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Full text of "Les trophées"

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LES 


TROPHÉES 


Tous  droits  réservés 


k'     V     LES 


TROPHÉES 


JOSÈ-MARIA    DE    HEREDIA 


PARIS 

ALPHONSE  LE M  ERRE,  ËDITEUP 

23-31,    PASSAGE    CHOISEUL,    23-3I 
M    DCCC    XCIII 


M  A  N  I  BVS 

C  A  R  I  S  S  I  M  A  E 

ET 

AMANTISSIMAE 

M  AT  R  IS 

FILIVS     MEMOR 

J.    M.     H. 


LECONTE  DE  LI5LE. 


r^  'est  à  vous,  cher  et  illustre  amiy  que  f  aurais 
f^-ér^A   dédié  ces  Trophées,  si  le  respect  d'une  mémoire 
V^^À»    sacrée  qui,  je  le  sais,  vous  est  chère  aussi,  ne 
m'eut  interdit  d'inscrire  un  nom,  si  glorieux 
soit'il,  au  frontispice  de  ce  livre. 

Un  à  un,  vous  les  avez  vus  naître,  ces  poèmes.  Ils  sont 
comme  des  chaînons  qui  nous  rattachent  au  temps  déjà  loin- 
tain où  vous  enseigniez  aux  jeunes  poètes,  avec  les  règles  et 
les  subtils  secrets  de  notre  art,  l'amour  de  la  poésie  pure  et 
du  pur  langage  français.  Je  vous  suis  plus  redevable  que 
tout  autre  :  vous  m'avez  jugé  digne  de  l'honneur  de  votre 
amitié.  J'ai  pu^  au  cours  d'une  longue  intimité,  comprendre 
mieux  l'excellence  de  vos  préceptes  et  de  vos  conseils,  toute 
la  beauté  de  votre  exemple.  Et  mon  titre  le  plus  sûr  à  quelque 
gloire,  sera  d'avoir  été  votre  élève  bien  aimé. 


ÉPITRE     LIMINAIRE 


C'est  pour  vous  complaire  que  je  recueille  mes  vers  éfars. 
Vous  m^avez  assuré  que  ce  livre,  bien  qu  en  partie  inachevé, 
garderait  néanmoins  aux  yeux  du  lecteur  indulgent  quelque 
chose  de  la  noble  ordonnance  que  j'avais  rêvée.  Tel  qu'il  est  y 
je  vous  l'offre,  non  sans  regret  de  n'avoir  pu  mieux  faire^ 
mais  avec  la  conscience  cC avoir  fait  de  mon  mieux. 

Recevez-le,  cher  et  illustre  ami,  en  témoignage  de  mon 
affectueuse  gratitude,  et  comme  il  serait  malséant  de  clore 
sans  le  vœu  traditionnel  une  épttre  liminaire,  quelque  brève 
quelle  soit,  permettez  que  je  vous  souhaite,  à  vous  et  à  tous 
ceux  qui  feuilleteront  ces  pages,  de  prendre  à  lire  mes  poèmes 
autant  de  plaisir  que  j'en  eus  à  les  composer. 


JOSÈ-MARIA  DE  HERBDIA. 


LA    GRÈCE 
ET    LA    SICILE 


L'OUBLI 


LE  temple  est  en  ruine  au  haut  du  promontoire. 
Et  la  Mort  a  mêlé,  dans  ce  fauve  terrain, 
Les  Déesses  de  mrbre  et  les  Héros  d'airain 
Dont  l'herbe  solitaire  ensevelit  la  gloire. 

Seul,  parfois,  un  bouvier  menant  ses  buffles  boire, 
De  sa  conque  où  soupire  un  antique  refrain 
Emplissant  le  ciel  calme  et  l'horizon  marin, 
SurJ'azurinfinLdresse  sa  forme  noire. 

La  Terre  maternelle  et  douce  aux  anciens  Dieux, 
Fait  à  chaque  printemps,  vainement  éloquente. 
Au  chapiteau  brisé  verdir  une  autre  acanthe; 


Mais  l'Homme  indifférent  au  rêve  des  aïeux 
Écoute  sans  frémir,  du  fond  des  nuits  sereines, 
La  .Mer  qui  se  Lâgusntg  en  pleurant  les  Sirène^iL 


HERCULE    ET    LES    CENTAURES 


NÊMEE 


L/EPUis  que  le  Dompteur  entra  dans  la  forêt 
En  suivant  sur  le  sol  la  formidable  empreinte, 
Seul,  un  rugissement  a  trahi  leur  étreinte. 
Tout  s'est  tu.  Le  soleil  s'abîme  et  disparaît. 

A  travers  le  hallier,  la  ronce  et  le  guéret, 
Le  pârre  épouvanté  qui  s'enfuit  vers  Tirynthe, 
Se  tourne,  et  voit  d'un  œil  élargi  par  la  crainte 
Surgir  au  bord  des  bois  le  grand  fauve  en  arrêt. 

Il  s'écrie.  Il  a  vu  la  terreur  de  Némée 

Qui  sur  le  ciel  sanglant  ouvre  sa  gueule  armée, 

Et  la  crinière  éparse  et  les  sinistres  crocs; 


Car  l'ombre  grandissante  avec  le  crépuscule 

Fait,  sous  l'horrible  peau  qui  flotte  autour  d'Hercule, 

Mêlant  l'homme  à  la  bête,  un  monstrueux  héros. 


LES    TROPHÉES 


STYMPHALE 


Et  partout  devant  lui,  par  milliers,  les  oiseaux, 
De  la  berge  fangeuse  où  le  Héros  dévale. 
S'envolèrent,  ainsi  qu'une  brusque  rafale. 
Sur  le  l^iigubre  lac  dont  clapotaient  les  eaux. 

D'autres,  d'un  vol  plus  bas  croisant  leurs  noirs  réseaux, 
Frôlaient  le  front  baisé  par  ld6  lèvres  d'Omphale, 
Quand,  ajustant  au  nerf  la  flèche  triomphale, 
L'Archer  superbe  fit  un  pas  dans  les  roseaux. 

Et  dès  lors,  du  nuage  effarouché  qu'il  crible. 
Avec  des  cris  stridents  plut  une  pluie  horrible 
Que  l'éclair  meurtrier  rayait  de  traits  de  feu. 

Enfin,  le  Soleil  vit,  à  travers  ces  nuées 
Où  son  arc  avait  fait  d'éclatantes  trouées, 
^  Hercule  tout  sanglant  sourire  au  grand  ciel  bleu. 


LA    GRÈCE     ET    LA    SICILE 


NESSUS 


Du  temps  que  je  vivais  à  mes  frères  pareil 
Et  comme  eux  ignorant  d'un  sort  meilleur  ou  pire, 
Les  monts  Thessaliens  étaient  mon  vague  empire 
Et  leurs  torrents  glacés  lavaient  mon  poil  vermeil. 

Tel  j'ai  grandi,  beau,  libre,  heureux,  sous  le  soleil; 
Seule,  éparse  dans  l'air  que  ma  narine  aspire, 
La  chaleureuse  odeur  des  cavales  d'Épire 
Inquiétait  parfois  ma  course  ou  mon  sommeil. 

Mais  depuis  que  j'ai  vu  l'Épouse  triomphale 
Sourire  entre  les  bras  de  l'Archer  de  Stymphale, 
Le  désir  me  harcèle  et  hérisse  mes  crins; 

Car  un  Dieu,  maudit  soit  le  nom  dont  il  se  nomme  ! 

A  mêlé  dans  le  sang  enfiévré  de  mes  reins 

Au  rut  de  l'étalon  l'amour  qui  dompte  l'homme. 


LES    TROPHÉES 


LA    CENTAURESSE 


Jadis,  à  travers  bois,  rocs,  torrents  et  vallons 
Errait  le  fier  troupeau  des  Centaures  sans  nombre; 
Sur  leurs  flancs  le  soleil  se  jouait  avec  l'ombre; 
Ils  mêlaient  leurs  crins  noirs  parmi  nos  cheveux  blonds. 

^'été  fleurit  en  vain  l'herbe.  Nous  la  foulons 
Seules.  L'antre  est  désert  que  la  broussaille  encombre; 
Et  parfois  je  me  prends,  dans  la  nuit  chaude  et  sombre, 
A  frémir  à  l'appel  lointain  des  étalons. 

Car  la  race  de  jour  en  jour  diminuée 

Des  fils  prodigieux  qu'engendra  la  Nuée, 

Nous  délaisse  et  poursuit  la  Femme  éperdument. 

C'est  que  leur  amour  même  aux  brutes  nous  ravale; 
Le  cri  qu'il  nous  arrache  est  un  hennissement. 
Et  leur  désir  en  nous  n'étreint  ckje  la  cavale. 


LA    GRÈCE    ET    LA    SICILE 


CENTAURES    ET    LAPITHES 


La  foule  nuptiale  au  festin  s'est  ruée, 
Centaures  et  guerriers  ivres,  hardis  et  beaux; 
Et  la  chair  héroïque,  au  reflet  des  flambeaux, 
Se  mêle  au  poil  ardent  des  fils  de  la  Nuée. 

Rires,  tumulte...  Un  cril...  L'Épouse  polluée 

Que  presse  un  noir  poitrail,  sous  la  pourpre  en  lambeaux 

Se  débat,  et  l'airain  sonne  au  choc  des  sabots 

Et  la  table  s'écroule  à  travers  la  huée. 

Alors  celui  pour  qui  le  plus  grand  est  un  nain, 

Se  lève.  Sur  son  crâne,  un  mufle  léonin 

Se  fronce,  hérissé  de  crins  d'or.  C'est  Hercule. 

Et  d'un  bout  de  la  salle  immense  à  l'autre  bout. 
Dompté  par  l'oeil  terrible  où  la  colère  bout. 
Le  troupeau  monstrueux  en  renâclant  recule. 


LES    TROPHÉES 


FUITE    DE    CENTAURES 


Ils  fuient,  ivres  de  meurtre  et  de  rébellion, 
Vers  le  mont  escarpé  qui  garde  leur  retraite; 
La  peur  les  précipite,  ils  sentent  la  mort  prête 
Et  flairent  dans  la  nuit  une  odeur  de  lion. 

Ils  franchissent,  foulant  l'hydre  et  le  stellion, 
Ravins,  torrents,  halliers,  sans  que  rien  les  arrête; 
Et  déjà,  sur  le  ciel,  se  dresse  au  loin  la  crête 
De  rOssa,  de  l'Olympe  ou  du  noir  Pélion. 

Parfois,  l'un  des  fuyards  de  la  farouche  harde 
Se  cabre  brusquement,  se  retourne,  regarde. 
Et  rejoint  d'un  seul  bond  le  fraternel  bétail  ; 

Car  il  a  vu  la  lune  éblouissante  et  pleine 

Allonger  derrière  eux,  suprême  épouvantail, 

La  gigantesque  horreur  de  l'ombre  Herculéenne, 


@.®^s^^i®^^îe^*L®^e^^@ 


LA  NAISSANCE   D'APHRODITE 


Avant  tout,  le  Chaos  enveloppait  les  mondes 
Où  roulaient  sans  mesure  et  l'Espace  et  le  Temps; 
Puis  Gaia,  favorable  à  ses  fils  les  Titans, 
Leur  prêta  son  grand  sein  aux  mamelles  fécondes. 

Ils  tombèrent.  Le  Styx  les  couvrit  de  ses  ondes. 
Et  jamais,  sous  l'éther  foudroyé,  le  Printemps 
N'avait  fait  resplendir  les  soleils  éclatants, 
Ni  l'Été^énéreux  mûri  les  moissons  blondes. 

Farouches,  ignorants  des  rires  et  des  jeux, 

Les  Immortels  siégeaient  sur  l'Olympe  neigeux. 

Mais  le  ciel  fit  pleuvoir  la  virile  rosée; 

L'Océan  s'entr'ouvrit,  et  dans  sa  nudité 
Radieuse,  émergeant  de  l'écume  embrasée, 
Dans  le  sang  d'Ouranos  fleurit  Aphrodite. 


14  LES    TROPHÉES 


JASON    ET    MÉDÉE 


A  Gustave  Moreau. 


Ln  un  calme  enchanté,  sous  l'ample  frondaison 
De  la  forêt,  berceau  des  antiques  alarmes, 
Une  aube  merveilleuse  avivait  de  ses  larmes, 
Autour  d'eux,  une  étrange  et  riche  floraison. 

Par  l'air  magique  où  flotte  un  parfum  de  poison, 
Sa  parole  semait  la  puissance  des  charmes; 
Le  Héros  la  suivait  et  sur  ses  belles  armes 
Secouait  les  éclairs  de  l'illustre  Toison. 

Illuminant  les  bois  d'un  vol  de  pierreries, 
De  grands  oiseaux  passaient  sous  les  voûtes  fleuries, 
f  Et  dans  les  lacs  d'argent  pleuvait  l'azur  des  cieux. 

L'Amour  leur  souriait,  mais  la  fatale  Épouse 

Emportait  avec  elle  et  sa  fureur  jalouse 

Et  les  philtres  d'Asie  et  son  père  et  les  Dieux. 


LA    GRÈCE     ET     LA    SICILE  If 


LE    THERMODON 


Vers  Thémiscyre  en  feu  qui  tout  le  jour  trembla 
Des  clameurs  et  du  choc  de  la  cavalerie, 
Dans  l'ombre,  morne  et  lent,  le  Thermodon  charrie 
Cadavres,  armes,  chars  que  la  mort  y  roula. 

Où  sont  Phœbé,  Marpé,  Philippis,  Aella, 
Qui,  suivant  Hippolyte  et  l'ardente  Astérie, 
Menèrent  l'escadron  royal  à  la  tuerie? 
Leurs  corps  déchevelés  et  blêmes  gisent  là. 

Telle  une  floraison  de  lys  géants  fauchée, 

La  rive  est  aux  deux  bords  de  guerrières  jonchée 

Où,  parfois,  se  débat  et  hennit  un  cheval; 

Et  l'Euxin  vit,  à  l'aube,  aux  plus  lointaines  berge-s 

Du  fleuve  ensanglanté  d'amont  jusqu'en  aval, 

Fuir  des  étalons  blancs  rouges  du  sang  des  Vierges. 


ARTÈMIS    ET    LES    NYMPHES 


ARTÈMIS 


L'acre  senteur  des  bois  montant  de  toutes  parts, 
Chasseresse,  a  gonflé  ta  narine  élargie,         la     ."ç 
Éè  dans  ta  virginale,et\irile  énergie, 
Rejetant  tes  cheveux  en  arrière,  tu  parsl 

Et/dbMjvigissement  des  rauques  léopards 

Jusqu'à  la  nuit  tu  fais  retentir  Ortygie, 

Et  bondis  à  travers  la  Jjialetant^  orgie 

Des  grands  chiens  é ventres  sur  l'herbe  rouge  épars. 

Et,  bien  plus,  il  te  plaît,  Déesse,  que  la  ronce 
Te  morde  et  que  la  dent  ou  la  griffe  s'enfonce 
Dans  tes  bras  glorieux  que  le  fer  a  vengés; 

Car  ton  cœur  veut  goûter  cette  douceur  cruelle 
De  mêler,  en  tes  jeux,  une  pourpre  immortelle 
Au  sang  horrible  et  noir  des  monstres  égorgés. 


LES    TROPHÉES 


LA    CHASSE 


Le  quadrige,  au  galop  de  ses  étalons  blancs, 
Monte  au  faîte  du  ciel,  et  les  chaudes  haleines 
Ont  fait  onduler  l'or  bariolé  des  plaines. 
La  Terre  sent  la  flamme  immense  ardre  ses  flancs. 

La  forêt  masse  en  vain  ses  feuillages  plus  lents; 
Le  Soleil,  à  travers  les  cimes  incertaines 
Et  l'ombre  oti  rit  le  timbre^argentin  des  fontaines, 
Se  glisse,  darde  et  luit  en  jeuxétincelants. 

C'est  l'heure  flamboyante  où,  par  la  ronce  et  l'herbe. 
Bondissant  au  milieu  des  molosses,  superbe. 
Dans  les  clameurs  de  mort,  le  sang  et  les  abois, 

Faisant  voler  les  traits  de  la  corde  tendue. 
Les  cheveux  dénoués,  haletante,  éperdue, 
Invincible,  Artémis  épouvante  les  bois 


LA    GKÈCE    ET    LA    SICILE  21 


NYMPHÈE 


Le  quadrige  céleste  ï  l'horizon  descend, 
Et,  voyant  fuir  sous  lui  l'occidentale  arène, 
Le  Dieu  retient  en  vain  de  la  quadruple  rêne 
Ses  étalons  cabrés  dans  l'or  incandescent. 

Le  char  plonge.  La  mer,  de  son  soupir  puissant, 
Emplit  le  ciel  sonore  où  la  pourpre  se  traîne, 
Et,  plus  clair  en  l'azur  noir  de  la  nuit  sereine, 
Silencieusement  s'argente  le  Croissant. 

Voici  l'heure  où  la  Nymphe,  au  bord  des  sources  fraîches, 
Jette  l'arc  détendu  près  du  carquois  sans  flèches. 
Tout  se  tait.  Seul,  un  cerf  brame  au  loin  vers  les  eaux 

La  lune  tiède  luit  sur  la  nocturne  danse. 
Et  Pan,  ralentissant  ou  pressant  la  cadence, 
Rit  de  voir  son  haleine  animer  les  roseaux. 


LES    TROPHÉES 


PAN 


A  travers  les  halliers,  par  les  chemins  secrets 
Qui  se  perdent  au  fond  des  vertes  avenues, 
Le  Chèvre-pied,  divin  chasseur  de  Nymphes  nues, 
Se  glisse,  l'oeil  ardent,  sous  les  hautes  forêts. 

Il  est  doux  d'écouter  les  soupirs,  les  bruits  frais 
Qui  montent  à  midi  des  sources  inconnues 
Quand  le  Soleil,  vainqueur  étincelant  des  nues. 
Dans  la  mouvante  nuit  darde  l'or  de  ses  traits. 

Une  Nymphe  s'égare  et  s'arrête.  Elle  écoute 
Les  larmes  du  matin  qui  pleuvent  goutte  à  goutte 
Sur  la  mousse.  L'ivresse  emplit  son  jeune  cœur. 

Mais,  d'un  seul  bond,  le  Dieu  du  noir  taillis  s'élance, 
La  saisit,  frappe  l'air  de  son  rire  moqueur, 
Disparaît...  Et  les  bois  retombent  au  silence. 


LA    GRÈCE    ET    LA    SICILE  2^ 


LE    BAIN    DES    NYMPHES 


C-i'est  un  vallon  sauvage  abrité  de  l'Euxin; 
Au-dessus  de  la  source  un  noir  laurier  se  penche, 
Et  la  Nymphe,  riant,  suspendue  à  la  branche, 
Frôle  d'un  pied  craintif  l'eau  froide  du  bassin. 

Ses  compagnes,  d'un  bond,  à  l'appel  du  buccin, 
Dans  l'onde  jaillissante  où  s'ébat  leur  chair  blanche. 
Plongent,  et  de  l'écume  émergent  une  hanche, 
De  clairs  cheveux,  un  torse  ou  la  rose  d'un  sein. 

Une  gaîté  divine  emplit  le  grand  boisjombre. 

Mais  deux  yeux,  brusquement,  ont  illuminé  l'ombre. 

Le  Satyre!...  Son  rire  épouvante  leurs  jeux; 

Elles  s'élancent.  Tel,  lorsqu'un  corbeau  sinistre 
Croasse,  sur  le  fleuve  éperdument  neigeux 
S'effarouche  le  vol  des  cygnes  du  Caystre. 


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LE    VASE 


L'ivoire  est  ciselé  d'une  main^ne  et  te^e 
Que  l'on  voit  les  forêts  de  Colchide  et  Jason 
Et  Médée  aux  grands  yeux  magiques.  La  Toison 
Repose,  étincelante,  au  sommet  d'une  stèle. 

Auprès  d'eux  est  couché  le  Nil,  source  immortelle 
Des  fleuves,  et,  plus  loin,  ivres  du  doux  poison. 
Les  Bacchantes,  d'un  pampre  à  l'ample  frondaison 
Enguirlandent  le  joug  des  taureaux  qu'on  dételle. 

Au-dessous,  c'est  un  choc  hurlant  de  cavaliers; 
Puîs  les  héros  rentrant  morts  sur  leurs  boucliers 
Et  les  vieillards  plaintifs  et  les  larmes  des  mères. 

Enfin,  en  forme  d'anse  arrondissant  leurs  flancs. 

Et  posant  aux  deux  bords  leurs  seins  fermes  et  blancs, 

Dans  le  vase  sans  fond  s'abreuvent  des  Chimères. 


^6  LES    TROPHÉES 


ARIANE 


Au  choc  clair  et  vibrant  des  cymbales  d'airain, 
Nue,  allongée  au  dos  d'un  grand  tigre,  la  Reine 
Regarde,  avec  l'Orgie  immense  qu'il  entraîne, 
lacchos  s'avancer  sur  le  sable  marin. 

Et  le  monstre  royal,  ployant  son  large  rein. 
Sous  le  poids  adoré  foule  la  blonde  arène. 
Et,  frôlé  par  la  main  d'où  pend  l'errante  rêne, 
En  rugissant  d'amour  mord  les  fleurs  de  son  frein. 

Laissant  sa  chevelure  à  son  flanc  qui  se  cambre 
Parmi  les  noirs  raisins  rouler  ses  grappes  d'ambre, 
L'Épouse  n'entend  pas  le  sourd  rugissement; 

Et  sa  bouche^perdue,  ivre  enfin  d'ambroisie, 
Oubliant  ses  longs  cris  vers  l'infidèle  amant, 
Rit  au  baiser  prochain  du  Dompteur  de  l'Asie. 


LA    GRÈCE     ET    LA    SICILE 


BACCHANALE 


Une  brusque  clameur  épouvante  le  Gange. 
Les  tigres  ont  rompu  leurs  jougs  et,  miaulants, 
Ils  bondissent,  et  sous  leurs  bonds  et  leurs  élans 
r^s  Bacchantes  en  fuite  écrasent  la  vendange. 

Et  le  pampre  que  l'ongle  ou  la  morsure  effrange 
Rougit  d'un  noijij-aisin  les  gorges  et  les  flancs 
Où  près  des  reins  f^yés  luisent  des  ventres  blancs 
De  léopards  roulés  dans  la  pourpre  et  la  fange. 

Sur  les  corps  convulsifs  les  fauves  éblouis. 

Avec  des  grondements  que  prolonge  un  long  râle, 

Flairent  un  sang  plus  rouge  à  travers  l'or  du  hâle; 

Mais  le  Dieu,  s'enivrant  à  ces  jeux  inouïs, 
Par  le  thyrse  et  les  cris  les  exaspère  et  mêle 
Au  mâle  rugissant  la  hurlante  femelle. 


28  LES    TROPHÉES 


LE    RÉVEIL    D'UN    DIEU 


La  chevelure  éparse  et  la  gorge  meurtrie, 
Irritant  par  les  pleurs  l'ivresse  de  leurs  sens, 
Les  femmes  de  Byblos,  en  lugubres  accents, 
Mènent  la  funéraire  et  lente  théorie. 

Car  sur  le  lit  jonché  d'anémone  fleurie 

Où  la  Mort  avait  clos  ses  longs  yeux  languissants 

Repose,  p^rTïï^  d'aromate  et  d'encens, 

Le  jeune  homme  adoré  des  vierges  de  Syrie. 

Jusqu'à  l'aurore  ainsi  le  chœur  s'est  lamenté. 
Mais  voici  qu'il  s'éveille  à  l'appel  d'Astarté, 
L'Époux  mystérieux  que  le  cinname  arrose. 

Il  est  ressuscité,  l'antique  adolescent! 

Et  le  ciel  tout  en  fleur  semble  une  immense  rose 

Qu'un  Adonis  céleste  a  teinte  de  son  sang. 


LA    GRÈCE     ET    LA    SICILE  29 


LA    MAGICIENNE 


En  tous  lieux,  même  au  pied  des  autels  que  j'embrasse. 
Je  la  vois  qui  m'appelle  et  m'ouvre  ses  bras  blancs. 
O  père  vénérable,  ô  mère  dont  les  flancs 
M'ont  porté,  suis-je  né  d'une  exécrable  race  ? 

L'Eumolpide  vengeur  n'a  point  dans  Samothrace 
Secoué  vers  le  seuil  les  longs  manteaux  sanglants, 
Et,  malgré  moi,  je  fuis,  le  cœur  las,  les  pieds  lents; 
J'entends  les  chiens  sacrés  qui  hurlent  sur  ma  trace. 

Partout  je  sens,  j'aspire,  à  moi-même  odieux, 
Les  noirs  enchantements  et  les  sinistres  charmes 
Dont  m'enveloppe  encor  la  colère  des  Dieux; 

Car  les  grands  Dieux  ont  fait  d'irrésistibles  armes 
De  sa  bouche  enivrante  et  de  ses  sombres  yeux, 
Pour  armer  contre  moi  ses  baisers  et  ses  larmes. 


^O  LES    TROPHÉES 


SPHINX 


Au  flanc  du  Cithéron,  sous  la  ronce  enfoui, 
Le  roc  s'ouvre,  repaire  où  resplendit  au  centre 
Par  l'éclat  des  yeux  d'or,  de  la  gorge  et  du  ventre, 
La  Vierge  aux  ailes  d'aigle  et  dont  nul  n'a  joui. 

Et  l'Homme  s'arrêta  sur  le  seuil,  ébloui. 

—  Quelle  est  l'ombre  qui  rend  plus  sombre  encor  mon  antre? 

—  L'Amour.  —  Es-tu  le  Dieu  ?  —  Je  suis  le  Héros.  —  Entre  ; 
Mais  tu  cherches  la  mort.  L'oses-tu  braver?  —  Oui. 

Bellérophon  dompta  la  Chimère  farouche. 

—  N'approche  pas.  —  Ma  lèvre  a  fait  frémir  ta  bouche. 

