3ljïtîit (Carier ïjàroiün
jCütrurç
jurant IRuitm-shhr
The John Carter Brown Library £
Brown University ^
Purchased from the *$•
Louisa D. Sharpe Metcalf Fund
© ïibrerta ^uüiü |
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© Boters, lü-BABCEL0NA-2-(Espaiia) ®
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LES
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LA NA TU RE-
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LES
SINGULARITÉS
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LA NA TU RE.
PAR
Un Académicien de Londres , de
Boulogne , de Petersbourgi de y
Berlin , &c.
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A B A S L E.
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1768.
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DES CHAPITRES
CONTENUS
dans ce volume.
iDes Singularités de la Nature. Pag. r.
Chapitre I. Des pierres figurées. <5,
Chapitre II. Du corail. . . g
Chapitre III. Des polipes. . . <;’
Chapitre IV. Des limaçons. . . , 2.
Chapitre V. Des huîtres à l'écaille. j ,
Chapitre VI. Des abeilles. . . • j
Chapitre VII. De la pierre. . , _
Chapitre VIII. Z>a fa///*»,/. . . i;_*
^hapitre IX. pocÆe . . ’
-ha pitre X. Des montagnes , de leur nécejfi-
te 3 <5* ^5 caufies finales . 2 4
Chapitre XI. De la formation des monta-
gnes.
Chapitre XII. pétrifications d’animlux
marins . .
hapitre XIII. -é mas de coquilles. . » ,
)0
.
Vf T A B l I
Chapitre XIV. Obfervation très importante
fur la formation des pierres & des
coquillages. . • • P3»1 *fi’
Chapitre XV. De la grotte des Fées. 4*;
Chapitre XVI. Du fallun de Touraine. 5 1.
Chapitre XVII. De Bernard Paliffu _ 5 7-
Chapitre XVIII. Du fipme de Maillet qui
fait les poiffons les premiers pires dei
hommes. • • • • fj0
Chapitre XIX. Des germes. . • 62
Chapitre XX. la prétendue race d’an
guilles formées de farine & de ju
de mouton. * » * “5
Chapitre XXI. D'une femme qui accouch
d'un lapin. ... •
Chapitre XXII. Des anciennes erreurs e
phyfique. . • • - 7
Chapitre XXIII. D'un homme qui faifoit e
falpêtre. • * * ‘
Chapitre XXIV. D’un bateau du Maréch
8
de Saxe . • • • * c
Chapitre XXV. Des méprifes en Mathétr,
Ç
tiques . . •
Chapitre XXVI. Vérités condamnées. i
Chapitre XXVII. Digrefion. . *
Chaftre XXVIII. Des Elémtns. '
» B S C h a.p I T X I s.- VI*'
Chapitre XXIX. De U une. pag. ?I.
Chapitre XXX. De l'eau , nj,
Caapitre XXXI. De l'air .
_ / • J/ 4*
Chapitre XXXII. Du feu élémentaire Û
de la lumière. . . . I02>
Chapitre XXXIII, Des loix inconnues. 107,
Chapitre XXXI V. Ignorances éternelles 109»
Chapitre XXXV. Incertitudes en anato-
mu . ni.
Chapitre XXXVI. Des monftres & des ra .
us diverfes. . . . „
Chapitre XXXVII. De la population, m;
Chapitre XXXVIII. Ignorances ftupides , &
méprifes funejles . , I2j.
Fin de la Table.
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DES
SINGULARITÉS
DE LA NATURE.
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ÿ'jfiïvPft’yç ^ ^e ProP°^e ici d'examiner plu-
*? O If fleurs obiets de notre curiohté avec
Sjît^tSEftf ^ ^anGe <lu’on doit avoir de tout
5*ifcMMir* fyftême, jufqua ce qu’il foit dé¬
montré aux yeux ou à la raifon. Il faut ban¬
nir autant qu’on le pourra toutes plaifanteries
dans cette recherche. Les railleries ne font
pas des convictions j les injures encore moins»
Un médecin plus connu par fon imagination
impétueufe que par fa pratique, en écrivant
>«He3
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* , r-’* U. * "4
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<û vu* \ u>. . - Jÿ
^.vjfvV ,
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i DES SINGULARITÉS
contre le célébré Linnæus qui range dans la
même claffe l’hipopotame, le porc & le che¬
val , lui dit : cheval toi-même . Je l’interrom-
» »
pis Jorfqu’ii lifait cette phrafe , &: je lui dis :
« vous m’avouerez que fi Mr. Linnæus eft
>» un cheval , c’eft le premier des chevaux. «
Il n’eft pas adroit de débuter par de telles épi¬
thètes de il n’eft pas honnête de conclure par
elles* . * ... - . - - -
• ~v i ^
L'examen de la nature n’eft pas ilne fatirè.
Tenons-nous feulement en garde contre les ap¬
parences qui trompent (i fouvent , contre l’au¬
torité magiftrale qui veut fubjuguer , contre
le charlatanifme qui- accompagne de qui cor¬
rompt ft fouvent les fciences } contre la foule cré¬
dule qui eft pour un temps 1 écho d’un feul
■
homme.
Souvenons-nous que les tourbillons de Def-
cattes fe font évanouis \ qu’il ne refte rien
de fes* trois élémens , prefque rien de fa def-
cription de l’homme, que deux de fes loix du
-
mouvement font fauftes , que fon fyftême fur la
lumière eft erroné, que fes idées innées font re-
jettées , dec. &c. &c.
Songeons que lès fyftêmes de ' Burnet , de
Wood\Vard, de Whifton fur la formation de
•'V ' (,
I 5 * 1 . \ *
DE LA NATURE 3
la terre n’ont pas aujourd’hui un partifan ,
qu’on commence en Allemagne même a re-
garde{ les monades , l’harmonie préétablie ,
8c la théodicée de l’ingénieux 8c profond
Leibnitz comme des jeux d’efprit oubliés en
n ai (Ta nt dans tout le refte de l’Europe. Plus
on a découvert de vérités dans le fiècle de
Newton , plus on doit bannir les erreurs qui fouil¬
leraient ces vérités. On a fait une ample moif-
fon y mais il faut cribler le froment 8c rejetter
l’ivraie.
Jy- ^ • • • «
Dans la phyfique comme dans routés les
affaires du monde 5 commençons par dou¬
ter.
Examinons par nos yeux 8c par ceux des
autres. Craignons enfuite d’établir des régies
générales. Celui qui n’ayant vu que des bipè¬
des 8c des quadrupèdes enfeignerait que la
génération ne s’opère que par P union d’un
mâle 8c d’une femele fe tromperait lourde-
. . . • ' f
ment.
Celui qui avant l’invention de la greffe aurait
affirmé que les arbres ne peuvent jamais porter que
des fruits de leur efpèce s n’aurait avancé qu’une
erreur.
Il y a près d’un fiècle quon crut avoir déeou-
A x
*
4 DES SINGULARITÉS
vert un fatellite de Venus. Depuis, un célébra
obfervateur Anglais vit ou crut voir ce fatellite £
on a cru aufli le voir en France : cependant les
aftronomes en doutent. Il eft probable qu’il exifte ;
mais on a befoin de perfectionner les télefcopes
pour s’en alïurer.
L’analogie pourrait attribuer à plus forte rai-
*
fon un fatellite à Mars , qui eft beaucoup plus
éloigné du foleii que nous. Ce fatellite ferait
plus aifé à découvrir } cependant on ne l’a ja¬
mais apperçu. Le plus fur eft donc toujours de
n’être fur de rien, ni dans le ciel ni fur la terre,
jufqu’à -ce qu’on en ait des 'nouvelles bien cons¬
tatées.
Caïïginofd nocie premlt Deus : Dieu couvre,
dit Horace , fes fecrets d’une nuit profonde.
M’apprendra-t on jamais par quels fubtils reports
L’Eternel artifan fait végéter les corps ?
Pourquoi l’afpic affreux , le tigre, la panthère
N’ont jamais dépouillé leur cruel caraéière ,
Et que reconnaiffant la main qui le nourrit ,
Le chien meurt en léchant le maître qu’il chérit ;
D’oii vient qu’avec cent pieds qui femblent inutiles
Cet infeéfe tremblant traine fes pas débiles ?
Comment ce vers changeant fe bâtit un tombeau.
S’enterre & reffufeite avec un corps nouveau ,
/ .
•s . é ' '
(
1.
de la nature; 5
It le front couronné, tout brillant d’étincelles,
S élancé dans les airs en déployant fes ailes ?
le fage Duféy, parmi fes plans divers.
Végétaux raflembles des bouts de l’univers.
Me dira-t-il pourquoi la tendre fenfitive
Se flétrit fous nos mains honteufe & fugitive ?
. .
Demandez a Silva par quel fecrct miftère
Ce pain, cet aliment, dans mon corps fe digère.
Se transforme en un lait doucement préparé ?
Comment toujours filtré dans fes routes certaines,
£n longs ruifleaux de pourpre il court enfler mes
veines ?
A mon corps languiflant rend un pouvoir nouveau.
Fait palpiter mon cœur, & penfer mon cerveau 2
Il leve au ciel les yeux , il s’incline, il s’écrie :
Demandez-le a ce Dieu, qui nous donna la vie.
N
Ce n’eft point là ce qu’on appelle la raifon pa-
refieufe j c eft la raifon eclairee & foumife qui
fait qu’un être chétif ne peuti pénétrer l’infini.
Un fétu fufifit pour nous démontrer notre impuif*
fance. 11 nous eft donné de mefurer, calculer,
péfer & faire des expériences $ mais fouvenons-
«ous toujours que le fage Hjpocrate commença
fes aphorifmes par dire que V expérience eji trom -
prnfe • $c qu Ariftote commença fa métaphifique
A $
s
y
f
é DES PIERRES
par ces mots qui cherche à s’injîruiu doit /avoir ,
douter.
Pour voir de quels effets étdnnans la nature
eft capable , examinons quelques-unes de fes pro¬
duirions qui font fous nos mains, & cherchons
(en doutant) quels réfultats évidents nous en
polirions former.
« /
CHAPITRE PREMIER,
\
DES PIERRES
figurées.
■ / D [
F i
* • w *9 r
#•
C“^Es pierres foit agathes, foit efpeces de mar- i
fores &: de cailloux , font fort communes } on j
les appelle dendrites quand elles reprefentent des ?
arbres , herborifées ou arborifées lorfqu elles né i
figurent que de petites plantes, zoomorfites quand i
le jeu de la nature leur a imprimé la reffemblance )
imparfaite de quelques animaux. On pourait i
nommer domatiftes celles qui reprefentent desi
maifons. Il y en a quelques-unes de très-éton-ti
nantes de cette efpèce. j en ai vu une fur laquelle ij
on difcernait un arbre chargé de fruits, & une face ]
/
M G U R É E S. f
d homme tres-mal dedînée j mais reconnaif-
fable. (
Il eft clair que ce n’eft ni un arbre , ni une
maifon qui a laide l’empreinte de fon image fur
ces pentes pierres dans le tems qu elles pouvaient
avoir de la mollefte & de la fluidité. Il eft évi¬
dent qu’un homme n’a pas laide fon vifage fur
une agathe. Cela feul démontre que la nature
exerce dans le genre des fodilles , comme dans
les autres , un empire dont nous ne pouvons ré¬
voquer en doute la puiftance, ni demêler les
j redorts. i
Direqu on a vu fur ces dendrites des empreintes
de feuilles d arbres qui ne croiftent qu’aux Indes ,
eft-ce pas avancer une chofe peu prouvée ? Une
j telle délion n’eft-elle pas la fuite du roman ima¬
gine par quelques uns , que la mer des Indes eft
| venue autrefois en Allemagne, dans les Gaules
ôc dans l’Efpagne ? Les Huns & les Goths y font
bien venus : oui , mais la mer ne voyage pas
| comme les hommes. Elle gravite éternellement
vers le centre du globe : Elle obéit aux loix de ia
nature. Et quand elle aurait fait ce voyage , com¬
ment aurait-elle apporté des feuilles des Indes
: pour les depofer fur des agathes de Bohême ?
; Nous commençons par cette obfervation • ^paree
A 4
;
$ DUCORAIL.
qu’elle nous fervira plus qu’aucune autre à. nous
défier de l’opinion que les petits pôiftons des mers
les plus éloignées font venus habiter les carrières
de Montmartre &: les fommets des Alpes & des
Pyrénées. Il y a eu fans doute ç}e grandes révolu¬
tions fur ce globe : mais on aime a les augmen¬
ter : on traite la nature comme l’hiftoire ancienne,
dans laquelle tout eft prodige,
C? " -k3 1
CHAPITRE SECOND. ,
DU CORAIL.
ESt-on bien sur que le corail foit une produc¬
tion d’infeétes , comme il eft indubitable que
la cire eft l’ouvrage des abeilles ? On a trouvé de
petits infeâres dans les pores du corail \ mais où i
n’en trouve- t on pas? Les creux de tous les arbres
en fourmillent, les vieilles murailles font tapif-
fées de républiques ; mais ces petits animaux
n’ont pas formé les murailles & les arbres ? On
ferait bien mieux fondé fi on voyait un vieux fro- ■
mage de Safenage pour la première fois , à fup- »
pofer que les mites innombrables qu’il renferme, 1
ont produit ce fromage.
TV
/
DES P O L I P E $. y
Un de ceux qui ont dit que les coraux étaient
compofés de petits vers , prétendit en même tems
que le lapis était fait d ollemens de morts, parce
qu on avait découvert quelques lapis imparfaits
auprès d un ancien cadavre. Il fe pourait bien
que les coraux ne fufient pas plus l’ouvrage d’un
ver , que le lapis n’eft l’ouvrage d’un os de
mort.
Mille infeétes viennent fe loger dans les
épongés fur le bord de la mer ; mais ces infe&es
ont-ils produit les éponges ? De très-habiles na¬
turalises croyent le corail un logement que des
infeéfces fe font bâti. D’autres s’en tiennent à l’an¬
cienne opinion que c’eft un végétal , & le té-
moignage des yeux eft en leur faveur.
CHAPITRE TROISIEME .
DES POUPES.
\
P kien avéré que les lentilles d’eau qu’on
JLi a nommées Polipes d’eau douce, foient de
vrais animaux ? Je me défie beaucoup de mes
yeux êc de mes lumières^ mais je n’ai jamais pu
v. - • 1 • ! '
10 DES POLIPES,
£ y' '
apercevoir jufques à préfent dans ces Polipes que ?
des efpèces de petits joncs très-fins qui femblent i
tenir de la nature des fenfitives. L’héliotrope ou ,
la fleur au foleil qui fouvent fe tourne d’elle- \
même du coté de cet afl:re , a pu paraître d’abord ,
un phénomène aufll extraordinaire que celui des )
Polipes. La mimofe des Indes qui fembie imiter ;
le mouvement des animaux, n’efi: pourtant point i
dans le genre animal. La petite progreflîon très-
lente & très-faible qu’on remarque dans les Po- i
lipes nageant dans un gobelet d’eau , n’approche
pas de la progreflîon beaucoup plus rapide & plus i
vifible des petites pierres plates qui defcendent
des bords d’un plat dans le milieu , quand ce plat [
eft rempli de vinaigre. Les bras du Polipe pou- ;
raient bien n’être que des ramifications , fes têtes |
de Amples boutons , fon eflomac des fibres i
creufes , fes mouvemens des ondulations de ces j
fibres. Les petits infeébes que cette plante fembie I
quelquefois avaler, peuvent entrer dans fa fubf- vi
tance pour s’y nourrir y périr , aufli bien j
qu’être attirés par cette fubftance pour être man¬
gés par elle. Le Polipe fubfifte très-bien fans que I
ces petits infeéles tombent dans fes fibres, il n’a
donc pas befoin d’aliments : on peut donc crpire i
DES t> O L I P E S. i«
qu’il n’eft qu’une plante. Ce qu’on a pris pour
fes œufs peut n’être que de la graine. Sa repro-
du&ion par bouture paraît indiquer que c’eft une
fimple plante. Enfin elle jette des rameaux quand
on l’a retournée comme on retourne un gant :
Certainement la nature ne l’a pas faite pour être
ainû retournée par nos mains, 8c il n’y a rien là
qui fente l’animalité.
Feu Mr. Duféy avoir fur fa cheminée une
belle garniture de Polipes de la grande efpèce dans
des vafes. Ses parens 8c moi nous regardions de
tous nos yeux , 8c nous lui difions que nous ref-
femblions à Sancho Panfa qui ne voyait que des
moulins à vent où fon maître voyait des géans
armés. Notre incrédulité ne doit pourtant pas dé¬
pouiller ces Polipes de la dignité d’animaux. Des
expériences frapantes dépofent pour eux. Je ne
prétends pas leur ravir leurs titres ; mais ont-ils
la fenfibilité &c la perception qui diftinguent le
règne animai du végétal ? Reconnoifions-nous
pour nos confrères des gens qui n’ont pas avec
nous la moindre refiembîance ? Certainement le
Auteur de Mr. Vaucanfon a plus l’air d’un homme
qu’un Polipe n’a l’air d’un animal. Peut-être de¬
vrait-on n’accorder la qualité d’animal qu’aux
12 DES LIMAÇONS.
O J
êtres qui feraient toutes les fondions de la vie , j
qui manifefteraient du fentiment , des defirs , des \
volontés & des idées. 3
Il eft bon de douter encore jufqu’à ce qu’un (J
nombre fufïifant d’expériences réitérées nous ait ]
convaincus que ces plantes aquatiques font des j
êtres doués de fentiment , de perception , & des 1
organes qui conftituent l’animal réel. La vérité '
ne peut que gagner à attendre. . c
CHAPIT. QUATRIEME. 1
I
DES LIMAÇON
LA reprodudion de ces Polipes , qui fe fait s
comme celle des peupliers &c des faules eft r
bien moins merveilleufe que la renaifïance des jt
tètes des Limaçons incoques. Qu’il revienne une
tête à un animai allez gros , vifiblement vivant ,
6c dont le genre n’eft point équivoque ( * ) , c’eft 1 1
là un prodige inoui j mais un prodige qu’on ne
m ;
' • - f x .JB
(*) J*ai coupé la tête entière à quinze Limaffes in- i
coques, toutes ont repris des têtes en moins delixis-
DES LIMAÇONS. ,,
peut concerter. II n’y a point là de fuppofition à
faire , point de microfcope à employer , point
d’erreurs à craindre. La raifon humaine, & far-
tout la raifon de l’école , eft confondue par le té¬
moignage des yeux. On croit la tête dans tous
les êtres vivaris le principe , la caufe de tous les
mouvemens, de toutes les fenfations, de toutes
, les perceptions : ici c’eft tout le contraire. La tête
qui va renaître reçoit du refte du corps en quinze
J ou vingt jours des fibres , des nerfs , une liqueur
circulante qui tient lieu de fang, une bouche,
ides dents, des télefcopes, des yeux, un cerveau,
des fenfations, des idées, je dis des idées, car
!°n ne peut fentir fans avoir une idée au moins
confufe que l’on fent. Où fera donc déformais
Fe PtinciPe de l’animal ? Sera-t-on forcé de re¬
venir à l'harmonie des Grecs ? Et dix mille vo¬
lumes de métaphifique deviendront-ils abfolu-
ment inutiles ?
I
’ \
H ‘ • . .
«laines, les unes plutôt les autres plus tard. Aucun li¬
maçon à coquille n’a reproduit de tête. Un feul à qui je
«avais coupé la tête qu'entre les quatre antennes a re¬
produit la partie de tête coupée. Les expériences fur les
^imaflcs font les plus étonnantes qu'on ait jamais faites
k on n cil pas au bout.
,4 DES HÜ1T RÎ S.
Si du moins la reproduction de ces têtes pou- ‘
vait forcer certains hommes à douter , les coli¬
maçons auraient rendu un grand fervice au genre >
, 1
humain*
CSr
CHAPITRE- CINQUIEME'
'P
DES HUITRES
A
L’ E C A I L L E.
T Es huîtres l-o * n
J -J nous , non pas pour la nature. n ant
mal toujours immobile , toujours foliaire ,
emprifonné entre deux murs suffi durs qui
eft mou, qui fait naître fes femblab es fans
copulation , & qui Ptodmt des perles ^ fans
qu’on fâche comment , qui femble prive de
la vue , de l’ouie, de l’odorat & des organes
ordinaires de la nourriture: Qu® e ®m°n . j
On les mange par -centaines fans faire a moin-s
dre réflexion fur leurs fingulières propriétés.
