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g, HUGO PAUL THIEA\E
1914 — lî)40
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Cette collection a été tirée à 2)0 exemplaires numéiotés
et paraphés par l'éditeur.
2)0 exemplaires sur papier de Hollande,
i8 — sur papier de Chine,
2 — sur vélin.
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LES ŒVVRES"
et Meslaoges Poétiques
D'ESTIENNE lODELLE
Avec une Notice bîpgrapkique et des Notes
Ch. MARTY-LAVEAUX
PARIS
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
NOTICE BIOGRAPHIQUE
ESTIENNE JODELLE
J tTiBNifK Jodelie, issu d'une femiltc noble, et
seigneur de la terre de Lymodin , ainsi
S qu'il . . - -.
lême, ou plutôt de Limo-
le portent les titres de pro-
priété ', est né à Paris en i532,
A en croire son ami Ronsard, ce ne fut pas sans
une volonté toute spéciale du Destin qu'il vît le jour
dans cette fille ;
Tu ne deuois, lodelle, en autre ville naiftre
Ql/'en celle de Paris, & ne deuois auoir
Autre jleuue que Seine, ou des Dieux receuoir
Autre ejprit que le tien à toute chofe adeftre'.
1. Canjet, Bibliothèque françoite. t. XII, p. 167.— Boillet,
Jugement! des savantt, augmentés par La Monnofc, toms IV,
p 43 1, édition da 1713.
3. Lei Oetiurts de P. de Roafard. Paris, G. Buon, 1584, in-
lodelle.- I. t
NOTICE
Nous ne savons rien de ses premières années, ni de
son éducation. Notons seulement que Pasquier, le com-
parant à Ronsard et à du Bellay, remarque qu'il n*a
pas « mis Tœil aux bons liures comme les deux
autres '. »
Néanmoins il s'adonna de fort boryie heure à la poé-
sie, «c Dés Tan 1549 — dit son biographe Charles de
la Mothe (c'est-à-dire lorsqu'il n'avait encore que dix-
sept ans) — Ion a veu de luy plufieurs Sonnets, Odes,
& Charontides *. 9
Ce début n'avait rien de bien remarquable ; mais les
amitiés littéraires que le jeune auteur avait déjà con-
tractées, sa grande facilité de travail, l'ardeur singulière
avec laquelle il embrassait toute opinion nouvelle , en
faisaient d*avance un soldat de la brigade dont Ronsard
allait devenir l'illustre chef.
Ce n'était pas au hasard, ni même uniquement d'a-
près son inspiration personnelle, que chacun des poètes
de la Pléiade prenait possession d*uAe partie de ce vaste
domaine de la littérature française qu'ils envahissaient
en commun. Dès le début de leur importante campa-
gne, Joachim du Bellay avait eu soin, dans son Illus-
tration de la langue fiançoifey d'indiquer quels étaient
les postes littéraires déjà glorieusement occupés et ceux
qui restaient encore vacants. Parmi ces derniers se
trouve le théâtre, dont il parle ainsi à la fin de son
4* chapitre, qui a pour titre : Q^el^ç genres de Poèmes
doit élire le Poète François : « Quand aux Comé-
dies & Tragédies, fi les Roys & les Republiques les
vouloint reftituer en leur ancienne dignité, qu'ont
vfurpée les Farces & Moralitez, ie feroy' bien d'opinion
que tu t'y employafles, & fi tu le veux faire pour l'or-
1. Estienne Pasquier, Les Recherches de la France^ Laurens
Sonnius, i6ai, in-fol., livre VII, p. 619
2. Voyez ci-apràs, page 5.
. SUR ESTIENNE JODELLE. X]
nement de ta Langue, tu fcais ou tu en doibs trouuer
les Archétypes *. »
A la vérité , Charles Fontaine , dans sa critique de
Vlîluftration de la langue françoife, qui a pour titre :
Le Quintil Horatian *, conteste l'exactitude des asser-
tions de du Bellay : a De Comédies Françoyfes en Vers,
certes ie n'en fçay point ; mais des Tragédies affez, & de
bonnes, û tu les fceufTes congnoiflre, fur lefquelles n'v-
furpe rien la farce, ne la Moralité (comme tu eftimes)
ains font autres Poèmes à part '. »
Les reproches de Charles Fontaine sont loin d*étre
dénués de fondement : du Bellay, comme tous les no-
vateurs, méprise ui? peu trop ce qui a été fait par ceux
qui n'appartiennent pas à sa coterie. U a tort de ne pas
accorder au moins un souvenir aux traductions en vers
de diverses tragédies grecques, par lesquelles Lazare de
Ba!f, père de Jean-Antoine, Thomas Sebilet et Guil-
laume Bouchetel* préludaient déjà à la restauration du
théâtre antique; ajoutons que Char^eç Fontaine lui-
même oublie la traductioh ei> vers des six comédies de
Térence, publiée vers 1 5oo ^, et la version poétique de^:
VAndrienne^ par Bonaventure des Périers •,
Ces ouvrages n'étaient au r«ste que des travaux d'é<-
rudition uniquement destinés aux lecteurs studieux, e^
que nul ne songeait à produire sur la scène. Ronsard le:
premier osa y porter un essai de ce genre.
Il terminait alors ses études, sous la direction de pot
1. Œuures françoifes de loachim du Bellay^ t I de notre
édition, p. 40.
2. Ibidem, note i, t. 1, p. 475-476.
3. Ibidem, note 45, p. 483.
4. Le premier a traduit VÉlectre de Sophocle et VHécube d'Eu-
ripide; le second, VIphigénie d'Euripide; ie troisième, quelques
pièces du même poète.
5. Terence en français, profe & rime, A Paris, pour Antoine
Verard, in-fol.
6. Première comédie de Terence ^ appellee VAndrie^ pul^liée à
Lyon, 1537, in-S", et, dans la même ville, en i555.
Xlj NOTICE
rat, au collège Coqueret, rue des Sept- Voies. L'admi-
ration que lui inspira le théâtre grec « Tincita encor,
outre le confeil de fon Précepteur, à tourner en Fran-
çois le Plutus d'Âriftophane, & le faire reprefenter en
public au Théâtre de Coqueret, qui fut la première Co-
médie Françoifeiouée en France » *.
Mais Ronsard, qui voulait diriger tous ses efforts vers
l'épopée et la poésie lyrique, ne poussa pas cette ten-
tative plus loin; et Jodelle, encouragé par un de ses
amis, Simon TArcher, put, sans avoir à craindre un si
dangereux rival, se consacrer à la tftche importante de
restaurer le théâtre antique.
Dans un sonnet A il/. Symon *, Jodelle constate d'a-
bord de la sorte les obligations qu'il a contractées en-
vers lui ;
L^amitié qui me lie à toy dés ma ieunejfe,
De ma Mu/e (ô Symon) print fon fatal lien :
Qfiand premier des François, toym^ouurant le moyen^
Pempruntay le Cothurne, & le Soc^ à la Grèce.
Et plus tard, après la mort de cet ami, il consacre A
Vombre de M. Simon V Archer * xynt pièce où, faisant de
faciles allusions au nom de famille de celui qu'il pleure,
il précise ainsi la nature des services qu'il en a reçus :
Aux Mufespar les vers de VAfcrean Poète,
Vn bel arc proprement fe voit accommodé.
Tu peus fuiuant ton nom d^vn tel arc eflre archer,
Mais tu n^cus tel plaifir à fi bien décocher,
Comme à bien adextrer à tel arc la ieunejfe :
Qui f efforce à fen rendre à cefie heure vn loyer,
1. La vie de Pierre de /îoi^arrf..., par Claude Binet. Voyez
Le% Oeuurei,.. Paris, N. Buon, M. DC. XX 111, in-fol., p. 1643.
2. T. II, page 178.
3. T. II, page 279.
SUR ESTIENNE JODELLE. Xll)
Charles de la Mothe nous fait connaître la date de
l'entreprise de Jodelle : « En i552, mit en auant, &. le
premier de tous les François donna en fa langue la
Tragédie, & laComedie, en la forme ancienne *.»Étienne
Pasquier entre dans d'assez grands détails sur les pre-
mières représentations de deux des principaux ouvra-
ges de notre poète.
« Quanta la Comédie & Tragédie — dit-il — nous en
deuons le premier plant à Etienne lodelle.... Il fit deux
Tragédies, la Cleopatre^ &. la Didon, &. deux Comédies,
LaRencontrCf &. V Eugène. La Rencontre* Siinfi appellee,
parce qu'au grosdelameflange,touslesperfonnages s'ef-
toient trouuez pefle-mefle cafuellement dedans vne mai-
fon, fuzeau qui fut fort bien parluy demef lé par lacloflure
du ieu. Cefte Comédie, & la Cleopatre furent reprefen-
tees deuant le Roy Henry à Paris en l'Hoftel de Reims,
auec vn grand applaudiffement de toute la compagnie :
Et depuis encore au Collège de Boncour, où toutes les
feneflres eftoient tapiCTees d'vne infinité de perfonnages
d'honneur, & la Cour fi pleine d'efcoliérs que les portes
du Collège en regorgeoient. le le dis comme celuy qui
y eilois prefent, auec le grand Tornebus en vne mefme
chambre. Et les entreparleurs efloient tous hommes de
nom : Car mefme Remy Belleau, & lean de la Perufe,
ioûoient les principaux roulets. Tant eftoit lors en ré-
putation lodelle enuers eux ', »
Nous deuons joindre aux spectateurs de distinction
que nous connaissons déjà Jean Vauquelin de la Fres-
naye, qui nous apprend qu'il était au nombre des assis-
tants et revendique pour Baïf l'honneur d'avoir choisi
le premier le sujet tragique traité par notre poôte :
1. Voyez ci-après, page 5.
2. Sur cette comédie de La Rencontre, voyez ci-après, p. 3i i, la
fin de la note 4.
3. Les Recherches de la France. Paris, Laurens Sonnius, 1621,
in-foUo, livre VII, p. 617-618.
:.î
XIV NOTICE
lodelle, moi prefent, fit voir fa Cleopatre
En France des premiers au tragique Théâtre ,
Encore que de Baifvnfi hraue argument
Entre nous eut été choifi premièrement *.
Les frères Parfait ont supposé, non sans vraisem-
blance, que le prologue adressé à Henri II fut récité
par Jodelle lui-même *. Le souverain accueillit favora-
blement le compliment et Pouvrage, et, d'après le té-
moignage de Brantôme, « donna à lodelle, pour la tra-
gédie qu'il fit de Cleopatra , cinq cens efcus de fon
efpargne, outre luy fit tout plein d'autres grâces, d'au-
tant que c'eftoit chofe nouuelle & très-belle & rare *. »
M. Philarète-Chasles prétend, dans ses Études sur le
seizième siècle en France*^ que Jodelle, après avoir
récité le prologue, a joué, le rôle de Cléopâtre, et que
Ronsard était au nombre des acteurs ; mais la source à
laquelle ces renseignements ont été puisés n'est pas
indiquée, et nous n'avons pu la découvrir.
Il est facile de juger, par les passages des auteurs
contemporains de Jodelle que nous venons de rappor-
ter, de l'étendue et de l'importance de la révolution
littéraire que ce poète venait d'entreprendre.
Aux mystères, dont les sujets étaient tirés de la reli-
gion chrétienne, il substituait la tragédie, fort admirée
des savants , qui toutefois n'avaient jamais conçu l'es-
poir de la voir revivre devant eux sur le théâtre. Ce
brusque changement ne satisfit du reste que la popu-
lation instruite et aristocratique, c'est-à-dire une très-
1. Art poétique^ livre II, p. 76.
2. Histoire du Théâtre français, tome III, p. 287.
3. Brantôme, Œuvres^ tome 111, p. 289, édition de M. L. La-
lanne. Ce passage a été cité à tort par les frères Parfait comme
étant dé Pasquier. Histoire du Théâtre français, tome III,
p. 279.
4. Page i3o.
SUR ESTIBNNE JODELLE. f XV
faible minorité; les simples, qui n'étaient familiers ni
avec ces héros de l'antiquité, ni avec leur langage fas-
tueux, préféraient les personnages bibliques, auxquels
les poètes populaires prêtaient instinctivement une
bonhomie e\ une naïveté qui les rendaient intéressants
et intelligibles pour tous; bien plus, quelques audi-
teurs, animés d'un zèle qui nous paraît aujourd'hui
fort irréfléchi, croyaient la religion intéressée à de sem-
blables spectacles et regardaient l'introduction des su-
jets païens sur le théâtre comme une sorte d'impiété.
La comédie antique était peut-être plus difficile en-
core à faire accepter que la tragédie. Ici le poète avait
à la fois contre lui le peuple , habitué aux farces et aux
moralités, et les savants, qui, pour la plupart sé-
duits par la pompe de la tragédie, méprisaient la fami-
liarité des pièces comiques.
Aucuns auffi de fureur plus amis,
Aiment mieux voir Polydore à mort mis,
Hercule au feu, Iphigene à Vautel,
Et Troye àfac, que non pas vn ieu tel
Q}ie celuy là qu'ores on vous apporte *•
C'est dans le prologue de VEugène que Jodelle, ve-
nant ainsi au-devant des objections que quelques-uns
de ses amis pourraient lui faire, proteste que
Ne dédaignant le plus bas populaire*^
il veut renouveler le théâtre comique
Sans que brouillant auecques nos farceurs
Lefainâ ruijfeau de nos plus fainâes Sœurs,
1. Voyez ci-aprèt, page i3.
2. Ibidem,
XV) NOTICE
On moralife vn con/eil, vn efcrit,
Vn temps, vn toutj vne chair y vn e/prit^
Et tels fatras, dont maint & maint folaftre
Fait bienfouuent P honneur defon théâtre* .
Ces vers, assez obscurs, il faut l'avouer, sont à l'a-
dresse des Confrères de la Passion, qui, depuis Tarrét
du parlement du 17 novembre 1548, ne pouvaient plus
foire représenter ni les mystères sacrés, ni ceux des
saints et des saintes, mais qui composaient, à leur dé-
faut, des moralités avec personnages allégoriques, tels
que le Temps, la Chair ^ V Esprit, etc.*. Plusieurs années
après, le 5 février i558, Jacques Grevin exprimait
encore, mais beaucoup plus clairement, les mêmes
idées dans l'« auant-ieu » de La Treforiere , qui
explique et complète le prologue de V Eugène, et que
les frères Parfait en ont fort à propos rapproché ' :
Nony ce n^efl pas de nous quHl fault,
Pour accomplir ceft efchaffault,
Attendre les farces prifees
Qu^on a toujiours moralifees :
Car ce n'e/? nojlre intention
De méfier la religion
Dans lefubieâ des chofes feinâes.
Auffi iamais les lettres Saindes
Ne furent données de DieUy
Pour en foM-e après quelque ieu.
I. Voyez ci-après, page 14.
3. Le Temps figure dans un dialogue moral à quatre penoa-
nagea, de Guillaume des Autels; V Esprit tl la Chair ^ dans un
autre dialogue moral à cinq personnages, du même auteur.
3. Histoire du Théâtre français, p. 229, note a.
SUR ESTIENNE JODELLE. XVlj
N^attende!( donc en ce Théâtre
Ne farce ^ ne moralité :
Mais feulement Vantiquité,
Qui d^vne face plus hardie.
Se reprefente en Comédie^.
La hardiesse de Tessai littéraire de Jodelle Pavait
obligé, comme nous venons de le voir, à veiller lui-
même à tous les détails que comportait la représenta-
tion de son œuvre. Ne pouvant avoir recours aux Con-
frères de la Passion, dont il devenait l'adversaire, il
s'était vu forcé de former avec ses compagnons une
troupe de comédiens improvisés. De plus, il lui avait
fallu trouver une scène. Il eût bien souhaité qu'elle fût
semblable à celles de l'antiquité, ou que du moins elle
en rappelât le souvenir par sa forme *:
Quant au théâtre^ encore qu'ail nefoit
En demi-rondf comme on le compajfoit,
Et qu^on ne H^ait ordonné de la forte
Q}ie Ion faifoit, il faut qu^on lefupporte.
Il dut se contenter, comme nous l'avons vu, des cours
des hôtels ou des collèges, dont les fenêtres servaient
de loges aux spectateurs de distinction. Il sentait bien
aussi que la musique n'avait aucun caractère antique,
et il s'en excusait du moins mal qu'il pouvait.
Mefme lefon qui les aâesfepare,
Comme ie croy, vous eufl fémblé barbare,
Si Ion euft eu la curiofiié
De remouller du tout Vantiquité*.
1. Le Théâtre de laques Grevin. A Paris, pour Viocent Serte-
nas. M. D.LXI, in-S", p. 47-50.
2. Voyez ci-après, page i3.
3. Ibidem.
a"
XVllj NOTICK
Ces légère défitutsde couleur locale ne nuisirent en
rien au succès. Peu après l'éclatante réussite de Cléo^
pdtre, les amis de Jodelle se réunirent pour célébrer
son triomphe dans une fête que Balf raconte ainsi :
Quand lodelle bouillant en la fieur de fon âge
Donnait vn grand efpoir d*vn tout diuin courage.
Apres auoir fait voir marchant fur Vechaufaut
La Royne Cleopatre enfler vn flile haut,
Nous jeuneffe d'alors defirans faire croiftre
Cet efprit que voyons fi gaillard aparoiflre,
O SADE, en imitant les vieux Grecs qui donnoyent
Aux Tragiques vn bouc dont ils les guerdonnoyent ,
Nous cherchâmes vn bouc : &fans encourir vice
D'Idolâtres damne^, fans faire facriftce,
(Ainfi que des peruers fcandaleux enuieux
Ont mis fus contre nous pour nous rendre odieux)
Nous menâmes ce bouc à la barbe dorée,
Ce bouc aux cors dore:{, la befte enlterree^
En la fale où le Pœte auffi enlîerré,
Portant fon jeune front de lierre entouré,
Atendoit la brigade. Et luy menans la befte,
Pefle méfie courans en folennelle fefte^
Moy recitant ces vers, luy enfifmes prefent *.
Après ce récit commencent les dithyrambes, dont
certains passages, le suivant par exemple, présentent
un caractère païen assez déterminé. Tout le morceau
est en l'honneur du c Dieu Bacchien », que Balf cé-
lèbre en ces termes :
C^eft ce doux Dieu qui nous pouffe
1. Dithyrambes à la pompe du bouc d'EJUenne lodelle. i553.
Voyez Euures en rime de lan Antoine de Baîf, fecretaire de
la chambre du /^o^. A Paris, Pour Lucas Breyer.... M. D. LXXIII,
in-8*, folio i23.
SUR ESTIENNE JODELLE. XIX
Efpris de fa fureur douce
A refufciter le joyeux myjtere
Defes gayes Orgies
' Par Vignorance abolies^
Qui nous pouffe à contrefaire
{Crians iach ia ha
Euoé iach ia ha)
Ses Satyres antirfe^*.
Plus retenu, Claude Garnier, annotateur jde Ronsarid,
ne songe qu'à atténuer les choses et à leur donner une:
apparence toute fortuite :
« Âflez ont oûy parler du vo3rage dliercueil, ou de
la promenade, & comme vne infinité de ieunefife (ad-
donnée à faire la Cour aux Mufes...) fe mit en def-
bauche honnefte... Ils firent là banquet par ordre, où
Teflite des beaux efprits d'alors eftoit; & principalement
à fin de contribuer à Pefioulflance qu'ils auoient de ce
qu'Eflienne lodelle natif de Paris, auoit gaigné l'hon-
neur & le prix de la Tragédie, (car c'eftoit parauent
que Garnier eufl efcrit) & mérité de leur main le Bouc
d'argent... Ils firent mille gentilleffes, maints beaux
vers, tels que la pièce intitulée aux œuures de TAu-
theur Le Voyage d'Hercueil, & les Dithyrambes du
mefme, fi l'on veut, où pour mieux foUaflrer ils en-
joliuerent de barbeaux, de coquelicos, de coquelourdes
vn Bouc rencontré dans le village par hazard, lequel
les vns, au defceu des autres, menèrent de force par
la corne, &. le prefenterent dans la fale, riant à gorge,
ouuerte, puis on le chaCfa *. »
1. Ibidem, folio. 124, verso.
2 . Les Oeuures de P. de Ronfard. Paris, N. Boon, M. DCXXIIt,
in-fol., p. 1384.
XX NOTICE
D'après cette note, Le Voyage d*Hercueil et les Di^-
thyrambes n'auraient été composés qu'après les suc-
cès dramatiques de Jodelle; mais, bien que la publica-
tion du Voyage ait été faite dans les Amours de Ron-
sard en i552\ année de la représentation des pre-
mières œuvres dramatiques de Jodelle, il ne faut pas
oublier que le titre complet de cette pièce est : Les Bac-
chanales ou le folatrijfime voyage d*Hercueil , près
Paris, dédié à la ioyeufe trouppe de fes compaignons^
fait Van 1549. Si nous essayons de faire remonter jus-
qu'à cette date son début au théâtre, le fondateur de
notre scène classique se trouve n'ayoir que dix-sept
ans, ce qui semble peu vraisemblable; et d'ailleurs ,
les allusions aux événements militaires contemporains
fixent VEugène en i552 *,
Ne serait-il donc pas possible de supposer que le Fo-
latrijfime voyage d'Hercueil n'est qu'une promenade
antérieure au succès de Jodelle? Ce qui semble auto-
riser, cette interprétation, c'est que le nom de Jodelle
n'y est même pas prononcé, et que les excursions de
Ronsard aux environs de Paris en compagnie de ses
amis étaient un de ses plus fréquents divertissements,
a II fe deledoit — ditCIaude Binet» — ou à Meudon, Unt
à caufe des bois, que du plaifant regard de la riuiere de
Seine, ou à Genlllly, Hercueil, Saind Clou, & Vanues,
pour l'agrcable fraifcheur du ruifTeau de Biéure, & des
fontaines que les Mufes ayment naturellement. »
Cette question du reste est assez peu importante
pour nous en ce moment, car les Dithyrambes^ publiés
d'abord en i553 dans le Liuret de Folaftries^ à lanot
Parifien (c'est-à-dire à Jean-Antoine Baïf), plus quel"
1. A la page 214 de cette édition des Amours.
2. Voyez ci-après, p. 39 et p. 3i i, note 4.
3. La Vie de Ronfard Voyez Les Oeuures. Paris, N. Buon,
M.DC.XXIII, in-fol.,p. i665. .
SUR ESTIENNE JODELLE. XXJ
ques Epigrammes gi'ecs( : & des Dithyrambes chantes^
au Bouc de E. lodelley poète tragicq, à Paris, chez la
vcufue Maurice de la Porte, in-8®; réimprimés sous le
même titre en 1584, M^-12, sans nom de lieu, et re-
produits parmi les Gayete:[ de Ronsard dans ses
Œuvres, se rapportent seuls au sujet qui nous occupe.
Ils fournissent un curieux supplément au récit de la
fête et une liste probablement à peu près conlîplète de
ceux qui y assistaient : y
Je voy d*vn œil affe^ trouble
Vne couple
De Satyres cornus, cheurepie^, & mïbeftes,
Qui fouftiennent de leurs teftes
Lesyures coJie:[ de Sylene,
Mais qui font ces enthyrfe^,
Heriffe\
De cent feuilles de lierre .
Qui font rebondir la terre
De leurs piés^ & de la tefie
A ce Bouc font fi grand fefte,
Chantant tout autour de luy
Cefie chanfon brip-ennuy,
lach^ ïachj Euoé,
. Euoé, tach, iach?
Tout forcené à leur bruit ie fremy ;
Ventreuoy Baif & Rçmy,
Colet, lanuier, & Vergejfe, & le Conte,
Pafchal, Muret, & Ronfard qui monte
Deffus le Bouc qui de fon gré
Marche, affin d'efire facré
Aux pieds immortels de lodelle,
Bouc le feul prix de fa gloire éternelle,
XXlj NOTICE
Pour auoir (Vvne poix hardie
Renouuellé la Tragédie,
Et déterré /on honneur le plus beau,
Q^i vermoulu gi/oit fous le tombemêt*,
M. Prosper Blanchemain , invoquant le témoignage
de Claude Binet *, indique comme auteur de ces X>f-
thyrambes BcTtrtind Bergier% que nous connaissons
déjà par une ode de du Bellay^. Nous avons vu plus haut
que Pierre Garnier les attribue à Ronsard. Il est certain
du moins qu'il supporta seul toute la responsabilité de
la fête. Jacques Grevin, y faisant allusion dans les vert
suivants, transformait une plaisanterie sans impor-
tance en véritable impiété :
Là rendant à Bacchus le deu de ton office y
D'vn gros bouc tout barbu tu feras facrifice,
Oii tu appelleras auec tes allie^
Tous tes beaus dieus bouquins & tes deus cheurepieds * .
Cette attaque fournit au poète l'occasion de reve-
nir sur le récit de la prétendue cérémonie qu'on lui
reprochait , d'en faire sentir le peu d'importance, d'en
bien préciser le motif :
Tu dis, en vomijfant defur moy ta malice,
Q}ie Vax /^'^ ^'^'* grand Bouc à Bacchus facrifice ;
I. Livret de folaftries^ édition de 1584, p. 43 et suivantes.
3. La Vie de P. de Ronsard, Voyez Les Oeuures. Paris,
N. Buon, M. DC. XXIII, in-fol., p. 1649.
3. Œuvres complètes de P. de Ronsard^ tome VI, p. 377, note 1.
4. Œuures françoifes de loachim du Bellay ^ t. I, p 190, et
t. II, p. 37, de notre édition.
5. Seconde refponfe de F. de La Baronie.., Plus le Temple
de Ronfard oit la Légende de fa vie efi briefuement defcrite.
M. D. LUI, in-4<*, fol. 33, verso.
SUR ESTIENNE ^ODELLE. XXiij
Tu mens impudemment ; cinquante gens de bien
Qui eftoient au banquet, diront quHl n^en eft rien,
t,....^,.^.,..,
lodelle ayant gaigné par vne voix hardie
L'honneur que Vhomme Grec donne à la Tragédie,
Pour auoir en haujfant le bas ftile françois,
Contenté doâemént les oreilles des Rois:
La brigade qui lors au Ciel leuoit la tefte
(Quand le temps permettoit vne licence honnefte)
Honorant f on efprit gaillard ^ bien appris^
Luy fit prefent d'vn Bouc, des Tragiques le pris.
la la nappe eftoit mife, & la table gc^rnie
Se bordoit' d^vne fainâe & doâe compagnie,
Quand deux ou trois enfemble en riant ont pouffé
Le père du troupeau à long poil heriffé :
H venoit à grands pas ayant la barbe peinte,
D^vn chapelet de fleurs la tefte il auoit ceinte,
Le bouquet fur V oreille, & bien fier fe fentoit
Dequoy telle ieuneffe ainfi le prefentoit :
Puis il fut reietté pour chofe mefprifée,
Apres qu'il eutferuy d^vne longue rifée*.
Ces divers extraits nous donnent, je crois, une idée
juste de cet innocent divertissement, que les ennemis
de Ronsard, trop aveuglément suivis par la plupart des
historiens de notre littérature, avaient bien à tort trans-
formé en un véritable sacrifice païen.
Cet hommage à Jodelle fut comme le prélude du
jugement unanime de ses contemporains, qui le décla-
I. Les Oeuures de P, de Ronfard, P&rïs, G. Buon, i384i
in-fol.f p. 906.
XXIV NOTICE
rèrent d'un commun accord le fondateur de notre
théâtre.
Ronsard, qui, nous l'avons vu, avait fait représenter
sa traduction du Plutus d'Aristophane quelques années
avant l'apparition des premières pièces de son ami,
n'hésite pas à dire, dans une épître A lean de la Perufe *
où il vient de passer en revue les diverses œuvres ero-
tiques contemporaines :
Apres Amour la France abandonna,
Et lors lodelle heureufement fonna,
D^vne voix humble, & d'vne voix hardie^
La Comédie auec la Tragédie^
Et d^vn ton double, ore bas, ore haut,
Remplift premier le François efchaufaut.
Et dans un Difcours à Jacques Greuin * il renouvelle '
encore d'une manière tout aussi formelle la même dé-
claration :
lodelle le premier d*vne plainte hardie,
Françoi/ement chanta la Grecque Tragédie,
Puis en changeant de ton, chanta deuant nos Rois
La ieune Comédie en langage François,
Et fi bien les fonna que Sophocle & Menandre,
Tant fujfent'ilsfçauans, y euffent peu apprendre,
Pasquier, plaçant Jodelle de pair avec ses plus émi-
nents rivaux, fait de lui cet éloge, qui aujourd'hui nous
semble excessif, mais qui répond bien au sentiment
général des contemporains :
« En luy y auoit vn naturel efmerueillable : Et de
1. Le» Oeuures. Paris, G. Boon, 1684, in-fol., p. 762.
2. Recueil de$... pièces retranchées... Paris, N. Baon,
M. DC. XVII, in- 12, p. 346.
SUR ESTIENNE JO^DELLE. XXV
faiâ ceux qDi de ce temps Ik iugeolént des coups, di-
foieht que Ronfard eftoif le premier des Poètes, mais
que lodelle en eftoit le Daimon. Rieh ne fembloit luy
eftre impcffible, où il employoit fôn efprit. À caufe de-
quoy lacques Tahureati fe^ioûantfuc l'Anagramm^i de
fon nom & fumom, fit Vhe Ode dont le refrain de
chaque couplet eftoit, .^.:.
ïo te Delîen €^ né,
« Et du Bellay le louant comme PoutrepalTe des au-
tres au fubie£t de la Tragédie, Comédie, *& des Odes,
luy àddrefTa vn Sonnet en vers rapportez, dont tes ftx.
derniers eftoient :
Tant quebruyrd (Vvn cours impétueux,
Tant que fuyra cTv.npas nonfluâueux,
Tant que faudra cTvne veine immàrtelle
Le vers Tragic, le Comic, te Hàrpeur,
Rauijfe, coule, & viue le labeur
Du graue, doux., & copieux lodelle^,
« Telle edoit Topinion çoiifiniune, voire de ceux qui
mettoient la main à la plume, comme vous voyez par
ce Sonnet : Telle eiloit celle mefme de lodelle : Il me
fouuient que le goauernan^ vn iour entre autres fur
fa Ppéfie (ainû youloit-il eftre ctiatoûillé) il lifiy aduint
de me dire, que fi vn Ronfai*d auoit le, deflus d'vn lo-
delle le m^tin, rapresrdifn4e lodelle Pemporteroit de
Ronfarçl: & de fait il fe pleut quelquesfoîs î le vouloir
contrecarrer *. »
1. Œuvra françoifes de Toachim du Bellay ^ tome II, p. 142,
de notre édition.
2. Eftienne Pafquier,Les Recherchet^ de la France. Paris, Lau-
rens Sonnias, i62i«in-fol., livre VU, p. 6ig.
lodelle, — I. b
XXVJ NOTICR
Comme exemple de cet luttes littérairet, Patquier
rappelle let chantons que Jodelle • imitet en réponse à
celles de Ronsard, et où il a finement combattu les
opinions de son illustre rival *•
Jodelle^ comme on le voit par les passages qui pré*
cèdent, devint sur-le-champ aussi célèbre que des
poètes qui lui étaient en réalité fort supérieurs, et qui,
par esprit de camaraderie, et aussi à cause du prestige
qui s'attache toujours aux succès remportés au théâtre,
chantèrent ses louanges d*un commun accord et van-
tèrent à régal d*une création véritable l'application à
Part dramatique en particulier du système général de
restauration païenne que la Pléiade avait mis en hon-
neur.
Apprécié dignement, et même au-dessus de sa vm-
leur, par les gens de lettres, privilège assez rare, Jodelle
ÎULi fovorablement accueilli à la cour , ce qui était
certes plus aisé. « Charles Cardinal de Lorraine le fit
premièrement cognoiftre au Roy Henry : la Duchefle de
Sauoye fœur de ce Roy, & le duc de Nemours, fur tous
le fauoriferent grandement. » — « Charles archeuefque
de Dol, de Filluftre maifon d*Efpinay .*.... a fait toufiours
cas des Poëfies de cet autheur, iufqu*à faire quelques-
fois reprefenter fomptueufcment aucunes de ses Tra-
gédies *. »
Les succès de i552 lui valurent cette réputation et
cette faveur, qui s^accrurent pendant de longues an-
nées, mais qui, en réalité, tirent de là leur origine.
Depuis i552 iusqu*en i558, notre poète, en proie à
la plus incurable vanité, dévoré d'ambition et gâté par
les éloges de ses contemporains, ne rencontre plus
d'occasions aussi favorables de mettre ses œuvres au
jour; mais les termes mêmes dans lesquels il se plaint
1. Voyez tome II, p. 43 et 65 de notre édition.
2. Voyez ci-aprèt, pages 6 et 8.
SUR ESTIENNE JODELLE. XXVlj
du sort font bien comprendre que son peu de persévé-
rance, sa mollesse et surtout son caractère ombrageux,
étaient les plus sérieux obstacles qui venaient contra-
rier ses desseins.
« Quand aus letres— écrit-il en i558 — ^qu'eft ce
que i'ay iamais voulu faire voir de moy, qu'vn affaire,
vne maladie, vue débauche d'amis, vn defieiult ou vno
perte d'occaûon, vne entreprife nouuelle, ou ce qui
eft le pire de tous, vn^enuie n'ait empefché d'eftre
veu*? »
Les circonstances politiques créaient alors à la litté-;
rature des difficultés plus réelles, et que Jodelle est
beaucoup mieux fondé à déplorer :
« Pauois — dit-il à la même époque — & des Tragédies
& des Comédies, les vnes acheuées, les autres pendues
au croc, dont la plus part m'auoit efté commandée par
la Royne & par Madame feur du Roy, fans que left
troubles du tens euffent encore permis d^en voir rien^
&. .....i'attendois touiours vne meilleure occafion que
n'eft ce tens tumultueus & miferable pour les f^ire;
mètre fur le théâtre *. »
Du reste, sa vanité ne se bornait pas, comqxe celle
de Ronsard ou de Joachim du Bellay, aux choses de sa
profession. Il songeait à devenir un grand capitaine, à
entreprendre de longs voyages, à remplir un rôle poli-
tique; mais on comprend que les hésitations et les dé-
faillances qui s'opposaient au succès de ses entréprises
littéraires aient redoublé lorsqu'il fut question d'exé-
cuter des projets aventureux, mal concertés, et aux-
quels sa vie antérieure ne l'avait nullement préparé.
U en fait lui-même en ces termes l'aveu naïf :
« Quand aus armes ou i'ay toujours fenti ma nature
1. Voyez ci-après, page 257.
2. Voyez ci-après, page 340.
XZVllj NOTICR
ailés endine; en quel camp^, eo quel volage n'ajr-^
▼oulu aller, & quels apreils di quelles pourfuitea a^y-
ie tâché de faire? Mais touûours ou quelque autr« ma»
ladie ou le deffaut prefent du moyen qui ne pevt ac-
corder auecque la grandeur d'rn bon coeur, ou le àélmy
de iour en iour, ou quelques autres incommodîii»
m*ont tellement retenu, qu'il femble que ces mallieiiffs
me feruans de fers, ma ville, qui m'eft malheureulb
le pofiible, me doiue feruir d'éternelle prifon. Qtuittd
aus affaires, encores que ie n'i fois ni fait ni noorri,
aufquels pour le moins n'eftois-ie point né ? Mais tant
fen fiiut, comme me reprochent plufieurs, que îc !••
fuye, qu'ils m'ont de tout tens fui, fans qu'il y ait en
rien qui m'en ait rendu incapable que le trop de mal*
heur, ou ie trop de capacité, defquels l'vn m'a peu ap«>
porter les haines & les enuies, 6i l'autre la prefumptioa
& fiance de moytnefme, qui deplaifent merueillenfe*
ment aus grands '. »
Après nous avoir ainsi raconté en prose le motif da
son peu de succès, Jodelle y revient en vers, preaqua
dans les mêmes termes :
Tu fçais que fi ie veus emhraffer mefmement
Les affaires f Vkonneur^ les guerres, les voyages.
Mon mérite toutfeul me fert (Vempefchement *.
Ainsi, voilà qui est bien convenu, c'est « le trop de
capacité » de Jodelle, c'est son « mérite » qui lui nui-
sent ; n'oublions pas cependant ce à quoi il s'arrête le
moins, sa « prefumption & fiance de luy mefme ».
Il est évident d'ailleurs qu'il ne savait pas bien exacte-
ment quel était le but réel de ses vag^s aspirations. Il
1. Voyez ci-après, pages 25;, 258.
2. Voyez ci-après, page 280.
SUR ESTIENNE JODELLE. XXIX
désirait fort combattre dans un temps où les occasions
ne manquaient certes pas, et cependant nous n'appre-
nons rien, ni par lui, ni par ses contemporains, au su-
jet de ses campagnes; il souhaitait voyager, et c'est à
pdine si Ton peut conjecturer, d'après uh passage d'un
de ses sonnets, que, dans sa jeunesse, il a traversé les
Alpes * ; il voulait prendre part aux affaires publiques,
et il ne s'en est jamais mêlé qu'en donnant aux souve-^
rains, dans ses vers, quelques-uns de ces conseils gé*
néraux de sagesse et de prudence dont les poètes n'ont
en aucun temps laissé manquer les rois..
Là ne se bornaient pas les prétentions de Jodelle ;
il se sentait également propre à tout, et il était parvenu
à faire partager son opinion à un bon nombre de ses
contemporains. Charles de la Mothe nous le donne pour
« grand Architecte, trefdoéle en la Peinture, & Sculp-
ture, trefeloquent en fon parler • ». Noiis allons te
voir cependant se tirer fort mal d'une tentative dans
laquelle ces diverses qualités lui eussent été d'un fort
grand secours.
En i558,après la prise de Calais par le duc de Guise,
qui avait causé le plus vif enthousiasme, après la réu-
nion des États généraux, qui offrirent avec empressement
à Henri If tout l'argent dont il pouvait avoir besoin,
ce prince « s'auifa de mander au Preuoft des mar-
chants &. Efchèuins de Paris qu'il iroit fouper en leur
maifon de Ville le leudi gras enfuiuant • », c'est-à-dire
le 17 février.
Quatre jours seulement avalit la date fixée, Jodelle
fut prié de faire réciter devant le Roi quelque tragé-
die ou comédie; mais il refusa de le faire, « adiouftant
— ainsi qu'il a pris grand soin de nous le raconter — ce
petit mot affés poétiquement dit, que cefte année la
I. Voyez tome II, page 6 de uotre édition.
3. Voyez ci-après, pages 7 et 8.
3. Page 238.
s.
XXXlj NOTICE
let rires de la Cour en voyant Orphée suivi, noa de
rochers, mais de clochers qu'une incroyable méprise
du décorateur y avait substitués *. Quant à Jodelle, il
exprime ainsi, avec Temphase poétique qui lui cat ha*
bituelle, la douloureuse stupéfaction dans laquella le
jetèrent de si tristes mésaventures : « Moymefrae
demeuray quafi tout tel (fMl faut qu'ainfi ie parle) que
û la Minerue qui marchoit deuant moy m*euft trana»
formé en pierre par le regard de fa Medufe •• »
Quand cette mascarade eut été achevée, « tellement
quellement * », suivant Texpression de Jodelle, il ea
fit entrer une autre qui ne parlait pas et dont let per-
sonnages étaient la Vertu, la Victoire et la déesse Mné-
mosyne.
Jodelle aurait voulu qu'elles fussent accompagaëee
de trois enfants nus, représentant les Amours ou les
Jeux, et que la Vertu prit dans une corbeille portée par
un de ces enfants des couronnes accompagnées chacune
d'un distique en l'honneur de la personne à qui elle devrait
être offerte; mais là encore l'exécution répondit impar-
faiitement au projet : les Parisiens n'envoyèrent point
leurs enfiints tout nus à l'hôtel de ville, ainsi que les
avait demandés Jodelle; ils étaient même à peine dé-
guisés, et il devint impossible de leur adapter des ailes
et de leur mettre les trousses et carquois préparés pour
eux; de toutes les couronnes, une seule était prête :
celle qui avait été destinée au Roi; aucune des autres
personnes n'en eut, et la duchesse de Valentinois ne
se vit pas couronner par la Vertu, ainsi qu'elle devait
l'être suivant ie programme de la fête.
Ce « defaflre * », encore exagéré par les adversaires
de Jodelle, lui causa un chagrin si vif qu'à l'en croire,
1. Voyez ci-après, page 269.
2. Voyez ci-après, pages 241 et 242.
3. Voyez ci-après, page 273.
4. Voyez ci-aprèSf page 23 1.
SUR ESTIBNNE JODELLE. XXXiij
peu s'en fallut quUi ne jetât pour jamais au feu livres,
papiers et plumes; sa santé en fut altérée, et il de-
meura « quelques îours malade dVne fieure tierce * »,
Enfin, accablé de douleur, il quitta pour un certain
temps la Cour, comme il nous le raconte dans une élé-
gie où il compare son absence à Pexil d'Ovide *.
Peu. à peu cependant le poète revint à ses occupa-
tions et à ses habitudes; si bien qu'après avoir été sur
le point de ne plus écrire, il se mit en devoir de pu-
blier les inscriptions qu'il avait faites pour l'entrée du
Roi, les vers de la mascarade des Argonautes et un ré-
cit apologétique de sa mésaventure; et les fit paraître en
un petit Recueil * après les fêtes de Pâques, lorsque la
Cour, qui avait été séjourner à Fontainebleau, fut de
retour à Paris.
Bien que Jodelle nous affirme, dans cet ouvrage,
qu'il se « commande la modeftie plus que iamais * »,
il ne songe pas un instant à s'accuser des torts très-
réels qu'il avait eus et qui ressortent si bien de son
récit même ; d'après lui, le sort est cause de tout :
« Tay — dit-il — toufiours eu ce mefchantheur de faire
les chofes auffi facilement & auffi bien, comme ie les
fay malheureufement '^, »
Cet opuscule, dédié par Jodelle âfes amis, deve-
nus, dit-il, beaucoup moins nombreux à cause de sa
mésaventure *, est extrêmement précieux pour sa bio-
graphie : il y étale très-naïvement son caractère et s'y
montre, sans en avoir conscience, sous des aspects qui
sont loin parfois de lui être favorables; c'est là pro-
bablement ce qui a déterminé Charles de la Mothe,
I. Voyez ci-après, page 234.
3. Voyez ci-après, page 317.
3. Voyez ci-après, page 229-381.
4. Voyez ci-après, page 367.
5. Voyez ci-après, page 235.
6. Voyez ci-après, page 23 1.
XXXIV NOTICE
premier 6iiteur des œuvres de Jodelle, fort ialouz dm
ta gloire, à retrancher toute cette apologie, pour ne
laisser subsister que les vers de la mascarade des Argo-
nautes. Quant à nous, dont le point de vue est natu*
rellement tout autre, nous avons réimprimé ce liTret
dans notre édition; et, quoiqu'il nous ait fourni d'a-
bondants matériaux pour la présente notice^ noua ne
saurions engager trop vivement ceux qui veulent biea
connaître Jodelle et Tapprécier en pleine connaissance
de cause, à lire en entier ce curieux morceau; c'est là
qvie se révèle le mieux son caractère fontasque, à le
fois intraitable et flatteur, allier et courtisan ; on y voit
paraître à plein sa vanité, son outrecuidance, indiquéee
trop sobrement et ainsi déguisées sous de spécieusee
couleurs dans la bienveillante biographie que lui a con-
sacrée Charles de Ik Mothe : « mefprifant philofophi-
quement toutes chofes externes , ne fut cogneu , re-
cherché, ny aimé que maugré luy *. » Jodelle n'était pan
si sauvage : il souhaitait avec une grande bonne foi un
prince qui le rétribuât grassement et qui, satisfait de
recevoir en échange de ses bienfaits une immortalité
assurée, consentît volontiers à supporter les conseils,
les critiques, et m£me les reproches. Ronsard, qu'il
avait fini par associer à ses plaintes continuelles sur le
peu de générosité du Roi à son égard, disait en i }6o :
Vn feul bien ta vertu fi iuftement demande :
Oeftque noftre grand Prince ignorant ta grandeur ^
Ne Je monftre affe\ grand à ta Mufe fi grande*»
L'avènement de Charles IX lui fit espérer qu'il avait
enfin trouvé ce qu'il cherchait. Sous ce règne il rem-
plit avec une grande activité les fonctions de poète of-
I. Page 8.
3. Les Oeuuresde P, de Ron/ard. Pskris, G, Buon, 1^84, in-tol.,
p. 23o.
SUR ESTIENNE JODELLE. XXXV
ficiel, célébrant les victoires *, faisant des divertisse-
ments pour les mariages*, pleurant les morts ', chan-
tant les naissances *, flattant les goûts du Roi, dans
une Ode de la chaffe extrêmement développée *, et
cherchant à utiliser ses talents d'architecte en discou-
rant « d'un baftiment * » avec Charles IX, ou en ima-
ginant pour Catherine de Médicis quelque belle struc-
ture '•
11 rédigea les inscriptions destinées à un petit mQ«
nument connu sous le nom de Croix de Gaftines:^
dont l'auteur des Mémoires de VEftat de la France-
fous Charles neufiefme nous raconte ainsi l'histoire ^ :•
M L'an mil cinq cens foixante neuf, pendant la plus
grande fureur des troifiefmes troubles, le Parlement
de Paris fit pendre & eftrangler Nicolas Croquet , Phi-
lippes & Richard de Gaflines, marchans honorables :
pour autant qu'ils eftoyent de la Religion. Entre autres
chofes contenues en leur arreft, qui fut prQpojicé &
exécuté le dernier de luin audit an iSôg, ce qui f 'en-
fuit doit eftre noté pour le difcours fuyuant, Ladite
Cour (de Parlement) a ordonné & ordonne, quç la,
maifon des cinq croix blanches appartenant aufdits de^
Gaftines, affize en rue Sain^ Denis, en laquelle les
prefches aflemblees & Cènes ont efté £eiites, fera rompue,
démolie & rafée par les charpentiers maifons, & gens à
ce conoifTans dont la Cour conuiendra. Et cependant a
ladite Cour ordonné & ordonne que le bois & ferrures
de fer qui prouiendront de la démolition de ladite mai-
fon, feront vendus, & les deniers qui en prouiendront
I. Tome 11, p. 129-155.
3. Tome II, p. 111-129.
3. Tome II, p. 157-160.
4. Tome II, p. 165-170.
5. Tome II, p. 297-321.
6. Tome II, p. 129.
7. Tome 11, p. 160, 161, et p. 363, note 39.
8. Fol. 63, recto.
XXXVJ NOTICE
feront conuertiz 6i employez à faire dire vne croix de
pierre de taille : au-delTous de laquelle fera mit vn ta*
bleau de cuyure, auquel fera efcrit en lettres grauees,
les caufes pour lefquelles ladite maifon a elle ainfi dé-
molie & rafee .... A Tendroit d^icelle les Pariûene
auoyent fait efleuer vne haute pyramide de pierre,
ayant vn crucefix au fommet, dorée & diaprée, auec vn
récit en lettre d*or fur le milieu, de ce que deCTus, &
des vers Latins, le tout ù confufement & obliquement
déduit, que plufieurs ellimoyent que le compofeur de
ces vers & infcriptions (on dit que c'edoit Eftienne
lodeiie, Poète François, homme fans religion , & qui
n*eut onc autre Dieu que le ventre) s*eiloit mocqué des
Catholiques & des Huguenots. »
D'après TEstoile % « lodelle prefenta au Roy les
defleins pour la croix de Gaftine, de Tinuention du-
dit Ed. lodelle, qui n'eurent point d'etfeét; d'autant
que par la paix faite Tan d'après, 1570, il fut dit que
ladite croix feroit oflée. n Mais le témoignage de Pau-
teur des Mémoires de VEftat de la France semble
prouver qu'avant l'enlèvement de la croix les inscri|>*
tions avaient été placées.
