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Full text of "Les Troyens à Carthage : opéra en cinq actes, avec un prologue"

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LES 


TROYENS 

A  CARTHAGE 


OPÉRA    EN    CINQ   ACTES    AVEC    UN   PROLOGUE 


PAROLES      ET      MUSIQUE 


HECTOR  BERLIOZ 
Prix  :    3   francs 


PARIS 

CALMANN-LÉVY,    ÉDITEURS 
3,   RUE    AOBER.    3 


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CHEZ 


P    L    O    N 


UNE   VIE 
ROMANTIQUE 


PAR 


ADOLPHE    BOSCHOT 


de  l'Institut 


Voici  quelques  extraits  de  la  critique  : 


Par 


?a    vie    comme    par    son 


/ 


œuvre,  Berlioz  est  le 
héros  le  plus  représen- 
tatif du  romantisme, 
français.  S'il  vous 
plaît  d'apercevoir  le 
tumulte  pathétique 
de  cette  existence  fré- 
missante, ne  manquez 
pas  de  lire  l'étude  ma- 
gistrale que  M.  Adel- 
phe Boschot  a  consa- 
crée à  Berlioz  avec 
l'art  le  plus  vivant. 

Robert  de  Flers. 
i^j  (Le  Figaro  ) 


...M.  .Boschot  nous  donne  un  livre  excellent  :  Une  Vie 
romantique.  Cette  biographie,  lui  seul  pouvait  l'écrire.  Car 
il  l'avait  précédemment  composée  en  trois  forts  volumes 
d'une  documentation  rigoureuse...  Il  a  su  jeter  du  lest  et 
choisir  :  son  livre  se  lit  comme  un  roman  le  plus  roma- 
nesque, car  la  vie  de  Berlioz  est  toute  chargée  d'aventures, 
et  ce  livre  reflète  la  vie  dans  un  récit  clair  et  coloré. 

Henry  Bordeaux.  (Le  Monde  illustré.) 

J'ai  lu,  comme  tous  les  lettrés,  les  trois  volumes  inappré- 
c'ables  que  M.  Adolphe  Boschot  a  fait  paraître  sur  Berlioz 
et  le  romantisme  français...  Les  voilà  condensés  dans  Une 
Vie  romantique .  Celle  de  Berlioz  est  prodigieuse...  M.  Boschot 
n'est  pas  écrasé  par  la  tâche  formidable  de  replacer  le  héros 
presque  jour  par  jour  dans  l'air  et  la  lumière  de  son  temps. 
Ce  sont  là  des  pages  d'histoire  relues  aux  traits  de  feu  d'un 
éclair. 

Lucien  Descaves.  (Le  Journal.) 

Secrets  de  souffrance,  de  tristesse  et  de  désespoir,  secrets 
de  passion  et  de  passions  diverses,  d'ambition  et  d'amour, 
de  tous  les  amours  :  quand  nous  achevons  un  tel  livre,  il 
n'y  a  plus  de  secrets  pour  nous  en  cette  vie  de  Berlioz,  la 
plus  romanesque  et  la  plus  romantique  sans  doute  que 
jamais  un  historien  ait  racontée...  Rien  de  comparable,  pour 
le  pathétique,  aux  cent  dernières  pages  de  cette  biographie. 
On  sort  d'une  pareille  lecture  comme  d'un  cauchemar  ou 
d'un  cercle  de  l'enfer. 

Camille  Bellaigue.  (Revue  des  Deux  Mondes.) 


Le  goût  du  romanesque,  qui  se  manifeste  actuellement 
sous  bien  des  formes,  n'est  jamais  si  légime  que  lorsqu'il 
tente  de  s'accorder  avec  le  goût  du  vrai.  C'est  une  réelle 
b  une  fortune  pour  un  auteur  que  de  trouver  dans  l'histoire 
des  éléments  qui  ont  d'eux-mêmes  le  brillant  du  pittoresque 
et  de  l'imprévu...  Une  Vie  romantique  est  un  roman  vécu, 
le  plus  passionnant  des  romans...  Je  crois  pouvoir  lui  pré- 
dire un  succès  grandissant... 

André  Billy.  (L'Œuvre.) 

...Une  Vie  romantique  est  l'un  des  chefs-d'œuvre  de  la 
critique  biographique  :  dans  le  cadre  d'une  biographie  est 
ordonnée  tou^e  l'histoire  d'une  âme,  d'un  art  et  d'un  temps... 
I.a  critique  littéraire  a  trouvé  chez  M.  Boschot  un  allié  de 
premier  ordre...  Il  a  une  science  étendue,  une  méthode 
s  lde,  mais  aussi  un  vif  souci  d'art  et  de  style... 

Gustave  Rudler.  (Chronique  de  Londres.) 

...livre  accessible  à  tout  le  public...  Pure  biographie, 
vivant  portrait  d'un  homme,  —  ou  plutôt  c'est  un  véritable 
roman,  un  roman  vrai,  orageux  et  passionné,  plein  de  péri- 
péties extérieures  et  de  drames  intimes,  qui  se  lit  d'un  trait 
et  auquel  le  style  extrêmement  vivant  et  pittoresque  de 
l'excellent  écrivain  donne  un  mouvement  et  un  relief  sin- 
guliers. 

Maurice  Brillant.  (Le  Correspondant.) 


Les  ouvrages  d'Adolphe  Boschot 
s'adressent  à  TOUS  les  lecteurs 


UNE    VIE    ROMANTIQUE 

(Hector  BERLIOZ) 

Couronné  par  l'Académie  française 
iii  édition 15  fr. 


CHEZ    LES    MUSICIENS 

6e  édition.  Trois  volumes.  Chacun 12  fr. 


CHEZ  NOS    POETES 

5e  édition 12  fr. 


ENTRETIENS   SUR  LA  BEAUTE 

5e  édition 12  fr. 


EN  VENTE  CHEZ  TOUS  LES  LIBRAIRES 

L.  P.  1,28.  36083.  —   P.  72-Lxxvm. 


LES 

TROYENS  A  CARTHAGE 

OPÉRA 

Représenté  pour  la  première  fois,  à  Paris 
sur  le  Theàtre-Impériax-Ltr'que,  le  4  novembre  1S6* 

DIRECTIO.N   DE    M.    CARV.U,™^ 


B.   GREVIN   —    IMPRIMERIE    DE   LAGNT 


LES 


TROYENS 


A  GARTHAGE 


OPERA  EN  CINQ  ACTES,  AVEC  UN  PROLOGUE 


PAROLES    ET   MUSIQUE  DE 


HECTOR  BERLIOZ 


&. 

'6/iAtf*» 


,© 


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p* 


PARIS 

CALMANN-LÉVY,   ÉDITEURS 

3,  hue  aube  a,  3 

Droits  de  reproduction  et  du  traduction    réservés. 


Distribution   ûe  Sa  pièce 


ËNEE,  héros  troyen,  fila  de  Vénus  et 

d'Anchise MM.    Monjavze. 

NAUBAL,  ministre  de  Didon Petit. 

PANTI1ÉE,  prêtre  troyen,  ami  dÉnée.   .  Péront. 

IOPAS,  poète  tyrien  de  la  cour  de  Didon.  de  Queucy. 

HYLAS,  jeune  matelot  phrygien Cabel. 

Deux  Soldats  troyeks Guyot  et  Teste. 

DIDON,   reine   de   Carthage,   veuve    de 

Sichée,  prince  de  Tyr.  ........  M"     Chap.ton-Demeur, 

ANNA,  sœur  de  Didon Dubois. 

ASCAGNE,  jeune  fils  d'Énée Estagel. 

LE  RAPSODE M-       Jouanny. 

LE  DIEU  MERCURE  . 

Les  spectres  de  Priam,  de  Chou  eue,  de  Cassandre  et  d'Hector. 

CHOEURS. 


ïvriens,  Troyens  et  Cauthaginois,  Nymphe?,  Satyres,  Faunes 
si  sylvain». 


LES 

TROYENS 

A   CARTHAGE 

DEUXIÈME    PARTIE  *  DU    POÈME    LYRIQUE    DES 
TROYENS 


Lamento  instrumental  —  Légende  et  marche  tioyennes 

PROLOGUE 

*a  première  toile  d'avant-scène  est  levée.  —  Une  seconde  toîle  d'avant" 
scène  est  baissée  représentant  une  vue  de  Troie  en  fl  mimes.  —  Un 
Rapsode,  eu  coslume  j;rec,  récite  seul  sur  te  devant  du  théâtre.  — 
Le  chœur  des  Rapsodes  invisibles   chante  derrière  le  second  rideau. 

APRÈS   LE   LAMENTO    EXÉCUTÉ   PAU   L'ORCHESTRE 


LE  RAPSODE  récitant  (parlé). 

