LES
TROYENS
A CARTHAGE
OPÉRA EN CINQ ACTES AVEC UN PROLOGUE
PAROLES ET MUSIQUE
HECTOR BERLIOZ
Prix : 3 francs
PARIS
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
3, RUE AOBER. 3
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t Qh£tc
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CHEZ
P L O N
UNE VIE
ROMANTIQUE
PAR
ADOLPHE BOSCHOT
de l'Institut
Voici quelques extraits de la critique :
Par
?a vie comme par son
/
œuvre, Berlioz est le
héros le plus représen-
tatif du romantisme,
français. S'il vous
plaît d'apercevoir le
tumulte pathétique
de cette existence fré-
missante, ne manquez
pas de lire l'étude ma-
gistrale que M. Adel-
phe Boschot a consa-
crée à Berlioz avec
l'art le plus vivant.
Robert de Flers.
i^j (Le Figaro )
...M. .Boschot nous donne un livre excellent : Une Vie
romantique. Cette biographie, lui seul pouvait l'écrire. Car
il l'avait précédemment composée en trois forts volumes
d'une documentation rigoureuse... Il a su jeter du lest et
choisir : son livre se lit comme un roman le plus roma-
nesque, car la vie de Berlioz est toute chargée d'aventures,
et ce livre reflète la vie dans un récit clair et coloré.
Henry Bordeaux. (Le Monde illustré.)
J'ai lu, comme tous les lettrés, les trois volumes inappré-
c'ables que M. Adolphe Boschot a fait paraître sur Berlioz
et le romantisme français... Les voilà condensés dans Une
Vie romantique . Celle de Berlioz est prodigieuse... M. Boschot
n'est pas écrasé par la tâche formidable de replacer le héros
presque jour par jour dans l'air et la lumière de son temps.
Ce sont là des pages d'histoire relues aux traits de feu d'un
éclair.
Lucien Descaves. (Le Journal.)
Secrets de souffrance, de tristesse et de désespoir, secrets
de passion et de passions diverses, d'ambition et d'amour,
de tous les amours : quand nous achevons un tel livre, il
n'y a plus de secrets pour nous en cette vie de Berlioz, la
plus romanesque et la plus romantique sans doute que
jamais un historien ait racontée... Rien de comparable, pour
le pathétique, aux cent dernières pages de cette biographie.
On sort d'une pareille lecture comme d'un cauchemar ou
d'un cercle de l'enfer.
Camille Bellaigue. (Revue des Deux Mondes.)
Le goût du romanesque, qui se manifeste actuellement
sous bien des formes, n'est jamais si légime que lorsqu'il
tente de s'accorder avec le goût du vrai. C'est une réelle
b une fortune pour un auteur que de trouver dans l'histoire
des éléments qui ont d'eux-mêmes le brillant du pittoresque
et de l'imprévu... Une Vie romantique est un roman vécu,
le plus passionnant des romans... Je crois pouvoir lui pré-
dire un succès grandissant...
André Billy. (L'Œuvre.)
...Une Vie romantique est l'un des chefs-d'œuvre de la
critique biographique : dans le cadre d'une biographie est
ordonnée tou^e l'histoire d'une âme, d'un art et d'un temps...
I.a critique littéraire a trouvé chez M. Boschot un allié de
premier ordre... Il a une science étendue, une méthode
s lde, mais aussi un vif souci d'art et de style...
Gustave Rudler. (Chronique de Londres.)
...livre accessible à tout le public... Pure biographie,
vivant portrait d'un homme, — ou plutôt c'est un véritable
roman, un roman vrai, orageux et passionné, plein de péri-
péties extérieures et de drames intimes, qui se lit d'un trait
et auquel le style extrêmement vivant et pittoresque de
l'excellent écrivain donne un mouvement et un relief sin-
guliers.
Maurice Brillant. (Le Correspondant.)
Les ouvrages d'Adolphe Boschot
s'adressent à TOUS les lecteurs
UNE VIE ROMANTIQUE
(Hector BERLIOZ)
Couronné par l'Académie française
iii édition 15 fr.
CHEZ LES MUSICIENS
6e édition. Trois volumes. Chacun 12 fr.
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5e édition 12 fr.
ENTRETIENS SUR LA BEAUTE
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EN VENTE CHEZ TOUS LES LIBRAIRES
L. P. 1,28. 36083. — P. 72-Lxxvm.
LES
TROYENS A CARTHAGE
OPÉRA
Représenté pour la première fois, à Paris
sur le Theàtre-Impériax-Ltr'que, le 4 novembre 1S6*
DIRECTIO.N DE M. CARV.U,™^
B. GREVIN — IMPRIMERIE DE LAGNT
LES
TROYENS
A GARTHAGE
OPERA EN CINQ ACTES, AVEC UN PROLOGUE
PAROLES ET MUSIQUE DE
HECTOR BERLIOZ
&.
'6/iAtf*»
,©
-m c
p*
PARIS
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
3, hue aube a, 3
Droits de reproduction et du traduction réservés.
Distribution ûe Sa pièce
ËNEE, héros troyen, fila de Vénus et
d'Anchise MM. Monjavze.
NAUBAL, ministre de Didon Petit.
PANTI1ÉE, prêtre troyen, ami dÉnée. . Péront.
IOPAS, poète tyrien de la cour de Didon. de Queucy.
HYLAS, jeune matelot phrygien Cabel.
Deux Soldats troyeks Guyot et Teste.
DIDON, reine de Carthage, veuve de
Sichée, prince de Tyr. ........ M" Chap.ton-Demeur,
ANNA, sœur de Didon Dubois.
ASCAGNE, jeune fils d'Énée Estagel.
LE RAPSODE M- Jouanny.
LE DIEU MERCURE .
Les spectres de Priam, de Chou eue, de Cassandre et d'Hector.
CHOEURS.
ïvriens, Troyens et Cauthaginois, Nymphe?, Satyres, Faunes
si sylvain».
LES
TROYENS
A CARTHAGE
DEUXIÈME PARTIE * DU POÈME LYRIQUE DES
TROYENS
Lamento instrumental — Légende et marche tioyennes
PROLOGUE
*a première toile d'avant-scène est levée. — Une seconde toîle d'avant"
scène est baissée représentant une vue de Troie en fl mimes. — Un
Rapsode, eu coslume j;rec, récite seul sur te devant du théâtre. —
Le chœur des Rapsodes invisibles chante derrière le second rideau.
APRÈS LE LAMENTO EXÉCUTÉ PAU L'ORCHESTRE
LE RAPSODE récitant (parlé).
Après dix ans de guerre et d'un siège rrtutPIé,
Les Grecs désespérant de renverser la ville
De Priam, renonçant à venger Ménélas,
Feignirent de partir en implorant Pallus;
Laissant sur le rivage,
Comme un pieux hommage
Offert à la déesse irritée, un cheval
De bois, immense, colossal.
Celte œuvre étrange, incroyable, inouïe,
D'hommes armes "était remplie.