Voici la pièce française destinée à ce monument par
Jodelle. Elle a été publiée par M. Tricotel, depuis
l^chèyement de notre édition :
AVX PASSANTS
Chrift, VaigneaUy le Lion, par humhleffe & viâoire
Viâime au lieu d*Ifaac, & de luda la gloire.
Doux S fort f du me/pris defes Loix & du tort
Fait à fes lieux facre:(, nous doit punir plus fort
I. Mémoires et Journal de Pierre de FEJloile, collection Mi-
chaud et Poujoulat, 2« série, tome I, édition Cbampolllou-Figeac
çt Aimé ChampolUon, p. 23.
SUR ESTIENNE JODELLE. . XXXVlj
Que ceux qu'ici naures^ deferpens on contemple ^
Que ceux qui prof anoyent lesfaints vaiffeaux du temple^
Que ceux que pour blafpheme vn peuple lapidoit,
Que ceux fur qui le Ciel fes feux vengeurs dardoit,
Car Vire & Veffeâ fuit la doulceur & V exemple*.
L^eiuteur des Mémoires de VEftat de la France, pro-
testant fort zélé , maltraite d'autant plus Jodelle qu'il
le regai'de comme un apostat.
Après avoir poursuivi de ses invectives plusieurs
poètes de la Pléiade qui avaient approuvé le massacre
de la Saint- Barthélémy, il mentionne * :
« Eflienne lodelle Parifien , auffi poète François (qui
a autresfois demeuré à Geneue, faifant profefïion de
la Religion, où il fit en vne nui£t entre autres, cent
vers latins, efquels il defchifroit la melTe, auec des bro-
cards conuenables ') publia trente fix fonnets contre les
Miniitres *, aufquels il impute la caufe de tous les
maux. On dit que pour ces fonnets il eut bonne fomme
d'efcus.»
L'Estoile semble lui attribuer aussi d'autres écrit»,
1. Vers inédits de Jodelle. (Bulletin du Bibliophile, septembre-
octobre 1870-1871, pages 424-432.) Cet article contient, outre la
pièce que nous reproduisons, diverses poésies attribuées à Jodelle :
I» L'Ombre au Pajfant^fur le tumbeau de lean Brinon. 2» Une
Epigramme et un Sonnet dirigés contre Théodore de Bèzt. 3*
Trois Sonnets affiche^ en plujieurs endroits de Paris le ieudi
28« aoujl 1572, à la fin desquels on lit : « Eft. lodelle, tenu pour
auéleur. » Nous reviendrons sur ces opuscules dans notre Supplé-
ment général. Quant aux vers que nous donnons, M. Tricotel les
a tirés d'un manuscrit de la Bibliothèque nationale (n» io3o4,
fonds français, p. 211), sur lequd nous les avons collationnés de
nouveau. /
2. Fol: 278, verso.
3. Voyez t. II, p. 339, ^^ 1^ présente édition, un sonnet du
même genre, également attribué à Jodelle par un réformé.
4. Voyez t. Il, p i33-i5i, et les Sonnets publiés par M. Tri-
cotei,*et indiqués dans la pote i ci-dessus.
XXXVUJ NOTICE
OÙ let mêmes opinions étaient exprimées avec encore
plus de TÎolence :
fl A la Saint-Barthelemy, il fut corrompu par argent
pour efcrire contre le feu admirai & ceux de la religion :
en quoy il fe comporta en homme qui n*enauoit point»
defchirant la mémoire de ces poures morts de toutee
fortes'^Mniures *& menteries *. Finablement, il fut ena>
ployé par le feu roy Charles, comme le poète le plue
vilain ôl lafcif de tous, à efcrire Tarriere hilme que le
feu Roy appeloit la Sodomie de fon preuoll de Nan-
touillet, & mourut fur ce beau fait qu'il a lailTé impar-
fait*, ji Cette dernière accusation est mal fondée*
Elle ne peut se rapporter qu*à la Riere Venus '^
qu'effectivement, comme nous le dit Charles de le
Mothe, « J*autheur pour fa maladie ne peut parfaire 'i».
Or il suffit de jeter les yeux sur cet ouvrage^ pour se
convaincre que Jodelle y flétrit avec énergie les
désordres qu'on semble Taccuser d'avoir approuvés.
Un préambule de plus de deux cents vers, adressés
à Charles IX et placés en tête du trcs-long morceau,
cependant inachevé^ intitulé : Les Difcours de Iules
Cefar auant le paffage du Rubicon ', contient pour
ainsi dire l'acte par lequel le poète se déclare attaché
à la personne du Roi et les conditions mutuelles de
cette convention.
Jodelle établit d'abord que si « le seruice êi la fuite »
d'un prince doit être le but des « mieux nés v, la Cour
des tyrans dqit être soigneusement évitée, et il vante
les philosophes austères qui s'en sont écartés :
1. Tome II, p. i33-i5i, 339-340.
2. Mémoires et Journal de Pierre de VEJtoile^ collection Mi-
chaud et Poujoulat, 2« série, tome I, édition Champollion-Figeac
et Aimé CharopollioDf p. 39.
3. Voyez ci-après, p. 6.
4. Tome II, p. 93-103.
5. T. Il, p. 215-377.
SUR ESTIENNE JODELLE. XXXIX
Tant que ces gens viuojrent en leur pauure fageffe
Plus contens, que ces Rois en leur pauure richejfe.
Si au contraire les princes sont vertueux, a leur vertu
les vertueux attire » ; mais il faut qu'ils laissent une
grande liberté à ceux qui se donnent à eux, et Jodelle
convient que c'est le défaut d'indépendance qui a dé-
goûté de la Cour son esprit absolu et entier ; puis il fait
tout à la fois le procès au poôte servile et au prince
qui abuse de cette servilité, dans un passage qui se
termine ainsi :
Tous deux tels, quefouuent au bout de leur attente.
Rien n'y a qui leur mai/tre, ou les autres contente,
Ny me/me eux^ ou leur race, en leur fin faifans voir
Qii^vn defefpoir occit ceux qui viuent d^efpoir.
Ce dernier vers prouve que la chute du sonnet
d'Oronte*, qui passe d'ordinaire pour un type.de la
littérature précieuse, n'eût pas été désavouée par Jo-
delle. n
Son poète officiel idéal ne s'astreint pas à suivre la
Cour, et sert son prince de loin,
tout preft
D^eftre vrayment prefent, quand befoin il en eft,
il veille sur la gloire du souverain, s'efforce d'éter-
^niser sa renommée tout en lui préparant des divertis-
sements, et surtout en ne lui ménageant pas les con
seils : '
L'encourageant, pu peut, aux chofes les plus hautes,
Des plus grands anciens luy propofant les fautes.
1. Molière, Le Misanthrope ^ acte I, scène II.
Zl NOTICE
Vertus, ru/es, difcours^ & ce dont la grandeur
Peut renuerfer, ou croifire^ou fauuer fon grand kettr.
Prenant fans fin le foin des chofes qui luy viennent^
Veillant pour empe/cher tous troubles qui rttienmeni
Son eftat empeftré.
C'est ce rôle que Jodelle aspire à jouer, mtis il n'en-
tend pas le remplir pour rien ; et, tout en affectant un
entier désintéressement, il a soin de rappeler qu*il est
... pauurCy & qui pis eft, dejaftreux gentilhommm.
Bien que Tabbé Lebeuf nous dise : « Le poète Jo-
delle, mort en i573, avait sa maison sur cette paroiste
( Saint-Germain-l'Auxerrois), rue Champfieury* » ce
qui semblerait indiquer que lorsqu'il mourut il était
propriétaire, sa situation n*en était pas alors plus heu-
reuse, et peut-être eût-il été bien difficile de Paméliorer.
Ses prodigalités, son désordre, ne permettaient pas de
l'enrichir, mais du moins le Souverain ne manqua jamaia
de l'assister dans sa détresse.
On en trouve une preuve authentique dans les re-
gistres de l'Épargne du Roi Charles IX de l'année
1572.
« A Elflienne laudelle, fieur de Limodyn, lung des
poettes dudiâ feigneur, la fomme de cinq cens liurea
tournois.... dont Sa Maiedé luy a fai£^ don, en conûde-
ration des feruices qu'il luy a cy deuant & de long-
temps faitz en fondi£t eflat, & mefme pour luy donner
moyen de fe faire penfer & guarir d'vne malladie de
laquelle il eft à prefent détenu, & fupporter les frais &
defpens qu'il efl contraint faire en celle occafion, & ce
!• Histoire du Diocèse de Paris^ t. 1, p. 5 1 -32.
SUR ESTIENNE JODELLE. xlj
oultre & par deCTus les autres dons & bienfïaitz quMI a
cy deuant euz dudiét Heur.... Le vingtneufiefme Tour
do£tobre * .»
Jodelle mourut neuf mois après avoir reçu du Roy
cette libéralité, qui ne fut probablement pas la der-
nière, car, bien qu'il ait composé « en fon extrême foi-
bleffe » un sonnet destiné à Charles IX, et dont la
chute était le mot d*Anaxagore à Périclès :
Quifefert de la lampe aumoins de V huile y met.
ces vers, récités par lui, <k de voix baffe & mou-
rante », ne furent pas envoyés au Roi, « pour n'auoir
eu befoin — dit Charles de la Mothe , dont le témoi-
gnage n'est pas suspect, — de ce que plus par cholere,
que par neceffité il fembloit requérir par iceluy *».
Ce passage des Vers funèbres de Th. A» D*Aubigné,
Gentilhomme Xantongois^ fur la mort d^Eflienne Jo-
delle Parifien Prince des Poètes Tragiques ', est donc
évidemment empreint d'une assez grande exagération :
lodelle eft mort de pauureté ;
Lapauureté a eu puiffance
Sur la richeffe de la France.
O dieux! quel traiâ de cruauté!
I. L'original de cette pièce, publiée dans \ts Archives curieuses
de l'histoire de France..,, par L. Cimber et F. Danjou, i" série,
t. VIE, p. 359 et 35o, et dans le Dictionnaire critique de bio-
graphie et d'histoire^ par Jal, se trouve aux Archives de France,
KK. i33,fol. 2,55o.
3. Voyez ci-après, p. 8.
3. A Paris, par Lucas Breyer, 1674, in-4« de 6 feuillets.
_ lodelle, — I. c
Xlij NOTICE
Le Ciel auoit mis en lodelU
Vn efprit tout autre qu'humain ;
La France luy nia le pain.
Tant elle fut mère cruelle.
Mais il serait difficile aujourd'hui de détruire une opi-
nion si répandue * ; et, suivant toute apparence, Jodelle
conservera longcemps encore une place honorable dans
la liste , u-n peu enflée par les biographes , des poètes
que la misère a fait périr.
« Il mourut l'an mil cinq cens fcptante trois, en
luillety aagé de quarante & vn ans », nous dit Charles
de la Mothe *.
Pierre de TEstoile, qui, comme nous Pavons vu, est
assez injuste à son égard, raconte ainsi ses derniers mo-
ments* : « Le prouerbe qui dit : telle vie, telle fin, fut
vérifié dans Eftienne lodclle, po(ïte parisien, qui mou-
rut cefle année, à Paris, comme il auoit vcfcu, [duquel
la vie ayant edé fans Dieu , la fin fut aufTy fans luy,
c*e(l-à-dire tres-mifcrable & cfpouuantablc, car il mourut
fans donner aucun figne de rccognoiflre Dieu , & en fa
maladie, comme il futpreffcdc grandes douleucs, eftant
exhorté d^auoir recours à Dieu, il rcfpondoit que c*eftoit
I. L'aatear de VAnti- Machiavel^ chap. I de la 2* partie, dit que
Jodelle, après les débauches d'une vie tout épicurienne, monratde
faim. — Épigramme grecque de Jean Antoine de Balf, sur le genre
de mort de Jodelle par rapport au nom de sa terre :
*'0ç vrfirtpov Bpipxt ràv xv/stov àypoi &^et/fv,
*'At, y^t/iàç Setvài xrtlvtv lùtoiXiov.
Jugements des savants de Baillet, augmentés par La Monnaye
(notes), t. IV, p. 43 1, édit. de 1722.
a. Voyez ci -après, p. 8.
3. Mémoires et journal de Pierre de VEstoile. Collection Mi-
chaud et Pou joulat, 2* série, tome 1, édition Champollion-Figeac
et Aimé Champollion , p. 29.
SUR ESTIENNE JODELLE. xliij
vn chaux Dieu], & qu'il n'auoit garde de le prier ni re-
cognoiflre iamais tant qu'il luy feroit tant de mal, &
mouruft de cefle façon defpitant & maugréant fon créa-
teur auec blafphêmes & hurlemens efpouuantables.»
Un autre récit , plus vraisemblable , nous montre
Jodelle mourant en sceptique , mais non en athée , ni
surtout en furieux , et s'écriant , comme plus tard
Goethe : « De la lumière * ! », soit à cause de l'impres-
sion toute physique causée par l'approche du trépas,
soit par suite de ce désir immense de science et de vé-
rité qui n'est jamais satisfait en ce monde.
La nouvelle de sa mort , accueillie par les invectives
des protestants *, inspira peu de regrets à ceux qui le
connaissaient. Son caractère hautain et orgueilleux fut
sans doute la cause principale du peu de sympathie
qu'il excita. D'Aubigné, dans les Vers funèbres qu'il lui
adresse, cherche à tourner ses défauts à sa gloire, sansi
essayer de les dissimuler.
Si on reproche la grandeur
A lodelîey & qui fut trop graue,
Puis que Vefprit ejioitji braue^
Pouuoit il auoir autre cœur?
Quelque abatu de confcience
Eujl defguifé ce quHl fcauoit
1. Du Verdier. Bibliothèque française. U Intermédiaire ^ août
et septembre 1867, colonnes 317 et 3 18.
2. On trouve la mention suivante, sous la date de 1574 (p. 5o),
dans les Mémoires de l'Estoile : « Vn fonnet fait fur la mort
d'Eftiennelodele, poète parilien, par les huguenos, lefquels ledit
lodel apeloit rebelles, haeretiques; qui me fuft donné par vng mien
ami en ceft an 1 574, auec vb petit mémoire & apoftile de la vie,
religion & mort dudit lodele, qui aduinft en iuillet i573. » M.
Tricotel a retrouvé ce sonnet, qui ^toit perdu, et il l'a publié dans
\e Bulletin du Bibliophile^ septembre-octobre 1 870-1 871, page
426.
Xliv NOTICE
Mais lodellt ne le pouuoit
Aualer d*vn poltron filence.
Cela ne dehuoit point ofter
Aux doâes efprit\ de la France
La pitoiable fouuenance
De celuy qui debuoient chante^ S
Si peu iamais ne dehuoit faire
Le moindre de tous commencer :
Mais Vay mieux aymé m*auancer^
Pour garder quelqu'vn de fe taire.
Lors que les petiot\ en/ans
Crient au tombeau de leur père,
Cefte douleur eft plus amere,
Que le de/efpoir des plus grand\^
Bien qui ne logent dans leur cœuv
Vnfi grand amas de trifteffe.
Peult eftre que ma petiteffe
Seruira de telle couleur.
Le poôte se dédommage en préparant dans l'autre
monde à celui qu'il pleure un accueil tout différent de
celui qu'il avait reçu dans celui-ci :
Quand lodelle arriua fou fiant encor fa peine
Le front plein de fueur des refies de la mort.
Quand, diS'ie, il eut attaint VAcherontide bord
Attendant le bateau, il rcprintfon haleine.
Il trouua VAcheron plus plaifant qur 'a Seine
L'enfer plus que Paris.
Tous les Rois qui auoient fauorifé les vers
Çnuironnoient fon front de mille rameaux vers.
SUR ESTIENNE JODELLE. xlv
' w ' ■
De mirthe, dt Cipres, de Lierre & d^Efrable :
Heureux qui le pouuoit couronner de fes doits,
Voye:( donc comme il eft honoré des grands Rois,
Il n^eujl qfé viuant approcher de leur table.
Les pièces de Jodelle continuèrent à être représen-
tées, ou du tllbins lues en public, quelque temps après
sa mort. Nous en avons une preuve dans ce titre d'un
argument en vers tir^ de Dion Cassius, et rédigé par
Guy Le Fevre de la Boderie : Prologue auant le récit
de la Tragédie de Cleopatre^ faide par feu Eftienne
lodelle *.
Il est suivi d'un autre prologue du même genre, des-
tiné à une tragédie de Penthée , récitée, comme Pin-
diquent les premiers vers, le lendemain du jour où Ton
enteindit Cléopdtre^ mais sans que rien nous fasse sa-
voir dans quel lieu, à quelle époque, ni dans quelle
circonstance.
• Jodelle avait pris lui-même le soin de faire imprimer
le Recueil des infcriptions.,, ordonnées en Vhoftel de ville
à Paris, le Jeudi ij de Feurier i558, recueil principa-
lement consacré à sa justification, et analysé en détail
dans la présente notice.
Quant à ses autres œuvres, elles restèrent à sa mort
inédites et dispersées. D'Âubigné le déplore ainsi dans
les Vers funèbres que nous avons déjà cités :
Riche efi il mort^ mais quoy? où ejl cefïe richejfe ?
Qjii en eft héritier? fay peur qu*auecques luy
Son tr ef or fe pourrit, ie ne voy auiourd^huy
I. Diuer/es mef langes poétiques^ par Guy Le Feure de la Bo-
derie , Secrétaire de monfeigneur frère du Roy. — A Paris pour
Robert Le Mangnier... i5&2, in- 16, f» 92 recto. Nous devons ce
renseignement, et beaucoup d'autres, à M. Tricotel, que nous ne
remercierons jaipais assez de ses précieuses communications.
Xlvj NOTICE
Aucun qui Us poffede, aucun qui les carejfe,
Vvn en tient vn lopin dont il bauefans ceJV,
Vautre en tient vn cayer enfermé dans Vejiujr,
Vn autre à qui V argent neferoit tant d*ennujr^
Le vent à beaux teftons pour mettre fur la preffe.
Pauures vers oiphelins vofire père ewi grand tori.
Ne vous laiffant au moins nourrir après fa mort
A quelque bon tuteur, mais quand bien ie regarde
Il voulait quefon temps & le vofire fufl vn;
Pource qui ne voyoit autour de luy aucun,
Qjti meritafl Vhonneur d'vne fi chère garde.
Ces divers ouvrages ne furent publiés que vers la fin
de i574, par Charles de la Mothc, en un gros in-4%
portant la mention de premier volume *• t Nous efpe*
rons — dit Téditeur dans sa préface — faire mettre en
lumière encore quatre ou cinq aufli gros volumes que
ceftuy cy *. »
Cette publication n'eut pas tout le succès qu'on en
attendait, ce qui dissuada sans doute de la continuer.
Pierre de TEstoile s'exprime ainsi à ce sujet ' :
« Pour le regard de fes œuurcs, P. Ronfard a dit fou-
uent qu'il eut dcfiré , pour la mémoire de lodelle ,
qu'elles eufTent cfté données au feu au lieu d'eflre mifes
fur la preffe, n'ayant rien de Ci bien fait en fa vie que
ce qu'il a voulu fupprimer , ellant d'vn cfprit prompt
& inuentif, mais paillard, yurongne & fans aucune
1. Voyez ci-après, p. 309 et 3 10, la note i.
2. Voyez ci-après, p. 7.
3. Mémoires et journal de Pierre de VEstoile. Collection Mi-
cbaud et Poujoulat, 2* série, tome 1, c'dition ChampoUion-Figeac.
et Aimé Champollion, p. 39.
SUR ESTIENNE JODELLE. xlvij
crainte de Dieu , auquel il ne croyoit que par bénéfice
d'inuentaire. »
Colletety si passionné pour nos poètes du XVI^ siè-
cle, n^est pas beaucoup plus favorable à celui-ci dans la
biographie qu'il lui a consacrée :
« Je diray que de tous les Poôtes de cette fameufe
pleyade qui du tems de Henry fécond mit prefque la
Poefie francoife au combte de fes honneurs, Il n'y en a
point de qui les œuvres me plaifent moins que celles
de lodelle , fans excepter mefmes celles de Balf & de
Ponthus de Thiart * . »
A cette impression personnelle il joint le jugement
plus sévère encore de Nicolas Bourbon, contre lequel,
pour notre part, nous n'osons réclamer. Cet érudit avait
demandé à CoUetet les œuvres de Jodelle. « Je fus
edonné, dit l'auteur des Vies des Poètes JrançoiSf que
cet excellent homme me les renvoya des le lendemain
mefme, auec vn billet qui, entre les autres chofes, con-
tenoit ce mot : Minuit prcefentia famam *. »
1. Manuscrit des Vies des poètes franco is ^ détruit par l'in-
cendie de la Bibliothèque du Louvre.
2. Ibidem.
DE LA POESIE FRANÇOISE
ŒVVRES D'ESTIENNE lODÈLLE,
nos vieux Gaulois fiiifoyent grand cas de la
^PoËfie: & entretenoyent les Pofites, non
9 pour la volupté, mais pour U police, &
_ _ ^pour l'érudition, les eftimans les vrais &
premiers Philofophes. Ceux qu'ils appelloyent Bards,
ïoOoyent, ou blafmoyent en vers Gaulois les perfon-
nages UluftreB, viuan$ ou trefpailez (ainfi que Diodore,
Strabon, & Lucain tefinoignent cela auoirduré en Gaule
iufques en leur temps) & les Semnothees mettoyeni en
vers les cantiques de leur Religion, & les Druides leurs
loix< Pource l'hillûiTe de Louhier, & de Betit (que les
Romains appeloyent Roys des Auvergnats) n'eft remei-
quee par Strabon, & Athenee {qui l'ont extraite de Pof-
lidoine) que pour le grand accueil, & poQr l'honneur
qu'ils taifoyent au Pofile, furuenant en leurs feftins tant
renommez. El non feulement Diodore iait cas (pour le
loiilli. — 1. I
DE LA POESIR FRANÇOISE
mention en yne de fes Epiitres. Son fils TEmpereur ÏJoy*,
Pen deleétoit tant, qu'il pardonna à Angers i reuefque
d'Orléans Thiedouil, vne ofTenfc irremiffible» feulement
pour Tauoir ouy chanter des vers Latins rymez, qu*U
auoit compofez, ores que ce Loys fuit dVn naturel très
cruel, quelque tiltre de Débonnaire ou de Pieteux, que
fautfement Guetard, hiflorien de fon fils Charles, éc fon
coufin germain, luy ayc le premier donné : car le liuret
d'Eghinard a elle corrompu par les Alemans, fi du tout
il n*ae{lé fuppofé. Pareillement le Roy Robert feplairoit
fort en cette fcience, comme en toutes autres efquellet
il auoit bien efludié, ainfi que fes Chroniqueurs Glaber
& Odoran ont efcrit. Thicbaut quatrième Roy de Na-
varre, & Comte de Champaignc, eftoit trefbon Po6te
François : & de luy, pour vne Duchefîe de Lorraine, &
de Gilles Chaftelain de Coucy, pour la dame du Fayet,
fe treuue encor vn gros volume de diuers poèmes Fran-
çois. Geoffroy Plantcgenet Comte d'Aniou pardonna à
plufieurs feigneurs Poiéteuins qu'il auoit prins en la
bataille de Chef-boutonne, & les deliurade prifon à Tours,
pour vn feul prefent de vers François rymez qu'ils luy
enuoyerent. Philippe Au gufte fit mettre envers François
& Latins, fa viâoire de Bouuincs, par maiflre Guillaume
le Breton précepteur de fon fils Charles, Euefque de
Noyon. Et depuis ce temps là eurent grand bruit Guy
de Lorris, lean Clopinel de Meun, Pierre d'Auuergne,
Geraud, Floquet, Raimbaud, Geoffroy Rudel, Emery,
Bernard, Hugues, Anfeaume, & plufieurs autres Poètes
de fiecle en fiecle, tant qu'aucun aage ne f'efl paifé de-
pourueu de Pofitcs François, qui toufiours de mieux en
mieux ont enrichi noftre langue de maints bons efcrits.
Mais depuis que ta chiquanerie Italienne eut abufé les
François par la curiofité de la ComtefTe Mahaut, & de
fon Ernier, ou Garnier, les bons efprits fe corrompirent,
& les bonnes fciences, mefme noftre Poôfie Françoife,
tombèrent en abieâion, n'ofans les do6les plus efcrire
qu'en Latin : & n'cftant décent à aucun (fors qu'aux
farceurs du peuple) de rymer en François : Si voyoit-on
ET DES ŒVVRES DE lODELLE. 5
toutesfois entre les Nobles cet amour de la Poâfie Fran-
çoife toujours durer. Car il y auoit bien peu de feigneurs •
aifez qui n'euft vn Clerc, qui mettoit en ryme Françoife
la plus part de leurs Romans, defquéls on en voit en^
core plufieurs efcrits de ce temps là en aucunes maifont
de France. Certainementcet abus nuifitplus à la Pofifie,
que n'auoyent fait les opprefQons des Romains, & le
changement de la Religion : Et en France elle euft efté
du tout abolie, fi en cet aage dernier le Roy Fran-
çois premier, reftablifiant les bonnes lettres, n*euft incité
plufieurs efpnts excellents qui fourdireât en la fin de
fon règne & au commencement de cëluy de fon ^fils ;
Henry : lefquels reprenans celle ancienne vigueur Fran-t.
çoife, remirent fus la dode Poëfie en leur langue. De
ceux là le premier &. le plus hardy fut Pierre de Ron-
fard, gentilhomme Vandomois, qui fe fit autheur & chef
de cette braue entreprife, contre l'ignorance & rudeffe
de ne fçay quels Chartiers, Villons, Crétins, Ceues^
Bouchets, & Marots, qui auoyent efcrit aiix règnes pre-
cedens : & a tracé le chemin aux autres qui l'ont fuiuy.
Le premier qui âpres Roniard fe fit cognoifire en cefle
nouuelle façon d'efcrire, ce fut Eftiénneloddle, noble
Parifien : cardés l'an 1549. Ion a veu de luy plufieurs
Sonnets, Odes, & Charontides : &en i552.mitenauant,
& le premier de tous les François donna en fa langue
la Tragédie, & la Comédie, en la forme ancienne. En ce
temps là auffi apparurent Baif, & du Bellay, trefdoâes!
Poôtes, & autres en grand nombre, lefquels ont de leur
viuant publié leurs efcrits, ce que lodelle ne voulut
oncq faire : mais après fa mort, fes amis plus foucieux
de fa mémoire que luy-mefme, & pour l'honneur de la
France, ont recueilly ce qu'ils ont peu de fes oeuures
égarées, & de partie d'icelles ils ont fait imprimer ce
premier volume de Meflanges, pendant que l'on prepa-.
rera autres volumes.de chofes mieux choifies & ordon-
nées. Car expreffément Ion a méfié en ce volume plu-
fieurs pièces faites par l'autheur aux plus tendres ans
de fa ieuneffe, comme la Tragédie de la Cleopatre, & la
DE LA POESIE FRANÇOISE
trefeloquent en fon parler, & de tout il difcouroit auec
tel iugementy comme fil euft efté accompli de toutes
cognoiflancet. Il efloit vaillant & adextre aux armes» dont
ilfiiifoit profeffion. Et Ci en fet mœurs particulières* Il fé
fuft autant aimé, comme il foifoit en tous ces exercices
de fon efprity £a mémoire euft efté plus célèbre pendant
£a vie, & il euft plus vefcu pour fon pals, & pour fes
amis qu*il n*a fait : Mais mefprifant philofophiquement
toutes chofes externes, ne fut cogneu, recherché» ny
aimé que maugré luy : & fe fia trop en fa difpoiîtioDy
& en fa ieuneffe. Si e(l-ce que les Roys Henry deuxième,
& Charles neufieme, Taimerent & ellimerent. Charles
Cardinal de Lorraine le fit premièrement cognoiitre su
Roy Henry : la Ducheffe de Sauoye fœur de ce Roy, &
le duc de Nemours, fur tous le fauoriferent grandement.
Or il mourut Tan mil cinq cens feptante trois, en luUlety
aagé de quarante & vn an ', ayant encor en fon extrême
foiblefle ùà£k ce fonnet (qui eft la dernière chofe par luy
compofee) qu41 nous recita de voix baffe & mourante,
nous priant de Tenuoyer au Roy, ce qui ne fut pas fiait,
pour n'auoir eu befoin de ce que plus par cholere, que
par neceffité il fembloit requérir par iceluy.
Alors qu^vn Roy Pericle Athènes gouverna,
Il aimajbrt le /âge & doâe Anaxagore^
A qui (comme vn grand coeur foymefme fe deuore')
La libéralité V indigence amena.
Le Sort, non la grandeur ce cœur abandonna,
Q}ti preffé fe hauffa, cherchant ce qui honore
La vie, non la vie, & reprejfé encore
Pluftoft qu^àpabaijfer, à mourir fobftina :
Voulant finir par faim, voillafon cheffunefte.
Pericle oyant ceci accourt, crie, & detefte
Son long oubli, qu*en tout reparer il promet :
ET DES ŒVVRES DE lODELLE. 9
Vautre tout refolu luy dit {ce qu'à toy, Sire,
Delaiffé, demi-mort, prefque ie puis bien dire)
Quifefert de la lampe aumoins de V huile y met.
Facent les mefprifeurs de la Poôfie, & les enuieux de
loDELLE, tel iugement de luy & fes efcrits qu^ils vou-
dront, û auront Tes vers de foi afTez de force & de valeur,
pour emporter le los qu'ils mentent, & en ce fiecle, &
aux autres qui nous fuiuent. Et quant à luy, tant que
les François fe fouuiendront de leur vieil honneur, &
mérite vers les Mufes (defquelles ils ont efté de tout
temps nourriffiers) ils ne deuront edre ingrats à la mé-
moire de ceftuy leur nourriflTon, poffible le plus agréable
qu'elles ayent eu depuis les Bards, & qui toujours fes
œuures n'a dreflTé qu'à la gloire de France.
Charles de la Mothe.
L'EVGENE
COMEDIE
D'ESTIENNE lODELLE,
PARISIEN^.
PERSONNAGES DE LA COMEDIE
U EVGESE.
Eugène, Abbé.
Meffire Ican, Chappelain,
Guillaume.
Alix.
Florimond, Gentilhomme.
Arnault, Homme de Florimond.
Pierre, Laquais*.
Hélène, Sœur de VAbbé.
Matthieu, Créancier.
L'EVGENE
COMEDIE.
PROLOGVE.
Affe\ affefç le Poète a peu voir
Vhumble argument, le comicque deuoir,
Les vers demis, les perfonnages bas.
Les mœurs repris, à tous ne plaire pas :
Pour ce qu'aucuns de face fourcilleufe
Ne cherchent point que chofe ferieufe :
Aucuns aufji de fureur plus amis.
Aiment mieux voir Poly dore à mort mis,
Hercule au feu, Iphigene à Vautel,
Et Troye àfac, que non pas vn ieu tel
Q}te celuy là qu'ores on vous apporte.
Ceux là font bons, & la mémoire morte
De la fureur tant bien reprefentee
Ne fera point : m^is fant nefoit vantée
Des' vieilles mains Vefcriture tant braue,
Que ce Poète en vn poème graue,
SUl euft voulu, n'ait peu reprefenter
Ce qui pourroit telles gens contenter.
Or pourautant qu'il veut à chacun plaire y
Ne dédaignant le plus bas populaire,
l
l6 l'eVGENK, COMEDIE.
ACTE I.
SCENE I.
EVGENE, ABBÉ, MESSIRE lEAN, ciiappblain
Eugène.
La vie aux humains ordonnée
Pour eftre fi toft terminée
Ainfi que mefme tu as ditj
Doit elle, pour croire à crédit,
Se charger de tant de trauaux?
Meffire lean.
Le feul fouuenir de nos maux,
Qui ia vers nous ont fait leur tour.
Ou de ceux qui viendront vn iour
L^apprehenfion incertaine
Empoifonne la vie humaine :
Et d^autant quUls la font plus grieue.
Ils la font auffi bien plus brieue.
Mais quifçait mieux en ce bas ci
Que vous, Monfieur, quUl eft ainfi?
Eugène.
// ne faut donc que du paffé
Ilfoit après iamais penfé.
Il faut fe contenter du bien
Qui nous eft prefent^ & en rien
K'eftre du futur foucieux.
ACTE I, SCENE I. I7
Meffire lean.
O grand Dieu, qui dijl onques mieux !
Eugène.
Comment donc ne confent on point
De p aimer foymefme en ce poinâ,
De Je flatev en fon bon heur,
Depaueugler en fon malheur,
Sans donner entrée aufouci?
Meffire lean.
Oefl abus, il faut faire ainji.
Eugène.
En tout ce beau rond fpacieux,
Qui eft enuironné des deux,
Nul ne garde fi bien enfoy
Ce bon tibur comme moy en moy :
Tant que foii que le vent pemeuue.
Ou bien quHl grefle, ou bien quUl pleuue.
Ou que le Ciel de fon tonnerre
Face paour à la pauure terre,
Toufîours Monjieur moy ieferay.
Et tous mes ennuis chafferay.
Car ferois-ie point malheureux
D\\fire à mon fouhait plantureux ^
Et hxe tourmenter en mon bien?
le ne voûray iamais à rien y
Sinon au plaijir, mon eftude.
Meffire lean.
Ce feroit vne ingratitude
lodelU, — I. 2
l8 LF.VùKNi-:, COMEDIE.
Enuers la fortune autrement ^
Qui vous pouruoit tant richement :
Car qui eft mal content de/oy
Il faut quUlfoit, comme te croy.
Mal content de fortune enfemble,
Eugène.
Fortune ajfe\ d'heur me raffemhle
Pour me plaire en ce monde ici^
Efclauant en tout mon fouci :
Sans trauail les biens à foifon
Sont apporte^ en ma maifon.
Biens, ie dy, que iamais n'acquirent
Les parens qui naiflre me feirent.
Et qui ainft donne\ me font
Qu'à mes héritiers ne reuont,
Ains pour rendre ma feule vie
En fes délices affouuie^
Ce que nous pratiquons affe\ ,
Tant qu'il femble que ramajfe\
Tous les plaifirs fe foyent pour moy.
Les Rois font fuiets à Vefmoy
Pour le gouuernement des terres :
Les Nobles font fuiets aux guerres :
Quant a lu/Uce, en fon endroit
Chacun eft fer f de faire droit.
Le marchant eft fcrfdu danger
Qu'on troune au pais eftranger :
Le laboureur auecque peine
Preffe fes bœufs parmi la plaine :
L'artifan fans fin molefté,
A peine fuit fa pauureté.
Mais la gorge des gens d'Eglife
N' eft point à autre ioug fubmife.
Sinon qu'à mignarder foymefmes,
Nauoir honneur de ces extrêmes
Entre lefquelsfont les vertus :
ACTE I, SCENE I. I9
Eftre bien nourris & vejlus,
Eftre cure^, prieurs, chanoines,
Abbej^, fans auoir tant de moynes
Comme on a de chiens & (Poifeaux,
Auoir les bois^ auoir les eaux
Defleuues ou bien dé JbntaineSf
Auoir les pre^, auoir les plaines y
Ne recognoijlre aucuns feigneurs,
Fuffent ils de tout gouuerneurs :
Bref, rendre tout homme ialoux
Des plaifirs nourriciers de nous.
Mais que feruiroit f expliquer ^
Ce que tu vois tant pratiquer,
N^efîoit que ie me plais ainfi
En la mémoire de. ceci,
Voulant les plaifirs faire dire
Ou d'heure en heure ie me mire?
Au matin t quoy?
Meffîre Ieàin«
Le feu léger.
De peur que le froid outrager
Ne vienne la peau tendrelette,
Le linge blanc, la chauffe nette,
Le mignard pignoir d^ Italie,
La vefïure à Venui iolie.
Les parfums^ les eaux de fenteurs,
La court de tous vos feruiteurs.
Le perdreau '.en fa faifon,
Le meilleur vin de la maifon,
Afin de mettre à val V.osflumes :
Les Hures, le papier, les plumes,
Et les breuiaires cependant
Seroyent mille ans en attendant
Auant qu'on y touchafï iamais.
De peur de fe morfondre : mais
Au lieu dé ces fois exercices.
20 LLlt-l^i, CDHClilS.
De U waikoui ia
Et fÊus 6- pmr otmeT ê pmr
Voîer ToÊfcMM^ Je laesmr e
BiemJoÊOÊemi étls rtmfe è^fk ^
Om bitm par ie« piest^ ^^sm
Suaire ࣠hntrt ttex cxmr-am^
PenJjMî qme mcnr Mrjhre lemm
le Jué sabres le fem. dAkma^
De lajter les molle$ rûviler.
Poatr vous la rendre fûxf *
Vous amue^ loau Mfame^,
Les ckjit iesu r Jam: JjmJiMim
De peur de rieur nazatre :
Ou fsst SMX Tables ccmmtrTxrye .
On rit, cm boit, dioam fait rsft
De babiUer du Tnctcarr.
Om ejl/aiail^ ozje met em tem^
Et puis f CT /en: reuzr le feu
De l2 ch^ouîlisrde amourette.
Soudain en la quejte ok Je iette.
Tant quom. remenme tcms taris
Far ctspi§eujes de Paris.
Tout beau Mejfire Uam. tout beau^
Demoure là, Svn cas nouutam^
Puis qu'à r amour tu es venu,
itejt à cejte heure Jcmuenu^
Pour lequti appelé t'aucis.
Mefiîre lean.
Quùjr'f comment? d'où vient telle roix?
Aue\ vous receu quelque offenfe?
ACTE I, SCENE I. 21
1
Eugène.
Non, norij tout beau, feulement penfe
De me prefter ici tes fens.
Tu fçais bien que depuis le temps
Que Henry magnanime Roy,
A mené fes gens auec foy
lufques aux bornes d'Allemagne,
Amour qui fe meift en campagne
Pour faire quefie de mon cœur,
S*eft rendu deffus moy vainqueur.
Me venant d^vn trait enflammer,
Pour me faire ardemment aimer
Cefie Alix, mignarde & iolie.
Bague fort bonne & bien polie.
Pour qui, ô fer tuteur fidelle.
Tu me vaux vne maquerèlle.
Meffire lean.
O que ie me tiens en repos.
Pour voir où cherra ce propos.
Eugène.
lufquHci tant bien m'as ferui ,
Q}ie du tout en elle ie vi :
Et pour ejire bon guerdonneur
Luy voulant couurir fon honneur.
Comme tu es bien aduerti,
Luy ay trouué le bon parti
De Guillaume le bon lourdaut,
Qui efi tout tel qui • nous le faut.
Et les ay marie^ enfemble,
Meffire lean.
O fort bien fait.
32 LEVGKNE, COMEDIE.
Kugenc.
Mais que '^ttfemkU?
Pay feint que c'eftoit ma couflnt.
Mcflirc Ican.
La parenté eft bien voijine.
Il n^y fallait efpargner rien,
Ce font trois cens efcus : 6- bien
Quefl-ce pour vofirc dignité.
Sinon qu*ceuure de charité.
Eugène.
Mais maintenant Vay fi grand* peur,
Qjte Guillaume fente mon coeur
Auec les cornes de fa te fie,
Meffirc lean.
Ha ventrebieu il eft trop befte.
Son front w'a point de fentiment,
Nyfon cœur de bon mouuement :
Ho ho y quoy? craigne^ vous en rien
En cela vn Parifien ?
Le bon Guillaume fans malice
Vous eft couucrturc propice.
Pour feurement brider Vamour.
Si fuffte:{ allé chacun iour
Cependant qu'Alix eftoit fille.
Planter enfon iardin la quille ,
A Venui chacun eufi crié :
Mais depuis qu^on eft mariéy
Si cent fois le iour on fy rend,
Le mary eft toufiours garend ;
On n^en murmure point ainfi.
Et puis en cefte ville ci
ACTE II, SCENE II. ^3
Auec leurs contenances fieres
Àfeflans la morgue Italienne,
Afin qu^vn gros four cil p en vienne
Les demander en mariage.
Ha ventrebieu quel badinage !
Non pas, dy-ie, à ces mercadins,
Ces petits muguets citadins,
Ces petits brouilleurs de finances,
Qjti en banquets, & ris, & danfes.
En toutes fuperfluitex
Surmontent les principauté^.
Mais quant efi de nos Gentil/hommes
Qjii eft le propos oit nous fommes.
Bien qu*on croye toutes brauades
Rendre les courages plus fades,
Si celuy-là qui eft plus braue
Entendoit le battement graue
D*vn tabourin quaft tonnant.
Ou bien d'vn clairon eftonnant,
n/eroit mieux encouragé.
Et plus toft en ordre rengé.
Florimond.
Ainfi le Ciel me /oit ami.
Si tu ne m'as mis à demi
Par ta parole hors de moy.
Quoy? comment? qu'eft-ce que de toy
Qjiand tu vas ainfi conteftant?
Vn doâeur n'en diroit pas tant :
As tu tant Vefchole fuiuie?
Arnault.
La meilleure part de ma vie,
Et fi eftois des mieux appris :
Mais ores, les meilleurs efprits
Aiment mieux foldats deuenir
24 L EVGKNK, COMF.DIE.
Dy temps t & elle fe cumplaint
Que r amour a]fe\ ne m'aiiaint»
Mcffirc Ican.
O dueil heureux !
Kugcnc,
Elle fappaife^
Elle accourt^ & plus fort me baife :
Puisparreftant elle fe mire
Dedans mes yeux.
Mcffirc Ican.
O doux martyre !
Eugcnc.
Et folaflrant elle r empoigne
Mes leureSf qui font vne trongne.
Afin que d^ellc elles forent morfes :
Et quant efi des autres amorces,
Penfe que peut en cela faire
Celle qui fe plaift en V affaire,
Mcffirc Ican.
Quipourroit efïre homme tant froid ,
Qui nefémeujl en ceft endroit?
Eugène.
Mais où me fuis-ie promené ?
Oit Vamour m^a il ia trainé?
Or donc fçaclies en cefï affaire
Comment il te faut me complaire
ACTE I, SCENE I. 25
Au long difcours de c^e chofe.
Deux poinâs tous feuls te te propofe :
La peur que Vay que ce fottard
Decœuure la braife qui nCard :
Et la peur que Vay qu'yen ma Dame
Ne P allume quelque autre flamme.
Au premier tu remediras.
Quand ce lourdaut gouuerneras,
L^affeurant que Vay bonne enuie
De luy aider toute fa vie :
Qjiand tu le mèneras au ieu,
Qjiand V amadouant peu à peu.
Tu le rendras ami de toy.
Autant que fa femme efï de moy^
Afin qu^aye\ Ventrée feure.
Quand eft du fecondy ie Vaffeure
QjCil te faudra prendre cent yeux y
Afin de me la garder mieux :
Qu'on efpiey que Ion regarde,
QtVon fenquiere, qu"* on prenne garde
De n^eftre en embufche trouué,
Apres auoir bien efprouué.
Pour le loyer de ton office
lè te voue vn bon bénéfice.
Meffire lean.
Grand mercy, Monfieur, c^eft de grâce :
Ne vousfoucie^ que iefasè,
Naye^ de ces deux poinâs efmoy,
Dés ores iepren tout fur moy.
SCENE II.
Meffire lean.
Ainfif Dieu m'aime , on voit ici
2'
26 LKVGKNK, COMEDIE.
Afaints aueug\e\y qui font ainfl
Q}te les flots enfle\ de la mer,
Qu^on voit Icucr, puis fabyjmer
lujqucs au plus prtf/bnd de Veau.
Ceux-ci Je fichans au cerucau
Vn contentement qu'ils fe donnent,
Deffus lequel ils Je façonnent
Le pourtrait d'vne heureufe vie,
Voyent foudain fuiure Venuit
Du fort bien fuuuent irrité,
Rabbaiffant leur félicité.
Songe^ à celuy qu^aue\ veu^
Ce brauc Abbé tant bien pourueu
Moins en VEglife qu*en fbllie :
Songe^ diS'ic au mal qui le lie,
Ains Vejlrangle tant doucement
D*vn follaftrc contentement :
Il Je fait f cul heureux ^ en tout
Il nUmagine point de bouty
n ne preuoity & ne prcuient
Au malheur qui fouuent adulent :
Et qui pis ejl, voir il n*a fceu
QjtUl eft iournellement deceu.
L^aueuglement ejï le moyen
De tourner vn beaucoup en rien,
n ejififol, comme ie voy,
Depenfer, Alix cjl à moy.
Et me tient feul ami certain :
Alix dy-ie plus grand putain
Qu'on puiffe voir en aucun lieu^
Et qui veut fans crainte de Dieu
Se bajlir aux deux vne porte.
Par Vamour qu'à tous elle porte,
Exerçant fans fin charité.
Affe\ long temps elle a efié
A vn Florimond, homme d'armes.
Qui parauant fous les alarmes,
Par qui fon amour Vafferuit,
ACTE t, SCENE II. 27
Long temps à Hélène feruit ,
Sœur de ce bel Abbé mon maiftre,
Sans par /on pourchas iamais eftre
Receu au dernier poinâ de grâce.
Tant qû*eftant vaincu de V audace
De fa maiftreffe impitoyable,
Pour paffer V amour indomtable,
Et amortir fa fantaifie,
Fuji par luy cejie Alix choijte,
\ Laquelle il entretint toujiours,
Non pas feul maiftre des amours,
Jufques à ce camp d^ Allemagne,
Pour lequel fe mijï en campagne :
Mefmes on rrCa dit qu^vn grand \ele
Florimond auoit enuers elle.
Mais qui veut bien aimer, ne face
Aux Pariftennes la chaffe ;
Et puis nofire Abbé, nojïre braue
Fol mafqué d'vn vifage graue,
Ce fût, ce meffer coyon penfe
Auoir eu feul la iouîffance,
Et Va mife en fon mariage
Afin quHl feift vn cocuage
De mary & d^amy enfemble.
Mais ie vous prie, que vous femble
Des morgues, que ie tiens vers luy?
SUl dit ouy, ie dis ouy :
S*il dit non, ie dis auffi non :
S*il veut exalter fon renom.
Je le poufferay par ma voix
Plus haut que tous les deux trois fois,
Ainfi ie fais vn ameçon
Pour attraper quelque poiffon
En la grand* mer des bénéfices,
Sont mes eftats, font mes offices,
Et qui n'enfçait bien fa pratique,
Voife ailleurs ouuriv fa boutique.
28 LKVGENE, COMEDIE.
SCENE III.
GVILLAVME, ALIX, MESSIRE lEAN.
Guillaume.
Hé Dieu quelle heureu/e Jbrtume
APeuJt efti plus heureufe qu^mte.
Ou quelle plus douce rencontre
En toute la terre fe monftre^
Q)te celle là qu^ores Pay faite
De cefte femme tant parfaite^
A qui Dieu m^a ioint pour ma vie?
Hé mon Dieu que Pay bonne enuie
De Ven rendre grâce à iamais!
Ah / ie Ven iray déformais
Souuent prefenter des chandelles^
Et à la Roine des pucelles,
Qjii m* a donné fi chafle femme.
Sa beauté tout le monde enflamme :
Car ie voy bien fouuent paffer
Maints amourets que trefpaffer
Elle fait en les regardant :
Mais aucun iCy va prétendant.
Accablé deffousfa vei-tu :
Moymefme iefuisabbatu
Bien fouuent de fa chafteté.
Car alors que fuis excité
De faire le droit du mefnage.
Elle me dit d*vnfainâ courage,
Efcoute, nton mignon, contemple
Du bon lofeph la fainâe exemple,
Q)ti ne toucha fa fainâe Dame.
Noftre chair efï vile & infâme :
Ces aâes font vilains & ords.
Et qui nous damne, que le corps ?
