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Full text of "Les œvvres et meslanges poétiques d'Estienne Iodelle, sievr dv Lymodin"

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g,  HUGO    PAUL   THIEA\E 

1914    —     lî)40 

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Cette  collection  a  été  tirée  à  2)0  exemplaires  numéiotés 
et  paraphés  par  l'éditeur. 

2)0  exemplaires  sur  papier  de  Hollande, 
i8         —         sur  papier  de  Chine, 
2  —  sur  vélin. 


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LES   ŒVVRES" 

et  Meslaoges  Poétiques 

D'ESTIENNE  lODELLE 

Avec  une  Notice  bîpgrapkique  et  des  Notes 
Ch.    MARTY-LAVEAUX 


PARIS 

ALPHONSE  LEMERRE,  ÉDITEUR 


NOTICE   BIOGRAPHIQUE 


ESTIENNE    JODELLE 


J  tTiBNifK  Jodelie,  issu  d'une  femiltc  noble,  et 
seigneur  de   la  terre   de  Lymodin ,    ainsi 

S  qu'il .    .    -    -. 


lême,  ou  plutôt  de  Limo- 
le   portent  les  titres  de  pro- 


priété ',  est  né  à  Paris  en  i532, 

A  en  croire  son  ami  Ronsard,  ce  ne  fut  pas  sans 
une  volonté  toute  spéciale  du  Destin  qu'il  vît  le  jour 
dans  cette  fille  ; 

Tu  ne  deuois,  lodelle,  en  autre  ville  naiftre 
Ql/'en  celle  de  Paris,  &  ne  deuois  auoir 
Autre  jleuue  que  Seine,  ou  des  Dieux  receuoir 
Autre  ejprit  que  le  tien  à  toute  chofe  adeftre'. 

1.  Canjet,  Bibliothèque  françoite.  t.  XII,  p.  167.—  Boillet, 
Jugement!  des  savantt,  augmentés  par  La  Monnofc,  toms  IV, 
p   43 1,  édition  da  1713. 

3.  Lei  Oetiurts  de  P.  de  Roafard.   Paris,  G.  Buon,   1584,  in- 

lodelle.-  I.  t 


NOTICE 


Nous  ne  savons  rien  de  ses  premières  années,  ni  de 
son  éducation.  Notons  seulement  que  Pasquier,  le  com- 
parant à  Ronsard  et  à  du  Bellay,  remarque  qu'il  n*a 
pas  «  mis  Tœil  aux  bons  liures  comme  les  deux 
autres  '.  » 

Néanmoins  il  s'adonna  de  fort  boryie  heure  à  la  poé- 
sie, «c  Dés  Tan  1549  —  dit  son  biographe  Charles  de 
la  Mothe  (c'est-à-dire  lorsqu'il  n'avait  encore  que  dix- 
sept  ans)  —  Ion  a  veu  de  luy  plufieurs  Sonnets,  Odes, 
&  Charontides  *.  9 

Ce  début  n'avait  rien  de  bien  remarquable  ;  mais  les 
amitiés  littéraires  que  le  jeune  auteur  avait  déjà  con- 
tractées, sa  grande  facilité  de  travail,  l'ardeur  singulière 
avec  laquelle  il  embrassait  toute  opinion  nouvelle ,  en 
faisaient  d*avance  un  soldat  de  la  brigade  dont  Ronsard 
allait  devenir  l'illustre  chef. 

Ce  n'était  pas  au  hasard,  ni  même  uniquement  d'a- 
près son  inspiration  personnelle,  que  chacun  des  poètes 
de  la  Pléiade  prenait  possession  d*uAe  partie  de  ce  vaste 
domaine  de  la  littérature  française  qu'ils  envahissaient 
en  commun.  Dès  le  début  de  leur  importante  campa- 
gne, Joachim  du  Bellay  avait  eu  soin,  dans  son  Illus- 
tration de  la  langue  fiançoifey  d'indiquer  quels  étaient 
les  postes  littéraires  déjà  glorieusement  occupés  et  ceux 
qui  restaient  encore  vacants.  Parmi  ces  derniers  se 
trouve  le  théâtre,  dont  il  parle  ainsi  à  la  fin  de  son 
4*  chapitre,  qui  a  pour  titre  :  Q^el^ç  genres  de  Poèmes 
doit  élire  le  Poète  François  :  «  Quand  aux  Comé- 
dies &  Tragédies,  fi  les  Roys  &  les  Republiques  les 
vouloint  reftituer  en  leur  ancienne  dignité,  qu'ont 
vfurpée  les  Farces  &  Moralitez,  ie  feroy'  bien  d'opinion 
que  tu  t'y  employafles,  &  fi  tu  le  veux  faire  pour  l'or- 


1.  Estienne  Pasquier,  Les  Recherches  de  la  France^  Laurens 
Sonnius,  i6ai,  in-fol.,  livre  VII,  p.  619 

2.  Voyez  ci-apràs,  page  5. 


.      SUR    ESTIENNE  JODELLE.  X] 

nement  de  ta  Langue,  tu  fcais  ou  tu  en  doibs  trouuer 
les  Archétypes  *.  » 

A  la  vérité ,  Charles  Fontaine ,  dans  sa  critique  de 
Vlîluftration  de  la  langue  françoife,  qui  a  pour  titre  : 
Le  Quintil  Horatian  *,  conteste  l'exactitude  des  asser- 
tions de  du  Bellay  :  a  De  Comédies  Françoyfes  en  Vers, 
certes  ie  n'en  fçay  point  ;  mais  des  Tragédies  affez,  &  de 
bonnes,  û  tu  les  fceufTes  congnoiflre,  fur  lefquelles  n'v- 
furpe  rien  la  farce,  ne  la  Moralité  (comme  tu  eftimes) 
ains  font  autres  Poèmes  à  part  '.  » 

Les  reproches  de  Charles  Fontaine  sont  loin  d*étre 
dénués  de  fondement  :  du  Bellay,  comme  tous  les  no- 
vateurs, méprise  ui?  peu  trop  ce  qui  a  été  fait  par  ceux 
qui  n'appartiennent  pas  à  sa  coterie.  U  a  tort  de  ne  pas 
accorder  au  moins  un  souvenir  aux  traductions  en  vers 
de  diverses  tragédies  grecques,  par  lesquelles  Lazare  de 
Ba!f,  père  de  Jean-Antoine,  Thomas  Sebilet  et  Guil- 
laume Bouchetel*  préludaient  déjà  à  la  restauration  du 
théâtre  antique;  ajoutons  que  Char^eç  Fontaine  lui- 
même  oublie  la  traductioh  ei>  vers  des  six  comédies  de 
Térence,  publiée  vers  1 5oo  ^,  et  la  version  poétique  de^: 
VAndrienne^  par  Bonaventure  des  Périers  •, 

Ces  ouvrages  n'étaient  au  r«ste  que  des  travaux  d'é<- 
rudition  uniquement  destinés  aux  lecteurs  studieux,  e^ 
que  nul  ne  songeait  à  produire  sur  la  scène.  Ronsard  le: 
premier  osa  y  porter  un  essai  de  ce  genre. 

Il  terminait  alors  ses  études,  sous  la  direction  de  pot 

1.  Œuures  françoifes  de  loachim  du  Bellay^  t  I  de  notre 
édition,  p.  40. 

2.  Ibidem,  note  i,  t.  1,  p.  475-476. 

3.  Ibidem,  note  45,  p.  483. 

4.  Le  premier  a  traduit  VÉlectre  de  Sophocle  et  VHécube  d'Eu- 
ripide; le  second,  VIphigénie  d'Euripide;  ie  troisième,  quelques 
pièces  du  même  poète. 

5.  Terence  en  français,  profe  &  rime,  A  Paris,  pour  Antoine 
Verard,  in-fol. 

6.  Première  comédie  de  Terence ^  appellee  VAndrie^  pul^liée  à 
Lyon,  1537,  in-S",  et,  dans  la  même  ville,  en  i555. 


Xlj  NOTICE 

rat,  au  collège  Coqueret,  rue  des  Sept- Voies.  L'admi- 
ration que  lui  inspira  le  théâtre  grec  «  Tincita  encor, 
outre  le  confeil  de  fon  Précepteur,  à  tourner  en  Fran- 
çois le  Plutus  d'Âriftophane,  &  le  faire  reprefenter  en 
public  au  Théâtre  de  Coqueret,  qui  fut  la  première  Co- 
médie Françoifeiouée  en  France  »  *. 

Mais  Ronsard,  qui  voulait  diriger  tous  ses  efforts  vers 
l'épopée  et  la  poésie  lyrique,  ne  poussa  pas  cette  ten- 
tative plus  loin;  et  Jodelle,  encouragé  par  un  de  ses 
amis,  Simon  TArcher,  put,  sans  avoir  à  craindre  un  si 
dangereux  rival,  se  consacrer  à  la  tftche  importante  de 
restaurer  le  théâtre  antique. 

Dans  un  sonnet  A  il/.  Symon  *,  Jodelle  constate  d'a- 
bord de  la  sorte  les  obligations  qu'il  a  contractées  en- 
vers lui  ; 

L^amitié  qui  me  lie  à  toy  dés  ma  ieunejfe, 
De  ma  Mu/e  (ô  Symon)  print  fon  fatal  lien  : 
Qfiand premier  des  François,  toym^ouurant  le  moyen^ 
Pempruntay  le  Cothurne,  &  le  Soc^  à  la  Grèce. 

Et  plus  tard,  après  la  mort  de  cet  ami,  il  consacre  A 
Vombre  de  M.  Simon  V Archer  *  xynt  pièce  où,  faisant  de 
faciles  allusions  au  nom  de  famille  de  celui  qu'il  pleure, 
il  précise  ainsi  la  nature  des  services  qu'il  en  a  reçus  : 

Aux  Mufespar  les  vers  de  VAfcrean  Poète, 
Vn  bel  arc  proprement  fe  voit  accommodé. 

Tu  peus  fuiuant  ton  nom  d^vn  tel  arc  eflre  archer, 
Mais  tu  n^cus  tel  plaifir  à  fi  bien  décocher, 
Comme  à  bien  adextrer  à  tel  arc  la  ieunejfe  : 

Qui  f  efforce  à  fen  rendre  à  cefie  heure  vn  loyer, 

1.  La  vie  de  Pierre  de  /îoi^arrf...,  par  Claude  Binet.  Voyez 
Le%  Oeuurei,..  Paris,  N.  Buon,  M.  DC.  XX 111,  in-fol.,  p.  1643. 

2.  T.  II,  page  178. 

3.  T.  II,  page  279. 


SUR    ESTIENNE    JODELLE.  Xll) 

Charles  de  la  Mothe  nous  fait  connaître  la  date  de 
l'entreprise  de  Jodelle  :  «  En  i552,  mit  en  auant,  &.  le 
premier  de  tous  les  François  donna  en  fa  langue  la 
Tragédie,  &  laComedie,  en  la  forme  ancienne  *.»Étienne 
Pasquier  entre  dans  d'assez  grands  détails  sur  les  pre- 
mières représentations  de  deux  des  principaux  ouvra- 
ges de  notre  poète. 

«  Quanta  la  Comédie  &  Tragédie — dit-il  —  nous  en 
deuons  le  premier  plant  à  Etienne  lodelle....  Il  fit  deux 
Tragédies,  la  Cleopatre^  &.  la  Didon,  &.  deux  Comédies, 
LaRencontrCf  &.  V  Eugène.  La  Rencontre*  Siinfi  appellee, 
parce  qu'au  grosdelameflange,touslesperfonnages  s'ef- 
toient  trouuez  pefle-mefle  cafuellement  dedans  vne  mai- 
fon,  fuzeau  qui  fut  fort  bien  parluy  demef  lé  par  lacloflure 
du  ieu.  Cefte  Comédie,  &  la  Cleopatre  furent  reprefen- 
tees  deuant  le  Roy  Henry  à  Paris  en  l'Hoftel  de  Reims, 
auec  vn  grand  applaudiffement  de  toute  la  compagnie  : 
Et  depuis  encore  au  Collège  de  Boncour,  où  toutes  les 
feneflres  eftoient  tapiCTees  d'vne  infinité  de  perfonnages 
d'honneur,  &  la  Cour  fi  pleine  d'efcoliérs  que  les  portes 
du  Collège  en  regorgeoient.  le  le  dis  comme  celuy  qui 
y  eilois  prefent,  auec  le  grand  Tornebus  en  vne  mefme 
chambre.  Et  les  entreparleurs  efloient  tous  hommes  de 
nom  :  Car  mefme  Remy  Belleau,  &  lean  de  la  Perufe, 
ioûoient  les  principaux  roulets.  Tant  eftoit  lors  en  ré- 
putation lodelle  enuers  eux  ',  » 

Nous  deuons  joindre  aux  spectateurs  de  distinction 
que  nous  connaissons  déjà  Jean  Vauquelin  de  la  Fres- 
naye,  qui  nous  apprend  qu'il  était  au  nombre  des  assis- 
tants et  revendique  pour  Baïf  l'honneur  d'avoir  choisi 
le  premier  le  sujet  tragique  traité  par  notre  poôte  : 

1.  Voyez  ci-après,  page  5. 

2.  Sur  cette  comédie  de  La  Rencontre,  voyez  ci-après,  p.  3i  i,  la 
fin  de  la  note  4. 

3.  Les  Recherches  de  la  France.  Paris,  Laurens  Sonnius,  1621, 
in-foUo,  livre  VII,  p.  617-618. 


:.î 


XIV  NOTICE 

lodelle,  moi  prefent,  fit  voir  fa  Cleopatre 
En  France  des  premiers  au  tragique  Théâtre , 
Encore  que  de  Baifvnfi  hraue  argument 
Entre  nous  eut  été  choifi  premièrement  *. 

Les  frères  Parfait  ont  supposé,  non  sans  vraisem- 
blance,  que  le  prologue  adressé  à  Henri  II  fut  récité 
par  Jodelle  lui-même  *.  Le  souverain  accueillit  favora- 
blement le  compliment  et  Pouvrage,  et,  d'après  le  té- 
moignage de  Brantôme,  «  donna  à  lodelle,  pour  la  tra- 
gédie qu'il  fit  de  Cleopatra ,  cinq  cens  efcus  de  fon 
efpargne,  outre  luy  fit  tout  plein  d'autres  grâces,  d'au- 
tant que  c'eftoit  chofe  nouuelle  &  très-belle  &  rare  *.  » 

M.  Philarète-Chasles  prétend,  dans  ses  Études  sur  le 
seizième  siècle  en  France*^  que  Jodelle,  après  avoir 
récité  le  prologue,  a  joué,  le  rôle  de  Cléopâtre,  et  que 
Ronsard  était  au  nombre  des  acteurs  ;  mais  la  source  à 
laquelle  ces  renseignements  ont  été  puisés  n'est  pas 
indiquée,  et  nous  n'avons  pu  la  découvrir. 

Il  est  facile  de  juger,  par  les  passages  des  auteurs 
contemporains  de  Jodelle  que  nous  venons  de  rappor- 
ter, de  l'étendue  et  de  l'importance  de  la  révolution 
littéraire  que  ce  poète  venait  d'entreprendre. 

Aux  mystères,  dont  les  sujets  étaient  tirés  de  la  reli- 
gion chrétienne,  il  substituait  la  tragédie,  fort  admirée 
des  savants ,  qui  toutefois  n'avaient  jamais  conçu  l'es- 
poir de  la  voir  revivre  devant  eux  sur  le  théâtre.  Ce 
brusque  changement  ne  satisfit  du  reste  que  la  popu- 
lation instruite  et  aristocratique,  c'est-à-dire  une  très- 


1.  Art  poétique^  livre  II,  p.  76. 

2.  Histoire  du  Théâtre  français,  tome  III,  p.  287. 

3.  Brantôme,  Œuvres^  tome  111,  p.  289,  édition  de  M.  L.  La- 
lanne.  Ce  passage  a  été  cité  à  tort  par  les  frères  Parfait  comme 
étant  dé  Pasquier.  Histoire  du  Théâtre  français,  tome  III, 
p.  279. 

4.  Page  i3o. 


SUR    ESTIBNNE    JODELLE.  f       XV 

faible  minorité;  les  simples,  qui  n'étaient  familiers  ni 
avec  ces  héros  de  l'antiquité,  ni  avec  leur  langage  fas- 
tueux,  préféraient  les  personnages  bibliques,  auxquels 
les  poètes  populaires  prêtaient  instinctivement  une 
bonhomie  e\  une  naïveté  qui  les  rendaient  intéressants 
et  intelligibles  pour  tous;  bien  plus,  quelques  audi- 
teurs, animés  d'un  zèle  qui  nous  paraît  aujourd'hui 
fort  irréfléchi,  croyaient  la  religion  intéressée  à  de  sem- 
blables spectacles  et  regardaient  l'introduction  des  su- 
jets païens  sur  le  théâtre  comme  une  sorte  d'impiété. 
La  comédie  antique  était  peut-être  plus  difficile  en- 
core à  faire  accepter  que  la  tragédie.  Ici  le  poète  avait 
à  la  fois  contre  lui  le  peuple ,  habitué  aux  farces  et  aux 
moralités,  et  les  savants,  qui,  pour  la  plupart  sé- 
duits par  la  pompe  de  la  tragédie,  méprisaient  la  fami- 
liarité des  pièces  comiques. 

Aucuns  auffi  de  fureur  plus  amis, 
Aiment  mieux  voir  Polydore  à  mort  mis, 
Hercule  au  feu,  Iphigene  à  Vautel, 
Et  Troye  àfac,  que  non  pas  vn  ieu  tel 
Q}ie  celuy  là  qu'ores  on  vous  apporte  *• 

C'est  dans  le  prologue  de  VEugène  que  Jodelle,  ve- 
nant ainsi  au-devant  des  objections  que  quelques-uns 
de  ses  amis  pourraient  lui  faire,  proteste  que 

Ne  dédaignant  le  plus  bas  populaire*^ 

il  veut  renouveler  le  théâtre  comique 

Sans  que  brouillant  auecques  nos  farceurs 
Lefainâ  ruijfeau  de  nos  plus  fainâes  Sœurs, 


1.  Voyez  ci-aprèt,  page  i3. 

2.  Ibidem, 


XV)  NOTICE 

On  moralife  vn  con/eil,  vn  efcrit, 
Vn  temps,  vn  toutj  vne  chair  y  vn  e/prit^ 
Et  tels  fatras,  dont  maint  &  maint  folaftre 
Fait  bienfouuent  P honneur  defon  théâtre*  . 

Ces  vers,  assez  obscurs,  il  faut  l'avouer,  sont  à  l'a- 
dresse des  Confrères  de  la  Passion,  qui,  depuis  Tarrét 
du  parlement  du  17  novembre  1548,  ne  pouvaient  plus 
foire  représenter  ni  les  mystères  sacrés,  ni  ceux  des 
saints  et  des  saintes,  mais  qui  composaient,  à  leur  dé- 
faut, des  moralités  avec  personnages  allégoriques,  tels 
que  le  Temps,  la  Chair ^  V Esprit,  etc.*.  Plusieurs  années 
après,  le  5  février  i558,  Jacques  Grevin  exprimait 
encore,  mais  beaucoup  plus  clairement,  les  mêmes 
idées  dans  l'«  auant-ieu  »  de  La  Treforiere  ,  qui 
explique  et  complète  le  prologue  de  V Eugène,  et  que 
les  frères  Parfait  en  ont  fort  à  propos  rapproché  '  : 

Nony  ce  n^efl  pas  de  nous  quHl  fault, 
Pour  accomplir  ceft  efchaffault, 
Attendre  les  farces  prifees 
Qu^on  a  toujiours  moralifees  : 
Car  ce  n'e/?  nojlre  intention 
De  méfier  la  religion 
Dans  lefubieâ  des  chofes  feinâes. 
Auffi  iamais  les  lettres  Saindes 
Ne  furent  données  de  DieUy 
Pour  en  foM-e  après  quelque  ieu. 


I.  Voyez  ci-après,  page  14. 

3.  Le  Temps  figure  dans  un  dialogue  moral  à  quatre  penoa- 
nagea,  de  Guillaume  des  Autels;  V  Esprit  tl  la  Chair  ^  dans  un 
autre  dialogue  moral  à  cinq  personnages,  du  même  auteur. 

3.  Histoire  du  Théâtre  français,  p.  229,  note  a. 


SUR    ESTIENNE  JODELLE.  XVlj 

N^attende!(  donc  en  ce  Théâtre 
Ne  farce ^  ne  moralité  : 
Mais  feulement  Vantiquité, 
Qui  d^vne  face  plus  hardie. 
Se  reprefente  en  Comédie^. 

La  hardiesse  de  Tessai  littéraire  de  Jodelle  Pavait 
obligé,  comme  nous  venons  de  le  voir,  à  veiller  lui- 
même  à  tous  les  détails  que  comportait  la  représenta- 
tion de  son  œuvre.  Ne  pouvant  avoir  recours  aux  Con- 
frères de  la  Passion,  dont  il  devenait  l'adversaire,  il 
s'était  vu  forcé  de  former  avec  ses  compagnons  une 
troupe  de  comédiens  improvisés.  De  plus,  il  lui  avait 
fallu  trouver  une  scène.  Il  eût  bien  souhaité  qu'elle  fût 
semblable  à  celles  de  l'antiquité,  ou  que  du  moins  elle 
en  rappelât  le  souvenir  par  sa  forme  *: 

Quant  au  théâtre^  encore  qu'ail  nefoit 
En  demi-rondf  comme  on  le  compajfoit, 
Et  qu^on  ne  H^ait  ordonné  de  la  forte 
Q}ie  Ion  faifoit,  il  faut  qu^on  lefupporte. 

Il  dut  se  contenter,  comme  nous  l'avons  vu,  des  cours 
des  hôtels  ou  des  collèges,  dont  les  fenêtres  servaient 
de  loges  aux  spectateurs  de  distinction.  Il  sentait  bien 
aussi  que  la  musique  n'avait  aucun  caractère  antique, 
et  il  s'en  excusait  du  moins  mal  qu'il  pouvait. 

Mefme  lefon  qui  les  aâesfepare, 
Comme  ie  croy,  vous  eufl  fémblé  barbare, 
Si  Ion  euft  eu  la  curiofiié 
De  remouller  du  tout  Vantiquité*. 

1.  Le  Théâtre  de  laques  Grevin.  A  Paris,  pour  Viocent  Serte- 
nas.  M.  D.LXI,  in-S",  p.  47-50. 

2.  Voyez  ci-après,  page  i3. 

3.  Ibidem. 

a" 


XVllj  NOTICK 


Ces  légère  défitutsde  couleur  locale  ne  nuisirent  en 
rien  au  succès.  Peu  après  l'éclatante  réussite  de  Cléo^ 
pdtre,  les  amis  de  Jodelle  se  réunirent  pour  célébrer 
son  triomphe  dans  une  fête  que  Balf  raconte  ainsi  : 

Quand  lodelle  bouillant  en  la  fieur  de  fon  âge 

Donnait  vn  grand  efpoir  d*vn  tout  diuin  courage. 

Apres  auoir  fait  voir  marchant  fur  Vechaufaut 

La  Royne  Cleopatre  enfler  vn  flile  haut, 

Nous  jeuneffe  d'alors  defirans  faire  croiftre 

Cet  efprit  que  voyons  fi  gaillard  aparoiflre, 

O  SADE,  en  imitant  les  vieux  Grecs  qui  donnoyent 

Aux  Tragiques  vn  bouc  dont  ils  les  guerdonnoyent , 

Nous  cherchâmes  vn  bouc  :  &fans  encourir  vice 

D'Idolâtres  damne^,  fans  faire  facriftce, 

(Ainfi  que  des  peruers  fcandaleux  enuieux 

Ont  mis  fus  contre  nous  pour  nous  rendre  odieux) 

Nous  menâmes  ce  bouc  à  la  barbe  dorée, 

Ce  bouc  aux  cors  dore:{,  la  befte  enlterree^ 

En  la  fale  où  le  Pœte  auffi  enlîerré, 

Portant  fon  jeune  front  de  lierre  entouré, 

Atendoit  la  brigade.  Et  luy  menans  la  befte, 

Pefle  méfie  courans  en  folennelle  fefte^ 

Moy  recitant  ces  vers,  luy  enfifmes  prefent  *. 

Après  ce  récit  commencent  les  dithyrambes,  dont 
certains  passages,  le  suivant  par  exemple,  présentent 
un  caractère  païen  assez  déterminé.  Tout  le  morceau 
est  en  l'honneur  du  c  Dieu  Bacchien  »,  que  Balf  cé- 
lèbre en  ces  termes  : 

C^eft  ce  doux  Dieu  qui  nous  pouffe 

1.  Dithyrambes  à  la  pompe  du  bouc  d'EJUenne  lodelle.  i553. 
Voyez  Euures  en  rime  de  lan  Antoine  de  Baîf,  fecretaire  de 
la  chambre  du  /^o^.  A  Paris,  Pour  Lucas  Breyer....  M.  D.  LXXIII, 
in-8*,  folio  i23. 


SUR    ESTIENNE  JODELLE.  XIX 

Efpris  de  fa  fureur  douce 
A  refufciter  le  joyeux  myjtere 
Defes  gayes  Orgies 
'  Par  Vignorance  abolies^ 
Qui  nous  pouffe  à  contrefaire 
{Crians  iach  ia  ha 
Euoé  iach  ia  ha) 
Ses  Satyres  antirfe^*. 

Plus  retenu,  Claude  Garnier,  annotateur  jde  Ronsarid, 
ne  songe  qu'à  atténuer  les  choses  et  à  leur  donner  une: 
apparence  toute  fortuite  : 

«  Âflez  ont  oûy  parler  du  vo3rage  dliercueil,  ou  de 
la  promenade,  &  comme  vne  infinité  de  ieunefife  (ad- 
donnée  à  faire  la  Cour  aux  Mufes...)  fe  mit  en  def- 
bauche  honnefte...  Ils  firent  là  banquet  par  ordre,  où 
Teflite  des  beaux  efprits  d'alors  eftoit;  &  principalement 
à  fin  de  contribuer  à  Pefioulflance  qu'ils  auoient  de  ce 
qu'Eflienne  lodelle  natif  de  Paris,  auoit  gaigné  l'hon- 
neur &  le  prix  de  la  Tragédie,  (car  c'eftoit  parauent 
que  Garnier  eufl  efcrit)  &  mérité  de  leur  main  le  Bouc 
d'argent...  Ils  firent  mille  gentilleffes,  maints  beaux 
vers,  tels  que  la  pièce  intitulée  aux  œuures  de  TAu- 
theur  Le  Voyage  d'Hercueil,  &  les  Dithyrambes  du 
mefme,  fi  l'on  veut,  où  pour  mieux  foUaflrer  ils  en- 
joliuerent  de  barbeaux,  de  coquelicos,  de  coquelourdes 
vn  Bouc  rencontré  dans  le  village  par  hazard,  lequel 
les  vns,  au  defceu  des  autres,  menèrent  de  force  par 
la  corne,  &.  le  prefenterent  dans  la  fale,  riant  à  gorge, 
ouuerte,  puis  on  le  chaCfa  *.  » 

1.  Ibidem,  folio.  124,  verso. 

2 .  Les  Oeuures  de  P.  de  Ronfard.  Paris,  N.  Boon,  M.  DCXXIIt, 
in-fol.,  p.  1384. 


XX  NOTICE 

D'après  cette  note,  Le  Voyage  d*Hercueil  et  les  Di^- 
thyrambes  n'auraient  été  composés  qu'après  les  suc- 
cès dramatiques  de  Jodelle;  mais,  bien  que  la  publica- 
tion du  Voyage  ait  été  faite  dans  les  Amours  de  Ron- 
sard en  i552\  année  de  la  représentation  des  pre- 
mières œuvres  dramatiques  de  Jodelle,  il  ne  faut  pas 
oublier  que  le  titre  complet  de  cette  pièce  est  :  Les  Bac- 
chanales ou  le  folatrijfime  voyage  d*Hercueil ,  près 
Paris,  dédié  à  la  ioyeufe  trouppe  de  fes  compaignons^ 
fait  Van  1549.  Si  nous  essayons  de  faire  remonter  jus- 
qu'à cette  date  son  début  au  théâtre,  le  fondateur  de 
notre  scène  classique  se  trouve  n'ayoir  que  dix-sept 
ans,  ce  qui  semble  peu  vraisemblable;  et  d'ailleurs , 
les  allusions  aux  événements  militaires  contemporains 
fixent  VEugène  en  i552  *, 

Ne  serait-il  donc  pas  possible  de  supposer  que  le  Fo- 
latrijfime  voyage  d'Hercueil  n'est  qu'une  promenade 
antérieure  au  succès  de  Jodelle?  Ce  qui  semble  auto- 
riser, cette  interprétation,  c'est  que  le  nom  de  Jodelle 
n'y  est  même  pas  prononcé,  et  que  les  excursions  de 
Ronsard  aux  environs  de  Paris  en  compagnie  de  ses 
amis  étaient  un  de  ses  plus  fréquents  divertissements, 
a  II  fe  deledoit  —  ditCIaude  Binet» — ou  à  Meudon,  Unt 
à  caufe  des  bois,  que  du  plaifant  regard  de  la  riuiere  de 
Seine,  ou  à  Genlllly,  Hercueil,  Saind  Clou,  &  Vanues, 
pour  l'agrcable  fraifcheur  du  ruifTeau  de  Biéure,  &  des 
fontaines  que  les  Mufes  ayment  naturellement.  » 

Cette  question  du  reste  est  assez  peu  importante 
pour  nous  en  ce  moment,  car  les  Dithyrambes^  publiés 
d'abord  en  i553  dans  le  Liuret  de  Folaftries^  à  lanot 
Parifien  (c'est-à-dire   à  Jean-Antoine  Baïf),  plus  quel" 


1.  A  la  page  214  de  cette  édition  des  Amours. 

2.  Voyez  ci-après,  p.  39  et  p.  3i  i,  note  4. 

3.  La  Vie  de  Ronfard Voyez  Les  Oeuures.  Paris,  N.  Buon, 

M.DC.XXIII,  in-fol.,p.  i665.  . 


SUR    ESTIENNE    JODELLE.  XXJ 

ques  Epigrammes  gi'ecs(  :  &  des  Dithyrambes  chantes^ 
au  Bouc  de  E.  lodelley  poète  tragicq,  à  Paris,  chez  la 
vcufue  Maurice  de  la  Porte,  in-8®;  réimprimés  sous  le 
même  titre  en  1584,  M^-12,  sans  nom  de  lieu,  et  re- 
produits parmi  les  Gayete:[  de  Ronsard  dans  ses 
Œuvres,  se  rapportent  seuls  au  sujet  qui  nous  occupe. 
Ils  fournissent  un  curieux  supplément  au  récit  de  la 
fête  et  une  liste  probablement  à  peu  près  conlîplète  de 
ceux  qui  y  assistaient  :  y 

Je  voy  d*vn  œil  affe^  trouble 

Vne  couple 
De  Satyres  cornus,  cheurepie^,  &  mïbeftes, 

Qui  fouftiennent  de  leurs  teftes 

Lesyures  coJie:[  de  Sylene, 


Mais  qui  font  ces  enthyrfe^, 
Heriffe\ 
De  cent  feuilles  de  lierre  . 
Qui  font  rebondir  la  terre 
De  leurs  piés^  &  de  la  tefie 
A  ce  Bouc  font  fi  grand  fefte, 
Chantant  tout  autour  de  luy 
Cefie  chanfon  brip-ennuy, 
lach^  ïachj  Euoé, 
.     Euoé,  tach,  iach? 

Tout  forcené  à  leur  bruit  ie  fremy  ; 

Ventreuoy  Baif  &  Rçmy, 
Colet,  lanuier,  &  Vergejfe,  &  le  Conte, 
Pafchal,  Muret,  &  Ronfard  qui  monte 
Deffus  le  Bouc  qui  de  fon  gré 
Marche,  affin  d'efire  facré 
Aux  pieds  immortels  de  lodelle, 
Bouc   le  feul  prix  de  fa  gloire  éternelle, 


XXlj  NOTICE 

Pour  auoir  (Vvne  poix  hardie 

Renouuellé  la  Tragédie, 
Et  déterré  /on  honneur  le  plus  beau, 
Q^i  vermoulu  gi/oit  fous  le  tombemêt*, 

M.  Prosper  Blanchemain ,  invoquant  le  témoignage 
de  Claude  Binet  *,  indique  comme  auteur  de  ces  X>f- 
thyrambes  BcTtrtind  Bergier%  que  nous  connaissons 
déjà  par  une  ode  de  du  Bellay^.  Nous  avons  vu  plus  haut 
que  Pierre  Garnier  les  attribue  à  Ronsard.  Il  est  certain 
du  moins  qu'il  supporta  seul  toute  la  responsabilité  de 
la  fête.  Jacques  Grevin,  y  faisant  allusion  dans  les  vert 
suivants,  transformait  une  plaisanterie  sans  impor- 
tance en  véritable  impiété  : 

Là  rendant  à  Bacchus  le  deu  de  ton  office  y 
D'vn  gros  bouc  tout  barbu  tu  feras  facrifice, 
Oii  tu  appelleras  auec  tes  allie^ 
Tous  tes  beaus  dieus  bouquins  &  tes  deus  cheurepieds  * . 

Cette  attaque  fournit  au  poète  l'occasion  de  reve- 
nir sur  le  récit  de  la  prétendue  cérémonie  qu'on  lui 
reprochait ,  d'en  faire  sentir  le  peu  d'importance,  d'en 
bien  préciser  le  motif  : 

Tu  dis,  en  vomijfant  defur  moy  ta  malice, 

Q}ie  Vax  /^'^  ^'^'*  grand  Bouc  à  Bacchus  facrifice  ; 

I.  Livret  de  folaftries^  édition  de  1584,  p.  43  et  suivantes. 
3.  La    Vie    de  P.   de  Ronsard,  Voyez  Les   Oeuures.  Paris, 
N.  Buon,  M.  DC.  XXIII,  in-fol.,  p.  1649. 

3.  Œuvres  complètes  de  P.  de  Ronsard^  tome  VI,  p.  377,  note  1. 

4.  Œuures  françoifes  de  loachim  du  Bellay ^  t.  I,  p  190,  et 
t.  II,  p.  37,  de  notre  édition. 

5.  Seconde  refponfe  de  F.  de  La  Baronie..,  Plus  le  Temple 
de  Ronfard  oit  la  Légende  de  fa  vie  efi  briefuement  defcrite. 
M.  D.  LUI,  in-4<*,  fol.  33,  verso. 


SUR    ESTIENNE    ^ODELLE.  XXiij 

Tu  mens  impudemment  ;  cinquante  gens  de  bien 
Qui  eftoient  au  banquet,  diront  quHl  n^en  eft  rien, 

t,....^,.^.,.., 

lodelle  ayant  gaigné  par  vne  voix  hardie 
L'honneur  que  Vhomme  Grec  donne  à  la  Tragédie, 
Pour  auoir  en  haujfant  le  bas  ftile  françois, 
Contenté  doâemént  les  oreilles  des  Rois: 
La  brigade  qui  lors  au  Ciel  leuoit  la  tefte 
(Quand  le  temps  permettoit  vne  licence  honnefte) 
Honorant  f on  efprit  gaillard  ^  bien  appris^ 
Luy  fit  prefent  d'vn  Bouc,  des  Tragiques  le  pris. 

la  la  nappe  eftoit  mife,  &  la  table  gc^rnie 
Se  bordoit' d^vne  fainâe  &  doâe  compagnie, 
Quand  deux  ou  trois  enfemble  en  riant  ont  pouffé 
Le  père  du  troupeau  à  long  poil  heriffé  : 
H  venoit  à  grands  pas  ayant  la  barbe  peinte, 
D^vn  chapelet  de  fleurs  la  tefte  il  auoit  ceinte, 
Le  bouquet  fur  V oreille,  &  bien  fier  fe  fentoit 
Dequoy  telle  ieuneffe  ainfi  le  prefentoit  : 
Puis  il  fut  reietté  pour  chofe  mefprifée, 
Apres  qu'il  eutferuy  d^vne  longue  rifée*. 

Ces  divers  extraits  nous  donnent,  je  crois,  une  idée 
juste  de  cet  innocent  divertissement,  que  les  ennemis 
de  Ronsard,  trop  aveuglément  suivis  par  la  plupart  des 
historiens  de  notre  littérature,  avaient  bien  à  tort  trans- 
formé en  un  véritable  sacrifice  païen. 

Cet  hommage  à  Jodelle  fut  comme  le  prélude  du 
jugement  unanime  de  ses  contemporains,  qui  le  décla- 


I.  Les  Oeuures  de  P,  de  Ronfard,  P&rïs,   G.  Buon,  i384i 
in-fol.f  p.  906. 


XXIV  NOTICE 


rèrent  d'un  commun  accord  le  fondateur   de   notre 
théâtre. 

Ronsard,  qui,  nous  l'avons  vu,  avait  fait  représenter 
sa  traduction  du  Plutus  d'Aristophane  quelques  années 
avant  l'apparition  des  premières  pièces  de  son  ami, 
n'hésite  pas  à  dire,  dans  une  épître  A  lean  de  la  Perufe  * 
où  il  vient  de  passer  en  revue  les  diverses  œuvres  ero- 
tiques contemporaines  : 

Apres  Amour  la  France  abandonna, 
Et  lors  lodelle  heureufement  fonna, 
D^vne  voix  humble,  &  d'vne  voix  hardie^ 
La  Comédie  auec  la  Tragédie^ 
Et  d^vn  ton  double,  ore  bas,  ore  haut, 
Remplift  premier  le  François  efchaufaut. 

Et  dans  un  Difcours  à  Jacques  Greuin  *  il  renouvelle  ' 
encore  d'une  manière  tout  aussi  formelle  la  même  dé- 
claration : 

lodelle  le  premier  d*vne  plainte  hardie, 
Françoi/ement  chanta  la  Grecque  Tragédie, 
Puis  en  changeant  de  ton,  chanta  deuant  nos  Rois 
La  ieune  Comédie  en  langage  François, 
Et  fi  bien  les  fonna  que  Sophocle  &  Menandre, 
Tant  fujfent'ilsfçauans,  y  euffent  peu  apprendre, 

Pasquier,  plaçant  Jodelle  de  pair  avec  ses  plus  émi- 
nents  rivaux,  fait  de  lui  cet  éloge,  qui  aujourd'hui  nous 
semble  excessif,  mais  qui  répond  bien  au  sentiment 
général  des  contemporains  : 

«  En  luy  y  auoit  vn  naturel  efmerueillable  :  Et  de 

1.  Le»  Oeuures.  Paris,  G.  Boon,  1684,  in-fol.,  p.  762. 

2.  Recueil    de$...   pièces    retranchées...    Paris,    N.   Baon, 
M.  DC.  XVII,  in- 12,  p.  346. 


SUR    ESTIENNE    JO^DELLE.  XXV 

faiâ  ceux  qDi  de  ce  temps  Ik  iugeolént  des  coups,  di- 
foieht  que  Ronfard  eftoif  le  premier  des  Poètes,  mais 
que  lodelle  en  eftoit  le  Daimon.  Rieh  ne  fembloit  luy 
eftre  impcffible,  où  il  employoit  fôn  efprit.  À  caufe  de- 
quoy  lacques  Tahureati  fe^ioûantfuc  l'Anagramm^i  de 
fon  nom  &  fumom,  fit  Vhe  Ode  dont  le  refrain  de 
chaque  couplet  eftoit,  .^.:. 

ïo  te  Delîen  €^  né, 

«  Et  du  Bellay  le  louant  comme  PoutrepalTe  des  au- 
tres au  fubie£t  de  la  Tragédie,  Comédie,  *&  des  Odes, 
luy  àddrefTa  vn  Sonnet  en  vers  rapportez,  dont  tes  ftx. 
derniers  eftoient  : 

Tant  quebruyrd  (Vvn  cours  impétueux, 
Tant  que  fuyra  cTv.npas  nonfluâueux, 
Tant  que  faudra  cTvne  veine  immàrtelle 

Le  vers  Tragic,  le  Comic,  te  Hàrpeur, 
Rauijfe,  coule,  &  viue  le  labeur 
Du  graue,  doux.,  &  copieux  lodelle^, 

«  Telle  edoit  Topinion  çoiifiniune,  voire  de  ceux  qui 
mettoient  la  main  à  la  plume,  comme  vous  voyez  par 
ce  Sonnet  :  Telle  eiloit  celle  mefme  de  lodelle  :  Il  me 
fouuient  que  le  goauernan^  vn  iour  entre  autres  fur 
fa  Ppéfie  (ainû  youloit-il  eftre  ctiatoûillé)  il  lifiy  aduint 
de  me  dire,  que  fi  vn  Ronfai*d  auoit  le,  deflus  d'vn  lo- 
delle le  m^tin,  rapresrdifn4e  lodelle  Pemporteroit  de 
Ronfarçl:  &  de  fait  il  fe  pleut  quelquesfoîs  î  le  vouloir 
contrecarrer  *.  » 


1.  Œuvra  françoifes  de  Toachim  du  Bellay  ^  tome  II,  p.  142, 
de  notre  édition. 

2.  Eftienne  Pafquier,Les  Recherchet^  de  la  France.  Paris,  Lau- 
rens  Sonnias,  i62i«in-fol.,  livre  VU,  p.  6ig. 

lodelle,  —  I.  b 


XXVJ  NOTICR 

Comme  exemple  de  cet  luttes  littérairet,  Patquier 
rappelle  let  chantons  que  Jodelle  •  imitet  en  réponse  à 
celles  de  Ronsard,  et  où  il  a  finement  combattu  les 
opinions  de  son  illustre  rival  *• 

Jodelle^  comme  on  le  voit  par  les  passages  qui  pré* 
cèdent,  devint  sur-le-champ  aussi  célèbre  que  des 
poètes  qui  lui  étaient  en  réalité  fort  supérieurs,  et  qui, 
par  esprit  de  camaraderie,  et  aussi  à  cause  du  prestige 
qui  s'attache  toujours  aux  succès  remportés  au  théâtre, 
chantèrent  ses  louanges  d*un  commun  accord  et  van- 
tèrent à  régal  d*une  création  véritable  l'application  à 
Part  dramatique  en  particulier  du  système  général  de 
restauration  païenne  que  la  Pléiade  avait  mis  en  hon- 
neur. 

Apprécié  dignement,  et  même  au-dessus  de  sa  vm- 
leur,  par  les  gens  de  lettres,  privilège  assez  rare,  Jodelle 
ÎULi  fovorablement  accueilli  à  la  cour ,  ce  qui  était 
certes  plus  aisé.  «  Charles  Cardinal  de  Lorraine  le  fit 
premièrement  cognoiftre  au  Roy  Henry  :  la  Duchefle  de 
Sauoye  fœur  de  ce  Roy,  &  le  duc  de  Nemours,  fur  tous 
le  fauoriferent  grandement.  »  —  «  Charles  archeuefque 
de  Dol,  de  Filluftre  maifon  d*Efpinay .*....  a  fait  toufiours 
cas  des  Poëfies  de  cet  autheur,  iufqu*à  faire  quelques- 
fois  reprefenter  fomptueufcment  aucunes  de  ses  Tra- 
gédies *.  » 

Les  succès  de  i552  lui  valurent  cette  réputation  et 
cette  faveur,  qui  s^accrurent  pendant  de  longues  an- 
nées, mais  qui,  en  réalité,  tirent  de  là  leur  origine. 

Depuis  i552  iusqu*en  i558,  notre  poète,  en  proie  à 
la  plus  incurable  vanité,  dévoré  d'ambition  et  gâté  par 
les  éloges  de  ses  contemporains,  ne  rencontre  plus 
d'occasions  aussi  favorables  de  mettre  ses  œuvres  au 
jour;  mais  les  termes  mêmes  dans  lesquels  il  se  plaint 


1.  Voyez  tome  II,  p.  43  et  65  de  notre  édition. 

2.  Voyez  ci-aprèt,  pages  6  et  8. 


SUR    ESTIENNE    JODELLE.  XXVlj 

du  sort  font  bien  comprendre  que  son  peu  de  persévé- 
rance, sa  mollesse  et  surtout  son  caractère  ombrageux, 
étaient  les  plus  sérieux  obstacles  qui  venaient  contra- 
rier ses  desseins. 

«  Quand  aus letres— écrit-il  en  i558 — ^qu'eft  ce 

que  i'ay  iamais  voulu  faire  voir  de  moy,  qu'vn  affaire, 
vne  maladie,  vue  débauche  d'amis,  vn  defieiult  ou  vno 
perte  d'occaûon,  vne  entreprife  nouuelle,  ou  ce  qui 
eft  le  pire  de  tous,  vn^enuie  n'ait  empefché  d'eftre 
veu*?  » 

Les  circonstances  politiques  créaient  alors  à  la  litté-; 
rature  des  difficultés  plus  réelles,  et  que  Jodelle  est 
beaucoup  mieux  fondé  à  déplorer  : 

«  Pauois —  dit-il  à  la  même  époque  —  &  des  Tragédies 
&  des  Comédies,  les  vnes  acheuées,  les  autres  pendues 
au  croc,  dont  la  plus  part  m'auoit  efté  commandée  par 
la  Royne  &  par  Madame  feur  du  Roy,  fans  que  left 
troubles  du  tens  euffent  encore  permis  d^en  voir  rien^ 
&.  .....i'attendois  touiours  vne  meilleure  occafion  que 

n'eft  ce  tens  tumultueus  &  miferable  pour  les  f^ire; 
mètre  fur  le  théâtre  *.  » 

Du  reste,  sa  vanité  ne  se  bornait  pas,  comqxe  celle 
de  Ronsard  ou  de  Joachim  du  Bellay,  aux  choses  de  sa 
profession.  Il  songeait  à  devenir  un  grand  capitaine,  à 
entreprendre  de  longs  voyages,  à  remplir  un  rôle  poli- 
tique; mais  on  comprend  que  les  hésitations  et  les  dé- 
faillances qui  s'opposaient  au  succès  de  ses  entréprises 
littéraires  aient  redoublé  lorsqu'il  fut  question  d'exé- 
cuter des  projets  aventureux,  mal  concertés,  et  aux- 
quels sa  vie  antérieure  ne  l'avait  nullement  préparé. 
U  en  fait  lui-même  en  ces  termes  l'aveu  naïf  : 

«  Quand  aus  armes  ou  i'ay  toujours  fenti  ma  nature 

1.  Voyez  ci-après,  page  257. 

2.  Voyez  ci-après,  page  340. 


XZVllj  NOTICR 


ailés  endine;  en  quel  camp^,  eo  quel  volage  n'ajr-^ 
▼oulu  aller,  &  quels  apreils  di  quelles  pourfuitea  a^y- 
ie  tâché  de  faire?  Mais  touûours  ou  quelque  autr«  ma» 
ladie  ou  le  deffaut  prefent  du  moyen  qui  ne  pevt  ac- 
corder auecque  la  grandeur  d'rn  bon  coeur,  ou  le  àélmy 
de  iour  en  iour,  ou  quelques  autres  incommodîii» 
m*ont  tellement  retenu,  qu'il  femble  que  ces  mallieiiffs 
me  feruans  de  fers,  ma  ville,  qui  m'eft  malheureulb 
le  pofiible,  me  doiue  feruir  d'éternelle  prifon.  Qtuittd 
aus  affaires,  encores  que  ie  n'i  fois  ni  fait  ni  noorri, 
aufquels  pour  le  moins  n'eftois-ie  point  né  ?  Mais  tant 
fen  fiiut,  comme  me  reprochent  plufieurs,  que  îc  !•• 
fuye,  qu'ils  m'ont  de  tout  tens  fui,  fans  qu'il  y  ait  en 
rien  qui  m'en  ait  rendu  incapable  que  le  trop  de  mal* 
heur,  ou  ie  trop  de  capacité,  defquels  l'vn  m'a  peu  ap«> 
porter  les  haines  &  les  enuies,  6i  l'autre  la  prefumptioa 
&  fiance  de  moytnefme,  qui  deplaifent  merueillenfe* 
ment  aus  grands  '.  » 

Après  nous  avoir  ainsi  raconté  en  prose  le  motif  da 
son  peu  de  succès,  Jodelle  y  revient  en  vers,  preaqua 
dans  les  mêmes  termes  : 

Tu  fçais  que  fi  ie  veus  emhraffer  mefmement 
Les  affaires f  Vkonneur^  les  guerres,  les  voyages. 
Mon  mérite  toutfeul  me  fert  (Vempefchement  *. 

Ainsi,  voilà  qui  est  bien  convenu,  c'est  «  le  trop  de 
capacité  »  de  Jodelle,  c'est  son  «  mérite  »  qui  lui  nui- 
sent  ;  n'oublions  pas  cependant  ce  à  quoi  il  s'arrête  le 
moins,  sa  «  prefumption  &  fiance  de  luy  mefme  ». 

Il  est  évident  d'ailleurs  qu'il  ne  savait  pas  bien  exacte- 
ment quel  était  le  but  réel  de  ses  vag^s  aspirations.  Il 

1.  Voyez  ci-après,  pages  25;,  258. 

2.  Voyez  ci-après,  page  280. 


SUR    ESTIENNE   JODELLE.  XXIX 

désirait  fort  combattre  dans  un  temps  où  les  occasions 
ne  manquaient  certes  pas,  et  cependant  nous  n'appre- 
nons rien,  ni  par  lui,  ni  par  ses  contemporains,  au  su- 
jet de  ses  campagnes;  il  souhaitait  voyager,  et  c'est  à 
pdine  si  Ton  peut  conjecturer,  d'après  uh  passage  d'un 
de  ses  sonnets,  que,  dans  sa  jeunesse,  il  a  traversé  les 
Alpes  *  ;  il  voulait  prendre  part  aux  affaires  publiques, 
et  il  ne  s'en  est  jamais  mêlé  qu'en  donnant  aux  souve-^ 
rains,  dans  ses  vers,  quelques-uns  de  ces  conseils  gé* 
néraux  de  sagesse  et  de  prudence  dont  les  poètes  n'ont 
en  aucun  temps  laissé  manquer  les  rois.. 

Là  ne  se  bornaient  pas  les  prétentions  de  Jodelle  ; 
il  se  sentait  également  propre  à  tout,  et  il  était  parvenu 
à  faire  partager  son  opinion  à  un  bon  nombre  de  ses 
contemporains.  Charles  de  la  Mothe  nous  le  donne  pour 
«  grand  Architecte,  trefdoéle  en  la  Peinture,  &  Sculp- 
ture,  trefeloquent  en  fon  parler  •  ».  Noiis  allons  te 
voir  cependant  se  tirer  fort  mal  d'une  tentative  dans 
laquelle  ces  diverses  qualités  lui  eussent  été  d'un  fort 
grand  secours. 

En  i558,après  la  prise  de  Calais  par  le  duc  de  Guise, 
qui  avait  causé  le  plus  vif  enthousiasme,  après  la  réu- 
nion des  États  généraux,  qui  offrirent  avec  empressement 
à  Henri  If  tout  l'argent  dont  il  pouvait  avoir  besoin, 
ce  prince  «  s'auifa  de  mander  au  Preuoft  des  mar- 
chants &.  Efchèuins  de  Paris  qu'il  iroit  fouper  en  leur 
maifon  de  Ville  le  leudi  gras  enfuiuant  •  »,  c'est-à-dire 
le  17  février. 

Quatre  jours  seulement  avalit  la  date  fixée,  Jodelle 
fut  prié  de  faire  réciter  devant  le  Roi  quelque  tragé- 
die ou  comédie;  mais  il  refusa  de  le  faire,  «  adiouftant 
—  ainsi  qu'il  a  pris  grand  soin  de  nous  le  raconter  —  ce 
petit  mot  affés  poétiquement  dit,  que  cefte  année  la 

I.  Voyez  tome  II,  page  6  de  uotre  édition. 
3.  Voyez  ci-après,  pages  7  et  8. 
3.  Page  238. 


s. 


XXXlj  NOTICE 

let  rires  de  la  Cour  en  voyant  Orphée  suivi,  noa  de 
rochers,  mais  de  clochers  qu'une  incroyable  méprise 
du  décorateur  y  avait  substitués  *.  Quant  à  Jodelle,  il 
exprime  ainsi,  avec  Temphase  poétique  qui  lui  cat  ha* 
bituelle,  la  douloureuse  stupéfaction  dans  laquella  le 

jetèrent  de  si  tristes  mésaventures  :  «  Moymefrae 

demeuray  quafi  tout  tel  (fMl  faut  qu'ainfi  ie  parle)  que 
û  la  Minerue  qui  marchoit  deuant  moy  m*euft  trana» 
formé  en  pierre  par  le  regard  de  fa  Medufe  ••  » 

Quand  cette  mascarade  eut  été  achevée,  «  tellement 
quellement  *  »,  suivant  Texpression  de  Jodelle,  il  ea 
fit  entrer  une  autre  qui  ne  parlait  pas  et  dont  let  per- 
sonnages étaient  la  Vertu,  la  Victoire  et  la  déesse  Mné- 
mosyne. 

Jodelle  aurait  voulu  qu'elles  fussent  accompagaëee 
de  trois  enfants  nus,  représentant  les  Amours  ou  les 
Jeux,  et  que  la  Vertu  prit  dans  une  corbeille  portée  par 
un  de  ces  enfants  des  couronnes  accompagnées  chacune 
d'un  distique  en  l'honneur  de  la  personne  à  qui  elle  devrait 
être  offerte;  mais  là  encore  l'exécution  répondit  impar- 
faiitement  au  projet  :  les  Parisiens  n'envoyèrent  point 
leurs  enfiints  tout  nus  à  l'hôtel  de  ville,  ainsi  que  les 
avait  demandés  Jodelle;  ils  étaient  même  à  peine  dé- 
guisés, et  il  devint  impossible  de  leur  adapter  des  ailes 
et  de  leur  mettre  les  trousses  et  carquois  préparés  pour 
eux;  de  toutes  les  couronnes,  une  seule  était  prête  : 
celle  qui  avait  été  destinée  au  Roi;  aucune  des  autres 
personnes  n'en  eut,  et  la  duchesse  de  Valentinois  ne 
se  vit  pas  couronner  par  la  Vertu,  ainsi  qu'elle  devait 
l'être  suivant  ie  programme  de  la  fête. 

Ce  «  defaflre  *  »,  encore  exagéré  par  les  adversaires 
de  Jodelle,  lui  causa  un  chagrin  si  vif  qu'à  l'en  croire, 

1.  Voyez  ci-après,  page  269. 

2.  Voyez  ci-après,  pages  241  et  242. 

3.  Voyez  ci-après,  page  273. 

4.  Voyez  ci-aprèSf  page  23 1. 


SUR    ESTIBNNE    JODELLE.  XXXiij 

peu  s'en  fallut  quUi  ne  jetât  pour  jamais  au  feu  livres, 
papiers  et  plumes;  sa  santé  en  fut  altérée,  et  il  de- 
meura «  quelques  îours  malade  dVne  fieure  tierce  *  », 
Enfin,  accablé  de  douleur,  il  quitta  pour  un  certain 
temps  la  Cour,  comme  il  nous  le  raconte  dans  une  élé- 
gie où  il  compare  son  absence  à  Pexil  d'Ovide  *. 

Peu.  à  peu  cependant  le  poète  revint  à  ses  occupa- 
tions et  à  ses  habitudes;  si  bien  qu'après  avoir  été  sur 
le  point  de  ne  plus  écrire,  il  se  mit  en  devoir  de  pu- 
blier les  inscriptions  qu'il  avait  faites  pour  l'entrée  du 
Roi,  les  vers  de  la  mascarade  des  Argonautes  et  un  ré- 
cit apologétique  de  sa  mésaventure;  et  les  fit  paraître  en 
un  petit  Recueil  *  après  les  fêtes  de  Pâques,  lorsque  la 
Cour,  qui  avait  été  séjourner  à  Fontainebleau,  fut  de 
retour  à  Paris. 

Bien  que  Jodelle  nous  affirme,  dans  cet  ouvrage, 
qu'il  se  «  commande  la  modeftie  plus  que  iamais  *  », 
il  ne  songe  pas  un  instant  à  s'accuser  des  torts  très- 
réels  qu'il  avait  eus  et  qui  ressortent  si  bien  de  son 
récit  même  ;  d'après  lui,  le  sort  est  cause  de  tout  : 
«  Tay —  dit-il —  toufiours  eu  ce  mefchantheur  de  faire 
les  chofes  auffi  facilement  &  auffi  bien,  comme  ie  les 
fay  malheureufement  '^,  » 

Cet  opuscule,  dédié  par  Jodelle  âfes  amis,  deve- 
nus, dit-il,  beaucoup  moins  nombreux  à  cause  de  sa 
mésaventure  *,  est  extrêmement  précieux  pour  sa  bio- 
graphie :  il  y  étale  très-naïvement  son  caractère  et  s'y 
montre,  sans  en  avoir  conscience,  sous  des  aspects  qui 
sont  loin  parfois  de  lui  être  favorables;  c'est  là  pro- 
bablement ce  qui  a  déterminé  Charles  de  la  Mothe, 


I.  Voyez  ci-après,  page  234. 
3.  Voyez  ci-après,  page  317. 

3.  Voyez  ci-après,  page  229-381. 

4.  Voyez  ci-après,  page  367. 

5.  Voyez  ci-après,  page  235. 

6.  Voyez  ci-après,  page  23 1. 


XXXIV  NOTICE 

premier  6iiteur  des  œuvres  de  Jodelle,  fort  ialouz  dm 
ta  gloire,  à  retrancher  toute  cette  apologie,  pour  ne 
laisser  subsister  que  les  vers  de  la  mascarade  des  Argo- 
nautes. Quant  à  nous,  dont  le  point  de  vue  est  natu* 
rellement  tout  autre,  nous  avons  réimprimé  ce  liTret 
dans  notre  édition;  et,  quoiqu'il  nous  ait  fourni  d'a- 
bondants matériaux  pour  la  présente  notice^  noua  ne 
saurions  engager  trop  vivement  ceux  qui  veulent  biea 
connaître  Jodelle  et  Tapprécier  en  pleine  connaissance 
de  cause,  à  lire  en  entier  ce  curieux  morceau;  c'est  là 
qvie  se  révèle  le  mieux  son  caractère  fontasque,  à  le 
fois  intraitable  et  flatteur,  allier  et  courtisan  ;  on  y  voit 
paraître  à  plein  sa  vanité,  son  outrecuidance,  indiquéee 
trop  sobrement  et  ainsi  déguisées  sous  de  spécieusee 
couleurs  dans  la  bienveillante  biographie  que  lui  a  con- 
sacrée Charles  de  Ik  Mothe  :   «  mefprifant  philofophi- 
quement  toutes  chofes  externes ,  ne  fut  cogneu ,  re- 
cherché, ny  aimé  que  maugré  luy  *.  »  Jodelle  n'était  pan 
si  sauvage  :  il  souhaitait  avec  une  grande  bonne  foi  un 
prince  qui  le  rétribuât  grassement  et  qui,  satisfait  de 
recevoir  en  échange  de   ses  bienfaits  une   immortalité 
assurée,  consentît  volontiers  à  supporter  les  conseils, 
les  critiques,  et   m£me  les  reproches.  Ronsard,  qu'il 
avait  fini  par  associer  à  ses  plaintes  continuelles  sur  le 
peu  de  générosité  du  Roi  à  son  égard,  disait  en  i  }6o  : 

Vn  feul  bien  ta  vertu  fi  iuftement  demande  : 
Oeftque  noftre  grand  Prince  ignorant  ta  grandeur ^ 
Ne  Je  monftre  affe\  grand  à  ta  Mufe  fi  grande*» 

L'avènement  de  Charles  IX  lui  fit  espérer  qu'il  avait 
enfin  trouvé  ce  qu'il  cherchait.  Sous  ce  règne  il  rem- 
plit avec  une  grande  activité  les  fonctions  de  poète  of- 

I.  Page  8. 

3.  Les  Oeuuresde  P,  de  Ron/ard.  Pskris,  G,  Buon,  1^84,  in-tol., 
p.  23o. 


SUR    ESTIENNE    JODELLE.  XXXV 

ficiel,  célébrant  les  victoires  *,  faisant  des  divertisse- 
ments pour  les  mariages*,  pleurant  les  morts  ',  chan- 
tant les  naissances  *,  flattant  les  goûts  du  Roi,  dans 
une  Ode  de  la  chaffe  extrêmement  développée  *,  et 
cherchant  à  utiliser  ses  talents  d'architecte  en  discou- 
rant «  d'un  baftiment  *  »  avec  Charles  IX,  ou  en  ima- 
ginant pour  Catherine  de  Médicis  quelque  belle  struc- 
ture '• 

11  rédigea  les  inscriptions  destinées  à  un  petit  mQ« 
nument    connu  sous  le  nom  de   Croix  de  Gaftines:^ 
dont  l'auteur  des  Mémoires  de  VEftat  de  la  France- 
fous  Charles  neufiefme  nous  raconte  ainsi  l'histoire  ^  :• 
M  L'an  mil  cinq  cens  foixante  neuf,  pendant  la  plus 
grande  fureur  des  troifiefmes  troubles,  le  Parlement 
de  Paris  fit  pendre  &  eftrangler  Nicolas  Croquet ,  Phi- 
lippes  &  Richard  de  Gaflines,  marchans  honorables  : 
pour  autant  qu'ils  eftoyent  de  la  Religion.  Entre  autres 
chofes  contenues  en  leur  arreft,  qui  fut  prQpojicé  & 
exécuté  le  dernier  de  luin  audit  an  iSôg,  ce  qui  f 'en- 
fuit doit  eftre  noté  pour  le  difcours  fuyuant,  Ladite 
Cour  (de  Parlement)  a  ordonné   &  ordonne,  quç  la, 
maifon  des  cinq  croix  blanches  appartenant  aufdits  de^ 
Gaftines,   affize  en  rue  Sain^  Denis,  en  laquelle  les 
prefches  aflemblees  &  Cènes  ont  efté  £eiites,  fera  rompue, 
démolie  &  rafée  par  les  charpentiers  maifons,  &  gens  à 
ce  conoifTans  dont  la  Cour  conuiendra.  Et  cependant  a 
ladite  Cour  ordonné  &  ordonne  que  le  bois  &  ferrures 
de  fer  qui  prouiendront  de  la  démolition  de  ladite  mai- 
fon, feront  vendus,  &  les  deniers  qui  en  prouiendront 

I.  Tome  11,  p.  129-155. 
3.  Tome  II,  p.  111-129. 

3.  Tome  II,  p.  157-160. 

4.  Tome  II,  p.  165-170. 

5.  Tome  II,  p.  297-321. 

6.  Tome  II,  p.  129. 

7.  Tome  11,  p.  160,  161,  et  p.  363,  note  39. 

8.  Fol.  63,  recto. 


XXXVJ  NOTICE 


feront  conuertiz  6i  employez  à  faire  dire  vne  croix  de 
pierre  de  taille  :  au-delTous  de  laquelle  fera  mit  vn  ta* 
bleau  de  cuyure,  auquel  fera  efcrit  en  lettres  grauees, 
les  caufes  pour  lefquelles  ladite  maifon  a  elle  ainfi  dé- 
molie &  rafee  ....  A  Tendroit  d^icelle  les  Pariûene 
auoyent  fait  efleuer  vne  haute  pyramide  de  pierre, 
ayant  vn  crucefix  au  fommet,  dorée  &  diaprée,  auec  vn 
récit  en  lettre  d*or  fur  le  milieu,  de  ce  que  deCTus,  & 
des  vers  Latins,  le  tout  ù  confufement  &  obliquement 
déduit,  que  plufieurs  ellimoyent  que  le  compofeur  de 
ces  vers  &  infcriptions  (on  dit  que  c'edoit  Eftienne 
lodeiie,  Poète  François,  homme  fans  religion ,  &  qui 
n*eut  onc  autre  Dieu  que  le  ventre)  s*eiloit  mocqué  des 
Catholiques  &  des  Huguenots.  » 

D'après  TEstoile  %  «  lodelle  prefenta  au  Roy  les 
defleins  pour  la  croix  de  Gaftine,  de  Tinuention  du- 
dit  Ed.  lodelle,  qui  n'eurent  point  d'etfeét;  d'autant 
que  par  la  paix  faite  Tan  d'après,  1570,  il  fut  dit  que 
ladite  croix  feroit  oflée.  n  Mais  le  témoignage  de  Pau- 
teur  des  Mémoires  de  VEftat  de  la  France  semble 
prouver  qu'avant  l'enlèvement  de  la  croix  les  inscri|>* 
tions  avaient  été  placées. 

Voici  la  pièce  française  destinée  à  ce  monument  par 
Jodelle.  Elle  a  été  publiée  par  M.  Tricotel,  depuis 
l^chèyement  de  notre  édition  : 

AVX     PASSANTS 

Chrift,  VaigneaUy  le  Lion,  par  humhleffe  &  viâoire 
Viâime  au  lieu  d*Ifaac,  &  de  luda  la  gloire. 
Doux  S  fort  f  du  me/pris  defes  Loix  &  du  tort 
Fait  à  fes  lieux  facre:(,  nous  doit  punir  plus  fort 


I.  Mémoires  et  Journal  de  Pierre  de  FEJloile,  collection  Mi- 
chaud  et  Poujoulat,  2«  série,  tome  I,  édition  Cbampolllou-Figeac 
çt  Aimé  ChampolUon,  p.  23. 


SUR    ESTIENNE    JODELLE.      .      XXXVlj 

Que  ceux  qu'ici  naures^  deferpens  on  contemple ^ 
Que  ceux  qui  prof anoyent  lesfaints  vaiffeaux  du  temple^ 
Que  ceux  que  pour  blafpheme  vn  peuple  lapidoit, 
Que  ceux  fur  qui  le  Ciel  fes  feux  vengeurs  dardoit, 
Car  Vire  &  Veffeâ  fuit  la  doulceur  &  V exemple*. 

L^eiuteur  des  Mémoires  de  VEftat  de  la  France,  pro- 
testant fort  zélé ,  maltraite  d'autant  plus  Jodelle  qu'il 
le  regai'de  comme  un  apostat. 

Après  avoir  poursuivi  de  ses  invectives  plusieurs 
poètes  de  la  Pléiade  qui  avaient  approuvé  le  massacre 
de  la  Saint- Barthélémy,  il  mentionne  *  : 

«  Eflienne  lodelle  Parifien ,  auffi  poète  François  (qui 
a  autresfois  demeuré  à  Geneue,  faifant  profefïion  de 
la  Religion,  où  il  fit  en  vne  nui£t  entre  autres,  cent 
vers  latins,  efquels  il  defchifroit  la  melTe,  auec  des  bro- 
cards conuenables  ')  publia  trente  fix  fonnets  contre  les 
Miniitres  *,  aufquels  il  impute  la  caufe  de  tous  les 
maux.  On  dit  que  pour  ces  fonnets  il  eut  bonne  fomme 
d'efcus.» 

L'Estoile  semble  lui  attribuer  aussi  d'autres  écrit», 


1.  Vers  inédits  de  Jodelle.  (Bulletin  du  Bibliophile,  septembre- 
octobre  1870-1871,  pages  424-432.)  Cet  article  contient,  outre  la 
pièce  que  nous  reproduisons,  diverses  poésies  attribuées  à  Jodelle  : 
I»  L'Ombre  au  Pajfant^fur  le  tumbeau  de  lean  Brinon.  2»  Une 
Epigramme  et  un  Sonnet  dirigés  contre  Théodore  de  Bèzt.  3* 
Trois  Sonnets  affiche^  en  plujieurs  endroits  de  Paris  le  ieudi 
28«  aoujl  1572,  à  la  fin  desquels  on  lit  :  «  Eft.  lodelle,  tenu  pour 
auéleur.  »  Nous  reviendrons  sur  ces  opuscules  dans  notre  Supplé- 
ment général.  Quant  aux  vers  que  nous  donnons,  M.  Tricotel  les 
a  tirés  d'un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale  (n»  io3o4, 
fonds  français,  p.  211),  sur  lequd  nous  les  avons  collationnés  de 
nouveau.  / 

2.  Fol:  278,  verso. 

3.  Voyez  t.  II,  p.  339,  ^^  1^  présente  édition,  un  sonnet  du 
même  genre,  également  attribué  à  Jodelle  par  un  réformé. 

4.  Voyez  t.  Il,  p  i33-i5i,  et  les  Sonnets  publiés  par  M.  Tri- 
cotei,*et  indiqués  dans  la  pote  i  ci-dessus. 


XXXVUJ  NOTICE 

OÙ  let  mêmes  opinions  étaient  exprimées  avec  encore 
plus  de  TÎolence  : 

fl  A  la  Saint-Barthelemy,  il  fut  corrompu  par  argent 
pour  efcrire  contre  le  feu  admirai  &  ceux  de  la  religion  : 
en  quoy  il  fe  comporta  en  homme  qui  n*enauoit  point» 
defchirant  la  mémoire  de  ces  poures  morts  de  toutee 
fortes'^Mniures  *&  menteries  *.  Finablement,  il  fut  ena> 
ployé  par  le  feu  roy  Charles,  comme  le  poète  le  plue 
vilain  ôl  lafcif  de  tous,  à  efcrire  Tarriere  hilme que  le 
feu  Roy  appeloit  la  Sodomie  de  fon  preuoll  de  Nan- 
touillet,  &  mourut  fur  ce  beau  fait  qu'il  a  lailTé  impar- 
fait*, ji  Cette  dernière  accusation  est  mal  fondée* 
Elle  ne  peut  se  rapporter  qu*à  la  Riere  Venus '^ 
qu'effectivement,  comme  nous  le  dit  Charles  de  le 
Mothe,  «  J*autheur  pour  fa  maladie  ne  peut  parfaire  'i». 
Or  il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  cet  ouvrage^  pour  se 
convaincre  que  Jodelle  y  flétrit  avec  énergie  les 
désordres  qu'on  semble  Taccuser  d'avoir  approuvés. 

Un  préambule  de  plus  de  deux  cents  vers,  adressés 
à  Charles  IX  et  placés  en  tête  du  trcs-long  morceau, 
cependant  inachevé^  intitulé  :  Les  Difcours  de  Iules 
Cefar  auant  le  paffage  du  Rubicon  ',  contient  pour 
ainsi  dire  l'acte  par  lequel  le  poète  se  déclare  attaché 
à  la  personne  du  Roi  et  les  conditions  mutuelles  de 
cette  convention. 

Jodelle  établit  d'abord  que  si  «  le  seruice  êi  la  fuite  » 
d'un  prince  doit  être  le  but  des  «  mieux  nés  v,  la  Cour 
des  tyrans  dqit  être  soigneusement  évitée,  et  il  vante 
les  philosophes  austères  qui  s'en  sont  écartés  : 


1.  Tome  II,  p.  i33-i5i,  339-340. 

2.  Mémoires  et  Journal  de  Pierre  de  VEJtoile^  collection  Mi- 
chaud  et  Poujoulat,  2«  série,  tome  I,  édition  Champollion-Figeac 
et  Aimé  CharopollioDf  p.  39. 

3.  Voyez  ci-après,  p.  6. 

4.  Tome  II,  p.  93-103. 

5.  T.  Il,  p.  215-377. 


SUR    ESTIENNE    JODELLE.  XXXIX 

Tant  que  ces  gens  viuojrent  en  leur  pauure  fageffe 
Plus  contens,  que  ces  Rois  en  leur  pauure  richejfe. 

Si  au  contraire  les  princes  sont  vertueux,  a  leur  vertu 
les  vertueux  attire  »  ;  mais  il  faut  qu'ils  laissent  une 
grande  liberté  à  ceux  qui  se  donnent  à  eux,  et  Jodelle 
convient  que  c'est  le  défaut  d'indépendance  qui  a  dé- 
goûté de  la  Cour  son  esprit  absolu  et  entier  ;  puis  il  fait 
tout  à  la  fois  le  procès  au  poôte  servile  et  au  prince 
qui  abuse  de  cette  servilité,  dans  un  passage  qui  se 
termine  ainsi  : 

Tous  deux  tels,  quefouuent  au  bout  de  leur  attente. 
Rien  n'y  a  qui  leur  mai/tre,  ou  les  autres  contente, 
Ny  me/me  eux^  ou  leur  race,  en  leur  fin  faifans  voir 
Qii^vn  defefpoir  occit  ceux  qui  viuent  d^efpoir. 

Ce  dernier  vers  prouve  que  la  chute  du  sonnet 
d'Oronte*,  qui  passe  d'ordinaire  pour  un  type.de  la 
littérature  précieuse,  n'eût  pas  été  désavouée  par  Jo- 
delle. n 

Son  poète  officiel  idéal  ne  s'astreint  pas  à  suivre  la 
Cour,  et  sert  son  prince  de  loin, 

tout  preft 
D^eftre  vrayment  prefent,  quand  befoin  il  en  eft, 

il  veille  sur  la  gloire  du  souverain,  s'efforce  d'éter- 
^niser  sa  renommée  tout  en  lui  préparant  des  divertis- 
sements, et  surtout  en  ne  lui  ménageant  pas   les  con 
seils  :  ' 

L'encourageant,  pu  peut,  aux  chofes  les  plus  hautes, 
Des  plus  grands  anciens  luy  propofant  les  fautes. 


1.  Molière,  Le  Misanthrope ^  acte  I,  scène  II. 


Zl  NOTICE 

Vertus,  ru/es,  difcours^  &  ce  dont  la  grandeur 
Peut  renuerfer,  ou  croifire^ou  fauuer  fon  grand  kettr. 
Prenant  fans  fin  le  foin  des  chofes  qui  luy  viennent^ 
Veillant  pour  empe/cher  tous  troubles  qui  rttienmeni 
Son  eftat  empeftré. 

C'est  ce  rôle  que  Jodelle  aspire  à  jouer,  mtis  il  n'en- 
tend pas  le  remplir  pour  rien  ;  et,  tout  en  affectant  un 
entier  désintéressement,  il  a  soin  de  rappeler  qu*il  est 

...  pauurCy  &  qui  pis  eft,  dejaftreux  gentilhommm. 

Bien  que  Tabbé  Lebeuf  nous  dise  :  «  Le  poète  Jo- 
delle, mort  en  i573,  avait  sa  maison  sur  cette  paroiste 
(  Saint-Germain-l'Auxerrois),  rue  Champfieury*  »  ce 
qui  semblerait  indiquer  que  lorsqu'il  mourut  il  était 
propriétaire,  sa  situation  n*en  était  pas  alors  plus  heu- 
reuse, et  peut-être  eût-il  été  bien  difficile  de  Paméliorer. 
Ses  prodigalités,  son  désordre,  ne  permettaient  pas  de 
l'enrichir,  mais  du  moins  le  Souverain  ne  manqua  jamaia 
de  l'assister  dans  sa  détresse. 

On  en  trouve  une  preuve  authentique  dans  les  re- 
gistres de  l'Épargne  du  Roi  Charles  IX  de  l'année 
1572. 

«  A  Elflienne  laudelle,  fieur  de  Limodyn,  lung  des 
poettes  dudiâ  feigneur,  la  fomme  de  cinq  cens  liurea 
tournois....  dont  Sa  Maiedé  luy  a  fai£^  don,  en  conûde- 
ration  des  feruices  qu'il  luy  a  cy  deuant  &  de  long- 
temps faitz  en  fondi£t  eflat,  &  mefme  pour  luy  donner 
moyen  de  fe  faire  penfer  &  guarir  d'vne  malladie  de 
laquelle  il  eft  à  prefent  détenu,  &  fupporter  les  frais  & 
defpens  qu'il  efl  contraint  faire  en  celle  occafion,  &  ce 

!•  Histoire  du  Diocèse  de  Paris^  t.  1,  p.  5 1 -32. 


SUR    ESTIENNE    JODELLE.  xlj 

oultre  &  par  deCTus  les  autres  dons  &  bienfïaitz  quMI  a 
cy  deuant  euz  dudiét  Heur....  Le  vingtneufiefme  Tour 
do£tobre  * .» 


Jodelle  mourut  neuf  mois  après  avoir  reçu  du  Roy 
cette  libéralité,  qui  ne  fut  probablement  pas  la  der- 
nière, car,  bien  qu'il  ait  composé  «  en  fon  extrême  foi- 
bleffe  »  un  sonnet  destiné  à  Charles  IX,  et  dont  la 
chute  était  le  mot  d*Anaxagore  à  Périclès  : 


Quifefert  de  la  lampe  aumoins  de  V huile  y  met. 


ces  vers,  récités  par  lui,  <k  de  voix  baffe  &  mou- 
rante »,  ne  furent  pas  envoyés  au  Roi,  «  pour  n'auoir 
eu  befoin  —  dit  Charles  de  la  Mothe ,  dont  le  témoi- 
gnage n'est  pas  suspect,  —  de  ce  que  plus  par  cholere, 
que  par  neceffité  il  fembloit  requérir  par  iceluy  *». 

Ce  passage  des  Vers  funèbres  de  Th.  A»  D*Aubigné, 
Gentilhomme  Xantongois^  fur  la  mort  d^Eflienne  Jo- 
delle Parifien  Prince  des  Poètes  Tragiques  ',  est  donc 
évidemment  empreint  d'une  assez  grande  exagération  : 

lodelle  eft  mort  de  pauureté  ; 
Lapauureté  a  eu  puiffance 
Sur  la  richeffe  de  la  France. 
O  dieux!  quel  traiâ  de  cruauté! 


I.  L'original  de  cette  pièce,  publiée  dans  \ts  Archives  curieuses 
de  l'histoire  de  France..,,  par  L.  Cimber  et  F.  Danjou,  i"  série, 
t.  VIE,  p.  359  et  35o,  et  dans  le  Dictionnaire  critique  de  bio- 
graphie et  d'histoire^  par  Jal,  se  trouve  aux  Archives  de  France, 
KK.  i33,fol.  2,55o. 

3.  Voyez  ci-après,  p.  8. 

3.  A  Paris,  par  Lucas  Breyer,  1674,  in-4«  de  6  feuillets. 

_   lodelle,  —  I.  c 


Xlij  NOTICE 

Le  Ciel  auoit  mis  en  lodelU 
Vn  efprit  tout  autre  qu'humain  ; 
La  France  luy  nia  le  pain. 
Tant  elle  fut  mère  cruelle. 

Mais  il  serait  difficile  aujourd'hui  de  détruire  une  opi- 
nion si  répandue  *  ;  et,  suivant  toute  apparence,  Jodelle 
conservera  longcemps  encore  une  place  honorable  dans 
la  liste ,  u-n  peu  enflée  par  les  biographes ,  des  poètes 
que  la  misère  a  fait  périr. 

«  Il  mourut  l'an  mil  cinq  cens  fcptante  trois,  en 
luillety  aagé  de  quarante  &  vn  ans  »,  nous  dit  Charles 
de  la  Mothe  *. 

Pierre  de  TEstoile,  qui,  comme  nous  Pavons  vu,  est 
assez  injuste  à  son  égard,  raconte  ainsi  ses  derniers  mo- 
ments* :  «  Le  prouerbe  qui  dit  :  telle  vie,  telle  fin,  fut 
vérifié  dans  Eftienne  lodclle,  po(ïte  parisien,  qui  mou- 
rut cefle  année,  à  Paris,  comme  il  auoit  vcfcu,  [duquel 
la  vie  ayant  edé  fans  Dieu ,  la  fin  fut  aufTy  fans  luy, 
c*e(l-à-dire  tres-mifcrable  &  cfpouuantablc,  car  il  mourut 
fans  donner  aucun  figne  de  rccognoiflre  Dieu  ,  &  en  fa 
maladie,  comme  il  futpreffcdc  grandes  douleucs,  eftant 
exhorté  d^auoir  recours  à  Dieu,  il  rcfpondoit  que  c*eftoit 


I.  L'aatear  de  VAnti- Machiavel^  chap.  I  de  la  2*  partie,  dit  que 
Jodelle,  après  les  débauches  d'une  vie  tout  épicurienne,  monratde 
faim.  —  Épigramme  grecque  de  Jean  Antoine  de  Balf,  sur  le  genre 
de  mort  de  Jodelle  par  rapport  au  nom  de  sa  terre  : 

*'0ç  vrfirtpov  Bpipxt  ràv  xv/stov  àypoi  &^et/fv, 
*'At,  y^t/iàç  Setvài  xrtlvtv  lùtoiXiov. 

Jugements  des  savants  de  Baillet,  augmentés  par  La  Monnaye 
(notes),  t.  IV,  p.  43 1,  édit.  de  1722. 

a.  Voyez  ci -après,  p.  8. 

3.  Mémoires  et  journal  de  Pierre  de  VEstoile.  Collection  Mi- 
chaud  et  Pou  joulat,  2*  série,  tome  1,  édition  Champollion-Figeac 
et  Aimé  Champollion ,  p.  29. 


SUR    ESTIENNE    JODELLE.  xliij 

vn  chaux  Dieu],  &  qu'il  n'auoit  garde  de  le  prier  ni  re- 
cognoiflre  iamais  tant  qu'il  luy  feroit  tant  de  mal,  & 
mouruft  de  cefle  façon  defpitant  &  maugréant  fon  créa- 
teur auec  blafphêmes  &  hurlemens  efpouuantables.» 

Un  autre  récit ,  plus  vraisemblable ,  nous  montre 
Jodelle  mourant  en  sceptique ,  mais  non  en  athée ,  ni 
surtout  en  furieux ,  et  s'écriant ,  comme  plus  tard 
Goethe  :  «  De  la  lumière  *  !  »,  soit  à  cause  de  l'impres- 
sion toute  physique  causée  par  l'approche  du  trépas, 
soit  par  suite  de  ce  désir  immense  de  science  et  de  vé- 
rité qui  n'est  jamais  satisfait  en  ce  monde. 

La  nouvelle  de  sa  mort ,  accueillie  par  les  invectives 
des  protestants  *,  inspira  peu  de  regrets  à  ceux  qui  le 
connaissaient.  Son  caractère  hautain  et  orgueilleux  fut 
sans  doute  la  cause  principale  du  peu  de  sympathie 
qu'il  excita.  D'Aubigné,  dans  les  Vers  funèbres  qu'il  lui 
adresse,  cherche  à  tourner  ses  défauts  à  sa  gloire,  sansi 
essayer  de  les  dissimuler. 


Si  on  reproche  la  grandeur 
A  lodelîey  &  qui  fut  trop  graue, 
Puis  que  Vefprit  ejioitji  braue^ 
Pouuoit  il  auoir  autre  cœur? 
Quelque  abatu  de  confcience 
Eujl  defguifé  ce  quHl  fcauoit 


1.  Du  Verdier.  Bibliothèque  française.  U Intermédiaire  ^  août 
et  septembre  1867,  colonnes  317  et  3 18. 

2.  On  trouve  la  mention  suivante,  sous  la  date  de  1574  (p.  5o), 
dans  les  Mémoires  de  l'Estoile  :  «  Vn  fonnet  fait  fur  la  mort 
d'Eftiennelodele,  poète  parilien,  par  les  huguenos,  lefquels  ledit 
lodel  apeloit  rebelles,  haeretiques;  qui  me  fuft  donné  par  vng  mien 
ami  en  ceft  an  1 574,  auec  vb  petit  mémoire  &  apoftile  de  la  vie, 
religion  &  mort  dudit  lodele,  qui  aduinft  en  iuillet  i573.  »  M. 
Tricotel  a  retrouvé  ce  sonnet,  qui  ^toit  perdu,  et  il  l'a  publié  dans 
\e  Bulletin  du  Bibliophile^  septembre-octobre  1 870-1 871,  page 
426. 


Xliv  NOTICE 

Mais  lodellt  ne  le  pouuoit 
Aualer  d*vn  poltron  filence. 

Cela  ne  dehuoit  point  ofter 
Aux  doâes  efprit\  de  la  France 
La  pitoiable  fouuenance 
De  celuy  qui  debuoient  chante^  S 
Si  peu  iamais  ne  dehuoit  faire 
Le  moindre  de  tous  commencer  : 
Mais  Vay  mieux  aymé  m*auancer^ 
Pour  garder  quelqu'vn  de  fe  taire. 

Lors  que  les  petiot\  en/ans 
Crient  au  tombeau  de  leur  père, 
Cefte  douleur  eft  plus  amere, 
Que  le  de/efpoir  des  plus  grand\^ 
Bien  qui  ne  logent  dans  leur  cœuv 
Vnfi  grand  amas  de  trifteffe. 
Peult  eftre  que  ma  petiteffe 
Seruira  de  telle  couleur. 

Le  poôte  se  dédommage  en  préparant  dans  l'autre 
monde  à  celui  qu'il  pleure  un  accueil  tout  différent  de 
celui  qu'il  avait  reçu  dans  celui-ci  : 

Quand  lodelle  arriua  fou  fiant  encor  fa  peine 
Le  front  plein  de  fueur  des  refies  de  la  mort. 
Quand,  diS'ie,  il  eut  attaint  VAcherontide  bord 
Attendant  le  bateau,  il  rcprintfon  haleine. 
Il  trouua  VAcheron  plus  plaifant  qur  'a  Seine 
L'enfer  plus  que  Paris. 


Tous  les  Rois  qui  auoient  fauorifé  les  vers 
Çnuironnoient  fon  front  de  mille  rameaux  vers. 


SUR    ESTIENNE    JODELLE.  xlv 

' w ' ■ 

De  mirthe,  dt  Cipres,  de  Lierre  &  d^Efrable  : 
Heureux  qui  le  pouuoit  couronner  de  fes  doits, 
Voye:(  donc  comme  il  eft  honoré  des  grands  Rois, 
Il  n^eujl  qfé  viuant  approcher  de  leur  table. 

Les  pièces  de  Jodelle  continuèrent  à  être  représen- 
tées, ou  du  tllbins  lues  en  public,  quelque  temps  après 
sa  mort.  Nous  en  avons  une  preuve  dans  ce  titre  d'un 
argument  en  vers  tir^  de  Dion  Cassius,  et  rédigé  par 
Guy  Le  Fevre  de  la  Boderie  :  Prologue  auant  le  récit 
de  la  Tragédie  de  Cleopatre^  faide  par  feu  Eftienne 
lodelle  *. 

Il  est  suivi  d'un  autre  prologue  du  même  genre,  des- 
tiné à  une  tragédie  de  Penthée ,  récitée,  comme  Pin- 
diquent  les  premiers  vers,  le  lendemain  du  jour  où  Ton 
enteindit  Cléopdtre^  mais  sans  que  rien  nous  fasse  sa- 
voir dans  quel  lieu,  à  quelle  époque,  ni  dans  quelle 
circonstance. 

•  Jodelle  avait  pris  lui-même  le  soin  de  faire  imprimer 
le  Recueil  des  infcriptions.,,  ordonnées  en  Vhoftel  de  ville 
à  Paris,  le  Jeudi  ij  de  Feurier  i558,  recueil  principa- 
lement consacré  à  sa  justification,  et  analysé  en  détail 
dans  la  présente  notice. 

Quant  à  ses  autres  œuvres,  elles  restèrent  à  sa  mort 
inédites  et  dispersées.  D'Âubigné  le  déplore  ainsi  dans 
les  Vers  funèbres  que  nous  avons  déjà  cités  : 

Riche  efi  il  mort^  mais  quoy?  où  ejl  cefïe  richejfe  ? 
Qjii  en  eft  héritier?  fay  peur  qu*auecques  luy 
Son  tr ef or  fe pourrit,  ie  ne  voy  auiourd^huy 


I.  Diuer/es  mef langes  poétiques^  par  Guy  Le  Feure  de  la  Bo- 
derie ,  Secrétaire  de  monfeigneur  frère  du  Roy.  —  A  Paris  pour 
Robert  Le  Mangnier...  i5&2,  in- 16,  f»  92  recto.  Nous  devons  ce 
renseignement,  et  beaucoup  d'autres,  à  M.  Tricotel,  que  nous  ne 
remercierons  jaipais  assez  de  ses  précieuses  communications. 


Xlvj  NOTICE 

Aucun  qui  Us  poffede,  aucun  qui  les  carejfe, 
Vvn  en  tient  vn  lopin  dont  il  bauefans  ceJV, 
Vautre  en  tient  vn  cayer  enfermé  dans  Vejiujr, 
Vn  autre  à  qui  V argent  neferoit  tant  d*ennujr^ 
Le  vent  à  beaux  teftons  pour  mettre  fur  la  preffe. 

Pauures  vers  oiphelins  vofire  père  ewi  grand  tori. 
Ne  vous  laiffant  au  moins  nourrir  après  fa  mort 
A  quelque  bon  tuteur,  mais  quand  bien  ie  regarde 
Il  voulait  quefon  temps  &  le  vofire  fufl  vn; 
Pource  qui  ne  voyoit  autour  de  luy  aucun, 
Qjti  meritafl  Vhonneur  d'vne  fi  chère  garde. 

Ces  divers  ouvrages  ne  furent  publiés  que  vers  la  fin 
de  i574,  par  Charles  de  la  Mothc,  en  un  gros  in-4% 
portant  la  mention  de  premier  volume  *•  t  Nous  efpe* 
rons  —  dit  Téditeur  dans  sa  préface  —  faire  mettre  en 
lumière  encore  quatre  ou  cinq  aufli  gros  volumes  que 
ceftuy  cy  *.  » 

Cette  publication  n'eut  pas  tout  le  succès  qu'on  en 
attendait,  ce  qui  dissuada  sans  doute  de  la  continuer. 
Pierre  de  TEstoile  s'exprime  ainsi  à  ce  sujet  '  : 

«  Pour  le  regard  de  fes  œuurcs,  P.  Ronfard  a  dit  fou- 
uent  qu'il  eut  dcfiré ,  pour  la  mémoire  de  lodelle , 
qu'elles  eufTent  cfté  données  au  feu  au  lieu  d'eflre  mifes 
fur  la  preffe,  n'ayant  rien  de  Ci  bien  fait  en  fa  vie  que 
ce  qu'il  a  voulu  fupprimer ,  ellant  d'vn  cfprit  prompt 
&  inuentif,  mais  paillard,  yurongne  &  fans  aucune 

1.  Voyez  ci-après,  p.  309  et  3 10,  la  note  i. 

2.  Voyez  ci-après,  p.  7. 

3.  Mémoires  et  journal  de  Pierre  de  VEstoile.  Collection  Mi- 
cbaud  et  Poujoulat,  2*  série,  tome  1,  c'dition  ChampoUion-Figeac. 
et  Aimé  Champollion,  p.  39. 


SUR    ESTIENNE    JODELLE.  xlvij 

crainte  de  Dieu  ,  auquel  il  ne  croyoit  que  par  bénéfice 
d'inuentaire.  » 

Colletety  si  passionné  pour  nos  poètes  du  XVI^  siè- 
cle,  n^est  pas  beaucoup  plus  favorable  à  celui-ci  dans  la 
biographie  qu'il  lui  a  consacrée  : 

«  Je  diray  que  de  tous  les  Poôtes  de  cette  fameufe 
pleyade  qui  du  tems  de  Henry  fécond  mit  prefque  la 
Poefie  francoife  au  combte  de  fes  honneurs,  Il  n'y  en  a 
point  de  qui  les  œuvres  me  plaifent  moins  que  celles 
de  lodelle ,  fans  excepter  mefmes  celles  de  Balf  &  de 
Ponthus  de  Thiart  * .  » 

A  cette  impression  personnelle  il  joint  le  jugement 
plus  sévère  encore  de  Nicolas  Bourbon,  contre  lequel, 
pour  notre  part,  nous  n'osons  réclamer.  Cet  érudit  avait 
demandé  à  CoUetet  les  œuvres  de  Jodelle.  «  Je  fus 
edonné,  dit  l'auteur  des  Vies  des  Poètes  JrançoiSf  que 
cet  excellent  homme  me  les  renvoya  des  le  lendemain 
mefme,  auec  vn  billet  qui,  entre  les  autres  chofes,  con- 
tenoit  ce  mot  :  Minuit  prcefentia  famam  *.  » 

1.  Manuscrit  des  Vies  des  poètes  franco is  ^  détruit  par  l'in- 
cendie de  la  Bibliothèque  du  Louvre. 

2.  Ibidem. 


DE  LA  POESIE  FRANÇOISE 


ŒVVRES  D'ESTIENNE  lODÈLLE, 


nos  vieux  Gaulois  fiiifoyent  grand  cas  de  la 
^PoËfie:  &  entretenoyent  les  Pofites,  non 
9  pour  la  volupté,   mais   pour  U  police,  & 

_  _  ^pour  l'érudition,  les  eftimans  les  vrais  & 
premiers  Philofophes.  Ceux  qu'ils  appelloyent  Bards, 
ïoOoyent,  ou  blafmoyent  en  vers  Gaulois  les  perfon- 
nages  UluftreB,  viuan$  ou  trefpailez  (ainfi  que  Diodore, 
Strabon,  &  Lucain  tefinoignent  cela  auoirduré  en  Gaule 
iufques  en  leur  temps)  &  les  Semnothees  mettoyeni  en 
vers  les  cantiques  de  leur  Religion,  &  les  Druides  leurs 
loix<  Pource  l'hillûiTe  de  Louhier,  &  de  Betit  (que  les 
Romains  appeloyent  Roys  des  Auvergnats)  n'eft  remei- 
quee  par  Strabon,  &  Athenee  {qui  l'ont  extraite  de  Pof- 
lidoine)  que  pour  le  grand  accueil,  &  poQr  l'honneur 
qu'ils  taifoyent  au  Pofile,  furuenant  en  leurs  feftins  tant 
renommez.  El  non  feulement  Diodore  iait  cas  (pour  le 

loiilli.  —  1.  I 


DE    LA     POESIR   FRANÇOISE 


mention  en  yne  de  fes  Epiitres.  Son  fils  TEmpereur  ÏJoy*, 
Pen  deleétoit  tant,  qu'il  pardonna  à  Angers  i  reuefque 
d'Orléans  Thiedouil,  vne  ofTenfc  irremiffible»  feulement 
pour  Tauoir  ouy  chanter  des  vers  Latins  rymez,  qu*U 
auoit  compofez,  ores  que  ce  Loys  fuit  dVn  naturel  très 
cruel,  quelque  tiltre  de  Débonnaire  ou  de  Pieteux,  que 
fautfement  Guetard,  hiflorien  de  fon  fils  Charles,  éc  fon 
coufin  germain,  luy  ayc  le  premier  donné  :  car  le  liuret 
d'Eghinard  a  elle  corrompu  par  les  Alemans,  fi  du  tout 
il  n*ae{lé  fuppofé.  Pareillement  le  Roy  Robert  feplairoit 
fort  en  cette  fcience,  comme  en  toutes  autres  efquellet 
il  auoit  bien  efludié,  ainfi  que  fes  Chroniqueurs  Glaber 
&  Odoran  ont  efcrit.  Thicbaut  quatrième  Roy  de  Na- 
varre, &  Comte  de  Champaignc,  eftoit  trefbon  Po6te 
François  :  &  de  luy,  pour  vne  Duchefîe  de  Lorraine,  & 
de  Gilles  Chaftelain  de  Coucy,  pour  la  dame  du  Fayet, 
fe  treuue  encor  vn  gros  volume  de  diuers  poèmes  Fran- 
çois. Geoffroy  Plantcgenet  Comte  d'Aniou  pardonna  à 
plufieurs  feigneurs  Poiéteuins  qu'il  auoit  prins  en  la 
bataille  de  Chef-boutonne,  &  les  deliurade  prifon  à  Tours, 
pour  vn  feul  prefent  de  vers  François  rymez  qu'ils  luy 
enuoyerent.  Philippe  Au  gufte  fit  mettre  envers  François 
&  Latins,  fa  viâoire  de  Bouuincs,  par  maiflre  Guillaume 
le  Breton  précepteur  de  fon  fils  Charles,  Euefque  de 
Noyon.  Et  depuis  ce  temps  là  eurent  grand  bruit  Guy 
de  Lorris,  lean  Clopinel  de  Meun,  Pierre  d'Auuergne, 
Geraud,   Floquet,  Raimbaud,  Geoffroy  Rudel,  Emery, 
Bernard,  Hugues,  Anfeaume,  &  plufieurs  autres  Poètes 
de  fiecle  en  fiecle,  tant  qu'aucun  aage  ne  f'efl  paifé  de- 
pourueu  de  Pofitcs  François,  qui  toufiours  de  mieux  en 
mieux  ont  enrichi  noftre  langue  de  maints  bons  efcrits. 
Mais  depuis  que  ta  chiquanerie  Italienne  eut  abufé  les 
François  par  la  curiofité  de  la  ComtefTe  Mahaut,  &  de 
fon  Ernier,  ou  Garnier,  les  bons  efprits  fe  corrompirent, 
&  les  bonnes  fciences,  mefme  noftre  Poôfie  Françoife, 
tombèrent  en  abieâion,  n'ofans  les  do6les  plus  efcrire 
qu'en   Latin  :  &  n'cftant  décent  à  aucun  (fors  qu'aux 
farceurs  du  peuple)  de  rymer  en  François  :  Si  voyoit-on 


ET    DES    ŒVVRES    DE    lODELLE.  5 

toutesfois  entre  les  Nobles  cet  amour  de  la  Poâfie  Fran- 
çoife  toujours  durer.  Car  il  y  auoit  bien  peu  de  feigneurs  • 
aifez  qui  n'euft  vn  Clerc,  qui  mettoit  en  ryme  Françoife 
la  plus  part  de  leurs  Romans,  defquéls  on  en  voit  en^ 
core  plufieurs  efcrits  de  ce  temps  là  en  aucunes  maifont 
de  France.  Certainementcet  abus  nuifitplus  à  la  Pofifie, 
que  n'auoyent  fait  les  opprefQons  des  Romains,  &  le 
changement  de  la  Religion  :  Et  en  France  elle  euft  efté 
du  tout   abolie,  fi  en  cet  aage  dernier  le  Roy  Fran- 
çois premier,  reftablifiant  les  bonnes  lettres,  n*euft  incité 
plufieurs  efpnts  excellents  qui  fourdireât  en  la  fin  de 
fon  règne  &  au  commencement  de  cëluy  de  fon  ^fils  ; 
Henry  :  lefquels  reprenans  celle  ancienne  vigueur  Fran-t. 
çoife,  remirent  fus  la   dode  Poëfie  en  leur  langue.  De 
ceux  là  le  premier  &.  le  plus  hardy  fut  Pierre  de  Ron- 
fard,  gentilhomme  Vandomois,  qui  fe  fit  autheur  &  chef 
de  cette  braue  entreprife,  contre  l'ignorance  &  rudeffe 
de  ne  fçay   quels  Chartiers,  Villons,  Crétins,  Ceues^ 
Bouchets,  &  Marots,  qui  auoyent  efcrit  aiix  règnes  pre- 
cedens  :  &  a  tracé  le  chemin  aux  autres  qui  l'ont  fuiuy. 
Le  premier  qui  âpres  Roniard  fe  fit  cognoifire  en  cefle 
nouuelle  façon  d'efcrire,  ce  fut  Eftiénneloddle,  noble 
Parifien  :  cardés  l'an  1549.  Ion  a  veu  de  luy  plufieurs 
Sonnets,  Odes,  &  Charontides  :  &en  i552.mitenauant, 
&  le  premier  de  tous  les  François  donna  en  fa  langue 
la  Tragédie,  &  la  Comédie,  en  la  forme  ancienne.  En  ce 
temps  là  auffi  apparurent  Baif,  &  du  Bellay,  trefdoâes! 
Poôtes,  &  autres  en  grand  nombre,  lefquels  ont  de  leur 
viuant  publié  leurs  efcrits,  ce   que  lodelle  ne  voulut 
oncq  faire  :  mais  après  fa  mort,  fes  amis  plus  foucieux 
de  fa  mémoire  que  luy-mefme,  &  pour  l'honneur  de  la 
France,  ont  recueilly  ce  qu'ils  ont  peu  de  fes  oeuures 
égarées,  &  de  partie  d'icelles  ils  ont  fait  imprimer  ce 
premier  volume  de  Meflanges,  pendant  que  l'on  prepa-. 
rera  autres  volumes.de  chofes  mieux  choifies  &  ordon- 
nées. Car  expreffément  Ion  a  méfié  en  ce  volume  plu- 
fieurs pièces  faites  par  l'autheur  aux  plus  tendres  ans 
de  fa  ieuneffe,  comme  la  Tragédie  de  la  Cleopatre,  &  la 


DE    LA    POESIE    FRANÇOISE 


trefeloquent  en  fon  parler,  &  de  tout  il  difcouroit  auec 
tel  iugementy  comme  fil  euft  efté  accompli  de  toutes 
cognoiflancet.  Il  efloit  vaillant  &  adextre  aux  armes»  dont 
ilfiiifoit  profeffion.  Et  Ci  en  fet  mœurs  particulières*  Il  fé 
fuft  autant  aimé,  comme  il  foifoit  en  tous  ces  exercices 
de  fon  efprity  £a  mémoire  euft  efté  plus  célèbre  pendant 
£a  vie,  &  il  euft  plus  vefcu  pour  fon  pals,  &  pour  fes 
amis  qu*il  n*a  fait  :  Mais  mefprifant  philofophiquement 
toutes  chofes  externes,  ne  fut  cogneu,  recherché»  ny 
aimé  que  maugré  luy  :  &  fe  fia  trop  en  fa  difpoiîtioDy 
&  en  fa  ieuneffe.  Si  e(l-ce  que  les  Roys  Henry  deuxième, 
&  Charles  neufieme,  Taimerent  &  ellimerent.  Charles 
Cardinal  de  Lorraine  le  fit  premièrement  cognoiitre  su 
Roy  Henry  :  la  Ducheffe  de  Sauoye  fœur  de  ce  Roy,  & 
le  duc  de  Nemours,  fur  tous  le  fauoriferent  grandement. 
Or  il  mourut  Tan  mil  cinq  cens  feptante  trois,  en  luUlety 
aagé  de  quarante  &  vn  an  ',  ayant  encor  en  fon  extrême 
foiblefle  ùà£k  ce  fonnet  (qui  eft  la  dernière  chofe  par  luy 
compofee)  qu41  nous  recita  de  voix  baffe  &  mourante, 
nous  priant  de  Tenuoyer  au  Roy,  ce  qui  ne  fut  pas  fiait, 
pour  n'auoir  eu  befoin  de  ce  que  plus  par  cholere,  que 
par  neceffité  il  fembloit  requérir  par  iceluy. 

Alors  qu^vn  Roy  Pericle  Athènes  gouverna, 
Il  aimajbrt  le /âge  &  doâe  Anaxagore^ 
A  qui  (comme  vn  grand  coeur  foymefme  fe  deuore') 
La  libéralité  V indigence  amena. 

Le  Sort,  non  la  grandeur  ce  cœur  abandonna, 
Q}ti preffé  fe  hauffa,  cherchant  ce  qui  honore 
La  vie,  non  la  vie,  &  reprejfé  encore 
Pluftoft  qu^àpabaijfer,  à  mourir  fobftina  : 

Voulant  finir  par  faim,  voillafon  cheffunefte. 
Pericle  oyant  ceci  accourt,  crie,  &  detefte 
Son  long  oubli,  qu*en  tout  reparer  il  promet  : 


ET    DES    ŒVVRES    DE    lODELLE.  9 

Vautre  tout  refolu  luy  dit  {ce  qu'à  toy,  Sire, 
Delaiffé,  demi-mort,  prefque  ie  puis  bien  dire) 
Quifefert  de  la  lampe  aumoins  de  V huile  y  met. 

Facent  les  mefprifeurs  de  la  Poôfie,  &  les  enuieux  de 
loDELLE,  tel  iugement  de  luy  &  fes  efcrits  qu^ils  vou- 
dront, û  auront  Tes  vers  de  foi  afTez  de  force  &  de  valeur, 
pour  emporter  le  los  qu'ils  mentent,  &  en  ce  fiecle,  & 
aux  autres  qui  nous  fuiuent.  Et  quant  à  luy,  tant  que 
les  François  fe  fouuiendront  de  leur  vieil  honneur,  & 
mérite  vers  les  Mufes  (defquelles  ils  ont  efté  de  tout 
temps  nourriffiers)  ils  ne  deuront  edre  ingrats  à  la  mé- 
moire de  ceftuy  leur  nourriflTon,  poffible  le  plus  agréable 
qu'elles  ayent  eu  depuis  les  Bards,  &  qui  toujours  fes 
œuures  n'a  dreflTé  qu'à  la  gloire  de  France. 

Charles   de   la  Mothe. 


L'EVGENE 


COMEDIE 


D'ESTIENNE     lODELLE, 


PARISIEN^. 


PERSONNAGES     DE     LA     COMEDIE 

U  EVGESE. 


Eugène,  Abbé. 

Meffire  Ican,  Chappelain, 

Guillaume. 

Alix. 

Florimond,  Gentilhomme. 

Arnault,  Homme  de  Florimond. 

Pierre,  Laquais*. 

Hélène,  Sœur  de  VAbbé. 

Matthieu,  Créancier. 


L'EVGENE 


COMEDIE. 


PROLOGVE. 


Affe\  affefç  le  Poète  a  peu  voir 
Vhumble  argument,  le  comicque  deuoir, 
Les  vers  demis,  les  perfonnages  bas. 
Les  mœurs  repris,  à  tous  ne  plaire  pas  : 
Pour  ce  qu'aucuns  de  face  fourcilleufe 
Ne  cherchent  point  que  chofe  ferieufe  : 
Aucuns  aufji  de  fureur  plus  amis. 
Aiment  mieux  voir  Poly dore  à  mort  mis, 
Hercule  au  feu,  Iphigene  à  Vautel, 
Et  Troye  àfac,  que  non  pas  vn  ieu  tel 
Q}te  celuy  là  qu'ores  on  vous  apporte. 
Ceux  là  font  bons,  &  la  mémoire  morte 
De  la  fureur  tant  bien  reprefentee 
Ne  fera  point  :  m^is  fant  nefoit  vantée 
Des' vieilles  mains  Vefcriture  tant  braue, 
Que  ce  Poète  en  vn  poème  graue, 
SUl  euft  voulu,  n'ait  peu  reprefenter 
Ce  qui  pourroit  telles  gens  contenter. 
Or  pourautant  qu'il  veut  à  chacun  plaire  y 
Ne  dédaignant  le  plus  bas  populaire, 


l 


l6  l'eVGENK,    COMEDIE. 


ACTE    I. 


SCENE     I. 


EVGENE,  ABBÉ,  MESSIRE  lEAN,  ciiappblain 

Eugène. 

La  vie  aux  humains  ordonnée 
Pour  eftre  fi  toft  terminée 
Ainfi  que  mefme  tu  as  ditj 
Doit  elle,  pour  croire  à  crédit, 
Se  charger  de  tant  de  trauaux? 


Meffire  lean. 

Le  feul  fouuenir  de  nos  maux, 
Qui  ia  vers  nous  ont  fait  leur  tour. 
Ou  de  ceux  qui  viendront  vn  iour 
L^apprehenfion  incertaine 
Empoifonne  la  vie  humaine  : 
Et  d^autant  quUls  la  font  plus  grieue. 
Ils  la  font  auffi  bien  plus  brieue. 
Mais  quifçait  mieux  en  ce  bas  ci 
Que  vous,  Monfieur,  quUl  eft  ainfi? 

Eugène. 

//  ne  faut  donc  que  du  paffé 
Ilfoit  après  iamais  penfé. 
Il  faut  fe  contenter  du  bien 
Qui  nous  eft  prefent^  &  en  rien 
K'eftre  du  futur  foucieux. 


ACTE   I,    SCENE    I.  I7 

Meffire  lean. 
O  grand  Dieu,  qui  dijl  onques  mieux  ! 

Eugène. 

Comment  donc  ne  confent  on  point 
De  p aimer  foymefme  en  ce  poinâ, 
De  Je  flatev  en  fon  bon  heur, 
Depaueugler  en  fon  malheur, 
Sans  donner  entrée  aufouci? 

Meffire  lean. 
Oefl  abus,  il  faut  faire  ainji. 

Eugène. 

En  tout  ce  beau  rond  fpacieux, 
Qui  eft  enuironné  des  deux, 
Nul  ne  garde  fi  bien  enfoy 
Ce  bon  tibur  comme  moy  en  moy  : 
Tant  que  foii  que  le  vent pemeuue. 
Ou  bien  quHl  grefle,  ou  bien  quUl  pleuue. 
Ou  que  le  Ciel  de  fon  tonnerre 
Face  paour  à  la  pauure  terre, 
Toufîours  Monjieur  moy  ieferay. 
Et  tous  mes  ennuis  chafferay. 
Car  ferois-ie  point  malheureux 
D\\fire  à  mon  fouhait  plantureux ^ 
Et  hxe  tourmenter  en  mon  bien? 
le  ne  voûray  iamais  à  rien  y 
Sinon  au  plaijir,  mon  eftude. 

Meffire  lean. 

Ce  feroit  vne  ingratitude 
lodelU,  —  I.  2 


l8  LF.VùKNi-:,    COMEDIE. 

Enuers  la  fortune  autrement ^ 
Qui  vous  pouruoit  tant  richement  : 
Car  qui  eft  mal  content  de/oy 
Il  faut  quUlfoit,  comme  te  croy. 
Mal  content  de  fortune  enfemble, 

Eugène. 

Fortune  ajfe\  d'heur  me  raffemhle 
Pour  me  plaire  en  ce  monde  ici^ 
Efclauant  en  tout  mon  fouci  : 
Sans  trauail  les  biens  à  foifon 
Sont  apporte^  en  ma  maifon. 
Biens,  ie  dy,  que  iamais  n'acquirent 
Les  parens  qui  naiflre  me  feirent. 
Et  qui  ainft  donne\  me  font 
Qu'à  mes  héritiers  ne  reuont, 
Ains  pour  rendre  ma  feule  vie 
En  fes  délices  affouuie^ 
Ce  que  nous  pratiquons  affe\ , 
Tant  qu'il  femble  que  ramajfe\ 
Tous  les  plaifirs  fe  foyent  pour  moy. 
Les  Rois  font  fuiets  à  Vefmoy 
Pour  le  gouuernement  des  terres  : 
Les  Nobles  font  fuiets  aux  guerres  : 
Quant  a  lu/Uce,  en  fon  endroit 
Chacun  eft  fer f  de  faire  droit. 
Le  marchant  eft  fcrfdu  danger 
Qu'on  troune  au  pais  eftranger  : 
Le  laboureur  auecque  peine 
Preffe  fes  bœufs  parmi  la  plaine  : 
L'artifan  fans  fin  molefté, 
A  peine  fuit  fa  pauureté. 
Mais  la  gorge  des  gens  d'Eglife 
N' eft  point  à  autre  ioug  fubmife. 
Sinon  qu'à  mignarder  foymefmes, 
Nauoir  honneur  de  ces  extrêmes 
Entre  lefquelsfont  les  vertus  : 


ACTE  I,    SCENE   I.  I9 

Eftre  bien  nourris  &  vejlus, 
Eftre  cure^,  prieurs,  chanoines, 
Abbej^,  fans  auoir  tant  de  moynes 
Comme  on  a  de  chiens  &  (Poifeaux, 
Auoir  les  bois^  auoir  les  eaux 
Defleuues  ou  bien  dé  JbntaineSf 
Auoir  les  pre^,  auoir  les  plaines  y 
Ne  recognoijlre  aucuns  feigneurs, 
Fuffent  ils  de  tout  gouuerneurs  : 
Bref,  rendre  tout  homme  ialoux 
Des  plaifirs  nourriciers  de  nous. 
Mais  que  feruiroit  f  expliquer  ^ 
Ce  que  tu  vois  tant  pratiquer, 
N^efîoit  que  ie  me  plais  ainfi 
En  la  mémoire  de. ceci, 
Voulant  les  plaifirs  faire  dire 
Ou  d'heure  en  heure  ie  me  mire? 
Au  matin t  quoy? 

Meffîre  Ieàin« 

Le  feu  léger. 
De  peur  que  le  froid  outrager 
Ne  vienne  la  peau  tendrelette, 
Le  linge  blanc,  la  chauffe  nette, 
Le  mignard pignoir  d^ Italie, 
La  vefïure  à  Venui  iolie. 
Les  parfums^  les  eaux  de  fenteurs, 
La  court  de  tous  vos  feruiteurs. 
Le  perdreau  '.en  fa  faifon, 
Le  meilleur  vin  de  la  maifon, 
Afin  de  mettre  à  val  V.osflumes  : 
Les  Hures,  le  papier,  les  plumes, 
Et  les  breuiaires  cependant 
Seroyent  mille  ans  en  attendant 
Auant  qu'on  y  touchafï  iamais. 
De  peur  de  fe  morfondre  :  mais 
Au  lieu  dé  ces  fois  exercices. 


20  LLlt-l^i,    CDHClilS. 


De  U  waikoui  ia 

Et  fÊus  6-  pmr  otmeT  ê  pmr 
Voîer  ToÊfcMM^  Je  laesmr  e 
BiemJoÊOÊemi  étls  rtmfe  è^fk  ^ 
Om  bitm  par  ie«  piest^  ^^sm 
Suaire  ࣠ hntrt  ttex  cxmr-am^ 
PenJjMî  qme  mcnr  Mrjhre  lemm 
le  Jué  sabres  le  fem.  dAkma^ 
De  lajter  les  molle$  rûviler. 
Poatr  vous  la  rendre  fûxf  * 
Vous  amue^  loau  Mfame^, 
Les  ckjit  iesu  r  Jam:  JjmJiMim 
De  peur  de  rieur  nazatre  : 
Ou  fsst  SMX  Tables  ccmmtrTxrye . 
On  rit,  cm  boit,  dioam  fait  rsft 
De  babiUer  du  Tnctcarr. 
Om  ejl/aiail^  ozje  met  em  tem^ 
Et  puis  f  CT  /en:  reuzr  le  feu 
De  l2  ch^ouîlisrde  amourette. 
Soudain  en  la  quejte  ok  Je  iette. 
Tant  quom.  remenme  tcms  taris 
Far  ctspi§eujes  de  Paris. 


Tout  beau  Mejfire  Uam.  tout  beau^ 
Demoure  là,  Svn  cas  nouutam^ 
Puis  qu'à  r  amour  tu  es  venu, 
itejt  à  cejte  heure  Jcmuenu^ 
Pour  lequti  appelé  t'aucis. 


Mefiîre  lean. 

Quùjr'f  comment?  d'où  vient  telle  roix? 
Aue\  vous  receu  quelque  offenfe? 


ACTE   I,    SCENE   I.                               21 
1 

Eugène. 

Non,  norij  tout  beau,  feulement  penfe 
De  me  prefter  ici  tes  fens. 
Tu  fçais  bien  que  depuis  le  temps 
Que  Henry  magnanime  Roy, 
A  mené  fes  gens  auec  foy 
lufques  aux  bornes  d'Allemagne, 
Amour  qui  fe  meift  en  campagne 
Pour  faire  quefie  de  mon  cœur, 
S*eft  rendu  deffus  moy  vainqueur. 
Me  venant  d^vn  trait  enflammer, 
Pour  me  faire  ardemment  aimer 
Cefie  Alix,  mignarde  &  iolie. 
Bague  fort  bonne  &  bien  polie. 
Pour  qui,  ô  fer  tuteur  fidelle. 
Tu  me  vaux  vne  maquerèlle. 

Meffire  lean. 

O  que  ie  me  tiens  en  repos. 
Pour  voir  où  cherra  ce  propos. 

Eugène. 

lufquHci  tant  bien  m'as  ferui , 
Q}ie  du  tout  en  elle  ie  vi  : 
Et  pour  ejire  bon  guerdonneur 
Luy  voulant  couurir  fon  honneur. 
Comme  tu  es  bien  aduerti, 
Luy  ay  trouué  le  bon  parti 
De  Guillaume  le  bon  lourdaut, 
Qui  efi  tout  tel  qui  •  nous  le  faut. 
Et  les  ay  marie^  enfemble, 

Meffire  lean. 
O  fort  bien  fait. 


32  LEVGKNE,    COMEDIE. 


Kugenc. 

Mais  que '^ttfemkU? 
Pay  feint  que  c'eftoit  ma  couflnt. 

Mcflirc  Ican. 

La  parenté  eft  bien  voijine. 
Il  n^y  fallait  efpargner  rien, 
Ce  font  trois  cens  efcus  :  6-  bien 
Quefl-ce  pour  vofirc  dignité. 
Sinon  qu*ceuure  de  charité. 

Eugène. 

Mais  maintenant  Vay  fi  grand*  peur, 
Qjte  Guillaume  fente  mon  coeur 
Auec  les  cornes  de  fa  te  fie, 

Meffirc  lean. 

Ha  ventrebieu  il  eft  trop  befte. 
Son  front  w'a  point  de  fentiment, 
Nyfon  cœur  de  bon  mouuement  : 
Ho  ho  y  quoy?  craigne^  vous  en  rien 
En  cela  vn  Parifien  ? 
Le  bon  Guillaume  fans  malice 
Vous  eft  couucrturc  propice. 
Pour  feurement  brider  Vamour. 
Si  fuffte:{  allé  chacun  iour 
Cependant  qu'Alix  eftoit  fille. 
Planter  enfon  iardin  la  quille , 
A  Venui  chacun  eufi  crié  : 
Mais  depuis  qu^on  eft  mariéy 
Si  cent  fois  le  iour  on  fy  rend, 
Le  mary  eft  toufiours  garend  ; 
On  n^en  murmure  point  ainfi. 
Et  puis  en  cefte  ville  ci 


ACTE     II,    SCENE    II.  ^3 

Auec  leurs  contenances  fieres 
Àfeflans  la  morgue  Italienne, 
Afin  qu^vn  gros  four  cil  p  en  vienne 
Les  demander  en  mariage. 
Ha  ventrebieu  quel  badinage  ! 
Non  pas,  dy-ie,  à  ces  mercadins, 
Ces  petits  muguets  citadins, 
Ces  petits  brouilleurs  de  finances, 
Qjti  en  banquets,  &  ris,  &  danfes. 
En  toutes  fuperfluitex 
Surmontent  les  principauté^. 
Mais  quant  efi  de  nos  Gentil/hommes 
Qjii  eft  le  propos  oit  nous  fommes. 
Bien  qu*on  croye  toutes  brauades 
Rendre  les  courages  plus  fades, 
Si  celuy-là  qui  eft  plus  braue 
Entendoit  le  battement  graue 
D*vn  tabourin  quaft  tonnant. 
Ou  bien  d'vn  clairon  eftonnant, 
n/eroit  mieux  encouragé. 
Et  plus  toft  en  ordre  rengé. 

Florimond. 

Ainfi  le  Ciel  me  /oit  ami. 

Si  tu  ne  m'as  mis  à  demi 

Par  ta  parole  hors  de  moy. 

Quoy?  comment?  qu'eft-ce  que  de  toy 

Qjiand  tu  vas  ainfi  conteftant? 

Vn  doâeur  n'en  diroit  pas  tant  : 

As  tu  tant  Vefchole  fuiuie? 

Arnault. 

La  meilleure  part  de  ma  vie, 
Et  fi  eftois  des  mieux  appris  : 
Mais  ores,  les  meilleurs  efprits 
Aiment  mieux  foldats  deuenir 


24  L  EVGKNK,    COMF.DIE. 

Dy  temps t  &  elle  fe  cumplaint 
Que  r amour  a]fe\  ne  m'aiiaint» 

Mcffirc  Ican. 
O  dueil  heureux  ! 

Kugcnc, 

Elle  fappaife^ 
Elle  accourt^  &  plus  fort  me  baife  : 
Puisparreftant  elle  fe  mire 
Dedans  mes  yeux. 

Mcffirc  Ican. 

O  doux  martyre  ! 

Eugcnc. 

Et  folaflrant  elle  r  empoigne 
Mes  leureSf  qui  font  vne  trongne. 
Afin  que  d^ellc  elles  forent  morfes  : 
Et  quant  efi  des  autres  amorces, 
Penfe  que  peut  en  cela  faire 
Celle  qui  fe  plaift  en  V affaire, 

Mcffirc  Ican. 

Quipourroit  efïre  homme  tant  froid , 
Qui  nefémeujl  en  ceft  endroit? 

Eugène. 

Mais  où  me  fuis-ie  promené  ? 
Oit  Vamour  m^a  il  ia  trainé? 
Or  donc  fçaclies  en  cefï  affaire 
Comment  il  te  faut  me  complaire 


ACTE   I,    SCENE    I.  25 

Au  long  difcours  de  c^e  chofe. 
Deux  poinâs  tous  feuls  te  te  propofe  : 
La  peur  que  Vay  que  ce  fottard 
Decœuure  la  braife  qui  nCard  : 
Et  la  peur  que  Vay  qu'yen  ma  Dame 
Ne  P allume  quelque  autre  flamme. 
Au  premier  tu  remediras. 
Quand  ce  lourdaut  gouuerneras, 
L^affeurant  que  Vay  bonne  enuie 
De  luy  aider  toute  fa  vie  : 
Qjiand  tu  le  mèneras  au  ieu, 
Qjiand  V amadouant  peu  à  peu. 
Tu  le  rendras  ami  de  toy. 
Autant  que  fa  femme  efï  de  moy^ 
Afin  qu^aye\  Ventrée  feure. 
Quand  eft  du  fecondy  ie  Vaffeure 
QjCil  te  faudra  prendre  cent  yeux  y 
Afin  de  me  la  garder  mieux  : 
Qu'on  efpiey  que  Ion  regarde, 
QtVon  fenquiere,  qu"* on  prenne  garde 
De  n^eftre  en  embufche  trouué, 
Apres  auoir  bien  efprouué. 
Pour  le  loyer  de  ton  office 
lè  te  voue  vn  bon  bénéfice. 

Meffire  lean. 

Grand  mercy,  Monfieur,  c^eft  de  grâce  : 
Ne  vousfoucie^  que  iefasè, 
Naye^  de  ces  deux  poinâs  efmoy, 
Dés  ores  iepren  tout  fur  moy. 


SCENE    II. 

Meffire  lean. 
Ainfif  Dieu  m'aime ,  on  voit  ici 

2' 


26  LKVGKNK,    COMEDIE. 

Afaints  aueug\e\y  qui  font  ainfl 
Q}te  les  flots  enfle\  de  la  mer, 
Qu^on  voit  Icucr,  puis  fabyjmer 
lujqucs  au  plus  prtf/bnd  de  Veau. 
Ceux-ci  Je  fichans  au  cerucau 
Vn  contentement  qu'ils  fe  donnent, 
Deffus  lequel  ils  Je  façonnent 
Le  pourtrait  d'vne  heureufe  vie, 
Voyent  foudain  fuiure  Venuit 
Du  fort  bien  fuuuent  irrité, 
Rabbaiffant  leur  félicité. 
Songe^  à  celuy  qu^aue\  veu^ 
Ce  brauc  Abbé  tant  bien  pourueu 
Moins  en  VEglife  qu*en  fbllie  : 
Songe^  diS'ic  au  mal  qui  le  lie, 
Ains  Vejlrangle  tant  doucement 
D*vn  follaftrc  contentement  : 
Il  Je  fait  f cul  heureux ^  en  tout 
Il  nUmagine  point  de  bouty 
n  ne  preuoity  &  ne  prcuient 
Au  malheur  qui  fouuent  adulent  : 
Et  qui  pis  ejl,  voir  il  n*a  fceu 
QjtUl  eft  iournellement  deceu. 
L^aueuglement  ejï  le  moyen 
De  tourner  vn  beaucoup  en  rien, 
n  ejififol,  comme  ie  voy, 
Depenfer,  Alix  cjl  à  moy. 
Et  me  tient  feul  ami  certain  : 
Alix  dy-ie  plus  grand  putain 
Qu'on  puiffe  voir  en  aucun  lieu^ 
Et  qui  veut  fans  crainte  de  Dieu 
Se  bajlir  aux  deux  vne  porte. 
Par  Vamour  qu'à  tous  elle  porte, 
Exerçant  fans  fin  charité. 
Affe\  long  temps  elle  a  efié 
A  vn  Florimond,  homme  d'armes. 
Qui  parauant  fous  les  alarmes, 
Par  qui  fon  amour  Vafferuit, 


ACTE   t,    SCENE   II.  27 

Long  temps  à  Hélène  feruit , 
Sœur  de  ce  bel  Abbé  mon  maiftre, 
Sans  par  /on  pourchas  iamais  eftre 
Receu  au  dernier  poinâ  de  grâce. 
Tant  qû*eftant  vaincu  de  V audace 
De  fa  maiftreffe  impitoyable, 
Pour  paffer  V amour  indomtable, 
Et  amortir  fa  fantaifie, 
Fuji  par  luy  cejie  Alix  choijte, 
\         Laquelle  il  entretint  toujiours, 

Non  pas  feul  maiftre  des  amours, 

Jufques  à  ce  camp  d^ Allemagne, 

Pour  lequel  fe  mijï  en  campagne  : 

Mefmes  on  rrCa  dit  qu^vn  grand  \ele 

Florimond  auoit  enuers  elle. 

Mais  qui  veut  bien  aimer,  ne  face 

Aux  Pariftennes  la  chaffe  ; 

Et  puis  nofire  Abbé,  nojïre  braue 

Fol  mafqué  d'vn  vifage  graue, 

Ce  fût,  ce  meffer  coyon  penfe 

Auoir  eu  feul  la  iouîffance, 

Et  Va  mife  en  fon  mariage 

Afin  quHl  feift  vn  cocuage 

De  mary  &  d^amy  enfemble. 

Mais  ie  vous  prie,  que  vous  femble 

Des  morgues,  que  ie  tiens  vers  luy? 

SUl  dit  ouy,  ie  dis  ouy  : 

S*il  dit  non,  ie  dis  auffi  non  : 

S*il  veut  exalter  fon  renom. 

Je  le  poufferay  par  ma  voix 

Plus  haut  que  tous  les  deux  trois  fois, 

Ainfi  ie  fais  vn  ameçon 

Pour  attraper  quelque  poiffon 

En  la  grand*  mer  des  bénéfices, 

Sont  mes  eftats,  font  mes  offices, 

Et  qui  n'enfçait  bien  fa  pratique, 

Voife  ailleurs  ouuriv  fa  boutique. 


28  LKVGENE,   COMEDIE. 

SCENE     III. 

GVILLAVME,  ALIX,  MESSIRE  lEAN. 

Guillaume. 

Hé  Dieu  quelle  heureu/e  Jbrtume 
APeuJt  efti  plus  heureufe  qu^mte. 
Ou  quelle  plus  douce  rencontre 
En  toute  la  terre  fe  monftre^ 
Q)te  celle  là  qu^ores  Pay  faite 
De  cefte  femme  tant  parfaite^ 
A  qui  Dieu  m^a  ioint  pour  ma  vie? 
Hé  mon  Dieu  que  Pay  bonne  enuie 
De  Ven  rendre  grâce  à  iamais! 
Ah  /  ie  Ven  iray  déformais 
Souuent  prefenter  des  chandelles^ 
Et  à  la  Roine  des  pucelles, 
Qjii  m* a  donné  fi  chafle  femme. 
Sa  beauté  tout  le  monde  enflamme  : 
Car  ie  voy  bien  fouuent  paffer 
Maints  amourets  que  trefpaffer 
Elle  fait  en  les  regardant  : 
Mais  aucun  iCy  va  prétendant. 
Accablé  deffousfa  vei-tu  : 
Moymefme  iefuisabbatu 
Bien  fouuent  de  fa  chafteté. 
Car  alors  que  fuis  excité 
De  faire  le  droit  du  mefnage. 
Elle  me  dit  d*vnfainâ  courage, 
Efcoute,  nton  mignon,  contemple 
Du  bon  lofeph  la  fainâe  exemple, 
Q)ti  ne  toucha  fa  fainâe  Dame. 
Noftre  chair  efï  vile  &  infâme  : 
Ces  aâes  font  vilains  &  ords. 
Et  qui  nous  damne,  que  le  corps  ? 


ACTE   I,    SCENE   III.  29 

Alors  te  me  mets  en  prière^ 
Et  luy  tourne  le  cul  arrière  : 
Car  helas  (bon-Dieu)  tu  ne  veux 
Que  Ion  bleffe  les  chafies  vœus. 

*^  Alix. 

Qui  eft  celuy  que  Voy  compter, 
Et  tellement  fe  contenter? 
Ha  mananda,  c^eft  mon  badault  : 
Efcouter  ici  me  le  faut, 
Pourfçauoir  quHl  dira  de  moy, 

Guillaume. 

Bon  Dieu,  ie  fuis  tenu  à  toy! 
Outre  cela  elle  efi  tant  douce. 
Jamais  f es  amis  ne  repouffe  : 
Elle  eft  à  chacun  charitable. 
Et  enuers  moy  tant  amiable 
Q}te  le  monde  en  efï  efïonné. 
Qyiantesfois  m^a  telle  donné. 
De  V argent  pour  m^ aller  ioûer? 
Cil  qui  veut  à  Dieu  fe  vouer 
Ne  fera  iamais  indigent, 
Alix  a  toujiours  de  V argent, 
Elle  efi  fainâe  dés  ce  bas  lieu  : 
Car  c^efi  de  la  grâce  de  Dieu, 
Que  ceft  argent  luy  vient  ainjt, 

Alix. 

le  fuis  en  paradis  auffi^ 
D*auoir  vn  mary  tel  que  Vay  : 
Par  ainfi  fainâe  ieferay. 

Guillaume. 
Mefme  quand  ie  me  vais  efbatre, 


l6  l'eVGENE,    COMEDIE. 


ACTE    I. 


SCENE    I. 


EVGENE,  ABBÉ,  MESSIRE  lEAN,  chappblain 

Eugène. 

La  vie  aux  humains  ordonnée 
Pour  eftrefi  toft  terminée 
Ainfl  que  me/me  tu  as  ditj 
Doit  elle,  pour  a-oire  à  crédit, 
Se  charger  de  tant  de  trauaux? 


Meffire  lean. 

Le  feul  fouuenir  de  nos  maux, 
Qjii  ia  vers  nous  ont  fait  leur  tour, 
Ou  de  ceux  qui  viendront  vn  iour 
Vapprehenfion  incertaine 
Empoifonne  la  vie  humaine  : 
Et  d'autant  quUls  la  font  plus  grieue, 
Ils  la  font  aujfi  bien  plus  brieue. 
Mais  quifçait  mieux  en  ce  bas  ci 
Que  vous,  Monjieur,  quUl  eft  ainfi? 

Eugène. 

//  ne  faut  donc  que  du  paffé 
Jlfoit  après  iamais  penfé. 
Il  faut  fe  contenter  du  bien 
Qui  nous  eft  prefenty  &  en  rien 
N'^eftre  du  futur  foucieux. 


ACTE    I,    SCENE    I.  I7 

Meffîre  lean. 
O  grand  Dieu,  qui  dift  onques  mieux  ! 

Eugène. 

Comment  donc  ne  confent  on  point 
De  p aimer  foymefme  en  ce  poinâ. 
De  fe  flater  en  fon  bon  heur, 
Depaueugler  en  fon  malheur. 
Sans  donner  entrée  au  fouci  ? 

Meffire  lean. 
Oeft  abus,  il  faut  faire  ainji, 

Eugène. 

En  tout  ce  beau  rond  fpacieux, 
Qui  eft  enuironné  des  deux. 
Nul  ne  garde  Jî  bien  en  foy 
Ce  bon  h^ur  comme  moy  en  moy  : 
Tant  que  f oit  que  le  ventpemeuue. 
Ou  bien  quHl  grefle,  ou  bien  quHl  pleuue, 
Ou  que  le  Ciel  de  fon  tonnerre 
Face  paour  à  la  pauure  terre, 
Toujiours  Monfieur  moy  ieferay. 
Et  tous  mes  ennuis  cha/feray. 
Car  ferois-ie  point  malheureux 
D^cjlre  à  mon  fouhait  plantureux, 
Et  h\e  tourmenter  en  mon  bien? 
le  ne  voûray  iamais  à  rien^ 
Sinon  au  plaifir,  mon  ejiude. 

Meffire  lean. 

Ce  feroit  vne  ingratitude 
loAtUt,  —  I.  '2 


i8  l'evgenk,  combdib. 


Enuers  la  fortune  autrement , 
Qjii  vous  pouruoit  tant  richement  : 
Car  qui  eft  mal  content  de  Joy 
Il  faut  quHlfoitf  comme  ie  croy. 
Mal  content  de  fortune  en/emble. 

Eugcnc. 

Fortune  affe:ç  d*heur  me  rajfemble 
Pour  me  plaire  en  ce  monde  ici^ 
Efclauant  en  tout  mon  fouci  : 
Sans  trauail  les  biens  à  foifon 
Sont  apporte^  en  ma  mai/on, 
Biens j  ie  dy^  que  iamais  n^acquirent 
Les  parens  qui  naiftre  me  feirent. 
Et  qui  ainfi  donne:{  me  font 
Qu*à  mes  héritiers  ne  reuont, 
Ains  pour  rendre  ma  feule  vie 
En  fes  délices  affoume^ 
Ce  que  nous  pratiquons  ajfe^ , 
Tant  quUlfemble  que  ramajfe^ 
Tous  les  plaifirsfe  foyent  pour  moy. 
Les  Rois  font  fuie ts  à  Vefmoy 
Pour  le  gouuernement  des  terres  : 
Les  Nobles  font  fuiets  aux  guerres  : 
Quant  a  luftice,  en  fon  endroit 
Chacun  efiferfde  faire  droit. 
Le  marchant  eft  ferf  du  danger 
Qu^on  trouue  au  pais  eftranger  : 
Le  laboureur  auecque  peine 
Preffe  fes  bœufs  parmi  la  plaine  : 
Vartifan  fans  fin  molefté, 
A  peine  fuit  fa  pauureté. 
Mais  la  gorge  des  gens  d'Eglife 
N eft  point  à  autre  ioug  fubmife, 
Sinon  qu^à  mignarder  foymefmes, 
PPauoir  horreur  de  ces  extrêmes 
Entre  lef quels  font  les  vertus  : 


ACTE  I,    SCENE   I.  IQ 


Eftre  bien  nourris  &  veftui^ 
Eftre  cure^,  prieurs,  chanoines, 
Ahheitfans  auoir  tant  de  moynes 
Comme  on  a  de  chiens  &  d'oifeaux^ 
Auoir  les  bois^  auoir  les  eaux 
Defleuues  ou  bien  de  fontaines, 
Auoir  les  prej,  auoir  les  plaines^ 
Ne  recognoiftre  aucuns  feigneurs, 
Fuffent  ils  de  tout  gouuemeurs  : 
Bref,  rendre  tout  homme  ialoux 
Des  plaifirs  nourriciers  de  nous. 
Mais  queferuiroit  f  expliquer  ' 
Ce  que  tu  vois  tant  pratiquer, 
ÎPeftoit  que  ie  me  plais  ainfi 
En  la  mémoire  de  ceci, 
Voulant  lesplaifrs  faire  dire 
Ou  d'heure  en  heure  ie  me  mire  ? 
Au  matin,  quoy? 

MefHre  Iean< 

Le  feu  léger. 
De  peur  que  le  froid  outrager 
Ne  vienne  la  peau  tendrelette. 
Le  linge  blanc,  la  chauffe  nette. 
Le  mignard pignoir  d^ Italie, 
La  vefkure  à  Venui  iolie. 
Les  parfums^  les  eaux  de  fenteurs, 
La  court  de  tous  vosferuiteurs, 
Le  perdreau  *.enfa  faijon. 
Le  meilleur  vin  de  la  maifon, 
Afin  de  mettre  à  val  vosflumes  : 
Les  Hures,  le  papier,  les  plumes. 
Et  les  breuiaires  cependant 
Seroyent  mille  ans  en  attendant 
Auant  qu^on  y  touchaft  iamais. 
De  peur  de  fe  morfondre  :  mais 
Au  lieu  de  cesfots  exercices  y 


20  L  EVGËNKy    COMEDIE. 


De  la  mufique  les  délices 

Auant  que  monter  à  ckeual. 

Et  puis  &  par  mont  &  par  val 

Voler  Poifeau,  fe  mettre  en  quejte 

Bien  fouuent  de  la  rouffe  bejte  : 

Ou  bien  par  les  plaines  errant 

Suiure  le  Heure  bien  courant^ 

Pendant  que  moy  Meffire  lean 

le  fué  auprès  le  feu  d^ahan, 

De  ta/ter  les  molles  viandes. 

Pour  vous  les  rendre  plus  friandes  : 

Vous  arriuex  tous  affame:^ , 

Les  chaudeaux  font  Soudain  hume:^y 

De  peur  de  vicier  nature  : 

On  fait  aux  tables  couuerture , 

On  rit,  on  boit,  chacun  fait  rage 

De  babiller  du  tricotage. 

On  eftfaoul,  onfe  met  en  ieu. 

Et  puisfonfent  venir  le  feu 

De  la  chatouillarde  amourette. 

Soudain  en  la  quefie  on  fe  iette, 

Tant  qu^on  reuienne  tous  taris 

Par  cespiffeufes  de  Paris,        m 


Eugène. 

Tout  beau  Meffire  Jean,  tout  beau, 
Demoure  là,  d*vn  cas  nouueau. 
Puis  qu'à  V amour  tu  es  venu, 
M?efï  à  cefle  heure  fouuenu. 
Pour  lequel  appelé  fauois. 


Meffire  lean. 

Qji(^?  comment?  d'oti  vient  telle  voix? 
Auè:{  vous  receu  quelque  offenfe? 


ACTE    I,    SCENE   I.  21 

T 


Eugène. 

Non,  non,  tout  beau,  feulement  penfe 
De  me  preftev  ici  tesfens. 
Tu  fçais  bien  que  depuis  le  temps 
Que  Henry  magnanime  Roy, 
A  mené/es  gens  auec  foy 
Tufques  aux  bornes  cP Allemagne, 
Amour  qui  Je  meift  en  campagne 
Pour  faire  quejle  de  mon  cœur, 
S*eji  rendu  deffus  moy  vainqueur. 
Me  venant  d^vn  trait  enflammer. 
Pour  me  faire  ardemment  aimer 
Cefte  Alix,  mignarde  &  iolie. 
Bague  fort  bonne  &  bien  polie. 
Pour  qui,  o  feruiteur  fidelle. 
Tu  me  vaux  vne  maquerelle, 

Mefflre  lean. 

O  que  ie  me  tiens  en  repos, 
Pour  voir  oîi  cherra  ce  propos. 

Eugène. 

lufquHci  tant  bien  m'asferui, 
Qite  du  tout  en  elle  ie  vi  : 
Et  pour  eflre  bon  guerdonneur 
Luy  voulant  couurirfon  honneur. 
Comme  tu  es  bien  aduerti, 
Luy  ay  trouué  le  bon  parti 
De  Guillaume  le  bon  lourdaut, 
Q}ii  eji  tout  tel  qui  •  nous  le  faut. 
Et  les  ay  marie^  enfemble, 

Meffire  lean. 
O  fort  bien  fait. 


24  I'  EVGENE,   COMEDIE. 

Du  temps,  &  clic  fe  complaint 
Quel  amour  aff€\  ne  m'aiiaint. 

Mcffirc  Ican. 
O  dueil  heureux! 

Kugcnc. 

Elle  fappaife^ 
Elle  accourt  f  &  plus  fort  me  baife  : 
Puis  parreftant  elle  fe  mire 
Dedans  mes  yeux, 

Meffirc  lean. 

O  doux  martyre  ! 

Eugcnc. 

Et  folaflrant  elle  vempoigne 
Mes  leures,  qui  font  vne  trongne. 
Afin  que  d'elle  elles  foyent  morfes  : 
Et  quant  eft  des  autres  amorces, 
Penfe  que  peut  en  cela  faire 
Celle  qui  fe  plaift  en  V affaire, 

Meffirc  Ican. 

Quipourroit  efïre  homme  tant  froid ^ 
Qui  nepémeuft  en  cefl  endroit? 

Eugcnc. 

Mais  où  me  fuis-ie  promené  ? 
Oîi  V amour  m'a  il  ia  trainé? 
Or  doncfçaches  en  cefi  affaire 
Comment  il  te  faut  me  complaire 


ACTE   I,    SCENE    I.  25 

Au  long  difcaurs  de  cefte  ckofe. 
Deux  poinûs  tous  feuls  te  te  propofe  : 
La  peur  que  Vay  que  ce  fottard 
Decœuure  la  braife  qui  nCard  : 
Et  la  peur  que  Vay  qu^en  ma  Dame 
Ne  p allume  quelque  autre  flamme. 
Au  premier  tu  remediras, 
Quand  ce  lourdaut  gouuerneras, 
L*affeurant  que  Vay  bonne  enuie 
De  luy  aider  toute  fa  vie  : 
Qjiand  tu  le  mèneras  au  ieu, 
Qjiand  Vamadoûant  peu  à  peu, 
Tu  le  rendras  ami  de  toy. 
Autant  que  fa  femme  eft  de  moy. 
Afin  qu^aye:(  V entrée  feure. 
Qfiand  eft  du  fécond,  ie  faffeure 
Q}Vil  te  faudra  prendre  cent  yeux. 
Afin  de  me  la  garder  mieux  : 
Qji'on  efpie^  que  Ion  regarde, 
Qji^on  fenquiere,  qu^on  prenne  garde 
De  fCeftre  en  embufche  trouué, 
Apres  auoir  bien  efprouué. 
Pour  le  loyer  de  ton  office 
lè  te  voue  vn  bon  bénéfice, 

Meffire  lean. 

Grand  mercy,  Monfieur,  c^eft  dejgrace  : 
Ne  vousfouciei  que  ie  fade, 
Naye^  de  ces  deux  poinûs  efmoy, 
Dés  ores  iepren  tout  fur  moy. 


SCENE   II. 

Meffire  lean. 
Ainfi,  Dieu  m'aime,  on  voit  ici 

2* 


58  l'eVGENE,    COMEDIE. 

Qui  a  il  de  nouueau  ?  voila 
Nqfire  malheureux  maiftre  Eugène 
Qjiifort  auecfafœur  Hélène, 
lepenfe  que  fi  les  hauts  deux 
S*appaifoyent  des  larmes  des  yeux, 
Qu^ Hélène  plus  en  iettera 
QuHl  n'en  faut,  quand  elV  lefçaura. 

Eugène. 

Mon  cœur  peft  pris  à  treffaillir, 
Te  fens  quafi  ma  voix  faillir, 
Ma  face  eft  ia  toute  blefmie, 
Hélène,  fœur  &  bonne  amie. 
Quand  Vay  regardé  contre  val. 
Voici  Vambaffadeur  du  mal, 
Voici  mon  Chappelain  qui  vient  : 
A  veoir  la  face  quHl  nous  tient 
Le  malheur  iure  contre  nous. 

-  j  Hélène. 

Las  mon  Jr^re  que  fere\  vous  ? 
Mais  las  que  feray-ie  âflouette  ? 
Que  deuiendray-ie  moy  pauurette? 
Refieray-ie  en  ce  monde  ici. 
Voyant  mon  frère  en  tel  fouci  ? 
Mon  efprit  fuira  comme  vent  : 
Mais  ie-ti^  courir  au  deuant. 
Te  veux  Vinfbrtune  fçauoir. 
Meffire  Tean,  ie  puis  bien  voir 
Qjie  quelque  chofe  efl  furuenué, 

I         Meffire  lean. 

Les  Dieux  ont  promeffe  tenue  : 
Apres  Vheur  on  fent  le  malheur, 
Apres  la  ioye  la  douleur. 
Et  la  pluye  après  le  beau  temps. 


ACTE   III,    SCENE    II.  Sq 


Hélène. 

O  Dieu  retien  en  moy  mes  fens, 
Ou  ie  cherray  en  paf moi/on. 

Eugène. 

Qjte  la  douleur  eft  grande  prifon, 
le  me  fens  prefque  aujfi  faillir, 

MefAre  lean. 

Et  vous  foulieiç  fi  bien  faillir 
En  voflre  aife  contre  les  deux, 
Et  difie:(  qu^eftrefouâeux 
En  rien  ne  conuenoit  à  vous. 

\ 

t 

Eugène. 

O  Jupiter  quefommes  nous! 

Pouuons  nous  rien  de  nous  promettre  ? 

Mefdre  lean. 

Et  vous  foulie\  fous  le  pied  mettre 
Toute  inconftance  &  changement, 
Vous  vantant  qu^ éternellement 
Non  autre  que  vous  vousferie^, 
Et  tous  les  ennuis  chafferie:^? 
Mais  il  vaut  mieux  vn  repentir. 
Bien  quHlfoit  tard,  que  d'amortir 
La  cognoiffance  que  Dieu  donne 
Par  le  malheur  de  la  perfonne, 

Eugène. 

Mais  encores  laiffons  nos  pleurs ^ 
Retenons  vn  peu  nos  douleurs, 


y 


60  L*EVGENE,    COMEDIE. 

Ne  donnons  point  tant  à  la  bouche 
Qufe  les  oreilles  on  ne  touche» 
Qui  a-il  y  dy? 

Meffîrc  lean.' 

Tantoft  i'eftois 
Che:^  Alix  oîi  ie  banquetois 
Auec  Guillaume^  pour  vous  plaire  y 
Comme  me  commandie:{  de  faire^ 
Quand  à  vn  inftant  eft  entré 
Vnfoldat  fort  bien  accouftré 
D^equippage  requis  en  guerre, 
Qui  vouloit  mettre  tout  par  terre, 
Blafphemant  tous  les  deux,  marry 
D^ouîr  nommer  ce  mot  mary. 

Hélène. 
Elle  qû*at  elle  refpondu  ? 

Meffire  lean. 

Toute  tremblante  elle  a  rendu 
Ces  refponces,  Et  bien  Arnault 
La  plusfainûe  plus  fquuent  fault  : 
Mais  on  appaife  de  Dieu  Vire 
Quand  du  deffaut  on  Je  retire  : 
VAbbé  mon  coujin  me  voyant 
En  paillardife  foruoyant**^ 
M^a  mi/e  auec  cet  homme  ci, 
Auec  lequel  ie  vis  ainfi 
Que  doibt  faire  femme  de  bien. 
Pute  (dit-il)  ie  n'en  croy  rien. 
Il  n'y  a  point  de  coujinage. 
Il  Va  mis  en  ce  mariage 
Pour  feurement  couurir/on  vice  : 
Mais  nous  donnerons  telfupplice 


ACTE   III,    SCENE   II.  6l 

A  toy^  à  ton  Abbé  Eugène, 
Et  àfaputefœur  Hélène, 
Quife  vange  ainfi  de  mon  maiftre, 
Qjte  la  mémoire  pourra  eftre 
lufqu^à  la  bouche  des  neueux. 
n  faifoit  dreffer  les  cheueux 
A  moy  &  à  Guillaume  aujfi. 

Hélène. 
Et  Guillaume  quoy? 

Meffire  lean. 

Tout  tranjîy 
Eftonné  de  ce  cas  nouueau 
Nefonnoit  mot  non  plus  qu^vn  veau  : 
Et  Vautre  branjlantfa  main  dextre, 
Enragé  va  quérir  fon  maiftre. 
Et  puis  voftre  Alix  de  crier ^ 
Et  Guillaume  defupplier  : 
Alix  detranchefes  cheueux. 
Et  Guillaume  fait  de  beaux  vœux 
A  tous  lesfainds  de  paradis. 
le  fuis  feur  que  les  eftourdis 
Vous  donneront  après  Vaffaut. 

Hélène. 
Las  mon  frère,  le  cœur  me  faut  ! 

Eugène. 

Las  ie  ne  puis  rien  dire  auffi  !    . 
Penfons  vn  peu  à  tout  ceci. 

Helcnc. 
Mais  que  penfer? 


62  l'eVGENE,    COMEDIE. 


Meiïire  lean. 

Une  faut  pas  j 
Mefme  prochain  de  fon  tre/pas. 
Abandonner  du  tout  Vefpoir. 

Hélène. 
Mais  quel  efpoir  ? 

Meffire  lean. 

On  peut  bien  voir 
Q}ie  voftre  cœur  rCeft  point  viril, 

Hélène. 
Qjiel  cœur  aurois~ie? 

Meffire  lean. 

Quel?  faut  il 
Tant  obéir  à  la  douleur^ 
Qu^onfe  laiffe  vaincre  au  malheur? 
Penfons  :  peut  eflre  que  les  Dieux 
Nous  conf cilleront . 

Eugène. 

Il  vaut  mieux, 
Puis  qu^ainfi  le  mal  nous  affole, 
Qui  bleffe  &  Vame  &  la  parole, 
Dedans  la  maifon  nous  retraire 
Pour  mieux  efplucher  cejl  affaire. 


\ 


ACTE   III,   SCENE    III.  Ci 


SCENE    III. 

ALIX,  FLORIMOND,  GVILLAVME,  ARNAVLT, 

PIERRE. 

Alix. 
A  Vaide, 

Florimond. 

le  fuis  au  fecours. 

Guillaume. 

Tout  beau,  bellement  ie  m'encours, 
Pen  arracherois  bien  autant. 

Fiorimond. 

le  periffe,  tu  feras  tant 
Et  tant  &  tant  de  moy  battue. 
Qjii  me  tient  que  ie  ne  te  tue, 
Pute,  m'as  tu  fait  tel  outrage  ? 
Me  fais  tu  fbrcener  de  rage*? 

Alix. 
Helas  Monfieur,  pour  Dieu  merci! 

Florimond. 

Tu  n'es  pas  quitte  pour  ceci, 
Toufioursfe  renouuellera 
La  playe,  &  en  moy  faignera  : 
Mais  laijpons  ici  la  vilaine^ 
Amault  cefïe  maifon  eft  pleine 
De  mes  biens,  quUl  faut  emporter. 


64  LEVGENE,    COMEDIE. 

Alix. 
Monfieur  voulez-vous  tout  ofter  ? 

Arnaplt. 

//  auroit  me/me  bonne  enuie 
De  t' ofter  ta  niefchante  vie, 
SHl  y  pouuoit  auoir  honneur. 

Florimond, 
Sus  en  haut. 

Arnault. 

Sus  donc,  Monfeigneur. 

Florimond. 
Laquais,  trouue  des  crocheteurs. 

Pierre. 

Py  vois  Monfieur f  &  quant  à  eux 
Us  voleront  bien  toft  ici, 
PPont  ils  pas  des  ailes  au/fi  ? 

Alix. 

O  que  ie  fuis  au  monde  née 
Pour  eftre  au  malheur  deftinee  ! 
Quel  malheur  auroit  bien  enuie 
Sur  le  grand  malheur  de  ma  vie  ? 
Aa  faulfe  marâtre  nature, 
Pourquoy  m'ouurois  tu  ta  clofture  9 
Pourquoy  vn  cercueil  éternel 
Ne  fiS'ie  au  ventre  maternel  ? 
Mais,  las  !  il  faut  que  chacun  penfe 
Que  toufiours  telle  reconipenfe 


ACTE   IIII,    SCENE    I.  65 

Suit  chacun  des  forfaits,  qui  traine 
Pour pacquerrefa  propre  peine. 
Sus  donc  Efprit,  fois  foucieux  : 
Sus  donc,  fus  donc  pleure:;  mes  yeux, 
Qfte:(  le  pouuoir  à  la  bouche 
De  dire  le  mal  qui  me  touche. 


ACTE   IIII. 


SCENE  I. 

Guillaume. 

S* il  y  a  eu  perfonne  aucune 
Plus  enuié  de  la  fortune 
Et  du  bon  heur,  que  iefuis  ores, 
le  veux  efire  plus  mal  encores. 
Helas,  qui  eufï  ceci  penfé! 
le  ne  le  croy  pas  :  offenfé 
M* ont  en  cela  ces  gens  de  guerre, 
Et  pendant  deçà  delà  Verre, 
Qjie  Ion  bat  ma  pauure  Innocente. 
SuiS'ie  tantfot  que  ie  ne  fente 
Quand  ie  fuis  toufiours  auec  elle 
Si  elle  m'eft  tant  infidelle? 
Mais  quoy?  elle  a  ia  confcjfé 
Qjte  Dieu  elle  auoit  offenfé 
Auec  Monfteur  le  gentilhomme  : 
Oeftoit  de  grand*  p^^^f  ^iflfi  comme 
Ceux-là  que  Ion  gefne  au  palais, 
Confejfent  des  forfaits  non  faits. 
le  nefçay,  ie  n^enfçay  que  dire. 
Sinon  que  rendre  mon  mal  pire, 
D'autant  plus  que  Vy  penferay  : 
Par  deuant  VAbbé  pafferay, 
lodelU.  —  1. 


66  l'eVGENE,    COMEDIE. 


Qui  fera,  peut  eftre,  à  fa  porte, 
A  celle  fin  quHl  me  conforte. 
Encore  qu'il  foit  auiourdhuy 
La  caufe  de  tout  mon  ennuy. 


SCENE   II. 

MATTHIEV,  CREANCIER,  EVGENE,   GVILLAVME, 
HELENE,  MESSIRE  lEAN. 

Matt^eu. 

On  rïCa  maintenant  rapporté 
.  Qu'on  auoit  à  Guillaume  ofté 
Tous  les  meubles  de  fa  maifon  : 
Depuis  que  Von  prend  la  toifon 
H  conuient  au  mouton  fe  prendre. 
Mais  oit  ejï  il?  il  luy  faut  rendre 
Auiourd'huy  ce  que  Vay  prefté 
S'il  ne  vouloit  eftre  arrejïé 
Dedans  V enfer  du  Chaftellet  *•. 
Efl'il  rien  au  monde  fi  laid 
Que  de  frauder  f es  créditeurs? 
le  fuis  troublé,  ces  tranfporteurs 
Ore  m^ont  rendu  efionné, 
Auroit  il  bien  tout  façonné 
Craignant  vne  exécution  : 
Auroit-il  fait  vendition ? 
Où  le  trouueray-ie  à  cefte  heure^ 
Puis  quHl  v^eft  pas  oÎ4  il  demeure? 
Ches[  fon  Abbé,  comme  ie  croy. 
Vy  vois,  Vy  vois. 

Eugène. 
Maisrefpons  moy,      *^k 


ACTE  Ilir,  SCENE   II.  67 

Ont  ils  dit  qu*ils  viendront  che^  nous 
Incontinent? 

Guillaume. 

Dejffende^'vous  : 
Car  ie  fuis  feur  qu*  ils  le  fer  ont  ^ 
Et  pilé  peuuent  outrageront. 

Eugène. 
Las  que  diray-ie  ! 

Hélène. 

Et  que  feray-ie  ! 

Meffire  lean. 

Le  malheur  prend  bien  toft  fon  fiege 
Dedans  ceux  qui  n^y  penfent  point. 

Guillaume. 

Us  me  mettront  en  piteux  poinâ, 
Si  lors  m^y  rencontrent  auffi. 

Eugène. 
Les  Sergensfont  ils  prés  dHci? 

Hélène. 
Qjioy  Sergens?  laijfons  ce  moyen. 

Matthieu. 

A  la  bonne  heure  ie  voy  bien 
Mon  Guillaume  deuant  la  porte 


68  L*EVGENE,    COMEDIE. 

De/on  Abbé,  qui  le  conforte. 
Peut  eftre,  des  biens  emporte:;, 
le  m'approche. 

Guillaume. 

De  tous  cojfe^ 
Le  malheur  eft  mon  deuancier  : 
Helas!  voici  mon  créancier. 

Hélène. 

Hé!  quHl  vient  à  heure  opportune 
Pour  foulager  voftre  fortune. 

Matthieu. 
Et  bien  Guillaume  de  V argent? 

Hélène. 

Pourfuiue^'vous  vn  indigent, 
EJles  vous  forclus  d'amitié  ? 

Matthieu. 

La  raifon  chaffe  la  pitié. 
Il  faut  payer. 

Hélène. 

Et  fil  n^a  rien 
Dequoy  payer  ? 

Matthieu. 

Hpayra  bien: 
Le  corps  eft  de  V argent  le  pleige. 


ACTE   IIIl,    SCENE   III.  Cuj 

Hélène. 
Mais  fil  n'a  rien? 

Guillaume. 

Comme  aujfi  vCay-ic, 

Hélène. 
Son  cercueil  eft-ce  la  prifon  9 

Eugène. 

Bien  hien^  entrons  en  la  maifon. 
On  pourra  faire  quelque  chofe  : 
Ou  bien  fi  rien  nefe  compofe 
Soyons  tous  en  tout  malheureux. 

Matthieu. 

le  ne  fuis  pas  tant  rigoureux 
Qjie  ie  n'entre  bien  auec  luy, 
Pour  Vattendre  tout  auiourdhuy. 


SCENE   III. 


FLORIMOND,   ARNAVLT. 


Fiorimond. 

O  Ciel  gouuerneur,  quel  edià 
Drejfestu  aupauure  interdit 
De  fa  liejfe  couftumicre  ! 
Ou  quelle  ordonnance  meurdrierc, 


70  L  EVGENE,    COMEDIE. 

Qjieîle  tourelle  deftinee 
A  ce  iour  pour  moy  ramenée  ! 
Le  haut  Soleil,  qui  pour  couronne 
Son  chef  de  mille  feux  couronne, 
Afapportoit-il  ia  cefi  ediâ. 
Lors  que  laiffant  le  iaune  lia 
A  par  la  grand*  lice  ordonnée 
Commencé  fa  feiche  trainee? 
Mais  quoy?  la  fureur  me  tranfporte. 
Mes  ennuis  m'ouurent  vne  porte 
Incogneué  à  tous  mes  efprits  : 
Tant  que  iefuis  du  dueil  épris. 
Je  fuis  mort,  ie  péri,  c'eft  fait, 
Ma  vie  auec  toutfon  effet 
Dependoit  de  cefle  amour  mienne  : 
Et  faut-il  ore  que  ie  vienne 
Perdre  ce  qui  me  faifoit  viure  ? 
Puis  après  fi  ie  veux  pourfuiure 
Et  vanger  telle  cruauté, 
La  iuflice  eft  d'autre  cofié, 
Qui  ia,  ce  me  femble,  me  chajfe. 
Et  mes  biens  &  mon  chefmenaffe. 
Si  Vaffopi  cefle  vengeance, 
le  viendray  fentir  telle  outrance 
Qjie  defpit  me  fera  creuer. 

Arnault. 

Ne  vous  vueille:{  ainfi  greuer, 
Tous  ces  maux"  auront  guarifon. 
Premier  quant  eft  de  la  poifon, 
Qjii  tellement  vous  a  deceu, 
Que,  comme  dites,  n'aue^fceu 
En  ce  monde  viure  fans  elle, 
La  contrepoifon  infidelle 
A  cefte  poifon  hors  poujfee  : 
Quant  à  la  iuftice  offenfee, 
.  Qui  contre  vousfe  leueroit, 


r» 


ACTE   IIII,    SCENE   III.  yi 

Qjtand  le  faux  tour  on  vengeroit  : 
De  cela  fCaye:{  peur  aucune, 
le  me  hafarde  à  la  fortune, 
Toutfeul  demain  ie  m^en  iray, 
Et  nojtre  Abbé  ie  meurdriray. 
Si  iefuy  ignore:^  le  cas: 
Si  ie  fuis  pris,  dites  que  pas 
PPeftie^  de  ce  fai&  confentant. 
Faime  mieux  feul  mourir  que  tant 
En  vous  voyant  fouffrir y  fouffrir, 

Florimond. 
Vrayment  c^efl  brauement  f  offrir. 

Ârnault. 

Ainfi  Vire  n^affopire^, 
Et  de  defpit  ne  creueres{, 

Florimond. 

Bafie  bafie,  laiffons  ceci, 

Le  mal  toujiours  croifl  du  fouci, 

Face  la  iujlice  du  pire, 

lime  faut  dégorger  mon  ire, 

Il  faut  que  ce  braue  maftin 

Poccie  demain  au  matin. 

Me  faifant  au  mal  qui  me  mine 

Par  fon  fang  vne  médecine. 


72  L  EVGENE,    COMEDIE. 

SCENE    IIII. 

EVGENE,  MESSIRE    lEAN, 

Eugène. 

Eft-il  poffible  que  ma  bouche 
Pour  me  complaindre  Je  débouche  ? 
EJïAX  poffible  que  ma  langue 
Tire  du  cœur  vne  harangue, 
Pour'deuant  le  ciel  mettre  en  veué 
Le  mal  de  Vame  defpourueué? 
Non  non,  la  douleur  qui  m'atteint 
Toutes  mes  puijfances  efteint, 
Et  Vair  ne  veut  point  p entonner, 
De  crainte  de  fempoifonner 
Du  dueil  en  ma  poitrine  enclos, 

Meffire  lean. 
O  vray  Dieu  quels  horribles  mots  ! 

Eugène. 

Pource  quHl  Semble  que  malheur 
Ait  remis  toute  la  douleur 
De  chacun  des  autres  fur  moy  : 
le  porte  de  ma  fœur  Vefmoy, 
Tant  pour  fa  petite  portée, 
Qjie  pource  que  defconfortee 
Elle  ejï  à  tort  :  car  ce  monfieur 
La  nomme  caufe  du  malheur. 
De  Guillaume  non  feulement 
Il  me  faut  porter  le  tourment. 
Mais  à  ce  que  te  voyfa  debte. 
Et  combien  qu^Alix  foitfubiete 


/.' 


ACTE   un,   SCENE   IIII.  yS 

A  tromper  ainfi  f es  amis, 
Mon  cœur  tCeft  pas  hors  (Telle  mis  : 
lefouftien  encorces  trauaux, 
Et  puis  ie  porte  tous  mes  maux. 
Dont  Vvn  eft  tel  que  le  guarir 
N*en  fera  que  le  feul  mourir  : 
le  cognois  trop  bien  Florimond. 

Meftire  lean. 

Premièrement  étonné  m"* ont 
Auec  leurs  mots,  comme  eftocades  **, 
Caps  de  dious,  ou  eftaphilades, 
Ou  autres  hrauades  de  guerre  : 
Sont  de  ceux,  dont  Vvn  vend  fa  terre, 
L*autre  vn  moulin  à  vent  cheuauche, 
Et  Vautre  tous  f es  bois  efbauche 
Pour  faire  vne  lance  guerrière  : 
L*autre  porte  en  fa  gibbeciere 
Tous  f  es  prei(,  de  peur  qu'au  befoing 
Son  cheual  n^ait  faute  de  foin  : 
L'autre  fes  bleds  en  verd  emporte 
Craignant  la  faim,  ô  quelle  forte 
Pour  brauer  le  refïe  de  Van  ! 
Vous  fafche:{  vous  des  mots  de  camp  ? 
H  faudra  pourtant  efprouuer 
Tous  les  moyens  pour  paix  trouuer. 

Eugène. 

n  le  faudra  c'eft  chofe  feure, 
Ou  bien  de  la  mort  ie  m^affeure, 
le  lefçay  bien, 

Meftire  lean. 
Pouruoye:{y, 


74  L*i:VGENE,    COMEDIE. 


t  

Eugène. 

Mais  laiffe  moy  toutfeul  ici 
Pour  quelque  peu,  Vy  refueray, 
Retourne  après. 

Meffire  lean. 
le  le  feray, 

ACTE  V. 

SCENE    I. 

MESSIRE-IEAN,    EVGENE. 

Meilire  lean. 

Défia  trop  ici  iefeiourne, 

Vers  Monfieur  ores  ie  retourne, 

Qji^à  fon  vueil  Vay  tantoft  laiffé 

A  demi,  cefemble,  infenfé, 

En  fi  trifte  &  malheureux  foing  : 

n  ne  le  faut  laijfer  de  loing, 

De  peur  que  dueilfe  tourne  en  rage, 

Eugène. 

O  fortune  à  double  vif  âge, 
Profpere  à  ce  que  Vay  penfé  ! 

Meffire  lean. 

Aue:{-vous  en  vous  compajfé 
Moyen  de  ces  maux  amortir? 

Eugène. 
Fort  bien,  fort  bien,  fi  confentir 


^ 


ACTE   V,    SCENE   I. 


A  fon  prefque  mourant  Eugène 
Ne  refitfe  mafœur  Hélène. 

MelîQrc  lean. 

D'elle  te  nCaffeurefi  fart 
Qs/Le  iufqu^à  Vautel  de  fa  mort 
Seflend  V amitié  fraternelle. 

Eugène. 

Tout  cefl  accord  ne  giji  qu*en  elle^ 
S*elV  le  faitj  tant  qu^elle  viura 
Sa  vie  à  elle  fe  deura, 
Et  fi  ie  luy  deuray  ma  vie. 

Mefïîre  lean. 

Défia  ie  brufle  tout  d'enuie 
Defçauoir  ce  que  voule^  dire. 

Eugène. 

Jl  faut  fecrettement  conduire 
Cefte  chofCf  à  fin  que  Vhonneur 
Offenfé,  yCoffenfe  mon  heur  : 
Et  n'efloit  que  bien  ie  viCaffeure 
Qs/Le  ton  oreille  fera  feure, 
le  ne  decelerois  la  chofe 
Que  d'exécuter  ie  propofe. 

Meftire  lean. 

Vne  chofe  à  moy  récitée 

Oeft  comme  vne  pierre  iettee 

Au  plus  creux  de  la  mer  plus  creufe. 


^6  L*EVGENE,    COMEDIE. 


Eugène. 

O  que  ma  penfee  eft  heureuje^ 
Si  ma  fœur  ef  branler  ie  puis  ! 

Meffire  lean. 
En  cela  Jon  pleige  iefuis, 

Eugène. 

Oeft  que  comme  tu  fçais  ajfe:{. 

Deux  ans  fe  font  défia  paffe:{^ 

Depuis  que  Florimond  quitta 

Vamour  qui  tant  le  tourmentât 

A  Vobiet  de  ma  fœur  Hélène, 

Et  le  quitta  à  fi  grand^  peine , 

QuHl  euft  voulu  que  fa  fanté 

Euft  en  la  feule  mort  efté. 

Mais  il  auoit  efié  confus 

D*vn  &  d'vn  renfort  de  refus  : 

Puis  V amour  qui  tant  le  preffa, 

A  V égarade  fe  paffa^ 

LaSy  comme  en  mon  damp  Vay  bien  fçeu, 

Auec  Alix  qui  Va  deceu. 

Mais  ore  fi  on  luy  parloit 

De  ma  fœur  y  dont  tant  il  brufloit, 

Iefuis  feur  que  non  feulement 

Enfeueliroit  ce  tourment. 

Mais  quHl  rendroit  toute  fa  vie 

A  mon  commander  afferme* 

Parquoy  ie  veux  prier  ma  fœur, 

Que  fans  offenfe  de  Vhonneur, 

Elle  le  reçoiue  en  fa  grâce, 

Et  iouijfant  elle  le  face. 

Son  honneur  ne  fera  foulé 

Quand  V affaire  fera  celé 

Entre  quatre  ou  cinq  feulement. 


ACTE   V,    SCENE   I.  77 

Et  quand  fon  honneur  mefmement 
Pourrait  receuoir  quelque  tache, 
Ne  faut  il  pas  qu^elle  nC arrache 
De  ce  naufrage  auquel  ie  fuis^ 
Et  qu^elle  mefme  fes  ennuis 
Elle  tourne  en  double  plaifir? 

Meffire  lean. 

Sçauroit  elle  mieux  choifir  ? 
O  que  chacun  euft  ce  bon  heur. 
De  faire  toujours  fon  honneur 
Vn  bouclier  pour  fauuer  fa  vie. 

Eugène. 

Elle  fera  bien  efbahie, 

Qjtand  de  ce  la  viendray  prier, 

Meffire  lean. 

Point,  laiffe^  la  moy  manier. 

Mais  quant  au  créancier,  comment  ? 

Eugène. 

Ce  m^eftoit  tourment  fur  tourment  : 
Mais  cefiuy  eft  bien  plus  facile. 
Si  n^ay-ie  pourtant  croix  ny  pile, 

Meffire  lean. 

Qjioy  donc  ?  il  ne  faut  délayer, 
Oeft  cas  raclé,  il  faut  payer. 
Ou  que  Guillaume  entre  enprifon, 

Eugène. 

Vne  Cure  en  fera  raifon, 
On  trouuera  bien  acheptant. 


yS  l'eVGENE,    COMEDIE. 


Meffire  lean. 

Que  tropy  que  trop,  il  en  eft  tant^ 
Par  ci  par  là  dans  ce/te  ville, 
QjiUl  faudroit  mille  fouets  &  mille 
Pour  chajfer  les  marchans  du  temple, 

Eugène. 
Le  marché  de  Romme  efi  bien  ample. 

Meffire  lean. 

Me/mes  il  pourroit  eftre  ainji, 
Qjie  fi  ce  bon  Créancier  ci  ^ 

Auoit  enfans,  il  la  voudroity 
Mieux  qu*vne  terre  elle  vaudroit  : 
Et  ne  luy  coufteroit  fi  cher. 

Eugène. 

Or  fus  donc,  il  faut  depefcher 

Le  premier  poind  :  ie  vais  deuant, 

Meffire.  lean. 
Alle!{  donc,  ie  vous  vais  fuiuant. 


SCENE   II. 

GVILLAVME,  MATTHIEV,  HELENE,  EVGENE, 

MESSIRE  lEAN. 

Guillaume. 

Encores  que  les  maux  fouffertSy 
Et  ceux  qui  font  encore  offerts 


ACTE  V,    SCENE    II.  79 

Mefoyent  griefs^  Sire  mon  ami^ 

Si  eft-ce  que  prefque  à  demi 

Je  fuis  en  ce  lieu  foulage. 

Aa  que  iefuis  bien  allégé 

D*eJtrefous  la  tutelle  &  garde 

I^vn  homme  tantfaind  qui  me  garde. 

Sire,  vous  ne  pourrie:^  pas  croire 

De  quel  amour  il  m'aime,  voire 

lufques  à  prendre  tant  d^efmoy 

De  venir  mefme  au  foir  che\  moy 

Pourveoirji  ie  me  porte  bien  : 

n  ne  fouffriroit  pas  en  rien 

Qu''on  nous  feijt  ou  tort  ou  diffame  : 

Jl  aime  fi,  très  tant  ma  femme, 

Qpe  plus  en  plus  la  prend  fous  foy. 

Matthieu. 

Sus  donc,  courage,  efueille  toy 
Mon  bon  ami,  &  ne  tefafche, 
le  teferois  quelque  relafche, 
S'il  eftoit  en  moy,  volontiers  : 
Mais  Vay  affaire  de  deniers. 

Guillaume. 
Payer  faut,  ou  tenir  prifon. 

Matthieu; 

Oeft  bien  entendu  la  raifon  : 

Paime  ces  gens  qui  quand  ils  doibitcnt, 

Volontiers  le  quitte  reçoiuent» 

Hélène. 

Vos  raifons  ont  tant  de  pouuoir 
Sur  ce  mien  débile  fçauoir , 


80  l'eVGENE,    COMEDIE. 

Que  refpondre  ie  nefçaurois  : 
Et  quand  encore  ie  powrois. 
Que  gaigne  fon  de  contefter 
Quand  onfy  voit  necefjiter? 
L* amour f  Frère ,  que  ie  vous  porte, 
A  ma  honte  ferme  la  porte, 
Voulant  contregarder  ce  iour 
Nos  deux  vies  par  fol  amour  : 
Et  quand  malheur  m'en  aduiendra^ 
Et  que  tout  le  monde  entendra 
Que  par  deux  hommes,  voire  deux, 
Qjie  chacun  ejiime  de  ceux 
Qui  font  dejiafainûs  en  la  terre. 
Contre  ma  renommée  Verre, 
On  me  tiendra  pour  excufee, 
Comme  ayant  ejlé  abufee, 
Ainfi  que  femme  y  efijfubiette  : 
Et  puis  Ion  dira,  la  pauurette 
N^ofoit  pas  fon  frère  efconduire, 

t 

Eugène. 

Vojlre  honneur  n^en  fera  point  pire. 
Ceci  reuelé  ne  fera  : 
Et  au  pis  quand  on  lefçaura, 
Laijfe^  le  vulgaire  efiimer, 
Efi-ce  def honneur  que  d'aimer? 

Hélène. 

Non,  comme  Pefiime,  en  tel  lieu  : 
Mefmement  ainfi  m'aide  Dieu, 
Si  Florimond  ne  m'eufi  laiffee. 
Et  quHl  n'eufi  Alix  pourchaffee, 
La  courfe  du  temps  eufi  gaigné 
Sur  ce  mien  courage  indigné. 
Et  tout  ce  trouble  eufl  efté  hors. 


ACTE    V,    SCENE    II.  8l 


Meffire  lean. 

//  vaut  mieux  maintenant  qu^alors  : 
Car  après  vne  longue  attente 
Vne  amour  en  eft  plus  contente  : 
Et,  peut  eftre^  il  aura  courage 
De  faire  après  le  mariage  : 
Ce  vous  eft  vn  parti  heureux, 

Eugène. 

Puis  qu^il  en  eft  tant  amoureux. 
Quand  nous  ferons  amis  enfembîe, 
Penferay  moyen,  ce  me  femble, 

Hélène. 

Mais  dequqy  feruent  tant  de  coups 
Pour  gaigner  ce  qui  eft  à  vous  ? 
Faut-il  que  gayement  ie  die, 
le  fuis  en  mefme  maladie  : 
Il  n'y  a  rien  qui  plus  me  plaîfe^ 
Ore  ie  mefens  à  mon  aife, 

Eugène. 

O  amour  que  tu  m'as  aidé  ! 
Aueugle  tu  m'as  bien  guidé, 
D'aife  extrême  mon  cœur  treffaut. 

Meffire  lean. 

Par  bieu  Ven  vois  faire  ce  fault. 
Que  refteplus? 

Eugène. 

Rien  qu'à  cefte  heure 
Te  tranfporter  en  la  demeure 
loâelle,  —  1.  6 


82  L*EVGENE,   COMEDIE. 

De  Florimondf  &  Vaduertir 
De  cet  amour  fe  diuertir, 
QuUl  laijfe  enuers  nous  toute  haine, 
Qm^H  laijfe  Alix,  &  qu*on  rameine 
Ch€!ç  elle  ce  qû*on  luy  a  pris, 
Et  que  fil  a  gaigné  le  pris 
Sus  vne  amante  damoyfelle, 
Qjûau  moins  fon  auenture  il  celé. 
Apres  che^  Alix  fen  iras, 
Et  lafoiblette  aduertiras^ 
Quefommes  enfemble  reioints. 
Sans  luy  déclarer  par  quels  poinâs. 
Car  quand  femme  a  Voreille  pleine, 
Sa  langue  le  retient  à  peine, 

Hélène. 
Voy,  voy. 

Eugène. 

Tu  n^oubliras  aufji 
Qji^elle  vienne  fouper  iciy 
Py  feray  pourueoir  à  ceJV  heure. 

Meffire  lean. 

le  feray  bien  courte  demeure. 
Je  vous  pry^  note:ç  la  manière. 
Mais  ne  voila  pas  vn  bon  frère  I 
O  Dieu  qu^on  Je  frottera  bien  I 
Si  ejt-ce  que  ie  me  retien 
Quelque  lopin  à  cejïe  fejie. 
n  faudra  que  ie  mette  en  tefte 
A  mon  Abbé,  de  me  ranger 
A  quelque  ojjeletpour  ronger. 


ACTE   V,    SCENE   IIX.  83 

SCENE    III. 

EVGENE,    MATTHIEV,   GVILLAVME. 

Eugène. 

Si  les  prifonniers  des  enfers 
Auoyent  tous  dehrifé  leurs  fers. 
Si  Sijyphe  eftoit  de/chargé, 
Ou  fi  Tantale  auoit  mangé 
Ce  qu'en  vain  pourfuit  fon  defir, 
Ils  n^auroyent  point  tant  de  plaifir 
Qfi'a  maintenant  Monfieur  Eugène, 
Ha  voilay  voila,  bonne  Hélène, 
La  fraternité  Je  rejfemble. 
Si  faut-il  que  Pajfemble  enfemble 
Guillaume  &  fon  Anglois  Matthieu, 
Pour  les  accorder  en  ce  lieu, 
Guillaume  &  vous,  Sire,  vene^, 
Vous  efies  vous  point  demene\ 
D^auoir  efié  tousfeuls  autant  ? 

Matthieu. 
Nenny, 

Eugène. 

Vous  voule!(  du  content, 
le  Ventens  bien. 

Matthieu. 
Oeft  la  raifon» 

Eugène. 

Aue^'vous  en  voftre  maifon 
Grand  nombre  de  fils  ? 


84  L^EVGENE,    COMEDIE. 

Matthieu. 

Trois. 

Eugène. 

le  prife 
Ce  nombre  qui  eftfainâ  :  VEglife 
En  aura  elle  quelqu^vn  (Veux? 

Matthieu. 

len  feray  de  VEglife  deux  : 
Car  ie  veux  tendre  aux  bénéfices, 

Eugène. 

Toutes  chofes  me  font  propices. 
Or  ça,  fi  Vauois  d^auenture 
Quelque  belle  petite  cure 
Valant fix  vingts  Hures  de  rente? 

Matthieu. 

Dites  le  mot,  mettes^  en  vente, 
le  mettray  deffus  mon  denier. 

\ 

Guillaume. 

Comment,  Monfieur,  il  efi  banquier, 
Jl  en  fait  tous  les  iours  traffique. 

Eugène. 

//  en  entend  mieux  la  pratique. 
Que  me  voule:(  vous  donner  or^? 

Matthieu. 

Deux  beaux  petits  cent  efcus  d^or. 
Sus  lef quels  ie  me  payeray. 


ACTE   V,    SCENE   III.  85 


Eugène. 

Alle^  les  quérir,  ie  feray 

Tandis  au  foupper  donner  ordre. 

Mon  ami  Guillaume  il  faut  mordre. 

Et  mon  argent  eftoit  failli. 

Or  ça,  tu  eftois  ajfailli 

Ce  iour  de  tous  coftei^Jans  moy^ 

Je  Vay  mis  hors  de  tout  efmoy  : 

Tes  meubles  rendus  te  feront, 

Tes  créditeurs  fe  payeront, 

Ta  femme  fera  paix  auffi 

A  Florimond. 

Guillaume. 

Hé,  grand  merci, 
Monfieur,  iefuis  du  tout  à  vous. 

Eugène. 

Il  faut  maintenant  qu'entre  nous 
Tout  mon  penfer  ie  te  décelé  : 
Paime  ta  femme,  &  auec  elle 
le  me  couche  le  plus  fouuent. 
Or  ie  veux  que  d^orefnauant 
Py  puijfe  fans  fouci  coucher. 

Guillaume. 

le  ne  vous  y  veux  empefcher, 
Monfieur,  ie  ne  fuis  point  ialoux, 
\         Et  principalement  de  vous  : 
le  meure  fi  fy  nuy  en  rien, 

Eugène. 
Va,  va,  tu  es  homme  de  bien. 


86  l'eVGENE,     COMEDIE. 

SCENE    IIII. 

FLORIMOND,    ARNAVLT. 

Florimond. 

O  Dieux  ^  quel  aftre  en  ma  naijfance 
Me  receut  deffousfa  puijfance  ! 
Mais  aftre  le  plus  gracieux 
QuHlfoit  (o  Dieux)  en  tous  vos  deux! 
De  quel  lieu  prendray-ie  la  voix 
Pour  louer  mon  heur  cefte  fois  ! 
N^ay-ie  peur  que  mon  cœurfe  noyé 
En  V abondance  de  ma  ioye  ? 
Rien  plus  au  monde  ne  me  fault. 
Mais  las  !  voici  mon  bon  Arnault  : 
O  Dieux,  quelle  chère  il  fera, 
O  Dieux,  comment  il  vous  louera. 
Arnault,  ho  !  Arnault, 

Arnault. 

* 

Qj/i  eft  Vhomme  ? 

Florimond. 

Arnault  viença,  vien  voir  lafommë 
De  tous  mes  malheurs  mife  au  bas. 

Arnault. 

Monfieur  ie  ne  vous  voyois  pas, 
Qui  a-il  de  nouueau  ? 

Florimond. 

Tout  bien. 


ACTE   V,   SCENE    IIII.  87 

Tu  pétilleras  de  Vkeur  mien 
Quand  tu  lefçauras  vne  fois, 

Arnault. 
le  pétille  ia. 

Florimond. 

De  ma  voix 
n  ne  pourrait  eftre  exprimé, 

Arnault. 
Mais  tafche^  y. 

Florimond. 
le  fuis  aimé, 

Arnault. 
De  qui? 

Florimond. 
D'Helene  ma  maiftreffe. 

Arnault. 

O  Idalienne  Deejfe, 
Sainâement  ie  Vadoreray. 

Florimond. 

Auec  elle  iefouperay  : 

Nous  coucherons  tous  deux  enfemble. 

Arnault. 

De  crainte  &  de  ioye  ie  tremble  : 
De  ioye,  pour  ce  bonheur  ci  : 
De  crainte ,  qu'il  nefoit  ainjt. 


88  L*EVGENE,    COMEDIE. 

Florimond. 
Si  eft  :  VAbbé  m'a  fait  ce  tour. 

Ârnault. 

Jamais  n*ait  vn  feul  mauuais  iour. 
Le  difcord  peft  bien  tqft  tourné 
A  Vamour  ifenhaut  deftiné, 

Florimond. 

Aa  que  nefuis-ie  mort!  difoye. 
Hé  que  n'ay-ie  ferui  deproye 
A  d*Anuilliers  ou  à  luoy, 
Corhme  deux  feruiteurs  du  Roy, 
D'Eftauge  &fon  frère  d'Anglufe! 
Plus  en  tels  mots  ie  ne  m'abufe  : 
Ains  fans  fin  viure  ie  voudrois 
(O  Amour)  deffous  tes  fainâs  droits. 
Mais  quoy?  défia  la  nuiâ p approche, 
Lefouperfe  met  hors  de  broche  : 
Allons,  ne  faifons  point  attendre. 


SCENE  V. 

ALIX,  MESSIRE  lEAN,  FLORIMOND,  ARNAVLT, 

EVGENE,  HELENE, 
GVILLAVME,  MATTHIEV. 

Alix. 

.    Tout  ce  que  me  faites  entendre 
Meffire  lean,  eft -il  certain  ? 


Meffire  lean. 
Rien  n'efi  plus  feur. 


O  Dieu  hautain. 
Tu  m'at  bien  toft  mieux  fitrtunee, 
Q}ie  ie  ne  me  difois  mal  nce  ! 
Mata  puis  jue  cho/e  tant  heureu/e 
Suruient  à  moy  peu  vertueufe, 
A  iamaia  ma  foy  ie  tiendray. 
A  nul  autre  ne  me  rendray, 
Sinon  qu'à  l'Abbé  voftre  maîftre. 

Meflîre  Ican. 

Vous  Jere^  bien,  S  fi>y  de  preftre 
Vers  vous  quafi  fer  fil  fe  rend, 
Son  propre  vouloir  enferrant 
Prifonnier  pour  le  voftre  future  : 
Mais  manlte^  d'vn  pied  plus  deliure. 

Florimond. 

Voila  FAbbé  S  mon  Hélène 
Deuant  la  porte,  mais  à  peine 
'  Ay-ie  peu  mon  Hélène  voir 
Sans  m'abfenter  de  mon  pouuoir. 
Saluons  les,  banfoir,  Mon/ieur. 


Florimond. 
Et  vous  mon  heur. 


y    \ 


90  L  EVGENE,    COMEDIE. 

■  L 

Si  fort  ie  me  fens  embrafer. 
Que  ie  voudrais  que  ce  baifer 
Me  deuft  durer  iufqu^à  demain, 

Eugène. 

Ca,  mafœur,  baille^  moy  la  mairiy 
Et  vous,  Monfieur,  auecques  elle, 
Jurans  vne  amour  éternelle 
A  qui  le  temps  ne  fera  rien, 

Florimond. 
A  a  Monjieur  ie  le  veux  trop  bien. 

Hélène. 
Le  voila  donc  tout  arrefté. 

Eugène. 

le  voy  venir  de  ce  cojlé 
-  Nojlre  Alix, 

Guillaume. 
O  qu^elle  efl  ioyeufe, 

Hélène. 

Elle  rit  de  fa  paix  heureufe 
Auec  meffire  Jean. 

Eugène. 

Voici 
Matthieu  qui  vient  de  cefluy-ci 

Hélène. 
Hafle:{-le5. 


ACTK    V,     SCENI-:    V.  Ql 

Eugène. 

Veneif,  ho,  vene:ç. 
Que  lâchement  vous  pourmenes^  ! 

Alix. 
Dieu  vous  doint  le  bon  foir  à  tous. 

Meffire  lean. 
Bon  foir,  Mefjieurs. 

Matthieu. 
Bon  foir, 

Eugène. 

A  vous. 
Voici  vne  gentille  bande, 

I 

Alix. 

Monfieur^  quelle  faueur  trop  grande 
Vous  nCaue:^  fait  en  ce  pardon. 

m 

Florimond. 

Merdes^  Monfieur  de  ce  don. 
Et  luy  voûe^  pour  déformais 
Vnfidelle  amour  à  iamais. 

Guillaume. 

Monfieur  pour  elle  grand  merci ^ 
M^amie  faites  bien  ainfi, 

Kugene. 
SiîS  entrons,  on  couure  la  table^ 


9» 


',- 


LEVGENE,     COMEDIE. 


Suiuons  ce  plaijir  fouhaitable 

De  vCeJlre  iamais  foucieux  : 

Tellement  mefme  que  les  Dieux 

A  Venui  de  ce  bien  volage. 

Doublent  au  Ciel  leur  fainû  breuuage. 


Adieu,  &  applaudijfe^. 


FIN     DE     LA     COMEDIE     D'eVGENE. 


CLEOPATRE 


CAPTIVE 


TRAGEDIE 


D'EST  lENNE     lODELLE, 


parisien''. 


PERSONNAGES     DE     LA      TRAGEDIE 

DE   CLEOPATRE. 

L*Ombre  d'Antoine. 
Cleopatre. 

Eras. 

Charmium. 

06lauian  Cefar. 

Agrippe. 

Proculee. 

Le  chœur  des  femmes  Alexandrin  es. 

Seleuque. 


CLEOPATRE 


CAPTIVE 


PROLOGVE. 


Puis  que  la  terre  (ô  Roy  des  Roû  la  crainte) 
Q)ii  ne  re/ufe  ejire  à  tesloix  efirainte. 
De  la  grandeur  de  tonfainâ  nom  f'eftonne" , 
Qji'elle  a  graué  dans  fa  double  colonne.' 
Puis  que  ta  mer  qui  te  fait/on  Neptune, 
Bruit  en/es  flots  ton  heureufe  fortune, 
Et  que  le  Ciel  riant  à  ta  vîâoire 
Se  voit  mirer  au  par/ait  de  ta  gloire  : 
Pourroyent  vers  toy  tes  Mufes  telles  eflre, 
lie  n'adorer  S  leur  père  S  leur  maiftre? 
Pourroyent  les  tiens  nous  celer  tes  louanges, 
Qfi'on  oit  tonner  par  les  peuples  efiranges9 
Nul  nefçauroil  tettement  enuers  toy 
Se  rendre  ingrat,  qu'il  ne  chante  fon  Roy, 
Les  bons  efprils  que  ton  père  Jvrma, 
■  Qfi  les  neuf  Soeurs  en  France  ranima. 


90  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 

Du  père  &  fils  fe  pourraient  ils  bien  taire, 

Quand  à  tous  deux  telle  chofe  a  peu  plaire? 

Lors  que  le  temps  nous  aura  prefenté 

Ce  qui  fera  digne  d^eftre  chanté 

D'vnfi  grand  Prince,  ains  d'vn  Dieu  dont  la  place 

Se  voit  au  Ciel  ia  monftrerfon  efpace. 

Et  fi  ce  temps  qui  toute  chofe  enfante, 

Nous  eufi  offert  ta  gloire  triomphante. 

Pour  affe^  toft  de  nous  eftre  chantée, 

Et  maintenant  à  tes  yeux  pref entée. 

Tu  n^orî'ois  point  de  nos  bouches  finon 

Du  grand  lÎEfiRY  le  triomphe  &  le  nom. 

Mais  pour  autant  que  ta  gloire  entendue 

En  peu  de  temps  ne  peut  eftre  rendue  : 

Que  dis-ie  en  peu  9  mais  en  cent  mille  années 

Ne  feroyent  pas  tes  louanges  bornées. 

Nous  Rapportons  (d  bien  petit  hommage) 

Ce  bien  peu  d^oeuure  ouuré  de  ton  langage^ 

Mais  tel  pourtant  que  ce  langage  tien 

Nauoit  iamais  dérobbéi:e  grand  bien 

Des  autheurs  vieux  :  Oeft  vne  Tragédie,^ 

Qui  d^vne  voix  &  plaintiue  &  hardie 

Te  reprefente  vn  Romain  Marc  Antoine, 

Et  Cleopatre  Egyptienne  Roine  : 

Laquelle  après  qu^ Antoine  fon  ami 

Eftant  défia  vaincu  par  V ennemi. 