Les prêtres et le peuple et le roi des Truyens,
Trompes par l'artifice
D'un des soldats d'Ulysse
Abandonné, disait-il, par les siens,
" La première forme ua opéra eu trois actes-, ia Ffftî <t* frùft'.
1
4 • LES TROYEa'S A CARTHAGE.
Dans leurs murs aussitôt voulurent introduire
La redoutable offrande avec dévotion,
En pompe la conduire
Au temple dTIion.
En vain Cassandre l'inspirée,
La noble sœur d'Hector, de la foule égarée
"Veut-elle ouvrir les yeux,
Tous la traitent de folle, aveuglés par les dieux.
« Abattons les remparts! couvrons de fleurs la voiel
S'écriaient les guerriers, formez cortège, enfants,
Et que jusque dans Troie
La trompette et la lyre accompagnent vos chants. s
Avant qu'un funèbre silence
Fût venu succéder aux accens triomphaux
De ce peuple en démence,
Ecoutez de quels sons frémirent les échos.
MARCHE TROYENNE
«ANS LE MODE TRIOMPHAL.
LE CHOEUR DES RAPSODES, derrière la toil».
Du roi des dieux, ô fille aimée,
Du casque et de la lance armée.
Sage guerrière aux regards doux,
A nos destins sois favorable,
Rends Ilion inébranlable,
Belle Pallas, prolége-nous.
Entends nos voix, vierge sublime,
Aux sons des flûtes de Dindyme
Se mêler au plus haut des airs.
Que la trompette phrygienne
Unie à la lyre troyenne
Te porte nos pieux concerts.
Souriante guirlande,
A l'entour de l'offrande
Dansez, heureux enfants,
Semez sur la ramée
La neige parfumée
Des muguets du printemps.
LE RAPSODE récitant (parte).
Aux flancs du monstre alors des rumeurs s'élevèrtnt..
Les chants à l'instant s'arrêtèrent...
Mais reprirent bientôt oa sons plus éclatants.
* Montagne de Phrygie.
PROLOGUE.
LE CHOEUR DES RAPSODES.
Fiers sommets de Pergame
D'une joyeuse flamme
Rayonnez triomphants I
(Le brait des voix et des instruments diminue peu a peu et s'éleint.)
LE RAPSODE récitant (parlé).
Portant la mort et la ruine,
Enfin la fatale machine ",
Franchit les murs sacres...
Et Cassandre éperdue,
Elevant vers la nue
Ses grands yeux éplorés,
S'écria : « C'en est fait! le destin tient sa proie!
Sœur d'Hector, va mourir sous les débris de Troie !
Le Rapsode sort. — Fragment syrnphonique. — Court silènes. ■
La toile se lève*
* Scandit fataîit machina muros. (Virgila.i
ACTE PREMIER
Une vaste salle de verdure du palais de Didoo à Carthage. Sur l'on
des côlés s'élève un trône entouré des trophées de l'agriculture, du
commerce et des arts ; sur l'autre côté et au fond un amphithéâtre
en gradins, sur leqnel une innombrable multitude est assise, au
lever du rideau. — Le premier chœur doit être chanté par la
troupe chorale ordinaire du théâtre seulement. — Le chœur général
sera exécuté au contraire par tous les choristes supplémentaires ,
hommes, femmes et enfants, placés sur les gradins avec les choristes
du théâtre.
SCÈNE PREMIÈRE
CHŒUR d'une partie du peuple carthaginois.
De Cannage les cieux semblent bénir la fêtel
Vit-on jamais un jour pareil
Après si terrible tempête?...
Quel doux zéphir! noire brûlant soleil
De ses rayons calme la violence;
A son aspect la plaine immense
Tressaille de joie ; il s'avance
Illuminant le sourire vermeil
De la nature à son réveil.
(Entre Didon avec sa suite. — A son entrée tout le peuple assis sur les
gradins de l'amphithéâtre se lève en agitant des voiles de diverses cou-
leurs, des palmes, des fleurs. — Didon va s'asseoir sur son trône ayant
sa sœur à sa droite et Narbal à sa gauche; quelques soldats les en-
tourent.)
SCÈNE II
DIDON, ANNA, NARBAL, le Choeur.
CHOEUR GÉNÉRAL, chant national.
Gloire à Didon, notre reine chérie l
Reine par la beauté, la grâce, le génie,
ACTE PREMIER.
René par la faveur des dieux,
E rené par l'amour de ses sujets heureux!
(Le peuple agite des palmes et jette des fleers.)
DlDON, debout, du haut de son trône.
RÉCITATIF.
Nous avons vu finir sept ans à peine,
D 'pu'S le jour où, pour tromper la haine
Du tyran ''meurtrier de mon auguste époux,
J'ai dû fuir avec vous,
De T\r a la nye alncaine.
Et déjà nous voyons Carlhage s'élever,
Ses campagnes fleurir, sa flotte s'achever I
Déjà des bords lointains où s'éveille l'aurore
Vous rapportez, laboureurs de la mer,
Le blé, le vin et la laine et le fer,
El lei produits des arts qui nous manquent encore
AIR.
Chers Tyricns, tant de nobles travaux
Ont enivré mon cœur d'un orgueil Jfgjljme!
Miiis ne vous lassez pas, suivez la voix sublime
Du Dieu qui vous appelle à des efforts nouveaux !
Donnez encore un exemple à ia terre;
Grands dans la paix, devenez dans le guerre
Un peuple de héros.
Le farouche Iarbas veut m'imposer la chaîne
D'un hymen odieux;
Son insolence est vaine,
Le soin de ma défense est à vous comme aux dieux
LE PEUPLE.
Gloire à Didon, notre reine chérie!
Chacun de nous est prêt à lui donner sa vie 1
Tous nous la défendrons.
Nous bravons d'Iarbas l'insolence et la rage,
Et nous repousserons
Jusqu'au fond des déserts ce Numide sauvage !
rnnoN.
Chers Tyriensl oui, vos nobles travaux
Ont enivré mon co-ur d'un orgueil légitime,
Soyez heureux et fiers! suivez la voix sublime
Du Dieu qui vous appelle à des efforts nouveaux.
Celle belle journée,
Qui dans vos souvenirs doit rester à jamais,
*Py.:ui3lion, qui fit assassiner Sichee.
8 LES TROYENS A CARTIIAGE.
A couronner les œuvres de la paix
Fut par moi destinée.
Approchez, constructeurs,
Matelots, laboureurs;
Recevez de ma main la juste récompense
Due <m travail qui donne la puissance.
Et la vie aux États.
(Les ouvriers constructeurs s'avancent, et Didon présente à leur chef nne
équerre d'argent et uno hache. — Après eux viennent les matelots.
Didon leur donne deux avirons d'ivoire. — Viennent enfin les labou-
reurs. La reine dépo-ant une couronne de fleurs et d'épis sur le front du
vieillard qui les conduit, lui donne une faucille d'or et s'écrie :)
Peuple l tous les honneurs
Pour le plus grand des arts, l'art qui nourrit les hommes I
LE PEUPLE.
