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Full text of "Les singularités de la nature."

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3ljïtîit  (Carier  ïjàroiün 
jCütrurç 

jurant  IRuitm-shhr 


The  John  Carter  Brown  Library  £ 

Brown  University  ^ 

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Louisa  D.  Sharpe  Metcalf  Fund 


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g  L1BI10S  ANTltîUOS  © 

©  Boters,  lü-BABCEL0NA-2-(Espaiia)  ® 


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LES 


D  E 

LA  NA  TU  RE- 


/ 


LES 


SINGULARITÉS 


D  E 


LA  NA  TU  RE. 


PAR 


Un  Académicien  de  Londres ,  de 

Boulogne ,  de  Petersbourgi  de  y 


Berlin ,  &c. 


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A  B  A  S  L  E. 


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1768. 


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DES  CHAPITRES 

CONTENUS 

dans  ce  volume. 

iDes  Singularités  de  la  Nature.  Pag.  r. 
Chapitre  I.  Des  pierres  figurées.  <5, 

Chapitre  II.  Du  corail.  .  .  g 

Chapitre  III.  Des  polipes.  .  .  <;’ 

Chapitre  IV.  Des  limaçons.  .  .  ,  2. 

Chapitre  V.  Des  huîtres  à  l'écaille.  j  , 

Chapitre  VI.  Des  abeilles.  .  .  •  j 

Chapitre  VII.  De  la  pierre.  .  ,  _ 

Chapitre  VIII.  Z>a  fa///*»,/.  .  .  i;_* 

^hapitre  IX.  pocÆe  .  .  ’ 

-ha  pitre  X.  Des  montagnes ,  de  leur  nécejfi- 
te  3  <5*  ^5  caufies finales  .  2  4 

Chapitre  XI.  De  la  formation  des  monta- 
gnes. 

Chapitre  XII.  pétrifications  d’animlux 

marins . . 

hapitre  XIII.  -é mas  de  coquilles.  .  » , 

)0 


. 


Vf  T  A  B  l  I 

Chapitre  XIV.  Obfervation  très  importante 
fur  la  formation  des  pierres  &  des 
coquillages.  .  •  •  P3»1  *fi’ 

Chapitre  XV.  De  la  grotte  des  Fées.  4*; 
Chapitre  XVI.  Du  fallun  de  Touraine.  5 1. 
Chapitre  XVII.  De  Bernard  Paliffu  _  5 7- 

Chapitre  XVIII.  Du  fipme  de  Maillet  qui 
fait  les  poiffons  les  premiers  pires  dei 

hommes.  •  •  •  •  fj0 

Chapitre  XIX.  Des  germes.  .  •  62 

Chapitre  XX.  la  prétendue  race  d’an 

guilles  formées  de  farine  &  de  ju 
de  mouton.  *  »  *  “5 

Chapitre  XXI.  D'une  femme  qui  accouch 
d'un  lapin.  ...  • 

Chapitre  XXII.  Des  anciennes  erreurs  e 
phyfique.  .  •  •  -  7 

Chapitre  XXIII.  D'un  homme  qui  faifoit  e 

falpêtre.  •  *  *  ‘ 

Chapitre  XXIV.  D’un  bateau  du  Maréch 

8 

de  Saxe .  •  •  •  *  c 

Chapitre  XXV.  Des  méprifes  en  Mathétr, 

Ç 

tiques .  .  • 

Chapitre  XXVI.  Vérités  condamnées.  i 
Chapitre  XXVII.  Digrefion.  .  * 

Chaftre  XXVIII.  Des  Elémtns.  ' 


»  B  S  C  h  a.p  I  T  X  I  s.-  VI*' 

Chapitre  XXIX.  De  U  une.  pag.  ?I. 

Chapitre  XXX.  De  l'eau ,  nj, 

Caapitre  XXXI.  De  l'air . 

_  /  •  J/ 4* 

Chapitre  XXXII.  Du  feu  élémentaire  Û 
de  la  lumière.  .  .  .  I02> 

Chapitre  XXXIII,  Des  loix  inconnues.  107, 
Chapitre  XXXI V.  Ignorances  éternelles  109» 
Chapitre  XXXV.  Incertitudes  en  anato- 

mu . ni. 

Chapitre  XXXVI.  Des  monftres  &  des  ra . 

us  diverfes.  .  .  .  „ 

Chapitre  XXXVII.  De  la  population,  m; 

Chapitre  XXXVIII.  Ignorances  ftupides ,  & 

méprifes  funejles  .  ,  I2j. 

Fin  de  la  Table. 


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DES 


SINGULARITÉS 


DE  LA  NATURE. 


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ÿ'jfiïvPft’yç  ^  ^e  ProP°^e  ici  d'examiner  plu- 
*?  O  If  fleurs  obiets  de  notre  curiohté  avec 

Sjît^tSEftf  ^  ^anGe  <lu’on  doit  avoir  de  tout 
5*ifcMMir*  fyftême,  jufqua  ce  qu’il  foit  dé¬ 
montré  aux  yeux  ou  à  la  raifon.  Il  faut  ban¬ 
nir  autant  qu’on  le  pourra  toutes  plaifanteries 
dans  cette  recherche.  Les  railleries  ne  font 
pas  des  convictions  j  les  injures  encore  moins» 
Un  médecin  plus  connu  par  fon  imagination 
impétueufe  que  par  fa  pratique,  en  écrivant 


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i  DES  SINGULARITÉS 

contre  le  célébré  Linnæus  qui  range  dans  la 
même  claffe  l’hipopotame,  le  porc  &  le  che¬ 
val  ,  lui  dit  :  cheval  toi-même .  Je  l’interrom- 

»  » 

pis  Jorfqu’ii  lifait  cette  phrafe  ,  &:  je  lui  dis  : 
«  vous  m’avouerez  que  fi  Mr.  Linnæus  eft 
>»  un  cheval  ,  c’eft  le  premier  des  chevaux.  « 
Il  n’eft  pas  adroit  de  débuter  par  de  telles  épi¬ 
thètes  de  il  n’eft  pas  honnête  de  conclure  par 
elles*  .  *  ...  -  .  -  -  - 

•  ~v  i  ^ 

L'examen  de  la  nature  n’eft  pas  ilne  fatirè. 
Tenons-nous  feulement  en  garde  contre  les  ap¬ 
parences  qui  trompent  (i  fouvent  ,  contre  l’au¬ 
torité  magiftrale  qui  veut  fubjuguer  ,  contre 
le  charlatanifme  qui-  accompagne  de  qui  cor¬ 
rompt  ft  fouvent  les  fciences }  contre  la  foule  cré¬ 
dule  qui  eft  pour  un  temps  1  écho  d’un  feul 

■ 

homme. 

Souvenons-nous  que  les  tourbillons  de  Def- 
cattes  fe  font  évanouis  \  qu’il  ne  refte  rien 
de  fes*  trois  élémens ,  prefque  rien  de  fa  def- 

cription  de  l’homme,  que  deux  de  fes  loix  du 

- 

mouvement  font  fauftes ,  que  fon  fyftême  fur  la 
lumière  eft  erroné,  que  fes  idées  innées  font  re- 
jettées ,  dec.  &c.  &c. 

Songeons  que  lès  fyftêmes  de  '  Burnet ,  de 
Wood\Vard,  de  Whifton  fur  la  formation  de 


•'V  '  (, 

I 5  *  1  .  \  * 

DE  LA  NATURE  3 

la  terre  n’ont  pas  aujourd’hui  un  partifan  , 
qu’on  commence  en  Allemagne  même  a  re- 
garde{  les  monades  ,  l’harmonie  préétablie  , 
8c  la  théodicée  de  l’ingénieux  8c  profond 
Leibnitz  comme  des  jeux  d’efprit  oubliés  en 
n  ai  (Ta  nt  dans  tout  le  refte  de  l’Europe.  Plus 
on  a  découvert  de  vérités  dans  le  fiècle  de 
Newton ,  plus  on  doit  bannir  les  erreurs  qui  fouil¬ 
leraient  ces  vérités.  On  a  fait  une  ample  moif- 
fon  y  mais  il  faut  cribler  le  froment  8c  rejetter 
l’ivraie. 

Jy-  ^  •  •  •  « 

Dans  la  phyfique  comme  dans  routés  les 
affaires  du  monde  5  commençons  par  dou¬ 
ter. 

Examinons  par  nos  yeux  8c  par  ceux  des 
autres.  Craignons  enfuite  d’établir  des  régies 
générales.  Celui  qui  n’ayant  vu  que  des  bipè¬ 
des  8c  des  quadrupèdes  enfeignerait  que  la 
génération  ne  s’opère  que  par  P  union  d’un 
mâle  8c  d’une  femele  fe  tromperait  lourde- 

.  .  .  •  '  f 

ment. 

Celui  qui  avant  l’invention  de  la  greffe  aurait 
affirmé  que  les  arbres  ne  peuvent  jamais  porter  que 
des  fruits  de  leur  efpèce  s  n’aurait  avancé  qu’une 
erreur. 

Il  y  a  près  d’un  fiècle  quon  crut  avoir  déeou- 

A  x 


* 


4  DES  SINGULARITÉS 

vert  un  fatellite  de  Venus.  Depuis,  un  célébra 
obfervateur  Anglais  vit  ou  crut  voir  ce  fatellite  £ 
on  a  cru  aufli  le  voir  en  France  :  cependant  les 
aftronomes  en  doutent.  Il  eft  probable  qu’il  exifte  ; 
mais  on  a  befoin  de  perfectionner  les  télefcopes 
pour  s’en  alïurer. 

L’analogie  pourrait  attribuer  à  plus  forte  rai- 

* 

fon  un  fatellite  à  Mars ,  qui  eft  beaucoup  plus 
éloigné  du  foleii  que  nous.  Ce  fatellite  ferait 
plus  aifé  à  découvrir }  cependant  on  ne  l’a  ja¬ 
mais  apperçu.  Le  plus  fur  eft  donc  toujours  de 
n’être  fur  de  rien,  ni  dans  le  ciel  ni  fur  la  terre, 
jufqu’à  -ce  qu’on  en  ait  des 'nouvelles  bien  cons¬ 
tatées. 

Caïïginofd  nocie premlt  Deus  :  Dieu  couvre, 
dit  Horace ,  fes  fecrets  d’une  nuit  profonde. 

M’apprendra-t  on  jamais  par  quels  fubtils  reports 
L’Eternel  artifan  fait  végéter  les  corps  ? 

Pourquoi  l’afpic  affreux ,  le  tigre,  la  panthère 
N’ont  jamais  dépouillé  leur  cruel  caraéière , 

Et  que  reconnaiffant  la  main  qui  le  nourrit , 

Le  chien  meurt  en  léchant  le  maître  qu’il  chérit  ; 

D’oii  vient  qu’avec  cent  pieds  qui  femblent  inutiles 
Cet  infeéfe  tremblant  traine  fes  pas  débiles  ? 
Comment  ce  vers  changeant  fe  bâtit  un  tombeau. 
S’enterre  &  reffufeite  avec  un  corps  nouveau , 


/  . 

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( 


1. 


de  la  nature;  5 

It  le  front  couronné,  tout  brillant  d’étincelles, 

S  élancé  dans  les  airs  en  déployant  fes  ailes  ? 
le  fage  Duféy,  parmi  fes  plans  divers. 

Végétaux  raflembles  des  bouts  de  l’univers. 

Me  dira-t-il  pourquoi  la  tendre  fenfitive 
Se  flétrit  fous  nos  mains  honteufe  &  fugitive  ? 

. . 

Demandez  a  Silva  par  quel  fecrct  miftère 
Ce  pain,  cet  aliment,  dans  mon  corps  fe  digère. 

Se  transforme  en  un  lait  doucement  préparé  ? 
Comment  toujours  filtré  dans  fes  routes  certaines, 

£n  longs  ruifleaux  de  pourpre  il  court  enfler  mes 
veines  ? 

A  mon  corps  languiflant  rend  un  pouvoir  nouveau. 
Fait  palpiter  mon  cœur,  &  penfer  mon  cerveau  2 
Il  leve  au  ciel  les  yeux ,  il  s’incline,  il  s’écrie  : 
Demandez-le  a  ce  Dieu,  qui  nous  donna  la  vie. 


N 


Ce  n’eft  point  là  ce  qu’on  appelle  la  raifon  pa- 
refieufe  j  c  eft  la  raifon  eclairee  &  foumife  qui 
fait  qu’un  être  chétif  ne  peuti  pénétrer  l’infini. 
Un  fétu  fufifit  pour  nous  démontrer  notre  impuif* 
fance.  11  nous  eft  donné  de  mefurer,  calculer, 
péfer  &  faire  des  expériences  $  mais  fouvenons- 
«ous  toujours  que  le  fage  Hjpocrate  commença 
fes  aphorifmes  par  dire  que  V  expérience  eji  trom - 
prnfe  •  $c  qu  Ariftote  commença  fa  métaphifique 

A  $ 


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y 


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é  DES  PIERRES 

par  ces  mots  qui  cherche  à  s’injîruiu  doit  /avoir  , 
douter. 

Pour  voir  de  quels  effets  étdnnans  la  nature 
eft  capable ,  examinons  quelques-unes  de  fes  pro¬ 
duirions  qui  font  fous  nos  mains,  &  cherchons 
(en  doutant)  quels  réfultats  évidents  nous  en 

polirions  former. 

«  / 

CHAPITRE  PREMIER, 

\ 

DES  PIERRES 

figurées. 

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*  •  w  *9  r 

#• 

C“^Es  pierres  foit  agathes,  foit  efpeces  de  mar-  i 
fores  &:  de  cailloux  ,  font  fort  communes }  on  j 
les  appelle  dendrites  quand  elles  reprefentent  des  ? 
arbres  ,  herborifées  ou  arborifées  lorfqu  elles  né  i 
figurent  que  de  petites  plantes,  zoomorfites  quand  i 
le  jeu  de  la  nature  leur  a  imprimé  la  reffemblance  ) 
imparfaite  de  quelques  animaux.  On  pourait  i 
nommer  domatiftes  celles  qui  reprefentent  desi 
maifons.  Il  y  en  a  quelques-unes  de  très-éton-ti 
nantes  de  cette  efpèce.  j  en  ai  vu  une  fur  laquelle  ij 
on  difcernait  un  arbre  chargé  de  fruits,  &  une  face  ] 


/ 


M  G  U  R  É  E  S.  f 

d  homme  tres-mal  dedînée  j  mais  reconnaif- 
fable.  ( 

Il  eft  clair  que  ce  n’eft  ni  un  arbre ,  ni  une 
maifon  qui  a  laide  l’empreinte  de  fon  image  fur 
ces  pentes  pierres  dans  le  tems  qu  elles  pouvaient 
avoir  de  la  mollefte  &  de  la  fluidité.  Il  eft  évi¬ 
dent  qu’un  homme  n’a  pas  laide  fon  vifage  fur 
une  agathe.  Cela  feul  démontre  que  la  nature 
exerce  dans  le  genre  des  fodilles ,  comme  dans 
les  autres  ,  un  empire  dont  nous  ne  pouvons  ré¬ 
voquer  en  doute  la  puiftance,  ni  demêler  les 
j  redorts.  i 

Direqu  on  a  vu  fur  ces  dendrites  des  empreintes 
de  feuilles  d  arbres  qui  ne  croiftent  qu’aux  Indes  , 
eft-ce  pas  avancer  une  chofe  peu  prouvée  ?  Une 
j  telle  délion  n’eft-elle  pas  la  fuite  du  roman  ima¬ 
gine  par  quelques  uns ,  que  la  mer  des  Indes  eft 
|  venue  autrefois  en  Allemagne,  dans  les  Gaules 
ôc  dans  l’Efpagne  ?  Les  Huns  &  les  Goths  y  font 
bien  venus  :  oui  ,  mais  la  mer  ne  voyage  pas 
|  comme  les  hommes.  Elle  gravite  éternellement 
vers  le  centre  du  globe  :  Elle  obéit  aux  loix  de  ia 
nature.  Et  quand  elle  aurait  fait  ce  voyage ,  com¬ 
ment  aurait-elle  apporté  des  feuilles  des  Indes 
:  pour  les  depofer  fur  des  agathes  de  Bohême  ? 

;  Nous  commençons  par  cette  obfervation  •  ^paree 

A  4 


; 


$  DUCORAIL. 

qu’elle  nous  fervira  plus  qu’aucune  autre  à.  nous 
défier  de  l’opinion  que  les  petits  pôiftons  des  mers 
les  plus  éloignées  font  venus  habiter  les  carrières 
de  Montmartre  &:  les  fommets  des  Alpes  &  des 
Pyrénées.  Il  y  a  eu  fans  doute  ç}e  grandes  révolu¬ 
tions  fur  ce  globe  :  mais  on  aime  a  les  augmen¬ 
ter  :  on  traite  la  nature  comme  l’hiftoire  ancienne, 
dans  laquelle  tout  eft  prodige, 

C?  "  -k3  1 

CHAPITRE  SECOND.  , 

DU  CORAIL. 


ESt-on  bien  sur  que  le  corail  foit  une  produc¬ 
tion  d’infeétes ,  comme  il  eft  indubitable  que 
la  cire  eft  l’ouvrage  des  abeilles  ?  On  a  trouvé  de 
petits  infeâres  dans  les  pores  du  corail  \  mais  où  i 
n’en  trouve- t  on  pas?  Les  creux  de  tous  les  arbres 
en  fourmillent,  les  vieilles  murailles  font  tapif- 
fées  de  républiques  ;  mais  ces  petits  animaux 
n’ont  pas  formé  les  murailles  &  les  arbres  ?  On 
ferait  bien  mieux  fondé  fi  on  voyait  un  vieux  fro-  ■ 
mage  de  Safenage  pour  la  première  fois ,  à  fup-  » 
pofer  que  les  mites  innombrables  qu’il  renferme,  1 
ont  produit  ce  fromage. 


TV 


/ 


DES  P  O  L  I  P  E  $.  y 

Un  de  ceux  qui  ont  dit  que  les  coraux  étaient 
compofés  de  petits  vers ,  prétendit  en  même  tems 
que  le  lapis  était  fait  d  ollemens  de  morts,  parce 
qu  on  avait  découvert  quelques  lapis  imparfaits 
auprès  d  un  ancien  cadavre.  Il  fe  pourait  bien 
que  les  coraux  ne  fufient  pas  plus  l’ouvrage  d’un 
ver  ,  que  le  lapis  n’eft  l’ouvrage  d’un  os  de 
mort. 

Mille  infeétes  viennent  fe  loger  dans  les 
épongés  fur  le  bord  de  la  mer  ;  mais  ces  infe&es 
ont-ils  produit  les  éponges  ?  De  très-habiles  na¬ 
turalises  croyent  le  corail  un  logement  que  des 
infeéfces  fe  font  bâti.  D’autres  s’en  tiennent  à  l’an¬ 
cienne  opinion  que  c’eft  un  végétal ,  &  le  té- 
moignage  des  yeux  eft  en  leur  faveur. 

CHAPITRE  TROISIEME . 

DES  POUPES. 

\ 

P  kien  avéré  que  les  lentilles  d’eau  qu’on 
JLi  a  nommées  Polipes  d’eau  douce,  foient  de 
vrais  animaux  ?  Je  me  défie  beaucoup  de  mes 
yeux  êc  de  mes  lumières^  mais  je  n’ai  jamais  pu 


v.  -  •  1  •  !  ' 

10  DES  POLIPES, 

£  y'  ' 

apercevoir  jufques  à  préfent  dans  ces  Polipes  que  ? 

des  efpèces  de  petits  joncs  très-fins  qui  femblent  i 
tenir  de  la  nature  des  fenfitives.  L’héliotrope  ou  , 
la  fleur  au  foleil  qui  fouvent  fe  tourne  d’elle-  \ 
même  du  coté  de  cet  afl:re ,  a  pu  paraître  d’abord  , 
un  phénomène  aufll  extraordinaire  que  celui  des  ) 
Polipes.  La  mimofe  des  Indes  qui  fembie  imiter  ; 
le  mouvement  des  animaux,  n’efi:  pourtant  point  i 
dans  le  genre  animal.  La  petite  progreflîon  très- 
lente  &  très-faible  qu’on  remarque  dans  les  Po-  i 
lipes  nageant  dans  un  gobelet  d’eau ,  n’approche 
pas  de  la  progreflîon  beaucoup  plus  rapide  &  plus  i 
vifible  des  petites  pierres  plates  qui  defcendent 
des  bords  d’un  plat  dans  le  milieu ,  quand  ce  plat  [ 
eft  rempli  de  vinaigre.  Les  bras  du  Polipe  pou-  ; 
raient  bien  n’être  que  des  ramifications  ,  fes  têtes  | 
de  Amples  boutons  ,  fon  eflomac  des  fibres  i 
creufes ,  fes  mouvemens  des  ondulations  de  ces  j 
fibres.  Les  petits  infeébes  que  cette  plante  fembie  I 
quelquefois  avaler,  peuvent  entrer  dans  fa  fubf- vi 
tance  pour  s’y  nourrir  y  périr  ,  aufli  bien  j 
qu’être  attirés  par  cette  fubftance  pour  être  man¬ 
gés  par  elle.  Le  Polipe  fubfifte  très-bien  fans  que  I 
ces  petits  infeéles  tombent  dans  fes  fibres,  il  n’a 
donc  pas  befoin  d’aliments  :  on  peut  donc  crpire  i 


DES  t>  O  L  I  P  E  S.  i« 

qu’il  n’eft  qu’une  plante.  Ce  qu’on  a  pris  pour 
fes  œufs  peut  n’être  que  de  la  graine.  Sa  repro- 
du&ion  par  bouture  paraît  indiquer  que  c’eft  une 
fimple  plante.  Enfin  elle  jette  des  rameaux  quand 
on  l’a  retournée  comme  on  retourne  un  gant  : 
Certainement  la  nature  ne  l’a  pas  faite  pour  être 
ainû  retournée  par  nos  mains,  8c  il  n’y  a  rien  là 
qui  fente  l’animalité. 

Feu  Mr.  Duféy  avoir  fur  fa  cheminée  une 
belle  garniture  de  Polipes  de  la  grande  efpèce  dans 
des  vafes.  Ses  parens  8c  moi  nous  regardions  de 
tous  nos  yeux ,  8c  nous  lui  difions  que  nous  ref- 
femblions  à  Sancho  Panfa  qui  ne  voyait  que  des 
moulins  à  vent  où  fon  maître  voyait  des  géans 
armés.  Notre  incrédulité  ne  doit  pourtant  pas  dé¬ 
pouiller  ces  Polipes  de  la  dignité  d’animaux.  Des 
expériences  frapantes  dépofent  pour  eux.  Je  ne 
prétends  pas  leur  ravir  leurs  titres  ;  mais  ont-ils 
la  fenfibilité  &c  la  perception  qui  diftinguent  le 
règne  animai  du  végétal  ?  Reconnoifions-nous 
pour  nos  confrères  des  gens  qui  n’ont  pas  avec 
nous  la  moindre  refiembîance  ?  Certainement  le 
Auteur  de  Mr.  Vaucanfon  a  plus  l’air  d’un  homme 
qu’un  Polipe  n’a  l’air  d’un  animal.  Peut-être  de¬ 
vrait-on  n’accorder  la  qualité  d’animal  qu’aux 


12  DES  LIMAÇONS. 

O  J 

êtres  qui  feraient  toutes  les  fondions  de  la  vie ,  j 

qui  manifefteraient  du  fentiment ,  des  defirs ,  des  \ 

volontés  &  des  idées.  3 

Il  eft  bon  de  douter  encore  jufqu’à  ce  qu’un  (J 

nombre  fufïifant  d’expériences  réitérées  nous  ait  ] 

convaincus  que  ces  plantes  aquatiques  font  des  j 

êtres  doués  de  fentiment ,  de  perception ,  &  des  1 

organes  qui  conftituent  l’animal  réel.  La  vérité  ' 

ne  peut  que  gagner  à  attendre.  .  c 


CHAPIT.  QUATRIEME.  1 

I 


DES  LIMAÇON 


LA  reprodudion  de  ces  Polipes ,  qui  fe  fait  s 
comme  celle  des  peupliers  &c  des  faules  eft  r 
bien  moins  merveilleufe  que  la  renaifïance  des  jt 
tètes  des  Limaçons  incoques.  Qu’il  revienne  une 
tête  à  un  animai  allez  gros ,  vifiblement  vivant , 

6c  dont  le  genre  n’eft  point  équivoque  (  *  )  ,  c’eft  1 1 

là  un  prodige  inoui  j  mais  un  prodige  qu’on  ne 

m  ; 

'  •  -  f  x  .JB 

(*)  J*ai  coupé  la  tête  entière  à  quinze  Limaffes  in-  i 
coques,  toutes  ont  repris  des  têtes  en  moins  delixis- 


DES  LIMAÇONS.  ,, 

peut  concerter.  II  n’y  a  point  là  de  fuppofition  à 
faire ,  point  de  microfcope  à  employer  ,  point 
d’erreurs  à  craindre.  La  raifon  humaine,  &  far- 
tout  la  raifon  de  l’école ,  eft  confondue  par  le  té¬ 
moignage  des  yeux.  On  croit  la  tête  dans  tous 
les  êtres  vivaris  le  principe ,  la  caufe  de  tous  les 
mouvemens,  de  toutes  les  fenfations,  de  toutes 
,  les  perceptions  :  ici  c’eft  tout  le  contraire.  La  tête 
qui  va  renaître  reçoit  du  refte  du  corps  en  quinze 
J  ou  vingt  jours  des  fibres ,  des  nerfs ,  une  liqueur 
circulante  qui  tient  lieu  de  fang,  une  bouche, 
ides  dents,  des  télefcopes,  des  yeux,  un  cerveau, 
des  fenfations,  des  idées,  je  dis  des  idées,  car 
!°n  ne  peut  fentir  fans  avoir  une  idée  au  moins 
confufe  que  l’on  fent.  Où  fera  donc  déformais 
Fe  PtinciPe  de  l’animal  ?  Sera-t-on  forcé  de  re¬ 
venir  à  l'harmonie  des  Grecs  ?  Et  dix  mille  vo¬ 
lumes  de  métaphifique  deviendront-ils  abfolu- 
ment  inutiles  ? 

I 

’  \ 

H  ‘  •  .  . 

«laines,  les  unes  plutôt  les  autres  plus  tard.  Aucun  li¬ 
maçon  à  coquille  n’a  reproduit  de  tête.  Un  feul  à  qui  je 
«avais  coupé  la  tête  qu'entre  les  quatre  antennes  a  re¬ 
produit  la  partie  de  tête  coupée.  Les  expériences  fur  les 

^imaflcs  font  les  plus  étonnantes  qu'on  ait  jamais  faites 
k  on  n  cil  pas  au  bout. 


,4  DES  HÜ1T  RÎ  S. 

Si  du  moins  la  reproduction  de  ces  têtes  pou-  ‘ 
vait  forcer  certains  hommes  à  douter ,  les  coli¬ 
maçons  auraient  rendu  un  grand  fervice  au  genre  > 

,  1 

humain* 


CSr 


CHAPITRE-  CINQUIEME' 


'P 


DES  HUITRES 


A 


L’  E  C  A  I  L  L  E. 