Se  fuft  tué,  iafefentant  captiue, 

Et  qu'ion  vouloit  la  porter  toute  viue 

En  vn  triomphe  auecques  fes  deux  femmes, 

S'occit.  Ici  les  defirs&  les  flammes 

Des  deux  amans  :  d^Oâauian  auffi 

L^orgueil,  Vaudace  &  le  iournel  Jfouci 

De  fon  trophée  emprains  tu  fonderas, 

Et  plus  qu'à  luy  le  tien  égaleras  : 

Veu  quHl  faudra  que  fes  fucceffeurs  mefmes 

Cèdent  pour  toy  aux  volonte![fuprémes, 

Qui  ia  le  monde  à  ta  couronne  vouent. 

Et  le  commis  de  tous  les  Dieux  fauoûent. 


ACTE    I.  97 

Reçoy  donc  (Sire)^  d^vn  vifage  humain 
Prens  ce  deuoir  de  ceux  qui  fous  ta  main. 
Tant  les  efprits  que  les  corps  entretiennent, 
Et  deuant  toy  agenouiller  fe  viennent  : 
En  attendant  que  mieux  nous  te  chantions, 
Et  qu*à  tes  yeux  fain&ement  pref entions 
Ce  que  ta  chante  à  toy  le  fils  des  Dieux, 
La  terre  toute^  &  la  mer,  &  les  deux. 


ACTE  I. 


L'OMBRE    D'ANTOINE. 

Dans  le  val  ténébreux,  où  les  nuiâs  éternelles 
Font  étemelle  peine  aux  ombres  criminelles. 
Cédant  à  mon  deftin  ie  fuis  volé  n^aguere, 
la  ia  fait  compagnon  de  la  troupe  légère, 
Mcy{dy4e)  Marc  Antoine  horreur  de  la  grand'  Romme, 
Mais  en  ma  triftefin  cent  fois  miferable  homme. 
Car  vn  ardent  amour,  bourreau  de  mes  mouélles, 
Me  deuorant  fans  fin  fous  fes  fiâmes  cruelles, 
Auoit  efté  commis  par  quelque  defiinee 
Des  Dieux  ialoux  de  moy,  afin  que  terminée 
Fuft  en  peine  &  malheur  ma  pitoyable  vie, 
D^keur,  de  ioye  &  de  biens  parauant  ajfouuie. 
O  moy  deflors  chetif,  que  mon  œil  trop  folaftre 
S*égara  dans  les  yeux  de  cefie  Cleopatrel 
Depuis  cefeul  moment  iefenti  bien  ma  playe 
Defcendre  par  Vœil  traiftre  en  Vame  encore  gaye. 
Ne  fongeant  point  alors  quelle  poifon  extrême 
Pauois  ce  iour  receu  au  plus  creux  de  moymefme  : 
Mais  helasi  en  mon  dam,  las!  en  mon  dam  &  perte 
lodtlU,  —  I.  7 


gS  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 

Cefte  playe  cachée  en  fin  fut  découuerte, 
Me  rendant  odieux,  foulant  ma  renommée 
D^auoir  enragément  ma  Cleopatre  aimée  : 
Et  forcené  après  comme  fi  cent  furies 
Exerçans  dedans  moy  toutes  bourrelleries , 
Embrouillans  mon  cerueau,  empefirans  mes  entrailles, 
M^euffent  fait  le  gibier  des  mordantes  tenailles  : 
Dedans  moy  condamné,  faifans  fans  fin  renaifire 
Mes  tourmens  iournaliers,  ainfi  qu^on  voit  repaiftre 
Sur  le  Caucafe  froid  la  poitrine  empietee. 
Et  fans  fin  renaiffante  àfon  vieil  Promethee. 
Car  combien  qu'elle  fujï  Royne  &  race  royale, 
Comme  tout  aueuglé  fous  cefte  ardeur  fatale 
le  luy  fis  les  prefens  qui  chacun  eftonnerent, 
Et  qui  ia  contre  moy  ma  Romme  eguillonnerent  : 
Mefme  le  fier  Cefar  ne  taf chant  qu*à  deffaire 
Celuy  qui  à  Cefar  Compagnon  ne  peult  plaire, 
S^embrafant  pour  vn  crime  indigne  d^vn  Antoine, 
Qui  tramoit  le  malheur  encouru  pour  ma  Roine , 
Et  qui  encor  au  val  des  durables  ténèbres 
Me  va  renouuellant  mille  plaintes  funèbres, 
Efchauffant  les  feiyens  desfœurs  echeuelees, 
Qui  ont  au  plus  chetif  mes  peines  égalées  : 
Oeft  que  ia  ia  charmé,  enfeueli  des  fiâmes, 
Ma  femme  Oâauienne  honneur  des  autres  Dames, 
Et  mes  mollets  enfans  ie  vins  chaffer  arrière, 
Nourriffant  en  monfein  maferpente  meurdriere. 
Qui  m^entortillonnant,  trompant  Vame  rauie, 
Verfa  dans  ma  poitrine  vn  venin  de  ma  vie, 
Me  transformant  ainfi  fous  f es  poifons  infufes, 
Qu'on  feroit  du  regard  de  cent  mille  Medufes. 
Or  pour  punir  ce  crime  horriblement  infâme, 
D^auoir  banni  les  miens,  &  reietté  ma  femme, 
Les  Dieux  ont  à  mon  chef  la  vengeance  auancee. 
Et  deffus  moy  Vhorreur  de  leurs  bras  élancée  : 
Dont  la  fainâe  équité^  bien  qu^elle  foit  tardiue. 
Ayant  les  pieds  de  laine,  elle  n'eft  point  oifiue, 
Ains  deffus  les  humains  d^ heure  en  heure  regarde. 


ACTE    I.  99 

Et  d'vne  main  deferfon  trait  enflammé  darde. 
Car  toft  après  Cefar  iure  contre  ma  tefte^ 
Et  mon  piteux  exil  de  ce  monde  nCapprefte. 
Me  voila  ia  croyant  ma  Roine,  ains  ma  ruine. 
Me  voila  bataillant  eu  la  plaine  marine. 
Lors  que  plus  fort  P^oisfur  lafolide  terre  : 
Me  voila  ia  fuyant  oublieux  de  la  guerre, 
Pourfuiure  Cleopatre,  en  faifant  Vheur  des  armes 
Céder  à  ce  malheur  des  amoureux  alarmes. 
Me  voila  dans  fa  ville  où  Pyurongne  &  putace. 
Me  paiffant  de  plaiflrs,  pendant  que  Cefar  trace 
Son  chemin  deuers  nous,  pendant  quUl  a  V armée 
Qftefus  terre  Pauois,  d*vne  gueule  affamée, 
Ainfi  que  le  Lyon  vagabond  à  la  quefte. 
Me  voulant  deuorer,  &  pendant  quHl  apprefte 
Son  camp  deuant  la  ville,  où  bien  toft  il  refufe 
De  me  faire  vit  parti,  tant  que  malheureux  i'vfe 
Du  malheureux  remède,  &  pouffant  mon  efpee 
Au  trauers  des  boyaux  en  mon  fang  Vay  trempée, 
Me  donnant  guarifonpar  Voutrageufe playe, 
Maisauant  que  mourir,  auant  que  du  tout  Vaye 
Sangloté  mes  efprits,  las  las  !  queljrdur  homme 
Euft  peu  voir  fans  pleurer  vn  tel  honneur  de  Romme, 
Vn  tel  dominateur,  vn  Empereur  Antoine, 
Q^e  ia  frappé  à  mort  fa  mif érable  Roine 
De  deux  femmes  aidée  angoiffeufement  palle 
Tiroit  par  la  feneflre  en  fa  chambre  royale  ! 
Cefar  mefme  iCeuft  peu  regarder  Cleopatre 
Couper  fur  moy  fon  poily  fe  defchirer  &  battre, 
Et  moi  la  confoler  auecques  ma  parole, 
Mapauure  ame  foufflant  qui  toutfoudainfen  vole, 
Pour  auxfombres  enfers  endurer  plus  de  rage 
Que  celuy  qui  afoifau  milieu  du  breuuage. 
Ou  que  celuy  qui  roué  vne  peine  étemelle. 
Ou  que  les  pâlies  Sœurs,  dont  la  dextre  cruelle 
Egorgea  les  maris  :  Ou  que  celuy  qui  vire 
Sa  pierre  fans  porter  fon  faix  où  il  afpire. 
Encore  en  mon  tourment  toutfeul  ie  ne  puis  eflre  ; 


lOO  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 

Auant  que  ce  Soleil  qui  vient  ores  de  naijlre, 
Ayant  tracé  fon  iour  che^  fa  tante  Je  plonge, 
Cleopatre  mourra  :  ie  me  fuis  ore  enfonge 
Af es  yeux  prefenté,  luy  commandant  défaire 
L'honneur  à  monfepulchre,  &  après  fe  deffaire, 
Plujlojl  qu^eflre  dans  Romme  en  triomphe  portée, 
Layant  par  le  dejir  de  la  mort  confortée, 
L*appellant  auec  moy  qui  ia  ia  la  demande 
Pour  venir  endurer  en  noflre  palle  bande  : 
Or"*  fe  faifant  compagne  en  ma  peine  &  trijleffe. 
Qui  pejï  faite  long  temps  compagne  en  ma  lieffe. 


CLEOPATRE,    ERAS,    CHARMIVM. 

Cleopatre. 
Q}ie  gaigne^-vous  helasl  en  la  parole  vaine? 

Eras. 
Que  gaigne^^-vous  helas  !  de  vous  ejïre  inhumaine  ? 

Cleopatre. 
Mais  pourquoy  perde:{'V0us  vos  peines  ocieufes? 

Charmium. 
Mais  pourquoy  perde^^-vous  tant  de  larmes  piteufes  ? 

Cleopatre. 
Q}î*efl-ce  qui  aduiendroit  plus  horrible  à  la  veuél 

Eras. 
Qu^ejt'ce  qui  pourroit  voir  vne  tant  defpourueué  ? 


ACTE   I.  lOI 

Cleopatre. 
Permette^  mesfanglots  me/me  auxfiers  Dieux  fe  prendre . 

Cliarmium. 
Permette^  à  nous  deux  de  confiante  vous  rendre, 

Cleopatre. 
n  ne  faut  que  ma  mort  pour  bannir  ma  complainte. 

Eras. 
n  ne  faut  point  mourir  auantfa  vie  efteinte. 

Cleopatre. 
Antoine  ta  m'appeUe^  Antoine  il  mefautfuiure. 

Charmium. 
Antoine  ne  veut  pas  que  vous  viuie:{  fans  viure. 

Cleopatre. 
O  vifton  eftranget  6  pitoyable  fonge  ! 

Eras. 
O  pitoyable  Roine,  ô  quel  tourment  te  ronge? 

Cleopatre. 
0  Dieux  à  quel  malheur  m^aue^^-vous  alléchée? 

Charmium. 
0  Dieux  ne  fera  point  voftre  plainte  eftanchee  ? 


I04  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 

Charmium.  •  - 

Tenes[  la  refne 
Au  dueil  empoifonnant. 

Cleopatre. 

A  grand  Ciel^  que  Vendure  ! 
Encore  Vauoir  veu  cefte  nuiâ  en  figure  ! 
Hé! 

Eras. 
Hé,  rien  que  la  mort  ne  ferme  au  dueil  la  porte, 

Cleopatre. 
Hé  hé  Antoine  efioit.,. 

Charmium. 
Mais  comment? 

Cleopatre, 

En  la  forte,,. 

Eras. 
En  quelle  forte  donc? 

Cleopatre. 

Comme  alors  que  fa  playe,,, 

Charmium. 

Mais  leue^Ç'VOus  vn  peu  y  que  gefner  on  effaye 
Ce  qui  gefnela  voix. 

Eras. 

O  plaifir,  que  tu  meines 
Vn  horrible  troupeau  de  deplaifirs  &  peines  ! 


ACTE   I.  I05 


Cleopatre. 

Comme  alors  quefaplaye  auoit  ce  corps  traâable** 
Enfanglanté  par  tout, 

Charmium. 

Ofonge  efpouuentahle  ! 
Mais  que  demandoit  il? 

Cleopatre. 

Qjûàfa  tumbe  te  face 
L'honneur  qui  luy  efi  deu, 

Charmium. 

Quoy  encor  ? 

Cleopatre. 

Que  ie  trace 
Par  ma  mortvn  chemin  pour  rencontrer  fon  ombre. 
Me  racontant  encor.., 

Charmium. 

La  baffe  porte  /ombre 
EJt  à  Palier  ouuerte,  &  au  retour  fermée, 

Cleopatre. 

Vne  étemelle  nuiâ  doit  de  ceux  ejire  aimée ^ 
Q3ii  foujffrent  en  ce  iour  vne  peine  éternelle, 
Ofte:{-vous  le  defir  de  p efforcer  à  celle 
Qiii  libre  veut  mourir  pour  ne  viure  captiue  ? 

Eras. 

Sera  donc  celle  là  de  la  Parque  craintiue, 

Qfii  au  deffaut  de  mort  verra  mourir  fa  gloire  ? 

r 


o6  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 


Cleopatre. 

Non  non,  mourons  mourons,  arrachons  la  viâoirCy 
Encore  que  foyons  par  Cefar  furmontees. 

Eras. 
Pourrions  nous  bien  eftre  en  triomphe  portées? 

Cleopatre. 

Que  plus  toft  cefte  terre  au  fond  de  fes  entrailles 
ÀTengloutiffe  à  prefent,  que  toutes  les  tenailles 
De  ces  bourrelles  Sœurs  horreur  de  Vonde  baffe, 
M^ arrachent  les  boyaux,  que  la  tefte  on  me  caffe 
D^vn  foudre  inujîté,  qu^ainfi  ie  me  confeille, 
Et  que  la  peur  de  mort  entre  dans  mon  oreille  ! 


CHŒVR  DES  FEMMES  ALEXANDRINES. 

Qjdand  V Aurore  vermeille 

Se  voit  au  lia  laiffer 

Son  Titon  qui  fommeille, 

Et  Vami  careffer  : 
On  voit  à  Vheure  mefme 

Ce  pays  coloré. 

Sous  le  flambeau  fupréme 

Du  Dieu  au  Char  doré  ; 
Et  femble  que  la  face 

De  ce  Dieu  variant. 

De  cejle  ville  face 

L^ honneur  de  V Orient , 
Et  quHl  fe  mire  en  elle 

Plus  tojl  qu'en  autre  part, 

La  prifant  comme  celle 

Dont  plus  d^honneur  départ  ' 


ACTE  !•  107 


De  pompes  &  délices 
Attrayans  doucement 
Sous  leurs  gayes  blandices, 
Vhumain  entendement. 

Car  veit  on  iamais  ville 
En  plaiftrj  en  honneur^ 
En  banquets  plus  fertile, 
Si  durable  eftoit  Vheur  ? 

Mais  ainfi  que  la  force 
Du  celefte  flambeau. 
Tirer  à  foyp efforce 
Le  plus  léger  de  Veau  : 

Ainft  que  Paimant  tire 
Son  acier,  &  les  fons 
De  la  marine  Lyre 
Attiroyent  lespoiffons: 

Tout  ainfi  nos  délices, 
La  mignardife  &  Vheur, 
Allechemens  des  vices, 
Tirent  noftre  malheur, 

Pourquoy,  fatale  Troye 
Honneur  des  fiecles  vieux, 
Fus  tu  donnée  en  proye 
Sous  le  deftin  des  Dieux? 

Pourquoy  n'eus  tu,  Medee, 
Ton  la/on  ?  &  pourquoy, 
Ariadne,  guidée 
Fus  tu  fous  telle  foy  ? 

Des  délices  le  vice 
A  ce  vous  conduifoit  : 
Puis  après  fa  malice 
Soymefme  deftruifoit. 

Tant  n^eftoit  variable 
Vn  Prothee  en  fon  temps. 
Et  tant  n^eft  point  muable 
La  courfe  de  nos  vents  : 

Tant  de  fois  ne  fe  change 
Thetis,  &  tant  de  fois 


I08  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 

LHnconJïant  ne  fe  range 
Sous  f es  diuerfes  loix. 
Que  nqftre  heur,  en  peu  d'heure 
En  malheur  retourné. 
Sans  que  rien  nous  demeure^ 
Proye  au  vent  eft  donné. 
La  rofe  iournaliere, 
X^and  du  diuin  flambeau 
Nous  darde  la  lumière 
Le  rauiffeur  taureau, 
Fait  naiftre  en  fa  naijfance 
Son  premier  dernier  iour  : 
Du  bien  la  iouiffance 
Eft  ainfi  fans  feiour. 
Le  fruiâ  vangeur  du  père  y 
S^eft  bien  efuertué 
De  tuer  fa  vipère. 
Pour  eftre  après  tué. 
loye,  qui  dueil  enfante. 
Se  meurdrift,  puis  la  mort 
Par  la  ioye  plaifante 
Fait  au  dueil  mefme  tort. 
Le  bien  qui  eft  durable 
Oeft  vn  monftre  du  Ciel, 
Qjtandfon  vueil  fauorable 
Change  le  fiel  en  miel. 
Si  lafainûe  ordonnance   • 
Des  immuables  Dieux, 
Forclufe  d*inconftance 
Seule  incogneuë  à  eux. 
En  ce  bas  hemifphere 
Veutfon  homme  garder. 
Lors  le  fort  improfpere 
Ne  le  peut  retarder. 
Que  maugré  fa  menace 
Ne  vienne  tenir  rang, 
Maugré  le  fer  qui  braffe 
La  poudre  auec  le  fang. 


ACT'E    I.  109 


On  doit  feurement  dire 
L'homme  qu\on  doit  prifer, 
Qjtand  le  Ciel  vient  Veflire 
Pour  lefauorifer, 

Ne  deuoir  iamais  craindre 
L'Océan  furieux  ^ 
Lors  que  mieux  femhle  atteindre 
Le  marche-pied  des  Dieux  : 

Plongé  dans  la  marine 
H  doit  vaincre  en  la  fin, 
Etpattend  à  Vefpine 
De  V attendant  Daulphin, 

La  guerre  impitoyable 
Moiffonnant  les  humains, 
Craint  Vheur  efpouuentable 
Defes  celeftes  mains. 

Tous  les  arts  de  Medee, 
Le  venin,  la  poifon. 
Les  heftes  dont  gardée 
Fut  la  riche  toi/on  : 

Ny  par  le  bois  eftrange 
Le  Lyon  outrageux, 
Qjti  fous  fa  patte  range 
Tous  les  plus  courageux  : 

Ny  la  loy  qu^on  reuere, 
Non  tant  comme  on  la  craint, 
Ny  le  bourreau  feuere, 
Qjii  Vhomme  blefme  eftraint  : 

Ny  les  feux  quifaccagent 
Le  haut  pin  moleftans. 
Sa  fortune  n'outragent, 
Rendans  les  dieux  conflans. 

Mais  ainfi  qu'autre  chofe 
Contraint  fous  fon  effort. 
Tient  fous  fa  force  enclofe 
La  force  de  la  mort  : 

Et  maugri  cefte  bande 
Toufiours  en  bas  filant. 


I02  CLEOPATREy   TRAGEDIE. 

Cleopstre. 
Mais  (d  Dieux)  à  qmel  bien,Ji  ce  iamr  te  demie  f 

Eras. 
Mais  ne  plaigne^  donc  point  Sfidueiç  vojtre  enmie. 

Cleopatre. 

Ha  pourrois-ie  donc  bien  moy  la  plus  nudkeurewfey 

Que  puijfe  regarder  la  voûte  radieufe^ 

Pourrois-ie  bien  tenir  la  bride  à  mes  complahUeSy 

Quand  fans  fin  mon  malheur  redouble  fes  attaintes? 

Qjiand  ie  remafche  en  moy  que  iefuis  la  meurdriere 

Par  mes  trompeurs  apafts,  d'vn  qui  fous  fa  main  fert 

Faifoit  crouler  la  terre?  Ha  Dieux  pourrois-ie  traire    " 

Hors  de  mon  cœur  le  tort  qu^ alors  ie  luy  peu  ffoùre^ 

Qu'il  me  donna  Syrie,  S'  Cyprès,  &  Phenice, 

La  ludee  embafmee,  Arabie  &  Cilice, 

Encourant  par  cela  defon  peuple  la  haine  ? 

Ha  pourrois-ie  oublier  ma  gloire  &  pompe  vaine. 

Qui  Papafioit  ainfi  au  mal^  qui  nous  talonne. 

Et  malheureufement  les  mallteureux  guerdonne. 

Que  la  troupe  des  eaux  en  Papaft  efi  trompée  ? 

Ha  V orgueil,'  &  les  ris,  la  perle  dejtrempee, 

La  délicate  vie  effeminant  fes  forces, 

Efioyent  de  nos  malheurs  lesfubtiles  amorces! 

Quoy  ?  pourrois-ie  oublier  que  par  roide  fecouffe 

Pour  moy  feule  ilfouffrit  des  Parthes  la  repouffe^ 

Qu'il  eufl  bien  fubiugue:{  &  rendus  à  fa  Romme, 

Si  les  fongears  amours  n'occupoient  tout  vn  homme. 

Et  pu  n^eufl  eu  defir  d'abandonner  fa  guerre 

Pour  reuenir  foudain  hyuemer  en  wîa  terre? 

Ou  pourrois-ie  oublier  que  pour  ma  plus  grand*  gloire. 

Il  traina  en  triomphe  &  loyer  de  vidoire^ 

Dedans  Alexandrie  vn  puijfant  Artauade 

Roy  des  Arméniens,  veu  que  telle  brauade 


ACTE   II.  I  n 


Cefte  terre  honnorable, 
Ce  pays  fortuné, 
Helasl  voit  peu  durable 
Son  heur  importuné. 

Telle  eft  la  deftinee 
Des  immuables  deux. 
Telle  nous  eft  donnée 
La  defaueur  des  Dieux, 


ACTE  II. 

OCTAVIEN,   AGRIPPE,    PROCVLEE. 

Oflauien. 

En  la  rondeur  du  Ciel  enuironnee 

A  nul,  ie  croy,  telle  faueur  donnée 

Des  Dieux  fauteurs  ne  peult  eftre  qu*à  moy  : 

Car  outre  encor  que  iefuis  maiftre  &  Roy 

De  tant  de  biens,  qu'il  femble  qu^en  la  terre 

Le  Ciel  qui  tout  fous  f on  empire  enferre, 

M^ait  tout  exprés  de  fa  voûte  tranfmis 

Pour  eftre  ici  f  on  gênerai  commis  : 

Outre  Vefpoir  de  Varriere  mémoire 

Qui  aux  neueux  rechantera  ma  gloire, 

D*auoir  d'Antoine^  Antoine,  dis-ie,  horreur 

De  tout  ce  monde,  accablé  la  fureur  : 

Outre  Vhonneur  que  ma  Romme  m'apprefte 

Pour  le  guerdon  de  Vheureufe  conquefte, 

n  femble  ia  que  le  Ciel  vienne  tendre 

Ses  bras-courbes^  pour  enfoy  me  reprendre, 

Et  que  la  boule  entre  f  es  ronds  enclofe. 

Pour  vn  Cefar  ne  fait  que  peu  de  chofe  : 

Or*  ie  defire,  or*  ie  defire  mieux, 

C'eft  de  me  ioindre  au  fainâ  nombre  des  Dieux 


112  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 


Jamais  la  terre  en  tout  aduantureufe^ 
N'a  fa  perfonne  entièrement  heureufe  : 
Mais  le  malheur  par  Vheur  eft  acquitté, 
Et  Vheur  fe  paye  en  Vinfelicité, 

Agrippe. 
Mais  de  quel  lieu  ces  maux**? 

Qétauien. 

Qui  euft  peu  croire 
Qu'après  Vhonneur  d^vne  telle  vidoire. 
Le  dueilf  le  pleur,  le  fouci,  la  complainte, 
Mefme  à  Cefar  euft  donné  telle  atteinte  ? 
Mais  ie  me  voy  fouuent  en  lieu  fecret 
Pour  Marc  Antoine  eftre  en  plainte  &  regret. 
Qui  aux  honneurs  receus  en  noftre  terre. 
Et  compagnon  m^auoit  efté  en  guerre, 
Mon  allié,  mon  beau  frère,  mon  fang. 
Et  qui  tenoit  ici  le  mefme  rang 
Auec  Cefar  :  Nonobftant  par  rancune 
De  la  muable  &  traiftreffe  fortune. 
On  veit  fon  corps  en  fa  playe  mouillé 
Auoir  ce  lieu  piteufement  fouillé . 
Ha  cher  ami  f 

Proculee. 

V orgueil  &  la  brauade 
Ont  fait  Antoine  ainft  qu^vn  Ancelade, 
Q^ife  voulant  encore  prendre  aux  Dieux, 
D^vn  trait  horrible  &  non  lancé  des  deux, 
Mais  de  ta  main  à  la  vengence  adextre. 
Sentit  combien  peut  d^vn  grand  Dieu  la  dextre. 
Q}te  plaignez-vous  fi  V orgueil  iuftement 
A  V orgueilleux  donne  fon  payement? 


ACTE    II.  Il3 


Agrippe. 

L'orgueil  eft  tel,  qui  d*vn  malheur  guerdonne 
La  malheureufe  S/uperbe  perfonne, 
Mefines  ainfi  que  d*vn  onde  le  branle, 
Lors  que  le  Nord  dedans  la  mer  Vébranle, 
Ne  ceffe  point  de  courir  &  gliffer, 
Vtreuolter,  rouler,  &  fe  dreffer, 
Tantqu^à  la  fin  dépiteux  il  arriue, 
Bruyant  fa  mort,  à  Vecumeufe  riue  : 
Ainfi  ceux  la  que  Vorgueil  trompe  ici. 
Ne  ceffent  point  de  fe  dreffer  ainfi. 
Courir,  tourner,  tant  quHls  foyent  agite:{ 
Contre  les  bords  de  leurs  félicite:^. 
Oeftoit  affe:{  que  Vorgueil  pour  Antoine 
Précipiter  auecfa  pauure  Roine, 
Si  les  amours  lafi:ifs  &  les  délices 
N^euffent  aidé  à  rouér  leurs  fuppHces  : 
Tant  qu'ion  nefçait  comment  ces  dereigîe:^ 
D*vn  noir  bandeau  fe  fi)nt  tant  aueugle:^ 
QfiHls  n^ont  fceu  voir  &  cent  &  cent  augures ^ 
Prognofiiqueurs  des  miferes  futures. 
Ne  veit  on  pas  Pifaure  Vancienne 
Prognofiiquer  la  perte  Antonienne, 
Qfii  de  foldats  Antoniens  armée 
Fufi  engloutie  &  dans  terre  abyfmee? 
Ne  veit  on  pas  dedans  Albe  vne  image 
Suer  long  temps?  Ne  veit  on  pas  V orage 
Q)ii  de  Patras  la  ville  enuironnoit, 
Alors  qu^ Antoine  en  Patras  feiournoit, 
Et  que  le  feu  qui  par  Vair  p éclata 
Heraclion  en  pièces  efcarta? 
Ne  veit  on  pas,  alors  que  dans  Athènes 
En  vn  théâtre  on  luy  monfiroit  les  peines, 
Ou  pour  néant  les  ferpen-piés  fe  mirent, 
Q^dnt  aux  rochers  les  lâchers  ils  ioignirent, 
Du  Dieu  Bacchus  Vimage  en  bas  poujfee 
loielU.  —  I.  8 


«   'w 


114  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 

Des  vents,  qui  Vont  comni*  à  Venui  caffee, 
Veu  que  Bacchus  vn  conduâeur  eftoit. 
Pour  qui  Antoine  vn  mejme  nom  portoit  ? 
Ne  veit  on  pas  cPvne  flame  fatale 
Rompre  Vimage  &  cPEumene  &  d^Atale, 
A  Marc  Antoine  en  ce  lieu  dédiées? 
Puis  maintes  voix  fatalement  criées. 
Tant  de  gejiers,  &  tant  d'autre  merueilles. 
Tant  de  corbeaux,  &  feneftres  corneilles. 
Tant  defommets  rompus  &  mis  en  poudre. 
Que  monftroyent  ils  que  ta  future  foudre. 
Qui  ce  rocher  deuoit  ainji  combattre? 
Qu*admonneJioit  la  nef  de  Cleopaire, 
Et  qui  d^ Antoine  auoit  le  nom  par  elle. 
Ou  V hirondelle  exila  V hirondelle  :' 
Et  toutesfois  en  fillant  leur  lumière 
N'y  voyoyent point  ce  qutfuiuoit  derrière? 
Vante  toy  donc  les  ayans  pourchajfe:^, 

]omme  vengeur  des  grands  Dieux  offenfe\  : 
Efiouy  toy  en  leurfang  &  te  baigne,  ' 
De  leurs  enfans  fais  rougir  la  campagne, 
Racle  leur  nom,  efface  leur  mémoire  : 
Pourfuy  pourfuy  iuf qu'au  bout  ta  viâoire. 


Oâauien. 

Ne  veuX'ie  donc  ma  viâoire  pourfuiure, 
Et  mon  trophée  au  monde  faire  viure  ? 
Plujlojt^  pluftoft  lefleuue  impétueux 
Nefe  rengorge  au  grand  fein  fluâueux, 
Oejt  le  fouci  qui  auecq  la  complainte 
Q}te  ie  faifois  de  Vautre  vie  ejleinte. 
Me  ronge  aufji  :  mais  plus  grand  te/moignage 
De  mes  honneurs  pobjlinans  contre  Vaage, 
Ne  peft  point  veu,  Jtnon  que  cefte  Dame 
Qui  confomma  Marc  Antoine  en  fa  flame. 
Fut  dans  ma  ville  en  triomphe  menée. 


ACTE   II.  I  l5 


Proculee. 


Mais  pourroit-elU  à  Romme  efire  traînée, 
Veu  qu'elle  iC a  fans  fin  autre  defir. 
Que  par  fa  mort  fa  liberté  choifir? 
Sçaue:[-vous  pas  lors  que  nous  échellafmes,^ 
Et  que  par  rufe  en  fa  court  nous  allafmes, 
Qs/te  toutfoudain  qu^en  la  court  on  me  veit. 
En  pécriant  vne  des  femmes  dit  : 
O pauure  Roinel  es  tu  doncprife  viue? 
Vis  tu  encorpour  trefpaffer  captiue  ? 
Et  qu^elle  ainfi  fous  telle  voix  rauie 
Vouloit  trencher  le  filet  de  fa  vie, 
Du  cimeterre  à  fon  cofié  pendu, 
Sifaififfant  ie  n*euffe  deffendu 
Son  eftomach  ia  défia  menaffé 
Du  bras  meurdrier  à  Vencontre  hauffé  ? 
SçaHe:{-vous  pas  ^e  depuis  ce  iour  mefme 
Elle  eft  tombée  en  maladie  extrême, 
Et  qu'acné  a  feint  de  ne  pouuoir  manger, 
Pour  par  la  faim  à  lafinfe  renger  ? 
Penfe^Ç'Vous  pas  qu^outre  telle  fineffe 
Elle  ne  trouue  à  la  mort  quelque  addrejfe? 

Agrippe. 

n  vaudroit  mieux  deffus  elle  veiller, 
SondCTf  courir,  efpier,  trauailler, 
Q^e  du  berger  la  veué  gardienne 
Ne  f'arreftoit  fus  fon  Inachienne, 
Que  nous  nuira  fi  nous  la  confortons. 
Si  doucement  fa  fbibleffe  portons? 
Par  tels  moyens  fenuoler a  Venuie 
De  faire  change  à  fa  mort  de  fa  vie  : 
Ainfi  fa  vie  heureufement  traitée 
îie  pourra  voir  fa  quenouille  arreftee  : 
Ainfi  ainfi  iufqu'à  Romme  elle  ira, 


Il6  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 

M  ■  -■■■  ■■  ■■■■  l^t  ■■■■-  ■  — ^^^Ml      ■■        IIM^»         ■!       »■■» 

-4/w/î  a/n/i  ton  fouci  finira. 

Et  quand  aux  plains,  veux  tu  plaindre  celuy 

Q}ii  de  tout  temps  te  hraffa  tout  ennuy, 

Q}ii  n^eftoit  né  fans  ta  dextre  diuine, 

Que  pour  la  tienne  &  la  noftre  ruine  ? 

Te  fouuient  il  que  pour  dreffer  ta  guerre 

Tu  fus  hay  de  toute  noftre  terre , 

Q}ti  fe  piquoit  mutinant  contre  toy, 

Et  refufoit  fe  courber  fous  ta  loy^ 

Lors  que  tu  prins  pour  guerroyer  Antoine 

Des  hommes  francs  le  quart  du  patrimoine, 

Des  feruiteurs  la  huiâiefme  partie 

De  leur  vaillant  :  tant  que  ia  diuertie 

Prefquepeftoit  V Italie  troublée  ? 

Mais  quelle  eftoit  fa  peine  redoublée, 

Dont  il  tafchoit  embrafer  les  Rommains, 

Pour  ce  Lepide  exilé  par  tes  mains? 

Te  fouuient-il  de  cefte  horrible  armée 

QjÂe  contre  nous  il  auoit  animée  ? 

Tant  de  Rois  donc  qui  voulurent  le  fuiure» 

Y  venoyent  ils  pour  nous  y  faire  viure  ? 

Penfoyent'ils  bien  nous  foudroyer  exprés, 

Pour  déplorer  noftre  ruine  après? 

Le  Roy  Bocchus,  le  Roy  Cilicien, 

Archelaus  Roy  Capadocien, 

Et  Philadelphe,  &  Adalle  de  Thrace, 

Et  Mithridate  vfoyent  ils  de  menace 

Moindre  fus  nous,  que  de  porter  en  ioye 

Noftre  defpoùille  &  leur  guerrière  proye. 

Pour  à  leurs  Dieux  ioyeufement  les  pendre. 

Et  maint  &  maint  facrifice  leur  rendre? 

Voila  les  pleurs  que  doit  vn  aduerfaire 

Apres  la  mort  de  fon  ennemy  faire, 

') 

Oélauien. 

O  gent  Agrippe,  ou  pour  te  nommer  mieux, 
Fidelle  Achate,  eftoit  donc  de  mes  yeux 


ACTE   II.  I  17 

Digne  le  pleur?  Celuy  donc  p efféminé 
Qfti  ta  du  tout  V efféminé  ruine  ? 
Non  non  les  plains  céderont  aux  rigueurs, 
Baignons  enfang  les  armes  &  les  cœurs , 
Et  fouhaitons  à  Vennemi  cent  vies, 
Qfti  luy  feroient plus  durement  rauies  : 
Qfiant  à  la  Roine,  appai/er  la  faudra 
Si  doucement  que  fa  main  fe  tiendra 
De  fbrbannir  Vame  feditieufe 
Outre  les  eaux  de  la  riue  oublieufe. 
Je  vois  defor  en  cela  m^efforcer, 
Etfon  defir  de  la  mort  effacer  : 
S^uent  V effort  eft  forcé  par  la  rufe. 
Pendant,  Agrippe^  aux  affaires  Vamufe. 
Et  tqy  loyal  meffager  Proculee, 
Sonde  par  tout  ce  que  la  famé  aiflee 
Fait facouffer  dedans  Alexandrie 
Qiûelle  circuit,  &  tantojt  bruit  &  crie, 
Tantofl  plus  bas  marmotefon  murmure, 
PPefiant  iamais  loing  de  telle  auenture. 

Proculee. 

Si  bien  par  tout  mon  deuoir  fe  fera, 
Que  mon  Cefar  de  moy  fe  vantera, 
O!  pu  me  faut  ores  vn  peu  dreffer 
Vefprit  plus  haut  &  feul  en  moy  penfer  : 
Cent  &  cent  fois  miferable  eft  celuy 
Q}ii  en  ce  monde  a  mis  aucun  appuy  : 
Et  tant  fen  faut  qu'il  nefafche  de  viure 
A  ceux  qu^on  voit  par  fortune  pourfuiure, 
Que  moy  qui  fuis  du  fort  affe\  contant 
le  fuis  fafché  de  me  voir  viure  tant. 
Oii  es  tu.  Mort,  fi  la  profperité 
N^ eft  fous  les  deux  qu*vne  infelicité**? 
Voyons  les  grands,  &  ceux  qui  de  leur  tefte 
Semblent  défia  deffier  la  tempefte  : 
Q}iel  heur  ont  ils  pour  vne  frefle  gloire? 


Il8  CLEOPATRË,    TRAGEDIE. 


Mille  ferpens  rongears  en  leur  mémoire^ 
Mille  foucis  mefle:{  d'effritement^ 
Sans  fin  defir,  iamais  comentement  : 
Dés  que  le  Ciel  f on  foudre  pirouette. 
Il  femble  ia  que  fur  eux  il  fe  iette  : 
Dés  lors  que  Mars  près  de  leur  terre  tonne. 
Il  femble  ia  leur  rauir  la  couronne  : 
Dés  que  la  pèfte  en  leur  règne  tracaffe, 
n  femble  ia  que  leur  chef  on  menaffe  : 
Bref,  à  la  mort  ils  ne  peuuent  penfer 
Sans  foufpirer^  blefmir,  &poffenfer. 
Voyant  quHl  faut  par  mort  quitter  leur  gloire, 
Et  bienfouuent  enterrer  la  mémoire, 
Ou  celuy-la  qui  folitairement, 
En  peu  de  biens  cherche  contentement, 
Ne  pallit  pas  fi  la  fatale  Parque 
Le  fait  penfer  à  la  dernière  barque  : 
Ne  pallit  paSy  non  fi  le  Ciel  &  Vonde 
Se  rebrouilloyent  au  vieil  Chaos  du  monde. 
Telle  eft  telle  eft  la  médiocrité 
Oti  gift  le  but  de  la  félicité  : 
Mais  qui  méfait  en  ce  dif cours  me  plaire  y 
Qjiand  il  conuient  exploiter  mon  affaire? 
Trop  toft  trop  toft  fe  fera  mon  meffage. 
Et  toufiours  tard  vn  homme  fe  fait  f âge. 


LE   CHŒVR. 


Strophe. 

De  la  terre  humble  &  baffe, 
Efclaue  de  fes  deux. 
Le  peu  puiffant  efpace 
N'a  rien  plus  vicieux 
Que  Vorgueil,  qu'on  voit  eftre 
Hay  du  Ciel  f on  maiftre. 


ACTE   II.  I  19 


Antiftrophe. 


Orgueil  qui  met  en  poudre 
Le  rocher  trop  hautain  : 
Orgueil  pour  qui  le  foudre 
Arma  des  Dieux  la  main  y 
Et  qui  vient  pour  falaire 
Luymefmefe  défaire. 

Strophe. 

A  qui  ne  font  cogneués 
Les  races  du  Soleil 
Q}ti  ajffrontqyent  aux  nues 
Vn  fuperbe  appareil^ 
Et  montagnes  portées 
Vvnefus  Vautre  entées? 

Antiftrophe. 

La  tombante  tempefïe 
Aduerfaire  à  Vorgueily 
Efcarhouilla  leur  tefle. 
Qui  trouua  fon  recueil 
Apres  la  mort  amere 
Au  ventre  de  fa  mère. 

Strophe. 

Q)ti  ne  cognoifi  le  fage 
Qjii  trop  Ttudacieux, 
Pilla  du  feu  Vvfage 
Au  chariot  des  deux, 
Cherchant  par  arrogance 
Sa  propre  repentance  ? 

Antiftrophe. 
Qfi'ow  le  voife  voir  ore 


112  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 


Jamais  la  terre  en  tout  aduantureufe^ 
N*afa  perfonne  entièrement  heureufe  : 
Mais  le  malheur  par  Vheur  eft  acquitté. 
Et  Vheur  fe  paye  en  Vinfelicité. 

Agrippe. 
Mais  de  quel  lieu  ces  maux**? 

Qétauien. 

Qui  euft  peu  croire 
Qji* après  V honneur  d^vne  telle  viâoire, 
Le  dueilj  le  pleur ,  lefouciy  la  complainte, 
Mefme  à  Cefar  euft  donné  telle  atteinte  ? 
Mais  ie  me  voy  fouuent  en  lieu  fecret 
Pour  Marc  Antoine  eftre  en  plainte  &  regret. 
Qui  aux  honneurs  receus  en  noftre  terre, 
Et  compagnon  m^auoit  efté  en  guerre, 
Mon  allié,  mon  beaufrere,  monfang. 
Et  qui  tenoit  ici  le  mefme  rang 
Auec  Cefar  :  Nonobftant  par  rancune 
De  la  muable  &  traiftreffe  fortune. 
On  veit  fon  corps  en  fa  playe  mouillé 
Auoir  ce  lieu  piteufement  fouillé . 
Ha  cher  ami  f 

Proculee. 

L^ orgueil  S-  la  brauade 
Ont  fait  Antoine  ainft  qu^vn  Ancelade, 
Quife  voulant  encore  prendre  aux  Dieux, 
D^vn  trait  horrible  &  non  lancé  des  deux. 
Mais  de  ta  main  à  la  vengence  adextre. 
Sentit  combien  peut  d^vn  grand  Dieu  la  dextre. 
Q}te  plaigne:(-vous  fi  V orgueil  iuftement 
A  Vorgueilleux  donne  fon  payement? 


\ 
1 


/ 


ACTE    II.  121 


Qjiifon  char  vajroiffant, 
Deffousfes  flèches  blondes 
Pre/que  ahyjmer  les  ondes» 

Strophe. 

A  Von  pas  veu  d*vn  arbre 
Le  couppeau  cheuelu, 
Ou  la  mai/on  de  marbre 
Q}tifemble  auoir  voulu 
Déprifer  trop  hautaine 
L'autre  maïfon prochaine  9 

Antiftrophe. 

Qu*on  voye  vn  feu  celefte 
Ceftefime  arrachant^ 
Et  par  mine  molefte 
Le  palais  trefbuchant^ 
La  plante  au  chef  punie. 
L'autre  au  pied  démunie» 

Strophe. 

Mais  Dieux  (d  Dieux)  qu'il  vienne 
Voir  la  plainte  &  le  dueil 
De  cefle  Roine  mienne, 
Rabaijfantfon  orgueil  : 
Roine^  qui  pour/on  vice 
Reçoit  plus  grand  fupplice. 

Ântiftrophe. 

//  verra  la  Deeffe 
A  genoux  fe  ietter  : 
Et  Vefclaue  Maiftreffe 
Las, /on  mal  regretter! 
Sa  voix  à  demi  morte 
Requiert  qu'on  lafupporte. 


/ 


122  CLEOPATRE,   TRAGEDIE. 


Strophe. 

Elle  qui  orgueilleufe 
Le  nom  (Vlfis  portait^ 
Qyi  de  blancheur  pompeufe 
Richement  fe  veftoitf 
Comme  Ifis  Vancienne, 
Deejfe  Egyptienne, 

Ântiflrophe. 

Ore  prefque  en  chemife 
Qu'elle  va  déchirant  y 
Pleurant  aux  pieds  f'eft  mife 
De  fon  Cefary  tirant 
De  Veftomach  débile 
Sa  requefte  inutile. 

Strophe. 

Qjiel  cœur,  quelle  penfee. 
Quelle  rigueur  pourrait 
N'eftre  point  offenfeey 
Qjtarîd  ainjt  Ion  verrait 
Le  retour  mif érable 
De  la  chance  muable? 

Antiflrophe. 

Cefar  en  quelle  forte, 
La  voyant  fans  vertu, 
La  voyant  demi-morte, 
Maintenant  foujliens-tu 
Les  affauts  que  te  donne 
La  pitié  qui  fejlonne? 

Strophe. 
Tu  vois  qu^vne  grand*  Raine, 


ACTE   II.  123 


Celte  là  qui  guidait 
Ton  compagnon  Antoine, 
Et  par  tout  commandoit, 
Heureufe  Je  vient  dire, 
Si  tu  voulais  Vaccire. 

Ântiftrophe. 

Las,  kelasl  Cleopatre, 
Las,  helas  !  quel  malheur 
Vient  tesplaifirs  abbattre, 
Les  changeant  en  douleur? 
Las  las,  helas t  (d  Dame) 
Peux  tu  Souffrir  ton  ame? 

Strophe. 

Pourquoy  pourquoy,  fortune, 
O  fortune  aux  yeux  clos, 
Es  tu  tant  importune? 
Pourquoy  n*a  point  repos 
Du  temps  le  vol  eftrange, 
Qjiifes  faits  brouille  &  change? 

Ântiftrophe. 

Qui  en  volant facage 
Les  chajleaux  Sourcilleux, 
Q}ti  les  princes  outrage. 
Qui  les  plus  orgueilleux, 
Rouant  fa  faulx  fuperbe, 
Fauche  ainfi.  comme  V herbe? 

Strophe. 

A  nul  il  ne  pardonne. 
Il  fe  fait  &  deffait, 
Luy  me/mes  ilfeflonne. 


124  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 

//  Je  flatte  en  fon  fait  y 
Puis  il  blafmefa  peine, 
Et  contre  elle  forcené. 

Ântiilrophe. 

Vertu  feule  à  Vencontre 
Fait  Vacier  reboucher  : 
Outre  telle  rencontre 
Le  temps  peult  tout  faucher  : 
Vorgueil  qui  nous  amorce 
Donne  à  fa  f aulx  fa  force. 


ACTE    III. 

OCTAVIEN,    CLEOPATRE,    LE    CHŒVR, 

SELEVQVE. 

06biuien. 

Voule:{-vous  donc  votre  fait  excufer? 
Mais  dequoy  fert  à  ces  motsfamufer? 
N^efl-il  pas  clair  que  vous  tachie:{  de  faire 
Par  tous  moyens  Cefar  voftre  aduerfaire, 
Et  que  vous  feule  attirant  voftre  ami. 
Me  Vaue:{fait  capital  ennemi, 
Braffant  fans  fin  vne  horrible  tempefte 
Dont  vous penfie:{  écerueler  ma  tefte? 
Qu'en  dites  vous? 

Cleo  pâtre. 

O  quels  pileux  alarmes! 
Las,  que  dirois-ie  !  hé,  ia  pour  moy  mes  larmes 
Parlent  ajfe:{,  qui  non  pas  la  iuftice, 
Mais  de  pitié  cherchent  le  bénéfice. 


ACTE    III.  123 


Pourtant,  Cefar,  pil  eft  à  moy  pofjtble 
De  tirer  hors  d'vne  ame  tant  paffible 
Cefte  voix  rauque  à  mes  fou/pirs  méfiée  y 
EJcoute  èncor  Vefclaue  defolee, 
Las!  qui  ne  met  tant  dCeJpoir  aux  paroles 
Qu^en  ta  pitié,  dont  ia  tu  me  confoles. 
Songe,  Cefar^  combien  peult  la  puijfance 
jyvn  traiftre  amour,  me/me  en  fa  iouyffance  : 
Et  penfe  encor  que  mon  foible  courage 
T^euft  pas  foujfertfans  Vamoureufe  rage. 
Entre  vous  deux  ces  batailles  tonantes, 
Deffusmon  chef  à  la  fin  retournantes. 
Mais  mon  amour  me  forçoit  de  permettre 
Ces  fiers  débats,  &  toute  aide  promettre, 
Veu  quHl  falloit  rompre  paix,  &  combattre, 
Oufeparer  Antoine  ou  Cleopatre, 
Séparer,  las  !  ce  mot  me  fait  faillir. 
Ce  mot  me  fait  par  la  Parque  ajfaillir. 
Aa  aa  Cefar,  aa, 

0£lauien. 

Si  ie  n^efiois  ore 
AJfei(  bening,  vous  pourrie^  feindre  encore 
Plus  de  douleurs,  pour  plus  bening  me  rendre  : 
Mais  quoy,  ne  veux-ie  à  mon  merci  vous  prendre  ? 

Cleopatre. 
Feindre  helas  !  6, 

06biuien. 

Ou  tellement fe  plaindre 
N^eft  que  mourir,  ou  bien  ce  n^eft  que  feindre. 


LE    CHŒVR. 

La  douleur 
Qu^vn  malheur 


120  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 

Nous  raffemble, 
Tel  ennuy 
A  celuy 
Pas  nefemble. 
Qui  exempt 
Ne  lafent: 
Mais  la  plainte 
Mieux  bondit^ 
Q}tand  on  dit 
Que  c'eft  feinte, 

Cleopatre. 

Si  la  douleur  en  ce  coeur  prifonniere 

Ne  furmontoit  cefte  plainte  dernière^ 

Tu  n^aurois  pas  ta  pauure  efclaue  ainji  : 

Mais  ie  ne  peux  égaler  au  fouci, 

Qjii  pétillant  nCécorche  le  dedans, 

Mes  pleurs f  mes  plaints,  &  mes  foufpirs  ardens, 

T^efbahis  tu  fi  ce  mot  feparer, 

A  fait  ainfi  mes  forces  retirer? 

Séparer  (Dieux  !)  feparer  ie  Vay  veu, 

Et  fi  n'ay  point  à  ces  débats  pourueu  ! 

Mieux  il  te  fufi  (o  captiue  rauie) 

Te  feparer  mefme  durant  fa  vie! 

Peujfe  la  guerre  &  fa  mort  empefchee, 

Et  à  mon  heur  quelque  atteinte  lafchee, 

Veu  que  Veuffe  eu  le  moyen  &  Vefpace 

D^efperer  voir  fecrettement  fa  face  : 

Mais  mais  cent  fois,  cent  cent  fois  malheur eufe^ 

Vay  ia  fouffert  cefte  guerre  odieufe  : 

Pay  i'ay  perdu  par  cefte  eftrange  guerre, 

Pay  perdu  tout  &  mes  biens  &  ma  terre  : 

Et  fi  ay  veu  ma  vie  &  mon  fupport, 

Mon  heur,  mon  tout,  fe  donner  à  la  mort, 

Que  tout  fanglant  ia  tout  froid  &  tout  blefme, 

le  réchauffais  des  larmes  de  moymefme. 

Me  feparant  de  moymefme  à  demi 


ACTE    III,  127 


Voyant  par  mortfeparer  mon  ami. 

Ha  Dieux j  grands  Dieux!  Ha  grands  Dieux! 

06lauîen. 

Qji'eft'Ce  ci? 

QMoy?  la  confiance  eftre  hors  defouci? 

Cleopatre. 

Confiante  fuis,  feparer  ie  mefens, 
Maisfeparer  on  ne  me  peult  long  temps  : 
La  palle  mort  m^en  fera  la  raifon, 
Bien  tofi  Pluton  m^ouurira  fa  maifon  : 
Où  mefme  encor  Véguillon  qui  me  touche 
Feroit  reioindre  &  ma  bouche  &  fa  bouche  : 
S'on  me  tuoit,  le  dueil  qui  creueroit 
Parmi  le  coup  plus  de  bien  me  feroit. 
Que  ie  h*aurois  de  mal  à  voir  fortir 
Mon  fang  pourpré  &  mon  ame  partir. 
Mais  vous  m'ofte^  Voccafion  de  mort, 
Et  pour  mourir  me  deffaut  mon  effort, 
Qfti  pallentit  d'heure  en  heure  dans  moy. 
Tant  quHl  faudra  viure  maugré  Vefmoy  : 
Viure  il  me  faut,  ne  crains  que  ie  me  tue  : 
Pour  me  tuer  trop  peu  ie  m^efuertue. 
Mais  puis  quHlfaut  que  t'allonge  ma  vie, 
Et  que  de  viure  en  moy  reuient  Venuie, 
Au  moins,  Cefar,  voy  la  pauure  foiblette, 
Qjii  à  tes  pieds,  &  de  rechef fe  iette  : 
Au  moins,  Cefar,  des  gouttes  de  mes  yeux 
Amolli  toy,pour  me  pardonner  mieux: 
Decefie  humeur  la  pierre  on  caue  bien. 
Et  fus  ton  cœur  ne  pourront  elles  rien? 
Ne  Vont  donc  peu  les  lettres  efmouuoir 
Qji^à  tes  deux  yeux  Vauois  tantoft  fait  voir, 
Lettres  ie  dy  de  ton  père  receues. 
Certain  tefmoin  de  nos  amours  conceués  ? 
N^ay-'ie  donc  peu  deftourner  ton  courage, 


128        CLEOPATRE,  TRAGEDIE. 

Te  defcouurant  &  maint  &  maint  image 

De  ce  tien  père  à  celle-là  Iqyaly 

Qjii  de  fon  fils  receura  tout  fon  mal  ? 

Celuy  fouuent  trop  toft  borne  fa  gloire 

Qui  iufqu'au  bout  Je  vange  en  fa  viâoire. 

Prens  donc  pitié,  tes  glaiues  triomphans 

D^ Antoine  &  moy  pardonnent  aux  enfans. 

Pourrois-tu  voir  les  horreurs  maternelles ^ 

S^on  meurdriffoit  ceux  qui  ces  deux  mammelles, 

Qu*ores  tu  vois  maigres  &  déchirées, 

Et  quiferoient  de  cent  coups  empirees, 

Ont  allaiâé?  Orrois  tu  mefmement 

Des  deux  cofte:{  le  dur  gemiffement  ? 

Non  non,  Cefar,  contente  toy  du  père, 

Laiffe  durer  les  enfans  &  la  mère 

En  ce  malheur,  oii  les  Dieux  nous  ont  mis. 

Mais  fufmes  nous  iamais  tes  ennemis 

Tant  acharne:ç  que  n'euffions  pardonné. 

Si  le  trophée  à  nousfe  fujl  donné? 

Quant  ejl  de  moy,  en  mes  fautes  commifes 

Antoine  eftoit  chef  de  mes  entreprifes, 

Las,  qui  venoit  à  tel  malheur  mHnduire, 

Euffé-ie  peu  mon  Antoine  efconduire? 

O&SiUÏen, 

Tel  bien  fouuent  fon  fait  penfe  amender 
Qu'on  voit  d\n  gouffre  en  vn  gouffre  guider  : 
Vous  excufant,  bien  que  voftre  aduantage 
Vous  y  mettie:{,  vous  nuife:{  d^auantage. 
En  me  rendant  par  Vexcufe  irrité, 
Qjii  ne  fuis  point  qu^ami  de  vérité. 
Et  fi  conuient  qu*en  ce  lieu  ie  m'amufe 
A  repouffer  cefte  inutile  excufe  ; 
Pourrie!(^vous  bien  de  ce  vous  garentir. 
Qui  fit  ma  fosur  hors  d^ Athènes  fortir. 
Lors  que  craignant  qu^ Antoine  fon  efpoux 
Plus  fe  donnaft  à  fa  femme  qu^à  vous, 


ACTE    III.  129 


Vous  le  paijfit:^  de  rufe  &  de  flneffes^ 
De  mille  &  mille  &  dix  mille  careffes  ? 
Tantoft  au  lia  exprés  emmaigrijfie\, 
Tantoft  par  feinte  exprés  vous  palliffie!(, 
Tantoft  voftre  œil  voftre  face  baignoit 
Dés  qu^vn  ied  itarc  de  luy  vous  efloignoit^ 
Entretenant  la  feinte  &  forcelage, 
Ou  par  couftume,  ou  par  quelque  breuuage  : 
Mefme  attiltrant  vos  amis  &  flatteurs 
Pour  du  venin  d^ Antoine  eftre  fauteurs^ 
Qui  Vabufoyent  fous  les  plaintes  friuoles, 
Faifant  céder  fon  projet  aux  paroles. 
Qftqy?  difoient-ils,  eftes  vous  V homicide 
D^n  pauure  efprit,  qui  vous  prend  pour  fa  guide  ? 
Faut-il  qu^en  vous  la  Nobleffe  foffenfe. 
Dont  la  rigueur  à  celle  la  ne  penfe, 
Qfii  fait  de  vous  le  but  de  fespenfees  ? 
0  qu'ils  font  mal  enuers  vous  addreffees  ! 
Oâauienne  a  le  nom  de  Vefpoufe, 
Et  cefte  ci,  dont  laflame  ialoufe 
Empefche  affe3[  la  vifte  renommée, 
Sera  Vamie  en  fon  pays  nommée  : 
Cefte  diuine,  à  qui  rendent  hommage 
Tant  de  pays  ioints  à  fon  héritage. 
Tant  peurent  donc  vos  mines  &  addreffes, 
Et  de  ceux  la  les  plaintes  flatter effes, 
Qjt'Oûauienne  &  fa  femme  &  ma  fœur. 
Fut  dechaffee,  &  dechajfa  voftre  heur. 
Vous  taife^-vous,  aue:ç-vous  plus  defir 
Pour  m^appaifer  d'autre  excufe  choiftr  ? 
Qjte  dirie^'vous  du  tort  fait  aux  Rommains, 
Qjti  fenfuy oient fecrettement  des  mains 
De  voftre  Antoine,  alors  que  voftre  rage 
Leur  redoubloit  Voutrage  fus  Voutrage  ? 
Que  diriez  vous  de  ce  beau  teftament 
Qjû Antoine  auoit  remis  fecrettement 
Dedans  les  mains  despucelles  Veftales? 
Ces  maux  eftoyent  les  conduites  fatales 
lodeUt.  —  1.  c) 


l3o  CLEOPATRB,    TRAGEDIE. 


• 


.A 


De  vos  malheurs  :  &  ores  peu  rufee 
Vous  voudrie:ç  bien  encore  eftre  excufee. 
Contentez-vous^  Cleopatre,  &  penfe:{ 
Que  c'eft  ajfe\  de  pardon,  &  affe\ 
ly entretenir  le  fufeau  de  vos  vies, 
Qui  ne  feront  à  vos  enfans  rauies, 

Cleopatre. 

Ore,  Cefar,  chetiue  ie  m^accufe. 
En  m^excufant  de  ma  première  excufe, 
Recognoijfant  que  ta  feule  pitié 
Peut  donner  bride  à  ton  inimitié  : 
Qjie  ia  pour  moy  tellement  fe  commande. 
Que  tu  ne  veux  de  moy  faire  vne  offrande 
Aux  Dieux  ombreux,  ny  des  enfans  auffi 
Qjie  Vai  tourné  en  ces  entrailles  ci. 
De  ce  peu  donc  de  mon  pouuoir  reflé 
le  rens  ie  rends  grâce  à  ta  maiefté  : 
Et  pour  donner  à  Cefar  tefmoignage^ 
Q}ie  ie  fuis  fienne  &  le  fuis  décourage, 
le  veux,  Cefar,  te  déceler  tout  Vor, 
Vargent,  les  biens,  que  ie  tiens  en  threfor. 


LE    CHŒVR. 

Qfiand  laferuitude 
Le  col  enchefnant 
Deffous  le  ioug  rude 
Va  V homme  gefnant  : 

Sans  que  Ion  menaffe 
D'vn  fourcil  plié. 
Sans  qu'effort  on  face 
Au  pauure  lié, 

Affe!Ç  il  confeffe, 
Affe\fe  contraint, 
Affe\  ilfe  preffe 


ACTE   IIU  l3l 

Par  la  crainte  eftraint. 
Telle  ejk  la  nature 
Des  ferfi  déconfits. 
Tant  de  mal  n^endure 
De  lapet  le  fils. 

Oâauien. 

Vample  threfor,  Vancienne  richejfe 
Qjtevous  nomme^,  tefmoigne  la  hautejfe 
De  vojtre  race  :  &  n^eftoit  le  bon  heur 
D^efire  du  tout  en  la  terre  feigneur^ 
le  me  plaindrais  quHl  faudra  quefoudain 
Ces  biens  royaux  changent  ainfi  de  main, 

Seleuque. 

Comment,  Cefar,  fi  Vhumble  petiteffe 
Ofe  addrefferfa  voix  à  ta  hautejfe. 
Comment  peux  tu  ce  threfor  eftimer 
Qsie  ma  Princejfe  a  voulu  te  nommer? 
Cuides  tu  bien,  fi  accufer  ie  Vofe, 
Qfiefon  threfor  tienne  fi  peu  de  chofe? 
La  moindre  Roine  à  ta  loy  fiechiffante 
Eft  en  threfor  autant  riche  &  puiffante, 
Qfti  autant  peu  ma  Cleopatre  égale, 
Qfte  par  les  champs  vne  café  rurale 
Au  fier  chafteau  ne  peult  cftre  égalée. 
Ou  bien  la  motte  à  la  roche  gelée. 
Celle  fous  qui  tout  VEgypte  fiechit. 
Et  qui  du  Nil  Veau  fertile  franchit, 
A  qui  le  Juif,  &  le  Phénicien, 
VArabien,  &  le  Cilicien, 
Auant  ton  foudre  ore  tombé  fur  nous, 
Souloyent  courber  les  hommagers  genoux  : 
Qui  aux  threfors  d^ Antoine  commandait f 
Qlti  tout  ce  monde  en  pompes  excédait, 
Ne  pourrait  elle  auair  que  ce  threfor  ? 


iSz  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 


Croy,  Cefar^  croy  qu'elle  a  de  tout/on  or, 
Et  autres  biens  tout  le  meilleur  caché. 

Cleopatre. 

A  faux  meurdrier  !  a  faux  traiflre^  arraché 
Sera  le  poil  de  ta  tejte  cruelle, 
Qjte pleuft  aux  Dieux  que  ce  fuji  ta  ceruéllel 
Tien  traijire,  tien, 

SelAque. 
O  Dieux! 

Cleopatre. 

O  chofe  deteftable**! 
Vn  ferf  vn  ferf! 

Oâauien. 

Mais  chofe  efmerueillable 
D*vncœur  terrible! 

Cleopatre. 

Et  quoy^  nCaccufes  tu  ? 
Mepenfois  tu  veufue  de  ma  vertu 
Comme  d'Antoine?  aa  traijire! 

Seleuque. 

Retiens^  la, 
Puijfant  Cefar,  retiens  la  doncq. 

Cleopatre. 

Voila 
Tous  mes  biensfaits.  Hou!  le  dueil  qui  m^ efforce, 
Donne  à  mon  cœur  langoureux  telle  force. 
Que  ie  pourrois,  ce  me  femble,  froiffer 
Du  poing  tes  os,  &  tes  flancs  creuaffer 
A  coups  de  pied. 


ACTE   III.  l33 


Oâauien. 

O  quel  grinfant  courage! 
Mais  rien  rCeJt  plus  furieux  ^e  la  rage 
jyvn  cœur  de  femme.  Et  bien,  quoy,  Cleopatre? 
EJies  vous  point  ia  faoule  de  le  battre  ! 
Fuy  fenj  ami,  fuy  Ven. 

Cleopatre. 

Mais  quoy,  mais  quoy  ? 
Mon  Empereur,  eft-ïl  vn  tel  efmoy 
Au  monde  encor  que  ce  paillard  me  donne? 
Sa  lâcheté  ton  efprit  mefme  eftonne. 
Comme  ie  croy,  quand  moy  Roine  dHci, 
De  mon  vajfalfuis  accufee  ainjî, 
Q^e  toy,  Cefar,  as  daigné  vijîter, . 
Et  par  ta  voix  à  repos  inciter. 
Hé  fi,  Pauois  retenu  des  loyaux. 
Et  quelque  part  de  mes  habits  royaux, 
Vaurois-ie  fait  pour  moy ,  las,  malheureufe! 
Moy,  qui  de  moy  ne  fuis  plus  curieufe? 
.Mais  telle  eftoit  cefte  efperance  mienne. 
Qu'à  ta  Liuie  &  ton  Çâauienne 
De  ces  ioyaux  le  prefent  ie  feroy. 
Et  leurs  *•  pitiei^  ainfi  pourchafferoy. 
Pour  (n'eftant  point  de  mes  prefens  ingrates) 
Enuers  Cefar  eftre  mes  aduocates, 

Oâauien. 

Ne  craigne^  point,  ie  veux  que  ce  threfor 
Demeure  voftre  :  encourage^ -vous  or\ 
Viue:ç  ainfi  en  la  captiuité 
Comm^  au  plus  haut  de  la  profperité. 
Adieu  :  fonge3[  qu^on  ne  peut  receuoir 
Des  maux,  finon  quand  on  penfe  en  auoir. 
le  nCen  retourne. 


l34  CLEOPATRE,   TRAGEDIE, 


'N 


Cleopatre. 

^      Ainfi  vousfoit  ami 
Tout  le  Deftin^  comnC  il  nCeft  ennemi. 

Le  Chœur. 
Où  coure3['Vous,  Seleuque^  oit  coures[-vous  ? 

Seleuque. 
le  cours,  fuyant  Venuenimé  courroux. 

Le  Chœur. 
Mais  quel  courroux?  hé  Dieu,  fi  nous  enfommes! 

Seleuque.  " 

Je  nefuypas  ny  Cefar  nyfes  hommes. 

Le  Chœur. 
Qji'y  a  fil  donc  que  peut  plus  la  fortune? 

Seleuque. 
H  rCy  a  rien,finon  Voffenfe  d*vne. 

Le  Chœur. 
-  Auroit  on  bien  nojire  Roine  blejfee? 

Seleuque. 
Non  non,  mais  Vay  nojire  Roine  offenfee. 

Le  Chœur. 
Quel  malheur  donc  a  caufé  ton  offenfe  ? 


N_ 


ACTE    III.  l35 

Seleuque. 
Qjtefert  ma  faute,  ou  bien  mon  innocence? 

Le  Chœur. 
Mais  dy  le  nous,  dy,  il. ne  nuira  rien*^. 

Seleuque. 
Dit,  il  n'apporte  à  la  ville  aucun  bien. 

Le  Chœur. 
Mais  tant  y  a  que  tu  as  gaigné  Vhuis. 

Seleuque. 

Mais  tant  y  a  que  ia  puni  Ven  fuis. 

Le  Chœur. 
Eftant  puni  en  es  tu  du  tout  quitte? 

Seleuque. 

Eftant  puni  plus  fort  ie  me  dépite, 
Et  ia  dans-  moy  iefens  vne  furie, 
Me  menaffant  que  telle  fafcherie 
Poindra  fans  fin  mon  ame  furieufe, 
Lors  que  la  Roine  &  trifie  &  courageufe 
Deuant  Cefar  aux  cheueux  nCa  tiré. 
Et  de  fon  poing  mon  vif  âge  empiré  : 
Scelle  nCeufi  fait  mort  en  terre  gefir. 
Elle  eufk  preueu  à  monprefent  dejtr, 
Veu  que  la  mort  n^eufl  point  efïé  tant  dure 
Q|fe  V étemelle  &  mordante  pointure, 
Qffi  ia  défia  iufques  au  fond  me  bleffe 
l^auoir  bleffé  ma  Roine  &  ma  maiftreffe. 


l36  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 


LE   CHŒVR. 

O  quel  heur  à  la  perfonne 
Le  Ciel  gouuemeur  ordonne, 
Qjii  conten te  de  fon  fort. 
Par  conuoitife  ne  fort 
Hors  de  Vheureufe  franchife, 
Et  n*a  fa  gorge  fubmife 
Au  ioug  &  trop  dur  lien 
De  ce  pourchas  terrien, 

Mais  bien  les  antres  fauuages, 
Les  beaux  tapis  des  herbages, 
Les  reiettans  arbriffeaux. 
Les  murmures  des  ruiffeaux. 
Et  la  gorge  babillarde 
De  Philomele  iafarde. 
Et  Vattente  du  Printemps 
Sont  fes  biens  &  paffetemps. 

Sans  que  Vame  haut  volante. 
De  plus  grand  dejir  bruflante 
Suiue  les  pompeux  arrois  : 
Et  puis  offenfantfes  Rois, 
Ait  pour  maigre  recoynpenfe 
.  Le  feu,  le  glaiue,  ou  potance. 
Ou  pluftojî  mille  remors, 
Confere:ç  à  mille  morts. 

Si  Vinconjtante  fortune 
Au  matin  ejf  opportune, 
Elle  efi  importune  aufoir. 
Le  temps  ne  fe  peut  raffoir, 
A  la  fortune  il  accorde. 
Portant  à  celuy  la  corde 
Qull  auoit  parauant  mis 
Au  rang  des  meilleurs  amis. 

Quoy  que  foit,  foit  mort  ou  peine 
Que  le  Soleil  nous  rameine 
En  nous  ramenant  fon  iour  : 


ACTE  III.  \3y 


Soit  qu'élu  face  feiour. 

Ou  bien  que  par  la  mort  griefue 

Elle  fe  face  plus  briefue  : 

Celuy  qui  ard  de  defir 

S*£ji  toufioursfentifaifir. 

Arius  de  cejte  ville, 
Qjie  cefte  ardeur  inutile 
IPauoit  iamais  retenu  : 
Ce  Philofophe  chenu  ^ 
Qjti  déprifoit  toute  pompe. 
Dont  cefte  ville  fe  trompe^ 
Durant  nqftre  grand*  douleur 
A  receu  le  bien  &  Vheur  : 

Cefar  faifant  fon  entrée, 
A  la  fageffe  monftree 
L'heur  &  la  félicité, 
La  rai/on,  la  vérité, 
Qfi'auoitenfoy  ce  bon  maiftre. 
Le  faifant  mefme  à  fa  dextre 
Cqftoyer,  pour  e/b'e  à  nous 
Comme  vn  miracle  entre  tous. 

Seleuque,  qui  de  la  Roine 
Receuoit  le  patrimoine 
En  partie,  &  qui  dreffoit 
Le  gouuemement^  reçoit. 
Et  outre  cefte  fortune 
Qjti  nous  eft  à  tous  commune. 
Plus  griefue  infelicité 
Qjte  noftre  captiuité. 

Mais  or'  ce  dernier  courage 
De  ma  Roine  eft  vn  prefage, 
S*il  faut  changer  de  propos, 
Qjie  la  meurdriere  Atropos 
Ne  fouffrira  pas  qu*on  porte 
A  Romme  ma  Roine  forte. 
Qui  veut  de  fes  propres  mains 
S'arracher  des  fiers  Rommains", 

Celle  la  dont  la  confiance 


l38  CLEOP.ATREj    TRAGEDIE. 


A  pris  foudain  la  vengeance 
Du  ferfy  &  dont  la  fureur 
N^a  point  craint  f on  Empereur  : 
Croyei  que  pluftoft  Vefpee 
En  Son  fang  fera  trempée. 
Que  pour  vn  peu  moins  fouffrir 
A  fon  defhonneurf  offrir, 

Seleuque. 

Ofainâ  propos,  ô  vérité  certaine  ! 
Pareille  aux  de3[  efï  noftre  chance  humaine. 


ACTE   IIII. 


CLEOPATRE,  CHARMIVM,  ERAS,  LE  CHŒVR. 

Cieopatre. 

Penferoit  doncq  Cefar  efïre  du  tout  vainqueur? 
Penferoit  doncq  Cefar  abaftardir  ce  cœur, 
Veu  que  des  tiges  vieux  cefte  vigueur  Pherite, 
De  ne  pouuoir  céder  qu*à  la  Parque  dépite  ? 
La  Parque  &  non  Cefar  aura  fus  moy  le  pris, 
La  Parque  &  non  Cefar  foulage  mes  efprits, 
La  Parque  &  non  Cefar  triomphera  de  moy, 
La  Parque  &  non  Cefar  finira  mon  efmoy  : 
Et  fi  Vay  ce  iourdhuy  vfé  de  quelque  feinte, 
Afin  que  ma  portée  en  fon  fang  ne  fufl  teinte, 
Quoy?  Cefar  penfoit-il  que  ce  que  dit  Vauois 
Peuft  bien  aller  enfemble  &  de  cœur  &  de  voix? 
Cefar,  Cefar,  Cefar,  il  te  feroit  facile 
De  fubiuguer  ce  cœur  aux  liens  indocile  : 
Mais  la  pitié  que  Vay  du  fang  de  mes  enfans, 
Rendoyent  fus  mon  vouloir  mes  propos  triomphans. 


ACTE    IIII.  l39 


Non  la  pitié  que  Vay  fipar  moy  miferable 
Eft  rompu  le  filet  à  moy  ia  trop  durable. 
Courage  donc,  courage  (d  compagnes  fatales) 
ladis  férues  à  moy,  mais  en  la  mort  égales. 
Vous  aue:(  recogneu  Cleqpatre  princeffe, 
Or*  ne  recognoiffes^  que  la  Parque  maiftreffe. 

Charmium. 

Encore  que  les  maux  par  ma  Roine  endure^. 
Encore  que  les  deux  contre  nous  coniure^. 
Encore  que  la  terre  enuers  nous  courroucée, 
Encore  que  Fortune  enuers  nous  infenfee. 
Encore  que  d'Antoine  vne  mort  miferable, 
Encore  que  la  pompe  à  Cefar  defirable, 
Encore  que  Varreft  que  nousfifmes  enfemble 
(^Hl  faut  quWn  mefme  iour  aux  enfers  nous  ajfemble, 
Eguillonnaft  affe\  mon  efprit  courageux 
Ueftre  dontrefoy mefme  vn  vainqueur  outrageux, 
Ce  remède  de  mort,  contrepoifon  de  dueil, 
S*eft  tantofl  prefenté  d^auantage  à  mon  œil  : 
Car  ce  bon  Dolabelle,  ami  de  nofïre  affaire. 
Combien  que  pour  Cefar  il  f oit  nofïre  aduerfaire^ 
T'a  fait  fçauoir  (d  Roine)  après  que  V Empereur 
Eft  parti  d*auec  toy,  &  après  ta  fureur 
Tant  equitablement  à  Seleuque  monflree, 
Qjie  dans  trois  iourspreflx  cefie  douce  contrée 
Il  nous  faudra  laiffer,  pour  à  Romme  menées 
Donner  vn  beau  fpeâacle  à  leurs  efféminées, 

Eras. 

Ha  mort,  6  douce  mort,  mort  feule  guarifon 
Des  efprits  oppreffe^  d*vne  eft  range  prif on, 
Pourquoy  fouffres  tu  tant  à  tes  droits  faire  tort  ? 
Tauons  nous  fait  offenfe,  6  douce  &  douce  mort  ? 
Pourquoy  n'approches  tu,  6  Parque  trop  tardiùe? 
Pourquoy  veux  tufouffrir  cefte  bande  captiue, 


140  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 

Qui  fCaura  pas  pluftoft  le  don  de  liberté, 
Qjie  ceft  efprit  nefoit  par  ton  dard  écarté? 
Hafte  doncq  hafte  toy^  vanter  tu  te  pourras 
Que  tnefme  fus  Cefar  vne  defpouille  auras  : 
Ne  permets  point  alors  que  Phebus  qui  nous  luit 
En  deuallant  **  fera  cheiç^fon  oncle  conduit, 
Qjte  ta  fœur  pitoyable,  helas  !  à  nous  cruelle. 
Tire  encore  le  fil  dont  elle  nous  bourrelle  : 
Ne  permets  que  des  peurs  lapalliffante  bande 
Empefche  ce  iourdhuy  de  te  faire  vne  offrande. 
Voccafion  ejî  feure,  &  nul  à  ce  courage 
Ce  iour  nuire  nepeult,  qu'on  ne  te  face  hommage, 
Cefar  cuide  pour  vray  que  ia  nous  foyons  preftes 
D^aller,  &  de  donner  tefmoignage  des  queftes. 

Clçopatre. 

Mourons  donc,  chères  foeurs,  ayons  pluftofi  ce  cceui 

De  feruir  à  Pluton  qu'à  Cefar  mon  vainqueur  : 

Mais  auant  que  mourir  faire  il  nous  conuiendra 

Les  obfeques  d'Antoine,  &  puis  mourir  faudra, 

le  Vay  tantofi  mandé  à  Cefar,  qui  veult  bien 

Qjie  Monfeigneur  Vhonore,  helas!  &  Vami  mien. 

Abbaiffe  toy  donc  ciel,  &  auant  que  ie  meure 

Viens  voir  le  dernier  dueil  quHl  faut  faire  à  cefte  heure 

Peut  eftre  tu  feras  marry  de  m^efire  tel. 

Te  fafchant  de  mon  dueil  eftrangement  mortel. 

Allons  donc  chères  foeurs  :  de  pleurs,  de  cris,  de  larmes, 

Venons  nous  affaiblir,  afin  qu'en  f es  alarmes 

Noftre  voifine  mort  nous  foit  ores  moins  dure, 

Qjiand  aurons  demi  fait  aux  efprits  ouuerture. 

Le  Chœur. 

Mais  oii  va,  dites  moy,  dites  moy  damoyfelles. 
Où  va  maRoine  ainfi?  quelles  plaintes  mortelles  y 
Q}ielfoucy  meurdriffant  ont  terni  fon  beau  teint? 
Ne  Vauoit pas  affe\  la  feiche flebure  atteint? 


ACTE    IIII.  141 


Charmium. 

Trifte  ellefen  va  voir  des  fepulchres  le  clos, 
Où  la  mort  a  caché  de  fon  ami  les  os. 

Le  Choeur. 
Qs/tefeioumons  nous  donc?  fuiuons  noftre  maiftrejfe, 

Eras.   - 
Suiure  vous  ne  pouue^^  fans  fuiure  la  dejtrejfe. 

LE   CHŒVR. 

La  grefle  pétillante 

Deffus  les  toits^ 
Et  qui  me/me  efi  nuifante 

Au  verd  des  bois. 
Contre  les  vins  forcené 

En  fa  fureur, 
Et  trompe  aufft  la  peine 

Du  laboureur  : 
N^eftant  alors  contente 

De  fon  effort, 
Ne  met  toute  V attente 

Des  fruits  à  mort. 
Quand  la  douleur  nous  iette 

Ce  qui  nouspoind, 
Pour  vn  feul  fa  fagette 

Ne  bleffe  point. 
Si  noftre  Roine  pleure. 

Lequel  de  nous 
Ne  pleure  point  à. P heure  ? 

Pas  vn  de  tous. 
Mille  traits  nous  affolent. 

Et  feulement 


142        CLEOPATRE,  TRAGEDIE. 

De  Venuieux  confolent 

^entendement. 
Faifons  céder  aux  larmes 

La  trifte  voix, 
Etfouffrons  les  alarmes 

Tels  que  ces  trois, 
la  la  Roine  fe  couche 

Près  du  tombeau, 
Elle  ouure  ia  fa  bouche  : 

Sus  donc  tout  beau, 

Cleopatre. 

Antoine,  ô  cher  Antoine,  Antoine  ma  moitié. 
Si  Antoine  n^euft  eu  des  deux  Vinimitié, 
Antoine,  Antoine,  helasi  dont  le  malheur  me  priue, 
Entens  la  foible  voix  d^vne  foible  captiue, 
Qui  de  fes  propres  mains  auoit  la  cendre  mife 
Au  clos  de  ce  tombeau  n^eftant  encore  prife  : 
Mais  qui  prife  &  captiue  àfon  malheur  guidée, 
Suiette  &  prifonniere  en  fa  ville  gardée, 
Ore  tefacrifie,  &  non  fans  quelque  crainte 
Défaire  trop  durer  en  ce  lieu  ma  complainte, 
Veu  qu*on  a  V œil  fus  moy,  de  peur  que  la  douleur 
Ne  face  par  la  mort  la  fin  de  mon  malheur  : 
Et  à  fin  que  mon  corps  de  fa  douleur  priué 
Soit  au  Rommain  triomphe  en  la  fin  referué  : 
Triomphe,  dy-ie,  las!  qu'on  veult  orner  de  moy. 
Triomphe,  dy-ie,  las  !  que  Ion  fera  de  toy. 
Il  ne  faut  plus  defor  de  moy  que  tu  attendes 
Quelques  autres  honneurs,  quelques  autres  offrandes  : 
Vhonneur  que  ie  te  fais,  V honneur  dernier  fera 
Qu*àfon  Antoine  mort  Cleopatre  fera. 
Et  bien  que  toy  viuant  la  force  &  violence 
Ne  nous  ait  point  forcé  d'écarter  V alliance, 
Et  de  nousfeparer  :  toutesfois  ie  crains  fort 
Que  nous  nous  feparions  Vvn  de  Vautre  à  la  mort. 
Et  qu'Antoine  Rommain  en  Egypte  demeure. 


ACTE    IIII.  143 


Et  mqy  Egyptienne  dedans  Romme  ie  meure. 
Mais  fi  lespuiffans  Dieux  ont  pouuoir  en  ce  lieu 
Oit  maintenant  tu  es,  fais  fais  que  quelque  Dieu 
Ne  permette  iamais  qu*en  m^entrainant  d'ici 
On  triomphe  de  tqy  en  ma  perfonne  ainfi  : 
Ains  que  ce  tien  cercueil,  6  fpeâacle  piteux 
De  deux  pauures  amans,  nous  racouple  tous  deux, 
Cercueil  qu^encore  vn  iour  V Egypte  honorera. 
Et  peut  ëftre  à  nous  deux  Vepitaphe  fera  : 

Icyfont  deux  amans  qui  heureux  en  leur  vie, 
D'heur,  d*honneur,  de  lieffe,  ont  leur  ame  affouuie  : 
Mais  en  fin  tel  malheur  on  les  vit  encourir, 
Qjte  le  bon  heur  des  deux  fut  de  bien  toft  mourir. 

Reçoy  reçoymoy  donc  auant  que  Cefar  parte, 
Qjie  plujiofi  mon  efprit  que  mon  honneur  f  écarte  : 
Car  entre  tout  le  mal,  peine,  douleur,  encombre, 
Soufpirs,  regrets,  foucis,  que  t*ayfouffert  fans  nombre, 
Peftime  lé  plus  grief  ce  bien  petit  de  temps 
QJie  de  toy,  o  Antoine^  efloigner  ie  me  fens. 

Le  Chœur. 

Voila  pleurant  elle  entre  en  ce  clos  des  tombeaux. 
Rien  ne  voyent  de  tel  les  toumoy ans  flambeaux . 

Eras. 

Eft'il  fi  ferme  efprit,  qui  prefque  nefenuole 
Au  piteux  ef coûter  défi  trifte  parole? 

Charmium. 

O  cendre  bien  heureufe  eftanthors  de  la  terre! 
Vhomme  h*  efi  point  heureux  tant  qu^un  cercueil  Venferre, 

Le  Chœur. 

Àaroit  donc  bien  quelqu^vn  de  viure  telle  enuie, 
Qti  ne  voulufi  ici  mefprifer  cefte  vie? 


144  CLEOPATRE,    TRAGEDIE. 


Cleopatre. 

Allons  donc  chères  fœurs,  &  prenons  doucement 
De  nos  triftes  malheurs  Vheureux  allégement. 


LE    CHŒVR. 

Strophe. 

Plus  grande  eft  la  peine 
Qjie  Voutrageux  fort 
Aux  amis  ameine, 
Qjie  de  Vomi  mort 
IPeft  la  ioye  grande. 
Alors  qu*en  la  bande 
Des  efprits  heure^, 
Efprits  ajfeure!( 
Contre  toute  dextre, 
Q}iittefe  voit  eftre 
Des  maux  endure^. 

Ântiftrophe. 

Chacune  Charité 
Au  tour  de  Cypris, 
Quant  la  dent  dépite 
Du  fanglier  épris 
Occii  en  la  chajfe 
De  Myi-rhe  la  race, 
Ne  pleur  oit  fi  fort  y 
Qu^on  a  fait  la  mort 
D^ Antoine,  que  Vire 
Tranfmit  au  nauire 
De  V oublieux  port, 

Epode. 
Les  cris,  les  plains 


.     ACTE   IIII.  145 


Des  Phrygiennes 
Eftans  aux  mains 
Mycéniennes, 
N*eJtoyent  pas  tels, 
Qjie  les  mortels 
Qjtepour  Antoine 
Fait  nojtre  Roine. 

Strophe. 

Mais  ore  Pay  crainte, 
QuHl  faudra  pleurer 
Nojtre  Roine  efteinte, 
Qjii  ne  peut  durer 
Au  mal  de  ce  monde  ^ 
Mal  qui  fe  féconde j 
Toufiours  enfantant 
Nouueau  malfortant  : 
On  la  voit  deliure 
Du  defir  de  viure, 
Mille  morts  portant, 

Antiftrophe. 

Tantqft  gaye  &  verte 
La  fàrejt  eftoit^ 
La  terre  couuerte 
Sa  Cerés  portait  ; 
Flore  auoit  la  pree 
De  fleurs  diaprée, 
Qjiand  pour  tout  ceci 
Toutfoudain  voici 
Cela  qui  les  pille, 
L*hyuer,  la  faucille, 
Etlafaulx  aujfi, 

Epode. 

la  la  douleur 

lodelle.  —  I.  lu 


146        CLEOPATRE,  TRAGEDIE. 

Rompt  la  lieffe, 
La  ioye  &  Vheur 
A  ma  Princeffej 
Refte  le  teint 
Qjti  rCeft  efteint  : 
Mais  la  mort  blefme 
L^oftera  me/me. 

Strophe. 

Elle  vient  de  faire 

L^ honneur  au  cercueil  : 
01  quelle  a  peu  plaire 
Et  déplaire  à  Vœil  : 
Plaire  quand  les  rofes 
Ont  efté  declofes, 
Auec  le  Cyprès ^ 
Mille  fois  après 
Baifotani  la  lame, 
Quifemble  à/on  ame 
Faire  les  aprefts, 

Antiflrophe. 

Verfant  la  rofee 
Du  fond  de/on  cœur, 
Par  les  yeux  puifee, 
Et  puis  la  liqueur 
Que  requiert  la  cendre  ; 
Et  faifant  entendre 
Quelques  mots  lache^, 
Baffement  mache^. 
Pour  fin  de  la  fefte 
Méfiant  de  fa  tefïe 
Les  poils  arrache:^, 

Epode. 
Elle  a  defpleu, 


ACTE   V.  147 


Pource  quHlfemble 
Qjt'elle  n'a  peu 
Qfte  viure  enfemble 
Et  que  foudain 
De  nojtre  main 
Luy  faudra  faire 
Vn  mefme  affaire. 


ACTE  V. 


PROCVLEE,   LE  CHŒVR. 

Proculee. 

O  iufte  Ciel,  fi,  ce  grief  maléfice 

Ne  faccufoit  iuftement  d'iniufiice, 

Par  quel  deftin  de  tes  Dieux  coniuré. 

Ou  par  quel  cours  des  afires  mefuré, 

A  le  malheur  pillé  telle  vidoire, 

Qji'en  la  voyant  on  ne  la  pourroit  croire  ? 

O  vous  les  Dieux  des  bas  enfers  &  /ombres, 

Qfif  retire^  fatalement  les  ombres 

Hors  de  nos  corps,  quelle  palle  Megere 

Eftoit  commife  en  fi  rare  mifere  ? 

Oflere  Terre  à  toute  heure  fouillée 

Des  corps  des  tiens,  &  en  leurfang  touillée, 

As  tu  iamais  fouftenu  fous  les  flancs 

Quelque  fureur  de  courages  plus  grands? 

Non,  quand  tes  fils  Jupiter  e/chellerent. 

Et  contre  luy  ferpentins  fe  meflerejU. 

Car  eux  pour  efire  exemps  du  drondes  deux. 

Voulurent  mefme  embufcher  les  grands  Dieux, 

Defquels  en  fin  fièrement  affaillis, 

Furent  aux  creus  de  leurs  monts  recueillis. 

Mais  ces  trois  ci,  dont  le  caché  courage 


148  CLEOPATRË,    TRAGEDIE. 

H'euft  point  efté  mefcreu  de  telle  rage. 
Qui  rCeftoient  point  géantes  ferpentirtes. 
En  redoublant  leurs  rages  féminines, 
Pour  au  vouloir  de  Cefar  n^obeir, 
Leur  propre  vie  ont  bien  voulu  trahir. 
O  Jupiter!  ô  Dieux!  quelles  rigueurs 
Permets  tu  donc  à  ces  fuperbes  cœurs? 
Quelles  horreurs  as  tu  fait  ores  naiftre, 
Qui  des  nepueux pourront  aux  bouches  ejire, 
Tant  que  le  tour  de  la  machine  tienne . 
Par  contrepois  balancé  fe  maintienne? 
Diûes  moy  donc  vous  brandons  flamboyans. 
Brandons  du  Ciel  toutes  chofes  voyans, 
Aue^-vous  peu  dans  ce  val  tant  inftable 
Découurir  rien  de  plus  efpouuentable  ? 
Accufe:(-vous  maintenant,  ô  Deftins, 
Accufej[-vous,  ô  flambeaux  argentins  ; 
Et  toy,  Egypte,  à  Penui  matinée, 
Maudi  cent  fois  Viniufte  deftinee  : 
Et  toy  Cefar,  &  vous  autres  Romains 
Contrifte^  vous,  la  Parque  de  vos  mains 
A  Cleopatre  à  cefte  heure  arrachée. 
Et  maugré  vous  voftre  attente  empefchee. 

Le  Chœur. 

O  dure,  helas  !  &  trop  dure  auanture. 
Mille  fois  dure  &  mille  fois  trop  dure. 


H 


Proculee. 


\ 


I  Ha  ie  ne  puis  à  ce  crime  penfer, 
^  Si  ie  ne  veux  en  penfant  nCoffenfer  : 

Et  fi  mon  cœur  à  ce  malheur  ne  penfe. 

En  le  fermant  ie  luy  fais  plus  d'offenfe. 
Efcoutei  donc,  Citoyens,  efcoute:(, 

Et  m'efcoutant  voftre  mal  lamente:^. 

Veftois  venu  pour  le  malfupporter 


ACTB   V.  149 

De  Cîeopatre,  &  la  réconforter ^ 
Qjiand  Pay  trouué  ces  gardes  qui  frappoyent 
Contre  fa  chamjbre,  &fa  porte  rompoyent  : 
Et  qu'en  entrant  en  cefte  chambre  clofe^ 
Pay  veu  (d  rare  &  mif érable  chofe!) 
Ma  Cleqpatre  en  fon  royal  habit 
Et  fa  couronne,  au  long  d*vn  riche  lia 
Peint  &  doré,  blefme  &  morte  couchée. 
Sans  qu'elle  Jfuft  d*aucun  glaiue  touchée, 
Auecq^  Eras  fa  femme,  à  f es  pieds  morte, 
Et  Charmium  viue,  qu'en  telle  forte 
Pay  lors  blafmeeKXa  Charmium,  eJl'Ce 
Noblement  faxSrOuy  ouy  c^eft  de  nobleffe 
De  tant  de  Rois  Egyptiens  venue 
Vn  tefmoignage.  Et  lors  peu  fouftenue 
En  chancelant,  &  paccrochant  en  vain, 
Tombe  à  Venuers,  reftant  vn  tronc  humain, 
^oila  des  trois  la  fin  efpouuentable. 
Voila  des  trois  le  deftin  lamentable  : 
L^ amour  ne  veutfeparer  les  deux  corps, 
Q)tUl  auoit  ioints  par  longs  &  longs  accords  : 
Le  Ciel  ne  veut  permettre  toute  chofe, 
Que  bien  fouuent  le  courageux  propofe, 
Cefar  verra  perdant  ce  qu'il  attent, 
Qjie  nul  ne  peut  au  monde  eftre  contant  : 
IJ*Egypte  aura  renfort  de  fa  deftreffe. 
Perdant  après  fon  bon  heur,  fa  maifïreffe  : 
Mefmement  moy  qui  fuis  fon  ennemi. 
En  y  penfant,  ie  me  pafme  à  demi. 
Ma  voix  f 'infirme,  &  mon  penfer  défaut  : 
O!  quHncertain  eft  V ordre  de  là  haut  ! 


LE    CHŒVR. 

Peut  on  encores  entendre 
De  toy,  troupe,  quelque  voix? 
Peux  tu  cefte  feule  fois 


DIDON 


SE    SACRIFIANT 


TRAGEDIE 


D'ESTIENNE     lODELLE, 


PARISIEN*®. 


10* 


PERSONNAGES     DE    LA     TRAGEDIE 
DE    DIDON. 

Achate. 

Âfcaigne. 

Palinure. 

Enee. 

Le  Chœur  des  Troyens. 

Didon. 

Le  Chœur  des  Phéniciennes. 

Anne. 

Barce. 


,    DIDON 


SE    SACRl  FIANT 


ACTE  : 


ACHATE,    ASCAIGNE,    PALINVRE. 


Achate. 

Qfiel  iauTfombre,  quel  trouble,  auec  ce  iour  te  roulent 
Tes  àeftins,  6  Carthage?  &  pourquoy  ne  fe  /ouUent 
Le*  grands  Dieux,  quileuT  Veité  &  leurs  oreilles  fainSes 
■Aueiiglenl  en  nos  maux,  ejfourdent  en  nos  plaintes? 
Pourquoy  donques,  ialoux,  ne  fe  foullent  de  faire, 
Ce  qui  fait  aux  mortels  leurpuiffance  de/plaire? 
Race  des  Dieux,  Afcaigne,  S  toy  qui  l'auaniure 
Des  Troyent  lis  au  ciel,  affeuri  Palinure, 
Encor  que  noftre  Enee  au  haure  nous  envoyé 
Apprefter  au  départ  les  reftea  de  la  Troye  ; 
Encor  que  nousfuiuiomfet  redoitte:^  oracles. 


l56  DIDON»    TRAGEDIE. 

Sesfonges  ambigus,  fes  monftrueux  miracles  : 
Encor  que,  comme  il  dit,  du  grand  Atlas  la  race, 
Mercure,  foit  venufe  planter  à  fa  face, 
Afin  que  hors  d^ Afrique  en  mer  il  nous  remeine. 
Pour  faire  auffi  toft  fin  à  nos  ans  qu^à  la  peine  : 
Ne  iette}(-vous  point  Vœil  (las  !  fe  pourroit  il  faire 
Qjie  telle  pitié peuft  à  quelquWn  ne  déplaire?) 
Iette3[-vous  point  donc  VœHfur  Vantante  animée? 
Sur  Didon,  qui  d'amour  &  de  dueil  renflammee, 
(la  defia  ie  la  voy  forcener,  ce  me  femhle,) 
Perdra  fon  fens,  fon  heur,  &  fon  Enee  enfemble  ? 
Et  dont  peut  eftre  {ha  Dieux!)  la  miferable  vie 
Auec  nos  fiers  vaijfeaux  aux  vents  fera  rauie  : 
Tant  que  Viniufte  mort  retombant  fur  nos  teftes 
Armera  contre  nous  les  meurtrières  tempeftes. 
Sa  peine  fut  horrible  alors  que  la  nuiâfombre 
De  fon  efpoux  Sichee  offrit  à  fes  yeux  V ombre, 
L^ ombre  hideufe  &  palle,  &  qu'à  fes  yeux  Sichee 
Découurant  vneplaye,  vne  playe  bouchée 
De  la  poudre  &  du  fang,  monftroit  à  la  deferte 
De  fon  frère  meurtrier  la  cruauté  couuerte, 
D^vnfon  grefle  enfeignant  fa  richejfe  enterrée  : 
Dont  elle  auecq*  les  fiens  par  V Afrique  altérée 
Fuyant  de  ce  cruel  Pygmalion  la  rage^ 
Marchanda  pour  baftir  fur  ce  bruyant  riuage. 
Ce  que  les  fiens  pourroyent  enuironner  de  place 
De  la  peau  d^vn  Taureau,  &  dont  elle  menace. 
Ayant  dreffé  Carthage,  horreur  mefme  des  guerres^ 
Les  voifins  ennemis,  &  les  eftranges  terres. 
L^autre  mal  la  troubla,  lors  que  larbe  le  prince 
Des  noirs  Getuliens,  luy  offroit  faprouince. 
Et  fon  fceptre  &  fa  gent,  fi  par  les  torches  fainûes 
Du  mariage  efioyent  leurs  deux  âmes  efireintes. 
Sans  qu^elle  au  vieil  amour  de  Sichee  obftinee. 
Se  peuft  faire  fléchir  fous  le  ioug  d^ Hy  menée  : 
Tant  que  ce  Roy  luy  couue  au  fons  de  Vame,  pleine 
D^vn  immortel  courroux,  vne  implacable  haine. 
Plus  eftrange  malheur  encor  la  vint  furprendre, 


ACTE   I.  157 

Quand  le  pardon  des  flots  appaife^fit  defcendre 
Nojtre  troupe  en  Afrique:  &  que  les  yeux  d'Enee 
De  cent  traits  venimeux  blefferent  V effrénée , 
Lors  que/on  hofte  Amour  de  fes  flammes  mordantes, 
Peu  à  peu  deuoroitfes  entrailles  ardentes , 
Braifillant  dans/on  cœur»  comme  on  voit  hors  la  braife 
Les  charbons pallumans  faillir  dans  lafoumaife  : 
Ou  comme  Vardant  corps  dont  Je  fait  le  tonnerre, 
Lors  qu^àfon  élément  ilpeleue  de  terre 
Dans  le  millieu  de  Vair,  clos  d*vne  froide  nué. 
Double  de  cent  efclairs  la  longue  pointe  aiguë. 
Mais  las!  quand  des  Dieux  Vire  à  noftre  aife  foppofe, 
Nous  nousfentons  trainer  de  pire  en  pire  chofe. 
Didon,  qui  noftre  Enee  {arraché  de  Vhorrible 
Majfacre  des  Grégeois,  de  la  fureur  terrible 
De  lunon  aduerfaire,  &  des  hurlans  abyfmes) 
Deflors  mefme  qu^vn  pié  dans  Carthage  nous  mifmes, 
Dedans  fa  court  receut^  receuant  dans  fon  ame 
Par  le  regard  coupable,  &  V image,  &  la  flame, 
Pourroit  elle  égaller  tout  le  mal  que  luy  brajfe 
Si  long  temps  la  Fortune,  au  dueil  qui  la  menace 
En  noftre  iniufte  fuite?  Ainfi  que  Vindifcrette 
Qui  perdoit  fon  lafon,  ou  que  celle  de  Crète 
Qui  rappelloit  en  vain  fon  Thefee  au  riuage, 
Remplira  Vœil  de  pleurs,  fon  ame  d^vne  rage. 
Et  d^vne  horreur  fa  ville. 

Afcaigne. 

En  mémoire  me  tombe 
Ce  giiVn  iour  nous  difoit  mon  père  fur  la  tumbe 
D^Anchife  mon  ayeul:  Que  Vamour  &  la  haine 
Des  Dieux  vont  bigarrant  la  frefle  vie  humaine  : 
Tant  qu'à  peine  vne  ioye  aux  mortels  fe  rapporte, 
Qjii  n^ait  pour  fa  compagne  vne  douleur  plus  forte  : 
Mais  il  confeille  auffi  qu^aux  chofes  douloureufes 
On  paueugle,  pour  voir  &  goufter  les  heureufes. 


l58  DIDON,    TRAGEDIE. 


Palinure. 

Il  vaut  mieux  que  les  Dieux  leurs  ordonnances  gardent, 
Que  pour  fe  defmèntir^  aux  dangers  ils  regardent: 
Et  Ion  ne  doit  fon  fiel  contre  les  Dieux  efpoindre^ 
Qjtand  on  reçoit  des  Dieux  de  deux  malheurs  le  moindre. 
Quel  malheur  Ji  Didon  dans  fa  poitrine  ardente, 
Euftpeu  d^vn  grand  Enee  enfeuelir  V attente? 
Tant  qu^vne  me/me  ardeur  rauijfant  leur  mémoire, 
Peuft  rauir  des  Troyens  &  de  leur  chef  la  gloire  : 
Et  qu* ici  f  attachant  la  fatale  campaigne 
Que  le  Tybre  entortille^  eufi  pour  néant  d^Afcaigne 
Attendu  les  efforts,  voire  &  V horrible  race. 
Qui  doit  forcer  fous  foy  ce  que  Neptune  embraffe? 
Vn  mal  pajfe  le  mal. 

Âfcaigne. 

Bien  qu^vne  douce  amorce 
Defrobe  bienfouuent  au  ieune  cœur  fa  force,   . 
Si  m^aueuglé-ie  au  bien  que  Vauois,  &  au  trouble 
D*vne  amante  infenfee.  Il  faut  que  Ion  redouble 
L^ame  pour  vaincre  vn  dueil.  Donc  cefle  Afrique  douce 
En  la  laiffant  nous  charme?  Où  le  dejlin  nous  pouffe 
Suiuon,fuiuon  toufiours.  Toute  troupe  efl  fuiette 
Au  trauail  :  le  trauail  enduré  nous  rachette 
Vn  glorieux  repos. 

Achate. 

La  ieuneffe  bouillante 
Qui  contre  lefoucife  rend  toufiours  nuifante, 
Deffend  à  ton  efprit,  Afcaigne,  quHl  ne  ronge 
La  crainte  des  dangers,  oîi  plus  âgé  iefonge  : 
La  haine  fait  le  dol.  lunon  par  les  enuies 
Que  fans  fin  irritée  acharne  fuv  nos  vies, 
(Elle  qui  du  Tonant  efl  lafœur  &  Vefpoufe) 
Renuerfe  les  deflins  :  &  de  tout  heur  ialoufe. 


ACTE  I.  iSg 

Veut  monftrer  que  celuy  tou/aursfon  malheur  traîne. 

Pour  qui  les  cœurs  fslons  ont  enfielé  leur  haine. 

N^auroit  elle  pas  bien  pourchaffé  par  menée 

Qjie  hors  d'ici  les  Dieux  exilaffent  Enee  ? 

Elle  qui  à  fon  vueil  Deeffe  fe  transforme, 

Auroit  elle  point  pris  de  Mercure  la  forme. 

Pour  nous  ofter  (fiignant  du  grand  Dieu  le  meffage) 

Vne  Troye  défia  redreffee  en  Carthage? 

Q^iplus  eftpar  Pharreur  de  Vhyuer,  &  la  rage 

Des  cruels  Aquilons,  &par  lefeul  naufrage 

S'appaifent  leur  courroux  :  Jupiter  nous  commande 

De  faire  defmarer  la  Phrygienne  bande, 

Demeurant  des  Grégeois  :  car  depuis  que  la  Troye 

Fût  par  Varrefi  celefie  aux  Atrides  la  proye. 

Ce  pauure  nom  nous  refte,  &femble  qu^à  ceft  heure 

Le  Ciel  vueitte  que  rien  de  Troye  ne  demeure. 

Car  peu  qu'yen  nulle  terre  on  ne  nous  fouffre  prendre 

hefiege  &  le  repos,  &  qu'ores  de  la  cendre 

Des  funèbres  tombeaux  les  tremblantes  voixfortent, 

Q^i  toufiours  nouueau  vol  à  noftre  fuite  apportent  : 

Et  qu*ores  par  les  cris  de  quelque  orde  Harpye 

Nous  fommes  rechaffe!(  :  &  or*  de  la  Libye 

Par  le  fils  deMaia,  qui  fait  changer  fur  V  heure 

A  la  traiftreffe  mer  noftre  feure  demeure. 

Qfielle  belle  Italie,  ou  quel  autre  héritage 

Nous  promet-on,  finon  Veternel  nauigage, 

Et  lefbns  de  la  mer,  qui  par  la  deftinee 

Veut  pour  vnDieu  marin  receuoirfon  Enee, 

Enee  fon  neueUy  &  de  luyfeul  contente, 

Noyer  auecques  nous  nos  Dieux  &  noftre  attente? 

Palinure. 

Jamais  aux  bas  mortels  les  Immortels  ne  rendent 
Vne  affeurance  entière  :  &  toufiours  ceux  qui  tendent 
A  la  gloire  plus  haute,  ont  leurs  âmes  eftreintes 
Aux  foucis^  aux  trauaux^  aux  fonges,  &  aux  craintes. 
Mais  en  vain  celuy-lâfe  tourmente  Sfouciej 


l6o  IMDON,    TRAGEDIE. 

Qfû  /oit  heur,  foit  malheur^  deffus  les  Dieux  appuyé 
Le  ha/art  de  fes  faits  :  car  bkm  qu^au  ciel  ie  veijfe 
Les  aftres  ennemis,  &  que  ie  me  prediffe 
De  mes  voifins  dangers  Veuenement  molefte^ 
n  vaudrait  mieux,  fuiuant  vn  mejfage  celefte 
(jQ}iand  mefme  il  ferait  faux)  mettre  a^uc  Dieux  ma  fiance  ^ 
Qjie  fuiure  pour  guidon  mafrefle  cognoiffance  : 
Aimant  mieux  éh  m^ armant  d^vne  volonté  pure 
Perdre  tout,  que  d^auoir  vouloir  de/iùre  iniure 
Au  mandement  d'vn  Dieu,  qui  veut  que  pour  vn  vicB 
Exécuté,  vouloir  de  faillir  fe  puniffe. 

Afcaigne. 

Encor  oublions  nous,  qu^ outre  Vailé  Mercure, 
Plus  feurs  encor  nous  doit  rendre  vn  celefte  augure. 
Alors  qu^ au  fac  piteux  noftre  Troye  eftoit  pleine 
Du  feu,  de  pleurs,  de  meurdre,  vneflame  foudaine 
Vint  embrafer  mon  chef,  qui  comme  noftre  Anchife 
^expliqua,  nous  chajfoit  hors  de  la  Troyç  prife, 
le  iure  par  Vhonneur  de  cefte  mefme  tefte, 
Par  celle  de  mon  père,  &  par  la  neufue  fefte 
Que  le  tombeau  d^ Anchife  adioufte  à  noftre  année, 
Qu'vn  mefme  embrafement  m^a  cefte  matinée 
Donné  le  mefme  figne:  &  qu^on  nous  tient  promeffe 
De  reuenger  bien  toft  la  Troye  de  la  Grèce  ^ 

Âchate. 

Sus  fus  doncques  hafton  :  Ventreprife  eft  heureufe 
Qu'on  n'exécute  point  d^vne  main  pareffeufe. 
Hafton  fans  aucun  bruit  au  labeur  noftre  troupe  i 
Que  toutfe  trouffe  au  port,  que  les  rameaux  on  coupe 
Pour  couronner  les  mafts  :  qu^aux  vents  on  prenne  garde, 
Auxfuftes,  aux  efquifs  :  qu^aux  armes  on  regarde: 
Qji'il  n'y  ait  maft,  antene,  ancre,  voile,  ou  hune*^. 
Qui  ne  foit  pourfouffrir  les  hafards  de  Neptune,  - 
Mais  tourne  Vœil,  Afcaigne,  &  voy  Veftrange  peine 


4« 


DIDON 


SE    SACRIFIANT 


TRAGEDIE 


D'ESTIENNE     lODELLE, 


PARISIEN***. 


10* 


l62  DIDON,    TRAGEDIE. 

Ceftt  effroyable  nuiû,  oit  les  Dieux  nous  monftrerent 
Que  pour  néant  dix  ans  les  Troyens  refifterent  : 
Rien  qui  peuft  telle  nuiâpoffrir  deuant  ma  veué, 
Ne  trouua  defonfens  mon  ame  defpourueué. 
Bien  que  du  grand  Heâor  V effroyable  figure. 
Ayant  les  cheueux  pris  &  de  fang  &  d^ordure, 
S'apparujt  deuant  moy,  pour  lors  aujfi  hideufe 
Qji^efioit  le  corpttTHeâor,  par  la  trace  poudreufe 
QjtHl  empourpra  de  fang  tout  autour  de  la  ville, 
Trainé  par  les  cheuaux  de  fon  meurtrier  Achille  : 
Bien  (dy-ie)  que  fortant  de  la  mai/on  mienne, 
le  veiffe  en  mon  chemin  la  prophète  Troyenne 
Entre  les  mains  des  Grecs  miferablement  férue ^ 
Tirer  par  les  cheueux  du  temple  de  Minerue  : 
Et  bien  qu^à  tant  d'amis  par  le  fer  &  les  fiâmes 
le  veiffe  faccager  les  maifons  &  les  âmes  : 
Bien  {dy-ie)  qu'en  entrant  dans  la  maifon  royalle 
Auecq'  les  Grecs,  ie  veiffe  Hecube  froide  &  patte 
De  femmes  entourée,  &  de  cris  &  de  rages^ 
Deffbus  vn  vieil  laurier  embraffer  les  images 
Des  pauures  Dieux  vaincus,  &  comme  condamnée 
Tendre  le  pauure  col  à  toute  deftinee. 
Voire  fon  Roy  vieillart,  qui  d*vne  main  dépite 
Tachoit  vanger  le  fang  de  fon  enfant  Polite, 
Frappé  de  mefme  main^  tout  pétillant  &  blefme 
Deuant  V autel  facré  refpandre  fon  fang  mefme. 
Mais  quand  aurois-ie  dit  les  troubles  qui  m^auindrent 
Cefte  effroyante  nuiâ,  qui  pourtant  ne  me  tindrent 
Efperdu  que  bien  peu  ?  Tant  de  fois  voir  ma  mère 
Se  planter  tout  foudain  deuant  moy:  voir  mon  père 
Pefant  de  la  vieilleffe,  &  mon  enfant  débile. 
Qu'il  falloit  ^onobfiant  arracher  de  la  ville  : 
Voir  en  chemin  ma  femme  amoindrir  noftre  nombre. 
Et  fe  perdre  de  moy,  puis  tout  foudain  fon  ombre 
Reuenant,  fe  ficher  deuant  mes  yeux,  me  dire 
V adieu  qu'elle  deuoit.  Hé  qui  pourrait  fuffire 
A  compter  tous  ces  maux,  &  encor  les  affaires 
Que  m'ont  fait  rencontrer  les  deftins  aduerfaires 


ACTE    I.  l63 

Depuis  ce  cruel  fac^  fans  que  le  Ciel  nCeftonne 

Des  cas  auantureux  que  pour  nous  il  ordonne  ? 

La  voix  de  Polidore  au  taillis  entendue, 

Rendit  elle  ma  voix  autrement  efperdue, 

Qjie  ie  iCay  de,  coutume?  Et  lors  que  tous  malades 

Du  tourment  de  la  mer,  dans  les  ifles  Strophades 

Nous  prijmes  noftre  port,  &  que  par  la  Harpye 

{Monftre  horrible  â- puant)  fut  ma  troupe  aduertie 

Du  malheur  qui  nous  fuit,  vit  on  que  ie  changeaffe 

De  beaucoup  mon  vifage,  &  mesfens  ie  troublàffe 

Défi  rares  hideurs?  L*  horrible  prophétie 

Des  trauaux  qu^Helenus  prédit  fur  noftre  vie  : 

Le  monftrueux  Cyclope,  à  qui  nous  arrachafmes 

Le  pauure  Achemenide,  &  au  port  le  menafmes  : 

Le  trefpas  de  mon  père,  à  qui  la  fepulture 

Nous  fifmes  à  Drepan,  bien  qWencor  Ven  endure, 

M*ont  ils  fait  monftrer  autre  9  Et  mefmes  quand  nos  teftes 

le  vey  quafi  couurir  des  dernières  tempeftes 

Que  nous  eufmes  en  mer,  de  quelle  contenance 

Me  peut  on  voir  monftrer  vn  deffaut  d'affeurance? 

Toutesfbis  maintenant  hors  quafi  de  tout  trouble, 

le  palli,  ie  me  pers,  ie  me  trouble  &  retrouble  : 

le  croy  ce  que  Vay  veu  n^ejtre  rien  fors  qu*vn  fonge, 

Duquel  ie  veux  piper  la  Roine  en  mon  menfonge  : 

Et  bien  que  ie  la  fçache  entre  tous  eftre  humaine, 

le  me  la  feins  en  moy  de  rage  toute  pleine, 

n  mefemble  défia  que  lesfœurs  Eumenides 

Pour  tantoft  nCeffroyer,  feront  les  feules  guides 

De  ces  cris  effréné:^,  me  faifant  mif érable 

Moymefme  eftre  enuers  moy  de  trahifon  coulpable  : 

Ou  bien  fi  fa  douceur  à  Vœil  ie  me  prefente, 

Plus  encorfa  douceur  de  moymefme  m^abfente  : 

Veu  que  Vaurois  vne  ame  eftrangement  cruelle, 

Si  la  iufte  pitié  qu'il  me  faut  auoir  d'elle. 

Ne  mefaifoit  creuer  &  rompre  Ventreprife, 

Qsti  la  loy  de  Vamour  infidellement  brife. 

Sî  ne  le  faut-il  pas  :  il  faut  que  ma  fortune 

S'obftine  contre  tout,  &  faut  que  toy,  Neptune  y 


164  DIDON,    TRAGEDIE. 

Portes  deffus  ton  dos,  quoy  qu'hôtes  il  aduienne^ 
Du  royaume  promis  la  troupe  Phrygienne  : 
Le  confeil  en  eft  pris,  à  rien  ie  ne  regarde, 
4c  Vne  necejfité  à  tout  mal  fe  hafarde. 


LE   CHŒVR    DES    TROYENS. 

Les  Dieux  des  humains  fe  fouàêmt, 
Et  leurs  yeux  fur  nous  arrejte:{. 
Font  que  nos  fortunes  varient , 
Sans  varier  leurs  volonté:^. 
Le  tour  du  Ciel  qui  nous  rameine 
Apres  vn  repos  vnepeihe^ 
Vn  repos  après  vn  tourment. 
Va  toufiours  d'vne  mefme  forte  : 
Mais  tout  cela  qu'il  nous  rapporte 
Ne  vient  iamais  quHnconfiamment, 
Les  Dieux  toufiours  àfoy  reffemblent  : 
Qjiant  àfoy  les  Dieux  font  parfaits  : 
Mais  leurs  effeâsfont  imparfaits. 
Et  iamais  en  tourne  fe  femblent. 

Les  deux  peuples  diuers,  qu^enfemble 
V immuable  fatalité 
Pour  cefeul  iour  encore  affemble 
Dan$  les  murs  de  cefie  cité  : 
Les  Troyens  fous  le  fils  d'Anchife, 
Tes  Ty riens  deffous  Elyfe, 
Monflrent  affe:{  à  tous  viuans, 
QuUl  n^y  a  que  Vaudace  humaine 
Qui  face,  que  le  Ciel  attraine 
L'heur  &  le  malheur  fefuiudns, 
Noftre  heur  aurait  vne  confiance, 
Si  voulans  toufiours  hault  monter, 
Nous  ne  tafchions  mefme  d*ofier 
Aux  grands  Dieux  noftre  oheiffance. 

Mais  eux  qui  toutes  chofes  voyent, 
Exempts  d'ignorer  iamais  rien, 


ACTE    I.  l65 

Ont  veu  comme  il  faut  quUls  enuqyent 

Aux  mortels  le  mal  &  le  bien. 

Et  tPvn  tel  ordre  ils  entrelacent 

Vkeur  au  malheur^  &  Je  compaffent 

Si  bien  en  leur  iujte  équité j 

Que  Vhomme  au  lieu  d'vne  affeurance. 

Ne  peult  auoir  que  Vefperance 

De  plus  grande  félicité. 

Pendant  que  chetifil  efpere^ 

{Chacun  en  fa  condition) 

La  Mort  ojte  Voccafion 

D^efperer  rien  de  plus  profpere, 
Ainfi  les  hauts  Dieux- fe  referuent 

Ce  poinûy  d^e/tre  tousfeuls  contens  : 

Pendant  que  les  bas  mortels  feruent 

Aux  inconjlances  de  leur  temps. 

Des  euenemens  Pinconflance 

Engendre  en  eux  vne  ignorance  : 

Tant  qu*aueugle:(par  le  defir 

Auquel  trop  ils  faffuiettiffent. 

Pour  Vheur  le  malheur  ils  choififfent. 

L'ombre  du  plaijir  pour  plaijir. 

Mais  quoy?  veu  telle  incertitude, 

Lhomme  fage  fans  pefmouuoir 

Reçoit  ce  quHlfaut  receuoir, 

Mocqueur  de  la  viciffitude. 
Car  fi  toutes  chofes  qui  viennent, 

Auoyent  parquant  à  venir, 

Si  les  douleurs  qui  en  prouiennent, 

Par  vn  malheureux  fouuenir^ 

Ou  bien  la  crainte  qui  deuance 

Leuenement  de  telle  chance. 

Ne  nouspeuuent  apporter  mieux  : 

Grands  Dieux,  qu*eft-ce  qui  nous  fait  faire 

Plus  malheureux  en  noftre  affaire^ 

Que  mefme  ne  nous  font  les  deux? 

Heureux  les  efprits  qui  ne  f entent 

Les  inutiles  paffions, 


l66  DIDON,   TRAGEDIE. 


Filles  des  apprehenfions. 

Qui  feules  quafi  nous  tourmentent^ 

Tout  n^eft  quvn  fonge,  vne  rifee, 
Vn  fantofme,  vne  fable,  vn  rien, 
Q}ii  tient  noftre  vie  amufee 
En  ce  qu^on  ne  peut  direjien. 
Mais  cejle  marâtre  Nature, 
Qjti  fe  monjlre  beaucoup  plus  dure 
A  nous,  qu'eaux  autres  animaux^ 
Nous  donne  vn  difcours  dommageable, 
Qui  rend  vn  homme  miferable. 
Et  auant  &  après  fes  maux. 
Et  plus  les  bourrelles  Furies 
Voyent  que  nousfommes  en  heur. 
Et  plus  après  noftre  malheur 
Monftre  fur  nous  leurs  feigneuries» 

Cefte  ineuitable  Fortune, 
Qui  rehuerfa  noftre  cité, 
Neuft  point  efté  tant  importune 
Contre  noftre  félicité. 
Si  auant  que  les  triftes  fiâmes 
Euffent  raui  les  chères  âmes 
De  nos  fuperbes  Citoyens  y 
Cefte  vangereffe  muable, 
Neuft  point  efté  tant  fauorable 
Aux  murs,  &  au  nom  des  Troyens. 
Mais  qui  euft  peu  brider  fa  rage, 
Voyant  que  le  Ciel  gouuemeur 
Souffrait  qu*on  faccageaft  Vhonneur 
Des  villes,  &  des  Dieux  Vouurage  ? 

Ainfi  rCeuft  pas  efté  faifie 

Par  les  trois  infernales  foeur s, 
Vame  de  ce  grand  Roy  d*Afie, 
Voyant  les  Grecs  eftre  vainqueurs  : 
Si  ce  grand  Priam  noftre  prince 
Neuft  apparu  dans  fa  prouince. 
Comme  Roy  de  tous  autres  Rois. 
L'Ire  n'eft  point  en  la  puiffance 


\ 


ACTE    I.  167 

Des  princes  :  &  V Impatience 

Contraint  leur  cœur  dejfous  fes  loix, 

Qjtel  horreur^  quand  la  gloire  haute 

Tre/buche,  &  que  les  royauté j{ 

Se  tournent  en  captiuite^. 

Soit  par  ha/art,  foitpar  leur  faute? 
Toyniefme  Hecube  infortunée, 

Qiii  cruellement  des  Grégeois 

Pour  efclauefus  entrainee, 

Comment  maintenant  tu  dirois. 

Qjiels  brandons  &  quelles  tenailles 

S*achament  deffus  les  entrailles 

De  ceux,  qui  deuant  triomphans, 

Voyentfoudain  choir  les  orages. 

Et  enfanglanter  leurs  vifages 

Dufang  mefme  de  leurs  enfans? 

Nous  mefmes  qui  deffous  Enee 

Cherchons  noflre  bien  par  nos  maux, 

Difons  qu^auecq*  les  cœurs  plus  hauts 

La  plus  grande  mifere  eft  née. 
Mais  qui  veut  voir  vn  autre  exemple. 

Soit  du  deftin,  ou  foit  du  mal, 

Que  r homme  en  fouffre,  quUl  contemple 

En  ce  département  fatal, 

Comment  la  Fortune  Je  ioué 

D'vne  grand*  Roine  fur  fa  roué, 

Vay  grand  peur  qu^ aucune  raifon 

Voyant  le  fort  tant  variable, 

(O  pauure  Didon  pitoyable  !) 

Ne  demeure  dans  ta  maifon. 

Vne  impatience  efi  plus  grande 

Que  tout  mal  que  Ion  puiffe  auoir  : 

Mais  la  mort  afouuent  fait  voir, 

Oit* impatience  au  mal  commande. 


|68  DipON,    TRAGEDIE. 


N 


ACTE  IL 


DIDON,   CHŒVR  DES    PHENICIENNES, 

ANNE,    ENEE. 

Didon. 

Dieux,  qu^ay-iefoupçonné?  Dieux,  grands  Dieux  qu^ay-iefceu? 

Mais  qu^ay-ie  de  mes  yeux  fnoymefmes  appetxeu? 

Veut  donc  ce  def loyal  auec  fes  mains  traiftreffes 

Mon  honneur,  mes  bienfaits,  fon  honneur, /es  promeffes^ 

Donner  pour  proye  aux  vents  ?  le  fens,  te  fens  glacer 

Monfang,  mon  cœur,  ma  voix,  ma  force,  &  mon  pênfer, 

I^Us!  Amour,  que  deuien  ie?  &  quelle  afpre  furie 

Se  vient  planter  au  but  de  ma  trompeùfe  vie^ 

Trompeufe,  qui  flattoit  mon  aueugle  rc^f&f^ 

Pour  enfin  Vefiouffer  d*vne  efirange poifon? 

Eft'Ce  ainfi  que  le  Ciel  nos  fortunes  balance?,  - 

Efi-ce  ainfi,  qu^vn  bienfait  le  bienfait  recompenfe?  _ 

Efi-ce  ainfi  que  la  foy  tient  Vamour  arrefté? 

Plus  de  grâce  a  Vamour,  moins  il  a  defeurté*^ 

O  trop  frejle  efperance!  ô  cruelle  tournée! 

O  trop  légère  Elifel  6  trop  pariure  Enee! 

Mais  ne  le  voici  pas?  fus  fus  efcarte:{-vous. 
Troupe  Phénicienne  :  il  faut  que  mon  courroirx 
Retenant  ce  fuitif,  defor"*  fe  defaigriffe  : 
Ou  que  plus  grand*  fureur  mes  fureurs  amoindrijfe, 
Toymefme  (d  chère  fœur)  laiffe  moy  faire  ejfay^ 
Ou  d^arrefier  /es  naus,  ou  bien  les  maux  que  i*ay. 
H  n^aura  pas,  ie  croy,  le  cœur  de  roche  :  &  celle 
QnHl  dit  fa  mère,  eft  bien  des  Dieux  la  moins  cruelle. 
Il  faut  que  la  pitié  Varrefte  encor  ici. 
Ou  que  ma  feule  mort  arrefte  mon  /ouci, 
La  mort  eft  vn  grand  bien  :  la  mort/eule  contente 


L'efprit,  qui  «i  mourant  ¥oit  perdre  toute  attente 
De  pouuoir  yiure  heureux. 


L'amour  eroift  Jon pouuoir  de  fon  empefckement9 
Maii/ouuent  d'autant  plut  qu'au  fait  on  remédie, 
Et  plus  en  vain  dans  nous  pancre  la  maladie. 

Qjioy  fefmerueillee-tu,  fi  ma  iufte  fureur, 
Opariure  cruel,  remplit  mes  mots  d'horreur? 
Et  qu'outre  mon  deuoir,  deçà  delà  courante 
Jl/emble  que  ie  face  à  Thebes  la  Bacchante, 
^nfentant  arriuer  les  iours  Trieteriques , 
Fait  Jifreenerfesfens fous  les  erreurs  Bacchiques? 
T'en  ^fbahis-tu  donc,  veu  qu'affe^  lu  fçauois, 
La*  I  que  tu  rendois  telle  &  mon  ame  &  ma  voix? 
Car  bien  que  ton  départ  tu  me  dijfimulaffes. 
Bien  qu'à  la  defrobee  aux  venis  facrijtaffes, 
Et  au  père  Oeeaa  :  bien  que  fans  le  changer 
Tu  m'eujfes  fait  fier  du  tout  à  l'efiranger, 
San*  que  lamais  on  t'euft  mefcreu  de  telle  faute  : 
E^rois  lu  pourtant,  ô  ingrat,  ingrat  hofte, 
Aueugler  tous  nof^eujr  en  telle  lâcheté? 
Les  cieuxfont  ennemis  de  la  méchanceté. 
La  terre  maugrifoy  foufiient  vn  homme  lafche  : 
Et  contre  le  mefchant  la  mer  mefme  fe  fafche. 
Qpand  mefme  ton  deffein  ce  iour  ie  n'euffe  veu, 
Sy  entendu  des  miens,  le  Ciel  ne  l'eufi  pas  teu  : 
Ma  terre  en  eufi  tremblé,  »  iufgues  à  Carthage 
La  mer  lefiifivenufonner  à  mon  riuage. 

Mais  qui  te  meut.  Cruel? pourquoy  trop  inhumain 
he^et  tu  celle  la  qui  t'a  mis  tout  en  main? 
Htjtre  amour  donc,  helasi  ne  te  retient  Al  point, 
Njr  la  main  à  la  main,  le  cœur  au  coeur  conioint 


Vw 


170  DIDON,    TRAGEDIE. 

Par  vne  foy  fi  bien  iuree  en  tes  délices? 

Qjie  fi  les  iufies  Dieux  vangent  les  iniufiices, 

Tes  beaux  fermens  rompus  rompront  aujfi  ton  heur. 

Fais  tu  fi  peu  de  compte  encor  de  mon  honneur, 
Los!  qui  Venrichijfant  d^vn  fuperbe  trophée, 
Tiendra  ma  plus  grande  gloire  en  moymefme  eftouffee? 
Ne  te  meut  point  encor  vn  horrible  trefpas, 
Dont  ta  Didon  mourra,  qui  aujfi  tofifes  pas 
Bouillante  haftera  dedans  la  nuiâ  profonde, 
Qjie  les  vents  hafieront  tes  vaiffeaux  parmi  Vonde? 

Or  fi  tu  n^es  (helas!)  de  mon  mal  foucieux. 
Sois  pour  le  moins  (Ingrat)  de  ton  bien  curieux. 
En  quel  temps  fommes  nous?  n'as  tu  pas  veu  la  grefle 
Et  la  neige  &  les  vents,  tous  ces  tours  pefle^mefle 
Noircir  toute  la  mer,  &  tant  qu^on  eufi  cuidé 
Qfte  le  plus  grand  Neptune  aux  eaux  n^ eufi  commandé, 
Tant  les  vents  maifirifoyent  les  grandes  vagues  enflées. 
Qui  iuf qu'au  Ciel  eftoyent  horriblement  fouffiees? 
Celuy  ne  paime  pas,  qui  au  cœur  de  Vhyuer, 
Hafardantfes  vaiffeaux  &  fa  troupe  en  la  mer  y 
Prodigue  de  fa  vie,  attend  qu'vn  noir  orage 
Dans  Veau  d''Oubli  luy  dreffe  vn  autre  nauigage. 
Sans  crainte  de  la  mort  on  fuiuroit  tout  efpoir, 
S^on  pouuoit  plufieurs  fois  la  lumière  reuoir. 

Prens  encor  que  les  eauxfe  rendiffent  bonaces 
En  ton  département,  crains  tu  point  les  menacés 
Du  Dieu  porte- trident  irrité  contre  toy, 
Infidelle  à  celuy  qui  n'^aura  plus  de  foy? 
Toutes  les  fais  qu*en  mer  les  flots  tu  fentiras 
Contre-luter  aux  flots,  palliffant  tu  diras  : 
Oefi  à  ce  coup,  6  ciel,  6  mer,  que  la  tempefie 
Doit  iufiement  vanger  ma  foy  contre  ma  tefie. 
Et  fi  tu  attens  lors,  que  de  Troye  les  Dieux 
Porte:(  dans  ton  nauire,  appaifent  &  les  deux, 
Et  Vonde  courroucée,   il  te  viendra  foudain 
Dans  Vefprit,  que  tout  Dieu  laiffe  V homme  inhumain, 
Vn  Dieu  mefme  per droit  VAmbrofie  immortelle, 
Priué  de  deîté,  fil  efioit  infidelle. 


7^  gaigtuu  leur  fecourt  par  me  pieti, 
LeurfecoMTM  tu  perdrait  par  vne  cruauté. 

Songes  tM  point  eneor,  que  mefine  en  la  marine 
L^Amour  voit  honorer/a  putjfaxce  diuine? 
Septime  fiait  ilpas,  que  e'efi  que  de  fentir 
Le  brandon  que  fet  eaux  ne  peuuent  amortir? 
dancque  le  fier  Triton,  S  la  troupe  menue 
De  cet  Dieux,  ont  ili  pas  la  force  enfoy  cogneui 
Dont  Amour  leur  commande  ?  &  fon  diuin  fiambeau 
■  Ard-il  pat  letpoijjimi  iufques  au  creus  de  l'eau  ? 
Mefinement  quant  aux  vent  :  le  fier  vent  de  Scythie 
Se  vit  il  pat  Jlechir  fou»  Camour  d'Oritkie? 
Voyant  donc  maintenant  tous  ces  Dieux  obéir 
Aux  loix  d'Amour,  voyant  qu^ores  tu  veux  haSr 
Dt  celle  là  la  vie,  à  qui  me/mes  la  tienne 
A  iamaisfera  deué,  à  ce/le  heure  te  vienne, 
(yU  te  vienne  vn  remors  de  tefire  en  Pefprit  mis 
De  vouloir  dans  la  mer  à  tous  tes  ennemis 
Te  fier  de  ta  vie,  en  irritant  ton  fi-ere. 
Ton  puiffant  frère  Amour,  en  irritant  ta  mère, 
Qjd  tous  deux  te  feront  fçauoir  à  tous  les  coups, 
Qp'en  péchant  contre  Amour  nous  péchons  contre  nom 
Si  eneoret  ta  Troye  S  les  grands  tours  cogneués 
De  tonPiiam,  dreffoient  le  chef  iufques  aux  nuis  : 
Si  des  murs  que  baftit  Apollon,  tout  le  clos 
N'ejloit  point  couuert  d'herbe,  &  de  pierres,  S  d'as, 
OjCentreprendroit-tu plus  des  pais  efirangera? 
Cliercheroia-tu  le  tien  parmiplus  de  dangers? 
Lairroit-tu  quelque  terre  heureufe  &  bien  aimée. 
Pour  voir  par  cent  périls  de  Troye  la  fumeef 
Craindrait  tu  point  Vhyuer,  ny  mefme  Cupidon, 
Pour  la  jOypariuree  à  quelque  autre  Didon  9 
Et  maintenant  {bons  Dieux  I)  qu'en  toy  tu  délibères. 
Cruel,  de  faire  voile  aux  terres  étrangères, 
h(dffantfi  douce  terre,  &  fi  doux  traidement, 
four fuyure pour  ton  butvn  ha^^ard feulement, 
(^  faut-il  que  ie  fange?  helas  doy-ie  pas  croire 
Qpe  deffus  vn  amour  la  haine  aura  viâoire  ? 


172  DIDON,    TRAGEDIE. 

Veu  que  tu  me  fuis  tant,  qu'à  fin  de  feftrangèr 
De  Didon,  tu  ne  crains  defuiute  aucun  danger. 
Me  fuis  tu?  me  fuis  tu?  ô  les  cruels  alarmes 
Que  me  donne  V Amour,  par  ces  piteufes  larmes 
Qu*ores  deuant  ta  face  efpandre  tu  me  vois  I 
Larmes,  las!  qui  fe  font  maiftreffes  de  ma  voix. 
Qui  hors  de  moy  ne  peut  ne  peut,,, 

Anne. 

Qjiand  Vinnocente 
Fléchit  fous  le  coulpable,  &  plus  forte  lamente 
Deuant  lefoible,  helas!  le  Ciel  aueuglément 
Donnant  à  Vvn  le  crime,  à  Vautre  le  tourment. 
Fait-il  pas  voir  qu*il  faut  Raccompagner  du  vice. 
Qui  traine  inceffamment  V innocence  aufupplice? 

Didon. 

Par  ces  larmes  ie  dy,  que  te  monftrant  à  Vœil 
Combien  V amour  eft  grand,  quand  fi  grand  eft  le  dueil 
Et  par  ta  dextre  auffi,  puis  que  moy  miferable 
Ne  me  fuis  laijfé  rien  qui  me  **  fait  fecourable  : 
Par  les  feux,  par  les  traits,  dont  ton  frère  fi  bien 
A  vaincu  ma  raifon  quHl  ne  m^en  refte  rien  : 
Par  noftre  mariage,  &par  nos  Hy menées 
Q}ûauoient  bien  commencé  mes  rudes  deftinees  : 
Par  les  Dieux,  que  deuôt  tu  portes  auec  toy. 
Compagnons  de  ta  peine,  &  te/moins  de  ta  foy  : 
Par  Vhonneur  du  tiers  Ciel  que  gouuerne  ta  mère  : 
Par  Vhonneur  que  tu  dois  au/c  cendres  de  ton  père. 
Si  iamais  rien  de  bon  Vay  de  toy  mérité. 
Si  iamais  rien  de  moy  à  plaifir  Va  efté, 
le  te  pry  prens  pitié  d*vne  pauure  famille. 
Que  tu  perdras,  au  lieu  d^acheuer  vne  ville. 
Comme  nous  efperions,  &  d^ajfembler  en  vn 
Deux  peuples  afferuis  dejfbus  vn  ioug  commun, 
L^efpoir  flatte  la  vie,  &  doucement  la  pouffe, 
L^eftranglant  à  la  fin  d*vne  corde  moins  douce. 


ACTE    I.  l65 

Ont  veu  comme  il  faut  4%ùils  enuoyent 

Aux  mortels  le  mal  &  le  bien. 

Et  (Vvn  tel  ordre  ils  entrelacent 

Vheur  au  malheur,  &  fe  comparent 

Si  bien  en  leur  iufte  équité, 

Que  Vhomme  au  lieu  d'vne  affeurance, 

Ne  peult  auoir  que  Vefperance 

De  plus  grande  félicité. 

Pendant  que  chetifil  ejpere^ 

{Chacun  en  fa  condition) 

La  Mort  ofïe  Voccajion 

D*efperer  rien  de  plus  profpere, 
Ainft  les  hauts  Dieux^fe  referuent 

Ce  poinÛ^  d^efir^  tousfeuls  coniens  : 

Pendant  que  les  bas  mortels  feruent 

Aux  inconjlances  de  leur  temps. 

Des  euenemens  Vinconjiance 

Engendre  en  eux  vne  ignorance  : 

Tant  qu^aueugle^  par  le  defir 

Auquel  trop  ils  fajfuiettiffenty 

Pour  Vheur  le  malheur  ils  choififfent, 

Vombre  du  plaifir  pour  plaiftr. 

Mais  quoy?  veu  telle  incertitude. 

L'homme  fage  fans  fefmouuoir 

Reçoit  ce  quHlfaut  receuoir, 

Mocqueur  de  la  vicijfitude. 
Car  fi  toutes  chofes  qui  viennent, 

Auoyent  parquant  à  venir. 

Si  les  douleurs  qui  en  prouiennent, 

Par  vn  malheureux  fouuenir. 

Ou  bien  la  crainte  qui  deuance 

L*euenement  de  telle  chance, 

Ne  nouspeuuent  apporter  mieux  : 

Grands  Dieux,  qu'efl-ce  qui  nous  fait  faire 

Plus  malheureux  en  noflre  affaire^ 

Que  mefme  ne  nous  font  les  deux? 

Heureux  les  efprits  qui  ne  f entent 
Les  inutiles  paffions, 


174  DIDON,    TRAGEDIE. 

Ou  que  hors  de  ce  lieu  que  tu  auras  quitté^ 

Mon  dur  malheur  me  iette  en  la  captiuité 

Du  Roy  Getulien?  Rien  n*efpargnè  Venuie  : 

Et  iamais  vit  malheur  ne  vient  fans  compagnie, 

Aumoins  fi  Pauois  eu  quelque  race  de  toy, 

Auant  que  de  te  voir  arracher  d*auec  moy  : 

Et  fi  dedans  ma  court,  du  père  abandonnée 

le  pouuois  voir  iouér  quelque  petit  Enee, 

Q}ii  feulement  les  traits  de  ta  face  gardafty 

Et  m^amufant  à  luy  mes  foucis  retardajt  : 

Je  ne  penferois  point  ny  du  tout  eftreprifa^ 

Ny  du  tout  delaiffee.  Alors  que  Vame  épr\fe 

Ne  peut  auoir  celuy  qui  toute  à  foy  V attrait. 

Elle  fa  paift  aumoins  quelquefois  du  pourtrait  : 

Et  bien  qu^vn  fauuenir  m^embvafaft  d'auantage, 

Paffeurerois  au  moins  ma  debtefar  ton  gage. 

Mais  ores  que  ftray-ie  ?  ay-ie  vn  autre  confort , 

Sinon  que  d^oublier  Enee  par  ma  mort? 

Et  fans  m^attendre  au  temps,  qui  fauuent  defanflame^ 

Me  defpeftrer  d^efpoir,  de  V  amour,  &  de  Vame? 

L^  amour  fait  que  Ion  doit  du  Soleil  fennuier^ 

Si  lafaule  eau  d'oubli  peut  fas  fiâmes  noyer. 

Mais  pourquoy  tant  de  mots?  doy-ie  donc  faits  faire 
A  celuy  quife  doitpluftoft  qu^à  moy  complaire? 
Vamour,  Vamour  me  force ,  &  furieufement 
M^ apprend,  Qjte  qui  bien  aime,  aime  impatiemunemt^ 
Qît'en  dis'tu  ? 

Enee. 

le  ne  puis  (6  Roine,  qui  propofes 
Parlant  d*vn  tel  courage,  &  mille  &  mille  chofes) 
Faire  que  ton  parler  ne  me  puiffe  efmouuoir^ 
Ny  faire  que  ie  n^aye  efgard  à  mon  deuoir  : 
Ces  deux  efforts  en  moy  Vvn  contre  Vautre  battent, 
Et  chacun  àfon  tour  coup  deffus  coup  abbattent  : 
Mais  lors  que  Vefprit  fent  deux  contraires,  il  doit 
Choifir  celuy  qu'alors  plus  raifonnable  il  croit. 
Or  la  raifon  par  qui  enfans  des  Dieux  nous  fommes 


ACTE   II.  I7D 

Suit  pluftqft  ïe parti  des  grands  Dieux  que  des  hommes. 

Tu  veux  me  retenir  :  mais  des  Dieux  le  grand  Dieu 

N^a  pas  voulu  borner  mes  deftins  en  ce  lieu. 

Le  Ciel  qui  moyennant  mon  courage  &  ma  peine^ 

Promet  vn  doux  repos  à  ma  race^  me  meine 

De  deftin  en  deftin,  &  monftre  quefouuent 

La  celefte  faueur  bien  chèrement  fe  vend, 

Ainji  qu'ores  à  moy^  que  le  deftin  repouffe 

Hors  d*vn  repos  acquis,  hors  d*vne  terre  douce, 

Hors  du  fein  de  Didon,  pour  encores  ramer 

Les  bouillons  efcumeus  des  gouffres  de  la  mer. 

Pour  voir  mille  hideurs,  tant  que  cent  Hippolytes 

En /croient  mis  encor  par  morceaux  en  leurs  fuites. 

Mais /oit  que  cefte  terre,  oit  ie  conduy  les  miens. 

Semble  eftre/eul  manoir  des  plaifirs  &  des  biens  : 

Soit  que- V onde  irritée,  &  mes  voiles  trop  pleîjnes 

Repouffent  mes  vaiffeaux  aux  terres  plus  loingtaines  : 

Soit  encor  que  Clothon  renoué  par  trois  fois 

Le  filet  de  ma  vie,  ainfi  qu^au  vieil  Grégeois  : 

Soit  qu^apres  mon  trefpas  ma  mère  me  rauiffe. 

Ou  qu'aux  loix  de  Minos  ma  pauure  ombre  fiechiffe, 

Jamais  ne  m^aduiendra,  tant  que  dans  moy  xauray 

Mémoire  de  moymefme,  &  tant  que  ie  feray 

EneCj  ou  bien  dJEnee  vne  image  ble/mie. 

De  nier  que  Didon  &  de  Raine,  &  d'amie      ' 

N^aitpaffé  le  mérite,  &  iamais  ne/era 

Que  ton  nom,  qui /ans  fin  de  moyfe  redira, 

Ne  m^arrache  les  pleurs,  pour  certain  te/moignagc 

Qjie  maugré  moy  le  Ciel  nfarrache  de  Carthage. 

Mais  quant  à  ce  départ  dont  ie/uis  accu/é, 

le  te  re/pons  en  bref  :  le  n'ay  iamais  v/é 

De  fèinii/e,  ou  de  ru/e  en  rien  di/fimulee, 

Afin  que  Ventrepri/e  à  tes  yeux  fuft  celée, 

L^amour  ne/e  peut  feindre  :  &  mon  cœur,  dont  te/moins 

Sont  les  Dieux,  me  forçoit  au  congé  pour  le  moins. 

Celuy  n'eft  pas  méchant  qui  point  ne  recompenfe  : 

Mais  méchant  eft  celuy  qui  aux  bienfaits  nepenfe. 

le  n*ay  iamais  au/fi  prétendu  dedans  moy, 


176  DIDON,    TRAGEDIE. 

Q)ie  les  torches  d^ Hymen  me  ioigniffent  à  toy. 

Si  tu  nommes  V amour  entre  nous  deuxpaffee, 

Mariage  arreftéy  c^eft  contre  ma  penfee. 

Souuent  le  faux  nous  plaijt,  foit  que  nous  defirions 

Que  la  chofefoit  vraye^  ou  foit  que  nous  couurions 

Sous  vn  honnej^e  mot**j  &  la  honte  y  &  la  crainte  .* 

Mais  dedans  nous  le  temps  ne  doit  pas  d'vne  feinte 

Faire  vne  vérité  :  la  perfuafion 

Gefney  efclaue,  en  V amour,  la  prompte  affeàion. 

Ce  n^e/toit,  ce  n'efioit  dedans  ta  court  royale. 

Oit  les  Troyens  cherchoient  VaÙiance  fatale  : 

Si  les  arrefts  du  Ciel  voulaient  qu^à  mon  plaijir 

lefilaffe  ma  vie,  &  me  laijfoient  choijir 

Telle  quHl  me  plairoit  au  moins  vne  demeure 

Qui  gardaji  que  du  tout  ^^  pcm  Troyen  ne  meure  : 

Si  ie  tenois  moymefme  à  monfouci  le  frain, 

le  ne  choijirois  pas  ce  riuage  lointain  : 

le  ba/lirois  encor  fur  les  refies  de  Troye, 

Phabiterois  encor  ce  que  les  Dieux  en  proye 

Donnèrent  à  Vulcan,  &  de  nom  &  de  biens 

le  tafcherois  vanger  les  ruines  des  miens  : 

Les  temples,  les  maifons,  &  les  palais  fuperbes 

De  Priam  &  des  f\ens,fe  vangeroyent  des  herbes 

Qui  les  couurent  défia  :  nosfieuues  qui  tant  d'os 

Heurtent  iedans  leur  fons,  fenfleroient  de  mon  los  : 

Moymefme  d^vn  tel  art  quePhebus  &  Neptune^ 

De  Pergames  nouueaux  Venclorrois  ma  fortune. 

Le  pats  nous  oblige  :  &  fans  fin  nous  deuons 

Aux  parenSj  au  pais  tout  ce  que  nouspouuons. 

Et  qu^euffé-ie  plus  fait  pour  moy  ne  pour  ma  terre. 

Qu'en  me  vengeant  venger  fon  nom  de  telle  guerre? 

Mais  les  oracles  fainâs  d'Apollon  Cynthien, 

Et  les  forts  de  Lycie,  &  le  Saturnien  , 

Qui  d^vn  deftin  de  fer  noftre  fortune  lie, 

Me  commande  de  fuiure  vne  feule  Italie. 

En  ce  lieu  mon  amour,  en  ce  lieu  mon  pats. 

Là  les  Troyens  vainqueurs  ne  fe  verront  hais 

Des  Dieux,  comme  deuant  :  là  la  fainâe  alliance 


/^ 


ACTE   II.  177 

Sortira  des  combats  :  là  Pheureufe  vaillance 

De  neueus  en  neueus  iu/qu'd  mil  ans  &  mil 

Afferuiront  fous  fax  tout  ce  paîsjertil  :' 

Et  le  monde  au  pais.  Si  toy  Phénicienne 

Tu  te  plais  d*habiter  ta  ville  Lybienne, 

Qjielle  enuie  te  prend,  fi  ce  peuple  Troyen 

Sen  va  chercher  fan  fiege  au  port  Aufanien  ? 

N*as  tu  pas  bien  cherché  cefte  terre  en  ta  fuite  : 

Et  pourquoy,  comme  à  toy,  ne  nous  eft-il  licite 

De  chercher  vn  Royaume  ejiranger,  quand  les  Dieux 

Prefque  bon  gré,  maugréy  nous  chaffent  en  tels  lieux? 

Anne. 

Qjie  la  malice  peut  ingénieux  nous  rendre, 
Quand  elle  veut  fan  tort  contre  le  droit  deffendre  : 
Plus  le  vainqueur  Thebainfar  V Hydre  pefforçoit, 
Et  plus  de /es  efforts  l'Hydre  fa  renfarçoit  : 
Sinojire  confaience  enuers  nous  ne  farmonte, 
lamaispar  la  raifan  la  malice  on  ne  donte  : 
Voudroit-on  engluer  le  Griffon  rauiffeur, 
L* Aigle,  ou  le  Gerfaut?  V homme  méchant  efifauv  " 
Q3i*U  n^eji  né  que  pour  prendre,  helas.'mais  quelle  proye? 
Qjte  neprens  tu,  Troyen,fur  ceux  qui  ont  pris  Troye? 

Enee. 

Quant  à  lafay  que  tant  on  reproche  :  iamais 
T'ay-ie  donné  lafay,  que  ce  lieu  déformais 
Emmurant  ma  fortune,  ainfi  que  tu  f  emmures, 
Finiroit  des  Troyens  les  longues  auantures? 
Lors  que  tu  me  faifais  les  troubles  raconter 
De  cejie  nuiû,  qui  peut  par  vn  dol  emporter 
La  ville,  à  qui  dix  ans,  à  qui  des  grands  Dieux  Vire , 
A  qui  Veffbrt  des  Grecs  h'auoit  encorfceu  nuire  : 
Te  dy-iepas  qu*auant  que  les  Dieux  euffent  mis 
Telle  fin  au  trauail  des  vainqueurs  ennemis, 
Souuentesfais  Caffandre  en  changeant  de  vifage^ 

loielU,  —  I.  12 


\ 


178  DIDON,   TRAGEDIE.     . 

Toute  pleine  cTvn  Dieu,  qui  mejloit  fort  langage 

De  mots  entrerompusj  &  dont  lesfainâs  efforts 

La  faifoijsnt  forcener  pour  les  pouffer  dehors. 

Nous  auoit  dit,  qu^apres  la  Troyenne  ruine. 

Apres  les  longs  trauaux  foufferts  en  la  marine, 

le  viendrois  replanter  noftre  règne,  &  mon  los, 

En  la  terre  qui  tient  Saturne  encore  enclos? 

Te.dy-iepas  qu^ainfi  les  effroyans  oracles, 

Lesfonges,  les  boyaus,  &  lesfoudains  miracles 

Des  cheueux  de  mon  fils,  mefmement  le  difcofirs 

Qjie  le  bon  Helenus  me  fit  fus  tous  mes  iours, 

Voire  iufqu^à  la  voix  de  la  falle  Haipye, 

Appelloient  à  ce  but  ma  trauaillante  vie? 

As  tu  donc  oublié,  que  quand  nous  abordafmes 

Et  qu'humbles  deuant  toy  long  temps  nous  harangafmes 

'De  ce  qui  nous  menoit,  &  quel  eftrange  fort 

Nous  auoit  faiâ  alors  ancrer  dedans  ton  port. 

Nous  dtfmes  deffus  tout,  que  défia  fept  années 

Nous  auoient  veu  cherchans  la  fin  des  deftinees. 

Qui  Vheureufe  Italie  à  ma  race  donnoient. 

Et  qui  là  les  labeurs  des  Phrygiens  bornoient? 

Tu  ne  peux  ignorer  que  toute  humaine  attente 

Nef  oit  toufiours  au  lieu,  qui  tout  feul  la  contente  : 

Et  que  ie  n^èuffefceu,  voyant  deuant  mes  yeux 

Sans  fin,  fans  fin,  ce  but  oit  me  tiroient  les  Dieux, 

Par  vn  nouueau  ferment  autre  promeffe  faire 

Q}ie  i*euffe  veu  du  tout  à  mon  efprit  contraire. 

Car  qui  eft  celuy-là,  qui  f cachant  vrayement 

QuHl  faulfera  la  foy  defon  traiftre  ferment , 

Aura  pluftoft  en  foy  de  refufer  la  crainte, 

Q}te  V éternel  remors  d'auoir  fa  foy  contrainte 

Outre  fon  efperance  ?  Il  ne  faut  doncpenfer 

Que  Vaye  iamaisfceu  la  promeffe  auancer, 

Q}ti  pourroit  {ie  fuis  tel)  fi  telle  elle  eftoit  faite. 

Bon  gré  maugré  les  Dieux  empefcher  ma  retraite. 

le  ne  dypas  qu'*en  tout  incoulpable  ie  fais: 

Vn  feul  deffaut  me  mord,  c'eft  que  ie  ne  deuois 

Arreftant  fi  long  temps  dans  cefte  eftrange  terre. 


ACTE    II.  179 

Te  laiffer  lentement  prendre  au  laqsqui  te  ferre  : 
Mais  prens  Ven  à  V Amour ^  V Amour  Va  peu  lier  : 
Et  V Amour  m^apeu  faire  en  ta  terre  oublier, 
■4^our,  non  àfonfaiâ,  mais  àfonfeu  regarde  : 
'Et  le  danger  le  prend  quand  moins  il  y  prend  garde. 
Si  tel  amour  tufens,  ie  lefens  tel  auffi, 
Qjûencores  volontiers  ie  m^oublirois  ici  : 
Tefmoins  me  font  nos  Dieux,  que  iamais  les  nuiâsfombres 
Ne  nous  cachent  le  ciel  de  leurs  efpeffes  ombres 
Qjie  de  mon  père  Anchife  enfurfaut  ie  ne  voye 
LHmage  blemiffante,  &  quelle  ne  m^effroye, 
SoUuent  ftCeffroye  auffi  Afcaigne,  dont  le  chef 
le  voy  comme  dans  Troye  embrafer  de  rechef. 
Tout  cela  nonobjtant  n'a  point  eu  tant  de  force 
On* a  eu  ce  iour  le  Dieu,  qui  au  départ  me  force. 
le  iure  par  ton  chef^  &  par  le  mien  auffi, 
Qfie  manifeftement  Pay  veu  de  ces  yeux-ci 
Mercure  des  grands  Dieux  le  meffager  fidelle. 
Entrant  dans  la  cité,  m^apporter  la  nouuelle, 
Enuoyé  du  grand  Dieu,  qui  fait  fous  foy  mouuoir 
Et  la  terre  &  le  ciel,  pour  me  tancer  d^auoir 
Seioumé  dans  Carthage,  oublieux  de  Viniure 
Qfte  ie  fais  à  Afcaigne,  &àfa  geniture. 

Or  ceffe  ceffe  donc  de  tes  plaintes  vfer. 
Et  mefme  en  Vembrafant  tafcher  de  m^ embrafer, 
La  plainte fert  autant  aux  peines  douloureufes, 
Qfie  Vhuile  dans  vit  feu  :  les  rages  amoureufes 
S* appréhendent  au  vif  lors  que  nous  nous  plaignons. 
Et  les  defefpoirs  font  des  regrets  compagnons. 
Ce  rCeJtpas  de  mon  gré  que  ie  fuy  V Italie  : 
Mais  la  loy  des  grands  Dieux  les  loix  humaine^  lie. 
Ne  me  remets  donc  rien  en  vain  deuant  les  yeux, 
le  m*arrejte  à  Varrefl  de  mes  parens  les  Dieux, 

Didon. 

Les  Dieux  ne  furent  oncq  tes  parens,  ny  ta  mère 
Ne  fut  oncq  celle  là,  que  le  tiers  Ciel  tempère. 


l8o  DIDON,     TRAGEDIE. 

Le  plus  bénin  des  deux:  ny  oncq  {traiftre  menteur) 
Le  grand  Dardan  ne  fut  de  ton  lignage  auteur. 
Le  dur  mont  de  Caucafe,  horrible  de  froidures, 
(O  cruel)  f  engendra  de  fes  veines  plus  dures  : 
Des  TigreffeSj  ie  croy,  tu  asfucé  le  loiâ^ 
Ou  pluftoft  d^Aleâon  le  noir  venin  infeû, 
Qjti  tellement  autour  de  ton  cœur  a  pris  ptctce, 
Qjie  rien  que  de  cruel  &  méchant  il  ne  brajfe, 
N*allegue  plus  le  Ciel  guide  de  ton  efpoir. 
Car  ie  croy  que  le  Ciel  a  honte  de  te  voir  : 
Sans  tels  hommes  que  toy  le  Ciel  n^auroit  point  d^ire^ 
Jupiter  n^auroit  point  de  fes  tonneaux  le  pire, 
Voye:^  fi  feulement  mes  pleurs,  ma  voix,  mon  dueil. 
Ont  peu  la  moindre  larme  arracher  defon  œil? 
Voye^f'il  a  fa  face  ou  fa  parole  efmeué? 
Voye^  fi  feulement  il  a  fléchi  fa  veué  ? 
Voye!(fil  a  pitié  de  cefte  pauure  amante. 
Qu'à  grand  tort  vn  amour  enraciné  tourmente. 
Plus  qu'on  ne  voit  Sifyphe  aux  enfers  tourmenté. 
Sans  relâche  contraint  defon  fardeau  porté? 
Voire  plus  que  celuy  qui  fans  ceffe  fe  roué. 
Emportant  defon  pois  &  foymefme  &  fa  roué? 
Car  toufiours  aux  enfers  vn  tourment  eft  égal  : 
Mais  plus  ie  vais  auant,  &plus  grand  eft  mon  mal, 
Toutesfbisce  cruel  n^en  a  non  plus  d* atteinte, 
Qitefi  mon  vray  tourment  n'eftoit  rien  qu^vne  feinte. 
Qu'on  ne  me  parle  plus  des  Scythes^  ny  des  Rois, 
Qui  ont  tirannifé  Mycenes  fous  leurs  loix  : 
Qu^on  ne  me  parle  plus  des  cruauté:^  Thebaines, 
Lors  que  des  bas  enfers  les  rages  inhumaines, 
Semans  vnfeu  bourreau  des  loix,  &  d'amitié. 
Se  faifoient  elles  mefme,  en  leur  rage,  pitié. 
Qji^on  ne  m*eflonne  plus  de  tout  cela  que  Vire 
Des  hommes  peut  brajfer  :  tu  peux,  tu  peux  fufflre 
A  monftrer  qu^vn  feul  homme  a  dHnhumanité 
Plus  que  cent  Tigres  n'ont  en  foy  de  cruauté. 
Car  en  tout  ce  qu^on  peut  raconter  des  Furies, 
Qjii  fembloient  fe  iouér  &  du  fang  &  des  vies. 


ACTE   II.  l8l 

La  cruauté  naijfbît  de  quelque  deplaifir, 

Et  ta  cruauté  naift  de  fauoir  faid  plaifir  : 

Voire  vn  pîaiflr,  helas  I  dont  la  moindre  mémoire 

Deffus  vn  cœur  de  marbre  auroit  bien  la  viâoire, 

O  lunoHf  grand  lunon,  tutrice  de  ces  lieux, 

O  toymefme  grand  Roy  des  hommes  &  des  Dieux, 

De/quels  la  maiefté  traiftrement  blafphemee, 

Affeura  faulfement  ma  pauure  renommée  : 

QiCeft^ce,  qWeft-ce  qui  peut  or'  me  per/uader, 

Qfie  iPenhaut  vous  puij[fie:(  fus  nous  deux  regarder 

lyvnvifage  équitable?  Ha  gratis  Dieux,  que  nousfommes 

Vous  &  moy  bien  trahis!  lafoy^  lafoy  des  hommes 

N*eft  feure  nulle  part  :  las  !  comment,  fugitif. 

Tourmenté  par  fept  ans  de  mer  en  mer,  chetif, 

Tant  quHl  fembloit  qu'au  port  la  vague  fauorable 

Veuft  ietté  par  defpit,  fouffreteux,  mif érable, 

le  Vay,  te  Vay  receu,  non  en  mon  amitié 

Seulement^  mais  {helas  1  trop  folle)  en  la  moitié 

De  mon  royaume  auf/i  :  Tayfes  compagnons  mefme 

Ramené  de  la  mort  :  ha  vne  couleur  blèfme  "^ 

Me  prend  par  tout  le  corps,  &  prefque  les  fureurs 

Me  iettent  hors  de  moy,  après  tant  de  faneurs. 

Maintenant,  maintenant  il  vous  a  les  augures 

D^ Apollon,  il  vous  a  les  belles  auantures 

De  Lycie,  il  allègue  &  me  paye  en  la  fin 

D*VH  meffager  des  Dieux  qui  hafiefon  defiin. 

Oejt  bien  dit,  c^eft  bien  dit,  les  Dieux  n^ont  'autre  affaire  : 

Cefeulfouci  les  peut  de  leur  repos  diftraire  : 

le  croirois  que  les  Dieux  affranchis  du  fouci. 

Se  vinffent  empefcher  d^vn  tel  que  ceftuy-ci. 

Va  ie  ne  te  tiens  point  :  va,  va  ie  ne  réplique 

A  ton  propos,  pipeur,  fuy  ta  terre  Italique  : 

Pefpere  bien  en  fin  {fi  les  bons  Dieux  aumoins 

Me  peuuent  efire  enfemble  &  vengeurs  &  tefmoins) 

Qjt^auec  mille  fanglots  tu  verras  le  fupplice, 

Q^e  le  iufte  defiin  garde  à  ton  iniufiice. 

Affe^  tofi  vn  malheur  fe  fait  à  nousfentir  : 

Mais  las  !  toufiours  trop  tardfe  fent  vn  repentir. 


170  DIDON,    TRAGEDIE. 

Par  vnejoyji  bien  iuree  en  tes  délices? 

Qjie  Ji  les  iuftes  Dieux  vangent  les  iniuftices, 

Tes  beaux  fermens  rompus  rompront  aujji  ton  heur. 

Fais  tu  Jî  peu  de  compte  encor  de  mon  honneur, 
Las!  qui  V enrichijfant  d*vn  fuperbe  trophée, 
Tiendra  ma  plus  grand*  gloire  en  moy  me/me  eftouffee? 
Ne  te  meut  point  encor  vn  horrible  trefpas, 
Dont  ta  Didon  mourra,  qui  auffi  toft  fes  pas 
Bouillante  haftera  dedans  la  nuiâ  profonde, 
Qjie  les  vents  hafteront  tes  vaiffeaux  parmi  Ponde? 

Or  Ji  tu  n^es  [helas!)  de  mon  mal  foucieux, 
Sois  pour  le  moins  {Ingrat)  de  ton  bien  curieux* 
En  quel  temps  fommes  nous?  n*as  tu  pas  veu  la  grefle 
Et  la  neige  &  les  vents,  tous  ces  tours  pefle^-mefle 
Noircir  toute  la  mer,  &  tant  qu^on  euft  cuidé 
Q}ie  le  plus  grand  Neptune  aux  eaux  n^ euft  commandé. 
Tant  les  vents  maiftrifoyent  les  grandes  vagues  enflées. 
Qui  iuf qu'au  Ciel  eftoyent  horriblement  foufflees? 
Celuy  ne  p aime  pas,  qui  au  cœur  de  Vhyuer, 
Hafardantfes  vaiffeaux  &  fa  troupe  en  la  mer^ 
Prodigue  de  fa  vie,  attend  qu'vn  noir  orage 
Dans  Veau  d^Oubli  luy  dreffe  vn  autre  nauigage. 
Sans  crainte  de  la  mort  on  fuiuroit  tout  efpoir, 
S^on  pouuoit  plufieurs  fois  la  lumière  reuoir, 

Prens  encor  que  les  eauxfe  rendiffent  bonaces. 
En  ton  département,  crains  tu  point  les  menaces^ 
Du  Dieu  porte 'trident  irrité  contre  toy, 
Infidelle  à  celuy  qui  n'aura  plus  de  foy? 
Toutes  les  fois  qu'en  mer  les  flots  tu  fentiras 
Contre-luter  aux  flots,  palliffant  tu  diras  : 
Oeft  à  ce  coup,  ô  ciel,  6  mer,  que  la  tempefte 
Doit  iuftement  vanger  ma  foy  contre  ma  tefte. 
Et  fi  tu  attens  lors,  que  de  Troye  les  Dieux 
Porte:{  dans  ton  nauire,  appaifent  &  les  deux, 
Et  Vonde  courroucée,   il  te  viendra  foudain 
Dans  Vefprit,  que  tout  Dieu  laiffe  V homme  inhumain, 
Vn  Dieu  mefme  per droit  VAmbrofie  immortelle, 
Priué  de  deîté,  fil  efloit  infidelle. 


ACTE    II.  175 

Suit  pluftoft  le  parti  des  grands  Dieux  que  des  hommes. 

Tu  veux  me  retenir  :  mais  des  Dieux  le  grand  Dieu 

N^a  pas  voulu  borner  mes  deftins  en  ce  lieu. 

Le  Ciel  qui  moyennant  mon  courage  &  ma  peine^ 

Promet  vn  doux  repos  à  ma  race,  me  meine 

De  de/tin  en  de/tin,  &  monftre  quefouuent 

La  celefte  faueur  bien  chèrement  Je  vend. 

Ainfi  qu*ores  à  moy,  que  le  deftin  repouffe 

Hors  d'vn  repos  acquis,  hors  d*vne  terre  douce, 

Hors  du  fein  de  Didon,  pour  encores  ramer 

Les  bouillons  efcumeus  des  gouffres  de  la  mer^ 

Pour  voir  mille  hideurs,  tant  que  cent  Hippolytes 

En /croient  mis  encor  par  morceaux  en  leurs  fuites, 

Maisfoit  que  cefte  terre,  où  ie  conduy  les  miens, 

Semble  eftre  feul  manoir  des  plaifirs  &  des  biens  : 

Soit  que- V onde  irritée,  &  mes  voiles  troppleytes 

Repouffent  mes  vaiffeaux  aux  terres  plus  loingtaines  : 

Soit  encor  que  Clothon  renoué  par  trois  fois 

Le  filet  de  ma  vie,  ainfi  qu'au  vieil  Grégeois  : 

Soit  qu'après  mon  trefpas  ma  mère  me  rauiffe, 

Ou  qu'aux  loix  de  Minos  ma  pauure  ombre  fiechiffe, 

lamais  ne  m^aduiendra,  tant  que  dans  moy  tauray 

Mémoire  de  moymefme,  &  tant  que  ie  feray 

Enee,  ou  bien  d*Enee  vne  image  blefmie, 

De  nier  que  Didon  &  de  Roine,  &  d'amie      •' 

N^ait  paffé  le  mérite,  &  iamais  ne  fera 

Que  ton  nom,  qui  fans  fin  de  moy  fe  redira. 

Ne  m^arrache  les  pleurs,  pour  certain  tèfmoignagc 

Que  maugré  moy  le  Ciel  m^arrache  de  Carthage, 

Mais  quant  à  ce  départ  dont  iefuis  accufé, 

le  te  refpons  en  bref  :  le  n^ay  iamais  vfé 

De  feintife,  ou  de  rufe  en  rien  diffimulee, 

Afin  que  Ventreprife  à  tes  yeux  fuft  celée. 

L'amour  nefe  peut  feindre  :  &  mon  cœur,  dont  tefmoins 

Sont  les  Dieux,  me  forçoit  au  congé  pour  le  moins. 

Celuy  rCeft  pas  méchant  qui  point  ne  recompenfe  : 

Mais  méchant  efi  celuy  qui  aux  bienfaits  nevenfe. 

le  n'ay  iamais  auffi  prétendu  dedans  moy. 


172  DIDON,    TRAGEDIE. 

Veu  que  tu  me  fuis  tant,  qu*à  fin  de  feftrangèr 
De  Didon,  tu  ne  crains  defuiute  aucun  danger. 
Me  fuis  tu?  me  fuis  tu?  6  les  cruels  alarmes 
Q}te  me  donne  V Amour,  par  ces  piteufes  larmes 
Qu'ores  deuant  ta  face  efpandre  tu  me  vois  ! 
Larmes,  las!  qui fe  font  maiftrejfes  de  ma  voix. 
Qui  hors  de  moy  ne  peut  ne  peut,., 

Anne. 

Qjiand  Vinnocente 
Fléchit  fous  le  coulpable,  &  plus  forte  lamente 
Deuant  lefoible,  helas!  le  Ciel  aueuglément 
Donnant  à  Vvn  le  crime,  à  Vautre  le  tourment. 
Fait-il  pas  voir  qu* il  faut  p accompagner  du  vice. 
Qui  traine  inceffamment  V innocence  aufupplice? 

Didon. 

Par  ces  larmes  ie  dy,  que  te  monftrant  à  Vœil 
Combien  V amour  eft  grand,  quand  fi  grand  eft  le  dueil  : 
Et  par  ta  dextre  auffi,  puis  que  moy  miferable 
Ne  me  fuis  laijfé  rien  qui  me"  foit  fecourable  : 
Par  les  feux,  par  les  traits,  dont  ton  frère  fi  bien 
A  vaincu  ma  rai/on  quHl  ne  m'en  refte  rien  : 
Par  nofire  mariage,  &par  nos  Hy menées 
Qjûauoient  bien  commencé  mes  rudes  defiinees  : 
Par  les  Dieux,  que  deuot  tu  portes  auec  toy. 
Compagnons  de  ta  peine,  &  tef moins  de  ta  foy  : 
Par  Vhonneur  du  tiers  Ciel  que  gouuerne  ta  mère  : 
Par  Vhonneur  que  tu  dois  au/c  cendres  de  ton  père. 
Si  iamais  rien  de  bon  Vay  de  toy  mérité. 
Si  iamais  rien  de  moy  à  plaifir  Va  efté, 
le  te  pry  prens  pitié  d'^vne  pauure  famille. 
Que  tu  perdras,  au  lieu  d*acheuer  vne  ville, 
Comme  nous  efperions,  &  d^affembler  en  vn 
Deux  peuples  afferuis  dejfbus  vn  ioug  commun. 
Vefpoirfiatte  la  vie,  &  doucement  la  pouffe, 
Veftranglant  à  la  fin  d*vne  corde  moins  douce. 


Nojire  efpair  ejt  il  tel?  pourrois-tu  faire  voir 
Qji'entre  tout  les  malheur*  il  n'y  a  que  l'efpoir, 
Q}ii  engendre  à  la  fin  luy  mefmejan  contraire? 
Va  coeur  fe  doit  fléchir,  S  l'homme  eft  aduerjaire 
Des  hùmmes,  &  det  Dieux,  lors  que  d'vn  méchant  cceu 
Fuitplus  toftlapitii  que Jon propre  malheur. 

T'es  tu  changé  fi  tqft?  ofte  qfte  moy  d^ores, 
{Si  quelque  Heu  me  rejle  aux  prières  encores) 
Le  cœur  enuenimé,  qui  te  deguife  ainfi. 
Last  ie  ne  te  eogneu  iamaîspour  tel  ici  : 
le  fay  cogneu  pour  tel,  que  iufiement  furprife 
tay  mefprifé  Famour  en  tous  autres  iprife  ; 
L'amour  trop  mtfe  en  vn,  comme  ie  l'ay  dans  toy, 
Efl  la  haine  de  tous,  &  la  haine  defoy. 
Fay  pour  fauoir  aimé  la  Haine  rencontrée 
Des  peuples  &  des  Rois  de  toute  la  contrée  : 
Me/mes  les  Tyriens  de  ton  heur  offenfe^ 
Couuent  deffous  leurs  cœurs  leurs  defdains  amajfe^. 
La  Prînceffe  aime  bien,  quiteaucoup  plus  regarde 
A  vnfeul,  qu'à  tous  ceux  qu'elle  a  pris  en/a  garde. 
Q}iiplus  efl,  pour  tgyme/me  (o  Soleil  me  peux  tu 
Voirveufiie  de  Sichee,  S  veufiie  de  vertu?) 
Pour  toymefme  (ô  Enee)  éprije  de  les  feux, 
Pay  mon  honneur  efieint,  ma  chafleté,  mes  vœus: 
Pour  toy  (dy-ie)  ô  Enee,  on  verra  tqft  ejleindt'e 
Ma  renommée  auffi,  qui/evantoit  d'atteindre 
D'vn  chef  braue  S  royal  la  grand'  voûte,  oii  les  Dieu 
D'vn  ordre  balancé  fitnt  tournoyer  les  deux  : 
Qui,  peut  eftre,  m'oftant  du  nombre  des  Prittcejfes, 
tteuft  nàfe  après  ma  mort  au  nombre  des  Deeffes. 

A  qui  (d  trop  cher  hofte)  à  qui,  âfeul  fupport 
De  ma  Carthage,  à  qui  prochaine  de  la  mort 
Laiffes  tu  ta  Didon?  Il  faut  que  ma  mort  ofie 
Met  haines  d'entour  moy,  fi  ie  pers  vn  tel  hofte, 
Hafte,  puis  que  ce  nom  me  refte  feulement 
En  eeluy,  qui  m'eftoit  mari  premièrement. 
Qu'attende  plusfinon  que  mes  mura  de  Carthage, 
Sentent  de  mon  cruel  Pygmalion  la  rage? 


174  DIDON,     TRAGEDIE. 

Ou  que  hors  de  ce  lieu  que  tu  auras  quitté^ 

Mon  dur  malheur  me  iette  en  la  captiuité 

Du  Roy  Getulien?  Rien  n^efpargnè  Venuie  : 

Et  iamais  vn  malheur  ne  vient  fans  compagnie, 

Aumoins  fi  Vauois  eu  quelque  race  de  toy, 

Auant  que  de  te  voir  arracher  d^auec  moy  : 

Et  fi  dedans  ma  court,  du  père  abandonnée 

le  pouuois  voir  iouér  quelque  petit  Enee, 

Qui  feulement  les  traits  de  ta  face  gardaft, 

Et  m^amufant  à  luy  mes  foucis  retardaft  : 

le  ne  penferois  point  ny  du  tout  eftre  prife^ 

Ny  du  tout  delaiffee.  Alors  que  Vame  éprife 

Ne  peut  auoir  celuy  qui  toute  à  foy  V attrait , 

Elle  fe  paift  aumoins  quelquefois  du  pourtraii  : 

Et  bien  qu^vn  fouuenir  m^embrafajt  d^auantage, 

Paffeurerois  au  moins  ma  debtefur  ton  gage. 

Mais  ores  que  feray-ie  ?  ay-ie  vn  autre  confort , 

Sinon  que  d^oublier  Enee  par  ma  mort? 

Et  fans  m^ attendre  au  temps,  qui  fouuent  defenflame^ 

Me  defpeftrer  d^efpoir,  de  V amour,  &  de  Vame? 

L^ amour  fait  que  Ion  doit  du  Soleil  f'ennuier. 

Si  la  feule  eau  d^oubli  peut  fes  fiâmes  noyer. 

Mais  pourquoy  tant  de  mots?  doy-ie  donc  fatis faire 
A  celuy  quife  doitpluftoft  qu'à  moy  complaire? 
Vamour,  Vamour  me  force ,  &  furieufement 
M^apprend,  Qjie  qui  bien  aime,  aime  impatiemment^ 
Qu'en  dis-tu? 

Enee. 

le  ne  puis  (d  Roine,  qui  propofes 
Parlant  d^vn  tel  courage,  &  mille  &  mille  chofes) 
Faire  que  ton  parler  ne  me  puiffe  efmouuoir^ 
Ny  faire  que  ie  n^aye  efgard  à  mon  deuoir  : 
Ces  deux  efforts  en  moy  Vvn  contre  Vautre  battent, 
Et  chacun  àfon  tour  coup  deffus  coup  abbattent  : 
Mais  lors  que  Vefprit  fent  deux  contraires,  il  doit 
Choifir  celuy  qu'alors  plus  raifonnable  il  croit. 
Or  la  raifon  par  qui  enfans  des  Dieux  nous  fommes 


ACTE   II.  175 

Suit  pluftoft  le  parti  des  grands  Dieux  que  des  hommes. 

Tu  veux  me  retenir  :  mais  des  Dieux  le  grand  Dieu 

N^a  pas  voulu  borner  mes  deftins  en  ce  lieu. 

Le  Ciel  qui  moyennant  mon  courage  &  ma  peine. 

Promet  vn  doux  repos  à  ma  race,  me  meine 

De  deftin  en  dejlin,  &  monftre  quefouuent 

La  celefte  faueur  bien  chèrement  fe  vend, 

Ainfi  qu'ores  à  moy,  que  le  deftin  repouffe 

Hors  d*vn  repos  acquis,  hors  d*vne  terre  douce. 

Hors  du  fein  de  Didon,  pour  encores  ramer 

Les  bouillons  efcumeus  des  gouffres  de  la  mer. 

Pour  voir  mille  hideurs,  tant  que  cent  Hippolytes 

En /croient  mis  encor  par  morceaux  en  leurs  fuites. 

Mais/oit  que  cefte  terre,  oit  ie  conduy  les  miens. 

Semble  eftrefeul  manoir  des  plaifirs  &  des  biens  : 

Soit  que- V onde  irritée,  &  mes  voiles  trop  ple\jfies 

Repouffent  mes  vaiffeaux  aux  terres  plus  loingtaines  : 

Soit  encor  que  Clothon  renoué  par  trois  fois 

Le  filet  de  ma  vie,  ainfi  qu^au  vieil  Grégeois  : 

Soit  qu*apres  mon  trefpas  ma  mère  me  rauiffe, 

Ou  qu'aux  loix  de  Minos  mapauure  ombre  fiechiffe, 

hxmais  ne  m^aduiendra,  tant  que  dans  moy  Vauray 

Mémoire  de  moymefme,  &  tant  que  ie  feray 

Enee,  ou  bien  d^Enee  vne  image  blefmie. 

De  nier  que  Didon  &  de  Roine,  &  d'amie      * 

N^Mtpaffé  le  mérite,  &  iamais  ne  fera 

Que  ton  nom,  qui  fans  fin  de  moy  fe  redira, 

Ne  m^arrache  les  pleurs,  pour  certain  tefmoignagc 

Qjte  maugré  moy  le  Ciel  nf arrache  de  Carthage. 

Mais  quant  à  ce  départ  dont  iefuis  accufé, 

le  te  refpons  en  bref  :  le  v^ay  iamais  vfé 

De  feintife,  ou  de  rufe  en  rien  diffimulee, 

Afin  que  Ventreprife  à  tes  yeux  fuft  celée. 

L'amour  nefe  peut  feindre  :  &  mon  cœur,  dont  tefmoins 

Sont  les  Dieux,  me  forçoit  au  congé  pour  le  moins. 

Celuy  rCeft  pas  méchant  qui  point  ne  recompenfe  : 

Mais  méchant  eft  celuy  qui  aux  bienfaits  nevenfe, 

le  n^ay  iamais  auffi  prétendu  dedans  moy, 


178  DIDON,   TRAGEDIE.     . 

Toute  pleine  <Vvn  Dieu,  qui  mejloit  fon  langage 

De  mots  entrerompus,  &  dont  lesfainâs  efforts 

La  faifoijsnt  forcener  pour  les  pouffer  dehors. 

Nous  auoit  dit,  qû*apres  la  Troyenne  ruine. 

Apres  les  longs  trauaux  foufferts  en  la  marine, 

le  viendrois  replanter  noftre  règne,  &  mon  los. 

En  la  terre  qui  tient  Saturne  encore  enclos? 

Te.dy-iepas  qu'ainfi  les  effroyans  oracles, 

Lesfonges,  les  boyaus,  &  les  foudains  miracles 

Des  cheueux  de  mon  fils,  mefmement  le  difcofirs 

Qjte  le  bon  Helenus  me  fit  fus  tous  mes  iours, 

Voire  iufqu'à  la  voix  de  la  falle  Hai-pye, 

Appelloient  à  ce  but  ma  trauaillante  vie? 

As  tu  donc  oublié,  que  quand  nous  abordafmes 

Et  qu^humbles  deuant  toy  long  temps  nous  harangafmes 

'De  ce  qui  nous  menoity  &  quel  effrange  fort 

Nous  auoit  faiâ  alors  ancrer  dedans  ton  port. 

Nous  dîfmes  deffus  tout,  que  défia  fept  années 

Nous  auoient  veu  cherchans  la  fin  des  deftinees, 

Q}ti  Vheureufe  Italie  à  ma  race  donnaient. 

Et  qui  là  les  labeurs  des  Phrygiens  bornoient? 

Tu  ne  peux  ignorer  que  toute  humaine  attente 

Nef  oit  toufiours  au  lieu,  qui  tout  feul  la  contente  : 

Et  que  ie  n^èuffefceu,  voyant  deuant  mes  yeux 

Sans  fin,  fans  fin,  ce  but  où  me  tiroient  les  Dieux, 

Par  vn  nouueau  ferment  autre  promeffe  faire 

Qjie  Peuffe  veu  du  tout  à  mon  efprit  contraire. 

Car  qui  eff  celuy-là,  quifçachant  vrayement 

QuHl  faulferala  foy  de  fon  traiffve  ferment , 

Aura  pluftoff  en  foy  de  refufer  la  crainte, 

Q}te  V éternel  remors  d'auoir  fa  foy  contrainte 

Outre  fon  efperance  ?  Il  ne  faut  donc  penfer 

Que  Vaye  iamaisfceu  la  promeffe  auancer. 

Qui  pourroit  {ie  fuis  tel)  fi  telle  elle  eftoit  faite, 

Bon  gré  maugré  les  Dieux  empefcher  ma  retraite, 

le  ne  dypas  qu^en  tout  incoulpable  ie  fois: 

Vn  feul  deffaut  me  mord,  c^efi  que  ie  ne  deuois 

Arreftant  fi  long  temps  dans  cefte  eftrange  terre. 


ACTE    II.  179 

Te  laiffer  lentement  prendre  au  laqs  qui  te  ferre  : 
Mais  prens  fen  à  V Amour,  V Amour  fa  peu  lier  : 
Et  V Amour  m*a  peu  faire  en  ta  terre  oublier, 
■^mourf  non  àfonfaiÛ,  mais  à  f on  feu  regarde  : 
'Et  le  danger  le  prend  quand  moins  il  y  prend  garde. 
Si  tel  amour  tufens,  ie  lefens  tel  auffi, 
Qji^encores  volontiers  ie  m^oublirois  ici  : 
Tefmoins  me  font  nos  Dieux,  que  iamais  les  nuiâsfombres 
Ne  nous  cachent  le  ciel  de  leurs  efpeffes  ombres 
Qyie  de  mon  père  Anchife  enfurfaut  ie  ne  voye 
LHmage  blemiffante,  &  qu*elle  ne  m^effroye, 
SoUuent  nCeffroye  auffi,  Afcaigne,  dont  le  chef 
le  voy  comme  dans  Troye  embrafer  de  rechef. 
Tout  cela  nonobflant  n^a  point  eu  tant  de  force 
Qfi^tf  eu  ce  iour  le  Dieu,  qui  au  départ  me  force. 
le  iure  par  ton  chef,  &  par  le  mien  auffi, 
Qfte  manifeflement  t*ay  veu  de  ces  yeux-ci 
Mercure  des  grands  Dieux  le  meffagerfidelle. 
Entrant  dans  la  cité,  m'apporter  la  nouuelle, 
Enuoyé  du  grand  Dieu,  qui  fait  fous  foy  mouuoir 
Et  la  terre  &  le  ciel,  pour  me  tancer  d'auoir 
Seioumé  dans  Carthage,  oublieux  de  Viniure 
Q^e  ie  fais  à  Afcaigne,  &  à  fa  geniture. 

Or  cejfe  ceffe  donc  de  tes  plaintes  vfer. 
Et  mefme  en  fembrafant  tafcher  de  m'embrafer. 
La  plainte  fert  autant  aux  peines  douloureufes, 
Qfié  Vhuile  dans  vn  feu  :  les  rages  amoureufes 
S'appréhendent  au  vif  lors  que  nous  nous  plaignons. 
Et  les  defefpoirs  font  des  regrets  compagnons. 
Ce  iCeftpas  de  mon  gré  que  ie  fuy  V Italie  : 
Mm  la  loy  des  grands  Dieux  les  loix  humaine^  lie. 
Ne  me  remets  donc  rien  en  vain  deuant  les  yeux, 
le  m'arrefte  à  Varreft  de  mes  parens  les  Dieux, 

Didon. 

Lu  Dieux  ne  furent  oncq  tes  parens,  ny  ta  mère 
Ne  fut  oncq  celle  là,  que  le  tiers  Ciel  tempère. 


\_ 


180  DIDON,     TRAGEDIE. 

Le  plus  bénin  des  deux  :  ny  oncq  {traiftre  menteur) 
Le  grand  Dardan  ne  fut  de  ton  lignage  auteur» 
Le  dur  mont  de  Caucafe,  horrible  de  froidures, 
(O  cruel)  f  engendra  de/es  veines  plus  dures  : 
Des  TigreffeSj  ie  croy,  tu  as  fucé  le  laiÛ^ 
Ou  pluftoft  d^Aleâon  le  noir  venin  infeâ, 
Qjii  tellement  autour  de  ton  cœur  a  pris  place, 
QjAe  rien  que  de  cruel  &  méchant  il  ne  brajfe. 
N^allegue  plus  le  Ciel  guide  de  ton  efpoir, 
Car  ie  croy  que  le  Ciel  a  honte  de  te  voir  : 
Sans  tels  hommes  que  toy  le  Ciel  n^auroit  point  d'ire, 
Jupiter  n^auroit  point  de  fes  tonneaux  le  pire. 
Voye^  Ji  feulement  mes  pleurs,  ma  voix,  mon  dueily 
Ont  peu  la  moindre  larme  arracher  defon  œil? 
Voye\  fil  a  fa  face  ou  fa  parole  efmeué? 
Voye!(  fi  feulement  il  a  fléchi  fa  veué  9 
Voye^fil  a  pitié  de  cefte  pauure  amante. 
Qu'à  grand  tort  vn  amour  enraciné  tourmente, 
Plus  qu'on  ne  voit  Sifyphe  aux  enfers  tourmenté. 
Sans  relâche  contraint  defon  fardeau  porté? 
Voire  plus  que  celuy  qui  fans  ceffe  fe  roué, 
Emportant  defon  pois  &  foymefme  &  fa  roué? 
Car  toufiours  aux  enfers  vn  tourment  efl  égal  : 
Mais  plus  ie  vais  auant,  &plus  grand  efl  mon  mal, 
Toutesfoisce  cruel  n^en  a  non  plus  d'atteinte. 
Que  fi  mon  vray  tourment  n'eftoit  rien  qu'vne  feinte. 
Qu'on  ne  me  parle  plus  des  Scythes^  ny  des  Rois, 
Qui  ont  tirannifé  Mycenes  fous  leurs  îoix  : 
Qu'on  ne  me  parle  plus  des  cruautes[  ThebaineSy 
Lors  que  des  bas  enfers  les  rages  inhumaines, 
Semans  vnfeu  bourreau  des  Ioix,  &  d'amitié. 
Se  faifoient  elles  mefme,  en  leur  rage,  pitié, 
Qpt'on  ne  m'eflonne  plus  de  tout  cela  que  Vire 
Des  hommes  peut  braffer  :  tu  peux,  tu  peux  fuffire 
A  monfïrer  qu'vn  feul  homme  a  d'inhumanité 
Plus  que  cent  Tigres  n'ont  en  foy  de  cruauté. 
Car  en  tout  ce  qu'on  peut  raconter  des  Furies, 
Qjii  fembloient  fe  iouër  &  du  fang  &  des  vies. 


ACTE   II.  l8l 

La  cruauté  naiffoit  de  quelque  deplaifir^ 

Et  ta  cruauté  naift  de  fauoir  faiâ  plaifir  : 

Voire  vn  plaifir^  helas  !  dont  la  moindre  mémoire 

Deffus  vn  cœur  de  marbre  auroit  bien  la  viâoire, 

O  luHiOH,  grand  lunon,  tutrice  de  ces  lieux, 

O  tqymefme  grand  Roy  des  hommes  &  des  Dieux, 

De/quels  la  maiefté  traijtrement  blafphemee, 

Affeura  faulfement  ma  pauure  renommée  : 

Qji^ejt-ce,  qu*e/t-^e  qui  peut  or*  me  perfuader. 

Que  d'enhaut  vous  puij[fieiç  fus  nous  deux  regarder 

lypnvi/age  équitable?  Ha  grans  Dieux,  que  nous/ommes 

Vous  &  mqy  bien  trahis  î  la  foy^  lafoy  des  hommes 

N*ejtjeure  nulle  part  :  las!  comment,  fugitif. 

Tourmenté  par  fept  ans  de  mer  en  mer,  chetif. 

Tant  quHl  fembloit  qu^au  port  la  vague  fauorable 

Veufi  ietté  par  defpit,fouffreteux,  miferable. 

Je  Vay,  ie  Vay  receu,  non  en  mon  amitié 

Seulement^  mais  (helas J  trop  folle)  en  la  moitié 

De  mon  royaume  auffi,  :  fayfes  compagnons  mefme 

Ramené  de  la  mort  :  ha  vne  couleur  blèfme  ** 

Me  prend  par  tout  le  corps,  &  prefque  les  fureurs 

Me  iettent  hors  de  mqy,  après  tant  de  faueurs. 

Maintenant,  maintenant  il  vous  a  les  augures 

D' Apollon,  il  vous  a  les  belles  auantures 

De  Lycie,  il  allègue  &  me  paye  en  la  fin 

D*vn  meffager  des  Dieux  qui  hafte  fan  deflin. 

Oeft  bien  dit,  c'efl  bien  dit,  les  Dieux  n^ ont 'autre  affaire  : 

Cefeulfouci  les  peut  de  leur  repos  diflraire  : 

le  croirois  que  les  Dieux  affranchis  du  fouci. 

Se  vinffent  empefcher  d^vn  tel  que  ceftuy-ci. 

Va  ie  ne  te  tiens  point  :  va,  va  ie  ne  réplique 

A  ton  propos,  pipeur,  fuy  ta  terre  Italique  : 

Pefpere  bien  en  fin  {fi  les  bons  Dieux  aumoins 

Me  peuuent  eflre  enfemble  &  vengeurs  &  tefmoins) 

Qjt^auec  mille  fanglots  tu  verras  le  fupplice, 

Q^e  le  iufte  deflin  garde  à  ton  iniuflice. 

A/ef  tofl  vn  malheur  fe  fait  à  nousfentir  : 

Mais  las  !  toufiours  trop  tardfe  fent  vn  repentir. 


l82 


DIDON,     TRAGEDIE. 


Quelque  ifle  plus  barbare,  où  les  flots  équitables 
Te  porteront  en  proye  aux  Tigres  tes  femblables, 
Le  ventre  des  poiffons,  ou  quelque  dur  rocher 
Contre  lequel  les  flots  te  viendront  attacher, 
Ou  lefons  de  ta  nef,  après  qu^vn  trait  de  foUdre 
Aura  ton  mas,  ta  voile,  &  ton  chef  mis  en  poudre, 
Sera  tafepulture,  &mefmes  en  mourant, 
Mon  nom  entre  tes  dents  on  forra  murmurant  : 
Nommant  Didon,  Didon,  &  lors  toufiours  prefente 
D*vn  brandon  infernal,  d^vne  tenaille  ardente. 
Comme  fi  de  Megere  on  m^auoH  fait  la  fœur, 
Pengraueray  ton  tort  dans  ton  pariure  cœur. 
Car  quand  tu  m^auras  fait  croiftre  des  morts  le  nombre. 
Par  tout  deuant  tes  yeux  Je  roidira  mon  ombre. 
Tu  me  tourmentes  :  mais  en  V effroyable  trouble 
Oti  fans  fin  tu  feras,  tu  me  rendras  du  double 
Le  loyer  de  mes  maux  :  la  peine  eft  bien  plus  grande 
Qui  voit  fans  fln  f on  fait  :  telle  ie  la  demande  : 
Et  fi  les  Dieux  du  ciel  ne  m'en  faifoient  raifon, 
Pefmouurois  Vefmouurois  Vinfemale  maifon. 
Mon  dueil  h*a  point  de  fln  :  vne  mort  inhumaine 
Peut  vaincre  mon  amour,  non  pas  vaincre  ma  haine. 
Je  le  fen,  ie  le  voy,  ouy  grands  Dieux  !  ie  le  voy  : 
Le  mal  eft  le  degré  du  mal  :  fouftene:(»^moy, 
Entron,  ie  ché,  ie  ché,  entron» 

Enee. 

Ofaints  Augures, 
Interprètes  des  Dieux,  qui  des  chofes  futures. 
Des  pref entes  auffi,  donnes^  aux  bas  mortels 
Les  foudains  iugemens,  paroiffe!(  ores  tels, 
Qjte  Didon  puiffe  auoir  par  vous  la  cognoijfance. 
Et  du  vouloir  des  Dieux,  &  de  mon  innocence. 
Mais  quelle  horreur  Vefprend?  comment,  6  cherfupport 
Des  peuples  afflige:{  (il  faut  iufqu^à  la  mort 
Que  ie  confeffe  ainfi)  comment,  ô  chère  Dame, 
Comment  doncfouffre^  vous  de  cefte  gentile  ame 
Euanouir  la  force?  O  lupiter^  quel  œil! 