ACTE I, SCENE III. 29
Alors te me mets en prière^
Et luy tourne le cul arrière :
Car helas (bon-Dieu) tu ne veux
Que Ion bleffe les chafies vœus.
*^ Alix.
Qui eft celuy que Voy compter,
Et tellement fe contenter?
Ha mananda, c^eft mon badault :
Efcouter ici me le faut,
Pourfçauoir quHl dira de moy,
Guillaume.
Bon Dieu, ie fuis tenu à toy!
Outre cela elle efi tant douce.
Jamais f es amis ne repouffe :
Elle eft à chacun charitable.
Et enuers moy tant amiable
Q}te le monde en efï efïonné.
Qyiantesfois m^a telle donné.
De V argent pour m^ aller ioûer?
Cil qui veut à Dieu fe vouer
Ne fera iamais indigent,
Alix a toujiours de V argent,
Elle efi fainâe dés ce bas lieu :
Car c^efi de la grâce de Dieu,
Que ceft argent luy vient ainjt,
Alix.
le fuis en paradis auffi^
D*auoir vn mary tel que Vay :
Par ainfi fainâe ieferay.
Guillaume.
Mefme quand ie me vais efbatre,
l6 l'eVGENE, COMEDIE.
ACTE I.
SCENE I.
EVGENE, ABBÉ, MESSIRE lEAN, chappblain
Eugène.
La vie aux humains ordonnée
Pour eftrefi toft terminée
Ainfl que me/me tu as ditj
Doit elle, pour a-oire à crédit,
Se charger de tant de trauaux?
Meffire lean.
Le feul fouuenir de nos maux,
Qjii ia vers nous ont fait leur tour,
Ou de ceux qui viendront vn iour
Vapprehenfion incertaine
Empoifonne la vie humaine :
Et d'autant quUls la font plus grieue,
Ils la font aujfi bien plus brieue.
Mais quifçait mieux en ce bas ci
Que vous, Monjieur, quUl eft ainfi?
Eugène.
// ne faut donc que du paffé
Jlfoit après iamais penfé.
Il faut fe contenter du bien
Qui nous eft prefenty & en rien
N'^eftre du futur foucieux.
ACTE I, SCENE I. I7
Meffîre lean.
O grand Dieu, qui dift onques mieux !
Eugène.
Comment donc ne confent on point
De p aimer foymefme en ce poinâ.
De fe flater en fon bon heur,
Depaueugler en fon malheur.
Sans donner entrée au fouci ?
Meffire lean.
Oeft abus, il faut faire ainji,
Eugène.
En tout ce beau rond fpacieux,
Qui eft enuironné des deux.
Nul ne garde Jî bien en foy
Ce bon h^ur comme moy en moy :
Tant que f oit que le ventpemeuue.
Ou bien quHl grefle, ou bien quHl pleuue,
Ou que le Ciel de fon tonnerre
Face paour à la pauure terre,
Toujiours Monfieur moy ieferay.
Et tous mes ennuis cha/feray.
Car ferois-ie point malheureux
D^cjlre à mon fouhait plantureux,
Et h\e tourmenter en mon bien?
le ne voûray iamais à rien^
Sinon au plaifir, mon ejiude.
Meffire lean.
Ce feroit vne ingratitude
loAtUt, — I. '2
i8 l'evgenk, combdib.
Enuers la fortune autrement ,
Qjii vous pouruoit tant richement :
Car qui eft mal content de Joy
Il faut quHlfoitf comme ie croy.
Mal content de fortune en/emble.
Eugcnc.
Fortune affe:ç d*heur me rajfemble
Pour me plaire en ce monde ici^
Efclauant en tout mon fouci :
Sans trauail les biens à foifon
Sont apporte^ en ma mai/on,
Biens j ie dy^ que iamais n^acquirent
Les parens qui naiftre me feirent.
Et qui ainfi donne:{ me font
Qu*à mes héritiers ne reuont,
Ains pour rendre ma feule vie
En fes délices affoume^
Ce que nous pratiquons ajfe^ ,
Tant quUlfemble que ramajfe^
Tous les plaifirsfe foyent pour moy.
Les Rois font fuie ts à Vefmoy
Pour le gouuernement des terres :
Les Nobles font fuiets aux guerres :
Quant a luftice, en fon endroit
Chacun efiferfde faire droit.
Le marchant eft ferf du danger
Qu^on trouue au pais eftranger :
Le laboureur auecque peine
Preffe fes bœufs parmi la plaine :
Vartifan fans fin molefté,
A peine fuit fa pauureté.
Mais la gorge des gens d'Eglife
N eft point à autre ioug fubmife,
Sinon qu^à mignarder foymefmes,
PPauoir horreur de ces extrêmes
Entre lef quels font les vertus :
ACTE I, SCENE I. IQ
Eftre bien nourris & veftui^
Eftre cure^, prieurs, chanoines,
Ahheitfans auoir tant de moynes
Comme on a de chiens & d'oifeaux^
Auoir les bois^ auoir les eaux
Defleuues ou bien de fontaines,
Auoir les prej, auoir les plaines^
Ne recognoiftre aucuns feigneurs,
Fuffent ils de tout gouuemeurs :
Bref, rendre tout homme ialoux
Des plaifirs nourriciers de nous.
Mais queferuiroit f expliquer '
Ce que tu vois tant pratiquer,
ÎPeftoit que ie me plais ainfi
En la mémoire de ceci,
Voulant lesplaifrs faire dire
Ou d'heure en heure ie me mire ?
Au matin, quoy?
MefHre Iean<
Le feu léger.
De peur que le froid outrager
Ne vienne la peau tendrelette.
Le linge blanc, la chauffe nette.
Le mignard pignoir d^ Italie,
La vefkure à Venui iolie.
Les parfums^ les eaux de fenteurs,
La court de tous vosferuiteurs,
Le perdreau *.enfa faijon.
Le meilleur vin de la maifon,
Afin de mettre à val vosflumes :
Les Hures, le papier, les plumes.
Et les breuiaires cependant
Seroyent mille ans en attendant
Auant qu^on y touchaft iamais.
De peur de fe morfondre : mais
Au lieu de cesfots exercices y
20 L EVGËNKy COMEDIE.
De la mufique les délices
Auant que monter à ckeual.
Et puis & par mont & par val
Voler Poifeau, fe mettre en quejte
Bien fouuent de la rouffe bejte :
Ou bien par les plaines errant
Suiure le Heure bien courant^
Pendant que moy Meffire lean
le fué auprès le feu d^ahan,
De ta/ter les molles viandes.
Pour vous les rendre plus friandes :
Vous arriuex tous affame:^ ,
Les chaudeaux font Soudain hume:^y
De peur de vicier nature :
On fait aux tables couuerture ,
On rit, on boit, chacun fait rage
De babiller du tricotage.
On eftfaoul, onfe met en ieu.
Et puisfonfent venir le feu
De la chatouillarde amourette.
Soudain en la quefie on fe iette,
Tant qu^on reuienne tous taris
Par cespiffeufes de Paris, m
Eugène.
Tout beau Meffire Jean, tout beau,
Demoure là, d*vn cas nouueau.
Puis qu'à V amour tu es venu,
M?efï à cefle heure fouuenu.
Pour lequel appelé fauois.
Meffire lean.
Qji(^? comment? d'oti vient telle voix?
Auè:{ vous receu quelque offenfe?
ACTE I, SCENE I. 21
T
Eugène.
Non, non, tout beau, feulement penfe
De me preftev ici tesfens.
Tu fçais bien que depuis le temps
Que Henry magnanime Roy,
A mené/es gens auec foy
Tufques aux bornes cP Allemagne,
Amour qui Je meift en campagne
Pour faire quejle de mon cœur,
S*eji rendu deffus moy vainqueur.
Me venant d^vn trait enflammer.
Pour me faire ardemment aimer
Cefte Alix, mignarde & iolie.
Bague fort bonne & bien polie.
Pour qui, o feruiteur fidelle.
Tu me vaux vne maquerelle,
Mefflre lean.
O que ie me tiens en repos,
Pour voir oîi cherra ce propos.
Eugène.
lufquHci tant bien m'asferui,
Qite du tout en elle ie vi :
Et pour eflre bon guerdonneur
Luy voulant couurirfon honneur.
Comme tu es bien aduerti,
Luy ay trouué le bon parti
De Guillaume le bon lourdaut,
Q}ii eji tout tel qui • nous le faut.
Et les ay marie^ enfemble,
Meffire lean.
O fort bien fait.
24 I' EVGENE, COMEDIE.
Du temps, & clic fe complaint
Quel amour aff€\ ne m'aiiaint.
Mcffirc Ican.
O dueil heureux!
Kugcnc.
Elle fappaife^
Elle accourt f & plus fort me baife :
Puis parreftant elle fe mire
Dedans mes yeux,
Meffirc lean.
O doux martyre !
Eugcnc.
Et folaflrant elle vempoigne
Mes leures, qui font vne trongne.
Afin que d'elle elles foyent morfes :
Et quant eft des autres amorces,
Penfe que peut en cela faire
Celle qui fe plaift en V affaire,
Meffirc Ican.
Quipourroit efïre homme tant froid ^
Qui nepémeuft en cefl endroit?
Eugcnc.
Mais où me fuis-ie promené ?
Oîi V amour m'a il ia trainé?
Or doncfçaches en cefi affaire
Comment il te faut me complaire
ACTE I, SCENE I. 25
Au long difcaurs de cefte ckofe.
Deux poinûs tous feuls te te propofe :
La peur que Vay que ce fottard
Decœuure la braife qui nCard :
Et la peur que Vay qu^en ma Dame
Ne p allume quelque autre flamme.
Au premier tu remediras,
Quand ce lourdaut gouuerneras,
L*affeurant que Vay bonne enuie
De luy aider toute fa vie :
Qjiand tu le mèneras au ieu,
Qjiand Vamadoûant peu à peu,
Tu le rendras ami de toy.
Autant que fa femme eft de moy.
Afin qu^aye:( V entrée feure.
Qfiand eft du fécond, ie faffeure
Q}Vil te faudra prendre cent yeux.
Afin de me la garder mieux :
Qji'on efpie^ que Ion regarde,
Qji^on fenquiere, qu^on prenne garde
De fCeftre en embufche trouué,
Apres auoir bien efprouué.
Pour le loyer de ton office
lè te voue vn bon bénéfice,
Meffire lean.
Grand mercy, Monfieur, c^eft dejgrace :
Ne vousfouciei que ie fade,
Naye^ de ces deux poinûs efmoy,
Dés ores iepren tout fur moy.
SCENE II.
Meffire lean.
Ainfi, Dieu m'aime, on voit ici
2*
58 l'eVGENE, COMEDIE.
Qui a il de nouueau ? voila
Nqfire malheureux maiftre Eugène
Qjiifort auecfafœur Hélène,
lepenfe que fi les hauts deux
S*appaifoyent des larmes des yeux,
Qu^ Hélène plus en iettera
QuHl n'en faut, quand elV lefçaura.
Eugène.
Mon cœur peft pris à treffaillir,
Te fens quafi ma voix faillir,
Ma face eft ia toute blefmie,
Hélène, fœur & bonne amie.
Quand Vay regardé contre val.
Voici Vambaffadeur du mal,
Voici mon Chappelain qui vient :
A veoir la face quHl nous tient
Le malheur iure contre nous.
- j Hélène.
Las mon Jr^re que fere\ vous ?
Mais las que feray-ie âflouette ?
Que deuiendray-ie moy pauurette?
Refieray-ie en ce monde ici.
Voyant mon frère en tel fouci ?
Mon efprit fuira comme vent :
Mais ie-ti^ courir au deuant.
Te veux Vinfbrtune fçauoir.
Meffire Tean, ie puis bien voir
Qjie quelque chofe efl furuenué,
I Meffire lean.
Les Dieux ont promeffe tenue :
Apres Vheur on fent le malheur,
Apres la ioye la douleur.
Et la pluye après le beau temps.
ACTE III, SCENE II. Sq
Hélène.
O Dieu retien en moy mes fens,
Ou ie cherray en paf moi/on.
Eugène.
Qjte la douleur eft grande prifon,
le me fens prefque aujfi faillir,
MefAre lean.
Et vous foulieiç fi bien faillir
En voflre aife contre les deux,
Et difie:( qu^eftrefouâeux
En rien ne conuenoit à vous.
\
t
Eugène.
O Jupiter quefommes nous!
Pouuons nous rien de nous promettre ?
Mefdre lean.
Et vous foulie\ fous le pied mettre
Toute inconftance & changement,
Vous vantant qu^ éternellement
Non autre que vous vousferie^,
Et tous les ennuis chafferie:^?
Mais il vaut mieux vn repentir.
Bien quHlfoit tard, que d'amortir
La cognoiffance que Dieu donne
Par le malheur de la perfonne,
Eugène.
Mais encores laiffons nos pleurs ^
Retenons vn peu nos douleurs,
y
60 L*EVGENE, COMEDIE.
Ne donnons point tant à la bouche
Qufe les oreilles on ne touche»
Qui a-il y dy?
Meffîrc lean.'
Tantoft i'eftois
Che:^ Alix oîi ie banquetois
Auec Guillaume^ pour vous plaire y
Comme me commandie:{ de faire^
Quand à vn inftant eft entré
Vnfoldat fort bien accouftré
D^equippage requis en guerre,
Qui vouloit mettre tout par terre,
Blafphemant tous les deux, marry
D^ouîr nommer ce mot mary.
Hélène.
Elle qû*at elle refpondu ?
Meffire lean.
Toute tremblante elle a rendu
Ces refponces, Et bien Arnault
La plusfainûe plus fquuent fault :
Mais on appaife de Dieu Vire
Quand du deffaut on Je retire :
VAbbé mon coujin me voyant
En paillardife foruoyant**^
M^a mi/e auec cet homme ci,
Auec lequel ie vis ainfi
Que doibt faire femme de bien.
Pute (dit-il) ie n'en croy rien.
Il n'y a point de coujinage.
Il Va mis en ce mariage
Pour feurement couurir/on vice :
Mais nous donnerons telfupplice
ACTE III, SCENE II. 6l
A toy^ à ton Abbé Eugène,
Et àfaputefœur Hélène,
Quife vange ainfi de mon maiftre,
Qjte la mémoire pourra eftre
lufqu^à la bouche des neueux.
n faifoit dreffer les cheueux
A moy & à Guillaume aujfi.
Hélène.
Et Guillaume quoy?
Meffire lean.
Tout tranjîy
Eftonné de ce cas nouueau
Nefonnoit mot non plus qu^vn veau :
Et Vautre branjlantfa main dextre,
Enragé va quérir fon maiftre.
Et puis voftre Alix de crier ^
Et Guillaume defupplier :
Alix detranchefes cheueux.
Et Guillaume fait de beaux vœux
A tous lesfainds de paradis.
le fuis feur que les eftourdis
Vous donneront après Vaffaut.
Hélène.
Las mon frère, le cœur me faut !
Eugène.
Las ie ne puis rien dire auffi ! .
Penfons vn peu à tout ceci.
Helcnc.
Mais que penfer?
62 l'eVGENE, COMEDIE.
Meiïire lean.
Une faut pas j
Mefme prochain de fon tre/pas.
Abandonner du tout Vefpoir.
Hélène.
Mais quel efpoir ?
Meffire lean.
On peut bien voir
Q}ie voftre cœur rCeft point viril,
Hélène.
Qjiel cœur aurois~ie?
Meffire lean.
Quel? faut il
Tant obéir à la douleur^
Qu^onfe laiffe vaincre au malheur?
Penfons : peut eflre que les Dieux
Nous conf cilleront .
Eugène.
Il vaut mieux,
Puis qu^ainfi le mal nous affole,
Qui bleffe & Vame & la parole,
Dedans la maifon nous retraire
Pour mieux efplucher cejl affaire.
\
ACTE III, SCENE III. Ci
SCENE III.
ALIX, FLORIMOND, GVILLAVME, ARNAVLT,
PIERRE.
Alix.
A Vaide,
Florimond.
le fuis au fecours.
Guillaume.
Tout beau, bellement ie m'encours,
Pen arracherois bien autant.
Fiorimond.
le periffe, tu feras tant
Et tant & tant de moy battue.
Qjii me tient que ie ne te tue,
Pute, m'as tu fait tel outrage ?
Me fais tu fbrcener de rage*?
Alix.
Helas Monfieur, pour Dieu merci!
Florimond.
Tu n'es pas quitte pour ceci,
Toufioursfe renouuellera
La playe, & en moy faignera :
Mais laijpons ici la vilaine^
Amault cefïe maifon eft pleine
De mes biens, quUl faut emporter.
64 LEVGENE, COMEDIE.
Alix.
Monfieur voulez-vous tout ofter ?
Arnaplt.
// auroit me/me bonne enuie
De t' ofter ta niefchante vie,
SHl y pouuoit auoir honneur.
Florimond,
Sus en haut.
Arnault.
Sus donc, Monfeigneur.
Florimond.
Laquais, trouue des crocheteurs.
Pierre.
Py vois Monfieur f & quant à eux
Us voleront bien toft ici,
PPont ils pas des ailes au/fi ?
Alix.
O que ie fuis au monde née
Pour eftre au malheur deftinee !
Quel malheur auroit bien enuie
Sur le grand malheur de ma vie ?
Aa faulfe marâtre nature,
Pourquoy m'ouurois tu ta clofture 9
Pourquoy vn cercueil éternel
Ne fiS'ie au ventre maternel ?
Mais, las ! il faut que chacun penfe
Que toufiours telle reconipenfe
ACTE IIII, SCENE I. 65
Suit chacun des forfaits, qui traine
Pour pacquerrefa propre peine.
Sus donc Efprit, fois foucieux :
Sus donc, fus donc pleure:; mes yeux,
Qfte:( le pouuoir à la bouche
De dire le mal qui me touche.
ACTE IIII.
SCENE I.
Guillaume.
S* il y a eu perfonne aucune
Plus enuié de la fortune
Et du bon heur, que iefuis ores,
le veux efire plus mal encores.
Helas, qui eufï ceci penfé!
le ne le croy pas : offenfé
M* ont en cela ces gens de guerre,
Et pendant deçà delà Verre,
Qjie Ion bat ma pauure Innocente.
SuiS'ie tantfot que ie ne fente
Quand ie fuis toufiours auec elle
Si elle m'eft tant infidelle?
Mais quoy? elle a ia confcjfé
Qjte Dieu elle auoit offenfé
Auec Monfteur le gentilhomme :
Oeftoit de grand* p^^^f ^iflfi comme
Ceux-là que Ion gefne au palais,
Confejfent des forfaits non faits.
le nefçay, ie n^enfçay que dire.
Sinon que rendre mon mal pire,
D'autant plus que Vy penferay :
Par deuant VAbbé pafferay,
lodelU. — 1.
66 l'eVGENE, COMEDIE.
Qui fera, peut eftre, à fa porte,
A celle fin quHl me conforte.
Encore qu'il foit auiourdhuy
La caufe de tout mon ennuy.
SCENE II.
MATTHIEV, CREANCIER, EVGENE, GVILLAVME,
HELENE, MESSIRE lEAN.
Matt^eu.
On rïCa maintenant rapporté
. Qu'on auoit à Guillaume ofté
Tous les meubles de fa maifon :
Depuis que Von prend la toifon
H conuient au mouton fe prendre.
Mais oit ejï il? il luy faut rendre
Auiourd'huy ce que Vay prefté
S'il ne vouloit eftre arrejïé
Dedans V enfer du Chaftellet *•.
Efl'il rien au monde fi laid
Que de frauder f es créditeurs?
le fuis troublé, ces tranfporteurs
Ore m^ont rendu efionné,
Auroit il bien tout façonné
Craignant vne exécution :
Auroit-il fait vendition ?
Où le trouueray-ie à cefte heure^
Puis quHl v^eft pas oÎ4 il demeure?
Ches[ fon Abbé, comme ie croy.
Vy vois, Vy vois.
Eugène.
Maisrefpons moy, *^k
ACTE Ilir, SCENE II. 67
Ont ils dit qu*ils viendront che^ nous
Incontinent?
Guillaume.
Dejffende^'vous :
Car ie fuis feur qu* ils le fer ont ^
Et pilé peuuent outrageront.
Eugène.
Las que diray-ie !
Hélène.
Et que feray-ie !
Meffire lean.
Le malheur prend bien toft fon fiege
Dedans ceux qui n^y penfent point.
Guillaume.
Us me mettront en piteux poinâ,
Si lors m^y rencontrent auffi.
Eugène.
Les Sergensfont ils prés dHci?
Hélène.
Qjioy Sergens? laijfons ce moyen.
Matthieu.
A la bonne heure ie voy bien
Mon Guillaume deuant la porte
68 L*EVGENE, COMEDIE.
De/on Abbé, qui le conforte.
Peut eftre, des biens emporte:;,
le m'approche.
Guillaume.
De tous cojfe^
Le malheur eft mon deuancier :
Helas! voici mon créancier.
Hélène.
Hé! quHl vient à heure opportune
Pour foulager voftre fortune.
Matthieu.
Et bien Guillaume de V argent?
Hélène.
Pourfuiue^'vous vn indigent,
EJles vous forclus d'amitié ?
Matthieu.
La raifon chaffe la pitié.
Il faut payer.
Hélène.
Et fil n^a rien
Dequoy payer ?
Matthieu.
Hpayra bien:
Le corps eft de V argent le pleige.
ACTE IIIl, SCENE III. Cuj
Hélène.
Mais fil n'a rien?
Guillaume.
Comme aujfi vCay-ic,
Hélène.
Son cercueil eft-ce la prifon 9
Eugène.
Bien hien^ entrons en la maifon.
On pourra faire quelque chofe :
Ou bien fi rien nefe compofe
Soyons tous en tout malheureux.
Matthieu.
le ne fuis pas tant rigoureux
Qjie ie n'entre bien auec luy,
Pour Vattendre tout auiourdhuy.
SCENE III.
FLORIMOND, ARNAVLT.
Fiorimond.
O Ciel gouuerneur, quel edià
Drejfestu aupauure interdit
De fa liejfe couftumicre !
Ou quelle ordonnance meurdrierc,
70 L EVGENE, COMEDIE.
Qjieîle tourelle deftinee
A ce iour pour moy ramenée !
Le haut Soleil, qui pour couronne
Son chef de mille feux couronne,
Afapportoit-il ia cefi ediâ.
Lors que laiffant le iaune lia
A par la grand* lice ordonnée
Commencé fa feiche trainee?
Mais quoy? la fureur me tranfporte.
Mes ennuis m'ouurent vne porte
Incogneué à tous mes efprits :
Tant que iefuis du dueil épris.
Je fuis mort, ie péri, c'eft fait,
Ma vie auec toutfon effet
Dependoit de cefle amour mienne :
Et faut-il ore que ie vienne
Perdre ce qui me faifoit viure ?
Puis après fi ie veux pourfuiure
Et vanger telle cruauté,
La iuflice eft d'autre cofié,
Qui ia, ce me femble, me chajfe.
Et mes biens & mon chefmenaffe.
Si Vaffopi cefle vengeance,
le viendray fentir telle outrance
Qjie defpit me fera creuer.
Arnault.
Ne vous vueille:{ ainfi greuer,
Tous ces maux" auront guarifon.
Premier quant eft de la poifon,
Qjii tellement vous a deceu,
Que, comme dites, n'aue^fceu
En ce monde viure fans elle,
La contrepoifon infidelle
A cefte poifon hors poujfee :
Quant à la iuftice offenfee,
. Qui contre vousfe leueroit,
r»
ACTE IIII, SCENE III. yi
Qjtand le faux tour on vengeroit :
De cela fCaye:{ peur aucune,
le me hafarde à la fortune,
Toutfeul demain ie m^en iray,
Et nojtre Abbé ie meurdriray.
Si iefuy ignore:^ le cas:
Si ie fuis pris, dites que pas
PPeftie^ de ce fai& confentant.
Faime mieux feul mourir que tant
En vous voyant fouffrir y fouffrir,
Florimond.
Vrayment c^efl brauement f offrir.
Ârnault.
Ainfi Vire n^affopire^,
Et de defpit ne creueres{,
Florimond.
Bafie bafie, laiffons ceci,
Le mal toujiours croifl du fouci,
Face la iujlice du pire,
lime faut dégorger mon ire,
Il faut que ce braue maftin
Poccie demain au matin.
Me faifant au mal qui me mine
Par fon fang vne médecine.
72 L EVGENE, COMEDIE.
SCENE IIII.
EVGENE, MESSIRE lEAN,
Eugène.
Eft-il poffible que ma bouche
Pour me complaindre Je débouche ?
EJïAX poffible que ma langue
Tire du cœur vne harangue,
Pour'deuant le ciel mettre en veué
Le mal de Vame defpourueué?
Non non, la douleur qui m'atteint
Toutes mes puijfances efteint,
Et Vair ne veut point p entonner,
De crainte de fempoifonner
Du dueil en ma poitrine enclos,
Meffire lean.
O vray Dieu quels horribles mots !
Eugène.
Pource quHl Semble que malheur
Ait remis toute la douleur
De chacun des autres fur moy :
le porte de ma fœur Vefmoy,
Tant pour fa petite portée,
Qjie pource que defconfortee
Elle ejï à tort : car ce monfieur
La nomme caufe du malheur.
De Guillaume non feulement
Il me faut porter le tourment.
Mais à ce que te voyfa debte.
Et combien qu^Alix foitfubiete
/.'
ACTE un, SCENE IIII. yS
A tromper ainfi f es amis,
Mon cœur tCeft pas hors (Telle mis :
lefouftien encorces trauaux,
Et puis ie porte tous mes maux.
Dont Vvn eft tel que le guarir
N*en fera que le feul mourir :
le cognois trop bien Florimond.
Meftire lean.
Premièrement étonné m"* ont
Auec leurs mots, comme eftocades **,
Caps de dious, ou eftaphilades,
Ou autres hrauades de guerre :
Sont de ceux, dont Vvn vend fa terre,
L*autre vn moulin à vent cheuauche,
Et Vautre tous f es bois efbauche
Pour faire vne lance guerrière :
L*autre porte en fa gibbeciere
Tous f es prei(, de peur qu'au befoing
Son cheual n^ait faute de foin :
L'autre fes bleds en verd emporte
Craignant la faim, ô quelle forte
Pour brauer le refïe de Van !
Vous fafche:{ vous des mots de camp ?
H faudra pourtant efprouuer
Tous les moyens pour paix trouuer.
Eugène.
n le faudra c'eft chofe feure,
Ou bien de la mort ie m^affeure,
le lefçay bien,
Meftire lean.
Pouruoye:{y,
74 L*i:VGENE, COMEDIE.
t
Eugène.
Mais laiffe moy toutfeul ici
Pour quelque peu, Vy refueray,
Retourne après.
Meffire lean.
le le feray,
ACTE V.
SCENE I.
MESSIRE-IEAN, EVGENE.
Meilire lean.
Défia trop ici iefeiourne,
Vers Monfieur ores ie retourne,
Qji^à fon vueil Vay tantoft laiffé
A demi, cefemble, infenfé,
En fi trifte & malheureux foing :
n ne le faut laijfer de loing,
De peur que dueilfe tourne en rage,
Eugène.
O fortune à double vif âge,
Profpere à ce que Vay penfé !
Meffire lean.
Aue:{-vous en vous compajfé
Moyen de ces maux amortir?
Eugène.
Fort bien, fort bien, fi confentir
^
ACTE V, SCENE I.
A fon prefque mourant Eugène
Ne refitfe mafœur Hélène.
MelîQrc lean.
D'elle te nCaffeurefi fart
Qs/Le iufqu^à Vautel de fa mort
Seflend V amitié fraternelle.
Eugène.
Tout cefl accord ne giji qu*en elle^
S*elV le faitj tant qu^elle viura
Sa vie à elle fe deura,
Et fi ie luy deuray ma vie.
Mefïîre lean.
Défia ie brufle tout d'enuie
Defçauoir ce que voule^ dire.
Eugène.
Jl faut fecrettement conduire
Cefte chofCf à fin que Vhonneur
Offenfé, yCoffenfe mon heur :
Et n'efloit que bien ie viCaffeure
Qs/Le ton oreille fera feure,
le ne decelerois la chofe
Que d'exécuter ie propofe.
Meftire lean.
Vne chofe à moy récitée
Oeft comme vne pierre iettee
Au plus creux de la mer plus creufe.
^6 L*EVGENE, COMEDIE.
Eugène.
O que ma penfee eft heureuje^
Si ma fœur ef branler ie puis !
Meffire lean.
En cela Jon pleige iefuis,
Eugène.
Oeft que comme tu fçais ajfe:{.
Deux ans fe font défia paffe:{^
Depuis que Florimond quitta
Vamour qui tant le tourmentât
A Vobiet de ma fœur Hélène,
Et le quitta à fi grand^ peine ,
QuHl euft voulu que fa fanté
Euft en la feule mort efté.
Mais il auoit efié confus
D*vn & d'vn renfort de refus :
Puis V amour qui tant le preffa,
A V égarade fe paffa^
LaSy comme en mon damp Vay bien fçeu,
Auec Alix qui Va deceu.
Mais ore fi on luy parloit
De ma fœur y dont tant il brufloit,
Iefuis feur que non feulement
Enfeueliroit ce tourment.
Mais quHl rendroit toute fa vie
A mon commander afferme*
Parquoy ie veux prier ma fœur,
Que fans offenfe de Vhonneur,
Elle le reçoiue en fa grâce,
Et iouijfant elle le face.
Son honneur ne fera foulé
Quand V affaire fera celé
Entre quatre ou cinq feulement.
ACTE V, SCENE I. 77
Et quand fon honneur mefmement
Pourrait receuoir quelque tache,
Ne faut il pas qu^elle nC arrache
De ce naufrage auquel ie fuis^
Et qu^elle mefme fes ennuis
Elle tourne en double plaifir?
Meffire lean.
Sçauroit elle mieux choifir ?
O que chacun euft ce bon heur.
De faire toujours fon honneur
Vn bouclier pour fauuer fa vie.
Eugène.
Elle fera bien efbahie,
Qjtand de ce la viendray prier,
Meffire lean.
Point, laiffe^ la moy manier.
Mais quant au créancier, comment ?
Eugène.
Ce m^eftoit tourment fur tourment :
Mais cefiuy eft bien plus facile.
Si n^ay-ie pourtant croix ny pile,
Meffire lean.
Qjioy donc ? il ne faut délayer,
Oeft cas raclé, il faut payer.
Ou que Guillaume entre enprifon,
Eugène.
Vne Cure en fera raifon,
On trouuera bien acheptant.
yS l'eVGENE, COMEDIE.
Meffire lean.
Que tropy que trop, il en eft tant^
Par ci par là dans ce/te ville,
QjiUl faudroit mille fouets & mille
Pour chajfer les marchans du temple,
Eugène.
Le marché de Romme efi bien ample.
Meffire lean.
Me/mes il pourroit eftre ainji,
Qjie fi ce bon Créancier ci ^
Auoit enfans, il la voudroity
Mieux qu*vne terre elle vaudroit :
Et ne luy coufteroit fi cher.
Eugène.
Or fus donc, il faut depefcher
Le premier poind : ie vais deuant,
Meffire. lean.
Alle!{ donc, ie vous vais fuiuant.
SCENE II.
GVILLAVME, MATTHIEV, HELENE, EVGENE,
MESSIRE lEAN.
Guillaume.
Encores que les maux fouffertSy
Et ceux qui font encore offerts
ACTE V, SCENE II. 79
Mefoyent griefs^ Sire mon ami^
Si eft-ce que prefque à demi
Je fuis en ce lieu foulage.
Aa que iefuis bien allégé
D*eJtrefous la tutelle & garde
I^vn homme tantfaind qui me garde.
Sire, vous ne pourrie:^ pas croire
De quel amour il m'aime, voire
lufques à prendre tant d^efmoy
De venir mefme au foir che\ moy
Pourveoirji ie me porte bien :
n ne fouffriroit pas en rien
Qu''on nous feijt ou tort ou diffame :
Jl aime fi, très tant ma femme,
Qpe plus en plus la prend fous foy.
Matthieu.
Sus donc, courage, efueille toy
Mon bon ami, & ne tefafche,
le teferois quelque relafche,
S'il eftoit en moy, volontiers :
Mais Vay affaire de deniers.
Guillaume.
Payer faut, ou tenir prifon.
Matthieu;
Oeft bien entendu la raifon :
Paime ces gens qui quand ils doibitcnt,
Volontiers le quitte reçoiuent»
Hélène.
Vos raifons ont tant de pouuoir
Sur ce mien débile fçauoir ,
80 l'eVGENE, COMEDIE.
Que refpondre ie nefçaurois :
Et quand encore ie powrois.
Que gaigne fon de contefter
Quand onfy voit necefjiter?
L* amour f Frère , que ie vous porte,
A ma honte ferme la porte,
Voulant contregarder ce iour
Nos deux vies par fol amour :
Et quand malheur m'en aduiendra^
Et que tout le monde entendra
Que par deux hommes, voire deux,
Qjie chacun ejiime de ceux
Qui font dejiafainûs en la terre.
Contre ma renommée Verre,
On me tiendra pour excufee,
Comme ayant ejlé abufee,
Ainfi que femme y efijfubiette :
Et puis Ion dira, la pauurette
N^ofoit pas fon frère efconduire,
t
Eugène.
Vojlre honneur n^en fera point pire.
Ceci reuelé ne fera :
Et au pis quand on lefçaura,
Laijfe^ le vulgaire efiimer,
Efi-ce def honneur que d'aimer?
Hélène.
Non, comme Pefiime, en tel lieu :
Mefmement ainfi m'aide Dieu,
Si Florimond ne m'eufi laiffee.
Et quHl n'eufi Alix pourchaffee,
La courfe du temps eufi gaigné
Sur ce mien courage indigné.
Et tout ce trouble eufl efté hors.
ACTE V, SCENE II. 8l
Meffire lean.
// vaut mieux maintenant qu^alors :
Car après vne longue attente
Vne amour en eft plus contente :
Et, peut eftre^ il aura courage
De faire après le mariage :
Ce vous eft vn parti heureux,
Eugène.
Puis qu^il en eft tant amoureux.
Quand nous ferons amis enfembîe,
Penferay moyen, ce me femble,
Hélène.
Mais dequqy feruent tant de coups
Pour gaigner ce qui eft à vous ?
Faut-il que gayement ie die,
le fuis en mefme maladie :
Il n'y a rien qui plus me plaîfe^
Ore ie mefens à mon aife,
Eugène.
O amour que tu m'as aidé !
Aueugle tu m'as bien guidé,
D'aife extrême mon cœur treffaut.
Meffire lean.
Par bieu Ven vois faire ce fault.
Que refteplus?
Eugène.
Rien qu'à cefte heure
Te tranfporter en la demeure
loâelle, — 1. 6
82 L*EVGENE, COMEDIE.
De Florimondf & Vaduertir
De cet amour fe diuertir,
QuUl laijfe enuers nous toute haine,
Qm^H laijfe Alix, & qu*on rameine
Ch€!ç elle ce qû*on luy a pris,
Et que fil a gaigné le pris
Sus vne amante damoyfelle,
Qjûau moins fon auenture il celé.
Apres che^ Alix fen iras,
Et lafoiblette aduertiras^
Quefommes enfemble reioints.
Sans luy déclarer par quels poinâs.
Car quand femme a Voreille pleine,
Sa langue le retient à peine,
Hélène.
Voy, voy.
Eugène.
Tu n^oubliras aufji
Qji^elle vienne fouper iciy
Py feray pourueoir à ceJV heure.
Meffire lean.
le feray bien courte demeure.
Je vous pry^ note:ç la manière.
Mais ne voila pas vn bon frère I
O Dieu qu^on Je frottera bien I
Si ejt-ce que ie me retien
Quelque lopin à cejïe fejie.
n faudra que ie mette en tefte
A mon Abbé, de me ranger
A quelque ojjeletpour ronger.
ACTE V, SCENE IIX. 83
SCENE III.
EVGENE, MATTHIEV, GVILLAVME.
Eugène.
Si les prifonniers des enfers
Auoyent tous dehrifé leurs fers.
Si Sijyphe eftoit de/chargé,
Ou fi Tantale auoit mangé
Ce qu'en vain pourfuit fon defir,
Ils n^auroyent point tant de plaifir
Qfi'a maintenant Monfieur Eugène,
Ha voilay voila, bonne Hélène,
La fraternité Je rejfemble.
Si faut-il que Pajfemble enfemble
Guillaume & fon Anglois Matthieu,
Pour les accorder en ce lieu,
Guillaume & vous, Sire, vene^,
Vous efies vous point demene\
D^auoir efié tousfeuls autant ?
Matthieu.
Nenny,
Eugène.
Vous voule!( du content,
le Ventens bien.
Matthieu.
Oeft la raifon»
Eugène.
Aue^'vous en voftre maifon
Grand nombre de fils ?
84 L^EVGENE, COMEDIE.
Matthieu.
Trois.
Eugène.
le prife
Ce nombre qui eftfainâ : VEglife
En aura elle quelqu^vn (Veux?
Matthieu.
len feray de VEglife deux :
Car ie veux tendre aux bénéfices,
Eugène.
Toutes chofes me font propices.
Or ça, fi Vauois d^auenture
Quelque belle petite cure
Valant fix vingts Hures de rente?
Matthieu.
Dites le mot, mettes^ en vente,
le mettray deffus mon denier.
\
Guillaume.
Comment, Monfieur, il efi banquier,
Jl en fait tous les iours traffique.
Eugène.
// en entend mieux la pratique.
Que me voule:( vous donner or^?
Matthieu.
Deux beaux petits cent efcus d^or.
Sus lef quels ie me payeray.
ACTE V, SCENE III. 85
Eugène.
Alle^ les quérir, ie feray
Tandis au foupper donner ordre.
Mon ami Guillaume il faut mordre.
Et mon argent eftoit failli.
Or ça, tu eftois ajfailli
Ce iour de tous coftei^Jans moy^
Je Vay mis hors de tout efmoy :
Tes meubles rendus te feront,
Tes créditeurs fe payeront,
Ta femme fera paix auffi
A Florimond.
Guillaume.
Hé, grand merci,
Monfieur, iefuis du tout à vous.
Eugène.
Il faut maintenant qu'entre nous
Tout mon penfer ie te décelé :
Paime ta femme, & auec elle
le me couche le plus fouuent.
Or ie veux que d^orefnauant
Py puijfe fans fouci coucher.
Guillaume.
le ne vous y veux empefcher,
Monfieur, ie ne fuis point ialoux,
\ Et principalement de vous :
le meure fi fy nuy en rien,
Eugène.
Va, va, tu es homme de bien.
86 l'eVGENE, COMEDIE.
SCENE IIII.
FLORIMOND, ARNAVLT.
Florimond.
O Dieux ^ quel aftre en ma naijfance
Me receut deffousfa puijfance !
Mais aftre le plus gracieux
QuHlfoit (o Dieux) en tous vos deux!
De quel lieu prendray-ie la voix
Pour louer mon heur cefte fois !
N^ay-ie peur que mon cœurfe noyé
En V abondance de ma ioye ?
Rien plus au monde ne me fault.
Mais las ! voici mon bon Arnault :
O Dieux, quelle chère il fera,
O Dieux, comment il vous louera.
Arnault, ho ! Arnault,
Arnault.
*
Qj/i eft Vhomme ?
Florimond.
Arnault viença, vien voir lafommë
De tous mes malheurs mife au bas.
Arnault.
Monfieur ie ne vous voyois pas,
Qui a-il de nouueau ?
Florimond.
Tout bien.
ACTE V, SCENE IIII. 87
Tu pétilleras de Vkeur mien
Quand tu lefçauras vne fois,
Arnault.
le pétille ia.
Florimond.
De ma voix
n ne pourrait eftre exprimé,
Arnault.
Mais tafche^ y.
Florimond.
le fuis aimé,
Arnault.
De qui?
Florimond.
D'Helene ma maiftreffe.
Arnault.
O Idalienne Deejfe,
Sainâement ie Vadoreray.
Florimond.
Auec elle iefouperay :
Nous coucherons tous deux enfemble.
Arnault.
De crainte & de ioye ie tremble :
De ioye, pour ce bonheur ci :
De crainte , qu'il nefoit ainjt.
88 L*EVGENE, COMEDIE.
Florimond.
Si eft : VAbbé m'a fait ce tour.
Ârnault.
Jamais n*ait vn feul mauuais iour.
Le difcord peft bien tqft tourné
A Vamour ifenhaut deftiné,
Florimond.
Aa que nefuis-ie mort! difoye.
Hé que n'ay-ie ferui deproye
A d*Anuilliers ou à luoy,
Corhme deux feruiteurs du Roy,
D'Eftauge &fon frère d'Anglufe!
Plus en tels mots ie ne m'abufe :
Ains fans fin viure ie voudrois
(O Amour) deffous tes fainâs droits.
Mais quoy? défia la nuiâ p approche,
Lefouperfe met hors de broche :
Allons, ne faifons point attendre.
SCENE V.
ALIX, MESSIRE lEAN, FLORIMOND, ARNAVLT,
EVGENE, HELENE,
GVILLAVME, MATTHIEV.
Alix.
. Tout ce que me faites entendre
Meffire lean, eft -il certain ?
Meffire lean.
Rien n'efi plus feur.
O Dieu hautain.
Tu m'at bien toft mieux fitrtunee,
Q}ie ie ne me difois mal nce !
Mata puis jue cho/e tant heureu/e
Suruient à moy peu vertueufe,
A iamaia ma foy ie tiendray.
A nul autre ne me rendray,
Sinon qu'à l'Abbé voftre maîftre.
Meflîre Ican.
Vous Jere^ bien, S fi>y de preftre
Vers vous quafi fer fil fe rend,
Son propre vouloir enferrant
Prifonnier pour le voftre future :
Mais manlte^ d'vn pied plus deliure.
Florimond.
Voila FAbbé S mon Hélène
Deuant la porte, mais à peine
' Ay-ie peu mon Hélène voir
Sans m'abfenter de mon pouuoir.
Saluons les, banfoir, Mon/ieur.
Florimond.
Et vous mon heur.
y \
90 L EVGENE, COMEDIE.
■ L
Si fort ie me fens embrafer.
Que ie voudrais que ce baifer
Me deuft durer iufqu^à demain,
Eugène.
Ca, mafœur, baille^ moy la mairiy
Et vous, Monfieur, auecques elle,
Jurans vne amour éternelle
A qui le temps ne fera rien,
Florimond.
A a Monjieur ie le veux trop bien.
Hélène.
Le voila donc tout arrefté.
Eugène.
le voy venir de ce cojlé
- Nojlre Alix,
Guillaume.
O qu^elle efl ioyeufe,
Hélène.
Elle rit de fa paix heureufe
Auec meffire Jean.
Eugène.
Voici
Matthieu qui vient de cefluy-ci
Hélène.
Hafle:{-le5.
ACTK V, SCENI-: V. Ql
Eugène.
Veneif, ho, vene:ç.
Que lâchement vous pourmenes^ !
Alix.
Dieu vous doint le bon foir à tous.
Meffire lean.
Bon foir, Mefjieurs.
Matthieu.
Bon foir,
Eugène.
A vous.
Voici vne gentille bande,
I
Alix.
Monfieur^ quelle faueur trop grande
Vous nCaue:^ fait en ce pardon.
m
Florimond.
Merdes^ Monfieur de ce don.
Et luy voûe^ pour déformais
Vnfidelle amour à iamais.
Guillaume.
Monfieur pour elle grand merci ^
M^amie faites bien ainfi,
Kugene.
SiîS entrons, on couure la table^
9»
',-
LEVGENE, COMEDIE.
Suiuons ce plaijir fouhaitable
De vCeJlre iamais foucieux :
Tellement mefme que les Dieux
A Venui de ce bien volage.
Doublent au Ciel leur fainû breuuage.
Adieu, & applaudijfe^.
FIN DE LA COMEDIE D'eVGENE.
CLEOPATRE
CAPTIVE
TRAGEDIE
D'EST lENNE lODELLE,
parisien''.
PERSONNAGES DE LA TRAGEDIE
DE CLEOPATRE.
L*Ombre d'Antoine.
Cleopatre.
Eras.
Charmium.
06lauian Cefar.
Agrippe.
Proculee.
Le chœur des femmes Alexandrin es.
Seleuque.
CLEOPATRE
CAPTIVE
PROLOGVE.
Puis que la terre (ô Roy des Roû la crainte)
Q)ii ne re/ufe ejire à tesloix efirainte.
De la grandeur de tonfainâ nom f'eftonne" ,
Qji'elle a graué dans fa double colonne.'
Puis que ta mer qui te fait/on Neptune,
Bruit en/es flots ton heureufe fortune,
Et que le Ciel riant à ta vîâoire
Se voit mirer au par/ait de ta gloire :
Pourroyent vers toy tes Mufes telles eflre,
lie n'adorer S leur père S leur maiftre?
Pourroyent les tiens nous celer tes louanges,
Qfi'on oit tonner par les peuples efiranges9
Nul nefçauroil tettement enuers toy
Se rendre ingrat, qu'il ne chante fon Roy,
Les bons efprils que ton père Jvrma,
■ Qfi les neuf Soeurs en France ranima.
90 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Du père & fils fe pourraient ils bien taire,
Quand à tous deux telle chofe a peu plaire?
Lors que le temps nous aura prefenté
Ce qui fera digne d^eftre chanté
D'vnfi grand Prince, ains d'vn Dieu dont la place
Se voit au Ciel ia monftrerfon efpace.
Et fi ce temps qui toute chofe enfante,
Nous eufi offert ta gloire triomphante.
Pour affe^ toft de nous eftre chantée,
Et maintenant à tes yeux pref entée.
Tu n^orî'ois point de nos bouches finon
Du grand lÎEfiRY le triomphe & le nom.
Mais pour autant que ta gloire entendue
En peu de temps ne peut eftre rendue :
Que dis-ie en peu 9 mais en cent mille années
Ne feroyent pas tes louanges bornées.
Nous Rapportons (d bien petit hommage)
Ce bien peu d^oeuure ouuré de ton langage^
Mais tel pourtant que ce langage tien
Nauoit iamais dérobbéi:e grand bien
Des autheurs vieux : Oeft vne Tragédie,^
Qui d^vne voix & plaintiue & hardie
Te reprefente vn Romain Marc Antoine,
Et Cleopatre Egyptienne Roine :
Laquelle après qu^ Antoine fon ami
Eftant défia vaincu par V ennemi.
Se fuft tué, iafefentant captiue,
Et qu'ion vouloit la porter toute viue
En vn triomphe auecques fes deux femmes,
S'occit. Ici les defirs& les flammes
Des deux amans : d^Oâauian auffi
L^orgueil, Vaudace & le iournel Jfouci
De fon trophée emprains tu fonderas,
Et plus qu'à luy le tien égaleras :
Veu quHl faudra que fes fucceffeurs mefmes
Cèdent pour toy aux volonte![fuprémes,
Qui ia le monde à ta couronne vouent.
Et le commis de tous les Dieux fauoûent.
ACTE I. 97
Reçoy donc (Sire)^ d^vn vifage humain
Prens ce deuoir de ceux qui fous ta main.
Tant les efprits que les corps entretiennent,
Et deuant toy agenouiller fe viennent :
En attendant que mieux nous te chantions,
Et qu*à tes yeux fain&ement pref entions
Ce que ta chante à toy le fils des Dieux,
La terre toute^ & la mer, & les deux.
ACTE I.
L'OMBRE D'ANTOINE.
Dans le val ténébreux, où les nuiâs éternelles
Font étemelle peine aux ombres criminelles.
Cédant à mon deftin ie fuis volé n^aguere,
la ia fait compagnon de la troupe légère,
Mcy{dy4e) Marc Antoine horreur de la grand' Romme,
Mais en ma triftefin cent fois miferable homme.