Il faudrait faire fut eux les mêmes tentatives
que fur les limaçons , leur couper fur eu
/
A L’ÉCAILLÈ."
rdcherce qui leur fert de tête, refermer en-
fuite leur écaille , Sc voir au bout d’un mois
« qui leur fera arrivé. Sont- ils des Zoophi-
tes? Quelles bornes divifent le végétal & l'ani-
mal? Où commence un autre ordre de chofes?
Quelle chaîne lie l’Univers ? Mais y a-t-il une
chaîne ? Ne voit-on pas une difproportion mar¬
quée entre les planètes & leurs diftances? Entre
la nature brute & l’organifée ? Entre la matière
végétante & la fenfible, entre lafenh'ble & la pen-
fante ? Qui fait fi elles fe touchent ? Qui fait s’il
n’y a pas entr’elles un infini qui les fépare? Qui
faura jamais feulement ce que c’eft qUe la
mariera ?
< 1 i
CHAPITRÉ SIXIEME.
des abeilles.
I 1 C ' . . * * ' ‘ * * 5 i
T E ne ùis Pas <3ui a dit le premier que le
abeilles avaient un Roi. Ce n’eft pas proba
Renient un Républicain à qui cette idée vin
sans la tête.
Je ne fais pas qui feur donna enfuite uni
rr . •' r
. ‘-rs
■ T
DES ABEILLES.
reine au lieu d’un roi , nt qui fuppofa le
premier que cette reine étoit une Meflaline
qui avoit un ferrai! prodigieux , qui partait fa
vie à faire l’amour & à faire fes couches , qui
pondait & logeait environ quarante mille œufs
par an. On a été bien loin , on a prétendu
quelle pondait trois efpèces différentes , des
reines * des efclaves , nommes bourdons , êc
des fervantes nommées ouvrières , ce qui n’eft
pas trop d’accord avec les loix ordinaires de
la nature.
On a cru qu’un Phyficien , d’ailleurs grand
obfervateur y inventa , il y a quelques années*
les fours à poulets , inventés depuis environ
cinq mille ans par les Egyptiens > ne eonfi-
dérant pas l’extrême différence de notre climat
& de celui d’Egypte ; on a dit encore que
ce Phyficien , inventa de même le royaume
des abeilles fous une reine , mère de trois
efpèces.
Tous les naturaliftes ont répété cette in-'
vention. Enfin il eft venu un homme qui étant
pofTefleur de fix cens ruches , a mieux exa-
miné fon bien que ' ceux qui n’ayant point
d’abeilles ont copié des volumes fur cette re-
publique induflrieufe qu’on ne connaît guères
mieux
DES ABEILLES. ' ï7
mieux que celles des fourmis. Cet homme eft
Mr. Simon qui ne fe pique de rien , qui écrit
très- Amplement } mais qui recueille comme
moi du miel ôc de la cire. Il a de meilleurs
yeux que moi , il en fçait plus que Mr. le Prieur
de Jonval , 3c que Mr. le Comte du Speéta-
cîe de la nature, il a examiné fes abeilles pen¬
dant vingt années ; il nous allure quon s’eft
P ^
mocqué de nous, 3c qu’il n’y a pas un mot de
vrai dans tout ce qu’on a répété dans tant de
livres.
Il prétend qu’en effet il y a dans chaque ru¬
che une efpèce de roi 3c de reine qui perpé¬
tuent cette race royale 3>c qui préfident aux
ouvrages , il les a vus, il les a dedînés , ôc il
renvoie aux mille 8c une nuits ôc a l’hiftoire de
la Reine d’Achem , la prétendue reine abeille
| avec fon ferrail. Il y a enfuite la race des bour¬
dons qui n’a aucune relation avec la première ,
i ôc enfin la grande famille des abeilles ouvrières
qui font males ôc femeles , ôc qui forment le
| corps de la république. Ce font les abeilles fe-
; meles qui dépofent leurs œufs dans les cellules
qu’elles ont formées*
Comment en effet la reine feule pourroiV
| elle pondre ôc loger quarante mille œufs l’un
B
/
,8 DES ABEILLES,
après l’autre ? Il eft très - vraifemblaole cjuô
Mr. Simon a raifon. Le fiftème le plus Ample
eft prefque toujours le véritable. Je me foucie
d’ailleurs fort peu du roi 6c de la reine. J’aurais
mieux aimé que tous ces raifonneurs ni eu fient
appris à guérir mes abeilles 9 donc la plupart
moururent il y a deux ans pour avoir trop fucé
des fleurs de tilleul.
On nous a trompés fur tous les objets de notre
curiofiié 9 depuis les eléphans jufquaux abeilles
& aux fourmis , comme on nous a donné des
contes arabes pour 1 hiftoire depuis Sefoftris *
jufqu a la donation de Conflantin , 6c depuis
Conftantin & fon labarum , jufqu’au pa de que
le Maréchal Fabert fit avec le Diable. Prefque
tout eft obfcurité dans les origines des animaux ,
aînfi que dans celles des peuples \ mais quel¬
que opinion qu’on embrafie fur les abeilles 6c
fur les fourmis , ces deux républiques auront
toujours de quoi nous étonner 6c de quoi humi¬
lier notre raifon. Il n’y a point d infecte qui ne
foit une merveille inexplicable.
On trouve dans les proverbes attribues a Sa¬
lomon qu77 y a quatre chofes qui font Us plus
petites de la terre , & qui font plus fages que
les fages . Les fourmis > petit peuple qui fe pre -
/Tr N
/
DES ABEILLES- t9
pare unt nourriture pendant la moijjon ; le lièvre ,
peuple faible qui couche fur des pierres ; la faute -
ter elle , qui n ayant pas de rois , voyage par
0
troupes ; le Ibqard qui travaille de fes mains &
qui demeure dans Us palais des rois. J’ignore
pourquoi Salomon a oublié Iss abeilles qui pa¬
rai (Ten t avoir un inftinét bien fupérieur a celui
des lièvres, qui ne couchent point fur la pierre,
$c des lézards dont j’L'nore le çénie. Au fur-
plus je préférerai toujours une abeille à une
fauterelie. ■
*4,
J
CHAPITRE SEPTIEME.
DE LA PIE
A nature fe joue à former aurant de for¬
tes de pierres que d’animaux. Elle pro¬
duit des pierres qui relfemblent à des len-*
tilles & qu’on appelle lenticulaires , des cu¬
bes , des cailloux ronds , des pierres un peu
relfemblantes à des langues , ôc qu’on a nom¬
mées glolTopètres , d’autres qui ont la for¬
me approchante d’un œuf, d’autres dont la
B %
I
20 de LA PIERRE,
figure eft celle de 1 ourfin de mer. Il y en
a beaucoup de tournées en fpiraies. On leur
a donné très-improprement le nom de cornes
d’ammoh : car dans toutes les fciences on a eu , ,
la petite vanité d’impofer des noms faftueux
aux chofes les plus communes. Ainfi les Chy-
miftes ont appelle une préparation de plomb,
du fucre de Saturne , comme un Bourgeois
ayant acheté une charge 9 prend le titre de'
Haut & de Puifianc Seigneur chez fon No¬
taire.
J’ai vu de ces cornes d’ammon qui paraif-
fent nouvellement formées & qui ne font pas
plus grandes que l’ongle du petit doigt. J en
ai vu d’à demi formées & qui pefenc vingt
livres. J’en ai vu qui font une volute par¬
faite > d’autres qui ont la forme d’un ferpent
entortillé fur lui-même, aucune qui ait 1 air
d’une corne, On a dit que ces pierres font
l’ancien logement d’un poilfon qui ne fe trouve
qu’aux Indes , que par conféquent la mer des
Indes a couvert nos campagnes ^ nous en avons
déjà parlé & nous demandons encore , fi cette
maniéré d’expliquer la nature eft bien na-
uirelle.
Il y a des coquilles nommées ccnckœ V eneris y
—
*
\
r
DE LA PIERRE zi
conques de Venus , parce qu’elles ont une
fente oblongue doucement arrondie aux deux
bouts. L’imagination galante de quelques Phi—
ficiens leur a donné un beau titre ; mais cette
dénomination ne prouve pas que ces coquilles
foient les dépouilles des Dames.
- - 5$^==^==^
CHAPITRE HUITIÈME.
DU CAILLOU.
QUel fuc pierreux forme ces cailloux de
mille efpèces différentes ? Pourquoi dans
plusieurs de nos campagnes ne voit -on pas
un feul caillou , & que d’autres à peu de dis¬
tance en font couvertes ? Pourquoi en Amé¬
rique vers la rivière des Amazones n’en
trouve -t- on pas un feul dans l’efpace de cinq
cens lieues ?
Au milieu de nos champs nous décou¬
vrons fouvent des cailloux énormes , depuis
trois pieds jufqu’à vingt de diamètre , 8c à
coté il y en a qui parodient aufïï anciens
8c qui n’ont pas un demi -pouce d’épailleur.
D’autres n’ont que deux ou trois lignes de
12. DU CAILLOU,
diamètre. Leur pefanteur fpécifique eft iné¬
gale ; elle approche dans les uns de celle
du fer , dans d’autres elle eft moindre , Sc
dans quelques-uns plus forte.
Quelque pefant , quelque opaque , quel¬
que lilTe qu’un caillou puiffe être , il eft
percé comme un crible. Si 1 oc de les dia-
inans onc autant 6c plus de pores que de
fuhftance, à plus forte raifon le caillou eft -il
percé dans toutes fes dimenftons > 6c un mil¬
lion d’ouvertures dans un caillou peut fournir
autant d’afyles a des infectes imperceptibles.
C’eft un aflemblage de parties homogènes
dont ré fuite fouvent une ma fie inébranlable
au marteau, il eft vittifiable a la longue a
un feu de fournaife ? 6c on voit alors que
Les parties conftituantes font une efpece de
criftal j mais quelle terce avait joint ces petits
criftaux ? D’ou réfultait ce corps fi dur que
le feu a divifé ? Eft-ce l’attraction qui rendait
toutes fes parties fi unies entre elles Sw fi com¬
pactes ? Cette attraction démontrée entre le
foleil 6c les planètes 5 entre ia terre ôc fou
fatellite 3 agit - elle entre routes les parties du
globe j tandis qu’elle pénètre au centre du
globe entier ? Eft -elle le premier principe de
?
DU CAILLOU. 23
la cohéhon des corps ? eft-elle avec le mou¬
vement la première loi de la nature ? C’eft
ce qui paroît le plus probable *, mais que
cette probabilité e£l encore loin d’une con-
viétion lumineufe î
:!e
- - : — : — . -
CHAPITRE NEUVIEME .
DE LA ROCHE.
L y a plufieurs fortes de roches qui for¬
ment la chaîne des Alpes & des autres
montagnes par lefquelles les Alpes fe rejoi¬
gnent aux Pyrénées. Je ne parlerai dans cet
article que de la fameufe opération d’Anni-
bal fur le haut des Alpes. Une pointe de
roche efcarpée lai fermait le palfage. Il la
rendit calcinable , ou du moins facile à di-
vifer par le fer en réchauffant par un grand
feu en y verfant du vinaigre.
Les fiècles fuivans ont douté de la poifi-
bilité du fait. Tout ce que je fais , c eft qu’a¬
yant pris des éclats d’une de ces roches à
grains qui compofent la plus grande partie
des Alpes > je la mis dans un vafe rempli
B 4
;
i
24 U & A- A W Tl £.
d’un vinaigre bouillant , elle devint en peu
de minutes prefque friable comme du fable.
Elle fe pulvérifa entre mes do grs. Il n’y a
point d’enfant qui ne puilfe faire l’expéfience
d’Annibal.
CHAPITRE DIXIÉME.
DES MONTAGNES
DE LEUR NÉCESSITÉ
ET DES
CAUSES FINALES.
IL y a une très -grande différence entre
les petites montagnes ifolées 8c cette chaîne
continue fde rochers qui régnent fur Tun 8c
fur l’autre hémifphère* Les ilolées font des
amas hétérogènes compofés de matières étran¬
gères entaffées fans ordre , fans couches régu¬
lières. On y trouve des reftes de végétaux»
d'animaux terreftres 8c aquatiques ou pétri¬
fiés , ou friables , des bitumes , des débris,
de minéraux. Ce font pour la plupart dçs voL-
K
des montagnes,^; 2j
cans , des éruptions de la terre , des excref-
fenfes caufées par des convulfions , leurs fom-
mets font rarement en pointes ; leurs fiâmes
contiennent des foufres qui s allument.
La grande chaîne au contraire, efl; formée
d’un roc continu , tantôt reffemblant au cail¬
lou , tantôt a la roche â grains , tantôt au
grès. Elle s’élève & s’abaifle par intervales. Ses
fondemens font probablement aufïi profonds
que fes cimes font élevées. Elle paraît une
piece effentielle à la machine du monde ,
comme les os le font aux quadrupèdes ëc aux
bipèdes. C’efl: autour de leurs faîtes que s’af-
fembîent les nuages & les neiges, qui de là ,
fe répandant fans celle, forment tous les fleuves,
ôc toutes les fontaines dont on a fi long - teins
& fi fauffement attribué la fource à la mer.
Sur ces hautes montagnes dont la terre eft
couronnée , point de coquilles , point d’amas
confus de végétaux pétrifiées , excepté dans
quelques crévaffes profondes où le hazard a
jetté des corps étrangers.
Les chaînes de ces montagnes qui couvrent
1 un Sc 1 autre hemifphere ont une utilité plus
fenfible. Elles affermiffent la terre ; elles fer¬
vent à l’arrofer , elles renferment à leurs ba-
des MONTAGNES.'
»
fes tous les métaux , tous les minéraux*
Qu’il foie permis de remarquer à cette oe-
cafiou , que toutes les pièces de la machine de
ce monde femblent faites lune pour l’autre.
Quelques Philofophes afteéfcent de fe moquer
des caufes fi uales rejettees par Epicure 8c par
Lucrèce. Ce ft plutôt , ce me femble , d’E*
picure 6c de Lucrèce qu’il faudrait fe moquer.
Ils vous difent que 1 œil n eft point fait pour
voir , mais qu’on s’en eft fervi pour cet ufage ,
quand on s’eft apperçu que les yeux y pou¬
vaient fervir. Selon eux la bouche n eft point
faire pour parler > pour manger , l eftomac
pour digérer , le cœur pour recevoir le fang :
des veines 8c l’envoyer dans les arreres , les 1
pieds pour marcher , les oreilles pour en-lj
tendre. Ces gens * U pourtant avouaient que i
les Tailleurs leur faifaient des habits pour les 5
vêtir , & les Maçons des maifons pour les lo- 1
per y 8c ils ofaient nier a la nature , au grand ]
Etre, à l’intelligence univerfelie ce qu’ils ac- ]
cordaient tous à leurs moindres ouvriers. ?
11 ne faut pas fans doute abufer des cau« n
fes finales y on ne doit pas dire, comme Mr.
le Prieur dans le Speétacle de la nature , que !
les marées font données à l’Océan pour que. :
■
DES MONTAGNES. i7
les vaiffeaux entrent plus aifément dans les
ports 9 8c pour empêcher que l’eau de la mer
ne fe corrompe : car la Méditerranée n’a point
de flux 8c de reflux , 8c fes eaux ne Ce cor¬
rompent point.
Pour qu’on puifle s’affurer de la fin véri¬
table pour laquelle une caufe agit , il faut
que cet effet foit de tous les temps 8c de tous
les lieux. Il n’y a pas eu des vaifleaux en
tout temps 8c fur toutes les mers ; ainfi l’on
ne peut pas dire que l’Océan ait été fait pour
les vaiffeaux. Nous avons remarqué ailleurs
que les nez n’avaient pas été faits pour por¬
ter des lunettes , ni les mains pour être gan¬
tées ; on fent combien il ferait ridicule de
prétendre que la nature eût travaillé de tout
rems pour s’ajufter aux inventions de nos
arts arbitraires , qui tous ont paru fi tard 5
mais il eft bien évident que fi les nez n'ont
pas ete faits pour les béficles , ils l’ont été
pour 1 odorat , 8c qu’il y a des nez depuis
qu’il y a des hommes. De même les mains
n’ayant pas été données en faveur des gan¬
tiers , elles font visiblement deftinées à tous
les ufages que le métacarpe 8c les phalanges
de nos doigts , 8c les mouyemens du mufcle
I
,s DES MONTAGNES.
circulaire du poignet nous procurent.
Cicéron qui doutait de tout , ne doutait pas
pourtant des caufes finales.
Il paroit bien difficile fur- tout , que les or¬
ganes de la génération ne foient pàs deftinées
à perpétuer les efpèces. Ce méchanifme eft
bien admirable , mais la fenfation que la na¬
ture a jointe à ce mcchanifme eft plus ad¬
mirable encore. Epicure devait avouer que
le plaifir eft divin , & que ce plaifîr eft une
caufe finale , par laquelle font produits fans
celle ces être fenfibles qui n’ont pu fe donner
la fenfation.
Cec Epicure était un grand homme pont
fon temps ^ il vit ce que Defcartes a nié , ce
que Gaflendi a affirmé , ce que Newton a
démontré , qu’il n’y a point de mouvement
fans vuide. Il conçut la neceffite des atomes
pour fervir de parties continuantes aux efn
pèces invariables. Ce font là des idées très-
philofophîques. Rien n’était fur- tout plus
refpe&abie que la morale des vrais Epicu¬
riens ; elle confiait dans l’éloignement des
affaires publiques incompatibles avec la iagvlfe3
& dans l’amitié , fans laquelle la vie eft un
fardeau. Mais pour le refte de la phifique
n m
DES MONTAGNES. 2*
d’Epicure , elle ne paraît pas plus admiflible que
la matière caneiée de Defcartes.
Enfin les chaînes des montagnes qui couron¬
nent les deux hémifphères , 8c plus de fix cens
fleuves qui coulent jufqu’aux mers du pied de
ces rochers , toutes les rivières qui dépendent
de ces memes réfervoirs , & qui groflîiïent les
fleuves après avoir fertilifé les campagnes; des
milliers de fontaines qui partent de la même
fource, 8c qui abreuvent le genre animal 8c le
végétal , tout cela ne paraît pas plus 1 effet
d’un cas fortuit 8c d’une déclinaifon d’atomes,
que la rétine qui reçoit les rayons de la lumière
le criftalin qui les réfraéte , l’enclume, le mar¬
teau, l’étrier , le tambour de l’oreille qui re¬
çoit les fons, les routes du fang dans nos veines,
la fiftole 8c la diaftole du cœur, ce balancier de
la machine qui fait la vie.
CHAPITRE ON Z I E ME.
DE LA FORMATION
>
DES MONTAGNES.
/
ON ne s’eft pas contenté de dire que no¬
tre terre avait été originairement de verre.
Maillet a imaginé que nos montagnes avaient
été faites par le flux , le reflux & les courans de '
* ! 1
la mer. | t
Cette étrange imagination a été fortifiée j
dans YHiJloire naturelle , imprimée au Lou¬
vre, comme un enfant inconnu & expofé eft
quelquefois recueilli , par un grand Seigneur j
mais le public philofophe n’a pas adopté cet J
enfant , 8c il eft difficile à élever, il eft trop
vifible que la mer ne fait point une chaîne de
roches fur la terre. Le flux peut amonceler
un peu de fable, mais le reflux l’emporte. ?
Des courans d’eau ne peuvent produire lente¬
ment dans des fiécles innombrables une fuite
immenfe de rochers neceflaires dans tous le
des MONTAGNES. ji
temps. L océan ne peuc avoir quitté Ton iit
creuié par la nature , pour aller élever au-deilus
des nues les rochers de l’Immaiis Si du Caucafe.
L’Océan une fois formé , une fois placé , ne peut
pas plus quitter la moitié du globe pour fe jetter
fur l’autre , qu’une pierre ne peut quitter la terre
pour aller dans la Lune.