ACTE   II.  l83 

Qui  euftpenfé  V Amour  père  d^vn  fi  grand  dueil? 

Qftelle  torche  ay-ie  veué  en  f es  yeux  qui  mefuyent? 

Comment  auec  mes  yeux  mes  paroles  Vennuyent  ? 

En  quelle pafmoifon  la  conduit-on  dedans? 

Comment  fon  eftomaeh  de  gros  fanglots  ardens 

Bondit  contre  le  Ciely  &  tout  defpitp efforce 

De  mettre  hors  fon  Jeu  qui  prend  nouuelle  force 

Du  vent  qu^elle  luy  donne  ?  &  comme  peu  à  peu 

Les  JouJJlets  fe  renflans  embrafent  vn  grand  feu? 

Maint  foufpir  bouillonnant  qui  fon  brafier  allume. 

Fait  qtû auec  fon  humeur  fon  amefe  confume, 

Qjiels  propos  furieux  m^a  elle  dégorge:^  ? 

Le  courroux  fait  la  langue  :  &  les  plus  outrage:^ 

Sont  ceux,  qui  bien  fouuent  pouffent  de  leurs  poitrines 

Des  chofes,  que  Vardeur  faitfembler  aux  diuines, 

Penfuis  encor  confus  :  vne  pitié  me  mord  : 

Vn  friffon  me  faifit  :  Mais  rien,  finon  la  mort, 

Ne  peut  rendre  celuy  des  encombres  deliure, 

Qjii  veut  le  vueil  des  Dieux  entre  les  hommes  fuiure  : 

Et  femble  que  le  Ciel  ne  permette  iamais 

La  vraye  pieté  paffembler  à  la  paix, 

O  Amour j  ô  Mercure,  ô  Didon,  ô  Afcaigne, 

O  heureufe  Carthage^  ô  fatale  campagne 

Où  Jupiter  m'appelle,  ô  regrets  douloureux, 

O  bien  heureux  départ^  ô  départ  malheureux  ! 

Le  Chœur. 
Q^l  heur  en  ton  départ? 

Enee. 

L^heur  que  les  miens  attendent. 

Le  Chœur. 
Les  Dieux  nous  ont  fait  tiens 


184  Dim}N,    TRAGEDIE. 

Enee. 
Les  Dieux  aux  miens  me  rendent. 

Le  Chœur. 
La  feule  impieté  te  chajfe  de  ces  lieux, 

Enee. 
La  pieté  deftine  autre  fie ge  à  mes  Dieux. 

Le  Chœur. 
Quiconques  rompt  lafoy  encourt  des  grans  Dieux  Vire. 

Enee. 
De  la  fo^  des  amans  les  Dieux  ne  font  que  rire.- 

Le  Chœur. 
La  pieté  ne  peut  mettre  la  pitié  bas. 

Énee. 
La  pitié  m^affaut  bien,  vaincre  ne  me  peult  pas. 

Le  Chœur. 
Par  la  feule  pitié  les  durs  deftins  fefmeuuent. 

Enee. 
Ce  ne  font  pas  deftins  fi  fléchir  ilsfe  peuuent. 

Le  Chœur. 
Vn  règne  acquis  vaut  mieux  que  Vefpoir  d^eftre  Roy. 


ACTE   II.  l83 

Enee. 
Non  cefiuXf  mais  vn  autre  eft  deJHné  pour  moy, 

'  Le  Chœur. 
Quel  paUfe  rendra /cachant  ta  deceuance? 

Enee. 
Pajr  non  pas  au  pàSs,  ains  au  Ciel  ma  fiance. 

» 

Le  Chœur. 
Qsie  la  Religion  ejtfouuent  vn  grand  fart  ! 

Enee. 
La  Religion  fertfans  art  &  auec  art. 

Le  Chœur. 
Sans  la  Religion  viuroit  vne  Iphigene. 

Enee. 
Sans  elle  aujfi  viuroit  &  Troye  &  Polyxene. 

Le  Chœur. 
Ton  pauure  Aftianax  fentit  bien  fon  effort. 

Enee. 
Les  Grecs  ne  font  point  feurs  che:{  eux  que  par  fa  mort. 

Le  Chœur. 
A  Diane  elle  fait  des  hommes  facrifice. 

12* 


l86  DIDON,    TRAGEDIE. 

Enee. 
Diane  par  lefang  humain  nous  eft  propice, 

he  Chœur. 
Qite  d'autres  meurdres,  las!  elle  a  mis  en  te  rang, 

Enee. 
Le  Ciel  aujfi  requiert  obeîffance  oufang. 

Le  Chœur. 
Tu  feras  que  Didon  en  augmente  la  bande. 

Enee. 

Ha  Dieux f  ha  Dieux,  tay  toy,  vn  remors  me  commande. 
Bien  qu'il  f  oit  fans  effet,  de  rompre  ce  propos  : 
lamais  homme  n'aima  fans  haïr  f  on  repos, 

LE   CHŒVR. 


Quelle  orde  pefte  recelée, 
D'vne  feinte  difjimulee. 
Seul  mafque  de  nos  trahifons, 
Qtii  dejfous  vn  ferain  vifage 
Couue  dans  le  traiflre  courage 
Mille  renaijfantes  poifons  '•, 
Et  tant  de  mal  aux  autres  donne, 
QjA'enJîn  fon  maiflre  elle  empoifonne  ? 

Telfouuent  nourrit  vne  haine. 
Qui  emmielle  fa  langue  pleine 
De  toute  ardente  affeàion  : 
Tel  bien  fouuent  les  Dieux  mefprife. 


ACTE    II.  187 


Qjiipour  baJHrfon  entreprife 
Ne  bruit  que  de  Religion  : 
Uvn  ainfi  les  efprits  amorce^ 
Vautre  ainfi  peu  à  peu  prend  force: 

Tandis  S  Vvne  &  Vautre  feinte 
Donne  mainte  mortelle  atteinte  : 
Car  Vefprit  qui  fepenfe  aimé 
Se  prend  &fe  plaijt  enfaflame 
Tant  quHl  fente  le  corps  &  Vame^ 
Le  bien  &  Phonneur  confommé. 
Enfon  repas  Voifeau  p englué  : 
D^vn  apaft  le  poiffon  fe  tué  : 

Et  Vautre  qui  du  tout  Je  fie 
Des  bienSy  de  Vhonneur,  de  la  vie, 
Sus  celuy  qui  penfe  eftre'fainâ, 
Voit  enfin  Vame  ambitieufe^ 
Vne  ame  en  fin  feditieufe, 
Qjii  tout  vif  iufqu^au  vif  V atteint  : 
Le  vipère  meurty  pour  foliaire 
De  trop  à  fa  vipère  plaire. 

Alors  tant  plus  de  force  on  vfe, 
Q^and  on  voit  la  traifireffe  rufe, 
Etfouuent  plus  onfe  fait  tort  : 
Vn  mal  vient  plusfoudain  abbatre 
Ceux,  qu^on  voit  le  plusfe  debatre  '''  : 
Comme  vnfanglier  qui  tant  plus  fort 
Pouffe,  efcume,  gronde.  S-  enrage, 
S'enferre  toufiours  d^auantage. 

De  qui  neferoit  defcouuerte, 

Cefie  ame  en  toute  feinte  experte, 
Dont  ce  Troyen  nous  abufoit. 
Alors  que  d*vn  amour  extrême. 
Alors  que  defesgrans  Dieux  mefme 
Lapauure  Didon  amufoit? 
Autour  du  miel  pique  V abeille, 
Et  Vafpic  dans  les  fleurs  fommeille . 

Ce  pendant^  ô  fort  improfpere, 
O  Amour  traiftre,  auec  tonfrerc 


l88  DIDON,    TRAGEDIE. 

La  pauure  Roinefe  paiffant, 
De  ce/te  feinte  variable 
Reçoit  par  vn  feu  véritable 
Vn  trefpas  cent  fois  renaiffant, 
Ainji  donc  les  colombes  meurent  : 
Ainji  les  noirs  corbeaux  demeurent. 
Les  yeuxfanglans,  la  face  morte, 
Le  poil  méfié  y  le  cœur  tranftj 
Efforce  fa  force  peu  forte, 
Et  fus  f on  lia  pétille  ainji, 
Ott* Hercule  arrachant  fa  chemife, 
Qui  ia  iufqu'à  Vosfefloit  prife. 
Mais  comment  fe  pourroit-il  faire. 
Que  le  Ciel  vn  iour  n^enuoyafk 
De  ces  trahifons  le  foliaire, 
Qui  f  on  maiftre  en  la  fin  payafl? 
Ainji  la  vipère  tortue 
Nourrit  enfoy  ce  qui  la  tue. 


ACTE    III. 

DIDON,   ANNE,    ENEE,   ACHATE. 

Didon. 

Foible,  palle,  fans  cœur,  fans  raifon,  fans  haleine, 
Anne  mon  cher  fupport,  maugré  moy  ie  me  traine 
De  rechef  çà  &  là,  mal  apprife  à  fouffrir 
Vn  repos  qui  me  vient  Vimpatience  offrir  : 
Tant  que  quand  tu  verras  fus  la  prochaine  riue, 
La  mer  qui  fe  tenoit  dedans- f  es  bords  captiue. 
Lors  qu^vn  Aquilon  vient  dejfus  fes  flancs  donner, 
Bruire,  bondir ,  courir,  iufqu^au  ciel  bouillonner, 
Et  fans  aucun  arrefl  pouffer  iufqu^aux  campagnes. 
De  fes  flots  dépite^  lesfuiuantes  montagnes. 


ACTE    XII.  189 


Tu  verras,  tu  verras  Veft^  où  vn  trompeur 
A  fait  eftre  le  corps  &  Vante  de  tafceur. 
Et  tien  que  ie  ne  femble  ejh*e  tant  effrénée^ 
Qfie  quand  ie  rembarrayde  mes  propos  Enee  y 
Plus  Pay  perdu  dans  moy  de  defpit  rigoureux , 
Et  plus  Pay  regaigné  de  tourmens  amoureux. 
Alors  que  contre  nous  la  fortune  P efforce ^ 
Du  decroijt  d*vn  grand  mal  P autre  malfe  renforce  : 
Tant  que  ie  croy  les  Dieux  contre  mon  chefiurer 
Déplus  en  plus  me  faire  en  mesAours  endurer, 
MaiSy  las!  fi  ie  defplais  au  Ciel,  &  fi  Venuie 
D^vne  Ale&on  "mutine  en  veut  tant  à  ma  vie, 
Qjie  ne  vient  on  changer  à  ma  mort  ma  langueur? 
Si  de  mon  heur  P amour  ne  veut  qtC eftre  vainqueur. 
Si  Venus  quelquefois  par  Junon  outragée, 
Ne  veut  que  par  ma  mort  efire  d*elle  vangee, 
ijlie  ne  m^ont  ils  permis  en  cefle  pafmoifon. 
D'où  ie  reuien,  d? entrer  en  la  noire  maifon? 
Peuffe  appaifé  d^vn  coup  par  Pextreme  allégeance 
Mon  tourment,  leur  dédain,  leur  enuie  &  vengeance. 
Auec  mon  fang  fe  fufl  mon  brafier  refi'oidi, 
Auec  mesfens  fefuft  mon  trauail  engourdi, 
O  malheureufe  ardeur,  qui  reuiens  en  mes  veines! 
O  malheureux  refueil,  qui  me  rends  à  mes  peines! 
Qu'heureufement  Peftois  oublieufe  de  moy! 
Qyte  maugré  moy  ie  prens  le  iour  que  ie  reuoy  ! 
lefens,  Anne  ma  fosur,  iefens,  veu  la  racine 
Qjie  mon  mal  incurable  a  pris  dans  ma  poitrine, 
Qjie  rien  ne  me  fçauroit,  non  pas  la  mefme  mort, 
Fauorifer  au  mal  qui  redouble  fi  fort  : 
Si  le  courroux  ardent,  &  la  haine  irritée 
Contre  vn,  duquel  on  a  Vamorce  trop  gouftee, 
Pouuoit  Pardent  effort  de  Pamour  amortir. 
Le  courroux  vfCeufï  P  exil  de  Pamour  fait  fentir  : 
Veu  qWvn  tel  creuecœurpeft  aigri  dans  mon  ame. 
Que  moindre  que  mon  ire  on  euflpenfé  maflame. 
Mais  le  feu  jiCefi  iamais  du  feu  P  allégement  : 
Et  le  defpit  du  mal  nous  caufe  vn  tiers  tourment. 


•••  ' 


102  DIDON,    TRAGEDIE. 

Que  du  Ken  que  fay  fait  mon  mal  f oit  le  fallaire, 

Prejidefus  la  trm^,  encores  moins  efmeu 

Des  vents,  que  de  mes  pleurs  qui  mouuoir  ne  Vont  peu. 

Confiant  en  foiijpmpQS,  autant  qu^en  V alliance 

QuUl  a  fait  auec  nous  il  monfire  dHnconftance  : 

S* il  eft  ainfi^  mafœur,  que  ton  confeil  premier 

ATa  fait  mettre  ma  vie  en  la  main  du  meurdrier  : 

SHl  efi  ainfi  qu^encor  ta  pauure  fœur  tu  aimes. 

Qui  Vaime  toufiours  plus  ^^elle  n'aime  foymefmes  : 

5'i7  ^  ainfi  qn^Enee  entre  tous  fhonorafi, 

Et  en  tous  fes  fecrets  vers  tqyfe  retirafi  : 

S*il  efi  ainfi  que  feule  entre  tous  tu  cogneujfes 

Les  addrejfes  vers  Vhomme,  &  que  les  temps  tu  fceuffes^ 

Va  ma  fœur  &  luy  dy,  ày  îuy,  ma  fœur,  qu^helas 

Mif érable  Didon,  de  ceuxie  ne  fuis  pas 

Qui  pour  les  fils  d^Atree  en  Aulide  iurerent 

La  ruine  Troyenne,  &  leur  force  y  menèrent  : 

le  n*ay  hors  du  tombeau  la  cendre  bien  aimée 

Defon  bon  père  Anchife,  au  gré  du  ventfemee  : 

le  ne  luy  ay  pasfaiâ,  pour  tafcher  de  vanger 

lunon  contre  Venus,  fon  Afcaigne  manger  : 

Pourquoy  veut-il  boufcher  Voreille  à  ma  parolle  ? 

Où  court-il  ?  efi-ce  ainfi  qu'vne  amante  on  confole  ? 

S'il  fe  repent  fi  tofi  de  promettre  à  Didon 

Le  refie  de  fes  iours,  aumoins  vn  dernier  don, 

Vn  dernier  don  aumoins  à  moy  laffe,  fottroye, 

Moy  pauure  amante,  helas!  que  fa  rigueur  foudroyé, 

Oefi  quHl  vueille  le  temps  attendre  feulement, 

Q}iHl  pourra  dans  la  mer  f  embarquer  feurement  : 

QuHl  attende  le  temps,  qu^auecque  ma  fortune 

Nous  voyons  appaifer  &  les  vens  &  Neptune. 

Adieu  Hymen,  adieu  mariage  ancien. 
Puis  qu'Enee  en  trahit  le  mal-noûé  lien: 
le  ne  luy  requiers  plus,  que  pour  fa  fimple  hofieffe, 
Albe,  Romme,  Italie^  &  tout  le  monde  il  laijfe  : 
QjdUlpen  voife  bafiir  toutes  telles  cite:(. 
Dont  il  a  {ie  le  croy)  les  beaux  noms  inuente:^  : 
le  ne  veux  plus  en  rien  me  rendre  à  luy  contraire, 


ACTE   III.  193 


Tant  pour  mollir  f on  cœur  il  méplat^  de  luy  pHaire  : 

fUen  plus  ie  ne  requiers,  fors  qu^vn  temps  qui  eft  vain, 

Pour  efpace  &  repos  de  mon  tourment  certain  : 

le  ne  requiers  finon  que  ce  dernier  relâche, 

A  fin  que  ma  fortune  enuieufe,  qui  tache 

Me  faire  vaincre  à  mo^  m^apprenne  à  me  douloir. 

Non  d*vne  douleur  foire  vn  hideux  defefpoir, 

La  {chère  Sceur)  la  doncj  prens  peine,  ie  te  prie^ 
De  mes  pleurs,  de  mes  cris,  de  mes  foux,  de  ma  vie  : 
Feins  en  toy  d^ejh'e  moy,  &  vien  gefner  tesfens 
Pour  vne  heure  du  mal  qui  me  poind  fi  long  temps  : 
Tu  n^aura8,fi  tufens  tant  foit  peu  mes  alarmes, 
Pour  ce  marbre  amolir,  que  trop,  que  trop  de  larmes  : 
Plus  pitoyablement  encor  ie  fn\firuirois. 
Si  tous  pleurs  n*empe/choyent  V accent  piteux  des  voix. 
O  Amour,  traiftre  Amour,  ô  Amour! 


Anne. 

Le  dueil  ferre 
Et  mes  pleurs,  &  ma  voix,  lors  que  ta  voix  m'enferre 
lufqu^au  plus  creus  de-Vame:  ha,  foux  Amour,  iefens 
Ç^e  tafiere  rigueur  n^en  veut  qu'eaux  innocens. 
Pourtant,  pourtant  Amour,  fi  toymefme  &  ton  frère 
N^eftes  fils  d*vn  Pluton,  conceus  d'vne  Megere, 
Si  tous  deux  ne  portei(  autour  d^vn  cosur  mutin, 
L'inexpugnable  fort  d*vn  roc  diamantin  : 
Si  V Enfer  ne  vous  prefte  à  la  dolente  terre. 
Pour  reuenger  fes  fils  accable:^  du  tonnerre 
Par  mille  impiété^  :  fi  encor  de  vous  deux 
Le  Ciel  n^aplus  d^effroy,  qu*enfemble  de  tous  eux, 
le  croy  que  la  pitié  de  mon  humble  harangue, 
La  pitié  de  mes  pleurs,  faifant  tort  à  ma  langue, 
Fera,  que  comme  nous  tu  Patteignes  au  vif. 
Vkumble  douceur  commande  au  cheual  plus  rétif. 

Non  le  rude  efperon.  Mais  fois,  fois  nous  propice, 

Venus,  meré  d'Enee  :  ainfi  pour  facriftce 
Du  feu  des  aubefpins,  foit  ton  autel  orné , 

lodelU,  —  I.  i3 


^ 


*       194  DIDON,    TRAGEDIE. 

*■ 

'  D^vn  myrte  &  cPvn  rojier  vermeil  encourtiné, 

Le  Cygne  &  le  Pigeon  en  ton  offrande  tombe, 
Et  tottfiours  en  honneur  foit  d^Ançhife  la  tombe, 

Didon. 

Noftre  ame,  quand  Vhorreur  des  filles  de  la  nui& 
De  propos  en  propos,  de  pas  en  pas  la  fuit, 
Or*  de  brandons  ardens^or^  d!* ardentes  tenailles. 
Et  09*  de  noùvferpens  deuorant  nos  entrailles , 
Combien  qu'enuers  le  Ciel  incoulpable  elle  foit, 
Toufiours  enuers  foymefme  vne  coulpe  conçoit. 
Se  condamnant  fans  fin  des  chofes  quifuruiennent. 
Croyant  que  pour  cela  l^  rages  la  retiennent^ 
Encor  qu* enuers  le  Ciel  ie  n^aye  coptmis  rien 
Qui  le  face  auiourdhuyjne  priuer  de  tout  bien. 
Si  éfi-ce  qu'yen  oyant  mes  parolles  dernières, 
Par  qui  ma  fœuréreffoit  à  Venus  f es  prières, 
A  fin  que  Vobftinéfe  ployaft  à  mon  gré, 
{Cet  obfiiné  que  i^ay  fans  fin  au  cœur  ancré) 
le  me  fuis  condamnée,  en  iugeant  que  {a  faute 
De  n^auoir  tout  ce  iour  à  la  maiefté  haute 
De  Venus  Cyprienne  offert  mes  humbles  Vpsus, 
A  refroidi  fon  fils  &  rembrafé  mes  feux. 

Il  faut  donc  que  dreffant  vers  les  deux  la  lumière^ 
le  fappaife,  ô  Deeffe,  ô  grand*  Deeffç,  mère 
De  tout  efire  viuant^*,  qui  asjoufiours  efié 
Des  hommes  &  des  Dieux  la  feule  volupté  ; 
Aime  Venus  qui  tiens  fous  la  gnand*  fphere  blonde 
Des  ftgnes  porte-iour,  le  plus  beau  ciel  du  mofidç  : 
Oii  les  Amours  archiers,  le^  follafires  defirs, 
Les  Charités,  les  ieus,  les  ajfeure^  plaifirs, 
\  Oii  de  tous  animaux,  les  moules,  la  figure, 

Qjie  Dieu  par  toy,  fa  fille,  ottroye  à  la  Nature, 
D^vn  accord  mefuréfe  roulent  plaifamment, 
Infpirant  mainte  vie  en  leur  fainû  mouuement, 
Toy,  le  but  de  Nature,  à  qui  ne  fçauroit  plaire 
De  défaire  aucun  œuure,  ains  toufiours  de  refaire. 


ACTE    III.  195 


Et  qui  deffus  la  Mort  gaignes  fans  fin  le  pris, 

Luyfaifant  rendre  autant  qu'elle  en  a  toujiours  pris  : 

Afin  que  dépeuplant  S-  repeuplant  la  f aile 

De  Pîuton,  Ventretien  de  ce  monde  pegalle  : 

Toy  qui  fais  les  oifeauxfe  plaire  dedans  Pair, 

Les  beftes  en  la  terte^  &  les  poiffons  en  mer  : 

Toy  par  qui  nous  voyons  les  maifons,  &  les  villes. 

Les  loix,  les  amitie^^  les  polices  ciuilles  i 

Toy  qui  fais  différer  tout  eftre  terrien  y 

Selon  le  plus  &  moins  que  tu  leur  fais  de  bien, 

Seul  bien  vniuerfel,  où  les  hommes  afpirent. 

Soit  que  bien,  f  oit  que  mai,  aueuglés  ils  défirent: 

Toy  qui  mefléu  ta  fbtce  auec  le  Ciel,  &fis 

Sortir  mon  grand  vainqueur^  ton  indomtable  fils, 

Qfii,  combien  qu^on  en  face  vn  autre,  dont  la  dextre 

Le  grand  Caos  méfié  remit  en  meilleure  eftre, 

Monftre  de  iour  en  iour  {vainqueur  m/efme  des  Dieux) 

Combien  peut  deffus  tout  fon  arc  viÛorieux  : 

Toy  de  qui  maintesfbis  mainte  S-  mainte  louange 

le  retins  d*vn  vieillard,  que  d^vn  pais  eftrange 

La  Fortune  m^auoit  en  Phenice  amené. 

Pour  polir  mon  efprit  du  fien  endodriné  : 

Toy  {dy~ié)  lasl  qui  vois  lespiteufes  merueilles 

Qfî'on  exerce  fur  moy:  &  qui  n'as  tes  oreilles 

{Au  moins  comme  ie  croy)  clofes  à  mon  parler ^ 

Qfii  vois,  qui  vois  mon  corps  d'heure  en  heure  efcouler, 

Sous  la  cruelle  ardeur  d'Amour,  qui  me  martyre  : 

Comme  deuant  le  feu  on  voit  fondre  vne  cire  : 

Comme  fardent  metail  par  rougiffans  ruijfeaux 

On  voit  couler  en  bas  des  efchauffe:(  fourneaux  : 

Ou  comme  on  voit  couler  la  neige  des  montagnes. 

Et  les  ruiffeaux  glacaç  au  trauers  des  campagnes  : 

Puis  que  ie  h*dy  iamais  refufé  de  ployer 

Sous  les  loix  quHl  fa  pieu  de  ton  Ciel  m'enuoyer, 

Puis  que  ie  n^ayfacré  vne  ingrate  leunejfe 

Au  trauail  inutil  de  tafcpur  chaffereffe  : 

Si,  humble,  Pay  perdu  pour  vn  hommage  faind, 

A  ton  Autel  facré  mon  chafte  demy- ceint  : 


196  DIDON,    TRAGEDIE. 

Si  au  fon  de  ton  nom  Vay  receu  ton  Enee  : 
Si  ie  me  fuis,  helas!  toute  à  fon  gré  donnée. 
Ployant  deffous  ton  ioug  :  fi  pour  V amour  de  toy 
Vay  mieulxfaiâ  aux  Troyens  qu^à  ceux  qui  font  à  moy. 
Tourne  en  ce  lieu  ta  veué,  &  la  mifericorde 
De  toy,  de  la  fortune,  &  de  tes  fils  accorde, 
Pour  iuftement  changer  mon  trauail  au  repos. 

Voy,  Venus,  le  venin  qui  tient  à  tous  mes  os  : 
Voy  tantoft  vn  brafier,  &  tantoft  vne  glace^ 
Q)4ifoudain  me  r'enfiamme^  &  foudain  me  r^englace  : 
Voy  mon  ame  offufquee  en  tous  autres  obiets. 
Fors  qu'en  ton  fils,  qui  rend  tous  mes  fens  fes  fuiets  : 
Voyfortir  de  mes  yeux,  &  les  larmes  coulantes. 
Et  les  brillans  ef clairs  de  mesfiammes  bruflantes  : 
Voy  Didon  fans  humeur,  voy  Didonfe  iettant 
A  genoux  deuant  toy,  voy  Didon  fanglotant. 
Prens  pitié,  prens  pitié,  Deeffe  Malienne, 
Paphienne,  Erycine,  Vndeufe,  Gnidienne, 
Prens,  prens  donque  pitié,  &  ne  permets  iamais 
Que  d^vn  tort  detefiable  on  paye  mes  bienfaits. 

Si  tu  crois  que  ie  Vaye  autrefois  fait  offenfe, 
D*auoir  fait  a  lunonplus  qu'à  toy  reuerence, 
Amoli  toy  depleurs,  appaife  toy  de  voeus  : 
le  iure  tes  yeux  noirs,  ie  iure  tes  cheueus^ 
Qu^en  receuant  ce  iour  par  toy  ce  bénéfice, 
le  payeray  Vvfure  à  ton  fainâfacrifice, 
le  requiers  peu,  mais  las!  toutes  telles  fureurs 
Pour  bien  peu  de  relais  perdent  beaucoup  de  pleurs, 

Enee. 

Les  ennuis  dereigle^,  les  maux  infupportables, 

Q}i'on  voit  fur  vn  efprit  fe  rendre  infatiables, 

La  raifon  qui  nous  peut  deffous  fes  loix  forcer. 

Et  la  pitié  qui  peut  nos  raifons  effacer. 

Les  mots  entrerompus  par  les  larmes  méfiées, 

Et  lesfoufpirs  tefmoins  des  âmes  defolees, 

Ne  peuuent  rien  finon  qu'en  vain  nous  efmouuoiry 


ACTE  m.  197 


JLors  qu^én  vn  fait  les  Dieux  nous  qftent  lepouuoir. 
Anne,  fi  les  ennuis  &  fi  Vangoijfe  extrême 
Me  pouuoient  qrrefier,  Vangoijfe  de  moymefme, 
Sans  que  ton  œil  piteux  tefmoignafi  tant  de  maux^ 
Serait  la  corde  &  Vançre  à  retenir  mes  naus  : 
Veu  que  nul  nefçauroit  la  peine  ajfe^  comprendre ^ 
QjtefnHs  ceffe  en  Vefprit  mon  amour  me  r*engendre. 
Mais  les  Dieux  font  fi  fi)rts,  &  du  deftin  la  loy 
Se  rend  fi  faindement  inuiolable  en  moy, 
Qfie  les  pleurs  de  Didon^  que  les  larmes  piteuf es ^ 
QjCen  mùn  piteux  adieu  mes  latines  angoiffeufesy 
Voire  des  Tyriens  les  pleurs  enfemble  vnis, 
Voire  les  pleurs  des  miens  auec  les  autres  mis, 
Breff  de  tous  les  mortels  S-  les  pleurs  &  les  plaintes , 
Ne  pourroient  pas  des  Dieux  combattre  les  loix  fainâes. 

CefùHS  donc  déplorer^  tant  plus  nous  plorerons. 
Et  plus  noftre  tourment  dans  nous  nous  grauerons. 
Le  pleur  qui  peu  à  peu  fus  noftre  face  coule  y 
Etiufqu^à  Veftomach^fa  refource^fe  roule. 
Pour  de  rechef  entrant  &  montant  au  cerueau 
Redefcendre  par  Vœil,  nous  mange,  comme  Veau 
Qpi  aux  iours  pluuieux  des  gouftieres  dégoûte, 
Mange  la  dure  pierre  en  tombant  goutte  à  goutte. 
Ceffons^  cejfons. 

Anne. 

Enee,  ô  Enee  obftiné, 
Tu  as  bien  ce  propos  contre  toy  ramené, 
Pour  monfirer  que  ton  cœur  que  haineux  tu  referres 
Sans  Vouurir  à  pitié,  eft  plus  dur  que  les  pierres. 
La  pluye  goutte  à  goutte  vn  marbre  caueroit. 
Et  quafi  vn  torrent  de  nos  yeux  ne  fçauroit 
Mordre  dejfus  ton  cœur,  plus  félon  que  ie  cuide 
Qjûvn  cœur  de  Diomede  affommé  par  Alcide, 
Cceur  quifouffroit  du  fang  des  hoftes  faccagej 
Voir  abbreuuer  chei^  foy  fes  cheuaux  enrage:^  : 
Plus  cruel  qu^vn  Procufte,  &  tous  ceux  dont  la  guerre 
De  Thefee  &  d'Hercule  a  deliuré  la  terre. 


\gS  DIDON^    TRAGEDIE. 

Mais  qui  me  fait  ainfi  ceux  ci  ramenteuoir^ 
Si  ce  n\eft  la  fureur  qu'on  me  fait  conceuoir? 
EJl-il  pofjible,  helas!  qu*en  Vame  féminine 
Vne  fureur  tant  afpre  é  fans  bride  domine^ 
Et  qui  pourrait  {bons  Dieux)  fe-  garder  de  fureur^ 
Quand  on  voit  qu^on  ne  peut  rien  faire  par  te  pleur? 
N^ay-ie  fceu  donc  rien  faire?  &  n*ay-ie point  Vàddreffe^ 
De  faire  la  pitié  fur  ta  rigueur  maiftreffe? 
Se  perd  doncqUes  en  Vair  tout  ce  dont  Pay  plori  f 
Tout  cela  dont  Paurois  Vaimant  mefme  attiré? 
Cela,  pour  qui  les  Dieux,  que  ton  dol  nous  raèoHté, 
Seroyent,  ie  croy,  mefchanspils  n^en  tenoientpoirit  conté, 
Cela  pour  qui  tout  cœur  humain  ne  craindroit pas 
Pluftofi  qu*y  reffter,  de  fouffrir  cent  trefpàà, 
Faut-il  qu*ainfi  ie  perde  ?  &  faut-il  que  ie  vùyè 
Que  les  Dieux  iuftement  ont  puni  ceux  de  Troyè? 
Me  faut-il  voir  encor  que  ny  moy  ny  Didon 
hPauons  iamais  penfé  au  vieil  Laomedon? 
Si  de  tromper  les  Dieux  ceftuy-la  print  V audace, 
Ha  que  nous  falloit-il  efperer  de  fa  race? 
Qjie  porté'ie  à  ma  fœur,  fors  le  venin  dentier, 
Qjii  la  va  faire  voir  Vinfernal  Nàutonnier  ? 
Puis-ie  encor  à  fes  yeux  me  monflrer  en  lafofte, 
Moy  qui  ouure  à  fes  maux  &  à  fa  mort  la  porte  ? 
PuiS'ie,  puis-ie  me  voir  moymefme  le  corbeau 
De  ma  fœur,  luy  portant  V  augure  du  tombeau? 
Hé  que  fçais-tu  {Cruel!)  qui  donnes  telle  atteinte 
A  ceux  qui  te  font  bien  y  fi  de  ton  fait  enceinte 
Elle  ne  cache  point  maintenant  dedans  foy 
(O  fardeau  malheureux!)  vne  moitié  de  Roy? 
Veux-tu  qu*auant  que  voir  du  monde  la  lumière, 
Ton  propre  enfant  fe  face  vn  cercueil  de  fa  mère? 
Veux-tu  pour  rendre  Afcaigne,  &  les  fiens  triomphans. 
Faire  eftouffer  ainfi  Vautre  de  tes  enfans  ? 
Las ^  fi  les  mères  font  en  voftre  endroit  coulpables, 
{Grands Dieux)  qu'en  peuuent  mais  les  enfans  miferables? 
Quant  aux  mères,  ie  croy,  que  tu  es  coufiumier 
{O  le  loyal  efpoux)  d*en  eftre  le  meurdrier. 


ACTE    III.  199 

• 

Si  Ion  demande  où  efi  la  mère  à  ton  A/caigney 
Elle  eft  où  tu  veux  mettre  vne  autre,  que  dédaigne 
Tellement  ta  fierté,  quHl  Jemhle  que  le  Ciel 
Dedans  ton  loche  efprit  n'ait  verfé  que  du  fiel  : 
Et  quHl  Pegaye  ainfi,  que  de  tout  temps  tu  rompes 
Auec  lafûyj  la  vie»  à  celles  que  tu  trompes. 
Hé  qui  croira  iamais  qu'on  puijfe  refufer 
Vn  delay  feulement?  mais  ie  ne  fais  qu'vfer 
Et  ma  langue  &  mes  yeux  en  mes  vaines  reproches. 
En  vain  tafchent  les  vents  de  combattre  les  roches. 
Voila  Pheureux  loyer:  penfes,  que  pour  vn  tel, 
Mafœur  deuoitfentir  d'amour  le  dard  mortel  : 
PenfeSf  que  ie  deuois ,  miferable  S-  deceué 
Pour  vn  tel  donner  force  à  lafiamme  receuê, 
le  deuoii  bien  luy  plaire  au  vouloir  d'vn  mechef  : 
Nous  dénions  bien  omèr  de  fueilles  noftre  chef 
Pourfiùre  aux  Dieux,  feigneurs  desfacre:{  mariages. 
Pour  vn  tel  que  ceftuy,  les  fainâs  facrè:{  hommages  : 
le  deuois  bien  luy  faire  vn  Sichee  oublier, 
Pour  au  lieu  d'vn  efpoux  à  Pluton  Vallier. 
Deuions  nous  mille  honneurs,  mille  carejfes  rendre , 
A  celuy  qui  filoit  le  cordeau  pour  nous  pendre? 
Ha  ie  ne  puis,  alors  qu'vnfi  durfouuenir 
Mereuient,  ie  ne  puis  mon  ame  retenir, 
le  nutfàuls  à  moymefme,  &fans  Vire  enflamee 
Qjti  m*aigr\fi  &foufHent,  on  me  verroit  pafmee. 
Je  m*en  vais,  ie  le  laiffe,  6  rigueur  incroyable  ! 
Qjte  cefi  homme  inconfiant  en  nos  malheurs  efi  fiable! 

Enee. 
O  quel  tumulte,  Achate. 

Achate. 
Amour  fait  la  dif corde. 
Enee. 
Vois  tu  point  de  remède? 


200  DIDON,    TRAGEDIE. 

Achate. 
Auec  la  Roine  accorde. 

Enee. 
Dois-iepour  accorder  difcorder  au  deftin? 

Achate. 
Va  donc  :  Celuy  fait  bien  qui  fait  à  bonne  fin, 

Enee. 
*  Pourquoy  me  gefne  donc  ma  confcience  encore  ? 

Achate. 
Oeft  V Aigle  qui  le  coeur  fur  Caucafe  deuore, 

Enee. 
O  grand  Ciel,  que  voit-on  au  monde  d'arreflé? 

Achate. 
Le  Ciel  a  retiré  toute  tranquillité. 

Enee. 
Quel  bonheur  donque  refte  au  monde  pour  les  hommes  ? 

Achate. 
De  n'efire  pas  long  temps  ce  que  chetifs  nous  fommes. 

Enee. 
Qu^  attendons-nous  pour  fin  &  loyer  des  trauaux  ? 


ACTE    III.  201 

Achate. 
La  mort  eft  le  loyer  de  nos  biens  S-  nos  maux. 

Enee. 
^11/  donques  n$  peut-il  ici  bas  heureux  ejire? 

Achate. 
Celuy  que  pour  heureux  les  grands  Dieux  ont  fait  naiftre. 

Enee. 
Je  croy  que  le  bon  heur  des  humains  ne  leur  plaift, 

Achate. 
Pour  ce  que  leur  honneur  bienfouuent  nous  deplaift. 

Enee. 

le  pen/e  voir  le  iour  que  la  colère  ardente 

De  lunon  redoutée^  enuoya  la  tourmente  . 

Contre  nos  pauures  naus,  S-  qu^à  voir  vn  tonnerre 

EJjpoUuenier  la  mer,  &  de/placer  la  terre. 

Les  efclairs  redoubler,  &  des  vens  aduerfaires 

Les  gojiersp aboyer,  &  refiffler  contraires. 

Les  flots  monter  au  ciel,  il  fembloit  que  les  ondes 

Tafchaffent  de  rouir  aux  abyfmes  profondes. 

Ceux  qui  feftoyent  fauue\  de  la  Troyenne  cendre  : 

Qjtand  vnjeu  nous  pardonne  vne  eau  nous  vient  attendre. 

Durant  Vorage  tel  mes  naus  vireuoltees, 

S'écartans  ça  &  là,  de  tous  cofte:ç  iettees 

A  la  merci  du  vent,  fansfuiure  route  aucune, 

Ore  deuers  le  Nord  attendoyent  leur  fortune, 

Ore  deuers  le  Sud  par  le  Nord  ramenées, 

Et  ore  deuers  VEft  Je  voyoyent  deftoumees 


202  DIDON,    TRAGEDIE. 


Par  VOueft  oppofé  :  tant  que  la  mer  bonace 

De  fes  frères  bandes^  appaifant  la  menace, 

Nous  euft  pouffe\  à  bord  :  le  fens  de  me/me  forte 

{Ore  que  ma  fortune  arrefle  que  te  forte) 

Agiter  mon  efprit,  qui  çà  qui  là  fe  vire 

De  cent  troubles  diuers,  comme  au  vent  le  nauire. 

D*vn  coflé  le  proffit,  la  peur  me  tient  de  Vautre, 

Soit  la  peur  de  fa  mort,  foit  la  peur  de  la  nofïre  : 

Didon  &  la  faifon  font  d^vne  fureur  mefme  : 

Mais  la  plus  grand^  fureur,  c'efï  la  fureur  fupreme. 

Achate. 

Qitoy?  où  reuenons  nous?  quoy,  toy  qui  as  pour  mère 
Vne  Venus,  faut-il  tenir  du  tout  du  père  ? 

Enee. 

Hafoy^  ha  fiable  foy,  feul  gage  inuiolable 

Des  hommes  &  des  Dieux,  cent  fois  efi  puniffable 

Celuy  qui  Voff enfant  de  certaine  fcience 

Amortit  Véguillon  quefentfa  confcience! 

Il  luy  deuroit  fembler,  lors  que  le  Ciel  tempefie, 

Q)iiHl  ne  f^ émeut  ftnon  que  pour  brifer  fa  tefie  : 

H  luy  deuroit  fembler  lors  que  la  mer  p irrite, 

Q}ie  contre  luy  tout  feul  f on  courroux  fe  dépite  : 

Mefme  au  moindre  combat,  chetif,  il  deuroit  croirey 

Que  le  Ciel  Va  défia  priué  de  la  viâoire , 

Puis  quHl  a  hafardé  auec  fa  foy  première^  ^ 

L^affeurance^  le  fens,  la  force  coufiumiere. 

Car  de  toutes  les  peurs,  la  peur  la  plus  extrême 

Oefï  la  peur  d'vn  efprit  coulpable  enuers  foy  mefme, 

Q}ii  fefpouuante  tant,  que  mefme  fans  encombre 

Se  voit  fuiure  fans  fin  de  la  peur  de  fon  ombre. 

Faut-il  que  maugré  moy  les  peurs  en  moyf  empreignent? 

Faut-il  que  maugré  moy  les  durs  remors  m* eflreignent? 

Faut-il  que  maugré  moy,  voire  en  mon  innocence 

le  m'accufe  à  grand  tort  d^vne  exécrable  offenfe? 


ACTE   111. 


203 


Âchate. 

Si  tu  ne  fçais  ajfe\y  que  nous  imprudens  hommes. 
De  nous  me/me  toujours  les  aduerf aires  fommes, 
Les  luges  f  les  bourreaux j  tu  te  le  peux  apprendre 
Du  mal  que  ton  efprit  pour  foymefmes  engendre. 
Ta  feule  opinion  eft  de  ta  crainte  mère  : 
La  crainte  du  remors  :  le  remors  eft  le  père 
D^vne  autre  opinion,  que  tu  prens  quand  tu  penfes 
Offenjer  griefuement,  lors  que  point  tu  n^offen/es  : 
Mais  moy  qui  foucieux  à  tout  danger  regarde, 
le  fens  vne  autre  peur  :  Vay  peur  que  trop  on  tarde 
Dans  ce  haure  :  tu  fcais  combien  eft  monftrueu/e 
D*vn  courroux  féminin  V ardeur  tempeftueufe. 
Nous  verrons  tout  foudain  les  troupes  Tyriennes 
Darder  le  feu  vangeur  dans  les  naus  Phrygiennes  : 
Nous  verrons  tout  frémir,  &  ces  riues  mouillées 
De  fang  &  de  corps  morts  hideufement  fouillées. 
Partons  donc  au  plus  toft. 

Enee. 

Auf/î  toft  que  les  fommes 
Auront  vn  peu  cefoir  rafrefchi  tous  nos  hommes, 
Je  feray  que  Ion  fingle  :  A  a,  quoy  quHl  en  forte, 
Vn  pefant  fais  de  maux  auecques  moy  V emporte. 
Las!  nous  faut-il  voguer  fans  fçauoir  quelle  iffué 
Sortira  d*vn  amour  qui  fon  amante  tué? 
Pauure  Didon,  helasi  mettras  tu  Vaffeurance 
Sur  les  vaiffeaux  marins,  qui  n'ont  point  de  conftance? 

LE    CHŒVR. 

Ceux  que  Fortune  exerce  aux  trauaux  de  ce  monde^ 
N^ont  pas  beaucoup  d'effroy,  fi  leur  faut  dejfus  Vonde 

Sans  relâche  ramer  : 
Veu  que  mefme  au  millieu  du  repos  &  des  villes. 


204  DlDONy    TRAGEDIE. 

Les  humains  vont  fouffrant^  au  lieu  d^eftre  tranquilles  j 

Vne  étemelle  mer, 
Nqftre  Prince  porté  par  la  mer  incertaine, 
Sentira  dans  Vhyuer  vne  mer  plus  humaine 

Que  la  mer  du  fouci, 
Didon,  qui  dans  fa  ville  auec  lesjtens  demeure, 
Sent  vne  horrible  mer  plus  cruelle  à  cefte  heure. 

Que  n^eft  cèfte  mer  ci. 
Malheureufe  cent  fois  celle  qui  abandonne 
A  Veflranger  fon  cœur,  fon  lia,  S  fa  couronne  : 

Le  murmure  nouueau 
De  fon  peuple,  P  adieu  du  mari  qui  f^abf ente, 
Et  fon  dur  defefpoir,  luy  feruent  de  tourmente, 

Enfondrant  fon  vaiffeau. 


ACTE   IIII. 


ANNE,    BARGE,   DIDON. 

Anne. 

A  fil  donques  bien  peufe  renforcer  de  forte, 
Qu*à  toutes pafjtons  il  ferme  ainjî  la  porte? 
A  Velle  donc  bien  peu  paffoiblir  tellement, 
Qjte  de  fe  laijfer  vaincre  à  V effort  du  tourment? 
Elle  meurt,  elle  meurt  :  la,  ia,  dans  fon  vifage. 
De  la  mort  palliffante  on  voit  peinte  V image  : 
Encor  tant  les  amans  fe  nourriffent  de  pleurs. 
Et  tant  les  furieux  fe  plaifent  aux  fureurs. 
Elle  a  voulu  que  feule  en  fon  mal  on  la  laiffe  : 
Las,  veut  elle  forcer  la  mort  par  la  dejlreffe? 
Deufi  elle  pas  trouuer,  mefme  en  la  trahifon 
Qjii  la  fait  forcener,  fa  propre  guarifon , 
En  p égayant  plus  tojl  de  perdre  vn  tel  pariure, 
Qjde  faire  pour  vn  traiflre  à  fon  repos  iniure  ? 


lfe»i/t-U  pal  deu  pluftqft,  que  de  la  courroucer, 
De  quelque  moindre  oj^fe  aimer  mieux  tre/paffer? 
Peut-il  voir  que  par  lujr  la  vie  fait  rauie 
A  cette,  dont  il  tient  &/on  heur  &  fa  vie  ? 
Fuit  qu'Ut  n'ejloyeut  plut  qu'un  en  ce  laqs  d'amitié, 
Penferoit-il  après  durer  fans  fa  moitié, 
En  fentant  mefmement  l'implacable  furie, 
He  Vaaoir  pour  loyer  lujrmefme  ainji  meurdrie  9 
Loi  las!  on  voit  mes  fens,  Baree  efpouvente  toy  : 
Baree,  chère  nourrice,  ajjemble  auecques  moy 
L'ejlonneinent,  Vhcrreur,  Us  plaintes,  S  les  larmes, 
Et  fil  efi  oncq  pofjible,  en  fi  cruels  alarmes 
Wvfer  d'aucun  coufeil,  confeille  le  moyen 
De  bannir  hors  du  eaur  de  ma  Sceur  ce  Troyen, 
L'âge  toufiourt  apprend,  &  n'ejlpas  qu'ancienne 
Tu  Wayes  pratiqué  l'horreur  magicienne  : 
Donc  àVeJcart  tournant  trois  ou  fept  ou  neuf  tours. 
De  beaux  vers  remâche:^  encharme  les  amours. 
L'amour  qui  plus  qu'au  corps  en  nojire  ame  domine, 
Nefe  guarffi  iamais  du  ius  d'vne  racine  : 
Mais  on  dit  que  le  vers  qui  efi  du  ciel  appris. 
Domine  fus  l'amour  &  deffus  nos  efprits. 
Si  par  fon  art  Medee  en  la  fin  n'eufi  defoy 
Ckajfé  l'amour  bourreau,  de  Carinthe  le  Roy, 
Sa  fille  Glauque  auffi,  ne  fuffent  mis  en  cendre  : 
De  fet  propres  enfans  la  gorge  encore  tendre, 
N'eufi  caché  iufqu'au  manche  vn  coufieau  maternel, 
Ains  pour  fe  depefirer  du  mal  continuel, 
Changeant  fa  férue  vie  auec  la  mort  plus  gaye , 
Le  fang,  l'amour,  &  l'ame,  euft  vomi  par  faplaye. 
Mais  voyant  que  le  vers  qu'elle  ainfi  remachoit. 
Du  lourd  fardeau  d'amour  fon  ame  depefchoit. 
Déploya  fon  courroux  fus  ceux^ui  l'offenferent, 
Et  comme  /on  dragon  fes  amours penuollerent. 


fay  trùp  ^eftonnement,  ie  n'ay  que  trop  d'horreurs. 


2o6  DIDON,    TRAGEDIE. 

Trop  de  plaints  en  la  bouche,  &  trop  aux  yeux  de  pleurs  : 

Mais  quant  à  ce  confeil,  miferable  Nourrice, 

le  ne  fens  rien  en  moy  qui  ce  mal  diuertiffe. 

Des  vers  magiciens  ie  n^ay  Vvfage  appris. 

Et  les  vers  n^auoyent  pas  fus  vn  tel  mal  le  prix: 

Fuji  qu^auec  cent  pauots  vn  repos  Vexcitajfe, 

Fuji  qu^auecque  les  deux  les  enfers  Vappellajfe, 

Pour  charmer  lapoifon  maiftrejfe  defes  os, 

Rechaffant  par  vn  charme  vn  charme  au  cœur  enclos. 

O  Mânes  de  Sichee,  ô  Dame  bien-heur eufe. 

Dont  le  meurdre  fouilla  la  dextre  conuoiteufe 

De  ton  frère  inhumain,  fans  que  moy  qui  fauois 

Nourri  de  ma  mammelle,  &  qui  las!  nepouuois 

Receuoir  plus  de  deuil,  euffefus  ta  lumière 

Rabbatu  de  mes  doigts  Vvne  &  Vautre  paupière  : 

Helas  pauure  ombre  (dy-ie)  encores  Veft-il  mieux 

D^auoir  ainjî  volé  fus  le  bord  oublieux 

Par  vn  meurdre  foudain,  que  non  pas  à  ta  femme 

Mourir  à  petit  feu,  d'vne  amoureufe  flamme^ 

Qui  ranimant  toufioUrs  d*vne  ardeur  par  dedans. 

Et  la  vie,  &  la  mort,  lui  laiffe  entre  les  dens. 

Et  moy  chetiue,  helas!  qui  fuis  feule  laijfee, 

Depuis  que  la  nourrice  à  Didon  ejï  paffee 

Auecques  toy  là  bas,  ne  la  puisfecourir  : 

Non  plus,  hé!  que  tu  peux  te  garder  de  mourir, 

PuiS'iefans  larme  dire  en  quel  poinâ  ie  Vay  veuê? 

Pourra  ma  foible  voix  de  fa  fureur  conceué 

Exprimer  les  accens?  pourray-ie  ajfe^  bien  plaindre 

Les  yeux  qu'ion  voit  flamber  &  puis  foudain  pejïeindre. 

Comme  pils  ejïoient  ia  languiffans  dans  la  mort. 

Et  foudain  reflamber  encores  de  plus  fort? 

Mais  plaindre  ce  beau  poil  qu*au  lieu  de  le  retordre, 

Elle  laiffe  empejlrer  fans  ornement,  fans  ordre. 

Sans  prefque  en  abjlenir  les  facrileges  mains  : 

Mais,  las!  plaindre  ce  teint,  V  honneur  des  plus  beaux  teins. 

Qui  tout  ainji  qu^on  voit  la  fumée  a:(uree 

Du  foulphre,  reblanchir  la  rofe  colorée. 

De  moment  en  moment  par  Vextreme  douleur 


ACTE    IIII.  207 

Ckange  auec  vn  effroy  fa  rqfine  couleur  : 

Mais  Uu  lasl  fur  tout  plaindre  vn  beau  port  vénérable, 

Vnport,  helaai  auport  des  Detfft$  femblabie. 

Qui  fe  fera  arracher  du  front  la  dette. 

Pour  auec  cent  fureurs  changer  fa  maitfti? 

Vota  diiie:f  à  la  voir  quHnfenfee  ellefemble 

La  Ljronne  outragée,  à  qui  le  pafieur  emble 

{Lors  que  de  faeauerne  elle  fabfente  ynpeu) 

Set  petits  Lyonneaux,  &  la  pourfuit  au  feu, 

Ejffroyant  d'vne  torche  vn  fier  regard  colère, 

Q]ii  effroyablement  de  mainte  torche  éclaire. 

O  rheure  malheureufe  en  qui  ces  Phrygiens 

Vindrent  premier  fioter  aux  fables  Lybxens  1 

Dés  lors  mon  caur  iugea  qu'auant  la  départie, 

A  gramP  peine  on  verrait  Carthage  garantie 

Tfvn  mal  inefperé  :  car  on  veut  f  outrager 

&ajul  if  VFi  recueil  prodigue  on  reçoit  l'ejlranger  : 

Toufioiirs  vient  vue  perte,  vn  regret,  vue  honte, 

Qjiaitd  plus  des  efirangers  que  des  fiens  on  tient  conte. 

Mais  qui  eufi  penfé,  las!  qu'vne  defloyauté 

Eufl  contre  tant  ^efforts  mefchamment  refiflé  ? 

Qjii  ?evfi  penfi  {fions  Dieuxl) 

le  croy  que  la  malice 
Nous  aueugle  au  eonfeil,  puis  noua  Hure  au  fupplice  : 
Croiroit-on  qu'vn  Enee  oubliafl  depenfer 
Ce  qui  peut  fan  defftin  S  fa  vie  affenfer, 
AuanI  qa'entreren  mer? fans  qu'à  rien  il  regarde 
En  vne  mer  de  maus  cheiif  il  fe  hafarde. 
Pteitt-il  point  garde,  auant  qu'auoir  en  foy  fermé 
L'arreji  de  ce  deffein,  à  ce  monflre  emplumé, 
Qjiifoueieux  de  tout  jamais  ne  fe  repofe. 
Et  qui  de  bouche  en  bouche  efpand  chacune  chofe 
Du  Nil  Egyptien  iufqu'aux  eaux  d'Occident, 
Et  du  Scythe  gelé  iufques  au  More  ardent, 
Proust  d'agrandir  vnfait,  ce  monflre  hafardeux 


208  DIDON^    TRAGEDIE. 

{Dy-ie)  qui  éguifa  nagueresfur  eux  deux 

Ses  langues,  &  f es  yeux,  quand  Vamour  effrénée 

Couuerte  du  manteau  d^vn  trompeur  Hymenee, 

Commença  par  augure  à  mille  fois  monjirer, 

Q}i*vn  bien  léger  fait  Vhomme  en  cent  malheurs  rentrer, 

Quand  le  prefent  plaijir  qui  moins  qtCvnfonge  dure, 

Ofie  lefentiment  de  la  peine  future? 

Prent-  il  point  (dy'-ie)  égard  aux  encombres  que  peut 

Confpirer  fur  les  grands  ce  monflre  quand  il  veult? 

Oefl  aumoins,  c*efi  aumoins,  que  telle  renommée 

Rendra  contre  f  on  nom  toute  terre  animée  i 

Et  tant  que  rencontrant  fon  forfait  en  tous  lieux. 

Ne  luy  reflra  que  d^eflre  à  Joymefme  odieux. 

Prent-il  point  garde  encorqu^à  grand  peine  en  leur  âge 

Les  Jiens  pourront  à  chef  mettre  vne  autre  Carthage? 

Et  que  ces  beaux  dejlins,  ces  oracles  rendus. 

Ces  miracles,  ces  feus,  ces  beaux  Dieux  defcendus. 

Ne  font  quHllufions,  ou  Démons  qui  nous  peinent,     ' 

Et  minifïres  du  Ciel  en  nos  malheurs  nous  meinent  ? 

Prent-il  point  garde  encor,  te  croy,  qu'en  vn  plain  tour 

Vn  péché  nous  ennuiûe  aux  forces  qu'a  Vamour, 

Dont  il  rompt  les  confeils,  qu'on  cache  &  qu'on  euentef 

Hé  !  qui  fofe  vanter  de  tromper  vne  amante  ? 

Hé!  qui  fofe  promettre  en  la  trompant  ainfi 

Qu'aùeuglément  luymefme  il  nefe  trompe  auffi, 

Penfant  qu'on  permettra  fans  en  rien  l'outrager. 

Sortir  hors  d'vn  pais  l'outrageux  efhranger? 

Nos  peuples  Tyriens  auroyent-ils  plus  qu'Enee 

Et  les  bras  engourdis,  &  Vame  efféminée  ? 

Mais  toutesfois^  deliure  &  de  honte  &  de  peur. 

Rend  de  la  preuoyance  vnfeul  hafard  vainqueur, 

O  aueugle  entreprife,  6  trahifon  ouuerte. 

Qui  femble  auoir  efïé  pour  Vvne  &  l'autre  perte 

Mife  en  ce  chefpariure,  afin  qu'il  fufl  certain 

Par  l'exemple  des  deux,  que  Cupidon  en  vain 

Nous  repaifl  quelque  temps,  pour  faire  après  repaifïre 

Noflve  cœur  auxferpens  que  dans  nous  il  fait  naiftre. 

Que  plaindray-ie  premier?  plaindray-ie  le  forfait 


t. 


ACTE    IIII.  209 

Que  mon  eottfeil,  heloatàfon  honneur  a/ait? 

Voire  aux  Moues  faere\  de /on  loyal  Sickee, 

Vmre  aux  pourduu  de  ceux,  dont  i'ay  tant  veu  ckerchet 

Auec  Didon  fiiitiue,  en  ce  port  ejlranger, 

Vne alliance  (lielas!)  franche  d'vn  tel  danger? 

Oefi  moy,  Barce,  è'efi  moy  :  qui  pourroit  /ans  plorer 

Le  eonfifferf  c'efi  moy  qui  la  fait  endurer, 

Ceft  moy  qui  ay  banni  de  /on  ame  la  honte. 

Par  qui  feule  d'amour  la  force  fe  furmonte. 

C'ejl  moy  quipourfa  mort  ay  le  bois  entajfé, 

Oefi  mùy  qui  ay  dans  elle  vn  hrafier  amaffé  : 

CeJI  moy  qui  ay  toujiours  telle  flamme  nourrie, 

Qt(i  ne  peultfans  Didon  fe  voir  iamaisperie  : 

Cefl  moy  à  qui  toufiours  fe  venoit  adireffer 

Ce  d^oyal  trompeur,  qui  ne  craint  de  bleffer 

Ny  la  Dieux,  ny  fa  foy,  ny  l'amante  embrafee, 

Qutfafiy,  que  les  Dieux,  ont  enfin  abufee. 

Mail  fera  Vil  doncvray?  !J>ons  Dieux!)  permettre^  vous 

Qjie  eepipeurfe  ioué  S  de  vous  &  de  nous? 

Qiie  foMons  nous  donc  fait,  fainSe  troupe  celefte? 

Mai*  que  fauons  nous  fait,  6  ejlranger  molefie? 

Vangexfily  a  faute  :  Ha  Dieux,  elle  n'a  pas 

Trt^  inhumaine  hofieffe,  en  vnfalle  repas 

Souillé  d'vn  corps  humain  vofire  diuine  bouche. 

EIP  n^a  pas  égorgé  lupiter  dans  fa  couche, 

Changeant  fon  cœur  de  femme  au  cœur  d'vn  Lycaon  : 

De  rien  ne  la  fçauroient  charger  les  Dieux,  ^non 

lyauoir  tout  au  rebours,  hofteffe  trop  humaine, 

Trop  bien/ait  àceluy,  las!  grands  Dieux,  qui  à  peine 

7n^  ingrat  f  en  foucie,  &  qui  Fabandonnant, 

Fait  imure  àfoymefme,  iniure  au  DieuTonant  : 

A  ce  Dieu  4111  d'enkaut  tes  pariures  regarde. 

Et  des  hofies  a  pris  la  iufte  fauuegarde. 

Barce. 

Plâfe  donc  à  ce  Dieu  iettant  l'œil  au  befoin. 
Ou  de  Fvn  ou  de  Vautre  auoir  bien  tofi  le  foin, 


2IO  DIDON,    TRAGEDIE. 

Soit  que  (Velle  le  mal  pitoyable  il  cheriffe, 
Ou  foit  que  le  peruers  lufticier  il  punijfe  : 
Souuent  ce  Dieu  vengeur  de  tous  humains  forfaits^ 
Peimet  que  mille  torts  par  les  mefchans  fqyent  faits, 
Afin  que  par  celuyfe  punijfent  nos  vices. 
Qui  plus  deffus  fa  tefte  amaffe  de  fupplices. 
Mais  ainfi  que  les  Dieux,  quifemhlent  eftre  oififs, 
A  venger  les  forfaits  font  bienfouuent  tardifs, 
Pay  peur  quHls  foyent  auffi  tardifs  à  ce  remède. 
Et  que  ce  mal  au  mal  de  la  feule  mort  cède  : 
Si  c^eft  mal  que  mourir,  lors  que  de  cent  trefpas 
Vn  trefpas  nous  deliure. 

Anne. 

Helas  !  ie  ne  croy  pas 
QmHI  aduienne  autrement,  &  fans  ceffe  nCeffroyent 
Les  fignes  monftrueux  que  les  Dieux  m^en  enuoyent  : 
Ce  qu^en  dormant  auffi  mesfonges  me  font  voir. 
Trouble  mes  fens,  efmeus  d'vn  pareil  defefpoir. 
Le  Songe  eft  fils  du  Ciel,  &  bienfouuent  nous  ouure 
Ce  qu'* encore  le  temps  deffous  fon  aile  couure. 
H  m'a  femblé  la  nuiâ  que  d'vn  ardent  tifon 
Pauois  deçà  delàfemé  par  la  maifon 
Vn  feu,  que  d'autant  plus  ie  m^efforçois  d^efteindre. 
Et  plus  iuf qu'au  fommet  ilpefforçoit  d'atteindre  : 
Mes  fens  ne  fe  font  point  de  ceci  defpefires^, 
Qu* auffi  foudain  n^ y  foyent  d'autres  fonges  entres^, 
le  voyois  vn  chaffeur,  duquel  la  contenance , 
Et  de  face  &  de  corps,  empruntoit  la  femblance 
D^ Apollon,  quand  tout  feul  pour  chajfer  quelque  part 
Ou  de  Dele,  ou  de  Cynthe,  ou  d'Amathonte  il  part  : 
Sus  Vefpaule  luy  bat  fa  perruque  dorée. 
Sus  le  cofté  fa  trouffe  en  biais  ceinturée, 
Sa  flèche  eft  en  la  coche,  &  fon  arc  en  plein  poing  : 
Tout  ainfi  mon  chaffeur  qui  fécartoit  bien  loing. 
Dedans  Vefpais  d^vn  bois  foffroit  dedans  ma  veué. 
Tant  qu'au  bord  d^vn  taillis  vne  biche  il  ait  vèué: 


ACTE    IIII.  21  I 


H  décoche,  il  Vatteint  :  elle  demi-mourant 

Fait  dufang  qui  ruiffelle  vne  trace  en  courant, 

Le  fir  tient  dedans  Vos,  &  pour  néant  euite 

Ce  qui  lui  tient  [helas  !)  compagnie  en  fa  fuite, 

Taxt  que  fous  vn  Cyprès  ayant  porté  long  temps 

Et  fa  flèche  &faplaye,  ait  auachifesfens. 

Les  pieds /aillent  au  cofps,le  corps  faut  à  la  tefle  : 

Et  comme  la  pitié  de  Vinnocente  befte 

Mefotifleuoitle  coeur,  plujloft  que  fes  fanglots, 

S'eji  perdu  parmi  Pair  monfonge  &  mon  repos. 

Combien  défais  ces  iours  encor  toute  tremblante ^ 

Ay-ie  en  furfaut  repris  mon  ame  trauaillante? 

Lors  que  mon  patte  frère  en  dormant  reuenoit 

Me  prendre  les  cheueux,  &  cruel  me  trainoit. 

Comme  il  m^efloit  aduis,  hors  du  lia  pour  m* apprendre 

jyoMXÀrfait  à  fa  femme  vn  autre  parti  prendre, 

Mefmement  vne  nuiâ,  lors  que  larbe  le  Roy 

De  nos  peuples  voifins  fortoit  prefque  de  foy. 

Tant  Pamour  le  brufloit  ifçachant  qu*à  cet  Enee 

Fut  de  mafcsur  la  terre,  &  Vame  abandonnée, 

Poitrce  que  nous  tenions  mille  propos  mefle:{ 

Du  monjkre  qui  fi  toft  nous  auoit  decele^ç, 

Vnfonge  vintfaifir  en  dormant  ma  mémoire 

Sur  celle  qui  fait  tout,foit  bienfoit  mal,  notoire  : 

le  brouiUois  en  Pefprit  deçà  delà  roulant, 

Tout  ce  qu*on  m^auoit  dit  de  ce  monftre  volant  : 

Vvn  mefembloit  compter  que  dés  qu*en  leur  penfee 

Ceux  de  Tyr proiettoient  leur  ville  commencée, 

.Ce  monftre  ne  ceffoit,  &  puis  haut,  &  puis  bas 

De  voUÛterfur  nous,  y  prenant  fes  appas. 

Nous  apportant  fans  fin  quelque  trouble  des  autres. 

Ou  bien  à  nos  voifins  portant  fans  fin  des  noftres  : 

Vn  autre  me  fembloit,  parlant  obfcurement, 

Defcrire  à  fon  propos  ce  monftre  hautement, 

Ce  monftre  enfant  du  Temps,  en  tout  auffi  muable 

QiL^enfes  effets  diuers  fon  père  efi  variable, 

Wfans  aucun  repos  fait,  défait  &  refait 

Son  rapport,  tout  ainfi  que  [on  père  fon  fait, 


212  DIDON,   TRAGEDIE. 


Et  circuit  en  rien  le  Ciel,  la  Terre  &  Vonde, 
Comme  le  vol  du  temps  circuit  tout  le  monde. 
Tous  deux  font  fouhaitte:{y  tous  deux  ne  mourront  points 
Et  ne  font  differens  tous  deux  que  d'vnfeulpoinâ. 
Jamais  rien  ce  vieillard  qui  ne  foit  vray  n'apporte^ 
Le  faux,  le  vray,  fa  fille  aux  oreilles  rapporte. 

Or  ce  pendant  qu'en  moy  ce  propos  pembrouilloit, 
Et  que  mainte  autre  chofe  aux  propos  fe  mefloity    . 
le  vey  de  mes  deux  yeux  cefte  femme  voilage, 
Se  planter  fur  les  tours  de  laneuue  Carthage, 
Salle,  maigre,  hideufe,  &foudain  embouchant 
La  trompe  qu'acné  auoit,  fonner  vn  piteux  chant  : 
Voire  &  me  fut  aduis  que  de  la  trompe  mefme 
Sortoit  &fang,  &  feu,  tant  qu^efperdue  &  blefme 
De  ce  cruel  fpeâacle  au  refueil  me  troublay, 
Et  de  long  temps  après  mesfens  ne  r*affemblay. 
Las! Barce  qu'yen  dis  tu?  Barce^  helas! 

Barce. 

Onfe  ronge 
En  vain  f^ on  veut  auoir  la  raifon  de  toutfonge, 

Anne. 

De  mes  fonges  encor  ie  ne  m'ejfroirois  point, 
Si  rien  plus  grand  n^eftoit  à  mes  fonges  conioint  : 
Pay  veu  ces  tours  paffe:{  fur  le  haut  du  chafïeau 
Signe  fatal  de  mort,  croùaffer  maint  corbeau, 
Le  hibou  porte^mort,  VOrfraye  menaffante. 
Et  la  voix  du  Corbeau  deffus  nous  cvoùaffante, 
Ne  me  chanter  que  mal,  &  m^a  fait  friffonner  : 
Le  vin  que  ce  matin  en  fang  Vay  veu  tourner, 
Aumoins  ce  m^afemblé,  lors  qu'en  la  coupe  fienne, 
Didon  facrifiant  à  lunon  gardienne. 
Le  tenois  pour  efpandre  aux  cornes  du  Taureau, 
Outre  ce  iour  hideux  m'efl  vn  effroy  nouueau  : 
Car  tout  ce  iour  Phebus  a  fa  face  monftree 


ACTE    un.  2l3 


Telle,  comme  ie  croy,  que  quand  le  fier  Atree 
Fifi  bouillir  les  en/ans  de  fon  frère  adultère, 
Leurfaifant  vn  tombeau  du  ventre  de  leur  père. 
Encore  outre  ce  temps  embrouillé  Ion  oit  bruire 
La  mer  plaintiue  aux  bords,  &fembler  nous  prédire 
Qfte  les  Dieux  qui  iamais  rien  confiant  ne  permettent 
Enuoyentfur  nos  chefs  ce  que  leurs  feux  promettent 
Mefme  cefi  arc  en  Ciel  Iris  Thaumantienne, 
Meffagere  à  lunon,  de  ce  lieu  gardienne, 
Apparoiffoit  tout  hier  de  noirfang  toute  teinte, 
Non  pas  de  cent  couleurs,  comme  elle  fouloit,  peinte, 

Barce. 

Lors  que  Ion  voit  vn  mal  obfiinément  efpris. 
Et  que  ïafi'oidepeurfefaifit  des  efprits, 
Rnousfemble  que  tout  nous  donne  tefmoignage 
De  ce  que  nous  craignons  :  mais  d^vn  ferain  vifage 
le  voy  venir  la  Roine,  O  Vheureux  changement. 
Si  auecques  la  face  efi  changé  le  tourment, 

Didon. 

Pay  trouué  le  moyen,  mafœur,  qui  me  peut  rendre 
Ce  fuitif  outrageux,  ou  qui  me  peut  deffendre, 
,Me  depeftrant  du  Dieu  qui  iufqu^à  mort  me  touche. 
Vers  la  fin  d'Océan  oii  le  Soleil  fe  couche, 
Sont  les  Mores  derniers,  près  V échine  foulée 
Du  grand  Atlas  portant  la.  machine  efioilee  : 
De  là  Ion  m'a  monfiré  la  fage  enchantereffe 
La  vieille  Beroé,  MaJJyline  prefirejfe, 
Qffi  le  temple  gardoit  aux  filles  Hefperides, 
Apajtant  le  dragon  de  fes  douceurs  humides. 
Et  d'oublieux  pauots,  &  prenant  elle  mefmes 
La  garde  du  fruit  d'or  des  foucis  plus  extrêmes  : 
Àmfi  qu^elle  promet,  la  vie  elle  deflie. 
Ou  bien  d'vnfoin  cruel  elle  empefire  la  vie  : 
Ette  arrefie  à  fa  voix  la  plus  roide  riuiere. 


214  DIDON,    TRAGEDIE. 

Et  fait  tourner  du  ciel  les  fignes  en  arrière  : 

Les  ombres  de  là  bas  en  hurlant  elle  appelle. 

Tu  orras  rehurler  la  terre  dejfous  elle  : 

Tu  verras  des  hauts  monts  les  plantes  deualees^ 

Et  les  herbes  venir  de  toutes  les  vallées, 

rappelle  {chère  fœur)  les  Dieux  en  tefmoignage, 

Toy  &  ton.  chef  aufji,  que  V ancien  vfage 

De  Part  magicien  maugré  mon  cœur  i*efpreuue  : 

Mais  puis  que  ma  fureur  ce  feul  remède  treuue^ 

Va,  &  au  plus  fecret  de  cefte  maifon  nojtre 

Vn  grand  amas  de  bois  dreffe  moy  Vvn  fus  Vautre  : 

Q)ie  Vefpee  de  V homme  en  la  chambre  fichée 

Où  Vay  brifé  la  foy  de  mon  efpoux  Sichee  : 

Qjie  toute  la  defpouille  &  le  lia  deteftable, 

Le  lia  de  nos  amours,  dont  ie  meurs  miferable, 

Soit  par  toy  mis  deffus.  Car  la  preftreffe  enfeigne 

Que  tous  ces  demourans,  de  mes  fureurs  Venfeigne^ 

Soyent  abolis  au  feu.  Quand  la  pile  entaffee 

Quand  fus  elle  fera  toute  chofe  amaffee, 

DHf  de  buis,  de  cyprès  faifant  mainte  couronne, 

le  veux  que  maint  autel  cefte  pile  enuironne. 

Là  tout  ainfi  qu*on  veit  Medee  charmerejfe, 

Renouuellant  d*Efon  la  faillante  vieilleffe. 

Tu  me  verras  la  voix  effroyable  &  tremblante, 

La  cheueleure  au  vent  de  tous  cofte:{  flotante, 

Vnpied  nu,  Vœil  tout  blanc,  la  face  toute  bief  me, 

Comme  fîmes  efprits  fécartoyent  de  moymefme  : 

Lors  de  fueilles  ayans  vos  teftes  entourées. 

Et  d'vn  nœud  coniuré  par  les  reins  ceinturées. 

Vous  m*orre:(  bien  tonner  trois  cens  Dieux  d*vne  fuite. 

Et  Enfer  &  Caos,  &  celle  qui  hérite 

Nos  efprits  à  iamais,  la  trois  fois  double  Hécate j 

Diane  à  triple  voye  :  il  faut  que  ie  combate 

Pour  moy  contre  moymefme,  il  faut  que  ie  m^ efforce 

De  forcer  les  efforts,  à  qui  ie  donnois  force, 

Hafte\  doncq,  laiffe:{  moy,  afin  que  ie  remâche 

Toute  feule  à  par  moy,  tout  cela  qui  relâche 

Les  amours  furieux,  &  que  tout  Vappareille 


ACTE   IIII.  2l5 


Pour  commencer  mes  vceus  :  dés  que  Vauhe  vermeille 
Aura  demain  rougi  Vhumde  matinée, 
Le  Cielj  le  Ciel  m'orra. 

Anne. 

Toy  donc  qui  vois  Enee 
(O  grand  Ciel)  oppofer  à  tes  loixfa  malice 
Sois  pour  nous,  &  projpere  en  tout  ce  Sacrifice. 

Didon. 

Puis-ie  donc  Jbrcenee  encor  me  laiffer  viure, 

S*U  n'y  a  que  la  mort  qui  d'vn  tel  mal  deliure? 

Laî/i-ie  triompher  cefte  flamme  bourrelle. 

Lors  que  ma  main,  ma  main, peut  bien  triompher  d*elle? 

Qu*entreprendroiS'ie  (pMprt!)  Mort  que  feule  ie  nomme 

Contre  les  Dieux  vangeurs  la  vangeance  de  V homme  ? 

Q^^entreprendroiS'ie  {dy-ie)  alors  qu^en  moy  paffemhle 

Tout  ce  que  les  enfers  ont  de  rages  enfemble. 

Tout  ce  que  le  Vefuue  a  d'ardeurs  recelées, 

Tout  ce  que  la  Scythie  a  de  glaces  gelées. 

Tout  ce  qu^on  feint  là  bas  de  peines  éternelles 

^ordonner  par  Minos  aux  âmes  criminelles. 

Sinon  aueccf  ma  vie  en  moy  ia  dedaigneufe 

De  faire  creuer  tout  par  vne  playe  heureufe  ? 

Pourrois-ie  bien  encor  me  voir  vne  efperance 

De  me  pouuoir  guarir,  pour  chercher  Valliance 

Des  Nomades  voifins,  par  moy  ia  mefprifee? 

SeroiS'tu  bien  encor,  Didon,  tant  abufee 

Qiie  d'allonger  le  fil  de  ta  vie  ennemie, 

Enfuiuantpar  la  mer  celuy  qui  fa  trahie? 

Prens  encores,  à  fin  que  ta  dextre  couarde 

frayant  pitié  de  toy,  fur  toy  ne  fe  hafarde, 

Qlri**  te  foit  beaucoup  mieux  defuiure  Vaduerfaire, 

Qsne  dé  fuir  ta  vie  à  tout  repos  contraire  : 

StùuroiS'-tu  toute  feule  aueugle  &  dereiglee, 

Ou  bien  le  fuiurois-tu  encor  plus  aueuglee, 


2l6  DIDONy   TRAGEDIE. 

Si  tu  le  penfois  faire  auec  toute  la  fuite 
Qu^à  grand*  peine  tu  as  iufqu^en  ces  lieux  conduite^ 
L^arrachant  de  Sidon?  Et  puis,  hé  condamnée, 
Pauure  femme,  ie  croy,  en  defpit  du  Ciel  née, 
PPas  tu  point  eu  encor  affe^  de  cognoiffance 
Quel  fut  Laomedon,  &  quelle  eft  fon  engeance? 
Non  non,  meurs,  meurs  ainfi,  Didon,  que  tu  mérites. 
Apprefte  toy  donc.  Parque,  &  toy  qui  tant  irrites 
Mes  fureurs  contre  moy.  Fortune  infatiable, 
Apprefte  toy  pour  voir  le  fpeâacle  exécrable  : 
Tu  ne  Ves  peu  faouler,  m^ ayant  toujiours  foulée. 
Mais  bien  tofi  de  monfang  ie  te  rendray  faoulee, 
L^  amour  mange  mon  fang,  Vamour  monfang  demande, 
le  le  veux  tout  d*vn  coup  repaiftre  en  mon  offrandei 
Soye\  au  facrifice,  6  vous  les  Dieux  fupremes, 
le  vous  veux  appaifer  du  meurdre  de  moymefmes  : 
Voftre  enfer,  Dieu  d^ enfer,  pour  mon  bien  ie  defire^ 
Sçachant  V enfer  d* Amour  de  tous  enfers  le  pire  : 
Pirois,  firois  defor,  mais  il  me  faut  attendre 
L*occafion  des  vœus  que  ie  feins  d* entreprendre. 


LE    CHŒVR. 


Troupe  Phénicienne 
Qui  preuois  bien  ton  mal  : 
Et  toy  troupe  Troyenne 
Serue  dvn  defloyal  : 

Vous  le  Ciel  &  la  terre, 
Voye:{,  voye:{,  ce  tour. 
Combien  traiftrement  erre 
LHniuflice  d* amour, 

O  grands  Dieux,  fi  le  vice 
N^a  point  en  vous  de  lieu, 
Amour  plein  dHniuflice 
Peut-il  bien  eflre  Dieu? 


ACTE    IIII.  217 


Mais  iniufte  ie  pet^e 

Chacune  Deîté, 

Qffi  iamais  ne  difpenfe 

Le  bien  à  la  bonté, 
Vnfeul  futfard  domine 

Dejfus  tout  Vvniuert^ 

Où  ta  faneur  diuine 

Eft  deuë  au  plus  peruers. 
Les  Dieux  dés  fa  naiffance 

Luy  ont  ofté  les  peurs, 

Auec  la  confcience, 

Meurdriere  de  nos  cœurs. 
S^il  chet  dans  la  marine, 

A  la  riue  il  prétend. 

Et  f  attend  à  Véchine 

Du  Dauphin  qui  Vattend. 
La  guerre  impitoyable 

Maffacrant  les  humains. 

Craint  Vheur  efpouuentable 

Qfte  Ion  voit  en/es  mains. 
Rien  les  arts  de  Medee^ 

Rien  n*y  peult  la  poifon. 

Rien  cela  dont  gardée 

Fut  la  iaune  toi/on. 
Rien  la  loy  qu*on  reuere. 

Non  tant  comme  on  la  craint  : 

Rien  le  bourreau  feuere 

Que  Vhomme  blefme  eftreint. 
Rien  le  foudre  celefte. 

Des  plus  grands  ennemi  : 

Toute  cho/e  il  detejie. 

Et  tout  luy  eft  ami. 
Songeons  aux  trois  qu^on  prife 

Pour  plus  auantureux. 

Et  qu'en  toute  entreprife 

Les  Dieux  ont  fait  heureux^ 
lafon,  Thefee,  Hercule  : 

Les  Dieux  leur  ontprefté 

14* 


2l8  DIDON,    TRAGEDIE. 


Grand  faneur,  crainte  nulle, 
Toute  de/loyauté. 

Tous  trois  ainfi  qu^Enee^ 
En  trompant  leurs  amours, 
Ont  fait  mainte  ioumee 
Marquer  d^horribtes  tours. 

Tous  trois  trompeurs  des  hoftes. 
Tous  trois,  ô  inhumains, 
Ont  veu  foit  par  leurs  fautes. 
Soit  mefme  de  leurs  mains, 

Leurs  maifons  effroyees 
D^auoir  receu  les  cris 
De  leurs  femmes  tuées, 
De  leurs  enfans  meurdris  : 

Mais  la  faueur  fupreme 
Lespoujfoit  toutesfbis, 
Et  croy  que  la  mort  mefme 
Les  a  fait  Dieux  tous  trois. 

Tu  fçais  bien  (d  Enee) 
Pefke  des  grands  maifons, 
Qjii  d'vne  deftinee 
Farde  tes  trahifons  : 

Tu  fçais,  ô  implacable, 
Homme  lâche,  homme  fier, 
Qjie  ce  tour  detefiable 
N^efi  des  tiens  le  premier. 

Le  Ciel,  la  mer,  la  terre, 
Nonobflant  font  pour  toy, 
Rien  ne  te  fait  là  guerre, 
Tu  la  fais  à  ta  foy. 

Didon  qui  f  humilie 
Deuant  les  Dieux  fans^fin 
Va  trainant  vne  vie 
Serue  d^vn  dur  defiin. 

Si  ce  n^efï  iniufiice 
De  nous  traiter  ainfi, 
Rien  ne  peut  de  ce  vice 
Les fauuer  que  ceci: 


ACTE    V.  219 


C*eft  que  pécheurs  nousfommes^ 
Et  le  Ciel  fe  fafchant, 
Fait  pour  punir  les  hommes 
Son  bourreau  tVvn  méchant. 


ACTE  V. 

DIDON,    BARGE,    LE   CHŒVR. 

Didon. 

Mais  OM  me  porte  encor  ma  fureur?  Qjii  me  garde 

De  me  depeftrer  d'elle  ?  &  quel  malheur  retarde 

Mes  fecourables  mains,  qui  allongeans  <Vvne  heure 

Mon  mif érable  fil  y  font  que  cent  fois  ie  meure? 

Plus  cruels  font  les  coups  dont  V amour  éguillonne, 

Qjie  ceux  là  que  la  dextre  homicide  nous  donne. 

Mais  quoy?  mourrons  nous  donc  tellement  outragées? 

Mourrons  nous,  mourrons  nous  fans  en  eftre  vangees? 

Le  méchant  a  finglé  dés  que  Vaube  efueillee 

Par  ma  veué  toufiours  fans  repos  decillee 

S*eji  defcouuerte  au  Ciel  :  la  pauure  aube,  ie  cuide , 

Qjti  prend  pitié  de  moy.  Pay  veu  le  port  tout  vuide , 

Pay,  t*ay  veu  de  ma  tour  fous  le  clair  des  efioiles, 

Les  vens  quife  iouoyent  defes  traiftreffes  voiles, 

Se  iouerde  lafoy  lâchement  pariuree. 

Se  iouer  de  Vhonneur  de  moy  defefperee, 

Seiouer  du  repos  d^vnepariure  veufue, 

Se  iouer  du  bon  heur  de  ma  Carthage  neufue. 

Et  qu'on  verra  bien  toftfe  iouer  de  ma  vie  y 

Par  qui  fera  foudain  cefte  flotte  fuiuie. 

Las  las!  fera-ce  ainfi?  Toy  bruflante  poitrine, 

Faut-il  que  dedans  toy  tout  le  mal  ie  machine 

Contre  moy  feulement?  vous  y  vous,  cheueux  coulpables 

Qjte  ie  rompts  à  bon  droit,  ferons  nousmiferables 


220  DIDON,    TRAGEDIE. 

Tous  feulSf  fans  qu'aucun  mal  fente  le  méchant  mefme. 
Qui  vous  fait  arracher,  &  enrager  moy mefme? 
lupiter,  lupiter,  cefte  gent  trompereffe 
Doncquesfe  moquera  (VvneRoine  &  hofleffe? 
Sus,  Tyriens,  fus,  peuple,  au  port,  au  port,  aux  armes, 
Porte :{  les  feux,  coure:{,  change^  lefang  aux  larmes, 
Iette:Ç'VOus  dans  la  mer,  accroche^  moy  la  troupe. 
Que  <Vvn  bouillant  courage  on  me  brufle,  on  me  coupe 
Ces  villains  par  morceaux,  que  tant  de  fang  f* écoule. 
Que  iufques  à  mes  yeux  le  flot  marin  le  roule. 
Que  dis-tu  ?  où  es  tu  Didon  ?  quelle  manie 
Te  change  ton  dejfein,  pauure  Roine,  ennemie 
De  ton  heur  ?  Il  falloit  telle  chofe  entreprendre 
Quand  tu  donnois  les  loix  :  tes  forfaits  font  peu  rendre 
Toy mefme  fans  pouuoir,  &  ton  peuple  fans  crainte, 

Celuy  qu'ion  dit  porter,  6  malheur eufe  feinte, 
Les  Dieux  defon  pais  dans  fon  nauire,  emporte 
Tout  ce  qui  te  rendoit  deffus  ton  peuple  forte. 
N^ay-ie  peu  déchirer  fon  coips  dans  la  marine 
Par  pièces  le  iettant,  tuer  fa  gent  mutine. 
Son  Afcaigne  égorger,  &feruir  à  la  table, 
Rempliffant  defon  fils  vn  père  deteflable?. 
Mais  quoy  ?  (me  diroit-on)  la  viâoire  incertaine 
M^euft  efié  :  c^efi  tout  vn  :  de  mon  trefpas  prochaine 
Q}i^eft-ce  que  Veuffe  craint?  Veuffe  porté  les  fiâmes 
Dedans  tout  leur  cartier,  Veuffe  raui  les  âmes 
Au  père,  au  fils,  au  peuple,  &  ia  trop  dépitée 
Contre  moy  ie  me  fuffe  au  feu  fur  eux  iettee. 
Mais  puis  que  ie  n^ay  peu,  toy  Soleil,  qui  regardes 
Tout  ceci:  toy,  lunon,  qui  las!  fi  mal  me  gardes, 
Coulpable  de  mes  maux  :  toy,  Hécate,  hurlée 
De  nuiâ  aux  carrefours  :  vous,  bande  efcheuelee, 
Qui  pour  cheueux  porte!{  vos  pendantes  couleuureSj__. 
Et  dans  vos  mains  les  feux  vangeurs  des  lâches  œuures  : 
Vous  (dy-ie)  tous  les  Dieux,  de  la  mourante  Elife 
Receue:ç  ces  mots  ci,  &  que  Ion  fauorife 
A  la  dernière  voix  qu^à  peine  ie  defferre  : 
Si  Ion  permet  iamais  ce  méchant  prendre  tei-re, 


ACTE    V.  22 [ 

Que  tout  pétale  fans  fin  le  guerroyé  &  dédaigne, 
Q^e  banni,  que  priué  des  yeux  de  fon  Afcaigne, 
En  vain  fecours  il  cherche,  &  que  fans  fin  il  voye 
Renaiftrefur  lesfiens  les  ruines  de  Troye  : 
QftOHdmefme  maugréfoy  il  faudra  quHl  fiecfûffe 
Sous  vne  iniuftepaix,  qu^alors  il  ne  iouiffe 
De  règne  ny  de  vie,  ains  mourant  à  grand*  peine 
Au  millieu  defes  tours,  nefoit  en  quelque  areine 
Qji^enterré  à  demi,  Qjiant  à  fa  race  fiere, 
Qui  fera,  te  nefçay**  {&  la  fureur  dernière 
Prophetife  fouuent)  ainfi  que  luy  traifirejfe, 
Qjnpar  dolfe  fera  de  ce  monde  maifireffe, 
Qkî  de  centpiete!(,  ainfi  que  fait  Enee, 
Ahufera  la  terre  en  fes  loix  obftinee, 
Et  qid  toufiours  feindra  pour  croiftre  fa  puiffance 
Auec  les  plus  grands  Dieux  auoir  fait  alliance, 
S'en  fbrgeant  bien  fouuent  de  nouueaux  &  d'eftranges, 
Pour  croifire  auec  fes  Dieux  fes  biens  &fes  louanges, 
Qft*on  ne  la  voye  aumoins  en  aucun  temps  paifible, 
Et  que  quand  peuple  aucun  ne  luy  fera  nuifible 
Elle  en  vueille  àfoymefme,  &  que  Rome  greuee 
De  fa  grandeur,  fouuent  foit  de  fonfang  lauee. 
Que  fans  fin  dans  fes  murs  la  f édition  règne, 
Qu*en  mille  &  mille  eftats  elle  change  fon  règne, 
Qji^elleface  en  la  fin  defes  mains  fa  ruine. 
Et  qu*à  Venui  chacun  deffus  elle  domine, 
Se  voyant  coup  fus  coupfaccagee,  rauie. 
Et  à  mille  eftrangers  tous  enfemble  afferme. 

Quant  à  vous  Tyriens,  d'vne  éternelle  haine 
Suiue^  à  fang  &  feu  cefte  race  inhumaine  : 
Oblige:^  à  toufiours  de  ce  seul  bien  ma  cendre, 
Qjûon  ne  vueille  iamais  à  quelque  paix  entendre. 
Les  armes  foyent  toufiours  aux  armes  aduerfaires, 
Lesfiots  toufiours  aux fiôts,  lesports  aux  ports  contraires  : 
Q|ie  de  ma  cendre  mefme  vn  braue  vangeur  forte, 
Qgà  le  foudre  &  Vhorreur  fus  cefte  race  porte, 
VoUa  ce  que  ie  dy,  voila  ce  que  ie  prie. 
Voilà  ce  qu*à  vous  Dieux,  ô  iuftes  Dieux,  ie  crie. 


222  DIDON^    TRAGEDIE. 

Mais  ne  voici  pas  Barce  ?  il  faut  que  ie  Vempefche, 
Et  que  feule  de  foy  defor*  ie  me  depefche 
De  Vefprit  ennuyeux.  Barce,  chère  nourrice. 
Va  &  laue  ton  chef,  il  faut  que  ie  finiffe 
Ce  que  Vay  commencé,  cherche  moy  ce  qui  refïe 
Pour  parfaire  mes  vœus  contre  la  mort  molefte  : 
Puis  appellant  ma  Sœur,  qu^on  la  laue  &  couronne, 
APapportant^tout  cela  que  la  preftreffe  ordonne. 
Va  donc, 

Barce. 

A  moy  (ô  Roy  ne)  à  moy  donques  ne  tienne 
Q}i*on  nevoye  foudain  la  deliurance  tienne. 
Mais  quelle  couleur.  Dieux  !  toutes  facriflantes, 
Rendent  elles  ainji  leurs  faces  effroyantes  ? 
Quoy  que  foit,  ie  crains  tout^  las,  vieillejfe  chetiue  / 
Comment  fe  fait  que  tant  par  tant  de  maux  ie  viue? 

Didon. 

« 

C^efi  à  ce  coup  ^Hl  faut,  6  mort,  mort,  voici  Vheure, 
C'eft  à  ce  coup  quUl  faut  que  coulpahle  ie  meure  : 
Sus  mon  fang,  dont  ie  veux  fur  Vheure  faire  offrande, 
Qji^on  paye  à  mon  honneur  tant  offenfé  V amende  : 
Pay  tantoft  dans  Vefpais  du  lieu  f ombre  &  fauuage. 
Près  Vautel  où  ie  tiens  de  mon  efpoux  Vimage, 
Entendu  la  voix  grefle  &  receu  ces  paroles, 
Didon,  Didon,  viens  Ven.  O  amours,  amours  foies, 
Qui  n'auei  pas  permis  quHnnocente  &  honnefle 
le  reuoife  vers  luy!  mais  ia  ma  mort  efl  prefke. 
Pour  Vappaifer  Siehee,  il  faut  lauer  mon  crime 
Dans  mon  fang ^  me  faifant  S-  prejlreffe  &  viâime  : 
le  te  fuy,  ie  tefuy,  me  fiant  que  la  rufe^ 
La  grâce,  &  la  beauté  de  ce  traiflre  m^excufe  : 
La  grand*  pile  quHlfault  qu^à  ma  mort  on  enflamme, 
Dejteindra  de  fon  feu  &  ma  honte  &  ma  flamme. 
Et  toy  chère  defpouille,  ô  defpouille  d^Enee, 
Douce  defpouille,  helas  !  lors  que  la  deflinee 


»  ACTE    V.  223 

Et  Dieu  le  permetioient,  tu  receuras  cefte  ame, 
Me  depeftrant  du  mal  qui  fans  fin  me  rentame, 
Tay  vefcuy  Pqy  couru  la  catTiere  de  Page 
Qjte  Fortune  m'ordonne,  &  or"*  ma  grand'  image 
Sous  terre  ira  :  Pay  mis  vne  ville  fort  belle 
A  chef  y  Pay  veu  mes  murs,  vengeant  la  mort  cruelle 
De  mon  loyal  efpoux,  Pay  puni  courageufe 
Mon  aduerfaire  frère  :  heureufe,  ô  trop  heureufe, 
Hélas!  fi  feulement  les  naus  Dardaniennes, 
N^eujfent  iamais  touché  les  riues  Libyennes. 
Sus  donc,  allons,  de  peur  que  le  moyen  fenfuye  : 
Drop  tard  meurt  celuy-là  qu*ainfifon  viure  ennuyé. 
Allon  &  redifonfur  le  bois  la  harangue, 
Arreftant  tout  d*vn  coup  &  Pefprit  &  la  langue. 

Le  Chœur. 
Dy  nous  Barce,  où  vas  tu  ? 

Barce. 
Au  chafteau  ie  retourne. 

Le  Chœur. 

La  Ruine  y  vient  d'entrer^  &  comme  le  vent  tourne 
Les  fiteillars dans  les  bois,  lorsque  libre  ilpen  iouè, 
L*amour  comme  il  luy  plaift  en  cent  fortes  la  roué.  ' 
A  qui  n^eufk  point  fendu  le  cœur  d'impatience, 
Voyant  tantoft  de  loing  changer  fes  contenances? 
Ores  nous  la  voyons  les  paupières  baiffees 
Refuer  àfon  tourment  :  ores  les  mains  dreffees, 
De  ie  ne  fcay  quels  cris,  defquels  elle  importune 
Et  les  Dieux  peufoigneux,  &  Vaueugle  Fortune , 
Faire  tout  retentir  :  ores  vn  peu  remife 
Se  racoiferj  &  or*  de  plus  grand"*  rage  éprife 
Se  battre  la  poitrine^  &  des  ongles  cruelles 
Se  rompre  Vhonneurfainâ'  de  fes  treffes  tant  belles  : 


224  DIDON,    TRAGEDIE. 


irf. 


Le  pleur  nCen  vient  aux  yeux.  O  quel  hideux  augure. 
Pour  de  nos  murs  nouueaux  tefmoigner  Vauanture  l 


Barce. 

Si  eft  ce  que  ie  vois  vers  elle  en  efperance, 
Qjte  bien  toft  dejes  maux  elle  aura  deliurance. 


LE  CHŒVR. 


V amour  qui  tient  Vame  faifie^ 
N^eft  qu^vne  feule  frenaijie, 

Non  yne  deîté  : 
Qf/i,  comme  celuy  qui  trauaille 
D*vn  chaud  mal,  poinçonne  &  tenaille 

Vn  efprit  tourmenté, 
Celuy  dont  telle  fleure  ardente 
La  mémoire  &  le  fens  tourmente^ 

Souffle  fansfçauoir  quoy  : 
Et  fans  qu^ aucun  tort  on  luy  face 
n  combat,  il  crie,  il  menace, 

Seulement  contre  foy. 
Son  œil  de  tout  obietfefafche, 
Sa  langue  n^a  point  de  relafche, 

Son  defir  de  raifon  : 
Ore  il  cognoiji  fa  faute,  &  ore 
Sa  peine  le  raueugle  encore, 

Fuyant  fa  guarifon. 
Tel  eft  V amour,  tel  eft  la  pefte, 
QuHl  faut  que  toute  ame  detefte  : 

Car  lors  qu^il  eft  plus  dous 
Il  n^apporte  que  feruitude. 
Et  apporte,  quand  il  eft  rude, 

Touftours  la  mort  fur  nous. 


ACTE    V.  225 


Barce. 


O  moy  pauure,  6  Cièltriftey  ô  terrf,  ô  creus  abyfmes! 
Qsumd  efi-ce  quHci  bas  pareil  hoi^eur  nous  vif  mes? 
Quefuis-ie?  Oiifuis-ié?où  vois-ie?  eft<e  la  dont  Voffrande 
Qfte  P homicide  Amour  pour  fappaifer  demande  ? 
O  crime  I  ô  cruauté  î  ô  meurdre  infupportable 
Que  V amour  a  commis  ! 

Le  Chœur. 

Qjtel  trouble  efpouuentable 
T'a  fait  Jî  tojtfortir  (d  Barce)?  quel  iniure 
Peutencor  confpirer  la  fortune  plus  dure? 

Barce. 

Quelle^  quelle  (grans  Dieux  /)  eftes  vous  donc  abfentes  ? 
EJtansfeures  au  port,  rie:{  vous  des  tourmentes? 
La  Bûinepeft  tuée  :  aumoins  auec  fa  flame^ 
Par  vn  coup  outrageux,  les  reftes  defon  ame, 
Sanglotant  durement^  à  grand*  force  elle  pouffe  : 
Voila  la  fin  qu^apporte  vne  amorce  fi  douce. 

I 

Le  Chœur. 

O  tour  hideux,  6  mort  horrible,  6  deftinee 
Cent  à  cent  fois  méchante,  6  plus  méchant  Enee  ! 
Mais  comment? comment,  Barce,  helas! 

Barce. 

Sous  vne  feinte 
Qii^elle  a  fait  de  vouloir  rendre  fa  peine  efteinte, 
Par  Vheur  d'vnfacrifice  elle  a  couuert  Venuie 
Dechafferaux  enfers  fes  trauaux  &  fa  vie  : 
Sur  m  amas  de  bois,  feignant  par  vers  tragiques 
J^enchanter  fes  fureurs,  elle  a  mis  les  reliques 
lodelle,  —  I.  1^ 


226  DIDON,   TRAGEDIE. 

Qji^elle  auoit  de  ce  traiflre,  vn  pourtrait,  vne  efpee^ 
Et  leur  coulpable  lia.  Or  afin  que  trompée 
AuecAnne  iefiiffe,  ailleurs  on  nous  enuoye  : 
Lors  feule  dansfon  fang  fes  flammes  elle  noyé, 
S*enferrant  du  prefent  que  luy  fift  le  pariure. 
Anne  court  àfon  cri,  quiprefque  autant  endure  : 
Voyant  mourir  fa  fœur,  fon  viure  elle  dédaigne, 
Et  de  la  mort  veut  faire  vne  autre  mort  compaigne. 
'    Eft-rce  ainfi  donc  (d  Sœur)  que  ta  feinte  nous  trompe? 
Verray-ie  que  fans  moy  ta  propre  main  te  rompe 
Le  filet  de  ta  vie?  Eft~ce  ici  le  remède? 
Eft'Ce  le  facrifice  à  qui  ton  tourment  cède  ? 
Sont-ce  les  voeus,  les  vers  dont  tu  m'as  abufee  ? 
Es  tu  tant  contre  nous  &  contre  toy  rufee? 
Ainfi  fa  fœur  en  vain  laue  &  boufche  fa  playe. 
Elle  foyant  nommer,  tant  qu^elle  peut  peffaye 
De  foufleuer  fon  chef,  qui  tout  foudain  retombe. 
Ne  cherchant  qu*à  changer  fon  lia  auec  la  tumbe. 
O piteux  lia  mortel!  ô  que  d^ horrible  rage 
Le  Soleil  à  ce  iour  attraine  fur  Carthage! 


LE    CHŒVR. 


An-ache^^  vo\  cheueux,  Ty riens  :  qu'ion  maudiffe 
De  mille  cris  enfleiç  V amour eufe  iniuftice: 

Rompei  vos  vefiemens  : 
Efcorche^  voftre  face^  &  foye:{  tels  qu*il  femble 
Que  Ion  voye  abyfmer  vous  &  Carthage  enfemble  : 

Redouble:^  vof  tourmens. 
Redouble!^  les  toufiours,  &  que  la  mort  cruelle 
De  la  Roine  mourante,  en  vo^  cœurs  renouuelle 

Mille  morts  déformais, 
Pleure}^^  crie:{,  tonne^y  puis  que  fi  mal  commence 
L^heur  de  Carthage,  Il  faut,  ô  peuple,  qu^on  la  penfe 

Malheureufe  à  iamais. 


Barce. 

MaU,  qut  ftioumoiu  nous? /us,  fus,  6  panure  bande, 
Band»,  las! fana  efpoir,  allons,  S  cefle  offrande 
Vlrroufons  de  nos  pleurs,  Afouffrons  tant  de  peine, 
(^'auec  elle  le  dueil  prefque  aux  enfers  nous  meîne. 
Nul  viuant  nefe  peut  exempter  de  furie, 
Et  bienfouuent  ramour  à  la  mort  nous  marie. 


LE  RECVEIL 


DES 


INSCRIPTIONS,   FIGVRES, 


DEVISES,  ET  MASQVARADES. 


LE  RECVEIL 

INSCRIPTIONS,   FIGVRES, 

DEVISES,  ET  MASQVARADES, 


LE    lËVDI    17.    DE   PBVRIEB    l558. 

Par    ESTIENE    IODELLE,    Parisien" 


ESTIENE    lÔDELLE 


T  point  encore  bien  connu  [mes  AmisJ 
que    c'eftoit   des    amitiés   de  noftre  tens, 
i'eulTe  penfé   auanl   le  defaftre   que  vous 
_  )  fçaués   m'eftre   furuenu,  que  donnanl  vn 

tei  tiltre  à  vne  epiftre  mienne  i'euffe  bien  cfcrit  à  vn 
plUB  grand  nombre  que  ie  ne  fay,  &  que  lui  adrclTant 
]■  moindre  chofe  qu'il  euA  peu  fouhaiter  de  moy, 
Vcufle  bien  autrement  fenti  combien  les  ixuureB  de 
ceiu  qui  font  aimés,  font  agréables  à  ceus  qui  les  ai- 
ment. Mais  d'vn  colM,  le  grand  nombre  d'aduerfaires 
A  le  peu  d'amis  qui  fe  font  decouuers  en  mon  malheur, 


232  ESTIENE   lODELLE 


dVn  autre  cofté,  la  commune  &  naturelle  ialouzie  que 
ie  voy  en  noftre  nation,  me  font  au  vray  connoiftre  le 
contraire  de  l'vne  &  de  l'autre  efperance.  Toutesfois 
fçachant  que  ie  ne  fuis  pas  tant  ha!  du  ciel,  que  ie  n'aye 
encores  quelques  amis  en  la  terre,  i'ay  bien  voulu  en- 
uoyer  à  ce  peu  qui  m'en  refte  ce  petit  liure,  que  ie 
n'eftimerois  du  tout  rien  au  pris  de  ce  qu'on  attend  de 
-  moy,  n'eftoit  que  ce   n'eft  pas  peu  de  fait,  que  par  le 
moyen  de  fon  bon  droit  &  la  iufle  defPence  de  fes  amis, 
remettre  vn  tort  deuant  les  yeus  de  ceus  qui   fe   font 
contraires  fans  occafion.  Vous  aCTeurant  de  ce  que  vous 
aués  toufiours  connu  en  moy,  qui  eft  d'auoir  l'enuie 
de  bien  £Eiire  fi  grande  &  û  haute,  que  il  ie  n'eufife  veu 
que  vos  prières  (tant  quelques  vns  d'entre  vous  m'ont 
eflé  bons)  &  les  calomnies  de  nos  ignorans  me  contrai- 
gnoient  à  ce  faire,  i'euffe  toufiours  tenu  mon  threfor 
fermé  à  tout  le  monde  félon  ma  couflume,  ou  ie  vous 
euffe  bien  enuoyé  des  pièces  de  plus  grand  pris.  Mais 
puifque  vne  neceffité  a  pris  telle  puilïance  fus  ma  dé- 
libération, ie  ne  veus  point  entièrement  defefperer  du 
bien  qui  me  pourroit  venir  de  ceci,  eflant  aCfés  certain 
que  le  malheur  a  bien  fouuent  acouflumé  d'engendrer 
vn  bon  heur,   &  que  des  petits  &  chetifs  commence- 
mens,  on  voit  fouuentesfois  fortir  les  chofes  plus  louar 
blés  &.  plus  parfaites.  l'en  ay  maintenant  mile  raifons 
&  mile  exemples  au  bout  de  ma  plume,  fi   ie  voulois, 
comme  on  dit  en  fe  raillant,  alambiquer  dedans  vne  fa- 
milière epiflre,  les  fecrets  &  les  belles  quintes  eCfences 
de  la  Nature,  ou  tirer  auecque  ie  ne  fçay  quelle  frian- 
dife  affeélée,  la  moûelle  des   profondes  &  abondantes 
hiftoires.  Si  eft  ce  que  fi  i'efcriuois  à  ce  propos  tout  ce 
qu'on  pourroit  alléguer,  ie  ne  ferois  pas  taire  tous  ces 
larrons  de  mérites,   qui  diront  auffi  toft  que    ce  petit 
liure  viendra  dedans  leurs  mains,  qu'après  tant  de  ma- 
gnifiques promeCTes  que  ie   puis  auoir  faites,  après  la 
grande  &  longue  expe6lation  que  Ton  a  eue  de  mes  ou- 
urages,  au  lieu  des  montaignes  d'or  félon  le  prouerbe 
des  Pédants,  ie  fay  fortir  vne  fouris.  l'auray  bien  la  pa- 


A    SES    AMIS.  233 


tience  d'efcouter  vn  peu  ces  mignons,  pour  auoir  bien 
toft  le  plaifir  de  les  voir  euftnefmes  fe  démentir.  Il  me 
femble  encores,  mes  amis,  que  i*en  voy  venir  d'autres, 
qui  vn  peu  plus  refolus,  &  faifans  femblant  d'efbe  cu- 
rieus  de  mon  honneur,  me  viendront  prefcher,  &  moy, 
ft  vous  ûls  vous  connoiflent  pour  tels  que  ie  vous 
eflime,  dilans  que  le  blâme,  la  honte,  &  Faccufation 
que  i'ay  encourue  en  l'exécution  d'vne  chofe  qui  eft 
contenue  en  ce  recueil,  me  deuoit  garder  de  faire  re- 
frekhir  ma  playe,  par  la  féconde  publication  de  ma 
&ute.  Ceus  qui  TadrelTeront  à  nous  auecques  ce  faus 
vilage,  me  prefentans  vne  û  douce  poifon,  ne  rappor- 
teront auiïï  de  moy  autre  chofe  qu'vne  douce  prière  au 
tieu  d*vne  rigoureufe  refponfe  :  laquelle  efl  telle  que 
rîli  m'aiment  feullement  la  moitié  d'autant  qu'ils  di- 
fentf  ils  me  fiicent  ce  feul  bien,  de  faire  la  leâure  en- 
tière de  ce  que  ie  vous  prefente,  &  lors  ie  m'afleure 
qu'ils  auront  beaucoup  plus  d'enuie  que  de  pitié.  Si 
quelques  vns,  plus  malins,  font  venir  leurs  propos  iuf- 
ques  à  vos  aureilles,  dilans  que  toutes  les  chofes  que 
i'ay  recueillies,  n'eftoient  pas  toutes  telles  que  ie  les 
▼eu8  £ure  croire ,  afleurés  les  &  leur  iurés  pour  l'a- 
mour de  moy,  après  le  ferment  que  ie  vous  en  fay  par 
noftre  amitié,  que  ie  n'ay  voulu  mentir  en  rien,  & 
que  ie  n'ay  aioufté  aucune  chofe,  fors  le  retranche- 
ment que  premièrement  i'auois  fait  en  la  Mafquarade 
première,  &  peut  eftre  huit  ou  dix  vers  d'auantage. 
Bien  eft  il  vray  qu'aus  vers  latins,  qui  feruoient  d'in- 
fcriptions  aus  figures,  i'ay  peu  changer  neuf  ou  dix  mots, 
mais  ce  n'a  pas  efté  pour  ce  que  les  autres  qui  y  eftoient 
lie  fîiflent  aufû  bons,  mais  c'a  eflé  pour  autant  que 
n'ayant  point  l'original,  &  ne  les  pouuant  pas  trouuer 
tous  tels  qu'ils  eftoient  dedans  ma  mémoire,  i'ay  mieus 
aimé  fur  le  cham  vfer  du  changement  que  du  trauail 
de  les  recouurer.  Et  Pils  font  tant  obftinés  contre  ma 
.  ctufe  ,  qu'ils  ne  vous  vexilent  point  prendre  pour  ga- 
natiy  qui  **  cherchent  les  tefmoings  qui  l'ayans  veu  à 
l'œil,  leur  pourront  faire  vne  plus  feure  foy,  du  nom- 


234  ESTIEME    rODBLLE 


bre  defquels  ont  elle  quelques  vns  d'entre  tous.  S'ils 
répliquent  qu'encores  qu'il  fiid  ainfi,  fi  eftce  que  Ion 
ne  fçauroit  tant  faire  que  l'on  ne  croye  que  i'y  ay  beau- 
coup aioufté  &  corrigé,  veu  que  i'ay  efté  fi  long  temps 
auant  que  d'en  mètre  le  recueil  en  lumière  :  le  vous 
fuplie  de  ne  les  payer  point  d'autre  monnoye,  finon  de 
cela  que  la  plus  grand  part  d'entre  vous  a  connu.  Qui 
eft  que  ie  me  trouuay  quelque  efpace  de  temps  fi  Sei- 
che, fi  dépit,  fi  refueur,  &  fi  pefant,  que  tant  Pen  feult 
que  ie  peufle  guérir  la  piquure  du  fcorpion  par  le  fcor- 
pion  mefme,  que  tous  les  inftrumêns  de  mes  malheurs, 
qui  font  les  liures,  les  papiers  &.  !es  plumes,  me  puoient 
de  telle  forte,  que  peu  Pen  fallut  que  ie  n'en  fiflb  vn  beau 
petit  facrifice  dans  mon  feu.  Mefmement  que  deflors  que 
ie  cbmmençay  à  me  recueillir  vn  peu  moymefme,  & 
voulo^  faire  vn  recueil  de  tout  cela,  par  qui  iniuftement 
ie  penfois  m^eftre  perdu,  ie  demeuray  quelques  iours 
malade  d'vne  fieure  tierce  :  laquelle  encore  qu'elle  peuft 
venir  d'vne  extrême -colère,  n'auoit  point  tant  facaufe 
de  cela  que  de  mon  defaflre  acouftumé,quiquafi  ne  me 
permet  point  d'eibre  connu  d'autre  que  de  moy  :  &  qui 
toutes  les  fois  que  ie  veus  m'efforcer  à  l'eAcontre,  comme 
vous  verres  plus  à  plain  dedans  ce  petit  ramas,  ou  bien 
ront  mon  entreprife  ,  ou  bien  la  couronnant  d'vne  honte 
non  efperée,  &  non  méritée,  ne  me  permet  pasfeuUement 
le  moyen  de  faire  mes  excufes  :  que  di-ie  excufes?  Ains 
la  iuile  pourfuite  de  la  louange  &  de  laorecompanfe,  qui 
me  fuyans  allers  qu'elles  fe  foat  plus  prefentées,  ne  me 
laiffent  payer  d'autre  chofe  que  de  la  vanité  d'vn  agréable 
labeur.  Vous  pourrés  bien  encore  dire  deux  autres  cau- 
fes  de  ce  retardement  :  l'vne  eft  que  combien  que  ceci 
euft  efté  bien  plus  toft  imprimé,  ni  l'imprimeur,  ni 
voufmefmes,  ni  moy,  n'auons  point  efté  d'auis  de  faire 
fortir  telle  chofe  en  ces  iours  faints  &  deuots,  ainsplus 
loft  attendre  la  rèiouiffance  commune  d'après  Pafques. 
La  féconde  eft  que  voyant  la  court  feiourner  à  Fonte- 
nebleau,  i'ay  Wen  voulu  attendre  fon  retour  à  Paris, 
affin  que  ceux  qui  m'auoient  condamné  fans  voir  mes 


A    SES    AMIS.  235 


pièces,  fullent  les  premiers  iuges  de  mon  innocence. 
Outre  que  ces  caufes  font  aflez  fufûfantes ,  i'en  ay  en- 
cores  vne  qui  £Edt  plus  pour  moy,  qui  efl  Paddition 
d'yn  fécond  liuret  que  i'ay  mis  auecque  le  premier, 
pour  les  ralfons  que  vous  lires  autre  part.  Ce  petit  la- 
beur dont  ie  vous  parle,  ce  font  quelques  infcriptions 
des  princes  de  l'Europe,  lefquelles  comme  chacun  fçait, 
ne  fe  îeâent  pas  û  toft  en  moulle  que  les  medalles  de 
ces  princes,  fî  d'auanture  l'ouurier  ne  me  refembloit, 
qui  ay  toufiours  eu  ce  mefchant  heur  de  faire  les  chofes 
aufû  fiidlement  &  auffî  bien,  comme  ic  les  fay  mal- 
heureufement.  le  ne  vous  vferay  point  ici  ni  de  recom- 
mendation,  ni  d'ozcufe  des  deux  ouurages,  ie  vous  prie- 
ray  encores  moins  de  les  faire  plus  grands  enuers  ceus 
qui  vous  en  parleront  que  ie  ne  les  eflime,  mais  plus  tofl 
de  les  laifler  couler  auecques  fi  peu  de  faueur  qu'ils 
mentent,  comme  vne  chofe  légère  &  méfiée.  Ce  que 
feuUement  vous  monflrera  aflez  la  profe,  dont  i'ay  vfé 
en  mes  defcriptions,  confondant  comme  ie  penfe  tout 
enfemble  le  ilyle ,  &  de  l'epiflre,  &.  de  l'oraifon,  &  de 
l'iûftoire  :  combien  que  i'efpere  bien  de  vous  faire  vn  iour 
iuger  qu'en  tous  ces  genres  d'efcrire  Dieu  ne  m'a  point 
dégarni  de  iugement.  le  croy  bien  auffi  que  l'orthogra- 
phe confufe  vous  decouurira  wuz  pareille  meflange ,  & 
que  les  allufions  &.  répétitions  fréquentes ,  qui  feront 
trouuées  dedans  mes  vers,  montreront  de  prime  face 
quelque  affeâation.  L'vne  de  ces  chofes  a  eflé  ainfi 
&ite  pour  le  peu  de  refolution  de  noflre  langue  en  ce 
point  la,  &  les  autres  pour  l'ornement  &  la  vraye 
beauté  des  infcriptions,  ce  que  vous  ne  verres  pas  en 
mes  OBUures  continués  de  longue  alaine  :  defquels  ie 
▼DUS  promets  ouurir  la  bonde  le  plus  toil  que  ie  pour- 
ray,  vous  aHeurant  que  ie  ne  m'en  fenti  iamais  tant  pic- 
qué  qu'a  cefte  heure.  Si  donques  tant  en  ceus  la  qu'en 
cetui  ci  vous  penfés  voir  quelques  fautes,  ie  vous  prie 
de  m'eftre  û  bénins,  que  de  penfer,  &  faire  penfer  aus 
antres,  que  la  faute  vient  d'autre  part  que  de  moy,  ou 
bien  de  dérober  quelque  chofe  à   la  feueritc  de  voflre 


236  LE    LIVRE    À    IfA    FRANCE. 

bon  iugement,  pour  le  donner  à  noftre  amitié.  Quand  à 
moy  ie  vous  promets  que  tant  en  vos  labeurs,  qu'aus 
labeurs  d*autrui,  ie  me  montreray  dorenauant  tel ,  que 
vous  aurés  iufte  occafion  d*vn  contentement  &  d'vne 
perpétuelle  recommandation  de  moy,  qui  fuis  voftre  à 
*   .  tout  iamais.  A  Dieu. 


LE  LIVRE  A    LA    FRANCE, 

SONET. 


Si  mon  père  a  taché  de  payer  le  deuoir 

Dont  Vobligoit  à  toy  la  loy  de  fa  naijfance, 
Enf^efforceant  d'aider  à  chajfer  V Ignorance, 
Sur  qui  le  Ciel  lui  donne  &  vouloir  &  pouuoir  : 

Si  trauaillant  pour  toy  fans  fin  &fans  efpoir, 
Il  pen/e  fon  feruice  ejlre  fa  recorripanfe  : 
le  te  pri,  fay  ce  bien,  fay  lui  ce  bien,  ô  France, 
De  vouloir  fon  enfant  &  receuoir  &  voir. 

Si  Von  dit  que  ie  vien  farder  par  mes  harangues 
Son  defafire,  les  yeux  condamneront  les  langues. 
Si  Ion  dit  qu^on  en  doit  eftreplus  irrité, 

Veu  que  ie  ne  fuis  rien  au  pris  de  ton  attente, 
le  le  fçay  bien,  mais  las,  que  ceci  te  contente. 
Qu'on  laiffe  le  deuoir  pour  la  neceffité. 


LE    RECVEIL 


INSCRIPTIONS,    FIGVRES,    DEVISES 
ET  MASQ.VARADES, 


Ordonnées  en  VHoftel  de  Ville  à  Paris, 
le  leudi  17  de  Feburier  i558. 


ApreB  rheureufe  &  mémorable  conquelte  faite  au 
moU  de  lanuier  fur  l'ennemi,  le  R07  eftant  de  retour 
daiu  fa  conté  d'Oye  nouuellement  remife  en  fon  obeif- 
ùmee,  délibéra  de  feiourner  à  ParÎK  iufqu'au  commen- 
cement de  Q.uaTefme,  tant  pour  les  plaifiis  qu'on  y  pou- 
uoit  trouuer  en  telle  îaifon,  que  pour  faire  gratifier  â 
fon  peuple  l'heur  de  fes  dernières  viâoires,  la  profpe- 
rit£  de  foD  yoiage,  &  U  deliurance  de  toutes  nos  premiè- 
res craintes.  Durant  ce  tens  doncques,  ne  voulant  en 
rien  imiter  l'infolence  des  téméraires  Princes  en  leurs 
profperes  auantures,  &  fe  tempérant  beaucoup  mieus 
en  Ton  heur  que  n'auoit  itlt  parauant  fon  ennemi,  fe 
contenta  de  mille  louables  paÎTetens  alTiis  acouitumds 
i  &  Maiefté  :  en  mefursnt  fi  bien  &  fon  allegreffe  & 
celle  de  &  Court,  auecque  la  teconnoiflance  de  ce  qui 
cft  de  plut  hault,  qu'il  n'a  point  eu  moins  de  louange  de 
raincre  dedans  fojr  la  folle  couflume  des  ^ 
que  d'auoir  en  celle  viâoire  plus  vaincu  que  de  C' 


«4 


238  RECVEIL  DES   INSCRIPTIONS, 

« 

tume.  Ofy  afûn  que  les  peuples  ou  ennemis  ou  eftran* 
gers  ne  pcnfent  point  que  ce  que  ie  decriray  ci-apres 
ait  eflé  fait  pour  autre  chofe  que  pour  vn  léger  palTe- 
tens,  fans  aulcune  forme  ou  de  gloire  ou  de  triomphe  : 
i  ^^  ainfi  que  fa  Maiefté  paflbit   le   plus  ioyeufement  qu'il 

efloit  pofûble  ces  iours  les  plus  dele^bles  de  Tannée, 
il  fauifa  de  mander  au  Preuoft  des  marchants  &  £fche> 
uins  de  Paris  quMl  iroit  fouper  en  leur  maifon  de  Ville 
le  leudi  gras  enfuiuant,  qui  feroit  le  iour  d'après  que 
monfeigneur  le  Duc  de  Guife  arriucroit  de  Picardie,  ou 
il  acheuoît  pour  lors  de  donner  tel  ordre  que  les  hau- 
taines efperances  de  TEfpaignol  ont  occasion  de  f 'en  ra- 
baifler  à  bon-droit.  le  croy  certainement  que  Meffieurs 
de  la  Ville,  qui  de  tout  tens  fe  font  montrés  prompts 
&  pleuots  enuers  leurs  Princes,  &  qui,  à  mon  auis,  (fi 
d'auanture  on   n'i  eftoit  bien  trompé)  auront  toufiours 
en   leurs  entreprifes  plus  grand  befoin  de  bonne  con- 
duite que  de   bon   vouloir,   eufifent  volontiers   fait  en 
l'honneur  d'vn  fi  grand  Roy  l'appareil  d'vn  triomphe  à 
l'antique  :  mais  peut  eftre  qu'ils  confidererent,  au  moins 
les  plus  auifés  d'entre  eus,  toutes  les  chofes  qui  pou- 
uoient  empefcher  l'effeél  dVn'  fi  ifuperbe  deCTein.  Leur 
Roy  premièrement  porter  le  nom  de  Trefchreftien,  & 
que  la  gloire  des  Chrefliens  ne  peut  eflre  finon  qvte 
leur  Dieu,  qui  tenant  les  vi£loires  en  fa  main  f*fla«e- 
ferue    les   triomphes  :  Les    feus  Roys    Trefchreftiens 
pour  quelque   grande  viâoire  qu'ils    fceuffent   auoir, 
n'auoir  iamais  triomphé  :  La  fin  de   la  brauade  eftre 
bien   fouuent  le  rabaiffement,   la  queue  de  la  ioye  la 
douleur,  &  les  grandes  pompes  d'vn  Prince  l^occafion  à 
fon  ennemi  de  bien    faire  :  Le  Roy  Philipes  auoir  efté 
lors  auerti  du  fiege  de  Calais  qu'il  faifoit  vn  magnifique 
tournoy,  penfant  du  tout  tenir  la  Fortune  au  poin,  & 
ne  preuoyant  point  qu'elle  fçait  encore  mieus  tournoyer 
que  lui.  Mefmement  que  quand  ils  auroient  dreCTé  tous 
les  apprefls  d*vn  tel    triomphe,  il  efloit  certain  que   fa 
Maieflé  autant  modérée  aus  fortunes  heureufes,  qu'af- 
feurée  aus   fortunes  aduerfes,  n'accepteroit  iamais  vne 


FIGVRES,    DEVISES    ET   MASQVARADES.  239 

gloire  qui  ne  tournafl  en  Phonncur  de  celui  feul,  qui 
faifant  vaincre  les  Roys  leur  commande  de  plus  toft 
triompher  de  foymefme  &  des  vices  de  leurs  fubieâs, 
que  des  dépouilles  &.  captiuités  de  leurs  ennemis.  Et 
auffi  que  quand  le  Roy  ne  refuferoit  point  tel  honneur, 
ils  auroient  faute  &  de  tens  &  de  gens  pour  conduire 
telle  entreprife  à  quelque  agréable  &  admirable  iflue , 
&  PilTue  à  vne  perdurable  mémoire.  Si  toutes  ces  chofes 
furent  penfées,  ie  ne  doute  point  qu*elies  ne  perfua- 
daflent  facilement  aus  Pariilenuxiue  pour  receuoir  vn  fi 
grand  Roy  il  fe  falloit  amplement  contenter  dVn  fef- 
tin,  adiouftans- comme  il  eftà  croire,  à  toutes  cescaufes 
là  defpence,  non  pas  tant  pour  Tegard  qu*iis  auoient  en 
l*efpargne,  que  pour  ce  que  la  nourriture  de  la  plus 
part  de  ceus  qui  gouuernent  la  ville  eft  telle,  qu'il  faut 
neceffiaiirement  que  les  chofes  belles  &  grandes  les  ef- 
tonnent,  n*ayans  point  d^autre.  mouuement,  ni  d'autre 
réglé  que  le  rugement  d'vn  fens  commun,  la  frugalité 
vulgaire,  la  fimple  bonté,  &  le  rude  exemple  de  leurs 
predecefleurs.  Sur  quoy  ie  diray  ce  mot  en  paCTant, 
qu'on  fe  doit  bien  garder  de  mètre  les  afi^res  qui  peu- 
uent  tirer  quelque  mémoire  après  foy,  entre  les  mains 
de  ceus  qui  font  du  peuple,  qui  pour  autant  que  la  Po- 
lice fuit  toujours  l'Œconomie,  penfent  tout  ainû  mef- 
nager  leur  ville  que  leur  maifon.  Il  n'i  aura  peut  eftre 
pas  vn,  ni  des  noilres,  ni  des  étrangers,  qui  regardant 
la  grandeur  du  Roy,  la  grandeur  de  la  viéloire,  la  gran- 
deur de  Paris,  ne  femerueille,  encore  qu'on  voulufl 
laifTer  le  triomphe,  qu'on  ne  deliberoit  pour  le  moins 
mille  gentillefles  aucuneipent  dignes  de  ces  trois  i  &  veu 
que  monfeigneur  de  Guife  déuoit  arriuer  le  iour  de  de- 
uant,  qu'on  deuoit  bien  fonger  à  honorer  d'vne  autre 
forte  rarriuée  d'vn  fi  vaillant  &  vi^orieus  Prince  :  le- 
quel contre  les  dernières  defaueurs  de  la  guerre,  con- 
tre l'imporlunité  de  Thyuer,  contre  l'arrogance  de  l'en- 
nemi, contre  l'efperance  d'vn  chacun,  Pefloit  porté  fi 
fort,  qu'il  auoit  emporté  en  moins  de  dix  iours  la  ville, 
qui  depuis  CCX  ans  auoit  ferui  de  regret  &  frayeur  à 


#» 


240  .  RECVEIL   DES   INSCRIPTIONS, 

nos  pcres,  de  vollerie  à  la  France,  de  mère  nourrice 
au8  Ânglois,  &  mefme  (f  *il  faut  ainii  parler)  feruoit  en- 
core d'efpouantail  à  noflr«  vaillance.  Lequel  outre  vne 
û  braue  &  glorieufe-  prife,  auoit  peu  de  iours  après 
forcé  le  fort  de  Guignes,  iugé  pour  lors  inexpugnable, 
par  ceus  mefmes  qui  nous  auoient  tant  obftinément 
ibuilenus.  Et  lequel,  pour  dire  en  brief,  ayant  en  û  peu 
de  tens  contraint  les  Anglois  de  f  *en  retourner  honteu- 
fement  cacher  en  leur  coin,  raportoit  vn  tel  mérite, 
qu^en  entrant  dans  la  fiile  (i'apelle  ainfi  Paris  fans  lui 
donner  queue)  il  ne  |lôuuoit  efperer  moins  que  ies 
couronnes  publiques,  les  applaudiCTemens  du  peuple, 
&  la  féconde  partie  du  triomphe  Royal.  Or  quant  à  ceus 
quipourroientauoir  tel  efbahifTement,  ie  ne  leur  fayni 
autre  excufe,  ni  autre  refponce ,  m'afleurant  que  fils 
font  Chreiliens,  ce  que  i*ay  dit  par  ci  deuant,  les  peut 
aCTés  contenter.  Et  auffi  que  ie  ne  puis  maintenir  que 
ma  ville  ait  eilé  fi  mal  curieufe  &.  de  l'honneur  de  fon 
Prince,  &de  fon  honneur,  qu'après  auoir  vn  peu  fongé, 
elle  n'aperceuft  bien  qu'il  falloit  pour  le  moins  feftoyer 
vn  Roy  de  quelques  autres  chofes  que  de  viandes.  Ce 
qui  fit  que  quatre  iours  feuliement  deuant  le  iour  du 
feftin,  le  procureur  du  Roy  d'icelle,  vn  de  plus  honneftes 
&  metables  hommes  que  i'aye  fceu  voir  en  leur  com- 
paignie,  fçachant  que  i'eftois  né  de  Paris,  &  que  Dieu 
m'auoit  donné  quelque  peu  de  promptitude  d'efprit  pour 
fecourir  à  vne  chofe  fi  hafiée,  me  vint  prier  au  nom 
de  tous  eus,  que  fi  i'auois  quelque  Tragédie ,  ou  Co- 
médie, qui  peufl  efire  apprife  entre  ci  &  la,  ie  la  bail- 
lafle  pour  eftre  recitée  deuant  le  Roy,  &  qu'ainfî  ie  fc- 
rois  feruice  à  mon  Prince,  &  honneur  à  mon  païs.  Je 
fi  refponce .  que  i'auois,  &  des  Tragédies  &.  des  Comé- 
dies, les  vnes  acheuées,  les  autres  pendues  au  croc, 
dont  la  plus  part  m'auoit  efié  commandée  par  la  Royne 
&  par  Madame  feur  du  Roy,  fans  que  les  troubles  du 
tens  euffent  encore  permis  d'en  voir  rien,  &  que  i'atten- 
dois  touiours  vne  meilleure  occafion  que  n'eftce  tens  tu- 
multueus  &  miferable  pour  les  faire  mètre  fur  le  théâtre. 


FIGVRES,    DEVISES   ET   MASQVARADES.         24 1 

adiouftant  ce  petit  mot  alTés  poétiquement  dit,  que  cefte 
année  la  Fortune  auoit  trop  tragiquement  ioué  dedans 
ce  grand  echau£aut  de  la  Gaule  fans  faire  encore  par 
les  fouis  fpeâacles  refeigner  les  véritables  playes.  Mais 
bien  fi  on  me  vouloit  prometre  de  me  croire  &  de  me 
foulager,  que  ie  ferois  bien  des  chofes,  lefquelles  eftans 
bien  conduites,  ne  raporteroient  point  moins  de  grâce 
que  l*yn  de  ces  deus  poômes.  le  ne  penfois  en  faifant 
telles  promefifes  que  ie  me  deuffe  foucier  d'autres  char- 
ges que  d'inuenter  quelques  belles  mafquarades,  ou 
parlantes,  ou  muetes,  qui  eftans  accommodées  aus  tens, 
aus  lieus,  &  aus  chofes,  peu ffent  donner  quelque  agréa- 
ble plaifir  à  la  compaignie  :  Mais  Pamour  de  mon  pals, 
la  prière  qu'on  m'auoit  faite,  Tenuie  que  i'auois  de 
plaire  tant  au  Roy  comme  à  la  maifon  de  Guife  à  la- 
quelle le  me  fuis  toujours  humblement  voué,  &  la 
fisLUte  d'appareil  &  de  confeil  que  ie  voiois  en  telle  ne- 
ceffité,  me  firent  tellement  prandre  charge  fur  charge, 
que  i'appelle  en  tefmoins  tous  ceus  qui  m'ont  veu  en 
Tn  tel  embrouillement,  fil  eft  pofdble  de  croire  qu'en 
Û  peu  d'efpace  vn  feul  efprit  ait  peu  fouftenir  &.  tel 
fais  &  telle  £acherie.  Car  allant  des  l'heure  à  la  maifon 
de  ville  &  n'i  trouuant  aucun  ornement  qui  peuft  élire 
remerquable,  i'ofe  dire  que  ie  me  fei  quaîî  de  tous 
meftiers,  &  affés  heureufement,  comme  on  pourra  voir 
par  ce  recueil,  fi  l'exécution  eut  eilé  telle  que  Tordon- 
nance.  Combien  que  fi  tout  euft  efté  bien  veu  le  iour  du 
fefliny  on  euft  cogneu  qu'auecques  vn  labeur  defefperé, 
i'auois  mis  tel  ordre  à  tout,  qu'il  ne  reftoit  quafi  rien 
qu'il  n'allafl  comme  ie  l'entendois,  &  comme  on  le  pou- 
uoit  efperer  de  moy,  fors  les  deus  mafquarades  d'après 
fouper,  lefquelles  à  caufe  qu'on  n'auoit  point  fait  les 
chofes  comme  ie  les  auois  dites,  &  à  caufe  auffi  de  la 
multitude,  du  defordre,  &.  de  la  confufion,  furent  fi  mal 
menées,  que  moymefme,  qui  à  mon  grand  regret  fai- 
Ibis  l'vne  des  perfonnes,  épris  quafi  d'vne  rage  de  voir 
û  mal  porter  deuant  mon  Roy  la  chofe  où  il  m'ailoit  de 
l'honneur,  demeuray  quafi  tout  tel  (fil  faut  qu'ainfi  ie 
lodelle.  —  I.  16 


242  RECVEIL   DES   INSCRIPTIONS, 

pirle)  que  fi  la  Minenie  qui  marchoit  deuant  moy  m'eufl 
transformé  en  pierre  par  le  regard  de  la  Medufe.  Mais 
combien  que  i'en  aye  porté  &.  porte  encore  vn  tel  re- 
gret, que  ie  ne  le  puis  autrement  nommer  que  defef- 
poir,  non    pas  tant  pour  la  £Eiute  que  pour  voir   que 
Dieu  m'a  fait  naiftre  û  malheureufement,  que  de  toutes 
chofes  que  i'ay  bien  feiâes,  ou  que  i'eufle  peu  bien 
^  faire  en  ma  vie,  ie  n'en  fceu  iamais  auoir  ryflEige,  vi- 
uant  prefque  en  ce  monde  tout  tel  qu'vn  Tantale  aus 
enfers  fil  faut  ici  parler  encore  de  fiable  :  qui  eft  ce  tou- 
tesfois  qui   en   ceci  n'eftimera    ceus  impitoyables  qui 
auecques  leurs  brocards  publiques,  leurs  fecretes  repro- 
ches, &  leurs  iniuftes  iniures  ne  m'ont  point  pardonné 
d'auantage  que  û  i'eulTe  efté  coupable  du   plus  grand 
crime  de  lefe  maiefté  ?  Mais  ie  parleray  de  tout  ceci  en 
fon  Heu,  &  me  femble  deia  que  i'ay  trop  longuement 
difcouru  auant  que  de  venir  au  recueil  que  ie  délibère 
de  fîedre,  qui  peut  eftre,  eftant  bien  leu,  fi  la  France 
n'eft  la  plus  facheufe  marâtre  du  monde,  encore  que 
ie  me  tienne   moymefme   grandement  coupable,    me 
pourra  bien  apporter  au  lieu  des  haynes,  mefpris  &  ca- 
lomnies, le  pardon  &  la  grâce  des  grands,  la  louange 
des  doâes,  l'admiration   des    eftrangers,  l'ezcufe    de 
noftre  peuple,  la  repentance  des  maldidEms,  &.  le  creue- 
cueur  de  l'ennuie.  Ayant  donques  (pour  venir  au  point) 
drefifé  &  fait  drefier  tout  ce  que  i'auois  proieâé,  le  Roy 
fur  les  quatre  heures  du  iour  que  i'ay  dit,  fans  aucune 
pompe  arriua  auecques  toute  fa  compagnie  en  la  maifon 
de  la  ville,  deuant  laquelle  on  lui  fit  feullement  vne 
falue  de  l'artillerie   auecques   quelque   efcopterie   qui 
Pacordant   fort  bien  à  l'affluance  du  peuple,    au  bruit 
des  tabourins,    &.  au    fon   des  trompetes ,    donnoit  vn 
tefmoingnage  publiq  de  l'allegreffe  que  receuoient  tous 
les  citoyens.  Alors  ceus  qui  eftoient  curieus    de  telles 
nouueaulés  peurent  voir  ce  que  i'auois  premièrement 
ordonné  pour  l'entrée,  fuiuant  d'affés  près  Tantiquité  ad- 
mirée d'vn  chacun,  &  aucunement  recherchée  par  moy, 
tant  en  tous  mes  autres   ouurages  qu'en   ces  miennes 


FIGVRES,    DEVISES    ET    MASQVARADES  248 

petites  inuentions,  qui  premièrement  eftoient  telles  * 
que  dedans  vne  grande  Arcade,  fus  le  portail  de  l'hoftel, 
i'auois  fait  peindre  force  trophées  à  l'antique ,  des  ar- 
mes, &  enfeignes  ennemies,  &  au  meileu  d'eus  tirer 
▼ne  fort  longue  &  fpacieufe  oualle  entourée  de  laurier 
à  Pvn  des  coftés  de  laquelle  efloit  le  portrait  de  Calais, 
&  à  l'autre  le  portrait  de  Guignes,  &  au  dedans  d'icelle 
cette  longue  infcription  : 

DD. 

-     VIRTVTI    ET   VICTORIJE. 

S. 

D.  HENRICO  REGI  PRACLARISSIMAR.  RERVM  IN  VNI VERSA 
TVK  GALL.  TVM  rrAL.  TERRA  MARIQ..  BENE  AC  FELICITER 
GESTARVM  ERGO  TRIVMPHVM  PVBL.  DIGNAMQ..  SVIS  FACTIS 
ET  LAVRBAK  ET  MEMORIAM  MERENTI  RENVENTI  SED  IN 
POSTERVK  EXPECTANTI.  OB  FORTISS.  ET  VETVTISS.  NOS- 
TRORVM  CALETVM  CIVrrATEM  NVPER  A  FRANCISCO  LOTHA- 
UJfGO  GVISIORVM  PRINCIPE  GLORIOSS.  OMNI  INGENIO  OB- 
SBflAM  KOE  OMNI  MARTE  EXPVGNATAM  AC  PERENNI  VOTO 
CVM  A  ce  ET  Z  AN.  BRTrANNORVM  SERVIT VTEM  PATERETVR 
8TJB  GAIX.  RESTTTVTAM.  OB  GVINAS  OMNIB.  ET  VI  ET  VI- 
aiB.  CAFTAS,  SOLOQ..  AD£Q.VATAS.  OB  HAMMENSEM  PAGVM 
Qyi  HO8TIVM  KETV  DERELICTVS  FVERAT  RECEPTVM.  OB  LI- 
BERATAM  DENIQ.VE  AB  OMNIB.  BRITAN.  GALL.  HOC  INTERIM 
AD  PRIMAK  ILLAM  INSPERATA  REI  COMMENDATIONEM  ET  IN 
VOSTRYM    O    DD.    VIRTVS     ET     VICTORIA     FAVOREM     EX.     VOTO 

ET  DEBrro. 

VRBS. 

PD      CONS. 
ST.     lODELIVS    PAR,    PPP. 

Au  deflbus  de  TArcade,  defTus  la  grande  frize  du  por- 
tail que  i'auois  fait  fi  proprement  couurir,  qu'il  fembloit 


244  RECVEIL    DES    INSCRIPTIONS, 

_  .  _  --■!  Il  I  '  I  ■■■-     ■_ 

que  ce   feuft   vn   marbre  noir  nouuellemeut   aioufté, 
eftoient  efcripts  ces  trois  vers  en  letres  d'or  : 


NON    POMPA,    NON    ROMVLEIS   TE    CV&RIBVS    ALTVM 

ACCIPIMVS,    FACTIS    CVM    SH*   SPES   REGLA   MAIOR , 

SPE    Q.VOQ.VE    UAIORES,    Q.VORUM   EST   TVA    LAVREA ,    DIVI. 


L'infcription  de  ces  trois  vers  eftoit  régi  piiss.  pu 
CIVES.  Aus  deus  codés  de  P Arcade  font  deus  grandes 
colonnes  Doriques,  dont  les  deus  pieds  coftoyent  les 
deus  bouts  de  la  corniche  du  portail  :  en  chacune  d'i- 
celles  colonnes  eiloient  ces  deux  lettres  d'or  h  h  &  au 
meilleu  des  deus  efcrit  en  lettres  d'argent  hoc  hercvle 
DiGNJE.  l'auois  ordonné  qu'on  feift  mouler  deus  grands 
croisants  argentés  pour  planter  fur  le  haut  de  ces  co- 
lonnes au  lieu  que  l'Empereur  y  plante  fes  aigles  :  mais 
la  brieueté  du  tens,  &  la  dîuerîQté  des  occupations,  fit 
qu'ils  demeurèrent.  le  ne  parle  point  ici  de  l'enn- 
chiffement  du  lierre  qui  embeliCfoit  cefle  entrée,  ni  de 
tout  autre  ornement  d'entre  les  deus  portes,  vn  peu 
mieus  deuifé  que  mis  en  œuure,  voulant  courir  toutes 
telles  chofes  le  plus  legierement  que  ie  pourray.  Si 
ne  veus-ie  pas  pourtant  aller  (1  fort  que  ie  ne  m'ar- 
refle  ici  pour  dire  que  û  les  Princes  eiloient  autant 
amoureus  des  chofes  qui  les  perpétuent ,  comme  ils 
font  defireus  de  fe  perpétuer,  ils  tiendroient  bien  autant 
de  conte  de  telles  nouuelles  antiquités,  voire  de  tous 
autres  labeurs  dont  les  hommes  do6les  fupportent  leur 
gloire,  que  des  chars,  des  images,  &  pompes  inacouilu- 
mées.  Car  de  ceus  ci  les  vns  fe  rompent,  les  autres 
f'enfument,  les  autres  foublient,  lors  que  l'honefte 
curiofité  des  do6les.  &  des  bien  nourris,  enuoyant  de 
main  en  main  ces  vifs  inftruments  de  la  mémoire,  les 
fait  demeurer  entre  les  mains  de  l'éternité.  le  ne  veus 
pas  dire  que  ce  peu  que  i'ay  deia  décrit,  &  tout  ce  que 
ie  decriray  ci  après,  aproche  en  rien  de  cela,  car  on  fçait 
bien  v^uc  la  hafte,   &  la  foiblelîe  de  mon  efprit  ne  me  le 


FIGVRBS,    DEVISES    ET    MASQVARADES.         2^5 

pouuoient  permetre.  Mais  ie  diray  que  decouurant  de- 
dans Pinfcription  les  mérites,  dedans  les  trois  vers  Tex- 
cufe  du  triomphe,  dedans  les  colonnes  l'efperance  fu- 
ture, i'ay  tâché  de  donner  quelque  merque  à  la  fou- 
uenance  des  hommes  :  comme  doiuent  faire  tous  ceux 
qui  ont  quelque  pouuoir  fur  la  mémoire,  qui  fans 
auoir  aucun  égard  à  la  louange ,  ou  à  la  faneur,  ou 
à  la  recompanfe,  me  femblent  eftre  naturellement 
obligés  enuers  leurs  Princes,  de  garder  alors  plus  foin- 
gneufement  l'honneur  des  beaus  aâes ,  qu'ils  voyent 
les  Princes  fen  foncier  le  moins.  Or  paflbns  outre  fans 
plus  nous  arrefter  de  telle  forte.  Sur  la  féconde  porte 
enrichie  de  tapifferie,  &  de  feftons  de  lierre,  dedans  vn 
grand  compartiment  entouré  de  fon  chapeau  de  triom- 
phe eftoit  peinte  vne  DeefTe  tenant  vne  couronne  de 
laurier  en  Pvne  des  mains,  &.  vne  ch{dfne  de  fer  en 
l'autre,  ayant  le  Soleil  &  la  Lune  aus  deus  coftés  d'elle, 
&  pouffant  vne  fphere  du  pié.  Sur  la  tefte  d'icelle,  de- 
dans vne  efpace  que  faifoit  le  compartiment ,  eiloit  ef- 
crit,  vicissiTVDO,  &  au  bas  dedans  vne  autre  plus  grand 
efpace  ces  trois  ver&«: 

ME  PftOPERA,    NVlfENQ.VE   VmE,    VISVHQ.VE    VERERE 
AC   GENIVM    METIRE   TVVM,    NAHQ.VE    OMNIA    LEGI 
SVPPOSVIT   NOSTRJE,    NOSTRA    Q.VI    LEGE    SOLVTVS. 

Ce  qui  eftoit  dans  la  montée  fuiuoit  affés  bien  cefte 
figure  de  Viciffitude,  qui  après  toutes  ces  premières 
louanges  &.  trophées, .  auertiCfoit  de  ne  fe  fier  que  de 
bonne  forte  à  la  félicité.  Car  là  dedans  outre  l'ornement 
de  la  tapififerie,  des  feftons,  &.  des  armes  tant  du  Roy, 
que  de  la  ville,  on  lifoit  trois  ou  quatre  fois  cefte  deuife, 
GRADuigriM,  efcrite  toufiours  dedans  vne  oualle  couchée, 
.  &  entourée  d'vn  compartiment  femé  de  couronnes, 
montrant  qu'on  ne  va  point  autrement  aus  victoires  que 
par  degrez,  &■  qu'en  les  voulant  trop  hafter  on  fc  pré- 
cipite foymefme.  Au  hault  de  la  montée,  fur  la  porte 


24^  RECVEIL  DES   INSCRIPTIONS, 

talités  de  ceft  antique  vaiffeau ,  qui  fe  pourroient  approprier 
à  nos  armes,  mais  on  en  lira  dauantage  dedans  vne  des 
Mafquarades  qui  fuiuront  après.  Il  me  fuffîra  d'ozer  pro- 
noncer ce  mot,  que  ie  trouue  cefle  deuife  inuentée  par 
moy  affés  digne  d^eftre  gardée  pour  deuife  de  la  ville  éter- 
nellement. On  eufl  trouué  merueilleufement  beau, 
qu'ainû  que  ce  front  de  falle  eftoit  orné  de  ces  trois 
figures,  tout  du  long  auffi  des  deus  coilés  de  la  falle 
tous  les  interualles  que  faifoient  ces  grands  croiCGants 
de  lierre ,  qui  pouuoient  eftre  huit  ou  dix  de  chafque 
cofté,  euffent  efté  remplis  de  figures  diuerfes  auecques 
leurs  deuifes  &  vers  :  mais  chacun  fçait  que  la  main  des 
ouuriers  ne  peut  fuiure  l'abondance  de  mes  inuentions. 
Toutesfois  ce  qui  fut  poffible  d'acheuer  y  fut  mis.  Pre- 
mièrement du  coflé  droit,  au  premier  interualle  refpon- 
dant  encores  fur  la  table  du  Roy ,  eftoit  la  figure  d*yn 
dieu  lanus,  vieillard  comme  on  le  peint ,  ayant  la  clef 
en  la  main  dextre,  &  fon  bafton  en  la  gauche  :  mais 
n'ayant  point  deusvifages  comme  on  lui  fouUoit  donner. 
Cefte  ftatue  eftoit  fur  vn  autel,  dans  lequel  eftoit  ef- 
crit:  Iano  Gallico;  la  deuife  d'en  hault  eftoit  :  Iam 
NON  RESPEXiT  vTRiNQ.yE,  &.  les  trois  vers  d'en  bas,  ceus 
ci  : 


Qyi    BIFRONS   FVERAM,    GALLIS  SVM    GALLICVS   VNA 
FrONTE   deys,   CSLVMQ.VE  MEA  DVH  CLAVE   RESOLVI, 
ViDI   INCVMBENTEM    GALLIS   TOTVM   ACRIBVS    ANNVM. 


l'auois  voulu  montrer  par  cefte  peinture ,  combien 
le  mois  de  lanuier  nous  a  efté  fauorable,  auquel  tant 
par  la  vertu  de  nos  Princes ,  que  par  la  faueur  du  tens, 
fe  font  faites  chofes  fi  belles  &  fi  merueilleufes,  que  ie 
ferois  prefque  d'auis  qu'on  fift  peindre  vn  lahus  en  nos 
enfeignes  pour  vne  heureufe  merque  de  noftre  bon 
heur.  La  figure  que  l'on  voyoit  au  prochain  efpace 
d'après  fuiuoit  d'afles  bonne  grâce  la  première  pour 
exprimer  cefte  faueur   du  tens.  Car  iauois  fait  peindre 


FIGVRES,    DEVISES   ET   MASQVARADES.  249 

au  haut  vne  petite  partie  du  zodiaque ,  qui  montroit 
feuliement  le  figne  du  Ganimede  que  Ion  nomme 
Aquarius,  &  au  deflbus  vn  ieune  dieu,  beau,  fans  barbe, 
couronné  de  fleurs,  qui  félon  les  antiques  reprefentoit 
le  printens.  A  l'vn  des  coins  de  la  peinture,  foufHoit  vn 
2Lephîre  ietant  des  fleurs  par  la  bouche,  &  dedans  le 
cham  de  Poualle  voloient  par  ci  par  la  quelques  aron- 
delles.  Le  petit  efpace  d'en  hault  que  faifoit  le  compar- 
timent d'alentour,  contenoit  celte  deuife  :  cessit  natvra 
FAVORI,  &  au  grand  efpace  qu'on  auoit  lailTé  au  delTous 
de  la  figure,  faifant  vne  allufion  à  celui  qu'on  dit  auoir 
efté  tant  heureus,  qu'en  vne  bataille  les  vents  mefmes 
▼indrent  combatre  pour  lui,  i'auois  fait  efcrire  trois  vers 
comme  en  tous  les  autres  : 


NON  CONIVRATI  VENIVNT  AD  CLASSICA  TANTV'M 
MOUDJE,  VERVII  GELIDO  SOL  SYDERE  VERNANS 
FVNDIT   INASSVBTOS    ARVISQ.VE    ARMISQ.VE    CALORES. 

U  y  a  bien  peu  de  gens  comme  ie  croy,  qui  n^yent  pris 
guide  cefte  année  à  la  vérité  de  celle  figure,  &  fils  ont  bien 
coniideré  le  tens  qu'il  a  fait  tant  durant  Tentreprife  que 
l'eyecution  de  Calais,  ils  n'ayent  veu  contre  l'ordre  ac- 
couffaimé  des  années  vn  beau  Printens  au  meilleu  de 
l'hyaer  :  Quand  à  moy,  i'ofe  affermer  eftant  pour  lors 
aus  cfaams  auoir  veu  fortir  les  herbes  nouuelles,  &  tous 
autres  indices  du  renouueau.  Ce  qui  montre  affés  que 
nos  viâoires  ne  viennent  point  ni  par  noftre  feulle  puif- 
Iknce,  ni  par  vn  fort,  ni  par  vn  certain  ordre  de  la  na- 
ture, mais  de  la  feulle  £aueur  &  difpofition  de  Dieu,  qu'il 
les  enuoye^  en  tel  tens,  en  tel  lieu,  &  à  telles  perfonnes 
qu'il  lui  plaid,  fans  la  puififance  duquel,  tant  fen  faut 
que  nous  puifûons  eftre  vaincueurs,  que  nous  ne  pou- 
uons  pas  feuliement  eftre  puifTans.  Vis  à  vis  de  ces  deus 
dernières  figures,  dedans  les  deus  premiers  efpaces  que 
ftifoient  les  Croififants  de  l'autre  cofté,  l'en  auois  fait  af- 
foir  deus  autres,  qui  fuiuoient  le  mefme  argument  de 

16' 


250  RECVEIL   DES   INSCRIPTIONS, 

cède  nouuelle  &  heureufe  conquelte.  Dedans  la  pre- 
mière fe  montroit  vn  lafon  hardi  &  courageus  à  arra- 
cher vne  toifon  d'or ,  pendue  à  vn  arbre  ,  nonobftant 
l'efiroy  que  luy  pouuoit  donner  vn  horrible  dragon  qui 
eftoit  au  pié^  &  qui  au  rebours  de  celui  de  Coichos 
charmé  &  endormi  par  Medée,  ouuroit  les  yeus  effroya- 
blement, &  fenÛoit  û  fort  de  venin,  qu'il  fembloit 
quafi  creuer  dai\s  le  tableau.  On  lifoit  au  deffiis  pour 
deuife  :  arbipiam  vigilet  licet,  et  au  deflbus  : 

VELLVS    AB  INSOMNI    LOTHARENC  DRACONE    TVLISTI,  ~^ 
CARMINIBVS  NEC  SVNT  FERA    LVMINA   VICTA,   NEC  HERBI8, 
INGENIVM,    MARTEHQ.VE    VOCES  NISI    CARMEN,   ET  HERBAS. 

Dedans  la  féconde  efloit  feullement  figurée  vne  vieille 
baniere  Romaine  reprefentant  vne  de  celles  de  Iules 
Cefar,  qui  eflant  de  couleur  iaune  eidoit  trauerfée  de 
bihais  d'vne  large  bande  noire,  qui  portoit  ces  trots 
letres  d'or  V.V.V.  lefquelles  comme  chacun  fçait  affés, 
&  comme  il  a  efté  chanté  &.  rechanté  par  nos  nouueaus 
poôtes,  qui  depuis  naguieres  ont  fi  bien  tenu  chacun 
leur  partie  en  la  louange  de  celle  viâoire,  fignifibient  le 
VENi,  viDi,  vici,  de  Cefar.  Et  pour  autant  que  Monfei- 
gneur  de  Guife  n'a  point  efté  en  ceci  accompaigné  d'rn 
moindre  bon  heur,  que  celui  la  dont  fc  vantoh  ce  Ro- 
main, eftant  fi  opportunément  venu,  ayant  fi  ihgenieu* 
fement  veu,  ayant  fi  vaillamment  vaincu,  ie  l'ay  bien 
voulu  auecques  les  autres  le  faire  héritier  de  ces  trois 
letres,  lefquelles  il  a  fait  perdre  en  d'autres  viftoires 
(ie  pourrois  bien  alléguer  Mets)  à  ceus  qui  font  mefme- 
ment  héritiers  de  Cefar.  Cette  peinture  auoit  fa  deuife 
telle,  TER  HOC  FELICITER  ACTVM,  &  fcs  troïs  vers  tels  :    • 

CAESARIS    HOC,    CAESAR    DEMAS  TIBI,    GVISIVS  ADDAT, 
NAM    VENIT,  VIDIT,   VICIT  SIMVL  ISTE,    TVOSQ.VE 
DVM   Q.VOQ.VE  VINCEBANT,  VICTO  lAM  CAESARE  VICIT. 

En  efcriuant  ces  vers  ci,   il  me  vient  de  naiftre  vne 


FIGVRES,  DEVISES   ET   MASQVARADES.         2  5l 

afifés  gentille  fontaûe  dedans  refprit  pour  donner  plus 
de  grâce  à  cefte  figure,  dont  l'argument  a  efté  trouué  fi 
propre  &  à  la  chofe  &  à  la  perfonne,  c'eft  de  mètre  en 
îa  deuife  au  lieu  de  ter  ce  mot  q.vater,  aiouftant  encore 
vn  V  dedans  la  bande,  &  peignant  au  deffous  de. la  ba- 
niere  vne  fortune  garrotée  de  chaifnes  de  fer,  auecques 
ces  vers  changés  ainfi  : 


HOC   CAESAR   MIHI    CEDE,  TRIBVS  Srr  ET  ADOPTA    Q.VARTA 
UTTERA,  SORS  ADVERSA   MEOS  ET  INIQ.VA  PREMEBAT, 
MOX  VENIy  VIDI,  VICI  :    VINXI  Q.VOQ.VE   VICTAM. 

Pay  aiouflé  ceci  de  gayeté  de  cueur,  comme  i'aiou- 
fteray  quatre  autres  figures  qui  eftoient  deia  toutes 
ordonnées,  &  dont  les  compartimens  efloient  faits,  ainfi 
que  me  font  tefmoins  ceus  qui  eftoient  auecque  môy  & 
mefmement  Baptifte  excellent  peintre  qui  les  faifoit,  & 
qui  en  auoit  reuu  l'ordonnance  des  le  foir  de  deuant  : 
mÔB  rarriuée  du  Roy  nous  preiTa  de  fi  près,  qu'encores 
que  le  peintre  fift  vne  admirable  diligence,  il  fut  impof 
iible  d'en  faire  tant  :  &  fufmes  contraints  de  nous  con- 
tenter de  ces  quatre  premières,  pour  les  interualles  de$ 
croiilants,  dont  les  deus  premiers  qui  en  eftoient  rem- 
plis contenoient  autant  d'efpace  de  la  falle,  que  faifoit 
le  lieu  ou  Ion  deuoit  couurir  pour  le  Roy.  Dedans  la 
première  donques  de  ces  quatre  figures  eiloit  peinte 
▼ne  Andromède  eftant  deia  déliée  de  fon  rocher,  au  pié 
duquel  eftoit  fon  grand  monidre  marin ,  nauré  deia  de 
quelques  coups,  &  demi  eflourdi,  fur  qui  retournoit 
encore  vn  Perfee,  ayant  fes  ailles  au  dos,  volant  dedans 
Pair,  tenant  le  glaiue  dans  l'vn  des  poings,  &  le  chef  de 
Medufe  dans  l'autre,  lequel  il  iprefentoit  au  monilre 
pour  foudain  le  tourner  en  pierre.  Et  d'vn  autre  cofté 
fe  voyoit  vne  grande  compaignie  de  gens  armés.  Lefcri- 
ture  du  deflus  eftoit  :  novo  sva  salva  picardia  perseo, 
&.les  vers  du  defifous  : 


252  RECVEIL   DES    INSCRIPTIONS, 


CAVTIBVS  ANDROMEDBN   PERSEVS,   CETOQ.VE   MARINO 

ERIPVIT,  MONSTRIS  TV   MB  HENRICE  MARINIS , 

ESQ.VE  TIBI,  SI    NOS  PHINEVS  PETAT,  ALTERA  GORGON. 

Âpres  cède  figure  qui  montroit  combien  la  Picardie 
eftoit  heureufe  d'auoir  vn  tel  Roy  pour  fon  prince,  le- 
quel ayant  premièrement  repris  Boulongne,  &  mainte- 
nant reconquis  Calais,  Guignes,  &  Hammes  fur  les 
Ânglois  ne  Va.  pas  feullement  deliurée  de  fon  monflre 
marin,  mais  a  deia  refifté,  &  combatra/  en  la  fin  le  Phi- 
née  qui  la  veut  rauir  :  l'auois  fait  faire  vne  autre  figure 
dedans  laquelle  on  eull  veu  vne  Niobe  deia  demi  tour- 
née en  pierre,  autour  de  laquelle  euflent  eflé  fes  en- 
fans,  moitié  fils  &  moitié  filles,  deia  prefque  tous 
morts,  eflant  chacun  d'eus  nauré  dVne  fieche  dargent. 
Vis  à  vis  de  ce  mafifacre  i'auois  fait  peindre  vn  Phebus, 
&  vne  Diane,  tenant  chacun  vn  arc  d'argent  au  poin, 
duquel  ils  venoient  de  faire  telle  vengeance  pour  l'or- 
gueil infupportable  de  Niobe,  qui  fofoit  préférer  &  elle  & 
fa  race  à  Lato  ne  &  à  fes  enfans.  Celle  deuife  eftoit  pour 
le  haut  :  dat  iniq.vas  svperbia  poenas,  &  ces  trois  vers 
pour  le  bas  : 

LATONAE  NIOBE  TIBI  SESE  O  GALLIA    PRAEFERT 

ANGLIA,  PROLE  T^TMENS,    PHOEBVM,  PHOEBENQ.VE  LACBS8ENS, 

SIC  SAXVM  GENITRIX,  FIVNTQ.VE  CADAVERA  NATI. 


L'orgueil  d'Angleterre  fi  bien  rabaiffé  par  cette  pein- 
ture, eftoit  fuiui  de  la  deftinée  du  mefme  païs,  que  i'a- 
uois  voulu  exprimer  par  la  figure  fuiuante,  y  ifàifant 
peindre  vn  Alexandre  tout  tel  que  nous  le  pouuons  re- 
tirer des  médailles  antiques,  baifant  &  accollant  vne 
Royne  figurée  en  Amazone,  de  mefme  forte  auffi  que 
les  antiques  nous  Pont  montré  :  Laquelle  reprefentoit 
la   dernière  Royne    des  Amazones,   qui  pour  le  defir 


FIGVRES,    DEVISES   ET   MASQVARADES.         253 

quelle  eut  de  coucher  auecques  Alexandre,  perdit  le  braue 
règne  de  ces  courageufes  &  viâorieufes  femmes.  L'ef- 
pace  du  haut  contenoit  cefte  deuife  :  res  iiipar  sed  fata 
EADEM,  &  celui  du  bas  ces  trois  vers  : 


VLTIMA  TE  MACEDO  REGINA  CVPIVrr  AMAZON, 
ANGUCA  CAESAREVM  CVPIIT  REGINA   PHILIPPVM, 
VTRAQ.VE  SIC  REGINA  SVI  MANET  VLTIMA  REGNI. 


Pour  autant  qu'on  pourroit  trouuer  quelques  chofes 
en  cefte  figure  qui  du  tout  ne  Paccommoderoient  point, 
ie  lui  ay  fait  porter  la  deuife  d'en  haut  qui  eft  telle,  que 
les  chofes  eftans  différentes,  le  deftin  eft  de  mefme.  Car 
ie  ne  voudrois  point  ici  dire  que  la  Royne  d'Angleterre 
fîift  Taillante  comme  vne  Amazone,  à  laquelle  on  n*a 
point  veu  encore  porter  les  armes  finon  contre  fon 
peuple,  ni  faire  autre  vaillantife  finon  contre  les  teftes 
des  gentilz  hommes  de  fon  païs.  le  voudrois  encores 
moins  comparer  vn  Roy  Philippes  à  vn  Alexandre ,  le- 
quel pourtant  fembloit  auoir  vn  tel  heur  en  fon  com- 
mencement, que  fil  euft  bien  vfé  de  (a  fortune,  &.  qu'en 
fe  tempérant  en  tout,  il  n'euft  point  reculé  le  bras  de 
Dieu  d'auecques  le  fien,  ie  croy  certainement  qu'il 
nous  euft  montré  que  les  vices  de  noftre  France,  qui 
depuis  ie  ne  fçay  combien  Peftdu  toutdeprauée,  crioient 
vengeance  contre  nous.  Mais  maintenant  ie  voy  bien 
(ce  n'eft  pas  la  première  fois  que  i'ay  veu  &  prédit)  que 
la  ballance  PabbaifTe  de  noftre  cofté,  &  que  fi  nous  nous 
maintenons  au  chemin  qu'il  faut  toufîours  fuiure, 
noftre  bon  heur  fe  maintiendra  au  cours  qu'il  a  deia 
commencé.  Outre  ce  premier  égard  ie  ne  feray  point  ce 
tort  à  ce  grand  Prince,  &  à  cefte  grande  PrinceiTe,  qui 
font  conioints  par  légitime  mariage,  d'approprier  leur 
alliance  au  concubinage  de  ces  deus  :  Car  i'ay  efté  d'auis 
de  tout  tens  que  c'eftoit  le  plus  fotement  fait  qu'on 
fçauroit  fiELire,  d'iniurier  par  efcrit  les  Princes  qui  nous 
font  ennemis,  principallement  aus  chofes  qui  font  con- 


256  RECVEIL   DES   INSCRIPTIONS, 

prenons  toutes  les  chofes  que  le  Roy  a  Eûtes  depuis  fon 
auenement  à  la  couronne,  le  tout  allant  d^ordre  &  le 
tout  û  bien  efcrit ,  &  en  fi  grands  carraâeres ,  qu'il  fe 
pouuoit  facilement  lire  de  la  table  du  Roy.  Ceci  efloit 
au  deiTus  des  vers  :  ex  d.  caroli  lotharingi  pyramide, 
A  STEPH.  lODELio  DEscRiPTA ,  &.  les  vers  qui  fuiuoient 
edoient  tels  : 


SCOTIA  TVTA  SVIS  ,  ACCEPTA  BOLONIA ,  METAE, 

ET  RHENI    PAVOR   ATTONITI,    FVSVSQ.VE    PER  VMBRAS 

CAESAR,  ET   HINC  VICTAE  TVRMIS  REOEVNTIBVS  VRBES, 

MOX  Q.VOQ.VE  DEFENSAE  LOTHARENI  GLORIA  METAEy 

INSTAVRATAE  ACIES,  VRBESQ.VE  AEDESQ.yE  SORORIS 

CAESAREAE,    RENTINA   TIBI  PALICA  ADDITA  GVISI, 

AC  SI  Q.VA  IN  BELGIS  Q.VAESITA  TROPHOEA  SVPERSVNT  : 

HAS  INTER  PALM A S  PARMA,  ET  MIRANDVLA,  SENAE, 

CORSICAQ.VE,  ET  TOTIES  DECEPTVS  IN  ALPIBVS  HOSTIS  l 

NVNC  Q.VOQ.VE  Q.VOD  RELIQ.VIS  POTIVS  FATALE  CALETVM, 

Q.VAEQ.VE  FEROX  POTIOR  FATALI  GYINA    CALETO, 

HAEC    SVNT  Q.VAE   REGEH  LAVRV  RES  LAVDE  CORONANT. 

Ces  vers ,  comme  Pinfcription  le  montre ,  font  tirés 
de  la  Pyramide  de  monfeigneur  le  reuerendifïime  Car- 
dinal de  Lorraine,  qui  eft  vn  petit  œuure  que  ie  fi  der- 
nièrement d'enuiron  fix  cents  vers  héroïques  Latins, 
autant  beau  comme  ie  croy  qu'aucun  qui  foit  encores 
forti  de  moy,  fans  excepter  mefmes  ceus  que  i'ay  feits 
d'vne  beaucoup  plus  longue  alaine.  Pauois  efperance 
voyant  vn  chacun  à  l'enui  lui  prefenter  ce  qu'il  -  pou- 
uoit, de  faire  vne  arrière  garde  après  tous  les  autres. 
Laquelle  encores  qu'elle  me  femblaft  trop  foible  pour 
garder  fon  nom,  &  les  grâces  dont  il  eft  pourueu  contre 
^es  iniures  du  tens,  de  la  mort,  &  de  l'oubliance,  fi 
prometoit  elle  pour  l'auenir  quelque  chofe  aprochante 
de  cela.  Mais  mon  defaftre  acouftumé  l'a  pendue  au 
croc,  comme  tous  mes  autres  labeurs,  lefquels  fi  ie 
ne  penfois  auoir   bien   faits ,  &  fi  ie  ne   penfois  qu'ils 


FIGVRES,   DEVISES   ET  MASQVARADES.         2  57 

fufTent  aucunement  dignes  de  la  leéhire  des  grands  fei- 
gneurs,  ie  les  brulerois  &  eus  &  mes  Hures.  Si  i'auois 
le  loifir  de  difcourir  ici  tout  ce  qui  m'en  efl  auenu,  ie 
fer  ois  emerueiller  ceus  qui  fans  me  connoiftre  bien, 
iugent  de  moy  à  Pauanture.  Mais  ce  n'eft  pas  ici  ou  il 
me  &ut  vfer  de  ces  plaintes  autant  contre  la  fortune  & 
les  defÎEdlres,  que  contre  l'ingratitude  des  noflres.  Vne 
occaûon  fe  prefentera  vn  iour,  ou  telle  mifere  déduite 
apprandra  bon  gré  mal  gré  à  beaucoup  de  feueres  cen- 
feurs,  qm  tancent,  reprennent,  &  confeillent,  pour  pa- 
Toiftre  &  non  pour  ayder,  que  la  conduite  de  nos  for- 
tunes n'eft  point  en  noflre  conduite.  Ce  qui  ne  fuit 
point  entré  en  mon  cerueau  non  plus  qu'au  leur, 
fi  ie  n'eufle  expérimenté  que  contre  toutes  les  pre- 
uoyances  &  pouruoyances  que  i'aye  fceu  iamais  faire, 
i*aytouûours  fenti  les  malheurs  d'vne  deftinée,  tellement 
enchaifnés  queue  à  queue ,  &.  fe  rencontrans  tellement 
au  point,  qu^il  a  fallu  qu'en  toutes  entreprifes  en  dépit 
de  moy,  la  charte  me  foit  demeurée  au  poin.  Car  quand 
sus  letres  (Pii  faut'  encore  vn  peu  reprandre  ma  di- 
grefiion)  qu'eft  ce  que  i'ay  iamais  voulu  faire  voir  de 
moy,  qu'vn  affaire,  vne  maladie ,  vne  débauche  d'amis, 
vn  de&ult  ou  vne  perte  d'occafion,  vne  entreprife  nou- 
uelle,  ou  ce  qui  efl  le  pire  de  tous,  vne  enuie  n'ait  em- 
pefché  d*eftre  veu  ?  le  ne  parle  point  des  labeurs  de 
ma  petite  ieunefife,  mais  de  ceus  ou  i'ay  trauaillé  depuis 
quatre  ou  cinq  ans  :  lefquels  ay-ie  iamais  fceu  faire 
fortir  en  lumière,  encores  que  i'y  tachaffe  &.  que  ie  pen- 
faife  bien  leur  auoir  donné  des  yeus  d'aigle  pour  la 
fouftenir?  Quand  aus  armes  ou  i'ay  toufiours  fenti  ma 
nature  aflés  encline;  en  quel  camp,  en  quel  voiage 
n'ay-je  voulu  aller,  &  quels  aprefts  &  quelles  pourfuites 
n'ay4e tâché  de  faire?  Mais  touûours  ou  quelque  autre 
maladie  ou  le  defiaut  prefent  du  moyen  qui  ne  peut 
accorder  auecque  la  grandeur  d'vn  bon  cueur,  ou  le 
delay  de  îour  en  iour,  ou  quelques  autres  incommodités 
m'ont  tellement  retenu,  qu'il  femble  que  ces  malheurs 
me  feruans  de  fers,  ma  ville,  qui  m'eft  malheureufe 
lodelle.  —  1.  17 


■  y 


258  RECVEIL   DES   INSCRIPTIONS, 

le  poiïibie,  me  doiue  feruir  d'éternelle  prifon.  Quand 
aus  affaires,  encores  que  îe  n'i  fois  ni  fait  ni  nourri,  auf- 
quels  pour  le  moins  n*eflois-ie  point  né'i  Mat&  tant  Pen 
faut,  comme  me  reprochent  plufieurs,  que  te  les  fuye, 
qu'ils  m'ont  de  tout  tens  fui ,  fana  qu'il  7  ait  eu  rien 
qui  m'en  ait  rendu  incapable  que  le  trop  de  malheur, 
ou  le  trop  de  capacité ,  defquels  Tvn  m'a  peu  apporter 
les  haines  &  les  enuies ,  &  "l'autre  la  prefumption  & 
fiance  de  moymefme ,  qui  deplaifent  merueilieufement 
aus  grands.  l'entens  bien  deia  ce  qu'on  me  dit  fur  ceci, 
que  ie  fuis  encore  fort  ieune,  &  que  ie  ne  fcaurois  fiiire 
telles  complaintes  fans  que  i'aye  dedans  moy  vne  deme- 
furée  outrecuidance,  le  ne  refpons  autre  chofe,  finon 
que  par  le  paffé  &  par  le  prefent  ie  iuge  bien  du  futur. 
Toutesfois  i'efpere  encores,  &  peut  eftre  qu'au  meilleu 
de  mon  aage,  la  fortune  fe  fera  meilleure  pour  moy.  le 
reuien  à  ma  Pyramide  laquelle  i'auois  fait  fort  bien  ef- 
crire,  dorer  &  acoulbrer  pour  prefenter,  mais  roffrant 
cefle  occafion  de  fefiin,  &  penfant  que  toutes  les  chofes 
que  i'auois  bien  ^Elites,  eftans  bien  exécutées  &  bien 
receOes,  lui  donneroient  vne  meilleure  entrée,^  luy  fi 
garder  le  coffre  qu'elle  garde  encores.  Certainement 
i'auois  aiTés  de  fois  appris  que  le  vice  &  la  defobai0ance 
reculoit  la  vertu  &  le  feruice  premier,  mais  ie  n'a- 
uois  encore  iamais  oui  dire  que  la  vertu  reculaft  la  vertu, 
&  le  feruice,  le  feruice.  Or  ne  demeurons  point  fi  long- 
tens  en  û  beau  chemin,  &  venons  à  ce  qui  a  efté  caufe 
de  tout  le  mal,  qui  efl  la  première  des  mafquarades,  ne 
nous  haflant  point  de  déduire  les  fautes  qui  y  furent 
commifes,  le  retranchement  que  ie  fus  contraint  d'y 
faire,  les  excufes  qui  à  la  vérité  me  doiuent  abfoudre, 
ains  remetant  tout  cela  iufques  à  tantoft  que  le  leâeur 
l'aura  toute  leûe.  Mon  inuention  eftoit,  qu'ayant  veu 
porter  à  la  ville  vne  nauire  en  fes  armes ,  &  me  refou- 
uenant  de  la  nauire  Argon  dont  i'ay  deia  parlé,  ie  deli- 
beray  pour  les  belles  accommodations  que  Ion  verra  ca- 
chées la  deflbus,  faire  ma  mafquarade  d'Argonautes.  Or 
pour  autant  qu'entre  tous  autres  trauaus  que  les  Argo- 


FIGVHES,   DEVISES   ET   MASQVARADES.  269 

nautes  ont  foufiferts,  &  auquels  la  pauure  Argon  mefme 
a  elté  fuiete,  cetui  ci  eft  vn  des  plus  mémorables,  que 
dedans  la  Lybie  ils  furent  contraints  de  la  porter  fur 
leurs  efpaules,  ie  voulois  aufû  qu'en  la  mafquarade  la 
rapportans  au  Roy  pour  lui  eftre  heureufe  &  fatalle 
comme  elle  leur  auoit  efté,  &  pour  le  confeiller  &  lui 
prophetifer  fes  heurs  &.  fes  malheurs,  comme  elle 
leur  auoit  toujours  confeilié  &.  propheti2é,  ils  la  por- 
taient fur  leurs  efpaulles,  auffi  bien  qu'ils  auoient 
£ûtda&s  la  Lybie,  pour  montrer  au  Roy  qu'en  tous 
périls  &  dangers  il  la  £edloit  porter,  ce  qui  à  mon  iu- 
gement  eftoit  afifés  propre  à  cefte  communauté  de  Paris. 
Pour  ce  aufû  que  Minerue  l'auoit  fait  bâtir  du  bois 
de  la  forefl  parlante ,  qui  eft  la  caufe  qu'elle  parloit , 
&  qu'elle  eftoit  prophète,  ie  voulois  que  Minerue  les 
accompaignaft,  comme  elle  leur  auoit  efté  prefente  & 
fouorable  en  leur  voiage  de  la  toifon  d'or.  Dauantage 
fçachant  que  la  beauté  d'vne  mafquarade  eft  la  mufique, 
ie  voulois  qu'Orphée  qui  eftoit  iadis  l'vn  des  Argonautes, 
marchaft  deuant  eus,  fonnant  &  chantant  vne  petite 
chanfon  en  la  louange  du  Roy,  &  que  comme  il  fouloit 
anciennement  tirer  les  rochers  après  foy,  deus  rochers 
plains  de  muQque  le  fuiuiffent,  laquelle  chantaft  comme 
fi  ce  fiift  efté  la  vois  de  quelques  Satyres  ou  quelques 
Nimphes  cachées  au  dedans.  Mais  à  caufe  que  le  refte  fe 
verra  mieus  par  la  leéture  des  vers  ie  viendray  à  la 
chanfon  d'Orphée,  à  laquelle  ie  faifois  refpondre  ceus 
qui  eftoient  dans  les  rochers. 


CHANSON    D'ORPHEE. 


Si  iamais  rochers  &  bois 
Ma  foixe  dans  foy  fentirent, 
Si  fous  ma  vois,  fous  mes  dois 
S'arrachans  ils  me  fuiuirent. 


26o  RECVËIL  DES   INSCRIPTIONS , 


Suiués  rochers,  &  auecq*  voftre  Orphée 
Admirés  moy  (Pvn  grand  Roy  le  Trophée. 

Si  quelque  Nimphe  dans  vous 

Qjtelque  Pan^  quelque  Satyre  y 

Pour  ouir  mes  accords  dous^ 

D*auanture  fe  retire, 
Chantés  rochers,  &  auecq*  voftre  Orphée 
Adorés  moy  d^vn  grand  Roy  le  Trophée. 

LA    MVSIQVE    DES    ROCHERS. 

On  nous  auoit  veu  cacher 
Pour  fouir,  aus  roches  creufes. 
Mais  auecque  le  rocher 
Nous  tirent  tes  mains  heureufes, 
Raui!(,  abftraits,  mourants  d*ouir  Orphée, 
Et  plus  encor  d^ouir  vn  tel  Trophée. 

O  heureus  Roy,  qui  as  eu 

Pour  ton  fonneur  vn  Orphée, 

Heureus  fonneur  qui  as  peu 

Si  bienfonner  tel  Trophée, 
O  trois  trois  fois  trois  fois  heureus  Orphée, 
O  trois  trois  fois  trois  fois  heureus  Trt^hee. 

Apres  cete  chanfon,  qu'expreflement  i'auois  fiait 
douce  &  en  bas  flyle,  vfant  de  vers  intercalaires  qui  ont 
bonne  grâce  en  la  mufique,  i'auois  fait  parler  Minerue 
en  telle  forte: 

M  IN  EKVË. 

Voyant  ainji,  ô  Roy,  dans  ma  main  doâe  &  forte 
Branler  affeurément  les  armes  qu'elle  porte, 
Et  voyant  ma  Medufe  effroyer  de  rechef 
Tous  vos  y  eus  des  feipens  de  fon  horrible  chef, 
Me  voyant  me/ma  auoir  la  bourguignotc  en  tefte. 


FIGVRES,    DEVISES   ET   MASQVARADES.         201 

Qjtifon  panache  fait  flotter  dejfus  fa  creflCy 
Nefçay  tu  pas  défia  que  Minerue  iefuis, 
Q)ii  feule  fur  les  arts  &  fur  les  armes  puis 
Autant  qu*  Apollon  mefme,  autant  que  Mars  mes  frères? 
Minerue f  qui  laiffant  mes  deux  villes  premières 
Athènes,  &  puis  Rome  {auiourdhuy  feul  tombeau 
De  ce  qu^elles  ont  eu  de  bon,  de  grand,  de  beau) 
Me  fuis  de  ton  Paris  faite  la  gardienne 
Par  ton  Père,  qui  feul  me  rend  Parifienne, 
Et  me  rendras  toufiours,  fi  toufiours  ie  ne  voy 
Fouller  Vheur  que  ie  donne  à  ta  ville  &  à  toy, 
Et  fur  le  fçauoir  faint  mettre  le  pié  barbare, 
Sçauoir,  qui  feul  les  Roys  des  lourds  bouuiers  fepare, 
Sans  lequel,  foit  qu^vn  Roy  lefuiuepar  autruy. 
Ou  qu'en  foymef me  ilaytfa  conduitte  par  luy, 
n  nefçauroit  guider  Vefpoir  de  plus  grand  (gloire, 
Ny,  eftant  mort,  auoir  de  fa  mort  la  viûoire. 
Mais  pourquoy  tout  ceci  puis  que  tes  bras  tu  tends 
Pour  de  ta  gardienne  eftre  garde  en  tout  tens  ? 
le  m'égare,  &  nCeftant  propofée  autre  chofe 
Je  nCefbahi  quUiinfifans  propos  ie  propofe. 
Orfçache  donc  que  c^eft,  &f cachent  tous  pourquoy 
Ma  trouppe  tant  eftrange  arriue  deuant  toy. 

'7*ti  as  bien  leu  qu^auant  que  la  Greque  ieuneffe 
Eufi  voué  de  laijfer  le  repos  de  la  Grèce, 
Se  donnant  au  hœ^ard  pour  première  ramer, 
Et  contreindre  au  faij(  Veau  pucelle  de  la  mer, 
Enfuiuant  le  confeil  du  cauteleus  Pelie, 
Qsti  penfoit  perdre  ainfi  defon  Neueu  la  vie. 
S'il  pouuoit  enuoyer  ce  courageus  lafon 
Au  dangereus  conqueft  de  la  riche  Toifon  : 
Sur  le  mont  Peliaque  en  la  foreft  parlante 
lefei  faire  pour  eus  la  Nau  prophetifante. 
Qui  fut  nommée  Argo,  &  Argonautes  ceus 
Qjii  dedans  elle  iroientpar  les  flots  dépit  eus. 
Us  demarent,  ils  vont,  mille  monftres  ils  voyent, 
Souffrants  cent  mille  maus  cent  fois  ils  fe  deuoyent . 
Ils  viennent  en  Colchos,  oit  Medée  les  fait 


264  RECVEIL  DES   INSCRIPTIONS, 

Quand  elle  fut  par  moy  pour  vne  autre  laiffée  : 

Si  tu  te  peus  garSkr,  toy  qui  es  Roy  prudent ^ 

De  maint  flateur  fùbtil,  maint  flaUur  impudent, 

Qui  courtisan  de  rfjf ,  de  façon ^  de  harangue, 

Couure  mille  venins  du  dous  miel  de  fa  langue, 

Et  qui,  fi  tu  n^eftois  vn  bon  Prince  auiféy 

Rendrait  fur  la  Vertu  le  Vice  autorifé. 

Plus  trompeur  que  n^eftoient  les  Serenes flatanies. 

Dont  Véchappay  les  vois  doucement  attrayantes^ 

Qui  pour  le  beau  loyer  dufon  qu'ils  *•  accordoiemt, 

Et  ma  vie  &  la  vie  à  tous  nous  demandoient  : 

Briefji  en  toutes  peurs,  tous  périls,  tous  orages, 

Argon  ta  pauure  Nef  tu  portes  &  foulages. 

Comme  dans  la  Lybie  elle  fe  fit  porter. 

Et  comme  tu  la  vois  deuers  toy  r^apporter 

Deffus  le  dos  courbé  des  Argonautes  mefmes. 

Qui  paroiftroient  tous  tels  que  font  les  ombres  blefmes 

Des  champs  Elyfiens^  ou  nous  des  long  tens  morts 

Habitons  maintenant,  &  n^auroient  point  de  corps 

Si  Minerue  n^auoit  à  voftre  humaine  veûe 

Accommodé  la  chofe.  Eftant  donc  ainfi  vèûe^ 

Si  viuement,  croies  que  tous  vous  nous  voyés. 

Sans phantaufme,  tous  tels. que  voir  vous  nous  croyés. 

Tout  ainfi  par  la  mer  quelquefois  nous  vogafmes  : 

Tout  ainfi  quelquefois  ce  vaiffeau  nous  poriafmes  : 

Et  fi  on  ne  le  croit  qu^on  oye  le  vaiffeau 

Parler  au  vieil  lafon,  &  au  lafon  nouueau. 


ARGON. 

lafon  mon  plus  cher  fils,  &  la  gloire  indontée. 
Quand  Veftoisfur  les  eaus,  de  toute  ma  portée, 
Si  iufques  aus  enfers  defcend  Vaffeâion, 
Et  fi  les  Ombres  ont  aucune  paffion, 
Pren  vn  peu  de  pytié  de  moy  qui  fuis  venue 
Du  ciel,  où  ie  me  fuis  par  fi  long  tens  tenue 
En  aife  &  en  repos  :  &  il  faut  maintenant 


FIGVRBS;    DEVISES    ET   MASQVARADES.         205 

Qfi^on  me  voye  Cent  maus  S-  cent  maus  fouftenant  : 
Toutesjbis  puifque  c'eft  pour  porter  de  tels  Princes 
Iufqu*aus  dernières  mers,  aus  dernières  prouinces, 
Je  veus  bien  fupporter  encore  ce  labeur. 
Mais  Mopfus,  qui  foulois  prédire  le  malheur 
Et  l'heur  de  mes  en/ans,  ie  te  prV  prophetife 
A  mon  fécond  la/on  Vheur  de/on  entreprife. 


MOPSVS. 

De  cefte  peine  en  brefie  te  dechargeray, 
MerCy  &  au  lieu  de  toy  ie  propheti:(eray 
Ce  qu^ ont  défia  prédit  quelques  Prophètes  fages, 
Qjte  les  François  bien  tofi  loin  du  monde  à  Vefcart 
Mettront  au  ioug  le  col  de  VAnglois  Léopard, 
Et  de  Vautre  cofté  rabatront  Varrogance 
De  ceux  qui  fe  font  grands  par  ru:(e  &  alliance, 
Faifant  en  fin  la  fin  de  V Empire  Romain, 
Duquel  le  nom  mourra  fous  leur  fatale  main. 
Et  qui  ne  le  croira,  que  la  raifon  il  croye. 
Apprenant  que  le  ciel  de  terre  en  terre  enuoye 
L'Empire  des  humains,  &  que  quand  il  permet 
Vos  humaines  grandeurs  croiftre  iufqu^au  fommet. 
Ce  f^eftfinon  afin  qu'auffi  tofi  il  les  baiffe^"". 
Comme  monter  en  haut  lentement  il  les  laiffe: 
Cetui  la  des  long  tens  eft  deia  renuerfé. 
Semblable  au  pauure  oifèau,  qui  fur  terre  bleffé, 
Allors  que  dedans  V^aer  p ébranler  ilpeffaye , 
Ne  fait  plus  que  trainer  &fon  fang  &  fa  playe. 
Et  fi  tu  crains,  ôRoy,  que  le  François  prochain 
De  la  grandeur  qu*auoit  iadis  le  nom  Romain^ 
Ne  foit  point  héritier  de  la  grand  Monarchie, 
Et  que  ton  Croiffant  cède  au  Croiffant  de  Turquie, 
Tellement  que  Ion  vift  vn  grand  Lion  couché 
Apres  auoir  long  temsfur  le  ventre  marché. 
Pour  épier  fa  proye,  en  p élançant  deffaire 
L'Aigle  &  le  braue  Coq  Vvn  à  Vautre  contraire  : 


206  RECVEIL  DES   INSCRIPTIONS, 

Affeure  toypar  moy  que  les  Turcs  mefine  tiennent, 

Qpte  les  frains  de  V Empire  entre  les  mains  reuiennent 

Des  grans  Roy  s  indontés  heritiem  de  Francus, 

Par  qui  doibuent  vn  iour  eus  me/me  eftre^vaincus, 

Mefmes  qui  te  peut  plus  affeurer  de  ces  chofes 

Que  fi  deuant  tes  y  eus  Calais  tu  te  propofes,         ^ 

Et  les  derniers  Lauriers  dont  après  \m  malheur 

Ce  grand  Prince  Lorrain  couronne  ta  grandeur? 

Car  cela  feul  deia  te  promet  V Angleterre^ 

Ou  les  deftins  font  faus  :  V Angleterre  &  ta  terre 

Auecq  VEfcoce  auffi,  feront  que  chacun  Roy 

De  V  Europe  fera  contraint  fléchir  fous  toy. 

Et  mefme  en  ce  difcord  qu'on  verra  bien  toft  naiftre 

Pour  V Empire,  il  faudra  que  toy  le  plus  grand  maijhe. 

Si  tous  les  tiens  au  moins  fçauent  bien  leur  meJUcTf 

Taches  de  ce  gi^and  rond  auoir  le  tiers  entier  : 

Si  V Europe  tu  as,  les  deus  autres  parties, 

Veu  qu*au  pris  de  V  Europe  elles  font  abruties 

Et  barbares,  enfin  par  force  &  par  moyens 

Peu  à  peu  couleront  deffous  la  main  des  tiens  : 

Tant  que  fi  feul  tu  n'as  toute  la  terre  baffe, 

Tu  te  peus  affeurer  qu^vn  iour  Vaura  ta  race. 

Voila  ce  que  Calais,  &  le  cueur  aiov/té 

Aus  tiens,  peut  aioufter  à  telle  Maiefié. 


lASON. 

Argon  pen  reiouit,  Argon  parmi  la  voye 
En  murmuroit  tantofi  vn  long  lo  de  ioye, 
Oyant  le  bruit  méfié  de  toute  la  cité, 
Qui  la  porte  enfignal  de  fa  félicité, 
Croy  doncq^  qu'elle  eft  ia  prefte  aux  premières  conquejies 
Q}ii  des  vieus  ennemis  doiuent  brifer  les  teftes. 
Ne  crain  doncq^  point,  tu  as' des  Deeffes  &  Dieus 
Comme  nous,  pour  ta  guide  &  faueur  en  tous  lieus  : 
Ta  femme  eft  ta  lunon,  tafeur  eft  ta  Minerue, 
Qui  le  droit  de  la  noftre  à  bon  droit  fe  referue: 


FIGVRES,    DEVISES   ET   MASQVARADES.  267 

Et  bien  que  nou9  tCeuffions  autre  fupport  finon 

Qjie  celui  de  Palla^f  &  celui  de  lunon, 

Tu  as  outre  ces  deus  vne  tierce  Deejfe, 

Vne  Diane  ardiere,  &  chafte,  &  chaffereffe. 

Ce  bon  Roy  Nauarrois-,  fon  ieune  frère  encor, 

Te  pourront  bienferuir  de  Pollux  &  Caftor, 

€e  grand  vaincueur  de  Guife  eft  ore  ton  Hercule^ 

Qui  fous  toy,  VEfpaignol  outrepaffant  recule. 

Calais  &  Zethes  font  deus  frères  quHl  a. 

De  deus  frères  encor  vn  chacun  choifira 

Le  nom  quUl  lui  eft  propre*'.  S-  Vautre  diuin  frère 

Qui  d'vn  double  confeil  les  affaires  modère 

Auecq  la  pieté,  fera  ton  grand  Typhis 

Gouuemeur  de  la  nef.  Mefme  ie  voy  ton  fils. 

Et  d'autres  ieunes  Dieus,  &  tant  d'autres  Deeffes, 

Qfti  leurs  faueurs  rendront  de  tous  malheurs  maîtreffes. 

Voici  nos  rames,  li  dedans  elles  nos  noms. 

Et  vien  accommoder  les  noms  des  bons  aus  bons  : 

Nous  les  allons  porter  enfemble  &  leur  nauire 

La  dedans,  pour  toufiours  f  attendre,  &  te  conduire 

Par  tout  ou  il  plaira  à  ta  grand  Maiefté 

Singler  d^vn  voile  plain  de  la  profperité. 