—  Viens  donc!  Entre  mes  bras  tes  os  vont  se  briser; 

Mes  ongles  dans  ta  chair...  —  Qu'importe  le  supplice, 
Si  j'ai  conquis  la  gloire  et  ravi  le  baiser? 

—  Tu  triomphes  en  vain,  car  tu  meurs.  —  O  délice  ! ... 


LA    GRÈCE     ET    LA    SICILE  ^I 


MARSYAS 


Les  pins  du  bois  natal  que  charmait  ton  haleine 
N'ont  pas  brûlé  ta  chair,  ô  malheureux!  Tes  os 
Sont  dissous,  et  ton  sang  s'écoule  avec  les  eaux 
Que  les  monts  de  Phrygie  épanchent  vers  la  plaine. 

Le  jaloux  Citharède,  orgueil  du  ciel  hellène, 
De  son  plectre  de  fer  a  brisé  tes  roseaux 
Qui,  domptant  les  lions,  enseignaient  les  oiseaux; 
Il  ne  reste  plus  rien  du  chanteur  de  Célène. 

Rien  qu'un  lambeau  sanglant  qui  flotte  au  tronc  de  l'if 

Auquel  on  l'a  lié  pour  l'écorcher  tout  vif. 

O  Dieu  cruel!  O  cris!  Voix  lamentable  et  tendre! 

Non,  vous  n'entendrez  plus,  sous  un  doigt  trop  savant, 
La  flûte  soupirer  aux  rives  du  Méandre... 
Car  la  peau  du  Satyre  est  le  jouet  du  vent. 


PERSÉE    ET    ANDROMÈDE 


^Ir  ri*-   ri'  ri»-  rlr  TÎf  tir  ri*-   tl»  •»!♦•  rîf  \lr  ■*î*-  tlf 


ANDROMEDE    AU    MONSTRE 


La  Vierge  Céphëenne,  hélas!  encor  vivante, 
L^iée,  échevelëe,  au  roc  des  noirs  îlots, 
Se  lamente  en  tordant  avec  de  vains  sanglots 
Sa  chair  royale  où  court  un  frisson  d'épouvante. 

L'Océan  monstrueux  que  la  tempête  évente 
Crache  à  ses  pieds  glacés  l'acre  bave  des  flots, 
Et  partout  elle  voit,  à  travers  ses'cils  clos. 
Bâiller  la  gueuleglauque,  innombrable  et  mouvante. 

Tel  qu'un  éclat  de  foudre  en  un  ciel  sans  éclair. 

Tout  à  coup,  retentit  un  hennissement  clair. 

Ses  yeux  s'ouvrent.  L'horreur  les  emplit,  et  l'extase; 

Car  elle  a  vu,  d'un  vol  vertigineux  et  sûr. 

Se  cabrant  sous  le  poids  du  fils  de  Zeus,  Pégase 

Allonger  sur  la  mer  sa  grande  ombre  d'azur. 


î6  LES    TROPHÉES 


PERSÉE    ET    ANDROMÈDE 


Au  milieu  de  l'écume  arrêtant  son  essor, 
Le  Cavalier  vainqueur  du  monstre  et  de  Méduse, 
Ruisselant  d'une  bave  horrible  où  le  sang  fuse, 
Emporte  entre  ses  bras  la  vierge  aux  cheveux  d'or. 

Sur  l'étalon  divin,  frère  de  Chrysaor, 
Qui  piaffe  dans  la  mer  et  hennit  et  refuse, 
il  a  posé  l'Amante  éperdue  et  confuse 
Qui  lui  rit  et  l'étreint  et  qui  sanglote  encor. 

11  l'embrasse.  La  houle  enveloppe  leur  groupe. 

Elle,  d'un  faible  effort,  ramène  sur  la  croupe 

Ses  beaux  pieds  qu'en  fuyant  baise  un  flot  vagabond 

Mais  Pégase  irrité  par  le  fouet  de  la  lame, 

A  l'appel  du  Héros  s'enlevant  d'un  seul  bond. 

Bat  le  ciel  ébloui  de  ses  ailes  de  flamme. 


LA    GRÈCE    ET    LA    SICILE  37 


LE   RAVISSEMENT  D'ANDROMEDE 


L/'uN  vol  silencieux,  le  grand  Cheval  ailé 
Soufflant  de  ses  naseaux  élargis  l'air  qui  fume, 
Les  emporte  avec  un  frémissement  de  plume 
A  travers  la  nuit  bleue  et  l'éther  étoile. 

Us  vont.  L'Afrique  plonge  au  gouffre  flagellé, 
Puis  l'Asie...  un  désert...  le  Liban  ceint  de  brume. 
Et  voici  qu'apparaît,  toute  blanche  d'écume, 
La  mer  mystérieuse  où  vint  sombrer  Hellé. 

Et  le  vent  gonfle  ainsi  que  deux  immenses  voiles 
Les  ailes  qui,  volant  d'étoiles  en  étoiles. 
Aux  amants  enlacés  font  un  tiède  berceau; 

Tandis  que,  l'œil  au  ciel  où  palpite  leur  ombre, 

Us  voient,  irradiant  du  Bélier  au  Verseau, 

Leurs  Constellations  poindre  dans  l'azur  sombre. 


EFIGRAMMES    tl"    BUCOLIQUES 


LE    CHEVRIER 


O  berger,  ne  suis  pas  dans  cet  âpre  ravin 
Les  bonds  capricieux  de  ce  bouc  indocile; 
Aux  pentes  du  Ménale,  où  l'été  nous  exile, 
La  nuit  monte  trop  vite  et  ton  espoir  est  vain. 

Restons  ici,  veux-tu?  j'ai  des  figues,  du  vin. 
Nous  attendrons  le  jour  en  ce  sauvage  asile. 
Mais  parle  bas.  Les  Dieux  sont  partoutj'^ô  Mnasylel 
Hécare  nous  regarde  avec  son  oeil  divin. 

Ce  trou  d'ombre  là-bas  est  l'antre  où  se  retire 
Le  démon  familier  des  hauts  lieux,  le  Satyre; 
Peut-être  il  sortira,  si  nous  ne  l'effrayons. 


Entends-tu  le  pipeau  qui  chante  sur  ses  lèvres? 
C'est  lui  !  Sa  double  corne  accroche  les  rayons. 
Et,  vois,  au  clair  de  lune  il  fait  danser  mes  chèvres! 


42 


LES    TROPHÉES 


LES    BERGERS 


Viens.  Le  sentier  s'enfonce  aux  gorges  du  Cyllène. 
Voici  l'antre  et  la  source,  et  c'est  là  qu'il  se  plaît 
A  dormir  sur  un  lit  d'herbe  et  de  serpolet 
A  l'ombre  du  grand  pin  où  chante  son  haleine. 

Attache  à  ce  vieux  tronc  moussu  la  brebis  pleine. 
Sais-tu  qu'avant  un  mois,  avec  son  agnelet, 
Elle  lui  donnera  des  fromages,  du  lait? 
Les  Nymphes  fileront  un  manteau  de  sa  laine. 

Sois-nous  propice.  Pan!  ô  Chèvre-pied,  gardien 

Des  troupeaux  que  nourrit  le  mont  Arcadien, 

Je  t'invoque...  Il  entend!  J'ai  vu  tressaillir  l'arbre. 

Partons.  Le  soleil  plonge  au  couchant  radieux. 
Le  don  du  pauvre,  ami,  vaut  un  autel  de  marbre. 
Si  d'un  cœur  simple  et  pur  l'offrande  est  faite  aux  Dieux. 


LA    GRÈCE     ET    LA    SICILE  43 


ÈPICRAMME    VOTIVE 


Au  rude  Arèsl  A  la  belliqueuse  Discorde! 
Aide-moi,  je  suis  vieux,  à  suspendre  au  pilier 
Mes  glaives  ébréchés  et  mon  lourd  bouclier. 
Et  ce  casque  rompu  qu'un  crin  sanglant  déborde. 

Joins-y  cet  arc.  Mais,  dis,  convient-il  que  je  torde 
Le  chanvre  autour  du  bois  ?  —  c'est  un  dur  néflier 
Que  nul  autre  jamais  n'a  su  faire  plier  — 
Ou  que  d'un  bras  tremblant  je  tende  encor  la  corde  i 

Prends  aussi  le  carquois.  Ton  œil  semble  chercher 
En  leur  gaîne  de  cuir  les  armes  de  l'archer, 
Les  flèches  que  le  vent  des  batailles  disperse; 

11  est  vide.  Tu  crois  que  j'ai  perdu  mes  traits? 
Au  champ  de  Marathon  tu  les  retrouverais. 
Car  ils  y  sont  restés  dans  la  gorge  du  Perse. 


44  LES    TROi-HEti 


HPICRAMME    FUNÉRAIRE 


ICI  gît,  Étranger,  la  vertç  sauterelle 
Que  durant  deux  saisons  nourrit  la  jeune  Hellé, 
Et  dont  l'aile  vibrant  sous  le  pied  dentelé 
Bruissait  dans  le  pin,  le  cytise  ou  l'airelle. 

Elle  s'est  tue,  hélas!  la  lyre  naturelle, 

La  muse  des  guérets,  des  sillons  et  du  blé; 

De  peur  que  son  léger  sommeil  ne  soit  troublé, 

Ah!  passe  vite,  ami,  ne  pèse  point  sur  elle. 

C'est  là.  Blanche,  au  milieu  d'une  touffe  de  thym, 
Sa  pierre  funéraire  est  fraîchement  posée. 
Que  d'hommes  n'ont  pas  eu  ce  suprême  destin! 

Des  larmes  d'un  enfant  sa  tombe  est  arrosée, 
Et  l'Aurore  pieuse  y  fait  chaque  matin 
Une  libatioiTde  gouttes  de  rosée. 


La    GREué    et    La    SlCiLE  45" 


LE    NAUFRAGE 


Avec  la  brise  en  poupe  et  par  un  ciel  serein, 
Voyant  le  Phare  fuir  à  travers  la  mâture, 
Il  est  parti  d'Egypte  au  lever  de  l'Arcture, 
Fier  de  sa  nef  rapide  aux  flancs  doublés  d'airain. 

Il  ne  reverra  plus  le  môle  Alexandrin. 

Dans  le  sable  où  pas  même  un  chevreau  ne  pâture 

La  tempête  a  creusé  sa  triste  sépulture; 

Le  vent  du  large  y  tord  quelque  arbuste  marin. 

Au  pli  le  plus  profond  de  la  mouvante  dune, 
En  la  nuit  sans  aurore  et  sans  astre  et  sans  lune, 
Que  le  navigateur  trouve  enfin  le  repos. 

O  Terre,  ô  Mer,  pitié  pour  son  ombre  anxieuse! 
Et  sur  la  rive  hellène  où  sont  venus  ses  os, 
Soyez-lui,  toi,  légère,  et  toi,  silencieuse. 


46  LES    TROPHÉES 


LA    PRIÈRE    DU    MORT 


Arrête!  Écoute-moi,  voyageur.  Si  tes  pas 
Te  portent  vers  Cypsèle  et  les  rives  de  l'Hèbre, 
Cherche  le  vieil  Hyllos  et  dis-lui  qu'il  célèbre 
Un  long  deuil  pour  le  fils  qu'il  ne  reverra  pas. 

Ma  chair  assassinée  a  servi  de  repas 

Aux  loups.  Le  reste  gît  en  ce  hallier  funèbre. 

Et  l'Ombre  errante  aux  bords  que  ITrèbe  enténèbre 

S'indigne  et  pleure.  Nul  n'a  vengé  mon  trépas. 

Pars  donc.  Et  si  jamais,  à  l'heure  où  le  jour  tombe, 
Tu  rencontres  au  pied  d'un  tertre  ou  d'une  tombe 
Une  femme  au  front  blanc  que  voile  un  noir  lambeau: 

Approche-toi,  ne  crains  ni  la  nuit  ni  les  charmes; 
C'est  ma  mère.  Etranger,  qui  sur  un  vain  tombeau 
Embrasse  une  urne  vide  et  l'emplit  de  ses  larmes. 


LA    GRÈCE     ET    LA    SICILE  47 


L'ESCLAVE 


1  EL,  nu,  sordide,  affreux,  nourri  des  plus  vils  ipets, 
Esclave  —  vois,  mon  corps  en  a  gardé  les  signes  — 
Je  suis  né  libre  au  fond  du  golfe  aux  belles  lignes 
Où  l'Hybla  plein  de  miel  mire  ses  bleus  sommets. 

J'ai  quitté  l'ile  heureuse,  hélas!...  Ah!  si  jamais 
Vers  Syracuse  et  les  abeilles  et  les  vignes 
Tu  retournes,  suivant  le  vol  vernal  des  cygnes. 
Cher  hôte,  informe-toi  de  celle  que  j'aimais. 

Reverrai-je  ses  yeux  de  sombre^iolette, 
Si  purs,  sourire  au  ciel  natal  qui  s'y  reflète 
Sous  l'arc  victorieux  que  tend  un  sourcil  noi' 

Sois  pitoyable!  Pars,  va,  cherche  Cléariste 
Et  dis-lui  que  je  vis  enccr  pour  la  revoir. 
Tu  la  reconnaîtras,  car  elle  est  toujours  triste 


48  Lti     1  ROPUttS 


LE    LABOUREUR 


Le  semoir,  la  charrue,  un  joug,  des  socs  luisants, 
La  herse,  l'aiguillon  et  la  faulx  acérée 
Qui  fauchait  en  un  jour  les' épis  d'une  airée, 
Et  la  fourche  qui  tend  la  gerbe  aux  paysans  ; 

Ces  outils  familiers,  aujourd'hui  trop  pesants, 
Le  vieux  Parmis  les  voue  à  l'immortelle  Rhée 
Par  qui  le  germe  éclôt  sous  la  terre  sacrée. 
Pour  lui,  sa  tâche  est  faite;  il  a  quatre-vingts  ans. 

Près  d'un  siècle,  au  soleil,  sans  en  être  plus  riche. 
Il  a  poussé  le  coutre  au  travers  de  la  friche; 
Ayant  vécu  sans  joie,  il  vieillit  sans  remords. 

Mais  il  est  las  d'avoir  tant  peiné  sur  la  glèbe 

Et  songe  que  peut-être  il  faudra,  chez  les  morts. 

Labourer  des  champs  d'ombre  arrosés  par  l'Érèbe. 


LA    GRÈCE     ET     LA    SICILE  49 


A    HERMÈS    CRIOPHORE 


r  ouR  que  le  compagnon  des  Naïades  se  plaise 
A  rendre  la  brebis  agréable  au  bélier 
Et  qu'il  veuille  par  lui  sans  fin  multiplier 
L'errant  troupeau  qui  broute  aux  berges  du  Galèse; 

11  faut  lui  faire  fête  et  qu'il  se  sente  à  l'aise 
Sous  le  toit  de  roseaux  du  pâtre  hospitalier; 
Le  sacrifice  est  doux  au  Démon  familier 
Sur  la  table  de  marbre  ou  sur  un  bloc  de  glaise. 

Donc,  honorons  Hermès.  Le  subtil  Immortel 
Préfère  à  la  splendeur  du  temple  et  de  l'autel 
La  main  pure  immolant  la  victime  impollue. 

Ami,  dressons  un  tertre  aux  bornes  de  ton  pré 
Et  qu'un  vieux  bouc,  du  sang  de  sa  gorge  velue, 
Fasse  l'argile  noire  et  le  gazon  pourpré. 


ÇO  LES    TROPHÉES 


LA    JEUNE    MORTE 


Oui  que  tu  sois,  Vivant,  passe  vite  parmi 
L'herbe  du  tertre  où  gît  ma  cendre  inconsolée; 
Ne  foule  point  les  fleurs  de  l'humble  mausolée 
D'où  j'écoute  ramper  le  lierre  et  la  fourmi. 

Tu  t'arrêtes?  Un  chant  de  colombe  a  gémi. 
Non!  qu'elle  ne  soit  pas  sur  ma  tombe  immolée! 
Si  tu  veux  m'être  cher,  donne-lui  la  volée. 
La  vie  est  si  douce,  ah  I  laisse-la  vivre,  ami. 

Le  sais-tu?  Sous  le  myrte  enguirlandant  la  porte. 
Épouse  et  vierge,  au  seuil  nuptial,  je  suis  morte, 
Si  proche  et  déjà  loin  de  celui  que  j'aimais. 

Mes  yeux  se  sont  fermés  à  la  lumière  heureuse, 
Et  maintenant  j'habite,  hélas!  et  pour  jamais, 
L'inexorable  Érèbe  et  la  Nuit  Ténébreuse. 


LA    GRÈCE     ET    LA    SICILE  fl 


REGILLA 


Passant,  ce  marbre  couvre  Annia  Regilla 
Du  sang  de  Canymède  et  d'Aphrodite  née. 
Le  noble  Hérode  aima  cette  fille  d'Énée. 
Heureuse,  jeune  et  belle,  elle  est  morte.  Plains-ia, 

Car  l'Ombre  dont  le  corps  délicieux  gît  là, 
Chez  le  prince  infernal  de  l'Ile  Fortunée 
Compte  les  jours,  les  mois  et  la  si  longue  année 
Depuis  que  loin  des  siens  la  Parque  l'exila. 

Hanté  du  souvenir  de  sa  forme  charmante, 
L'Époux  désespéré  se  lamente  et  tourmente 
La  pourpre  sans  sommeil  du  lit  d'ivoire  et  d'or. 

Il  tarde.  Il  ne  vient  pas.  Et  l'âme  de  l'Amante, 
Anxieuse,  espérant  qu'il  vienne,  vole  encor 
Autour  du  sceptre  noir  que  lève  Rhadamanthe. 


^■2  LIS    TROPHÉES 


LE    COUREUR 


1  EL  que  Delphes  l'a  vu  quand,  Thymos  le  suivant, 
11  volait  par  le  stade  aux  clameurs  de  la  foule. 
Tel  Ladas  court  encor  sur  le  socle  qu'il  foule 
D'un  pied  de  bronze,  svelte  et  plus  vif  que  le  vent. 

Le  bras  tendu,  l'œil  fixe  et  le  torse  en  avant, 
Une  sueur  d'airain  à  son  front  perle  et  coule; 
On  dirait  que  l'athlète  a  jailli  hors  du  moule, 
Tandis  que  le  sculpteur  le  fondait,  tout  vivant. 

11  palpite,  il  frémir  d'espérance  et  de  fièvre. 

Son  flanc  halète,  l'air  qu'il  fend  manque  à  sa  lèvre 

Et  l'effort  fait  saillir  ses  muscles  de  métal; 

L'irrésistible  élan  de  la  course  l'entraîne 
Et  passant  par-dessus  son  propre  piédestal. 
Vers  la  palme  et  le  but  il  va  fuir  dans  l'arène. 


LA    GRÈCE     ET     LA    SICILE  5"^ 


LE    COCHER 


CTRANCER,  celui  qui,  debout  au  timon  d'or, 
Maîtrise  d'unie  main  par  leur  quadruple  rêne 
Ses  chevaux  noirs  et  rient  de  l'autre  un  fouet  de  frêne, 
Guide  un  quadrige  mieux  que  le  héros  Castor. 

Issu  d'un  père  illustre  et  plus  illustre  encor... 
Mais  vers  la  borne  rouge  où  la  course  l'entraîne, 
Il  part,  semant  déjà  ses  rivaux  sur  l'arène. 
Le  Libyen  hardi  cher  à  l'Autocrator. 

Dans  le  cirque  ébloui,  vers  le  but  et  la  palme, 
Sept  fois,  triomphat-eur  vertigineux  et  calme, 
11  a  tourné.  Salut,  fils  de  Calchas  le  Bleu! 

Et  tu  vas  voir,  si  l'œil  d'un  mortel  peut  suffire 
A  cette  apothéose  où  fuit  un  char  de  feu, 
La  Victoire  voler  pour  rejoindre  Porphyre. 


f4  LES     TROPHtES 


SUR    L'OTHRYS 


L'air  fraîchit.  Le  soleil  plonge  au  ciel  radieux. 
Le  bétail  ne  craint  plus  le  taon  ni  le  bupreste. 
Aux  pentes  de  l'Othrys  l'ombre  est  plus  longue.  Reste, 
Reste  avec  moi,  cher  hôte  envoyé  par  les  Dieux. 

Tandis  que  tu  boiras  un  lait  fumant,  tes  yeux 
Contempleront  du  seuil  de  ma  cabane  agreste, 
Des  cimes  de  l'Olympe  aux  neiges  du  Tymphreste, 
La  riche  Thessalie  et  les  monts  glorieux. 

Vois  la  mer  et  l'Eubée  et,  rouge  au  crépuscule. 
Le  Callidrome  sombre  et  l'OEta,  dont  Hercule 
Fit  son  bûcher  suprême  et  son  premier  autel; 

Et  là-bas,  à  travers  la  lumineuse  gaze, 

Le  Parnasse  où,  le  soir,  las  d'un  vol  immortel, 

Se  pose,  et  d'où  s'envole,  à  l'aurore,  Pégase! 


ROME 
ET    LES    BARBARES 


* 


POUR   LE  VAISSEAU    DE  VIRGILE 


Qu  E  VOS  astres  plus  clairs  gardent  mieux  du  danger, 
Dioscures  brillants,  divins  frères  d'Hélène, 
Le  poète  latin  qui  veut,  au  ciel  hellène. 
Voir  les  Cyclades  d'or  de  l'azur  émerger. 

Que  des  souffles  de  l'air,  de  tous  le  plus  léger, 
Que  le  doux  lapyx,  redoublant  son  haleine, 
D'une  brise  embaumée  enfle  la  voile  pleine 
Et  pousse  le  navire  au  rivage  étranger. 

A  travers  l'Archipel  où  le  dauphin  se  joue. 
Guidez  heureusement  le  chanteur  de  Mantoue; 
Prètez-lui,  fils  du  Cygne,  un  fraternel  rayon. 


La  moitié  de  mon  âme  est  dans  la  nef  fragile 
Qui,  sur  la  mer  sacrée  où  chantait  Arion, 
Vers  la  terre  des  Dieux  porte  le  grand  Virgile. 


y8  LES    TROPHÉES 


VILLULA 


Oui,  c'est  au  vieux  Gallus  qu'appartient  l'héritage 
Que  tu  vois  au  penchant  du  coteau, cisalpin; 
La  maison  tout  entière  est  à  l'abri  d'un  pin 
Et  le  chaume  du  toit  couvre  à  peine  un  étage. 

11  suffit  pour  qu'un  hôte  avec  lui  le  partage. 
Il  a  sa  vigne,  un  four  à  cuire  plus  d'un  pain, 
Et  dans  son  potager  foisonne  le  lupin. 
C'est  peu?  Gallus  n'a  pas  désiré  davantage. 

Son  bois  donne  un  fagot  ou  deux  tous  les  hivers, 

Et  de  l'ombre,  l'été,  sous  les  feuillages  verts; 

A  l'automne  on  y  prend  quelque  grive  au  passage. 

C'est  là  que,  satisfait  de  son  destinjîorné, 

Gallus  finit  de  vivre  où  jadis  il  est  né^ 

Va,  tu  sais  à  présent  que  Gallus  est  un  sage. 


ROME     ET    LES    BAKBARES  S9 


LA    FLUTE 


VOICI  le  soir.  Au  ciel  passe  un  vol  de  pigeons. 
Rien  ne  vaut  pour  charmer  une  amoureuse  fièvre, 
O  chevrier,  le  son  d'un  pipeau  sur  la  lèvre 
Qu'accompagne  un  bruit  frais  de  source  entre  les  joncs. 

A  l'ombre  du  platane  où  nous  nous  allongeons 
L'herbe  est  plus  molle.  Laisse,  ami,  l'errante  chèvre, 
Sourde  aux  chevrotements  du  chevreau  qu'elle  sevré, 
Escalader  la  roche  et  brouter  les  bourgeons. 

Ma  flûte,  faite  avec  sept  tiges  de  ciguë 

Inégales  que  joint  un  peu  de  cire,  aiguë 

Ou  grave,  pleure,  chante  ou  gémit  à  mon  gré. 

Viens.  Nous  t'enseignerons  l'art  divin  du  Silène, 
Et  tes  soupirs  d'amour,  de  ce  tuyau  sacré, 
S'envoleront  parmi  Tharmonieuse  haleine. 


6o  LES    TROPHÉES 


A   SEXTIUS 


Le  ciel  est  clair.  La  barque  a  glissé  sur  les  sables. 
Les  vergers  sont  fleuris  et  le  givre  argentin 
N'irise  plus  les  prés  au  soleil  du  matin. 
Les  bœufs  et  le  bouvier  désertent  les  étables. 

Tout  renaît.  Mais  la  Mort  et  ses  funèbres  fables 
Nous  pressent,  et,  pour  toi,  seul  le  jour  est  certain 
Où  les  dés  renversés  en  un  libre  festin 
Ne  t'assigneront  plus  la  royauté  des  tables. 

La  vie,  ô  Sextius,  est  brève.  Hâtons-nous 

De  vivre.  Déjà  l'âge  a  rompu  nos  genoux. 

Il  n'est  pas  de  printemps  au  froid  pays  des  Ombres. 

Viens  donc.  Les  bois  sont  verts,  et  voici  la  saison 
D'immoler  à  Faunus,  en  ses  retraites  sombres, 
Un  bouc  noir  ou  l'agnelle  à  la  blanche  toison. 


HOkTORUM     DEUS 


A   Paul   Arène. 


L_L    i^r  v»^  Olim  truncus  eram  fintlnus. 

HORACE. 

N'approche  pas!  Va-t'en!  Passe  au  large,  Étranger! 
Insidieiw  pillard,  tu  voudrais,  j'imapine, 
Dérober  les  raisins,  l'olive  ou  l'aubergine 
Que  le  soleil  mûrit  à  l'ombre  du  verger? 

J'y  veille.  A  coups  de  serpe,  autrefois,  un  berger 
M'a  taillé  dans  le  tronc  d'un  dur  figuier  d'Égine; 
Ris  du  sculpteur.  Passant,  mais  songe  à  l'origine 
De  Priape,  et  qu'il  peut  rudement  se  venger. 