Sur quelles raifons apparences appuye-t-on ce
paradoxe? Sur ce qu’on prérend que dans les
vallées des Alpes les angles faiiians d une mon-
tagne à l’occident, répondent aux angles rentrais
! dW montagne d l’orient. Il faut bien, dit on,
que les courans de la mer ayenc produit ces
s angles. La conclufion eft hazardée. Le fait peuc
etre vrai dans quelques vallons étroits ; il ne
left pas dans le grand baffin de la Savoye Scda
lac de Genève ; il ne l’eft pas dans la grande
vallee ne 1 Arno autour de Florence j mais à
quelles branches ne fe prend - on pas quand on
fe noyé dans les hftêmes !
; Il feroit auffi permis, on la déjà dit , d’avan¬
cer que les montagnes ont produit les mers,
que de prétendre que les mers ont produit les
I montagnes. Car du moins les neiges donc font
couverts continuellement les fommets de ces
éminences du globe 3 ces neiges qu’on fuppofe-
>
■5* DE LA FORMATION
rait produites , avec lui , fe fondant toujours en
rivières , feraient à la longue un vafte amas,
d’eau raflemblée dans la partie la plus cteufe. Ce
fiftême ne vaut rien fans doute \ mais il eft moins
révoltant que Eautre*
Quel eft donc le véritable fiftème? Celui du
Grand Etre qui a tout fait , & qui a donné à
chaque élément , à chaque efpece > a chaque genre
fa forme , fa place , fes fondions éternelles.
Le grand Etre qui a formé l’or & le fer , les
arbres , l’herbe , l’homme & la fourmi, a fait
l’océan & les monragnes. Les hommes nont
pas été des poiffons , comme le dit Maillet ;
tout a été probablement ce qu il eft par des
loix immuables. Je ne puis trop répéter que nous
ne fommes pas des dieux qui puiflions cteer un
univers avec la parole*
Il eft très -vrai que d’anciens ports font
comblés, que la mer s’eft retirée de Carthage ,
de Rofette , des deux Sirtes , de Ravenne ,
de Fréjus , d’Aiguemottes , &c. Elle a en¬
glouti des terrains * elle en a laide à autres a
découvert. On triomphe de ces phénomènes •
on conclud que l’océan a caché pendant des
fiècles le mont Taurus 6c les Alpes fous Tes
flots. Quoi ! parce que des atterriflements
auront
DES MONTAGNES, 53
auront reculé la mer de plufieurs lieues , &c
qu elle aura inonde d’un autre côté quelques
terrains bas * on nous perfuadera qu elle a
inondé le continent pepdant des milliers do
fîècles ? Nous voyons des volcans ; donc tout
le globe a ete en feu ! des tremblemens de
terre ont englouti des villes : dore tout i’u-
nivers a été la proie des flammes ! Ne doit-
on pas le defier d une telle conclufion ? Les
i accidens ne font pas des réglés générales.
L iliuftre &c favant auteur de I hiftoire na-
rturelle dit a la fin de la théorie de la ter¬
re , page 124. Ce font les eaux raJJlm „
I blets dans la vafle étendue des mers , qui par
le mouvement continuel du flux & du reflux f
I Qnt produit les montagnes , les vallées , &c.
Mais aulli voici comme il s’exprime pag. 1 39.
I » 11 y a fur la furface de la terre des cun-
» trées élevées qui paraiflent être des points
| » de partage marqués par la nature pour la
! fl diftribution des eaux. Les environs da
| » mont St Godard font un de ces points
» en Europe 3 un autre point , eft le pays fi-
»> tué entre les provinces de Belozera &: de
” Volgoda en Ruflle 9 d’où defeendent des
» rivières dont les unes vont à la Mer noi-
H DE LA FORMATION
» re , & d’autres à la mer Cafpienne , &c.
11 enfeigne donc ici que cette grande chaî¬
ne de montagnes prolongée d Efpagne en
Tartarie , eft une pièce eflfentielle à la ma¬
chine du monde. Il femble fe contredire dans
ces deux aliénions -, il ne fe contredit pour¬
tant pas ; car en avouant la néceflité des mon¬
tagnes pour entretenir la vie des animaux &
des végétaux , il fuppofe que les taux du Ciel
détruifent peu- à-peu L'ouvrage de la mer , ÔC
ramenant tout au niveau , rendront un jour no¬
tre terre à la mer , qui s en emparera fuccef-
fivement , en laijfant à découvert de nouveaux
continents , &c.
Voilà donc, félon lui , notre Europe privée
des Alpes & des Pyrénées & de toutes leurs
branches. Mais en iuppofanc cette chaîne de
montagne écroulée , difperfée fur notre con-
tinent , n’en élevera- t«elle*pas la furface ? Cette
furface ne fera-t elle pas toujours au-detfus du
niveau de la mer ? Comment la mer en vic¬
iant les loix de la gravitation &: celle des \
fluides > viendra-t-elle fe placer chez les Baf- ,
ques fur les débris des Pyrénées ? Que de- (
viendront les habitans hommes & animaux ,
quand l’Océan fe fera emparé de l’Europe ?
DES MONTAGNES. M
11 faudra donc qu’ils s’embarquent pour aller
■chercher les terreins que les mers auront aban¬
donnés vers l’Amérique. Car fi l’Océan prend
chaque jour quelque chofe de nos habita¬
tions , il faudra bien qu’à la fin nous allions
tous demeurer ailleurs. Defcendrons - nous
dans les profondeurs de l’Océan qui font
en beaucoup d’endroits de plus de mille pieds?
IMais quelle puilïance * contraire à la nature ,
commandera aux eaux de quitter ces profon¬
des vallées pour nous recevoir?
Prenons la chofe d’un autre biais. Prefque
tous les naturalises font perfuadés aujourd’hui
que les dépôts de coquilles au milieu de nos
terres , font des monuments du long fe jour
de l’Océan dans les provinces où ces dépouil¬
les fe font trouvées. 11 y en a en France à
quarante , à cinquante lieues des côtes de la
mer* On en trouve en Allemagne , en Efpa-
gne, & fur -tout en Afrique. C’eft donc ici
im événement tout contraire à celui qu’on a
fuppofé d’abord , ce ne font plus les eaux du
ciel qui détruifent peu - à- peu l'ouvrage de la
mer , qui ramènent tout au niveau , & qui
rendent notre terre à la mert C’efi; au con¬
traire la mer qui s’eft retirée infenfiblement
C a
i
DE LA' FORMATION
dans la fuite des Cèdes , de la Bourgogne ,
de la Champagne , de la Touraine , de la
Bretagne où elle demeurait ? 5c qui s en ek
allée vers le nord de l’Amérique. Laquelle
de ces deux fuppofitions prendrons- nous ? D’un
côté on nous dit que l’Océan vient peu- à- peu
couvrir les Pyrénées 5c les Alpes 9 de 1 au¬
tre on nous allure qu il s en retourne tout
entier par degrés. Il eft évident que 1 un des
deux fyftèmes eft faux : 5c il n’eft pas im¬
probable qu’ils le foient tous deux.
J’ai fait ce que j’ai pu jufqu ici pour con¬
cilier avec lui - meme le favant 5c éloquent
Académicien , auteur aufti ingénieux qu’utile
de l’hiftoire naturelle. J’ai voulu rapprocher
fes idées pour en tirer de nouvelles inftruc-
tions * mais comment pourrai je accorder avec
fon fyftême ce que je trouve au Tome X1L
page xo dans fon difeours intitulé : Première
vue de la Nature ? La mer irritée , dit - il ,
s'élève vers le Ciel & vient en mugijjant fe brifer
contre des digues inébranlables , qu avec tous fes
efforts elle ne peut ni détruire ni furmonter . La
terre élevée au-deffus du niveau delà mer ejl a la *
bride fs irruptions. Sa furface émaillée de fleurs ,
parée d'une verdure toujours renouveliée * peuplé *
DES MONTAGNES. 37
de mille & mille efpeces d? animaux différens , ejl un
lieu de repos , un Jejour de délices , &c.
Ce morceau dérobé à la poëfie lemble être de
Mafîîllon ou de Fénelon , qui fe permirent fi fou-,
vent d’êire poetes en proie j mais certainement fi
la mer irritée en s’élevant vers le Ciel fe brife en
! mugiflant contre des digues inébranlables , fi elle
ne peut furmonter ces digues avec tous fes
efforts ^ elle n’a donc jamais quitté Ton lit pour
s’emparer de nos rivages ? elle efl bien loin de
fe mettre à la p’ace des Pirénées & des Al¬
pes. C efl non - feulement contredire ce fille¬
ule qu on a eu tant de peine à étayer par tant
de fuppofitions j mais c’efl contredire une vé¬
rité reconnue de tout le monde } &c cette vé*
| rite , efl que la mer s’efl retirée à piufieurs
milles de fes anciens rivages , & qu’elle en a
couvert d autres } vérité dont on a étrangement
abufé.
| Quelque parti qu’on prenne , dans quel-
| que luppofition que l’efprit humain fe perde ,
i ü efl poffible , il efl vraisemblable , il efl
même prouvé que piufieurs parties de la terre
! ont fouffeit de grandes révolutions. On pré¬
tend qu’une comete peut heurter notre globe
en fon chemin ; ôç Triffotin dans les fem-
C 3
;8 DE LA FORMATION, &c;
mes favantes n’a peut-être pas tant de tort de
dire*
\ y '
Je vien,s vous annoncer une grande nouvelle.
Nous l’avons en dormant , Madame, échappé belle»
Un inonde près de nous a pallé tout du long 3
Eft chu tout au travers de notre tourbillon 3
Et s’il eût en chemin rencontré notre terre ,
Elle eut été brilëe en morceaux comme verre.
La théôrie des cometes n’était pas encore con¬
nue , lorfque la Comédie des femmes favantes
fut jouée à la Cou en 1671. Il eft certain que le
concours de ces deux globes qui roulent dans 1 ef-
pace avec tant de rapidité , aurait des fuites
effroyables , mais d’une toute autre nature que
l’acheminement infenfihle de l’Océan à l’endroit
où eft aujourd’hui le mont St. Godard , ou fon
départ de Breft , 6c de St. Malo pour fe retirer
vers le pôle & vers le détroit de Hudfon. Heureu-
fement il fe p aller a du temps , avant que notre
Europe foit fracaiïee par une comete , ou en¬
gloutie par l’Océan,
I
*5*
H
CHAPITRE DOUZIEME.
DES PÉTRIFICATIONS
D’ ANIMAUX MARINS.
I
■ i «
1
MAis , difent les défenfeurs de ce Même ,
on a trouve des pierres lenticulaires d P a (Ji
& cl Villers-Cotterets. Et Shaw raporte qu'en Plié*
nicit il y a des coquilles & des madrépores fur U
bord de la mer . ( * ) .
Eh bien , parce qu’il y a des pierres à Paf-
û , & des coquilles & du corail au bord de
la mer de Sirie , les Alpes auront été le lie
de FOcéan pendant des fiecles innombra¬
bles !
On voit des coquillages auprès de Maftricht .
Cette ville n’eft pas bien loin de la mer. Je
n’y ai pourtant point vu de coquillages de mer ;
mais s’il y en a , quelle preuve en peut - on
tirer.
On trouve en France non- feulement des coquilles
(*) Théorie de la terre, Toro. I , pag. 183.
C 4
40 DES PETRIFICATIONS
fur nos cotes , mais encor des coquilles qu'on n a
jamais vues dans nos mers . Qu’on montre ces
prérendues coquilles étrangères, Sc quand on les
aura bien examinées , qu’on juge s’il n’eft pas
très-vraifemblable qu’on les ait raportéesde mille
voyages d’outre mer.
Il n’y en a pas une feule fur la chaîne des hau¬
tes montagnes depuis la Sierra Morena julqu’à la
derniere cime de l’Apennin. J’en ai fait chercher
fur le mont Sr. Godard , fur le St. Bernard, dans
les montagnes de la Tarentaife , on n’en a pas
découvert.
? i.
Un feul Phyfîcien m’a écrit qu’il a trouvé f
une écaille d huître pétrifiée vers le mont Ce-
nis. Je dois le croire , & je fuis très - étonné
qu’on n’y en ait pas vu des centaines. Les lacs
voifîns nouriffent de groffes moules dont l’é¬
caille refTemble parfaitement aux huîtres; on
les appelle m:me petites huîtres dans plus d’un
canton
Eft-ce d’ailleurs une idée tout-à-fait romanef-
que de faire réflexion à la foule innombrable de
pèlerins qui partaient à pied de St. Jaques en Ga¬
lice , & de toutes les provinces pour aller à Ro¬
me par le mont Cenis chargés de coquilles à leurs
bonnets ? Il en venait de Strie , d’Egypte, de
/
D’ANIMAUX MARINS. 41
Cïrece , coramè de Pologne & d’Autriche. Le
nombre des Romipetes a été mille fois plus confi-
dérable que celui des Hagî qui ont vifité la Mec¬
que & Médine ? parce que tes chemins c!e Rome
font plus faciles , & qu’on n’était pas Forcé d’alier
par caravanes. En un mot une huître près du
mont Cenis ne prouve pas que l’Océan Indien
| ait envelop'é toutes les terres de notre hémif-
phere.
La chaîne des montagnes du continent Amé¬
ricain n’eft pas plus chargée d’huîtres que la nôtre >
6c la réponfe , quon en trouvera un jour , n’eft pas
une réponfe bien fatisfaifante.
Mais il y a des fragments de coquillages à Mont¬
martre & a Courtagnon auprès de Rheims .
| . Il y en a par-tout excepté fur les montagnes qui
. devraient en être remplies dans le fîflême de
Maillet. Oui , fans doute , on l’a dit , & ii faut le
redire , on rencontre quelquefois en fouillant la
terre des pétriheationsétrangeres , comme on ren-
j contre dans l’Autriche des médailles frappées à
Rome. Mais pour une pétrification étrangère il y
I en a mille de nos climats.
Quelqu'un a dit qu’il aimerait autant croire le
marbre compofé de plumes d’autruches que de
croire le porphirecompolé de pointes d’ourfrmCe
4i DES PETRIFICATIONS, ôrc.
quelqu’un là avait grande raifon , fi je ne me
trompe.
On découvrit , ou l’on crut découvrir il y a
quelques années, les olTemens d’un Renne & d’un
Hippopotame près d’Etampes , & de là on con¬
clut que le Nil & la Laponie avoient été autrefois
fur le chemin de Paris à Orléans. Mais on aurait
dû plutôt foupçonner qu’un curieux avait eu autre¬
fois dans fon cabinet le fquelette d’un Renne &
celui d’un hippopotame. Cent exemples pareils
invitent à examiner long-tems avant que de
croire.
^=83=^5-. — — s==s==(gsr
CHAPITRE TREIZIEME.
AMAS
DE COQUILLES.
Mille endroits font remplis de mille débris de
teftacées, de cruflacées, de pétrifications.
Mais remarquons encore une fois , que ce n’efl
prefque jamais ni fur la croupe , ni dans les
AMAS DE COQUILLES. 4Î
flancs de cette continuité de montagnes dont
i r r i i t « z', , ^ »
la furface du globe eft traverfée ; c’eft à quel¬
ques lieues de ces grands corps , c’eft au milieu
des terres , c’eft dans des cavernes , dans des lieux
où il efl: très-vraifemblable qu’il y avait de pe-
tits lacs qui ont difparu , de petites rivières
dont le cours efl: changé des ruifieaux confidé-
rables dont la fource eft tarie. Vous y voyez
des débris de tortues , d’écrévices , de mou¬
les , de colimaçons , de petits cruftacées de
riviere , de petites huîtres femblables à celles
J de Lorraine. Mais de véritables corps marins ,
c’eft ce que vous ne voyez jamais. S’il y eu
avait
, pourquoi n y aurait - on jamais vu
d’os de chiens marins , de requins , de ba¬
leines ?
Vous prétendez que la mer a kiffé dans
nos terres des marques d’un très - long fé-
jour. Le monument le plus sûr ferait affuré-
ment quelques amas de marfouins au milieu
de l’Allemagne. Car vous en voyez des mi-
liers fe jouer fur la furface de la mer Ger¬
manique dans un temps ferein. Quand vous
les aurez découverts , & que je les aurai vus
à Nuremberg & à Francfort 5 je vous croi-
!
rai : mais en attendant , permettez - moi de
(
44 AMAS
ranger la plupart de ces fupofitions avec celle
du vaiffeau pétrifié trouvé dans le Canton de
Berne, à cent pieds fous terre; tandis qu’un de
Tes ancres écait fur le mont St. Bernard. J’ai vu
quelquefois des débris de moules 6c c!e colima¬
çons qu’on prenait pour des coquilles de
mer.
Si on fongeait feulement que dans une
année pluvieule il y a plus de limaçons dans
dix lieues de pays que d’hommes fur la terre ,
on pourait fe difpenfer de chercher ailleurs
l’origine de ces fragments de coquillages
dont le bord du Rhône & ceux d’autres ri¬
vières lonc tapiffés dans i’efpace de plufieurs
milles. Il y a beaucoup - de ces limaçons dont
le diamètre eft de plus d’un pouce. Leur
multitude détruit quelquefois les vignes 8c
les arbres fruitiers. Les fragments de leurs
coques endurcies font par - tout. Pourquoi
donc imaginer que des coqudlages des In¬
des font venus s’amonceler dans nos climats ,
quand nous en avons chez nous par mil¬
lions ? Tous ces petits fragmens de coquil¬
les dont on fait tant de bruit pour accréd ter
un fiftême , font pour la plupart fi infor¬
mes , fi ufés ? fi méconnaiflables , qu’on pou-*
DE CO QUI L LES 45
ralt également parier que ce font des débris
d’écrévices ou de crocodiles , ou des ongles
d’autres animaux. Si on trouve une coquil¬
le bien confervée dans le cabinet d’un cu¬
rieux , on ne fait doù elle vient ; & je dou¬
te qu’elle puifife fervir de fondement à un fvf-
J
tême de l’Univers.
Je ne nie pas , encore une fois , qu’on ne
rencontre â cent milles de la mer des huîtres
pétrifiées , des conques > des univalves , des pro¬
ductions qui refiemblent parfaitement aux pro¬
ductions marines ; mais eft-on bien fur que le
fol de la terre ne peut enfanter ces foflîles ? La
formation des agathes arborifées ou herborfifées ,
ne doit-elle pas nous faire fufpendre notre ju¬
gement ? Un arbre n’a point produit l’agathe
qui repréfente parfaitement un arbre; la mer peut
n avoir point produit ces coquilles aufii fofliles
qui reflembient à des habitations de petits ani¬
maux marins. L’expérience fuivante en peut
rendre témoignage.
uo
«efc= - — - "'g-rassagg". : ,~.g=— —
CHAPITRE QUATORZIÈME.
OBSERVATION
TRES-IMPORTANTE
r S U R L A FO R M AT I O N
\
DES PIERRES ET
DES COQUILLES.
r
» * ' v y
MOnfieur Le Royer de la Sauvagère , In¬
génieur en Chef, & de l’Académie des
Belles-Lettres de la Rochelle , Seigneur de k
terre de Places en Touraine auprès de Chinon ,
actefte qu auprès de Ton Château une partie du
fol s’eft méramorphofée deux fois en un lit de
pierre tendre dans l’elpace de quatre-vingt ans.
Il a été témoin lui-meme de ce changement.
Tous fes va {Taux , de tous fes voifins l’ont vu.
Il a bâti avec cette pierre qui eft devenue très-
dure étant employée. La petite carrière dont ou
l’a tirée recommence à fe former de nouveau.
11 y renaît des coquilles qui d’abord ne fe dif-
ringuent qu’avec un microfcope , de qui croif-
1 . . . I
/ \ ,
OBSERVATION A7
fent avec la pierre. Ces coquilles font de dif¬
ferentes efpeces j il y a des oftracites , des gri-
phites qui ne fe trouvent dans aucune de nos
mers j des cames , des telines, des cœurs donc
les germes fe développent infenfiblement , 8c
( s etendent jufqu’à lix lignes d’épaifTeur.
N y a-t-il pas là de quoi étonner , du moins
ceux qui affirment que tous les coquillages qu’on
rencontre dans quelques endroits de la terre y
ont été dépofés par la mer ?
Si on ajoute à tout ce que nous avons déjà dit,
ce phénomène de la terre de Places , fi d’un
autre côté on confidère que le fleuve de Gam¬
bie 8c la rivierè de BifTao font remplis d’huî¬
tres , que plufîeurs lacs en ont fourni autrefois,
& en ont encore, ne fera-t-on pas porté à fuf-
pendre fon jugement ? Notre fiécle commence
à bien obferver; il appartiendra aux fiécles fui-
vants de décider , mais probablement on fera
«n jour aflTez favant pour ne décider pas.