Après  dix  ans  de  guerre  et  d'un  siège  rrtutPIé, 
Les  Grecs  désespérant  de  renverser  la  ville 
De  Priam,  renonçant  à  venger  Ménélas, 
Feignirent  de  partir  en  implorant  Pallus; 
Laissant  sur  le  rivage, 
Comme  un  pieux  hommage 
Offert  à  la  déesse  irritée,  un  cheval 
De  bois,  immense,  colossal. 
Celte  œuvre  étrange,  incroyable,  inouïe, 
D'hommes  armes  "était  remplie. 
Les  prêtres  et  le  peuple  et  le  roi  des  Truyens, 
Trompes  par  l'artifice 
D'un  des  soldats  d'Ulysse 
Abandonné,  disait-il,  par  les  siens, 

"  La  première  forme  ua  opéra  eu  trois  actes-,  ia  Ffftî  <t*  frùft'. 

1 


4   •  LES  TROYEa'S  A  CARTHAGE. 

Dans  leurs  murs  aussitôt  voulurent  introduire 
La  redoutable  offrande  avec  dévotion, 
En  pompe  la  conduire 
Au  temple  dTIion. 
En  vain  Cassandre  l'inspirée, 
La  noble  sœur  d'Hector,  de  la  foule  égarée 

"Veut-elle  ouvrir  les  yeux, 
Tous  la  traitent  de  folle,  aveuglés  par  les  dieux. 
«  Abattons  les  remparts!  couvrons  de  fleurs  la  voiel 
S'écriaient  les  guerriers,  formez  cortège,  enfants, 

Et  que  jusque  dans  Troie 
La  trompette  et  la  lyre  accompagnent  vos  chants.  s 

Avant  qu'un  funèbre  silence 
Fût  venu  succéder  aux  accens  triomphaux 

De  ce  peuple  en  démence, 
Ecoutez  de  quels  sons  frémirent  les  échos. 

MARCHE  TROYENNE 

«ANS    LE    MODE  TRIOMPHAL. 
LE  CHOEUR  DES  RAPSODES,  derrière  la  toil». 

Du  roi  des  dieux,  ô  fille  aimée, 
Du  casque  et  de  la  lance  armée. 
Sage  guerrière  aux  regards  doux, 
A  nos  destins  sois  favorable, 
Rends  Ilion  inébranlable, 
Belle  Pallas,  prolége-nous. 

Entends  nos  voix,  vierge  sublime, 
Aux  sons  des  flûtes  de  Dindyme 
Se  mêler  au  plus  haut  des  airs. 
Que  la  trompette  phrygienne 
Unie  à  la  lyre  troyenne 
Te  porte  nos  pieux  concerts. 

Souriante  guirlande, 

A  l'entour  de  l'offrande 

Dansez,  heureux  enfants, 

Semez  sur  la  ramée 

La  neige  parfumée 

Des  muguets  du  printemps. 

LE  RAPSODE   récitant   (parte). 

Aux  flancs  du  monstre  alors  des  rumeurs  s'élevèrtnt.. 

Les  chants  à  l'instant  s'arrêtèrent... 
Mais  reprirent  bientôt  oa  sons  plus  éclatants. 

*  Montagne  de  Phrygie. 


PROLOGUE. 

LE  CHOEUR  DES  RAPSODES. 

Fiers  sommets  de  Pergame 
D'une  joyeuse  flamme 
Rayonnez  triomphants  I 

(Le  brait  des  voix  et  des  instruments  diminue  peu  a  peu  et  s'éleint.) 
LE  RAPSODE  récitant  (parlé). 

Portant  la  mort  et  la  ruine, 
Enfin  la  fatale  machine  ", 

Franchit  les  murs  sacres... 
Et  Cassandre  éperdue, 
Elevant  vers  la  nue 
Ses  grands  yeux  éplorés, 
S'écria  :  «  C'en  est  fait!  le  destin  tient  sa  proie! 
Sœur  d'Hector,  va  mourir  sous  les  débris  de  Troie  ! 

Le   Rapsode    sort.   —    Fragment    syrnphonique.    —   Court  silènes.    ■ 
La  toile  se  lève* 

*  Scandit  fataîit  machina  muros.  (Virgila.i 


ACTE   PREMIER 


Une  vaste  salle  de  verdure  du  palais  de  Didoo  à  Carthage.  Sur  l'on 
des  côlés  s'élève  un  trône  entouré  des  trophées  de  l'agriculture,  du 
commerce  et  des  arts  ;  sur  l'autre  côté  et  au  fond  un  amphithéâtre 
en  gradins,  sur  leqnel  une  innombrable  multitude  est  assise,  au 
lever  du  rideau.  —  Le  premier  chœur  doit  être  chanté  par  la 
troupe  chorale  ordinaire  du  théâtre  seulement.  —  Le  chœur  général 
sera  exécuté  au  contraire  par  tous  les  choristes  supplémentaires , 
hommes,  femmes  et  enfants,  placés  sur  les  gradins  avec  les  choristes 
du  théâtre. 


SCÈNE  PREMIÈRE 

CHŒUR  d'une  partie  du  peuple  carthaginois. 

De  Cannage  les  cieux  semblent  bénir  la  fêtel 
Vit-on  jamais  un  jour  pareil 
Après  si  terrible  tempête?... 
Quel  doux  zéphir!  noire  brûlant  soleil 
De  ses  rayons  calme  la  violence; 
A  son  aspect  la  plaine  immense 
Tressaille  de  joie  ;  il  s'avance 
Illuminant  le  sourire  vermeil 
De  la  nature  à  son  réveil. 

(Entre  Didon  avec  sa  suite.  —  A  son  entrée  tout  le  peuple  assis  sur  les 
gradins  de  l'amphithéâtre  se  lève  en  agitant  des  voiles  de  diverses  cou- 
leurs, des  palmes,  des  fleurs.  —  Didon  va  s'asseoir  sur  son  trône  ayant 
sa  sœur  à  sa  droite  et  Narbal  à  sa  gauche;  quelques  soldats  les  en- 
tourent.) 

SCÈNE  II 

DIDON,  ANNA,  NARBAL,  le  Choeur. 

CHOEUR  GÉNÉRAL,  chant  national. 

Gloire  à  Didon,  notre  reine  chérie  l 
Reine  par  la  beauté,  la  grâce,  le  génie, 


ACTE  PREMIER. 

René  par  la  faveur  des  dieux, 
E   rené  par  l'amour  de  ses  sujets  heureux! 

(Le  peuple  agite  des  palmes  et  jette  des  fleers.) 

DlDON,  debout,  du  haut  de  son  trône. 

RÉCITATIF. 

Nous  avons  vu  finir  sept  ans  à  peine, 
D  'pu'S  le  jour  où,  pour  tromper  la  haine 
Du  tyran  ''meurtrier  de  mon  auguste  époux, 

J'ai  dû  fuir  avec  vous, 

De  T\r  a  la  nye  alncaine. 
Et  déjà  nous  voyons  Carlhage  s'élever, 
Ses  campagnes  fleurir,  sa  flotte  s'achever  I 
Déjà  des  bords  lointains  où  s'éveille  l'aurore 

Vous  rapportez,  laboureurs  de  la  mer, 

Le  blé,  le  vin  et  la  laine  et  le  fer, 
El  lei  produits  des  arts  qui  nous  manquent  encore 

AIR. 

Chers  Tyricns,  tant  de  nobles  travaux 
Ont  enivré  mon  cœur  d'un  orgueil  Jfgjljme! 
Miiis  ne  vous  lassez  pas,  suivez  la  voix  sublime 
Du  Dieu  qui  vous  appelle  à  des  efforts  nouveaux  ! 
Donnez  encore  un  exemple  à  ia  terre; 
Grands  dans  la  paix,  devenez  dans  le  guerre 
Un  peuple  de  héros. 
Le  farouche  Iarbas  veut  m'imposer  la  chaîne 
D'un  hymen  odieux; 
Son  insolence  est  vaine, 
Le  soin  de  ma  défense  est  à  vous  comme  aux  dieux 

LE    PEUPLE. 

Gloire  à  Didon,  notre  reine  chérie! 
Chacun  de  nous  est  prêt  à  lui  donner  sa  vie  1 

Tous  nous  la  défendrons. 
Nous  bravons  d'Iarbas  l'insolence  et  la  rage, 

Et  nous  repousserons 
Jusqu'au  fond  des  déserts  ce  Numide  sauvage  ! 

rnnoN. 
Chers  Tyriensl  oui,  vos  nobles  travaux 
Ont  enivré  mon  co-ur  d'un  orgueil  légitime, 
Soyez  heureux  et  fiers!  suivez  la  voix  sublime 
Du  Dieu  qui  vous  appelle  à  des  efforts  nouveaux. 

Celle  belle  journée, 
Qui  dans  vos  souvenirs  doit  rester  à  jamais, 

*Py.:ui3lion,  qui  fit  assassiner  Sichee. 


8  LES  TROYENS  A  CARTIIAGE. 

A  couronner  les  œuvres  de  la  paix 
Fut  par  moi  destinée. 
Approchez,  constructeurs, 
Matelots,  laboureurs; 
Recevez  de  ma  main  la  juste  récompense 
Due  <m  travail  qui  donne  la  puissance. 
Et  la  vie  aux  États. 