Car vn ardent amour, bourreau de mes mouélles,
Me deuorant fans fin fous fes fiâmes cruelles,
Auoit efté commis par quelque defiinee
Des Dieux ialoux de moy, afin que terminée
Fuft en peine & malheur ma pitoyable vie,
D^keur, de ioye & de biens parauant ajfouuie.
O moy deflors chetif, que mon œil trop folaftre
S*égara dans les yeux de cefie Cleopatrel
Depuis cefeul moment iefenti bien ma playe
Defcendre par Vœil traiftre en Vame encore gaye.
Ne fongeant point alors quelle poifon extrême
Pauois ce iour receu au plus creux de moymefme :
Mais helasi en mon dam, las! en mon dam & perte
lodtlU, — I. 7
gS CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Cefte playe cachée en fin fut découuerte,
Me rendant odieux, foulant ma renommée
D^auoir enragément ma Cleopatre aimée :
Et forcené après comme fi cent furies
Exerçans dedans moy toutes bourrelleries ,
Embrouillans mon cerueau, empefirans mes entrailles,
M^euffent fait le gibier des mordantes tenailles :
Dedans moy condamné, faifans fans fin renaifire
Mes tourmens iournaliers, ainfi qu^on voit repaiftre
Sur le Caucafe froid la poitrine empietee.
Et fans fin renaiffante àfon vieil Promethee.
Car combien qu'elle fujï Royne & race royale,
Comme tout aueuglé fous cefte ardeur fatale
le luy fis les prefens qui chacun eftonnerent,
Et qui ia contre moy ma Romme eguillonnerent :
Mefme le fier Cefar ne taf chant qu*à deffaire
Celuy qui à Cefar Compagnon ne peult plaire,
S^embrafant pour vn crime indigne d^vn Antoine,
Qui tramoit le malheur encouru pour ma Roine ,
Et qui encor au val des durables ténèbres
Me va renouuellant mille plaintes funèbres,
Efchauffant les feiyens desfœurs echeuelees,
Qui ont au plus chetif mes peines égalées :
Oeft que ia ia charmé, enfeueli des fiâmes,
Ma femme Oâauienne honneur des autres Dames,
Et mes mollets enfans ie vins chaffer arrière,
Nourriffant en monfein maferpente meurdriere.
Qui m^entortillonnant, trompant Vame rauie,
Verfa dans ma poitrine vn venin de ma vie,
Me transformant ainfi fous f es poifons infufes,
Qu'on feroit du regard de cent mille Medufes.
Or pour punir ce crime horriblement infâme,
D^auoir banni les miens, & reietté ma femme,
Les Dieux ont à mon chef la vengeance auancee.
Et deffus moy Vhorreur de leurs bras élancée :
Dont la fainâe équité^ bien qu^elle foit tardiue.
Ayant les pieds de laine, elle n'eft point oifiue,
Ains deffus les humains d^ heure en heure regarde.
ACTE I. 99
Et d'vne main deferfon trait enflammé darde.
Car toft après Cefar iure contre ma tefte^
Et mon piteux exil de ce monde nCapprefte.
Me voila ia croyant ma Roine, ains ma ruine.
Me voila bataillant eu la plaine marine.
Lors que plus fort P^oisfur lafolide terre :
Me voila ia fuyant oublieux de la guerre,
Pourfuiure Cleopatre, en faifant Vheur des armes
Céder à ce malheur des amoureux alarmes.
Me voila dans fa ville où Pyurongne & putace.
Me paiffant de plaiflrs, pendant que Cefar trace
Son chemin deuers nous, pendant quUl a V armée
Qftefus terre Pauois, d*vne gueule affamée,
Ainfi que le Lyon vagabond à la quefte.
Me voulant deuorer, & pendant quHl apprefte
Son camp deuant la ville, où bien toft il refufe
De me faire vit parti, tant que malheureux i'vfe
Du malheureux remède, & pouffant mon efpee
Au trauers des boyaux en mon fang Vay trempée,
Me donnant guarifonpar Voutrageufe playe,
Maisauant que mourir, auant que du tout Vaye
Sangloté mes efprits, las las ! queljrdur homme
Euft peu voir fans pleurer vn tel honneur de Romme,
Vn tel dominateur, vn Empereur Antoine,
Q^e ia frappé à mort fa mif érable Roine
De deux femmes aidée angoiffeufement palle
Tiroit par la feneflre en fa chambre royale !
Cefar mefme iCeuft peu regarder Cleopatre
Couper fur moy fon poily fe defchirer & battre,
Et moi la confoler auecques ma parole,
Mapauure ame foufflant qui toutfoudainfen vole,
Pour auxfombres enfers endurer plus de rage
Que celuy qui afoifau milieu du breuuage.
Ou que celuy qui roué vne peine étemelle.
Ou que les pâlies Sœurs, dont la dextre cruelle
Egorgea les maris : Ou que celuy qui vire
Sa pierre fans porter fon faix où il afpire.
Encore en mon tourment toutfeul ie ne puis eflre ;
lOO CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Auant que ce Soleil qui vient ores de naijlre,
Ayant tracé fon iour che^ fa tante Je plonge,
Cleopatre mourra : ie me fuis ore enfonge
Af es yeux prefenté, luy commandant défaire
L'honneur à monfepulchre, & après fe deffaire,
Plujlojl qu^eflre dans Romme en triomphe portée,
Layant par le dejir de la mort confortée,
L*appellant auec moy qui ia ia la demande
Pour venir endurer en noflre palle bande :
Or"* fe faifant compagne en ma peine & trijleffe.
Qui pejï faite long temps compagne en ma lieffe.
CLEOPATRE, ERAS, CHARMIVM.
Cleopatre.
Q}ie gaigne^-vous helasl en la parole vaine?
Eras.
Que gaigne^^-vous helas ! de vous ejïre inhumaine ?
Cleopatre.
Mais pourquoy perde:{'V0us vos peines ocieufes?
Charmium.
Mais pourquoy perde^^-vous tant de larmes piteufes ?
Cleopatre.
Q}î*efl-ce qui aduiendroit plus horrible à la veuél
Eras.
Qu^ejt'ce qui pourroit voir vne tant defpourueué ?
ACTE I. lOI
Cleopatre.
Permette^ mesfanglots me/me auxfiers Dieux fe prendre .
Cliarmium.
Permette^ à nous deux de confiante vous rendre,
Cleopatre.
n ne faut que ma mort pour bannir ma complainte.
Eras.
n ne faut point mourir auantfa vie efteinte.
Cleopatre.
Antoine ta m'appeUe^ Antoine il mefautfuiure.
Charmium.
Antoine ne veut pas que vous viuie:{ fans viure.
Cleopatre.
O vifton eftranget 6 pitoyable fonge !
Eras.
O pitoyable Roine, ô quel tourment te ronge?
Cleopatre.
0 Dieux à quel malheur m^aue^^-vous alléchée?
Charmium.
0 Dieux ne fera point voftre plainte eftanchee ?
I04 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Charmium. • -
Tenes[ la refne
Au dueil empoifonnant.
Cleopatre.
A grand Ciel^ que Vendure !
Encore Vauoir veu cefte nuiâ en figure !
Hé!
Eras.
Hé, rien que la mort ne ferme au dueil la porte,
Cleopatre.
Hé hé Antoine efioit.,.
Charmium.
Mais comment?
Cleopatre,
En la forte,,.
Eras.
En quelle forte donc?
Cleopatre.
Comme alors que fa playe,,,
Charmium.
Mais leue^Ç'VOus vn peu y que gefner on effaye
Ce qui gefnela voix.
Eras.
O plaifir, que tu meines
Vn horrible troupeau de deplaifirs & peines !
ACTE I. I05
Cleopatre.
Comme alors quefaplaye auoit ce corps traâable**
Enfanglanté par tout,
Charmium.
Ofonge efpouuentahle !
Mais que demandoit il?
Cleopatre.
Qjûàfa tumbe te face
L'honneur qui luy efi deu,
Charmium.
Quoy encor ?
Cleopatre.
Que ie trace
Par ma mortvn chemin pour rencontrer fon ombre.
Me racontant encor..,
Charmium.
La baffe porte /ombre
EJt à Palier ouuerte, & au retour fermée,
Cleopatre.
Vne étemelle nuiâ doit de ceux ejire aimée ^
Q3ii foujffrent en ce iour vne peine éternelle,
Ofte:{-vous le defir de p efforcer à celle
Qiii libre veut mourir pour ne viure captiue ?
Eras.
Sera donc celle là de la Parque craintiue,
Qfii au deffaut de mort verra mourir fa gloire ?
r
o6 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Cleopatre.
Non non, mourons mourons, arrachons la viâoirCy
Encore que foyons par Cefar furmontees.
Eras.
Pourrions nous bien eftre en triomphe portées?
Cleopatre.
Que plus toft cefte terre au fond de fes entrailles
ÀTengloutiffe à prefent, que toutes les tenailles
De ces bourrelles Sœurs horreur de Vonde baffe,
M^ arrachent les boyaux, que la tefte on me caffe
D^vn foudre inujîté, qu^ainfi ie me confeille,
Et que la peur de mort entre dans mon oreille !
CHŒVR DES FEMMES ALEXANDRINES.
Qjdand V Aurore vermeille
Se voit au lia laiffer
Son Titon qui fommeille,
Et Vami careffer :
On voit à Vheure mefme
Ce pays coloré.
Sous le flambeau fupréme
Du Dieu au Char doré ;
Et femble que la face
De ce Dieu variant.
De cejle ville face
L^ honneur de V Orient ,
Et quHl fe mire en elle
Plus tojl qu'en autre part,
La prifant comme celle
Dont plus d^honneur départ '
ACTE !• 107
De pompes & délices
Attrayans doucement
Sous leurs gayes blandices,
Vhumain entendement.
Car veit on iamais ville
En plaiftrj en honneur^
En banquets plus fertile,
Si durable eftoit Vheur ?
Mais ainfi que la force
Du celefte flambeau.
Tirer à foyp efforce
Le plus léger de Veau :
Ainft que Paimant tire
Son acier, & les fons
De la marine Lyre
Attiroyent lespoiffons:
Tout ainfi nos délices,
La mignardife & Vheur,
Allechemens des vices,
Tirent noftre malheur,
Pourquoy, fatale Troye
Honneur des fiecles vieux,
Fus tu donnée en proye
Sous le deftin des Dieux?
Pourquoy n'eus tu, Medee,
Ton la/on ? & pourquoy,
Ariadne, guidée
Fus tu fous telle foy ?
Des délices le vice
A ce vous conduifoit :
Puis après fa malice
Soymefme deftruifoit.
Tant n^eftoit variable
Vn Prothee en fon temps.
Et tant n^eft point muable
La courfe de nos vents :
Tant de fois ne fe change
Thetis, & tant de fois
I08 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
LHnconJïant ne fe range
Sous f es diuerfes loix.
Que nqftre heur, en peu d'heure
En malheur retourné.
Sans que rien nous demeure^
Proye au vent eft donné.
La rofe iournaliere,
X^and du diuin flambeau
Nous darde la lumière
Le rauiffeur taureau,
Fait naiftre en fa naijfance
Son premier dernier iour :
Du bien la iouiffance
Eft ainfi fans feiour.
Le fruiâ vangeur du père y
S^eft bien efuertué
De tuer fa vipère.
Pour eftre après tué.
loye, qui dueil enfante.
Se meurdrift, puis la mort
Par la ioye plaifante
Fait au dueil mefme tort.
Le bien qui eft durable
Oeft vn monftre du Ciel,
Qjtandfon vueil fauorable
Change le fiel en miel.
Si lafainûe ordonnance •
Des immuables Dieux,
Forclufe d*inconftance
Seule incogneuë à eux.
En ce bas hemifphere
Veutfon homme garder.
Lors le fort improfpere
Ne le peut retarder.
Que maugré fa menace
Ne vienne tenir rang,
Maugré le fer qui braffe
La poudre auec le fang.
ACT'E I. 109
On doit feurement dire
L'homme qu\on doit prifer,
Qjtand le Ciel vient Veflire
Pour lefauorifer,
Ne deuoir iamais craindre
L'Océan furieux ^
Lors que mieux femhle atteindre
Le marche-pied des Dieux :
Plongé dans la marine
H doit vaincre en la fin,
Etpattend à Vefpine
De V attendant Daulphin,
La guerre impitoyable
Moiffonnant les humains,
Craint Vheur efpouuentable
Defes celeftes mains.
Tous les arts de Medee,
Le venin, la poifon.
Les heftes dont gardée
Fut la riche toi/on :
Ny par le bois eftrange
Le Lyon outrageux,
Qjti fous fa patte range
Tous les plus courageux :
Ny la loy qu^on reuere,
Non tant comme on la craint,
Ny le bourreau feuere,
Qjii Vhomme blefme eftraint :
Ny les feux quifaccagent
Le haut pin moleftans.
Sa fortune n'outragent,
Rendans les dieux conflans.
Mais ainfi qu'autre chofe
Contraint fous fon effort.
Tient fous fa force enclofe
La force de la mort :
Et maugri cefte bande
Toufiours en bas filant.
I02 CLEOPATREy TRAGEDIE.
Cleopstre.
Mais (d Dieux) à qmel bien,Ji ce iamr te demie f
Eras.
Mais ne plaigne^ donc point Sfidueiç vojtre enmie.
Cleopatre.
Ha pourrois-ie donc bien moy la plus nudkeurewfey
Que puijfe regarder la voûte radieufe^
Pourrois-ie bien tenir la bride à mes complahUeSy
Quand fans fin mon malheur redouble fes attaintes?
Qjiand ie remafche en moy que iefuis la meurdriere
Par mes trompeurs apafts, d'vn qui fous fa main fert
Faifoit crouler la terre? Ha Dieux pourrois-ie traire "
Hors de mon cœur le tort qu^ alors ie luy peu ffoùre^
Qu'il me donna Syrie, S' Cyprès, & Phenice,
La ludee embafmee, Arabie & Cilice,
Encourant par cela defon peuple la haine ?
Ha pourrois-ie oublier ma gloire & pompe vaine.
Qui Papafioit ainfi au mal^ qui nous talonne.
Et malheureufement les mallteureux guerdonne.
Que la troupe des eaux en Papaft efi trompée ?
Ha V orgueil,' & les ris, la perle dejtrempee,
La délicate vie effeminant fes forces,
Efioyent de nos malheurs lesfubtiles amorces!
Quoy ? pourrois-ie oublier que par roide fecouffe
Pour moy feule ilfouffrit des Parthes la repouffe^
Qu'il eufl bien fubiugue:{ & rendus à fa Romme,
Si les fongears amours n'occupoient tout vn homme.
Et pu n^eufl eu defir d'abandonner fa guerre
Pour reuenir foudain hyuemer en wîa terre?
Ou pourrois-ie oublier que pour ma plus grand* gloire.
Il traina en triomphe & loyer de vidoire^
Dedans Alexandrie vn puijfant Artauade
Roy des Arméniens, veu que telle brauade
ACTE II. I n
Cefte terre honnorable,
Ce pays fortuné,
Helasl voit peu durable
Son heur importuné.
Telle eft la deftinee
Des immuables deux.
Telle nous eft donnée
La defaueur des Dieux,
ACTE II.
OCTAVIEN, AGRIPPE, PROCVLEE.
Oflauien.
En la rondeur du Ciel enuironnee
A nul, ie croy, telle faueur donnée
Des Dieux fauteurs ne peult eftre qu*à moy :
Car outre encor que iefuis maiftre & Roy
De tant de biens, qu'il femble qu^en la terre
Le Ciel qui tout fous f on empire enferre,
M^ait tout exprés de fa voûte tranfmis
Pour eftre ici f on gênerai commis :
Outre Vefpoir de Varriere mémoire
Qui aux neueux rechantera ma gloire,
D*auoir d'Antoine^ Antoine, dis-ie, horreur
De tout ce monde, accablé la fureur :
Outre Vhonneur que ma Romme m'apprefte
Pour le guerdon de Vheureufe conquefte,
n femble ia que le Ciel vienne tendre
Ses bras-courbes^ pour enfoy me reprendre,
Et que la boule entre f es ronds enclofe.
Pour vn Cefar ne fait que peu de chofe :
Or* ie defire, or* ie defire mieux,
C'eft de me ioindre au fainâ nombre des Dieux
112 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Jamais la terre en tout aduantureufe^
N'a fa perfonne entièrement heureufe :
Mais le malheur par Vheur eft acquitté,
Et Vheur fe paye en Vinfelicité,
Agrippe.
Mais de quel lieu ces maux**?
Qétauien.
Qui euft peu croire
Qu'après Vhonneur d^vne telle vidoire.
Le dueilf le pleur, le fouci, la complainte,
Mefme à Cefar euft donné telle atteinte ?
Mais ie me voy fouuent en lieu fecret
Pour Marc Antoine eftre en plainte & regret.
Qui aux honneurs receus en noftre terre.
Et compagnon m^auoit efté en guerre,
Mon allié, mon beau frère, mon fang.
Et qui tenoit ici le mefme rang
Auec Cefar : Nonobftant par rancune
De la muable & traiftreffe fortune.
On veit fon corps en fa playe mouillé
Auoir ce lieu piteufement fouillé .
Ha cher ami f
Proculee.
V orgueil & la brauade
Ont fait Antoine ainft qu^vn Ancelade,
Q^ife voulant encore prendre aux Dieux,
D^vn trait horrible & non lancé des deux,
Mais de ta main à la vengence adextre.
Sentit combien peut d^vn grand Dieu la dextre.
Q}te plaignez-vous fi V orgueil iuftement
A V orgueilleux donne fon payement?
ACTE II. Il3
Agrippe.
L'orgueil eft tel, qui d*vn malheur guerdonne
La malheureufe S/uperbe perfonne,
Mefines ainfi que d*vn onde le branle,
Lors que le Nord dedans la mer Vébranle,
Ne ceffe point de courir & gliffer,
Vtreuolter, rouler, & fe dreffer,
Tantqu^à la fin dépiteux il arriue,
Bruyant fa mort, à Vecumeufe riue :
Ainfi ceux la que Vorgueil trompe ici.
Ne ceffent point de fe dreffer ainfi.
Courir, tourner, tant quHls foyent agite:{
Contre les bords de leurs félicite:^.
Oeftoit affe:{ que Vorgueil pour Antoine
Précipiter auecfa pauure Roine,
Si les amours lafi:ifs & les délices
N^euffent aidé à rouér leurs fuppHces :
Tant qu'ion nefçait comment ces dereigîe:^
D*vn noir bandeau fe fi)nt tant aueugle:^
QfiHls n^ont fceu voir & cent & cent augures ^
Prognofiiqueurs des miferes futures.
Ne veit on pas Pifaure Vancienne
Prognofiiquer la perte Antonienne,
Qfii de foldats Antoniens armée
Fufi engloutie & dans terre abyfmee?
Ne veit on pas dedans Albe vne image
Suer long temps? Ne veit on pas V orage
Q)ii de Patras la ville enuironnoit,
Alors qu^ Antoine en Patras feiournoit,
Et que le feu qui par Vair p éclata
Heraclion en pièces efcarta?
Ne veit on pas, alors que dans Athènes
En vn théâtre on luy monfiroit les peines,
Ou pour néant les ferpen-piés fe mirent,
Q^dnt aux rochers les lâchers ils ioignirent,
Du Dieu Bacchus Vimage en bas poujfee
loielU. — I. 8
« 'w
114 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Des vents, qui Vont comni* à Venui caffee,
Veu que Bacchus vn conduâeur eftoit.
Pour qui Antoine vn mejme nom portoit ?
Ne veit on pas cPvne flame fatale
Rompre Vimage & cPEumene & d^Atale,
A Marc Antoine en ce lieu dédiées?
Puis maintes voix fatalement criées.
Tant de gejiers, & tant d'autre merueilles.
Tant de corbeaux, & feneftres corneilles.
Tant defommets rompus & mis en poudre.
Que monftroyent ils que ta future foudre.
Qui ce rocher deuoit ainji combattre?
Qu*admonneJioit la nef de Cleopaire,
Et qui d^ Antoine auoit le nom par elle.
Ou V hirondelle exila V hirondelle :'
Et toutesfois en fillant leur lumière
N'y voyoyent point ce qutfuiuoit derrière?
Vante toy donc les ayans pourchajfe:^,
]omme vengeur des grands Dieux offenfe\ :
Efiouy toy en leurfang & te baigne, '
De leurs enfans fais rougir la campagne,
Racle leur nom, efface leur mémoire :
Pourfuy pourfuy iuf qu'au bout ta viâoire.
Oâauien.
Ne veuX'ie donc ma viâoire pourfuiure,
Et mon trophée au monde faire viure ?
Plujlojt^ pluftoft lefleuue impétueux
Nefe rengorge au grand fein fluâueux,
Oejt le fouci qui auecq la complainte
Q}te ie faifois de Vautre vie ejleinte.
Me ronge aufji : mais plus grand te/moignage
De mes honneurs pobjlinans contre Vaage,
Ne peft point veu, Jtnon que cefte Dame
Qui confomma Marc Antoine en fa flame.
Fut dans ma ville en triomphe menée.
ACTE II. I l5
Proculee.
Mais pourroit-elU à Romme efire traînée,
Veu qu'elle iC a fans fin autre defir.
Que par fa mort fa liberté choifir?
Sçaue:[-vous pas lors que nous échellafmes,^
Et que par rufe en fa court nous allafmes,
Qs/te toutfoudain qu^en la court on me veit.
En pécriant vne des femmes dit :
O pauure Roinel es tu doncprife viue?
Vis tu encorpour trefpaffer captiue ?
Et qu^elle ainfi fous telle voix rauie
Vouloit trencher le filet de fa vie,
Du cimeterre à fon cofié pendu,
Sifaififfant ie n*euffe deffendu
Son eftomach ia défia menaffé
Du bras meurdrier à Vencontre hauffé ?
SçaHe:{-vous pas ^e depuis ce iour mefme
Elle eft tombée en maladie extrême,
Et qu'acné a feint de ne pouuoir manger,
Pour par la faim à lafinfe renger ?
Penfe^Ç'Vous pas qu^outre telle fineffe
Elle ne trouue à la mort quelque addrejfe?
Agrippe.
n vaudroit mieux deffus elle veiller,
SondCTf courir, efpier, trauailler,
Q^e du berger la veué gardienne
Ne f'arreftoit fus fon Inachienne,
Que nous nuira fi nous la confortons.
Si doucement fa fbibleffe portons?
Par tels moyens fenuoler a Venuie
De faire change à fa mort de fa vie :
Ainfi fa vie heureufement traitée
îie pourra voir fa quenouille arreftee :
Ainfi ainfi iufqu'à Romme elle ira,
Il6 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
M ■ -■■■ ■■ ■■■■ l^t ■■■■- ■ — ^^^Ml ■■ IIM^» ■! »■■»
-4/w/î a/n/i ton fouci finira.
Et quand aux plains, veux tu plaindre celuy
Q}ii de tout temps te hraffa tout ennuy,
Q}ii n^eftoit né fans ta dextre diuine,
Que pour la tienne & la noftre ruine ?
Te fouuient il que pour dreffer ta guerre
Tu fus hay de toute noftre terre ,
Q}ti fe piquoit mutinant contre toy,
Et refufoit fe courber fous ta loy^
Lors que tu prins pour guerroyer Antoine
Des hommes francs le quart du patrimoine,
Des feruiteurs la huiâiefme partie
De leur vaillant : tant que ia diuertie
Prefquepeftoit V Italie troublée ?
Mais quelle eftoit fa peine redoublée,
Dont il tafchoit embrafer les Rommains,
Pour ce Lepide exilé par tes mains?
Te fouuient-il de cefte horrible armée
QjÂe contre nous il auoit animée ?
Tant de Rois donc qui voulurent le fuiure»
Y venoyent ils pour nous y faire viure ?
Penfoyent'ils bien nous foudroyer exprés,
Pour déplorer noftre ruine après?
Le Roy Bocchus, le Roy Cilicien,
Archelaus Roy Capadocien,
Et Philadelphe, & Adalle de Thrace,
Et Mithridate vfoyent ils de menace
Moindre fus nous, que de porter en ioye
Noftre defpoùille & leur guerrière proye.
Pour à leurs Dieux ioyeufement les pendre.
Et maint & maint facrifice leur rendre?
Voila les pleurs que doit vn aduerfaire
Apres la mort de fon ennemy faire,
')
Oélauien.
O gent Agrippe, ou pour te nommer mieux,
Fidelle Achate, eftoit donc de mes yeux
ACTE II. I 17
Digne le pleur? Celuy donc p efféminé
Qfti ta du tout V efféminé ruine ?
Non non les plains céderont aux rigueurs,
Baignons enfang les armes & les cœurs ,
Et fouhaitons à Vennemi cent vies,
Qfti luy feroient plus durement rauies :
Qfiant à la Roine, appai/er la faudra
Si doucement que fa main fe tiendra
De fbrbannir Vame feditieufe
Outre les eaux de la riue oublieufe.
Je vois defor en cela m^efforcer,
Etfon defir de la mort effacer :
S^uent V effort eft forcé par la rufe.
Pendant, Agrippe^ aux affaires Vamufe.
Et tqy loyal meffager Proculee,
Sonde par tout ce que la famé aiflee
Fait facouffer dedans Alexandrie
Qiûelle circuit, & tantojt bruit & crie,
Tantofl plus bas marmotefon murmure,
PPefiant iamais loing de telle auenture.
Proculee.
Si bien par tout mon deuoir fe fera,
Que mon Cefar de moy fe vantera,
O! pu me faut ores vn peu dreffer
Vefprit plus haut & feul en moy penfer :
Cent & cent fois miferable eft celuy
Q}ii en ce monde a mis aucun appuy :
Et tant fen faut qu'il nefafche de viure
A ceux qu^on voit par fortune pourfuiure,
Que moy qui fuis du fort affe\ contant
le fuis fafché de me voir viure tant.
Oii es tu. Mort, fi la profperité
N^ eft fous les deux qu*vne infelicité**?
Voyons les grands, & ceux qui de leur tefte
Semblent défia deffier la tempefte :
Q}iel heur ont ils pour vne frefle gloire?
Il8 CLEOPATRË, TRAGEDIE.
Mille ferpens rongears en leur mémoire^
Mille foucis mefle:{ d'effritement^
Sans fin defir, iamais comentement :
Dés que le Ciel f on foudre pirouette.
Il femble ia que fur eux il fe iette :
Dés lors que Mars près de leur terre tonne.
Il femble ia leur rauir la couronne :
Dés que la pèfte en leur règne tracaffe,
n femble ia que leur chef on menaffe :
Bref, à la mort ils ne peuuent penfer
Sans foufpirer^ blefmir, &poffenfer.
Voyant quHl faut par mort quitter leur gloire,
Et bienfouuent enterrer la mémoire,
Ou celuy-la qui folitairement,
En peu de biens cherche contentement,
Ne pallit pas fi la fatale Parque
Le fait penfer à la dernière barque :
Ne pallit paSy non fi le Ciel & Vonde
Se rebrouilloyent au vieil Chaos du monde.
Telle eft telle eft la médiocrité
Oti gift le but de la félicité :
Mais qui méfait en ce dif cours me plaire y
Qjiand il conuient exploiter mon affaire?
Trop toft trop toft fe fera mon meffage.
Et toufiours tard vn homme fe fait f âge.
LE CHŒVR.
Strophe.
De la terre humble & baffe,
Efclaue de fes deux.
Le peu puiffant efpace
N'a rien plus vicieux
Que Vorgueil, qu'on voit eftre
Hay du Ciel f on maiftre.
ACTE II. I 19
Antiftrophe.
Orgueil qui met en poudre
Le rocher trop hautain :
Orgueil pour qui le foudre
Arma des Dieux la main y
Et qui vient pour falaire
Luymefmefe défaire.
Strophe.
A qui ne font cogneués
Les races du Soleil
Q}ti ajffrontqyent aux nues
Vn fuperbe appareil^
Et montagnes portées
Vvnefus Vautre entées?
Antiftrophe.
La tombante tempefïe
Aduerfaire à Vorgueily
Efcarhouilla leur tefle.
Qui trouua fon recueil
Apres la mort amere
Au ventre de fa mère.
Strophe.
Q)ti ne cognoifi le fage
Qjii trop Ttudacieux,
Pilla du feu Vvfage
Au chariot des deux,
Cherchant par arrogance
Sa propre repentance ?
Antiftrophe.
Qfi'ow le voife voir ore
112 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Jamais la terre en tout aduantureufe^
N*afa perfonne entièrement heureufe :
Mais le malheur par Vheur eft acquitté.
Et Vheur fe paye en Vinfelicité.
Agrippe.
Mais de quel lieu ces maux**?
Qétauien.
Qui euft peu croire
Qji* après V honneur d^vne telle viâoire,
Le dueilj le pleur , lefouciy la complainte,
Mefme à Cefar euft donné telle atteinte ?
Mais ie me voy fouuent en lieu fecret
Pour Marc Antoine eftre en plainte & regret.
Qui aux honneurs receus en noftre terre,
Et compagnon m^auoit efté en guerre,
Mon allié, mon beaufrere, monfang.
Et qui tenoit ici le mefme rang
Auec Cefar : Nonobftant par rancune
De la muable & traiftreffe fortune.
On veit fon corps en fa playe mouillé
Auoir ce lieu piteufement fouillé .
Ha cher ami f
Proculee.
L^ orgueil S- la brauade
Ont fait Antoine ainft qu^vn Ancelade,
Quife voulant encore prendre aux Dieux,
D^vn trait horrible & non lancé des deux.
Mais de ta main à la vengence adextre.
Sentit combien peut d^vn grand Dieu la dextre.
Q}te plaigne:(-vous fi V orgueil iuftement
A Vorgueilleux donne fon payement?
\
1
/
ACTE II. 121
Qjiifon char vajroiffant,
Deffousfes flèches blondes
Pre/que ahyjmer les ondes»
Strophe.
A Von pas veu d*vn arbre
Le couppeau cheuelu,
Ou la mai/on de marbre
Q}tifemble auoir voulu
Déprifer trop hautaine
L'autre maïfon prochaine 9
Antiftrophe.
Qu*on voye vn feu celefte
Ceftefime arrachant^
Et par mine molefte
Le palais trefbuchant^
La plante au chef punie.
L'autre au pied démunie»
Strophe.
Mais Dieux (d Dieux) qu'il vienne
Voir la plainte & le dueil
De cefle Roine mienne,
Rabaijfantfon orgueil :
Roine^ qui pour/on vice
Reçoit plus grand fupplice.
Ântiftrophe.
// verra la Deeffe
A genoux fe ietter :
Et Vefclaue Maiftreffe
Las, /on mal regretter!
Sa voix à demi morte
Requiert qu'on lafupporte.
/
122 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Strophe.
Elle qui orgueilleufe
Le nom (Vlfis portait^
Qyi de blancheur pompeufe
Richement fe veftoitf
Comme Ifis Vancienne,
Deejfe Egyptienne,
Ântiflrophe.
Ore prefque en chemife
Qu'elle va déchirant y
Pleurant aux pieds f'eft mife
De fon Cefary tirant
De Veftomach débile
Sa requefte inutile.
Strophe.
Qjiel cœur, quelle penfee.
Quelle rigueur pourrait
N'eftre point offenfeey
Qjtarîd ainjt Ion verrait
Le retour mif érable
De la chance muable?
Antiflrophe.
Cefar en quelle forte,
La voyant fans vertu,
La voyant demi-morte,
Maintenant foujliens-tu
Les affauts que te donne
La pitié qui fejlonne?
Strophe.
Tu vois qu^vne grand* Raine,
ACTE II. 123
Celte là qui guidait
Ton compagnon Antoine,
Et par tout commandoit,
Heureufe Je vient dire,
Si tu voulais Vaccire.
Ântiftrophe.
Las, kelasl Cleopatre,
Las, helas ! quel malheur
Vient tesplaifirs abbattre,
Les changeant en douleur?
Las las, helas t (d Dame)
Peux tu Souffrir ton ame?
Strophe.
Pourquoy pourquoy, fortune,
O fortune aux yeux clos,
Es tu tant importune?
Pourquoy n*a point repos
Du temps le vol eftrange,
Qjiifes faits brouille & change?
Ântiftrophe.
Qui en volant facage
Les chajleaux Sourcilleux,
Q}ti les princes outrage.
Qui les plus orgueilleux,
Rouant fa faulx fuperbe,
Fauche ainfi. comme V herbe?
Strophe.
A nul il ne pardonne.
Il fe fait & deffait,
Luy me/mes ilfeflonne.
124 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
// Je flatte en fon fait y
Puis il blafmefa peine,
Et contre elle forcené.
Ântiilrophe.
Vertu feule à Vencontre
Fait Vacier reboucher :
Outre telle rencontre
Le temps peult tout faucher :
Vorgueil qui nous amorce
Donne à fa f aulx fa force.
ACTE III.
OCTAVIEN, CLEOPATRE, LE CHŒVR,
SELEVQVE.
06biuien.
Voule:{-vous donc votre fait excufer?
Mais dequoy fert à ces motsfamufer?
N^efl-il pas clair que vous tachie:{ de faire
Par tous moyens Cefar voftre aduerfaire,
Et que vous feule attirant voftre ami.
Me Vaue:{fait capital ennemi,
Braffant fans fin vne horrible tempefte
Dont vous penfie:{ écerueler ma tefte?
Qu'en dites vous?
Cleo pâtre.
O quels pileux alarmes!
Las, que dirois-ie ! hé, ia pour moy mes larmes
Parlent ajfe:{, qui non pas la iuftice,
Mais de pitié cherchent le bénéfice.
ACTE III. 123
Pourtant, Cefar, pil eft à moy pofjtble
De tirer hors d'vne ame tant paffible
Cefte voix rauque à mes fou/pirs méfiée y
EJcoute èncor Vefclaue defolee,
Las! qui ne met tant dCeJpoir aux paroles
Qu^en ta pitié, dont ia tu me confoles.
Songe, Cefar^ combien peult la puijfance
jyvn traiftre amour, me/me en fa iouyffance :
Et penfe encor que mon foible courage
T^euft pas foujfertfans Vamoureufe rage.
Entre vous deux ces batailles tonantes,
Deffusmon chef à la fin retournantes.
Mais mon amour me forçoit de permettre
Ces fiers débats, & toute aide promettre,
Veu quHl falloit rompre paix, & combattre,
Oufeparer Antoine ou Cleopatre,
Séparer, las ! ce mot me fait faillir.
Ce mot me fait par la Parque ajfaillir.
Aa aa Cefar, aa,
0£lauien.
Si ie n^efiois ore
AJfei( bening, vous pourrie^ feindre encore
Plus de douleurs, pour plus bening me rendre :
Mais quoy, ne veux-ie à mon merci vous prendre ?
Cleopatre.
Feindre helas ! 6,
06biuien.
Ou tellement fe plaindre
N^eft que mourir, ou bien ce n^eft que feindre.
LE CHŒVR.
La douleur
Qu^vn malheur
120 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Nous raffemble,
Tel ennuy
A celuy
Pas nefemble.
Qui exempt
Ne lafent:
Mais la plainte
Mieux bondit^
Q}tand on dit
Que c'eft feinte,
Cleopatre.
Si la douleur en ce coeur prifonniere
Ne furmontoit cefte plainte dernière^
Tu n^aurois pas ta pauure efclaue ainji :
Mais ie ne peux égaler au fouci,
Qjii pétillant nCécorche le dedans,
Mes pleurs f mes plaints, & mes foufpirs ardens,
T^efbahis tu fi ce mot feparer,
A fait ainfi mes forces retirer?
Séparer (Dieux !) feparer ie Vay veu,
Et fi n'ay point à ces débats pourueu !
Mieux il te fufi (o captiue rauie)
Te feparer mefme durant fa vie!
Peujfe la guerre & fa mort empefchee,
Et à mon heur quelque atteinte lafchee,
Veu que Veuffe eu le moyen & Vefpace
D^efperer voir fecrettement fa face :
Mais mais cent fois, cent cent fois malheur eufe^
Vay ia fouffert cefte guerre odieufe :
Pay i'ay perdu par cefte eftrange guerre,
Pay perdu tout & mes biens & ma terre :
Et fi ay veu ma vie & mon fupport,
Mon heur, mon tout, fe donner à la mort,
Que tout fanglant ia tout froid & tout blefme,
le réchauffais des larmes de moymefme.
Me feparant de moymefme à demi
ACTE III, 127
Voyant par mortfeparer mon ami.
Ha Dieux j grands Dieux! Ha grands Dieux!
06lauîen.
Qji'eft'Ce ci?
QMoy? la confiance eftre hors defouci?
Cleopatre.
Confiante fuis, feparer ie mefens,
Maisfeparer on ne me peult long temps :
La palle mort m^en fera la raifon,
Bien tofi Pluton m^ouurira fa maifon :
Où mefme encor Véguillon qui me touche
Feroit reioindre & ma bouche & fa bouche :
S'on me tuoit, le dueil qui creueroit
Parmi le coup plus de bien me feroit.
Que ie h*aurois de mal à voir fortir
Mon fang pourpré & mon ame partir.
Mais vous m'ofte^ Voccafion de mort,
Et pour mourir me deffaut mon effort,
Qfti pallentit d'heure en heure dans moy.
Tant quHl faudra viure maugré Vefmoy :
Viure il me faut, ne crains que ie me tue :
Pour me tuer trop peu ie m^efuertue.
Mais puis quHlfaut que t'allonge ma vie,
Et que de viure en moy reuient Venuie,
Au moins, Cefar, voy la pauure foiblette,
Qjii à tes pieds, & de rechef fe iette :
Au moins, Cefar, des gouttes de mes yeux
Amolli toy,pour me pardonner mieux:
Decefie humeur la pierre on caue bien.
Et fus ton cœur ne pourront elles rien?
Ne Vont donc peu les lettres efmouuoir
Qji^à tes deux yeux Vauois tantoft fait voir,
Lettres ie dy de ton père receues.
Certain tefmoin de nos amours conceués ?
N^ay-'ie donc peu deftourner ton courage,
128 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Te defcouurant & maint & maint image
De ce tien père à celle-là Iqyaly
Qjii de fon fils receura tout fon mal ?
Celuy fouuent trop toft borne fa gloire
Qui iufqu'au bout Je vange en fa viâoire.
Prens donc pitié, tes glaiues triomphans
D^ Antoine & moy pardonnent aux enfans.
Pourrois-tu voir les horreurs maternelles ^
S^on meurdriffoit ceux qui ces deux mammelles,
Qu*ores tu vois maigres & déchirées,
Et quiferoient de cent coups empirees,
Ont allaiâé? Orrois tu mefmement
Des deux cofte:{ le dur gemiffement ?
Non non, Cefar, contente toy du père,
Laiffe durer les enfans & la mère
En ce malheur, oii les Dieux nous ont mis.
Mais fufmes nous iamais tes ennemis
Tant acharne:ç que n'euffions pardonné.
Si le trophée à nousfe fujl donné?
Quant ejl de moy, en mes fautes commifes
Antoine eftoit chef de mes entreprifes,
Las, qui venoit à tel malheur mHnduire,
Euffé-ie peu mon Antoine efconduire?
O&SiUÏen,
Tel bien fouuent fon fait penfe amender
Qu'on voit d\n gouffre en vn gouffre guider :
Vous excufant, bien que voftre aduantage
Vous y mettie:{, vous nuife:{ d^auantage.
En me rendant par Vexcufe irrité,
Qjii ne fuis point qu^ami de vérité.
Et fi conuient qu*en ce lieu ie m'amufe
A repouffer cefte inutile excufe ;
Pourrie!(^vous bien de ce vous garentir.
Qui fit ma fosur hors d^ Athènes fortir.
Lors que craignant qu^ Antoine fon efpoux
Plus fe donnaft à fa femme qu^à vous,
ACTE III. 129
Vous le paijfit:^ de rufe & de flneffes^
De mille & mille & dix mille careffes ?
Tantoft au lia exprés emmaigrijfie\,
Tantoft par feinte exprés vous palliffie!(,
Tantoft voftre œil voftre face baignoit
Dés qu^vn ied itarc de luy vous efloignoit^
Entretenant la feinte & forcelage,
Ou par couftume, ou par quelque breuuage :
Mefme attiltrant vos amis & flatteurs
Pour du venin d^ Antoine eftre fauteurs^
Qui Vabufoyent fous les plaintes friuoles,
Faifant céder fon projet aux paroles.
Qftqy? difoient-ils, eftes vous V homicide
D^n pauure efprit, qui vous prend pour fa guide ?
Faut-il qu^en vous la Nobleffe foffenfe.
Dont la rigueur à celle la ne penfe,
Qfii fait de vous le but de fespenfees ?
0 qu'ils font mal enuers vous addreffees !
Oâauienne a le nom de Vefpoufe,
Et cefte ci, dont laflame ialoufe
Empefche affe3[ la vifte renommée,
Sera Vamie en fon pays nommée :
Cefte diuine, à qui rendent hommage
Tant de pays ioints à fon héritage.
Tant peurent donc vos mines & addreffes,
Et de ceux la les plaintes flatter effes,
Qjt'Oûauienne & fa femme & ma fœur.
Fut dechaffee, & dechajfa voftre heur.
Vous taife^-vous, aue:ç-vous plus defir
Pour m^appaifer d'autre excufe choiftr ?
Qjte dirie^'vous du tort fait aux Rommains,
Qjti fenfuy oient fecrettement des mains
De voftre Antoine, alors que voftre rage
Leur redoubloit Voutrage fus Voutrage ?
Que diriez vous de ce beau teftament
Qjû Antoine auoit remis fecrettement
Dedans les mains despucelles Veftales?
Ces maux eftoyent les conduites fatales
lodeUt. — 1. c)
l3o CLEOPATRB, TRAGEDIE.
•
.A
De vos malheurs : & ores peu rufee
Vous voudrie:ç bien encore eftre excufee.
Contentez-vous^ Cleopatre, & penfe:{
Que c'eft ajfe\ de pardon, & affe\
ly entretenir le fufeau de vos vies,
Qui ne feront à vos enfans rauies,
Cleopatre.
Ore, Cefar, chetiue ie m^accufe.
En m^excufant de ma première excufe,
Recognoijfant que ta feule pitié
Peut donner bride à ton inimitié :
Qjie ia pour moy tellement fe commande.
Que tu ne veux de moy faire vne offrande
Aux Dieux ombreux, ny des enfans auffi
Qjie Vai tourné en ces entrailles ci.
De ce peu donc de mon pouuoir reflé
le rens ie rends grâce à ta maiefté :
Et pour donner à Cefar tefmoignage^
Q}ie ie fuis fienne & le fuis décourage,
le veux, Cefar, te déceler tout Vor,
Vargent, les biens, que ie tiens en threfor.
LE CHŒVR.
Qfiand laferuitude
Le col enchefnant
Deffous le ioug rude
Va V homme gefnant :
Sans que Ion menaffe
D'vn fourcil plié.
Sans qu'effort on face
Au pauure lié,
Affe!Ç il confeffe,
Affe\fe contraint,
Affe\ ilfe preffe
ACTE IIU l3l
Par la crainte eftraint.
Telle ejk la nature
Des ferfi déconfits.
Tant de mal n^endure
De lapet le fils.
Oâauien.
Vample threfor, Vancienne richejfe
Qjtevous nomme^, tefmoigne la hautejfe
De vojtre race : & n^eftoit le bon heur
D^efire du tout en la terre feigneur^
le me plaindrais quHl faudra quefoudain
Ces biens royaux changent ainfi de main,
Seleuque.
Comment, Cefar, fi Vhumble petiteffe
Ofe addrefferfa voix à ta hautejfe.
Comment peux tu ce threfor eftimer
Qsie ma Princejfe a voulu te nommer?
Cuides tu bien, fi accufer ie Vofe,
Qfiefon threfor tienne fi peu de chofe?
La moindre Roine à ta loy fiechiffante
Eft en threfor autant riche & puiffante,
Qfti autant peu ma Cleopatre égale,
Qfte par les champs vne café rurale
Au fier chafteau ne peult cftre égalée.
Ou bien la motte à la roche gelée.
Celle fous qui tout VEgypte fiechit.
Et qui du Nil Veau fertile franchit,
A qui le Juif, & le Phénicien,
VArabien, & le Cilicien,
Auant ton foudre ore tombé fur nous,
Souloyent courber les hommagers genoux :
Qui aux threfors d^ Antoine commandait f
Qlti tout ce monde en pompes excédait,
Ne pourrait elle auair que ce threfor ?
iSz CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Croy, Cefar^ croy qu'elle a de tout/on or,
Et autres biens tout le meilleur caché.
Cleopatre.
A faux meurdrier ! a faux traiflre^ arraché
Sera le poil de ta tejte cruelle,
Qjte pleuft aux Dieux que ce fuji ta ceruéllel
Tien traijire, tien,
SelAque.
O Dieux!
Cleopatre.
O chofe deteftable**!
Vn ferf vn ferf!
Oâauien.
Mais chofe efmerueillable
D*vncœur terrible!
Cleopatre.
Et quoy^ nCaccufes tu ?
Mepenfois tu veufue de ma vertu
Comme d'Antoine? aa traijire!
Seleuque.
Retiens^ la,
Puijfant Cefar, retiens la doncq.
Cleopatre.
Voila
Tous mes biensfaits. Hou! le dueil qui m^ efforce,
Donne à mon cœur langoureux telle force.
Que ie pourrois, ce me femble, froiffer
Du poing tes os, & tes flancs creuaffer
A coups de pied.
ACTE III. l33
Oâauien.
O quel grinfant courage!
Mais rien rCeJt plus furieux ^e la rage
jyvn cœur de femme. Et bien, quoy, Cleopatre?
EJies vous point ia faoule de le battre !
Fuy fenj ami, fuy Ven.
Cleopatre.
Mais quoy, mais quoy ?
Mon Empereur, eft-ïl vn tel efmoy
Au monde encor que ce paillard me donne?
Sa lâcheté ton efprit mefme eftonne.
Comme ie croy, quand moy Roine dHci,
De mon vajfalfuis accufee ainjî,
Q^e toy, Cefar, as daigné vijîter, .
Et par ta voix à repos inciter.
Hé fi, Pauois retenu des loyaux.
Et quelque part de mes habits royaux,
Vaurois-ie fait pour moy , las, malheureufe!
Moy, qui de moy ne fuis plus curieufe?
.Mais telle eftoit cefte efperance mienne.
Qu'à ta Liuie & ton Çâauienne
De ces ioyaux le prefent ie feroy.
Et leurs *• pitiei^ ainfi pourchafferoy.
Pour (n'eftant point de mes prefens ingrates)
Enuers Cefar eftre mes aduocates,
Oâauien.
Ne craigne^ point, ie veux que ce threfor
Demeure voftre : encourage^ -vous or\
Viue:ç ainfi en la captiuité
Comm^ au plus haut de la profperité.
Adieu : fonge3[ qu^on ne peut receuoir
Des maux, finon quand on penfe en auoir.
le nCen retourne.
l34 CLEOPATRE, TRAGEDIE,
'N
Cleopatre.
^ Ainfi vousfoit ami
Tout le Deftin^ comnC il nCeft ennemi.
Le Chœur.
Où coure3['Vous, Seleuque^ oit coures[-vous ?
Seleuque.
le cours, fuyant Venuenimé courroux.
Le Chœur.
Mais quel courroux? hé Dieu, fi nous enfommes!
Seleuque. "
Je nefuypas ny Cefar nyfes hommes.
Le Chœur.
Qji'y a fil donc que peut plus la fortune?
Seleuque.
H rCy a rien,finon Voffenfe d*vne.
Le Chœur.
- Auroit on bien nojire Roine blejfee?
Seleuque.
Non non, mais Vay nojire Roine offenfee.
Le Chœur.
Quel malheur donc a caufé ton offenfe ?
N_
ACTE III. l35
Seleuque.
