pour 



1. Fontaine. — Cf. H., t. I, p. cxxiii; B., 147. 

2. Lettre du 19 janvier 16:io (L. 0. M., p. 354). 

3. Cf. Cadet, l'Éducation à Port-Royal (Hachette, 1887), et Carré, 
les Pédagogues de Port-Royal (Delagrave, 1887). 



118 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

apprendre h lire aux enfants*, et la rédaction A'Élé' 
mpiifs dp f/é orné (rie-. 

Ces «< Messieurs •> étaient moins sévères; plusmo 
d(Tés, ils semblent avoir voulu ménager davantage 
la transition à leur disciple. Ils voulaient aussi pro- 
fiter, i)our leur maison et pour eux, de son génie 
pour les sciences et c'est sans doute avec leurs 
encouragemt^nls qu'il écrivit alors comme préface 
à ses Élviticnfs de geut)iélrie les deux fragments De 
r^sprit (jrinndtriqiic. 11 y fait assez ouvertement ses 
réserves sur la doctrine de Descartes; il v araoin- 
drit le pouvoir de la raison — dans les choses 
humaines, puisque « tout ce qu'il y a d'hommes 
sont presque toujours emportés à croire, non par 
la preuve, mais par l'agrément -^ » — dans les 
choses divines, puisque « Dieu ne verse ses lu- 
mières dans les esprits qu'après avoir dompté la 
rébellion de la volonté, par une douceur toute 
céleste (|ui la charme et qui l'entraîne'* ». Et pour- 
tant il y professe encore une haute estime pour la 
géométrie, et lui fait la part assez belle : la géomé- 
trie excelle aux trois principaux objets qu'on peut 
avoir dans l'étude de la vérité, de la découvrir 
quand on la cherche, de la démontrer quand on la 

1. Lettre de Jacqueline du 20 octobre IGiio (L. 0. M., p. 372j. 

2. Arnauld, dit-on. les trouvaconfus et leur opposa ses Nouveaux 
éléments de r/éométrie. Pascal, alors, jeta au feu son essai (Cf. Adaji 
et Brinschvk'.o, p. 16;^). 

3. IL, t. II, p. 200; n., p. 185. 

4. H., t. Il, p. 297: lî., p. 180. 



LA RETRAITE A PORT-ROYAL 119 

possède, de la discerner d'avec le faux quand on 
l'examine; ses démonstrations sont méthodiques 
et parfaites; ce qui passe la géométrie nous sur- 
passe ; Tordre géométrique est « le plus parfait entre 
les hommes* », etc. 

Il ne renonçait point non plus à la philosophie ; 
et môme il y était ramené par ses conversations 
avec MM. de Port-Roval. « M. de Saci, dit Fon- 
laine, dans ses Mémoires, crut devoir mettre 
M. Pascal sur son fond et lui parler des lectures de 
philosophie dont il s'occupait le plus... M. Pascal 
lui dit que ses deux livres les plus ordinaires avaient 
été Epictète et Montaigne, et lui fit de grands 
éloges de ces deux esprits^. » Dans cet Entretien 
que nous a conservé Fontaine, Pascal semble en- 
core faire cas de « ces études philosophiques dont les 
chrétiens retirent si peu d'utilité». Assurément il 
met en pleine lumière la contradiction des deux 
systèmes, qui ne voient, l'un que la grandeur, 
l'autre que la bassesse de l'homme ; il manifeste 
« une grande joie de voir la superbe raison si invin- 
ciblement froissée par ses propres armes»; il in- 
siste sur ridée que seule la religion chrétienne 
peut résoudre ces contrariétés et concilier le Manuel 
avec les Essais, Mais du moins il reconnaît que ces 
contrariétés mêmes ont un bon résultat, puis- 

i. Passim. 

'2. II., t. I, p. cvxiii; B., 1-48. 



120 LA PENSER DE PASCAL, IV 

qu' « elles Tont conduit à la véritable religion ));et 
dans Tallure générale de Texposé, dans le ton dont 
il s'exprime, il conserve encore une certaine modé- 
ration qu'il n'aura [)lus, quand il s'écriera un jour: 
(( Quelle chimère est-ce donc que Thomme... 
cloaque d'incertitude et d'erreur* ! » 

C'est que, après la victoire qu'il venait enfin de 
remporter sur le monde et sur lui-même, un grand 
apaisement s'était fait en lui. Délivré des remords 
qui le tourmentaient auparavant, heureux de se 
retrouver en union de sentiments avec ceux qu'il 
aimait, désormais sAr de la voie dans laquelle il 
allait s'en}::îiger, il avait acquis la joie et la sérénité 
chrélienn<»s et sou bonheur s'accroissait du souve- 
nir de ses an«;oisses passées. « J'ai, lui écrivait Jac- 
queline le 19 janvier lôoT), j'ai autant de joie de 
vous trouver ^ai dans la solitude, que j'avais de 
douleur quand je voyais que vous l'étiez dans le 
monde -. » Pour cpn» la foi de Pascal prenne un carac- 
tère plus ascélique et plus sombre, il faudra qu'elle 
soit surexcitée par la contradiction, enflammée 
encore par le miracle de la Sainte-Epine, attristée 
par la persuasion où il sera que les autres hommes 
se damnent et qu'il ne peut guère pour leur salut. 

La joie de Port-Royal tout entier avait été grande 
à la. conversion de Pascal; et ce triomphe dut con- 



1. n., 1, 1;M., 600; B.. 72. 

2. L. 0. M., p. 353. 



LA RETRAITE A PORT-ROYAL 121 

soier un peu les jansénistes des persécutions qu'ils 
commençaient à souffrir. Pour le dogme, ils sou- 
tenaient une doctrine suspecte et contre laquelle 
s'élevaient beaucoup de théologiens*; pour la dis- 

1. Cf. BossuBT, raison funèbre de Xicolas Cornet : « Sage, tran- 
quille et posé qu'il était, il se mit à considérer attentivement quelle 
était cette nouvelle doctrine [le mot est dur pour Jansénius, qui se 
pique au contraire de n'être pas « nouveau » et appelle toujours ses 
adversaires : « récentes », « recentiores »] et quelles étaient les 
personnes qui la soutenaient. Il vit donc que saint Augustin, qu'il 
tenait le plus éclairé et le plus profond de tous les docteurs, avait 
exposé à rËglise une doctrine toute sainte et apostolique touchant 
la grâce chrétienne ; mais que, ou par la faiblesse naturelle de l'es- 
prit humain, ou à cause de sa profondeur ou de la délicatesse des 
questions, ou plutôt par la condition nécessaire et inséparable de 
notre foi, durant cette nuit d'énigmes et d'obscurités, cette doctrine 
céleste s'est trouvée nécessairement enveloppée parmi des difficul- 
tés impénétrables : si bien qu'il y avait à craindre qu'on ne fût 
jeté insensiblement dans des conséquences ruineuses à la liberté 
de l'homme. Ensuite il considéra avec combien de raisons toute 
rÉcole et rÉglise s'étaient appliquées à défendre ces conséquences ; 
et il vit que la Faculté des nouveaux docteurs en était si prévenue 
qu^au lieu de les rejeter, ils en avaient fait une doctrine propre : 
si bien que la plupart de ces conséquences que tous les théologiens 
avaient toujours regardées jusqu'alors comme des inconvénients 
fâcheux, au-devant desquelles il fallait aller pour bien entendre la 
doctrine de saint Augustin et de l'Église, ceux-ci les regardaient, 
au contraire, comme des fruits nécessaires qu'il en fallait recueillir, 
et que ce qui avait paru à tous les autres comme des écueils contre 
lesquels il fallait craindre d'échouer le vaisseau, ceux-ci ne crai- 
gncdent point de nous le montrer comme le port salutaire auquel 
devait aboutir la navigation. » Et plus loin, après avoir, selon saint 
Grégoire de Nazianze, caractérisé les fauteurs de troubles dans 
rÉglise, esprits <i excessifs, insatiables et portés plus ardemment 
qu'il ne faut aux choses de la religion », Bossuct continue : « Notre 
sage et avisé syndic jugea que ceux desquels nous parlons étaient 
à peu près de ce caractère, grands hommes, éloquents, hardis, 
décisifs, esprits forts et lumineux : mais plus capables de pousser 
les choses à l'extrémité que de tenir le raisonnement sur le pen- 
chant, et plus propres à commettre ensemble les vérités chrétiennes 
qu'à réduire à leur unité naturelle : tels enfin, pour dire en un 
mot. qu'ils donnent beaucoup à Dieu et que c'est pour eux une 
grande grâce de céder entièrement à s'abaisser sous l'autorité 
suprême de l'Église et du Saint-Siège. » 



122 l.A PENSÉE DE PASCAL, IV 

cipliIU»^ ils prêchaient une réforme intérieure de 
TEglise par un retour à Taustérité des premiers 
Ages; et le clergé, comme les fidèles, refusait en 
général de les suivre. Pascal avait naturellement 
embrassé ces idées avec son emportement habituel. 
Dans sa Comparaison des chrélie?is des premiers 
/emps avec ceux d'aujotinrhui (1(555?)^, il insiste 
avec amertume sur le relâchement extrême de 
rh]glise et voudrait y porter remède. Mais c'est 
dans les Provinciales que se trouvent au plus haut 
point unies ces deux exigences — d'ailleurs con- 
nexes — du jansénisme : la réforme du dogme et 
la réforme de la morale. En effet, si douze ou treize 
Provinciales sont consacrées à la question de la 
casuistique et de la morale facile, il y en a cinq 
([ui sont exclusivement remplies par la théorie de 
la grAce. Sans doute, les Provinciales qui traitent 



1. BossiKT, loc.cil. « Quel(|ues [docteurs], non moins extrômes 
[que ceux qui <^ portent des coussins sous les coudes des pécheurs»], 
ont tenu l«'s consciences captives sous des rigueurs très injustes : 
ils ne peuvent supporter aucune faiblesse, ils traînent toujours 
Tenfer après eux, et ne fulminent que des anathèmes... Que dirai-je 
de ceux qui détruisent par un autre excès [que l'excès des casuistes], 
Tesprit de la piété: qui trouvent partout des crimes nouveaux et 
accablent la faiblesse humaine en ajoutant au joug que Dieu nous 
impose? Qui ne voit que cette rigueur enfle la présomption, nour- 
rit le dédain, entretient un chagrin superbe et un esprit de fastueuse 
singularité, l'îiit parait re la vertu lrf>p pesante, l'Evangile excessif, 
le christianisme impossible?... Cimix qui mettent la vertu trop haut, 
à qui toutes les faiblesses paraissent des crimes horribles, ou qui, 
des conseils de perfection, font la loi commune de tous les fidèles, 
ne doivent pas se vanter d'aller droitement, sous prétexte qu'ils 
semblent chercher une régularité plus scrupuleuse.» 

2. 11., t. II. p. :121: n., 201. 



V... 



LA RETRAITE A PORT-ROYAL 123 

de la morale ont dans la suite paru être les plus 
importantes et exercer Tinfluence la plus vive : 
mais leur succès tient assurément à des causes où 
la théologie et la morale n'ont qu'une part assez 
restreinte : leur mérite littéraire a séduit les con- 
naisseurs ; les ennemis des Jésuites les ont portées 
aux nues, pour ébranler le crédit de la puissante 
Société; les ennemis du christianisme en ont tiré 
parti pour discréditer l'Eglise elle-môme, la con- 
fession et la direction de conscience. Néanmoins, si 
Pascal a jugé utile à sa cause de faire dans ces 
douze lettres une diversion efficace contre l'adver- 
saire, on peut être certain que celles oii il expose 
le dogme janséniste de la grâce ne sont point à ses 
yeux les moins importantes ^ Bien plus, la question 

1. Car les questions qui y sont traitées sont pour un catholique 
et un chrétien de la plus haute importance. On demandait d'abord 
à la Sorbonne : Dans ses Lettres à une -personne de condition et à 
un duc et pair ^ Arnauld, par la fameuse distinction du droit et du 
fait^ ne cherchait-il pas un subterfuge pour maintenir les doctrines 
condamnées, tout en paraissant se soumettre? C'est la question de 
rinfaillibilité de l'Église : si l'Église ne peut valablement décider 
que telle doctrine est ou n'est pas dans tel ouvrage, sa décision 
n'aura jamais de valeur pratique, son autorité pourra toujours être 
éludée, et son infaillibilité reste théorique et platonique. On deman- 
dait encore à la Sorbonne : Dans ces mêmes lettres, Arnauld no 
reprenait-il pas pour son compte la première proposition condam- 
née, que la grâce nécessaire est parfois refusée aux justes? C'est la 
question du libre arbitre : si Dieu ne refuse jamais sa grâce à un 
juste qui le prie comme il faut, mais si <:eu.\-li'i seuls le prient 
comme il faut qui ont reçu gratuitonirnt la gnlce spéciale de prier 
ainsi, la grâce est tout, la liberté humaine n'est rien, et la ditlerence 
entre le catholicisme et le calvinisme s'atténue singulièrement. Pour 
un homme comme Pascal, il est peu de débats plus graves. — Une 
autre preuve de l'importance des questions aux yeux de Pascal, c'est 
la fausseté delà situation où il se laisse mettre pour vouloir à la 



124 LA PENSEE DE PASCAL, TV 

de la casuistique n'attire son attention que pour se 
rattacher (Mroitement à la question de la grâce^ 
Car il est évident qu'une morale relâchée ou même 
indulfçonte ne s'accorde point avec un sentiment 
bien profond de la perversité foncière de l'homme 
et de la déchéance originelle : si la nature, sans la 
grâce, suffit pour observer la loi morale, c'est que 

fois niainlrnir In doctrine janséniste et proclamer rinfaillibilité de 
rÉjiiise, et les elforts désespérés qu'il fait pour sortir de cette im- 
passe : s'il n'y îi pas de jansénisme s'il n'existe aucune différence 
entre le jansénisme et le nouveau thomisme (Prov.^ xvn et xvm), 
pourquoi toutes ces p()lémi(|nes, et pourquoi ne pas se soumettre? Si 
l'hl^lise est infaillible, pourquoi lui dénier en fait cette infaillibilité 
qu'on lui rt'(!onnait en droit? Pascal a beau faire, il ne s'en tire que 
par des arguties et fies chicanes. — Une dernière preuve enfin, c'est le 
sacrifice aur(uel il s'est résif^né. quand, pour sauvegarder la «vérité», 
il a rompu avec Home. 11 avait protesté jadis — avec quelle solen- 
nité! — qu'il ne se séparerait jamais de « l'Église catholique, apos- 
tolique et romaine, dans laquelle il voulait vivre et mourir, et dans 
la coïiDnun'inn avec le pape, son souverain chef^ hors de laquelle il 
étail très persitadr qu'If uf/ a pas de salut t, (Prov.^ xvii). Et le 
pape le condanmo, et Pascal ne peut pas se dissimuler qu'il con- 
damner avec lui .lansénius. Alors seulement il distingue avec netteté 
entre l'Kglise et Rome; alors il dit h Rome : «Vous avez condamné 
la vérittî: j'en aj>pelle à l'Kglise universelle et à Dieu : ad tuum, 
Pomine Jesu, Irihunul appello. » Combien ce pas a dû lui coûter, et 
comme il a fallu (pie la doctrine de la grâce lui parût plus pré- 
cieuse que tout au monde. 

1. Un a essaya de démontrer que la casuistique est légitime, 
nécessaire, et qu'elle a existé dès l'antiquité dans les écoles les 
plus sévères [f'f. Thamin, Un jn'oblème moral dans V antiquité, Elude 
sur la casuistique stoïcienne, i8S4, et BitUNKTiÈRE, Une apologie de 
la casuistique {llist<tire et littérature, t. 11] et l'on a assurément 
raison contre Pascal. Mais cet argument l'eùt-il convaincu? et 
Texeuiple d(; païens lui eût-il paru probant? Eût-il même été con- 
vaincu par l'exemple «les chrétiens depuis le xii" siècle environ, lui 
dont le maître, Jansénius. faisait profession de se rattacher direc- 
tement aux Pères et à saint Augustin en particulier? (Cf. la note de 
GiHAi:i), p. 88.) — Il faut reconnaître d'ailleurs que personne n'a nié 
les abus de certains casuistes ; ce qu'on a reproché à Pascal, c'a été 
d'attribuer ces abus à tous les Jésuites et aux seuls Jésuites. Bour- 
daloue s'en plaint avec amertume et s'écrie, visant à la fois la 



LA RETRAITE A PORT-ROYAL 125 

cette morale est «toute païenne ». Voilà pourquoi 
Pascal devait attaquer la morale des Jésuites 
comme il attaquait leur doctrine de la grâce : il 
voyait dans Tune un principe faux, dangereux et 
hérétique et dans l'autre une conséquence très lo- 
gique de la première ^ mais par là même fausse, 
dangereuse et hérétique. 

Dans la polémique qui s'ensuivit, il arriva naturel- 

Théologie morale des Jésuites et les Provinciales : « La loi de Dieu 
nous défend d'attaquer même la réputation d'un particulier; mais, 
par un secret que l'Évangile ne nous a point appris, on prétend, 
S8U1S se départir de l'étroite morale qu'on professe, avoir droit de 
s'élever contre des corps entiers, de leur imputer des intentions, 
des vues, des sentiments qu'ils n'ont jamais eus; de les faire pas- 
ser pour ce qu'ils ne sont point, et de ne vouloir jamais les con- 
naître pour ce qu'ils sont; de recueillir de toutes parts tout ce qu'il 
peut y avoir de mémoires scandaleux qui les déshonorent, et de 
les mettre sous les yeux du public avec des altérations, des expli- 
cations, des exagérations qui changent tous les faits et les pré- 
sentent sous d'affreuses images. » [Sermonsiir [fiSéve'ritéchréiieune.) 
Cf. entre autres le P. Daniel, Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe, 
1694-1696, et Lettres de Vabbé... à Eudoae, 1698; abbé Maynahd, 
Pascal, sa vie, son œuvre, son caractèi^e et ses écrits (Dezobry, 1850); 
Bertrand, les Provinciales {Rev. des Deux Mondes, i"' septembre 
1890); Bruxetière, Des Provinciales à propos de discussions récentes 
(Études critiques, 4" série); M«' d'Hulst, Une nouvelle appréciation 
des Provinciales {Correspondant, 27 septembre 1890). 

1. J'ai dit plus haut que Pascal avait fait une «diversion». Ce 
mot doit être expliqué. Quand Pascal a entamé la discussion morale, 
et, laissant là les débats sur la grâce, s'en est pris à la casuistique, 
je crois bien en effet que, dans sa pensée, c'était une diversion. 11 
s'agissait de reposer le public des discussions abstraites de théolo- 
gie ; il s'agissait surtout d'enlever à l'avance toute valeur à la sen- 
tence inévitable qui allait frapper Arnauld en rendant ridicules ou 
odieux ceux qui la provoquaient ; et Pascal sans doute ne prévoyait 
pas lui-même qu'il tarderait tant à revenir à la théologie pure. — 
Mais à prendre les choses d'un peu haut, cette diversion n'en est 
pas une : Pascal est en plein dans son sujet quand il traite de la 
morale, parce que la différence entre la morale des casuistes et la 
morale des jansénistes n'est qu'un signe, une traduction pour ainsi 
dire, de Popposition que présente leur conception de la vie chré- 



l-2i'. LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

l»»mont Lv qui se proiliiit dans toutes les discussions : 
les deuxparlis s'obstinèrent chacun dans sa thèse', 
virent de plus en plus clairement la fausseté de la 
tlirse opposée, en conclurent vite à la mauvaise foi 
et il la malice de leurs adversaires, si bien qu a 
nn'sureque leurs doctrines allaient se pn5cisant, leur 
conviction allait s'exaspérant. Les objections et les 
pamphlets, en (ddi^eant Pascal à une logique plus 

ticiiiii* : les nus veulent anéantir la nature devant la Ini divine, les 
autres sfflV»rofnt île ouncilier la nature et la loi divine, les uns 
CFnient i|i:e rhi>ninie n'est rien et ne peut rien que le mal, les 
autr<>> rn<ifnt ifui* l'huninu' peut coopérer à snn salut. Montrer le 
vicf lie la nMrili' dt-s Jésuites, ce sera donc montrer l'erreur des 
principes dmit elle déc«inl«'. en particulier de leur doctrine sur la 
m;u'r. c'est rnntiinu'r ia ;>» rut e guerre sur un terrain tout voisin. 

1. 11 ne saurait être iiucstinn de mettre en doute la bonne foi de 
Pascal. M:iis il faut bii'n rerunnaitre qu'il y a dans sa conduite de 
petites rhoses fâcheuses. Il semble équivoquer un peu trop habile- 
ment sur li's termes quand il «léclare n' « être pas du Port-Royal ». 
N y a-t-il pas I.« nn peu de restriction mentale? — Lui qui poussait 
les hauts cris de re qu'on eiit tiré les cinq propositions de VAugus- 
iinns. n'.-i-t-il pas usé du même procédé d'abréviation et d'élagage 
piMir tirer les décisions scandaleuses des livres des casuistes, et, ce 
qui est plus .i:rave. n'a-t-il pas ^ une fois ou deux supprimé ou rem- 
plai-é p.ir un ete. des décisions de saint Thomas, conformes aux 
dérisions des casuistes qu'il traitait de relâchées» (Lanson. Grande 
Eni'tjclnpèil'ie/i Cf. l'orl-:.nf/al. 111. \'2il sq. — Mais surtout n'a-t-il 
pas .-idmis un peu tr«ip lé^rèrement les renseignements qu'on lui 
ftiurnissait autmirde lui? (-f. l*urt-HnyuL V, 7'J n«)te.) 11 écrit: «Si 
la curiosité me prenait de savoir si ces propositions sont dans Jaii- 
sénius. Son livre n'est ni si rare ni si ^ros que je ne puisse le lire 
tout enliiT piiur m'enéclaircir. ^> Pourquoi cette curiosité ne l'a-t-elle 
[)as pris? ou si elle la pris v{ t-lU" a «lu le premlre". pourquoi dit-il que 
non? Om lui a répété qu'il est impossible de trouver les cinq pro- 
positions niul ti mut dans ['Atit/usflnus: et lui, qui sait si bien quand 
il le veut «iécouvrir le faible d'un raisomiement. il ne réfléchit pas que 
ce « mot à mot •> M tout l'air et la valeur) d'une chicane de mauvais 
plaideur, que la seule cht»se im|MH'tantf est de savoir si elles y sont 
quant au sens: il ne se demande pas s'il y a vraiment une différence 
entre les prupo-itions condanmée< et les doctrines authentiques de 
Jansénius. (If. d'ailleurs sur VAut/usinitts et les cinq propositions 
l'appeuilice '.\. 



LA RETRAITE A PORT-ROYAL 127 

étroite et plus serrée, le forcèrent à suivre sa doc- 
trine jusqu'au bout et à pousser jusqu'à ses consé- 
quences les plus éloignées le dogme terrible de la pré- 
destination. La présence continuelle de ces croyances 
dans son esprit les lit pénétrer de plus en plus dans 
dans son âme, les incorpora pour ainsi dire à sa 
substance pensante et en fit invinciblement les prin- 
cipes directeurs de sa raison, de son imagination et 
de sa conduite. Assiégé dans Port-Royal, ce fort du 
jansénisme, par les pamphlétaires, par les Jésuites, 
"par la Sorbonne, par le gouvernement, parle Pape, 
il fut bien vite saisi de la fièvre qui animait tous les dé- 
fenseurs, et sa foi n'admit plus aucun tempérament. 
Cette chaleur toujours croissante, nous la sentons 
d'une manière assez évidente dans la succession de 
ses Provinciales, Dans les trois premières, où cepen- 
dant il agite les graves matières de la grâce et expose 
les subtilités d'une chicane théologique, il a pris un 
tour et un air cavaliers, tout nouveaux alors dans 
la polémique religieuse. Il se souvient des élégances 
mondaines qu'il a jadis acquises dans les salons, et 
traite ces questions obscures avec l'agrément d'un 
hoaime du monde et la souplesse d'un homme d'es- 
prit : l'auteur de VArt de persuader^ désireux de plaire 
à son public, sait bien lui faire quelques sacrifices 
et ne recule point môme devant les jeux de mots '. 

1. Lettre i (les mots prochain et suffisant). Cf. les assonances 
comiques de la y*. 



12S LA PENSEE DE PASCAL, TV 

(Ve>\ Lion mieux em-ore. quand, avec la quatrième 
lettre, il conimenc»' la comédie et pose devant nous 
la candide lif^ure do ce bon Père Jésuite, si plein de 
bonnes intentions et si naïvement malhonnête 
homme, mauvais chrétien et mauvais prêtre. Alors, 
apW's un si^ne d'intelligence au public, il Tentre- 
prend, le circonvient, le trouble et, sans que sa 
victime s'en doute, il lui arrache les aveux les plus 
comprometlants, soit qu'il le pique par une feinte 
incrédulité, >oit »ju'il Texcitr par une admiration 
simuléi*. si»it «ju'il l'encourage par une curiosité 
admirative. soit qu'il le [jousse à s'enferrer davan- 
laue |mr d«*s protestations indignées. 

Mais, quand il connaît mieux la morale qu'il ridi- 
culisait d'abord sur la parole de Port-KoyaP, quand 
il a découvert tous les scandales de la casuistique 
relîlcliée, la profanation des sacrements qu'elle 



I. Il s'est servi «l'îiltonl ilu recueil janséniste. Théologie morale 
des jpsiiilea, ej'fraife fulèlemenl tic leurs livreai^* édition, 1644}, et 
«les notes qne lui fnurnissaiLiit ses amis «le Port-Koj'al. Cf. Lassos, 
les i*iin:inc'iales et le livre de la tliéolugie morale des jésuites (Ren. 
dliisl.im . l;j avril i'JUO et la nnte sur les /Voriric/a/f;^ publiée par 
M. (iazier 'llisl. de la litl . /ranraise, Colin, t. IV, p. 591; : <nLes 1", 
2". 3*. i' «Mit èti." laites à Paris. — M. Nirule corrigea la 2" à Paris. 
— La 'A" a été revue à Paris par M. Nirule. — Les 6*, 1* et 8' ont 
été revue-; par M. Nirule à l'hùtel «les Ursins. — Les 9*, 11, 13', 14* 
et l;*"«iMl été revui's chez M. ilanielin, demeurant près Port-Royal 
(lu faubourg; avec M. Arnauld. — M. Nicole n'a eu aucune part à 
la l()^ — Le dessein de la L'i' et de la 14' est de M. Nicole. — La 15* 
est toute <le .M. Pascal, mais il y a fourré une partie de la matière 
(jue M. Nicole avait donnée pour la 16". — La 18' a été faite sur 
la ÎJ' disquisition de Paul Irénée, qui est M. Nicole. — La réponse 
à la réfutation de la 12^ est de M. Nicole. — On peut juger que 
M. Arnauld a eu part à la 3" par ces lettres qui se voient à la fin 



LA RETRAITE A PORT-ROYAL 129 

autorise, Tabus qu'elle fait de la parole divine, la com- 
plicité qu'elle offre aux crimes des pc^cheurs», alors 
il ne peut continuer sur ce ton de raillerie. Nous 
sentons, dans ses lettres, monter de plus en plus le 
grondement de sa colère intérieure^, jusqu'à ce 
qu'enfin il éclate et rejette désormais tout masque : 
« mon Père, il n'y a point de patience que vous 
ne mettiez à bout et on ne peut ouïr sans horreur 
les choses que je viens d'entendre ! » C'est qu'entre 
cette dixième lettre et les précédentes, il s'était 
passé un événement capital dans sa vi(» : le miracle 
de la Sainte-Epine, qui eut lieu à Port-Royal, le 
24 mars 1656, pourlaguérison de Marguerite Périer, 
sa nièce et sa filleule. 



K.A.A.B.P.A.F.D.E.P. lesquelles signifient Biaise Pascal, Auver- 
gnat, fils d'Etienne Pascal et Antoine Arnauld. » [Catalogue des 
écrits sur la grâce et autres matières, fait par M. Fouillou (inédit).] 
C'est plus tard seulement que Pascal a lu lui-môme « deux fois 
Escobar tout entier » et sans doute aussi qu'il a toujours pris soin 
de vérifier le contexte [Recueil cVUl redit, p. 280). 

1. Cf. Provinciale xi : «Car, mes Pères, puisque vous m'obligez 
d'entrer en ce discours, je vous prie de considérer que, comme les 
vérités chrétiennes sont dignes d'amour et de res[)ect, les erreurs 
qui leur sont contraires sont dignes de mépris et de haine, parce 
qu'il y a deux choses dans les vérités de notre religion : une beauté 
divine qui les rend aimables, et une sainte majesté qui les rend 
vénérables; et qu'il y a aussi deux choses dans les erreurs : V im- 
piété qui les rend horribles, et Y i)n pertinence i\m les rend ridi- 
cules^ etc. » Et Provinciale xii : « Vous croyez avoir la force et 
l'impunité; mais je crois avoir la vérité et Yiyinocence, etc. h 

2. CSoière excitée encore par le déluge de réponses, de pamphlets 
et d'injures qui fondirent sur lui (Voir la liste dans Lansox. 
Grande Encyclopédie et dans Backeh et Sommkhvugel Uildiothèque 
des éciHvains de la Compagnie de Jésus, Liège, Paris, 187G-1890) et 
plus encore peut-être par la cynique Apologie du P. Pirot (1C57). 



III 



ÂPRES LE MIBÂCLE 



LES DERMKRKS PROVINCIALES. LES LETPRES A m"*" DE 

R0ANM:Z. — LES PENSÉES. — ASCÉTISME l MÉPRIS DE 
LA SCIEMIE ET DE LA PUILOSOPUIE, RENONCIATION AIX 
AFFECTIONS NATURELLES ET A l'aMOUR-PROPRE, OBSTI- 
NATION JANSÉNISTE. 



L'influence que le miracle a exercée sur l'esprit 
de Pascal ne saurait être exagérée. Tout d'abord, il 
le persuada de la vérité de sa cause et de la sainteté 
de la lutte (juil soutenait. « Quelque temps aupa- 
ravant, il avait eu un entretien avec un homme sans 
religion, qui concluait de ce qui se passait dans 

l'Eglise, qu'il n'y avait point de Providence 

M. Pascal ri'pondit sans hésiter qu'il croyait les 
miracles nécessaires et qu'il ne doutait point que 
Dieu n'en lit incessamment L » Et voici que dans ce 

1. Recueil (TUlrecht, p, 300. — Est-ce Méré (B^unschvicg, p. 323)? 



• ' 



APRES LE MIRACLE 13i 

couvent de Port-Royal, asile du jansénisme, que tant 
de « cruels et lâches persécuteurs » présentaient 
comme un séminaire de l'hérésie, Dieu lui-même 
manifestait sa volonté d'une manière éclatante. Au 
milieu du siècle stupéfait, on l'entendait « cette voix 
sainte et terrible qui étonne la nature, et qui con- 
sole l'Eglise* », et le Crucifié répondait pour les 
religieuses calomniées. Pour méconnaître un tel 
miracle, pour ne point voir la main de Dieu, ne 
fallait-il pas que les ennemis de Port-Royal fussent 
aveuglés ? et cet aveuglement n'était-il point inex- 
plicable si Ton ne recourait h la volonté divine et au 
dogme de la prédestination? Oui, c'était bien là l'un 
de ces miracles faits non point pour éclairer les 
incrédules, mais pour perdre définitivement ceux 
que les décrets incompréhensibles de la Providence 
avaient condamnés à la damnation éternelle, ceux 
qu'elle voulait « empêcher de croire ». Qu'était-ce à 
dire sinon que combattre pour le jansénisme, c'était 
combattre pour Dieu même : tout le christianisme 
était ramené au jansénisme et la véracité de 
l'Evangile confirmait celle de VAufpfstimfs. « L'Eglise 
est sans preuves, s'ils [les négateurs du miracle] 
ont raison ^\ » M""" Périer nous atteste que ce fut 
cette occasion qui a fait naître en son esprit la 

i. Provinciale^ xvi. — Cf. Hippolyte Blanc, le Merveilleux dans le 
fansénisme, le magnétisme, le méthodisme et le baptisme améri- 
cains, Tépidémie de Morzine, le spiritisme (Paris, in-8', 1865). 

2. II. XXV, Gl; M., 799; B., 813. 



132 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

première id<?c do Y Apologie de la Religion chré- 
//>///</'' : puisqiril avait trouvé pour sa foi un fonde- 
ment inébranlable, visible h tous ceux que n'égarait 
point la malédiction divine, il se serait cru coupable 
de ne point coopérer selon son pouvoir à l'œuvre de 
la grâce. 

11 y a plus : Pascal était personnellement intéressé 
dans ce prodige. « Il paraissait, dit l'historien de 
Port-Uoyal, que Dieu avait accordé ce miracle non 
s(»ub»ment aux prières et aux besoins de Port-Royal, 
mais encore à la foi de M. Pascal^. » Dans sa dis- 
cussion avec r< liommr sans religion », il s'était en 
([uelque sorte porté jrarantde la Divinité, en assu- 
rant ([u'elle se prononcerait par un miracle. «La 
joie qu'il eut de voir le Seigneur s'intéressera la 
parole qu'il avait donnée fut si grande qu'il en était 



1. If., t. f, p. Lxxiv; V., p. 18. — Je ne sais pas pourquoi 
M. (iirau'l fp. 109). trouve les témoignages à ce sujet insufiisam- 
iiient précis. Celui fie M"* Périer, on le voit, est très clair: celai 
<rKticnne Prrier dans sa /V^/«ce (« Pascal conçut le dessein de cet 
ouvra^'e plusieurs années avant sa mort >>) s'accorde parfaitement 
avec lui; et celui de Marguerite Périer (« il s'engagea durant sa 
retraile à travailler contre les athées » L. 0. M. 436) le confirme 
encore. M. Gir.iud voudrait faire de ïApolof/ie Touvrage de toute 
la vie rit; Pascal depuis sa première conversion, parce qu'on lui 
voit dès cette époque exprimer Tidée de la possibilité d'une 
démonstration du christianisme (lettre du 26 janvier 1648), et 
parce qu'on retrouva dans les Pensées des traces de sa vie mon- 
daine. Mais il est tout naturel que Pascal ait rais son expérience 
de la vie mondaine à profit, et cela ne prouve pas qu'il l'ait faite 
pour la mettre à profit; et si Pascal a songé dès 1648 cpi'il était 
|)()ssiblc de faire une Apologie^ cela ne prouve pas qu'il ait dès 
lors songé i\ la ctunposer lui-mAme. Et les témoignages contraires 
sont là. 

1. Recueil iTVtrechl,^. 300. 



V 



APRÈS LE MIRACLE 133 

pénétrée >. Et puis, Tenfant qui avait été Tobjet 
d'une faveur si précieuse, était sa nièce dans l'ordre 
du sang, sa fille dans Tordre de la grâce. N'était-ce 
point un signe que Dieu avait pour agréable l'œuvre 
de Pascal et qu'il le désignait comme son défenseur ? 
Cette consécration même lui dictait son devoir. 
« Comme Dieu n'a pas rendu de famille plus heureuse, 
s'écrie-t-il, qu'il fasse aussi qu'il n'en trouve pas de 
plus reconnaissante- ! » Et il s'élança de nouveau à 
la lutte, avec un courage raffermi et une confiance 
inébranlable. 

Cette ardeur nouvelle ne tarda point à se mani- 
fester. Il poursuivit avec plus de vigueur ceux qu'il 
regardait comme des réprouvés : le ton des Provin- 
ciales s'élève de la raillerie à l'indignation ; ce no 
sont plus des comédies, ce sont des discours de 
malédiction et d'anathème'^ En môme temps il sui- 



1. Recueil d'Utrecht, p. 301. 

2. H., XXV, 205; M., 257; B., 856. 

3. Les Provinciales ont été interrompues en plein succès (1G57). 
Pourquoi? Selon M. Gazier, c'était «par principe de religion» : 
Pascal craignait l'orgueil, il craignait (cédant en cela à l'influence 
de la mère Angélique) d'offenser la charité, il craignait de paraître 
se substituer à Dieu même qui avait parlé par le miracle; c'était 
aussi par prudence : on négociait à ce moment une paix de l'Eglise; 
c'était enûn par déférence pour l'assemblée du clergé : elle s'était 
émue des excès de la morale relâchée et des abus de la casuistique 
{Histoire de la littérature française^ IV, 603 sqq. et Herue critique^ 
29 juillet 1901, p. 71). — Pour M. Lanso.n, aucune de ces raisons 
n'est valable ou du moins décisive; la vraie raison, c'était la publi- 
cation de la bulle d'Alexandre VU à Paris, le 12 avril : pour ne pas 
être réduit à accepter cette bulle (ce que les jansénistes ne vou- 
laient pas) ou à la refuser (ce qui était dangereux), il fallait tra- 
vailler à empocher le Parlement de l'enregistrer; et Pascal, laissant 



Ll 



134 ÎJl PENSEE DE PASCAL, IV 

vait avoc un zMo pieux et tendre les progrès de la 
grâce chez ceux qu'il regardait comme des élus. 
C'est alors qu'il écrivit ses lettres à M'*' de Roannez, 
suMir de son intime ami et attirée comme son frèro 
au jansénisme. Il enseigne à cette jeune fille la ter- 
rible doctrine de la grùce, don gratuit, toujours 
renouvelé, toujours précaire et toujours indispen- 
sal)l<»'. Il lui montre», avec force l'horreur de co 
monde, « maison pestiférée et embrasée », horrible 
au point de rendre «< la mort souhaitable » et dont 
il faut absolument sortir*. 11 l'encourage donc à 
rompre le lien qui l'y tient attachée, quoiqu'il 
sache j)ar lui-même « qu'on ne se détache jamais 
sans douleur » et qu'<( on souiïre bien-*». Quand 
elle a pris enlin son parti, il entre « dans une espé- 
rance admirable », tout heureux de ne plus « rien 
craindre pour cdle' ». Et dès lors il travaille à la 
maint(»nir dans ses saintes résolutions: ou bien il 
l'encourage en lui faisant entrevoir « les trônes où 
ceux qui auront toul quitté jugeront le monde avec 
Jésus-(]hrist », ou bien il la remplit d'une crainto 

les Provinciales, se donne h celte tâche dans la Lettre d'un avocat 
[y juin). Les jansénistes furent vaincus (lit de justice, 8 décembre): 
niais <L juste à ce moment l'occasion s'otï'rit de renouveler la lutte 
sur le terrain de la morale », et Pascal collabore aux Facfums des 
curés, ou même en écrit ((uelques-uns {Après les Provinciales daus 
lieuue d'hisloire interdire, janvier 1901). 

1. H. let. i; W. lel. vi. 

2. H., l. IX ; B., /. I. 

3. H., l. IV ; B., l. II. 

4. H., l. V ; B., l. III. 



APRES LE MIRACLE 135 

salutaire en lui répétant '< qu'elle peut encore tomber 
et être au nombre malheureux des jugés * ». Quand 
il craint qu'elle ne fléchisse, il l'exhorte à la joie 
chrétienne que doivent avoir ceux qui ont renoncé 
au monde, « car la vie des chrétiens n'est pas une 
vie de tristesse, et on ne quitte les plaisirs que pour 
d'autres plus grands- ». Pour la mieux lier ii Port- 
Royal, il la tient au courant des faits qui inté- 
ressent le parti ; il la renseigne sur la conduite à 
tenir et sur les précautions à observer ; il calme ses 
scrupules quand les jansénistes sont condamnés 
par l'autorité religieuse, et semblent prêts à se 
séparer du pape ^. En un mot, il s'est fait son direc- 
teur de conscience ; il se croit auprès de la sœur et 
du frère l'instrument de la grâce divine ; de toutes 
ses forces il veut l'arracher au monde, l'entraîner 
à la vérité, la tirer vers son Dieu ^. 

Car, si jusqu'alors il y avait encore « quelque 
chose d'humain » dans ses doctrines et dans sa con- 
duite, à partir du miracle, il s'absorba tout entier 
dans l'amour divin et méprisa toute chose qui ne 
tendait point ou à son salut ou à Pédification des 
autres. Comment aurait-il pu hésiter, lui que des 
merveilles, coup sur coup répétées, avaient « éveillé 

1. H., /. m; B., l. v. 

2. H., /. VI ; B., l. VII. 

3. H., /. I et II ; B., l. vi et iv. 

4. Cf. Lyon G. La conversion de .!/"• de Uoannez (Pau, 1879) ; 
i»E Lescurb, Pascal et M"» deRoannez {CotTespondant^ 25 août 1881) ; 
Adam, Pascal et 3/"* de Roannez (Dijon, 1891). 



b ., . . 



136 LA PENSEE DE PASCAL, IV 

du sommeil où il se reposait à l'ombre de la 
morl^ », lui que Dieu était venu pour ainsi dire 
prendre par la main pour le mener h la vérité? 
C'est donc alors, qu'au milieu des souffrances de la 
maladie ot dos discussions théologiques, il jette au 
hasard sur le papier les pensées qu'il devait plus 
tard ou reprendre ou combattre dans son Apologie, 
11 est difficile, il est probablement impossible 
dr reconstituer le plan des Pensées'^ : les témoignages 
extérieurs, ceux de M""*" Périer et de son fils ne con- 
cordent pas ; le livre n'était pas assez avancé pour 
qu'on en puisse retrouver lacomposition ; d'ailleurs 
tout porle h croire qu'elle n'était pas encore com- 
|)lèlement arrêtée dans l'esprit de l'auteur •: les 
noies que nous avons conservées sur Vordre nous 
le montrent hésitant encore entre divers plans, 
sans en prrl'érer aucun ; enfin toutes les idées qui 
devaient faire le fond de V Apologie ne sont peut- 
être pas indiquées, et, au contraire, peut-être cer- 
taines pensées sont-elles développées qui ne devaient 
point faire partie du livre achevé, peut-être cer- 
taines autres datent-elles d'une époque antérieure. 



1. Vritu-e sur le hon iisaf/c. 

'2. C.W a])|>('n(li((.' \. — Vuir sm* sa manière de coDiposer le lé- 
iiioiirM.i^n' <|"iiM janséniste? : <' ... M. Nicole m'a dit que quelquefois 
il l'cvciiail tic la jUMum'iiadr ave»* les ongles chargés de caractères 
(juil I Tarait dessus avec une épingle : ces caractères lui remettaient 
(lans l'espril diverses j»ensées <]ni auraient pu lui échapper, en sorte 
que ce grand homme revenait chez lui comme ime abeille chargée 
«le miel. » (J'orf-lioyal, IV, o9î>.) 