T  Es  huîtres  l-o  *  n 

J -J  nous  ,  non  pas  pour  la  nature.  n  ant 

mal  toujours  immobile  ,  toujours  foliaire , 
emprifonné  entre  deux  murs  suffi  durs  qui 
eft  mou,  qui  fait  naître  fes  femblab  es  fans 
copulation  ,  &  qui  Ptodmt  des  perles  ^  fans 
qu’on  fâche  comment ,  qui  femble  prive  de 
la  vue  ,  de  l’ouie,  de  l’odorat  &  des  organes 

ordinaires  de  la  nourriture:  Qu®  e  ®m°n  .  j 
On  les  mange  par -centaines  fans  faire  a  moin-s 
dre  réflexion  fur  leurs  fingulières  propriétés. 
Il  faudrait  faire  fut  eux  les  mêmes  tentatives 
que  fur  les  limaçons  ,  leur  couper  fur  eu 


/ 


A  L’ÉCAILLÈ." 

rdcherce  qui  leur  fert  de  tête,  refermer  en- 
fuite  leur  écaille  ,  Sc  voir  au  bout  d’un  mois 
«  qui  leur  fera  arrivé.  Sont- ils  des  Zoophi- 
tes?  Quelles  bornes  divifent  le  végétal  &  l'ani- 
mal?  Où  commence  un  autre  ordre  de  chofes? 
Quelle  chaîne  lie  l’Univers  ?  Mais  y  a-t-il  une 
chaîne  ?  Ne  voit-on  pas  une  difproportion  mar¬ 
quée  entre  les  planètes  &  leurs  diftances?  Entre 
la  nature  brute  &  l’organifée  ?  Entre  la  matière 
végétante  &  la  fenfible,  entre  lafenh'ble  &  la  pen- 
fante  ?  Qui  fait  fi  elles  fe  touchent  ?  Qui  fait  s’il 
n’y  a  pas  entr’elles  un  infini  qui  les  fépare?  Qui 
faura  jamais  feulement  ce  que  c’eft  qUe  la 
mariera  ? 


<  1  i 


CHAPITRÉ  SIXIEME. 

des  abeilles. 

I  1  C  '  .  .  *  *  '  ‘  *  *  5  i 

T  E  ne  ùis  Pas  <3ui  a  dit  le  premier  que  le 
abeilles  avaient  un  Roi.  Ce  n’eft  pas  proba 

Renient  un  Républicain  à  qui  cette  idée  vin 
sans  la  tête. 

Je  ne  fais  pas  qui  feur  donna  enfuite  uni 

rr  .  •'  r 


.  ‘-rs 


■  T 


DES  ABEILLES. 

reine  au  lieu  d’un  roi  ,  nt  qui  fuppofa  le 
premier  que  cette  reine  étoit  une  Meflaline 
qui  avoit  un  ferrai!  prodigieux ,  qui  partait  fa 
vie  à  faire  l’amour  &  à  faire  fes  couches ,  qui 
pondait  &  logeait  environ  quarante  mille  œufs 
par  an.  On  a  été  bien  loin  ,  on  a  prétendu 
quelle  pondait  trois  efpèces  différentes ,  des 
reines  *  des  efclaves ,  nommes  bourdons  ,  êc 
des  fervantes  nommées  ouvrières  ,  ce  qui  n’eft 
pas  trop  d’accord  avec  les  loix  ordinaires  de 

la  nature. 

On  a  cru  qu’un  Phyficien  ,  d’ailleurs  grand 
obfervateur  y  inventa  ,  il  y  a  quelques  années* 
les  fours  à  poulets  ,  inventés  depuis  environ 
cinq  mille  ans  par  les  Egyptiens  >  ne  eonfi- 
dérant  pas  l’extrême  différence  de  notre  climat 
&  de  celui  d’Egypte  ;  on  a  dit  encore  que 
ce  Phyficien  ,  inventa  de  même  le  royaume 
des  abeilles  fous  une  reine  ,  mère  de  trois 

efpèces. 

Tous  les  naturaliftes  ont  répété  cette  in-' 
vention.  Enfin  il  eft  venu  un  homme  qui  étant 
pofTefleur  de  fix  cens  ruches  ,  a  mieux  exa- 
miné  fon  bien  que  '  ceux  qui  n’ayant  point 
d’abeilles  ont  copié  des  volumes  fur  cette  re- 

publique  induflrieufe  qu’on  ne  connaît  guères 

mieux 


DES  ABEILLES.  '  ï7 
mieux  que  celles  des  fourmis.  Cet  homme  eft 
Mr.  Simon  qui  ne  fe  pique  de  rien  ,  qui  écrit 
très- Amplement  }  mais  qui  recueille  comme 
moi  du  miel  ôc  de  la  cire.  Il  a  de  meilleurs 
yeux  que  moi ,  il  en  fçait  plus  que  Mr.  le  Prieur 
de  Jonval  ,  3c  que  Mr.  le  Comte  du  Speéta- 
cîe  de  la  nature,  il  a  examiné  fes  abeilles  pen¬ 
dant  vingt  années  ;  il  nous  allure  quon  s’eft 

P  ^ 

mocqué  de  nous,  3c  qu’il  n’y  a  pas  un  mot  de 
vrai  dans  tout  ce  qu’on  a  répété  dans  tant  de 
livres. 

Il  prétend  qu’en  effet  il  y  a  dans  chaque  ru¬ 
che  une  efpèce  de  roi  3c  de  reine  qui  perpé¬ 
tuent  cette  race  royale  3>c  qui  préfident  aux 
ouvrages  ,  il  les  a  vus,  il  les  a  dedînés ,  ôc  il 
renvoie  aux  mille  8c  une  nuits  ôc  a  l’hiftoire  de 
la  Reine  d’Achem  ,  la  prétendue  reine  abeille 
|  avec  fon  ferrail.  Il  y  a  enfuite  la  race  des  bour¬ 
dons  qui  n’a  aucune  relation  avec  la  première  , 
i  ôc  enfin  la  grande  famille  des  abeilles  ouvrières 
qui  font  males  ôc  femeles  ,  ôc  qui  forment  le 
|  corps  de  la  république.  Ce  font  les  abeilles  fe- 
;  meles  qui  dépofent  leurs  œufs  dans  les  cellules 
qu’elles  ont  formées* 

Comment  en  effet  la  reine  feule  pourroiV 
|  elle  pondre  ôc  loger  quarante  mille  œufs  l’un 

B 


/ 

,8  DES  ABEILLES, 
après  l’autre  ?  Il  eft  très  -  vraifemblaole  cjuô 
Mr.  Simon  a  raifon.  Le  fiftème  le  plus  Ample 
eft  prefque  toujours  le  véritable.  Je  me  foucie 
d’ailleurs  fort  peu  du  roi  6c  de  la  reine.  J’aurais 
mieux  aimé  que  tous  ces  raifonneurs  ni  eu fient 
appris  à  guérir  mes  abeilles  9  donc  la  plupart 
moururent  il  y  a  deux  ans  pour  avoir  trop  fucé 
des  fleurs  de  tilleul. 

On  nous  a  trompés  fur  tous  les  objets  de  notre 
curiofiié  9  depuis  les  eléphans  jufquaux  abeilles 
&  aux  fourmis  ,  comme  on  nous  a  donné  des 
contes  arabes  pour  1  hiftoire  depuis  Sefoftris  * 
jufqu  a  la  donation  de  Conflantin  ,  6c  depuis 
Conftantin  &  fon  labarum  ,  jufqu’au  pa de  que 
le  Maréchal  Fabert  fit  avec  le  Diable.  Prefque 
tout  eft  obfcurité  dans  les  origines  des  animaux  , 
aînfi  que  dans  celles  des  peuples  \  mais  quel¬ 
que  opinion  qu’on  embrafie  fur  les  abeilles  6c 
fur  les  fourmis  ,  ces  deux  républiques  auront 
toujours  de  quoi  nous  étonner  6c  de  quoi  humi¬ 
lier  notre  raifon.  Il  n’y  a  point  d  infecte  qui  ne 
foit  une  merveille  inexplicable. 

On  trouve  dans  les  proverbes  attribues  a  Sa¬ 
lomon  qu77  y  a  quatre  chofes  qui  font  Us  plus 
petites  de  la  terre ,  &  qui  font  plus  fages  que 
les  fages .  Les  fourmis  >  petit  peuple  qui  fe  pre - 

/Tr  N 


/ 


DES  ABEILLES-  t9 

pare  unt  nourriture  pendant  la  moijjon  ;  le  lièvre  , 
peuple  faible  qui  couche  fur  des  pierres  ;  la  faute - 
ter  elle  ,  qui  n  ayant  pas  de  rois  ,  voyage  par 

0 

troupes  ;  le  Ibqard  qui  travaille  de  fes  mains  & 
qui  demeure  dans  Us  palais  des  rois.  J’ignore 
pourquoi  Salomon  a  oublié  Iss  abeilles  qui  pa¬ 
rai  (Ten  t  avoir  un  inftinét  bien  fupérieur  a  celui 
des  lièvres,  qui  ne  couchent  point  fur  la  pierre, 
$c  des  lézards  dont  j’L'nore  le  çénie.  Au  fur- 
plus  je  préférerai  toujours  une  abeille  à  une 
fauterelie.  ■ 


*4, 

J 


CHAPITRE  SEPTIEME. 


DE  LA  PIE 


A  nature  fe  joue  à  former  aurant  de  for¬ 
tes  de  pierres  que  d’animaux.  Elle  pro¬ 
duit  des  pierres  qui  relfemblent  à  des  len-* 
tilles  &  qu’on  appelle  lenticulaires  ,  des  cu¬ 
bes  ,  des  cailloux  ronds  ,  des  pierres  un  peu 
relfemblantes  à  des  langues  ,  ôc  qu’on  a  nom¬ 
mées  glolTopètres  ,  d’autres  qui  ont  la  for¬ 
me  approchante  d’un  œuf,  d’autres  dont  la 

B  % 


I 


20  de  LA  PIERRE, 
figure  eft  celle  de  1  ourfin  de  mer.  Il  y  en 
a  beaucoup  de  tournées  en  fpiraies.  On  leur 
a  donné  très-improprement  le  nom  de  cornes 
d’ammoh  :  car  dans  toutes  les  fciences  on  a  eu  ,  , 
la  petite  vanité  d’impofer  des  noms  faftueux 
aux  chofes  les  plus  communes.  Ainfi  les  Chy- 
miftes  ont  appelle  une  préparation  de  plomb, 
du  fucre  de  Saturne  ,  comme  un  Bourgeois 
ayant  acheté  une  charge  9  prend  le  titre  de' 
Haut  &  de  Puifianc  Seigneur  chez  fon  No¬ 
taire. 

J’ai  vu  de  ces  cornes  d’ammon  qui  paraif- 
fent  nouvellement  formées  &  qui  ne  font  pas 
plus  grandes  que  l’ongle  du  petit  doigt.  J  en 
ai  vu  d’à  demi  formées  &  qui  pefenc  vingt 
livres.  J’en  ai  vu  qui  font  une  volute  par¬ 
faite  >  d’autres  qui  ont  la  forme  d’un  ferpent 
entortillé  fur  lui-même,  aucune  qui  ait  1  air 
d’une  corne,  On  a  dit  que  ces  pierres  font 
l’ancien  logement  d’un  poilfon  qui  ne  fe  trouve 
qu’aux  Indes ,  que  par  conféquent  la  mer  des 
Indes  a  couvert  nos  campagnes  ^  nous  en  avons 
déjà  parlé  &  nous  demandons  encore  ,  fi  cette 
maniéré  d’expliquer  la  nature  eft  bien  na- 
uirelle. 

Il  y  a  des  coquilles  nommées  ccnckœ  V eneris  y 


— 

* 

\ 


r 


DE  LA  PIERRE  zi 

conques  de  Venus  ,  parce  qu’elles  ont  une 
fente  oblongue  doucement  arrondie  aux  deux 
bouts.  L’imagination  galante  de  quelques  Phi— 
ficiens  leur  a  donné  un  beau  titre  ;  mais  cette 
dénomination  ne  prouve  pas  que  ces  coquilles 
foient  les  dépouilles  des  Dames. 

- - 5$^==^==^ 

CHAPITRE  HUITIÈME. 


DU  CAILLOU. 


QUel  fuc  pierreux  forme  ces  cailloux  de 
mille  efpèces  différentes  ?  Pourquoi  dans 
plusieurs  de  nos  campagnes  ne  voit -on  pas 
un  feul  caillou  ,  &  que  d’autres  à  peu  de  dis¬ 
tance  en  font  couvertes  ?  Pourquoi  en  Amé¬ 
rique  vers  la  rivière  des  Amazones  n’en 
trouve -t- on  pas  un  feul  dans  l’efpace  de  cinq 
cens  lieues  ? 

Au  milieu  de  nos  champs  nous  décou¬ 
vrons  fouvent  des  cailloux  énormes  ,  depuis 
trois  pieds  jufqu’à  vingt  de  diamètre  ,  8c  à 
coté  il  y  en  a  qui  parodient  aufïï  anciens 
8c  qui  n’ont  pas  un  demi -pouce  d’épailleur. 
D’autres  n’ont  que  deux  ou  trois  lignes  de 


12.  DU  CAILLOU, 

diamètre.  Leur  pefanteur  fpécifique  eft  iné¬ 
gale  ;  elle  approche  dans  les  uns  de  celle 
du  fer  ,  dans  d’autres  elle  eft  moindre  ,  Sc 

dans  quelques-uns  plus  forte. 

Quelque  pefant  ,  quelque  opaque  ,  quel¬ 
que  lilTe  qu’un  caillou  puiffe  être  ,  il  eft 
percé  comme  un  crible.  Si  1  oc  de  les  dia- 
inans  onc  autant  6c  plus  de  pores  que  de 
fuhftance,  à  plus  forte  raifon  le  caillou  eft -il 
percé  dans  toutes  fes  dimenftons  >  6c  un  mil¬ 
lion  d’ouvertures  dans  un  caillou  peut  fournir 
autant  d’afyles  a  des  infectes  imperceptibles. 
C’eft  un  aflemblage  de  parties  homogènes 
dont  ré  fuite  fouvent  une  ma  fie  inébranlable 
au  marteau,  il  eft  vittifiable  a  la  longue  a 
un  feu  de  fournaife  ?  6c  on  voit  alors  que 
Les  parties  conftituantes  font  une  efpece  de 
criftal  j  mais  quelle  terce  avait  joint  ces  petits 
criftaux  ?  D’ou  réfultait  ce  corps  fi  dur  que 
le  feu  a  divifé  ?  Eft-ce  l’attraction  qui  rendait 
toutes  fes  parties  fi  unies  entre  elles  Sw  fi  com¬ 
pactes  ?  Cette  attraction  démontrée  entre  le 
foleil  6c  les  planètes  5  entre  ia  terre  ôc  fou 
fatellite  3  agit  -  elle  entre  routes  les  parties  du 
globe  j  tandis  qu’elle  pénètre  au  centre  du 
globe  entier  ?  Eft -elle  le  premier  principe  de 


? 


DU  CAILLOU.  23 

la  cohéhon  des  corps  ?  eft-elle  avec  le  mou¬ 
vement  la  première  loi  de  la  nature  ?  C’eft 
ce  qui  paroît  le  plus  probable  *,  mais  que 
cette  probabilité  e£l  encore  loin  d’une  con- 
viétion  lumineufe  î 


:!e 


-  - : — :  — . - 

CHAPITRE  NEUVIEME . 

DE  LA  ROCHE. 

L  y  a  plufieurs  fortes  de  roches  qui  for¬ 
ment  la  chaîne  des  Alpes  &  des  autres 
montagnes  par  lefquelles  les  Alpes  fe  rejoi¬ 
gnent  aux  Pyrénées.  Je  ne  parlerai  dans  cet 
article  que  de  la  fameufe  opération  d’Anni- 
bal  fur  le  haut  des  Alpes.  Une  pointe  de 
roche  efcarpée  lai  fermait  le  palfage.  Il  la 
rendit  calcinable  ,  ou  du  moins  facile  à  di- 
vifer  par  le  fer  en  réchauffant  par  un  grand 
feu  en  y  verfant  du  vinaigre. 

Les  fiècles  fuivans  ont  douté  de  la  poifi- 
bilité  du  fait.  Tout  ce  que  je  fais  ,  c  eft  qu’a¬ 
yant  pris  des  éclats  d’une  de  ces  roches  à 
grains  qui  compofent  la  plus  grande  partie 
des  Alpes  >  je  la  mis  dans  un  vafe  rempli 

B  4 


; 


i 


24  U  &  A-  A  W  Tl  £. 

d’un  vinaigre  bouillant  ,  elle  devint  en  peu 
de  minutes  prefque  friable  comme  du  fable. 
Elle  fe  pulvérifa  entre  mes  do  grs.  Il  n’y  a 
point  d’enfant  qui  ne  puilfe  faire  l’expéfience 
d’Annibal. 


CHAPITRE  DIXIÉME. 


DES  MONTAGNES 

DE  LEUR  NÉCESSITÉ 


ET  DES 

CAUSES  FINALES. 

IL  y  a  une  très -grande  différence  entre 
les  petites  montagnes  ifolées  8c  cette  chaîne 
continue  fde  rochers  qui  régnent  fur  Tun  8c 
fur  l’autre  hémifphère*  Les  ilolées  font  des 
amas  hétérogènes  compofés  de  matières  étran¬ 
gères  entaffées  fans  ordre ,  fans  couches  régu¬ 
lières.  On  y  trouve  des  reftes  de  végétaux» 
d'animaux  terreftres  8c  aquatiques  ou  pétri¬ 
fiés  ,  ou  friables  ,  des  bitumes  ,  des  débris, 
de  minéraux.  Ce  font  pour  la  plupart  dçs  voL- 


K 


des  montagnes,^;  2j 

cans  ,  des  éruptions  de  la  terre  ,  des  excref- 
fenfes  caufées  par  des  convulfions  ,  leurs  fom- 
mets  font  rarement  en  pointes  ;  leurs  fiâmes 
contiennent  des  foufres  qui  s  allument. 

La  grande  chaîne  au  contraire,  efl;  formée 
d’un  roc  continu  ,  tantôt  reffemblant  au  cail¬ 
lou  ,  tantôt  a  la  roche  â  grains  ,  tantôt  au 
grès.  Elle  s’élève  &  s’abaifle  par  intervales.  Ses 
fondemens  font  probablement  aufïi  profonds 
que  fes  cimes  font  élevées.  Elle  paraît  une 
piece  effentielle  à  la  machine  du  monde  , 
comme  les  os  le  font  aux  quadrupèdes  ëc  aux 
bipèdes.  C’efl:  autour  de  leurs  faîtes  que  s’af- 
fembîent  les  nuages  &  les  neiges,  qui  de  là  , 
fe  répandant  fans  celle,  forment  tous  les  fleuves, 
ôc  toutes  les  fontaines  dont  on  a  fi  long  -  teins 
&  fi  fauffement  attribué  la  fource  à  la  mer. 

Sur  ces  hautes  montagnes  dont  la  terre  eft 
couronnée  ,  point  de  coquilles  ,  point  d’amas 
confus  de  végétaux  pétrifiées  ,  excepté  dans 
quelques  crévaffes  profondes  où  le  hazard  a 
jetté  des  corps  étrangers. 

Les  chaînes  de  ces  montagnes  qui  couvrent 
1  un  Sc  1  autre  hemifphere  ont  une  utilité  plus 
fenfible.  Elles  affermiffent  la  terre  ;  elles  fer¬ 
vent  à  l’arrofer  ,  elles  renferment  à  leurs  ba- 


des  MONTAGNES.' 

» 

fes  tous  les  métaux  ,  tous  les  minéraux* 

Qu’il  foie  permis  de  remarquer  à  cette  oe- 
cafiou  ,  que  toutes  les  pièces  de  la  machine  de 
ce  monde  femblent  faites  lune  pour  l’autre. 
Quelques  Philofophes  afteéfcent  de  fe  moquer 
des  caufes  fi uales  rejettees  par  Epicure  8c  par 
Lucrèce.  Ce ft  plutôt  ,  ce  me  femble  ,  d’E* 
picure  6c  de  Lucrèce  qu’il  faudrait  fe  moquer. 

Ils  vous  difent  que  1  œil  n  eft  point  fait  pour 
voir  ,  mais  qu’on  s’en  eft  fervi  pour  cet  ufage , 
quand  on  s’eft  apperçu  que  les  yeux  y  pou¬ 
vaient  fervir.  Selon  eux  la  bouche  n  eft  point 
faire  pour  parler  >  pour  manger  ,  l  eftomac 
pour  digérer  ,  le  cœur  pour  recevoir  le  fang  : 
des  veines  8c  l’envoyer  dans  les  arreres  ,  les  1 
pieds  pour  marcher  ,  les  oreilles  pour  en-lj 
tendre.  Ces  gens  *  U  pourtant  avouaient  que  i 
les  Tailleurs  leur  faifaient  des  habits  pour  les  5 
vêtir  ,  &  les  Maçons  des  maifons  pour  les  lo-  1 
per  y  8c  ils  ofaient  nier  a  la  nature  ,  au  grand  ] 
Etre,  à  l’intelligence  univerfelie  ce  qu’ils  ac-  ] 
cordaient  tous  à  leurs  moindres  ouvriers.  ? 

11  ne  faut  pas  fans  doute  abufer  des  cau«  n 
fes  finales  y  on  ne  doit  pas  dire,  comme  Mr. 
le  Prieur  dans  le  Speétacle  de  la  nature  ,  que  ! 
les  marées  font  données  à  l’Océan  pour  que.  : 


■ 


DES  MONTAGNES.  i7 

les  vaiffeaux  entrent  plus  aifément  dans  les 
ports  9  8c  pour  empêcher  que  l’eau  de  la  mer 
ne  fe  corrompe  :  car  la  Méditerranée  n’a  point 
de  flux  8c  de  reflux  ,  8c  fes  eaux  ne  Ce  cor¬ 
rompent  point. 

Pour  qu’on  puifle  s’affurer  de  la  fin  véri¬ 
table  pour  laquelle  une  caufe  agit  ,  il  faut 
que  cet  effet  foit  de  tous  les  temps  8c  de  tous 
les  lieux.  Il  n’y  a  pas  eu  des  vaifleaux  en 
tout  temps  8c  fur  toutes  les  mers  ;  ainfi  l’on 
ne  peut  pas  dire  que  l’Océan  ait  été  fait  pour 
les  vaiffeaux.  Nous  avons  remarqué  ailleurs 
que  les  nez  n’avaient  pas  été  faits  pour  por¬ 
ter  des  lunettes  ,  ni  les  mains  pour  être  gan¬ 
tées  ;  on  fent  combien  il  ferait  ridicule  de 
prétendre  que  la  nature  eût  travaillé  de  tout 
rems  pour  s’ajufter  aux  inventions  de  nos 
arts  arbitraires  ,  qui  tous  ont  paru  fi  tard  5 
mais  il  eft  bien  évident  que  fi  les  nez  n'ont 
pas  ete  faits  pour  les  béficles  ,  ils  l’ont  été 
pour  1  odorat  ,  8c  qu’il  y  a  des  nez  depuis 
qu’il  y  a  des  hommes.  De  même  les  mains 
n’ayant  pas  été  données  en  faveur  des  gan¬ 
tiers  ,  elles  font  visiblement  deftinées  à  tous 
les  ufages  que  le  métacarpe  8c  les  phalanges 
de  nos  doigts  ,  8c  les  mouyemens  du  mufcle 


I 


,s  DES  MONTAGNES. 

circulaire  du  poignet  nous  procurent. 

Cicéron  qui  doutait  de  tout ,  ne  doutait  pas 

pourtant  des  caufes  finales. 

Il  paroit  bien  difficile  fur- tout  ,  que  les  or¬ 
ganes  de  la  génération  ne  foient  pàs  deftinées 
à  perpétuer  les  efpèces.  Ce  méchanifme  eft 
bien  admirable  ,  mais  la  fenfation  que  la  na¬ 
ture  a  jointe  à  ce  mcchanifme  eft  plus  ad¬ 
mirable  encore.  Epicure  devait  avouer  que 
le  plaifir  eft  divin  ,  &  que  ce  plaifîr  eft  une 
caufe  finale  ,  par  laquelle  font  produits  fans 
celle  ces  être  fenfibles  qui  n’ont  pu  fe  donner 
la  fenfation. 

Cec  Epicure  était  un  grand  homme  pont 
fon  temps  ^  il  vit  ce  que  Defcartes  a  nié  ,  ce 
que  Gaflendi  a  affirmé  ,  ce  que  Newton  a 
démontré  ,  qu’il  n’y  a  point  de  mouvement 
fans  vuide.  Il  conçut  la  neceffite  des  atomes 
pour  fervir  de  parties  continuantes  aux  efn 
pèces  invariables.  Ce  font  là  des  idées  très- 
philofophîques.  Rien  n’était  fur- tout  plus 
refpe&abie  que  la  morale  des  vrais  Epicu¬ 
riens  ;  elle  confiait  dans  l’éloignement  des 
affaires  publiques  incompatibles  avec  la  iagvlfe3 
&  dans  l’amitié  ,  fans  laquelle  la  vie  eft  un 
fardeau.  Mais  pour  le  refte  de  la  phifique 

n  m 


DES  MONTAGNES.  2* 

d’Epicure ,  elle  ne  paraît  pas  plus  admiflible  que 
la  matière  caneiée  de  Defcartes. 

Enfin  les  chaînes  des  montagnes  qui  couron¬ 
nent  les  deux  hémifphères ,  8c  plus  de  fix  cens 
fleuves  qui  coulent  jufqu’aux  mers  du  pied  de 
ces  rochers  ,  toutes  les  rivières  qui  dépendent 
de  ces  memes  réfervoirs ,  &  qui  groflîiïent  les 
fleuves  après  avoir  fertilifé  les  campagnes;  des 
milliers  de  fontaines  qui  partent  de  la  même 
fource,  8c  qui  abreuvent  le  genre  animal  8c  le 
végétal  ,  tout  cela  ne  paraît  pas  plus  1  effet 
d’un  cas  fortuit  8c  d’une  déclinaifon  d’atomes, 
que  la  rétine  qui  reçoit  les  rayons  de  la  lumière 
le  criftalin  qui  les  réfraéte  ,  l’enclume,  le  mar¬ 
teau,  l’étrier ,  le  tambour  de  l’oreille  qui  re¬ 
çoit  les  fons,  les  routes  du  fang  dans  nos  veines, 
la  fiftole  8c  la  diaftole  du  cœur,  ce  balancier  de 
la  machine  qui  fait  la  vie. 


CHAPITRE  ON  Z I E  ME. 

DE  LA  FORMATION 

> 

DES  MONTAGNES. 

/ 

ON  ne  s’eft  pas  contenté  de  dire  que  no¬ 
tre  terre  avait  été  originairement  de  verre. 
Maillet  a  imaginé  que  nos  montagnes  avaient 

été  faites  par  le  flux  ,  le  reflux  &  les  courans  de  ' 

*  !  1 

la  mer.  |  t 

Cette  étrange  imagination  a  été  fortifiée  j 

dans  YHiJloire  naturelle  ,  imprimée  au  Lou¬ 
vre,  comme  un  enfant  inconnu  &  expofé  eft 

quelquefois  recueilli ,  par  un  grand  Seigneur j 

mais  le  public  philofophe  n’a  pas  adopté  cet  J 
enfant  ,  8c  il  eft  difficile  à  élever,  il  eft  trop 
vifible  que  la  mer  ne  fait  point  une  chaîne  de 
roches  fur  la  terre.  Le  flux  peut  amonceler 
un  peu  de  fable,  mais  le  reflux  l’emporte.  ? 
Des  courans  d’eau  ne  peuvent  produire  lente¬ 
ment  dans  des  fiécles  innombrables  une  fuite 
immenfe  de  rochers  neceflaires  dans  tous  le 


des  MONTAGNES.  ji 

temps.  L  océan  ne  peuc  avoir  quitté  Ton  iit 
creuié  par  la  nature  ,  pour  aller  élever  au-deilus 
des  nues  les  rochers  de  l’Immaiis  Si  du  Caucafe. 
L’Océan  une  fois  formé ,  une  fois  placé  ,  ne  peut 
pas  plus  quitter  la  moitié  du  globe  pour  fe  jetter 

fur  l’autre  ,  qu’une  pierre  ne  peut  quitter  la  terre 
pour  aller  dans  la  Lune. 