Vivent les laboureurs! nous sommes
Leurs fils reconnaissants; ils nous donnent le pain!
DIDON, à part.
0 Gérés! l'avenir de Carihage est certain!
CHOEUR GÉNÉRAL.
Gloire à Didon, notre reine chérie!
Chacun de nous est prêt à lui donner sa vie.
Prouvons-lui notre amour par des gages nouveaux.
Coloris, marins, formons un peuple de héros !
Le peuple, conduit par Narbal, défile en cortège devant le trrine de Di.oa
et sort.
SCÈNE in
Un appartement du palais de Didon.
ANNA, DIDON.
DIDON.
RÉCITATIF.
Les chants joyeux, l'aspect de celle noble fête,
Ont fait rentrer la paix en mon cœur agité.
Je respire, ma sœur, oui, ma joie est parfaite,
Je retrouve le calme et la sérénité.
DUO.
ANNA.
Reine d'un jeune empire
Qui chaque jour s'élève florissant,
Reine adorée et que le monde admire,
Quelle crainte avait pu vous troubler un instant?
ACTE PREMIER
DIDON.
Une étrange tristesse,
Sans causes, tu le sais, vient parfois m'accabler.
Mes ePp/'t.s restent vains contre cette faiblesse,
Je sens transir mon sein qu'un ennui vague oppresse,
Et mon visage en feu sous mes larmes brûler...
ANNA, souriant.
Vous aimerez, ma sœur...
DIDON.
Non, toute ardeur nouvelle
Est interdite à mon cœur sans retour.
ANNA.
Vous aimerez, ma sœur...
DIDON.
Non, la veuve fidèle
Doit éteindre son âme et délester l'amour.
ANNA.
Didon, vous êtes reine, et trop jeune, et trop belle,
Pour ne plus obéir à cette douce loi;
Carthage veut un roi.
DIDON, montrant à son doigt l'anneau de Sichée.
Puissent mon peuple et les dieux me maudire,
Si je quittais jamais cet anneau consacré 1
ANNA.
Un tel serment fait naître le sourire
De la belle Vénus; sur le livre sacré
Les dieux refusent de l'inscrire.
ENSEMBLE.
DIDON.
Sa voix fait naître dans mon sein
La dangereuse ivresse;
Déjà dans ma faiblesse
Contre un espoir confus je me débats en vain.
Sichée 1 ô mon époux, pardonne
A cet instant d'involontaire erreur,
Et que ton souvenir chasse loin de mon cœur
Ce trouble qui l'étonné.
ANNA.
Ma voix fait naître dans son sein
Des rêves de tendresse;
Déjà, dans sa faiblesse,
Au doux espoir d'aimer eJ'e résiste en vain.
io les trûyens a cap.tiiage.
D'don, ma tendre sœur, pardonne,
Si ,e dissipe une trop chère erreur,
Pardonne si ma voix excite dans ton cœur
Ce trouble qui l'étonné.
SCÈNE IV
IOPAS, ANNA, DIDON.
IOPAS.
Échappés à grand'peine à la mer en fureur,
Reine, les depuiés d'une flotte inconnue
D'être admis devant vous implorent la faveur.
DIDON.
La porte du palais n'est jamais défendue
A de tels suppliants.
(Sur un signe de la reine, Iopas sort.)
Ain.
Errante sur les mers,
Ne fns-je pas aussi, de rivage en rivage,
. Emportée au sein de l'orage.
Jouet des flots amers!
Hélas, des coups du sort je sais la violence
Sur ceux qu'il trappe. Au malheur compatir
Est facile pour nous. Qui connut la souffrance
Ne pourrait voir en vain souffrir.
SCÈNE V
La salle do verdure.
Oo entend la marche troyenne dans un mode triste. ENEE, sous un dé-
guisement de marin, PANTHÉE, ASCAGNE, Chefs troyj.ns,
ponant des présents, IOPAS, DIDON, ANNA.
RÉCITATIF.
DIDON, A part.
J'éprouve une soudaine et vive impatience
Deles voir, et je crains en secret leur présence.
(Elle monte sur y\f '.r.'ao.)
ASCAGNE, s'inclinant devant la reine.
Auguste reine, un peuple errant et malheureux
Pour quelques jours vous demande un asile.
Je dépose à vos pieds les présents précieux,
Débris de sa grandeur-, que, par ma main débile
Au nom de Jupiter, vous offre un chef pieux.
ACTE PREMIER. Il
DIDON.
De ce chef, bel enfant, dis-moi le nom, la race 1
ASCAGNE.
0 reino, sur nqs pas une sanglante trace
Des monts do la Phrygie a marqué les chemins
Jusqu'à la mer. Ce sceptre d'ilione,
(il offre un à un les présents.)
Fille du roi Priam; d'Hécube la couronne,
Et ce voile loger d'Hélène où l'or rayonne,
Doivent nous dire s.ssez que nous sommes Troyens.
BIDON.
Troyens l
ASCÀGNE.
Notre chef est Éncc,
Je suis son fils.
DIDON.
Étrange destinée!
PANTI1ÉE, s'avaaçant.
Obéissant au souverain des dieux
Ce héros cherche l'Italie,
Où le sort lui promet un trépas glorieux
Et le bonheur de rendre aux siens une patrie.
DIDON.
Qui n'admire ce prince, ami du grand Hector?
Nul de son nom fameux n'est ignorant encor;
Carihage en est remplie.
Dites-lui que mon port ouvert à ses vaisseaux
L'attend. Qu'il vienne, qu'il oublie
Avec vous à ma cour ses pénibles travaux.
SCÈNE VI
NARBAL, Les Mêmes.
FINAL.
NAUBAL.
J'ose à peine annoncer la terrible nouvelle I
DIDON.
Qu'arrive-l-ilî
NARBAL.
Le Numide rebelle
Le féroce Iarbas
Avec d'innombrables sold ats
12 LES TltOYKNS A CARTHAGE.
S'avance vers Carthage;
El la troupe sauvage
Egorge nos troupeaux
Et dévaste nos champs. Mais des malheurs nouveaux
Menacent la ville elle-même :
A nos jeunes guerriers dont l'ardeur est extrême
Les armes vont manquer.
DIDON.
Que dites-vous, Narbal?
NARBAL.
Que ii«x_ Jlons tenter un combat inégal.
ÉNÉE, s'avançant après avoir laissé tomber son déguisement de matelot.
Il porte un brillant costume et la cuirasse, mais sans casque ni bouclier.
Reine, je suis Énéel
Ma flotte sur vos bords par les vents entraînée
A de rudes travaux fut par moi destinée;
Permettez aux Troyensde combattre avec vous!
DIDON.
J'accepte avec orgueil une telle alliance!
Énée armé pour ma défense!
Les dieux se déclarent pour nous.
(A part, à Anna.)
0 ma sœur, qu'il est fier, ce fils de la déesse,
Et qu'on voit sur son front de grâce et de noblesse!
ÉNiE, PANTHÉE, NARBAL, lOI'AS, ASCAGNE, DIDON-
AN.NA ET LES CHEFS TROYENS.