•>
4*
de la grotte
«Cf-
-P
CHAPITRE QUINZIÉME.
DE LA GROTTE
des fées.
tt Es grottes où fe forment les ftaia&ites &
* t>
JL-j les ftalagmites font communes. Il y en a
dans prefque toutes les provinces. Celle duCha-
blaiseft peut être la moins connue des phificiens*
& qui mérite le plus de l’être. Elle eft fîcuée
dans des rochers affreux au milieu d’une forêt
d’épines a deux petites lieues de Ripaille dans
la paroi fle de Féterne. Ce font trois grottes en
voûte l’une fut l’autre taillées à pic par la na¬
ture dans un roc inabordable. On n’y peut mon¬
ter que par une échelle , & il faut s’élancer en-
fuite dans ces cavités en fe tenant à des bran¬
ches d’arbres. Cet endroit eft appelle par les gens
du lieu Les grottes des Fées . Chacune' a dans
fou fond un badin dont l’eau pade pour
avoir la meme vertu que celle de Ste. Rei¬
ne. L’eau qui diftile dans la fupérieure à
travers le rocher , ya formé dans la voûte la
figure
** y* 7" * «r ? i-yZ y
DES FÉES. 49
figure d’une poule qui couve des pouffins. Auprès
de cette poule efi une autre concrétion qui re Sem¬
ble parfaitement à un morceau de lard avec fa
couenne , delà longueur de près de trois pieds.
Dans le bafîin de cette même grotte où l’on fe
baigne, on trouve des figures de pralines , telles
qu’on les vend chez des confifeurs ; & à côté la
forme d’un rouet ou tour à filer avec la que¬
nouille. Les femmes des environs prétendent avoir
vu dans l’enfoncement une femme pétrifiée au-
defïbus du rouet. Mais les obfervateurs n’ont
point vu en dernier lieu cette femme. Peut-être
les concrétions flalaélites avaient deffiné autrefois
une figure informe de femme ; & c’efi: ce qui fie
nommer cette caverne la Grotte des Fées. Il fut un
tems qu’on n’ofait en approcher; mais depuis que
la figure de la femme a difparu , on efi: devenu
moins timide.
Maintenant , qu’un Philofophe à fiflême rai-
i fonne fur ce jeu de la nature , ne pourait-il pas
dire , voilà des pétrifications véritables ! Cette
grotte était habitée fans doute autrefois par une
femme , elle filait au rouet , fon lard était pendu
; au plancher , elle avait auprès d’elle fa poule avec
fes poufiins , elle mangeait des pralines , lorf-
qu’elle fut changée en rocher elle & fes poulets ,
D
!'
j
5o DE LA GROTTE DES FÉES.
& Ton lard, & Ton rouet , & fa quenouille, 6c les
pralines , comme Edith femme de Loth fut chan¬
gée en ffatue de fel. L’antiquité fourmille de ces
exemples.
Il ferait bien plus raifonnable de dire , cette
femme fut pétrifiée , que de dire , ces petites co¬
quilles viennent de la merdes Indes j cette écaille
fut îailfée ici par la mer il y a cinquante mille fié—
clés. Ces glolfopètres font des langues de Mar-
fouins qui s’aflTemblèrent un tour fur cette colline
pour n’ylaifler que leurs goziers j ces pierres en
fpirale renfermoient autrefois le poifïon Nautilus ,
que perfonne n’a jamais vu.
CHAPITRE SEIZIEME.
DU FALLUN
DE TOURAINE.
' ' ' • i '
ON regarde enfin le Fallun de Touraine com¬
me le monument: le plus inconteftable de
ce féjour de l’Océan fur notre continent dans une
multitude prodigieufe defiècles.
Certainement fi à trente-fix lieues de la mer il
eft d’immenfes bancs de coquillages marins r s’ils
font pofés à plat par couches régulières, il eft dé¬
montré que ces bancs ont été le rivage de la
mer , & il eft d’ailleurs trè$-vraifemb!able que des
terrains bas 5c plats ont été tour à tour couverts
5c dégagés des eaux jufqu’à trente & quarante
lieues ; c’eft l’opinion de toute l’antiquité. Une mé¬
moire confufe s’en eft confervée, & c’eft ce quia
donné lieu à tant de fables.
\
Nil equidem dur are diu fub imagine eadem
Crediderim . Sic ad ferrum venijlis ab auro
Secula. Sic loties ÿerfa ejl fortuna locorum.
D 2
/
Vidi ego quod fuerat quondam folidijftma tellus
EJJe fretum. Vidifaftas ex eequore terras :
Et procul à pelago conchcz jacuere marinez :
DU FALLUN
i
i
y
. i
\
Et vêtus inventa eft in montibus anchora fumrnis . (*)
Quoique fuit campus , vallem decurfus aquarum
Fecit : & eluvie mons eft deduHus in cequor :
Eque paludofa ftccïs humus aretarenis :
Quœque Jititn tulerant , ftagnata paludibus hument.
C’efl ainfi que Pithagore s’explique dans On¬
de. Voici une imitation de ces vers qui en donnera
Le tems qui donne à tous le mouvement & l’étre.
Produit , accroît , détruit , fait mourir , fait renaître ,
Change tout dans les cieux , fur la terre & dans l’air.
L’âge d’or à fon tour fuivra l’âge de fer.
Llore embellit des champs l’aridité fauvage.
La mer change fon lit , (on flux & fon rivage.
Le limon qui nous porte eft né du fein des eaux.
Où croiflent les moiflons , voguèrent les vaiifeaux.
La main lente du tems aplanit les montagnes ;
T"
Il creule les vallons ; il étend les campagnes ?
Tandis que l’Eternel , le Souverain des temps,
Demeure inébranlable en ces grands changemens.
(*) Cela reffemble un peu à l’ancre de vaifleau qu’on
prétendoit avoir trouvé fur le grand St. Bernard 5 auflî s’eft-
onbien gardé d’inférer cette chimère dans la uaduétion.
1
1
y
. 1
\
1 , ; •/ • 1 , . *
/— •
V
DE TOURAINE. 55
l , % i ’
Mais pourquoi cet Océan n’a-t-il formé au¬
cune montagne fur tant de côtes plattes li¬
vrées à fcs marées ? Et pourquoi s’il a dé-
pofé des amas prodigieux de coquilles en Tou¬
raine , n’a r t - il pas laiffé les mêmes monu-
mens dans les autres provinces à la même dif-
tance ? , x
✓J
D’un côté je vois plufîeurs lieues de riva¬
ges au niveau de la mer dans la baffe Norman¬
die : Je traverfe la Picardie , la Flandre , la
Hollande , la baffe Allemagne , la Poméranie ,1a
Pruffe , la Pologne , la Rufîîe , uae grande
partie de la Tartarie jufqu’au Thibet , fans
qu’une feule haute montagne , faifant partie de
la grande chaîne , fe préfente à mes yeux. Je
puis franchir ainfî l’efpace de deux mille lieues
dans un terrain affez uni , à quelques collines
près. Si la mer répandue originairement fur no¬
tre continent avait fait les montagnes, comment
n’en a-t-elle pas fait une feule dans cette vaile
étendue ? -
De l’autre côté ces bancs de coquilles à
trente à quarante lieues de la mer , méritent
le plus férieux examen. J’ai fait venir de
cette province dont je fuis éloigné de cent
'cinquante lieues ? une caiffe de ce fallun. Le
D | “ v.
.V " N ' ) < . '
J ' - ; „ ' " ■
1
I
54 DUFALLUN
fond de cette minière eft évidemment une
efpèce de terre calcaire & marneufe , dans
laquelle une grande quantité de coquillages
fe trouve mêlée. Les morceaux purs de cette
ferré pierreufe font fallés au goût. Les labou¬
reurs l’emploient pour féconder leurs terres ,
& il eft très - vrai femblable que fon fel les
fertilife. Si ce n’étoit qu’un amas de coquil¬
les , je ne vois pas qu’il pût fumer la terre.
J’aurais beau jetter dans mon champ toutes
les coques deflechées des limaçons & des
moules de ma province , ce ferait comme fi
j’avais femé fur des pierres. Un naturalise
prétend que rien n’efi meilleur pour faire
croître du bled , qu’un cabinet de coquilles ,
au lieu de fumier, il a plus de connaiffiance
de la phifique que moi ; mais j’ofe dire que
je fuis meilleur laboureur que lui ; (k quoi¬
que je fois sûr de peu de chofcs , je puis affir¬
mer que je mourrais de faim , fi je n’avais pour
vivre qu’un champ de vieilles coquilles caf-
fées. ( * ) J’ajouterai même que fi je voulais
‘ 4 * “'f f f- ' ^ , * t < > •
(*) Tout ce que ces coquillages pouraient opérer, ce
ferait de divifer une terre trop compare. On en fait autant
avec du gravier. Des coquilles ftaiches & pilées pouraient
fervir par leur huile. Mais des coquillages defléchés ne font
bons à rien.
4
I .
fl
I
DE TOURAINE. 55
railler comme lui , \t pourais être aufïi plai-
fant.
En un mot > il eft certain ? de la plus grande
certitude , que cette marne eft une efpèce de
terre , Si non pas uniquement un afïemblage d’a¬
nimaux marins qui feraient au nombre de plus de
cent mille miiliars. Je ne fais pourquoi l’académi¬
cien qui le premier après Paliffi fit connoitre cette
Angularité de la nature , a pu dire , ce ne font que
de petits fragmens de coquilles très- reconnoijfables
pour en être des fragînetits ; car ils ont leurs canne¬
lures tris bien marquées , feulement ils ont perdu
leur luifant & leur vernis.
J’ai 7 été étonné de trouver dans la boéte
qu’on m’a envoyée , de petites univalves Sc
un coquillage qu’on nomme vis de mer 9 ou
piramide à cannelures , aufifi frais , aufïi bril -
lants , Sc d’un aufïi beau vernis qu’on puiffe
en trouver fur le bord de la mer de nouvel"
lement formés. Mais ce qui m’a le plus fur-
pris , c’efl d’y voir une coque de limaçon
qui parait être de l’année pafïee , <Sc trois
dents qui refïemblent parfaitement à des dents
de brochet. Les curieux qui voudront les ve¬
nir examiner en jugeront beaucoup mieux que
moi*
D 4
N
J1 '
5 6 DU F AL LU N, &c.
V
Si les petites coquilles mêlées dans ma boe-
te à la terre marneufe font réellement des co¬
quilles de mer , il faut avouer qu’elles font dans
cette falluniére depuis des tems reculés qui
épouvantent l’imagination , de que c’efî: un des
plus anciens monuments des révolutions de no¬
tre globe. Mais aufiTi , comment une produc-
tion enfouie quinze pieds en terre pendant
tant de fiècles , peut - elle avoir l’air fî nou¬
veau ? Comment y a - t - on trouvé la coquille
. d’un limaçon à côté de petites univalves ma¬
rines ? Ces Univalves dont la dimenlion n’efl
pas le quart du petit doigt , paroident n’avoir
pas une date plus ancienne que la coquille du
limaçon qui était mêlée avec la terre. L’expé-
rience de M. De La Sauvagere qui a vu des
coquillages femblahles fe former dans une
pierre tendre , & qui en rend témoignage
avec fes voifins , ne doit-elle pas au moins nous
infpirer quelques doutes fur l’origine de ce
failun ?
Enfin ? fi ce falîun a été produit à la longue
dans la mer , ce qui efl très-vraifemhlable , elle
efl donc venue à prés de quarante lieues dan»
en pays plat , & elle n’y a point formé de
montagnes. 11 n’efl: donc nullement proba»
i
DE BERNARD PALISSI. 57
ble que les montagnes foient des productions
de l’Océan
CHAPITRE DIX - SEPTIEME.
DE BERNARD
P A L I S S I.
VAN T que Bernard Paîifll eût prononcé
•*- -*■ que cette mine de marne de trois lieues
d’étendue n’était précifément qu’un amas de
coquilles , les agriculteurs étaient dans Pufa-
ge de le fervir de cet engrais , & ne foup-
çonnaient pas que ce fufTent uniquement des
coquilles qu’ils employaffent. N’avaient - ils
pas des yeux ? Pourquoi ne crut - on pas Pa-
lifTi fur fa parole ? Ce Palifli d’ailleurs était
un peu vilionnaire. Il fit imprimer le livre
intitulé : Le moyen de devenir riche & la ma¬
niéré véritable par laquelle tous les hommes de
France pouront apprendre N à multiplier & à, aug¬
menter leur tréfor & pojfejfions , par Maître
Bernard Falijjl inventeur des rujiiques figulines
du roi. Il tint à Paris une école 9 où il fit
58 DE BERNARD
afficher qu’il rendrait l’argent à ceux qui lui
prouveraient la faufifeté de les opinions. En un
mot Palifii crut avoir trouvé la pierre philofo-
phale. Son grand œuvre décrédita Tes coquilles
jufqu’au tems où elles furent remifes en honneur
par un Académicien célébré qui enrichit les dé¬
couvertes des Swammerdam , des Leuvenhock ,
par l'ordre dans lequel il les [plaça , & qui rendit
de grands fervices à la phyfique. L’expérience ,
comme on l’a déjà dit , efi trompeufe ; il faut
donc examiner encore ce fallun. Il efi certain qu’il
pique la langue par une légère acreté , c’efl un
effet que des coquilles ne produiront pas. Il
efi: indubitable que le fallun efi: une terre
calcaire &c marneufe. Il efi indubitable aufii
qu’elle renferme un nombre étonnant de co¬
quilles à dix à quinze pieds de profondeur.
D où viennent - elles ? C’efl là l’objet de la
recherche , objet afifurément digne de la cu-
riofité de tous les hommes. Il refiera toujours
à favoir fi de ce que la mer a couvert la Bre¬
tagne , la Normandie , la Touraine : on peut
conclure qu’elle a formé les montagnes des
deux hemifphères. L’auteur efiimabîe de l’hif-
toire naturelle , auffi profond dans fes vues ,
qu’attrayant par fon flile , dit expreffement :
,
P ALI S S I. 59
Je prétends que les coquilles font Û intermède que la
nature emploie pour former la plupart des pierres •
Je prétends que les Cray es , les marnes , & les pierres
à chaux ne font compofécs que de pouffère & de
dètrimens de coquilles .
On peut aller trop loin quelque habile phy-
fkien que l’on Toit. J’avoue que j’ai examiné pen¬
dant douze ails de fuite la pierre à chaux que j’ai
employée 3, & que ni moi ni aucun des afîilîans
n’y avons apperçu le moindre veflige de co¬
quilles.
A - 1 - on donc befoin de toutes ces fup-
polîtions pour prouver les révolutions que
notre globe a effuyées dans des temps pro-
digieufement reculés P Quand la mer n’aurait
abandonné couvert tour à tour les ter¬
rains bas de fes rivages que le long de deux
mille lieues fur quarante de large dans les
terres , ce ferait un, changement fur la furfa-
ce du globe de quatre - vingt mille lieues
quarréès.
Les éruptions des volcans , les tremblemens ,
les affaiiremens des terrains doivent avoir bou-
îeverfé une allez grande quantité de la furface
du globe* ; des lacs , des rivières ont difparu ,
des villes ont été englouties ; des îles fe font
éo DE BERNARD PALISSE
formées ; des terres ont été féparées : les mers
intérieures ont pu opérer des révolutions beau¬
coup plus confidérables. N’en voilà - t - il pas
aflfez ? Si l’imagination aime à fé repréfenter
ces grandes vicifïitudes de la nature > elle doit
être contente.
CHAPITRE DIX - HUITIEME.
I
DU SISTEME
DE MAILLET
\ V 1
QUI FAIT LES POISSONS
LES PREMIERS PERES
DES HOMMES.
* *
MOnfieur Maillet , dont nous avons déjà
parlé , crut s’appercevoir au grand Cai¬
re que notre continent n’avait été qu’une mer
dans l’éternité paflfée-: 6 c de- là il conclut que la
race des hommes & des finges venait incontes¬
tablement des poilïons marins. Les nageoires
avec le tems devinrent des bras ; la queue
/
/
DU SISTEME DE MAILLET. 61
fourchue fe changea infenfibiement en cuiflês
& en jambes.
Les anciens habitans des bords de l’Euphrate
! ne s’éloignaient pas beaucoup de cette idée ,
quand ils débitèrent que le fameux poiffon Oannès
fortait tous les jours du fleuve pour les venir caté-
chifer fur le rivage. Dercéto qui efl la même que
Vénus , avait une queue de poiflon. La Vénus
d’Héfiode naquit de l’écume de la mer.
i C’ell peut être fui vant cette cofmogonie qu’Ho-
mere dit que l’Océan eft le pere de toutes chofes;
mais par ce mot d’Océan, il n’entend , dit- on ,
que le Nil & non notre mer Océane qu’il ne con-
naiftait pas.
Thaïes apprit aux Grecs que l’eau eft le pre¬
mier principe de la nature. Ses raifons font, que la
femence de tous les animaux eft aqueufe , qu’il
! faut de l’humidité à toutes les plantes , & qu’enfin
les étoiles font nourries des exhalaifons humides
de notre globe. Cette derniere raifon eft merveil-
leufe : <k il eft plaifant qu’on parle encore de Tha-
lès & qu’on veuille (avoir ce qu’Athénée & Plu¬
tarque en penfaient.
| Cette nourriture des étoiles n’auroit pas réufli
| dans notre teins ; & malgré les fermons du poiflon
Oannès, les argumens de Thalès , les imagina-
éiDU SISTEME DE MAILLET.
tions de Maillet, il y a peu de gens aujourd’hui
qui croyent defcendre d’un turbot ou d’une mo¬
rue , malgré l’extrême paflion qu’on a depuis peu
pour les généalogies. Pour étayer ce Même il ,
fallait abfolument que toutes les efpèces & tous
les élémens Te changeaient les uns en les autres.
Les métamorphofes d’Ovide devenaient le meil¬
leur livre de phyfique qu’on ait jamais écrit.
CHAPITRE DIX- NEUVIEME.
DES GERMES.
DES Philofophes tâchèrent donc d’établir
quelque fiftème qui bannit les germes par
lefquelsles générations des hommes, des animaux
St des plantes s’étaient perpétuéesjufqu’ànos jours.
C’eft en vain que nos yeux voyent , & que nos
mains manient les femences que nous jettons en
terre ; c’eft en vain que les animaux font tous
évidemment produits par un germe. On s’eft plu
à démentir la nature pour établir d’autres Mêmes
que le lien.
Celui des animaux fpermatiques ne femblait
point contredire la phyfique , cependant on s en
DES GERMES., 6j
ert dégoûté comme d’une mode. II était très-com-
; mun alors que tous les Philofophes, excepté ceux
de quatre-vingt ans , dérobaffent à l’union des
deux fexes la liqueur féminale produarice du gen¬
re humain , & que dans cette liqueur on vît à
l’aide du microfcope nager les petits vers qui
devaient devenir hommes , comme on voit dans les
étangs gli/Ter les tétarts deftinés à être grenouilles.
! , Dans ce firtéme les mâles étaient les principaux
dépofitaires de l’efpece : au lieu que dans le ûflême
des œufs qui avait prévalu jufqu’alors , c’étaienc
lesfemellés qui contenaient en elles toutes les gé¬
nérations , & qui étaient véritablement meres. Le
mâle ne fervait qu a féconder les œufs , comme
les coqs fécondent les poules. Ce Même des œufs
I avait un prodigieux avantage , celui de l’expé¬
rience journalière & inconteftable dans plufieurs
| efpèces. Cependant on a fini par douter de l’un &
de l’autre ; mais foit que le mâle contienne en lui
l’animal qui doit naître , foit que la femelle le ren¬
ferme dans fon ovaire , & que la liqueur du mâle
ferve à fon dévelopement , il eft certain que dans
les deux cas il y a un germe ; & c’eft ce germe que
[ l’amour de la nouveauté , la fureur des fiftêmes &
| encor plus celle de 1 amour propre^ entreprirent de
détruire.
DES GERMES.