Sur  quelles  raifons  apparences  appuye-t-on  ce 
paradoxe?  Sur  ce  qu’on  prérend  que  dans  les 
vallées  des  Alpes  les  angles  faiiians  d  une  mon- 
tagne  à  l’occident,  répondent  aux  angles  rentrais 
!  dW  montagne  d  l’orient.  Il  faut  bien,  dit  on, 
que  les  courans  de  la  mer  ayenc  produit  ces 
s  angles.  La  conclufion  eft  hazardée.  Le  fait  peuc 
etre  vrai  dans  quelques  vallons  étroits  ;  il  ne 
left  pas  dans  le  grand  baffin  de  la  Savoye  Scda 
lac  de  Genève  ;  il  ne  l’eft  pas  dans  la  grande 
vallee  ne  1  Arno  autour  de  Florence  j  mais  à 
quelles  branches  ne  fe  prend  -  on  pas  quand  on 
fe  noyé  dans  les  hftêmes  ! 

;  Il  feroit  auffi  permis,  on  la  déjà  dit ,  d’avan¬ 
cer  que  les  montagnes  ont  produit  les  mers, 
que  de  prétendre  que  les  mers  ont  produit  les 
I  montagnes.  Car  du  moins  les  neiges  donc  font 
couverts  continuellement  les  fommets  de  ces 
éminences  du  globe  3  ces  neiges  qu’on  fuppofe- 


> 


■5*  DE  LA  FORMATION 

rait  produites ,  avec  lui ,  fe  fondant  toujours  en 
rivières  ,  feraient  à  la  longue  un  vafte  amas, 
d’eau  raflemblée  dans  la  partie  la  plus  cteufe.  Ce 
fiftême  ne  vaut  rien  fans  doute  \  mais  il  eft  moins 
révoltant  que  Eautre* 

Quel  eft  donc  le  véritable  fiftème?  Celui  du 
Grand  Etre  qui  a  tout  fait  ,  &  qui  a  donné  à 
chaque  élément ,  à  chaque  efpece >  a  chaque  genre 
fa  forme ,  fa  place  ,  fes  fondions  éternelles. 
Le  grand  Etre  qui  a  formé  l’or  &  le  fer ,  les 
arbres  ,  l’herbe  ,  l’homme  &  la  fourmi,  a  fait 
l’océan  &  les  monragnes.  Les  hommes  nont 
pas  été  des  poiffons  ,  comme  le  dit  Maillet  ; 
tout  a  été  probablement  ce  qu  il  eft  par  des 
loix  immuables.  Je  ne  puis  trop  répéter  que  nous 
ne  fommes  pas  des  dieux  qui  puiflions  cteer  un 

univers  avec  la  parole* 

Il  eft  très -vrai  que  d’anciens  ports  font 
comblés,  que  la  mer  s’eft  retirée  de  Carthage  , 
de  Rofette  ,  des  deux  Sirtes  ,  de  Ravenne  , 
de  Fréjus  ,  d’Aiguemottes  ,  &c.  Elle  a  en¬ 
glouti  des  terrains  *  elle  en  a  laide  à  autres  a 
découvert.  On  triomphe  de  ces  phénomènes  • 
on  conclud  que  l’océan  a  caché  pendant  des 
fiècles  le  mont  Taurus  6c  les  Alpes  fous  Tes 
flots.  Quoi  !  parce  que  des  atterriflements 

auront 


DES  MONTAGNES,  53 

auront  reculé  la  mer  de  plufieurs  lieues  ,  &c 
qu  elle  aura  inonde  d’un  autre  côté  quelques 
terrains  bas  *  on  nous  perfuadera  qu  elle  a 
inondé  le  continent  pepdant  des  milliers  do 
fîècles  ?  Nous  voyons  des  volcans  ;  donc  tout 
le  globe  a  ete  en  feu  !  des  tremblemens  de 
terre  ont  englouti  des  villes  :  dore  tout  i’u- 
nivers  a  été  la  proie  des  flammes  !  Ne  doit- 
on  pas  le  defier  d  une  telle  conclufion  ?  Les 
i  accidens  ne  font  pas  des  réglés  générales. 

L  iliuftre  &c  favant  auteur  de  I  hiftoire  na- 

rturelle  dit  a  la  fin  de  la  théorie  de  la  ter¬ 
re  ,  page  124.  Ce  font  les  eaux  raJJlm „ 

I  blets  dans  la  vafle  étendue  des  mers  ,  qui  par 
le  mouvement  continuel  du  flux  &  du  reflux  f 
I  Qnt  produit  les  montagnes ,  les  vallées  ,  &c. 

Mais  aulli  voici  comme  il  s’exprime  pag.  1 39. 

I  »  11  y  a  fur  la  furface  de  la  terre  des  cun- 
»  trées  élevées  qui  paraiflent  être  des  points 
|  »  de  partage  marqués  par  la  nature  pour  la 
!  fl  diftribution  des  eaux.  Les  environs  da 
|  »  mont  St  Godard  font  un  de  ces  points 
»  en  Europe  3  un  autre  point  ,  eft  le  pays  fi- 
»>  tué  entre  les  provinces  de  Belozera  &:  de 
”  Volgoda  en  Ruflle  9  d’où  defeendent  des 
»  rivières  dont  les  unes  vont  à  la  Mer  noi- 


H  DE  LA  FORMATION 

»  re  ,  &  d’autres  à  la  mer  Cafpienne ,  &c. 

11  enfeigne  donc  ici  que  cette  grande  chaî¬ 
ne  de  montagnes  prolongée  d  Efpagne  en 
Tartarie  ,  eft  une  pièce  eflfentielle  à  la  ma¬ 
chine  du  monde.  Il  femble  fe  contredire  dans 
ces  deux  aliénions  -,  il  ne  fe  contredit  pour¬ 
tant  pas  ;  car  en  avouant  la  néceflité  des  mon¬ 
tagnes  pour  entretenir  la  vie  des  animaux  & 
des  végétaux  ,  il  fuppofe  que  les  taux  du  Ciel 
détruifent  peu-  à-peu  L'ouvrage  de  la  mer  ,  ÔC 
ramenant  tout  au  niveau  ,  rendront  un  jour  no¬ 
tre  terre  à  la  mer  ,  qui  s  en  emparera  fuccef- 
fivement  ,  en  laijfant  à  découvert  de  nouveaux 

continents ,  &c. 

Voilà  donc,  félon  lui  ,  notre  Europe  privée 
des  Alpes  &  des  Pyrénées  &  de  toutes  leurs 
branches.  Mais  en  iuppofanc  cette  chaîne  de 
montagne  écroulée  ,  difperfée  fur  notre  con- 
tinent ,  n’en  élevera- t«elle*pas  la  furface  ?  Cette 
furface  ne  fera-t  elle  pas  toujours  au-detfus  du 
niveau  de  la  mer  ?  Comment  la  mer  en  vic¬ 
iant  les  loix  de  la  gravitation  &:  celle  des  \ 
fluides  >  viendra-t-elle  fe  placer  chez  les  Baf- , 
ques  fur  les  débris  des  Pyrénées  ?  Que  de-  ( 
viendront  les  habitans  hommes  &  animaux  , 
quand  l’Océan  fe  fera  emparé  de  l’Europe  ? 


DES  MONTAGNES.  M 

11  faudra  donc  qu’ils  s’embarquent  pour  aller 
■chercher  les  terreins  que  les  mers  auront  aban¬ 
donnés  vers  l’Amérique.  Car  fi  l’Océan  prend 
chaque  jour  quelque  chofe  de  nos  habita¬ 
tions  ,  il  faudra  bien  qu’à  la  fin  nous  allions 
tous  demeurer  ailleurs.  Defcendrons  -  nous 
dans  les  profondeurs  de  l’Océan  qui  font 
en  beaucoup  d’endroits  de  plus  de  mille  pieds? 

IMais  quelle  puilïance  *  contraire  à  la  nature  , 
commandera  aux  eaux  de  quitter  ces  profon¬ 
des  vallées  pour  nous  recevoir? 

Prenons  la  chofe  d’un  autre  biais.  Prefque 
tous  les  naturalises  font  perfuadés  aujourd’hui 
que  les  dépôts  de  coquilles  au  milieu  de  nos 
terres  ,  font  des  monuments  du  long  fe jour 
de  l’Océan  dans  les  provinces  où  ces  dépouil¬ 
les  fe  font  trouvées.  11  y  en  a  en  France  à 
quarante  ,  à  cinquante  lieues  des  côtes  de  la 
mer*  On  en  trouve  en  Allemagne  ,  en  Efpa- 
gne,  &  fur -tout  en  Afrique.  C’eft  donc  ici 
im  événement  tout  contraire  à  celui  qu’on  a 
fuppofé  d’abord  ,  ce  ne  font  plus  les  eaux  du 
ciel  qui  détruifent  peu  -  à- peu  l'ouvrage  de  la 
mer  ,  qui  ramènent  tout  au  niveau  ,  &  qui 
rendent  notre  terre  à  la  mert  C’efi;  au  con¬ 
traire  la  mer  qui  s’eft  retirée  infenfiblement 

C  a 


i 


DE  LA' FORMATION 

dans  la  fuite  des  Cèdes  ,  de  la  Bourgogne  , 
de  la  Champagne  ,  de  la  Touraine  ,  de  la 
Bretagne  où  elle  demeurait  ?  5c  qui  s  en  ek 
allée  vers  le  nord  de  l’Amérique.  Laquelle 
de  ces  deux  fuppofitions  prendrons- nous  ?  D’un 
côté  on  nous  dit  que  l’Océan  vient  peu- à- peu 
couvrir  les  Pyrénées  5c  les  Alpes  9  de  1  au¬ 
tre  on  nous  allure  qu  il  s  en  retourne  tout 
entier  par  degrés.  Il  eft  évident  que  1  un  des 
deux  fyftèmes  eft  faux  :  5c  il  n’eft  pas  im¬ 
probable  qu’ils  le  foient  tous  deux. 

J’ai  fait  ce  que  j’ai  pu  jufqu  ici  pour  con¬ 
cilier  avec  lui  -  meme  le  favant  5c  éloquent 
Académicien  ,  auteur  aufti  ingénieux  qu’utile 
de  l’hiftoire  naturelle.  J’ai  voulu  rapprocher 
fes  idées  pour  en  tirer  de  nouvelles  inftruc- 
tions  *  mais  comment  pourrai  je  accorder  avec 
fon  fyftême  ce  que  je  trouve  au  Tome  X1L 
page  xo  dans  fon  difeours  intitulé  :  Première 
vue  de  la  Nature  ?  La  mer  irritée  ,  dit  -  il  , 
s'élève  vers  le  Ciel  &  vient  en  mugijjant  fe  brifer 
contre  des  digues  inébranlables  ,  qu  avec  tous  fes 
efforts  elle  ne  peut  ni  détruire  ni  furmonter .  La 
terre  élevée  au-deffus  du  niveau  delà  mer  ejl  a  la * 
bride  fs  irruptions.  Sa  furface  émaillée  de  fleurs , 
parée  d'une  verdure  toujours  renouveliée  *  peuplé * 


DES  MONTAGNES.  37 

de  mille  &  mille  efpeces  d? animaux  différens ,  ejl  un 
lieu  de  repos  ,  un  Jejour  de  délices  ,  &c. 

Ce  morceau  dérobé  à  la  poëfie  lemble  être  de 
Mafîîllon  ou  de  Fénelon  ,  qui  fe  permirent  fi  fou-, 
vent  d’êire  poetes  en  proie  j  mais  certainement  fi 
la  mer  irritée  en  s’élevant  vers  le  Ciel  fe  brife  en 
!  mugiflant  contre  des  digues  inébranlables  ,  fi  elle 
ne  peut  furmonter  ces  digues  avec  tous  fes 
efforts  ^  elle  n’a  donc  jamais  quitté  Ton  lit  pour 
s’emparer  de  nos  rivages  ?  elle  efl  bien  loin  de 
fe  mettre  à  la  p’ace  des  Pirénées  &  des  Al¬ 
pes.  C  efl  non  -  feulement  contredire  ce  fille¬ 
ule  qu  on  a  eu  tant  de  peine  à  étayer  par  tant 
de  fuppofitions  j  mais  c’efl  contredire  une  vé¬ 
rité  reconnue  de  tout  le  monde  }  &c  cette  vé* 

|  rite  ,  efl  que  la  mer  s’efl  retirée  à  piufieurs 
milles  de  fes  anciens  rivages  ,  &  qu’elle  en  a 
couvert  d  autres  }  vérité  dont  on  a  étrangement 
abufé. 

|  Quelque  parti  qu’on  prenne  ,  dans  quel- 

|  que  luppofition  que  l’efprit  humain  fe  perde  , 
i  ü  efl  poffible  ,  il  efl  vraisemblable  ,  il  efl 
même  prouvé  que  piufieurs  parties  de  la  terre 
!  ont  fouffeit  de  grandes  révolutions.  On  pré¬ 
tend  qu’une  comete  peut  heurter  notre  globe 
en  fon  chemin  ;  ôç  Triffotin  dans  les  fem- 

C  3 


;8  DE  LA  FORMATION,  &c; 
mes  favantes  n’a  peut-être  pas  tant  de  tort  de 
dire* 

\  y  ' 

Je  vien,s  vous  annoncer  une  grande  nouvelle. 

Nous  l’avons  en  dormant  ,  Madame,  échappé  belle» 

Un  inonde  près  de  nous  a  pallé  tout  du  long  3 
Eft  chu  tout  au  travers  de  notre  tourbillon  3 
Et  s’il  eût  en  chemin  rencontré  notre  terre  , 

Elle  eut  été  brilëe  en  morceaux  comme  verre. 

La  théôrie  des  cometes  n’était  pas  encore  con¬ 
nue  ,  lorfque  la  Comédie  des  femmes  favantes 
fut  jouée  à  la  Cou  en  1671.  Il  eft  certain  que  le 
concours  de  ces  deux  globes  qui  roulent  dans  1  ef- 
pace  avec  tant  de  rapidité  ,  aurait  des  fuites 
effroyables  ,  mais  d’une  toute  autre  nature  que 
l’acheminement  infenfihle  de  l’Océan  à  l’endroit 
où  eft  aujourd’hui  le  mont  St.  Godard ,  ou  fon 
départ  de  Breft  ,  6c  de  St.  Malo  pour  fe  retirer 
vers  le  pôle  &  vers  le  détroit  de  Hudfon.  Heureu- 
fement  il  fe  p  aller  a  du  temps  ,  avant  que  notre 
Europe  foit  fracaiïee  par  une  comete  ,  ou  en¬ 
gloutie  par  l’Océan, 


I 


*5* 


H 


CHAPITRE  DOUZIEME. 

DES  PÉTRIFICATIONS 

D’ ANIMAUX  MARINS. 

I 

■  i  « 

1 

MAis ,  difent  les  défenfeurs  de  ce  Même  , 
on  a  trouve  des  pierres  lenticulaires  d  P  a  (Ji 
&  cl  Villers-Cotterets.  Et  Shaw  raporte  qu'en  Plié* 
nicit  il  y  a  des  coquilles  &  des  madrépores  fur  U 
bord  de  la  mer .  (  *  ) . 

Eh  bien  ,  parce  qu’il  y  a  des  pierres  à  Paf- 
û  ,  &  des  coquilles  &  du  corail  au  bord  de 
la  mer  de  Sirie  ,  les  Alpes  auront  été  le  lie 
de  FOcéan  pendant  des  fiecles  innombra¬ 
bles  ! 

On  voit  des  coquillages  auprès  de  Maftricht . 
Cette  ville  n’eft  pas  bien  loin  de  la  mer.  Je 
n’y  ai  pourtant  point  vu  de  coquillages  de  mer  ; 
mais  s’il  y  en  a  ,  quelle  preuve  en  peut  -  on 
tirer. 

On  trouve  en  France  non- feulement  des  coquilles 


(*) Théorie  de  la  terre,  Toro.  I ,  pag.  183. 

C  4 


40  DES  PETRIFICATIONS 

fur  nos  cotes  ,  mais  encor  des  coquilles  qu'on  n  a 
jamais  vues  dans  nos  mers .  Qu’on  montre  ces 
prérendues  coquilles  étrangères,  Sc  quand  on  les 
aura  bien  examinées  ,  qu’on  juge  s’il  n’eft  pas 
très-vraifemblable  qu’on  les  ait  raportéesde  mille 
voyages  d’outre  mer. 

Il  n’y  en  a  pas  une  feule  fur  la  chaîne  des  hau¬ 
tes  montagnes  depuis  la  Sierra  Morena  julqu’à  la 
derniere  cime  de  l’Apennin.  J’en  ai  fait  chercher 
fur  le  mont  Sr.  Godard  ,  fur  le  St.  Bernard,  dans 
les  montagnes  de  la  Tarentaife  ,  on  n’en  a  pas 
découvert. 

?  i. 

Un  feul  Phyfîcien  m’a  écrit  qu’il  a  trouvé  f 
une  écaille  d  huître  pétrifiée  vers  le  mont  Ce- 
nis.  Je  dois  le  croire  ,  &  je  fuis  très  -  étonné 
qu’on  n’y  en  ait  pas  vu  des  centaines.  Les  lacs 
voifîns  nouriffent  de  groffes  moules  dont  l’é¬ 
caille  refTemble  parfaitement  aux  huîtres;  on 
les  appelle  m:me  petites  huîtres  dans  plus  d’un 
canton 

Eft-ce  d’ailleurs  une  idée  tout-à-fait  romanef- 
que  de  faire  réflexion  à  la  foule  innombrable  de 
pèlerins  qui  partaient  à  pied  de  St.  Jaques  en  Ga¬ 
lice  ,  &  de  toutes  les  provinces  pour  aller  à  Ro¬ 
me  par  le  mont  Cenis  chargés  de  coquilles  à  leurs 
bonnets  ?  Il  en  venait  de  Strie  ,  d’Egypte,  de 


/ 


D’ANIMAUX  MARINS.  41 

Cïrece  ,  coramè  de  Pologne  &  d’Autriche.  Le 
nombre  des  Romipetes  a  été  mille  fois  plus  confi- 
dérable  que  celui  des  Hagî  qui  ont  vifité  la  Mec¬ 
que  &  Médine  ?  parce  que  tes  chemins  c!e  Rome 
font  plus  faciles  ,  &  qu’on  n’était  pas  Forcé  d’alier 
par  caravanes.  En  un  mot  une  huître  près  du 
mont  Cenis  ne  prouve  pas  que  l’Océan  Indien 
|  ait  envelop'é  toutes  les  terres  de  notre  hémif- 
phere. 

La  chaîne  des  montagnes  du  continent  Amé¬ 
ricain  n’eft  pas  plus  chargée  d’huîtres  que  la  nôtre  > 
6c  la  réponfe  ,  quon  en  trouvera  un  jour ,  n’eft  pas 
une  réponfe  bien  fatisfaifante. 

Mais  il  y  a  des  fragments  de  coquillages  à  Mont¬ 
martre  &  a  Courtagnon  auprès  de  Rheims . 

|  .  Il  y  en  a  par-tout  excepté  fur  les  montagnes  qui 

.  devraient  en  être  remplies  dans  le  fîflême  de 
Maillet.  Oui ,  fans  doute  ,  on  l’a  dit ,  &  ii  faut  le 
redire  ,  on  rencontre  quelquefois  en  fouillant  la 
terre  des  pétriheationsétrangeres  ,  comme  on  ren- 
j  contre  dans  l’Autriche  des  médailles  frappées  à 
Rome.  Mais  pour  une  pétrification  étrangère  il  y 
I  en  a  mille  de  nos  climats. 

Quelqu'un  a  dit  qu’il  aimerait  autant  croire  le 
marbre  compofé  de  plumes  d’autruches  que  de 
croire  le  porphirecompolé  de  pointes  d’ourfrmCe 


4i  DES  PETRIFICATIONS, ôrc. 

quelqu’un  là  avait  grande  raifon  ,  fi  je  ne  me 
trompe. 

On  découvrit ,  ou  l’on  crut  découvrir  il  y  a 
quelques  années, les  olTemens  d’un  Renne  &  d’un 
Hippopotame  près  d’Etampes  ,  &  de  là  on  con¬ 
clut  que  le  Nil  &  la  Laponie  avoient  été  autrefois 
fur  le  chemin  de  Paris  à  Orléans.  Mais  on  aurait 
dû  plutôt  foupçonner  qu’un  curieux  avait  eu  autre¬ 
fois  dans  fon  cabinet  le  fquelette  d’un  Renne  & 
celui  d’un  hippopotame.  Cent  exemples  pareils 
invitent  à  examiner  long-tems  avant  que  de 
croire. 

^=83=^5-.  — — s==s==(gsr 

CHAPITRE  TREIZIEME. 

AMAS 

DE  COQUILLES. 

Mille  endroits  font  remplis  de  mille  débris  de 
teftacées,  de  cruflacées,  de  pétrifications. 
Mais  remarquons  encore  une  fois  ,  que  ce  n’efl 
prefque  jamais  ni  fur  la  croupe  ,  ni  dans  les 


AMAS  DE  COQUILLES.  4Î 


flancs  de  cette  continuité  de  montagnes  dont 

i  r  r  i  i  t  «  z',  ,  ^  » 


la  furface  du  globe  eft  traverfée  ;  c’eft  à  quel¬ 
ques  lieues  de  ces  grands  corps  ,  c’eft  au  milieu 
des  terres  ,  c’eft  dans  des  cavernes ,  dans  des  lieux 
où  il  efl:  très-vraifemblable  qu’il  y  avait  de  pe- 
tits  lacs  qui  ont  difparu  ,  de  petites  rivières 
dont  le  cours  efl:  changé  des  ruifieaux  confidé- 
rables  dont  la  fource  eft  tarie.  Vous  y  voyez 
des  débris  de  tortues  ,  d’écrévices  ,  de  mou¬ 
les  ,  de  colimaçons  ,  de  petits  cruftacées  de 
riviere  ,  de  petites  huîtres  femblables  à  celles 
J  de  Lorraine.  Mais  de  véritables  corps  marins  , 
c’eft  ce  que  vous  ne  voyez  jamais.  S’il  y  eu 
avait 


,  pourquoi  n  y  aurait  -  on  jamais  vu 


d’os  de  chiens  marins  ,  de  requins  ,  de  ba¬ 
leines  ? 

Vous  prétendez  que  la  mer  a  kiffé  dans 
nos  terres  des  marques  d’un  très  -  long  fé- 
jour.  Le  monument  le  plus  sûr  ferait  affuré- 
ment  quelques  amas  de  marfouins  au  milieu 
de  l’Allemagne.  Car  vous  en  voyez  des  mi- 
liers  fe  jouer  fur  la  furface  de  la  mer  Ger¬ 
manique  dans  un  temps  ferein.  Quand  vous 
les  aurez  découverts  ,  &  que  je  les  aurai  vus 
à  Nuremberg  &  à  Francfort  5  je  vous  croi- 


! 


rai  :  mais  en  attendant  ,  permettez  -  moi  de 


( 


44  AMAS 

ranger  la  plupart  de  ces  fupofitions  avec  celle 
du  vaiffeau  pétrifié  trouvé  dans  le  Canton  de 
Berne,  à  cent  pieds  fous  terre;  tandis  qu’un  de 
Tes  ancres  écait  fur  le  mont  St.  Bernard.  J’ai  vu 
quelquefois  des  débris  de  moules  6c  c!e  colima¬ 
çons  qu’on  prenait  pour  des  coquilles  de 
mer. 

Si  on  fongeait  feulement  que  dans  une 
année  pluvieule  il  y  a  plus  de  limaçons  dans 
dix  lieues  de  pays  que  d’hommes  fur  la  terre  , 
on  pourait  fe  difpenfer  de  chercher  ailleurs 
l’origine  de  ces  fragments  de  coquillages 
dont  le  bord  du  Rhône  &  ceux  d’autres  ri¬ 
vières  lonc  tapiffés  dans  i’efpace  de  plufieurs 
milles.  Il  y  a  beaucoup  -  de  ces  limaçons  dont 
le  diamètre  eft  de  plus  d’un  pouce.  Leur 
multitude  détruit  quelquefois  les  vignes  8c 
les  arbres  fruitiers.  Les  fragments  de  leurs 
coques  endurcies  font  par  -  tout.  Pourquoi 
donc  imaginer  que  des  coqudlages  des  In¬ 
des  font  venus  s’amonceler  dans  nos  climats  , 
quand  nous  en  avons  chez  nous  par  mil¬ 
lions  ?  Tous  ces  petits  fragmens  de  coquil¬ 
les  dont  on  fait  tant  de  bruit  pour  accréd  ter 
un  fiftême  ,  font  pour  la  plupart  fi  infor¬ 


mes  ,  fi  ufés  ?  fi  méconnaiflables  ,  qu’on  pou-* 


DE  CO  QUI  L  LES  45 

ralt  également  parier  que  ce  font  des  débris 
d’écrévices  ou  de  crocodiles  ,  ou  des  ongles 
d’autres  animaux.  Si  on  trouve  une  coquil¬ 
le  bien  confervée  dans  le  cabinet  d’un  cu¬ 
rieux  ,  on  ne  fait  doù  elle  vient  ;  &  je  dou¬ 
te  qu’elle  puifife  fervir  de  fondement  à  un  fvf- 

J 

tême  de  l’Univers. 

Je  ne  nie  pas  ,  encore  une  fois  ,  qu’on  ne 
rencontre  â  cent  milles  de  la  mer  des  huîtres 
pétrifiées  ,  des  conques  >  des  univalves  ,  des  pro¬ 
ductions  qui  refiemblent  parfaitement  aux  pro¬ 
ductions  marines  ;  mais  eft-on  bien  fur  que  le 
fol  de  la  terre  ne  peut  enfanter  ces  foflîles  ?  La 
formation  des  agathes  arborifées  ou  herborfifées , 
ne  doit-elle  pas  nous  faire  fufpendre  notre  ju¬ 
gement  ?  Un  arbre  n’a  point  produit  l’agathe 
qui  repréfente  parfaitement  un  arbre;  la  mer  peut 
n  avoir  point  produit  ces  coquilles  aufii  fofliles 
qui  reflembient  à  des  habitations  de  petits  ani¬ 
maux  marins.  L’expérience  fuivante  en  peut 
rendre  témoignage. 


uo 

«efc= - — -  "'g-rassagg".  :  ,~.g=— — 

CHAPITRE  QUATORZIÈME. 

OBSERVATION 

TRES-IMPORTANTE 

r  S  U  R  L  A  FO  R  M  AT  I  O  N 

\ 

DES  PIERRES  ET 
DES  COQUILLES. 

r 

»  *  '  v  y 

MOnfieur  Le  Royer  de  la  Sauvagère ,  In¬ 
génieur  en  Chef,  &  de  l’Académie  des 
Belles-Lettres  de  la  Rochelle  ,  Seigneur  de  k 
terre  de  Places  en  Touraine  auprès  de  Chinon  , 
actefte  qu  auprès  de  Ton  Château  une  partie  du 
fol  s’eft  méramorphofée  deux  fois  en  un  lit  de 
pierre  tendre  dans  l’elpace  de  quatre-vingt  ans. 
Il  a  été  témoin  lui-meme  de  ce  changement. 
Tous  fes  va  {Taux  ,  de  tous  fes  voifins  l’ont  vu. 
Il  a  bâti  avec  cette  pierre  qui  eft  devenue  très- 
dure  étant  employée.  La  petite  carrière  dont  ou 
l’a  tirée  recommence  à  fe  former  de  nouveau. 
11  y  renaît  des  coquilles  qui  d’abord  ne  fe  dif- 
ringuent  qu’avec  un  microfcope  ,  de  qui  croif- 


1 .  .  .  I 

/  \  , 

OBSERVATION  A7 

fent  avec  la  pierre.  Ces  coquilles  font  de  dif¬ 
ferentes  efpeces  j  il  y  a  des  oftracites ,  des  gri- 
phites  qui  ne  fe  trouvent  dans  aucune  de  nos 
mers  j  des  cames  ,  des  telines,  des  cœurs  donc 
les  germes  fe  développent  infenfiblement  ,  8c 
(  s  etendent  jufqu’à  lix  lignes  d’épaifTeur. 

N  y  a-t-il  pas  là  de  quoi  étonner  ,  du  moins 
ceux  qui  affirment  que  tous  les  coquillages  qu’on 
rencontre  dans  quelques  endroits  de  la  terre  y 
ont  été  dépofés  par  la  mer  ? 