Jadis,  cher  aux  marins,  sur  un  bec  de  galère 
Je  me  dressais,  vermeil,  joyeux  de  la  colère 
Ecumante  ou  du  rire  éblouissant  des  flots; 


A  présent,  vil  gardien  de  fruits  et  de  salades, 
Contre  les  maraudeurs  je  défends  cet  enclos.. 
Et  je  ne  verrai  plus  les  riantes  Cyclades. 


64  LESTROPHÉFS 


II 


Hiijus  nam  domini  colunt  me  Deumque  salutant. 

CATULLE. 


Respecte,  ô  Voyageur,  si  tu  crains  ma  colère, 
Cet  humble  toit  de  joncs  tressés  et  de  glaïeul. 
Là,  parmi  ses  enfants,  vit  un  robuste  aïeul; 
C'est  le  maitre  du  clos  et  de  la  source  claire. 

Et  c'est  lui  qui  planta  droit  au  milieu  de  l'aire 
Mon  emblème  équarri  dans  un  coeur  de  tilleul; 
Il  n'a  point  d'autres  Dieux,  aussi  je  garde  seul 
Le  verger  qu'il  cultive  et  fleurit  pour  me  plaire. 

Ce  sont  de  pauvres  gens,  rustiques  et  dévots. 
Par  eux,  la  violette  et  les  sombres  pavots 
Ornent  ma  gaine  avec  les  verts  épis  de  l'orge; 

Et  toujours,  deux  fois  l'an,  l'agreste  autel  a  bu, 
Sous  le  couteau  sacré  du  colon  qui  l'égorgé, 
Le  sang  d'un  jeune  bouc  impudique  et  barbu. 


ROME     ET    LES     BARBARES  6f 


m 


Eue  viUicus 
Veiiil... 


rioLA,  maudits  enfants I  Gare  au  piège,  à  la  trappe, 
Au  chien  !  Je  ne  veux  plus,  moi  qui  garde  ce  lieu, 
Qu'on  vienne,  sous  couleur  d'y  quérir  un  caïeu 
D'ail,  piller  mes  fruitiers  et  grappiller  ma  grappe. 

D'ailleurs,  là-bas,  du  fond  des  chaumes  qu'il  étrape, 
Le  colon  vous  épie,  et,  s'il  vient,  par  mon  pieu  ! 
Vos  reins  sauront  alors  tout  ce  que  pèse  un  Dieu 
De  bois  dur  emmanché  d'un  bras  d'homme  qui  frappe. 

Vite,  prenez  la  sente  à  gauche,  suivez-la 
Jusqu'au  bout  de  la  haie  où  croît  ce  hêtre,  et  là 
Profitez  de  l'avis  qu'on  vous  glisse  à  l'oreille  : 

Un  négligent  Priape  habite  au  clos  voisin; 
D'ici,  vous  pouvez  voir  les  piliers  de  sa  treille 
Où  sous  l'ombre  du  pampre  a  rougi  le  raisin. 


6b  LES    TROPHÉES 


IV 


Mihi  corolla  picia  vere  ponitur. 

CATULLE. 


Lntre  donc.  Mes  piliers  sont  fraîchement  crépis. 
Et  sous  ma  treille  neuve  où  le  soleil  se  glisSe 
L'ombre  est  plus  douce.  L'air  embaume  la  mélisse. 
Avril  jonche  la  terre  en  fleur  d'un  frais  tapis. 

Les  saison?  tour  à  tour  me  parent  :  blonds  épis, 
Raisins  mûrs,  verte  olive  ou  printanier  calice; 
Et  le  lait  du  matin  caille  encor  sur  l'éclisse 
Que  la  chèvre  me  tend  la  mamelle  et  le  pis. 

Le  maître  de  ce  clos  m'honore.  J'en  suis  digne. 

Jamais  grive  ou  larron  ne  marauda  sa  vigne 

Et  nul  n'est  mieux  gardé  de  tout  le  Champ  Romain. 

Les  fils  sont  beaux,  la  femme  est  vertueuse,  et  l'homme, 
Chaque  soir  de  marché,  fait  tinter  dans  sa  main 
Les  deniers  d'argent  clair  qu'il  rapporte  de  Rome. 


ROME     ET     LES     BARBARES  67 


Rigetijue  dura  barba  jtittcta  crystallo. 
Diversoruni  Focurum  Lusus. 


O^UEL  froid!  le  givre  brille  aux  derniers  pampres  verts; 

Je  guette  le  soleil,  car  je  sais  l'heure  exacte 

Où  l'aurore  rougit  les  neiges  du  Soracte. 

Le  sort  d'un  Dieu  champêtre  est  dur.  L'homme  est  per\  ci  s 

Dans  ce  clos  ruiné,  seul,  depuis  vingt  hivers 
Je  me  morfonds.  Ma  barbe  est  hirsute  et  compacte, 
Mon  vermillon  s'écaille  et  mon  bois  se  rétracte 
Et  se  gerce,  et  j'ai  peur  d'être  piqué  des  vers. 

Que  ne  suis-je  un  Pénate  ou  même  simple  Lare 

Domestique,  repeint,  repu,  toujours  hilare, 

Gorgé  de  miel,  de  fruits  ou  ceint  des  fleurs  d'avril! 

Près  des  aïeux  de  cire,  au  fond  du  vestibule. 

Je  vieillirais  et  les  enfants,  au  jour  viril, 

A  mon  col  vénéré  viendraient  pendre  leur  bulle. 


®'Spm®®j^M!&^}jrcmii®jèmi® 


LE    TEPIDARIUM 


La  myrrhe  a  parfumé  leurs  membres  assouplis; 
Elles  rêvent,  goûtant  la  tiédeur  de  Décembre, 
Et  le  brasier  de  bronze  illuminant  la  chambre 
Jette  la  flamme  et  l'ombre  à  leurs  beaux  fronts  pâlis. 

Aux  coussins  de  byssus,  dans  la  pourpre  des  lits, 
Sans  bruit,  parfois  un  corps  de  marbre  rose  ou  d'ambre 
Ou  se  soulève  à  peine  ou  s'allonge  ou  se  cambre; 
Le  lin  voluptueux  dessine  de  longs  plis. 

Sentant  à  sa  chair  nue  errer  l'ardeiit  effluve, 
Une  femme  d'Asie,  au  milieu  de  l'ctuve, 
Tord  ses  brc^s  énervés  en  un  ennui  serein; 

Et  le  pâle  troupeau  des  filles  d'Ausonie 

S'enivre  de  la  riche  et  sauvage  harmonie 

Des  noirs  cheveux  roulant  sur  un  torse  d'aira:n. 


yo  LES    TROPHÉES 


TRANQUILLUS 

C.  Plinii  Secundi  Epist.  Lih.  I,  Fp.  XXIV 

C'est  dans  ce  doux  pays  qu'a  vécu  Suétone; 
Et  de  l'humble  villa  voisine  de  Tibur, 
Parmi  la  vigne,  il  reste  encore  un  pan  de  mur, 
Un  arceau  ruiné  que  le  pampre  festonne. 

C'est  là  qu'il  se  plaisait  à  venir,  chaque  automne, 
Loin  de  Rome,  aux  rayons  des  derniers  cielsJ'azur, 
Vendanger  ses  ormeaux  qu'alourdit  le  cep  mûr. 
Là  sa  vie  a  coulé  tranquille  et  monotone. 

Au  milieu  de  la  paix  pastorale,  c'est  là 
Que  l'ont  hanté  Néron,  Claude,  Caligula, 
Messaline  rôdant  sous  la  stole  pourprée; 

Et  que,  du  fer  d'un  style  à  la  pointe  acérée 

Egratignant  la  cire  impitoyable,  il  a 

Décrit  les  noits  loisirs  du  vieillard  de  Caprée. 


ROME     ET    LES     BARBARES  yi 


LUPERCUS 

M.  Val.  Martialii  Lib.  l,  Epigr.  CXVIII. 

LuPERCus,  du  plus  loin  qu'il  me  voit  :  —  Cher  poète, 
Ta  nouvelle  épigramme  est  du  meilleur  latin; 
Dis,  veux-tu,  j'enverrai  chez  toi  demain  matin, 
Me  prêter  les  rouleaux  de  ton  œuvre  complète? 

—  Non.  Ton  esclave  boite,  il  est  vieux,  il  halète. 
Mes  escaliers  sont  durs  et  mon  logis  lointain; 
Ne  demeures-tu  pas  auprès  du  Palatin? 
Atrectus,  mon  libraire,  habite  l'Argilète. 

Sa  boutique  est  au  coin  du  Forum,  Il  y  vend 
Les  volumes  des  morts  et  celui  du  vivant, 
Virgile  et  Silius,  Pline,  Térence  ou  Phèdre; 

Là,  sur  l'un  des  rayons,  et  non  certe  aux  derniers. 
Poncé,"  veto  de  pourpre  et  dans  un  nid  de  cèdre, 
Martial  est  en  vente  au  prix  de  cinq  deniers. 


72  LES    TROPHÉES 


LA    TREBBIA 


L'aube  d'un  joii^;__sijiisrre  a  blanchi  les  baureurs. 
Le  camp  s'éveille.  En  bas  roule  et  gronde  le  fleiive  /   A 
Où  l'escadron  léger  des  Numides  s'abreuve.  i 

(Partout  sonne  l'appel  clair  des  buccinateurs. 

Car  malgré  Scipion,  les  augurçs  menteurs, 

La  Trebbia  débordée,  et  qu'il  vente  et  qu'il  pleuve, 

Sempronius  Consul,  fier  de  sa  gloire  neuve, 

A  fait  lever  la  hache  et  marcher  les  licteurs. 

Rougissant  le  ciel  noir  de  flamboîments  lugubres, 
A  l'horizon,  brûlaient  les  villages  Insubres; 
On  entendait  au  loin  barrir  un  éléphant. 

Et  là-bas,  sous  le  pont,  adossé  contre  une  arche, 

Hannibal  écoutait,  pensif  et  triomphant. 

Le  piétinement  sourd  des  légions  en  marche. 


RUME     ET     LES     BARBARES  7J 


APRÈS    CANNES 


Un  des  consuls  tué,  l'autre  fuit  vers  Linterne 
Ou  Venuse.  L'Aufide  a  débordé,  trop  plein 
De  morts  et  d'armes.  La  foudre  au  Capitolin 
Tombe,  le  bronze  sue  et  le  ciel  rouge  est  terne. 

En  vain  le  Grand  Pontife  a  fait  un  lectisterne 

Et  consulté  deux  fois  l'oracle  sibyllin; 

D'un  long  sanglot  l'aïeul,  la  veuve,  l'orphelin 

Emplissent  Rome  en  deuil  que  la  terreur  consterne. 

Et  chaque  soir  la  foule  allait  aux  aqueducs. 
Plèbe,  esclaves,  enfants,  femmes,  vieillards  caducs 
Et  tout  ce  que  vomit  Subure  et  l'ergastule; 

Tous  anxieux  de  voir  surgir,  au  dos  vermeil 
Des  monts  Sabins  où  luit  l'œil  sanglant  du  soleil, 
Le  Chef  borgne  monté  sur  l'éléphant  Gétule. 


74  LES    TROPHÉES 


A    UN    TRIOMPHATEUR 


Fais  sculpter  sur  ton  arc,  Imperalor  illustre, 
Des  files  de  guerriers  barbares,  de  vieux  chefs 
Sous  le  joug,  des  tronçons  d'armures  et  de  nefs, 
Et  la  flotte  captive  et  le  rostre  et  l'aplustre. 

Quel  que  tu  sois,  issu  d'Ancus  ou  né  d'un  rustre, 
Tes  noms,  famille,  honneurs  et  titres,  longs  ou  brefs, 
Grave-les  dans  la  frise  et  dans  les  bas-reliefs 
Profondément,  de  peur  que  l'avenir  te  frustre. 

Déjà  le  Temps  orandit  l'arn^e  fatale.  As-tu 
L'espoir  d'éterniser  le  bruit  de  ta  vertu  ? 
Un  vil  lierre  suffit  à  disjoindre  un  trophée; 

Et  seul,  aux  blocs  épars  des  marbres  triomphaux 
Où  ta  gloire  en  ruine  est  par  l'herbe  étouffée, 
(Quelque  faucheur  Samnite  ébréchera  sa  faulx. 


ANTOINE    ET    CLÈOPATRE 


-y' 


^Oiii^'  '*^'^^3^-VJ»;rvVi'^^\l»;.-v'SJ^r(-)Vr' 


LE    CYDNUS 


bous  l'azur  triomphal,  au  soleil  qui  flamboie, 
La  trirème  d'argent  blanchit  le  fleuve  noii^ 
Et  son  sillage  y  laisse  un  parfum  d'encen^ir 
Avec  des  sons  de  flûte  et  des  frissons  de  soie. 

A  la  proi^e  éclatante  où  l'épervier  s'éploie, 

Hors  de  son  dais  royal  se  penchant  pour  mieux  voir, 

Cléopâtre  debout  en  la  splendeur  du  soir 

Semble  un  grand  oiseau  d'or  qui  guette  au  loin  sa  proie. 

Voici  Tarse,  oià  l'attend  le  guerri^r^ésarmé; 

Et  la  brune  Lagide  ouvre  dans  l'air  charmé 

Ses  bras  d'ambre  où  la  pourpre  a  mis  des  reflets  roses; 

Et  ses  yeux  n'ont  pas  vu,  présage  de  son  sort. 
Auprès  d'elle,  effeuillant  sur  l'eau  sombre  des  roses, 
Les  deux  Enfants  divins,  le  Désir  et  la  Mort. 


yS  lestrophée: 


SOIR    DE    BATAILLE 


Le  choc  avait  été  très  rude.  Les  tribuns 

Et  les  centurions,  ralliant  les  cohortes, 

Humaient  encor  dans  l'air  où  vibraient  leurs  voix  fortes 

La  chaleur  du  carnage  et  ses  acres  parfums.  '' 

D'un  œiLmorne,  comptant  leurs  compagnons  défunts, 
Les  soldats  regardaient,  comme  des  feuilles  mortes, 
Au  loin,  tourbillonner  les  archers  de  Phraortes; 
Et  la  sueur  coulait  de  leurs  visages  bruns. 

C'est  alors  qu'apparut,  tout  hérissé  de  flèches, 
Rouge  du  flux  vermeil  de  ses  blessures,  fraîches. 
Sous  la  pourpre  flottante  et  l'airain  rutilant, 

Au  fracas  des  buccins  qui  sonnaient  leur  fanfare. 
Superbe,  maîtrisant  son  cheval  qui  s'effare, 
Sur  le  ciel  enflammé,  l'Imperator  sanglant. 


\ 


ROME     ET     LES     BARBARES  Jcj 


ANTOINE    ET    CLEOPATRE 


1  ous  deux  ils  regardaient,  de  la  haut^  terrasse, 
i'Egypte  s'endormir  sous  un  ciel  étouffant 
Et  le  Fleuve,  à  travers  le  Delta  noir  qu'il  fend, 
Vers  Bubaste  ou  Sais  rouler  son  onde  grasse. 

tt  le  Romain  sentait  sous  la  lourde  cuirasse, 
Soldat  captif  berçant  le  sommeil  d'un  enfant, 
Ployer  et  défaillir  sur  son  coeur  triomphant 
Le  corps  voluptueux  que  son  étreinte  embrasse. 

Tournant  sa  tête  pâle  entre  ses  cheveux  bruns 
Vers  celui  qu'enivraient  d'invincibles  parfums. 
Elle  tendit  sa  bouche  et  ses  prunelles  claires; 

Et  sur  elle  courbé,  l'ardent  Imperator 

Vit  dans  ses  larges  yeux  étoiles  de  points  d'or 

Toute  une  mer  immense  où  fuyaient  des  galères. 


SONNETS    EPIGRAPHIQ^UES 


î3egnères-de-Luclion,  Sept. 


@@@.yK^v3®.^C<^.<È.<^<è.è@®xS® 


ILIXONI 

LE 

VOEU 

ISCITTO   DEO 

DEC 

H  V  N  S-  V 
VLOHOXIS 

?AB.     FESTA 

FIL. 

V.   S.    L.   M. 

V.    S.    L.    M. 

vuiTSUf>vt  L.w;-fi;;  MÛR./. 

Jadis  Tibère  uqjr  et  le  Gall  au  poil  tauve 
Et  le  Garumne  brun  peint  d'ocre  et  de  carmin, 
Sur  le  marbre  votif  entaillé  par  leur  main, 
Ont  dit  l'eau  bienfaisari^e  et  sa  vertu  qui  sauve. 

Puis  les  Imperators,  sous  le  Venasque  chauve, 

Bâtirent  la  piscine  et  le  therme  romain, 

Et  Fabia  Festa,  par  ce  même  chemin, 

A  cueilli  pour  les  Dieux  la  verveine  ou  la  mauve. 

Aujourd'hui,  comme  aux  jours  d'iscitt  et  d'Ilixon, 
Les  sources  m'ont  chanté  leur  divine  chanson; 
Le  soufre  fume  encore  à  l'air  pur  des  moraines. 

C'est  pourquoi,  dans  ces  vers,  accomplissant  les  vœux, 
Tel  qu'autrefois  Hunnu,  fils  d'Ulohox,  je  veux 
Dresser  l'autel  barbare  aux  Nymphes  Souterraines. 


84  LES    TROPHÉES 


LA    SOURCE 


NYMPHIS     AVG.     SACRVM. 


L'autel  gît  sous  la  ronce  et  l'herbe  enseveli  ; 
Et  la  source  sans  nom  qui  goutte  à  goutte  tombe 
D'un  son  plaintif  emplit  la  solitaire  combe. 
C'est  la  Nymphe  qui  pleure  un  éternel  oubli. 

L'inutile  miroir  que  ne  ride  aucun  pli 
A  peine  est  effleuré  par  un  vol  de  colombe 
Et  la  lune,  parfois,  qui  du  ciel  noir  surplombe, 
Seule,  y  reflète  encore  un  visage  pâli. 

De  loin  en  loin,  un  pâtre,  errant  s'y  désaltère. 

lu  boit,  et  sur  la  dalle  antique  du  chemin 

'Verse  un  peu  d'eau  resté  dans  le  creux  de  sa  main. 

Il  a  fait,  malgré  lui,  le  geste  héréditaire. 
Et  ses  yeux  n'ont  pas  vu  sur  le  cippe  romain 
Le  vase  libatoire  auprès  de  la  patère. 


ROME     ET    LES     BARBARES  8f 


LE    DIEU    HÊTRE 


FAGO     DEO. 


Le  Garumne  a  bâti  sa  rustiquç  maison 
Sous  un  gran^être  au  tronc  rausculeux  comme  un  torse 
Dont  la  sève  d'un  Dieu  gonfle  la  blanche  écorce, 
La  forêt  maternelle  est  tout  son  horizon. 

Car  l'homnoe  libre  y  trouve,  au  gré  de  la  saison, 
Les  faînes,  le  bois,  l'ombre  et  les  bêtes  qu'il  force 
Avec  l'arc  ou  l'épieu,  le  filet  ou  l'amorce. 
Pour  en  manger  la  chair  et  vêtir  leur  toison. 

Longtemps  il  a  vécu  riche,  heureux  et  sans  maître, 
Et  le  soir,  lorsqu'il  rentre  au  logis,  le  vieux  Hêtre 
De  ses  bras  familiers  semble  lui  faire  accueil; 

Et  quand  la  Mort  viendra  courber  sa  tête  franche, 
Ses  petits-fils  auront  pour  tailler  son  cercueil 
L'incorruptible  cœur  de  la  maîtresse  branche.  . 


86  LESTROPHÉES 


AUX    MONTAGNES    DIVINES 


GEMINVS    SERVVS 
JT    PRO     SVIS    CONSERVIS. 


Glaciers  bleus,  pics  de  marbre  et  d'ardoise,  granits, 
Moraines  dont  le  vent,  du  Néthou  jusqu'à  Bègle, 
Arrache,  brûle  et  tord  le  froment  et  le  seigle, 
Cols  abrupts,  lacs,  forêts  pleines  d'ombre  et  de  nids! 

Antres  sourds,  noirs  vallons  que  les  anciens  bannis, 
Plutôt  que  de  ployer  sous  la  servile  règle, 
Hantèrent  avec  l'ours,  le  loup,  l'isard  et  l'aigle, 
Précipices,  torrents,  gouffres,  soyez  bénis! 

Ayant  fui  l'ergastule  et  le  dur  municipe, 

L'esclave  Geminus  a  dédié  ce  cippe 

Aux  Monts,  gardiens  sacrés  de  l'âpre  liberté; 

y 

Et  sur  ces  sommets  clairs  où  le  silence  vibre. 

Dans  l'air  inviolable,  immense  et  pur,  jeté. 

Je  crois  entendre  encor  le  cri  d'un  homme  libre! 


ROME     ET     LES     BARBARES  87 


L'EXILÉE 

MONTIBVS... 

GARRI    DEO... 

SABINVLA. 

V.     S.     L.    M. 

Dans  ce  vallon  sauvage  où  César  t'exila, 
Sur  la  roche  moussue,  au  chemin  d'Ardiège, 
Penchant  ton  front  qu'argenté  une  précoce  neige, 
Chaque  soir,  à  pas  lents,  tu  viens  t'accouder  là. 

Tu  revois  ta  jeunesse  et  ta  chère  villa 
Et  le  Flamine  rouge  avec  son  blanc  cortège; 
Et  pour  que  le  regret  du  sol  Latin  s'allège. 
Tu  regardes  le  ciel,  triste  Sabinula. 

Vers  le  Car  éclatant  aux  sept  pointes  calcaires. 
Les  aigles  attardés  qui  regagnent  leurs  aires 
Emportent  en  leur  vol  tes  rêves  familiers; 

Et  seule,  sans  désirs,  n'espérant  rien  de  l'homme. 

Tu  dresses  des  autels  aux  Monts  hospitaliers 

Dont  les  Dieux  plus  prochains  te  consolent  de  Rome. 


LE    MOYEN    AGE 


ET    LA    RENAISSANCE 


VITRAIL 


CETTE  verrière  a  vu  dames  et  hauts  barons 
Étincelants  d'azur,  d'or,  de  flamme  et  de  nacre, 
Incliner,  sous  la  dextre  auguste  qui  consacre, 
L'orgueil  de  leurs  cimiers  et  de  leurs  chapeions; 

Lorsqu'ils  allaient,  au  bruit  du  cor  ou  des  clairons, 
Ayant  le  glaive  au  poing,  le  gerfaut  ou  le  sacre. 
Vers  la  plaine  ou  le  bois,  Byzance  ou  Saint-Jean  d'Acre, 
Partir  pour  la  croisade  ou  le  vol  des  hérons. 

Aujourd'hui,  les  seigneurs  auprès  des  châtelaines, 
Avec  le  lévrier  à  leurs  longues  poulaines. 
S'allongent  aux  carreaux  de  marbre  blanc  et  noir; 


/  Ils  gisent  là  sans  voix,  sans  geste  et  sans  ouïe, 

Et  de  leurs  yeux  de  pierre  ils  regardent  sans  voir 
/    La  rose  du  vitrail  toujours  épanouie. 


92  LES    TROPHÉES 


EPIPHANIE 


_^jCLN.c,_Balthazar,  Melchior  et  Gaspar,  les  Rois  Mages, 
Chargés  de  nefs  d'argent,  de  vermeil  et  d'émaux 
Et  suivis  d'un  très  long  cortège  de  chameaux, 
S'avancent,  tels  qu'ils  sont  dans  les  vieilles  images 

De  l'Orient  lointain,  ils  portent  leurs  hommages 
Aux  pieds  du  fils  de  Dieu  né  pour  guérir  les  maux 
Que  souffrent  ici-bas  l'homme  et  les  animaux; 
Un  page  noir  soutient  leurs  robes  à  ramages. 

Sur  le  seuil  de  l'étable  où  veille  saint  Joseph, 
Ils  ôtent  humblement  la  couronne  du  chef 
Pour  saluer  l'Enfant  qui  rit  et  les  admire. 

C'est  ainsi  qu'autrefois,  sous  Augustus  Caesar, 
Sont  venus,  présentant  l'or,  l'encens  et  la  myrrhe, 
Les  Rois  Mages  Gaspar,  Melchior  et  Balthazar. 


LE     MOYEN    AOE     ET     LA     RENAISSANCE  93 


LE    HUCHIER    DE    NAZARETH 


Le  bon  maître  huchier,  pour  finir  un  dressoir, 
Courbé  sur  l'établi  depuis  l'aurore  ahane, 
Maniant  tour  à  tour  le  rabot,  le  bédane 
Et  la  râpe  grinçante  ou  le  dur  polissoir. 

Aussi,  non  sans  plaisir,  a-t-ii  vu,  vers  le  soir. 
S'allonger  jusqu'au  seuil  l'ombre  du  grand  platane 
Où  madame  la  Vierge  et  sa  mère  sainte  Anne 
Et  Monseigneur  Jésus  près  de  lui  vont  s'asseoir. 

L'air  est  brûlant  et  pas  une  feuille  ne  bouge; 
Et  saint  Joseph,  très  las,  a  laissé  choir  la  gouge 
En  s'essuyant  le  front  au  coin  du  tablier; 

Mais  l'Apprenti  divin  qu'une  gloire  enveloppe 
Fait  toujours,  dans  le  fond  obscur  de  l'atelier, 
Voler  des  copeaux  d'or  au  fil  de  sa  varlope. 


94  LESTROPHÉES 


L'ESTOC 


Au  pommeau  de  l'épée  on  lit  :  Calixte  Pape. 
La  tiare,  les  clefs,  la  barque  et  le  tramail 
Blasonnent,  en  reliefs  d'un  somptueux  travail, 
Le  Bœuf  héréditaire  armoyé  sur  la  chappe. 