(Les  ouvriers  constructeurs  s'avancent,  et  Didon  présente  à  leur  chef  nne 
équerre  d'argent  et  uno  hache.  —  Après  eux  viennent  les  matelots. 
Didon  leur  donne  deux  avirons  d'ivoire.  —  Viennent  enfin  les  labou- 
reurs. La  reine  dépo-ant  une  couronne  de  fleurs  et  d'épis  sur  le  front  du 
vieillard  qui  les  conduit,  lui  donne  une  faucille  d'or  et  s'écrie  :) 

Peuple l  tous  les  honneurs 
Pour  le  plus  grand  des  arts,  l'art  qui  nourrit  les  hommes  I 

LE    PEUPLE. 

Vivent  les  laboureurs!  nous  sommes 
Leurs  fils  reconnaissants;  ils  nous  donnent  le  pain! 

DIDON,   à   part. 

0  Gérés!  l'avenir  de  Carihage  est  certain! 

CHOEUR   GÉNÉRAL. 

Gloire  à  Didon,  notre  reine  chérie! 
Chacun  de  nous  est  prêt  à  lui  donner  sa  vie. 
Prouvons-lui  notre  amour  par  des  gages  nouveaux. 
Coloris,  marins,  formons  un  peuple  de  héros  ! 
Le  peuple,  conduit  par  Narbal,  défile  en  cortège  devant  le  trrine  de  Di.oa 
et  sort. 

SCÈNE  in 

Un  appartement  du  palais  de  Didon. 
ANNA,  DIDON. 

DIDON. 
RÉCITATIF. 

Les  chants  joyeux,  l'aspect  de  celle  noble  fête, 
Ont  fait  rentrer  la  paix  en  mon  cœur  agité. 
Je  respire,  ma  sœur,  oui,  ma  joie  est  parfaite, 
Je  retrouve  le  calme  et  la  sérénité. 

DUO. 
ANNA. 

Reine  d'un  jeune  empire 
Qui  chaque  jour  s'élève  florissant, 
Reine  adorée  et  que  le  monde  admire, 
Quelle  crainte  avait  pu  vous  troubler  un  instant? 


ACTE  PREMIER 

DIDON. 

Une  étrange  tristesse, 
Sans  causes,  tu  le  sais,  vient  parfois  m'accabler. 
Mes  ePp/'t.s  restent  vains  contre  cette  faiblesse, 
Je  sens  transir  mon  sein  qu'un  ennui  vague  oppresse, 
Et  mon  visage  en  feu  sous  mes  larmes  brûler... 

ANNA,    souriant. 

Vous  aimerez,  ma  sœur... 

DIDON. 

Non,  toute  ardeur  nouvelle 
Est  interdite  à  mon  cœur  sans  retour. 

ANNA. 

Vous  aimerez,  ma  sœur... 

DIDON. 

Non,  la  veuve  fidèle 
Doit  éteindre  son  âme  et  délester  l'amour. 

ANNA. 

Didon,  vous  êtes  reine,  et  trop  jeune,  et  trop  belle, 
Pour  ne  plus  obéir  à  cette  douce  loi; 
Carthage  veut  un  roi. 

DIDON,  montrant  à  son  doigt  l'anneau  de  Sichée. 
Puissent  mon  peuple  et  les  dieux  me  maudire, 
Si  je  quittais  jamais  cet  anneau  consacré  1 

ANNA. 

Un  tel  serment  fait  naître  le  sourire 

De  la  belle  Vénus;  sur  le  livre  sacré 

Les  dieux  refusent  de  l'inscrire. 

ENSEMBLE. 
DIDON. 

Sa  voix  fait  naître  dans  mon  sein 
La  dangereuse  ivresse; 
Déjà  dans  ma  faiblesse 
Contre  un  espoir  confus  je  me  débats  en  vain. 
Sichée  1  ô  mon  époux,  pardonne 
A  cet  instant  d'involontaire  erreur, 
Et  que  ton  souvenir  chasse  loin  de  mon  cœur 
Ce  trouble  qui  l'étonné. 

ANNA. 

Ma  voix  fait  naître  dans  son  sein 
Des  rêves  de  tendresse; 
Déjà,  dans  sa  faiblesse, 
Au  doux  espoir  d'aimer  eJ'e  résiste  en  vain. 


io  les  trûyens  a  cap.tiiage. 

D'don,  ma  tendre  sœur,  pardonne, 
Si  ,e  dissipe  une  trop  chère  erreur, 
Pardonne  si  ma  voix  excite  dans  ton  cœur 
Ce  trouble  qui  l'étonné. 

SCÈNE  IV 

IOPAS,  ANNA,  DIDON. 

IOPAS. 

Échappés  à  grand'peine  à  la  mer  en  fureur, 
Reine,  les  depuiés  d'une  flotte  inconnue 
D'être  admis  devant  vous  implorent  la  faveur. 

DIDON. 

La  porte  du  palais  n'est  jamais  défendue 
A  de  tels  suppliants. 

(Sur  un  signe  de  la  reine,  Iopas  sort.) 

Ain. 

Errante  sur  les  mers, 
Ne  fns-je  pas  aussi,  de  rivage  en  rivage, 
.        Emportée  au  sein  de  l'orage. 

Jouet  des  flots  amers! 
Hélas,  des  coups  du  sort  je  sais  la  violence 
Sur  ceux  qu'il  trappe.  Au  malheur  compatir 
Est  facile  pour  nous.  Qui  connut  la  souffrance 
Ne  pourrait  voir  en  vain  souffrir. 

SCÈNE  V 

La  salle  do  verdure. 

Oo  entend  la  marche  troyenne  dans  un  mode  triste.  ENEE,  sous  un  dé- 
guisement de  marin,  PANTHÉE,  ASCAGNE,  Chefs  troyj.ns, 
ponant  des  présents,  IOPAS,  DIDON,  ANNA. 

RÉCITATIF. 
DIDON,    A  part. 

J'éprouve  une  soudaine  et  vive  impatience 
Deles  voir,  et  je  crains  en  secret  leur  présence. 

(Elle  monte  sur  y\f  '.r.'ao.) 
ASCAGNE,  s'inclinant  devant  la  reine. 
Auguste  reine,  un  peuple  errant  et  malheureux 
Pour  quelques  jours  vous  demande  un  asile. 
Je  dépose  à  vos  pieds  les  présents  précieux, 
Débris  de  sa  grandeur-,  que,  par  ma  main  débile 
Au  nom  de  Jupiter,  vous  offre  un  chef  pieux. 


ACTE  PREMIER.  Il 

DIDON. 

De  ce  chef,  bel  enfant,  dis-moi  le  nom,  la  race  1 

ASCAGNE. 

0  reino,  sur  nqs  pas  une  sanglante  trace 

Des  monts  do  la  Phrygie  a  marqué  les  chemins 

Jusqu'à  la  mer.  Ce  sceptre  d'ilione, 

(il  offre  un  à  un  les  présents.) 

Fille  du  roi  Priam;  d'Hécube  la  couronne, 
Et  ce  voile  loger  d'Hélène  où  l'or  rayonne, 
Doivent  nous  dire  s.ssez  que  nous  sommes  Troyens. 

BIDON. 

Troyens l 

ASCÀGNE. 

Notre  chef  est  Éncc, 
Je  suis  son  fils. 

DIDON. 

Étrange  destinée! 

PANTI1ÉE,  s'avaaçant. 

Obéissant  au  souverain  des  dieux 

Ce  héros  cherche  l'Italie, 
Où  le  sort  lui  promet  un  trépas  glorieux 
Et  le  bonheur  de  rendre  aux  siens  une  patrie. 

DIDON. 

Qui  n'admire  ce  prince,  ami  du  grand  Hector? 
Nul  de  son  nom  fameux  n'est  ignorant  encor; 

Carihage  en  est  remplie. 
Dites-lui  que  mon  port  ouvert  à  ses  vaisseaux 

L'attend.  Qu'il  vienne,  qu'il  oublie 
Avec  vous  à  ma  cour  ses  pénibles  travaux. 

SCÈNE  VI 

NARBAL,  Les  Mêmes. 

FINAL. 

NAUBAL. 

J'ose  à  peine  annoncer  la  terrible  nouvelle  I 

DIDON. 

Qu'arrive-l-ilî 

NARBAL. 

Le  Numide  rebelle 
Le  féroce  Iarbas 
Avec  d'innombrables  sold  ats 


12  LES  TltOYKNS  A  CARTHAGE. 

S'avance  vers  Carthage; 

El  la  troupe  sauvage 

Egorge  nos  troupeaux 
Et  dévaste  nos  champs.  Mais  des  malheurs  nouveaux 

Menacent  la  ville  elle-même  : 
A  nos  jeunes  guerriers  dont  l'ardeur  est  extrême 
Les  armes  vont  manquer. 

DIDON. 

Que  dites-vous,  Narbal? 

NARBAL. 

Que  ii«x_  Jlons  tenter  un  combat  inégal. 

ÉNÉE,   s'avançant  après  avoir  laissé  tomber  son  déguisement  de  matelot. 
Il  porte  un  brillant  costume  et  la  cuirasse,  mais  sans  casque  ni  bouclier. 

Reine,  je  suis  Énéel 
Ma  flotte  sur  vos  bords  par  les  vents  entraînée 
A  de  rudes  travaux  fut  par  moi  destinée; 
Permettez  aux  Troyensde  combattre  avec  vous! 