Qjtefert ma faute, ou bien mon innocence?
Le Chœur.
Mais dy le nous, dy, il. ne nuira rien*^.
Seleuque.
Dit, il n'apporte à la ville aucun bien.
Le Chœur.
Mais tant y a que tu as gaigné Vhuis.
Seleuque.
Mais tant y a que ia puni Ven fuis.
Le Chœur.
Eftant puni en es tu du tout quitte?
Seleuque.
Eftant puni plus fort ie me dépite,
Et ia dans- moy iefens vne furie,
Me menaffant que telle fafcherie
Poindra fans fin mon ame furieufe,
Lors que la Roine & trifie & courageufe
Deuant Cefar aux cheueux nCa tiré.
Et de fon poing mon vif âge empiré :
Scelle nCeufi fait mort en terre gefir.
Elle eufk preueu à monprefent dejtr,
Veu que la mort n^eufl point efïé tant dure
Q|fe V étemelle & mordante pointure,
Qffi ia défia iufques au fond me bleffe
l^auoir bleffé ma Roine & ma maiftreffe.
l36 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
LE CHŒVR.
O quel heur à la perfonne
Le Ciel gouuemeur ordonne,
Qjii conten te de fon fort.
Par conuoitife ne fort
Hors de Vheureufe franchife,
Et n*a fa gorge fubmife
Au ioug & trop dur lien
De ce pourchas terrien,
Mais bien les antres fauuages,
Les beaux tapis des herbages,
Les reiettans arbriffeaux.
Les murmures des ruiffeaux.
Et la gorge babillarde
De Philomele iafarde.
Et Vattente du Printemps
Sont fes biens & paffetemps.
Sans que Vame haut volante.
De plus grand dejir bruflante
Suiue les pompeux arrois :
Et puis offenfantfes Rois,
Ait pour maigre recoynpenfe
. Le feu, le glaiue, ou potance.
Ou pluftojî mille remors,
Confere:ç à mille morts.
Si Vinconjtante fortune
Au matin ejf opportune,
Elle efi importune aufoir.
Le temps ne fe peut raffoir,
A la fortune il accorde.
Portant à celuy la corde
Qull auoit parauant mis
Au rang des meilleurs amis.
Quoy que foit, foit mort ou peine
Que le Soleil nous rameine
En nous ramenant fon iour :
ACTE III. \3y
Soit qu'élu face feiour.
Ou bien que par la mort griefue
Elle fe face plus briefue :
Celuy qui ard de defir
S*£ji toufioursfentifaifir.
Arius de cejte ville,
Qjie cefte ardeur inutile
IPauoit iamais retenu :
Ce Philofophe chenu ^
Qjti déprifoit toute pompe.
Dont cefte ville fe trompe^
Durant nqftre grand* douleur
A receu le bien & Vheur :
Cefar faifant fon entrée,
A la fageffe monftree
L'heur & la félicité,
La rai/on, la vérité,
Qfi'auoitenfoy ce bon maiftre.
Le faifant mefme à fa dextre
Cqftoyer, pour e/b'e à nous
Comme vn miracle entre tous.
Seleuque, qui de la Roine
Receuoit le patrimoine
En partie, & qui dreffoit
Le gouuemement^ reçoit.
Et outre cefte fortune
Qjti nous eft à tous commune.
Plus griefue infelicité
Qjte noftre captiuité.
Mais or' ce dernier courage
De ma Roine eft vn prefage,
S*il faut changer de propos,
Qjie la meurdriere Atropos
Ne fouffrira pas qu*on porte
A Romme ma Roine forte.
Qui veut de fes propres mains
S'arracher des fiers Rommains",
Celle la dont la confiance
l38 CLEOP.ATREj TRAGEDIE.
A pris foudain la vengeance
Du ferfy & dont la fureur
N^a point craint f on Empereur :
Croyei que pluftoft Vefpee
En Son fang fera trempée.
Que pour vn peu moins fouffrir
A fon defhonneurf offrir,
Seleuque.
Ofainâ propos, ô vérité certaine !
Pareille aux de3[ efï noftre chance humaine.
ACTE IIII.
CLEOPATRE, CHARMIVM, ERAS, LE CHŒVR.
Cieopatre.
Penferoit doncq Cefar efïre du tout vainqueur?
Penferoit doncq Cefar abaftardir ce cœur,
Veu que des tiges vieux cefte vigueur Pherite,
De ne pouuoir céder qu*à la Parque dépite ?
La Parque & non Cefar aura fus moy le pris,
La Parque & non Cefar foulage mes efprits,
La Parque & non Cefar triomphera de moy,
La Parque & non Cefar finira mon efmoy :
Et fi Vay ce iourdhuy vfé de quelque feinte,
Afin que ma portée en fon fang ne fufl teinte,
Quoy? Cefar penfoit-il que ce que dit Vauois
Peuft bien aller enfemble & de cœur & de voix?
Cefar, Cefar, Cefar, il te feroit facile
De fubiuguer ce cœur aux liens indocile :
Mais la pitié que Vay du fang de mes enfans,
Rendoyent fus mon vouloir mes propos triomphans.
ACTE IIII. l39
Non la pitié que Vay fipar moy miferable
Eft rompu le filet à moy ia trop durable.
Courage donc, courage (d compagnes fatales)
ladis férues à moy, mais en la mort égales.
Vous aue:( recogneu Cleqpatre princeffe,
Or* ne recognoiffes^ que la Parque maiftreffe.
Charmium.
Encore que les maux par ma Roine endure^.
Encore que les deux contre nous coniure^.
Encore que la terre enuers nous courroucée,
Encore que Fortune enuers nous infenfee.
Encore que d'Antoine vne mort miferable,
Encore que la pompe à Cefar defirable,
Encore que Varreft que nousfifmes enfemble
(^Hl faut quWn mefme iour aux enfers nous ajfemble,
Eguillonnaft affe\ mon efprit courageux
Ueftre dontrefoy mefme vn vainqueur outrageux,
Ce remède de mort, contrepoifon de dueil,
S*eft tantofl prefenté d^auantage à mon œil :
Car ce bon Dolabelle, ami de nofïre affaire.
Combien que pour Cefar il f oit nofïre aduerfaire^
T'a fait fçauoir (d Roine) après que V Empereur
Eft parti d*auec toy, & après ta fureur
Tant equitablement à Seleuque monflree,
Qjie dans trois iourspreflx cefie douce contrée
Il nous faudra laiffer, pour à Romme menées
Donner vn beau fpeâacle à leurs efféminées,
Eras.
Ha mort, 6 douce mort, mort feule guarifon
Des efprits oppreffe^ d*vne eft range prif on,
Pourquoy fouffres tu tant à tes droits faire tort ?
Tauons nous fait offenfe, 6 douce & douce mort ?
Pourquoy n'approches tu, 6 Parque trop tardiùe?
Pourquoy veux tufouffrir cefte bande captiue,
140 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Qui fCaura pas pluftoft le don de liberté,
Qjie ceft efprit nefoit par ton dard écarté?
Hafte doncq hafte toy^ vanter tu te pourras
Que tnefme fus Cefar vne defpouille auras :
Ne permets point alors que Phebus qui nous luit
En deuallant ** fera cheiç^fon oncle conduit,
Qjte ta fœur pitoyable, helas ! à nous cruelle.
Tire encore le fil dont elle nous bourrelle :
Ne permets que des peurs lapalliffante bande
Empefche ce iourdhuy de te faire vne offrande.
Voccafion ejî feure, & nul à ce courage
Ce iour nuire nepeult, qu'on ne te face hommage,
Cefar cuide pour vray que ia nous foyons preftes
D^aller, & de donner tefmoignage des queftes.
Clçopatre.
Mourons donc, chères foeurs, ayons pluftofi ce cceui
De feruir à Pluton qu'à Cefar mon vainqueur :
Mais auant que mourir faire il nous conuiendra
Les obfeques d'Antoine, & puis mourir faudra,
le Vay tantofi mandé à Cefar, qui veult bien
Qjie Monfeigneur Vhonore, helas! & Vami mien.
Abbaiffe toy donc ciel, & auant que ie meure
Viens voir le dernier dueil quHl faut faire à cefte heure
Peut eftre tu feras marry de m^efire tel.
Te fafchant de mon dueil eftrangement mortel.
Allons donc chères foeurs : de pleurs, de cris, de larmes,
Venons nous affaiblir, afin qu'en f es alarmes
Noftre voifine mort nous foit ores moins dure,
Qjiand aurons demi fait aux efprits ouuerture.
Le Chœur.
Mais oii va, dites moy, dites moy damoyfelles.
Où va maRoine ainfi? quelles plaintes mortelles y
Q}ielfoucy meurdriffant ont terni fon beau teint?
Ne Vauoit pas affe\ la feiche flebure atteint?
ACTE IIII. 141
Charmium.
Trifte ellefen va voir des fepulchres le clos,
Où la mort a caché de fon ami les os.
Le Choeur.
Qs/tefeioumons nous donc? fuiuons noftre maiftrejfe,
Eras. -
Suiure vous ne pouue^^ fans fuiure la dejtrejfe.
LE CHŒVR.
La grefle pétillante
Deffus les toits^
Et qui me/me efi nuifante
Au verd des bois.
Contre les vins forcené
En fa fureur,
Et trompe aufft la peine
Du laboureur :
N^eftant alors contente
De fon effort,
Ne met toute V attente
Des fruits à mort.
Quand la douleur nous iette
Ce qui nouspoind,
Pour vn feul fa fagette
Ne bleffe point.
Si noftre Roine pleure.
Lequel de nous
Ne pleure point à. P heure ?
Pas vn de tous.
Mille traits nous affolent.
Et feulement
142 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
De Venuieux confolent
^entendement.
Faifons céder aux larmes
La trifte voix,
Etfouffrons les alarmes
Tels que ces trois,
la la Roine fe couche
Près du tombeau,
Elle ouure ia fa bouche :
Sus donc tout beau,
Cleopatre.
Antoine, ô cher Antoine, Antoine ma moitié.
Si Antoine n^euft eu des deux Vinimitié,
Antoine, Antoine, helasi dont le malheur me priue,
Entens la foible voix d^vne foible captiue,
Qui de fes propres mains auoit la cendre mife
Au clos de ce tombeau n^eftant encore prife :
Mais qui prife & captiue àfon malheur guidée,
Suiette & prifonniere en fa ville gardée,
Ore tefacrifie, & non fans quelque crainte
Défaire trop durer en ce lieu ma complainte,
Veu qu*on a V œil fus moy, de peur que la douleur
Ne face par la mort la fin de mon malheur :
Et à fin que mon corps de fa douleur priué
Soit au Rommain triomphe en la fin referué :
Triomphe, dy-ie, las! qu'on veult orner de moy.
Triomphe, dy-ie, las ! que Ion fera de toy.
Il ne faut plus defor de moy que tu attendes
Quelques autres honneurs, quelques autres offrandes :
Vhonneur que ie te fais, V honneur dernier fera
Qu*àfon Antoine mort Cleopatre fera.
Et bien que toy viuant la force & violence
Ne nous ait point forcé d'écarter V alliance,
Et de nousfeparer : toutesfois ie crains fort
Que nous nous feparions Vvn de Vautre à la mort.
Et qu'Antoine Rommain en Egypte demeure.
ACTE IIII. 143
Et mqy Egyptienne dedans Romme ie meure.
Mais fi lespuiffans Dieux ont pouuoir en ce lieu
Oit maintenant tu es, fais fais que quelque Dieu
Ne permette iamais qu*en m^entrainant d'ici
On triomphe de tqy en ma perfonne ainfi :
Ains que ce tien cercueil, 6 fpeâacle piteux
De deux pauures amans, nous racouple tous deux,
Cercueil qu^encore vn iour V Egypte honorera.
Et peut ëftre à nous deux Vepitaphe fera :
Icyfont deux amans qui heureux en leur vie,
D'heur, d*honneur, de lieffe, ont leur ame affouuie :
Mais en fin tel malheur on les vit encourir,
Qjte le bon heur des deux fut de bien toft mourir.
Reçoy reçoymoy donc auant que Cefar parte,
Qjie plujiofi mon efprit que mon honneur f écarte :
Car entre tout le mal, peine, douleur, encombre,
Soufpirs, regrets, foucis, que t*ayfouffert fans nombre,
Peftime lé plus grief ce bien petit de temps
QJie de toy, o Antoine^ efloigner ie me fens.
Le Chœur.
Voila pleurant elle entre en ce clos des tombeaux.
Rien ne voyent de tel les toumoy ans flambeaux .
Eras.
Eft'il fi ferme efprit, qui prefque nefenuole
Au piteux ef coûter défi trifte parole?
Charmium.
O cendre bien heureufe eftanthors de la terre!
Vhomme h* efi point heureux tant qu^un cercueil Venferre,
Le Chœur.
Àaroit donc bien quelqu^vn de viure telle enuie,
Qti ne voulufi ici mefprifer cefte vie?
144 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Cleopatre.
Allons donc chères fœurs, & prenons doucement
De nos triftes malheurs Vheureux allégement.
LE CHŒVR.
Strophe.
Plus grande eft la peine
Qjie Voutrageux fort
Aux amis ameine,
Qjie de Vomi mort
IPeft la ioye grande.
Alors qu*en la bande
Des efprits heure^,
Efprits ajfeure!(
Contre toute dextre,
Q}iittefe voit eftre
Des maux endure^.
Ântiftrophe.
Chacune Charité
Au tour de Cypris,
Quant la dent dépite
Du fanglier épris
Occii en la chajfe
De Myi-rhe la race,
Ne pleur oit fi fort y
Qu^on a fait la mort
D^ Antoine, que Vire
Tranfmit au nauire
De V oublieux port,
Epode.
Les cris, les plains
. ACTE IIII. 145
Des Phrygiennes
Eftans aux mains
Mycéniennes,
N*eJtoyent pas tels,
Qjie les mortels
Qjtepour Antoine
Fait nojtre Roine.
Strophe.
Mais ore Pay crainte,
QuHl faudra pleurer
Nojtre Roine efteinte,
Qjii ne peut durer
Au mal de ce monde ^
Mal qui fe féconde j
Toufiours enfantant
Nouueau malfortant :
On la voit deliure
Du defir de viure,
Mille morts portant,
Antiftrophe.
Tantqft gaye & verte
La fàrejt eftoit^
La terre couuerte
Sa Cerés portait ;
Flore auoit la pree
De fleurs diaprée,
Qjiand pour tout ceci
Toutfoudain voici
Cela qui les pille,
L*hyuer, la faucille,
Etlafaulx aujfi,
Epode.
la la douleur
lodelle. — I. lu
146 CLEOPATRE, TRAGEDIE.
Rompt la lieffe,
La ioye & Vheur
A ma Princeffej
Refte le teint
Qjti rCeft efteint :
Mais la mort blefme
L^oftera me/me.
Strophe.
Elle vient de faire
L^ honneur au cercueil :
01 quelle a peu plaire
Et déplaire à Vœil :
Plaire quand les rofes
Ont efté declofes,
Auec le Cyprès ^
Mille fois après
Baifotani la lame,
Quifemble à/on ame
Faire les aprefts,
Antiflrophe.
Verfant la rofee
Du fond de/on cœur,
Par les yeux puifee,
Et puis la liqueur
Que requiert la cendre ;
Et faifant entendre
Quelques mots lache^,
Baffement mache^.
Pour fin de la fefte
Méfiant de fa tefïe
Les poils arrache:^,
Epode.
Elle a defpleu,
ACTE V. 147
Pource quHlfemble
Qjt'elle n'a peu
Qfte viure enfemble
Et que foudain
De nojtre main
Luy faudra faire
Vn mefme affaire.
ACTE V.
PROCVLEE, LE CHŒVR.
Proculee.
O iufte Ciel, fi, ce grief maléfice
Ne faccufoit iuftement d'iniufiice,
Par quel deftin de tes Dieux coniuré.
Ou par quel cours des afires mefuré,
A le malheur pillé telle vidoire,
Qji'en la voyant on ne la pourroit croire ?
O vous les Dieux des bas enfers & /ombres,
Qfif retire^ fatalement les ombres
Hors de nos corps, quelle palle Megere
Eftoit commife en fi rare mifere ?
Oflere Terre à toute heure fouillée
Des corps des tiens, & en leurfang touillée,
As tu iamais fouftenu fous les flancs
Quelque fureur de courages plus grands?
Non, quand tes fils Jupiter e/chellerent.
Et contre luy ferpentins fe meflerejU.
Car eux pour efire exemps du drondes deux.
Voulurent mefme embufcher les grands Dieux,
Defquels en fin fièrement affaillis,
Furent aux creus de leurs monts recueillis.
Mais ces trois ci, dont le caché courage
148 CLEOPATRË, TRAGEDIE.
H'euft point efté mefcreu de telle rage.
Qui rCeftoient point géantes ferpentirtes.
En redoublant leurs rages féminines,
Pour au vouloir de Cefar n^obeir,
Leur propre vie ont bien voulu trahir.
O Jupiter! ô Dieux! quelles rigueurs
Permets tu donc à ces fuperbes cœurs?
Quelles horreurs as tu fait ores naiftre,
Qui des nepueux pourront aux bouches ejire,
Tant que le tour de la machine tienne .
Par contrepois balancé fe maintienne?
Diûes moy donc vous brandons flamboyans.
Brandons du Ciel toutes chofes voyans,
Aue^-vous peu dans ce val tant inftable
Découurir rien de plus efpouuentable ?
Accufe:(-vous maintenant, ô Deftins,
Accufej[-vous, ô flambeaux argentins ;
Et toy, Egypte, à Penui matinée,
Maudi cent fois Viniufte deftinee :
Et toy Cefar, & vous autres Romains
Contrifte^ vous, la Parque de vos mains
A Cleopatre à cefte heure arrachée.
Et maugré vous voftre attente empefchee.
Le Chœur.
O dure, helas ! & trop dure auanture.
Mille fois dure & mille fois trop dure.
H
Proculee.
\
I Ha ie ne puis à ce crime penfer,
^ Si ie ne veux en penfant nCoffenfer :
Et fi mon cœur à ce malheur ne penfe.
En le fermant ie luy fais plus d'offenfe.
Efcoutei donc, Citoyens, efcoute:(,
Et m'efcoutant voftre mal lamente:^.
Veftois venu pour le malfupporter
ACTB V. 149
De Cîeopatre, & la réconforter ^
Qjiand Pay trouué ces gardes qui frappoyent
Contre fa chamjbre, &fa porte rompoyent :
Et qu'en entrant en cefte chambre clofe^
Pay veu (d rare & mif érable chofe!)
Ma Cleqpatre en fon royal habit
Et fa couronne, au long d*vn riche lia
Peint & doré, blefme & morte couchée.
Sans qu'elle Jfuft d*aucun glaiue touchée,
Auecq^ Eras fa femme, à f es pieds morte,
Et Charmium viue, qu'en telle forte
Pay lors blafmeeKXa Charmium, eJl'Ce
Noblement faxSrOuy ouy c^eft de nobleffe
De tant de Rois Egyptiens venue
Vn tefmoignage. Et lors peu fouftenue
En chancelant, & paccrochant en vain,
Tombe à Venuers, reftant vn tronc humain,
^oila des trois la fin efpouuentable.
Voila des trois le deftin lamentable :
L^ amour ne veutfeparer les deux corps,
Q)tUl auoit ioints par longs & longs accords :
Le Ciel ne veut permettre toute chofe,
Que bien fouuent le courageux propofe,
Cefar verra perdant ce qu'il attent,
Qjie nul ne peut au monde eftre contant :
IJ*Egypte aura renfort de fa deftreffe.
Perdant après fon bon heur, fa maifïreffe :
Mefmement moy qui fuis fon ennemi.
En y penfant, ie me pafme à demi.
Ma voix f 'infirme, & mon penfer défaut :
O! quHncertain eft V ordre de là haut !
LE CHŒVR.
Peut on encores entendre
De toy, troupe, quelque voix?
Peux tu cefte feule fois
DIDON
SE SACRIFIANT
TRAGEDIE
D'ESTIENNE lODELLE,
PARISIEN*®.
10*
PERSONNAGES DE LA TRAGEDIE
DE DIDON.
Achate.
Âfcaigne.
Palinure.
Enee.
Le Chœur des Troyens.
Didon.
Le Chœur des Phéniciennes.
Anne.
Barce.
, DIDON
SE SACRl FIANT
ACTE :
ACHATE, ASCAIGNE, PALINVRE.
Achate.
Qfiel iauTfombre, quel trouble, auec ce iour te roulent
Tes àeftins, 6 Carthage? & pourquoy ne fe /ouUent
Le* grands Dieux, quileuT Veité & leurs oreilles fainSes
■Aueiiglenl en nos maux, ejfourdent en nos plaintes?
Pourquoy donques, ialoux, ne fe foullent de faire,
Ce qui fait aux mortels leurpuiffance de/plaire?
Race des Dieux, Afcaigne, S toy qui l'auaniure
Des Troyent lis au ciel, affeuri Palinure,
Encor que noftre Enee au haure nous envoyé
Apprefter au départ les reftea de la Troye ;
Encor que nousfuiuiomfet redoitte:^ oracles.
l56 DIDON» TRAGEDIE.
Sesfonges ambigus, fes monftrueux miracles :
Encor que, comme il dit, du grand Atlas la race,
Mercure, foit venufe planter à fa face,
Afin que hors d^ Afrique en mer il nous remeine.
Pour faire auffi toft fin à nos ans qu^à la peine :
Ne iette}(-vous point Vœil (las ! fe pourroit il faire
Qjie telle pitié peuft à quelquWn ne déplaire?)
Iette3[-vous point donc VœHfur Vantante animée?
Sur Didon, qui d'amour & de dueil renflammee,
(la defia ie la voy forcener, ce me femhle,)
Perdra fon fens, fon heur, & fon Enee enfemble ?
Et dont peut eftre {ha Dieux!) la miferable vie
Auec nos fiers vaijfeaux aux vents fera rauie :
Tant que Viniufte mort retombant fur nos teftes
Armera contre nous les meurtrières tempeftes.
Sa peine fut horrible alors que la nuiâfombre
De fon efpoux Sichee offrit à fes yeux V ombre,
L^ ombre hideufe & palle, & qu'à fes yeux Sichee
Découurant vneplaye, vne playe bouchée
De la poudre & du fang, monftroit à la deferte
De fon frère meurtrier la cruauté couuerte,
D^vnfon grefle enfeignant fa richejfe enterrée :
Dont elle auecq* les fiens par V Afrique altérée
Fuyant de ce cruel Pygmalion la rage^
Marchanda pour baftir fur ce bruyant riuage.
Ce que les fiens pourroyent enuironner de place
De la peau d^vn Taureau, & dont elle menace.
Ayant dreffé Carthage, horreur mefme des guerres^
Les voifins ennemis, & les eftranges terres.
L^autre mal la troubla, lors que larbe le prince
Des noirs Getuliens, luy offroit faprouince.
Et fon fceptre & fa gent, fi par les torches fainûes
Du mariage efioyent leurs deux âmes efireintes.
Sans qu^elle au vieil amour de Sichee obftinee.
Se peuft faire fléchir fous le ioug d^ Hy menée :
Tant que ce Roy luy couue au fons de Vame, pleine
D^vn immortel courroux, vne implacable haine.
Plus eftrange malheur encor la vint furprendre,
ACTE I. 157
Quand le pardon des flots appaife^fit defcendre
Nojtre troupe en Afrique: & que les yeux d'Enee
De cent traits venimeux blefferent V effrénée ,
Lors que/on hofte Amour de fes flammes mordantes,
Peu à peu deuoroitfes entrailles ardentes ,
Braifillant dans/on cœur» comme on voit hors la braife
Les charbons pallumans faillir dans lafoumaife :
Ou comme Vardant corps dont Je fait le tonnerre,
Lors qu^àfon élément ilpeleue de terre
Dans le millieu de Vair, clos d*vne froide nué.
Double de cent efclairs la longue pointe aiguë.
Mais las! quand des Dieux Vire à noftre aife foppofe,
Nous nousfentons trainer de pire en pire chofe.
Didon, qui noftre Enee {arraché de Vhorrible
Majfacre des Grégeois, de la fureur terrible
De lunon aduerfaire, & des hurlans abyfmes)
Deflors mefme qu^vn pié dans Carthage nous mifmes,
Dedans fa court receut^ receuant dans fon ame
Par le regard coupable, & V image, & la flame,
Pourroit elle égaller tout le mal que luy brajfe
Si long temps la Fortune, au dueil qui la menace
En noftre iniufte fuite? Ainfi que Vindifcrette
Qui perdoit fon lafon, ou que celle de Crète
Qui rappelloit en vain fon Thefee au riuage,
Remplira Vœil de pleurs, fon ame d^vne rage.
Et d^vne horreur fa ville.
Afcaigne.
En mémoire me tombe
Ce giiVn iour nous difoit mon père fur la tumbe
D^Anchife mon ayeul: Que Vamour & la haine
Des Dieux vont bigarrant la frefle vie humaine :
Tant qu'à peine vne ioye aux mortels fe rapporte,
Qjii n^ait pour fa compagne vne douleur plus forte :
Mais il confeille auffi qu^aux chofes douloureufes
On paueugle, pour voir & goufter les heureufes.
l58 DIDON, TRAGEDIE.
Palinure.
Il vaut mieux que les Dieux leurs ordonnances gardent,
Que pour fe defmèntir^ aux dangers ils regardent:
Et Ion ne doit fon fiel contre les Dieux efpoindre^
Qjtand on reçoit des Dieux de deux malheurs le moindre.
Quel malheur Ji Didon dans fa poitrine ardente,
Euftpeu d^vn grand Enee enfeuelir V attente?
Tant qu^vne me/me ardeur rauijfant leur mémoire,
Peuft rauir des Troyens & de leur chef la gloire :
Et qu* ici f attachant la fatale campaigne
Que le Tybre entortille^ eufi pour néant d^Afcaigne
Attendu les efforts, voire & V horrible race.
Qui doit forcer fous foy ce que Neptune embraffe?
Vn mal pajfe le mal.
Âfcaigne.
Bien qu^vne douce amorce
Defrobe bienfouuent au ieune cœur fa force, .
Si m^aueuglé-ie au bien que Vauois, & au trouble
D*vne amante infenfee. Il faut que Ion redouble
L^ame pour vaincre vn dueil. Donc cefle Afrique douce
En la laiffant nous charme? Où le dejlin nous pouffe
Suiuon,fuiuon toufiours. Toute troupe efl fuiette
Au trauail : le trauail enduré nous rachette
Vn glorieux repos.
Achate.
La ieuneffe bouillante
Qui contre lefoucife rend toufiours nuifante,
Deffend à ton efprit, Afcaigne, quHl ne ronge
La crainte des dangers, oîi plus âgé iefonge :
La haine fait le dol. lunon par les enuies
Que fans fin irritée acharne fuv nos vies,
(Elle qui du Tonant efl lafœur & Vefpoufe)
Renuerfe les deflins : & de tout heur ialoufe.
ACTE I. iSg
Veut monftrer que celuy tou/aursfon malheur traîne.
Pour qui les cœurs fslons ont enfielé leur haine.
N^auroit elle pas bien pourchaffé par menée
Qjie hors d'ici les Dieux exilaffent Enee ?
Elle qui à fon vueil Deeffe fe transforme,
Auroit elle point pris de Mercure la forme.
Pour nous ofter (fiignant du grand Dieu le meffage)
Vne Troye défia redreffee en Carthage?
Q^iplus eftpar Pharreur de Vhyuer, & la rage
Des cruels Aquilons, &par lefeul naufrage
S'appaifent leur courroux : Jupiter nous commande
De faire defmarer la Phrygienne bande,
Demeurant des Grégeois : car depuis que la Troye
Fût par Varrefi celefie aux Atrides la proye.
Ce pauure nom nous refte, &femble qu^à ceft heure
Le Ciel vueitte que rien de Troye ne demeure.
Car peu qu'yen nulle terre on ne nous fouffre prendre
hefiege & le repos, & qu'ores de la cendre
Des funèbres tombeaux les tremblantes voixfortent,
Q^i toufiours nouueau vol à noftre fuite apportent :
Et qu*ores par les cris de quelque orde Harpye
Nous fommes rechaffe!( : & or* de la Libye
Par le fils deMaia, qui fait changer fur V heure
A la traiftreffe mer noftre feure demeure.
Qfielle belle Italie, ou quel autre héritage
Nous promet-on, finon Veternel nauigage,
Et lefbns de la mer, qui par la deftinee
Veut pour vnDieu marin receuoirfon Enee,
Enee fon neueUy & de luyfeul contente,
Noyer auecques nous nos Dieux & noftre attente?
Palinure.
Jamais aux bas mortels les Immortels ne rendent
Vne affeurance entière : & toufiours ceux qui tendent
A la gloire plus haute, ont leurs âmes eftreintes
Aux foucis^ aux trauaux^ aux fonges, & aux craintes.
Mais en vain celuy-lâfe tourmente Sfouciej
l6o IMDON, TRAGEDIE.
Qfû /oit heur, foit malheur^ deffus les Dieux appuyé
Le ha/art de fes faits : car bkm qu^au ciel ie veijfe
Les aftres ennemis, & que ie me prediffe
De mes voifins dangers Veuenement molefte^
n vaudrait mieux, fuiuant vn mejfage celefte
(jQ}iand mefme il ferait faux) mettre a^uc Dieux ma fiance ^
Qjie fuiure pour guidon mafrefle cognoiffance :
Aimant mieux éh m^ armant d^vne volonté pure
Perdre tout, que d^auoir vouloir de/iùre iniure
Au mandement d'vn Dieu, qui veut que pour vn vicB
Exécuté, vouloir de faillir fe puniffe.
Afcaigne.
Encor oublions nous, qu^ outre Vailé Mercure,
Plus feurs encor nous doit rendre vn celefte augure.
Alors qu^ au fac piteux noftre Troye eftoit pleine
Du feu, de pleurs, de meurdre, vneflame foudaine
Vint embrafer mon chef, qui comme noftre Anchife
^expliqua, nous chajfoit hors de la Troyç prife,
le iure par Vhonneur de cefte mefme tefte,
Par celle de mon père, & par la neufue fefte
Que le tombeau d^ Anchife adioufte à noftre année,
Qu'vn mefme embrafement m^a cefte matinée
Donné le mefme figne: & qu^on nous tient promeffe
De reuenger bien toft la Troye de la Grèce ^
Âchate.
Sus fus doncques hafton : Ventreprife eft heureufe
Qu'on n'exécute point d^vne main pareffeufe.
Hafton fans aucun bruit au labeur noftre troupe i
Que toutfe trouffe au port, que les rameaux on coupe
Pour couronner les mafts : qu^aux vents on prenne garde,
Auxfuftes, aux efquifs : qu^aux armes on regarde:
Qji'il n'y ait maft, antene, ancre, voile, ou hune*^.
Qui ne foit pourfouffrir les hafards de Neptune, -
Mais tourne Vœil, Afcaigne, & voy Veftrange peine
4«
DIDON
SE SACRIFIANT
TRAGEDIE
D'ESTIENNE lODELLE,
PARISIEN***.
10*
l62 DIDON, TRAGEDIE.
Ceftt effroyable nuiû, oit les Dieux nous monftrerent
Que pour néant dix ans les Troyens refifterent :
Rien qui peuft telle nuiâpoffrir deuant ma veué,
Ne trouua defonfens mon ame defpourueué.
Bien que du grand Heâor V effroyable figure.
Ayant les cheueux pris & de fang & d^ordure,
S'apparujt deuant moy, pour lors aujfi hideufe
Qji^efioit le corpttTHeâor, par la trace poudreufe
QjtHl empourpra de fang tout autour de la ville,
Trainé par les cheuaux de fon meurtrier Achille :
Bien (dy-ie) que fortant de la mai/on mienne,
le veiffe en mon chemin la prophète Troyenne
Entre les mains des Grecs miferablement férue ^
Tirer par les cheueux du temple de Minerue :
Et bien qu^à tant d'amis par le fer & les fiâmes
le veiffe faccager les maifons & les âmes :
Bien {dy-ie) qu'en entrant dans la maifon royalle
Auecq' les Grecs, ie veiffe Hecube froide & patte
De femmes entourée, & de cris & de rages^
Deffbus vn vieil laurier embraffer les images
Des pauures Dieux vaincus, & comme condamnée
Tendre le pauure col à toute deftinee.
Voire fon Roy vieillart, qui d*vne main dépite
Tachoit vanger le fang de fon enfant Polite,
Frappé de mefme main^ tout pétillant & blefme
Deuant V autel facré refpandre fon fang mefme.
Mais quand aurois-ie dit les troubles qui m^auindrent
Cefte effroyante nuiâ, qui pourtant ne me tindrent
Efperdu que bien peu ? Tant de fois voir ma mère
Se planter tout foudain deuant moy: voir mon père
Pefant de la vieilleffe, & mon enfant débile.
Qu'il falloit ^onobfiant arracher de la ville :
Voir en chemin ma femme amoindrir noftre nombre.
Et fe perdre de moy, puis tout foudain fon ombre
Reuenant, fe ficher deuant mes yeux, me dire
V adieu qu'elle deuoit. Hé qui pourrait fuffire
A compter tous ces maux, & encor les affaires
Que m'ont fait rencontrer les deftins aduerfaires
ACTE I. l63
Depuis ce cruel fac^ fans que le Ciel nCeftonne
Des cas auantureux que pour nous il ordonne ?
La voix de Polidore au taillis entendue,
Rendit elle ma voix autrement efperdue,
Qjie ie iCay de, coutume? Et lors que tous malades
Du tourment de la mer, dans les ifles Strophades
Nous prijmes noftre port, & que par la Harpye
{Monftre horrible â- puant) fut ma troupe aduertie
Du malheur qui nous fuit, vit on que ie changeaffe
De beaucoup mon vifage, & mesfens ie troublàffe
Défi rares hideurs? L* horrible prophétie
Des trauaux qu^Helenus prédit fur noftre vie :
Le monftrueux Cyclope, à qui nous arrachafmes
Le pauure Achemenide, & au port le menafmes :
Le trefpas de mon père, à qui la fepulture
Nous fifmes à Drepan, bien qWencor Ven endure,
M*ont ils fait monftrer autre 9 Et mefmes quand nos teftes
le vey quafi couurir des dernières tempeftes
Que nous eufmes en mer, de quelle contenance
Me peut on voir monftrer vn deffaut d'affeurance?
Toutesfbis maintenant hors quafi de tout trouble,
le palli, ie me pers, ie me trouble & retrouble :
le croy ce que Vay veu n^ejtre rien fors qu*vn fonge,
Duquel ie veux piper la Roine en mon menfonge :
Et bien que ie la fçache entre tous eftre humaine,
le me la feins en moy de rage toute pleine,
n mefemble défia que lesfœurs Eumenides
Pour tantoft nCeffroyer, feront les feules guides
De ces cris effréné:^, me faifant mif érable
Moymefme eftre enuers moy de trahifon coulpable :
Ou bien fi fa douceur à Vœil ie me prefente,
Plus encorfa douceur de moymefme m^abfente :
Veu que Vaurois vne ame eftrangement cruelle,
Si la iufte pitié qu'il me faut auoir d'elle.
Ne mefaifoit creuer & rompre Ventreprife,
Qsti la loy de Vamour infidellement brife.
Sî ne le faut-il pas : il faut que ma fortune
S'obftine contre tout, & faut que toy, Neptune y
164 DIDON, TRAGEDIE.
Portes deffus ton dos, quoy qu'hôtes il aduienne^
Du royaume promis la troupe Phrygienne :
Le confeil en eft pris, à rien ie ne regarde,
4c Vne necejfité à tout mal fe hafarde.
LE CHŒVR DES TROYENS.
Les Dieux des humains fe fouàêmt,
Et leurs yeux fur nous arrejte:{.
Font que nos fortunes varient ,
Sans varier leurs volonté:^.
Le tour du Ciel qui nous rameine
Apres vn repos vnepeihe^
Vn repos après vn tourment.
Va toufiours d'vne mefme forte :
Mais tout cela qu'il nous rapporte
Ne vient iamais quHnconfiamment,
Les Dieux toufiours àfoy reffemblent :
Qjiant àfoy les Dieux font parfaits :
Mais leurs effeâsfont imparfaits.
Et iamais en tourne fe femblent.
Les deux peuples diuers, qu^enfemble
V immuable fatalité
Pour cefeul iour encore affemble
Dan$ les murs de cefie cité :
Les Troyens fous le fils d'Anchife,
Tes Ty riens deffous Elyfe,
Monflrent affe:{ à tous viuans,
QuUl n^y a que Vaudace humaine
Qui face, que le Ciel attraine
L'heur & le malheur fefuiudns,
Noftre heur aurait vne confiance,
Si voulans toufiours hault monter,
Nous ne tafchions mefme d*ofier
Aux grands Dieux noftre oheiffance.
Mais eux qui toutes chofes voyent,
Exempts d'ignorer iamais rien,
ACTE I. l65
Ont veu comme il faut quUls enuqyent
Aux mortels le mal & le bien.
Et tPvn tel ordre ils entrelacent
Vkeur au malheur^ & Je compaffent
Si bien en leur iujte équité j
Que Vhomme au lieu d'vne affeurance.
Ne peult auoir que Vefperance
De plus grande félicité.
Pendant que chetifil efpere^
{Chacun en fa condition)
La Mort ojte Voccafion
D^efperer rien de plus profpere,
Ainfi les hauts Dieux- fe referuent
Ce poinûy d^e/tre tousfeuls contens :
Pendant que les bas mortels feruent
Aux inconjlances de leur temps.
Des euenemens Pinconflance
Engendre en eux vne ignorance :
Tant qu*aueugle:(par le defir
Auquel trop ils faffuiettiffent.
Pour Vheur le malheur ils choififfent.
L'ombre du plaijir pour plaijir.
Mais quoy? veu telle incertitude,
Lhomme fage fans pefmouuoir
Reçoit ce quHlfaut receuoir,
Mocqueur de la viciffitude.
Car fi toutes chofes qui viennent,
Auoyent parquant à venir,
Si les douleurs qui en prouiennent,
Par vn malheureux fouuenir^
Ou bien la crainte qui deuance
Leuenement de telle chance.
Ne nouspeuuent apporter mieux :
Grands Dieux, qu*eft-ce qui nous fait faire
Plus malheureux en noftre affaire^
Que mefme ne nous font les deux?
Heureux les efprits qui ne f entent
Les inutiles paffions,
l66 DIDON, TRAGEDIE.
Filles des apprehenfions.
Qui feules quafi nous tourmentent^
Tout n^eft quvn fonge, vne rifee,
Vn fantofme, vne fable, vn rien,
Q}ii tient noftre vie amufee
En ce qu^on ne peut direjien.
Mais cejle marâtre Nature,
Qjti fe monjlre beaucoup plus dure
A nous, qu'eaux autres animaux^
Nous donne vn difcours dommageable,
Qui rend vn homme miferable.
Et auant & après fes maux.
Et plus les bourrelles Furies
Voyent que nousfommes en heur.
Et plus après noftre malheur
Monftre fur nous leurs feigneuries»
Cefte ineuitable Fortune,
Qui rehuerfa noftre cité,
Neuft point efté tant importune
Contre noftre félicité.
Si auant que les triftes fiâmes
Euffent raui les chères âmes
De nos fuperbes Citoyens y
Cefte vangereffe muable,
Neuft point efté tant fauorable
Aux murs, & au nom des Troyens.
Mais qui euft peu brider fa rage,
Voyant que le Ciel gouuemeur
Souffrait qu*on faccageaft Vhonneur
Des villes, & des Dieux Vouurage ?
Ainfi rCeuft pas efté faifie
Par les trois infernales foeur s,
Vame de ce grand Roy d*Afie,
Voyant les Grecs eftre vainqueurs :
Si ce grand Priam noftre prince
Neuft apparu dans fa prouince.
Comme Roy de tous autres Rois.
L'Ire n'eft point en la puiffance
\
ACTE I. 167
Des princes : & V Impatience
Contraint leur cœur dejfous fes loix,
Qjtel horreur^ quand la gloire haute
Tre/buche, & que les royauté j{
Se tournent en captiuite^.
Soit par ha/art, foitpar leur faute?
Toyniefme Hecube infortunée,
Qiii cruellement des Grégeois
Pour efclauefus entrainee,
Comment maintenant tu dirois.
Qjiels brandons & quelles tenailles
S*achament deffus les entrailles
De ceux, qui deuant triomphans,
Voyentfoudain choir les orages.
Et enfanglanter leurs vifages
Dufang mefme de leurs enfans?
Nous mefmes qui deffous Enee
Cherchons noflre bien par nos maux,
Difons qu^auecq* les cœurs plus hauts
La plus grande mifere eft née.
Mais qui veut voir vn autre exemple.
Soit du deftin, ou foit du mal,
Que r homme en fouffre, quUl contemple
En ce département fatal,
Comment la Fortune Je ioué
D'vne grand* Roine fur fa roué,
Vay grand peur qu^ aucune raifon
Voyant le fort tant variable,
(O pauure Didon pitoyable !)
Ne demeure dans ta maifon.
Vne impatience efi plus grande
Que tout mal que Ion puiffe auoir :
Mais la mort afouuent fait voir,
Oit* impatience au mal commande.
|68 DipON, TRAGEDIE.
N
ACTE IL
DIDON, CHŒVR DES PHENICIENNES,
ANNE, ENEE.
Didon.
Dieux, qu^ay-iefoupçonné? Dieux, grands Dieux qu^ay-iefceu?
Mais qu^ay-ie de mes yeux fnoymefmes appetxeu?
Veut donc ce def loyal auec fes mains traiftreffes
Mon honneur, mes bienfaits, fon honneur, /es promeffes^
Donner pour proye aux vents ? le fens, te fens glacer
Monfang, mon cœur, ma voix, ma force, & mon pênfer,
I^Us! Amour, que deuien ie? & quelle afpre furie
Se vient planter au but de ma trompeùfe vie^
Trompeufe, qui flattoit mon aueugle rc^f&f^
Pour enfin Vefiouffer d*vne efirange poifon?
Eft'Ce ainfi que le Ciel nos fortunes balance?, -
Efi-ce ainfi, qu^vn bienfait le bienfait recompenfe? _
Efi-ce ainfi que la foy tient Vamour arrefté?
Plus de grâce a Vamour, moins il a defeurté*^
O trop frejle efperance! ô cruelle tournée!
O trop légère Elifel 6 trop pariure Enee!
Mais ne le voici pas? fus fus efcarte:{-vous.
Troupe Phénicienne : il faut que mon courroirx
Retenant ce fuitif, defor"* fe defaigriffe :
Ou que plus grand* fureur mes fureurs amoindrijfe,
Toymefme (d chère fœur) laiffe moy faire ejfay^
Ou d^arrefier /es naus, ou bien les maux que i*ay.
H n^aura pas, ie croy, le cœur de roche : & celle
QnHl dit fa mère, eft bien des Dieux la moins cruelle.
Il faut que la pitié Varrefte encor ici.
Ou que ma feule mort arrefte mon /ouci,
La mort eft vn grand bien : la mort/eule contente
L'efprit, qui «i mourant ¥oit perdre toute attente
De pouuoir yiure heureux.
L'amour eroift Jon pouuoir de fon empefckement9
Maii/ouuent d'autant plut qu'au fait on remédie,
Et plus en vain dans nous pancre la maladie.
Qjioy fefmerueillee-tu, fi ma iufte fureur,
Opariure cruel, remplit mes mots d'horreur?
Et qu'outre mon deuoir, deçà delà courante
Jl/emble que ie face à Thebes la Bacchante,
^nfentant arriuer les iours Trieteriques ,
Fait Jifreenerfesfens fous les erreurs Bacchiques?
T'en ^fbahis-tu donc, veu qu'affe^ lu fçauois,
La* I que tu rendois telle & mon ame & ma voix?
Car bien que ton départ tu me dijfimulaffes.
Bien qu'à la defrobee aux venis facrijtaffes,
Et au père Oeeaa : bien que fans le changer
Tu m'eujfes fait fier du tout à l'efiranger,
San* que lamais on t'euft mefcreu de telle faute :
E^rois lu pourtant, ô ingrat, ingrat hofte,
Aueugler tous nof^eujr en telle lâcheté?
Les cieuxfont ennemis de la méchanceté.
La terre maugrifoy foufiient vn homme lafche :
Et contre le mefchant la mer mefme fe fafche.
Qpand mefme ton deffein ce iour ie n'euffe veu,
Sy entendu des miens, le Ciel ne l'eufi pas teu :
Ma terre en eufi tremblé, » iufgues à Carthage
La mer lefiifivenufonner à mon riuage.
Mais qui te meut. Cruel? pourquoy trop inhumain
he^et tu celle la qui t'a mis tout en main?
Htjtre amour donc, helasi ne te retient Al point,
Njr la main à la main, le cœur au coeur conioint
Vw
170 DIDON, TRAGEDIE.
Par vne foy fi bien iuree en tes délices?
Qjie fi les iufies Dieux vangent les iniufiices,
Tes beaux fermens rompus rompront aujfi ton heur.
Fais tu fi peu de compte encor de mon honneur,
Los! qui Venrichijfant d^vn fuperbe trophée,
Tiendra ma plus grande gloire en moymefme eftouffee?
Ne te meut point encor vn horrible trefpas,
Dont ta Didon mourra, qui aujfi tofifes pas
Bouillante haftera dedans la nuiâ profonde,
Qjie les vents hafieront tes vaiffeaux parmi Vonde?
Or fi tu n^es (helas!) de mon mal foucieux.
Sois pour le moins (Ingrat) de ton bien curieux.
En quel temps fommes nous? n'as tu pas veu la grefle
Et la neige & les vents, tous ces tours pefle^mefle
Noircir toute la mer, & tant qu^on eufi cuidé
Qfte le plus grand Neptune aux eaux n^ eufi commandé,
Tant les vents maifirifoyent les grandes vagues enflées.
Qui iuf qu'au Ciel eftoyent horriblement fouffiees?
Celuy ne paime pas, qui au cœur de Vhyuer,
Hafardantfes vaiffeaux & fa troupe en la mer y
Prodigue de fa vie, attend qu'vn noir orage
Dans Veau d''Oubli luy dreffe vn autre nauigage.
Sans crainte de la mort on fuiuroit tout efpoir,
S^on pouuoit plufieurs fois la lumière reuoir.
Prens encor que les eauxfe rendiffent bonaces
En ton département, crains tu point les menacés
Du Dieu porte- trident irrité contre toy,
Infidelle à celuy qui n'^aura plus de foy?
Toutes les fais qu*en mer les flots tu fentiras
Contre-luter aux flots, palliffant tu diras :
Oefi à ce coup, 6 ciel, 6 mer, que la tempefie
Doit iufiement vanger ma foy contre ma tefie.
Et fi tu attens lors, que de Troye les Dieux
Porte:( dans ton nauire, appaifent & les deux,
Et Vonde courroucée, il te viendra foudain
Dans Vefprit, que tout Dieu laiffe V homme inhumain,
Vn Dieu mefme per droit VAmbrofie immortelle,
Priué de deîté, fil efioit infidelle.
7^ gaigtuu leur fecourt par me pieti,
LeurfecoMTM tu perdrait par vne cruauté.
Songes tM point eneor, que mefine en la marine
L^Amour voit honorer/a putjfaxce diuine?
Septime fiait ilpas, que e'efi que de fentir
Le brandon que fet eaux ne peuuent amortir?
dancque le fier Triton, S la troupe menue
De cet Dieux, ont ili pas la force enfoy cogneui
Dont Amour leur commande ? & fon diuin fiambeau
■ Ard-il pat letpoijjimi iufques au creus de l'eau ?
Mefinement quant aux vent : le fier vent de Scythie
Se vit il pat Jlechir fou» Camour d'Oritkie?