Voila  qui  efloit  fi  mal  fait,  que  ie  dirois  volontiers  que 
tous  ceus  qui  ont  pris  Poccafion  au  poil  pour  me  pein- 
dre de  toutes  les  couleurs  quMls  ont  peu,  deuroient  plus 
toft  apprandre  en  telles  chofes  qu*y  reprandre,  n'efteit 
que  ie  me  commande  la  modeftie  plus  que  iamais.  Et 
auffi  à  la  vérité  que  ie  ne  Teftime  point  pareil  à  mes 
autres  œuures  que  i'ay  faits  à  loifir,  mais  ayant  eu  fi 
peu  de  tens,  &  en  ce  peu  de  tens  tant  d'occupations, 
ie  m'ebahi  moymefme  comme  ie  Pay  fait  de  telle  forte, 
&  ou  i*ay  peu  dérober  les  heures  pour  le  faire.  Car  i'ay 
cent  tefmoins  qui  fçauent,  que  de  ce  que  i*ay  décrit, 
il  m'a  fallu  foucier  entièrement  de  tout  iufques  à  faire 
alToir  la  moindre  feuille  de  lierre,  tellement  que  tout  ce 
que  i*auois  à  reciter  en  celle  mafquarade  fous  laperfonne 
de   lafon,  ie  le  compofay  mefme  ce  ieudi  au  matin,  & 


268  RECVEIL  DES    INSCRIPTIONS, 

encore  auois-je  affés  de  tens  pour  en  venir  à  bout,  n^eftoit 
qu'on  ne  cefTa  tout  ce  iour  la  de  me  rompre  la  tefte 
depuis  le  matin  iufques  au  foir.  Tant  pour  la  noncha- 
lance, mefpris,  ou  ignorance  que  fembloient  auoir  ces 
Parifiens  de    ce    qui   leur  pouuoit   apporter  honneur, 
que  pour  le  continuel  empefchement  que  de  moment 
en  moment  les  maneuures  me  venoient  donner.  Qui 
pourroit  croire  en  quel   dépit  me  mettoient  quelques 
vns  de  ces  mefïieurs,  qui  penfans  comme  ie  croy  tout 
ce  que  ie  faifois  efbre  des  foriboles,  fembloient  ne  fe 
foucier  que  des  chofes  dont  leur  cerueau  fe  rend  ca- 
pable ?  le  fçay  bien  que  Ion  dira  que  ie  ne  deuois  point 
entreprandre  tant  de  chofes,  &  que  ie  me  deuois  con- 
tenter de  bien  faire  &.  mener  à  meilleure  iflue  ce  qu'on 
pouuoit  prîncipallement  attendre  de   moy.  Ceus  qui 
parlent  ainii  montrent  bien  le  defiBsiut  de  noflre  ûecle, 
qui  fe  contente  feullement  de    la   fimple  apparence^ 
comme  il  Ion  deuoit  recueillir  la  feuille  ou  Pefcorce 
pour  le  fruit  ou  pour  le  fuc.  Car  qui  efl  celui  qui  ait 
ii  peu  de  iugement  qui  ne  rie  toutes  les  fois  qu'il  orra 
dire  qu'on  Peft  û  criminellement  attaché  à  moy,  en  vne 
chofe  qui  n'eftoit  faite  que  pour  plaiiir  &  rifée,  &  au  re- 
bours qu'on  a  laifTé  pafler   fi    légèrement  toutes  les 
chofes  qui  emportoient  vne  durable  mémoire  ?  Combien 
de  fois  ay-ie  veu  bailler  de  main  en  main  auecque  cé- 
rémonie, reciter  auecques  admiration,  recueillir  auecques 
vn  foin  nompareil,  &  louer  auecques  vne  afFeâion  ex- 
trême, des  infcriptions  qui  peut  eftre  eftoient  moindres 
que  celles  que  i'ay  dites,' n'euft  efté  l'aulhorité  qu'elles 
empruntoient    de    quelque   vieille   ruine  ?  Toutesfois, 
tant  la  France  efl  curieufe   de  ce  qui  efl  bon ,  chacun 
comme  ie  croy  les  a  paffées  fans  les  lire,  &  moitié  par 
ignorance,  moitié  par  malice,  ceus  qui  n'ont  efté  que 
trop  plains  de  paroUes  en  ma  faute,   fe   font  trouués 
tous  muets  en   mon  mérite.   Mais  prenons  que  cefte 
mafquarade  que  i'auois  faite  toute  telle  que  vous  l'aués 
leûe,  ayt  efté  la  plus  mal  recitée  qu'on  fçauroit  imagi- 
ner, en  quoy  peut  on  auoir  occafion  de  m'accufer?  Si 


V 


FIGVRES,    DEVISES    ET    MASQVARADES.  269 

Ion  me  refpond  maintenant,  pour  ce  qu'elle  efloit  mal 
faite,    certainement   ie   feray   contraint  de  qulter   ma 
caufe,  moyennant  qu'on  produife  de  quoy,  mais  encore 
que  le  monde  foit  auiourdhui  autant  impudent  qu'il  efl 
pofûble,  ie  croy  que  ie  ne  trouueray  point  de  telles  im- 
pudences. Si  Ion  me  dit,  pour  ce  quelle  efloit  mal  acouf- 
trée,  ie  tien  deia  mon  procès  pour  tout  gaigné,  veu  que 
chacun  fçait  bien  que  la  iufle  colère  de  voir  ce  que  i'auois 
ordonné  fi  mal  mis  en  œuure,  me  mit  à  bon  droit  hors 
de  moy.  Car  me  Tentant  autheur,  Tentant  l'expe£lation 
qu'on  auoit  de  moy,  &  voir  qu'on  m'auoit  âdt  au  lieu 
de  rochers  des  clochers,  qu'on  m'auoit  mequanique- 
ment   mefnagé  les   habits,    qu'à  l'heure   mefme  qu'il 
fiallut  partir  plufieurs  chofes  defifailloient,  que  peut  on 
penfer  que  ie  deuinfe ,  û  l'on  connoifl  le  grand  cueur 
que  i'ay,  finon  fiirieus  &  demi  mort,  voyant  apertement 
que  i'eflois  contraint  d'aller  en  vn  lieu,  dont  ie  ne  pou- 
uois  rapporter  pour  toute  recompanfe,  que  ma  courte 
honte  &  ma  repentance  éternelle  ?  Si   Ion  dit,   pour 
autant  que  les  aâeurs  efloient  mal  choifis,  quelle  foute 
eut  on  aperçu  en  leur  prolation  naturelle,  fi  l'afTeurance 
&  la  mémoire  euffent  eflé  de  mefme  ?  Et  comment,  bon 
Dieu,  eufife-ie  cherché  de  bons  aâeurs,  veu  que  les  trois 
iours  que  i'auois  d'efpace  fefufTent  coulés  à  les  chercher  if 
Mefmement  comment  eufl  il  eflé  poffîble  que  ie  les 
eulTe  peu  façonner,  veu  que  ie  ne  les  fceu  feullement 
faire  repeter  ce  qu'ils  auoient  à  dire  fors  le  iour  mefme, 
&  encore  à  demi,  voire  vne  feuUe  heure  deuant  le  fou- 
per  ?  Et  lors  de  quel  remède  n'vfay-ie  ?  Ne  retranchay- 
ie  pas  tous  leurs  rooles  de  tout  cela  ou  ie  les  voyois 
hefiter  ?  Que  refloit  il  donc  de  mon  deuoir,  fors  que 
d'efbre  Dieu  &  de  commander  à  leur   nature  ?  Si   Ion 
dit  que  ie  me  deuois  garder  pour  les  conduire,  fans 
faire  moymefme  l'vne  des  perfonnes  &  fans  m'abaiffer 
iufques  la,  combien  que  i'y  confefTe  auoir  vne  grande 
faute,  quelles  raifonnables  excufes  n'ay-ie  point  ?  Pre- 
mièrement qui  efl  celui  qui  eufl  appris  la  perfonne  de 
lafon  le  iour  mefme,  comme  le  iour  mefme  ie  fu  con- 


206  RECVEIL  DES   INSCRIPTIONS, 

Affeure  toypar  moy  que  les  Turcs  mefine  fiennent, 

Qjie  les  frains  de  VEmpire  entre  les  mains  reuiennent 

Des  grans  Roy  s  indoniés  héritiers  de  Francus, 

Par  qui  doibuent  vn  tour  eus  me/me  eftrmvaincus, 

Mefmes  qui  te  peut  plus  affeurer  de  ces  chofes 

Que  fi  deuant  tesyeus  Calais  tu  te  propo/es,        ^ 

Et  les  derniers  Lauriers  dont  après  vn  malheur 

Ce  grand  Prince  Lorrain  couronne  ta  grandeur? 

Car  cela  feul  deia  te  promet  V Angleterre^ 

Ou  les  deftins  font  faus  ;  V Angleterre  &  ta  terre 

Auecq  VEfcoce  auffi,  feront  que  chacun  Roy 

De  V Europe  fera  contraint  fléchir  fous  toy. 

Et  mefme  en  ce  difcord  qu'ion  verra  bien  tofi  naijtre 

Pour  VEmpire,  il  faudra  que  toy  le  plus  grand  maijtre^ 

Si  tous  les  tiens  au  moins  fçauent  bien  leur  mejtiery 

Taches  de  ce  grand  rond  auoir  le  tiers  entier  : 

Si  V Europe  tu  as,  les  deus  autres  parties, 

Veu  qu^au  pris  de  V  Europe  elles  font  abruties 

Et  barbares,  enfin  par  force  &  par  moyens 

Peu  à  peu  couleront  deffous  la  main  des  tiens  : 

Tant  que  fi  feul  tu  n^as  toute  la  terre  baffe. 

Tu  te  peus  affeurer  qu^vn  iour  Vaura  ta  race. 

Voila  ce  que  Calais,  &  le  cueur  aioufié 

Aus  tiens,  peut  aioufier  à  telle  Maiefté. 


lASON. 

Argon  pen  reiouit.  Argon  parmi  la  voye 
En  murmuroit  tantofi  vn  long  lo  de  ioye, 
Oyant  le  bruit  méfié  de  toute  la  cité, 
Qui  la  porte  enfignal  de  fa  félicité. 
Croy  doncq^  qu^elle  efi  ia  prefie  aux  premières  conquejies 
Qui  des  vieus  ennemis  doiuent  brifer  les  teftes. 
Ne  crain  doncq^  point,  tu  as  des  Deeffes  &  Dieus 
Comme  nous,  pour  ta  guide  &  faueur  en  tous  lieus  : 
Ta  femme  eft  ta  lunon,  tafeur  efi  ta  Minerue, 
Qui  le  droit  de  la  nofire  à  bon  droit  fe  referue: 


FIGVRES,    DEVISES   ET   MASQVARADES.  267 

Et  bien  que  nous  rCeuf fions  autre  fupport  finon 

Qfte  celui  de  Pallas,  &  celui  de  lunon, 

7\i  as  outre  ces  deus  vne  tierce  Deeffe, 

Vne  Diane  archere,  S-  chafte,  &  chaffereffe. 

Ce  bon  Roy  Nauarrois^^  fon  ieune  frère  encor, 

Te  pourront  hienferuir  de  Pollux  &  Caftor. 

Ce  grand  vaincueur  de  Guife  eft  ore  ton  Hercule, 

Qjiifous  toy,  VEfpaignol  outrepaffant  recule. 

Calais  &  Zethes  font  deus  frères  quUl  a, 

De  deus  frères  encor  vn  chacun  ckoifira 

Le  nom  quHl  lui  eft  propre*' ,  &  Vautre  diuin  frère 

Qui  d*vn  double  confeil  les  affaires  modère 

Auecq  la  pieté,  fera  ton  grand  Typhis 

Gouuemeur  de  la  nef  Mefme  ie  voy  ton  fils. 

Et  d^ autres  ieunes  Dieus,  &  tant  d* autres  Deejfes, 

Qjii  leurs  faueurs  rendront  de  tous  malheurs  maître ffes. 

Voici  nos  rames,  H  dedans  elles  nos  noms. 

Et  vien  accommoder  les  noms  des  bons  aus  bons  : 

Nous  les  allons  porter  enfemble  &  leur  nauire 

ha  dedans,  pour  toufiours  f  attendre,  S-  te  conduire 

Par  tout  ou  il  plaira  à  ta  grand  Maiefié 

Singler  d*vn  voile  plain  de  la  profperité. 

Voila  qui  efloit  fi  mal  fait,  que  ie  dirois  volontiers  que 
tous  ceus  qui  ont  pris  l'occafion  au  poil  pour  me  pein- 
dre de  toutes  les  couleurs  qu'ils  ont  peu,  deuroient  plus 
toft  apprendre  en  telles  chofes  qu*y  reprandre,  n'efteit 
que  ie  me  commande  la  modeftie  plus  que  iamais.  Et 
aufïi  à  la  vérité  que  ie  ne  Teftime  point  pareil  à  mes 
autres  œuures  que  i*ay  faits  à  loiûr,  mais  ayant  eu  fi 
peu  de  tens,  &  en  ce  peu  de  tens  tant  d'occupations, 
ie  m*ebahi  moymefme  comme  ie  Pay  fait  de  telle  forte, 
&  ou  i'ay  peu  dérober  les  heures  pour  le  faire.  Car  i'ay 
cent  tefmoins  qui  fçauent,  que  de  ce  que  i'ay  décrit, 
il  m'a  fallu  foucier  entièrement  de  tout  iufques  à  faire 
aflbir  la  moindre  feuille  de  lierre,  tellement  que  tout  ce 
que  i'auois  à  réciter  en  cefle  mafquarade  fous  la  perfonne 
de   lafon,  ie  le  compofay  mefme  ce  ieudi  au  matin,   & 


268  RECVEIL  DES    INSCRIPTIONS, 

encore  auois-je  afliés  de  tens  pour  en  venir  à  bout,  n^elloit 
qu'on  ne  cefla  tout  ce  iour  la  de  me  rompre  la  teite 
depuis  le  matin  iufques  au  foir.  Tant  pour  la  noncha- 
lance, mefpris,  ou  ignorance  que  fembloient  auoir  ces 
Parifiens  de    ce    qui  leur  pouuoit  apporter  honneur, 
que  pour  le  continuel  empefchement  que  de  moment 
en  moment  les  maneuures  me  venoîent  donner.  Qui 
pourroit  croire  en  quel   dépit  me  mettoient  quelques 
vns  de  ces  meffieurs,  qui  penfans  comme  ie  croy  tout 
ce  que  ie  faifois  eflre  des  fiariboles,  fembloient  ne  fe 
foucier  que  des  chofes  dont  leur  cerueau  fe  rend  ca- 
pable ?  le  fçay  bien  que  Ion  dira  que  ie  ne  deuois  point 
entreprandre  tant  de  chofes,  &  que  ie  me  deuois  con- 
tenter de  bien  faire  &  mener  à  meilleure  iflue  ce  qu'on 
pouuoit  prîncipallement  attendre  de   moy.  Ceus  qui 
parlent  ainfi  montrent  bien  le  de£Beiut  de  noftre  fiecle, 
qui  fe  contente  feullement  de   la   fimple   apparence, 
comme  û  Ion  deuoit  recueillir  la  feuille  ou  Pefcorce 
pour  le  fruit  ou  pour  le  fuc.  Car  qui  efl  celui  qui  ait 
û  peu  de  iugement  qui  ne  rie  toutes  les  fois  qu'il  orra 
dire  qu'on  Peft  û  criminellement  attaché  à  moy,  en  vne 
chofe  qui  n'eftoit  faite  que  pour  plaiûr  &  rifée,  &  au  re- 
bours qu'on  a  laiflé  pafler   û    légèrement  toutes  les 
chofes  qui  emportoient  vne  durable  mémoire? Combien 
de  fois  ay-ie  veu  bailler  de  main  en  main  auecque  ce* 
remonie,  reciter  auecques  admiration,  recueillir  auecques 
vn  foin  nompareil,  &  louer  auecques  vne  affeâion  ex- 
trême, des  infcriptions  qui  peut  eftre  eftoient  moindres 
que  celles  que  i'ay  dites,  n'euft  elle  l'auihorité  qu'elles 
empruntoient    de    quelque   vieille   ruine  ?  Toutesfois, 
tant  la  France  eft  curieufe   de  ce  qui  eft  bon,  chacun 
comme  ie  croy  les  a  paffées  fans  les  lire,  &  moitié  par 
ignorance,  moitié  par  malice,  ceus  qui  n'ont  efté  que 
trop  plains  de  paroUes  en  ma  faute,    fe   font  trouués 
tous  muets  en   mon   mérite.    Mais  prenons  que   celle 
mafquarade  que  i'auois  faite  toute  telle  que  vous  l'aués 
leiie,  ayt  elle  la  plus  mal  recitée  qu'on  fçauroit  imagi- 
ner, en  quoy  peut  on  auoir  occafion  de  m'accufer?  Si 


FIGVRËS,    DEVISES    ET    MASQVARADES.  269 

Ion  me  refpond  maintenant,  pour  ce  qu'elle  eftoit  mal 
faite,  certainement  ie  feray  contraint  de  quiter  ma 
caufe,  moyennant  qu'on  produife  de  quoy,  mais  encore 
que  le  monde  foit  auiourdhui  autant  impudent  qu'il  efl 
poffible,  ie  croy  que  ie  ne  trouueray  point  de  telles  im- 
pudences. Si  Ion  me  dit,  pour  ce  quelle  elloit  mal  acouf- 
trée,  ie  tien  deia  mon  procès  pour  tout  gaigné,  veu  que 
chacun  fçait  bien  que  la  iufle  colère  de  voir  ce  que  i'auois 
ordonné  û  mal  mis  en  œuure,  me  mit  à  bon  droit  hors 
de  moy.  Car  me  Tentant  autheur,  Tentant  Pexpeélation 
qu'on  auoit  de  moy,  &  voir  qu'on  m'auoit  fait  au  lieu 
de  rochers  des  clochers,  qu'on  m'auoit  mequanique- 
ment  mefnagé  les  habits,  qu'à  l'heure  mefme  qu'il 
fallut  partir  pluûeurs  chofes  defiBedlloient,  que  peut  on 
penfer  que  ie  deuinfe ,  û  l'on  connoifl  le  grand  cueur 
que  i'ay,  finon  fiirieus  &  demi  mort,  voyant  apertement 
que  i'eflois  contraint  d'aller  en  vn  lieu,  dont  ie  ne  pou- 
uois  rapporter  pour  toute  recompanfe,  que  ma  courte 
honte  &  ma  repentance  éternelle  ?  Si  Ion  dit,  pour 
autant  que  les  aâeurs  eftoient  mal  choifis,  quelle  faute 
eut  on  aperçu  en  leur  prolation  naturelle,  ii  l'afleurance 
&  la  mémoire  euffent  elle  de  mefme  ?  Et  comment,  bon 
Dieu,  euflè-ie  cherché  de  bons  aâeurs,  veu  que  les  trois 
iours  que  i'auoisd'efpace  fe  fuflent  coulés  à  les  chercher? 
Mefmement  comment  eufl  il  eité  poffible  que  ie  les 
eulTe  peu  façonner,  veu  que  ie  ne  les  fceu  feullement 
fidre  repeter  ce  qu'ils  auoient  à  dire  fors  le  iour  mefme, 
&  encore  à  demi,  voire  vne  feuUe  heure  deuant  le  fou- 
per  ?  Et  lors  de  quel  remède  n'vfay-ie  ?  Ne  retranchay- 
ie  pas  tous  leurs  rooles  de  tout  cela  ou  ie  les  voyois 
hefiter  ?  Que  reftoit  il  donc  de  mon  deuoir,  fors  que 
d'eftre  Dieu  &  de  commander  à  leur  nature  ?  Si  Ion 
dit  que  ie  me  deuois  garder  pour  les  conduire,  fans 
faire  moymefme  l'vne  des  perfonnes  &  fans  m'abailTer 
iufques  la,  combien  que  i'y  confeffe  auoir  vne  grande 
fiiute,  quelles  raifonnables  excufes  n'ay-ie  point  ?  Pre- 
mièrement qui  eft  celui  qui  eufl  appris  la  perfonne  de 
lafon  le  iour  mefme,  comme  le  iour  mefme  ie  fu  con- 


272  RECVEIL  DES   INSCRIPTIONS, 

qui  me  virent  en  telle  peine,  Pil  n'eftoit  pas  fkcile  de 
connoiftre  à  ma  morte  contenance,  qu'il  nU  auoit  rien 
qui  me  referraft  tous  les  fens,  que  le  iufte  dépit,  qui 
eut  pour  lors  telle  force  fur  moy,  que  ie  ne  fça- 
uois  û  i'eilois  moy.  Mais  qui  feroit,  bon  Dieu,  ce- 
lui la  qui  m'ayant  connu  le  moins  du  monde,  & 
m^ayant  veu  en  tout  autant  aCTeuré  qu'on  fçauroit 
eltre,  pourroit  penfer  que  c'euft  eflé  par  vn  eftonne- 
ment  que  les  grands  me  pouuoient  donner,  veu  que  ie 
fuis  tous  les  iours  entre  eus,  &  que  deuant  eus  i*ay 
autresfois  tant  affeurement  recité  ?  Se  pourroit  il  en- 
core trouuer  quelcun,  qui  en  accufaft  la  mémoire  &  ma 
trop  grande  fiance  en  icelle,  veu  que  ie  ne  foy  iamais 
vers,  que  ie  ne  fçache  auffi  tofl  par  cueur  que  ie  les  ay 
faits  ?  le  deduirois  encore  pluûeurs  autres  points,  qui 
feroient  autant  tourner  le  tout  en  ma  louange,  comme 
quelques  vns  ont  tâché  de  le  Bûre  tourner  en  mon  vi- 
tupère, n'efloit  qu'il  me  femble,  que  i'ay  deia  pafté 
toutes  les  bornes  de  raifon  en  cefte  mienne  forme  d'a- 
pologie, que  ie  ne  me  fuis  fceu  tenir  d'entrelaCTer  ici  : 
&  qu'en  eilant  fi  long  ie  ferois  penfer  à  vn  chacun  que. 
la  faute  auroit  elle  beaucoup  plus  grande,  &  de  plus 
grand  defhonneur  à  moy  qu'elle  n'a  eflé.  Or  fçachent 
donq'tant  les  noflres  que  les  ellrangers ,  fi  ceci  vient 
iufques  en  leurs  mains,  que  combien  que  cefte  maf- 
quarade  ne  fuft  point  ni  conduite  ni  recitée,  comme  te 
le  defirois,  fi  efi:  ce  toutesfois  affin  qu'on  ne  penfe  point 
que  du  tout  nous  demeurafmes,  qu'elle  fut  entièrement 
prononcée,  excepté  ce  que  i'en  auois  retranché  parauant, 
tellement  que  le  deffault  feroit  le  plus  petit  qu'on'fçauroit 
dire,  n'eftoitque  par  l'extrême  apprehenfion  que  i'enay 
eCLe,  ie  me  le  fuis  moymefmes  agrandi,  tant  la  prefence 
d'vn  Roy  m'eft  fainte ,  &  tant  la  moindre  faute  que  ie 
puiiTe  faire,  m'a  femblé  grande  &  preiudiciable  de  tous 
tens.  Qu'on  fçache  auffi,  que  quand  on  fe  fuft  du  tout 
arreflé,  fans  en  prononcer  vn  feul  vers,  que  la  chofe 
n'eufi:  pas  eilé  moins  louable  à  caufe  de  l'inuention,  veu 
que  couftumierement   toutes  telles   mafquarades   font 


FIGVRES,    DEVISES    ET   MASQVARADES.  2 7!^ 

muetes,  qui  pourtant  n*ont  point  moins  de  grâce  :  &  qui 
plus  eil  quand  elle  n'euft  rien  valu,  ni  quand  à  Tinuen- 
tion,  ni  quand  à  Tadlion,  que  ie  ne  m^en  deuffe  aucu- 
nement foucier,  ni  penfer  que  la  gloire  de  mes  autres 
inuentions  en  fiift  amoindrie ,  veu  que  ceft  vne  chofe 
qui  ne  hit  feullement  que  pafler  pour  vn  léger  plaifir, 
&  de  laquelle  on  ne  fe  doit  foucier  qu'à  Pheure  pre- 
fente.  Mais  qu'on  fçache  auffi,  que  pour  autant  que  Dieu 
m'a  donné  le  cueur  tel,  que  i'endurerois  auffi  tofl  vn 
éléphant  en  mon  œil  qu'vne  tache  en  mon  honneur,  il 
m'a  elle  impoiïible  de  me  garder  d'vfer  de  beaucoup  de 
paroUes  en  ceci,  veu  que  ni  ma  raifon,  ni  les  raifons  de 
tous  mes  amis  ne  m'ont  perfuadé  qu'à  grand  peine  que 
ce  defaflre  fuft  peu  de  chofe.  Âufii  que  i'ay  bien  voulu 
en  alongeant  mon  propos,  montrer  la  pure  vérité  du 
fiait ,  affîn  qu'vfant  de  longue  confutation  en  vne  faute 
petite,  ie  face  aufû  reconnoiftre  à  toute  la  France  fa 
fiiute  accouftumée,  qui  en  ce  fiecle  fe  montrant  &  in- 
grate &  enuieufe  tout  enfemble,  au  lieu  de  fupporter 
les  bons  efprits'qui  l'honorent,  ouure  les  yeus  le  plus 
feuerement  qu'elle  peut  fur  les  moindres  vices,  &  fa- 
ueugle  inceifamment  en  toutes  leurs  vertus.  Âpres  que 
nous  eufmes  tellement  quellement  acheué  ceile  mafqua- 
rade,  qui  efloit  enuiron  de  quatorze  perfonnes,  à  fça- 
uoir  celles  qui  ont  parlé  auecq'  dix  autres  Argonautes 
tous  habillés  à  la  matelote  antique  de  blanc  &  de  noir, 
qui  font  les  couleurs  du  Roy,  nous  en  fifmes  entrer 
vne  autre  qui  ne  parloit  point,  que  i'auois  deuifée 
en  telle  forte,  que  la  première  ayant  elle  des  cou- 
leurs du  Roy,  celte  ci  feroit  des  couleurs  de  la 
Royne  qui  font  blanc  &  verd,  ce  qui  fut  affés  bien 
exécuté  félon  mon  vouloir.  Les  perfonnes  eftoient  la 
Vertu,  la  féconde  laViâoire,  la  troifiefme  ladeeffeMne- 
mofyne,  qui  iignifîe  la  Mémoire  :  defquelles  la  Vertu 
fort  richement  acouflrée  à  lantique  de  mefme  forte  que 
les  deu8  autres,  auoit  fon  acouftrement  femé  d'efloilles, 
la  Viâoire  de  trophées,  &  la  Mémoire  de  ferpens  mor- 
dans  leur  queue,  Auecques  elles  deuoient  eflre  trois  en- 
lodelle.  ~  I.  18 


274  RECVEIL  DES   INSCRIPTIONS, 

fans  nuds,   comme  û  ce  fuflent  elle  de  petits  Amours 
ou  de  petits  leus,  dont  les  deus  portoiént  deus  paniers 
à  l'antique   façon,    plains  de  toutes  fleurs  &  parfuns 
méfiés  enfemble,  auecques  des  eufs  vuidés  &.  remplis  de 
toutes  bonnes  eaus  de  fenteurs,  pour  ieter  deçà   delà 
pefle  méfie  &  parfumer  toute  la  compaignie.   Le  tiers 
deuoit  auoir  fon  panier  plain  de  couronnes  arrangées 
Pvne  fur  l'autre,  félon  Tordre  de  ceus  &  celles  à  qui 
Ion  les  deuoit  prefenter,  &  aufquels  chacune  couronne 
efloit  propre  :  comme  au  Roy  la  couronne  de  laurier, 
tant  pour  ce  que  nous  le  faifons  auiourdhui  le  Phebus 
de  la  terre,  que  pource  qu'après  tant  de  victoires  nous 
le  voyons  de  rechef  fi  brauement  vaincre  :  à  la  Royne 
vne  couronne  de  palme,  laquelle  elle  porte  mefme  en 
l'vne  de  fes  deuifes  :  A  Madame  feur  du  Roy  vne  cou- 
ronne d'oliue,  pour  ce  que  nous  la  pouuons  iullement 
nommer  noflre  Pallas,  à  qui  l'oliue  a  efté  anciennement 
facrée,  &  pour  ce  qu'elle  mefme  en  a  pris  la  deuife, 
portant  dedans  vne  targue  Palladienne  le  chef  de  Gor- 
gonne  :  à  monfeigneur  de  Guife  la  couronne  de  peu- 
plier, qui  eft  celle  dont  Hercule  fe  couronnoit  après  fes 
combats,  &  que  prenoient  mefme  les  anciens  vaincueurs 
après  auoir  gaigné  le  pris  deffus  Olympe  :  à  monfei- 
gneur le  reuerendiffime  Cardinal  de  Lorraine  vne  cou- 
ronne de  lierre,  pour  ce  que  luimefme  en  fa  deuife  fe 
fiiit  le  lierre  embraflant  tout  à  lentour  celle  grande  Py- 
ramide des  François,  qui  commence  deia  de  porter  & 
fon  chef  &  fa  renommée  iufques  dedans  le  ciel  :  à  madame 
la  ducheffe  de  Valentinois  la  couronne  ou  de  laurier  ou 
de  fleurs,  l'vne  pour  ce  que  Diane  fe  peut  bien  cou- 
ronner de  la  couronne  de  fon  frère ,   &  que  le  laurier 
eft  toufiours  appelle  chafte  à  caufe  de  Daphné,  l'autre 
que  fes  nimphes  lui  peuuent  faire  dedans  les  bois  lorf- 
qu'elle  va  chafler  :  à  Monfieur,  à  monfieur  de  Lorraine, 
à  la  Royne  d'Efcoce,  à  Mefdames,  des  couronnes  de 
mirte,  qui  font  les  couronnes  de  l'Amour.  Toutes  ces 
couronnes  deuoient  eftre  prifes  par  la  Vertu  dedans  le 
panier  de  l'enfant,  &  prefentées  par  elle  mefme  de  la 


FIGVRES,    DEVISES    ET   MÀSQVÀRADES.         275 

forte  que  i'ay  dite,  en  la  prefence  de  la  Viâoire  &  de  la 
"Mémoire,  dont  la  première,  pour  nous  auoir  eflé  tant 
fauorable,  efloit  la  caufe  d'vn  tel  prefent,  &  la  féconde 
eftoit  pour  en  rendre  perpétuel  tefmoingnage  à  la  pofte- 
rité.  Ce  prefent  fait,  la  Vertu  auecques  vne  harangue 
conuenable  à  cela,  deuoit  prier  le  Roy  de  la  mener  dan- 
cer,  &  les  deus  autres  Deeffes  deus  autres  Princes, 
tellement  que  la  dance  commenceant  deuoit  fiaire  pafler 
lé  refte  de  l'apres-foupée  en  telle  reiouiffance,  qui  eft 
la  fin  couftumiere  de  tous  les  feflins.  Cefte  dernière 
mafquarade  euft  mereuilleufement  pieu,  fi  Ion  euft  fait 
tout  ainli  que  ie  vien  de  dire,  &  ainfi  qu'on  fçait  que 
ie  Pauois  arrefté,  mais  au  lieu  d'enfans  nuds,  les 
Pariûens  mirent  de  leurs  enfans  vefhis  &  bien  peu 
deguifés,  tellement  que  les  ailes  &  les  trouffes  que 
deuoient  auoir  ces  Amours,  demeurèrent  au  peintre. 
Quand  aus  couronnes,  encore  que  i'euffe  dit  que  il  Ion 
n'en  trouuoit  de  naturelles,  qu'on  en  ûH  contrefaire  de 
toutes  les  fortes,  on  n'en  recouura  pas  vne,  fors  celle 
de  laurier  pour  le  Roy  encore  qui  fut  apportée  bien 
tard.  On  ne  fçauroit  dire  combien  ie  fu  marri  de  cefle 
négligence,  tant  pour  ce  que  ce  prefent  euft  efté  mer- 
ueilleufement  agréable ,  que  pour  autant  que  i'auois 
délibéré  de  faire  efcrire  le  plus  proprement  que  Ion  euft 
peu,  dedans  vn  lien  de  tafetas  qui  euft  lié  les  couronnes, 
vn  vers  ou  deus  vers  au  plus,  accommodés  à  tel  pre- 
fent. Et  me  fouuient  que  i'auois  deia  fait  ces  deus  pour 
la  couronne  du'  Roy  : 

Magna  tIbI  Capto  ConCessIt  CVra  CaLeto, 
cinge  comas,  similes  lanvs  et  annvs  ervnt. 

Le  premier  de  ces  deus  vers  eft  numéraire,  &  pour 
autant  c[ue  le  fécond  contient  que  toute  cefte  année  fera 
autant  heureufe  qu'en  a  efté  le  premier  mois,  tant  que 
le  Roy  fe  doit  à  bon  droit  couronner ,  i'ay  compris 
dedans  les  letres  numéraires  du  premier  ce  nombre  mil 


276  RËCVEIL   DKS    INSCRIPTIONS, 

cinq  cens  cinquante  huit,  qui  eft  le  nombre  de  noflre 
année.  Tous  les  autres  vers  qui  deuoient  eftre  dedans 
les  autres  couronnes  demeurèrent  à  faire  comme  les 
couronnes  à  recouurer.  Le  refte  de  la  mafquarade  fe 
porta  tellement  que  ie  croy  que  la  compaignie  ne  fen 
mefcontanta  point.  Voila  comme  ie  penfe  tout  ce  qui  fe 
peut  recueillir  de  tout  le  labeur  que  i'auois  pris  pour 
penfer  me  montrer,  en  vne  û  belle  occafion,  curieus  de 
l'honneur  de  mon  pals,  &  afiPeâionné  au  feruice  de  mon 
Prince.   Il  ne  me  refte  plus  rien   maintenant,   fors  de 
m'adreffer  auecques  toute  PafiPeâion  que  ie  puis ,   aus 
maieftés,  hautefles,  &  excellences,  des  Princes,  Princefles, 
grands  feigneurs,  &  grands  dames  de  ce  Royaume,  pour 
les   fuplier   trefhumblement,  puifque  ayans  efté  tous 
fpeélateurs  de  mon  ceuure  ils  en  pourront  bien  auffi 
Pen  faire  lecteurs,  de  me  faire  droit  en  cefte  caufe  :  & 
après  auoir,  à  l'imitation  des  dieus,  receu  la  volonté 
pour  le  fait,  &  l'ordonnance  pour  Pexecution,  ne  fouf- 
frir  plus  dore  en  auant  que  les  calomnies  des  enuieus 
tachent  à  me  faire  demeurer  fus  la  telle  ce  que  ie  ne 
meritay  iamais.  Les  affeurant,  que  toutes  les  fois  qu'ils 
voudront  vfer  de  mon  labeur  en  plus  grandes  chofes^ 
&  que  le  iufte  efpace  du  tens^  me  permettra  de   £iire 
auffi  bien  que  i'y  auray  de  pouuoir  &  de  vouloir,  ie 
feray  paroiflre  à  tous  ceus  qui  dernièrement  ont  û  bien 
demafqué  leurs  fauffes  volontés   encontre   moy  ,  que 
l'enuie  qu'on  a  fur  la  Vertu  ne  raporte  point  d'autre  fin 
ni  d'autre  loyer  à  fon  homme,  fors  que  le  contraire  de 
fon  attente  &  la  perpétuelle  rage  de  fa  vie.  le  chaflirois 
bien  autrement  ces  meffieurs,  en  la  fin  de  ce  recueil, 
n'eftoit  que  ie  ne  veus  point  irriter  les  grands  par  cela, 
ni   donner  la  moindre    occafion   à  ces  efcumeurs  des 
oeuures  vertueufes,  de  fiairc  par  ce  moyen  trouuer  mau- 
uais  ce  qui  ne  peut  déplaire  qu'à  trois  fortes  de  gens  : 
à  ceus  qui  sont  fi  ftupides  qu'ils  ne  peuuent  rien  fentir  : 
à  ceus  qui  font  fi  degouftés  qu'ils  ne  peuuent  rien  fa- 
uourer  :  à  ceus  qui  font  fi  malins  qu'ils  tachent  de  faire 
perdre  le  fentiment  &  le  goult  des  autres.  Si  ne  les  laif- 


FIGVRES,    DEVISES    ET   MASQVARADES.  277 

feray-ie  point  fi  tofl  echaper,  fans  leur  protefter  par  le 
vray  Dieu ,  que  fi  iamais  ils  Pattaquent  iniuftement  à 
moy,  ie  hafarderay  plus  toft  &  refprit,  &  le  cors,  &  les 
fortunes,  que  ie  ne  leur  fiace  connoifire  que  l'homme 
de  bien  doit  auffi  tofl  mourir  de  mille  morts  que  d'efire 
▼ne  feuUe  fois  trahiflre  à  fa  vertu.  Ce  qui  me  garde 
aufîQ  de  me  piquer  dauantage  contre  eus,  ceft  que  ie 
croy  certainement  que  toutes  telles  gens  ne  m'ont  au- 
cunement connu.  Car  qui  efl  celui  fi  mal  né,  qui 
me  voyant  franc  &  fincere  en  toute  chofe,  &  fans 
aucune  enuie,  ambition,  diffimulation ,  ou  tromperie 
me  vendre  &  me  dépendre  moymefme  pour  l'ami,  ait 
peu  tellement  forcer  fa  confcience  que  tâcher  de  me 
nuire?  Qui  eft  celui  auffi,  qui  fçachant  que  i'ay  toufiours 
fait,  &  que  je  feray  tant  que  ie  viuray,  vn  bouclier  de 
ma  vie  pour  fauuer  mon  honneur,  mefmc  qu'ayant 
receu  de  Dieu  plus  d'vn  moyen  pour  faire  repantir  ceus 
qui  me  feront  tort,  i'aymeray  toufiours  mieus  creuer 
que  de  ne  prandre  vengeance  de  telles  iniuflices,  ayt 
efté  tant  ennemi  de  foymefme  que  de  me  vouloir  efire 
ennemi  fans  raifon?  Quand  à  quelques  befles  &  quel- 
ques impofleurs  que  ie  fçay,  qui  ont  à  ce  coup  decou> 
uert  leur  venin,  pour  autant  que  ie  decouurois  par  tout 
leur  maladie,  qu'ils  attendent  pour  tout  certain  de  moy, 
ce  qu'ils  ont  ordinairement  connu  en  ma  nature  :  cefl 
que  i'ay  toufiours  tant  aymé  ma  nation,  que  ie  ne  la 
foufiriray  iamais  defhonorer  par  ie  ne  fçay  quels  fatras 
dont  on  brouille  le  papier,  &  encores  moins  piper  par 
impofhxres  :  Et  pour  autant  qu'en  pourfuiuant  trop 
hafliuement  vn  vice,  on  en  encourt  le  plus  fouuent  vn 
autre,  i'attendray  que  leur  honte  &  confufion  fe  meu-> 
rifle.  le  referueray  auffi  à  dire  de  bouche,  au  tens  &  au 
lieu  qu'il  faudra,  les  indignités  premièrement,  &  fecon- 
dement  l'ingratitude ,  defquelles  ceus  mefmes  pour  qui 
ie  faifois,  ont  vfé  enuers  moy,  ne  voulant  point  faire 
part  au  s  eflrangers  de  la  barbarie  des  noflres.  le  fupli- 
ray  feullement  de  tout  mon  cueur  ma  ville  dont  ie  vien 
de  parler,  ou  plus  tofl  au  lieu  de  ma  ville  toute  la  France, 


28o  A    SA    MVSE. 


Tufçais  que  quelques  vnsfe  repaijfent  d*vn  fon^ 
Q}ti  les  flate  par  tout,  mais  helas!  ils  démentent 
La  courte  opinion,  la  gloire,  &  la  chanfon. 

Tufçais  que  moyviuant  les  viuans  ne  te f entent. 
Car  V Equité  fe  rend  efctaue  de  faueur  : 
Et  plus  font  creus  ceus  la  qui  plus  effrontés  mentent. 

Tu  fçais  que  le  fçauoir  n*a  plus  fon  vieil  honneur. 
Et  qu'on  ne  penfeplus  que  Vheureufe  nature 
Puiffe  rendre  vn  ieune  homme  à  tout  œuure  meilleur, 

Tufçais  que  dautant plus,  me  faifant  mefme  iniure. 
Je  m'aide  des  Vertus,  ajfin  de  leur  aider. 
Et  plus  ie  fuis  tiré  dans  leur  prifon  obfcure. 

Tu  fçais  que  ie  ne  puis  Ji  tojt  me  commender. 
Tu  connois  ce  bon  cueur,  quand  pour  la  recompanfe 
Il  me  faut  à  tous  coups  le  pardon  demander. 

Tu  fçais  comment  il  fault  gefner  ma  contenance. 
Quand  vn  peuple  me  iuge,  &  qu'en  dépit  de  moy 
Pabaiffe  mes  fourcis  fous  ceus  de  V Ignorance. 

Tu  fçais  que  quand  vn  Prince  auroit  bien  dit  de  toy, 
Vn  plaifant  f'en  riroit,  ou  qû'vn  piqueur  Stoique 
Te  voudroit  par  fotie  attacher  de  fa  loy. 

Tu  fçais  que  tous  les  iours  vn  labeur  poétique 
Apporte  à  fon  autheur  ces  beaus  noms  feullement, 
De  farceur,  de  rimeur,  de  fol,  de  fantajtique. 

Tufçais  que  Jî  ie  veus  embrajfer  mefmement 
Les  affaires,  V honneur,  les  guerres,  les  voyages. 
Mon  mérite  tout  feul  mejert  d'empefchement. 

Bref,  tufçais  quelles  font  les  enuieufes  rages, 

Qui  mefme  au  cueur  des  grands  peuuent  auoir  vertu, 
Et  qWauecq^  le  mépris  fe  naiffent  les  outrages. 

Mais  tu  fçais  bien  aufft,  pour  néant  aurois  tu 
Debatu  fi  long  tens,  &  dedans  ma  penfee 
De  toute  Ambition  le  pouuoir  combatu, 

Tufçais  que  la  Vertu  n^efl  point  recompanfee, 
Sinon  que  de  foy mefme,  &  que  le  vray  loyer 
De  Vhomme  vertueus,  c'efifa  Vertu  paffee. 

Pour  elle  feulle  donq  ie  me  veus  employer, 

Me  deuffé'ie  noyer  moymefme  dans  mon  fleuue. 


CHAPITRi:. 


Et  de  mon  propre  Jeu  le  chef  me  Jbudroyer. 
Si  donq'  vn  changement  au  rejle  ie  n'epreuue, 
Rfatiltqae  Uftul  vraymefoit  mon  but  dernier^ 
Etqne  mon  bitn  total  dedans  moyfeulje  treuue: 
lamait  rOpinion  ne  fera  mon  colier. 


L'HYMENEE 


DV 


ROY   CHARLES    IX 


4* 


Mineruefe  peut  dire  au/Jï  bien  gardienne 

De  mes  murs,  de  mou  nom,  de  mes  arts,  de  mon  heur, 
Qfi'elle,  fille  du  Dieu  gui  des  Dieux  efi  Seigneur, 
^Fut  garde  de  la  ville,  S  gloire  Athénienne. 

Bien  qu'elle  fait  armée  en  fa  ville  ancienne. 
Par  la  tranquille  oliue  ell'  emporta  l'honneur 
Sur  le  Cheuat  guerrier,  dont  vn  Dieu  fut  donneur, 
Par/on  offre  effaçant  t'offre  Neplunienne. 

Si  Minerue  me  fait  comme  à  fa  ville  auoir 

Force  &  confeit  en  guerre  S  ert  paix,  mon  deuoir 
C'eji  de  rendre  àmonRox  tout  l'iûurqu'ellem'y  donne. 

Si  donc  mqy,  lafuieite,  ay  veu  que  lu  te  plais 
En  la  paix,  ie  le  doy  t'oliue  de  la  paix. 
Attendant  qu'vn  laurier  plu  g  parfait  te  c< 


286  HYMENEK. 


II. 


De  quatre  dons  Amour ,  Pallas,  Phebus,  Mercure, 
Auoyent  voulu  ta. paix  marquer  &  ajfeurer  : 
L^ amour  fainû  cPvn  flambeau  te  vouloit  honorer. 
Pour  les  tiens  vers  les  tiens  enflammer  cP  amour  pure  : 

Pallas  vouloit  f  orner  (monflrant  la  paix  qui  dure) 
De  Varbre  Athénien  :  Phebus  te  décorer 
Defon  arCy  dont  il  vient  fur  les  Monftres  tirer ^ 
Pour  de  nos  vices  faire  ample  déconfiture  : 

U  autre  donner  fa  verge,  afin  qu'à  toutiamais 

Nos  maux  on  en  charmât  :  mais  en  vain  feroient  faits 
.  Tous  ces  dons,  car  il  faut  que  ta  iuftepenfee 

Pour  ardre,  vnir,  purger,  ou  affoupir  ainfi 
Par  f aine  ^ele,  accord,  force,  &  charme,  férue  ici 
De  flambeau,  d^oliuier,  d'arc,  &  de  caducée. 


III. 


Pour  monftrei'  que  la  paix  {qu* ainfi  comme  tu  veus 
Deuote  ie  reçoy)  te  vient  du  Dieu  fupreme. 
Et  que  toy, SiKE,  autant  pour  nous  que  pour  toymefme 
L^as  requife  auec  ^ele,  &  prières,  &  vœus  : 

le  diroy  volontiers  qu^onques  entre  ces  deux. 
Le  vueil  d^vn  Roy  Chreftien,  &  le  veuil  de  Dieu  mefme, 
Différence  il  n^y  a  :  car  Dieu  prend  foing  extrême 
Des  Rois,  &  dans  fa  main  tient  toufiours  le  cœur  d^eux. 

Mais  fi  durant  ta  paix  tu  guerroyes  le  vice, 
Redreffant  tout  autant  Pieté  que  luftice, 
Chaffant  aiiec  tes  cerfs  tout  crime  detefté, 

Tachant  les  foruoyans  r^appellev  en  la  voye, 

Tu  prouueras  au  vray  qu*en  la  paix  quHl  fenuoye. 
Dieu  d'vn  cœur  tout  femblable  à  ton  cœur  a  efié. 


HYMENEE.  287 


IIII. 


Par  mes  feus  iuftement  ie  tefmoigne  la  ioye 

Qjte  Pay  /entant  mon  Roypétreindre  d*vn  beau  nœu, 
Et  luy  mefme  eftre  plein  de  maint  &  de  maint  feu, 
Qjii  en  terre  &  au  ciel  diuerfement  flamboyé. 

Sa  pieté,  fon  droite  fon  efpoir  qui  verdoyé. 

Tout  preft  à  meurir,  pouffe  au  ciel  maint  ardent  vœu  : 
Par  addreffe  &  valeur  fon  renom  peu  à  peu 
Jette  des  feus  qu^aux  bouts  de  la  terre  il  enuoye, 

Lefainâfeu  qu*Hymen  donne  à  fon  cœur  vient  des  deux. 
En  terre  fon  cœur  prend  vn  autre  feu  des  yeux 
De  ma  Roine,  &  tel  feu  tous  les  autres  excite. 

Or  comme  tous  mes  feus  de  ioye  vont  en  haut. 
Que  leur  vertu  flambante  aille  au  ciel,  car  il  faut 
Q)ie  par  le  ciel  la  terre  en  fente  le  mérite. 


V. 


Pour  vrayment  m'éiouir  ie  ne  quiers  que  dans  moy 
Le  ciel  en  cefainû  iour  tranf mette  la  lieffe, 
Et  que  ce  dieu  qu^on  feint  fans  fln  eftre  en  ieuneffe, 
Defes  Tygres  tiré,  me  V amené  auecfoy  : 

Dans  mes  murs  ie  n'appelle  Hymen,  lunon,  la  Foy, 
Venus,  V Amour,  le  Jeu,  le  Ris,  &  la  Careffe, 
Qji^auiourd^huy  tout  tel  Dieu,  toute  telle  Deeffe, 
Soyent  aux  lieux  oit  Hymen  doit  étreindre  mon  Roy 

Mais  ie  quiers  que  la  paix  n'agueres  reuolee 
J)ans  moy,  pour  confoler  la  France  defolee, 
Etreigne  autant  fon  nœu  qu'Hymen  étreint  lefien  : 

Ou  fila  paix  ne  peut  refter  ferme  en  la  France, 
Je  quiers  qu'Hymen  eftrangle  en  fon  nœu  d'alliance, 
Des  faux  fuiets  l'effort  qui  nous  vole  vn  tel  bien. 


288  HYMENEE. 


VI. 


Qu^  Hymen  y  Amour,  le  ciel,  defoy,  d^  ardeur  &  d'heur 
Leur  ioigne,  enflamme,  illuftre,  &  corps,  &  cœur,  &  vie. 
Tant  qu^à  nul  change,  ou  haine,  ou  defaftre  afferme 
Soit  oncq  leur  alliance,  &  chaleur,  &  fplendeur  : 

V accord  qui  vient  des  dieux,  laflame,  ou  la  grandeur. 
Ne  craint  dif cor d,  froideur,  ny  du  bas  fort  Venuie, 
Dont  fouuent  eft  rompue,  efleinte  ou  toft  rauie, 
VHymen,  d'amour,  du  ciel,  Vinfluence  ou  Vardeur, 

Si  aux  grands  le  hautfang  lie,  allume,  &  bien-heure 
Tel  laqs,  telle  ferueur,  telle  faueur,  pour  Vheure 
Vertu  Vétreint,  Vembrafe,  &  profpere  encor  mieux  : 

Ce  lien  royal  donc,  cet  amour  &  hauteffe. 
Ferme,  extrême,  &fupreme,  en  tout  vainque  fans  ceffe 
Tout  nœu,  tout  feu,  tout  don,  d'Hymen,  d'amour,  des  deux. 


VII. 


Extrême  eft  la  grandeur  de  Vvn  &  Vautre  fang  : 
Uvn  aioufte  à  fon  tige  illuftre  d'Allemagne, 
Entre  autres  les  maifons  de  Bourgongne  &  d'Efpagne, 
Et  du  Romain  Empire  &  le  nom  &  le  rang  : 

L  ^ autre  fans  fin  des  loix,  fors  que  des  fiennes,  franc, 
Tout  fang  Chreftien  deuance,  &  par  fon  Charlemagne 
A  fon  beau  lis  doré  V Aigle  noir  accompagne. 
Lis  qui  mefme  fans  tache  eft  pareil  au  lis  blanc  : 

La  race  donc  des  deux,  la  beauté,  la  ieuneffe. 
L'heur  &  la  ioye  iffant  de  malheur  &  trifteffe. 
Et  le  long  temps  qu'Hymen  par  vn  premier  amour 

N'étreigneit  vn  mien  Roy,  méritent  qu'on  ordonne 
Tout  vn  an  pour  tel  iour  célébrer,  &  qu'on  donne 
A  tous  les  ans  d'après  lafefte  d'vn  tel  iour. 


HYMENEE.  289 


VIII. 

Combien  que  Mars,  cefemble,  &  Prince  &  peuple  rende 
Appauutiy  la  grandeur  du  Roy,  du  pays  Jien, 
L^heur  fertily  qui  du  mal  femble  croiftre  fon  bien, 
De  ces  nopces  encor  rendront  la  pompe  grande. 

Mais  iefçay  que  d^vn  Roy  la  hafte  qui  demande 
Le  but  d}vn  tel  defir,  &  le  temps  qui  à  rien 
Ne  me  femble  commode,  &  le  lieu  que  ie  tien 
Malpropre  à  receuoir  &  Vvne  &  Vautre  bande. 

Ont  fait  que  de  beaucoup  telle  pompe  ait  efké 
Moindre  que  n'en  ejioit  du  Roy  la  volonté  : 
Mais  il  faut  transférer  de  Spire  &  de  Me\ieres 

V entier  decorement  de  ces  nopces  en  moy. 

Qui  à  ma  Roine  puis  monftrer,  que  de  mon  Roy, 
Mars,  ce  femble,  ialoux,furfon  heur  ne  peut  gueres. 


A  LA  ROINE  MERE  DV  ROY. 


Soit  donc  par  ta  main  digne  à  mon  Roy  confacree 
Uoffrande  de  ces  vers,  que  d^vn  beau  vœu  Vay  faiâs 
Au  nom  de  fi  grand"*  ville,  en  exaltant  la  Paix, 
Le  Royal  mariage,  &  Vvne  &  Vautre  Entrée, 

Mon  Roy  croit  la  faueur  des  hauts  Dieux  rencontrée 
En  ces  trois  heurs  diuers,  fortir  de  tes  effeâs  : 
nfaut  donc  qu'vn  prefent  que  fur  ces  trois  tu  fais, 
Ainfi  que  le  prefent  des  trois  heurs  luy  agrée. 

Or  fi  après  auoir  par  armes  deffendu 
Son  efkat,  par  la  paix  calme  tu  Vas  rendu, 
Si  pour  croiftre  fon  heur  fon  efpoufe  efï  fatale  : 
lodelle.  —  I,  10 


290  HYMENEE. 


Fay  qu^à  luy,  qu'à  la  Roy  ne  j  on  iuge  encor  tant  cPheut-, 
Qu^eux  (Veux  entrant  dedans  leur  ville  càpîtalCy 
Hors  des  flots  foyent  entres^  au  port  de  leur  grandeur. 


VERS     CHANTEZ     ET    RECITEZ 


L'HYMENEE   DV   ROY  CHARLES   IX 


VERS     INTERCALAIRES     CHANTEZ     ET      SONNEZ 
PAR    TOVTE    LA    TROVPE    DES    MVSICIENS. 

Puis  que  de  ces  fept  Dieux  la  conduite  décore 
Vheureux  Hymen,  qui  va  fainûement  attachant 
Deux  cœurs  royaux  enfemble  :  il  faut  que  noftre  chant 
Les  Dieux  j  le  Roy  y  la  Roine,  &  leur  Hymen  honore. 


VERS  RECITEZ  ET  CHANTEZ  PAR  LA  PREMIERE  MVSE 

DV  PREMIER  RANG. 

Ces  Dieux  veulent  que  nous,  les  neuf  filles  du  Dieu 
Qui  prefque  à  tous  ces  Dieux,  ainfi  qu*à  nous,  eftpere. 
Sous  nos  fons,  fous  nos  chants  conduifions  en  ce  lieu 
Cefte  arriuee  autant  nouuelle  que  profpere. 
Ces  fept  Dieux  font  feigneurs  des  ronds  de  Vvniuers  : 
Neuf  vers  doncques  ie  chante  à  neuffuiets  diuers  : 
Les  fept  à  ces  fept  Dieux  gouuemeur s,  le  huiûiefme 
Au  grand  Hymen  qui  fuit:  le  neuflefmeà  nous  mefme, 
Qui  toutes  neuf  ornons  tels  Hymen  par  nos  vers. 
Puis  que  de  ces  fept... 


HYMENEE. 


291 


LA    PREMIERE    MVSE    DV    SECOND    RANG. 

Charles  qu^ Hymen  étreint  cfvn  lien  faind  &  dous, 
Eftant  de  nom  neufiefme  entre  les  Rois  de  France, 
Maintenant  de  ces  Dieux ^  &  d'Hymen^  &  de  nous 
Reçoit  neuf  grands  faueurs  en  fa  grande  alliance. 
La  Lune  offre  grand  fruiû  :  Mercure  offre  les  arts  : 
Venus  Vamour  :  Phebus  toute  fplendeur,  &  Mars 
Grand  viâoire  promet  :  Jupiter  grand  richeffe, 
Et  Saturne  exalté  promet  grande  hauteffe  : 
Hymen  grand  ioye,  &  nous  grands  los  en  toutes  parts. 
Puis  que  de  cesfept.,. 


LA    PREMIERE     MVSE    DV     TIERS    RANG. 

Par  moy  de  ces  neuffœurs,  auecques  ces  neuf  vers 
Charles,  fa  chère  efpoufe,  &  V Hymen  qui  les  ferre 
Ayent  encor  neuf  dons  :  trois  fleurs,  fix  rameaus  vers, 
Laurier,  Myrte,  oliuier,  cèdre,  palme,  &  lierre. 
Oeillets,  rofes,  &  lis  :  pour  viâoire,  amour,  paix, 
Pour  fanté,  pour  iuftice,  &  fcience  en  leurs  faits  : 
L* œillet  f oit  pour  grandeur,  la  rofe  pour  plaifance. 
Leur  lis  pour  grand  efpoir,  puis  qu*à  eux  V influence 
Des  neuf  deux  ces  neuf  dons  par  neufMufes  a  faits. 
Puis  que  de  cesfept,,. 


cleion. 

Outre  ces  fons,  ces  chants  fortans  dHnftrumens  d^or, 

Et  de  celeftes  voix,  oye^  ces  vers  encor 

De  moy  Cleion,  qui  fuis  des  Mufes  la  première  : 

Ces  Dieux  qui  du  Soleil  empruntent  leur  lumière, 

Ainfi  que  tout  cela  qui  peut  auoir  en  foy 

Grand*  fplendeur  entre  vous,  remprunte  defon  Roy, 


292  HYMËNEE. 


Ordonnent  que  la  cau/e  aux  dames  ie  déclare 

De  leur  de/cente  ainji  pompeufe,  heureufe,  &  rare  : 

Car  ils  ont  dans  leurs,  chars  tel  fuperbe  appareil 

Que  quand  leurs  grans  flambeaux  enflamme^  du  Soleil 

Au  ciel  inceffamment  dans  leurs  cercles  ils  guident, 

Et  par  eux  fur  vos  maux  &  fur  vos  biens  prefident  : 

Non  que  ce  foyent  les  chars  celeftes  de  ces  Dieux, 

Ny  les  mefme  animaux,  qui  dans  leurs  diuers  deux 

D*vn  corps  fimple  &  fubtil  tirent  ces  chars,  quipaffent 

Sans  frayer  leurs  fentiers  que  par  reigle  ils  compajfent. 

Car  tous  ces  Dieux  efmeus  des  caufes  &  des  fins 

Que  pour  vous  ils  voyoyent  en  leurs  heureux  deftins, 

Font  cefte  pompe  exprès  dreffee  en  telle  mode, 

Qu^à  vos  yeux,  qu^à  vos  fens  V appareil  Raccommode  : 

Chafque  dieu  toutesfois  imitant  tout  cela, 

Qjde  propre  àfoy  là  haut  dedans  fon  cerne  il  a, 

Vœil  mortel  reçoit  bien  la  plus  pure  figure 

De  ce  qui  eft  diuin,  non  la  pure  nature. 

Car  au  ciel  qui  n'a  rien  en  tout  fon  Globe  entier. 

Qui  tant  foit  peu  puijfe  efire  &  maffif  &  groffier. 

Des  animaux,  des  chars,  des  palais  la  matière 

Eft  faite  d^efprit  pur,  deflame  &  de  lumière, 

D^ argent  &  d'or  fubtil,  argent  &  or  pareil 

A  celuy  de  la  Lune  &  celuy  du  Soleil, 

Et  fi  quelque  couleur  f y  méfie,  elle  eft  pareille 

A  ces  couleurs  fans  corps  qu'à  V Aurore  vermeille. 

Ou  qu'Iris  Varc  du  ciel  par  le  Soleil  reçoit. 

Ou  qu^au  Soleil  couchant  fouuent  on  apperçoit. 

Qui  tout  autour  de  foy  bigarre  vn  beau  nuage. 

Et  par  ces  ombres  fait  embellir  fon  image, 

Ceft  pourquoy  tous  ces  chars,  tous  ces  animaux  ci, 

En  or  &  en  argent,  &  en  couleurs  auffi. 

Et  prefque  en  mouuemens,  en  fplendeurs,  &  au  refte 

Imitent  quafi  Vordre  &  matière  celefte. 

L^ appareil  ample  &  digne,  &  propre  à  chacun  Dieu 

S" eft  fait  tel  que  voye\  pour  en  temps  &  en  lieu 

Qui  feroit  propre j  orner  vn  fi  haut  mariage, 

Qui  auroit  ta  lié  de  foy,  corps  &  courage. 


HYMENEE.  295 


Mérite  bien,  qu'ainjt  qu*on  voit  eftre  celefte 

De  ces  celeftes  Dieux  la  mufique,  qu'au  refte 

De  ce  qui  peut  aider  à  remarquer  fans  fin 

Si  nouuelles  faueurs,  rien  n^y  foit  que  diuin. 

Les  grandes  caufes  aujfi  qui  tous  ces  Dieux  efmeurent, 

Lors  que  par  tel  deftin  tel  dejjein  ils  conclurent, 

Pour  après  tant  de  maux  dans  la  France  honorer 

Vn  bien,  dont  on  pouuoit  tant  de  biens  efperer  : 

Mefme  la  conuenable  &  durable  mémoire, 

Q}ie  requiert  de  ce  fait  la  mémorable  gloire, 

Qjii  par  ces  Dieux  fe  rend  ainfi  grande,  d'autant 

031* Hymen  va  tous  f es  nœus  en  ce  nœu  fw^montant. 

Par  tant  d!* heurs  que  reçoit  non  feulement  la  France, 

Mais  bien  la  terre  entière  en  fi  digne  alliance  : 

Et  pour  fin  nofireiufte  &  coufhtmier  deuoir. 

Qui  f  acre  au  vueil  des  Dieux  des  Mufes  lepouuoir. 

Font  que  tant  pour  le  fiecle  auenir,  que  le  voftre. 

Ces  vers  n^ayent  requis  autre  main  que  la  nofire, 

Enten  les  donCy  Madame,  &  mefme  à  ce  grand  Roy 
Ton  efpoux,  à  la  Roine  auffi,  qui  près  de  toy 
Apparoifi  tout  ainfi  qu^entre  les  Dieux  Cybele, 
Qjiand  mère  elle  Je  voit  d^vne  race  tant  belle. 
Dont  prefque  approche  en  traits,  en  hauteffes,  en  heurs 
De  celle  ci  la  race  :  à  fes  filles  tesfœurs. 
Dont  au  grand  Duc  Lorrain  fe  voit  coniointe  Vvne, 
L*  autre,  peut  eftre,  encor  attend  plus  grand  fortune  : 
A  toute  Dame  auffi  qui  eft,  ou  fera  près 
De  ta  grand  maiefté,  fay  les  entendre  après. 
Si  des  Mufes  la  bande  en  eft  la  chantereffe. 
Si  enuersfi  grand  Roine  vn  fi  grand  chant  faddreffe, 
Si  le  fuiet  furpaffe  en  ce  quHl  contiendra. 
Tous  fuiets,  rien  iamais  au  monde  il  ne  craindra. 
Nous  dépitons  Vorgueil,  Venuie,  Vignorance, 
Le  fort,  le  tort,  la  mort  :  &  quanta  Voubliance, 
Nousfommes  de  Mémoire  &  la  race  &  le  foin. 
Qui  près  de  nous  bannit  fa  contraire  bien  loin. 

Ces  Dieux  ont  veu  Vheureufe  &  haute  defiinee, 
Qui  fort  de  leurs  afpeds  pour  tel  grand  Hymenee^ 


294  HYMENEE. 


Aux  grands  Rois  fils  des  Dieux,  aux  grands  Roines  auffi^ 
Qui  en  tel  heur  des  dieux  font  le  premier  fouci, 
Ce  n^eft  aujfi  qu'à  nous  de  Vefcrire  en  tel  fiile, 
Qjieprefque  à  Rome  eftoyent  les  vers  de  leur  Sibylle. 
Car  cela  dépendant  du  deftin  incogneu, 
Et  parauant  fecret  entre  les  Dieux  tenu. 
Ne  peut  eftre  argument  des  hommes,  quand  la  Afufe 
Sur  tous  auroit  en  eux  des  vers  la  grâce  infu/Cy 
Pour  aux  fiecles  fuiuans  les  heurs  futurs  pouuoir 
Faire  cognoiftre,  il  faut  cognoiffance  en  auoir  : 
Ce  qui  rCeft  qu'aux  Dieux  propre  :  A  nos  forces  hautaines 
Soit  le  diuin  fuiet^  &  Vhumain  aux  humaines. 
Tous  les  vers  Sibyllins  qui  reftoient,  &  ceux  là 
Que  la  Sibylle  encor  deuant  Tarquin  brûla, 
Venoient  vrayment  de  nous,  qui  les  Sibylles  fommes. 
Interprètes  du  vueil  des  Dieux  aux  dignes  hommes. 

En  vers  iadis  eftoient  les  Oracles  diuers. 
Et  feules  nous  auons  puijfance  fur  les  vers  : 
S'il  fort  de  Vame  humaine  aucun  vers  prophétique. 
Nous  Vinfpirons  tout  fait  dans  Vame  poétique. 
Qui  en  ce  fait  fi  prompt  fent  bienpluftoft  V effet. 
Qu'aucun  égard,  difcours,  ou  bien  trauail  du  fait. 
Car  nous,  &  nos  beaux  arts,  qui  Vame  au  ciel  emportent, 
Faifons  que  d^ elle  après  des  voix  celefies  fortent  : 
De  nous  elle  eft  Vorgane,  &  fi  ce  bon  heur  n^eft 
Dedans  vn  vers,  il  meurt  tout  auffi  toft  quHl  naifi. 
Tout  ouurage,  où  par  nous  fe  fouffie  vigueur  telle. 
Ha  fa  vie  auffi  bien  que  la  nqftre  immortelle  : 
Mais  en  ce  fait  (6  Roine)  où  la  pofierité 
Doit  admirer  fans  fin  Vefirange  rarité 
Du  haut  deffein  des  Dieux,  qu^vn  grand  deftin  fit  naiftre, 
le  croy  qu'onc  à  cela  rien  pareil  ne  peut  eftre. 
Donc  de  fi  rare  emprife,  &  fi  merquable  à  tous, 
Vexecution  digne  &  haute  {qui  à  vous 
Auec  fi  grand  merueille  auiourdhuy  fe  prefente, 
Qu^elle  furpaffe  en  tout  de  tous  Rois  toute  attente. 
Qu'ils  pour  j'oieni  prendre  enfoydesfaueurs,  dont  les  dieux 
Voudraient  vn  grand  Hymen  fauorifer  le  mieux) 


HYMENEE.  295 


Mérite  bien,  qu^ainfi  qu'on  voit  eftre  celefte 
De  ces  celeftes  Dieux  la  mujique,  qu'au  refte 
De  ce  qui  peut  aider  à  remarquer  fans  fin 
Si  nouuelles  faueurSf  rien  n^y  foit  que  diuin. 
Les  grandes  caufes  auffi  qui  tous  ces  Dieux  efmeurent, 
Lors  que  par  tel  deftin  tel  dejjein  ils  conclurent, 
Pour  après. tant  de  maux  dans  la  France  honorer 
Vn  bien,  dont  on  pouuoit  tant  de  biens  efperer  : 
Me/me  la  conuenable  &  durable  mémoire, 
Que  requiert  de  ce  fait  la  mémorable  gloire, 
Qlti  par  ces  Dieux  fe  rend  ainft  grande,  d'autant 
Qfi^Hymen  va  tousfes  nœus  en  ce  nœu  furmontant, 
Par  tant  d'heurs  que  reçoit  non  feulement  la  France, 
Mais  bien  la  terre  entière  en  fi.  digne  alliance  : 
Et  pour  fin  nofireiufie  &  couftumier  deuoir, 
Qjtifacre  au  vueil  des  Dieux  des  Mufes  lepouuoir. 
Font  que  tant  pour  le  fiecle  auenir,  que  le  vofire. 
Ces  vers  h*ayent  requis  autre  main  que  la  nofire, 

Enten  les  donCy  Madame,  &  mefme  à  ce  grand  Roy 
Ton  efpoux,  à  la  Roine  auffi,  qui  près  de  toy 
Apparoifi  tout  ainfi  qu'entre  les  Dieux  Cybele, 
Quand  mère  ellefe  voit  d*vne  race  tant  belle. 
Dont  prefque  approche  en  traits,  en  hauteffes,  en  heurs 
De  cette  ci  la  race  :  à  fes  filles  tes  fœurs. 
Dont  au  grand  Duc  Lorrain  fe  voit  coniointe  Vvne, 
Vautre,  peut  eftre,  encor  attend  plus  grand*  fortune  : 
A  toute  Dame  auffi  qui  eft,  ou  fera  près 
De  ta  grand  maiefté,  fay  les  entendre  après. 
Si  des  Mufes  la  bande  en  eft  la  chant ereffe. 
Si  enuersfi  grand  Roine  vn  fi  grand  chant  faddreffe. 
Si  le  fuiet  furpaffe  en  ce  quHl  contiendra. 
Tous  fuiets,  rien  iamais  au  monde  il  ne  craindra. 
Nous  dépitons  Vorgueil,  Venuie,  Vignorance, 
Le  fort,  le  tort,  la  mort  :  &  quanta  Voubliance, 
Nousfommes  de  Mémoire  &  la  race  &  le  foin. 
Qui  près  de  nous  bannit  fa  contraire  bien  loin. 

Ces  Dieux  ont  veu  Vheureufe  &  haute  deftinee, 
Qitifort  de  leurs  afpeàs  pour  tel  grand  Hy menée, 


296  HYMENEE. 


Qîtiy  fa  couple  eftant  faite,  ici  deuoit  venir. 
Pour  auoir  plus  grand  pompe  à  tout  iamais  bénir 
Ce  fainâ  nœu,  quifurmonte  encot  toute  alliance. 
De  la  race  d^Auftriche  à  la  race  de  France  : 
Car  Charles  qui  a  pris  Elizabet,  ainfi 
Vvn  Roy  fils  de  grands  Rois,  Vautre  qui  fort  aufft 
De  Rois.  &  d'Empereurs,  doit  auec  elle  luire 
Deffus  tous  les  flambeaus  de  ces  Dieux,  qui  conduire. 
Orner,  &  profperer  ont  voulu  ce  Dieu  fainâ, 
sPar  qui  Charles  auec  Elizabet  fétreint. 
Vous  dirie:(,  tant  leurs  feus  de  conionâions  prennent, 
Qjte  pour  telle  alliance  allier  ilsfe  viennent, 
Si  généralement,  que  doppojition 
Aucune  ne  fe  rompt  telle  conionâion. 

Les  Royauté^  qui  font  des  deite:{  prochaines, 
Emeuuent  plus  des  Dieux  les  faueurs  ou  les  haines. 
Soit  pour  voir  la  grandeur  des  Rois,  ou  pour  fentir 
Ce  qui  en  peut  de  bon  ou  de  mauuais  fortir  : 
Ce  qu^ encore  fur  tout  au  mariage  ils  gardent. 
Car  aux  branches  autant  qu'aux  tiges  ils  regardent, 
Vers  les  rameaus  petits,  ou  vers  les  tiges  hauts. 
Continuant  la  fuite  ou  de  biens  ou  de  maux. 
Ou  changeans  Vvn  en  Vautre,  ou  ramenans  le  change 
Du  bien  au  plus  grand  bien,  du  mal  au  mal  efirange. 
Dont  les  Dieux  prennent  bien,  ou  plaifir,  ou  pitié  : 
Mais  leur  deflin  n'a  point  de  haine,  ou  d* amitié, 
Inflechiffable  il  fuit,  &  les  Dieux  pitoyables 
Ne  fe  font  point  pourtant  par  pitié  flechiffables  : 
Long  temps  ils  te  Vont  fait  {pauure  France)  efprouuer. 
Car  combien  que  pitié  fe  peufl  en  eux  trouuer, 
Pour  tes  guerres,  tes  maux,  crimes,  meurdres,  outrages j 
Horreurs,  faccagemens,  ruines,  où,  tes  rages 
Aueugles  te poujfoyent,  ferme  efioit  le  deflin, 
Qui  de  tes  propres  mains  mefme  à  ta  propre  fin 
Sémbloit  te  traîner  prefque,  alors  que  Voubliance 
De  Roy,  de  loy,  de  fang,  d'amitié,  d'alliance 
Tenoit  vos  cœurs  faifis,  &  qu'on  recommençoit 
Tant  de  fois  ce  qu'au  vray  fa  ruine  on  penfoit. 


HYMENEE.  2gj 


Car  après  que  du  fort  Vorageufe  tourmente 
D'horribles  coups  de  mer^  prefque  auoit  toute  attente 
De  tonfalut  chaffee,  on  voyoit  bienfouuent 
L'air  ferain,  Ponde  calme,  &  paifible  le  vent  : 
Mais  c'eftoit  pourfoudain  te  ramener  au  double 
Le  vent,  le  flot,  &  Pair,  plus  afpre,  fier,  &  trouble. 
On  a  veu  me/me  après  Ji  diuers  changement, 
Du  grand  effort  dernier  Vaigre  redoublement. 
Par  effroyable  heurt  &  bourrafque  importune. 
De  plufieurs  de  tes  grands  la  nef^  &  la  fortune. 
Et  la  vie  engouffrer,  tant  qu'ainji  fannonçoit 
Tonfalut,  ou  ta  fin  du  tout  fe  prononçoit  : 
D'autant,  ou  que  les  Dieux  molliffoyent  leur  courage 
Receuans  telle  amende,  ou  qu'après  tel  orage 
Tu  nepouuois  iamais  ton  vaiffeau  rehauffer, 
Qfii  plein  d^eaufe  voyoit  défia  prefque  enfoncer. 
On  voyoit  mefmement  que  les  peuples  eflranges, 
De  ton  nom,  de  tes  faits,  de  tes  heurs,  &  louanges. 
Et  du  fceptre  fi  beau  de  tant  &  tant  de  Rois^ 
Q^i  à  ces  peuples  mefme  auoient  donné  tes  lois, 
Ne  penfoyent  plus  rien  voir  quafi  que  les  reliques 
Pendans  encore  au  flot  de  tes  troubles  Galliques, 
'  (2k<  pleines  dedans  foy  de  leurs  propres  éclats. 
Sans  voile,  ancre,  timon,  hune,  cordage,  &  mas, 
Sembloyent  a  tes  voiftns  pour  vn  temps  rachetées 
Des  foudres,  tourbillons,  &  va'gues  dépitées, 
De  ciel,  d'aire  &  de  mer,  à  la  merci  des  eaux 
Abandonnées  prefque  :  &  bien  que  tes  vaiffeaux 
Fuffent  grands,  &  encor  fort  arme:^,  maint  corfaire 
Proiettoit  fon  proffit  de  ton  dommage  faire  : 
Et  maint  efiant,  ou  bien  paroiffant  eflre  humain, 
Par  j^ele,  ou  autre  égard  tendoit  aux  tiens  la  main  : 
Maint  auffi  fe  voyant  prefque  en  telle  tempefle. 
Tachait  qu'elle  reftafi  entière  fur  ta  tefte. 
En  fon  abri  fi  fort  fe  ferrant,  &f  ancrant. 
Que  le  volant  orage  en  luy  n'allafi  entrant. 
Aux  autres,  d*vne  forte  ou  d'vne  autre  accufee, 
Tuferuois  de  pitié,  d* exemple,  ou  de  rifee. 


29B  HYMENEE. 


Sans  voir  que  tout  autant  leur  en  pendoit  à  Vœil, 

Sans  voir  me/me  la  part  quHls  aurqyent  en  ton  dueiL 

Dans  nous  aux  maux  d'autruy  vient  pluftoft  malvueillance 

Que  pour  autruy  fecours,  &  pour  foy  pouruoyance. 

Mais  Soudain  (tel  auoit  des  Dieux  efté  le  foin) 

Les  contraires  deftins  fe  trouuans  au  befoin, 

En  temps  calme  &ferain  vindrent  tourner  la  rage 

Du  Jbrtunal  eftrange,  &  le  prochain  naufrage  y 

En  feurté  de  vray  port^  voire  auffi  le  mépris, 

Que  precipitément  Veflranger  auoit  priSy 

En  admiration,  en  amour,  ou  en  crainte 

De  ta  claire  grandeur,  quifoumife  ou  efteinte 

Ne  peut  eflre  iamais,  ains  qui  peut  faire  choir 

(Peut  eflre)  deffousfoy  tous  ceux  qui  voudroient  voir. 

Aider,  ou  hafler  mefme  en  elle  vne  ruine  : 

Grand  efï  Vappuy  qui  fort  d^ordonnance  diuine. 

Tout  eflat  qui  fe  doit  haufferplus  quUl  n^efipas. 

Se  hauffe  mefme  alors  que  Ion  le  croit  plus  bas. 

Car  pour  Vheure  le  ciel,  qui  fit  la  Paix  defcendre. 

Par  tel  deflin  profpere  vn  moyen  luy  fit  prendre 

Plus  grand  qu'elle  n^euft  onccf  d*amollir  peu  à  peu^ 

Defaigrir,  amortir,  le  cœur,  le  fiel,  le  feu 

Des  François  achame:{  :  pénible  &  long  affaire. 

Qu'elle  ia  defcendant  par  deux  fbis^ne  peut  faire  : 

Et  ce  qu'au  premier  coup  faire  encor  ne  pourroit^   . 

Lors  qu^à  la  tierce  fois  defcendre  vn  la  verroit. 

Mais  ce  deftinfi  doux  dont  elle  print  puijfance, 

D'heure  en  heure  en  cela  luy  fait  prendre  accroiffance. 

Tant  que  la  rendant  fiable  auec  fa  fermeté, 

n  efiablit  les  heurs  qui  en  elle  ont  efié 

Defiine^  par  le  ciel  ;  def quels  ce  mariage 

Tant  haut,  &  tant  heureux,  nefertpas  deprefage 

Seulement,  mais  d'entrée  &  feur  auancement  : 

L'heur  fans  fin  l'heur  attire.  Or  quand  fatalement 

Telle  Paix  defcendit,  les  Die^x  qui  l'enuoyerent 

D'vn  tel  bien  refiouis,  tout  ce  tourfe  trouuerent 

Che^  le  Père  Océan.  * 


HYMKNKK.  299 


L*ABONDANCE. 


Au  Char  de  la  Lune. 


La  nature  fans  fin  ie  rens  belle  &  féconde 

Moy  qui  fuis  V Abondance,  &  pour  elle  portant 
Ma  riche  corne  en  main,  dont  toutfruià  vafortant, 
PaidCj  l'orne,  t*  empli,  f on  foin,  f on  art,  f on  monde: 

Mais  celle  là  qui  fait  que  plus  ma  corne  abonde, 
C*eft  de  Phebus  la  fœur,  qui  du  frère  empruntant 
Ce  grand  luftre,  qui  va  tout  fon  teint  argentant, 
Fait  de  tout  abonder  Vair,  &  la  terre,  &  Vonde  : 

Car  la  froide  moiteur  par  le  chaud  f  enflammant, 
Se  formant,  faccroiffant,  &fouuent  p animant. 
De  fruits,  &  de  lignée  apporte  V abondance. 

Chauds,  Elizabet,  puiffent  donc  par  nous  deux 
Se  voir  croiftre  en  lignée,  &  ce  qui  naiflra  d'eux 
Puiffe  voir  en  tous  fruits  de  France  Vaccroiffance. 


LE    SOMME. 

Au  derrière  du  Char. 

Pour  le  Silence^  &  moy,  ie  parle  en  peu  de  mots 
Car  Vvn  toujours  fe  taifl,  &  Vautre  dort  fans  ceffe. 
Du  Roy  Vheureux  Silence  accroiffe  la  Sagejfe^ 
Du  Roy  le  Somme  heureux  accroiffe  le  repos. 


LE    GENIE. 

Au  Char  de  Mercure. 

Mercure,  qui  des  arts  fut  au  monde  inuenteur. 
Fait  que  fon  gentil  afire  en  tout  temps  a  puiffance 
Sur  toute  inuention,  fur  toute  cognoiffance, 
Sur  Veloquence  auffi,  dont  luymefme  efl  auteur. 


300  HYMENEE. 


Mais  fans  moy  les  humains  n'auroyent  iamais  cet  heur^ 
Qui  premier  aux  bien  nés,  &  me/me  en  leur  naiffance 
Soufle  vn  pouuoir  (Vauoir  toute  telle  influence  y 
Pourtant  ce  Dieu  me  fait  de  fon  Char  conduâeur. 

La  nature  peftrit  lia  majfe,  moy  Génie 
Diuers  inftinâ  luy  foufle  auec  vigueur  &  vie  : 
Fortune  aueugle  après  Vexpo/e  à  fes  ha/arts. 

Nature  Jut prodigue,  &  Fortune  opportune 

Tant  au  Roy  qu^à  la  Roine  :  en  eux  pourtant  les  arts 
Puiffent  vaincre  les  dons  de  Nature  &  Fortune. 


LES      TBOI  S      GRACES 

Deuant  le  Char  de  Venus. 

Amour,  Venus,  &  nous  compagnes  feruiables 
A  Venus,  les  ardeurs,  les  beauté:^,  les  attraits, 
Mettons  aux  cœurs,  aux  corps,  aux  gracesplus  louables. 

Amour  brufle  les  cœurs,  fous  fa  puiffanCe-  attraits  : 
D*air,  de  traits,  &  de  teint.  Venus  les  corps  décore  : 
Nous  de  grâce  animons  Vair,  le  teint,  &  les  traits. 

Mefme  en  ces  trois  effets  Vvn  par  Vautre  phonoi-e, 
Tous  les  trois  font  communs  entre  nous,  S-  pouuons 
Tous  cinq  ardre,  embellir.  S-  donner  grâce  encore. 

L^ Amour  aide  aux  beauté^  &  aux  grâces  qu^auons 
Mifes  en  vous,  Venus  vous  addreffe  &  enflame. 
Et  Nous  vos  beauté:^  croiftre  &  vos  flames  fçauons. 

Auffi  d'Amour  la  mère,  &  de  nous  trois  la  damCy 
Venus  que  vous  voye:{,  eft  le  beau  feu  toufiours, 
La  beauté,  Vomement  de  tout  corps  &  toute  ame  : 

Caufe,  entretien,  plaifir  de  Vejfence,  du  cours 
Et  mouuement  de  tout,  de  trois  Grâces  fuiuie. 
Que  mérite  fon  grand  &  continu  fecours. 

Car  pour  tous  biens  Venus  le  feul  bien  de  la  vie. 
Doit  de  tous  receuoir  fans  fin  remerciment, 
Auquel  fans  fin  pour  nous  tout  efprit  fe  conuie. 

Ceft  pourquoy  noftre  nom  Ion  peut  prendre  autrement, 


HYMENEE.  3o  I 


Qui  eft  de  grâces  rendre  :  or  nous  conuions  donques 
De  rendre  ore  à  Venus  grâces  infiniment, 
Charles,  Ëlizabet,  &  leur  Hymen,  fi  onques 
Rien  a  receu  grand  heur,  ont  receu  tout  le  bien 
Qu^auecq'  Amour,  &  nous.  Venus  peut  direfien. 


CVPIDON     CONDVISANT     LEDICT     CHAR. 

Vers  Sapphiques  rymcz. 

Sans  voler  dans  Pair  ie  guide  en  ce  beau  lieu. 
Dans  ce  Char  Cypris  reuerant  ce  beau  Dieu, 
Q}ii  retint  d*vn  nœu  mémorable  fousfoy 
Charles,  auec  moy, 
D*vn  léger  trompeur  le  renom  ie  perdray. 
Ferme  pour  toufiours  tel  amour  ie  tiendray  : 
Car  chacun  des  Dieux  promet  en  ce  grand  bien 
Rompre  le  vol  mien. 
Seul  iefuis  autheur  de  ce  bien,  â*amour  vient 

Uheur  d? Hymen  :  Cypris  de  mon  heur,fon  heur  tient 
Rien  ne  peut  des  deux  ranimer  le  brandon. 
Fors  que  Cupidon. 


AV  CHAR  DV  SOLEIL,  OV  ESTOYENT 
LES  QVATRE  SAISONS. 

Vers  intercalaires  chantez  &   fonnez  par  les  Muliciens 
eftans  dans  le  creux  du  Char,  &  auili  par  les  Mufcs. 


Le  grand  Soleil  fait  luire  aux  deux 
Tous  aftres,  &  fur  tous  la  Lune  : 
D^vn  Roy  le  luftre  radieux. 
Ses  deeffes,  fes  demi^dieux 
Fait  luire  tous,  &fur  tous  vne, 
QvLe  mefme  il  fait  paroiftre  vn  Soleil  à  chacun  : 

Car  puis  que  Vamour  fait  que  les  deux  nefoyent  qu^vn^ 
D^vn  des  deux  la  lumière  eft  à  tous  deux  commune. 


304  HYMENEE. 


La  race  &  la  vertu  doit  venger  voftre  fin. 
Charles,  Elizabet,  pleins  de  profperité 
Puiffent  en  leur  hyuer  renouueller  leur  âge, 
Au  ciel  par  Deité^  fur  terre  par  lignage  : 
Tout  bon  Roy  fils  des  dieux  mérite  éternité. 


l'avrore 

Conduifant  ledi£l  Char. 

Bien  que  i'aye  vn  char  propre  à  moy  qui  fuis  P Aurore , 
Dont  (Dames)  vous  femble^  emprunter  en  vos  teints 
Les  rofeSf  dont  les  deux  par  moyme/me  font  peints, 
le  me  fuis  mife  au  char  quifeul  tout  le  ciel  dore. 

Ce  Dieu  duquel  Vannonce,  &  deuance,  &  colore 
L^or  premier,  veult  quHci  de  mes  rofines  mains 
A  fes  chenaux  tous  d^or  ie  reigle  ainfi  les  freins. 
Pour  fes  faueurs  vers^ous,  vous  annoncer  encore, 

Vn  Roy  femhle  vn  Soleil  :  que  Phebus,  que  ces  Dieux 
Eclaire!^  de  fon  feu,  qu^au  huiâiefme  des  deux 
Les  feux  cloue^,  &  ceux  de  fes  dou\e  demeures. 

Pour  vous  puiffent  toufiours  tellement  bien-heurer 
Ses  ans,  &  fes  faifonSy  fes  mois,  fes  iours,fes  heures. 
Qu'à  Venui  Charles  femble  vn  bas  monde  dorer. 


E  N  Y  O  N. 


AV       CHAR       DE       MARS. 


Vers  Afclepiades  rymez. 


On  feint  Mars  violent,  plein  de  fureur,  de  fiel, 
D^horreur,  meurdre,  hideur,  en  reputant  le  ciel 
Au  bas  monde  pareil,  tant  que  la  paffion 
Des  Dieux  femble  régir  leur  volage  aâion. 


H  Y  MENEE.  3o5 


Mars  vient  dPvnfage  Dieu,  qui  de  ce  monde  fien 
Seul  compaffe  le  cours,  Vordre,  le  mal,  le  bien. 
Puis  cherché  de  Venus  Mars  ne  feroit  iamais. 
Si  tant  il  reiettoit  Vordre,  V Amour,  la  Paix. 

Aux  mortels  le  defir.  Vire,  le  changement. 
Et  Vafpre  ambition,  font  tel  aueuglement. 
Tant  quUls  vontfanimans  en  ce  péril  de  Mars, 
Mafquans  Vambition  peinte  de  mille  fards: 

Et  pleins  d'aigre  dépit,  pleins  de  fureur,  de  tort. 
Qu'on  voit  bondir  en  eux,  contre  le  iujlejort, 
Prefqu'aux  grands  Deite^  arracheroyent  le  droite 
Qpi  efclaue  de  Dieu  rendre  la  terre  doit. 

Lors  maint  peuple  félon,  qui  de  la  loy  fe  rit, 
Qjti  contemne  le  Roy,  qui  le  mutin  chérit. 
Brouille,  &  fouille  le  temps  :  Mars  retenant  le  foin 
Des  guerres,  fa  faueur  fait  venir  au  befoin. 

Mars  fi  fort  ne  requiert  en  ce  pays  lefang, 
L*horreur,  meurdrCy  hideur,  quHl  ne  le  rende  franc, 
Et  fi  vous  reuerex  en  ce  pays  la  Paix, 
Qji*en  fin  n^aille  quittant  tel  pays  à  iamais» 

Le»  vers  chantez  aux  trois  autres  Chars  de  Saturne ,  lupiter, 
&  d'Hymen,  n'ont  peu  eftre  recouurez. 


FIN     DU     TOME     PREMIER. 


lodelle.  —  1.  20 


/ 


NOTES 


NOTES 


I.    De    L<    POESIE  FRANÇOISE,     ET     DES     OBVVRES     d'EstiEKHE     lo- 
DCLLE,...  p.    I. 

Cette  préface  de  Charles  de  li  Mothe  a  pani  dans  la  deux  6ii- 
tiona  dei  Œuarei  de  Jodelle  publiées  en  1574  et  en  i383.  Nous 
■TODS  jugé  utile  de  la  reproduire  i  cansc  des  curieux  détails  qu'elle 
milerme  sur  les  poètes  de  la  Pléiade.  Nous  avons  même  comerTé, 
TU  Bon  peu  d'étendue,  la  première  partie  de  ce  morceau,  bien  qu'elle 
Knt  étrangère  i  notre  sujet.  Nous  noua  sommci  contenté  de  ne 
point  j  joindre  les  rectificatiouB  et  les  preuves  dont  elle  aurait  grand 
bcKMn,  mais  qui  seraient  déplacées  ici. 

Voici  le  titre  exact  de  la  première  édition  publiée  par  Ourles  de 
Il  Motbe  : 

LES    OEVVRES 

&   Meflanges  Poétiques 

D'ESTIENNE    lODELLE 


Premier   Volume. 
A  PARIS, 


AVEC    PRIVILEGE   DV   ROY. 


3lO  NOTES. 


Le  privilège,  accordé  à  Nicolas  Chefneau,  est  du  24  septembre 
1 374.  On  lit  au  bas  :  c  Ce  volume  a  efté  acheué  d'imprimer  le 
6.  iour  de  Nouembre  1574.  »  Il  est  de  format  in-49,  se  compose  de 
huit  feuillets  liminaires^  de  3o8  feuillets  chiffrés  et  de  deux  feuillets 
d'errata  et  de  table.  L'errata  a  pour  titre  :  1  Ce  qui  eft  à  corriger  en 
ce  premier  volume,  m 

L'édition  de  i383  porte  l'adresse  de  Nicolas  Chesneau  ou  celle  de 
Robert  le  Fizelier;  elle  est  de  format  in- 12.  On  lit  sur  le  frontispice 
au  lieu  de  Premier  volume  :  «  Reueuës  &  augmentées  en  cejte  der- 
nière édition.  »  Il  y  a  néanmoins  à  la  fin  comme  dans  la  première 
édition  :  Fin  du  premier  volume  des  Œuures  &  Meflanges  cPEJ- 
tienne  lodelle,  mais  c'est  là  un  oubli  de  l'imprimeur,  à  qui  l'on  a 
donné  pour  copie  l'édition  précédente,  qu'il  a  suivie  aveuglément  ;  il 
est  certain  qu'alors  il  n'était  déjà  plus  sérieusement  question  de 
donner  au  public  d'autre  volume  des  Œuures  de  Jodelle  que  celui-ci. 
Quant  aux  augmentations  mentionnées  sur  le  titre  de  l'édition  de 
i383,  elles  ne  consistent  qu'en  un  petit  nombre  de  pièces  com- 
posant un  cahier  additionnel  qu'on  ne  trouve  que  dans  quelques 
exemplaires  où  il  forme  les  feuillets  289-298.  Comme  le  remarque 
Charles  de  la  Mothe,  Jodelle  n'avait  rien  publié  de  son  vivant,  à  l'excep- 
tion du  Recueil  des  infcriptionSy  figures^  deuifes,  &  mafquarades 
que  nous  décrivons  ci-après  (note  41);  les  éditions  de  1374  et  de 
i383  sont  donc  les  véritables  éditions  originales;  la  première  a 
servi  de  base  à  notre  texte,  et  nous  avons  soigneusement  indiqué  les 
différences  que  présente  la  seconde  lorsqu'elles  nous  ont  paru  de 
quelque  intérêt  pour  l'étude  de  la  langue  ;  quant  au  classement  des 
Œuures^  nous  l'avons  complètement  modifié,  en  ayant  soin  de  faire 
connaître  dans  nos  notes  lès  motifs  qui  nous  ont  fait  préférer  celui 
que  nous  avons  adopté.  ^ 

2.  En /es  mœurs  particulières,  p.  8. 

Ainsi  dans  l'édition  de  1374.  En  fes  mœurs  particuliers  dans 
celle  de  i583. 

3.  Quarante  &  vn  an^  p.  8. 

Le  mot  an  est  ainsi  au  singulier  dans  les  deux  éditions.  Il  fau- 
drait se  garder  de  voir  là  une  faute.  Vaugelas  a  intitulé  une  de  ses 
Remarques  :  «  Si  après  vint  &vn,  il  faut  mettre  vn  pluriel,  ou  vn 
Jingulier,  »  Il  est  d'avis  «  que  l'on  dit,  &  que  l'on  efcrit  affeurement, 
vint  &  vn  an,  &  non  pas  vint  &  vn  ans,  ny  vint  &  vue  années.  »> 
Mais  il  reconnaît  «  que  l'on  dit,  &  que  l'on  efcrit,  il  y  a  vint  &  vn 
chenaux,  &  non  pas  il  y  a  vint  &  vn  ckeual,  »  Dans  les  Ohferva- 
tions  de  l'Académie  françoije  fur  les  Remarques  de  M.  de  Vau- 
gelas, publiées  en  1 704,  in-4»,  on  lit  :  «  Il  eft  certain  qu'on  dit 
vingt  &  vn  an,  &  l'Ufage  l'authorife  ;  mais  ce  mefme  Ufage  veut  que 


NOTES.  3n 


s'il  fait  an  adjeâif  après  un  on  mette  cet  adjeélif  au  pluriel.  H  a 
vingt  &vnan  accomplis^  à.  vingt  &  un  anpaffei  &  non  pas  vingt 
&unan  accompli  ou  paffé,  » 

4.  l'eVGENE,  COMEDIE...  p.  II. 

Jodelle  étant  surtout  connu  par  ses  œuvres  dramatiques,  nous 
ATons  cm  devoir  les  placer  les  premières,  quoique  Charles  de  la 
Mothe  les  ait  mites  à  la  fin  de  son  volume.  L'ordre  chronologique 
ne  s'opposait  point  d'ailleurs  à  ce  classement,  car  de  la  Mothe 
nous  apprend  que  Jodelle  «  en  i532.  mit  en  auant,  &  le  premier 
de  tous  les  François  donna  en  fa  langue  la  Tragédie,  &  la  Comédie, 
en  la  forme  ancienne.  »  (Voyez  ci^-dessus,  p.  5)  et  un  peu  plus  loin, 
il  compte  parmi  les  «  pièces  faites  par  l'autheur  aux  plus  tendres 
ans  de  fa  ieunefle...  la  Tragédie  de  la  Cleopatre,  &  la  Comédie 
d'Eugène,  »  Guidés  par  ceslndications,  les  frères  Parfait,  dans  leur 
Hifioire  du  théâtre  français,  ont  placé  l'analyse  de  ce  dernier 
ouvrage  à  l'année  1 552,  époque  à  laquelle  Jodelle  avait  20  ans.  Cette 
date  paraît  exacte,  car  il  s'agit  dans  la  pièce  de  l'expédition  d'Al- 
lemagne qui  valut  à  Henri  II  Metz,  Toul  et  Verdun,  et  il  y  est 
question ,  comme  d'une  éventualité  peu  probable,  du  siège  de  Metz 
par  Charles-Quint,  qui  n'eut  lieu  que  l'année  suivante.  Charles  de  la 
Mothe  nous  apprend  que  «  la  Comédie  d'Eugène  fut  faite  en  quatre 
tndttes.  »  (Page  7).  C'est  cependant  un  des  meilleurs  ouvrages 
de  Jodelle;  non  qu'on  y  trouve  le  moindre  talent  de  composition, 
mais  il  renferme  des  vers  heureux  et  quelques  traits  de  caractère. 
On  peut  voir  dans  notre  Notice  sur  Jodelle  la  curieuse  relation  que 
Pasqoier  fait  de  la  représentation  de  Cleopatre  et  d'une  comédie 
intitulée  La  Rencontre,  que  les  frères  Parfait  ont  considérée  comme 
étant  la  même  pièce  que  l'Eugène,  Jodelle,  dit  Pasquier,  «  fit  deux 
Tragédies,  la  Cleopatre  &  la  Didon,  &  deux  Comédies,  La  Ren- 
contre &  V Eugène,  La  Rencontre  ainfi  appel  lée  parce  qu'au  gros 
de  la  meflange,  tous  les  perfonnages  f 'eftoient  trouuez  pefle-mefle 
cafnellement  dedans  vne  maifon,  fuzeau  qui  fut  fort  bien  par  luy 
demeflé  par  la  cloflure  du  ieu.  Cefte  Comédie,  &  la  Cleopatre 
forent  reprefentees  deuant  le  Roy  Henry.  »  Les  frères  Parfait 
font  à  ce  sujet  les  remarques  suivantes  :  «  Tout  ce  qui  regarde 
cette  prétendue  Comédie  de  La  Rencontre,  n'efl  qu'une  faute  de 
mémoire  de  Pafquier.  Si  Jodelle  avoit  compofé  cette  pièce,  La 
Motte,  qui  raflembla  fes  Ouvrages  après  fa  mort,  &  qui  donne  un 
éloge  de  cet  Auteur  à  la  tête  de  l'édition,  n'auroit  pas  manqué  d'en 
parler.  Ainfi  il  eft  certain  que  la  Comédie  fut  intitulée  :  Eugène 
on  La  Rencontre,  »  Les  raisons  sur  lesquelles  les  frères  Parfait 
sTappuient  sont  bien  faibles  puisque  Charles  de  la  Mothe  parle  d'un 
très-grand  nombre  d'oeuvres  de  Jodelle  qui  se  sont  trouvées  perdues, 
et  que  ce  que  dit  Pasquier  du  denoflment  de  La  Rencontre  ne  paraît 
nullement  convenir  à  la  comédie  d'Eugène, 


3l2  NOTES. 


La  scène  de  VEugène  est  à  Paris,  comme  on  le  voit  par  divers 
passages,  et  notamment  par  ces  trois  vers  :  (Acte  II,  scène  II,  p.  37.) 

Combien  que  mille  fois  &  milîe^ 

Paye  veu  &  reueu  la  ville 

De  Paris,  oiifuis  à  cejle  heure. 

5.  Amault,  Homme  de  Florimond,  Pierre,  Laquais,  p.  12. 

Dans  les  éditions  de  1574  et  de  i583,  les  qualités  de  ces  deux  per- 
A>nnages  se  trouvent  interverties,  mais  les  indications  des  p.  34 
et  37  et  le  texte  même  de  la  pièce  ne  peuvent  laisser  aucim  doute 
sur  la  véritable  leçon. 

6.  Ont  y  p.  i5. 

Il  y  a  dans  les  deux  éditions  on  qui  ne  donne  aucun  sens  rai- 
sonnable. 

7.  Que  Jeruiroit  f expliquer,  p.  19. 

Ainsi  dans  la  première  édition  ;  que  ferùiroit  expliquer  dans  la 
seconde. 

8.  Le  perdreau,  p.  19. 

Ainsi  dans  les  deux  éditions;  il  faut  prononcer  perdreau  en  trois 
syllabes  pour  que  le  vers  soit  juste.  Cotgrave,  dans  son  diction- 
naire français-anglais  de  161 1,  donne  perdreau  et  perdriau. 

9.  Qui  ejt  tout  tel  qui  nous  le  faut,  p.  21. 
Le  sens  demanderait  qu'il  nous  le  faut. 

Jusqu'au  dix-huitième  siècle  17  de  il  ne  se  prononçait  pas  devant 
une  consonne,  ce  qui  rendait  facile  et  fréquente  la  confusion  de  qu'il 
et  de  qui.  Voyez  ci-après  les  notes  39, 42,  43  et  47. 

10.  Mais  que  tefemble,  p.  22. 

Ainsi  dans  la  première  édition;  mais  qui,  à  tort,  dans  la  seconde 
et  par  suite  dans  le  Théâtre  françois  de  la  Bibliothèque  el^évi- 
rienne. 

1 1.  Les  cornes  luy  féent  fort  bien,  p.  3i. 

Il  y  di  fient  dans  la  première  édition,  mais  cette  faute  est  corrigée 
à  l'errata. 

12.  Sus  l'amour,  p.  47. 

Sur  l'amour  dans  la  seconde  édition,  où  l'on  trouve  aussi  fur 
lef quels  pour  fus  lef quels,  page  84,  et  fur  moy  pour  fus  moy, 
page  i38. 

i3.  Comme  vn  autre,  p.  5o. 

Il  y  a  dans  les  deux  éditions  vne  autre,  qui  ne  donne  pas  de  sens 
raisonnable. 


NOTES.  3l3 


14.  MeurdricTy  p.  32. 

Ainsi  dans  l'édition  de  1 574 ;  meur/r/er  dans  celle  de  1 5 83.1^ 
première  forme  est  par&itement  en  rapport  avec  meurdrir  qui  se 
trouve  quelques  vers  plus  haut;  Jodellc  a  d'ailleurs  employé  fré- 
quemment ce  mot  meurdrier.  Voyez  ci-dessus,  p.  i32  et  271. 

i3.  Foruoyant^p,  6n. 
Fentruoyant,  dans  la  seconde  édition. 

16.  L'Enfer  du  Chaftellet,  p.  66. 

Voyez  lepoSipe  de  Clément  Marot  intitulé  L'Enfer,  aii. commen- 
cement duquel  on  lit  : 

Les  paflfetemps,  &  confolations 

Que  ie  reçoy  par  vilitations 

En  la  prifon  claire  &  nette  de  Chartres, 

Me  font  recors  des  tenebrcufcs  Chartres 

Du  grand  chagrin,  &  recueil  ord  &  layd. 

Que  ic  trouuay  dedans  le  Chaltelet. 

Si  ne  croy  pas  qu'il  y  ait  cliofe  au  monde  • 

Qui  mieulx  reflemble  vn  enfer  treiimmunde. 

le  dy  enfer,  &  enfer  puis  bien  dire. 

Tout  le  reste  du  poème  n'est  que  le  développement  de  cette  idée. 

17.  Tous  ces  maux  auront  guarifon,  p.  :o. 

Il  y  a  mots  dans  les  deux  éditions,  mais  le  sens  ne  saurait  être 
un  seul  instant  douteux.  Voyez  ci-après,  note  22. 

18.  Premièrement  ^onné  m*ont 

Auec  leurs  mots,  comme  ejtocades,  p.  73. 

Voyez  les  Œuures  de  du  Bellay^  t.  II,  p.  546,  note  9. 

19.  ClEOPATRE  CAPTIVE...,   p.  93. 

Cette  tragédie  date,  commt  L'Eugène,  de  la  jeunesse  deJodelle  et 
a  été  composée  et  représentée  à  la  même  époque.  (Voyez  la  Notice 
et  ci-dessus,  noté  4.) 

Les  frères  Parfait  font  la  remarque  suivante  sur  la  versification 
des  pièces  de  Jodelle  et  en  particulier  de  sa  Cléopatre  :  v  Jodelle, 
dans  fes  deux  Tragédies,  &dans  fa  Comédie,  n'a  point  obfervé  la 
oonpe  des  rimes  mafculines  ou  féminines.  Le  L  Aéle  de  Cléopatre 
^  en  vers  Alexandrins,  &  tous  féminins.  Le  II ,  même  mefure  de 
vers,  mais  mêlés  de  mafculins  &  de  féminins.  Les  III,  IV,  &  V, 
tantAt  vers  de  dix  fyllabes,  &  tantôt  de  douze,  avec  mêmes  défauts  : 
il  n'y  a  que  les  Chœurs  qui  font  à  rimes  croifées,  &  rimes  exaéte- 
ment.  Il  y  a  apparence  que  les  Poètes  qui  fuivirent  Jodelle  dan»  le 

20» 


N 


3i4 


NOTES. 


même  genre  connurent  cette  défeéhiofité,  car  ils  n'y  tombèrent  prefque 
pas.  Pafquier  nous  apprend  pourquoi  les  Tragédies  de  Jodelle  furent 
ainfi  verfifiées.  »  {Hiftoire  du  Théâtre  François,  t.  III,  p.  288, 
note.)  Ici  les  frère^  Parfait  citent  fort  inexactement  le  passage 
suivant,  que  nous  avons  pris  soin  de  rétablir  dans  son  intégrité  : 
«  le  ne  palTeray  foubs  fUence  ce  que  i'ay  obferué  en  Clément 
Marot.  Car  aux  Poèmes  qu'il  eftimoit  ne  deuoireftre  chantez,  comme 
Epiftres,  Elégies,  Dialogues,  Paftorales,  Tombeaux,  Epigrames, 
Complaintes,  Traduâion  des  deux  premiers  liures  de  la  Metamor- 
phoje,  il  ne  garda  iamais  l'ordre  de  la  rime  mafculine  &  féminine. 
Mais  en  ceux  qu'il  eftimoit  deuoir  ou  pouuoir  tomber  foubs  la  mu- 
fique,  comme  eftoient  fes  Chanfons,  &  les  cinquante  Pfeaumes  de 
Dauid  par  luy  mis  en  François,  il  fe  donna  bien  garde  d'en  vfer  de 
mefme  façon,  ains  fur  l'ordre  par  luy  pris  au  premier  couplet,  tous 
les  autres  font  auffi  de  mefmes.  Suiuant  cefte  leçon  Eltienne  lodelle, 
en  la  manière  des  anciens  Poètes,  en  fa  Comédie  d'i?tt^ene,&.  Tragé- 
dies de  Cleopatre  &  Didon,  de  fois  à  autres,  mais  rarement,  a  ob- 
ferué la  nouuelle  couftume,  mais  en  tous  les  Chœurs  qu'il  eftimoit 
deuoir  eftre  chantez  par  les  ieunes  gars  ou  filles,  il  a  fai£l  ainfi  que 
Marot  en  fes  Chanfons.  j»  (Pasquier.  Recherches  VII,  8.) 

Dans  un  court  passage  du  Recueil  des  infcriptions  (page  260), 
Jodelle  a  fort  sommairement  indiqué  les  motifs  qui  le  portaient  à  se 
déterminer  pour  un  système  ou  pour  l'autre,  et  a  fait  remarquer 
que  les  «  vers  intercalaires...  ont  bonne  grâce  en  la  muQque  ». 

On  peut  voir  ce  que  du  Bellay  a  dit  à  ce  sujet  dans  son  Illujlra  - 
tion  de  la  langue  françoife,  t.  I,  p.  52  de  notre  édition,  et  dans 
l'avis  Au  ledeur  de  ses  Vers  lyriques,  t.  I,  p.  175. 

20.  De  la  grandeur  de  tonfainâ  nomf'ejionne,  p.  95. 
Il  y  a/off,  mais  à  tort,  dans  les  deux  éditions. 

21.  Tradable,  p.  io5. 

Ainsi  dans  la  première  édition;  traiâtable  dans  la  seconde. 

22.  Maux,  p.  112. 

Ici  encore  les  deux  éditions  portent  mots,  mais  à  tort.  Voyez  ci- 
dessus  la  note  17. 

23.  QiCvne  infelicité,  p.  117. 

Il  y  a  dans  la  première  édition  qu'vn  infelicité,  l'errata  donne 
qu'vne.  La  seconde  édition  porte  qu'vne  infidélité,  mais  c'est  une 
laute  évidente  reproduite  dans  le  Thédtrefrançois  de  la.  Bibliothèque 
eliévirienne. 

24.  Tien  traijlre,  tien.   —  O  Dieux  !  —  O  chofe  detejlable, 

p.  l32. 

Ce  vers  a  ainsi  douze  pieds  au  lieu  de  dix  dans  toutes  les  édition». 


NOTES.  3l5 

35.  Leurtj  p.  i33. 

Ainsi  dans  U  seconde  édition  ;  leur  dans  la  première.  Voyez 
Œmiret  de  du  Bellay^  1. 1,  p.  5o6,  note  2 1 3. 

36.  //  ne  nuira  rien^  p.  i35. 

Ainsi  dans  la  première  éditioli;  dans  la  seconde:  //  ne  nuira  de 
rien,  qui  rend  le  vers  faux. 

37.  Des  fiers  Romains,  p.  137. 

La  première  édition  porte  des  gens  Romains,  mais  cette  faute  est 
corrigée  à  l'errata. 

s8.  En  deuallant,  p.  140. 

Ainsi  dans  la  première  édition  ;  &  deuallant,  mais  à  tort,  dans  la 
seconde. 

39.  Veuque  helat  I  tant  douloureuje,  p.  i5o. 

Ce  vers  est  ainsi  imprimé  dans  les  deux  éditions,  mais  on  pro- 
nonçait qu'hélas,  sans  quoi  il  y  aurait  eu  un  pied  de  trop. 

3o.  DœON  SE  SACRIFIANT...,  p.  i53. 

On  ignore  la  date  de  la  composition  et  de  la  représentation  de 
cette  pièce.  «  Nous  conjeéhirons,  difent  les  frères  Parfait  {Hijioire 
du  Théâtre  François,  t.  III,  p.  397)  qu'elle  parut  la  même  année 
que  les  précédentes,  par  la  fodlité  que  Jodelle  avoit  dans  la  compo- 
litionde  fes  Ouvrages.»  L'argument  nous  paraît  assez  faible,  et  mieux 
Tant  assurément  laisser  cette  tragédie  sans  date  que  d'en  fixer  une  à 
l'aide  de  pareilles  inductions. 

3u  Qu'il  n'y  ait  maft,  antene,  ancre,  voile  ou  hune,  p.  160. 
n  manque  un  pied  à  ce  vers  dans  toutes  les  éditions. 

33.  Ne  mefuislaijférienquimefoitfecourable,  p.  172. 

Qui  ne /oit  dans  toutes  les  éditions,  mais  c'est  assurément  une 
faute. 

33.  Sous  vn  honnefte  mot,  p.  176. 

Il  y  a  mort  au  lieu  de  mot  dans  les  deux  éditions  originales,  et,' 
par  fuite, dans  le  Théâtre françois'dt  la  Bibliothèque  cl\évirienne, ^ 
mais  c'est  une  faute  évidente. 

34.  L* Aigle,  ou  le  Gerfaut?  l'homme  méchant  ejtfeur,  p.  177. 
Il  manque  un  pied  à  ce  vers  dans  toutes  les  éditions. 

35.  Ha  vne  couleur  blefme,  p.  181. 

Ainsi  dans  la  première  édition;  dans  la  seconde  :  Ha  d'vne  tou- 


/ 


3l6  NOTES. 

leur  blefme,  ce  qui  fait  disparaUre  un  hiatus,  mais  ne  donne  pas  un 
fort  bon  sens. 

36.  Mille  renaijjfantes poifons,  p.  i86. 

Il  y  a  dans  la  première  édition  renaijfans^  qui  rend  le  vers  faux, 
mais  cette  âiute  est  corrigée  dans  l'errata. 

37.  CeuXy  qu'on  voit  le  plus  fe  debatre,  p.  187. 

Ainsi  dans  la  première  édition  ;  qu'on  veit,  dans  la  seconde. 

38.  De  tout  ejtre  viuant^  page  194. 

Ainsi  dans  la  première  édition.  Il  y  a,  mais  à  tort,  efpoir  au 
lieu  di'ejlre  dans  la  seconde  et  dans  le  Théâtre  françois  de  la 
Bibliothèque  el\évirienne, 

39.  Quiy  p.  21 3. 

Qui  est  ici  pour  qu'il.  Voyez  ci-dessus  la  note  9,  et  ci-après  les 
notes  43,  43  et  47. 

40.  lene/çay^p.  221. 

Ainsi  dans  toutes  les  éditions.  Le  sens  parait  demander  plutôt  : 
le  lefçajr. 

41.  Le  Recveil  des  Inscriptions...,  p.  23 1. 

Voici  la  description  bibliographique  de  cet  ouvrage  : 

LE 

RECVEIL    DES 
INSCRIPTIONS,    FI- 

GVRES,      DEVISES,     ET     M  A  S- 

quarades,  ordonnées  en  l'hoftel 

de  ville  à  Paris,  le  Jeudi  17. 

de  Feurier.  i558. 

Autres  Infcriptions  en  vers  Héroïques  Latins, 
pour  les  images  des  Princes  de  la  Chreftienté. 

PAR   ESTIENE  lODELLE  PARISIEN. 
A    PARIS. 

Chez  André  Wechel,  à  l'enfeigne  du  Cheual 
volant,  rue  S.  Jean  de  Beauuais. 

i558. 

Aucc  priuilege  du  Roy. 


NOTES.  3l7 


Ce  volume,  de  format  in-40,  commence  par  quatre  feuillets  non 
chiffrés  comprenant  le  titre,  et ,  au  verso,  l'extrait  des  lettres  pa- 
tentes du  Roi  à  André  Wechel,  «  données  à  Reims,  rvnziefmc  de 
luing  1 357  1»,  pais  Tépitre  et  le  «  Sonet  ■>  que  nous  avons  reproduits 
aux  pages  23i-236  du  présent  volume,  et  la  pièce  latine  suivante, 
dans  laquelle  Jodelle,  comparant  son  livre  à  ceux  d'Ovide  exilé, 
nous  apprend  qu'il  s'était  volontairement  éloigné  de  la  Cour  pour 
quelque  temps,  et  cherche,  en  rappelant  ses  succès  passés,  à  dimi- 
nuer la  fâcheuse  impression  que  sa  mascarade  avait  produite. 

IN    LIBRVM 

ELEGIA. 

Infœlix  quales  Nafo  iubet  ejpe  libellos. 

Quoi  patriœ  gelido  mittit  ab  axejuœ^ 
Regia  te  talcm^  cùm  fis  liber  exulis^  Aula 

Cernerety  exilium  ni  mihi  dulce  foret ^ 
'  Ni  quoque /ponte  mea^  non  iujfu  Numinisexul, 

Semotus  Clario  redderer  v/qtie  Dec. 
Ergo  cultus  abiy  auratis  quoque  cornibus  audax. 

Sis  licet  ingenii  pars  propè  nulla  mei. 
Nec  tener  inuidice  timeas  examen  edacis, 

Natn  multum  quod  te  vindicet  agmen  erit  : 
lamque  cothumatum  potui  reuocajfe  Sophoclcm^ 

Smjrrnasum,  Siculum,  Tretciumque  fenenzy 
Lœtus  Arijtophanes,  &  amatrix  vmbra  Philetx^ 

Thebanasque  aderit  puljor  &  ipfe  lyras, 
His  quondam  ceffit  Liuor,  cedetque  vocatis^ 

Dum  viuus  nojlra  quilibet  artc  redit. 
Quidfi  Pelides  hos  inter^  &  acer  Vlyjfes, 

Alcidefque,  ^  quos  In  cecinêrc  iuuent  ? 
Acjic  Bellona  me  me  natum  artibus  aptent. 

Regibus  inuitis  Regibus  vt  placeam  ? 
Sedtu  vade  prier  ;  bene  Jijuçcejferit^  illi 

Grandia  donaferent^  nulla  venenaferent  : 
Sicfequar,  &  Reges  repetam;fic  fpretus  Apollo 

Qui  cornes  exilii^  forfan  honoris  erit. 

Après  cette  élégie  vient  le  «  Recueil  des  infcriptions  »,  comprenant 
28  feuillets  chiffrés,  ensuite,  au  feuillet  29,  un  faux  titre  portant  : 
ChriJHanorum  noftri  temporis  heroum  &  heroinarum  icônes. 
Ad  D.  Margaritam  francicam.  Authore  Steph.  lodelio  Parifio, 
Au  verso  de  ce  faux  titre  se  trouve  un  avis  au  lecteur  en  latin  dans 
lequel  Jodelle  explique  qu'il  aime  joindre  des  ouvrages  français  aux 
ouvrages  latins  afin  qu'à  la  faveur  de  ceux-ci,  ceux  là  se  répandent 
peu  à  peu  à  l'étranger  :  "  Nec  mireris  quoJ  in  hoc  loto  libella^ 


3l8  NOTES. 


Latina  Gallicis  coniunxerim  :  id  enim  in  quibufdam  aliis  libris 
data  opéra  facere  voluiy  vt  &  ea  quœ  GattUè-^fvribo^  pure  vt 
arbitror  l^tinitati  commixfta,  tandem  aliquando,  quod  paucis 
adhuc  contigit^  ad  exteras  nationes  tranfire  pojfint.  » 

On  trouve  au  feuillet  41  une  pièce  latine  intitulée  :>  Ad  Claud. 
Kerquifinanum,  Steph.  lodelii,  in  fuas  miferias^  elegia.  JodeWe 
s'y  compare  à  Prométhée,  à  Tantale,  à  Sisyphe,  mais  il  n'y  a  rien 
là  à  recueillir  pour  l'histoire  de  sa  vie  ou  de  ses  ouvrages. 

La  pièce  intitulée  :  «  A  sa  xvse.  Chapitre  »,  que  nous  avons 
réimprimée  aux  pages  279-281  du  présent  volume,  occupe  le  feuil- 
let 43  et  le  recto  d'un  dernier  feuillet  non  chiffré.  Au  bas  se  trouve 
une  liste  des  Fautes  furuenues  en  Vimprejflon^  à  la  fin  de  laquelle 
on  lit  :  H  Quand  aus  points  &  diftinélions  vous  les  fuplieres.  »  Ce 
volume  est  le  seul  que  Jodelle  ait  publié  lui-même;  Charles  de  la 
Mothe  n'a  reproduit  que  les  vers  français  qui  s'y  trouvent  sous  le 
titre  de  :  «  Vers  francois  extraits  de  la  Mafquarade  faiâe  à  l'hoftel 
de  la  ville  de  Paris,  i558.  » 

42.  Silifont  tant  objtinés  contre  ma  caufe,  quHh  ne  vous  veulent 
point  prendre  pour  garants^  qui  cherchent  les  tefmoingt  qui 
Vayansveu  à  l'œil,  leur  pourront  faire  vne  plus  feurefoy^ 
p.  233. 

Ce  passage,  reproduit  fort  exactement,  est  un  peu  obscur.  Qui 
cherchent  peut  s'expliquer  par  eux  qui  cherchent^  mais  il  vaudrait 
peut-être  mieux  remplacer  qui  par  qu'ils.  Voyez  ci-dessus  les 
notes  9,  39,  et  ci-après  les  notes  43  et  47. 

43.  De  la  feullefaueur  &  difpofition  de  Dieu,  qu'il  les  enuoye, 
p.  249. 

Tel  est  le  texte  du  Recueil  des  infcriptions  ;  il  offre  un  sens 
acceptable,  mais  mieux  vaut  peut-être  lire  qui  au  lieu  de  qu'il. 
Voyez  la  note  précédente. 

44.  Qu'eJ!  encores  ici  cil  qui  ma  Toi/on  porte^  p.  263. 

Il  y  a  dans  le  texte  du  Recueil  des  infcriptions  :  Que  font  encore 

ici  cens  qui  ma  Toi/on  portent.  La  leçon  que  nous  avons  suivie 

se  trouve  parmi  les  corrections  indiquées  dans  la  liste  des  Fautes 

furuenues  en  Vimprefjîon  et  dans  les  deux  éditions  de  Charles  de  la 

Mothe. 

45.  Qui  pour  le  beau  loyer  dufon  qu'ils  accordaient^  p.  264. 

Il  y  a  bien  qu'ils  dans  le  Recueil  des  infcriptions  et  dans  les 
deux  éditions  de  Charles  delà  Mothe;  le  sens  exige  néanmoins  qu'on 
regarde  ce  pronom  comme  se  rapportant  au  mot  Serenes. 

46.  Ce  n'eftfinon  afin  qu'aufjî  toft  il  les  baiffe,  p.  265. 

Ainsi  dans  le  Recueil  des  infcriptions  et  dans  l'édition  de  1574; 
il  abaiffe  dans  celle  de  1 583. 


NOTES.  3l9 

47.  De  deusjrere%  encor  vn  chacun  choifira 
Le  nom  qu'il  lutvfi  proprCy  p.  267. 

Ainsi  dans  toutes  les  éditions.  On  peut  entendre  le  nom  qu'il  lui 
ejt  propre  de  choijir^  ou  mieux  substituer  qui  à  qu'il.  Voyez  ci- 
dessus  les  notes  9,  39, 42  et  43. 

48.  L'Htmenbc  dv  Rot  Charles  IX,  p.  283. 

II  noas  a  para  naturel  de  placer  ici,  après  le  théâtre,  et  à  leur 
rang  de  date  parmi  les  mascarades,  les  vers  composés  pour  un  diver- 
tissement mythologique  qui  eut  lieu  à  l'occasion  du  mariage  de 
Charles  IX  (p.  290-3o5).  Nous  n'avons  pas  voulu  en  séparer  les 
•omets  qui  les  précèdent  dans  les  deux  éditions  de  Charles  de  la 
Mothe.  Nous  avenu  donc  réuni  le  tout  sous  un  titre  commun.  Par 
malheur  nous  manquons  de  détails  sur  le  divertissement.  A  la  suite 
d'une  relation  intitulée  :  C'ejt  l'ordre  &  forme  qui  a  ejlé  tenu  au 
/acre  &  couronnement  de...  Madame  Eli^abet  d^AuJtriche...faid 
en  VEglife  de  VANuiiefaind  Denis  en  France  le  vingt  cinquiefme 
Unir  de  Mars  1371.  A  Paris.  De  l'Imprimerie  de  Denis  du  Pré... 
1371.  In-4«,  se  trouve  :  L'ordre  tenu  à  l'Entrée  de...  Madame 
EU\abet  ctAuJlriche  Royne  de  France,  qui  eut  lieu  le  «  leudy  en- 
fniuantXXlX.  lourde  Mars  mil  cinq  cens  LXXI.  »  L'auteur,  après 
avoir  raconté  en  fort  grand  détail  le  cortège  et  le  souper  royal,  se 
oontenle  ensuite  de  dire  :  «  Ce  faiâ,  fe  retirèrent  leurs  Maieîtés  au 
Palais,  ou  le  foir  furent  faides  plulieurs  belles  &  magnifiques  maf- 
quarades,  defquellea  ne  fera  fait  icy  autre  mention,  d'autant  que 
cela  n'eft  du  faidl  d'iceUe  ville.  *> 


TABLE   DES    MATIÈRES 


CONTENUES    DANS    LE    PREMIER    VOLUME. 


Pages. 
Notice  biographique  fur  Eftiennc  lodelle.  ...  i 

De  la  poefie  françoife  &  des  œuures  d'Eiiienne 
lodelle,  fieur  du  Lymodin,  par  Charles  de  la 
Mothe I 

L'Eugène.  Comédie ii 

Cleopatre  captiue.  Tragédie 93 

Didon  fe  facrifiant.  Tragédie i53 

Le  Recveil  des  inscriptions,  figvres,  devises 

et  ma8q.varades. 

Eftiene  lodelle  à  fes  amis  .S 23 1 

Le  liure  à  la  France.  Sonet 236 

Le  Recueil  des  infcriptions,  figures,  deuifes  & 
mafquarades,  ordonnées  en  THoftel  de  Ville  à 
Paris,  le  leudi  17  de  Feburicr  i558 237 

A  fa  mufe.  Chapitre 279 

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PLÉIADE    FRANÇOISE 


Cette  collection  a  été  tirée  à  250  exemplaires  numérotés 
et  parafés  par  l'éditeur. 


2^0  exemplaires  sur  papier  de  Hollande, 
18         —  sur  papier  de  Chine, 


LES   OEVVRES 

et  Meslanges  Poétiques 

D'ESTIENNE  lODELLE 

Avec  une  Notice  biographique  et  des  Notes 
Ch.    MARTY-LAVEAUX 


PARIS 
ALPHONSE    LEMERRE,    ÉDITEUR 


LES    AMOVRS 

D'ESTIENNE    lODELLE 

SONNETS 


Madame,  c'tfi  à  vous  à  qui  premièrement 
Pay  voué  mon  efprit,  &  ma  voix,  S  mon  ame, 
A  qui  l'offre  ces  vers,  que  d'vne  fainûe  flamme 
Amour  me/me  Infpira  à  maint  &  maint  amant  : 

nus  lirej  fous  le  nom  de  quelque  autre  comment 
L'amour  de  vos  beaux  yeux  la  poitrine  m'enflam\ 
Vous  verrez  fous  le  nom  d'vne  autre  belle  dame 
De  vos  rares  beauté^  le  plus  riche  ornement. 

Qjieji  mon  amour  n'eji  par  eux  bien  peint  encore, 
Quefi  voftre  beauté  affe^  ne  fy  décore, 
Excufe^  :  car  Amour  n'a  peufi  ardemment 

Qji'à  moy,  ardre  leur  cœur  d'vnfuietfi  louable  : 
H  ne  fut  oncques  Dame,  il  ne  fut  oncq'  Amant, 
A  vous  de  la  beauté,  d'amour  à  moy  femblable. 


,4 


AMOVRS. 


VI. 


Qjiand  ton  nom  ie  veux  faire  aux  effeâs  rencontrer 
De  la  fœur  de  Phœbus,  qui  chafte,  &  chaffereffe 
Eft  tant  au  ciel  qu^en  terre^  &  aux  enfers  Deeffe^ 
Elle  fort  dijfemblable  à  toy  fe  vient  monjtrer, 

Diane  les  chiens  mené,  &  aux  pans  fait  entrer 

Ses  cerfs  :  tu  peux  mener  les  grans  Héros  en  lejfe, 
Ains  les  prendre  en  tes  rets  ;  fon  arc  le/eul  corps  blejfe^ 
Tes  traiâs  peuuent  au  fond  des  âmes  pénétrer. 

De  fon  frère  elle  emprunte  en  fon  ciel  la  lumière  : 
Dedans  tes  yeux  flambans  &  rayonneux  fon  frère 
Prendroit  ce  qui  croijtroit  fa  lumière  &  fes  feux. 

Aux  enfers  elle  n^a  que  fur  les  morts puiffance  : 

Sur  nous,  ains  fur  les  Dieux,  par  rigueur  &  clémence 
Faire  en  la  terre  vn  ciel^  ou  vn  enfer  tu  peux. 


VII. 


Quelque  lieu,  quelque  amour,  quelque  loy  qui  fabfente, 
Et  ta  deîté  tafche  ofter  de  deuant  moy. 
Quelque  oubli  qui  contraint  de  lieu,  d'amour,  de  loy, 

Face  qu''en  tout  abfent  de  ton  cœur  ie  me  fente  : 
Tu  m''es^  tu  me  feras  fans  fin  pourtant  prefente 
Par  le  nom,  par  Veffed  fatal  qui  efi  en  toy. 
Par  tout  tu  es  Diane,  en  tout  rien  ie  ne  voy. 
Qui  mon  œiU  qui  mon  cœur  de  ta  prefence  exemte. 
En  la  terre,  &  non  pas  feulement  aux  forefis 
De  moy  viuant  Vobied  continuel  tu  es, 
Eftant  Diane  :  &  puis  fi  le  ciel  me  rappelle, 
O  Lune,  ton  bel  œil  mon  heur  malheurera  : 
Si  ie  tombe  aux  enfers,  monfeul  tourment  fera 
De  fouffrir  fans  fin  Vœil  d^vne  Hécate  tant  belle. 


AMOVRS.  5  If 


VIII. 

Si  quelcun  veut  fçauoir  qui  me  lie^  &  enflante, 
Qui  efclaue  a  rendu  ma  franche  liberté, 
Et  qui  m^a  ajferui,  c^eft  Vexquife  beauté 
D*vne  que  iour  &  nuiâ  Vinuoque  &  ie  réclame  : 

Oeft  le  Feu,  c^eft  le  Nœu,  qui  lie  ainfi  mon  ame  *, 
Qui  embrafe  mon  cœur,  &  le  tient  carotté 
D*ifn  lien  fi  ferré  de  ferme  loyauté ^ 
QuHl  ne  fçauroit  aimer  ny  feruir  autre  Dame, 

Voila  le  Feu,  le  Nœu,  qui  me  brufle,  &  eftraint  : 
Voila  ce  qui  fi  fort  à  aimer  me  contraint 
Celle,  à  qui  Vay  voué  amitié  éternelle  : 

Telle  que  ny  le  temps  ny  la  mort  t^e  fçauroit 
Confommer  ny  diffoudrevn  lien  fi  eftroit 
De  làfainte  vnion  de  mon  amour  fidelle. 


IX. 


Amour  vomit  fur  moy  fa  fureur  &  fa  rage, 
Ayant  vn  iour  du  front  fon  bandeau  délié, 
Voyant  que  ne  m*eftoisJbus  luy  humilié. 
Et  que  ne  luy  auois  encores  fait  hommage  : 

Il  mefaifit  au  corps,  &  en  ceft  auantage 
M^a  les  pieds  &  les  mains  garroté  &  lié  : 
De  Vor  de  vos  cheueux  plus  qu^orfin  délié, 
Hpeft  voulu  feruir  pour  faire  fon  cordage. 

Puis  donc  que  vos  cheueux  ont  efté  mon  lien. 
Madame,  faites  moy,  ie  vouspry^  tant  de  bien, 
Si  ne  voule^  fouffrir  que  maintenant  ie  meure, 

Que  Vay^  pour  faueur  vn  braffelet  de  vous, 
Quipuijfe  tefmoigner  d^orefnauant  à  tous, 
Qji'a  perpétuité  voftre  efclaue  demeure. 


8  AMOVRS. 


XIIII. 

raifne  le  verd  laurier,  dont  Vhyuer  ny  la  glace 
N'effacent  la  verdeur  en  tout  viâorieufe, 
Monftrant  Vetemité  à  iamais  bien  heureu/e 
Que  le  temps,  ny  la  mort  ne  change  ny  efface, 

Paime  du  hous  aujfi  la  toujours  verte  face, 
Les  poignans  eguillons  de  fa  fueille^pineufe  : 
r aime  le  lierre  auffi,  &  fa  branche  amoureufe 
Qui  le  chefne  ou  le  mur  ejlroitement  embraffe. 

Paime  bien  tous  ces  trois,  qui  toujiours  verds  reffemblent 
Aux penfers  immortels,  qui  dedans  moy paffemhlent , 
De  toy  que  nuiâ  &  iour  idolâtre  Vadore  : 

Mais  ma  playe,  &  poinâure,  &  le  Noeu  qui  me  ferre, 
Eft  plus  verte,  &  poignante,  &plus  eftroit  encore  / 
QuerCeJi  le  verd  laurier ^  ny  le  hous,  ny  le  lierre. 


XV. 

lufqu^aux  autels  ie  nHray  feulement 
Me  prefenter  vidime  au  facrifice. 
Plus  outre  encor  pour  vous  faire  feruice 
Piray,  Madame,  affeâionnément. 

le  fuis  à  vous  dédié  tellement, 

Qmc  ie  ne  crains  gefne,  mort,  ou  fupplice  : 
Ce  m'eji  affe:^,  mais  qu^en  mourant  ie  puiffe 
Vous  apporter  quelque  contentement. 

Long  temps  y  a  que  ie  porte.  Madame, 
(  Vbi/5  lefcaue^O  ce  dejir  en  mon  ame, 
A  tout  le  moins  vous  le  deue^  fçauoir, 

le  fuis  toufiours  en  cefie  mefme  enuie. 
Et  fi  ne  puis  autre  vouloir  auoir 
Que  d^ employer  en  vous  feruant  ma  vie. 


AMOVRS. 


» 


xf  I. 


Qjie  n^ay-ie  mes  efprits  vn  peu  plus  endormis^ 
Mon  cerueau  plus  pefant^  &  Vame  plus  groffiere^ 
Pour  ne  fentir  fi  fort  vne  douleur  meurtrière, 
Qui  fait  que  fans  repos  languiffant  te  gémis. 

Mes  fens  fenfibles  trop  ce  font  mes  ennemis. 

Qui  efpoinâs  tuf  qu'au  vif  d*  vne  douceur  trop  fiere 

Ont  perdu  le  repos,  la  liberté  première. 

Pour  trop  fentir  le  mal  qu'en  eux  ils  ont  permis. 

Si  ie  n^eujfe  à  clair  veu  ta  grâce  &  ton  mérite. 
Mon  mal  feroit  legier,  &  ma  peine  petite  : 
Maispour  voir^pour  cognoiftre,  &  fentir  iufqu* au  fons 

Ta  grâce,  ta  valeur,  ta  rigueur  ennemie,  * 

Mesyeux,  efprits,  &fens,  trop  clairs,  trop  vifs,  troppnM08 
Sont  meurtriers,  font  tyrans,  font  bourreaux  de  ma  vie. 


XVII. 


'Maudiray~ie,  Madame,  ou  4e  fort  euuers  moy 
Cruel  &  inhumain,  ou  ma  trifte  auenture. 
Qui  fait  que  de  tout  temps  miferable  V endure 
Mille  &  mille  tourmensfous  Vamoureufe  loy  ? 

Maudiray~ie  Vamour,  maudiray-ie  de  toy 

La  grâce  ou  la  rigueur  &  trop  douce  &  trop  dure  ? 
Maudiray~ie  de  moy  vne  encline  nature 
A  fuiure  &  receuoir  le  mal  que  ie  reçoy  ? 

Ha  non!  ie  nefçaurois  autre  chofe  maudire 

Que  ce  mefme  qu'en  moy  de  plus  rare  Vadmire, 
Oefi  mon  affe&ion^  ma  confiance,  &  ma  fby. 

Car  tout  auffifoudain  qu^vne  maifireffe  Vaime 
D'vne  ferme  confiance,  &  d'vn  amour  extrême, 
Soudain  le  fort  cruel  la  retire  de  moy. 


•' 


\ 


10  AMOVRS. 


XVIII. 

Auec  ton  cher  pourtraiÛ,  qui  dans  mon  ame  efprife 
Eft  mieux  peint  quHl  n'eft  peint  danstonprefentfi  cher. 
Tu  fis  fur  le  dehors  tailler  vn  dur  rocher^ 
Deuife  que  la  foy  confiante  a  toufiours  prife. 

Lefioty  le  vent,  le  foudre,  vn  dur  rocher  ne  brife  : 
Ta  foy  du  temps  faucheur  fait  Vader  reboucher  : 
Mais  lors  il  me  fallut  d^autres  marques  chercher 
Pour  ma  foy,  qui  V acier  du  mefme  temps  mefprife, 

Auec  monpourtrait  mefme  en  baffe  taille  doncq^ 
Des  figures  tu  vis,  qui  ne  furent  adoncq* 
Selon  mon  vray  proiet  par  vers  bien  decouuertes. 
^  Pour  renfort  des  premiers,  ces  vers  cy  que  tu  lis, 
Puiffent  rendre  enuers  toy  ces  chofes  que  tu  vis, 
Auec  ma  foy,  mon  ame,  &  mon  cœur,  plus  ouuertes. 


,  XIX. 

Afin  qu^en  cet  ouurage,  aux  faces  de  dehors 
Selon  Part  Vvne  à  Vautre  accordante  fe  treuue. 
D'ans  deux  temples  diuersfefait  la  double  efpreuue 
De  deux  effets  d* aimer,  plus  eftroits  &plus  forts. 

De  Pylade  &  d^Orefie  vn  débat  fur  leurs  morts,  * 
Dans  le  temple  Taurique,  vn  extrême  foy  •  preuue  : 

.    Dans  le  temple  Troyen  d*vn  Chorebe  f  efpreuue 
Vamour,  qui  fait  f on  cœur  n^auoir  foin  defon  corps. 

Ouurant  V ouurage,  on  voit  vne  foy  plus  eftreinte, 
Qui  à  toy  par  Diane  en  Vvn  des  cofte:{  peinte. 
Sur  vn  autel  de  Foy,  quand  mefme  ilfeferoit 

Pour  elle  autel  de  mort,  iufqu^à  tout  eft  iuree  : 
Et  qui  là  fur  toute  autre  amour  fort  affeuree. 
De  mort,  &  de  toute  autre  amour  triompheroit. 


AMOVRS.  II 


XX. 


Des  trois  fortes  d* aimer  la  première  exprimée 
En  ceci  c'eft  Vin/tinâ,  qui  peut  le  plus  mouuoir 
L^homme  enuersVhomme,  alors  que d^vn  hautain  deuoir 
La  propre  vie  efi  moins  qu*vne  autre  vie  aiptee, 

L^autre  moindre ^  &  plus  fort  toutesfois  enflammée, 
Oefi  V amour  que  peut  plus  Vhomme  à  la  femme  auoir, 
La  tierce  c^eft  la  nofïre,  ayant  d*vn  tel  pouuoir 
De  la  femme  la  foy,  vers  la  femme  animée. 

Que  des  deux  hommes  donc  taiîle^  icy,  les  noeus 
Tant  forts  cèdent  à  nous.  Que  fur  tes  ardens  feus 
(O  amour)  cet  amour  entier,  foit  encor  maiflre. 

L^ autel  mefme  de  mort  feroit  foy  de  ceci, 
Que  Vautel  de  Foy  monjire,  A  iamais  donc  ainfi 
Diane  en  Anne,  &  Anne  en  Diane  puiffe  efire. 


XXI. 

le  viuois,  mais  ie  meurs,  &  mon  cœur  gouuerneur 
De  ces  membres,  fe  loge  autre  part  :  ie  te  prie 
Si  tu  veux  que  i^acheue  en  ce  monde  ma  vie, 
Ren  le  moy,  ou  me  ren  au  lieu  de  luy  ton  cœur, 

Ainfi  tu  me  rendras  à  moy -mefme,  &  tel  heur 
Te  rendra  mefme  à  toy  :  ainfi  Vamour  qui  lie 
Le  feul  amant,  lira  &  V amant  &  Vamie  : 
Autrement  ta  rigueur  feroit  double  malheur. 

Car  tu  perdras  tous  deux,  moy  premier  qui  trop  faime. 
Et  toy  qui  n^aimant  rien  voudras  haïr  toymefme  : 
Mais,  las!  fi  Von  reproche  à  Vvn  S-  Vautre  vn  iour 

Et  Vvne  &  Vautre  faute  :  à  moy  qui  trop  fefiime, 
A  toy  qui  trop  me  hais,  plus  grand  fera  ton  crime, 
D^autant  plus  que  la  haine  efl  pire  que  Vamour . 


12  AMOVRS. 


XXII. 

Quel  humeur,  mais  quel  crime  alors  qu'on  fe  di/pence"^ 
D*euenter  les  faueurs  qu^on  reçoit  en  amour  : 
Qu^on  ouure  au  bruit  la  voye,  &  que  d^vn  heureux  tour 
Moins  que  du  bruit  de  Vheureftre  heureux  on  fepenfe  : 

Qu^on  rauitffacrilege,  à  V amour  lejilence, 
Qjii  le  garde  &  Ve/corte^  épiant  tout  autour  : 
Vodeur  qu'au  iour  on  met  fe perd  de  iour  en  tour: 
Le  defcouuert  threfor  fouuent  fon  maiftre  offence. 

Par  cet  heur,  par  cet  art,  de  celer  &  tacher 
Que  tel  bien  puiffe  mejme  à  Phebus  Je  cacher 
Qjti  voit,  comme  il  vit  Mars  &  Venus,  toute  chofe, 

On  bannit  hors  d^amour  tout  mal  qui  luy  fait  tort, 
Dol,  blafme,  change^  enuie,  effroy,  remors  &  mort. 
Et  des  deux  parts,  Maijireffe^on  double  V ardeur  clofe. 


XXllI. 

Q}iel  heur,  Anchife,  à  toy,  quand  Venus  fur  les  bords 
Du  Simoente  vint  fon  cœur  à  ton  cœur  ioindre  ! 
Quel  heur  à  toy,  Paris,  quand  Oenone  vnpeu  moindre 
Que  Vautre,  en  toy  berger  chercha  pareils  accords! 

Heureux  te  fit  la  Lune,  Endymion,  alors 

Q}4e  tant  de  nuiâsfa  bouche  à  toy  fe  vint  reioindre: 
Tu  fus,  Cephale,  heureux  quand  V  amour  vint  époindre 
L"^ Aurore  fur  ton  veuf,  &  palle,  &  trifle  corps. 

Ces  quatre  eflans  mortels  des  Deeffes  fe  veirent 
Aime}(  :  mais  leurs  amours  affe![  ne  fe  couurirent. 
Au  filence  eji  mon  bien  :  par  luy,  Maiflreffe,  à  toy 

Dans  mon  cœur  plain,  content  &  couuert  ie  n^egale 
Venus,  Oenone,  Lune,  Aurore  :  ny  à  moy 
Leur  Anchife,  Paris,  Endymion,  Cephale. 


AMOVRS.  l3 


xxnii. 


le  te  ren  grâce,  Amoury  &  quicofiques  des  Dieux 
Fauorife  aux  amans,  non  de  la  Dame  acquife 
'Par  mqy,  qui  de  vous  Dieux  deuoit  eftre  conquife^ 
Tant  fa  grâce  &  beauté  fe  rend  digne  des  deux  : 

Non  pour  Vefpoir  que  Vay  qu*elle,  qui  par  fes  yeux 
Pleins  de  rays  &  de  feux  mon  cœur  fans  ceffe  attife,  i 
Pourra  mieux  appaifer  la  flamme  en  Vame  efprife. 
Pour  mefme  en  Vappaifant  V attifer  encor  mieux,' 

Tels  biensfaits  enuers  vous  eflreignent  monferuice, 
O  Dieux,  6  cher  Amour  :  mais  plus  grand  bénéfice, 
Ce  m'efi  que  vous  couure:(  ma  flamme  aux  yeux  de  tous. 

Mon  heur  eftre  celefie  &  diuin  ie  protefle  : 
Si  donc  à  tous  mortels  vous  cache^  Vheur  celefie, 
A  tous  mortels  cachet  Vheur  qui  m'égale  à  vous. 


XXV. 

La  Roche  du  Caucafe,  oîi  du  vieil  Promethee 
L'aigle  vengeur  fans  fin  va  le  cœur  bequetant. 
Et  la  Roche  où  Sifyphe  en  vain  va  remontant 
Lâchant  toufiours  en  haut  fa  pierre  en  vain  portée. 

Vont  à  plufieurs  amans,  dont  Vame  efi  tourmentée. 
Ou  bien  fe  feint  de  Vefire,  vnfuiet  apportant, 
Monfirant  qu'ils  vont  encor  la  peine  furmontant. 
Qui  aux  deux  roches  fut  à  ces  deux  arrefiee, 

Moy  qui  ne  veux  point  feindre  vn  tel  mal,  pour  otiet 
De  mes  yeux,  pourfeul  but  de  mon  cœur,  pourfuiet 
De  mes  vers  Vay  la  roche,  oit  d'vne  ardeur  extrême 

le  preten  tout  ainfi  qu'on  feroit  aufommet 
Du  rocher  efpineux,  oit  la  vertu  Ion  met  ; 
Auffift  Vy  attein,  Vattein  la  vertu  mefme. 


\ 
\ 


8  àmovrs. 


.•». 


XIIII. 


faifne  le  verd  laurier,  dont  Vhyuer  ny  la  glace 
N^ effacent  la  verdeur  en  tout  viâorieufe, 
Montrant  V éternité  à  iamais  bien  keureufe 
Que  le  temps f  ny  la  mort  ne  change  ny  efface, 

Paime  du  hous  au/fi  la  toufiours  verte  face^ 
Les  poignans  eguillons  de  fa  fueille%fpineufe  : 
faime  le  lierre  au/fi,  &  Ja  branche  amoureufe 
Qui  le  chef  ne  ou  le  mur  eftroitement  emhraffe, 

Paime  bien  tous  ces  trois,  qui  toufiours  verds  reffemblent 
Aux penfers  immortels,  qui  dedans  moy pajfemblent, 
De  toy  que  nuiâ  &  iour  idolâtre  Vadore  : 

Mais  ma  playe,  &  poinâure,  &  le  Nœu  qui  me  ferre, 
Eft  plus  verte 3  &  poignante,  &plus  ejiroit  encore  ^ 
Que  n*eft  le  verd  laurier^  ny  le  hous,  ny  le  lierre. 


XV. 

lufqu'aux  autels  ie  nUray  feulement 
Me  prefenter  viâime  au  facriflce. 
Plus  outre  encor  pour  vous  faire  feruice 
Piray,  Madame,  affedionnément, 

le  fuis  à  vous  dédié  tellement. 

Que  ie  ne  crains  gefne,  mort,  ou  fupplice  : 
Ce  m' eft  affe:{^  mais  qu'yen  mourant  ie  puiffe 
Vous  apporter  quelque  contentement. 

Long  temps  y  a  que  ie  porte.  Madame, 
{Vous  le  fcaue^)  ce  dcfir  en  mon  ame, 
A  tout  le  moins  vous  le  deue^  fçauoir, 

le  fuis  toufiours  en  cefte  mefme  enuie. 
Et  fi  ne  puis  autre  vouloir  auoir 
Que  d"* employer  en  vous  feruant  ma  vie. 


AMOVRS. 


♦ 


Qjte  h'ay-ie  mes  efprits  vn  peu  plus  endormis^ 
Mon  cerueau  plus  pefanty  &  Vame  plus  groffiere^ 
Pour  ne  fentir  fi  fort  vne  douleur  meurtrière. 
Qui  fait  que  fans  repos  languiffant  te  geinis. 

Mes  fens  fenfiblet  trop  ce  font  mes  ennemis. 

Qui  efpoinds  iûfqu^au  vifd^vne  douceur  trop  fiere 

Ont  perdu  le  repos,  la  liberté  première. 

Pour  trop  fentir  le  mal  qu'en  eux  ils  ont  permis. 

Si  ie  rCeuffe  à  clair  veu  ta  grâce  &  ton  mérite. 
Mon  mal  feroit  legier,  &  ma  peine  petite  : 
Maispour  voir, pour  cognoiftre,  S  fentir  iufqu^au  fons 

Ta  grâce,  ta  valeur,  ta  rigueur  ennemie,  -« 

Mesyeux,  efprits,  &fens,  trop  clairs,  trop  vifs,  troppr<n0s 
Sont  meurtriers,  font  tyrans,  font  bourreaux  de  ma  vie. 


XVII. 


\Maudiray-ie,  Madame,  ou  4e  fort  euuers  mojr 
Cruel  &  inhumain,  ou  ma  trifte  auenture. 
Qui  fait  que  de  tout  temps  miferable  i'endure 
Mille  &  mille  tourmensfous  V amour eufe  loy  ? 

Maudiray-ie  V amour,  maudiray-ie  de  toy 

La  grâce  ou  la  rigueur  &  trop  douce  &  trop  dure  ? 
Maudiray-ie  de  moy  vne  encline  nature 
Afuiure  &receuoir  le  mal  que  ie  reçoy? 

Ha  non!  ie  nefçaurois  autre  chofe  maudire 

Que  ce  mefme  qu*en  moy  de  plus  rare  t'admire, 
Oeft  mon  affeâion^  ma  confiance,  &  ma  fby. 

Car  tout  auffi  foudain  qu*vne  maifireffe  Vaime 
D^vne  ferme  confiance,  &  étvn  amour  extrême, 
Soudain  le  fort  cruel  la  retire  de  moy. 

r 


/' 


<* 


10  AMOVRS. 


XVIII. 

Auec  ton  cher  pourtraiâ,  qui  dans  mon  ame  efprife 
Eft  mieuxpeint  qu'il  n'eft  peint  danstonprefentfi  cher. 
Tu  fis  fur  le  dehors  tailler  vn  dur  rocher ^ 
Deuife  que  la  foy  confiante  a  toufiours  prife. 

Lefioty  le  vent,  le  foudre,  vn  dur  rocker  ne  hrife  : 
Ta  foy  du  temps  faucheur  fait  Vader  reboucher  : 
Mais  lors  il  me  fallut  d'autres  marques  chercher 
Pour  ma  foy,  qui  Vacier  du  mefme  temps  mefprife, 

Auec  monpourtrait  mefme  en  baffe  taille  doncq^ 
Des  figures  tu  vis,  qui  ne  furent  adoncq^ 
Selon  mon  vray  proiet  par  vers  bien  decouuertes. 

Pour  renfort  des  premiers,  ces  vers  cy  que  tu  lis, 
Puiffent  rendre  enuers  toy  ces  chojes  que  tu  vis, 
Auec  ma  foy,  mon  ame,  &  mon  cœur,  plus  ouuertes. 


.  XIX. 

Afin  qu'en  cet  ouurage,  aux  faces  de  dehors 
Selon  Vart  Vvne  à  Vautre  accordante  fe  treuue. 
D'ans  deux  temples  diuers  fe  fait  la  double  efpreuue 
De  deux  effeâs  d'aimer,  plus  eftroits  S- plus  forts. 

De  Pylade  &  d'Orefte  vn  débat  fur  leurs  morts,  ' 
Dans  le  temple  Taurique,  vn  extrême  foy  "  preuue  : 

.    Dans  le  temple  Troyen  d^vn  Chorebe  f  efpreuue 
L^amour,  qui  fait  fon  cœur  n'auoir  foin  de  fon  corps. 

Ouurant  V ouurage,  on  voit  vne  foy  plus  eftreinte, 
Qui  à  toy  par  Diane  en  Vvn  des  cofte\  peinte. 
Sur  vn  autel  de  Foy,  quand  mefme  ilfeferoit 

Pour  elle  autel  de  mort,  iufqu^à  tout  eft  iuree  : 
Et  qui  là  fur  toute  autre  amour  fort  affeuree, 
De  mort,  &  de  toute  autre  amour  triompheroit . 


AMOVRS.  II 


XX. 


Des  trois  fortes  d'aimer  la  première  exprimée 
En  ceci  c'eft  Pinftinâ^  qui  peut  le  plus  mouuoir 
L'^hommeenuersV homme,  alors  que  (Vvn  hautain  deuoir 
La  propre  vie  eft  moins  qu*vne  autre  vie  aipiee. 

L*autre  moindre,  &  plus  fort  toutesfois  enflammée, 
Oefi  V amour  que  peut  plus  V homme  à  la  femme  auoir, 
La  tierce  c^efi  la  nofire,  ayant  d^vn  tel  pouuoir 
De  la  femme  la  foy,  vers  la  femme  animée, 

Qjie  des  deux  hommes  donc  taiîle:(  icy,  les  nœus 
Tant  forts  cèdent  à  nous.  Que  fur  tes  ardens  feus 
(O  amour)  cet  amour  entier,  foit  encor  maiftre, 

L*autel  mefme  de  mort  feroit  foy  de  ceci, 
Qfte  V autel  de  Foy  monftre.  A  iamais  donc  ainji 
Diane  en  Anne,  &  Anne  en  Diane  puiffe  eflre. 


XXI. 

le  viuois,  mais  ie  meurs,  &  mon  cœur  gouuerneur 
De  ces  membres,  fe  loge  autre  part  :  ie  te  prie 
Si  tu  veux  que  Vacheue  en  ce  monde  ma  vie, 
Ren  le  moy,  ou  me  ren  au  lieu  de  luy  ton  cœur, 

Ainfi  tu  me  rendras  à  moy-mefme,  &  tel  heur 
Te  rendra  mefme  à  toy  :  ainfi  Vamour  qui  lie 
Le  feul  amant,  lira  &  V amant  &  Vamie  : 
Autrement  ta  rigueur  feroit  double  malheur. 

Car  tu  perdras  tous  deux,  moy  premier  qui  trop  faime, 
Et  toy  qui  n*aimant  rien  voudras  haïr  toymefme  : 
Mais,  las!  ft  Von  reproche  à  Vvn  &  Vautre  vn  iour 

Et  Vvne  &  Vautre  faute  :  à  moy  qui  trop  Veflime, 
A  toy  qui  trop  me  hais,  plus  grand  fera  ton  crime, 
D^autant  plus  que  la  haine  efï  pire  que  Vamour. 


12  AMOVRS. 


XXII. 

Qfiel  humeur  y  mais  quel  crime  alors  qu'on  fe  difpence'' 
D*euenter  les  faueurs  qu^on  reçoit  en  amour  : 
Qu^on  ouure  au  bruit  la  voye,  &  que  (Vvn  heureux  tour 
Moins  que  du  bruit  de  V heur  eftre  heureux  on  fepenfe  : 

Qu*on  rauityfacrilege,  à  V amour  le  Jilence, 
Q}ii  le  garde  &  Vefcorte^  épiant  tout  autour  : 
L^odeur  qu'au  iour  on  met  fe  perd  de  iour  en  tour: 
Le  defcouuert  threfor  fouuent  fon  maiftre  offence. 

Par  cet  heur,  par  cet  art,  de  celer  &  tacher 
Que  tel  bien  puijfe  mefme  à  Phebusfe  cacher 
Q}ti  voit,  comme  il  vit  Mars  &  Venus,  toute  chofe, 

On  bannit  hors  d'' amour  tout  mal  qui  luy  fait  tort, 
Dol,  blafme,  change^  enuie,  ejfroy,  remors  &  mort. 
Et  des  deux  parts,  Maiftreffe,on  double  V ardeur  clofe. 


XXllI. 

Quel  heur,  Anchife,  à  toy,  quand  Venus  fur  les  bords 
Du  Simoente  vint  fon  cœ.ur  à  ton  cœur  ioindre! 
Quel  heur  à  toy,  Paris,  quand  Oenone  vnpeu  moindre 
Que  Vautre,  en  toy  berger  chercha  pareils  accords! 

Heureux  te  fit  la  Lune,  Endymion^  alors 

Q}ie  tant  de  nuiâs  fa  bouche  à  toy  fe  vint  reioindre  : 
Tu  fus,  Cephale,  heureux  quand  V  amour  vint  époindre 
L' Aurore  fur  ton  veuf,  &  palle,  &  trifle  corps. 

Ces  quatre  eftans  mortels  des  Deeffes  fe  veirent 
Aime\  :  mais  leurs  amours  affe^  ne  fe  couurirent. 
Au  filence  efï  mon  bien  :  par  luy,  Maifireffe,  à  toy 

Dans  mon  cœur  plain,  content  &  couuert  ie  n^ égale 
Venus,  Oenone,  Lune,  Aurore  :  ny  à  moy 
Leur  Anchife,  Paris,  Endymion,  Cephale. 


AMOVRS.  l3 


xxnii. 


le  te  ren  grâce,  Amour^  &  quiconques  des  Dieux 
Fauorife  aux  amans,  non  de  la  Dame  acquife 
Par  moy,  qui  de  vous  Dieux  deuoit  eftre  conquife^ 
Tant /a  grâce  &  beauté  fe  rend  digne  des  deux  : 

Non  pour  Vefpoir  que  Vay  qu^elle^  qui  par  fes  yeux 
Pleins  de  rays  &  de  feux  mon  cœur  fans  cejfe  attife,  ^ 
Pourra  mieux  appaifer  la  flamme  en  Vame  efprife, 
PoMT  mefme  en  Vappaifant  Vattifer  encor  mieux. 

Tels  biensfaits  enuers  vous  eflreignent  mon  feruice, 
O  Dieux,  6  cher  Amour  :  mais  plus  grand  bénéfice  y 
Ce  nCefi  que  vous  couure:(  ma  flamme  aux  yeux  de  tous. 

Mom  heur  eftre  celefte  &  diuin  ie  protefte  : 
Si  donc  à  tous  mortels  vous  cachei  Vheur  celefte, 
A  tous  mortels  cache^  Vheur  qui  m^ égale  à  vous. 


XXV. 

La  Roche  du  Caucafe,  oit  du  vieil  Promethee 
JWaigle  vengeur  fans  fin  va  le  coeur  bequetant. 
Et  la  Roche  oit  Sifyphe  en  vain  va  remontant 
Lâchant  toufiours  en  haut  fa  pierre  en  vain  portée. 

Vont  à  plufieurs  amans,  dont  Vame  eft  tourmentée. 
Ou  bien  fe  feint  de  V eftre,  vnfuiet  apportant, 
Monftrant  qu^ils  vont  encor  la  peine  furmoutant. 
Qui  aux  dauc  roches  fut  à  ces  deux  arreftee. 

Moy  qui  ne  veux  point  feindre  vn  tel  mal,  pour  oUet 
De  mes  yeux,  pourfeul  but  de  mon  cceur,  pourfuiet 
De  mes  vers  tay  la  roche,  oit  d'vne  ardeur  extrême 

Je  preten  tout  ainfi  qu'on  feroit  aufommet 
Dm  rocher  efpineux,  oit  la  vertu  Ion  met  : 
Aufftft  ly  attein,  fattein  la  vertu  mefme. 


'l6  AMOVRS. 


XXX. 

Comme  vn  quipej^  perdu  dans  la  foreft  profonde 
Loing  de  chemin  y  d^oree,  &  d^addreffe^  &  de  gens  : 
Comme  vn  qui  en  la  mer  groffe  d'horribles  vens, 
Se  voit  prefque  engloutir  des  grans  vagues  de  Vonde  : 

Comme  vn  qui  erre  aux  champs,  lors  que  la  nuià  au  monde 
Rauit  toute  clarté,  Vauois  perdu  long  temps 
Vqye,  route,  &  lumière,  &  prefque  auec  le  fens, 
Perdu  long  temps  Vobieà,  oti  plus  mon  heur  fe  fonde. 

Mais  quand  on  voit  (ajrans  ces  maux  fini  leur  tour) 
Aux  bois,  en  mer, aux  champs,  le  bout,  le  port,  le  iour. 
Ce  bien  prefent  plus  grand  quefon  mal  on  vient  croire, 

Moy  donc  qui  ay  tout  tel  en  voftre  abfence  efté, 
r oublie  en  reuoyant  voftre  heureufe  clarté, 
Foreft,  tourmente,  &  nuiâ,  longue,  orageufe,  &  noire. 


XXXI. 

En  mdn  cœur,  en  mon  chef  (Vifn  fource  de  la  vie, 
L'autre  fiege  de  Vame)  vn  amour  haut  &  faînd 
Voftre  facré  pourtraiû  a  fi  viuement  peint. 
Que  par  mort  ne  fera  fa  peinture  rauie. 

Car  Vvne  n'eftant  point  à  la  mort  afferme. 
Ce  qui  eft  peint  au  vif  dedans  elle,  &  empreint 
Au  cœur  dans  le  defir  {qui  ne  peut  eftre  efteint 
Sans  Vame)  en  Vame  vit,  bien  que  le  corps  deuie. 

Mais,  las!  V œil  de  mon  corps,  qui  ne  fe  peut  paffer 
De  voir  inceffamment  ce  que  voit  fon  penfer. 
Fait  qu'auec  telle  ardeur  ie  vous  requiers  tel  gage. 

Voftre  image,  de  grâce,  au  corps  ne  refufe:{, 
Ou  bien  toft  par  langueur  fi  de  refus  vfe:{, 
Il  verra  Vame  au  ciel  emporter  voftre  image. 


AMOVRS.  17  ^ 


XXXIl. 


Alle^j  mes  vers^  enfans  (Vvn  dueil  tant  ennuyeux, 
Qjte  mon  pleur  plus  que  l'ancre  amoitift  cefte  carte. 
Las  alle:(,  puis  qu'il  faut  que  mon  foleilpefcarte. 
Accompagne:^  la  nué  efpeffe  de  mes  yeux  : 

Alle:(j  mes  pleurs  fourdans  d'vn  cœur  tant  curieux 
De  ces  beaux  rais,  quUlfaut  qu^auecques  eux  il  parte  : 
Allej(  doncquesy  mon  cœur  :  Vame  feroit  la  quarte, 
Mais  dans  moy  ce  foleil  veut  pen  feruir  bien  mieux. 

Or  puis  qu*il  faut  que  vif,  en  mourant,  ie  demeure, 

-  De  peur  que  le  renom  d'vn  fi  beau  feu  ne  meure^ 
Alle:{  tous  trois,  au  moins  dire  iufqu'en  ce  lieu. 

Dont  le  vers,  Vœil,  le  cœur,  &  Vame  attend  fa  force, 
Le  trifie  mot,  hélas J  vous  ne  pouue:(  qu^on  force 
Ce  qui  nuit,  dites  donc,  adieu,  mon  dieu,  adieu. 


XXXIII. 

H  faut  que  pour  ton  may,  quiconques  foit  celuy, 
Madame^  qui  plus  digne  en  fon  efprit  V adore, 
D^vn  verd  &  grand  laurier  à  ta  porte  il  honore 
Ton  beau  nom,  tes  beauté:^,  tes  vertus  auiourd^huy, 

Simon  double  laurier  feiche.pref que  d^ennuy, 

Dont  ce  temps,  dont  mon  fort,  dont  mon^aigreurdeuore 

Sa  verdeur  &  grandeur,  fi  croy-ie  faire  encore 

Osi* Apollon  &  Mars  me/me  auront  honneur  en  luy.    ■ 

Mais  il  faut  que  cet  autre  en  plantant  ce  may  braue. 
Ces  vers  ci  pris  de  moy  dedans  Vefcorce  il  graue. 

Av  nom  qui  pour  V honneur  des  Frasçoi&es  fut  tel, 
Aux  beaute:ç,  aux  vertus,  de  noftre  temps  la  gloire. 
Pour  trois  couronnes- faire  à  la  triple  vidoire, 
Voué,  facré,  planté  fut  cet  arbre  immortel, 

lodelU.  —  II.  2 


^ 


•  . 


l8  AMOVRS. 


XXXIIII. 

Recherche  qui  voudra  cet  Amour  qui  domine, 
Comme  Ion  dit,  les  Dieux,  les  hommes,  les  efprits, 
Qu'on  feint  le  premier  né  des  Dieux,  &  qui  a  pris 
Eternellement  foing  de  cefte  grand'  machine  : 

Dont  Varc,  le  trait,  la  trouffe,  &  la  torche  diuine 
PPa  rien  que  la  vertu  pourfon  but  &  fon  pris, 
Sanspajfions,  douleurs,  remords,  larmes  &  cris  : 
Quant  à  moy  ie  croiray  que  tel  on  Vimagine, 

Et  qu^au  monde  il  n*eft  point  :  quant mixfaulfes  amorces. 
De  Vautre  aueugle  Amour  t'en  dépite  les  forces. 
Mais  ie  croyfi  Amour  aucun  nous  vient  des  deux, 

Oejl  lors  que  deux  moitié:^  par  mariage  vnies. 

Quittent  pour  Vamour  vray  dont  Je  paijfent  leurs  vies. 
Tout  amour  fantaftique,  &  tout  amour  fans  yeux. 


XXXV. 


Pourrois-ie  voir  Vheureufe  &  fatale  iournee^ 

Où  deux  âmes,  deux  coeurs,  &  deux  corps  enlacej^ 
Dans  le  beau  ret  d^ amour  fe  verront  careffe\. 
Egalement  tous  deux  du  doux  bien  d^Hy menée  : 

Lors  qu'ejlant  auec  Anne,  Antoinete  enchaînée. 
Tous  nos  efprits  feront  Vvn  de  Vautre  embraffe^, 
Et  mefle^  Vvn  dans  Vautre,  &  fans  efïre  laffe:{, 
De  cognoiftre  Vautre  ame  eflre  pour  Vautre  née  ? 

Plus  tofl  que  ce  doux  bien  m^ejfchape  hors  des  mains, 
Et  qu^amour  &  les  Dieux  me  foient  tant  inhumains, 
le  dejire,  6  Amour,  que  tu  changes  ta  flèche 

A  celle  de  la  Mort,  à  fin  de  m"* en  tuer  : 
Mais,  fi  tu^fais  ce  bien,  que  pour  perpétuer 
Ton  fait,  iamais  la  Mort  n*y  puiffe  faire  brèche. 


AMOVRS.  19 


XXXVI. 


Tout  cet  hiuer  pat:  Vafpre  &  Vaigre  véhémence    ' 
De  longue  maladie,  a  fur  moy  tempefté 
Plus  que  fur  vn  vaiffeau  dans  la  mer  tormenté, 
N*euft  fait  fon  orageufe  &  froide  violence. 

Mais  de  mes  maux  le  pire  eftoit  la  dure  abfence 
De  mon  foleil,  fans  qui  ie  hairois  la  clarté 
De  Vautre,  qui  m'ayant  fon  Printemps  pr^enté. 
De  ma  Dame  me  rend  quanta  quant  laprèfence. 

Mais  comme  de  Vhiuer  la  queue  on  voit  durer, 
Lç  Printemps  fait  mon  corps  auffi  bien  endurer 
Q^e  Vhiuer,  &  le  ciel  de  mes  maux  nefe  laffe. 

Or  fi  ma  faute,  helas!  faite  en  mon  longfeiour, 
De  ne  voir  mon  foleil  le  rend  trouble  au  retour, 
Mon  malheur  du  Printemps  mes  maux  de  Vhiuer  paffe. 

/ 

XXXVII. 

Sans  pleurer  (car  ie  hay  la  couftumiere  feinte 

De  nos  amans,  qui  n^ont  que  leurs  pleurs  pour  fuiet) 

D^vn  cœur  ardent,  dolent,  deuot,  fournis,  abiet, 

le  me  iette  aux  fainâs  pie:{  detoy,  maiftreffe  fainde  : 

La  feinte  n'a  mon  ame  à  tel  ade  contrainte, 
Tel  efprit  ne  peut  eftre  à  la  feinte  fuiet  : 
Mais  ia  depuis  cinq  mois  Vay  toufiours  pour  obiet 
Ma  faute,  qui  feft  mefme  à  telle  amende  eftreinte.  - 

Pardonne  donc,  Deeffe,  accufe  mon  malheur, 

Non  pas  moy,  dont  le  ciel  ialoux  empefche  Vheur  .• 
Si  tu  dis  mes  malheurs  chaffer  ta  bien-vueillance, 

Veu  qu'ion  ne  doit  Vamantfi  malheureux  aimer, 

Vien  ton  cœur  pour  mon  bien  contre  mon  mal  armer  ; 
Pauray  du  bien  le  comble,  &  du  mal  la  vengeance. 


20  AMOVRS. 


XXXVIII. 

Qjiand  ton  nom  ie  veux  fsindre,  6  Françoife  diuine, 
Des  Françoifes  V honneur,  iepuis  bien  te  nommer 
Venus  pour  tes  heaute^^  mais  ta  façon  d* aimer 
Ne  conuient  point  au  nom  de  Venus  la  marine  : 

De  VAttique  Pallas  ta  vois  &  ta  doârine 
Mérite  encor  le  nom,  mais  tu  ne  veux  Varmer^ 
Fors  de§  rais  de  tes  yeux,  dont  tu  viens  enflammer 
Dans  mon  cerueau  monfens,  moncœur  dans  ma  poitrine  : 

Diane  Delienne  vn  prefque  pareil  port 

Te  peut  faire  appeller,  mais  V aigre  ou  le  doux  fort 
Deffous  le  ioug  d'Hymen  dés  long  temps  te  rend  férue, 

le  veux  {laiffant  aux  Grecs,  dont  ces  noms  font  venus. 
Leurs  Deeffes)  te  dire  &  Françoife  Venus, 
Et  Françoife  Diane,  &  Françoife  Minerue. 


XXXIX. 


Admirant  ta  blancheur,  beauté,  maieflé,  gloire, 
Qui  fur  ton  front  placée,  orgueilUt  tout  ton  port. 
Et  ce  qui  de  Vefprit  comme  vn  oracle  fort, 
Car  c'efï  vn  Dieu  renclos  qui  t^eut  ce  corps  dHuoire, 

Digne  de  te  feruir  ie  ne  me  fçaurois  croire, 

Euffé-ie  vn  cœur*plus  haut  &  tout  vn  autre  fort. 
Et  mon  corps  logeafl  il  pour  te  venger  de  mort. 
Quelque  grand  Mufe  fille  &  mère  de  Mémoire» 

Comme  de  te  feruir  indigne  ie  me  fens, 
le  fens  pour  te  louer  incapables  mes  fens, 
Si  faut-il  que  ie  Vaime,  &  faut  que  ie  te  chante. 

Ta  faueur,  qui  fera  mon  humbleffe  hauffer. 
Ta  deité  qui  fait  mon  efprit  renforcer. 
Rend  mon  feruice  digne,  &  ma  Mufe  puiffante. 


ÀMOVRS.  21 


XL. 


De  moy-mefme  iefuis  deuotieux,  Madame, 
Oeft  d^où  me  vient  vers  toy  telle  adoration  : 
Mais  ce  fainâ  iour  requiert  autre  deuotion, 
Si  mon  amour  pour  toy  n'occupoit  toute  Vame, 

Ce  prompt  Dcemon  qui  voit  que  mon  :çele  Venflame, 
Baifant  la  croix,  oyant  la  fain&e  paffion, 
De  fa  flamme  ialoux,  vient  par  tentation 
Mon  efprit  retirer  de  Vautre  fainâe  flame, 

n  m^offre  helasl  la  croix  quHl  me  faudroit  porter, 
Si  tu  me  viens  ta  grâce  &  ta  prefence  ofter. 
Me  faifant  de  ton  ciel  redefcendre  en  la  terre, 

la  la  peur,  mon  tyran,  crucifier  me  veult. 
Et  ma  croix  enferrer  dans  vn  enfer  me  peult. 
Au  lieu  que  Vautre  croix  hors  d^ enfer  nous  defferre. 


XLI. 

Sapphon  la  doâe  Grecque,  à  qui  Phaon  vint  plaire. 
Chantant  f es  feus,  de  Mufe  acquefta  lefumom  : 
Corinne  vraye  ou  faulfe  aux  vers  a  pris  renom. 
Dont  le  Romain  Ouide  a  voulu  la  pourtraire. 

Pétrarque  Italien,  pour  vn  Phebus  fe  faire. 
De  Vimmortel  laurier  alla  choifir  le  nom  : 
Nofire  Ronfard  François  ne  tafche  auffifinon 
Par  V amour  de  Caffandre  vn  Phebus  contrefaire. 

Si  tu  daignes  m^ aimer.  Délie,  fi  tu  veux 
Chanter  ta  fiamme  ainfi  que  dode  tu  le  peux. 
Si  ie  chante.  Délie,  vn  pris  nous  pourrons  prendre, 

En  hauteffe  d^amour,  en  ardeur  &  en  art, 

Sur  Sapphon,  fur  Ouide,  &  Pétrarque,  &  Ronfard, 
Sur  Phaon,  &  Corinne,  &  fur  Laure,  &  Caffandre. 


23  AMOVRS. 


XLII. 

le  me  trouue  &  me  pers,  ie  m'affeure  &  nCeffroye^ 
En  ma  mort  ie  reui^  ie  voy  fans  penfer  voir. 
Car  tu  as  d* éclairer  &  d'obfcurcir  pouuoU^ 
Mais  tout  orage  noir  de  rouge  éclair  flamboyé. 

Mon  front  qui  cache  &  monftre  auec  trifteffe,  ioye, 
Lefilence  parlant^  Vignorance  au  fçauoir, 
Tefmoignent  mon  hautain  &  mon  humble  deuoir, 
\  Tel  eft  tout  cœur,  qu*e/poir  &  defefpoir  guerroyé. 

Fier  en  ma  honte  &  plein  de  friffon  chaloureux, 
Blafmant  flouant,  fuyant,  cherchant  V  art  amoureux, 
Demi-brut f  demi-dieu  ie  fuis  deuant  ta  face, 

Qjiand  d^vn  œil  fauorable  &  rigoureux,  ie  croy. 
Au  retour  tu  me  vois,  moy  las!  qui  ne  fuis  moy  : 
O  clair-voyant  aueugle,  6  amour,  flamme  &  glace! 


XLIIl. 


le  ne  fuis  de  ceux  la  que  tu  m'as  dit  fe  plaindre. 
Que  leur  Dame  iamais  ne  leur  donna  martel  : 
Veu  Vame  véhémente,  vn  dur  martel  m'ejî  tel, 
QuHlpeut  plus  à  la  mort  qu^à  V amour  me  contraindre. 

SHl  peult  doncques  Vamour  auec  ma  vie  ejîeindre, 
En  tout  amour  ie  chaffe  vn  poifon  fi  mortel  : 
Puis  ayant  mon  fuiet  haut,  celefie,  immortel. 
Humble  &  petit,  pourrois-ie  en  moy  tel  mal  empraindre? 

Mais  las  !  d^auoir  peur  d^efire  en  ton  cœur  effacé. 
Craindre  qu^vn  Delta  double  en  chiffi-e  entrelacé, 
Ne  f oit  plus  pour  mon  nom,  craindre  qu^en  ton  abfence 

Tu  ne  me  faces  plus  tes  lettres  receuoir. 
Ce  n^ eft  pas  vn  martel,  c^eft  d'amour  le  deuoir^ 
Qui  monftre  en  froide  peur  V ardente  reuerence. 


AMOVRS.  23 


XLIIII. 


Aux  communes  douleurs  qui  poindre  en  ce  iour  viennent 
Tous  cœurs  chre/Hens, Pétrarque  alla  chanter  quUlprint 
De  fes  douleurs  la  fource^  &  par  là  nous  aprint 
Que  les  ruj^es  d^amour  dépourueus  nous  furprennent. 

En  ce  iour  où  les  deux,  la  mort,  les  pleurs,  retiennent 
Nos  cœurs  ardents,  quel  lieu  refte  au  feu  quiVéprint? 
n  ne  fe  gardoit  pas  du  laqs  qui  le  furprint, 
Non  plus  que  moy  des  rets  qui  plus  forts  me  reprennent. 

Bien  qu'amour  fçache  ajfe:{  quHl  efien  moy  trop  fort, 
Pour  croiftre  du  tourment,  non  du  dejîr  Peffort^ 
n  arme  la  peur  froide,  &  V aigre  deffîance. 

Pétrarque  à  Vheure  eufl  peu  perdre  fans  grand*  douleur 
L*heur  incogneu  :  ma  perte  auroit,  las!  ce  malheur, 
D^auoir  de  Vheur  perdu  fi,  haute  cognoiffance. 


XLV. 

Par  quel  fort,  par  quel  art,  pourrois-ie  à  ton  cœur  rendre 
Au  moins  fil  peut  vers  moy  f  engourdir  de  froideur, 
Cefte  viue,  gentille,  &  vertueufe  ardeur 
Qjii  vint  pour  moy  foudain,  de  foy-mef me  f  éprendre. 

Et  quoy  ?  la  pourrois  tu  comme  au  parauant  prendre 
Pour  fatale  rencontre,  &  parlant  en  rondeur 
D^efprit,  comme  ie  croy,  la  iuger  pour  grand  heur, 
Qjiiplus  à  ton  efprit  contentement  engendre. 
Tel  que  ie  m'en  fentois,  indigne  ie  m'en  fens, 
Mais  de  tafoy  ma  foyfaccroift  auec  le  tems, 
Qfiel  moyen  donc?  fi  c^efi par  grandeurs,  ie  le  quitte  : 

.  Si  par  armes  &  gloire^  au  haut  cœur  nos  malheurs 
S*oppofent  :  fi  par  vers,  tu  as  des  vers  meilleurs  : 
Ton  hault  iugement  peut  fauuer  fettl  mon  mérite. 


24  AMOVRS. 


XLVI. 

Chaque  temple  en  ce  iour  donne  argument  fart  ample 
De  ioye,  refaifant  fan  haut  fafie  fanjsker. 
Et  cPvn  chant  gay  fan  chœur  &  fa  nefrefanner^ 
Où  chafaue  image  à  nu  découuerte  on  contemple.    ^ 

En  Veglife  te  pren  de  Veglifa  Vexemple, 

le  veux  le  dueil,  la  peur,  la  peine  abandonner^ 
Et  en  blancheur  faudam  telle  noirceur  tourner. 
Si  ie  te  puis  fans  robe  adorer  dans  ton  temple. 

Le  grand  iour  de  dewiain  difpqfé  d^eftre  beau. 
Peut  auec  vn  Printemps  me  tirer  du  tombeau, 
Si  de  vaincre  ma  mort  tu  prensfaudaine  enuie  ;. 

Je  diray,  fans  vouloir  rien  à  Dieu  comparer, 
Qjiefil  peut  reuiuant  nos  vies  réparer. 
Remuant  par  toymefaie,  à  toy  ie  rendray  vie. 


XLVII. 

En  tous  maux  que  peut  faire  vn  amoureux  orage 
Pleuuoir  deffus  ma  tefte,  il  me  plaift  d^affeurer 
Etfarener  monfi'ont,  &  fans  deuil  mefarer 
De  Vame  Vallegrejfe  à  celle  du  vifage. 

Ta  fille  tendrelette  admirable  en  cet  âge 
Oit  elle  tette  encor,  vient  tes  coups  endurer 
Sur  fes  petites  mains,  fans  crier  y  fans  pleurer. 
Sans  frayeur,  fans  aigrir  vifage  ny  courage. 

Pour  te  baifer  fan  col  alonger  tu  luy  vois 
A  chaque  coup  de  buft  qu' elle  fant  far  fas  dois, 
Quand  mauuaifa  tu  fais  vn  ieu  de  luy  mal  faire. 

De  gefte  tout  pareil,  quand  tu  viendras  vfar 

De  rudeffe  enuers  moy,  ie  veux  tes  mains  baifar, 
Si  vn  baifar  meilleur  au  moins  ne  te  vient  plaire. 


AMOVRS.  2:) 


CHAPITRE    DE    L'AMOVR. 


Amour  qui  quelquesjbis  emportes  fur  tes  ai/les 
Mainte  ame  viue,  &  haute,  &  d^vn  inftint  celefle 
L^empliffanty  luy  fais  voir  les  chofes  les  plus  belles  : 

Quand  la  guidant  dans  Vair,  dans  le  ciel,  dans  le  refle 
De  ce  grand  monde  vni  par  ta  fainâe  harmonie, 
Que  le  temps  ne  corrompt,  ny  change  ny  moîefle*, 

Luy  monftres  ce  qu'en  tout  ta  fainâe  main  manie 
iy amoureux  entretien,  tirant  de  la  difcorde 
De  tout,  la  paix  qui  eft  par  Vamour  feule  vnie  : 

Et  fais  voir  que  par  toy  tout  cela  qui  n'accorde 
EnfemblCffe  recherche,  &  deffous  ta  puiffance 
Se  méfie,  &  fe  méfiant  engendre  par  concorde  : 

Et  voir  qû*ainfi  c*eft  toy  qui  donnes  toute  effence, 
Toutmouuementj  tout  cours,  comme  eflant  la  grand*  ame 
Du  grand  Tout  maintenu  par  durable  alliance  : 

Que  c^eft  toyfeulpar  qui  reluit,  tourne,  &f  enflamme, 
Tout  rond,  &  feu  celefle,  &  que  fous  les  deux  mefme 
La  terre  fe  maintient^  Vonde.  Vair,  &  la  flamme  : 

Que  de  toyfeul  dépend  toute  baffe  &fupreme 
Ame,  vie,  &  vigueur,  &  croiffance^  &  durée  : 
Car  rien  ne  dure  en  rien,  que  d'autant  qu'ilfentr''aime, 

Et  dés  lors  que  ta  force  amoureufe  infpiree 
Dans  quelque  chofe,  en  fort  par  difcord  ton  contraire, 
Soudain  fon  efïre  &  forme  efl  d'elle  retirée  : 

Tu  fais  donc  voir  alors  que  Ion  ne  peut  forfaire, 
Qjtand  fous  ton  nom  d* amour  noflre  ame  vient  entendre 
Cefeul  grand  Dieu  qui  peut  par  vnion  tout  faire  : 

Qjii  àfes  œuures  fait  tout  tel  entretien  prendre 

QuHllui  plaift,  &  autant  qu*en  eux  cet  Amour  dure, 
Qfii  efi  en  tout,  &  mefme  enfoypeut  tout  comprendre. 
Voila  cela  que  peut  telle  ame  viue  &  pure. 
Hautaine^  &  fur  ton  vol  hautain  plus  haut  rauie, 
Cognoiflre  en  ta  plus  haulte  &  plus  fainâe  nature  : 

2* 


26  AMOVRS. 


Tefaifant  celuy  feul  par  qui  defajferuie 
Fut  la  confufion,  qui  empefchoit  le  monde 
D'auoir  en  fon  Chaos  forme^  ornement  &  vie. 

Ou  fi  auant  le  ciel,  &  cette  terre  ronde 
Rien  n^efioitj  cefu^lors  V amour  d*vn  tel ouurage 
Qui  fit  faire  de  rien  ce  qui  en  tout  abonde. 

Cet  amour  nous  filit  naifire,  accroift,  nourrifi,  foulage, 
Par  maifonSf  par  cite^y  par  peuples  nous  allie, 
Conferuant  tout  cela  qu'il  feit  pour  noftre  vfage. 

Cet  amour  m'efmement  à  foymefme  nous  lie  : 
Et  fi  le  faux  Difcord  de  luy  nous  vient  diftraire^ 
A  foy  doux  &  benin^  il  nous  reconcilie. 

V antiquité  fafceu  coti^uertement  pourtraire 
Pour  tel  Dieu,  te  fa\fant  du  Chaos  premier  naifire, 
Que  tu  creuas,  domtant  Difcord  ton  aduerfaire. 

Ce  que  par  tes  noms  mefme  on  veut  faire  cognoiftre, 
T^appellant  premier^né  des  Dieux,  forme  &  idée 
Souueraine  de  tout,  &  Veftre  de  tout  eftre, 

Par  qui  fut  toute  chofe  en  ordonnant  guidée 
En  fon  lieu  le  plus  propre^  &  par  force  amoweufe , 
Sans  que  rien  reftaft  vc^  Vvne  de  Vautre  aidée 

Tu  es  de  tout  kt-Jburce  &  Vorigine  heureufe, 
L*vnité,  le  principe  vniq*  de  la  machine. 
Et  de  tous  f es  effeâs  la  caufe  plantureufe, 

Son  effence  cinquième,  &  fa  chaifne  diuine, 

Qui  tout  embraffe  &  tient,  reftaurateur  des  chofes 
Que  la  vifficitude  en  les  changeant  termine. 

Dejfous  maints  autres  noms  font  tes puiffances  clofes. 
Que  telle  ame  rauie  en  toy  trouue  en  toymefme. 
Contemplant  les  fecrets  qu^àfes  yeux  tu  propofes. 

Mais  la  mienne  ne  veut  deffus  ton  vol  fupr^me 
Ores  fi  haultement  tefuiure:  tu  la  fiches 
Ça  bas  fur  vn  obieâ  en  rarite^  extrême  : 

Et  bien  que  ce  ne  fait  qu^vn  feul  de  tes  plus  riches 
Effeâs,  vnfeul  fubieâ  de  ta  vertu  plus  ample 
En  qui  de  tous  tes  dons  tes  mains  n'ont  efté  chiche  s, 

De  toy  vnfeul  chefd^œuure,  vn  feul  petit  exemple 
De  tout  ce  que  tu  peux  infiniment,  fi  efi-ce 


AMOVRS.  27 


Que  ton  los  en  cela  plus  qu^en  rien  Je  contemple. 

Et  moy  ie  recognoy  dans  fi  haute  deejfe. 

Qui  eft  Vœuure  &  fuieâ  oit  mon  ame/e  range ^ 
Et  de  tes  rarite:(  la  rarité  maifireffe^ 

le  ne/çay  quoy  tant  beau,  tant  diuin,  tant  efirange^ 
Qu*auecques  toy,  ie  croy,  ie  fuis  forcé  la  dire, 
Le  mieux  de  tout  ton  mieux,  le  plus  de  ta  louange. 

Il  ne  faut  donc  qu^au  ciel  ton  vol  ailé  me  tire, 
Pourvoir  rien  de  plus  grand  :  ievoy  la  chofe  en  terre, 
En  qui  auecques  toy  ton  ciel  courbé  fe  mire, 

le  voy  ça  bas  la  chofe  en  qui  le  plus  p enferre 

Ton  threfor  le  plus  cher,  &  qu^expre^  voulus  faire , 
Pour  plus  à  ton  faind  ioug  de  grands  âmes  acqiierre. 

Tu  Vas  faiâe,  ie  croy,  comme  pour  fanâuaire, 
Pour  retraite  &  palais  où  le  plus  tu  feiournes, 
Pour  à  toy  les  grands  cœurs  par  telle  organe  attraire: 

Car  en  tous  les  beaux  dons^  dont  fi  bien  tu  Vatournes, 
Amour  &  deitéfe  retrouuent  enfemble, 
Tefmoignansque  toy.  Dieu,  peu  fouuent  fen  deftournes. 

Si  ie  veux  raconter  chafque  don,  qui  paffemble 
Enfonfeul  chef  diuin,  ie  ne  fuis,  pour  defcrire 
Ce  beau  poil  feulement,  capable  ce  me  femble  : 

Ce  poil  diuin,  tCeft  tel  que  Ion  le  puiffe  dire 
D'or,  ou  d^ebene,  encor  que  fur  vne  albaftrine 
Blancheur,  Vebene,  &  l'or  des  cheueux  on  admire  : 

Mais  tel  que  iuftement  Vvne  &  Vautre  diuine 
Cheueleure,  foit  celle  excellemment  dorée, 
Qjie  du  chef  d'Apollon  on  feint  Vornement  digne  : 

Ou  foit  celle  qu^on  donne  à  Venus  Cytheree, 
Luy  cédant  en  beauté,  qui  rendroit  bien  captiue 
Defes  beaux  nœus  d^vn  Dieu  Vame  plus  affeuree. 

Ce  beau  poil  couronnant  cefte  blancheur  natfue 
Defes  tortis  mefle:^,  d*vne  crefpe  frifeure. 
Et  Voreille  ombrageant,  tant  mignarde  &  tant  viue, 

Empeftre  en  foy  les  cœurs,  qui  de  telle  Heure 
Sentent  accompagner  deux  maux  qui  les  attaignent, 
Qui  font  defes  beaux  yeux  la  bleffure  &  bruflure  : 

Ces  liens  précieux  fi  fortement  eftreignent, 


28  AMOVRS. 


L^œil  naure,&  ard  fi  fort,  quenceusyplayes  &  fiâmes^ 
Se  rompent  peu  fouuent,  fe  guenffent,  pefteignent. 

Œil,  œil,  leplusbelœil,  qu'eurent  oncques  les  Dames, 
Qui  comme  vn  fer  ardant  (car  de  V amour  les  flèches 
Portent  &  fer  &  feu)  nous  perces  &  enflammes  : 

Bien  que  le  coup,  Vardeur,  les  amoureufes  mèches. 

Nous  tourmentent, tuviens  pourtant  nos  cœur  s  contraindre 
De  te  laijfer  fans  fin  renouueller  tes  brèches. 

Car  auec  telplaifir  tu  nous  viens  ardre  &  poindre. 
Que  quand  gi'os,  grand,  brillant,  ray  onneux, plein  de  fier  e 
Douceur,  dardant  Vefpoir,  &  la  crainte  non  moindre. 

Tu  tournes,  &  répans  dejfus  nous  ta  lumierç, 
Tufembles  nous  ouurir  tout  vn  ciel,  auffi  eftr-ce 
Vn  cieL  efiant  d^vn  Dieu  retraite  couftumiere. 

La  vouffe  de  ce  ciel,  vers  qui  nofire  œil  fe  drejfe 
Tout  efblouy  de  voir  cefte  torche  iumelle. 
Qui  fain&ement  fe  fait  dç  nosfens  charmereffe, 

Se  décore  à  Ventour  de  Varcure  tant  belle 
D^vn  fourcil  délié,  portant  rigueur  &  grâce, 
CommeJirant  des  traits  for  tans  des  yeux  dHcelle. 

Diray-ie  vn  front  ferain  deffus  lequel  fe  place 
La  maiefté  hautaine,  vn  teint  qui  de  Vaurore 
Et  de  Phebe  les  teints  mefle!(  enfemble  efface? 

Vn  ne:(  de  beau  pourfil,  mefme  vne  bouche  encore. 
Petite  &  coraline,  &  par  qui  Vame  toute 
Au  parler,  au  chanter,  au  baiferfe  deuore? 

Car  quant  à  Vvn  des  trois,  diuine  elle  fe  boute, 
Le  mufc,  le  miel  coulant,  &  l'harmonie  efirange 
Se  fait,  quand  on  la  touche j  ou  foit  que  Von  Vefcoute  : 

Dedans  elle  des  dents  le  double  rang  fe  range, 

Qui  blanches  feroient  honte  à  Valbafire,  à  Viuoire, 
Et  claires  ofieroient  aux  perles  leur  louange. 

Ce  braue  chef  celefte,  enuironné  de  gloire, 
De  Grâces,  &  d* Amours,  &  qui  nous  efpouuante 
De  i-ais,  d^efclairs,  de  foudre,  à  fes  amans  notoire. 

Et  porté  ^  fur  f on  col,  femblable  à  Vexcellente 
Colomne,  droiâe,  ronde,  albafirine  &  polie. 
Sur  qui  vn  chapiteau^  riche  &  orné  fe  plante? 


AMOVRS.  29 


Cefte  gorge  de  marbre  affe:{  graffe  &  vnie^ 
Se  flanque  <Pvne  double  &raide  montaignette, 
Dont  V amour  pour  deffence  a  la  place  munie. 

Toute  force  approchant  dé  la  force  fecrette 
De  ces  deux  ronds,  fe  fent  pouffée  &  reculée 
^ifort,  qu'elle  f  en  rend  &  confufe,  &  muette. 

Q}te  diray-ie  du  refte?  ha  grand  beauté  voilée, 
Qjte  Vefprit  par  le  refte  imagine  &  regarde. 
Mais  las!  qui  eft  aux  yeux  par  trop  long  temps  celée. 

De  defcrire  &  chanter  par  mes  vers  ie  n^ay  garde 
Celai  car  V  honneur  me/me  y  mettant  couuerture. 
Ne  permet  qu^â  Vofter  noftre  voix  fe  has^arde: 

le  diray  feulement,  que  toute  laftruâure 

De  ce  beau  corps  parfaid,  eft  en  port  &  en  taille 
Tant  admirable  aux  Dieux,  que  rare  en  la  nature. 

Ce  corps  encloft  vne  ame  :  Ha  Dieu  fault  il  que  Vaille 
Auec  toyfurton  vol.  Amour,  ou  bien  fur  Vaile 
De  cefte  ame,  tant  hault  que  du  corps  il  ne  chaille  ? 