ENSEMBLE.
Sur celte horde immonde d'Africains,
Marchez, iTroyens et Tyriens,
Marchons, | J
yu!ez là la victoire ensemble!
Volons I
Comme le sable emporté par les vents
Chassez I j déserts brûlants
Chassons |
Le Numide éperdu; qu'il tremble 1
C'est le dieu Mars qui { JJjj| 1 rassemble,
C'est le fils de Vénus qui J JjJjJ | guide aux combat.^
Exterminez j la noire armée„
Exterminons | t "
Et que demain la renommée
ACTE PREMIER. 13
Proclame au loin la honte et la mort d'Iaibas?
(Pondant la fin do ce morceau, on apporte ses armes à Ênée. Il met rapi-
dement son casque, passe à son bras son vaste bouclier et saisit ses
javelots.)
ÉNÉE, à Panthée.
Annonce à nos Troyens l'entreprise nouvelle
Où la gloire les appelle.
(Panthée sort.)
Reine, bientôt du barbare odieux
Vous serez délivrée. A vos soins généreux,
J'abandoDne mon fils.
DIDON.
De mon amour de mère
Pour lui ne doutez pas.
ÉNÉE, à Ascagne.
Viens embrasser ton père.
D'autres t'enseigneront, enfant, l'art d'être heureux;
Je ne t'apprendrai, moi, que la vertu guerrière
El le respect aes aïeux;
Mais révère en ton cœur et garde en ta mémoire
Et d'Énée et d'Hector les exemples de gloire.
(il l'embrasse en le couvrant tout eulier de ses armes. Ascagno pleure
sans répondre. Pendant celte scène, le peuple de Carlhagc accourt de toutes
parts demandant des armes. — Quelques hommes seulement sont armés
régulièrement, les autres portent des faux, des Saches, des frondes.)
CHOEUR GÉNÉRAL ET TOUS LES PERSONNAGES SANS ASCAGNE.
ENSEMBLE.
Sur cette horde immonde d'Africains,
Ma\rctoen\!Tr°ïensetTyriens'
Volons 1 a ^a victoire ensemble 1
Comme le sable emporté par les vents
Chassons} dans ses déserts liants
Le Numide éperdu; qu'il tremble!
C'est le dieu Mars qui j ™jj| \ rassemblé,
C'est le fils de Vénus qui <s **H gui Je aux combats!
Exterminez \ . • .
Exterminons J ld nolre armce»
14 LES TROYENS A CARTHAGE.
Et que demain la renommée
Proclame au loin la honte et la mort d'Iarbas!
A la lj du chœur, le jeune Ascagne essuie tout à coup se? hrmes et «'4-
lauçant auprès des guerriers troyens, s'écrie avec e-<zs ',
Exterminez la noire armée,
Et que demain la renommée
Proclame au loiaia honte et la mort d'Iarba3l
INTERMÈDE SYMPHONIQUE
CHASSE ROYALE ET ORAGE
Une forêt vierge d'Afriqup , an matin. An fond, on rocher très*
élevé. Au bas et à gauche du rocher, l'ouverture d'une grotte. Un
petit ruisseau coule le long dn rocher et va se perdre dans un bassin
naturel bordé de joncs et de roseaux.
Deux naïades se laissent entrevoir un instant et disparaissent ; puis on les voit
nager dans le bassin. Chasse royale. Des fanfares de trompe retentissent
an loin dans la foret. Les naïades effrayées se cachent dans les roseaux. On
voit passer des chasseurs tyriens, Ascagne traverse le théâtre à la course-
Le ciel s'obscurcit, la pluio tombe. Orage grandissant. Bientôt la tempête
devient terrible, torrents de pluie, grêle, éclairs et tonnerres. Appels
réitérés des trompes de chasse au milieu du tumnlta ««s éléments.
Les chasseurs se dispersent dans toutes les directions ; en dernier lieu
on voit paraître Didon velue en Diane chasseresse, l'arc à la main, le
carquois sur l'épaule et Énée en costume demi-guerrier. Ils entrent dans
la grotte. Aussitôt les nymphes des bois paraissent les cheveux épars an
sommet du rocher, et vont et viennent en courant, en poussant des cris et
faisant des gestes désordonnés. Au milieu de leurs clameurs, on distingue
de temps en temps le mot : Italiel Le ruisseau grossit et devient une
bruyante cascade. Plusieurs autres chutes d'eau se forment sur divers points
dn rocher et mêlent leur bruit au fracas delà tempête. Les Satjres et les
Sylvains exécutent avec les Faunes des danses grotesques dans l'obscurité.
La foudre frappe un arbre, le brise et l'enflamme. Les débris de l'arbre
tombent sur la scène. Les Sa\yres, Faunes et Sylvains ramassent les
branches enflammées, daiueut en les tenant à la main, puis dispa-
raissent avec les nyniph's dans les profondeurs de la forêt. La tein-
bûltt se calme.
ACTE DEUXIÈME
La:- jardins de Didon sur le bord de la mer. Le soleil se couche.
SCENE PREMIERE
Les courlisans tyriens, les chefs troyens se répandent dans les jardins.
Bientôt après entrent DIDON, ÉNÉE, PANTHÉË, IOPAS,
ASGAGNE. Marche pour l'entrée de la reine, sur le thème du chan»
national : « Gloire à Didon. » Didon assiste à la fête assise avec Anna
sur une estrade, ayant Euée et Narbal auprès d'elle. — Eallet. — Danses
d'esclaves nubiennes, d'aimées d'Egypte, etc. A la fin du ballet, la
reine descend de l'estrade et va s'étendre à l'avant-scène sur un lit de
ropos, de manière à présenter son profil gauche au spectateur. Enée
debout d'abord, vient, après le chant d'Iopas, s'asseoir à ses pieds en
face d'elle, Ascagne appuyé sur son arc et semblable à une statue de
l'Amour se lient debout au côté gauche de la reine, Anna inclinée appuie
son coude sur le dossier du lit de Didon. Auprès d'Anna, Naibal et
lopas debout. (Après la danse.)
DIDON, languissammenl.
Assez, ma sœur, je ne souffre qu'à peine
Celle fête importune...
(Sur un signe d'Anna les d.inseurs se retirent.)
lopas, chanle-nous
Sur un mode simple et doux
'un poëme des champs.
IOPAS.
A l'ordre de la reine
J'obéis.
- 'Ja harpiste thébain vient se placer à côté du poëtc et accompaçno son
«Uanl Le costume du harpiste est le costume religieux égyptien.)
Féconde Cérés,
Quand à nos guéréts
Tu rends leur parure
De fraîche vnfùure.
Que d'heureux lu fais l
Du vieux laboureur,
Du jeune pnsleur,
La reconnaissance
Bénit l'abondance
Que lu leur promets.
ACTE DEUXIÈME. 17
ue timide oiseau,
Le folâtre agneau,
Des vents de la plaine
La suave haleine,
Chantent les bienfaits.
DIDON, l'interrompant.
Pardonne, Iopas, ta voix même,
En mon inquiétude extrême,
iS'e peut ce soir me captiver...