APRES LE MIRACLE 137 

Comment veut-on fixer la place des diverses pen- 
sées, alors qu'on ne peut même pas distinguer avec 
une suffisante certitude celles qui auraient défini- 
tivement pris place dans V Apologie de celles qui en 
auraient été exclues. — On dira, par exemple, qu'il 
faut évidemment mettre h part les morceaux sur 
la rhétorique et sur le style. — Qu'en sait-on? Qui 
nous dit que dans son livre achevé, Pascal n'au- 
rait pas trouvé une place où insérer ses ré tl exions 
sur l'art d'écrire et de persuader ? Il aurait pu s'en 
servir dans sa peinture des misères de la nature 
humaine, pour prouver que l'homme est naturelle- 
ment incapable de la vérité, puisqu'il ne l'accepte 
pas lorsqu'elle lui est présentée toute nue, puisque, 
au lieu de le convaincre en s'adressant à sa seule 
intelligence, on est obligé de le persuader, en char- 
mant sa sensibilité, en séduisant sa volonté, en par- 
lant même à son corps par une éloquence toute 
physique. Ou bien (et ceci est plus vraisemblable, 
d'après le témoignage d'Etienne Périer^),il les eut 
utilisées dans la préface de son livre pour expliquer 
l'ordre et la conduite de son argumentation. — On 
dira encore que les pensées dirigées contre les 
Jésuites ou consacrées à la polémique janséniste 



1. Etienne Périek, Préface de Port-Royal :« Après quil [Pascal] 
leur eût fait voir [« à plusieurs personnes très coiishlérables de 
ses amis», lisez aux solitaires] quelles sorti les preuves qui font 
le plus d'impression sur Vespril des hommes et qui sont les plus 
propres à les persuader^ il entreprit de montrer, etc.. » 



138 LA PENSEE DK PASCAL, IV 

font plutôt partie des Provinciales que de VApo- 
lofjie. — Mais n'est-ce pas oublier la place que tient 
la doctrine janséniste dans la religion de Pascal? 
\a\ religion qu'il veut drfendre, ce n'est pas seule- 
ment le christianisme, c«» n'est pas seulement le 
catholicisme : c'est le catholicisme de saint Augus- 
tin, disait-il, de Jansénius, disaient ses adversaires, 
en tout cas, un catholicisme où le dogme du don 
gratuit de la grâce étoulîait la croyance au libre 
arbitre. Ces pages donc, ou ces lignes interrompues, 
(|ui ne paraissent pas tout d'abord appartenir à 
VA/)o/of/ip, expriment cependant les idées fonda- 
mentales qui y eussent été démontrées, et, fort 
vraist'mhlablemcnt, Pascal les y eût introduites en 
grand nombre *, après leur avoir enlevé un peu leur 
formo aggressive et leur caractère de polémique. — 
Ou bi(»n, on dira avec M. Molinier -, que les pensées 
sur les miracles ne font pas non plus partie inté- 
grante de son livre. — Est-ce bien sûr? M"* Périer, 
après avoir parlé du miracle de la Sainte-Epine 
ajoute : « (> fH/ celle occasion qui fit paraître cet 
extrême désir qu'il avait de travailler à réfuter les 
principaux et les plus faux raisonnements des 
athées. » Pascal lui-même énumère ainsi les preuves 

1. M. BuLNKTiKHE {ELuiips criliçues, i" série, p. 90) cite avec 
raison à ce propos un autre i)assage «TEtienne Périer : « H vou- 
lait déclarer la {fuerre... aux chrétiens et aux catholiques, qui, 
étant dans le sein de l'Eglise, ne vivent pas néanmoins selon la 
pureté (les maximes <le l'Evangile. ^> Lisez les Jésuites. 

t>. T. 11, p. 330. 



APRÈS LE MIRACLE 139 

de la religion : « Morale, doctrine, miracles^ pro- 
phéties, figures. » 11 répète k chaque instant que 
« les miracles discernent la doctrine », qu'il est 
impossible de croire contre les miracles, ou de 
croire sans les miracles : et les pensées sur les 
miracles ne feraient point partie de son Apologie ! 

On le voit, il est bien difficile d'affirmer que telle 
pensée, tel groupe de pensées doivent être ou retran- 
chés ou nécessairement placés à tel ou tel endroit. 

Mais nous ne cherchons pas ici à reconstituer 
cette Apologie mutilée, à rebâtir ce qui paraît n'avoir 
jamais été bAti *. Il nous suffit d'en apercevoir l'ins- 
piration maîtresse, d'y découvrir Tétat d'esprit de 
Pascal à cette époque, et pour cela, les Pensées 
telles qu'elles sont, sont assez claires. 

Une des originalités de Pascal comme apologiste ', 
c'est qu'il ne part point de la Révélation pour la propo- 

1. Cf. Bruxetièkb, le Problème des Pensées de Pascal [Eludes 
ctnliqueSy !'• série), et De quelques travaux récents sur Pascal 
{îbid., 3* série), et l'appendice iv. 

2. Sur Tapologétique de Pascal, les travaux sont innombrables. 
Outre les préfaces et introductions des diverses étlitions, notons 
encore les études de Vinet, jE/M^/es sur Pascal (Fischbacher, 1848); 
Recolin, r Apologétique dans Pascal (Toulouse, 1850,; Lescokur. 
De Vouvrage de Pascal contre les athées (Dijon, 1850) ; Navu.le, 
l'Apologie de Pascal a-l-elle vieilli? {bibliothèque universelle, 
juillet 1855); Chavaxxes, A. Vinet c<nnme apologiiite, 1'» partie : 
Vinet et Pascal (Leyde, 1803); E.mpaht, Pascal philosophe et apo- 
logiste (Annales de philosophie chrétienne, 1880) ; A. Goky, les 
Pensées de Pascal considérées comme apologie du christianisme 
(Fischbacher, 1883) ; Schbmer, la Religion de Pascal (Eludes litté- 
raires, t. IX, Cal. Lévy, 1885), et auparavant ses articles dans la 
Revue de théologie et de philosophie chrétienne (1858); Sully-Pui- 
DHOMUR, la Méthode de Pascal [Revue de Paris, 1" septembre 1894); 
GiHAUD, Encore Vapologétique de Pascal [Revue du clergé fran- 



k . 



140 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

seraux hommes: il part de l'état actuel de Thomme, 
pourTamener à confesser qu'il a besoin de la Révéla- 
tion afin de se comprendre lui-môme. C'est la raison 
de la place que tiennent dans les Pensées les considé- 
rations sur la nature humaine : elle est si grande que 
Condorcet a pu essayer d'en éliminer la théologie et 
mAme l'exposé du christianisme, et faire de Pascal 
un moraliste au lieu d'un apologiste. Puisque Pascal 
a procédé de la sorte, puisqu'il a voulu montrer le 
mal avant d'offrir le remède, il nous est plus facile 
d'entendre sa conception de la vie, de saisir ce qu'il 
y a de personnel dans ses doctrines, de suivre dans 
sa propre conduite Tappiication inflexible des der- 
nières conséquences du jansénisme ^ 

On comprend qu'en étudiant la nature humaine 

çais, 25 septembre 1900. Cf. aussi son esquisse d'une histoire 
(le l'apologétique avant Pascal {Pascal, p. 149, note) ; et enfin la 
remarquable étude du P. Laberthonnièke, l'Apologétique et la 
méthode de Pascal {Revue du clergé finançais, i"' février 1901). — 
Sur ce sujet, je lis dans les Notes inédites de Taine : « Caractère 
particulier de cet ouvrage. Pascal combattes incrédules chez eux, 
je veux dire qu'il accepte les objections, les expose avec force, 
n'en omet aucune, en sent toute la portée, prévoit celles qu'on n'a 
pas encore faites, en sent tout le sérieux. Les autres, comme 
Bossuet, par exemple, traitent les objections de trop haut, les 
méprisent trop, ne tes voient pas, les réfutent à peine, ne con- 
vainquent que les croyants, ne se battent pas véritablement. — 
Pascal est loyal et géomètre et fait des aveux étonnants, que 
beaucoup de chrétiens ne feraient pas, etc. » 

1. Cf. SoLRiAU (P«.9ca/, Société d'impriuierie et de librairie, 1898, 
et le Jansénisme des Pensées de Pascal, Revue in 1er nationale de 
renseignement, lo nov. 1896), qui fait des Pensées une vraie Apolo- 
gie du jansénisme ; et le chanoine Didiot {Pensées, Desclée et 
Brouwer, 1896). — Cf. en sens contraire la préface du chanoine 
(jrUTHLiN {Pensécs, Lethielleux, 1896j, et Hatzfeld, qui réduisent le 
jansénisme de Pascal a si peu que rien. 



APRÈS LE MIRACLE 141 

du point de vue janséniste et à la lumière du dogme 
de la chute, Pascal l'ait jugée mauvaise, perverse 
par elle-même et corrompue par le péché. Il est 
donc pessimiste ^ Mais, au dogme du péché originel, 
le jansénisme oppose le dogme de la grâce, à la 
déchéance de l'homme par Adam et en Adam, il 
oppose la rédemption des élus par les mérites gra- 
tuits du Sauveur. Aussi le pessimisme de Pascal 
n'est-il point absolu : il s'arrête au seuil de la vie 
future, il cesse même d'être vrai, en cette vie, pour 
ceux que la grâce tire du péché et prédestine au salut. 
C'est parmi ceux-là qu'il faut être. Une seule chose 
est donc importante pour l'homme, la foi en la véri- 
table religion; tout le reste n'est rien. Autant Pascal 
admire, vénère, aime la religion, autant il méprise 
tout le reste : le corps et ses misères, la raison et 
ses faiblesses, la sensibilité et ses égarements. 

Le corps, cette chair de péché, c'est la source de 
la volupté, libido sentiendi^ la première des trois 
concupiscences. Tous les plaisirs en sont vains et 
toutes les jouissances pernicieuses. On voit sans 
peine combien Pascal le devait haïr, avec quelle 
joie amère il en devait étaler les infirmités et les 
disgrâces, avec quelle force déplorer l'empire 
qu'il exerce sur l'âme, avec quelle indignation 
railler le honteux servage de ceux qui vivent 



1. Cf. Camille Hos, Du pessimisme de Pascal {Annales de philosophie 
chrétienne, oct. 1877); et Duret {Facul. cath. de l'Ouest, oct. 1901). 



142 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

esclaves de leur corps. C'est là d'ailleurs une idée 
qui lui devait paraître si évidente, un lieu com- 
mun tant rebattu par les prédicateurs et même par 
les philosophes qu'il n'a pas cru devoir insister. 
Mais M"' Périer s'est chargée de le faire pour lui 
en racontant sa vie, cette vie qui, selon Bayle*, est 
plus efficace pour désarmer les impies, que cent 
volumes de sermons. « 11 avait fondé tout le règle- 
ment de sa vie, écrit-elle, sur cette grande maxime 
de renoncer à tout plaisir. » On connaît les témoi- 
gnages qu'elle rapporte de son ascétisme : la cein- 
ture à pointes de fer, la mortification continuelle 
des sens, l'habitude qu'il avait prise de ne point 
goûter ce qu'il mangeait, la ration de nourriture 
qu'il s'imposait invariablement malgré le dégoût 
ou la faim, la « fuite de toutes les commodités », 
en un mot les pratiques de pénitence les plus dures 
que n'interrompait môme point la violence de sa 
maladie. Il acceptait toutes les douleurs, non point 
seulement avec résignation, mais encore avec 
reconnaissance, « car il connaissait le danger de 
la santé » et savait que les « disgrâces sont un 
effet de la miséricorde de Dieu pour ses élus- ». 
Le récit de ses'- souffrances et la peinture de sa 
pieuse soumission sont vraiment touchantes dans 
la relation de M"''' Périer. La pensée constante de 



1. Nouvelles de la République des lettres, décembre 1684. 

2. Prière sur le bon usage. 



APRÈS LE MIRACLE 143 

la mort Taidait encore à s'élever an défachement 
absolu : « Il n'est pas besoin d'avoir l'âme fort 
élevée ponr comprendre qu'il n'y a point ici de 
satisfaction véritable et solide, que tous nos plaisirs 
ne sont que vanité, que nos maux sont infinis, et 
qu'enfin la mort qui nous menace doit infaillible- 
ment nous mettre en peu d'années dans l'horrible 
nécessité d'être éternellement ou anéantis ou mal- 
heureux* ». Ainsi, il en était venu maintenant à 
mépriser facilement les séductions des plaisirs sen- 
suels : il se sentait né pour l'infinité et ne pouvait 
donner son cœur à ce qui ne dure qu'un jour. 

Mais il avait plus de peine à se libérer de la 
concupiscence de l'esprit, libido sciendi -. Une fois 
encore, par un amour invincible de la géométrie 
et par le travail involontaire de son esprit, il en 
revint à la science et se défendit mal du désir de 
la gloire : c'est à loccasion de la roulette. Encore 
faut-il remarquer que c'est malgré lui pour ainsi dire 
et pendant les insomnies causées par la souffrance 
qu'il avait résolu le problème; que, s'il se décida 
à porter un défi aux géomètres, ce fut sur les con- 
seils du duc de Roannez (car il crut, — avec un peu 
de complaisance — qu'en triomphant, il donnerait 
à son Apologie plus d'autorité sur l'esprit des sa- 

1. Pensées, II., ix, 1; M., 898; B., 194. 

2. Sur l'œuvre scientifique de Pascal, outre les ouvrages déjà 
cités, voir le discours de Cornu, à rinauguration de la statue de 
Pascal [Bulletin de Vassociation scientifique de Fm;ice, octobre 1880). 




144 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

vants *) ; et qu'enfin il essayait au moins de dérober 
son nom sous le pseudonyme d'Amos Detton ville. 
Mais le concours de la Roulette (1658-1659), 
dans lequel peut-être il soutint un peu âprement 
ses droits 2, fut le dernier témoignage de cet amour 
qu'il avait jadis montré pour les sciences. Désor- 
mais il s'interdit d'employer son temps à ces 
sortes de choses : en quoi ces vaines occupations 
importent-elles au salut? en quoi peuvent-elles 
assurer la vie éternelle ? Et c'est l'inventeur de la 
Machine arithmétique^ qui écrit : « Je trouve bon 
qu'on n'approfondisse point l'opinion de Copernic ; 
mais ceci!... 11 importe à toute la vie de savoir si 
l'âme est mortelle ou immortelle'^ »; c'est l'auteur 
des Expériences sur le vide^ qui note pour lui- 
même : « Ecrire contre ceux qui approfondissent 
trop les sciences^. » En 1660, dans une Lettre à 

1. L. 0. M. Mémoires de Marguerite Périer, p. 457 ; « M. de 
Roannez lui dit qu'il y avait un bien meilleur usage à en faire; 
que, dans le dessein où il était de combattre les athées, il fallait 
leur montrer qu'il en savait plus qu'eux tous en ce qui regarde 
la géométrie et ce qui est sujet à la démonstration, et qu'ainsi 
s'il se soumettait à ce qui regarde la foi, c'est qu'il savait jusques 
où devaient porter les démonstrations. » — Il est à remarquer que 
Pascal n'a pu se modérer et qu'il a fait plus que ne l'exigeait son 
programme strict : les problèmes qu'il résout dans ses lettres à 
Siuze sont du luxe. 

2. Cf. Marie, Histoire des sciences mathématiques et physiques. 
t. IV: Bertrand, Sur deux lettres peu connues de Pascal {Journal 
des savants, mai ^890) et Hatzfeld, p. i62 sqq. — Voir aussi P. 
Tannery, Pascal et Lalouère (Mémoires de la Société des sciences 
physiques et naturelles, Bordeaux, 1885); Raoul Rosières, la Décou- 
verte de la cycloïde (Revue générale des sciences, 30 juillet 1890). 

3. H., XXIV, 17 bis; M., 67; B., 218. 

4. H., XXIV, 100; M., 942; B., 76. 



APRÈS LE MIRACLE 145 

Fermât, il lui dit que, si la géométrie est le plus 
« haut exercice » de l'esprit, elle est bien inutile, et 
il ajoute: « Elle est bonne pour faire l'essai, mais 
non l'emploi de notre force... de sorte que je ne 
ferais pas deux pas pour elle... Je suis dans des 
études si éloignées de cet esprit, qu'à peine je 
me souviens qu'il y en ait^ » La science des lignes 
et des corps n'est plus, aux yeux de Pascal, qu'une 
curiosité stérile-. 

La môme indifférence s'étend aussi à la philo- 
sophie. Déjà, après la nuit de l'extase, Pascal invo- 
quait le « Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, 
non des philosophes et des savants ». A plus forte 



1. B., p. 229. 

2. M. Lanson va même jusqu'à penser que le fameux argument 
du pari — où le géomètre semble reparaître sous l'apologiste — 
« n'a peut-être jamais été destiné à V Apologie : ... Pascal, dans son 
Apologie, a conçu quelque chose de plus relevé que cet étrange 
morceau, destiné sans doute à faire effet sur quelque géomètre 
libertin» (Granc/e Encyclopédie). Taine, au contraire, disait : « C'est 
dans ce dernier morceau qu'est tout Pascal » {Notes inédites) ; ce 
qui paraitbien exagéré. — Dès la première édition, Port-Royal avait 
mis en tête du pari la note suivante : « Avis. Presque tout ce qui 
est contenu dans ce chapitre ne regarde que certaines sortes de 
personnes qui, n'étant pas convaincues des preuves de la religion 
et encore moins des raisons des athées, demeurent en un état de 
suspension entre la foi et l'infidélité. L'auteur prétend seulement 
leur montrer par leurs propres principes et par les simples lumières 
de la raison qu'ils doivent juger qu'il leur est avantageux de croire 
et que ce serait le parti qu'ils devraient prendre, si ce choix dépen- 
dait de leur volonté. D'où il s'ensuit qu'au moins en attendant qu'ils 
aient trouvé la lumière nécessaire pour se convaincre de la vérité, 
ils doivent faire tout ce qui les y peut disposer et se dégager de 
tous les empêchements qui les détournent de cette foi, qui sont 
principalement les passions et les vains amusements.» Et il me 
semble qu'on doit déduire de là une opinion intermédiaire entre 
celle de Lanson et celle de Taine. Le pari n'exprime pas la pensée 

10 




146 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

raison, depuis le miracle, ne voit-il plus que le 
Dieu caché et jaloux du jansénisme. A quoi bon 
alors ces études philosophiques, superQues si elles 
aboutissent à des résultats conformes aux ensei- 
gnements de l'Eglise, trompeuses et malfaisantes 
si elles les contredisent : « Descartes est inutile et 
incertaine » Assurément, la raison peut préparer 
les voies à la foi ; c'est bien dans celte intention 
que Pascal écrit ses Pensées^ et c'est précisément 
ce qui s'est produit dans son àme, au moment de 
sa conversion où il sentait que « c'était plus sa 
raison et son propre esprit qui l'excitaient à ce 
qu'il connaissait le meilleur, que non pas le mou- 
vement de l'esprit de Dieu'-». Mais qu'est-ce que 



de Pascal, mais celle d'une certaine catégorie de gens qui peuvent 
être sensibles à des arguments de cette valeur et de cette nature ; 
mais le pari n'en peut pas moins faire partie de V Apologie^ parce 
que V Apologie s'adresse aussi à ces gens-là et que c'est pour les 
convaincre que Pascal se met provisoirement dans leur état d'es- 
prit. — Cf. sur le pari, [Fontexelle], Bé flexions sur l'argument de 
M. Pascal et de M. Locke concernant la possibilité d'une autre vie 
à venir (édition do (^oxdorcet) ; La Place, Ttiéorie analytique des 
probabilités, Introduction; Lescoeuk, loc. cit.; Renouviek, le Pari 
de Pascal et le pari de W. James {Critique philosophique, 18 sep- 
tembre 1878); Bertrand, les Lois du hasard {Rev. des Deux Mondes, 
15 avril 1884); Sullv-Prudhomme, le Pyrrhonisme, le dogmatisme 
et la foi dans Pascal; le Sens et la portée du pari de Pascal {Rev. 
des Deux Mondes, 15 octobre, 15 novembre 1890); Yves le Querdec, 
le Pari de Pascal {le Monde. 4 novembre 1890) ; Dugas et Riquier, 
le Pari de Pascal {Rev. philosophique, septembre 1900) ; Riquier, 
ù propos du pari de Pascal {Rev. philos., décembre 1900); Lachelier, 
Soles sur le pari de Pascal {Revue philosophique, juin 1901, 
îivcc les divers articles qui les ont provoquées); Kiquier, le Pari 
sur Dieu {Rev. occidentale, l"" septembre 1901). 

1. IL, XXIV, 100 1er; M., 663; B., 78. 

"1. L. 0. M., Lettre de Jacqueline, p. 357. 



i 



APRES LE MIRACLE 147 

cela sans la grâce de Dieu ? « qu'il y a loin de la 
. connaissance de Dieu à TaimerM » — et la connais- 
sance est inutile sans l'amour. Qu'on ne lui dise 
donc point que la raison seule peut conduire à 
Dieu et suppléer à la foi : c'est pour cette hérésie 
qu'il a si vivement poursuivi le frère Saint-Ange, 
et il n'a point de plus âpre plaisir que de démontrer 
à tous les admirateurs de la philosophie la banque- 
route de la raison. « Les preuves métaphysiques, 
éloignées du raisonnement des hommes, et trop 
impliquées, frappent peu- », et ne persuadent que 
sur l'instant; il est donc vain de vouloir prouver 
par des raisons naturelles ou l'existence de Dieu ou 
la Trinité. Non seulement Pascal « ne se sentirait 
pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi 
convaincre des athées endurcis, mais encore, cette 
connaissance, sans Jésus-Christ, est stérile. « Quand 
un homme serait persuadé que les proportions des 
nombres sont des vérités surnaturelles, éternelles, 
et dépendantes d'une première vérité en quoi elles 
subsistent, et qu'on appelle Dieu, il ne serait pas 
beaucoup avancé pour son salut ^. » 

On voit ce qu'est devenu le principe de la sépara- 
tion de la raison et de la foi, jadis inculqué à Pascal 
par son père : le domaine de la raison est déplus en 



1. Pensées, H., xxv, 21 ; M., 868; B., 280. 

2. H., X, 5; M., 544; B., 543. 

3. H., X, 5; M., 919, §11; B., 556. 



148 LA PENSEE DE PASCAL, IV 

plus réduitet là même son autorité est singulièrement 
amoindrie. Il faut se « moquer de la philosophie* » ; 
car elle ne peut aboutir qu'à l'athéisme ou au 
déisme, « deux choses que la religion chrétienne 
abhorre presque également-». Aucune philosophie 
ne vaut « une heure de peine •^)), puisque aucune 
philosophie ne donne la seule chose utile, la foi. 
Et tel est l'emportement de colère dont est saisi 
Pascal contre cette « raison impuissante'* » qu'il en 
veut d'un seul coup montrer toutes les misères. 
Non seulement il renie Descartes son ancien maître, 
qui, délaissant la révélation, a fondé sa doctrine 
sur des principes rationnels; mais encore, il pour- 
suit cette raison jusqu'en ses derniers retran- 
chements. Il montre, après Montaigne, que cette 
faculté superbe est troublée par une mouche, par 
un éternuement; il la montre séduite, corrompue 
par les passions et par la volonté pervertie, accep- 
tant à la fin pour vrai ce qu'elle savait faux aupa- 
ravant; il montre toutes les chances d'erreur que 
les préjugés, les traditions, les livres, les conver- 
sations accumulent devant les hommes "»; enfin, tout 
comme l'auteur des Essais l'avait fait avant lui, il 
« gourmande fortement et cruellement la raison 



1. H., VII, 34; M., 412; B., 4. 

2. H., XI, 10 bis; M., 919; B., 556. 

3. H., XXIV, 100 bis; M., 371: B., 79. 

4. H., VIII, 1; M., 536; B., 434. 

5. Passim. 



i 



APRÈS LE MIRACLE 149 

dénuée de la foi^ il lui fait douter si elle est rai- 
sonnable... et il la fait descendre de Texcellence 
qu'elle s'est attribuée^ ». 

Pour s'élever plus haut encore dans la foi, ce 
n'était point assez d'avoir rejeté les plaisirs du 
corps, d'avoir renoncé aux joies de l'intelligence, 



1. Entrelien avec M. de Saci, H., t. I, p. cxxix; B., p. lî>4. — 
Remarquer la restriction : « la raison dénuée de la foi. t> C'est pour 
ne l'avoir pas remarquée que, depuis Cousin, on a fait tant de 
développements romantiques sur le scepticisme de Pascal. Et cette 
()l)inion a été reçue par les esprits les plus divers : « On sent, disait 
Taine. à l'obstination que Pascal met à revenir sur ses réfutations 
qu'il n'est jamais content, qu'il doute, qu'il lui reste au fond de 
l'âme une goutte de scepticisme qui l'empoisonne et corrompt la 
force de toutes les preuves qu'il a données» {Notes inédites); et 
l)lus récemment M. Jules Lemattre, dans son sonnet sur Pascal, 
montrait : « Lacroix du Rédempteur tremblant comme un roseau. » 
— Mais Pascal n'est pas sceptique ; il est à la fois pyrrhonien et 
dogmatique, parce que le christianisme lui offre le moyen de con- 
cilier ces deux doctrines qui paraissent incompatibles. Il en est 
de l'opposition des sceptiques et des dogmatiques comme de 
l'opposition de Montaigne et d'Epictète : elle se réconcilie dans la 
« vérité de l'Evangile : c'est elle qui accorde les contrariétés par 
un art tout divin et, unissant tout ce qui est de vrai et chassant 
tout ce qu'il y a de faux, elle en fait une sagesse véritablement 
céleste, où s'accordent ces o})))osés qui étaient incompatibles dans 
les doctrines humaines» (Entretien). — Cf. sur le scepticisme de 
Pascal, CoLSix {toc. cil.) ; Thomas, De Pascali an vere scepticus 
fuerit (Crapelet, 1844); Sainte-Beuve, Porf-Roi/al et plus particu- 
lièrement 7*o;7. Conf. (V. p. 214-215); abbé Flottes, Etudes sur 
7*rtst'a/ (Paris, Montpellier, 184G); P. Jaxet, le Scepticisme moderne^ 
Pascal et Kant {Hev. des Deux Mondes^ 15 mars 1865); Saisset, le 
Scepticisme : Énésidème^ Pascal et Kant {Varis, 1865); Gl'Illard, 
lue Explication du scepticisme de Pascal (Lyon, 1883); Droz, 
Essai sur le scepticisme de Pascal considéré dans le livre des 
Pensées (Alcan, 1886). — Sur sa philosophie, voir outre les 
ouvrages déjà cités, Ravaissox, la Philosophie de Pascal (Revue 
des Deux Mondes, 15 mars 1887) ; Ravii, la Philosophie de 
Pascal (Annales de la Faculté de Bordeaux, 1890); Ghiaud, fa 
Philosophie de l^ascal (Quinzaine, 1 février 1897); H.Berr, Pascal 
et sa place dans l'histoire des idées (Revue de sj/nthese historique, 
octobre 1900). 



150 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

il fallait sacrifier aussi la douceur des tendres 
aiïections. Pascal, que toute sa vie nous montre si 
ardent, si emporté dans tous ses sentiments*, eut 
encore h se dépouiller de ses attachements ter- 
restres. « S'il y a un Dieu, nous devons n'aimer 
que lui, et non les créatures passagères... Donc 
tout ce qui nous invite h nous attacher aux créa- 
tures est mauvais, puisque cela nous empêche ou 
de servir Dieu, ou de le chercher...'-»; et inverse- 
ment « il est faux que nous soyons dignes que les 
autres nous aiment ; il est injuste que nous le vou- 
lions »; car « en fomentant et en souffrant ces atta- 
chements, on occupe un cœur qui ne doit être qu'à 
Dieu seul : c'est lui faire un larcin de la chose du 
monde qui lui est le plus précieuse^ ». D'après ces 
principes, il en arrive, lui, un chrétien, à presque 
interdire le sacrement du mariage, à dire que c'est 
un « crime » d'engager ses enfants dans de tels 
liens, à appeler les maris, même chrétiens, de 
« francs païens devant Dieu'* ». Lui-même d'ailleurs 
conformait le plus possible sa conduite à ces doc- 
trines d'ascète : sa sœur Gilberte nous raconte 
comment il s'efforçait de la détacher de lui et de 
décourager son affection en la rebutant; elle cite la 



\. Cf. les «grands excès» auxquels s'attendait Jacqueline de 
<i son humeur bouillante» (L. 0. M., Lettre à M""* Périer, p. 333). 

2. H., XXIV, 54; M., 18; B., 479. 

3. H., XXIV, 56; M., 14; B , 477. 

4. Lettre à M»- Périer, 1639; B., p. 227. 



APRÈS LE MIRACLE 151 

pensée qu'il portait toujours écrite sur lui : « Il est 
injuste qu'on s'attache à moi...* », où ces senti- 
ments et leurs causes sont si fortement exprimés ; 
et elle rappelle sa paisible résignation à la mort de 
Jacqueline. Et pourtant ce n'était point sécheresse 
de cœur, ni égoïsme de fanatique uniquement 
préoccupé de son salut : c'était mortification volon- 
taire. Il avait en lui une bien vive puissance 
d'aimer, cet homme qui s'en défendait avec tant de 
soin, qui travaillait avec tant de passion à conver- 
tir les malheureux incrédules, qui, jusqu'aux der- 
niers temps de sa vie, a montré une si profonde 
tendresse pour les pauvres et dont la dernière 
œuvre, si péniblement entreprise, est un livre de 
prosélytisme et de charité^. 

Enfin, pour pousser l'anéantissement de son moi 
jusqu'au bout, Pascal devait abjurer tout reste 
d'amour-propre. Il se surveillait entièrement contre 
la passion de primer, cupido excellendi, concu- 
piscence que Jansénius a mise au rang des deux 
autres, et dont un esprit entier comme le sien de- 
vait avoir peine à se défendre. D'après M""^ Périer^, 
il s'en défendait jusque dans la façon de faire la 
charité, « croyant que la manière la plus agréable à 
Dieu était de servir les pauvres pauvrement... sans 

1. H., t. I, p. Lxxxiv; B., p. 31. 

2. L'abbé Mayxard cite avec raison à ce propos le passage : « Si 
ce discours vous plaît, etc. » H., x, 1 ; M., B; B., 233. 

3. H., t. I, p. Lxxxi; B., p. 28. 



iS2 LA PENSEE DE PASCAL, IV 

se remplir l'esprit de ces grands desseins qui 
tiennent de cette excellence dont il blâmait la 
recherche en toute chose ». Ce désir de primer, 
c'était bien là, si je ne me trompe, son point faible, 
le défaut qu'il a dû avoir le plus de peine à répudier. 
Nous l'avons toujours vu défendre ses droits, son 
avis, son sens propre avec beaucoup de vivacité 
dans toutes les discussions scientifiques qu'il a 
soutenues et, d'après un témoignage rapporté par un 
Janséniste naïf, à Port-Royal, quand il discutait, 
c'était avec un iel emportement qu'on l'eût cru 
toujours en colère et prêt « à jurer* ». C'est pour- 
quoi sa sœur Jacqueline signale avec admiration 
« son humilité^, sa soumission, sa défiance, son 
mépris de soi-même, son désir d'être anéanti dans 
l'estime et la mémoire des hommes », toutes vertus 
que sa seconde conversion avait fait naître en lui 
et qui n'ont pu que croître à mesure que croissait 
aussi son ascétisme. 

Ainsi Pascal, rejetant tout ce qui le pouvait dis- 
traire de cette unique contemplation du salut dans 
laquelle il s'absorbait, restait les yeux fixés vers le 
ciel. L'amour divin remplissait à lui seul toute son 
âme ; alors il sentait véritablement Dieu présent dans 
son cœur et s'unissait à lui par la contemplation ; 
alors, il avait avec lui des dialogues surnaturels, 

i. L. 0. M., p. 471. 

2. L. 0. M., Lettre de Jacqueline du 25 janvier 1655, p. 358. 



APRES LE MIRACLE 153 

comme celui du Mystère de Jésus, La méditation 
assidue des mômes idées et des mêmes dogmes, la 
lecture de TEvangile qu'il savait par cœur^ des 
Psaumes, notamment du Psaume CXVIII rempli du 
dogme de la grâce, le souvenir des faveurs éton- 
nantes que Dieu lui avait faites, nourrissaient sa 
foi; et il s'exaltait de plus en plus, dans une com- 
munication directe avec Dieu, arrivant de plus en 
plus à ce myslicismc qui fait les saints et les mar- 
tyrs, mais qui fait aussi les hérétiques. 

Pascal en effet, dès le début de la querelle jansé- 
niste, et notamment dans le débat qui s'ouvrait 
sur les cinq propositions-, avait protesté de son très 
grand respect pour le Pape. Ses pamphlets contre 
la Faculté de théologie de Paris, sa résistance aux 
évoques français ne pouvaient pas alors lui être 



1. C'est alors sans doute qu'il composa V Abrégé de la vie de Jésus 
d'après la Séries VUœ J. C. juxta ordinem temporum qui termine 
le TetrateuchuSs sine commenlarius in sancla J. C. Evangelin de 
Jansénius. Cf. Préface de l'édition Molinier (dans l'édition des Pen- 
sées) et de l'édition Michaut (Fribourg, 1896) et la Lettre de Michaut 
à M. Molinier {Revue critique, 24 mai 1897). 

2. Fabriquées par leurs ennemis suivant les jansénistes, et qui 
ne se trouvaient qu' « incognito » dans VAugustinus, selon le mot 
du chevalier de Gramont. Pour Bossuet au contraire, elles étaient 
« l'âme du livre » et il déclarait Arnauld « inexcusable d'avoir tourné 
toutes ses études au fond pour persuader au monde que la doctrine 
de Jansénius n'avait pas été condamnée f>. Cf. Oraison funèbre de 
\icolas Cornet : « C'est de cette expérience, de cette exquise con- 
naissance et du concert des meilleurs cerveaux de la Sorbonne que 
nous est né cet extrait des cinq propositions, qui sont comme les 
justes limites par lesquelles la vérité est séparée de l'erreur, et qui 
étant, pour ainsi parler, le caractère propre et singulier des nou- 
velles opinions, ont donné le moyen à tous les autres de courir 
unanimement contre leurs nouveautés inouïes. » 






154 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

reprochés; et convaincu delà sainteté de sa cause, 
ne doutant point par conséquent que la Cour de 
Rome ne lui donnât raison, il écrivait à M"* de 
Roannez : « Toutes les vertus, le martyre, les aus- 
térités et toutes les bonnes œuvres sont inutiles 
hors de l'Eglise et de la Communion du Chef de 
rÉglise qui est le Pape. Je ne me séparerai jamais 
de sa communion; au moins je prie Dieu de m'en faire 
la grâce : sans quoi je serais perdu pour jamais*. » 
Mais Rome parla, et ce ne fut point aux jansénistes 
qu'elle donna raison. Alors, par une méthode plus 
ingénieuse que franche et surtout moins respec- 
tueuse qu'il ne voulait bien le croire, il s'efforça, 
tout en acceptant les Rulles d'en interpréter les 
tçrmes, et d'expliquer en faveur du jansénisme les 
condamnations les plus formelles 2; en un mot il 
accepta comme les autres la distinction du droit et 
du fait, et recourut plus qu'il n'eût convenu à l'au- 
teur des Provinciales aux subtilités d'une casuistique 
janséniste. 

Le jour vint pourtant où le Souverain Pontife 
lui renvoya Vimpudentissime mentiris qu'il avait 
adressé aux Jésuites. Le Pape déclara savoir 
par lui-môme que les cinq propositions étaient réel- 
lement dans Jansénius et les condamna une fois de 
plus, au sens qu'elles y avaient. 11 ne restait plus 

1. H., t. Il, p. 328, Lettre 1; B., p. 27&, Lettre VL • 

2. Cf. la Provinciale xviii. 



• « 






APRÈS LE MIRACLE 155 

de subterfuge possible. Il fallait ou se soumettre 
OU se séparer de la communion du Chef deTEglise. 
Alors Pascal soutint nettement que le pape avait 
condamné le vrai dogme de la grâce, au sens de 
Jansénius et de saint Augustin, que par suite il 
était dans Terreur, et que signer le formulaire 
imposé, même avec des restrictions, c'était ou tra- 
hir la vérité et égarer les fidèles ou la compromettre 
et les scandaliser. Seul de son avis, il le soutint 
avec la plus grande énergie contre ses amis chan- 
celants; et, un jour, désespéré de leur défection, 
après un long débat, il perdit connaissance ^ On 
comprend bien le sentiment qui l'animait : puisque 
Dieu lui-même avait témoigné en faveur du jansé- 
nisme, il fallait tout braVer, pour soutenir cette 
cause sacrée, tout, jusqu'à l'excommunication, 
comme saint Athanase^. Le dogme de l'infaillibilité 
pontificale n'avait point encore été défini, il est vrai ; 
mais comment cette obstination s'accordait-elle 
avec les déclarations répétées de Pascal, que «< le 
corps n'est pas plus vivant sans le chef, que le chef 
sans le corps ^ »? Comment s'accordait-elle avec le 
principe d'autorité, qui est le fondement du catho- 
licisme? Comment avec cette prétention singulière 

1. Novembre 1661. Cf. la Lettre de M"" Périer au curé de Saint- 
Etienne du Mont et le récit de Marguerite Périer (L. 0. M., p. 88 
et 464). 

2. Pensées, H., xxv, 37; M., 206; B., 455. 

3. Lettre à M"« de Roannez, H., t. Il, p. 328; B., p,;,,.,^^^'; et /Vo- 
vinciales xvii et xviii. 



i56 LA PENSEE DE PASCAL, IV 

de rester quand môme dans l'Eglise romaine? La 
contradiction était insoluble, et Pascal n'aurait pu 
en sortir sans la bénignité du curé de Saint-Etienne 
du Mont, qui, pour lui accorder les derniers sacre- 
ments, n'exigea pointdelui une rétractation. Araoins 
d'un revirement que rien ne nous fait prévoir, il 
allait droit au schisme, et, avec sa logique fougueuse, 
il paraît hors de doute qu'il s'y filt enfoncé. 

Je ne fais point cette remarque pour le plaisir 
d'opposer Pascal à lui-même*, ni pour jeter un 

1. Je corrigeais les épreuves de ce livre, quand il m'a été donné 
d'entendre la belle conférence sur VilEuvre de Calvin^ prononcée à 
Genève par M. Brunetière, le 17 décembre 1901. ïl y soulevait une 
question qui nous intéresse particulièrement ici :«I1 est une 
observation, disait-îl, que je ne puis m'empêcher de faire, et la 
voici : c'est, Messieurs, que, dans le christianisme et hors du 
christianisme, je veux dire chez les anciens, ceux qui ont le plus 
attribué à la grâce, calvinistes ou jansénistes, ou au destin comme 
les stoïciens, sont aussi ceux qui ont donné le plus d'importance 
à l'éducation de la volonté. Comment cela se fait-il? Comment, 
ceux qui sont allés jusqu'à faire de Dieu l'auteur du péché sont-ils 
aussi les mêmes qui se sont foimé du pouvoir de notre volonté, 
l'idée la plus haute et la plus généreuse? Gomment se résout le 
problème? Je ne sais ! Je constate seulement la vérité du fait. En 
tout temps et partout, c'est le pélagianisnie qui tend à la dissolu- 
tion des volontés. Volens, quo jiollem perveneram^ a dit saint 
Augustin : c'est de nous croire libres, qui nous conduit commu- 
nément à la perte ou à l'abdication de notre liberté. Nous n'y 
renaissons, nous n'en recouvrons le libre exercice, que sous la 
condition ou dans l'ordre de la grâce. » 

Si j'osais essayer de résoudre le problème, j'invoquerais plu- 
sieurs raisons. 

Et d'abord, c'est l'auslérité môme du sto'ïcisme, du calvinisme, 
du jansénisme, qui, en pratique, en fait des morales de l'effort. 
Elles demandent en etïet beaucoup à l'homme. Pour elles, tout 
ce qui n'est pas l'œuvre de l'intelligence souveraine ou du Dieu par- 
fait, tout ce qui procède de la matière inerte et grossière ou de 
l'homme gâté parla chute, tout cela est ou irrémédiablement mau- 
vais ou de valeur morale nulle. Ainsi, il n'y a pas de degrés interpo- 
sés entre le mal et le bien, pas de nuances intermédiaires entre le vice 



APRÈS LE MIRACLE lb7 

soupçon sur sa bonne foi, qui est indubitable, ni 
pour montrer la fausseté de la situation des jansé- 
nistes, catholiques excommuniés par le pape, 
hérétiques combattus par les ennemis du catholi- 



et la vertu ; la différence est nette et absolue : ce sont des doctrines du 
tout ou rien. Alors l'homme ne tend à rien moins qu'à la perfection 
même. Or, demander beaucoup aux hommes, c'est le meilleur moyen 
d'en obtenir beaucoup. Si l'on met à trop bon marché la sagesse, la 
sainteté, leur âme s'assure qu'il est facile d'y parvenir et s'y essaye 
nonchalamment; elle se persuade qu'elle n'y réussira pas moins 
bien, pour s'abandonner quelquefois à la négligence et à l'apathie ; 
énervée par cette confiance, elle pactise avec sa paresse, elle s'en- 
dort ou se dissipe, et, parce qu'on lui demande peu, elle se con- 
tente de moins encore. Au contraire, si la tâche qu'on leur propose 
est immense et paraît effrayante, ceux des hommes qui n'en sont 
pas (lès l'abord découragés en sont élevés au-dessus d'eux-mêmes: 
ils sentent qu'ils doivent lutter et qu'il leur importe de se préparer 
à cette lutte ; tous les ressorts de leur volonté sont tendus, toute 
leur activité est en éveil ; et la considération même de la tâche 
presque impossible l'empêche de s'assoupir jamais. Voilà pour- 
quoi le stoïcien, le calviniste, le janséniste, à la grandeur de la 
t.îche proportionnant la grandeur de son effort, ramasse toutes ses 
énor*;ies et déploie toute sa volonté. 