Fault  il  aller  cercher  la  grand*  caufe  éternelle 
D^vn  tel  efprit,  tiré  du  pur  de  la  fubftance, 
Sur  quife  formeroit  toute  forme  plus  belle? 

Contre  ce  mien  deffein,  contre  ton  ordonnance. 
Sur  ce  chant  me  fault  il  laiffer  la  terre  baffe, 
Pour  voir  le  plus  parfait  de  tafainâe  puijfance^ 

Toutes  perfeâions  que  cet  efprit  embrajfe. 

Tant  d?inftinâs, grâces,  dons,  quidetoyluyprouiennent 
Font,  comme  on  dit,  voiler  d^Agamemnon  la  face  *^. 

Tout  eft  inexprimable,  il  fault  que  tes  mains  tiennent 
La  bride  à  ce  haut  vol,  m^arreftant  fur  la  chofe 
Terrefhre,  qui  pourtant  (affermer  ie  te  Vofe) 
Ne  cède  à  rien  de  tout  ce  que  les  çieux  contiennent. 


30  AMOVRS. 


CHAPITRE    D'AMOVR. 


ie  croy  lors  que  noftre  ame  eft'au  ioug  afferme 
D'vne  beauté  farouche,  &fuperbe,  &  rebelle, 
Qu'amour  de  mille  morts  tourmente  nojire  vie. 

Je  croy  celuy-laferf  d^vne  peine  éternelle, 

Qui  ferf  d'vne  maijïreffe  inconfiante  &  voilage^ 
Ne  peut  ny  la  lier  nyfe  deflier  d'elle. 

le  croy  qu'amour  fait  naiftre  encores  plus  grand^  rage 
Dans  Vefprit,  qui  ialoux  d'vne  beauté  èonquife, 
Fait  au  milieu  du  port  luy  mefmes  fon  naufrage. 

le  croy  le  mal  que  fent  Vvne  &  Vautre  ame  efprife^ 
Qjdand  on  ne  peut  trouuer  Voccafion  fuyante. 
Qui  tant  plus  eftfuiuie  &  moins  peut  eflre  prife. 

Je  croy  le  mal  que  fent  toute  ame  violente, 
Lors  que  de  fa  moitié  par  force  fe  retire^ 
Se  repaiffant  de  pleurs,  &  de  fonge,  &  d'attente» 

Mais  ie  croy  mieux  encor  que  c'efiplus  grand  martyre 
D'aimer,  &  de  penfer  l'amitié  mutuelle, 
Sans  que  les  deux  amans  ofent  fe  Vent  redire. 

le  croy  certainement  cejte  ardeur  efïre  telle. 
Que  le  feu  qui  fans  air  fe  cache  fous  Vefcorce, 
Confommant  prefque  V arbre  auant  qu'il  ejiincelle  : 

Ou  bien  comme  la  glace,  alors  que  plus  péforce 
L'hiuer  de  retenir  le  cours  d'vne  riuiere, 
Fait  perdre  au  fil  de  Veau  fon  apport  &  fa  force, 

Celuy-là  qui  glaffantfa  liberté  première. 
Et  qui  craintif  dans  foy  fon  defir  emprifonne. 
Perd  auec  fon  efpoir  fa  force  couflumiere. 

Tous  ces  deux  font  en  moy,  Vamour  le  feu  me  donne ^ 
La  peur  tous  mes  efprits  engourdit  de  fa  glace, 
Et  fens  deux  ennemis  régner  en  ma  perfonne. 

L'vn  graue.  en  moi  ton  nom.  Vautre  ton  nom  efface  : 
L'vn  me  fert  d'efperon,  Vautre  me  fert  de  bride  : 


> 


AMOVRS.  3l 


L^vn  me  volte  dans  Vair,  &  Vautre  me  terrajfè. 

L^vn  me  dit  que  Vamour  ainfi  que  moy  te  guide  : 
L^autre  me  dit  que  non,  &  tous  deux  entretiennent^ 
Bien  quHls  /oient  ennemis,  Vefpoir  mon  homicide. 

Par  Vvn  le  plus  fouuent  les  parolles  me  viennent 

lufqWau  bord  de  la^langue^S'  par  Vautre  au  contraire 
Mon  bon  heur  &  ma  vois  prifonniers  fe  retiennent. 

O  malheureufe  peur,  qui  feule  peux  dijlraire 
Le  cœur  des  bas  humains  des  entreprifes  hautes, 
Monftrant  que  V homme  feul  rien  de  bon  ne  peut  faire, 

Oejk  toy  qui  vas  guidant  nos  defirs  &  nos  fautes, 
Quipourfuiuant  Vorgueil  d*vne  immortelle  guerre. 
Et  le  vouloir  enfemble,  &  le  pouuoir  nous  ojles  : 

Oefi  toy  qui  fais  fentir  que  nousfommes  de  terre, 
Oeft  toy  dont  le  brandon,  le  fléau  &  la  tenaille, 
L^ame  des  criminels  brufle,  affomme  &  enferre, 

Cefitoy  dont  le  venin  court  d^ entraille  en  entraille. 
Et  qui  de  peur  qu^on  entre  en  lumière  &  mémoire, 
Nous  fers  incejfamment  d^vne  horrible  muraille. 

Mais  helasl  fi  tu  veux  rabaiffer  toute  gloire, 
Pourquoy  eft-ce.  que  tant  à  Vamour  tu  fataches, 
Veu  que  V humilité  des  amans  fejl  notoire? 

Il  faut  que  feulement  tes  fureurs  tu  delafches 
Sur  le  vice,  &  non  pas  fur  la  fainâe  puijfance 
D^ amour f  qui  n^ entra  oncau  cœur  des  hommes  lafches**. 

Amour  efi  vertueux,  diuine  efifon  effence, 
Effence  qui  fe  fait  de  toute  effence  mère  : 
Car  amour  efl  de  tout  Veternelle  alliance- 

Amour  de  ce  grand  Tout  fe  peut  dire  le  père, 
Vame,  le  gond,  Vappuy,  Ventretien  &  la  vie, 
Qjii  tout  par  la  Difcorde  accordante  tempère. 

Amour  tous  f es  effeûs  diuerfement  allie. 
Amour  efi  le  plaifir  defes  cauf es  fécondes, 
Soit  que  Ion  aime  bien,  foit  qu^on  aime  en  folie. 

Amour  darde  fes  traiâs  iufqu*au  plus  creus  des  ondes, 
H  balance  fon  vol  deffus  le  vol  des  nues. 
Et  fe  fait  mefme  craindre  aux  abyf mes  profondes . 

Si  donc  mes  volonté:^  ne  font  de  nul  cogneuês, 


t 


32  AMOVRS. 


Si  les  affeâions  que  maintenant  Pembraffe^ 

Me  font  plus  toftpour  bien  que  pour  vn  mal  venues  y 

Qui  fera  celuy-la  qui  prendra  cejle  audace 
De  nCaccufer  d^ aimer,  &  pourquoy  la  peur  mefme 
Me  renuerfera  elle  au  milieu  de  la  place? 

Arrière,  arrière,  peur,  furie  maigre  &  blefme 
Defiourne  toy  de  moy,  laiffe  moy  V amour  fuiure, 
Puis  qu^ amour  mon  obiet  eji  de  tous  biens  V extrême. 

le  veux  aimer  ma  Dame,  en  elle  ie  veux  viure. 
Et  luy  ouure  mon  cœur  auecques  ma  parole  : 
Tel  amour  ne  peut-il  de  crime  ejire  deliure? 

le  veux  que  cefle  voix  iufques  vers  elle  vole  y 
La  peur  pen  efï  fuye,  &  fi  veux  qu^  elle  fente 
Qji^vn  amour  vertueux  folaftrement  m^ affole. 

Et  fi  quelque  hargneux  après  p en  mef contente, 
Difant,  que  fi  Vamour  eftoit  honnejte  &  bonne. 
Que  la  peur  fi  long  temps  ne  m^euft  eftéprefente, 

Il  fault  que  feulement  ref ponce  ie  luy  donne, 
Qjt^on  voit  le  plus  fouuent  telle  langue  &  enuie 
En  chemin  vertueux  de/tourner  la  perfonne. 

Et  toy,  Dame,  ie  croy  parauant  afferme 
A  la  peur,  comme  moy,  fuy  telle  hardieffe. 
Comme  tu  peux  long  temps  ma  peur  auoirfuiuie. 

Car  ie  croy  qu^^en  aimant  vne  telle  maiftreffe. 
Faudra  qu' enuie  cède  à  f es  vertus  treffainûes. 
Comme  a  faiâ  à  Vamour  la  peur  enchantereffe. 

Et  lors  qu'en  nous  feront  fes  flammes  bien  empreintes, 
Nous  nous  rirons  de  ceux  qui  en  diuerfe  mine 
Portent  leurs  paffions  fur  leurs  vifages  peintes  : 

Et  fur  le  haure  affis  aux  flots  de  la  marine. 
Nous  verrons  le  reffus,  le  tort,  la  ialou^ie, 
Vattente,  les  regrets  dédaigneux  de  leur  vie., 
Bayer  après  le  bien  de  cefte  amour  diuine. 


AMOVRS.  33 


\ 


CHANSON 

POVR     LE    SEIGNEVR     DE     BRVNEL. 


L^efprii  auquel  les  Dieux,  &  la  Nature, 
L*aftre  bénin,  lafage  nourriture, 

L^art,  &  V expérience 
Ont  fait  tant  <Vheur,  que  fon  dejir  fupréme 
Recherche  en  tout  la  perfeâion  me/me, 
De  qui  tient  fon  effence  : 
Bien  qu'en  fon  chois  tantofl  il  fe  propofe 
Pour  obiet  Vvne,  &  tantofl  Vautre  chofe, 

Variable  en  fon  change, 
(Comme  de  tout  le  cours  efi  variable) 
H  efl  pourtant  en  fon  but  immuable. 
Et  iamais  nefy  change, 
C'eflfonfeul  but  que  d^ aimer,  &  de  fuiure 
L^obiet  parfait,  &  en  luy  touiours  viure, 

Tant  quepatfait  il  dure: 
Mais  quand  V obiet  fe  change  auecques  Vage, 
De  changer  lors  ce  n^eft  de  luy  Voutrage, 
Mais  fefl  du  temps  Viniure, 
le  ne  veux  point  prendre  tant  d'arrogance, 
Q}$e  de  vouloir  que  parfait  on  me  penfe  : 
Mais  il  faut  que  ie  die, 
,  Que  rien  ne  peut,  fors  la  chofe  parfaite, 
..  Ny  me  rauir,  ny  rendre  au  ioug  fuiette 

Ma  raifon  &  ma  vie, 
Celuy  qui  fçait  Varchiteâure  antique i 
Corinthienne,  Ionique,  Dorique, 

Auffi  toft  quHl  decœuure 
Quelque  Palais  où  Vordre  &  oii  la  grâce 
Eftoffencee,  auffi  toft  ilfe  laffe 
Du  regard  d'vn  tel  œuure  : 
lodtlU.  —  II.  ^ 


34  AMOVRS. 


Et  quand  le  temps  rauiffeur,  qui  deuore 
Tout  œuure  beau,  nous  laiffe  voir  encore 

Dedans  quelque  ruine 
La  beauté  grande^  &  Part  d*vn  édifice  y 
Qui  par  les  traits  de  quelque  frontifpice 

Tout  entier  fe  deuine  : 
On  iuge  bien  pour  lors  que  chofe  telle 
Durant  fon  temps  fut  parfaitement  belle  : 

Mais  quant  à  la  demeure^ 
Nul  en  ce  lieu  ne  peut  choifir  fon  aife^ 
Et  n'y  a  nul  à  qui  tout  ce  lieu  plaife, 

Si  ce  n^efi  pour  vne  heure, 
Celuy  quifçait  Varchiteâure  vraye 
De  ceft  amour ^  que  ma  loy  veut  que  i^aye, 

Du  défaut  fe  retire  : 
Et  quand  il  voit  des  chofes  les  mieux  nées 
Par  tant  de  temps  de  grâces  ruinées, 

Sans  aimer  il  admire. 
Il  fçait  fort  bien  recognoiftre  vne  Dame, 
Soit  quant  au  corps,  foi  mefme  quant  à  Vame, 

Quelle  les  Dieux  Vont  faite  : 
Je  fçay  encor  les  fautes  mieux  cognoiftre, 
Ven  ay  Vidée,  &  fçay  ce  quÙlfaut  eftre 

Auant  qu* eftre  parfaite, 
Viuant  toufiours  en  la  confiance  vraye 
De  n^aimer  rien,  que  parauant  ie  n*aye 

Des  perfedions  preuue, 
le  fçay  choifir,  ou  bien  reietter  celle. 
Qui  efi  parfaite,  ou  vulgairement  belle, 

Sans  que  pris  ie  me  treuue. 
Ayant  choifi,  moy-mefme  me  viens  rendre, 
Et  en  prenant  moy-mefme  me  fens  prendre 

Si  fort,  que  Vame  mienne, 
Ayant  trouué  le  bien  qu^elle  defire. 
Ayant  atteint  le  but  où  elle  tire, 

Se  fait  férue  à  lafienne. 
Tout  autant  vit  Vaffeâion  extrême 
Dans  moy,  que  vit  la  perfeétion  mefme 


AMOVRS.  35 


Mais  auec  la  ruine, 
Tant  des  beauté:^,  qui  tout  le  corps  décorent  y 
Que  des  beauté^,  qui  tout  Vefprit  honorent, 

VaffedioH  décline, 
le  ne  fay  plus  que  remarquer  les  traces, 
Où  Vauoy  veu  parauant  tant  de  grâces. 

Et  louant  tout  Vouurage, 
le  fuis  marri  que  noftre  grand^  ouuriere 
Ne  fait  durer  la  beauté  iournaliere 

Contre  Veffort  de  Vage. 
Paccufe  encor  la  celefte  ordonnance, 
D*auoir  comblé  d^vne  telle  abondance 

Et  ce  corps,  &  cefte  ame, 
Pour  tout  foudain  fes  biens  faits  en  retraire 
Et  leur  laiffer  feulement  au  contraire 

Le  regret  &  le  blafme. 
Lors  en  gardant  ma  confiance  première, 
le  fors  de  là  pour  ietter  ma  lumière 

Sus  quelque  autre  excellence  : 
Car  de  vouloir  tant  feulement  pour  vne 
Garder  en  moy  la  confiance  commune. 

Ce  feroit  inconfiance. 
Lors  que  premier  de  moy  tu  fus  choifie, 
Tu  enflambois  le  ciel  de  ialoufîe. 

Tant  tu  eflois  parfaite  : 
Alors  tu  fus  digne  obiet  de  mon  ame. 
Puis  que  le  Ciel  ne  veut  qu^ellepenfiame 

D*vne  chofe  imparfaite. 
Mais  maintenant  que  Ion  voit  inconfiante 
Cefle  beauté,  &  qu^on  voit  permanente    , 

Dans  moy  la  braue  chaffe. 
Dont  ie  pourfui  toufiours  vn  bien  fupreme, 
Change  auec  moy  en  accufant  toymefme. 

Le  coeur  comme  la  face. 
Tel  fans  raifon  le  plusfouuent  accufe, 
Qui  a  beaucoup  plus  de  befoin  d^excufe  : 

M^  accufant  de  la  forte 
Tu  dois  penfer  puis  que  mon  ardeur  viue 


36  AMOVRS. 


S'étend,  qu'il  faut  que  mon  mal  qui  arriue. 

De  toy^  non  de  moy  forte, 
SHlfort  de  toy,  tu  es  feule  coulpable, 
Et  moy  ie  rejte  encore  plus  louable 

D'auoir  telle  confiance. 
Que  mon  amour,  qui  fut  vers  toy  fi  grande. 
Sur  Vautre  amour,  qui  fans  fin  me  commande, 

N^a  point  eu  de  puiffance, 
Toy  donc  au  lieu  defouffrir  quelque  peine. 
Soit  du  regret  de  cefte  beauté  vaine. 

Soit  de  moy  qui  fe  change, 
Reiouy^toy  d*auoir  efiéferuie^ 
D'amy  parfait,  puis  que  toute  fa  vie 

Au  feul  parfait  fe  range. 
Et  V enrôlant  au  nombre  des  parfaites, 
Moque  toy  lors  de  tes  beautés^  défaites 

Ainfi  que  de  fumées  : 
Et  croy  que  Dieu  toutes  beauté^  volages 
Euftfait  durer,  pu  vouloit  qu*en  tous  âges 

Nous  vous  euffions  aimées. 
Car,  quoy  qu'on  die,  il  faut  que  Ion  confeffe. 
Que  quand  on  met  Vamour  en  fa  maiftreffe, 

La  beauté  le  fait  faire  : 
Si  la  beauté  de  fon  fuiet  feftrange. 
Il  faut  qu'amour  auec  Vobietfe  change, 

Oefl  chofe  neceffaire. 
Et  quand  quelqu^vn  de  fa  maiftreffe  agee, 
Ne  veult  enfoy  voir  la  flamme  changée 

lufqu^à  lafepulture. 
Il  n'en  faut  pas  vne  confiance  faire  : 
Oefi  pobfiiner,  &fe  rendre  contraire 

Aux  loix  de  la  Nature, 
Et  fi  tu  dis  que  ie  f  aimais  à  l'heure 

Four  le  feul  corps,  &  queji^amour  meilleure 

Ne  fe  voit  fi  légère  y 
le  le  veux  bien  :  Mais  fil  faut  que  ie  t'aime 
D'efprit,   encor  ie  faimeray  de  mefme 

Que  Vaimeroy  ma  mère. 


AMOVRS.  37 


Mefmes  encor  {qui  eft-ce  qui  V ignore?) 
Leur  âge  vieil,  qui  les  femmes  dedore 

Tout  ainji  qu^vne  image^ 
Leur  ofte  auffi  de  Vefprit  Vallegrejfe  : 
Appelle  donc  Vamour  vers  la  vieilleffe^ 

Aueuglementf  &  rage. 
Si  tu  me  dis  que  tout  ce  difcours  monftre. 
Que  ie  fay  cas  de  la  feule  rencontre 

Sans  en  aimer  pas  vne, 
Veu  que  iamais  on  ne  vit  en  ce  monde 
Rien  de  parfait,^  &  veu  que  là  ie  fonde 

Cefte  amour  non  commune  : 
Penten  d'autant  que  Vhomme  on  peut  cognoiflre, 
Penten  Sautant  que  parfaite  peut  eflre 

Noflre  ejfence  mortelle. 
Autant  queftoit  parfaite  en  tout  la  tienne, 
Et  autant  qu^efl  parfaite  encor  la  mienne, 

Aimant  d^vne  amour  telle. 


AVTRE   CHAPITRE   D'AMOVR. 


Qjiand  en  efpoir  &peur  par  les  vers  que  ie  chante. 
Par  ma  parole  encore  enuers  toy  plus  hardie. 
Et  par  Vame  en  toy  feule  &  viuante  &  mourante. 

Par  tous  tefmoins  de  Vame,  ardente  &  engourdie, 
A  qui  V efpoir  douteux  fert  de  flamme  &  de  glace, 
Et  parferuice  autant  long  &  cher  que  ma  vie, 

Pauray  monfïré  Vamour  qui,  peint  dejfus  la  face, 
Segrdue  au  cœur,  fepand  dans  les  os,  dans  les  veines. 
Et  repos  &  raifon  hors  de  mes  efprits  clUhffe  : 

Si  alors  toy,  peut  eflre,  impiteufe  à  mes  peines, 
{Ce  que  le  ciel  ne  vueille)  accufois  de  folie 


40  AMOVRS. 


4 


Tant  qu^ en  celdy  qui  n^eji  que  deminoftrey  dure 
L'amour  par  le  dejir,  qui  d'autant  renouuelle 
Sa  force  y  que  luy  fait  V  empefchement  d'iniure. 

Ainjî  doncques  V  amour  fefait  perpétuelle  y 

Qui  ejl  pénible  &  libre,  &  non  plaine  &  contrainte  : 
Car  toujiours  nouueauté  fe  fait  conipaigne  d^elle* 

Mais  aux  amours  bride:{  lors  que  Von  fent  ejieinte 
Auecle  tempslafoify  cela  qu'on  y  peut  prendre 
N^efl  pasplaijîry  mais  bien  acquit  de  Vame  ejlreinte. 

Outre  Vamour  qui  vient  doucement  nous  efprendrCy 
Sans  tels  liens  de  fer  y  n'a  point  maint  &  maint  trouble  y 
Par  qui  les  feux  d'' Hymen  fe  reduifent  en  cendre  : 

Comme  efi  le  dur  fouci,  qui  de  iour  en  iour  double 
Débats,  controublemens ,  hargnesy  &  ialoufiesy 
Dont  telle  amour  contraint  fe  regefne  &  retrouble  : 

Puis  les  deux  âmes  font  d'humeurs  diuers  faiftes 
Souuent  :  car  VAndrogyne  eft  toufiours  feparee. 
Et  de  nous  nos  moitié:^  font  peu  fouuent  choijtes. 

La  moitié  quelquesfois  autre  part  égarée 
Defon  autre  moitié  fans  y  penfer  fe  treuuCy 
Et  lors  Vvne  efl  de  Vautre  ardemment  defiree, 

Qjte  danc  eft  malheureufCy  ainfi  comme  ie  preuue, 
L^ humaine  loy  par  V homme  aueuglément  forgée, 
Qui  de  foy  aduerfaire  &  bourrelle  fefpreuue  : 

Voulant  non  feulement  rendre  Vame  rangée 
A  vnfeul  iou g,  fouuent  fans  defir  nefansflame, 
Ains  dedans  mefme  foffe  à  tout  iamais  plongée. 

Cruelle  nous  armant  contre  chacune  Dame, 

Des  efpritSy  Nouueauté,  Beauté,  Grâce,  Plaifance, 
Et  dans  Vame  tuant  ce  qui  plus  nourrit  Vame  : 

Voulant  forcer  des  deux  toute  gaye  influance, 
Et  de  tous  yeux  plus  beaux  la  force  plus  celefte. 
Et  de  ce  Dieu  puiffant  fur  les  Dieux  la  puiffance  : 

Forçant  Nature  à  qui  le  temps  rend  tout  molefte. 
Si  la  diuerfité  touftours  ne  la  foulage, 
Mefme  vn  grand  bien  quifoitfeul  &  long,fe  detefte  : 

Forçant  mefme  le  temps  dont  le  change  volage 
Force  tout  à  changer,  &  voulant  {ô  fotie!) 


AMOVRS.  41 


Commander  par  710s  loix  aux  fortes  loix  de  Page  : 

Rendant  vaine  du  tout  lafaueur  départie 

Des  Dieux,  des  deux,  de  Part,  de  nature,  &  fortune. 
Et  des  fens  plus  aigus  la  puiffance  amortie  : 

Imaginant  à  tort  que  chacun  pour  chacune 

A  ejté  fait  de  Dieu,  bien  qu'on  voye  le  nombre 
Confus,  &  la  mefure  en  rien  n^ejlre  toute  vne  ; 

Donnant  Vefpouuentail  d'vn  beau  mot,  &  d*vn  ombre  " 
De  reigie  &  de  police,  à  fin  que  la  perfonne 
Prenne  pour  amour  haine,  &  pour  iourla  nuiàfombre. 

Car  tel  eft  tout  efprit  qui  fl  fort  pemprifonne, 
Qjtefans  aimer  ilfert  chaffant  tout  gay  feruice. 
Et  voyant  n*ofe  voir  tout  bien  qui  Péguillonne  : 

Tachant  que  Vimpoffible  ainfl  fe  conuertiffe 
Enpoffible,  &  que  P homme  en  qui  fans  fin  domine 
Tout  diuers  mouuement,fans  mouuoir  pélourdijfe  ; 

Ordonnant  qu^vn  chacun  en  cela  f  imagine 
Trouuerfa  moitié  vraye,  &  iufie  &  fortijfable^ 
Bien  que  rien  de  pareil  le  fort  ne  luy  affine  : 

Mais  qui  plus  eft,  voulant  à  P  Amour  indomtable, 
Etfeul  domteur  de  tout,  donner  loix,  &  enfi'aindre 
Sa  loy^  quUl  rend  toufiours  deffus  toutes  loix  fiable  : 

Qjii  eft,  comme  Vay  dit,  qu^ Amour  ne  peut  peftraindre 
D'aucune  loy,  mais  bien  fon  vol  léger  Peflongne 
De  nous,  tout  auffi  tofi  quUl  f'eft  fenti  contraindre. 

Non  pas  que  ce  qui  fait  à  nature  vergongne, 
Ne  le  doiue  auffi  faire  à  P  Amour  :  car  nature 
Par  V Amour,  &  P  Amour  par  nature  befongne. 

Tant  que  tout  ce  qui  eft  de  nature  Piniure, 
Ainfl  que  tout  incefte  &  toute  fiame  énorme. 
Amour  doit  Pexempter  de  fa  liberté  pure. 

Mais  quand  on  veut  gefner  la  nature  par  forme 

Et  couftume,  P  Amour  doit  tout  rompre,  &  deffendre 
Nature,  &  fa  franchife  à  nature  conforme. 
Oeft  là  la  vraye  loy,  étemelle,  &  qui  rendre 
Peut  feule  entre  les  loix  P  homme  mortel  capable 
De  la  garder,  fans  elle  &  fans  foy-mefme  offendre. 

Car  toute  loy  n^eftant  de  nul  homme  obferuable 


4^ 


AMOVRS. 


En  tout,  &  en  tout  temps,  ou  fe  fait  force  en  toute. 
Et  cefte  naturelle  en  tout  fe  rend  gardable. 

Or  toute  loy  fe  fonde,  ainft  que  nul  ne  doute, 
Sur  raifon,  cefte  ci  naturelle,  éternelle. 
Et  faite  d*vn  tel  Dieu,  la  raifon  ne  déboute, 

Mefme  toute  raifon  eft  iufte,  vraye,  &  telle 
Qjî'elle  doit  deffousfoy  toutes  raifons  abbattre. 
Quand  elle  fuit  la  loy  plus  haute  &  naturelle. 

On  ne  peut  doncques  plus  encontre  moy  debatre. 
Qu'en  ce  fait  ci  les  loix  &  la  raifon  ie  fauffe. 
Car  Ampur  pour  ces  deux  méfait  deuêment  combatre, . 

Arrière  donc  la  loy  qui  eft  vulgaire  &  faulfe. 
Pour  le  peuple  groffier  lourdement  inuentee^ 
Vautre  raifon  &  loy^fur  toute  autre  fe  haulfe. 

L'ayant  donc  auec  moy,  pour  cela  reiettee 
Ne  peut  eftre  ma  voix,  que  la  raifon  ie  bleffe. 
Et  la  loy,  fi  ma  voix  eft  par  ces  deux  portée  : 

Voire  bien  mieux  encor  que  quand  ie  prins  adrejfe. 
Pour  brider  mes  amours,  voulant  la  loy  vulgaire 
Par  vulgaires  raifons  rendre  d'amour  tfiaiftrejfe. 

Promettant  faulfement  ce  qui  ne  fe  peut  faire, 
Qjii  monftre  la  loy  faulfe  &  la  raifon  peu  vraye^ 
Puis  qu'elle  trouue  Amour  &  Nature  contraire» 

Tant  f  en  faut  que  befoin  doncques  enuers  toy  Paye, 
De  m'excufer,  ou  bien  qu'au  lieu  de  moy  ta  grâce 
Et  ta  beauté  forçante  à  m'excufer  f'effaye y 

Qu'il  ne  faut  point  d'excufe  en  ce  que  ie  pourchaffe^ 
Ayant  pour  moy  la  loy  des  loix  viâorieufe, 
Prife  de  deité,  qui  tout  autre  fuîpajfe. 

Comme  celle  d'Amour  &  de  Nature  heureufe, 
Mère  &  guide  de  tout  :  car  toute  chofe  cède 
A  la  loy  de  ces  deux,  durable  &  amoureufe. 

Et  dont  l'éternité  toutesfbis  ne  procède 

Qjie  de  leur  changement  :  car  par  le  diuers  change 
Ces  deux  ont  de  leur  fin  trouué  lefeul  remède. 

Au  lieu  donc  de  donner  à  mon  feu  qui  eftrange 
Semble  du  premier  coup,  vne  excufe  inutile, 
Vien  donner  ta  raifon  à  la  loy  qui  me  range  : 


AMOVRS.'  43 

A  ma  mort  vrievie,  à  ta  flamme  gentile 
Le  plaifir,  au  plaifir  longue  perfeuerance, 
Tant  qu^vn  deftr  faujfant  ailleurs  noftre  confiance^ 
Sans  fin  maugré  V encombre  auecnos  ans  fe  file. 


CHANSON. 


Vafpre  &  Veftrange  fiame 
Qu'amour  méfait  fentir, 
De  tout  celapenfiame, 
Qjii  deuroit  **  Vamortir. 

Ma  trop  longue  foujffrance, 
Ma  trop  vaine  efperance 
Font  que  ma  raifon  parme 
Encontre  ma  poifon  : 
Mais  mon  feu  charmé  charme 
L'effort  de  ma  raifon. 
Vafpre,., 

Mon  efprit  fe  propofe 
Sans  cejfe  toute  chofe, 
Que  moindre  puiffe  faire 
LHniufte  affe&xon  : 
Mais  par  Vobiet  contraire 
Croift  Vapprehenfion. 
L^afpre.., 

Tel  qu^il  eft  Vimagine 
L^ amour f  qui  me  domine. 
Et  fi  ne  puis  pas  eftre 
Aueugle  en  fes  effeâs  : 
Mais  cet  aueugle  maifire 
M  aueugle  en  tous  mes  faits. 
Vajpre,,, 

Difcourant  la  naiffance 


44  -  AMOVRS. 


D\amour^  &  fa  puiffance. 
Bien  que  ie  ne  Vapprouue 
Ny  Dieu  y  ny  fils  des  deux, 
Deffus  moy  ie  le  trouue 
Plus  fort  que  nul  des  Dieux. 
L^afpre... 

Comme  fa  geniture 
le  congnoy  fa  pafture  : 
Nojlre  efpritfeul  V engendre, 
Seul  le  paijï  noftre  cœur, 
Qui  feul  force  fait  prendre 
A  fon  propre  vaincueur. 
Vafpre,.. 

Mes  vrais  dif cours  le  peignent 
Autre  que  ne  le  feignent 
Les  vers,  ou  la  peinture. 
Ou  les  difcours  des  Dieux  : 
"Mais  les  maux  t'en  endure. 
Qui  fe  feignent  par  eux. 
L^afpre,,, 

Il  n^efl  enfant  volage  : 
Car  dedans  mon  courage 
npobflinefans  ceffe  : 
Aux  cefles  &  au  vol 
Ne  conuient  fa  pareffe, 
Ny  V enfance  à  fon  dol, 
Vafpre,.. 

SHl  eftoit  Dieu,  la  bande 

Des  Dieux  qui  nous  commande, 
Ne  lairroit  fes  outrages 
Si  long  temps  triomphans 
Sur  les  efprits  plus  fages. 
Qui  font  leurs  vrais  enfans. 
•     Vafpre.,. 

Ou  bien  pu  efloit  mefme 
Des  Dieux  le  Dieu  fupréme, 
Qui  tout  ce  monde  accorde, 
Qui  rompit  le  Chaos, 


AMOVRS.  4^ 


//  romprait  ma  difcorde 
L*efchangeant  en  repos, 
Vafpre... 
Mefme  aux  Dieux  la  malice  y 
La  rage  &  Viniuftice^ 
Et  cet  ardeur  de  faire 
Outrage  aux  innocens, 
Ne  peut  plaire,  mais  plaire 
A  luy  feulie  lesfens. 


CHANSON 

POVR     RESPONDRE    A    CELLE   DE   RONSARD, 
QVI  COMMENCE  : 


Quand  i'eftois  libre 


15 


Sans  eftre  efclaue,  &fans  toutesfois  eftre 
Seul  de  mon  bien,  feul  de  mon  coeur  le  maiflre, 

le  me  plais  à  feruir  : 
Car  celle  la  que  faime,  &Sers,  &  prife. 
Plus  que  tout  bien,  plus  que  toute  franchife, 

Me  peut  àjoy  rauir. 
La  liberté  fi  chère  Je  doit  rendre, 

Que  pour  tout  or  ne  fe  doit  iamais  vendre  ; 

Mais  la  mienne  ie  vens, 
lyvn  plus  cher  pris,  que  n^eft  toute  richeffe  ; 
Car  ta  beauté,  qui  mefme  en  eft  maiftreffe, 

Eft  le  pris  que  Vattens. 
Oeft  peu  de  cas  qu^vn  tant  aifé  feruice. 
Pour  mériter  par  ta  faueur  propice, 

De  ta  beauté  le  pris  : 
Ce  pris  fi  grand  ne  peut  pas  eftre  mefme 


46  AMOVRS. 


Pris  deferuice^  ains  c^eft  vn  don  extrême 

Qu^vnferuice  aurait  pris. 
Sous  vn  tel  ioug  i*accours  de  franc  courage. 
Ma  liberté  Je  trouue  en  mon  feruage  : 

Et  quand  mon  cœur  vôudroit 
Sans  tel  lien  viure  en  laferuitude 
De  Vamour  faux,  vn  ioug  cen,t  fois  pbts  rude 

Endurer  luy  faudrait . 
Vardeur,  le  foin,  la  pipeufe  efperance, 
Les  chers  prefens,  Vaigreur,  la  repentance, 

Et  la  honte,  &  la  peur. 
Le  martel  afpre,  &  le  volage  change, 
Le  vain  plaifir  :  c'ejl  le  ioug  oîi  nous  range 

Tout  tel  amour  trompeur. 
Toujiours  Vamour  dans  noftre  amefenflame, 
Car  le  defir  {tierce  part  de  noftre  ame) 

Efï  père  des  amours  : 
Mais  celuy-là  fage  &  heureux  me  femble. 
Qui  en  lieufeur  toutfon  defir  raffemble, 
*Sans  Vécarter  toujtours. 
Celuy,  ie  croys  qui  efl  né  pour  pourfuiure 
Plufieurs  amours,  femblable  n^a  peu  viure 

Aux  farouches  poulains. 
En  dédaignant  les  beauté^  &  careffes, 
Veu  que  nos  coeurs  font  mefme  en  nos  ieuneffes 

De  tel  defir  tous  pleins. 
Moy  maintenant  {combien  quepaffé  Paye 
Des  premiers  ans  la  faifon  la  plus  gaye) 

En  mes  ans  les  plus  forts 
Non  au  poulain  femblable  ie  veux  efire, 
Mais  au  cheual,  qui  brauefert  fon  maiflre, 

Et  fe  plaifl  en  fon  mords  : 
Ayant  henni  de  ioye  après  fa  bride, 
Cognoifl  la  main  qui  adroite  le  guide  : 

Le  peuple  à  Venuiron 
L^orgueil  premier  de  fon  marcher  admire, 
Et  plus  encor  quand  on  le  volte  &  vive 

Au  gré  de  Vefperon  :  ^ 


AMOVRS.  47 


Laijfant  ce  peuple  en  vn  moment  derrière^ 
Comme  vn  vent  vole  au  bout  de  fa  carrière. 

Les  courbeteSf  les  bonds, 
La  bouche  frefche,  &  Phaleine,  à  toute  heure 
Vont  tefmoignanty  qu'yen  œuure  encor  meilleure 

H  eft  bon  fur  les  bons, 
Doulx  au  montei\  &  plus  doulx  à  Vejlable, 
Au  manimentS  craintif  &  trait able. 

Aux  combats  furieux, 
Sans  ceffe  ilfemble  afpirer  aux  vijQoires, 
Prefque  iugeant,  que  du  maiflre  les  gloires 

Le  rendront  glorieux, 
le  ne  fuis  pas  prefumptueux,  de  forte, 
Qjte  tout  ceci,  ie  vueille  qu^on  rapporte, 

D*vn  tel  cheual,  à  moy  : 
Mais  ie  diray  que  V Amour  qui  commande 
A  mon  efprit,  autant  comme  il  demande 

Le  fent  prompt  à  fa  loy. 
Tel  frein  luy  plaijl,  tel  efperon  l'excite, 
n  porgueillit  fous  V Amour,  du  mérite 

Defon  gentil  vouloir. 
Portant  Vamour,  fa  charge  il  ne  dédaigne, 
Ains  volontaire  en  fa  fueur  fe  baigne, 

S*en  faifant  plus  valoir, 
n  braue,  il  vole,  &  dans  moy  bondit  d^aife. 
De  ce  qu^amour  a  fait  quUl  te  complaife, 

Toy  qui  es  fon  feul  but. 
Bien  qu'il  foit  doux,  Vamour  à  la  viÛoire 
Va  V  animant,  compagnon  de  fa  gloire 

Comme  autheur  il  en  fut. 
Si  beaufuiet  luy  double  fon  courage. 
Le  cœur  doublé  luy  fait  dans  le  vif  âge 

Plus  d'audace  porter, 
La  raifon  marche  auecquesfon  attente 
D^vn  mefme  pas,  puis  quHl  croit  que  contente 

Tu  veux  le  contenter. 
Alors  du  tout  fur  luy  tes  deux  beaux  aftres 
Luiront  fans  ceffe,  écart  ans  tous  defaflres  : 


4^  AMOVRS. 


Et  perdre  ilfe  viendra 
{O  perte  heureufe!)  en  tes  lis  y  en  tes  rofes  : 
Car  pour  toujiours  Vheur  de  fi  rares  chef  es 

Plus  captif  le  rendra, 
ray  fait  ajfe\  à  mafranchife  apprendre 
Par  meur  difcours,  que  c^eft  d*ainfife  rendre 

Aux  beaux  rets  que  ie  voy  : 
Mais  l'aime  mieux  eftre  encor  ton  efclaue. 
Que  de  ce  monde  auoir  le  Roy  plus  braue 

Efclaue  dejfous  moy. 
Or  adieu  donc  tout  faulx  Amour  y  qui  menés 
Aux  ceps,  aux  fer  s  y  aux  gefneSy  aux  cadenes 

Trop  impiteux  vaincueur  ; 
Mon  ame  n^eft  forcere  ou  prifonniere. 
Ma  Dame  n^eft  corfairey  ny  geolierey 

Mais  garde  de  mon  cœur. 
Elle  voudray  ie  croyyfur  mon  chef  mettre 

Le  Myrte  heureuxy  qu^amour  me  veut  promettre. 

Non  le  pié  rude  &  fier. 
Peut  eftre  encor  elle  qui  éguillonne 
Dans  moy  Vhonneur,  &  l'audace  me  donney 

Y  mettra  le  laurier. 
Si  donc  pour  toy  ie  méprife  &  abhorre 

Toute  autre  amour,  qu'yen  moy  ie  puis  enclorre  : 

Si  Vay  les  yeux  toufiours 
Sur  ton  pourtrait,  que  mieux  que  dans  vne  onde 
le  voy  dans  moy,  fay  que  ton  cœur  réponde 

Du  tout  à  mes  amours. 
Fay  qu'yen  mon  fort  ie  ne  rende  vangee 

Toute  autre  amour,  par  moy  tant  eftrangee, 

Comme  Narciffe  fit  : 
Mais  qu'^à  Pelée  on  me  nomme  fans  ceffe 
Semblable  en  heur,  dont  Thetis  la  Deeffe 

Ne  dédaigna  le  lit. 
Aux  nopces  foit  prefent  &  fauorable 

Chacun  des  Dieux  :  mais  de  fifainâe  table 

La  Difcorde  foit  loin. 
Comme  Thetis,  ton  ventre  après  fertile, 


AMOVRS.  49 


Dés  Van  premier  porte  vn  petit  Achile, 
Ton  plaifir  &  ton  foin. 


CHANSON. 


BRANLE    I. 


Ma  pafjion,  qui  a  peur 

Qu'on  la  iuge  feinte, 
Veutfe  couurir  dans  le  cœur. 

Sans  pouurir  par  plainte. 
Si  mes  vrais  maux  vous  fcaue^. 
Vous  qui  caufe{  les  aue:^ 
Vray  Amour,  vraye  Venus, 

De  ma  foy  confiante. 
Rendes^  les  trauaux  cognus 

Sans  que  ie  les  chante. 
Ma  paffion... 
Ouure\  à  Vœil,  &  au  cœur. 
Qui  du  mien  pefï  fait  vainqueur. 
Ma  plainte,  qui  vaudra  mieux 

Par  vous  bien  ouuerte, 
Qjie  par  moy  mefme  à  tous  yeux 

En  vain  découuerte. 
Ma  paffion.,, 
Vefprit  haut  infpire:^  en 
De  celle  pour  qui  iefen 
Mon  efpritferfde  vos  loix, 

Qjii  pour  recompenfe 
Requiert  que  facie^  fans  voix 

Penfer  ce  quUl  penfe. 
Ma  paffion.. 
lodelle.  —  11. 


50  AMOVRS. 


Puis  pour  faire  à  tous  chercher 
Le  mal,  quife  veut  cacher 
De  tous  bons  yeux  attife:ç 

De  V amour  plus  vraye^ 
Chafque  beau  trait  éguife:^ 

Pour  fonder  maplaye. 
Ma  pafjîon,,. 
Cet  œil  tout  diuin  pil  veut 
Et  Vœil  des  autres  fil  peult 
Verront  ce  mal  quife  taifï. 

Non  pas  pour  fe  faire 
Plus  grand:  mais  fouuent  on  efl 

Plus  creu  pourfe  taire. 
Mapaffion.,, 
Mon  amour  n^eft  pas  tant  haut. 
Tant  fubtil,  eftrange,  &  chaud 
Que  pourtraire  il  nefe  peufl  : 

Mais  pour  bien  fe  peindre, 
H  n^efï  pas  tel  qu^on  le  creufl 

S^eftre  peint  fans  feindre, 
Mapaffion,.. 
Ilfault  en  ces  hauts  difcours 
De  tous  nos  chanteurs  d^amours, 
Et  aux  amours  qui  naïfs 

Par  nousfe  pratiquent^ 
Chercher  les  traits  vrais  &  vifs  : 

Sont  ceux  qui  me  piquent. 
Ma  pajjton... 
Or  fuppleans  en  cela 
Ma  vois  ailleurs  tourne:^^  la. 
Vous  deux  qui  dans  moy  Vémoy 

Attache!{  de  forte 
QuHl  faut  quHlfe  tienne  en  moy 

Renclos  fans  qu"* il  forte. 
Ma  pafjion... 
Aide^  nous  auec  ces  deux, 
Vous  les  trois  compagnes  d^eux^ 
Grâces,  qui  m^aue^  appris 


AMOVRS.  5l 


Si  bien  vos  cadences, 
Qu*ofter  te  vous  puis  le  pris 

De  vos  propres  dances. 
Ma  pajfion.,. 
Vous  donc  qui  fi  bien  parle:(y 
Sonne^,  baltes^,  carolles[j 
Entende^  chanter^  parler^ 

Dancerfur  les  peines 
Des  amours  perdus  dans  Vair, 

Par  leurs  chanfons  vaines. 
Mapajfion,,, 
Des  forts  amours  les  mieux  faits 
Vous  cognoijfe^  les  effedSy 
Car  V amour  feul  vous  hantes^  : 

Iuge:{  donc,  de  grâce, 
Si  par  tant  d'amours  chante:^ 

Mon  amour  p efface. 
Ma  paffion... 
Dançans  en  rond  auec  moy, 
D^vne  gaye  &  doâe  loy 
Arondir  vous  me  vetTe^ 

Par  mainte  manière 
De  branles  que  vous  orre:ç 

Ma  Carrolle  entière. 
Ma  paffion.., 
Q^''en  ces  gais  branles  nouueaus, 
Les  leuSf  les  Cupidineaus, 
Et  les  Ris  viennent  auffi^ 

Non  pas  pour  y  eftre 
FolaftreSf  mais  pour  ici 

Leurs  vrais  faits  cognoiftre. 
Ma  paffion... 
Tous  les  chants  des  amans  font 
Pleins  d'vn  mal  que  point  ils  n^ont. 
Pleins  de  tourmens,  &  de  pleurs. 

De  glaces,  &  fiâmes  : 
Mais  feintes  font  leurs  douleurs, 

Ainfi  que  leurs  âmes. 


•        » 


52  AMOVRS. 

Mapq[fion,.. 
Si  ces  amans  enduroyent 
Titnî  de  mauXf  &  pils  pleuroyent 
Vraiment  du  cœur  &  de  Pceil, 

Non  par  plainte  Jble, 
On  leur  ntrroit  plue  de  dueil. 
Et  moins  de  parole. 
Ma  pajpon,; 
S*ils  pouuox^nt-de  peur  geler, 
-^  *      On  bien  de  defir  tnàer^ 

'  L'im  engourdiffant /èroit 
La  voix  lente  &  morte  : 
Vautre  étoufimt  bouckeroit 
Aux  peitfers  la  porte. 
Ma  pq/fion.,. 
Mais  au  rebours  leurs  propos 
Sont  enfle^  de  tous  gros  mots, 
Qjie  Ion  voit  plujtojt  fortir 

Pour  montre  &.  brauade, 
Qfts  non  pas  vrajrment  fentir 
Leur  ame  malade. 
^  MapaJIfion... 
le  ne  dipas  que  d'entre  eux. 
Mille  beaux  traits  amoureux 
Ne  puijfent  fouuent  couler. 

Mais  ^ejt  auenture  i 
Car  des  bleffures  parler 
On  peut  fans  bleffur^. 
Ma  paJ[/ion.., 
Auffi  leurs  Dames  ornant, 
Tous  me/me  ornement  donnant, 
Tachent  faire  vn  tableau  faux 

Des  beauté:^  &  grâces, 
Comme  des  pleurs,  &  des  maux^ 
Des  feus,  &  des  glaces. 
Ma  paffion... 
Tous  en  leurs  pareils  fuiets, 
Prenans  femblables  obiets, 


AMOVRS.  53 


Vfans  de  me/mes  couleurs, 

Dorent,  aîbaftrinent, 
Ornent  de  perles  S- fleurs. 

Teignent,  coralinent. 
Ma  pajflon... 
De  mefme  les  emmiellans^ 
De  mefme  les  enfiellans^ 
Leurs  hourrelles  ils  en  fi)nt, 

Bafilics,  ty greffes, 
Mots  qui  doux  &  fâcheux  font 

Aux  vrayes  maiftreffes. 
Ma  paffion,.» 
Combien  que  la  femme  foit 
Piquée,  p elle  fe  voit 
De  tels  mots  iniurier, 

S*on  la  dit  cruelle 
Elle  pen  fait  plus  prier, 

Etpen  plaift  dans  elle. 
Ma  paffion,.. 
Si  V amour  fimple  eftoit  d'eux 
Bien  cogneu,  ces  mots  hideux 
llsfuiroyent,  def quels  V horreur 

Nuit  beaucoup,  &  monjlre 
Qjte  des  plumes  non  du  cœur 

Le  malfe  rencontre. 
Ma  paffion,,. 
Les  noms  déciles  inuente:ç, 
Les  traits  fans  fin  remprunte:^, 
Ces  mots,  Deeffe,  moitié  : 

Brief,  cefle  amour  foie 
N'eft  qu^vn  autel  dédié 

A  Pombreufe  idole. 
Ma  paffion.». 
La  cruelle  ayant  pouuoir 
De  faire  leurs  yeux  plouuoir, 
Quand  viuante  elle  feroit 

Pour  leur  pluye  toute 
De  leurs  yeux  ne  tireroit, 


54  AMOVRS. 


Peut  ejtre,  vne  goûte. 
Ma  pafjion,.. 
Telle  peut  les  vns  brûler ^ 
Gefnery  meurtrir,  bourreler, 
Qjii  n^ aurait  rien  de  leurfang^ 

Fuji  pour  fa  querelle, 
Ny  me/me  d^vn  cœur  bien  franc 

La  moindre  eftincelle. 
Ma  paffion.,. 
Tous  leurs  foufpirs  &  fanglots. 
Plus  grands  que  les  vens  renclos 
Qu^  Vlyjfe  auoit  en  fa  nef. 

Sont  veus  de  leurs  dames 
De  beaux  vents  fortis  du  chef, 

Non  du  creux  des  âmes, 
Ma  paffîon,,. 
Ces  dames  pour  quifoujfrir 
Us  font  forçe^,  &  offrir 
Leur  vie,  &  leur  fang^  n'auroyent 

Souuent  de  leurs  bourfes 
Ce,  dont  {peut  ejïre)  ils  pourroyent 

Les  voir  moins  rebourfes, 
MapaJJion.,. 
Or  fi,  leurs  dames  ainfi 
De  leurs  dons  n^auoyent  fouci, 
n  les  faudrait  rauir  mieux 

Que  d'vne  furie. 
Qui  tout-vne  prefque  en  eux 

Paroijl  fingerie. 
Mapaffton,,, 
Vous  donc  qui  les  tours  aue:( 
De  ce  mien  branle  acheue:[, 
luge^  quilsfe  monftrent  pleins 

D'ardeurs  furieuf es 
Pour  néant,  fans  eJlre  attaints 

D^ardeurs  amoureufes» 


AMOVRS.  55 


BRANLE     II. 

Aux  flmes  mapaffion 

N%lk  point  comparable, 
On  la  croinoit  fiâion 

Ainfi  que  la  fable. 
Pour  enrichir  leur  deffein 
De  ma/que j  &  de  fçauoit*  plein. 
Les  fables  d'horreurs,  fureurs, 

Malheurs,  font  extraites 
Des  vieux,  qui  n'ont  ces  erreurs. 

Dans  leurs  amours  faites. 
Aux  fables... 
Ces  anciens  écriuoyent 
Les  biens  &  maux  qu'ils  auoyent  : 
Mais  fans  nul  égard  ceux  ci 

Des  maux  nous  écriuent, 
Qjii  onc  a  eux,  ni  auffi 

One  à  nul  n^arriuent. 
Aux  fables... 
lefçay  qu'Amour  peut  bien  or^ 
Des  vieilles  fables  encor 
Les  maux  faire  naiftre  en  nous  : 

Mais  quand  vnfeul  plaindre 
Se  voit  enfemble  de  tous. 

Tous  fe  voyent  feindre. 
Aux  fables.,. 
Souuent  la  feinte  ofte  à  foy. 
Voire  aux  vérité^  la  foy. 
Quand  auec  elle  on  les  dit  : 

Qu'eft-ce  donc  quHl  femble. 
Quand  fans  vérité  Ion  lit^^ 

Cent  feintes  enfemble  ? 
Aux  fables... 
Tous  vieux  maux  de  playe,  &  ceux 


56  AMOVRS. 


D*afpfe  langueur  font  en  eux^ 
De  lienSf  angoiffe,  arrejt 

D*vn  cruel  martyre  : 
Mais  leur  plus  grancV  peine  c'eft 

DHnuenter  leur  dire,     -.  ^ 
Aux  fables,,.  *^\ 

Sur  ce  Ion  voit  ramajfé  -^m*- 

Le  Philoâete  bleffé, 
Le  Phinee  languiffant, 

L*étreinte  Andromède^ 
La  Niobe  gemijfanty 

L'occis  Palamede. 
Aux  fables,,. 
Ou  fi  de  ce  dernier  Grec 
La  mort  nefuffit^  auec 
Tous  ces  tourmens  fera  mis 

Vhoflelage  iniufïe 
De  Diomede,  &  Scinis, 

Scyron,  &  Procrufle, 
Aux  fables,,. 
Tous  les  périls  d^vn  lafon 
Nauigant  à  la  toifon 
Se  vqyent  d^eux  retirer^ 

Toute  horreur  eflrange 
QuHl  peut  voir  ou  endurer 

A  leurs  doigts  démange. 
Aux  fables.., 
le  croy  toute  horreur  auffi, 
Qu* Homère  ou  Virgile  ainfi 
Peignent f  aux  feintes  quHls  font 

Eflre  ramenée 
Par  ces  amans,  qui  en  font 

VVlyffe  &V^nee. 
Aux  fables... 
Mefme  pour  tragiquer  mieux, 
Ils  recourent  furieux 
La  citéf  race,  &  maifon 

Thebaine  ou  Troyenne, 


AMOVRS.  57 


Sur  tout  pillans  à  foifon 

La  Mycénienne, 
Aux  fables,,. 
Ces  trois  grands  maifons  eftans' 
Celles  dont  prefque  fortans 
Sont  tous  les  diuers  fuiets 

Des  fables  tragiques^ 
Ce  leur  font  riches  obiets 

D'amours  fantajliques . 
Aux  fables.,. 
Tout  autre  exemple  de  maux. 
De  morts,  remords,  &  trauaux 
Rend  leurs  écrits  embellis, 

Mefme  on  leur  voit  prendre 
Les  Iphis,  &.les  Phyllis 

Tous  prejls  à  fe  pendre. 
Aux  fables... 
Comme  Narciffe  expirer, 
Comme  Didon  fe  tirer 
Par  glaiue  le  double  feu 

D*amour  &  de  vie, 
Cejl  en  leur  feint  &  fou  ieu 

Leur  commune  enuie. 
Aux  fables... 
Si  tel  defefpoir  faijit 
Tous  ceux  qu^auiourd^huy  Ion  lit, 
Q}te  non  Vamour,  mais  du  nom 

Le  bruit  fait  écrire. 
Tout  le  iardin  d^vn  Timon 

Ne  leur  peut  fufflre. 
Aux  fables... 
Mais  au  lieu  d'en  auoir  bruit, 
Auec  vn  chacun  fen  rit 
Leur  dame,  Ji  vraye  elle  ejl  : 

Ou  en  farce  telle. 
Si  elle  la  croit,  fe  plaijl 

De  fe  voir  cruelle. 
Aux  fables... 


4* 


58  AMOVRS. 


A  ce  bifarre  animal 

Il  ne  faut  monftrer  fon  mal, 

Mais  fans  monftre  &  fîâion 

Luy  faut  faire  office 
D"* ardente  deuotion^ 

Et  de  gay  feruice. 
Aux  fables,. 
Mais  ceux  ci  ne  font  contans 
De  tous  les  maux  tourmentans 
Les  chetifs  humains  ici  : 

Mais  aux  enfers  fombres^ 
Us  cherchent  les  maux  aufji 

Des  peruerfes  Ombres, 
Aux  fables... 
Là  le  Tityan  vautour 
Et  là  Vinfini  retour 
D^Ixion  fe  voit,  en  ^eau 

Se  voit  le  Tantale, 
Et  celuy  dont  le  fardeau 

Sans  fin  redeuàle. 
Aux  fables,. , 
Afin  que  leurs  malheurs  tels 
Se  feignent  d'efïre  immortels, 
Ces  tourmens  là  bas  font  pris  : 

Mais  la  dame  fage 
Veut  Vhomme,  non  les  efprits. 
Le  dueil,  non  la  rage. 
Aux  fables.,. 
Seulement  continuel 
N^ejl  pas  ce  mal  éternel. 
De  leurs  vers  les  changemens, 

Et  leur  foy  mal  feure. 
Font  de  leurs  déguifemens 

Vépreuue  à  toute  heure. 
Aux  fables... 
Tous  Vvn  Vautre  reffemblans 
Et  tous  cent  fois  redoublans 
Ces  mefmes  traits  langoureux, 


AMOVRS.  59 


Font  voir  que  leur  ame 
Trop  plus  d'écrits  amoureux 

Que  (V amour  penflame. 
Aux  fables,,. 
Tous  chargeans  me/mes  fardeaus, 
Altère^  de  me/mes  eaus. 
De  me/me  roue  emporte:(, 

Et  en  leur  menfonge 
D*vn  Vautour  me/me  empiete:[y 

Mais  tout  h'ejl  qu^vn  fonge. 
Aux  fables,.. 
Tous  ces  amans  pleins  de  cris 
Et  ces  infernaux  efprits, 
PPont  rien  du  tout,  qui  entr'eux 

Commun  fe  propofe, 
Fors  qu'en  vain,  fans  fin  les  deux 

Refont  mefme  chofe. 
Aux  fables,,. 


BRANLE    III. 

Quand  noftre  paffion  craint 

Qu'on  la  trouue  ejïrange. 
De  foy  tout  cela  qu'on  feint 

D'ejlrange  elle  ejlrange. 
Apres  ces  maux,  ces  tourmens, 
Trauaux,  erreurs,  damnemens, 
le  vous  prie  à  cejlefois 

Amour,  Venus,  Grâces, 
De  refuiure  encor  ces  trois. 

Leurs  pleurs j  feus,  &  glaces. 
Quand  nojlre,.. 
Sans  eftre  glacés,  ardens, 
Ny  pleur  ans,  tous  impudens 
Font  par  mainte  ejlrangeté 

Diferte,  mais  lourde, 


60  AMOVRS. 


Leur  iugement Jingeté 
Empirer  la  bourde. 
Quand  nojlre,,. 
L^ejlrangeté  qu^en  tout  poinâ 
Ils  rejingetent,  ri* ejl  point 
Sur  lesfeuls  brasiers,  glaçons. 

Larmes f  qui  leur  viennent, 
Mais  fur  tous  noms  &  façons 
Qu'eftranges  ils  prennent. 
Quand  nofire,,. 
Seulement  prifes  ne  font 
Ces  ejlrangete^  quHls  font 
Des  fables  :  mais  d'autres  cas 

Tels  quHl  faut  qu'on  voye, 
Qu*euxmefmes  ne  veulent  pas 
Qjie  leur  fonge  on  croye 
Q}tand  noftre.,. 


CHANSON 

DIVISÉE  EN   TROIS   AIRS,    ET  CHACYN   AIR 
EN    SIX    STANSES. 

AIR    PREMIER. 

Maijlreffe  que  fans  fin  ie  doue 
De  tout  mon  cœur,  que  ie  te  voue 
D^vn  vœu  qui  efi  &  fiable  &  faint  : 
N^atten  point  que  ma  Chanfon  fuiue 
Quelque  amant j  quifaflame  écriue 
Trop  difertementj  plus  atteint 
D'vne  ardeur  que  fa  chanfon  viue, 
Q}ie  de  toute  autre  ardeur  quHl  feint. 


AMOVRS.  6l 


Car  outre  encor  qu*à  la  feintife 
Ne  fut  oncq  ma  nature  aprife  : 
L*ardente  &  vraye  affedion 
Etreignant  fans  fin  monferuice 
A  ta  faueur,  qui  m^eft  propice^ 
Sort  de  plusfainâe  intention 
QMe  tout  amour  naiffant  de  vice, 
Etfapâtant  de  fiâion. 

Tels  amans  d^ejlranges  louanges^ 
De  peines,  &  plaintes  efiranges. 
Font  retentir  prefque  tous  lieux  : 
En  tachant  de  rendre  immortelles 
Leurs  Dames,  qu* ils  peignent  tant  belles, 
Que  toutes  Deejfes  des  deux 
Deuroyent  quiter,  cefemhle,  à  elles, 
Ce  que  Nature  a  fait  de  mieux. 

Comme  auffi^  par  tout  où  ils  feignent 
Uhorrible  mal  dont  ilsfepleignent, 
L^amour  ils  déguifent,  Varmans  : 
Et  tout  de  mefme  armans  leurs  Dames, 
De  mortelles  flèches,  &flames. 
Qui  entamans,  qui  confumans. 
Voire  &  empoifonnans  les  âmes. 
Retuent  fans  fin  ces  amans, 

Ainfi  ce  grand  Dieu,  quifupréme 

Fait  faire  ioug  aux  grands  dieux  mefme, 
Par  f on  arc  diuin  furmonte\, 
Nefe  voit  pas  feulement  faire 
Boute-feu,  meurtrier  ordinaire, 
Traifïre,  &  bourreau  des  cœurs  donte\  : 
Mais  leur  Damefe  voit  pourtraire, 
Vraye  Furie  en  cruaute:{. 

Lors  quHls  Vadmirent  &  Vadorent, 
Aueugle:{,  ils  la  defhonorent 


64  AMOVRS. 


De  moy  tu  ne  peux  rien  entendre. 
Qui  hors  du  vrayfoit  inuenté. 

Car  puis  que  Vheureufe  iournee 
En  qui  Vefpere^  qu^Hymenee 
Nous  ioindra  d^vn  facré  lien , 
Eft  le  feul  but  de  ma  pourfuite  : 
Il  faut  que  ma  chanfon  conduite 
Soit  du  tout  félon  le  cœur  mien, 
Qui  toute  feinte  a  interdite 
De  Vardeur  quHl  a  d^ejtre  tien. 

Si  ejl-ce pourtant  que  fans  feindre, 

Sans  trop  louer,  fans  trop  me  plaindre. 

Pour  la  louange,  ie  diray, 

Que  Vair,  &  les  traits  de  ta  face, 

Ton  port,  ton  efprit,  &  ta  grâce 

Que  fans  ceffe  Vadmireray, 

Par  amour,  dans  mon  cœur  efface 

Tout  ce  que  iamais  Vadmiray, 

Qu^ay-ie,  pour  tes  beaux  yeux  pourtraire, 
Des  rayons  du  Soleil  affaire  ? 
Ou  qu^ay-ie  affaire  de  chercher 
Valbajlre,  le  corail,  la  rofe 
L^or,  les  perles,  pour  telle  chofe 
Aux  autres  beaute:{  attacher  : 
Si  ce  qu'yen  toy  ie  me  propofe 
M^efi  plus  excellent  &  plus  cher  ? 

Diray-ie  après  la  peine  dure 
Qu^eftant  abfent  de  toy  V endure 
En  V attente  de  mon  feul  bien? 
Lequel  fi  par  quelque  inclémence 
Du  ciel,  n^efl  tout  tel  que  iepenfe. 
Ma  vie  pour  morte  ie  tien. 
Or  ta  grand'  grâce  en  ton  abfence, 
Tourne  fouuent  ma  peine  en  rien. 


AMOVRS.  63 


Mais  pour  tout  autre,  qui  forcené 
En  fa  courte  &  volage  peine, 
Vamour  ce  celefte  vainqueur 
(Sçachant  bien  f on  ame  eflre  telle) 
Dans  luy,  hors  des  enfers,  appelle 
Megere,  ou  Vvne  ou  Vautre  fœur  ; 
Qui,  pour  le  temps  perdu  ^  bourrelle 
D^heure  en  heure  ce  lâche  cœur. 

Car  voyant  délayer  la  gloire 
De  Vinique  &  faulfe  viâoire, 
Et  toutesfois  fy  ohjïinant 
Creue  de  voir  perdre  toute  heure 
Propre  à  quelque  quefie  plusfeure. 
Sans  fin  fe  rongeant  &  gefnant  : 
Mais  toujiours  Vamour  la  meilleure, 
Sans  telle  peine  va  peinant. 

Car  encores  que  malheureufe, 
Fut  telle  pourfuite  amoureufe, 
Qiti  n^ a  pour  fon  but  que  V honneur  : 
Vefprit  frujlré  de  fon  attente, 
Enfouffrant  beaucoup,  fe  contente 
A  la  fin  d*auoir  ce  bon  heur, 
Que  de  fa  pourfuite  fabf ente 
Et  tout  crime  f  &  tout  defhonneur. 


AIR    TROISIÈME. 


Or  quant  aux  louanges,  maistresse, 
Qiie  pour  toymefme  à  tous  Vaddveffe, 
D*vn  chant  diuerfement  chanté. 
Sur  tes  beauté^  qui  m'ont  fceu  prendre  : 
Et  quant  aux  plaintes  que  peut  rendre 
Mon  cœur  pris  de  telle  beauté  : 


64  AMOVRS. 


De  moy  tu  ne  peux  rien  entendre, 
Q}ti  hors  du  vrayfoit  inuenté. 

Car  puis  que  Vheureufe  iournee 
En  qui  Vefpere,  qu^Hymenee 
Nous  ioindra  d'vn  facré  lien^ 
Eft  le  feul  but  de  ma  pourfuite  : 
Il  faut  que  ma  chanfon  conduite 
Soit  du  tout  félon  le  cœur  mien. 
Qui  toute  feinte  a  interdite 
De  Vardeur  quHl  a  d^efire  tien. 

Si  eft'Ce pourtant  que  fans  feindre. 
Sans  trop  louer,  fans  trop  me  plaindre, 
Pour  la  louange,  ie  diray, 
Que  Vair,  &  les  traits  de  ta  face, 
Ton  port,  ton  efprit,  &  ta  grâce 
Que  fans  ceffe  Vadmireray, 
Par  amour,  dans  mon  cœur  efface 
Tout  ce  que  iamais  Vadmiray. 

Qu*ay-ie,  pour  tes  beaux  yeux  pourtraire, 
Des  rayons  du  Soleil  affaire  ? 
Ou  qWay-ie  affaire  de  chercher 
L*albajlre,  le  corail,  la  rofe 
L*or,  les  perles,  pour  telle  chofe 
Aux  autres  beauté:^  attacher  : 
Si  ce  qu'*en  toy  ie  me  propofe 
M''eft  plus  excellent  &  plus  cher  ? 

Diray-ie  après  la  peine  dure 
Qu'efiant  abfent  de  toy  V endure 
En  V attente  de  mon  feul  bien? 
Lequel  fi  par  quelque  inclémence 
Du  ciel,  n*efl  tout  tel  que  iepenfe. 
Ma  vie  pour  morte  ie  tien. 
Or  ta  grand"  grâce  en  ton  abfence, 
Tourne fouuent  ma  peine  en  rien. 


AMOVRS.  65 


Ainfi  qu'yen  nen  ie  tourne  encores 
La  plainte  qua-Ven  ferais  ores 
Contre  Va/pre  longueur  du  tems, 
Qjie  doncques  le  ciel  équitable, 
En  ta  beauté  tant  fouhaitable 
Rende  tous  mes  trauaux  contens  . 
Faifani  honte  par  Vamour  Jtable, 
Aux  amours  faux,  ou  inconjlans. 


CHANSON 

POVR    RESPONDRE    A    CELLE   DE   RONSARD  , 
QVI   COMMENCE    : 


le  fuis  Amour  le  grand  maiftre  des  Dieux  " 


Amour  n^eft  point  ce  grand  Dieu  qui  fous  foy 
Tient  Vvniuers  gouuerné  par  fa  loy  : 
Et  qui  enfant,  anime,  agite,  enfiame, 
Ainfi  qu^vn  corps,  tout  le  ciel  qui  nous  luit, 
Qjiepar  accords  difcordans  il  conduit  : 
Vn  corps  fi  grand*  n'auroit  fi  petite  ame. 

Ce  v^efi  céluy  qui  premier-né^  rendit 
Ordre  &  lumière  au  Chaos  quHl  fendit  : 
Et  qui  depuis  hommes  &  Dieux  maiftrife, 
Vn  autre  Dieu  ce  grand  œuure  a  bafli, 
Et  àfon  vueil  afeul  affuieti 
Toute  ame  au  ciel  &  en  terre  comprife. 

Premier  ce  Dieu  (puis  quUl  fait  tout  parfait) 
Vobfcur  Chaos  &  confus  n^auroit  fait, 
Pour  en  tirer  &  Vordre  &  la  lumière  : 
SHl  pouuoit  tout  de  fes  formes  orner, 
lûdelle.  —  II.  j 


66  AMOVRS. 


^      ^ 


Il  peut  à  tout  les  matiei^es  donner, 
Eftant  des  deux  feule  caufe  première. 
Pour  tel  ouurage,  il  luy  falloit  auoir 
Non  Vamour  feuly  mais  Vinfini  fçauoir^ 
La  pouruoyance,  &  puiffance  infinie. 
De  tout  Vidée,  &  auffi  prompt  V effet 
Q)ie  la  voix  me/me  :  Amour  donc  en  ce  fait 
Neft  qu^vnfeul  nœu  de  fi  grande  harmonie. 
Encores  c^eft  le  prendre  improprement 

Pour  Vaccordance  &  fans  commencement  :     . 
Paimerois  mieux  faire  éternel  le  monde, 
Que  faire  vn  Dieu  d^vnfeul  effet  diuin, 
Tant  qu^vn  principe  &fupréme  &  fans  fin 
On  eftablift  d^vne  caufe  féconde. 
Amour  pourroit  [fi  c^efioit  quelque  Dieu 
Naiffant  en  nous,  prenant  au  cœurfon  lieu. 
Et  de  nosfens  tirant  fa  nourriture) 
Eftre  vn  archer,  dont  nous  n'euiterions 
Le  plaifant  trait,  &  ne  refifterions 
Au  feu,  qui  prend  de  noftre  vueil  pafture, 

\  Doncques  tout  nu  fes  guerres  il  feroit. 

Car  fans  nos  fens  force  aucune  il  n^auroit  : 
Encor  nousfeuls  fes  dignes  fuiets  fommes  : 

>  Tous  animaux  qu^on  voit  voler  en  Pair, 

'  Marcher  fur  terre,  &  nager  dans  la  mer. 

Ne  fentent  point  cet  amour  propre  aux  hommes. 
Si  nos  defirs,  dont  fortent  nos  amours. 
Sont  toufiours  ioints  aux  fens  &  au  difcours, 

\  Ce  naturel  qu^on  voit  aux  beftes  eftre, 

Ne  peut  {encor  quHl  les  vienne  enflammer) 
Ce  mefme  Amour  encontre  elles  armer, 
Qpii  par  raifons  de  nos  raifons  eft  maiftre. 
Sa  paix,  fa  guerre,  S' fa  treue  fe  fent. 
Selon  quHl  eft,  &  félon  qu'ion  confent, 
Ou  qu^on  refifte  à  fes  forces  couuevtes. 
Son  feu  caché  dedans  le  fond  du  cœur, 
Faifant  monter  au  cerueaufa  vapeur. 
Tient  de  nos  pleurs  les  fontaines  ouucrtes. 


AMOVRS.  67 


Hfemble  bien  fans  la  vie  épargner. 
Dans  nojtrefangfes  deux  ai/les  baigner  : 
Mais  c'eftfouuent  la  Haine  fon  contraire, 
Quifacouplant  à  ce  mutin  petit, 
Soûle  de  fangfon  meurdrier  appétit: 
SUl  eft  donc  Dieu,  Deeffeil  la  faut  faire. 

Par  le  dehors  on  ne  pare  les  coups 
De  ce  guemer,  qui  combat  dedans  nous  : 
Q}te  feruiroit  ou  rondache  ou  cuirace? 
Nojfre  ennemi  de  nos  armes  armans, 
Flatans  la  playe,  &  mefme  nous  charmans, 
Enflons  encor  de  la  honte  Vaudace, 

Bien  que  ce  mal  ait  fait  diuerfement 

Mainte  ruine,  &  maint  grand  changement, 
Jl  ne  faut  pas  en  faire  vn  Roy  fupréme. 
Les  Rois  nUroyent  dejfousfon  ioug  captifs. 
Au  moins  gefnei(,  pâlies,  tranfis,  chetifs, 
S*ilsfe  pouuoyent  faire  Rois  de  foymefme. 

On  pourroit  bien  vn  trophée  drejfer,  \ 

De  Varc,  des  traits,  dont  il  vient  nous  bleffer^ 
Et  de  la  trouffe,  &  de  la  torche  fienne  : 
Mais  il  ne  faut  queiuy  feul  de  nos  cœurs, 
{Qui  pour  luyfont  de  foymefme  vainqueurs) 
Approprier  le  trophée  ilfe  vienne. 

Outre  que  c^efl  vne  fable,  des  Dieux 

Qu'on  feint  en  mer,  &  en  terre,  &  aux  deux, 
Et  iufqu*au  fond  de  V enfer  implacable  : 
Quand  ilsferoyent,  leurs  amours  feroyent  fainâs, 
Très-hauts,  trefpurs,  de  nul  effort  contraints  : 
Tout  Dieu  fe  rend  toujtours  àfoyfemblable. 

Laiffon  lupin,  Pluton,  Neptune  aufjt. 
Mars  &  Phebus  :  comme  cet  Amour  ci 
N^a  pas  le  vol  Jî  hautain  &fi  roide, 
QuHl  aille  au  ciel,  il  ne  defcend  en  mer. 
Pour  les  Tritons  &  poijfons  faire  aimer  : 
Telle  amour  eft  trop  ftupide  &  trop  froide. 

Etplus  ftupide  encor  V  homme  fer  oit, 

Vray  bois,  vray  roc,  qui  point  nefentiroit 


68  AMOVRS. 


«i 


«   • 


Cet  amour  propre  à  fa  haute  nature^ 
Qui  feulement  comme  aux  bejtes  ne  naift 
Du  fens  du  corps,  mais  qui  dedans  nous  eft 
De  noftre  efprit  la  propre  geniture. 
Bien  que  V efprit  de  fa  flame  alumé 

Enfoit  courtois,  hardi,  prompt,  animé, 
n  ne  faut  pas  fi  grand  maijlre  le  feindre  : 
Car  plus  fbuuent  que  nojlre  efprit  ne  doit 
Par  nojlre  efprit  maijlrifer  on  le  voit, 
Mefme  auec  luy  Vhonneftetép éteindre. 


CHANSON 


Faut  il,  Chanfon,  que  ie  defemprifonne 
^  Mon  mal  dans  moy  prifonnier  Ji  long  temps? 

Faut-il,  Chanfon,  qu^ ores  par  toy  ie  donne 
L^air  à  ce  feu,  bourreau  de  tous  mes  fens? 
^  Faut-il  rejhreindre  auiourdhuy  par  mes  plaintes 

\,  La  crainte,  helas!  qui  les  tenoit  ejlreintes? 

Faut 'il  encore,  6,  Chanfon,  que  ie  penfe 
^  Que  tu  peux  bien  porter  Ji  loing  mon  dueiU 

En  iouiffant pour  moy  de  laprefence 
De  celle,  helas!  dontVay  banni  mon  œil? 
Te  vantes  tu  qu'en  pouuant  voir  fa  face, 
Tu  pourras  voir  d^ elle  fur  moy  la  grâce? 
Ainji  qu^on  voit  deffous  les  nuids plus  fombres 
Les  voyageurs  endurer  mille  ennuis  : 
Ainjî  qu'ion  voit  fouffrir  là  bas  les  ombres 
Des  panures  morts  aux  infernales  nuids  : 
Et  comme  au  cul  des  foffes  plus  obfcures 
\i  Les prifonniers  fouffrent  cent  peines  dures  : 

Depuis  le  temps  que  Vayfenti  retraire 

De  moy  les  rais  d'vn  flambeau  nompareil  : 


AMOVRS.  09 


Depuis  le  tempit  que  Vay  laijfé  ma  Claire, 
'Dont  la  clarté  fert  (Vvn  fécond  Soleil, 
le/en  tel  dueil,  ie  fen  telles  ténèbres, 
Q}ie  mes  beaux  iours  ne  font  que  nuiâs  funèbres, 

Encor  ceux  là,  qui  fous  la  nuiâ  fouruoyent, 
Vont  efperant  de  Vaube  le  retour  : 
Encor  ceux  là,  qui  aux  foffes  larmoyent, 
Efperent  voir  de  iour  en  iour  le  iour  : 
Mais,  las  /  mon  ame  errante  &  prifonniere 
N^ofe  efperer  liberté  ne  lumière, 

Ainji  des  trois  qui  font  tous  mif érables, 
EJlans  errans,  ou  captifs,  ou  damne^. 
Les  deux  ne  font  du  tout  à  moy  femblables, 
N*ejlàns  du  tout  d'efpoir  abandonne^  : 
Refte  le  tiers  qui  mefemble  de  mefme. 
Puis  que  Vamour  ejï  vn  enfer  extrême. 

Helas  bons  Dieux,  faut-il  que  ie  condamne 
A  tout  iamais  mon  œil  d^ejlre  priué 
Defon  obieti  faut-il  que  ie  le  damne 
Auant  qu*auoir  tout  moyen  éprouué  I 
Si  mon  forfait  fans  fin  d'elle  m^ exile, 
Parracheray  mon  œil  comme  mutile  ". 

Car  fans  voir  Claire,  vn  plaifir  defirable 
A  tout  iamais  luy  feroit  déplaifir. 
Et  me  fentant  eftre  tant  miferable 
Des  deux  enfers  Vaimerois  mieux  choifir 
L*enfer  dernier  où  la  mort  nous  engoufre, 
Q}te  mon  enfer,  que  fous  Vamour  iefouffre. 

Si  donc,  ô  Claire,  ains  6  clarté  diuine. 
Le  mien  forfait  n^eft  fait  pour  Voffenfer, 
Et  fi  le  temps,  qui  tout  amour  termine^ 
Ne  peut  le  mien  tant  feulement  bleffer  : 
Si  Vaime  mieux  mes  deux  enfers  enfemble, 
Que  faire  rien  qui  déplaifir  te  femble  : 

Appaife  toy,  &  te  monftrant  Deeffe, 
Ainfi  qu'on  voit  le  grand  Soleil  des  deux 
Enluminer  ta  tourbe  pechereffe. 
Tout  auffi  bien  que  les  moins  vicieux, 


I 

*  'JO  AMOVRS. 


ï  

r  *  Fay  qu'en  m^ aimant  &  luifant  fur  ma  face 

!  De  tel  enfer  vn  paradis  fe  face, 

•  Oefi  fait  c^eftfaity  6  bien-heureux  augure, 

•  le  voy  à  gauche  vn  pigeon  blanc  voler ^ 

Signe  d'amour  :  pendant  qu^encor  i  endure 
Vn  peu,  Chanfon,  pouffe  toy  dedans  Vair, 
Ton  vol  me  foit  &  ton  retour  profpere, 

,  Autant  qu'au  vol  de  ce  pigeon  Vefpere, 


\ 


CHANSON 


POVR    LA  DEFFENSE   DE   l'aMOVR. 


Les  vers  des  amans 
(O  Amour)  parmans 
Contre  toy  de  cris. 

De  reuolte,  &  d'ire. 
Ne  nous  font  que  rire, 
Comme  d'eux  tù  ris, 

Vn  qui  fous  ton  nom 
Enroulé,  tient  bon, 
Soldat  vieil  S-  fin, 

Fuit  toutes  parolles 
De  reuoltes  foies, 
Et  en  craint  la  fin. 

Tel  encor  captif, 
Malade,  ou  chetif. 
Feint  fa  liberté. 

Et  par  fan  langage 
Dément  fon  vif  âge. 
Ou  fa  pauureté  : 

Qui  dedans  tremblant. 


AMOVRS.  71 


En  ce  faux  femblant^ 

Sa  vie  fent  bien 
Peu  franche,  peu  faine, 

Peu  riche,  qui  traine 

Son  plus  fort  lien, 
Vn  vaincu,  trainéj 

Enferré,  gefné. 

Soit  dans  la  prifon. 
Soit  daks  la  galère, 

Captif,  ouforcere. 

Perd  crainte  &  raifon  : 
Ne  pouuant  tenir 

Son  durfouuenir 

S*attaque  au  geôlier, 
L*argoufin  irrite. 

Et  en  vain  dépite 

Et  chaine,  &  colier: 
Maisfe  repentant 

Soudain,  & /entant 

Moquer  par  ces  deux 
Sa  colère  éprife. 

Mal  à  propos  prife. 

Contre  Vexce^  d'eux  : 
Sans  rien  profflter. 

Fors  que  d^augmenter 

Vapprehenfion, 
Accroijt  par  batûres. 

Outrages,  naurûres. 

Son  affliâion. 
Par  lesfangliers  vieus 

Des  trenchans  épieus 

La  pointe  fe  voit 
Souuent  dédaignée, 

Bien  qu'en  la  feignee 

Entrée  elle/oit. 
Mais  dequoy  leur  fer t 

Ce  gros  cœur,  qui  perd 

Force  auec  le  fang  ? 


/ 


72  AMOVRS. 


#   . 


•  ■ 


»  ■  *  Leur  double  deffence^ 

Ne  peut  par  nu^ame 
Garentir  leur  flanc, 
I»  Plus  vont  ^allumant,       * 

^  Plus  vont  écumant. 

Voire  tant  plus  fort 
Us  vont  par  fecouffe 
^  '';  PouffanSf  plus  fe  pouffe 

Dans  leur  corps  la  mort. 
Tes  traits  defferre^ 
W  ^,m  '  (Amour)  font  ferrè:(, 

*|^  ''  Ainfl  que  fouhyent 

I      -  ;  Les  flèches  Angloifes, 

•  Qjiifor  les  Françoifes 

Campagnes  gréloyent, 
•  Lot^  auecfoudain 

l;  -■  Mépris f  &  dédain^ 

Qftefert  d^arracher 
'.  Là  flèche  for  Vheure, 

fSi  le  fer  demeure 
Dans  Vosy  dans  la  chair? 
\  ^  Telfouuent  médit, 

Detefte^  &  maudit 
Vn,  dont  il  dépend, 
Qjii  mefate  en  Voutrage, 
\  Dedans  fon  courage . 

A  merci  fe  rend. 
Tel  veult  paffronter, 
Charger,  fermenter , 
Comme  braue  il  feint, 

Quelqu^vn  trop  plus  roide  : 
Mais  vne  peur  froide 
Au  feul  nom  Vattuint. 
Toy  Amour,  de  nous 
Pren  les  vains  courrous, 
||l  Et  feudains  mépris, 

^  En  mépris  extrême, 

Sur  nous  par  nous  me/me 


* 


•V 


■i 

I 


AMOVRS.  73 


Regaignant  ton  pris. 
Et  puis  que  des  cueurs 
Des  plus  forts  vainqueurs  j 
Vainqueur  tu  te  rends. 
De  nos  forces  vaines 
(Sans  que  tu  te  peines) 
Plus  grand* for  ce  prens, 
Souuent  on  te  fuit. 

D'autant  plus  qu*on  fuit  : 
Etfouuent  tu  fais 

Sur  ceux  quipennuyent 
De  ton  iougy  qu'ils  fuyent, 
Redoubler  ton  fais. 
Que  craindre  il  te  faut, 
Pour  tout  afpre  affaut 
Naijfant  des  defirs  ! 

Qu*aimé  tu  dois  ejlre. 
Pour  Vheur  que  font  naijire 
Tes  diuers  plaijirs  ! 
Ainji  nojlre  cœur 
A  Vamour,  &  peur, 
Efl  ejlreint  par  toy  : 

Qjtel  haut  pouuoir  doncques 
Sur  nos  faits  peut  onques 
Auoir  plus  de  loy  ? 
Si  tu  n'as  rien  mieux, 
Q]ti  dedans  les  deux 
Te  face  eJlre  Dieu, 

TelV  amour  &  crainte, 
Voire  en  nous  contrainte 
T^y  donne  ton  lieu. 
Quand  donc  en  tel  rang 
Des  Dieux  le  haut  fang 
Ne  fauroit  point  mis, 

Quand  les  doues  plaintes, 
Ou  piete^  feintes, 
7^ en  auroyent  démis  : 
Quand  ton  arc  fi  fort, 


r 


/ 


74 


AMOVRS. 


Qjte  tout  autre  effort 

Luy  cède  en  tous  lieux ^ 
Ne  Vauroit  fceu  faire 

Comme  Hercule  attraire 

Dans  ce  rang  des  Dieux  : 
Les  vifsrfentimens 

D^aifes  ou  tourmens, 

Que  prefque  à  nous  tous 
Plus  grands  tu  fais  prendre. 

Que  rien  qui  pengendre 

De  nous,  dedans  nous^ 
Puis  Végardy  quHl  faut 

Qu^vn  pouuoirfoit  haut. 

Pour  fi.  puijfammeni 
Agir  fur  vne  ame, 

QuHl  meut  &  enflame 

Plus  qu^  humainement  y 
Feroyent 


*  * 


CHANSON. 


Payfans  nulle  occafion 
De  chanter  affeâion, 
Je  veux  me  plaire,  &  ne  puis 
Voir  autour  de  moy  qu^ ennuis: 
Mon  cœur  tachant  d'' enchanter , 
L^ennuy  me  force  à  chanter: 
Mais  Vennuy  fe  rend  vainqueur 
De  mon  chant  &  de  mon  cœur. 

le  fen  de  mes  maux  le  cours 
Egal  au  cours  de  mes  iours, 
Trifte,  &  feul  ie  fouffre  émoy, 
Pour  vn  qui  m^ejï  plus  que  moy, 


AMOVRS.         '  y5 


Qui  non  plus  que  moy  iamais 
N^eut  de  repos  ni  de  pais ^ 
Duquel  pourtant  Vheur  &  bien 
Peut  tout feul  faire  le  mien, 

Mefmement  le  temps  fe  voit 
Extrêmement  trijle  &  Jroid  : 
Et  qui  pis  eft,  de  ce  tems 
Les  miferes  que  iefens. 
Viennent  par  indignité^ 
Soties,  mefchancete^, 
Plus  que  tous  mes  maux  diuers, 
Aigrir  mon  fiel  &  mes  vers. 

Si  rCefi-ce  pas  la  façon 
D^vne  gaillarde  chanfon, 
Propre  à  chanter,  à  fonner, 
A  baller,  &  à  donner 
Relâche  à  nos  durs  trauaux. 
Que  /^emplir  de  tous  ces  maux, 
Qjti  Vennuy  n^efteindroyent  pas, 
Ains  luy  feruiroyent  d^ appas. 

Si  ne  voy~ie  proprement 
De  mes  chants  autre  argument, 
Qjiif  abhorre  toutesfois 
De  mon  cœur  &  de  ma  vois  : 
Quelque  part  que  mon  perfjh' 
Diuerti  faille  adrejfer. 
Rien  ne  voit  qui  propre  foit 
A  ce  que  chanter  il  doit. 

SHlpenfe  à  Vœuure,  à  Vhonneur 
Des  deux,  de  Chrift,  du  Seigneur, 
Il  trouue  que  c'ejl  tout  Vart, 
La  couuerture,  &  le  fard. 
Dont  ce  temps  feditieux 
Mafquefon  trouble  odieux  : 
Du  bien  onfe  diuertit, 
Qtii  en  malfe  conuertit. 

D^auantage  il  n^eft  celuy 
Qui  n^en  remplijfe  auiourd^huy, 


76 


AMOVRS. 


a 


lufques  aux  plus  vils  faquins. 
Leurs  chants^  &  lourds,  &  mutins  : 
Sans  fin  Vaureille  on  rn'en  ront  : 
A  ceux  qui  degou/le:^  font, 
Comme  moy,  iamais  ne  plaift 
Ce  qui  trop  commun  nous  eft. 

Si  ie  veux  dhanter  des  Rois, 
Des  meurs,  des  vertus,  des  lois. 
Le  malheur  nous  remet  là, 
D*eflre  auiourd^huy  fans  cela  : 
Voulant  chanter  nos  débats, 
Nos  troubles,  &  nos  combats. 
Ce  feroit  me  plaire  au  fang 
Coulant  de  mon  propre  flanc. 

Si  ie  chante  les  grandeurs, 
Puis  qu'elles  ne  font  qu'aux  cœurs 
Vertueux,  &  grands,  &  francs. 
Non  pas  aux  biens,  ny  aux  rangs, 
Veu  ce  que  font  nos  François  : 
En  ce  temps  peruers  ma  vois 
Ne  plairoit,  ains  au  rebours, 
le  ne  chanterois  qu'aux fourds, 

Puisc^eft  vn  dur  fouuenir, 
Q}ie  voir  ce  qu^on  doit  tenir 
Tout  le  plus  cher  entre  nous, 
Se  laiffer  prefque  de  tous  : 
Quant  à  chanter  les  grands  biens, 
Les  rangSf  faueurs,  &  moyens 
Des  grands,  fait  tel  argument 
Propre  aux  flateurs  feulement. 

Tout  autant  m'efï  n'auoir  rien 
Qu^vfer  comme  ils  font  du  bien, 
En  leurs  hauts  rangs  ie  les  voy 
Eflre  trop  plus  bas  que  moy  : 
Je  dédaigne  tous  les  heurs, 
Tous  les  moyens,  &  faueurs 
Naiffans  du  hasard,  &  non 
Du  mérite  S-  du  renom. 


AMOVRS.  77 


Fi  des  vertus,  qui  aux  Cours 
Ont  maintenant  plus  de  cours  : 
Comme  de  tout  ignorer. 
Et  nonobftant  paffeurer 
A  donner  effrontément 
De  tout  vn  lourd  iugement  : 
Ou  bien  par  mine  vouloir 
Faire  vn  filence  valoir  : 

De  me/me  façon  morguer. 
Et  de  me/me  haranguer, 
Par  tout  en  tout  n^ayans  qu^vn 
Gefte  &  iargon  pour  chacun, 
Selon  que  différemment 
S*offre  à  leur  courtifement 
Mafqué,  apparoiftre  accords, 
D*habit,  de  cœur,  &  de  corps  ; 

laqueter,  &  bouffonner. 
Sur  autruy  fe  patronner  y 
Singes  en  dits,  &  en  faits, 
Jufques  aux  gejies  mauuais 
De  ceux  qui  ont  vogue  &  bruit. 
Car  ces  deux  tous  feuls  on  fuit: 
Eftre  à  tous  fer f,  toutesfbis 
Se  morguer  en  petits  rois  : 

Auancer  le  ne:{,  fouffler 
Ses  plumes,  fa  voix  enfler 
Et  puis  foudain,  fil  le  faut, 
La  rabaiffer  de  bien  haut, 
La  radouciffant  d^vn  ris 
Qu^on  a  tout  expre^  appris, 
Quifouuent  entre  eux  f  émeut 
Sans  fçauoir  qui  les  y  meut. 

Car  ce  quiplaifl,  à  Venui 
Efi  à^out propos  fuiui. 
La  Court  efffans  iufle  chois, 
lufte  raifon,  iufle  pois, 
Qui  pis  efi,  fans  amitié, 
Sans  droite  fans  foy,  fans  pitié , 


yS  AMOVRS. 


Chacun  à/on  proffit  tend, 
Faifant  trafique  du  vent. 
Le  vent  eft  fouuent  loyer 
De  celuy,  qui  employer 
A  voulu  fes  ans  entiers 
A  tels  indignes  meftiers. 
Si  eft'Ce  que  viure  ainji 
Ce  leur  femble,  c^eft  dUci 
La  vertu  feule,  Vhonneur, 
L^accorteffe,  &  le' bonheur. 
%  Toute  leur  vie  &  façon 

i.  N^efi  point  propre  à  ma  chanfon. 

Soit  pour  flater  les  prifanty 
^  Ou  foit  en  leur  deplaifant, 

Me  déplaire  en  mon  difcours, 
En  me  les  peignant  fi  lours, 
Tant  loing  de  toute  valeur, 
En  n^eftimant  que  la  leur. 
Quant  à  chanter  des  fecrets 
Que  les  Romains  &  les  Grecs, 
Ou  mes  difcours  plus  gaillards. 
En  tant  &  tant  de  beaux  arts 
M^ont  peu  fans  ceffe  enfeigner^ 
Us  feroyent  a  dédaigner 
Efians  enuers  tous  fans  bruit, 
Eflans  enuers  moy  fans  fruit  : 
N^eftoit  que  mon  efprit  tend 

Defy  rendre  feul  content, 

/  *  *  * 


► 


AMOVRS.  79 


CHANSON. 


O  bel  œilf  6  blanc  tetin, 
Teint  albaftrin^ 
Rouge  bouchette, 
la  P Aurore  au  teint  vermeil 
Dans  fa  rojtne  charrette, 
Sortoit  auant  le  Soleil, 
Pour  chaffer  la  nuiâ  fréchette. 
O  bel  œil,,. 
Le  verdoyant  mois  de  May 
Plus  propre  à  toute  amourette, 
Rendoit  tout  efprit  plus  gay 
De  ce  que  plus  il  appette, 
.0  bel  œil,.. 
Le  temps  eftoit  frais  ^eau  : 
Car  lors  le  Soleil  ^ts  iette 
De  fa  maifondu  Toreau, 
Vne  ardeur  freche  &  doucette. 
O  bel  œil... 
Les  boiSy  les  champs,  &  les  pre!( 
Couuerts  de  verte  herbelette, 
EJloyent  par  tout  diapré^ 
De  mainte  &  mainte  fleurette. 
O  bel  œil,,, 
Vamour  à  Voccafion 
De  Vheure  aux  amans  fecrette, 
En  mon  afftgnation 
Me  chaffa  hors  ma  chambrette.  ' 
O  bel  œil,,. 
Tout  le  ciel  fembloit  femé 
De  mainte  rofe  clairette, 
Tout  Vair  eftoit  embafmé. 
Toute  voye  verdelette. 
O  bel  œil... 


\l 


^. 


il 

•i  .  ,80  AMOVRS. 

iir 


i 


'}•  Des  ieuSf  &  des  gais  amours 

*  La  bande  gaye  &Jaffrette^ 

Auoit  ta  fini  les  tours  *• 
»;  De  fa  dancefur  Vherbette, 

\,\  O  bel  œil... 

Tout  autour  de.  moy,  ie  croy, 
Chacun  d^eux  tourne  &  volette, 
Tournant  &  menant  dans  moy 
Mon  ame  à  leur  loy  fuiette, 
O  bel  œil. . . 

i^  Mon  chemin  eftre  plus  court 

'li.  Cent  &  cent  fois  ie  fouhaitte, 

Tant  en  ma  mémoire  court 
Le  plaifir  que  ieproiette. 
O  bel  œil... 
Prés  du  iardin  fuis  venu, 
Oit  ma  Deeffe  eflfeulête, 
Et  Vhuis  défia  bien  cogneu 
JSans  faire  bruit  ie  crocheté. 
O  bel  œil,.. 
Elle  deflors  m^ attendant, 
Efcoutoit  la  chanfonnette 
Du  Roffignol^  accordant 
Ses  amours  de  fa  gorgette. 
O  bel  œil,.. 
Dans  vn  cabinet  bien  verd, 
Que  ia  par  mainte  branche tte 
Le  lafmin  auoit  couuert 
De  fa  petite  fueillette  : 
O  bel  œil... 
le  trouue  cet  obiet  beau, 
Qui  fur  fa  chair  graffelette, 
N"* auoit  fous  vn  long  manteau 
Qu^vn  crefpe  pour  chemifette. 
O  bel  œil... 
Son  aife  &  fa  crainte  font 
Qu^vn  teint  plus  rofinfe  iette 
Surfes  ioués,  fur  fan  ff'ont, 


AMOVRS.  8l 


/ 


Luftre  de  blancheur  fi  nette, 
O  bel  œil,.. 
Mais,  6  Dieu,  quel  doux  recueil 
Sa  voix  tremblante  &  foiblette 
M* a  fait  auec  foKdoux  œil, 
Forçant  mon  amepauurette, 
O  bel  œil.,. 
Dérober,  las,  ie  me  fens 
D'vne  force  doucelette, 
Ma  plus  grand*  force  &  mesféns. 
Et  rendre  ma  voix  muette, 
O  bel  œil.,. 
Mon  œil  rauip éblouit 
En  richejfe  fi  parfaite, 
S'éblouit  &  péiouit 
jyvn  œil  qui  fi  bien  le  traitte. 
O  bel  œil,,. 
Mon  cœur,  mon  fang  eft  faifi. 
Et  mon  ame  toute  attraite 
Par  Vame  d'acné,  quafi 
N'en  peult  faire  fa  retraitte. 
O  bel  œil,,. 
Voyant  nepouuoir  vfer 
De  mon  ame,  la  recepte 
O^  de  me  mettre  au  baifer. 
Qui  mon  ame  en  fin  rachepte. 
O  bel  œil,,, 
Prejfant  &  repreffant  fort 
Cefte  leure  tendrelette, 
Auecques  mon  ame  en  fort 
Son  ame  mignardelette, 
O  bel  œil,,. 
Seulement  ne  m'a  repeu 
Sa  leure  chaude  &  molette  : 
Mais  tout  cela  que  Vayfceu 
Baifer  fur  fa'  chair  doucette, 
O  bel  œil.,, 
Pay  cent  fois  baifé  ce  teint, 

lodelle.  —  II.  1 


H 


82  AMOVRS. 


Cefte  bouche  vermeillette, 
Cet  œil  qui  tout  aftre  efteinty 
Et  Vvne  &  Vautre  pommette, 
O  bel  œil.,. 
Q}te  de  rayons  précieux, 
Mais  que  de  coups  de  fagette 
Entrent  en  baifant  fes  yeux 
Dans  ma  poitrine  tendrette. 
O  bel  œil... 
Que  d'autre  riche  threfor 
Payfurfa  gorge  grajfette 
Amajfé,  mais  plus  encor 
Sus  fa  double  montagnette. 
0  bel  œil... 
Que  de  rofesy  que  de  lis, 
De  ma  bouche  trop  folette 
Ay-ie  fur  fon  teint  cueillis. 
En  fa  blancheur  rougelette. 
O  bel  œil... 
Quel  mufc,  &  quel  ambre  gris,        ^ 
Ay-ie  entre  mainte  perlette 
Dedans  fes  deux  leures  pris, 
Entr^ouurant  fa  bouchelette. 
O  bel  œil... 
Du  rejïe  ie  me  tairay  : 
Le  Roffignol,  la  logette, 
Les  ieus,  &  les  amours  V ay , 
Pour  témoins  d'amour  bien  faite. 
O  bel  œil,  ô  blanc  tetin, 
Teint  albajlrin; 
Rouge  bouchette. 


AMOVRS.  83 


CHANSON. 


le  fuis  parmi  le  trouble ,  &  le  foin,  &  Vapprefi, 
Dont  vn  iufie  deuoir  rend  ici  chacun  prefi 
A  repouffer  Verreur,  qui  renouuelle 
De  nouSf  fur  nous  vne  guerre  cruelle.         ^ 
Mais  ie  pourrois  pluflojl,  au  moins  Ji  au  befoin 
Se  pouuoit  écarter  de  moy  Ji  iujlefoin 

Mettre  en  oubli  tout  tel  deuoir  de  guerres- 
Pris  pour  mon  Dieu  y  pour  mon  Prince  y  &  fa  terre  y 
Q3ne  le  deuoir  extrême  auquel  Vamour  vainqueur 
A  tellement  pour  toy  foumis  mon  libre  cœur, 
QnHl  faut  durant  tous  lesfoucis  dHci, 
Que  toy  fans  fin  fois  fon  plus  gran  d  fouci. 
Car  combien  qu'au  premier  mon  Pais  &  mon  Roy, 
Et  mon  Dieu  mefme  étreigne  &  requière  ma  foy  : 
Elle  iCeft  point  à  ces  trois  plus  aftreinte 
Que  ie  la  fen  peftre  à  ton  ioug  étreinte. 
Car  pour  femblable  caufe  &  par  pareilles  lois 
Tu  as  pxis  deffus  moy  tel  pouuoir  que  ces  trois, 
En  tefdlfant  de  mon  amefans  ceffe 
Le  feuljeiour,  la  royne  &  la  Deeffe, 
Doncques  non  feulement  de  toy  fe  refouuient. 
Mais  bien  en  mon  abfence  en  toymefme  fe  tient  : 
Elle  tefert  comme  royne,  &  encore 
Comme  Deeffe  après  fon  Dieu  t* adore. 
Mais,  las  !  dans  toy  logée  &  fuiette  fous  toy, 
Mefme  enuers  toy  deuote,  il  faut  pourtant  qu^enfoy 
Durant  la  guerre  vne  guerre  elle  voye. 
Dont  pour  loyer  ta  beauté  la  guerroyé. 
Et  ne  faut  point  qu^ Amour  luy  prefte  pour  cela 
Uarc,  la  troujfe,  les  traits,  ny  leflÊhtbeau  qàUl  ha  : 
Car  contre  moy  dHnceffables  alarmes 
Elle  me  fait  combatre  de  mes  armes. 
De  Vœil,  le  fens  fubtil,  qui  le  premier  receut 


84  AMOVRS 


Dans  foy  telle  beauté  que  pour  obiet  il  eut, 
Efi  celuy-là  qui  dedans  Vante  mienne 
Affault  fes  fens  auecla  rai/on  Jienne, 
Le  foudain  iugement  que  mon  œil  tout  épris 
Feit  prendre  à  mon  efprit,  dans  tes  nœus  deia  pris. 
Qui  eft  pour  vray,  que  grâce  &  beauté  telle 
Pajfoit  en  tout  grâce  &  beauté  mortelle, 
Eft  vnfort  champion,  qui  fans  fin  retournant 
En  Vaffault,  &  dedans  fans  ceffe  redonnant, 
Force  cela,  qu'yen  fi  roide  rencontre 
Peut  la  raifon  oppofer  à  V encontre. 
Puis  Vapprehenfion  qui  par  tel  iugement^ 
Imagina  dans  foy  Vobiet  fi  viuementy 

Qu'elle  engraua  dans  mon  cœur,  dans  mon  ame, 
Pour  fon'' trophée  vne  éternelle  fiame, 
Eft  celle  qui  encor  par  vn  droit  bien  acquis, 
Veultfans  ceffe  r^auoir  le  fort  qu^elle  a  conquis, 
Si  tant  foit  peu  mon  ame  &  mon  cœur  ofe 
Appréhender  quelque  contraire  chofe  : 
Si  tant  foit  peu  le  loifir  l'engourdit, 
Si  tani  foit  peu  la  peur  le  refroidit. 
Ou  fi  quelque  autre  égard,  plaifir,  affaire. 
Le  vient  de  toy  par  reuolte  diftraire,  ^ 


ELEGIE. 


Madame,  fi  iamais  ma  douce  liberté 
Deffous  ta  dure  main  efclaue  n^euft  efté, 
Si  faimant  feulement  d^vne  faulfe  apparance 
le  n'euffe  efté  captif  au  vray  fous  ta  puiffance, 
Eftant  en  ton  endroit  feint  &  de  double  cœur, 
Plus  toft  que  vray  amy  &  loyal  feruiteur  : 
Et  fi  fans  me  piquer  &  fans  iamais  me  prendre, 


AMOVRS.  85 


Peujfe  voulu  tacher  amoureufe  te  rendre, 
Toufiours  feignant  beaucoup  &  n^ aimant  que  fort  peu, 
Brûler  dedans  la  glace,  &  glacer  dans  le  feu, 
Ha  ie  ferois  encor  bien-heureux  en  ta  grâce, 
Comme  Vejlois  auant  que  fi  fort  ie  faimaffe! 
Ou  ne  ferois  à  toy  fi  fort  ajfubieti, 
Qjie  ie  ne  puijfe  prendre  ailleurs  autre  parti  : 
Ains  demeurant  toufiours  mon  cœur  en  fa  franchife. 
Sans  que  Veujfe  efté  pris,  ie  te  tiendrois  éprife. 

Mais,  d'autant  que  Vay  mis  fans  fart,  fans  fiâion, 
En  toy  feule  mon  cœur  &  mon  affeâion  : 
D'autant  que  ie  me  fuis  d^vn  cœur  trop  volontaire 
Rendu  à  toy  captif  plus  que  n'eft  le  forfaire. 
Et  que  tu  as  cogneu  que  ie  n'auois  en  moy 
Autre  efpoir,  autre  amour,  autre  defir  qu'en  toy, 
Tuasfoudain  de  moy  defiourné  ton  courage. 
Et  ce  qui  te  deuoit  encore  d'auantage 
Efmouuoir  à  Vamour  &  ton  cœur  enflammer. 
Cela  fa  fait  du  tout  delaiffer  à  m' aimer. 

En  toy,  qui  par  auant  m'eftois  fi  fauorable, 
Pay  veu  vn  changement  fi  bifarre  &  muable. 
Que  de  ton  feu  premier  ie  n'ay  point  apperçeu 
Rien  que  la  cendre  morte  en  la  place  du  feu  : 
Et  ce  qui  fa  ainfi  légèrement  changée. 
Ce  dont  tu  fes  fentie  eftre  plus  outragée. 
Et  ce  qu'à  mon  amour  m'a  fait  vn  plus  grand  tort, 
N'eft  finon  mon  amour  trop  ardent  &  trop  fort. 
Si  ie4^eujfe  porté  l'amitié  froide  &  lente, 
La  tienne  en  euft  efté  beaucoup  plus  violente, 
Si  bien  que  fans  aimer  i'eujfe  aifément  acquis 
Ton  amour,  qu'en  aimant  aquerir  ie  ne  puis  : 
Et  fi  4'euffe  voulu  diffimuler  &  feindre 
jyvncœur  traiftre  &  mef chant,  &  d'vn parler  non  moindre, 
le  n'euffe  efté  de  toy  aimé  tant  feulement. 
Mais  ie  t'eujfe  trompée  auffi  bien  aifément, 

le  fçay  ce  que  l'on  dit,  iefçay  ce  qu'il  faut  faire 
Pour  pouuoir  lafchement  les  courages  attraire  : 
Iefçay  lafotte  rufe,  le  langage  commun, 


;l 


■| 


88  AMOVRS. 


De  point  ne  larmoyer  Je  pourroit  contenir? 

le  dépite  le  ciel,  la  fortune  cruelle, 

Le  deftiny  &  le  fort  ^  qui  pour  eftrefldelle 

M'ordonnent  maintenant  d^ endurer  plus  grand  mal. 

Que  fi  Vauois  eflé  pariure  &  defloyal. 

le  dépite  V enfer,  car  il  n'efl  pas  poffible 

De  me  faire  fouffrir  vn  tourment  plus  horrible. 

Pour  le  iujle  loyer  d*vn  damnable  forfait, 

Que  celuy  que  ie  fens,  pour  auoir  fatisfait 

Au  deuoir,  à  V amour,  &  à  cejte  promeffe 

Qjie  ie  dois,  que  ie  porte,  &  garde  à  ma  maijlreffe  : 

Et  faut  fans  trouuer  foy  en  elle  ny  amour, 

Que  ie  luy  fois  fidelle  &  V aime  fans  feiour  : 

Et  que  fans  nul  efpoir  de  recouurerfa  grâce, 

En  ce  cruel  enfer  ma  ieuneffe  fe  paffe. 

Sans  pouuoir  relier  ma  defiointe  moitié, 

Ny  fans  pouuoir  ailleurs  chercher  d^ autre  amitié. 


/ 


ODE 

SVR   LA   DEVISE   DE   NŒV  ET   DE   FEV". 

Quand  ce  grand  Macedon  laijfa  fan  Emathie, 
Pour  ranger  fous  fa  main  Vvne  &  Vautre  partie 

De  ce  grand  vniuers. 
Et  borner  les  confins  de  fa  terre  natale, 
En  tous  lieux  où  Titan  fa  fommité  détale 

Aux  deux  pôles  diuers  : 
Animé  du  defir  des  vidoires  futures. 
Et  d'en  eflre  affeuré  par  la  voix  des  augures 

Et  oracles  des  Dieux  : 
Veit  le  temple  d'Hammonfur  les  chaudes  arènes 


AMOVRS.  89 


De  V Egypte  brûlante,  outrepaffant  les  plaines 

Des  plus  étranges  lieux, 
n  veit  de  Gordian  la  royale  charrette. 
Qui  eftoit  defon  heur  la  fatale  prophète. 

Et  le  nœu  merueilleux  : 
Nœu  tellement  feé  quHl  promettoit  lefceptre 
De  Vopulente  Afie  à  qui  feroit  le  maijlre 

De  fon  tour  cauteleux. 
Mais  le  fils  de  V Olympe  impatient  d* attendre, 
Depouuoir  de  ce  nœu  les  cordelles  eftendre. 

Fit  que  le  couftelas 
Termina  le  deftin  iufqu^à  lors  inutile. 
Tranchant  le  labyrinth,  &  la  corde  fuhtile 

Du  fâcheux  entrelas, 
Eftant  le  nœu  deffait,  il  peut  aujfi  deffaire 
La  Perfienne  armée,  &  les  forces  de  Daire, 

Et  de  Pore  Indien, 
Pouffant  outre  le  Tygre,  outre  Euphrate,  outre  Gange  y 
Et  outre  Tanaîs  la  fameufe  louange 

Du  Macédonien, 
Ce  nœu  refit  depuis  le  Feuure,  qui  martelle 
Dans  VjEthnean  fourneau  la  brûlante  efiincelle 

Du  foudre  rougiffant  : 
Lors  que  le  Dieu  guerrier  de  ta  belle  Cyprine 
Preffoit  Viuoire  blanc,  lefein,  &  la  poitrine, 

Sur  le  lia  gemiffant, 
Cupidon  Veut  après,  Cupidon  qui  en  lie 
Les  cœurs  des  amoureux  en  fa  douce  folie. 

En  fa  foie  douceur  : 
Et  ce  nœu  eftfi  fort,  qui  captifs  les  peut  rendre, 
Que  pour  le  délier  dWn  fécond  Alexandre 

Cefferoit  la  valeur  : 
Nœu  qui  toufiours  efi  nœu,  &  pour  croiftré  fa  force 
U  le  voulut  douer  d^vne  nouuelle  amorce, 

Et  luy  donner  le  Feu  : 
Feu  qui  brûle  fans  ceffe  &  ne  fe  peut  efleindre. 
Ne  pouuant  toutesfois  auec  la  flamme  atteindre 

Au  Dédale  du  Nœu, 

6' 


\ 


9° 


.;'  Seroit-ce  point  ce  Naeu  qui  te  fert  de  deuife? 

'.  '      Seroit-ee  point  ce  Feu  qui  lu  cordelle  attifef 

■L  Ouy,  mais  autrement 

l  1                                               Car  la  feule  vertu  eji  le  Ncbu  Gordien, 

j!  Qui  à  ton  amejerld'vn  immortel  lien 

■:  Plein  de  contentement 

T  Si  le  Feu  f_ft  d'amour   c'eji  d'vn  amour  kantfte. 

Amour  5111  eJi  liée  S  du  tiaeu  &  du  eefte 

J  I>'vne  cha/le  Venus  : 

\  Auffi  Ion  Nau  Ion  Feu  ioufiours  auront  durée, 

1  Tandis  que  Ion  verra  en  la  voûte  etheree 

f  La  clarté  de  Phebua, 


CONTR'AMOVRS 


91 


I. 


Vous,  6  Dieux,  qui  à  vous  prefque  égalé  m^aue:(, 
Et  qu^on  feint  comme  moyferjs  de  la  Cypvienne. 
Et  vous  doues  amans,  qui  d'ardeur  Delienne 
Viuans  par  mille  morts  vos  ardeurs  écriue:^  : 

Vous  efprits  que  la  mort  n^a  point  d*amour  priue^, 
Et  qui  encor  au  frais  de  Vombre  Elyjienne 
Rechantans  par  vos  vers  vojire  flamme  ancienne. 
De  vos  pâlies  moitié^  les  ombres  refuiue:(  : 

Si  quelquesfois  ces  vers  iufques  au  ciel  arriuent. 
Si  pour  iamais  ces  vers  en  noflre  monde  viuent, 
Et  que  iufqt^aux  enfers  defcende  ma  fureur. 

Appréhende^  combien  ma  haine  efk  équitable. 
Faites  que  de  ma  faulfe  ennemie  exécrable 
Sans  fin  le  Ciel,  la  Terre,  &  V£nfer  ait  horreur. 


92     '  CONtKA'AMOTRS. 


j 

P 


li. 


O  Toy  qui  as  &  pour  mère  &  pour  pere^ 
De  Jupiter  lefainû  chef,  &  quifiUs 
Qftand  il  te  pUdft^  &  Ut  guerre,  &  lapaix^ 
Si  iefuis  tien,  fljeul  ie  te  reuere. 

Et  fi  pour  tojr  ie  dépite  la  mère 
Du  faux  Amour,  qui  de  feux,  &  de  traite. 
De  paix,  de  guerre,  &  rigueurs,  &  attraits 
Tachoit  plonger  ton  Poète  en  mifere, 

Vien  vien  ici,  fi  venger  tu  me  veux. 
De  ta  Gorgone  éprein  moy  les  cheueux. 
De  tes  Dragons  Pordepance  prejfure  : 

Enyure  moy  du  fleuue  neuf  fois  tors, 
Fay^moy  vomir  contre  vne**,.  telle  ordure. 
Qui  plus  en  cache  &  en  Pâme,  &  au  corps. 


III. 

Dés  que  àe  Dieufouhs  qui  la  lourde  maffe 
De  te  grand  Tout  '  hvuillé  pécartelà. 
Lés  deux  plus  hauts  clairement  étoila, 
Et  d*animaulx  remplit  la  terre  baffe  : 

Et  dés  que  V Homme  au  portrait  de  fa  face 
Heureufement  fur  la  terre  il  moula. 
Duquel  Vefprit  prefqWau  fien  égala, 
Heurant  ainfi  fa  plus  prochaine  race  : 

Helas  ce  Dieu,  helas  ce  Dieu  vit  bien 
Quel  deuiendroit  cet  homme  terrien, 
Qui  plus  en  plus  f on  intelleâ  furhauffe. 

Donc  tout  foudain  la  Femme  va  baftir, 
Pour  afferuir  Vhomme  &  Paneantir 
Au  faux  cuider  d'vne  volupté  faulfe. 


contr'amovrs.  93 


un. 

le  nCétoy  retiré  du  peuple,  &  folitaire 

le  tachoy  tous  les  tours  de  iouir  fainâement 
Des  celeftes  vertus^  que  iadis  iuftement 
Jupiter  retira  des  yeux  du  populaire. 

la  les  vnes  venoyent  deuers  moyfe  retraire j 
Les  autres  Vappelloy  de  moment  en  moment, 
Quand  V Amour  traiftre,  helas!  (las  trop  fatalement  !) 
Tefeit,  6  ma  Pandore ^  en  malV heure  me  plaire  : 

le  vy^  ic  vins^  ie  prins,  mais  m'ouurant  ton  vaiffeau. 
Tu  vins  lâcher  fur  moy  vn  efquadron  nouueau 
De  vices  monftrueuXj  qui  mes  vertus  m^emblerent. 

Ha,Ji  les  Dieux  ont  fait  pour  mefme  cruauté 
Deux  Pandores,  aumoins  que  n*as-tu  la  beauté, 
Puis  que  de  tout  leur  beau  la  première  ils  comblèrent! 


V. 


Myrrhe  bruloit  iadis  d'vne  flamme  enragée, 
Ofant  fouiller  au  lia  la  place  maternelle  : 
Scylle  iadis. tondant  la  tefle  paternelle, 
Auoit  bien  V amour  vraye  en  trahifon  changée  : 

Arachne  ayant  des  Arts  la  Deeffe  outragée, 
Enfloit  bienfon  gros  fiel  d^vne  fierté  rebelle  : 
Gorgon  fhorribla  bien,  quand  fa  tefte  tant  belle 
Se  vit  de  noirs  ferpens  en  lieu  de  poil  chargée: 

Medee  employa  trop  f es  charmes,  &  fes  herbes, 

Quand  brûlant  Creon,  Creufe,  &  leurs  palais  fuperbes. 
Vengea  fur  eux  la  foy  par  lafon  mal  gardée. 

Mais  tu  es  cent  fois  plus,  fur  ton  point  de  vieillejfe, 
Pute,  traitreffe,fiere,  horrible,  &  charmer effe, 
Qtie  Myrrhe,  Scylle,  Arachne,  &  Medufe,  &  Medee. 


96  CONTRE 


Jamais  ne  fut  affe^  en  fon  vray  los  tenue 
Ny  pratiquée  au  vray  y  ny  mefme  au  vray  cogneué 
D'amour  la  claire  torche  :  &  ce  noir  brandon  ci 
Ne  peut  eftre  aborré,  ne  peut  eftre  obfcurci 
D^vne  exécration  f  qui  ajfe^pour  luy  vaille, 
Puis  que  contre  les  loix  de  Nature  il  bataille. 
Si  tout  bien  de  Nature  eft  fur  tous  biens  facré, 
Tout  mal  contre  elle  foitfur  tous  maux  exécré  : 
Quoy  que  ie  couure  ou  monfire  amour,  iamais  rCappaife 
Au  foyer^e  mon  cœur  Vafpre  &  Vocculte  braife. 
Dont  V effort  plus  contraint  fe  rend  d'autant  plus  chaud  : 
Et  comme  ces  Démons  qui  font  du  rang  plus  haut, 
Et^u^on  croit  dans  le  feu  dernier  élément  viure, 
Mon  efprit,  qui  leur  haut  naturel  femblefuiure, 
Deufl-il  fentir  fon  corps  confumer  peu  à  peu. 
Brûlant  d'amour  ne  peut  viure  ailleurs  qu'en  fon  feu, 
Laflame  aux  deux  volant,  vient  des  deux,  &  nofire  ame 
Eft  plus  celefte  alors  qu'elle  encloft  plus  de  flame  : 
Mais  comme  ie  me  laiffe  à  toute  heure  attifer 
Tel  foyer  qui  prochain  vient  mop.  ame  embrafer. 
Aimant  mefme  vn  amour  qui  agréant  molefie  : 
Cet  autre  amour  contraire  à  V amour  ie  detefte, 
le  hay,  ie  fui,  Vaborre  vne  Riere^Venus, 
Dont  les  feus  puis  n^aguere  en  France  font  cognus  > 
Car  le  brandon  qu'vn  cœur  fous  nqftre  Amour  endure 
S'allume  dans  le  ciel  de  flame  haute  &  pure. 
Telle,  comme  ie  croy,  que  peut  auoir  aux  deux 
Pour  les  Dieux  &  pour  nous  le  feul  œil  de  tous  yeux  : 
Le  ciel,  le  feu,  Vair,  Veau,  la  terre,  &  ce  qui  mefme 
Ou  dans  noflre  bas  Globe  ou  dans  tout  rond  fupreme, 
Difcourt  &  fent  &  croifl,  fait  hommage  au  brandon 
D'amour,  &  ce  grand  Tout  n'efl  rien  fans  Cupidon, 
Qui  feul  fait  &  repare  &  maintient  ce  qu  enferre 
Enfoy  le  ciel,  le  feu,  Vair,  &  Vonde,  &  la  terre ^ 
Au  rebours  du  brandon  horriblement  infet, 
Qui  ne  fait  aucun  œuure  iffir  de  fon  effet. 
De  Nature  la  haine  &  Voutrage  exécrable  : 
D'autant  qu'à  celuy~là  de  Megere  femblable. 


LA     RIERE-VENVS.  97 

f  — ■ 

np allume  la  bas  aux  brandons  inhumains, 
FumeuSfPuanSyfanglans,  dont  fàorriblent  les  mains 
Des  fœurs,  qui  pour  cheueuxfur  leur  chefamoncelent 
Leurs  hideux  couleureaus,  &  qui  tantoft  bourrelent 
Les  coupables  efprits  de  ces  feipens  rongeurs. 
Arrache^  d'vn  tel  poil,  ou  de  ces  feus  vengeurs, 
Qjii  vn  poifon  de  rage  &  puanteur  font  prendre 
Au  brandon  qu^ Amour  faux  deffus  eux  fait  épandre  : 
Oejt  pourquoy  fon  effet  des  faux  cœurs  enchanteur, 
Leur  fait  <Vvne  or  de  rage  aimer  la  puanteur. 
Lâche  &  vilain  fe  voit  le  defir  qui  endure 
Son  contentement  propre,  auoir  pour  but  Vordure, 
Et  que  cela  qui  mefme  au  contentement  fort, 
Doiue  auecques  Vordure  aller  au  lieu  plus  ord  :  ^ 

Qjû  telle  Venus^monftre  eftre  d^embas  yffue^ 
Puis  qv?au  fond  de  la  terre  elle  eft  encor  receue, 
Qfte  donc  V Amour  hautain  mette  en  cendre  mon  cœur^ 
Non  pas  vue  infemalle  &  furialle  ardeur. 
Comme  maint  otfillon  approchant  d'auantage 
L^ardent  Soleil,  fon  chant  enfon  chaud  encourage  : 
Comme  vn  Grillon  noâume  efk  au  chant  enflammé. 
Tant  plus  ilfent  au  foir  fon  foyer  allumé  : 
Et  comme  la  Cygale  au  fort  de  VEflé  chante. 
Tant  plus  la  challeur  eft  &  brûlante,  &  fechante  : 
Sur  mes  heurs  malheureux,  fur  mes  gayes  douleurs, 
le  fay  maint  chant  diuers  au  millieu  des  chaleurs. 
Et  fans  fin  pour  V  amour,  quifes  cruels  alarmes 
Refrefchit  dans  mon  cœur^  ie  pren  mefme  les  armes 
Deffendant  mon  tyran  :  mais  ne  pouuant  aimer 
L'autre  amour ^  contre  luy  ie  veux  mes  chants  armer 
De  plus  fort  en  plus  fort.  Car  tout  bon  cœur  ne  fouffre 
Ce  feu,  non  plus  qu^vnfeufe  dégorgeant  du  fouffre 
Que  la  bouche  du  mont  Sicilien  rendrait 
Alors  que  plus  de  fouffre  en  fon  ventre  fondroit  : 
Non  plus  que  desferpens  chaque  efpece  prochaine 
Du  Bafilic,  ne  peut  endurer  fon  haleine, 
De  Vhaleine  &  non  pas  du  regard,  comme  on  feint ^ 
Ce  royal  ferpenteau  la  vie  en  eux  efteint: 

lodelte,  —  II.  7 


98  CONTAE 

Non  pltis  que  Vair/wtant  des  m^es  crQupiJfsmies, 
Ou  VairjpUa  eorrcmpu.Âe$  cloaques  pumntes  : 
Non  plus  qu^  la  fumée  emmi  les  cfumps/a^rUtni, 
ï^vn  /tu  fait  de  toute  herbe  &  tout  bois  mal, /entant ^ 
Ou  ces  fortes  vapeurs  par  médecine  extraites 
Des  drogues  que  Um  trouue  entre  autres  piu^  infetes  : 
Non  plus  que  des  ferpens  plus  chauds  &  piuf  vU^^s, 
JLef  repaires  qui  font  <feftrange  çdeur  toifi  pleins^^ 
Ou  des  porcs  engrf^e^ç  le  tet  plusr^ordmaii^^ 
Ou  d'autres  animaux  plus, puants  fe  repaire  i 
Et  non  plus  qu^im  ^ffi^  clufrongnemx  de  ces  corpft 
Soit  d*anhnaux  puantSf  oufoit  deferpen^  ^ort.*» 
Horreur  mefmit  aux  o^féaux  &  .b^e9  c^n^ier^f 

i'  Nepeuteftreeudutà.paitAei.^pim9^€kMnfpùfres*.... 

!;  Mefme  à  fin.  ^Myùgmttt  toutes  amresfeff^mtirs^  /\, 

Pappropmàeél fÊitfes propres puknHUxt^\  .^.' 
ip  Nom  plus  que  cela  mefine  em  qièi  fomàeni  fefàmiUe  . . 


!l 


i  Ce  crime f  qui  Pordure  aimCf  reckèfrdm  ^  fomllq 


DefbrtpréSi  &  long  temps  ne  peut  efire  foti^fert  .... 
Z>*yit,  qffi-par  punaifie  au  nukins  tel  fenà  ne.peifdè i .      i. .  •. 
«  Vàme-atmantke  »erfus.  abomine  Ucritne  . 
«  Plus  qtCvnbotk  ne^  Uoden^r  ne  f€iem  pu  efUme*  » 

Si  donc  M  mm09Meus^^/alê  échauygement 
Hors  mou  ame^AMour^t^e.  enéor  plue  ardem^imf 
Par  vn.beaû  céwtr^fm.  de  me»  amontf-Jf,  ch^ge^ .'. 
QsûardeÊuàutnt  vim  auiomr  par:.  cU«  ne.  JP^mJbrafffi.  :■ 
H  faut  bien  que  nîon  chant ^  puifi  qu^ettces  veretoujtours 
Poppofe  Vamour  noftre  aux  nnmfirueux  amours, 
Face  prendre  à  tous  ceux  qui  hâtent  tflle  pejle,  . 
Vn  fi  grief  contre^ccsur  du  mal  que  ie  detefle,. 
QuUl  puijfe  encorpaffer  la  pitié,  la  faueur, 
La  iufte  bien  vueillance  &  V ardente  ferueur, 
Qu*en  écriuant  d^amour  te  veux  grauer  en  celle, 
Qui  fait,  quifçait  mon  feu^  qu^etu  decouurant  ie  celé. 
En  ceci  ie  V implore,  elle  qui  iufte  doit 
Par  pitié  bienheurer  ma  ferueur,  qu'elle  voit 
Si  bien  à  la  chaleur  de  ma  vie  ^nç  eftreinfe, 
Q^e  Vvne  en  moy  ne  peut  fe  voir  fans  Vautre  efteinte  : 


\ 


LA    RIERE-VENVS.  99 

Si  bien  qvhm  tel  tortisfe  croifant.  Je  laçant 

De  cent  nœusy  &  dans  Vair  en  ma  mort  Je  haujfant. 

Fera  voir  tout  d^vn  coup  mon  amour  &  ma  vie 

En  deux  pointes  de  feu  iujques  au  ciel  rauie, 

le  voudrais  qu^en  voyant  bouillir  mon  Jiel  Ji  fort , 

Contre  vn  Jbrfait,  qui  fait  aux  Dames  tant  de  tort, 

Et  qui  peut  mejme  faire  aux  François  de  nojire  âge 

Trop  plus  qu'à  la  Nature  &  aux  Dames  d'outrage  y 

Elle  vint  tout  enjemble  ici  fauorijer 

Ce  qui  peut  &  mon  fiel  &  mon  cœur  attijer^ 

Mon  fiel  tout  plein  de  haine  encontre  ceci  fbrte, 

Moftcœur  tout  plein  d^amour  quUmmortel  ieluy  porte. 

Et  qu*auec  moy  iurant  en  mon  meJme  dejfein^ 

Elle  fift  plus  que  moy  y  qui  fuis  de  courroux  plein  : 

Si  bien  qu'en  fe  ioignant  aux  Deeffes  plus  belles. 

Se  voilans  de  ces  noms  Dames  ou  Damoyfelles, 

Elle  fift  que  chacune  vfafl  du  haut  pouuoir  1 

Qu^on  leur  voit  contre  nous  en  nojlre  amour  auoir  : 

Au  moins  Ji  leur  bel  œil  &  leur  pudique  oreille 

Pouuoyent  ouir  &  voir  cefte  horreur  nompareille, 

Par  V éclat  de  leurs  yeux  qui  peut  mefme  eclarcir 

Tous  les  cteux,  &"  d'éclairs  toute  flame  obfcurcir, 

Rauirfoudain  du  ciel  des  Dieux  Vame  immortelle. 

Et  des  humains  porter  au  ciel  Vame  mortelle. 

Forcer  mefme  aux  enfers  Pluton  de  les  aimer  : 

Pour  amortir  ce  feu  qui  nous  vient  diffamer. 

Elles  viendrôyent  eftans  iujkement  irritées, 

Et  dans  ces  vers  encor  par  mon  ire  excitées, 

Efteindre  telle  rage  :  en  faifant  par  beauté^ 

Tel  obfcur  brillement  céder  à  leurs  clàrtaç, 

Voire  armant  pour  chaffer  telles  forceneries, 

Au  ciely  terre  &  enfers,  Dieux,  &  Rois  &  Furies. 

Mefme  aux  premiers  arrefts  par  leur  grandeur  donne\ 

Contre  ceux  qu^on  verroit  du  crime  foupçonnes^, 

Elles  les  priueroyent  pour  iamais  d} auoir  place 

En  leurs  yeux,  en  leur  cœur,  en  leur  mémoire  S-  grâce, 

Tant  qu'elles,  que  Ion  croit  de  Nature  Vhonneur, 

Defon  beau  le  plus  beau,  V  heur  plus  grand  de  fon  heur, 


lOO  CONTRE 


De  Nature  les  fleurs,  &  plus  dignes  richeffes. 
De  Nature  par  moy  Je  feijfent  vengereffes  : 
Mais  elles  ne  voudroyent  honieufes  en  ceci 
Entendre  le  feul  nom  de  cefte  hideur  ci. 
Tout  François  vrayment  noble,  à  qui  la  force  grande 
Des  Dermes  &  d"* Amour  par f on  vrayjens  commande, 
Du  nom  &plus  du  fait  prendra,  ce  croy-ie,  horreur. 
Sans  me  lire  &  fans  prendre  en  mes  fureurs  fureur  : 
Moymefme  ie  ne  puis  dans  vn  tel  chant  me  plaire. 
Qu'à  bon  droit  &  pour  bien  iefuis  contraint  parfaire 
Sans  peine  &  fans  plaifir,  Souuent  Vafpre  courrous 
Maint  difcours prompt  &  haut  peut  pouffer  hors  de  nous. 

La  preftreffe  à  Phebus  quand  ce  Dieu  la  poffede. 
Par  Jbrhe  à  la  fureur  de  fes  oracles  cède  : 
Elle  fent  en  fa  langue  vn  forcé  mouuement. 
Changement  en  fon  corps,  nouueau  tranfportement 
En  fon  efprit  prophète,  en  fa  poitrine  enfleure. 
En  fa  face,  en  fes  yeux  mefme,  en  fa  cheueleure, 
Palleur,  terreur,  meflange,  &fans  aucun  plaifir 
Met  hors  ce  qui  luy  vient  efprit  &  corps  faifir, 
Oeft  malheureux  fuiet  que  de  voir  ou  d'entendre, 
D^écrire  ou  de  parler,  ce  qui  l'horreur  engendre. 
Tout  ord  &  vilain  vice  en  foy  ioufiours  a  eu 
Deplaifance  efiant  dit,  &  croiffance  eftant  teu,  ^ 

Qjiand  Vinftind  de  V Amour  ranimant  dans  moymefn\e 
L^ autre  ardeur  de  chanter  Vembrafement  extrême, 
M^offre^  ainfi  double  feu  :  Vvn  dont  Vamour  nous  ard, 
L^ autre  dont  Apollon  nous  échauffe  en  fon  art, 
Faifant  au  feu  premier  fi  viue  clarté  rendre, 
QuHl  puîffe  après  la  mort  éclairer  nofire  cendre, 
le  m'égaye  en  ces  feus,  bien  quHls  m'aillent  brûlant. 
Comme  fur  le  mont  d^Oete  vn  grand  Hercule  allant 
Par  brulement  au  ciel,  lors  qu'*vne  flame  telle 
Purgeant  fa  chair  diuine  eufi  brûlé  fa  mortelle  ; 
Ou  comme  cet  oifeau,  qui  pour  renouueller 
Sa  vie  vient  foymefme  après  mil  ans  brûler. 
Car  telle  ardeur  d'amour  qui  aux  grands  cœurs  vient  naifire, 
Rencontrant  Vautre  ardeur  chajfe  le  mortel  efij-e, 


LA    RIERE-VENVS.  lOI 

Nous  porte  dans  le  ciel,  gaignant  par  vn  tourment. 
L^etemité  qui  fort  d'vn  hardi  brulement, 
Tant  que  de  nojtre  cendre  à  la  mort  afferuie, 
Defiecle  en  Jiecle  on  voit  renouueller  la  vie, 
Quife  rend  par  pareil  &  perpétuel  cours 
De  mémoire  aux  deux  noms,  aux  vers,  &  aux  amours: 
Ce  qu* attendre  ie  puis,  non  ceux  dont  on  decœuure 
Auant  la. mort  mourir  les  vers,  Vamour  &Vœuure, 
Bien  qu'ils  fe  vantent  tous^  Jinges  de  hauts  efprits, 
D*etemifer  leur  nom  y  leur  Dame  &  leurs  efcrits  : 
Ce  cher  loyer  des  Dieux,  de  Nature,  &  des  aftres, 
N*eft  pas  pour  les  labeurs  des  mal-ne:{  •'  poétaftres. 
Moy  donc  eftant  épris  de  ces  deux  diuinsfeus, 
le  donne  à  V heure  vn  ftile  aux  vers  tel  que  ie  veus, 
Pouuant  tourner  ma  Mufe  en  mainte  &  mainte  forme, 
Comme  quand  vn  Prothee  en  cent  façons  fe  forme. 
Comme  Achelois  fentant  V effort  Herculean, 
Comme  Thetis  fuyant  Vautre  effort  Pelean, 
L'ample  fuiet  d'amour  prefque  encloff  toute  hcofe, 
Qjte  tout  autre  fuiet  à  nos  d{fcours  propofe  : 
Luy  des  Dieux  premier  né,  nous  fait  parler  des  Dieux, 
Rechercher  leur  fuhjiance  é  compaffer  les  deux 
S*accordans  par  iuy  feul,  tellement  que  fans  peine 
Là  haut  de  cercle  en  cercle  vn  hautfens  il  pourmeine. 
Pour  commencer  Veffence  &  les  cours  &  les  rangs 
Des  aftres  arrefte:^,  &  des  aftres  errans  : 
Luy  qui  eft  tout  flambant  &  noftreflame  eguife. 
Nous  porte  dans  laflame  après  les  deux  aff\fe 
Au  plus  haut  defon  monde,  &  luyfeul  infpirant 
Uair,  que  nous  refpirons,  en  Vair  nous  va  tirant, 
Puis  fur  toutes  les  mers  nous  dreffe  vn  nauigage, 
Oùfouuent  noftre  efpoir  par  luy  fouffre  vn  naufrage, 
U  rompt  f on  vol  &  vient  fur  terre  fe  ficher, 
Pour  dedans  &  dehors  la  flame  rechercher  : 
Soit  tel  qu'on  feint  ou  non,  proffitahte  eft  la  feinte 
Par  qui  prefque  de  tout  la  fcience  eft  attainte, 
Luy  donc  qu'on  fait  auffi  de  toute  vie  autheur, 
Comme  on  le  fdnt  auffi  Vautheur  &  le  moteur. 


V 


lOa  CONTRE    LA    RlfiRE-VENVS. 

J-'ait  que  Paigu  difcours  four  /a  guide  decceuwre 
De  Nature  tout  art,  toute  cavfe,  &  tout  eeuure, 
Toute  tnatiere  *  prme,  &  donne  tant  iPobiets, 
Fait  prendre  vn  diuerx  Jlile  en  fi  diueriifuiets, 


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DES    GVERRES 
DV    ROY    HENRY    DEVXIESME 

CONTRE   l'eMPEREVR  CHARLES   CINQVIESME, 
ApKB  le  fîege  de  Metz  teuiî. 


L.e  dol  hng  tempi  couué,  tafui-pri/e,  &  l'audace. 
Tombent  en  cotitrerufe,  en  repouffe,  S  rabais: 
Qsiiamque  hait  les  fiens,  leur  repos,  &  leur  pais, 
L'efiranger,  le  trauail,  la  guerre  le  terraffe. 

Celuy  n'eJIplttS  gu'vn/onge,  vn  tronc,  &  vue  glace, 
Qui  feiUoit,  floriffoit,  &  bruloit  en  fes  faits  : 
S'on  veut  vaincre,  enrichir,  reuiure  par  meffaits, 
La  dépouille,  la  perte,  &  la  mort  nous  menaffe. 

Malheur  quand  Page  vieil,  le  trouble,  &  la  froideur. 
Rencontre  vne  ieunejfe,  vn  accord,  vne  ardeur  : 
Par  ces  trois  l'heur  paffé,  l'egOrt,  S  l'efperance 

Se  toVment  en  malheur,  foiblejfe,  S-  defefpoir, 

Or'  que  l'Empereur,  l'Aigle,  S  l'Efpagne  font  voir 
Qpevautuofire  grandRoy,  nofireLys,  nofireFrance 


104  SONNETS.. 


A    MADAME    MARGVERITE, 

SŒVR    DV    ROY    HENRY    DEVXIESME, 
Depuis  Duche(re>de  Sauoye. 


i. 


T^oyant  ce  iour  parler  du  grand  Dieu,  dont  Veffence 
En  Je  méfiant  par  tout,  anime  Vvniuers, 
le  mefouhaitte  auoir  &  mille  &  mille  vers, 
Qjie  do&e  Vay  cent  Jbis  facre^  àfapuiffance. 

Et  voyant  que  le  ciel  pour  reuenger  la  France, 
Nous  enuoye  en  ce  temps  le  plus  beau  des  hyuers  : 
Sur  ce  temps  ie  conçoy  mil  argumens  diuers, 
Pour  par  vn  bon  augure  aider  noftre  efperance. 

Puis  ie  brufle  d^ emplir  cent  papiers  écriuant 
Vaife  de  noftre  Roy,  f es  enfans  receuant, 
Vaife  de  toy  leur  Tante,  &  Vheur  de  telle  race. 

Et  ne  pouuant  du  tout  m*affouuir,  ie  ne  veus 

Me  faillir  fans  qu*aumoins  ces  petits  traits  ie  trace 
De  Dieu,  du  temps^  du  Roy,  de  toy,  de  tes  neueus. 


II 


Dieu,  ce  Dieu  qui  promet  aux  François  plus  de  bien 
Qm'H  ne  leur  a  ces  iours  permis  faire  d'outrage. 
De  foy,  d^œuure,  defens,  de  langue,  &  de  courage^ 
Doit  ejire  aux  biens  f  aux  maux,  lefeulbut  duChreftieu 


SONNETS.  I05 


Seule  caufe  de  toutf  de  tout  feul  entretien  y 

Tout  infini,  tout  bon,  tout  puiffant,  &  tout  f âge, 
L*ame^  le  gon^  l^^PP^X  du  monde  fon  ouurage^ 
QuHlfit  luy  eftant  tout^  &  pouuant  tout  de  rien  : 

Qjd  pacifique  en  tout,  par  harmonie  accorde 

Des  neuf  deux  &  des  quatre  elemens  la  dif corde, 
Par  fon  deftin  certain  guidant  V incertain  fort  : 

Qfii  par  ordre  &  raifon  donne  ou  ame  ou  croiffance^ 
Qui  nous  fauue  par  cHVLisT,  fa  race,  &  fon  effence. 
Seul  fort,  &  feul  vengeur  du  tort  &  de  la  mort. 


III. 


Ore  qu'en  ce  beau  parc  penfif  &  folitaire. 
Pour  façonner  ces  vers  ie  raffemble  mes  fens  : 
le  m^efmerueille  en  tout  de  fentir  que  ce  temps, 
Ce  beau  temps  nefent  rien  du  cornu  Sagitaire. 

I^esDieuxpour  nous  venger,  cefemble,  ou  pour  nous  plaire, 
A  la  queue  d* Automne  ont  fait  naifire  vn  Printemps, 
Tant  que  les  Dieux  de  nous  parauant  mal  contens. 
Ne  feront  plus  nomme:ç  Bourguignons  du  vulgaire. 

Ha!  quHl  me  plaift  d'aller  par  vn  feruice  beau 
Chercher  che:{  Vennemi  la  gloire  ou  le  tombeau  : 
Tu  mens,  Iule  Cefar^  lâche  en  fon  infortune 

Le  François  ne  fe  montre,  ains  renforçant  fon  cœur, 
Comme  VHydre,  des  coups,  des  playes,  du  malheur^ 
Doit  fous  mon  Roy  combatre  &  les  Rois  &  Fortune. 


IIII. 

Mon  Roy  fçait'il  pas  bien  que  les  deftins  ont  fait 
Afin  qu*vn  changement  maintienne  ce  grand  eftre, 
L^vn  peuple  à  Vautre  peuple,  &  les  Rois  aux  Rois  eftre 
Contraires,  pour  en  tout  monftrer  tout  imparfait? 

1" 


I06    .  SONNEtS. 


Et  mon  Roy  fçait-iî  pas  aujfi  que  le  mtffait 
Par  lepreuoir  des  Dieux  rend  le  deJHn  feneftre? 
La  vidoire  </f  toufiaurs  (â  hbnkt)  dans  ta  dextre, 
Mais  de  nous  tesfuiets  le  vice  nous  deffadt. 

Le  vice  &  la  viûoire  ont  bien  peu  d^aHiance, 
VertVf  valeur f  vid(dre^  eneorfont  en  la  France, 
Ne  crain  qu^vnfeul  poiffon  retarde  ton  vaiffeau**, 

Ny  que  la  nuiû  te  puiffe  en  ton  beau  iour  te  nuire. 
Sois  Tiphys,  fois  Phebus^  &pour  pourfuiure  &  luire 
La  vertu  foit  toufiours  ta  voille  &  ton  flambeau. 


Trouppe  d^enfans  ^iuins,fàit  celle  qui  arriue^ 
Ou  bien  foit  monfieur  mefme,  ^ii  Pvne  &  Vautre  fontr, 
/'        Voftremere  lunon  vous  doué  defon  heur, 
Vojtre  tante  P allas  de  fa  vertu  nalfue  : 

Mars  ce  prince  Lorrain,  qui  ia  fous  foy  captiue 
Nos  ennemis,  vous  foit  deprouéffe  donneur. 
Mercure  ce  prélat  des  Cardinaux  Phonneur^ 
Vous  doué  de  coitfeil  &  d'éloquence  viue.         ^ 

Ainfi  vousfere^  fûdts  tous  fept,  6  nombre  beau. 
Sept  pandores  en  France,  &  chacun  fon  vaiffeau 
Dans  fes  mains  receura  de  lupiterfon  père  : 

Puis  Vouurant  vous  verre:^  fortir  tant  de  vertus, 
Qye  les  maux  de  Pandore  à  la  fln  combatus, 
Lairront  noftre  air  François  fans  crime  &fans  mifere. 


EPISTRE.  107 


A  MADAME  MARGVERITE  DE  FRANCE 

SŒVR     DV     ROY     HENRY, 
Deuant  qu'elle  fuft  mariée  *'. 

Vierge^  ta  France  te  veut^par  ces  versfacrer  vn  autel, 

Auquel  nuire  le  fer ^  Vonde,  ne  Page,  ne  peut. 
Vagefuperbe  ne  mord  les  vers,  dont  Grèce  fe  baftit 

Vn  las  éternel,  ny  ce  que  Rome  graua: 
Moy  doncq  qui  retirant  mes  pas  leur  gloire  refuiuray, 

ïdeurdrijfant  Voubli,  viure  ta  gloire  feray, 
Et  de  ce  vers  mefuré  ton  fainâ  nom  bruire  Ion  orra, 

Puis  que  ta  fainâe  faueur  aide  ma  fainâe  fureur. 


EPISTRE  A  LA  MESME  DAME. 


Si  déformais  vers  toy,  fous  qui  doit  eftre  férue 
LHmpudente  ignorance ,  on  addreffe,  ô  Minerue, 
Tant  d*œuures  auorte:^,  à  qui  leurs  pères  font 
Porter  effrontément  ton  beau  nom  fur  lefront. 
Comme  fi  Ion  vouloit  fa  fauue garde  faire 
Sous  la  targue  qu'on  voit  au  poing  de  Vaduerfaire  : 
Si  mefme  dans  ton  temple  impatient  ie  voy 
Quelque  enroué  corbeau  croûaffer  deuant  toy, 
Q!iife  pouffant  au  rang  des  Cygnes  les  plus  rares, 
Vienne  fouiller  ton  nom  dedans  f es  vers  barbares, 
Et  qui  tout  bigarré  d'vn  plumage  emprunté. 
Ne  couche  iamais  moins  qu*vne  immortalité  : 


I08  EPISTRE. 


le  ne  feray  point  moins  dépit,  ny  not  Charités, 

Tes  neuf/çauantes  Scmrs  ne  feront  moins  dépites, 

Qiiefi  nous  auions  veu  dans  ton  temple  Troyen, 

Ou  .Aiax  Oilee,  ou  le  Laértien  : 

JL Vfi  pour  forcer  encor  ta  preftreffe  Cajfandre, 

Vautre  pour  ton  pourtrait  gardien  vouloir  prendre 

D'vne  fanglante  main,  indigne  de  toucher 

A  cela  que  la  Troye  auoit  tenuji  cher: 

Car  pareil  à  ceux-ci  efl  celuy  qui  f  efforce 

De  bon  gré  maugré  faire  aux  Mufes  toute  finxe. 

Pour  d'vne  main  fouillée  au  bourbiet  d'ignorance. 

Toucher  au  facré  los  d*vne  Pallas  de  France,^, 

Faifant  tort  à  ton  temple,  à  moy  ton  prejire  fainâ. 

Voire  à  f on  nom  qu^on  voit  dés  fa  naiffance  ejteint. 

Mais  auf fi  quand  iefçay  qu*vn  Ronsard,  qui  eftonne 
Et  contente  les  Dieux,  à  qui  f  es  vers  il  donne. 
Vient  humble  dans  ton  temple  à  tes  pieds  (apporter 
Ce  qui  peut  aux  neueux,  voire  aux  pères  ofter 
La  gloire  des  beaux  vers,  bien  que.  Ion  me  vift  eftre 
Ton  plus  cher  feruiteur,  ton  plus  fauori  prejtre. 
Te  repaiffant  fans  fin  dvn  vers  qui  vient  à  gré, 
Quand  il  vient  d'vn  Iodellv  à  toy  feule  facré  : 
le  ne  fuis  moins  ioyeux  que  la  preftreffe  antique 
Du  deuin  Apollon,  quand  au  temple  Delphique 
Le  grand  Roy  Lydien  prodigant  fon  threfor. 
Vint  enrichir  ce  lieu  de  mille  prefens  d*ory 
Efchangeant  les  vaiffeaux  d*argille  bien  tournée, 
Aux  vaiffeaux  mafjifs  d*or,  où  la  troupe  efionnee 
Des  deuots  pèlerins  aborde:(  en  ce  lieu, 
Beuuoyent  de  longue  fuite  aux  feftes  de  ce  Dieu, 
Car  les  riches  prefens  qui  or^  che:(  toy  fe  treuuent 
Prefente:(  par  Ronsard,  tout  ainji  nous  abbreuuent  : 
Inuitans  tout  vn  monde  à  louer  ton  honneur, 
Inuitans  tout  vn  monde  à  louer  ton  donneur, 
Qui  recule  en  Vautel  de  ma  grand^  Margverite, 
Pour  faire  place  à  Vor,  mon  argille  petite, 
Oii  deuant  ie  faifois  Vqffrande  à  ta  grandeur 
Non  pas  d^vn  pareil  pris,  mais  bien  d^vn  pareil  cœur. 


EPISTRE.  lOQ 


Malheureux  font  ceux-là,  de  qui  les  ialoufies 

Pour  les  gefner  tous/euls,  ont  les  âmes  faijies  : 

Malheureux  eft  celuy,  qui  pour  penfer  gaigner, 

D^vn  admirable  ouurier  veut  la  gloire  efpargner  : 

Dans  les  antres  ombreux,  le  ialoux  d'vn  bel  œuure 

Doit  viure,  fil  ne  veut  que  fa  rage  on  decœuure. 

Qu^efl'Ce  qui  fait  les  vers,  &  leurs  fainâs  àrtifans, 

Seruir  d*vne  rifee  à  tant  de  Courtifans, 

Et  que  les  grands  qui  font  leur  but  de  la  Mémoire, 

Dédaignent  à  tous  coups  Vouurier  de  telle  gloire, 

Aimans  mieux  fe  priuer  mefme  de  leur  efpoir, 

Portans  tout  au  cercueil,  qu*en  viuant  receuoir 

Les  vengeurs  de  leur  mort?  Hé!  qui  fait  que  la  France 

Charge  fouuent  d'honneurs  fon  afneffe  Ignorance, 

Si  ce  n^ejt  vne  enuie  ?  enuie  qui  ne  veut 

Souffiir  vne  vertu,  qui  trop  plus  qu^elle  peut. 

Se  perdant  pour  la  perdre.  Il  faut,  il  faut  des  autres 

Vanter  les  beaux  labeurs  pour  donner  force  aux  noflres. 

Tel  admire  fouuent  ce  quHl  doit  admirer. 

Qui  de  foymefme  fait  d*auantage  efperer  : 

Car  quant  au  point  d^  honneur, tant  plus  vn  homme  en  quitte, 

Et  plus  il  en  retient,  &  plus  il  en  mérite. 

leferay  toufiours  franc,  Vhonneur  que  Vay  de  toy, 
Au  rebours  de  tout  autre  éueille  vn  cœur  en  moy, 
Vn  cœur  prompt  &  gentil,  qui  fait  que  gay  V adore 
Celuy,  qui  comme  moy  ma  grand  Miner ue  honore. 
Et  fi  fait  que  de  luy  ie  m^  accompagne,  afin 
Q}ie  ton  nom  &lefien  vole  au  monde  fans  fin. 
Aux  couards  foit  V enuie,  oncques  on  ne  vit  eflre 
L'enuie  dans  Vefprit  courageux  &  adextre. 
Nul  nefçauroitfi  bien  fe  faire  plaire  aux  Dieux, 
Qjie  ie  ne  defiraffe  encor  qûHl  leur  pleufi  mieux. 
Quand  on  a  le  cœur  tel,  bien  qu'encore  on  ne  face 
Ses  traits  du  tout  parfaits,  ce  braue  cœur  efface 
Par  vne  opinion  le  trait  le  plus  parfait^ 
Puis  de  V  opinion  la  vérité  fe  fait  : 
Ainfi  Vœuure  d*autruy  doit  feruir  à  la  vie 
D^vn  encouragement,  &  non  pas  d*vne  enuie. 


Tant  f  en  faut  qu'tnuieux  de  nos  hommes  ie  fois, 
Que  ie  iure  ton  chef,  qu'entre  tous  nos  François, 
Tant  Vhonneur  du  pays  m'a  peu  toufiours  efpaindre, 
le  voudrais  qu'on  me  viji,  tel  que  ie  fuis,  le  moindre, 
le  ne  feruirois  plus  fors  qu'à  tonfacri  los 
D'inciter  languiffant  les  efprits  plus  difpos. 
Maispuifque  nous  voyons  croijlreen  France  vn  tel  nombre 
De  brouilleurs,  qui  nefontfinon  que  porter  ombre 
A  la  vertu  naijjanle,  il  te  fa.ut  prendre  au  poing 
To»  glaiue,  &  ton  bouclier,  pour  tn'aider  au  befoing, 
Et  tant  qu'encourageant  mes  forces,  à  l'exemple 
Du  vainqueur  Vandomois,  ie  forte  de  ton  temple. 
Pour  fur  les  ignorans  redoubler  les  efforts. 
Et  voir  ces  auortons  auffi  tofi  que  nais  morts, 
A  jîn  que  l'heur  de  France  S  des  Mufes  ie  garde, 
Faifant  après  Ronsard  tafeure  arriere-gardè. 
Je  les  verray  foudain  fous  mes  Irails  feffroyer, 
le  les  verray  foudain  fous  ta  Gorgon  muer. 
Mais  non  pas  de  beaucoup,  car  eftans  demi-pierre 
De  l'efpril,  il  ne  faut  finon  que  Ion  referre 
Leur  mouuemeni,  d'vn  roc,  à  fin  qu'on  ojle  à  tous 
Le  pouuoir  de  fe  nuire  eux-mefmes  de  leurs  coups, 
Arrejlant par  les  yeux  de  Medufe  auec  Pâme 
Le  malheureux  Démon  qui  fi  mal  les  enfiame. 

Or  cependant  qu'ainfi  ton  fecour^attendray. 
Et  redoutable  à  tous  au  combat  me  rendray, 
Embrajfe  moy  ces  vers,  que  la  Harpe  meilleure 
Pour  lafainie  grandeur  a  fonne!(  à  cefte  heure  : 
Embraffe,  embraffe,  &  fay  ces  beaux  hymnes  fonner. 
Frères  de  ceux  qu'on  vit  àfon  Odet  donner. 
Tant  que  depuis  ton  temple  entendent  les  efiranges 
Des  hommes  &  des  Dieux  tes  plus  belles  louanges, 
Confèffans  qu'en  ce  fiecle  ingrat,  aueugle,  ff  las 
Des  troubles  de  la  guerre,  on  voit  vne  Pallas, 
Qjtifait  de  nos  vertus  &  de  nos  mufes  conte, 
Autant  qu'à  l'ignorance  S  au  vice  de  honte, 
Prenant  pour  les  faueurs  que  fait  fa  deité 
Lvfure  qu'elle  attend  en  noftre  éternité. 


EPITHALAME.  1  ï  I 


EPITHALAME 
DE    MADAME    MARGVERITE", 

SŒVR    DV    ROY    HENRY     II.     TR  ES-CH  R  ESTIEN  , 

Ducheflfe  de  Sauoye. 


Q}tUl  te  deplaiftf  déesse,  en  qui  tellement  viuent 
Vertu,  Science,  amour  de  ceux  qui  ces  deux  fuiuent, 
Qjte  les  deux  nous  deuroient  contraindre  à  Vadorer, 
L*autre  efmouuoir  les  Rois  de  ces  deux  honorer  : 
QtiHl  te  deplaift  {ie  croy)  quand  les  ingratitudes 
Qu* on  fait,  foit  aux  vertus,  foit  aux  diuers  ejiudes 
Des  grans  hommes,  leur  font  rapporter  feulement 
D*vn  trauail  vn  trauail,  d'vn  mérite  vn  tourment  : 
Et  penfe  que  tu  crois  ces  grâces^  plus  diuines 
Ne  pouuoir  tant  en  nous  affeurer  leurs  racines, 
Qu^on  n'en  perde  fouuent  le  defir  ou  Veffet 
Pour  le  tort  qu'à  ces  dons  aueuglement  on  fait. 
Lors  qu'aux  vns  de  mépris  fert  vne  ame  bien  née, 
Aux  autres  d'vne  enuie,  aux  autres  de  fumée. 
Et  de  regret  àfoy  iuftement  fe  fâchant 
D*eft  renée  au  pouuoir  dufotou  du  méchant  : 
Pitié  dont  tellement  la  confiance  f  ébranle 
Qu^elle  met  à  tous  coups  toutes  vertus  en  branle^ 
Nonobfiant  ce  confort  fantaftiquement  pris, 
Qsie  la  vertu  foulée  enfin  retient  le  pris. 
Car  puis  que  noftre  vie  eft  tant  douteufe  &  breue^ 
Et  que  Viniquité  toufiours  Vequité  greue. 
Tant  qu'yen  perdant plaijtr  &  proffit  bien  fouuent 
Nous  perdons  mefme  encor  du  renom  lefeul  vent  : 
Q)ti  ne  croira  {bons  Dieux!)  telle  caufe  eftre  forte 
Pour  mouuoir  la  perfonne  en  fon  meflier  accorte^ 


I  12  EPITHALAME. 


De  fuiure  vne  plaifante  &  feure  oifiuetét 

Ou  par  vn  defefpoir  quelque  autre  volonté. 

Aimant  mieux  peu  ou  prou  dejfous  vn  hasard  viure, 

Qm'vw  bien  qui  Je  fait  mal  obftinément  pourfuiure. 

Mais  fi  iamais  (toufiours  la  vertu  qû*on  eftrange 

Nous  laiffe  vn  vain  efpoir  ou  vn  regret  pour  changey 

Quelque  ame  ainfi  bien  faite,  après  auoir  laijfé 

Vheur  qui  la  nourriffoit,  pour  le  voir  offenfé, 

Par  raifons,  par  remors,  maifires  de  fa  penfee. 

Et  par  occafions  fe  vit  iamais  forcée, 

Ceft  la  mienne  auiourdhuy.  fauois  quitté  ce  bien 

Qui  outre  mille  maux  ne  rapporte  ici  rien, 

Voulant,  fi  Mars  toufiours  eufi  V Europe  troublée. 

Rendre  nulle  ma  vie  ou  ma  gloire  doublée, 

Pour  en  fin  reioignant  &  Vvn  &  Vautre  effort, 

Par  Mars  vaincre  mes  maux,  &  par  Phebus  ma  mort  : 

Mefme  ce  fainâ  retour  de  paix,  puis  que  Vvn  manque 

Comme  Vautre,  à  tous  deux  m'auoit  fait  quitter  banquet 

Pour  viure  au  fentiment  de  Vheur  qui  nCeftprefté, 

Et  fans  le  fentiment  du  malheur  arrefté , 

Ains  garder  tout  ainfi  le  char  de  Vame  mienne. 

Que  pelle  eftoit  défia  fous  Vombre  Elyfienne  : 

Mais  vn  remors  me  prend,  Vamour  accoufiumé 

M  attire  mon  efprit  à  plus  grand  chofe  né. 

Me  force^  &  dedans  moy  ne  peut  iamais  conclure, 

Que  Dieu  m' ayant  fait  tel  inutile  m'endure, 

le  fonge  à  cette  loy,  qui  naturellement 
Ne  permet  que  pour  moy  ie  fois  né  feulement  : 
lefongCj  fi  ie  veux  fuiure  le  plaifir  mefme, 
Qu*en  ceci  ie  me  puis  feindre  vn  plaifir  extrême  : 
le  fonge  à  Vheur  que  défi  de  viuant  dépiter 
Les  riches  ignorans,  &  mort  les  furmonter  : 
le  fonge  aux  changemens,  au  temps,  à  Vefperance 
Que  ton  accroiffement  donne  aux  efprits  de  France, 
A  mon  Prince,  à  toymefme,  à  la  pofierité, 
A  qui  ie  fay,  peut  eftre,  vn  tort  non  mérité,    ' 
Aux  amis,  &  à  ceux  qui  bons  me  fauorifent, 
Qui  n'auront  rien  de  moy  contre  ceux  qui  méprifent, 


EPITHALAME.  I  l3 


Aux  fingeSy  aux  pedans,  aux  flatteurs^  aux  vanteurs. 
Que  monfilence  aura  rendu  fur  moy  vainqueurs  : 
lefonge  mefmement  bien  que  ie  ne  fois  point 
Si  fier  de  nC égaler  à  ces  deux  de  tout  point, 
A  la  faconde  heureufe,  à  la  Mufe  fluide 
Du  grand  Tulle  Arpinois,  du  Sulmonois  Ouidc, 
Dont  Vvn  ahfent  vn  peu.  Vautre  fous  V Aquilon 
Traînant  f es  derniers  iour s,  efcriuoient,  Apollon 
Hors  du  ciel  rauîffoit  àfoy  les  champs  d'Amphryfe, 
Ayant  au  lieu  du  Luth  la  cornemufe  prife, 
Sans  qu^vn  dépit  de  voir  bleffer  leurs  deite:{ 
Rendift  ces  trois  en  vain  contre  eux  mefme  irrite^  : 
Bien  qu*en  cela  plus  iufie  argument  les  peufl  poindre 
Que  moy,  qui  rCay  leurs  maux,  S-  qui  mefen  bien  moindre, 
Q)ii  mefme  en  mon  pats  plein  de  repos  &  d^heur. 
Ne  me  puis  plaindre  en  rien  que  du  vulgaire'  erreur, 
Qfii,  de  tout  temps  cruel  aux  vertus,  ne  doit  faire, 
Qjié  tuant  mon  honneur  ie  me  fois  Ji  contraire. 

levoy,  fil  faut  au  grand  le  moindre  apparier, 
Scipion  ce  me femble  àfoy  contrarier 
Cent  fois  dansfon  Linterne,  alors  quefon  inique. 
Voire  à  fonfeul  fauueur  ingrate  Republique, 
Voulant  forcer  au  conte  vn,  auquel  on  deuoit 
Et  la  ville  &  la  vie  &  tout  Vheur  qu'on  auoit. 
Fit  là  ce  grand  vainqueur  folitaire  fe  rendre, 
Arrachant  au  pals  fa  vieille ffe  &fa  cendre. 
Oresie  penfe  voir  V amour  enraciné 
D'vn  chafcun  vers  la  terre  en  laquelle  il  efl  né  : 
Ore  vn  defir  plus  grand  {car  defir  nous  r^enflame 
Sans  ceffe,  comme  eflant  vne  part  de  noflre  ame) 
Vouloir  donter  Vefprit,  donteur  des  Africains, 
Ardant  de  croître  encor  par  confeil  &  par  mains. 
Et  fa  Romme  &  fa  gloire,  or^  lesfieres  tempeftes 
Qjti  de  fes  citoyens  menaffoient  ia  les  teftes. 
Or  Vennuyeux  défaut  des  honneurs  iournaliers. 
Or  lesparens  abfens,  &  les  Dieux  familiers. 
Or  mille  occafions  qui  poffr oient  de  bien  faire. 
Et  or  la  palme  aux  mains  de  Venuie  aduerfaire, 
lodelle.  —  II.  8 


1^ 


i 


EPITRALAKE, 

:ourroux  /on  triomphe  plus  grand, 
lû,  &  tout  obiet  qui  rend 
nnors  reteatoient  ce  grand  homme, 
Monfirans  qu'auani  la  mort  U  foing  ne  Je  confomme, 
Qjiifoit  que  nous  cherchions  ou  le  iour  ou  la  nuiû, 
Jufqu'en  la  nuiâ  mortelle  inceffammetit  nous  fuit  : 
Si  Je  vainquit-il  lors  /cachant  que  la  vaillance 
Plus  grande,  c'ejl  douter  les  /ens  &  Vincanfiance. 
Mais  reuenant  à  moy,  qui  voulais  de  mon  gré 
Quitter  du  tout  les  Rois,  S-  VHelicon/acrê, 
Dant  ie  pui/ais  deuant  vne  liqueur  tant  belle. 
Pour  arrou/er  le  plant  de  leur  gloire  immortelle, 
Encor  qu'vn  casur  trop  haut  qui  me  rend  plus  /uiet 
Au  malheur,  que  tous  ceux  qui  ont  vu  c<eur  abiet. 
S'efforce  me  donner  cefie  loy  dommageable, 
Wejlre  plufiojt  chetifque  iPe/lre  variable  : 
Maugré  ce  eeeur  ie  pren  la  re/olution 
De  ne  m'objliner  point,  comme  vn  grand  ScipioH, 
Puis  que  ma  petîteffe  &  Viniure  petite 
Ne  peuuent  égaler/on  tort  ny /on  mérite. 
Et  qu'ores  plus  qu'à  luy  d'occajion  ie  voy, 
Pour  changer  mon  dcj/ein,  /e  prefenter  à  moy. 

Ici  le  foin  des  Dieux,  S-  la/ain^e  alliance 
Q}ie  le  ciel  à  l'Europe,  &  VE/pagne  à  ta  France, 
Voire  tous  quatre  enfemble  ont~feuJi  bien  iurer. 
Que  deux  peuples  vnis  /emblent  deia  tirer 
Tiiiis  'ins  peuples  en  paix,  S  qu'Europe  /es  guerres 
Garde  au  barbare /eul,  &  le  ciel /es  tonnerres  : 
Ici  ton  Hymenee  &  l'heur  qui  t'eftoit  deu 
Auanl  que  naître,  l'heur  3  l'e/poir  qu'en  ont  eu 
Les  liens,  ma  ioye  extrême  en  qui  ie/ens  mon  ame 
D'autant  paffer  chacun,  que  toy  /a/eule  Dame 
Ou  trépaner  les  Dieux,  S-  les  Rois  au  pouuoir 
Que  ta  vertu  te  fait  deffous  cefte  ame  auoir  : 
Ici  ta  vertu  me/me  &  les  biens  ordinaires. 
Dont  à  iamais  tu  rens  les  Mu/es  tributaires. 
S'offrent,  S  d'autre  part  les  liens/ainds  &  forts. 
Dont  par  miracle  Hymen  garrotant  nos  di/cords. 


EPITHALAME.  IID 


Ta  Niepce  accouplant  :  les  vœus  qu^à  ton  feruice 

fay  cent  fois  repete^ç,  mon  ancien  office f 

Qui  veut  bouillant  dans  moy  nCétoufer  au  fortit\ 

Voyant  auecques  Mars  r autre  office  amortir  : 

D'autre  cofté  Vhumeur  qui  hifarre  fecouè 

L*ame  des  efchauffe\  Poètes,  &  pen  iouê 

Plus  que  iamaiSy  pour  faire  accorder  à  ce  fon 

Des  nopces  &  la  doâe  &  Vindoâe  chanfon  : 

L'ajfeurance  que  Vay  de  te  pouuoir  bien  plaire^ 

Si  ie  me  puis  au  moins  moymefme  fatisfaire, 

Et  Vefpoir^defgaigner  mon  Roy  y  puis  que  le  mieux  ^ 

Qu'on  face,  c'eji  de  plaire  aux  Rois  nos  féconds  Dieux , 

Me  rallument  mon  feu,  que  ie  rembrafe  encore 

Des  mérites  premiers  que  ia  V oubli  deuore, 

'Le  befoing  de  charmer  par  mes  vers  les  ennuis 

Qjie  Vay,  pour  n'erre  veu  iamais  ce  que  ie  fuis, 

Ains  quejinçere  &fain  de  crime  &  confcience 

le  voy  cha^er  mon  heur,  tacher  mon  innocence 

Par  Viniquité  mefme,  ou  mefmement  par  ceuxj 

Qjii,  îasi  m^honoreroientft  Veftois  cogneu*"*  d'eux  : 

La  crainte  du  reproche  &  le  iufïe  argument 

Que  Venuieux  prendra  fi  ie  fais  autrement, 

Combien  qu'en  le  faifant  ie  n^aye  point  d'attente, 

Qu'autre  que  mon  deuoir  enuers  toy  me  contente  : 

L'amour  de  la  vertu  &  ce  cœun^rayement  mien, 

D'' aimer  &  faire  en  tout  le  bien  pour  le  feul  bien, 

Qui  fur  foymefme  tient  fa  recompenfe  affife  : 

Car  fans  fin  la  vertu  fer t  de  chaffe  &  de  prife. 

Bref  mille  autres  raifons  m'ont  en  ce  changement 

Rendu  l'art,  le  vouloir,  l'efpoir,  &  Vargument  : 

Dont  l'vne  qui  fe  naifl  de  toy  dans  mon  courage, 

Languiffant  parauant  m'anime  d'auantage 

Qji' Achille  dépité  pour  fefïre  veu  rauir 

La  venue  de  Lyrneffe,  &  voulant  afferuir 

Tant  les  deflins  des  fiens,  que  fa  hayne  ennemie, 

A  vn  iuré  courroux^  encor  qu'auec  famie 

On  luy  offinft  des  dons,  ne  fut  alors  forcé 

De  reuoler  aux  coups,  quand  Pat  rode  percé 


I  \6  epithalame. 


Tout  outre  par  Heâor  dedans  fes  mefmes  armes^ 
Luy  fift  changer  au  fer  &fa  lyre  &  Jfes  larmes. 
Il  eft  vray  que  ie  fuis  renflambé  d'vn  grand  heur. 
Et  ce  Pelide  efloit  remhrafé  d^vn  malheur  : 
Aufji  ie  ne  repren  les  armes,  mais  la  lyre, 
Comme  luy  quand  premier  il  digeroit  fon  ire. 

H  faut  donques  fortir,  &  comme  celuy-là 
Qui  dedans  fa  maifonfi  long  temps  fe  cela 
A  ce  Thebain  Adrafïe  :  il  ne  faut  que  la  crainte 
De  tout  prochain  danger  rende  ma  force  efireinte, 
Me  deuft  Vingratitude  &  Venuie  engloutir 
Comme  la  terre  Vautre  :  il  faut  donques  fortir. 
Et  quand  ie  n^aurois  point  d^occafion  meilleure, 
La  furieufe  ardeur  qui  f  empare  à  cefte  heure 
De  moy,  dedans  V horreur  de  ces  bois  oit  laffé 
D'auoir  en  ces  chaleurs  fi  longuement  chaffé, 
Laffé  du  vain  fouci  que  ie  rechange  en  ioye, 
Riant  des  biens,  des  maux  que  le  hasard  enuoye, 
Trouuant  mau gré  fortune  en  ces  lieux  écarté 
Le  repos,  le  plaifir,  l'heur^  &  la  liberté. 
le  refrefchi  au  bord  fecret  d*vne  fontaine. 
Tant  le  corps  comme  Vame,  &  reprenant  Valeine, 
Auecques  les  :[ephirs  &  Vodeur  de  ce  lieu, 
le  refpire**  dans  moy  vn  ie  ne  fçay  quel  Dieu, 

L* antiquité  dit  vray,  que  les  Jforefls  plus  fombres 
Cachent  enfoy  des  Dieux,  des  Démons  &  des  Ombres, 
Aux  lieux  fecrets  fe  fait  maint  my fï  ère  f  acre, 
Non  plus  qu'à  moy  le  peuple  aux  Dieux  ne  vient  à  gré 
Quiconque  foit  ce  Dieu  qui  tous  mesfens  domine, 
D^vne  folajlre  humeur  rempliffant  ma  poitrine. 
Rend  la  conception  que  Venfante  pour  toy. 
Tant  eftrange,  tant  belle,  &  tant  nouuelle  à  moy, 
Que  combien  qu'acné  foit  trop  tarde  &  inutile, 
Pen  penfe  bien  pourtant  mouuoir  Vame  gentille*^ 
De  ta  diuinité,  comme  efmeu  ie  mefens 
Or  que  telle  fureur  fe  fait  plaire  à  mes  fens. 

Il  me  faut  donc  par  force  entreprendre,  ma  Dame, 
Ce  que  Vay  commencé  de  ton  Epithalame, 


EPITHALAME.  II7 


Auec  Vit  autre  chant  pour  lafolennité 

D'autres  nopces  défia  dedans  moy  proietté 

Et  force  e/crits  plus  grands,  dont  mes  Mufes  trop  vaines ^ 

Ont  taché  ces  trois  mois  de  foulager  mes  peines, 

Dans  le/quels  ajfeure^  de  Vimmortalité 

Le  los  de  cefte  Paix  prend  vne  éternité. 

Au  lieu  de  ces  labeurs  ma  Ubrefantafie 
A  d*vne  gaye  humeur  la  peinture  choifie 
D*vn  doâe,  d^vn  bifarre^  &  fuperbe  appareil. 
Que  dans  moy  Vimagine  eftre  du  tout  pareil, 


Tes  mérites  pourtant  au  vif  y  feront  peints  : 
Cefonge  en  vérité  fe  fuft  changé,  peut  eftre, 
S*onpouuoit,pon  daignoit  en  France  me  cognoiftre. 
Vn  appareil  plus  grandies  autres  V  auront  fait, 
Moy  ie  te  paye  ici  du  vouloir  pour  V  effet. 
Et  loing  de  toy  n'ayant  du  vray  la  pourtraiture. 
Mon  ardeur  méfait  plaire  en  la  feinte  figure. 
Comme  Ion  voit  fouuent  dans  ces  cerueaux  plus  creus 
Errer  ces  beaux  difcours,  propres  à  leurs  humeurs  *'. 
L^vn  dans  Vefprit  fe  peint  d^ eftre  Roy,  Duc  ou  Conte  : 
L^ autre  mille  ennemis  dans  vne  heure  furmonte  : 
Le  moyne  eft  Cardinal,  Vapprentifeft  ouurier, 
L*afne  fe  fait  do&eur,  Vaduocat  Chancelier  : 
L'^vn  fe  fait  ou  Crefus,  ou  Crajfus,  &  fe  ronge 
L"* entendement,  pour  eftre  Irus  au  bout  du  fonge  : 
Cent  beaux  chafteaux  en  Vair  peft  ia  bafti  ceftuy, 
Qj/iifa  pauure  chambrette  empruntoit  auiourdhuy  : 
Vautre  feint  enuersfoy  les  amours  des  plus  belles. 
Vautre  {les  fiâions  des  fiances  font  telles) 
Auecfoyfa  moitié  f  imagine  d'auoir, 
Qjii  n*^mbraffe  en  la  fin  que  le  vent  &  Vefpoir  : 
Moy,  qui  te  cognoiffant  Deeffe,  ne  puis  ore 
Auoir  plus  grand  defir,  finon  que  Von  t* honore 
Ainft  que  ie  voudrois  d^vn  infertile  foing  : 


IlS  EPITHALAME. 


le  fuis  dedans  Paris  encor  que  t* en  fois  loing^ 
Oit  ie  dejfeine,  &  taille^  &  charpente,  &  maffonne^ 
le  brode^  ie  pourtray^  ie  couppe^  ie  façonne. 
Je  cii^eîe,  ie  graue,  émaillant,  &  dorant, 
le  griffonne,  ie  peins,  dorant  &  colorant, 
le  tapiffe,  Vaffieds^  ieféftonne,  &  décore  y 
le  mufique,  iefonne,  &poétife  encore  : 
Et  en  ne  faifant  rien  ie  fais  tous  ces  rHeftierSj 
Comme  pour  teferuir  Veuffe  fait  volon^ers. 
Et  m^oferois  vanter  fi  tous  mes  beaux  nuages 
Rempliffent  ce  papier,  que  les  riches  ouurages, 
Qjti  au  vray  ce  beau  iour  de  nopces  orneront. 
Cent  fois  moins  que  monfonge  au  monde  dureront. 

Mais  quoy,  en  doy~ie  donc  remplir  ces  vers?  il  femble 
QjiHlfuffit  mepener,  fans  en  voir  mille  enfemble  ^ 

Defaueur  courtifane  éplucher  à  loifir, 
Etfe  pener  en  vain  de  ce  qui  mUfi  plaifir  : 
Je  ne  le  veux  donc  point  :  Il  vaut  mieujfi-  que  Pacheue 
Tonfainâ  Epithalame,  ou  que  ie  me  releue 
Du  tout  de  toute  peine,  &  que  tous  ces  vers  ci 
Nefoyent  qu*vne  promeffe,  ainfi,  que  font  ici 
Plufieurs,  qui  prometteurs  d'hifioire  ou  d*onture  feinte. 
Font  naiftre  lafouris  ou  la  corneille  peinte*^ » 
le  ne  le  veux  point  donc  :  quoy?  le  malin  diroit 
Qft^apres  la  ville  prinfe  au  fecours  on  iroit  : 
L* autre  auec  vn  fou-ris  eftranglé  dans  la  gorge, 
Louant  Vouurier,  viendroit  blâmer  Vœuure  &  la  forge  : 
Vautre  plus  dangereux,  plaindroit  que  ie  ne  puis 
Efïre  auffi  fage  &  dous  que  bon  ouurier  ie  fuis  : 
Vautre  diroit  vrayment  ce  fange  efire  aggreable, 
Et  qu'il  efpere  voir  ce  ieune  homme  metable  : 
Vautre  au  rebours  diroit,  que  ie  croy  faire  mieux, 
Orgueilleux  &  trompé;  que  les  plusftudieux, 
Et  iugera  de  moy,  qui  fuis  humble  &  facile, 
Q}ie  fouuent  mon  orgueil  rend  mon  ame  inutile  : 
QuUl  eufl  trop  mieux  valu  chanter  ce  qu^vn  grand  Roy 
Fait  apprefler  de  grand,  que  ce  qui  vient  de  moy. 
Tant  que  ic  vois  finir  après  que  Vauray  dit 


EPITHALAME.  IIQ 


Que  ce  que  mieux  iamais  Hymen  au  monde  fit  : 

Oefi  cefte  couple  fainde,  &  grande,  &  vertueufe. 

Que  la  faueuv  des  Dieux  face  encor  plus  heureufe. 

Ainfi  mafeulCy  ardante  &.pure  volonté 

Rendra  ton  iugement  fans  rien  voir  contenté  : 

Toutesfois  te  ne  puis  :  ce  Dieu  qui  me  vient  mettre 

Cefte  manie  au  chef  ne  me  veut  point  permettre 

Que  te  cède  &  defifie,  &  veut,  ie  penfe^  à  tort 

Me  faire  croire  ici  que  des  Rois  le  difcord 

Efieint,  &  leur  enuie  au  fond  d^oubli  iettee, 

Ont  Difcord  &  Enuie  à  leurs  fuiets  oftee. 

Et  puis  ie  refpotidray  quHl  n^efioit  point  befoin 

D^offrir  ceci  pluftofl,  fçachant  qu^on  a  le  foin 

De  chofe  encor  plus  grande,  &  qu'vn  fort  aduerfaire 

Se  rend  fouuent  à  Vheur  de  mes  deffeins  contraire  : 

Auffi  que  le  deffein  plaire  ie  ne  penfoiSt 

Q)ti  vient  d'vn  homme  doâe,  ou  qui  vient  d'vn  François  : 

Nofire  peuple  fe  fert  à  foy-mefme  de  rire, 

Et  comme  Dieux  nouueaux  les  efirangers  admire. 

le  refpon  que  bien  tofi  mes  œuures  feront  foy, 

Sans  qu'on  f  attache  à  tort,  de  ma  vie  &  de  moy  : 

le  refpon  que  Vorgueil  ne  me  feit  onc  rien  faire, 

Et  qu*ore  mon  feul  but  c^efl  d'humble  pouuoir  plaire. 

Toufiours  la  modeftie  accompagne  vn  cœur  haut^ 

Qui  ne  fe  haxtffe  en  rien,  fvàon  quand  il  le  faut  : 

Et  faut  que  fans  bleffer  V honneur  &  la  nobleffe, 

La  vertu  face  à  tous  &  fupport  &  careffe  : 

JLon  m'a  toufiours  veu  tel,  qui  ne  me  di  pourtant 

Ny  grand  ny  vertueux,  mais  ces  deus  fouhaittant. 

O  mif érable  terre ^  helas,  qui  tes  fens  bouches 
Au  bien  pour  les  ouurir  aux  medifantes  bouches! 
O  peuple  vil  &fot,  qui  fans  fin  hais-  le  plus 
Ceux  qu^  honneur  &  vertu  tient  d'auec  toy  forci  us  ! 
O  Rois,  ô  fiecle,  ô  Court,  où  V ardeur  fainde  &  gaye 
Pour  le  bien  contre  tous  refifter  ne  feffaye! 
le  puis  refpondre  encor,  que  fi  Veuffe  peu  voir 
Ce  que  de  riche  &  grand  ce  faind  iour  doit  auoir, 
Que  Veujfe  mieux  aimé  chanter  l'honneur  du  Prince , 


I 


i                                                                             I20                                EPITHALAMfE. 
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Ton  honneur  vray,  V honneur  de  Paris  maprouince^ 
L^honneur  de  ton  Efpoux^quéyour  vn  Dieu  ie  tien, 
Tant  pour  fon  propre  los  que  pource  qu'il  eft  tien, 
Qjte  non  la  vaine  ardeur  qui  rien  ne  nous  rameine, 
Qji^à  moy  d^efcrire,  à  toy  de  la  lire  la  peine. 
Mais  qu^euffe-ie  peu  voir,  quand  eftant  innocent 
le  fuis  du  lieu  par  force  &  fans  raifon  abfent? 
le  n^ay  pourtant  nul  foin  de. mon  mal,  Vinnocence 
Rompt  tout  mal  &  fouci^  remors  &  pénitence  : 
Je  n^ay  iamais  encore  importuné  mon  Roy 
Soit  de  grâce  ou  de  biens,  ie  iCay  encor  dequoy  . 
LHmportuner  de  Vvn,  tant  pourfçauoir  cognoiftre 
Comme  il  faut  eif  la  fin  fon  droit  faire  paroiftre, 
Qjt^  pour  Vaife  &  le  bien  qu^aux  lieux  auf quels  iefuis 
Vay  receus,  &  qu*affe:{  publier  ie  ne  puis  : 
]  Et  pourfçauoir  défia,  toufiours  ne  mord  Venuie, 

j  Qu*on  commence  à  cognoiftre  &  mon  droit  &  ma  vie, 

-  Pendant  donc  que  le  vray  deuiner  ie  n^ayfceu. 

Et  que  ce  que  Pefcri  f*executer  n^a  peu, 
T    .  Au  lieu  d*vn  vray  prefent  de  chofe  plus  aimée, 

Laiffe  toy  doucement  encenfer  de  fumée. 
Digne  offrande  des  Dieux  :  auec  vn  tel  encens 
Ma  volonté  plus  fainâe  au  ciel  voler  ie  fens, 
Qjti  porte  deffus.foy  fes  honneurs,  ce  mérite, 
Ce  grand  nom  que  Pallas  ef change  à  Margtbritb, 
Et  ce  nom  Philebbrt,  qui  tous  deux  après  eux 
Ayant  le  monde  orné  feront  honneur  aux  deux  : 
Vn  cœur  deuot  fe  feint  la  prefence  en  abfence, 
lettant  Vœil  &  la  foy  hors  de  fon  apparance. 
Mais  pàurquoy  ft  long  temps  femblé-ie  marchander? 
Il  femble  que  ie  vueille  en  vain  recommander 
L^ouurage  par  Vattente  à  Vame  defireufe  : 
La  chofe  délayée  àpparoift  precieufe. 
Qui  que  tu  fois  pourtant  Dieu,  qui  me  faifant  gros 
De  charge  en  vain  germee,  &  qui  mouuant  mes  os, 
Tendant  mes  nerfs,  bruflantmonfang,  renflant  mes  veines 
f  Comme  fi  ie  fouffrois  à  ton  for  tir  les  peines 

De  la  femme  accouchante  :  Ore  fors  fors  dehors ^ 


EPITHALAME.  121 


Tu  es  trop  gay  pour  eftre  étouffé  dans  mon  corps^ 
le  retien  ta  fureur  en  moy  fi  long  temps  clofe, 


*  - 


Dont  Vopinion  faulfe  &  défia  le  long  temps 
Qjiekuers  cefte  Deeffe  en  refte  ie  me  fens,  --, 

Me  chargeoient  Vefiomac,  ou  pour  vfer  d'vne  autre 
Comparai/on  plus  gaye  en  cefte  longueur  noftre^ 
le  te  manie  ainfi  que  quand  vn  bon  piqueur 
Sur  la  carrière  effaye  vn  cheual  belliqueur, 
Si  toft  piquant  au  vif  &  luy  lâchant  la  bride 
Ne  luy  dinne  carrière,  ains  en  brauant  le  guide 
Pas  à  paSf  fièrement  d*vn  orgueilleux  dédain. 
Le  faifant  Je  iouér  de  la  charge  &  du  frein, 
Compajfer  hautement  fa  pompeufe  pennade, 
Sansfault,  &fans  gallop,  fans  bond  &  fans  ruade, 
Efcumer^  fe  gourmer,  &  d^vn  braue  hennir 
Monftrer  prendre  courroux  qu'on  le  vient  retenir ^ 
Puis  adroit  roidement  fa  carrière  luy  donne. 
Puis  il  Varrefte,  &  puis  de  rechef  luy  redonne. 
Puis  plus  follaftrement  le  volte  à  toutes  mains, 
A  courbettes,  à  bonds,  tant  que  de  fueur  pleins 
Le  maiftre  &  le  cheual  rapportent  cefte  gloire. 
De  n^ eftre  faits  tous  deux  finon  pour  la  viâoire. 

A  toy  gaye  fureur  Vay  long  temps  retenu 
La  bride,  &  nefemblois  eftre  en  ce  champ  venu, 
•Sinon  que  pour  brauer  &  partir  fans  rien  faire 
Comme  fi  fans  donner  plaifir  ie  voulois  plaire. 

Or  fus  donc,  vie-vie  efforce  maintenant 
Ta  courfe,  &  fayfi  bien  qu'on  aille  fouftenant, 
Que  d^emporter  le  prix  indignes  nous  ne  fommes  : 
Toy  de  beaucoup  d?efcris,  &  moy  de  beaucoup  d^hommes, 
Celuy  qui  a  le  cœur  plus  deuôt  en  tels  lieux. 
Face  qui  vouâra  faire,  il  fait  toufiours  le  mieux. 
Car  cela  qu'il  a  moins  qu*vn  autre  d'excellence, 
L'ardeur  le  luy  fait  prendre  ou  bien  le  recompenfe. 

8* 


Me  voila  donc,  Vy  flth,  bien  toft  tu  m  as  porté 
Dans  ma  ville  où  ie  voy  ce  gui  eft  apprefti, 
Par  moy,  fous  le  vouloir  de  mon  FoXi  ^^  "■*  femble. 
Joignant  rhonneur,  la  grâce,  &  la  rickeffe  enfembte. 

la  l'Aurore  laiffantfon  Tilhon  endormi, 
Chajfe  la  nuit  ombreuft,  &  refeme  parmi 
L'air  tranquille  S  ferain  des  rofis  qu'elle  apprefte 
Pour  les  faire  pleuHoir  fur 
Dedans  la  maifon  ioinie  au  temple  principal. 
Où  mon  Prince  ejl  couché,  i'ojr  l'accord  mujical 
Des  Chantres  &  fonneurspius  diuins,  qui  rcueillent 
Deçà  delà  ces  Dieux,  qui  ce  matin  fommeillenl. 
Fors  les  amans  ajfes;  reueille:;  de  l'amour, 
Qsii  les  fait  fouhailer  lefoir  de  ce  beau  iour. 

Pay  bien  d'autre  façon  habillé  telle  bande. 
Que  Cvfage  commun  grùffier  ne  nous  commande, 
Guillaume,  lean  Dugué,  Charles,  Mitou,foni  ceux, 
Qfie  de  nom  S  d'habit,  i'ay  fait  Princes  d'entr'eux  : 
L'habit  fait  qu'affe^  bien  à  ces  noms  ils  conuiennent. 
Leur  fon  fait  que  ces  noms  pour  tamais  ils  retiennent. 
Guillaume  efi  vu  Pkebus,  Charles  tant  de  la  main 
Comme  du  refle  imite  va  Ampkioa  TTtebain, 
lean  Dugué  fait  le  Pan,  Mitou  qui  raccompagne. 
Le  Thracien  Orphée,  S  pour  ce  coup  dédaigne 
Son  luth,  ayant  aux  champs  Ety^ens  appris 
D'vtt  gentil  inflrument,  qu'il  a  maintenant  pris. 
Les  deux  deffus  le  luth,  dont  comme  Dieux  ils  fonnent, 
Doucement  vu  Sonet  doux  S  hautain  fredonnent, 
Qye  fur  ce  iour  i'ay  fait  :  les  deux  autres  fuiuans 
Accordent  au  fonet  S  au  fon,  émouuans 
L'ame  plus  aigrement  :  Pvn  touche fes  regales 
Auxfepl  luyaus  derPan  Archadien  égales  : 
Et  l'autre  vn  clauecin  accorde  gayement. 
Et  félon  fa  partie  auec  Vautre  infirument. 
Deuant  chacun  des  deux,  par  en/ans  de  la  forte 
Q]ie  Ion  peint  les  Amours,  leur  infirument  fe  porte, 
Et  tous  ces  quatre  enfemble  ont  fur  moy  tel  pauuoir. 
Que  ie  penfe  ces  Dieux,  &  non  ces  hommes  voir. 


EPITHALAME.  123 


Qfiand  Vvn  d*eus  tient  le  plain,  Vautt-e  deffus  fredonne, 
Et  le  tiers  fredonnant,  le  quart  plainement  fonne  : 
Puis  rechangent  foudain,  &  fe  iouans  de  nous 
Auec  vn  dous  réueil  donnent  vn  fommeil  dous, 
Et  fans  la  prompte  ardeur  en  chacun  embrafee, 
le  croy  que  Ion  lairroit  en  fon  lid  Vefpoufee, 
Ces  quatre  donc  tousfeuls  des  autres  à  Vécart 
Se  faifant  rois  des  fens  font  leur  mufique  à  part. 

le  voy  là  d'harmonie  encore  vne  autre  bande, 
Qjti  guère  moins  aux  fens  de  nous  tous  ne  commande. 
Ce  font  Mufes,  parmi  cefte  troupe  Vay  mis 
Deux  de  ces  trois  enfans  Italiens  tranfmis 
Non  de  Rome,  ains  du  ciel,  pour  adoucir  la  peine, 
Qjte  toute  affaire  apporte  au  Prélat  de  Lorraine. 
En  vn  autre  troupeau  de  Chantres  on  peut  voir 
Leur  frère  plus  âgé  faire  vn  autre  deuoir  : 
Mais  quant  à  ce  faint  Chœur,  qui  fi  bien  fe  deguife 
Et  de  port,  &  d'habits,  fur  tout  vne  Denife, 
Denife  Mufe  vraye  ores  que  mieux  ie  Voy, 
Auec  fa  voix  hautaine  emporte  hors  de  moy 
Mon  ame  dedans  Pair  :  lesfix  autres  pucelles 
Se  font  en  tous  eftats  choifies  des  plus  belles. 
Ou  quipouuoient  au  moins  auec  quelque  beauté 
Joindre  ce  diuin  chant  dont  ie  fuis  enchanté  : 
Les  oyant  tant  au  vif  reprefenter  V antique, 
Qu'elles  nousfemblent  rendre  encor  la  chromatique  : 
Chacune  tient  en  main  vn  infirument  diuers, 
Q}ie  les  vnes  vont  bien  accordant  aux  fainds  vers. 
Dont  î'ay  loué  les  Dieux'*  autheurs  de  V alliance. 
Aux  autres  il  ne  fert  finon  de  contenance, 

Vne  autre  troupe  encor  des  Chantres  mieux  appris 
A  qui  donne  la  Court  V entretien  &  le  pris. 
Marchent  tels  que  Ion  peint  les  poètes  antiques. 
Entre  lef quels  on  voit  les  huiâ  fçauans  Lyriques, 
Sapphon  eft  autre  part,  &  tant  Vautres  bien  ne:{, 
Veftus  en  long,  &  tous  de  laurier  couronne:^ 
Ces  grands  Démons  humains,  ces  Chantres  &  Poètes, 
Vont  chantant  dvn  ramas  des  chofes  que  Vay  faites 


Il 


124  EPITHALAUE. 


'  Sur  le  dos  de  la  Paix,  les  train  les  mieux  Hrej 

nj-'  Aufquels  on  a  des  chants  eelefies  infpire\, 

NI  H    '  Comme  famé  des  vers.   Vne  bande  confiife 

Ijl  n  ,      .  D'autres  miyïciens  tous  en/ans  de  la  Mufe, 

•Il  ,  _  Se  rompt  deçà  delà  portant  diuerfement 

D'homme  ou  de  Dleujl  bien  le  vieil  accouflrement. 
De  femme,  &  de  Triton,  de  Seraine,  S  Satyre, 
Qjie  leur/on  fait  rMurir,  leur  gaye  façon  rire. 
Leurs  chants  font  fort  diuers,  foXaftre  efi  leur  accord, 
I  '  Hors  des  vulgaires  loix,  mais  pourtant  fans  difcord  : 

M   .>  '  ^  ^uffi  tous  feparef,  trois  à  trois,  quatre  à  quatre, 

i'  Ne  fouffrent  le  plaïfir  par  le  difcord  combattre  : 

Trois  beaux  enfans  qui  font  S  femmes  &  poijfons. 
Des  Seraines  encor  vont  imitans  les  fons. 