Voyant donc maintenant tous ces Dieux obéir
Aux loix d'Amour, voyant qu^ores tu veux haSr
Dt celle là la vie, à qui me/mes la tienne
A iamaisfera deué, à ce/le heure te vienne,
(yU te vienne vn remors de tefire en Pefprit mis
De vouloir dans la mer à tous tes ennemis
Te fier de ta vie, en irritant ton fi-ere.
Ton puiffant frère Amour, en irritant ta mère,
Qjd tous deux te feront fçauoir à tous les coups,
Qp'en péchant contre Amour nous péchons contre nom
Si eneoret ta Troye S les grands tours cogneués
De tonPiiam, dreffoient le chef iufques aux nuis :
Si des murs que baftit Apollon, tout le clos
N'ejloit point couuert d'herbe, & de pierres, S d'as,
OjCentreprendroit-tu plus des pais efirangera?
Cliercheroia-tu le tien parmiplus de dangers?
Lairroit-tu quelque terre heureufe & bien aimée.
Pour voir par cent périls de Troye la fumeef
Craindrait tu point Vhyuer, ny mefme Cupidon,
Pour la jOypariuree à quelque autre Didon 9
Et maintenant {bons Dieux I) qu'en toy tu délibères.
Cruel, de faire voile aux terres étrangères,
h(dffantfi douce terre, & fi doux traidement,
four fuyure pour ton butvn ha^^ard feulement,
(^ faut-il que ie fange? helas doy-ie pas croire
Qpe deffus vn amour la haine aura viâoire ?
172 DIDON, TRAGEDIE.
Veu que tu me fuis tant, qu'à fin de feftrangèr
De Didon, tu ne crains defuiute aucun danger.
Me fuis tu? me fuis tu? ô les cruels alarmes
Que me donne V Amour, par ces piteufes larmes
Qu*ores deuant ta face efpandre tu me vois I
Larmes, las! qui fe font maiftreffes de ma voix.
Qui hors de moy ne peut ne peut,,,
Anne.
Qjiand Vinnocente
Fléchit fous le coulpable, & plus forte lamente
Deuant lefoible, helas! le Ciel aueuglément
Donnant à Vvn le crime, à Vautre le tourment.
Fait-il pas voir qu*il faut Raccompagner du vice.
Qui traine inceffamment V innocence aufupplice?
Didon.
Par ces larmes ie dy, que te monftrant à Vœil
Combien V amour eft grand, quand fi grand eft le dueil
Et par ta dextre auffi, puis que moy miferable
Ne me fuis laijfé rien qui me ** fait fecourable :
Par les feux, par les traits, dont ton frère fi bien
A vaincu ma raifon quHl ne m^en refte rien :
Par noftre mariage, &par nos Hy menées
Q}ûauoient bien commencé mes rudes deftinees :
Par les Dieux, que deuôt tu portes auec toy.
Compagnons de ta peine, & te/moins de ta foy :
Par Vhonneur du tiers Ciel que gouuerne ta mère :
Par Vhonneur que tu dois au/c cendres de ton père.
Si iamais rien de bon Vay de toy mérité.
Si iamais rien de moy à plaifir Va efté,
le te pry prens pitié d*vne pauure famille.
Que tu perdras, au lieu d^acheuer vne ville.
Comme nous efperions, & d^ajfembler en vn
Deux peuples afferuis dejfbus vn ioug commun,
L^efpoir flatte la vie, & doucement la pouffe,
L^eftranglant à la fin d*vne corde moins douce.
ACTE I. l65
Ont veu comme il faut 4%ùils enuoyent
Aux mortels le mal & le bien.
Et (Vvn tel ordre ils entrelacent
Vheur au malheur, & fe comparent
Si bien en leur iufte équité,
Que Vhomme au lieu d'vne affeurance,
Ne peult auoir que Vefperance
De plus grande félicité.
Pendant que chetifil ejpere^
{Chacun en fa condition)
La Mort ofïe Voccajion
D*efperer rien de plus profpere,
Ainft les hauts Dieux^fe referuent
Ce poinÛ^ d^efir^ tousfeuls coniens :
Pendant que les bas mortels feruent
Aux inconjlances de leur temps.
Des euenemens Vinconjiance
Engendre en eux vne ignorance :
Tant qu^aueugle^ par le defir
Auquel trop ils fajfuiettiffenty
Pour Vheur le malheur ils choififfent,
Vombre du plaifir pour plaiftr.
Mais quoy? veu telle incertitude.
L'homme fage fans fefmouuoir
Reçoit ce quHlfaut receuoir,
Mocqueur de la vicijfitude.
Car fi toutes chofes qui viennent,
Auoyent parquant à venir.
Si les douleurs qui en prouiennent,
Par vn malheureux fouuenir.
Ou bien la crainte qui deuance
L*euenement de telle chance,
Ne nouspeuuent apporter mieux :
Grands Dieux, qu'efl-ce qui nous fait faire
Plus malheureux en noflre affaire^
Que mefme ne nous font les deux?
Heureux les efprits qui ne f entent
Les inutiles paffions,
174 DIDON, TRAGEDIE.
Ou que hors de ce lieu que tu auras quitté^
Mon dur malheur me iette en la captiuité
Du Roy Getulien? Rien n*efpargnè Venuie :
Et iamais vit malheur ne vient fans compagnie,
Aumoins fi Pauois eu quelque race de toy,
Auant que de te voir arracher d*auec moy :
Et fi dedans ma court, du père abandonnée
le pouuois voir iouér quelque petit Enee,
Q}ii feulement les traits de ta face gardafty
Et m^amufant à luy mes foucis retardajt :
Je ne penferois point ny du tout eftreprifa^
Ny du tout delaiffee. Alors que Vame épr\fe
Ne peut auoir celuy qui toute à foy V attrait.
Elle fa paift aumoins quelquefois du pourtrait :
Et bien qu^vn fauuenir m^embvafaft d'auantage,
Paffeurerois au moins ma debtefar ton gage.
Mais ores que ftray-ie ? ay-ie vn autre confort ,
Sinon que d^oublier Enee par ma mort?
Et fans m^attendre au temps, qui fauuent defanflame^
Me defpeftrer d^efpoir, de V amour, & de Vame?
L^ amour fait que Ion doit du Soleil fennuier^
Si lafaule eau d'oubli peut fas fiâmes noyer.
Mais pourquoy tant de mots? doy-ie donc faits faire
A celuy quife doitpluftoft qu^à moy complaire?
Vamour, Vamour me force , & furieufement
M^ apprend, Qjte qui bien aime, aime impatiemunemt^
Qît'en dis'tu ?
Enee.
le ne puis (6 Roine, qui propofes
Parlant d*vn tel courage, & mille & mille chofes)
Faire que ton parler ne me puiffe efmouuoir^
Ny faire que ie n^aye efgard à mon deuoir :
Ces deux efforts en moy Vvn contre Vautre battent,
Et chacun àfon tour coup deffus coup abbattent :
Mais lors que Vefprit fent deux contraires, il doit
Choifir celuy qu'alors plus raifonnable il croit.
Or la raifon par qui enfans des Dieux nous fommes
ACTE II. I7D
Suit pluftqft ïe parti des grands Dieux que des hommes.
Tu veux me retenir : mais des Dieux le grand Dieu
N^a pas voulu borner mes deftins en ce lieu.
Le Ciel qui moyennant mon courage & ma peine^
Promet vn doux repos à ma race^ me meine
De deftin en deftin, & monftre quefouuent
La celefte faueur bien chèrement fe vend,
Ainji qu'ores à moy^ que le deftin repouffe
Hors d*vn repos acquis, hors d*vne terre douce,
Hors du fein de Didon, pour encores ramer
Les bouillons efcumeus des gouffres de la mer.
Pour voir mille hideurs, tant que cent Hippolytes
En /croient mis encor par morceaux en leurs fuites.
Mais /oit que cefte terre, oit ie conduy les miens.
Semble eftre/eul manoir des plaifirs & des biens :
Soit que- V onde irritée, & mes voiles trop pleîjnes
Repouffent mes vaiffeaux aux terres plus loingtaines :
Soit encor que Clothon renoué par trois fois
Le filet de ma vie, ainfi qu^au vieil Grégeois :
Soit qu^apres mon trefpas ma mère me rauiffe.
Ou qu'aux loix de Minos ma pauure ombre fiechiffe,
Jamais ne m^aduiendra, tant que dans moy xauray
Mémoire de moymefme, & tant que ie feray
EneCj ou bien dJEnee vne image ble/mie.
De nier que Didon & de Raine, & d'amie '
N^aitpaffé le mérite, & iamais ne/era
Que ton nom, qui /ans fin de moyfe redira,
Ne m^arrache les pleurs, pour certain te/moignagc
Qjie maugré moy le Ciel nfarrache de Carthage.
Mais quant à ce départ dont ie/uis accu/é,
le te re/pons en bref : le n'ay iamais v/é
De fèinii/e, ou de ru/e en rien di/fimulee,
Afin que Ventrepri/e à tes yeux fuft celée,
L^amour ne/e peut feindre : & mon cœur, dont te/moins
Sont les Dieux, me forçoit au congé pour le moins.
Celuy n'eft pas méchant qui point ne recompenfe :
Mais méchant eft celuy qui aux bienfaits nepenfe.
le n*ay iamais au/fi prétendu dedans moy,
176 DIDON, TRAGEDIE.
Q)ie les torches d^ Hymen me ioigniffent à toy.
Si tu nommes V amour entre nous deuxpaffee,
Mariage arreftéy c^eft contre ma penfee.
Souuent le faux nous plaijt, foit que nous defirions
Que la chofefoit vraye^ ou foit que nous couurions
Sous vn honnej^e mot**j & la honte y & la crainte .*
Mais dedans nous le temps ne doit pas d'vne feinte
Faire vne vérité : la perfuafion
Gefney efclaue, en V amour, la prompte affeàion.
Ce n^e/toit, ce n'efioit dedans ta court royale.
Oit les Troyens cherchoient VaÙiance fatale :
Si les arrefts du Ciel voulaient qu^à mon plaijir
lefilaffe ma vie, & me laijfoient choijir
Telle quHl me plairoit au moins vne demeure
Qui gardaji que du tout ^^ pcm Troyen ne meure :
Si ie tenois moymefme à monfouci le frain,
le ne choijirois pas ce riuage lointain :
le ba/lirois encor fur les refies de Troye,
Phabiterois encor ce que les Dieux en proye
Donnèrent à Vulcan, & de nom & de biens
le tafcherois vanger les ruines des miens :
Les temples, les maifons, & les palais fuperbes
De Priam & des f\ens,fe vangeroyent des herbes
Qui les couurent défia : nosfieuues qui tant d'os
Heurtent iedans leur fons, fenfleroient de mon los :
Moymefme d^vn tel art quePhebus & Neptune^
De Pergames nouueaux Venclorrois ma fortune.
Le pats nous oblige : & fans fin nous deuons
Aux parenSj au pais tout ce que nouspouuons.
Et qu^euffé-ie plus fait pour moy ne pour ma terre.
Qu'en me vengeant venger fon nom de telle guerre?
Mais les oracles fainâs d'Apollon Cynthien,
Et les forts de Lycie, & le Saturnien ,
Qui d^vn deftin de fer noftre fortune lie,
Me commande de fuiure vne feule Italie.
En ce lieu mon amour, en ce lieu mon pats.
Là les Troyens vainqueurs ne fe verront hais
Des Dieux, comme deuant : là la fainâe alliance
/^
ACTE II. 177
Sortira des combats : là Pheureufe vaillance
De neueus en neueus iu/qu'd mil ans & mil
Afferuiront fous fax tout ce paîsjertil :'
Et le monde au pais. Si toy Phénicienne
Tu te plais d*habiter ta ville Lybienne,
Qjielle enuie te prend, fi ce peuple Troyen
Sen va chercher fan fiege au port Aufanien ?
N*as tu pas bien cherché cefte terre en ta fuite :
Et pourquoy, comme à toy, ne nous eft-il licite
De chercher vn Royaume ejiranger, quand les Dieux
Prefque bon gré, maugréy nous chaffent en tels lieux?
Anne.
Qjie la malice peut ingénieux nous rendre,
Quand elle veut fan tort contre le droit deffendre :
Plus le vainqueur Thebainfar V Hydre pefforçoit,
Et plus de /es efforts l'Hydre fa renfarçoit :
Sinojire confaience enuers nous ne farmonte,
lamaispar la raifan la malice on ne donte :
Voudroit-on engluer le Griffon rauiffeur,
L* Aigle, ou le Gerfaut? V homme méchant efifauv "
Q3i*U n^eji né que pour prendre, helas.'mais quelle proye?
Qjte neprens tu, Troyen,fur ceux qui ont pris Troye?
Enee.
Quant à lafay que tant on reproche : iamais
T'ay-ie donné lafay, que ce lieu déformais
Emmurant ma fortune, ainfi que tu f emmures,
Finiroit des Troyens les longues auantures?
Lors que tu me faifais les troubles raconter
De cejie nuiû, qui peut par vn dol emporter
La ville, à qui dix ans, à qui des grands Dieux Vire ,
A qui Veffbrt des Grecs h'auoit encorfceu nuire :
Te dy-iepas qu*auant que les Dieux euffent mis
Telle fin au trauail des vainqueurs ennemis,
Souuentesfais Caffandre en changeant de vifage^
loielU, — I. 12
\
178 DIDON, TRAGEDIE. .
Toute pleine cTvn Dieu, qui mejloit fort langage
De mots entrerompusj & dont lesfainâs efforts
La faifoijsnt forcener pour les pouffer dehors.
Nous auoit dit, qu^apres la Troyenne ruine.
Apres les longs trauaux foufferts en la marine,
le viendrois replanter noftre règne, & mon los,
En la terre qui tient Saturne encore enclos?
Te.dy-iepas qu^ainfi les effroyans oracles,
Lesfonges, les boyaus, & lesfoudains miracles
Des cheueux de mon fils, mefmement le difcofirs
Qjie le bon Helenus me fit fus tous mes iours,
Voire iufqu^à la voix de la falle Haipye,
Appelloient à ce but ma trauaillante vie?
As tu donc oublié, que quand nous abordafmes
Et qu'humbles deuant toy long temps nous harangafmes
'De ce qui nous menoit, & quel eftrange fort
Nous auoit faiâ alors ancrer dedans ton port.
Nous dtfmes deffus tout, que défia fept années
Nous auoient veu cherchans la fin des deftinees.
Qui Vheureufe Italie à ma race donnoient.
Et qui là les labeurs des Phrygiens bornoient?
Tu ne peux ignorer que toute humaine attente
Nef oit toufiours au lieu, qui tout feul la contente :
Et que ie n^èuffefceu, voyant deuant mes yeux
Sans fin, fans fin, ce but oit me tiroient les Dieux,
Par vn nouueau ferment autre promeffe faire
Q}ie i*euffe veu du tout à mon efprit contraire.
Car qui eft celuy-là, qui f cachant vrayement
QuHl faulfera la foy defon traiftre ferment ,
Aura pluftoft en foy de refufer la crainte,
Q}te V éternel remors d'auoir fa foy contrainte
Outre fon efperance ? Il ne faut doncpenfer
Que Vaye iamaisfceu la promeffe auancer,
Q}ti pourroit {ie fuis tel) fi telle elle eftoit faite.
Bon gré maugré les Dieux empefcher ma retraite.
le ne dypas qu'*en tout incoulpable ie fais:
Vn feul deffaut me mord, c'eft que ie ne deuois
Arreftant fi long temps dans cefte eftrange terre.
ACTE II. 179
Te laiffer lentement prendre au laqsqui te ferre :
Mais prens Ven à V Amour ^ V Amour Va peu lier :
Et V Amour m^apeu faire en ta terre oublier,
■4^our, non àfonfaiâ, mais àfonfeu regarde :
'Et le danger le prend quand moins il y prend garde.
Si tel amour tufens, ie lefens tel auffi,
Qjûencores volontiers ie m^oublirois ici :
Tefmoins me font nos Dieux, que iamais les nuiâsfombres
Ne nous cachent le ciel de leurs efpeffes ombres
Qjie de mon père Anchife enfurfaut ie ne voye
LHmage blemiffante, & quelle ne m^effroye,
SoUuent ftCeffroye auffi Afcaigne, dont le chef
le voy comme dans Troye embrafer de rechef.
Tout cela nonobjtant n'a point eu tant de force
On* a eu ce iour le Dieu, qui au départ me force.
le iure par ton chef^ & par le mien auffi,
Qfie manifeftement Pay veu de ces yeux-ci
Mercure des grands Dieux le meffager fidelle.
Entrant dans la cité, m^apporter la nouuelle,
Enuoyé du grand Dieu, qui fait fous foy mouuoir
Et la terre & le ciel, pour me tancer d^auoir
Seioumé dans Carthage, oublieux de Viniure
Qfte ie fais à Afcaigne, &àfa geniture.
Or ceffe ceffe donc de tes plaintes vfer.
Et mefme en Vembrafant tafcher de m^ embrafer,
La plainte fert autant aux peines douloureufes,
Qfie Vhuile dans vit feu : les rages amoureufes
S* appréhendent au vif lors que nous nous plaignons.
Et les defefpoirs font des regrets compagnons.
Ce rCeJtpas de mon gré que ie fuy V Italie :
Mais la loy des grands Dieux les loix humaine^ lie.
Ne me remets donc rien en vain deuant les yeux,
le m*arrejte à Varrefl de mes parens les Dieux,
Didon.
Les Dieux ne furent oncq tes parens, ny ta mère
Ne fut oncq celle là, que le tiers Ciel tempère.
l8o DIDON, TRAGEDIE.
Le plus bénin des deux: ny oncq {traiftre menteur)
Le grand Dardan ne fut de ton lignage auteur.
Le dur mont de Caucafe, horrible de froidures,
(O cruel) f engendra de fes veines plus dures :
Des TigreffeSj ie croy, tu asfucé le loiâ^
Ou pluftoft d^Aleâon le noir venin infeû,
Qjti tellement autour de ton cœur a pris ptctce,
Qjie rien que de cruel & méchant il ne brajfe,
N*allegue plus le Ciel guide de ton efpoir.
Car ie croy que le Ciel a honte de te voir :
Sans tels hommes que toy le Ciel n^auroit point d^ire^
Jupiter n^auroit point de fes tonneaux le pire,
Voye:^ fi feulement mes pleurs, ma voix, mon dueil.
Ont peu la moindre larme arracher defon œil?
Voye^f'il a fa face ou fa parole efmeué?
Voye^ fi feulement il a fléchi fa veué ?
Voye!(fil a pitié de cefte pauure amante.
Qu'à grand tort vn amour enraciné tourmente.
Plus qu'on ne voit Sifyphe aux enfers tourmenté.
Sans relâche contraint defon fardeau porté?
Voire plus que celuy qui fans ceffe fe roué.
Emportant defon pois & foymefme & fa roué?
Car toufiours aux enfers vn tourment eft égal :
Mais plus ie vais auant, &plus grand eft mon mal,
Toutesfbisce cruel n^en a non plus d* atteinte,
Qitefi mon vray tourment n'eftoit rien qu^vne feinte.
Qu'on ne me parle plus des Scythes^ ny des Rois,
Qui ont tirannifé Mycenes fous leurs loix :
Qu^on ne me parle plus des cruauté:^ Thebaines,
Lors que des bas enfers les rages inhumaines,
Semans vnfeu bourreau des loix, & d'amitié.
Se faifoient elles mefme, en leur rage, pitié.
Qji^on ne m*eflonne plus de tout cela que Vire
Des hommes peut brajfer : tu peux, tu peux fufflre
A monftrer qu^vn feul homme a dHnhumanité
Plus que cent Tigres n'ont en foy de cruauté.
Car en tout ce qu^on peut raconter des Furies,
Qjii fembloient fe iouér & du fang & des vies.
ACTE II. l8l
La cruauté naijfbît de quelque deplaifir,
Et ta cruauté naift de fauoir faid plaifir :
Voire vn pîaiflr, helas I dont la moindre mémoire
Deffus vn cœur de marbre auroit bien la viâoire,
O lunoHf grand lunon, tutrice de ces lieux,
O toymefme grand Roy des hommes & des Dieux,
De/quels la maiefté traiftrement blafphemee,
Affeura faulfement ma pauure renommée :
QiCeft^ce, qWeft-ce qui peut or' me per/uader,
Qfie iPenhaut vous puij[fie:( fus nous deux regarder
lyvnvifage équitable? Ha gratis Dieux, que nousfommes
Vous & moy bien trahis! lafoy^ lafoy des hommes
N*eft feure nulle part : las ! comment, fugitif.
Tourmenté par fept ans de mer en mer, chetif,
Tant quHl fembloit qu'au port la vague fauorable
Veuft ietté par defpit, fouffreteux, mif érable,
le Vay, te Vay receu, non en mon amitié
Seulement^ mais {helas 1 trop folle) en la moitié
De mon royaume auf/i : Tayfes compagnons mefme
Ramené de la mort : ha vne couleur blèfme "^
Me prend par tout le corps, & prefque les fureurs
Me iettent hors de moy, après tant de faneurs.
Maintenant, maintenant il vous a les augures
D^ Apollon, il vous a les belles auantures
De Lycie, il allègue & me paye en la fin
D*VH meffager des Dieux qui hafiefon defiin.
Oejt bien dit, c^eft bien dit, les Dieux n^ont 'autre affaire :
Cefeulfouci les peut de leur repos diftraire :
le croirois que les Dieux affranchis du fouci.
Se vinffent empefcher d^vn tel que ceftuy-ci.
Va ie ne te tiens point : va, va ie ne réplique
A ton propos, pipeur, fuy ta terre Italique :
Pefpere bien en fin {fi les bons Dieux aumoins
Me peuuent efire enfemble & vengeurs & tefmoins)
Qjt^auec mille fanglots tu verras le fupplice,
Q^e le iufte defiin garde à ton iniufiice.
Affe^ tofi vn malheur fe fait à nousfentir :
Mais las ! toufiours trop tardfe fent vn repentir.
170 DIDON, TRAGEDIE.
Par vnejoyji bien iuree en tes délices?
Qjie Ji les iuftes Dieux vangent les iniuftices,
Tes beaux fermens rompus rompront aujji ton heur.
Fais tu Jî peu de compte encor de mon honneur,
Las! qui V enrichijfant d*vn fuperbe trophée,
Tiendra ma plus grand* gloire en moy me/me eftouffee?
Ne te meut point encor vn horrible trefpas,
Dont ta Didon mourra, qui auffi toft fes pas
Bouillante haftera dedans la nuiâ profonde,
Qjie les vents hafteront tes vaiffeaux parmi Ponde?
Or Ji tu n^es [helas!) de mon mal foucieux,
Sois pour le moins {Ingrat) de ton bien curieux*
En quel temps fommes nous? n*as tu pas veu la grefle
Et la neige & les vents, tous ces tours pefle^-mefle
Noircir toute la mer, & tant qu^on euft cuidé
Q}ie le plus grand Neptune aux eaux n^ euft commandé.
Tant les vents maiftrifoyent les grandes vagues enflées.
Qui iuf qu'au Ciel eftoyent horriblement foufflees?
Celuy ne p aime pas, qui au cœur de Vhyuer,
Hafardantfes vaiffeaux & fa troupe en la mer^
Prodigue de fa vie, attend qu'vn noir orage
Dans Veau d^Oubli luy dreffe vn autre nauigage.
Sans crainte de la mort on fuiuroit tout efpoir,
S^on pouuoit plufieurs fois la lumière reuoir,
Prens encor que les eauxfe rendiffent bonaces.
En ton département, crains tu point les menaces^
Du Dieu porte 'trident irrité contre toy,
Infidelle à celuy qui n'aura plus de foy?
Toutes les fois qu'en mer les flots tu fentiras
Contre-luter aux flots, palliffant tu diras :
Oeft à ce coup, ô ciel, 6 mer, que la tempefte
Doit iuftement vanger ma foy contre ma tefte.
Et fi tu attens lors, que de Troye les Dieux
Porte:{ dans ton nauire, appaifent & les deux,
Et Vonde courroucée, il te viendra foudain
Dans Vefprit, que tout Dieu laiffe V homme inhumain,
Vn Dieu mefme per droit VAmbrofie immortelle,
Priué de deîté, fil efloit infidelle.
ACTE II. 175
Suit pluftoft le parti des grands Dieux que des hommes.
Tu veux me retenir : mais des Dieux le grand Dieu
N^a pas voulu borner mes deftins en ce lieu.
Le Ciel qui moyennant mon courage & ma peine^
Promet vn doux repos à ma race, me meine
De de/tin en de/tin, & monftre quefouuent
La celefte faueur bien chèrement Je vend.
Ainfi qu*ores à moy, que le deftin repouffe
Hors d'vn repos acquis, hors d*vne terre douce,
Hors du fein de Didon, pour encores ramer
Les bouillons efcumeus des gouffres de la mer^
Pour voir mille hideurs, tant que cent Hippolytes
En /croient mis encor par morceaux en leurs fuites,
Maisfoit que cefte terre, où ie conduy les miens,
Semble eftre feul manoir des plaifirs & des biens :
Soit que- V onde irritée, & mes voiles troppleytes
Repouffent mes vaiffeaux aux terres plus loingtaines :
Soit encor que Clothon renoué par trois fois
Le filet de ma vie, ainfi qu'au vieil Grégeois :
Soit qu'après mon trefpas ma mère me rauiffe,
Ou qu'aux loix de Minos ma pauure ombre fiechiffe,
lamais ne m^aduiendra, tant que dans moy tauray
Mémoire de moymefme, & tant que ie feray
Enee, ou bien d*Enee vne image blefmie,
De nier que Didon & de Roine, & d'amie •'
N^ait paffé le mérite, & iamais ne fera
Que ton nom, qui fans fin de moy fe redira.
Ne m^arrache les pleurs, pour certain tèfmoignagc
Que maugré moy le Ciel m^arrache de Carthage,
Mais quant à ce départ dont iefuis accufé,
le te refpons en bref : le n^ay iamais vfé
De feintife, ou de rufe en rien diffimulee,
Afin que Ventreprife à tes yeux fuft celée.
L'amour nefe peut feindre : & mon cœur, dont tefmoins
Sont les Dieux, me forçoit au congé pour le moins.
Celuy rCeft pas méchant qui point ne recompenfe :
Mais méchant efi celuy qui aux bienfaits nevenfe.
le n'ay iamais auffi prétendu dedans moy.
172 DIDON, TRAGEDIE.
Veu que tu me fuis tant, qu*à fin de feftrangèr
De Didon, tu ne crains defuiute aucun danger.
Me fuis tu? me fuis tu? 6 les cruels alarmes
Q}te me donne V Amour, par ces piteufes larmes
Qu'ores deuant ta face efpandre tu me vois !
Larmes, las! qui fe font maiftrejfes de ma voix.
Qui hors de moy ne peut ne peut,.,
Anne.
Qjiand Vinnocente
Fléchit fous le coulpable, & plus forte lamente
Deuant lefoible, helas! le Ciel aueuglément
Donnant à Vvn le crime, à Vautre le tourment.
Fait-il pas voir qu* il faut p accompagner du vice.
Qui traine inceffamment V innocence aufupplice?
Didon.
Par ces larmes ie dy, que te monftrant à Vœil
Combien V amour eft grand, quand fi grand eft le dueil :
Et par ta dextre auffi, puis que moy miferable
Ne me fuis laijfé rien qui me" foit fecourable :
Par les feux, par les traits, dont ton frère fi bien
A vaincu ma rai/on quHl ne m'en refte rien :
Par nofire mariage, &par nos Hy menées
Qjûauoient bien commencé mes rudes defiinees :
Par les Dieux, que deuot tu portes auec toy.
Compagnons de ta peine, & tef moins de ta foy :
Par Vhonneur du tiers Ciel que gouuerne ta mère :
Par Vhonneur que tu dois au/c cendres de ton père.
Si iamais rien de bon Vay de toy mérité.
Si iamais rien de moy à plaifir Va efté,
le te pry prens pitié d'^vne pauure famille.
Que tu perdras, au lieu d*acheuer vne ville,
Comme nous efperions, & d^affembler en vn
Deux peuples afferuis dejfbus vn ioug commun.
Vefpoirfiatte la vie, & doucement la pouffe,
Veftranglant à la fin d*vne corde moins douce.
Nojire efpair ejt il tel? pourrois-tu faire voir
Qji'entre tout les malheur* il n'y a que l'efpoir,
Q}ii engendre à la fin luy mefmejan contraire?
Va coeur fe doit fléchir, S l'homme eft aduerjaire
Des hùmmes, & det Dieux, lors que d'vn méchant cceu
Fuitplus toftlapitii que Jon propre malheur.
T'es tu changé fi tqft? ofte qfte moy d^ores,
{Si quelque Heu me rejle aux prières encores)
Le cœur enuenimé, qui te deguife ainfi.
Last ie ne te eogneu iamaîspour tel ici :
le fay cogneu pour tel, que iufiement furprife
tay mefprifé Famour en tous autres iprife ;
L'amour trop mtfe en vn, comme ie l'ay dans toy,
Efl la haine de tous, & la haine defoy.
Fay pour fauoir aimé la Haine rencontrée
Des peuples & des Rois de toute la contrée :
Me/mes les Tyriens de ton heur offenfe^
Couuent deffous leurs cœurs leurs defdains amajfe^.
La Prînceffe aime bien, quiteaucoup plus regarde
A vnfeul, qu'à tous ceux qu'elle a pris en/a garde.
Q}iiplus efl, pour tgyme/me (o Soleil me peux tu
Voirveufiie de Sichee, S veufiie de vertu?)
Pour toymefme (ô Enee) éprije de les feux,
Pay mon honneur efieint, ma chafleté, mes vœus:
Pour toy (dy-ie) ô Enee, on verra tqft ejleindt'e
Ma renommée auffi, qui/evantoit d'atteindre
D'vn chef braue S royal la grand' voûte, oii les Dieu
D'vn ordre balancé fitnt tournoyer les deux :
Qui, peut eftre, m'oftant du nombre des Prittcejfes,
tteuft nàfe après ma mort au nombre des Deeffes.
A qui (d trop cher hofte) à qui, âfeul fupport
De ma Carthage, à qui prochaine de la mort
Laiffes tu ta Didon? Il faut que ma mort ofie
Met haines d'entour moy, fi ie pers vn tel hofte,
Hafte, puis que ce nom me refte feulement
En eeluy, qui m'eftoit mari premièrement.
Qu'attende plusfinon que mes mura de Carthage,
Sentent de mon cruel Pygmalion la rage?
174 DIDON, TRAGEDIE.
Ou que hors de ce lieu que tu auras quitté^
Mon dur malheur me iette en la captiuité
Du Roy Getulien? Rien n^efpargnè Venuie :
Et iamais vn malheur ne vient fans compagnie,
Aumoins fi Vauois eu quelque race de toy,
Auant que de te voir arracher d^auec moy :
Et fi dedans ma court, du père abandonnée
le pouuois voir iouér quelque petit Enee,
Qui feulement les traits de ta face gardaft,
Et m^amufant à luy mes foucis retardaft :
le ne penferois point ny du tout eftre prife^
Ny du tout delaiffee. Alors que Vame éprife
Ne peut auoir celuy qui toute à foy V attrait ,
Elle fe paift aumoins quelquefois du pourtraii :
Et bien qu^vn fouuenir m^embrafajt d^auantage,
Paffeurerois au moins ma debtefur ton gage.
Mais ores que feray-ie ? ay-ie vn autre confort ,
Sinon que d^oublier Enee par ma mort?
Et fans m^ attendre au temps, qui fouuent defenflame^
Me defpeftrer d^efpoir, de V amour, & de Vame?
L^ amour fait que Ion doit du Soleil f'ennuier.
Si la feule eau d^oubli peut fes fiâmes noyer.
Mais pourquoy tant de mots? doy-ie donc fatis faire
A celuy quife doitpluftoft qu'à moy complaire?
Vamour, Vamour me force , & furieufement
M^apprend, Qjie qui bien aime, aime impatiemment^
Qu'en dis-tu?
Enee.
le ne puis (d Roine, qui propofes
Parlant d^vn tel courage, & mille & mille chofes)
Faire que ton parler ne me puiffe efmouuoir^
Ny faire que ie n^aye efgard à mon deuoir :
Ces deux efforts en moy Vvn contre Vautre battent,
Et chacun àfon tour coup deffus coup abbattent :
Mais lors que Vefprit fent deux contraires, il doit
Choifir celuy qu'alors plus raifonnable il croit.
Or la raifon par qui enfans des Dieux nous fommes
ACTE II. 175
Suit pluftoft le parti des grands Dieux que des hommes.
Tu veux me retenir : mais des Dieux le grand Dieu
N^a pas voulu borner mes deftins en ce lieu.
Le Ciel qui moyennant mon courage & ma peine.
Promet vn doux repos à ma race, me meine
De deftin en dejlin, & monftre quefouuent
La celefte faueur bien chèrement fe vend,
Ainfi qu'ores à moy, que le deftin repouffe
Hors d*vn repos acquis, hors d*vne terre douce.
Hors du fein de Didon, pour encores ramer
Les bouillons efcumeus des gouffres de la mer.
Pour voir mille hideurs, tant que cent Hippolytes
En /croient mis encor par morceaux en leurs fuites.
Mais/oit que cefte terre, oit ie conduy les miens.
Semble eftrefeul manoir des plaifirs & des biens :
Soit que- V onde irritée, & mes voiles trop ple\jfies
Repouffent mes vaiffeaux aux terres plus loingtaines :
Soit encor que Clothon renoué par trois fois
Le filet de ma vie, ainfi qu^au vieil Grégeois :
Soit qu*apres mon trefpas ma mère me rauiffe,
Ou qu'aux loix de Minos mapauure ombre fiechiffe,
hxmais ne m^aduiendra, tant que dans moy Vauray
Mémoire de moymefme, & tant que ie feray
Enee, ou bien d^Enee vne image blefmie.
De nier que Didon & de Roine, & d'amie *
N^Mtpaffé le mérite, & iamais ne fera
Que ton nom, qui fans fin de moy fe redira,
Ne m^arrache les pleurs, pour certain tefmoignagc
Qjte maugré moy le Ciel nf arrache de Carthage.
Mais quant à ce départ dont iefuis accufé,
le te refpons en bref : le v^ay iamais vfé
De feintife, ou de rufe en rien diffimulee,
Afin que Ventreprife à tes yeux fuft celée.
L'amour nefe peut feindre : & mon cœur, dont tefmoins
Sont les Dieux, me forçoit au congé pour le moins.
Celuy rCeft pas méchant qui point ne recompenfe :
Mais méchant eft celuy qui aux bienfaits nevenfe,
le n^ay iamais auffi prétendu dedans moy,
178 DIDON, TRAGEDIE. .
Toute pleine <Vvn Dieu, qui mejloit fon langage
De mots entrerompus, & dont lesfainâs efforts
La faifoijsnt forcener pour les pouffer dehors.
Nous auoit dit, qû*apres la Troyenne ruine.
Apres les longs trauaux foufferts en la marine,
le viendrois replanter noftre règne, & mon los.
En la terre qui tient Saturne encore enclos?
Te.dy-iepas qu'ainfi les effroyans oracles,
Lesfonges, les boyaus, & les foudains miracles
Des cheueux de mon fils, mefmement le difcofirs
Qjte le bon Helenus me fit fus tous mes iours,
Voire iufqu'à la voix de la falle Hai-pye,
Appelloient à ce but ma trauaillante vie?
As tu donc oublié, que quand nous abordafmes
Et qu^humbles deuant toy long temps nous harangafmes
'De ce qui nous menoity & quel effrange fort
Nous auoit faiâ alors ancrer dedans ton port.
Nous dîfmes deffus tout, que défia fept années
Nous auoient veu cherchans la fin des deftinees,
Q}ti Vheureufe Italie à ma race donnaient.
Et qui là les labeurs des Phrygiens bornoient?
Tu ne peux ignorer que toute humaine attente
Nef oit toufiours au lieu, qui tout feul la contente :
Et que ie n^èuffefceu, voyant deuant mes yeux
Sans fin, fans fin, ce but où me tiroient les Dieux,
Par vn nouueau ferment autre promeffe faire
Qjie Peuffe veu du tout à mon efprit contraire.
Car qui eff celuy-là, quifçachant vrayement
QuHl faulferala foy de fon traiffve ferment ,
Aura pluftoff en foy de refufer la crainte,
Q}te V éternel remors d'auoir fa foy contrainte
Outre fon efperance ? Il ne faut donc penfer
Que Vaye iamaisfceu la promeffe auancer.
Qui pourroit {ie fuis tel) fi telle elle eftoit faite,
Bon gré maugré les Dieux empefcher ma retraite,
le ne dypas qu^en tout incoulpable ie fois:
Vn feul deffaut me mord, c^efi que ie ne deuois
Arreftant fi long temps dans cefte eftrange terre.
ACTE II. 179
Te laiffer lentement prendre au laqs qui te ferre :
Mais prens fen à V Amour, V Amour fa peu lier :
Et V Amour m*a peu faire en ta terre oublier,
■^mourf non àfonfaiÛ, mais à f on feu regarde :
'Et le danger le prend quand moins il y prend garde.
Si tel amour tufens, ie lefens tel auffi,
Qji^encores volontiers ie m^oublirois ici :
Tefmoins me font nos Dieux, que iamais les nuiâsfombres
Ne nous cachent le ciel de leurs efpeffes ombres
Qyie de mon père Anchife enfurfaut ie ne voye
LHmage blemiffante, & qu*elle ne m^effroye,
SoUuent nCeffroye auffi, Afcaigne, dont le chef
le voy comme dans Troye embrafer de rechef.
Tout cela nonobflant n^a point eu tant de force
Qfi^tf eu ce iour le Dieu, qui au départ me force.
le iure par ton chef, & par le mien auffi,
Qfte manifeflement t*ay veu de ces yeux-ci
Mercure des grands Dieux le meffagerfidelle.
Entrant dans la cité, m'apporter la nouuelle,
Enuoyé du grand Dieu, qui fait fous foy mouuoir
Et la terre & le ciel, pour me tancer d'auoir
Seioumé dans Carthage, oublieux de Viniure
Q^e ie fais à Afcaigne, & à fa geniture.
Or cejfe ceffe donc de tes plaintes vfer.
Et mefme en fembrafant tafcher de m'embrafer.
La plainte fert autant aux peines douloureufes,
Qfié Vhuile dans vn feu : les rages amoureufes
S'appréhendent au vif lors que nous nous plaignons.
Et les defefpoirs font des regrets compagnons.
Ce iCeftpas de mon gré que ie fuy V Italie :
Mm la loy des grands Dieux les loix humaine^ lie.
Ne me remets donc rien en vain deuant les yeux,
le m'arrefte à Varreft de mes parens les Dieux,
Didon.
Lu Dieux ne furent oncq tes parens, ny ta mère
Ne fut oncq celle là, que le tiers Ciel tempère.
\_
180 DIDON, TRAGEDIE.
Le plus bénin des deux : ny oncq {traiftre menteur)
Le grand Dardan ne fut de ton lignage auteur»
Le dur mont de Caucafe, horrible de froidures,
(O cruel) f engendra de/es veines plus dures :
Des TigreffeSj ie croy, tu as fucé le laiÛ^
Ou pluftoft d^Aleâon le noir venin infeâ,
Qjii tellement autour de ton cœur a pris place,
QjAe rien que de cruel & méchant il ne brajfe.
N^allegue plus le Ciel guide de ton efpoir,
Car ie croy que le Ciel a honte de te voir :
Sans tels hommes que toy le Ciel n^auroit point d'ire,
Jupiter n^auroit point de fes tonneaux le pire.
Voye^ Ji feulement mes pleurs, ma voix, mon dueily
Ont peu la moindre larme arracher defon œil?
Voye\ fil a fa face ou fa parole efmeué?
Voye!( fi feulement il a fléchi fa veué 9
Voye^fil a pitié de cefte pauure amante.
Qu'à grand tort vn amour enraciné tourmente,
Plus qu'on ne voit Sifyphe aux enfers tourmenté.
Sans relâche contraint defon fardeau porté?
Voire plus que celuy qui fans ceffe fe roué,
Emportant defon pois & foymefme & fa roué?
Car toufiours aux enfers vn tourment efl égal :
Mais plus ie vais auant, &plus grand efl mon mal,
Toutesfoisce cruel n^en a non plus d'atteinte.
Que fi mon vray tourment n'eftoit rien qu'vne feinte.
Qu'on ne me parle plus des Scythes^ ny des Rois,
Qui ont tirannifé Mycenes fous leurs îoix :
Qu'on ne me parle plus des cruautes[ ThebaineSy
Lors que des bas enfers les rages inhumaines,
Semans vnfeu bourreau des Ioix, & d'amitié.
Se faifoient elles mefme, en leur rage, pitié,
Qpt'on ne m'eflonne plus de tout cela que Vire
Des hommes peut braffer : tu peux, tu peux fuffire
A monfïrer qu'vn feul homme a d'inhumanité
Plus que cent Tigres n'ont en foy de cruauté.
Car en tout ce qu'on peut raconter des Furies,
Qjii fembloient fe iouër & du fang & des vies.
ACTE II. l8l
La cruauté naiffoit de quelque deplaifir^
Et ta cruauté naift de fauoir faiâ plaifir :
Voire vn plaifir^ helas ! dont la moindre mémoire
Deffus vn cœur de marbre auroit bien la viâoire,
O luHiOH, grand lunon, tutrice de ces lieux,
O tqymefme grand Roy des hommes & des Dieux,
De/quels la maiefté traijtrement blafphemee,
Affeura faulfement ma pauure renommée :
Qji^ejt-ce, qu*e/t-^e qui peut or* me perfuader.
Que d'enhaut vous puij[fieiç fus nous deux regarder
lypnvi/age équitable? Ha grans Dieux, que nous/ommes
Vous & mqy bien trahis î la foy^ lafoy des hommes
N*ejtjeure nulle part : las! comment, fugitif.
Tourmenté par fept ans de mer en mer, chetif.
Tant quHl fembloit qu^au port la vague fauorable
Veufi ietté par defpit,fouffreteux, miferable.
Je Vay, ie Vay receu, non en mon amitié
Seulement^ mais (helas J trop folle) en la moitié
De mon royaume auffi, : fayfes compagnons mefme
Ramené de la mort : ha vne couleur blèfme **
Me prend par tout le corps, & prefque les fureurs
Me iettent hors de mqy, après tant de faueurs.
Maintenant, maintenant il vous a les augures
D' Apollon, il vous a les belles auantures
De Lycie, il allègue & me paye en la fin
D*vn meffager des Dieux qui hafte fan deflin.
Oeft bien dit, c'efl bien dit, les Dieux n^ ont 'autre affaire :
Cefeulfouci les peut de leur repos diflraire :
le croirois que les Dieux affranchis du fouci.
Se vinffent empefcher d^vn tel que ceftuy-ci.
Va ie ne te tiens point : va, va ie ne réplique
A ton propos, pipeur, fuy ta terre Italique :
Pefpere bien en fin {fi les bons Dieux aumoins
Me peuuent eflre enfemble & vengeurs & tefmoins)
Qjt^auec mille fanglots tu verras le fupplice,
Q^e le iufte deflin garde à ton iniuflice.
A/ef tofl vn malheur fe fait à nousfentir :
Mais las ! toufiours trop tardfe fent vn repentir.
l82
DIDON, TRAGEDIE.
Quelque ifle plus barbare, où les flots équitables
Te porteront en proye aux Tigres tes femblables,
Le ventre des poiffons, ou quelque dur rocher
Contre lequel les flots te viendront attacher,
Ou lefons de ta nef, après qu^vn trait de foUdre
Aura ton mas, ta voile, & ton chef mis en poudre,
Sera tafepulture, &mefmes en mourant,
Mon nom entre tes dents on forra murmurant :
Nommant Didon, Didon, & lors toufiours prefente
D*vn brandon infernal, d^vne tenaille ardente.
Comme fi de Megere on m^auoH fait la fœur,
Pengraueray ton tort dans ton pariure cœur.
Car quand tu m^auras fait croiftre des morts le nombre.
Par tout deuant tes yeux Je roidira mon ombre.
Tu me tourmentes : mais en V effroyable trouble
Oti fans fin tu feras, tu me rendras du double
Le loyer de mes maux : la peine eft bien plus grande
Qui voit fans fln f on fait : telle ie la demande :
Et fi les Dieux du ciel ne m'en faifoient raifon,
Pefmouurois Vefmouurois Vinfemale maifon.
Mon dueil h*a point de fln : vne mort inhumaine
Peut vaincre mon amour, non pas vaincre ma haine.
Je le fen, ie le voy, ouy grands Dieux ! ie le voy :
Le mal eft le degré du mal : fouftene:(»^moy,
Entron, ie ché, ie ché, entron»
Enee.
Ofaints Augures,
Interprètes des Dieux, qui des chofes futures.
Des pref entes auffi, donnes^ aux bas mortels
Les foudains iugemens, paroiffe!( ores tels,
Qjte Didon puiffe auoir par vous la cognoijfance.
Et du vouloir des Dieux, & de mon innocence.
Mais quelle horreur Vefprend? comment, 6 cherfupport
Des peuples afflige:{ (il faut iufqu^à la mort
Que ie confeffe ainfi) comment, ô chère Dame,
Comment doncfouffre^ vous de cefte gentile ame
Euanouir la force? O lupiter^ quel œil!
ACTE II. l83
Qui euftpenfé V Amour père d^vn fi grand dueil?
Qftelle torche ay-ie veué en f es yeux qui mefuyent?
Comment auec mes yeux mes paroles Vennuyent ?
En quelle pafmoifon la conduit-on dedans?
Comment fon eftomaeh de gros fanglots ardens
Bondit contre le Ciely & tout defpitp efforce
De mettre hors fon Jeu qui prend nouuelle force
Du vent qu^elle luy donne ? & comme peu à peu
Les JouJJlets fe renflans embrafent vn grand feu?
Maint foufpir bouillonnant qui fon brafier allume.
Fait qtû auec fon humeur fon amefe confume,
Qjiels propos furieux m^a elle dégorge:^ ?
Le courroux fait la langue : & les plus outrage:^
Sont ceux, qui bien fouuent pouffent de leurs poitrines
Des chofes, que Vardeur faitfembler aux diuines,
Penfuis encor confus : vne pitié me mord :
Vn friffon me faifit : Mais rien, finon la mort,
Ne peut rendre celuy des encombres deliure,
Qjii veut le vueil des Dieux entre les hommes fuiure :
Et femble que le Ciel ne permette iamais
La vraye pieté paffembler à la paix,
O Amour j ô Mercure, ô Didon, ô Afcaigne,
O heureufe Carthage^ ô fatale campagne
Où Jupiter m'appelle, ô regrets douloureux,
O bien heureux départ^ ô départ malheureux !
Le Chœur.
Q^l heur en ton départ?
Enee.
L^heur que les miens attendent.
Le Chœur.
Les Dieux nous ont fait tiens
184 Dim}N, TRAGEDIE.
Enee.
Les Dieux aux miens me rendent.
Le Chœur.
La feule impieté te chajfe de ces lieux,
Enee.
La pieté deftine autre fie ge à mes Dieux.
Le Chœur.
Quiconques rompt lafoy encourt des grans Dieux Vire.
Enee.
De la fo^ des amans les Dieux ne font que rire.-
Le Chœur.
La pieté ne peut mettre la pitié bas.
Énee.
La pitié m^affaut bien, vaincre ne me peult pas.
Le Chœur.
Par la feule pitié les durs deftins fefmeuuent.
Enee.
Ce ne font pas deftins fi fléchir ilsfe peuuent.
Le Chœur.
Vn règne acquis vaut mieux que Vefpoir d^eftre Roy.
ACTE II. l83
Enee.