A  la  fusée,  un  Dieu  païen,  Faune  ou  Priape, 

Rit,  engaîné  d'un  lierre  à  graines  de  corail; 

Et  l'éclat  du  métal  s'exalte  sous  l'émail 

Si  clair,  que  l'estoc  brille  encor  plus  qu'il  ne  frappe. 

Maître  Antonio  Perez  de  Las  Cellas  forgea 
Ce  bâton  pastoral  pour  le  premier  Borja, 
Comme  s'il  pressentait  sa  fameuse  lignée; 

Et  ce  glaive  dit  mieux  qu'Arioste  ou  Sannazar, 
Par  l'acier  de  sa  lame  et  l'or  de  sa  poignée. 
Le  pontife  Alexandre  et  le  prince  César. 


LE    MOYEN     ACE     ET     LA     RENAISSANCE  9f 


MEDAILLE 


Seigneur  de  Rimini,  Vicaire  et  Podestà. 
Son  profil  d'épervier  vit,  s'accuse  ou  recule 
A  la  lueur  d'airain  d'un  fauve  crépuscule, 
Dans  l'orbe  où  Matteo  de'  Pastis  l'incrusta. 

Or,  de  tous  les  tyrans  qu'un  peuple  détesta, 
Nul,  comte,  marquis,  duc,  prince  ou  principicule, 
Qu'il  ait  nom  Ezzelin,  Can,  Galéas,  Hercule, 
Ne  fut  maître  si  fier  que  le  Malatesta. 

Celui-ci,  le  meilleur,  ce  Sigismond  Pandolphe, 
Mit  à  sang  la  Romagne  et  la  Marche  et  le  Golfe, 
Bâtit  un  temple,  fit  l'amour  et  le  chanta; 

Et  leurs  femmes  aussi  sont  rudes  et  sévères. 
Car  sur  le  même  bronze  où  sourit  Isotta, 
L'Éléphant  triomphal  foule  des  primevères. 


ÇÔ  LES    TROPHÉES 


SUIVANT    PÉTRARQ^UE 


Vous  sortiez  de  l'église  et,  d'un  geste  pieux, 
Vos  nobles  mains  faisaient  l'aumône  au  populaire, 
Et  sous  le  porchç  ^bscur  votre  beauté  si  claire 
Aux  pauvres  éblouis  montrait  tout  l'or  des  cieux. 

Et  je  vous  saluai  d'un  salut  gracieux, 
Très  humble,  comme  il  sied  à  qui  ne  veut  déplaire, 
Quand,  tirant  votre  mante  et  d'un  air  de  colère 
Vous  détournant  de  moi,  vous  couvrîtes  vos  yeux. 

Mais  Amour  qui  commande  au  cœur  le  plus  rebelle 
Ne  voulut  pas  souffrir  que,  moins  tendre  que  belle, 
La  source  de  pitié  me  refusât  merci; 

Et  vous  fûtes  si  lente  à  ramener  le  voile. 
Que  vos  cils  ombrageux  palpitèrent  ainsi 
Qu'un  noir  feuillage  où  filtre  un  long  rayon  d'étoile. 


LE     MOVEN     AGE     ET     LA     RENAISSANCE  "       97 


SUR    LE    LIVRE    DES    AMOURS 

DE    PIERRE    DE    RONSARD 


Jadis  plus  d'un  amant,  aux  jardins  de  Bourgueil, 

A  gravé  plus  d'un  nom  dans  l'écorce  qu'il  ouvre, 

Et  plus  d'un  cœur,  sous  l'or  des  hauts  plafonds  du  Louvre, 

A  l'éclair  d'un  sourire  a  tressailli  d'orgueil. 

Qu'importe?  Rien  n'a  dit  leur  ivresse  ou  leur  deuil; 
Ils  gisent  tout  entiers  entre  quatre  ais  de  rouvre 
Et  nul  n'a  disputé,  sous  l'herbe  qui  les  couvre, 
Leur  inerte  poussière  à  l'oubli  du  cercueil. 


^Tout  meurt)  Marie,  Hélène  et  toi,  fière  Cassandre, 
Vos  beaux  corps  ne  seraient  qu'une  insensible  cendre, 
—  Les  roses  et  les  lys  n'ont  pas  de  lendemain  — 

Si  Ronsard,  sur  la  Seine  ou  sur  la  blonde  Loire,     K'^i 
N'eiJt  tressé  pour  vos  fronts,  d'une  immortelle  main. 
Aux  myrtes  de  l'Amour  le  laurier  de  la  Gloire^ 


LES    TROPHÉES 


LA    BELLE    VIOLE 

A  vous  trouppe  légère 
Qui  d'aile  passagère 
A   Henry   Ciqf.  Par  le  monde  volei... 

JOACHIM    DU    BELLAY. 

Accoudée  au  balcon  d'où  l'on  voit  le  chemin 
Qui  va  des  bords  de  Loire  aux  rives  d'Italie, 
Sous  un  pâle  rameau  d'olive  son  front  plie. 
La  violette  en  fleur  se  fanera  demain. 

La  viole  que  frôle  encor  sa  frêle  main 

Charme  sa  solitude  et  sa  mélancolie, 

Et  son  rêve  s'envole  à  celui  qui  l'oublie 

En  foulant  la  poussière  où  gît  l'orgueil  Romain. 

De  celle  qu'il  nommait  sa  douceur  Angevine, 

Sur  la  corde  vibrante  erre  l'âme  divine 

Quand  l'angoisse  d'amour  étreint  son  cœur  troublé; 

Et  sa  voix  livre  aux  vents  qui  l'emportent  loin  d'elle, 

Et  le  caresseront  peut-être,  l'infidèle, 

Cette  chanson  qu'j'  fit  pour  un  vanneur  de  blé. 


LE    MOYEN    AGE     ET    LA    RENAISSANCE  99 


EPITAPHE 


Suivant  les  vers  de  Henri  III. 


O  passant,  c'est  ici  que  repose  Hyacinthe 

Qui  fut  de  son  vivant  seigneur  de  Maugiron; 

Il  est  mort  —  Dieu  l'absolve  et  l'ait  en  son  giron!  - 

Tombé  sur  le  terrain,  il  gît  en  terre  sainte. 

Nul,  ni  même  Quélus,  n'a  mieux,  de  perles  cemte. 
Porté  la  toque  à  plume  ou  la  fraise  à  godron; 
Aussi  vois-tu,  sculpté  par  un  nouveau  Myron, 
Dans  ce  marbre  funèbre  un  rameau  de  jacinthe. 

Après  l'avoir  baisé,  fait  tondre,  et  de  sa  main 
Mis  au  linceul,  Henry  voulut  qu'à  Saint-Germain 
Fût  porté  ce  beau  corps,  hélas!  inerte  et  blême; 

Et  jaloux  qu'un  tel  deuil  dure  éternellement. 

Il  lui  fit  en  l'église  ériger  cet  emblème, 

Des  regrets  d'Apollo  triste  et  doux  monument. 


LES    TROPHÉES 


VÈLIN    DORÉ 


'Vieux  maître  relieur,  l'or ^U"  tu  ciselas 
Au  dos  du  livre  et  dans  l'épaisseur  de  la  tranche, 
N'a  plus,  mialgré  les  fers  poussés  d'une  main  franche, 
La  rutilante  ardeur  de  ses  premiers  éclats. 

Les  chiffres  enlaç_é§i^uè  liait  l'entrelacs 
S'effacent  chaque  jour  de  la  peau  fine  et  blanche; 
A  peine  si  mes  yeux  peuvent  suivre  la  branche 
De  lierre  que  tu  fis  serpenter  sur  les  plats. 

Mais  cet  ivoire  Souple  et  presque  diaphane, 

Marguerite,  Marie,  ou  peut-être  Diane, 

De  leurs  doigts  amoureux  l'ont  jadis  caressé; 

Et  ce  vélin  pâli  que  dora  Clovis  Eve 
Évoque,  je  ne  sais  par  quel  charme  passé. 
L'âme  de  leur  parfum  et  l'ombre  de  leur  rêve. 


LE    MOYEN    AGE     ET    LA     RENAISSANCE 


LA    DOGARESSE 


Le  palais  est  de  marbre  où,  le  long  des  portiques, 
Conversent  des  seigneurs  que  peignit  Titien, 
Et  les  colliers  massifs  au  poids  du  marc  ancien 
Rehaussent  la  splendeur  des  rouges  dalmatiques. 

Ils  regardent  au  fond  des  lagunes  antiques, 
De  leurs  yeux  où  reluit  l'orgueil  patricien. 
Sous  le  pavillon  clair  du  ciel  vénitien 
Étinceler  l'azur  des  mers  Adriatiques. 

Et  tandis  que  l'essaim  brillant  des  Cavaliers 
Traîne  la  pourpre  et  l'or  par  les  blancs  escaliers 
Joyeusement  baignés  d'une  lumière  bleue; 

Indolente  et  superbe,  une  Dame,  à  l'écart, 
Se  tournant  à  demi  dans  un  flot  de  brocart, 
Sourit  au  négrillon  qui  lui  porte  la  queue. 


LES    TROPHÉES 


SUR    LE    PONT-VIEUX 

Antonio  di  Sandro  orefiu. 


Le  vaillant  Maître  Orfèvre,  à  l'œuvre  dès  matines, 
Faisait,  de  ses  pinceaux  d'où  s'égouttait  l'émail, 
Sur  la  paix  niellée  ou  sur  l'or  du  fermail 
Épanouir  la  fleur  des  devises  latines. 

Sur  le  Pont,  au  son  clair  des  cloches  argentines, 
La  cape  coudoyait  le  froc  et  le  camail; 
Et  le  soleil  montant  en  un  ciel  de  vitrail 
Mettait  un  nimbe  au  front  des  belles  Florentines. 

Et  prompts  au  rêve  ardent  qui  les  savait  charmer, 
Les  apprentis,  pensifs,  oubliaient  de  fermer 
Les  mains  des  fiancés  au  chaton  de  la  bague; 

Tandis  que  d'un  burin  trempé  comme  un  stylet. 

Le  jeune  Cellini,  sans  rien  voir,  ciselait 

Le  combat  des  Titans  au  pommeau  d'une  dague. 


LE    MOYEN    AGE     ET    LA     RENAISSANCE  \0'] 


LE    VIEIL    ORFÈVRE 


Mieux  qu'aucun  maître  inscrit  au  livre  de  maîtrise, 
Qu'il  ait  nom  Ruyz,  Arphé,  Ximeniz,  Becerril, 
J'ai  serti  le  rubis,  la  perle  et  le  béryl, 
Tordu  l'anse  d'un  vase  et  martelé  sa  frise. 

Dans  l'argent,  sur  l'émail  où  le  paillon  s'irise. 
J'ai  peint  et  j'ai  sculpté,  mettant  l'âme  en  péril, 
Au  lieu  de  Christ  en  croix  et  du  Saint  sur  le  gril, 
O  honte!  Bacchus  ivre  ou  Danaé  surprise. 

J'ai  de  plus  d'un  estoc  damasquiné  le  fer 

Et,  pour  le  vain  orgueil  de  ces  oeuvres  d'Enfer, 

Aventuré  ma  part  de  l'éternelle  Vie. 

Aussi,  voyant  mon  âge  incliner  vers  le  soir, 
Je  veux,  ainsi  que  fit  Fray  Juan  de  Ségovie, 
Mourir  en  ciselant  dans  l'or  un  ostensoir. 


I04  LES    TROPHÉES 


L'EPHE 


Crois-moi,  piei;x  enfant,  suis  l'antique  chemin. 
L'épée  aux  quillont  droits  d'où  part  la  branche  torse, 
Au  poing  d'un  gentilhomme  ardent  et  plein  de  force 
Est  un  faix  plus  léger  qu'un  rituel  romain. 

Prends-la.  L'Hercule  d'or  qui  tiédit  dans  ta  main. 
Aux  doigts  de  tes  aïeux  ayant  poli  son  torse, 
Gonfle  plus  fièrement,  sous  la  splendide  écorce, 
Les  beaux  muscles  de  fer  de  son  corps  surhumain. 

Brandis-la!  L'acier  souple  en  bouquets  d'étincelles 
Pétille.  Elle  est  solide,  et  sa  lame  est  de  celles 
Qui  font  courir  au  cœur  un  orgueilleux  frisson; 

Car  elle  porte  au  creux  de  sa  brillante  gorge, 
Comme  une  noble  Dame  un  joyau,  le  poinçon 
De  Julian  del  Rey,  le  prince  de  la  forge. 


LE     MOYEN     ACE     tT    LA     RENAISSANCE  lOf 


A    CLAUDIUS    POPELIN 


Dans  le  cadre  de  plomb  des  fragiles  verrières, 
Les  maîtres  d'autrefois  ont  peint  de  hauts  barons 
Et,  de  leurs  doigts  pieux  tournant  leurs  chaperons, 
Ployé  l'humble  genou  des  bourgeois  en  prières. 

D'autres  sur  le  vélin  jauni  des  bréviaires 
Enluminaient  des  Saints  parmi  de  beaux  fleurons 
Ou  laissaient  rutiler,  en  traits  souples  et  prompts. 
Les  arabesques  d'or  au  ventre  des  aiguières. 

Aujourd'hui  Claudius,  leur  fils  et  leur  rival, 
Faisant  revivre  en  lui  ces  ouvriers  sublimes, 
A  fixé  son  génie  au  solide  métal; 

C'est  pourquoi  j'ai  voulu,  sous  l'émail  de  mes  rimes, 
Faire  autour  de  son  front  glorieux  verdoyer. 
Pour  les  âges  futurs,  l'héroïque  Laurier. 


Io6  LESTROPHEES 


EMAIL 


Le  four  rougit;  la  plaque  est  prête.  Prends  ta  lampe. 

Modèle  le  paillon  qui  s'irise  ardemment, 

Et  fixe  avec  le  feu  dans  le  sombre  pigment 

La  poudre  étincelante  où  ton  pinceau  se  trernpe. 

Dis,  ceindras-tu  de  myrte  ou  de  laurier  la  tempe 
Pu  penseur,  du  héros,  du  prince  ou  de  l'amant? 
Par  quel  Dieu  feras-tu,  sur  un  nojr  firmament, 
Cabrer  l'hydre  écaillée  ou  le  glauque  hippocampe? 


(Non.  Plutôt^en  un  orbe  éclatant  de  saphir 
Inscris  un  fier  profil  de  guerrière  d'Ophir, 
Thalestris,  Bradamante,  Aude  ou  Penthésilée. 

Et  pour  que  sa  beauté  soit  plus  terrible  encor, 
Casque  ses  blonds  cheveux  de  quelque  bcte  ailée 
Et  fais  bomber  son  sein  sous  la  gorgone  d'or. 


LE     MOYEN     AGE     ET     LA     RENAISSANCE  IO7 


RÊVES    D'ÉMAIL 


C>E  soir,  au  réduit  sombre  où  ronfle  l'athanor. 
Le  grand  feu  prisonnier  de  la  brique  rougie 
Exalte  son  ardeur  et  souffle  sa  magie 
Au  cuivre  que  l'émail  fait  plus  riche  que  l'or. 

Et  sous  mes  pinceaux  naît,  vit,  court  et  prend  l'essor 
L?  peuple  monstrueux  de  la  mythologie, 
Les  Centaures,  Pan,  Sphinx,  la  Chimère,  l'Orgie 
Et,  du  sang  de  Gorgo,  Pégase  et  Chrysaor. 

Peindrai-je  Achille  en  pleurs  près  de  Penthésilée? 
Orphée  ouvrant  les  bras  vers  l'Épouse  exilée 
Sur  la  porte  infernale  aux  infrangibles  gonds? 

Hercule  terrassant  le  dogue  de  l'Averne 
Ou  la  Vierge  qui  tord  au  seuil  de  la  caverne 
Son  corps  épouvanté  ^ue  flairent  les  Dragons? 


LES    CONQUÉRANTS 


lia  *^JL  ^t'  rlf  rîf   tif  rîr  rlr  \U  rXf  tî*-  >t«-  tir  tîf 


LES    CONQ^UÈRANTS 


Comme  un  vol  de  gerfayts  hors  du  charnier  nar: 
Fatigués  de  porter  leurs  misères  hautaines,  ' 
De  Palos  de  Moguer,  routiers  et  capitaines 
Partaient,  ivres  d'un  rêve  héroïque  et  brutal. 

Ils  allaient  conquérir  le  fabuleux  métal 
Que  Cipango  mûrit  dans  ses  mines  lointaines, 
Et  les  vents  alizés  inclinaient  leurs  antennes 
Aux  bords  mystérieux  du  monde  Occidental. 

Chaque  soir,  espérant  des  lendemains  épiques, 
L'azur  phosphorescent  de  la  mer  des  Trogujues 
Enchantait  leur  sommeil  d'un  mirage  doré; 

Ou  penchés  à  l'avant  des  blanches  caravelles, 
Ils  regardaient  monter  en  un  ciel  ignoré 
Du  fond  de  l'Océan  des  étoiles  nouvelles. 


LES    TROPHÉES 


JOUVENCE 


Juan  Ponce  de  Léon,  par  le  Diable  tenté, 
Déjà  très  vieux  et  plein  des  antiques  études, 
Voyant  l'âge  blanchir  ses  cheveux  cotfFts  et  rudes, 
Prit  la  mer  pour  chercher  la  Source  de  Santé. 

Sur  sa  belle  Armada,  d'un  vain  songe  hanté, 
Trois  ans  il  explora  les  glauques  solitudes. 
Lorsque  enfin,  déchirant  le  brouillard  des  Bermudes. 
La  Floride  apparut  sous  un  ciel  enchanté. 

Et  le  Conquistador,  bénissant  sa  folie, 

Vint  planter  son  pennon  d'une  main  affaiblie 

Dans  la  terre  éclatante  où  s'ouvrait  son  tombeau. 

Vieillard,  tu  fus  heureux,  et  ta  fortune  est  telle 
Que  la  Mort,  malgré  toi,  fit  ton  rêve  plus  beau; 
La  Gloire  t'a  donné  la  Jeunesse  immortelle. 


LE     MOYEN     AGE     ET     LA     RENAISSANCE  II] 


LE   TOMBEAU    DU   CONQUERANT 


A  l'ombre  de  la  voûte  en  fleur  des  catalpas 
Et  des  tulipiers  noirs  qu'étoile  un  blanc  pétale, 
11  ne  repose  point  dans  la  terre  fatale; 
La  Floride  conquise  a  manqué  sous  ses  pas. 

Un  vil  tombeau  messied  à  de  pareils^ trépas. 
Linceul  du  Conquérant  de  l'Inde  Occidentale, 
Tout  le  iMeschacébé  par-dessus  lui  s'étale. 
Le  Peau  Rouge  et  l'ours  gris  ne  le  troubleront  pas. 

Il  dort  au  lit  profond  creusé  par  les  eaux  vierges. 
Qu'importe  un  monument  funéraire,  des  cierges, 
Le  psaume  et  la  chapelle  ardente  et  l'ex-voto? 

Puisque  le  vent  du  Nord,  parmi  les  cyprières, 
Pleure  et  chante  à  jamais  d'éternelles  prières 
Sur  le  Grand  Fleuve  où  gît  Hernando  de  Soto. 


14  LES    TROPHÉES 


CAROLO    Q^UINTO    IMPERANTE 


Celui-là  peut  compter  parmi  les  grands  défunts, 
Car  son  bras  a  guidé  la  première  carène 
A  travers  l'archipel  des  Jardins  de  la  Reine 
Où  la  brise  éternelle  est  faite  de  parfums. 

Plus  que  les  ans,  la  houle  et  ses  acres  embruns. 

Les  calmes  de  la  mer  embrasée  et  sereine 

Et  l'amour  et  l'effroi  de  l'antiqqe  sirène 

Ont  fait  sa  barbe  blanche  et  blancs  ses  cheveux  bruns. 

Castille  a  triomphé  par  cet  homme,  et  ses  flottes 
Ont  sous  lui  complété  l'empire  sans  pareil 
Pour  lequel  ne  pouvait  se  coucher  le  soleil; 

C'est  Bartolomé  Ruiz,  prince  des  vieux  pilotes, 
Qui,  sur  l'écu  royal  qu'elle  enrichit  encor. 
Porte  une  ancre  de  sable  à  la  gumène  d'or. 


LE     MOYEN     AGE     ET     LA     RENAISSANCE  I  1 5' 


L'ANCÊTRE 

A  Claudius  Popelin. 

La  gloire  a  sillonné  de  ses  illustres  rides 
Le  visage  hardi  de  ce  grand  Cavalier 
Qui  porte  sur  son  front  que  nul  n'a  fait  plier 
Le  hâle  de  la  guerre  et  des  soleils  torrides. 

En  tous  lieux,  Côte-Ferme,  îles,  sierras  arides, 
H  a  planté  la  croix,  et,  depuis  l'escalier 
Des  Andes,  promené  son  pennon  familier 
Jusqu'au  golfe  orageux  qui  blanchit  les  Florides. 

Pour  ses  derniers  neveux,  Claudius,  tes  pinceaux, 
Sous  l'armure  de  bronze  aux  splendides  rinceaux. 
Font  revivre  l'aïeul  fier  et  mélancolique  ; 

Et  ses  yeux  assombris  semblent  chercher  encor 
Dans  le  ciel  de  l'émail  ardent  et  métallique 
Les  éblouissements  de  la  Castille  d'Or. 


1  l6  LES    TROPHÉES 


A    UN    FONDATEUR    DE   VILLE 


Las  de  poursuivre  en  vain  l'Ophir  insaisissable, 
Tu  fondas,  en  un  pli  de  ce  golfe  e^ichanté 
Où  l'étendard  royal  par  tes  mains  fut  planté, 
Une  Carthage  neuve  au  pays  de  la  Fable. 

Tu  voulais  que  ton  nom  ne  fur  point  périssable, 
Et  tu  crus  l'avoir  bien  pour  toujours  cimenté 
A  ce  mortier  sanglant  dont  tu  fis  ta  cité; 
Mais  ton  espoir.  Soldat,  fut  bâti  sur  le  sable. 

Carthagène  étouffant  sous  le  torride^zur. 
Avec  ses  noirs  palais  voit  s'écrouler  ton  mur 
Dans  l'Océan  fiévreux  qui  dévore  sa  grève; 

Et  seule,  à  ton  cimier  brille,  ô  Conquistador, 
Héraldique  témoin  des  splendeurs  de  ton  rêve, 
Une  Ville  d^argent  qu'ombrage  un  palmier  d'or. 


LE     MOYEN     AGE     ET     LA     RENAISSANCE  II7 


AU    MÊME 


Qu'ils  aient  vaincu  l'Inca,  l'Aztèque,  les  Hiaquis, 
Les  Andes,  la  forêt,  les  pampas  ou  le  fleuve, 
Les  autres  n'ont  laissé  pour  vestige  et  pour  preuve 
Qu'un  nom,  un  titre  vain  de  comte  ou  de  marquis. 

Toi,  tu  fondas,  orgueil  du  sang  dont  je  naquis, 
Dans  la  mer  caraïbe  une  Carthage  neuve, 
Et  du  Magdalena  jusqu'au  Darien  qu'abreuve 
L'Atrato,  le  sol  rouge  à  la  Croix  fut  conquis. 

Assise  sur  son  île  où  l'Océan  déferle, 

Malgré  les  siècles,  l'homme  et  la  foudre  et  les  vents, 

Ta  cité  dresse  au  ciel  ses  forts  et  ses  couvents; 

Aussi  tes  derniers  fils,  sans  trèfle,  ache  ni  perle, 
Timbrent-ils  leur  écu  d'un  palmier  ombrageant 
De  son  panache  d'or  une  Ville  d'argent. 


Il8  LES    TROPHÉES 


A    UNE    VILLE    MORTE 


Cartagetia  de  Indias. 


Morne  Ville,  jadis  reine  des  Océans! 
Aujourd'hui  le  requin  poursuit  en  paix  les  scombres 
Et  le  nuage  errant  allonge  seul  des  ombres 
Sur  ta  rade  oij  roulaient  les  galions  géants. 

Depuis  Drake  et  l'assaut  des  Anglais  mécréants, 
Tes  murs  désemparés  croulent  en  noirs  décombres 
Et,  comme  un  glorieux  collier  de  perles  sombres. 
Des  boulets  de  Pointis  montrent  les  trous  béants. 

Entre  le  ciel  qui  brûle  et  la  mer  qui  moutonne, 

Au  somnolent  soleil  d'un  midi  monotone. 

Tu  songes,  ô  Guerrière,  aux  vieux  Conquistadors; 

Et  dans  l'énervement  des  nuits  chaudes  et  calmes, 

Berçant  ta  gloire  ^teinte,  ô  Cité,  tu  t'endors 

Sous  les  palmiers,  au  long  frémissement  des  palmes. 


L-QRIENT 
ET    LES    TROPIQUES 


LA    VISION    DE    KHÈM 


I 

MIDI.  L'air  brûle  et  sous  la  terrible  lumière 
Le  vieux  fleuve  alangui  roule  des  flots  de  plomb; 
Du  zénith  aveuglant  le  jour  tombe  d'aplomb 
Et  l'implacable  Phré  couvre  l'Egypte  entière. 

Les  grands  sphinx  qui  jamais  n'ont  baissé  la  paupière, 
Allongés  sur  leur  flanc  que  baigne  un  sable  blond, 
Poursuivent  d'un  regard  mystérieux  et  long 
L'élan  démesuré  des  aiguilles  de  pierre. 

Seul,  tachant  d'un  point  noir  le  ciel  blanc  et  serein. 

Au  loin,  tourne  sans  fin  le  vol  des  gypaètes; 

La  flamme  immense  endort  les  hommes  et  les  bêtes. 


Le  sol  ardent  pétille,  et  l'Anubis  d'airain 
Immobile  au  milieu  de  cette  chaude  joie 
Silencieusement  vers  le  soleil  aboie. 


LES    TROPHÉES 


La  lune  sur  le  Nil,  splendide  et  ronde,  luit. 
Et  voici  que  s'émeut  la  nécropole  antique 
Où  chaque  roi,  gardant  la  pose  hiératique, 
Gît  sous  la  bandelette  et  le  funèbre  enduit. 