L’auteur d’un petit livre intitulé La Venus
phyjique imagina que le tout fe faifait par attrac¬
tion dans la matrice , que la jambe droite attirait
à elle la jambe gauche, que l’humeur vitrée d’un
œil , fa rétine , fa cornée, fa conjon&ive étaient
attirées par de femblables parties de l’autre œil.
Perfonne n’avait jamais corrompu à cet inconce¬
vable excès l’attraéhon démontrée par Newton
dans des cas abfolument différens j une telle chi¬
mère était digne de l’idée de diflequer des têtes de
géans , pour connaître la nature de l’ame , &
d’exalter cette ame pour prédire l’avenir. Cette
folie ne fervit pas peu à décréditer l’efprit fiftê-
matique qui eft pourtant fi néceffaire au progrès
des fciences , quand il n’eftque l’efprit d’ordre , <k
qu’il eft réglé par la raifon.
CHAPITRE
!
; — :
■# ( *î ) #
==SfKê==
. J
CHAPITRE VINGTIEME:
fit
DE LA PRÉTENDUE
- ; : Il >
RACE D’ANGUILLES
FORMÉES DE FARINE
• '• - - ' -, ' - !f
ET DE JUS DE MOUTON.
. -
\ r. *
PRécifément dans le même tems un Jéfuite Ir-
landais nommé Néedham qui voyageait dans
l’Europe en habit féculier, fit des expériences à
1 aide de plufieurs microfcopes. Il crut apper*
cevoir dans de la farine de bled ergoté mife au
four 6c laifiée dans un vafe purgé d’air 6c bien
bouché, il crut appercevoir , dis je, des anguil¬
les qui accouchoient bientôt d’autres anguil¬
les. Il s’imagina voir le mèm^ phénomène
dans du jus de mouton bouilli. Aufiitôt plud
fleurs Philofophes s’efforcèrent de crier merveille,
6c de dire: Il n’y a point de germes , tout fe fait,
tour fe régénère par une force vive de la nature.
‘,¥)' •*'> • « ' ,
C’eft l’arrraétion , dilait î’un * Veft la matière
organifée, difait l’autre ; ce font des molécules
E
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)
( I ' '
66 DE LA PRÉTENDUE
organiques vivantes qui ont trouvé leurs moules.
De bons Phyficiens furent trompés par un Jéfuite.
«
C’eft ainfi ( comme nous l’avons dit ailleurs )
qu’un Commis des Fermes en Baffe-Bretagne ,
fit accroire à tous les beaux efprits de Paris
qu’il étoit une jolie femme , laquelle faifaic
très-bien des vers,
L’erreur accréditée jette quelquefois de fi
profondes racines que bien des gens la fou-
tiennent encore , lorfquelle eft reconnue Sc tom¬
bée dans le mépris , comme quelques jour¬
naux hiftoriques répètent de fauffes nouvelles
inférées dans les gazettes , lors meme qu’elles
ont été rétraétées. Un nouvel Auteur d’une tra-
du&ion élégante Sc exaéle de Lucrèce , enrichie
de notes favantes , s’efforce dans les notes du
troifiéme livre , de combattre Lucrèce même à
l’apui des malheureufes expériences de Néed-
' ham , fi bien convaincues de fauffeté par Mr,
Spalanzani , St rejettées de quiconque a un peu
étudié la nature. L’ancienne erreur que la cor¬
ruption eft mère de la génération allait rsffufci-
ter , il n’y avait plus de germe ; Sc ce que Lu¬
crèce avec toute l’antiquité jugeait impaffible ,
allait s’accomplir.
RAGE D’ ANGUILLE S. èf
r Ex omnibus ....
Omne gtnus nafci pojfet , nil femine egeret.
Ex un dis homines , ex terra poffet oriri
Squammiferum genus , 6* volucres ; erumpere Cœlo
Armenta & pecudes .... ferre omnes omnia pojfent .
Le hazard incertain de tout alors difpofe.
L’animal eft fans germe , & l’effet eft fans eau Ce.
On verra les humains fortir du fond des mers.
Les troupeaux bondiffans tomber du haut des air s.
Les poiffons dans les bois naiffant fur la verdure ;
Tout poura tout produire, il n ’eft plus de natuÂ.
s“ * ' " i ' j . ' i • . , ‘ .• » *
Lucrèce avoir affuremenc raifon en ce point
de phyfîque , quelque ignorant qu’il fût bail¬
leurs. Er il eft démontré aujourd’hui aux yeux
& a la raifon , qu’il n eft ni de végétal , ni
d’animal qui n’ait fon germe. On le trouve dans
l'œuf d’une poule comrru dans le gland d’un
chêne. Une puifîance formarrice prélide à tous
ces dévelopements d’un bout de l’Univers à
l’autre.
Il faut bien reconnaître des germes puif-
qu on les voit & qu on les feme , ôc que le
chêne eft en petit contenu dans le gland. On
fait bien que ce n eft pas un chêne de foixante
pieds de haut qui eft dans ce fruit j mais c’eft
un embrioh qui croîtra par le fecours de la terre
Er
i
6 8 DE LA PRÉTENDUE RACE, $tc.
& de l’eâu comme un enfant croît par une autre
nourriture.
Nier l’exiftence de cet embrion , parce qu^on
ne conçoit pas comment il en contient d’autres
à fin fini , c’eft nier l’exiftence de la matière par¬
ce qu’elle eft: divifible à l’infini. Je ne comprends
pas ; donc cela n’efi: pas! Ce raifonnement ne
peut être admis contre les choies que nous voyons
& que nous touchons. 11 efi: excellent contre
des fuppoficions; mais non pas contre les faits.
Quelque fiftême qu’on fubftirue , il fera tout
auiTi inconcevable 6c il aura par delTus celui des
germes le malheur d’être fondé fur un principe
qu’on ne connaît pas, à la place d’un principe pal¬
pable dont tout le monde efi; témoin. Tous les
fiftêmes fur la caufe de la génération , de la vé¬
gétation, de la nutrition , de la fenfibilité, de
la penfée, font également inexplicables. Som¬
mes-nous à jamais condamnés à nous ignorer ?
Oui.
«f=r. - T-===^3Vr* . . „fi.
I
* %
CHAPITRE VIN G T- UNIEME.
D’UNE FEMME
QUI ACCOUCHE,
D'UN LAPIN.
; ... ‘*s
,v » » v *
A Quoi ne porte point l’envie de fe fignaler
par un fifteme ! Cette dourine des généra*
tions fortuites avait déjà pris tant de crédit
dès le commencement du fiécle , que plusieurs
perfonnes etoient perfuadeesqu une foie pouvait
engendrer une grenouille. Il ne faut pour cela ,
difait-on y que des parties organiques de gre-*
nouilles dans des moules de foies. Un chirurgien
de Londres, allez fameux, nommé St. André,
publiait cette doctrine de toutes fes forces en
1726, 5c il avait renthouHafme des nouvelles
feâes.
S \‘,r ■ / . -V fUÎ'.ÎIV Lit 0 t $ Xi
Une de fes voifines pauvre & hardie réfolut
de profiter de la doéhine du Chirurgien. Elle
lui fit confiance qu elle étoit accouchée d’un la-
preau, & que la honte l’avoit forcée de fe dé-
Ej
7o D’UNE fEMME
faire de fon enfant; mais que la tendreffe ma¬
ternelle l'avait empêchée de le manger.
St. André trouvant dans l’aveu de cette femme
l'a confirmation de fon fiftême ne douta pas de
cette aventure & en triompha avec fes adhérans.
Au bout de huit jours cette femme le fait prier
de venir dans fon galetas, elle lui dit qu’elle
reflent des tranchées comme fi elle étoit prête
d’accoucher encore ; Sc. André d’affure que c’eft
une fuperfétation, Il la délivre lui-même en pré¬
sence de deux témoins. Elle accouche d’un petit
lapin qui étoit encore en vie. St. André montre
“par tout le fils de fa voifine. Les opinions fe par¬
tagent , quelques-uns crient miracle; les parti-
fans de St. André difent que fuivant les loix do
,1a nature il eft étonnant que la chofe n’arrive
pas plus fouvent.' Les gens cerifés rient; mais
^tous donnent de l’argent à la mère des lapins.
t Elle trouva le métier fi bon qu’elle accoucha
^tous les huit jours. Enfin la juftice fe mêla des
affaires de fa famille , on la tint enfermée, on
o t 4 TvX
la veilla , on furprit un petit lapreau qu’elle
avait fait venir & qu’elle s’enfonçoit dans yn
-orifice qui n’étoit pas fait pour lui. Elle fut
punie , St. André fe cacha. Les papiers publics
» 5 j - * _
s’égayèrent fur^cette garenne comme ils fè font
• -•
v^ui ACCOUCHE DW LAPIN. 7i
égayés depuis fur l’homme qui devait fe mettre
dans une bouteille de deux pintes & fur le public
qui vint en foule à ce fpeéfcacle.
La faine phyfique détruit toutes ces impof-
tures , ainfi qu’elle a chafié les poifédés & les
forciers.
Il réfulte de tout ce que nous avons vu qu’il
faut fe méfier des lapreaux de St. André , des
anguilles de Néedham , des générations fortui¬
tes , de l’harmonie préétablie qui eft très-ingé-
nieufe & des modécules organiques qui font
plus ingénieufes encore.
JU
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7i DES ANCIENNES
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CH API T. VINGT-DEUXIEME.
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DES ANCIENNES
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• ERREURS
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EN PHYSIQUE.
• o • . S .
, V. «ii- . : .. • r ...... J J . , * - ' « • v. ;■ *
*1" Es erreurs de !a fauîTe phyfique font en bien
plus grand nombre que les vérités décou¬
vertes. Preiquè tout eO: abfurde dans Lucrèce j
voyez feulement le quatrième &C le cinquième
livre, vous y trouverez que des Emulacres éma¬
nent des corps pour venir frapper notre vue &
notre odorat.
Qjiàrri primîim nofcas rcrurn Jïmulacra va-
gart y &c .
r * .
Ergo multa brcvi fpatio Jïmulacra geruntur.
Les voix s’engendrent mutuellement.
Ex aliis al a yioniam gignuntur .
Le Lion tremble & s’enfuir à la vue d’un coq.
Nequc qucunt rapidi corurd conjlart Icônes .
Les animaux fe livrent au fommeil quand des
/
ERREURS EN PHYSIQUE 7j
trois parties de l’ame , une eft chaflfée au dehors,
une autre fe retire dans l’intérieur , & une troi¬
sième éparfe dans les membres ne peut fe
r éunir. . . ;
• • . . Ut pars in de animai
Ejiciatur & introrfum pars abdita cédât ,
Pars etiam difperja per artùs non queat ejje
Conjuncia inter fe * me motu mutua fungi.
Le foleii & les autres feux s’abreuvent des eaux
de la terre.
. Cum fol & vapor omnis
Omnibus epotis humoribus exfuperarunt «
' * r * V ' ,
Le foleii & la lune ne font pas plus grands
au’ils le paraiflent.
t-' . ; . , ■ . •
Nec nimio folis major rota , nec minor ar -
dor> &c.
• ;> *
* • ‘ - f7 ... >
Lunaque . . . nihilo fertür majore figura .
. ! / 1 £ \ ' ‘ ^ \ N 1 • •. • * • > •- * *, 'S Ci *“* - • ' •
Nous n’avons la nuit que parce que le foleii
a epuifé fes feux durant le jour.
• « . . . . Ejflavit langui dus ignés
Ou parce qu’il fe cache fous la terre.
- ï . - ‘ ■' , # *9*/'. ( .
-U - . .r «fc. W . , ...
... Quia fub terras curfum convertere cogit .
Il ne faut pas croire qu’on trouve plus de
vérités dans les Géorgiques de Virgile \ fes
r
i
/
n : DES ANCIENNES
çbfervations fur la nature ne font pas plus vraies
que fatrifte apothéofe d’O&ave furnotmné Au-
gufte , auquel il dit , quon ne fait pas encore
s’il voudra bien être Dieu de la terre ou de la
mer , 8c que le fcorpion fe retire pour lui laiffec
une place dans le Ciel. Ce fcorpion aurait mieux
fait de s’allonger pour percer de fon aiguillon
l’auteur des profcriptions 8c l’affafïin des citoyens
de Péroufe.
Il commence par dire que le lin 8c 1 avoine,
brûlent la terre.
l/rit enim Uni campum fégçs , uni avcnce»
Selon lui les peuples qui habitent *es climats
de lourfe font plongés dans une nuit éternelle,
ou bien l’étoile du foir. luit pour eux quand
.* . . - . . . «. v. - V. w
nous avons l’aurore.
lllic ( ut perhibent ) aut intempefta filet nox *
Semper , & obtentâ denfantur noble tenebrA :
Aut redit à ne bis aurora , diemque reducit.
Nofque ubi primus equis oriens efflavit ankelis ,
lllic fera rub eus accendit lumina vefper.
On fait aflfez que ce font nos antipodes de l’o¬
rient chez qui la nuit arrive quand le fol eil com¬
mence à luire pour nous » 8c non pas les peu¬
ples du Nord qui peuvent être fous le meme
méridien que nous.
ERREURS EN PHYSIQUE. n
N’entreprenez rien , dit-il , le cinquième jour
de la lupe : car c’eft le jour que les Titans com¬
battirent contre les Dieux.
c *
Quintam fuge 9 &c .
« « *
Le dix-feptiéme jour de la lune efl: très-heu¬
reux pour planter la vigne &: pour dompter les
bœufs.
Siptima, poft duimam fdîx , &c.
Les étoiles tombent du ciel dans un grand
vent.
*
Sape ttiam Jîellas vcqto impcndentc vidcbii
Prctcîpïtcs cxlo labi ,
* '•
Les cavales font fécondées par le zéphir ,
leur matrice diftile le poifon de l’hyppoma-
ne.
Tous les fleuves fortent du fein de la terre \ 8c
enfin les Géorgiques Unifient par faire naître des
abeilles du cuir d’un taureau.
Quiconque en un mot croirait connaître la
nature en lifant Lucrèce & Virgile, meublerait
fa tête d’autant d’erreurs qu’il y en a dans les
fecrets du petit Albert , ou dans les anciens al¬
manachs de Liege. D’où vient donc que ces
poëmes font fi eftimés? Pourquoi font-ils lûs
7^ DES ANCIENNES ERREURS, Sec.
avec tant d’avidité par tous ceux qui favenc
bien la langue latine ? C’eft à caufe de leurs
belles deferiptions , de leur faine morale , de
leurs tableaux admirables de la vie humaine.
Le charme de la poche fait pardonner toutes les
erreurs, & l’eforit pénétré de la beauté du ftile
ne fonge pas feulement h on le trompe.
. Ci)
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CH API T. VINGT-TROISIEME.
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D’UN HOMME
ï ' . . r •
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QUI
i, ' . 'i • . ■ . 1 \ . . ; 't . *
FAISAIT DU SALPETRE.
T L faudrait avoir toujours devant les yeux ce
X Proverbe Efpagnol : De las cofas mas figu¬
ras , la mas fegura es dudar. Qand on a fait une
expérience le meilleur parti eft de douter long¬
temps dp ce qu’on a vu & de ce qu’on a fait. °
En 175 5 un Chymifte allemand d’une petite
province voiltpe de l’Aiface, crut avec apparence
de raifon avoir trouvé le fecret de faire aifémenc
du falpêtre avec lequel on compoferait la pou¬
dre à canon à vingt fois meilleur marché &
beaucoup plus promptement. Il fit en effet de
cette poudre, il en donna au Prince fon Sou¬
verain , qui en fie ufage à la chafle. Elle fut ju¬
gée plus fine Se plus agi (Tante que toute autre,'
Le Prince dans un voyage â Verfailles donna,
de la meme poudre au Roi, qui l’éprouva fou-
78 D’UN HOMME QUI
vent & en fut toujours également fatisfait. Le
Chymifte était fi fur de fon fecret qu’il ne vou¬
lut pas le donnera moins de dix-fept cent
mille francs payés comptant , & le quart du
profit pendant vingt années. Le marché fut figné ,
le chef de la compagnie des poudres , depuis
garde du tréfor royal, vint en Alface de la part
du Roi , accompagné d’un des plus favans
chymiftes de France. L’Allemand opéra devant
eux auprès de Colmar , & il opéra à fes propres
dépens. C’était une nouvelle preuve de fa bonne
foi. Je ne vis point les travaux; mais le garde
du tréfor royal étant venu chez moi avec fon
chymifte , je lui dis que s’il ne payoit les dix-
fept cent mille livres qu’après avoir fait du fal-
pëtre il garderoit toujours fon argent. Le chy- ,
mifte m’afiura que le falpêtre fe ferait. Je lui
répétai que je ne le croyais pas. Il me demanda
pourquoi. C’eft que les hommes ne font rien,
lui dis-je. Ils unifient Ôc ils défuniftent; mais il
n’appartient qu’à la nature de faire.
L’Allemand travailla trois mois entiers , au
bouc defquels il avoua fon irnpuifiance. Je ne
peux changer la terre en falpêtre, dit- il , je m’en
retourne chez moi changer du cuivre en or ; il
partit , & fit de l’or comme il ayait fait du fal¬
pêtre.
FAISAIT DO SALPETRE. n
Quelle fauflfe expérience avait trompé ce pau¬
vre Allemand , & le Duc fon maître , & les
gardes du tréfor royal, & le chy mille de Paris,
& le Roi ? La voici.
Le tranfmutateur Allemand avait vu un mor¬
ceau de terre imprégnée de falpêtre , & il en avait
tire d excellent, avec lequel il avait compofé
la meilleure poudre à tirer ; mais il ne s’apper-
çuc pas que ce petit terrain était mêlé de
débris d'anciennes caves , d’anciennes écuries
Sc des relies du mortier des murs. Il ne confi¬
era que la terre , & il crut qu’il fuffifoit de
cuire une terre pareille pour faire le falpêtre le
meilleur.
D’U N B A T EAU
CH JP- VINGT-QUATRIEME.
D’U N B ATEAU
DU
maréchal de saxe
E Maréchal de Saxe avait fans doute l’ef-
JLj i prit de combinaifon , de pénétration , de vi¬
gilance qui forme un grand Capitaine. Cepen¬
dant en 171 9 il imagina de conftruire une galère
fans rames & fans voiles qui remonterait la riviè¬
re de Seine de Rouen à Paris en vingt quatre
heures dans l’efpace de quatre-vingt dix lieues :
car il n’y en a pas moins par les finuofités de la
riviere. On a confluât de pareilles machines dans
lefquelles on peut fe promener fur une eau dor¬
mante au moyen de deux roues a larges aubes
auxquelles une manivelle donne le mouvement.
11 ne faifait pas réflexion que fou bateau ne pour¬
rait réfifter au courant de l eau , que ce que 1 on
gagne en temps on le perd en force , & au
contraire. 11 eut pourtant des certificats de
deux membres de l’académie des Sciences ,
&
DU MARECHAL DE SAXE, S s
& il obtint un privilège exclulif pour fa machi¬
ne. Il l’efTaya , on croira bien qu’il ne réufllc pas.
Mademoifelle le Couvreur difair alors comme
Geronte : Q_tte diable allait - il faire dans cette
galère ? Cette tentative lui coûta dix mille écus-;
il netoit pas riche alors. Il répara bien depuis
fur terre fôn erreur fur la rivière de Seine. Il
fut ménager plus a propos la force &c le temps en
faifant les plus favantes manœuvres de guerre.
Ces mécomptes en fait d’hydraulique & de
forces mouvantes arrivent tous les jours à plus
d’un artifte.
» ’ » * *
«J - " . €£=-" . . . b-
- * ». - ' „'i% ’
CH AP. VIN G T - CINQ UIÊME.
DES MÉPRISES
MATHÉMATIQUES
£ fut le fcandalede la géométrie , lorfque ~
vers le commencement de ce fiéele, les ma¬
thématiciens français $c allemands difputèrent
fur la force des corps en mouvement. Les dif-
F
%
\
U DES MÉPRISÉS
cj pies de Leibnitz prétendaient que cette force
écoit en raifon compofée de la vîtelfe & de la
pefanteur des corps. Les français au contraire ne
mefuraient cette force que par la vîtelTe multi¬
pliée par la malfe. Mr. de Mairan expofa le
mal-entendu avec beaucoup de clarté. La vic¬
toire demeura à. l’ancienne philofophie j & il eft
à remarquer que jamais aucun géomètre anglais
ne voulut entendre parler de la nouvelle mefu-
ie introduite en Allemagne par Leibnitz.