ÉNÉE, allant s'asseoir à ses piedi
Chère Didon l
DIDON.
Énée, ah! daignez achever
Le récit commencé de votre long voyage,
Et des malheurs de Troie. Apprenez-moi le sort
De la belle Andromaque...
ÉNÉE.
Hélas ! en esclavage
Réduite par Pyrrhus*, elle implorait la mort ;
Mais l'amour obstiné de ce prince pour elle
Sut enfin la rendre infidèle
Aux plus chers souvenirs... Apres de longs refus,
Elle épousa Pyrrhus.
DIDON.
Quoi! la veuve d'Hector!...
ÉNÉE.
Sur le trône d'Épire,
Elle est ainsi montée...
QUINTETTE.
DIDON.
0 pudeur I...
(A part.)
Tout conspire,
A voincre mes remords et mon cœur est absous.
Andromaque épouser l'assassin de son père,
Le fils du meurtrier de son illustre époux !...
ÉNÉE.
Eile aime son vainqueur, l'as^assinde son père,
Le fils du meurtrier de son illustre époux.
* Pyrrhus Reoptolème fils d'Achille, qui, l^rs de la prise de Troie, Cyerjv
Priam.
18 LES TROYENS A CARTIIAGE
ANNA, montrant Asr.agne.
Voyez, Narbal, la mnin légère
De cet ('niant, semblable à Cupidon
Ravir doucement à Didon,
L'anneau qu'elle révère.
IQPAS et NAnqAL.
De cet enfant, semblable à Cupidon,
Ravir doucement à Didon
L'anneau qu'elle révère.
DIDON, rêvant.
Le fils du meurtrier de son illustre époux 1...
Oui, tout conspire,
À vaincre mes remords et mon cœur est absous.
ÉNÉE.
Didon soupire...
Le remords fuit et son cœur est absous !...
(Pendant ce morceau d'enfemble, Didor» ayant le bras gauche posé sw
l'épaule d'Ascagne, de façon que sa main pend devant la poitrine do
l'enfant, celui-ci retire en souriant du doigt de la reine l'anneau de
Sichée, que Didon lui reprend ensuito d'un air distrait et qu'elle oublie
tur le lit de repos en se levant.)
Mais bannissons ces tristes souvenirs...
Nuit splendide et charmante 1
(il se lève.)
Venez, chère D^don, respirer les soupirs
De celte brise caressante.
(Didon se lève à son tour.)
SEPTDOR AVEC CHOEUR.
DIDON, ÉNÉE, ASCAGKE, ANNA, IOPAS, NARBAL, PANTHÉE ET
LE CHOEUR.
ENSEMBLE.
Tout n'est que paix et charme autour de nous !
La nuit étend son voile et la mer endormie
Murmure en sommeillant les accords les plus doux.
(Pendant cet ensemble tous les personnages, excepté Énee et Didon, is
retirent peu à peu vers le fond du théâtre, et finissent par disparaître.)
ACTE DEUXIEME. <9
SCENE Iï
Clair do 1
DIDON, ÉNÉE.
DUO.
ENSEMBLE.
0 nuit d'ivresse et d'extase infinie!
Blonde Bhœbô, grands astres de sa cour,
Versez sur nous votre lueur bénie ;
Fleurs des cicux, souriez à l'immortel amour î
DIDON.
Par une telle nuit, !e front cf-int da cytise,
La dresse Vénus suivit le bel Anchise
Aux bosquets de l'Ida.
Par une folle nuit, fou d'amour et de joie,
Troïlus* vint allendre aux pieds des murs de Troie
La belle Cressida".
ENSEMBLE.
0 nuit d'ivresse et d'extase infinie !
Blonde Pliœbé, grands astres de sa cour,
Versez sur nous votre lueur bénie;
Fleurs des cieux, souriez à l'immortel amour!
ÉNÉE.
Par une telle nuit, la pudique Diane,
Laissa tomber enfin son voile diaphane
Aux yeux d'Endymion.
DTDON.
Par une telle nuit, le fils de Cythérée
Accueillit froidement la tendresse enivrée
De la reine Didonl
* TroTlus, frère d'Hector.
•* Cressida, lille de Cul> Las. airri^c de TrcUus.
20 LES TROYENS A CARTIIAGE.
Et dans la même nuit, hélas, l'injuste reine,
Accusant son amant, obtint de lui sans peine
Le plus tendre pardon.
».
ENSEMBLE.
(ils marchent lentement vers le fond du théâtre en se tenant embrassés,
puis ils disparaissent en chantant./
0 nuit d'ivresse et d'extase infinie I...
Blonde Phœbé, grands astres de sa cour,
Versez sur nous votre lueur bénie ;
Fleurs des cieux, souriez à l'immortel amour!
SCÈNE III
An moment où les deux amants qn'on ne voit pins, finissent leur duo dans la
coulisse, MERCURE paraît subitement dans un rayon de la lune, non
loin d'une coloune tronquée où sont appendues les armes d'Énée. S'.appro-
chant de la colonne, il frappe de son caducée deux coups sur le bouclier
qui rend un son lugubre et prolongé. Puis le Dieu répète d'une voi»
grave : Italie! Italie I Italie I et disparait.
ACTE TROISIÈME
Le bord de la mer couvert de tentes troyennes. — On voit les vais-
seaux troyens dans le port. — Il fait nuit. — Un jeune matelot
phrygien chante en se balançant au haut du mât d'un navire
— Deux sentinelles montent la garde devant les tentes au fond de la
icèno.
SCÈNE PREMIÈRE
HYLAS, Deux Soldat».
hylas.
Vallon sonore,
Où dès l'aurore
Je m'en allais chaînant, hélasl
Sous tes grands bois chantera-t-il encore,
Le pauvre Hylas?...
Berce mollement sur ton sein sublime,
0 puissante mer, l'enfant de Dindyme I
Fraîche ramée,
Retraite aimée
Contre les feux du jour, hélas l
Quand rendras-tu ion ombre parfumée
Au pauvre Hylas?...
Jterce mollement sur ton sein sublime,
0 puissante mer, l'enfant de Dindyme !
Humble chaumière,
Où de ma mère
Je reçus les adieux, hélasl
Reverra-t-il ton heureuse misère,
Le pauvre Hylas?...
PREMIER SOLDAT.
11 rêve à son pays...
£2 LES TROYENS A CARTHAGE*
DEUXIÈME SOLDAT.
Qu'il ne reverra pas.
HYLAS.
Berce mollement sur ton sein sublime
0 puissante mer, l'enfant...
Il s'endort.
SCÈNE II
Entrent PANTIIÉE et LES Chefs TROYENS, puis LES OMBRES.
PANTIIÉE.
RÉCITATIF.
Préparez tout, .il faut partir enfin.
Énce en vain
Voit avec désespoir l'angoisse de la reine,
La gloire et le devoir sauront briser sa chaîne,
Et son cœur sera fort au moment des adieux.
LES CHEFS.
Chaque jour voit grandir la colère des dieux.