Mais comment se fait-il que tous les hommes ne soient pas dès 
l'abord découragés des exigences d'une telle morale? 11 semble 
bien que la plupart devraient l'ôtre. — C'est qu'en effet, la plupart 
(les hommes n'adoptent point de pareilles doctrines : c'est une mino- 
rité seulement, une élite, Vélite de ceu.r-là préc /s'ornent, qui se trou- 
vaient déjà adaptés à un tel effort. Car les vérités morales, on le 
sait bien, ne sont point comme les vérités mathématiques, des 
notions abstraites que saisit l'intelligence nue et qui s'imposent 
d'autant plus invinciblement à elle que rien ne la pousse à les 
rejeter. Elles sont un objet non de démonstration logique, mais de 
croyance, et la disposition personnelle de chacun a une grande 
part dans la formation de cette croyance. Que ces doctrines ré- 
pugnent ou qu'elles plaisent à sa volonté, à sa sensibilité, à son 
imagination, à son tempérament môme, et l'homme est déjà porté, 
avant tout examen intellectuel, à les rejeter ou à les adopter. 
Ainsi, d'ordinaire, par une sorte de sélection, les hommes qui 
s'attachent à la morale austère du stoïcisme, du calvinisme, du 
jansénisme, et surtout ceux qui persistent à s'y conformer, sont 
ceux chez lesquels la volonté est naturellement la plus forte, le 
tempérament le plus énergique ; la même raison qui la leur a 
fait élire entre toutes, la leur fait aussi comme naturellement, 



158 LA PENSÉE DE PASCAL, IV 

cisme. Mais il me semble que les luttes morales de 
Pascal dans cette grave question ont été encore plus 
violentes que celle qu'il a soutenues pour se défaire 



comme instinctivement pratiquer; et la puissance de leur volonté 
s'accroît encore chaque jour, de tout ce qu'y ajoutent chaque jour 
l'exercice, l'habitude, la « machine ». 

Reste pourtant la difficulté logique : N'y a-t-il pas contradiction 
entre soutenir que la volonté est radicalement impuissante, et 
fournir cependant soi-même ou exiger des autres un si puissant 
eflort de volonté ? — Mais d'abord ceux qui pratiquent une doc- 
trine, ne sont pas aussi sensibles, que ceux qui l'étudient, aux 
contradictions qu'elle peut présenter : ils la vivent, et leur expé- 
rience impose silence à leur logique que la réalité dément, tandis que 
les autres essayent de la reconstruire idéalement et que rien ne 
vient réfuter les protestations de leur logique. — Puis, quand il 
s'agit de l'ctfort exigé des autres^ il n'y a pas contradiction : « Plus 
rhomine est faible, plus il y a raison de l'armer, même quand cette 
armure devrait être nulle sans la consécration de Dieu. C'est à 
l'homme de tout faire ; c'est à Dieu ensuite de voir. » {Port-RoyaL 
III, 4i)0.) — Enfin, (juaud il s'agit de l'effort personnel, par un 
biais, la contradiction elle-même s'évanouit; car au moment où 
l'homme déploie le plus énergiquement sa volonté^ il s'imagine 
quelle nest plus sa volonté'. En effet, sans qu'il en ait toujours 
ccmscience, il se considère, lui en particulier, comme du nombre 
des Sages ou des Elus. H n'y a point eu, que je sache, de stoï- 
cien, de calviniste, de janséniste digne d'être connu et remarquable 
par' cette puissance de volonté, qui se soit cru exclu de la sagesse 
ou du salut. Ceux qui le croient, ou se désespèrent et passent leur 
vie à trembler, ou sont dévorés de scrupules contradictoires et 
changent à tout moment d'intention et de but, ou se dégoûtent de 
la doctrine et l'abandonnent, ou enfin s'en remettent à un guide, 
qui leur communique son courage. Mais les autres — les seuls 
qui comptent — ne se laissent point paralyser ou détourner ainsi. 
A leurs yeux, ce n'est plus eux qui agissent en eux, c'est le Tout 
ou c'est Dieu. « Nous sommes toujours les maîtres » de notre vo- 
lonté, dit M. Ilamon, « lorsque, par un effet de sa miséricorde, 
nous l'avons sou/nise à celle de Dieu. » {Port-Royal, IV, 307.) Alors 
disparaissent tous les obstacles qui, chez le commun <les hommes, 
arrêtent le victorieux essor de la volonté : plus d'obstacles inté- 
rieurs : car il leur est facile de rejeter les idées opposées, les senti- 
ments contraires à leur volonté présente, tant ils les savent choses 
inférieures, tendances méprisables, tentations dangereuses; plus 
d'obstacles extérieurs : car tout ce qui s'oppose à leur action 
devenue divine n'a aucune valeur à leurs yeux ; car les échecs 



APRÈS LE MIRACLE 159 

de Tamour de la science, de sa croyance en la rai- 
son, de ses affections de famille et des jouissances 
de la vie. Alors, il avait la joie forte du sacrifice, Tap- 
probation de l'Eglise, les exemples des Pères et 
des saints, les encouragements de sa famille et de 
ses amis. Pour la signature aucontraire, il a contre 
lui et TEglise non janséniste, et les principes qu'il 
a jusqu'à ce jour professés, et ses amis, les chefs 
mêmes de sa secte, le directeur de sa conscience. 
Aurait-il eu le courage de persister seul contre 
tous, si le miracle ne lui avait paru comme le sceau 
d'un contrat contracté entre Dieu et lui? Dieu Ta 
chargé de défendre la vérité : que lui importe le 
reste? il rejettera tout ce qui contredit la parole 
divine, fût-ce la bulle du pape. C'est la logique 
même de sa croyance, c'est le miracle qui le jette 
dans rhérésie. 

mêmes ne les découragent point, persuadés comme ils le sont, 
que la puissance suprême qui agit en eux prévaudra toujours ; 
car ils n'ont plus môme à chercher les moyens d'accommoder 
leur volonté à ces lois que le commun des hommes reçoit du 
dehors : leur loi à eux est en eux, est leur activité même. Et c'est 
pour cela, me semble-t-il, que leur volonté reste si ferme, si cons- 
tante et si forte : rien ne peut fléchir celle de Pascal, parce qu'il 
sent qu'elle n'est point sienne, il sent qu'elle est de Dieu même. 



CONCLUSION 



11 



Et maintenant si nous reprenons la vie de Pas- 
cal pour l'examiner dans son ensemble, trois 
choses nous semblent avoir ou simultanément ou 
tour à tour rempli son àme : la science, le monde, 
la religion. 

Pendant les trois premières périodes de sa vie, 
c'est-à-dire jusqu'à sa conversion définitive, il reste 
fidèle à la science. Dans la première période (1635- 
1646), les travaux scientifiques auxquels l'ont pré- 
paré son merveilleux génie et l'éducation métho- 
dique qu'il avait reçue s'accordent tout naturellement 
avec la tiédeur d'une foi paisible et d'une religion 
de coutume. Il se signale, malgré sa jeunesse, par 
d'heureuses inventions ou de brillants travaux, et 
acquiert une gloire précoce. L'étude des sciences 
fait alors, pour ainsi dire, partie intégrante de sa 
vie intellectuelle, si bien qu'il trouve moyen de la 
concilier avec la rigueur de son premier jansénisme 
(1646-49). Peut-être est-ce un peu contradictoire; 
mais qui peut se flatter de mettre dans sa vie une 
logique absolue ? lui-même n'y parviendra que par 
de longs efforts, et par une surveillance continuelle 



164 LA PENSÉE DE PASCAL 

(le sa propre pensée. Ces travaux scientifiques s'ac- 
cordônt mieux avec la quasi-indifférence religieuse 
de sa vie mondaine (1649-1654), et cependant, Pas- 
cal s'en laisse distraire un peu, semble-t-il, par les 
plaisirs et les distractions du monde. Peut-être y 
revient-il pourtant, vers la fin de cette période, au 
moment où, lassé de la frivolité de sa vie, il aspire 
à des choses plus sérieuses et s'achemine à sa se- 
conde conversion. En somme donc, dans les trois pre- 
mières parties de sa vie, il reste physicien, géomètre, 
cartésien : il admet sans réserve que la science et 
la philosophie ont leur valeur, que la raison a son 
autorité. 

Après la science viennent les hommes. Après les 
phénomènes naturels, c'est la société qui le séduit. 
D'abord les circonstances, les voyages, sa jeunesse, 
Texil de son père, le séjour à Rouen, l'ont empêché 
de se créer à Paris des relations bien suivies; plus 
tard, sa première ferveur janséniste lui interdira 
d'en rechercher. Mais, maintenant tout se rencontre 
pour lui faciliter l'entrée du monde : il demeure h 
Paris; il y vit indépendant; sa santé s'est pour 
un temps améliorée ; des études communes lui ont 
valu l'amitié d'un grand seigneur qui l'introduit 
dans le cercle de ses amis ; la conversation d'un 
Méré, d'une M''''' de Sablé, le forme aux belles niâ- 
mes; les occupations littéraires des salons d'alors 
'Tieltent de combler les lacunes de son édu- 



CONCLUSION 165 

cation première. Il vit dans ce monde, il s'y jette 
avec l'emportement de la jeunesse: il y étudie les 
héros et les héroïnes de la Fronde ; grâce aux dé- 
sordres des guerres civiles, il peut voir les dessous 
de l'âme humaine ; et il en sort, désabusé comme 
comme un La Rochefoucauld, mais non point misan- 
thrope. Il a été trop séduit pour mépriser complè- 
tement les hommes : s'il s'indigne, s'il s'emporte 
contre eux, c'est qu'il les aime encore. 

C'est dans la religion qu'il vient chercher un re- 
mède à ses déceptions (1654). Seule, en effet, elle 
pouvait consoler son cœur ; car, malgré les appa- 
rences, il ne lui avait jamais été infidèle. Pascal n'a 
point été réellement incrédule. Pour les deux périodes 
de jansénisme, la chose n'est pas douteuse ; elle 
paraît sure aussi pour les années qui ont précédé 
sa première conversion. A vrai dire, le problème 
ne se pose que pour la période mondaine. Sans 
doute, comme il le dit lui-même, « il a fui, re- 
noncé, crucifié Jésus-Christ » ; mais, la violence 
janséniste de ces expressions ne prouve rien, et 
tout semble au contraire attester qu'il n'a jamais 
oublié sa foi. 11 y a eu lutte chez lui entre la nature 
et la grâce, entre ses instincts de bonheur et sa 
conception ascétique de la vie. Un moment, il en 
est arrivé, sous la conduite des Miton et des Méré, 
à un épicurisme pratique, et il a dit : « l'homme 
est né pour le plaisir. » Mais cela n'est pas incon- 



166 LA PENSÉE DE PASCAL 

ciliable avec un reste de foi; et, si un christianisme 
mondain est un christianisme peu conséquent avec 
lui-môme, il ne laisse cependant pas d'exister. Au 
fond de son cœur persistaient encore les enseigne- 
ments qu'il avait reçus d'un père religieux, et le 
souvenir mal éteint des vives émotions de son pre- 
mier jansénisme. Quand disparut l'agitation passa- 
gère qui avait troublé l'imagination et la sensibilité 
de Pascal, la foi un instant assoupie se ranima, et 
pour ne plus cesser de consumer son âme. Hera- 
clite dit que le feu divin qui compose la substance 
de l'univers, tour à tour grandit et décroit, s'assou- 
pit et brille de nouveau, sans jamais cesser d'être. 
Telle me paraît la foi de Pascal : elle a eu son 
rythme, elle a eu ses attiédissements et ses ardeurs, 
mais jamais au fond de son âme n'a cessé de brû- 
ler cette flamme infatigable ot divine : Tuiip Osîcv, 
'ay.aii-aTov Tup. 



APPENDICES 



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APPENDICE I 



TABLEAU CHRONOLOGIQUE 



1617 Etienne Pascal épouse Antoinette 

Bégon. 

24 décembre Naissance d'Anlhonia Pascal 

(morte en bas âge). 

1620 3 janvier Naissance de Gilberte Pascal 

(M"« Périer). 

1623 19 juin Naissance de Biaise Pascal. 

27 juin Baptême de Pascal {acte L. 0. M., 

475; B., p. 2, note). 

1625 Guérison étrange de Biaise Pas- 

cal. 
4 octobre Naissance de Jacqueline Pascal 

(Sœur Euphémie). 
Transfert de Port-Royal à Paris. 

1626 Mort d'Antoinette Bégon, mère 

de Pascal, âgée de vingt-huit 
ans. 
1628-1638 Travaux de Roberval sur la rou- 
lette, d'où naît sa querelle avec 
Descartes. 

1630 Etienne Pascal vend sa charge de 

second président en la cour 
royale des aides de Glermont. 

1631 Etienne Pascal s'établit à Paris 

avec sa famille. 



f:** LA PENSEE DE PASCAL 

1633 15 arnl Naissaoce de M'- de Roannez 

ducb'^se de la Feuillade . 
Publication do Chapelet secret du 

Saint-Sacrement. — Première? 

attaques contre Port-Royal. 
1635 Pa5^ral étudie seul la eéométrie. 

— Il écrit un Traité dea sons •?. 
16^*6 L'abbé de Saint-C\Tan. directeur 

« 

de Port-Roval. 

1 6 août Lettre d'Etienne ^ Pascal et de 

Roberval à Fermât iL., IIl, 
208 . 

1037 Essais philosophiques de Descartes. 

1638 mars Etienne Pascal, compromis dans 

des manifestations contre le 
retranchement d^un quartier 
des rentes de l'Hôtel de Ville, 
se réfugie en Auvergne. 

6 mai Mort de Jansénius. 

14 mai Arrestation de Saint-Cyran. 

décembre Lettre de Gilberte Pascal à son 

père sur la maladie de sa sœur 
(L. 0. M., p. 782> 

4639 3 avril Jacqueline joue devant Richelieu 

V Amour tyranmquede Scudéry 
et obtient la grâce de son père 
[Lettre du 4 avril. L. 0. M., 
p. 305). 

fin de Tannée Etienne Pascal intendant pour les 

tailles en Normandie, conjoin- 
tement avec M. de Paris. 

dans l'année Pascal travaille au Traité des sec- 

1. Et non <le Biaise. Cf. Adam, VÉducalion de Pascal, toc. cit. 

2. Cette lettre est datée dans L. O. M. de 1658. par une erreur 
évidente. — Ce qu'il y a de curieux, c'est qu'elle est adressée à 
« M. Pascal, président en la Cour des aides de Clermont-Ferrand, 
à Clermont » ; Etienne Pascal avait sans iloute ganlé son titre, 
même après avoir cédé sa charge et même dans la disgrâce où il 
était alors. 



APPENDICE I 171 

tions coniques, et publie les Es- 
sais pour les coniques (L., III, 
182). 

1640 Pascal et sa famille à Rouen. 

1640-1642 Pascal travaille à sa Machine arith- 
métique. — Premier ébranle- 
ment grave de sa santé. 

Publication posthume de VAugus- 

tinus de Jansénius. 

Les Jésuites d'Anvers publient 

Vlmago primi sœculi Soc. Jesu, 

décembre Première victoire de Jacqueline 

aux Palinods de Rouen. Cor- 
neille remercie les juges. 

1641 Gilberte Pascal épouse son cou- 

sin, Florin Périer, conseiller à 
la Cour Royale des Aides de 
Clermont. 

6 mars Le Pape Urbain VIII condamne 

l'hérésie prédestinatienne de 
Baïus (Bulle In eminenti), 

décembre Seconde victoire de Jacqueline 

aux Palinods. 

1643 31 janvier Lettre de Pascal à M°»« Périer (B., 

p. 43; L., III, 102). 

février Saint-Cyran mis en liberté. 

août Arnauld publie la Fréquente com- 
munion, 

11 octobre Mort de Saint-Cyran. 

Arnauld, Théologie morale des 

Jésuites (sans lieu ni date, 2« édi- 
tion en 1644). 

1644 février Pascal présente au grand Condé 

sa Machine arithmétique (lettre 
de Bourdelot du 26 février). 

- Le P. Mersenne fait connaître en 

France les expériences de Tor- 
ricelli. 



172 LA PENSEE DE PASCAL 

1645 Pascal écrit VÉpitre ik'dicatoire 

au chancelier Séguier ^B., p. 4"» ; 
L., III, 185-, et VAvis à ceux 
qui verront la Machine arithmé- 
tique (L., III, 187). 
Arnauld publie sa Tradition de 



r Eglise sur le sujet de la péni- 
tence et de la communion. 

Publication posthume des Lettres 

chrétiennes et spirituelles de 
Saint-Cyran. 

27 décembre Date des Lettres patentes nom- 
mant Etienne Pascal conseiller 
d^Etat. 

1646 janvier-avril Etienne Pascal se démet la cuisse. 

— La Bouteillerie et Deslandes 
« convertissent » Pascal. — 
Pascal « convertit » Jacqueline. 
Elle refuse la main d'un Con- 
seiller au Parlement. 

avril '. Naissance de Marguerite Périer, 

nièce et filleule de Pascal. 

octobre-décembre.. Pascal et M. Petit répètent à 

Rouen les expériences de Tor- 
ricelli. 

fin de l'année Pascal <- convertit » M. et M»"" Pe- 
rler, venus à Rouen. 
1G47 2 février-30 avril... . Affaire Saint-Ange. 

automne Pascalestatteintdeparalysie.il va 

consulter les médecins de Paris. 

23 et 24 septembre.. Entrevues de Descartes et de 

Pascal à Paris (Lettre de Jac- 
queline du 25 septembre. 
L. 0. M., p. 309j. 

4 octobre Pascal publie ses Nouvelles expé- 
riences touchant le vide, faites 
dans des tuyaux avec diverses 
liqueurs (L., III), 1). 



APPENDICE I 173 

(1647) 15 novembre Lettre à M. Périer (B., p. 68; L., 

ni, 138). 

fin de i647-début de Polémique avec le jésuite Noël 
1648. sur le vide : Première lettre du 

P. Noël; Lettre de Pascal (29 oc- 
tobre) ; Deuxième lettre du 
P. Noël; le P. Noël dédie au 
prince de Conti le Plein du 
vide; Lettre de Pascal à M. Le 
Pailleur (L., III, 8-40). 

1647-1651 Pascal travaille à un Traité du 

vide. — Il en écrit la Préface 
(H., t. II, p. 266; B., p. 74; L., 
III, 18) ; et rédige les deux traités 
de l'équilibre des liqueurs et de 
la pesanteur de la masse de Vair, 
L., III (83-128). (Ces traités 
« tout près à imprimer » en 
1651, qui devaient paraître en 
1654, ne furent publiés qu'en 
1663.) 

1647 (?) 1648 (?) Pascal écrit la Prière sur le bon 

usage des maladies (H., t. II, 
p.223;B.,p. 57; L., II, 28). 

1648 premiers mois Premières relations directes de 

Pascal avec Port-Royal. — Vo- 
cation de Jacqueline. 

premiers mois Lettre d'Etienne Pascal au P. 

Noël (L., III, 28). 

26 janvier Lettre de Pascal à M™*^ Périer 

(donnée dans quelques éditions 
comme lettre à Jacqueline) 
(B., p. 84; L., II, 102). 

1'='' avril Lettre de Jacqueline et de Pascal 

à M°»« Périer (B., p. 87; L., Il, 
104). 

6 avril Lettre de Descaries au P. Mer- 
senne (sur la question du vide). 



174 LA PENSEE DE PASCAL 

(1648) mai Suppression des intendants. 

Etienne Pascal à Paris. 

19 juin Lettre de Jacqueline à son père, 

pour obtenir d'entrer au cou- 
vent (L. 0. M., p. 318). 

juin Etienne Pascal refuse à sa fille 

la permission d'entrer au cou- 
vent. Relations secrètes de Jac- 
queline avec Port-Royal. 

19 septembre Expérience de M. Périer sur le 

Puy-de-Dôme, à la demande de 
Pascal (Lettre de M. Périer, du 
22). 

septembre-octobre.. Expériences de Pascal à la tour 

Saint-Jacques. 

fin de l'année Pascal publie le Récit de la grande 

expérience de f équilibre des li- 
queurs (L. III, 138). 

fin de l'année « Brouillerie » entre Pascal, Jac- 
queline et leur père d'une part, 
M°*« et M. Périer d'autre part, 
au sujet d'une maison de cam- 
pagne que veut bâtir M. Périer. 

5 novembre Lettre de Jacqueline et de Pascal 

à M"^° Périer (B., p. 91 ; L., II, 
106). 
1649 janvier '. mars 1651. Observations de M. Périer sur la 

pesanteur de l'air (le récit en 
îi (Hé publié par lui-même en 
1663. L., III, 147). 

22 mai Pascal obtient un Privilège pour 

la machine arithmétique (L., 
m, 205). 

mai Départ d'Etienne Pascal pour 

l'Auvergne avec Biaise et Jac- 
queline. 

11 juin Lettre de Descartes à Carcavi (sur 

la question du vide). 



APPENDICE 1 175 

^1649) juillet Nicolas Cornet, syndic de la Fa- 
culté de théologie, défère à la 
Faculté 7 propositions jansé- 
nistes (réduites ensuite à 5). 

17 août Lettre de Descartes à Carcavi 

(sur la question du vide). 

octobre Expériences de Descartes sur le 

vide, à Stockholm. 

1650 H février Mort de Descartes. 

juin Pascal quitte l'Auvergne. 

novembre Retour d'Etienne Pascal et de 

Jacqueline à Paris. 

1651 Liaison de Pascal avec le duc de 

Roannez. 

25 juin Thèses soutenues contre Pascal, 

au collège des jésuites de Cler- 
mout-Ferrand en présence de 
M. de Ribeyre. 

juillet-août Correspondance avec M. de Ri- 
beyre : Première lettre de Pas- 
cal (12 juillet) ; Réponse de 
M. de Ribeyre (26 juillet); 
Deuxième lettre de Pascal (S août) 
(L.,ni, 73-81). 

24 septembre Mort d'Etienne Pascal. 

Épitaphe d'Etienne Pascal, par 

Biaise Pascal (L. CM., p. 405; 
B., p. 107, note). 

17 octobre Lettre sur la mort (H., L II, p. 235 ; 

B., p. 95; L, II, 20). 

19 octobre Pascal constitue à Jacqueline une 

rente de 700 livres*. 

20 octobre Jacqueline fait donation à Pascal 

de 8.000 livres. 

22 octobre Pascal constitue à Jacqueline 

une renie de 500 livres. — 

1. Cf. Bauholx et GivouciiY, ouvrages cités. 



176 LA PENSEE DE PASCAL 

(1651) 22 octobre Jacqueline fait donation à Pas- 
cal de l'usufruit des biens 
qu'elle aura le Jour de sa pro- 
fession en religion, ou le jour 
de son décès, si, étant mariée, 
elle meurt sans enfants. 

23 octobre Jacqueline fait donation à son 

frère de 8.000 livres. — Pascal 
constitue à sa domestique, 
Louise Deffaud, une rente via- 
gère de 400 livres (Gilberte et 
Jacqueline se chargent chacune 
d'un tiers de cette rente, par 
acte du l'^' mars 1652). 

25 octobre Pascal constitue à Jacqueline une 

rente de 400 livres. 

26 octobre Jacqueline fait donation à Pas- 

cal de toutes les rentes qui lui 
écherront dans le partage de 
la succession de leur père. 

31 décembre Signature des partages entre les 

héritiers de Etienne Pascal. 

Réimpression du Pugio Fidei de 

Raymond Martin (Paris). 

Mystère de la mort de Notre-Sei- 

gneur Jésus-Christ, par Jacque- 
line (L. 0. M. p. 147) <. 
1652 4 janvier Jacqueline entre au couvent mal- 
gré son frère. 

12 février Acte notarié, par lequel Pascal 

reconnaît avoir touché les ar- 
rérages de rentes que son père 
s'était constituées par contrat 
du 2 janvier 1635. 
7 mars Lettre de Jacqueline pour obte- 
nir le consentement de son 
frère (L. 0. M., p. 334). 

1. A rapprocher du Mystère de Jésus. 



APPENDICE I 177 

(1652) 14 mars Lettre de Bourdelot, médecin de 

la reine Christine, à Pascal 
Pascal écrit ultérieurement sa 
Lettre dédicatoire à la reine 
Christine (B., p. 111; L., III, 
203). 

7-14 avril Conférence de Pascal chez la du- 
chesse d'Aiguillon. 

26 mai Vêture de Jacqueline. 

8 juillet Contrat de constitution des 

16.000 livres données à pascal, 
les 20 et 23 octobre 1651. — 
Pascal fait donation à Port- 
Royal de 4.000 livres à toucher 
après son décès, s'il meurt sans 
enfants. 

Pascal fabrique le modèle défi- 
nitif de sa Machine arithmé- 
tique (actuellement au Con- 
servatoire des arts et métiers). 

juillet-octobre (?).., Pascal en Poitou avec le duc de 

Roannez et Méré. 

octobre Second voyage de Pascal en Au- 
vergne ^ (?) 

Balzac publie le Socrate chrétien, 

1652 (?) 1653 (?) Discours sur les Passions de V amour 

(H., t. II, p. 251; B., p. 123; L., 
II, 49). 

1 653 janvier Les Jésuites publient ÏAlmanach 

de la déroute et confusion des 
Jansénistes, 

6 janvier Lettre à Huygens (publiée par Bie- 

rens d'Haan, 1890). 

5 février. Réponse de Huygens. 

mai Désaccord de Pascal et de 

^me périer avec Jacqueline, 

1. Cf. Adam, Un séjour de Pascal en Auvergne (Revue de l'ensei- 
gnement secondaire et supérieur, 1887). 

12 



178 LA PENSEE DE PASCAL 

(afTaire de la dot). — Retour de 
Pascal à Paris. 

(1653) 31 mai Le Pape Innocent X condamne 

les cinq propositions (Bulle In 
occasiofie), 

4 juin Pascal fait donation à Port-Royal 

d'une somme de 5.000 livres 
et d'une rente de 1.500 livres 
moyennant pension viagère de 
250 livres, et annule la dona- 
tion du 8 juillet 1652. 

5 juin Profession de Jacqueline. 

6 juin Lettre de Pascal à M. Périer (B., 

p. 139; L., H, 109). 

10 juin Relation de Sœur Jacqueline de 

de Sainte-Euphémie (L. 0. M. 
p. 177). 

dans Tannée Pascal occupé de nouveau du 

vide, de la pesanteurde Tair, de 
réquilibre des liqueurs. 

sept.-déc Visites fréquentes de Pascal à sa 

sœur Jacqueline. 

1654 janvier De Saci publie les Enluminures 

du fameux almanach des Jé- 
suites. 

Pascal écrit le Traité du triangle 

arithmétique) Divers usages du 
triangle arithmétique; et le 
Traité des ordres numériques 
(publiés en 1665) (L., III, 243- 
321). 

Lettre « Celeherrimœ Matheseos 

Academix Parisiensi » : envoi 
des Mémoires De numericarum 
potestatum ambitibus; Circa nu- 
méros aliorum multipliées ; an- 
nonce des Mémoires De numeris 
magico magicis; Promotus Ap^ 



APPENDICE I i79 

pollionius Gallus; Tactiones 
sphericœ; Tactiones conicse;Loci 
solidi; Loci plani; Conicorum 
opus completum; Perspectivse 
methodm ; A leae geometria ; Gno- 
monta; Miscellanea (L., III, 
219). 

(1654-) mai Les évêques de France, sauf 4, 

condamnent les 5 proposi- 
tions. 

juillet-octobre Correspondance avec Fermât : 

Première lettre (29 juillet); 
Deuxième lettre (24 août) ; Troi- 
sième lettre (27 octobre) : calcul 
des probabilités (L., III, 220- 
235). 

8 novembre Accident du pont de Neuilly. 

23 novembre Le ravissement. 

8 décembre Sermon (dit de M. Singlin) 

qui détermine Pascal à renon- 
cer au monde. — Lettre de 
Jacqueline à M°® Périer sur la 
conversion de leur frère (L. 0. 
M., p. 353). 

1654 (?) 1655 (?)... Pascal écrit le Traité de V esprit 

géométrique et sur fart de per- 
suader* (H., t. Il, p. 278; B. 
p. 164; L., III, 163}. 

Pascal assiste aux conférences 

des Messieurs de Port-Royal 
pour la traduction du Nouveau 
Testament, dite traduction de 
Mons. 

1655 7-21 janvier Pascal chez le duc de Luynes, 

au chûteau de Vauraurier, et à 
Port-Royal-des-Champs. 

1. M. LansoiL {Grande Encyclopédie) sépare ces deux fragments 
et suppose le premier antérieur, le second postérieur à lacoaversion. 






* 



180 LA PENSÉE DE PASCAL 

(1655) 19 Janvier Leiire de Jacqueline à Pascal sur 

sa conversion (L. 0. M., p. 353). 
j.i 25 janvier-8 février. Lef^re de Jacqueline à M™« Périer 

sur la conversion de leur 
frère (L. 0. M., p. 356). 

31 janvier L'absolution est refusée à M. de 

Liancourt, janséniste. 

24 février Arnauld publie sa Lettre à une 

personne de condition. 

10 juillet Arnauld publie sa Seconde lettre 

à un duc et pair de France, 

26 octobre Lettre de Jacqueline sur la « mé 

thode pour apprendre à lire « 
imaginée par Pascal (L. O. M., 
p. 372). 

1-29 décembre Jugement d' Arnauld en Sorbonne. 

décembre Pascal à Paris. 

dans Tannée (?) Entretien avec M. de Saci (H., t. I, 

— p. cxxi ; B., p. 146 ; L., II, 5). 
Comparaison des chrétiens, etc. 
(H., t. JI, p. 321; B., p. 201; 
L., 11, 34). — Sur la conversion 
du pécheur (R., t. II, p. 315; B., 
p. 196; L. 11, 37) <. 
Wallis publie son Arithmetica 
infinitorum. 

1655-1662 Abrégé de la vie de Jésus, 

1656 7 janvier Séguier prend la présidence des 

* assemblées de la Sorbonne. 

t 14 janvier Décision delà Sorbonne favo- 

i rable à la censure d' Arnauld 

^ (question de fait). 

: 18 janvier Lettre d'Arnauld à la Faculté. 

23 janvier Première Provinciale. 



1. M. Lanson {Grande Encyclopédie) place la Conversion à la fin 
de 1654. — Ces deux derniers écrits pourraient d'ailleurs appartenir 
à la période du 1°' jansénisme (1646-1649). 



v 



I ■ 



APPENDICE I 181 

(1656) 24 janvier Les tenants d'Arnauld se retirent 

^ de la Sorbonne. 

29 Janvier Deuxième Provinciale (parue le 

5 février). 
29Janvier-18 février. Lecture et confirmation de la 

censure ; expulsion d'Arnauld. 

2 février Réponse du Provincial. — Arres- 

tation du libraire Sevreux. 

9 février Troisième Provinciale {parueAe 12). 

25 février Quatrième Provinciale. 

20 mars Cinquième Provinciale. — Disper- 
sion des solitaires. 

24 mars Miracle de lasainte Épine. Cf. 

Lettres de Jacqueline à M™® 
Périer (29 mars, 31 mars). L. 0. 
M., p. 375 sqq. — Fermeture 
des Petites Écoles. 

10 avril Sixième Provinciale. 

25 avril Septième Provinciale. 

12 mai Le curé de Saint-Roch propose 

aux curés de Paris d'examiner 

les écrits des casuistes. 

28 mai Huitième Provinciale. 

mai-août Les curés de Houen défèrent les 

casuistes à l'assemblée du 

clergé. 

3 juillet Neuvième Provinciale. 

2 août Dixième Provinciale. 

18 août Onzième Provinciale. 

1-15 septembre Le^freà M"« de Roannez*( H., t. II, 

p. 341 {lettre ix); B., p. 208 
(let. i); L.,II, 48 (/e<. ix). 

9 septembre Douzième Provinciale. 

13 septembre Avis de MM. les curés de Paris 

(attribuée tort à Pascal) (L., 11, 
113). 



1. Voir Adam, Pascal et M^^'de Hoannez. 



182 LA PENSÉE DE PASCAL 

(1650) 24 septembre Lettre à M"« de Roannez (H., 

t. H, p. 333 [let. IV) ;B., p. 211 
ilet. Il), L., II, 44 (ieLiy). 

30 septembre Treizième Provinciale. 

i**' octobre Pascal constitue à son beau-frère 

Périerune rente de 1.060 livres, 
moyennant une pension via- 
gère de 240 livres. 

8 octobre (?) Lettre à M"« de Roannez» H., t. II, 

p. 334(/e^v);B.,p.212((e^III): 
L., II. p. 44 {let^ V). 

iC octobre Alexandre VII condamne les cinq 

propositions (bulle Ad sanctam 
Beati Pétri sedem). 

22 octobre lettre à M"« de Roannez •■ H, t. II, 

p.329(/ef. ii);B.,p.213 (/e/.iv ; 
L.. Il, 41 (let. II).— Constata- 
tion juridique du miracle de la 
sainte Épine. Cf. Lettres de Jac- 
queline, 24, 30 octobre \ L. O. 
M., p. 584). 

23 octobre Quatorzième Provinciale. 

novembre Les curés de Paris dénoncent 

trente-huit propositions des 
casuistes. 

5 novembre Lettre à M'*«de Roannez H., t. II. 

p.33l {let.ui<; B..p. 2i5{/er.v : 
L., II, 42 [let. III et IL lOi . 

12 novembre Le«re à M"« de Roannez H, t. II. 

p. 327 let.i :B.,p.2^8(/e^vI : 
L.. II, 40 (/eL 1 . 

24 novembre L'assemblée du clergé nomme 

une commission pour exami- 
ner les livres des casuistes. 

25 novembre Quinzième Provinciale. 

novembre-déc. 1 . . Lettre à M"« de Roannez i H, t. II. 

p. 336 Jet. VI : B., p. 220 
let. VII ; L.» H, 45 let. vi . 



APPENDICE I 183 

(I606) 4 décembre Seizième Provinciale. 

10 décembre (?) Lettre à M"« de Boannez (H., 1. 11, 

p. 338 {let. vu); B., p. 222 (/c«. 
viii); L., II, 46 {let. vu). 

24 décembre Lettre à M"® de Boannez (H., t. Il, 

p. 340 {let. viii); B., p. 224 
{let. ix); L. 11,47 {let. viii). 

fin de l'année Le P. Annat publie la Bonne foi 

des jansénistes en la citation des 
auteurs. 

après le 24 mars (?) . Pascal adresse à Tabbé de Barcos 

ses Questions sur les miracles 
(L, II, 1) ; — et prépare une 
Réponse à un écrit sur les miracles 
de la sainte Epine (L., II, 298). 

Pascal écrit la Lettre sur la possi- 
bilité d'accomplir les commande- 
ments de Dieu (L., II, 57) ; la 
Dissertation sur le véritable sens 
decesparoles, etc. (L., II, 81) ; le 
Discours oit Von fait voir qu'il 
n'y a pas derelation, etc. (L., II, 
94)». 

Les PP. Nouet, Annat, Brisacier 

puhVieniles Réponses aux Lettres 
Provincialespubliéespar le secré- 
taire du Port-Royal contre les 
Pères de la Compagnie de Jésus 
(Liège). 

1057 23 janvier Dix-septième Provinciale {^avue le 

19 février.) 

l'^'' février L'assemblée du clergé ordonne, 

contre les casuistes, la réim- 
pression des instructions pour 
les confesseurs,de saint Charles 
Borromée. 

\ . M. Lanson {Grande Encyclopédie) placerait ces écrits avant les 
1 Provinciales^ fin de 1653. 



1S4 LA PENSÉB DB PASCAL 

(1657) 9 février Le parlement d'Aix condamne 

les seize premières Provinciales. 

47 mars Les évêques de France rédigent 

le l»"" formulaire. 

24 mars Dix-huitième Provinciale. 

Le P. Annat publie sa Réponse à 

la dix-septième Provinciale. 

Pascal commence une Dix-neu- 
vième Provinciale. 

12 avril Publication à Paris de la bulle 

d'Alexandre VIL 

1«' juin Lettre d'un avocat au Parlement 

à Vun de ses amis touchant l'in- 
quisition que Von veut établir 
en France, à V occasion de la 
nouvelle bulle du pape 
Alexandre VII : de Pascal* 
(saisie le 8 juin). 

juillet M^*<^ de Roannez entre à Port- 
Royal. 

6 septembre La Congrégation de Tlndex con- 
damne les Provinciales (con- 
damnation affichée en octobre 
à Paris). 

3 novembre M'^® de Roannez est ramenée de 

force dans sa famille. 

fin de l'année Le P. Pirot publie VApologie des 

casuistes. 

i9 décembre Enregistrement de la bulle. 

Premières éditions des Provin- 
ciales en volume. 

1657-1662 Pascal travaille à son Apologie de 

la religion. 

1658 janvier Les curés de Paris dénoncent 

VApologie des casuistes. 



1. Cf. pour cette lettre, les factums, requêtes et mandements, 
Lanson, Après les Provinciales {Rev. d'hisl. litt.^ janvier 1901). 



APPENDICE I 185 

(1658) février i®*" Factum des curés de Paris : 

de Pascal (L., II, 115). 

février Factum des curés de Rouen ; at- 

' tribué à tort à Pascal (L., II, 

252). 
l»' avril 2® Factum des curés de Paris : de 

Pascal (L., II, 123). 
7 mai 3* Factum des curés de Paris : 

attribué à tort à Pascal (L., II, 

131). 

23 mai 4* Factum des curés de Paris : 

attribué à tort à Pascal (L., II, 
152). 

1 1 juin 5" Factum des curés de Paris : 

de Pascal (L., II, 159). 

juin Pascal institue le concours de la 

Roulette : Problèmes sur la 
cycloïde; Problemata de cy- 
cloïde (L., III, 322). 

15 juillet Factum des curés de Nevers : 

peut-être de Pascal (L. II, 264). 
— Factum des curés d'Amiens : 
attribué , probablement à tort, à 
Pascal (L.,Il, 268). 

24 juillet 6« Factum des curés de Paris : 

de Pascal (L., II, 16). 

juillet La Sorbonne condamne V Apolo- 
gie des casuistes, 

21 septembre Requête des curés d'Évreux : 

attribuée sans preuve à Pascal 
(L., II, 283). 

7-10 octobre Concours de la Roulette : Ré- 
flexion sur les conditions, etc., 
Annoiata in quasdam, etc. ; 
Histoire de la Roulette, His- 
toriatrochoïdis(L.,ni,32S'33%). 

8 novembre Censure de l'Apologie des casuistes, 

par Tévêque de Nevers : attri- 



4 



186 LA PENSÉE DE PASCAL 

buée sans preuves à Pascal 
(L., Il, 292). 

(1658j 25 novembre Concours de la Roulette : Récii de 

l'examen et du jugement ^ etc. 
(L., m, 349). 

Projet de Mandement : de Pascal 

(L., Il, 294). 

27 novembre MandemenMes vicaires généraux: 

inspiré par Pascal (L., II, 326). 

Traduction latine des Provin- 
ciales j par Wendrock (Nicole). 

déc. à janv. 1859 Lettre de A, DettonvUle à Carcavi, 

contenant quelques-unes de ses 
inventions^ etc. ; Lettre de Car- 
cavi à DettonvUle; Lettre de 
DettonvUle à Carcavi sur la 
méthode générale; Traité des 
trilignes rectangles et de leurs 
onglets; Propriétés des sommes 
simples, triangulaires et pyra- 
ramidales; Traité des sinus du 
quart du cercle ; Traité des arcs 
de cercle; Petit traité des solides 
circulaires; Traité général de 
la Roulette; Lettre de Detton- 
vUle à Huygens; Lettre de Det- 
tonvUle à Sluze; Lettre de Det- 
tonvUle à M, A. D. D. S. (Des- 
prez, 1658-1659) (L., III, 326). 

Huygens publie son De ratioci- 

niis in ludo aleœ (sur le pro- 
blème des paris). 

Lettre de M™<^ Périer (ou de Jac- 
queline), sur les problèmes de 
Pascal (L. 0. M. p. 79). 

1658 (?)-16d9 (?) Lettres de Pascal au P. Lalouère 

(publiées dans le livre Vête- 
rum geometria, etc., 1660). 



APPENDICE I 187 

1658 (?) 1659 (?) Pascal expose le plan de soni4po- 

logie (Cf. la Préface de Périer). 

1659 4 janvier Censure de Y Apologie des ca- 

suistes, par Tévêque de Rouen : 

attribuée à tort à Pascal (L., II, 

288). 
29 Janvier Concours de la Roulette : Suite 

de Vhistoire de la Roulette, oti 

l'on voit, etc. (L., IIÏ, 352). 
8 février 7® Factum des curés de Paris : 

attribué à tort à Pascal (L., II, 

176). 

25 juin 8'' et 9« factum des curés de Pa- 

ris : ne sont pas de Pascal. 

26 août V Apologie des casuistes condam- 

née à Rome. 

3 1 août Acte notarié par lequel Pascal 

donne en location la 3® arcade 
de la halle au blé à lui appar- 
tenant. 

10 octobre 10° factum des curés de Paris : 

n'est pas de Pascal. 

Wallis publie le Traité du cy- 

cloïde, 

Lettre de Pascal à M"'*^ Périer (B., 

p. 227; L.,II, 109). 

1660 — ? — Troi'i discours sur la condition des 

grands (U., t. II, p. 348; B., 
p. 231; L., II, 15). 

iO août Lettre de Pascal à Fermât (B., 

p. 228; L., 111,237). 

23 septembre Le conseil du roi condamne la 

traduction de Wendrock, 

14 octobre La traduction de Wendrock brû- 
lée à Paris. 

16 novembre Lettre de Jacqueline à Pascal, 

sur des enfants dont il s'est 
occupé (L.O.M.,p. 396). 



é 



188 LA PENSEE DE PASCAL 

(1660) décembre Lettre de Pascal à la marquise 

de Sablé (B., p. 230; L., II, 

110). 

Le P. Lalouère publie son livre 

Veterum geometria promota in 
septem de cycloïde libris. 

1661 février Rédaction du formulaire défini- 

tif, dont la signature doit être 
exigée des ecclésiastiques. 

mars-avril Port-Royal privé de novices. — 

Expulsion des solitaires. 

Lettre de Pascal à M™<^ Périer 

(B., p. 243; L., II, 110). 

8 juin Ordonnance des vicaires généraux 

sur la signature : a été attri- 
buée à l'inspiration de Pascal 
(L., 11, 326). 

23 juin Lettre de Jacqueline à la sœur 

Angélique sur la signature et 
lettre à Arnauld (?) (L. O. M., 
p. 402). 

2i juillet Déclaration des curés de Paris : 

a été attribuée à Tinspiration 
de Pascal (L., 11, 329). 

4 octobre Mort de Jacqueline Pascal. 

31 octobre Second mandement des vicaires 

généraux. 

novembre Discussion de Pascal avec ces 

« Messieurs» sur la signature : . 
scène de Tévanouissement. 

Pascal compose VÉcrit sur la 

signature de ceiiXy etc. (B., 
p. 239; L.,11, 3). 

1662 janvier Lettres patentes du roi pour 

l'entreprise des omnibus. 
18 mars Premier voyage des omnibus 

dans Paris. 
21 mars Lettre de M"»» Périer et de Pascal 



APPENDICE I 189 

à Arnauld de Pomponne sur les 

omnibus (B., p. 247 ; L. 0. M., 

p. 84). 