Voila  vn  petit  mont,  qui  porte  fur  fa  pente 
Mercure  encor  afjis,  qui  maintenant  n'enchante 
I  '  .  No/Ire  lumière,  ainjt  qu'il  fit  d'Argus  les  yeux, 

fit,  Sa  flutte  nous  réueille,  &  Ji  peut  tous  les  deux. 

I  I .  ~  Mon  Anglois  qui  chej  moy  m'a  cent  fois  de  fa  harpe 

I  I  I        ■  Recréé  (e*  efprits,  l'ayant  ore  en  écharpe 

I  Contrefait  Arion,fur  des  flots  cheuauchant 

I  '.  "  Son  Dauphin,  Sfauuant  fa  vie  par  fon  chant. 

Sappkon  fur  vn  rocher,  qui  enleué  la  porte, 
De  fon  ciftre  S  fa  voix  fes  amours  reconforte  : 
Le  Centaure  Chiron  fagement  comparant 
Sa  marche  de  cheual,  &  fon  aix  delaiffant 
Qu'il  porte  dans  le  ciel,  tient  la  lyre  diuine. 
Dont  il  apprifl  au  fis  de  Thetis  la  marine. 
Et  fonnant  fait  le  quart.  Entre  ceux  ci  voila 
Qjiatre  autres  qui  vn  peu  f  écartent  de  ceux-là. 
Qui  d'vne  aigre  mufique  &  gaillarde  &  hautaine 
Font  retentir  le  ciel  à  granJ'force  d'haleine, 
Vn  Triton  embouchant  vn  gros  injirument  creus. 
Trompe  des  Dieux  marins  retorfe  en  plufieurs  nœus. 
Porté  deffus  des  flots,  de  toque  blanche  &  bleue. 
Dieu  vieillard  par  le  haut,  S  poiffon  par  la  queue, 
Sert  d'vne  baffe-contre  à  ces  quatre.  Vn  Triton 
Plus  ieune  que  celui,  d'vn  plus  mefuré  ton 


EPIXHALAME.  125 


Va  remplijfant  fa  trompe  y  autrement  retournée 

Qjte  celle  que  fort  père  a  fi  bas  entonnée. 

Deux  Satyres  plus  haut  &  plus  clair  que  ces  deux. 

De  cornets  à  bouquin  éclattent  auec  eux  : 

La-Mare,  que  premier  entre  ceux-ci  Vefiime, 

Vn  ton  perçant  &  doux  fi  viuement  anime, 

Qjte  les  plus  endormis  foit  d'ici,  foit  d^  autour. 

Se  iettent  hors  du  lid,  beniffans  ce  beau  iour 

0«  le  cielfe  decoeuure  à  leurs  yeux  fauorable. 

Autant  qu^eft  cet  accord  à  Vaureille  aggreable. 

Voila,  ie  voy  fortir  encor  de  ce  degré 

Trois  pafteurs,  qui  tantoft  iouoient  tant  à  mon  gré 

D'vn  flageol,  d^vne  flufte,  &  d'vne  comemuje,   ^ 

Qjti  m'ont  fait  fouuenir  de  la  ruftiqueMufe, 

Qjti  ne  dédaignant  point  les  trouppeaux  &  les  bois, 

Ny  la  chanfon  champeftre,  enflamba  quelquefois 

Tytire  Mantouan^  Damete  de  Sicile, 

Et  VErgafte  gentil  de  Naples  la  gentile  : 

Darinel  en  eft  Vvn,  qui  bourdonne  fi  bien 

Qu'aux  chants  Arcadiens  le  Poidou  ne  doit  rien. 

Toutes  ces  bandes  font  de  gens  excellents  pleines. 

Soit  en  efprits,  en  mains,  en  vois,  ou  en  haleines, 

Mefmement  quelques  vns  qui  de  nom  &  d'honneur. 

Dédaignent  le  nom  vil  de  publique  fonneur, 

Se  f entent  trop  heureux  pour  toy  qui  es  Maiftreffe 

De  la  trouppe  fçauante,  &  trouppe  chantereffe. 

D'honorer  ce  faind  iour,  comme  feroient  ces  Dieux, 

Comme  feroient  auffi  cesfainâs  efprits  des  vieux. 

Contrefaits  par  ceux  ci,  fi  ces  gaillardes  bandes 

f^^ approchaient  de  fi  près  de  leurs  grâces  plus  grandes  : 

Ou  fi  eux^mefme  au  ciel,  ou  là-bas  dans  leurs  champs , 

N^auoient  à  reiouir  auiourd'huy  de  leurs  chants 

Les  Ombres  &  les  Dieux,  pour  les  fainâes  concordes, 

Qfii  nous  accordent  mieux  que  n'accordent  leurs  cordes. 

Je  ne  voy  point  ici  ce  bien  fonnant  Albert, 

Héritier  de  l'honneur  de  fon  père  :  Lambert, 

Ny  tant  d'autres  encor  que  noftre  Court  renomme, 

D'eftre  nés  à  tirer  àfoy  l'efprit  de  V homme, 


Comme  Orphée  les  bOis,  ne  fy-foift  point  Irouuej, 

Et  croy  fue  pour  la  chambre  ilafe  font  refeme^. 

Ton  Francifque  eft  ahfent  que  ie  plaïn  d'auanlage , 

Sois  Deeffe  enuers  luy,  &  pardonne  à/on  âge  : 

le  ne  voy  plus  ici  de  bande,  dont  le  fon 

Et  Vhabit  reprefente  vne  antique  façon  : 

Les  bandes  des  hauts-bois,  8-  clerons,  &  trompettes, 

Aux  autres  fai/ans  place  &  iufqu'ici  muettes, 

Ont  bien  fceu  qu'il  efl  iour  ici  de  tout  cofté,  — 

Que  toute  dame  ioint  la  pompe  à  la  beauté,  ^B 

Qji'on  ieue  les  deux  Rois,  que  defia  Ion  habille      f^H 

Ces  trois  Roines,  la  Mère,  S  Fille,  S  Belle  fille,    ^^ 

Et  que  fur  toutes,  toy  {de  ce  iour  le  Soleil)  '  " 

Tu  vas  faire  enrichir  d'vn  éclat  nompareil. 

D'or,  d'argent,  de  fiambeaus,  qui  par  tout  illumineni, 

Deffus  lefquels  encor  tes  deux  beaux  yeux  dominent. 


< 


De  tous  cœurs  fe  faifit  i'allegrejfe,  S  lefoing 
Auec  le  vent  qui  fort,  S  emporte  bien  loin. 
L'accoufirement  d'eux  tous,  fans  qu'on  leur  accommode 
l^etque  antique  perfonne,  eft  fait  à  noftre  mode,  .  _ 
Cijiefiri  riche  d'étoffe,  encor  mieux  façonné  i^^U 
De  tes  couleurs,  tu  as  à  chacun  d'eux  donné.  *<^^H 
Tous  ces  gais  violons  font  de  mefme  liuree,  ^^^ 

Et  maints  autres  defquels  noftre  Court  fe  recrée. 
Qui  veut,  ie  croy,  ce  iour,  veu  ces  feules  merueiltes. 
Soûler  tous  grands  efprits,  tous  yeux,  toutes  oreilles. 
Sus  enfans,  fus  amis,  fus  fus  troupeau  diuin, 
La  miifique  eft  la  fteur  de  la  ioye  &  du  vin  : 
Du  vin  la  fureur  fainSe  égayant  par  mefure. 
Fait  mefme  fouuent  vaincre  S  l'art  S  la  Nature. 
AUei,  dejfemble^-vous,  le  vin  frais  vous  attend, 
Defiune^",  rende^j^vous  l'efprit  libre  S  content, 
Et  puis  demi-repeus  de  légère  viande, 
Que  chacun  plus  difpoftfe  retrouueenfa  bande. 


EPITHALAME.  iZy 


Afin  que  quand  le  iour  Je  monftrera  plus  haut  y  ^ 

Et  que  le  Roy  voudra  qu^on  marche  y  comme  il  faut. 
Par  ordres  &  par  rangs  vos  troupes  ie  difpofe 
Pour  marcher  y  fans  confondre  en  vous  la  moindre  chofe, 
Par  cefte  grande  allée  que  %*ay  fait  ordonner. 
Ce  qui  peut  tout  ce  peuple  &  moy-mefme  étonner, 
Cejle  allée  à  main  dextre  au  long  du  mur  menée  y 
Et  félon  les  retours  par  compas  retournée, 
Tantofi  baiffant  plus  bas  y  &  tantoftfe  leuanty 
Sans  perdre  pourtant  grâce  y  &  toufiours  enjuiuant 
Sa  hauteur  y  fa  largeur  y  &  Vart  qu^on  y  contemple  y 
Prefque  iufques  auprès  des  portes  du  grand  Temple 
Commence  y  à  Vhuis  duquel  tous  ces  Dieuxfortironty 
Qui  fous  elle  à  çouuert  iufques  au  temple  iront. 

Je  Vay  prefque  en  façon  de  longue  gallerie 
Fait  fonder,  &  leuerfur  la  charpenterie. 
Qui  fe  fuit  y  baiffe,  hauffe  &  tourne  par  endroits,    ~ 
Par  efpaceSy  gardant  f es  allignemens  droits  : 
Car  tantoft  à  niueau  tout  droit  fe  continue^ 
Puis  tantojl  la  mefure  &  grâce  retenue 
Peu  à  peu  fait  fon  fais  deualler  contre^basy 
Puis  peu  à  peu  le  monte  encore  par  compas. 
Pay  toutesfois  par  tout  de  gfbsfeftons  de  Vhierre 
Reuejiu  tous  les  bords  y  &  mefme  iufqu^à  terre 
Couuert  &  enfîthi  tout  ce  qui  la  foufiienty 
Tant  que  rien  en  tout  Vœuure  offenfer  ne  nous  vient. 
Sur  ce  bois  donc  quifert  à  tout  Vœuure  de  ferme. 
De  huiâ  pieds  en  huid  pieds  on  voit  vn  double  terme 
Duquel  la  hauteur  va  le  naturel  paffanty 
Qui  en  deux  chefs  humains  par  le  haut  finiffant, 
Dont  Vvn  monftre  au  dehors.  Vautre  au  dedans  la  face, 
Dont  Vvn  ejt  maflcy  &  Vautre  a  de  vierge  la  grâce. 
Se  couple  dos  à  dos,  &  toufiours  au  millieu 
De  fa  hauteur  ioignant  les  deux  nombrils  au  lieu 
De  iambes  &  de  pieds,  il  f  amortit  en  pierrCy 
Qjti  large  par  le  haut  defcendant  contre  terre, 
Toufiours  fe  ramenuifcy  &  au  pied  feulement 
S*eflargity  fe  plantant  ainfi  plus  fermement  ; 


128  EPITHALAME. 


le  les  ay  fait  y  à  fin  que  chafque  terme  enfemble 
Sans  différer  d^vn  trait  Vvn  à  Vautre  reffemble, 
Tous  mouler  de  papier,  qui  cache  dans  le  creus 
Ce  qui  fouftient  le  fais  qui  repofe  fur  eus  : 
Vartifan  ftudieux  a  d*vne  gi'ace  telle 
Dans  fon  moulle  exprimé  Vaâion  naturelle, 
Qu*à  les  voir  on  diroit  quHls  ahanent  bien  fort, 
Et  que  prefque  leur  corps  raccourfit fous  V effort, 
Tant  bien  pour  fouftenir  chafque  arcade  voutee, 
Mefme  la  voûte  auffi  des  arcades  portée. 
Ils  renfoncent  les  yeux,  ils  referrent  les  dents, 
\  Ils  repliffent  le  col,  &  retenans  leurs  vents 

\  Ils  fe  font  arondir  le  ventre  &  la  poitrine, 

Ils  renflent  les  tetins,  &  renfrongnent  la  mine. 

le  les  euffe  bien  fait  au  lieu  de  les  brun^er^ 

En  toutes  les  couleurs  de  marbre  déguifer^ 

Et  prendre  leur  poli,  ou  bien  en  pierre  nofire^ 

En  ferpentine,  albafire,  oU  porphyre,  ou  quelque  autre, 

Mais  la  façon  du  brunie  efi  haute,  &fe  peut  mieux 

Reprefenter  au  vif  &  contenter  les  yeux  : 

Ce  qui  f  efi  fi  bienfait ,  qu^on  ne  fçauroit  cognoiftre 

Lequel  des  deux  ouuriersfeft  monflré  meilleur  maiftre, 

Le  fculpteur^  ou  le  peintre  :  ils  font  ainfi  qu^ alors 


i4- 


AV  ROY  CHARLES  IX. 


«PBES  LA  REDVCTIÛN  DV  HAVRE  DE  GRACe" 


5/  te  Vay  Jifcouru  ces  tours  tfvn  baftiment, 
le  ne  fuis  pourtant.  Sire,  vn  maigre  d'édifice 

,  L'heur  de  Nature  S  l'art  m'ont  pourueu  d'e; 
Plus  grans,  pour  au  pals  rendre  vn  auln 

Non  que  ie  refufaffe  à  méfier  dexirement 
D>V«  fi  bel  art  l'efiude  à  d'autres  artifices. 
Et  pour  toy  ie  feruiffe  à  mes  plus  grans  feruices, 
Si  iepouuois  tel  art  embraffer  dignement. 

Mais  le  bafiiment  vray  qu'il  faut  qu'vn  Roy  demande 
De  moy,  c'eft  de  fon  nom,  c'eft  de  fa  gloire  grande 
L'édifice,  à  la  flamme  S  au  fer  reflfiant. 

Pourfuy,  CHARLES,  l'heureux  infiinâ  de  ta  nature, 
Taitt  qu'enfuiuant  tes  ans,  tes  faits,  telle  firuâure 
Aille  par  moy  tous  ans  S  tous  faits  furmi 
Milli. —'u. 


SONNBTS. 


5i  ce  bien,  dont  ta  race  S  ta  face  &  ta  grâce, 

Ton  inJiinS,  ton  de/lin,  me  gardent  d'en  douter. 
Se  peut  voir  de  mes  yeux,  qui  eft  de  furmonter 
Nùftre  efpoir,  &  pajfer  les  gloires  de  ta  race  -■ 

Si  lu  fais  voir  que  quand  en  cejle  terre  baffe 

Tout  ie  déplore,  alors  Dieu  vient  tout  augmenter  : 

Bref,  fi  tu  es  vray  Roy  {car  ie  ne  puis  flater 

Ny  men(ir)  ne  crain  point  qu'aucun  ton  losfurpajfe. 

Mon  fubiet  non  pas  my  tout  autre  effacera, 
la  du/uiet  Ventrée  affej  ample  fera. 
Quand  ie  diray  le  trouble  &  Vheur  de  ton  enfance. 

Le  trouble  empefcke  Pheur ,  mais  le  vouloir  des  deux 
Ton  confeil.  Ion  efprit  &  braue  &  gracieux. 
Font  à  l'œil  Ion  heur  croifire  auecques  la  croiffance 


EJlre  fils  d'vn  HENav  qui  fut  fils  d'vn  paAnçois, 

Tous  deux  rares  honneurs  de  ta  France  en  prouéffes, 
En  vidoires,  grandeurs,  fciences  &  fageffes: 
EJlre  de  faiig  iffu  &  rang  de  puiffans  Rois  : 

Efire  orné  feul  des  dons  que  Ion  a  feint  aux  trais. 
De  Venus,  de  Minerue,  S  de  lunon  Deeffes, 
Qjtifont  les  grands  beauté^,  les  vertus,  les^hauleffes, 
El  en  face  &  façon  promettre  armes  S-  loix  : 

Dés  l'enfance  auoir  veu  foudroyer  les  murailles, 
Nefejlre  point  troublé  des  affaults  S-  batailles. 
En  courant  fon  Royaume  iiuoir  molly  fous  foy. 

Et  rembarré  lesjiens,  affoupi  nojlre  guerre. 

Et  fait  chaffer  l'Anglais  dedans  fon  coin  de  terre, 
C'efi  ia  pour  tqy  grand  gloire,S-  grand fuiet  pour  Moy . 


SONNETS.  l3l 


IIII. 

Aïars  en  guerre  ejfroyable  enfes  combats  tempefte^ 
Venus  plus  douce,  tire  en  Vamour  noftre  cœur, 
Forcé  dejfous  les  loix  de  fon  enfant  vainqueur, 
Et  Diane  fes  ferfa  en  la  chajfe  conquefte. 

Mars  te  vit  en  naijfant,  &  fouffla  dans  ta  tejle 
le  ne  fçay  quqy^  qui  doit  du  monde  eftre  la  peur, 
Et  Venus  finfpira  le  meilleur  de  fon  heur, 
Diane  par  les  bois  faccoufiume  à  la  quefie. 

Sous  Mars  tout  ce  grand  monde  au  ioug  ajferuiras, 
Sous  Venus  tous  les  cœurs  du  peuple  rauiras, 
Et  pour  dHci  chaffer  le  mal  qui  nous  menaffe, 

Tout  ce  rondfpatieux  teferuira  de  bois, 

Voire  ^  pourras  en  tout  ce  que  peuuent  les  trois, 
Mars,  Venus),  &  Diane,  en  guerre,  amour  &  chaffe. 


V. 


Pendant  qu'en  mes  difcours  ie  ri  de  Viniuflice, 
Qui  à  tort  f  efforçant  m*abyfmer  de  malheurs, 
Réueille  vn  cœur  en  moy,  qui  domteur  des  douleurs 
Ne  permet  qu'à  mes  maux  ma  confiance  flechiffe  : 

lefonge,  &  contrepoife  à  mon  mal  la  malice 

Du  temps,  qui  mefme  à  tort  f  attachant  aux  grandeurs 
De  nos  princes  &  Rois,  monflre  que  les  grands  heurs 
Sont  enttie:(  du  peuple,  &  pourfuiuis  du  vice. 

Mais  le  ris  de  mon  mal  n*eft  pas  de  làforti. 

Pour  voir  vn  mal  commun  iufqu^aux  grands  départi  : 
Car  riant  de  mes  maux  ie  pleure  des  publiques. 

Puiffé'ie  de  ces  deux  en  fin  telle  fin  voir, 

Qtie  Vvn  engendre  en  moy  Vheur,  V  égard  y  le  fçauoiv, 
L'autre  aux  grands  le  confeil,  &  Vhorreur  aux  iniques. 


kK 


C'eftait  affe^  ce  femble  (p  Dieu)  qu'après  auoii- 
Au  règne  de  henkï  dix  ans  nourri  la  guerre. 
Nous  auoir  fait  decroijire  en  accroijfanl  Ja  terre. 
Dont  en  fin  Ion  ne  peut  grande  eroiffanee  voir  : 

Faire  encor,  lors  quefoibte  ejtoit  nojtre  pouuotr. 
Rompre  vne  tréue  heureufe,  S  puis  comme  un  tonnerre, 
Qjii  fi''  v  double  éclat  deux  grands  fapins  atterre. 
En  deux  batailles  pre/que  accabler  nous  vouloir. 

Nous  arracher  le  pris,  le  cœur,  S  Cefperance, 

Si  deux prifes  deux  fois  n'euffent  vangé  la  France: 
Sans  après  vne  paix  qui  nous  fait  difçorder. 

Faire  vn  grand  Roy  meurdrir,  comme  en  duel,  S  faire 
(O  monfire)  le  François  au  François  aduer/aire, 
Ofier  vn  autre  Rnj-.  &  l'autre  hajarder. 


SONNETS.  l33 


CONTRE  LES   MINISTRES 


DE   LA   NOVVELLE  OPINION, 


I. 


Ne  nCeft-ce  affe:(,  helasi  puis  quHl  faut  commencer 
Par  regret  fur  vn  temps  plein  de  regrets ,  ma  plainte ^ 
De  voir  par  faâion  nouuelle  iniujie  &  feinte, 
L^vfance  antique  &  droite  &  vrayef  effacer  9*^ 

Voir  tel  etreurfans  choix  &  fans  pois  fembraffer 
Par  pique,  ou  dol,  ou  fby  légèrement  étreinte, 
Et  voir  la  fby,  la  loy,  V amour,  la  iufie  crainte, 
Prefqu^auec  tout  Veflat  des  François  renuerfer? 

Voir  les  champs,  les  cite:(,  de  leur  Roy  plus  voifines. 
Pleines  de  fang,  de  feus,  de  vols,  &  de  ruines. 
Qu'on  couure,  à  faux,  du  nom  tant  de  Dieu  que  du  Roy? 

Sans  voir,  las!  que  défia  par  deux  fois  fur  fa  tefïe, 
La  France  ayant  bien  peu  preuoir  telle  tempefle. 
Sans  remède  &  fans  yeux  V attende  ainfi  fur  foy . 


/^ 


Ce  qui  deuoit  le  plus  decouurir  telles  rages. 
Ce  qui  deuoit  devant,  après,  S  à  ïamais 
Contre  iesfaujc  deffeiru  de  ces  gens,  &  leurs  faits. 
Animer  nos  cùnfeils,  nos  efcrits,  nos  courages. 

Sont  les  prétextes  feints,  les  fau-x  &fots  langages 
Des  Miniflres  leurs  chefi,  impudents,  contrefaits, 
Seurs  du  martel  des  leurs,  &  qui  hayans  lapais 
Cachent  du  faux  dejir  d'icelle  leurs  orages. 

Qli'ores  on  voye  au  moins  comme  ils  fçauent  piper. 
Qui  creuans  d'auair  veu  de  leurs  mains  échapper 
Leur  Ray,  par  les  chemins  luy  lâchant  faire  outrance, 

Le  faifans  affteger  dans  Paris,  cotlifer 

Ses/uiels,  /es  moulins  brûler,  fes  ponts  brifer. 
Crient  que  c'efi  en  humble  &  vraye  obeijfance. 


Apres  tant  d'autres  matuc  braffej  en  d'autrts  lieux. 
Vouloir  ici  d'entrée  S  reuolle  première, 

Rendre  il  y  a  fepl  ans  la  nobleffe  meurtrière 
Des  parens  de  leur  Roy  deuant  fes  propres  yeux  ; 

Puis  couuant,  nourrïjfanl  leurs  feux  ambitieux. 
Piquer,  pouffer,  preffer  leurs  fauteurs,  de  manière 
Que  leur  caute  fimplejfe  S-  leur  hiimbleffe  fiere, 
Afon  Roy  demafquafon  front  feditîeux  : 

Nous  vouloir  cantonner,  mettre  rAnghis  en  France, 
Faire  enuahir  du  Roy  la  terre  &  la  finance. 
Soudoyer  de  larcin,  defacrilege  auffi, 

Enfiege  S  en  bataille  ofer  co\ilre  vn  Roy  faire 
Par  traître  affafinat  fon  Lieutenant  défaire, 
N'e/lnit-ce  pour  pouuoir  en  cela  voir  ceci? 


SONNETS.  l35 


un. 

Oeft  aux  miniftres  feuls,  miniftres  des  miferes 

(PeuX'ie  dire)  &  des  maux,  &  des  torts  inhumains 
Que  nous fouffrons par  eux,  qui  branlans  en  leurs  mains 
No^e  fatal  brandon,  fe  font  faits  nos  Mégères  : 

Oeft  aux  miniftres  donc  que  les  iuftes  colères. 
Soit  de  moy,  foit  de  tant  de  diferts  écriuains 

^  Se  doiuent  addreffer,  mon/irans  lâches  &  vains 
D*efprit  tous  les  fauteurs  de  fi  faux  minifteres. 

Seuls  ils  ont  machiné,  dreffé,  tramé,  conduit. 
Dénombré  leur  pouuoir  par  Eglifes  inftruit, 
Des  viures,  des  moyens,  desfurprifes  commodes. 

Donné  le  iour  auquel  le  Roy  prendre  on  deuoit, 
Qui  des  leurs  dés  long"  temps  &  fort  loin  fe  fçauoit, 
Mefme  c^eft  ce  qu^ entre  eux  ils  nommoyent  leurs Jynodes. 


V. 


Qjtoy  que  ces  éhonte!(,  qui  n'ont  eu  leurs  pareils 
En  ce  monde,  ayent  dit  que  pour  fauuer  leurs  teftes, 
De  leurs  chefs  faffembloient  les  forces  toufiourspreftes. 
Et  quHls  nHgnoroyent  point  de  Marcel  les  confeils  : 

Us  en  font  démentis  par  les  longs  appareils. 

Par  mémoires  trouues[,  par  mille  autres  enqueftes , 
Que  Ion  peut  faire  au  vray,  par  toutes  four  des  queftes, 
Achapts,  amas,  traffics,  &  complots  nompareils. 

Je  Vay  toufiours  fenti^  car  telle  humeur  couuerte 
Ne  pouuoit  pas  faillir  d^eftre  à  mesfens  ouuerte  : 
Mais  m^amufant  fans  fin  contre  ces  Antechrifts, 

Aux  points  de  leur  doârine  &  faulfe  &  obfiinee, 
le  laiffois  là  leurs  faits  :  auffi  lafeâe  née 
D^écrits,  ne  peut  mourir  iamais  que  par  écrits. 


f 


■v  » 


i36 


SONNETS. 


i^ia. 


•' 


VI. 


l 


:<2lf>aw^e  ^mra  bien  feeu  de  quelUs  fartes  arw^es. 
En  combien  defgçonSf  épar  combien  de  ien^f 

■    De  qeei  nombre  infini,  non  de  chèuattx  &  gène. 
Mais  d^écritSf  qui  nCtJtoyentê'SainU  &Jmrs  gendarmes^ 

Pay  fftdié  guerroyer  V erreur,  le  fard,  les  charmes 
De  ceux  qsdfimt  trafflc  d^ainfi  piper  nosfens  : 
Quiconque  aura  cogneu  que  fans  fin  ie  preiens 
A  ce  butf  de  liurer  tout  itim  coup  mes  alarmes: 

Qfdconque  encorfçaura  que  non  par  mon  efiirt. 
Mais  par  la  vérité,  contre  qui  rien  n^^fart, 
lepuis  plus  toutfeuiprefque  encontre  eux  qu^pne  armée. 

Se  fâchera  qu^ainft  que  le  temps  trijte  &  faux. 
Contre  w^fire  bien  f  arme,  amjècours  de  nos  maux 
Safltte  Oceafion  contre  mqyfoit  armée. 


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/ 


VII. 


Les  hauts  esprits,  quimifine  offènfei^fçahiayent  wdeux 
En  m  tel  tort  aimer,  voire  aider  leur  pairie,     - 
Durant  les  maux  publics  par  quelque  fyynpathie. 
Tous  prefqu'auoyent  des  maux  particuliers  pour  eux. 

Qjiand  vn  corps  eft  greué  d^aucun  mal  furieux, 
Du  mal  la  plus  grand^  part  eft  toufiours  départie 
A  chacune  plus  viue  &  fubtile  partie  : 
Car  mieux  fe  rend  par  là  le  mal  viâorieux. 

C'eft  pourquoy  demandoit  ce  Roy  Macedonique 
Ces  grands  chiens  gardiens  de  leur  grand  parc  attique, 
Moy  qui  toufiours  depuis  Verreur,  le  mal,  Veffroy 

Du  pais,  n'ay  receu  que  tort  &  que  trauerfe, 

N^oppoferay-ie  point  maugré  ma  chance  aduerfe. 
Aux  infidelles  loups  mon  plus  fidelle  abboy? 


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•  ONNETS.  lij 


VIII. 

(^e  font  (o  Dieu)  meffait,  ou  ma  France,  ou  mon  Prince,- 

*  Que  fa  meffait  eucor  la  tnefme  pieté, 
Qft^ejtant  vtil  en  tout,  inutil  Vaye  ejïé 
Aufecoursi  dé  la  foy,  du  Roy,  de  la prouince? 

Car  encoraue  fouuent  maint  labeur  i*entrepriirfe 
Bien  comeu,  bien  conduit,  &  ia  prefqu^ enfanté, 
Jlfalloit  par  rencontre  eftrange,  ou  nouueauté 
De  fuiet^  qu^entre-rompre  à  tous  coups  ie  le  vinfe. 

Mais  que  fa  mon  corps  me/me  à  point  nommé'forfiLit^ 

;    Qyi^eftant  contraint  changer  les  parolles  au  fait. 
Les  Hures  aux  harnois,  les  plumes  aux  pijiôiles, 

Prifonnier  dans  vn  lia ^ie  fois  arrejlé  lors? 
Au  moins  fi.  tel  deuoir  tu  veux,  ofter  au  corps, 
Tay  vaincre  Vame,  &  pren  viâoire  en  fes  parolles. 


IX. 

Je  ne  crains  pas  que  Dieu,  lefçauoir,  la  vertu, 
LaSffent  vaincre  Satan,  Vignorance,  &  le  vice, 
Ny  qWen  tout  foit  Veftat,  le  repos,  la  police. 
Par  faux  fuiets,  par  trouble,  &  defordre  abbatu  : 

Que  ce  qui  fiable  efioit,  grand,  &  bon,  combatu 
Soit  par  légèreté,  petiteffe,  &  malice  : 
Que  de  Pfiabit  du  bien,  defimpleffe,  &  iufiice, 
Le  mat,  le  dol,  le  tort,  foit  long  temps  reuefiu  : 

Mais  ie  crains  qu*vn  defafire,  &  honte,  &playe  cède 
(O  Dieu!)  trop  tard  à  Vheur,  à  Vhonneur,  au  remède^ 
Qiiand  le  rebelle  (d  Dieu!)  Vheretic,  Vefiranger, 

Auront  mangé  mon  Roy,  mon  Eglife,  &  ma  France, 
Hafie  nous  donc  le  iour^  lefens,  Vobeîffance, 
Pour  de  leur  nuiâ,  furie,  &  mépris  nous  venger. 

r 


l38  SONNET» 


X. 


Qfiel  deftinfait  que  ceux  piiplus  aux  chofespeuuent, 
Enfoyeàt  par  deftourbîer  ou  defaftre  empefche^^ 
Que  comme  vn  finge  au  bloc  on  y  voye  attache\^ 
Pour  la  plus  part  ceux  là  qui  moins  apt^py  treuuent? 

Et  que  ctux  bien  fouuent  plus  hardiment  pémeuuent 
Aux  vengeances  d^vn  tort  public,  qui  lors  cache^y 
Defaftre!{y  mécongneusy  &  le  moins  recherché^, 
Toutfeuls  en  vain  dans  Joy  leurs  courages  épreuuetU? 

Par  armes j  par  efcrits,  de  ce  Jiecle  V erreur 
Des  doâes  &  vaillans  doitfentir  la  fureur  : 
En  VvH  bien  que  malade,  &  que  riche  V égale 

Par  vouloir  les  meilleurs  :  en  Pamtre  ayant  tant  fait^ 
Voire  vn  peu  mieux  que  ceux  qui  ont  en  main  ce  fait, 
le  meurs  d^eftre  au  millieu  de  mes  biens  vn  Tantale» 


]  •  XI. 


Mon  but  d^ainfi  fans  eejfe  après  ces  gens  hiçoffer 

Par  les  forts  les  plus  longs,  plus  drus,  &  pleins  d'éfines, 
N'eji  pas  pour  bruit  acquerre  en  fi  hautes  doârines  : 
Mais  pour  aider  ma  France  &  ces  monftres  chaffer. 

Par  leurs  dodrines  donc  il  failloit  commencer, 
Non  pour  monfirer  combien  on  les  verroit  mutines, 
Mais  combien  ces  dodeurs  par  leurs  hargnes  malignes, 
Auoyent  peu  VEuangile  &  forcer  &  fauffer  : 

Puis  monfirer  que  leur  mafque  abied,  &  doux,  &  morne, 
S^échangeroit  en  face,  &  cruelle,  &  difforme, 
Nous  ayans  fait  dedans  leur  labyrinth  entrer. 

Mais  quoy?  fentans  qu^on  trouue  vn  filet  de  Thefee, 
Ils  nous  tachent  enfin  dans  leur prifon  rufee. 
Bon  gré,  maugré,par  meurdre  &  parfiame  empefirer. 


*ONI^ETS.  iSq 


■•»- 


Xll. 


I 

Qjti  aroiroit  de  trouuer  Verreur,  la  barbarie, 
Le  deffaut  de  cermelle,  &  Venuelopement, 
Mais  bien  le  pur  menfonge  en  leur  enfeignement, 
Dont  Vouminay  V occulte  &ricke  tromperie? 

j^t  euft  penfé  de  voir  tant  d? aigreur,  defurie"^^ 
De  vils  &  ords  brocards,  d'aboy,  de  hurlement, 
î>e  vains  efpouuentaux  en  leur  reuenchement, 
«    Si  toft  que  Ion  fait  tefte  à  leur  affi'onterie? 

4liMX proiets  qui  croiroit  tant  de  trajjic  &  dol? 

ï.  Aux  exploits  qui  croiroit  tant  defang  &  de  vol? 
Sur  tout  quipourroit  croire  (6  V impudence  extrême  /) 

^iftaujt  nànuelles  qu^ihjbnt  pour  vanter  ou  cacher 
Leur  bien  ou  mal  qui  court,  ils  femblajfent  tacher 
IfefifiUre  aux  leurs  vaincre  en  impudence  mefme^^? 


Xlll. 

le  luty  qu^eftéis  tous  p-efque  arraehe:(  de  dedans 
L^ejtole  pédante/que,  ou  le  cloiftre,  qu^en  haine 
Extrême  ils  ont,  leur  face  &  leur  façon  foit  pleine 
Du  pis  qu^ayent  en  eux  les  moynes,  les  pedans, 

le  hmy  que  telle  humeur  les  rende  en  tout  ardans. 
Bien  qu^H»  feyent  deguife^  d^vne  attrempance  vaine^ 
Plus  ^ii*Mi  Crapaut  creuans  d*vne  enfleure  vilaine , 
Plus  qu*vn  chien  plein  de  rage,  écumans  &  mordans, 

le  hay  quHls  rendent  tels  aufoujtien  de  leurs  fonges 
Les  leurs,  voire  aufoujtien  de  tous  nouueaus  menfonges  : 
Mais  ie  hay  plus  ceci  que  quand  on  les  reprend, 

Outrageant,  menaçant  leurs  dodes  aduerfaires, 

Ains  Je  faifans  Dieu  mefme,  ejlans  à  Dieu  contraires, 
Ne  vont  criant  finon  qu'à  Dieu  mefme  on  fe  prend. 


V»Jbrl  S  Jtut -effiit  fe  renforce  &  foulage 

Tant  plus  fort  fort  ialoux  luy  prefetite  d'ajfaux, 
Comme  on  feint  qu'un  Hercule  eajes  diuers  IrauOM, 
Contre  l'afpre  rencueur  de  lunonf  encourage. 

Les  maujc  que  contre  mojr  de  ces  maiftres  l'outrage 
Pourrait  braffer  de  foy,  de  leurs  meurtriers  loyait 
Les  aguets,  ny  l'effroy  de  nos  publiques  maux, 
Ny  mes  malheurs  n'ont  peu  mordre  fur  mort  courag 

Qu'efiant  fain  S  difpos,  iufques  au  bandement 
Entier  de  tous  mes  nerfi,  iufqu'à  Vépanchement 
Dernier  de  tout  mon  fang,  iufqu'au  foupir  extrême, 

le  n'y  vueillc  ce  corps  S  cejle  orne  oppofer, 
Et  fur  tout,  gui  plus  eft,  toute  Pâme  épuifer, 
Pourfauuer  contre  eux  tous  lefauueur  de  nous  mefm 


Si  tant  de  mal  fe  peiff  par  bon  auis  guérir,  4 

Si  par  le  fer  vengeur  on  peut  telle  hydre  albâtre, 
Si  telle  erreur  on  peut  par  difputes  combatre. 
Et  fi  la  JiJti/eau  £isur  peut  ces  monjlrss  ferir, 

Embraft^-vous,  ô  vous  qui  pourrez  fecourîr  .--■ 

Encor  trop  mieux  quemoy  la  France  en  l'vit^s  quatt 
Carfuiuii  de  con/eil,  d'armes  fefentaHi  batre, 
De  vois  &  vers  forcer,  ils  font  feurs  de  périr. 

Apporte^  le  Moly  transformant,  que^0rcure 
Apporta  pour  changer  da  Grecs  l'orde  figure, 
La  maffe  Herculienne,  9  l'effort  apporte^ 

Des  vieux  pères  Chrétiens,  les  fureurs  lambiques 
D'Archiloc,  S  deffus  les  honteufes  reliques 
De  la  France  vn  trophée  à  fa  gloire  plante^. 


SONNETS.  141 


XVI. 

Tout  mon  regret  n^eflpas  que  ta  durable  EgUfe, 
(O  christ)  foit  diffipee  en  noftre  France  ainfi^ 
Je  ne  plains  pas  encor  tant  feulement  quHci 
Ton  règne  pmdfique  &  ton  nom  Ion  méprife, 

JUfais  ie  plains  que  la  France  abolit  ou  deguife 
Outre  la  pieté,  toute  autre  forme  aufji 
Requife  en  tout  ejtat  :  ie  plains  que  ce  temps  ci 
Toute  autre  gent  Chrejlienne^  ainft  que  nous,  diuife  : 

Tant  que  ce  mal,  par  qui  nousfommes  defunis, 
Nous  rend  de  tant  de  maux  comme  à  bon  droit  punis. 
Par  nos  vices  Vamour  qu^enuers  toy  tu  commandes, 

Mifinement  tout  amour  d^entre  nous  ejloit  mort  : 
Tu  fais  donc  à  propos,  que  haine  &  q^  difcord 
Seyant  de  Vamour  ejlaint  les  fanglantes  amendes. 


XVII. 

( 

Dés  nations  qite  christ  àfonfainû  nom  foubmety 
le  tairay  chafque  ver  naturel  qui  les  pique. 
Bien  que  ma  Mufe  foit  quelquefois  fatyrique, 
Vn  fiel  pourtant  trop  afpre  enfes  vers  ne  permet: 

Elle  aux  yeux  d^vn  lourd  peuple  y urongne  ne  remets 
QuHl  noyé  toutes  loix  dans  Vorde  loy  Bacchique  : 
Ellefe  taifi  du  peuple  &  feint  &  impudique, 
Du^peuple  enflé  le  nom  &  du  mutin  f  omet  : 

Maisie  diray  {Pen  veux  au  peuple  que  plus  Vaime) 
Qjie  Venuie  aux  François  par  nature  efi  extrême. 
De  là  fort  ce  difcord  nojtre  fatal  poifon  : 

Par  là  le  doâe  eft  fol,  le  vertueux  inique^ 

Le  doux  prince  efï  tyran,  mais  las!  maint  ieu  tragique 
CoWimençant  par  enuie  acheue  en  trahifon. 


SONNETS. 


XVIll. 


ïljaut  qti'vn  coun  du  ciel  étrangement  contraire 
Au  climat  de  la  Gaule,  S-  qui  oncques,  ie  erqy, 
Autre  pari  nefefiveu  tel  qu'au  vray  ie  le  voj-. 
Vienne  en  nos  faits  ainfi  qu'en  vn  iouét  fe  plaire. 

Tout  ce  que  chafque  efiat  veut  S  doit  S  croit  faire. 
Se  fait  mefmc  au  rebouri  :  quand  on  penfe  duRoy 
Retrencher  la  defpence,  un  viiit  venir  dequoy 
Rengager,  rembrouiller,  déplorer  fon  affaire  ; 

Plus  la  nobleffe  veut  mefnager,  plus  fe  croift 

Par  pompe  fon  fardeau  :  mainte  grandeur  decroifi, 
Voire  S  fe  fait  vilaine,  en  penfant  faire  gloire 

D'auarice  S  d'acquefi  :  plus  fe  croifl  la  fbifon 
D-officiers  S  d-edias,  moins  fe  fait  de  raifon  .- 
Plus  de  Dieu  Ion  difpule,  S  moins  Ion  en  fait  croire- 


Qfie  de  ce  fiecle  I        IMe  on  me  peigne  vu  tableau. 
Par  ordre  y  or       nant  Vejlrange  mommerie 
Où  tout  vice,  tout  crime,  erreur,  pefte,  furie, 
De  fon  contraire  ait  pris  lé  mafque  &  le  manteau  : 

Aux  peuples  S  aux  Rois  dejfous  maint  faux  flambeau 
Qui  les  yeux  éblouit  S  les  cœurs  enfurie. 
Soit  de  ces  mafques  faux  Penorme  tromperie 
Conduite,  &  pour  moumon  porte  à  tous  vn  bandeau  : 

L'iniufiice  prendra  le  beau  mafque  d'Aflree, 
En  fcience  fera  l'ignorance  accouflree , 
Sous  le  mafque  de  christ,  d'humbleffe  S  charité, 

Satan,  ambition,  /édition  félonne 
Marcheront,  S  n'efloit  la  chance  que  Dieu  donne, 
Leurs  faux  de^  piperoyent  tout  heur  #  vérité. 


SONNETS.  143 


XX. 


Pour  débonder  les  maux,  dont  maintenant  abonde 
Lafainâe  &  iadis  ferme  &  forte  Chrejlienté^ 
Sur  tout  la  France,  en  qui  Vechaffaut  apprefté 
Enfanglante  de  loin  prefque  tout  œil  du  monde. 

Ces  apoftres  nouueaux  n*ont  pas  ouuert  la  bonde 
Tousfeuls  d'vne  tant  afpre  &  roide  aduerfité^ 
Auec  eux  les  auteurs  du  malheur  ont  ejlé 
Tant  d*àbus  dont  en  tous  nojlre  France  efï  féconde. 

Mais  comme  en  temps  mauuais  dans  Pair  on  peut  bien  voir 
En  grand'pluye  creuer  vn  gros  nuage  noir. 
Puis  voir  après  les  vents,  les  grefles,  les  tonnerres 

Saccager  tout  Vefpoir  des  pâlies  vignerons  : 
Entre  nos  maux  fans  fin  ces  gens  nous  marquerons. 
Comme  orage  &  degaft  de  nous  &  de  nos  terres. 


XXI. 

lefçay  que  mille  efcrits,  V apparence  du  vray, 
Lespaffages  deioints,  V ardeur  de  contredire, 
L^amour  des  nouueaute^  auec  excufe  attire 
Maint  &  maint  à  ces  gens  def quels  Vay  fait  Veffay. 

le  fçay  qu*en  nos  Prélats  gifi  force  abus,  iefçay 
Qfte  maint  qui  feulement  à  fon  falut  afpire, 
Penfe  d^ homme  de  bien  trouuer  ce  quHl  defire 
Aux  autres  quHl  n'a  pas  fi  bien  fondé  que  Vay, 

le  fçay  que  c^efï  grand  bien  de  bannir  de  VEglife 
Tout  abus,  iurement,  larcin,  &  paillardife, 
Mais  les  voyant  doubler  tant  de  /éditions, 

le  fçay  fous  ombre  fainâe  en  leurs  âmes  fenclorre 
De  tout  temps  vn  orgueil,  qui  couue  '&  fait  eclorre 
Tant  de  monftres,  naiffans  pour  nos  perditions. 


Pique^  iPvne  acre  humeur,  n'ayons  dequoy  fe  plah 
Aux  lieux  de  leur  exil,  l'vnfur  l'autre  etitaffe^. 
De  nombre,  de  difette,  &  de  remors  feffe^, 
Fafche^  de  rien,  de  trop,  de  mefme  ckofe  faire  : 

Car  en  diuers  i'ay  veu  ce  triple  dueil  contraire. 
Hais  des  leurs fouuent,  des  leurs  me/mes  chajfej, 
D'efperance  penjlans,  du  ioug  fâcheux  la§E\, 
Sous desloi-x  qu'en  ceslisux donne  mefme  vnvulgi 

Tous  Hargneux,  tous  ialoux  l'un  de  l'autre,  obJHne 
Pourtant,  S  ennemis  des  lieux  oii  ils  font  nef,  . 
Bien  que  d'y  retourner  leur  dejir  fut  extrême. 

Ont  en/e  ralliant  tous  confeils  a^emblej, 

Pour  rendre  tous  endroits  du  royaume  (rouMef, 
A  tout  hasard  du  Roy,  du  pays,  &  d'eux  mefme, 


SXIII. 


En  fongeant  aux  mayens  qui  par  eux  ont  efli 
Proielteif,  pour  attraire  à  ce  but  d'Euangile, 
Tout  ce  qui  entre  nous  fe  voyait  plus  débile. 
Le  tentans  d'apparence  ou  bien  de  nouueauté  : 

Je  trouue  vn  mauuais  art  d'auoîr  folicilé 
Le  Mayne  las  du  cloiftre,  &la  Nonnain  fragile, 
Aux  pratiques  trouuans  Voccafion  vtile. 
Qui  eft  laferuitude  &  la  lubricité  : 

Comme  aufji  le  pédant  débauché,  le  folaflre 
Difciple,  l'artisan  tant  plus  opiniaftre 
Qu'il  eft  Sot  :  mais  ce  dol  eft  extrême,  qu'ils  ont 

Par  nos  femmes  gaigné  noftre  nobieffe  :  Ô  rufe  j 
Antique  de  Satan.  Toujîours  Adam  fabufe  ' 
Par  Eue,  en  tels  appas^"  tous  tels poifoni  fe  fbnt. 


SONNETS,  145 


XXIllI. 
t 

le  m'emerueillois  fortf  fanspenfer  rCau  Papifme, 
N^au  Caluinifme  auffi^  de  quel  humeur  épris 
En  ce  fauxfiecle  eftoyent  nos  bifarres  efprits. 
Contre  Vhumeur  Françoife  &  le  doux  Chriftianifnie, 

D*ofer  contre  /e^  grands  par  vn  vray  fatanifme 
Tant  dHniures  vomir,  par  dits  &  par  efcrits, 
Les  diffamant  :  Satan. eft  père  de  me/pris , 
De  menfonge,  d*orgueil,  &  d'outrage,  &  defchifme  : 

Ces  mots  de  fot,  me/chant,  ladre,  traiftre^ poltron, 
Sodomite,  atheifte,  &. meurtrier  &  larron, 
Et  pour  femmes  tous  mots  d'ordure  &  de  fallace, 

Sonnent  à  noftre  oreille  :  or  tout  effay  public 
M'a  fait  voir  tel  infiinâ  ejlre  huguenotic. 
Et  voir  qu'ainjt  ces  gens  font  de  Satan  la  race. 


XXV. 

Aux  plaintes  que  ma  Mufe  en  ces  vers  cypourfuit. 
Soulageant  dans  vn  lia  mon  mal  &  V aigreur  forte, 
Que  la  publique  horreur  &  la  pitié  m'apporte, 
le  ne  rens  pas  l'erreur  par  difputes  deflruit  ; 

Telle  viâoire  ailleurs  i'obtiendray,  mais  le  fruit 
Qjte  ie  quiers  en  ceci,  c'ejl  que  leur  grand'  cohorte 
Mife  en  armes  peut  bien  conceuoir  de  la  forte 
Qji'ilfaut  en  quel  péril  &  honte  on  la  conduit  : 

Sans  ediâyfans  bataille,  elle  mefme  animée 
Seroit  à  bannir  ceux  qui  Vont  tant  enflammée, 
Qjti  cruels  pour  fe  faire  en  France  retenir, 

Sans  ceffe  aufang,  aufac,  d'vn  fouet fanglant  la  chaffent. 
Et  leurs  feurtes[  au  dam  de  fa  feurié  pourchaffent, 
La  faifansau  lieu  d'eux  f on  propre  honneur  bannir, 
lodelle,  —  II.  «0 


■46   _ 


Efi-ce  Chbist,  ou  Satan, ambition  ou  jele. 

Droit  ou  tort,  faux  ou  vray,  dijcùrd  iufte  ou  ialous. 
Rage  ou  fage  confeit,  haine  au  amour  de  nous. 
Sou/lien  du  Prince  ou  bien  fcdltm^  rebelle. 

Qui  vouspique  S  vous  poajfe  en  vue  ef meute  telle. 
Et  qui  vous  faites  CiiaisT  le  canduâear  de  vous? 
Ce  beau  nom  d'EuangUe,  S  tous  les  mots  plus  doui. 
Dont  tafaul/e  apparence  efl  faite  efain^e  S  belle, 

PouuoyenI  faire  cuider  quepouffe{  en  ce  fait 
Vous  eftie\  du  meilleur  de  ceci,  mais  l'effet, 
Comme  impofer,  piper,  mal~dire,  mal  efcrire, 

Trafiquer,  mutiner,  ckaffer,  meurtrir,  brûler. 
Du  Prince  les  deniers  S-  les  villes  voler, 
Doiuent  faire  cuider  qu'efles  pouffe^  du  pire. 


Je  penfe  eueores  voir  fous  celuy  de  nos  Roii 

Q)ie  pour  /es  faits  du  nom  d'Augufle  Ion  appelle. 

L'erreur,  l'embrafement,  lafaâion  rebelle. 

De  ceux  là  que  pour  lors  i 
Vaincus,  chaffci{,  luej parno 

Que  le  Romain  Pontife  oui 

Aux  grands  eurent  loufiou 

Comme  au  Roy  d'Arragon 
Nos  François  qui  vainqueurs 

Pour  chef  de  tout  le  refke  i 

Qui  ajjiegi,preffé,  voulut 
Des  myfleresfacrei,puisfoudain  hors  la  ville 

Saillant,  donnant,  fbrceant,  en  occit  dixhuiS  mille. 

Tant  la  France  a  toujours  rembarré  tout  erreur. 


.Ibigeois  : 
Seigneurs  François, 
la  d'vn  fain3  jele  : 
!  recours  de  leur  qiierelli, 
comme  au  Comte  de  Fois  : 
m  France  retournèrent, 
1  Montfort  ordonnèrent 
/m 


SONNETS.  147 


XXVIII. 

O  moy  pourtant  heureux  de  Vheur  qu* aurait  ma  France 
Si  ces  gens  qui  fe  font  contre  elle  mutine:^, 
Si  les  noftres  auffi  qu'yen  fin  ces  obftine:ç 
.  Forceront  de  venir  iufqu^à  V extrême  outrance  ^ 

Auoyent  ceux  la  par  crainte,  &  ceux  cy  par  clémence ^ 
D*vn  fainâ  &  iufte  accord  leurs  cœurs  defacharne:(, 
Fuyons  le  cruel  choc  oit  les  a  deftine:{ 
La  contrainte  dernière,  &  Vardeur  de  vengeance  : 

le  fentirois  fort  grand  vn  tel  heur  pour  ne  voir 
Ce  beau  règne  noyé  dans  fon  fang,  &fçauoir 
Que  ces  pipeurs  diroyent fils  auoyent  ta  viâoire. 

Dieu  venge  ainfi  les  fiens  en  tout  temps  en  tout  lieu  : 
Et  vaincus  ils  diroyent,  font  des  verges  de  Dieu, 
De  noftre  Eglife  vraye  &  la  marque  &  la  gloire. 


XXIX. 

Ne.  les  a  ton  peu  donc  decouurir?  aumoins  ceux 
Q}ii  à  leur  gloire  fote  &  fonglante  prétendent, 
Et  vrais  Pythons  enfle^  d*vn  ord  venin  fo  rendent 

*-    Comme  vn  Sphinx  aguettans  par  leurs  propos  douteux. 

Et  qui  fouillans de  Christ  le  Jainâ  banquet  entre  eux, 
Sont  Harpyes,  qui  or^  pour  nous  piller  fo  bandent, 
Quileur  batt^nfornale  en  Cerbères  efpandent, 
En  Chimères  fo  font  &  cruels  &  hideux, 

Qfi*im  Phcèbus,  vn  Œdipe,  vn  Zetes,  vn  Alcide, 
Vn  prompt  Bellerophon  en  puiffe  eftre  homicide 
Ou  domteur,  ie  ne  veux  les  plusflmples  bleffer  : 

Mais  les  felons  qu'ion  voit  pour  nous  mettre  en  mifore, 
D^enfleure,  aguet,  rauage,  efoume,  horreur,  paffer 
Tout  Python,  Sphinx,  Harpye,  &  Cerbère,  &  Chimère^ 


Chsibt  pacifique  Roy,  qui  entre  Un  tiens  ejlre 
Ne  fçauroiSffans  y  voir  ta  compagne  ta  Paix, 
Qiii/ars  naijtre  entre  nous  ces  troubles  ë  meffails 
Pour  nous  faire  les  Mens  par  nos  maux  recognoijlre 

Et  tes  apprehendans  t'en  recognoijlre  maijlre, 
Manjire  que  tous  de  Dieu  Us  en/ans  tu  nous  fais, 
Toy  ejtanl  no_ftre  frère,  &  que  /oyons  refaits 
Ton  beau  corps,  que  Satan  par  difcard  fait  decroijire . 

Ou  bienfi  ces  errans  toujiours  obftinexfont 
Contre  toy  Roy  ceUJle,  S  l'autre  Roy  qu^îls  ont, 
Noflre  cœur,  noflre  droit,  à'  norfOrces  profpcre  : 

Car  ie  crains  veu  Feflat  oii  on  ejl,  qu'en  noa  ioars 
La  paix  ne  -naijfe  point,  fans  qu'eUe  ait  ton  fecours 
Pour  pare,  S  la  viâoire  ample  &  iufie  pour  mère. 


Tous  les  fainâs  mandemens,  que  nqfire  Jby  Ckreftieniie 
Commande  de  garder,  font  de  la  vieille  loy 
Fors  vn,  que  Iesvb-Ckbist  à  l'exemple  de  foy. 
Veut  que  comme  à  nous  feuls  particuliers  on  tienne, 

C'eft  que  nos  ennemis  nous  aimions.  Or  qu'on  vienne 
Surnommer  maintenant  ces  affîegeurs  de  Roy, 
Ces  troubUurs  de  repos,  ces  ébranUurs  de  foy. 
Les  vrais  rejlauraleurs  de  VEglife  ancienne. 

Referuer  la  vengeance  à  Dieu,  pour  ceux  prier 
Qui  affligent,  fans  fin  deffous  les  Rois  plier, 
Fuffent  ils  tyrans,  efl-ce  ou  f  armer  ou  écrire 

Cent  libelles  vilains? Je filUrfon  cordeau, 
Se  faire  des  mutins  le  chef&  le  bourreau, 
Efi.cefuiure  rfeCHUiST  ^poHr  Christ  le  martyre^ 


SONNETS.  149 


XXXII. 

Depuis  que  Vay  leur  caufe  entièrement  fondée^ 
La  conférant  à  Vautre,  &  tout  point  épluché, 
Q}ie  pour  elle  &  contre  elle  aux  efcrits  Vay  cherché, 
le  la  hay  la  trouuant  &  nuifihle  &  fardée. 

Puis  voyant  leur  façon  aujlere,  outrecuidee, 

Hargneufe  en  dits  &  faits^  bien  que  tout  foit  caché 

Sous  vouloir  d*euiter  des  autres  le  péché, 

le  la  hay  comme  ejlant  defauxjinges  guidée. 

le  hay  que  la  plufpart  d'entr^eux,  fans  rien  fçauoir. 
Voire  fans  leurs  raifons  fouuent  n^ouir  ne  voir, 
S*obftinent  à  crédit  :  leurs  fiâmes  ie  detefle. 

Mais  plus  leurs  fiers  deffeins,  &  plus  encor  cent  fois, 
Ces  petits  libelleurs,  de  qui  les  fois  abbois. 
Tant  le  refte  eft  aueugle,  embrafent  tout  le  refte. 


XXXIII. 


Oefi  horreur,  que  n^ofans  braffer  telle  entreprife 
Du  règne  d*vn  feu  Roy  puiffant  &  redouté. 
Sur  les  ans  d^vn  Roy  ieune,  en  paix  &  en  feurté. 
Ils  ont  Voccafion  de  leur  maffacre  prife  : 

Puisfe  voyans  foudain  découuerts^  par  feintife. 
Par  harangue  emmiellée,  &  menfonge  ehonté 
.Ont  taché  pallier  Vindigne  lâcheté, 
Difans  ne  confpirer  que  contre  ceux  de  Guife. 

Etpon  obieâe  à  Vœil  de  leur  profeffion 

Le  rebours,  ils  diront  quHl  n^efl  pas  queftion 
De  la  foy,  mais  que  c'eft  vn  fait  ciuil  :  &  femble 

Ce  quHls  ne  lairroyent  pas  faire  eux  mefme  à  leurs  chiens 
Qu*vn  grand  Roy  doit  laiffer  meurdrir  les parens  fieyts 
Par  tels  iuges,  partie,  &  bourreaux  tout  enfemble. 


!    à 


Q)ie  ie  H  quand  le  voy  ces  placarts,  ces  requefiés, 

Où  ces  mefjieurs fe  font  de  France  les  ejiats  : 
Et  monfirent  que  défia  c'eji  fauaacer  d'vn  pas 
Contre  nos  loix,  nos  Rois,  nos  repos,  &  nos  tefies 

De  France  les  eftals,  pour  mouuoir  ces  tempejles, 
A  Vuormes,  à  Geneue,  ou  ailleurs  ne  vont  pas. 
Àuecpitié  ie  ri.  Us  voyant  mettre  à  bas 
Leursdejfeingspar  leur  faute,  S fy  conduire  en  bejlts. 

le  ri  d'ouïr  qu'il  faut  pour  les  iujles  venger. 
Ceux  qui  n'en  peuuertt  mais  voler  &  faccager. 
Et  qu'ainfi  des  plus  grands  la  tutelle  on  pratique. 

Mais  las!  ie  pleurerais  quand  ils  pleurent  des  feux, 
Pour  vne  opinion,  fpââaele  trop  hideux. 
S'ils  n'efcriuoyent  qu'il  faut  ardre  tout  hérétique. 


L'éternité  que  Chbist  en  VEglife  apromife. 
Qui  tant  d'ans  a  régné  fans  que  fujfent  ceux  ci  : 
Les  clefs  &  le  povuoir  que  faina  Pierre  evfi  ici. 

Qu'ils  co,,feffent  cux-mcfme  éternel  à  VEglife  : 
L'efprity  demeurant  pour  iamais,  qui  maiflrife. 
Qui  in/pire  S  conduit  tous  vrais  payeurs  ainfi 
Qu'il  a  fait  les  premiers  :  les/ainâs  pères  auffi 
Par  qui  lesfainâs  efcrits  ont  authorité  prife  : 
Ce  que  mefme  Luther  a  creu  du  facreinent  ; 

Les  difcors  qu'ils  en  ont  :  les  faux  Anabaptifles, 
Les  Parfaits,  les  Dormants,  Frerols,  6  Dauitifles 
Qui  font  engendre^  d'eux,  ejl-ce  par  argument 
Pour  monflrer  qu'ils  n'ont  pas  l'efpril  ny  fa  doSri 
Mai>i  qu'en  fe  ruinant  ils  cherchent  fa  ruine? 


SONNETS.  l5l 


XXXVI. 


Que  ce  confeil  me  plaiji,  qu'auant  qu'vn  faind  Concile 
Reûniffe  de  Christ  les  membres  différents ^ 
S'on  trouue  quelques  vns  de  ceux  cy  conspirants 
Pour  la  /édition  &  non  pour  VEuangile, 

On  les  puniffé  à  mort  .  qu'on  mette  en  chafque  ville 
Secrettemcnt  main  forte,  &  qu^à  tous  adhérants 
Toute  occajion  pofte,  &  que  mille  enquerants 
Ayent  fans  ceffe  V œil  fur  lafaûion  vile. 

Mais  ie  loué  encor  plus  que  ceffans  tous  les  feux, 
Puis  que  le  nombre  efï  tel,  que  fi  ce  n'efl  par  eux, 
Et  par  la  raifon  mefme  extirper  ne  fe  peuuent  : 

De  mille  efcrits  fçaùansj  ingénieux  &  forts , 

SainâSy  &pris  de  Dieu  mefme ^  on  face  tant  d^ efforts^ 
Qj*e  d^euxmefmes  d^auoir  pitié  de  foy  fefmeuuent. 


POVR    LE    lOVR    QVE   LA.    PAIX    FVST   FAICTK 

l568»\ 


I. 


Si  ta  paix  efï  honnefïe,  &  iufle,  &  fainâe,  &  bonne, 
Qji^elle  ait  heureufe  entrée,  accroiffance  &  feurté  : 
Si  ton  difcord  n^eft  pas,  comme  il  faut,  garroté, 
Qfie  ta  couronne  on  voye  orner  d^autre  couronne, 

Q)ii  fon  rond  d^or  d*vn  rond  de  laurier  enuironne. 
Non  d'oliue^  qui  donne  &  loijîr  &  fierté. 
Et  confort  au  difcord^  que  plus  grand*  loyauté 
Dieu  pour  iamaisenuers  ton  beau  fceptre  nous  donne  : 


M 


jSa  SONNETS. 

liu'il  donne  à  ton  Can/eil  l'adreffe,  S  le  bon  cuevr, 
A  les  beaux  ans  la  ioye.  S-  l'heur,  S  la  longueur, 
Sur  tous  à  tes  faids  gloire,  à  ta  gloire  mémoire  ; 

A  moy,  gui  fuis  tout  lien,  grand  pouvoir,  grand  effori 
Tant  pour  aider,  qu'ornei'  ta  Paix,  ou  ton  difcord. 
Ton  fcepire,  ton  confeil,  tes  ans,  tes  faits,  ta  gloire 


POVK   LE   lOVR    DE    PASQVES   ENSVIVANT. 


Ce  ioiir  que  tu  viens,  Sike,  au  faind  banquet  Chre/lie» 
Prendre  &  manger  de  Christ  le  corps  que  tuadorei 
Par  qui  fans  fin  la  vie^en  toit  corps  tu  rejlaures: 
Car  ce  corps  remuant,  fait  reuîure  le  tien  : 

Croy  que  c'efi  d'une  paix  l'infaillible  entretien 
Auec  Dieu,  par  /on  fils,  qu'en  toy  tu  incorpores  : 
El  fur  Ji  fainde  paix  fonge  à  la  paix  encores 
Que  tu  asfaide,  &  l'vne  auec  l'autre  maintien  : 

Mais  crain  toufiours  que  ceux,  qui  par  fardé  menfongi 
Ont  fait  vne  figure,  vne  foy  vaine,  vri  fonge 
De  Vvnion  que  C  khht  fait  ce  iour  aiiee  toy. 

Ne  feignent  Vvnion  qu'auec  eux  tu  asfaiâe, 

Trompeufe  S-  J'vnfaux  mafqiie  en  leur  dam  contrefaite 
Rompans  en  telle  paix,  comme  en  l'autre  leur  foy. 


l    LA    PENTECOSTE   ENSVIVANT, 


Dieu  vueille  qu'en  ce  iour,  qui  du  nom  de  cinquante 
Prend  fon  nom,  l'efpril  fainâ  auparauant  promis 


SONNETS.  l53 


Du  Fils,  &  puis  du  Père  aux  Apoftres  tranfmis^ 
Face  en  toy  quelque  occulte,  &  puijfante  defcente, 

Pour  ton  ame  efchauffer,.felle  eft  encore  lente, 
A  retenir,  &  mefme  enflammer  tes  amis, 
A  réunir,  ou  bien  domter  tes  ennemis, 
Car  de  ce  Dieu  la  force  eft  douce  &  violente. 

Il  voit  le  plus  beau  règne  où  Christ  az7  dominé^ 
Aueuglé,  corrompu,  mutiné,  butiné. 
Sans  qu^vn  efpoir  d* accord  iufte  &  vray  py  decœuure, 

Luy  donc  Dieu  {car  des  Rois  V effort  n^eft  affe:{  fort) 
Par  toy  nous  monftre  à  Vosil,  pour  vaincre  vn  teldifcord, 
Qjt^en  taparolle  il  parle,  &  quHl  œuure  en  ton  ceuure. 


POVR    LE    lOVR    DE    LA.    SAINCT    MICHEL    ENSVIVANT, 


un. 


En  Vautre  faind  Michel,  ce  haut  prince  des  Anges, 
Patron  de  ton  fainà  ordre,  auoit  fait  {que  ie  croy) 
Sur  V  autel  d^or  luy  mefme  ardre  &  fumer  pour  toy 
L^encenfoir  plein  de  vœus,  d^oraifons,  &  louanges  : 

Puis  contre  Satan  mefme,  &  contre  les  eftranges 
Complots  defes  enfans  il  f  arma  pour  la  foy. 
Pour  la  vie  &  Veftat  de  toy,  qui  es  vray  Roy, 
En  Vinfpirant  quHl  faut  que  tel  mefpris  tu  venges  : 

Mais  enfemblable  iour  qu^auec  fi  fainâs,  fi  grands. 
Si  pompeux  appareils,  tes  vœus  à  Dieu  tu  rends, 
Et  que  fi  grands  parfums  de  prières  faffemblent, 

Il  a  trop  plus  dequoy  fon  encenfoir  combler, 

Pour  impetrer  qu^ainfi  quHl  fait  Satan  trembler^ 
Satan  &  tous  enfans  de  Satan  fous  toy  tremblent. 

lO* 


Jtdce  étt  Dieux,  Hknbv,  jflt  Sfirert  ée  Boy, 
Qjii  rettmtHt  le  nomj^  le  eaur  tPitn  tel  père, 
Aè  thinuteur  de  tenir  la  place  tfVii  tel  fifre,  --' 
^t  de  fi  grand'  armée  d  mis  le  faix  fur  toy  : 

Qlit  me/me  ayant  Faàdfeffe  ff  la  vatlUatee  en  foy. 
Voudra  par  fa  prefenee  extrêmement prq^ere. 
Porter  fur  l'ennenty  la  peur,  le  vitupère. 
En  ren/brfant  lesfiens,  l'heur,  le  cceur,  3  lajby  : 

Va  U  premier,  fay  bien,  &  de  cceur  magnanime, 
De  voix,  ^effeS,  de  face,  S-  de  façons  anime 
Si  Uen  ton  camp,  que  feinte  aucune  n'y  ail  lieu, 
■    Oeft  grand  heur  d'eftre  Chefft  grand  en  fa  ieunejfi. 
(^oy  donc'?  de  pouuoir  ieune  obliger  par  prouêffc 
Et  r^at  de  fon  Prince,  S  la  loy  de  fon  Dieu  ? 


LE   lOVR   QVE  L  AVTHEVR   A   LEV   LE  DERNIER 


Quel  débat  fur  ceci?  ceux  qui  entre  nous  cèlent 
L'ardent  ^ele  qu'ils  ont  vers  l'autre  faâion, 
Ne  fe  pouuans  garder  que  de  leur  paffiùn 
Lis  feux  fecretsfans  ceffe  à  tous  mots  eftincellent. 

Font  bruit  qu'en  l'autre  camp  par  l'ediâ  ils  rappellent 
Ceux  qui  fe  contenoyent  :  qu'en  indignation 


SONNETS.  l55 


De  Vediâ  VAUemaigne  ejï  en  combuftion  ; 

Qsie  les  Anglais  fur  nous  leur  haine  renouuellcnt  : 

Nous  difons  qu^en  tous  lieux  où  ces  gens  ont  efté 
MaiftreSy  ils  ont  banni  Vantique  Pietéy 
Et  qu^ainjt  Vautre  Ediâ  par  eux  fans  fin  fç  force  : 

QuUls  ont  en  pleine  paix  ruiné  lesfainâs  lieux. 
O  vain  débat ,  tachons  par  armes  faire  mieux 
Que  deuant,  &  la  loy  prendra  des  armes  force. 


POVR  LE  lOVR  Q.VE  TOVT  LE  CAMP  PARTIT 
POVR  ALLER  TROVVER  l'eNNEMY. 

VII. 

Vous  Charles,  Catherine,  &  Henry,  qui  tene^ 
Nofire  fortune  en  main:  Charles  les  loix  nous  donne, 
Catherine  maintient  defonfils  la  couronne ^ 
Et  par  Henry  les  camps  fraternels  font  mene:{. 

Vous  tous  qui  aux  confeils,  &  aux  combats  prene^ 
A  cœur  la  foy  d'vn  Dieu,  qui  voftre  ame  eguillonnCy 
A  cœur  le  droiâ  d^vn  Roy  que  Dieu  fur  vous  ordonne, 
A  cœur  Vamour  de  France  en  qui  vous  eftes  nés  : 

S'il  n^y  a  plus  d'efpoir  que  Ion  nous  pacifie 
De  tel  accord,  que  Vvne  &  Vautre  part  f  y  fie, 
Prene:(  &  faites  prendre  à  nous  tous  plus  de  cœur, 

D^ardeur,  &  vnion,  de  force  &  rufe  encore. 

Sans  qu'en  traînant  toufiours  ce  Royaume  on  deuore, 
Le  faifant  fur  foymefme  infortuné  vainqueur. 


VIÏI. 


Encor  que  toy,  ta  France  &  tes  fuiets  fidelles, 
Mefmcs  iufqu'à  la  mort  des  Princes  bons  &  preux, 


i56 


Par  aguet  ou  ha/art  de  coups  malencontreux , 
Tous  les  hurs  receuiej  quelques  piayes  nouuelles  : 

Bien  que  tu  daines  eftre  irrité  des  nouuelles 

Et  faux  bruits  que  les  gens  hargneux  forgent  entr'eax. 
Sans  qu'en  rien  Monconlour,Gernac,/ainâ Denis,  Dreu.r 
Voire  le  chic  dernier  contienne  ces  rebelles  : 

Combien  que  tout  traitti  qu'ils  fini  auecques  toy 
Ne  doiue  ejlre  dit  paix,  mais  bien  pardon  d'vn  Roy, 
Telle  paix  maintenant  ejl  pourtant  feure  &  bonne. 

Si  donc  vers  Dieu,  vers  toy,  ces  gens  cherchent  mercy. 
Pardonnes  les  reçoy  :  pardonner  en  cecy 
Plus  que  vaincre  en  combat  la  vidoire  te  donne. 


A   LA   ROVNE  MERE   DV   ROV. 


Qjiand  ie  te  voy  fur  toy  porter  toute  la  France, 
Comme  Athlas  fait  le  ciel,  ton  chef  Royal  baiffani 
Sous  un  fardeau  gui  va  le  faix  du  ciel  paffant  : 
Car  l'vi!  d'ordre  S-  d'accord  iujlementfe  balance. 

L'autre  ejl  plein  de  dîfcord,  de/ordre  S  in/olence. 
Abus,  erreur,  fureur,  que  lu  vas  regijjant, 
Pourtant  dejfous  ton  fils  les  hauts  caurs  moliffant, 
Et  rabaijfant  les  vils  par  confeit  S  prudence  : 

Qiiand  ie  voy  que  fur  toy  toute  l'Europe  a  l'ail. 
Quand  ie  te  voy  porter  fouuent  vn  double  dueil 
Du  temps,  &  de  Henrv,  quand  ie  voy  qu'on  ie  charge 

T^aboyant  des  deux  parts,  ie  te  plains  fort  dans  mor  : 
Mais  ie  m'appaife  alors  qu'vn  tel  fils  ie  te  voy, 
Qui  ia  plein  d'heur  reprend  S-  raccorde  ta  charge. 


:ê^^ 


SONNETS.  13-7 


II. 

Dieu,  Madame,  a  permis  en  vengeant  nos  malices. 
Nos  piques  &  nos  torts,  nos  abus  obfline:(, 
Que  deux  partis  fe  foyent  Vvnfur  Vautre  acharne!^, 
Faifant  par  nous  fur  nous  exercer  f es  iuftices. 

De  là  les  maulx,  les  tortSy  les  hontes,  les  fupplices, 
Les  pecfié^f  les  prifons,  les  trauaux,  deftine:{ 
Eftoyent  à  Vvn  ^  Vautre,  à  fin  qu*éguillonne:^ 
Nous  fuffions  de  remords  de  nos  haines  &  vices  : 

Mais  la  paix,  la  bonté  du  Roy,  cefte  vnion 
Commune,  pour  reprendre  à  ta  fuafion 
Le  Haure,  Veftranger  chaffer  hors  les  prouinces, 

Se  defarmans  fi>nt  foy  de  ton  futur  bon  heur, 
Et  qu*au  double  entre  nous  reflorira  V honneur 
De  Dieu,  du  Roy,  de  toy,  de  France,  &  defes  Princes, 


SVR    LA    MORT    DE   LA   ROYNE   d'eSPAGNE 
SA    FILLE    AISNEE". 

m. 

le  croy  qu^eftanty  Madame,  aux  maux  exercitee 
Autant  ou  plus  que  Roy  ne  oncques  le  fut  ici  : 
Et  comme  en  plaine  mer  des  vagues  de  fouci, 
D'ennuyy  d^effroy,  de  tort,  de  malheur  tourmentée, 

Et  qu^ en  voyant  fouuent  toute  ioye  reftee 
De  ioye  ejire  la  fin,  tous  plaifirs  mefme  auffi 
Neftre  queferuitude,  en  qui  nos  fens  ainfi 
QjA*en  vn  rets  d'or  leur  force  ont  fans  ceffe  arreftee  : 

Sçachant  quHl  faut  par  force  arriuer  tous  au  port. 
Et  qu'après  nos  honneurs  vne  honorable  mort. 
Qui  fans  crime  nous  prend,  rend  la  vie  plus  viue  : 

Toy  mefme  ne  voudras  en  ta  mort  f  ennuyer  : 
Voudras  tu  donc  tel  port  à  ta  fille  enuier. 
Qui  hors  des  maux  duec  tant  d^ honneurs  y  arriuè? 


De  Ion  dueil  ie  ne  veux  par  ces  vers  arrefier 
Le  roide  &  premier  cours,  en  l'afpre  deftinee. 
La  douleur  tft  rebelle  alors  qu'elle  efi  ge/nee. 
Trop  f  aigrit  vn  grand  mal  qu'on  veut  trop  tofl  ojler. 

A  trop  bon  droit  ta  file  il  te  faut  regretter,  '■■ 

Tant  vtile,  tant  grande,  aux  vertus  tant  bien  née,         Il 

Bien  que  Roj-ne  dix  Jbis,  dix  elle  en  peut  porter. 

Mais  quand  le  eceur,  le  fiel,  où  gifi  Vamour  &  Vire, 
Font  que  iiajire  ejlomach  tant  de  foupirs  en  lire. 
Tant  de  eris  nojlre  bouche,  S  tant  de  pleurs  nofire  cei\ 

Comme  en  vn  ciel  il  faut  que  du  haut  de  la  lefte 
La  raijon  qui  rejfemble  vn  beau  Soleil,  arrefle 
Le  venteux,  l'orageux,  &  le  pluuieux  dueil. 


Bien  que  tu  fois  graniP  Royne,  &  que  ta  grandeur  daine 
Prefgue  approchant  des  Dieux,  des  Dieux  mefmefenlir,   1 

Sans  vn  lerreflre  dueil  faire  de  foy  fortir. 

Si  faul-il  que  grand  dueil  par  force  die  conçoive  : 

Nature  veut  que  mère  &  femme  on  t'aperçoiue  : 
Le  fang  ne  peut,  S  moins  l'humaine  loy,  mentir  : 
Puis  quelle  mort  pourrait  tel  amour  amortir? 
Mais  il  faut  que  ton  dueil  foymefme  fe  deçoiue. 

De  toy  naiffant  il  doibt  dire  dans  toy.  Qui  fait 

Que  ie  contefte  au  vueil  d'vn  Dieu  fiable  &  parfait? 
Qui  m'arme  contre  moy,  fi  la  vie  on  voit  efire 

Vn  fonge  S  briefS  grief,  Ji  le  bien  plus  choifi 
Au  monde  efi  quafi  mal,  fi  tout  n'eft  rien  quafi, 
D'vntelrienqu'enpeui-ïlaucaurd'vnChrefliennaiftre? 


SONNETS.  I  59 


VI. 


Des  deux  grands  Rois  d'Europe,  eftre  fille  première 
A  Vvn,  &  femme  à  Vautre,  outre  encor  eftre  fœur 
D^vn  Roy  non  feulement  des  pères  fucceffeur 
En  règne  &  en  vertu,  mais  en  façon  guerrière  : 

Eftre  auffifœur  de  quatre  y  à  qui  la  terre  entière 
D'autres  grandeurs  referue,  auoir  foymefme  Vheur 
D'eftre  plufieurs  fois  Roine^  en  maiefté,  douceur, 
Et  autres  vertus^  eftre  en  terre  vne  lumière  : 

Auoir  vefcu  &  mefme  eftre  morte  en  V amour 
Extrême  d*vn  mary,  pouuoir  reuiure  vn  iour 
En  terre  par  mérite,  &  viure  au  ciel  par  grâce. 

Hors  des  tragiques  fins,  qu^ont  les  plus  grands,  V auoir 
Laijfee  en  te  laiffant  feurté  de  la  reuoir, 
N^eft'Ce  a]fe\  pour  calmer  &  ton  ame  &  ta/face  ? 


VÎI. 


La  fille  à  ce  Cefar  qui  peut  iadis  conquerre 
Nos  Gaules  en  dix  ans,  par  mort  auoit  rendu 
Le  tribut  de  nature  :  or  du  père  entendu 
Fut  tel  trefpas  alors  quHl  domtoit  V Angleterre, 

{L'Angleterre  il  nommoit  Albion  pour  la  terre 
Qjii  de  loin  paroit  blanche),  Adonc  fut  refpondu 
Par  luy,  Morte  ma  fille  &  mon  gendre  perdu  : 
Auffi  le  gendre  &  luy  toft  après  feirent  guerre. 

Mais  tu  doibs  au  rebours,  ces  nouuelles  oyant. 
De  ton  gendre  iuger  :  car  luy,  Chreftien,  voyant 
Qu^vne  caufe  qu'on  croit  Chreftienne  vous  allie. 

Fera  (quand  deux  enfans  ne  le  tiendroient  lié, 
Qjtand  autre  Hymen  de  nous  ne  Vaura  rallié) 
Qfte  Dieu,  que  le  danger ^  plus  que  V amour  le  lie. 


INSCRIPTION 

POVR    VNE    STRVCTVRE 


A  La  Grandeur,  Vert.  &  Liberalilé  de  Calherinc  R. 
de  Fran,  auiourd'ltuy  des  II.  pius  puiffans  &  floriff. 
R.R.  de  l'Europe,  mère  &  l'vn,  &  bclle-mere  à  Tau  ire  : 
ires-hcroique  &  treE-magnif.  PrincelTe,  foit  iuftement  A 
deuotem.  dédié  le  deffein  de  fi  rare,  fi  riche,  &  à  tou) 
fiecleE  admirabl.  ftrufture  :  à  iîn  qu'elle  qui  fur  toiH 
les  grans  Héros  &  grandes  Heroines  du  monde,  la  peut 
plus  franchement  &  plus  dignem.  Entreprendre,  m 
faifant  honte  à  tout  l'orgueil  des  plus  grandes  malTesanâ- 
■qucs,  plus  par  richelîe  &  gentileffe  d'inueniîon  que  par 
defpence  immodérée  ;  &  mefme  en  peu  de  temps  poll- 
uant venir  à  chef  d'vne  entreprife  affez  incroyaHa, 
vienne  après  par  vu  folenncl  &  digne  vœu  la  confncrer 
elle  mefme,  tant  à  la  future  &  perdurab.  mémoire  do 
Charles  VIUL.  trefchr.  R.  de  Fran.  fon  fils,  comme  aulE 
à  la  lienne  propre  deui^ment  &  immorlelem.  foit  pour 
vne  marque  inaccoiiftumee  de  fa  Gloire  înduftrieufe  4 
Magnificence  incomparab,  foit  pour  la  conferualion  & 
proleft.  de  la  louange  que  mérite  vne  inuention  telle, 
aidée  &  pour  iamais  affeurce  fous  l'apparence  d'vn  fi 
haut   nom  :  non   pas  tant  contre  les  ctforis  de  l'Igno- 


rance&de  l'Enuie,   qui   ftcilement  &  to 

u  fi  ours  feront 

contnintes  de   céder  à  l'admiration   d'vn 
que  contre  la  ialoulîe  que   tout  Art  plu 
&  la  Nature  mefme  tres-inimitab.  ouurie 

tel  ouurage, 
induftrieui, 
e,  en  doiuenl 

prendre  ;  Pvn  pour  fe  voir  vaincu,  l'autr 

e  pour  fe  voit 

SONNETS.  i6r 


quafi  mieux  que  naîfuement  &  veritablem.  rendue  : 
comme  toufiours  le  tefmoigneront  affez  ces  vers  addref- 
fez  icy,  &  facr.  à  celle  mefme  Maieflé. 

Toy  qui  dois  &  peux  feule  en  la  France  entreprendre 
Tel  ouurage,  qui  feft  facré  par  fon  Ouurier^ 
Voy  comme  tu  pourras  contre  tout  Art  plus  fier  ^ 
Contre  Nature  mefme  vn  fi  bel  art  deffendre. 

EuXy  en  voyant  vrayement  fous  la  voûte  fépandre 
Vne  grand*  vigne  en  treille  :  aux  vrais  miroirs  d'acier 
Les  colonnes  fembler y  voire  en  tout  Vœuure  entier 
Tiges, fleurs  y  fueilles,fruitSj  vrayement  viuansfe  rendre  : 

Veau  de  V arbre  ou  du  rocfortir  :  le  branl^n^ent 
Cà  &  là  faire  croire  vn  naïf  mouuementy 
Tous  deux  iahuSj  dépits,  nuifibles pourront  efire  : 

Mais  ne  crain  point,  tous  deux  fiupides  fe  rendront. 
Plus  que  V arbre  ou  le  roc,  à  tous  coups  quHls  viendront 
P enfer  que  tout  efi  faux,  fans  rien  faux  y  cognoiftre. 

Si  l'Art  &  la  Nature  mefme  fe  doiuent  (lupifier  fur  tel 
édifice  dreffé  de  telle  forte,  &  en  tous  lieux  tranfpor- 
tab.  Il  ne  relie  rien  au  monde  qui  ne  puiffe  à  iamais 
gratifier  telle  hardieffe  d^œuure  :  duquel  le  delîein  efl 
à  tel  nom,  &  l'exécution  efl  à  telles  mémoires  éternelle- 
ment voûee  DD.  Confacr. 


loielU,  •>  II.  II 


i62  soTrmTs. 


A    MONSEIGNEVR" 


Ci'cy  411  11  /  impoufueii  ce  ioiir  ie  le  pfoiete, 

Grand  Duc  S  grand  vaingiieii);ej! peu d'ouuragC'iu pris 
Des  vers  facre;  à  ioy,  lors  qu'à  mesfens  éprh 
Ton  Dieu,  ton  Roy,  ta  France,  S  la  gloire  fobiete. 

Mais  pour  monjlrer  mon  ame  en  rien  n'ejlre  fuiette 
A  Voubii,  quand  de  moy  fouuenance  on  a  pris, 
le  iette  en  l'air  ces  vers  :  car  quant  aux  longs  efcrili 
Ce  temps  ne  veut  encor  qu'au  mande  ie  len  iette. 

le  te  dy  donc,  qu'aînji  qu'il  te  fouuint  de  moy. 
Lots  que  fort  e/loignê  ie  ne  penfais  à  toy~: 
Moy,  ma  Mufe,  S  le  ciel,  fans  que  lors  lu  y  penfe. 

De  te  recompenfer  prendrons  vu  télfouci, 
'  Qu'à  ton  Dieu,  qu'à  Ion  Roy.  S  à  la  France  auf/i. 
Grand'  part  tu  pourras  faire  en  telle  yecompenfc. 


Cefi  beaucoup  voir  les  Dieux,  les  Héros,  S  les  Rois, 
De  rangfenlrefuiuans  au  lige  de  ta  race, 
Auoir  pour  digne  père  vn  Heneï,  qui  en  face, 
En  façons  S  en  faits  fembloit  paffer  ces  trois: 

Qui  te  laijfant  Jon  nom  pour  armes  S-  pour  lois. 
Te  laiffafon  affable  &fa  hautaine  grâce. 
Auoir  pour  frère  S  Roy,  Charles,  qui  en  fa  place. 
Te  commet,  receuani  de  toy  ce  que  tu  dois. 


SONNETS.  l63 


Dés  V enfance  auoir  veu  mainte  alarme  animée^ 
Prejque  enfant  par  deux  fois  ejire  grand  chef  d'armée  . 
Aucamppremier^fuiuantypreffantygaignantygardan  t  : 

Au  fécond,  triomphant  de  deux  grandes  batailles. 
Mais c^eft plus,  qu*à  Dieufeul  le  los  &  foin  tu  bailles, 
A  fon  vueil  le  laurier  &  Voliue  accordant. 


III. 


En  la  douceur  de  paix^  ta  douceur  naturelle 
Semble  prefque  oublier  tes  mérites  guerriers, 
Mais  le  ciel  ne  peut  voirfeicher  tes  beaux  lauriers. 
Et  veut  que  leur  verdeur  fans  fin  ie  renouuelle. 

Des  Prouençaux  la  route  ainji  foubliroit  elle? 
Pourrois-ie  de  Coignac  me  taire  volontiers? 
Taire  Vheur  d'affranchir  d'vn  teljiege  Poiâiers? 
Taire  de  Montcontour  la  vidoire  plus  belle  ?  x 

Du  Roy  la  gloire  y  gifl  :  trahir  ie  ne  la  puis. 
Si  foldat,  fi  poète,  à  mon  Prince  ie  fuis, 
Trop  plus  que  moy,  mon  Dieu,  mon  Roy^monpaîs  Vaime . 

Et  quoy?  tu  vois  quHci  d*vn  tien  petit  bienfait 
Enuers  moy,  la  mémoire  ainfi  chanter  me  fait  : 
^      Ton  bienfait  oublirois-ie  enuers  ces  trois  extrême?  . 


A    MONSEIGNEVR    LE    DVC*' 


i. 


Ce  iourd*huy  d^vn  trait  mefme,  à  Vimpourueu,  ie  veuic 
{Duc,  qui  prens  d*Alençon  ton  filtre  &  ton  partage) 


-«v- 


|64 


Ail  Duc  d'AaiOtt  ion  frère  offrir  mon  fainâ  hommage , 
Puis/acrer  dans  ton  temple  eucor  mes  humbles  vicus. 

Pareil  bien,  d'vn  caur  mefme,  S  fans  penfer  aux  deux, 
De  (OUI  deux  Cay  receu  .-  /ans  qu'ayes  tefmoignage, 
Que  Ji  ce  n'ejl  d'effeâ  îe  vous  fers  de  courage, 
Qji'à  toute  heure  efprouuer  pour  ioy  pour  luy  tu  peux. 

Pour  doncques  enuers  vous  vos  bienfaits  recognoijlre. 
Qui  font  vn  franc  vouloir  plus  qu^vn  Ici  don  paroiflre, 
Les  armes  S  les  vers  ie  pourrais  pref enter. 

Le  premier  feroit  peu  :  mais  ie  voudrais  vous  fuiure 
D'vn  tel  cœur,  que  ie  psujft  en  vos  gloires  reuiure. 
Comme  vous  la  mort  vofire  en  mes  vers  furmouter. 


II. 

ladii  la  France  a  veu  fon  Hercule  Gaulois. 
Dansfon  temple  tenir  les  peuples^  par  l'oreille 
A  fa  langue  enchaîne^  :  monfirant  toute  merueilie 
Defçauoir,  d'éloquence,  &  de  maurs,  &  de  loix  : 

François  ton  haut  ayeul,  l'autre  Hercule  François, 
Ramena  de  ces  dons  la  force  nompareille, 
Q}ii  rauit  &  enchaîne.  Or  d'une  ardeur  pareille 
Gaulant  ces  dons,  il  faut  qu'à  luy  pareil  tu  fois  : 

Hercule  on  te  nomma  peu  après  ta  naijfanee. 

Depuis  nommé  François  quand  tu  fortois  d'enfance. 
En  ce  nom  tu  changeas  vn  nom  de  haut  renom. 

Mais  des  deux  noms  iefay  la  différence  nulle. 

Car  puis  qu'en  tous  effeâs  François  efloit  Hercule, 
Suiuant  François  tu  prens  d'Hercule  encùr  le  nom. 


Homère,  qui  diuinfon  Achille  chanta. 
Commença,  que  ie  peiife,  à  la  dernieri 


ODE.  l65 

Qu^ Achille  auoit  vefcuy  quand  fon  ire  obftinee 
Fitf  que  des  fiers  combats  long  temps  il  pabfenta, 

Stace  moindre  poète  à/es  vers prefenta 
D'Achille  lefubieâ,  chantant  la  deftinee 
De  fa  naiffancCy  enfance,  &  ieuneffe  bien  née, 
Mais  la  mort  Vœuure  enfemble  &  Vouurier  arrefta. 

Commence  de  bonne  heure ^  &  en  beaux  faits  profpere 
Sous  noftre  Agamemnon  :  qui  des  deux  eftant  frère. 
Fera  qu'entre  vous  trois  difcord  ne  fortira. 

Si  pour  vos  ans  derniers,  ie  ne  vy  tant  d'efpace 
Que  ie  vousjbis  Homère,  aumoins  feray-ie  Stace  : 
Dans  tel  Stace  (peut  eftre)  vn  Homère  on  lira. 


ODE 

SVR     LA     NAISSANCE     DE      MADAME, 
Fille  du  Roy  Charles  neufiefme**. 


la  la  Lune  argentine, 
Q)ti  au  bas  ciel  chemine, 
Et  qui  parfait  fon  cours 
En  trente  iours  : 
Prenant,  perdant  lumière, 
Neuf  fois  fefi  faite  entière, 
Etfe  comblant  neuf  fois 
A  fait  neuf  mois  : 
Depuis  que  Dieu  propice, 
Qui  par  maint  bénéfice 
Veut  mon  Roy  rejlaiirev. 
Et  bien-heurer^ 


^  r 


Tout  cela  qu'elle  porte 
Senl/on  Aigle,  en  laforte 
Ce  naturel  liaulai» 
Leur  tft  certain. 
Comme  qui  verrait  croijire 
(Si  cela  pouuoit  ejlré) 
Le  grand  tige  admiiè 
D'vn  Lys  doré: 
Si  haut  qu'il  femblajl  me/me, 
Qjie  ta  giandeur  extrême 
Des  fieuroni  précieux 
Touchaji  aux  deux. 
Tant  que  leur  beauté  grande. 
De  toui  les  Dieux  la  bande 
Qui  la  carefferoit, 
EJlonneroit: 
Ainfi  no/lre  Héroïne, 

Nojlre  grand  Catherine, 
E/leue  l'heur  fatal 
Du  Lys  Royal, 
Q.II1*  des  Rois  veu/ue,  S  tnerc. 
D'alliance  pro/pere, 
Tous  Princes  fous /on  Lys 
A  recueillis. 
Tout  ce  qu'en  ces  Prouitices 
L'Europe  a  de  grandi  Prina 
M  grand  lieiir 


Ou  ir 


Car 


>ufœu 


Bruj,  ou  Gendres 


Pre/que  tou. 
Sans  lesfuli 
De  Ses  deux  fil 
Cybetle  elle  eft  féconde 
De  grands  tiens  au  monde, 
Sans  les  troubles  pervers 
De  rvxiuers. 
Vu  Tige  on  ta  peut  dire, 
Dont  les  fleurs  un  admire. 


ODE.  169 


Sont  fes  filles^  &  ftls. 
Fleurons  du  Lys, 
L^odeur  de  tant  de  grâce j 
Qui  en  la  terre  baffe 
En  telle  fleur  fe  fent. 
Au  cielfe  rend  : 
Au  ciel  leur  chef  arriue, 
,Et  leur  fplendeur  nàifue 
Prefque  efface  cela. 
Qui  reluit  là, 
Charles  le  Prince  noftrej 
Grand  fleuron  fur  tout  autre, 
Par  vn  couronnement 
Fait  Vornement  : 
Veu  fes  ans,  fon  attente, 
Hommes,  &  Dieux  contente  : 
Ceux-là  luy  foyent  fournis^ 
Ceux-ci  amis. 
Son  cœur  eft  de  hauteffe. 
Et  fon  corps  plein  d^adreffe, 
Son  ame  S-  fon  cerueau 
De  deffein  beau, 
Vexploit  de  la  vengeance 
Sur  les  traitres  de  France, 
Fait  par  fi  bon  effet 
Voir  ce  quHl  fçait. 
Les  enfans  que  Dieu  donne, 
Oeft  cela  qui  guerdonne 
La  foy,  qui  d*vn  nœu  faint 
Deux  cœurs  étreint  : 
Qjii  fouuent  dans  noftre  ame 
Serre,  eguife,  renflame^ 
D^vn  froid  amour  le  nœu, 
Le  trait,  le  feu  : 
Qui  le  plus  rend  loyale 
La  couche  coniugale. 
Et  qui  plus  en  met  hors 
Les  fourds  difcors  : 


II* 


SONNKT. 


Qiiifouuent  plus  en  chaffe 
De  dédain,  qui  pourchaffe 
Va  divorce,  qu'il  veut 
Faire  fil  p€ull: 

Qui  donne  iiouiffance, 
Qi,i nounijl  fefperance. 
Qjiiplusen  tout  beau  fait 
Valoir  nous  fait: 

Qui  maint  deffein  inuentt. 

Qui  en  guide  Valtenle, 

Qui  en  borne  le  bout. 

Seul  but  de  tout, 

Qlii  fait  d'vn  heur  extrême 
Voir  en  autruy  faymefnte, 
Pour  en  luy  viure  alors 


Si  Dieu  pour  premier  fruit-de  ton  fainS  mariage 

Teufk  donné  (Si  a  i)  vii_;îls,  luy  naiffani  tout  guerriei , 
Comme  enfant  d'vn  tel  Roy,  Veujt  auec  le  laurier 
De  maint  futur  triomphe  apporté  le  prefage  : 

Mais  de  ton  fainâ  lien  tu  as  pour  premier  gage 
Vnejitle,  qui  doit  contre  ce  monjlrefier 
Nojlre  objliné  Difcord,  apporter  Voliuier, 
Et  de  la  paix  de  France  ejlre.  l'heureux  mejfage. 

Paix  fait  premier  chej  toy,  pour  dehors  perdre  après 
Tousceux  quipourleur  gaing  àtaperte  eftoyentprejls  : 
Ta  Fille  aujfi  nous  vient,  torS  qu'vnepaix  notoire 

Par  toy  dufang  des  chefs  feditieux  nous  fort  : 
Puis  vn  fils  qui  naijlra  doit  d'vn  fi  bel  accord 
Faire  naijire  auec  foy  fur  Vejh-anger  ta  gloire. 


♦    # 


SONNET.  171 


SVR    LA    NAISSANCE 


DE 


HENRY  DE  LORRAINE  COMTE  D'EV, 

Second  fils  du  Duc  de  Guife*^. 


SONNET.    * 


O  Dieu  pour  tout  ce  iour  tourne  en  douce  tiédeur 
Ma  fleure^  quipeftend  d^vne  rage  ohftinee 
Sur  monfangffur  ma  chair,  fur  mes  nerfs  acharnée, 
Tantofl  d* ardeur  me  tue,  &  tantofi  de  froideur  : 

En  ce  relâche  (o  Dieu)  renforce  encor  mon  cœur. 
Ma  Mufe,  &  ma  raifon  par  foiblejfe  étonnée, 
Pour  augurer  en  bref  Vheureufe  deflinee 
D*vn  enfant  dont  en  moy  ie  preuoy  la  grandeur  : 

Enfant,  qu'ores  on  offre  au  faind  facré  Baptefme, 
Outre  Vheur  de  ton  ajkre,  outre  cet  heur  extrême 
Qy/Cen  vaillance  le  ciel  ottroye  au  fang  l^orrain  : 

Ton  nom  Henry  Vexcite  à  gloire  plus  hautaine, 
Par  Vheur  fatal  d*auoir  pour  père  &  pour  parrain 
Deux  Henrys,  ^u  haut  fang  de  Bovrbon  &  Lorraine. 


Cejfant  de  mon  ma/  la  rigueur. 
Et  ma  Mufe  prenant  vigueur, 
{Enfant)  fur  le  nom  qu'on  te  donne, 
le  veux  de  trois  hauts  noms  chanter. 
Qui  le  plus  femblent  augmenter 
L'heur  de  la  Françoife  couronne. 

L'vn  de  ces  Monii,  dont  le  bonheur 
Emporte  auiourd'kuy  plus  d'honneur, 
C'efl  celuy  que  porte  ton  Père, 
Cetuy  qu'a  ton  Parrain,  celuy 
Que  luprens  amourdhuy  de  luy, 
Nom  qui  fait  à  tous  trois  profpere. 

Ce  gui  dedans  la  France  rend 

Ce  beau  nom  de  HEsat  Ji  grand, 
C'efl  ce  grand  Henrï  magnanime, 
HctiKYpere  de  nojlre  Roï, 
Qui  par  tout  exemple  defoy 
Son  fila  à  toute  gloire  anime. 

De  ce grandHESRY  les  valeurs, 
Maugré  tous  les  diuers  malheurs 
laloux  d'vnefi  braue  gloire. 
Ont  fait  qu'il  ait  efté  nommé 
Père  des  armes,  qui  armé 
Sur  Mars  me/me  eufk  eu  la  viâoire. 

Les  ai-mes  ne  font  feulement 

D'vnfi  grand  Prince  l'ornement: 
En  voyant  fa  iujiice  grande 
Elfes  vertus,  on  eufl  cuidé. 
Qu'il  eutjeui  fousfoy  foffedi 
La  vierge  Aftree  auec  fa  bande.  "^ 

O  que  n'ay-ie  en  cefte  chanfon 
Et  pour  le  vers,  9 pour  lefon, 


CHAN-T. 

La  veine,  &  l'haleine  plus  forte j 
Son  Efprit  ie  deifiroy 
Au  ciel,  &  ça  bas  ieferoy 
Sortir  des  fleurs  d€  Ja  chair  morte. 
Henry,  V emplir oy  de  ton  nom 
Tous  les  deux,  &  de  ton  renom 
Tout  ce  bas  globe  auquel  nousfommes, 
De  ta  mémoire  tous  les  temps, 
De  ton  amour  tous  cueurs  des  gens, 
De  ton  exemple  tous  grands  hommes. 
Sur  les  fons  facre^  ce  Roy  tint 
Ton  Père,  qui f on  nom  en  print, 
Et  qui  fait  preuue  en  fa  ieunejjfe, 
Outre  le  cueur  heredital^ 
Qjie  quafl  ce  nom  eft  fatal, 
Et  pour  addreffe,  &pour  proueffe. 
Ton  Parrain  mefme  de       *  * 

Donne  du  preux  fang  de  Bovrbon 
Et  de  Vheur  fatal  defon  nom 
Grand*  preuue  &plus  grand^  efperance. 
Ce  qui  rend  ores  entre  nous 
Ce  nom  mémorable  fur  tous^ 
Ce  Prince  à  fon  fécond  fils  mefme 
Ce  beau  nom  fatal  a  laijfé 
Qui  par  luyfera  furhauffé 
Vn  iour  en  fon  honneur  fupréme. 
Il  efk  du  naturel  entier. 

Comme  du  nom  fait  héritier  : 
Car  dés  quHl  eft  forti  d? enfance 
Sous  Charles,  fon  frère,  &  fon  Roy, 
De  deuoir,  d'ardeur,  &  de  foy, 
Il  P eft  fait  V Achille  de  France, 
la  la  faulfe  Religion, 
la  Vouuerte  rébellion, 
Se  mafquans  de  Pieté  feinte 
Fouloient  tout  deuoir  &  r'aifon, 
Qjtand  Verreur  &  la  trahifon 
Jl  a  deffous  fon  ioug  étreinte. 


,73 


174  sot»  NETS. 

Ejfant  encorjl  itunt  d'ans, 

Deuxjbis  chtj d'armet  en  deux  camps. 
Entre  maint  aâe  mémorable. 
Deux  grandes  batailles  gaignant, 
Auant  le  temps  il  va  ceignant 
Son  front  de  laurier  perdurable. 

Or  lEnfanl)  c'ejl  agej  chanté 
Du  Horn,  que  tu  as  rapporté 
Du  Bapte/me  cefie  ioumee  ■■ 
La  valeur  de  emx  que  i'ay  diâs, 
En  cueur,  en  faiâs,  e»  graee,  en  dids, 
Tefoit  auec  leur  nom  donnée. 


A      K.      LE     COMTK 

DE  J-AVQVEMBERGE  ET  DE  COVRTENAY. 


I. 


Quand  feul  fans  tojr  iefuU,  car  rien  que  ton  abfenee 
Ne  méfait  frouuer fettl,  tant  que  quand  ie ferais 

Auecq'  tous  les  humains  feul  te  me  iugerois. 

Car  plus  que  tous  humains  m'eft  ta  feule  prefence  : 

De  peur  de  m'ennuyer  ie  fantaftique  S-  penfe 

Par  quel  art,  queW  magie,  à  tous  coups  ie  ferais, 

Qite  toy  efiant  abfent,  prefent  te  trouuerois  : 

Car  iamais  nul  ennuy,  toy  prefent,  ne  m'offenfe.    . 

Ma  Mufe  ou  ce  Démon  qui  me  fait  tant  de  dons. 

Que  Ion  me  met  moymefme  au  rang  des  hauts  Démons, 
Se  ma/quant  lors  de  loy  fe  prefente  à  ma  veué. 

Par  luy  donc  ie  te  voy,  en  luy  ie  l'entretien, 
El  des  vers  du  Démon,  qui  efi  &  tien  &  mien, 
Prefent,  abfent,  ie  pais  l'ame  à  toy  toute  deue. 


SONNETS.  175 


II. 


Oeft  vn  grand  heur  à  toy  d'auoir  de  la  Nature 
Vn  efprity  qui  fait  honte  au  labeur  &  à  Vart  : 
Ceft  vn  grand  heur  à  toy  fans  craindre  ny  hafart, 
Ny  deflin^  V appuyer  dejfus  la  raifon  pure  : 

C^eft  encor  plus  grand  heur,  que  nonobftant  Viniure 
Que  ton  procès^  ta  fleure^  &  Venuie,  &  le  fard 
De  plufieurSy  &  tout  mal  qui  de  tous  ces  maux  part , 
Te  font  fans  fin,  fans  fin  ton  fens  tout  tel  te  dure  • 

Oefivn  grand  heur  de  voir  qu^auxvertuSy  aux  hautejfes, 
De  Vefprit  tu  ioindras  les  grandeurs,  les  richeffes. 
Que  ie  fen  féueiller  d'vn  fommeil  long  &fort; 

Mais  entre  tous  ces  heurs,  qu^eft-ce  qui  voudroit  taire 
L*heur  de  m*auoirpour  tien,  qui  veux  &  qui  puis  faire 
Tous  heurs  croifire  en  ta  vie,  &  reuiure  en  ta  mort  ? 


III. 


Jamais  ne  peut  nofire  ame  affeoir  de  certitude 
Sur  rien,  que  fur  la  vraye  &  parfaite  amitié  : 
Les  filandieres  fœurs,  ny  les  fœurs  fans  pitié ^ 
N^ajjferuent  point  tel  bien  à  la  viciffitude  : 

Taufiours  à  foy  femblable  en  V éternel  efiude. 
De  tenir  &  main  prefie  &  prompt  &  ferme  pié, 
A  tous  maux  de  Vami  participe  en  moitié. 
De  tout  fans  regarder  ne  gré  nHngratitude  : 

De  là  le  bien  de  V homme  efl  fait  vn  plus  grand  bien, 
De  là  les  maux  humains  fe  transforment  en  rien, 
Cela  combat  la  peur  &fouuent  la  mort  nofire  : 

Mais  Vamitié  cent  fois  eji  plus  heureufe  encor, 
Qftand  vne  couple  ainfi  que  Pollux  &  Cafior, 
Se  peut  communiquer  Delté  Vvn  à  Vautre. 


lyS  *    '  SANNEJS. 


IIII, 


Combien  que  veu  ton  fimg,  ton  rang,  ton  abondance^ 
Seruiteur  ie  te  fois  i  Pqfe  prendre  enuers  toy 
Vn  nom  plus  haut,  plus  digne,  &plus  grand,  puis  qu^à  moy 
Tu  daignes  fabaiffant  en  donner  lapuiffance. 

Te  fuis  donc  ton  ami^  mais  tel  que  V excellence 
Du  beau  mot  n'orgueillit  mon  deuoir  ny  ma  foy  : 
Car  plus  que  mille  ferfs  ie  puis  ce  que  ie  doy 
Payer ^  &  croy  qu"^ amour  doit  toute  obeiffance . 

Thefee  Perithoe,  &  Pylade  &  Orejke, 
Scipion  &  Leliej  &fi  quelque  autre  refte 
Des  couples  des  amis  furent,  ce  croy-ie,  efgaux  : 

Mais  Valliance  ainfi  d'hommes  pareils  vnie, 
Se  pourroit  rien  gaigner  en  Vefpreuue  des  maux, 
Sur  mon  amitié  férue  &  feruitude  amie,   . 


V. 


A  fin  que  ceux  qu*enuie  enfemble  brufle  &  mange, 
Ne  fe  peinent  dequoy  tu  me  peux  tant  aimer, 
La  brufque  &  libre  humeur  qui  me  vient  enflammer^ 
Me  fera  déborder  iufques  en  ma  louange. 

Sous  vn  fort  malheureux  le  ciel  en  ce  corps  range 
Vn  efprit  que  tout  fien  il  peut  bien  efiimer, 
Vn  fens,  vn  iugement,  vn  cœur  qu^on  peut  nommer 
Vray  iuge  du  vray  bien,  vainqueur  du  mal  efïrange  : 

Vn  prompt  fçauoir  fans  fard,  vn  dol,  mais  fans  vfage, 
Vn  ie  nefçay  quel  don  qui  iuge  &  qui  prefage 
Toutes  fins  par  difcours,  nonparfonges  menteurs  : 

Vne  bonté  qui  point  ne  change  oufefpouante, 
Et  fi  Ion  dit  que  trop  par  ces  vers  ie  me  vante, 
Oeft  queftant  tien  ie  veux  te  vanter  en  mes  heurs. 


SONNETS.  177 


VI. 


Si  aux  extrêmes  maux,  où  mon  ht^art  me  guide, 
Tu  fCefprouuois  mon  ame  eftrefans  changement , 
Qui  prend  du  bien  non  pas  du  mal  lefentiwtenty 
Comme  en  tout  affeuree  &  nsm  comme  Jhtpide  : 

Tu  pourrois  bien  douter  que  le  fort,  qui  prejide 
Sur  tous  cœurs,  les  changeant  de  moment  en  moment, 
T^eftant  cruel  pourroit  faire  vn  ébranlement 
A  ma  foy,  dont  la  mort  ne  peult  efïre  homicide. 

Mais  Vefpreuue  de  Vvn  ne  peult  reudre  certain  • 
En  Vautre,  que  fi  Dieu  mefloit  le  ciel  hautain 
A  la  terre,  &  vouloit  faire  vn  Chaos  renaiftre^ 

S*encor  Veftois  tout  tel,  ie  ferois  &  ne  puis 
Tant  céder  à  ce  Dieu,  que  fi  en  tout  ie  fuis 
MalheurefÂX,  en  cela  ie.  ne  puiffe  heureux  eftre. 


VII. 


Maudiray-ie  {cher  Comté)  ou  les  Dieux  enuers  moy 
Nonchalans,  ou  ialoux,  ou  du  fort  la  confiance. 
Qui  ne  fut  oncq  confiant  fors  qu^en  Vafpre  nuifance^ 
Que  fans  relâche  il  fait  tant  à  moy  comme  à  toy? 

Des  celefies  flambeaux  maudiray-ie  la  loy  ? 
{Si  quelque  loy  fur  nous  peut  auoir  Vinfluence 
Des  corps  non  anime:{  ;)  maudiray-ie  qu^en  France 
Ils  m'ont  fait  naifire  &  voir  tout  cela  que  Vy  voy? 

Maudiray~ie  la  Court,  ou  les  grands  qui  ne  penfent 
A  moy,  tant  que  trop  plus  que  moymefme  ilsfoffenfent. 
Ha  non!  ie  maudiray  feulement  la  Vertu. 

Seul  Vexecre^^  auiourd'huy  ce  qu'yen  moy  plus  V admire. 
Car  pourquoy?  fi  Vefioyfans  cela,  penfes-tu 
Qu'en  France  en  vn  tel  temps  Veuffe  rien  que  maudire. 
lodelle.  —    II.  12 


^. 


\ 

78  SONNETS. 


VIII. 


Comme  mCTloâe  artifan^  pil  rCentremet  Vouurage, 
Sent  éblouir  fes  yeux  y  fent  étourdir  fesfens  : 
Noftre  ame  au  long  trauailfe  deplaiji,  fi  le  tems 
De  cent  variété:^  fes  esprits  ne  foulage. 

Tu  fçais  quand  tu  partis^  de  quel  hem:.&  courage   - 
lefuiuois  Vœuurefainâ  que  de  moytïï  attens  : 
Mais  par  trop  longue  halene  élourdir  ie  me  fenSj 
Si  par  le  changement  ie  ne  me  rencourage, 

Donques  tant  eh  la  ckaffe,  &  au  vol  des  perdreaux, 
Qu* au  pourmenoy  des  bois,  des  iardins,  &  des  eaux, 
le  repren  les  plaifirs,  les  Mufes  &  Vhaleine  : 

Là  ott  pour  ne  laijfer  rouiller  Vœuure  des  vers, 
le  refue  cesfonnets  deffus  ce  temps  diuers, 
Sonnets  faits  de  grand  chofe,  &  toutesfois  fans  peine. 


\, 


A    M.    SYMON. 


SONNET. 


L'amitié  qui  me  lie  à  toy  dés  ma  ieuneffe, 
De  ma  Mufe  (ô  Symon)  print fon  fatal  lien  : 
Quand  premier  des  François,  toy  m^ouurant  le  moyen, 
Pempruntay  le  Cothurne,  &  le  Soc,  a  la  Grèce  : 

Pour  aux  Rois,  pour  au  peuple,  auecques  la  hauteffe, 
Auecques  la  baffeur^  du  vers  ^fchylien. 
Et  du  vers  de  Menandre,  apporter  Vancien 
Miroir  Tragic,  Comic,  qui  Rois,  &  peuple  dreffe. 


SONNETS.  179 


Or  ma  Mufe^  qui  peut  nqftre  amitié  nouer f 
Se  /entant  immortellçy  ores  luy  i^eult  vouer ^ 
Qu^ainfi  qu'elle  luy  fit  prendre  (Velle  naiffance, 

Elle  luy  donnera  ce  qu'elle  fent  enfoy, 
Qui  eft  Veternité,  tant  que  du  temps  la  loy 
N^ait  fur  ton  nom  non  plus  que  fur  le  mien  puiffance. 


A    LOYSE    L'ARCHER, 

ET   A   SES   SŒVRS. 


On  vante  ajfej  le  banquet  ancien 
De  cefte  perle  à  V ami pref entée: 
Affe\  des  vieux  Vamhrofie  eft  chantée^ 
Lefeul  honneur  du  paft  Olympien» 

Vvne  pour  eftre  vn  miracle  Indien^ 

Par  tant  de  vers  fe  voit  ainfi  vantée  : 
-    Vautre  pour  eftre  auxfeuls  Dieux  apprefteCy 
Mefme  paffant  le  ius  Hymettien. 

En  ce  difner  peuuent  eftre  choifies 
Plus  fainâs  ioy aux,  plus  fainâes  ambrofies 
Que  VInde  n'a,  que  n  ont  pas  les  hauts  deux  : 

Mais  la  douceur  eft  en  Vaigreur  changée. 
Et  bien  que  fuft  Vautre  perle  mangée, 
Ces  perles  ci  deuoreroient  les  Dieux. 


e 


\ 

178  tOKNBTS. 


VIII. 


Comme  mfTIoâe  artifan^pH  iCentremet  Vouurage^ 
Sent  éblouir  fes  yeùx^  fent  étourdir  Jesfens  : 
Noftre  orne  au  long  trauailfe  deplaijlf  fi  le  tems 
De  cent  variété^  fes  efifrits  ne  foulage. 

Ttrfçais  quand  tu  partis^  de  quel  /!iem%  ^  courage  • 
lefuiuois  Pœuurefainû  que  de  mqytlr  attens  : 
Mais  par  trop  longue  halene  étourdir  ie  mefens^ 
Si  par  le  changement  ie  ne  me  rencourage. 

Donques  trnit  en  la  chiffe,  &  au  vol  des  perdreaux, 
Qjt^au  pourmenoy  des  bois,  des  iardins,  &  des  eaux, 
le  rqnren  les  plaifirs,  les  Mufes  &  Vhaleine  : 

Là  où  pour  ne  laiffer  rouiller  Vceuure  des  vers, 
h  refue  cesfonnets  deffus  ce  temps  diuers. 
Sonnets  faûs  de  grand  chofe,  &  toutesfiiis  fans  peine. 


A    M.   SYMON 


SONNET. 


L'amitié  qui  me  lie  à  toy  dés  ma  ieunejfe, 
De  ma  Mufe  (d  Symon)  print  fon  fatal  lien  : 
Quand  premier  des  François,  toy  m^ouurant  le  moyen, 
Pempruntay  le  Cothurne,  &  le  Soc,  à  la  Grèce  : 

Pour  aux  Rois,  pour  au  peuple,  auecques  la  hautejfe, 
Auecques  la  baffeur,  du  vers  jEfchylien, 
Et  du  vers  de  Menandre,  apporter  Vancien 
Miroir  Tragic,  Comic,  qui  Rois,  &  peuple  drejfe. 


SONNETS.  179 


Or  ma  Mufe,  qui  peut  nqftre  amitié  nouer , 
Se  f entant  immortelle^  ores  luy  veult  vouer, 
Qu^ainji  qu^elle  luy  fit  prendre  (Velle  naiffance. 

Elle  luy  donnera  ce  qu'elle  fent  enfoy. 
Qui  eft  Veternité,  tant  que  du  temps  la  loy 
N^ ait  fur  ton  nom  non  plus  que  fur  le  mienpuiffance. 


A    LOYSE    L'ARCHER, 

ET   A   SES   SŒVRS. 


On  vante  affe:^  le  banquet  ancien 
De  cejte  perle  à  Vami  prefentee  : 
Affe:{  des  vieux  Vambrojte  eft  chantée, 
Lefeul  honneur  du  paft  Olympien, 

Vvne  pour  eftre  vn  miracle  Indien, 
Par  tant  de  vers  fe  voit  ainji  vantée  : 

-    L'autre  pour  eftre  auxfeuls  Dieux  appreftee, 
Mefme  pajfant  le  ius  Hymettien. 

En  ce  difner  peuuent  eftre  choifies 
Plusfainâs  ioy aux,  plus  fainâes  ambrofies 
Que  VInde  n'a,  que  n'ont  pas  les  hauts  deux  : 

Mais  la  douceur  eft  en  Vaigreur  changée, 
Et  bien  que  fuft  Vautre  perle  mangée. 
Ces  perles  ci  deuoreroient  les  Dieux, 


FANTASIE    SVR    VN    VERS 

Bien  chanU  &  bien  tonné  fur  le  Lut. 
\     I.OVSE    L'*RCHER. 

Chauler  ce  vert,  fonner  ce  fou  aiii/i. 
Ce  foii  qui  eft  l'efpril  au  vers  enclos, 
Animer  fvn,  animer  Fautre  aufji, 
C'ejl  de  ta  voix  &  de  tes  doigts  le  las 
Tant  excellent  (d  Loïse)  qu'iceux 
Dignes  de  toy,  te  rendent  dignes  d'eux. 
O  voix! 6  dois!  â beau  veis!  ô  beau/on! 
O  ameî  ô  corps!  dejl  rare  chan/on, 
Qiu  ame  S  corps  nous  rauit  par  ces  deux. 


L'AMOVR  CELESTE  DE  VERTV. 

SVR   l'A  IFV 
A      M,      Sï  M  O  N. 

Par  mqy  l'Amour  celefie  on  voit  mener  ici 

Trois  Cupidons,  captifs  deffous  ma  main  diuine: 
L'vn  eft  l'amour  de  Mars,  qui  fanglani"  vous  mutii 
L'autre  vous  va  brupant  d'vn  auare  foaci, 

C'efi  l'amour  de  Plutus  :  le  tiers,  qui  brufle  auffi, 
Efi  Pamour  trop  lafcifde  Venus  la  marine. 
Ce/le  Mujïque  accorde  à  ma  pompe  enfantine. 
Qui  pour  vous  S' pour  nous  va  chantant  ces  vers  ci 


> 


SONNETS.  l8l 


n  faut  que  pour  le  fils  de  la  Venus  celefte, 

Hautain  &  pur  Amour ,  ces  trois  ci  Ion  detefte, 
Qui  en  ce  peruers  fiecle  ont  eu  le  plus  de  cours. 

Il  les  a  pris  captifs  en  cefte  fainâe  fefte 

Des  Innocens  :  Que  doncq  vn  trophée  on  apprefte 
A  V Amour  innocent^  fur  ces  trois  faux  Amours. 


A    M.    DE   l'aVBESPINE,    SECRETAIRE  d' ESTAT. 

Bien  que  Vallufion  des  noms  fort  peu  fouuent 
A  Vantiquité  doué  &  à  moymefme  agrée, 
Si  m^en  iouray^ie  ici  :  VAuhefpine  eft  facree 
A  VenuSf  aux  honneurs  de/on  autel  feruant  : 

Ce  que  Venus  chérit,  d^elle  il  va  receuant 
Des  grâces  la  faueur,  qui  feules  font  entrée 
A  Vhonneur,  à  Vamour  :  VAubefpine  recrée 
Le  Roffignol,  fa  plainte  en  fes  chants  pourfuiuant. 

L* odeur  de  fa  fleur  blanche  en  telle  forte  attire, 
Que  nonohftant  Vefpine  il  faut  que  Ion  Vafpire, 
Ayant  de  telle  efpine  éprouué  la  douceur. 

Il  faut  que  d'elle  vn  iour,  fous  elle  vn  chant  ie  face, 
Qui  mefme  eftant  du  chant  des  roffignols  vainqueur, 
Soit  plein  d^ honneur,  d^ Amour,  de  Venus,  S-  de  grâce. 


A    MADAME    DE   PRIMADIS. 

Voyant,  Madame,  en  vn  bel  œuure 
Oîi  mainte  rofefe  décœuure. 
Si  tofi  ces  rofes  façonner, 
Vefloy  prefl  à  m'en  eftonner^ 
Qftand  il  me  fouuint  que  fans  peine 
EIV  apromptement  ce  bel  heur 
D*en  prendre  enfon  teint  la  couleur ^ 
L^odeur  fuaue  en  fon  haleine, 
Ailleurs  la  façon  de  la  fleur. 


\ 


l82  SONNETS. 


A  Madamoyselle  de  SVRGIERES. 


Nonobftant  tout  mépris^  la  Vertu  fait  paroiftre 
A  tout  cœur  vertueux  fon  befoin  de  bien  loin. 
De  moy  {qui  ay  bien  peu  de  moymefme  le  foin) 
Le  foin  entra  dans  toy  fans  mefme  me  cognoiflre. 

Cela  fans  fin  m'oblige,  &  toufiours  me  faiâ  croiftre 
Cefte  ardeur,  de  me  rendre  vn  immortel  tefmoin, 
Q]ie  puis  que  les  vertus  tu  fecours  au  befoin, 
Tout  fiecle  doit  en  toy  ta  vertu  recognoifire. 

le  n^ay  point  aux  vertus  tant  de  part  ny  tant  d^heur^ 
Que  toy,  qui  la  vertu  couples  à  la  grandeur, 
Deuffes  peiner  pour  vn  qui  oncq  pour  foyne  peine. 

Que  doncq  ce  cosur  gentil,  qu'yen  cela  tu  as  pris  y 
Me  rende  à  recognoiftre  à  iamais,  tant  épris, 
Qjt'à  toy, plus  grand  qû*à  moy,foit  lefruiâ  de  tapeine. 


SVR  LA  devise  DE  LA  CYGALLE. 


Quand  le  chien  d'Erigone  ou  V auant-Chien  encore, 
Au  plus  fort  de  VEfté  d^vne  ardente  cuiffon 
Seiche  toute  herbe  aux  champs,  auançant  la  moiffon 
Que  le  Soleil  doré  de  fon  or  mefme  dore  : 

Du  plain  iour  Vafpreté,  qui  tout  humeur  deuore, 
Vient  tous  gofiers  d^oifeaux  fermer  à  leur  chanfon, 
La  Cygalle  fans  plus  renforçant  fon  haut  fon, 
Sans  fin  de  voix&dueil,  Vœildu  grand  monde  honore. 

Or  tu  es  la  Cy^gallCy  &  ta  Dame  vn  Soleil^ 
Mais  au  chaud  de  VEfié  ton  chaud  n^efi  pas  pareil  y 
Ny  ton  beau  chant  au  chant  de  la  rauque  Cygalle  : 

Car  ta  Dame  peut  faire  ainfi  qu^aucun  fiambeau 
N^egalle  à  ton  auis  fon  lufire  en  tout  fi  beau. 
Qu'aucun  chaud,  qu'aucun  chant,  ton  chaud ^  ton  chant  n'egii 


SONNETS.  l83 


ANAGRAME,   SON  ARC  TIRE  FLAME. 


Varc  d'Apollon  &  Varc  de  fa  Sœur^  ont  des  deux 
A  plufieurs  fait  fentir  Vire  &  valeur  celefle, 
Tefmoin  foit  la  Niobe,  &  des  Grégeois  la  pefïe, 
Les  Cyclopes  tue^,  &  le  Python  hideux, 

L^arc  d'^Hercule  dans  Vair  de  maint  coup  ha:(ardeux, 
Des  Harpyes  la  bande  &  puante  &  molefïe 
Tua  mefme  en  volant  :  mais  Vamour  nous  molefie 
D'vn  arc  paffant  tout  arc,  &  tout  art  mefme,  d^eux  : 

Encorfon  arc  premier  ne  tiroit  que  des  flèches, 

Qjti  pouuoient  mefme  au  fond  des  âmes  faire  brèches  : 
Mais  ma  Maiftreffe  Va  d'autres  armes  armé, 

Dont  il  embrafe  tout,  tirant  près  de  Madame  : 
Ce  qui  fait  donc  qu'Amour  m'ait  fi  toft  confumé, 
Oeji  de  Madame  Varc,  car  son  arc  tire  flame. 


AV    SEIGNEVR   DE   LA   BOVRDAIZIERE. 


Voyant  ta  beauté  grande  on  peut  (cher  Bovrdaiziere) 
A  celle  de  Narciffe  en  tout  la  conférer, 
Non  tes  amours,  qu'on  voit  des  fiennes  différer^ 
Autant  qu'il  te  fembloit  de  face  &  forme  entière. 

L^air,  Vor,  le  teint,  les  traits,  peurent  à  la  prière 
Pouffer  la  Nymphe  Echo  qu'il  fit  defefperer  : 
Au  contraire  tu  viens  fans  ceffe  reuerer 
Etfupplier  ta  Nymphe  y  encontre  toy  trop  fier  e. 

Ta  Deeffe  auffipaffe  en  beauté  mille  fois ^ 
CeV  autre  qu^vn  refus  fit  transformer  en  voix  : 
Mais  lors  quefon  amour,  non  Vamour  vers  toymefme 

Te  fait  languir  au  feu,  non  pas  au  bord  d'vne  eau, 
Tu  te  changes  en  voix,  dont  fort  ce  vers  fi  beau, 
QuHl  peut  venger  ton  fort  contre  fon  tort  extrême. 


i84 


Lors  que  ie  iuge  en  tout  ta  Deejfe  ejtre  telle. 
Que  fa  beauté  mffemble  en  for  tes  rarite^ 
Qu'à  part  on  allribue  à  plujieurs  Deite^, 
Et  qu'autant  que/on  corps  fim  efprit  mefme  excei 

Lors  qu'à  tant  de  beauté^  ie  vien  conférer  celle. 
Dont  Nature  en  ton  corps  a  les  traits  l'mtfei 
D'Apollon,  &fes  arts  dans  ton  ame  excite^. 
Pour  cejle  autre  beauté  rendre  encore  plus  belle  : 

le  dy  quejî  ta  Dame  tjl  cruelle  enuers  toy, 

Qu'en  fin  ton  corps  fi  beau  perd  le  plus  beau  de  / 
Sont  les  vers  gu' fans  fin  les  beauté^  embeliffent  : 

le  dy  que  l'efprit  perd  le  los  du  ïugement, 

(ijii  aux  vaines  grandeurs  pofipofe  aueuglement 
Les  beau(ej  S' beaujc  dons  quiles  grandeurs  grandifjt 


FhebUS,  Amour,  Cypris  veutlfauuer,  nou 
Ton  vers,  cœur,  &  chef,  d'ambre,  de  flan 


SVR    LES    Mhn-RORES   DF,   T.    A.    DE    Bj*ÏF<7. 

Tant  bien  chercher  aux  deux  leur  fubflanee  plus  pi 
Qlte  n'ejt  l'élémentaire,  &  en  leurs  adions 
Merquer  les  tours,  les  temps,  les  inclinations, 
Mefme  en  leurs  feux  tout  nom,  tout  cours,  ordre  S 

Defcrire  en  Vêlement  du  feu  la  nourriture 
Qu'il  prend,  les  qualité^  S-  les  impreffions  : 


ELEGIE.  l85 


Chanter  en  Vairfes  corps  fubtils,  f es  régions, 

Sa  pluye,  foudre^  &  vents ,  neige ^  &  grefle  plus  dure  : 

Chanter  tant  bien  en  Veau,  fa  liqueur,  fes  reflusy 
Sonfel,  fes  animaux  :  puis  ce  qui  efi  reclus 
Dans  terre,  ou  qui  fur  elle  &  végète  &  chemine  : 

Comme  vn  B  a  if  fera,  chafque  chofe  enfon  lieu, 

C^ejl  monftrer  qu^on  a  Vame  en  tout  vrayment  diuine, 
.  Qw'  1?^''  tout  dans  ce  Tout  fe  méfie  ainfi  -que  Dieu, 


A    LA    FRANCE. 


ELEGIE. 


Sur  ce  que  tourne  le  ciel,  &  fur  ce  que  clofe  dedans  luy 

Forme  la  Terre  encor,  VOnde,  le  Vuide,  le  Feu  : 
Combien  voy-ie  en  toy  fans  ceffe  fe  naiflre  de  terreurs, 

Et  fans  ceffe  en  toy,  France,  /e  naiftre  d^abus? 
Veux-tu  dans  vn  vers  cognoiflre  la  caufe  de  ces  deux? 

C^eJlleméprisqu*onfait,  Fr  an  ce,  d'aprendre  quec^'ejl. 
Or  donc  ceffe  le  Feu,  VAir,  VOnde,  la  Terre,  de  leurs  faits 

Intimider  nosf^ns,  tromper,  époindre,  rauir, 
Mefme  le  Ciel,  par  faute  de  voir  defaDanfe  le  vray  cours 

Ceffe  de  mille  liens  Vame  pefante  lier. 
Par  la  diferte  leçon  des  Vieux  (qui  mefme  de  leur  rang 

Ont  fait  par  ce  labeur  efïre  le  doâe  Baif) 
S*ouure  la  caufe  de  tout,  tant  bien  que  la  crainte,  que  V erreur 

Et  la  fuperfiition  faulfe,  fe  donte  par  eux. 
O  doncq*  digne  labeur  !  ô  Gens  dont  Vame  ne  peut  pas 

En  rien  eftre  de  Feu,  d'Air,  ne  de  Terre,  ne  d^Eau  ! 
D'elle  le  Ciel  efï  feul  géniteur  de  fon  efire  le  plus  pur. 

Tel  qu^efï  V efïre  de  Dieu  prefque  tel  efïre  créant, 
Vn  propre  corps  luy  confïituanty  qui  par  fa  pefanteur 

12' 


\ 


Lâche,  ne  puiffe  le  vol  roide  de  l'ame  tenir, 
Parjbis  doncq  la  tirant.  S-  iufqa'aufefte  de  fes  ronds. 

En  voletant,  fe  ficher  fur  chafque  chofe  la  fait. 
Lors  de  ce  haut  far  lous  Elemens  trefhaute  fe  comprend, 

Ains  comprend  dansfoy  Vceuiire  de  tous  Elemems, 
Voire  le  rond  des  deux,  voire  ainji  tout  ce  que  fans  fi» 

Caufe  le  Vuide,  le  Feu,  l'Onde,  la  Terre,  le  Ciel. 
Puis  au  corps  derechef  fe  logeant,  parfongraue  difcours 

Enclos  dansfon  corps  tient  de  ce  monde  le  corps. 
Tant  qu'vn  mondepetit  clojl  vn  grand  monde  dedans foy. 

Vil  miracle  cncar  peut  de  la  chofe  venir, 
L^ame  de  foyretiranl par  l'art  de  la  Mufe  ce  grand  Tout, 

Comme  le  peut  retirer  par  ce  poème  B  aif, 
[Mieux  que  celuy  qu'an  veit{ce  dit-an)d'vn  verre  fe  bafiir 

Vn  monde  en  ce  petit  verre  de  Dieufe  moquant.) 
Tous  les  deux  vrayment  figure:^  peut  clorre  de  fes  vers, 

CInn-e  la  Terre  encor,  l'Onde,  le  Vuide,  le  Feu. 


EN    FAVEVR  D'ORLANDE 

EXCELLENT    MVSICIEN". 

S'il  faut  que  tes  chanfons  graues  enfemble  S  douces. 
Sur  Vaile  des  beaux  chants  qu'on  leur  doit  inuenter, 
lufqu'aux  Rois  (ô  ma  Mufe)  ains  iufqu'aux  Dieux  tu  poup'- 

Des  vers  en  contr'echange  ici  tu  dois  chanter 
Pour  Orlande,  qui  peut  aux  vers  l'aile  Jl  belle, 
D'vn  heur,  d'vn  air,  d'vn  art,  admirable  prefler. 

L'aile  qù'Orlande  peut  donner  aux  vers,  efl  telle. 
Que  f on  vol  animé  de  mouuemens  fi  beaux, 
Siprompts,fi  hauts,  furpaffe  en  volant  toute  autre  aile^ 


CHAPITRE.  187 


D'enfer  au  ciel,  du  ciel  aux  infernales  eaux. 
Mercure  en  vn  moment  remonte  &  redeuale, 
Ayant  au  chef,  aux  pies,  fes  ailerons  iumeaux. 

Ce  beau  vol  peut  porter  à  la  riue  infernale 
Nos  vers,  au  ciel,  aux  coins  de  la  terre,  fans  peur 
De  ce  qui  fit  en  mer  choir  le  fils  de  Dédale, 

Mercure  auffi  qu'on  fait  fort  fubtil  inuenteur. 
En  Mufique,  peut  eftre^  eft  la  Mufique  mefme, 
Haujfant,  haiffant,  par  tout  ce  beau  vol  enchanteur. 

Puis  donc  qu'vn  tel  art  donne  &  courfe  &  force  extrême 
Aux  vers,  &  puis  qu'Orlande  vn  tel  vol  façonnant, 
Eft  des  vieux  &  nouueaux  ouuriers  Vouurier  fupréme: 

Mufes  qui  d'vn  tel  art  ire:(  toufiours  tenant. 

Comme  Vart  tient  de  vous,  il  ne  faut  qu'ion  refufe 
D'orner  ce  qui  vous  peut  donner  tant  d'ornement. 

Puis  la  Mufique  a  pris  fon  beau  nom  de  la  Mufe, 
Mefme  Vair  des  beaux  chants  infpire^  dans  les  vers, 
Eft  comme  en  vn  beau  corps  vne  belle  ame  infufe. 

Le  ciel  qui  roide  emporte  auecq'  foy  l'vniuers. 

Retournant  tant  de  ronds  ,  vne  harmonie  engendre 
Par  leurs  accords,  tire^  de  leurs  difcords  diuers. 

Si  V humain  fens  pouuoit  de  ces  cercles  entendre 
Le  bruit,  qui  de  difcords  fans  reigle,  &  infinis  y 
En  tant  d'accords  reigle:ç,  &  finis.  Je  vient  rendre, 

Tous  lesplaifirs  humains  feroient  de  nous  bannis  : 
Mais  au  défaut  des  fens,  nos  efprits  de  diuine 
EJfence,  abfens  des  corps,  font  au  ciel  réunis  : 

Et  raprenans  au  lieu  de  leur  haute  origine, 

Tous  cesfons  qu'ils  auoient  autresfois  entendus. 
En  rapportent  des  tons  dans  leur  frefle  machine  : 

Mefme  aucuns  d*  eux  fi  toft  qu'ils  font  redefcendus. 
Tachent  faire  imiter  à  leurs  fens  l'harmonie, 
Qui  d'aife  les  auoit  pareils  aux  Dieux  rendus. 

Telle  accordance  encor  J'imite  au  ciel,  vnie 
Aux  beauxvers,  quand  la  main  de  Phebus,  de  fes  Sœurs, 
Du  tout prejque  àjon  gré  l'ame  des  Dieux  manie: 

Et  qu'eux  émeus,  force^,  par  accents  rauiffeurs, 
Lairroient  &  l'Ambrofie,  &  le  Nedar,  pour  paifire 


I 


Leurs  deilej  fans  ctffe  en  ces  autres  douceurs. 

Car  queftrt  Vautre  pajl  à  leur  immortel  ejtre? 
Mais  tel  ceiejie  accord  à  tous  coups  fait  dans  eux. 
De  leur  ejlre  cele/le  vnfentiment  renaijh-e. 

Il  ne  fait  feulement  les  Dieux  fefentir  Dieux, 
Mais  les  hommes  il  /ail,  par  vue  éprife  extrême 
Se  fentir  tels,  que  font  ces  Dieux  mefme  en  leurs  eieiix. 

Nojlre  effence  mortelle,  en  ieffence  fupréme 

Sur  l'heure  il  ne  peut  pas  feulement  transformer. 
Mais  en  hommes  il  peut  tourner  les  befles  mefme  : 

Ains  ce  qui  efl  fans  atne,  il  £effbrce  animer. 
Comme  le  boisfuiuant,  &  la  fuiuante  pierre, 
Qu'il  femble  d'effort  propre  S  fans  charme  charmer. 

Et  comme  au  ciel,  en  l'air,  en  la  mer,  en  la  terre. 

Aux Dieux,aux hauts  efprits,aux  oifeaux,auxpoïffons,    \ 
Aux  befles,  aux  humains,  Amour  fea  traits  defferre,    , 

Voire  &  encor  pénètre  aux  Enfers,  parfes  fons 
Et  par  fis  chants,  qui  font  fes  deux  traits,  laMufiqut 
Force  tout  ce  qu'en  tout  rencontrent  fes  chanfons: 

Elle  a  mefme  forcé  la  porte  Plutonique, 
Retenant  le  Mdeux  &  Vincejfable  aboy, 
Qfii  fort  par  trois  gojiers  hors  du  corps  Cerberique, 

Quand  ce  mon^inteus  chien,  tout  tranfporté,  tout  coy, 
Touf  béant,  aualloil  ces  charmes  indomtables, 
Dansfoy  tournant  fa  rage  en  douceur  mavgri  foy  t    . 

Quand  les  Sœurs  fans  pitié  fe  firent  pitoyables. 

Quand  les  trois  autres  Sceurs  {qui  tout  deftin  fïlans, 
Ne  fleckijfent  samais)  fe  veirent  flechiffables. 

Ces  tons  fi  forts,  fi  dons,  pénétrons,  Scoulans, 
Du  cruel,  de  l'auare  Enfer  les  lois  faulferent. 
Toute  ombre  trifie,  rude,  S  farouche  emmielans  : 

Tant  qW  Yxion,  Sifyphe,  S  Tantale  laifferent 
Ou  le  dur  fouuenir  &  fentir  de  leurs  maux. 
Ou  leur  roué,  &  leur  faix,  &  leur  foif.farreflermit: 

Auffi  non  feulement  aux  efprits  infernaus 

Cet  Orphée  eufl  fait fbrce.ains aux Dieux,auxÛeeJfes, 
Aux  Démons,  aux  humains,  aux  brutes  an.maus. 

Nofire  Mufique.doncq',  qui  aux  enchaniereffes 


CHAPITRE.  189 


Chanfons  de  cet  Orphée  exerçait  fon  pouuoir. 

Les  fit  fur  tous  les  cœurs  autant  qu^  Amour  maiftreffes. 

Meftne  fort  mont  Rhodope  en  fin  ne  Veuft  peu  voir 
De  Thyrfes  ajfommé  par  les  foies  Bacchantes, 
{Car  puiffance  il  eujï  peu  fur  fa  mort  mefme  avoir:) 

Mais  les  barbares  bruits  des  cymbales  fonnantes. 
Des  éclatantes  vois,  des  cornets,  des  tabours, 
EJloufferent  V effort  de  chanfons  fi  puiffantes, 

La  Mufiqueplus  vraye  &  parfaite  a  toufiours 

Telle  rencontre^  alors  que  plus  on  chante  &  fonne. 
Que  des  meilleurs  ouvriers  on  fait  plus  le  rebours, 

Ainfi  contre  Apollon  fes  lours  tuyaus  entonne 
Le  Satyre  Marfye  :  &  le  iars  éclatant 
Penfe  égaller  Voifeau  dont  Méandre  refonne. 

Ces  Bacchantes,  qui  haine  extrême  alloyent  portant 
A  tel  honneur,  fefians  leurs  iours  Trieteriques 
Alloyent  par  tout  errant,  chantant,  dahfant,faultant  : 

Mais  fi  le  fainâ  effort  défi  rares  Mufiques 
-  Euftpeu  lors  dans  leurs  chefs,  dans  leurs  cœurs  pénétrer. 
Pleins  de  vapeurs,  d^ardeurs,  &  de  rages  Bacchiques, 

Auecques  la  Mufique  Orphée  euft  fait  entrer 

Vamo^r  mefme  au  dedans  des  vineufes  Menades, 
Faifant  ces  deux  pareils  en  force  fe  monftrer. 

Car  Vvne  tous  leurs  fens  &  trouble^  &  malades, 
Euft  remis  en  leur  train  :  &  V Amour  euft  domté 
La  haine  fa  contraire  éprife  en  ces  Thyades: 

Doucement  le  cerueau  par  tels  appas  flaté 
Euft  mis  hors  toute  erreur,  &  fureur,  par  Vaureille  : 
Et  Vamour  allumé  dans  le  cœur  euft  efté, 

Vadmivation  donccf  de  chofe  nompareille, 
Vers  Oiphee  euft  efté  tel  amour  produ if ant  : 
Et  la  Mufique  feule  euft  fait  telle  merueille. 

Mefme  aux  amours  plus  vrais  la  Mufique  attifant 
Au  cœur,  au  chefémeu,  le  defir,  la  mémoire. 
Va  Vapprehenfion  viuement  embrafant. 

Amour  fait'&  refait,  par  elle  fa  viâoire, 

Et  croy  que  cault  il  porte  en  fon  carquois  des  traits, 
QjiUl  luy  dérobe,  afin  d^en  reftaurcr  fa  gloire. 


SVR  LA  GRAMMAIRE   DE   P.   RAMVS". 


Lts  vieux  Gaulois  auoyenl  tous  arts  en  leur  langage, 
Mais  Dis  fvn  de  leurs  Dieux  (jui  riche  tient  couuers 
Sous  les  obfcures  nuiâs  mille  threjbrs  diuers) 
Aujc  champs  Eiyjiens  retint  des  arts  Vvfage  : 
n  fallait  doncq'  auoir  pour  ta  bas  pénétrer. 
Les  rappelter,  les  faire  en  l'air  Gaulois  rentrer. 
Ce  Rameau  d'or, par  eux  redorant  tout  nnflre  âge. 


Si  de  Phottneur  le  «om  fhonore  en  toutes  parts, 
S'il  faitfeuî  les  duels,  les  ajfauta,  les  ioumees  : 
S'il  conduit  aii  fçauoir  les  âmes  les  mieux  nées, 
Honneur  lefeul  guidon  d'Apollon  S  de  Mars: 

Bref,  fil  ejï  nourricier  &  noun-ifon  des  arts. 

S'il  ejlfeul  conducleur  des  plus  grand's  deftir.ees, 
Vainqueur  de  la  ranqucur,  de  la  mort,  des  années. 
Et  bienfouuentlefieaudes  Rois  &  des  Cefars  : 

Quel  poinâ  plus  honorable  eufl  trouué  pour  déduire, 
L'aalheur  Italien,  ne  GrUgel  pour  traduire. 
Fors  l'honneur  Sfon  poinS,  des  outrages  domleur? 

Ceux  doncques  de  ce  temps,  &  leurs  enfans  encore, 
Soyent  tels  enuers  ceux  cy,  que  cet  Honneur  honori 
D'vn  honneur  éternel  S  l'vn  S  l'autre  Autheur. 


ODES.  IQ3 


•\ 


ODE 

SVR      LA     TRADVCTION    DE     PAVL     EMILE, 
Faiéle  par  lean  R«gnard,  Sieur  de  Miguetiere''\ 


Si  les  fages  Dieux,  qu^on  doit  croire 
laloux  de  noftre  baffe  gloire^ 
N'auoyent  d*vne  imperfeâion  ' 

Bridé  toute  humaine  aâion, 
A  fin  de  rabaiffer  V audace 
Des  hommes,  leur  rebelle  race  : 
Et  fi  dés  le  commencement 
Ils  n^auoyent  méfié  iuftement^ 
Et  leur  defaueur  &  leur  grâce. 
Par  mille  beaux  faits  entrepris, 
Par  mille  admirables  écrits^ 
Maugré  le  dard  de  la  mort  blefme, 
Mille  mortels  fe  fuffent  faits 
Eux-mefme  immortels  &  parfaitSy 
Auffi  bien  que  les  grands  Dieux  Mefme  : 
Mais  cefte  ordonnance  fupréme, 
-^A  fait  qu^ aucun  peuple  n'hait  eu 
Lepouuoir  d'empefcher  qu'vn  vice, 
Apres  mille  efforts  n^obfcurciffe 
Tout  ce  que  de  bon  il  a  peu» 

Les  peuples  (^e  Phebus  éclaire 
Tous  les  premiers,  quand  au  matin 
Afon  leuer  il  fait  retraire      ^ 
Defafœur  le  char  argentin^ 
Ont  premièrement  par  vaillances. 
Par  la  grandeur  de  leurs  puiffances, 
Par  hautes  apprehenflons, 
IL  —lodelle.  i3 


Et  par  doâcs  h 

Mères  de  toutes  nos  fciences. 

Taché  d'égaUer  leur  povuoir. 

Taché  d'égaUer  leur  fçauoir. 

Voire  &  par  leur  renom,  lûur  vie, 

Aiur  Dieur,  gui  ejloienl  maijtres  d'eux  : 

Mais  toufiours  Vorgueil  hafardeux 

A  fus  la  vraye  gloire  enuie. 

Car  leur  gloire  leur  fut  rauie, 

Ou  pour  au  milieu  de  leur  bien 

Auoir^voulu  trop  entreprendre. 

Ou  pour  en  voulant  tout  apprendre. 

A  lafin  ne  comprendre  rien. 

Quelle  enireprije  a  ton  trouuee 
Qu'ils  ayent  iamats  acheuee. 
Comme  deuanl  ils  la  penfoyent  ? 
Tanloft  quand  plus  ils  fefforçoyenl 
De  venir  au  but  de  la  chofe. 
Le  tour  du  dejlin,  qui  poppofe 
A  nos  forces,  à  nos  confeiU, 
Rompait  les  humains  appareils. 
Inutiles,  quand  trop  on  ofe  : 
Tantojl  voulons  cognoijlre  tout. 
Ils  fentoyent  au  lieu  d'ejh-e  au  bout 
La  peine,  loyer  de  la  peine. 
Ou  fus  vn  principe  inuenté 
Ils  ajfeuroyent  leur  vérité, 
Ainfi  qu'vne  tour  fur  l'arène. 
Ou  d'une  pieté  qui  meine 
Cent  mille fuperjlitions, 
■  Faifant  femblant  d'atteindre  aux  nues. 
Et  parlant  par  voyes  incongneués 
Bigarroyent  leurs  opinions. 

Depuis  la  cauteleufe  Grèce, 
La  Grèce  toujiours  mentercffe. 
Et  par  beaux  faits  &  par  écrits 
Voulut  à  tous  rauir_  le  pris 
De  cejle  immortalité  grande. 


ODES.  195 

Que  V  homme  ainfi  qu*vn  Dieu  ^demande  : 

Mais  leurs  vertus- ils  embrouilloyent 

Des  vices,  dont  ils  fe  fouilloyentj 

Et  de  mainte  exécrable  offrande^ 

En  ma/quant  d^vne  pieté 

Leur  detejlable  cruauté  : 

Ou  bien  dans  Vonde  obliuieufé 

Enuoyoyent  leur  nom  défia  mort  y 

Pour  Peftre  efforce\jpour  le  tort, 

Fuftpar  audace  auantageufe, 

Fuji  par  rufe  malicieufe. 

Ou  bienpils  Vont  fait  viure  ici, 

Ils  Vont  fait  viure  avec  leur  honte,. 

Et  noftre  reproche,  qui  donte 

Leur  labeur  &  leur  gloire  auffi. 

Que  diray-ie  de  mille  fongesy. 
Mille  fables,  mille  menfonges. 
Dont  ils  penfoyent  orner  leurs  faitsy 
Et  leurs  beaux  efcripts  contrefaits  ? 
Q}ioy  que  le  vulgaire  m'en  tance, 
le  me  permets  fans  arrogance 
De  dire,  que  la  grand*  faueur. 
Que  nous  faifons  à  leur  labeur, 
^-^   Ne  vient  que  de  noftre  ignorance, 
Qui  approuue,  comme  à  crédit, 
Tout  ce  que  le  commun  nous  dit. 
Sans  que  rien  àfoy  Ion  retire. 
Ce  que  le  Ciel  plus  chichement 
Nous  donne,  c^eft  le  iugement  : 
Qui  fait  que  Vofe  encore  dire. 
Que  tous  ceux  qui  veulent  efcrire 
Du  tout  comme  Vantiquité, 
Seruans  aux  aueugles  d^amorce, 
Se  penfent  eux  mefme  fans  force, 
Etfansyeuxlapofterité, 

Apres  que  les  deftins  bornèrent 
L^heur  des  Grecs,  les  Romains  régnèrent, 
Ces  plus  fiers  que  yaillans  Romains, 


196 


Qj'i  penfoyeni  tenir  en  leurs  mains, 
Fuji  en  guerre,  fufi  en  doBrine, 
Les  gonds  de  cefte  grand'  machine  : 
Mais  par  mainte  /édition. 
Qu'enfantait  leur  prefomption, 
Ont  fait  eux  me/me  leur  mine. 
Laijfons  mille  vices  vilains. 
Dont  leurs  plus  beaux  aÛes  font  pleins, 
Comme  le  ciel  les  enlremejïe  : 
Laiffons  leurs  proce\  obfline^, 
Laiffvns  leurs  cceurs  efféminé^. 
Quand  on  cotnbatoit  pefle-mefle  : 
Laijfons  S  U  foudre  S  la  grefle, 
Qiii  leur ferain  fouuent  brouillail, 

Qui  au  fang  de  leurs  amis  me/me 
De  rage  fouuent  fe  fouitloiC. 

Si  ejt~ce  qu'entre  tant  de  fautes 
Ils  ont  leué  leurs  gloires  hautes. 
Par  beaucoup  de  brauts  vainqueurs. 
Par  beaucoup  de  doues  autheurs  : 
Et  bien  que  fi  firts  ils  ne  fuffent. 
Bien  que  fouuent  mefme  ils  reeeuffent. 
Voyant  Vautre  camp  affronté, 
La  froide  peur  de  leur  cqflé  : 
Et  combien  que  tant  ils  ne  feeuffeni. 
Par  grands  morgues,  par  grands  moyens. 
Par  la  largeffe  de  leurs  biens, 
Seruoyent  d'épouuentail  au  monde, 
Encore  leur  viuant  renom 
Nous  efpouuentant  de  leur  nom, 
Nefentiroit  la  nuiâ  profonde, 
Noyé  dedans  Pinfemale  onde. 
Si  les  bons  efprils  S  te  temps 
Ne  decouuroyent  que  les  plus  braues, 
>  Les  mieux  difanSjiHes  plus  graues, 
Font  bien  fouuent  les  charlatans. 
Mais  que  diray-ie  de  leur  race. 


ODES.  197 


Qui  encore  auiourd^huy  pourchaffe 
De  Je  faire  nommer  de  nous^ 
Le  peuple  le  mieux  né  de  tous? 
le  ne  parle  point  de  leurs  vices, 
lefçay  que  toujiours  les  malices, 
S^on  les  contrepoife  aux  bienfaits, 
Rauallent  V honneur  fous  le  fais. 
Et  puis  toujiours  quelques  fupplices, 
Suiuent  ceux-là^  qui  écriuans 
Parlent  librement  des  viuans  : 
le  ne  fçay  pas  fi,  ce  peuple  ofe, 
En  reprenant  vn  cœur  plus  haut, 
Quelque  beau  fait  quand  il  le  faut, 
le  diray  cefie  feule  chofe. 
Puis  quHlfaut  que  ma  flamme  enclofe 
Trouue  vnfoupirail  en  cela, 
Que  ce  peuple  &fon  voifinage 
Nous  donne  fouuent  tefmoignage, 
Qye  les  Gots  ont  paffé  par  là. 

Encore  ont  ils  cejle  prudence 
De  pauthorifer  d'vn  filence. 
Et  par  mille  admirations, 
Quelquefois  par  inuentions, 
De  mains,  d^efpaules,  de  louanges, 
Se  faire  admirer  aux  ejlranges  : 
Mais  toy^  mais  toy,  peuple  François, 
Qjii,  vaillant^  iamaisfous  les  lois 
D^vn  peuple  ejiranger  ne  te  ranges, 
Qjtel  autre  plus  grand  vice  as  tu 
Qjii  obfcurciffe  ta  vertu, 
Sinon  le  mépris  de  ta  gloire? 
le  fçay  qu^ aucun  n^egallera 
Ce  qu'il  a  fait,  ce  quHl  /«viy*"*' 
Aux  couronnes  de  ta  viâoire  : 
Mais  fi  des  hommes  la  mémoire      ^ 
Ne  les  fait  à  tous  fiecles  voir. 
Qu'as  tu  gaigné  par  tant  d'alarmes, 
Sinon  que  perdre  tes  genfdarmes, 


igS 


Et  le  plus  beau  de  Ion  efpoir? 

Qiielle  autre  plus  belle  efperancc 
Auois  tu,  pour  la  recompenfe 
De  tant  de  traucàl  de/pendu, 
Et  de  tant  de  fang  re/patidu. 
Sinon  l'honneur,  qui  deuoit  future 
Ta  vaillance,  &  qui  ne  peut  viure 
Si  quelque  ingenieufe  tnain, 
Mieux  qu'en  vne  taille  d'airain, 
D'or,  de  bois,  de  marbre,  &  de  cuiurc. 
Ne  l'anime  Ji  doâement, 
Qu'on  y  voye  éternellement 
Vne  ame  des  fiecles  maifireffef 
Mais  comme  ennemi  du  plus  beau 
Que  nous  ayons  d'un  lourd  tombeau. 
Tu  fais  que  ta  lourde  pareffe 
Ton  nom  &  tes  ayeulx  oppre^e, 
Ou  pour  de  tout  temps  mettre  au  bas 
Les  vrais  artifans  de  la  vie, 
Qui  par  les  ans  n'efl  point  rauie, 
Ou  pour  ne  le  cognoijlre  pas. 

Voila  ce  que  le  ciel  t'enuoye. 
Voila  le  trait  dont  il  foudroyé 
Tout  cela  que  lu  as  de  bon, 
En  te  priuant  du  vray  guerdoa 
Que  la  feule  vertu  mérite. 
Mais  i'attens  qu'vne  chatemite 
Contre  mes'vers  grince  les  dents, 
Q}ti  Sardanapale  au  dedans. 
Contre/ace  au  dehors  i'hermite  : 
Mefaifant  de  ce  lourd  défaut 
Vne  vertu,  difant  qu'il  faut 
Efiimer-que  la  gloire  humaine    . 
Efivne  honte  deuant  Dieu, 
Et  que  fi  Ion  fiche  en  ce  Heu 
Qjielque  attente,  l'attente  efl  vaine  : 
Mais  fi  cefie  befte  vilaine 
Veut  fonder  fon  efpoir  infet, 


ODES.  199 

Elle  trouuera  que  la  rage 
D*auoir  quelque  gloire  en  fort  âge. 
De  tel  ma/que  la  contrefait. 

le  fçay  qu'vn  "peuple  quife  vante ^ 
Rend  fa  gloire  au  ciel  deplaifantCy 
Oejl  le  vice  dont  Vay  blafmes^ 
Les  peuples  parauant  nommes^  : 
Mais  fi  la  chofe  que  Ion  traitte 
Se  voit  au  naturel  pourtraitte, 
Q}iel  autre  eguillon  voudroit  on 
Pour  embraffer  ce  qui  efï  bon, 
Et  fuyr  la  chofe  mal  faite  ? 
Dy  moy^  donc  fi  les  autheurs  fainâs 
N^euffent  par  hiftoire  dépeints  ^ 

Les  faits  facre\  que  Ion  doit  croire, 
Qu^eufi-il  en  ce  monde  refié 
De  foy,  de  loy,  de  pieté, 
Veu  que  du  vieil  temps  la  viâoire 
En  eufi  effacé  la  mémoire  ? 
Dy  moyfi  tout  Roy  des  Chrefiiens 
Voyoit  nos  hifloires  bien  peintes, 
Suiuroit-il  pas  les  guerres  faindes 
Ainfîque  nos  Rois  anciens? 

Mais  quel  Prince  auroit  ce  courage, 
SHl  efï  amy  du  beau  langage. 
Et  fi  les  hiftoires  des  vieux 
Ont  défia  paffé  par  f es  yeux. 
De  vouloir  tous  les  faits  apprendre, 
Q}i^ont  voulu  iadis  entreprendre 
Nos  pères,  des  Dieux  les  enfans, 
De  toute  guerre  triomphans, 
Veu  qtton  ne  les  fçauroit  où  prendre, 
Sinon  de  quelques  vieux  ramas 
De  Chroniques,  &  vieux  fatras 
Qui  doiuent  feruir,  ce  me  femble, 
D^enuelopemens  aux  merciers. 

Et  de  cornets  aux  efpiciers  :  ^ 

Ou  bien  quand  vne  fefte  affemble 


Six  ou  fept  artifans  tn/emble. 
Entre  les  tifons.  S-  les  pots. 
Leur  faire  paffer  la  froidure. 

Tous  bayaas  après  la  leûure. 
Dont pre/que  ils  épellent  les  mots? 

Mais,  au  rebours,  quel  homme  braue 
S'ejlant  acquis  vn  Jlyle  graue. 
Et  fejlanl  enrichi  de  traits, 
Sur  les  meilleurs  des  vieux  pourtraits, 
Euft  voulu  fe  mettre  en  tel  ceuure, 

Veu  qu'en  toy.  Peuple,  Ion  decceuure 

Vne  ingratitude  enuers  ceux 

Qui  font  de  ton  bienfoudeux, 

El  plus  qu'en  autre  qui  fe  Ireuue? 
Le  ciel  qui  fait  tout  par  compas. 
Fait  que  ceux,  qui  ne  peunent  pas,' 

Veulent  toute  cliofe  parfaire  : 

Et  que  ceux  qui  le  peuuenl  bien. 

Ne  veulent  iamais  faire  rien. 

Qjielque  efpril  aux  Mufes  contraire 

Entreprendra  bien  tel  affaire. 

Qui,  nourri  feulement  aux  plaids. 

Apporte  du  creu  de  fa  terre, 

Et  fouuent  parlant  de  la  guerre. 

Du  pur  iargon  de  fon  palais. 

Fkançois,  ce  grand  Roy,  dont  la  Fra 

Prend  iiijleyneni  vne  arrogance. 

Voulut  de  nos  Rois  le  premier 

Chaffer  ce  vice  cou^umier, 

Q/i'apafioit  toufiours  la  pareffe 

Pour  amortir  nofire  hauteffe  ; 

Et  ainfi  que  de  toutes  pars 

Les  plus  doâes  hommes  efpars 

H  appelloit  par  fa  largeffe. 

Dedans  fa  France  il  appella 

{Peux  lu  bien  entendre  cela, 

O  peuple,  fans  rougir  de  honte. 
Voyant  qu'il  faut  qu'un  ejlranger 


ODES.  20I 


Vienne  tes  hiftoires  renger, 

Et  qu^vn  peuple  que  chacun  domte 

De  cefte  gloire  te  furmonte  ?) 

H  appella  doncques  à  foy 

Ce  doâe  hiftorien  ^mile, 

L^honneur  de  Veronne,  fa  ville, 

Du  peuple  Italique  &  de  toy. 

Or  ce  n*eft  pas  tout^  que  la  peine 
D^vn  doâe  efcriuain  nous  rameine 
Nos  ayeulx  dehors  de  la  nuiâ^ 
Si  chacun  n'en  reçoit  le  fruiâ. 
Vne  hiftoire  n*eft  pas  fuiuie 
Pour  ceux  feulement  qui  leur  vie 
Confomment  au  parler  Romain, 
Où  ^mile  employa  fa  main  : 
Jlfaut  qu'on  contente  Venuie, 
En  fa  propre  langue  efcriuant^ 
Du  gentil- homme  peu  fçauant, 
Et  d'vne  grande  part  du  vulgaire, 
Qjii  veut  auffi  bien  voir  fon  los 
Sous  la  main  dHgnorance  enclos. 
Sortir  en  lumière  plus  claire. 
Ce  que  mon  Régna rd  afceu  faire, 
Rendant  ^mile  d*vn  tel  heur, 
Qjt'vn  autre  qui  a  voulu  fuiure 
Le  premier  &  fécond  Hure 
Doit  borner  au  tiers  fon  labeur. 

Ce  h*ejl  pas  moy  qui  chacun  prife 
Dans  mes  vers,  &  qui  authorife 
Pour  eflre  quitte  à  mon  ami, 
Des  écrits  forge:{  à  demi  : 
Ma  liberté  inuiolable. 
Et  ma  louange  efï  équitable^ 
Et  nefçay  que  c*efl  qu'en  flattant 
Louer  quelcun,  puis  detradant 
De  fon  nom  plaifanter  à  table. 
Il  ne  faut  la  gloire  celer 
Des  amis,  ny  trop  en  parler  : 


i3' 


u 


Ce  qui  a  fait  qu'en  bref  l'e  vanie 
La  double  gloire  de  eeluy. 
Qui  brauemeni  vient  auiourd'huy 
Entre  nojlre  trouppe  fçauante. 
Combattre  la  trouppe  ignoyaale. 
Et  quifuiuant  le  Dieu  guerrier. 
Méfiant  les  tiures  aux  alarmes, 
Bien  /ai/anl,  bien  difant  des  armes, 
Doit  attendre  vu  double  laurier. 

Toy  trouppe  des  Dieux,  qui  maifirifes 
Deffus  toutes  nos  entreprifes, 
El  toy  qui  nous  donnes  les  toix, 
Henht,  le  meilleur  Roy  des  Rois  : 
Toy  Anne  aufft^  dont  la  hauteffe 
A  fait  que  cet  œuure  on  t'adreffe, 
Vueille^,  les  vns  par  leur  bonté, 
L'autre  par  libéralité. 
L'autre  par  moyen  S  addreffe, 
Par  l'exemple  de  cejluy-ei 
Nous  inciter  ^  bien  ici 
A  bien  faire  S  à  bien  écrire, 
Puis  qu'un  bon  Jiecle  eji  retourné, 
Puis  que  le  ciel  a  ordonné 
Au  peuple  François  plus  d'Empire, 
Qu'à  autre  que  i'aye  fçeu  dire  : 
Qji'en  gloire,  il  les  furmonte  tous. 
Tant  que,  fi  parfaits  nous  ne  sommes. 
Nous  puiffions  les  premiers  des  hommes, 
O  grands  Dieux,  approcher  de  vous. 


ODES.  203 


SVR     LE    ilONOPHILE 

D'ESTIENNE    P  ASQVIER, 

Âduocat  en  la  Cour  de  Parlement  ^*. 


Ne  verray-ie  point  que  ma  France 
S^eftonne  defonjtecle  heureux^ 
Mais  de  fon  Jiecle  malheureux ^ 
Qjii  n'a  de  fon  heur  cognoijfance? 
Verray-ie  point  cet  an  nouueau. 
Que  le  Latonien  flambeau, 
Qtii  va  reuoir  fon  Ganymede, 
Chaffe  auecques  fes  ans  paffe\^ 
Ces  ans  à  tout  iamais  chajfe:ç^ 
Le  mal  dont  ce  mal  nous  procède  ? 

Verray-ie  point  qu'il  te  regarde^ 
(O  ma  France)  encor  vnefois, 
Goufter  la  douceur  de  fes  loix. 
Qui  feule  de  V  oubli  te  garde? 
Loix  que  le  Prince  Delien 
Sur  fon  coupeau  Theffalien, 
Entre  fes  fçauantes  Sœurs  donne  : 
Loix  qui  mieux  te  couronneroyent 
Qjte  quand  les  Rois  adioufteroyent 
L^autre  couronne  à  leur  couronne. 

Pour quoy  parmi  noftre  ignorance 
Seffue^-vous  (o  doues  efprits) 
Tant  d^œuuresy  fi  pour  voftre  prix 
Vous  h*aue:(  que  la  repentance  ? 
La  terre  qui  vous  a  porte:{, 
La  terre  que  vous  exalte:^, 
laloufe  de  voir  vos  louanges 
Se  faire  maiftreffes  des  ans  y 


204  ODES. 

'  '  Engloutit  fes  propres  en/ans, 
Pitié  me/me  aux  terres  eftranges, 
Mocquons  nous  y  Lyre,:ie  te  prie  y 
Mocquons  nous  des  feuerite:[ 
De  ces  vieux  fourcils  de/pite^, 
Par  qui  tout  œuurefe  décrie? 
Que  feruira  {dit  vn  vilain) 
Ceftoeuure  de  menfonge  plein, 
Qjti  le  peuple,  à  menfonge  incite  ? 
O  vilains,  vo,ule3[-vous  encor 

■■  DeJ/bus  vn  ma/que  de  Neftor 
Celer  vn  déforme  Therftte? 

Moquons  nous,  ma  Lyre,  &  me  chante 
Que  de  ce  vieil  fîecle  doré, 
Ce  Jtecle  pour  Vor  adoré, 
la  la  faifon  nous  eji  prefente  : 

'    Vor  tout  feul  retient  fon  honneur, 
Vor  feul  de  France  le  bon  heur, 
L*or  qui  a  la  terre  pour  mère, 
Veult  clorre  au  ventre  maternel 
Deffous  vn  cercueil  éternel^         . 
'  Tous  ceux  qui  ont  le  ciel  pour  père  ; 

Tant  Vambition  exécrable 
Loing  de  la  vertu  fe  tenant. 
Hait  le  bien  d^autre  part  venant 
Qj4e  de  fa  faim  infatiable  : 
Ce  qui  de  fon  gibier  n^efi  pas, 
Ne  fera  iamais  fon  repas  : 
Et  comme  Vafne  courbé  laiffe 
Les  fleurs,  pour  manger  les  chardons, 
Reiette  les  celeftes  dons. 
Et  fa  feule  fange  careffe. 

Mocquons-nous,  ma  Lyre^  &  brocarde 
Ces  autres  finges,  qui  mal  nés 
Pendent  vn  chacun  à  leur  nés 
Sous  vn  demi-ris,  que  Ion  farde 
De  quelques  geftes  cour tif ans  : 
Ceux-ci  par  mines  déprifans 


<•    .-=. 


ODES.  2o5 

Les  bonnes  chef  es  quHîs  n'entendent, 
Se  vont  naurans  de  leur  coufteau. 
Me/me  de  leur  propte  cordeau 
Deuant  les  doâes  yeux  fe  pendent. 

Mocquons  nous  y  Lyre,  d'auaniage 
De  ceux-là  qui  me/me  entre  nous, 
Eftans  Vvn  de  Vautre  ialouxy 
Blafment  Vvn  de  Vautre  Vouurage  : 
Et  bien  quHls  cèlent  au  dedans 
Leurs  poifons  fan^Jin  rèmordans, 
Ils  appaftent  de  leur  mouélle 
L^enuie  qui  dedans  fe  paijl, 
L^enuie  qui  fans  fin  leur  efi 
Et  leur  amie,  &  leur  bourrelle.  ^ 

Mais  qui  nous  fait  ores;' ma  Lyre, 
Changer  telleinent  noftre  fon. 
Que  la  douceur  de  la  chanfon 
Se  tourne  en  Vaigreur  de  Satyre? 
PASQ.VIER,  deftoume  nous  du  ris,  * 
Pas  Q VIE R,  entre  les  bons  efprits 
Ce  la  France  vne  gloire  rare, 
Radreffe  vers  toy  nofïre  voix, 
De  toy  feul  parler  ie  deuois. 
Mais  fans  fin  ce  malheur  rn^ef gare. 

Si  noftre  terre  n^efioit  telle 
Que  tu  peux  voir  dedans  mes  vers, 
France  comblèroit\Vvniuers 
la  ia  de  ta  gloire  immortelle. 
Pour  auoir  fi  bien  mis  au  iour 
De  ton  Monophile  Vamour  : 
Mais  helas  helas!  noftre  gloire 
En  France  n'aura  point  fon  cours, 
Si  te  temps  rechangeant  toufiours. 
N'a  mefme  fus  France  vidoire. 

Sus  donc.  Faucheur,  que  lonfemplume, 
Ra^e  tout,  pren  V affaire  en  main, 
Et  tant,  que  contre  nous  en  vain 
Se  puiffe  obftiner  la  couftume. 


>f>  ODES, 

Si  tu  fais  un  Ici  changement, 
la  nnjlre  Pasqvieh  iujltment 
Vaincra  ifvne  étemelle  vie 
L'Ignorance,  le  gros/ourci, 
L'ardente  ambition  aujfi, 
Le  ris,  &  Pefcumeufe  enuie. 


Î 


Si  nous  avions  po\tr  nous  les  Dieux, 
Si  noflre  peuple  auoit  des  yeux, 
Si  les  grands  aimoyent  les  doârinc. 
Si  nos  Magijtrats  ti-affiqueurs, 
Aimoyeat  mieux  fenricliir  de  tnomi 
Qye /"enrichir  de  nos  ruinu: 
Si'  ceux  là  qui/e  vont  mafquans 
Du  nom  de  Dode,  en  Je  mocquans, 
N'aimoyenl  mieux  mordre  lesfcien 
Qy'en  remordre  leurs  cotifciences  : 
Ayant  d'vn  tel  heur  labouré, 
■ïa^y^-t,  tu  ferais  ajfeuré 
Des  moiffons  de  ton  labourage. 
Quand  fauorifer  tu  verrais 
Aux  Dieux,  aux  hommes,  &  aux  Ri 
Et  ton  voyage,  &  ton  ouurage. 

Car/,  encov  nous  ejiimons 
De  ceux  là  les  fuperbes  noms, 


:* 


ODES.  207 


Qui  dans  leur  grand  Argon  oferent 
AJferuir  Neptune  au  fardeau, 
Et  qui  maugré  Vire  de  Veau 
lufques  dans  le  Phafe  voguèrent  : 
Si  pour  auoir  veu  tant  de  lieux ^ 
yiyffe  eft  prefque  entre  les  Dieux, 
Combien  plus  ton  voyage  Vorne, 
Quand  pajjant  fous  le  Capricorne, 
As  veu  ce  qui  eufl  fait  pleurer 
Alexandre?  Si  honorer 
Lan  doit  Ptolemee  en  fes  œuures, 
Qu'eft-ce  qui  ne  fhonoreroit, 
Qtti,  cela  que  Vautre  ignoroit^ 
Tant  heureufement  nous  decœuures? 

Mais  le  Ciel  par  nous  irrité. 
Semble  d*vn  œil  tant  dépité 
Regarder  nofire  ingrate  France. 
Les  petits  font  tant  abrutis, 
Et  les  plus  grands,  qui  des  petits 
Sont  la  lumière  &  la  puiffance, 
S^empefchent  toujtours  tellement 
En  vn  trompeur  accroiffement, 
Qfte  veu  que  rien  ne  leur  peut  plaire. 
Que  ce  qui  peut  plus  grands  les  faire  r 
Celuy-làfait  beaucoup  pour  foy 
Qui  fait  en  France  comme  moy. 
Cachant  fa  vertu  la  plus  rare  : 
Et  croy,  veît<e  temps  vicieux, 
Qu^encor  ton  liureferoit  mieux 
En  ton  Amérique  barbare. 

Car  qui  voudrait  vn  peu  blafmer 
Le  pays  qu'il  nous  faut  aimer ^ 
Il  trouueroit  la  France  Arâique 
Auoir  plus  de  monflres,  ie  croy. 
Et  plus  de  barbarie  en  foy, 
Que  n^a  pas  ta  France  Antaràique. 
Ces  Barbares  marchent  tous  nuds  : 
Et  nous,  nous  marchons  incogneus^ 


Fardés,  ma/que  j.  Ce  peuple  eftr ange 

A  la  pieté  ne  se  renge  : 

JVous  la  ttojire  nous  me/prifons. 

Pipons,  vendons,  S-  degui/ont. 

Ces  Barbares  pour  fe  conduire 

N'ont  pas  tant  que  nous  de  ratfon  : 

Mais  qui  ne  voit  que  la  foifon 

N'en/ert  que  pour  nous  entre-nuire? 

Toulesfois,  toutes/ois  ce  Dieu, 
Q)ii  n'a  pas  banni  de  ce  lieu 

Changeant  des  deux  l'inimitié. 

Aura  de  fa  Francepitié, 
Tant  pour  le  malheur  que  le  vice. 
le  voy  nos  Rois,  &  leurs  enfant. 
De  leurs  ennemis  triomphans. 
Et  nos  magijlrats  honorables 
Embraffer  les  choses  louables, 
Separans  les  boucs  des  agneaux, 
Ofier  en  France  deux  bandeaux  : 
Au  peuple  celuy  d'ignorance, 
A  eux  celuy  de  leur  ardeur. 
Lors  ton  Hure  aura  bien  plus  d'heur 
En  fa  vie,  qu'en  fa  nalffance. 


il* 


ODE    A    CLAVDE    COLET, 


...- -toi  „<..«/(..- 

. .^vit  les  lourds  e/prits  des  hc 

-Ve  permet  qu'on  puijfe  honorer 
Ceux,  qui,  bannijfani  l'Ignorance 


ODES.  209 

m 

Tachent  de  retrainer  en  France 
L^agCy  qui  nous  viendrait  dorer  : 
Sans  noftre  enuenimé  courage, 
Quij  reiettant  chacun  ouurage, 
Veult  toufiours  fa  rouille  endurer, 
Mefme  le  mal,  qui  plus  eftrange 
Nourrit  noftre  cœur  en  fa  fange, 
Oeft  que  toufiours  nous  trouuons  bien 
Quelque  raifon,  quelque  deffenfe. 
Ou  quelque  probable  apparence. 
Pour  battre  contre  noftre  bien. 
Sans  que  pour  la  cliofe  louable 
(Bien  qu^'elle  nous  foit  proffitable) 
Noftre  efprit  fe  condaninê>efC  rien. 

Tant  eft  la  venimeufe  enuie 
Familière  de  noftre  vie^ 
Qu^vn  bien  eft  pluftoft  deietté, 
Qji'vn  mefpris  d'vn  bien  falutaire, 
D*vn  bien  qui  mefme  pourrait  plaire  y 
Puiffe  eftre  des  hommes  quitté  : 

Et  ne  faut  point  que  Ion  efcriue, 

En  efpoir  qu'au  monde  Ion  viue, 

Sinon  par  la  pofterité. 

Du  Philofophe,  du  Poète 
La  peine  eft  à  ceci  fuiette, 

Q}i*on  n^euft  point  efcrit  au  millieu 
'  De  nos  vieux  Payens  autre  chofe, 

Que  cela  qu^efcrire  Ion  ofe, 

Voire  f^ on  efcriuoit  de  Dieu, 

On  trouueroit  qu^Hypocrifie, 

Ou  bien  que  Vaueugle  Herefie 

En  tels  efcrits  aurait  f on  lieu. 
Ne  fçais-tu  pas  que  Vemprifonne 

Les  grâces  que  le  ciel  me  donne, 

Deffous  vnfilence  obftiné? 

Bien  que  ie  fente  en  moy  la  gloire 

Et  Poétique  &  Oratoire  : 

Bien  que  4e  Ciel  m'ait  deftiné 

lodelle.  —  II.  1-4 


2IO  ODES. 

Pour  plus  haute  philofophie^ 
Et  bien  que  braue  ie  me  fie 
D'eftre  au  monde  heureufement  né. 

Mais  quand  on  me  verroit  confondre 
Tous  nos  anciens,  &  refondre 
Des  Sciences  ¥n  Rond  nouueau. 
On  ne  verroit  point  que  jna  France 
à  Vint  efirener  telle  affeurance. 
Sinon  que  d*vn  obfcur  tombeau, 
Pour  Je  rendre  à  fon  bien  contraire. 
Et  defes  amis  aduerjaire, 
Ne  Souffrir  vn  ejjprit  plus  beau, 

^aut'il  donc  que  tu  Vefmerueilles^ 
CoLET,  Ji  les  do&es  merueilles 
Tant  des  amours  que  des  combats, 
Si  ta  plus  mielleufe  parole. 
Si  me/me  du  peuple  Vefchole 
^  Façonnant  les  courages  bas, 
Maugré  ton  heureufe  entreprife. 
Par  le  peuple  en  mefpris  eft  mife. 
Peuple  indigne  de  tels  appas? 

Vvn  tantoft  d*vn  front  vénérable. 
De  fon  front  bannira  tafoble, 
Etfourcilleux  contre  fon  heur. 
Aime  mieux  reietter  tout  Vœuure, 
Que  lire  ce  qui  luy  decceuure 
Le  contraire  de  fa  foreur  : 
Lequel  fera,  Ji  la  rencontre 
D\n  bon  fiecle  poppofe  contre. 
Du  peuple  la  fable  &  Vhorreuv, 

L^antiquité  quipeternife 
Par  ceux  là  mefme  qu^elle  prife, 
EJlimoit  vn  œuure  immortel. 
Quand  la  façon  bien  ordonnée 
Paffoit  la  matière  donnée  : 
Ton  ouurage,  Colet,  ejl  tel^ 
Qui  cefïe  mentereffe  feinte. 
Par  ta  doâe  efcriture  as  peinte, 


\ 


ODES.  211 

D^vn  pinceau  qui  n'eft  point  morteU 

Penferoit'On  bien  qu^vn  Homère 
Dépeignant  de  Pirrhe  le  père. 
Ou  bien  de  Laêvte  le  fils. 
Sous  tant  d^ alarmes  furieuf es. 
Sous  tant  d'erreurs  auantureufes. 
Sous  tant  de  dangers  defconfits^ 
N'ait  voulu  voiler  la  vaillance^ 
Nait  voulu  voiler  la  confiance, 
Double  but  aux  hommes  prefix  ? 

Lors  que  Ion  lit  la  deftinee   * 
De  ceft  Anchijien  jEnee, 
Le  règne  Troyen  replantant  : 
Ne  voit-on  pas  ces  mefmes  chofe  s 
Eftre  hors  des  fables  éclofes, 
Qjte  le  Mantouan  va  chantant? 
Et  toutesfois  de  telles  fables 
Les  façons^  à  iamais  durables. 
Vont  Vvne  &  Vautre  mort  domtant. 

Pourfuy  donc,  Colet,  ^^  toy  viure, 
Et  ton  nom,  comme  moy,  n'enyure 
Déjfus  le  riuage  oublieux, 
Par  faute  d^auoir  ce  courage^ 
Defupporter  Viniujle  rage 
De  noftre  fiecle  iniurieux  : 
Tu  vaincras,  peut  ejlre^  Vaudace 

Desfiecles,  tirant  par  ta  trace  . 

Mes  efcrits  dépitant  les  vieux.  X 


ei 


AVX  CENDRES  DV  MESME  COLET. 

Si  fna  voix,  qui  me  doit  bien  tojl  pouffer  au  nombre 
Des  Immortels,  pouuoit  aller  iufqu'à  ton  ombre ^ 
Col  ET,  à  qui  la  mort 


Se  monjtra  trop  ialoafe  S-  dépite  d'attendre 
Qlie  tu  eiiffcs  pat-fait  ce  qui  te  peut  dépendre 
De /on  aiiareport  : 
Si  tu  pouuois  eiicor  fous  la  cadence  fainfle 

D'vn  Lut,  qui  gémirait  S-  ta  mort,  £■  ma  plainte. 

Tout  ainfl  te  rauir. 
Que  lu  te  rauijfois  deffous  tant  de  merueilles. 
Lors  que  durant  tes  ioura  ic  faifois  tes  oreilles 
Sous  mes  toix  fajferuir  ; 
Tu  ferais  efcouter  à  la  trouppe  facree 
Des  Mânes  bien  heureux,  quifeule  fe  recrée 

Entre  les  lauriers  verds. 

Les  mots  que  maintenant  deuôt  en  mon  office 

le  rediray  neuf  fuis,  pour  V  heureux  facrijice. 

Que  te  doiuent  mes  vers. 

Mais  pource  que  ma  voix,  aduerfaire  aux  ténèbres. 

Ne  pourrait  pas  paffer  par  les  fleuues  funèbres. 

Qui  de  bras  tortille^ 
y  ou's  ferrent  à  Ventaur,  S  dont,  peut  ejlre,  l'onde 
Pourrait  fouiller  mes  vers,  qui  dedans  noftre  mande 
Ne  feront  point  fouille^  : 
Il  me  faut  contenter,  pour  mon  deuoir  te  rendre. 
De  tefmoigner  tout  bas  à  ta  muette  cendre. 

Sien  que  ce  fait  en  vain. 
Que  cefle  horrible  Sœur  qui  a  tranché  ta  vie. 
Ne  trancha  point  alors  l'amitié  qui  me  lie, 
Où  rien  ne  peut  fa  main. 
Que  les  fardej  amis,  dont  l'amitié  cliancelle 
Sous  le  vouloir  du  fort,  évitent  vn  Iodellk, 

Objliné  pour,  vanger 
Toute  amitié  rompue,  amoindrie,  S  volage. 
Autant  qu'il  efl  ami  des  bons  amis,  que  l'âge 
Ne  peut  iamais  changer. 
Sois  moy  donc  vn  tefmoin,  ô  tay  Tumbc  poudreiife. 
Sois  moy  donc  vn  tefmoin,  o  toy  Fojfe  cendrcufe, 

Qid  t'anoblis  des  os 
Defia  pourris  en  toy,  fois  tefmoin  que  i'arrache 
Maugré  Viniujle  mort  ce  beau  nom,  quife  cache 


ODES.  2l3 

Dedans  ta  poudre  enclos. 
Vous  qui  m'accompagne;^,  6  trois  fois  trois  pucelles^ 
Qu*on  donne  à  ce  beau  nom  des  ailes  immortelles, 

Pour  voler  de  ce  lieu, 
lufqu'à  V autel  que  tient  voftre  mère  Mémoire, 
Qui  regaignant  fans  fin  fus  la  mort  la  viâoire^ 

D*vn  homme  fait  vn  Dieu. 
Pour  accomplir  mon  vœu,  ie  vois  trois  fois  efpandre 

Trois  gouttes  de  ce  laiÛ  dejfus  la  feiche  cendre,  . 

Et  tout  autant  de  vin,  * 

Tien,  reçoy  le  cyprès,  Vamaranthe,  &  la  rofe, 
O  Cendre  bien  heureufe,  &  mollement  repofe 

Icy  iufqu'àlafin. 


•  1  • 


à 


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I .' 


LES 

DISCOVRS  DE  IVLES  CESAR 

AVANT  LE  PASSAGE  DV  RVBICON. 


Ou  croit  que  ce  qui  plus  pouffe,  dreffe,  &  et 
Des  mieux  nés  le  deftr,  le  protêt,  &  Paltente, 
SiHB,  c'e/î  leferuice  S  lafuile  de  ceux 
Qfte  Dieu  me/me  &  Nature  uni  commis  deffus  e 
Tant  pour  leur  dominer  que  pour  en  tout  affaii 
Comme  Nature  &  Dieu  tacher  de  leur  bien  fait 
Sans  mors  les  gouverner,  fans  dol  les  n 
Sans  fin  en  paix  S-  guerre  enfemble  les  v: 
Pour  les  vnir  à  foy  prendre  vn  dejîr  i 
De  leurs  biens  S-  repos  autant  que  desjtens  mefine  : 
Chercher  à  les  cognoiftre,  &  en  leur  commandant 
Les  merquer  pour  f  aider  d'eux  me/me  en  leur  aidant. 
Car  là  le  Roy  doit  mettre  S  le  but  de  fa  gloire, 
Et  l'efpoir  le  plus  haut  de  fa  longue  mémoire. 
Comme  en  luy  nous  mettons  {quand  on  a  ce  bon  heur 
De  lefuiure  &  feruir)  le  but  de  nojlre  honneur. 
Croy  pourtant  qu'vn  efprit  vrayment  haut  &  deUure 
De  ioug  S  vaine  ardeur,  hait  de  feruir  &  fuiure 
El  les  Rois  S  leurs  cours,  dont  pour  lesfeuls  appas 


l 


31l>  LES  DISCOTRS 

D'y»!  efpoir,  il  efpauje  &  1rs  toiâs,  &  les  pas. 
Sans  ga'vn  vouloir  plus  franc,  que  VefpoU-  ne  peu!  efirc. 
Et  fans  qu'va  eguillon,  que  tuy  peut  faire  naifire 
La  vertu,  pour  preuoîr  rkonaeur  futur  d'un  Roy, 
Et  fans  qu'vii  iufle  amour  Vy  contraigne  de  Joy. 
C'eji  pourguoy  les  plus  grands  qui  furent  oncq'  au  monde. 
Dédaignaient  des  Tyrans  la  Court  en  tout  féconde. 
Fors  qu'en  honneur,  vertu,  iuflice,  &  liberté. 
Dont  telles  Courts  auoyent  fans  ceffe  pauureté  : 
Tant  que  ces  gens  viuoyent  en  leur  pauvre  fagejfè 
Plus  contens,  que  ces  Rois  en  leur  pauure  richeffe. 
Eneorvoit  on  que  quand  les  plus  vrais  Rois,  au  lieu 
Qu'Us  tiennent  deffus  nous,  montent  d'effet  que  Dieu 
Les  donne  heureufement,  comme  il  t'a  donné.  Sire, 
El  qu'àfoy  leur  vertu  les  vertueux  attire  : 
Si  efl-ce  que  l'efprit  que  tant  entier  Pay  fait, 
Efiant  attrait  des  Rois,  fûuuent  d'eux  fe  diftrait, 
Fafcké  de  voir  gefner  tant  fa  franche  nature, 
Que  f on  difcours,  me/pris,  gaillardife,  &  droiture 
Par  feruice  feruil,  duquel  il  fait  efireint 
Tant  plus  fort,  que  plus  fort  fa  bonté  l'y  contraint. 
Et  par  fuite,  en  laquelle  il  ne  face  oncques  faute, 
Suiuant  d'ardeur  plus  vraye,S  plus  prompte  ff  plus  haute,  ' 
Carceux  qui  de  tous  poinSi  de  franchife  font  /fanes. 
Quand  ils  fe  font  donnejf  Jbnt  tous  devoirs  plus  grand» 
*  (}]ie  nul  fer/de  loyer  :  qui  fans  qu'aucun  mérite. 
Ou  fans  qu'vrt  voidoir  franc,  &  iufle  amour  l'incite, 
{Fait  efclaue  d'efpotr)  &  feulement  tachant 
Afon  but,  efpiant,  reculant,  raprockant. 
Donne,  reçoit,  attend,  prefque  de  ru/e  égale, 
Des  beaux  vents  courti/ans  la  plaine  £  vaine  l•alle^ 
itabile  à  retourner  fon  cœur  girouélant. 
Vendant  les  mefmes  vents  qu'il  va  mefme  achetant. 
Tous  tels  feruiteursvils,  fait  qu'ils  feruent  leurs  Princes, 
Ou  ceux  qui  lesfuiuans  tiennent  de  leurs  prouinces 
Les  charges  dans  leurs  mains  :  voulons  fans  ^n  piper, 
JVe  faillent  guère  en  fin  d'eux  mefme  fe  tromper  ; 
Tant  qu'on  les  voit  fouuent  pauures  S  vieux  fe  rendre, 


r^\. 


DE   IVLES   CESAR.  217 

Pour  aîorSy  tout  ainfi  qu*vn  oifeau  de  Méandre, 
En  regrettant  d^auoir  pajfé  leur  âge  entier 
En  maint  indigne,  &  dur,  voire  infertil  mefiier, 
Apres  leurs  vent^  leurs  ieux,  &  la  longue  rifee^ 
Dont  leur  faueur  aueugle  en  fon  fonge  abufee 
S*eclaphoit  contre  tous,  tous  blancs  &  tous  mourans. 
Lamenter  tant  le  but,  que  le  cours  de  leurs  ans, 
Tous  deux  tels,  que  fouuent  au  bout  de  leur  attente^ 
Rien  nCy  a  qui  leur  maiftre,  ou  les  autres  contente, 
Ny  mefme  eux,  ou  leur  race,  en  leur  fin  faifans  voir 
Qii^vn  defefpoir  occit  ceux  qui  viuent  d^efpoir. 
Bien  qu^ aucuns foyent  entre  eux,  qui  ne  laijfentpas  d^eftre 
Seruans  pour  lefalaire,  &  bien  Jeruans  leur  maiftre, 
Et  qu^ aucuns  de  ceux-ci,  en  Vefpoir  quHls  ont  eu, 
Ayent  plus  rencontré  qu^à  Vefpoir  n^eftoit  deu  : 
Et  que  fouuent  encor  les  bons  heurs  fe  referuent 
A  ceux  qui  pis,  ou  moins,  ou  le  moins  fouuent  feruent. 
Mefme  qu^aucuns,  ou  foit  pour  Vauoir  mérité. 
Ou  pour  eftre  importuns^  ou  par  fatalité. 
Trompons  Vopinion  de  tous,  par  Vheur  extrême 
Paffent  infiniment  leur  opinion  mefme  : 
Puis  ce  grand  heur  fepaffe  encor  par  autre  efpoir. 
Car  plus  ha  Phomme  auide,  &  plus  il  tache  auoir, 
Tant  que  fouuent  on  perd  tout  efgard  de  feruice. 
S'en  méfiant  bien  ou  mal,  pourueu  que  Vardent  vice 
Vauoir,  fe  puiffe  en  nous  à  toute  heure  fouller, 
Qjiifeul  nous  fait  de  tout,  plus  qu^on  ne  veut,  méfier, 
Et  dés  que  nouWÊroyons  grandement  fruÛueufe 
Telle  meflange,  ou  bien  feintement  glorieufe, 
laçoy  que  foit  vn  mal  qui  fouuent  nous  appert. 
On  peftime perdu  pourtant  fi  Ion  la  pert  : 
Creuant  contre  chacun,  qui  loyal  la  manie  : 
Car  toute^oyauté  des  Courts  n^efi  pas  bannie. 
Maint  On  voit  grand  ou  bas,  fuiure  &feruir  vn  Roy, 
Qui  trop  plus  tient  fon  ame  à  fon  Prince  qu'àfoy. 

Mais  au  rebours  de  tout,  quelquefois  fans  paftreihdre 
A  tel  feruice  &  fuite,  &  fans  caller  ne  feindre 
Soit  V  ame  foit  la  voix^  fans  voir  fouuent  flater, 

14* 


ai6 


LKS  DItCOVRS 


Chatouiller,  fucrer,  oindre,  amorcer,  appafler 

Par  l'oreille  S  par  l'aHt,  de  Uandice  ou  louange, 

L'humeur  qui  frefcke  ou  vieille  en  vn  maiftre  démange. 