Des signes effrayants déjà nous avertissent;
La mer, les monts, les bois profonds gémissent;
Sous d'invisibles coups nos armes retentissent;
Comme dans Troie en la fatale nuit,
Hector, dont l'œil courroucé luit,
En armes apparaît; un chœur d'ombres le suit;
Et ces morts irrités, ô terreur infiniel
La nuit dernière encore ont crié par trois fois...
LES OMBRES INVISIBLES.
Italie! Ilaliel...
PANTIIÉE et les CHEFS.
Dieux vengeurs! c'est leur voix!...
Nous avons trop longtemps bravé l'ordre céleste;
Quittons sans plus ta.der ce rivage funeste 1
A demain ! à demain!
Préparons tout, il faul partir enfin.
Us entrent dans les tîntes.
SCÈNE III
Deux Soldats.
Les deux soldats en sentinelle marchent, l'un de droite à gauche, l'autre
de gauche à droite. Ils s'arrêtent de temps en, temps l'un près de l'aulra
vers le milieu du théâtre.
PREMIER SOLDAT.
Par Baechusl ils sont fous avec leur Italie!...
Je n'ai rien entendu.
ACTE TROISIÈME. ti
DEUXIÈME SOLDAT.
Ni moi.
PREMIER SOLDAT.
La belle vie,
Pourtant, qu'on mène ici !
DEUXIÈME SOLDAT.
Dans plus d'une maisor
Noua Pouvons et bon vin et grasse venaison.
PREMIER SOLDAT.
A ma belle Carthaginoise,
Je puis déjà parler phénicien.
DEUXIÈME SOLDAT.
La mienne comprend le troyen,
M'obéit sans me chercher noise.
ENSEMBLE.
La femme n'est point rude ici pour l'étranger t
PREMIER SOLDAT.
Et l'on nous veut faire changer
Ces douceurs contre un long voyage!
DEUXIÈME SOLDAT.
Les caresses de l'orage!
PREMIER SOLDAT.
La faim.
DEUXIÈME SOLDAT.
La soif.
PREMIER SOLDAT.
Vingt maux d'enfer?
DEUXIÈME SOLDAT.
Et tous les ennuis de la merl
PREMIUR SOLDAT.
Pour cette Italie...
DEUXIÈME SOLDAT.
Où nous devons jouir du fruit de nos travaus....
ENSEMBLE.
En nous faisant rompre les os-
premier SOLDAT.
Maudite folie!
deuxième soldat.
Encor pâlir 1
54 LES ï KO YENS A CARTHAGE.
PREMIER SOLDÂT.
Notre lot est l'obéissance.
DEUXIÈME SOLDAT.
Silence I
Je vois Énée à grands pas accourir...
Les deux sentinelles s'éloignent et disparaisses)!»
SCÈNE IV
ENEE, s'avançant dans une grande agitation.
RÉCITATIF MESURÉ.
Inutiles regrets!... je dois quitter Carlhagel
Didon le sait... son effroi, sa stupeur,
En l'apprenant, ont brisé mon courage...
Mais je le dois... il le fautl... ô douleur I
Non, je ne puis oublier la pâleur
Frappant de mort son beau visage.
Son silence obstiné, ses yeux
Fixes et pleins d'un feu sombre...
En vain ai-je parlé des prodiges sans nombre
Me rappelant l'ordre des dieux;
Invoqué la grandeur de ma sainte entreprise,
L'avenir de mon fils et le sort des Troyens,
La triomphale mort par les destins promise,
Pour couronner ma gloire aux champs ausoniens...
Rien n'a pu la toucher; sans vaincre son silence
J'ai fui de son regard la terrible éloquence.
AIR.
Ah 1 quand viendra l'instruit des suprêmes adieu.1:,
Heure d'angoisse et de larmes baignée,
Comment subir l'aspect affreux
De cette douleur indignée!...
Lutter contre moi-même et contre toi, Didon,
En déchirant ton cœur implorer mon pardon I
En serai-je capable?... En un dernier naufrage,
Ahl puissé-je périr, si je fuyais Garthage
Sans te revoir pourtant!... Sans la voir!... lâcheté!
Mépris des droits sacrés de l'hospitalité !
Non, non, reine adorée^
AmT sublime et par moi déchirée,
Bienfaitrice des miens; non, je veux te revoir,
Une dernière fois presser tes mains tremblantes,
Arroser tes genoux de mes larmes brûlantes,
Dussé-je être brisé par un tel désespoir !
ACTE TROISIÈME. £3
SCÈNE V
ÉNÉE, quatre Spectres invisibles.
LES SPECTRES.
Énée!...
ÉNÉE.
Encor ces voix I
(Les quatre spectres wilés paraissent successivement, l'un à l'enirée des
coulisses à gauche du spectateur, l'autre à l'entrée des coulisses à
droite, les deux autres au fond do théâtre. Au-dessus de la tête de
chacun d'eux brille une couronne de petites flammes pâles.)
ÉNÉE, apercevant le premier.
De la sombre demeure,
Messager menaçant, qui donc t'a fait sortir?...
LE PREMIER SPECTRE.
Ta faiblesse et la gloire.
ÉNÉE.
Ahl je voudrais mourir I
LE PREMIER SPECTRE.
Plus de retards 1
LE DEUXIÈME SPECTRE, non encore visible.
Pas un jour!
LES TROISIÈME ET QUATRIÈME SPECTRES, non encore visibles.
Pas une heure!
LE PREMIER SPECTRE, levant son voile devant les yeux d'Éuée.
Je suis Priam !... il faut vivre et partir!
(Sa couronne s'éteint ; il disparaît. — Énée s'élançant éperdu vers U
côté droit de la scène y rencontre le deuxième spectre.)
LE DEUXIÈME SPECTRE, levant son voile.
Je suis Chorèbe * I
Il faut partir et vaincre!
(Sa couronne s'éteint, il disparaît. — Énée , reculant vers le fond du
théâtre y rencontre les deux autres spectres. Cassandro a le bras gauche
appuyé sur l'épaule d'Hector. Hector est armé de pied eu cap.)
ÉNÉE, les reconnaissant au moment où ils se dévoilent.
Hector ! dieux de l'Erèbe ! . . .
Cassandre! !...
LES SPECTRES DE CASSANDRE ET D'HECTOR.
Il faut vaincre et fonder !...
(Leuri couronnes s'éteignent; ils disparaissent.)
*Chorèbe, Jeune prince d'Asie, fiancé de Cassandre, qui mourut en la défen-
dant pendant i'.uccndie de Troie.
26 LES TUOYEKS A CAUTIIAGE.
é:;::e.
Je dois céder
À vos ordres impitoyables!
J'obéis, j'obéis, spcclres inexorables !
Je suis barbare, ingrat ; vous l'ordonnez, grands dieux I
Et j'immole Didon, en détournant les yeux.
(Passant devant les tentes.)
Debout, Troyens, éveillez-vous, alerte!
Le vent est bon, la mer nous est ouverte'
Il faut partir avant le lever du soleil I
SCÈNE VI
Énée, les Troyens sortant des tentes.