L’académie des fciences de Paris fut trompée
quelque temps fur une matière plus importante:
Voici le fait tel qu’il eft rapporté dans les Ele~
mens de Newton , page 1 3 8 .
, „ Louis XI F avait fignalé fon Règne par
*> cette Méridienne > qui traverfe la France ,
3, l’illuftre Dominique Cajjini l’avait commencée
s» avec Moniteur fon fils ^ il avait 9 en lyoi ?
« tiré du pied des Pyrénées à l’Obfervatoire une
,, ligne aulïi droite qu’on le pouvait , a travers
les obftacles prefque infurmontables que les
« hauteurs des montagnes , les changemens de
» la réfradion dans Pair , & les altérations des
$» inflrumens oppofaient fans celle a cette vafte
s» délicate entreprife ; il avait donc en 1701
EN MATHEMATIQUES. Sj
*> mefuré Ex degrés dix-huit minutes de cette
» Méridienne. Mais de quelque endroit que
» vînt l’erreur , il avait trouvé les degrés vers
» Paris, c’eft-à-dire , vers le Nord, plus petits
» que ceux qui allaient aux Pyrénées vers le
» Midi ; cette mefure démentait & celle de
<« Norvood Ôc la nouvelle théorie de la Terre
n applatie aux Pôles. Cependant cette nouvelle
» théorie commençait à être tellement reçue,
« que le Secrétaire de l’Académie n’héfita point,
» dans fon Hiftoirede 1701, à dire que les me*
9» fures nouvelles, prifes en France, prouvaient
n que la Terre efi un fphéroide dont les pôles font
n applatis. Les mefures de Dominique Cajjîni
%9 entraînaient â la vérité une conclufion toute
»> contraire ; mais comme la figure de la Terre
m ne faifait pas encore en France une queftion,
$9 perfonne ne releva pour lors cette conclufion
» faufle. Les degrés du Méridien de Colliou-
re à Paris paflérent pour exa&ement mefu-
*> rés j & le Pôle , qui par ces mefutes devait
néceffairement être allongé , pafia pour ap-
9t plati.
5» Un Ingénieur nommé Mr. des Roubais ,
»> étonné de la conclufion , démontra que par
F x
s4 DES MEPRISES
,, les mefures prifes en France, la Tetre devais
» être un fphéroïde oblong , dont le Méridien
35 qui va d’un Pôle à; l’autre, eft plus long que
s» l’Equateur, & dont les Pôles font allongés (*).
35 Mais de tous les Phyficiens à qui il adrelTa
•>Ta didertation, aucun ne voulue la faire im-
»» primer : parce qu’il femblait que l’Académie
3> eût prononcé , & qu’il paraidait trop hardi
as à un particulier de réclamer. Quelque temps
f3 après , l’erreur de 1701 fut reconnue -, on. fe
* dédit , & la Terre fut allongée , par une juf*
33 te concludon tirée d’un faux principe. » Enfin
l’erreur fut entièrement corrigée.
Une fociété favante revient bientôt à la vé¬
rité. Tout le monde convient aujourd’hui que
la planète de la terre eft un fphéroïde inégal ,
un peu applati vers les pôles & cela eft plus
démontré par la théorie d’Hugens & de New-
ton que par toutes les mefures qu’on pourrait
prendre , mefures trop fujettes à dés' erreurs
inévitables.
Audi les Anglois qui' aiment tant à voyager
n’ont- ils jamais fait aucun voyage pour vérifier
_ v' ' ~ ■£» v • t . V * 4 . -f • * •• ‘ *
(*) Son mémoire'tft dans le Journal littéraire.
EN MATHEMATIQUES. s$,
d’une manière toujours un peu incertaine ce
qui leur parailïait démontré par les loix de ,1a
nature.
■ iîil. -.■•*»*«' ' ' w* « * * m- ' ' C' J . ’ . Jm
L
i
*3
. . - . ~-r:r' ' " . . . 1,1 —K»-
v w > , v f . , r * - • * , • , . ^ î
4* *• *■* , . A i y ■ / . - • ^ • J 1 . . j
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CHAPITRE VINGT -SIXIÈME:
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V É R I TÉ S
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CO N DA M N É E S A?
fi) ÎUD Xi î'-'ii'C ‘ilCK O - 31 hw %
"V T Ôilà bien des mèprifes dans iefquellès les
* plus grands hommes ôc les corps les plus
favans fontsombés 5 parce que les meilleurs gé-?
nies ôc les plus eftimables tiennent toujours
quelque çhofe de la fragilité hümainp.-
On pourrait ajouter à. cette lifte les fenreti*
ces portées contre Galilée. Deux congrégation^
de Cardinaux le condamnèrent pour avoir fou*
tenu le mouvement de la terre autour du foleili
mouvement qui était ptefque déjà démontre en
rigueur; 11 'fut forcé de demander pardon à ge*
noux , d’avouer qu’il avait annoncé ame doo
trine abfatdecLzs Cardinaux lui remontrèrent *
d’après 'tous leurs Théologiens, que Jofué avoir
U V É R' I T É S
arrêté le foleil fur le chemin de Gabaon. Gali¬
lée n’avait qu’à leur répondre que c’était aufïi
depuis ce temps -là que le foleil était immo¬
bile. Mais enfin il fut condamné à la honte de
ïa raifon ; & comme on l’a déjà dit , ce juge¬
ment aurair couvert l’Italie d’un opprobre éter¬
nel , fi Galilée ne l’avait couverte de gloire par
fa philofophie même que Ton profcrivait.
On fait allez qu’il y a un corps confidéra-
ble qui profcrivit les idées innées de Defçartes,
& qui enfuite a condamné ceux qui combat¬
taient les idées innées. Cela prouvé afïez que
les Théologiens ne doivent point fe mêler de
philofophie. Il y a l’infini entre ces deux
Sciences. ’ r; . .
On a prononcé dans plus d’un pays des ju-
gemens encore plus étranges fur des points de
phyfique qui ne font nullement du relTort de
Cujas & de Bartholde. On fait à quel point le
favant Rarous fut perfécuté pour n’avoir pas été
de l’avis d’Ariftote qui n’était entendu ni de
fes adverfaires ni de fes juges. Er enfin il lui
en coûta la vie à la journée de la St. Banhelemi.
Les médecins qui tenaient pour les anciens »
intentèrent un procès à ceux qui démontraient
r
C O N D A M N EE S. Î7
la circulation* Les maîtres d’erreur ont toujours
eu recours à 1 autorité quand il s’agiffait de rai-
fon. Les exemples de ceux qui ont été con¬
damnés pour avoir inftruit le genre humain font
prefque aufli nombreux en phyfique quen mo¬
rale.
<3, ■■■ — . ■rrsSfffe -~--r=r: - rrr==g=fc>
CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME.
DIGRESSION.
SI tant d’erreurs phyfiques ont aveuglé des
nations entières , fi on a ignoré pendant
tant de fiécles la dire&ion de l’aimant , la cir¬
culation du fang , la pefanteur de l’atmofphè-
re , quelles prodigieufes erreurs les hommes
ont-ils du commettre dahs le gouvernement ?•
Quand il s’agit d’une loi phyfique on l’exami¬
ne du moins aujourd’hui avec quelque impar¬
tialité , 8c ce n eft pas en recherchant les prin¬
cipes de la nature que la fureur des pafïions 8c
la néceffité prenante de fe déterminer aveuglent
l’efprit ; mais en fait de gouvernement on n’a
«té fou vent conduit que par les pallions , Lesr
F 4
/
8 S
DIGRESSION.
préjugés & le befoin du moment. Ce font la
les trois caufes de la mauvaife adminifiration
qui a fait le malheur de tant de peuples.
C’eft ce qui a produit tant de guerres entre¬
prises par témérité 5 Soutenues fans conduite *
terminées par le malheur êc par la honte. C’eft
ce qui a donne cours a tant de loix pires que la
difette de toute loi , c*eft ce qui a ruiné tant de
familles par une jurifprudence inventée dans
des temps d’ignorance , & conSacrée par i’ufa-
ge. C’eft ce qui a fait des finances publiques un
jeu de hazard dangereux.
C’eft ce qui a introduit dans le cuire de la
Divinité tant d énormes abus , tant de fureurs
*
plus abominables peut-être que la Sauvage igno¬
rance de tout culte. L’erreur dans tous ces points
capitaux Se conSacua de père en fils, de livre
en livre , de chaire en chaire , Ôc rendit quel¬
quefois les hommes plus malheureux que s’ils
fe disputaient encore du gland dans les forêts.
Il eft très-ajSé de réformer la phyfique quand
le vrai eft enfin découvert. Peu d’années fuf-
* ’ ^ < « J ' K- i
firent pour faire tourner la terre autour du fa-
leil malgré les décrets de Rome , pour établir
les loix de la gravitation en dépit des uni ver-
)
X
DIGRESSION. 89
I
fîtes 9 & pour affigner les routes de la lumière.
Les Légifiateurs de la nature font bientôt obéis
ôc refpe&és d’un bout du monde à l’autre : mais
il n’en eft pas de même dans la légiflarion po¬
litique. Elle a été 8c .elle eft encore un chaos
prefque par - tout j les hommes fe font conduits
â l’aventure dans tout ce qui regarde leur vie,
leurs biens > 8c tout leur être préfent 8c à
venir.
* »
! I 'J
t
—
CHAPITRE VINGT-HUITIÈME.
D E S , £ L É M E N S.
À — c - il des élemens ? Les trois 9 imagi¬
nés par Defcartes que j’ai vu dans mon
enfance enfeignés par la plupart des écoles ,
étaient infiniment au-defious des contes des
mille 8c une nuits ; car aucun de ces contes
ne répugne aux loix delà nature , 8c font d’ail¬
leurs très-agréables. Les cinq principes des chy-
miftes étaient fi peu reconnus qu’ils les réduifi-
rent eux - mêmes à trois , puis à deux. Ils re¬
vinrent enfuite au feu , à l’eau , 5c à la terre.
90 DES ELEMENS.
Il a bien fallu enfin admettre l’air. Ainfï
les quatre élémens d’Ariftote font rentrés dans
tout leur honneur. Mais ces élémens , de quoi
font*ils faits eux-mêmes ? S’ils font compofés
de parties , ils ne font pas élémens. L’air , le
feu > 1’ eau 8c la terre fe changent - ils les uns
dans les autres ? fubiflent-ils des métamorpho-
fes ? Qu’eft - ce à la rigueur qu’une métamor-
phofe ? C’eft un être changé en un autre être;
c’eft au fond l’anéantiflement du premier & la
création du fécond. Pour que Peau devienne
abfolument terre , il faut que cette eau périffe
3c que la terre fe forme. Car fi Peau contenai®
en elle -même les principes de terre dans la¬
quelle elle s’eft changée , ce n’eft plus une
tranfmutation ; c’eft l’eau qui contenait en elle
un peu de terre , 3c qui s’étant évaporée a à laif-
fé cette terre à découvert.
Le célèbre Robert Boyle s’y trompa 3c en¬
traîna Newton dans fa méprife. Ayant long,-
temps tenu de l’eau dans une cornue à un feu
égal , le chymifte qui opéroit avec lui , crut
que l’eau s’était au bout de quelques mois chan*
gée en terre ; le fait était faux ; mais New¬
ton le croyant vrai > fuppofa que les quatre
DES
E M E N S.
élémens pouvaient fe changer les uns dans les
autres. Boerhaave fit voir depuis quelle avait
été la méprife de Boyle. Cette erreur avoit con¬
duit Newton à un fyftême qui paraît faux. Si
de grands hommes tels que Boyle & Newton
fe font trompés, quel homme pourra fe flattée
d’être à 1 abri de ierrèur ? Et quelle extrême
défiance ne doit-on pas avoir des opinions re¬
çues & de fes idées propres ?
■■ a , ,, Yffiirrrsr.r.1 , ■ ; a ■ ,
CHAUT. VINGT - NEUVIÈME.
DE LA TERRE.
QU’eft-ce que la terre ? Son effence eft-
elle d’être de l’argile , de la boue ? Non
fans doute , puifque de la marne , de ia craie
de la glaife , du fable , du plâtre , de la pier¬
re calcaire , font appelles terre. Auflî Becker
diftinguait entre terre vitrifiable , inflammable,
8c mercuriale. La terre eft - elle un aflemblage
de tout ce que contient notre globe ? Y entre-
r-il de 1 eau , du feu 8c de l’air ? En ce cas
comment peut-on l’appeller un élément ?
•j* ,?D Ç‘ L A XgR£tE-
jQrç.4 long-temps imaginé ;.qu il y avait unè
terre première, une tei$e vierge qui n’eft rien
de ce que nous voyons ; [&c qui eft capable dm
recevoir cour ce que notre globe renferme ; mais
cette terre eft apparemment dans le paradis ter-
reftre dont perfonne ne peut approcher. Nous
ne connaîtrons plus que différentes foires de
fubftances terreufes % fans que nous publions
dire d’aucune : Voilà le principe des autres ,
voilà la matrice dans laquelle tout fe forme ,
& le tombeau dans lequel tout rentre.
«a 1 1 v —
• - n V ' * V ^
CHAPITRE TRENTIÈME.
>. J\ J A S ■ W-.- JL -i. ■* ^
DE L’EAU.
, •; - , ' . - ' . U
U’eft-ce que l’eau ? Eft-elle fluide ou fo-
^ lide de fa nature ? Ne faut -il pas pour
quelle coule' qu’un feu fecret en défunifte les
parties ? Otez une grande quantité de ce feu *
elle devient glace. Orv qu’eft*-ce qu’un élément
qui a befoin d’un autre élément pour exifter ?
L’eau de la mer eft+eile de même nature que
nos eaux de fontaines de rivières ? Y a-t-il
*• -. • f * • : j ■
. -f . * ■ » < I
t • * i
J . -
* *
■ Dtit'EJffi *
dans l’Océan de dans la Méditerranée de grands
bancs de Tel de des mines de bitume qui don¬
nent à leurs eaux un goût différent de celui de
notre eau ordinaire quand nous lavons chargée
de Tel marin ? Perfonne na jamais vu ces pré¬
tendues mines de fei , perfonne n’a jamais ex¬
trait du birume de l’eau de la mer.
Pourquoi l’eau eft-elle incompréhenfible ?
pourquoi n’a- 1- elle aucun refTort ? de queft-ce
que le irefTort ? Pourquoi de l’eau enfermée dans
un globe d’or s’échappera-t-elle à travers les po¬
res de l’or quand on frappera fur ce globe avec
un marteau 9 quoique lor foit près de vingt
fois plus denfe que l’eau ? Et pourquoi ne peut-
elle palier à travers des pores du verte , touC
diaphane qu’eft ce verre ? Comment l’eau en
vapeurs fait-elle un effet deux fois plus confidé-
rable que celui de la poudre à canon ? on ferait
bien embaraffé de répondre. On ne fait pas en¬
core même précifémenc pourquoi l’eau éteint le
feu. r
CHAPITRE TREN TE- UNIEME
DE U A I R.
Quelques philofophes ont nié quil y eue
de l’air. Ils difenc qu’il eft inutile d’ad¬
mettre un être qu’on ne voit jamais & donc
tous les effets s’expliquent fi aifément par les
vapeurs qui fortent du fein de la terre» New¬
ton a démontré que le corps le plus dur a moins
de matière que de pores. Des exhalaifons con¬
tinuelles échappent en foule de toutes les par¬
ties de notre globe. Un cheval jeune & vi¬
goureux ramené tout en fueur dans fon ecune
en temps d’hiver eft entouré d’un atmofphère
mille fois moins confidérable que notre globe
ne l’eft de la matière de fa propre tranfpira-
tion.
Cette tranfpiration , ces exhalaifons , ces
vapeurs innombrables s échappent fans cefle par
des pores innombrables > & ont elles -memes
des pores. C’eft ce mouvement continu en touc
fens, qui forme & qui détruit fans cefle végé-
DE L’ A I R. 5S
taux , minéraux , métaux , animaux. C’eft ce
qui a fait penfec à plulîeurs que le mouvement
eft eflentiel à la madère-; puifqu’il n’y a pas une
particule dans laquelle il n’y ait un mouve¬
ment continu. Et fi la puiflànce formatrice éter¬
nelle qui préfide à tous les globes , eft l’auteur
de tout mouvement , elle a voulu du moins
que ce mouvement ne pérît jamais. Or ce qui
eft toujours indeftruéfible a pu paraître eflentiel,
comme l’étendue & la folidité ont paru eflen-
tielles. Si cette idée eft une erreur elle eft par¬
donnable , car il n’y a que l’erreur malicieufe
& de mauvaife foi qui ne mérite pas d’indul¬
gence.
Mais quon regarde le mouvement comme
eflentiel ou non , il eft indubitable que les ex-
halaifons de notre globe s’élèvent & retom¬
bent fans aucun relâche à un mille, i deux mil¬
les , à trois milles au-deflus de nos têtes. Du
mont Atlas a 1 extrémité du Tautus , tout hom¬
me peut voir tous les jours les nuages fe for¬
mer fous fes pieds. Il eft arrivé mille fois à des
voyageurs d’être au-defliis de l’arc-en-ciel , des
éclairs 8c du tonnerre.
Le feu répandu dans rintcneur du globe ;
«e feu , qui , caché dans l’eau & dans la glace
DE L’ À î ït
même , eft probablement la fource impériflâ-
ble de ces exhalaifons , de ces vapeurs , dont
nous fommes continuellement environnés. El¬
les forment un ciel bleu dans un temps ferein
quand elle font allez hautes ôc alTez atténuées
pour ne nous envoyer que des rayons bleus ;
comme les feuilles de lor amincies , expofées
aux rayons du foleil dans la chambre obfcure.
Ces vapeurs imprégnées de foufre forment les
tonnerres ôc les éclairs» Comprimées Ôc enfuite
dilatées par cette comprefiion dans les entrailles
de la terre , elles s’échappent en volcans, for¬
ment ôc détruifent de petites montagnes , ren-
verfent des villes , ébranlent quelquefois une
grande partie du globe.
Cette met de vapeurs dans laquelle nous na¬
geons , qui nous menace fans celle , Ôc fans la¬
quelle nous ne pourrions vivre , comprime de
tous cotés notre globe Ôc fes habitans avec la
même force que fi nous avions fur notre tête un
Océan de trente -deux pieds de hauteur : ôc
chaque homme en porte environ quarante mille
livres» 'y- - -
Tout ceci pofé , les Philofophes qui nient
l’air , difent pourquoi attribuerons nous à un
élément
DE L? A I R. 5,7
élément inconnu & invifible , des effets que l’on
voit continuellement produits par ces exhalaifons
vifibles tte palpables ?
Je vois au coucher du foleil s’élèver du pied
des montagnes, Sc du fond des prairies, un nuage
blanc qui couvre toute l’étendue du terrain , au¬
tant que ma vue peut porter. Ce nuage s epaifÇc
peu à peu , cache infenfiblement les montagnes ,
ôc s’élève au delïus d’elles. Comment, fi l’air
exiftait, cet air dont chaque colonne équivaut à
trente-deux pieds d’eau , ne ferait-il pas rentrer
ce nuage dans le fein de la terre dont il eft forti ?
Chaque pied cube de ce nuage eft preffé par
trente-deux pieds cubes , donc ; ii ne pourait ja¬
mais fortir de terre que par un effort prodigieux,
& beaucoup plus grand que celui des. vents qui
foulèvent les mers. Puifque ces mers ne montent
jamais à la trentième partie de la hauteur de
ces nuages dans la plus grande effervefcence des
tempêtes.
L’air eft élaftique , nous dit-on : mais les va¬
peurs de l’eau feule le font fouvent bien d avan¬
tage. Ce que vous appeliez l’élément de l’air
prefte dans une canne à vent, ne porte une balle
qu a une tres-petite diftance j mais dans îa pompe
G
♦
5>$ DE L'AIR.
à feu des bâtiments d’Yorck à Londres, les va¬
peurs font un effet cent fois plus violent.
On ne dit rien de l’air , continuent-ils , qu’on
, ne puiffe dire de meme des vapeurs du globe ;
elles pèfent comme lui , s’infinuent comme lui ,
allument le feu par leur foufle , fe dilatent , fe
condenfent de meme.