DIDON. 

J'accepte  avec  orgueil  une  telle  alliance! 
Énée  armé  pour  ma  défense! 
Les  dieux  se  déclarent  pour  nous. 

(A  part,  à  Anna.) 

0  ma  sœur,  qu'il  est  fier,  ce  fils  de  la  déesse, 

Et  qu'on  voit  sur  son  front  de  grâce  et  de  noblesse! 

ÉNiE,    PANTHÉE,    NARBAL,    lOI'AS,     ASCAGNE,    DIDON- 
AN.NA   ET   LES    CHEFS    TROYENS. 

ENSEMBLE. 

Sur  celte  horde  immonde  d'Africains, 

Marchez,   iTroyens  et  Tyriens, 
Marchons,  |       J 

yu!ez   là  la  victoire  ensemble! 
Volons  I 

Comme  le  sable  emporté  par  les  vents 

Chassez    I  j  déserts  brûlants 

Chassons  | 

Le  Numide  éperdu;  qu'il  tremble  1 

C'est  le  dieu  Mars  qui  {  JJjj|  1  rassemble, 
C'est  le  fils  de  Vénus  qui  J  JjJjJ  |  guide  aux  combat.^ 

Exterminez  j  la  noire  armée„ 

Exterminons  |  t  " 

Et  que  demain  la  renommée 


ACTE  PREMIER.  13 

Proclame  au  loin  la  honte  et  la  mort  d'Iaibas? 

(Pondant  la  fin  do  ce  morceau,  on  apporte  ses  armes  à  Ênée.  Il  met  rapi- 
dement son  casque,  passe  à  son  bras  son  vaste  bouclier  et  saisit  ses 
javelots.) 

ÉNÉE,  à  Panthée. 

Annonce  à  nos  Troyens  l'entreprise  nouvelle 
Où  la  gloire  les  appelle. 

(Panthée  sort.) 
Reine,  bientôt  du  barbare  odieux 
Vous  serez  délivrée.  A  vos  soins  généreux, 
J'abandoDne  mon  fils. 

DIDON. 

De  mon  amour  de  mère 
Pour  lui  ne  doutez  pas. 

ÉNÉE,  à  Ascagne. 

Viens  embrasser  ton  père. 
D'autres  t'enseigneront,  enfant,  l'art  d'être  heureux; 
Je  ne  t'apprendrai,  moi,  que  la  vertu  guerrière 

El  le  respect  aes  aïeux; 
Mais  révère  en  ton  cœur  et  garde  en  ta  mémoire 
Et  d'Énée  et  d'Hector  les  exemples  de  gloire. 

(il  l'embrasse  en  le  couvrant  tout  eulier  de  ses  armes.  Ascagno  pleure 
sans  répondre.  Pendant  celte  scène,  le  peuple  de  Carlhagc  accourt  de  toutes 
parts  demandant  des  armes.  —  Quelques  hommes  seulement  sont  armés 
régulièrement,  les  autres  portent  des  faux,  des  Saches,  des  frondes.) 

CHOEUR  GÉNÉRAL  ET  TOUS    LES    PERSONNAGES    SANS  ASCAGNE. 
ENSEMBLE. 

Sur  cette  horde  immonde  d'Africains, 
Ma\rctoen\!Tr°ïensetTyriens' 

Volons  1  a  ^a  victoire  ensemble  1 
Comme  le  sable  emporté  par  les  vents 

Chassons}  dans  ses  déserts liants 

Le  Numide  éperdu;  qu'il  tremble! 

C'est  le  dieu  Mars  qui  j  ™jj|  \  rassemblé, 

C'est  le  fils  de  Vénus  qui  <s  **H  gui  Je  aux  combats! 

Exterminez    \  .        •  . 

Exterminons  J  ld  nolre  armce» 


14  LES   TROYENS  A  CARTHAGE. 

Et  que  demain  la  renommée 
Proclame  au  loin  la  honte  et  la  mort  d'Iarbas! 

A  la  lj  du  chœur,  le  jeune  Ascagne  essuie  tout  à  coup  se?  hrmes  et  «'4- 
lauçant  auprès  des  guerriers  troyens,  s'écrie  avec  e-<zs   ', 

Exterminez  la  noire  armée, 
Et  que  demain  la  renommée 
Proclame  au  loiaia  honte  et  la  mort  d'Iarba3l 


INTERMÈDE  SYMPHONIQUE 

CHASSE  ROYALE  ET  ORAGE 


Une  forêt  vierge  d'Afriqup ,  an  matin.  An  fond,  on  rocher  très* 
élevé.  Au  bas  et  à  gauche  du  rocher,  l'ouverture  d'une  grotte.  Un 
petit  ruisseau  coule  le  long  dn  rocher  et  va  se  perdre  dans  un  bassin 
naturel  bordé  de  joncs  et  de  roseaux. 

Deux  naïades  se  laissent  entrevoir  un  instant  et  disparaissent  ;  puis  on  les  voit 
nager  dans  le  bassin.  Chasse  royale.  Des  fanfares  de  trompe  retentissent 
an  loin  dans  la  foret.  Les  naïades  effrayées  se  cachent  dans  les  roseaux.  On 
voit  passer  des  chasseurs  tyriens,  Ascagne  traverse  le  théâtre  à  la  course- 
Le  ciel  s'obscurcit,  la  pluio  tombe.  Orage  grandissant.  Bientôt  la  tempête 
devient  terrible,  torrents  de  pluie,  grêle,  éclairs  et  tonnerres.  Appels 
réitérés  des  trompes  de  chasse  au  milieu  du  tumnlta  ««s  éléments. 
Les  chasseurs  se  dispersent  dans  toutes  les  directions  ;  en  dernier  lieu 
on  voit  paraître  Didon  velue  en  Diane  chasseresse,  l'arc  à  la  main,  le 
carquois  sur  l'épaule  et  Énée  en  costume  demi-guerrier.  Ils  entrent  dans 
la  grotte.  Aussitôt  les  nymphes  des  bois  paraissent  les  cheveux  épars  an 
sommet  du  rocher,  et  vont  et  viennent  en  courant,  en  poussant  des  cris  et 
faisant  des  gestes  désordonnés.  Au  milieu  de  leurs  clameurs,  on  distingue 
de  temps  en  temps  le  mot  :  Italiel  Le  ruisseau  grossit  et  devient  une 
bruyante  cascade.  Plusieurs  autres  chutes  d'eau  se  forment  sur  divers  points 
dn  rocher  et  mêlent  leur  bruit  au  fracas  delà  tempête.  Les  Satjres  et  les 
Sylvains  exécutent  avec  les  Faunes  des  danses  grotesques  dans  l'obscurité. 
La  foudre  frappe  un  arbre,  le  brise  et  l'enflamme.  Les  débris  de  l'arbre 
tombent  sur  la  scène.  Les  Sa\yres,  Faunes  et  Sylvains  ramassent  les 
branches  enflammées,  daiueut  en  les  tenant  à  la  main,  puis  dispa- 
raissent avec  les  nyniph's  dans  les  profondeurs  de  la  forêt.  La  tein- 
bûltt  se  calme. 


ACTE    DEUXIÈME 

La:-  jardins  de  Didon  sur  le  bord  de  la  mer.  Le  soleil  se  couche. 


SCENE    PREMIERE 

Les  courlisans  tyriens,  les  chefs  troyens  se  répandent  dans  les  jardins. 
Bientôt  après  entrent  DIDON,  ÉNÉE,  PANTHÉË,  IOPAS, 
ASGAGNE.  Marche  pour  l'entrée  de  la  reine,  sur  le  thème  du  chan» 
national  :  «  Gloire  à  Didon.  »  Didon  assiste  à  la  fête  assise  avec  Anna 
sur  une  estrade,  ayant  Euée  et  Narbal  auprès  d'elle. — Eallet. — Danses 
d'esclaves  nubiennes,  d'aimées  d'Egypte,  etc.  A  la  fin  du  ballet,  la 
reine  descend  de  l'estrade  et  va  s'étendre  à  l'avant-scène  sur  un  lit  de 
ropos,  de  manière  à  présenter  son  profil  gauche  au  spectateur.  Enée 
debout  d'abord,  vient,  après  le  chant  d'Iopas,  s'asseoir  à  ses  pieds  en 
face  d'elle,  Ascagne  appuyé  sur  son  arc  et  semblable  à  une  statue  de 
l'Amour  se  lient  debout  au  côté  gauche  de  la  reine,  Anna  inclinée  appuie 
son  coude  sur  le  dossier  du  lit  de  Didon.  Auprès  d'Anna,  Naibal  et 
lopas  debout.  (Après  la  danse.) 

DIDON,   languissammenl. 

Assez,  ma  sœur,  je  ne  souffre  qu'à  peine 
Celle  fête  importune... 

(Sur  un  signe  d'Anna  les  d.inseurs  se  retirent.) 

lopas,  chanle-nous 

Sur  un  mode  simple  et  doux 
'un  poëme  des  champs. 

IOPAS. 

A  l'ordre  de  la  reine 
J'obéis. 