Tel  qu'aux  jours  des  Rhamsès,  innombrable  et  sans  bruit, 
Tout  un  peuple  formant  le  cortège  mystique, 
Multitude  qu'absorbe  un  rêve  granitique. 
S'ordonne  et  se  déploie  et  marche  dans  la  nuit. 

Se  détachant  des  murs  brodés  d'hiéroglyphes, 
Ils  suivent  la  Bari  que  portent  les  pontifes 
D'Ammon-Ra,  le  grand  Dieu  conducteur  du  soleil; 

Et  les  sphinx,  les  béliers  ceints  du  disque  vermeil. 
Éblouis,  d'un  seul  coup  se  dressant  sur  leurs  griffes, 
S'éveillent  en  sursaut  de  l'éternel  sommeil. 


L  ORIENT    ET    LES    TROPIQUES  12^ 


III 


CT  la  foule  grandit  plus  innombrable  encor. 
Et  le  sombre  hypogée  où  s'alignent  les  couches 
Est  vide.  Du  milieu  déserté  des  cartouches, 
Les  éperviers  sacrés  ont  repris  leur  essor. 

Bêtes,  peuples  et  rois,  ils  vont,,  L'uraeus  d'or 
S'enroule,  étincelant,  autour  des  fronts  farouches; 
Mais  le  bitume  épais  scelle  les  maigres  bouches. 
En  tête,  les  grands  dieux  :  Hor,  Khnoum,  Ptah,  Neith,  Hathor 

Puis  tous  ceux  que  conduit  Toth  Ibiocéphale, 
Vêtus  de  la  schenti,  coiffés  du  pschent,  ornés 
Du  lotus  bleu.  La  pompe  errante  et  triomphale 

Ondule  dans  l'horreur  des  temples  ruinés. 
Et  la  lune,  éclatant  au  pavé  froid  des  salles, 
Prolonge  étrangement  des  ombres  colossales. 


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LE    PRISONNIER 


A  Gérôme. 


La-bas,  les  muezzins  ont  cessé  leurs  clameurs. 
Le  ciel  vert,  au  couchant,  de  pourpre  et  d'or  se  frange; 
Le  crocodile  plonge  et  cherche  un  lit  de  fange, 
Et  le  grand  fleuve  endort  ses  dernières  rumeurs. 

Assis,  jambes  en  croix,  comme  il  sied  aux  fumeurs, 
Le  Chef  rêvait,  bercé  par  le  haschisch  étrange. 
Tandis  qu'avec  effort  faisant  mouvoir  la  cange. 
Deux  nègres  se  courbaient,  nus,  au  banc  des  rameurs. 

A  l'arrière,  joyeux  et  l'insulte  à  la  bouche. 
Grattant  l'aigre  guzla  qui  rhythme  un  air  farouche. 
Se  penchait  un  Arnaute  à  l'œil  féroce  et  vil; 

Car  lié  sur  la  barque  et  saignant  sous  l'entrave, 
j  Un  vieux  Scheikh  regardait  d'un  air  stupide  et  grave 
f  Les  minarets  pointus  qui  tremblent  dans  le  Nil. 


126  LES    TROPHÉES 


LE    samouraï/ 

Citait  un  homme  à  deux  sabres. 


D'un  doigt  distrait  frôlant  la  sonore  bîva, 
A  travers  les  bambous  tressés  en  fine  latte, 

Elle  a  vu,  par  la  plage  éblouissante  et  plate, 
S'avancer  le  vainqueur  que  son  amour  rêv% 

C'est  lui.  Sabres  au  flanc,  l'éventail  haut,  il  va. 
La  cordelière  rouge  et  le  gland  écarlate 
Coupent  Tarmure  sombre,  et,  sur  l'épaule,  éclate 
Le  blason  de  Hizen  ou  de  Tokungawa. 

Ce  beau  guerrier  vêtu  de  lames  et  de  plaques, 
Sous  le  bronze,  la  soie  et  les  brillantes  laques. 
Semble  un  crustacé  noir,  gigantesque  et  vermeil. 

Il  l'a  vue.  Il  sourit  dans  la  barbe  du  masque. 

Et  son  pas  plus  hâtif  fait  reluire  au  soleil 

Les  deux  antennes  d'or  qui  tremblent  à  son  casque. 


L  ORIENT     ET    LES    TROPIQUES  1 27 


LE    DAIMIO 


Matin  de  bataille. 


bous  le  noir  fouet  de  guerre  à  quadruple  pompon, 
L'étalon  belliqueux  en  hennissant  se  cabre 
Et  fait  bruire,  avec  des  cliquetis  de  sabre, 
La  cuirasse  de  bronze  aux  lames  du  jupon. 

Le  Chef  vêtu  d'airain,  de  laque  et  de  crépon, 
Orant  le  masque  à  poils  de  son  visage  glabre, 
Regarde  le  volcan  sur  un  ciel  de  cinabre 
Dresser  la  neige  q^  rit  l'aurore  du  Nippon. 

Mais  il  a  vu,  vers  l'Est  éclaboussé  d'or,  l'astre. 
Glorieux  d'éclairer  ce  matin  de  désastre, 
Poindre,  orbe  éblouissant,  au-dessus  de  la  mer; 

Et  pour  couvrir  ses  yeux  dont  pas  un  cil  ne  bouge, 
Il  ouvre  d'un  seul  coup  son  éventail  de  fer 
JDÙ  dans  le  satin  bjanc  se  lève  un  Soleil  rouge.      ^ 


LES    TROPH  ÉES 


FLEURS    DE    FEU 


Bien  des  siècles  depuis  les  siècles  du  Chaos, 
La  flamme  par  torrents  jaillit  de  ce  cratère, 
Et  le  panache  igné  du  volcan  solitaire 
Flamba  plus  haut  encor  que  les  Chimborazos. 

Nul  bruit  n'éveille  plus  la  cne  sans  échos. 
Où  la  cendre  pleuvait  l'oiseau  se  désaltère; 
Le  sol  est  immobile  et  le  sang  de  la  Terre, 
La  lave,  en  se  figeant,  lui  laissa  le  repos. 

Pourtant,  suprême  effort  de  l'antique  incendie, 
A  l'orle  de  la  gueule  à  jamais  refroidie, 
Éclatant  à  travers  les  rocs  pulvérisés. 

Comme  un  coup  de  tonnerre  au  milieu  du  silence. 
Dans  le  poudroîment  d'or  du  pollen  qu'elle  lance. 
S'épanouit  la  fleur  des  cactus  embrasés. 


L  ORIENT     ET    LES    TROPIQUES  1 29 


FLEUR    SECULAIRE 


buR  le  roc  calciné  de  la  dernière  rampe 
Où  le  flux  volcanique  autrefois  s'est  tari, 
La  graine  que  le  vent  jusqu'au  Gualatieri 
Sema,  germe,  s'accroche  et,  frêle  plante,  rampe. 

Elle  grandit.  En  l'ombre  où  sa  racine  trempe, 
Son  tronc,  buvant  la  flamme  obscure,  s'est  nourri: 
Et  les  soleils  d'un  siècle  ont  longuement  mûri 
Le  bouton  colossal  qui  fait  ployer  sa  hampe. 

Enfin,  dans  l'air  brûlant  et  qu'il  embrase  encor, 
Sous  le  pistil  géant  qui  s'érige,  il  éclate, 
Et  l'étamine  lance  au  loin  le  pollen  d'or; 

Et  le  grand  aloès  à  la  fleur  écarlate, 

Pour  l'hymen  ignoré  qu'a  rêvé  son  amour. 

Ayant  vécu  cent  ans,  n'a  fleuri  qu'un  seul  jour. 


l-JO  LES    TROPHÉES 


LE    RECIF    DE    CORAIL 


Le  soleil  sous  la  mer,  mystérieuse  aurore, 
Éclaire  la  forêt  des  coraux  abyssins 
Qui  mêle,  aux  profondeurs  de  ses  tièdes  bassins, 
La  bête  épanouie  et  la  vivante  flore. 

Et  tout  ce  que  le  sel  ou  l'iode  colore, 
Mousse,  algue  chevelue,  anémones,  oursins. 
Couvre  de  pourpre  sombre,  en  somptueux  dessins, 
Le  fond  vermiculé  du  pâle  madrépore. 

De  sa  splendide  écaille  éteignant  les  émaux, 

Un  grand  poisson  navigue  à  travers  les  rameaux; 

Dans  l'ombre  transparente  indolemment  il  rôde; 

Et,  brusquement,  d'un  coup  de  sa  nageoire  en  feu 
11  fait,  par  le  cristal  morne,  immobile  et  bleu. 
Courir  un  frisson  d'or,  de  nacre  et  d'émeraude. 


LA   NATURE  ET  LE   RÊVE 


MÉDAILLE    ANTIQJJE 


L'Etna  mûrit  toujours  la  pourpre  et  l'or  du  vin 
Dont  l'Érigone  antique  enivra  Théocrite, 
Mais  celles  dont  la  grâce  en  ses  vers  fut  écrite, 
Le  poète  aujourd'hui  les  chercherait  en  vain. 

Perdant  la  pureté  de  son  profil  divin, 
Tour  à  tour  Aréthuse  esclave  et  favorite 
A  mêlé  dans  sa  veine  oij  le  sang  grec  s'irrite 
La  fureur  sarrazine  à  l'orgueil  angevin. 

Le  temps  passe.  Tout  meurt.  Le  marbre  même  s'use. 
Agrigente  n'est  plus  qu'une  ombre,  et  Syracuse 
Dort  sous  le  bleu  linceul  de  son  ciel  indulgent; 

Et  seul  le  dur  métal  que  l'amour  fit  docile 
Garde  encore  en  sa  fleur,  aux  médailles  d'argent, 
L'immortelle  beauté  des  vierges  de  Sicile. 

la 


134  LES    TROPHÉES 


LES    FUNÉRAILLES 


Vers  la  Phocide  illustre,  aux  temples  que  domine 
La  rocheuse  Pytho  toujours  ceinte  d'éclairs, 
Quand  les  guerriers  anciens  descendaient  aux  enfers, 
La  Grèce  accompagnait  leur  image  divine. 

Et  leurs  Ombres,  tandis  que  la  nuit  illumine 
L'Archipel  radieux  et  les  golfes  déserts, 
Écoutaient,  du  sommet  des  promontoires  clairs. 
Chanter  sur  leurs  tombeaux  la  mer  de  Salamine. 

Et  moi  je  m'éteindrai,  vieillard,  en  un  long  deuil; 
Mon  corps  sera  cloué  dans  un  étroit  cercueil 
Et  l'on  paîra  la  terre  et  le  prêtre  et  les  cierges. 

Et  pourtant  j'ai  rêvé  ce  destin  glorieux 

De  tomber  au  soleil  ainsi  que  les  aïeux, 

Jeune  encore  et  pleuré  des  héros  et  des  vierges. 


LA    NATURE     ET     LERÊVE  l^f 


VENDANGE 


Les  vendangeurs  lassés  ayant  rompu  leurs  lignes, 
Des  voix  claires  sonnaient  à  l'air  vibrant  du  soir 
Et  les  femmes,  en  chœur,  marchant  vers  le  pressoir, 
Mêlaient  à  leurs  chansons  des  appels  et  des  signes. 

C'est  par  un  ciel  pareil,  tout  blanc  du  vol  des  cygnes. 
Que,  dans  Naxos  fumant  comme  un  rouge  encensoir, 
La  Bacchanale  vit  la  Cretoise  s'asseoir 
Auprès  du  beau  Dompteur  ivre  du  sang  des  vignes. 

Aujourd'hui,  brandissant  le  thyrse  radieux, 
Dionysos  vainqueur  des  bêtes  et  des  Dieux 
D'un  joug  enguirlandé  n'étreint  plus  les  panthères; 

Mais,  fille  du  soleil,  l'Automne  enlace  encor 
Du  pampre  ensanglanté  des  antiques  mystères 
La  noire  chevelure  et  la  crinière  d'or. 


^6  LES    TROPHÉES 


LA    SIESTE 


Pas  un  seul  bruit  d'insecte  ou  d'abeille  en  maraude, 
Tout  dort  sous  les  grands  bois  accablés  de  soleil 
Où  le  feuillage  épais  tamise  un  jour  oareil 
Au  velours  somhre  et  doux  des  mousses  d'emeraude. 

Criblant  le  dôme  obscur,  Midi  splendide  y  rôde 
Et,  sur  mes  cils  mi-clos  alanguis  de  sommeil, 
De  mille  éclairs  furtifs  forme  un  réseau  vermeil 
Qui  s'allonge  et  se  croise  à  travers  l'ombre  chaude. 

Vers  la  gaze  de  feu  que  trament  les  rayons, 
Vole  le  frêle  essaim  des  riches  papillons 
Qu'enivrent  la  lumière  et  le  parfum  des  sèves; 

Alors  mes  doigts  tremblants  saisissent  chaque  fil, 
Et  dans  les  mailles  d'or  de  ce  filet  subtil. 
Chasseur  harmonieux,  j'emprisonne  mes  rêves. 


LA    MER    DE    BRETAGNE 


A   i-.iiinuiiuci    l.jiisyet 


UN    PEINTRE 


Il  a  compris  la  race  antique  aux  yeux  pensifs 
Qui  foule  le  sol  dur  de  la  terre  bretonne, 
La  lande  rase,  rose  et  grise  et  monotone 
Où  croulent  les  manoirs  sous  le  lierre  et  les  ifs. 

Des  hauts  talus  plantés  de  hêtres  convulsifs, 
Il  a  vu,  par  les  soirs  tempétueux  d'automne, 
Sombrer  le  soleil  rouge  en  la  mer  qui  moutonne; 
Sa  lèvre  s'est  salée  à  l'embrun  des  récifs. 

Il  a  peint  l'Océan  splendide,  immense  et  triste. 
Où  le  nuage  laisse  un  reflet  d'améthyste, 
L'émeraude  écumante  et  le  calme  saphir; 

Et  fixant  l'eau,  l'air,  l'ombre  et  l'heure  insaisissables, 
jSur  une  toile  étroite  il  a  fait  réfléchir 
'le  ciel  occidental  dans  le  miroir  des  sables. 


I40  LES    TROPHÉES 


BRETAGNE 


Pour  que  le  sang  joyeux  dompte  l'esprit  morose, 
Il  faut,  tout  parfumé  du  sel  des  goémons, 
Que  le  souffle  atlantique  emplisse  tes  poumons; 
Arvor  t'offre  ses  caps  que  la  mer  blanche  arrose. 

L'ajonc  fleurit  et  la  bruyère  est  déjà  rose. 
La  terre  des  vieux  clans,  des  nains  et  des  démons, 
Ami,  te  garde  encor,  sur  le  granit  des  monts. 
L'homme  immobile  auprès  de  l'immuable  chose. 

Viens.  Partout  tu  verras,  par  les  landes  d'Arèz, 
Monter  vers  le  ciel  morne,  infrangible  cyprès. 
Le  menhir  sous  lequel  git  la  cendre  du  Brave; 

Et  l'Océan,  qui  roule  en  un  lit  d'algues  d'or 
Is  la  voluptueuse  et  la  grande  Occismor, 
Bercera  ton  cœur  triste  à  son  murmure  grave. 


LA    NATURE     ET    LE     RÊVE  I4I 


FLORIDUM    MARE 


La  moisson  débordant  le  plateau  diapré 
Roule,  ondule  et  déferle  au  vent  frais  qui  la  berce; 
Et  le  profil,  au  ciel  lointain,  de  quelque  herse 
Semble  un  batenu  qui  tangue  et  lève  un  noir  beaupré. 

Et  sous  mes  pieds,  la  mer,  jusqu'au  couchant  pourpré, 
Céruléenne  ou  rose  ou  violette  ou  perse 
Ou  blanche  de  moutons  que  le  reflux  disperse, 
Verdoie  à  l'infini  comme  un  immense  pré. 

Aussi  les  goélands  qui  suivent  la  marée, 

Vers  les  blés  mûrs  que  gonfle  une  houle  dorée. 

Avec  des  cris  joyeux,  volaient  en  tourbillons; 

Tandis  que,  de  la  terre,  une  brise  emmiellée 
Éparpillait  au  gré  de  leur  ivresse  ailée 
Sur  l'Océan  fleuri  des  vols  de  papillons. 


142  LES    TROPHÉES 


SOLEIL    COUCHANT 


ILes  ajoncs  éclatants,  parure  du  granit, 
Dorent  l'âpre  sommet  que  le  couchant  allume; 
Au  loin,  brillante  encor  par  sa  barre  d'écume, 
La  mer  sans  fin  commence  où  la  terre  finit. 

A  mes  pieds  c'est  la  nuit,  le  siïehce.  Le  ni<l 
Se  tait,  l'homme  est  rentré  sous  le  chaume  qui  fume; 
Seul,  l'Angélus  du  soir,  ébranlé  dans  la  brunie, 
j    A  la  vaste  rumeur  de  l'Océan  s'unit. 

Alors,  comme  du  fond  d'un  abîme,  des  traînes, 
D^s  landes,  des  ravins,  montent  des  voix  lointaines 
De  pâtres  attardés  ramenant  le  bétail. 


L'horizon  tout  entier  s'enveloppe  dans  l'ombre. 
Il  Et  le  soleil  mourant,  sur  un  ciel  riche  et  sombrcj, 
I  Ferme  les  branches  d'or  de  son  rouge  éventail.   ! 


LA    NATURE     ET     LE    RÊVE  I4] 


MARIS    STELLA 


Sous  les  coiffes  de  lin,  toutes,  croisant  leurs  bras 
Vêtus  de  laine  rude  ou  de  mince  percale. 
Les  femmes,  à  genoux  sur  le  roc  de  la  cale, 
Regardent  l'Océan  blanchir  l'île  de  Batz. 

Les  hommes,  pères,  fils,  maris,  amants,  là-bas, 
Avec  ceux  de  Paimpol,  d'Audierne  et  de  Cancale, 
Vers  le  Nord,  sont  partis  pour  la  lointaine  escale. 
Que  de  hardis  pêcheurs  qui  ne  reviendront  pas! 

Par-dessus  la  rumeur  de  la  mer  et  des  côtes 

Le  chant  plaintif  s'élève,  invoquant  à  voix  hautes 

L'Etoile  sainte,  espoir  des  marins  en  péril; 

Et  l'Angélus,  courbant  tous  ces  fronts  noirs  de  hâle. 
Des  clochers  de  Roscoffà  ceux  de  Sybiril 
S'envole,  tinte  et  meurt  dans  le  ciel  rose  et  pâle. 


144  LES    TROPHEES 


LE    BAIN 


L'homme  et  la  bête,  tels  que  le  beau  monstre  antique, 
Sont  entrés  dans  la  mer,  et  nus,  libres,  sans  frein. 
Parmi  la  brume  d'or  de  l'acre  pulvérin, 
Sur  le  ciel  embrasé  font  un  groupe  athlétique. 

tt  l'étalon  sauvage  et  le  dompteur  rustique, 
Humant  à  pleins  poumons  l'odeur  du  sel  marin, 
Se  plaisent  à  laisser  sur  la  chair  et  le  crin 
Frémir  le  flot  glacé  de  la  rude  Atlantique. 

La  houle  s'enfle,  court,  se  dresse  comme  un  mur 
Et  déferle.  Lui  crie.  Il  hennit,  et  sa  queue 
En  jets  éblouissants  fait  rejaillir  l'eau  bleue; 

Et,  les  cheveux  épars,  s'effarant  dans  l'azur, 

Ils  opposent,  cabrés,  leur  poitrail  noir  qui  fume, 

Au  fouet  échevelé  de  la  fumante  écume. 


LA     NATURE    ET     LE     RÊVE  14^ 


BLASON    CELESTE 


J'ai  vu  parfois,  ayant  tout  l'azur  pour  émail. 
Les  nuages  d'argent  et  de  pourpre  et  de  cuivre, 
A  l'Occident  où  l'oeil  s'éblouit  à  les  suivre, 
Peindre  d'un  grand  blason  le  céleste  vitrail. 

Pour  cimier,  pour  supports,  l'héraldique  bétail, 
Licorne,  léopard,  alérion  ou  guivre, 
Monstres,  géants  captifs  qu'un  coup  de  vent  délivre, 
Exhaussent  leur  stature  et  cabrent  leur  poitrail. 

Certe,  aux  champs  de  l'espace,  en  ces  combats  étranges 
Que  les  noirs  Séraphins  livrèrent  aux  Archanges, 
Cet  écu  fut  gagné  par  un  Baron  du  ciel; 

Comme  ceux  qui  jadis  prirent  Constantinople, 

11  porte,  en  bon  croisé,  qu'il  soit  George  ou  Michel, 

Le  soleil,  besant  d'or,  sur  la  mer  de  sinople. 


146  LES    TROPHÉES 


ARMOR 


Pour  me  conduire  au  Raz,  j'avais  pris  à  Trogor 
Un  berger  chevelu  comme  un  ancien  Evhage; 
Et  nous  foulions,  humant  son  arôme  sauvage, 
L'âpre  terre  kymrique  où  croît  le  genêt  d'or. 

Le  couchant  rougissait  et  nous  marchions  encor, 
Lorsque  le  souffle  amer  me  fouetta  le  visage; 
Et  l'homme,  par  delà  le  morne  paysage 
Étendant  un  long  bras,  me  dit  :  Senèz  Ar-mor! 

Et  je  vis,  me  dressant  sur  la  bruyère  rose, 
L'Océan  qui,  splendide  et  monstrueux,  arrose 
Du  sel  vert  de  ses  eaux  les  caps  de  granit  noir; 

Et  mon  coeur  savoura,  devant  l'horizon  vide 

Que  reculait  vers  l'Ouest  l'ombre  immense  du  soir, 

L'ivresse  de  l'espace  et  du  vent  intrépide. 


LA    NATURE     ET    LE     RÊVE  I47 


MER    MONTANTE 


Le  soleil  semble  un  phare  à  feux  fixes  et  blancs. 
Du  Raz  jusqu'à  Penmarc'h  la  côte  entière  fume, 
Et  seuls,  contre  le  vent  qui  rebrousse  leur  plume, 
A  travers  la  tempête  errent  les  goélands. 

L'une  après  l'autre,  avec  de  furieux  élans, 
Les  lames  glauques  sous  leur  crinière  d'écume 
Dans  un  tonnerre  sourd  s'éparpillant  en  brume. 
Empanachent  au  loin  les  récifs  ruisselants. 

Et  j'ai  laissé  courir  le  flot  de  ma  pensée. 
Rêves,  espoirs,  regrets  de  force  dépensée, 
Sans  qu'il  en  reste  rien  qu'un  souvenir  amer. 

L'Océan  m'a  parlé  d'une  voix  fraternelle. 

Car  la  même  clameur  que  pousse  encor  la  mer 

Monte  de  l'homme  aux  Dieux,  vainement  éternelle. 


148  LES    TROPHÉES 


BRISE    MARINE 


L'hiver  a  défleuri  la  lande  et  le  courtil. 
Tout  est  mort.  Sur  la  roche  uniformément  grise 
Où  la  lame  sans  fin  de  l'Atlantique  brise, 
Le  pétale  fané  pend  au  dernier  pistil. 

Et  pourtant  je  ne  sais  quel  arôme  subtil 

Exhalé  de  la  mer  jusqu'à  moi  par  la  brise, 

D'un  effluve  si  tiède  emplit  mon  cœur  qu'il  grise; 

Ce  souffle  étrangement  parfumé,  d'où  vient-il?     -    /)• 

Ah!  Je  le  reconnais.  C'est  de  trois  mille  lieues 
Qu'il  vient,  de  l'Ouest,  là-bas  où  les  Antilles  bleues   ' 
Se  pâment  sous  l'ardeur  de  l'astre  occidental; 

Et  j'ai,  de  ce  récif  battu  du  flot  kymrique. 
Respiré  dans  le  vent  qu'embauma  l'air  natal 
La  fleur  jadis  éclose  au  jardin  d'Amérique,- 


^v^^^^^.^i^/-^^,  ^r^ffirfi 


LA    CONQ^UE 


Par  quels  froids  Océans,  depuis  combien  d'hivers, 
—  Qui  le  saura  jamais,  Conque  frêle  et  nacrée!  — 
La  houle,  les  courants  et  les  raz  de  marée 
T'ont-ils  roulée  au  creux  de  leurs  abîmes  verts? 

Aujourd'hui,  sous  le  ciel,  loin  des  reflux  amers, 
Tu  t'es  fait  un  doux  lit  de  l'arène  dorée. 
Mais  ton  espoir  est  vain.  Longue  et  désespérée,    ' 
En  toi  gémit  toujours  la  grande  voix  des  mers. 

Mon  âme  est  devenue  une  prison  sonore  : 

Et  comme  en  tes  replis  pleure  et  soupire  encore 

La  plainte  du  refrain  de  l'ancienne  clameur; 

Ainsi  du  plus  profond  de  ce  cœur  trop  plein  d'Elle. 
Sourde,  lente,  insensible  et  pourtant  éternelle, 
Gronde  en  moi  l'orageuse  et  lointaine  nmeur. 


IfO  LES    TROPHÉES 


LE    LIT 


Ou'iL  soit  encourtiné  de  brocart  ou  de  serge. 
Triste  comme  une  tombe  ou  joyeux  comme  un  nid, 
C'est  là  que  l'homme  naît,  se  repose  et  s'unit, 
Enfant,  époux,  vieillard,  aïeule,  femme  ou  vierge. 

Funèbre  ou  nuptial,  que  l'eau  sainte  l'asperge 
Sous  le  noir  crucifix  ou  le  rameau  bénit, 
\     C'est  là  que  tout  commence  et  là  que  tout  finit. 
De  la  première  aurore  au  feu  du  dernier  cierge. 