Ce fiftême fernble avoir un grand avantage fur
celui de l’air , en ce qu’il rend parfaitement rai-
fon de ce que ratmofphère ne s’étend qu’environ
à trois ou quatre milles tout au plus ; au lieu que
fi on admet l’air , on ne trouve nulle raifon pour
laquelle il ne s’étendrait pas beaucoup plus loin,
8c n’embraflerait pas l’orbite de la lune.
La plus grande objection que l’on fade contre
les fiftêmesdes exhalaifons du globe, eft, qu’elles
perdent leur élafticité dans la pompe à feu quand
elles font refroidies, au lieu que l’air eft , dit-
on , toujours élaft ique } mais premièrement il
n’eft pas vrai que l’élailicité de l’air agiffe tou¬
jours } fon élafticité eft nulle quand on le fuppofe
en équilibre, 8c fans cela il n*y a point de végé¬
taux 8c d’animaux qui ne crevaftent & n’écîataf-
fent en cent morceaux , fi cet air qu’on fuppofe
être dans eux , confervait fon élafticité. Les va-
,
\
■
!
DE V A I R. 59
peurs n’agiffent point quand elles font en équi¬
libre ; c’eft leur dilatation qui fait leurs grands
effets. En un mot, tout ce qu’on attribue à i’air
femble appartenir fenfibîement , félon ces philo-
fophes, aux exhalaifons de notre globe.
Si on leur objecte que l’air effc quelquefois
peftilentiel , c’eft bien plutôt des exhalaifons
qu’on doit le dire. Elles portent avec elles des
parties de foufre , de vitriol , d’arfenic Sc dè
toutes les plantes nuifibles. On dit : l’air eft pur
dans ce Canton , cela fignifie : ce Canton n’eft
point marécageux } il n’a ni plantes ni minières
pernicieufes dont les parties s’exhalent conti¬
nuellement dans les corps des animaux. Ce n’eft
point l’élément prétendu de l’air qui rend la
campagne de Rome fi mal laine, ce font les eaux
croupiffantes , ce font les anciens canaux qui
creufés fous terre de tous côtés font devenus le
réceptacle de toutes les bêtes vénimeufes. C’eft
de là que s’exhale continuellement un poifon
mortel. Allez à Frefcati , ce n’eft plus le même
terrain, ce ne font plus les mêmes exhalaifons.
Mais pourquoi l’élément fuppofé de l’air chan-
gerait-ii de nature à Frefcati? 11 fe chargera, dit-
on; dans la campagne de Rome de ces exhalai¬
fons funeftes , & n’en trouvant pas à Frefcati i
G z
I©9
de V A I R.
deviendra plus falutaire. Mais encore une fois*
puifque ces exhalaifons exiftent , puifqu’on les
voit vifiblement s’élever le foir en nuages , quelle
néceflité de les attribuer à une autre caufe ? Elles
montent dans l’athmofphère, elles s’y diflipent,
elles changent de forme , le vent dont elles font
la première caufe, les emporte, les fépare j elles
s’atténuent, elles deviennent falutaires, de mor¬
telles qu’elles étaient.
Une autre objection, c’effc que ces vapeurs,
ces exhalaifons renfermées dans un vafe de verre
s’attachent aux parois 8c tombent , ce qui n’ar-
xive jamais à l’air. Mais qui vous a dit que fi les
exhalaifons humides tombent au fond de ce crif-
tal , il n’y a pas incomparablement plus de va¬
peurs féches 8c élaftiques qui fe foutiennent dans
l’intérieur de ce vafe ? L’air , dites-vous , eft pu¬
rifié après une pluie. Mais nous fommesen droit
de vous foutenir que ce font les exhalaifons ter-
reftres qui fe font purifiées, que les plus grof-
fières , les plus aqueufes rendues à la terre ,
lailfent les plus féches 8c les plus fines au defîus
de nos tètes , &c que c’eft cette afcenfion 8c cette
defcente alternative qui entretient le jeu conti¬
nuel de la nature.
Voilà une partie des raifons qu’on peut allé-
' DE L’ A Î R. Iot
guet en faveur de l’opinion que Pélément de Pair
n’exifte pas. Il y en a de très fpécieufes & qui
peuvent au moins faire naître des doutes j mais
ces doutes céderont toujours à l’opinion com¬
mune qui paraît établie fur des principes fupc>
rieurs à ceux qui n’admettent au lieu d’air qué
les exhalaifons du globe.
-
«P- W* ^ ^ . + •
loi
DU FEU ELEMENTAIRE,
- . ii ■ rgsata: — , =g?S
CB AP. TRENTE- DEUXIEME.
DU FEU ELEMENTAIRE
£ T D E
LA LUMIERE.
ON trouve clans les éléments de la phiîofo-
phie de Newton donnée en 1 7 5 S , ces pa¬
roles : » Newton , pour avoir anatomifé la 'lu-
» mière , n’en a pas découvert la nature intime.
» Il fa v ait bien 'qu’il y a dans le feu élémentaire
» des propriétés qui ne font point dans les autres
éléments.
„ Il parcourt cent trente millions de lieues en
» moins d’un quart d’heure de Jupiter à notre
>3 globe; Il ne paraît pas tendre vers un centre
» comme les corps;, mais il fe répand uniformé-
>j ment également en tout fens , au contraire
„ des autres éléments. Son atrra&ion vers les ob-
„ jets qu’il touche & fur la furface defquels ils
„ rejaillit, n’a nulle proportion avec la gravita-
>9 tion univerfelle de la matière.
r \
ET DE LA LUMIERE. 103
j» Il n’eft pas même prouvé que les rayons du
» feu élémentaire ne fe pénétrent pas en quelque
» forte les uns les autres j fi on ofe le dire. C’eft
s? pourquoi Newton , -frappé de toutes ces fingu-
>3 larités, femble toujours douter fi la lumière eft
» un corps. Pour moi, fi j’ofe hazarder mes.
»j doutes, j’avoue que je ne crois pas impoiïible,
a? que le feu élémentaire foit un être à part , qui
jj anime la nature , de qui tient le milieu entre
jj les corps ôc quelque autre être que nous ne
jj connailfons pas ; de même que certaines plantes
» fervent de palTage du régne végétai au régné
jj animal, >j
Voici les queftions qu’on peut faire fur le feu
élémentaire & les rayons de la lumière , dont
Newton dit fi fouvent, Corpora Jznt nec ne.
Ce feu eft-il abfolument une matière comme
> ,
les autres éléments , Peau , la terre , de ce qu’on
diftingue par le terme d’air ou d'œther? Tout
corps quel qu’il foit tend vers un centre j mais la
lumière êc le feu s’en échappent également de
;
tous cotés. Elle n’eft donc pas foumife a la loi de
gravitation qui caraétérife toute matière.
Tout corps eft impénétrable ; mais les rayons
de lumière femblent fe pénétrer. Mettez un corps
qui aura reçu la couleur rouge à quelque diftance
G 4
ie4 DU FEU ELEMENTAIRE
d’un corps qui aura reçu des rayons verds $ que
cent millions d’hommes regardent ce point verd
6c ce point rouge , ils les voyent tous deux égale¬
ment. Cependant, il eft d’une néceffité abfoîue
que les rayons verds 6c les rayons rouges fe tra-
verfent en angles égaux. Or comment peuvent-
ils fe traverfer fans fe pénétrer ? on a propofé
cette difficulté à plufieurs Fhilofophes , aucun n’y
a jamais répondu.
Il eft vrai que l’on a prétendu que la lumière
pèfe. Mais n’a-t-on pas confondu quelquefois
les corpufcules joints à la flamme avec la flamme
elle-même ?
Qui ne connaît ces expériences par lefqueîles
le plomb calciné pèfe plus étant réduit en chaux
qu’auparavant. L’on a foupçonné que cette addi¬
tion de poids était l’effet feul du feu introduit
dans le plomb. Mais n’eft-il pas plus vraifem-
blable que mille petits corps répandus dans l’at-
mofphère raréfié, fe font jettés en foule fur ce
métal en fufion , 6c en ont ainfi augmenté le
poids ?
Ce feu néceflaire à tous les corps 6c qui leur
donne la vie , peut il être de la nature de ces
corps mêmes , 6c n’eft-il pas bien probable que le
vivifiant a quelque chofe au-deffiis du vivifié ?
ET DE LA LUMIERE. 105
Conçoit-on bien qu’un être qui fe meut feize
cens mille fois plus vite qu un boulet de canon
dans notre atmofphère, & dont la vîtefie eft
peut-être incomparablement plus rapide dans l’ef-
pace non refilant , foit ce que nous appelions
matière ?
N’efi-on pas obligé d’avouer aujourd’hui avec
Mufchembrock, quil n'y a rien qui nous foit
moins connu que la caufe de l'émanation de la
lumière ? il faut avouer que l'efprit humain ne
faurait jamais concevoir un phénomène f fur -
prenant .
Ce feu élémentaire n’efi-il pas un principe de
1 eleélricite , puifqu au meme infant , au même
clin d’œil le coup éîeélrique fe fait fentir à trois
cens perfonn es à la fois rangées a la file ? Le pre¬
mier ef frappé , le dernier fent le coup dans l’inf-
tant même. f
N’ef-il pas dans les animaux le principe de la
fenfation infantanee qui fait que la moindre pi-
quure aux extrémités du corps ébranle fans au¬
cun intervalle de tems ce qu’on appelle le Sen-
forium ? En un mot, cet être agitfant, fi uni-
verfellement, fi finguliérement fur tous les corps,
n ef-il pas un etre intermédiaire entre la ma¬
tière dont il a des propriétés , & d’autres êtres
I0(S DU FEU ELEMENTAIRE
qui touchent encore à d’autres , 8c qui en dif¬
fèrent ?
Cette idée que le feu élémentaire eil quelque
chofe qui tient d’un côté à la matière connue > 8c
qui de l’autre s’en éloigne , peut être rejettée , mais
ne doit pas être méprifée.
Dans l’ignorance profonde où croupit le vul¬
gaire gouverné , 8c le vulgaire gouvernant fur
ces quatre éléments dont nous tenons la vie , a
quoi nous ont fervi les découvertes en phyfique
8c les inventions du génie ? au lieu de bien cul¬
tiver la terre nous l’enfanglantons ; nous em¬
ployons le feu 8c l’air à mettre les villes en
cendres : les eaux de la mer nous fervent à por¬
ter la deftrucHon fur tout le globe. La métallur¬
gie inventée d’abord pour i’ulage de la charrue y
a fait périr mille millions d’hommes. La théorie
des forces mouvantes employée ü abord a nous
foulager dans nos travaux , devint bientôt fé-
o
coude en machines meurtrières. Enfin 1 inven¬
tion d’un bénédi&in chimifte amenant un nou¬
vel art de la guerre chez toutes les nations , ren¬
dant le courage 8c la force inutiles s a fait que
Guftave 8c Turenne ont été tués par des poltrons.
Il y a maintenant en Europe en comptant les
Turcs 8c les Tartares quinze cens mille foldats
ET DE LA LUMIERE. ie7
portant des fulils. Aucun ne fait qu’il eft armé
par un moine mathématicien.
G»— - - - ! - s%e= ! ■' . nS
CH AP. TRENTE- TROISIEME.
DES LOIX
INCONNUES.
Çl Newton a découvert cette clef de la nature
**** par laquelle une pierre, une bombe retombe
en cherchant le centre de la terre , & les pla-
nettes marchent dans leurs orbites , fi cette loi de
1 attraction agit non en raifon des furfaces com¬
me les loix de Fimpulfion , mais en raifon des
fohdes j fi ehe pénétré au centre de la matière en
railon inverfe du quatre de îdifiances, pourquoi
cette loi n agit-elle pas fuivant les mêmes pro¬
portions dans les phénomènes de l’aimant , dans
ceux de 1 eleétricite , dans i afcenfion des liqueurs
a travers les tuyaux capillaires , dans la cohéfion
des corps , dans les rayons du foleil qui rebon-
dififent d’une furface de criftal fans toucher réel¬
lement cette furface ? On ne peut dans aucun dé
ces cas avoir recours aux loix du mouvement, à
Xè8 ÔES LÔ15C INCONNUES.
l’impulfion des corpufcules intermédiaires. 11 y à
donc certainement des loix éternelles , incon¬
nues , fuivant lefquelles tout s'opère , fans quon
puifTe les expliquer par la matière Sc par le
mouvement.
Ces loix reflemblent à celles par lefquelles
tous les animaux font agir leurs membres à leur
volonté. Qui découvrira le raport de la volonté
d’un animal & du mouvement de fes jambes ?
11 y a donc des loix qui ne tiennent en rien à la
matière connue. La philofophie corpufculaire ne
peut donc rendre aucune raifon des premiers
principes des chofes. Defcartes , en paraiffant s’ex¬
pliquer en philo fophe , prononçait donc l’alTertion
la moins philofophique quand il difait , donnez-
moi de la matière & du mouvement, & je vais
faire un monde.
Il y a dans toutes les Académies une chaire
vacante pour les vérités inconnues , comme
Athènes avait un autel pour les Dieux ignores.
CHAP. TRENTE-QUATRIEME.
IGNORANCES
'-x • . » * .
ETERNELLES.
LA nature de nos fenfations , de nos idées
de notre
inconnue
ne nous elt-eile pas plus
encore ? Comment fe peut-il faire qu un
animal fente ? Quel raport y a-t-il entre la ma?
tière connue & le fentiment ?
Comment une idée fe place-t-elle dans notre
cervelle ? peut-on avoir une fenfation fans avoir
l’idée , la confcience , le témoignage interne a
qu’on éprouve cette fenfation ?
Comment cet animal à qui j’ai coupé la tête a-
t-il encore des fenfations , privé du cerveau d’où
partent les nerfs qui font l’origine de tout fen-
îiment ?
< .-A ■ ' * *
Pourquoi vivant fans tête des années entières
fenc-il encore les piquures que je lui fais ? pour¬
quoi' fe réfugie-t-il dans fon enveloppe à la
moindre fenfation défagréable que je lui caufe ?
Qu’elf-ce que la mémoire? ôc dans quel ma*
I io
IGNORANCES &e.
gazin retrouve-t-on , quelquefois fans le vouloir*
une fouie d’idées &c de mots dont on n avait plus
aucun fouvenir.
Comment les animaux ont* ils en fonge des
fenfations & des idées qu’ils n’avaient point eues
en veillant ?
Par quel accord incompréhenfible la volonté
fait elle obéir incontinent certains mufcles, cer¬
tains vifcères , tandis qu’il y en a d autres fur
lefquels elle n’aura jamais le moindre empire?
Enfin , pourquoi a-t-on l’exiftence? pourquoi eft-
il quelque chofe ?
Si après ces réflexions on ne fait pas douter ,
il faut qu'on foit bien fier.
I
- — -TV- ^
CH AP. T RE N TE - CINQ UIE ME.
incertitudes
EN ANATOMIE.
î\/f AI2fé tous( Recours que le microfcope
p-«- a donnés à l’anatomie; malgré les grandes
découvertes de tant d’habiles chirurgiens , de tant
de médecins célèbres , que de difputes intermi¬
nables fe font élevées, & dans quelle incertitude
fomrnes-nous encore!
Interrogez Borelli fur la force exercée par le
cœur dans fa dilatation, dans fa diaftole; il vous
aiïiire qu elle eft égale à un poids de cent quatre-
vingt mille livres. AdrelTez-vous à Keil , il vous
certifie que cette force n’eft que de cinq onces.
Junn vient qui décide qu’ils fe font trompés ; &
il fait un nouveau calcul ; mais un quatrième
furvenant prétend que Jurin s’eft trompé auffi.
La nature fe moque d’eux tous, & pendant qu’ils
difputent , elle a foin de notre vie ; elle fait con¬
trarier & dilater le cœur par des voies que l’ef-
piit humain na pas encore pénétrées.
Iix incertitudes
On difpute depuis Hipocrate fur la manière
dont fe fait la digeftion ; les uns accordent à l’ef-
tomac des fucs digeftifs ; d’autres les lui refufent.
Les Chimiftes font de l’eftomac un laboratoire.
Hequet en fait un moulin. Heureufement la
nature nous fait digérer fans qu’il foit nécedaire
que nous fâchions fon fecret. Elle nous donne
des apetits, des goûts & des averfions pour cer¬
tains aliments dont nous ne pourons jamais favoir
la caufe.
On dit que notre cliile fe trouve déjà tout
formé dans les aliments mêmes , dans une
perdrix rôtie. Mais que tous les chimiftes en-
femble mettent des perdrix dans une cornue,
ils n’en retireront rien qui relfemble ni a
une perdrix ni au chiie. 11 faut avouer que
nous digérons aind que nous recevons la vie 9
que nous la donnons, que nous dormons , que
nous fentons, que nous penfons ; fans favoir
comment.
Nous avons des bibliothèques entières fur la
génération , mais perfonne ne fait encore feule¬
ment quel relfort produit i’intumeicence dans la
partie mafculine.
On
!
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i r
£ ANATOMIE. nj
Ôn parle d’un fuc nerveux qui donne la fen^
ïîbilité à nos nerfs , mais ce fuc n’a pu être dé¬
couvert par aucun anatomifte.
Les efprits animaux qui ont une fi grande ré¬
putation , font encore a découvrir.
Votre médecin vous fera prendre une mé¬
decine, & ne fait pas comment elle vous purge*
La maniéré dont fe forment nos cheveux 8c
nos ongles , nous eft auiïi inconnue que la ma¬
niéré dont nous avons des idées. Le plus vil ex¬
crément confond tous les philofophes.
Vinflow & l’Emeri entafient mémoire fur mé¬
moire fur la génération des mulets ; les favans
4 partagent : 1 ane fier èc tranquille fans fe mê¬
ler de la difptue, fùbjugue cependant fa cavale
qui lui donne un beau mulet. La nature agit *
nous difputons.
Moniteur Ulloa fi célèbre par les fervices qu’îl
a rendus à la phyfique,& par l’hiftoire philofo-
jphiqüe de fes voyages , affûte que dans un can¬
ton de l’Amérique méridionale il a vu plufieurs
fois, obfervé , mangé des écréviffes qui routes
étaient conftamment plus charnues dans îa pleine
lune , 8c plus chétives dans les quadratures. Il a
vu 8c employé de gros rofeaux qui éprouvaient
les memes influences, étant plus nourris d’eau
' H
— i
114 INCERTITUDES EN ANAT.
quand la lune était dans fon plein que dans le
temps du ctoiflant & du décours. Il eût été à
fouhaiter qu’il eût donné plus de détails de ce^
étonnantes fingularités. Ni les écré vides , ni les
rofeaux de nos climats ne fubitfent de pareils
changements. Pourquoi la lune agirait -elle fur
les écrévifles du Pérou, & négligerait-elle celles
de notre continent? Pourquoi ne ferait-ce que
dans un feul canton du Pérou que les rofeaux &
]es écrévifles feraient fournis a l empire de la
lune ? Je ferais un trop gros livre fi je voulois dé-
tailler tout ce que je n’ai jamais pu comprendre.
#(115)#
CH API T. TRENTE-SIXIEME.
i
y < j.
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DES MONSTRES,
*
• • • '••'V ’■ !-J' ■ . 1 ■ '*• f
ET DES
- ' ■ ' • - - f y • #
RACES DIVERSES.
N ne s’accorde point fur l’origine des mont
^-^- tres. Comment s’accorderoit- on , puis¬
qu’on ne convient pas encore de la formation
des animaux réguliers?
Natura eft ftbi femper confond 9 dit Newton;
la nature eft par-tout Semblable à elle- même.
Oui, les corps tendent vers le centre en tout
pays. Le feu brûlera par tout , mais la nature
agit très -différemment dans les générations,
puifque parmi les animaux les uns jettent des
œufs , les autres font vivipares, ceux-ci n’ont
qu’un fexe , ceux - là en ont deux , plufieurs
engendrent fans copulation.
Quo teneam vultus mutantcm Frothca nodo ?
*.
La race des nègres n’eft-elle pas abfolument
H a
*iS Ï>ÏS MONSTRES
différente de la nôtre ? Il y a encore des îgnorans
qui impriment que des nègres & des ncgreffes
transportés dans nos climats engendrent des
blancs. Il n’y a rien de plus faux , SC tous nos
colons. d’Amérique qui ont des nègres font té¬
moins du contraire.