-  'Ja   harpiste   thébain  vient   se  placer  à  côté  du  poëtc  et  accompaçno  son 
«Uanl    Le  costume  du  harpiste  est  le  costume  religieux  égyptien.) 

Féconde  Cérés, 
Quand  à  nos  guéréts 
Tu  rends  leur  parure 
De  fraîche  vnfùure. 
Que  d'heureux  lu  fais  l 

Du  vieux  laboureur, 
Du  jeune  pnsleur, 
La  reconnaissance 
Bénit  l'abondance 

Que  lu  leur  promets. 


ACTE  DEUXIÈME.  17 

ue  timide  oiseau, 
Le  folâtre  agneau, 
Des  vents  de  la  plaine 
La  suave  haleine, 
Chantent  les  bienfaits. 

DIDON,    l'interrompant. 

Pardonne,  Iopas,  ta  voix  même, 
En  mon  inquiétude  extrême, 
iS'e  peut  ce  soir  me  captiver... 

ÉNÉE,  allant  s'asseoir  à  ses  piedi 
Chère  Didon  l 

DIDON. 

Énée,  ah!  daignez  achever 
Le  récit  commencé  de  votre  long  voyage, 
Et  des  malheurs  de  Troie.  Apprenez-moi  le  sort 
De  la  belle  Andromaque... 

ÉNÉE. 

Hélas  !  en  esclavage 
Réduite  par  Pyrrhus*,  elle  implorait  la  mort  ; 
Mais  l'amour  obstiné  de  ce  prince  pour  elle 

Sut  enfin  la  rendre  infidèle 
Aux  plus  chers  souvenirs...  Apres  de  longs  refus, 

Elle  épousa  Pyrrhus. 

DIDON. 

Quoi!  la  veuve  d'Hector!... 

ÉNÉE. 

Sur  le  trône  d'Épire, 
Elle  est  ainsi  montée... 

QUINTETTE. 
DIDON. 

0  pudeur  I... 

(A  part.) 
Tout  conspire, 
A  voincre  mes  remords  et  mon  cœur  est  absous. 
Andromaque  épouser  l'assassin  de  son  père, 
Le  fils  du  meurtrier  de  son  illustre  époux  !... 

ÉNÉE. 

Eile  aime  son  vainqueur,  l'as^assinde  son  père, 
Le  fils  du  meurtrier  de  son  illustre  époux. 

*  Pyrrhus  Reoptolème  fils  d'Achille,  qui,  l^rs  de  la  prise  de  Troie,  Cyerjv 
Priam. 


18  LES   TROYENS  A  CARTIIAGE 

ANNA,  montrant  Asr.agne. 

Voyez,  Narbal,  la  mnin  légère 
De  cet  ('niant,  semblable  à  Cupidon 
Ravir  doucement  à  Didon, 
L'anneau  qu'elle  révère. 

IQPAS  et  NAnqAL. 

De  cet  enfant,  semblable  à  Cupidon, 
Ravir  doucement  à  Didon 
L'anneau  qu'elle  révère. 

DIDON,  rêvant. 
Le  fils  du  meurtrier  de  son  illustre  époux  1... 

Oui,  tout  conspire, 
À  vaincre  mes  remords  et  mon  cœur  est  absous. 

ÉNÉE. 

Didon  soupire... 
Le  remords  fuit  et  son  cœur  est  absous  !... 

(Pendant  ce  morceau  d'enfemble,  Didor»  ayant  le  bras  gauche  posé  sw 
l'épaule  d'Ascagne,  de  façon  que  sa  main  pend  devant  la  poitrine  do 
l'enfant,  celui-ci  retire  en  souriant  du  doigt  de  la  reine  l'anneau  de 
Sichée,  que  Didon  lui  reprend  ensuito  d'un  air  distrait  et  qu'elle  oublie 
tur  le  lit  de  repos  en  se  levant.) 
Mais  bannissons  ces  tristes  souvenirs... 
Nuit  splendide  et  charmante  1 

(il  se  lève.) 

Venez,  chère  D^don,  respirer  les  soupirs 
De  celte  brise  caressante. 

(Didon  se  lève  à  son  tour.) 
SEPTDOR  AVEC  CHOEUR. 

DIDON,    ÉNÉE,   ASCAGKE,   ANNA,    IOPAS,    NARBAL,     PANTHÉE   ET 
LE   CHOEUR. 


ENSEMBLE. 

Tout  n'est  que  paix  et  charme  autour  de  nous  ! 
La  nuit  étend  son  voile  et  la  mer  endormie 
Murmure  en  sommeillant  les  accords  les  plus  doux. 

(Pendant  cet  ensemble  tous  les  personnages,  excepté  Énee  et  Didon,  is 
retirent  peu  à  peu  vers  le  fond  du  théâtre,  et  finissent  par  disparaître.) 


ACTE   DEUXIEME.  <9 

SCENE  Iï 

Clair  do  1 

DIDON,  ÉNÉE. 

DUO. 
ENSEMBLE. 

0  nuit  d'ivresse  et  d'extase  infinie! 
Blonde  Bhœbô,  grands  astres  de  sa  cour, 
Versez  sur  nous  votre  lueur  bénie  ; 
Fleurs  des  cicux,  souriez  à  l'immortel  amour  î 

DIDON. 

Par  une  telle  nuit,  !e  front  cf-int  da  cytise, 
La  dresse  Vénus  suivit  le  bel  Anchise 
Aux  bosquets  de  l'Ida. 


Par  une  folle  nuit,  fou  d'amour  et  de  joie, 
Troïlus*  vint  allendre  aux  pieds  des  murs  de  Troie 
La  belle  Cressida". 

ENSEMBLE. 

0  nuit  d'ivresse  et  d'extase  infinie  ! 
Blonde  Pliœbé,  grands  astres  de  sa  cour, 
Versez  sur  nous  votre  lueur  bénie; 
Fleurs  des cieux,  souriez  à  l'immortel  amour! 

ÉNÉE. 

Par  une  telle  nuit,  la  pudique  Diane, 
Laissa  tomber  enfin  son  voile  diaphane 
Aux  yeux  d'Endymion. 

DTDON. 

Par  une  telle  nuit,  le  fils  de  Cythérée 
Accueillit  froidement  la  tendresse  enivrée 
De  la  reine  Didonl 

*  TroTlus,  frère  d'Hector. 

•*  Cressida,  lille  de  Cul>  Las.  airri^c  de  TrcUus. 


20  LES  TROYENS  A  CARTIIAGE. 


Et  dans  la  même  nuit,  hélas,  l'injuste  reine, 
Accusant  son  amant,  obtint  de  lui  sans  peine 
Le  plus  tendre  pardon. 

». 

ENSEMBLE. 

(ils  marchent  lentement  vers  le  fond  du  théâtre  en  se  tenant  embrassés, 
puis  ils  disparaissent  en  chantant./ 

0  nuit  d'ivresse  et  d'extase  infinie  I... 
Blonde  Phœbé,  grands  astres  de  sa  cour, 
Versez  sur  nous  votre  lueur  bénie  ; 
Fleurs  des  cieux,  souriez  à  l'immortel  amour! 

SCÈNE  III 

An  moment  où  les  deux  amants  qn'on  ne  voit  pins,  finissent  leur  duo  dans  la 
coulisse,  MERCURE  paraît  subitement  dans  un  rayon  de  la  lune,  non 
loin  d'une  coloune  tronquée  où  sont  appendues  les  armes  d'Énée.  S'.appro- 
chant  de  la  colonne,  il  frappe  de  son  caducée  deux  coups  sur  le  bouclier 
qui  rend  un  son  lugubre  et  prolongé.  Puis  le  Dieu  répète  d'une  voi» 
grave  :   Italie!  Italie  I  Italie  I  et  disparait. 


ACTE    TROISIÈME 


Le  bord  de   la  mer  couvert   de  tentes  troyennes.   —  On  voit   les    vais- 
seaux  troyens   dans   le   port.    —   Il    fait   nuit.  —  Un  jeune  matelot 
phrygien    chante    en    se    balançant    au    haut    du    mât    d'un    navire 
—  Deux  sentinelles  montent  la  garde  devant  les  tentes  au  fond  de  la 
icèno. 


SCÈNE    PREMIÈRE 

HYLAS,  Deux  Soldat». 

hylas. 
Vallon  sonore, 
Où  dès  l'aurore 
Je  m'en  allais  chaînant,  hélasl 
Sous  tes  grands  bois  chantera-t-il  encore, 

Le  pauvre  Hylas?... 
Berce  mollement  sur  ton  sein  sublime, 
0  puissante  mer,  l'enfant  de  Dindyme  I 

Fraîche  ramée, 

Retraite  aimée 
Contre  les  feux  du  jour,  hélas  l 
Quand  rendras-tu  ion  ombre  parfumée 

Au  pauvre  Hylas?... 
Jterce  mollement  sur  ton  sein  sublime, 
0  puissante  mer,  l'enfant  de  Dindyme  ! 

Humble  chaumière, 
Où  de  ma  mère 
Je  reçus  les  adieux,  hélasl 
Reverra-t-il  ton  heureuse  misère, 
Le  pauvre  Hylas?... 

PREMIER    SOLDAT. 

11  rêve  à  son  pays... 