Si  on  ajoute  à  tout  ce  que  nous  avons  déjà  dit, 
ce  phénomène  de  la  terre  de  Places  ,  fi  d’un 
autre  côté  on  confidère  que  le  fleuve  de  Gam¬ 
bie  8c  la  rivierè  de  BifTao  font  remplis  d’huî¬ 
tres  ,  que  plufîeurs  lacs  en  ont  fourni  autrefois, 
&  en  ont  encore,  ne  fera-t-on  pas  porté  à  fuf- 
pendre  fon  jugement  ?  Notre  fiécle  commence 
à  bien  obferver;  il  appartiendra  aux  fiécles  fui- 
vants  de  décider  ,  mais  probablement  on  fera 
«n  jour  aflTez  favant  pour  ne  décider  pas. 

•> 


4* 


de  la  grotte 


«Cf- 


-P 


CHAPITRE  QUINZIÉME. 

DE  LA  GROTTE 

des  fées. 

tt  Es  grottes  où  fe  forment  les  ftaia&ites  & 

*  t> 

JL-j  les  ftalagmites  font  communes.  Il  y  en  a 
dans  prefque  toutes  les  provinces.  Celle  duCha- 
blaiseft  peut  être  la  moins  connue  des  phificiens* 
&  qui  mérite  le  plus  de  l’être.  Elle  eft  fîcuée 
dans  des  rochers  affreux  au  milieu  d’une  forêt 
d’épines  a  deux  petites  lieues  de  Ripaille  dans 
la  paroi fle  de  Féterne.  Ce  font  trois  grottes  en 
voûte  l’une  fut  l’autre  taillées  à  pic  par  la  na¬ 
ture  dans  un  roc  inabordable.  On  n’y  peut  mon¬ 
ter  que  par  une  échelle  ,  &  il  faut  s’élancer  en- 
fuite  dans  ces  cavités  en  fe  tenant  à  des  bran¬ 
ches  d’arbres.  Cet  endroit  eft  appelle  par  les  gens 
du  lieu  Les  grottes  des  Fées .  Chacune'  a  dans 
fou  fond  un  badin  dont  l’eau  pade  pour 
avoir  la  meme  vertu  que  celle  de  Ste.  Rei¬ 
ne.  L’eau  qui  diftile  dans  la  fupérieure  à 

travers  le  rocher  ,  ya  formé  dans  la  voûte  la 

figure 


**  y*  7"  *  «r ? i-yZ y 


DES  FÉES.  49 

figure  d’une  poule  qui  couve  des  pouffins.  Auprès 
de  cette  poule  efi  une  autre  concrétion  qui  re  Sem¬ 
ble  parfaitement  à  un  morceau  de  lard  avec  fa 
couenne  ,  delà  longueur  de  près  de  trois  pieds. 


Dans  le  bafîin  de  cette  même  grotte  où  l’on  fe 
baigne,  on  trouve  des  figures  de  pralines ,  telles 
qu’on  les  vend  chez  des  confifeurs  ;  &  à  côté  la 
forme  d’un  rouet  ou  tour  à  filer  avec  la  que¬ 
nouille.  Les  femmes  des  environs  prétendent  avoir 
vu  dans  l’enfoncement  une  femme  pétrifiée  au- 
defïbus  du  rouet.  Mais  les  obfervateurs  n’ont 
point  vu  en  dernier  lieu  cette  femme.  Peut-être 
les  concrétions  flalaélites  avaient  deffiné  autrefois 
une  figure  informe  de  femme  ;  &  c’efi:  ce  qui  fie 
nommer  cette  caverne  la  Grotte  des  Fées.  Il  fut  un 
tems  qu’on  n’ofait  en  approcher;  mais  depuis  que 
la  figure  de  la  femme  a  difparu  ,  on  efi:  devenu 
moins  timide. 

Maintenant  ,  qu’un  Philofophe  à  fiflême  rai- 
i  fonne  fur  ce  jeu  de  la  nature  ,  ne  pourait-il  pas 
dire  ,  voilà  des  pétrifications  véritables  !  Cette 
grotte  était  habitée  fans  doute  autrefois  par  une 
femme  ,  elle  filait  au  rouet ,  fon  lard  était  pendu 
;  au  plancher ,  elle  avait  auprès  d’elle  fa  poule  avec 
fes  poufiins  ,  elle  mangeait  des  pralines  ,  lorf- 
qu’elle  fut  changée  en  rocher  elle  &  fes  poulets  , 


D 


!' 


j 


5o  DE  LA  GROTTE  DES  FÉES. 

&  Ton  lard,  &  Ton  rouet ,  &  fa  quenouille,  6c  les 
pralines ,  comme  Edith  femme  de  Loth  fut  chan¬ 
gée  en  ffatue  de  fel.  L’antiquité  fourmille  de  ces 
exemples. 

Il  ferait  bien  plus  raifonnable  de  dire ,  cette 
femme  fut  pétrifiée  ,  que  de  dire  ,  ces  petites  co¬ 
quilles  viennent  de  la  merdes  Indes  j  cette  écaille 
fut  îailfée  ici  par  la  mer  il  y  a  cinquante  mille  fié— 
clés.  Ces  glolfopètres  font  des  langues  de  Mar- 
fouins  qui  s’aflTemblèrent  un  tour  fur  cette  colline 
pour  n’ylaifler  que  leurs  goziers  j  ces  pierres  en 
fpirale  renfermoient  autrefois  le  poifïon  Nautilus , 
que  perfonne  n’a  jamais  vu. 


CHAPITRE  SEIZIEME. 

DU  FALLUN 

DE  TOURAINE. 

'  '  '  •  i  ' 

ON  regarde  enfin  le  Fallun  de  Touraine  com¬ 
me  le  monument:  le  plus  inconteftable  de 
ce  féjour  de  l’Océan  fur  notre  continent  dans  une 
multitude  prodigieufe  defiècles. 

Certainement  fi  à  trente-fix  lieues  de  la  mer  il 
eft  d’immenfes  bancs  de  coquillages  marins  r  s’ils 
font  pofés  à  plat  par  couches  régulières,  il  eft  dé¬ 
montré  que  ces  bancs  ont  été  le  rivage  de  la 
mer ,  &  il  eft  d’ailleurs  trè$-vraifemb!able  que  des 
terrains  bas  5c  plats  ont  été  tour  à  tour  couverts 
5c  dégagés  des  eaux  jufqu’à  trente  &  quarante 
lieues  ;  c’eft  l’opinion  de  toute  l’antiquité.  Une  mé¬ 
moire  confufe  s’en  eft  confervée,  &  c’eft  ce  quia 

donné  lieu  à  tant  de  fables. 

\ 

Nil  equidem  dur  are  diu  fub  imagine  eadem 
Crediderim .  Sic  ad  ferrum  venijlis  ab  auro 
Secula.  Sic  loties  ÿerfa  ejl  fortuna  locorum. 

D  2 


/ 


Vidi  ego  quod  fuerat  quondam  folidijftma  tellus 
EJJe  fretum.  Vidifaftas  ex  eequore  terras  : 

Et  procul  à  pelago  conchcz  jacuere  marinez  : 


DU  FALLUN 


i 


i 

y 

.  i 


\ 


Et  vêtus  inventa  eft  in  montibus  anchora  fumrnis .  (*) 
Quoique  fuit  campus  ,  vallem  decurfus  aquarum 
Fecit  :  &  eluvie  mons  eft  deduHus  in  cequor  : 

Eque  paludofa  ftccïs  humus  aretarenis  : 

Quœque  Jititn  tulerant ,  ftagnata  paludibus  hument. 

C’efl  ainfi  que  Pithagore  s’explique  dans  On¬ 
de.  Voici  une  imitation  de  ces  vers  qui  en  donnera 


Le  tems  qui  donne  à  tous  le  mouvement  &  l’étre. 
Produit  ,  accroît ,  détruit ,  fait  mourir ,  fait  renaître , 
Change  tout  dans  les  cieux  ,  fur  la  terre  &  dans  l’air. 
L’âge  d’or  à  fon  tour  fuivra  l’âge  de  fer. 

Llore  embellit  des  champs  l’aridité  fauvage. 

La  mer  change  fon  lit ,  (on  flux  &  fon  rivage. 

Le  limon  qui  nous  porte  eft  né  du  fein  des  eaux. 

Où  croiflent  les  moiflons ,  voguèrent  les  vaiifeaux. 

La  main  lente  du  tems  aplanit  les  montagnes  ; 


T" 


Il  creule  les  vallons  ;  il  étend  les  campagnes  ? 
Tandis  que  l’Eternel ,  le  Souverain  des  temps, 
Demeure  inébranlable  en  ces  grands  changemens. 


(*)  Cela  reffemble  un  peu  à  l’ancre  de  vaifleau  qu’on 
prétendoit  avoir  trouvé  fur  le  grand  St.  Bernard  5  auflî  s’eft- 


onbien  gardé  d’inférer  cette  chimère  dans  la  uaduétion. 


1 


1 

y 

.  1 


\ 


1  ,  ;  •/  •  1  ,  .  * 

/—  • 

V 

DE  TOURAINE.  55 

l  ,  %  i  ’ 

Mais  pourquoi  cet  Océan  n’a-t-il  formé  au¬ 
cune  montagne  fur  tant  de  côtes  plattes  li¬ 
vrées  à  fcs  marées  ?  Et  pourquoi  s’il  a  dé- 
pofé  des  amas  prodigieux  de  coquilles  en  Tou¬ 
raine  ,  n’a  r  t  -  il  pas  laiffé  les  mêmes  monu- 
mens  dans  les  autres  provinces  à  la  même  dif- 
tance  ?  ,  x 

✓J 

D’un  côté  je  vois  plufîeurs  lieues  de  riva¬ 
ges  au  niveau  de  la  mer  dans  la  baffe  Norman¬ 
die  :  Je  traverfe  la  Picardie  ,  la  Flandre  ,  la 
Hollande  ,  la  baffe  Allemagne  ,  la  Poméranie  ,1a 
Pruffe  ,  la  Pologne  ,  la  Rufîîe  ,  uae  grande 
partie  de  la  Tartarie  jufqu’au  Thibet  ,  fans 
qu’une  feule  haute  montagne ,  faifant  partie  de 
la  grande  chaîne  ,  fe  préfente  à  mes  yeux.  Je 
puis  franchir  ainfî  l’efpace  de  deux  mille  lieues 
dans  un  terrain  affez  uni ,  à  quelques  collines 
près.  Si  la  mer  répandue  originairement  fur  no¬ 
tre  continent  avait  fait  les  montagnes,  comment 
n’en  a-t-elle  pas  fait  une  feule  dans  cette  vaile 
étendue  ?  - 

De  l’autre  côté  ces  bancs  de  coquilles  à 
trente  à  quarante  lieues  de  la  mer  ,  méritent 
le  plus  férieux  examen.  J’ai  fait  venir  de 
cette  province  dont  je  fuis  éloigné  de  cent 
'cinquante  lieues  ?  une  caiffe  de  ce  fallun.  Le 

D  |  “  v. 

.V  "  N  '  )  <  .  ' 

J  '  -  ;  „  '  "  ■ 


1 


I 


54  DUFALLUN 

fond  de  cette  minière  eft  évidemment  une 
efpèce  de  terre  calcaire  &  marneufe  ,  dans 
laquelle  une  grande  quantité  de  coquillages 
fe  trouve  mêlée.  Les  morceaux  purs  de  cette 
ferré  pierreufe  font  fallés  au  goût.  Les  labou¬ 
reurs  l’emploient  pour  féconder  leurs  terres  , 
&  il  eft  très  -  vrai  femblable  que  fon  fel  les 
fertilife.  Si  ce  n’étoit  qu’un  amas  de  coquil¬ 
les  ,  je  ne  vois  pas  qu’il  pût  fumer  la  terre. 
J’aurais  beau  jetter  dans  mon  champ  toutes 
les  coques  deflechées  des  limaçons  &  des 
moules  de  ma  province  ,  ce  ferait  comme  fi 
j’avais  femé  fur  des  pierres.  Un  naturalise 
prétend  que  rien  n’efi  meilleur  pour  faire 
croître  du  bled  ,  qu’un  cabinet  de  coquilles  , 
au  lieu  de  fumier,  il  a  plus  de  connaiffiance 
de  la  phifique  que  moi  ;  mais  j’ofe  dire  que 
je  fuis  meilleur  laboureur  que  lui  ;  (k  quoi¬ 
que  je  fois  sûr  de  peu  de  chofcs  ,  je  puis  affir¬ 
mer  que  je  mourrais  de  faim  ,  fi  je  n’avais  pour 
vivre  qu’un  champ  de  vieilles  coquilles  caf- 
fées.  (  *  )  J’ajouterai  même  que  fi  je  voulais 

‘  4  *  “'f  f  f-  '  ^  ,  *  t  <  >  • 

(*)  Tout  ce  que  ces  coquillages  pouraient  opérer,  ce 
ferait  de  divifer  une  terre  trop  compare.  On  en  fait  autant 
avec  du  gravier.  Des  coquilles  ftaiches  &  pilées  pouraient 
fervir  par  leur  huile.  Mais  des  coquillages  defléchés  ne  font 
bons  à  rien. 


4 


I  . 


fl 

I 


DE  TOURAINE.  55 

railler  comme  lui  ,  \t  pourais  être  aufïi  plai- 
fant. 

En  un  mot  >  il  eft  certain  ?  de  la  plus  grande 
certitude  ,  que  cette  marne  eft  une  efpèce  de 
terre  ,  Si  non  pas  uniquement  un  afïemblage  d’a¬ 
nimaux  marins  qui  feraient  au  nombre  de  plus  de 
cent  mille  miiliars.  Je  ne  fais  pourquoi  l’académi¬ 
cien  qui  le  premier  après  Paliffi  fit  connoitre  cette 
Angularité  de  la  nature ,  a  pu  dire ,  ce  ne  font  que 
de  petits  fragmens  de  coquilles  très-  reconnoijfables 
pour  en  être  des  fragînetits  ;  car  ils  ont  leurs  canne¬ 
lures  tris  bien  marquées  ,  feulement  ils  ont  perdu 
leur  luifant  &  leur  vernis. 

J’ai 7  été  étonné  de  trouver  dans  la  boéte 
qu’on  m’a  envoyée  ,  de  petites  univalves  Sc 
un  coquillage  qu’on  nomme  vis  de  mer  9  ou 
piramide  à  cannelures  ,  aufifi  frais  ,  aufïi  bril  - 
lants  ,  Sc  d’un  aufïi  beau  vernis  qu’on  puiffe 
en  trouver  fur  le  bord  de  la  mer  de  nouvel" 
lement  formés.  Mais  ce  qui  m’a  le  plus  fur- 
pris  ,  c’efl  d’y  voir  une  coque  de  limaçon 
qui  parait  être  de  l’année  pafïee  ,  <Sc  trois 
dents  qui  refïemblent  parfaitement  à  des  dents 
de  brochet.  Les  curieux  qui  voudront  les  ve¬ 
nir  examiner  en  jugeront  beaucoup  mieux  que 
moi* 

D  4 


N 


J1  ' 


5  6  DU  F  AL  LU  N,  &c. 

V 

Si  les  petites  coquilles  mêlées  dans  ma  boe- 
te  à  la  terre  marneufe  font  réellement  des  co¬ 
quilles  de  mer ,  il  faut  avouer  qu’elles  font  dans 
cette  falluniére  depuis  des  tems  reculés  qui 
épouvantent  l’imagination  ,  de  que  c’efî:  un  des 
plus  anciens  monuments  des  révolutions  de  no¬ 
tre  globe.  Mais  aufiTi  ,  comment  une  produc- 
tion  enfouie  quinze  pieds  en  terre  pendant 
tant  de  fiècles  ,  peut  -  elle  avoir  l’air  fî  nou¬ 
veau  ?  Comment  y  a  -  t  -  on  trouvé  la  coquille 
.  d’un  limaçon  à  côté  de  petites  univalves  ma¬ 
rines  ?  Ces  Univalves  dont  la  dimenlion  n’efl 
pas  le  quart  du  petit  doigt  ,  paroident  n’avoir 
pas  une  date  plus  ancienne  que  la  coquille  du 
limaçon  qui  était  mêlée  avec  la  terre.  L’expé- 
rience  de  M.  De  La  Sauvagere  qui  a  vu  des 
coquillages  femblahles  fe  former  dans  une 
pierre  tendre  ,  &  qui  en  rend  témoignage 
avec  fes  voifins  ,  ne  doit-elle  pas  au  moins  nous 
infpirer  quelques  doutes  fur  l’origine  de  ce 
failun  ? 

Enfin  ?  fi  ce  falîun  a  été  produit  à  la  longue 
dans  la  mer  ,  ce  qui  efl  très-vraifemhlable  ,  elle 
efl  donc  venue  à  prés  de  quarante  lieues  dan» 
en  pays  plat  ,  &  elle  n’y  a  point  formé  de 
montagnes.  11  n’efl:  donc  nullement  proba» 


i 


DE  BERNARD  PALISSI.  57 

ble  que  les  montagnes  foient  des  productions 


de  l’Océan 


CHAPITRE  DIX  -  SEPTIEME. 

DE  BERNARD 

P  A  L  I  S  S  I. 


VAN  T  que  Bernard  Paîifll  eût  prononcé 


•*-  -*■  que  cette  mine  de  marne  de  trois  lieues 
d’étendue  n’était  précifément  qu’un  amas  de 
coquilles  ,  les  agriculteurs  étaient  dans  Pufa- 
ge  de  le  fervir  de  cet  engrais  ,  &  ne  foup- 
çonnaient  pas  que  ce  fufTent  uniquement  des 
coquilles  qu’ils  employaffent.  N’avaient  -  ils 
pas  des  yeux  ?  Pourquoi  ne  crut  -  on  pas  Pa- 
lifTi  fur  fa  parole  ?  Ce  Palifli  d’ailleurs  était 
un  peu  vilionnaire.  Il  fit  imprimer  le  livre 
intitulé  :  Le  moyen  de  devenir  riche  &  la  ma¬ 
niéré  véritable  par  laquelle  tous  les  hommes  de 
France  pouront  apprendre N  à  multiplier  &  à,  aug¬ 
menter  leur  tréfor  &  pojfejfions  ,  par  Maître 
Bernard  Falijjl  inventeur  des  rujiiques  figulines 
du  roi.  Il  tint  à  Paris  une  école  9  où  il  fit 


58  DE  BERNARD 

afficher  qu’il  rendrait  l’argent  à  ceux  qui  lui 
prouveraient  la  faufifeté  de  les  opinions.  En  un 
mot  Palifii  crut  avoir  trouvé  la  pierre  philofo- 
phale.  Son  grand  œuvre  décrédita  Tes  coquilles 
jufqu’au  tems  où  elles  furent  remifes  en  honneur 
par  un  Académicien  célébré  qui  enrichit  les  dé¬ 
couvertes  des  Swammerdam  ,  des  Leuvenhock  , 
par  l'ordre  dans  lequel  il  les  [plaça  ,  &  qui  rendit 
de  grands  fervices  à  la  phyfique.  L’expérience , 
comme  on  l’a  déjà  dit  ,  efi  trompeufe  ;  il  faut 
donc  examiner  encore  ce  fallun.  Il  efi  certain  qu’il 
pique  la  langue  par  une  légère  acreté  ,  c’efl  un 
effet  que  des  coquilles  ne  produiront  pas.  Il 
efi:  indubitable  que  le  fallun  efi:  une  terre 
calcaire  &c  marneufe.  Il  efi  indubitable  aufii 
qu’elle  renferme  un  nombre  étonnant  de  co¬ 
quilles  à  dix  à  quinze  pieds  de  profondeur. 
D  où  viennent  -  elles  ?  C’efl  là  l’objet  de  la 
recherche  ,  objet  afifurément  digne  de  la  cu- 
riofité  de  tous  les  hommes.  Il  refiera  toujours 
à  favoir  fi  de  ce  que  la  mer  a  couvert  la  Bre¬ 
tagne  ,  la  Normandie  ,  la  Touraine  :  on  peut 
conclure  qu’elle  a  formé  les  montagnes  des 
deux  hemifphères.  L’auteur  efiimabîe  de  l’hif- 
toire  naturelle  ,  auffi  profond  dans  fes  vues  , 
qu’attrayant  par  fon  flile  ,  dit  expreffement  : 


, 

P  ALI  S  S  I.  59 

Je  prétends  que  les  coquilles  font  Û  intermède  que  la 
nature  emploie  pour  former  la  plupart  des  pierres • 
Je  prétends  que  les  Cray  es  ,  les  marnes ,  &  les  pierres 
à  chaux  ne  font  compofécs  que  de  pouffère  &  de 
dètrimens  de  coquilles . 

On  peut  aller  trop  loin  quelque  habile  phy- 
fkien  que  l’on  Toit.  J’avoue  que  j’ai  examiné  pen¬ 
dant  douze  ails  de  fuite  la  pierre  à  chaux  que  j’ai 
employée  3,  &  que  ni  moi  ni  aucun  des  afîilîans 
n’y  avons  apperçu  le  moindre  veflige  de  co¬ 
quilles. 

A  - 1  -  on  donc  befoin  de  toutes  ces  fup- 
polîtions  pour  prouver  les  révolutions  que 
notre  globe  a  effuyées  dans  des  temps  pro- 
digieufement  reculés  P  Quand  la  mer  n’aurait 
abandonné  couvert  tour  à  tour  les  ter¬ 
rains  bas  de  fes  rivages  que  le  long  de  deux 
mille  lieues  fur  quarante  de  large  dans  les 
terres  ,  ce  ferait  un,  changement  fur  la  furfa- 
ce  du  globe  de  quatre  -  vingt  mille  lieues 
quarréès. 

Les  éruptions  des  volcans  ,  les  tremblemens  , 
les  affaiiremens  des  terrains  doivent  avoir  bou- 
îeverfé  une  allez  grande  quantité  de  la  furface 
du  globe*  ;  des  lacs  ,  des  rivières  ont  difparu  , 
des  villes  ont  été  englouties  ;  des  îles  fe  font 


éo  DE  BERNARD  PALISSE 

formées  ;  des  terres  ont  été  féparées  :  les  mers 
intérieures  ont  pu  opérer  des  révolutions  beau¬ 
coup  plus  confidérables.  N’en  voilà  -  t  -  il  pas 
aflfez  ?  Si  l’imagination  aime  à  fé  repréfenter 
ces  grandes  vicifïitudes  de  la  nature  >  elle  doit 
être  contente. 


CHAPITRE  DIX  -  HUITIEME. 

I 

DU  SISTEME 

DE  MAILLET 

\  V  1 

QUI  FAIT  LES  POISSONS 

LES  PREMIERS  PERES 

DES  HOMMES. 

*  * 

MOnfieur  Maillet  ,  dont  nous  avons  déjà 
parlé  ,  crut  s’appercevoir  au  grand  Cai¬ 
re  que  notre  continent  n’avait  été  qu’une  mer 
dans  l’éternité  paflfée-:  6 c  de- là  il  conclut  que  la 
race  des  hommes  &  des  finges  venait  incontes¬ 
tablement  des  poilïons  marins.  Les  nageoires 
avec  le  tems  devinrent  des  bras  ;  la  queue 


/ 


/ 


DU  SISTEME  DE  MAILLET.  61 

fourchue  fe  changea  infenfibiement  en  cuiflês 
&  en  jambes. 

Les  anciens  habitans  des  bords  de  l’Euphrate 
!  ne  s’éloignaient  pas  beaucoup  de  cette  idée  , 
quand  ils  débitèrent  que  le  fameux  poiffon  Oannès 
fortait  tous  les  jours  du  fleuve  pour  les  venir  caté- 
chifer  fur  le  rivage.  Dercéto  qui  efl  la  même  que 
Vénus ,  avait  une  queue  de  poiflon.  La  Vénus 
d’Héfiode  naquit  de  l’écume  de  la  mer. 
i  C’ell  peut  être  fui vant  cette  cofmogonie  qu’Ho- 

mere  dit  que  l’Océan  eft  le  pere  de  toutes  chofes; 
mais  par  ce  mot  d’Océan,  il  n’entend  ,  dit- on  , 

que  le  Nil  &  non  notre  mer  Océane  qu’il  ne  con- 
naiftait  pas. 

Thaïes  apprit  aux  Grecs  que  l’eau  eft  le  pre¬ 
mier  principe  de  la  nature.  Ses  raifons  font,  que  la 
femence  de  tous  les  animaux  eft  aqueufe  ,  qu’il 
!  faut  de  l’humidité  à  toutes  les  plantes ,  &  qu’enfin 
les  étoiles  font  nourries  des  exhalaifons  humides 
de  notre  globe.  Cette  derniere  raifon  eft  merveil- 
leufe  :  <k  il  eft  plaifant  qu’on  parle  encore  de  Tha- 
lès  &  qu’on  veuille  (avoir  ce  qu’Athénée  &  Plu¬ 
tarque  en  penfaient. 

|  Cette  nourriture  des  étoiles  n’auroit  pas  réufli 
|  dans  notre  teins  ;  &  malgré  les  fermons  du  poiflon 
Oannès,  les  argumens  de  Thalès  ,  les  imagina- 


éiDU  SISTEME  DE  MAILLET. 

tions  de  Maillet,  il  y  a  peu  de  gens  aujourd’hui 
qui  croyent  defcendre  d’un  turbot  ou  d’une  mo¬ 
rue  ,  malgré  l’extrême  paflion  qu’on  a  depuis  peu 
pour  les  généalogies.  Pour  étayer  ce  Même  il  , 
fallait  abfolument  que  toutes  les  efpèces  &  tous 
les  élémens  Te  changeaient  les  uns  en  les  autres. 
Les  métamorphofes  d’Ovide  devenaient  le  meil¬ 
leur  livre  de  phyfique  qu’on  ait  jamais  écrit. 


CHAPITRE  DIX- NEUVIEME. 

DES  GERMES. 

DES  Philofophes  tâchèrent  donc  d’établir 
quelque  fiftème  qui  bannit  les  germes  par 
lefquelsles  générations  des  hommes,  des  animaux 
St  des  plantes  s’étaient  perpétuéesjufqu’ànos  jours. 
C’eft  en  vain  que  nos  yeux  voyent ,  &  que  nos 
mains  manient  les  femences  que  nous  jettons  en 
terre  ;  c’eft  en  vain  que  les  animaux  font  tous 
évidemment  produits  par  un  germe.  On  s’eft  plu 
à  démentir  la  nature  pour  établir  d’autres  Mêmes 
que  le  lien. 

Celui  des  animaux  fpermatiques  ne  femblait 
point  contredire  la  phyfique ,  cependant  on  s  en 


DES  GERMES.,  6j 

ert  dégoûté  comme  d’une  mode.  II  était  très-com- 
;  mun  alors  que  tous  les  Philofophes,  excepté  ceux 
de  quatre-vingt  ans  ,  dérobaffent  à  l’union  des 
deux  fexes  la  liqueur  féminale  produarice  du  gen¬ 
re  humain  ,  &  que  dans  cette  liqueur  on  vît  à 
l’aide  du  microfcope  nager  les  petits  vers  qui 
devaient  devenir  hommes ,  comme  on  voit  dans  les 
étangs  gli/Ter  les  tétarts  deftinés  à  être  grenouilles. 

!  ,  Dans  ce  firtéme  les  mâles  étaient  les  principaux 

dépofitaires  de  l’efpece  :  au  lieu  que  dans  le  ûflême 
des  œufs  qui  avait  prévalu  jufqu’alors  ,  c’étaienc 
lesfemellés  qui  contenaient  en  elles  toutes  les  gé¬ 
nérations  ,  &  qui  étaient  véritablement  meres.  Le 
mâle  ne  fervait  qu  a  féconder  les  œufs  ,  comme 
les  coqs  fécondent  les  poules.  Ce  Même  des  œufs 
I  avait  un  prodigieux  avantage ,  celui  de  l’expé¬ 
rience  journalière  &  inconteftable  dans  plufieurs 
|  efpèces.  Cependant  on  a  fini  par  douter  de  l’un  & 
de  l’autre  ;  mais  foit  que  le  mâle  contienne  en  lui 
l’animal  qui  doit  naître  ,  foit  que  la  femelle  le  ren¬ 
ferme  dans  fon  ovaire ,  &  que  la  liqueur  du  mâle 
ferve  à  fon  dévelopement ,  il  eft  certain  que  dans 
les  deux  cas  il  y  a  un  germe  ;  &  c’eft  ce  germe  que 
[  l’amour  de  la  nouveauté ,  la  fureur  des  fiftêmes  & 

|  encor  plus  celle  de  1  amour  propre^  entreprirent  de 
détruire. 