Alerte!... entendez-vous, amis, la voix d'Énée?...
Donnez partout le signal du réveil...
ÉNÉE, à nn chef.
Va, cours, porte cet ordre à l'oreille étonnée
D'Aseagne : qu'il se lève et qu'il se rende à bord!
Avant le jour il faut quitter le port.
Ma lâche, jusqu'au bout, grnnds dieux, sera remplie
Alerte, amis! profilons des instants I
Coupez les câbles, il est temps!
Enmerl en mer! Italie! Italie!
LE CHOEUR, CHEFS ET MATELOTS.
Voici le jour, profitons des instants!
Coupons les câbles, il est temps !
En mer! en merl Italie! Italie!
ENEE, se tournant du côté du palais.
A loi mon âme ! Adieu ! digne de ton pardon.
Je pars, noble Didon I
L'impatient destin m'appelle;
Pour la mort des héros, je te suis infidèle.
Tous se précipitent hors de la scènû dans diverses directions, comm»
pour faire des préparatifs de départ. On voit lej vaisseaux commencer à se
mettre eft mouvement. Eclairs et tonnerres lointains. Les nia,u,,fUs crient
de douvoau : Italie I La marche troyenne retentit. Ascagno arrive
conduit par un chef troyen. Énée, resté un instant immobile, semble se
ranimer à ces clameurs guerrières et monte sur ou vaisseau. Le soleil
le lèvo.
ACTE QUATRIÈME
Un appartement de Didon.
SCÈNE PREMIÈRE
DIDON, ANNA, NARBAL.
D1DON,
Va, ma sœur, l'implorer.
De mon âme abattue
L'orgueil a lui. Va 1 ce départ me tue
El je le vois se préparer.
ANNA.
Hélas! moi seule fus coupable,
En vous encourageant à former d'autres nœuds.
Peut-on lutter contre les dieux?...
Son départ est inévitable...
Et pourtant il vous aime.
BIDON.
Il m'aime! non! non! son cœur est glacô.
Ab ! je connais l'amour, et si Jupiter même
M'eût défendu d'aimer, mon amour insensé
De lupiter braverait l'anatbème.
Mais va, ma sœur, allez, Narbal, le supplier
Pour qu'il m'accorde encore
Quelques jours seulement. Humblement je l'implore :
Cequt- j'ai fait pour lui, pourra-t-il l'oublier,
Et repoussera-t-il cette instance suprême
De vous, sage Narbal, de toi, ma sœur, qu'il aime?.,.
2
Î8 LES TROYENS A CARTHAGB.
SCÈNE II
DIDON, ANNA, NARBAL, IOPA&.
LE CHOEUR, au loin derrière le uV'âlre.
En mer, voyezl six vaisseauxl septl neuf! dixl
IOPAS, entrant.
Les Troyens sont partisl
DIDON.
Ou'entends-je?
IOPAS.
Avant l'aurore
Leur flotte était en mer, on l'aperçoit encore i'
DIDON.
Dieux fmmortelsl il parti Armez-vous, Tyï-iensl
Carthaginois, courez, poursuivez les Troyens!
Courbez-vous sur les rames,
Volez sur les eaux,
Lancez des flammes,
Brûlez leurs vaisseauxl
Que la ville entière!...
Que dis-je?... impuissante fureur!
Subis ton sort et désespère,
Dévore ta douleur,
0 malheureuse 1
(Court silonce.)
Et voilà donc la foi de cette âme pieuse *!...
J'offrais un trône I... Ah ! je devais alors
Exterminer la race vagabonde
De ces maudits, et disperser sur l'onde
Les débris de leurs corps 1
C'est alors qu'il fallait prévoir leur perfidie,
Livrer leur flotte à l'incendie,
Et me venger d'Énée et lui servir enfin
Les membres de son fils en un hideux festin !...
A moi, dieux des enfersl l'Olympe est inflexible t. „
Aidez-moi 1 que par vous mon cœur soit enflammé
D'une haine terrible
Pour ce fugitif que j'aimail
Du prêtre de Pluton, qu'on réclame l'office!
Pour apaiser mes douloureux transports,
A l'instant même offrons un sacrifice
Aux sombres déilés de l'empire des morts !
Qu'on élève v,n bûcher; que les dons du perfide
Et ctrdx que je lui fis, dans la flamme livide,
Souvenirs délestés, disparaissent!... Sortez!
Pius Mntat. (Virgile.)
ACTE QUATRIEME. 29
NAUBAL, à Aima.
Son regard m'épouvante, ô princesse, restez!
DIDON.
Anna, suivez Narbal.
ANNA.
Que ma sœur me pardonne !«♦.„
DIDON.
Je suis reine et j'ordonne;
Laissez -moi seule, Anna.
Tous sortent.
SCÈNE III
DIDON, seule.
Elle parcourt la scène en se frappant la poitrine, s' arrachant les cheveux
et poussant des cris inarticulés. Puis elle s'arrête brusquement.
RÉCITATIF MESURÉ.
Je vais mourir!...
Dans ma douleur immense submergée...
Et mourir non vengée I...
Mourons pourtant... Oui, puisse-t-il frémir
A la lueur lointaine de la flamme
De mon bûcher! S'il reste dans son âme
Quelque chose d'humain,
Peut-être il pleurera sur mon affreux destin.
Lui, me pleurer !...
(Ayec un retour de tendresse.)
Énée!...Éncel...
Oh 1 mon âme te suit!...
A son amour enchaînée,
Esclave, elle l'emporte en l'éternelle nuit...
Vénusl rends-moi ton fils!... Inutile prière
D'un cœur qui se déchire !... A la mort tout entière
Didon n'attend plus rien que de la mort.
AIR.
Adieu, fièrecité, qu'un généreux effort
Si promplement éleva florissante;
Ma tendre sœur qui me suivis errante,
Adieu, mon peuple, adieu, rivage vénéré,
Toi qui jadis m'accueillis suppliante;
Adieu, beau ciel d'Afrique, astres que j'admire.
Aux nuits d'ivresse et d'extase infinie;
Je ne vous verrai plus, ma carrière est finie I...
Elle suit à pas louts
* Flaventes que abscissa comas. (Virgile. I
ACTE CINQUIÈME
tue partie des jardins de Didon, sur le bord de la mer. Uu \as(j ^ùcber y
est élevé ; ou y monte pur des gradins latéraux. Sur la plate-Tonne
du bâcher sont places un lit, une loge, un casque, une épée avec son
baudrier, et un buste d'huée.
SCÈNE PREMIÈRE
Les PrÊTUES de Piuton, revêtus de costumes- funèbre» ; ils viennent
processionnellement se grouper auprès do deux autels où brille ni
des flammes verdàtres, puis ANNA, NAilBAL, et enfin DIDON
voilée et couronnée de feuillage. Pendant la première partie du
ebœur des piètres, Anna, s'approcuaut de sa sœur, lui dénoue si
chevelure et lui ôte le cothurne de son pied gauche .