£2  LES  TROYENS  A  CARTHAGE* 

DEUXIÈME   SOLDAT. 

Qu'il  ne  reverra  pas. 

HYLAS. 

Berce  mollement  sur  ton  sein  sublime 
0  puissante  mer,  l'enfant... 

Il  s'endort. 

SCÈNE   II 

Entrent  PANTIIÉE  et  LES  Chefs  TROYENS,  puis   LES   OMBRES. 

PANTIIÉE. 

RÉCITATIF. 

Préparez  tout,  .il  faut  partir  enfin. 
Énce  en  vain 
Voit  avec  désespoir  l'angoisse  de  la  reine, 
La  gloire  et  le  devoir  sauront  briser  sa  chaîne, 
Et  son  cœur  sera  fort  au  moment  des  adieux. 

LES  CHEFS. 

Chaque  jour  voit  grandir  la  colère  des  dieux. 
Des  signes  effrayants  déjà  nous  avertissent; 
La  mer,  les  monts,  les  bois  profonds  gémissent; 
Sous  d'invisibles  coups  nos  armes  retentissent; 
Comme  dans  Troie  en  la  fatale  nuit, 
Hector,  dont  l'œil  courroucé  luit, 
En  armes  apparaît;  un  chœur  d'ombres  le  suit; 
Et  ces  morts  irrités,  ô  terreur  infiniel 
La  nuit  dernière  encore  ont  crié  par  trois  fois... 

LES   OMBRES  INVISIBLES. 

Italie!  Ilaliel... 

PANTIIÉE    et  les  CHEFS. 

Dieux  vengeurs!  c'est  leur  voix!... 
Nous  avons  trop  longtemps  bravé  l'ordre  céleste; 
Quittons  sans  plus  ta.der  ce  rivage  funeste  1 
A  demain  !  à  demain! 
Préparons  tout,  il  faul  partir  enfin. 

Us  entrent  dans  les  tîntes. 

SCÈNE   III 

Deux  Soldats. 

Les  deux  soldats  en  sentinelle  marchent,  l'un  de  droite  à  gauche,  l'autre 
de  gauche  à  droite.  Ils  s'arrêtent  de  temps  en,  temps  l'un  près  de  l'aulra 
vers  le  milieu  du  théâtre. 

PREMIER   SOLDAT. 

Par  Baechusl  ils  sont  fous  avec  leur  Italie!... 
Je  n'ai  rien  entendu. 


ACTE  TROISIÈME.  ti 

DEUXIÈME   SOLDAT. 

Ni  moi. 

PREMIER   SOLDAT. 

La  belle  vie, 
Pourtant,  qu'on  mène  ici  ! 

DEUXIÈME   SOLDAT. 

Dans  plus  d'une  maisor 
Noua  Pouvons  et  bon  vin  et  grasse  venaison. 

PREMIER   SOLDAT. 

A  ma  belle  Carthaginoise, 
Je  puis  déjà  parler  phénicien. 

DEUXIÈME   SOLDAT. 

La  mienne  comprend  le  troyen, 
M'obéit  sans  me  chercher  noise. 

ENSEMBLE. 

La  femme  n'est  point  rude  ici  pour  l'étranger  t 

PREMIER   SOLDAT. 

Et  l'on  nous  veut  faire  changer 

Ces  douceurs  contre  un  long  voyage! 

DEUXIÈME   SOLDAT. 

Les  caresses  de  l'orage! 

PREMIER   SOLDAT. 

La  faim. 

DEUXIÈME  SOLDAT. 

La  soif. 

PREMIER   SOLDAT. 

Vingt  maux  d'enfer? 

DEUXIÈME   SOLDAT. 

Et  tous  les  ennuis  de  la  merl 

PREMIUR   SOLDAT. 

Pour  cette  Italie... 

DEUXIÈME   SOLDAT. 

Où  nous  devons  jouir  du  fruit  de  nos  travaus.... 

ENSEMBLE. 

En  nous  faisant  rompre  les  os- 
premier  SOLDAT. 
Maudite  folie! 

deuxième  soldat. 
Encor  pâlir  1 


54  LES  ï KO YENS  A  CARTHAGE. 

PREMIER   SOLDÂT. 

Notre  lot  est  l'obéissance. 

DEUXIÈME   SOLDAT. 

Silence  I 
Je  vois  Énée  à  grands  pas  accourir... 

Les  deux  sentinelles  s'éloignent  et  disparaisses)!» 

SCÈNE   IV 

ENEE,  s'avançant  dans  une  grande  agitation. 
RÉCITATIF   MESURÉ. 

Inutiles  regrets!...  je  dois  quitter  Carlhagel 
Didon  le  sait...  son  effroi,  sa  stupeur, 
En  l'apprenant,  ont  brisé  mon  courage... 
Mais  je  le  dois...  il  le  fautl...  ô  douleur  I 
Non,  je  ne  puis  oublier  la  pâleur 

Frappant  de  mort  son  beau  visage. 
Son  silence  obstiné,  ses  yeux 
Fixes  et  pleins  d'un  feu  sombre... 
En  vain  ai-je  parlé  des  prodiges  sans  nombre 

Me  rappelant  l'ordre  des  dieux; 
Invoqué  la  grandeur  de  ma  sainte  entreprise, 
L'avenir  de  mon  fils  et  le  sort  des  Troyens, 
La  triomphale  mort  par  les  destins  promise, 
Pour  couronner  ma  gloire  aux  champs  ausoniens... 
Rien  n'a  pu  la  toucher;  sans  vaincre  son  silence 
J'ai  fui  de  son  regard  la  terrible  éloquence. 

AIR. 

Ah  1  quand  viendra  l'instruit  des  suprêmes  adieu.1:, 
Heure  d'angoisse  et  de  larmes  baignée, 
Comment  subir  l'aspect  affreux 
De  cette  douleur  indignée!... 
Lutter  contre  moi-même  et  contre  toi,  Didon, 
En  déchirant  ton  cœur  implorer  mon  pardon I 
En  serai-je  capable?...  En  un  dernier  naufrage, 
Ahl  puissé-je  périr,  si  je  fuyais  Garthage 
Sans  te  revoir  pourtant!...  Sans  la  voir!...  lâcheté! 
Mépris  des  droits  sacrés  de  l'hospitalité  ! 
Non,  non,  reine  adorée^ 
AmT  sublime  et  par  moi  déchirée, 
Bienfaitrice  des  miens;  non,  je  veux  te  revoir, 
Une  dernière  fois  presser  tes  mains  tremblantes, 
Arroser  tes  genoux  de  mes  larmes  brûlantes, 
Dussé-je  être  brisé  par  un  tel  désespoir  ! 


ACTE  TROISIÈME.  £3 

SCÈNE  V 

ÉNÉE,   quatre  Spectres  invisibles. 

LES  SPECTRES. 

Énée!... 

ÉNÉE. 

Encor  ces  voix  I 

(Les  quatre  spectres  wilés  paraissent  successivement,  l'un  à  l'enirée  des 
coulisses  à  gauche  du  spectateur,  l'autre  à  l'entrée  des   coulisses   à 
droite,  les  deux   autres  au  fond  do  théâtre.  Au-dessus  de  la  tête  de 
chacun  d'eux  brille  une  couronne  de  petites  flammes  pâles.) 
ÉNÉE,  apercevant  le  premier. 

De  la  sombre  demeure, 
Messager  menaçant,  qui  donc  t'a  fait  sortir?... 

LE   PREMIER   SPECTRE. 

Ta  faiblesse  et  la  gloire. 

ÉNÉE. 

Ahl  je  voudrais  mourir  I 

LE   PREMIER   SPECTRE. 

Plus  de  retards  1 

LE  DEUXIÈME  SPECTRE,  non  encore  visible. 
Pas  un  jour! 
LES  TROISIÈME  ET  QUATRIÈME  SPECTRES,  non  encore  visibles. 

Pas  une  heure! 

LE  PREMIER  SPECTRE,  levant  son  voile  devant  les  yeux  d'Éuée. 

Je  suis  Priam  !...  il  faut  vivre  et  partir! 

(Sa  couronne    s'éteint  ;  il  disparaît.  —  Énée   s'élançant  éperdu  vers   U 

côté  droit  de  la  scène  y  rencontre  le  deuxième  spectre.) 

LE  DEUXIÈME  SPECTRE,  levant   son  voile. 

Je  suis  Chorèbe  *  I 
Il  faut  partir  et  vaincre! 

(Sa  couronne  s'éteint,  il   disparaît.   —  Énée ,  reculant  vers  le  fond  du 
théâtre  y  rencontre  les  deux  autres  spectres.  Cassandro  a  le  bras  gauche 
appuyé  sur  l'épaule  d'Hector.  Hector  est  armé  de  pied  eu  cap.) 
ÉNÉE,  les  reconnaissant  au  moment  où  ils  se  dévoilent. 
Hector  !  dieux  de  l'Erèbe  ! . . . 
Cassandre!  !... 

LES  SPECTRES  DE  CASSANDRE  ET  D'HECTOR. 

Il  faut  vaincre  et  fonder  !... 

(Leuri  couronnes  s'éteignent;  ils  disparaissent.) 