DES  GERMES. 


L’auteur  d’un  petit  livre  intitulé  La  Venus 
phyjique  imagina  que  le  tout  fe  faifait  par  attrac¬ 
tion  dans  la  matrice  ,  que  la  jambe  droite  attirait 
à  elle  la  jambe  gauche,  que  l’humeur  vitrée  d’un 
œil ,  fa  rétine  ,  fa  cornée,  fa  conjon&ive  étaient 
attirées  par  de  femblables  parties  de  l’autre  œil. 
Perfonne  n’avait  jamais  corrompu  à  cet  inconce¬ 
vable  excès  l’attraéhon  démontrée  par  Newton 
dans  des  cas  abfolument  différens  j  une  telle  chi¬ 
mère  était  digne  de  l’idée  de  diflequer  des  têtes  de 
géans  ,  pour  connaître  la  nature  de  l’ame  ,  & 
d’exalter  cette  ame  pour  prédire  l’avenir.  Cette 
folie  ne  fervit  pas  peu  à  décréditer  l’efprit  fiftê- 
matique  qui  eft  pourtant  fi  néceffaire  au  progrès 
des  fciences ,  quand  il  n’eftque  l’efprit  d’ordre ,  <k 
qu’il  eft  réglé  par  la  raifon. 


CHAPITRE 


! 


; — : 


■#  (  *î  )  # 
==SfKê== 


.  J 


CHAPITRE  VINGTIEME: 


fit 


DE  LA  PRÉTENDUE 

-  ;  :  Il  > 

RACE  D’ANGUILLES 


FORMÉES  DE  FARINE 

•  '•  -  -  '  -,  '  -  !f 

ET  DE  JUS  DE  MOUTON. 

.  - 

\  r.  * 

PRécifément  dans  le  même  tems  un  Jéfuite  Ir- 
landais  nommé  Néedham  qui  voyageait  dans 
l’Europe  en  habit  féculier,  fit  des  expériences  à 
1  aide  de  plufieurs  microfcopes.  Il  crut  apper* 
cevoir  dans  de  la  farine  de  bled  ergoté  mife  au 
four  6c  laifiée  dans  un  vafe  purgé  d’air  6c  bien 
bouché,  il  crut  appercevoir ,  dis  je,  des  anguil¬ 
les  qui  accouchoient  bientôt  d’autres  anguil¬ 
les.  Il  s’imagina  voir  le  mèm^  phénomène 
dans  du  jus  de  mouton  bouilli.  Aufiitôt  plud 
fleurs  Philofophes  s’efforcèrent  de  crier  merveille, 
6c  de  dire:  Il  n’y  a  point  de  germes ,  tout  fe  fait, 

tour  fe  régénère  par  une  force  vive  de  la  nature. 

‘,¥)'  •*'>  •  «  '  , 

C’eft  l’arrraétion ,  dilait  î’un  *  Veft  la  matière 
organifée,  difait  l’autre  ;  ce  font  des  molécules 

E 


N 


) 


(  I  '  ' 

66  DE  LA  PRÉTENDUE 

organiques  vivantes  qui  ont  trouvé  leurs  moules. 

De  bons  Phyficiens  furent  trompés  par  un  Jéfuite. 

« 

C’eft  ainfi  (  comme  nous  l’avons  dit  ailleurs  ) 
qu’un  Commis  des  Fermes  en  Baffe-Bretagne  , 
fit  accroire  à  tous  les  beaux  efprits  de  Paris 
qu’il  étoit  une  jolie  femme  ,  laquelle  faifaic 
très-bien  des  vers, 

L’erreur  accréditée  jette  quelquefois  de  fi 
profondes  racines  que  bien  des  gens  la  fou- 
tiennent  encore  ,  lorfquelle  eft  reconnue  Sc  tom¬ 
bée  dans  le  mépris  ,  comme  quelques  jour¬ 
naux  hiftoriques  répètent  de  fauffes  nouvelles 
inférées  dans  les  gazettes  ,  lors  meme  qu’elles 
ont  été  rétraétées.  Un  nouvel  Auteur  d’une  tra- 
du&ion  élégante  Sc  exaéle  de  Lucrèce  ,  enrichie 
de  notes  favantes  ,  s’efforce  dans  les  notes  du 
troifiéme  livre  ,  de  combattre  Lucrèce  même  à 
l’apui  des  malheureufes  expériences  de  Néed- 
'  ham  ,  fi  bien  convaincues  de  fauffeté  par  Mr, 

Spalanzani  ,  St  rejettées  de  quiconque  a  un  peu 
étudié  la  nature.  L’ancienne  erreur  que  la  cor¬ 
ruption  eft  mère  de  la  génération  allait  rsffufci- 
ter ,  il  n’y  avait  plus  de  germe  ;  Sc  ce  que  Lu¬ 
crèce  avec  toute  l’antiquité  jugeait  impaffible , 
allait  s’accomplir. 


RAGE  D’ ANGUILLE  S.  èf 

r  Ex  omnibus .... 

Omne  gtnus  nafci  pojfet ,  nil  femine  egeret. 

Ex  un  dis  homines  ,  ex  terra  poffet  oriri 
Squammiferum  genus  ,  6*  volucres  ;  erumpere  Cœlo 
Armenta  &  pecudes  ....  ferre  omnes  omnia  pojfent . 

Le  hazard  incertain  de  tout  alors  difpofe. 

L’animal  eft  fans  germe ,  &  l’effet  eft  fans  eau  Ce. 

On  verra  les  humains  fortir  du  fond  des  mers. 

Les  troupeaux  bondiffans  tomber  du  haut  des  air  s. 

Les  poiffons  dans  les  bois  naiffant  fur  la  verdure  ; 

Tout  poura  tout  produire,  il  n ’eft  plus  de  natuÂ. 

s“  *  '  "  i  '  j  .  '  i  •  .  ,  ‘  .•  »  * 

Lucrèce  avoir  affuremenc  raifon  en  ce  point 
de  phyfîque  ,  quelque  ignorant  qu’il  fût  bail¬ 
leurs.  Er  il  eft  démontré  aujourd’hui  aux  yeux 
&  a  la  raifon  ,  qu’il  n  eft  ni  de  végétal  ,  ni 
d’animal  qui  n’ait  fon  germe.  On  le  trouve  dans 
l'œuf  d’une  poule  comrru  dans  le  gland  d’un 
chêne.  Une  puifîance  formarrice  prélide  à  tous 
ces  dévelopements  d’un  bout  de  l’Univers  à 
l’autre. 

Il  faut  bien  reconnaître  des  germes  puif- 
qu  on  les  voit  &  qu  on  les  feme  ,  ôc  que  le 
chêne  eft  en  petit  contenu  dans  le  gland.  On 
fait  bien  que  ce  n  eft  pas  un  chêne  de  foixante 
pieds  de  haut  qui  eft  dans  ce  fruit  j  mais  c’eft 
un  embrioh  qui  croîtra  par  le  fecours  de  la  terre 

Er 


i 


6 8  DE  LA  PRÉTENDUE  RACE,  $tc. 

&  de  l’eâu  comme  un  enfant  croît  par  une  autre 
nourriture. 

Nier  l’exiftence  de  cet  embrion  ,  parce  qu^on 
ne  conçoit  pas  comment  il  en  contient  d’autres 
à  fin  fini ,  c’eft  nier  l’exiftence  de  la  matière  par¬ 
ce  qu’elle  eft:  divifible  à  l’infini.  Je  ne  comprends 
pas  ;  donc  cela  n’efi:  pas!  Ce  raifonnement  ne 
peut  être  admis  contre  les  choies  que  nous  voyons 
&  que  nous  touchons.  11  efi:  excellent  contre 
des  fuppoficions;  mais  non  pas  contre  les  faits. 

Quelque  fiftême  qu’on  fubftirue ,  il  fera  tout 
auiTi  inconcevable  6c  il  aura  par  delTus  celui  des 
germes  le  malheur  d’être  fondé  fur  un  principe 
qu’on  ne  connaît  pas,  à  la  place  d’un  principe  pal¬ 
pable  dont  tout  le  monde  efi;  témoin.  Tous  les 
fiftêmes  fur  la  caufe  de  la  génération ,  de  la  vé¬ 
gétation,  de  la  nutrition  ,  de  la  fenfibilité,  de 
la  penfée,  font  également  inexplicables.  Som¬ 
mes-nous  à  jamais  condamnés  à  nous  ignorer  ? 
Oui. 


«f=r. - T-===^3Vr* . .  „fi. 

I 

*  % 

CHAPITRE  VIN  G  T-  UNIEME. 

D’UNE  FEMME 

QUI  ACCOUCHE, 

D'UN  LAPIN. 

;  ...  ‘*s 

,v  »  »  v  * 

A  Quoi  ne  porte  point  l’envie  de  fe  fignaler 
par  un  fifteme  !  Cette  dourine  des  généra* 
tions  fortuites  avait  déjà  pris  tant  de  crédit 
dès  le  commencement  du  fiécle ,  que  plusieurs 
perfonnes  etoient  perfuadeesqu  une  foie  pouvait 
engendrer  une  grenouille.  Il  ne  faut  pour  cela  , 
difait-on  y  que  des  parties  organiques  de  gre-* 
nouilles  dans  des  moules  de  foies.  Un  chirurgien 
de  Londres,  allez  fameux,  nommé  St.  André, 
publiait  cette  doctrine  de  toutes  fes  forces  en 

1726,  5c  il  avait  renthouHafme  des  nouvelles 
feâes. 

S  \‘,r  ■  /  .  -V  fUÎ'.ÎIV  Lit  0  t  $  Xi 

Une  de  fes  voifines  pauvre  &  hardie  réfolut 
de  profiter  de  la  doéhine  du  Chirurgien.  Elle 
lui  fit  confiance  qu  elle  étoit  accouchée  d’un  la- 
preau,  &  que  la  honte  l’avoit  forcée  de  fe  dé- 

Ej 


7o  D’UNE  fEMME 

faire  de  fon  enfant;  mais  que  la  tendreffe  ma¬ 
ternelle  l'avait  empêchée  de  le  manger. 

St.  André  trouvant  dans  l’aveu  de  cette  femme 
l'a  confirmation  de  fon  fiftême  ne  douta  pas  de 
cette  aventure  &  en  triompha  avec  fes  adhérans. 
Au  bout  de  huit  jours  cette  femme  le  fait  prier 
de  venir  dans  fon  galetas,  elle  lui  dit  qu’elle 
reflent  des  tranchées  comme  fi  elle  étoit  prête 
d’accoucher  encore  ;  Sc.  André  d’affure  que  c’eft 
une  fuperfétation,  Il  la  délivre  lui-même  en  pré¬ 
sence  de  deux  témoins.  Elle  accouche  d’un  petit 
lapin  qui  étoit  encore  en  vie.  St.  André  montre 
“par  tout  le  fils  de  fa  voifine.  Les  opinions  fe  par¬ 
tagent ,  quelques-uns  crient  miracle;  les  parti- 
fans  de  St.  André  difent  que  fuivant  les  loix  do 
,1a  nature  il  eft  étonnant  que  la  chofe  n’arrive 
pas  plus  fouvent.' Les  gens  cerifés  rient;  mais 
^tous  donnent  de  l’argent  à  la  mère  des  lapins. 
t  Elle  trouva  le  métier  fi  bon  qu’elle  accoucha 
^tous  les  huit  jours.  Enfin  la  juftice  fe  mêla  des 
affaires  de  fa  famille  ,  on  la  tint  enfermée,  on 


o  t  4  TvX 

la  veilla  ,  on  furprit  un  petit  lapreau  qu’elle 
avait  fait  venir  &  qu’elle  s’enfonçoit  dans  yn 
-orifice  qui  n’étoit  pas  fait  pour  lui.  Elle  fut 
punie  ,  St.  André  fe  cacha.  Les  papiers  publics 

»  5  j  -  *  _ 

s’égayèrent  fur^cette  garenne  comme  ils  fè  font 


•  -• 


v^ui  ACCOUCHE  DW  LAPIN.  7i 

égayés  depuis  fur  l’homme  qui  devait  fe  mettre 
dans  une  bouteille  de  deux  pintes  &  fur  le  public 
qui  vint  en  foule  à  ce  fpeéfcacle. 

La  faine  phyfique  détruit  toutes  ces  impof- 
tures ,  ainfi  qu’elle  a  chafié  les  poifédés  &  les 
forciers. 

Il  réfulte  de  tout  ce  que  nous  avons  vu  qu’il 
faut  fe  méfier  des  lapreaux  de  St.  André ,  des 
anguilles  de  Néedham  ,  des  générations  fortui¬ 
tes  ,  de  l’harmonie  préétablie  qui  eft  très-ingé- 
nieufe  &  des  modécules  organiques  qui  font 
plus  ingénieufes  encore. 


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7i  DES  ANCIENNES 

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CH  API  T.  VINGT-DEUXIEME. 

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DES  ANCIENNES 

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•  ERREURS 

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EN  PHYSIQUE. 

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,  V.  «ii-  .  :  ..  •  r  ......  J  J  .  ,  *  -  '  «  •  v.  ;■  * 

*1"  Es  erreurs  de  !a  fauîTe  phyfique  font  en  bien 
plus  grand  nombre  que  les  vérités  décou¬ 
vertes.  Preiquè  tout  eO:  abfurde  dans  Lucrèce  j 
voyez  feulement  le  quatrième  &C  le  cinquième 
livre,  vous  y  trouverez  que  des  Emulacres  éma¬ 
nent  des  corps  pour  venir  frapper  notre  vue  & 
notre  odorat. 

Qjiàrri  primîim  nofcas  rcrurn  Jïmulacra  va- 
gart  y  &c . 

r  * . 

Ergo  multa  brcvi  fpatio  Jïmulacra  geruntur. 
Les  voix  s’engendrent  mutuellement. 

Ex  aliis  al  a  yioniam  gignuntur . 

Le  Lion  tremble  &  s’enfuir  à  la  vue  d’un  coq. 
Nequc  qucunt  rapidi  corurd  conjlart  Icônes . 

Les  animaux  fe  livrent  au  fommeil  quand  des 


/ 


ERREURS  EN  PHYSIQUE  7j 

trois  parties  de  l’ame  ,  une  eft  chaflfée  au  dehors, 
une  autre  fe  retire  dans  l’intérieur  ,  &  une  troi¬ 
sième  éparfe  dans  les  membres  ne  peut  fe 
r  éunir.  .  .  ; 

•  •  . . Ut  pars  in  de  animai 

Ejiciatur  &  introrfum  pars  abdita  cédât , 

Pars  etiam  difperja  per  artùs  non  queat  ejje 
Conjuncia  inter  fe  *  me  motu  mutua  fungi. 

Le  foleii  &  les  autres  feux  s’abreuvent  des  eaux 
de  la  terre. 

. Cum  fol  &  vapor  omnis 

Omnibus  epotis  humoribus  exfuperarunt « 

'  *  r  *  V  '  , 

Le  foleii  &  la  lune  ne  font  pas  plus  grands 
au’ils  le  paraiflent. 

t-'  .  ;  .  ,  ■  .  • 

Nec  nimio  folis  major  rota  ,  nec  minor  ar - 

dor>  &c. 


•  ;>  * 


*  •  ‘  -  f7  ...  > 

Lunaque .  .  .  nihilo  fertür  majore  figura . 

.  !  /  1  £  \  '  ‘  ^  \  N  1  •  •.  •  *  •  >  •-  *  *,  'S  Ci *“*  -  •  '  • 

Nous  n’avons  la  nuit  que  parce  que  le  foleii 
a  epuifé  fes  feux  durant  le  jour. 

•  «  .  .  .  .  Ejflavit  langui  dus  ignés 

Ou  parce  qu’il  fe  cache  fous  la  terre. 

-  ï  .  -  ‘  ■'  ,  #  *9*/'.  (  . 

-U  -  .  .r  «fc.  W  .  ,  ... 

...  Quia  fub  terras  curfum  convertere  cogit . 

Il  ne  faut  pas  croire  qu’on  trouve  plus  de 
vérités  dans  les  Géorgiques  de  Virgile  \  fes 


r 


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/ 


n  :  DES  ANCIENNES 

çbfervations  fur  la  nature  ne  font  pas  plus  vraies 
que  fatrifte  apothéofe  d’O&ave  furnotmné  Au- 
gufte ,  auquel  il  dit  ,  quon  ne  fait  pas  encore 
s’il  voudra  bien  être  Dieu  de  la  terre  ou  de  la 
mer  ,  8c  que  le  fcorpion  fe  retire  pour  lui  laiffec 
une  place  dans  le  Ciel.  Ce  fcorpion  aurait  mieux 
fait  de  s’allonger  pour  percer  de  fon  aiguillon 
l’auteur  des  profcriptions  8c  l’affafïin  des  citoyens 
de  Péroufe. 

Il  commence  par  dire  que  le  lin  8c  1  avoine, 
brûlent  la  terre. 

l/rit  enim  Uni  campum  fégçs ,  uni  avcnce» 

Selon  lui  les  peuples  qui  habitent  *es  climats 
de  lourfe  font  plongés  dans  une  nuit  éternelle, 
ou  bien  l’étoile  du  foir.  luit  pour  eux  quand 

.*  .  .  -  .  . .  «.  v.  -  V.  w 

nous  avons  l’aurore. 

lllic  (  ut perhibent  )  aut  intempefta  filet  nox  * 

Semper ,  &  obtentâ  denfantur  noble  tenebrA  : 

Aut  redit  à  ne  bis  aurora  ,  diemque  reducit. 

Nofque  ubi  primus  equis  oriens  efflavit  ankelis , 
lllic  fera  rub eus  accendit  lumina  vefper. 

On  fait  aflfez  que  ce  font  nos  antipodes  de  l’o¬ 
rient  chez  qui  la  nuit  arrive  quand  le  fol eil  com¬ 
mence  à  luire  pour  nous  »  8c  non  pas  les  peu¬ 
ples  du  Nord  qui  peuvent  être  fous  le  meme 
méridien  que  nous. 


ERREURS  EN  PHYSIQUE.  n 

N’entreprenez  rien  ,  dit-il ,  le  cinquième  jour 
de  la  lupe  :  car  c’eft  le  jour  que  les  Titans  com¬ 
battirent  contre  les  Dieux. 

c  * 

Quintam  fuge  9  &c . 

«  «  * 

Le  dix-feptiéme  jour  de  la  lune  efl:  très-heu¬ 
reux  pour  planter  la  vigne  &:  pour  dompter  les 
bœufs. 


Siptima,  poft  duimam  fdîx ,  &c. 

Les  étoiles  tombent  du  ciel  dans  un  grand 


vent. 


* 

Sape  ttiam  Jîellas  vcqto  impcndentc  vidcbii 
Prctcîpïtcs  cxlo  labi , 

*  '• 

Les  cavales  font  fécondées  par  le  zéphir  , 
leur  matrice  diftile  le  poifon  de  l’hyppoma- 


ne. 


Tous  les  fleuves  fortent  du  fein  de  la  terre  \  8c 
enfin  les  Géorgiques  Unifient  par  faire  naître  des 
abeilles  du  cuir  d’un  taureau. 


Quiconque  en  un  mot  croirait  connaître  la 
nature  en  lifant  Lucrèce  &  Virgile,  meublerait 
fa  tête  d’autant  d’erreurs  qu’il  y  en  a  dans  les 
fecrets  du  petit  Albert ,  ou  dans  les  anciens  al¬ 
manachs  de  Liege.  D’où  vient  donc  que  ces 
poëmes  font  fi  eftimés?  Pourquoi  font-ils  lûs 


7^  DES  ANCIENNES  ERREURS,  Sec. 

avec  tant  d’avidité  par  tous  ceux  qui  favenc 
bien  la  langue  latine  ?  C’eft  à  caufe  de  leurs 
belles  deferiptions  ,  de  leur  faine  morale  ,  de 
leurs  tableaux  admirables  de  la  vie  humaine. 
Le  charme  de  la  poche  fait  pardonner  toutes  les 
erreurs,  &  l’eforit  pénétré  de  la  beauté  du  ftile 
ne  fonge  pas  feulement  h  on  le  trompe. 


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CH  API  T.  VINGT-TROISIEME. 

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D’UN  HOMME 

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QUI 

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FAISAIT  DU  SALPETRE. 

T  L  faudrait  avoir  toujours  devant  les  yeux  ce 
X  Proverbe  Efpagnol  :  De  las  cofas  mas  figu¬ 
ras  ,  la  mas  fegura  es  dudar.  Qand  on  a  fait  une 
expérience  le  meilleur  parti  eft  de  douter  long¬ 
temps  dp  ce  qu’on  a  vu  &  de  ce  qu’on  a  fait.  ° 
En  175  5  un  Chymifte  allemand  d’une  petite 
province  voiltpe  de  l’Aiface, crut  avec  apparence 
de  raifon  avoir  trouvé  le  fecret  de  faire  aifémenc 
du  falpêtre  avec  lequel  on  compoferait  la  pou¬ 
dre  à  canon  à  vingt  fois  meilleur  marché  & 
beaucoup  plus  promptement.  Il  fit  en  effet  de 
cette  poudre,  il  en  donna  au  Prince  fon  Sou¬ 
verain  ,  qui  en  fie  ufage  à  la  chafle.  Elle  fut  ju¬ 
gée  plus  fine  Se  plus  agi  (Tante  que  toute  autre,' 
Le  Prince  dans  un  voyage  â  Verfailles  donna, 
de  la  meme  poudre  au  Roi,  qui  l’éprouva  fou- 


78  D’UN  HOMME  QUI 

vent  &  en  fut  toujours  également  fatisfait.  Le 
Chymifte  était  fi  fur  de  fon  fecret  qu’il  ne  vou¬ 
lut  pas  le  donnera  moins  de  dix-fept  cent 
mille  francs  payés  comptant  ,  &  le  quart  du 
profit  pendant  vingt  années.  Le  marché  fut  figné , 
le  chef  de  la  compagnie  des  poudres ,  depuis 
garde  du  tréfor  royal,  vint  en  Alface  de  la  part 
du  Roi  ,  accompagné  d’un  des  plus  favans 
chymiftes  de  France.  L’Allemand  opéra  devant 
eux  auprès  de  Colmar  ,  &  il  opéra  à  fes  propres 
dépens.  C’était  une  nouvelle  preuve  de  fa  bonne 
foi.  Je  ne  vis  point  les  travaux;  mais  le  garde 
du  tréfor  royal  étant  venu  chez  moi  avec  fon 
chymifte ,  je  lui  dis  que  s’il  ne  payoit  les  dix- 
fept  cent  mille  livres  qu’après  avoir  fait  du  fal- 
pëtre  il  garderoit  toujours  fon  argent.  Le  chy- , 
mifte  m’afiura  que  le  falpêtre  fe  ferait.  Je  lui 
répétai  que  je  ne  le  croyais  pas.  Il  me  demanda 
pourquoi.  C’eft  que  les  hommes  ne  font  rien, 
lui  dis-je.  Ils  unifient  Ôc  ils  défuniftent;  mais  il 
n’appartient  qu’à  la  nature  de  faire. 

L’Allemand  travailla  trois  mois  entiers  ,  au 
bouc  defquels  il  avoua  fon  irnpuifiance.  Je  ne 
peux  changer  la  terre  en  falpêtre,  dit- il ,  je  m’en 
retourne  chez  moi  changer  du  cuivre  en  or  ;  il 
partit ,  &  fit  de  l’or  comme  il  ayait  fait  du  fal¬ 
pêtre. 


FAISAIT  DO  SALPETRE.  n 

Quelle  fauflfe  expérience  avait  trompé  ce  pau¬ 
vre  Allemand  ,  &  le  Duc  fon  maître ,  &  les 
gardes  du  tréfor  royal,  &  le  chy mille  de  Paris, 
&  le  Roi  ?  La  voici. 

Le  tranfmutateur  Allemand  avait  vu  un  mor¬ 
ceau  de  terre  imprégnée  de  falpêtre ,  &  il  en  avait 
tire  d excellent,  avec  lequel  il  avait  compofé 
la  meilleure  poudre  à  tirer  ;  mais  il  ne  s’apper- 
çuc  pas  que  ce  petit  terrain  était  mêlé  de 
débris  d'anciennes  caves  ,  d’anciennes  écuries 
Sc  des  relies  du  mortier  des  murs.  Il  ne  confi¬ 
era  que  la  terre  ,  &  il  crut  qu’il  fuffifoit  de 

cuire  une  terre  pareille  pour  faire  le  falpêtre  le 
meilleur. 


D’U  N  B  A  T  EAU 


CH  JP-  VINGT-QUATRIEME. 

D’U  N  B  ATEAU 


DU 


maréchal  de  saxe 


E  Maréchal  de  Saxe  avait  fans  doute  l’ef- 


JLj i  prit  de  combinaifon  ,  de  pénétration  ,  de  vi¬ 
gilance  qui  forme  un  grand  Capitaine.  Cepen¬ 
dant  en  171 9  il  imagina  de  conftruire  une  galère 
fans  rames  &  fans  voiles  qui  remonterait  la  riviè¬ 
re  de  Seine  de  Rouen  à  Paris  en  vingt  quatre 
heures  dans  l’efpace  de  quatre-vingt  dix  lieues  : 
car  il  n’y  en  a  pas  moins  par  les  finuofités  de  la 
riviere.  On  a  confluât  de  pareilles  machines  dans 
lefquelles  on  peut  fe  promener  fur  une  eau  dor¬ 
mante  au  moyen  de  deux  roues  a  larges  aubes 
auxquelles  une  manivelle  donne  le  mouvement. 
11  ne  faifait  pas  réflexion  que  fou  bateau  ne  pour¬ 
rait  réfifter  au  courant  de  l  eau  ,  que  ce  que  1  on 
gagne  en  temps  on  le  perd  en  force  ,  &  au 
contraire.  11  eut  pourtant  des  certificats  de 
deux  membres  de  l’académie  des  Sciences  , 

& 


DU  MARECHAL  DE  SAXE,  S  s 

&  il  obtint  un  privilège  exclulif  pour  fa  machi¬ 
ne.  Il  l’efTaya ,  on  croira  bien  qu’il  ne  réufllc  pas. 
Mademoifelle  le  Couvreur  difair  alors  comme 
Geronte  :  Q_tte  diable  allait  -  il  faire  dans  cette 
galère  ?  Cette  tentative  lui  coûta  dix  mille  écus-; 
il  netoit  pas  riche  alors.  Il  répara  bien  depuis 
fur  terre  fôn  erreur  fur  la  rivière  de  Seine.  Il 
fut  ménager  plus  a  propos  la  force  &c  le  temps  en 
faifant  les  plus  favantes  manœuvres  de  guerre. 

Ces  mécomptes  en  fait  d’hydraulique  &  de 
forces  mouvantes  arrivent  tous  les  jours  à  plus 

d’un  artifte. 

»  ’  »  *  * 

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CH  AP.  VIN  G  T  -  CINQ  UIÊME. 