Que  fans  eege  on  aecouftre  ainji,  tant  qu'il  deplaifi 

Souvent,  ce  croy-ie,  à  lay,  qui  tout  entier  f  en  paijl  : 

Sans  crainte,  honte  ou  dueîl  de  pourfuite  importune. 

Et  fans  à  chafque  tour  du  temps  S  de  fortune. 

Voir  les  vns  en  Calons,  Us  autres  fe  tourner 

En  bouphons,  S  tous  deux  leurs  finges  façonner  : 

Loin  deifameufes  Courts,  6  loin  de  la  perfantte 

A  qui  tel  efprit  franc  d'vn  franc  vouloir  fe  donne. 

Seul,  feeietf&  deuot,  dans  foy  la  vaferuant. 

Et  non  du  corps,  mais  bien  d'vn  cœur  plus  feur  fuiuanl 

Attrait.,  gaigné,  lié,  autant  par  vraye  &  viue 

Gentilleffe  S  grandeur,  que  par  vertu  naifue: 

Et  fur  tout  par  l'humeur,  qui  à  tel  efprit  rond 

Par  vn  refentiment  fatisfait  &  refpond  : 

Le  condamnant  ainji  par  l'attrayant  mérite, 

A  l'efloigné  feruice,  ains  à  Vabf ente  fuite  : 

Qui  le  rendans  prefent  en  Vabfence,  &  tout  pre/l 

D'ejlre  vrayment  prefent,  quand  befoin  il  e»  efk 

Quifouuent  rendans  mefme  vtitefon  abfence. 

Plus  que  n'ejl  de  beaucoup  utile  la  prefence, 

V affranchi ffent  des  loix  d'offre  quemanderie 

Souuent  vaine,  de  dol,  de  mafque,  &  fiaterie, 

Comme  il  eft  affranchi  des  vents  S-  vanité^. 

Dont  par  efpoir  &  peur  tous  caeurs  font  agite j. 

Car  luy  fans  proietter  rien  de  ce  qui  auanee. 

Sans  craindre  ingratitude,  inconfiance,  oubliance, 

Mefme  fans  en  foy  prendre  aucun  butoufouci. 

Fors  que  pour  le  mérite  il  luy  plaift  faire  ainfi  : 

De  gayeté  de  cœur,  reuere,  honore,  S  aime 

D'vn  grand  caur,  qui  n'a  point  d'eguilton  quefoymefn 

Celuy  qui  fon  vouloir  prend  pour  fuiet  gaillard. 

Et  qui  iamais  dehors  ce  franc  vouloir  ne  part  : 

Et  fange  à  part  d'aider  à  faire  à  tous  paraître. 

D'aider  à  maintenir,  d'aider  à  faire  croijire. 

Non  feulement  de  l'autre  &  le  los  &  l'honneur. 


I 


DE   IVLES   CESAR.  219 

La  grandeur,  &  le  rang,  le  repos,  &  bon  heur^ 
L^eternité  du  nom  :  mais  Vaccorteffe,  addreffe, 
Etfageffe,  &  vertu,  voire  encor  la  lieffe, 
La  gaillardife  vtile,  &  Vaccort  pajfetemps, 
Qui  pour  les  faits  meilleurs  rafrefchiffent  nosfens. 
Et  fur  tout  il  fe  peine  à  faire,  que  d^ouurage 
En  fecret  entrepris,  toute  peine  il  foulage 
A  celuy  qu'il  adore,  en  tachant  que  tous  biens 
Soyent  creus.  ou  reflaure^,  tant  à  luy  comme  aux  Jiens. 
L*  encourageant^  fil  peut,  aux  chofes  les  plus  hautes, 
Des  plus  grands  anciens  luy  propofant  les  fautes. 
Vertus,  rufes,  difcours,  &  ce  dont  la  grandeur 
Peut  renuerfer,  ou  croifire,  ou  fauuer  fon  grand  heur, 
Prenant  fans  fin  le  foin  des  chofes  qui  luy  viennent. 
Veillant  pour  empejcher  tous  troubles  qui  retiennent 
Son  eflat  empeftré,  foit  quHceluy  foit  Roy  y 
Ou  bien  que  foit  quelque  autre  ayant  eflatfous  foy. 
Toujîours  dedans  les  Courts  aux  Rois  on  nefe  donne. 
Bien  que  tous  foient  aux  Rois,  ny  toujîours  leur  perfonne 
Hors  des  Royales  Courts,  ne  peut  ejïre  Vobiet 
D^vn  franc  efprit  qui  prend  quelque  grand  pour  fuiet: 
Car  il  ne  choifit  pas  (fil  choifit  par  franchife) 
Ce  qui  efi  plus  prifé,  mais  ce  que  plus  il  prife. 
Quand  c^eji  vn  Roy  pourtant,  le  choix  de  cejïuy-ci 
Se  rend  plus  glorieux,  plus  profitable  auffi. 
Car  veillant  pour  vn  Roy,  qui  deffous  Dieu  commande 
A  tant  d^œuures  de  Dieu,  mainte  chofe  plus  grande 
S^en  peut  après  laijfer  à  la  poflerité, 
Qjiifait  prendre  à  tous  deux  plus  d^ immortalité. 
Or  tout  ceci  m^auient,  qui  hors  de  ta  prefence 
T*ay  choifi  pour  mon  but,  te  feruant  en  abfence  : 
Et  quand  (d  Sire)  encor  mon  Roy  tu  ne  ferois. 
Si  Vaurois-ie  pourtant  choifi  plus  que  tous  Rois  : 
Car  ce  que  Vay  conceu  dedans  moy  d*efperance. 
Des  traits  que  Vay  merque^  dés  ta  première  enfance, 
APont  fait,  fans  à  ta  fuite  autrement  m^afferuir. 
Comme  ilVapparoiflra,  d'vn  grand  cœur  te  feruir. 
Moy  pauure,  &  qui  pis  efï,  defafïreux  gentilhomme. 


Tant  riche  touUsfi»a,  que  le  fort  de  nul  homi 

N'eji  enuii  de  moy,  ne  me  puis  ny  de  rang,  J 

Ny  de  biens, ny  d'honneurs.vanler,  mais d'vn  ceeur/)-anc, 

Par  lequel  i'ay/acré  tout  ce  que  peut  d'office 

Et  mon  ame  S  mon  corps,  à  ton  plus  haut  feruice  : 

Sans  que  i'aye  eu  fouci,  fi  en  gré  tu  Pauois, 

Sans  iamais  m'enquerir,  fi  rien  tu  en  fçauois. 

Le  temps  veut  commencer,  fans  que  ie  vueille  4irc 

Ici  ce  qu'il  en  efi,  à  te  decouurir,  Sire, 

Qjiel  feruice  eft  le  mien  :  voulant  fa  ' 

Deuers  tay  mes  labeurs,  S  me  faut 

Par  vne  arre  petite,  en  qui  ma  fantafie 

Pour  grand'  occafion  chofe  haute  a  choifie. 

Que  ie  veux  en  ces  vers  fubtilement  (après 

Vauoir  bien  exprimée)  à  toymefme  à  plus  près 

La  venir  adapter,  pour  bie»  te  faire  apprendre. 

Me/me  à  propos,  le  frui3  qu'ores  tu  en  peux  prendre- 

Moy  donc  à  qui  defor  fans  aucun  vain  efpoir. 
Le  temps  &  mon  Démon,  ton  règne  S  mon  deuoir. 
Commandent  defortir  hors  de  ma  folitude. 
Pour  faire  iffir  dehors  les  fruits  d'vn  franc  eflude, 
Et  pour  d'orefnauant  après  vn  domefiic 
Seruice  recelé,  t'en  motffirer  vn  public  : 
le  refen  bien,  mais  c'ejipour  diffemblable  chofe, 
Qsi'vn  efiroit  Rubicon  à  paffer  fe  propofe, 
A  moy  comme  à  Cefar.  Car  pour  efire  incogneu 
lufqu'ici,  ie  fçay  bien  quel  grand  hsurm'eft  venu, 
lefçay  bien,  veu  le  temps,  qui  contre  noflre  tejle 
Nous  refirge  fans  fin  diuers  traits  de  tempefte. 
Que  fil  peut  bien  fçauoir,  ce  que  fur  luy  ie  puis. 
Ce  m'ejl  d'efire  cogneu  pour  tout^l  que  ie  fuis, 
Vn  grand  malheur,  peut  ejtri,  &  continuel  trouble  ; 
Si  tu  n'as,  Sihk,  en  main  le  bouclier  fept  fois  double. 
Dont  vn  Aiax  de  gloire  &  de  fureur  ardent. 
En  combatant  couuroit  Vlyffe  le  prudent. 
Tant  qu'il  ne  tourne  en  moy  gueres  moins  de  penfees, 
Qjie  Cefar  en  fentit  dedans  foy  r'amagees, 
La  nuiâ  dont  il  voulait  pajfer  le  lendemain 


•ï 


DE   IVLES   CESAR.  221 


Le  Rubicon,  pour  faire  à  fort  pays  Romain 

La  guerre f  &  de  fureur  iujle  enfemble  &  inique, 

Le  ventre  maternel  de  fa  grand  République, 

Parricide  fouler.  Quant  à  moy  çà  &  là, 

Tantoft  deuers  ceci,  tantofl  deuers  cela, 

Mes  penfers  fe  rouans  m'agitent  &  me  meinent, 

Et  mefmement  pour  toy  d'autres  penfers  me  peinent  : 

Sçachant  que  lefoupçon,  le  garbouil,  le  befoin, 

Auant  les  faits  doit  faire  aux  faits  auoir  le  foin. 

Car  ie  fen  que  défia  la  Vage  turbulente 

De  cefiecle,  bien  toft  à  paffer  te  prefente 

Maint  nouueau  Rubicon,  où  mefme  tout  ainfi 

Qji'à  Cefar,  pour  paffer  ou  reculer  auffi, 

Pourroit,  peut  eftre,  enfinfe  trouuer  vne  perte, 

Perte  ou  honte,  ou  bien  mefme  &  la  honte  &  la  perte. 

Cela  donc  méfait  poindre  en  ces  penfers  diuers 

jyvn  prompt  &  chaud  humeur,  pour  vouloir  dans  ces  vers 

De  ce  Cefar  penfif  les  mefmes  dif cours  faire, 

QuHlfit  fur  tel  paffage,  &  pour,  &  au  contraire, 

AÛfquels  ie  brufle  après  d^accommoder  les  tiens: 

Mais  premier  permets,  Sire,  ici  chanter  les  fiens. 

la  ce  Cefar  contoit  par  dix  fois  les  années 
Dedans  Voblique  tour  du  grand  Soleil  tournées. 
Depuis  quHl  eut  fa  charge  aux  Gaules,  &  qu^aux  loix 
De  Romme  il  entreprint  fléchir  tesflers  Gaulois, 
Qui  deflors  eftoient  tels  que  pour  à  fa  fin  rendre 
L*entreprife,  il  falloit  Cefar  pour  V entreprendre  : 
Car  à  tels  la  vaillante  &  iufte  liberté 
Peut  céder,  mais  encor  c*eft  par  fatàtité. 
la  donc  par  cent  affauts,  par  batailles,  parprifes, 
Efcarmouches,  exploits  vrayment  guerriers,  furprifes. 
Attraits,  rufes  &  dois,  il  auoit  (non  d'effort. 
Bien  que  f on  effort  fuft  fubtil  enfemble  &  fort: 
Mais  bien  du  fil  du  temps  qui  tout  mine  &  dépeuple) 
Sousfon  deffein  fuperbe  accablé  ce  franc  peuple. 
Qui  ia  fur  Romme  auoit  prefque  pris  en  fes  mains, 
Ce  que  fur  luy  prenoyent  par  Cefar  les  Romains  : 
Et  qui  fous  toy,  peut  eftre,  ou  bien  fous  les  tiens.  Sire, 


224  ^^^   DISCOVRS. 


Par  force  p arracher  hors  la  flamme  allumée^ 

Sans  Je  laijfer  du  tout  confumer  de  ces  feux. 

Et  fans  garder  que  mefme  aux  arrière -neueux 

De  ces  plus  grands  Romains ,  au  moins  quelque  relique 

Entière  peufi  refier  de  liberté  publique. 

Mais  quoy?  fon  piteux  fort  &  fon  Démon  qu'elle  ha 

Pour  guide  de  fa  fin ^  la  pouffe  &  conduit  là, 

Veflat  mefme^  oit  elle  eft^  vient  par  force ^  cefemble^ 

Appeller  deffus  elle  &  fon  fort,  & -eitjemble 

Son  contraire  Démon,  qui  chaffanttout^Confeil 

Luy  fait  contre  foy mefme  ourdir  tel  appareil, 

Se  plaire  en  fes  ardeurs,  &  py  rendre  acharnée. 

Pour  voir  par  fes  efforts  fa  force  ruinée  : 

Trop  auantpefi  pouffé  de  fon  mal  tardent  cours. 

Et  du  fecours  Vefpoir  meurt  auec  le  fecours. 

Il  faut  céder  aux  nœuds  d^eflreinte  ambitieufe. 

Il  faut  céder  au  feu  d^ ardeur  feditieufe. 

Quand  entre  les  Romains  ce  Cefar  neferoit, 

Romme  alors  pour  cela  cent  Cefars  fe  feroit  : 

Auffi  de  tout  efïat  Vaccroiffance  fatale. 

Dés  lors  qu^elle  efl  portée  au  fommet,,  redeuale 

Par  force,  tout  ainfi  qu^  Ion  feint  le  fardeau 

De  Sifyphe  aux  enfers,  porté  iufqu^au  coupeau 

De  fon  roc,  pechaper,  &  de  roide  roulée 

Gaigner  en  vn  moment  le  fond  de  la  vallée  : 

Si  bien  que  ce  qui  a  tant  de  trauaux  couffé. 

Pour  eftre  par  la  voye  afpre  &  haute  porté 

lufqu^ au  propofé  fefte ,  échappe^  &  de  vifieffe 

Par  fort ^  par  fauîfe  gloire,  &  faulx  efpoir  fe  laiffe 

Précipiter,  trompat/it  les  mains,  les  fens.  Vefpoir, 

Le  trop  tardif  defir  qu'on  a  de  le  rauoir. 

Et  Vepancement  vain  qu^on  fait  pour  le  rateindre, 

Ne  laiffant  que  le  dueil  pour  vainement  pen  plaindre  : 

Tant  qu^on  eft  plus  lojig  temps  fouuent  à  regreter. 

Que  Ion  n^auoit  eflé  long  temps  à  le  monter. 

Et  en  ces  deux  longueurs  de  temps  la  précédente. 

Et  celle  là  qui  fuit  la  cheute  violente. 

Se  font  fouuent  du  tout  vaines  en  vn  moment^ 


DE   IVLES   CESAR.  221) 

Auquel  Ji  toft  on  voit  Vimpourueu  roulement 
Du  hault  iufqu^au  plus  baSjjau  moins  fi  dans  la  roche 
Quelque  débile  appuy  pour  vn  temps  ne  Vaccroche, 
^^^Qui  par  Vefpoir  refté  nous  fait  plus  refentir, 
Et  plus  fouuent  V effet  du  premier  repentir. 
Pour  tout  vray  donc  eft  vaine^  &  la  longueur  de  Vage, 
Durant  lequel  auec  tout  effort,  tout  courage^ 
Tout  ha/art,  tout  encombre,  on  pouffe  ce  qu'il  fault 
Voir  par  necejfité  tomber  de/on  plus  hault. 
Et  vaine  eft  la  longueur  des  regrets  &  des  plaintes, 

*  *  pour  ces  cheutes  contraintes 

Par  naturelles  loix,  dont  Vvne  c^eft  que  tout 
De  grandeur  &  durée  en  fin  trouue  le  bout  : 
Vautre  que  Vhomme  eft  né  pour  aux  chofes  plus  hautes 
Et  plus  grandes,  toufiours  faire  les  plus  grandes  fautes: 
L^auti-e  encor  que  tant  plus  Vhomme  fe  voit  haujfer 
En  vn  eftat,  &  plus  il  veut  fous  foy  baiffer  ^ 

Ses  egauSC  en  Veftat,  d'aueuglement  extrême, 
Hai(ardant  auec  eux  &  Veftat,  &foymefme 
Sans  égard  de  pay^,  de  loix,  ny  d'amitié, 
D^alliance,  de  fang,  de  peur,  ny  de  pitié, 
Parfes  difcours  faifant  à  foymefme  vne  excufé, 
Q}ie  pour  le  bien  futur,  du  malprefent  il  vfe, 
Vne  autre  loyfe  peut  adioufter  à  ces  loix, 
Confiderable  encor  plus  que  les  autres  trois, 
Oeft  qu*au  monde  inconfiant  toute  chofe  rechange 
Par  la  viciffitude  incertaine  qui  renge 
Sous  f es  tours  ^  retours,  non  pas  tant  feulement 
La  chofe,  mais  pour  elle  auffi  Veuenement 
Entre  nous,  tout  autant  diuerfe  fur  tout  efire, 
Qjiefur  tout  bien  ou  mal  qui  pour  nous  fe  peut  naifire  : 
Changeant  auec  fes  tours,  f  es  façons,  &  fouuent 
Lentement,  &  fouuent  trop  plus  roide  qu^vn  vent. 
Pour  ramener  non  pas  toufiours  après  la  chofe 
Bonne  ou  mauuaife,  vn  bien  ou  mal  qu'elle  propofe 
^      Au  rebours  Vvn  de  Vautre  :  ains  d*vn  moyen  fatal 
Apres  le  mal  fouuent  cela  qui  efi  moins  mal. 
Ou  fouuent  retourner  api'es  le  mal  le  pire, 

loiilli.  —  II.  IJ 


\ 


I 


22b  LES   DESCOVRS 

Ou  t/pii  après  le  bien  celuy  qu'on  peut  eflire 

Pour  le  mieux  de  deux  biens,  ou  me/me  en  moindre  bien 

En  changeant  labaiffer  quelque  autre  bien  moyen: 

Ou  par  vil  fault  ejlrange  aller  conuertir  me/me 

Va  bien  ou  mat  léger,  en  bien  ou  mal  extrême  : 

Ou  d'vn  reuottement  encores  plui  léger. 

Du  bien  du  mal  l'extrême  en  l'extrême  changer  : 

Si  bien  que  par  fes  faits  ne/oit  pas  maintenue 

Seulement  cefie  loy,  qui  mobile  efi  venue 

Du  naturel  de  tout,  mais  que  fans  fin  tournant 

Elle  aille  mefme  en  tout  nature  maintenant. 

Qui  caduque  ne  peut  conferuer  fes  effences. 

Ou  bien  fes  avions  que  ptA-fes  inconjlances. 

Qui  ne  voit  que  lafeure  S  plus  confiante  lay, 

D'vne  inconflance  telle  au  ciel  change  fous  foy 

Les  dominations  des  feux  qui  fur  nous  luifenl, 

Et  ^i  de  quelque  infiind  nous  S  nos  faits  conJuifent 

Par  leurs  retours  diuers,  fait  qu'Us  foyent  afcendans, 

Ou  bien  de  leurs  konneHrs  S  forces  defcendans  : 

Soit  que  l'vn  auec  l'antre  ou  fe  ioint,  ou  poppofe. 

Soit  qu'autrement  du  Ciel  le  grand  bal  les  difpo/e 

Aux  rencontres  qu'ils  font  par  fes  douje  maifons. 

Oh  les  heures,  les  iours,  les  mois.  S-  les  faifons 

De  l'an  par  les  trauaux  du  Soleil  fe  partiffent  : 

Soit  que  tous  ces  afpeâsfur  nousfe  reûniffent 

Par  tant  d'autres  moyens  que  l'art  peut  efprouuer. 

Et  aufquels  il  a  peu  des  noms  propres  trouuer  : 

Tant  que  tel  art  fouuent  par  principe  inniable, 

Par  fuppofition  pour  le  moins  vray-femblable. 

Par  obferuation  que  comme  il  dit  U  fait, 

Et  par  diuers  calcul  qu'il  tient  iufie  S  parfait, 

S'efforce  de  monfirer  que  tout  ce  qui  chemine 

En  cefle  haute,  claire,  &  tournante  machine, 

En  tours,  en  ordre,  en  nombre,  en  figure,  en  pouuoir. 

Et  mefme  en  tous  effets,  que  tel  cours  fait  auoir 

A  toute  autre  nature  en  ces  ronds  contenue. 

Et  neceffairemtntfous  les  reiglet  tenue 

Du  Ciel,  qui  la  contient,  pourrait  parfaitement 


DE   IVLES   CCSAR.  227 

Par  cognoijfance  entrer  dans  noftre  entendement^ 
Si  pour  Vafpre  longueur  de  Veftude,  la  vie 
Au  millieu  du  trauail  ne  nous  eftoit  rauie. 

Or  cet  art  dans  ce  Ciel  tantoft  en  haut  honneur , 
Fait  quelque  aftre  efleuer  comme  maijlre  &  feigneur^ 
Et  du  Ciel,  &  du  temps ^  &  de  toute  influence, 
Que  le  Ciel  à  chacun  durant  tel  temps  difpence  : 
Toute  chofe  qui  naift,  tout  faià  qu'on  voit  venir, 
Se  feint  ou  peu  ou  prou  de  tel  pouuoir  tenir. 
Comme  fi  dansfon  throne  alors  ce  grand  Planète 
Afon  règne  rendoit  toute  ejfence  fuiette, 
Ainfl  qu^vn  grand  Monarque  :  après  il  vient  céder 
A  quelque  autre  qu'on  voit  après  luy  commander. 
Tantoft  pour  autre  égard  vn  tel  art  nous  ajfemble 
Des  principaux  flambeaux  vne  grand*  troupe  enfemble, 
Qfti  femblent,  mais  non  pas  du  tout  également. 
Par  leurs  regards  donner  vn  commun  mouuement. 
Tout  ainfi  que  Ion  voit  qu*vne  Ariftocratique 
Façon  de  gouuerner  quelque  grand'  republique. 
Des  hauts  &  fainds  décrets  d^vn  Sénat  par  compas 
Doit  régir  V ordre  haut,  le  moyen  &  le  bas  : 
Bien  que  ne  plus  ne  moins  qu'en  telle  compagnie 
Des  celeftes  flambeaux,  la  ciiUle  harmonie 
D*vn  efiat  publiq,  rompe  enfoy  l'égalité 
Par  enfleure  de  biens,  de  race,  ou  dignité. 
Par  vn  refentiment  de  bienfaits  &  viâoires. 
Ou  par  V orgueil  qui  veut  croiftre  ou  perdre  fes  gloires  : 
Mefme  toUfiourf  faut~il  (mais  chacun  au  rebours 
Confeffe  neceffaire  &  louable  toufiours 
Telle  inégalité)  que  les  vns  tousfeuls  guident^ 
Et  qu* entre  les  plus  hauts  les  vns  fur  tous  prefident, 
Voire  vnfeul,  ou  bien  deux,  qui  prennent  prefque  enfoy, 
(JLeféul  nom  excepté)  tout  ce  qui  eft  d^vn  Roy  : 
Mais  leur  charge  &  puiffance,  ou  bien  n'efi  qu^annuelle 
Seulement,  ou  bien  n'eft  qu'autant  que  les  appelle 
A  cela  le  befoin,  encore  leurs  adions 
Cèdent  aux  loix,  ê  mefme  aux  fuperftitions  : 
Qui  plus.eft,  quelquesfois  de  nouuelle  ordonnance 


228  LtS   DISCOVBS 

El  de  ControuHemens,  fe  borne  leur puiffanee  : 
Ou  celuy  qui  Monarque  entre  leijiens  tft  ni. 
De  rien  que  de  fa  mort  n'a /on  poauoir  borné. 
Ctfte  AriJIocratie  en  ceci,  comme  au  rejie. 
Suit  le  gxtuuernement  de  la  troupe  cele/le, 
De  tant  de  feux  méfie:;  vnis  enfemblémenl, 
De/quels  cet  art  obferue  vn  commun  reiglement. 
Car  là  toiljiours  Us  vnsfar  les  autres  maifirifent. 
Et  félon  plus  ou  moins  fauorifenl,  ou  nui/eut, 
Mefme  par  leurs  afpe3s  contraires  S-  malings. 
Semblent  prefgue  fe  rendre  en  leur  troupe  mutins, 
Cqptme  en  vn  corps  ciuil  iroublans  par  leur  difcorde, 
Tout  ce  qui  à  peu  près  en  telle  chofe  accorde. 
Voila  donc  comme  au  Ciel  les  obferualions 
De  l'art  AJtronomicq',  aux  propo/ilions 
Hautes  quelles  fe /ont,  Irouuent  que  d'vne  forte 
Ce  haut  gouueinement  celefie fe  rapporte 
A  l'ejlat  Monarchicq  dWn  Empereur,  d'vn  Roy, 
Ou  d'vn  autre  qtiijeul  tient  tout  l'ejlat  fousfoy  : 
Et  que,  comme  Cay  dit,  d'autre  forte  il  reffemble 
A  l'ejial  de  plujieurs  qui  commandent  enfemble. 
Se  faifans  les  premiers,  tant  par  Vitlujlre  fang 
Des  plus  vieilles  maifonSt  que  par  mérite  S  rang: 
Ne  pouuaas  loutes/ois,  ou  ne  deuans  riem/aire 
Sans  va  accord  de  tous,  fufi-ce  du  populaire, 
Qmi  puiffant  en  Vejlat  {bien  qu'il  foit  le  plus  bas) 
Ha  pour  cela  fes  voix,  &  propres  magijlrats. 
Dont  l'aulhorilé  mefmc  à  toute  autre  Poppofe, 
Tirant  fouuent  àfoy  pour  la  publique  chofe 
Tout  vueil,  &  tout  pouuoir  des  armes,  S  des  loix. 
Tant  il  craint  que  les  granda  facentfurluy  tes  Rois. 
Mais  deflors  que  Ion  voit  fes  fureurs  modérées. 
Ou  bien  de  fes  foupçons  les  caufes  retirées, 
Jlfe  raccorde  S  met  ce  qu'il  auoit  repris, 
Aux  mains  de  ceux  qui  font  à  régir  mieux  appris, 
Deuersfoy  retenant  toutes/ois  fa  puiffance. 
Qui  contre  les  grandeurs,  toujours  contrebalance. 
Si  bien  qu'il  n'a  pas  moins  entre  eux  d'authariti. 


'■^v 


DE   IVLES   CESAR.  229 

Mais  il  a  moins  d*honneur,  de  charge^  &  dignité, 

Auffi  croire  il  nous^faut  que  dyne  multitude^ 

Sans  quelques  nobles  chefs  Vejiat  eft  vil,  &  rude, 

Incertain,  confus,  lâche,  ignoble^  &  qui  ne  peut 

Auoir  Vhonneur  en  foy,  qui  feul pourtant  nous  meut 

Non  feulement  aux  faits,  qui  par  Vheur  de  la  guerre, 

Du  nom,  du  los,  du  bien,  font  Vaccroiffance  acquerre  : 

Mais  aux  vertus,  aux  arts,  auxfciences  auffi. 

Bref,  à  tout  ce  qu'on  peut  cognoiftre  &  fuiure  ici 

De  bon,  de  beau,  de  grand,  &fans  qui  {ie  croy)  qu*efire 

Seroit  pis  que  mourir,  ou  bien  iamais  ne  naiftre  : 

Bien  qu'en  quelques  endroits,  quelque  afpreté  des  lieux ^ 

Quel^uu^Jnfignes  torts  qu'ont  receu  les  ayeux 

Des  peuples,  qui  groffiers  deffous  tel  Ciel  habitent, 

Et  d' afpreté  de  mœurs  ces  mefmes  lieux  imitent. 

Tant  que  la  durté  lourde,  &  du  viure,  &  des  mœurs. 

Les  exempte  auffi  bien  de  Seigneurs  que  d'honneurs  : 

Outre  cela,  le  long,  &  coufïumier  vfage 

De  hoir  la  ffoblejfe,  à  caufe  de  Voutrage 

Que,  peut  efïre,  ils  auoyent  (comme  Vay  dit)  receu 

De  leur  nobleffe,  &  mefme  vn  égard  qu'ils  ont  eu 

Quelquesfbis.  à  bon  droit,  pour  voir  aucuns  des  Princes 

Leurs  voifins,fp  monftrer  tyrans  de  leurs  prouinces  : 

Puis  la  difficulté  que  Ion  trouue  à  vouloir 

AJféruir  ceux  qui  font  fous  leur  propre  pouuoir^ 

D'autant  que  la  franchife  eftant  long  temps  gouftee,  . 

Bien  que  lourde  elle  foit,  ne  peut  eftre  domtee, 

Qft'à  toute  extrémité  de  trauail  &  pouuoir. 

Qui  mefme  en  fin  trompé  bien  fouuentfe  peut  voir  : 

Puis  leur  gloire  groffiere,  &  les  vaines  audaces 

De  penfer  corriger  les  Rois,  &  les  menaffes 

Qu'aux  plus  grans  mefme  ils  font,  pourfe  voir  eftre  amis 

Des  Princes,  fans  fe  voir  à  nul  Prince  f ouf  mis. 

Les  dures  loixfans  grâce,  &  les  peines  cruelles 

Qui  à  leur  liberté  rendent  les  leur  fidelles  : 

L^ajfeurance  qu'ils  ont  qu'en  voulant  faire  exce^f 

A  leur  baffe  franchife,  on  trouue  fans  acce^ 

Tout  leur  pays,  peut  eftre,  &  l'effort  fans  louange  y 


a3o  LE 

Me/mementfans  grand  gain  telle  conque/le  e/lrange  : 

Et  bref,  maint  autre  égard  qu'on  peut  encor  trouver, 

Qjii  les  gai-defans  jin  d'autre  ioug  efprouuer, 

A  ferui,  me/me  encor  ferl  auiourdhuy  d'excvfe 

Aux  peuples,  dont  l'ejlat  fuyant  les  nobles,  vfe 

De  tel  entretien  bas,  gui  n'efi  point  vrayment  franc. 

Où  pour  tout  rang  n'y  a  que  du  peuple  le  rang. 

Qui  bien  fouuenl  fe  peut  defon  propre  ioug  plaindre. 

Lequel  plus  que  le  ioug  dWn  Roy  le  vient  efireindre. 

Ployant  fous  f es  égaux  vilement,  lâchement. 

Et  fans  qu'efpoir  de  grâce  y  fait  aucunement. 

Mais  ie  dy  que  quiconque  a  goulé  des  noblejjea 

Ledeuoir,  S  lefruià,  les  grandeurs,  les  prouve», 

Lesplus  gayes  vertus,  &  les  ciuHitej, 

Qui  foyent  franches  pourtant  des  fuperfluile^. 

Les  honneurs,  que  Dieu  mefme  exprés  a  voulu  faire 

Des  vertus  l'eguillon,  le  but,  &  le  falaire, 

Les  gloires,  des  honneurs  compagnes,  &  les  arts 

Plus  riches,  plus  hautains,  plus  rares,  plus  gaillards, 

Qjii  deleSent  tous  feuls,  foulagent,  S  conferuent 

Noflre  vie,  S  qui  feuls  de  grand  luflre  luy  ferueiit, 

Lesfpeàacies  gentils,  &  tout  divers  plaifir. 

Où  licitement  tire  vn  grand  S  haut  deftr,  J 

Les  plus  dignes,  plus  forts,  &  plus  hauts  exercices, 

Par  ordre  refuiuls  des  honneftes  déliées: 

Les  entremeflemens  qui  gi-ands  &  fruSueux, 

D'hommes  brutaux  nous  font  foutient  des  Demi-dieux: 

La  louange,  qui  lors  qu'à  l'oreille  elle  agrée 

Dedans  nous  S  noflre  ame,  &  nos  vigueurs  recrée. 

Soit  qu'un  bruit  populaire  exalte  nos  renoms. 

Ou  fur  tout  qu'vn  beau  vers  embraffe  nos  beaux  noms. 

Comme  ne  pourrait  plaire  (ô  Dieux)  louange  telle  - 

Aux  morlels,  qu'elle  plaifl  à  vous  Troupe  immortelle. 

Lors  que  là  haut  Mercure,  Apollon,  ou  fesfœurs. 

Flattent  vos  deite^  de  leurs  doaes  douceurs? 

El  mefme  outre  le  los,  les  grand' s  pompes  licites  ■' 

D'vn  triomphe,  en  publieq  couronnant  nos  mérites  : 

Les  beaux  chars  de  dîuert  animaux  attelej. 


* 


DE   IVLES   CESAR.  23ï 


Les  lauriers.  S-  les  fleurs,  lesfons,  les  chans  ntefle^ 

D^allegrejfe  &  de  ris^  les  enfeignes,  trophées. 

Et  autres  merques  <Vor  &  (V argent  eflophees, 

Les  grands  arcs  triomphauls,  les  prières,  les  vœus^ 

Les  facriflees  fainûs,  les  feftins,  &  les  ieus, 

Qui  mont  ans  iufqu^au  Ciel,  des  palmes  glorieufes 

Peuuent  les  deUe:{  rendre  prefque  enuieujes  : 

Mefmement,  qui  plus  eft,  de  tant  &  tant  de  los 

La  mémoire  à  toufiours  gardant  quHl  ne /oit  clos 

Sous  le  cercueil  muet^  dans  la  muette  cendre. 

Ou  quHl  n^aille  en  la  bourbe  oublieufe  de/cendre , 

Ains  qu'il  foit  éternel  par  la  poflerité, 

Quiàuitçm  des  mortels  donne  immortalité. 

Et  pour  encore  en  fin  comprendre  d*auantage 

Tout  cela  qu*vn  efprit  hautain,  accord,  &fage, 

Braue,  heureux,  généreux,  en  tous  fes  faits  peut  voir, 

Admirer,  defirer,  &  me/me  receuoir 

En  fa  vie,  en  fa  mort,  voire  après  la  mort  mefme, 

Dejfous  vn  noble  eftat,  foit  quefoit  le  fuprême, 

Qyi  en  tout  temps  tout  tel  dure  en  fes  Royauté  \, 

Ou  foit  Veftat  publicq,  qui  en  fes  dignité^ 

Et  magiftrats  plus  hauts,  pour  vn  temps  prefque  égale. 

Et  la  fuyant  enfuit  la  puiffance  Royale. 

Or  quiconques  dansfoy  tous  ces  dons  gouftera, 
D*vn  populaire  vil  fans  fin  dédaignera  V 

L^eftat  tout  populaire  :  &  n^y  a  rien  qui  bleffe 
Vn  noble  efpf*it^fljbrt,  que  de  voir  fans  nobleffe 
nus  ceux  entf9  lef quels,  comme  vn  aftre  qui  luit 
Vn  peu,  mais  tout  autour  couuert  de  noire  nuiû. 
Il  luy  conuient  trainer  indignement  fa  vie, 
QjtUl  aimeroit  trop  mieux  fe  voir  foudain  rauie. 
Que  voir  tirer  toufiours  le  filet  que  Clothon 
Luy  a  predeftiné,  fous  quelque  gros  Canton 
De  Suiffes,  Grifons,  ou  bien  d^ autres  fauuages^ 
En  leur  iaug  tant  ignoble  auilijfans  leurs  âges. 
Ijfie  cent  fois  foyent  maudits  {filon  dit  vray)  tous  ceux, 
Q$ii  entre  nous  vouloyent  tacher  nous  faire  à  eux 
Semblables,  en  ejtat  :  Grande  efioit  leur  furie 


232  LES   DISCOVRS 


Hypocrite^ plus  grande  encor  leur  barbarie. 

Les  fauuages  viuans  tous  nuds  qui  n'ont  ny  Iqy, 

Ny  Dieu,  nyraifonprefque,  ont  entr*eux  comme  vn  Roy: 

Cet  ordre  eft  naturel^  que  les  chofes  guidées 

Soyent  des  chofes  par  ordre,  &  d'elles  commandées  : 

Et  iaçoy  que  fouuent  par  defaftre  ou  erreur 

De  Nature^  ceux-là  qui  en  plus  grand*  grandeur. 

Et  auec  plus  de  faix  de  grands  charges  futures. 

Règnes,  principautés^,  dignités^,  prelatures, 

Se  voyent  naiflre  ici,  ne  foyent  pas  ceux  qui  ont 

Le  plus  d'autres  grandeurs,  qui  les  plus  propres  font 

Pour  guider  celles  ci,  comme  vn  inflinâ  de  flam^^ 

Qui  haut  &  vifrehauffe  &  repoint  fans  fin  Vam($^ 

Et  vient  pourtant  promettre  en  cefte prompte  ttrdeur, 

D'vn  iugement  plus  froid  &  plus  feur  la  tiédeur  : 

Comme  eft  vn  autre  inftind  d^accorteffe,  méfiée 

A  droidure,  &  bonté,  qui  là  rendent  reiglee. 

Pour  en  tout  Vage  entier  fans  fin  la  mefurer. 

Sans  iufques  à  la  mort  d'elle  fe  feparer  : 

Comme  eft  Vinftinâ  encor  de  fcience  &  fageffe 

Plus  hautaine^  &  Vinftind  de  plus  noble  hauteffe. 

Et  celuy-là  qui  peut  fans  ceffe  nous  hauffer 

A  tout  ce  que  plus  grand  fans  ceffe  on  peut  penfer  : 

Voire  &  celuy  qui  fait  qu'en  addreffg  &  «9  grâce  ^ 

Lfs  autres  tant  du  corps  que  de  Vame  onfurpaffe  : 

Et  tous  autres  inftinâs,  dont  pour  nous  patronner 

Au  plus  près  fur  les  Dieux,  le  Ciel  nous  vient  orner. 

Si  eft'Ce  que  pourtant  la  meflange  fatale 

De  Nature,  aux  vns  chiche,  aux  autres  libérale. 

Tant  diuerfe  en  fes  dons,  mefme  les  tours  des  deux 

Ramenans  aux  vns  pis,  ainfi  qu^aux  autres  mieux, 

Eux  mefmes  tant  ifiuers,  en  cent  mille  influences, 

Qui  font  de  nos  efprits  {comme  on  dit)  les  puiffances  : 

Et  fur  tout  du  grand  Dieu  les  grâces,  qui  autant 

Les  va  diuerfement  dans  nos  âmes  iettant. 

Soit  d^vne  main  prodigue,  ou  chiche,  compaffee 

A  ce  qu'il  a  preueu  de  nous  dans  fa  penfee^ 

Rendroyent,  comme  ie  penfe,  &  nos  complexions 


^ 


DE    IVLES    CESAR.  233 


Egales,  &  nos  fens,  &  nos  conditions  : 

Et  n^auroyent  diftingué  de  tant  de  différences 

Les  grâces^  dont  en  nous  ils  verfent  lesfemences, 

Et  fur  tout  celles  là  qui  nous  peuuent  guider 

A  policer,  4pfigir,  régner^  &  commander^ 

A  guerroyer^  &  vaincre^  à  deffendre^  conduire 

Ùu  bien  amplifier  de^trement  vn  Empire, 

Et  par  viuacité  natfue^  par  effort 

De  cœur,  par  maiefté  de  vif  âge  &  déport. 

Et  d*efprit,  &  de  voix,  tantoft  tenir  en  bride, 

Tantoft  à  ce  qu^on  veut  piquer  ceux  que  Von  guide  : 

Et  reUil^f9ti$  fur  tout,  des  plus  précieux  biens 

^fm€ifi0iil^0U$lps,fa  terre,  &  foymefme,  &  les  fiens. 

De  tonimi^ns  on  voit  fans  trauail,  fans  ejtude, 

Aux  vns  ta  naturelle,  &  tant  grande  aptitude. 

Aux  autres  on  la  voit  plus  médiocre,  aux  vns 

De  ces  dons  on  y  voit  ceux  qui  font  plus  communs 

Aux  autres,  &  ceux-cy  font  quafi  tous  les  hommes. 

Car  des  hommes  doûe^  tant  richement,  nous  fommes 

Au  monde  malpourueus,  on  voit  fi  grand  deffaut 

De  tels  &  pareils  dons,  quHlfemble  {peu  p  en  faut)  ^ 

QjiHls  nejoyeni  pas  des  Dieux,  ny  des  hommes  Wvace  : 

Mais  qu*excepté  la  voix,  &  la  forme,  &  la  face/ 

Ils  ayent  retiré  Peftre  de  leurs  efprits 

Des  brutes  animtMX  bien  fouuent  mieux  apris. 

Et  paurquoy  dotât  Dieu  mefme  &fous  luy  mefmement 
Le  Cieli  &  la  nmtftre^  auroyent  ils  tellement 
A^peu  i^enir9='f0ts,  d^vnefi  riche  corne 
Refpandu  totit  cèîtl  qui  plus  nos  efprits  orne  ? 
Et  au  rebours^  mu  nombre  infini  des  humains. 
Pour  tels  dons  auroyent-ils  tant  referré  leurs  mains ^ 
S*Us  ne  vouloyent  qû*exprés  des  âmes  fuffent  nées 
4u  monde,  dontferoyent  les  autres  gouuernees? 
i^fans  ou  plus,  ou  moins,  &  par  diuers  degré 
au  ioug,  aux  lois,  à  la  vois,  S-  au  gré 
iklles,  que  ie  croy  telles  entre  nous  naijlre 
?,  pour  le  deffaut  qu'aux  autres  on  voit  eftre. 
^Àx^  ny  le  deftin  celefte,  ny  le  fort, 

i3* 


334  "-^S    DISCOVRS 

Qjii  fft  Veuenemenl  particulier  qui  fort 

Du  dejiin  à  toute  heure,  S  dejfaa  chafque  chofe 

Qui  peut  ejlre  en  Varrefi  de  tout  deJlin  encloje, 

Nefe  fuffeat  point  veus  (depuis  que  du  grand  monde 

Se  va  fans  fin  tournant  VarchiteQure  ronde. 

Et  logeant  nojlre  efpece  humaine  dedans  foy) 

Maintenir  pour  iamais  cefte  immuable  loy. 

Que  toufiours  nous  naijfons,  les  vnspour  eftre  grands. 

El  les  autres  petits  pour  eJIre  ferfs  o«  francs. 

Riches  ou fauffreteus,  fans  qu'en  laplus  brutale 

Façon  de  viure,  oii  plus  la  baffeur  ejl  égale. 

Leur  loy  toufiours  courante  oncques  permettre  peu  â 

Qji'auxvns  quelque  grandeur  plus  qu'aux  autres  Ke  fiifi\ 

Qjie  plus  riches  les  vns  naquijfent,  oufefeiffeM 

Que  les  autres,  les  vns  me/me  aux  autres  feruiffent  : 

Et  que  par  tous  moyens  telle  focieté 

Ne  recherchafl  toufiours  telle  inégalité 

Qlte  luy  ait  peu  Fardeur  naturelle  promettre, 

Ou  bien  que  luy  aitpeufon  vil  eflat  permettre. 

Qui  plus  efl  ce  defiin,  &  ce  fort,  quant  au  bien, 

N-euffent  iamais  fouffert  ces  noms  de  tien,  &  mien  : 

Ils  n'euffent  point  laiffê  fans  fin  entre  nous  efire 

V  La  force  qu'ont  ces  noms  de  feruiteur,  &  maiflre. 

Sans  qui  tous  les  labeurs  des  humains  cefferoyent 
Etfatts  qui  tout  commerce,  &fecouTS  manqueroyentz  ^ 
Mefme  en  fin  thomme  mefme  ils  n'euffent  par  concorit 
(Ojii  à  Nature,  au  Ciel,  voire  à  Dieu,  les  accorde 
En  face,  &  en  façon,  en  courage  S  defir) 
Semblé  les  vns  du  tout  difpofer,  S  choifir 
Au  fer,  aux  coups,  au  fang,  au  fceptre,  à  la  couron 
Que  le  vray  fang  ou  bien  la  prouéffe  nous  donne  : 
Et  tant  aux  chars,  jti'à  mille  autres  pris  Martiaux. 
Aux  diâatures  mefme,  aux  haches,  aux  faifceaux. 
Aux  puiffanstribunats,  prelures,  &  quefiures. 
Aux  fainâes  dignité^  de  preftres,  &  d'augures. 
Et  à  mille  autres  rangs  d'honneurs,  tous  diffère 
De  nom,  félon  l'ejlat,  S  la  terre,  S  le  temps  : 
Les  autres  au  contraire,  au  foc  qui  leur  agrée, 


K 


DE    IVLES    C£SAR.  235 

'  Au  paftoralflageol  qui  aux  champs  les  recrée, 
Aux  périlleux  trauaux  de  leur  petit  trafficq, 
Auxfueurs  de  tout  art  plus  bas  &  mecanicq  : 
Qjii  pis  eft  par  malice,  ou  par  difete,  aux  peines 
Des  hôtes,  &  des  piqs,  des  rames,  &  cadenes  : 
Tout  cela  (dis-ie)  ici  ne/efuji  veu  fans  fin 
Sur  nous  entretenu  du  Sort,  &  du  deftin. 
Si  Dieu,  le  Ciel,  Nature,  &  la  fuite  ordonnée 
Par  eux  en  toute  chofe,  &  dé  leur  deftinee 
Les  cheutesy  ramenans  tout  effet  incertain 
A  itoMS,  d*vn  roullement  qui  eft  pourtant  certain, 
Nef'accordoy^ent  tous  là,  par  confeil  neceffaire 
Qjti  preuemif  &pourueut  de  toufiours  ainfi  faire  : 
Ains  nê-CO^traignoyent  tout  fans  ceffe  à  telle  fin, 
Eftant  eux  mefme  adftraintspar  ce  g/and  vueil  diuin, 
Mefme  immuable  à  Dieu,  dHnceffablement  tendre 
A  ce  but,  que  tel  vueil  pour  le  mieux  vouluft  prendre  : 
Qui  eft;  que  par  vn  ordre  inégalement  mis 
Par  mille Jorts  diuers,  les  vns  fuffent  foufmis 
Aux  autres,  que  ceux  cy  de  ceux  là  garantiffent 
La  vie  aux  grands  dangers,  les  efprits  affranchijfent 
De  grands  de ffeins,  grands  foins,  grands  difcours,  qui  ne  font 
Propres  à  ceux^  auf quels  les  rangs  vulgairesjont 
Vulgaires  les  efprits  :  qu^ autant  en  autre  terre 
Comme  en  la  leur,  autant  en  la  paix  qû*en  la  guerre 
Les  maintinffentfousfoy  :  quant  aux  biens,  quant  àJ^  heur, 
Aux  mceurSj  &  au  repos,  tout  ainfi  que  des  leur. 
Défit,  f<Àn,  &  trauail  en  toute  chofe  ils  euffent, 
Et  en  leur  commandant,  afpres^  &  doux  ils  fuffent, 
Afpres  pour  leurs  vouloirs  effrene:{  refréner. 
Doux  pour  par  bonté  mefme  à  bonté  les  mener  : 
Et  qui  tout  autrement  fuiuant  la  loy  commune^ 
Ok  nous  réduit  la  baffe  &  vulgaire  fortune^ 
Ceux  làferfs,  oufuiets,  ou  foufmis  à  ceux  ci, 
■  Y'-Dé  Vamour,  de  la  crainte,  &  du  feruice  auffi 
w|âyiir  rendans  tout  deuoir,  auec  Vobeiffance, 
^^^phêrchaffent  par  trauaux  leur  aifance  &  croiffance  : 
SUjfént  le  foin  pour  eux  de  tout  commun  befoin^ 


r 


l36  I.KS    DISCOVKS 

En  les  affranchiffant  du  trop  vulgaire  foin. 

Au  traffiMie  dehors,  en  Faliaient  pubticque. 

Au  domtfficq  mefnage,  ou  labeur  trop  ru^ique. 

Aux  ceuures  manuelt,  au-x  devoirs  plus  petits 

Desfoldats,  oh  des  chefs  fous  eux  ajfuietis. 

Au  commun  appareil  des  diuers  exercices, 

A  l'aeuure,  à  l'ornement  des  diuers  éditées, 

Soyent  murs,  iardins,  maifons,  grans  arc»  &  grana  chajiiiii 

Soyent  cite^,  forts,  ou  ports,  ou  bien  marias  vaijjeau-x. 

A  tout  cela  dequoy  toute  grandeur  falourne, 

El  dont  fous  elle  encor  la  petiteffe  fome  : 

Au  minifiere  auffi  tant  des  defirs  remis 

Sous  le  ioug  de  raifon,  que  des  plaifirs  permis  : 

Aux  ordinaires  mefme,  &facrej  minijieres 

De  leurs  religions,  S  cotiftumiers  myfleres  : 

Au  minijiere  encor  des  exécutions 

De  leurs  toix,  mandemens,  grâces,  punitions  : 

Au  minijiere  vtile  de  ceux,  qui  pour  les  PriHces". 

Ou  bien  pour  va  publicq,  les  deniers  des  prouincrs 

Doiueiil  affeoir,  leuer,  ajfembler,  départir, 

Lesfaifans  nettement  rentrer,  S  reforlir 

Dyne  main  non  glueufe  :  *  bref,  en  tous  offices 

Qui  des  petits  aux  grands  exercent  les  feruices  .■ 

Et  que  pouffe;^  ainjl  du  continu  deuoir, 

Qui  moine  puiffaus  les  lie  à  ceux  qui  ont  pouuoir. 

Non  feulement  pour  tux,  leur  art,  S  leur  ouurage. 

Leur  indujlrie,  &  foin,  leur  trauail,  leur  courage. 

En  paix,  S  en  repos  employer  on  les  v\fi. 

Et  que  non  feulement  chacun  d'eux  affertiifl 

A  tel  commun  befoia,  repoujfé  d'pne  extrême 

Ardeur,  les  bras,  les  pieds,  le  corps,  S  l'efprit  mefme  : 

Mais  bien  qu'à  l'heure  auffi  que  d'vn  difcord  bouillant, 

La  fanglante  Enyon  va  leur  repos  brouillant. 

Se  vifl  de  tous  enfemble  &  le  fang  &  la  vie 

Sacrée  obfiinément,  S  fans  ceffe  afferuie 

Au  fouflien  de  la  vie,  honneur,  S  dignité 

De  tous  ceux  qui  fur  eux  ont  iujle  autharité, 

Soil  Rqv-,  /oit  magiflral,  d'autant  qu'il  ejl  noloii  e 


DE    IVLES    CESAR.  ^  287 

Q^ie  leur  gloire,  &  leur  bien  ne  pend  que  de  la  gloire 
Et  du  bien  de  ces  grands,  pouuansfeuls  eftranger 
Des  teftes  du  bas  peuple,  &  du  ioUg  eftranger^ 
La  honte,  &  fans  parler  des  playes  eftrangeres. 
Les  pauurete^  qui  font  au  dedans  familières, 
A  quoy  fur  toute  chofe,  auec  tout  iufle  égard. 
Tout  vouloir  franc  &  prompt,  tout  confeil  &  tout  art, 
Preuoyance,  &  fouci,mefure  &  accorteffe. 
Tout  noble  S-  digne  chef  doit  mettre  ordre  fans  ceffe. 
Pour  le  moins  fans  relâche  efforcer  il  fe  doit. 
Que  tel  quHl  eft  requis  fans  fin  mis  il  y  f oit. 
Sans  fouffrir  que  de  charge  indigne  Ion  le  foule 
Tantyjquepar  trop  de  faix  hors  de  fes  mains  f  écoule 
Tout  moyen  d*enrichir,  fans  le  voir  deueflir 
De  champs^  &  de  maifons,  fans  du  tout  engloutir 
Ses  ioumallesfueurs,  &  de  mains  facrileges^'' 
Ses  franchifes,  fes  droiÛs,  fes  facre:^  priuileges. 
Voler,  ou  violer,  fouuent  ofier  pour  rien 
La  vie  aux  vns,  à  fin  d'ofter  aux  leur  le  bien  : 
Tout  crime  amende  doit,  mais  font-ce  légitimes 
Façons  de  p enrichir,  que  de  laiffer  aux  crimes 
Les  chemins  pour  remplir  vn  fifque?  les  chercher, 
Efpier,  fouhaiter,  fureteur,  efplucher. 
Et  tacher  pour  tel  gain,  contre  tout  ce  qu^on  penfe. 
Défaire  conuertir  en  crime  V Innocence? 
Oit  tant  plus  les  malings^  &  trop  cauts  officiers 
Font  plus  malf  plus  ils  font  eftime^  iufliciers  : 
Laiffant  enjemueté  richeffe,  honneurs,  louanges. 
Ceux-là  qui  tnefme  entre  eux  des  vices  plus  efiranges, 
Plus  fordides,  plus  faux,  fe  voyent  entache^, 
D^autant  quHlsfont  comme  eux  fainâement  empefche^ 
A  ce  trefbon,  trefdigne,  &  trefiufte  exercice, 
Qiti  de  iufiice  n*a  qu*vnfaux  nom  de  iuftice: 
Ou  bien  laiffans  ainfi  tous  ceux  qui  en  leurs  rangs 
Soyent  petits  y  ou  bienfoyent  médiocres,  ou  grands, 
^s^^iéiident  à  faire  cheoir  par  diuerfes  fouleures 
'Sur  le  peuple  oppreffé  toutes  telles  blejfeures, 
Lorsque  {non  fous  les  Rois  iuftes,  bons,  &  féaux. 


Mais  dejfom  des  Tyrans)  iUfe  /ont  lyre 
Ou  que  la  Tyrannie  iU  fislltnt,  &  confenUat 
A  ces  maux,  fur  hfqueh  bien  foauent  Us  plai/anletit. 
Ou  bien  la  degui/ans  bien  fauuent  par  raifons, 
Peuuent  me/me  vit  bon  Roy  gafter  de  leurs  poifons. 
Tous  prefque  marians  à  telle  pejie  inique. 
Maint  autre  crime  eneor  tant  prtué  gîte  publique. 
Sou uent  pourtant  la/aulfe  apparance  les  fait 
Pour  des  coutombes  prendre,  ou  le  moindre  rneffait 
Peut  fai%-e  les  petits  pour  noirs  corbeaux  paraître  : 
I  Sauuent  me/me  en  ce  rang  des  petits,  on/ait  eftre 

\  En  tous  tels  torts,  ceux-là  gui  ea  tout  foy  n'ont  rien 

De  petit,  ^  ce  n'ejl  la  faueur,  &  le  bien, 
n  ne  faut  donc  iamaii  que  ceux  qui  veulent  fuiure 
Ce  qui  auec  honneur,  voire  après  la  mort  viure 
\  Dans  l'vniuers  nous /ait,  fait  gue  ceux-là  foyent  Roh, 

!  Ou  qu'aux  libres  eite^  ils  baillent  lors  les  loix, 

I  Ou  que  les  Rois  fous  foy  leur  baillent  charge  grande. 

Ou  qu'autrement  leur  main  fouueraîne  commande, 
1  Puijfent  iamais  permettre  àfoymefme,  ou  à  ceux 

Qfiifant  eneor  commis  pour  polieerfous  eux 

#'  Ou  l'i'ii,  ou  fautreeftat,  qu'au  foufmh  populaire 

Toute  cruauté  telle  à  lortfe  voye  faire  : 
Dont  pourtant  on  a  veu  mille  brouilleurs  efprits 
Nés  au  dam  des  kumains,  enragément  épris, 
^  N'efpargnans  ny  difcours fubtil,  ny  rufe  inique. 

Pour  de  plus  en  plus  rendre  vn  ejlat  tyranntque  : 
lufques  à  vouloir  mefme  en  ces  maux  fe  baigner,  - 

{Sans  femonce  ou  befain,  pour  plus  faire  régner 
Par  exemple  mauuais  leur  nature  inhumaine 
Sur  la  terre,  &  régner  fur  l'ejlat  plus  de  haine. 
Plus  de  maux  fur  le  peuple,  &  fur  leurs  aâions 
L  -  Maudites,  &  fur  eux  plus  d'exécrations. 

"  !e  croy.  Sire,  pour  vray  que  toutes  fois  S  quanles 

'!  Qu'en  quelque  eflat  antique  à  ces  âmes  mefchantes, 

I  Les  Eumenides  fœurs  d'vn  tifon  infernal 

I  Ont  échauffé  lesfens  engendreurs  de  tout  mat, 

A  leur  propre  pays  de  langueur  ff  mifere. 


I 


DE   IVLES    CESAR.  239 

Aux  panures  &  aux  grands  de  honte  &  vitupère, 
n  ne  leur  afuffi  pour  à  V heure  ajfouuir 
L^eflrange  &  lâche  ardeur^  qui  là  les.vient  rauir, 
D'auoir fouuent  ouuert  la  voye  à  ces  maudites 
FoulleureSy  que  défia  par  mes  vers  ie  fay  dites  : 
D'auoir  fans  nul  égard ^  fans  pitiés  fans  propos. 
Sans  mefure  introduit  impos  après  impos  : 
D^auoir  mefme  recreu  toute  charge  annuelle, 
la  trop  dure,  de  charge  encore  plus  cruelle, 
Qjdi  non  feulement  peut  tout  mefnage  empefcher 
D*accroifi  &  ^entretien,  mais  peut  mefme  arracher 
Au  four,  aux  mains,  aux  dents^*,  d^vne  deconfortee 
Famille  le  pain  cuit,  ou  la  pafte  appreftee. 
Ou  tout  autre  fien  meuble,  au  moins  fi  bienfaifir, 
(O  barbare  hideur!)  que  fur  terre  gefir 
Plus  vilement  encor  que  les  befies  il  faille, 
Dejfous  qui  tels  voleurs  ne  rauiroyent  la  paille. 
Mais  il  n^efi  rien  quHci  ces  hommes  hayent  tant. 
Que  Vhomme  dont  ils  vont  les  feuls  membres  portant, 
La  feule  face  auffi  :  car  fi  tant  que  nous  fommes  ^ 

Ne  leur  eftions  d*efprit  diffemblables^  des  hommes 
La  race  ne  deuroit  du  ciel  fe  regarder. 
Se  porter  de  la  terre,  &  tant  foit  peu  garder 

En  fa  peruerfe  efpece,  ains  dans  fon  ventre  large  "** 

Telle  mère  engloutir  deuroit  fa  faulfe  charge. 
Pour  tels  hommes  le  Ciel  n'a  point  affe\,  ie  croy. 
De  foudres,  de  courroux,  de  defaftre,  &  d'effroy  : 
La  mer  n^a  pfdnt  ajfe:(  de  hurlemens,  d'orages. 
De  tourmentes,  d'horreurs,  d'abyfmes  &  naufrages  : 
La  terre  affe\  de  pefte  &  d^ autres  hidèus  maux. 
De  trifles,  veneneus,  ou  cruels  animaux, 
Depoifons,  de  venins,  de  funeftes  difcordes^ 
De  précipices  bas,  de  feu,  de  fer,  de  cordes. 
De  luges  impiteus  pour  là  les  condamner, 
Ny  de  bourreaus  pour  telfalaire  leur  donner  : 
Jfe  permettans  iamais  que  leur  charongne  rentre 
Au  grand  tombeau  dufein  maternel,  mais  au  ventre 
Des  maftins  charongners,  des  finiftres  oifeaux. 


■  t 


3^C>  I-RS    niSCOVBS 

1^1  nte/me  encor  cetl  fais  font  trop  dignes  lombeavs 

De  tels  hommes  de  proye,  en  toutes  leurs  befongnei 

Recherchans  des  humaim  les  maux  S  tes  charongnes, 

Q}ie  mefme  auant  la  mort  on  leurvoil  déchirer, 

Bequetei;  tf  tous  vifs  en  la  fa  deuorer. 

Potr  eux  l'Enfer  encor  n'a  point  tant  de  Cerbères. 

De  Tifiphones,  tant  d'Aleâons,  de  Mégères, 

Qu'il  faudrait  de  prifons,  de  tenebrevs  manoirs. 

De  brandons,  deferpens,  Pvn  G  l'autre  tous  noirs. 

De  faits  enfanglante^,  de  tenailles  mordantes. 

De  flèvues  tous  bruflans,  de  grand's  roches  pendantes 

Sur  le  chef  attendant,  de  pierres,  de  tonneaus, 

Ht  de  roués  qu'en  vain  on  porte,  on  remplit  d'eaux. 

On  tourne,  fans  jamais  voir  la  peine  étemelle 

Ceffer,  puis  que  l'efprit  eft  éternel  eotntne  elle  : 

Ou  fi  ces  maux  ne  font  qu'antiques  fia  ions. 

Pour  eux  la  eonfcience  a  moins  de  pafjîons 

Qji'il  ne  conuieni,  d'aigreurs,  de  remors,  de  piqueuretf 

De  cautères  rongeans  par  fecrettea  brufleures, 

D'eflourdiffans  Jleau     coupfurcoup  rebataas  , 

D'affamé^  vipereaus    \ns  ceffe  refortans 

Du  fond  de  la  Mémo,,  e,  &  de  mainte  autre  peine 

Que  tel  refentiment  horriblement  rameine, 

D'vn  tel  viure  faifant  prefque  vn  continuel 

Mourir,  S  de  la  terre  vn  Enfer  plus  cruel, 

Faifant  de  noftre  eoipt  nofire  ame  efire  bourrelle. 

Et  defoymefme  encor  la  meurtrière  cruelle. 

Maispourquoxcestoiirmens,quandplusauvrax>'xpenfe, 

Veus-ie  eflre  accreus  à  ceux  qui  font  fans  eonfcience. 

Pour  la  plus  part  exempts  de  fouffrir  tels  tourmens. 

Puis  qu'ils fe  font  exempts  de  tous  tels  fentimens? 

Il  vaut  mieux  renuoyer  aux"  vrais  tourmens  leur  vie. 

Dont  enfin  quelque  fin  mefchante  la  chaftie. 

Soit  par  confeil  des  Dieux,  fait  par  vne  équité, 

Qliifouuent  mefme  aux  tours  de  fortune  a  efté  : 

le  fçay  qu'en  rien  pluftofifur  leurs  chefs  ie  n'attire 

Par  ces  vers  que  fefcri,  les  maux  que  ie  defire 

Leur  eflre  ramenej,  mais  fi  ie  ne  puis  plus 


DE    IVLES    CESAR.  24I 

Proffitei'  aux  vieux  Grecs,  aux  vieux  Romains  exclus 

Et  de  vie,  &  d^ Empire,  &puis  que  tout  barbare 

Règne  vieil  ou  nouueau  de  mes  vers  ie  fepare, 

Comme  indigne  de  reigle,  &  fi  à  nos  ayeulxj 

Lors  qu^on  voit  tout  remède  inutile  pour  eux, 

Seruir  il  v^eft  poffible  :  au  moins  à  la  couronne. 

Que  fus  vn  fi  doux  peuple  vn  grand  deftin  te  donne, 

Mefme  au  fceptre  des  Rois  tes  voifins  qui  à  toy 

Sont  lie3[  &  par  fang  &  par  femblable  foy, 

A  tout  Roy  de  V Europe  &  aux  grands  Republiques j 

Qui  encore  à  mon  gré  imitent  les  antiques, 

A  tout  Duc,  à  tout  Prince,  ou  Prélat  qui  en  main   , 

Tient  en  la  Chreftienté  quelque  eftat  fouuerain, 

Voire  à  toute  leur  gent,  puis  qu^ainfi  que  la  tienne 

Prefquefous  mefme  loy,foit  ciuile  ou  Chreftienne, 

Chacune  fe  maintient,  puis  que  d^efprits  &  cœurs 

Et  de  mefmes  dejfeins  •"  pour  mefme  loy,  de  mœurs, 

D^armes  &  arts  encor  quHl  y  ait  différence, 

La  différence  n^efi pourtant  telle  qu^on  penfe  : 

Si  bien  que  qui  voudroit  faire  fous  foy  trembler 

L^vniuers^  il  pourroit  Vvne  à  Vautre  affembler  : 

Et  puis  que  toutes  font  en  V Europe,  qu^eflire 

Les  dejtins  ont  voulu,  pour  fouuent  vn  Empire 

Donner  aux fiens, plus  vray,plus  grand,  plus  fainâ, plus  droit , 

Qui,  peut  eftre,  enfin^  Sire,  aux  tiens  tousfeulsfe  doit  : 

Ou  bien  fans  auoir  foin  de  tout  tel  peuple  eftrange, 

Bien  que  fous  la  loy  noftre,  vn  Dieu  commun  le  range. 

Au  moins  à  tes  François^  peuple  qui  4^vn  lien 

Plus  grand  que  naturel  eftreintfon  bien  au  mien, 

le  veux  iufqu'à  la  mort  dédier  cet  office. 

Comme  à  toy,  Roy,  ie  veux  facrer  ce  fainâ  feruice , 

Sans  chercher  de  m'y  voir  par  toy  Prince  excité. 

Et  fans  qu*onque  ta  gent  Vait  de  moy  mérité. 

le  veux  donc  qu^vne  ardeur  &  plus  libre  &plusfainâe, 
Et  plus  aigre  à  bon  droit,  dont  iamais  ejïre  atteinte 
Puiffe  quelque  haute  ame,  éprife  en  mon  cœur  f oit, 
Par  Vequitable  infiinû  dé  la  Mufe  qu'on  voit 
Plus  afpre,  &  brufque,  &  tufie,  &  quelle  alors  me  face 
hdelU.  —  II.  lO 


)* 


24-2 


D'an  ttouueau  façonner  quelque  trompe  de  chajfe, 
Inufilee  à  loui,  méfiant  à  la  fureur, 
A  Vefprtuuentcment,  à  la  froide  terreur. 
Des  mefchans  les  raifons.  S-  mefme  des  agences. 
Ou  des  aaeuglemens,  ou  bien  des 
Qu'aux  offenfes  on  fait  vn  ivfle  re/enlir 
Vn  forcé  marrijfon,  vn  tardif  repentir, 
El  maugré  qu'on  en  ait  na  con/eil  qui  i 
L'horreur  de  ce  qui  mefme  agréait:  Melpomene 
Ceft  la  Mufe  qui  peut  des  diuerfet  façons. 
Plus  rares  qu'ayent  eu  iamais  les  plus  hauts  fons. 
Animer  vta  grand'  trompe,  &  d'vne  efirange  haleine, 
Par  toutes  les  forefts  de  la  grand'  race  humaine 
Peut  faire  entendre  wn  iour  ce  tortueux  airain, 
Auquel  &  mon  efpaule  S-  ma  bouche  6  ma  main 
Addreffer  fe  verra,  pour  auec  quelque  grâce 
Le  porter  en  echarpe,  auec  ardente  audace 
Dans  le  poing  le  reprendre,  &  puis  en  chafquepart 
■    Q}i'il  le  faudra  fohiier,  l'emboucher  d'un  grand  art, 
■Plus  bruyamment  eHCor,'^qu'eH  mes  feenes  Tragiques 
te  ri ay  fait  éclater  mes  grands  cornets  Bacchiques: 
Plus  librement  auffi.  que  parmi  les  hauts  bois. 
Premiers  des  anciens,  les  HiJIAons  fans  loix 
De  Comédie  encor,  fe  barbouillans  de  lie, 
Nefouloyent  d'vn  chacun  au  vif  piquer  la  vie, 
Mefme  plus  aigrement,  que  parmi  maint  rocher. 
Et  maint  bois  contredit,  on  ne  voit  emboucher 
Vn  long  cornet  bouquin  crochu  par  le  gros  bout. 
Lors  qu'vn  Satyre  vieil  en  fe  riant  de  tout. 
Entre  fes  tons  aigus,  mord,  egratigne,  affolle. 
Les  ridie»iet  motUrs  de  nqfire  racefolle. 
En  ces  Setnes  qui  ont  des  Satyres  cornus. 
Le  nom  de  leur  poème  &  leurs  noms  retenus  : 
Et  fans  que  toutesfois  par  les  mots  de  ma  trompe 
Les  loix  de  modeflie  '"  ie  rompe. 
Si  bien  que  trop  d'aigreur  me  pouffafi  hors  des  rangs. 
Et  fans  qu'en  rien  ie  poigne  ou  les  Rois  ou  les  grands, 
Si  ce  n'eft  en  cela  pour  qui  vrayment  ie  penfe 


DE    IVLES    CESAR.  2^,3 

s. 

Qu^ils  nCadiugeroyent  mefme  &  los  &  recompenfe^ 

Se  voyans  à  leur  bien  fi  bien  eguillonner, 

Ou  bien  à  ce  qui  peut  plus  (Vhonneur  leur  donner. 

Car  il  ne  faut  iamais  qu'vn  Prince  au  gain  regarde 

Si  fort,  quefon  honneur  &fa  gloire  il  ha^^ardCy 

Ains  fa  mémoire  encor,  de  qui  le  feul  efpoir 

Doit  caufer  le  grand  cœur  qu^en  tout  il  doit  auoir, 

Et  le  mefpris  quHl  fait  aux  chofes  belliqueufes, 

Des  hasards,  fe  pouffant  iufqu^aux  plus  ha:{ardeufes, 

Le  defir  d^eftre  veu  iufte,  accord  &  loyal, 

GeneteuXj  vertueux^  adroit^  &  libéral, 

Et  Venuie  de  faire  atousfiecles  paroifire 

Son  Règne  entre  ceux-là  que  plus  grands  on  voit  efire. 

Car  c^eft  le  feul  efpoir  de  mémoire,  qui  fait, 

Au  moins  fil  eft  vray  Roy,  que  dans  f on  ame  il  ait 

Tout  tel  hautain  defir,  &  qui  mefme  peut  faire 

Qu'en  heur  comme  en  grandeur  de  fon  peuple  il  diffère. 

Car  fans  vn  tel  efpoir,  veu  le  faix,  les  ardeurs 

De  croiftre,  lesfoupçons,  lesfoucis,  &  les  peurs. 

Et  veu  les  aigrifons  &  les  fureurs  enclofes. 

Trop  plus  grandes  d^ autant  que  de  plus  grandes  chofes 

Elles  vont  renaiffant  :  veu  les  afpres  douleurs 

Que  lonfent  pour  fe  voir  arriuer  des  malheurs. 

D'autant  plus  grands  qu'aux  grands  plus  heureux  ils  auiennent  : 

Veu  les  aigus  regrets  qui  dans  leurs  ferres  tiennent 

Telles  âmes,  alors  que  par  vn  long  effort 

De  maladie,  ou  bien  par  crainte  de  la  mOrt, 

Par  ruine  ou^prifon,  il  faut  que  Vheur  qui  trompe 

Et  enfle  duparauant,  periffe  ou  fentre-rompe  : 

Et  quHl  faut  d^ autant  plus  que  fon  heur  on  hauffoit. 

Le  voir  cheoir  de  plus  haut,  &  que  ce  qu^on  penfoit 

Efire  tout,  vienne  à  rien,  ou  que  chofe  tant  belle. 

Tant  agréable  ceffe,  au  moins  de  fe  voir  telle, 

Veu  le  iufte  penfer  qu^on  prend  des  vanité:^ 

Souuent,  veu  mefmement  les  importunite:^, 

Le  degouftement  fade,  &  charge  nompareille, 

De  voir  fans  fin  charger  fon  œil  &  fon  oreille 

Defots  entremeteurs,  fots  parleurs,  medifans, 


/' 


\ 


Bouffons,  fialeurs ,  miocqueurs,  ou  farde\  Courtifm 
Puis  àe  me f mes  façons,  me/mes  mots,  mefine  efludi 
Me/me  efbala  &  plaijirt",  «on  fans  grand' ftruitut 
Se  voir  fans  fÎH  fouller  :  S  veu  tant  d'autres  maux 
Qui  tous  foni  compagnons  de  tous  les  heurs  Royat 
Sur  tout  VEU  que  la  vie  encores  n'eft  qu'vn  fonge. 
Qui  d'obiets  plus  fâcheux  ceux  quifont  plus  grands  ra 
Et  qu'il  y  a  cent  fois  plus  de  mal  à  dreffer 
El  tenir  ces  grandeurs,  &  mefme  à  les  taiffer 
Cent  fois  plus  de  tourment,  S  que  d'vne  vifleffe 
Tant  roide  chet  le  poinâ  oii  il  faut  qu'on  les  laiffe 
Q}ie  Ion  efi  plus  long  temps  fouuenl  à  fatourner 
D'or,  d'argent,  &  de  pourpre,  à  grauement  orner 
Ses  gefles  &fa  voix,  encor  ceci  ie  donne 
A  ceux  qui  font  mieux  nés  pour  fi  graue  perfonne. 
Et  plus  long  temps  encor  pour  attendre  que  l'heur 
Jne/peré  nous  pouffe  en  vn  roolle  meilleur. 
Que  ron  n'efl  pas  à  fiiire  &  à  dire  en  la  forte 
Qu'vn  décore  requiert  tout  ce  qu'à  l'heure  porte 
Ce  ieu  brief  S  ce  roolte,  après  lequel  il  faut 
Soudainfe  retirer  derrière  l'echauffaut,        ^^^ 
Souuent  fans  lefucce^  des  ekofes  defirees,     ^^H 
Souuent  auecq'  ennuy  des  chofes  empirees^  ?^^H 
Souuent  auecq'  regret  S  mefcontentement        -    ■^ 
D'auoir  ainfi  fini  fon  roolle  brieuement. 
Plus  fouuent  auec  honte  &  repentance  S  rage 
D'auoir  trop  mal  ioué  tant  digne  perfonnage. 
Tant  qu'auecques  vn  biafme  en  fort  encor  vn  ris. 
De  voir  l'orgueil  enflé  foudainement  furpris 
D'effonnement  à  faute,  S  bien  fouuent  encore 
Auec  cruelle  fin,  qui  fans  fin  dejhonore. 
Qui  aux  chaifnes  "  de  fer  les  couronnes  changeant 
Ou  fous  honteufe  mort  piteufement  rangeant 
Telle  enfleure  de  vie  en  mille  horreurs  terribles, 
En  muglemens  tragicqs,  en  larmes,  en  horribles 
Pitie^,  qui  quelquesfois  pour  le  peu  d'amitié 
Qfi'on  porte  à  tel  loueur,  ne  fbnt  point  de  pitié, 
Voyit  tout  d'un  coup  cachant  tout  cela  qu'on  admirt 


DE    IVLES    CESAR.  245 

En  eux,  fous  le  rideau  que  le  fort  foudain  tire 
D^iceluy,  les  couurant  pour  iamais  tel  rideau. 
Le  plusfouuent  tout  noir  :  c^ejl  vn  obfcur  tombeau. 
Si  tombeau  mefme  ils  ont,  qui  pour  la  fin  receué, 
Peut  ejlre,  couurira  la  grâce  qu'ils  ont  eue 
Pour  vn  temps,  la  faueur  des  fpeâateurs,  V honneur, 
Magnificence^ pompe,  accorteffé^  &  bon  heur, 
Mefme  ce  quHls  ont  eu  de  courage  &  viâoire 
Sur  d'autres,  voire  encor  de  clémence  en  leur  gloire. 
Et  en  leur  trifle  fin  dHnnocer.ce  &  de  cœur. 
Pour  contre  le  malheur,  la  fureur,  la  rancueur. 
Et  le  tort,  fil  X  efl,  porter  telle  inhumaine 
Iffue^  &  meprifant  comme  trompeufe  &  vaine 
Toute  gloire  &  grandeur,  méfier  aux  durs  fanglots 
Quelque  parole,  ou  fait,  digne  de  quelque  los. 
Et  dont  on  puiffe  après  quelque  confiance  apprendre. 
Au  lieu  de  f  enterrer  dans  Vvrne  de  leur  cendre. 
Mais  au  rebours  fouuent  on  voit  ce  tombeau  là. 
Qui  {peut  eflre)  dans  foy  pour  iamais  tout  cela 
Que  Pay  dit,  couurira,  fi  ces  Rois  d^auenture 
Ont  eu  foit  en  viuant,  foit  en  la  mort  fi  dure. 
Quelques  vns  de  ces  dons  :  il  ne  couurira  pas  y 
Soit  pour  la  vie  ou  bien  pour  Vhorrible  trefpas, 
Les  dejjfàuts  d^heur,  de  fens,  de  bon  cœur,  de  paroles 
DigneSj  &  dignes  faits,  aduis,  les  rages,  les  folles** 
Ardeurs,  V horreur  honteufe  en  Vair  il  vomira. 
Puis  par  tout  Vvniuers  Vair  Véparpillera, 
Tant  que  le  bruit  ailé  qui  fera  d'âge  en  âge 
Courir  ce  qui  eft  pire^  en  portant  grand  dommage 
A  tout  bien  qu\ils  ont  eu,  portera  grand  renfort 
Aux  blafmes  de  leur  vie,  aux  hontes  de  leur  mort. 

On  fe  taift  à  bon  droit  du  mol  Affyrien 
Sardanapale,  auffi  ie  croy  quUl  n'y  eut  rien 
De  bon  dans  telle  femme,  ou  dans  tel  homme  lâche 
Qfii  en  femme  pornoit,  &  partiffant  la  tache 
A  fa  troupe  lafciue,  impudemment  mefloit 
D'vnfalle  &  mol  regard  Vouurage  qu'il  filait  : 
Encore  a  l'on  bien  fceu  retenir  de  fa  vie 


LEE    DtSCOVSS 


Aux  grandes  ehofes  petit  enlremrjler  leur  vice, 

FrùidetnenI  faffopir  d'y»  dormir  continu. 
Ou  bien  céder  au  mal  qui  mieux  ejl  retenu. 
Que  retient  on  de  grand,  de  toute  la  grand'race 
Du  vieil  Laomeitoa?  qu'a  t'on  dont  me/me  an /ace 
Mémoire  de /on  fils,  ce  Priant  tant  puiffant,  ^H 

Sous  qui  ta  grand' A/ie  allait  /on  che/  baiffantf  ^^Ê 
Et  qu'e/l-ce  donc  qui  plus  fur  luy  /e  reinemore,  ^^| 
Et  plus  /ouuent,  /inon  ce  qui  honnit  encore  ^^1 

Auiourdhay /es  honneurs,  /apuiffance,  S  le  droit, 
Qu'enuerr  chacun  garder  aux  grands  Rois  il  /audroit'? 
Ce  qu'on  merque  de  Iiij~,  bien  que  la  vaine  Grèce 
Feindre  (peut  tjlre)  ait  peu  toute  la  mentere/fe 
Fable  qu'on  oit  de  luy  :  c'cjl  que  pour  reuenger 
Hcfione  rauie,  il/ouJi-U  outrager 

Ceux  qui  n'en  pauuoyent   mais,  &  qu'après  au  pubUqtit 
Repos  S-paix  des  fient,  il  propo/a  l'inique 
Con/eil  de  ne  vouloir  rendre  honteu/ement. 
Comme  aumoins  ilfembloit,  ce  qui  non  autrement 
Qu'auecques  de/~honneur,  auec  honte  &  pillage. 
Et  /aui/e-ment  de  /oy  /ait  au /ainS  haftelage, 
Auoit  e/lé  raui,  puis  défia  re/ufé. 
Dés  que  pre/que  on  en  eut  fi  trai/lrement  v/é  : 
(Quelle  reproche  helas!  de  voir  cheoir  tant  de  peine 
Sur  vn  Roy  ia  vieillart  pour  Faduitere  tieUae  ? 
Et  qu'il/alioii  qu'vn  Roy,  que  me/mement  vn  cas 
Si  vain  ne  concernait  ny  »e  deleâait  pas, 
la  toi,l  meur  £■  !o«l  bianc.  fo„ffnft  e/ire  en/lammee 
Pour  vne /emmeà  tort  dedans/es  murs  menée, 
Telle  guerre  fur  luy,  quand  me/me  il  abondait 
De /amille  che^foy,  qui  encor  redondoit 
Par  diuers  Hymenee  en  tant  d'autres  /amilles. 
Tant  de /ils,  S  de  bru^,  que  de  gendres  Salles, 
Pour  qui  craindre  il  deuoil  qu'enfin  par  la  rai/on 
Que  quelques  Dieux  /eroyent  fi  puiffante  mai/on. 
Que  tant  d'autres  auoyent  pour  leur  fource /uperbe, 
Ne/ufi  auec  leur  ville  en  fin  couuerte  d'herbe, 
Apres  qu'vn  long  effort  d'vn  grand  peuple  outragé 


\ 


"r\^ 


DE   IVLES    CESAR.  249 

Aurait  tout  &  par  fer ^  &  par  feu  faccagéy 

Tant  de  grandeurs,  &  tant  de  richeffes  rauies, 

Tant  de  teftes  à  luyji  chères  affermes, 

Qui  au  cruel  feruage  encores  ne  feroyent 

Que  triftes  demourans  de  tous  ceux  qui  auroyent 

Accompagné  durant  le  fac  de  leur  prouince. 

Par  leur  mort  le  piteux  meurtre  de  ce  vieil  Prince. 

Auffi  quelle  mémoire  agréable  peut  il 

Retirer  de  fon  fort  parauant  tout  fertil 

D'heur^  de  race^  &  de  biens,  quand  d'vne  infortunée, 

Trifte,  defhonnorable,  &  cruelle  ioumee 

On  verra  tout  borner  dans  vne  Scène,  ou  bien 

Dedans  vn  Hure  encor  faigneux  du  meurdre  fien? 

Quand  par  Pyrrhe  on  verra  forcer  fes  murs  royaux. 

Tous  les  fiens  fe  ferrer  le  cœur  de  fi  gi'ands  maux. 

Les  femmes  rompre  Vair  de  leurs  vois  éclatantes. 

Et  rompre  de  leur  poil  les  treffes  innocentes  : 

Quand  dans  vne  peinture,  ou  dans  les  vers  qu^on  lit, 

Ou  dans  la  Scene^  ou  bien  en  ce  que  mefme  on  dit^ 

Sifuiuant  la  mémoire  en  ceci  pitoyable, 

L'vit  à  Vautre  on  raconte  vn  tel  fait  lamentable, 

A'uec  lesfens  émeus  &  trouble:^  on  orra^ 

Ou  bien  reprefenter  à  Vceil  mefme  on  verra 

Cent  &cent  autres  maux,  dont  cefle  nuiâ  meurtrière, 

Q)ii  du  règne  de  Troye  efloit  la  nuid  dernière. 

Remplit  la  ville  oit  ia  par  tout  bruy  oient  les  feux  ^ 

Et  la  Court,  &  Vceil  mefme  à  ce  Roy,  qui  aux  vœus, 

Auxfainds  autels  facres[,  aux  fanglotSy  &  aux  larmes 

Auoit  eu  vain  recours,  ne  pouuant  rien  par  armes, 

laçoit  que  caffé  d^dge  &  defaccouftumé 

A  veJHr  la  cuiraffe,  ilfe  fufl  lors  armé  : 

Et  iaçoy  que  voyant  Polite  ieune  d*age 

Plus  que  nul  de  fes  fils,  iufqu'au  propre  vifage 

De  luy  fon  père  feflre  en  fuyant  echapé 

De  Pyrrhe,  &  de  rechef  eftre  là  ratrapé  : 

Et  voyant  que  nauré^  tombant,  &  demi-roide, 

Blefmiffanty  debatant,  atteint  de  la  mort  froide  y 

Auec  fanglots  les  yeux  paternels  ilfouilloit 

10* 


aSo 


LES    DISCO-TRS 


Du  /ang,  du^ucft  dépit  &  iemie  il  petiHoii, 

Il  ne  peut  lors  fouffrir  qii-auxpiii  S  qu'à  la/aee 

lyvH  père  tel  tnaffatre  en  ce  pauuret  fe  fiice. 

Mais  d'indignation  lançant  iPvn  bras  vieitlard 

Et  faible,  mais  pourtant  fi  firt  qu'il  peut  fan  dard 

Sur  Vinhunain  meurtrier,  &  d'ardant  vitupère 

Le  démontant  de  dire  vh  Achille  fon  père, 

Qji'il  auoil  trouui  mefme  erniemy  tant  kuwuxin. 

Fit  Feffart  de  la  voix  accompagner  la  mai»  ; 

Qjii  fut  caufe,  qu'kelas!  Pyrrhe  piqué  d'outrage. 

De  haine,  S  de  fureur,  enuoya  cemejfage 

A  /on  père  porter  iufqu'à  l'ombreux  enfer 

Par  ce  mefme  Priam,  qui  trop  moins  de  Jon  fer, 

Qjie  de  fon  afpre  voix  auoit  peu  faire  f^enfe 

A  ce  Neoploleme,  *  5111  pour  recompenfe 

Tout  murmurant  encor  fui  aux  ombres  d'endos 

Chajfé  d'vn  autre  coup  pouffé  d'un  autre  bras. 

Car  fan  corps  fut  à  tour  trauerfi  de  Vefpte, 

Là  où  le  durd  ayant  la  targue  vn  peu  frappée 

Par  la  pointe  du  fer,  pr^que  à  peine  y  pendait, 

Monjh-ant  le  pauvre  effort  du  bras  qui  le  dardait. 

Puisqu'onfçaitquelafin  d'vn  grand,  quifc  decœuuu 
Aux  ans  fentrefuiuans,  couronne  enfin  fan  ceuure. 
Ou  bien  d'vn  verd  laurier  pour  tout  iamais  après 
Verdijfaitt,  ou  d}v«  vieil  &  funefte  cyprès. 
Et  d'vne  branche  ififpar  Us  atu  fetche  &  wiarte. 
Tant  qu'il  femble  à  tous  coups  qu'à  nous  on  la  rapporte 
De  Voublieux  cercueil,  ne  nous  reprefentant 
Qu'vn  nom  que  va  la  mort  auec  le  corps  dontant  : 
Puis  que  c'efi  la  fin,  dis-ie,  en  quoy  le  plusfarrefle 
Le  vol  du  Temps,  foit  elle  honnefle  ou  defhonnefle. 
Pleine  d'heurs  ou  malheurs,  pleine  de  faits  &  mauls 
Admirables,  ou  bien  vuide  de  tout  grand  los  : 
Puis  que  l'homme  en  ayant  parler  de  quelque  antique, 
Auaat  que  prefque  ouir  de  fa  vie  Héroïque, 
Ou  bien  cruelle,  ou  lâche,  ou  folle,  les  difcours, 
Impatient  fenguiert,  ce  qu'à  ta  fin  du  cours 
n  deuint,  &  de  brufque  ardeur  précipitée 


L 


DE    IVLES    CESAR.  25l 

Met  là  le  but  entier  âe  la  thofe  contée^ 

De  /^  mémoire  auffl  qWU  en  veult  retenir^ 

Et  de  tout  fruid  qui  peut  par  Vexemple  venir  : 

Voyons  quelk  efi  la  fin  de  ce  grand  Roy  d*Afie, 

Qui  trop  plus  eft  merquee^  &  plus  fouuent  choifie 

Pourfuiet,  qu'vn  grand  cours  de  /es  ans,  quand  on  va 

En  mémoire  amenant  la  mémoire  quHl  ha: 

Jugeons  Pelle  enrichit  vers  les  fiecles  fuiuans 

Le/ouuenir  quUls  ont  du  long  fil  de /es  ans^ 

Ou  pelle  Vapauuritj  d^orageu/e  nuée 

Couurant  toute /a  vie  affe\  ia  dénuée 

De /oyme/me,  de  vraye  &  plus  digne  clarté^ 

Veu  les  dons  qui  en  elle  extrêmes  ont  efté^ 

Pour  rendre  par  Empire,  &  puijfance,  &  riche//e, 

Vne  lueur  qui  /ufl  des  grandes  lueurs  maifireffe. 

Mais  elle  affei^  défia  malheureu/e  en  grand  heur, 

N^ayant  pas  /on  mérite  égal  à  /a  grandeur. 

En  /a  richeffe  encor  quelque  peu  /ouffreteu/e^ 

De  ce  qui  iuftement  pour  rendre  plantureu/e 

La  vie  qui  plus  ferme  &  durable  nous/uit^ 

St  le  viure  premier  à  ce  /econd  ne  nuit  : 

Me/me  en /on  grand  Empire  encor  es  mal  adextre. 

Non  pas  pour  ne  pouuoir  extrêmement  Vaccroiftre  : 

Mais  pour  n^auoir  preueu  que  {peut  eftré)  il  faudroit 

Que  le  tort  outrageux  enfin  cedaftau  droit. 

Au  long  fiege  les  murs,  les  cho/es  ordonnées  . 

Par  les  Dieux,  comme  on  dit,  quxfins  des  deftinees  : 

Et  pourtant  n^auoir  pas  chaffé  Voccafion, 

Qfii  petite  euft  bien  peu  fi  grand^  deftruâion 

Sur  ce  Règne  apporter,  fi  Ion  venoit  permettre 

Ce  qui  tant  /oit  peu  me/me  en  bran/le  Veufi  peu  mettre. 

Et,  fi  faut  encor  dire,  en /a  puijfance  extrême 

Aueuglément  /efit  impuijfante/oy me/me. 

Enfermant  &  bornant  tout  ce  qu'elle  pouuoit 

De  /es  murs,  oii  trop  grande  a/feurance  elle  auoit. 

Car  fi  ce  grand  Troyen  iugé  des  Grecs  barbare, 

N*euft  efté  non  plus  qu'eux  de  /es  forces  ignare, 

SHl  euft  eu  le  con/eily  Vaddrejfe,  &  le  deuoir. 


r 


Par  lesJSeni,  par  luymefme  égal  à/on  pouuoir  : 

Et  fi  dés  que  tes  Grecs,  qui/e  me/contentèrent 

De  ce  rapt,  &  les  vns  tes  autres  irritèrent. 

Se  mandoyent,fafreftoyent, eux  Sieurs  nausarmoyeut, 

Et  leurs  diuer/es  mers  pour /'affembUr  ramoyent, 
Qu'ils  attendoyent  les  vents  fi  long  temps  en  Aulide, 
Pour  guileurplus  grandcheffe  rendit  l'homicide 
D'vne  horrible  façon,  lors  que  par  pieté 
Faulfe  &  lourde  excvfant  l'énorme  cruauté 
Sur  Vexecrable  autel,  au  fang  de  tapucelle 
fyliygeneil  trempa  fa  dextre  paternelle  : 
Et  durant  vtefme  encor  que  de  ce  lointain  port 
lu/qu'aux  bords  Phrygiens  leur  route  S  leur  abord 
D'heure  5  en  peu  de  temps,  luy  qui  telle  abondance 
De  biens  tenoii  che^foy,  deuoil  toute  puiffance 
Des  fiens  S  des  amis  en  Pkrygie  affembler. 
Qui  trop  plus  que  les  vents,  les  Grecs  eufl  fait  trembler. 
Et  pour  qui  dans  Aulide  eufl  efié  du  tout  vaine. 
D'autres  Vierges  le  meurdre  S  l'offrande  inhumaine. 
De  loin  dedans  leurfein  il  eufi  poujfé  la  peur. 
Il  euji  de  loin  rompu  le  defiein  S  l'ardeur. 
Car  quel  efpoir  eufi  eu  d'enir'eux  vn  chef  de  guerre; 
Si  n'ayant  que-  des  naus,  S  point  d'armée  en  terre, 
Ëtfçachant  qu'vnefiote,  encor  qu'eflrangement 
Effroyable  &  nombreux  foit  fon  embarquement. 
Ne  peut  pas  prefque  encor  porter  fi  grand'  armée, 
Qtii:  la  moindre  gui  peut  par  lèvre  efire  menée, 
Aueugle  eufi  entrepris  d'aller  lors  conquefier 
La  terre  où  il  eufi  fceu  fur  terre  faprefler 
Trop  plus  puiffante  armée,  afin  de  le  furprendre 
En  la  defcente,  ou  bien  l'engarder  de  defcendre? 
Qui  nefçait  combien  l'un  trop  plus  que  l'autre  peut I, 
Si  rien  fors  qu'empefcher  la  defcente  on  ne  veult? 
Par  vn  nombre  petit,  lors  qu'un  bon  chef  commande. 
Rembarrer  mefme  on  peut  la  fiotte  la  plus  grande, 
lugeon  donc  quel  moyen  toute  la  Grèce  eufl  eu. 
Si  ce  Roy  Dardanide  à  fa  force  eufl  pourueu  : 


DE    lYLES    CESAR.  '       253 

De  Je  mocquer  des  Gi^ecs  il  luy  eftoit  facile ^ 

D* autant  plus  qu*à  fon  dos  il  euft  eu  fa  grand^  ville, 

Pour  lors  forte  &  munie,  où  mefme  euft  peu  loger 

Vn  oft  entier,  en  tout  fucce:{  de  tout  danger. 

Outre  efpoir  auenu,  fil  euft  efté  poffible 

Au  moins  que  Voft  Grégeois  luy  fuft  en  rien  nuifible. 

En  la  forte  quUci  breuement  Vay  fait  voir, 

Et  dont  le  prompt  moyen  h'excedoit  fon  pouuoir. 

Car  tant  fen'ftnxt  qu^ainfides  grandes  forces  fiennes^ 

Sur  les  bords  affrontant  les  naus  Pelagiennes, 

Il  ne  les  euft  au  moins  contraintes  à  ramer 

De  rechef  leurs  chemins  ftllonne:ç  en  la  mer, 

Pour  en  ejffroy^  dédain,  &  honte,  &  moquerie. 

Porter  les  leur  chei(  eux  digérer  leur  furie, 

Qjtefans  doute  ce  Prince  euft  peu  les  laiffant  prendre 

Terre  dans  fes  pays  fans  les  riues  défendre  ^ 

En  pièces  les  tailler,  &  femer  par  monceaux 

De  charongnes  fes  champs,  des  armes  &  vaiffeaux 

Eftre  maiftre,  en  vn  rien  priuer  d^ honneur  My cènes. 

Gardant  ces  chauds  fnaris  d^auoir  befoin  d^Helenes, 

Se  fiant  aux  fiens  feuls,  &  trop  barbarement, 

Qjie  te  croy,  mefprifant  tout  aduertijfement. 

Les  laiffant  aborder  iufques  au  port  Sigee, 

Pour  en  leur  prime  abord  voir  fa  ville  affiegee, 

Et  ne  penfant,  ie  croy,  pour  affaut  ou  bataille 

Qu*il  euft  befoin  de  rien,  fors  que  de  fa  muraille 

Pour  entière  feurté,  des  propres  enfans  fiens 

Pour  chefs  de  tout  combat,  de  fes  feuls  citoyens 

Pour  foldats,  de  fa  haute  &  fuperbe  apparence 

Pour  tout  rebut  des  Grecs  &  toute  fa  deffence  : 

Q}ii  pis  eft  ne  fongeant,  ce  croy-ie,  à  tout  le  fort 

Appareil  de  ces  Rois  ajfemble^,  qui  d^effort, 

De  haine,  efpoir,  &  cœur^  &  de  force  cueillie 

De  mainte  force  auoyent  Vne  force  affaillie, 

S*eftant  mefme  vn  chacun  en  fon  endroit  forcé, 

Trop  plus  qu'en  mefurantfa  force  on  n^euft  penfé  : 

Bref,  ne  poifant^  ie  croy,  que  fe  voir  che:(  foymefme 

Surprendre  à  Vennemi,  c*eft  vn  péril  extrême  : 


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f 


354  LBS    DISCOVRS 

Encore,  S  nonobjfaitt  ce  lourd  ov  fier  mépris, 
Dont  la  Mémoire  à  tort  ne  l'aurolt  paiitt  repris, 
Que  vit-ii  arriuer  aiiffi  tofi  qu'à  la  riue 
Troxenne  telle  armce  en  mille  naus  arriiie? 
Tant  ejloit  grand  &  fort  S  haut  de  ce  Roy  ci 
Le  pouuoir  :  &  quoy  doncq,  fi  le  prévoir  auffi 
Grand  S  haut,  comme  luy  par  con/eil  braue  S  fage. 
Au  pouuoir  eufi  donné  de  foymefme  Pvfage? 
S'il  faut  croire  eeluy  qui  mefmement  en  gloin 
De  fes  Grecs  a  gardé  dans/es  vers  la  mémoire 
De  Vafpre  &  langtie  guerre,  auffi  tofi  que  dede 
Ce  haure  cet  Grégeois  apparurent  ardeiis 
De  vanger  leur  iniare,  &  que  les  TVorvnï  veirent 
Qli'arme^  d'armes  &  cœurs  fur  la  greue  ils  faillirent  : 
Eux  au  rebours  enjlej,  afpres,  8- forts,  &  durs. 
Au  hafarji  du  combat,  en  laijfant  de  leurs  murs 
Lafeurlé,  marchaiis  roide  S  droit fe prefenterent 
A  l'ofi  dcfambarqué  qu'en  fureur  ils  chargèrent, 
Doanans  puis  çà,  puis. là,  puis  tantofi  de  camrs  grands, 
Efcartans  ceuj:  ^tit  ta  vovloyeni  prendre  des  rangs  : 
Puis  courans  renfbncer  taniofi  de  cul  &  tefîe 
Ceux  qui  rangea  tenaient  defta  leur  troupe prefte 
Pour  d'ardeur  fovftenir  le  choc,  S  repouffer 
Ceux,  qui  pour  tofi  les  rompre  enrageoyent  d'cnjbncti 
Sur  d'autres,  qui  non  pas  par  froideur  ou  pareffe. 
Mais  d'autant  que  {peut  efire)  itauoyent  en  la  preffe 
Des  vaiffeaux,  leurs  vaiffeaux,  ou  que  plus  efloigm^ 
Ils  les  auqyent  du  bord,  ou  bien  qu'embefongnei; 
Aux  charges  Us  efiqyent,  pour  faire  en  ordonnance 
Tenir  leurs  naus,  S  mefme  y  laiffer  refifiance  ." 
Ou  bien  à  tous  deuoirs,  dont  lors  auoit  b^oin 
Selon  la  loy  guerrière,  vn  grand  ordre  &  grand  foin 
Qu'il  leur  falloit  auoir  de  tout  poinS  ntceffaire, 
Et  duifible  S  gaillard  qu'il  leur  conuenoil  faire 
Pour  l'égard  de  la  mer,  ou  d'autant  qu'ils  efioyent 
Embe/ongnej  à  ceux  qui  encore  fortoyent 
A  la  file,  &  de  rang,  &  qui  dés  leurs  Jbrties 
Rendoyent  agilement  leurs  forces  départies 


DE    IVLES    CESAR.  355 

Par  troupes  :  car  encor  ils  n'auoyent  eu  loifir 

De  drejfer  bataillons  &  tout  ordre  choifir, 

Us  auoyenf feulement  entre  leurs  Capitaines 

En  leur  chemin  conclu  les  chofes  plus  certaines. 

Pour  au  faillir  premier  le  de/ordre  empefcher^ 

S* on  venoit  viuement  leurs  \gens  efcarmoucher . 

Plujieurs  donc  de  ces  qhefo  yoyent  que  Vefcarmouche 

Si  forte  à  leur  me^ris^  ainssfi.  leur  perte  touche  y 

Si  les  Troyens  voy oient  mettre  àfimg  cespremiet^. 

Et  croyans  de  pouuoir  faire  ainfi  des  derniers^ 

Faifoyent  encor  de/lors  faillie  fur  faillie ^ 

Dont  i%fqu^au  creus  des  naus  fujt  leur  flote  ajfailîie  : 

Et  tore  entre  les  cris  des  bruyans  matelots^. 

S^entrehafient  de  gejle,  &  de  figne,  &  de  mots, 

Et  monjtrent  en  tous  trois  quHls  vouloyeni  de  courage  i 

Indomtabie  domter  cejte  aduerfaire  rage. 

Les  vns  font  leurs  vaiffeaux  du  riuage  approcher  y 

Les  autres  font  les  leur  aux  prochains  accrocher ^ 

Puis  pajfans  par  plujieurs  fautent  d^vn  pié  deliure 

De  tilti^  en  tUlac,  aux  leur  fe  faifans  fuiure  : 

Les  autres,  font  leur  naus  au  largue  depeftrer  ï 

D* entre  lapreffe  drue,  &  pour  bien  tojl  entrer 

Au  plus  près  des  combats,  feflongnans  vn  peu  prennent 

Vn  tour  ny  long  ny  court,  les  vns  en  cernant  tiennent 

Vn  tour  plus  long,,  afin  de  pouuoir  fortir  mieux  l 

En  ordrey  &  fe  trouuer  tous  rangea  fur  les  lieux  \ 

De  Vachatmé  combat,  les  autres  d^ autre  forte 

Fontfembler  qu^au  riuage  vn  vol  léger  les  porte,, 

Tant  ils  font  roidement  leur  galère  arriuer. 

Pour  plus  vijte  la  gloire  auecq  les  coups  trouuer ,^ 

Chacun  boufi  &  fremift,  nul  n^eft  qui  ne  dejire 

D^ejtre  pluftofl  dehors  que  dedans  fon  nauire  : 

Mais  le  deuoir  le  nie  à  beaucoup,  &  meftier 

n  rCefi  point  de  tirer  tout  Vexercite  entier 

Contre  telle  faillie,  encore  que  V encombre  •  '■ 

Que  faifoitfoni  effort  fujt  plus  grand  que  le  nombre  * 

Si  eft-<e,  que  ie  croy,  que  ces  Grecs  peftonnans 

Des  boffkares  fMats  fi  vaillamment  donnons. 


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356  LES    DISCOVRS 

Et  outye  efmeus,  pique^  &  bruflans,  n'aperçoiueiU 
Refler  prefque  en  leurs  naus  qae  ceux  qui  rejler  doiuent. 
Tandis  ces  Phrygiens  non  feulement  bourroyent, 
Et  de  ceeur  S  de  coups  foudroyans  rembarroyeni 
Les  premiers  dtfcendus,  mais  bien  ceux  gui  furlirent 
Prefgu'à  Pheure  rentrer  dedans  leurs  vaiffeaux  feirent  : 
Car  fi  tofi  qiCoa  les  voit  allie^,  prefente^. 
Et  en  diuerfe  place  afprement  affronte:; 
A  ces  fiers  Dardanois,  de  prime  effitrt  Je  fenlent 
Cliargc^,  preffe^,  fitrce^,  fi  fort  qu'ils  fe/pouuCnlenl 
Tantofi,  S  puis  tantqfî  reprenons  leur  vigueur. 
Recueillant  S  leur  troupe,  &  leur  farce,  &  leur  ceeur. 
Us  vont  tenons,  donnans,  pouffans,  &  tant  renforcent 
El  le  nombre  &  l'effort,  qu'à  leur  tour  prefque  ils  forcent 
L.'eniteYay,  qui  pourtant  de  fes  barbares  voix 
Plus  effroyable  qu'eux,  d'vn  large  S  long  pauois 
Plus  couuert  qu'ils  n'eftoien  t  des  courts  boucliers  de  Grèce, 
De  fon  foudain  deffein,  d'orgueil,  d'ardeur,  d'afprejf». 
D'effort  hardi,  robufie,  aueugle,  &  hefardeux, 
Eftoit,  ie  croy,  pour  l'heure  encor  plus  pouffé  qu'eux'. 
Contre  quay  le  Grégeois  vante  fon  auaniage,         IflJU 
Que  luy  baillait  l'adreffe  &  conduite  pluafage  ;    ^^^ 
Qui  plus  efi,  ilfefenl  époint  outre  cela  ^^Ê 

D'vn  dépit  enfiellé,  d'vn  creutceeur  qu'il  ha,  -J^ 

De  voir  qu'à  fi  grand'Jbulle  vu  peinte  effranger  aille- 
En  fa  terre,  en  fon  haure,  aupié  de  fa  muraille. 
En  brauant  menaffer  le  Roy,  les  enfans  fiens, 
Et  du  peuple  len  murs,  les  ieftes,  S  les  biens  : 
Il  efi  encore  mefme  enflé  qu'à  la  rencontre 
Première  qui  fe  fait,  le  menaffeurfe  monftre 
Plus  eftonnê,  mains  roide,  S-  moins  ardent  alors, 
Matigré  les  cœurs  repris,  &  les  doublés  efforts 
Des  Grégeois,  les  menant  bâtant  de  place  en  place, 
Souuent  iufqu'à  Pendroit  de  leurs  naus  il  les  chaffe. 
Tant  que  plufieurs  d'entr' eux  fans  rien  plus  hafarder, 
Prefque  confeilleroient  de  rentrer  pour  garder 
Leurs  naus,  en  fe  gardans  dedans  leurs  naus  foy mefme, 
Dont  ils pourroienl  forcer  tout  effort  plus 


DE   IVLES   CESAR.  257 


Auec  les  traits  volans,  auec  Us  dards  lancej. 
Et  qu'après  fur  la  greue  ils  combattraient  affe:ç  : 
Qu'on  ferait  mieux  pour  lors  y  attendant  que  fut  faite 
Leur  pouruoyance  à  tout,  de  tendre  à  la  retraite  : 
Qn^pn  grand  barbare  effort  faufienir  Ion  ne  doit  y 
Tant  que  tout  efprouué,  tant  que  tout  preueu  foity 
Et  par  art  ordonné^  mais  fi  ces  raifons  crues 
Dans  ces  gens  refroidis^  par  eux  fe  fujfent  creues 
Du  tout,  ie  croy,  qu'à  Vheure  on  les  euft  pourchaffe^, 
Efpouuentes[y  batus,  maffacre:^,  S-force^, 
lufqu'en  leurs  propres  naus  réduites  au  pillage, 
Ainfi  que  ces  fuitifs  au  meurdre  &  au  feruage  : 
Parmi  lef quels  pour  tel  carnage  exécuter, 
Pefle  méfie  on  euft  peu  ces  Troyens  fe  ietter, 
Suiuant  de  bois  en  bois,  par  tout  fe  faifans  maiftres, 
Plus  par  defordre  &peur  que  par  leurs  propres  dextres. 
Mais  ceux  quifembloientprefis  dansfoymefme  de  prendre 
Tel  confeil,  leurs  auis  foudain  viennent  reprendre. 
Se  rechauffans  eux  mefme,  &  les  autres  qui  font 
Par  tout  en  tel  deuoir  qu^aux  Troyens  tefte  ils  font, 
S'encourageans  des  coups,  à  la  longue  cognoiffent 
Qfie  d^vnpeu  ces  Troyens  plus  laffe^  leur  paroiffent 
.  D'efforts  plus  longs  &  grands,  &  fi  bien  les  fouftiennent. 
Que  peu p en  faut  qu^ égaux  tous  les  deux  nefe  tiennent, 
Auffi  croy^ie  que  ceux  qui  fur  tous  autres  furent 
L*efpoir  des  peuples  Grecs^  &  qui  toufiours  parurent 
En  dix  ans  que  dura  ce  long  fie ge  odieux. 
Vrais  demi-dieux  eux  mefme,  ou  fort  aide^  des  Dieux, 
Purent  ceux  qui  deuant,  &  lors  que  plus  ils  veirent 
Qfte  les  inefpere^  forcemens  le  requirent, 
S*eftans  tous  les  derniers  en  fureur  debarquesf, 
Tous  les  derniers Peftoient  aux  vainqueurs  attaques^. 
Si  dés  Vabor dément  qu'en  ces  riues  Troïques 
Se  ietterent  dehors  ces  troupes  Argoliques, 
Et  deflors  que  foudain  ces  Teucres  enflamme:^ 
En  grand  nombre  &  grand  ordre  efioyent  faillis  arme:{, 
Euffent  voulu  d'entrée  éftre  de  la  méfiée 
Auecq  le  moindre  Aiax  qu'on  nommoit  Oïlee, 
lodeîle,  —  II.  17 


I 


^ 


258  LES   DISCOTRS 


L'autre  Aiitx  au  bouclier  quifepl  Jbis  double  efioit, 
Et  le  Roy  Menelai  grand  guerrier,  guifentoit 
Plus  fort  l'outrage  Jien,  puis  l'autre  Roy  fort  frt 
Qui  choifi  pour  feu!  chef  de  l'entreprife  Jîere, 
Roy  des  Iwmmes  efloit,  S  pour  au  grand  effort 
Adioufter  fuT  le  champ  quelque  tour  plus  accorci,. 
Vlvffe  en  tout  meflé^  qui,  de  peur  qui  ne  cède 
Maugréjon  dol , prendroii  Aiax  ou  Diomede 
Près  de  fox  pourfouftien,  ce  braue  S  furieux 
Diomede  qu'on  feint  auoir  nauré  les  Dieux  : 
Fuis  fur  tout  autre  encor  le  fils  de  la  Deeffe 
Tkelis  aux  pieds  d'argent,  qui  d'extrême  vtteffe 
■  Méfiant  Pextreme  effort  pour  courir  aux  dangers 
Plus  grands  fejl  bien  peu  dire  Âchile  aux  pieds  legt 
Qui  quelque  iour  deuoit  venger  après  les  larmes 
Defon  dueil,  fon  Palrocle  occis  deffousfes  armes 
Par  He&or  fort  trompé,  quand  l'autre  il  aperçoit 
Deffous  Varmet,  au  lieu  qu'vn  Achile  il  penfoit 
Mettre  à  mort,  qui  vengeant  fon  cher  Menetiade 
Fit  tout  d'vn  coup  eejfer  la  Troyenne  brauade. 
Car  en  crainte  &  frayeur  Heâor  auoit  tenu 
Ces  Grecs,  tant  que  f^oit  ce  Pelide  abjlenu 
De  combattre  en  fa  nef,  mafchant  Vire  enflammée 
Pour  Brifeis  au  lieu  de  Crifeis  meitee  ^— 

Au  fier  Agamemnon,  qui  pourfe  voii-  lollu  ^1 

Son  butin,  le  butin  d'Achile  auoit  voulu  :  ^| 

Mais  l'ami  fut  piqué  du  regret  de  la  vie,  ^ 

Qui  au  lieu  de  la  Jienne  à  V ami  fut  rauie. 
Plus  qu'il  n'ejloit  des  morts,  &  pertes  des  Grégeois, 
Des  prières  de  Vofl,  &  de  leurs  autres  Rois, 
Ni  des  riches  prefens  qu'on  luy  prioit  de  prendre 
Auecqfa  Brifeis  qu'à  luy  l'on  voulait  rendre  : 
Il  f  arme,  &  de  colère  agilement  fautant 
Sur  fon  char,  va  fon  œil  tout  embra:^é  iettant 
Par  tout  le  camp,  pour  voir  fi  ce  grand  Priamide 
Tueur  d'hommes  viendrait  encor  au  vray  Pelide 
Furieux p attacher  :  luy  donc  par  tout  faifott 
Tourner  Automedon  qui  fon  char  conduifoit 


1 


DE   IVLES   CESAR.  259 

Galopant,  dédeignant  toute  cargue,  fors  celle 

Où  Vamoury  la  vengeance,  &  la  rage  Vappelle, 

le  ne  veus  pas  ainfi  que  Vaueugle  fonneur 

De  ce  braue  duel  croiftre  à  Vvn  d^eux  Vhonneur 

Sans  mefure,  en  faifant  deux  fi  grands  capitaines 

Courir  fi  fiyrt  à  pié  quHls  perdroient  leurs  haleines 

A  tourner  quatre  fois  les  murs  d'vne  cité, 

L*vn  épouantant  Vautre,  &  Vautre  épouanté 

Plus  que  n*efi  la  perdris,  qui  ia  trois  fois  remife, 

En  repartant  fe  void  par  Vautour  prefque  prife, 

le  ne  veux  point  encor  en  couurant  d*vn  defiin 

Vne  lafche,  fuitiue  &  trop  couarde  fin, 

Pfiuer  Vvn  d*eux  d'honneur,  &  par  fin  fi  chetiue 

La  racine  arracher  de  la  menioire  viue 

De  eeluy,  fur  quifeul  tant  nos  premiers  François, 

Et  nos  pères  &  nous,  qu*auffi  nos  premiers  Rois, 

Et  tojr.  Sire,  qu'on  void  héritier  de  leurs  gloires, 

Auons  toufiours  pofé  de  nos  hautes  mémoires 

Le  tige  S-  fondement,  mefme  il  ne  nie  plaifi  point 

De  me  laiffer  aller  lourdement  fur  tel  poind 

Auec  VanHque  erreur,  qui  tache  en  vain  de  feindre   ' 

Aueuglêment  qu'vnfeul  Achile  peut  contraindre 

La  fortune  fi  fort,  que  pour  forée  qu'il  eufi. 

Et  pour  tout  cœur  nouueau  que  fa  prefencepeuft 

Redonner  aux  Grégeois^  i^çoy  que  Ion  f  efforce 

Mefme  de  faire  faire  à  luy  feul  toute  force. 

Du  fang  des  hommes  Grecs,  comme  fous  la  nuid  noire 

Vn  loup  dans  vn  troupeau  rougiroitfa  machouére: 

Combien  qu'à  vray  parler,  tant  Heàor  que  tous  ceux 

De  fa  part ^  fous  V effort  ferme  &  non  pareffeux 

Des  Grecs  rencourage:{,  commençaffent  adonques 

De  fouffrir  au  combat  plus  quHls  n'auoyent  fait  onques  : 

Car  ces  Héros,  ces  Rois,  ces  autres  chefs  bouillans, 

Auec  les  leur  peftoient  cent  fois  fait  plus  vaillans, 

S^çachans  que  leur  efpoir  ce  grand  Pelide,  en  place 

Viendroit  pour  affi^onter  d'Heâor  Vhorrible  audace, 

Et  que  fes  Myrmidons  à  la  guerre  bien  nés. 

Pour  f^rand  renfort  feroient  auec  luy  ramené^  : 


958  LB9  niscoviis 


L'tOàtrt  AidX  au  bouclier  qui/gpt  fi>is  double  efloil, 
El  le  Roy  Mentlal  grand  guerrier,  quifentoit 
Plui  fort  l'outragt  fien,  pvii  Vautre  Roy  fon  frère. 
Qui  ehoifi  pourfivi  chef  de  l'en<reprije  fiere, 
Ray  des  hommeê  fjlolt,  &  pour  du  grand  effort 
Adiou/ier  fur  le  champ  quelque  tour  plut  accord, 
Viyffe  en  tout  mefté,  qui,  de  peur  qui  «e  cède 
Maugré  fon  dol ,  prendrait  Aiax  ou  Dîomede 
Près  de  foy  pour  fouftitn,  ce  braue  S  furieux 
Dîomede  qu'on  feint  auotr  nauri  In  Dieux  : 
Puis  fur  lou  e  encor  le  fils  de  la  Deeffe 

Thelii  aux  j,.        d'argent,  qui  d'extrême  vïtefft 
■  Menant  l'exIi       ^  effort  pour  courir  aux  dangers 
Plus  grand.  bien  peu  dire  Achile  aux  pieds  legei 

Qui  quelaui  deuott  venger  après  les  larmes 

De  fon  .  ....  Palrocte  occis  degous  fes  arme 

Par  Ht  trompé,  quand  l'autre  il  aperçoit 

Deffous  1  ui»         au  lieu  qu'vn  Achile  ïl  penfoit 
Mettre  à  mon,  ,fui  vengeant  fan  cher  Menetiade 
Fit  tout  d'un  coup  ceffer  la  Troyenne  brauade. 
Car  en  crainte  S  frayeur  Heâor  auoit  tenu 
Ces  Grecs,  tant  ^.le  fefioit  ce  Pelide  abyienu 
De  combattre  en  fa  nef,  mafchaat  l'ire  enflammée, 
Pour  Bri/eit  au  lieu  de  CrifeU  menée 
Au  fier  Agamemnon,  qui  pour  fe  voir  toliu 
Son  butin,  le  butii  d'Aehile  auoit  voulu  : 
Mais  Carni  fut  piqué  du  regret  de  la  vie. 
Qui  au  lieu  de  la  fienne  à  l'ami  fui  •aiiie. 
Plus  qu'il  n'ejloit  des  morts,  &  pertes  des  Gregeais, 
Des  prières  de  l'oft,  S  de  leurs  autres  Rois, 
Ni  des  riches  prefens  qu'on  luy  priait  de  prendre 
Auecqfa  Brîfeîs  qu'à  luy  l'on  voulait  rendre  ; 
Il  f  arme, &  décolère  agilement  fautant 
Sur  fon  char,  va  fon  ceil  tout  embra:^é  iettant 
Par  tout  le  camp,  pour  voirfi  ce  grand  Priamide 
Tueur  d'hommes  viendrait  encor  au  vray  Pelide 
Furieux  f  attacher  :  luy  donc  par  tout  faifoit 
Tourner  Autamedon  qui  fon  char  conduifoit 


1 

I 


DE   IVLES   CESAR.  259 

Galopant,  dédeignant  toute  cargue,  fors  celle 

Où  Vamour,  la  vengeance,  &  la  rage  Vappelle, 

le  ne  veus  pas  ainfi  que  Vaueugle  fonneur 

De  ce  hraue  duel  croiftre  à  Vvn  d'yeux  Vhonneur 

Sans  mefurCy  enfaifant  deux  fi  grands  capitaines 

Courir  fi  fort  à  pié  qu'ils  perdroient  leurs  haleines 

A  tourner  quatre  fois  les  murs  d'vne  cité, 

L^vn  épouantant  Vautre^  &  Vautre  épouanté 

Plus  que  n'eft  la  perdriSy  qui  ia  trois  fois  remife, 

En  repartant  fe  void  par  Vautour  pref que  prife. 

le  ne  veux  point  encor  en  couurant  d*vn  defiin 

Vne  lafche,  fuitiue  &  trop  couarde  fin, 

Priuer  Vvn  d'eux  d'honneur,  &  par  fin  fi  chetiue 

La  racine  arracher  de  la  menioire  viue 

De  eeluy,  fur  quifeul  tant  nos  premiers  François, 

Et  nos  pères  &  nous,  qu*auffi  nos  premiers  Rois, 

Et  toy.  Sire,  qu^on  vaid  héritier  de  leurs  gloires, 

Auons  toufiours  pofé  de  nos  hautes  mémoires 

Le  tige  &  fbndement,  mefme  il  ne  nie  plaifi  point 

De  me  laijjfer  aller  lourdement  fur  tel  poinû 

Auec  Vantique  erreur,  qui  tache  en  vain  de  feindre  " 

Aueugîément  qu'vn  feul  Achile  peut  contraindre 

La  fortune  fi  fort,  que  pour  force  qu'il  euft. 

Et  pour  tout  cœur  nouueau  que  fa  prefencepeuft 

Redonner  aux  Grégeois^  i^çoy  que  Ion  f  efforce 

Mefme  de  faire  faire  à  luy  feul  toute  force. 

Du  fang  des  hommes  Grecs,  comme  fous  la  nuid  noire 

Vn  loup  dans  vn  troupeau  rougiroitfa  machouêre: 

Combien  qu'à  vray  parler,  tant  Heàor  que  tous  ceux 

De  fa  part^  fous  V effort  ferme  &  non  pareffeux 

Des  Grecs  rencourage:(,  commençaffènt  adonques 

De  fouffrir  au  combat  plus  qu'ils  n'auoyent  fait  onques  : 

Car  ces  Héros,  ces  Rois,  ces  autres  chefs  bouillans, 

Auec  les  leur  peftoient  cent  fois  fait  plus  vaillans, 

Sçachans  que  leur  efpoir  ce  grand  Pelide,  en  place 

Viendroit  pour  affi*onter  d'Heâor  Vhorrible  audace, 

Et  que  fes  Myrmidons  à  la  guerre  bien  nés. 

Pour  f^rand  renfort  feroient  auec  luy  ramené^  ; 


^ 


260  LES  Discovas 

Mait  ce  iour  H  voulut  que  Its  fits  attachaffent 

Premier,  puisque  tous  d'ordre  S  de  cœur  fjrpoujfajfent. 

Et  puis  pour  V»  rffray  tout  faudain  des  Troy-em, 

Contre  leur  efperance  it  decochaft  lesfiens 

Sur  eux,  iuy  fur  Hedor  :  or  il  voit  donc  qu'à  l'heure 

Aux  cris  des  Myrmidons  Heâor  planté  demeure 

Surfon  char,  il  rappelle,  S  le  faifant  tourner 

Voit  orgueilUr  fon  gefie  au  lieu  depejionner  : 

Car  il  çognoiJI  eeluy  qui  plus  pouuoit/a  Troye 

Faire  de  Myrmidons  S  d'autres  Grecs  la  pruye. 

Dont  la  mort  p__.   •it  plus  enfemble  auantager 

Sa  terre  auec  fa  1    oire,  &  la  Grèce  outrager. 

Leurs  guides  foui     ursiioixfbntqu'ardemmenl  décochent 

Lescheuauxdesi      x  chars  quiVvn  de  Vautre  approchent, 

Mefme  auaat  .         -ocher  ces  Héros  en  courant 

D'vn  bras  roid         'ont  leurs  iauelots  tirant  : 

Le  coup  d'Hei.,^,  jimbla  plus  que  l'autre  effroyable, 

Mais  Achile  a  le  corps  par  tout  inuulnerable. 

Fors  qu'en  fon  talon  feul,  par  qui  Thetis  dans  l'eau 

De  Slyx  le  tenait  lors  qu'elle  charmait  fa  peau. 

Par  tille  trempe:  ou  bien  Payant  renouuellee,       ^^1 

Comme  autrement  on  feint,  après  Vauoir  bruflee, ,  ^^^| 

Pour  ce  qui  ejloitfien  faire  à  la  peau  rejter,  3^| 

Et  tout  ce  qui  eftoit  du  Père  Iuy  ojler,  J^B 

Mais  fans  croire  à  la  feinte,  au  moins  fi  &eft  hijioin, 

Non  pas  fable  qu' Achile  &  gu'HeSor,  il  faut  croire 

Qu'ejlans  outre  nature  étrangement  tous  deux 

Vijies,  roides,  &  forts,  adroits,  hautains,  &  preux. 

Des  autres  pouuoit  bien  leur  chair  eflre  eflimee 

No»  vulnérable,  ainçois  contre  les  coups  charmée. 

Ce  que  l'vn  fit  paroiflre  en  ce  combat  mortel. 

L'autre  auffifirt  long  temps,  mais  il  ne  fufi  pas  tel 

EJlimé  fur  la  fin,  quand  fa  proueffe  agile 

Et  forte,  vint  céder  au  coup  fatal  d'Achile. 

Or  ils  n'eurent  pas  donc  fi  lofl  lancé  ces  dards, 

Qh'i'Jj  voyent  retourne^  eu  à  eu  leurs  deux  chars. 

Tant  quefe  rencontrons  fi  près,  de  violences 

Incroyables faifis,  pofent  vnpeu  leurs  lances 


J 


DE   IVLES   CESAR.  261 

Qu^en  la  gauche  ils  auoient,  fur  les  chars,  pour  après 
Les  reprencffe  &  darder  lors  quHls  feroient  moins  près. 
Ces  lances  n^eftoient  pas  ni  groffes,  ny  pefantes, 
Ni  toufiours  vers  le  bout  plus  fort  pamenuifantes , 
Sans  arrefl  fans  poignée  en  hault  ils  les  portoient, 
Pour  les  lancer,  &  rien  des  nojires  ne  fentoient  : 
Et  combien  -queplujlojl  elles  euffent  femblance 
De  iaueline  en  fer  &  en  bois  que  de  lance. 
Lances  on  pouuoit  bien  les  nommer  du  lancer, 
A  quoy  Ion  voy  oit  plus  ces  vieux  preux  padreffer  : 
Laiffans  les  lances  donc,  &  pour  ce  que  leur  rage 
Prompte  brupoit  après  les  coups  &  le  carnage. 
Et  pource  quHls  vouloient  plus  fort  que  de  la  nue 
On  ne  voit  cheoir  la  grepe  &  groffe  &  forte  &  drue, 
Affouuiffant  leur  faim  tant  fanglante,  venir 
Aux  coups  &  drus  &  forts  &  durs  à  foujlenir, 
Croyans  faire  par  là  plufïofï  que  par  Vadreffe 
"De  bien  darder  vn  bois  remerquer  leur  proueffe, 
Outrecuide:{^  penfans  defarmer  &  tailler 
L^vn  Vautre  en  vn>  moment,  comme  on  voit  écailler 
Qjtelque.  horrible  poiffon  dur  d'ecaille,  &  Vatteindre 
-Dans  la  chair,  Vécaillantfi  fort  qu^on  le  voit  teindre 
Defonfangpav^  endroits^  afin  que  quand  V écaille 
Eft  ojtee  àfon  gré,  par  pièces  on  le  taille, 
Enfembledonc  tous  deux  fans  que  Vvn  regardafï 
Aux  premiers  coups  de  Vautre,  &  qu'en  rienfe  gardafl 
Que  les  Troyens  pour  luy  perdiffent  tout  leur  cueur, 
Que  Priam  neprefchafl  à  fon  fils  que  la  peur 
Qji^vnfeul  luy  deuoit  faire,  &  combien  que'lonface 
Heâor  objiinément  V attendre  en  vne  place 
Sans  oncq  vouloir  entrer  aux  portes,  que  pourtant 
Toutfoudain  il  pallafï  fi  fort  efpouuantant 
Le  voyant  fur  luy  courre,  &  que  tous  ceux  de  Troye 
Comme  fi  cent  éclats  du  Ciel  quand  il  foudroyé 
Fuffent  tombe\  entre  eux,  auec  tant  d^ autres  forts 
Peuples  &  chefs  venus  à  leurs  fecours  pour  lors, 
lufqu^à  vn  tous  perdus  aux  portes  accouruffent, 
Se  ferraffent  dedans,  fans  qu'en  rien  fecouruffent 


{yfjpoir,  d'kontmett  4t  trdilt,  de  quelque  autre  deuoir. 

Contre  vn/eul  l'hotnme/tul,  qu'ili  iugeoicnt  leur  efpoir  : 

Eujc  qui  auparauatit  long  temps  viûorieux, 

Ayaiis  par  leurs  efiours  fréquent  S  furieux. 

Apres  neuf  ans  fitreé  cm  troupes  Danaidea, 

De  Je  vouloir  fauuer  par  les  roules  liquides. 

N'y  voyaient  point  pour  lors  d^accroijfaace plus  grande, 

Sinon  iCvn  homme  feul  S  d'vne  feule  bande. 

Voire  encorfe  voyaient fains  S-faufi,  &  qu'encor 

Sain  &  faufleur  refiait  ce  magnanime  MeSor, 

Qui  deuant  lan,         ftiï  ajfaillaal  leurs  grand's  troupes 

Sentant  le  ckamti        morts,  &  dans  les  creufes  poupes 

Dardant  les ,  ngeurs,  pouuoit  plus  effrayer 

Q)ie  ce  graai  qu'vn  Grec  menteur  fait  Jbudroytâ 

Q/iitanI  defi...  —    t  pour  fe^rcer  d'abattre 

Son  orgueil,  défi"    eul  à  feul  le  combattre. 

Et  mcfme  alors  ^     -n  fein  t  que  cliacun  fe  rendait 

Fuitif  dedans  les  ...irs,  de  pie  coy  l'attendait  : 

Comme  mefme  vne    ^lle  incroyable  contrainte. 

Par  vn  feul,  ne  m'i  ,i  rien  que  vaine  S  lourde  feinte  ! 

Four  menfonge  li     'ux  tout  autant  reprouuer, 

Vn  Phebus  defce..      ntpour  Heâar  preferuer, 

Minerue  contre  h     'or  haranguant  à/on  père. 

Par  lupiter  enfin  l'I  dejlin  imprafpere 

De  mort,  contre  cet  ly  d'Ackite  balancé 

Dans  la  balance  d'à  -  fefire  à  l'heure  abaijfé, 

Cejtc  mefme  Deeffe  aux  yeux  vers  dcfcendue. 

Afin  que  telle  vie  à  tel  poinâ  fujt  rendue  : 

Son  Achile  exhorté  par  elle,  le  moyen 

Défaire  Heâor  tourner,  puis  du  vifagefien. 

De  l'habit,  de  la  forme,  vn  faux  Sfoudain  change, 

Pour  vers  Heâor  vfer  de  trahifon  efirange 

Se  faifant  Deiphobe,  vn  encouragement 

Simulé  qu'elle  donne,  vn  prompt  recueillement. 

Pour  à  tort  rebailler  la  lance  Peliade 

A  ce  Pelidefier,  qui  trompant  fa  brauade, 

Auoit  failli  d'atteindre  HeSor,  qui  n'eufi failli 

Achile,  fi  fon  coup  du  bouclier  recueilli 


DE    IVLES    CESAR.  203 

N^euft  efté  deftourné  :  Puis  Vautre  ieâ  de  lance, 
Dont  luy  qui  fur  Heâor  tout  armé  la  relance, 
L'atteint  vers  le  gojier,  ce  que  ie  penfe  encor 
Eftre  de  tout  ceci  le  plus  vray  :  car  d* Heâor 
Oeftoit  Varreft  fatal,  de  voir  vn  iour  finie 
Par  la  lance  qu'on  dit  Peliade,  fa  vie  : 
Puis  du  mourant  encor  &  du  viûorieux, 
Les  mots  vn  peu  groffiers  &  trop  iniurieux 
Pour  vn  vainqueur  honnefle,  &  trop  abiets  auffx 
Pour  le  cœur  d^vn  vaincu,  tel  qWefloit  cefïuy-ci  : 
Puis  tant  d'autres  façons  de  la  fable  afforties 
Souuentji  mal,  qu'au  vray  f  elles  n  *efloyent  parties 
De  telle  antiquité  vénérable  à  toufiours, 
Mefme  tant  en  celuy  qu'en  tayit  d'autres  difcours 
Onpen  pourroit  moquer,  n'ejloit  que  l'affluance 
Si  grande  des  beaux  traits  que  iuflement  on  penfe, 
Et  hauts,  &  bons,  &  mefme  au  poète  decele\ 
Par  les  Dieux,  font  parmi  telles  chofes  mefle:(. 
Dont  Vadmiration  doit  tourner  la  rifee 
En  Vhonneur  d'vne  Mufe  en  tous  fiecles prifee. 
Mais  moy  qui  ne  veux  pas  laiffer  ore  outrager 
Ce  qui  nous  appartient,  &  qui  veux  reuanger 
Vne  mémoire  haute  eflrangement  bleffee. 
Par  qui  ta  grand'  mémoire  &  la  noflre  auancee 
Pour  iamaispeut  bien  efïre,  &  qui  me  penferoiSy 
Qiumd  du  coflé  des  Grecs  mefmement  ie  ferois, 
Leur  mémoire  auancer,  en  rendant  inutile 
Comme  fableufe  en  tout  la  viûoire  d'Achile  : 
le  veuxfuiure  Vinflinà  gaillard  que  ie  reçoy. 
Que  par  refentiment  celefle  i'apperçoy 
EJlre  vray,  pour  le  moins  plus  femblable  à  Vhiftoire, 
Si  quelqu'vne  en  efloit  que  vrayment  on  peufi  croire  : 
Car  Didys  &  Darés  font  fuppofe^,  encor 
Le  Grec  Diâys  n'euft  fait  ainft  mourir  Heâor  : 
Et  fous  tel  inflinâ  libre  en  briefie  te  vois  faire    ■'- 
D'vne  façon  qui  plus  te  peut  &  te  doit  plaire, 
Combatre  noflre  Heâor,  encor  qu'vn  fort  fatal 
Trop  enuieufement  foit  fur  luy  tourné  mal. 


\ 


s64  ^Bs 


Ce  grand  Ptlide  armé  de  corps,  de  bras,  de  tejle , 
Maisfur  fort  mùriaii  n'ayant  pas  cefie  ciefte 
Effroyable,  qu'auant  il  y /aifoil  foter, 
Ti-op  marri  de  fe  voir  d'autres  amies  porter, 
Sçachant  mefine  qu'Heâor  auoil  les  Jieiuies  prifes, 
Surfoy  par  le  combat  de  Palrocle  conqui/es. 
Fort  S  fier,  haut  &  droit,  S  bruflant  de  bien  faire. 
Sur  fon  char  qu'il  fait  bruire,  S  dans  ce  champ  eclcUn 
D'vne  face  enjlammee,  ainfi  que  Ion  peut  voir 
Vn  tonnerre  fiambant,  lors  qu'il  ne  vient  pas  choir 
En  pierre,  mais  ei   flamme,  &  qu'en  forme  de  boulle 
Rouge  bruyant,  Ji   ant,  dans  les  champs  ilfe  rouUe 
Tout  auffl  toft  qu'il  voit  Heâor  le  fort  des  forts, 
Dont  le  bras  iufqu'au  coude  eJloU  tout  rouge  alors. 
Me/me  auant  que  fichej  d'rne  affeurance  extrême. 
Front  à  front,  eeil  dans  ail,  dpié  contre  pie  mefme, 
fis  recherchaffent  l'art ,  l'vnfur  l'autre  auancé 
lufqu'à  moitié  du  fer,  de  nerfs  bande^  haujfé. 
Tant  que  leur  bras  efi  long,  en  mefme  injlant  déchargent 
Leur  coupfuiui  de  coups,  dont  l'vnl'autre  ils  fe  chargent 
Plus  que  Vulcan  l'enclume,  ayant  dés  l'aborder 
Avec  vifieffe  S  grâce,  S  force,  fans  tarder 
la  pieça  mis  au  poing  leurs  trenchantes  efpees, 
Noirafires  de  couleur,  larges  &  bien  trempées, 
Aufquelles  cedoit  lors  le  clair  iour  en  clarté. 
Et  de  leurs  bons  harnais  tout  l'acier  en  durtê. 
Toutes  les  fois  qu'en  l'air  incejfammcnt  mouuaates, 
Efcartoient  leurs  lueurs,  ou  bien  que  retombantes 
Coup  fus  coup  dextrement  fans  beaucoup  efpier, 
Faifoient  fembler  qu'en  plomb  fuJI  conuerti  l'acier, 
Au  moins  celle  qu'Heâor  roùoit  dedans  fa  dexire, 
El  dont  il  chamailloit  d'elle  le  propre  mai/tre. 
Sur  l'épais  morion  faifant  appefanlir 
Le  roide  S  dru  chaplis,  horrible  au  retentir, 
El  quifouuent  remplit  d'efilncelles  laplace. 
Ou  bien  faifant  les  coups  tomber  fur  la  cuirajfe. 
Et  plus  fouuent  encor  deffus  vn  acéré 
Pefant  &  grant  bouclier,  dont  alors  fut  paré 


i 


DE   IVLES    CBSAR.  205 


Par  Achile  maint  coup^  quand  le  Troyen  p efforce 

D^vne  fubtHité  méfiée  à  Vafpre  force, 

En  feignant  quelques  coups  y  les  ramener  tout  droit 

Deffus  la  face  nue,  ou  fur  tout  ce  qu'on  voit 

En  luy  de  decouuertj  entre  la  cuiracine 

Et  le  fort  morton,  ou  de  rufe  plus  fine 

Sur  Vvne  &  Vautre  efpaule  adroitemmt^tionnant, 

Les  courrayes  trancher^  qui  feules  vont  tenant 

Le  corfelet  fermé,  pour  après  Vouuerture 

Trouuer  ce  qui  n^a  pas  refiftancefi  dure, 

Veu  Vàrt  &  veu  V effort  qu*à  V heure  on  ne  croit  pas, 

Le  voyant  &  Voyant  fortir  d^vn  mortel  bras  y 

Tu  as  vrayment  alors  digne  fils  de  Pelée, 

Grand  meftier  de  grand  force  aux  addreffes  méfiée. 

Et  grand  meftier  encor  d'auoirfur  toy  tout  bon 

Corfelet  &  braffals,  bouclier  &  morion  : 

En  flatant  noftre  los,  pourtant  ie  ne  veux  dire 

Que  ton  parti  nefuft  touchant  ces  armes  pire. 

Car  de  celles  que  lors  Vaduerfaire  portoit. 

Meilleure  de  beaucoup  chacune  pièce  eftoit, 

Auec  les  autres  deux  la  cuiraffeS-  Vefpee 

Dans  la  forge  JEtneanne  auoit  efté  trempée. 

Et  polie,  &  garnie,  &  richement  encor 

De  relief  burinée,  &  tant  d'argent  que  d'or 

Couché  dedans  V acier  par  hiftoires  ornée, 

Qjti  fembloient  viure  en  Vœuure,  en  qui  la  deftinee 

D^Heâor  &  ton  trophée  on  pouuoit  fur  tout  voir  : 

Heâor  mefme  les  vit,  fans  pourtant,  enfçauoir 

Pour  V heure  rien  cognoiftre^  &  ne  penfa  que  fuffen  t 

Chofes  qui  fur  Achile  ou  fur  luy  tomber  deuffent  : 

Malheureux  de  porter  ignoramment  fur  foy 

Defon  cruel  deftin  la  trop  iniufie  loy. 

Dans  ce  mont,  qui  fans  fin  fous  la  grand*  forge  fume 
Vulcan  le  forge^foudre  auoit  deffus  Venclume 
Tourné  tout  cet  ouurage,  &  luy  mefme  qui  peult 
Par  vn  grand  art  former  aux  métaux  ce  quHl  veult. 
Des  Cyclopes  aydé  pour  batre,  ou  dans  la  braife 
Mouuoir  le  fer^  ou  bien  ranimer  la  fournaife, 

17' 


De  fa  maitis  inefme  auoit  Ji  luifamment  poli 

Tel  ouvrage,  S  de  tant  iPhiftoires  embelli 

Sur  tout,  ou  bien  par  trempe,  ou  par  force  diurne. 

Donnant  ene  durté  prefque  diamantine 

A  telle  efpee,  &  mefme  aSe\  endurciffant 

Le  refie,  pour  garder  que  rien  fallafl  fauçanl. 

L'aeuure  fait,  il  bailla  tel  prefent  à  ta  mère, 

<^i  pour  te  le  forger  à  ce  Dieu  fit  prière. 

Tachant  faire  par  là  qu'en  toy,  qui  fus  humain 

Du  cojlé  paternel,  de  la  Parque  la  main 

Pour  trancher  Ion  beau  Jil  Ji  toji  ne  fufl  haflec  * 

Ta  vie  toft  après  pourtant  le  fat  ojlee. 

Quand  pour  venger  Heâor  au  temple  d'Apollon, 

Tufits  occis  d'vn  trait  par  ton  fatal  talon. 

Ou  fi  ce  que  t'ay  dit  des  armes  n'efl  encore 

Que  feinte,  dont  tant  plus  Heâor  ie  de/honore. 

Encontre  toy  Parmant  de  tel  prefent  fatal. 

Dont  me/mes  il  la  fceu  faire  eneor  aucun  mal. 

Si  faut-il  maugrè  moy  confejfer  fans  faintife. 

Quelque  part  qu'eufl  eflé  Varmeure  par  toy  prtfe. 

Qu'en  tout  cela  que  toy,  Prince,  auoir  tu  pouuois 

D'armes  dans  tes  vaiffeaux,  au  que  tous  autres  Roii 

Auoient  dedans  les  leur,  Méfiait  l'armeure  à  l'heure 

Qlti  en  chacune  pièce  ejloil  bien  la  meilleure, 

Fufl  morion,  cuirajfe,  #  bragals,  &  bouclier, 

Semblans,  tant  efioit  bonne  S  la  trempe  &  l'acier, 

Fatallement  feâs  :  mais  vcu  que  tel  orage 

De  coups  tombans  d'en/mut,  d'effort,  rage,  £■  courage. 

Dont  Heâor  bien  payé  par  les  bras  tant  &  tant, 

Va  fur  toy  comme  toy  dejfus  luy  rebatant  : 

Il  faut  que  prefque  autant  foit  bonne  &  forte.  S-  dure, 

Chafque  arme  que  tu  as  qui  tant  d'efforts  endure, 

Et  puis  ayant  affej  de  l'horrible  vaillance 

D'Heâor,  que  de  la  tienne  armeure  cognoiffance, 

Tu  ne  te  ferais  oncq  en  tel  combat  ietté. 

Si  par  trop  contre  toy  l'auanlage  eufl  eflé. 

lufqu'ici  donc  ces  deux  ont  eu  prefque  vne  egalte 

Puiffance,  mais  la  fin  à  tous  les  deux  fatalle. 


XH    .^'13Lz    L.ï:±^1^.  21— 


iniBS  IfWBT"  ^  VI.  ^  xf. 

€Ijr  J'ai  i'b  i  i  .£  ^^  Sssanr  kit  xanàijri 
PùsJarL,  £  icj^aasc  £  ifmV  'mun.  wsxujr-i. 
L.'MMirr  £^mLjBL£anrp^k  h  xar  jarz  £\ 
Yâmok  jL ^tummoÊr  m.  iniii jm'  ■    ^in-tn:^ 

Et 

le  mmÊÊU  i.  Tina  £t  îanz 

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fffifmwr  Yutr  A 
M.  iaai*jé:  -vutc  sia 

*  ^  ^ 


£l  le  iiTiTfiwy  ^  Jjiurr>  x    ^Mt^  wl^-i^^i 
Fmrt fie weUmi'me n.  itu   - ■■'  ^-^  .  '-  .*rr- 


268  LES   DtSCOVRS 

Que  quand  Vukait  alors  que  d'un  infatigable 

Trauail  faifoit  forger  ce  harnois  infauffable. 

Sur  quipobjline  Achite,  au  moins  fil/aut  ici 

Me  plaire  de  recbef  en  ces  flàions  ci. 

Et  que  ce  Dieu  parmi  fa  troupe  ren/rongnee 

De  Cyctopes  autour  de  Cœuure  embefongnee, 

Auec  retetttijfani  afian^  S-  d'vn  gros  bras 

Qui  par  compas  fe  voit  tantofi  haut,  tantofi  bas. 

Bâtant  S  rebatant  aprefloieni  les  matières 

Plus  rudes,  dont  Vulcan  fit  ces  armes  entières  : 

Ou  quand  Pœuure  fbrmé  fur  Penclume  on  mettait, 

L'enclume  qui  de  plainte  éclatante  tintait, 

Pour  d'vn  gros  marteau  batre  vne  des  pièces  feule, 

La  portant  tofl  après  eclarcir  fur  la  meule  ; 

Aufft  fort  tout  cela  qu'auoil  Vulcan  batu 

Pour  Açkile,  d'Achile  eftoit  lors  rebalu. 

Ainfi  tiniamarrant  par  renfort  Vvnfur  l'autre. 

Le  Grec  en  fin  f aillait  fur  le  cheualier  nqfire, 

Lajfant,  &  mefme  encor  laffé  des  coups  trop  lourds 

Que  renforçait  MeÛor  :  mais  Heâor  au  rebours 

Plus  fort,  plus  vigoureux,  plus  nerueus,  de  la  peine 

Accroiffoit  fa  valeur,  fan  ame,  &fon  haleine. 

Et  ces  trois  qui  dans  tuy  de  plus  en  plut  croiffoyent, 

Faifoyent  qu'elles  par  fbrce  en  l'autre  renaiffoyent  : 

Tant  peut  vite  louable  &  genereufe  enuie 

Exciter  la  vertu,  quand  non  pas  de  la  vie 

Moins  chère,  mais  il  va  de  ce  tant  cher  honneur, 

Q}te  la  vertu  fe  fait  "  de  tous  travaux  feigneur. 

On  diroil  tes  voyant  que  Ion  voit  mainte  cfiofe. 

Que  plus  efpouuentabie  vn  efprit  fe  propofe. 

En  tout  cela  qu'on  trouue  au  monde  rechercher 

Auidemeni  l'vn  Vautre,  &  Vvn  Vautre  attacher: 

Mefme  attache^  ainfi  rendre  en  eux  acharnée 

Leur  rage  par  moments  entre  eux  remutlnee, 

Soit  inflinâ  naturel  de  haine  entre  les  deux. 

Qui  le  face,  ou  de  proye,  ou  deftr  hafardeux. 

Mais  que  me  feruiroit  pour  comparaifon  telle 

Enfuiure  ou  inuenter  ckofe  vieille  ou  nouuelle, 


DE    IVLES    CESAR.  269 

Veu  qu^auec  tel  combat  rien  ne  peut  J^affembler, 

Qui  tant  extrême  peut  foymefme  reffembler? 

O  que  c^eft  peu  de  voir  la  furieufe  attache 

De  deux  Taureauxplus  grands,  que  V ardeur  d'vnevache 

Plus  qu^onques  on  ne  vit,  forcenés^  brufleroit, 

Et  durant  rage  telle  au  combat  poufferoit. 

Mortellement  ialoux,  aimans  mieux  en  leur  flame 

Et  penfenient  brutal  perdre  en  leurfang  leur  ame, 

Que  Vvn  de  Vautre  maiftre  à  fon  gré  puiffe  vfer 

De  la  chofe  en  qui  Vvn  veut  Vautre  maiftrifer  : 

Tant  qu*apres  leur  regards  de  trauers  &  la  hargne 

Des  malins  muglemens  leur  rage  en  rien  n'efpargne, 

Par  cour/es  &  grands  heurs  mille  fois  redouble^, 

Le  teftf  le  front,  les  yeux,  de  leurs  haines  trouble:^. 

Les  tempes,  ny  la  gorge,  ou  mefme  la  poitrine, 

Qui  de  la  vie  endofe  en  leur  cœur  efï  voifine  : 

Ains  leurs  cornes  craquans  Vvne  en  V autre,  &  leurs  frons 

Qjii  femblent  faire  ouir  le  choc  de  deux  grands  monts, 

Et  leurs  pies  anime^  regalopans  derrière , 

Pour  faire  plus  grand  coup  toujîours plus  grand  carrière. 

Ne  defiftent  iamais  tant  que  Vvn  de  ces  deux 

Animaux,  en  grandeur  &  en  fureur  hideux. 

Dont  les  yeux  gros  &  ronds  vne  torche  en  eux  portent, 

Faifant  fembler  qu^au  heurt  les  ejiincellesfortent, 

Ait  de  fon  compaignon  la  viâoire  par  peur. 

Par  grand playe,  ou  par  mort,  &  du  prix  f oit  vainqueur. 

Ceferoit  bien  peu,  mefme  à  telle  horrible  befte, 

Ayant  la  dans  fon  fiel,  dans  fon  cœur,  dans  fa  tefte. 

Par  eguillonnemens  embrafé  peu  à  peu 

L'audace  &  le  dépit,  la  terreur,  &  le  feu. 

Mettre  en  tefte  vn  Lyon,  gran(f,  effroyable,  &  braue. 

Qui  de  V antre  fartant  de  marche  fiere  &  graue. 

Dédaigneux  va  rouant  f  es  longs  pas  en  circuit. 

Et  qui  en  rtrgiffant  d^vn  long  &  d*vn  long  bruit, 

Rompt  tout  Vair,  rebruyant,  &  tourne  à  lafeneftre 

L^œil  de  trauers,  que  plein  toufiours  dHre  on  voit  eftrc^ 

Dés  qu^en  tournant  il  a  dans  vn  coin  apperceu 

Son  Taureau,  qui  dédain  &  cowy^uxa  receu, 


îy2  LES    DISCOVBS 

Son  écaille  craquer,  fa  langue  veneneufe 
Dardiller,  &  branfler/a  queue  lortueufe, 
Où  la  nature  a  mii  U  plusdefon  ejbrl. 
Qui  plus  en  combatant  à  V Eléphant  fait  tort, 
Ofe  fe  ruer  fur  la  bejte  trop  bien  née. 
Pour  ejlre  a  vn  combat  Ji  vilain  dejtinee. 
Car  non  pas  en  grandeur  excefjiue  du  corps 
Seulement,  &  non  pat  pour  fardeaux,  pour  efforts 
Généreux,  quifouuent  ont  peu  feruir  en  guerre. 
Elle  va  furpaffant  les  beflea  de  la  terre, 
Mais  enfublilité  de  prompt  entendement. 
En  douceur,  en  mémoire,  & prefque  en  iugemenl. 
Et  qui  du  graue  port  grandement  vénérable. 
Par  l'iuoire  des  dents  fi  grandes  admirable. 
Admirable  en  Rature ,  &  de  beau  poil  qui  plaiji 
Toufiours,  &  mefme  plus  lors  que  tout  blanc  il  eft. 
Toute  autre  befte,  ainçois  le  ferpent  homicide. 
Qui  quelquefois  te  tue  auecfa  probofcide  , 
Le  hapanl,  le  ferrant,  ou  bien  Vejloufferoit , 
Ou  mefme  l'atterrant  expirer  le  ferait 
En  l'affommant,  foullant,  ou  de  quelque  autre  forte 
Triomphant  en  dédain  de  fa  charongne  morte. 
Mais  fouuent  prefque  en  tout  vn  grand  mal  ejl  égal 
Au  grand  bien,  pour  le  bien  faire  luter  au  mal, 
Afin  que  la  nature  en  tout  par  la  malice 
Donne  aux  mefmes  bonte\  vn  nuifible  exercice. 
De  peur  que  ce  qui  ha  receu  d'elle  trop  d'heur. 
N'ayant  rien  de  contraire  enfle  trop  fa  grandeur. 
En  grand  force  de  corps  pour  diuers  égard  prife. 
En  grand  haine  entre  eux  deux  embrafement  eprife. 
Comme  par  mouuemens  naturels  en  deuoir 
De  chercher  ce  qui  peut  vîâoire  faire  auoir, 
En  affaut,  en  repouffe,  en  longue  &  dure  peine, 
Oii  fouuent  ta  longueur  d'vn  tel  combat  les  meine, 
En  effroyable  ardeur,  de  grands  heurs  ejtonnans. 
De  maints  tours  acharnej,  d'horribles  coups  fonnans 
Efpouuentabtement,  de  nuifances,  morfures, 
Prifes,  depejlremens,  &  mortelles  naureures. 


DE    IVLES    CESAR.  273 

£«  ^âmf  ôfttiV  (Vinfinis  JifflemenSf  &  en  bruit 
Dont  V Eléphant  par  cris  efpouuentables  bruit. 
En  toute  chofe  donc  fait  elle  auantageufe, 
Ou  contraire^  qui  fuit  telle  guerre  hidéufe^ 
On  peut  tel  combat  dire  eftre  égal,  &  pourtant 
L^vn  des  deux  ne  va  pas  la  viâoire  emportant 
A  tous  coups  :  car  fouuent  le  dur  fort  a  baillé 
Sur  VElephant  viâoire,  au  grand  monftre  écaillé  : 
Souuentji  cautement  VElephant  peuertué , 
Que  fans  danger  de  mort  Vailé  ferpent  il  tué, 
Et  quelquefois  luymefme,  ouf  oit  que  fe  trompant 
n  pueillê  la  méfiée  acourcir  en  tombant, 
P^enfant  Vautre  affommer^  fi  fa  groffe,  pefante  , 
Et  grand*  maffe  il  fait  cheoir  fur  la  pefte  volante  : 
Ou  fait  que  de  tomber  par  force  itfoit  contraint ^ 
EJt€mt  de  plufieurs  nœus  par  les  iambes  etreint, 
Dont  du  monftre  la  queue  incroyablement  forte, 
Le  garrotefifort  qu*en  terre  elle  V emporte^ 
Far  pfi  deftin  pareil  en  tombant  il  deffait 
Vennemy,  que  creuerfousfa  grand^  cheute  il  fait, 
Et  It^nnefme  en  creuant  &  tuant  Vaduerfaire, 
De  ce  kruflant  venin  extrêmement  contraire 
A  fa  nature f  il  va  penuenimant  fi  fort 
QuHlf*enfle  &  creue  ,  &  prend  fa  mort  en  Vautre  mort. 
Tels  combats  donc  à  voir  f croient  pleins  d^horreurs  toutes 
Degrands  dangers  aux  faits,  mefme  aux  fins  de  grands  doutes. 
Sur  ces  trois  points  derniers  plus  au  vray  fe  pourroient 
Par  ¥ers  qui  pour  la  chofe  adapter  difcourroyent 
A  tel  combat  Indique  apparier  Vaffreufe 
HorreuTy  le  danger  grand,  Viffue  encor  douteufe 
Du  duel,  qu^à  cfianter  ie  me  plais,  y  mettant 
Autant  de  temps  que  prefque  on  mit  en  combatant, 
Oeft  grand  horreur  de  voir  comme  aigris  ils  trauaillent 
Comme peftourdiffans  ils  faffomment  &  taillent 
Au  bord  des  morions,  au  grand  tour  des  boucliers. 
Des  brèches,  &  fouuent  des  éclats  tous  entiers. 
Et  de  grands  coups  toufiours  tombans  de  toute  afpreffe, 
loJelle.  —  II.  i8 


i74  '■^*    DISCOVRS 

Enjonceni  iu/gu'au  «u  lonte  arme  plus  e/pefe. 
Tant  que  pu  faut  encore  en  ceci  donner  lieu 
Aux  fixions,  faifant  ces  armei  par  ce  Dieu , 

O  '  avoir  efté  forgées. 

Voire  {fH  m'ejt  permis  ifainfi  parler)  feees, 
Veu  ce  qu'on  leur  voit  faire,  elles  ne  lairroienl  pas 
De/enlir  à  tous  coups  dommage  fous  leurs  bras 
Plus  feéi,  pour  pouvoir  quelque  enclume,  iepenfe, 
Dttraneher,  que  ne  peut  contre  eux  quelque  degenfe 
Se  feer  fur  Penclume  :  Or  c'ejl  v«e  horreur  doncq. 
Si  en  conjlïû  femblable  aucune  horreur  fut  oncq. 
De  voir  qu'à  cha/que  coup  qu'on  peut  donner  ou  rendre, 
Promptement  on  les  voit  tous  deux  à  pentre-fendrt 
Qfiajifans  ceffe  prefts  :  c'efi  horreur  que  defor, 
MeSar,  Achile,  S  mefme  AchUe  plus  qu'Hedor, 
Qui  du  choir  co»''""  de  leur  bruyant  tonnerre, 
Rehauffé,  rabaif,        tmhlent  S  ciel  &  terre 
Autour  d'eux  ej  ■,  S  qui  de  coups  tant  lourds 

Deuroyent  tous  ■  pieça  fe^re  entre-rendus fourds. 

Plus  que  ne  font  's  d' Krion,  quand  ils  forgent. 

Ou  le  peuple  ha  les  lieux  oiife  dégorgent 

Les  fepl  boucksi  un  riil,  pour  dire  au  vray,fe  vont 
Par  force  enfin  lajfant  de  l'œuure  auquel  ils  font. 
Et  que  pourtant  tant  plus  leur  vigueur  efl  forcée, 
Tant  moins  on  voit  dans  eux  leur  rage  efire  Xaffee , 
Qui  cent  ans  les  pourrait  faire  opiniafirer. 
S'ils  ne  fortent  au  but  qui  les  a  fait  entrer 
En  fi  cruels  travaux,  qui  mefmes  les  enfiammeni 
Toufiours  d'efpoir,  tant  plus  que  leurs  armes  pentament, 
Penfans  mettre  en  morceaux  tout  ce  fer,  &  tuer 
Le  premier  de/armé  quelque  part,  ou  ruer 
Tant  &  tant  de  tels  coups,  que  quelques 
Par  quelque  brèche,  ou  plus  l'ame  S-  les  forces 
Car  on  ne  les  euft  peu  ft  long  efpace  voir 
Continuer,  n'ejlûit  l'irreuocable  efpoir, 
Obftini  par  l'efpreuue,  encore  que  tant  bonne 
Efpeffeur  &  durté  des  armes  les  eftonne 


DE    IVLES    CESAR.  275 

lyauoir  vn  fi  long  temps  fur  elles  tempefté^ 
Sans  auoir  Vvn  fur  Vautre  encor  rien  proffité. 

Or  quant  à  telle  horreur  de  ceux  qui  le  fait  voyent , 
Ou  de  ceux  qui  Voyans,  comme  prefent  m*en  oyent 
Chanter,  Sire,  en  ta  gloire  &  mémoire  ces  vers, 
Que  Venuoye  en  tout  fiecle  &  tout  terroir  diuers^ 
DUcelle  pour  le  plus  la  caufe  ne  procède 
Que  de  voir  que  parforçç  il  faudra  que  Vvn  cède 
A  Vautre,  ou  que  d'vn  mefme  implacable  deftin 
Donnent  tous  deux  naure\  Vvn  à  Vautre  leur  fin, 
Tant  que  la  terre  helasi  qui  fur  telle  ioumee 
Doit  maudire  à  iamais  Vordonnance  donnée  : 
Veu  qu^apres  ou  deuant  elle  n^a  fceu  trouuer 
Deux  Héros  qui  plus  haut  ayent  fceu  releuer 
Sa  maternelle  gloire,  en  rendant  par  fatalle 
Vert^  fa  race  baffe  aux  Dieux  mefmes  egalle^ 
Et  que  pourtant  il  faut  qu^vn  dès  deux  demeurant 
Toutfeul  dans  elle,  ou  bien  Vvn  &  Vautre  mourant, 
Elle  refte  4  iamais  miferablement  veufue 
Du  pairt  ou  de  moitié^de  ce  pair  qu'elle  treuue 
L*auo%r  defhonoree,  ains  qu^n  peu  de  rancœur 
A  deufs^rand'sparts  du  monde  ait  fait  perdre  leur  cœur, 
Heâor  eftoit  le  cœur  de  VAfie  puiffante, 
Achile  eftoit  tt  cœur  de  V Europe  vaillante  : 
Mais  ce  n' eftoit  pas  lors  en  ce  pair  glorieux 
Seulement  que  le  Ciel  fe  rendroit  enuieux 
De  leur  gloire  &  haute ffe  en  Vvne  &  Vautre  terre. 
Soit  deuant,  foit  après  leur  decennalle  guerre, 
Aux  vaincus,  aux  vainqueurs  le  Ciel  ialoux  ofta 
Ce  que  la  terre  aux  deux  de  plus  grand  enfanta  : 
Comme  fi  la  hauteffe  enfemble  &  la  ruine 
De  Troye  euft  courroucé  la  hauteffe  diuine. 
Et  que  Vvne  euft  eftéfur  les  vaincus  ainfi 
Punie,  comme  Vautre  eftrangement  auffi 
Le  fut  fur  les  vainqueurs,  qui  dans  leurs  propres  portes 
Les  haines,  les  fureurs^  &  les  hontes  plus  fortes 
Trouuerent  que  deuant  les  Pergames  Troyens. 


276  LES    DlSCOVRS 

Tr/moinfoit  le  grand  chtfdts  cAcJS  Pelafgiens. 
Ct  Roy  Afyceiiieu,  que  l'inique  adultère 
Fît  mourir,  adioufiant  la  mort  au  vitupère: 
Tefmoin  ce  Roy  qui  fut  par  tUmpudicilé 
De  fa  femme  contraint  d'aller  vne  cité 
Fonder  en  terre  ejfrange  :  ainji  lors  l'outragée 
Venus,  iecroy,  rendait  fon  llium  vangee. 
Ht  quoy  des  durs  trauaux  d'Vlyffe  errant  dix  ans? 
Quoy  de  l'un  des  Aiax  que  les  Caphareans 
Rochers,  qu'alors  les  mains  de  Neptune  dardèrent 
Sur  fan  chef  dans  la  mer  en  paffant  accablèrent? 
Quoy  de  tant  d'autres  Grecs  iufques  à  Pyrrbe  encor, 
Qui  long  temps  ne  garda  VAndromaque  d'Heàor? 
Et  mefme  auant  le  fac  ce  pié-leger  Achile, 
Luymefme  occis  laiffa  fes  cendres  dans  la  ville 
Qu'on  vouloil  mettre  en  cendre  ;  S-faudain  après  luy 
Au  débat  qu'on  fit  lors  des  armes  d'iceluy. 
L'autre  Aiax  de  fa  main  arracha  fon  feruice 
Etfavie,  aux  ingrats  Grégeois  fauteurs  d'Vlyge. 
Quant  auxjbrcej  Troyens,  pourrait  ou  bien  vn  lac 
Defang,  vn  mont  de  cendre,  exprimer  en  tel  fac. 
Tant  defang  que,  te  cray,  le  vainqueur  vint  efpandre, 
Qu'efteindre  il  en  eufi  peu  les  feux  qu'il  fit  efpandre. 
Au  double  dejlin  donc  lupiter  courroucé. 
Comme  on  peut  feindre  encor,  femble  fefire  pouffé 
D'vne  part  en  grand  haine  S  fentence  cruelle, 
Puis  enpitié  de  voir  perdre  en  tout  grandeur  telle. 
Et  d'autre  part  au  trifie  enuoy  de  tous  malheurs, 
Aufoudain  contrepois  des  aifes  aux  douleurs^ 
Des  lauriers  aux  cyprès,  des  gloires  aux  diffames. 
Et  des  fiâmes  de  Troye  à  leurs  lugubres  fiâmes, 
S'ils  en  ont  eu  Vhonneur  :  car  des  Dieux  le  deflin 
Qui  ne  doit,  fils  font  Dieux,  que  tendre  à  iufie  fin, 
Preuoyans  &  fbrce^  fans  force  aux  pouruoyances , 
A  double  faute  auoyent  prefcrit  doubles  vengeances. 
Au  moins  comme  euffent  peu deuiner  tous  ces  vieux, 
Oui  tous  effets  fondoyent  au  confeil  de  leurs  Dieux. 


DE    IVLES    CESAR. 


277 


Les  Dieux  pouuoyent  fleurer  dés  long  temps  Vobftinee 
Et  faulfe  aigreur,  non  pas  du  ciel  à  nous  donnée, 
Mais  par  Vimpurité  de  nature,  qui  lors 
D*eux  mefme^  &  dedans  eux^  &pour  eux  tant  de  torts ^ 
De  maux,  d*enormite:{,  feroyentfortir  enfemble, 


TOMBEAVX" 

A   L'OMBRE   DE  M.    SIMON. 
l'archer. 


Aux  Mu/es  par  les  vers  de  l'A/crettn  Poète, 
Vn  M  arc  proprement  Je  voit  accommodé. 
Qui  de  leurs  miiiits,  au  haut  du  Parnajfe.  bandé, 
Dtccche  en  l'vniuers  mainte  doâe  fagette. 

Tel  arc  aux  grands  efpritspar  les  Mufesfe  prefte. 
Ses  traits  font  les  renoms,  de/quels  on  eft  guidé 
Par  exemple  à  vertu.  Mais  il  faut  ejlre  aidé 
Pour  fçauoir  en  vifant  tirer  comme  onfauhaite. 

Tu  peusfuiuant  ton  nom  ifvn  tel  arc  eJlre  archer, 
Mais  tu  n'euî  tel  plaijir  à  fi  bien  décocher, 
Comme  à  bien  adextrer  à  tel  arc  la  ieuneffe  : 

Q)iï  f  efforce  à  t'en  rendre  à  cefte  heure  vn  loyer. 
Voulant  de  ta  mémoire  au  Ciel  mefme  enuoyer 
La  flèche,  qui  du  dard  de  la  Mort  fait  maiflrejfe. 


A    LOMBRE   MESME. 


Si  plus  lojl,  cher  Efprit  Paternel,  Nom  fou  gendre 

Et  ta  fille,  n'auons  payé  le /ainâ  deuoir, 

Qiie  dés  longtemps  pouuoit  par  nos  mains  receuair 
Enpieurs,  enfeurs,  en  vreus,  en  prières,  la  Cendre, 

Noftre  deuoir  pourtant  moindre  ne  fen  doit  rendre  : 
Nom  fçauions  Ion  merile  auoir  bien  cepouuoir 
De  faire  à  Ion  renom  quelgue  mémoire  auoir. 
Si  ce  merile  l'fi  iour  fe  pouuoit  faire  entendre. 

La  mémoire  gui  doit  vn  fort  long  temps  durer, 
Nefe  perd  pour  fe  voir  quelque  peu  différer, 
Pourueu  que  Ion  luy  dreffe  en  fin  vn  cours  qui  dure. 

Si  au  fainâ  payement  que  nofire  deuoir  fait, 
A  nofire  affeaionfegalle  nofire  effet. 
Du  deuoir  différé  lu  prendras  longue  vfure. 


RESLE.     1 


PERONNE  LE  GR! 


Par  trois  fortes  de  vraye  &  fainSe  pieté. 

Qui  font  enuers  mon  Dieu,  mon  pays,  &  mon  père. 
Fut  le  cours  de  mes  ans  {en  vnfiecle  impro/pere 
D'une  mort  qui  n'ejl  point  impro/pere)  arrejté. 

le  voyoy'  la  nouuelle  S  fauife  impieté 

Prejle  à  bannir  la  foy  que  diuine  on  reuert  : 
le  croyoy'  ma  pairie  àbyfmer  en  mifere  : 
le  croyoy'  à  mon  père  vn  maffacre  apprefté. 

Si  grand'  ardeur  enfin  me  rendit  froide  &  bleftne  : 
Veu  ces  malheursmamort  me  fui  vn  grand  heur  mefme: 


TOMBEAVX.  281 


La  patrie f  &  le  père  en  mémoire j  &  deuoir 
Sepulchral  wC ont  payée  :  Et  Dieu  le  feul  falaire 
Des  ChreftienSy  tant  au  Ciel,  comnC  enfoy  nCapeu  faire 
Et  plus  vraye  patrie,  &  plus  vray  père  duoir. 


A    l'esprit 


DE  M.   LE  COMTE  DE  BRISSAC, 

Tué  devant  Muiïidan. 


Cher  efprit,  non  à  moy,  non  aux  tiens  feulement. 
Mais  à  ton  fiecle,  auquel  tu  fus  grand  ornement  : 
Puis  qu^à  moy,  puis  qu^aux  tiens,  fe  rauit  ta  prefence, 
Et  que  ton  Jiecle  en  toy  perd  fi  haute  efperance  : 
Puis  que  ta  Jby^  ton  Roy,  ton  cher  pays  auffi, 
Qfte  tous  trois  d*vn  tel  cœur  tu  fouftenois  ici, 
Mettant  pour  eux  telle  ame  ardente  &  forte,  &  belle ^ 
Ont  veu  ton  corps  mourir  premier  que  leur  querelle  : 
Puis  que  tu  Ves  fi  toft,  non  en  genre  de  mort. 
Mais  en  cœur^  en  vaillance,  en  addreffe,  en  effort, 
Drejfé  dedans  le  Ciel  la  mefme  trace  heureufe 
Qfte  de  ton  père  Pâme  accorte  &  valeur eufe 
S*eftoit  tracée  auant  :  puis  que  moy  qui  Vauois 
Pris  entre  les  hauts  noms,  que  chanter  ie  deuois, 
I^ay  pour  toy  que  ces  pleurs,  &  ce  chant  qui  regrette 
De  né  fe  faire  ouir  qu^à  ta  cendre  muette  : 
Qfi*ores  le  Ciel  au  moins  ne  me  puiffe  nier 
De  f  honorer  pour  tous  de  quelque  honneur  dernier. 
Au  cœur,  qui  non  flateur,  mais  haut  &  franc,  honore, 

i8» 


3ti:t  lOHBEAVX. 

Craift  l'ardeur  d'honorer  après  la  mort  encore. 
Si  ma  vùix  ne  prend  vol  iufqu'â  toy,  fait  permis 
Qu'au  lieu  de  toy  pour  loy  nCenlendent  tes  amis. 
Qu'vne  voix  naiffe  en  moy,  que  fans  fin  puiffe  entendre 
Et  ce  fiecte  &  roui  autre:  en  moy  te  faifant  prendre 
De  tajoy^  de  Ion  Prince,  S  de  ta  France,  vn  don, 
Qui  fait  de  ton  deuoir  vers  ces  trois  vn  guerdun. 
Ou  bien  fi  des  Héros  la  âmes  demeflees 
De  fens  charnels  &  lourds,  &  iufqu'à  Dieu  volées, 
Kous  oyent  de  tant  haut  :  fi  ma  voix  pénétrant 
Par  fa  puiffante  ardeur,  va  iu/qu'au  Ciel  entrant. 
Qu'elle  au  lieu  de  mouvoir  leienfers  bas  & /ombres, 
Tire  pour  ce  feul  coup,  non  (comme  an  dit)  les  ombra. 
Mais  les  deux  clairs  efprils  (au  Ciel  ce  croy  ie  enclos) 
De  ton  Père  S  de  loy  :  car  en  Ion  los/on  los 
Par  ta  vie,  S  ta  mort,  prend  auffi  bien  croijfance. 
Qjt'oresfon  efprit  prend  au  tien  refiouijfance, 
Qji'efprife  elle  vous  fajfe  appréhender  de  prés 
Ce  qu'il  faut  que  de  toy  Ion  appréhende  après, 
C'ejl  que  ta  mort  apporte  heur  S  malheur  cn/embte, 
El  fait  qu'au  commun  dueil  vn  los  publicqpajfemble. 
Car  c'efi  defafire  iniufie,  &  ivfie  dueil,  de  voir 
Auec  fi  riche  fleur  tomber  fl  grand  efpoir  : 
Mais'c'eft  grand  los,  grand  heur,  d'eflre  mort  de  laforU 
Et  mort  en  France,  auanf  que  voir  ta  France  morte  : 
Qjii  fait  guerre,  ou  foil  paix,  par  eflrange  dejlin 
Se'nbh-  en  faits  &  co,>feih  ne  tendre  qu'à  fa  fin  : 
Si  Dieu  ne  garde  au  moins  que  proye  on  ne  la  voye 
Des  voifins,  f'efiant  faite  elle  me/me  fa  proye. 
Le  temps  de  les  beaux  ans  fait  donques  le  malheur 
De  ta  mort,  &  le  temps  de  nos  malheurs,  fait  Theur. 
Heureufement  fe  perd,  qui  en  la  gloire  aperte 
Se  fauue  de  future  &  de  honteufe  perte. 
Toy  donc  qui  en  mourant  as  cet  heur  de  mourir 
Glorieux,  &  cet  heur  de  ne  nous  voir  périr  : 
Toy,  toy  donc  (par  trois  fois  ie  t'appelle,  ô  Génie 
Bien-heureux,  car  le  coup  qui  te  mit  hors  de  vie 
Vofta  hors  tant  de  maux)  faifant  fortir  de  loy 


TOMBEAVX.  283 


Quelque  voix  claire  &  grefle,  en  brief  confejfe  moy^ 

Que  ta  mort  en  tel  temps  tellement  glorieufe, 

Ne  peult  eftre  qu^à  nous,  non  à  toy^  malheureufe, 

Auant  qWvn.  tel  de/tin  eut  tranfmis  en  ce  lieu 

Ton  corps,  ta  gloire  au  monde,  &  cefte  ame  à  ton  Dieu  : 

{Car  celuy  qui  vaillant  pour  tel  Dieu  perd  fon  ame 

La  regaigne  auec  luy)  de  viue  &  prompte  flame, 

D^e/poir,  de  hardiejfe,  &  de  dejfeins  bouillans. 

Propres  à  tes  faueurs,  à  ton  fiecle,  à  tes  ans. 

Ton  corps  fentoit  dansfoy  remplir  fon  ame  enclofe. 

Qui  las  ne  penfoit  pas  Jbrtir  fans  plus  grand^  chofe  ! 

Tu  ne  tachois  alors  fors  qu'en  te  hafardant, 

Aller  à  ton  nom  Grec  tes  beaux  faits  accordant  : 

Ainfi  que  né,  nourri,  exercité  pour  eflre 

Nqfire  Lyon,  tu  fis  {Ttmoleon)  paroiflre 

(Prefque  enfant)  ton  grand  cœur  en  Piedmont  :  &  Lyon 

Te  veit  de  Lyonceau  te  monftrer  vn  Lyon, 

Depuis  en  tant  d^exploits,  &  mefme  en  cefle  guerre 

Dernière,  quand  Mouuans  vaincu  mordit  la  terre  : 

Apres  à  las^eneuil,  à  Congnac,  oit  le  chef 

Des  ennemis  trouua  le  loyer  du  mefchef  : 

Mefme  en  tant  d'autres  lieux  quHci  ie  te  veux  taire. 

Tu  fis  bieny  &  te  tins  touftours  prefï  à  mieux  faire  : 

Voire  &  de  Muffidan  deuant  le  mur  fatal, 

Qiii  aux  tiens f  qui  à  tous,  plus  qu^à  toy  fit  de  mal  : 

Sans  ceffe  ardent  de  faire  en  accorte  entreprife. 

En  efcarmouche,  fuite,  imbofcade,furprife. 

En  rencontre,  en  bataille,  enfiege,  &  en  affaut, 

Tout  ce  que  tufentois  digne  de  ton  cœur  haut, 

Duferuice  dû  Roy,  de  la  iufïe  querelle 

Qfii  du  Roy,  qui  de  Dieu  porte  le  droit  en  elle  : 

Veillant,  fondant,  cherchant,  fans  que  Vajfeâion 

Se  peuft  vnfeul  moment  depeftrer  d^aâion. 

Mais  alors  tu  croyois,  fans  pourtant  la  mort  craindre, 

Qfie  c^euft  efté  malheur  pour  toy,  de  voir  efleindre 

Si  tofi  fi  rare  vie.  Or''  m^ ayant  entendu 

A  toy  nous  conférant,  &  dans  les  deux  rendu 

Plus  pur,  tu  vois,  tufens,  tu  crois  toute  autre  chofe. 


Va,  reuale,  S  ton  père  auecq'  toy  :  puis  repofe 
Pour  iamais  auec  luy  :  nous  laiffant  pour  iamaîs 
Auatil  que  reuoler,  vos  deux  noms,  &  «os  faits  : 
A  moy,  qui  mieux  orner  les  veux  ailleurs  encori 
A  Vvniuers,  qui  mieux  les  oye  &  Us  honore. 


SVH     LE    TRESPAS 

DE    lEANNE    DE    LOYNES. 

Demo'-i"xin.  Ce-"-      ,  Orphée,  jEnee,  ont  fait 

■>cris,  d'Eurydice,  S-  de  Creufe, 
\s  regrets,  félon  que  l'amoureufi 
firoitplusou  moins  fon  effeâ. 
JW  orts  ont  tous  pre/que  forfait  : 

II  .  hyllis  par  attente  angoijjeufe, 

i  c  cris  en  ta  vallée  vmbreufe, 

L  tiers  fa  grandperte  refait. 

yCn,  ;il,  &  moins  de  faute,  encore 

Ni       \ja>  foupçon.  Le  dueil  qui  le  deuorc 

("      tU  t  ou  faute,  ou  mort  Jbrcee  eùr^fi 

Moi        '  qt  \uoit  à  vojire  couple  heureufe 

Ceaer  Fnyiiss,  rrocris,  S  Eurydice,  S  Creufe, 
Demophoon,  Cephale,  Orphée,  jEnee,  auffi. 


A    M.   SOREAV-SON    MARY. 


Qu'vn  paffant  nefeflonne  en  voyant  tant  d'efpritt 
Si  rares,  tefmoigner  ta  douleur  iufte,  &  forte. 


TOMBEAVX.  285 


Monjtrant  qu'à  Vamitié  qu^aux  vertueux  on  porte, 
Plus  que  les  grandeurs  touche  aux  efprits  mieux  apris. 

Me/mes  ton  dueil  (Soreav)  d*amour  extrême  eft  pris. 
Vray  fuiet  de  nous  tous,  puis  ta  face  aujfi  morte 
Qjie  ta  morte  moitié,  puis  ton  pleur  en  la  forte 
Nous  efprant,  qu^on  peut  efire  en  cas  fi  rare  épris,   v 

Orphée  en  repleurant  fa  moitié  reperdue 
Efmouuoit  à  fa  perte,  à  fa  plainte  entendue,  ' 

Les  rochers  lefuiuans,  les  befies,  &  les  bois. 

Toy  les  Orphées  mefme  efmeus  à  ta  trifteffe. 
Qui  pour  toy  fi  le  Ciel  n^enfermoit  ta  maiftreffe, 
De  la  mort  &  d*enfer  romproyent  encor  les  loix. 


II 


Tout  ce  qui  peut  plus  nuire  à  V amour  coniugalç, 
La  mort,  le  temps,  Voubli,  la  haine,  auoyent  vn  iour 
Confpiréfus  voftre  afpre ,  &  ferme,  &fainÛ  amour. 
Tant  que  la  mort  pour. toy  hafta  Vheure  fatale  : 

Mais  le  temps  trompé,  donne  à  telle  ardeur  loyale 
Mémoire  au  lieu  d^oubli  :  L'oubli  donc  à  fon  tour 
En  f*  efforçant  fe  trompe  :  Enfin  la  haine  autour 
.De  mon  cœur  vient  verferfa  poifon  fufiale  : 

Son  venin  la  déçoit,  qui  méfait  bien  fuir 
Les  bois,  la  court,  le  monde,  ains  moymefme  haïr, 
Mais  de  V effort  contraire  amour  fa  force  excite. 

Comment?  la  mort  par  dueil  me  rend  mort  comme  toy, 
La  mortfe  trompe,  Icy  la  Mufe,  au  Ciel  la  foy. 
En  Vvn  Vautre  V Amour  tous  deux  nous  refufcite. 


DE   M.    BOVRDIN 

■■R  GENERAL    DV   ROY    aV    parlement 


1  chef  qui  courbé  Irauailtoil 

nds  dons,  dont  le  ciel,  la  naturt, 
mblépour  tout  bienqu'onproairt 
lu  Roy,  fans  relâche  veilloit. 
1,  Jans  ceffe  fontmeilloit 

ux  paris,  alors  que  pour  la  cure 
I        fin  lous  ces  dons  efueilloît. 
u'tn  vue  apoplexie 
tmeurs  qvi  efiouffafa  vie, 
rt  des  mouuetntns  vitaux  : 
B(  des  puiffances  de  famé, 

la  les  efpriis  &  la  fiatt 


L'AME   DE    M.    DESPENCE. 


En  ce  fiecle  aueuglé,  par  celejle  doârine. 

Par  voixfain^e  S  publique,  &  par  maint  doâe  efcril, 
Par  tout  injigne  exemple  embraffer  lefus  Chrift, 
Cefi  le  remède  heureux  du  malheur  qui  domine. 

Ame  heureufe,  tu  as  à  la  lettre  diuine 

Confacré  lous  les  ans,  plein  du  diuin  efprit  : 
Long  temps  lu  as prefché,  tu  as  maint  liure  efcril. 


TOMBEAVX.  287 


OÙ  Veffort  de  raifort  Veffort  d*erreur  ruine. 

Mais  de  ta  vie  encor  Vexemple  tu  paffas 

En  ta  mort,  quand  la  Croix  d^vn  tel  !(ele  embraffas, 
En  vn  temps  où  V erreur  contre  la  Croix  pirrite. 

Doncq*  comme  acquis  ici  par  doârine^  par  voix, 
Par  efcrits,  los,  .&  fruit,  &  renom,  tu  auois, 
La  Croix  faquiere  au  Ciel  de  la  Croix  le  mérite. 


DE    M.    DE   MONTSALEZ. 


l'ombre. 


l 

Suy  donc,  Paffant,  &  ly  :  Cet  immortel  flambeau 
Qu*ardent  dedans  fa  main  tient  la  Pieté  fainde, 
OeftPinftinâ,  c^eftVamour,  dont  noflreame  efl  contrainte 
A  tout  grand  œuure  iufle,  &  noble,  Sfainû,  &  beau. 

Et  ces  fleurs  qu^elle  auffi  refpand  fur  maint   tombeau, 
Oeft  vn  deuoir  auquel  les  Vertus  Vont  eflreinte  : 
Ce  vafe  c^eft  le  los,  les  mérites,  la  plainte, 
Et  les  vœus,  qui  toufiours  refument  de  nouueau. 

Ce  qui  eft  propre  à  moy,font  ces  Enfans  qui  tiennent 
Ces  flambeaus  contre  bas,  parlefquels  ils  f  apprennent 
Qji^ainfi  ma  vie  efleinte  en  la  mort  a  eflé. 

Mais  croy  qu'vn  iour  la  gloire  &  mémoire  immortelle 
Leur  fera  r^allumer  ma  vie  encor  plus  belle, 
A  Vautre  ardent  flambeau  que  tient  la  Pieté. 


II 


La  Pieté]  qui  plus  aux  autres  Vertus  meine, 
Qui  plus  meine  à  la  gloire  &  mémoire  ces  trois, 


Nascctar3,«oifaits,nùsnonis,finiiceffepourfesdroits, 
SoytutdiuiijSi/oient  humain», nous  r'appelleàlapeîne: 

Notis  armant,  quant  l'erreur,  ouquand  l'orgueil  Jorcene 
Contre  Dieu,  S  qu'il  blejfe,  ou  qu'il  Jbulte  nos  Rois, 
Nos  pais,  nos  amis,  nos  parens  :  Cér  des  loix 
Et  lien  de  ces  cinq,  tout  braue  cteurfe  peine. 

Pour  tous  les  cinq  Pay  fait,  facrant  aux  trois  premiers 
Mol)  fang  à  eux  vodé,  laiffant  aux  deux  derniers 
L'ai/eS-l'heurde  mon  los  :  Mais  tous  cinq  m'en  guerdounenti 

Dieu  les  deux  m'a  donner,  S  mes  Rois  les  honneurs, 
Mon  pals  la  toùange,  S  mes  amis  les  pleurs, 
Mes  pareas  ce  fepiilchre  avec  les  pleurs  me  donnent. 


DE    M.    D'ALLVYE 


SECBET*IRE    D  ESTAT. 


De  mon  aj-eul  le  ne 

Ce  furnom,  RoBKHTET,e^  le  nom  de  ma  race, 
leune  ie  fis  ma  fleur  louer  de  mainte  grâce  : 
Secrétaire  d'EJlal  d'vn  Roy  Charles  ie  feu  : 
Sur  tout  Paimay  Pune,  *  pour  femme  ie  l'eu, 
Qjii  feule  en  moy  le  tort  fait  par  ma  mort,  efface  : 
Car  bien  que  Ion  rauijfe  à  fon  tige  vne  fleur. 
L'eau  dans  vn  vafe  peut  maintenir  fa  couleur  : 
Mais  cefle  eau,  qui  aux  yeux  de  ma  Piane  abonde, 
Fait  bien  plus  :  car  méfiée  auec  l'éternelle  onde 
D'Helicott,  m'arrofant  S  ranimant  toufiours. 
Dans  ce  vafe  mortel  fait  reflorir  au  monde 
Mon  nom,  monfang,  mon  los,  ma  charge,  Smesamours 


TOMBEAVX.  289 


POVR  LE  TOMBEAV  DE  M.  THEVET, 

COSMOQRAPHR     DV    ROY. 


Le  grand  Moteur  du  Ciel  &  Nature  féconde^ 
Pour  en  vn  feul  fuiet  faire  voir  en  ce  monde 
Comme  eft  grand  leur  pouuoir,  réduit  en  fon  effet, 
jyvn  accord  accompli  Thevet  auoit  parfait. 
Le  Ciel  la  plus  belle  àme  en  fes  beaux  feux  choifie 
Emprunta  pour  ici  luire  vne  belle  vie  : 
Et  Nature  choijit  fes  plus  riches  threfors. 
Pour  ce  beau  don  du  Ciel  loger  en  digne  corps, 

Ainfi,  le  faind  honneur  du  Ciel  &  de  Nature 
Fut  découùert  çà  bas  en  vne  créature. 
Qui  d'efprit  &  de  corps  tefmoigna  la  grandeur 
De  Ja  forme  &  matière,  &  de  fon  créateur  : 
Car  toutes  les  vertus  qui  Vefprit  enrichiffent, 
Et  toutes  les  beauté^  qui  le  corps  embelliffent, 
Les  fciences^  les  arts,  la  fainâe  pieté, 
La  grâce,  la  vigueur^  &  la  dextérité, 
Feirent  eftre  cefte  ame  vn  diuin  exemplaire, 
Etfeirent  que  ce  corps  onques  nefceut  déplaire 
Qu'à  fon  ame,  qui  n'eut  autre  obiet  pour  penfer, 
Qjte  celuy  quipourroit  à  fon  ciel  la  hauffer. 

Comme  le  corps  pefant,  qui  forcé  dans  Vair  entre, 
Bien  tofl  courbe  fa  voye,  &  rechetfur  le  centre  : 
Ainfi  le  feu  léger  longuement  ne  peut  pas 
Contre  fon  naturel  demeurer  ici  bas, 

Auffi  cefïe  belle  ame  eflant  au  corps  forcée^ 
D'ordinaire  defir  contre  le  Ciel  pouffee, 
Impetrapar  VeffeQ  d^vne  viue  oraifon, 
Defortir  de  ce  corps^fa  mortelle  prifon  : 
Autour  duquel  ici  autre  chofe  ne  refle 

lodelle.  ~  II.  iQ 


290  UANTIQVE    CHRESTtEN. 

Qu'vne  image  de  mort,  à  fes  amis  moUfie  : 
Kt  de  tant  de  vertus  n^eft  demeuré,  Jinon 
Vne  glaire  immortelle,  S  vn  illuflre  nom. 
Qui  if'uiT  vol  empenné  de  Romaine  parolle 
Par  le  difert  Thevet  court  Vvit  &  l'autrepole, 
Pendant  que  l'ame  au  Ciel  iouît  d'vn  doux  repos. 
El  mollement  la  terre  ici  couurefon  corps. 


CANTIQVE    CHRESTIEN. 


O  grand  Dieufouuerain,  dont  la  diuinilé, 
Chreftieni,  nous  adorons  deffous  ti-tple  vnité, 
Qui  as  pour  ton  palais  cejie  voujie  etkeree. 
Où  des  Anges  tefert  la  troupe  bienheuree  : 
Qui  Jbrmas,  tout-puijfant,  le  grand  tour  fpaeicux 
De  ce  diuin  chef-d'auure  admirable  à  nos  yeux  : 
Qfii  tournes  d'vn  clin  d'ail  cejle  grand"  maffe  ronde. 
Qui  lances  de  ta  main  le  foudre  par  le  monde. 
Pardonne  nous,  Seigneur,  S  nos  peche^  lauant. 
En  ta  iufie  fureur  ne  nous  va  pour/uiuanl. 
Que  fi  tu  mets  nos  faits  en  égale  balance. 
Et  veux  à  la  rigueur  condamner  nojlre  offenfe, 
Qui  pourra  fupporier  le  terrible  courroux 
De  ce  grand  Dieu  viuant  animé  contre  nous  ? 
Rien  nefe  fauuera  de  ta  fureur  diuine, 
Non  pas  mefme  du  Ciel  l'éternelle  machine. 

Car  où  efi  celuy-là  qui  ne  f oit  criminel 
Parfon  propre  péché,  ou  par  l'originel? 
Mais  bien  lu  es  celuy  Dieu  facile  S-  ployable, 
Qjii  es  également  S  iufte,  &  pitoyable  : 
Qtti  donnes  le  loyer  plus  grand  que  le  bien  faiû. 
Et  la  punition  moindre  que  le  forfait  ; 


CANTIQVE    CHRESTIEN.  29 1 

Aujfi  ta  pieté  nos  offences  furpaffe  : 
Et  donner  au  non  digne  eft  digne  de  ta  grâce. 
Bien  que  dignes  affe\  nous  nous  pouuons  nommer. 
Si  dignes  tu  nous  fais^  &  nous  daignes  aimer. 

Doncques  regardes  nous  de  tes  x^''^  Pitoyables, 
Soit  comme  feruiteurs^  oufoit  comme  coulpables  : 
Coulpables  jommes  nous,  fi  ta  feuerité 
Regarde  feulement  à  noftre  iniquité  : 
Mais  fi  tu  as  égard  à  la  noble  nature 
Dont  tu  nous  as  ome^/ur  toute  créature, 
Sire^  nous  Jommes  ceux  qui  de  création 
Te  fommes  feruiteurs  &  fils  d'adoption, 
Dontj  helasi  d'autant  plus  coulpable  eft  noftre  race. 
Nous  ayant  le  péché  priue:^  de  cefte  grâce  : 
Mais  par  la  grâce /oit  le  péché  furmonté. 
Et  croijfe  en  nos  forfaits  V  honneur  de  ta  bonté. 

Carfoit  que  ta  fagejfe,  ou  foit  que  ta  puiffance, 
Vueille  autrement  de  foy  nous  donner  cognoiffance, 
Uhonneur  de  ta  bonté  eft  trop  plus  grand  en  nous  : 
Et  ceft  Amour  là,  Sire,  eft  aimable  fur  tous. 
Qui  a  peu  lefeigneur  du  Ciel  faire  def cendre^ 
Et  les  membres  de  Dieu  deffus  la  croix  eftendre 
Pour  louer  nos  peche:^,  par  Vonde  &  par  lefang. 
Que  lefir  inhumain  fit  for  tir  de  ton  flanc  : 
Ainfi  ta  pieté  &  ton  amour  (o  Sire) 
Fait  que  vainqueur  du  mal  noftre  bien  fe  peut  dire. 

O  amour,  6  pitié  foigneufe  de  nos  biens, 
Q^i  férue  de  tes  ferfs  t'es  faite  pour  les  tiens  : 
O  amour  y  6  pitié  de  nous  mal  recogneué, 
Que  nous  auons  quafi  par  nos  peche:^  vaincue, 
Fay  que  de  ton  amour  la  violente  ardeur 
Vers  toy  puiffe  ef chauffer  noftre  lente  froideur  : 
Affranchi  nous.  Seigneur,  de  V odieux  féru  ice 
Qui  nous  a  fi  long  temps  fait  efclaues  du  vice  :       * 
Efteins  en  nous  Vardeur  de  noftre  vain  plaifir^ 
Et  fay  de  ton  amour  croiftre  en  nous  le  defir^ 
A  fin  qu'ayant  parfait  le  cours  de  noftre  vie. 
Lors  que  deuant  fon  Roy  Vamefera  rauie 


SONNETS. 