(1662) Lettre à Domat (B., p. 244). 

23 juillet Pascal loue à Paris une maison 

pour M. Périer. 
3 août Testament de Pascal (Faugère, 

Vie de Jésus, 1846 ; B., p. 250). 

19 août Mort de Pascal. 

21 août Enterrement de Pascal. 



Chronologie posthume pour servir a l'histoire 

DES ŒUVRES DE PaSCAL 

1 603 Traités de Véquilibre des liqueurs et 

de la pesanteur de la masse de l'air 
(Desprez); Traité du triangle 
arithmétique avec quelques autres 
traités sur la même matière, 
(Divers usages du triangle 
arithmétique ; Traité des ordres 
numériques). (Desprez.) 

1665 Trois discours sur la condition des 

grands (dans le Traité de l'édu- 
cation d'un prince, de Nicole). 

16*0 Prière sur le bon usage, etc. ; Lettre 

sur la mort (extraits); Lettre 
àW^^de Roannez (extraits) dans 
Tédition des Pensées. 

Les Pensées édition princeps ^ 

(Desprez). — Les éditions ulté- 
rieures introduisent successi- 
vement des pensées nouvelles. 

1. Les premières éditions des Pensées ont fort occupé les biblio- 
graphes. Avant la Troisième en 348 pages, et datée <le 1671, il y a 
en effet : !• l'exemplaire unique de la Bibliothèque Nationale 
^Ré serve D. 21, 374), en 365 pages, sans approbation après la Pré- 



% 



490 LA PENSEE DE PASCAL 

1727 Fragments (dans Troisième lettre 

à M. de SoissonSj par Colbert, 
évêque de Montpellier). 

1 728 Entretien avec M, Saci (premier 

texte) ; De V esprit géométrique 
( fragme n 1 1 1 ) ; De V amour-propre 
(dans Continuation des mémoires 
de littérature et d'histoire, de 
Desmolets). 

d736 Entretien avec M. de Saci 

(deuxième texte) (dans .Mé- 
moires de Fontaine). 

4776 De l'esprit géométrique (fragment 

I incomplet) (dans l'édition 
Condorcet). 
Edition « philosophique » des Pen- 
sées, de Condorcet (Paris, 1776 



face, et daté de 1669. — 2" Une édition non numérotée (donc pre- 
mière), en 365 pages, avec approbations, avec erratum au verso du 
privilège, et datée de 1670. — 3" Une édition non numérotée (<lonc 
première), en 334 pages (en réalité 358, par suite d'erreurs <Ians la 
pagination), où Terratum est supprimé et les fautes qu'il signalait 
corrigées, et datée de 1670. — 4^ Une édition, dite seconde, en 
334 pages, et datée de 1670. — 5* Une édition, dite seconde, en 
348 pages, et datée de 1670. 

J'appellerais Tédition de 1669, faite pour les amis de Port-Royal, 
Edition dressai; celle de 1670 en 365 pages, VEdilion première-Pre- 
mière (véritable édition princeps); celle de 1670 en 334 pages, 
VEdilion seconde-Première : la « seconde » en 334 pages, VEdilion 
première- Deuxième, enfin « la seconde » en 348 pages, VEdilion 
seconde- Deuxième. Ce nombre inusité d'éditions en une année 
prouve évidemment le succès qu'ont eu les Pensées dès le début ; 
mais on sait aussi que Port-Royal a tenu à en multiplier artificiel- 
lement le nombre afin d'esquiver les exigences de l'archevêque de 
Paris. M. de Paris avait demandé qu'on insérât en tête de la 
seconde édition la prétendue rétractation de Pascal à son lit de 
mort : on se hâta de donner une « seconde édition » conforme à la 
première afin de le mettre en présence du fait accompli {Lettre 
d'Arnauld à Périer, 13 mars 1670). — Cf. l'article Pascal de Brunet, 
la préface de la réimpression de Sacy, l'article du P. Com tet : Un 
problème bibliographique : quelle est V édition princeps des Pensées. 
(Eludes religieuses, juin 1894). 




APPENDICE I 19i 

Londres et Paris, 1778-1882). 
1779 Préface du Traité du vide (incom- 
plète); Comparaison d£S chré- 
tiens,..,; De la conversion du 
pécheur; De l'esprit géométrique 
(complet); Traités et correspon- 
dances scientifiques (dans l'édi- 
tion Bossuï). 

Edition des œuvres complètes par 

Tabbé Bossut (5 vol. in-8<») 
Detune (Nyon). La Haye (Paris). 

— (Autres éditions des œuvres 
complètes : Lahure, Hachette 
(1866) ; Faugère-Bruxschvicg, 
Hachette, 1887-19... coll. des 
grands écrivains.) 

1783 Edition critique des Pensées par le 

P. André (Nyon, Paris). 

1835 Essai de reconstitution des Pen- 
sées dans rédition Frantin 
(Dijon, 1835; Paris, 1870). 

1841-1844 Lettre sur la mort (complète); 

Lettres à Af '•« de Roannez (com- 
plètes); Discours sur les passions 
de l'amour; Lettres diverses [dtins 
les diverses publications de 
Cousin, réunies dans ses Etudes 
sur Pascal) (Didier 1841-1857). 

4844 Préface du Traité du vide (com- 
plète); Lettres diverses (dans 
rédition Faugère). 
Première édition des Pensées 
d'après les manuscrits, par 
Faugère (Andrieux). 

1846 Abrégé de la vie de Jésus-Christ ^ 

édition de Faugère (Andrieux). 

— Autres éditions : dans Tédi- 
tion MoLiNiER ; à part : Lescure 



< 



DISCOURS DE LA RÉFOHMATION DE L HOMME INTÉRIEUR 



II n'y a ri«>n dans le monde 
qut; concupiscence de la ebair, 
concupiscence des yeux et or- 
gueil de la rie. 

Del'l^pltre i de saint Jean, 
cbap. '2,) 



AVANT-PRUPUS 

C'est un ordre de la nature et de la providence divine, que 
tout ce qui est sujet à leurs lois, et renfermé dans leurs lois 
et renfermé dans leurs borner, retourne à son origine par 
un mouvement perpétuel. De là vient que tout ce qui naît 
de la terre, se va rejoindre à la tern* d'où il a été tiré ; que 
tous les fleuves rentrent dans la mer d'où ils sont sortis; et 
que tout ce qui est composé des éléments se résout en ces 
mêmes éléments. Et cet ordre est établi p.ir une loi si im- 
muable et si universelle, que Ton en voit même quelques 
marques et quelques traits en la corruption des choses, dans 
laquelle elles perdent leurs premi(*res(fiialités, ot sortent de 
leur état naturel. 

Car c'est de là que vient ce grand poids qui entraine toutes 
les créatures à la destruction de leur être, et qui les ferait 
tomber dans Tabîme du néant, si elles n'étaient soutenues 
de la parole qui soutient tout l'univers. El cette inclination 
générale est comme un trait marqué de la main de la nature, 
qui fait voir à tous ceux qui ont les yeux assez bons pour 
le reconnaître, quelle est Torigine de toutes les choses 
créées. 

C'est ce qui a fait que les anges et le premier homme ne 
sont pas demeurés dans le comble de la gloire où Dieu les 



APPENDICE II 195 

avait mis au commencement ; mais s'étant trouvés comme 
dans un pays étranger, ils ont quitté Dieu et sont tombés en 
bas ainsi que dans leur patrie naturelle ; et fussent passés 
jusqu'au néant si Dieu ne les eût soutenus dans leur chute 
par une bonté toute-puissante. 

Après cela devons-nous nous étonner qu'il n'y ait point de 
république si sage dans sa police ni si affermie dans sa puis- 
saace dont la vigueur ne se relâche par la révolution des 
siècles, ni d'Ordre Religieux de qui la règle soit établie avec 
tant de pureté, gardée avec tant de soin, et confirmée avec 
une observance si étroite, que les esprits venant à se refroi- 
dir, l'austérité qui lui est si salutaire ne commence à se relâ- 
cher, et qu'ensuite la corruption s'augmentant toujours peu 
à peu à mesure que les mauvaises coutumes croissent, il ne 
tombe dans le premier désordre du commun des hommes ? 

De sorte qu'ainsi que les arbres que l'on plie avec grand 
effort se remettent avec d'autant plus de violence dans leur 
état naturel, aussitôt que la main qui les tenait les laisse 
aller : De même en un sens contraire, depuis que la nature 
humaine a été corrompue, et comme courbée par le péché, 
elle ne peut plus être redressée que par une force extrême ; 
et aussitôt qu'on la laisse à elle-même, et qu'on l'aban- 
donne, elle se précipite par son propre poids dans le vice de 
son origine. 

Mais on ne doit pas admirer que cette loi soit gravée si 
profondément dans toutes les parties de la nature, puis- 
qu'on en voit reluire des traces si claires, dans l'ordre selon 
lequel le Créateur gouverne les créatures qui se sont 
éloignées de lui, et qui sont tombées dans la désobéissance. 

Car y a-t-il rien de plus magnifique et de plus illustre en 
tous ses ouvrages, que d'avoir tellement opposé sa grâce au 
péché de l'homme qu'il avait créé à son image, qu'au lieu 
que le péché le portait vers le néant dont il avait été tiré, 
sa grâce l'a fait revenir à l'auteur de son être, et à la source 
de tous ses biens ? 

Ainsi Dieu a mieux aimé refaire le vase qui était tombé de 
ses mains, et lui rendre la première figure qu'il lui avait 
donnée, que de le jeter après qu'il a été rompu, ou de briser 



i 



196 LA PENSÉE DE PASCAL 

les pièces qui en étaient restées, et en faire un autre tout 
de nouveau. 

Cette conduite de la Sagesse éternelle a dans les siècles 
passés, aussi bien que dans le nôtre, servi de guide aux 
grands hommes du Christianisme, et leur a fait juger qu'ils 
travailleraient plus utilement s'ils remettaient le plus ancien 
et le plus célèbre Institut de Religieux dans la splendeur 
qu'il a eue lors de son origine et de sa naissance, et retra- 
çaient sur la face de cet Ordre qui était si défigurée sa 
beauté première et naturelle, que s'ils y ajoutaient de nou- 
veaux traits, et des couleurs étrangères. 

Et certes, lorsque l'antiquité se trouve établie par une 
sagesse toute divine, qu'elle a été éprouvée par un long 
usage de plusieurs siècles, et qu'elle a acquis l'approbation 
publique par les bons effets qu'elle a produits, elle doit être 
préférée à toute sorte de nouveauté. 

Et je ne puis assez m'étonner que quelques-uns aient tant 
d'amour pour eux-mêmes, ou tant de mépris pour les 
autres, ou tant de vaines appréhensions pour l'avenir, qu'ils 
aiment mieux être seuls à bhlmer des entreprises si saintes, 
que de joindre leurs applaudissements aux louanges qu'elles 
reçoivent des personnes qui les favorisent. 

Mais puisque la justice a trouvé autrefois des accusateurs, 
et que l'on a voulu faire croire que c'était une perfection de 
la nature que d'être chauve, la piété peut bien trouver des 
censeurs : Et je m'efforcerais de leur inspirer l'estime qu'ils 
doivent avoir d'un dessein si pur et si glorieux, en le louant 
autant qu'il le mérite, si je ne craignais comme saint Au- 
gustin a dit en une pareille rencontre ^ que si j'employais 
les lumières du discours et les ornements d'un panégyrique, 
je donnerais lieu de croire que le sujet aurait eu besoin de 
cet éclat emprunté, et qu'il n'aurait pas eu assez de sa seule 
beauté naturelle pour plaire à des juges équitables. 

Mais afin de contribuer ce que je puis pour vous aider un 
peu dans vos principaux exercices par lesquels vous tendez 
vers le ciel, j'ai résolu de vous dire quelque chose, autant 

i. De moribus EccL, ch. 32. 



i 



APPENDICE II 197 

que ma faiblesse me le peut permettre, non de rexcellence 
ni de la réformatioa de la discipline monastique, mais de la 
corruption et du renouvellement de l'esprit humain, qui est 
tout le fruit de la discipline régulière; et d'expliquer en 
détail de quelle manière il est tombé dans la corruption, et 
quelle est la voie la plus courte par laquelle il peut retourner 
à son principe, et recouvrer la perfection et la pureté de 
son origine. 

En quoi je tâcherai, autant que Dieu m'en fera la grâce, de 
marcher sur les pas, et d'employer même les paroles de 
celui qui a pénétré davantage dans les replis les plus cachés 
du cœur de l'homme, et dans les mouvements les plus se- 
crets et les plus imperceptibles des passions, je veux dire de 
saint Augustin; afin que sous l'autorité d'un si grand Docteur, 
dont je recueillerai les pensées qui sont répandues en divers 
endroits de ses œuvres, je ne craigne point d'avancer rien 
témérairement, ni vous de recevoir avec trop de déférence, 
et si vous voulez passer plus avant, de suivre avec trop 
d'ardeur des règles si pures et si chrétiennes. 



COMMENCEMENT DIT DISCOURS 

Lorsqu'il plut à Dieu, dont la bonté est aussi infinie que 
la grandeur, de tirer de la source inépuisable de ses grâces 
et de sa puissance une créature, qui bien que terrestre fût 
néanmoins digne du ciel tandis qu'elle demeurerait unie à 
son Créateur, il lui donna une âme immortelle qu'il mit dans 
un corps qui pouvait, s'il eût voulu, ne point mourir. 

Il donna à cette âme la lumière de l'intelligence, et la 
liberté de la volonté ; et à l'être de la nature, il ajouta le 
don de la grâce, par laquelle il contemplait de l'œil très pur 
et très clair de son esprit la vérité immuable, et était uni et 
attaché à son auteur d'une affection toute sainte et d'un 
amour tout divin. 

Y avait-il rien alors parmi les créatures de plus grand que 
lui, puisque étant joint au premier principe de toutes choses, 
il s'élevait dans l'éternité de cette lumière incompréhen- 



4 



198 LA PENSÉE DE PASCAL 

sible ? et y avait-il une connaissance plus parfaite que la 
sienne, puisqu'il était éclairé de la lumière de cette éternité 
bienheureuse ? 

Cette union et cette intelligence produisaient une joie et 
un plaisir ineffable dans son esprit par la possession d'un si 
grand bien, et la vigueur de Ti m mortalité dans son corps: 
et ces deux grâces suprêmes conservaient une profonde 
paix dans les deux parties dont il était composé, et donnaient 
le moyen à son esprit de suivre Dieu sans aucune résistance, 
et à son corps de suivre son esprit sans aucune peine. 

Il ne lui manquait rien de tout ce qu'il pouvait désirer et 
posséder légitimement, et il n'y avait rien qui pût troubler sa 
félicité intérieure et extérieure; mais il n'était pas encore 
affermi dans cet état par cette dernière fermetr qui lui eût 
fait aimer cette sagesse divine jusqu'à s'oublier soi-même, 
et jusqu'à oublier encore sa propre grandeur, en la compa- 
rant avec cette grandeur infinie : de sorte qu'ayant com- 
mencé à s'apercevoir de son bonheur, et à reconnaître quel 
il était, il fut ébloui et charmé de sa beauté; il commença à 
se regarder avec plaisir; et par ce regard qui le rendit 
comme l'objet de ses propres yeux, et détourna sa vue de 
Dieu pour la tourner toute sur soi-même, il tomba dans la 
désobéissance. 

Car il ne fit pas remonter, comme il devait, le ruisseau qui 
lui paraissait si agréable, vers la source d'où il était sorti, 
mais il se détacha de son auteur; il voulut n'être plus qu'à soi, 
et se gouverner par sa propre autorité, au lieu de recevoir la 
loi de celui qui la lui devait donner. 

Il se perdit de cette sorte, en voulant s'élever contre l'ordre 
de la nature et de la raisun : n'y ayant point d'élèvement plus 
extravagant et plus injuste que de quitter le principe suquel 
on doit demeurer inséparablement attaché, pour se rendre 
comme le principe de soi-même, la règle de sa vie, l'origine 
de ses connaissances, et la source de sa félicité. 

Et qu'est-ce que l'orgueil, sinon que le désir de cet injuste 
grandeur? et d'où vient ce désir sinon de l'amour que 
l'homme se porte? et à quoi se termine cet amour, sinon à 
quitter ce bien souverain et immuable que l'on doit aimer 
plus que soi-même? 



APPENDICE II 199 

Ainsi l'orgueil ayant corrompu la volonté de Thomme, 
comme si par cette enllure ses yeux se fussent fermés et 
obscurcis, les ténèbres se formèrent en même temps dans 
son esprit; et il devint aveugle jusqu'à tel point, que Tun des 
deux crut que le Serpent lui disait la vérité, et l'autre, que 
se rendant compagnon dans le crime de celle qui était sa 
compagne dans sa vie et dans son bonheur, sa désobéissance 
au commandement de Dieu ne serait qu'une faute pardon- 
nable. 

Enfin, après qu'il eut perdu les plaisirs de cette félicité 
spirituelle, il en rechercha de charnels et de grossiers dans 
les choses les plus basses, ^uc, dit l'Ecriture ^ 'prit du fruit 
de rarbre, et en mangea, et en donna à son mari lequel en 
mangea aussi. 

I/homme perdit en cette manière la possession de cette 
éternité si haute et si élevée, de cette vérité et de cette sagesse 
si immuable, et de ces délices de l'esprit si pures et si excel- 
lentes, et ayant voulu se rendre le principe de sa grandeur, 
de sa connaissance et de sa félicité, il devint superbe, curieux 
et sensuel, et engagea toute sa postérité dans ses dérègle- 
ments et dans ses vices. 

Car s'étant vu abandonné à lui-même aussitôt qu'il eut 
l'expérience du bien et du mal, il sentit sa pauvreté; et ce 
sentiment le porta à vouloir imiter, mais par une imitation 
déréglée et pleine d'aveuglement, la grandeur, la science et 
la béatitude «livines qu'il avait goûtées et auxquelles il avait 
été uni par cet état admirable de gloire, de lumière et de 
bonheur. Il devint esclave de ces trois passions désordonnées 
qui lui inspiraient sans cesse un désir ardent de réparer la 
perte qu'il a faite, et de recouvrer la félicité qu'il a méprisée, 
cherchant ainsi la consolation de son malheur dans l'ombre 
de ces grands biens dont il avait une véritable et une parfaite 
jouissance. 

Ce sont là les derniers efforts de l'homme blessé d'une 
plaie mortelle. Ce sont les derniers mouvements d'un corps 
qui n'a plus qu'un peu de vie, par lesquels il témoigne qu'il 

l. Gènes. y 3. 



'4 



200 LA PENSEE DE PASCAL 

n'est pas encore tout à fait mort. Et enfin ce sont là les 
trois sources de tous les vices et de toute la corruption de 
rhorame, selon la doctrine constante et perpétuelle de saint 
Augustin K 

Et certes il n'y a point d'espèce de tentation dont Je diable 
se serve pour fouler aux pieds ceux qu'il a fait tomber, ou 
faire tomber ceux quï sont debout, qui ne soit comprise 
dans l'étendue de l'orgueil, de la curiosité, ou des plaisirs 
sensuels. 

Car depuis qu'il a éprouvé la force de ces armes par 
l'extrême facilité avec laquelle il remporta la victoire sur le 
premier homme, il les a commo dédiées et consacrées à la 
perte et à la ruine de tous les hommes. 

Par ces paroles. Du jour que vous mangerez de ce fruit, il a 
imprimé jusque dans les moelles et dans tous les organes, 
de la chair le sentiment et le désir des voluptés les plus 
basses ; par les paroles suivantes, Vos yeux seront ouverts, et 
vous connaîtrez le bien et le mal. il leur a inspiré une curio- 
sité toujours inquiète; et par ces dernières, Vous serez comme 
(les dieux, il a versé dans leurs cœurs le venin si pénétrant et 
si caché de l'orgueil 2. 

Et c'est pour cela que notre Roi étant venu^ pour guérir 
l'homme de res trois blessures, a été attaqué en ces troi* 
manières, et a rompu la pointe de ces trois flèches par le 
bouclier de sa vérité, alin que ses imitateurs ne craignissent 
plus les armes par lesquelles ils avaient été vaincus. 

Le diable le tenta par la volupté de la chair, lorsqu'il lur 
demanda qu'il changent les pierres en pain; par la curiosité 
de savoir et de connaître, lorsqu'il le voulut porter à tenter 
Dieu, et à éprouver si les anges le soutiendraient; et enfin 
par l'orgueil, lorsqu'il lui promit tous les royaumes du 
monde : ayant gardé pour faire tomber le Créateur le même 
ordre dont il s'était servi pour faire tomber la créature. Le 
diable employa toutes ses machines, et épuisa tout son arse- 



1. De vera relig., chap. 38; Confess., I. m, chap. 8; et ailleurs^ 

2. Gènes. ^ 3. 

3. Mafth., 4. 



APPENDICE II 20* 

nal dans ces trois attaques; et c'est pourquoi l'Évangile ditr 
Toute la tentation étant finie, le diable se relira de luiK 

Ce sont ces trois passions que l'apôtre saint Jean a mar~ 
quées divinement et en peu de paroles, lorsqu'il a dit : 
Qu'il ny a rien dans le monde que concupiscence de la chair j 
concupiscence des yeux, et orgueil de la vie^. Et quiconque les- 
examinera avec soin, reconnaîtra que toute l'impureté qui 
corrompt le corps et l'esprit de l'homme, et tous les crimes 
qui troublent la société humaine, découlent de ces trois^ 
sources, et que ces ruisseaux se sèchent, lorsque ces sources 
sont arrêtées. 

Car qu'y a-t-il autre chose dans tout l'homme que le corps 
et l'âme? et qu'y a-t-il dans l'âme que l'esprit et la volontét 
Or la volonté a reçu l'impression de l'orgueil, l'esprit celle 
de la curiosité, et le corps celle des désirs de la chair. 

Je sais bien qu'il y en a qui croient que l'apôtre a voulu 
marquer la passion des richesses par la concupiscence des 
yeux ; et d'autres qui sont en peine de savoir sous laquelle 
des trois espèces on la doit mettre. Mais l'avarice n'est Jamais- 
la première passion, le bien n'étant désiré que pour satis- 
faire à l'une de ces concupiscences, ou à deux, ou à toutes 
les trois ensemble, et servant de ministre et non de chef aux 
mouvements vicieux, soit de l'esprit, soit du corps. 

Et c'est pour cela que toutes les personnes vertueuses qui 
travaillent à purifier leur âme et à renouveler leur esprit 
selon l'image de celui qui Ta créé, doivent s'étudier à re- 
connaître la nature et les effets de ces passions, et s'instruire 
avec soin de l'ordre et des règles qui sont établies pour les 
guérir, afin qu'elles puissent recouvrer la pureté qu'elles ont 
perdue. 

PREMIÈRE PARTIE 

Des voluptés de la chair 

La concupiscence de la chair est le premier ennemi que 
l'on trouve à combattre lorsque l'on entre dans la voie de 

1. Luc, 4. 

2. Joan.y 2. 



202 J.A PENSEE DE PASCAL 

celte réformation spirituelle ; et c'est aussi la première 
passion que tous ceux qui d(^sirent d'être vertueux tâchent 
de régler et de dompter par le frein de la tempérance, étant 
la plus grossière et la plus sensible à ceux qui s'efforcent de 
passer des ténèbres dans la lumière, et la plus aisée à vaincre 
à ceux qui sont faibles. 

Elle est appelée la concupiscence ou le désir de la chair, 
parce que le plaisir vers lequel elle se porte avec violence se 
ressent dans la chair, et entre par les cinq sens comme par 
autant de portes. 

Car l'esprit de Thorame ayant malheureusement perdu le 
sentiment des délices intérieures, se répand dans les exté- 
rieures, s'efTorçant de retenir au moins par les sens cor- 
porels, qui sont les plus basses et les plus grossières de ses 
puissances, ce plaisir céleste qui l'abandonne, ou d'en 
récompenser la perte par d'autres plaisirs. 

C'est là que la volupté règne comme dans son empire ; et 
tous ceux qui vivent selon la chair combattent sous ses 
enseignes, comme ceux qui vivent selon l'esprit lui résistent 
pour la dompter et pour la vaincre. 

Mais encore que l'amour de la tempérance nous empêche 
de nous abandonner à ces plaisir s, néanmoins l'âme combat 
elle-même ses saintes intentions par les mouvements déré^ 
glés qui l'agitent et qui la troublent, et un certain désir de 
volupté la pousse, quoique avec répugnance et contre sa 
volonté même, à la jouissance des choses où l'ardeur de son 
inclination la porte. 

Ce mouvement si violent n'est rien (junne passion générale 
et un désir déréglé de ressentir en quelque manière que ce 
soit les plaisirs qu'il n'est pas permis d'aimer. Et cette jiassion 
de la volupté, par quelque porte Je nos sens qu'elle s'efforce 
d'entrer dans notre âme, est entièrement contraire à 
Tamour de la sagesse, et ennemie des vertus. 

L'unique règle que Ton doit suivre pour la pouvoir vaincre, 
est cette règle si abrégée de la vie chrétienne, laquelle saint 
Augustin a marquée à plusieurs endroits de ses écrits, et éta- 
blie sur des fondements inébranlables, bien que quelques- 
uns ne l'aient pu entendre, ou qu'ils l'aient même improuvée : 



APPENDICE II 203 

Qu'encore que Ton puisse faire beaucoup de choses comme 
en passant par la volupté, on ne doit rien faire néanmoins 
pour la volupté par Tinstinct de cette passion déréglée que le 
péché a gravée dans nous. 

C'est là répreuve de la vertu des Saints, et la carrière 
pénible de leurs exercices et de leurs combats : Car lorsque 
les nécessités de la vie nous obligent à user de la volupté qui 
est jointe aux sens du €orps, pour faire quelque chose de 
bon et d'utile en passant par elle sans s'y arrêter, il arrive 
souvent que nous en abusons, et que nous nous y attachons 
de telle sorte, que nous n'agissons plus que par elle. Et au 
lieu qu'il faut user des sens corporels selon les besoins de la 
nature, et non selon la concii^iscence, c'est-à-dire qu'il en 
faut user pour le discernement des choses que nous devons 
approuver ou improuver, prendre ou rejeter, désirer ou 
fuir comme salutaires ou pernicieuses pour la conservation 
de notre corps et de notre vie, ce plaisir dangereux se pré- 
sente à nous, et parait d'abord comme un serviteur qui suit 
son maître ; mais souvent il fait tant d'efforts pour le devan- 
cer, qu'il nous porte à faire pour lui ce que nous voulions 
faire pour la seule nécessité. Ce qui arrive principalement à 
cause que la nécessité n'a pas la même étendue que le plai- 
sir, y ayant assez pour le nécessaire, lorsqu'il y a peu pour 
l'agréable. 

Et ainsi ce mouvement désordonné formant des nuages 
dans notre esprit, nous ne pouvons juger qu'incertainement 
si c'est encore le besoin que nous avons de nos sens qui 
nous conduit, ou si c'est l'enchantement trompeur de la 
volupté qui nous emporte ; et l'ûme qui est charnelle se 
plaît dans cette incertitude : elle se réjouit de ce que les 
bornes qu'elle ne doit point passer ne paraissent pas, afin 
qu'elle satisfasse la passion du plaisir, sous l'apparence spé- 
cieuse de la seule nécessité. Et ainsi au lieu qu'usant de ses 
sens elle ne devait sentir du plaisir que parce qu'elle était 
contrainte de passer par la volupté, n'y ayant point d'autre 
passage, elle reconnaît à la fm que la concupiscence a rendu 
celte volupté l'objet et le but de son sentiment. 

Le discernement de cette illusion n'est pas difficile dans 



204 LA PENSEE DE PASCAL 

Tabsence des choses que nous désirons, lorsque nous en con- 
sidérons la cause avec soin, et que nous examinons si 
c'est la nature qui nous demande ce qui lui est nécessaire^ 
ou si c'est la volupté qui nous flatte. Mais dans la présence 
des choses qui plaisent à nos sens, on ne saurait assez 
exprimer combien la passion excite de nuages et de fumées 
dans notre esprit, et en nous obscurcissant les yeux, nous 
empêche de reconnaître si c'est la nécessité ou le plaisir qui 
nous fait agir. 

De là natt ce doute qui arrive d'ordinaire aux âmes reli- 
gieuses, qui, se trouvant émues de dévotion et de piété lors- 
qu'elles entendent chanter un Psaume, sont en peine en 
même temps de juger si c'est la piété qui aime le sens des 
paroles, ou si c'est la passion de l'ouïe qui en aime seulement 
le son : parce que selon la règle très véritable de la vertu 
chrétienne, il n'est pas permis de repaître son esprit ni ses 
oreilles de la seule douceur et de la seule harmonie des sons 
et des voix. 

De là vient encore ce combat, qui arrive tous les jours 
entre la tempérance et la concupiscence, lorsque nous répa- 
rons les ruines de notre corps par la nourriture : étant inex- 
primable combien la concupiscence nous dresse d'embûches, 
et comme elle nous empêche de remarquer quelles sont les 
bornes de la nécessité de la vie pour laquelle nous mangeons 
et nous buvons, comme elle les change, comme elle les 
couvre, comme elle les passe, et comme elle nous fait 
croire que ce qui suffit, ne suffit pas : nous laissant gagner 
par ses attraits et par ses amorces, et nous persuadant que 
nous mangeons encore pour notre santé, lorsque nous ne man- 
geons plus que pour produire des crudités, et des indigestions 
de notre estomac, ainsi que nous l'avouons après, en nous 
repentant de notre faute. Tant il est vrai que la concupis- 
cence ne saurait découvrir ce point et ce terme qui borne 
l'étendue de la nécessité et du besoin, et que l'expérience 
confirme cette parole d'un ancien : Que d'ordinaire le repentir 
suit la volupté ! 

De sorte qu'autant qu'il est aisé de dire que nous pouvons 
faire plusieurs choses avec plaisir, mais comme en passant; 



APPENDICE II 205 

autant il est difficile d'être tellement sur ses gardes dans 
toutes ses actions, que Ton ne fasse rien par le seul mouve- 
ment du plaisir, et pour le plaisir. 

Et cette difQculté est principalement sensible à ceux qui 
ont déclaré la guerre à tous les plaisirs, et qui n'en ayant 
pas la liberté de les retrancher d'un seul coup, à cause des 
nécessités temporelles qui les y engagent, travaillent à les 
réduire dans la modération, et dans les règles de la tempé- 
rance. 

Car où trouvera-t-on un homme, qui étant comme Job 
dans l'abondance de toutes sortes de biens, et qui devenant 
très pauvre en un moment, de très riche qu'il était, demeure 
aussi ferme que lui, aussi immobile, aussi attaché à Dieu, et 
qui montre par ses actions qu'il n'était pas possédé des ri- 
chesses, mais que c'étaient les richesses qui étaient possédées 
de lui, et lui de Dieu ? 

Certes si les hommes avaient cette vertu dans le Christia- 
nisme où nous sommes, on ne se mettrait pas fort en peine 
de nous défendre la possession des biens pour pouvoir 
devenir parfaits : étant beaucoup plus admirable de n'y être 
point attaché, quoiqu'on les possède, que de ne les point 
posséder du tout. Et quiconque résoudra d'employer tous 
ses efforts pour s'élever au sommet de la perfection, laquelle 
consiste au retranchement de ses plaisirs selon la règle 
immuable de la vérité, et travaillera ou à se priver tout à 
fait des voluptés des sens, comme des sons, des couleurs, 
des senteurs, des mets délicats, des autres attraits de la chair, 
ou à les modérer par la tempérance, sera forcé de confesser 
que cette maxime est très véritable. Il éprouvera qu'il est 
de toutes les délices des sens ce qu'il est des richesses; et sa 
propre conscience l'obligera d'avouer, qu'il est plus aisé de 
ne point user de tous ces plaisirs, bien que légitimes, que 
d'en user sans commettre beaucoup de fautes. 



20H LA PENSEE DE PASCAL 



SECONDE PARTIE 

De la curiosité 

Voilà la règle que l'on doit suivre pour savoir ce que Ton 
doit refuser ou accordera celte première passion qui est la 
plus honteuse de toutes, et que l'Apôtre appelle la concu- 
piscence de la chair. Mais celui à qui Dieu aura fait la grâce 
do la vaincre, sera attaqué par une autre d'autant plus 
trompeuse, qu'elle paraît plus honnête. 

C'est une curiosité toujours inquiète, qui a été appelée de 
ce nom à cause du vain désir de savoir, et que l'on a palliée 
du nom de science. 

Fille a mis le siège de son empire dans l'esprit, et c'est 
là qu'ayant ramassé un grand nombre de diiTérentes images 
elle le trouble par mille sortes d'illusions, et ne se contente 
pas d'agir sur lui, mais se produit encore au dehors par tous 
les organes des sens. 

Car le péché a imprimé dans l'àme une passion volage, 
indiscrète et curieuse, qui souvent l'engage même dans les 
périls, et la porto à se servir des sens, non plus pour prendre 
plaisir dans la chair comme auparavant, mais pour faire des 
épreuves, et acquérir des connaissances par la chair. Et d'au- 
tant qu'elle consiste en un désir de connaître, et que la vue 
est le premier de tous les sens pour ce qui regarde la con- 
naissance, le Saint-Esprit l'aappelée l a concupiscence des y eux ^. 

Que si vous voulez reconnaître quelle différence il y a entre 
les mouvements de la volupté et ceux de cette passion, vous 
n'avez qu'à remarquer que la volupté charnelle n'a pour but 
que les choses agréables, au lieu que la curiosité se porte 
vers celles mômes qui ne le sont pas, se plaisant à tenter, à 
éprouver et connaître tout ce qu'elle ignore. 

Le monde est d'autant plus corrompu par cette maladie 

1. Joan., 2. 



APPENDICE II 207 

de Tâme, qu'elle se glisse sous le voile de la santé, c'est-à- 
dire de la science. 

C'est de ce principe que vient le désir de se repaître les 
yeux par la vue de cette grande diversité de spectacles ; de là 
sont venus le Cirque et TAmphithéâtre, et toute la vanité des 
Tragédies et des Comédies ; de là est venue la recherche des 
secrets de la nature qui ne nous regardent point, qu'il est 
inutile de connaître, et que les hommes ne veulent savoir 
que pour les savoir seulement; de là est venue cette exécrable 
curiosité do l'art magique ; de là viennent ces mouvements 
de tenter Dieu dans la religion chrétienne, lesquels le diable 
inspire aux hommes, portant même les personnes saintes à 
demander à Dieu des miracles, par le seul désir d'en voir, et 
non pas par l'utilité qui en doive naître. 

Saint Augustin a été combattu en plusieurs manières de 
ces sortes de tentations; et notre Roi même en a été attaqué. 

Mais qui pourrait exprimer en combien de choses, quoique 
basses et méprisables, notre curiosité est continuellement 
tentée; et combien nous manquons souvent lorsque nos 
oreilles ou nos yeux sont surpris et frappés de la nouveauté 
de quelque objet, comme d'un lièvre qui court, d'une arai- 
gnée qui prend des mouches dans ses toiles* et plusieurs 
autres rencontres semblables, combien notre esprit en est 
touché et emporté avec violence? 

Je sais que ces choses sont petites; mais il s'y passe ce 
qui se passe dans les grandes : la curiosité avec laquelle on 
regarde une mouche, et celle avec laquelle on considère 
un éléphant, étant un effet et un symptôme de la même 
maladie. 

Mais cette passion se glisse encore jusque dans les choses 
sacrées et se couvre du voile de la Religion. C'est elle qui 
nous porte à inventer avec tant de soin, ou à contempler 
avec tant d'ardeur toutes ces nouveautés dans la structure 
des Églises, dans la pompe des cérémonies, et dans toutes 
ces autres choses extraordinaires et affectées, qui font assez 
voir qu'elles naissent de cette maladie, quoique couvertes 

1. Il y a dans le latin Sfellio, un lézard. 



208 LA PENSEE DE PASCAL 

-d'un prétexte de piété, puisqu'elles sont d*autant plus 
-agréables qu'elles sont plus rares et plus surprenantes. 

Et cette envie que nous avons d'entendre ou de dire des 
nouvelles, ne témoigne-t-elle pas assez clairement par Tin- 
-quiétude dont elle trouble la tranquillité de notre esprit, de 
quelle source elle tire son origine? Car pourquoi nous autres 
qui sommes particuliers et qui ne sommes point mêlés dans 
le gouvernement de l'État, nous mettrons-nous en peine de 
savoir ce qui se fait en Asie, quelles entreprises forme la 
France, et quelle princesse le roi de Pologne veut épouser? 
Et enfin quel besoin avons-nous d'être informés de tout ce 
•qui se passe au dedans ou au dehors de notre pays, sur la 
terre ou sur la mer? 

Que si l'exercice d'un ministère public demande que l'on 
soit instruit de toutes les nouvelles qui arrivent, ce n'est pas 
-alors un vain désir de savoir, mais une juste obligation de 
faire sa charge. 

Car en tout en ceci la règle de la vie chrétienne est de 
ne pas changer en une mauvaise et superflue curiosité le 
•soin d'apprendre et de connaître ce (|ue l'on ignore; mais 
de s'en servir pour la nécessité que l'on a d'approuver ou 
d'improuver les choses, alîn d'tUre instruits de ce que nous 
devons rechercher ou fuir, pour vivre chrétiennement et 
nous acquitter de notre devoir. 

Que si cette passion inquiète nous fait passer ces bornes 
qui sont celles de la sagesse et de la modération de Tesprit, 
•doit-on trouver étrange si, lorsque nous sommes revenus à 
nous-mêmes, et que nous nous élevons pour contempler 
cette beauté incomparable de la vérité éternelle où réside 
la connaissance certaine et salutaire de toutes les choses, 
cette multitude d'images et de fantômes dont la vanité a 
rempli notre esprit et notre cœur, nous attaque et nous porte 
en bas, et semble comme nous dire : Où allez-vous étant 
couverts de taches, et si indignes de vous approcher de Dieu? 
où allez-vous? Et ainsi nous sommes punis justement dans 
la solitude, des péchés que nous avons commis dans le com- 
merce du monde. 



APPENDICE II 209 



TROISIEME PARTIR 

De r orgueil 

Notre esprit étant purifié en surmontant ces deux passions, 
sa propre victoire en fera naître une troisième que l'Apôtre 
nomme l'orgueil de la vie*; qui est plus trompeuse et plus 
redoutable qu'aucune des autres, parce que lorsque l'homme 
se réjouit d'avoir surmonté ces deux premiers ennemis de 
la vertu, ou même cette dernière passion, elle s'élève de la 
joie qu'il a de cette victoire, et lui dit: Pourquoi triomphes- 
tu ? je vis encore, parce que tu triomphes. Ce qui vient de 
ce que l'homme se plaît à triompher d'elle avant le temps, 
comme s'il l'avait déjà tout à fait vaincue, au lieu qu'il n'y 
a que la seule lumière da midi de l'éternité qui puisse dis- 
siper ses dernières ombres. 

Il n'est pas croyable combien les âmes vertueuses offrent 
de larmes, de gémissements et de prières à Dieu, et combien 
elles implorent l'assistance de la grâce et le soutien de sa 
main puissante pour pouvoir dompter et comme fouler aux 
piedà cette bête furieuse. 

Car cette parole de saint Augustin est très véritable, Que 
le vice qui le premier a vaincu rame, est le dernier dont elle 
demeure victorieuse; et que le désordre dans lequel elle est 
tombée lorsqu'elle s'est éloignée de Dieu, est le dernier qu'elle 
quitte lorsqu'elle retourne à lui^. 

La raison de cela est, qu'il y a un désir d'indépendance 
gravé dans le fond de l'âme et caché dans les replis les 
plus cachés de la volonté, par lequel elle se plaît à n'être 
qu'à soi, et à n'être point soumise à un autre, non pas 
même à Dieu. 

Si nous n'avions point cette inclination, nous n'aurions 
point de difficulté à remplir ses commandements; et l'homme 

1. .loan.y 2. 

2. Enar. in Psal.^ 7, et Expos. I in Psal., 28. 

i'é 



210 LA PENSEE DE PASCAL 

eût rejeté sans peine ce désir d'indépendance lorsqu'il le 
conçut la première fois : étant visible qu'il n'a désiré autre 
chose dans son péché, sinon de n'être plus dominé de per- 
sonne, puisque la seule défense de Dieu qui avait la domi- 
nation sur lui, devait l'empêcher de commettre le crime 
qu'il a commis. 

Que s'il eût bien considéré cette défense, il n'aurait con- 
sidéré que la volonté de Dieu; il n'aurait aimé que la volonté 
de Dieu; il n'aurait suivi que la volonté de Dieu et Taurait 
préférée à celle de l'homme. 

Mais l'esprit humain s'éloignant de cette sagesse, de cette 
vérité et de cette volonté immuable, à l'empire et à la conduite 
de laquelle il est naturellement soumis, a voulu ne dépendre 
plus que de soi, et ne reconnaître plus cette volonté souve- 
raine et éternelle pour la règle de la sienne ; mais régner 
par soi-même, sur soi-même, et se gouverner par sa propre 
autorité, au lieu de demeurer soumis à celle de Dieu. Ce qui 
certes était le comble de l'orgueil et de l'insolence. 

Et c'est pourquoi il était impossible qu'ayant voulu élever 
s i volonté propre au-dessus de la volonté et de la puissance 
d'un supérieur aussi grand qu'était le sien, cette propre 
volonté venant comme à tomber sur lui, ne l'accablât sous 
le poids de sa chute, et sous la pesanteur de ses ruines. Et de 
là il est arrivé, par une juste punition d'une telle désobéis- 
sance, que l'homme a maintenant de la peine à se soumettre 
à la volonté divine, c'est-à-dire à obéir à la justice. Et on ne 
saurait se convertir à la justice si ce défaut n'est surmonté 
par l'assistance de la grâce ; ni jouir de la paix que la jus- 
tice apporte avec elle, si l'on n'en est guéri par l'opération 
de la même grâce. Ainsi à mesure que notre volonté propre 
diminue par le progrès que l'on fait dans la vertu, on désire 
de dépendre plutôt d'un autre, que d'être maître de soi- 
même, et d'être plutôt gouverné par la vérité et par la volonté 
de Dieu, que par sa propre puissance. 

Car nul saint, d'autant plus qu'il a de sainteté en cette 
vie, ne se réjouit de cette propre puissance ; mais seulement 
de celle de Dieu, qui lui donne le pouvoir de faire tout le 
bien, jusqu'à ce qu'il arrive à cette santé dont l'âme jouira 



APPENDICE II an 

dans la vie future, où personne n'aimera plus sa propre puis- 
sance, ni sa propre volonté, mais où la puissance immuable 
de la vérité et de la sagesse, c'est-à-dire Dieu même, seiu 
tout en tous. 