CHŒUR de prêtres de Piuton.
Dieux de L'oubli, dieux du Ténare,
Au cœur blessé rendez la force et le repos I
Des profondeurs du noir Tartare
Entendez-nous, Hécate, Érèbe, et toi Chaos I
ANNA e'w NARBAL.
(Étendant le bras droit du coté de la mer.)
S'il faut enfin qu'Énée aborde en Italie,
Qu'il y trouve un obscur trépas!
Que le peuple Latin à l'Ombrien s'allie
Pour arrêter ses pas!
Percé d'un trait vulgaire en la mêlée ardente,
Qu'il reste abandonné sur l'arène sanglante,
Pour servir de pâture aux, dévorants oiseaux !
Entendez-nous, Hécate, Érèbe, et toi Chaos î
LES PRÊTRES.
Dieux de l'oubli! dieux du Ténare,
Au cœur blessé rendez la force et le repos!...
Des profondeurs, du noir Tartare
Entendez-nous, Hécate, Érèbe, et loi Chaos!...
* Unum exuta pedem vinrlis. (Virgile:]
AWa pedein, midis Imweits infusa rapillos, (Ovide;)
Canidiam, pedibus nudix, p'asso que capillo (Horace.)
C'était uue partie du cérémonial dam les sacrifices aux dieux, lukinaus.
ACTE CINQUIEME. S!
D1D0N, parlant comme en songe.
Plu ton... semble mètre propice...
En en cruel instant... Narbal... ma sœur...
C'en es' t'ait... achevons le pieux sacrifice...
Je sens rentrer le calme... dans mon cœur.
(Deux vôtres portant le premier autel s'avacçeDt de gauche à droit ',
deux autres portant le second s'avancent de droite à gauche et font en
se croisant ainsi le tour du bûcher. — Didon, le pied gauche nu, les
cheveux épars, après avoir déposé sur l'un des autels sa couronne de
feuillage, le suit d'un pas saccadé. Pendant ce mouvement procession-
nel, Anna est à genoux à droite de la scène et Narbal à gauche. En ire
eux le grand-prèlre de Plutou, debout, étend, en la tenant des deux
mains, la fourche plutonique vers le bûcher. Didon enfin, saisie d'une
énergie convulsive, monte rapidement * les degrés du bûcher. Parve-
nue au sommet, elle saisit la toge d'Enée, détache le voile brodé d'or
qui couvre sa tête et les jetant l'une et l'autre sur le bûcher, elle dit :(
D'un malheureux amour, funesies gages,
Dans la flamme emportez avec vous mes chagrins!...
(Elle considère un instant les armes d'Énce... se prosterne sur le lit
qu'elle embrasse avec des sanglots convulsifs... et prenant l'épée :)
Mon souvenir vivra parmi les âges*.
Mon peuple accomplira d'héroïques destins.
Un jour sur la terre africaine,
Il naîtra de ma cendre un glorieux vengeur...
J'entends déjà tonner son nom vainqueur...
Anniball Anniball... d'orgueil mon âme est pleine I
Plus de souvenirs amers !
C'est ainsi qu'il convient de descendre aux enfers!
(Elle lire l'épée du fourreau, se frappe et tombe sur le lit.)
TOUS.
Au secours!... au secours!... la reine s'est frappée !
CHOEUR, derrière la scène et accourant.
Quels cris! ah! dans son sang trempée,
La reine meurt!... esl-il vrai?... jour d'horreur !...
(Les femmes de la reine, les officiers du palais accourent. Anna s'élance
sur le bûcher, presse convulsivement sa sœur dans ses bras, étauebe U
sang de sa blessure.)
DIDON, se relevant appuyée sur son coude et regardant le ciel.
Ah!
ANNA.
Ma sœur!...
DIDON, retombant.
Ah!...
* Consceitdit furibunda tuijos (Virgiie).
** Les anciens trovaieul que les mourants, quelque* instants avant ieui
nj'iii, acquéraient la connaissance de i'aveuir.
32 LES TROYENS A CARTI1AGE
ANNA.
C'est moi, c'est ta sœur qui t'appellet...
DIDON, se relevant à demi.
Des destins ©Qnemis... implacable fureur 1...
Carthage... périra!... Rome... Rome.,, immortelle!
(Elle meurt. — Anna tombe évanouie à côté d'elle. Au moment où Didon
s*écrie : Rome t apparaît dans une gloire lointaine, au-dessus du bûcher,
le Capitole romain au fronton duquel brille ce mot : Roina. — Devant
le Capitule défilent des légions et nn empereur entouré d'une cour de
poètes et d'artistes. Pendant cette apothéose, invisible aux Carthaginois'
on entend an loin la marche troyenne transmise aui Romains par le
tradition et devenue leur chant de triomphe. En même temps, à l'avant*
tcène, le peuple de Carthage lance son imprécation, premier cri da
guerre punique, contrastant, par sa fureur, avec la solennité de la
marche triomphale.)
CHOEUR, pondant l'apothéose.
Au pied de ce bûcher qu'arrose un sang royal,
Lions-nous tous par un serment fatal :
Haine éternelle à la race d'Énée I
Qu'une guerre acharnée
Précipite à jamais nos fils contre ses fils t
Que par nos vaisseaux assaillis
Leurs vaisseaux dans la mer profonde
Périssent abimés! que sur la terre et l'onde
Nos derniers descendants, contre eux toujours armés,
De leur massacre, un jour, épouvantent le monde!
FIN
E. GREVIN — IMPRIMERIE DE LAGNY — 11634-11-21.
CALMÀNX-LÉYY, éditeurs, 3, rue Auber, Paris.
"Extrait du Catalogue
de la
NOUVELLE COLLECTION TLLUSTT{±E
— i fr. 5o ou 2 fr. le volume —
Pierre Loti
Anatole France . .
Ed. de Goncourt .
J.-H. Rosny. . . .
Emile Zola .....
Gyp
Alphonse Allais. .
J.-K. Huysmans .
Henri de Régnier.
G. d'Annunzio . .
André Theuriet. .
Alfred de Vigny. .
Marcelle Tinayre.
George Sand." . . .
H. de Balzac. . . .
Henri Lavedan . .
Octave Feuillet. .
Rudyard Kipling .
François Coppée.
Pierre Veber . . .
René Boylesve . .
Abel Hermant. . .
René Bazin
Maurice Maindron
Pierre Mille. . . .
Le Roman d'un Spahi.
Histoire Comique.
La Faustin.
La Fauve.
La Conquête de Plassans.
Une Passionnette.
L'Affaire Blaireau.
Les Sœurs Vatard.
La Peur de l'Amour.
Episcopo et Cu.
Cœurs meurtris.
Cinq Mars.
L'Oiseau d'orage
Le Dernier amour.
Les Chouans.
Leur Beau physique.
La Morte.
Simples Contes des Collines.
Longues et Brèves.
Les Couches profondes.
Sainte-Marie-ies-Fleurs.
La Petite Femme.
Ma Tante Giron.
Ce bon M. de Véragues.
Le Monarque.