Humble,  rustique  et  clos,  ou  fier  du  pavillon 
Triomphalement  peint  d'or  et  de  vermillon. 
Qu'il  soit  de  chêne  brut,  de  cyprès  ou  d'érable; 

Heureux  qui  peut  dormir  sans  peur  et  sans  remords 

Dans  le  lit  paternel,  massif  et  vénérable, 

Où  tous  les  siens  sont  nés  aussi  bien  qu'ils  sont  morts. 


LA    NATURE     ET    LE     RÊVE  Ifl 


LA    MORT    DE    L'AIGLE 


Quand  l'aigle  a  dépassé  les  neiges  étemelles, 
A  sa  vaste  envergure  il  veut  chercher  plus  d'air 
Et  le  soleil  plus  proche  en  un  azur  plus  clair 
Pour  échauffer  l'éclat  de  ses  mornes  prunelles. 

Il  s'enlève.  Il  aspire  un  torrent  d'étincelles. 
Toujours  plus  haut,  enflant  son  vol  tranquille  et  fier, 
11  monte  vers  l'orage  où  l'attire  l'éclair; 
Mais  la  foudre  d'un  coup  a  rompu  ses  deux  ailes. 

Avec  un  cri  sinistre,  il  tournoie,  emporté 

Par  la  trombe,  et,  crispé,  buvant  d'un  trait  sublime 

La  flamme  éparse,  il  plonge  au  fulgurant  abîme. 

Heureux  qui  pour  la  Gloire  ou  pour  la  Liberté, 
Dans  l'orgueil  de  la  force  et  l'ivresse  du  rêve. 
Meurt  ainsi,  d'une  mort  éblouissante  et  brève! 


If2  LES    TROPHÉES 


PLUS    ULTRA 


L'homme  a  conquis  la  terre  ardente  des  lions 
Et  celle  des  venins  et  celle  des  reptiles, 
Et  troublé  l'Océan  où  cinglent  les  nautiles 
Du  sillage  doré  des  anciens  galions. 

Mais  plus  loin  que  la  neige  et  que  les  tourbillons 
Du  Strôm  et  que  l'horreur  des  Spitzbergs  infertiles, 
Le  Pôle  bat  d'un  flot  tiède  et  libre  des  îles 
Où  nul  marin  n'a  pu  hisser  ses  pavillons. 

Partons!  Je  briserai  l'infranchissable  glace, 

Car  dans  mon  corps  hardi  je  porte  une  âme  lasse 

Du  facile  renom  des  Conquérants  de  l'or. 

J'irai.  Je  veux  monter  au  dernier  promontoire, 
Et  qu'une  mer,  pour  tous  silencieuse  encor, 
Caresse  mon  orgueil  d'un  murmure  de  gloire. 


LA    NATURE     ET    LE    RÊVE  I^^ 


LA    VIE    DES    MORTS 

Au  poète  Armand  Silvestrc. 

Lorsque  la  sombre  croix  sur  nous  sera  plantée, 
La  terre  nous  avant  tous  deux  ensevelis, 
Ton  corps  refleurira  dans  la  neige  des  lys 
Et  de  ma  chair  naîtra  la  rose  ensanglantée. 

Et  la  divine  Mort  que  tes  vers  ont  chantée, 
En  son  vol  noir  chargé  de  silence  «t  d'oublis, 
Nous  fera  par  le  ciel,  bercés  d'un  lent  roulis, 
Vers  des  astres  nouveaux  une  route  enchantée. 

Et  montant  au  soleil,  en  son  vivant  foyer 
Nos  deux  esprits  iront  se  fondre  et  se  noyer 
Dans  la  félicité  des  flammes  éternelles; 

Cependant  que  sacrant  le  poète  et  l'ami, 
La  Gloire  nous  fera  vivre  à  jamais  parmi 
Les  Ombres  que  la  Lyre  a  faites  fraternelles. 


IH  LES    TROPHÉES 


AU    TRAGÉDIEN    E.    ROSSI 

APRÈS    UNE    RÉCITATION    DE    DANT» 

O  Rossi,  je  t'ai  vu,  traînant  le  manteau  noir, 
Briser  le  faible  cœur  de  la  triste  Ophélie, 
Et,  tigre  exaspéré  d'amour  et  de  folie. 
Étrangler  tes  sanglots  dans  le  fatal  mouchoir. 

J'ai  vu  Lear  et  Macbeth,  et  pleuré  de  te  voir 

Baiser,  suprême  amant  de  l'antique  Italie, 

Au  tombeau  nuptial  Juliette  pâlie. 

Pourtant  tu  fus  plus  grand  et  plus  terrible,  un  soir. 

Car  j'ai  goûté  l'horreur  et  le  plaisir  sublimes, 
Pour  la  première  fois,  d'entendre  les  trois  rimes 
Sonner  par  ta  voix  d'or  leur  fanfare  de  fer; 

Et,  rouge  du  reflet  de  l'infernale  flamme, 

J'ai  vu  —  j'en  ai  frémi  jusques  au  fond  de  l'âme  — 

Alighieri  vivant  dire  un  chant  de  l'Enfer. 


LA     NATURE     ET     LE     RÊVE  1 f f 


MICHEL-ANGE 


Certe,  il  était  hanté  d'un  tragique  tourment, 
Alors  qu'à  la  Sixtine  et  loin  de  Rome  en  fêtes, 
Solitaire,  il  peignait  Sibylles  et  Prophètes 
Et,  sur  le  sombre  mur,  le  dernier  Jugement, 

Il  écoutait  en  lui  pleurer  obstinément. 
Titan  que  son  désir  enchaîne  aux  plus  hauts  faîtes, 
La  Patrie  et  l'Amour,  la  Gloire  et  leurs  défaites; 
Il  songeait  que  tout  meurt  et  que  le  rêve  ment. 

Aussi  ces  lourds  Géants,  las  de  leur  force  exsangue, 
Ces  Esclaves  qu'étreint  une  infrangible  gangue, 
Comme  il  les  a  tordus  d'une  étrange  façon; 

Et  dans  les  marbres  froids  où  bout  son  âme  altière, 
Comme  il  a  fait  courir  avec  un  grand  frisson 
La  colère  d'un  Dieu  vaincu  par  la  Matière! 


If6  LIS    TROFHÉBS 


SUR    UN    MARBRE    BRISÉ 


La  mousse  fut  pieuse  en  fermant  ses  yeux  mornes  ; 
Car,  dans  ce  bois  inculte,  il  cherchera  t  en  vain 
La  Vierge  qui  versait  le  lait  pur  et  le  vin 
Sur  la  terre  au  beau  nom  dont  il  marqua  les  bornes. 

Aujourd'hui  le  houblon,  le  lierre  et  les  viornes 
Qui  s'enroulent  autour  de  ce  débris  divin. 
Ignorant  s'il  fut  Pan,  Faune,  Hermès  ou  Silvain, 
A  son  front  mutilé  tordent  leurs  vertes  cornes. 

Vois.  L'oblique  rayon,  le  caressant  encor, 
Dans  sa  face  camuse  a  mis  deux  orbes  d'or; 
La  vigne  folle  y  rit  comme  une  lèvre  rouge; 

Et,  prestige  mobile,  un  murmure  du  vent, 

Les  feuilles,  l'ombre  errante  et  le  soleil  qui  bouge, 

De  ce  marbre  en  ruine  ont  fait  un  Dieu  vivant. 


ROMANCERO 


LE 


SERREMENT    DE    MAINS 


SONGEANT  à  sa  maîson,  grande  parmi  les  grandes, 
Plus  grande  qu'lnigo  lui-même  et  qu'Abarca, 
Le  vieux  Diego  Laynez  ne  goûte  plus  aux  viandes. 


11  ne  dort  plus,  depuis  qu'un  sang  honteux  marqua 
La  joue  encore  chaude  où  l'a  frappé  le  Comte, 
Et  que  pour  se  venger  la  force  lui  manqua. 


f60  LES    TROPHÉES 


Il  craint  que  ses  amis  ne  lui  demandent  compte, 
Et  ne  veut  pas,  navré  d'un  vertueux  ennui, 
Leur  laisser  respirer  l'haleine  de  sa  honte. 


Alors  il  fit  quérir  et  rangea  devant  lui 
Les  quatre  rejetons  de  sa  royale  branche, 
Sanche,  Alfonse,  Manrique  et  le  plus  jeune,  Ruy. 


Son  cœur  tremblant  faisait  trembler  sa  barbe  blanche  ; 
Mais  l'honneur  roidissant  ses  vieux  muscles  glacés, 
11  serra  fortement  les  mains  de  l'aîné,  Sanche. 


Celui-ci,  stupéfait,  s'écria  :  —  C'est  assez! 

Ah!  vous  me  faites  mal!  —  Et  le  second,  Alfonse, 

Lui  dit  :  —  Qu'ai-je  donc  fait,  père?  vous  me  blessez! 


Puis  Manrique  :  —  Seigneur,  votre  griffe  s'enfonce 
Dans  ma  paume  et  me  fait  souffrir  comme  un  damné! 
Mais  il  ne  daigna  pas  leur  faire  une  réponse. 


Sombre,  désespérant  en  son  cœur  consterné 
D'enter  sur  un  bras  fort  son  antique  courage, 
Diego  Laynez  marcha  vers  Ruy,  le  dernier-né. 


ROMANCERO  l6l 


11  rétreignit,  tâtant  et  palpant  avec  rage 

Ces  épaules,  ces  bras  frêles,  ces  poignets  blancs, 

Ces  mains,  faibles  outils  pour  un  si  grand  ouvrage. 


11  les  serra,  suprême  espoir,  derniers  élans! 
Entre  ses  doigts  durcis  par  la  guerre  et  le  hâle. 
L'enfant  ne  baissa  pas  ses  yeux  érincelants. 


Les  yeux  froids  du  vieillard  flamboyaient.  Ruy  tout  pâle, 
Sentant  l'horrible  étau  broyer  sa  jeune  chair, 
Voulut  crier;  sa  voix  s'étrangla  dans  un  râle. 


Il  rugit:  —  Lâche-moi,  lâche-moi,  par  l'enfer! 
Sinon,  pour  t'arracher  le  cœur  avec  le  foie, 
Mes  mains  se  feront  marbre  et  mes  dix  ongles  fer! 


Le  Vieux  tout  transporté  dit  en  pleurant  de  joie: 
—  Fils  de  l'âme,  ô  mon  sang,  mon  Rodrigue,  que  Dieu 
Te  garde  pour  l'espoir  que  ta  fureur  m'octroie!  — 


Avec  des  cris  de  haine  et  des  larmes  de  feu, 
Il  dit  alors  sa  joue  insolemment  frappée. 
Le  nom  de  l'insulteur  et  l'instant  et  le  lieu; 


l62  LES    TROPHÉES 


Et  tirant  du  fourreau  Tizona  bien  trempée, 
Ayant  baisé  la  garde  ainsi  qu'un  crucifix, 
Il  tendit  à  l'enfant  la  haute  et  lourde  épée. 


—  Prends-la.  Sache  en  user  aussf  bien  que  je  fis. 
Que  ton  pied  soit  solide  et  que  1 1  main  soit  prompte. 
Mon  honneur  est  perdu.  Rends-k  rmoi.  Va,  mon  fils.  — 


Une  heure  après,  Ruy  Diaz  avait  tué  le  Comte. 


KOMANCERO  l6j 


LA 


REVANCHE  DE  DIEGO  LAYNEZ 


Ce  soir,  seul  au  haut  bout,  car  il  n'a  pas  d'égaux, 
Diego  Laynez,  plus  pâle  aux  lueurs  de  la  cire, 
S'est  assis  pour  souper  avec  ses  hidalgos. 

Ses  fils,  ses  trois  aînés,  sont  là;  mais  le  vieux  sire 
En  son  cœur  angoissé  songe  au  plus  jeune.  Hélas! 
Il  n'est  point  revenu.  Le  Comte  a  dû  l'occire. 


164  LES    TROPHPES 


Le  vin  rit  dans  l'argent  des  brocs  ;  le  coutelas 
Dégainé,  l'écuyer,  ayant  troussé  sa  manche, 
Laisse  échauffer  le  vin  et  refroidir  les  plats. 

Car  le  maître  et  seigneur  n'a  pas  dit  :  Que  l'on  tranche  ! 

Depuis  que  dans  sa  chaise  il  est  venu  s'asseoir. 

Deux  longs  ruisseaux  de  pleurs  mouillent  sa  barbe  blanche 

Et  le  grave  écuyer  se  tient  près  du  dressoir. 
Devant  la  table  vide  et  la  foule  béante, 
Et  nul,  fils  ou  vassal,  ne  soupera  ce  soir. 


Comme  pour  ne  pas  voir  le  spectre  qui  le  hante, 
Laynez  ferme  les  yeux  et  baisse  encor  le  front; 
Mais  il  voit  son  fils  mort  et  sa  honte  vivante. 


Il  a  perdu  l'honneur,  il  a  gardé  l'affront; 
Et  ses  aïeux,  de  race  irréprochable  et  forte. 
Au  jour  du  Jugement  le  lui  reprocheront. 


L'outrage  l'accompagne  et  le  mépris  l'escorte. 
De  tout  l'orgueil  antique  il  ne  lui  reste  rien. 
Hélas!  hélas!  Son  fils  est  mort,  sa  gloire  est  morte! 


ROMANCFRO  l6f 


—  Seigneur,  ouvre  les  yeux.  C'est  moi.  Regarde  bien. 
Cette  table  sans  viande  a  trop  piètre  figure; 
Aujourd'hui  j'ai  chassé  sans  valet  et  sans  chien; 

J'ai  forcé  ce  ragot;  je  t'en  offre  la  hure!  — 
Ruy  dit,  et  tend  le  chef  livide  et  hérissé 
Qu'il  tient  empoigne  par  l'horrible  chevelure. 

Diego  La\  nez  d'un  bond  sur  ses  pieds  s'est  dressé  : 

—  Est-ce  toi,  Comte  infâme  ?  Est-ce  toi,  tête  exsangue, 
Avec  ce  rire  fixe  et  cet  œil  convulsé? 


Oui,  c'est  bien  toi  !  Tes  dents  mordent  encor  ta  langue  ; 

Pour  la  dernière  fois  l'insolente  a  raillé. 

Et  le  glaive  a  tranché  le  fil  de  sa  harangue!  — 


Sous  le  col  d'un  seul  coup  par  Tizona  taillé, 
D'épais  et  noirs  caillots  pendent  à  chaque  fibre; 
Le  Vieux  frotte  sa  joue  avec  le  sang  caillé. 


D'une  voix  éclatante  et  dont  la  salle  vibre, 

Il  s'écrie:  —  O  Rodrigue,  ô  mon  fils,  cher  vainqueur, 

L'affront  me  fit  esclave  et  ton  bras  me  fait  libre! 


l66  LES    TROPHÉES 


Et  toi,  visage  affreux  qui  réjouis  mon  cœur, 

Ma  main  va  donc,  au  gré  de  ma  haine  indomptable, 

Satisfaire  sur  toi  ma  gloire  et  ma  rancœur!  — 


Et  souffletant  alors  la  tête  épouvantable  : 

—  Vous  avez  vu,  vous  tous,  il  m'a  rendu  raison! 

Ruy,  sieds-toi  sur  mon  siège  au  haut  bout  de  la  table. 

Car  qui  porte  un  tel  chef  est  Chef  de  ma  maison. — 


ROMANCERO  167 


I.L' 


TRIOMPHE    DU    CID 


Les  portes  du  palais  s'ouvrirent  toutes  grandes 

Et  le  roi  Don  Fernan  sortit  pour  recevoir 

Le  jeune  chef  rentrant  avec  ses  vieilles  bandes. 


Quittant  cloître,  métier,  champ,  taverne  et  lavoir, 
Clercs,  bourgeois  ou  vilains,  tout  le  bon  peuple  exulte; 
Les  femmes  aux  balcons  se  penchent  pour  mieux  voir. 


l68  LES    TROPHÉES 


C'est  que,  vengeur  du  Christ  que  le  Croissant  insulte, 
Rodrigue  de  Bivar,  vainqueur,  rentre  aujourd'hui 
Dans  Zamora  qu'emplit  un  merveilleux  tumulte. 


11  revient  de  la  guerre,  et  partout  devant  lui, 
Sur  son  genêt  rapide  et  rayé  comme  un  zèbre 
Le  cavalier  berbère  en  blasphémant  a  fui. 


Il  a  tout  pris,  pillé,  rasé,  brûlé,  de  l'Èbre 

Jusques  au  Guadiana  qui  roule  un  sable  d'or 

Et  de  l'Algarbe  en  feu  monte  un  long  cri  funèbre. 


11  revient  tout  chargé  de  butin,  plus  encor 
De  gloire,  ramenant  cinq  rois  de  Morérie. 
Ses  captifs  l'ont  norai[T>f  le  Cid  Campeador. 


Tel  Ruy  Diaz,  à  travers  le  peuple  qui  s'écrie, 
La  lance  sur  la  cuisse,  en  triomphal  arroi, 
Rentre  dans  Zamora  pavoisée  et  fleurie. 


Donc,  lorsque  les  huissiers  annoncèrent  :  Le  Roi! 
Telle  fut  la  clameur  que  corbeaux  et  corneilles 
Des  tours  et  des  clochers  s'envolèrent  d'effroi. 


ROMANCERO  169 


Et  Don  Fernan  debout  sous  les  portes  vermeilles, 
Un  instant,  ébloui,  s'arrêta  sur  le  seuil 
Aux  acclamations  qui  flattaient  ses  oreilles. 


11  s'avançait,  charmé  du  glorieux  accueil... 

Tout  à  coup,  repoussant  peuple,  massiers  et  garde, 

Une  femme  apparut,  pâle,  en  habit  de  deuil. 


Ses  yeux  resplendissaient  dans  sa  face  hagarde. 
Et,  sous  le  voile  épars  de  ses  longs  cheveux  roux. 
Sanglotante  et  pâmée,  elle  cria  :  —  Regarde! 


Reconnais-moi  !  Seigneur,  j'embrasse  tes  genoux. 
Mon  père  est  mort  qui  fut  ton  fidèle  homme  lige; 
Fais  justice,  Fernan,  venge-le,  venge-nous! 


Je  me  plains  hautement  que  le  Roi  me  néglige 
Et  ne  veux  plus  attendre,  au  gré  du  meurtrier, 
La  vengeance  à  laquelle  un  grand  serment  t'oblige. 


Oui,  certe,  ô  Roi,  je  suis  lasse  de  larmoyer; 

La  haine  dans  mon  cœur  bout  et  s'irrite  et  monte, 

Et  me  prend  à  la  gorge  et  me  force  à  crier  : 


lyO  LES    TROPHÉES 


Vengeance,  ô  Roi,  vengeance  et  Justice  plus  prompte I 
Tire  de  l'assassin  tout  le  sang  qu'il  me  doit!  — 
Et  le  peuple  disait  :  —  C'est  la  fille  du  Comte. 


Car  d'un  geste  rigide  elle  montrait  du  doigt 
Cid  Ruy  Diaz  de  Bivar  qui,  du  haut  de  sa  selle, 
Lui  dardait  un  regard  étincelant  et  droit. 


Et  l'oeil  sombre  de  l'homme  et  les  yeux  clairs  de  celle 

Qui  l'accusait,  alors  se  croisèrent  ainsi 

Que  deux  fers  d'où  jaillit  une  double  étincelle. 


Don  Fernan  se  taisait,  fort  perplexe  et  transi, 
Car  l'un  et  l'autre  droit  que  son  esprit  balance 
Pèse  d'un  poids  égal  qui  le  tient  en  souci. 


Il  hésite.  Le  peuple  attendait  en  silence. 
Et  le  vieux  Roi  promène  un  regard  incertain 
Sur  cette  foule  où  luit  l'éclair  des  fers  de  lance. 


Il  voit  les  cavaliers  qui  gardent  le  butin, 

Glaive  au  poing,  casque  en  tête,  au  dos  la  brigandine, 

Rangés  autour  du  Cid  impassible  et  hautain. 


ROMANCERO  IJl 


Portant  l'étendard  vert  consacré  dans  Médine, 
Il  voit  les  captifs  pris  au  Miramamolin, 
Les  cinq  Émirs  vêtus  de  soie  incarnadine; 


Et  derrière  eux,  plus  noirs  sous  leurs  turbans  de  lin, 
Douze  nègres,  chacun  menant  un  cheval  barbe. 
Or,  le  bon  prince  était  à  la  justice  enclin  : 


—  Il  a  vengé  son  père,  il  a  conquis  l'Algarbe; 
Elle,  au  nom  de  son  père,  inculpe  son  amant. 
Et  Don  Fernan  pensif  se  caresse  la  barbe. 


—  Que  faire,  songe-t-il,  en  un  tel  jugement?  — 
Chimène  à  ses  genoux  pleurait  toutes  ses  larmes. 
Il  la  prit  par  la  main  et  très  courtoisement  : 

—  Relève-toi,  ma  fille,  et  calme  tes  alarmes. 
Car  sur  le  cœur  d'un  prince  espagnol  et  chrétien 
Les  larmes  de  tes  yeux  sont  de  trop  fortes  armes. 


Certes,  Bivar  m'est  cher;  c'est  l'espoir,  le  soutien 
De  Castille;  et  pourtant  j'accorde  ta  requête. 
Il  mourra  si  tu  veux,  ô  Chimène,  il  est  tien. 


172  LES    TROPH  ÉES 


Dispose,  il  est  à  toi.  Parle,  la  hache  est  prête!  — 
Ruy  Diaz  la  regardait,  grave  et  silencieux. 
Elle  ferma  les  yeux,  elle  baissa  la  tête. 


Elle  n'a  pu  braver  ce  front  victorieux 
Qu'illumine  l'ardeur  du  regard  qui  la  dompte; 
Elle  a  baissé  la  tête,  elle  a  ferma  les  yeux. 


Elle  n'est  plus  la  fîlle  orgueilleuse  du  Comte, 

Car  elle  sent  rougir  son  visage,  enflammé 

Moins  encor  de  courroux  que  d'amour  et  de  honte. 


—  C'est  sous  un  bras  loyal  par  l'honneur  même  armé 
Que  ton  père  a  rendu  son  âme  —  que  Dieu  sauve! 
L'homme  applaudit  au  coup  que  le  prince  a  blâmé. 


Car  l'honneur  de  Laynez  et  de  Layn  le  Chauve, 
Non  moins  pur  que  celui  des  rois  dont  je  descends, 
Vaut  l'orgueil  du  sang  goth  qui  dore  ton  poil  fauve. 


Condamne,  si  tu  peux...  Pardonne,  j'y  consens. 
Que  Gormaz  et  Laynez,  à  leur  antique  souche, 
Voient  par  vous  reverdir  des  rameaux  florissants. 


ROMANCERO 


73 


Parle,  et  je  donne  à  Ruy,  sur  un  mot  de  ta  bouche, 
Belforado,  Saldagne  et  Carrias  del  Castil.  — 
Mais  Chimène  gardait  un  silence  farouche. 

Fernan  lui  murmura  :  —  Dis,  ne  te  souvient-il, 
Ne  te  souvient-il  plus  de  l'amour  ancienne?  — 
Ainsi  parle  le  Roi  gracieux  et  subtil. 

Et  la  main  de  Chimène  a  frémi  dans  la  sienne. 


LES    CONQUÉRANTS 
DE    L'OR 


LES 


CONQ^UÈRANTS    DE    L'OR 


APRÈS  que  Balboa,  menant  son  bon  cheval 
Par  les  bois  non  frayés,  droit,  d'amont  en  aval, 
Eut,  sur  l'autre  versant  des  Cordillères  hautes, 
Foulé  le  chaud  limon  des  insalubres  côtes 
De  l'Isthme  qui  partage  avec  ses  monts  géants 
La  glauque  immensité  des  deux  grands  Océans, 
Et  qu'il  eut,  s'y  jetant  tout  armé  de  la  berge, 


Tous  les  aventuriers,  dont  l'esprit  s'enflamma, 


lyS  LES    TROPHÉES 


Rêvaient,  en  arrivant  au  port  de  Panama, 

De  retrouver,  espoir  cupide  et  magnifique, 

Aux  rivages  dorés  de  la  mer  Pacifique, 

El  Dorado  promis  qui  fuyait  devant  eux, 

Et,  mêlant  avec  l'or  des  songes  monstrueux, 

De  forcer  jusqu'au  fond  de  ces  torrides  zones 

L'âpre  virginité  des  rudes  Amazones 

Que  n'avait  pu  dompter  la  race  des  héros. 

De  renverser  des  dieux  à  têtes  de  taureaux 

Et  de  vaincre,  vrais  fils  d«^.  leur  ancêtre  Hercule, 

Les  peuples  de  l'Aurore  et  ceux  du  Crépuscule. 

Ils  savaient  que,  bravant  ces  illustres  périls. 
Us  atteindraient  les  bords  où  germent  les  béryls 
Et  Doboyba  qui  comble,  en  ses  riches  ravines. 
Du  vaste  écroulement  des  temples  en  ruines, 
La  nécropole  d'or  des  princes  de  Zenu; 
Et  que,  suivant  toujours  le  chemin  inconnu 
Des  Indes,  par  delà  les  îles  des  Épices 
Et  la  terre  où  bouillonne  au  fond  des  précipices 
Sur  un  lit  d'argent  fin  la  Source  de  Santé, 
Ils  verraient,  se  dressant  en  un  ciel  enchanté 
Jusqu'au  zénith  brûlé  du  feu  des  pierreries. 
Resplendir  au  soleil  les  vivantes  féeries 
Des  sierras  d'émeraude  et  des  pics  de  saphir 
Qui  recèlent  l'antique  et  fabuleux  Ophir. 