*Chorèbe,  Jeune  prince  d'Asie,  fiancé  de  Cassandre,  qui  mourut  en  la  défen- 
dant pendant  i'.uccndie  de  Troie. 


26  LES  TUOYEKS  A  CAUTIIAGE. 

é:;::e. 

Je  dois  céder 
À  vos  ordres  impitoyables! 
J'obéis,  j'obéis,  spcclres  inexorables  ! 
Je  suis  barbare,  ingrat  ;  vous  l'ordonnez,  grands  dieux I 
Et  j'immole  Didon,  en  détournant  les  yeux. 
(Passant  devant  les  tentes.) 

Debout,  Troyens,  éveillez-vous,  alerte! 
Le  vent  est  bon,  la  mer  nous  est  ouverte' 
Il  faut  partir  avant  le  lever  du  soleil  I 

SCÈNE  VI 

Énée,  les  Troyens  sortant  des  tentes. 

Alerte!...  entendez-vous,  amis,  la  voix  d'Énée?... 
Donnez  partout  le  signal  du  réveil... 

ÉNÉE,  à  nn  chef. 

Va,  cours,  porte  cet  ordre  à  l'oreille  étonnée 
D'Aseagne  :  qu'il  se  lève  et  qu'il  se  rende  à  bord! 

Avant  le  jour  il  faut  quitter  le  port. 
Ma  lâche,  jusqu'au  bout,  grnnds  dieux,  sera  remplie 
Alerte,  amis!  profilons  des  instants I 
Coupez  les  câbles,  il  est  temps! 
Enmerl  en  mer!  Italie!  Italie! 

LE   CHOEUR,    CHEFS   ET  MATELOTS. 

Voici  le  jour,  profitons  des  instants! 
Coupons  les  câbles,  il  est  temps  ! 
En  mer!  en  merl  Italie!  Italie! 

ENEE,  se  tournant  du  côté  du  palais. 

A  loi  mon  âme  !  Adieu  !  digne  de  ton  pardon. 
Je  pars,  noble  Didon  I 
L'impatient  destin  m'appelle; 
Pour  la  mort  des  héros,  je  te  suis  infidèle. 

Tous  se  précipitent  hors  de  la  scènû  dans  diverses  directions,  comm» 
pour  faire  des  préparatifs  de  départ.  On  voit  lej  vaisseaux  commencer  à  se 
mettre  eft  mouvement.  Eclairs  et  tonnerres  lointains.  Les  nia,u,,fUs  crient 
de  douvoau  :  Italie  I  La  marche  troyenne  retentit.  Ascagno  arrive 
conduit  par  un  chef  troyen.  Énée,  resté  un  instant  immobile,  semble  se 
ranimer  à  ces  clameurs  guerrières  et  monte  sur  ou  vaisseau.  Le  soleil 
le  lèvo. 


ACTE  QUATRIÈME 


Un  appartement  de  Didon. 


SCÈNE  PREMIÈRE 
DIDON,  ANNA,  NARBAL. 

D1DON, 

Va,  ma  sœur,  l'implorer. 
De  mon  âme  abattue 
L'orgueil  a  lui.  Va  1  ce  départ  me  tue 
El  je  le  vois  se  préparer. 

ANNA. 

Hélas!  moi  seule  fus  coupable, 
En  vous  encourageant  à  former  d'autres  nœuds. 
Peut-on  lutter  contre  les  dieux?... 
Son  départ  est  inévitable... 
Et  pourtant  il  vous  aime. 

BIDON. 

Il  m'aime!  non!  non!  son  cœur  est  glacô. 
Ab  !  je  connais  l'amour,  et  si  Jupiter  même 
M'eût  défendu  d'aimer,  mon  amour  insensé 

De  lupiter  braverait  l'anatbème. 
Mais  va,  ma  sœur,  allez,  Narbal,  le  supplier 

Pour  qu'il  m'accorde  encore 
Quelques  jours  seulement.  Humblement  je  l'implore  : 
Cequt-  j'ai  fait  pour  lui,  pourra-t-il  l'oublier, 
Et  repoussera-t-il  cette  instance  suprême 
De  vous,  sage  Narbal,  de  toi,  ma  sœur,  qu'il  aime?.,. 

2 


Î8       LES  TROYENS  A  CARTHAGB. 
SCÈNE  II 

DIDON,  ANNA,  NARBAL,  IOPA&. 
LE  CHOEUR,  au  loin  derrière  le  uV'âlre. 

En  mer,  voyezl  six  vaisseauxl  septl  neuf!  dixl 

IOPAS,   entrant. 

Les  Troyens  sont  partisl 

DIDON. 

Ou'entends-je? 

IOPAS. 

Avant  l'aurore 
Leur  flotte  était  en  mer,  on  l'aperçoit  encore  i' 

DIDON. 

Dieux  fmmortelsl  il  parti  Armez-vous,  Tyï-iensl 
Carthaginois,  courez,  poursuivez  les  Troyens! 

Courbez-vous  sur  les  rames, 
Volez  sur  les  eaux, 
Lancez  des  flammes, 
Brûlez  leurs  vaisseauxl 
Que  la  ville  entière!... 

Que  dis-je?...  impuissante  fureur! 

Subis  ton  sort  et  désespère, 
Dévore  ta  douleur, 
0  malheureuse  1 

(Court  silonce.) 

Et  voilà  donc  la  foi  de  cette  âme  pieuse  *!... 
J'offrais  un  trône I...  Ah  !  je  devais  alors 
Exterminer  la  race  vagabonde 
De  ces  maudits,  et  disperser  sur  l'onde 
Les  débris  de  leurs  corps  1 
C'est  alors  qu'il  fallait  prévoir  leur  perfidie, 

Livrer  leur  flotte  à  l'incendie, 
Et  me  venger  d'Énée  et  lui  servir  enfin 
Les  membres  de  son  fils  en  un  hideux  festin  !... 
A  moi,  dieux  des  enfersl  l'Olympe  est  inflexible  t. „ 
Aidez-moi  1  que  par  vous  mon  cœur  soit  enflammé 
D'une  haine  terrible 
Pour  ce  fugitif  que  j'aimail 
Du  prêtre  de  Pluton,  qu'on  réclame  l'office! 
Pour  apaiser  mes  douloureux  transports, 
A  l'instant  même  offrons  un  sacrifice 
Aux  sombres  déilés  de  l'empire  des  morts  ! 
Qu'on  élève  v,n  bûcher;  que  les  dons  du  perfide 
Et  ctrdx  que  je  lui  fis,  dans  la  flamme  livide, 
Souvenirs  délestés,  disparaissent!...  Sortez! 

Pius  Mntat.  (Virgile.) 


ACTE  QUATRIEME.  29 

NAUBAL,    à  Aima. 

Son  regard  m'épouvante,  ô  princesse,  restez! 

DIDON. 

Anna,  suivez  Narbal. 

ANNA. 

Que  ma  sœur  me  pardonne  !«♦.„ 

DIDON. 

Je  suis  reine  et  j'ordonne; 
Laissez -moi  seule,  Anna. 

Tous  sortent. 

SCÈNE  III 

DIDON,  seule. 

Elle  parcourt  la  scène  en  se  frappant  la  poitrine,  s' arrachant  les  cheveux 
et  poussant  des  cris  inarticulés.  Puis  elle  s'arrête  brusquement. 

RÉCITATIF  MESURÉ. 

Je  vais  mourir!... 
Dans  ma  douleur  immense  submergée... 

Et  mourir  non  vengée I... 
Mourons  pourtant...  Oui,  puisse-t-il  frémir 
A  la  lueur  lointaine  de  la  flamme 
De  mon  bûcher!  S'il  reste  dans  son  âme 

Quelque  chose  d'humain, 
Peut-être  il  pleurera  sur  mon  affreux  destin. 
Lui,  me  pleurer  !... 

(Ayec  un  retour  de  tendresse.) 

Énée!...Éncel... 
Oh  1  mon  âme  te  suit!... 
A  son  amour  enchaînée, 
Esclave,  elle  l'emporte  en  l'éternelle  nuit... 
Vénusl  rends-moi  ton  fils!...  Inutile  prière 
D'un  cœur  qui  se  déchire  !...  A  la  mort  tout  entière 
Didon  n'attend  plus  rien  que  de  la  mort. 

AIR. 

Adieu,  fièrecité,  qu'un  généreux  effort 

Si  promplement  éleva  florissante; 

Ma  tendre  sœur  qui  me  suivis  errante, 
Adieu,  mon  peuple,  adieu,  rivage  vénéré, 

Toi  qui  jadis  m'accueillis  suppliante; 
Adieu,  beau  ciel  d'Afrique,  astres  que  j'admire. 

Aux  nuits  d'ivresse  et  d'extase  infinie; 
Je  ne  vous  verrai  plus,  ma  carrière  est  finie I... 

Elle  suit  à  pas  louts 
*  Flaventes  que  abscissa  comas.  (Virgile. I 


ACTE    CINQUIÈME 


tue  partie  des  jardins  de  Didon,  sur  le  bord  de  la  mer.  Uu  \as(j  ^ùcber  y 
est  élevé  ;  ou  y  monte  pur  des  gradins  latéraux.  Sur  la  plate-Tonne 
du  bâcher  sont  places  un  lit,  une  loge,  un  casque,  une  épée  avec  son 
baudrier,  et  un  buste  d'huée. 