DES  MÉPRISES 


MATHÉMATIQUES 


£  fut  le  fcandalede  la  géométrie ,  lorfque  ~ 
vers  le  commencement  de  ce  fiéele,  les  ma¬ 
thématiciens  français  $c  allemands  difputèrent 
fur  la  force  des  corps  en  mouvement.  Les  dif- 

F 


% 


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U  DES  MÉPRISÉS 
cj pies  de  Leibnitz  prétendaient  que  cette  force 
écoit  en  raifon  compofée  de  la  vîtelfe  &  de  la 
pefanteur  des  corps.  Les  français  au  contraire  ne 
mefuraient  cette  force  que  par  la  vîtelTe  multi¬ 
pliée  par  la  malfe.  Mr.  de  Mairan  expofa  le 
mal-entendu  avec  beaucoup  de  clarté.  La  vic¬ 
toire  demeura  à.  l’ancienne  philofophie  j  &  il  eft 
à  remarquer  que  jamais  aucun  géomètre  anglais 
ne  voulut  entendre  parler  de  la  nouvelle  mefu- 
ie  introduite  en  Allemagne  par  Leibnitz. 

L’académie  des  fciences  de  Paris  fut  trompée 
quelque  temps  fur  une  matière  plus  importante: 
Voici  le  fait  tel  qu’il  eft  rapporté  dans  les  Ele~ 

mens  de  Newton  ,  page  1 3  8 . 

,  „  Louis  XI F  avait  fignalé  fon  Règne  par 
*>  cette  Méridienne  >  qui  traverfe  la  France  , 
3,  l’illuftre  Dominique  Cajjini  l’avait  commencée 
s»  avec  Moniteur  fon  fils  ^  il  avait  9  en  lyoi  ? 
«  tiré  du  pied  des  Pyrénées  à  l’Obfervatoire  une 
,,  ligne  aulïi  droite  qu’on  le  pouvait ,  a  travers 
les  obftacles  prefque  infurmontables  que  les 
«  hauteurs  des  montagnes  ,  les  changemens  de 
»  la  réfradion  dans  Pair ,  &  les  altérations  des 
$»  inflrumens  oppofaient  fans  celle  a  cette  vafte 
s»  délicate  entreprife  ;  il  avait  donc  en  1701 


EN  MATHEMATIQUES.  Sj 

*>  mefuré  Ex  degrés  dix-huit  minutes  de  cette 
»  Méridienne.  Mais  de  quelque  endroit  que 
»  vînt  l’erreur ,  il  avait  trouvé  les  degrés  vers 
»  Paris,  c’eft-à-dire ,  vers  le  Nord,  plus  petits 
»  que  ceux  qui  allaient  aux  Pyrénées  vers  le 
»  Midi  ;  cette  mefure  démentait  &  celle  de 
<«  Norvood  Ôc  la  nouvelle  théorie  de  la  Terre 
n  applatie  aux  Pôles.  Cependant  cette  nouvelle 
»  théorie  commençait  à  être  tellement  reçue, 
«  que  le  Secrétaire  de  l’Académie  n’héfita  point, 
»  dans  fon  Hiftoirede  1701,  à  dire  que  les  me* 
9»  fures  nouvelles,  prifes  en  France,  prouvaient 
n  que  la  Terre  efi  un  fphéroide  dont  les  pôles  font 
n  applatis.  Les  mefures  de  Dominique  Cajjîni 
%9  entraînaient  â  la  vérité  une  conclufion  toute 
»>  contraire  ;  mais  comme  la  figure  de  la  Terre 
m  ne  faifait  pas  encore  en  France  une  queftion, 
$9  perfonne  ne  releva  pour  lors  cette  conclufion 
»  faufle.  Les  degrés  du  Méridien  de  Colliou- 
re  à  Paris  paflérent  pour  exa&ement  mefu- 
*>  rés  j  &  le  Pôle ,  qui  par  ces  mefutes  devait 
néceffairement  être  allongé  ,  pafia  pour  ap- 
9t  plati. 

5»  Un  Ingénieur  nommé  Mr.  des  Roubais  , 

»>  étonné  de  la  conclufion  ,  démontra  que  par 

F  x 


s4  DES  MEPRISES 

,,  les  mefures  prifes  en  France,  la  Tetre  devais 
»  être  un  fphéroïde  oblong  ,  dont  le  Méridien 
35  qui  va  d’un  Pôle  à;  l’autre,  eft  plus  long  que 
s»  l’Equateur,  &  dont  les  Pôles  font  allongés  (*). 
35  Mais  de  tous  les  Phyficiens  à  qui  il  adrelTa 
•>Ta  didertation,  aucun  ne  voulue  la  faire  im- 
»»  primer  :  parce  qu’il  femblait  que  l’Académie 
3>  eût  prononcé  ,  &  qu’il  paraidait  trop  hardi 
as  à  un  particulier  de  réclamer.  Quelque  temps 
f3  après  ,  l’erreur  de  1701  fut  reconnue  -,  on.  fe 
*  dédit ,  &  la  Terre  fut  allongée  ,  par  une  juf* 
33  te  concludon  tirée  d’un  faux  principe.  »  Enfin 
l’erreur  fut  entièrement  corrigée. 

Une  fociété  favante  revient  bientôt  à  la  vé¬ 
rité.  Tout  le  monde  convient  aujourd’hui  que 
la  planète  de  la  terre  eft  un  fphéroïde  inégal  , 
un  peu  applati  vers  les  pôles  &  cela  eft  plus 
démontré  par  la  théorie  d’Hugens  &  de  New- 
ton  que  par  toutes  les  mefures  qu’on  pourrait 
prendre  ,  mefures  trop  fujettes  à  dés'  erreurs 
inévitables. 

Audi  les  Anglois  qui' aiment  tant  à  voyager 
n’ont- ils  jamais  fait  aucun  voyage  pour  vérifier 

_  v'  '  ~  ■£»  v  •  t  .  V  *  4  .  -f  •  *  ••  ‘  * 

(*)  Son  mémoire'tft  dans  le  Journal  littéraire. 


EN  MATHEMATIQUES.  s$, 

d’une  manière  toujours  un  peu  incertaine  ce 
qui  leur  parailïait  démontré  par  les  loix  de  ,1a 
nature. 

■  iîil.  -.■•*»*«'  '  '  w*  «  *  *  m-  '  '  C'  J  .  ’  .  Jm 

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CHAPITRE  VINGT -SIXIÈME: 


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"V  T  Ôilà  bien  des  mèprifes  dans  iefquellès  les 
*  plus  grands  hommes  ôc  les  corps  les  plus 
favans  fontsombés  5  parce  que  les  meilleurs  gé-? 
nies  ôc  les  plus  eftimables  tiennent  toujours 
quelque  çhofe  de  la  fragilité  hümainp.- 
On  pourrait  ajouter  à.  cette  lifte  les  fenreti* 
ces  portées  contre  Galilée.  Deux  congrégation^ 
de  Cardinaux  le  condamnèrent  pour  avoir  fou* 
tenu  le  mouvement  de  la  terre  autour  du  foleili 
mouvement  qui  était  ptefque  déjà  démontre  en 
rigueur;  11  'fut  forcé  de  demander  pardon  à  ge* 
noux  ,  d’avouer  qu’il  avait  annoncé ame  doo 
trine  abfatdecLzs  Cardinaux  lui  remontrèrent  * 
d’après 'tous  leurs  Théologiens,  que  Jofué  avoir 


U  V  É  R'  I  T  É  S 

arrêté  le  foleil  fur  le  chemin  de  Gabaon.  Gali¬ 
lée  n’avait  qu’à  leur  répondre  que  c’était  aufïi 
depuis  ce  temps -là  que  le  foleil  était  immo¬ 
bile.  Mais  enfin  il  fut  condamné  à  la  honte  de 
ïa  raifon  ;  &  comme  on  l’a  déjà  dit ,  ce  juge¬ 
ment  aurair  couvert  l’Italie  d’un  opprobre  éter¬ 
nel  ,  fi  Galilée  ne  l’avait  couverte  de  gloire  par 
fa  philofophie  même  que  Ton  profcrivait. 

On  fait  allez  qu’il  y  a  un  corps  confidéra- 
ble  qui  profcrivit  les  idées  innées  de  Defçartes, 
&  qui  enfuite  a  condamné  ceux  qui  combat¬ 
taient  les  idées  innées.  Cela  prouvé  afïez  que 
les  Théologiens  ne  doivent  point  fe  mêler  de 
philofophie.  Il  y  a  l’infini  entre  ces  deux 
Sciences.  ’  r;  . . 

On  a  prononcé  dans  plus  d’un  pays  des  ju- 
gemens  encore  plus  étranges  fur  des  points  de 
phyfique  qui  ne  font  nullement  du  relTort  de 
Cujas  &  de  Bartholde.  On  fait  à  quel  point  le 
favant  Rarous  fut  perfécuté  pour  n’avoir  pas  été 
de  l’avis  d’Ariftote  qui  n’était  entendu  ni  de 
fes  adverfaires  ni  de  fes  juges.  Er  enfin  il  lui 
en  coûta  la  vie  à  la  journée  de  la  St.  Banhelemi. 

Les  médecins  qui  tenaient  pour  les  anciens  » 
intentèrent  un  procès  à  ceux  qui  démontraient 


r 


C  O  N  D  A  M  N  EE  S.  Î7 

la  circulation*  Les  maîtres  d’erreur  ont  toujours 
eu  recours  à  1  autorité  quand  il  s’agiffait  de  rai- 
fon.  Les  exemples  de  ceux  qui  ont  été  con¬ 
damnés  pour  avoir  inftruit  le  genre  humain  font 
prefque  aufli  nombreux  en  phyfique  quen  mo¬ 
rale. 

<3,  ■■■  —  .  ■rrsSfffe  -~--r=r: - rrr==g=fc> 

CHAPITRE  VINGT-SEPTIÈME. 

DIGRESSION. 

SI  tant  d’erreurs  phyfiques  ont  aveuglé  des 
nations  entières  ,  fi  on  a  ignoré  pendant 
tant  de  fiécles  la  dire&ion  de  l’aimant ,  la  cir¬ 
culation  du  fang  ,  la  pefanteur  de  l’atmofphè- 
re  ,  quelles  prodigieufes  erreurs  les  hommes 
ont-ils  du  commettre  dahs  le  gouvernement  ?• 
Quand  il  s’agit  d’une  loi  phyfique  on  l’exami¬ 
ne  du  moins  aujourd’hui  avec  quelque  impar¬ 
tialité  ,  8c  ce  n  eft  pas  en  recherchant  les  prin¬ 
cipes  de  la  nature  que  la  fureur  des  pafïions  8c 
la  néceffité  prenante  de  fe  déterminer  aveuglent 
l’efprit  ;  mais  en  fait  de  gouvernement  on  n’a 
«té  fou  vent  conduit  que  par  les  pallions  ,  Lesr 

F  4 


/ 


8  S 


DIGRESSION. 

préjugés  &  le  befoin  du  moment.  Ce  font  la 
les  trois  caufes  de  la  mauvaife  adminifiration 
qui  a  fait  le  malheur  de  tant  de  peuples. 

C’eft  ce  qui  a  produit  tant  de  guerres  entre¬ 
prises  par  témérité  5  Soutenues  fans  conduite  * 
terminées  par  le  malheur  êc  par  la  honte.  C’eft 
ce  qui  a  donne  cours  a  tant  de  loix  pires  que  la 
difette  de  toute  loi  ,  c*eft  ce  qui  a  ruiné  tant  de 
familles  par  une  jurifprudence  inventée  dans 
des  temps  d’ignorance  ,  &  conSacrée  par  i’ufa- 
ge.  C’eft  ce  qui  a  fait  des  finances  publiques  un 
jeu  de  hazard  dangereux. 

C’eft  ce  qui  a  introduit  dans  le  cuire  de  la 

Divinité  tant  d  énormes  abus  ,  tant  de  fureurs 

* 

plus  abominables  peut-être  que  la  Sauvage  igno¬ 
rance  de  tout  culte.  L’erreur  dans  tous  ces  points 
capitaux  Se  conSacua  de  père  en  fils,  de  livre 
en  livre  ,  de  chaire  en  chaire  ,  Ôc  rendit  quel¬ 
quefois  les  hommes  plus  malheureux  que  s’ils 
fe  disputaient  encore  du  gland  dans  les  forêts. 

Il  eft  très-ajSé  de  réformer  la  phyfique  quand 
le  vrai  eft  enfin  découvert.  Peu  d’années  fuf- 

*  ’  ^  <  «  J  '  K-  i 

firent  pour  faire  tourner  la  terre  autour  du  fa- 
leil  malgré  les  décrets  de  Rome  ,  pour  établir 
les  loix  de  la  gravitation  en  dépit  des  uni  ver- 


) 


X 


DIGRESSION.  89 

I 

fîtes  9  &  pour  affigner  les  routes  de  la  lumière. 
Les  Légifiateurs  de  la  nature  font  bientôt  obéis 
ôc  refpe&és  d’un  bout  du  monde  à  l’autre  :  mais 
il  n’en  eft  pas  de  même  dans  la  légiflarion  po¬ 
litique.  Elle  a  été  8c  .elle  eft  encore  un  chaos 
prefque  par  -  tout  j  les  hommes  fe  font  conduits 
â  l’aventure  dans  tout  ce  qui  regarde  leur  vie, 
leurs  biens  >  8c  tout  leur  être  préfent  8c  à 


venir. 


*  » 


!  I  'J 
t 


— 


CHAPITRE  VINGT-HUITIÈME. 

D  E  S  ,  £  L  É  M  E  N  S. 

À  —  c  -  il  des  élemens  ?  Les  trois  9  imagi¬ 
nés  par  Defcartes  que  j’ai  vu  dans  mon 
enfance  enfeignés  par  la  plupart  des  écoles  , 
étaient  infiniment  au-defious  des  contes  des 
mille  8c  une  nuits  ;  car  aucun  de  ces  contes 
ne  répugne  aux  loix  delà  nature  ,  8c  font  d’ail¬ 
leurs  très-agréables.  Les  cinq  principes  des  chy- 
miftes  étaient  fi  peu  reconnus  qu’ils  les  réduifi- 
rent  eux  -  mêmes  à  trois  ,  puis  à  deux.  Ils  re¬ 
vinrent  enfuite  au  feu ,  à  l’eau  ,  5c  à  la  terre. 


90  DES  ELEMENS. 

Il  a  bien  fallu  enfin  admettre  l’air.  Ainfï 
les  quatre  élémens  d’Ariftote  font  rentrés  dans 
tout  leur  honneur.  Mais  ces  élémens  ,  de  quoi 
font*ils  faits  eux-mêmes  ?  S’ils  font  compofés 
de  parties  ,  ils  ne  font  pas  élémens.  L’air  ,  le 
feu  >  1’  eau  8c  la  terre  fe  changent  -  ils  les  uns 
dans  les  autres  ?  fubiflent-ils  des  métamorpho- 
fes  ?  Qu’eft  -  ce  à  la  rigueur  qu’une  métamor- 
phofe  ?  C’eft  un  être  changé  en  un  autre  être; 
c’eft  au  fond  l’anéantiflement  du  premier  &  la 
création  du  fécond.  Pour  que  Peau  devienne 
abfolument  terre ,  il  faut  que  cette  eau  périffe 
3c  que  la  terre  fe  forme.  Car  fi  Peau  contenai® 
en  elle -même  les  principes  de  terre  dans  la¬ 
quelle  elle  s’eft  changée  ,  ce  n’eft  plus  une 
tranfmutation  ;  c’eft  l’eau  qui  contenait  en  elle 
un  peu  de  terre  ,  3c  qui  s’étant  évaporée  a  à  laif- 
fé  cette  terre  à  découvert. 

Le  célèbre  Robert  Boyle  s’y  trompa  3c  en¬ 
traîna  Newton  dans  fa  méprife.  Ayant  long,- 
temps  tenu  de  l’eau  dans  une  cornue  à  un  feu 
égal  ,  le  chymifte  qui  opéroit  avec  lui  ,  crut 
que  l’eau  s’était  au  bout  de  quelques  mois  chan* 
gée  en  terre  ;  le  fait  était  faux  ;  mais  New¬ 
ton  le  croyant  vrai  >  fuppofa  que  les  quatre 


DES 


E  M  E  N  S. 


élémens  pouvaient  fe  changer  les  uns  dans  les 
autres.  Boerhaave  fit  voir  depuis  quelle  avait 
été  la  méprife  de  Boyle.  Cette  erreur  avoit  con¬ 
duit  Newton  à  un  fyftême  qui  paraît  faux.  Si 
de  grands  hommes  tels  que  Boyle  &  Newton 
fe  font  trompés,  quel  homme  pourra  fe  flattée 
d’être  à  1  abri  de  ierrèur  ?  Et  quelle  extrême 
défiance  ne  doit-on  pas  avoir  des  opinions  re¬ 
çues  &  de  fes  idées  propres  ? 


■■  a  ,  ,,  Yffiirrrsr.r.1 ,  ■  ;  a ■  , 

CHAUT.  VINGT  -  NEUVIÈME. 

DE  LA  TERRE. 


QU’eft-ce  que  la  terre  ?  Son  effence  eft- 
elle  d’être  de  l’argile  ,  de  la  boue  ?  Non 
fans  doute  ,  puifque  de  la  marne ,  de  ia  craie 
de  la  glaife  ,  du  fable ,  du  plâtre  ,  de  la  pier¬ 
re  calcaire  ,  font  appelles  terre.  Auflî  Becker 
diftinguait  entre  terre  vitrifiable  ,  inflammable, 
8c  mercuriale.  La  terre  eft  -  elle  un  aflemblage 
de  tout  ce  que  contient  notre  globe  ?  Y  entre- 
r-il  de  1  eau  ,  du  feu  8c  de  l’air  ?  En  ce  cas 
comment  peut-on  l’appeller  un  élément  ? 


•j*  ,?D  Ç‘  L  A  XgR£tE- 

jQrç.4  long-temps  imaginé  ;.qu  il  y  avait  unè 
terre  première,  une  tei$e  vierge  qui  n’eft  rien 
de  ce  que  nous  voyons  ;  [&c  qui  eft  capable  dm 
recevoir  cour  ce  que  notre  globe  renferme  ;  mais 
cette  terre  eft  apparemment  dans  le  paradis  ter- 
reftre  dont  perfonne  ne  peut  approcher.  Nous 
ne  connaîtrons  plus  que  différentes  foires  de 
fubftances  terreufes  %  fans  que  nous  publions 
dire  d’aucune  :  Voilà  le  principe  des  autres  , 
voilà  la  matrice  dans  laquelle  tout  fe  forme  , 
&  le  tombeau  dans  lequel  tout  rentre. 


«a  1  1  v  — 

•  -  n  V  '  *  V  ^ 

CHAPITRE  TRENTIÈME. 

>.  J\  J  A  S  ■  W-.-  JL  -i.  ■*  ^ 

DE  L’EAU. 

,  •;  -  ,  '  .  -  '  .  U 

U’eft-ce  que  l’eau  ?  Eft-elle  fluide  ou  fo- 
^  lide  de  fa  nature  ?  Ne  faut -il  pas  pour 
quelle  coule' qu’un  feu  fecret  en  défunifte  les 
parties  ?  Otez  une  grande  quantité  de  ce  feu  * 
elle  devient  glace.  Orv  qu’eft*-ce  qu’un  élément 
qui  a  befoin  d’un  autre  élément  pour  exifter  ? 

L’eau  de  la  mer  eft+eile  de  même  nature  que 
nos  eaux  de  fontaines  de  rivières  ?  Y  a-t-il 


*•  -.  • f  *  •  :  j  ■ 

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J  .  - 

*  * 


■  Dtit'EJffi  * 

dans  l’Océan  de  dans  la  Méditerranée  de  grands 
bancs  de  Tel  de  des  mines  de  bitume  qui  don¬ 
nent  à  leurs  eaux  un  goût  différent  de  celui  de 
notre  eau  ordinaire  quand  nous  lavons  chargée 
de  Tel  marin  ?  Perfonne  na  jamais  vu  ces  pré¬ 
tendues  mines  de  fei  ,  perfonne  n’a  jamais  ex¬ 
trait  du  birume  de  l’eau  de  la  mer. 

Pourquoi  l’eau  eft-elle  incompréhenfible  ? 
pourquoi  n’a- 1- elle  aucun  refTort  ?  de  queft-ce 
que  le  irefTort  ?  Pourquoi  de  l’eau  enfermée  dans 
un  globe  d’or  s’échappera-t-elle  à  travers  les  po¬ 
res  de  l’or  quand  on  frappera  fur  ce  globe  avec 
un  marteau  9  quoique  lor  foit  près  de  vingt 
fois  plus  denfe  que  l’eau  ?  Et  pourquoi  ne  peut- 
elle  palier  à  travers  des  pores  du  verte  ,  touC 
diaphane  qu’eft  ce  verre  ?  Comment  l’eau  en 
vapeurs  fait-elle  un  effet  deux  fois  plus  confidé- 
rable  que  celui  de  la  poudre  à  canon  ?  on  ferait 
bien  embaraffé  de  répondre.  On  ne  fait  pas  en¬ 
core  même  précifémenc  pourquoi  l’eau  éteint  le 
feu.  r 


CHAPITRE  TREN TE-  UNIEME 

DE  U  A  I  R. 

Quelques  philofophes  ont  nié  quil  y  eue 
de  l’air.  Ils  difenc  qu’il  eft  inutile  d’ad¬ 
mettre  un  être  qu’on  ne  voit  jamais  &  donc 
tous  les  effets  s’expliquent  fi  aifément  par  les 
vapeurs  qui  fortent  du  fein  de  la  terre»  New¬ 
ton  a  démontré  que  le  corps  le  plus  dur  a  moins 
de  matière  que  de  pores.  Des  exhalaifons  con¬ 
tinuelles  échappent  en  foule  de  toutes  les  par¬ 
ties  de  notre  globe.  Un  cheval  jeune  &  vi¬ 
goureux  ramené  tout  en  fueur  dans  fon  ecune 
en  temps  d’hiver  eft  entouré  d’un  atmofphère 
mille  fois  moins  confidérable  que  notre  globe 
ne  l’eft  de  la  matière  de  fa  propre  tranfpira- 

tion. 

Cette  tranfpiration  ,  ces  exhalaifons  ,  ces 
vapeurs  innombrables  s  échappent  fans  cefle  par 
des  pores  innombrables  >  &  ont  elles -memes 
des  pores.  C’eft  ce  mouvement  continu  en  touc 
fens,  qui  forme  &  qui  détruit  fans  cefle  végé- 


DE  L’  A  I  R.  5S 

taux  ,  minéraux ,  métaux ,  animaux.  C’eft  ce 
qui  a  fait  penfec  à  plulîeurs  que  le  mouvement 
eft  eflentiel  à  la  madère-;  puifqu’il  n’y  a  pas  une 
particule  dans  laquelle  il  n’y  ait  un  mouve¬ 
ment  continu.  Et  fi  la  puiflànce  formatrice  éter¬ 
nelle  qui  préfide  à  tous  les  globes  ,  eft  l’auteur 
de  tout  mouvement ,  elle  a  voulu  du  moins 
que  ce  mouvement  ne  pérît  jamais.  Or  ce  qui 
eft  toujours  indeftruéfible  a  pu  paraître  eflentiel, 
comme  l’étendue  &  la  folidité  ont  paru  eflen- 
tielles.  Si  cette  idée  eft  une  erreur  elle  eft  par¬ 
donnable  ,  car  il  n’y  a  que  l’erreur  malicieufe 

&  de  mauvaife  foi  qui  ne  mérite  pas  d’indul¬ 
gence. 

Mais  quon  regarde  le  mouvement  comme 
eflentiel  ou  non  ,  il  eft  indubitable  que  les  ex- 
halaifons  de  notre  globe  s’élèvent  &  retom¬ 
bent  fans  aucun  relâche  à  un  mille,  i  deux  mil¬ 
les  ,  à  trois  milles  au-deflus  de  nos  têtes.  Du 
mont  Atlas  a  1  extrémité  du  Tautus  ,  tout  hom¬ 
me  peut  voir  tous  les  jours  les  nuages  fe  for¬ 
mer  fous  fes  pieds.  Il  eft  arrivé  mille  fois  à  des 
voyageurs  d’être  au-defliis  de  l’arc-en-ciel ,  des 
éclairs  8c  du  tonnerre. 

Le  feu  répandu  dans  rintcneur  du  globe  ; 
«e  feu ,  qui ,  caché  dans  l’eau  &  dans  la  glace 


DE  L’  À  î  ït 

même  ,  eft  probablement  la  fource  impériflâ- 
ble  de  ces  exhalaifons  ,  de  ces  vapeurs  ,  dont 
nous  fommes  continuellement  environnés.  El¬ 
les  forment  un  ciel  bleu  dans  un  temps  ferein 
quand  elle  font  allez  hautes  ôc  alTez  atténuées 
pour  ne  nous  envoyer  que  des  rayons  bleus  ; 
comme  les  feuilles  de  lor  amincies  ,  expofées 
aux  rayons  du  foleil  dans  la  chambre  obfcure. 
Ces  vapeurs  imprégnées  de  foufre  forment  les 
tonnerres  ôc  les  éclairs»  Comprimées  Ôc  enfuite 
dilatées  par  cette  comprefiion  dans  les  entrailles 
de  la  terre  ,  elles  s’échappent  en  volcans,  for¬ 
ment  ôc  détruifent  de  petites  montagnes  ,  ren- 
verfent  des  villes  ,  ébranlent  quelquefois  une 
grande  partie  du  globe. 

Cette  met  de  vapeurs  dans  laquelle  nous  na¬ 
geons  ,  qui  nous  menace  fans  celle ,  Ôc  fans  la¬ 
quelle  nous  ne  pourrions  vivre  ,  comprime  de 
tous  cotés  notre  globe  Ôc  fes  habitans  avec  la 
même  force  que  fi  nous  avions  fur  notre  tête  un 
Océan  de  trente -deux  pieds  de  hauteur  :  ôc 
chaque  homme  en  porte  environ  quarante  mille 

livres»  'y-  -  - 

Tout  ceci  pofé  ,  les  Philofophes  qui  nient 

l’air  ,  difent  pourquoi  attribuerons  nous  à  un 

élément 


DE  L?  A  I  R.  5,7 

élément  inconnu  &  invifible  ,  des  effets  que  l’on 
voit  continuellement  produits  par  ces  exhalaifons 
vifibles  tte  palpables  ? 

Je  vois  au  coucher  du  foleil  s’élèver  du  pied 
des  montagnes,  Sc  du  fond  des  prairies,  un  nuage 
blanc  qui  couvre  toute  l’étendue  du  terrain ,  au¬ 
tant  que  ma  vue  peut  porter.  Ce  nuage  s  epaifÇc 
peu  à  peu ,  cache  infenfiblement  les  montagnes  , 
ôc  s’élève  au  delïus  d’elles.  Comment,  fi  l’air 
exiftait,  cet  air  dont  chaque  colonne  équivaut  à 
trente-deux  pieds  d’eau ,  ne  ferait-il  pas  rentrer 
ce  nuage  dans  le  fein  de  la  terre  dont  il  eft  forti  ? 
Chaque  pied  cube  de  ce  nuage  eft  preffé  par 
trente-deux  pieds  cubes ,  donc  ;  ii  ne  pourait  ja¬ 
mais  fortir  de  terre  que  par  un  effort  prodigieux, 
&  beaucoup  plus  grand  que  celui  des. vents  qui 
foulèvent  les  mers.  Puifque  ces  mers  ne  montent 
jamais  à  la  trentième  partie  de  la  hauteur  de 
ces  nuages  dans  la  plus  grande  effervefcence  des 
tempêtes. 

L’air  eft  élaftique ,  nous  dit-on  :  mais  les  va¬ 
peurs  de  l’eau  feule  le  font  fouvent  bien  d  avan¬ 
tage.  Ce  que  vous  appeliez  l’élément  de  l’air 
prefte  dans  une  canne  à  vent,  ne  porte  une  balle 
qu  a  une  tres-petite  diftance  j  mais  dans  îa  pompe 

G 


♦ 


5>$  DE  L'AIR. 

à  feu  des  bâtiments  d’Yorck  à  Londres,  les  va¬ 
peurs  font  un  effet  cent  fois  plus  violent. 

On  ne  dit  rien  de  l’air ,  continuent-ils ,  qu’on 
,  ne  puiffe  dire  de  meme  des  vapeurs  du  globe  ; 
elles  pèfent  comme  lui ,  s’infinuent  comme  lui , 
allument  le  feu  par  leur  foufle ,  fe  dilatent ,  fe 
condenfent  de  meme. 