LES    CONQUÉRANTS     DE    L   OR  I79 


Et  quand  Vasco  Nufiez  eut  payé  de  sa  tête 
L'orgueil  d'avoir  tenté  cette  grande  conquête, 
Poursuivant  après  lui  ce  mirage  éclatant, 
Malgré  sa  mort,  la  fleur  des  Cavaliers,  portant 
Le  pennon  de  CastiUe  écartelé  d'Autriche, 
Pénétra  jusqu'au  fond  des  bois  de  Côte-Riche 
A  travers  la  montagne  horrible,  ou  navigua 
Le  long  des  noirs  récifs  qui  cernent  Veragua, 
Et  vers  l'Est  atteignit,  malgré  de  grands  naufrages, 
Les  bords  où  l'Orénoque,  enflé  par  les  orages, 
Inondant  de  sa  vase  un  immense  horizon. 
Sous  le  fiévreux  éclat  d'un  ciel  lourd  de  poison, 
Se  jette  dans  la  mer  par  ses  cinquante  bouches. 

Enfin  cent  compagnons,  tous  gens  de  bonnes  souches, 

S'embarquèrent  avec  Pascual  d'Andagoya 

Qui,  poussant  encor  plus  sa  course,  côtoya 

Le  golfe  où  l'Océan  Pacifique  déferle. 

Mit  le  cap  vers  le  sud,  doubla  l'île  de  Perle, 

Et  cingla  devant  lui  toutes  voiles  dehors, 

Ayant  ainsi,  parmi  les  Conquérants  d'alors. 

L'heur  d'avoir  le  premier  fendu  les  mers  nouvelles 

Avec  les  éperons  des  lourdes  caravelles. 

Mais  quand,  dix  mois  plus  tard,  malade  et  déconfit, 
Après  avoir  très  loin  navigué  sans  profit 


l8o  LES    TROPHÉES 


Vers  cet  El  Dorado  qui  n'était  qu'un  vain  mythe, 
Bravé  cent  fois  la  mort,  dépassé  la  limite 
Du  monde,  ayant  perdu  quinze  soldats  sur  vingt, 
Dans  ses  vaisseaux  brisés  Andagoya  revint, 
Pedrarias  d'Avila  se  mit  fort  en  colère; 
Et  ceux  qui,  sur  la  foi  du  récit  populaire, 
Hidalgos  et  routiers,  s'étaient  tous  rassemblés 
Dans  Panama,  du  coup  demeurèrent  troublés. 

Or  les  seigneurs,  voyant  qu'ils  ne  pouvaient  plus  guère 
Employer  leur  personne  en  actions  de  guerre, 
Partaient  pour  Mexico;  mais  ceux  qui,  n'ayant  rien. 
Étaient  venus  tenter  aux  plages  de  Darien, 
Désireux  de  tromper  la  misère  importune. 
Ce  que  vaut  un  grand  cœur  à  vaincre  la  fortune, 
S'entreteiiant  à  jeun  des  rêves  les  plus  beaux, 
Restaient,  l'épée  oisive  et  la  cape  en  lambeaux. 
Quoique  tous  bons  marins  ou  vieux  batteurs  d'estrade, 
A  regarder  le  flot  moutonner  dans  la  rade, 
En  attendant  qu'un  chef  hardi  les  commandât. 


LES     CONQUÉRANTS     DE     LOR 


Deux  ans  étaient  passés,  lorsqu'un  obscur  soldat 

Qui  fut  depuis  titré  Marquis  pour  sa  conquête, 

François  Pizarre,  osa  présenter  la  requête 

D'armer  un  galion  pour  courir  par  delà 

Puerto  Pinas.  Alors  Pedrarias  d'Avila 

Lui  fit  représenter  qu'en  cette  conjoncture 

Il  n'était  pas  prudent  de  tenter  l'aventure 

Et  ses  dangers  sans  nombre  et  sans  profit;  d'ailleurs 

Qu'il  ne  lui  plaisait  point  de  voir  que  les  meilleurs 

De  tous  ses  gens  de  guerre,  en  entreprises  folles, 

Prodiguassent  le  sang  des  veines  espagnoles, 

Et  que  nul  avant  lui,  de  tant  de  Cavaliers, 

N'avait  pu  triompher  des  bois  de  mangliers 


LES    TROPHÉES 


Qui  croisent  sur  ces  bords  leurs  nœuds  inextricables; 
Que,  la  tempête  ayant  rompu  vergues  et  câbles 
A  leurs  vaisseaux  en  vain  si  loin  aventurés, 
Us  étaient  revenus  mourants,  désemparés, 
Et  trop  heureux  encor  d'avoir  sauvé  la  vie. 

Mais  ce  conseil  ne  fit  qu'échauffer  son  envie. 

Si  bien  qu'avec  Diego  d'Almagro,  par  contrats. 

Ayant  mis  en  commun  leur  fortune  et  leurs  bras, 

Et  don  Fernan  de  Luque  ayant  fourni  les  sommes, 

En  l'an  mil  et  cinq  cent  vingt-quatre,  avec  cent  hommes, 

Pizarre  le  premier,  par  un  brumeux  matin 

De  novembre,  montant  un  mauvais  brigantin, 

Prit  la  mer,  et  lâchant  au  vent  toute  sa  toile, 

Se  fia  bravement  en  son  heureuse  étoile. 

Mais  tout  sembla  d'abord  démentir  son  espoir. 
Le  vent  devint  bourrasque,  et  jusqu'au  ciel  très  noir 
La  mer  terrible,  enflant  ses  houles  couleur  d'encre, 
Défonça  les  sabords,  rompit  les  mâts  et  l'ancre, 
Er  fit  la  triste  nef  plus  rase  qu'un  radeau. 
Enfin  après  dix  jours  d'angoisse,  manquant  d'eau 
Et  de  vivres,  sa  troupe  étant  d'ailleurs  fort  lasse, 
Pizarre  débarqua  sur  une  côte  basse. 

Au  bora,  les  mangliers  formaient  un  long  treillis; 
Plus  haut,  impénétrable  et  splendide  fouillis 


LES    CONQUERANTS     DE     l'oR  i8] 


De  lianes  en  fleur  et  de  vignes  grimpantes, 
La  berge  s'élevait  par  d'insensibles  pentes 
Vers  la  ligne  lointaine  et  sombre  des  forêts. 

Et  ce  pays  n'était  qu'un  très  vaste  marais. 

Il  pleuvait.  Les  soldats,  devenus  frénétiques 

Par  le  harcèlement  venimeux  des  moustiques 

Qui  noircissaient  le  ciel  de  bourdonnants  essaims, 

Foulaient  avec  horreur,  en  ces  bas-fonds  malsains, 

Des  reptiles  nouveaux  et  d'étranges  insectes. 

Ou  voyaient  émerger  des  lagunes  infectes, 

Sur  leur  ventre  écaillé  se  traînant  d'un  pied  tors, 

Ces  lézards  monstrueux  qu'on  nomme  alligators. 

Et  quand  venait  la  nuit,  sur  la  terre  trempée, 

Dans  leurs  manteaux,  auprès  de  l'inutile  épée. 

Lorsqu'ils  s'étaient  couchés,  n'ayant  pour  aliment 

Que  la  racine  amère  ou  le  rouge  piment, 

Sur  le  groupe  endormi  de  ces  chercheurs  d'empires 

Flottait,  crêpe  vivant,  le  vol  mou  des  vampires, 

Et  ceux-là  qu'ils  marquaient  de  leurs  baisers  velus 

DormaieAt  d'un  tel  sommeil  qu'ils  ne  s'éveillaient  plus 

C'est  pourquoi  les  soldats,  par  force  et  par  prière. 
Contraignirent  leur  chef  à  tourner  en  arrière. 
Et,  malgré  lui,  disant  un  éternel  adieu 


184  LES    TROPHÉES 


Au  triste  campement  du  port  de  Saint-Mathieu, 

Pizarre,  par  la  mer  nouvellement  ouverte, 

Avec  Bartolomé  suivant  la  découverte, 

Sur  un  seul  brigantin  d'un  faible  tirant  d'eau 

Repartit,  et,  doublant  Punta  de  Pasado, 

Le  bon  pilote  Ruiz  eut  la  fortune  insigne, 

Le  premier  des  marins,  d'avoir  franchi  la  Ligne 

Et  poussé  plus  au  sud  du  monde  Occidental. 

La  côte  s'abaissait,  et  les  bois  de  santal 
Exhalaient  sur  la  mer  leurs  brises  parfumées. 
De  toutes  parts  montaient  de  légères  fumées. 
Et  les  marins  joyeux,  accoudés  aux  haubans. 
Voyaient  les  fleuves  luire  en  tortueux  rubans 
A  travers  la  campagne,  et  tout  le  long  des  plages 
Fuir  des  champs  cultivés  et  passer  des  villages. 

Ensuite,  ayant  serré  la  côte  de  plus  près, 
A  leurs  yeux  étonnés  parurent  les  forêts. 

Au  pied  des  volcans  morts,  sous  la  zone  des  cendres, 
L'ébénier,  le  gayac  et  les  durs  palissandres, 
Jusques  aux  confins  bleus  des  derniers  horizons 
Roulant  le  flot  obscur  des  vertes  frondaisons, 
Variés  de  feuillage  et  variés  d'essence, 


LES     CONQUÉRANTS    DE     l'oR  l8f 


Déployaient  la  grandeur  de  leur  magnificence; 

Et  du  nord  au  midi,  du  levant  au  ponent, 

Couvrant  tout  le  rivage  et  tout  le  continent, 

Partout  où  l'oeil  pouvait  s'étendre,  la  ramure 

Se  prolongeait  avec  un  éternel  murmure 

Pareil  au  bruit  des  mers.  Seul,  en  ce  cadre  noir, 

Étincelait  un  lac,  immobile  miroir 

Où  le  soleil,  plongeant  au  milieu  de  cette  ombre, 

Faisait  un  grand  trou  d'or  dans  la  verdure  sombre. 

Sur  le  sable  marneux,  d'énormes  caïmans 

Guettaient  le  tapir  noir  ou  les  roses  flamants. 

Les  majas  argentés  et  les  boas  superbes 

Sous  leurs  pesants  anneaux  broyaient  les  hautes  herbes. 

Ou  s'enroulant  autour  des  troncs  d'arbres  pourris, 

Attendaient  l'heure  où  vont  boire  les  pécaris. 

Et  sur  les  bords  du  lac  horriblement  fertile 

Où  tout  batracien  pullule  et  tout  reptile. 

Alors  que  le  soleil  décline,  on  pouvait  voir 

Les  fauves  par  troupeaux  descendre  à  l'abreuvoir  : 

Le  puma,  l'ocelot  et  les  chats-tigres  souples, 

Et  le  beau  carnassier  qui  ne  va  que  par  couples 

Et  qui  par-dessus  tous  les  félins  est  cité 

Pour  sa  grâce  terrible  et  sa  férocité, 

Le  jaguar.  Et  partout  dans  l'air  multicolore 

Flottait  la  végétale  et  la  vivante  flore; 


|86  LES    TROPHÉES 

Tandis  que  des  cactus  aux  hampes  d'aloès, 

Les  perroquets  divers  et  les  kakatoès 

Et  les  aras,  parmi  d'assourdissants  ramages, 

Lustraient  au  soleil  clair  leurs  splendides  plumages, 

Dans  un  pétillement  d'ailes  et  de  rayons, 

Les  frêles  oiseaux-mouche  et  les  grands  papillons, 

D'un  vol  vibrant,  avec  des  jets  de  pierreries, 

Irradiaient  autour  des  lianes  fleuries. 

Plus  loin,  de  toutes  parts  élancés,  des  halliers, 

Des  gorges,  des  ravins,  des  taillis,  par  milliers, 

Pillant  les  monbins  mûrs  et  les  buissons  d'icaques, 

Les  singes  de  tout  poil,  ouistitis  et  macaques, 

Sakis  noirs,  capucins,  trembleurs  et  sapajous, 

Par  les  figuiers  géants  et  les  hauts  acajous, 

Sautant  de  branche  en  branche  ou  pendus  par  leurs  queues. 

Innombrables,  de  l'aube  au  soir,  durant  des  lieues, 

Avec  des  gestes  fous  hurlant  et  gambadant. 

Tout  le  long  de  la  mer  les  suivaient. 

Cependant, 
Poussé  par  une  tiède  et  balsamique  haleine. 
Le  navire,  doublant  le  cap  de  Sainte-Hélène, 
Glissa  paisiblement  dans  le  golfe  d'azur 
Où,  sous  l'éclat  d'un  jour  éternellement  pur, 
La  mer  de  Guayaquil,  sans  colère  et  sans  lutte, 


LES     CONQUÉRANTS     DE     l'oR  187 

Arrondissant  au  loin  son  immense  volute, 
Frange  les  sables  d'or  d'une  écume  d'argent. 

Et  l'horizon  s'ouvrit  magnifique  et  changeant. 

Les  montagnes,  dressant  les  neiges  de  leur  crête. 
Coupaient  le  ciel  foncé  d'une  brillante  arête 
D'où  s'élançaient  tout  droits  au  haut  de  l'éther  bleu 
Le  Prince  du  Tonnerre  et  le  Seigneur  du  Feu  : 
Le  mont  Chimborazo  dont  la  sommité  ronde, 
Dôme  prodigieux  sous  qui  la  foudre  gronde, 
Dépasse,  gigantesque  et  formidable  aussi. 
Le  cône  incandescent  du  clair  Cotopaxi. 

Attentif  aux  gabiers  en  vigie  à  la  hune, 
Dans  le  pressentiment  de  sa  haute  fortune, 
Pizarre,  sur  le  pont  avec  les  Conquérants, 
Jetait  sur  ces  splendeurs  des  yeux  indifférents. 
Quand,  soudain,  au  détour  du  dernier  promontoiie. 
L'équipage,  poussant  un  long  cri  de  victoire. 
Dans  un  repli  du  golfe  où  tremblent  les  reflets 
Des  temples  couverts  d'or  et  des  riches  palais, 
Avec  ses  quais  noircis  d'une  innombrable  foule. 
Entre  l'azur  du  ciel  et  celui  de  la  houle, 
Au  bord  de  l'Océan  vit  émerger  Tumbez. 


l88  LES    TROPHÉES 


Alors,  se  recordant  ses  compagnons  tombés 

A  ses  côtés,  ou  morts  de  soif  et  de  famine, 

Et  voyant  que  le  peu  qui  restait  avait  mine 

De  gens  plus  disposés  à  se  ravitailler 

Qu'à  reprendre  leur  course,  errer  et  batailler, 

Pizarre  comprit  bien  que  ce  serait  démence 

Que  de  s'aventurer  dans  cet  empire  immense; 

Et  jugeant  sagement  qu'en  ce  dernier  effort 

Il  fallait  à  tout  prix  qu'il  restât  le  plus  fort, 

11  prit  langue  parmi  ces  nations  étranges, 

Rassembla  beaucoup  d'or  par  dons  et  par  échanges, 

Et,  gagnant  Panama  sur  son  vieux  brigantin 

Plein  des  fruits  de  la  terre  et  lourd  de  son  butin, 

Il  mouilla  dans  le  port  après  trois  ans  de  courses. 

Là,  se  trouvant  à  bout  d'hommes  et  de  ressources. 

Bien  que  fort  malhabile  aux  manières  des  cours, 

Il  résolut  d'user  d'un  suprême  recours 

Avant  que  de  tenter  sa  dernière  campagne, 

Et  de  Nombre  de  Dios  s'embarqua  pour  l'Espagne 


LES    CONQUÉRANTS     DE     l'oR  1 89 


m 


Or,  lorsqu'il  toucha  terre  au  port  de  San-I  ucar, 

11  retrouva  l'Espagne  en  allégresse,  car 

L'Impératrice-Reine,  en  un  jour  très  prospère. 

Comblant  les  vœux  du  prince  et  les  désirs  du  père, 

Avait  heureusement  mis  au  monde  l'Infant 

Don  Philippe  —  que  Dieu  conserve  triomphant! 

Et  l'Empereur  joyeux  le  fêtait  dans  Tolède. 

Là,  Pizarre,  accouru  pour  implorer  son  aide. 

Conta  ses  longs  travaux  et,  ployant  le  genou, 

Lui  fit  en  bon  sujet  hommage  du  Pérou. 

Puis  ayant  présenté,  non  sans  quelque  vergogne 

D'offrir  si  peu,  de  l'or,  des  laines  de  vigogne 

Et  deux  lamas  vivants  avec  un  alpaca, 

11  exposa  ses  droits.  Don  Carlos  remarqua 


tgO  LES    TROPHÉES 


Ces  moutons  singuliers  et  de  nouvelle  espèce 

Dont  la  taille  était  haute  et  la  toison  épaisse; 

Même,  il  daigna  peser  entre  ses  doigts  royaux, 

Fort  gracieusement,  la  lourdeur  des  joyaux; 

Mais  quand  il  dut  traiter  l'objet  de  la  demande, 

Il  répondit  avec  sa  rudesse  flamande  : 

Qu'il  trouvait,  à  son  gré,  que  le  vaillant  Marquis 

Don  Hernando  Cortès  avait  assez  conquis 

En  subjuguant  le  vaste  enipire  des  Aztèques; 

Et  que  lui-même,  ainsi  que  les  saints  Archevêques 

Et  le  Conseil  étaient  fermement  résolus 

A  ne  rien  entreprendre  et  ne  protéger  plus, 

Dans  ses  possessions  des  mers  occidentales. 

Ceux  qui  s'entêteraient  à  ces  courses  fatales 

Où  s'abîma  jadis  Diego  de  Nicuessa. 

Mais,  à  ce  dernier  mot,  Pizarre  se  dressa 

Et  lui  dit  :  Que  c'était  chose  qui  scandalise 

Que  d'ainsi  rejeter  du  giron  de  l'Église, 

Pour  quelques  onces  d'or,  autant  d'infortunés 

Qui,  dans  l'idolâtrie  et  l'ignorance  nés. 

Ne  demandaient,  voués  au  céleste  anathème. 

Qu'à  laver  leurs  péchés  dans  l'eau  du  saint  baptême. 

Ensuite  il  lui  peignit  en  termes  éloquents 

La  Cordillère  énorme  avec  ses  vieux  volcans 

D'où  le  feu  souverain,  qui  fait  trembler  la  terre 

Et  fondre  le  métal  au  creuset  du  cratère. 

Précipite  le  flux  brûlant  des  laves  d'or 


LES     CONQUÉRANTS     DE     LOR  ICI 


Que  garde  l'oiseau  Rock  qu'ils  ont  nommé  condor. 
11  lui  dit  la  nature  enrichissant  la  fable; 
D'innombrables  torrents  qui  roulent  dans  leur  sable 
Des  pierres  d'émeraude  en  guise  de  galets; 
La  chicha  fermentant  aux  celliers  des  palais 
Dans  des  vases  d'or  pur  pareils  aux  vastes  jarres 
Où  l'on  conserve  l'huile  au  fond  des  Alpujarres; 
Les  temples  du  Soleil  couvrant  tout  le  pays, 
Revêtus  d'or,  bordés  de  leurs  champs  de  maïs 
Dont  les  épis  sont  d'or  aussi  bien  que  la  tige 
Et  que  broutent,  miracle  à  donner  le  vertige 
Et  tait  pour  rendre  même  un  Empereur  pensif, 
Des  moutons  d'or  avec  leurs  bergers  d'or  massif. 

Ce  discours  étonna  Don  Carlos,  et  l'Altesse, 

Daignant  enfin  peser  avec  la  petitesse 

Des  secours  implorés  l'honneur  du  résultat. 

Voulut  que  sans  tarder  Don  François  repéra* 

Par-devant  Nosseigneurs  du  Grand  Conseil,  ses  offres 

De  dilater  l'Eglise  et  de  remplir  les  coffres. 

Après  quoi,  lui  passant  Thabit  de  chevalier 

De  Saint-Jacque,  il  lui  mit  au  cou  son  bon  collier. 

Et  Pizarre  jura  sur  les  saintes  reliques 

Qu'il  resterait  fidèle  aux  Rois  Très  Catholiques, 

Et  qu'il  demeurerait  le  plus  ferme  soutien 

De  l'Église  romaine  et  du  beau  nom  chrétien. 

Puis  l'Empereur  dicta  les  augu:>tes  ccdules 


192  LES    TROPHÉES 


Qui  faisaient  assavoir,  même  aux  plus  incrédules, 

Que,  sauf  les  droits  anciens  des  hoirs  de  l'Amiral, 

Don  François  Pizarro^  lieutenant  général 

De  Son  Altesse,  était  sans  conteste  et  sans  terme 

Seigneur  de  tous  pays,  îles  et  terre  ferme, 

Qu'il  avait  découverts  ou  qu'il  découvrirait. 

La  minute  étant  lue  et  quand  l'acte  fut  prêt 

A  recevoir  les  seings  au  bas  des  protocoles, 

Pizarre,  ayant  jadis  peu  hanté  les  écoles, 

Car  en  Estremadure  il  gardait  les  pourceaux, 

Sur  le  vélin  royal  d'où  pendaient  les  grands  sceaux 

Fit  sa  croix,  déclarant  ne  savoir  pas  écrire, 

Mais  d'un  ton  si  hautain  que  nul  ne  put  en  rire. 

Enfin,  sur  un  carreau  brodé,  le  bâton  d'or 

Qui  distingue  l'Alcade  et  l'Alguazil  Mayor 

Lui  fut  remis  par  Juan  de  Fonseca.  La  chose 

Ainsi  dûment  réglée  et  sa  patente  close, 

L'Adelantade,  avant  de  reprendre  la  mer, 

Et  bien  qu'il  n'en  gardât  qu'un  souvenir  amer. 

Visita  ses  parents  dans  Truxillo,  leur  ville, 

Puis,  joyeux,  s'embarqua  du  havre  de  Séville 

Avec  les  trois  vaisseaux  qu'il  avait  nolisés. 

Il  reconnut  Gomère,  et  les  vents  alizés. 

Gonflant  d'un  souffle  frais  leur  voilure  plus  ronde, 

Entraînèrent  ses  nefs  sur  la  route  du  monde 

Qui  fit  l'Espagne  grande  et  Colomb  immortel. 


LES     CONQUÉRANTS     DE     LOR  I9] 


l\ 


Or  donc,  un  mois  plus  tard,  au  pied  du  maître-autel, 
Dans  Panama,  le  jour  du  noble  Évangéliste 
Saint  Jean,  fray  Juan  Vargas  lut  au  prône  la  liste 
De  tous  ceux  qui  montaient  la  nouvelle  Armada 
Sous  Don  François  Pizarre,  et  les  recommanda 
Puis,  les  deux  chefs  ayant  entre  eux  rompu  l'hostie, 
Voici  de  quelle  sorte  on  fit  la  départie. 

Lorsque  l'Adelanrade  eut  de  tous  pris  congé, 
Ce  jour  même,  après  vêpre,  en  tête  du  clergé, 
L'Evêq-ue  ayant  béni  l'armée  avec  la  flotte. 
Don  Bartolomé  Ruiz,  comme  royal  pilote. 
En  pompeux  apparat,  tout  vêtu  de  brocart, 


194  LES    TROPHÉES 


Le  porte-voix  au  poing,  montant  au  banc  de  quart. 

Commanda  de  rentrer  l'ancre  en  la  capitane 

Et  de  mettre  la  barre  au  vent  de  tramontane. 

Alors,  parmi  les  pleurs,  les  cris  et  les  adieux, 

Les  soldats  inquiets  et  les  marins  joyeux, 

Debout  sur  les  haubans  ou  montés  sur  les  vergues 

D'où  flottait  un  pavois  de  drapeaux  et  d'exergues. 

Quand  le  coup  de  canon  de  partance  roula. 

Entonnèrent  en  chœur  l'Ave  maris  Stella; 

Et  les  vaisseaux,  penchant  leurs  mâts  aux  mille  flammes, 

Plongèrent  à  la  fois  dans  l'écume  des  lames. 

La  mer  étant  fort  belle  et  le  nord  des  plus  frais 

Leur  voyage  fut  prompt,  et  sans  souffrir  d'arrêts 

Ou  pour  cause  d'aiguade  ou  pour  raison  d'escale, 

Courant  allègrement  par  la  mer  tropicale, 

Pizarre  saluait  avec  un  mâle  orgueil, 

Comme  d'anciens  amis,  cnaque  anse  et  chaque  écucil. 

Bientôt  il  vit,  vainqueur  des  courants  et  des  calmes. 

Monter  à  l'horizon  les  verts  bouquets  de  palmes 

Qui  signalent  de  loin  le  golfe,  et  débarquant. 

Aux  portes  de  Tumbez  il  vint  planter  son  camp. 

Là,  s'abouchant  avec  les  Caciques  des  villes, 

11  apprit  que  l'horreur  des  discordes  civiles 

Avait  ensanglanté  l'Empire  du  Soleil; 

Que  l'orgueilleux  bâtard  Atahuallpa,  pareil 

A  la  foudre,  rasant  villes  et  territoires, 


LES     CONQUÉRANTS     DE     l'oR  IÇf 


Avait  conquis,  après  de  rapides  victoires, 
Cuzco,  nombril  du  monde,  où  les  Rois,  ses  aïeux. 
Dieux  eux-mêmes,  siégeaient  parmi  les  anciens  Dieux, 
Et  qu'il  avait  courbé  sous  le  joug  de  l'épée 
La  terre  de  Manco  sur  son  frère  usurpée. 

Aussitôt,  s'éloignant  de  la  côte  à  grands  pas, 
A  travers  le  désert  sablonneux  des  pampas. 
Tout  joyeux  de  mener  au  but  ses  vieilles  bandes, 
Pizarre  commença  d'escalader  les  Andes. 

De  plateaux  en  plateaux,  de  talus  en  talus, 

De  l'aube  au  soir,  allant  jusqu'à  n'en  pouvoir  plus. 

Ils  montaient,  assaillis  de  funèbres  présages. 

Rien  n'animait  l'ennui  des  mornes  paysages. 

Seul,  parfois,  ils  voyaient  miroiter  au  lointain 

Dans  sa  vasque  de  pierre  un  lac  couleur  d'étain. 

Sous  un  ciel  tour  à  tour  glacial  et  torride, 

Harassés,  et  tirant  leurs  chevaux  par  la  bride. 

Ils  plongeaient  aux  ravins  ou  grimpaient  aux  sommets  ; 

La  montagne  semblait  prolonger  à  jamais, 

Comme  pour  épuiser  leur  marche  errante  et  lasse. 