Ainsi cette plaie peut bien se fermer et se guérir en partie 
avant ce temps. Mais elle ne peut être guérie tout à fait que 
par un miracle extraordinaire de celui qui comme Dieu et. 
comme Sauveur du monde a eu une humilité aussi infinie 
que sa puissance : tant ce dard dont le diable' perça le cœur 
de notre premier père, lorsqu'il lui dit : Vous serez comme des 
dieux ^f a pénétré dans le nôtre, et a laissé sa pointe et son 
fer dans le fond de nos moelles et de nos entrailles. 

C'est une qualité propre à Dieu, et incommunicable à tout 
autre qu'à lui seul, d'être maître de soi-même, de n'avoir 
point d'autre règle que sa volonté, et de se gouverner par 
les seules lois de son pouvoir absolu et souverain. Et il est 
aussi juste comme il est nécessaire, que celui qui n'est 
dominé de personne, domine par sa toute-puissance sur 
toutes les créatures. 

Mais cette première plaie du péché qui a blessé le premier 
homme et l'a rendu comme un esclave fugitif de devant la 
face de son maître, lui a imprimé dans toutes ses afTections 
une ardente passion d'imiter cette souveraineté de Dieu et 
celte éminence de son être ; et d'en tracer une image téné- 
breuse dans ses crimes et dans ses désordres, soit qu'il pèche 
étant seul, soit qu'il pèche étant avec d'autres. Et ainsi Ton 
voit dans la vie de tous les hommes quel était le dessein du 
premier homme lorsqu'il se retira de l'obéissance qu'il devait 
à Dieu : les actions des enfants portant toutes les marques 
de la faute de leur père. 

Et comme les Romains, qui ont été une branche de cette 
souche, voulurent délivrer leur patrie, c'est-à-dire se délivrer 
eux-mêmes de la domination de leurs premiers rois, et en- 
suite se rendre maîtres des autres peuples, n'estimant rien 
si honteux que d'obéir, ni rien si glorieux que de commander : 
De même tous les hommes en général ayant secoué le joug 

{. Gènes., 3. 



212 LA PENSER DE PASCAL 

de cette v<»rité et coite volonté toute-puissaote, se plaisent 
d'abord à <Hre maîtres d'eux-mêmes, et chacun d'eux désire 
ensuite s'il est possible, d'être seul maître de tous les autres. 
Ainsi l'homme violant toutes les règles de la raison et de la 
nature, veut imiter la toute-puissance divine ; et au lieu quil 
n'y ait que Dieu seul qui doive dominer sur toutes les dmeSj ef 
dont la domination soit utile et salutaire^ l'homme, dit excel- 
lemment saint Augustin, veut tenir la place de Dieu, tant pour 
soi que pour les autres, autant qu'il lui est possible ; et il aime 
mieux réyner sur soi-même et sur autrui, que de laisser Dieu 
régner sur ses créatures^. 

De là vient que la passion de l'orgueil à laquelle toute la 
la race des hommes a été abandonnée par une si juste puni- 
tion, afîecte l'unité qui est propre à Dieu, et nous porte à 
rechercher, ou de commander seuls à tous les autres, si tous 
le souffrent par humilité ou par contrainte, ou au moins 
d'être plus élevés que tous les autres, si par un semblable 
orgueil ils ne veulent pas souffrir notre empire. Car nous 
ne pouvons endurer que Dieu seul domine sur nous, et sur 
tous les autres; mais nous voulons dominer sur les autres au 
lieu de Dieu : tant il est vrai ce que dit saint Augustin, Que 
Vhomme ne cherche rien avec plus de passion que la puissance et 
V autorité'^. 

Mais comme il n'y a point de plus grande puissance en 
rhomme que celle que les vertus véritables établissent dans 
Tesprit, ceux qui ont parfaitement appris par l'étude, ou par 
l'expérience, combien il y a de degrés par lesquels on sur- 
monte les vices, reconnaissent aisément que le vice de 
Torgueil est le plus redoutable de tous, et presque le seul 
redoutable aux âmes parfaites : leur étant d'autant plus dan- 
gereux, qu'ils savent y avoir en eux plus de qualités capables 
de les porter à se plaire dans la vue d'eux-mêmes. 

Car n'y ayant rien parmi les créatures de si excellent que 
l'âme raisonnable, c'est une suite comme naturelle, que 
l'âme qui est pure plaise davantage à elle-même que toutes 
les autres créatures. 

1. Lib. 83 q.q., quaest.^ 99. 

2. Tract. 43 in Joan. 



APPENDICE II 213 

Or il serait besoin d'un long discours pour montrer com- 
bien il lui est périlleux, voire pernicieux, de se plaire à soi- 
même, et de tomber ainsi dans cette enflure delà vanité, qui 
la rend malade, jusqu'à ce qu'elle jouisse dans le ciel de la 
vue de ce bien souverain et immuable, par la comparaison 
duquel elle se méprisera elle-même, par Tamour duquel elle 
ne s'aimera plus elle-même, et de l'esprit duquel elle sera 
tellement remplie, qu'elle le préférera à soi-même, non seu- 
lement par la raison humaine, mais par un amour divin et 
un amour éternel. 

Ces sentiments entrent dans l'esprit de celui qui revient à 
soi, lorsqu'il se sent pressé de la faim, et qu'il dit dans son 
cœur : // faut que je me lève, et que faille trouver mon père*, 
ne trouvant rien qui lui soit si contraire dans ce retour, et 
qui lui ferme davantage la porte de la maison de son père, 
que de s'enfler d'orgueil et de vanité par l'amour et l'estime 
de soi-même, et par la fausse opinion de grandeur que l'âme 
s'attribue lorsqu'elle ne jouit pas seulement de la santé. 

De là vient que l'humilité est si honorée dans la cité de 
notre Dieu, et si recommandée à ses citoyens qui sont étran- 
gers sur la terre, et qu'elle est encore si célèbre par l'exemple 
de son Roi, qui est le modèle de toute sorte de réformation. 

De là vient que tous les crimes des méchants, et tous les 
péchés des bons, soit d'ignorance, soit de connaissance, sont 
ou la peine ou le remède de l'orgueil. 

Ce qui est si vrai, que le diable n'eût pas fait tomber 
l'homme dans cette faute si visible et si apparente, et dans 
cette action extérieure par laquelle il viola le commande- 
ment de Dieu, si l'orgueil ne l'eût point fait entrer aupara- 
vant dans l'estime de soi-même. 

Ce fut ce mouvement qui lui fit trouver cette parole, Vous 
serez comme des dieux, si douce et si agréable ^ ; étant très 
vrai, selon l'Écriture, que l'orgueil précède la chute et que 
l'âme s'élève avant qu'elle tombe 3. 

Or cette chute et cette ruine qui se fait au dedans par 

1. Luc, 15. 

2. Genès., 3. 

3. Prov,, 16. 



su LA PENSEE DE PASCAL 

Torgueil précède celle qui se fait au dehors lorsque rhomme 
ne s'aperçoit pas qu'il est déjà tombé par la première. Ainsi 
Dieu lui avait défendu cette action extérieure, qui étant com- 
mise ne pouvait plus se couvrir d'aucune ombre de justice, 
comme l'orgueil a accoutumé de faire ; afin qu'il apprit par 
la confusion que lui donnerait son péché, combien il s'était 
trompé dans l'opinion avantageuse qu'il avait conçue de soi- 
même. 

C'est pourquoi il est utile à ceux qui sont vains de tomber 
dans quelque prché public et visible ; afin que la honte de 
ce péché leur fasse perdre cette bonne opinion d'eux-mêmes 
qui les avait déjà fait tomber avant que leur chute fût 
manifeste. 

Ainsi celui qui disait dnns son abondance: Je ne serai jamais 
ébranlé *j fut guéri par ce remède terrible qu'il reçut de la 
main et de la miséricorde de Dieu. Et ayant éprouvé le mal 
que lui avait causé la présomption qu'il avait eue de sa propre 
force, et le bien que la grâce de Dieu lui avait apporté, il 
dit : Seigneur, votre grâce et votre volonté était le soutien de 
ma force et de ma gloire : vous avez détourné votre visage de moi 
et aussitôt je suis tombé dans le trouble^. Dieu avait retiré de 
lui pour un peu de temps ce qui lui donnait de l'amour- 
propre; afin qu'il sût que ces dons et ces faveurs venaient 
du ciel, et non de lui-mrme, et qu'il apprît à n'en avoir plus 
de vanité. 

C'est ainsi que Dieu guérit cette enflure de l'orgueil lors- 
qu'il exerce sa miséricorde vers une personne, et qui lui 
donne le moyen de se relever; afin que l'âme qui avant sa 
chute n'avait pas voulu, comme elle devait, mettre toute sa 
confiance en la seule grâce de Dieu, revienne à lui après 
cette épreuve de sa faiblesse, et s'attache à son service avec 
plus de confiance et d'humilité. 

C'est pour cela que Dieu permet aussi que ceux mêmes qui 
tâchent de le servir humblement n'ont pas toujours le pou- 
voir d'entreprendre, de faire ou d'accomplir une bonne 
œuvre ; mais se trouvent tantôt dans la lumière et tantôt 

1. Psalm. 29. 

2. Psalm, 29. 



APPENDICE II 215 

dans les ténèbres, tantôt dans le plaisir et tantôt dans le 
dégoût, tantôt dans Tardeur et tantôt dans le refroidisse- 
ment : afin qu'ils sachent que la connaissance et la force 
qu'ils ont dans les actions vertueuses, n'est pas un effet de 
leur propre puissance, mais un don de la libéralité de Dieu, 
et que par cette vicissitude du trouble et du calme de leui* 
esprit, ils se guérissent de la maladie de la vaine gloire. 

C'est pour cela aussi que Dieu qui est infiniment bon, rn) 
donne pas quelquefois à ses Saints mômes, ou une connais- 
sance certaine, ou ce plaisir victorieux de tous les autres, qui 
est nécessaire pour entreprendre une bonne œuvre : afin de 
leur faire connaître par cette épreuve, que la lumière et la 
douceur de l'influence qui rend leur terre féconde en excel- 
lents fruits, vient du ciel, et non pas d'eux-mêmes. 

Et enfin c'est pour cela que quelquefois il diffère tant à 
guérir ses élus mêmes de quelques défauts, quoiqu'ils lui 
demandent leur guérison avec des gémissements, des cris el 
des larmes, et qu'il permet qu'ils tombent et se relèvent 
durant le cours de plusieurs années : de peur que la trop 
grande facilité qu'ils auraient à bien vivre ne les corrompe, 
et qu'ils ne deviennent malades d'un mal plus caché et plus 
dangereux que celui qui les afUige. 

Car en ces rencontres le dessein de Dieu n'est pas de les 
perdre, mais de les rendre humbles. 11 veut empêcher que se 
voyant dans une pleine tranquillité, ils ne disent en leur 
cœur : Toutes ces actions sont Vouvrage de nos mains et de 
notre force, et non du Seigneur^. 

Jugez par là, je vous supplie, combien ce mal est perni- 
cieux, puisqu'il a besoin d'un remède si funeste, et qu'ainsi 
que les médecins chassent le poison par d'autres poisons, 
de même le péché de l'orgueil ne se guérit que par d'autres 
péchés. 

C'est pour cela encore que le même Dieu, dont la bonté 
est infinie, ne veut pas étouffer cet aiguillon de la chair, 
c'est-à-dire des désirs impurs et charnels, dans les hommes 
les plus saints, et qui ont triomphé de toutes les voluptés, dans 
Jes Apôtres mêmes, et dans le plus élevé des Apôtres, quoi- 

1. Deut., 32. 



216 LA PENSÉE DE PASCAL 

qu'il Ten ait prié trois diverses fois, mais le lui laisse jusqu'à 
la mort : parce que dans le misérable état où sont réduits les 
hommes durant cette vie, il y a encore un ennemi encore 
plus redoutable qui est l'orgueil; et que lorsque Ton combat 
cos désirs de la chair, l'esprit reconnaît le péril qu'il court à 
toute heure, au lieu qu'il s'enflerait de vanité s'il était en 
[)aix ou «in repos, y étant sujet par son extrême faiblesse, 
jusqu'à ce que la fragilité humaine soit guérie si parfaite- 
ment, qu'elle ne puisse plus craindre de se corrompre par 
l'intempérance de l'esprit, ni de s'enfler par relèvement du 
cœur : ce qui ne peut être qu'en l'autre vie. 

Cette conduite de Dieu a été figurée par un grand mystère 
dans le peuple Juif, à (|ui Dieu laissa quelques peuples des 
Chananéens qui lui firent longtemps la guerre, et qu'il ne 
dompta qu'avec beaucoup de temps et de peine. 

C'est ce qui nous montre que lorsque Dieu exerce sa 
miséricorde, il modère dans les cœurs de ses enfants les 
excès d'une trop grande félicité, afin de faire tourner à leur 
profit les vices mêmes, et leurs péchés, non seulement lors- 
qu'ils les surmontent, mais aussi lorsqu'ils les craignent, et 
qu'ils les commettent. De sorte qu'il les rend victorieux pour 
signaler la puissance de sa grâce, et permet quelquefois 
qu'ils soient vaincus pour réprimer leur orgueil : sachant 
qu'ils ne pourraient supporter saintement et avec modéra- 
tion la soudaine pros[)érité*de leur victoire, ou qu'ils établi- 
raient dans leur propre force l'assurance de la pouvoir 
acquérir. 

Or, les épreuves de leur faiblesse les tirent de cette erreur, 
parce que lorsqu'ils sentent qu'ils ne peuvent avoir d'eux- 
mêmes ce qu'ils désirent d'avoir et que par cette vaine con- 
fiance en leur propre vertu ils perdent même ce qu'ils 
avaient, ils apprennent parla, d'où ils tiennent tout ce qu'ils 
ont; et cette reconnaissance les [porte à ne se regarder plus, 
mais à regarder celui qui les tire des pièges et des embûches. 

Car ce n'est pas sans un grand et profond secret de la 
sagesse divine, que la vie des justes mêmes est si pleine de 
tentations, est sujette à tant d'erreurs, est environnée de tant 
de pièges, est agitée de tant de périls, est assiégée de tant de 



APPENDICE II 217 

peines, et est accablée de tant de péchés, dont nulle pru- 
dence humaine ne peut se garder, et que nulle industrie ni 
nulle force ne peut surmonter : ce qui a fait dire à l'Apôtre 
avec une grande raison : Qu'à peine le juste sera sauvé ^ 

Et pourquoi le jusie même aura-t-il de la peine à se sauver? 
Dieu a-l-il de la peine à sauver le Juste ? ou Dieu nous envie- 
t-il la facilité do notre salut? Nullement. Pourquoi donc 
souHre-l-il qu'il soit si facile de pécher, et si difficile de 
bien vivre, qu'outre tout ce que je viens de dire les plus 
justes mêmes ont besoin durant leur vie d'un continuel 
pardon des fautes qu'ils commettent continuellement? Je 
sais bien qu'il n'y a pas non plus d'injustice que d'impuis- 
sance en Dieu. Mais je sais aussi que Dieu résiste aux superbes, 
et quii donne sa grâce aux humbles ^. ])ieu, quoi(|ue tout- 
puissant, ne veut pas nous délivrer de tant de maux avec 
facilité, afin de dompter notre présomption et notre audace. 
Ce n'est pas qu'il veuille nous ôter l'espérance de nous 
sauver ; mais il veut nous montrer combien la nature de 
l'homme a été justement condamnée à cause de son orgueil : 
il la laisse dans l'impuissance et dans la faiblesse afin que 
les forces humaines lui manquant, elle soit contrainte 
d'avoir recours à lui comme son unique libérateur ; qu'elle 
quitte cette confiance qu'elle a en soi-même touchant la 
fuite des vices et la pratique des vertus, cette présomption 
qui lui est si naturelle, qui est si profondément enracinée 
dans toutes ses moelles et dans tous ses os ; et qu'elle soit 
forcée de reconnaître le besoin qu'elle a du secours de son 
Sauveur, et d'implorer l'assistance de sa grâce. 

Dieu fait cela dans ses élus, tant par ses faveurs que par 
ses punitions; il leur persuade cette vérité, tant par l'igno- 
rance où il les laisse, que par la science qu'il leur donne; et 
il leur enseigne cette doctrine si salutaire, tant par les 
périls où ils se voient exposés, et par les difficultés qu'ils 
ont à vaincre, que parles fautes et les péchés où ils tombent. 
Et il agit ainsi, à ce que j'en puis juger par la lumière qu'il 
me donne, de peur que selon la parole de l'Écriture ils ne 

1. Petr., 4. 
1. Jacob j \. 



218 LA PENSKE DE PASCAL 

sacrifient à leurs propres rets pour se délivrer de tant 
d'ennemis, et qu'ils ne se flattent après leur délivrauce, au 
lieu de rendre gloire à Dieu qui est leur unique libérateur. 

Ainsi Dieu les étonnant au dehors par tant de difficultés, 
les châtiant par tant de chutes, et les éclairant au dedans 
par son esprit, ils reconnaissent qu'il leur accorde la victoire 
sur le péché lorsqu'ils n'ont point d'orgueil, qu'il la leur 
retarde et la leur rend difficile de peur qu'ils n'en aient, et 
qu'il la leur refuse, lorsqu'ils en ont et à cause qu'ils en ont. 
La frayeur que leur causent les périls qu'ils courent, leur 
sert pour marcher avec plus de prudence sous la conduite 
de la grâce; le trouble et l'abattement que leur laissent les 
difficultés qu'ils sentent dans le combat, leur sert pour sou- 
pirer vers la grâce avec plus d'ardeur; et la honte de se voir 
vaincus et terrassés par le péché, leur sert pour retourner à 
la grâce avec plus d'humilité et de connaissance, et enfin 
voyant que leur propre force pour fuir le mal, et pour 
acquérir le bien et le conserver, n'est (|ue faiblesse, et 
que ce fondement de leur vaine conliance est ruiné de toutes 
parts, ils ne sont plus orgueilleux comme auparavant, et ils 
se guérissent peu à peu de cette maladie de l'âme, afin qu'au 
moins après toutes ces épreuves celui qui se glorifie ne se 
glorifie plus qu au Seigneur *. 

Après cela qui ne louera la grandeur de la sagesse divine? 
qui n'abandonnera tous les moments de sa vie et de sa mort, 
tout le progrès et tout le retardement de la réformation de 
ses mœurs, à une bonté si soigneuse de notre salut, et si 
prodigue de ses faveurs; à un Dieu qui se présente pour nous 
secourir lorsque nous croyons qu'il nous ait entièrement 
abandonnés, et qui nous donne des remèdes d'autant plus 
souverains qu'ils sont plus cachés et plus invisibles, lorsque 
nous désespérons de son assistance? 

Ces détours et ces artifices dont Dieu se sert pour nous 
sauver, ne sont-ils pas merveilleux? Et n'est-ce pas ce que 
ressentait le prophète lorsque troublé par ces sortes de com- 
bats, et comme lassé et ennuyé de ces exercices pénibles, il 

1. Cor., 1. 



APPENDICE II 219 

s'écrie tout d'un coup: Mais, Seigneur Jusqu'à quand ^'i Qu'est- 
ce à dire jusqu'à quand? demande saint Augustin 2. Et il 
introduit Dieu qui répond : Jusquesà ce que vous ayez éprouve 
que c'est de moi seul de qui vous dei:€z attendre toute votre 
assistance : Car si je vous la donnais plus tôt, vous ne sentiriez 
pas le travail et la peine du combat; et si vous ne les sentiez pas, 
vous vous appuieriez avec vanité sur vos propres forces; et cette 
vanité vous empêcherait de remporter la victoire. Il est écrit 
pourtant : « Vous n'aurez pas encore achevé de m" invoquer que je 
viendrai et vous dirai : Me voici prêt de vous secourir, » Mais 
Dieu ne laisse pas de nous secourir lorsqu'il diffère de nous 
secourir; le retardement de son secours est un secours; et sus- 
pendant son assistance, cest en cela même qu'il nous assiste, 
puisque s'il accomplissait nos désirs précipités, nous ne 
pourrions recevoir de lui V7ic santé si parfaite et si accomplie. 



CONCLUSION 

Que ces vérités vous servent de consolation dans vos tra- 
vaux, généreux athlètes de Jésus ! et si dans cette guerre 
que vous avez déclarée à toutes les passions de l'âme, 
desquelles je vous ai peut-être entretenus trop longtemps, 
vous sentez une division et une révolte dans votre esprit, si 
vous-mêmes résistez à vous-mêmes; et si cette résistance 
vous empêche de vaincre cet ennemi que vous avez à com- 
battre, c'est-à-dire vous-mêmes, et de le dompter aussi abso- 
lument que vous le souhaiteriez, ne vous défiez pas pour cela 
de l'amour que Dieu vous porte. Que la douleur d'une 
blessure que vous aurez reçue dans ce combat, ne vous fasse 
pas quitter Tépée ni le bouclier; mais humiliez-vous devant 
Dieu, et croyez que cette conduite de sa providence a été 
l'effet d'une insigne miséricorde qu'il exerce invisiblement 
sur vous, afin de vous guérir d'un autre mal plus secret et 
plus dangereux, et dont sans une faveur tout extraordinaire 

1. Psalm. 6. 

2. Serm. 3 de Verb. apost., c. 7 



220 LA PENSEE DE PASCAL 

et qu'elle est aussi rare qu'elle est éniinente, on ne se 
garantit que par les chutes et par les péchés. 

Guth'issez-vous de Torgueil, dit saint Augustin', et vous ne 
pécherez plus, parce que nous avons d'autant plus d'amour 
de Dieu que nous avons moins d'orgueil. Or l'amour de Dieu, 
qui est la charité, ne commet point de péché, parce qu'i/ ne 
fait point de mal 2, et il efface ceux qu'on a commis, parce 
qu'il couvre la multitude des péchés ^. Mais tenez pour une 
maxime constante que vous ne serez jamais délivrés de vos 
péchés, que lorsque non seulement vous saurez par la foi 
qui est commune à tous les catholiques, ou par la doctrine 
qui est propre aux savants, mais que vous connaîtrez encore 
par expt'*rience, et sentirez par de certains mouvements 
d'amour (|ui proc<»dent du cœur, cette vérité si importante, 
que c'est Dieu qui forme en nous et la volonté d'agir, et VaC" 
complissement de V action * ; que nous ne pouvons rien penser 
de nous-m(>mes comme de nous-mêmes, mais que tout notre 
pouvoir vient de Dieu ; et que perdant ainsi toute la con- 
fiance que vous pourriez avoir en vos propres forces, vous 
n'espériez qu'en la seule miséricorde, quoique vous ne lais- 
siez pas d'agir de toute votre puissance et avec tous les efforts 
qui vous sont possibles 

Appuyez-vous sur le secours de celui dont vous avez 
éprouvé l'amour par la vocation qu'il vous a donnée par un 
institut si excellent ; et dans le dessein qu'il vous a inspiré 
d'établir si utilement une réforme intérieure et extérieure, 
courez avoc allégresse pour emi»orter le prix de sa vocation 
éternelle. 

x\o craignez point les langues de ceux qui traversent une 
entreprise si salutaire, plutôt par passion que par jugement. 
Cet établissement est si saint, que s'ils ont assez d'injustice 
pour le décrier en secret, ils n'auront pas assez de hardiesse 
pour le blâmer ouvertement, de peur que la voix publique 
qui est pour vous, ne s'élève contre eux et ne les condamne. 

1. Tract. '25 in Joan , 1. 8, de Triti., ch. 8. 

2. Cor., 13. 

3. Petr., 4. 

4. Phil., 2. 



APPENDICE II 221 

Continuez seulement comme vous avez si bien commencé. 
Vous vaincrez par votre persévérance ceux qui tâchent de 
vous vaincre par leurs oppositions et par leurs efforts. Ils ne 
résistent que tant qu'ils espèrent qu'on leur pourra céder ; 
et lorsque votre immobile constance les aura vaincus, vous 
aurez pour panégyristes, et possible même pour imitateurs 
ceux que vous avez maintenant pour envieux et pour adver- 
saires. 

Gonsolez-vQUs par cette espérance, et ayez soin d'entre- 
tenir et d'allumer toujours de plus en plus dans votre cœur 
ce feu céleste qui vous embrase. Par ce moyen tous les 
vents et toutes les tempêtes que les médisances des hommes 
ou la malice des démons exciteront contre vous, serviront 
plutôt à enflammer votre zèle qu'à l'éteindre. 

Ayez donc bon courage ; fortifiez-vous en notre Seigneur ; 
préparez-vous à combattre les puissances de l'air, et vos 
propres passions ; dépouillez le vieil homme et en vous 
revêtant du nouveau, reformez-vous par le renouvellement 
de vos esprits et de vos cœurs, qui est le seul but et la fin 
véritable de toute réforme et de toute discipline. 

Mais (le peur que, selon la fragilité commune à tous les 
hommes, votre esprit ne se laisse abattre dans une entre- 
prise si difficile, en se voyant privé de cette fausse consola- 
tion que donnent les plaisirs et les vanités du siècle, donnez 
à Dieu tout cet amour que vous avez tiré des choses du monde. 
Et puisque vous êtes consacrés à son service, rendez-le 
Tunique objet et Tunique centre de toutes vos affections. 

Vous ne sauriez étouffer le désir des voluptés temporelles, 
si vous ne sentez un peu la douceur des éternelles : Goûtez 
et voyez que le Seigneur est doux *, dit le Prophète. Si l'amour 
de Dieu brûle dans vos cœurs, et les remplit de cette dou- 
ceur céleste, il consumera comme un feu toutes les peines 
et toutes les résistances que vous éprouverez en vous-mêmes ; 
et vous surmonterez avec plaisir toutes sortes de difficultés, 
car il n'ya rien de si durni de si pénible, que le feu de Tamour 
n'amollisse et ne surmonte. Lorsque Tâme en est embrasée, 
et que cette flamme divine la ravit en Dieu, elle passe par- 

1. Psalm. 33. 



222 LA PENSEE DE PASCAL 

dessus tous les obstacles, soit intérieurs, soit extérieurs; 
elle s'affranchit des liens et de la tyrannie du corps ; elle se 
détache de la chair et du sang ; et libre de toutes les pas- 
sions terrestres, elle vole avec les ailes si pures dont rameur 
chaste et invincible se sert pour s'élever jusque dans le sein 
de Dieu, jusque dans les bras de cet Époux immortel des 
âmes saintes. Les amants ne trouvent rien de pénible dans 
leurs peines, et ne trouvent point de peines dans leur amour, 
ou ils ne sentent point leurs travaux, ou s'ils les sentent, ils 
les aiment. 

Animez-vous donc de zèle pour la grandeur de cette éter- 
nité qui brille là-haut, pour la certitude de cette vérité im« 
muable, et pour le torrent de ces délices divins ; et vous 
n'aurez plus que du dégoût et du mépris pour cet élèvement 
funeste de la vaine gloire, pour ces désirs inquiets de la 
curiosit('î de savoir, et pour ces attraits impurs de la volupté. 

Vous trouverez en abrégé dans l'amour divin tout ce que 
ces passions cherchent et empruntent des créatures viles et 
périssables. 

Car elles ne cherchent que la grandeur, la connaissance et 
le plaisir. Et y a-t-il rien de si grand et de si sublime que 
cet amour par lequel l'âme, en dissipant les ténèbres des 
choses créées, s'élève dans cette lumière si pure et si calme 
de l'éternité, et en se soumettant à celui seul qui est le prin- 
cipe de la grandeur et de la gloire, regarde toutes les choses 
du monde avec mépris, les considère comme étant au-des- 
sous d'elle, et les croit indignes de posséder ses afFections? 
Y a-t-il rien de si intelligent et de si sage que cet amour 
par lequel on n'aime que la vérité et la sagesse éternelle? 
Et enfin y a-t-il rien de si délicieux que cet amour par lequel 
la source môme de tous les plaisirs se répand tout entière 
dans notre cœur ? Ainsi vous arriverez enfin à un état si 
parfait que ni votre élévation ne sera plus sujette à l'abais- 
sement, ni vos connaissances à l'erreur, ni vos délices aux 
déplaisirs. Ce que je supplie Celui dont l'être est l'éternité, 
dont la science est la vérité et dont la joie est la charité, le 
Père, le Fils et le Saint-Esprit, de vous accorder par sa 
grâce. Ainsi soit-il. 



APPENDICE III 



L AUGUSTINUS ET LES CINQ PROPOSITIONS 



On ne saurait parler de Pascal sans connaître le jansénisme : et 
Ton ne saurait connaître le jansénisme, sans avoir au moins une 
idée de VAugnstinus. M. Brunetière, dans sa remarquable édition 
classique des Provinciales (Hachette, 1891), a donné en appendice 
une table sommaire des trois volumes de cet énorme ouvrage 
^appendice, p. 149-153) ; M. Brunschvicg, dans la non moins remar- 
quable édition des Pensées qu'il a publiée à la même librairie 
(2* édition, 1900), a résmné à son tour ÏAuguslinus (p. 49-53). J'en 
donne ici une analyse janséniste (celle de don Gerberon) qui m'a 
paru exacte et claire : avec ces trois secours, on pourra, me semble- 
t-il, bien comprendre l'essentiel de la doctrine. 

D'autre part, on sait quelles polémiques sans fin se sont élevées sur 
les cinq propositions, soit sur elles-mêmes, leur orig^ine et leur authen- 
ticité, soit sur le sens qu'il convient de leur aitribuer. Pour per- 
mettre aux lecteurs de se faire une opinion personnelle sur ces 
points, je donne ici : 1** les cinq propositions ; 2" les passages de 
VAugtistinus auxquels elles m'ont paru se rapporter le plus exac- 
tement ; 3" enfin l'interprétation que Vécrit à trois colonnes leur 
attribue et déclare orthodoxe. {L'écrit à trois colonnes^ présenté à 
Innocent X par les députés jansénistes, le 19 mai 1653, offre simul- 
tanément en trois colonnes, trois sens différents de chacune des 
propositions : 1* à gauche, le sens hérétique et calviniste qui était 
répudié; 2* à la droite, le sens imputé aux Molinistes ; 3* au milieu, 
le sens selon lequel « ces propositions appartiennent à la foi, sont 
de saint Augustin et indubitables dans sa doctrine ».) Avec cela 
qu'on juge — si Ton se sent assez compétent en théologie pour le 
faire. 



224 LA PENSEE DE PASCAL 



VAUGUSTINUS 

Cornélius Jansenius, docteur en théologie de TUniversitéde 
Louvain, voyant donc qu'on n'avait pu arrêter le cours de 
ces opinions [du P. Moliua et du P. Léonard Lessîus, S. S. 
J.J.]en les déclarant hérétiques et pélagiennes [ par les 
actes de la Congrégation de aiuciliis, où elles auraient été 
« déclarées pélagiennes et rejetées et condamnées comme 
telles », sans que la bulle qui « en fut dressée «ait étépubliée, 
par égard pour la Compagnie de Jésus], crut que le moyen 
le plus efficace pour maintenir la foi de TÉglise, et pour 
défendre la gnlce de Jésus-Christ contre ces nouveaux théo- 
logiens, était de leur opposer le grand saint Augustin, qui 
avait terrassé les anciens ennemis de la grâce, et de qui 
l'Église a tant de fois déclaré qu'on devait apprendre ce 
qu'on doit croire touchant ce mystère. Ce théologien jugea 
donc qu'il fallait composer un ouvrage, où l'on vît clairement 
et distinctement toute la doctrine de ce saint Docteur tou- 
chant la grâce ; c'est-à-dire tous les principes, toutes les con- 
clusions et toutes les preuves, dont saint Augustin s'est servi 
pour expliquer et pour soutenir contre les hérétiques péla- 
giens et demi-pélagiens, d'un côté la décadence et la faiblesse 
de l'homme, et de l'autre, la nécessité et la force de la grâce 
du Sauveur. 

Il joignit à une étude si opiniâtre de très fréquentes et de 
très ferventes prières, demandant au Père des lumières celle 
qui lui était nécessaire pour ne se point égarer, et pour suivre 
sans détour celui que Dieu a donné à l'Église pour être le 
Docteur de sa grâce ; et en même temps la force dont il avait 
besoin pour enseigner et soutenir sa doctrine contre les 
intrigues, les efforts et les violences de ceux qu'il prévoyait 
se devoir élever contre elle, et devoir armer toutes les puis- 
sances contre ceux qui oseraient la défendre : comme on le 
voit dans ses lettres et comme on l'a remarqué ci-devant en 
l'abrégé de sa vie. 



APPENDICE III 225 

Rempli de cet esprit de lumière et de force, il vint enfin 
heureusement à bout de son dessein. Et comme il ne pré- 
tendait rien avancer de soi-même, mais être l'interprète de 
saint Augustin, et rapportersessentiments avec toute l'exacti- 
tude et la fidélité possible, il pensa qu'un rcrit, où il ne prê- 
tait que sa plume à cet incomparable Docteur, ne devait point 
avoir d'autre titre que celui-ci : r Augustin de Cornélius Jansc- 
7iius, dvéque cVIpre : CoB:^KLn Jansenii, Episcopi Iprensis, Augus- 
TiNus^. H divisa cet ouvrage en trois parties ou tomes. 

Dans le premier'-* qui contient huit livres •^ il s'occupe à rap- 
porter distinctement tous les points de l'hérésie tant des péla- 
giens que des demi-pélagiens, pour faire voir en quoi cette 
hérésie consistait ; d'où il était aisé de voir les rapports que 
cette hérésie et les opinions des théologiens qu'on appelle 
Molinistes, ont entre elles. 

Dans le second tome ^, il monlre: 1** en forme de ques- 
tion préliminaire*^ que les vérités chrétiennes ni nosmystères 



1. Exactement : Cornelu Jansemi Episcopis Ifkensis AunusTiNus, 
sive doclrina sancli Aurfustini de humanap nalurae sanilale, œrjri- 
Ludine^ medicina, adversus Peloffianos et MassilienseSj tribus tomis 
comprehensa. 

2. ToMUS PRIMUS, in quo hœres'is et mores Pelagii contra naturae 
hiimanœ sanîtatem, œfjritudinem et medicinam ex sancto Auqus- 
tino recensentur. 

3. Un livre d'histoire (i) ; un des erreurs des Pélagiens sur la 
nature du premier homme (ii), à quoi répond le De statu naturae 
innocentis du tome second; un de leurs erreurs sur la nature 
déchue (in), à quoi répond le De statu naturœ lapsœ du tome second; 
un de leurs erreurs sur le pouvoir qu'aurait la nature humaine de 
pratiquer la vertu par elle-même (iv), à quoi répond le De statu 
naturœ purœ du tome second ; un sur les trois états du Pélagia- 
nisme avant sa condamnation : <c Ethnicismus, seîni-etfmicismus, 
Judaismus » (v); trois sur la nouvelle forme qu'a prise le Pélagia- 
nisme depuis sa condamnation : « Seml-christianis7nus, semi-pela- 
(jianismus » (vi, vu, viu). 

^. ToMcs SECCNDUS, in quo fj e nui nn sent entra sancti Augustini.de 
humanae naturae stantis, lapsœ^ purœ statu et viriljus^ eruitur et 
expllcatur. 

V). Liber proœmialis, in quo limites humanœ rationis in rébus 
theohgicis induffantur^ et aucforitas sancti Auf/ustini in tradendo 
mt/sterio prœdestinalionis et fjraliœ declaratur. 

lu 




'2'ltf LA l'ENSEE DE PASCAL 

et surtout celui de la gr;ke ne sont pas du ressort de l'esprit 
naturel, mais dépendent d'une autorité supérieure, et qu'on 
n'en doit pas Ju^er par des raisonnements humains, mais par 
des lumiêr»is plus pures et plus sûres, qui se tirent de l'Écri- 
ture, des Conciles et des saints F'crres * ; 2* que TÉglise recon- 
nait saint Augustin j»our son Docteur en la matière de la 
la gtàce, et «ju'ell • n'a p<^»int il'aiitre doctrine sur ce mys- 
tère, que celle de ce grand saint ; 3" que par conséquent 
pour ne point s'écirter de la foi et de la doctrine de 
l'Église au sujet de la grâce, on doit suivre exactement et 
sans écouter les raisonnements de l'esprit humain, ce que 



lEcrilure >ainte nous en découvre, et que les Conciles en 
ont détini, et c»* «pie saint Aucfustin. avec les saints Pères qui 
l'ont suivi, nous en a enseiîrni*. Ensuite il traite de la grûce 
et dubonheurdes aimes ^t de l'hommeavant sa chute*, rédui- 
sant dans un bel on Ire tout ce que ce saint nous en a dit. et 
répon<lant à tout ce qu'on lui pouvait opposer. De là il 
passe à l'état de l'homme crimin<=»l et misérable^, expliquant 
par saint Augustin la nature et ces suites funestes du péché 
uricinel ; et comment tous les hommes naissent criminels et 
esclaves du péché, demeurant sous la domination de la con- 
cupiscence et dans les ténèbres d** l'ignorance, jusqu'à ce 

1. Quand on a vu combien Pascal était imbu dés l'enfance de 
l'idée de l.i séparation fie la raison et de la foi, on ne peut s'em- 
pêcher de trouver (\\\"i\ y avait romme une harmonie préétablie 
entre VAwju-^Unus et lui Peut-être ^l'ailieurs M"* Périer a-t-elle été 
précisément aine)[iée par son jansénisme, sinon à exagérer l'impor- 
tance de cette doctrine en son esprit, du moins à la faire plus 
explicitement et plus constamment consciente qu'elle ne l'a été en 
effet jusqu'à 1 1 première conversion. — « Autant qu'aux lecteurs 
des Provincial es ^ nous recommandons à ceux des Pensées le cha- 
pitre VI de ce Livre préliminaire : <i Duplex modus penetrandi m\'s- 
« teria Dei, tiumana ratione et charitate [cestrk-dïre par la raison 
1 et par le cœur] : ille periculosus est, proprius philosophorum. 
( istc tutus christianorum... i> Ainsi qu'on le voit, c'est le fond 
même de ce qu'aurait été VApolorjie de Pascal. »(BRL'7rETiÊiiE. édition 
classique des Provinciales. Hachette, 1891, p. 151, note.) 

2. ffe sfahi nnLurip inîiocen'ii un livre. 

'.',. Vf h: n tu nnluiip /njf.a/' : qmlrfr livtv> : un sur le péché origi- 
w\ I ; un siir l*.s \tf'\rji< du p'^c'.ié ori;iriiiel u;; deux sur le libre 
arbitre dcpui.> in p'jciié m et IV;. 



APPENDICE ni 227 

que la grâce du Sauveur les éclaire, et les délivre de ces 
ténèbres et de cet esclavage. Enfin il vient à l'état que 
Icîs théologiens appellent de pure nature ^, et il fait voir 
évidemment que c'est renverser tous les principes de la doc- 
trine que saint Augustin a soutenue jusqu'à la mort contre 
les pélagiens, et ruiner la nécessité de la grâce, que de 
reconnaître la possibilité de cet état: rien n'étant plus opposé, 
selon ce saint docteur, à la sagesse de Dieu, à sa bonté et à 
sa justice, que de donner l'être à une créature raisonnable, 
en l'abandonnant, tout innocente qu'elle soit, à elle-même, 
sans la vouloir faire jouir de sa gloire, sans lui donner nul 
secours pour y arriver, ou en lui faisant même souffrir les 
misères de cette vie et la mort, qui ne peuvent être que la 
peine du péché. 

Dans le troisième tome 2, Jansenius traite de la guérison de 
l'homme, et de son rétablissement en la liberté qu'il avait per- 
due par le péché. C'est là qu'il rapporte avec beaucoup de 
netteté et de fidélité tout ce que saint Augustin a écrit pour 
expliquer et pour soutenir la nécessité de la grâce, et la pré- 
destination gratuite et a^olue, contre les hérétiques péla- 
giens et demi-pélagiens 3. 

L'on joignit à ce grand ouvrage un écrit *, où Jansenius 

1. De statu naturae purge (trois livres). «Comme Sainte-Beuve 
l'a quelque part observé, Jansenius, dans les deux premiers livres 
de cette partie de son ouvrage, mais surtout dans le second, a ras- 
semblé par avance, contre l'utopie des philosophes du xvni* siècle, 
de Diderot et de Rousseau notamment, tout ce qu'il y a d'argu- 
ments qui démentent la prétendue bonté de la nature humaine. » 

(BRUNETièRE, ibid.) 

2. ToMUS TERTius, iti çuo çenuina sententia profundissimi docto- 
ris Augustim\ de auxilio gratiae medicinalis Christi Salvatoris et de 
praedestinatione hominum, et Angelorum^ proponitur, ac dilucide 
ostenditur. 

3. De gratia Christi Salvatoris, dix livres : cinq sur la grâce 
elle-même, sa nature, son essence, ses divisions, ses effets (i, 11, m, 
IV, v) ; deux sur le libre arbitre (vi et vu) ; un sur la conciliation 
de la pràce et du libre arbitre (vni) ; deux sur la prédestination et 
la réprobation ix et x). 

4. Erroris Massiliensium et ovinionis quorumdam recentionim 
parallelon et statera. « L'on joignit, » dit dom Gerberon; mais il 
ne faut pas entendre par là que ce fût contre les intentions de Jan- 



228 LA PENSEK DE PASCAL 

avait fait un parallèle fort exact des sentiments et des 
maximes de quelques théologiens de la Société, avec les 
erreurs et les faux principes des demi-pélagiens de Mar- 
seille. Et c'est celte pièce qui lui a principalement attiré 
autant d'ennemis (ju'il y a de jésuites, et de théologiens 
enltMés des opinions de ces auteurs : comme on le verra 
dans la suite de celte histoire. 