Ce  fiftême  fernble  avoir  un  grand  avantage  fur 
celui  de  l’air ,  en  ce  qu’il  rend  parfaitement  rai- 
fon  de  ce  que  ratmofphère  ne  s’étend  qu’environ 
à  trois  ou  quatre  milles  tout  au  plus  ;  au  lieu  que 
fi  on  admet  l’air ,  on  ne  trouve  nulle  raifon  pour 
laquelle  il  ne  s’étendrait  pas  beaucoup  plus  loin, 
8c  n’embraflerait  pas  l’orbite  de  la  lune. 

La  plus  grande  objection  que  l’on  fade  contre 
les  fiftêmesdes  exhalaifons  du  globe,  eft,  qu’elles 
perdent  leur  élafticité  dans  la  pompe  à  feu  quand 
elles  font  refroidies,  au  lieu  que  l’air  eft  ,  dit- 
on  ,  toujours  élaft ique  }  mais  premièrement  il 
n’eft  pas  vrai  que  l’élailicité  de  l’air  agiffe  tou¬ 
jours  }  fon  élafticité  eft  nulle  quand  on  le  fuppofe 
en  équilibre,  8c  fans  cela  il  n*y  a  point  de  végé¬ 
taux  8c  d’animaux  qui  ne  crevaftent  &  n’écîataf- 
fent  en  cent  morceaux ,  fi  cet  air  qu’on  fuppofe 
être  dans  eux ,  confervait  fon  élafticité.  Les  va- 


, 

\ 

■ 


! 


DE  V  A  I  R.  59 

peurs  n’agiffent  point  quand  elles  font  en  équi¬ 
libre  ;  c’eft  leur  dilatation  qui  fait  leurs  grands 
effets.  En  un  mot,  tout  ce  qu’on  attribue  à  i’air 
femble  appartenir  fenfibîement ,  félon  ces  philo- 
fophes,  aux  exhalaifons  de  notre  globe. 

Si  on  leur  objecte  que  l’air  effc  quelquefois 
peftilentiel  ,  c’eft  bien  plutôt  des  exhalaifons 
qu’on  doit  le  dire.  Elles  portent  avec  elles  des 
parties  de  foufre ,  de  vitriol ,  d’arfenic  Sc  dè 
toutes  les  plantes  nuifibles.  On  dit  :  l’air  eft  pur 
dans  ce  Canton ,  cela  fignifie  :  ce  Canton  n’eft 
point  marécageux  }  il  n’a  ni  plantes  ni  minières 
pernicieufes  dont  les  parties  s’exhalent  conti¬ 
nuellement  dans  les  corps  des  animaux.  Ce  n’eft 
point  l’élément  prétendu  de  l’air  qui  rend  la 
campagne  de  Rome  fi  mal  laine,  ce  font  les  eaux 
croupiffantes ,  ce  font  les  anciens  canaux  qui 
creufés  fous  terre  de  tous  côtés  font  devenus  le 
réceptacle  de  toutes  les  bêtes  vénimeufes.  C’eft 
de  là  que  s’exhale  continuellement  un  poifon 
mortel.  Allez  à  Frefcati ,  ce  n’eft  plus  le  même 
terrain,  ce  ne  font  plus  les  mêmes  exhalaifons. 
Mais  pourquoi  l’élément  fuppofé  de  l’air  chan- 
gerait-ii  de  nature  à  Frefcati?  11  fe  chargera,  dit- 
on;  dans  la  campagne  de  Rome  de  ces  exhalai¬ 
fons  funeftes ,  &  n’en  trouvant  pas  à  Frefcati  i 

G  z 


I©9 


de  V  A  I  R. 

deviendra  plus  falutaire.  Mais  encore  une  fois* 
puifque  ces  exhalaifons  exiftent ,  puifqu’on  les 
voit  vifiblement  s’élever  le  foir  en  nuages ,  quelle 
néceflité  de  les  attribuer  à  une  autre  caufe  ?  Elles 
montent  dans  l’athmofphère,  elles  s’y  diflipent, 
elles  changent  de  forme  ,  le  vent  dont  elles  font 
la  première  caufe,  les  emporte,  les  fépare  j  elles 
s’atténuent,  elles  deviennent  falutaires,  de  mor¬ 
telles  qu’elles  étaient. 

Une  autre  objection,  c’effc  que  ces  vapeurs, 
ces  exhalaifons  renfermées  dans  un  vafe  de  verre 
s’attachent  aux  parois  8c  tombent ,  ce  qui  n’ar- 
xive  jamais  à  l’air.  Mais  qui  vous  a  dit  que  fi  les 
exhalaifons  humides  tombent  au  fond  de  ce  crif- 
tal ,  il  n’y  a  pas  incomparablement  plus  de  va¬ 
peurs  féches  8c  élaftiques  qui  fe  foutiennent  dans 
l’intérieur  de  ce  vafe  ?  L’air ,  dites-vous ,  eft  pu¬ 
rifié  après  une  pluie.  Mais  nous  fommesen  droit 
de  vous  foutenir  que  ce  font  les  exhalaifons  ter- 
reftres  qui  fe  font  purifiées,  que  les  plus  grof- 
fières ,  les  plus  aqueufes  rendues  à  la  terre , 
lailfent  les  plus  féches  8c  les  plus  fines  au  defîus 
de  nos  tètes ,  &c  que  c’eft  cette  afcenfion  8c  cette 
defcente  alternative  qui  entretient  le  jeu  conti¬ 
nuel  de  la  nature. 

Voilà  une  partie  des  raifons  qu’on  peut  allé- 


'  DE  L’  A  Î  R.  Iot 

guet  en  faveur  de  l’opinion  que  Pélément  de  Pair 
n’exifte  pas.  Il  y  en  a  de  très  fpécieufes  &  qui 
peuvent  au  moins  faire  naître  des  doutes  j  mais 
ces  doutes  céderont  toujours  à  l’opinion  com¬ 
mune  qui  paraît  établie  fur  des  principes  fupc> 
rieurs  à  ceux  qui  n’admettent  au  lieu  d’air  qué 
les  exhalaifons  du  globe. 


- 

«P-  W*  ^  ^  .  +  • 


loi 


DU  FEU  ELEMENTAIRE, 


- .  ii  ■  rgsata: —  ,  =g?S 

CB  AP.  TRENTE- DEUXIEME. 

DU  FEU  ELEMENTAIRE 

£  T  D  E 

LA  LUMIERE. 

ON  trouve  clans  les  éléments  de  la  phiîofo- 
phie  de  Newton  donnée  en  1 7  5  S  ,  ces  pa¬ 
roles  :  »  Newton  ,  pour  avoir  anatomifé  la  'lu- 
»  mière ,  n’en  a  pas  découvert  la  nature  intime. 
»  Il  fa v ait  bien 'qu’il  y  a  dans  le  feu  élémentaire 
»  des  propriétés  qui  ne  font  point  dans  les  autres 
éléments. 

„  Il  parcourt  cent  trente  millions  de  lieues  en 
»  moins  d’un  quart  d’heure  de  Jupiter  à  notre 
>3  globe;  Il  ne  paraît  pas  tendre  vers  un  centre 
»  comme  les  corps;,  mais  il  fe  répand  uniformé- 
>j  ment  également  en  tout  fens ,  au  contraire 
„  des  autres  éléments.  Son  atrra&ion  vers  les  ob- 
„  jets  qu’il  touche  &  fur  la  furface  defquels  ils 
„  rejaillit,  n’a  nulle  proportion  avec  la  gravita- 
>9  tion  univerfelle  de  la  matière. 


r  \ 


ET  DE  LA  LUMIERE.  103 

j»  Il  n’eft  pas  même  prouvé  que  les  rayons  du 
»  feu  élémentaire  ne  fe  pénétrent  pas  en  quelque 
»  forte  les  uns  les  autres  j  fi  on  ofe  le  dire.  C’eft 
s?  pourquoi  Newton , -frappé  de  toutes  ces  fingu- 
>3  larités,  femble  toujours  douter  fi  la  lumière  eft 
»  un  corps.  Pour  moi,  fi  j’ofe  hazarder  mes. 
»j  doutes,  j’avoue  que  je  ne  crois  pas  impoiïible, 
a?  que  le  feu  élémentaire  foit  un  être  à  part ,  qui 
jj  anime  la  nature ,  de  qui  tient  le  milieu  entre 
jj  les  corps  ôc  quelque  autre  être  que  nous  ne 
jj  connailfons  pas  ;  de  même  que  certaines  plantes 
»  fervent  de  palTage  du  régne  végétai  au  régné 
jj  animal,  >j 

Voici  les  queftions  qu’on  peut  faire  fur  le  feu 
élémentaire  &  les  rayons  de  la  lumière ,  dont 
Newton  dit  fi  fouvent,  Corpora  Jznt  nec  ne. 

Ce  feu  eft-il  abfolument  une  matière  comme 

>  , 

les  autres  éléments  ,  Peau ,  la  terre ,  de  ce  qu’on 
diftingue  par  le  terme  d’air  ou  d'œther?  Tout 
corps  quel  qu’il  foit  tend  vers  un  centre  j  mais  la 

lumière  êc  le  feu  s’en  échappent  également  de 

; 

tous  cotés.  Elle  n’eft  donc  pas  foumife  a  la  loi  de 
gravitation  qui  caraétérife  toute  matière. 

Tout  corps  eft  impénétrable  ;  mais  les  rayons 
de  lumière  femblent  fe  pénétrer.  Mettez  un  corps 
qui  aura  reçu  la  couleur  rouge  à  quelque  diftance 

G  4 


ie4  DU  FEU  ELEMENTAIRE 

d’un  corps  qui  aura  reçu  des  rayons  verds  $  que 
cent  millions  d’hommes  regardent  ce  point  verd 
6c  ce  point  rouge ,  ils  les  voyent  tous  deux  égale¬ 
ment.  Cependant,  il  eft  d’une  néceffité  abfoîue 
que  les  rayons  verds  6c  les  rayons  rouges  fe  tra- 
verfent  en  angles  égaux.  Or  comment  peuvent- 
ils  fe  traverfer  fans  fe  pénétrer  ?  on  a  propofé 
cette  difficulté  à  plufieurs  Fhilofophes ,  aucun  n’y 
a  jamais  répondu. 

Il  eft  vrai  que  l’on  a  prétendu  que  la  lumière 
pèfe.  Mais  n’a-t-on  pas  confondu  quelquefois 
les  corpufcules  joints  à  la  flamme  avec  la  flamme 
elle-même  ? 

Qui  ne  connaît  ces  expériences  par  lefqueîles 
le  plomb  calciné  pèfe  plus  étant  réduit  en  chaux 
qu’auparavant.  L’on  a  foupçonné  que  cette  addi¬ 
tion  de  poids  était  l’effet  feul  du  feu  introduit 
dans  le  plomb.  Mais  n’eft-il  pas  plus  vraifem- 
blable  que  mille  petits  corps  répandus  dans  l’at- 
mofphère  raréfié,  fe  font  jettés  en  foule  fur  ce 
métal  en  fufion ,  6c  en  ont  ainfi  augmenté  le 
poids  ? 

Ce  feu  néceflaire  à  tous  les  corps  6c  qui  leur 
donne  la  vie ,  peut  il  être  de  la  nature  de  ces 
corps  mêmes  ,  6c  n’eft-il  pas  bien  probable  que  le 
vivifiant  a  quelque  chofe  au-deffiis  du  vivifié  ? 


ET  DE  LA  LUMIERE.  105 

Conçoit-on  bien  qu’un  être  qui  fe  meut  feize 
cens  mille  fois  plus  vite  qu  un  boulet  de  canon 
dans  notre  atmofphère,  &  dont  la  vîtefie  eft 
peut-être  incomparablement  plus  rapide  dans  l’ef- 
pace  non  refilant ,  foit  ce  que  nous  appelions 
matière  ? 

N’efi-on  pas  obligé  d’avouer  aujourd’hui  avec 
Mufchembrock,  quil  n'y  a  rien  qui  nous  foit 
moins  connu  que  la  caufe  de  l'émanation  de  la 
lumière  ?  il  faut  avouer  que  l'efprit  humain  ne 
faurait  jamais  concevoir  un  phénomène  f  fur - 
prenant . 

Ce  feu  élémentaire  n’efi-il  pas  un  principe  de 
1  eleélricite ,  puifqu  au  meme  infant ,  au  même 
clin  d’œil  le  coup  éîeélrique  fe  fait  fentir  à  trois 
cens  perfonn es  à  la  fois  rangées  a  la  file  ?  Le  pre¬ 
mier  ef  frappé ,  le  dernier  fent  le  coup  dans  l’inf- 
tant  même.  f 

N’ef-il  pas  dans  les  animaux  le  principe  de  la 
fenfation  infantanee  qui  fait  que  la  moindre  pi- 
quure  aux  extrémités  du  corps  ébranle  fans  au¬ 
cun  intervalle  de  tems  ce  qu’on  appelle  le  Sen- 
forium  ?  En  un  mot,  cet  être  agitfant,  fi  uni- 
verfellement,  fi  finguliérement  fur  tous  les  corps, 
n  ef-il  pas  un  etre  intermédiaire  entre  la  ma¬ 
tière  dont  il  a  des  propriétés ,  &  d’autres  êtres 


I0(S  DU  FEU  ELEMENTAIRE 
qui  touchent  encore  à  d’autres ,  8c  qui  en  dif¬ 
fèrent  ? 

Cette  idée  que  le  feu  élémentaire  eil  quelque 
chofe  qui  tient  d’un  côté  à  la  matière  connue  >  8c 
qui  de  l’autre  s’en  éloigne ,  peut  être  rejettée ,  mais 
ne  doit  pas  être  méprifée. 

Dans  l’ignorance  profonde  où  croupit  le  vul¬ 
gaire  gouverné ,  8c  le  vulgaire  gouvernant  fur 
ces  quatre  éléments  dont  nous  tenons  la  vie ,  a 
quoi  nous  ont  fervi  les  découvertes  en  phyfique 
8c  les  inventions  du  génie  ?  au  lieu  de  bien  cul¬ 
tiver  la  terre  nous  l’enfanglantons  ;  nous  em¬ 
ployons  le  feu  8c  l’air  à  mettre  les  villes  en 
cendres  :  les  eaux  de  la  mer  nous  fervent  à  por¬ 
ter  la  deftrucHon  fur  tout  le  globe.  La  métallur¬ 
gie  inventée  d’abord  pour  i’ulage  de  la  charrue  y 
a  fait  périr  mille  millions  d’hommes.  La  théorie 
des  forces  mouvantes  employée  ü  abord  a  nous 
foulager  dans  nos  travaux  ,  devint  bientôt  fé- 

o 

coude  en  machines  meurtrières.  Enfin  1  inven¬ 
tion  d’un  bénédi&in  chimifte  amenant  un  nou¬ 
vel  art  de  la  guerre  chez  toutes  les  nations ,  ren¬ 
dant  le  courage  8c  la  force  inutiles  s  a  fait  que 
Guftave  8c  Turenne  ont  été  tués  par  des  poltrons. 
Il  y  a  maintenant  en  Europe  en  comptant  les 
Turcs  8c  les  Tartares  quinze  cens  mille  foldats 


ET  DE  LA  LUMIERE.  ie7 

portant  des  fulils.  Aucun  ne  fait  qu’il  eft  armé 
par  un  moine  mathématicien. 

G»— - - - ! - s%e=  !  ■'  . nS 

CH  AP.  TRENTE-  TROISIEME. 

DES  LOIX 

INCONNUES. 

Çl  Newton  a  découvert  cette  clef  de  la  nature 
****  par  laquelle  une  pierre,  une  bombe  retombe 
en  cherchant  le  centre  de  la  terre ,  &  les  pla- 
nettes  marchent  dans  leurs  orbites ,  fi  cette  loi  de 
1  attraction  agit  non  en  raifon  des  furfaces  com¬ 
me  les  loix  de  Fimpulfion ,  mais  en  raifon  des 
fohdes  j  fi  ehe  pénétré  au  centre  de  la  matière  en 
railon  inverfe  du  quatre  de  îdifiances,  pourquoi 
cette  loi  n  agit-elle  pas  fuivant  les  mêmes  pro¬ 
portions  dans  les  phénomènes  de  l’aimant ,  dans 
ceux  de  1  eleétricite ,  dans  i  afcenfion  des  liqueurs 
a  travers  les  tuyaux  capillaires ,  dans  la  cohéfion 
des  corps ,  dans  les  rayons  du  foleil  qui  rebon- 
dififent  d’une  furface  de  criftal  fans  toucher  réel¬ 
lement  cette  furface  ?  On  ne  peut  dans  aucun  dé 
ces  cas  avoir  recours  aux  loix  du  mouvement,  à 


Xè8  ÔES  LÔ15C  INCONNUES. 

l’impulfion  des  corpufcules  intermédiaires.  11  y  à 
donc  certainement  des  loix  éternelles  ,  incon¬ 
nues  ,  fuivant  lefquelles  tout  s'opère ,  fans  quon 
puifTe  les  expliquer  par  la  matière  Sc  par  le 
mouvement. 

Ces  loix  reflemblent  à  celles  par  lefquelles 
tous  les  animaux  font  agir  leurs  membres  à  leur 
volonté.  Qui  découvrira  le  raport  de  la  volonté 
d’un  animal  &  du  mouvement  de  fes  jambes  ? 
11  y  a  donc  des  loix  qui  ne  tiennent  en  rien  à  la 
matière  connue.  La  philofophie  corpufculaire  ne 
peut  donc  rendre  aucune  raifon  des  premiers 
principes  des  chofes.  Defcartes ,  en  paraiffant  s’ex¬ 
pliquer  en  philo fophe ,  prononçait  donc  l’alTertion 
la  moins  philofophique  quand  il  difait ,  donnez- 
moi  de  la  matière  &  du  mouvement,  &  je  vais 
faire  un  monde. 

Il  y  a  dans  toutes  les  Académies  une  chaire 
vacante  pour  les  vérités  inconnues ,  comme 
Athènes  avait  un  autel  pour  les  Dieux  ignores. 


CHAP.  TRENTE-QUATRIEME. 

IGNORANCES 

'-x  •  .  »  *  . 

ETERNELLES. 


LA  nature  de  nos  fenfations ,  de  nos  idées 
de  notre 
inconnue 


ne  nous  elt-eile  pas  plus 
encore  ?  Comment  fe  peut-il  faire  qu  un 
animal  fente  ?  Quel  raport  y  a-t-il  entre  la  ma? 
tière  connue  &  le  fentiment  ? 

Comment  une  idée  fe  place-t-elle  dans  notre 
cervelle  ?  peut-on  avoir  une  fenfation  fans  avoir 
l’idée ,  la  confcience ,  le  témoignage  interne  a 
qu’on  éprouve  cette  fenfation  ? 

Comment  cet  animal  à  qui  j’ai  coupé  la  tête  a- 
t-il  encore  des  fenfations  ,  privé  du  cerveau  d’où 
partent  les  nerfs  qui  font  l’origine  de  tout  fen- 
îiment  ? 

<  .-A  ■  '  *  * 

Pourquoi  vivant  fans  tête  des  années  entières 
fenc-il  encore  les  piquures  que  je  lui  fais  ?  pour¬ 
quoi' fe  réfugie-t-il  dans  fon  enveloppe  à  la 
moindre  fenfation  défagréable  que  je  lui  caufe  ? 

Qu’elf-ce  que  la  mémoire?  ôc  dans  quel  ma* 


I  io 


IGNORANCES  &e. 

gazin  retrouve-t-on ,  quelquefois  fans  le  vouloir* 
une  fouie  d’idées  &c  de  mots  dont  on  n  avait  plus 
aucun  fouvenir. 

Comment  les  animaux  ont* ils  en  fonge  des 
fenfations  &  des  idées  qu’ils  n’avaient  point  eues 

en  veillant  ? 

Par  quel  accord  incompréhenfible  la  volonté 
fait  elle  obéir  incontinent  certains  mufcles,  cer¬ 
tains  vifcères ,  tandis  qu’il  y  en  a  d  autres  fur 
lefquels  elle  n’aura  jamais  le  moindre  empire? 
Enfin ,  pourquoi  a-t-on  l’exiftence?  pourquoi  eft- 
il  quelque  chofe  ? 

Si  après  ces  réflexions  on  ne  fait  pas  douter , 
il  faut  qu'on  foit  bien  fier. 


I 


- — -TV-  ^ 

CH  AP.  T RE  N  TE  -  CINQ  UIE ME. 

incertitudes 

EN  ANATOMIE. 

î\/f  AI2fé  tous(  Recours  que  le  microfcope 
p-«-  a  donnés  à  l’anatomie;  malgré  les  grandes 
découvertes  de  tant  d’habiles  chirurgiens ,  de  tant 
de  médecins  célèbres ,  que  de  difputes  intermi¬ 
nables  fe  font  élevées,  &  dans  quelle  incertitude 
fomrnes-nous  encore! 

Interrogez  Borelli  fur  la  force  exercée  par  le 
cœur  dans  fa  dilatation,  dans  fa  diaftole;  il  vous 
aiïiire  qu  elle  eft  égale  à  un  poids  de  cent  quatre- 
vingt  mille  livres.  AdrelTez-vous  à  Keil ,  il  vous 
certifie  que  cette  force  n’eft  que  de  cinq  onces. 
Junn  vient  qui  décide  qu’ils  fe  font  trompés  ;  & 
il  fait  un  nouveau  calcul  ;  mais  un  quatrième 
furvenant  prétend  que  Jurin  s’eft  trompé  auffi. 
La  nature  fe  moque  d’eux  tous,  &  pendant  qu’ils 
difputent ,  elle  a  foin  de  notre  vie  ;  elle  fait  con¬ 
trarier  &  dilater  le  cœur  par  des  voies  que  l’ef- 
piit  humain  na  pas  encore  pénétrées. 


Iix  incertitudes 
On  difpute  depuis  Hipocrate  fur  la  manière 
dont  fe  fait  la  digeftion  ;  les  uns  accordent  à  l’ef- 
tomac  des  fucs  digeftifs  ;  d’autres  les  lui  refufent. 
Les  Chimiftes  font  de  l’eftomac  un  laboratoire. 
Hequet  en  fait  un  moulin.  Heureufement  la 
nature  nous  fait  digérer  fans  qu’il  foit  nécedaire 
que  nous  fâchions  fon  fecret.  Elle  nous  donne 
des  apetits,  des  goûts  &  des  averfions  pour  cer¬ 
tains  aliments  dont  nous  ne  pourons  jamais  favoir 

la  caufe. 

On  dit  que  notre  cliile  fe  trouve  déjà  tout 
formé  dans  les  aliments  mêmes  ,  dans  une 
perdrix  rôtie.  Mais  que  tous  les  chimiftes  en- 
femble  mettent  des  perdrix  dans  une  cornue, 
ils  n’en  retireront  rien  qui  relfemble  ni  a 
une  perdrix  ni  au  chiie.  11  faut  avouer  que 
nous  digérons  aind  que  nous  recevons  la  vie  9 
que  nous  la  donnons,  que  nous  dormons ,  que 
nous  fentons,  que  nous  penfons  ;  fans  favoir 
comment. 

Nous  avons  des  bibliothèques  entières  fur  la 
génération ,  mais  perfonne  ne  fait  encore  feule¬ 
ment  quel  relfort  produit  i’intumeicence  dans  la 
partie  mafculine. 


On 


! 


* 

! 

! 

!  f 

i  r 


£  ANATOMIE.  nj 

Ôn  parle  d’un  fuc  nerveux  qui  donne  la  fen^ 
ïîbilité  à  nos  nerfs ,  mais  ce  fuc  n’a  pu  être  dé¬ 
couvert  par  aucun  anatomifte. 

Les  efprits  animaux  qui  ont  une  fi  grande  ré¬ 
putation  ,  font  encore  a  découvrir. 

Votre  médecin  vous  fera  prendre  une  mé¬ 
decine,  &  ne  fait  pas  comment  elle  vous  purge* 
La  maniéré  dont  fe  forment  nos  cheveux  8c 
nos  ongles ,  nous  eft  auiïi  inconnue  que  la  ma¬ 
niéré  dont  nous  avons  des  idées.  Le  plus  vil  ex¬ 
crément  confond  tous  les  philofophes. 

Vinflow  &  l’Emeri  entafient  mémoire  fur  mé¬ 
moire  fur  la  génération  des  mulets  ;  les  favans 
4  partagent  :  1  ane  fier  èc  tranquille  fans  fe  mê¬ 
ler  de  la  difptue,  fùbjugue  cependant  fa  cavale 
qui  lui  donne  un  beau  mulet.  La  nature  agit  * 
nous  difputons. 

Moniteur  Ulloa  fi  célèbre  par  les  fervices  qu’îl 
a  rendus  à  la  phyfique,&  par  l’hiftoire  philofo- 
jphiqüe  de  fes  voyages  ,  affûte  que  dans  un  can¬ 
ton  de  l’Amérique  méridionale  il  a  vu  plufieurs 
fois,  obfervé  ,  mangé  des  écréviffes  qui  routes 
étaient  conftamment  plus  charnues  dans  îa  pleine 
lune ,  8c  plus  chétives  dans  les  quadratures.  Il  a 
vu  8c  employé  de  gros  rofeaux  qui  éprouvaient 
les  memes  influences,  étant  plus  nourris  d’eau 

'  H 


— i 


114  INCERTITUDES  EN  ANAT. 

quand  la  lune  était  dans  fon  plein  que  dans  le 
temps  du  ctoiflant  &  du  décours.  Il  eût  été  à 
fouhaiter  qu’il  eût  donné  plus  de  détails  de  ce^ 
étonnantes  fingularités.  Ni  les  écré vides  ,  ni  les 
rofeaux  de  nos  climats  ne  fubitfent  de  pareils 
changements.  Pourquoi  la  lune  agirait -elle  fur 
les  écrévifles  du  Pérou,  &  négligerait-elle  celles 
de  notre  continent?  Pourquoi  ne  ferait-ce  que 
dans  un  feul  canton  du  Pérou  que  les  rofeaux  & 
]es  écrévifles  feraient  fournis  a  l  empire  de  la 
lune  ?  Je  ferais  un  trop  gros  livre  fi  je  voulois  dé- 
tailler  tout  ce  que  je  n’ai  jamais  pu  comprendre. 


#(115)# 


CH  API  T.  TRENTE-SIXIEME. 

i 

y  <  j. 

j 

DES  MONSTRES, 

* 

•  •  •  '••'V  ’■  !-J'  ■ .  1  ■ '*•  f 

ET  DES 

-  '  ■  '  •  -  -  f  y  •  # 

RACES  DIVERSES. 

N  ne  s’accorde  point  fur  l’origine  des  mont 
^-^-  tres.  Comment  s’accorderoit- on  ,  puis¬ 
qu’on  ne  convient  pas  encore  de  la  formation 
des  animaux  réguliers? 

Natura  eft ftbi  femper  confond  9  dit  Newton; 
la  nature  eft  par-tout  Semblable  à  elle- même. 
Oui,  les  corps  tendent  vers  le  centre  en  tout 
pays.  Le  feu  brûlera  par  tout ,  mais  la  nature 
agit  très -différemment  dans  les  générations, 
puifque  parmi  les  animaux  les  uns  jettent  des 
œufs ,  les  autres  font  vivipares,  ceux-ci  n’ont 
qu’un  fexe ,  ceux  -  là  en  ont  deux  ,  plufieurs 
engendrent  fans  copulation. 

Quo  teneam  vultus  mutantcm  Frothca  nodo  ? 

*. 

La  race  des  nègres  n’eft-elle  pas  abfolument 

H  a 


*iS  Ï>ÏS  MONSTRES 

différente  de  la  nôtre  ?  Il  y  a  encore  des  îgnorans 
qui  impriment  que  des  nègres  &  des  ncgreffes 
transportés  dans  nos  climats  engendrent  des 
blancs.  Il  n’y  a  rien  de  plus  faux ,  SC  tous  nos 
colons.  d’Amérique  qui  ont  des  nègres  font  té¬ 
moins  du  contraire. 