De  ton  partage  heureux  iouiffant  a 
Tu  lux  fois  eomme  père  &  non  pas 


SONNETS. 


A    LA    ROYNE    MERE. 


I. 

(  de  Toy,  de  les  enfans, 
I  amis  de  vertu,  tant  qu^il  faille 
lusfeulsfe  caafaçre,  &  qu'elle  aSlt 
t  noms^  vos  heurs,  vos  faits,  vos  rdnp; 
■  cercher  les  dons  plus  grans, 
ux  &  rare  afpeâ  du  ciel  te  bailli, 
•e  Enuie  &  Fortune  bataille, 
enkeurant,  le  beau  Jil  de  tes  anK: 
Ftray  çercnei  tci«  ifUe  tu  as  d'auai^tage. 
De  nourriture  &  d'art,  de  confeil,  S  d'vfage. 
N'oubliant  l'heur  receu  du  feu  Roy  ton  feigneur. 
L'heur  auffi,  qui  de  Rois,  S  Roynes  te  fait  mère  : 
Mais  ft  vaincre  tupeux  noftre  Erreur  &  Mifere, 
le  mettray  ce  pris  double  au  plus  haut  de  ton  heur. 


C'ejloit  grand  bien  {encor  que  la  crainte  ou  contrainti 
Tait  peu  mefme  à  bon  droit  tel  vouloir  efbranler) 


SONNETS.  293 


Que  tu  voulais  toufiours  entre  nous  rappeller 

La  Paix,  bannie  helas!  par  ardeur  fainâe  ou  feinte  : 

Que  tu  as  fans  en  rien  fefpargner,  &fans  crainte 
ly  aucun  hafard,  pomlm  peiner  ^fonder,  aller 
Deçà  delà,  mander,  deffeigner,  &  parler 
Tant  bien,  pour  par  raifon  rendre  Vardeur  éteinte, 

Oeft  grand  bien,  nonobflant  tant  defang^  tant  d*horreurs, 
lufte  amende  payée  à  Dieu  pour  nos  erreurs, 
D*auoir  en  fin  pourtant  eftouffé  la  grand^fiame. 

Et  mefme  defaigri  la  playe  frefche,  auoir 

Tout  fermé,  tout  couuert:  mais  c'eft  tout  de  pouruoir 
Qu'vn  mal  caché,  couuert,  ne  fe  r^ouure  &  renflame. 


m 


Tu  n^ as  pas  feulement  de  nqftre  Paixfouci, 
Soit  pour  Vauoir  bien  fceu  rechercher^  &  bien  faire. 
Soit  pour  la  preferuer  du  trouble  f on  contraire. 
Mais  noftre  guerre  en  main**  tu  as  pris  tout  ainfi  : 

Penten  guerre  licite,  &  non  celle  quHci 
Vn  mal  d^efprit  a  peu  finiflrement  attraire. 
Pour  du  lien  commun  d'vn  feid  Dieu  nous  diflraire, 
D*vnfeul  Chrifl,  dCvn  feul  Roy,  d'vnfeul  pais  auffi. 

Le  Haure  oii  ton  aduis  tout  feul  pouffa  V armée ^ 
De  ton  coeur j  de  ton  heur,  de  ton  droit  animée, 
Lesfoldats  enflamme^  &  guerdonne\  par  toy: 

Les  bleffe:(  recueillis,  le  lieu  que  tu  ordonnes, 
Oit  la  vie  honorable  après  V honneur  leur  donnes  ^ 
Monftrent  que  nous  auons  en  vne  Royne  vn  Roy. 


A    MONSIEVR" 


Du  Croiffant  de  Henrï  toutes  les  autres  parts 
Ne  dcunyent  pas  fous  luy  remplir  leur  fitrme  rouie  - 
Cefte  mcrque  par  qui  pentend  le  rond  du  monde. 
Se  gardai!  à  ta  race  iffué  d'vn  tel  Mars. 

Fra  nçois/oudain  mourut  .-Ciiahi.es  hors  des  kafards 
Et  troubles,  doit  régir  fa  France  en  tout  féconde: 
Aleïandbk-Edo  VA  RD  doit  pour  fa  part  féconde 
S'aller  pouffer  au  rang  des  Anglais  Kdovahds  ; 

C'cyï  ton  fcepire  premier,  mon  vers  ejl  prophétique, 
L'vn  de  tes  noms,  le  tort,  Vaccafion  Vy  pique, 
Que  ce  mien  vœu  lefoit  vn  vueil  continuel. 

Puis  excité  du  nom  d'Ai.EXAHDti¥,à  Ion  Jrere 
Aidant,  tous  deux  aidej  du  tiers  dejlin  profpere 
D'vn  Hbbcvle,  comble^  le  Croiffant  paternel. 


A   MONSEIGNEVR    LE    DVC**. 


Tu  es  feut,  que  ie  penfe,  en  tout  le  fang  des  Rois 
Tes  aj-eulx,  qui  as  eu  (non,  ie  croy ,  fans  pref âge 
D'heureux  S  grand  defiin  de  grand'  force  S  courage) 
Le  nom  ij'Hehcvle,  auquel  prendre  vn  patron  tu  dois. 

Sois  donc  premièrement  noftre  Hercvle  Gaulois, 
A  ta  langue  eiichaifnant  les  peuples  de  cet  âge. 
Par  leurs  oreilles  pris,  &  liej,  d'vit  langage 
Plein  du  doux  miel  d'honneur,  de  vertus.  S-  de  loix. 


SONNETS. 


29D 


Cet  âge  en  a  befoin.  Puis  comme  Hercvle  domte 
Tout  rebelle,  &  tout  monftre  exécrable  furmonte, 
Afferuantj  nettoyant,  pacifiant,  tous  lieux^ 

Où  tes  frères,  parens,  allie:{,  &  toymefmes 
Regnere:ç  :  pour  après  tous  les  labeurs  extrêmes, 
Du  rang  des  Rois,  te  mettre  enfin  au  rang  des  Dieux. 


ODE   DE  LA  CHASSE" 


En  qiioy  mefen-ie  ores  pouffer 
Dans  ce  bois,  remerquant  les  places 
Où  ie  l'ay  veu  ces  iours  ckajfer 
(Sire]  ejlantpre/ent  à  tes chaffes? 
Sus  quitton  nojlre  Lyre,  allon 
Quêter,  chaffer,  pourfuiure,  ô  Mu/e, 
Suy  mor,  Deeffe,  &  ne  refufe 
D'imiter  to»  frère  Apollon  : 

Qjii  bien  fovuent  ayant  fonné 
Des  Dieux  la  gloire,  &  la  nature, 
Et  du  grand  Monde  façonné 
Par  eux  la  cau/e  &  la  flruSure  : 
Ou  bien  fonné  les  fiers  Geans, 
Q)ii  par  fon  père  à  coups  de  foudre 
Furent  en  quartiers  &  en  poudre 
Efpars  dans  les  champs  Phlegreans  : 

En  fa  main,  dontji  doâement 
De  fon  archet  fa  Lyre  il  touche, 


ODE    DE    LA    CHASSE. 

Accompagnant  /an  in^rument 
Des  ditiini  accorda  de  fa  boucke. 
Prend  foudaîn  Farc  d'argent,  &  va 
Ckaffer  dam  wii  bols  foUtaire, 
Ou  bien  quelque  moitjlre  deffaire, 
Ainfi  que  Python  il  tua. 

Comme  ce  celejle  fonneur 
le  fonnoy  d'vn  grand  Dieu  les  gloires, 
El  de  mon  Roy  Pheur  ff  l'honneur. 
Attendant  fonner  les  viâoirea 
Tant  d'vn  tel  Dieu  que  d'vn  tel  Roy, 
Sur  ceux  qui  leuent  leur  audace 
Contre  eux:  mais  ie  fens  d'vne  Ckajfe 
L'ardeur  ores  bouillir  dans  moy. 

Dés  Vautre  iour  l'humeur  m'en  print. 
Sme,  enfuiuant  ton  ajfembîee. 
Et  depuis  Pardeur  qui  m'iprint 
Eft  toujours  en  moy  redoublée. 
Non  pas  pour  Jeuleiïint  qutfter 
Beftes  fauues,  noires,  ou  autres,    ■ 
Qiti  repairent  aux  Jorefis  nqflres. 
Mais  pour  d'autres  montres  domter. 

Sans  en/uiure  pourtant  ce  Dieu 

Chaffevr,  S  Harpeur,  S  fana  prendre 
Au  lieu  de  ma  Lyre  vit  ipieu , 
Paime  mieux  ma  Lyre  retendre, 
Et  fur  elle  chanter  fi  bien 
La  chaffe  qu'ores  ie  proieite, 
Qiie  me/me  à  Vœil  ie  te  la  mette 
Pour  le  profit  &  plaifir  tien. 

Car  en  tout  ce  que  i'ay  vouloir 
(Sire)  de  rechercher  ou  faire. 
De  dire,  e/crire,  ouïr,  &  voir, 
La  fin  qui  feule  m'en  peut  plaire, 
Cejt  d'y  pouuoir  auecq'  plaifir 
Prendre  vn  proffit  d'efprit  enfemble  : 
Car  quand  ce  double  fruit  f'affemble, 
C'eft  le  but  parfait  d'vn  de/ir. 


ODE    DE    LA    CHASSE.  299 

Auffi  mefme  en  ce  que  ie  veux 

Offrir  aux  grands^  ie  me  propofe 

De  leur  faire  enfemble  ces  deux 

Cueillir  en  vne  mefme  chofe  : 

Le  plaifir  remuant  les  cœurs 

Leur  attrait  Vefprit,  &  Voreille, 

Et  Vautre  leur  deuoir  éueille 

Aux  confeilSf  aux  faits,  &  aux  moeurs. 
Si  dans  mes  vers  tu  ne  voulais 

Chercher  que  la  fueille  agréable 

Sans  fruit,  Vef cor  ce  fans  le  bois, 

Le  bois  fans  le  fuc  proffitable, 

Paimerois  mieux  te  voir  toufiours 

Baller,  courre,  efcrimer,  Vefbatre 

A  cent  ieus,  &  faire  combatre 

Dans  ta  court  ton  Once  &  tes  Ours  : 
Ou  bien  chaffer,  non  pas  ouïr 

La  Chaffe  quHci  ie  fay  faite, 
'    La  Mujique  outr,  non  iouîr 

D^vne  Mufique  plus  parfaite. 

Par  laquelle  tafchant  chaffer 

A  cor  &  cri  nofïre  manie^ 

le  veux  la  paijible  harmonie 

Faire  à  tesfuiets  embrajfer. 
Ou  bien  Vaymeroy  mieux  te  voir 

Amufer  d'vne  mafquarade, 

Vuide  de  fens  &  de  fçauoir. 

Te  paiffant  de  vaine  brauade  : 

Ou  f  amufer  par  des  bouffons 

De  ce  qui  par  eux  Comédie 

Se  nommerait,  ou  Tragédie,       ' 

Et  des  deux  n*auroit  que  les  noms. 
Pay  le  premier  de  ces  deux  ci 

L^ honneur  en  ta  France  fait  naiftre, 

Qjti  des  Rois,  qui  du  peuple  auffi. 

Deux  diuers  miroirs  fouloyent  eftre  : 

Si  les  premières  n'ont  efté 

Parfaites  pour  mon  trop  ieune  âge  '", 


3oO  ODE    DE    LA    CHASSE. 

le  me  fuis  en  ce  double  ouurage 
Moymefme  depuis furmonté, 
Pay  (pour  n'efloignev  mon  propos) 
Maint  grand  labeur  tafché  parfaire  y 
Pour  ce  bien  du  commun  repos 
Difirait  de  nous,  à  nous  retraire  y 
Tant  pour  domter  Vopinion, 
L^abus,  &  V ardeur  aueuglee, 
Qu*en  la  police  dereiglee 
Chercher  la  reigle  &  Vvnion. 
Mais  fur  ma  Lyre  ie  ne  veux 
Maintenant  chantant  vne  Chajfe, 
Que  dreffer  quelques  petits  vœus 
Sur  le  mal  quHl  faut  que  Ion  chaffe^ 
Et  dedans  mes  vers  rapportant 
LPvne  &  Vautre pourfuitte  &  quefte. 
Faire  que  ce  chant  que  Vapprefle 
Taille  doublement  contentant. 
Car  comme  du  plaifir  Vay  dit^ 
Si  en  cela  que  ie  te  donne 
Tu  recherchois  le  feul  prof/it 
Et  le  maintien  de  ta  couronne^ 
Tu  ferois  mieux  en  ton  royal 
Confeily  arrefié  du  langage 
D^ affaires,  &  du  faind  vifage 
Du  gvaue  &  dode  VHofpital. 
La  leuneffe,  la  Royauté, 

Et  des  Princes  la  nourriture, 
Font  que  toute  feuerité 
Répugne  fort  à  leur  nature  : 
Maisfî  faut'il  qu^ armes  &  loix. 
Honneur,  vertu,  fçauoir,  prudence, 
Fufl-ce  entre  le  fefiin,  la  dance, 
Et  le  ieu,  Rapprennent  des  Rois. 
Vn  Prince  fe  peut  deflourner 
Tant  de  Vamour  que  de  l'eflude^ 
De  tout  ce  qui  peut  plus  Vorner, 
Quefon  fceptre  :  foit  par  trop  rude 


Csmfimme  ni  TufinfCtr-, 

Sat  pttTJtas£.  ïm  ptrsnu  /ni  foMCt 

De  pOÊOtar-  Thmncur  ir^tmt£  en  hauu . 

f  «  jr  amjenunc  daur^r-; 

Par  famie  Àt  miBjlcr  îf  ia 

Et  IcF  ^aàs  mosL.  par  ia  £^à^zn£ 
Se  fàtre  plaire.  &vs»i  àpCM 
IjKyftâre  plszre  la  diMÔnc 
Rsàme  À£  iaaii  hatr  S  bien, 
Fafdkaft  quam  os  la  prvpq^t  i 
Jâais  qui  mtjçait  qu'en  tcaac  chqû' 
Qn  hieu  me  ^aujte  -n'aime  rien  f 

Orfiu  domc  Ssxe   ex-àte  toy 
Bhme  cxmrfe  de  Cerf,  ckamtee 
Briejkemeniy  &  mefme  la  croy 
Vrajre.  &  mom  pas  reprejentet. 
Je  te  TOT  ia  (Snti  afprejté  z 
Car  ayamî  ceJU  maîiuee 
A  la  v<jierie  dommee, 
A  cheaal  m  es  rewtomié. 

Le  buijfom  au  matin  feft  fait. 

Faifant  beanj  revoir  &  cognoifirc. 
Et  qm'm  bon  chien  eftoit  am  trait 
Dans  la  main  d'vn  veneur  adcxtrc. 
Qui  voyant,  iugeant,  defaijanty 
La  nuiû  parlant^  &  faifant  fejic 
Au  chieny  qui  vouloit  de  la  bejfc^ 
Et  toufiours  çà  &  là  brifant  z 

Conduit  tant  jpar  Taffentement 
Du  chien^  que  par  fa  propre  veuc. 
Soit  que  par  le  pied  feurementy 
Le  temps,  &  la  route  il  ait  veuë^ 
QuUl  ait  les  portées,  ou  bien 
Les  foulées,  les  repofees, 
Ou  autres  chofes  aduifees. 
En  fon  meftier  n^oubliant  rien  : 

A  deftouméfon  Cerf,  &  fait 

Son  rapport,  fans  que  les  fumées 


Apporté  dans  fa  trompe  il  ait, 
Pvurce  que  Je  trouuam  formées'' 
Eh  Aouft  3  Juillet  feulement, 
Par  (roches  m  luis,  S  picores 
Par  platteaux  en  May,  du  tout  ores 
Etlesfonl  hors  de  lugement. 

la  drpartisjoni  les  Melaii, 

Ht  pendant  que  moy  d'alnji  dire, 
Toy  d'ainji  m'ouir  tu  te  plaix. 
Nous  fommes  ia  paruenus  (Sihb), 
Au  laijfer-courre,  il  faut  penfei- 
De  piquer  tant  que  tout  lu  voyes  : 
Voila,  le  Veneur  fur  les  voyes 
Tient  fon  limier  prefi  à  tancer. 

Ce  limier  rauoit  tnetié  droit 
A«x  brifees,  tant  il  ejl  fage. 
Puis  a  toujiours  fuitti fon  droit: 
Tant  peut  ta  nature  S  l'vfage 
Les  bejles  tnefine  façonner. 
La  meute  des  chiens  ne  demeure 
Guercs  loin  après,  pour  à  l'heure 
Bien  decoupler  &  bien  donner. 

Ce  Cerf,  pauure  Cerf  qui  caché 
Dans  l'épais  du  buiffon  fe  penfe, 
Oii  ce  matin  l'a  rembufché 
Ce  mefme  limier  gui  le  lance. 
De  fa  vie  enfes  pieds  difpos 
Sefe,  tous  ces  bois  refonnent 
D'VH  long  gare-gare,  &fe  fannent 
Parce  tien  Veneur  deux  longs  mots. 

Tout  foudain  que  ce  lancement 
A  nos  oreilles  Je  vient  rendre. 
On  fait  le  prompt  decouplemeni 
Par  quatre  ou  cinq  longs  mots  entendre 
Toute  ame/epeut  ajferair 
Afesfens:  mais  Pceil,  S- l'oreille, 
Contens  ici,  par  nompareille 
Force  nous  peut  poindre  S  rauir. 


r\ 


ODE    DE    LA     CHASSE.  3o3 

Voy-le-ci  (Sire)  dans  ce  fort, 

Aller  par  ces  portées  me/me  : 

Il  rompt,  il  brife,  il  bruit,  il  fort, 

Et  défia  de  vifteffe  extrême 

Se  court,  fe  preffe  à  cri  &  cor, 

Suiui  de  la  meute  courante. 

Tout  enfemble  après  luy  parlante, 

Attendu  des  relais  encor. 
Tu  vois  ces  prompts  piqueurs  brufler 

D^ ardeur,  &  tantoft  par  bruyères, 

Tantoft  par  fuftay es  voler. 

Par  champs,  par  forts,  &  par  clairières  : 

Des  mots  de  leur  trompe  animans 

Enfemble  les  chiens  &  la  befte, 
,  Et  au  plaifir  de  la  conquefie 

Plus  qu^à  la  proye  penflammans, 
le  ne  m^eftonne  d^  Or  ion, 

Ny  d^ Adonis,  ny  d*Hippolyte, 

Ny  du  mif érable  Aâeon, 

Ny  d^Atalante,  ou  de  la  fuite 

Qpie  Diane  fouloit  mener  : 

Car  ce  plaifir  dompteur  des  vices, 

Paffe  tous  plaifirs  &  délices 

Qui  ne  nous  font  qu'effeminer. 
Tant  que  ceux-ci,  qui  nuià  &  iour 

Menans  leur  vie  chaffereffe, 

Fuyoyent  le  cafanier  feiour, 

Quife  couplant  à  la  pareffe 

Se  fait  Vengendreur  de  tous  maux, 

Outre  leur  déduit  &  leur  quefte 

Auoyent  Vheur  de  la  vie  honnefte 

Pour  grand  loyer  de  leurs  trauaux. 
On  feint  les  plus  forts  Dieux  chajfeurs, 

Ainfi  qu^ Hercule,  &  Phebus  mefme: 

Car  toufiours  la  grandeur  des  cœurs, 

La  force  &  la  Nobleffe  faime 

Aux  chaffes^  qui  peuuent  drejfer 

Beaucoup,  &  maint  lesfçait  bien  faire, 


liuipeul  en  guerre  l'aduerjaire. 
Et  en  paix  tes  crimes  chaffer. 
Mais  retourner  a»  Cer/U/aut, 
Qfii  itvne  longue  randonnée 
Forlongeant,  fait  eflre  en  défaut 
Toute  noflre  meute  ejlonnee  : 
Il  faut  que  ces  chiens  ia  branlans 
Toufiours  en  crainte fe  retiennent. 
Tant  qu'eux-mefme  aux  voj'es  il 
Apres  leur  Cerf  toufiours  allons. 
'   Il  fi  îï  mainlenant 

<i_.  ,.1         aeufoH  âge  apprendre. 
Aux  hu        !  des  bejles  donnant. 
Pour  fai. ,  aux  chiens  le  change  prendre 
Ou  bien  qn  trir  (peul-ejlre)  il  va 
D'autres  I  ;rfs,  que  toufiours  il  chaffe 
Deuantfo_   ,  par  fi  long  e/pace 
Qu'il  face  future  vn  de  ctux  là. 
Ou  n'ayant  qu'vn  feul  Cerf  trouué 
Dedans  fa  repofee,  à  l'heure 
Il  le  chajf'  :  &  d'oiifeft  leué 
Cefl  autr,     le  noftre  demeure  : 
Ou  tout  a    bout  d'vn  long  fuyant 
Bondifl  ■     fort,  ou  bien  il  vfe 
Ettcorei        mainte  autre  rufc 
Sur  luy      yant  ff  refuyant. 
Si  pas  vn  de  tes  chiens  n'a  Jccu 
Défaire  la  malice  fienne. 
Et  que  relancer  ne  l'ait  peu, 
Rfaut  que  le  limier  on  prenne. 
Et  qu'on  commence  à  requefler 
Depuis  la  brifee  dernière, 
Oii  l'on  a  veu  les  chiens  derrière 
Leur  proye  branfler  S  douter  : 
Suture  les  voyes,  adui/er 

Fort  bien  fil  demeure,  ou  fil  paffe 
Songer  comme  il  a  peu  rufer. 
Tant  quefes  rufes  on  defface  : 


.ODE    DE    LA    CHASSE.  3o5 

Et  qjÊÛen  parlant  alors  ainp, 

Qfi^au  laiffer-courre  on  le  relance. 

Or  fus  donques  chacun  fauance 

Pour  y  eftre^  &  toy  (Sire)  cuâ/fi. 
De  la  trompe  les  mefmes  mots 

Qjte  Vay  ditsparauantjfe  fonnent  : 

De  me/mes  cris^  me/mes  propos 

Tous  les  lieux  d'alentour  re/onnent  : 

On  le  recourt,  rebaudijfant 

Les  chiens,  grande  eft  la  randonnée  : 

Mais  la  bejte  en  fin  maumenee 

Perdfon  haleine  en  Je  lajfant. 
Ce  pauuret  preffé  défi  près 

Par  la  meute  qui  le  mau'^meinef 

Veut  gaigner  quelque  eau  tout  exprès. 

Pour  fraifcheur  reprendre  &  haleine  : 

Mais  las!  chetif  il  apprendra 

Tout  au  rebours  que  la  viftejfe 

Dedans  Veau  nuifible  fe  laiffe, 

Et  toft  les  abois  il  rendra. 
Quelques  Cerfs  Je  font  par  les  eaux 

Porter,  de  peur  que  les  chiens  viennent 

Les  affentir:  dans  les  rojeaux 

Quelques  autres  caches^Je  tiennent  : 

Vn  autre  porter  Je  fera 

Sur  le  dos  de  quelque  autre  befte. 

Mais,  de  ceftuy  la  mort  eft  prefte, 

Peu  après  que  forti  fera. 
Aux  trouffes  ia  les  chiens  ardans 

Le  tiennent,  il  eft  ia  par  terre, 

Us  le  tiraffent  de  leurs  dents, 

loutjfans  du  fruit  de  leur  guerre  : 

Les  larmes  luy  tombent  des  yeux  : 

Et  bien  que  pitié  prefquHl  face. 

Si  faut-il  que  de  telle  chaffe 

Sa  mort  Jqit  le  pris  glorieux, 
La  mort  du  Cerffe  fonne,  alors 

Les  montSj  les  vaux,  &  les  bois,  rendent 
II.  —  lodelle.  20 


ODS   SE    LA    CH&S3B. 

Les  bruyant  S  hautains  accors, 
Que  les  trompes  dans  Vair  e/pandenl. 
On  coupe  S  leue  »n  des  pieds  droits. 
On  abat  l'orgueil  de  fa  lefte, 
Qfiifont  (Sire)  de  la  conquejle 
Les  enfeignes  &  premiers  droits. 

Onje  met  (peut-ejlre)  à  parier 
Voyant  cefte  lejle  ramee 
De /rayer,  brunir,  S  perler. 
De  bienfommee,  &  bien  paumée. 
De  bien  roûee,  GJieUe  a 
Marrein,  andouilliers,  &  goutieres 
D'vH  Jbrt  vieux  Cerf,  S  cent  manières 
De  difpute  outre  celles  là  : 

Si  Ion  auoil  premièrement 

Bien  iugé  qu'il  fut  Cerfcourable, 
S'il  efl  Cerf  dix  cors  ieunement, 
Ou  fart  vieux  Cerf  S  fort  chaffabte  : 
Si  le  pied  monftroit  bien  que  c'efl. 
Et  tous  fjgnes  qu'on  a  peu  prendre. 
En  ton  retour  lu  peux  entendre, 
Tout  tel  deuis  qui  aux  grands  plaift. 

Là  fouuent  du  particulier 

On  tombe  à  parler  de  la  chaffe 
En  commun,  comme  du  Sanglier, 
Soit  que  Ion  du  Vautray  Ion  face. 
Ou  d'autres  façons  le  difcours"  : 
Qitandpar  grands  leuriers  que  Ion  iaque. 
Au  fortir  du  fort  il /'attaque 
Du  cafté  qu'on  a  fait  l'accours. 

Ces  animaux  grondans,  fumans 

A  gueule  ouuerte,  arme^  d'horribles 

Deffenfes,  bauans,  écumans. 

Et  plus  dangereux  que  terribles, 

Se  peuuent  à  cheual  tuer 

De  l'efpee  :  mais  ie  m'ajfeure 

Que  l'efpieu  efl  l'arme  plus  feure. 

Soit  pour  atteindre  ou  pour  ruer. 


ODE    DE    LA    CHASSE.  3oj 

On  parle  des  loups  que  Ion  prend 
A  la  hueej  ou  d'autre  forte j 
Du  carnage  par  qui  Ion  rend 
La  gloute  hefte  prife  &  morte  : 
On  parle  des  cheureuls,  des  daims, 
Et  d'autres,  foit  pour  courre,  ou  tendre, 
Ou  pour  épiant  les  furprendre 
D^vn  plomb,  ou  bien  d'vn  trait  attaints  : 

Ainfi  que  VOurs  qui  ne  court  fus 
Aux  gens,  tant  qtte  mal  on  luy  face, 
Ains  attend  le  coup  de  deffus 
Vn  haut  arbre.  Or  quand  on  le  chaffe 
De  fes  cauemes  les  grands  trous 
On  boufche,  &  bien  quHl  grimpe,  &  rué 
Des  pierres,  qu'il  ferrey  &  quHl  tué. 
Cède  en  fin  aux  chiens  &  aux  coups. 

Puis  du  caut  Renard  buiffonnier, 
Qui  toufiours  entre  les  chiens  vfe 
De  tours  rufe:(^  mais  du  leurier 
La  dentfi^it  enfin  fa  rufe  : 
Ou  de  petits  chiens  Ion  fe  plaifi, 
Comm'  au  Blereau  luy  faire  guerre  , 
On  efcoute,  on  houé  la  terre 
Droit  fur  Vaccul  quand  il  y  eft. 

Parler  auffi  du  Lieure  on  peut 

Qu^ à  force  on  prend,  ou  d*vne  forte 
Rare,  quand  le  Léopard  veut 
En  qûatiie  ou  en  cinq  fauts  V emporte  : 
Mefme  on  peut  difcourir  combien 
A  leuretter  onfe  peut  plaire, 
Quand  en  plaine  rafe  on  voit  faire 
Au  lieure  &  aux  leuriers  fort  bien. 

Pour  le  quefler  on  va  marchant 
Par  rang  dedans  telle  campagne. 
Le  Pelaud  part  :  on  va  lâchant 
Les  leuriers,  les  cheuaux  d'Efpagne, 
Et  les  vifïes  courtaus  après 
Font  poudroyer  leur  longue  trace: 


llfe  court,  f  atteint,  fe  bourraffe. 
Tant  il  a  [an  ennemi  près. 

Paint  ne  luy  fait  perdre  le  cœur 
L'atteinte  d'atteinte  fuiuie. 
Ses  pied)  font  ale^par  lapeiir. 
Qui feuU peuvent fauuer fa  vie: 
n  e/t  mis  enfin  au  noûet. 
Dont  quelquejbîs  mefme  il  efchappe 
Far  bands  quelquefois  ilfe  happe. 
Et  criant  roidit  le  iarret. 

Des  animaux  plus  ejtrangers 
Oh  peut  en  bref  toucher  la  chaffe. 
Comme  des  bien  ramej  Rangers, 
Ou  des  Lyons  qu'au  feu  Ion  chaffe. 
Des  Tygres  qu'on  trompe  au  miroir, 
Des  Elephans  qu'auf/i  Ion  trompe. 
Et  dont  ne  peut  la  Jbrte  trompe 
Contre  Pefprit  humain  valoir. 

Tels  propos  renflent  eflans  pleins 
De  mots  propres  à  ce  langage, 
Dont  les  Grecs,  &  dont  les  Romains 
N'eurent  iamaisji  riche  vfage  : 
Làfonnent  ces  mots  de  limier. 
Chien-courant,  dogue,  chien- d'attaque 
Epagneu,  chien  d'Artois,  S  braque, 
Barbet,  turquet,  allant,  leurier. 

Là  des  chiens  oublier  ne  faut 
La  race,  couleur,  &  manière. 
Les  noms,  comme  Afiraut,  Briffaut, 
Tirebais,  Cleraude,  S  Légère  : 
Et  en  leuriers,  lafon.  Valant, 
Cherami,  Cigoigne,  Cibctle  : 
Et  cent  noms  dont  on  les  appelle. 
De  toutes  les  fortes  parlant. 

D'etabler,  de  rere,  d'aller. 

De  bontems,  de  fraye,  gaignage, 
Du  contre-pié,  dufuraller, 
D'as,  de  pinces,  du  viandage: 


ODE    DE    LA    CHASSE.  309 

Bref^  de  tout  autre  iugement 

Qu* il  faut  que  Von  face  à  toute  heure, 

D^entree,  /ortie,  demeure, 

Suitte,  drejf^ment,  lancement  : 
Des  diuers  langages  qu^on  doit 

Dire  aux  chiens,  diuers  mots  de  trompe, 

Et  diuerfes  voix  que  Ion  oit. 

Du  change,  auquel  ît  faut  qu^on  rompe 

Les  chieûs,  ou  de  leur  long  défaut. 

De  bien  remeuter,  de  vijlejfe, 

De  créance,  voire  fagejfe. 

Qui  fur  tous  aux  chiens  blancs  ne  faut  : 
Du  cours  de  Chajfe,  &  des  abois. 

Des  tefies^  meulles^  cheuilleure. 

De  perches,  couronnes,  epois, 

Andouilliers,  trocheuré,  &  paumeure, 

Puis  des  traces,  &  dufouillard, 

Des  marches,  Ifliffees,  fumées. 

Et  tant  d^ autres  accouftumees 

Façons  déparier  en  tel  art. 
On  oit  de  toiles,  de  haler. 

De  bloquer^  crochetter,  d^enceindre 

De  harts,  &  de  perches,  parler, 

D*épieux,  que  diuers  fang  peut  taindre 

Sans  en  vfer  :  parler  de  pans. 

De  maiftres,  de  nappe,  de  mailles. 

Du  fauue,  du  noir,  de  bichailles. 

De  layes,  marcafjins,  &  fans  : 
De  broqumrs  qui  les  dagues  ont, 

Puis  des  beftes  de  cêmpagnie. 

Ou  qui  au  tiers  ou  quart  an  font ^ 

Et  tous  les  mots  de  Vénerie  : 

Ou  d^autres  chajfes,  f oit  pour  voir, 

Pour  quefter,  pour  pourfuiure,  ou  prendre 

Et  que  nul  vers  ne  peut  comprendre, 

Sont  pris  là  pour  vn  grand  fçauoir. 
Là  quelqû*vn  {peut-efire)  ialoux 

De  ces  longs  difcours,  &  encore 


r 


Piqui  du  plaijïr  que  fur  tous 
H  aime,  U  exerce  S  honore, 
Sublitemenl  de/iotirneia 
Le  propos  hors  de  Vénerie, 
Et  haut  S  dru  de  Valérie,. 
Mais  en  brr/ pourtant  parlera. 

Voccafion  Je  peut  choîjir 
Sur  cela  que  loti  t'a  fait  prendre 
Ce  malin  aux  oifeaux  plaifir, 
Auant  que  par  cour/e  entreprendre 
De  forcer  ce  Cerf,  &  premier 
U'Aufirueher  fera  la  parole. 
Soit  qu'en  faif on  propre  fe  vole 
Le  perdreau  par  vn  Efpreuier  : 

Soit  que  d'autres  oifeaux  de  poing 
On  vole  auffi  pour  champs,  à  l'heure 
Que  ces  perdreaux  font  ia  plus  loin/f 
Leurs  vols,'  d'aile  aujfi  roide,  3-  feure 
Qlte  père  &  mère,  ou  quand  ils  font 
la  perdrix,  qui  vieilles  dfiuienneut  : 
Four  tel  vol  fur  lepoingfe  tiennent 
Les  Autours,  qui  guerre  leur  font. 

Ou  bien  leurs  Tiercelets  qu'on  croit 
Faire  mieux,  &  que  plus  on  aime, 
Mefme  fouuent  dreffer  on  voit 
L'oifeau  de  leurre  à  ce  vol  mefme  : 
Vn  Lanier  dans  l'air  fe  foujlieni 
Sans  fin,  &  rouant  ne  f 'écarte 
lufqu'à  tant  que  fou  gibbier  parte, 
Mefme  vn  Faucon  long  temps  f'^  lient. 

Qui  plus  efi,  vn  Sacre,  vn  Gerfaut, 
Se  drejfe  à  cejle  mefme  proye, 
Qu'auparauant  ietier  ne  faut 
Que  partir  leur  proye  on  ne  voye  : 
Tous  ces  oifeaux  ne  bloquent  pas 
Lors  que  les  perdrix  ils  remettent  ; 
Mais  tous,  quand  ils  font  bons,  les  mettent 
Au  pied,  fondansfoudain  en  bas. 


/ 


1 


ODE    DE    LA    CHASSE.  3ll 

Soit  oifeau  de  leurre^  ou  de  poings 

De  petits  chiens  pour  la  remife, 

Sages  &  bons,  Ion  a  béfoing. 

Que  peu  ardens,  &  à  laprife 

lamais  afpres,  Ion  doit  choijir  : 

Leur  deuoir,  auec  Vaile  bonne 

De  VoifeaUf  aux  cuijines  donne 

Dugibbier,  &  aux  yeux  plaijir, 
le  te  diroy  bien  comm\  après 

njuiura  le  vol  pour  riuiere, 

Et  quand  de  mares  on  eft  près, 

Ou  ruiffeaux,  en  quelle  manière 

Les  oifeaux  alors  decouuerts 

Se  iettent  à  mont,  là  où  vaine 

Efl  V attente,  pon  ne  prend  peine 

Que  leurs  gibbiers  foyent  bien  couuerts  : 
De  quels  cris  on  v/e,  &  quels  mots, 

De  quel  égard  &  patience, 

Pour  faire  tourner  à  propos 

D^vn  oifeau  la  tefte,  oii  Ion  penfe 

Qu'il  ait  mieux  fur  fa  proye  Voeil, 

De  crainte  que  Ion  ne  foruuide. 

Comme  on  croife,  comme  Ion  vuide. 

Contentant  &  Vœil  &  le  vueil. 
Les  Ridanes  font  le  gibbier. 

Les  Varriens,  &  les  Sarcelles, 

Sur  tout  le  Canard,  qu*vn  Lanier, 

Ny  qu*vn  Faucon  à  tire-d^cele 

Ne  peut  r^auoir,  fi  quand  il  part 

H  ne  Varrefie,  &  lors  en  terre 

Fondant  roide  comme  vne  pierre, 

Affomme  fous  foy  le  Canard, 
le  te  feroy  encor^  iouir 

Du  plaijir  que  telle  perfonne 

Pourra  donner,  faifant  ouïr 

Le  plaifir  qu'eaux  grands  feigneurs  donne 

La  haute  Volerie,  au  lieu 

Ou  ore  pour  Milan,  &  ore 


Oii  vole  pour  Héron  encore. 
Pour  Chat-huan  S  Fauperdrieu. 

Si  toji  que  le  Milan  Je  voit 

Vn  haut  cri  la  veuè  accompagne. 
Le  Duc  que  porté  Ion  auoii 
EJI  telle  deffus  la  campagne. 
Four  faire  le  Milan  baijfer. 


Au  ciel  comme  luyfe  trovjfer. 
Quelques  autres  Sacres  à  mont 
Sont  ietlej,  S  mainte  venue, 
Prejque  iufquea  dans  le  ciel  von 
Donner  à  leur  proye  cogneué, 


Qliand  cejle  méfiée  au  ciel  faite 
Se  perd  quafi  de  l'œil,  qu'on  iette 
Apres  tous  autres  le  Gerfaut. 

L'vn  braue  &  fort,  depuis  le  bas 
îufqu'au  plus  haut  de  pareille  aile. 
Ne  de  façon  ne  monte  pas 
Que  les  Sacres  :  mais  en  efchelle 
Roide  Sfoudainfe  vienf*  hauffer 
Droit  au  Milan,  que  par  la  force 
D'vne  feule  venue,  il  firce 
Du  haut  de  trois  clochers  baijfer  : 

Puis  hauffer,  &  faire  on  luy  voit 
Des  fuites,  mais  en  toute  place 
Nouuelle  venue  il  reçoit. 
Tant  qu'en  fin  la  cheute  fe  face 
Souuent  bien  fort  loing  :  Mais  auai 
Que  commencer,  dés  que  la  proye 
S'e/Î  veué,  loufiours  on  enuoye 
Q}iatre  ou  cinq  piqueurs  fous  le  vent 

Du  Milan  la  cuiffe  fe  rompt 
Aujfi  toJi  que  la  cheute  eft  faite, 
Puisjoudain  la  curée  ils  font, 


ODE    DE    LA    CHASSE.  3l3 

Et  chacun  y  pique  j  &  fouhaite 

Varriuer  premier,  pour  auoir 

De  ce  Milan  la  queue,  pource 

Qjie  c^eft  le  prix  de  telle  courfe, 

Q}i^en  fon  leurre  on  fait  après  voir. 
Or  combien  le  vol  pour  Milan 

A  celuy  pour  Héron  rejfemble, 

Pour  Fauperdrieu,  ou  Chat-huan  : 

Et  combien  tout  diffère  enfemble, 

Par  ce  mefme  homme  fe  diroit, 

Et  Pen  récit eroy  la  forte  : 

Mefme  puis  qu'au  faire  elle  apporte 

Plaifir,  le  récit  en  plairoit. 
le  diroy  qu^vn  Héron  fouuent 

Dans  Vair,  fouuent  fe  trouue  en  terre, 

D^oii  Von  le  fait  partir,  auant 

Que  dans  Vair  on  luy  face  guerre  : 

Et  qu'on  peut  de  Faucons  f  aider 

Pour  vne  telle  volerie, 

Ou  de  Sacres  comme  Ion  crie 

Pour  de  fon  bec  faire  garder. 
le  diroy  qu'en  ce  vol  il  faut 

Des  leuriers,  pour  le  Héron  prendre, 

Et  qu'à  l'heure  qu'il  chet  d'enhaut, 

Les  oifeaux  que  Ion  a  peu  rendre 

Sifages,  crainte  aucune  n'ont 

Des  Chiens  :  &  ces  chiens  qui  fe  drejfent 

Ainfifi  bien  y  iamais  ne  bleffent 

Ces  oifeaux  qui  communs  leur  font, 
le  diroy  cela  qu'eftans  pris 

Par  leur  bec,  quelques  Hérons  rendent, 
'  Puis  la  curée,  &  puis  le  pris 

Que  les  mieux  faifans  en  attendent  : 

Les  bouts  des  ailes  de  l'oifeau 

Pour  fon  leurre  quelqu'vn  remporte. 

Et  au  Seigneur  la  houpe  on  porte 

Pour  en  décorer  fon  chappeau. 
Le  Fauperdrieu,  &  l'autre  auffi^ 

20* 


El  leurs  vola  ne  différent  guère 
De  Vvne  S  de  Vautre  manière. 
Dont  en  bref  par  mes  vers  Pay  dit 

le  pourroy  loucher  nomAfianl 
Les  différences  qui  fe  Ireuuent  : 
Puis  d'ordre  firoy  recitant 
Tous  les  autres  vols,  qui  fe peuuent 
Par  vn  tel  homme  raconter. 
Comme  du  Geay,  de  la  Corneille, 
De  la  Pie,  qui  /ait  merueille 
De  craqueter  S  caqueter  : 

Mais  bien  de  FAlhaette,  eftant 
Mefme  au  nombre  du  haut  vol  mi/e 
Quife  perd  de  tout  œil,  montant 
Droit  dans  les  cieux,  oii  elle  ejl  pr 
Par  le  gentil  Emerillon  : 
Bref,  de  tout  vol  depuis  la  Grue, 
Qui  quelquefois  voler  pefi  veué 
lufqu'à  ce  petit  oijillon. 

l'exprimeroy  mefme  les  mots. 

Dont  comm'  vn  autre  en  Vénerie, 
Celuy  farcira  fon  propos 
Parlant  de  la  Fauconnerie, 
Comme  de  ' 

Paffager,  oifeau  d'vne  nué. 
Ou  de  plujieurs  chofes  cogneué'" 
Tant  feulement  à  ceux  de  Vart. 

Comme  curer,  paifire,  tenir, 
Auoir  bonne  gorge,  &  enduire, 
Emeutir,  poiurer,  deuenir 
Pantois,  S  d'autres  qu'on  peut  dire 


ODE    DE    LA    CHASSE.  3l5 

Les  longues  pannes  &  cerceaux. 
Perche^  gand  (Voifeau^  chaperons^ 

Longes,  iets,  veruelles,  fonnettes. 

Et  tant  cT autres  Ji  proprés  noms 

Des  chofes  ou  (Vaâions  faites: 

Et  or*  pour  dire  en  gênerai, 

le  comprendroy  toutes  les  chofes 

Qui  font  en  tout  tel  fçauoir  clofes, 

Des  Nobles  fçauoir  principal. 
Mais  ie  mefen  ia  trop  laffé 

De  ma  longue  courfe^  égarée 

Hors  du  propos  :  Pay  trop  laiffé 

Mon  Cerf  fans  en  faire  curée: 

La  longueur  du  propos  déduit, 

Le  chemin  de  ton  retour  pajfe. 

Puis,  peut-eflre,  quelque  autre  chaffe 

"Pamufera  iufqu^à  la  nuid  : 
Qui  jgardera  qu^en  ton  retour 

Ta  Maiefié  tel  difcours  oye  : 

Il  faut  que  ce  refte  de  iour 

A  mon  premier  deffein  f  employé  : 

le  reuien,  ce  me  femble,  au  lieu 

Oit  ce  Cerf  couché  Ion  defpouille. 

Sur  fa  chaffe^  mort,  &  defpouille, 

Faifant  maint  &  maint  iufle  vceu. 
Je  luy  voy  couper  les        * 

Puis  f  on  cuir  ofïer  ils  luy  viennent. 

Les 

Auecques      * 


On  fend  fon  cœur  pour  vne  croix, 
Ainjî  comme  Ion  dit,  y  prendre. 
On  cherche  en  luy  tes  menus  droits 
Qu'en  ton  crochet  (Sire)  on  vient  pendre^ 
Entre  lef quels  les  filets  font , 


El  le  fTancboyau  qu'on  affemble 
A  pla/ieurs  défia  mis  enfemble: 
D'autres  droits  les  veneurs  y  ont. 

Tout  te  fang  dont  ce  corps  efi  plein 
Se  raj^emble  hors  de  la  bejle. 
On  met  par  morceaux  tout  le  pain, 
Cependant  qu'il  faut  que  la  tejie 
Onfepare,  S  qu'on  levé  auant 
La  hampe,  &  puis  que  Ion  partijfe 
Le  rejte,  l'vne  &  Vautre  cuiffe 
Et  les  deux  efpauies  leuaat. 

Les  coftcs,  le  petit  fimier. 

Que  le  cinq  if  quatre  on  appelle, 
La  pièce  du  fimier  dernier 
Qfii  la  venaifon  monjtie  en  elle  : 
Le  pain  trempé  aufangpeflend 
Sur  le  cuir,  la  curée  on/onne. 
Qui  auant  qu'aux  chiens  an  la  donne, 
Tant  qu'ils  y  foyent  tous,fe  deffend. 

Tout  cela  qui  nous  rend  ardans 
A  le  future,  &  qui  pour  la  gloire 
Nous  poind,  S  nous  ardau  dedans, 
Nous  travaillant  pour  la  viÛoire, 
Donne  aux  vainqueurs  vne  fierté. 
Tant  fait  de  petit  pris  laprife. 
Vu  triomphe,  vne  ioye  éprife, 
Qiiifentremefle  d'afprelê: 

De  cela  tous  ces  chiens  fe  fiinl 
Vn  exemple  age^  conuenable, 
Qui  plus  afpres  S  plus  fiers  font  : 
Et  de  mainte  façon  merquabie 
Semblent  recognoiflre  leur  fait, 
Triomphans  du  pris  de  leur  peine  : 
Cefle  mefme  viÛoire  ameine 
Les  Veneurs  à  pareil  effeS  : 

Qui  plus  rejiouis,  plus  gaillards. 
Et  brauans  de  leur  peine  prife, 
Sont  plus  ardans  d'auoir  leur  parts, 


O 


ODE     DE    LA    CHASSE.  Siy 

Que  fi  grand*  chofe  eftoit  conquife  : 

Chacun  n'oublie  à  Je  vanter 

De  cela  quHl  afceu  mieux  faire ^ 

Tachant  pour  fon  plus  grand  fallaire 

La  gloire  che:[  foy  remporter. 
Or  ie  voy  qu^en  ce  temps  diuers 

Ta  principale  Chaffe  (Sirb) 

Doit  eftre  des  Difcords  peruers, 

Renuerfeurs  de  tout  grand  Empire, 

Pour  en  les  pourchajfant  chaffer 

La  ruine  qui  nous  menace, 

Comme  ia  telle  heureufe  chaffe 

Dieu  Va  fait  fi  bien  commencer, 
le  fçay  mefme  qu'en  émouuant 

Tant  foit  peu  quelque  eau  croupiffante, 

Sort  grand*  puanteur  :  &  qu*vn  vent 

D*vn  peu  de  braife  languiffante 

Excite  fouuent  grandes  ardeurs. 

Et  pour  tels  dangers  ie  ne  cuide 

Qji'encor*  noftre  France  foit  vuide 

De  fouffleurs  &  de  remueurs. 
le  fuis  feur  que  les  grands  font  pleins 

Souuent  de  grande  haine  &  pique. 

Ne  fuiuant  pas  de  ces  Romains 

La  doârine  &  la  gloire  antique. 

Qui  moins  de  triomphe  auoient  mis 

A  vaincre  les  forts  aduerfaires. 

Qu'à  vaincre  les  propres  cholereSj 

Nos  plus  familiers  ennemis. 
Pay  grand*  peur  qu*vne  Ambition 

Soit  d* Ambition  refuiuie: 

le  fçay  qu'en  noftre  nation 

Naturelle  &  propre  eft  Venuie, 

Et  que  tout  cela  qui  en  vn 

Nous  doit  eftreindre  d'auantage^ 

Christ,  le  Pats,  le  parehtage. 

Et  dvn  Roy  le  lien  commun  : 
C*eft  cela  qui  feul  au  rebours 


ODC     DE    LA    CHASSE. 

Noarrifl  tn  nous  la  funne  3-  noife. 
Par  «  Mon/)r«  Enuie,  taufiours 
Maniant  nofiie  humeur  Françoife, 
Sous  piquant  plus  contre  la  loy 
De  Ions  ces  lUns  qu'on  fepare. 
Que  contre  le  lui/,  le  Barbare, 
L'Iucogneu,  Pennemi  du  iîo>-. 

Ce  vice  à  nous  particulier. 

Comme  aux  autres  pals  pu  vice 
Efi  toufiùurs  propre  S  familier. 
Sous  fait  {voulant  faire  feruiee 
A  u  Roy)  iuy  nuire  :  car  ialoux 
El  piquef  à  qui  efire,  S  faire 
Pourra  le  plus,  par  vn  contraire 
Dïfcord,  nous  perdant  lujr  S  nous. 

'Outre  encor,  ie  voy  (car  te  veux 
Prefque  toutes  les  caufea  rendre. 
Qui  me  font  eonceuoir  ces  vans 
Sur  ce  Cerf  que  lu  vieiu  de  prendré^M 
Que  mainte  perfuafion 
Qu'en  tout  on  croit  S  fainâe  &  bonm 
Soit  par  ^ele  ou  rufe,fe  donne 
Pour  l-vne  S  Vautre  faâion. 

Qui  Ijieut-eftre)  trauuaat  dcfta 
Eh  nous  la  rencontre  opportune. 
Qui  efi  Pambition  qu'on  a. 
Compagne  de  cejle  rancune  : 
Nous  eguifant,  nous  defermtmt 
L'efprit  &  Veeil,  au  foufiien  d'elle 
Et  toutes  chofes,  fors  icelle, 
Va  nosfens  &  nosyeux  charmant. 

C'eft  ce  qui  fait  que  nous  trouuons 
Du  tout  bon  ce  qui  efi  des  nojlres. 
Que  nous  hayons  S  dédaignons. 
Fut-il  bon,  ce  qui  efi  des  autres  ; 
Puis  les  vns  Je  voulant  haujfer, 
Peut-eftre,  fur  le^proches  Princes, 
El  tant  du  Roy  que  des  prouinces 


n 


ODE    DE    LA    CHASSE.  3  IQ 

Toutes  les  charges  embraffer  : 
Les  autres  fe  voulant  fentir 

Du  me/pris  qu^on  fait  à  leur  race 

Pour  les  premier^  anéantir 

Affrontent  Vaudace  à  Vaudace  : 

Et  Christ  (qui  n'*en  peut  mais)  eft  pris 

Pour  bon  droit,  ou  pour  couleur  belle  : 

Nos  brouilleurs  font  de  la  querelle  t 

Par  icelle  épians  leur  pris, 
Mefmeainft  que  maint  enflammeur, 

Afpre  &  plein  de  pédanterie. 

Retenant  de  fa  vieille  humeur 

D^ef choie  ou  bien  de  moynerie  : 

Ou  d^ autre  cofié  maint  criart, 

Qui  dedans  fa  chaire  extermine 

Et  brufle  vn  chacun,  &  mutine 

Le  peuple,  par  \ele  ou  par  art  : 
Ou  tafche  à  faire  des  difcords 

Des  grands,  leur  prof  fit,  &  leur  gloire. 

Et  du  fang  des  grands  hommes  morts ^ 

Couronner  enfin  leur  viâoire, 

Plujieurs  feigneurs  (peut-efire)  auffi 

Ont  tafché  par  telle  difpute^ 

De  frapper  le  blanc  de  la  butte, 

OU  ils  tiroyent  deuant  ceci. 
Les  aucuns  pour  hauffer  leur  rang. 

Les  autres  pour  chercher  vengeance  : 

Les  vns  pour  faffouuir  de  fang. 

Dont  mefme  Venorme  abondance 

Affe^  encor  ne  les  repaifl  : 

Ceux-ci  ont  la  mutinerie 

De  nature,  &  la  pillerie 

Plus  que  Dieu  mefme  à  ceux-là  plaifl. 
Quant  à  maint  autre,  ou  à  crédit, 

Ou  par  quelque  pique  légère, 

Ou  par  des  grands  n'eflre  point  dit 

Auoir  vne  ame  cafaniere  : 

Ou  par  vn  deuoir^  dont  il  fent 


ODF.    DE    LA    CHASSE. 


Sa  vie  à  vn  feignenr  éteinte  : 
Ou  par  la  force,  ou  la  contraint 
Det  crimes  qu'il  void  ou  entendr-^ 
Ou  pour  la  deffcnee  du  bien 

Que  fa  n,aifon  tient  en  PEglife: 
L'Auarice  Irouue  moyen 

Ou  par  vn  éguillonnemettl 

De  femmes,  d'amis,  de  lignage. 

Ou  bien  pour  quelque  autre  auantagt-, 

Riife,  égard,  ou  tranfportement, 

A  fans  rien  polfer  efpoufé 

Soudain  l'vne  ou  l'autre  querelle  : 

Et  quant  à  ceux  qui  ont  vfè 

En  cela  Svn  bon  &  vray  \eie. 

Le  nombre  e_ft  grand,  mais  ie  nefçay 

Si  des  autres  le  nombre  ils  paffent  : 

Et  quoy  qu'ili  prétendent  oufacent. 

En  ejtime  ie  ne  les  ay. 

Car  quant  aux  vns  ilsfçauent  bien 
Que  CHKiàT  e_fl  vn  Roy  pacifique. 
Dieu  de  paix,  Sfeul  entretien 
D'vnité  dansfon  corps  myflique  : 
Que  Chkiït  veut  puis  qu'il  n'ejl  permis 
{Difent-ils)  glofer  FEfcriture, 


Quen 


Nous  font,  S- 

nousfon 

ennemis  .- 

Qii'à  celuy  qui 

va  fouffletant 

L'vne  des  iou 

es.  Vaut 

e  on  baille  .- 

Que  quand  o 

[.  nous  va 

tourmentant 

D'vne  ville  en 

nf'en  aille  : 

Qjie  lesfainds  ancien 

n'ont  pas 

Défendu  ieu 

caufe  par  armes. 

Mais  leur  ieu 

/ne,  prière  &  larmes. 

Et  leur  mort 

efloyent 

leurs  combats 

aue  ceux-ci 

mefmes 

Nagueres  ceux 

qui  d'vn 

courage 

Trop  charnel 

eii  auan 

mettoyent. 

ODE.  32  1 

Qu'il  falloit  repouffer  Voutrage, 

Difans,  que  bien  qu'en  Vancien 

Teftament  guerre  &  refiftence 

Fut  permife^  telle  licence 

N'eft  point  du  Teftament  Chreftien  : 
Mais  que  Christ  par  affliâions^ 

Par  tourmens^  croix,  &  vitupère. 

Veut  qu'en  Venfuiuant  nous  entrions 

Au  royaume  de  Dieu  f on  père  : 

Du  fang  des  fainâs  Veffufion^ 

Et  femence  continuelle 

De  VEglife,  &  la  merque  d'elle, 

N'eft  quefaperfecution. 
Tant  que  par  leur  dire  voulans 

Faire  ceffer  par  force  &  armes, 

Les  maux,  les  affauts  violens, 

Perfecutions,  &  alarmes 

En  leur  Eglife,  ils  font  ceffer 

La  merque  qui  la  fait  cognoiftre  : 

Et  ce  nom  en  eux  ne  peut  eftre 

Qu'à  eux  feuls  ils  vouloyent  laiffer. 


ODE 


A  M.   LE  COMTE  DE   DAMMARTIN 


Bien  que  de  ta  mai/on  le  tige,  &  Vornement, 
Dufceptre  de  Hongrie  ait  pris  commencement, 

Qjii  de  mainte  alliance 
Dans  la  mai/on  d'Aniou,  d'Angleterre ,  &  Bourbon, 

lodtlU.  -  II.  ai 


A  prouigné  foH  fiull,  Sfa  gloire,  S /on  nom, 
Rare  honneur  de  la  France  : 
Bien  que  de  tes  ayeulx  S  Its/aita,  &  les  cœurs. 
Bien  que  le  père  tien  qui  des  grandi  belUqueurs 

Amortit  ta  mémoire, 

A  ctfte  grand'  nobltge  accouplans  la  vertu. 

Aytnt  pour  loy  la  mort  &  le  temps  combatu. 

Deux  meurdriert  de  la  gloire  : 

Bien  que  la  gloire  au/fi  {qui,  fi  ce  n'eft  en  bien , 

Au  moins  à  tes  ayeulx  en  vertu  ne  doit  rien) 

Soit  de  telle  hauieffe. 
Qu'il  femble  qu'à  tous  coups  elle  devji  dédaigner 
Va  chetif  comme  moy  fans  trop  p accompagner 
D'vne  humble  petitejje  : 
Si  efl-ce  toutesfois  que  te  voyant  aittfi 

Avoir  de  moy  Jaas  feinte,  &  fana  cejfe  fouet 

D'vne  amiable  chère, 

M'ouurant  fi  priuément  ton  feeours  S  ton  caur, 

i^'il  femble  proprement  qu'au  lieu  de  mon/tifi'»' 

Tu  le  rendes  mon  frère, 

E/prouuant  mefmement  qu'en  cent  S  cent  difeoun 

Que  des  abut  humains  nous  faifons  tous  les  îourx. 

Comme  par  /ympalhies, 

Tu  as  aueeques  moy  femblable  opinion. 

Semblable  liberté,  femblable  affeSion, 

Guide  de  nos  deux  vies. 

Je  croiray  que  les  Dieux,  qui  foin  de  nous  ont  pris. 

Auani  nojlre  naijfance  accouployent  nos  efprits 

D'vne  alliajige  telle, 
Qji'au  pris  de  telle  coupe,  au  pris  d'vnfi  grand  htar, 
C'eft  bien  peu  que  les  corps,  les  biens,  S  la  grandeur, 
Qpi  n'eft  rien  que  mortelle, 
le  croiray  quand  le  Ciel  à  ton  corps  remefla 
Ton  ame,  qui  première  ici  bas  deuala 

Du  monceau  des  Idées, 
{Pardonne  fi  l'accorde  au  Platonicien) 
Ne  peut,  nous  feparani,  rendre  de  tout  leur  bien 
Nos  deux  âmes  fraudées  ; 


ODE.  323 

Ains  comme  Pollux  fait  pour  la  fraternité, 
le  recommuniquois  vne  diuinité 

Aux  ans  de  ton  enfance  : 
Ou  bien  comm^  vn  Démon  minijlre  de  nos  Dieux 
Maugré  le  corps  maffifie  rapportoy  des  deux 

Vobfcure  preuqyance. 
Ou  ie  croiray  pluftoft  {me  pardonne  vn  Chrejlien, 
Si  ie  me  mets  au  rang  Pythagoricien) 

Que  quand  tu  vins  à  croiflre, 
Pefloy  quelque  vieillard,  qui  pour  lors  te  hantoy, 
Et  qui  de  iour  en  iour  doucement  fincitoy 

De  te  vouloir  cognoiflre  : 
Et  quand  ie  renafqui,  que  Clothon  (qui  pour  nous 
Des  douces  amitiés^  fila  le  nœu  plus  doux) 

D^vn  charme  inuiolable, 
Défendit  &  au  Temps,  &  à  fa  tierce  Sœur 
De  ne  trancher  au  fil  de  V acier  rauiffeur. 

Ce  lien  perdurable  : 
Mefmement  qu^en  viuant  ie  n^ay  du  ciel  receu 
Aucun  bienfait,  finon  que  quand  ce  feul  bien  Veu 

Que  ie  te  recogneujfe, 
Ceffent  donc  mes  malheurs,  ceffent  les  tiens  encor, 
T*ayant,  Vauray  touiours  vn  éternel  threfor. 

Bien  que  pauure  ie  fujfe. 
Car  bien  que  mille  maux  le  ciel  me  faffe  auoir^ 
T^aimer^  &  Vhonorer,  &  fans  fin  conceuoir 

Vheur  d^vne  amitié  douce 
M^eft  plus  qu^vne  Nepenthe  enchantement  des  yeux, 
Ou  bien  que  de  Circé  le  beau  fruit  oublieux 

Qui  le  fouci  repouffe. 
Si  doncques  tout  entier  ie  me  trouue  dans  toy. 
Si  doncques  à  toy  feul  moymefme  ie  me  doy, 

Se  pourroit-il  bien  faire 
Que  rien  peufl  efchaper  de  moy  qui  ne  fufï  tien 
Veu  que  telle  amitié  fait  qu^en  tout  ie  te  tien 

Autheur  de  mon  affaire? 
Qm*o«  cherche  autre  que  moy,  qui  par  menteurs  écris 
Pour  heliftver  le  bien  qui  gefne  les  efprits. 


*  ^ — - — ^Il^*>^'""*'" 

''  -^  f«oÎr.  "^/^'it,  uV.c,       ^^  c  grand  k. 
Ton  **^'  *p,  *o*c«»»  *=       ^^^c-.^^ 


fw  bi 


ODE.  325 

Veulent  que  leurs  efprits  deffus  la  faulfeté 

La  vérité  pratiquent, 
La  vérité  me  plaift^  le  bien  qui  m'eft  prefent 
Me  contente  en  ce  monde  :  &  lefouci  cuifanty 

Soit  des  chofes  pajfees, 
Ou  de  celles  qui  font ^  ou  qui  viendront  vn  iour^ 
Ne  fera  ^  fi  ie  puis,  mon  éternel  vautour, 

Bourreau  de  mes  penfees, 
Oejt  pourquoy  de  mes  fons  V artifice  immortel 
A  toufiours  efié  veu  ne  fentir  rien  de  tel  : 

Car  la  liberté  douce 
Qui  ne  me  veit  iamais  deffous  le  toug  rauir. 
Ne  me  permet  auffi  que  ie  puiffe  afferuir 

Mes  cordes,  ny  mon  pouce. 
Et  c^eft  pourquoy  le  bien  qui  feulement  me  plaifty 
Et  c*eft  pourquoy  le  bien  qui  vrayement  me  paift, 

Maugré  la  Parque  blefme 
Reuiure  fe  verra  dans  mes  viuans  efcrits  : 
Hé,  rien  de  bon  peut-il  fortir  de'  ces  efprits 

Contraires  à  foy*nefme? 
O  douce  amitié  donc,  ô  pardurable  foy, 
Qjti  mes  foucis  mordans  accable  dedans  moy. 

Et  d^vne  fainâe  audace 
Va  toufiours  poppofant  à  mon  plus  fier  malheur, 
Mallegeant  du  fardeau  que  ie  fens  fous  Verreur 

De  ce  vil  populace. 
Oeft  cefte  amitié  donc  {bien  que  ce  nœu  fatal 
Soit  du  petit  au  grand,  &  du  maiftre  au  vaffal) 

Oeft  cefte  amitié  fainâe 
Qyii  dedans  la  Mémoire  oit  rien  ne  peut  le  Temps  y 
Empraintefe  verra^  d^ autant  que  ie  la  fens 

Dedans  mon  cœur  emprainte. 
Cefte  amitié  m^eft  plus  que  le  bien  mendié 
Des  Princes  reflatte:^,  ou  qu^vn  los  épié 

Sous  vn  mafqué  vifage  : 
Ou  qu*vn  proffit  qu'on  a  pour  fçauoir  retracer 
Les  pas  d^vn  populaire,  &  gefnant  fon  penfer 

S^ afferuir  à  Vvfage, 


324  ODE. 

Promette  vne  autre  vie 
Aux  Rois,  qui  meurdrijfans  eux  mefmes  leur  renom, 
Feroyent  que  Ion  verroit  mon  œuure  auec  leur  nom 
Dans  Veau  cf  Oubli  rauie. 
Qu'on  cherche  autre  que  moy  qui  iugefon  bon  heur 
En  Phonneur,  &  non  pas  au  mérite  d'honneur  : 

Et  qui  d*vne  apparence 
En  Je  trompant  foymefmey  aime  mieux  deceuoir 
Tout  le  monde  auec  foy,  que  iuftement  Je  voir 
Trompé  d'vne  efperance. 
Qu'on  cherche  autre  que  moy  qui  traine  vn  repentir 
Pour  auoir  trop  voulu  au  peuple  confentir. 

Peuple  qui  touiours  erre  : 
Veu  que  de  cent  remors  repiqué  ieferoy 
Et  qu'éternellement  moy  me/me  ie  feroy 
A  moymefme  la  guerre, 
le  ne  fuis  de  ceux  /à,  qui  pour  eftre  inconftans 
Vont  par  mille  moyens  leur  fortune  tentans, 

Qui  comme  vne  nauire 
Les  tournoyé  en  la  mer,  qui  engouffrer  les  peut. 
L'efprit  qui  contenter  en  foymefmefe  veut. 
Rien  que  foy  ne  defire, 
le  fuis  encore  moins  de  ceux  là,  quifouuent 
Miferables,  helas!  fe  repaiffent  du  vent, 

Entretenans  leur  vie 
De  cet  heur  malheureux,  qu'ils  ont  pour  efperer^ 
Et  de  voir  fous  les  Rois  à  iamais  martyrer 
Leur  raifon  afferme. 
Moins  ie  me  fens  encor  de  ceux  là,  qui  fe  font 
Eux-mefmes  leur  poifon,  par  le  dépit  qu'ils  ont 

De  la  gloire  d'vn  autre. 
Car  fi  la  gloire  n'efï  qu'vn  ris  &  qu'vn  fouet, 
Rions  &  defirons  vne  gloire  eftre  ici 

Plus  aux  autres,  que  noftre. 
Et  combien  moins  feroy-ie  encore  de  ces  fous. 
Qui  pour  fe  contenter  f'appaftent  à  tous  coups 

D'vn  bien^u'Hs  fantaftiquent, 
Et  fe  flattans  en  l'heur,  qu'ils  n'ont  point  mérité. 


APPENDICE 


7n 


ODE 

AV   COMTE    D'ALCINOIS 

SVR  SES    CANTIQVES 


DV    PREMIER   ADVENEMENT   DE   lESVS  CHRIST  ". 


Le  Harpeur^  qui  dans  la  Thrace 
Donna  les  premières  lois  , 
Et  qui  feit  fuiure  fa  trace 
Et  aux  rochers ,  &  aux  bois  : 
Ny  celuy  dont  Vartifice 
Feit  orgueillir  Vedifice 
De  la  Thebaine  cité , 
Sous  fa  voix  fainâement  rare , 
Rangeant  le  peuple  barbare, 
A  fes  lois  inujtté  : 

Ny  mefme  les  mains  diuines 
Du  Sonneur  qui  en  la  fin 
Vainquit  les  ondes  marines , 
Sus  Vefpine  du  daulphin  : 
Ne  fonnoient  pas  chofe  vaine , 
Chofe  caduque ,  ou  humaine  , 
Pour  alecher  à  leurs  fons  : 


Mai»  quelque  hauite  merutiUt 
Rauiffoit  la  lourde  ortille 
A  leurs  celeftea  dianfons. 

Car  fi  le  defir,  ou  Vire 
Ou  l'amour,  on  eu/1  fonnê  : 
Qui  ejl-ce  gui  fous  leur  lyre 
Sefuji  alors  efionné? 
Qlii  eujl  laifféfa  nature , 
Pour  choifir  à  l'auanturt 
Les  loijc  maiftreffes  aînfi  ; 
Veii  que  pre/que  en  fa  naiffanee 
Chacun  prenait  cognoiffanee 
Decesaffeaionscy? 

Mais  encordant  la  peinture 
De  ce  monde  ramaffé ,  • 

Qlte  quelque  autheur  de  nalvre 
Avait  ainfi  compajfi, 
Deploram  la  vie  huntaine  , 
Serue  de  la  mort  prochaine. 
Et  monjlrans  que  les  efprils 
Des  hommes  mortels  ne  meurent , 
Ains  qu'après  la  mort  demeurent 
Au  litu  ,  duquel  ils  font  pris. 

Bref,  fonnanl  quel  bénéfice 
Rapporte  auxfiens  la  vertu , 
Et  que  le  plaifir  du  vice 
Efi  tout  foudain  abatu, 
Emouuoient  la  fourfte  pierre 
Ou  l'homme-befie  qui  erre 
•    Sans  mai/on  ,  &  fans  cité , 
Faifansfous  les  loix  égalles  , 
Leurs  affeÛions  brutal  les 
Céder  à  ciuilité. 

Ce/ont  là  les  pierres  dures  , 


/^\ 


APPENDICE.  329 


Oeft  là  Voreillé  rocher^ 
Ce  font  lesforefts  obfcures , 
Que  Von  voy  oit  p  arracher  y 
Ce  font  les  beftes  ployantes 
Sous  les  chanfons  emmiellantes , 
Ce  font  les  Dauphins  piteux , 
Qui  dans  leurs  moites  oreilles 
Receuoient  telles  merueilles 
Parmy  les  flots  dépiteux. 

Orpleuft  à  la  main  diuine 
Qjie  tels  monjires  empierre^ , 
'^ans  nojlre  baffe  machine 
Ne  feuffentplus  enferre  i[ , 
Et  que  de  ces  lourdes  beftes 
Elle  eufifaccagé  les  teftes 
Oftant  leur  viure  ocieux  : 
Mais  la  terre ,  helas ,  efl  pleine 
De  cejfe  race  vilaine 
S^obflinant  contre  les  deux. 

L^vnique  Autheur  de  noflre  efire 
Par  tout  oublier  fe  voit  : 
Lefeul  Prince  y  lefeul  Maiflre, 
Le  nourriffier,  qui  pouruoit 
A  no:^  baffes  indigences. 
Par  erreurs,  ou  négligences^ 
la  ia  deuient  odieux  : 
Mefmes  les  fonneurs  qui  tafchent 
D* entonner  fa  gloire ,  fafchent 
Les  oreilles ,  &  les  yeux. 

Mais  en  ce  tems  miferable , 
Dieu^  ce  grand  Dieu^  faiâ  chanter 
Maint  Orphée  plus  louable 
Que  celuy  qu'on  voit  vanter: 
Qui  contre  Vhumaine  rage 


21 


Sa  roitte  corde  encourage 
Le  plus  haull  pin  rabaijfanl . 
TantoJI  iTvne  douice  corde. 
Où  la  clémence  il  accorde. 
Le  rocher  amoïijfant. 

Drejfe^,  dreffe\  la  ortillef, 
Laijfej  fiater  doulcement 
De  ces  chanfona  nomparetUes 
Voftre  rude  entendement  : 
Recepuej  la  voix  facrée , 
Faiâes  à  ce  Conte  entrée. 
Non  plus  Conte  iJ'Ai.cihois  , 
Mais  Prince  des  hymnes  fainûei 
Rendant  les  gloires  ejlainâea 
De  tous  les  antiques  doigtj. 

Efco,U,c,/o,mr,,oir, 

Ce  grand  Orphée  enchanteur, 
Qui  charme  la  maifon  noire 
Aux  accords;  du  luth  chanteur: 
Et  retire  fa  penfée. 
Qui  iafeftoit  abaiffée 
Sous  la  fourche  de  Fluton 
Epouantant  tous  les  Diables, 
Qui  leurs  tourmens  incroyables 

De  Ibsvchhist  nouueau  né. 
Et  le  tiiumphe ,  S  la  gloire 
Contre  l'En/er  obftiné  : 
Confacrant  par  ces  Cantiques, 
La  dépouille  des  iniques 
Bourreaux  des  chetifs  humains 
A  Dieu,  qui  fous  nojlre  forme, 
Laua  le  forfait  énorme , 
Tuant  la  Mort  de  fes  mains. 


APPENDICE.  33l 


Qî^e  nous  fert  plus  de  redire 
Maint  fatal  enfantement , 
Qn^en  no!{  Menteurs  on  peut  lire 
Defcrit  fabuleufement  ? 
Fuyons  ces  vois  menterejfes. 
Que  nous  feruent  ces  Deeffes , 
L^vne  fortant  d^vn  cerueau  : 
Vautre  de  Vécume  fille  , 
Qui  aborde  en  fa  coquille , 
Vireuoltante  fus^  Veau? 

Qjie  nous  fert ,  finon  d"* amorce , 
La  race  des  oeuf\  iumeaus  : 
Et  Vautre  iffu  d^vne  écorce 
A  demi  fil^  des  rameaux  : 
Ou  voir  Bacchus ,  qui  d^vn  ventre 
Dedans  vne  autre  cuijfe  entre  ; 
Bref,  que  fert  à  moy  Chreftien 
Toute  naiffance  menteufe , 
Si  cette  naiffance  heureufe 
Eft  feule  caufe  du  bien? 

Que  me  fert  que  d'vn  vers  graue  , 

ranime  deuant  les  yeux 

Cefte  entreprife  tant  braue 

Des  Serpenfpiei^  &  des  Dieux  : 

Si  cefte  feule  viâoire 

De  lefus  Chrift  eft  ma  gloire 

Qui  fait  aux  enfers  effort  : 

Et  fi  cefte  feule  guerre. 

Dont  il  met  la  Mort  par  terre  , 

Me  fait  viure  après  ma  mort  ? 

Dequoy  me  fert  le  Parnaffe , 
UHelicon  Pegafien, 
Ou  encor  ie  m^abbreuuaffe , 
Comme  vn  refueur  ancien  ; 
Si  cefte  fain H e  Fontaine ,  • 


De  gract  S  de  douceur  plaine , 

Sourd  pour  tn'arracher  tTe/moy: 

Si  cefie  fainâe  nuisance. 

Me  donne  la  cognoijance 

Et  de  mon  Dieu  ,  S  de  mox^ 

Que  deuiendrar-ie  Jblajlre , 

A/riaadé par  les  vieux, 

Si  à  tous  coups  Pidolaflre 

Eh  mille  S  mille  autres  Dieux  : 

Veu  gu'il  in'ejl  tant  maaifejle , 

Que  l'ordonnance  etlejte 

Mêle  de/end,  &aujfi 

Q)ie  quand  le/us  Chriji  vint  naij}\ 

On  vit  céder  à  leur  maifire 

Tous  les  Idoles  d'icy? 

Celuy  qui  fa  Republique 
Nous  a  laijfee  en  portrait , 
Qlii  au  rang  Académique 

Bayiiffoit  les  faux  Poètes 
Hors  des  villes ,  quifuieles 
Etaient  au  ioug  de  fes  droits  : 
Mais  toy.  Comte,  dont  la  mufe 
En  ces  fables  nepamufe, 
Ta  place  tu  rclicndrois. 

Car  plus  iojk  bannis  des  villes 
Soient  de  Platon  les  efcrits , 
Que  tes  Odes  tant  vtiles, 
Abreuuoir  de  nos  efprils. 
Va  donc,  &  la  renommée 
Plus  conftammeni  emplumee. 
Trace  tout  ce  monde  bas  : 
Sa  courfe  prompte  S  durable , 
D'vn  Icare  miferable 
Le  tombeau  ne  craindra  pas. 


APPENDICE.  333 


Si  tes  chanfons  mal  ornées  , 
Que  fous  le  fiecle  obfcurci 
Tu  fais ,  depuis  dix  années , 
Villoter  par  ce  lieu  ci 
Meurent  par  leur  défaillance  : 
Voicy,  voicy  la  vengeance, 
Vengeance ,  qui  fièrement 
Pourrait  vaincre  la  mémoire 
Des  trois  Harpeurs ,  dont  la  gloire 
Pay  mife  au  commencement. 


A     LVY    MESME. 


Le  flamboyant ,  V  argentin  ,  le  vermeil , 
Œil  de  Phœbus ,  de  Phœbé,  de  V Aurore , 
Qui  en  fon  rond  brûle ,  pallit^  décore, 
Midi,  minuit,  Ventrée  du  Soleil ^ 

Ses  feus,  fon  teint,  Vhonneur  de  fon  reueil, 
Vouldroit  cacher,  brunir,  &  tenir  ore , 
Voyant  le  feu ,  qui  ard,  blanchit,  honnore , 
Ton  iour,  ta  nuiâ,  &  la  fin  dufommeil. 

Phœbus ,  alors  que  plus  le  ciel  alume , 
N*eft  poinâ  fi  beau  qu^on  le  voit  par  ta  plume , 
Phœbé  n^efl  poinâ,  ny  VAube  belle  ainfî, 

O  peintre  heureux  !  mais  plus  qu*Ange!  qui  ores 
As  bien  tant  peu  ,  que  mefme  tu  colores 
Le  Soleil  mieux  ^  la  Lune  ,  &  VAube  aufft. 


332  APPENDICE. 


De  grâce  &  de  douceur  plaine , 
Sourd  jpour  nC arracher  d'efmoy  : 
Si  cefte  fainâe  naijfance , 
Me  donne  la  cognoijfance 
Et  de  mon  Dieu  ,  &  de  moy  ? 

Que  deuiendray-ie  Jolaftre , 

Afriandé  par  les  vieux , 

Si  à  tous  coups  ndolaftre 

En  nulle  &  mille  autres  Dieux: 

Veu  qu'il  nCeft  tant  manifefte , 

Que  l'ordonnance  celefte 

Me  le  défend ,  &  auffi 

Que  quand  lefus  Chrift  vint  nai/lre. 

On  vit  céder  à  leur  maiftre 

Tous  les  Idoles  d'icv? 

Celuy  qui  fa  Republique 
Nous  a  laijfee  en  portrait , 
Qui  au  rang  Académique 
Plufieurs  encores  attrait , 
Baniffoit  les  faux  Poètes 
Hors  des  villes ,  qui  fuie  tes 
Efloient  au  ioug  de  fes  droits  : 
Mais  toy.  Comte  y  dont  la  mtife 
En  ces  fables  nefamufe , 
Ta  place  tu  retiendrois. 

Car  plus  tojl  bannis  des  villes 
Soient  de  Platon  les  efcrits , 
Que  tes  Odes  tant  vtilcs , 
Abreuuoiv  de  nos  efprits. 
Va  donc,  &  ta  renommée 
Plus  conflamment  emplumee, 
Trace  tout  ce  monde  bas  : 
Sa  courfe  prompte  &  durable  , 
D'vn  Icare  mif érable 
Le  tombeau  ne  craindra  pas. 


APPENÛICF.  335 


De  fon  immortalité, 
Dont  le  trait  viuement  affole, 
Les  Dieux  repeu^  en  leur  parollc. 

Q}ti  eft-ce  qui  la  Nature 
Tant  diuerfe  en  fes  effet:{ 
Peut  animer  en  peinture. 
Sinon  les  fonneurs  parfait:( 
Qui  d'vne  main  induftrieufe, 
La  font  de  foymefme  amour eufe? 

Contre  le  Ciel  peut  me/prendre 
Le  peintre  qui  de  fa  main, 
Dans  fon  tableau  tâche  rendre, 
Deffou:(  vn  vif  âge  humain, 

La  face  &  la  force  animée, 

D^vn  Dieu  fuieâ  à  la  fumée. 

Mais  le  labeur  d^vn  Poète 
Que  la  rouille  ne  corront 
Dont  la  carte  n*eflfuiette 
A  rien  quifoit  en  ce  rond. 
Les  Dieux  en  leur  nature  trace. 
Et  mefme  entre  les  Dieux  prend  place. 

La  Caftianire  heureufe, 
Que  Magny  adore  icy. 
Dans  la  table  rechineufe^ 
N^eufl  pas  efïé  peinte  ainfi. 

Et  pour  vne  Déeffe  telle, 

La  table  feroit  trop  mortelle. 

Qui  efi-ce  qui  peindroit  Vame 
Ornement  de  ce  beau  corps, 
Qui  efl-ce  qui  cefie  flame. 
Qui  efï-ce  qui  ces  accord:^. 
Ce  beau  port,' ces  humbles  brauades, 
Ces  propos,  ces  ris.,  ces  œillades  ? 


334  APPENDICE. 


SVR   LES    PESCHERIES, 

BERGERIES  ET  EGLOGVES  DE  CHASSE 


DE      CLAVDE     BINET". 


Ton  Neptun  ,  mon  Binet ,  ton  Pan ,  &  ta  Diâynne  , 
Sous  le  marbre  des  eaus,  dans  les  pre\,  dans  les  bois^ 
De  Trident  j  de  houlette  ^  &  d? ef pieu  fous  f es  lois 
Ne  tient  tant  de  poijfons ,  d'aigneaux ,  de  fauuaginef 

Que  ta  longue  mufette  &  que  ta  trompe  orine , 
Aux  riues,  aux  vallons,  &  aux  taillis  plus  cois, 
Fait  outr,  fait  parler,  fait  courber  fous  ta  vois, 
De  flot  ^,  de  rocs,  de  raims  à  la  verte  courtine^ 

Le  Daufin  as[uré  à  VOurque  au  pefant  cors , 
Le  loup  à  la  brebis  f  accorde  à  tes  accors , 
Le  chien,  le  dain  craintif  à  toy  bornent  leur  quefle. 

Donc  pefcheurs,  &  bergers,  chaffeurs  venes[  lier 
De  vert  myrthe  marin,  de  faule ,  &  de  laurier, 
La  ligne ^  la  houlette,  &  le  dard  d^vn  tel  poète. 


ESTIENNE    lODELLE 

Pari  lien 

(a    OLIVIER    DE    MAGNY). 

ODE'". 

L es  poètes  fauorables 

A  mys  de  la  Deité, 

Sont  les  peintres  pardurables 


APPENDICE.  337 


SONET. 

(a    salel.  ) 

Sur  quel  riuage  à  mes  yeux  incogneu, 
Dedans  quel  bois  faintement  folitaUe, 
Ou  en  quel  coin  farouchant  le  vulgaire 
As-tu j  PhebuSf  mon  Salel  détenu? 

Salel  vainqueur  de  ce  faucheur  chenu, 
Salel  qui  tant  par  f es  vers  me  peult  plaire? 
La  France  ainjifa  plainte  vouloit  faire 
Quand  fon  Salel  de  rechef  ejï  venu, 

Luy  apportant  cejle  abondante  corne, 

■^    Dont  il  répand  le  beau  fruyt  qui  nous  orne, 
Fruyt  quHl  acouple  à  ce  prefent  fécond. 

Qu'au  iardin  Grec  iadis  on  luy  veit  prendre. 
Lors  quHlfe  fit  vn  Homère  fécond 
Digne  du  lit  de  mon  grand  Alexandre. 


A  LA  MEMOIRE 

(de  salel"). 

Qiiercy  m'a  engendré,  les  neuf  Sœurs  m'ont  appris. 
Les  Rois  m'ont  enrichy^  Homère  m'eternife , 
La  Parque  maintenant  le  corps  mortel  a  pris, 
Ma  vertu  dans  les  deux  Vame  immortelle  a  mife  : 
Donc  ma  feule  vertu  m' a  plus  de  vie  acquife. 
Plus  de  deuin  fcauoir,  plus  de  richeffe  aufji 
Et  plus  d^éternité,  que  n'ont  pas  faià  icy 
Quercy,  les  Sœurs,  les  Rois,  V Iliade  entreprife. 


hdelle.  —  II  22 


lEPlTAPHE   DE  CLEMENT   MAROT" 

Quercy,  la  Cour,  h  Piémont,  l' Vniuers, 
\tefil,  me  Uni,  m'eaterra,  me  connut; 
Qjierey  mon  los,  h  Cour  tout  mon  tems  eut, 
Piémont  mes  os,  S-  V  Vniuers  mes  vers. 


(A    lEAN    DE    VOYER, 


ViCONTD   DE   PAVLMVj 

l'ii  Diaiogirmc  du  Gcnic  &  <lu  PalTant. 

SONET". 

L.G.N'outrepaffe PaJfant.L.P. Pourquoydoncq^L.G.  VnGet 
T^en  requiert,  pour  vn  Mort,  gui  auecq  Mars  chtrit 
Les  Mufes,  &  des  deus  fc  rendit  fauoril  : 
A  fan  los,  l'œuil,  taureille,  S-  la  «ois,  ne  dénie.  _ 

L.  P.  CanimentV  A  qui  les  Arts  &  les  Armes  manîc         ^H 
En  ce  tens,  le  mérite  &  te  vray  los  périt  :  ^U 

La  Fiance  des  l^eaus  Arts,  qu'elle  JJa!e,/e  rit, 
Par  Armes  fur  foymefme  acharnant  fa  manie. 

L,  G.  Mais  quoy9  La  Mufe  vange  après  la  mort  le  tort 
Fait  à  la  vie  :  S  Mars  /ail  tuyie  après  la  mort 
Ceusqui  leur  Dieu,  leur  Roy,  Jbntfeul  but  de  leur  guerre  : 

Tel  fut  ce  Cheualier  De  Paulmy.  L.  P.  Poy,  levoy. 
Ma  vois  ejl,  qu'il  mérite  &  pleurs  S  fleurs  de  moy. 
Gré  des  Roys,  du  Ciel  gloire,  &  renom  de  la  Terre. 


APPENDICE.  339 


(A   I.    DV   BELLAY. 

sonnet".) 

le  Jçay  bien,  du  Bellay,  que  Rome  eft  le  bordeauy 
Où  Von  voit  paillarder  fans  fin  le  corps  S-  Vame  : 
Le  corps  y  eft  efpris  d^vne  bougreffe  flamme, 
Vefprit paillarde  auec  VAntichriftfon  boureau. 

Elle  eft  de  tout  erreur  contre  Chrift  le  Chafteau, 
V enfer  de  tous  les  bonSy  desfaux-prefcheurs  la  dame  : 
Et  de  nos  Rois  charme^  la  concubine  infâme  : 
Des  Mufes,  des  lettre!^,  des  vertus  le  tombeau. 

Elle  eft  des  Empereurs  la  fine  larronneffe: 
De  la  grâce  de  Dieu  fauffe  reuendereffe  : 
Lafource  de  tout  mal,  le  gouffre  de  tout  bien. 

Bref  que  dirai~ie  plus?  c^  eft  cette  pute  immonde. 
Que  Von  nomme  à  bon  droit  le  chef  de  tout  le  monde 
Puifque  le  monde  entier  auiourd^hui  ne  vaut  rien. 


DE    TH.    DE    BESZE, 


FAISANT  L*AMOVU*\ 


Bef^e  voulant  plaifanter  vn  petit 
Difoit  vn  iour  à  vne  non  fottarde  : 
De  vous  baifer  Vauroy  grand  appétit, 
Mais  voftre  ne:{  qui  eft  fi  long  m^engardc. 
La  dame  alors  viuement  le  regarde, 
En  luy  dîfant  :  Pour  fi  peu  ne  tene:{, 
Car  fi  cela  feulement  vous  engarde, 
Pay  bien  pour  vousvn  vif  âge  fans  ne^. 


(EPITAPHE   DE  CLEMENT    MAROT".) 

Quercy,  la  Cour,  le  PUmonl,  V  Vniucrs, 
Me  fil,  me  tint,  m'enMrra,  me  connut; 
Q}iercy  mon  los,  la  Cour  tout  mon  tems  eut, 
Piémont  mts  os,  S-  rVniuers  mes  vers. 


(A    lEAN    DE    VOYER, 

VJCONTE    DE    PAVLMY) 

l'i!  Dinlogirmc  du  Gcnîc  &  <lu  PatTanl, 
SONET*'. 

L.G.N'outrcpaJfePaffitnt.L.P.Poui-quoxdo>icq?l.C.VA(itm 
T'en  requiert,  pour  vn  Mort,  qui  auecq  Mars  cheril 
Lti  Mufes,  &  des  deusfe  rendit  fjuorit  : 
A  fan  loi,  rœuil,  l'aureille,  <?  la  vols,  ne  deaie. 

L.  P.  Comment?  A  qui  les  Arts  if  les  Armes  manie 
En  ce  tens,  le  mérite  S  le  vray  los  périt  : 
La  FiLiiice  des  beaus  Arts,  qu'elle  flale,fe  rit, 
Par  Armes  fur  foymeftae  acharnant  fa  manie. 

L.  G.  Mais  quoy?  La  Mufe  vange  après  la  mort  le  tort 
Fait  à  la  vie  :  &  Mars  fait  luyre  après  la  mort 
Ceus  qui  leur  Dieu,  leur  Roy ,  fontfeulbut  de  leur  gueiTe  : 

Tel  fut  ce  Chcualier  De  Paulmy.  L.  P.  Poy,  levoy. 
Ma  vois  e/i,  qu'il  mérite  &  pleurs  &  fleurs  de  moy, 
Gré  des  Roys,  du  Ciel  gloire,  3  renom  de  la  Terre. 


APPENDICE.  339 


(A   I.    DV   BELLAY. 

sonnet".) 

le  fçay  bien,  du  Bellay,  que  Rome  eft  le  bordeauj 
Où  Von  voit  paillarder  fans  fin  le  corps  &  Vame  : 
Le  corps  y  eft  efpris  d'vne  bougrejfe  flamme, 
Vefprit paillarde  auec  V Antichrift  fon  boureau. 

Elle  eft  de  tout  erreur  contre  Chrift  le  Chafteau, 
V enfer  de  tous  les  bons,  desfaux-prefcheurs  la  dame  : 
Et  de  nos  Rois  charme^  la  concubine  infâme  : 
Des  MufeSy  des  lettre:^,  des  vertus  le  tombeau. 

Elle  eft  des  Empereurs  la  fine  larronneffe: 
De  la  grâce  de  Dieu  fauffe  reuendereffe  : 
La  four  ce  de  tout  mal,  le  gouffre  de  tout  bien. 

Bref  que  dirai-ie  plus?  c^  eft  cette  pute  immonde, 
Que  Von  nomme  à  bon  droit  le  chef  de  tout  le  monde 
Puifque  le  monde  entier  auiourd^hui  ne  vaut  rien. 


DE    TH.    DE    BESZE, 


FAISANT  L*AMOVr"\ 


Bef:ie  voulant  plaifanter  vn  petit 
Difoit  vn  iour  à  vne  non  fott'arde  : 
De  vous  baifer  Vauroy  grand  appétit, 
Mais  voftre  ne^  qui  eft  fi  long  m^engardc. 
La  dame  alors  viuement  le  regarde. 
En  luy  dîfant  :  Pour  fi  peu  ne  tene:{, 
Car  fi  cela  feulement  vous  engarde, 
Vay  bien  pour  vousvn  vif  âge  fans  ne^. 


î-to 


Apres  que  ces  pipeurt  onl  demafqué  leurjby, 
Affrimli  leur  Jtigneur  en  baiaille  rangée. 
Qu'ils  OHl  dedans  Paris  fa  per/omie  a/ftegee^ 
Failly  à  la  fiirprendre  &  luy  donner  la  loy; 

Apres  aaoir  eneor  mis  ta  F'rance  en  effroy, 
Eiaiaki  fa  frontière  &  Vauoir  engagée 
A  r Anglais  defloyal,  après  Vauoir  chargée 
Ue  fubfide  &  d'impojl  au  mefpn's  de  leur  Roy; 

Voyons  à  la  parfin  le  fer  viâorieiix. 
Le  fer  &  Vonde  auffi,  par  le  vouloir  des  deux. 
Forcer,  venger,  purger  leurs  fautes  critnîneHes, 

Ces  martyrs  ob/liaés  en  leur  rébellion 
Se  couitrans  du  manteau  de  Perfecution, 
Dieu,  difent  ils,  ainji  efprouue  fes  ftdelles! 


SVK    LES 


SONNET 

iEAVTEZ    d'vnE    GAHSe". 


Comment  pourroy-ie  aimer  vn  fourcil  bériffé 

Vn  poil  roux,  vu  œil  rouge  au  teint  de  couperose 
lus  grand  bouche  inceffc  '     ' 

>i  efprit  de  ces  leurcsfu 


•  -i  f-ji-  •  w^x,  vn  œil  rouge  au  teint  de  couperose 
Vn  grand  ne\,  plus  grand  bouche  inceffamment  declofe 
Pour  gefner  mon  efprit  de  ces  leurcs  fuccé. 


APPENDICE.  341 


Vne  gorge  tannée^  vn  colji  mal  drejfé^ 
Vn  eftomaq  Ethique,  vn  tetin  dont  ie  n^ofe 
Enlaidir  mon  fonnet^  &  qui  eft  pire  chofe 
Vne  bouquine  aiffelle,  vn  corps  mal  compafféf 

Vn  dos  qui  rèjfembloit  d^vne  mort  le  derrière. 
Le  ventre  befacier,  la  cuiffe  heronniere 
Et  mefme  quant  au  rcfte,..  Ah  fi  fonnet  taî-toi! 

Oeft  trop  pour  demonftrer  à  tous  quelle  deeffe. 
Tant  le  Ciel  îe  moqua  de  V amour  &  de  moy, 
Deuoroit  les  beaux  ans  de  ma  verte  ieuneffe. 


CE  QVI  FVT  CHANTE  AV  LOVVRE  POVR  LA  BANDE 
DE  FLORE  ET  PHŒBVS. 


CHANT   DE    PAN«\ 


Flore  la  deeffe  des  fleurs 
La  terre  efmailla:)it  de  coulleurs, 
D'odeurs  enbaume  &  ciel  &  terre;  - 
Nature  emprunte  tout  le  teind 
Dont  vo;f  beauté^  mefme  elle  painû. 
Sur  les  fleurs  que  fa  corne  enferre 
La  belle  aurore  &  de  Phœbus  la  fœur 
En  va  triant  fes  rofes,  fa  blancheur. 
Et  Phœbus  Vor  des  grands  traiâs  quHl  déferre. 

Tout  ce  qu'ont  les  Roys  &  les  Dieux 

Délicieux  ou  précieux 

y  prend  odeur  ou  coulleur  belle; 


ipPEVnice. 


L'amintiJU  h  cn^  fem  fiUa  : 

ToM  omemeMife  amtre/aid 

Defiu  Ut  kMwc  oratmeai  d'elle. 

Km  lo^i  priatemft  U  ciel  en  reckerip 

La  terre  Mb  S-leprmtempi  qmi  rit. 

Comme  vtig  ferpeni  te  monde  en  renouuelle. 

Fhre  ne  faiâ  fot  fcuUement 
Raieunir  par  /on  orn^m^iil 
Le  monde,  mau  qaa.»d  la  mi/ere 
Faià  pre/que  vitg  grand  règne  périr 
Des  qu'il  eommcuce  à  reftorir 
Flore  Ivy  femble  tfire  prajpere. 
Qui  en  re/at  défia  refioriffant 
Reuerfe  aînfi  qu'au  ehampt  reuerdiffaat 
Les  heurs,  les  Jleurs  dont  eUefefaia  mère. 

Elle  vouloit  Ici  champs  français 

Et  les  champs  de  nos  voifias  royt 

Hayr,  6  fe  rendre  fauuagc, 

Moy  Pan,  S  ces/atirei  ey. 

Cet  komma  fauuaget  aaffy, 

La  trouuafmes  eu  tel  courage. 
Elle  vouloit  exécrant  voj  malheurs 
Priuer  toute  herbe  S  tout  arbre  de  fieur» 
Faijant  finir  par  Jorce  voftre  rage. 

Mais  hors  de  ces  boys  incogneuj 
A  nous,  à  ces  hommes  tout  nuds 
Eftrange  S-  fiirt  loinglain  repaire. 
Apres  la  paix  fe  fata  mener 
En  ce  lieu  prefie  à  retourner 
Si  la  paix  fen  voulloit  retraire. 
le  Vaccompaigtie  en  chants  S  fons  Jiuers, 
Pour  elle  encor  i'ay  dreffé  d'autres  vers 
Pour  de  fou  veiiil  vng  oracle  vous  faire. 


VO: 


S  fcaurej  par  eux  qu''elle  veult 


APPENDICE.  343 


Faire  floriv  tant  qu^elle  peult 
Non  feuUement  vof  iardinaiges, 
Vox  pre^y  [^]  vox  champs  y  &  vo^  bois , 
Mais  bien  le  beau  fil^  de  vof  Roy  s 
Qui  fletrijfoit  foub^  vojf  orages. 
Or  fi  ces  vers  plaifent  à  vos  beaultei 
On  ne  verra  déformais  furmonte^ 
Par  Apollon  mesfept  tuiaux  fauuages. 


CHANT   DE   VENVS 
povR  l'entrée  des  tenans  a  l^hostel  de  gvyse". 


Auant  qu^en  ce  throfne  monter 
Pour  trois  cheualiers  prefenter 
Dont  ie  voy  Vame  &  la  main  prefte, 
Vair,  la  mer,  les  mont^  &  les  boys^ 
Lors  qu^en  mon  char  ie  defcendoys, 
A  ma  defcente  faifoient  fefte. 
Tout  Vair  riant  fe  ferenoit 
Et  la  mer  calme  fe  tenoit. 
Les  montx  S-  des  forefts  le  fefte 
Soub^  moy  prefque  en  fleur  reuenoit. 

Pay  toufiours  des  hommes  efté 
Comme  des  dieux  la  volupté  ; 
Et  du  tiers  ciel  où  ie  domine 
Penuoye  non  les  Cupidons, 
Les  Jeux,  les  Ri^  qui  leurs  brandons 
Arment  d^vne  flamme  maligne, 
Mais  d^vng  hault  amour  le  defir 
Qui  peult  ces  grands  hommes  faifir 
Lorfque  quelque  beauté  diuine 
Se  rend  feul  but  de  leur  plaifir. 


344 


APPENDICE. 


lefaij  ejire  tout  ce  qui  ejt, 
tf/ai^plaire  tout  ce  qui plaifl. 
Pourtant  toute  cho/e  nf  honore  ; 
Vous  doncq  honorer  me  deue^ 
Dames  qui  de  Venus  auej 
Tout  cela  qui  plus  nous  décore  : 
Mah  fi  iioas  con/iderej  bien 
Pouf  quelle  caufe  icy  ie  vien. 
Plus  d'koneur  mc/erej  encore. 
Car  ce  party  ejl  vojlre  S  mien. 

Mercure  vous  a  faiâ  fcauoir 

Par  des  vers  qu'on  vous  a  faiâ  v 

De  Mars  S  de  moy  la  querelle. 

Pogre  le  cartel  &  la  fay 

De  ces  trois  qui  tiennent  pour  may, 

V/ej,  dames,  de/aueuv  telle 

Qu'elle  leur  double  ettcor  le  cueur  : 

Si  vous  nousprejle^  vng  tel  heur , 

Efperej  de  Venus  la  belle 

En  voj  amours  l'heur  S-  l'honneur. 


Oncques  Iraiâ,  Jlamme  ou  lacqs  d'amoureufe  fallace 
N'a  poingt,  bru/lé,  lié,  fi  dur,  fioid,  deftaché 
Cœur,  comme  eftoit  le  mien  bleffé,  ars,  attaché. 
Miferable  qui  èft  enfipenible  chage. 

Ferme  &  gellé  trop  plus  que  le  marbre  &  la  glace. 
Libre  &  franc  le  n'auois  crainte  d'ejlre  empefché 
Depiaye,feu,priJon,  maisviuement  touché 
M'a  I  arc,  m'a  le  brafier,  m'a  la  relj  qui  me  lace. 


'è 


APPENDICE.  345 


Transflx,  desfaiâ  iefuis,  &  tellement  eftraint 
Qu'aultrecœurquele  mien  n^ouure,  n*enflambe  ou  ceint 
Dard^  brandon  ne  lien  de  rigueur  plus  extrême  ; 

Et  ne  peult  aduenir  que  le  nœu,feu  &fang 

Qui  m^eftrainâ\,  me  confomme  &  m^abreuue  le  flanc^ 
De/lie,  eflraigne^  eftanche  autre  que  la  mort  mefme. 


STANCES 


SVR  LE  DEPART  DE  MADAME  LA  MARESCHALLE 

DE  RETZ"*. 


Le  Ciel  pleure  vng  départ,,  le  Ciel  faiâ  diftiller 
Vne  pluye  foudayne  ef  campagnes  de  Vaer, 
Voyant  iafaprejïer  à  ce  loingtain  voyage 
Vne  Diâynne  telle  en  toutes  fes  grandeurs 
Qu^au  bruiâ  de  fon  départ  le  Ciel  ieàe  des  pleurs 
Craignant  d'eftre  efloigné  de  fon  diuin  vif  âge. 

Ce  n^eji  pas  tout  le  Ciel  qui  pleure  fon  départ^ 
Oejï  V endroiâ  feulement  ou  fon  heureux  regard 
Faiâ  luyre  fes  foleil^  deffus  les  bors  de  Seyne 
Quife  monjire  ialoux^  parce  que  fes  beaux  yeulx 
Vont  bientojl  faire  honneur  à  ce  quartier  des  deux 
OU  borne  fa  longueur  le  pats  de  Lorrayne, 

Heureufes  pleurs^  heureux  tout  ce  Ciel  larmoyant^ 
Heureufe  nue  où  fort  ce  crijlal  ondoyant^ 
leâé  pour  le  départ  d^vne  fi  belle  Dame! 
Mais  plus  heureux  encor  les  champs  &  les  pais 
Où  tant  de  Citoyens  feront  fort  efbahis 
Voyants  luyre  [à  leurs  yeux]  vne  Diuine  flame. 


21* 


346  APPENDICE. 


Les  fleurs  qui  commençoient  à  changer  de  couleur 

S^ enrichiront  encor  (Vvne  gaye  verdeur, 

Et  le  North  froydureux  guidera  la  campagne  ; 

Vng  gracieux  Zephire,  vng  émail  du  printemps, 

Vne  moijfon  de  fleurs  enrichira  les  champs 

Où  fa  grandeur  y ra  coftoyer  VAlemagne, 

Courtifans,  ne  craigne:^  les  rigueurs  d^vn  hyuer. 
Quelle  part  qu^on  verra  la  Diûynne  arriuer 
On  ne  verra  qû* œillet:^  &  quvn  trefor  de  ros[es  : 
Elle  peut  d^vn  regard  tout  le  monde  enflammer 
Et  V ardeur  de  fes  feux  fai&  foudain  confumer 
Les  glaces  d*vn  hyuer  dedans  la  terre  enclofes. 

Elle  a  pouuoir  au  Ciel,  elle  ef claire  ef  Enfers, 
Elle  prœfide  e\  bois,  &  aux  plus  grands  defers^ 
Faifant  craindre  partout  fa  diuine  puiffance  : 
L^ hyuer ^fll:(  de  nature^  &  du  Ciel  a:{uré. 
Contre  fon  beau  Soleil  ne  feroit  affeuré 
Veu  mefme  que  Icr  Ciel  luy  porte  obeiffance. 

Helas!  ce  beau  foleil  enrichi  de  fcauoir , 
De  gracCy  de  vertu:ç,  &  dHnfini  pouuoir 
Nous  cachera  bientofl  les  rai:(  de  fa  lumière  : 
Nous  la  perdrons  de  veue  auec  mefme  langueur 
Que  la  fleur  du  Soucy  pert  la  claire  lueur 
Du  Soleil  abaiffant  fa  treffeprintaniere. 

Non  point  que  le  Soleil  de  fes  perfeâions 

N'^aye  bien  le  pouuoir  d^épendre  fes  rayons 

Des  le  pais  lorrain  iufqu^en  Vifle  de  Finance  : 

Son  Soleil  luyt  par  tout,  fa  grandeur  en  tous  lieux 

Defcouure  excellemment  vn  luftre  précieux. 

Mais  Vheur  eft  bien  plus  grand  près  de  luy  qu^  en  Vabfence. 

Il  n'y  a  rien  que  d'eftre  auprès  de  fon  flambeau  : 
Les  peuples  froidureux  qui  combatent  fur  Veau, 
Voyerit  bien  les  rayons  de  ce  grand  œil  du  Monde  : 


f 


APPENDICE.  347 


Mais  tel:^  rai:{  affoibli:(  ont  bien  peu  de  pouuoir 
Trop  loing  de  VMquateur  qui  nous  faiâ  receuoir 
Tous  les  feux  epandu^  fur  la  machine  ronde. 

Il  n^y  aura  plaijir  qui  puiffe  contenter 
No:(  Efprits  éperdu:^  fi  Ion  voit  abfenter 
Cefte  belle  Diane  à  no:{yeulx  eclipfée  : 
Vefclipje  &  le  deffault  (Vvne  telle  beauté 
Ne  rendront  à  no^yeulxrien  qu^vne  obfcuritéj 
Qu^ennuy  &  que  trifïeffe  à  nof  cueurs  enlacée. 

Vng  lardin  enrichy  des  fleurons  du  printemps 
N'apporte  tant  de  dueil  aux  yeux  des  regardans 
Quand  Vhyuer  faiâ  iaunir  leur  couleur  basanée , 
Qjie  nous  aurons  d^ennuy^  en  ce  trifïe  départ 
Voyants  à  grand  regret  fen  aller  autre  part 
Cefïe  Nymphe  fi  tofï  de  nos  yeulx  efloignée. 

Au  moings  Ciel  larmoyant  mets  fin  à  tes  ennuys, 

Reprens  ton  bon  vifage  &  maintenant  reluys 

Aux  lieux  où  doibt  paffer  Vheur  de  fon  excellence  : 

Ton  dueil  efi  infiny  de  mefme  que  le  mien  y 

Si  nous  fault  il  refouldre,  &  luy  monfïrer  combien 

Nous  voulons  obeyr  aux  vœux  de  fa  puiffance, 

Toy  qui  as  fymp'atie  à  fon  Efprit  diuin, 
Fais  de  ton  beau  regard  deffecher  le  chemin 
Et  d*vn  temps  embelly  efiouysfon  courage. 
Moy  qui  ne  puis  fi  hault  eftendre  mon  pouuoir  y 
Par  Vaccent  de  mes  vers  ie  feray  mon  deuoir 
De  fouhaider  tout  heur  pour  fon  loingtain  voyage. 

Penchanteray  Vennuy  d^vn  hyuer  froidureux^ 
Le  trauail  du  voyage ^  &  les  vents  amoureux 
De  fes  rares  beaute^y  &  de  fa  bonne  grâce  : 
Son  nom  tant  renommé  ce  fera  le  nomfainâ 
Au  feul  pouuoir  duquel  leur  bruiâfera  contraint 
De  ronfler  autre  part  qù*  aux  entours  de  fa  face. 


348  APPENDICE. 


Et  Vefpoir  que  Vauray  de  la  veoir  au  retour 
Charmera  les  regrets,  le/quel^  comme  vng  vautour 
Loing  cPelle  rongeront  le  creux  de  ma  poitrine  : 
le  feray  Promethée^  &  V aigle  ma  doulleur^ 
Mais  cet  efpoir  que  Vay  en  fa  feulle  grandeur 
Ce  fera  mon  Hercule  &  ma  faueur  diuine. 


(SATIRE 

CONTRE    LE    CHANCELIER    DE    L'HOSPITAL'^y 

//  vit  encores  ce  vieillard. 
Ce  mefchant  afne  montagnard, 
Et  veoit  auec  impunité 
De  fon  pays  Vembrafement 
Dont  malheureux  il  a  ejlé 
La  caufe  &  le  commencement. 

Il  eftjier  defeftre  vangé, 

Ce  fils  d^vn  bonnet  orangé. 

Des  chrejiiens  &  des  bons  François, 

D^auoir  foub^  mafque  de  prudence 

Trahy  la  bonté  de  deus  Rois 

Mefmes  au  tcms  de  leur  enfance. 

Mais  Dieu  nous  fçaura  bien  venger 
Vn  iour  de  ce  monfîre  efiranger, 
Et  puis  quUl  tarde  fa  iuflice^ 
C'efi  quHl  luy  prépare  vn  fupplicc 
Eternel,  qui  ne  fera  pas 
Finir  fa  pêne  à  fon  trefpas. 

Il  a  efcrit  que  cefte  peflc 
Huguenotte  il  fuit  &  detcfte^ 
Qu^il  ofïra  ce  chancre  pourry 


APPENDICE.  349 


Si  vn  tour  les  f eau  s  il  exerce; 
Mais  qui  Va  mieus  creu  &  nourry 
Que  ce  médecin  cV Aigueperce? 

Oeft  ce  preudhomme,  ce  Renart 
Qui  a  régné  en  Leopart, 
Dont  mefchamment  &  en  malheure 
Il  ne  peut  faillir  qu'il  ne  meure 
Comme  vn  chien ^  car  il  ne  peut  croire 
De  Vame  V immortelle  gloire. 

Jamais  on  ne  veid  tel  pipeur 

Si  feint  f  Jî  menteur,  fi  trompeur. 

Et  iamais  n'a  eu  lefuchrift 

De  fi  rebelle  créature, 

C*e/?,  feft  le  dernier  Antechrift 

Duquel  parle  tant  VEfcriture. 

Von  penfoit  à  veoirfon  vifage 
Que  ce  fuft  vn  grand  perfonnage, 
Le  teint  pafle  &  Vœil  enfoncé, 
Le  ne^  grand,  le  fourcil  froncé, 
La  barbe  blanche^  &  longue  efchine, 
Mais  tout  ce  n'eft  que  poil  &  mine. 

Car  f  on  ediû  des  deus  Eglifes, 
Les  daces,  puis  les  paillardifes 
Des  fiens,  du  feau  les  pilleries. 
Ses  biens,  fes  rudes  poéfies, 
Tefmoingnent  qu^oncques  il  n'a  eu 
De  Dieu,  de  fçauoir,  de  vertu. 

Sa  vertu  eft  d^eftre  vn  Prothée, 
Sa  neutralité  d^eftre  Athée, 
Sa  paix  deus  lignes  maintenir  : 
Changer  les  loix^  c*  eft  fa  prattique, 
Sa  court  les  pédant:^  fouftenir, 
Et  fon  fçauoir  d^eftre  hérétique. 


35o  APPENDICE. 


Si  le  vice  &  Vinfuffifance 

n  portait  donc  foub\  Papparence, 

A  Von  en  France  tant  efté 

A  defuelopper  fes  denrées^ 

ET  Va  Von  fouffert  tant  d'années 

Humer  Vair  qu'il  ha  infeâé  ? 

Non,  non  :  quHl  meure  où  il  pourra  ; 
Toufioursfon  nom  Von  dannera 
Et/on  vmbre  à  iamaisfera 
Le  phantofme  &  Vefpouuentai 
Du  chreftien  quife  croifera 
Toujiours  à  ce  mot  d^Hofpitai. 


NOTES 


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NOTES 


C'est  par  CE  recneiLqnecoininencentLfsŒiiiirei  de  Jodells  dana 
lu  dcui  éditions  de  Charles  de  la  Mothe;  noua  avons  jugé  qu'il 
convenait  mieux  de  présenter  d'abord  au  lecteur  les  ouvrages  dra- 
matique» du  poète.  Voyez  note  4  du  tome  I",  p.  3ii.  L'ordre 
■doplé  dans  les  éditions  originales  pour  le  classement  des  pièces 
qui  composent  Les  Amoars  a  d'ailleurs  ét£  suivi  rigoureusement 
par  nous,  sauf  l'unique  eiception  indiquée  ci-après  dans  les  notes  11 
et  16. 

A  qni  sont  adressés  les  quarante-sept  sonnets  par  lesquels  com- 
mencent Le>  Amours? 

Réunissons  d'abord  les  divers  renseignements  précis  épars  dans 
les  vers  de  Jodelle,  ensuite  nous  hasarderons  nos  conjectures. 

L'objet  des  amours  du  poète  est  une  veuve  (sonnet  IIII,  page  3), 
mère  dune  fille ,  tendrelette  i  la  ïérité,  et  qui  tette  encor  (son- 
net XLVll,  page  24),  Jodelle,  en  dépit  de  sa  flamme  purement 
poétique,  désire  fort  un  mariage  qui  amènerait  sans  doute  quelque 

brusquement  à  l'épi t bal ame  :  dès  le  quatrième  sonnet,  il  dit  à  sa 
_.  En  veuuage  enuieitlir  tu  ne  dois. 


me  elle  ne  u  MMt  t 
X  au  irente-diiquîtaie  sonnet,  m  l'ierie  : 
Pourmit-ie  roir  l'kfurevfe  &  fatale  i 
Qii  dnx  awm.  itria  caeun.  £-  Jeux  • 
XMk)  le  beau  rel  ifaiKour/e  irerraMl  carejèj 
Epiiement  toat  deux  du  doux  bien  ^Hymenee? 
I  ton  «ithaBsiisme.  il  Iiiik  mime  ^happer  1«s  noms  dndtu 
,  D'ordiniire  il  appelle  eo  iaa 
II  de  V<nD>  oD  Diane,  ie  PaUai  o 
MUMive.  qu'il  lui  donne  «uni  (unnels  Itl  cl  XXWiri,  pages 
cl  3e),  n'en  qu'une  politesse  de  poile,  tandis  que  le  prénom  Ai 
toinetle,  rien         mythologique,  doit  noua  inspirer  IguI 

ConOBOct. 

Eumloonc  maimeaanl  la  devïM  de  laïeunc  leuve;  c'etl^Tii 
fia,  Itnaïu.  •  {Voyei  ci-aprè»  note  4.)  CeMe  devise  ne  nous»! 
prend  rien  par  elle-même,  mais  chacun  des  deu>  mots  qui  ta  a«c 
posent  1  an  lynoDjme,  et  ces  deux  syuanytncK  Ttpéxii  à  sitîâ 
dlnt  Let  Amoun,  bien  que  foi^  différents  l'un  de  l'uulie  fat  ta  li 


dit  iDuEd'alwrd  Jodellc  i  >i  dune  (sonne!  II,  page  9).  Les 
cri  «ont  les  rayons  brQlanti,  eaflummés,  le  feu;  le  rets,  c' 
nixad;  ca  eipresiioni  revienoenl  i  chaqne  inslanl.  Nous  t 
tout  *  l'heore  de  voir  tes  dsux  amants  enlacés  dans  te  beau  «t  J"»-  | 
moarîdansunsonneldeMjjpCTiiin!  (page  3+4),  quia  sansdm 
partie  des  Amouri,  Jodetle  parle  encore  de  •  ta  relz  9111  tel 
Rail,  rtl,  rets,  retj,  aous  leura  (brmei  orthographiques  ii 
désignent  également  le    nom  de  Reti ,  el ,  pour  bien  établi 


si  pas  1^  ui 


Slaacei 

fur  le  départ  de  h 

(  marefckalle . 

à  la  fin  de  r  Appendice,  son 

it  également  re 

nona  de  signaler. 

Tout 

ceci  bien  éUbli.  no 

us  sommes  foi 

Hunau! 

laye,morleni56i, 

.au  combat  de 

rappelle 

:  Ronsard  dans  l'épi 

tsphe  qu'il  lui 

p.  194- 

198,  de  l'édition  de 

<tclX.  qui 


NOTES.  355 


2.  Des  flambans  forts  &  griefs^  p.  2. 

Il  y  a  Jlambeaus  dans  la  première  édition,  mais  l'errata  indique 
qu'il  faut  lire  ^^m^ans.  La  seconde  édition  ^orXt  flambe  ans. 

3.  L'auflerité,  p.  3. 

L'autorité,  dans  la  première  édition  ;  cette  faute  est  corrigée  à 
l'errata. 

4.  C'efl  le  FeUy  c'efl  le  Nœu,  gui  lie  ainfi  mon  ame^  p.  5. 

On  lit,  à  la  marge,  dans  la  première  édition  :  «  Lefeu^  le  nœu, 
deuife  de  fa  Dame.»  Voyez  ci-dessus  la  note  i  et  ci-après  les  notes 
12,  20  et  88. 

5.  Defon  obfcur  ombre ^  p.  6. 

Ainsi  dans  les  deux  éditions;  non  qu'il  faille  considérer  ombre 
comme  masculin,  mais  parce  que  l'auteur  a  supprimé  pour  l'œil  Ve 
muet  final,  comme  nous  le  supprimons  pour  l'oreille  ;  souvent  cette 
suppression  était  indiquée  par  une  apostrophe.  Voyez  Les  Œuures 
françoifes  de  loachim  du  Bellay^  1. 1,  p.  5o2,  note  190,  et  ci-après, 
notes  6,  1 3  et  43. 

6.  Vn  extrême  foy  preuue^  p.  10. 
Voyez  la  note  précédente. 

7.  Alors  qu'on  fe  dif pence ^  p.  12. 

Voyez  la  note  5o  du  tome  II  des  Œuures  françoifes  de  loachim 
du  Bellay^  p.  353. 

8.  Que  le  temps  ne  corrompt^  ny  change  ny  molejle^  p.  2  5. 
Il  y  a  dans  la  première  édition  : 

Que  nul  ne  le  corrompt.... 

Mais  on  lit  à  l'errata  : 

Que  les  temps  ne  corr. 

Et  c'est  aussi  la  leçon  de  l'édition  de  i583.  Il  nous  a  paru  indispen- 
sable de  substituer  le  temps  à  lés  temps. 

9.  Et  portéy  p.  28. 

Ainsi  dans  la  première  édition  ;  efl  porté  à  l'errata  et  dans  la 
seconde  édition.  La  mention  faite  dans  l'errata  m'a  un  instant 
échappé,  et  j'ai  cru  devoir  préférer  la  leçon  &  porté  qui  donne  un 
sens  à  peu  près  aussi  satisfaisant  et  présente  un  tour  plus  vif.  Si 
on  l'adoptait,  il  faudrait  considérer  l'énumération  comme  conti- 
nuant ;  Diray-ie  vn  front  fer  ain...'Vn  ne\  de  beau  pourfll...  vne 


tOmcMe...  prtU»  S  Mm/lar...  et  braae  cltc/ctlefte...  Mais  corami 
og  >rrl«  ensuite  1  une  pli  me  nnfErRiant  ua  lerbf.eejlf  gorge  Jf 
fanfàc.  (t  que  l'^nonifralioD  h  Irouve  ïulerrompue,  mieui  viui 
lUlTM  U  coriwitan  prépaie  par  L'ernti. 

lo.  Font,  tomme  on  dit.  voiler  ifAgametmnon  lafact,  p.  sg- 
Vofu  Let  (Euureijyanfolfn  de  loachin  Ju  Bellay,  tome  I,  p 


II.  Qui>(enlraoi,ca»c<fiiTd. 

,.  hommes  laf 

cA„. 

p.  31. 

Ain»  d>D>  la  deuxième  m\«> 

a.  <Jui  onc  n-, 

la  premliPB. 

it.  Un-ru, I<.fiafne,f.i^. 

Voyu  ci-destii>  Icï  notes  i  e 

t  *.  el  d-apri! 

.  letr 

«les  :o  et  sa. 

i3,  Vn  ombre,  v.^<.. 

VojBï  ci-de»ii<  le.  notes  Sel 

G,  et  ■:i-après  1 

.   BOl 

e43. 

14.  DeHfoit.v   <3. 

Ainil  dan»  la  première  éii\\ot 

\-,  deaoit  daas 

la  se 

™>de. 

li.   CH*KB0»     VO\»    BESPOWD»! 

Z    A    CELLE   DE 

RONI 

5*BD,  qïl  COU- 

HENCE  :  QlMIlJ  fefio"  1"^'. 

p.  45. 

Joddle*UittrJï-liefdB«tle 

lutte  avec  Ronsard, 

Puqnlsr  i'eiprime  i  ce  suiet  dîne  tei  Reche 

rches 

r  de  la  Ftm<' 

llWre  VII,  cfaiptlre  7)  : 

f  ..  Il«etomia«q«tegm>i. 

emuit  TU  ioui 

■etilr 

oawak'U 

'l'oefiefainflïtMiloit-il  eBre chaloOidé).  il  Inyaduim 

de  me  diic.qtie 

n  m  Bonfard  auoii  W  dcfl-gs  d 

■in  lodtllt  1c 

,,  rapresdiWi 

lodeik  l'emparterolt  de  Ronlari 

l:adefaitil 

feph 

ne  de>  plua  a( 

jreabi 

es  chanfDcs  de 

Bonfard  efl  celle  qui  fe  Irooiie 

au  fécond  liar 

edc 

il  regrette  la  liberté  de  Ta  ieun 

eUe  (lome  1,  p 

,  de  r&Ution  de 

Qw»<f  i-efioii  ieune,  ait: 

^,qu-«neamou 

rnou 

«elle 

Nefe/ujtprifeenmal. 

r«dre  moelle. 

leviuoit  bien-tieareux  : 

Comme  ârenuy  les  plus 

accoTtes  Jillei 

Se  trauaiUoienI  par  lev 

r!  fiâmes  gentilles 

De  me  rendre  am 

Mait  tout  ainji  qHvn  bec 

m  poulain /a, 

■ouch. 

/^ 


NOTES.  357 


Qui  n'a  mafché  le  frein  dedans  fa  bouche^ 

Vafeulet  ef carte  : 
N'ayant  foucy  Jinon  d'vn  pied  fuperbe, 
A  mille  bonds  fouler  les  fleurs  &  V herbe 

Viuant  en  liberté. 
Ores  il  court  le  long  d'vn  beau  riuage^ 
Ores  il  erre  en  quelque  bois  fanuage^ 

Fuyant  défaut  en  faut  : 
De  toutes  parts  les  poutres  hennijfantes 
Luy  font  l'Amour^  pour  néant  blandiffantes 

A  luy  qui  ne  f'en  chaut. 
Ainfi  i'allois  defdaignant  les  pucelles 
Qu'on  eftimoit  en  beauté  les  plus  belles, 

Sans  refpondre  à  leur  vueil  : 
Lors  ie  viuois  amoureux  de  moy-mefme^ 
Content  &  gay  fans  porter  face  blefme^ 

Ny  les  larmes  à  l'œil. 
Vauois  efcrite  au  plus  haut  de  laface^ 
Auec  rhonneur,  vne  agréable  audace 

Pleine  d'vn  franc  defir  : 
Auec  le  pied  marchoit  ma  fantaifie 
Où  ie  vouloiSf  fans  peur  ne  ialoufie^ 

Seigneur  de  mon  plaifir, 

«  Par  le  demeurant  de  la  chanfon  il  recite  de  quelle  façon  il  fe  fit 
efclaue  de  fa  Dame,  &  la  mifere  en  laquelle  il  fut  depuis  réduit. 
Au  contraire  lodelle  fur  la  comparaison  du  mefme  cheual  voulut 
brauer  Ronfard  :  &  monftrer  combien  la  feruitude  d'amour  luy  ef- 
toit  douce  ;  le  premier  couplet  de  la  chanfon  eft  »  Pasquier  rapporte 
textuellement  les  six  premiers  vers  de  la  pièce  [page  46  du  pré- 
sent volume],  puis  il  ajoute  : 

«  le  vous  pafTeray  icy  plufieurs  autres  fixains,  pour  venir  à  ceux 
aofquels  il  feft  efgayé  en  la  comparaifon  du  cheual  dompté  en- 
contre le  Poulain  farouche.  » 

Pasquier  cite  un  long  morceau  de  la  pièce  de  Jodelle  depuis  : 

Afoy  maintenant  {combien  que  paffé  faye 

Des  premiers  ans  lafaifon  la  plus  gaye)^ 

jusqu'à  : 

S'en  faifant  plus  valoir. 

pages  46-47,  puis  il  termine  ainsi  : 

«  Cela  s'appelle  à  bien  affaillir,  bien  défendu.  II  y  a  plufieurs 
autres  couplets,  que  de  propos  délibéré  ie  laiiTe.  » 

Pasquier,  ainsi  qu'on  a  pu  le  remarquer  dès  le  premier  hémistiche 
du  premier  vers,  ne  cite  pas  le  texte  de  Ronsard  tel  qu'où  le  trouve 
dans  Les  Amours  ;  il  y  a  plusieurs  différences  que  nous  avons  con- 


358  NOTES. 


servées.  Au  contraire,  le  texte  de  Jodelle  qu'il  rapporte  ne  s'écarte  en 
rien  de  celui  que  nous  avons  suivi. 

A  la  citation  déjà  longue  de  Pasquier  il  nous  paraît  indispensable 
d'ajouter  encore  ces  vers  de  Ronsard  : 

Et  lors  tu  mis  mes  deux  mains  à  la  chai/ne^ 
Mon  col  au  cep  &  mon  coeur  à  la  gefne^ 

N* ayant  de  moy  pitié^ 
Non  plus,  helas!  qu'vn  outrageux  cor  faire 
(jOfier  Dejlin)  n'a  pitié  d'un  forcer e 

A  la  chai/ne  lié. 


Tu  es  four  de  à  mes  cris. 
Et  ne  refpons  non  plus  que  la  fontaine 
Qui  de  Narcis  mira  la  forme  vaine. 

On  voit  que  Jodelle  dans  sa  chanson  ne  répond  pas  seulement 
d'une  manière  générale  aux  idées  exprimées  par  TUlustre  poète, 
mais  qu'il  en  reprend  souvent  les  expressions 

i6.  Quand  auec  elle  on  les  dit  : 

Qu'eft-ce  donc  qu'il  femble. 
Quand  fans  vérité  Ion  lit,  p.  55. 

Ainsi  dans  la  première  édition;  dans  la  seconde  : 
Quand  auec  elle  on  les  lit  : 

Quand  fans  vérité  Ion  dit, 

17.  Chanson  povr  respondre  a  celle  de  Ronsard,  qvi  com- 
mence :  le  fuis  Amour  le  grand  maiftre  des  Dieux,  p.  65. 

La  pièce  à  laquelle  Jodelle  répond  est  de  i  567  ;  elle  fait  partie  du 
recueil  intitulé  :  Les  Majcaradcs^  combats  &  cartels;  son  titre  par- 
liculicr  est:  Le  Trophée  d'Amour  à  la  comédie  de  Fontaine- 
bleau (tome  IV,  p.  i3i,  de  l'édition  de  M.  Prosper  Blanchemaini. 
Jodelle  a  surtout  en  vue  ces  premiers  vers  : 

le  fuis  Amour^  le  grand  maijlre  des  Dieux, 
le  fuis  celuy  qui  fait  mouuoir  les  deux, 
le  fuis  celuy  qui  gouuerne  le  monde^ 
Qui,  le  premier  hors  de  la  majfe  efclos, 
Donnay  lumière  &fendi  le  chaos 
Dont  fut  bajii  cejle  machine  ronde. 

18.  Mutile,  p.  69. 

Ainsi  dans  les  deux  éditions.  Cette  expression,  quon  ne  trouve 


NOTES.  359 


pas  dans  les  lexiques,  doit  signifier  mutilé^  estropié^  si  c'est  bien  là 
le  mot  qu'il  faut  conserver  ici  ;  mais  on  ne  peut  s'empêcher  de  se 
dire  qu'inutile  conviendrait  encore  mieux  au  sens,  et  que  le  com- 
positeur a  probablement  lu  m  au  lieu  de  in;  aucune  erreur  n'est 
plus  facile  à  commettre. 

19.  Auoit  iajini  les  tours^  p.  80. 

Ainsi  dans  la  première  édition  ;  les  iours^  mais  à  tort,  dans  la 
seconde. 

20.  Ode  svr  la  devise  de  nœv  et  de  fev,  p.  88. 
Voyez  ci-dessus  les  notes  i,  4  et  12,  et  ci-après  la  note  88. 

21.  Contr'amovrs,  p.  91. 

Dans  les  éditions  de  1 574  et  de  1 583,  on  trouve,  entre  VOdefur  la 
deuife  de  nœu  &  defeu^  et  les  Contr'amours^  YEpithalame  de  ma- 
dame l^arguerite^  que  nous  avons  reporté  plus  loin  (p.  1 1 1-128), 
avec  les  autres  pièces  relatives  à  la  même  princesse. 

Pasquier,  à  la  suite  du  passage  de  ses  Recherches  de  la  France, 
que  nous  avons  reproduit  plus  haut  (note  i5,  pages  356-357),  nous 
donne  les  détails  qui  suivent  sur  les  Contr' Amours ^  dont  il  cite  la 
première  pièce  avec  des  variantes  de  texte  et  même  de  mesure  que 
nous  avons  conservées  : 

«  Il  (Jodelle)  eftoit  d'vn  efprit  fourciileux,  &  voyant  que  tous 
les  autres  poètes  fadonnoient  à  la  célébration  de  leurs  Dames,  luy, 
par  vn  priuilege  fpecial,  voulut  faire  vn  liure  qu'il  intitula  Contr'- 
AmourSy  en  haine  d'vne  Dame  qu'il  auoit  autresfois  affedlionnée, 
dont  le  feul  premier  fonnet  faifoit  honte  à  la  plus  part  de  ceux  qui 
fe  mefloient  de  Poëtifer,  tant  il  eft  hardy. 

Vous  qui  à  vous  prefque  égalé  m'aue^^ 
Dieux  immortels,  dés  la  naijfance  mienne. 
Et  vous.  Amans,  qui  fous  la  Cyprienne 
Souuent  par  morts  amoureufes  viue^. 

Vous  que  la  mort  n'a  point  d'Amour  priue^, 
Et  qui  au/rai^  de  l'vmbre  Elijîenne, 
En  rechantant  vojlre  amour  ancienne, 
De  vos  moitié^  les  vmbres  refuiue:^, 

Si  quelques/ois  ces  vers  au  Ciel  arriuent, 
Si  quelques/ois  ces  vers  en  terre  viuent. 
Et  que  l' Enfer  entende  ma  fureur  : 

Appréhende^  combien  iujle  ejt  ma  haine, 
Etfaiâtes  tant  que  de  mon  inhumaine, 
Le  Ciel,  la  Terre,  &  r Enfer  ait  horreur. 

«  Vous  pouuez  iuger  par  ce  riche  efchantillon  quel  efloit  le  de- 
meurant de  la  pièce.  Bien  vous  diray-ie  qu'il  m'en  recita  par  cœur 


tra  qui  fecondatCBI  att^y  de  bien  prit.  El 
ir  defilâigiit  de  mettre  en  lumière  (et  Poeilei 
c  le  Seigneur  de  la  Molle,  Confeiller  au  Erand 
■prêt  (on  decez,  &  dont  il  nom  *  fuit  pan,  e[t 


vue  in  fini  t£  d 


D'iprés  Charles  de  la  Molhe,  les  Conir'ivtiouri,  qoi  m 
(cnt,  din>  sou  édition  comme  ici,  que  de  tcpl  Hinneii,  e 


Dieni,  CI  •  que  l'aulheur  pour  Ct  maladie 
dem.)  Oiarletde  la  Molhe,  an  le  voit  par 

cliuer  Ici  ouvragei  dt  Jodslle  par  genre 
poier  dant  on  ordre  chronologique  quil  e 


ie  peut  parfaire 


33.  M.il-11!^  poêufirrt,  p.  loi. 

Ualingt,  dam  la  preiniire  «dltion;  iiai-ue\  i  l'crrala  el  dans 
■ecoode  édillon. 

Ce  poluon  ett  celui  que  I»  Grecs  nommaient  échénéit,  Isa  lalii 
rtmora.  et  que  nos  p^beara  appellent  iKcel.  Plïae  a  recDcïl: 
duu  »D  Hâtoire  tiatitrtlU  (liv.  XXXII,  chap.  i),  \ti  divers 


Qat  les  vnts  forcené^  fajfemblenl  tous  en  ™, 
(lue  Secourus  dafiiu  ou  tejlus  dfNfpluit 
Us  choquent  me  nef,  &  que  la  force  accorte 
De  ceH(  loHjs  auirons  leur/ace  encor  e/corle, 
La  Rtmore fickanl  Jon  dehUe  mu/eau 
Contre  le  moite  bout  du  tempéré  saipiau, 
L'arrefie  tout  tfvn  cok;'  au  milieu  d'rne  fiole 
Qui/uil  le  vueil  du  vent  6  le  vuell  du  pilote. 
Les  refnet  de  la  itefon  lafihe  tant  ju'oi»  peut. 
Mais  la  nef  pour  cela,  charmée,  nefejmeutf 
Non  plut  que  fi  la  denl  de  maint  anchrefickee 
Viagipiedidejfous  Thetit  la  tenait  accrochée: 


NOTES.  36l 


Non  plus  qu'vn  chefne  encor  qui  des  vents  irrite^ 

A  mil  &  mille  fois  les  efforts  defpite^^ 

Fermey  n'ayant  pas  moins^  pourfouffrir  cejie  guerre, 

De  racines  deffous,  que  de  branches  fur  terre. 

Di  nouSy  Arrejle-nef  di  nous^  comment  peux-tu 

Sansfecours  t'oppofer  à  la  ioinâte  vertu 

Et  des  vents,  &  des  mers,  &  des  deux,  &  des  gajches  ? 

Di  nous  en  quel  endroit,  ô  Remore,  tu  caches 

L'anchre  qui  tout  d'vn  coup  bride  les  mouuements 

D'vn  vaiffeau  combatu  de  tous  les  éléments  ? 

D'où  tuprens  cet  engin?  d'où,  tu  prens  cejte force. 

Qui  trompe  tout  engin,  qui  toute  force  force? 

{Cinquiefme  iour  de  la  i^femaine.) 

2  5.   A  MADAME  MaRGVERITE  DE  FrANCE,     SŒVR  DV    RoY    HeNRY, 

Deuant  qu'elle  fujt  mariée,  p.  107. 

Charles  de  la  Mothe  place  ce  huitain  après  A  la  France.  Elégie 
(voyez  ci-dessus,  p.  i85),  uniquement,  suivant  toute  apparence, 
parce  que  ces  deux  pièces  sont  en  vers  métriques.  Dans  notre  édi- 
tion, comme  dans  celle  de  Charles  de  la  Mothe,  le  huitain  est  suivi  de 
VEpiJlre  à  la  mefme  dame.  Elle  a  paru  pour  la  première  fois  sous 
ce  titre  :  A  trejillujlre  Princeffe  Marguerite  de  France,  EJtienne 
lodelle  parijien,  en  tète  de  :  Le  Second  Hure  des  hymnes  de  P.  de 
Ronfard  Vandofmois,  à  trejillujlre  Princeffe  Madame  Margue- 
rite de  France,  Seur  vnicque  du  Roy,  &  Ducheffe  de  Berry.  Pa- 
ris. A.  Wechel,  i556,  in-4''. 

Au  lieu  de  : 

Et  voir  ces  auortons  aujfi,  tojt  que  nais  morts,  p.  1 10. 
il  y.  a  dans  cette  première  édition  : 

Et  voir  ces  auortons  aujji  tojl  nés  que  morts. 

26.  EpITHALAME   de  madame    MaRGVERITE,  p.  III. 

Nous  avons  cru  devoir  placer  ici,  à  la  suite  des  autres  pièces  rela- 
tives à  Marguerite,  cet  Epithalame  qui,  dans  les  éditions  anciennes, 
se  trouve  à  la  fin  des  Amours^tt  avant  les  Contr'amours»Woytz  ci- 
dessus,  note  2 1 . 

27.  Si  Vejtois  cogneu  d'eux,  p.  11 5. 

Si  i'ejlois  comme  deux  dans  la  première  édition,  faute  qui,  du 
reste,  est  corrigée  à  l'errata. 

23* 


4-- 


362                                       MOTBS.                                                    V 

li.  It  ffpirt,  p-  116. 

1 

L«  premiire  éJiiion  poils    fjj-  re/firé.  Mais  l'errala  i 
leçon  que  nous  roproduitous. 

lonn.;  Ij 

19.  L-ame  gnlUli,  p.  iiS. 

Allai  itm  li  premii™  Uitkm.  D.ns  Im  B*eoûde  Famé 
qui  rime  niieuii  pour  rail  «wc  «Wile,  damier  mot  du  1 

fesHle, 
ren  pré- 

Errrr  cei  teaux  diftoun,  propres  à  Irun 

1  humeurs.  [ 

).  11-, 

readsit  celte  rime  légilîme,  au  moins  pour  Tort 

iille. 

'  '^"°''' 

J 1    Foni  naifiri  lafoiirh  ob  la  comeUte  pih 

^le,p.iiS. 

Allusian  «  la  hble  de  La  IHonlagnr  gui  accoucha  et  à 
neillt  dooi  parle  Horace  d«iLiHs  EpUra  (Mi .  l.  S),  a  à 

de  PhMre. 

laquelle 

fi.  Dont  Vay  toaélti  Dieux..,  p.  I23, 

■ 

Ainsi  dons  la  premiin:  édition  ;  les  deux  dan 

i  la  seconds 

■ 

n.  Defiuj,ej.p-,i6. 

Ainsi  dans  [a  première  édition  ;  de^euae;  à 

ans  la  secon 

dï. 

^^^^^^L        34.  Ay  Rot  Charles  IX,  Apkes  u  BEnvcr 

::::;.  * 

r  le  connétable  Anne  de  Montmorency,  apnt 
naréchal  de  Montmorency,  son  fils,  et  le  maré- 
larles  IX  assistait  au  siège. 


3S.  L'vfance  antique  &  droite  &  vrayeyegaa 


Meaie.  S'effacer,  mais 
«  impudence  mefme. 


NOTES.  363 


Mais  Terrata  donne  la  leçon  que  nous  avons  reproduite,  et  qu'avant 
nous  la  seconde  édition  avait  adoptée. 

36.  En  tels  appas,  p.  144. 

La  première  édition  donne  <&  tels  appas,  mais  l'errata  rectifie  ce 
texte. 

37.  POVR   LE   lOVR  QVE  LA  PAIX  FVST  FAICTE,  l568,  p.  l5l. 

Deuxième  paix  conclue  avec  les  Protestants,  à  Lonjumeau,  le 
27  mars;  elle  fut  nommée  paix  fourrée  ou  petite  paix,  parce 
qu'elle  ne  dura  que  six  mois.  Bientôt  Alexandre-Edouard,  duc 
d'Anjou,  né  le  19  septembre  1 55 1,  à  qui  Catherine  de  Médicis  avait 
fait  prendre,  en  souvenir  de  son  époux,  le  nom  d'Henri,  sous  lequel 
il  devait  régner  à  son  tour,  est  nommé,  à  dix-sept  ans,  lieutenant  gé- 
néral dans  la  guerre  contre  les  huguenots  (voyez  ci-dessus,  p.  1 54), 
et  gagne  en  1569  les  batailles  de  Jarnac  et  de  Montcontour. 

38.  SVR  LA  MORT  DE  LA  ROYNE  d'EsPAGNE...  p.  I  57. 

Elisabeth  de  France,  morte  en  couche  à  Madrid  le  dimanche 
3  octobre  i568;  elle  était  née  à  Fontainebleau  le  i3  avril  i545,  et 
avait  épousé,  le  22  juin  i559,  Philippe  II,  roi  d'Espagne. 

39.  Inscription  povr  vne  strvctvre  Entreprife  par  la  Roine 
mère  du  Roy,  p.  160. 

Cet  ouvrage  «  facré  par  fon  Oaurier  »  à  la  Reine ,  semble  être 
de  l'invention  de  Jodelle;  c'est  une  décoration  du  genF«  de  celles 
qu'il  nous  a  décrites  dans  Le  Recueil  des  infcriptions,  figures... 
ordonnées  en  VHoftel  de  Ville  (  T.  I,  p.  237  ),  et  qui  lui  avaient  valu 
de  la  part  de  Charles  de  la  Mothe  ,  le  titre  de  «  grand  Architedle  ». 
(T.  I.  p.  7.) 

40.  A  Monseignevr,  p.  162. 

Voyez,  ci -dessus,  la  fin  de  la  note  37. 

41.  A  monseignevr  LE  DVC,  p.   i63. 

François-Hercule,  d'abord  duc  d'Alençon,  et  plus  tard  duc  d'An- 
jou, né  le  18  mars  i554,  mort  le  10  juin  1584. 

42.  Ode  svr  la  naissance  de  madame.  Fille  du  Roy  Charles  neu- 
fiejme,  p.  i65. 

Marie- Elisabeth,  née  à  Paris  le  27  octobre  1572,  morte  le  2  avril 
1578. 


364 


^i.  Or  que  ioncqt 

wcMAMr. 

T.  p.  i60. 

Voï=«  d-d™u.  1 

a  note*  5,  fi 

rti3. 

4  |.  SVB  LU  NAISIAKCe    DE    HEN 

co»dfilt  dit  Duc  de  Gul/e,  f 

■ï  DE  LUUUIHE  Cl 
1.  171. 

.MTE  D-Ev.Se- 

Henri  de  Lorr.ii 

oc,  nd  lu  3o 

joiniS7=.mort!ei2 

1  «nût  1S74- 

.,i.Uxecre.p.,,7. 

U  premier*  ili 

l'emU.  Vox«ci-. 

lion  porle  i 

le  la  note  87. 

»ù.  Lm  ejt  Varna 

irdcMan, 

qui/angUnt^utf» 

uIiiif.p.iSo. 

Aiaii  dans  ti  premii^ri  édilio 
donne  un  sent  un  peu  dilTérent, 

n;dan»  U  Mconde  : 
.maiaqni  pourrait  El 

™«dopW. 

47    SïB  LES  Meteohes  de  I.  A,  DE  B*Ir.  p.  [84, 

Cei  ouvrage  de  B»!f  a  poru  sous  Is  illre  tuivnnl  :  Le  premt 
des  meuorei  de  laa  Antoine  de  Baîf,  A  Caterine  de  Mediciï^ 
l'arii,  Robert  Epienat,  MDIAVU.  On  ;  cbercbe  vainement  la 
préienle  pl£cE,  maïE  on  y  trouve,  au  retlo  da  qnatriinie  feuillcl. 
U  EUivante,  inlituliie  :  A  la  France.  Elégie  Si  Balf  n'a  pas  Eait 
piacar  en  lile  de  se*  Météores  les  vers  mesur«s  de  son  ami,  c'eii 
probablement  purce  qu'ils  n'ont  éti  licrit»  qu'âpre»  la  publication 
de  l'ouvrage.  La  plUe  du  taime  genre  adressée  A  Madame  Mar- 
guerite de  Frtmce  t  paru,  nous  l'avons  dit,  en  i556  (voyei ci- 
dessus,  note  ii),inaia  le  difihiqne  qoi  pt&èdeSnr  lei  Meltorei. 
eu  anidrienr;  U  remanie  il  l'anniie  iS3i.  Nous  l'avons  repiu- 
duilde  nouveau  dans  l'.4p/>eiidice  sous  son  vdrilable  li ire,  avec ks 
piicei  parmi  lesquellea  il  a  paru  pour  la  première  fois,  et  ddos  v 
avons  joint  une  cnrieuse  remarque  de  Pasqoier.  Voyez  ci-après  la 


!.T^B 


48.  Chapitre    en 
p.  186. 

FAVEVR      D'OkLAMDE      EXCELLENT       UÏSltlEI 

Entre  A  la  Fraa. 
Mitions  originales, 
guérite  que  nous  a 
note  s  5. 

ce.  Elégie,  et  cette  pièce  se  trouvent,  dans  li 
les  deux  morceaux  adressés  A  madame  Mai 
vons  placés  plus  haut,  p.  107.  Voyez  p.36.. 

49.    SVR  LÀ  CM»» 

*.RE  DE  P.  Raiivs,  p.  igî- 

La  première  édil 
reté.  Dans  son  ouv 
riem  du  XVIr  sii. 

rage  intitulé  ;  La  Grammaire  et  les  Gramma 
tle.  M,  Livcl  déclare  ne  l'avoir  pas  rencontti 

'1 


NOTES.  365 


(p.  177.  note).  Un  exemplaire  de  cette  édition  est  cependant  con- 
servé à  la  Bibliothèque  Impériale  sous  le  n»  X  1200.  Ce  volume, 
de  format  in- 12,  porte  le  titre  suivant  : 

GRAMERE 

A     PABI& 

De  l'imprimerie  d'André 
Wechel, 

i562. 

Les  vers  de  Jodelle  ne  s'y  trouvent  pas,  mais  on  les  lit  en  tète 
de  l'édition  dédiée  à  la  reine  mère  et  publiée  en  1 572,  l'année  du 
massacre  de  la  Saint-Barthélemy,  dont  Ramus  fut  une  des  vic- 
times. Lorsque,  dans  le  dernier  de  ses  vers,  Jodelle  donne  à  la 
grammaire  de  Ramus  le  nom  de  Rameau  d'or,  c'est  par  allusion 
au  nom  de  son  auteur.  Joachim  du  Bellay  a  joué  sur  ce  même  nom 
d'une  manière  tout  à  fait  analogue.  Voyez  ses  Œuuresfrançoifes^ 
tome  II  de  notre  édition,  p.  364  et  565,  notes  I25  et  i3o. 

5o.  Sonnet  svr  les  dialogves  d'honnevr  de  I.  Baptiste  Pos- 
SEviN,  p.  192. 

Ce  sonnet  se  trouve  au  verso  du  troisième  feuillet  de  l'ouvrage 
in-4«»  dont  voici  la  description  :     / 

Les  dialogves 

d'honnevr  de   messire 

Ian   Baptiste   Possevin   man 

tovan,   esqvelz   est  amplement   discovrv 

&.  refolu  de  tous  les  poindtz  de  l'honneur, 
entre  toutes  perfonnes  : 

Mis  en  François  par  Claude  Gruget. 
Parilien. 

A  Paris 
Pour  Ian  Longis^  Libraire. 

1557.  \ 

Vis-à-vis  du  sonnet  de  Jodelle  est  une  pièce  de  vers  latins  com- 
posée par  lui  sur  le  même  sujet. 


^f^^îï^^ 

HOTKS. 

1 

1 

1 

^H            •■1.  om  il 

■  L«  TRiavcnoN  DE  Pail  Euile, 

'aide 

par 

,„. 

^H                               CctModc 

. 

^^^^L 

CINQ    PREMIERS 

^^^^M 

Hures  de  miltoin:    Fninçoifc 

^^^^^Ê 

TkADUTÏ  EM  FHiUÇOIS  OV 

^^^^P 

1  jiin  de  Paul  «mile. 

^^^^r 

P*n  Iak  BeoKiiiT  Anckvik. 

^n 

A    (HES    HAVT    ET   PVISS 

ANT 

^H                                                                    Contflabte  de  France. 

Pfr& 

H 

APaws. 

^^^^^_                                               à  l'hollcl  d'Albrel. 

■~  l 

^^^^^^             U  livre  est  In-folio.  L'ode  de  notre  po«e  y 
^^r                       lin*e  toMle,  Parifieii,  au  peuple  Franco!,. 
^^                                L<  test»  ESI  le  Dième  que  celui  des  éditiana  de 

Jodel 

ituli» 
eqm 

•1 

ailiiui 
flSoa..i  Jûuoirc  ^JJilinn, 

Le  premiiT  &ftcotti  livre, 
a  ainsi  imprimi!  en  ICie  de  cel  ouvrage: 

Le  premier  S  le  fécond  Hure, 
ans  doute  parce  que  Jodelle  n'avait  compté  premier  que  pc 
eux  syllabes  et  que  Charles  de  la  Mothe  lui  en  donnail  trois. 


!.  Svn  Li 


ie  P.irleiaent,'  p.  io3. 
Le  privilège  du  Monophile  e: 


:  it'EtTiEHNE  pASqyiERJ^iiuociil  en  la  Cour 


^ 


NOTES.  367 

d'imprimer  du  2«  jour  de  janvier  i555.  Les  éditions  de  Charles  de 
la  Mothe  ne  présentent  qu'une  seule  variante.  Au  lieu  du  vers  : 

Loing  de  la  vertu  fe  tenant, 

qu'on  y  lit  et  qui  est-reproduit  dans  notre  édition  (p.  204),  il  y  a 
dans  l'édition  originale  : 

Tous  f es  nourriffbm  enchaifnant. 

53.  Ode   svr   les   singvlaritez   de   la   France  antarctiqve, 
d'André  Thevet,  Cofmographe  du  Roy^  p.  206. 

Cette  pièce  se  trouve  en  tète  du  volume  intitulé  :  Les  Jingulari- 
te\  de  la  France  antardique  nommée  Amérique  &  de  plufieurs 
terres  &  if  les  decouuertes  de  nojlre  temps^  par  F.  André  Theuet, 
cofmographe  du  Roy.  A  Paris,  i558.  4»  Elle  y  porte  pour  titre  : 
Eftienne  lodelle^feigneur  du  Limodin,  A  M.  Theuet,  Ode.  Les 
vers: 

Et  nos  magiflrats  honorables 

Embraffer  les  chofes  louables , 

(p.  208  de  notre  édition)  y  sont  intervertis,  ce  qui  du  reste  pré- 
sente un  sens  fort  acceptable. 

54.  Ode  a  Clavde  Colet,  svr  le  ix  d'Amadis,  p.  208. 

Nicolas  d'Herberay,  seigneur  des  Essars,  avait  publié,  de  1 540  à 
1548,  la  traduction  des  huit  premiers  livres;  en  i553  parut,  chez 
Vincent  Sertenas,  dans  le  format  in-folio  :  Le  neufiefme  Hure 
d'Amadis  de  Gaule...  reueu^  corrigé  &  rendu  en  nojlre  vulgaire 
Françoys  mieux  que  par  cy-deuant  par  Claude  Colet  champe- 
nois. C'est  au  commencement  de  ce  volume  que  se  trouve  la  pièce 
de  Jodelle,  qui  y  porte  pour  titre  :  Ode  dEjlienne  lodelle  pari- 
fien  à  Cl.  Colet  Champenois.  Au  lieu  de  ce  vers  (p.  209  de  notre 

édition)  : 

Tachent  de  retrainer  en  France^ 

ainsi  donné  par  Charles  de  la  Mothe,  on  y  Ut: 

Tachent  de  retramer  en  France^ 

qui  est  évidemment  préférable.  Charles  de  la  Mothe  faisait  sans 
doute  sa  publication  sur  les  manuscrits  mêmes  de  Jodelle,  et  les 
imprimeurs  auront  transformé  les  trois  jambages  de  Vm  en  deux 
lettres,  un  f  et  une  n. 

55.  Les  Discovrs  de  Ivles  César  avant  le  passage  dv  Rvbicon. 
AvRoY,  p.  21 5. 

Ce  poëme,  adressé  par  Jodelle  au  roi  Charles  IX,  dont  l'auteur 
avait  pu,  comme  il  le  fait  remarquer  (page  219),  observer  la  «  pre- 


is  la  première  édilion   ait  vr 
u  au  singulier,  vrais  et  tourmens  au  pluriel.  Ce  genre 
st  friiquenl  à  cette  époque.  Ce  vers  de  la  page  J49  : 

ti  autels facrex.  aux/anglots,  &  aux  larmes, 

ii  dans  les  deui  édition?  : 


o 


NOTES.  369 

singulier  et  dejffeins  sl\x  pluriel;  on  peut,  presque  indifféremment, 
imprimer  dans  ce  passage,  ou  de  me/mes  dej/eins^  comme  nous 
l'avons  mis,  ou  de  me/me  dejfein. 

61.  Puis  de  mejmesfaçons^  mefmes  mots^  me/me  ejiude. 

Me/me  efbats  &  plaijirs^  p.  244. 

Ainsi  dans  les  deux  éditions,  avec  me/me  au  singulier,  efbats  & 
plaijirs  au  pluriel.  Impossible,  à  cause  de  la  mesure  du  vers,  de 
mettre  mefme  au  pluriel  ;  faut-il,  comme  nous  le  croyons,  laisser 
passer  cette  étrange  irrégularité,  ou  doit-on  imprimer  au  singulier 
ejbat  &plaijir? 

62.  Qui  aux  chaijnes  de  fer  les  couronnes  changeant^  p.  244  . 

Les  deux  éditions  donnent  encore  ici  au  au  singulier  et  chaifnes 
au  pluriel.  Voyez  les  notes  58  et  59. 

63.  Dignes^  &  dignes  faits  ^  aduis ,  les  rages  y  les  folles^  p.  245. 

Ce  vers  a  ainsi  un  pied  de  trop  dans  les  deux  éditions.  On  sent 
du  reste  que  tout  le  texte  des  difcours  est  inconsistant  et  peu  fixé  ; 
ici  la  correction  est  des  plus  faciles  :  il  suffît  de  retrancher  l'article 
avant  rages  ou  SL\SLnt  folles. 

64.  Mais  il  va  de  ce  tant  cher  honneur. 

Que  la  vertu  fe fait  de  tous  trauaux  feigneur ,  p.  268. 

Il  y  a  dans  la  première  édition  :  mais  qu'il  va^  ce  qui  rend  encore 
moins  intelligible  ce  passage  si  embarrassé. 

La  première  édition  donne  refait  au  lieu  de  fe  fait;  mais  l'er- 
rata  corrige  cette  faute.   . 

65.  Tombeaux,  p.  279. 

Dans  les  deux  éditions,  plusieurs  des  pièces  françaises  réunies 
sous  ce  titre  sont  accompagnées  d'épitaphes  latines  intéressantes 
pour  la  biographie  des  personnages  célébrés  par  Jodelle  ;  nous  n'a- 
vons pas  jugé  à  propos  de  les  reproduire  ici;  mais  nous  ne  man- 
querons pas  de  mettre  à  profit  pour  la  table  des  personnages  célé- 
brés par  Jodelle  les  nombreux  renseignements  qu'elles  four- 
nissent. 

Outre  les  épitaphes  latines  traduites  ici  en  français,  Jodelle  en 
avait  composé  d'autres  qui  n'ont  point  été  recueillies  dans  ses  œu- 
vres. Piganiol  de  la  Force  rapporte  dans  sa  Defcription  de  Paris 
(  t.  IV,  p  62  )  celle  de  Philippe  de  Chabot,  qui  se  trouvait  dans  l'é- 
glise des  Célestins.  Plusieurs  des  épitaphes  françaises  réunies  ici 
avaient  d'abord  paru  dans  de  petits  recueils,  consacrés  à  la  mémoire 

lodelle,  —  II.  24 


37» 


danc  »n  Manuel  du  Libraire,  nuaque  U  plupart  du  temps;  il  k 
imuve  a^aamoios  diQb  I  ciciiiplairi  de  [a  Réscros  de  la  Bibliolbi- 
qat  impériale  et  dans  celui. de  la  BiMioitiique  Sainte-Geneviève 
qui  pofle  le  n"  iijç,  et  qui  eit  conKrvf  parmi  lei  inanuccrits. 
Les  Irol»  pièces  de  ven  reproduites  pages  Jay-aj^  occupent  les 
feuillEls  3S^3(ij  de  M  cahier;  ou  trouve  au  fenlllet  icjJ  :  A4. 
Claud.  Kerquifinamm',  Steph.  lodelii,  in.fuaimijeriia  Elegia; 
et  au  feuillet  jgS;  Ven  funebm  de  Th.  A.  d'Aubigni,  Gmlil- 
honmr  Xantongoii,  Sur  la  mort  (t^flienae  lodelle  Parifien 
Prince  dei  Pottet  Tragiitiet...  Odf.  Ces  deux  dernihes  piices,que 


menlt  pour  li 


e  Jodcll 


Voyez  la  Biographie 


1  Ute  dn 


77.    SVB  t; 

ClA»DE  BlNET,   p.  33+. 

Claude  BInet  d'b  point  publia  d'ouvrage  ainsi  inliluiï,  mais  1 
rtoii  plusieurs  de  ses  pièces  de  vers  it  la  suite  d'une  édition  in 
des  Œuaret  de  la  Ptruiie,  qu'il  a  dédiée  le  >  Premier  iiwi 
lanuier   i573  .  ù  .  René  de  Voler,  Vicoute  de  Paulmy  &  d< 


Roche  laoes  ..  et  dont  voicUe  tiers 

Les 

OEVVRES 

"'psrvse''* 

^^_                        Anec  quelque!  aatrer 
^^L                            diuerfet  Poijiet  de 
^^                                           Binet 

U- 

1573 
A  PARIS. 

Par  Nicolas  Bon/ans 

demeurant  rue  S,  /a- 

ques,  à  la  Charité. 

Les  diverse»  poésies  de  Claude  Binet  ne  sont 
dans  ce  volume,  de  la  pièce  de  vers  de  Jodelle,  ma 
parte  s'y  appliquerait  fort  bien,  bti  effet  on  y  tro 

point  précédées, 
s  le  litre  qu'elle 
uve  ;  Vœu  rfm 

berger  à  la  deege  Venni  (fol.  1^3  v).  VeoL  dm  marinier  ou 
pefcheurau  Dieu  Neptune  (fol.  144  v).  Chant  forefiier,  ou  le 
Chageur.  Au  Seign.  Amadit  lamin. 


i 


NOTES.  373 


Didynnej  dont  il  est  question  au  premier  vers  de  ce  sonnet , 
est  une  nymphe  de  Diane  dont  le  nom,  à  cette  époque,  a  sou- 
vent désigné  la  maréchale  de  Retz.  Voyez  ci-après  la  fin  de  la 
note  89. 

•  c 

78.  ESTIENNS  I0DEU.E,  Parifien  (A  Outier  de  Magnt).  Ooe, 
p.  334. 

Cette  ode,  et  les  deox  pièces  qui  la  suivent,  se  trouvent  dans  un 
petit  volume  in-8*  publié  eu  1 553,  et  plusieurs  fois  réimprimé,  no- 
tamment en  1373  ;  voici  le  titre  exact  de  la  première  édition  : 

Les  Amovrs 

D'OLIVIER  DE 

Magnt  qvercikois, 
et  qvelqves  odes  de  lvt- 

Em/emble  (sic) 

Vn  recueil  d'aucunes  œuures  de  Monfieur  Salel 

Abbé  de  faint  Cheron,  non  encore  veues. 

Auec  priuilege  du  Roy 

A  PARIS 

Par  Efticnne  Groulleau  Libraire,  demeurant 

en  la  rue  Neuue  noftre  Dame  à  Tenfei- 

gne  faint  lean  Baptiile, 

i333. 

Le  Diftique  mefuré^  qui  vient  en  second  rang,  a  déjà  été  public 

par  nous  i  la  place  qu'il  occupait  dans  l'édition  de  Ch.  de  La- 

motbe.  (.Voyez  ci-dessus,  page  364,  la  fin  de  la  note  47.)  Mais  nous 

le  reproduisons  id  avec  son  véritable  titre.  Pasquier  avait  pour 

cette  pièce  une  admiration  qui  ne  laisse  pas  de  nous  surprendre. 

Voici  comme  il  s'exprime  à  ce  sujet  dans  le  douzième  chapitre  du 

septième  livre  de  ses  Recherches  de  la  France^  intitulé:  Que  noftre 

langue  eft  capable  des  vers  mefure^  tels  que  les  Grecs  &  Romains  : 

«  Cela  a  efté  antresfois  attenté  par  les  oollres,  &  peut  eftre  non 

mal  à  propos.  Le  premier  qui  l'entreprit  fut  Eftienne  lodelle  en  ce 

diftiqne  qull  mift  en  l'an  mil  cinq  cens  cinquante  trois,  fur  les 

œuures  Poétiques  d'Oliuier  de  Maîgny.  » 

Id  il  reproduit  le  texte  du  distique  et  reprend  :  «  Voila  le  pre- 
mier coup  d'eflay  qui  fut  fait  en  vers  rapportez,  lequel  eft  vrayment 
vn  petit  chef-d'oBuure.  » 

79.  A  LA  MEMOIRE  ^DE  SaLEL),   p.  337» 


imt  ton  Manuel  du  Libraire,  manque  Uplupait  du  temps;  il  te 
trouve  n^amaini'  dam  reiemplaire  de  1i  H&erïe  de  la  Bibliothè- 
que irnpfrtale  cl  dana  celui  de  la  Bibliolhèqae  Sainle-GencrièTe 
qui  porte  lo  n'  ii3g,  ci  qal  est  conserva  pirmi  les  maDoicrlU. 
Le*  troll  pltcei  de  vers  reproduites  pages  337-334  occupent  la 
feulllata  iSg-:!^!  de  «  cahier;  on  trouve  au  lèuilicl  193  :  Ad. 
Ciaud.  KerqatfiKanim;  SIepK.  hdelll,  in/aaimiferiat  Elcgia; 
el  au  feuillet  î0:  Vert  funebret  de  Th.  A,  d'Aubi^i,  OtKlil- 
fiomme  Xanlongois.  Sur  la  mort  d'Eflimne  lodelle  Parlera 
Prince  det  Pottei  Tragiques...  Odr.CesdsiuderDiires  pi£ce&,que 


menlt  pour  U 


e  de  Jodells.   Voyei  la  Biographie 


Claude  Blael  n'a  pain!  publîiï  d'ouvrage  aïn«  intitulé,  ris!)  il  a 
i^aiiî  planeurs  de  ses  piiees  de  vers  i  la  tuite  d'une  édition  in-ia 
~  "i  Pérusc,  qu'il  a  dédiée  le  >  Premier  iour  de 

.  Henti  do  Voîer,  Vlconte  de  Paulmy  d  de  la 


des  Œmirn  i 


OEVVRES 


Avec  quel^ei  atitrei 

dinerfes  Poéjiet  de 

Cl.  BiHct 


demeurant  rae  S 

.  la- 

î' 

,es,âlaCliari 

Les  di' 

„rse» 

poésies  di 

:  Oaude  Biaet  ne  sa 

nt  po 

inl  prdeédto, 

dan»  cet 

■olumi 

:,  ds  la  pli. 

:e  de  vers  de  Jodelle, 

e  titre  qu'elle 

porte  s'y 

applii 

luerait  for 

t  bien.  En  elfe 

ton  y 

5  :  Vceudim 

berger  à 

■efe  Venu 

.  (fol.  14Î  V») 

pefckeur 

auD. 

ieu  Neplui 

«  <fo!.   [44  V 

\  Chant /oi 

-eflier,  ou  le 

Chafeur 

■  Au  Seign.  Amadh  lamin. 

\ 


NOTES.  373 


Diéty-nnCy  dont  il  est  question  au  premier  vers  de  ce  sonnet, 
est  une  nymphe  de  Diane  dont  le  nom,  à  cette  époque,  a  sou- 
vent désigné  la  maréchale  de  Retz.  Voyez  ci-après  la  fin  de  la 
note  89. 

78.  EsTiENNB  loDELLE,  Parificn  (A  Olivier  de  Magny).  Ode, 
p.  334. 

Cette  ode,  et  les  deux  pièces  qui  la  suivent,  se  trouvent  dans  un 
petit  volume  in-8«»  publié  en  1 553,  et  plusieurs  fois  réimprimé,  no- 
tamment en  1573  ;  voici  le  titre  exact  de  la  première  édition  : 

Les  âmovrs 

D'OLIVIER  DE 

Magny  qvercinois, 
et  qvelqves  odes  de  lvy. 

Emfemble  (sic) 

Vn  recueil  d'aucunes  œuures  de  Monfieur  Salel 

Abbé  de  faint  C héron  ^  non  encore  veues. 

Auec  priuilege  du  Roy 

A  PARIS 

Par  Efticnne  GrouIIeau  Libraire,  demeurant 

en  la  rue  Neuue  noftre  Dame  à  l'enfei- 

gne  faint  lean  Baptifte, 

i553. 

Le  Diftique  mefuré^  qui  vient  en  second  rang,  a  déjà  été  publié 
par  nous  à  la  place  qu'il  occupait  dans  l'édition  de  Ch.  de  La- 
mothe.  (Voyez  ci-dessus,  page  364,  'a  fin  de  la  note  47.)  Mais  nous 
le  reproduisons  ici  avec  son  véritable  titre.  Pasquier  avait  pour 
cette  pièce  une  admiration  qui  ne  laisse  pas  de  nous  surprendre. 
Voici  comme  il  s'exprime  à  ce  sujet  dans  le  douzième  chapitre  du 
septième  livre  de  ses  Recherches  de  la  France^  intitulé:  Que  nojtre 
langue  ejl  capable  des  vers  mefure^  tels  que  les  Grecs  &  Romains: 
«  Cela  a  efté  autresfois  attenté  par  les  noftres,&  peut  eftre  non 
mal  à  propos.  Le  premier  qui  l'entreprit  fut  Eftienne  lodelle  en  ce 
diftique  qu'il  mift  en  l'an  mil  cinq  cens  cinquante  trois,  fur  les 
œuures  Poétiques  d'Oliuier  de  Maigny.  » 

Ici  il  reproduit  le  texte  du  distique  et  reprend  :  «  Voila  le  pre- 
mier coup  d'effay  qui  fut  fait  en  vers  rapportez,  lequel  eft  vrayment 
vn  petit  chef-d'œuure.  » 

79.   A  LA  MEMOIRE  (DE  SaLEL),   p.  337. 


374  NOTES. 

Ce  haitain  est  imprimé  au  verso  da  onzième  feuillet  d'un  vo- 
lume in- 1 2  intitulé  : 

Les  XXÏIII. 

LIVRES    DE 

l'Iliade  d'Ho- 
mère, PRINCE 

des    Poètes    Grecs. 
Traduisis  du  Grec  en  vers  Faançois  (sic). 

Les    XI    PREMIERS    PAR 

M.  HvGVES  Salel,  Abbé 
de   Saind   Cheron. 

r-       Et 

Les    XIII     DERNIERS    PAR 
AmADIS    lAMYNf     SECRETAIRE     DE     LA 

chambre  du  Roy  :  tous  les  xxiiii.  re- 

ueui  &  corrige^  par  ledit 

Am.   Iamtn. 

Avec 

Les  trois  premiers  Liures  de 
rOdissee  d'Homère. 

Plus  vue  table  bien  ample  fur  r  Iliade  cT  Homère. 

A  Paris 

Chez  Abel  l'Angelier,  au  premier 
pillier  de  la  grand'falle  du  Palais 

M.  D.  XCIX. 

Auec  priuilege  du  Roy, 

Il  y  a  bien  au  sixième  vers  deuin  fcduoir^  qu'on  serait  assez  tenté 
de  remplacer  par  diuinfçauoiry  mais  qui  offre  cependant  un  sens 
acceptable  à  la  rigueur. 

80.  iEpitaphe  de  Clément  Marot),  p.  358. 

Goujat  s'exprime  ainsi  dans  l'article  qu'il  consacre  à  Clément 
Marot,  mort  en  1544  :  «  Jodelle  lui  fit  cette  épitaphe  dans  le  goût 
defonliècle.  »  {Bibliothèque  françoife  ^  tome  XI,  p.  5o.)  Puis  il 
donne  les  vers  que  nous  avons  recueillis. 

81.  (A  Iean  de  Voyer,  viconte  de  Pavlmy)  Par  Dialogifme  du 
Génie  &  du  Pajfanl.  Sonet,  p.  338. 

Cette  pièce  se  trouve  à  la  page  27  d'un  volume  in -40  contenant 


NOTES.  375 


43  pages  et  un  feuillet  non  chiffré.  Cette  rare  plaquette  est  con- 
servée à  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal  sous  le  n»  9098  des  Belles- 
Lettres  .  En  voici  le  titre  complet  : 

LE      TVMBEAV      DE 

TRES-HAVLT  ET  PVISSANT  SEI- 
GNEVR,  MESSIRE  lEAN  DE  VOYER 
CHEVALIER  DE  l'ORDRE  DV  ROY,  ET 
GENTIL-HOMME  ORDINAIRE  DE  SA 
CHAMBRE,    VICONTE    DE    PAVLMY    ET 

de  la  Roche  de  Gennes^  Seigneur 

d'Argenfon^  la  Baillolierey 

Le  Pleffis ,  Cha- 

Jires,  &c. 

(?* 

EN    PLVSIEVRS    LANGVPS. 

LVTETIAE,  M.D.LXXI. 
Apud  loannem  Bene-natum. 

Jean  de  Voyer  est  mort  le  10  mars-  iSji,  à  soixante-seize  ans. 

82.  (A  I.  DV  Bellay.  Sonnet),  p.  339. 

Cette  pièce  se  trouve  à  la  page  11  de  La  Chajfe  de  la  bejte  ro- 
maine.,, par  George  Thomfon...  Genève,  Ph.  Albert,  161 1,  in-S". 
L'auteur  dit  en  parlant  de  Rome  :  «  lodelle  l'a  nayfuement  pour- 
traite  en  ces  vers.  »  Puis  il  donne  immédiatement,  sans  aucun 
titre,  le  sonnet  que  nous  avons  reproduit.  Si  ce  sonnet  est  réelle- 
ment de  Jodelle,  on  doit  le  considérer  comme  ayant  été  inspiré  par 
la  publication  de  l'ouvrage  de  Joachim  du  Bellay,  intitulé  :  Les 
Antiquité^  de  Rome  contenant  vne  générale  defcription  de  fa 
grandeur  &  comme  vne  deploration  de  fa  ruine ^  dont  le  premier 
livre,  le  seul  qui  ail  paru,  est  de  i558.  Voyez  Œuures  françoifes 
de  loachim  Du  Bellay^  tome  II  de  notre  édition,  p.  263. 

83,  De  Th.  de  Besze,  faisant  l'amovr,  p.  339. 

Ce  huitain  est  tiré  du  manuscrit  1662  du  fonds  français  de  la 
Bibliothèque  impériale,  manuscrit  dont  voici  la  désignation  :  •  Re- 
cueil de  poésies  satiriques  sur  Henri  III  et  son  époque.  Papier. 
XVI«  siècle.  Ane.  7652 «»,  Colbert,  3220.  »  {Catalogue  des  manu- 
scrits français^  tome  I,  p.  281) 

Les  vers  sur  Théodore  de  Bèze  se  trouvent  au  folio  27  de  ce 
Reçue//,  dont  ils  forment  le  u9  65.  Le  manuscrit  1662  renferme  plu- 


376 


NOTES. 


sieurs  autres  pièces  attribuées  également  à  Jodelle.  Le  Catalogue 
décrit  ainsi  deux  articles  qui  précèdent  les  vers  sur  Bèze  : 

33.  «  Cinq  sonnets  tirés  de  la  Priapée  de  E.  Jodelle.  »  (Fol.  20.) 

34.  Trois  c  Sonnets  vilains  dudidl  Jodelle.  »  (Fol.  22.) 

Le  sujet  de  ces  trois  derniers  sonnets  est  indiqué  de  la  sorte  dans 
le  manuscrit  :  c  Contre  vne  garfe  qui  l'auoit  poïuray.  »  Nous  n'a- 
vons reproduit  aucune  de  ces  huit  pièces  fort  libres,  assez  obscures, 
très-médiocres,  et  qui  d'ailleurs  n'appartiennent  pas  incontesta- 
blement au  poète  dont  nous  publions  les  œuvres.  Voyez  les  deux 
notes  suivantes  pour  les  autres  pièces  de  Jodelle  comprises  dans 
le  manuscrit  1662,  sous  les  n°*  89,  97  et  98. 

84-  Sonnet  de  la  fidélité  des  Hvgvenots,  p.  340. 

Ce  sonnet  se  trouve  au  verso  du  folio  3i  du  manuscrit  décrit 
dans  la  note  précédente;  il  en  forme  le  n»  89.  Il  continue  fort  na- 
turellement les  pièces  dirigées  contre  les  miniftres  de  la  nouuelle 
opinion.'VoyQZ  ci-dessus, page  i33.  Au  troisième  vers  il  y  a  dans  le 
manuscrit  leur  per/onne  au  lieu  de/<2  perfonne^  et  au  dernier  vers 
cesjidelles  au  lieu  de/esjidelles, 

85.  Sonnet  svr  les  beavtez  d'vne  garse,  p.  340. 

Le  folio  33  du  manuscrit  1662,  llécrit  dans  l'avant  dernière  note, 
commence  par  trois  pièces  intitulées  : 

96.  Sonnet  de  Pajerat  fur  les  beauté^  d'vne  garfe. 

97.  Sonnet  fur  les  beauté^  d'vne  autre,  par  lodelle. 

98.  Autre  par  lediâ  lodelle. 

Nous  avons  rejeté  la  pièce  97  par  les  mêmes  motifs  qui  nous  ont 
empêché  d'admettre  les  huit  sonnets  dont  nous  parlons  dans  la 
note  83.  Nous  avons  reproduit  au  contraire  la  pièce  98,  plus  sup- 
portable que  les  autres ,  et  qui  donnera  du  moins  une  idée,  fort 
adoucie  il  est  vrai,  des  pièces  que  nous  n'avons  pas  cru  devoir  pu- 
blier. A  l'avant-dernier  vers  le  manuscrit  donne  fe  moquant  au 
lieu  de/<?  moqua. 

86.  Ce  qvi  fvt  chanté  av  Lovvre  povr  la  bande  de  Flore  et 
Phœbvs.  Chant  de  Pan,  p.  341. 

Ces  vers  sont  tirés  du  manuscrit  i663  du  fonds  français  de  la 
Bibliothèque  impériale  ainsi  désigné  à  la  page  283  du  tome  I  du 
Catalogue  des  manuscrits  français  :  «  Recueil  de  poésies  fran- 
çaises et  latines.  Papier.  XVI"'  siècle.  Ane.  765233A,  Colbert, 
22o5.  » 

On  les  trouve  au  folio  32  de  ce  manuscrit.  En  regard  on  a  écrit 
d'abord  le  nom  de  Ronsard,  qui  a  été  effacé  et  remplacé  de  la  même 
main  par  celui  de  Jodelle. 

A  la  page  342,  dans  le  vingt-deuxième  vers  : 


FAle  voulait  exécrant  vo-{  malheurs. 


NOTES.  377 

il  y  avait  d'abord  exerçant^  qui  a  été  remplacé  par  la  leçon  que 
nous  avons  adoptée.  Nous  avons  déjà  remarqué  une  confusion 
du  même  genre.  (Voyez  ci-dessus,  p.  364,  note  45.) 

87.  Chant  de  Venvs  povr  l!entree  des  tenans  a  l'hostel  de 
GvYSE,  p.  343. 

Cette  pièce  se  trouve  au  folio  32  du  manuscrit  décrit  dans  la 
note  précédente;  elle  y  est  attribuée  à  Jodelle. 

88.  Sonnet,  p.  344. 

On  lit  ces  vers  au  folio  73  du  manuscrit  décrit  dans  la  note  86. 
Ils  j>ortent  le  nom  de  Jodelle.  Ce  sonnet  paraît  faire  partie  des 
premières  pièces  des  Amours.  (Voyez  ci-dessus  note  i,  p.  353  et 
354.)  La  leçon  primitive  du  vers  8  était  : 

M'a  VarCy  tria  le  hrafier^  m'a  la  ret^  qui  me  fafche. 

Le  dernier  mot,  fafche^  a  été  postérieurement  effacé  et  remplacé 
par  lajfe  déjà  préférable,  mais  auquel  nous  avons  cru  devoir  sub- 
stituer lace  qui  donne  un  sens  meilleur  et  parfaitement  analogue 
à  celui  que  présentent  ces  vers  du  Vni«  sonnet  de  la  page  5  : 

Cejl  le  Feu,  c'eji  le  Nœu^  qui  lie  ainfi  mon  ame. 

Voila  le  Feu,  le  Nœu,  qui  me  bru/le  &  ejlraint. 

On  lit  au  folio  1 1 2  du  même  manuscrit  1 663,  qui  nous  a  fourni 
ce  Sonnet,  un  quatrain  traduit  du  grec,  publié  dans  l'ouvrage  de 
Delort,  intitulé  :  Mes  voyages  aux  environs  de  Paris  (T.  II, 
p.  3 10),  avec  cette  mention  qu'il  est  extrait  d'un  «  manuscrit  du 
XVI*  siècle  où  l'on  trouve  plusieurs  pièces  inédites  de  Jodelle.  » 
Une  telle  remarque  ne  suffît  pas  pour  prouver  que  ce  po£te  en  soit 
l'auteur.  M.  Blanchemain  n'a  pas  hésité  à  faire  figurer  ce  quatrain 
dans  les  Œttwes  inédites  de  Ronsard  (T.  VIII,  p.  i32),  mais  il 
n'a  pas  indiqué  les  motifs  qui  l'y  ont  déterminé. 

89.  Stances  svr  le  départ  de  madame  la  mareschalle  de 
Retz,  p.  346. 

Ces  vers  sont  adressés  à  Claude  Catherine  de  Clermont,  dame 
de  Dampierre,  épouse  en  secondes  noces  de  Jean,  baron  d'Anne- 
baut,deRetz  et  de  laHunaudaye  (voyez  la  fin  de  la  note  i,  p.  354), 
laquelle  eut  de  son  époux  la  baronniedeRetz  et  la  porta  en  mariage, 
le  4  septembre  i565,  à  Albert  de  Gondi,  qui  devint  maréchal  de 
France  à  la  mort  de  Tavannes,  le  6  juillet  1573,  c'est-à-dire  dans  le 
mois  même  du  décès  de  Jodelle. 

Ces  stances  occupent  les  feuillets  2-4  d'un  volume  in-40  de 
149  feuillets  qiii  faisait  jadis  partie  des  collections  des  Célestins  de 
Paris,  et  qui  appartient  actuellement  à  la  Bibliothèque  impériale 

24* 


>78 


Db  il  ponc,  parmi  les  mânoicrili  françiis,  le  n'  li,  455.  Le»  fe 
Icti  a-107  el  ijû-i?3  de  ce  manuscril  sont  remplis  de  poé 
trançiiK*  ou  iuliennes  Ibrt  ^Idgammenl  copiéo.  *vcc  titres 
iniliiici  en  or  ou  en  couleur.  Li  plapart  des  plkcts  oinii  écr 
uni  «laucr^s  1  11  lauinge  de  ti  marfcliïle  et  de  aon  ^poui. 

On  lit  lu  b»  du  rccla  du  lecond  reuillct.  en  tile  duquel  ci 
mencenl  Ie>  StaiKei  que  août  «vont  reproduites  :  •  Ce»  ver»  I 
compoWi  pat  Jodelle  «  (ont  iraprimiis.  .  Nous  «von»  tenli  vai 
menl  de  vdrilier  l'eucliiude  de  cette  assertion. 

Le  nom  de  DlâfHne  qui  parait  dans  le  quatriime  vers  de 
(Uaces  appartient  k  nne  njmpbe  de  Diane,  mais  il  servait  ti 
fr^uemmenl  i  désigner  d'une  manière  poétique  la  mari<i:halc 


Edrenes  à  Madams  la  Marerchullc. 

DIétfHie  aux  blont  cheueux,  la  Nymphe  plMjidelte 
ifur  Diane  eut  lapais  aux  courfes  desforefla. 
Dette  trnfme  iauenla  lea  pentes  S  1«  relht 
Beau  S-  digne  fiàbget  ivne  Dame  fi  belle. 


i  entre  crochets  [à  leurtjrtux)  qui  se  trouvent  dam 
le  la  page  j<45  manquent  dans  le  manuscril  ;  noai 
iés,  pat  conjecture,  pour  cooipliitcr  le  ver». 
i  poiat  d'autre»  ver»  de  Jodelle  k  extraire  de  a 
meutioa  qai  «a  troOTe  au  bat  des  Stancet  que  nom 
«  s'ajiçllque-l-elle  k  cette  seale  pièce  ou  k  an  cer- 


délicates.  11  est  probable  qae  quelque».) 

me»  de»  pièces  que  ren- 

ferme  ce  volume  sont  encore  de  Jodelle 

;  mais  lesquelles  choisir 

parmi  ce»  acrostiches,  ce»  lieux  commi 

Tiner  TauteurîCe  qu'il  y 

n-apparlient  pa»  en  son 

1  du  feuillet  56  une  pitce 

Pour  le  Roy  qui  s'adresse  non  à  Charli 

!»  IX,  mais  i  Henry  de 

Valoyt.  k  son  retour  de  Pologne,  et  qu 

i  ne  peut  par  consAjueot 

avdr  été  écrite  par  Jodelle.  mort  au  mois 

deiuilleliS73. 

NOTES.  379 


pas  placés  dans  V Appendice^  nous  donnerons  seulement  ici,  comme 
échantillon,  le  suivant  (teuillet  24  r»),  qui  est  d'une  tournure  assez 
vive  et  qui,  par  les  termesde  vénerie  qui  y  abondent,  rappelIel'Oiie 
de  la  chajfe^  réimprimée  aux  pages  297-321  du  présent  volume. 

Quand  ie  voy  l'exercice  honnejie  de  la  Chajfe^ 
Sans  fin  (sire)  enflammer  tout  généreux  defir^ 
En  eflrenes  ie  veulx  pour  toy  ce  vœu  choifir 
Qu'autre  chajfepar  toy  ceft  an  nouueau  Je  faffe. 

Tant  d'ennemis  ouuerts  &  couuerts  qui  d'aud.tce 
Viandent  tes  beaux  champs,  ofans  bienfefaifir 
De  tes  forts,  puijffent  tous  fur  terre  enfin  gefir 
En  rendant  les  abois  en  mainte  &  mainte  place. 
'  Rufés  chercher  de  iour  leur  repofee  ils  vont; 

Pour  nuyfance  la  nuiât  toufiours  fur  pied\  il^font; 
Fay  bien  iuger  le  temps,  fay  leur  nuid  bien  dejffàire, 

Brifant  fouuent,fay  les  rembu/cher,  détourner. 
Lancer,  fuyure,  efmeuter,  bien  courre,  &  maumener 
Pour  maint  Trophée  enfin  de  leurs  Majfacr es  faire. 

90.  (Satire  contre  le  chancelier  de  l'Hospital),  p.  348. 

Cette  pièce  n'est  pas  inédite;  M.  Tricotel  l'a  fait  paraître  l'année 
dernière  dans  l'Amateur  d'autographes  (n°»  177  et  178,  !•'  et 
16  mai,  p.  i3i  et  suivantes).  On  la  trouve  dans  deux  manuscrits 
du  fonds  français  de  la  Bibliothèque  impériale  (n»  3282,  feuil- 
let 118  verso  et  22,565,  feuillet  24  recto).  M.  Tricotel  établit  ainsi 
que  cette  pièce  a  Jodelle  pour  auteur  :  «  Le  titre  de  la  satire  est 
ainsi  conçu  dans  le  premier  manuscrit  :  Traduéiion  du  latin 
deE.J. 

Vivit  adhuc,  patriaeque  rogos  impune  videbit 
Quorum  causa  fuit,  vanus  inersque  senex. 

Et  dans  lé  second  :  Du  latin  par  luy  mefmes.  Or  les  initiales  E.  J. 
sont  bien  celles  de  Jodelle  et  ne  peuvent  s'appliquer  à  aucun  autre 
poète;  ce  qui  démontrerait  encore  plus  cette  attribution  si  cela  était 
nécessaire,  serait  le  fait  suivant  que  le  recto  du  même  feuillet  du 
manuscrit  (M s.  3282)  contient  la  transcription  d'un  sonnet  égale- 
ment signé  E.  J.  qui  commence  par  ce  vers  : 

Ne  les  a  Ion  donc  peu  defcouurir  au  moins  ceus 

et  ce  sonnet  fait  partie  des  Πuures  de  Jodelle. n  (Voyez  t.  II,  p.  147 
de  notre  édition.) 

M.  Tricotel,  il  est  vrai,  a  vainement  cherché  la  pièce  latine  de 
Jodelle,  mais  cela  ne  prouve  rien  contre  l'attribution  de  la  pièce 
française.  Nous  avons,  à  l'exemple  du  premier  éditeur,  suivi  le  texte 


^^^^^^^^é 

1 

1 

P 

1 

^^^^^H                                du  manut 
^^^^^H                                    poruntei 

cril  3j8ï. 

t-'aulri  préfeole  qoelqm 

~ 

-1 

^^^^^H 

Nojtre  niync  6  le  tourment. 

^^^^^^^■l                                    place  fan  i/aann-j 
^^^^^^^H                                    celle              pcDl-clri 

ma/quéf  prudence  au  lieu 
fers  1.  pfiii  remplace  mii 
■'ejl.c'ejt;  p.  33Q,aarers 
enfin  le  dernier  vende  la 
B  pr<)lérable  : 

dei 
pièc 

nafque  de 
1  blafmtm 

sons 

I 

TovJlO 

unàcemot.rHofpital. 

? 


TABLE   DES    MATIÈRES 


CONTENUES    pANS    LE    SECOND    VOLUME. 


Pages. 
Les  âmovrs  d^Estienne  Iodelle  Parisien. 

Sonnets i 

Chapitre  de  Pamour 25 

Chapitre   d'amour 3o 

Chanfon  pour  le  feigneur  de  Brunel 33 

Autre  chapitre  d'amour 3y 

Chanfon  , 43 

Chanfon  pour  refpondre  à  celle  de  Ronfard,  qui 

commence  :  Quand  Ceftois  libre 45 

Chanfon 49 

Chanfon  diuifée  en  trois  airs,   &  chacun  air  en 

fix  (lanfes 60 

Chanfon  pour  refpondre  à  celle  de  Ronfard,  qui 
commence  :  le  fuis  Amour  le  grand  maiftre 

des  Dieux 65 

Chanfon 68 

Chanfon  pour  la  deffenfe  de  l'amour 70                                         < 

Chanfon 74                                           ^ 

\ 


TABLE    DES     MATIÈRES.  383 

Ode   fur  la  naiflance  de  Madame ,  fille  du    Roy 

Charles  neufiefme i65 

Sonnet lyo 

Sur  la   naiffance  de  Henry    de  Lorraine  comte 

d'Eu,  fécond  fils  du   Duc  de  Guife.  Sonnet.   ,  171 

Chant ,  172 

A  M.  le  comte  de  Fauquemberge  &  de  Cour- 

tenay ij^ 

A  M.  Symon.    Sonnet. 178 

A  Loyfe  PArcher,  &  à  fes  fœurs 1 79 

Fantafie  fur  vn  vers  bien  chanté  &  bien  fonné 

fur  le  Lut.  A  Loyfe  TArcher.  ........  180 

L'amour  celefte  de  vertu,  fur  vnieu.  A  M.  Symon.  180 

A  M.  de  l'Aubefpine,  fecretaire  d'Eftat.. 181 

A  madame  de   Primadis 181 

A  madamoyfelle  de  Surgieres 182 

Sur  la  deuifede  la  cyiialle 182 

Anagrame,  Jbn  arc  tire  flame iH3 

Au  feigneur  de  la  Bourdaiziere i83 

A    luy  mefme 184 

Diflhique 184 

Sur  les  Météores  de  L  A.  de  Baïf. 184 

A  la  France.  Elégie i85 

Chapitre.  En  faueur d'Orlande  excellent  muficien .  1 86 

A  Loyfe  l'Archer.  Sonnet 191 

Sur  la  grammaire  de  P.  Ramus 192 

Sonnet  fur  les  dialogues  d'honneur  de  L  Baptifte 

Poffeuin 192 

Ode  fur  la  tradu6lion  de  Paul  Emile,  fai6te  par 

lean  Regnard ,  Sieur  de  Miguetiere.   .....  193 

Sur  le  Monophile  d'Eftienne  Pafquier ,  Aduocat 

en  la  Cour  de  Parlement 2o3 

Ode  fur  les  Singularitez  de  la  France  antarctique, 

d'André  Theuet,  Cofmographe  du  Roy.   .  .  .  206 


TABL.B     OBS    MATIÈBBS. 

Ode  a  Claude  Colet,  fur  le  IX.  d'Amadis.  ...  208 

Aui  cendres  du  mei'me  Colet an 

Les  DiacovR*  de  Ivlek  Cesah  avant  le  passage 

nv  RvBicoN 3l5  I 

TOHBBAVX. 

A  l'ombre  de   M.   Simon  l'Archer 27g 

A  l'ombre  mcCme z8o 

L'ombre  de  Peronne  le  GrcslE ï8o 

A  l'efprit  de  M.  le  comte  de  BrifTac,  lue  deuant 

Muffidan 281 

Sur  le  irefpas  de  leaane  de   Loynes 2^ 

A  M.  Soreau  Ton  mary 284 

De  M     Bourdin,  procureur  gênerai  du  Roy  eu 

Parlemeni  de   Paris 2S6 

Al'amede  M.  Defpence i86 

De  M.  de  Montfalez 287  / 

De  M.  d'Alluye  fecretaîre  d'Eftat 288     ^      « 

Pour  k  lombeau  de  M.  Theuet,  Cofmographe du  ^^^fl 

Roy  aSg^H 

-Cantique  chreftien ^9^-^^^M 

SoNHrrs.  ^^1^1 

A  la  Royne   mère 19» 

A  Monfteur 294 

A  Monfeigneur  le  Duc 294 

Ode  de  la  chaffe.  Au  Roy 197 

Ode  à  M.  le  comte   de  Dammarlin 3ir 

Appendice. 

Ode  au  comte  d'Alcînois  fur   fes  cantiques   du 

de  lefus  Chrift 327 


9 


TABLE     DES    MATIÈRES.  385 


A    luy  mefme 333 

Sur   les  pefcheries,    bergeries    &   eglogues  de 

chafTe  de  Claude  Binet 334 

I 
Eftienne  lodelle  Parifien  (à  Oliuier  de  Magny). 

Ode 334 

Luy  mefme  à  Magny.  Diftique  mefuré 336 

Sonet  (à  Salel). 337 

A  la  mémoire  (de  Salel) 337 

(Epitaphe  de  Clément  Marot) 338 

(A  lean  de  Voyer,  viconte  de  Paulmy).  Par  Dia- 

logifme  du  Génie  &.  du  Paffant.  Sonet 338 

(A  I.  du  Bellay.  Sonnet) 339 

De  Th.  de  Befze,  faifant  Tamour.  .......  339 

Sonnet  de  la  fidélité   des  huguenots,   par  EU, 

lodelle,  Poète  Parif. 340 

Sonnet  fur  les  beautez  dVne  garfe 340 

Ce  qui  fut  chanté  au  Louure  pour  la  bande  de 

Flore  &  Phœbus.  Chant  de  Pan 341 

Chant  de  Venus  pour  Peniree  des  tenans  à  l'hoftel 

deGuyfe 343 

Sonnet 844 

Stanœs  fur  le  départ  de  Madame  la  M^refchalle 

de  Retz 345 

(Satire  contre  le  chancelier  de  l'Hofpital)  ....  348 

Notes 35 1 

PIN     DE     LA     TABLE. 


JodelU.  —  II.  a  5 


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