Quand Jansenius eut achevé son Augustin, sa première 
])ensée fut de la dédier à Urbain VIII qui gouvernait pour lors 
l'Eglise: et il écrivit même une très belle lettre pour Sa Sain- 
teté, au Jugement de laq-ielle il se soumettait, lui et son 
ouvrage, avec un très i)rofond respect et une parfaite obéis- 
sance. Cette lettre ne fut point envoyée, ni même mise à la 
tête de son ouvrage : je n'en saurais deviner la cause. Je croi- 
rais aisém«;nt que Jansenius se sentant subitement attaqué 
de la pesl(», et en peu d'heures proche de la mort, jugea 
qu'il était plus à propos de disposer de son ouvrage et de 
déclarer sa soumission à l'Église par un testament que par 
une simple lettre. Ce qu'il fit en effet un peu avant de mou- 
rir, ayant conçu son testament en ces termes: <' Je, Corneille 
par la grâce de Dieu et du Siège apostolique, évoque d'Ipres, 
donne de ma franche volonté à Héginald Lamée, mon cha- 
pelain, tous mes écrits touchant l'explication de saint Augus- 
tion : tant paice qu'il a eu la peine de les écrire et de les 
dicter, que parce qu'on ne saurait corriger la copie sans 
l'original. Néanmoins je fais cette donation en voulant qu'il 
confère et qu'il dispose de bonne foi d(; l'impression avec 
M. Libert Fromond, recteur magnifuiue, et M. Henri Cale- 
nus, chanoine de Malines. Mon sentiment est qu'on y peut 
diflicilement trouver quelque chose à changer. Si toutefois 
le Saint-Siège veut qu'on y change quelque chose, je suis 

sénius : pour lui, le parallelon fait partie intégrante de VAugustl- 
nus et il y renvoie aux livres précédents de l'ouvrage (voir plus 
loin (|u;itriènie proposition). « Nous avons déjà dit... que c'était 
dans cet Appendice de VAuf/uslinu,<i qu'il fallait voir l'origine même 
du livre. Répétons cependant encore que, dirigé nommément 
contre Molina, Suarez, Vasquez et Lessius, il l'était donc unique- 
ment contre les Jésuites; et qu'il est assez naturel que la Société 
s'en soit émue. ^ ^Bru.netière, ibid.^ p. l'iS.) 



* 

i 



APPENDICE III 229 

enfant d'obéissance, et enfant obéissant de TÉglise romaine, 
en laquelle J'ai toujours vécu jusqu'au lit de la mort. C'est 
ma dernière volonté. Fait le sixième mai 1636. Corneille, 
évêque d'Ipres. » Il y avait mis son sceau. 
Histoire générale du jansénisme, par M. l'abbé*** [dom Ger- 
beron] (Amsterdam 1700), t. I, p. 2-7. 



B 
LES CINQ PROPOSITIONS 



PREMIERE PROPOSITION 



Aliqua Dei prœcepta hominibus justis volentibus, et conan- 
tibus secundum prœsentes quas habeant vires, sunt impossi- 
bilia : deest quoque illis gratia qua possibilia fiant. 



TEXTE DE l'aUGUSTINUS 



HfDC igitur omnia plenissime planissimeque demonstrant, 
nihil esse in sancti Augustini doctrina certius ac fundatius, 
quam esse prœcepta quœdam, quîc hominibus non tantum 
infidelibus, excœcatis, obduratis, sed fidelibus quoque et 
justis, volentibus, conan tibus secundum prœsentes quas 
habent vires, sunt impossibilia; déesse quoque gratiam, qua 
fiant possibilia : hoc enim sancti Pétri exemplo ahisque mul- 
tis quotidie manifestum esse, qui tentaptur ultra quam pos- 
sint sustinere : nec illam implendi talia prœcepta difficul- 
tatem inde profîcisci, quod actus implendi debeal esse super- 
naturalis vcl meritorius, vel aliquid simile (quœ Augustino 
nunquam in mentcm venerunt), sed ex eo quod vires volun- 
tatis infirmœ sunt, propter concupiscentiam a volendo bono 
retrahentem; cujus renisu fit, ut vires voluntatis distra- 
hantur, atque ita homo non plene velit, non intègre velit, 
non tota voluntate velit. Talem autem voluntatem non esse 



230 LA PENSÉE DE PASCAL 

idoneam ut superet alteram vetustate roboratam, quia per 
illani iiondum potest homo tantum velle, quantum sufficit 
ut volendo faciat : poterit autera cum habuerit magnam et 
robustam. Ilanc vero sibi tribuere, non esse potestatis hu- 
manœ, sed sol i us gratia» Dt'i, quam propterea ex fide invoca- 
mus. Ut si forte tentari cœperimus a concupiscentia nostra, 
adjutorio ejus non dcaeramurf ut in eo possimus vincere, ne 
ahstrahamur illecti Jau, 2, de pec. merit. c. 4). Nam postquam 
semel homo in pcccatuni prœcipilatus est, vitium quoddam 
volendi sua voluntnle contraxit, ubiamissis viribus, nonea qua 
vulncmtus est, roluntatis seu volendi facilitate sanatur (ibid.). 
Ad liani' igitur saiiilatem voluntatis assequendam, ut quera- 
adnioduni sul)in<lo in'ccssarium est, fortiter, plene atque 
intègre vello possimus, repugnantis([ue libidinis seu contra- 
riai voluntatis nmlus viucere, graiiam invocamus, hoc ipso 
clarissima voce protll^Mites, déesse nobis sufflcientem ad 
illa pruicepta facienda potestatem. 

Augustinus (éd. de 1652), t. III, De gratia Christi Salvato- 
ris, liv. III, ch. xiii, p. i3Sb-139c 

KCRIT A TROIS COLONNES 

Cette proposition dite « malicieusement tirée hors de son 
lieu et exposée à la ccîusure » est ainsi expliquée : « Quelques 
commandements do Dieu sont impossibles à quelques justes 
qui veulent et (jui s'efforcent faiblement et imparfaitement 
selon l'étendue des forces qu'ils ont en eux, lesquelles sont 
petites et faibles : c'est-à-dire qu'étant destitués du secours 
efficace qui est nécessaire pour vouloir pleinement et pour 
faire, ces commandements leur sont impossibles, selon cette 
possibilité prochaine et complète dont la privation les met 
en état de ne pouvoir effectivement accomplir ces comman- 
dements. Kt ils manquent de la grâce efficace, par laquelle 
il est besoin (|ue ces commandements leur deviennent pro- 
chainement et entièrement possibles ; ou bien ils sont 
dépourvus de ce secours spécial sans lequel l'homme justifié, 
comme dit le (^.oncile de Trente, ne saurait persévérer dans 
la justice qu'il a reçue, c'est-à-dire dans l'observation des 
commandements de Dieu. » 



APPENDICE III 231 



II 



DEUXIEME PROPOSITION 

[nteriori gratiae in statu naturap lapsœ nunquam resistitur. 



TEXTE DE l'aUCUSTINUS 



Quod si quis adhuc luculentiiis naturam gratine Christi rae- 
dicinalis, [c'est-à-dire gratia voluntatis œgrotœ, d'après la 
chute, que Jansenius a montrée bien différente de la gratia 
voluntatis san^n, d'avant la chute : il y a en effet deux sortes 
de secours, le secours sans lequel une chose ne se fait pas, 
<« adjutoriuin sine quo non »>, et. le secours par lequel une 
chose se fait, « adjutorium quo » ; ainsi la nourriture est néces- 
saire à la vie, mais on peut la recevoir sans en user, c'est 
un adjutorium sine ({uo non, la béatitude est nécessaire au 
bonheur parfait et si on la reçoit, par cela même on est 
heureux, c'est un adjutorium quo ; la grâce d'avant la chute 
était un adjutorium sine quo non, la grâce d'après la chute 
est un adjutorium quo(t. IIÏ,1. II, ch. l-4)],prout ab Augus- 
tino intellecta descriptaque fuit, audire expressam, et intel- 
ligere desideret, proprietates ejus genuinaî quibus ab eo 
delineata est, et epitheta quibus depicta, et elogia quibus 
efficacia ejus celebrala est, atlendenda sunt. Yidebit enim 
non talem gratiam ab eo prœdicatam esse, qualem recen- 
tiores nonnulli tradunt, quœ videlicet curiosa exploratione 
voluntatis ac dispositionum ejus indigeat, ne forte pergratiam 
imlsata nolit ac dissentiat : non talem qua? instar alicujus 
habitus, impulsum ad operandum ab ipsa expectet volun- 
late : non talem qua» dominatrici famulando voluntati, vel 
induit, vel non influit, prout imperanti sese determinare vel 
hœreie placet; sed prorsus talem quie simul ac puisât fores, 
rumpit ostia, repugnantemque domat voluntatem, tollit 
omnem ejus resistentiam, rapit eam secum, et ex invita 
volentem ac se determinantem ineffabili sua vitale ac potes- 

tate facit Hanr ergo medicinalis gratia^ naturam non 

lani sorvientem quam dominanlem nutibus fpgrolîe volunta- 



232 LA PENSEE DE 1»ASCAL 

lis, noc talem sine qua non polest a^gra voluntas velle, sed 
(jua Dcus invicto fîicit ut velint, nobis. 
Tome III, liv. II, ch. xxiv, p. 80b-8iâ 

Voir aussi lo cha[)itie xxv : Ejus effîcacissima natura decla- 
ratur ex eo quod nulla prorsim effectu caret, sed eum in omnibus 
quilnis datiir, infaiUihiliter operatur; il commence ainsi : 
H.TDc itaque est vera ratio et radix, cur nulla omnino medici- 
nalis Christi gralia efToctu suo careat, sed omnis effîciat ut 
voluntas volit, et aliquid operotur... (p. 83b). 

Voir enfin le chapitre xxvii : Diiohus scopuHs occurritur, 
qiiomodo nulla Christi gratia effectu careat : itemque cur Au- 
(fustinus loquatur de sola (jraiia efficaci, non sufficiente; Jan- 
senius s'y fait cette objection : Hespondebit fortassis aliquis 
magis in Scholasticorum scriptis, quam Augustin! revolven- 
(lis exercitatus, hœc omnia qUcT produximus, eum de gratia 
tantum efficaci tradidisse, nihil vero iinpedire, quin alia; 
nonnullaî gratiaî per hominis voluntalem effectu careant; à 
quoi il répond: Respondeo nihil veriusdiciposse, quam quod 
omnia quîe hactenus protulimus, de gratia efficaci Augusti- 
nus dixerit atque intellexerit. Cujus rei causa est, quod nul- 
lam agnovit aliam actualem ('Jiristi gratiam, nec agnoscere 
potuerit, nisi régulas omnes fundamentales qubus innixus 
naturam gratia» medicinalis tradidit et explicuit, vellet interi- 
niere (p. 87a). 

Écwrr A TROIS colonnes 

Cette proposition dite «fabriquée et exposée à la censure » 
est ainsi ex})liquée : « On ne résiste jamais à la grâce de 
Jésus-Christ qui est précisément nécessaire pour chaque 
œuvre de piété : c'est-à-dire, elle n'est jamais frustrée de 
l'effet pour lequel Dieu la donne effectivement. » 

IIÏ 

T.noisik.ME riioposrnoN 

Ad merendum et demerendum, in slatu naturœ lapsai, 
non requiritur in homine libertas a necessitate, sed sufficit 
libertas a coactione. 



APPENDICK III 233 



TEXÏK DE L\\rGi;SÏINLS 



Doclrina igitur Augustini est necessitatem illani primam 
[Jansenius au début du chapitre a distingué deux nécessités : 
la première «quai operatur efrectumsuum etsi noiis, seu quan- 
tumcunique renitaris », la seconde « quasimpliciternecesse est 
aliquid fieri sine renisuvoluntatis ))|, prout etiam naturam sic 
explicatam complectitur (ncc aliud est lespectu voluntatis, 
quam quaîdam vis aut violentia aut coactio, qua operatur id 
quod potest, etiara nolente voluntatej capilaliter repugnare 
liberlali eamque funditus periraere ; non autem illam neces- 
sitatem quœ est simul voluntaria, qua scilicet simpliciter 
necesse est aliquid fieri non répugnante sed immutabiliter 
volente voluntate.Mira videbitur Scholasticis ista doctrina, et 
tamen in Augustini principiis est indubilata. Quffî quamvis 
apertissime sequatur ex principiis jam probatis, juxta qua? 
esse liberum arbitrium, non est aliud quam habere actum 
in poteslate, et in potestate habere, non est aliud quam fieri 
quando voîumus, quod omnium maxime in quacumque voli- 
tione locum habet (quemadmodum instantissime docentem 
et inculcantem Augustinum audiviuius), operœ pretium tamen 
est, ipsum illum Doctorem propriis verbis ex propiis principiis 
id ipsum deducentem intelligere, ne quis forte aliquibus 
ratiocinationis prœstigiis sibi illudi putet. 
Tome III, liv. VI, ch. vr, p. 266â 

Voir aussi le chapitre xxxiv : Solvuntur generaliter Scrlpturœ 
Patres et Concilia quœ requirunt indifferentiam ad utrumlihct : 
Jansenius y fait cette constatation : Hominum viatorum non 
solum coactionis expertem esse liberlatem,sed etiam nèces- 
sitatis immutabilis voluntaria», hoc est, eam ad utrumque 
indin'erontem esse, cuni Scripluris, Augustino et Patribus, et 
ratholica fide fatemur perlibenter; mais il répond que si 
c'est là le caractère le plus certain de la liberté dans la créa- 
ture raisonnable, ce n'en est pas la cause ou la raison, et il 
conclut : Quamobrem quando Scriptura?, vel Patres, vel Con- 
cilia, indifferentiam illam agendi boni et mali, et arbitrii 
llexibilitatem ad utramlibet partem urgent, aut judicant, 



234 LA PENSEE DE PASCAL 

aul |Movoranf, per <inam videlicet possimus si volumus beiie 
vol maie vivcre, velle vel nolle, divinop inspiration! libère 
consonlire, eamque abjicere, Deo vocanti libère consentire 
vel (lissentire, certum liberi arbitrii slatum respiciunt, cui 
bujusmodi llexibilitas propria et sempor prœsto est, non 
autom «juasi continiio non osset liberum quicquid hujus- 
modi llt^xibili in utrumlibet potestate caret p. 300 a et b;. 

FÎCniT A TROIS COLONNES 

Cette proj)osition dite «« fabriquée et exposée à la cen- 
sure » est ainsi expliqut*e : c Pour m<''riter et d«'» mériter dans 
IVlat de la natuio corrompue, il n'est point requis en 
rhonjmc une liberté qui l'exempte d'une infaillibilité et d'une 
c«'i titudiî nt*c(îssaire ; mais il suffit (|u'il ail une liberté qui le 
délivre de la conlrainte et qui soit accompagnée du Jugement 
et de l'exercice de la raison, si l'on considère précisément 
l'essence de la liberté et du mérite : quoique à raison de 
l'état où nous sommes en cette vie, notre âme se trouve tou- 
jours dans cetle indifférence par laquelle la volonté, lors 
même qu'elle est conduite et gouvernée par la grâce prochai- 
nement nécessaire et efficace ]>ar elle-même, peut ne vouloir 
pas. Cela est toutefois en telle sorte qu'il n'arrive jamais 
qu'elle ne veuille pas, lorsqu'elle est actuellement secourue 
de cette grâce. 

IV 

QUATRIEME PROPOSITION 

Semipelagiani admittebant pra»venientis gratiœ interioris 
necessitalem ad singulos actus, etiam ad initium iidei, et in 
hoc erant h;eretiri, quod voilent oaiii gratiam esse talem, cui 
posset humana voluntiis resistore vel obtemperare. 



TEXTE DE l'aUUISTIM s 



Per istas ergo naturœ reliqnias, seu superstitem a peccati 
ruina libertatem, hominom dicebant posse credere, posso 



APPENDICE III 23b 

orare, posse desiderare medicum. Atque ita initium fidei, 
seu primos actus fidei, et orationis in sua potestate colloca- 
bant(LiB. 8 de Haer. Pelag. c. 12 et 13). Quae sententia Mas- 
siliensium celeberrime apud Recentiores innotuit, nec hoc 
loco probationis eget, quia copiose alibi tradita est. 

Et quamvis eam tanquam proscriptam jam olim hseresin 
detestentur, quia tamen non satis circumspecte Massilien- 
sium sensa pondérant, id quod generatim et in confuso ex 
catholica fide damnant, in particulari inter opiniones suas 
capitales récépissé vidcntur. Ex professo quippe eodem quo 
Massilienses modo docent, hominem ex istis primœvœ liboi- 
tatis reliquiis posse credere, sperare, medicum desiderare, 
et implorare,' si velit. Nam quod per illam gratiam sine qva 
non, seu sufficientem et congruam, se extra erroris aleani 
constitutos putant, id ipsum non potuit Massiliensesaberrore 
defendere, ut jam alibi diversis locis explicatum est. Talis 
enim gratia, sicut et habitus bonus nulla ralione impedire 
potest, quo minus opus quod sequitur, sit opus liberiarbitrii, 
et humanîP voluntatis effectus non donum spiritale gratin» 
Dei. Quod eliam aliis locis abunde demonstratum est. 
(Vide supra Nota 42 et L. 8 De H^e. Pelag., c. 6, 7 et sqq. 
Vide Lib: DeGrat. primi hom., g. 15 et 10, et Lib. ii De Grat. 
Ghristi Salvat., cap. g.) 
Tome III. Erroris Massiliensum et opinionis quorumdam 

Recentiorum parallelon et statera. Ch. m, note 54, 

p. 465â. 



KGRIT A trois GOLONNES 

Gette proposition dite « fabriquée et exposée à la censure» 
est ainsi expliquée: « Les demi-pélagiens admettaient la 
nécessité de la grâce prévenante et intérieure pour com- 
mencer toutes les actions, même pour le commencement de 
la foi : et leurs sentiments étaient hérétiques en ce qu'ils 
voulaient que cette grûce fût telle que la volonté lui obéît ou 
la rejetât comme il lui plairait, c'est-à-dire que cette grâce 
ne fût pas efficace. » 



236 LA PKNSKE UE PASCAL 



V 

CINUIIKMK TROPOSITION 



Seniipelagiaiuim estdicere Ghristum pro omnibus omnino 
hominibus inorLuiim esse et sanguinem fudisse. 



TEXTE DE L AI'C.USTrM'S 

Quji» sane ciini in Augustini doctrina, perspicua certaquc 
sini, nnllo modo principiis ejusconsentaneumest, utChristus 
Doniinus, vel pro infidoliuin in infidelitate morientium, vel 
pro Jiistorum non perseverantium alterna sajute mortuus 
esso, sanguinein fudisse, semeptisum redemptionem dédisse, 
palreni orasso scntiatur. Scivit, onini quo quisque jam ab 
aîterno pra*destinatus erat, scivit hoc decretum neque ullius 
I)retii oblatione mutandum esse, nec seipsum velle mutare. 
Ex quo factuiii est, ut Juxta sanctissimum Doctorem, non 
magis palrem pro a'terna liberationo ipsorum, quam pro 
diaboli doprecatus fueiit. Sed si cpiid pro illis rogavit pa- 
trern, pro teinporalibus quibusdam justitijoefFectibus rogavit, 
et pro iisdem obtinendis oblulit pretium, fuditque sangui- 
nein suum. Cujus modi oratio et oblatio, quia valde dimi- 
nuta est, panimque reprobis, multum vero praîdestinalis 
prodesl, ut infra declarandum est, liinc fluxit, ut passim in 
scriptis suis Augustinus oblationeni sanguinis et mortis et 
orationum Christ i fere ad solos electos restringere soleat. 
Quemadmodum jam abunde declaravimus. Hinc etiam lluxit 
id de quo supra Jam fusius disseruimus, quod nunquam 
b)cum illum apostolicum, Drus mit omncs hommes salvos 
ficrl, ad omnes omnino liomines extendi ])assus fuerit, sed 
semper ita (quam vis por diversas interpretationes) intelligen- 
dum esse contenderit, ut in solis pra>destinatis efîeclum 
suum voluntas illa sortiretur. Quod quidem tanta docuit 
securitate atque vehementia, ut qui locum de omnibus omnino 
hominibus exponerent generaliter, dicat non intelligere 



APPENDICE III 237 

omnlno qua lociitione hoc ab Apostolo dictum fuerit (In 
Epist. 107). Sicut ergo non voluit voluntatem Dei ad salulem 
omnium omnino hominum extendi, sed illorura duntaxat, 
(jui ex omni gente et lingua, ex omni hominum génère prai- 
destinali sunt, ila nec volUit elîectus istius voluntatis, hoc 
est mortem, sanguinem, i*edempLionem, propiliationera, 
orationem Ghristi ad omnes homines dilatari, sed vel ad 
solos illos qui prœdestinati sunt, quatenus pro œterna et 
totali eorum sainte offeruniur; vel certealiquatenus quoque 
ad ilios qui ratione temporalis fidei aut charitalis, elîectus 
aliquos redemplionis et propitiationis assequuntur. Nam illa 
extensio tam vaga modernorum scriptorum non alio ex 
capite, quam ex ista generali et indifferenti voluntate Dei 
erga salutem omnium, et ex illa sufficientis, gratiaî omnibus 
conferendie preparatione lluxit ; quorum utrumque Augus- 
tinus, Prosper, Fulgentius, et antiqua Ecclesia velut machi- 
nam a semi-pelagianis introductam repudiavit: eo quod 
non alia ex causa excogitata esset, quam ut Deo erga quod- 
libet indifferenter se gerente, et arbitrio, velut in innocentiie 
statu, per suffîcientissimam gratiam ad equilibrium redacto, 
tota discretio hominum, ultimo ex hominibus, hoc est, ut 
olim Prosper (Garm. de Ingrat.) dixit, ex fonte volendi 
peteretur. 
Tome III, liv. III, ch. xx, p. 166b. 

KCIUT A TROIS COLONNKS 

Cette proposition dite « fabriquée et exposée àla censure » 
est ainsi expliquée : « C'est parler en demi-pélagien de dire 
que Jésus-Christ est mort pour tous les hommes, en particu- 
lier, sans en excepter un seul, en sorte que la grâce néces- 
saire au salut soit présentée à tous, sans exception de per- 
sonne, par sa mort; et qu'il dépende du mouvement et de la 
puissance de la volonté d'acquérir ce salut par cette grùce 
générale, sans le secours d'une autre grâce efficace par elle- 
même. » 



APPENDICE IV 



QUELQUES PLANS DES PENSÉES 



Est-il possible de retrouver le plan des Pensées ? C'est ce 
que bien des critiques et des éditeurs se sont demandé de- 
puis la première publication. Je ne le crois point * : s'il me 
paraît qu'on peut raisonnablement se flatter de restituer dans 
ses grandes lignes le dessein général de Pascal, il ne me 
fîemble pas qu'on puisse avec sûreté classer les fragments 
qu'il nous a laissés dans l'ordre qu'il leur eût donné. Beau- 



1. J'éuuméreiai seulement les raisons qu'invoque avec tant de 
fnice M. Brunetièrc {Etudes critiques, 1" série : le Problème des 
pensées de Pascal^ et 2" série : De quelques travaux récents sur Pas- 
cal) contre une pareille tentative : 1° Port-Royal, qui connaissait 
intimement les idées de Pascal, qui l'avait entendu lui-même 
exposer son prni'rt et le but de son livre, qui possédait tous les 
textes et les documents que nous avons conservés et d'autres que 
nous avons perdus. Port-Royal a d'abord tenté de restituer le plan 
de V Apologie^ et s'est vu obligé d'y renoncer. — 2** Les sources exté- 
rieures dont nous pourrions nous servir : l'exposé de M"*' Périer 
dans la Vie de Pascal ^eeXm de Filleau de la Chaise dans le Discours 
sur les pensées de M. Pascal^ le résumé d'Etienne Périer dans sa 
Préface, Y Enl retien arec M. de Saci, qui, selon Havet, est la clef 
des Pensées, ces sources ne sont pas d'accord et ne paraissent pas 
même pouvoir se concilier. — 3" Les indications disséminées dans 
les Pensées ne s'accordent pas non plus toujours entre elles ; beau- 
coup font allusion à des parties, à des chapitres dont il ne reste 
rien : ce* qui semble bien prouver que dans l'esprit de Pascal, le 
plan définitif n'était nullement arrêté. — 4' Ce plan efit-il été arrêté 
et nous lût-il connu, que nous ne saurions en toute sûreté, ni choi- 
sir cniro plusieurs variantes la leçon détinitive, ni faire leur place 



APPENDICE IV 239 

coup pourtant Tout tenté : Frantin (1835), Faugère (1844), 
Aslié (1857), Rocher (1873), Molinier (1877), Guthlin (1896), etc. ; 
et leur nombre même semble prouver la difficulté sinon 
l'impossibilité de la tâche. Ces efforts pourtant ne sont pas 
inutiles ; ils ne nous rendent pas le livre de Pascal, mais cha- 
cune de ces expositions ou de ces éditions, offrant une con- 
ception nouvelle des Pensées, en présente comme un com- 
mentaire succinct. C'est pourquoi il me paraît bon de donner 
ici quelques-uns de ces plans, d'après les sources et les 
principaux éditeurs ou critiques. 



aux pensées rayées par Pascal lui-même, ni rattacher aux chapitres 
auxquels elles se rapportent les citations qu'il avait notées : quanrl 
bien même nous aurions pu relever les murs du monument, nous 
n'en retrouverions pas la distribution intérieure et nous n'oserions 
pas « le débarrasser seulement de ses échafaudages, crainte qu'il 
ne croule». 

A ces raisons si démonstratives, j'ajouterai seulement une cons- 
tatation (le fait. Les diverses éditions qui ont prétendu restituer 
VApolof/ie^ diffèi-ent entre elles, non seulement dans les petits 
détails, mais même dans les grandes lignes : un catholique comme 
le chanoine Hocher voit dans les Pensées un ouvrage d'apologétifiue 
catholique; un protestant comme Astié les tire à lui et au protes- 
tantisme ; un « rationaliste » comme M. Molinier estime au con- 
traire que la partie qui « roule sur des questions obscures de théo- 
logie ou d'histoire religieuse » reste « infiniment au-dessous » de 
l'autre. N'est-il pas évident qu'en lisant les Pensées ordonnées 
d'après ces idées préconçues, nous ne lisons plus Pascal : à chaque 
fois c'est du nouveau, puisque la «disposition des matières est 
nouvelle ». 



240 



LA PENSEE DE PASCAL 



A 



D'APRÈS FILLEAU DE LA CHAISE ET ÉHENNE PËRIER 






Vers 1C58, dans un 
« discours de deux ou 
trois heures », Pascal 
expos.'i <à Port -Royal 
« le plan de tout son 
ouvrage : il r(?pr«''senta 
ce qui devait en faire 
le sujet et la matière, 
il en rapporta en abréfçé 
les raisons et les prin- 
cipes et il expliqua 
Tordre et la suite des 
choses qu'il y voulait 
traiter ». Ses auditeurs 
en furent frappés. Après 
la mort de Pascal ils 
essayèrent de restituer 
cet exposé ; et nous 
Pavons sous une forme 
assez développée dans 
le Discours sur les 
Pensées de M. Pascal, 
par FilleaidelaCiiaisb 
(1072 et édition des Pen- 
sées de 107:1, et dans 
la ]* ré face i>'Étif.nxe 
Péhiek (édition de 1070). 
Sainte-Beuve {Port- 
Kot/aL III, 21j a étudié 
ce plan l'a précisé et 
compl«Hé : le voici 
rrsunié en tableau ; les 
additions de Sainte- 
Beuve sont en italique. 



PREFACE 

J)e la méthode et de l'art de per- 
suader : la raison et le cœur : 
a] Insuffisance des preuves méta- 
physiques, scientifiques, tirées 
de la nature; 
b) Preuves historiques et morales, 
seules efficaces. 

PARTIE I 

PUKPAHATION A LA RKCHERCIJE 

\. Etat de rhomme : 

a) Vhomme devant la nature : 
disproportion. 

b) Nature de Thomme : 

1° V amour-propre ; 
2° Faiblesse ; 

3" (irandeur et misère : 
contrariétés. 

II. h'où nécessité de rechercher la 
vérité : contre rindifîérenco des 
athées. 

PARTIE II 

LA REÇUE lie HE 

I. Impuissance des philosophes. 

II. Fausseté des autres religions. 

III. Le peuple juif: 

a) Ses avantages ; 
h) Son livre : 



APPENDICE IV 241 



io Un Dieu créateur, 
2° Péché originel, 
4° Libérateur promis; 
c) Sa religion. 

PARTIE III 

LA DÉMONSTRATION 

I. Preuves de l'Ancien Testament : 

a) Authenticité et véracité du 

livre (Moïse); 
h\ Miracles; 

c) Figures; 

d) Proi)héties. 

II. Preuves du Nouveau Testament: 

a) Jésus-Christ; 

h) Les apôtres; 

c) Etablissement de la religion; 

(I) La morale : le vrai chrétien. 



16 



242 



LA PENSEE DE PASCAL 



B 



D'APRÈS M- PÉRIER 



Ce plan est très va- 
gue. M"" Périer s'étend 
d'abord très longue- 
ment sur la preuve des 
miracles snns nous en 
indiquer la place (« il y 
a des miracles, il y a 
donc'... etc. »); c'est 
seulementcn terminant 
qu'elle note par quoi 
commençait Pascal 
(« quand il avait à con- 
férer avec quelques 
athées*-... etc. »); dans 
l'intervalle, elle dit 
bien quel genre de 
preuves il n'eût pas 
employées •\ mais elle 
caractérise la religion 
chrétienne sans laisser 
voir nettement quel 
ordre Pascal eût donné 
à cet exposé * ; et si elle 
désigne assez claire- 
ment les preuves mo- 
rales («il ne voulait rien 
dire... où l'homme ne 
se trouvât intéressé de 
prendre part... en sen- 
tant lui-môme •''...etc.»), 
elle formule les autres 
en termes bien peu 
précis (« l'homme se 
trouvait intéressé... en 
voyant clairement qu'il 
ne pouvait prendre un 
meilleurparti*... etc.»). 
— On peut conjecturer 
de là le plan ri-joint. 



- 



PRÉFACE 
Contre rindifférence des athées >. 

APOLOGIE 

L Insuflisance des preuves méta- 
physiques, scientifiques, tirées de 
la nature^. 

H. Les preuves efficaces : 

a) Preuves historiques^ : mi- 
racles, prophéties, figures, 
etc. ; 

b) Preuves morales^ : nature 
de rhomme, sa misère, 
besoin d'un médiateur; 

c) Preuve dupari<^(?). 

lïl. La religion* : 

a) Le Dieu des chrétiens; 

b) Jésus-Christ médiateur et 
modèle ; 

c) Le vrai chrétien. 



APPENDICE IV 



2i3 



D'APRÈS FAU6ÈRE 



Faugère est le pre- 
mier qui ait essayé de 
retrouver le plan de 
Pascal, avec des ren- 
seignements assez pré- 
cis (Frantin n'avait que 
le texte de Port-Royal). 
Voici son plan ; sont en 
italiques, les titres 
ajoutés à ses chapitres 
ou à ses groupes de 
chapitres, pour en indi- 
quer plus nettement le 
contenu. 



Sont éliminées de 
VApologie les pensées 
diverses, sur le vide, la 
géomélrie, la condition 
des grands, les pensées 
sur Vart de persuader, 
Véloquence et le style, 
les pensées sur les Jé- 
suites et les Jansénistes, 
le Pape et VEglise, les 
Provinciales, et les 
pensées sur Vordre. 



PREFACE 

Contre V indifférence des athées 
(Préface générale et notes). 

PARTIE I 

MISÈRE DE l'homme SANS DIEU 

I. Nature de r homme : 

a) Divertissement; 

b) Puissances trompeuses ; 

c) Disproportion; 

d) Grandeur et misère. 

II. Impuissance des philosophes (Sys- 

tèmes des philosophes). 

PARTIE II 

FÉLICITÉ DE l'uOMME AVEC DIEU 

I. Insuffisance des preuves métaphy- 

siques scientifiques, tirées de la 
nature (Préface de la seconde 
partie). 

II. Nécessité de la foi (Que l'homme 

sans la foi ne peut connaître le 
vrai bien ni la vraie justice). 

III. La religion : 

a) Caractères de la vraie reli- 
gion ; 
6) Moyens d'arriver à la foi. 

IV. Les preuves : 

a) Le peuple juif; 

b) Miracles; 

c) Figures; 

d) Prophéties; 

e) Jésus-Christ; 

f) De la religion chrétienne. 



244 



LA PENSÉE DE PASCAL 



D 



D'APRÈS MOLINIER 



Molinier est, après 
Faiif,'ère, le premier qui 
ne soit reporté per- 
sonii('llen)ent au ma- 
nuscrit. Sont en itali- 
ques les titres ajoutés 
à ses (chapitres ou à ses 
^roupf's «le clia[)itres 
pour en in<iiquer plus 
netteuient le contenu. 



PREFACE 

Contre Vindifférence des athées (Pré- 
face générale et notes). 

PARTIE I 

MISÈRK DK l'homme SANS DIEU 

I. L homme devant la nature (Dispro- 

portion ). 

II. Nature de r homme : 

a) Divertissement; 

6i (irandeur et misères; 

c) Puissances trompeuses et 
imagination ; 

r/j Justice, coutumes et préjugés ; 

e) Faiblesse, inquiétude et dé- 
fauts. 

PARTIE II 

FKLICITK DK l/llOMME AVEC DIEU 

I. Insuf/lsance des preuves métaphy- 

siques, scientifiques, tirées de la 
nature (Préface de la seconde 
partie). 

II. Nécessité de rechercher la vérité. 

III. Impuissance des philosophes. 

IV. Fausseté des autres religions (Pen- 
sées sur Mahomet et la Chine). 

V. Les preuves : 

a) De l'Ancien Testament : 
1° Du peuple juif; 
2° Authenticité des livres 

saints. 





APPENDICE IV 



245 



Sont éliminées de 
l'Apoloffie les pensées 
diverses^ les j3ensées 
sur le style, les pen- 
sées sur les Jésuites et 
les Jansénistes les pen- 
sées sur l'ordre et les 
pensées sur les mi- 
racles. 



b) Des Deux Testaments : 

i° Prophéties; 

2° Fujurcs (Des figures en 
général et de leur légiti- 
mité, Que la loi des Juifs 
était figurative). 

c) De la reliyion chrétienne : 

1° Caractères de la vraie 
religion; 

2° Excellence de la reli- 
gion chrétienne; 

3° Péché originel; 

4° Perpétuité de la religion 
chrétienne; 

D° Preuves de la religion 
chrétienne; 

6° Jésus-Chmt (Preuves de 
la divinité de Jésus- 
Christ, Mission et gran- 
deur. Mystère de Jésus). 

7° Du vrai juste et du vrai 
chrétien. 



APPENDICE V 



LA RHÉTORIQUE DE PASCAL 



Pascal, dans la y)reniicrc partie de sa vie, avait été unique- 
ment i:('onnètre. Nalurelloinent porté par son génie extraor- 
dinaire à rétn<le des sciences mathématiques, il y avait 
encore élé ponssé par rexemide de son père; et la précau- 
tion môme (juavait prise Élienne Pascal de lui interdire cet 
ordre de travaux * n'avait fait qu'exciter sa curiosité par 
l'at Irait du mystère. Aussi, dès qu'on le lui avait permis, s'y 
élait-il adonné avec passion. Il semble que, pendant long- 
temps, il n'ait rien vu en dehors des mathématiques, et qu'il 
ait eu en leurs résultats comme en leur méthode une con- 
liance absolue et une confiance sans réserve. Sans doute, 
comme nous ra[»|nend M"*'' Périer, il n'admettait point que 
le raisonnement fnt valable dans les choses de la foi. Mais — 
même à l'époque de sa prcMuière ferveur janséniste — il pré- 
tondait restreindre ce domaine réservé: il pensait que 
« beaucoup de choses » de la religion pouvaient être démon- 
trées « suivant les principes du sens commun» ; que, si la foi 
était un don de Dieu, la raison en pouvait du moins établir 
les fondements^. Kt, pour les choses humaines, il ne faisait 
point de distinction : elles lui paraissaient toutes pouvoir être 
traitées more ycomctrico^ comme dira Spinoza^. 

1, « Goumic il sav.'iit que l.i mathématique est une science qui 
rcnijjlit et ijui satisfait I)ejiU(MU[> Tospril, il ne voulut point que 
mon frère en eût aucune counaissunce » (M°" Périer). 

'2. Lettre à sa sn'ur janvier 1()48;. 

:{. Cf. la Lettre imi»crtineiite du chevalier de Méré à Pascal. Vous 
aviez, lui dit-il, pris <lans la géométrie l'habitude « de ne juger de 
quoi que ce soit que par vos longues démonstrations ». 



\ 

V 



APPENDICE V 247 

Une nouvelle vie s'ouvrit pour lui, un plus large horizon 
se dévoila devant ses yeux, quand, « dégoûté » des sciences 
abstraites, il « commença l'étude de l'homme <». Introduit 
dans la société du duc de Roannez, du brillant chevalier de 
Méré, de Miton et de leurs amis, reçu dans les salons raffi- 
nés comme celui de M™*' de Sablé ou de la duchesse d'Aiguillon, 
il découvrit u le monde ». Tout d'abord, s'il faut en croire la 
lettre fameuse que lui écrivit un jour Méré, il essayait d'ap- 
pliquer à la vie et aux hommes les formes rigides et les pro- 
(M'dés méthodiques de la géométrie. Mais, il s'aperçut bien 
vile — plus encore par son propre tact que par les avertisse- 
ments de ses amis^ — qu'en cela il faisait fausse route. Moins 
'< [)ersuadé de l'oxcellence des mathématiques-'^ », il comprit 
que des études différentes demandaient des procédés diffé- 
rents. Ce n'est point qu'il ait absolument cessé d'avoir con- 
(iance en la logique : il était trop géomètre pour cela, et dans 
VArt de persuader, il soutient encore que la méthode de la 
géométrie surpasse toutes les autres, car c'est elle qui se 
rapproche le plus de la démonstration parfaite — et chimé- 
rique — dont il avait conçu l'idée, et qui consisterait à tout 
prouver. Mais, du moins, en face des « sciences extérieures », 
il vit un autre sujet d'études: « la science des mœurs* »; il 
reconnut que l'homme n'est pas une pure intelligence, qu'il 
est presque impossible de s'adresser toujours à sa seule raison 
par des arguments abstraits*, et que la logique, hors de son 



\. If., VI. 23: M., -US;!}.. Ii4. 

2. Méré iic lui inéiiage.iit pas ces avcilissemciils (Cf. la Lettre 
(ii'jà citée). Mais, ailleurs, il recniiiiaîl les propres que Pascal a su 
faire de lui-même : «Nous ne pensions à rien moins qu'à le désa- 
buser; cei)en(lant, nnus lui parlions <le bonne foi. Deux ou trois 
jours s'étant écoulés de la sorte, il eut quelque défiance de ses sen- 
timents, et, ne faisant plus qu'écouter et qu'interroger pours'éclair- 
cir sur les sujets qui se i)résentaient, il avait des tablettes qu'il 
tirait de temps en temps, où il mettait quelques observations, etc. » 
{f)e l esprit). 

l\. Paroles de Pascal rapportées par Méré (Letlre). — « Excellence » 
a ici la plénitude de son sens : supériorité, prééminence. 

■i. II., VI, 41; M., 226; B., 67. 

:;. H., VI, :{«): .M., 340:1J., \q:\. 



248 LA PENSf:E DE PASCAL 

domaine, devient absurde ^ C'est alors que se présenta à son 
esprit la théorie d'un art de persuader autre que la dé- 
mon.^tration géométrique ; c'est alors qu'il se fit une rhétorique. 
A partir de ce moment, Pascal eut beau renoncer au 
monde, il ne cessa plus de s'occuper de ces questions. Ou, 
pour mieux dire, plus il renonçait au monde, plus il s'occu- 
pait passionnément de ces questions, car elles prenaient pour 
lui une tout autre importance. Jadis, quand il était adonné 
aux vanités de l'esprit, il les traitait pour son plaisir : il vou- 
lait atteindre à la perfection littéraire ou la mieux goûter 
chez les autres. Maintenant, il les traite pour son devoir : il 
se sent tenu de coopérer suivant ses forces et par les moyens 
naturels à Tœuvre surnaturelle de la gnlce, de répandre dans 
les âmes les semences de vérité que Dieu pourra rendre 
fécondes et salutaires. L' « honnête homme » a fait place au 
chrétien fervent; l'amateur ou l'artiste à l'apôtre; et c'est 
l'ardeur même de sa charité qui le pousse à mieux étudier 
l'art de persuader, jjour en mieux employer les ressources 2. 
Avant de parler, il supplie Dieu de rendre ses paroles con- 
vaincantes; c'est à Lui qu'il demande — si l'on ose ainsi par- 
ler — des leçons dt; rhétorique : « Si ce discours vous plaît 
et vous semble fort, sachez qu'il est fait par un homme qui 
s'est mis à genoux auparavant et après, pour prier cet Être 
inlîni et sans parties auquel il soumet tout le sien, de se sou- 
mettre aussi le vôtre pour votre propre bien et pour sa 
gloire 3. )) Ainsi s'expliciuent le nombre et la variété des pen- 
sées sur l'esprit, le style, la rhétorique -*; ainsi se comprend 
la phrase de la Logique de Port-Royal: « Feu M. Pascal qui 
savait autant de véritable rhétDrique que personne en ait 
jamais su... » ; ainsi se vérifie le jugeaient de M™® Perler: 

\ 

1. IL, VI, 49; M., 380; B., 393. ) 

2. C'est par une rhétorique qu'Etienne lîérier fait commencer 
ï Apologie dans le résumé qu'il en donne : '^a Après qu'il leur eût 
fait voir quelles sont les preuves ((ui font le iplus d'impression sur 
l'esprit des hommes et qui sont les plus pro «'es à les persuader, il 
entreprit de montrer, etc.» {Préface de Pqrt'-Royal). 

3. IL, X, 1;M., 6; B., 223. 

4. M. Brunschvicg en compte cinquante-neuf uniquement consa- 
crées à ces sujets. 



Y 



APPENDICE V 249 

« Il avait une éloquence naturelle qui lui donnait une facilité 
merveilleuse à dire ce qu'il voulait; mais il avait ajouté à 
cela des règles dont on ne s'était pas encore avisé et dont il 
se servait si avantageusement qu'il était maître de son style: 
eu sorte que, non seulement il disait ce qu'il voulait, mais il 
le disait en la manière qu'il voulait, et son discours faisait 
reflet qu'il s'était proposé » ; — ainsi se justifie enfin la pré- 
sente étude. 



Le principe fondamental de la rhétorique de Pascal, c'est 
la distinction des « deux entrées par où les opinions sont 
reçues dans l'âme ' », Tentendement et la volonté (ou le 
cœur). Ce n'est pas, comme il le reconnaît lui-même, que la 
volonté « forme la créance » ; mais elle n'en a pas moins une 
part prépondérante dans la conviction, parce qu'elle prévient 
l'esprit contre les opinions dont elle est heurtée, pour les 
opinions dont elle est flattée ^. JDans rAt-L(^.^i?.^7.'*^^^^?rï.Ptisc^l 
— géomètre encore — proteste contre cet abus: il trouve 
« cette voie (la volonté) basse, indigne, étrangère » ; il y voit 
une des preuves de la faiblesse et de la perversité humaines ; 
il n'admet comme légitime l'intervention du cœur que pour 
les choses de la religion. Mais, plus tard, à mesure que lui- 
même obéit davantage aux inspirations de son cœur, il lui 
apparaît de plus en plus clairement que (( le cœur a ses rai- 
sons que la raison ne connaît pas^ », qu'il a « son ordre '' » 
à lui, et il en arrive à le proclamer supérieur à l'esprit lui- 
même. 