SCÈNE   PREMIÈRE 

Les  PrÊTUES  de  Piuton,  revêtus  de  costumes- funèbre»  ;  ils  viennent 
processionnellement  se  grouper  auprès  do  deux  autels  où  brille  ni 
des  flammes  verdàtres,  puis  ANNA,  NAilBAL,  et  enfin  DIDON 
voilée  et  couronnée  de  feuillage.  Pendant  la  première  partie  du 
ebœur  des  piètres,  Anna,  s'approcuaut  de  sa  sœur,  lui  dénoue  si 
chevelure  et  lui  ôte  le  cothurne  de  son  pied  gauche    . 

CHŒUR  de  prêtres  de  Piuton. 

Dieux  de  L'oubli,  dieux  du  Ténare, 
Au  cœur  blessé  rendez  la  force  et  le  repos  I 

Des  profondeurs  du  noir  Tartare 
Entendez-nous,  Hécate,  Érèbe,  et  toi  Chaos  I 

ANNA  e'w   NARBAL. 
(Étendant  le  bras  droit  du  coté  de  la  mer.) 
S'il  faut  enfin  qu'Énée  aborde  en  Italie, 

Qu'il  y  trouve  un  obscur  trépas! 
Que  le  peuple  Latin  à  l'Ombrien  s'allie 

Pour  arrêter  ses  pas! 
Percé  d'un  trait  vulgaire  en  la  mêlée  ardente, 
Qu'il  reste  abandonné  sur  l'arène  sanglante, 
Pour  servir  de  pâture  aux, dévorants  oiseaux  ! 
Entendez-nous,  Hécate,  Érèbe,  et  toi  Chaos  î 

LES   PRÊTRES. 

Dieux  de  l'oubli!  dieux  du  Ténare, 
Au  cœur  blessé  rendez  la  force  et  le  repos!... 

Des  profondeurs,  du  noir  Tartare 
Entendez-nous,  Hécate,  Érèbe,  et  loi  Chaos!... 

*  Unum  exuta  pedem  vinrlis.  (Virgile:] 
AWa  pedein,  midis  Imweits  infusa  rapillos,  (Ovide;) 
Canidiam,  pedibus  nudix,  p'asso  que  capillo   (Horace.) 
C'était  uue  partie  du  cérémonial  dam  les  sacrifices  aux  dieux,  lukinaus. 


ACTE  CINQUIEME.  S! 

D1D0N,  parlant  comme  en  songe. 
Plu  ton...  semble  mètre  propice... 
En  en  cruel  instant...  Narbal...  ma  sœur... 
C'en  es'  t'ait...  achevons  le  pieux  sacrifice... 
Je  sens  rentrer  le  calme...  dans  mon  cœur. 

(Deux  vôtres  portant  le  premier  autel  s'avacçeDt  de  gauche  à  droit  ', 
deux  autres  portant  le  second  s'avancent  de  droite  à  gauche  et  font  en 
se  croisant  ainsi  le  tour  du  bûcher.  —  Didon,  le  pied  gauche  nu,  les 
cheveux  épars,  après  avoir  déposé  sur  l'un  des  autels  sa  couronne  de 
feuillage,  le  suit  d'un  pas  saccadé.  Pendant  ce  mouvement  procession- 
nel, Anna  est  à  genoux  à  droite  de  la  scène  et  Narbal  à  gauche.  En  ire 
eux  le  grand-prèlre  de  Plutou,  debout,  étend,  en  la  tenant  des  deux 
mains,  la  fourche  plutonique  vers  le  bûcher.  Didon  enfin,  saisie  d'une 
énergie  convulsive,  monte  rapidement  *  les  degrés  du  bûcher.  Parve- 
nue au  sommet,  elle  saisit  la  toge  d'Enée,  détache  le  voile  brodé  d'or 
qui  couvre  sa  tête  et  les  jetant  l'une  et  l'autre  sur  le  bûcher,  elle  dit  :( 

D'un  malheureux  amour,  funesies  gages, 
Dans  la  flamme  emportez  avec  vous  mes  chagrins!... 
(Elle  considère  un  instant  les   armes  d'Énce...  se  prosterne  sur  le  lit 
qu'elle  embrasse  avec  des  sanglots  convulsifs...  et  prenant  l'épée  :) 
Mon  souvenir  vivra  parmi  les  âges*. 
Mon  peuple  accomplira  d'héroïques  destins. 

Un  jour  sur  la  terre  africaine, 
Il  naîtra  de  ma  cendre  un  glorieux  vengeur... 
J'entends  déjà  tonner  son  nom  vainqueur... 
Anniball  Anniball...  d'orgueil  mon  âme  est  pleine I 

Plus  de  souvenirs  amers  ! 
C'est  ainsi  qu'il  convient  de  descendre  aux  enfers! 

(Elle  lire  l'épée  du  fourreau,  se  frappe  et  tombe  sur  le  lit.) 
TOUS. 

Au  secours!...  au  secours!...  la  reine  s'est  frappée  ! 

CHOEUR,   derrière  la  scène  et  accourant. 

Quels  cris!  ah!  dans  son  sang  trempée, 
La  reine  meurt!...  esl-il  vrai?...  jour  d'horreur  !... 

(Les  femmes  de  la  reine,  les  officiers  du  palais  accourent.  Anna  s'élance 
sur  le  bûcher,  presse  convulsivement  sa  sœur  dans  ses  bras,  étauebe  U 
sang  de  sa  blessure.) 
DIDON,  se  relevant  appuyée  sur  son  coude  et  regardant  le  ciel. 

Ah! 

ANNA. 

Ma  sœur!... 

DIDON,  retombant. 
Ah!... 

*  Consceitdit  furibunda  tuijos   (Virgiie). 

**  Les  anciens  trovaieul  que  les  mourants,  quelque*  instants  avant  ieui 
nj'iii,  acquéraient  la  connaissance  de  i'aveuir. 


32  LES  TROYENS  A  CARTI1AGE 

ANNA. 

C'est  moi,  c'est  ta  sœur  qui  t'appellet... 

DIDON,  se  relevant  à  demi. 

Des  destins  ©Qnemis...  implacable  fureur  1... 
Carthage...  périra!...  Rome...  Rome.,,  immortelle! 

(Elle  meurt.  —  Anna  tombe  évanouie  à  côté  d'elle.  Au  moment  où  Didon 
s*écrie  :  Rome  t  apparaît  dans  une  gloire  lointaine,  au-dessus  du  bûcher, 
le  Capitole  romain  au  fronton  duquel  brille  ce  mot  :  Roina.  —  Devant 
le  Capitule  défilent  des  légions  et  nn  empereur  entouré  d'une  cour  de 
poètes  et  d'artistes.  Pendant  cette  apothéose,  invisible  aux  Carthaginois' 
on  entend  an  loin  la  marche  troyenne  transmise  aui  Romains  par  le 
tradition  et  devenue  leur  chant  de  triomphe.  En  même  temps,  à  l'avant* 
tcène,  le  peuple  de  Carthage  lance  son  imprécation,  premier  cri  da 
guerre  punique,  contrastant,  par  sa  fureur,  avec  la  solennité  de  la 
marche  triomphale.) 

CHOEUR,  pondant  l'apothéose. 

Au  pied  de  ce  bûcher  qu'arrose  un  sang  royal, 
Lions-nous  tous  par  un  serment  fatal  : 
Haine  éternelle  à  la  race  d'Énée  I 
Qu'une  guerre  acharnée 
Précipite  à  jamais  nos  fils  contre  ses  fils  t 
Que  par  nos  vaisseaux  assaillis 
Leurs  vaisseaux  dans  la  mer  profonde 
Périssent  abimés!  que  sur  la  terre  et  l'onde 
Nos  derniers  descendants,  contre  eux  toujours  armés, 
De  leur  massacre,  un  jour,  épouvantent  le  monde! 


FIN 


E.  GREVIN  —  IMPRIMERIE  DE  LAGNY  —  11634-11-21. 


CALMÀNX-LÉYY,    éditeurs,  3,  rue  Auber,  Paris. 


"Extrait  du    Catalogue 

de  la 

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Pierre  Loti 

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Le  Roman  d'un  Spahi. 

Histoire  Comique. 

La  Faustin. 

La  Fauve. 

La  Conquête  de  Plassans. 

Une  Passionnette. 

L'Affaire  Blaireau. 

Les  Sœurs  Vatard. 

La  Peur  de  l'Amour. 

Episcopo  et  Cu. 

Cœurs  meurtris. 

Cinq  Mars. 

L'Oiseau  d'orage 

Le  Dernier  amour. 

Les  Chouans. 

Leur  Beau  physique. 

La  Morte. 

Simples  Contes  des  Collines. 

Longues  et  Brèves. 

Les  Couches  profondes. 

Sainte-Marie-ies-Fleurs. 

La  Petite  Femme. 

Ma  Tante  Giron. 

Ce  bon  M.  de  Véragues. 

Le  Monarque.