Ses  gorges  de  granit  et  ses  crêtes  de  glace. 

Une  étrange  terreur  planait  sur  la  sierra 

Et  plus  d'un  vieux  routier  dont  le  cœur  se  serra 

Pour  la  première  fois  y  connut  l'épouvante. 

La  terre  sous  leurs  pas,  convulsive  et  mouvante. 


196  l  ES    TROTHÉES 


Avec  un  sourd  fracas  se  fendait,  et  le  vent, 

Au  milieu  des  éclats  de  foudre,  soulevant 

Des  tourmentes  de  neige  et  des  trombes  de  grêles, 

Se  lamentait  avec  des  voix  surnaturelles. 

Et  roidis,  aveuglés,  éperdus,  les  soldats, 

Cramponnés  aux  rebords  à  pic  des  quebradas, 

Sentaient  sous  leurs  pieds  lourds  fuir  le  chemin  qui  glisse. 

Sur  leurs  fronts  la  montagne  était  abrupte  et  lisse. 

Et  plus  bas,  ils  voyaient,  dans  leurs  lits  trop  étroits, 

Rebondissant  le  long  des  bruyantes  parois. 

Aux  pointes  des  rochers  qu'un  rouge  éclair  allume, 

Se  briser  les  torrents  en  poussière  d'écume. 

Le  vertige,  plus  haut,  les  gagna.  Leurs  poumons 

Saignaient  en  aspirant  l'air  trop  subtil  des  monts, 

Et  le  froid  de  la  nuit  gelait  la  triste  troupe. 

Tandis  que  les  chevaux,  tournant  en  rond  leur  croupe, 

L'un  sur  l'autre  appuyés,  broutaient  un  chaume  ras. 

Les  soldats,  violant  les  tombeaux  Aymaras, 

En  arrachaient  les  morts  cousus  dans  leurs  suaires 

Et  faisaient  de  grands  feux  avec  ces  ossuaires. 

Pizarre  seul  n'était  pas  même  fatigué. 

Après  avoir  passé  vingt  rivières  à  gué, 

Traversé  des  pays  sans  hameaux  ni  peuplade, 

Souffert  le  froid,  la  faim,  et  tenté  l'escalade 

Des  monts  les  plus  affreux  que  l'homme  ait  mesurés, 

n'un  regard,  d'une  voix  et  d'un  geste  assurés. 


LES    CONQUÉRANTS     DE     L    OR  I97 

Au  cœur  des  moins  hardis  il  soufflait  son  courage; 
Car  il  voyait,  terrible  et  somptueux  mirage, 
Au  feu  de  son  désir  briller  Caxamarca. 

Enfin,  cinq  mois  après  le  jour  qu'il  débarqua. 
Les  pics  de  la  sierra  lui  tenant  lieu  de  phare, 
Il  entra,  les  clairons  sonnant  tous  leur  fanfare, 
A  grand  bruit  de  tambours  et  la  bannière  au  vent, 
Sur  les  derniers  plateaux,  et  poussant  en  avant, 
Sans  laisser  aux  soldats  le  temps  de  prendre  haleine, 
En  hâte,  il  dévala  le  chemin  de  la  plaine. 


If» 


L  tS    TROPHÉES 


Au  nombre  de  cent  six  marchaient  les  gens  de  pied. 

L'histoire  a  dédaigné  ces  braves,  mais  il  sied 

De  nommer  par  leur  nom,  qu'il  soit  noble  ou  vulgaire, 

Tous  ceux  qui  furent  chefs  en  cette  illustre  guerre 

Et  de  dire  la  race  et  le  poil  des  chevaux, 

Ne  pouvant,  au  récit  de  leurs  communs  travaux, 

Ranger  en  même  lieu  que  des  bêtes  de  somme 

Ces  vaillants  serviteurs  de  tout  bon  gentilhomme. 

Voici.  Soixante  et  deux  cavaliers  hidalgos 
Chevauchent,  par  le  sang  et  la  bravoure  égaux, 
Autour  des  plis  d'azur  de  la  royale  enseigne 
Où  près  du  château  d'or  le  pal  de  gueules  saigne 


LES     CONQUÉRANTS     DE    LOR  I99 


Et  que  brandit,  flanqué  du  chroniqueur  Xcrez, 
Le  fougueux  Gabriel  de  Rojas,  l'alferez, 
Dont  le  pourpoint  de  cuir  bordé  de  cannetilles 
Est  gaufré  du  royal  écu  des  deux  Castilles, 
Et  qui  porte  à  sa  toque  en  velours  d'Aragon 
Un  saint  Michel  d'argent  terrassant  le  dragon. 
Sa  main  ferme  retient  ce  fameux  cheval  pie 
Qui  s'illustra  depuis  sous  Carbajal  l'Impie; 
Cet  andalou  de  race  arabe,  et  mal  dompté, 
Qui  mâche  en  se  cabrant  son  mors  ensanglanté 
Et  de  son  dur  sabot  fait  jaillir  l'étincelle, 
Peut  dépasser,  ayant  son  cavalier  en  selle, 
Le  trait  le  plus  vibrant  que  saurait  décocher 
Du  nerf  le  mieux  tendu  le  plus  vaillant  archer. 

A  l'entour  de  l'enseigne  en  bon  ordre  se  groupe. 
Poudroyant  au  soleil,  tout  le  gros  de  la  troupe  : 
C'est  Juan  de  la  Torre;  Cristobal  Peralta, 
Dont  la  devise  est  fière  :  Ad  summum  per  alta; 
Le  borgne  Domingo  de  Serra-Luce;  Alonze 
De  Molina,  très  brun  sous  son  casque  de  bronze; 
Et  François  de  Cuellar,  gentilhomme  andalous, 
Qui  chassait  les  Indiens  comme  on  force  des  loups; 
Et  Mena  qui,  parmi  les  seigneurs  de  Valence, 
Était  en  haut  renom  pour  manier  la  lance. 
Ils  s'alignent,  réglant  le  pas  de  leurs  chevaux 
D'après  le  train  suivi  par  leurs  deux  chefs  rivaux, 


LES    TROPHÉES 


Del  Barco  qui,  fameux  chercheur  de  terres  neuves, 

Avec  Orellana  descendit  les  grands  fleuves, 

Et  Juan  de  Salcedo  qui,  fier  d'un  noble  sang, 

Quoique  sans  barbe  encor,  s'avance  au  premier  ran^ 

Sur  un  brave  étalon  cap  de  more  qui  fume 

Et  piaffe,  en  secouant  son  frein  blanchi  d'écume. 

Derrière,  tout  marris  de  marcher  sur  leurs  pieds, 

Viennent  les  démontés  et  les  estropiés. 

Juan  Forés  pique  en  vain  d'un  carreau  d'arbalète 

Un  vieux  rouan  fourbu  qui  bronche  et  qui  halète; 

Ribera  l'accompagne,  et  laisse  à  l'abandon 

Errer  distraitement  la  bride  et  le  bridon 

Au  col  de  son  bai-brun  qui  boite  d'un  air  morne, 

S'étant,  faute  de  fers,  usé  toute  la  corne. 

Avec  ces  pauvres  gens  marche  don  Pèdre  Alcon, 

Lequel  en  son  écu  porte  d'or  au  faucon 

De  sable,  grilleté,  chaperonné  de  gueules; 

Ce  vieux  seigneur  jadis  avait  tourné  les  meules 

Dans  Grenade,  du  temps  qu'il  était  prisonnier 

Des  mécréants.  Ce  fut  un  bon  pertuisanier. 

Ainsi  bien  escortés,  à  l'amble  de  leurs  mules, 
Fort  pacifiquement  s'en  vont  les  deux  émules  : 
Requelme,  le  premier,  comme  bon  Contador, 
Reste  silencieux,  car  le  silence  est  d'or; 


LES     CONQUÉRANTS    DE     LOR 


Qiiant  au  licencié  Cil  Tellez,  le  Notaire, 
Il  dresse  en  son  esprit  le  futur  inventaire, 
Tout  prêt  à  prélever,  au  taux  juste  et  légal, 
La  part  des  Cavaliers  après  le  Quint  Royal. 

Or,  quelques  fourrageurs  restés  sur  les  derrières. 

Pour  rejoindre  leurs  rangs,  malgré  les  fondrières, 

A  leurs  chevaux  lancés  ayant  rendu  la  main. 

Et  bravant  le  vertige  et  brûlant  le  chemin. 

Par  la  montagne  à  pic  descendaient  ventre  à  terre. 

Leur  galop  furieux  fait  un  bruit  de  tonnerre. 

Les  voici  :  bride  aux  dents,  le  sang  aux  éperons. 

Dans  la  foule  effarée,  au  milieu  des  jurons, 

Du  tumulte,  des  cris,  des  appels  à  l'Alcade, 

Ils  débouchent.  Le  chef  de  cette  cavalcade. 

Qui,  d'aspect  arrogant  et  vêtu  de  brocart. 

Tandis  que  son  cheval  fait  un  terrible  écart, 

Salue  Alvar  de  Paz  qui  devant  lui  se  range, 

En  balayant  la  terre  avec  sa  plume  orange. 

N'est  autre  que  Fernan,  l'aîné,  le  plus  hautain 

Des  Pizarre,  suivi  de  Juan,  et  de  Martin 

Qu'on  dit  d'Alcantara,  leur  frère  par  le  ventre. 

Briceno  qui,  depuis,  se  fit  clerc  et  fut  chantre 

A  Lima,  n'étant  pas  très  habile  écuyer, 

Dans  cette  course  folle  a  perdu  l'étrier, 

Et,  voyant  ses  amis  déjà  loin,  se  dépêche 

Et  pique  sa  jument  couleur  de  fleur  de  pêche. 


LES    TROPHÉES 


Le  brave  Antonio  galope  à  son  côté; 

11  porte  avec  orgueil  sa  noble  pauvreté, 

Car,  s'il  a  pour  tout  bien  l'épée  et  la  rondache, 

Son  cimier  héraldique  est  ceint  des  feuilles  d'ache 

Qui  couronnent  l'écu  des  ducs  de  Carrion. 

Ils  passent,  soulevant  un  poudreux  tourbillon. 

A  leurs  cris,  un  seigneur,  de  ceux  de  l'avant-garde, 

S'arrête,  et,  retournant  son  cheval,  les  regarde. 

Il  monte  un  genêt  blanc  dont  le  caparaçon 

Est  rouge,  et  pour  mieux  voir  se  penche  sur  l'arçon. 

C'est  le  futur  vainqueur  de  Popayan.  Sa  taille 

Est  faite  pour  vêtir  le  harnois  de  bataille. 

Beau  comme  un  Galaor  et  fier  comme  un  César, 

11  marche  en  tête,  ayant  pour  nom  Benalcazar. 

Près  d'Oreste  voici  venir  le  bon  Pylade  : 

Très  basané,  le  chef  coiffe  de  la  salade. 

Il  rêve,  enveloppé  dans  son  large  manteau; 

C'est  le  vaillant  soldat  Hernando  de  Soto 

Qui,  rude  explorateur  de  la  zone  torride, 

Découvrira  plus  tard  l'éclatante  Floride 

Et  le  père  des  eaux,  le  vieux  Meschacébé. 

Cet  autre  qui,  casqué  d'un  morion  bombé, 

Boucle  au  cuir  du  jambard  la  lourde  pertuisane 

En  flattant  de  la  voix  sa  jument  alezane, 

C'est  l'aventurier  grec  Pedro  de  Candia, 


LES     CONQUÉRANTS     CE     LOR  20} 

Lequel  ayant  brûlé  dix  villes,  dédia, 

Pour  expier  ces  feux,  dix  lampes  à  la  Vierge. 

11  regarde,  au  sommet  dangereux  de  la  berge, 

Caracoler  l'ardent  Gonzalo  Pizarro 

Qui  depuis,  à  Lima,  par  la  main  du  bourreau, 

Ainsi  que  Carbajal,  eut  la  tête  branchée 

Sur  le  gibet,  après  qu'elle  eut  été  tranchée 

Aux  yeux  des  Cavaliers  qui,  séduits  par  son  nom. 

Dans  Cuzco  révolté  haussèrent  son  pennon. 

Mais  lui,  bien  qu'à  son  roi  déloyal  et  rebelle, 

Étant  bon  hidalgo,  fit  une  mort  très  belle. 

A  quelques  pas,  l'épée  et  le  rosaire  au  flanc. 

Portant  sur  les  longs  plis  de  son  vêtement  blanc 

Un  scapulaire  noir  par-dessus  le  cilice 

Dont  il  meurtrit  sa  chair  et  dompte  sa  malice, 

Chevauche  saintement  l'ennemi  des  faux  dieux. 

Le  très  savant  et  très  miséricordieux 

Moine  dominicain  fray  Vincent  de  Valverde 

Qui,  tremblant  qu'à  jamais  leur  âme  ne  se  perde 

Et  pour  l'éternité  ne  brûle  dans  l'Enfer, 

Fit  périr  des  milliers  de  païens  par  le  fer 

Et  les  auto-da-fés  et  la  hache  et  la  corde, 

Confiant  que  Jésus,  en  sa  miséricorde. 

Doux  rémunérateur  de  son  pieux  dessein. 

Recevrait  ces  martyrs  ignorants  dans  son  sein. 


t04  LES    TROPHÉES 


Enfin,  les  précédant  de  dix  longueurs  de  varc. 
Et  le  premier  de  tous,  marche  François  Pizarre. 

Sa  cape,  dont  le  vent  a  dérangé  les  plis. 
Laisse  entrevoir  la  cotte  et  les  brassards  polis; 
Car,  seul  parmi  ces  gens,  pourtant  de  forte  race, 
Qui  tous  avaient  quitté  l'acier  pour  la  cuirasse 
De  coton,  il  gardait,  sous  l'ardeur  du  Cancer, 
Sans  en  paraître  las,  son  vêtement  de  fer. 

Son  barbe  cordouan,  rétif,  faisait  des  voltes 

Et  hennissait;  et  lui,  châtiant  ces  révoltes. 

Laissait  parfois  sonner  contre  ses  flancs  trop  prompts 

Les  molettes  d'argent  de  ses  lourds  éperons, 

Mais  sans  plus  s'émouvoir  qu'un  cavalier  de  pierre. 

Immobile,  et  dardant  de  sa  sombre  paupière 

L'insoutenable  éclat  de  ses  yeux  de  gerfaut. 

Son  cœur  aussi  portait  l'armure  sans  défaut 
Qui  sied  aux  conquérants,  et,  simple  capitaine, 
11  caressait  déjà  dans  son  âme  hautaine 
L'espoir  vertigineux  de  faire,  tôt  ou  tard. 
Un  manteau  d'Empereur  des  langes  du  bâtard. 


LES     CONQUÉRANTS     UE     LOR  20^ 


Ainsi  précipitant  leur  rapide  descente 

Par  cette  route  étroite,  encaissée  et  glissante, 

Depuis  longtemps  suivant  leur  chef,  et,  sans  broncher, 

Faisant  crouler  sous  eux  le  sable  et  le  rocher, 

Les  hardis  cavaliers  couraient  dans  les  ténèbres 

Des  défilés  en  pente  et  des  gorges  funèbres 

Qu'éclairait  par  en  haut  un  jour  terne  et  douteux; 

Lorsque,  subitement,  s'effondrant  devant  eux, 

La  montagne  s'ouvrit  sur  le  ciel  comme  une  arche 

Gigantesque,  et,  surpris  au  milieu  de  leur  marche 

Et  comme  s'ils  sortaient  d'une  noire  prison, 

Dans  leurs  yeux  aveuglés  l'espace,  l'horizon, 


2o6  LES    TROPHÉES 


L'immensité  du  vide  et  la  grandeur  du  gouffre 
Se  mêlèrent,  abîme  éblouissant.  Le  soufre. 
L'eau  bouillante,  la  lave  et  les  feux  souterrains, 
Soulevant  son  échine  et  crevassant  ses  reins, 
Avaient  ouvert,  après  des  siècles  de  bataille, 
Au  flanc  du  mont  obscur  cette  splendide  entaille. 

Et,  la  terre  manquant  sous  eux,  les  Conquérants 
Sur  la  corniche  étroite  ayant  serré  leurs  rangs, 
Chevaux  et  cavaliers  brusquement  firent  halte. 

Les  Andes  étageaient  leurs  gradins  de  basalte. 
De  porphyre,  de  grès,  d'ardoise  et  de  granit 
Jusqu'à  l'ultime  assise  où  le  roc  qui  finit 
Sous  le  linceul  neigeux  n'apparaît  que  par  place. 
Plus  haut,  l'âpre  forêt  des  aiguilles  de  glace 
Fait  vibrer  le  ciel  bleu  par  son  scintillement; 
On  dirait  d'un  terrible  et  clair  fourmillement 
De  guerriers  cuirassés  d'argent,  vêtus  d'hermine, 
Qui  campent  aux  confins  du  monde,  et  que  domine 
De  loin  en  loin,  colosse  incandescent  et  noir. 
Un  volcan  qui,  dressé  dans  la  splendeur  du  soir. 
Hausse,  porte-étendard  de  l'hivernal  cortège, 
Sa  bannière  de  feu  sur  un  peuple  de  neige. 


LES     CONQUÉRANTS     DE     LOR  207 


Mais  tous  fixaient  leurs  yeux  sur  les  premiers  gradins 
Où,  près  des  cours  d'eau  chaude,  au  milieu  des  jardins, 
Ils  avaient  vu,  dans  l'or  du  couchant  éclatantes, 
Blanchir  à  l'infini  les  innombrables  tentes 
De  rinca,  dont  le  vent  enflait  les  pavillons; 
Et  de  la  solfatare  en  de  tels  tourbillons 
Montaient  confusément  d'épaisses  fumerolles, 
Que  dans  cette  vapeur,  couverts  de  banderoles, 
La  plaine,  les  coteaux  et  le  premier  versant 
De  la  montagne  avaient  un  aspect  très  puissant. 

Et  tous  les  Conquérants,  dans  un  morne  silence. 

Sur  le  col  des  chevaux  laissant  pendre  la  lance, 

Ayant  considéré  mélancoliquement 

Et  le  peu  qu'ils  étaient  et  ce  grand  armement, 

Pâlirent.  Mais  Pizarre,  arrachant  la  bannière 

Des  mains  de  Gabriel  Rojas,  d'une  voix  fière  : 

—  Pour  Don  Carlos,  mon  maître,  et  dans  son  Nom  Royal, 

Moi,  François  Pizarro,  son  serviteur  loyal, 

En  la  forme  requise  et  par-devant  Notaire, 

Je  prends  possession  de  toute  cette  terre; 

Et  je  prétends  de  plus  que  si  quelque  rival 

Osait  y  contredire,  à  pied  comme  à  cheval. 

Je  maintiendrai  mon  droit  et  laverai  l'injure; 

Et  par  mon  saint  patron,  Don  ^-^nçois,  je  le  jure!  — 


208  LES    TROPHÉES 


Et  ce  disant,  d'un  bras  furieux,  dans  le  sol 
Qui  frémit,  il  planta  l'étendard  espagnol 
Dont  le  vent  des  hauteurs  qui  soufflait  par  rafales 
Tordit  superbement  les  franges  triomphales. 


Cependant  les  soldats  restaient  silencieux, 
Éblouis  par  la  pompe  imposante  des  cieux. 


Car  derrière  eux,  vers  l'ouest,  où  sans  fin  se  déroule 
Sur  des  sables  lointains  la  Pacifique  houle, 
En  une  brume  d'or  et  de  pourpre,  linceul 
Rougi  du  sang  d'un  Dieu,  sombrait  l'antique  Aïeul 
De  Celui  qui  régtiait  our  cei  teres  sans  nombre. 
En  face,  la  sierra  se  dressait  haute  et  sombre. 
Mais  quand  l'astre  royal  dans  les  flots  se  noya, 
D'un  seul  coup,  la  montagne  entière  flamboya 
De  la  base  au  sommet,  et  les  ombres  des  Andes, 
Gagnant  Caxamarca,  s'allongèrent  plus  grandes. 
Et  tandis  que  la  nuit,  rasant  d'abord  le  sol. 
De  gradins  en  gradins  haussait  son  large  vol, 
La  mourante  clarté,  fuyant  de  cime  en  cime, 
Fit  resplendir  enfin  la  crête  plus  sublime; 
Mais  l'ombre  couvrit  tout  de  son  aile.  Et  voilà 
Que  le  dernier  sommet  des  pics  étincela, 


tES    CONQUÉRANTS     DE     L   OR 


209 


Puis  s'éteignir. 

Alors,  formidable,  enflammée 
D'un  haut  pressentiment,  toute  entière,  l'armée, 
Brandissant  ses  urapeaux  sur  l'occident  vermeil, 
Salua  d'un  grand  cri  la  chute  du  Soleil, 


18. 


•l'A  BLE 


TABLE 


Dédicace.   .    .    . 
Épître   liminaire 


LA    GRÈCE    ET    LA    SICILE 


L'Oubli 

Hercule  et   ies  Centaures 

Némée 

Stymphal'- 

Nes?iie 

La  Centauresse 

Centaures  et  Lapith(  =.    . 

Fuite  de  Centaures.  .  . 
La  Naissance  d'Aphrodit''  .  . 
Jason   et   M^diV- 


214 


Le  Thermodon 15 

Artémis   et   lES  Nymphes .  17 

Artémi? 19 

La   Chasse ao 

Nymphée ai 

Pan aa 

Le  Bain  des  N\ii:|.li.'i ....  aj 

Le  Vase a^ 

Ariane a6 

Bacchanale 37 

Le  Rf^veil  d'un   Dieu a8 

La   Magicienne ag 

Sphinx }o 

Marsyas }  i 

Persée  et  Andromède 3} 

Andromède  au   Monstre 35 

Persée  et  Andromède 36 

Le  Ravissement  d'Andromède 37 

Épigrammes  et   BUCOLIQ.UES 39 

Le  Chevrier 41 

Les  Bergers 42 

Épigramme  votive 43 

Épigramme  funéraire 44 

Le  Naufragé 45 

La  Prière  du   Mort 46 

L'Esclave 47 

Le  Laboureur 48 

A   Hermès  Criophore 49 

La  jeune  Morte 50 

Regilla 51 

Le  Coureur 5  a 

Le  Cocher 53 

Sur  l'Othrys H 


2'Ç 


ROME    ET    LES    BARBARES 


V 


Pour  le  Vaisseau  de  Virgile 57 

Villula •jS 

La   Flûte 59 

A  Sextius 60 

HORTORUM    DeUS ùl 

l.      N'iipproche  pasl   Vn-t'enl 65 

//.    Respecte,  0  Voyageur 64 

///.  Holà,   maudits  enfants  t 65 

ly.  Entre  donc.  Mes  piliers 66 

y.     Qjtel  froid I  le  givre  brille 67 

Le  Tepidarium 69 

Tranquillus 70 

Lupercus 71 

La  Trebbia 7j  ---" 

Après  Cannes 7; 

A   un  Triomphateur 74 

Antoine  et  Cleopatre 75  \/ 

Le  Cydnus 77  ^/ 

Soir  de  Bataille 78 

Antoine  et  Cléopâtre 79 

Sonnets   épigraphiqu  es 81 

Le  Vœu 8} 

La  Source 84 

Le  Dieu   Hêtre 8^ 

Aux  Montagnes  Divine? 86 

L'Exilée 87 


2l6 


J.h   MOYEN    AGE    ET    LA    RENAISSANCE 

Vitrail 91  . 

Epiphanie 93 

Le  Huchier  de  Nazareth 9} 

L'Estoc 94 

Médaille 9S 

Suivant  Pétrarque 9^ 

Sur  le  Livre  des  Amours  de  Pierre  de  Ronsard    ....  97 

La  belle  Viole 98 

Épitaphe 99 

Vélin  doré 100 

/  La  Dogarefse 101 

Sur  le  Pont-Vieux 103 

Le  vieil  Orfèvre loj 

L'Épée «04 

A  Ciaudius  Popelin 105 

Émail 106 

Rêves  d'Émail 107 

Les  C0NQ.UÉRANTS 109 

Les  Conquérants «  •  ' 

Jouvence ''^ 

Le  Tombeau  du  Conquérant iij 

Carolo  Quinto  imperante 114 

L'Ancêtre "S 

A   un  Fondateur  de  ville 116 

Au   Même «'7 

A  une  Ville  morte "8 


217 


L'ORIENT    ET    LES    TROPIQ.UES 

La    Vision    de  Khèm.   /.  Midi.  L'air  brûle 13  ■ 

//.     La  lune  sur  le  Nil 12a 

1 1 1 .  Et  la  fouk  grandit 125 

Le  Prisonnier 135 

Le  Samouraï 126 

Le  Daïmio 127 

Fleurs  de  feu 128 

Fleur  séculaire 129 

Le  Récif  de  corail 130 


LA    NATURE    ET    LE    REVE 

Médaille  antique 13  ^ 

Les  Funérailles 134 

Vendange 135 

La  Sieste 136 

La   Mer   de  Bretagne ij7 


Un   Peintre 


•Î9 


Bretagne 140 

Floridum  Mare 141 

Soleil  couchant 142 

'4j 

144 


'45 


Maris  Stella 

Le  Bain 

Blason  céleste 

Armer 146 

Mer  montante 14-' 

Brise  maiine i^C 


19 


M  8 


La  Conque  

Le   Lit 

La   Mort  de   L'Aigle.    . 

Plus  Ultra 

La  Vie  des  Morts  .    . 
Au  Tragédien   E.    Rossi 

Michel-Ange 

Sur  un  Marbre  brisé  . 


49 


ROMANCERO 

Le  Serrement  de  mains 159 

La  Revanche  de  Diego  Laynez 165 

Le  Triomphe  du  Cid 167 

LES    CONQUÉRANTS    DE    L'OR 

Les  Conq.uïrant$  de  l'Or 17; 


^"^  .^        Py       Heredia  José  Maria  de 


,r 


2i^75  Les  trophées 

H3T7 


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