Non cefiuXf mais vn autre eft deJHné pour moy,
' Le Chœur.
Quel paUfe rendra /cachant ta deceuance?
Enee.
Pajr non pas au pàSs, ains au Ciel ma fiance.
»
Le Chœur.
Qsie la Religion ejtfouuent vn grand fart !
Enee.
La Religion fertfans art & auec art.
Le Chœur.
Sans la Religion viuroit vne Iphigene.
Enee.
Sans elle aujfi viuroit & Troye & Polyxene.
Le Chœur.
Ton pauure Aftianax fentit bien fon effort.
Enee.
Les Grecs ne font point feurs che:{ eux que par fa mort.
Le Chœur.
A Diane elle fait des hommes facrifice.
12*
l86 DIDON, TRAGEDIE.
Enee.
Diane par lefang humain nous eft propice,
he Chœur.
Qite d'autres meurdres, las! elle a mis en te rang,
Enee.
Le Ciel aujfi requiert obeîffance oufang.
Le Chœur.
Tu feras que Didon en augmente la bande.
Enee.
Ha Dieux f ha Dieux, tay toy, vn remors me commande.
Bien qu'il f oit fans effet, de rompre ce propos :
lamais homme n'aima fans haïr f on repos,
LE CHŒVR.
Quelle orde pefte recelée,
D'vne feinte difjimulee.
Seul mafque de nos trahifons,
Qtii dejfous vn ferain vifage
Couue dans le traiflre courage
Mille renaijfantes poifons '•,
Et tant de mal aux autres donne,
QjA'enJîn fon maiflre elle empoifonne ?
Telfouuent nourrit vne haine.
Qui emmielle fa langue pleine
De toute ardente affeàion :
Tel bien fouuent les Dieux mefprife.
ACTE II. 187
Qjiipour baJHrfon entreprife
Ne bruit que de Religion :
Uvn ainfi les efprits amorce^
Vautre ainfi peu à peu prend force:
Tandis S Vvne & Vautre feinte
Donne mainte mortelle atteinte :
Car Vefprit qui fepenfe aimé
Se prend &fe plaijt enfaflame
Tant quHl fente le corps & Vame^
Le bien & Phonneur confommé.
Enfon repas Voifeau p englué :
D^vn apaft le poiffon fe tué :
Et Vautre qui du tout Je fie
Des bienSy de Vhonneur, de la vie,
Sus celuy qui penfe eftre'fainâ,
Voit enfin Vame ambitieufe^
Vne ame en fin feditieufe,
Qjii tout vif iufqu^au vif V atteint :
Le vipère meurty pour foliaire
De trop à fa vipère plaire.
Alors tant plus de force on vfe,
Q^and on voit la traifireffe rufe,
Etfouuent plus onfe fait tort :
Vn mal vient plusfoudain abbatre
Ceux, qu^on voit le plusfe debatre ''' :
Comme vnfanglier qui tant plus fort
Pouffe, efcume, gronde. S- enrage,
S'enferre toufiours d^auantage.
De qui neferoit defcouuerte,
Cefie ame en toute feinte experte,
Dont ce Troyen nous abufoit.
Alors que d*vn amour extrême.
Alors que defesgrans Dieux mefme
Lapauure Didon amufoit?
Autour du miel pique V abeille,
Et Vafpic dans les fleurs fommeille .
Ce pendant^ ô fort improfpere,
O Amour traiftre, auec tonfrerc
l88 DIDON, TRAGEDIE.
La pauure Roinefe paiffant,
De ce/te feinte variable
Reçoit par vn feu véritable
Vn trefpas cent fois renaiffant,
Ainji donc les colombes meurent :
Ainji les noirs corbeaux demeurent.
Les yeuxfanglans, la face morte,
Le poil méfié y le cœur tranftj
Efforce fa force peu forte,
Et fus f on lia pétille ainji,
Ott* Hercule arrachant fa chemife,
Qui ia iufqu'à Vosfefloit prife.
Mais comment fe pourroit-il faire.
Que le Ciel vn iour n^enuoyafk
De ces trahifons le foliaire,
Qui f on maiftre en la fin payafl?
Ainji la vipère tortue
Nourrit enfoy ce qui la tue.
ACTE III.
DIDON, ANNE, ENEE, ACHATE.
Didon.
Foible, palle, fans cœur, fans raifon, fans haleine,
Anne mon cher fupport, maugré moy ie me traine
De rechef çà & là, mal apprife à fouffrir
Vn repos qui me vient Vimpatience offrir :
Tant que quand tu verras fus la prochaine riue,
La mer qui fe tenoit dedans- f es bords captiue.
Lors qu^vn Aquilon vient dejfus fes flancs donner,
Bruire, bondir , courir, iufqu^au ciel bouillonner,
Et fans aucun arrefl pouffer iufqu^aux campagnes.
De fes flots dépite^ lesfuiuantes montagnes.
ACTE XII. 189
Tu verras, tu verras Veft^ où vn trompeur
A fait eftre le corps & Vante de tafceur.
Et tien que ie ne femble ejh*e tant effrénée^
Qfie quand ie rembarrayde mes propos Enee y
Plus Pay perdu dans moy de defpit rigoureux ,
Et plus Pay regaigné de tourmens amoureux.
Alors que contre nous la fortune P efforce ^
Du decroijt d*vn grand mal P autre malfe renforce :
Tant que ie croy les Dieux contre mon chefiurer
Déplus en plus me faire en mesAours endurer,
MaiSy las! fi ie defplais au Ciel, & fi Venuie
D^vne Ale&on "mutine en veut tant à ma vie,
Qjie ne vient on changer à ma mort ma langueur?
Si de mon heur P amour ne veut qtC eftre vainqueur.
Si Venus quelquefois par Junon outragée,
Ne veut que par ma mort efire d*elle vangee,
ijlie ne m^ont ils permis en cefle pafmoifon.
D'où ie reuien, d? entrer en la noire maifon?
Peuffe appaifé d^vn coup par Pextreme allégeance
Mon tourment, leur dédain, leur enuie & vengeance.
Auec mon fang fe fufl mon brafier refi'oidi,
Auec mesfens fefuft mon trauail engourdi,
O malheureufe ardeur, qui reuiens en mes veines!
O malheureux refueil, qui me rends à mes peines!
Qu'heureufement Peftois oublieufe de moy!
Qyte maugré moy ie prens le iour que ie reuoy !
lefens, Anne ma fosur, iefens, veu la racine
Qjie mon mal incurable a pris dans ma poitrine,
Qjie rien ne me fçauroit, non pas la mefme mort,
Fauorifer au mal qui redouble fi fort :
Si le courroux ardent, & la haine irritée
Contre vn, duquel on a Vamorce trop gouftee,
Pouuoit Pardent effort de Pamour amortir.
Le courroux vfCeufï P exil de Pamour fait fentir :
Veu qWvn tel creuecœurpeft aigri dans mon ame.
Que moindre que mon ire on euflpenfé maflame.
Mais le feu jiCefi iamais du feu P allégement :
Et le defpit du mal nous caufe vn tiers tourment.
••• '
102 DIDON, TRAGEDIE.
Que du Ken que fay fait mon mal f oit le fallaire,
Prejidefus la trm^, encores moins efmeu
Des vents, que de mes pleurs qui mouuoir ne Vont peu.
Confiant en foiijpmpQS, autant qu^en V alliance
QuUl a fait auec nous il monfire dHnconftance :
S* il eft ainfi^ mafœur, que ton confeil premier
ATa fait mettre ma vie en la main du meurdrier :
SHl efi ainfi qu^encor ta pauure fœur tu aimes.
Qui Vaime toufiours plus ^^elle n'aime foymefmes :
5'i7 ^ ainfi qn^Enee entre tous fhonorafi,
Et en tous fes fecrets vers tqyfe retirafi :
S*il efi ainfi que feule entre tous tu cogneujfes
Les addrejfes vers Vhomme, & que les temps tu fceuffes^
Va ma fœur & luy dy, ày îuy, ma fœur, qu^helas
Mif érable Didon, de ceuxie ne fuis pas
Qui pour les fils d^Atree en Aulide iurerent
La ruine Troyenne, & leur force y menèrent :
le n*ay hors du tombeau la cendre bien aimée
Defon bon père Anchife, au gré du ventfemee :
le ne luy ay pasfaiâ, pour tafcher de vanger
lunon contre Venus, fon Afcaigne manger :
Pourquoy veut-il boufcher Voreille à ma parolle ?
Où court-il ? efi-ce ainfi qu'vne amante on confole ?
S'il fe repent fi tofi de promettre à Didon
Le refie de fes iours, aumoins vn dernier don,
Vn dernier don aumoins à moy laffe, fottroye,
Moy pauure amante, helas! que fa rigueur foudroyé,
Oefi quHl vueille le temps attendre feulement,
Q}iHl pourra dans la mer f embarquer feurement :
QuHl attende le temps, qu^auecque ma fortune
Nous voyons appaifer & les vens & Neptune.
Adieu Hymen, adieu mariage ancien.
Puis qu'Enee en trahit le mal-noûé lien:
le ne luy requiers plus, que pour fa fimple hofieffe,
Albe, Romme, Italie^ & tout le monde il laijfe :
QjdUlpen voife bafiir toutes telles cite:(.
Dont il a {ie le croy) les beaux noms inuente:^ :
le ne veux plus en rien me rendre à luy contraire,
ACTE III. 193
Tant pour mollir f on cœur il méplat^ de luy pHaire :
fUen plus ie ne requiers, fors qu^vn temps qui eft vain,
Pour efpace & repos de mon tourment certain :
le ne requiers finon que ce dernier relâche,
A fin que ma fortune enuieufe, qui tache
Me faire vaincre à mo^ m^apprenne à me douloir.
Non d*vne douleur foire vn hideux defefpoir,
La {chère Sceur) la doncj prens peine, ie te prie^
De mes pleurs, de mes cris, de mes foux, de ma vie :
Feins en toy d^ejh'e moy, & vien gefner tesfens
Pour vne heure du mal qui me poind fi long temps :
Tu n^aura8,fi tufens tant foit peu mes alarmes,
Pour ce marbre amolir, que trop, que trop de larmes :
Plus pitoyablement encor ie fn\firuirois.
Si tous pleurs n*empe/choyent V accent piteux des voix.
O Amour, traiftre Amour, ô Amour!
Anne.
Le dueil ferre
Et mes pleurs, & ma voix, lors que ta voix m'enferre
lufqu^au plus creus de-Vame: ha, foux Amour, iefens
Ç^e tafiere rigueur n^en veut qu'eaux innocens.
Pourtant, pourtant Amour, fi toymefme & ton frère
N^eftes fils d*vn Pluton, conceus d'vne Megere,
Si tous deux ne portei( autour d^vn cosur mutin,
L'inexpugnable fort d*vn roc diamantin :
Si V Enfer ne vous prefte à la dolente terre.
Pour reuenger fes fils accable:^ du tonnerre
Par mille impiété^ : fi encor de vous deux
Le Ciel n^aplus d^effroy, qu*enfemble de tous eux,
le croy que la pitié de mon humble harangue,
La pitié de mes pleurs, faifant tort à ma langue,
Fera, que comme nous tu Patteignes au vif.
Vkumble douceur commande au cheual plus rétif.
Non le rude efperon. Mais fois, fois nous propice,
Venus, meré d'Enee : ainfi pour facriftce
Du feu des aubefpins, foit ton autel orné ,
lodelU, — I. i3
^
* 194 DIDON, TRAGEDIE.
*■
' D^vn myrte & cPvn rojier vermeil encourtiné,
Le Cygne & le Pigeon en ton offrande tombe,
Et tottfiours en honneur foit d^Ançhife la tombe,
Didon.
Noftre ame, quand Vhorreur des filles de la nui&
De propos en propos, de pas en pas la fuit,
Or* de brandons ardens^or^ d!* ardentes tenailles.
Et 09* de noùvferpens deuorant nos entrailles ,
Combien qu'enuers le Ciel incoulpable elle foit,
Toufiours enuers foymefme vne coulpe conçoit.
Se condamnant fans fin des chofes quifuruiennent.
Croyant que pour cela l^ rages la retiennent^
Encor qu* enuers le Ciel ie n^aye coptmis rien
Qui le face auiourdhuyjne priuer de tout bien.
Si éfi-ce qu'yen oyant mes parolles dernières,
Par qui ma fœuréreffoit à Venus f es prières,
A fin que Vobftinéfe ployaft à mon gré,
{Cet obfiiné que i^ay fans fin au cœur ancré)
le me fuis condamnée, en iugeant que {a faute
De n^auoir tout ce iour à la maiefté haute
De Venus Cyprienne offert mes humbles Vpsus,
A refroidi fon fils & rembrafé mes feux.
Il faut donc que dreffant vers les deux la lumière^
le fappaife, ô Deeffe, ô grand* Deeffç, mère
De tout efire viuant^*, qui asjoufiours efié
Des hommes & des Dieux la feule volupté ;
Aime Venus qui tiens fous la gnand* fphere blonde
Des ftgnes porte-iour, le plus beau ciel du mofidç :
Oii les Amours archiers, le^ follafires defirs,
Les Charités, les ieus, les ajfeure^ plaifirs,
\ Oii de tous animaux, les moules, la figure,
Qjie Dieu par toy, fa fille, ottroye à la Nature,
D^vn accord mefuréfe roulent plaifamment,
Infpirant mainte vie en leur fainû mouuement,
Toy, le but de Nature, à qui ne fçauroit plaire
De défaire aucun œuure, ains toufiours de refaire.
ACTE III. 195
Et qui deffus la Mort gaignes fans fin le pris,
Luyfaifant rendre autant qu'elle en a toujiours pris :
Afin que dépeuplant S- repeuplant la f aile
De Pîuton, Ventretien de ce monde pegalle :
Toy qui fais les oifeauxfe plaire dedans Pair,
Les beftes en la terte^ & les poiffons en mer :
Toy par qui nous voyons les maifons, & les villes.
Les loix, les amitie^^ les polices ciuilles i
Toy qui fais différer tout eftre terrien y
Selon le plus & moins que tu leur fais de bien,
Seul bien vniuerfel, où les hommes afpirent.
Soit que bien, f oit que mai, aueuglés ils défirent:
Toy qui mefléu ta fbtce auec le Ciel, &fis
Sortir mon grand vainqueur^ ton indomtable fils,
Qfii, combien qu^on en face vn autre, dont la dextre
Le grand Caos méfié remit en meilleure eftre,
Monftre de iour en iour {vainqueur m/efme des Dieux)
Combien peut deffus tout fon arc viÛorieux :
Toy de qui maintesfbis mainte S- mainte louange
le retins d*vn vieillard, que d^vn pais eftrange
La Fortune m^auoit en Phenice amené.
Pour polir mon efprit du fien endodriné :
Toy {dy~ié) lasl qui vois lespiteufes merueilles
Qfî'on exerce fur moy: & qui n'as tes oreilles
{Au moins comme ie croy) clofes à mon parler ^
Qfii vois, qui vois mon corps d'heure en heure efcouler,
Sous la cruelle ardeur d'Amour, qui me martyre :
Comme deuant le feu on voit fondre vne cire :
Comme fardent metail par rougiffans ruijfeaux
On voit couler en bas des efchauffe:( fourneaux :
Ou comme on voit couler la neige des montagnes.
Et les ruiffeaux glacaç au trauers des campagnes :
Puis que ie h*dy iamais refufé de ployer
Sous les loix quHl fa pieu de ton Ciel m'enuoyer,
Puis que ie n^ayfacré vne ingrate leunejfe
Au trauail inutil de tafcpur chaffereffe :
Si, humble, Pay perdu pour vn hommage faind,
A ton Autel facré mon chafte demy- ceint :
196 DIDON, TRAGEDIE.
Si au fon de ton nom Vay receu ton Enee :
Si ie me fuis, helas! toute à fon gré donnée.
Ployant deffous ton ioug : fi pour V amour de toy
Vay mieulxfaiâ aux Troyens qu^à ceux qui font à moy.
Tourne en ce lieu ta veué, & la mifericorde
De toy, de la fortune, & de tes fils accorde,
Pour iuftement changer mon trauail au repos.
Voy, Venus, le venin qui tient à tous mes os :
Voy tantoft vn brafier, & tantoft vne glace^
Q)4ifoudain me r'enfiamme^ & foudain me r^englace :
Voy mon ame offufquee en tous autres obiets.
Fors qu'en ton fils, qui rend tous mes fens fes fuiets :
Voyfortir de mes yeux, & les larmes coulantes.
Et les brillans ef clairs de mesfiammes bruflantes :
Voy Didon fans humeur, voy Didonfe iettant
A genoux deuant toy, voy Didon fanglotant.
Prens pitié, prens pitié, Deeffe Malienne,
Paphienne, Erycine, Vndeufe, Gnidienne,
Prens, prens donque pitié, & ne permets iamais
Que d^vn tort detefiable on paye mes bienfaits.
Si tu crois que ie Vaye autrefois fait offenfe,
D*auoir fait a lunonplus qu'à toy reuerence,
Amoli toy depleurs, appaife toy de voeus :
le iure tes yeux noirs, ie iure tes cheueus^
Qu^en receuant ce iour par toy ce bénéfice,
le payeray Vvfure à ton fainâfacrifice,
le requiers peu, mais las! toutes telles fureurs
Pour bien peu de relais perdent beaucoup de pleurs,
Enee.
Les ennuis dereigle^, les maux infupportables,
Q}i'on voit fur vn efprit fe rendre infatiables,
La raifon qui nous peut deffous fes loix forcer.
Et la pitié qui peut nos raifons effacer.
Les mots entrerompus par les larmes méfiées,
Et lesfoufpirs tefmoins des âmes defolees,
Ne peuuent rien finon qu'en vain nous efmouuoiry
ACTE m. 197
JLors qu^én vn fait les Dieux nous qftent lepouuoir.
Anne, fi les ennuis & fi Vangoijfe extrême
Me pouuoient qrrefier, Vangoijfe de moymefme,
Sans que ton œil piteux tefmoignafi tant de maux^
Serait la corde & Vançre à retenir mes naus :
Veu que nul nefçauroit la peine ajfe^ comprendre ^
QjtefnHs ceffe en Vefprit mon amour me r*engendre.
Mais les Dieux font fi fi)rts, & du deftin la loy
Se rend fi faindement inuiolable en moy,
Qfie les pleurs de Didon^ que les larmes piteuf es ^
QjCen mùn piteux adieu mes latines angoiffeufesy
Voire des Tyriens les pleurs enfemble vnis,
Voire les pleurs des miens auec les autres mis,
Breff de tous les mortels S- les pleurs & les plaintes ,
Ne pourroient pas des Dieux combattre les loix fainâes.
CefùHS donc déplorer^ tant plus nous plorerons.
Et plus noftre tourment dans nous nous grauerons.
Le pleur qui peu à peu fus noftre face coule y
Etiufqu^à Veftomach^fa refource^fe roule.
Pour de rechef entrant & montant au cerueau
Redefcendre par Vœil, nous mange, comme Veau
Qpi aux iours pluuieux des gouftieres dégoûte,
Mange la dure pierre en tombant goutte à goutte.
Ceffons^ cejfons.
Anne.
Enee, ô Enee obftiné,
Tu as bien ce propos contre toy ramené,
Pour monfirer que ton cœur que haineux tu referres
Sans Vouurir à pitié, eft plus dur que les pierres.
La pluye goutte à goutte vn marbre caueroit.
Et quafi vn torrent de nos yeux ne fçauroit
Mordre dejfus ton cœur, plus félon que ie cuide
Qjûvn cœur de Diomede affommé par Alcide,
Cceur quifouffroit du fang des hoftes faccagej
Voir abbreuuer chei^ foy fes cheuaux enrage:^ :
Plus cruel qu^vn Procufte, & tous ceux dont la guerre
De Thefee & d'Hercule a deliuré la terre.
\gS DIDON^ TRAGEDIE.
Mais qui me fait ainfi ceux ci ramenteuoir^
Si ce n\eft la fureur qu'on me fait conceuoir?
EJl-il pofjible, helas! qu*en Vame féminine
Vne fureur tant afpre é fans bride domine^
Et qui pourrait {bons Dieux) fe- garder de fureur^
Quand on voit qu^on ne peut rien faire par te pleur?
N^ay-ie fceu donc rien faire? & n*ay-ie point Vàddreffe^
De faire la pitié fur ta rigueur maiftreffe?
Se perd doncqUes en Vair tout ce dont Pay plori f
Tout cela dont Paurois Vaimant mefme attiré?
Cela, pour qui les Dieux, que ton dol nous raèoHté,
Seroyent, ie croy, mefchanspils n^en tenoientpoirit conté,
Cela pour qui tout cœur humain ne craindroit pas
Pluftofi qu*y reffter, de fouffrir cent trefpàà,
Faut-il qu*ainfi ie perde ? & faut-il que ie vùyè
Que les Dieux iuftement ont puni ceux de Troyè?
Me faut-il voir encor que ny moy ny Didon
hPauons iamais penfé au vieil Laomedon?
Si de tromper les Dieux ceftuy-la print V audace,
Ha que nous falloit-il efperer de fa race?
Qjie porté'ie à ma fœur, fors le venin dentier,
Qjii la va faire voir Vinfernal Nàutonnier ?
Puis-ie encor à fes yeux me monflrer en lafofte,
Moy qui ouure à fes maux & à fa mort la porte ?
PuiS'ie, puis-ie me voir moymefme le corbeau
De ma fœur, luy portant V augure du tombeau?
Hé que fçais-tu {Cruel!) qui donnes telle atteinte
A ceux qui te font bien y fi de ton fait enceinte
Elle ne cache point maintenant dedans foy
(O fardeau malheureux!) vne moitié de Roy?
Veux-tu qu*auant que voir du monde la lumière,
Ton propre enfant fe face vn cercueil de fa mère?
Veux-tu pour rendre Afcaigne, & les fiens triomphans.
Faire eftouffer ainfi Vautre de tes enfans ?
Las ^ fi les mères font en voftre endroit coulpables,
{Grands Dieux) qu'en peuuent mais les enfans miferables?
Quant aux mères, ie croy, que tu es coufiumier
{O le loyal efpoux) d*en eftre le meurdrier.
ACTE III. 199
•
Si Ion demande où efi la mère à ton A/caigney
Elle eft où tu veux mettre vne autre, que dédaigne
Tellement ta fierté, quHl Jemhle que le Ciel
Dedans ton loche efprit n'ait verfé que du fiel :
Et quHl Pegaye ainfi, que de tout temps tu rompes
Auec lafûyj la vie» à celles que tu trompes.
Hé qui croira iamais qu'on puijfe refufer
Vn delay feulement? mais ie ne fais qu'vfer
Et ma langue & mes yeux en mes vaines reproches.
En vain tafchent les vents de combattre les roches.
Voila Pheureux loyer: penfes, que pour vn tel,
Mafœur deuoitfentir d'amour le dard mortel :
PenfeSf que ie deuois , miferable S- deceué
Pour vn tel donner force à lafiamme receuê,
le deuoii bien luy plaire au vouloir d'vn mechef :
Nous dénions bien omèr de fueilles noftre chef
Pourfiùre aux Dieux, feigneurs desfacre:{ mariages.
Pour vn tel que ceftuy, les fainâs facrè:{ hommages :
le deuois bien luy faire vn Sichee oublier,
Pour au lieu d'vn efpoux à Pluton Vallier.
Deuions nous mille honneurs, mille carejfes rendre ,
A celuy qui filoit le cordeau pour nous pendre?
Ha ie ne puis, alors qu'vnfi durfouuenir
Mereuient, ie ne puis mon ame retenir,
le nutfàuls à moymefme, &fans Vire enflamee
Qjti m*aigr\fi &foufHent, on me verroit pafmee.
Je m*en vais, ie le laiffe, 6 rigueur incroyable !
Qjte cefi homme inconfiant en nos malheurs efi fiable!
Enee.
O quel tumulte, Achate.
Achate.
Amour fait la dif corde.
Enee.
Vois tu point de remède?
200 DIDON, TRAGEDIE.
Achate.
Auec la Roine accorde.
Enee.
Dois-iepour accorder difcorder au deftin?
Achate.
Va donc : Celuy fait bien qui fait à bonne fin,
Enee.
* Pourquoy me gefne donc ma confcience encore ?
Achate.
Oeft V Aigle qui le coeur fur Caucafe deuore,
Enee.
O grand Ciel, que voit-on au monde d'arreflé?
Achate.
Le Ciel a retiré toute tranquillité.
Enee.
Quel bonheur donque refte au monde pour les hommes ?
Achate.
De n'efire pas long temps ce que chetifs nous fommes.
Enee.
Qu^ attendons-nous pour fin & loyer des trauaux ?
ACTE III. 201
Achate.
La mort eft le loyer de nos biens S- nos maux.
Enee.
^11/ donques n$ peut-il ici bas heureux ejire?
Achate.
Celuy que pour heureux les grands Dieux ont fait naiftre.
Enee.
Je croy que le bon heur des humains ne leur plaift,
Achate.
Pour ce que leur honneur bienfouuent nous deplaift.
Enee.
le pen/e voir le iour que la colère ardente
De lunon redoutée^ enuoya la tourmente .
Contre nos pauures naus, S- qu^à voir vn tonnerre
EJjpoUuenier la mer, & de/placer la terre.
Les efclairs redoubler, & des vens aduerfaires
Les gojiersp aboyer, & refiffler contraires.
Les flots monter au ciel, il fembloit que les ondes
Tafchaffent de rouir aux abyfmes profondes.
Ceux qui feftoyent fauue\ de la Troyenne cendre :
Qjtand vnjeu nous pardonne vne eau nous vient attendre.
Durant Vorage tel mes naus vireuoltees,
S'écartans ça & là, de tous cofte:ç iettees
A la merci du vent, fansfuiure route aucune,
Ore deuers le Nord attendoyent leur fortune,
Ore deuers le Sud par le Nord ramenées,
Et ore deuers VEft Je voyoyent deftoumees
202 DIDON, TRAGEDIE.
Par VOueft oppofé : tant que la mer bonace
De fes frères bandes^ appaifant la menace,
Nous euft pouffe\ à bord : le fens de me/me forte
{Ore que ma fortune arrefle que te forte)
Agiter mon efprit, qui çà qui là fe vire
De cent troubles diuers, comme au vent le nauire.
D*vn coflé le proffit, la peur me tient de Vautre,
Soit la peur de fa mort, foit la peur de la nofïre :
Didon & la faifon font d^vne fureur mefme :
Mais la plus grand^ fureur, c'efï la fureur fupreme.
Achate.
Qitoy? où reuenons nous? quoy, toy qui as pour mère
Vne Venus, faut-il tenir du tout du père ?
Enee.
Hafoy^ ha fiable foy, feul gage inuiolable
Des hommes & des Dieux, cent fois efi puniffable
Celuy qui Voff enfant de certaine fcience
Amortit Véguillon quefentfa confcience!
Il luy deuroit fembler, lors que le Ciel tempefie,
Q)iiHl ne f^ émeut ftnon que pour brifer fa tefie :
H luy deuroit fembler lors que la mer p irrite,
Q}ie contre luy tout feul f on courroux fe dépite :
Mefme au moindre combat, chetif, il deuroit croirey
Que le Ciel Va défia priué de la viâoire ,
Puis quHl a hafardé auec fa foy première^ ^
L^affeurance^ le fens, la force coufiumiere.
Car de toutes les peurs, la peur la plus extrême
Oefï la peur d'vn efprit coulpable enuers foy mefme,
Q}ii fefpouuante tant, que mefme fans encombre
Se voit fuiure fans fin de la peur de fon ombre.
Faut-il que maugré moy les peurs en moyf empreignent?
Faut-il que maugré moy les durs remors m* eflreignent?
Faut-il que maugré moy, voire en mon innocence
le m'accufe à grand tort d^vne exécrable offenfe?
ACTE 111.
203
Âchate.
Si tu ne fçais ajfe\y que nous imprudens hommes.
De nous me/me toujours les aduerf aires fommes,
Les luges f les bourreaux j tu te le peux apprendre
Du mal que ton efprit pour foymefmes engendre.
Ta feule opinion eft de ta crainte mère :
La crainte du remors : le remors eft le père
D^vne autre opinion, que tu prens quand tu penfes
Offenjer griefuement, lors que point tu n^offen/es :
Mais moy qui foucieux à tout danger regarde,
le fens vne autre peur : Vay peur que trop on tarde
Dans ce haure : tu fcais combien eft monftrueu/e
D*vn courroux féminin V ardeur tempeftueufe.
Nous verrons tout foudain les troupes Tyriennes
Darder le feu vangeur dans les naus Phrygiennes :
Nous verrons tout frémir, & ces riues mouillées
De fang & de corps morts hideufement fouillées.
Partons donc au plus toft.
Enee.
Auf/î toft que les fommes
Auront vn peu cefoir rafrefchi tous nos hommes,
Je feray que Ion fingle : A a, quoy quHl en forte,
Vn pefant fais de maux auecques moy V emporte.
Las! nous faut-il voguer fans fçauoir quelle iffué
Sortira d*vn amour qui fon amante tué?
Pauure Didon, helasi mettras tu Vaffeurance
Sur les vaiffeaux marins, qui n'ont point de conftance?
LE CHŒVR.
Ceux que Fortune exerce aux trauaux de ce monde^
N^ont pas beaucoup d'effroy, fi leur faut dejfus Vonde
Sans relâche ramer :
Veu que mefme au millieu du repos & des villes.
204 DlDONy TRAGEDIE.
Les humains vont fouffrant^ au lieu d^eftre tranquilles j
Vne étemelle mer,
Nqftre Prince porté par la mer incertaine,
Sentira dans Vhyuer vne mer plus humaine
Que la mer du fouci,
Didon, qui dans fa ville auec lesjtens demeure,
Sent vne horrible mer plus cruelle à cefte heure.
Que n^eft cèfte mer ci.
Malheureufe cent fois celle qui abandonne
A Veflranger fon cœur, fon lia, S fa couronne :
Le murmure nouueau
De fon peuple, P adieu du mari qui f^abf ente,
Et fon dur defefpoir, luy feruent de tourmente,
Enfondrant fon vaiffeau.
ACTE IIII.
ANNE, BARGE, DIDON.
Anne.
A fil donques bien peufe renforcer de forte,
Qu*à toutes pafjtons il ferme ainjî la porte?
A Velle donc bien peu paffoiblir tellement,
Qjte de fe laijfer vaincre à V effort du tourment?
Elle meurt, elle meurt : la, ia, dans fon vifage.
De la mort palliffante on voit peinte V image :
Encor tant les amans fe nourriffent de pleurs.
Et tant les furieux fe plaifent aux fureurs.
Elle a voulu que feule en fon mal on la laiffe :
Las, veut elle forcer la mort par la dejlreffe?
Deufi elle pas trouuer, mefme en la trahifon
Qjii la fait forcener, fa propre guarifon ,
En p égayant plus tojl de perdre vn tel pariure,
Qjde faire pour vn traiflre à fon repos iniure ?
lfe»i/t-U pal deu pluftqft, que de la courroucer,
De quelque moindre oj^fe aimer mieux tre/paffer?
Peut-il voir que par lujr la vie fait rauie
A cette, dont il tient &/on heur & fa vie ?
Fuit qu'Ut n'ejloyeut plut qu'un en ce laqs d'amitié,
Penferoit-il après durer fans fa moitié,
En fentant mefmement l'implacable furie,
He Vaaoir pour loyer lujrmefme ainji meurdrie 9
Loi las! on voit mes fens, Baree efpouvente toy :
Baree, chère nourrice, ajjemble auecques moy
L'ejlonneinent, Vhcrreur, Us plaintes, S les larmes,
Et fil efi oncq pofjible, en fi cruels alarmes
Wvfer d'aucun coufeil, confeille le moyen
De bannir hors du eaur de ma Sceur ce Troyen,
L'âge toufiourt apprend, & n'ejlpas qu'ancienne
Tu Wayes pratiqué l'horreur magicienne :
Donc àVeJcart tournant trois ou fept ou neuf tours.
De beaux vers remâche:^ encharme les amours.
L'amour qui plus qu'au corps en nojire ame domine,
Nefe guarffi iamais du ius d'vne racine :
Mais on dit que le vers qui efi du ciel appris.
Domine fus l'amour & deffus nos efprits.
Si par fon art Medee en la fin n'eufi defoy
Ckajfé l'amour bourreau, de Carinthe le Roy,
Sa fille Glauque auffi, ne fuffent mis en cendre :
De fet propres enfans la gorge encore tendre,
N'eufi caché iufqu'au manche vn coufieau maternel,
Ains pour fe depefirer du mal continuel,
Changeant fa férue vie auec la mort plus gaye ,
Le fang, l'amour, & l'ame, euft vomi par faplaye.
Mais voyant que le vers qu'elle ainfi remachoit.
Du lourd fardeau d'amour fon ame depefchoit.
Déploya fon courroux fus ceux^ui l'offenferent,
Et comme /on dragon fes amours penuollerent.
fay trùp ^eftonnement, ie n'ay que trop d'horreurs.
2o6 DIDON, TRAGEDIE.
Trop de plaints en la bouche, & trop aux yeux de pleurs :
Mais quant à ce confeil, miferable Nourrice,
le ne fens rien en moy qui ce mal diuertiffe.
Des vers magiciens ie n^ay Vvfage appris.
Et les vers n^auoyent pas fus vn tel mal le prix:
Fuji qu^auec cent pauots vn repos Vexcitajfe,
Fuji qu^auecque les deux les enfers Vappellajfe,
Pour charmer lapoifon maiftrejfe defes os,
Rechaffant par vn charme vn charme au cœur enclos.
O Mânes de Sichee, ô Dame bien-heur eufe.
Dont le meurdre fouilla la dextre conuoiteufe
De ton frère inhumain, fans que moy qui fauois
Nourri de ma mammelle, & qui las! nepouuois
Receuoir plus de deuil, euffefus ta lumière
Rabbatu de mes doigts Vvne & Vautre paupière :
Helas pauure ombre (dy-ie) encores Veft-il mieux
D^auoir ainjî volé fus le bord oublieux
Par vn meurdre foudain, que non pas à ta femme
Mourir à petit feu, d'vne amoureufe flamme^
Qui ranimant toufioUrs d*vne ardeur par dedans.
Et la vie, & la mort, lui laiffe entre les dens.
Et moy chetiue, helas! qui fuis feule laijfee,
Depuis que la nourrice à Didon ejï paffee
Auecques toy là bas, ne la puisfecourir :
Non plus, hé! que tu peux te garder de mourir,
PuiS'iefans larme dire en quel poinâ ie Vay veuê?
Pourra ma foible voix de fa fureur conceué
Exprimer les accens? pourray-ie ajfe^ bien plaindre
Les yeux qu'ion voit flamber & puis foudain pejïeindre.
Comme pils ejïoient ia languiffans dans la mort.
Et foudain reflamber encores de plus fort?
Mais plaindre ce beau poil qu*au lieu de le retordre,
Elle laiffe empejlrer fans ornement, fans ordre.
Sans prefque en abjlenir les facrileges mains :
Mais, las! plaindre ce teint, V honneur des plus beaux teins.
Qui tout ainji qu^on voit la fumée a:(uree
Du foulphre, reblanchir la rofe colorée.
De moment en moment par Vextreme douleur
ACTE IIII. 207
Ckange auec vn effroy fa rqfine couleur :
Mais Uu lasl fur tout plaindre vn beau port vénérable,
Vnport, helaai auport des Detfft$ femblabie.
Qui fe fera arracher du front la dette.
Pour auec cent fureurs changer fa maitfti?
Vota diiie:f à la voir quHnfenfee ellefemble
La Ljronne outragée, à qui le pafieur emble
{Lors que de faeauerne elle fabfente ynpeu)
Set petits Lyonneaux, & la pourfuit au feu,
Ejffroyant d'vne torche vn fier regard colère,
Q]ii effroyablement de mainte torche éclaire.
O rheure malheureufe en qui ces Phrygiens
Vindrent premier fioter aux fables Lybxens 1
Dés lors mon caur iugea qu'auant la départie,
A gramP peine on verrait Carthage garantie
Tfvn mal inefperé : car on veut f outrager
&ajul if VFi recueil prodigue on reçoit l'ejlranger :
Toufioiirs vient vue perte, vn regret, vue honte,
Qjiaitd plus des efirangers que des fiens on tient conte.
Mais qui eufi penfé, las! qu'vne defloyauté
Eufl contre tant ^efforts mefchamment refiflé ?
Qjii ?evfi penfi {fions Dieuxl)
le croy que la malice
Nous aueugle au eonfeil, puis noua Hure au fupplice :
Croiroit-on qu'vn Enee oubliafl depenfer
Ce qui peut fan defftin S fa vie affenfer,
AuanI qa'entreren mer? fans qu'à rien il regarde
En vne mer de maus cheiif il fe hafarde.
Pteitt-il point garde, auant qu'auoir en foy fermé
L'arreji de ce deffein, à ce monflre emplumé,
Qjiifoueieux de tout jamais ne fe repofe.
Et qui de bouche en bouche efpand chacune chofe
Du Nil Egyptien iufqu'aux eaux d'Occident,
Et du Scythe gelé iufques au More ardent,
Proust d'agrandir vnfait, ce monflre hafardeux
208 DIDON^ TRAGEDIE.
{Dy-ie) qui éguifa nagueresfur eux deux
Ses langues, & f es yeux, quand Vamour effrénée
Couuerte du manteau d^vn trompeur Hymenee,
Commença par augure à mille fois monjirer,
Q}i*vn bien léger fait Vhomme en cent malheurs rentrer,
Quand le prefent plaijir qui moins qtCvnfonge dure,
Ofie lefentiment de la peine future?
Prent- il point (dy'-ie) égard aux encombres que peut
Confpirer fur les grands ce monflre quand il veult?
Oefl aumoins, c*efi aumoins, que telle renommée
Rendra contre f on nom toute terre animée i
Et tant que rencontrant fon forfait en tous lieux.
Ne luy reflra que d^eflre à Joymefme odieux.
Prent-il point garde encorqu^à grand peine en leur âge
Les Jiens pourront à chef mettre vne autre Carthage?
Et que ces beaux dejlins, ces oracles rendus.
Ces miracles, ces feus, ces beaux Dieux defcendus.
Ne font quHllufions, ou Démons qui nous peinent, '
Et minifïres du Ciel en nos malheurs nous meinent ?
Prent-il point garde encor, te croy, qu'en vn plain tour
Vn péché nous ennuiûe aux forces qu'a Vamour,
Dont il rompt les confeils, qu'on cache & qu'on euentef
Hé ! qui fofe vanter de tromper vne amante ?
Hé! qui fofe promettre en la trompant ainfi
Qu'aùeuglément luymefme il nefe trompe auffi,
Penfant qu'on permettra fans en rien l'outrager.
Sortir hors d'vn pais l'outrageux efhranger?
Nos peuples Tyriens auroyent-ils plus qu'Enee
Et les bras engourdis, & Vame efféminée ?
Mais toutesfois^ deliure & de honte & de peur.
Rend de la preuoyance vnfeul hafard vainqueur,
O aueugle entreprife, 6 trahifon ouuerte.
Qui femble auoir efïé pour Vvne & l'autre perte
Mife en ce chefpariure, afin qu'il fufl certain
Par l'exemple des deux, que Cupidon en vain
Nous repaifl quelque temps, pour faire après repaifïre
Noflve cœur auxferpens que dans nous il fait naiftre.
Que plaindray-ie premier? plaindray-ie le forfait
t.
ACTE IIII. 209
Que mon eottfeil, heloatàfon honneur a/ait?
Voire aux Moues faere\ de /on loyal Sickee,
Vmre aux pourduu de ceux, dont i'ay tant veu ckerchet
Auec Didon fiiitiue, en ce port ejlranger,
Vne alliance (lielas!) franche d'vn tel danger?
Oefi moy, Barce, è'efi moy : qui pourroit /ans plorer
Le eonfifferf c'efi moy qui la fait endurer,
Ceft moy qui ay banni de /on ame la honte.
Par qui feule d'amour la force fe furmonte.
C'ejl moy quipourfa mort ay le bois entajfé,
Oefi mùy qui ay dans elle vn hrafier amaffé :
CeJI moy qui ay toujiours telle flamme nourrie,
Qt(i ne peultfans Didon fe voir iamaisperie :
Cefl moy à qui toufiours fe venoit adireffer
Ce d^oyal trompeur, qui ne craint de bleffer
Ny la Dieux, ny fa foy, ny l'amante embrafee,
Qutfafiy, que les Dieux, ont enfin abufee.
Mail fera Vil doncvray? !J>ons Dieux!) permettre^ vous
Qjie eepipeurfe ioué S de vous & de nous?
Qiie foMons nous donc fait, fainSe troupe celefte?
Mai* que fauons nous fait, 6 ejlranger molefie?
Vangexfily a faute : Ha Dieux, elle n'a pas
Trt^ inhumaine hofieffe, en vnfalle repas
Souillé d'vn corps humain vofire diuine bouche.
EIP n^a pas égorgé lupiter dans fa couche,
Changeant fon cœur de femme au cœur d'vn Lycaon :
De rien ne la fçauroient charger les Dieux, ^non
lyauoir tout au rebours, hofteffe trop humaine,
Trop bien/ait àceluy, las! grands Dieux, qui à peine
7n^ ingrat f en foucie, & qui Fabandonnant,
Fait imure àfoymefme, iniure au DieuTonant :
A ce Dieu 4111 d'enkaut tes pariures regarde.
Et des hofies a pris la iufte fauuegarde.
Barce.
Plâfe donc à ce Dieu iettant l'œil au befoin.
Ou de Fvn ou de Vautre auoir bien tofi le foin,
2IO DIDON, TRAGEDIE.
Soit que (Velle le mal pitoyable il cheriffe,
Ou foit que le peruers lufticier il punijfe :
Souuent ce Dieu vengeur de tous humains forfaits^
Peimet que mille torts par les mefchans fqyent faits,
Afin que par celuyfe punijfent nos vices.
Qui plus deffus fa tefte amaffe de fupplices.
Mais ainfi que les Dieux, quifemhlent eftre oififs,
A venger les forfaits font bienfouuent tardifs,
Pay peur quHls foyent auffi tardifs à ce remède.
Et que ce mal au mal de la feule mort cède :
Si c^eft mal que mourir, lors que de cent trefpas
Vn trefpas nous deliure.
Anne.
Helas ! ie ne croy pas
QmHI aduienne autrement, & fans ceffe nCeffroyent
Les fignes monftrueux que les Dieux m^en enuoyent :
Ce qu^en dormant auffi mesfonges me font voir.
Trouble mes fens, efmeus d'vn pareil defefpoir.
Le Songe eft fils du Ciel, & bienfouuent nous ouure
Ce qu'* encore le temps deffous fon aile couure.
H m'a femblé la nuiâ que d'vn ardent tifon
Pauois deçà delàfemé par la maifon
Vn feu, que d'autant plus ie m^efforçois d^efteindre.
Et plus iuf qu'au fommet ilpefforçoit d'atteindre :
Mes fens ne fe font point de ceci defpefires^,
Qu* auffi foudain n^ y foyent d'autres fonges entres^,
le voyois vn chaffeur, duquel la contenance ,
Et de face & de corps, empruntoit la femblance
D^ Apollon, quand tout feul pour chajfer quelque part
Ou de Dele, ou de Cynthe, ou d'Amathonte il part :
Sus Vefpaule luy bat fa perruque dorée.
Sus le cofté fa trouffe en biais ceinturée,
Sa flèche eft en la coche, & fon arc en plein poing :
Tout ainfi mon chaffeur qui fécartoit bien loing.
Dedans Vefpais d^vn bois foffroit dedans ma veué.
Tant qu'au bord d^vn taillis vne biche il ait vèué:
ACTE IIII. 21 I
H décoche, il Vatteint : elle demi-mourant
Fait dufang qui ruiffelle vne trace en courant,
Le fir tient dedans Vos, & pour néant euite
Ce qui lui tient [helas !) compagnie en fa fuite,
Taxt que fous vn Cyprès ayant porté long temps
Et fa flèche &faplaye, ait auachifesfens.
Les pieds /aillent au cofps,le corps faut à la tefle :
Et comme la pitié de Vinnocente befte
Mefotifleuoitle coeur, plujloft que fes fanglots,
S'eji perdu parmi Pair monfonge & mon repos.
Combien défais ces iours encor toute tremblante ^
Ay-ie en furfaut repris mon ame trauaillante?
Lors que mon patte frère en dormant reuenoit
Me prendre les cheueux, & cruel me trainoit.
Comme il m^efloit aduis, hors du lia pour m* apprendre
jyoMXÀrfait à fa femme vn autre parti prendre,
Mefmement vne nuiâ, lors que larbe le Roy
De nos peuples voifins fortoit prefque de foy.
Tant Pamour le brufloit ifçachant qu*à cet Enee
Fut de mafcsur la terre, & Vame abandonnée,
Poitrce que nous tenions mille propos mefle:{
Du monjkre qui fi toft nous auoit decele^ç,
Vnfonge vintfaifir en dormant ma mémoire
Sur celle qui fait tout,foit bienfoit mal, notoire :
le brouiUois en Pefprit deçà delà roulant,
Tout ce qu*on m^auoit dit de ce monftre volant :
Vvn mefembloit compter que dés qu*en leur penfee
Ceux de Tyr proiettoient leur ville commencée,
.Ce monftre ne ceffoit, & puis haut, & puis bas
De voUÛterfur nous, y prenant fes appas.
Nous apportant fans fin quelque trouble des autres.
Ou bien à nos voifins portant fans fin des noftres :
Vn autre me fembloit, parlant obfcurement,
Defcrire à fon propos ce monftre hautement,
Ce monftre enfant du Temps, en tout auffi muable
QiL^enfes effets diuers fon père efi variable,
Wfans aucun repos fait, défait & refait
Son rapport, tout ainfi que [on père fon fait,
212 DIDON, TRAGEDIE.
Et circuit en rien le Ciel, la Terre & Vonde,
Comme le vol du temps circuit tout le monde.
Tous deux font fouhaitte:{y tous deux ne mourront points
Et ne font differens tous deux que d'vnfeulpoinâ.
Jamais rien ce vieillard qui ne foit vray n'apporte^
Le faux, le vray, fa fille aux oreilles rapporte.
Or ce pendant qu'en moy ce propos pembrouilloit,
Et que mainte autre chofe aux propos fe mefloity .
le vey de mes deux yeux cefte femme voilage,
Se planter fur les tours de laneuue Carthage,
Salle, maigre, hideufe, &foudain embouchant
La trompe qu'acné auoit, fonner vn piteux chant :
Voire & me fut aduis que de la trompe mefme
Sortoit &fang, & feu, tant qu^efperdue & blefme
De ce cruel fpeâacle au refueil me troublay,
Et de long temps après mesfens ne r*affemblay.
Las! Barce qu'yen dis tu? Barce^ helas!
Barce.
Onfe ronge
En vain f^ on veut auoir la raifon de toutfonge,
Anne.
De mes fonges encor ie ne m'ejfroirois point,
Si rien plus grand n^eftoit à mes fonges conioint :
Pay veu ces tours paffe:{ fur le haut du chafïeau
Signe fatal de mort, croùaffer maint corbeau,
Le hibou porte^mort, VOrfraye menaffante.
Et la voix du Corbeau deffus nous cvoùaffante,
Ne me chanter que mal, & m^a fait friffonner :
Le vin que ce matin en fang Vay veu tourner,
Aumoins ce m^afemblé, lors qu'en la coupe fienne,
Didon facrifiant à lunon gardienne.
Le tenois pour efpandre aux cornes du Taureau,
Outre ce iour hideux m'efl vn effroy nouueau :
Car tout ce iour Phebus a fa face monftree
ACTE un. 2l3
Telle, comme ie croy, que quand le fier Atree
Fifi bouillir les en/ans de fon frère adultère,
Leurfaifant vn tombeau du ventre de leur père.