1. Aï'l de persuader. 

2. H., III, 10; M., 348; B., 99. — La déQionstration ne s'adresse 
donc pas d'une part à rentendement, — d'autre part à la volonté; 
mais d'une part à l'entendement seul, — d'autre part à la volonté, 
puis à l'entendement, ou, pour mieux dire, à rentendement par la 
volonté. 

3. H., XXIV, 5; M., 11: B., 277. 

4. H., vu, 19; M., 136; B., 283. 



■ / 



250 LA PENSEE DE PASCAL 

Quoi qu'il en soit, à Topoque même où Pascal s'indigne 
contre ces « caprices téméraires de la volonté », il est bien 
obligé d'en tenir compte. Et, puisqu'il y a deux « portes » 
par où les vérités sont rerues dans lame, il doit distinguer 
deux méthodes différentes, deux parties distinctes de l'art de 
persuader : l'art de convaincre et l'art d'agréer. 

Laissons ici de cot<' l'art de convaincre. 11 s'adresse à 
l'entendement seul : il a pour objet les vérités « qui se tirent 
par une conséquence nécessaire des principes communs etdes 
vérités avouées», soit qu'elles n'aient aucun rapport avec les 
tendances de notre volonté, soit qu'elles s'accordent avec elles. 
L'art de convaincre n'est donc pas autre chose que le pur 
raisonnement et (lue la logique : il se ramène en dernière 
analyse à la démonstration géométrique. Pascal nous en 
donne les règles ; mais, j)ar leur nature même, ce sont les 
règles de la discussion scientifique et non de la rhétorique. 

L'art d'agréer, lui, s'adresse au cœur autant qu'à l'esprit; 
ou plutôt, il s'adresse avant tout au cœur, qui détient en 
quoique sorte les clefs de l'entendement. Il a pour objet la 
démonsUalion des vérités dont il est difficile de démontrer 
nettement la liaison avec « les principes communs et les 
vérités avouées », parce qu'elles sont hostiles à nos tendances, 
contraires à la réalisation de nos désirs. On ne saurait donc 
suivre ici la marche directe et, pour ainsi dire, rigide des 
démonstralious géométriques: on n'attaque point l'entende- 
ment de front, on s'en rend maître par un mouvement tour- 
nant, en conciuérant d'ahord la volonté. L'art d'agréer a donc 
sa mélhode à lui, méthode plus vivante et plus souple, qui 
est précisrment ce que nous appelons du nom de rhétorique. 

Si telle est la définition de la rhétorique, on voit aisément 
quelles sont les règles principales qui s'en déduisent. Dans 
l'art d'agréer, l'entendement et la volonté sont tous deux, 
mais inégalement intéressés : ils doivent être tous deux, mais 
inégalement satisfaits. 

L(.' rùle de rcnlendemenl est secondaire, mais il n'est point 
nul, et l'espiit a toujours ses exigences. Quand la chose à 
démontrer, admise i)ar la volonté, en arrive enfin à subir le 
contrôle de l'esprit, elle ne doit point lui être inacceptable: 



\ 



APPENDICE V 251 

« Il faut en tout dialogue ou discours qu'on puisse dire à 
ceux qui s'en offensent: De quoi vous plaignez-vous^?» 
Pascal en effet n'entend point donner des leçons de sophis- 
tique : r.-jrt.d'fi gréer n'est p n^ir Ini qn>n ïïl^Y^" approprié à 
la faiblesse humaine de menerTliorhrfté k là Venté. On pré- 
sentera donc à l'entendement la vérité pour laquelle il est 
fait et qu'il réclame : si on lui présentait l'erreur 2, la volonté 
fût-elle disposée à l'admettre, il se révolterait. Et d'autre 
part, il faut tâcher de lui faciliter cette reconnaissance de la 
véritt'î : on la lui présentera de telle sorte qu'il n'ait point de 
difficulté à l'admettre ^, « que ceux à qui l'on parle puissent 
Tentendre sans peine et avec plaisir* ». Cette satisfaction 
donnée aux exigences essentielles de l'entendement, c'est le 
seul point qui soit commun à l'art de convaincre et à Tart 
d'agréer. 

Mais la part faite à la satisfaction de la volonté des audi- 
teurs est bien plus importante, comme il convient. Il faut, 
avant tout, établir une exacte « correspondance entre l'esprit 
et le cœur de ceux à qui l'on parle d'un côté, et de l'autre, 
les pensées et les expressions dont on se sert^ ». C'est ici 
qu'éclate clairement la différence entre l'art de convaincre 
et l'art d'agréer. Par le premier, on s'adresse à ce qu'il y a 
de plus universel, de commun à tous les hommes, d'immua- 
blement identique dans toutes les âmes, à la raison pure : il 
n'y a donc pas lieu de varier la méthode, suivant que l'on 
veut convaincre tel ou tel. Par le second, on s'adresse à la 
sensibilité, élément de l'ame essentiellement individuel, 
variable de nature ou de degré d'un homme à l'autre, ou 
même dans un seul homme à des moments différents : il 
faut donc adapter son discours au caractère particulier de la 



1. IL, XXIV, 95; M., 698; B., 188. 

2. L'erreur connue comme telle par l'esjH'it, évidemment. 

3. Soit une vérité que Tauditeur ait tout iiitér*!^t à admettre : sa 
volonté nous est acquise; la forme sous laquelle on présentera 
cette vérité à son esprit n'est cependant pas IndifTérente : entre 
deux façons de l'exposer, il faudra choisir la plus claire, la plus 
facilement intelligible. 

4. IL, XXIV, 87; M., 989; B., 16. 






252 LA PENSEE DE PASCAL 

porsonnc à convaincre ou a sa disposition particulière au 
moment donn*». Dans la gt^ométrie, la v^?rité s'impose : aussi 
so prés«»nto-t-olIfi ouvertement, comme un maître dans son 
domaine. Au contraire, en dehors des sciences abstraites, la 
véritf^ s'insinue : elle entre dans la place à la dérobée, grâce 
à mille sul)lerfuges, comme un usurpateur qui veut com- 
plaire à tous pour les séduire, et non comme un roi fort de 
son autorité : « Klocjuence qui persuade par douceur non 
par. empire, en tyran non en roi*. » En proportionnant 
ainsi son discours aux sentiments de Tauditeur, en touchant 
à ce qu'il y a en lui de plus intime et de plus personnel, on 
se le concilie tout entier; la volonté charmée conspire avec 
nous, et la persuasion se coule dans l'esprit, d'un mouve- 
ment irrésistible et doux 2. 

Mais par quels moyens mettre ainsi d'accord son discours 
et les sentiments de l'auditeur? Il faut être doué de 1' « esprit 
de finesse ». L'esprit de iînesse, en eflet, est « une souplesse 
de pensée », une sorte de tact délicat et subtil qui nous per- 
met de pénétrer les âmes, d'y saisir les sentiments les plus 
fugitifs et les plus mobiles, d'anatomiser les fibres les plus 
déliées du cœur. « Il n'est question que d'avoir la vue bonne, 
mais il faut l'avoir bonne ^ » ; on peut alors se faire une idée 
exacte du cœur de la personne à convaincre, sentir quelle 
sorte d'arguments la |)euvent toucher, et les mettre en 
usage. Par un etfort de pensée, on prendra pour un temps 
ses sentiments, on « fera essai sur son propre cœur » de 
l'efTet que produit le discours, et l'on pourra tout disposer 
à coup sûr, pour que « l'auditeur soit comme forcé de se 
rendre ^ ». 

Reste à savoir par quels procédés nous pourrons acquérir 
cet esprit de finesse si nécessaire. Il n'y en a point. On a 
l'esprit de finesse, comme on a l'esprit de géométrie, par un 
don gratuit de la nature, par une bonne fortune que rien ne 
saurait préparer. Aussi, lorsqu'on n'en est point naturelle- 

1. IL, XXV, as bis; M., 334; B., lu. 

2. IL, VII, 14: M., 610; B., lOG. 

3. H., VII, 2 bis; M., 639; B., 1. 

4. IL. xxiv, 87; M., 989; B.. 16. 



^, 



APPENDICE V 253 

ment doué, il est impossible de remédier à cette disgrâce. 
Pour chercher à se former l'esprit et le sentiment par des 
conversations, des lectures, ou tout autre moyen, il faudrait 
déjà pouvoir faire un choix, c'est-à-dire avoir l'esprit formé. 
« Ainsi cela fait un cercle d'où sont bienheureux ceux qui 
sortent < » ; et ils n'en peuvent sortir que par une rencontre 
heureuse, qui les aura fait entrer dans une société comme 
celle que Pascal lui-même a rencontrée autour du duc de 
Roannez et de Méré. 

Pour ceux qui n'ont pas l'esprit fin, tous les préceptes de 
rhétorique sont inutiles : à quoi bon en effet offrir une 
méthode à celui qui n'a point les facultés indispensables pour 
s'en servir? Quant aux autres, à qui le sort favorable a accordé 
cette précieuse prérogative, assurément ils ont une règle. 
Seuls, ils peuvent juger de ce « modèle d'agrément et de 
beauté qui consiste en un certain rapport entre notre nature... 
et la chose qui nous plaît»; seuls, ils ont le « bon goùt^ ;>; 
seuls, ils peuvent porter sur les choses de l'esprit des juge- 
ments absolus et certains : ils peuvent dire « il faut 3 », ils 
ont leur montre *. Mais, qnnnr] j) «'agit, dt^ pr^^risf^r l es règle s 
de cette méthode si <• difQcile», si « subtile », si « admi- 
rable », Pascal se dérobe et se déclare incompétent. Sans 
doute, elles existent; et même, elles sont « aussi sûres, aussi 
efficaces » que celles de la démonstration mathématique; 
mais combien difficiles à formuler! Elles supposent, en effet, 
une connaissance approfondie de la sensibilité si variable el 
si inconstante, elles exigent une étude perspicace de l'âme 
de tous les hommes, dans les diverses situations, dans les 
divers moments de leur vie, dans la complexité insaisissable, 
dans la mobilité fugitive de leurs sentiments et de leurs pas- 
sions. Aussi, Pascal, effrayé de l'immense labeur de cette 
tâche, « s'y sent tellement disproportionné qu'il croit la chose 
absolument impossible •» ». 

1. H., VII, 16; M., 136; B., 6. — C'est encore une prédestination- 

2. H., VII, 24; M., 328; B., 32. 

3. H., VII, 20; M., 450; B., 49. 

4. H., VII, 7; M., 342; B., 5. 

5. Art de persuader. 






254 LA PENSEE DE PASCAL 



il 



II 



Par Itï, la rhétorique, un instant élevée, en théorie, à la 
dignité et à la certitude d'une méthode scientifique, rede- 
vient, en fait, un art. C'est-à-dire que Pascal ne prétend pas 
indiquer une voie unique que tous doivent suivre : il rend à 
tous les esprits la liberté de se créer chacun sa méthode, 
suivant sa nature propre, la nature de l'auditeur et les cir- 
constances. Il a philosophiquement établi que la rhétorique 
est l'art d'agréer pour persuader. Mais, une fois ce but indi- 
qué, il ne réunira point on un corps de doctrine un certain 
nombre de préceptes impératifs : il ne donnera pas de re- 
cettes pour y atteindre. Tout ce qu'il peut faire, c'est d'indi- 
quer quelle doit être la nature des moyens mis en œuvre, 
étant donnés les traits généraux de la nature humaine ; mais 
il laissera à chacun le soin de trouver quels moyens particu- 
liers doivent être employés dans chaque cas particulier: « il 
n'y a point de règle générale ^ ». Il n'étudiera donc point les 
procédés, mais les conditions de l'art d'agréer. 

Or, il est deux qualités que Pascal a jugées des conditions 
essentielles de l'art d'agréer: c'est l'ordre et le naturel. 

Il faut de l'ordre dans les discours. Nous avons vu, en effet, 
qu'il est indispensable de satisfaire l'esprit. Il a besoin de 
comprendre. Et, puisque comme << les mots forment 
d'autres pensées par leur différente disposition », de même 
les « mêmes pensées forment un autre corps de discours 
par une disposition différente^ », il importe de tout disposer 
pour la plus grande commodité de l'entendement. Mais, ce 
serait une chose bien simple que l'ordre, s'il ne consistait 
qu'en une « disposition des matières » intelligible ; et il 
n'y aurait pas lieu de tellement insister. La chose est plus 
compliquée. La volonté réclame à son tour, et l'ordre le plus 



1. H., VII, 21; M., 278; IL, 48. 

2. IL, VII, 9, et XXV, 128; M., 715 61472; B., 22 et 23. 



APPENDICE V 255 

intelligible n'est pas toujours celui qui lui agrée le plus : il 
lui paraît parfois « ridicule ^ ». De là vient toute la difficulté ; 
de là vient que « la dernière chose qu'on trouve en faisant 
un ouvrage est de savoir celle qu'il faut mettre la première 2 ». 
Il s'agit en effet, tout en respectant la logique du raisonne- 
ment, de mettre au premier plan, en valeur, ceux des argu- 
ments qui peuvent le mieux toucher la volonté. Il n'est donc 
point possible de donner par avance les règles de cet ordre : 
c'est d'après la connaissance qu'il a de la personne de l'au- 
diteur, et d'après la nature de son sujet, que celui qui veut 
convaincre disposera son discours. Ainsi, Pascal veut écrire 
ses pensées « sans ordre et non pas peut-être dans une con- 
fusion sans dessein » ; car c'en est « le véritable ordre, et 
qui marquera toujours son objet par le désordre même. Il 
ferait trop d'honneur à son sujet s'il le traitait avec ordre, 
puisqu'il veut montrer qu'il (ce sujet) en est incapable 3 ». 
On s'explique alors le nombre et la variété des pensées rela- 
tives à la disposition : Pascal voulait s'adresser à tous les 
hommes; et, « connaissant le pouvoir de l'ordre », il cher- 
chait par des tâtonnements successifs à adapter son plan à 
la fois aux nécessités de son Apologie et aux sentiments 
variés qu'il pouvait supposer dans les âmes. C'aurait été 
même là, suivant lui, son originalité la plus indiscutable : 
« Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau : la dis- 
position des matières est nouvelle'.» Et l'on comprend 
mieux maintenant quelle valeur avait à ses yeux cette 
réponse : donner un ordre nouveau à ses arguments, c'est 
leur donner une force et presque un sens nouveaux. 

Le naturel, lui, est surtout nécessaire pour charmer la 
volonté. Quand l'éloquence n'est qu' « une peinture de la 
pensée », un « portrait » fidèle de la réalité s, au lieu d'un 
auteur, on est « étonné et ravi de trouver un homme <^ » ; et, 



1. II., VII, 17; M., 136; B., 283. 

2. H., VII, 29; M., 985; B., 19. 

3. H., V, 1;M, 341;B.,jij. 

4. H., VII, 9; M.. 715; F., 22. 

5. H., XXIV, 87 bis; M. 353; B., 2G. 

6. H., VII, 28; M., 70-4; B., 29. 



f' 




|i 



2o6 LA PENSEE DE PASCAL 

comme son discours naturel nous peint dans toute leur 
vrrité les sentiments et les passions que nous trouvons en 
nous-mêmes, on sympathise avec lui : cela « nous le rend 
aimable », et « cette communauté d'intelligence... incline 
nécessairement le cœur à Taimer^ ». LWme de l'auditeur est 
donc par avance séduite; elle est prête à recevoir sur la foi 
de cet homme qu'elle aime toutes les vérités qu'il lui vou- 
dra proposer. Ajoutons n cela qu'un discours naturel, trou- 
vant en nous, précisément parce qu'il est naturel, une 
correspondance parfait*?, semble nous suggérer bien plus 
que nous imposer des raisons; or, « on se persuade mieux 
pour l'ordinaire par les raisons qu'on a soi-même trouvées 
(jue par celles qui sont venues dans l'esprit des autres- ». 
C'est pour cette double raison, par exemple, que la simpli- 
cité et la naïveté du slyle «le l'Évangile contribuent à aug- 
menter la confiance du lecteur -^ 11 faut donc chercher'tou- 
Jours le terme qui exprime le plus exactement notre 
pensée, dire « répandre », « verser » ou « renverser » 
« selon l'intention » ; car cette précision rend le style 
plus naturel*. Il faut éviter l'emphase; car 1' « éloquence 
continue ennuie », et la véritable élo(iuence, celle des faits, 
'< se moque de l'éloquence » vaine et fausse des grands mots^. 
Il faut éviter la pédanterie ; car celui qui « a mis l'enseigne 
de poète, de mathématicien, etc. », ne voit que son métier; 
or, « l'homme est plein <.le besoins et n'aime que ceux qui 
les peuvent remplir tous », c'est-à-dire il n'aime que 1' «hon- 
nête homme 6 ». Il faut éviter l'affectation : car les « termes 
bizarres » que les gens de mauvais goût prennent pour la 
« beauté poétique », n'a pas plus de rapport avec la véritable 
beauté conforme au ^< bon modèle », que les « reines de vil- 
lage» avec les véritables reines'. En un mot, tout ce qui farde 



1. II., VII. 26: M., ()80; 13.. 14. 

2. 11., VII, 10; M., 435; B., 10. 
8. H., XIX, 2: M., \:U; B., " o. 

4. H., XXV, 132; M., 319; B., 53. 

5. IL, VII, 34, et vi, 40; M., 412 et 528; H^ 4 et 355. 

6. 11., VI, 15; M., 330; B., 34. 

7. 11., vn, 24 et 25: M., 328 ef 329; B., 32 



V 



APPENDICE V 237 

et déguise la nature \ tout ce qui y ajoute et par suite la 
\ fausse^, les bons mots cherchés^, l'abus des périphrases -*, les 
antithèses forcées"^, le souci excessif de la forme et de Télé- 
\^ gance^, les fausses beautés que tant de gens admirent', tout 
ela doit être également rejeté. Le meilleur style est le style 
ïù. plus simple^, parce qu'il n'exclut pas l'agréable, mais que 
^a;5réable^« y est lui-môme pris du vrai^ ». Mais ici encore, 
il n*est point possible de donner des règles trop précises, ou 
du moins, ces règles restent inutiles à ceux qui ne sont pas 
naturelîement « fins )>. Pour reconnaître ce qui est simple 
et naturel, il faut avoir le bon goût et l'esprit de finesse : 
et ce ne s«pnt point choses qui s'enseignent. Quand Pascal 
relève, poii'J' les blâmer, un certain nombre de mots et 
d'expression^ *^, il se laisse guider par son tact et par le goût 
de ses amis, ) non point par des préceptes formels, par des 
règles . en ce 3 matières, « il n'y en a point ^^ ». 

On voit que.ye est l'originalité de la rhétorique de Pascal. 
Elle se distingiîie essentiellement de toutes celles qui l'ont 
précédée, en et* qu'elle ne cherche point à formuler de 
règles pratiques I pour ceux qui veulent écrire. Pascal n'a 
point réuni un enV^"^^^^ ^^ recettes qui permettent au pre- 
mier venu, bien oJ.u mal doué de la nature, de persuader ses 
auditeurs. D'un pri J^cipe philosophique, la distinction de deux 
« organes de la cré'^nce », entendement et volonté, il a déduit 
et l'objet de la rhéivorique : persuader les vérités non géomé- 
triques — et sa métS^o^G : agréer pour persuader — et les 

V 

1. H., VII, 20; M., 450;B.,A49. 

2. H., XXIV, 87 bis; M., 353; -B., 26. 

3. H.,vi, 19;M.,686;B., 46.^ 

4. H., vil, 20; M., 450; B., 49 !• 

5. H., vu, 22; M., 326; B.,27.'* 

6. H., VII, 21; M., 278; B., 48. V*^ 

7. H., VII, 35; M., 739; B., 31. i 

8. H., VII, 17 bis; M., 770 ^is; B.tf» 18. 
^. H., vu, 27; M., 636; B., 25. 
10. H., VI, 51 et 54 ; xxv, 25, 25 S^^*» 25 1er, 130, 130 bis, 131 et 132 ; 

M., 529, 339, 334, 753, 363, 594, 6 M, 319; B., 38, 57, 56, 15, 59, 54, 55, 
52, 53. 



11. H., VII, 21; M., 278; B.,y 



17 



IT 
.^ 



258 LA PENSEE DE PASCAL 

règles gén«?rales ds celte méthode : 1° adopter pour chaque 

auditeur et dans chaque circonstance un ordre approprié à cet 

auditeur et à cette circonstance et 2° ne pas s'éloigner de la 

nature. Mais il s'arrête là. Dès lors, toutes les remarques qu'i* 

a pu faire n'ont point l'autorité de préceptes systématique: ' 

ce ne sont que des observations particulières qu'il a dues?* 

conversations de ses amis du monde, que lui ont suggérées? 

lectures, que lui ont fournies ses réflexions sur CApof^ iajk 

qu'il méditait et sur los moyens de la rendre convain' , caïte. 

^ rhjHoi'ique <'st donc faite pour lui seul. Et c'est r . ^k 

là «jue lui vient son caractère extérieur le plus fr - ^\\ 

côté de remaniues très profondes et (jne seul un F ^ •igU^ 

vait faire, elle présente sur le môme plan des ♦' , . ./;^iniSâ! 

presque banales. L'originalité de la rhétorique « , ««.l'^*^ 

moins dans les formules auxquelles il arrive , , .. ^nja^^ 

façon dont il v arrive et dans le fondement ; ." »^aii1o' 

\., , \ lement notre»"**-^ 
qu il a su leur donner. 

^ « renverser » 

<L rend le style 

Jly V « éloquencf 

;e, celle des faits 

des grands mots* 

« a mis l'enseigni 

i>it que son métier 

aime que ceux qu 

1 n'aime que l' « hor 

dtion : car les «teniw 

:» goût prennent pour 

e rapport avec la véritaJ 

le », que les « reines de 

En un mot, tout ce qui fa 



\ 528; »„ 4 et 355. 

■ 



APPENDICE VI 



CINQ TRAVAUX RÉGENTS SUR PASCAL 



li donné dans mon Avertissement, la liste des cinq prin- 
ux ouvrages parus sur Pascal depuis 1896, dont j'ai tiré 
lus de profit. Il me paraît bon d'en présenter ici un bref 
lien, et surtout de relever exactement les points où Je 
uis pas complètement d'accord avpc les cinq auteurs. 
nd il s'agit de faits, j'aime à croire que j'ai eu pourtant 
noins des apparences de raisons pour ne pas me ranger 
ur avis, et les lecteurs auront l'indication des petits pro- 
ies qu'on peut soulever à propos de ces faits. Quand il 
it d'appréciations ou d'interprétations, l'exposé exact de 
vergence aura peut-être l'avantage de préciser à la fois 
nion de MM. Brunschvicg, Lanson, Giraud, Boutroux et 
feld, et celle de leur contradicteur. 



jlUNSGHVICG. BLAISE PASCAL, PENSÉES ET OPUSCULES. 

►fBrunschvicg a publié à la librairie Hachette une remar- 
T) édition classique des Pensées et des Opuscules (1896; 
X édition, 1900). Ce livre a eu un succès mérité. Et, 
md, la conception même en est des plus ingénieuses, 
nschvicg a observé que la plupart des ouvrages dési- 
u nom d'Opuscules se rapportent à des circonstances 
^oinées de la vie de Pascal, et sont comme des pages 



260 LA PENSEE DE PASCAL 

éparses d'une autobiographie. Il les a donc publiés dans 
leur succession chronologique en les reliant par un commen- 
taire suivi : ce sont, pour ainsi dire, les bornes milliaires 
qui guident nos pas le long de la route, au bout de laquelle 
se dresse la majestueuse ruine des Pensées. De plus et sur- 
tout, il est difficile de dire à qui n'a pas lu ce livre, quelle 
intôlligence pénétrante, subtile et pourtant tn^s prudente, 
M. Brunschvicg a déployée dans tout ce commentaire intro- 
ductif ; et l'édition proprement dite des Pensées ainsi que les 
notices et notes qui l'accompagnent sont dignes du début. 

Voici quelques observations. 

P. 15 : « Cet unique témoignage, suffisant pour établir la 
matérialité du fait [l'accident de Neuilly], ne l'est pas, quant 
aux conséquences morales de ce fait. « — Cela me paraît 
très juste ; mais ne serait-il pas bon de dire que c'est le 
Recueil (VUtrecht lui-même, qui a paru lui donner Timpor- 
tance morale qu'il n'a pas? 

, P. 119 : Y a-t-il une preuve que ce fut dans la traduction 
de du Vair que Pascal avait lu Épictète? Si non, cette affir- 
mation s'appuie uniquement sur l'hypothèse de Collet; si 
oui, elle l'appuierait : et cela serait assez important. 

P. 121 : M. Hrunschvicg place au second voyage de Pascal 
en Auvergne (1652-53) son empressement auprès de la 
« Sapho » du lieu. Pour moi, je la place plutôt au premier 
voyage (1649). J'ai des doutes sur la «Sapho» auver- 
gnate et la croirais volontiers un peu provinciale. Pas- 
cal a pu être désireux de lui plaire quand il admirait 
encore et du Vair et « les bons mots du lieutenant crimi- 
nel d'O. » ; mais depuis qu'il connaît Miton et Méré et 
la cour? depuis qu'il est « revenu de si loin »? Ou alors, il 
faudrait avoir des raisons de croire que celle « précieuse » 
de Clermont était vraiment du « dernier cri » de Paris : les 
communications étaient-elles si faciles et les modes se répan- 
daient-elles si vite dans la première moitié du xvii«î siècle? 

P. 143 : « Ce fut le choix du directeur qui fut la cause 
des plus violents combats que Pascal eût avec lui-même. » 
— M. Brunschvicg dit cela après le Mémorial, Cela me paraît 
très bien vu. Mais je serais curieux de savoir ce qu'il pense 



APPENDICE .VI 261 

du sermon : est-il antérieur ou postérieur au Mémorial ? Ou 
peut-être M. Brunscliivcg n'atlaclie t-il pas d'importance au 
sermon, dont il ne parle pas? 

P. 146 : On aimerait savoir d'après quels principes est éta- 
bli le texte de VEntretien, Est-ce un choix arbitraire de 
variantes? Est-ce un mélange de plusieurs textes? L'établis- 
sement définitif d'un texte critique paraît désirable et ten- 
tant. Qui le fera? 

P. 164 sqq. : M. Brunschvicg parait présenter le traité de 
V Esprit géométrique eiV Art de persuader comme deux fragments 
contemporains d'un même essai. Ne serait-il pas plus pru- 
dent de les séparer? 

P. 226 : « Les scrupules du chrétien qui se défend contre 
la gloire du monde. » — Assurément; mais ne faut-il pas 
noter qu'à certain moment du concours, ils ont parlé un peu 
bas, ces scrupules? Sachons avouer les faiblesses même 
d'un Pascal. 

P. 255 : « Le Recueil d'Utrccht, auquel nous devons les 
indications les plus précises sur l'histoire du jansénisme. » 
— Avouerai-je que Je me défie un peu — non delà véracité, 
grand Dieu! — mais de la critique du Recueil d'Utrecht? Je 
crains que l'auteur n'ait facilement accepté sans les témoi- 
gnages faire entre eux de différence, et brouillé un peu les 
choses : je rappelais plus haut sa responsabilité dans la lé- 
gende de Neuilly. 

Même page : Voici un des rares endroits où je trouve 
M. Brunschvicg un i)eu hardi. L'homme sans religion est-il 
bien sûrement Méré ? Et ce qui m'en fait précisément douter, 
c'est le trop heureux parti que M. Brunschvicg tire de cette 
supposition à la page 257 : de Saci et la religion, Méré et le 
monde, Hoannez et la science, voilà de ces correspondances 
symélricjues qui sont séduisantes, mais qu'il ne faut accueil- 
lii" que sur des preuves, parce çue séduisantes. 

P. 257 : L'argument du pari serait postérieur à l'exposé oral 
tle r Apologie fait par Pascal et l'idée lui en serait venue à 
propos de la rouLtte, grâce à l'avis que lui donna le duc de 
Hoannez de mettre son génie mathématique au service de la 
foi. — L'hypothèse est séduisante et bien présentée. Pour- 



262 LA PENSEE DE PASCAL 

tant si le pari se rattache naturellement à un travail scien- 
tifiquo, c'est à la solution du problème des partis, qui est bien 
antérieure. D'autre part, M. Brunschivcgdit (page 287) «Targu- 
menl du pari est une partie capitale dans les Pensées >k Entre 
1657 ou 16.'>8 et sa mort, Pascal aurait donc modifié les 
Pensées sur un point capital, et, notons-le, capital non seu- 
lement au point de vue du plan, mais pour le fonds même 
des choses? 

Quant aux Pensées mêmes et à Tordre que M. Brunschvicg 
leur a donné, on ne peut qu'approuver — dans les grandes 
lignes — du moment que l'on comprend l'impossibilité de 
retrouver le j»lan authentique.Ily aurait cependant quelques 
observations de détail à faire. Je ne puis m'empêcher de 
trouver que la séparation des pensées 227 et 244, 553 et 791, 
56 et 15, etc., qui sont unies, des pensées 766 et 736 qui sont 
voisines dans le manuscrit est un peu arbitraire. Quant aux 
pensées 81 et 82, M. Hrunschvicg a certainement eu tort de 
les scinder sous deux numéros : elles se continuent très net- 
tement dans le manuscrit; le commencement de la pensée 82 
(L'homme n'est qu'un sujet, etc,) est visiblement la correc- 
tion des dernières lignes de 81, et la note que M. Brunschvicg 
a mise en tête de la pensée 82, est, dans le manuscrit, mise à 
la fin et s'applique à 81X82 : c'est par tout le long morceau 
intitulé Imagination que Pascal voulait « commencer le 
chapitre des puissances trompeuses ». Mais ces choses sont 
inévitables et elles sont d'ailleurs si rares qu'elles ne diminuent 
en rien lahaute valeur de ce livre : puisque c'estM. Brunschvicg 
qui en est chargé, nous aurons une bonne édition des Pensées 
dans la Collection des grands écrivains de la librairie Hachette. 

B 

M. LANSOiN. AHTICLE PASCAL DE LA GRANDE 

ENCYCLOPÉDIE. 

M. Lanson a publié dans la Grande Encyclopédie un long 
article de 21 colonnes en petit texte (pages 18-31), qui 
vaut bien des livres et contient plus de matière que de 



APPENDICE VI 263 

gros volumes. On a pu s'assurer avec quel soin cet article a 
été préparé quand M. Lanson a publié à part quelques-uns 
de ses travaux d'approches {les Provinciales et le livide de la 
théologie morale des Jésuites, Après les Provinciales, dans Rev. 
d'hist. litt., 15 avril 1900, janvier 1901); mais il n'était pas 
besoin de cette preuve pour le voir. Vie et travaux de Pascal, 
son caractère et son œuvre, polémique et doctrine des Pro- 
vinciales, philosophie et théologie des Pensées, tout cela est 
excellemment traité, avec une rare pénétration et une force 
remarquable : la brièveté un peu décisive qu'on y note par- 
fois est une nécessité d'un dictionnaire encyclx)pédique où la 
concision est de rigueur. Dans tout cet article les remarques 
précieuses abondent; j'ai surtout été frappé de celles-ci : 

P. 20* : Pascal (avec Descartes), le premier exemplaire du 
savant pour qui la littérature, ce sont des pensées vagues et 
des généralisations arbitraires. 

P. 21« : Superbe et violence même de son caractère (cf 22* 
« les passions de son âme irascible >>). 

P. 22* : Pascal inventeur de la « banqueroute de la 
science », dans le sens tout relatif où on l'a récemment 
exposée, ou, pour reprendre le seul terme authentique, 
inventeur des « faillites partielles » de la science : « il en 
évalue les résultats; elle est inutile à l'homme, entendezpour sa 
fin qui est le bonheur » ou la moralité, ou la sainteté même. 

P. 29^ : Pascal inventeur ou précurseur de l'exégèse mo- 
derne, sinon dans ses procédés actuels, au moins dans son 
but final et dans sa méthode générale. 

Et tout ce qui est dit des Provinciales et des Pensées, 

Mais voici quelques objections ou remarques : 

P. 21*-22^ : Le divertissement de Pascal commence après la 
mort de son père et l'entrée de Jacqueline au couvent. — 
Mais il est certainement antérieur à l'entrée de Jacqueline au 
couvent, puisque c'est par le relâchement religieux de Pascal 
qu'on peut expliquer sa résistance et sa conduite dans l'afTaire 
de la dot. Et les textes de Marguerite Périer, du Recueil 
d'Utrecht, nous le font croire antérieur à la mort du père, puis- 
qu'ils disent que Pascal après cette mort continua à se donner 
au monde. Noter que M™« Périer, racontant comment Jacque- 



26 i LA PENSEE DE PASCAL 

line s'est défondue du monde pendant les dix sept-mois de 
séjour en Auvergne (1649-1650), ne dit rien de la conduite 
de Pascal. 

P. 22« : Il serait bon de noter (jue les Périer, qu'on 
n'accuse pas de dissipation, étaient avec Pascal dans Taffaire 
de la dot. 

P. 22'* : La « (h'bauche d'esprit >, « il y eutun moment où 
la foi parut s'éteindre » — ces termes ne sont-ils pas un pou 
trop forts ? 

P. 22'' : « En septembre IGîit, il se remet à la direction de 
M. Sini;lin et do sTi sœur. » — Miis c'est dans une lettre du 
8 décembre que Jacqueline nous le représente pour la pre- 
mière fois « rendu à la conduite de M. Singlin » ; et cela ne 
doit pas être depuis longlomps, puisqu'elle ne sait pas encore 
si Singlin consentira. 

P. 22'* : « Un sermon de M. Singlin le confirme. » — Mais 
le seul témoignage où il soit parlé de sermon (c'est celui de 
Marguerite Péiior et «îlle ne nomme pas Singlin), dit : 
" c'était là où Dieu l'attendait » : c'est donc plus qu'une 
« conlirmation » ; il y a après le sermon quelque chose de 
nouveau dans Pascal. 

P. 22'^ : « Il avait cherch' le bonheur dans l'activité du 
cœur, dans l'amour. » — On aimerait savoir ce que M. Lanson 
entend exactement par là, je veux dire ce qu'il y a exacte- 
ment à ses yeux dans le IH<cours sur les passions de Vamour. 

P. 27" : « Malgré la profession de soumission à son direc- 
teur... il ne s'est soumis (ju'à lui-même, à sa pensée et à sa 
passion. » — Cela ne s'expliquerait-il pas par la polémique 
des Vrovinciales? Elle l'aurait amené à sentir que le direc- 
teur peut égarer son pénitent, que son pénitent doit agir 
d'après sa conscience à lui et non sur la foi d'autrui : par un 
choc en retour, Pascal aurait été le premier à subir l'influence 
des Provinciales. 

P. 30'* : Le procédé logique des Pensées : Pascal regarde 
les choses de deux points de vue opposés : il a ainsi deux 
vérités contraires mais non contradictoires; il les concilie 
en s'élevant à un point de vue supérieur, d'où elles appa- 
raissent également vraies. — Cette remarque est fort juste. 



APPENDICE VI 265 

Mais d'où vienl que ce procédé n'a pas écarté Pascal de la 
théorie de la grâce? Le libre arbitre agit; la grâce agit; du 
point de \Tie humoiu cela paraît contradictoire; mais si nous 
pouvions nous élever au point de vue divin, nous verrions 
qu'il n'y a pas conlradiclion : c'est la théorie de Bossuet. Si 
Pascal ne s'en est pas tenu là, cela ne vient-il pas des ten- 
dances sc/enfi/îg'Mcs de son esprit? il n'a pas pu se résoudre, 
comme Bossuet. à admettre la conciliation, il a voulu la con- 
naître; et alors il faut combiner le libre arbitre et la grâce : 
or, cela ne se peut faire qu'en subordonnant l'un des deux à 
l'autre. 

L'article de M. Lnnson est le sommaire d'un beau livre. 
A voir, dans celui-là comme dans ceux de la Revue cVhistoire 
littéraire, la richesse et la sùrelé de son information, la préci- 
sion et la justesse de ses solutions des principaux problèmes, 
à voir aussi peut-être l'impatience avec laquelle il relève 
les faiblesses d'ouvrages antérieurs, on peut croire que 
M. Lanson mrdite sur Pascal un grand ouvrage d'en- 
semble, qu'il est tout prêt à traiter. Espérons-le : ce sera 
certes un des écrits les plus précieux (jue nous puissions 
avoir sur Pascal. 



M. GIRAUD. PASCAL, LIIOMME, LŒUVRE, LINFLUESCE. 

M. Giraud avait publié — à trop peu d'exemplaires — les 
notes d'un cours sur Pascal qu'il avait professé à l'Université 
de Fribourg durant le semestre d'été 1898. Devant l'accueil 
que les pascalisants ont fait à cet ouvrage, il s'est décidé à 
en donner une seconde édition augmentée et plus accessible 
au grand public. Il faut l'en remercier; car ces 21 leçons, 
sous leur forme condensée, nous font admirablement con- 
naître la vie, le caractère, les œuvres, les idées, l'influence 
et les mérites de Pascal. Très bien informé de ce qui a été 
écrit jusqu'à présent sur son auteur, habile à exposer l'état 
actuel des questions qui le concernent, M. Giraud nous offre 
un fidèle résumé et un précieux inventaire de tous les 



266 LA PENSEE DE PASCAL 

ouvrages qui ont précédé le sien; mais de plus, il abonde en 
idées personnelles, en réflexions originales toujours intéres- 
santes mémo si elles peuvent être discutables, et sa sympa- 
thie visible pour Pascal donne un attrait de plus à son livre, 
de la vie à sa science. 

Je n'ai pas le courage de reprocher à M. Giraud la forme 
qu'il il donnée à son livre, la forme de notes. J'en sais bien 
les inconvénients: la lecture en est plus aride; les idées 
parfois restent un peu énigmatiques, trop peu nuancées et 
moins vraies peut-être qu'elles ne l'eussent été si l'auteur 
en les développant y eut apporté les restrictions et les atté- 
nuations nécessaires. Mais il a su tirer de cette rédaction 
austère tous les avantages qu'elle comporte : il y a entassé 
une masse énorme de faits et d'idées, comprimés pour ainsi 
dire et réduits à leur plus petit volume; et s'il a fait preuve 
d'une sorte de dévouement en nous livrant ses notes, j'es- 
père que plus tard il reprendra ce canevas, et nous donnera 
sur Pascal le livre complet dont il s'est montré capable. 

Mais voici d'autres objections que je ferai à M. Giraud au 
fur et à mesure que son livre m'en offrira l'occasion. 

P. 39-40 : Il me semble que M. Giraud exagère un peu la 
logique et la continuité de la vie de Pascal; il en arrive à 
présenter la période mondaine de sa vie comme une sorte 
d'expérience : à l'en croire, « un secret instinct l'avertissait 
que son expérience de la vie n'était pas complète... qu'il se 
devait à lui-même et à la logique d'éprouver et d'épuiser les 
diverses conceptions de la vie avant de s'arrêter à une seule » ; 
plus loin (p. 44 et 45), Pascal « veut éprouver... la sagesse 
purement humaine », il en « prétend faire le tour» et, o entre 
1652 et 1654, il profite de son court passage dans le monde 
pour se livrer à une vaste enquête sur V homme ». — Que Pascal, 
pendant son passage dans le monde, ait en effet observé les 
choses et les hommes, qu'il ait profité plus tard dans son 
Apologie des remarques qu'il avait ainsi amassées, cela est 
certain. Mais qu'il se soit livré au monde pour en tirer ce 
profit, qu'il ait eu ce « dessein plus ou moins conscient » 
(p. 45), j'en doute fort. M. Giraud lui-même .me fournit des 
arguments contre sa thèse : ne met-il pas en lumière 



» 



APPENDICE VI 267 

r « esprit tout séculier » dont Pascal était alors animé (p. 42) 
et sa « tiédeur » religieuse (p. 46) et la « satiété », les « scru- 
pules de conscience » (p. 48), qu'il n'a pu avoir que s'il s'était 
vraiment abandonné au monde? Ce sont les Restif de la 
Bretonne qui font des expériences de ce genre — ou qui le 
prétendent <• 

P. 52 : En comparant la « conversion » sentimentale de 
Pascal à la « conversion » sentimentale de Chateaubriand, 
n'y aurait-il pas lieu de rappeler expressément la différence 
essentielle qu'il y a eu entre elles? La conversion de Cha- 
teaubriand, sentimentale dans son mobile, a été intellectuelle 
dans ses résultats, puisqu'il avait été disciple des philosophes 
et qu'il a dû revenir à la foi. Pascal, lui, n'a dû revenir qu'à 
la ferveur, comme le note M. Giraud. 

P. 57 : « Pascal aurait pu aisément découvrir le calcul des 
probabilités. » — Peut-être ; mais ne suffit-il pas de louer Pas- 
cal des mérites qu'il a eus sans le louer encore des mérites 
qu'il aurait pu avoir? 

Même page. — On sait que Pascal n'a pas inventé la 
brouette. 

P. 65 : En quel sens M. Giraud entend-il sa phrase que 
« le Cid est tout imprégné de romantisme comme au reste 
l'œuvre entière de Corneille »? Accepte-t-il la thèse qu'à 
soutenue M. Deschanel dans le Romantisme des Classiques ? 
Veut-il peut-être parler seulement de « romanesque »? Voilà 
un cas où il eût été bon de développer sa pensée. 

P. 72 : Pascal a-t-il « considéré la polémique des Provin- 
ciales comme un excellent moyen de préparer et d'intéres- 
ser l'opinion » à son Apologie? M.. Giraud le soutient parce 



1. Je ne comprends pas très bien le parti que M. Giraud prétend 
tirer du passage qu'il cite de la préface d'Etienne Périer (p. 40, 
note). Après avoir remarqué que Etienne Périer a « attén^^é » ce 
qu'il avait à dire sur la période mondaine, M. Giraud soutient qu'il 
a eu «le sentimen" de la continuilé» de la vie de Pascal. — Mais 
Etienne Périer avoue pourtant que Pascal « a été détourné quelque 
temps de son dessein » apologétique, et c'est là précisément ce que 
M. Giraud tendrait à nier; et si encore cet aveu même est un aveu 
«atténué», alors Etienne Périer contredit formellement M. Giraud. 