Comment peut-on imprimer encore aujour¬
d’hui que les noirs font une race de blancs noir¬
cis par le climat , tandis qu’on fait que fous le
même climat il n’y avait aucun noir en Améri¬
que iorfqu’elle fut découverte , tandis qu’il n’y
a de nègres que ceux qu’on y a tranfpiantes
*d’ Afrique, tandis que ces nègres engendrent tou¬
jours des nègres comme eux ? La maladie des
fiftêmes peut- elle troubler l’efprit au point de
faire dire qu’un Suédois & un Nubien font de
la même efpèce , lorfqu’on a fous les yeux le
réticulum mucofum des nègres qui eft abfolu-
tnent noir ^ Sc qui eft la caufe évidente de leur
noirceur inhérente & fpécifique ? Je fais que
dabsla même carrière on trouve du marbre noie
& du marbre blanc, mais certainement le blanc
c’a pas produit le noir , & los races negres ne
viennent pas plus de races blanches que l’ébéne
ne vient d’un orme , &c que les mures ne vien¬
nent des abricots.
■•ïîwy::
IC
Et DES RACES DIVERSES. 117.
Lé compilateur du journal (Economique »
qui neft jamais forri de la rue St. Jacques , me
dit d’un ton de maître que les Caraïbes ri etaierrc
point rouges y que les mères fe plaifaient feule¬
ment à teindre en rouge leurs enfans. Et voilà
mes voifins qui arrivent de la Guadeloupe , 8c
qui me donnent une atteftation, qu'il y a encore
€.inq a fix familles C dr cubes dans V ünfe Bertrand ^
leur peau, ejl de la couleur de notre cuivre rouge 9
ils font bienfaits y ils ont de longs cheveux &
point de barbe.
Ils ne font pas les féuls peuples de cette cou¬
leur. J ai parle a 1 Indien infulaire qui vint en
France demander juftice vers l’an 1720 , au C011-
feil du Roi , contre Mr. Hebert, ci-devant Gou¬
verneur de Pondicheri , & qui l’obtint. Il était:
rouge, & d’ailleurs un très-bel homme.
Maillet a raifon quelquefois. Il avait beau^-
coup vu & beaucoup examiné. Les Américains
dit-il , page 125 du premier Volante ,Jhr-tàù&
les Canadiens y excepte les Efquimaux , n'ont ni
poil ni barbe , Ere. Son éditeur qui a fait impri¬
mer le manufcric de Maillet chez la veuve Du-
chêne, fait une note fur ce texte , 8c dit fière¬
ment: ># Telliamed fe trompe; les fauvages de
** 1 Amérique ne font point fans poil 8c fans
E*
H *
1 18 DES MONSTRES
„ barbe ; ils n’en ont point , parce que s’arra-
„ chant le poil , ou le faifant tombera mefure
„ quii paraît , ils fe frotent enfuite du jus de
» certaines herbes pour l’empêcher de croître de
« nouveau.
Avec quelle confiance , avec quelle ignoran¬
ce intrépide ce badaut de Paris prérend-il que
les Braziliens, &c les Canadiens , Sc les Patagons
fe font donnés le mot de s’arracher le poil
fans avoir des pinces , quel fecret fe font- ils
communiqués du fleuve St. Laurent au cap de
Horn pour empêcher la barbe de croître ? Quel
eft le voyageur, le Colon Américain qui ne fâ¬
che que ces peuples n’ont jamais eu de poil en
aucune partie de leur corps ?
Les hommes dans le nouveau monde en font
privés comme les Lions y font privés de crins (*)j
(*) Voicida lettre qu’un ingénieur en chef qui a com¬
mandé long -tems en Canada , me fait l’honneur de
m’écrire du premier Décembre 1768.
M JJai vu au Canada trente -deux nations différentes
« raffemblées à la fois pendant deux campagnes de fuite
« dans notre armée, & je les ai vues avec des yeux affez
» curieux pour vous alfurer qu’ils font imberbes. Leurs
33 femmes le font auffi , & ccft un fait fur lequel vous
pouvez également compter. Enfin , Monfieur , non-
7 • 1 , r ,
V
/ V
IT DES RACES DIVERSES. n*
toute la nature étoit différente de la nôtre en
Amérique quand nous la découvrîmes j de
meme que fur les bords méridionaux de
l’Afrique il n’y avait rien qui raflTemblit aux
production de notre Europe, ni hommes, ni
quadrupèdes , ni oifeaux , ni plantes.
Croira-t-on de bonne foi qu’un Lapon & un
Samoyede , foient de la race des anciens habitans»
des bords de l’Euphrate? Leurs Rangifères ouRen-
nés, animaux qui aefe trouvent point ailleurs &
qui ne peuvent vivre ailleurs, defcendenc-ils des
cerfs de la foret de Senlis ? Il n a pas certainement
ét^plus difficile â la nature de faire desLapons 8c
des Rangifères que des nègres & des éléphans.
Les nègres blancs que j’ai vus ; ces petits hom¬
mes qui ont des yeux de perdrix , 8c la foie la
plus fine 8c la plus blanche fur la tête, 8c qui ne
reffemblent aux nègres que par leur nez épaté ,
& par la rondeur de la conjonctive, ne me pa¬
rai (lent pas plus defeendre d’une race noire dé¬
générée que d’une race de perroquets. L’auteur
» feulement les Américains n-’ont point de poil.au men-
» ton , mais ils n’çn ont dans aucune partie du corps. Ils
* en on* lobligation à la nature , & non à la prétendue
33 herbe dont le favant Auteur de la rue St. Jacques
sï prétend qu’ils fe frottent 3».
h4
ïlo DES MONSTRES,
de rhiftoire naturelle les croit d’une race noire*
parce qu’ils font blancs & qu’ils habitent tous
à peu près la même latitude, au Darien, au Sud
du Zaïr , & à Ceïlan. Et moi , c’eft parce qu’ils
habitent la même latitude, que je les crois tous
d’une race particulière.
Eft-il bien vrai que dans quelques îles des
Philipines & des Matiannes , il y ait quelques
familles qui ont des queues comme on peint les
fatyres & les faunes? Des millionnaires Jetuues
l’ont affuré j plufieurs voyageurs n’en doutent
pas • Maillet dit qu’il en a vu. Des domeftiques
nègres de feu Mr. de la Bourdonnais , le vain¬
queur de Madras & la vidime de fes fervices ,,
m’ont juré qu’ils en avoient vu plufieurs. Il ne
ferait pas plus étrange que le croupion fe fût
allongé & relevé dans quelques races d hom¬
mes T qu’il ne l’eft de voir des familles qui
ont fix doigts aux mains. Mais qu’il y ait eu
quelques hommes à queue ou non , cela eft fort
peu important , & il faut ranger ces queues dan*
la cl a (Te des monflruofués.
Y a-t-il eu en effet des efpèces de fatyres *
c’eft-à- dire, des filles ont- elles pu être enceintes
de la façon des finges, ôc enfanter des animaux
métis, comme les jumens font des mulets &
i
I
I
ET DES RACES DIVERSES. 1*1
des jumares ? Toute l’antiquité attelle ces fait*
Singuliers. Plufîeurs faints ont vu des fatyres , ce
n’eft pas un article de foi. La chofe eft très-pof-
fible , mais elle a du. être rare , il eft vrai que les
finges aiment fort les filles : mais nos filles ont
de l’horreur pour eux , elles les craignent , elles
les fuient. Cependant on ne peut douter de
plufieurs unions mpnftrueufes, arrivées quelque¬
fois dans les pays chauds. La peine prononcée dans,
les loix Juives contre de tels accouplements eft
une preuve inconteftable de leur réalité , & il
eft fort probable qu’il eft né des animaux de ces
mélanges ignorés dans nos villes, mais dont on
voit des exemples dans les campagnes.
s
* (mï #
ÏKSS&v
CHAPIT TRENTE-SEPTIEME.
DE LA POPULATION.
LA population a-t-elle toujours été abondan¬
te? Non fans doute; les peuples parefleux
comme la plupart des Américains, ont dû tou¬
jours être en petit nombre; ils laiflent leurs ter¬
res en friche; les fleuves les inondent, des ma¬
rais immenfes infectent 1 air ; on refpire des
poifons. La paucité de la race humaine rend la
terre inhabitable , & cette terre abandonnes
contribue a fon tour à la dépopulation. Notre
continent eft tantôt plus , tantôt moins peuple.
Le nombre des citoyens romains diminua fen-
flblement depuis les horribles fceleratefles de
Silla & de Marius , jufqu’à celles du lâche Oéfca-
ve furnommé Augulte,& de Leffrene Antoine.
L’efpèce diminua beaucoup en France dans
les guerres civiles jufqu’aux belles années du
divin Henri IV- J’ai lu, dans je ne fais quels li¬
vres , que fous Charles IX , au tems de la S. Bar-
thelemi , la France avait vingt-neuf millions
d’habitans. Une pareille erreur ne mérite pas
d’être réfutée.
DE LA POPULATION. 123
Il eft certain que la pcfte , la guerre , la fa¬
mine , l’inquifition ont dépeuple des royaumes
entiers. D’un autre côté il y a des provinces trop
peuplées , comme la balle Allemagne , dont il
eft forti plus de vingt mille familles pour aller
chercher des terres dans les colonies anglaifes.
Le pays du Pape manque d’hommes , celui des
Provinces-Unies en regorge ,1a raifon eneftaf-
fez connue j l’un eft habité par des prêtres qui
immolent les races futures à l’efpérance d’un pe¬
tit bénéfice , l’autre eft peuplé des fadeurs des
deux mondes. Si on avoit dit àTrajan dans fon
beau forum , Londres fera un jour Jix fois plus
peuple que voire Rome , on l’auroit bien étonné.
L’Europe eft~elle plus peuplée qu’elle ne l’était
du tems de Charlemagne? Oui , malgré les moi¬
nes. Regardez, Amfterdam, Venife, Paris,
| Londres , Milan , Naples , Hambourg Sc tant
d’autres villes qui n’éraient alors que des villa-
ges très-chétifs, ou qui n’exiftaient pas.
La plus grande partie de la forêt Hercinie eft
couverte de villes, de villages Sc de moiftbns.
Le bois commence a manquer de nos jours pref-
que par tout : nôtre Europe eft fi peuplée qu’il
: eft impoftible que chacun ait du pain blanc 6c
mange quatre livres de viande par mois. Voila
L *
t ,
:•* ■ ■. ; ; 1 : . ■ ■;
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I \ ; . - ;
i*4 DE LA POPULATION
où nous en Tommes avons-nous trop de mors*
de? N’en avons-nous. pas allez?
Au refte , ne négligeons jamais l’occafion de •
remarquer l’épouvantable ridicule de ceux qui
donnent à chaque enfant de Noé descentaines de
milliards de dêfcendans au bout de quelques,
armées.
Un célèbre EcolTois ( Mr. Templeman ) a cal¬
culé que fi toute la terre habitée étoit peuplée
comme la Hollande * elle .contiendrait 34710
millions d’habicans. Si comme la Ruflie, 455
millions feulement. L’auteur de l’edai fur l’hif-
toire générale & fur les mœurs des nations * af-
ligne autour de neuf cens millions de têtes au
genre humain. Je crois qu’il ne s’éloigne pas
beaucoup de la vérité. Quand on ne fe trompe
que d’un million dans de tels calculs, le mai
n’eiY pas grand. Je ne fais fi la, terre manque
d’hommes , niais certainement elle manque
d’hommes heureux.
1
*
9
# ( ) #
CHAP . TRENTE-HUITIEME.
IGNORANCES STUPIDES,
ET
MÉPRISES FUNESTES.
QUoique les physiciens parairtenr condam¬
nés à une ignorance éternelle fur les prin¬
cipes des chofes, cependant la diftance eft pro-
tügieufe entre eux & le vulgaire. Quelle diffé¬
rence , par exemple , des connoiftances d’un
grand artifte en horlogerie & d’une dame qui
acheté fa montre? Elle ne s’informe pas feule¬
ment de Part qui a divifé également les heures
du jour. Il y a cent mille âmes dans Paris qui
en fondant le feu de leurs cheminées, n’ont ja¬
mais feulement penfé à la mécanique par laquelle
l’air entrant dans leur fquflet ferme enfuite la
foupape qui lui eft attachée. Les Dames, les
Princeftes , les Reines , partent une partie du
matin a leur miroir, fans imaginer qu’il y a des
traits de lumière qui forment un angle d’inci^
ïiS IGNORANCES stupides.
L
denceégal à l’angle de réflexion. On mange tous
les jours des membres , des entrailles d’animaux ,
en n’ayant pas même la curiolité de favoir ce
qu’on mange. Le nombre eft très* petit de ceux
qui cherchent à s’inftruire des reports de leur
corps & de leur penfée. De-là vient qu’ils met¬
tent fouvent l*un & l’autre entre les mains des
charlatants.
Le gros des hommes eft dans ce cas pour les
chofes qui l’intéreflent le plus. La routine les
conduit dans toutes les avions de leur vie j on ne
réfléchit que dans les grandes occafions, ôc quand
il n’eft plus tems. C’eft ce qui a rendu prefque
toutes les adminiftrations vicieufes; c’eft ce qui
a produit autant d’erreurs dans le gouvernement
que dans la philofophie. En voici un exemple
palpable tiré de l’arithmétique.
Le gouvernement de Suède eut autrefois
befoin d’argent ; le miniftre emprunta Sc créa
des rentes perpétuelles à cinq pour cent com¬
me avaient fait fes predccefleurs. L argent
valait alors vingt-cinq livres idéales le marc ;
ainfi le citoyen & l’étranger qui prêtèrent
chacun quarante marcs 9 durent recevoir a
cinq pour cent chacun deux marcs de rente 9
c’eft -à- dire , cinquante livres idéales , l’écu
.
"S
I
> .
!
L
ET MEPRISES FUNESTES. 1 27
«tait alors à deux livres chimériques & demi ;
quon nommait cinquante fous chimériques.
Ces deux marcs réels compofaient au rentier,
vingt écus de rente , qu’on appellait cinquante
livres.
Cependant les dépenfes augmentèrent, l’état
s obéra de plus en plus ; l’argent manqua. On
confeilla au miniftre de faire valoir le marc cin¬
quante livres au lieu de vingt-cinq de par con-
féquent de donner la dénomination de cinq
livres a ce meme ecu qui n en valait que deux de
demi. Par la vertu de cette parole , il payera ,
difait-on , toutes les rentes en idée , & il ne don-
liera réellement que la moitié de ce qu’il doit.
On promulgue l’édit, l’écu en vaut deux tout
d un coup. Cinquante fous numéraires font chan¬
gés en cent fous numéraires. Le fot peuple a qui
on dit que fon argent a doublé de valeur dans fa
poche , fe croit du double plus riche , de celui
qui a prête fon argent a perdu en un moment s
pour jamais la moine de fon bien. Mais qu’ar¬
rive-t-il de cette opération aufli injufte qu’ab-
furdc ? Le gouvernement ne reçoit plus que la
moitié des impôts ^ le cultivateur qui devait, un
ecu, ou deux livres 8c demi idéales de taille, ne
-'•“••crr;
tit ignorances stüpïdêS
«îonne plus que la moitié réelle d’un écu , & îé
gouvernement, en fruftrant fes créanciers , eft bien
plus fruftré par fes débiteurs. Il n a d autre ref-
fource que de doubler les impôts , & cette ref-
fource eft une ruine. Rien n’eft plus fenfible que
cet exemple.
On voit mille autres abus non moins perni¬
cieux dans plus d’un état. On n y remedie pas ;
on étaye comme on peut la maifon prete a crouler,
& on laide le foin de la rebâtir à fon fuccefteur
qui n’en poura venir â bout.
Il y a des vices d’adminiftration qui font plus
contagieux que la pefte , & qui portent necef-
fairement la défolation d’un bout de l’Europe â
l’autre. Un prince veut faire la guerre , & croyant
que Dieu eft toujours pour les gros bataillons *
il double le nombre de fes troupes ; le voilà d’a¬
bord ruiné dans l’efpérance d’être vainqueur;
cette ruine qui était auparavant la fuite de la
ouerre , commence chez lui avant le premier coup
de canon. Son voifin en fait autant pour lui re¬
filer ; chaque prince de proche en proche dou¬
ble aufli fes armées ; les campagnes font donc
du double, le cultivateur double¬
ment
ravagées
. .>
i ■
>*,
■
tT MEPRISES FUNESTES. 1 29
frient foulé a néceftairement la moitié moins
de beftiaux pour engrailfer fes terres , la
moitié moins de manœuvres pour l’aider a
les cultiver. Ainlî tout le monde fouffre à
peu près également , quand même les avan¬
tages feraient égaux de chaque coté.
Les loix qui concernent la juftice diftrî-
butive ont été fouvent aullî mal conçues que
les relïources dune adminiftration obérée.
Les hommes ayant tous les mêmes pallions,
le même amour pour la liberté , chaque
homme étant à peu près un cotfrpofé d’or¬
gueil , de cupidité 8c d’intérêt , d’un grand
goût pour une vie douce, 8c d’une inquié¬
tude qui exige une vie aétive, ne devraient-
ils pas avoir les mêmes loix , comme dans
un hôpital on fait prendre le même quin-
quina a tous ceux qui ont la lièvre tierce?
On répond à cela que dans un hôpital bien
policé , chaque maladie a fon traitement
particulier. Mais c’eft ce qui n’arrive pas*
tous les peuples font malades en morale , 8c
il n’y a pas deux régimes qui fe relfembient.
Les loix de toute efpèce qui font la mé¬
decine des âmes , ont donc été compofées
prefque par-tout par des charlatans, qui
I
ont
,3o ignorances stupides
donné des palliatifs , & quelques uns même
ont prefcrit des poifons.
Si la maladie eft la même dans le monde
entier , fi un Bafqne a tout autant de cupi¬
dité qu’un Chinois , il eft évident qu il faut
un régime uniforme pour le Chinois & pour
le Bafque. La différence du climat na ici
aucune influence. Ce qui eft jufte à Bilbao
doit être jufte à Pékin , par la raifon qu’un
triangle reâangle eft la moitié de fon quarté
fur le rivage Atlantique comme fur le riva¬
ge Indien; la vérité eft une, toutes les loix
différent ; donc la plupart des loix ne va¬
lent rien.
Un Jurifconfulte un peu philofophe me
dira les loix font comme les régies du jeu ,
chaque nation joue aux échecs différemment.
Chez les unes le Roi peut faire deux pas ,
chez d’autres il n’en fait qu’un ; ici on va à
dame, là on n’y va pas. Mais dans chaque
pays tous les joueurs fe foutnettent à la loi établie.
Je lui réponds, cela eft fort bien quand
il ne s’agit que de jouer. Je joue mon bien
en Hollande en le plaçant à deux & demi
pour cent , en France j’en aurai cinq. Cer¬
taines dentées payeront plus de droits en An-
t
ET MEPRISES FUNESTES. ni
gleterre qu’en Efpagne. Ce font là vérita¬
blement des jeux dont les règles font arbi¬
traires. Mais il y a des jeux où il va de
la liberté , de l’honneur Ôc de la vie.
Celui qui voudrait calculer les malheurs
attachés à l’adminiftration vicieufe , ferait
obligé de faire l’hiftoire du genre humain.
11 réfulte de tout ceci , que h les hommes
fe trompent en phyfique , ils fe trompent
encor plus en morale ; de que nous fommes
livrés à l’ignorance 6e au malheur , dans une
vie qui , tout bien calculé , n’a pas l’une por¬
tant l’autre trois années de fenfations agréables.
Mais quoi! nous répondra un homme à
routine, était -on mieux du tems des Goths,
des Huns , des Vandales , des Francs , de
du grand Schifme d’Occident?
Je réponds que nous étions beaucoup plus
mal. Mais je dis que les hommes qui font
aujourd’hui à la tête des Gouvernements étant
beaucoup plus inftruits qu’on ne l’était alors ,
il eft honteux que la fociété ne fe foit pas
perfectionnée en proportion des lumières ac-
quifes. Je dis que ces lumières ne font encore
qu’un crépufcule. Nous fortons d’une nuit
profonde, & nous attendons le grand jour.
F I N.