Comment  peut-on  imprimer  encore  aujour¬ 
d’hui  que  les  noirs  font  une  race  de  blancs  noir¬ 
cis  par  le  climat ,  tandis  qu’on  fait  que  fous  le 
même  climat  il  n’y  avait  aucun  noir  en  Améri¬ 
que  iorfqu’elle  fut  découverte  ,  tandis  qu’il  n’y 
a  de  nègres  que  ceux  qu’on  y  a  tranfpiantes 
*d’ Afrique,  tandis  que  ces  nègres  engendrent  tou¬ 
jours  des  nègres  comme  eux  ?  La  maladie  des 
fiftêmes  peut- elle  troubler  l’efprit  au  point  de 
faire  dire  qu’un  Suédois  &  un  Nubien  font  de 
la  même  efpèce ,  lorfqu’on  a  fous  les  yeux  le 
réticulum  mucofum  des  nègres  qui  eft  abfolu- 
tnent  noir  ^  Sc  qui  eft  la  caufe  évidente  de  leur 
noirceur  inhérente  &  fpécifique  ?  Je  fais  que 
dabsla  même  carrière  on  trouve  du  marbre  noie 
&  du  marbre  blanc,  mais  certainement  le  blanc 
c’a  pas  produit  le  noir  ,  &  los  races  negres  ne 
viennent  pas  plus  de  races  blanches  que  l’ébéne 
ne  vient  d’un  orme  ,  &c  que  les  mures  ne  vien¬ 
nent  des  abricots. 


■•ïîwy:: 


IC 


Et  DES  RACES  DIVERSES.  117. 

Lé  compilateur  du  journal  (Economique  » 
qui  neft  jamais  forri  de  la  rue  St.  Jacques  ,  me 
dit  d’un  ton  de  maître  que  les  Caraïbes  ri etaierrc 
point  rouges  y  que  les  mères  fe  plaifaient  feule¬ 
ment  à  teindre  en  rouge  leurs  enfans.  Et  voilà 
mes  voifins  qui  arrivent  de  la  Guadeloupe  ,  8c 
qui  me  donnent  une  atteftation,  qu'il  y  a  encore 
€.inq  a  fix  familles  C dr cubes  dans  V ünfe  Bertrand  ^ 
leur  peau,  ejl  de  la  couleur  de  notre  cuivre  rouge  9 
ils  font  bienfaits y  ils  ont  de  longs  cheveux  & 
point  de  barbe. 

Ils  ne  font  pas  les  féuls  peuples  de  cette  cou¬ 
leur.  J  ai  parle  a  1  Indien  infulaire  qui  vint  en 
France  demander  juftice  vers  l’an  1720 ,  au  C011- 
feil  du  Roi ,  contre  Mr.  Hebert,  ci-devant  Gou¬ 
verneur  de  Pondicheri  ,  &  qui  l’obtint.  Il  était: 
rouge,  &  d’ailleurs  un  très-bel  homme. 

Maillet  a  raifon  quelquefois.  Il  avait  beau^- 
coup  vu  &  beaucoup  examiné.  Les  Américains 
dit-il  ,  page  125  du  premier  Volante ,Jhr-tàù& 
les  Canadiens  y  excepte  les  Efquimaux ,  n'ont  ni 
poil  ni  barbe  ,  Ere.  Son  éditeur  qui  a  fait  impri¬ 
mer  le  manufcric  de  Maillet  chez  la  veuve  Du- 
chêne,  fait  une  note  fur  ce  texte ,  8c  dit  fière¬ 
ment:  >#  Telliamed  fe  trompe;  les  fauvages  de 
**  1  Amérique  ne  font  point  fans  poil  8c  fans 

E* 


H  * 


1 18  DES  MONSTRES 

„  barbe  ;  ils  n’en  ont  point  ,  parce  que  s’arra- 
„  chant  le  poil ,  ou  le  faifant  tombera  mefure 
„  quii  paraît  ,  ils  fe  frotent  enfuite  du  jus  de 
»  certaines  herbes  pour  l’empêcher  de  croître  de 
«  nouveau. 

Avec  quelle  confiance  ,  avec  quelle  ignoran¬ 
ce  intrépide  ce  badaut  de  Paris  prérend-il  que 
les  Braziliens,  &c  les  Canadiens ,  Sc  les  Patagons 
fe  font  donnés  le  mot  de  s’arracher  le  poil 
fans  avoir  des  pinces  ,  quel  fecret  fe  font- ils 
communiqués  du  fleuve  St.  Laurent  au  cap  de 
Horn  pour  empêcher  la  barbe  de  croître  ?  Quel 
eft  le  voyageur,  le  Colon  Américain  qui  ne  f⬠
che  que  ces  peuples  n’ont  jamais  eu  de  poil  en 
aucune  partie  de  leur  corps  ? 

Les  hommes  dans  le  nouveau  monde  en  font 
privés  comme  les  Lions  y  font  privés  de  crins  (*)j 

(*)  Voicida  lettre  qu’un  ingénieur  en  chef  qui  a  com¬ 
mandé  long  -tems  en  Canada  ,  me  fait  l’honneur  de 
m’écrire  du  premier  Décembre  1768. 

M  JJai  vu  au  Canada  trente -deux  nations  différentes 
«  raffemblées  à  la  fois  pendant  deux  campagnes  de  fuite 
«  dans  notre  armée,  &  je  les  ai  vues  avec  des  yeux  affez 
»  curieux  pour  vous  alfurer  qu’ils  font  imberbes.  Leurs 
33  femmes  le  font  auffi ,  &  ccft  un  fait  fur  lequel  vous 

pouvez  également  compter.  Enfin  ,  Monfieur ,  non- 

7  • 1  ,  r  , 


V 


/  V 


IT  DES  RACES  DIVERSES.  n* 

toute  la  nature  étoit  différente  de  la  nôtre  en 
Amérique  quand  nous  la  découvrîmes  j  de 
meme  que  fur  les  bords  méridionaux  de 
l’Afrique  il  n’y  avait  rien  qui  raflTemblit  aux 
production  de  notre  Europe,  ni  hommes,  ni 
quadrupèdes ,  ni  oifeaux ,  ni  plantes. 

Croira-t-on  de  bonne  foi  qu’un  Lapon  &  un 
Samoyede  ,  foient  de  la  race  des  anciens  habitans» 
des  bords  de  l’Euphrate?  Leurs  Rangifères  ouRen- 
nés,  animaux  qui  aefe  trouvent  point  ailleurs  & 
qui  ne  peuvent  vivre  ailleurs,  defcendenc-ils  des 
cerfs  de  la  foret  de  Senlis  ?  Il  n  a  pas  certainement 
ét^plus  difficile  â  la  nature  de  faire  desLapons  8c 
des  Rangifères  que  des  nègres  &  des  éléphans. 

Les  nègres  blancs  que  j’ai  vus  ;  ces  petits  hom¬ 
mes  qui  ont  des  yeux  de  perdrix ,  8c  la  foie  la 
plus  fine  8c  la  plus  blanche  fur  la  tête,  8c  qui  ne 
reffemblent  aux  nègres  que  par  leur  nez  épaté  , 
&  par  la  rondeur  de  la  conjonctive,  ne  me  pa¬ 
rai  (lent  pas  plus  defeendre  d’une  race  noire  dé¬ 
générée  que  d’une  race  de  perroquets.  L’auteur 

»  feulement  les  Américains  n-’ont  point  de  poil.au  men- 
»  ton ,  mais  ils  n’çn  ont  dans  aucune  partie  du  corps.  Ils 
*  en  on*  lobligation  à  la  nature  ,  &  non  à  la  prétendue 
33  herbe  dont  le  favant  Auteur  de  la  rue  St.  Jacques 
sï  prétend  qu’ils  fe  frottent  3». 

h4 


ïlo  DES  MONSTRES, 

de  rhiftoire  naturelle  les  croit  d’une  race  noire* 
parce  qu’ils  font  blancs &  qu’ils  habitent  tous 
à  peu  près  la  même  latitude,  au  Darien,  au  Sud 
du  Zaïr ,  &  à  Ceïlan.  Et  moi ,  c’eft  parce  qu’ils 
habitent  la  même  latitude,  que  je  les  crois  tous 

d’une  race  particulière. 

Eft-il  bien  vrai  que  dans  quelques  îles  des 
Philipines  &  des  Matiannes  ,  il  y  ait  quelques 
familles  qui  ont  des  queues  comme  on  peint  les 
fatyres  &  les  faunes?  Des  millionnaires  Jetuues 
l’ont  affuré  j  plufieurs  voyageurs  n’en  doutent 
pas  •  Maillet  dit  qu’il  en  a  vu.  Des  domeftiques 
nègres  de  feu  Mr.  de  la  Bourdonnais  ,  le  vain¬ 
queur  de  Madras  &  la  vidime  de  fes  fervices  ,, 
m’ont  juré  qu’ils  en  avoient  vu  plufieurs.  Il  ne 
ferait  pas  plus  étrange  que  le  croupion  fe  fût 
allongé  &  relevé  dans  quelques  races  d  hom¬ 
mes  T  qu’il  ne  l’eft  de  voir  des  familles  qui 
ont  fix  doigts  aux  mains.  Mais  qu’il  y  ait  eu 
quelques  hommes  à  queue  ou  non  ,  cela  eft  fort 
peu  important ,  &  il  faut  ranger  ces  queues  dan* 

la  cl  a  (Te  des  monflruofués. 

Y  a-t-il  eu  en  effet  des  efpèces  de  fatyres  * 
c’eft-à- dire,  des  filles  ont- elles  pu  être  enceintes 
de  la  façon  des  finges,  ôc  enfanter  des  animaux 
métis,  comme  les  jumens  font  des  mulets  & 


i 


I 


I 


ET  DES  RACES  DIVERSES.  1*1 

des  jumares  ?  Toute  l’antiquité  attelle  ces  fait* 
Singuliers.  Plufîeurs  faints  ont  vu  des  fatyres ,  ce 
n’eft  pas  un  article  de  foi.  La  chofe  eft  très-pof- 
fible ,  mais  elle  a  du.  être  rare ,  il  eft  vrai  que  les 
finges  aiment  fort  les  filles  :  mais  nos  filles  ont 
de  l’horreur  pour  eux ,  elles  les  craignent ,  elles 
les  fuient.  Cependant  on  ne  peut  douter  de 
plufieurs  unions  mpnftrueufes,  arrivées  quelque¬ 
fois  dans  les  pays  chauds.  La  peine  prononcée  dans, 
les  loix  Juives  contre  de  tels  accouplements  eft 
une  preuve  inconteftable  de  leur  réalité  ,  &  il 
eft  fort  probable  qu’il  eft  né  des  animaux  de  ces 
mélanges  ignorés  dans  nos  villes,  mais  dont  on 
voit  des  exemples  dans  les  campagnes. 


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*  (mï  # 


ÏKSS&v 


CHAPIT  TRENTE-SEPTIEME. 

DE  LA  POPULATION. 

LA  population  a-t-elle  toujours  été  abondan¬ 
te?  Non  fans  doute;  les  peuples  parefleux 
comme  la  plupart  des  Américains,  ont  dû  tou¬ 
jours  être  en  petit  nombre;  ils  laiflent  leurs  ter¬ 
res  en  friche;  les  fleuves  les  inondent,  des  ma¬ 
rais  immenfes  infectent  1  air  ;  on  refpire  des 
poifons.  La  paucité  de  la  race  humaine  rend  la 
terre  inhabitable ,  &  cette  terre  abandonnes 
contribue  a  fon  tour  à  la  dépopulation.  Notre 
continent  eft  tantôt  plus  ,  tantôt  moins  peuple. 
Le  nombre  des  citoyens  romains  diminua  fen- 
flblement  depuis  les  horribles  fceleratefles  de 
Silla  &  de  Marius ,  jufqu’à  celles  du  lâche  Oéfca- 
ve  furnommé  Augulte,&  de  Leffrene  Antoine. 

L’efpèce  diminua  beaucoup  en  France  dans 
les  guerres  civiles  jufqu’aux  belles  années  du 
divin  Henri  IV-  J’ai  lu,  dans  je  ne  fais  quels  li¬ 
vres  ,  que  fous  Charles  IX ,  au  tems  de  la  S.  Bar- 
thelemi ,  la  France  avait  vingt-neuf  millions 
d’habitans.  Une  pareille  erreur  ne  mérite  pas 
d’être  réfutée. 


DE  LA  POPULATION.  123 

Il  eft  certain  que  la  pcfte  ,  la  guerre  ,  la  fa¬ 
mine  ,  l’inquifition  ont  dépeuple  des  royaumes 
entiers.  D’un  autre  côté  il  y  a  des  provinces  trop 
peuplées ,  comme  la  balle  Allemagne ,  dont  il 
eft  forti  plus  de  vingt  mille  familles  pour  aller 
chercher  des  terres  dans  les  colonies  anglaifes. 
Le  pays  du  Pape  manque  d’hommes ,  celui  des 
Provinces-Unies  en  regorge  ,1a  raifon  eneftaf- 
fez  connue  j  l’un  eft  habité  par  des  prêtres  qui 
immolent  les  races  futures  à  l’efpérance  d’un  pe¬ 
tit  bénéfice ,  l’autre  eft  peuplé  des  fadeurs  des 
deux  mondes.  Si  on  avoit  dit  àTrajan  dans  fon 
beau  forum  ,  Londres  fera  un  jour  Jix  fois  plus 
peuple  que  voire  Rome  ,  on  l’auroit  bien  étonné. 

L’Europe  eft~elle  plus  peuplée  qu’elle  ne  l’était 
du  tems  de  Charlemagne?  Oui ,  malgré  les  moi¬ 
nes.  Regardez,  Amfterdam,  Venife,  Paris, 

|  Londres  ,  Milan  ,  Naples  ,  Hambourg  Sc  tant 
d’autres  villes  qui  n’éraient  alors  que  des  villa- 
ges  très-chétifs,  ou  qui  n’exiftaient  pas. 

La  plus  grande  partie  de  la  forêt  Hercinie  eft 
couverte  de  villes,  de  villages  Sc  de  moiftbns. 
Le  bois  commence  a  manquer  de  nos  jours  pref- 
que  par  tout  :  nôtre  Europe  eft  fi  peuplée  qu’il 
:  eft  impoftible  que  chacun  ait  du  pain  blanc  6c 

mange  quatre  livres  de  viande  par  mois.  Voila 

L  * 

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i*4  DE  LA  POPULATION 

où  nous  en  Tommes  avons-nous  trop  de  mors* 
de?  N’en  avons-nous. pas  allez? 

Au  refte ,  ne  négligeons  jamais  l’occafion  de  • 
remarquer  l’épouvantable  ridicule  de  ceux  qui 
donnent  à  chaque  enfant  de  Noé  descentaines  de 
milliards  de  dêfcendans  au  bout  de  quelques, 
armées. 

Un  célèbre  EcolTois  (  Mr.  Templeman  )  a  cal¬ 
culé  que  fi  toute  la  terre  habitée  étoit  peuplée 
comme  la  Hollande  *  elle  .contiendrait  34710 
millions  d’habicans.  Si  comme  la  Ruflie,  455 
millions  feulement.  L’auteur  de  l’edai  fur  l’hif- 
toire  générale  &  fur  les  mœurs  des  nations  *  af- 
ligne  autour  de  neuf  cens  millions  de  têtes  au 
genre  humain.  Je  crois  qu’il  ne  s’éloigne  pas 
beaucoup  de  la  vérité.  Quand  on  ne  fe  trompe 
que  d’un  million  dans  de  tels  calculs,  le  mai 
n’eiY  pas  grand.  Je  ne  fais  fi  la,  terre  manque 
d’hommes  ,  niais  certainement  elle  manque 
d’hommes  heureux. 


1 


* 

9 


#  (  )  # 


CHAP .  TRENTE-HUITIEME. 


IGNORANCES  STUPIDES, 

ET 

MÉPRISES  FUNESTES. 

QUoique  les  physiciens  parairtenr  condam¬ 
nés  à  une  ignorance  éternelle  fur  les  prin¬ 
cipes  des  chofes,  cependant  la  diftance  eft  pro- 
tügieufe  entre  eux  &  le  vulgaire.  Quelle  diffé¬ 
rence  ,  par  exemple  ,  des  connoiftances  d’un 
grand  artifte  en  horlogerie  &  d’une  dame  qui 
acheté  fa  montre?  Elle  ne  s’informe  pas  feule¬ 
ment  de  Part  qui  a  divifé  également  les  heures 
du  jour.  Il  y  a  cent  mille  âmes  dans  Paris  qui 
en  fondant  le  feu  de  leurs  cheminées,  n’ont  ja¬ 
mais  feulement  penfé  à  la  mécanique  par  laquelle 
l’air  entrant  dans  leur  fquflet  ferme  enfuite  la 
foupape  qui  lui  eft  attachée.  Les  Dames,  les 
Princeftes  ,  les  Reines  ,  partent  une  partie  du 
matin  a  leur  miroir,  fans  imaginer  qu’il  y  a  des 
traits  de  lumière  qui  forment  un  angle  d’inci^ 


ïiS  IGNORANCES  stupides. 

L 

denceégal  à  l’angle  de  réflexion.  On  mange  tous 
les  jours  des  membres ,  des  entrailles  d’animaux , 
en  n’ayant  pas  même  la  curiolité  de  favoir  ce 
qu’on  mange.  Le  nombre  eft  très*  petit  de  ceux 
qui  cherchent  à  s’inftruire  des  reports  de  leur 
corps  &  de  leur  penfée.  De-là  vient  qu’ils  met¬ 
tent  fouvent  l*un  &  l’autre  entre  les  mains  des 
charlatants. 

Le  gros  des  hommes  eft  dans  ce  cas  pour  les 
chofes  qui  l’intéreflent  le  plus.  La  routine  les 
conduit  dans  toutes  les  avions  de  leur  vie  j  on  ne 
réfléchit  que  dans  les  grandes  occafions,  ôc  quand 
il  n’eft  plus  tems.  C’eft  ce  qui  a  rendu  prefque 
toutes  les  adminiftrations  vicieufes;  c’eft  ce  qui 
a  produit  autant  d’erreurs  dans  le  gouvernement 
que  dans  la  philofophie.  En  voici  un  exemple 
palpable  tiré  de  l’arithmétique. 

Le  gouvernement  de  Suède  eut  autrefois 
befoin  d’argent  ;  le  miniftre  emprunta  Sc  créa 
des  rentes  perpétuelles  à  cinq  pour  cent  com¬ 
me  avaient  fait  fes  predccefleurs.  L  argent 
valait  alors  vingt-cinq  livres  idéales  le  marc  ; 
ainfi  le  citoyen  &  l’étranger  qui  prêtèrent 
chacun  quarante  marcs  9  durent  recevoir  a 
cinq  pour  cent  chacun  deux  marcs  de  rente  9 
c’eft -à- dire  ,  cinquante  livres  idéales  ,  l’écu 


. 


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L 


ET  MEPRISES  FUNESTES.  1 27 

«tait  alors  à  deux  livres  chimériques  &  demi  ; 
quon  nommait  cinquante  fous  chimériques. 
Ces  deux  marcs  réels  compofaient  au  rentier, 
vingt  écus  de  rente ,  qu’on  appellait  cinquante 
livres. 

Cependant  les  dépenfes  augmentèrent,  l’état 
s  obéra  de  plus  en  plus  ;  l’argent  manqua.  On 
confeilla  au  miniftre  de  faire  valoir  le  marc  cin¬ 
quante  livres  au  lieu  de  vingt-cinq  de  par  con- 
féquent  de  donner  la  dénomination  de  cinq 
livres  a  ce  meme  ecu  qui  n  en  valait  que  deux  de 
demi.  Par  la  vertu  de  cette  parole ,  il  payera , 
difait-on ,  toutes  les  rentes  en  idée ,  &  il  ne  don- 
liera  réellement  que  la  moitié  de  ce  qu’il  doit. 
On  promulgue  l’édit,  l’écu  en  vaut  deux  tout 
d  un  coup.  Cinquante  fous  numéraires  font  chan¬ 
gés  en  cent  fous  numéraires.  Le  fot  peuple  a  qui 
on  dit  que  fon  argent  a  doublé  de  valeur  dans  fa 
poche ,  fe  croit  du  double  plus  riche ,  de  celui 
qui  a  prête  fon  argent  a  perdu  en  un  moment  s 
pour  jamais  la  moine  de  fon  bien.  Mais  qu’ar¬ 
rive-t-il  de  cette  opération  aufli  injufte  qu’ab- 
furdc  ?  Le  gouvernement  ne  reçoit  plus  que  la 
moitié  des  impôts  ^  le  cultivateur  qui  devait,  un 
ecu,  ou  deux  livres  8c  demi  idéales  de  taille,  ne 


-'•“••crr; 


tit  ignorances  stüpïdêS 

«îonne  plus  que  la  moitié  réelle  d’un  écu ,  &  îé 
gouvernement,  en  fruftrant  fes  créanciers ,  eft  bien 
plus  fruftré  par  fes  débiteurs.  Il  n  a  d  autre  ref- 
fource  que  de  doubler  les  impôts ,  &  cette  ref- 
fource  eft  une  ruine.  Rien  n’eft  plus  fenfible  que 

cet  exemple. 

On  voit  mille  autres  abus  non  moins  perni¬ 
cieux  dans  plus  d’un  état.  On  n  y  remedie  pas  ; 
on  étaye  comme  on  peut  la  maifon  prete  a  crouler, 
&  on  laide  le  foin  de  la  rebâtir  à  fon  fuccefteur 

qui  n’en  poura  venir  â  bout. 

Il  y  a  des  vices  d’adminiftration  qui  font  plus 
contagieux  que  la  pefte  ,  &  qui  portent  necef- 
fairement  la  défolation  d’un  bout  de  l’Europe  â 
l’autre.  Un  prince  veut  faire  la  guerre ,  &  croyant 
que  Dieu  eft  toujours  pour  les  gros  bataillons  * 
il  double  le  nombre  de  fes  troupes  ;  le  voilà  d’a¬ 
bord  ruiné  dans  l’efpérance  d’être  vainqueur; 
cette  ruine  qui  était  auparavant  la  fuite  de  la 
ouerre ,  commence  chez  lui  avant  le  premier  coup 
de  canon.  Son  voifin  en  fait  autant  pour  lui  re¬ 
filer  ;  chaque  prince  de  proche  en  proche  dou¬ 
ble  aufli  fes  armées  ;  les  campagnes  font  donc 
du  double,  le  cultivateur  double¬ 
ment 


ravagées 


.  .> 


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tT  MEPRISES  FUNESTES.  1 29 

frient  foulé  a  néceftairement  la  moitié  moins 
de  beftiaux  pour  engrailfer  fes  terres  ,  la 
moitié  moins  de  manœuvres  pour  l’aider  a 
les  cultiver.  Ainlî  tout  le  monde  fouffre  à 
peu  près  également  ,  quand  même  les  avan¬ 
tages  feraient  égaux  de  chaque  coté. 

Les  loix  qui  concernent  la  juftice  diftrî- 
butive  ont  été  fouvent  aullî  mal  conçues  que 
les  relïources  dune  adminiftration  obérée. 
Les  hommes  ayant  tous  les  mêmes  pallions, 
le  même  amour  pour  la  liberté  ,  chaque 
homme  étant  à  peu  près  un  cotfrpofé  d’or¬ 
gueil  ,  de  cupidité  8c  d’intérêt ,  d’un  grand 
goût  pour  une  vie  douce,  8c  d’une  inquié¬ 
tude  qui  exige  une  vie  aétive,  ne  devraient- 
ils  pas  avoir  les  mêmes  loix ,  comme  dans 
un  hôpital  on  fait  prendre  le  même  quin- 
quina  a  tous  ceux  qui  ont  la  lièvre  tierce? 

On  répond  à  cela  que  dans  un  hôpital  bien 
policé  ,  chaque  maladie  a  fon  traitement 
particulier.  Mais  c’eft  ce  qui  n’arrive  pas* 
tous  les  peuples  font  malades  en  morale ,  8c 
il  n’y  a  pas  deux  régimes  qui  fe  relfembient. 

Les  loix  de  toute  efpèce  qui  font  la  mé¬ 
decine  des  âmes ,  ont  donc  été  compofées 
prefque  par-tout  par  des  charlatans,  qui 

I 


ont 


,3o  ignorances  stupides 

donné  des  palliatifs ,  &  quelques  uns  même 

ont  prefcrit  des  poifons. 

Si  la  maladie  eft  la  même  dans  le  monde 

entier ,  fi  un  Bafqne  a  tout  autant  de  cupi¬ 
dité  qu’un  Chinois ,  il  eft  évident  qu  il  faut 
un  régime  uniforme  pour  le  Chinois  &  pour 
le  Bafque.  La  différence  du  climat  na  ici 
aucune  influence.  Ce  qui  eft  jufte  à  Bilbao 
doit  être  jufte  à  Pékin ,  par  la  raifon  qu’un 
triangle  reâangle  eft  la  moitié  de  fon  quarté 
fur  le  rivage  Atlantique  comme  fur  le  riva¬ 
ge  Indien;  la  vérité  eft  une,  toutes  les  loix 
différent  ;  donc  la  plupart  des  loix  ne  va¬ 
lent  rien. 

Un  Jurifconfulte  un  peu  philofophe  me 
dira  les  loix  font  comme  les  régies  du  jeu  , 
chaque  nation  joue  aux  échecs  différemment. 
Chez  les  unes  le  Roi  peut  faire  deux  pas  , 
chez  d’autres  il  n’en  fait  qu’un  ;  ici  on  va  à 
dame,  là  on  n’y  va  pas.  Mais  dans  chaque 
pays  tous  les  joueurs  fe  foutnettent  à  la  loi  établie. 

Je  lui  réponds,  cela  eft  fort  bien  quand 
il  ne  s’agit  que  de  jouer.  Je  joue  mon  bien 
en  Hollande  en  le  plaçant  à  deux  &  demi 
pour  cent  ,  en  France  j’en  aurai  cinq.  Cer¬ 
taines  dentées  payeront  plus  de  droits  en  An- 

t 


ET  MEPRISES  FUNESTES.  ni 

gleterre  qu’en  Efpagne.  Ce  font  là  vérita¬ 
blement  des  jeux  dont  les  règles  font  arbi¬ 
traires.  Mais  il  y  a  des  jeux  où  il  va  de 
la  liberté ,  de  l’honneur  Ôc  de  la  vie. 

Celui  qui  voudrait  calculer  les  malheurs 
attachés  à  l’adminiftration  vicieufe  ,  ferait 
obligé  de  faire  l’hiftoire  du  genre  humain. 
11  réfulte  de  tout  ceci ,  que  h  les  hommes 
fe  trompent  en  phyfique  ,  ils  fe  trompent 
encor  plus  en  morale  ;  de  que  nous  fommes 
livrés  à  l’ignorance  6e  au  malheur  ,  dans  une 
vie  qui ,  tout  bien  calculé  ,  n’a  pas  l’une  por¬ 
tant  l’autre  trois  années  de  fenfations  agréables. 

Mais  quoi!  nous  répondra  un  homme  à 
routine,  était -on  mieux  du  tems  des  Goths, 
des  Huns ,  des  Vandales ,  des  Francs  ,  de 
du  grand  Schifme  d’Occident? 

Je  réponds  que  nous  étions  beaucoup  plus 
mal.  Mais  je  dis  que  les  hommes  qui  font 
aujourd’hui  à  la  tête  des  Gouvernements  étant 
beaucoup  plus  inftruits  qu’on  ne  l’était  alors , 
il  eft  honteux  que  la  fociété  ne  fe  foit  pas 
perfectionnée  en  proportion  des  lumières  ac- 
quifes.  Je  dis  que  ces  lumières  ne  font  encore 
qu’un  crépufcule.  Nous  fortons  d’une  nuit 
profonde,  &  nous  attendons  le  grand  jour. 

F  I  N.