268 I.A PENSEE DE PASCAL 

qu'il a toujours ce désir de retrouver la « continuité » et 
l'unité de la vie de Pascal. Pour moi, sans nier le lien qui 
rattache la doctrine des Provinciales k la doctrine des Pensées, 
je croirais que Pascal a momentanément renoncé à son Apolo- 
î/ie pour combattre les jésuites ; il se disposait à lutter contre 
If'S ennemis du dehors (impies, juifs, protestants) quand il 
lui a paru qu'un ennemi intérieur le menaçait, et il a tout 
quitté pour réduire celui-là : il fallait sauver la maison avant 
de songer à l'agrandir. M. Giraud lui-même me paraît ail- 
leurs (p. 74-75 et H6-1I7) démontrer qu'il y a un lien moins 
étroit entre les ProKincialcfi et les Pensées. 

P. 73 : Pascal a-t-il lu deux fois Escobar avant d'écrire les 
Provinciales ou même celles des Provinciales qui sont diri- 
gées contre la casuistique ? Ou l'a-t-il lu au cours même de la 
polémique? C'est, je crois, la dernière alternative qui est 
vraie et il aurait été bon de l'indiquer. 

P. 8ir et 90 : M. fiiraud n'exagère-t-il pas un peu le rôle de 
Pascal comme « fondateur de la prose et de la littérature 
classiques »? Jadis, M. Krantz avait ainsi loué — et peut-être 
surfait — Descartes. Ne pourrait-on pas partager ce mérite 
entre ces deux écrivains et un certain nombre d'autres, 
bien inférieurs du reste, comme Balzac? Ce sont là, me 
semble-t-il, des tâches collectives dont nul ne saurait avoir 
le mérite exclusif. 

P. 85 : M. fiiraud est-il sûr que les w persécutés » soient 
toujours et nécessairement jusqu'à la fin de bonne foi? Ne 
leur arrive-t-il pas, à eux aussi, de s'aigrir, de se laisser aller 
à la passion, de s'enfoncer dans l'entêtement? 

P. 100 : En parlant des Provinciales, M. Giraud dit : par 
elles, « dans le monde, durant un demi-siècle, ont été para- 
lysés les oflorts des « libertins » ; il y faudra d'ailleurs aussi 
les Pensées». — Cela est-il vrai des Provinciales? N'ont-elles pas 
au contraire favorisé les libertins, puisque (c'est M. Giraud 
qui le ditj Pascal y a, « sans s'en douter, fourni des armes, 
des prétextes et des arguments contre la religion elle-même » 
(même page, voir aussi les pages 204-205}? 

P. 103 : « Ce qui aurait pu arriver si Pascal avait vécu et 
connu Bossuet. » — N'est-ce pas là une question chimérique, 
insoluble et partant oiseuse? 



APPENDICE VI 269 

P. 139 : <f S'il a ^crit son Apologie, c'est presque autant 
peut-ôtre pour se satisfaire lui-même que pour convertir les 
autres. » — Satisfaire aux exigences de sa charité pour les 
âmes? sans doute; mais les deux motifs sont inséparables. A 
les distinguer ainsi, et à les opposer, M. Giraud me paraît enle- 
ver aux Pensées une partie de leur caractère propre; ce qui 
domine en elles, c'est l'ardeur du prosélytisme. Si Pascal 
avait voulu « se satisfaire », il eût écrit des méditations, ou 
même il n'eût rien écrit et se fût livré à des actes de piété, 
de mortification, etc. 

P. 137-140 : N'y a-t-il pas quelque abus dans ces comparai- 
sons entassées de Pascal écrivain avec Taine, Rembrandt, 
Shakespeare, Milton, Dante, sainte Thérèse, l'auteur de 
Vlmitation, Bossuetet Hugo? Ce sont de bien grands noms et 
il y en a beaucoup. 

p. 142 : Je ne crois pas que la doctrine janséniste et le 
dogme de la Prédestination soient incompatibles avec l'idée 
d'écrire une Apologie. Une apologie peut toujours être utile, 
ne fût-ce que pour préparer les voies et inspirer au lecteur 
le désir de la grâce ; elle peut être pr/cisément le moyen 
dont Dieu se servira pour ouvrir les yeux à ceux qu'il aura 
choisis (cf. M. Giraud lui-même, p. 143-144 et les notes, et 
p. 175 et 177). Si le raisonnement de M. Giraud était exact, le 
janséniste n'aurait eu que faire de la Bible et de l'Évangile, 
puisque les impies les lisent sans être convaincus si Dieu ne 
les éclaire, et que les élus eux-mêmes n'en tirent pas leur 
lumière mais l'ont reçue par un don gratuit. (Cf. la citation 
de la page 129-130 : « Si ce discours vous plaît. ») 

P. 157. Note : M. Giraud a-t-il vérifié si ce M. de laMothe 
Fénelon <' qui n'était pas un théologien » était bien le futur 
archevêque de Cambrai? En 1670, Fénelon n'avait que dix- 
huit ans: c'est bien jeune pour un homme « très habile », au 
jugement de qui l'archevêque de Paris accorde tant d'impor- 
tance; et il devait être au moins étudiant en théologie et un 
peu « du métier ». Il me paraîtrait intéressant de résoudre 
sûrement la question. 

p. 171 : Il me semble que la conception de la nature 
qu'expose M. Giraud est plus cartésienne que pascalienne. 



270 LA PENSEE DE PASCAL 

Pascal n'admet pas que Dieu « ait donné une chiquenaude 
pour mettre le monde en mouvement » ; il croit son action 
toujours présente et toujours nécessaire pour maintenir les 
lois fixes de la nature; et c'est ainsi que la croyance au 
miracle s'accorde en lui avec les conceptions du savant : il 
n'y a pas contradiction entre la permanence des lois de la 
nature et la possibilité du miracle, puisque cette perma- 
nence elle-même est un miracle continu. 

P. 206 : Assurément Bossuet, Bourdaloue, Racine, Boileau 
et La Bruyère, etc., ont cru à la perversité de l'homme; mais 
ils y auraient cru sans Pascal et je ne crois pas qu'on puisse 
lui attribuer à ce point de vue la moindre influence ; ce n'est 
pas lui qui a inventé le dogme du péché originel, ce n'est 
même pas lui qui le leur a fait accepter. 

P. 236 : Est-il exact que Tœuvre de Pascal « oriente tout un 
siècle de notre littérature »? Je crains qu'il n'y ait encore là 
un excès d'admiration. 

Mais si je ne suis pas toujours de l'avis de M. Giraud, et si, 
comme on l'a vu, je lui cherche des querelles, je suis d'au- 
tant moins suspect quand je lui fais les éloges qu'il mérite. 
Je m'associe sans réserve à ceux que lui a adressés un 
pascalisant aussi autorisé que M. Boutroux : après avoir 
directement félicité l'auteur, M. Boutroux, présentant le 
livre à l'Académie des sciences morales, en a dit : « Ce sera 
l'auxiliaire presque indispensable de quiconque voudra s'oc- 
cuper de Pascal ». Gomme nous serions aises et reconnaissants 
si nous possédions un ouvrage aussi complet, aussi sérieux, 
aussi remarquable sur tous nos grands écrivains î 



D 
M. BOUTROUX, PASCAL. 

Le livre de M. Boutroux était impatiemment attendu; les 
auditeurs du cours où il a d'abord été professé nous en 
avaient fait espérer beaucoup ; et ni cette attente ni ces espé- 
rances n'ont été trompées. On a vu peu d'exemples d'un 



APPENDICE VI 271 

effort aussi heureux et aussi constamment heureux pour 
revêtir les idées, les sentiments, Tâme même de Fauteur à 
étudier et pour s'identifier aussi pleinement avec lui. Les 
recherches approfondies de M. Boutroux sur son sujet, sa 
maîtrise en philosophie, sa pénétration psychologique, et 
sans doute aussi une certaine affinité naturelle avec Pascal, 
lui ont permis de nous donner un livre hors pair : Taccent 
pascalien de la petite introduction de M. Boutroux suffirait 
à en convaincre ceux-là même qui ne le connaîtraient pas 
ou qui n'auraient lu que cette page du livre. Il a donc admi- 
rablement réussi dans sa tentative. Il a trop bien réussi : 
parfois, nous sommes aussi embarrassés devant certaines 
pages de M. Boutroux sur les actes de Pascal que devant ces 
actes eux-mêmes, parce que nous ne pouvons plus séparer 
le héros de son historien, et que nous voudrions pourtant 
bien savoir ce que l'historien pense, en son nom, de son 
héros. 

Je note ici, page par page, les observations que m'a sug- 
gérées cette lecture. 

P. 8 : « Là personne de confiance que M™« Périer appelle 
ma fidèle, » — Je ne me souviens pas d'avoir lu cette expres- 
sion dans les lettres de M°»° Périer. Elle est au contraire 
dans les lettres de Jacqueline {Lettres opuscules, etc., édit. 
Faugère, p. 323 et 342) ; mais n'y désigne-t-elle pas 
M™* Périer elle-même? « M. Périer, mon frère et ma fidèle 
vous baisent très humblement les mains », dit Jacqueline à 
son père ; et à son frère ; « J'écris à ma fidèle ; je vous supplie 
de la consoler si elle en a besoin et de l'encourager. Je lui 
mande que si elle s'y sent disposée et qu'elle croie que je la 
pourrai encore davantage fortifier, je serai ravie de la voir ; 
mais que si elle vient pour me combattre, je l'avertis qu'elle 
perdra son temps. » Cela me paraît se rapporter à Gilberte 
(cf. Cousin, Jacqueline Pascal, p. 182). 

P. 22 : « Il résolut notamment de mettre fin à ces curieuses 
recherches auxquelles il s'était appliqué jusqu'alors. » — 
Mais il n'y a pas renoncé du tout (cf. p. 31, 37, 47) et 
j^me Périer qui nous le dit se trompe : entre 1647 et 1649 les 
travaux scientifiques se mêlent aux écrits jansénistes. Il ne 



272 LA PENSEE DE PASCAL 

semble pas qu'il y ait là « oscillation » entre le monde et 
Dieu. M. Boutroux remarque fort justement (p. 47 et 70) que 
la première conversion de Pascal a été surtout « intellec- 
tuelle » : t< il n'appartient donc en réalité ni à la science ni 
à la religion. Toutes deux sont des objets extérieurs dont il 
contemple la vérité. Et ainsi, il peut se prêter à la fois à la 
religion et à la science » ; ce sont les expressions de M. Bou- 
troux (p. 47), je n'y ai changé qu'un mot : à la fois au lieu de 
tour à tour. 

P. 58 : La « Sapho » de Glermont-Ferrand « ne pouvait 
souffrir les compliments vulgaires ». — Cathos et Madelon 
non plus, n'en déplaise à Fléchier ; et je voudrais être bien 
sûr que cette Sapho avait réellement bon goût, pour être sûr 
que c'est en 18o2, après Méré, que Pascal l'a admirée. 

P. ()l : « 11 est vraisemblable qu'il a aimé. » — S'il avait 
aimé, n'y en aurait-il pas eu des traces autres que \e Discours; 
et, s'il y en avait eu des traces, quelque janséniste (hors des 
siens) ne l'aurait-il pas su, et ne se serait-il pas dépêché de le 
consigner pour faire mieux ressortir la puissance qu'a eue 
sur lui l'appel de la gnlce? Il y a bien des saints qu'on loue 
ainsi, pour ainsi dire, de la profondeur du « bourbier » dont 
ils ont été retirés : ne l'aurait-on pas fait pour Pascal? Du 
reste j'avoue qu'il ne peut y avoir sur ce sujet que des sup- 
positions et pas de démonstration indiscutable. 

P. 68-84 : Voilà un chapitre très original, où M. Boutroux, 
cherchant les causes de la seconde conversion, supprime à la 
fois toutes celles qu'on a coutume d'alléguer. — Je le com- 
prends très bien pour l'accident de Neuilly : comme cause^ il 
n'a aucune valeur; et toute l'histoire qu'on a échafaudée 
là-dessus mérite ou le silence que lui réserve ici M. Boutroux 
ou l'allusion méprisante qu'il y fait page 196. Mais n'y a-t-il 
pas d'autres causes, et, sans insister sur celles qui sont seu- 
lement vraisemblables, n'y en a-t-il pas une qui nous est 
attestée, l'influence de Jacqueline? M. Boutroux représente 
Jacqueline comme toute passive ; pourtant M™« Périer écrit: 
« Gomme mon frère la voyait souvent, elle lui en parlait 
souvent aussi; et enfin elle le fit avec tant de force et de dou- 
ceur^ qu'elle lui persuada, etc. » : voilà qui est formel. Cela 




.VPPENDICE VI 273 

me gêne un peu poursuivre M. Boutroux, et pourtant j'au- 
rais plaisir à le suivre : ce chapitre est une analyse admi- 
rable. 

P. 71: L'argument du pari serait de 1654. — L'hypothèse 
est fort plausible ; mais apparaît toujours cette objection : 
pourquoi le résumé d'Etienne Périer ne le contient-il pas? 
c'est cependant une chose assez frappante et qui aurait fait 
impression sur des auditeurs. D'autre part, rattacher le pari 
au concours de la roulette comme M. Brunschvicg, n'est pas 
non plus sans difficultés. La théorie de M. Lanson (que le 
pari avait un but à part et n'appartenait pas à V Apologie) a du 
moins l'avantage de supprimer le problème ; mais n'est-elle 
pas un peu absolue ? 

P. 79 : Le sermon de M. Singlin. — C'est une question bien 
difficile à résoudre, si le sermon est du 21 novembre ou du 
8 décembre. — De plus, si le sermon est de M. Singlin, 
puisque Jacqueline, comme il est dit p. 75, « a informé [de l'état 
de son frère] quelques personnes de Port-Uoyal » et assuré- 
ment M. Singlin, Pascal n a pas lieu de s'étonner que " par 
une conduite spéciale de la Providence, tout cela ait été dit 
exprès pour lui » ; dans ce cas, en effet, c'est trop visible- 
ment et trop humainement dit exprès pour lui. 

P. 80 : Le ravissement, couronnement de la conversion 
complète et sans réserve. — M. Boutroux doit le considérer 
ainsi, puisqu'il a placé le sermon deux jours avant. Mais sans 
doute Pascal, converti sans réserve, en a tout de suite averti 
sa sœur tant aimée qui en devait être si heureuse. Je suis 
frappé alors que Jacqueline attende jusqu'au 8 décembre 
pour communiquer cette nouvelle à sa sœur ; je suis frappé 
du ton de cette lettre hâtive, s'il ne s'est rien passé ce jour-là 
qui la provoque ;etje suis frappé aussi que dans cette lettre, 
Jacqueline parle des hésitations récentes de Pascal, si ces 
hésitations avaient cessé dès le 21 novembre. 

P. 91 : « Lié aux personnes de Port-Royal, il ne crut pas 
faire partie d'une communauté. » — N'est-ce pas ce qu'on 
appelle au théâtre une « préparation » ? M. Boutroux songe 
visiblement ici à l'affirmation future des Provinciales : « Je ne 
suis pas du Port-Royal » (p. 134). Cette affirmation sera à 

18 



^74 LA PENSÉE DE PASCAL 

examiner. Mais ici, ne pouvons-nous pas dire que celle 
remarque, dans la psycho-biographie de Pascal, est un ana- 
chronisme ? A ce moment-là assurément, Pascal n'a pas et 
cette distinction à faire, et il n'a sans doute pas mène songé 
à se demandtM* s'il y avait une différence de situation entre 
ces " Messieurs » et lui : c'est une idée qui n^a dû lui venir 
que plus tard, quand elle a pu lui être ntile. Je noterai que 
M. (iazier «Miit tout naturellement à celte date : <« Pascal, 
devenu /'u/i défi Messieurs de Part-Royal, fut admis sans délai 
aux conférences qu'ils avaient organisées entre eux » Hist. 
litt. française, IV, r»92 , et cette formule 5po/if/iiiée vaut d'être 
remarqu^'*e. 

P. 95 : Il semble qu'à la page 95, M. Boutroux fasse dater 
do 1655 ridée d'une tipolo'/ie; que, page 100, il atténue un peu 
et roprés^nte celte idéi* comme plus vague; que, page 141, 
il la fasse naître du miracle. Si j'ai bien compris, la première 
pensée de la possibilité et de l'intérêt tïu^e apologie, la pré- 
occupation de la méthode qu'elle exigerait, seraient de 1655, 
l'intention forniflle et l'entreprise même, d'après le mi- 
racle ? Mais est-ce que les éludes de 1055 ne se rapporteraient 
pas plus simplement aux travaux d'Arnauld et de Nicole, 
d'où devait sortir plus tard la Logique de Port-Royal? 

P. 125 : faute d'impression : avril pour mars, si je ne me 
trompe. 

P. 134: « Je ne suis pas du Port-Hoyal. » — J'ai beau faire, je 
ne peux pas ne pas voir là une espèce de jeu verbal autour 
d'une vérité gênante ; et cela me choque. Ces « Messieurs » 
de Port-Uoyal ne formaient pas un couvent, une corporation 
régulière où l'on entrât et d'où l'on sortît par un acte en 
forme; c'était une libre réunion rattachée par un lien spi- 
rituel bien plus(jue matériel ; et Pascal était lié par ce lien. H 
éciivait pour eux, en leur nom : c'étaient eux qui l'en 
avaient prié ; c'étaient eux qui collaboraient avec lui ; leurs 
idées, leurs sentiments, leurs désirs, leurs espérances, leurs 
amis et leurs ennemis, tout leur était commun avec Pascal : 
qu'est-ce qu'il faut de plus pour « être du Port-Royal » ? 
Certes je ne dis pas que ce soit un mensonge, mais enfin, 
c'est bien une équivoque. 



APPENDICE VI 275 

P. 135 : w Ils nient que ces propositions se trouvent mot à 
mot dans Jansénius. » — Cependant, elles y sont « à peu 
près ». On aimerait savoir ce que pense M. Boutroux de ce 
mot àmot qui revient sans cesse sous la plume des jansénistes 
et de la valeur qu'il accorde à cette réponse. 

Même page. —^ Peut-on vraiment dire que poser la question 
de fait ou la question de l'obéissance à une décision de 
l'Église portant sur un fait, ce soit « confondre les méthodes » ? 
Et si le philosophe et le savant dans Pascal ont pu penser 
ainsi, le catholique en lui a-t-il le droit de penser ainsi (en- 
tendez : tant qu'il n'a pas nettement distingué l'autorité du 
pape de l'autorité de l'Église ; et il me semble bien qu'en 
èiïei il ne l'a distinguée nettement que plus tard)? 

P. 136 : Peut-on dire qu'en effet « les jansénistes admettent 
la coopt''ralion du libre arbitre » ? Ce sont des questions très 
subtiles et très ardues ; M. Boutroux expose à merveille 
l'opinion de Pascal ; on aimerait à le voir se prononcer lui- 
même : l'opinion d'un philosophe tel que lui vaut d'être 
entendue ; je dirais même qu'elle est plus précieuse que 
celle d'un théologien, prévenu sur ce point en un sens ou en 
l'autre, suivant l'école à laquelle il appartient. 

P. 142 : M. Boutroux croit que Pascal avait « déterminé les 
lignes principales de son plan », quand il l'exposa à Port- 
Royal. Dans ce plan tel (ju'il le reconstitue (p. 178), le pari a 
sa place ; et le pari a été imaginé dès 1654 (p. 71). Alors 
pourquoi Etienne Prrier n'en parle-t-il pas ? C'est toujours 
ce problème, insoluble sans doute. Pour soutenir contre 
M. Lansonque le pari entre dans YApologiey M. Boutroux ne 
pourrait-il pas se servir de ces mots (si vagues, je l'avoue) de 
M™° Périer : « En voyant clairement qu'il ne pouvait prendre 
un meilleur parti, ni plus raisonnable, etc. » ? 

On voit combien le livre de M. Boutroux soulève de ques- 
tions , niai> on ne voit pas assez et je n'ai pas assez dit com- 
bien il en résout, et avec quelle maîtrise de son sujet, avec 
quelle intelligence puissante et fine, avec quelle émotion in- 
time, M. Boutroux reconstitue le dessein des Pensées, et, plus 
encore, déroule et dénoue devant nous le drame intérieur 
dont l'âme de Pascal fut le théâtre. 



276 LA PENSÉE DE PASCAL 

E 
M. IIATZFELD. PASCAL. 

M. Ilatzfeld sV'tait chargé de traiter le Pascal de la collection 
dil<i (les Grands Philosophes qu'édite la librairie Alcan. Il avait 
(Hé désigné pour cette tùche à cause de la connaissance parti- 
culiôn» qu'on lui savait de Pascal et à cause de la réputation 
(ju'avîiicnl à Louis-le-Grand ses levons sur Tauteur des Pensées. 
Maihoureusoinent, s'il a pu achever son livre, la mort ne lui 
a pas pormis de le revoir, ni de le publier lui-même. 

La premiôre originalité du Pascal de M. Hatzfeld, c'est que 
la [»artie scientifique y est enlin traitée par un homme du 
nit'lier le lioiilenant Perrier. Cette partie — que je ne puis 
Juger en elle-même — se lit avec beaucoup d'intérêt. 11 est 
peut-être peimis de trouver que la conclusion sévère du lieute- 
nant Perrier : « il est le premier parmi les seconds »> (p. 191), 
Jure un j)eu avec les éloges enthousiastes qui la précèdent 
(p. 141, 148,170, 187, etc.). Le lieutenant aurait dû,mesemble- 
t-il, plus clairement qu'il ne Ta fait, séparer son appréciation 
sur le {/énie scientifique de Pascal, de son appréciation sur son 
u-uvre scientifique : C'est l'œuvre qu'il faut mettre au second 
r.mg, puisque toutes sortes de raisons ont empêché Pascal 
de donner à la srience tout ce qu'il aurait pu; mais le génie 
était de premier ordre, — du moins si j'en crois le lieutenant 
lui-même. 

(Juant à la partie de M. Hatzfeld, ce qui la distingue entre 
toutes, ("'est que c'est un ouvrage à thèse. L'intention visible 
de Fauteur, c'est de défendre la stricte orthodoxie de Pascal 
contre les attaques les plus opposées : 

1" Que vient-on nous parler de la « dissipation » de Pascal, 
de (' plaisirs mondains»? Il songeait à se marier, à acheter une 
charge et s'occupait de sciences, voilà tout (p. 38 et suiv.) 
— Mais au lieu de :* dissipation » on peut parler de « tiédeur» 
et cette tiédeur, je crois, ne peut être niée : tous les docti- 
ments, tous les faits nous attestent qu'entre 1651 et 1653 (au 
moins), il y eu non seulement un arrêt, mais même un recul 



APPENDICE VI 277 

dans la marche de Pascal vers la perfection. S'il y en a eu qui 
aient eu le tort de Texagérer, est-ce une raison pour la 
nier absolument ? 

2° Que vient-on nous parler de jansénisme? Pascal n'est 
pas janséniste : « Tandis que les jansénistes soutiennent que 
Teffort de l'homme pour connaître la vérité est stérile et que 
Dieu seul la donne à qui il lui plaît, Pascal déclare que 
l'homme coopère à cette grâce sans laquelle il n'y a pas de 
certitude complète et durable. » (P. 110.) Toutes les fois qu'il 
le peut, M. Hatzfeld note les différences qu'il croit voir entre 
les doctrines des vrais jansénistes et les doctrines de Pascal ; 
voir p. 233 note, et surtout p. 275 : « Constater que l'apo- 
logétique de Pascal se fonde sur l'initiative de la volonté, 
c'en est assez pour se convaincre qu'elle est incompatible 
avec l'erreur du jansénisme qui déclare l'effort de l'homme 
inutile à son salut... » et ce qui suit. — Mais cette « coopéra- 
tion de l'homme » cette « initiative de la volonté », d'où pro- 
cèdent-elles? du libre arbitre de l'homme? de l'action de 
Dieu? Si c'est du libre arbitre, Pascal n'est pas janséniste; 
mais il semble bien qu'il les rapporte au contraire à l'action 
de Dieu, et alors il est janséniste. 

Voici d'autres remarques de détail : 

P. XII : Puisque M. Hatzfeld n'a pas corrigé lui-même les 
épreuves de son livre, on peut se demander s'il faut lire 
« il défend les jansénistes ahufiés par l'apparence d'ortho- 
doxie... » ou « abusé » ? 

P. 27 : Il y a une contradiction : Le parlement de Paris de- 
mande /t* 1 5 yi/iZ/e^ la suppression des intendants; Etienne 
Pascal rentre donc à Paris au mois de mai de cette année. 

P. 35 de même : Pascal rentre en juin ; trois mois aprt's, en 
novembre, son père revient à Paris. 

P. 44 : M. Hatzfeld rejette l'hypothèse de Collet; mais, 
p. 33, il s'est appuyé sur cette hypothèse pour appli(juer à 
Pascal un mot de Méré. 

P. 48 : Picard. — Faute d'impression : ce gate-niéli(ir 
s'appelait Ricard. 

P. 94 : M. Hatzfeld signale un emprunt u visible » de 
Bossuet aux Pensées. 



278 LA PENSEE DE I»ASCAL 

P. 128 : Bouillet. — Faute d'impression : Baillet. 

P. i34 : '< Il érrivil en 16;i3 des traités, etc. » — Non : ces 
traités ont bien dû paraître en 1054, mais ils étaient « prêts » 
dès 1651. 

P. 194 : Prédestinations. — Faute d'impression : Prédes- 
tinatiens. 

P. 229 et suiv. : >f. Hatzfeld restituant le plan des Pensées, 
ajoute aux résumés de Filleau de la Chaise et d'Etienne Périer 
une partie supplémentaire : « 3° les preuves étant insufli- 
santes, etc. » Cela le force (p. 260 note 2) à aller chercher 
dans Filleau de la Chaise et dans Etienne Périer deux |ms- 
sages que ces auteurs ne rattachent pas à leur exposé du 
plan. — N'y a-t-il pas là un procédé arbitraire et une erreur 
probable ? 

C'est surtout sur les Provinciales , me semble-t-il, que le 
livre de M. Hatzfeld est intéressant : il y expose avec beau- 
coup de force et de précision la question de la grâce et la 
solution orthodoxe du problème. 



INDEX ALPHABÉTIQI E 



Abadie, 100. 

Abréffé de la vie de Jésus, l.*>3. 

ACADKMIEDES SCIENCES, 20, 21, 71. 

Adam, 21, 23, 66, 68, 118, 135, 
no, 177, 181. 

Agnès (mère), 12, 13, 82, 88, 90, 95. 

Aiguillon (duchesse d'), 69, 79, 247. 

Alexandre, 70. 

Angélique (mère), 114, 133. 

Apologie. V. Pensées. 

Archiraède, 70. 

Arnauld,3, 41, 113,117, 118, 123, 
125, 128, 129, 153, 190, 193, 27 'k 

Arnauld d'Andilly, 193. 

Art de persuader, 127, 2 H, 249, 
261. 

Astié, 239. 

Artus Thomas, 25. 

Avis à ceux qui verront la ma- 
chine arithmétique, 31, 32. 



U 



Backer (le P.), 129. 
Baillet, 21, 278. 
Balzac, 24, 268. 
Barreaux (des), 68, 92 
Barrés (Maurice), 11. 
Barroux, 89, 175. 
Bascle (de), 17. 
Bayle, 142. 



, 93. 



Beaurepaire (de), 49. 
Bégon (Antoinette), 10. 

Berr, 149. 

Bertrand (Joseph), 25, 30, 125, 1 44, 

146. 
Binet-Sanglô, 42, 45, 109. 
Blanc (Ilippolyte), 131. 
Blondel, 19, 93. 
Boileau (abbé), ICO. 
Bos, 141. 
Bossuet, 1, 4,24,92,121,122,153, 

265, 208, 269, 270, 277. 
Bouteillerie (La), 40, 193. 
Bouquet, 124. 
Bourdaloue, 124, 270. 
Bourdelot, 69. 
Boursault, 69. 

Boutroux, 80, 83,99, lll,270,sqq. 
Brunet, 190. 
Brunetière, 18, 84, 93, 124, 125, 

138, 139, 156,223, 226, 227, 228, 

238. 
Brunhes (Bernard), 23. 
Brunschvicg, 19, 20,21,50,68,84, 

118,130, 223,248, 259 sqq.,273. 
Bruyère (La), 90, 270. 



Cadet, 117. 
(^amus, 50. 
Carcavi, 20. 




I.A PEXS&E DE PASCAL 



n,iti.:;j.ii.in.i6v. 



CtiRteniihi-inni, i07. 



i:ili<v;iii[j('s, l;it). 
ilhriî-tiiie lie Siièile. 1111. 
Ckénm, 21. 
CIrinrnrel [dnni;. I<j:t. 
acre (Victor Le'. US. 
Ci>]U'l(Fr.'..:>l,6n. Ihi. 77.26«.2n. 

Ci.riilft ni: V. . l'JO. 

ri.n(l..rrp1. ll)(l, inN. 

Conrerswn -lu prcbr-ir {de l(i). 



. w. :;o. XI. tu:;, 119.2-1. 



Duret. IH. 

Diitoit (Marie), lo:k 



■Wft; .W. de Saci. 119, 

K|>i.lùlo, 2i, 119. (i9. 260. 

Fspinas, »iO. 

Esprit géomélriqut {de C\ IIH, 



Dniiiel 'le l>.\ 125. 




Faclunu det curit. 13*. 


Dnrlifiux.i:;. 




Fn/iuel. es. U. 


DHiJBiie. 11. i«0. tll sqq. 




KauK^res, Kt,239, 2(3. 


Ileiiis J. . Nr>. 92. 
IKTiimu. Xi. s:i. 




Ft-ntlon. 269. 

Kenuut. 19, 20, 11, 1«. 


DeiarKiiea, 20. 




Filleau lie la Chaise, 239.210,218 


Dtsi'iives. 2U. 




Filoï, 80. 


Dexcnrtps. |M, m, 20. ^t. 2i 


30. 


Fléchicr, 6fi, T.i. 


r,È. :n, r.u, bx. ii. 12, an. 


I«, 


Flottes (nbbÉ). 119. 


im, 1 vu. atis. 26K. 




Foisset, 109. 






FoDluiue, 117. 119. 


[Jcsi-hnnel, aiil. 




FimUiine (La), 93. 


Dcslnmlcii. 1». 19:i. 




Fonlendlu, 2I.14B. 


Iliiliul 'rhniKnlK-!. UU. 




Fc)rtim {J«ci|ues). V. Saint-.4n)i¥ 


lii.<j.'<-nr-. -U. 




Kuuilli'e. 21. 


Iilsr..„r> ,1e l» m^'llio'lp. ]K 


71. 


F.niiUon, 120. 


l>iS'iiiir>^ sur Irn /mashins 


ilr 


Franuois de Sales (snintl. ai. 


Vmxnm: :\. ^\.în. 




Kranliii. 419. 'iVIi. 



INDEX ALPHABETIQUE 



G 

Gallicwissie, 13, U. 

Garasse (le P.). 92. 

Garsonnet, 45. 

Gnssendi. 21. 

Gazier, 65, Ri, R3, H3, 128, 133, 

274. 
Géométrie (Eléments de). 117. 
Gerberon (doiïi). S23 nqq. 
fiiraud {V.), 16, 21, 21, i% 6R, 84, 

m, 132, 139, U«, 193, 261 sqq. 
GoDOd, 11. 
Gory, 139. 
Goulu (le P.), 21. 
Gramont (chevalier de), 153. 

§ 109. 
Grouchy (vicomte île), 89, 115. 
Guerrier (le P.), 108. 
Guillard, U9. 
GuUlebert, 40. 

Gûthlin (chanoine), I tO, 2.19. 
Guy Patin, 13, 69, 92. 94. 

H 

Hamelin, 128. 
Hamon, 1^8. 
Harlay (de), .10. 
HaUfeld,21. 101. 140,216. 
Hauréau. IS, 

llavet, 21, Ki, 238. 
Heraclite, 10. 
Homère, 24. 
Huet, IS. 

Hulst (M"d').125. 



Janet, 1*9. 

jAxslbis>ii!,li,IB,31 sqq.,51sqq.. 

122 sqq.,l.'i3, 154,155. 156 sqq.. 

163,163, 193, 223 sqq., 277. 
Jansùnius, tl, Ô3, 122 sqq., 13X, 

151, 1ï:I, 193 sqq., 223 sqq. 
Joly, 28. 40. 109. 
Jovy, 25 



Laberthonnière (le P.), 140. 

Laohelier, 146. 

La Mothe Le Vayer, 01. 

,126,128, 133, un, 
119, 183, 184, 262 sqq., 215. 
Laplace, 146. 



Lemaître (Jules), 1 19. 
Lescopur. 139. 146. 
Lescure (de), 84, 135. 
Lrllrex d'un avocat, 134. 

— « Chrûtine. 69. 

— à Fermai, 145. 

— « Gilberte et Jacqueline, 

42, 43, 41, 81. 

— sur la Mort, 45, 48. 

— au P. Noil, 54. 

— il M. Le Pailleur, 35. 

— « M. de Ribeyre, 10. 

— à J/"* de Roannez. 134. 
Liancourt (de), 117. 

Lofiique de Porl-Royal, 111, 248. 

214. 
Longuevilie (M" de), 38. 
Loret, 79. 

Luyiies (duc de), 116. 
Lyon (G.), 135. 



Machine arithmétique, 30, 31, 42, 

.■15, 69, 144. 
Maeterlinck, 109. 
Marc-Aurèle, lU. 
Marie, US. 

Maynard (abbé), 123, 151. 
Mémorial, im, 113. 
Min; at, 6X, 72, 73 sqq., 81, 91, 



2W2 



I.A PENSEï: DK PASCAL 



93, i30, 164, Km. 240, 247, 2:in. 

260, 261,272. 
Mersenne (le P.}, 18, l!>. 21, 02. 
Miton. 6K, 87, 94, 16.;, 247. 260. 
Moliaier. 25, 68, 84, 138, 1:;:î, 

239, 244. 
Montaigne, 18, 24, 2r>, 90. 1)2. 

119, 149. 
Montaltus. 2.;. 
Montmor, 21. 
Moiiturla. 22. 
Mydorge, 20. 
Mtjstère de Jésus, 110, i:i3, 176. 



N 



Xaudé, 72. 
Navillo, 139. 
Newton, 19. 

Nicole, 3, 24, 117, 12s, 1.36, 274. 
Noël (le P.), 22, :i2, :i4, n-i, :i6. 
Nourrisson, .*;.*>, (;s. 
Nouvelles eape'rietices touchant 
le ride, 21, :i4. .m, 144. 



I»aillcur (Le), 20. :;4. 

Palatine (la princesse), 17. 

Paris (M. de), 29. 

Parturier, 2."i. 

Pascal (Etienne), 10 sqq., 20. 29, 
40, 65, 73, SS, 129. 

Pascal (Gilberle). V. Pt-rler (M-"-). 

Pascal (Jacqueline), 10, 12, 15, 
24, 44, 47, 48, 55, 64, 65, 66, 88 
S(|(|.,102, 104, m sqq., 116, 117, 
120, 151, 152,263,271, 272, 273, 
277. 

Pensées, 1, 3, 5, 33, 50, 64, 72, 76, 
78, 80, 1.36 sqq., 193, 238 sqq., 
248, 255, 259 sqq., 264, 266, 267, 
268, 274, 278. 

Périer (Etienne), 132, 136, 137, 



1.38, 238, 240, 246. 245. 267, 273, 

275, 278. 
Périer (Florin), 30, i4. y). 88. 89. 

264. 
Périer (M-';, 10, 12, 15, 22, 23, 26, 

29, 30, 32, 44, 47. 37, 64. 66, 68, 

86, 88, 89, 90, 94, 102, 131, 132, 

136, 1.38, 142, 1.50, 151,226,242. 

246, 263,271,272. 275. 
Périer (Marguerite), 17, 85, 111 

.sqq., 129, 133, 263. 
Perrier (lieuteiiiinl). 21, 276. 
Perrière (La), 25. 
Petit, 54. 
Pirot (le P.), 129. 
Pompée, 70. 
Poncelet, 20. 
Prière sur le bon usage^ 28, 42, 

45, 46, 55, 58, 136. 
Propositions [les Cinq), 123, 126, 

1.53 sqq , 223 sqq., 273. 
Pkotestantisme, 14, 91, 136 sqq. 
Provinciales, 2, 33, 56, 122 sqq., 

133, 138, 134, 264, 267, 268, 273, 

278. 
Puf/io fidei, 25. 



Q 



Querdec (Le), 146. 



H 



Racine, 24, 86. 
Ilancé, 100. 
Hauh, 149. 
Uavaisson, 84, 149. 
Rebours, 51. 

Récit de quelques expériences sur 
Vèquilibre des liqueurs, 33, 35. 
Recolin, 139. 
Renouvier, 146. 
Restif de La Bretonne, 267. 
Rhktorique, 80 sqq., 137, 246 sqq. 



INDEX ALPHABETIQUE 



283 



Ribeyre (de), 70. 

Ricard (M^'), ^^ 217. 

Richelieu, 12, 21). 

Riquier, 140. 

Roannez (duc de), 68, 69, 73, 103, 

116, 143,247, 253, 261. 
Roannez (M"° de), 84, 8r,, 134, 

I3r), irii. 

Roberval, 10. 

La Rochefoucauld, 16.';. 

Rocher, 239. 

Rosières (Raoul), 144. 

Roulettes 58, 143, 144, 261. 



Stoïcisme, 14, 91, 156 sqq. 
Strowski, 24, 94. 
SuUv-Prudhomme. 83, 130. 1 4(i. 



Sablé (M** de), 38, 69, 80, 83, 164, 

247. 
Saci (de), 113, 117, 119, 261. 
Sacy (de), 190. 
Saint-Ange (frère), 29, 49, 50, 55, 

75, 95, 147. 
Sainte-Beuve, 3, H, 68, 70. 84, 94, 

100, 105, 126, 149, 240. 
Saint-Cyran, 41, 51, 00, 193. 
Saint-Evremont, 92. 
Saisset. 149. 

SCKPTICISME, 18, 148. 

Schérer, 139. 

Scudéry, 12. 

Scudéry(M"-de),24. 

Secrctan, 105. 

Séguier, 12, 31. 

Sénèque, 24. 

Sévigné (M"- de), 80. 

Singlin, 55, 58, 112 sqq., 115, 116, 

117, 264, 273. 
Socrate, 70. 

Sommervogel (le Père\ 129. 
Souriau, 140. 



Tairie, 18, 21, 45, 08, 140. 145. 

1 40, 260. 
Tallemant des Réaux, 23. 
Tannery (Paul), 21, 144. 
Tharain, 92, 124. 
Thérèse (sainte), 28, 40, 109, 269. 
Thévenot, 21. 
Thomas, 140. 
Thomassin (le P.), 25. 
Thurol, 70. 
Torricelli, 54, 70. 
Traité de Véqu'dibre des liqueurs^ 

70. 
Traité des ordres numériques^ 71. 
Traité de la pesanteur de la masse 

de Vair, 70. 
Traité des sections coniques^ 27, 

30. 
Traité du vide, 55, 70, 71, 95. 
Turenne, 38. 



U 



Urbain (abbé), 45. 



Vair (du), 24, 70, 260. 
Vallière (M"" de La), 38. 
Viau (Théophile), 92, 94. 
Vinet, 139. 
Voltaire, 100. 



4# 



TABLE DES MATIÈRES 



Pages. 

Avertissement de la deuxième édition v 



LES ÉPOQUES DE LA PENSÉE DE PASCAL 



PREMIÈRE ÉPOQUE : 1623-1646 

I. Le milieu. — La famille de Pascal : rang, fortune. — 
Etienne Pascal : ses idées et ses sentiments en matière 
de religion; son goût pour les sciences et ses travaux. 

— Éducation de Pascal 7 

11. Les débuts. — La jeunesse de Pascal : la religion et le 
monde. — Premiers travaux scientifiques. — Pascal à 
Rouen : la machine arithmétique. — Amour de la 
science et de la gloire 26 

DEUXIÈME ÉPOQUE : 1646-1649 

I. Le premier jansénisme. — La première «conversion» : 
nature, circonstances, causes. — Les écrits jansénistes : 
Prière sur le bon usage des maladies. — Lettre sur la 

mort. — Lettres, etc. — L'affaire Saint- Ange 35 

II. Science et jansénisme. — Travaux, découvertes et polé- 
miques scientifiques ; la pesanteur de Tair, le vide, 
l'équilibre des liqueurs, etc. — Le jansénisme et les 
études profanes 51 

TROISIÈME ÉPOQUE : 1649-1654 

I. Période mondaine. — Interruption forcée des études de 
Pascal : Voyage en Auvergne. — Liaison avec le duc 
de Roannez : retour aux études et aux travaux scien- 
tifiques 61 



286 TABLE DES MATIÈRES 

II. Le monde et les lettres. — Influence du chevalier de 
Méré : la rhétorique de Pascal, le discours sur les pas- 
sions de l'amour 73 

m. La « dissipation» de Pascal. — Conflit de M"** Périer et de 
Pascal avec sœur Euphémie. — Le « libertinage » au 
XVII" siècle. — Attiédissement des sentiments religieux 
de Pascal 87 



\ 



QUATRIÈME ÉPOQUE : 1654-1662 



1. Définitive conversion. — Los causes : l'accident de Neuilly, 
la maladie, le désenchantement, Tinfluence de Jacque- 
line, le travail intérieur «le sa pensée : l'extase, le ser- 
mon sur « le commencement de la vie des chrétiens». 

— Pascal à Port-Royal 97 

II. La retraite à Port-Royal. — Les sciences : de l'esprit 
géométrique. — La philosophie : entrelien avec M. de 
Sari. — La théologie : les premières provinciales 116 

m. Après le miracle. — Les dernières provinciales, les lettres 
de M"" de Roannez, les pensées. — Ascétisme, mépris 
de la science et de la philosophie, renonciation aux 
afl'ections naturelles et à l'amour-propre. — Obstina- 
tion janséniste 1 oO 

Conclusion 161 

APPENDICES : 

Appendice 1. — Tableau chronologique 169 

Appendice 11. — Le discours de la réformation de rhoiiime 

intérieur 193 

Appendice 111 — L'Augustinus et les cinq propositions 223 

Appendice IV. — Quelques plans des Pensées 238 

Appendice V. — La rhétorique de Pascal 24(i 

Appendice VI. — Cimi travaux récents sur Pascal 259 

Index alpii abktique 279 



Tours, linp. Deslis Frères. 6, rue Gambclta.