Encore outre ce temps embrouillé Ion oit bruire
La mer plaintiue aux bords, &fembler nous prédire
Qfte les Dieux qui iamais rien confiant ne permettent
Enuoyentfur nos chefs ce que leurs feux promettent
Mefme cefi arc en Ciel Iris Thaumantienne,
Meffagere à lunon, de ce lieu gardienne,
Apparoiffoit tout hier de noirfang toute teinte,
Non pas de cent couleurs, comme elle fouloit, peinte,
Barce.
Lors que Ion voit vn mal obfiinément efpris.
Et que ïafi'oidepeurfefaifit des efprits,
Rnousfemble que tout nous donne tefmoignage
De ce que nous craignons : mais d^vn ferain vifage
le voy venir la Roine, O Vheureux changement.
Si auecques la face efi changé le tourment,
Didon.
Pay trouué le moyen, mafœur, qui me peut rendre
Ce fuitif outrageux, ou qui me peut deffendre,
,Me depeftrant du Dieu qui iufqu^à mort me touche.
Vers la fin d'Océan oii le Soleil fe couche,
Sont les Mores derniers, près V échine foulée
Du grand Atlas portant la. machine efioilee :
De là Ion m'a monfiré la fage enchantereffe
La vieille Beroé, MaJJyline prefirejfe,
Qffi le temple gardoit aux filles Hefperides,
Apajtant le dragon de fes douceurs humides.
Et d'oublieux pauots, & prenant elle mefmes
La garde du fruit d'or des foucis plus extrêmes :
Àmfi qu^elle promet, la vie elle deflie.
Ou bien d'vnfoin cruel elle empefire la vie :
Ette arrefie à fa voix la plus roide riuiere.
214 DIDON, TRAGEDIE.
Et fait tourner du ciel les fignes en arrière :
Les ombres de là bas en hurlant elle appelle.
Tu orras rehurler la terre dejfous elle :
Tu verras des hauts monts les plantes deualees^
Et les herbes venir de toutes les vallées,
rappelle {chère fœur) les Dieux en tefmoignage,
Toy & ton. chef aufji, que V ancien vfage
De Part magicien maugré mon cœur i*efpreuue :
Mais puis que ma fureur ce feul remède treuue^
Va, & au plus fecret de cefte maifon nojtre
Vn grand amas de bois dreffe moy Vvn fus Vautre :
Q)ie Vefpee de V homme en la chambre fichée
Où Vay brifé la foy de mon efpoux Sichee :
Qjie toute la defpouille & le lia deteftable,
Le lia de nos amours, dont ie meurs miferable,
Soit par toy mis deffus. Car la preftreffe enfeigne
Que tous ces demourans, de mes fureurs Venfeigne^
Soyent abolis au feu. Quand la pile entaffee
Quand fus elle fera toute chofe amaffee,
DHf de buis, de cyprès faifant mainte couronne,
le veux que maint autel cefte pile enuironne.
Là tout ainfi qu*on veit Medee charmerejfe,
Renouuellant d*Efon la faillante vieilleffe.
Tu me verras la voix effroyable & tremblante,
La cheueleure au vent de tous cofte:{ flotante,
Vnpied nu, Vœil tout blanc, la face toute bief me,
Comme fîmes efprits fécartoyent de moymefme :
Lors de fueilles ayans vos teftes entourées.
Et d'vn nœud coniuré par les reins ceinturées.
Vous m*orre:( bien tonner trois cens Dieux d*vne fuite.
Et Enfer & Caos, & celle qui hérite
Nos efprits à iamais, la trois fois double Hécate j
Diane à triple voye : il faut que ie combate
Pour moy contre moymefme, il faut que ie m^ efforce
De forcer les efforts, à qui ie donnois force,
Hafte\ doncq, laiffe:{ moy, afin que ie remâche
Toute feule à par moy, tout cela qui relâche
Les amours furieux, & que tout Vappareille
ACTE IIII. 2l5
Pour commencer mes vceus : dés que Vauhe vermeille
Aura demain rougi Vhumde matinée,
Le Cielj le Ciel m'orra.
Anne.
Toy donc qui vois Enee
(O grand Ciel) oppofer à tes loixfa malice
Sois pour nous, & projpere en tout ce Sacrifice.
Didon.
Puis-ie donc Jbrcenee encor me laiffer viure,
S*U n'y a que la mort qui d'vn tel mal deliure?
Laî/i-ie triompher cefte flamme bourrelle.
Lors que ma main, ma main, peut bien triompher d*elle?
Qu*entreprendroiS'ie (pMprt!) Mort que feule ie nomme
Contre les Dieux vangeurs la vangeance de V homme ?
Q^^entreprendroiS'ie {dy-ie) alors qu^en moy paffemhle
Tout ce que les enfers ont de rages enfemble.
Tout ce que le Vefuue a d'ardeurs recelées,
Tout ce que la Scythie a de glaces gelées.
Tout ce qu^on feint là bas de peines éternelles
^ordonner par Minos aux âmes criminelles.
Sinon aueccf ma vie en moy ia dedaigneufe
De faire creuer tout par vne playe heureufe ?
Pourrois-ie bien encor me voir vne efperance
De me pouuoir guarir, pour chercher Valliance
Des Nomades voifins, par moy ia mefprifee?
SeroiS'tu bien encor, Didon, tant abufee
Qiie d'allonger le fil de ta vie ennemie,
Enfuiuantpar la mer celuy qui fa trahie?
Prens encores, à fin que ta dextre couarde
frayant pitié de toy, fur toy ne fe hafarde,
Qlri** te foit beaucoup mieux defuiure Vaduerfaire,
Qsne dé fuir ta vie à tout repos contraire :
StùuroiS'-tu toute feule aueugle & dereiglee,
Ou bien le fuiurois-tu encor plus aueuglee,
2l6 DIDONy TRAGEDIE.
Si tu le penfois faire auec toute la fuite
Qu^à grand* peine tu as iufqu^en ces lieux conduite^
L^arrachant de Sidon? Et puis, hé condamnée,
Pauure femme, ie croy, en defpit du Ciel née,
PPas tu point eu encor affe^ de cognoiffance
Quel fut Laomedon, & quelle eft fon engeance?
Non non, meurs, meurs ainfi, Didon, que tu mérites.
Apprefte toy donc. Parque, & toy qui tant irrites
Mes fureurs contre moy. Fortune infatiable,
Apprefte toy pour voir le fpeâacle exécrable :
Tu ne Ves peu faouler, m^ ayant toujiours foulée.
Mais bien tofi de monfang ie te rendray faoulee,
L^ amour mange mon fang, Vamour monfang demande,
le le veux tout d*vn coup repaiftre en mon offrandei
Soye\ au facrifice, 6 vous les Dieux fupremes,
le vous veux appaifer du meurdre de moymefmes :
Voftre enfer, Dieu d^ enfer, pour mon bien ie defire^
Sçachant V enfer d* Amour de tous enfers le pire :
Pirois, firois defor, mais il me faut attendre
L*occafion des vœus que ie feins d* entreprendre.
LE CHŒVR.
Troupe Phénicienne
Qui preuois bien ton mal :
Et toy troupe Troyenne
Serue dvn defloyal :
Vous le Ciel & la terre,
Voye:{, voye:{, ce tour.
Combien traiftrement erre
LHniuflice d* amour,
O grands Dieux, fi le vice
N^a point en vous de lieu,
Amour plein dHniuflice
Peut-il bien eflre Dieu?
ACTE IIII. 217
Mais iniufte ie pet^e
Chacune Deîté,
Qffi iamais ne difpenfe
Le bien à la bonté,
Vnfeul futfard domine
Dejfus tout Vvniuert^
Où ta faneur diuine
Eft deuë au plus peruers.
Les Dieux dés fa naiffance
Luy ont ofté les peurs,
Auec la confcience,
Meurdriere de nos cœurs.
S^il chet dans la marine,
A la riue il prétend.
Et f attend à Véchine
Du Dauphin qui Vattend.
La guerre impitoyable
Maffacrant les humains.
Craint Vheur efpouuentable
Qfte Ion voit en/es mains.
Rien les arts de Medee^
Rien n*y peult la poifon.
Rien cela dont gardée
Fut la iaune toi/on.
Rien la loy qu*on reuere.
Non tant comme on la craint :
Rien le bourreau feuere
Que Vhomme blefme eftreint.
Rien le foudre celefte.
Des plus grands ennemi :
Toute cho/e il detejie.
Et tout luy eft ami.
Songeons aux trois qu^on prife
Pour plus auantureux.
Et qu'en toute entreprife
Les Dieux ont fait heureux^
lafon, Thefee, Hercule :
Les Dieux leur ontprefté
14*
2l8 DIDON, TRAGEDIE.
Grand faneur, crainte nulle,
Toute de/loyauté.
Tous trois ainfi qu^Enee^
En trompant leurs amours,
Ont fait mainte ioumee
Marquer d^horribtes tours.
Tous trois trompeurs des hoftes.
Tous trois, ô inhumains,
Ont veu foit par leurs fautes.
Soit mefme de leurs mains,
Leurs maifons effroyees
D^auoir receu les cris
De leurs femmes tuées,
De leurs enfans meurdris :
Mais la faueur fupreme
Lespoujfoit toutesfbis,
Et croy que la mort mefme
Les a fait Dieux tous trois.
Tu fçais bien (d Enee)
Pefke des grands maifons,
Qjii d'vne deftinee
Farde tes trahifons :
Tu fçais, ô implacable,
Homme lâche, homme fier,
Qjie ce tour detefiable
N^efi des tiens le premier.
Le Ciel, la mer, la terre,
Nonobflant font pour toy,
Rien ne te fait là guerre,
Tu la fais à ta foy.
Didon qui f humilie
Deuant les Dieux fans^fin
Va trainant vne vie
Serue d^vn dur defiin.
Si ce n^efï iniufiice
De nous traiter ainfi,
Rien ne peut de ce vice
Les fauuer que ceci:
ACTE V. 219
C*eft que pécheurs nousfommes^
Et le Ciel fe fafchant,
Fait pour punir les hommes
Son bourreau tVvn méchant.
ACTE V.
DIDON, BARGE, LE CHŒVR.
Didon.
Mais OM me porte encor ma fureur? Qjii me garde
De me depeftrer d'elle ? & quel malheur retarde
Mes fecourables mains, qui allongeans <Vvne heure
Mon mif érable fil y font que cent fois ie meure?
Plus cruels font les coups dont V amour éguillonne,
Qjie ceux là que la dextre homicide nous donne.
Mais quoy? mourrons nous donc tellement outragées?
Mourrons nous, mourrons nous fans en eftre vangees?
Le méchant a finglé dés que Vaube efueillee
Par ma veué toufiours fans repos decillee
S*eji defcouuerte au Ciel : la pauure aube, ie cuide ,
Qjti prend pitié de moy. Pay veu le port tout vuide ,
Pay, t*ay veu de ma tour fous le clair des efioiles,
Les vens quife iouoyent defes traiftreffes voiles,
Se iouerde lafoy lâchement pariuree.
Se iouer de Vhonneur de moy defefperee,
Seiouer du repos d^vnepariure veufue,
Se iouer du bon heur de ma Carthage neufue.
Et qu'on verra bien toftfe iouer de ma vie y
Par qui fera foudain cefte flotte fuiuie.
Las las! fera-ce ainfi? Toy bruflante poitrine,
Faut-il que dedans toy tout le mal ie machine
Contre moy feulement? vous y vous, cheueux coulpables
Qjte ie rompts à bon droit, ferons nousmiferables
220 DIDON, TRAGEDIE.
Tous feulSf fans qu'aucun mal fente le méchant mefme.
Qui vous fait arracher, & enrager moy mefme?
lupiter, lupiter, cefte gent trompereffe
Doncquesfe moquera (VvneRoine & hofleffe?
Sus, Tyriens, fus, peuple, au port, au port, aux armes,
Porte :{ les feux, coure:{, change^ lefang aux larmes,
Iette:Ç'VOus dans la mer, accroche^ moy la troupe.
Que <Vvn bouillant courage on me brufle, on me coupe
Ces villains par morceaux, que tant de fang f* écoule.
Que iufques à mes yeux le flot marin le roule.
Que dis-tu ? où es tu Didon ? quelle manie
Te change ton dejfein, pauure Roine, ennemie
De ton heur ? Il falloit telle chofe entreprendre
Quand tu donnois les loix : tes forfaits font peu rendre
Toy mefme fans pouuoir, & ton peuple fans crainte,
Celuy qu'ion dit porter, 6 malheur eufe feinte,
Les Dieux defon pais dans fon nauire, emporte
Tout ce qui te rendoit deffus ton peuple forte.
N^ay-ie peu déchirer fon coips dans la marine
Par pièces le iettant, tuer fa gent mutine.
Son Afcaigne égorger, &feruir à la table,
Rempliffant defon fils vn père deteflable?.
Mais quoy ? (me diroit-on) la viâoire incertaine
M^euft efié : c^efi tout vn : de mon trefpas prochaine
Q}i^eft-ce que Veuffe craint? Veuffe porté les fiâmes
Dedans tout leur cartier, Veuffe raui les âmes
Au père, au fils, au peuple, & ia trop dépitée
Contre moy ie me fuffe au feu fur eux iettee.
Mais puis que ie n^ay peu, toy Soleil, qui regardes
Tout ceci: toy, lunon, qui las! fi mal me gardes,
Coulpable de mes maux : toy, Hécate, hurlée
De nuiâ aux carrefours : vous, bande efcheuelee,
Qui pour cheueux porte!{ vos pendantes couleuureSj__.
Et dans vos mains les feux vangeurs des lâches œuures :
Vous (dy-ie) tous les Dieux, de la mourante Elife
Receue:ç ces mots ci, & que Ion fauorife
A la dernière voix qu^à peine ie defferre :
Si Ion permet iamais ce méchant prendre tei-re,
ACTE V. 22 [
Que tout pétale fans fin le guerroyé & dédaigne,
Q^e banni, que priué des yeux de fon Afcaigne,
En vain fecours il cherche, & que fans fin il voye
Renaiftrefur lesfiens les ruines de Troye :
QftOHdmefme maugréfoy il faudra quHl fiecfûffe
Sous vne iniuftepaix, qu^alors il ne iouiffe
De règne ny de vie, ains mourant à grand* peine
Au millieu defes tours, nefoit en quelque areine
Qji^enterré à demi, Qjiant à fa race fiere,
Qui fera, te nefçay** {& la fureur dernière
Prophetife fouuent) ainfi que luy traifirejfe,
Qjnpar dolfe fera de ce monde maifireffe,
Qkî de centpiete!(, ainfi que fait Enee,
Ahufera la terre en fes loix obftinee,
Et qid toufiours feindra pour croiftre fa puiffance
Auec les plus grands Dieux auoir fait alliance,
S'en fbrgeant bien fouuent de nouueaux & d'eftranges,
Pour croifire auec fes Dieux fes biens &fes louanges,
Qft*on ne la voye aumoins en aucun temps paifible,
Et que quand peuple aucun ne luy fera nuifible
Elle en vueille àfoymefme, & que Rome greuee
De fa grandeur, fouuent foit de fonfang lauee.
Que fans fin dans fes murs la f édition règne,
Qu*en mille & mille eftats elle change fon règne,
Qji^elleface en la fin defes mains fa ruine.
Et qu*à Venui chacun deffus elle domine,
Se voyant coup fus coupfaccagee, rauie.
Et à mille eftrangers tous enfemble afferme.
Quant à vous Tyriens, d'vne éternelle haine
Suiue^ à fang & feu cefte race inhumaine :
Oblige:^ à toufiours de ce seul bien ma cendre,
Qjûon ne vueille iamais à quelque paix entendre.
Les armes foyent toufiours aux armes aduerfaires,
Lesfiots toufiours aux fiôts, lesports aux ports contraires :
Q|ie de ma cendre mefme vn braue vangeur forte,
Qgà le foudre & Vhorreur fus cefte race porte,
VoUa ce que ie dy, voila ce que ie prie.
Voilà ce qu*à vous Dieux, ô iuftes Dieux, ie crie.
222 DIDON^ TRAGEDIE.
Mais ne voici pas Barce ? il faut que ie Vempefche,
Et que feule de foy defor* ie me depefche
De Vefprit ennuyeux. Barce, chère nourrice.
Va & laue ton chef, il faut que ie finiffe
Ce que Vay commencé, cherche moy ce qui refïe
Pour parfaire mes vœus contre la mort molefte :
Puis appellant ma Sœur, qu^on la laue & couronne,
APapportant^tout cela que la preftreffe ordonne.
Va donc,
Barce.
A moy (ô Roy ne) à moy donques ne tienne
Q}i*on nevoye foudain la deliurance tienne.
Mais quelle couleur. Dieux ! toutes facriflantes,
Rendent elles ainji leurs faces effroyantes ?
Quoy que foit, ie crains tout^ las, vieillejfe chetiue /
Comment fe fait que tant par tant de maux ie viue?
Didon.
«
C^efi à ce coup ^Hl faut, 6 mort, mort, voici Vheure,
C'eft à ce coup quUl faut que coulpahle ie meure :
Sus mon fang, dont ie veux fur Vheure faire offrande,
Qji^on paye à mon honneur tant offenfé V amende :
Pay tantoft dans Vefpais du lieu f ombre & fauuage.
Près Vautel où ie tiens de mon efpoux Vimage,
Entendu la voix grefle & receu ces paroles,
Didon, Didon, viens Ven. O amours, amours foies,
Qui n'auei pas permis quHnnocente & honnefle
le reuoife vers luy! mais ia ma mort efl prefke.
Pour Vappaifer Siehee, il faut lauer mon crime
Dans mon fang ^ me faifant S- prejlreffe & viâime :
le te fuy, ie tefuy, me fiant que la rufe^
La grâce, & la beauté de ce traiflre m^excufe :
La grand* pile quHlfault qu^à ma mort on enflamme,
Dejteindra de fon feu & ma honte & ma flamme.
Et toy chère defpouille, ô defpouille d^Enee,
Douce defpouille, helas ! lors que la deflinee
» ACTE V. 223
Et Dieu le permetioient, tu receuras cefte ame,
Me depeftrant du mal qui fans fin me rentame,
Tay vefcuy Pqy couru la catTiere de Page
Qjte Fortune m'ordonne, & or"* ma grand' image
Sous terre ira : Pay mis vne ville fort belle
A chef y Pay veu mes murs, vengeant la mort cruelle
De mon loyal efpoux, Pay puni courageufe
Mon aduerfaire frère : heureufe, ô trop heureufe,
Hélas! fi feulement les naus Dardaniennes,
N^eujfent iamais touché les riues Libyennes.
Sus donc, allons, de peur que le moyen fenfuye :
Drop tard meurt celuy-là qu*ainfifon viure ennuyé.
Allon & redifonfur le bois la harangue,
Arreftant tout d*vn coup & Pefprit & la langue.
Le Chœur.
Dy nous Barce, où vas tu ?
Barce.
Au chafteau ie retourne.
Le Chœur.
La Ruine y vient d'entrer^ & comme le vent tourne
Les fiteillars dans les bois, lorsque libre ilpen iouè,
L*amour comme il luy plaift en cent fortes la roué. '
A qui n^eufk point fendu le cœur d'impatience,
Voyant tantoft de loing changer fes contenances?
Ores nous la voyons les paupières baiffees
Refuer àfon tourment : ores les mains dreffees,
De ie ne fcay quels cris, defquels elle importune
Et les Dieux peufoigneux, & Vaueugle Fortune ,
Faire tout retentir : ores vn peu remife
Se racoiferj & or* de plus grand"* rage éprife
Se battre la poitrine^ & des ongles cruelles
Se rompre Vhonneurfainâ' de fes treffes tant belles :
224 DIDON, TRAGEDIE.
irf.
Le pleur nCen vient aux yeux. O quel hideux augure.
Pour de nos murs nouueaux tefmoigner Vauanture l
Barce.
Si eft ce que ie vois vers elle en efperance,
Qjte bien toft dejes maux elle aura deliurance.
LE CHŒVR.
V amour qui tient Vame faifie^
N^eft qu^vne feule frenaijie,
Non yne deîté :
Qf/i, comme celuy qui trauaille
D*vn chaud mal, poinçonne & tenaille
Vn efprit tourmenté,
Celuy dont telle fleure ardente
La mémoire & le fens tourmente^
Souffle fansfçauoir quoy :
Et fans qu^ aucun tort on luy face
n combat, il crie, il menace,
Seulement contre foy.
Son œil de tout obietfefafche,
Sa langue n^a point de relafche,
Son defir de raifon :
Ore il cognoiji fa faute, & ore
Sa peine le raueugle encore,
Fuyant fa guarifon.
Tel eft V amour, tel eft la pefte,
QuHl faut que toute ame detefte :
Car lors qu^il eft plus dous
Il n^apporte que feruitude.
Et apporte, quand il eft rude,
Touftours la mort fur nous.
ACTE V. 225
Barce.
O moy pauure, 6 Cièltriftey ô terrf, ô creus abyfmes!
Qsumd efi-ce quHci bas pareil hoi^eur nous vif mes?
Quefuis-ie? Oiifuis-ié?où vois-ie? eft<e la dont Voffrande
Qfte P homicide Amour pour fappaifer demande ?
O crime I ô cruauté î ô meurdre infupportable
Que V amour a commis !
Le Chœur.
Qjtel trouble efpouuentable
T'a fait Jî tojtfortir (d Barce)? quel iniure
Peutencor confpirer la fortune plus dure?
Barce.
Quelle^ quelle (grans Dieux /) eftes vous donc abfentes ?
EJtansfeures au port, rie:{ vous des tourmentes?
La Bûinepeft tuée : aumoins auec fa flame^
Par vn coup outrageux, les reftes defon ame,
Sanglotant durement^ à grand* force elle pouffe :
Voila la fin qu^apporte vne amorce fi douce.
I
Le Chœur.
O tour hideux, 6 mort horrible, 6 deftinee
Cent à cent fois méchante, 6 plus méchant Enee !
Mais comment? comment, Barce, helas!
Barce.
Sous vne feinte
Qii^elle a fait de vouloir rendre fa peine efteinte,
Par Vheur d'vnfacrifice elle a couuert Venuie
Dechafferaux enfers fes trauaux & fa vie :
Sur m amas de bois, feignant par vers tragiques
J^enchanter fes fureurs, elle a mis les reliques
lodelle, — I. 1^
226 DIDON, TRAGEDIE.
Qji^elle auoit de ce traiflre, vn pourtrait, vne efpee^
Et leur coulpable lia. Or afin que trompée
AuecAnne iefiiffe, ailleurs on nous enuoye :
Lors feule dansfon fang fes flammes elle noyé,
S*enferrant du prefent que luy fift le pariure.
Anne court àfon cri, quiprefque autant endure :
Voyant mourir fa fœur, fon viure elle dédaigne,
Et de la mort veut faire vne autre mort compaigne.
' Eft-rce ainfi donc (d Sœur) que ta feinte nous trompe?
Verray-ie que fans moy ta propre main te rompe
Le filet de ta vie? Eft~ce ici le remède?
Eft'Ce le facrifice à qui ton tourment cède ?
Sont-ce les voeus, les vers dont tu m'as abufee ?
Es tu tant contre nous & contre toy rufee?
Ainfi fa fœur en vain laue & boufche fa playe.
Elle foyant nommer, tant qu^elle peut peffaye
De foufleuer fon chef, qui tout foudain retombe.
Ne cherchant qu*à changer fon lia auec la tumbe.
O piteux lia mortel! ô que d^ horrible rage
Le Soleil à ce iour attraine fur Carthage!
LE CHŒVR.
An-ache^^ vo\ cheueux, Ty riens : qu'ion maudiffe
De mille cris enfleiç V amour eufe iniuftice:
Rompei vos vefiemens :
Efcorche^ voftre face^ & foye:{ tels qu*il femble
Que Ion voye abyfmer vous & Carthage enfemble :
Redouble:^ vof tourmens.
Redouble!^ les toufiours, & que la mort cruelle
De la Roine mourante, en vo^ cœurs renouuelle
Mille morts déformais,
Pleure}^^ crie:{, tonne^y puis que fi mal commence
L^heur de Carthage, Il faut, ô peuple, qu^on la penfe
Malheureufe à iamais.
Barce.
MaU, qut ftioumoiu nous? /us, fus, 6 panure bande,
Band», las! fana efpoir, allons, S cefle offrande
Vlrroufons de nos pleurs, Afouffrons tant de peine,
(^'auec elle le dueil prefque aux enfers nous meîne.
Nul viuant nefe peut exempter de furie,
Et bienfouuent ramour à la mort nous marie.
LE RECVEIL
DES
INSCRIPTIONS, FIGVRES,
DEVISES, ET MASQVARADES.
LE RECVEIL
INSCRIPTIONS, FIGVRES,
DEVISES, ET MASQVARADES,
LE lËVDI 17. DE PBVRIEB l558.
Par ESTIENE IODELLE, Parisien"
ESTIENE lÔDELLE
T point encore bien connu [mes AmisJ
que c'eftoit des amitiés de noftre tens,
i'eulTe penfé auanl le defaftre que vous
_ ) fçaués m'eftre furuenu, que donnanl vn
tei tiltre à vne epiftre mienne i'euffe bien cfcrit à vn
plUB grand nombre que ie ne fay, & que lui adrclTant
]■ moindre chofe qu'il euA peu fouhaiter de moy,
Vcufle bien autrement fenti combien les ixuureB de
ceiu qui font aimés, font agréables à ceus qui les ai-
ment. Mais d'vn colM, le grand nombre d'aduerfaires
A le peu d'amis qui fe font decouuers en mon malheur,
232 ESTIENE lODELLE
dVn autre cofté, la commune & naturelle ialouzie que
ie voy en noftre nation, me font au vray connoiftre le
contraire de l'vne & de l'autre efperance. Toutesfois
fçachant que ie ne fuis pas tant ha! du ciel, que ie n'aye
encores quelques amis en la terre, i'ay bien voulu en-
uoyer à ce peu qui m'en refte ce petit liure, que ie
n'eftimerois du tout rien au pris de ce qu'on attend de
- moy, n'eftoit que ce n'eft pas peu de fait, que par le
moyen de fon bon droit & la iufle defPence de fes amis,
remettre vn tort deuant les yeus de ceus qui fe font
contraires fans occafion. Vous aCTeurant de ce que vous
aués toufiours connu en moy, qui eft d'auoir l'enuie
de bien £Eiire fi grande & û haute, que il ie n'eufife veu
que vos prières (tant quelques vns d'entre vous m'ont
eflé bons) & les calomnies de nos ignorans me contrai-
gnoient à ce faire, i'euffe toufiours tenu mon threfor
fermé à tout le monde félon ma couflume, ou ie vous
euffe bien enuoyé des pièces de plus grand pris. Mais
puifque vne neceffité a pris telle puilïance fus ma dé-
libération, ie ne veus point entièrement defefperer du
bien qui me pourroit venir de ceci, eflant aCfés certain
que le malheur a bien fouuent acouflumé d'engendrer
vn bon heur, & que des petits & chetifs commence-
mens, on voit fouuentesfois fortir les chofes plus louar
blés &. plus parfaites. l'en ay maintenant mile raifons
& mile exemples au bout de ma plume, fi ie voulois,
comme on dit en fe raillant, alambiquer dedans vne fa-
milière epiflre, les fecrets & les belles quintes eCfences
de la Nature, ou tirer auecque ie ne fçay quelle frian-
dife affeélée, la moûelle des profondes & abondantes
hiftoires. Si eft ce que fi i'efcriuois à ce propos tout ce
qu'on pourroit alléguer, ie ne ferois pas taire tous ces
larrons de mérites, qui diront auffi toft que ce petit
liure viendra dedans leurs mains, qu'après tant de ma-
gnifiques promeCTes que ie puis auoir faites, après la
grande & longue expe6lation que Ton a eue de mes ou-
urages, au lieu des montaignes d'or félon le prouerbe
des Pédants, ie fay fortir vne fouris. l'auray bien la pa-
A SES AMIS. 233
tience d'efcouter vn peu ces mignons, pour auoir bien
toft le plaifir de les voir euftnefmes fe démentir. Il me
femble encores, mes amis, que i*en voy venir d'autres,
qui vn peu plus refolus, & faifans femblant d'efbe cu-
rieus de mon honneur, me viendront prefcher, & moy,
ft vous ûls vous connoiflent pour tels que ie vous
eflime, dilans que le blâme, la honte, & Faccufation
que i'ay encourue en l'exécution d'vne chofe qui eft
contenue en ce recueil, me deuoit garder de faire re-
frekhir ma playe, par la féconde publication de ma
&ute. Ceus qui TadrelTeront à nous auecques ce faus
vilage, me prefentans vne û douce poifon, ne rappor-
teront auiïï de moy autre chofe qu'vne douce prière au
tieu d*vne rigoureufe refponfe : laquelle efl telle que
rîli m'aiment feullement la moitié d'autant qu'ils di-
fentf ils me fiicent ce feul bien, de faire la leâure en-
tière de ce que ie vous prefente, & lors ie m'afleure
qu'ils auront beaucoup plus d'enuie que de pitié. Si
quelques vns, plus malins, font venir leurs propos iuf-
ques à vos aureilles, dilans que toutes les chofes que
i'ay recueillies, n'eftoient pas toutes telles que ie les
▼eu8 £ure croire , afleurés les & leur iurés pour l'a-
mour de moy, après le ferment que ie vous en fay par
noftre amitié, que ie n'ay voulu mentir en rien, &
que ie n'ay aioufté aucune chofe, fors le retranche-
ment que premièrement i'auois fait en la Mafquarade
première, & peut eftre huit ou dix vers d'auantage.
Bien eft il vray qu'aus vers latins, qui feruoient d'in-
fcriptions aus figures, i'ay peu changer neuf ou dix mots,
mais ce n'a pas efté pour ce que les autres qui y eftoient
lie fîiflent aufû bons, mais c'a eflé pour autant que
n'ayant point l'original, & ne les pouuant pas trouuer
tous tels qu'ils eftoient dedans ma mémoire, i'ay mieus
aimé fur le cham vfer du changement que du trauail
de les recouurer. Et Pils font tant obftinés contre ma
. ctufe , qu'ils ne vous vexilent point prendre pour ga-
natiy qui ** cherchent les tefmoings qui l'ayans veu à
l'œil, leur pourront faire vne plus feure foy, du nom-
234 ESTIEME rODBLLE
bre defquels ont elle quelques vns d'entre tous. S'ils
répliquent qu'encores qu'il fiid ainfi, fi eftce que Ion
ne fçauroit tant faire que l'on ne croye que i'y ay beau-
coup aioufté & corrigé, veu que i'ay efté fi long temps
auant que d'en mètre le recueil en lumière : le vous
fuplie de ne les payer point d'autre monnoye, finon de
cela que la plus grand part d'entre vous a connu. Qui
eft que ie me trouuay quelque efpace de temps fi Sei-
che, fi dépit, fi refueur, & fi pefant, que tant Pen feult
que ie peufle guérir la piquure du fcorpion par le fcor-
pion mefme, que tous les inftrumêns de mes malheurs,
qui font les liures, les papiers &. !es plumes, me puoient
de telle forte, que peu Pen fallut que ie n'en fiflb vn beau
petit facrifice dans mon feu. Mefmement que deflors que
ie cbmmençay à me recueillir vn peu moymefme, &
voulo^ faire vn recueil de tout cela, par qui iniuftement
ie penfois m^eftre perdu, ie demeuray quelques iours
malade d'vne fieure tierce : laquelle encore qu'elle peuft
venir d'vne extrême -colère, n'auoit point tant facaufe
de cela que de mon defaflre acouftumé,quiquafi ne me
permet point d'eibre connu d'autre que de moy : & qui
toutes les fois que ie veus m'efforcer à l'eAcontre, comme
vous verres plus à plain dedans ce petit ramas, ou bien
ront mon entreprife , ou bien la couronnant d'vne honte
non efperée, & non méritée, ne me permet pasfeuUement
le moyen de faire mes excufes : que di-ie excufes? Ains
la iuile pourfuite de la louange & de laorecompanfe, qui
me fuyans allers qu'elles fe foat plus prefentées, ne me
laiffent payer d'autre chofe que de la vanité d'vn agréable
labeur. Vous pourrés bien encore dire deux autres cau-
fes de ce retardement : l'vne eft que combien que ceci
euft efté bien plus toft imprimé, ni l'imprimeur, ni
voufmefmes, ni moy, n'auons point efté d'auis de faire
fortir telle chofe en ces iours faints & deuots, ainsplus
loft attendre la rèiouiffance commune d'après Pafques.
La féconde eft que voyant la court feiourner à Fonte-
nebleau, i'ay Wen voulu attendre fon retour à Paris,
affin que ceux qui m'auoient condamné fans voir mes
A SES AMIS. 235
pièces, fullent les premiers iuges de mon innocence.
Outre que ces caufes font aflez fufûfantes , i'en ay en-
cores vne qui £Edt plus pour moy, qui efl Paddition
d'yn fécond liuret que i'ay mis auecque le premier,
pour les ralfons que vous lires autre part. Ce petit la-
beur dont ie vous parle, ce font quelques infcriptions
des princes de l'Europe, lefquelles comme chacun fçait,
ne fe îeâent pas û toft en moulle que les medalles de
ces princes, fî d'auanture l'ouurier ne me refembloit,
qui ay toufiours eu ce mefchant heur de faire les chofes
aufû fiidlement & auffî bien, comme ic les fay mal-
heureufement. le ne vous vferay point ici ni de recom-
mendation, ni d'ozcufe des deux ouurages, ie vous prie-
ray encores moins de les faire plus grands enuers ceus
qui vous en parleront que ie ne les eflime, mais plus tofl
de les laifler couler auecques fi peu de faueur qu'ils
mentent, comme vne chofe légère & méfiée. Ce que
feuUement vous monflrera aflez la profe, dont i'ay vfé
en mes defcriptions, confondant comme ie penfe tout
enfemble le ilyle , & de l'epiflre, &. de l'oraifon, & de
l'iûftoire : combien que i'efpere bien de vous faire vn iour
iuger qu'en tous ces genres d'efcrire Dieu ne m'a point
dégarni de iugement. le croy bien auffi que l'orthogra-
phe confufe vous decouurira wuz pareille meflange , &
que les allufions &. répétitions fréquentes , qui feront
trouuées dedans mes vers, montreront de prime face
quelque affeâation. L'vne de ces chofes a eflé ainfi
&ite pour le peu de refolution de noflre langue en ce
point la, & les autres pour l'ornement & la vraye
beauté des infcriptions, ce que vous ne verres pas en
mes OBUures continués de longue alaine : defquels ie
▼DUS promets ouurir la bonde le plus toil que ie pour-
ray, vous aHeurant que ie ne m'en fenti iamais tant pic-
qué qu'a cefte heure. Si donques tant en ceus la qu'en
cetui ci vous penfés voir quelques fautes, ie vous prie
de m'eftre û bénins, que de penfer, & faire penfer aus
antres, que la faute vient d'autre part que de moy, ou
bien de dérober quelque chofe à la feueritc de voflre
236 LE LIVRE À IfA FRANCE.
bon iugement, pour le donner à noftre amitié. Quand à
moy ie vous promets que tant en vos labeurs, qu'aus
labeurs d*autrui, ie me montreray dorenauant tel , que
vous aurés iufte occafion d*vn contentement & d'vne
perpétuelle recommandation de moy, qui fuis voftre à
* . tout iamais. A Dieu.
LE LIVRE A LA FRANCE,
SONET.
Si mon père a taché de payer le deuoir
Dont Vobligoit à toy la loy de fa naijfance,
Enf^efforceant d'aider à chajfer V Ignorance,
Sur qui le Ciel lui donne & vouloir & pouuoir :
Si trauaillant pour toy fans fin &fans efpoir,
Il pen/e fon feruice ejlre fa recorripanfe :
le te pri, fay ce bien, fay lui ce bien, ô France,
De vouloir fon enfant & receuoir & voir.
Si Von dit que ie vien farder par mes harangues
Son defafire, les yeux condamneront les langues.
Si Ion dit qu^on en doit eftreplus irrité,
Veu que ie ne fuis rien au pris de ton attente,
le le fçay bien, mais las, que ceci te contente.
Qu'on laiffe le deuoir pour la neceffité.
LE RECVEIL
INSCRIPTIONS, FIGVRES, DEVISES
ET MASQ.VARADES,
Ordonnées en VHoftel de Ville à Paris,
le leudi 17 de Feburier i558.
ApreB rheureufe & mémorable conquelte faite au
moU de lanuier fur l'ennemi, le R07 eftant de retour
daiu fa conté d'Oye nouuellement remife en fon obeif-
ùmee, délibéra de feiourner à ParÎK iufqu'au commen-
cement de Q.uaTefme, tant pour les plaifiis qu'on y pou-
uoit trouuer en telle îaifon, que pour faire gratifier â
fon peuple l'heur de fes dernières viâoires, la profpe-
rit£ de foD yoiage, & U deliurance de toutes nos premiè-
res craintes. Durant ce tens doncques, ne voulant en
rien imiter l'infolence des téméraires Princes en leurs
profperes auantures, & fe tempérant beaucoup mieus
en Ton heur que n'auoit itlt parauant fon ennemi, fe
contenta de mille louables paÎTetens alTiis acouitumds
i & Maiefté : en mefursnt fi bien & fon allegreffe &
celle de & Court, auecque la teconnoiflance de ce qui
cft de plut hault, qu'il n'a point eu moins de louange de
raincre dedans fojr la folle couflume des ^
que d'auoir en celle viâoire plus vaincu que de C'
«4
238 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
«
tume. Ofy afûn que les peuples ou ennemis ou eftran*
gers ne pcnfent point que ce que ie decriray ci-apres
ait eflé fait pour autre chofe que pour vn léger palTe-
tens, fans aulcune forme ou de gloire ou de triomphe :
i ^^ ainfi que fa Maiefté paflbit le plus ioyeufement qu'il
efloit pofûble ces iours les plus dele^bles de Tannée,
il fauifa de mander au Preuoft des marchants & £fche>
uins de Paris quMl iroit fouper en leur maifon de Ville
le leudi gras enfuiuant, qui feroit le iour d'après que
monfeigneur le Duc de Guife arriucroit de Picardie, ou
il acheuoît pour lors de donner tel ordre que les hau-
taines efperances de TEfpaignol ont occasion de f 'en ra-
baifler à bon-droit. le croy certainement que Meffieurs
de la Ville, qui de tout tens fe font montrés prompts
& pleuots enuers leurs Princes, & qui, à mon auis, (fi
d'auanture on n'i eftoit bien trompé) auront toufiours
en leurs entreprifes plus grand befoin de bonne con-
duite que de bon vouloir, eufifent volontiers fait en
l'honneur d'vn fi grand Roy l'appareil d'vn triomphe à
l'antique : mais peut eftre qu'ils confidererent, au moins
les plus auifés d'entre eus, toutes les chofes qui pou-
uoient empefcher l'effeél dVn' fi ifuperbe deCTein. Leur
Roy premièrement porter le nom de Trefchreftien, &
que la gloire des Chrefliens ne peut eflre finon qvte
leur Dieu, qui tenant les vi£loires en fa main f*fla«e-
ferue les triomphes : Les feus Roys Trefchreftiens
pour quelque grande viâoire qu'ils fceuffent auoir,
n'auoir iamais triomphé : La fin de la brauade eftre
bien fouuent le rabaiffement, la queue de la ioye la
douleur, & les grandes pompes d'vn Prince l^occafion à
fon ennemi de bien faire : Le Roy Philipes auoir efté
lors auerti du fiege de Calais qu'il faifoit vn magnifique
tournoy, penfant du tout tenir la Fortune au poin, &
ne preuoyant point qu'elle fçait encore mieus tournoyer
que lui. Mefmement que quand ils auroient dreCTé tous
les apprefls d*vn tel triomphe, il efloit certain que fa
Maieflé autant modérée aus fortunes heureufes, qu'af-
feurée aus fortunes aduerfes, n'accepteroit iamais vne
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 239
gloire qui ne tournafl en Phonncur de celui feul, qui
faifant vaincre les Roys leur commande de plus toft
triompher de foymefme & des vices de leurs fubieâs,
que des dépouilles &. captiuités de leurs ennemis. Et
auffi que quand le Roy ne refuferoit point tel honneur,
ils auroient faute & de tens & de gens pour conduire
telle entreprife à quelque agréable & admirable iflue ,
& PilTue à vne perdurable mémoire. Si toutes ces chofes
furent penfées, ie ne doute point qu*elies ne perfua-
daflent facilement aus Pariilenuxiue pour receuoir vn fi
grand Roy il fe falloit amplement contenter dVn fef-
tin, adiouftans- comme il eftà croire, à toutes cescaufes
là defpence, non pas tant pour Tegard qu*iis auoient en
l*efpargne, que pour ce que la nourriture de la plus
part de ceus qui gouuernent la ville eft telle, qu'il faut
neceffiaiirement que les chofes belles & grandes les ef-
tonnent, n*ayans point d^autre. mouuement, ni d'autre
réglé que le rugement d'vn fens commun, la frugalité
vulgaire, la fimple bonté, & le rude exemple de leurs
predecefleurs. Sur quoy ie diray ce mot en paCTant,
qu'on fe doit bien garder de mètre les afi^res qui peu-
uent tirer quelque mémoire après foy, entre les mains
de ceus qui font du peuple, qui pour autant que la Po-
lice fuit toujours l'Œconomie, penfent tout ainû mef-
nager leur ville que leur maifon. Il n'i aura peut eftre
pas vn, ni des noilres, ni des étrangers, qui regardant
la grandeur du Roy, la grandeur de la viéloire, la gran-
deur de Paris, ne femerueille, encore qu'on voulufl
laifTer le triomphe, qu'on ne deliberoit pour le moins
mille gentillefles aucuneipent dignes de ces trois i & veu
que monfeigneur de Guife déuoit arriuer le iour de de-
uant, qu'on deuoit bien fonger à honorer d'vne autre
forte rarriuée d'vn fi vaillant & vi^orieus Prince : le-
quel contre les dernières defaueurs de la guerre, con-
tre l'imporlunité de Thyuer, contre l'arrogance de l'en-
nemi, contre l'efperance d'vn chacun, Pefloit porté fi
fort, qu'il auoit emporté en moins de dix iours la ville,
qui depuis CCX ans auoit ferui de regret & frayeur à
#»
240 . RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
nos pcres, de vollerie à la France, de mère nourrice
au8 Ânglois, & mefme (f *il faut ainii parler) feruoit en-
core d'efpouantail à noflr« vaillance. Lequel outre vne
û braue & glorieufe- prife, auoit peu de iours après
forcé le fort de Guignes, iugé pour lors inexpugnable,
par ceus mefmes qui nous auoient tant obftinément
ibuilenus. Et lequel, pour dire en brief, ayant en û peu
de tens contraint les Anglois de f *en retourner honteu-
fement cacher en leur coin, raportoit vn tel mérite,
qu^en entrant dans la fiile (i'apelle ainfi Paris fans lui
donner queue) il ne |lôuuoit efperer moins que ies
couronnes publiques, les applaudiCTemens du peuple,
& la féconde partie du triomphe Royal. Or quant à ceus
quipourroientauoir tel efbahifTement, ie ne leur fayni
autre excufe, ni autre refponce , m'afleurant que fils
font Chreiliens, ce que i*ay dit par ci deuant, les peut
aCTés contenter. Et auffi que ie ne puis maintenir que
ma ville ait eilé fi mal curieufe &. de l'honneur de fon
Prince, &de fon honneur, qu'après auoir vn peu fongé,
elle n'aperceuft bien qu'il falloit pour le moins feftoyer
vn Roy de quelques autres chofes que de viandes. Ce
qui fit que quatre iours feuliement deuant le iour du
feftin, le procureur du Roy d'icelle, vn de plus honneftes
& metables hommes que i'aye fceu voir en leur com-
paignie, fçachant que i'eftois né de Paris, & que Dieu
m'auoit donné quelque peu de promptitude d'efprit pour
fecourir à vne chofe fi hafiée, me vint prier au nom
de tous eus, que fi i'auois quelque Tragédie , ou Co-
médie, qui peufl efire apprife entre ci & la, ie la bail-
lafle pour eftre recitée deuant le Roy, & qu'ainfî ie fc-
rois feruice à mon Prince, & honneur à mon païs. Je
fi refponce . que i'auois, & des Tragédies &. des Comé-
dies, les vnes acheuées, les autres pendues au croc,
dont la plus part m'auoit efié commandée par la Royne
& par Madame feur du Roy, fans que les troubles du
tens euffent encore permis d'en voir rien, & que i'atten-
dois touiours vne meilleure occafion que n'eftce tens tu-
multueus & miferable pour les faire mètre fur le théâtre.
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 24 1
adiouftant ce petit mot alTés poétiquement dit, que cefte
année la Fortune auoit trop tragiquement ioué dedans
ce grand echau£aut de la Gaule fans faire encore par
les fouis fpeâacles refeigner les véritables playes. Mais
bien fi on me vouloit prometre de me croire & de me
foulager, que ie ferois bien des chofes, lefquelles eftans
bien conduites, ne raporteroient point moins de grâce
que l*yn de ces deus poômes. le ne penfois en faifant
telles promefifes que ie me deuffe foucier d'autres char-
ges que d'inuenter quelques belles mafquarades, ou
parlantes, ou muetes, qui eftans accommodées aus tens,
aus lieus, & aus chofes, peu ffent donner quelque agréa-
ble plaifir à la compaignie : Mais Pamour de mon pals,
la prière qu'on m'auoit faite, Tenuie que i'auois de
plaire tant au Roy comme à la maifon de Guife à la-
quelle le me fuis toujours humblement voué, & la
fisLUte d'appareil & de confeil que ie voiois en telle ne-
ceffité, me firent tellement prandre charge fur charge,
que i'appelle en tefmoins tous ceus qui m'ont veu en
Tn tel embrouillement, fil eft pofdble de croire qu'en
Û peu d'efpace vn feul efprit ait peu fouftenir &. tel
fais & telle £acherie. Car allant des l'heure à la maifon
de ville & n'i trouuant aucun ornement qui peuft élire
remerquable, i'ofe dire que ie me fei quaîî de tous
meftiers, & affés heureufement, comme on pourra voir
par ce recueil, fi l'exécution eut eilé telle que Tordon-
nance. Combien que fi tout euft efté bien veu le iour du
fefliny on euft cogneu qu'auecques vn labeur defefperé,
i'auois mis tel ordre à tout, qu'il ne reftoit quafi rien
qu'il n'allafl comme ie l'entendois, & comme on le pou-
uoit efperer de moy, fors les deus mafquarades d'après
fouper, lefquelles à caufe qu'on n'auoit point fait les
chofes comme ie les auois dites, & à caufe auffi de la
multitude, du defordre, &. de la confufion, furent fi mal
menées, que moymefme, qui à mon grand regret fai-
Ibis l'vne des perfonnes, épris quafi d'vne rage de voir
û mal porter deuant mon Roy la chofe où il m'ailoit de
l'honneur, demeuray quafi tout tel (fil faut qu'ainfi ie
lodelle. — I. 16
242 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
pirle) que fi la Minenie qui marchoit deuant moy m'eufl
transformé en pierre par le regard de la Medufe. Mais
combien que i'en aye porté &. porte encore vn tel re-
gret, que ie ne le puis autrement nommer que defef-
poir, non pas tant pour la £Eiute que pour voir que
Dieu m'a fait naiftre û malheureufement, que de toutes
chofes que i'ay bien feiâes, ou que i'eufle peu bien
^ faire en ma vie, ie n'en fceu iamais auoir ryflEige, vi-
uant prefque en ce monde tout tel qu'vn Tantale aus
enfers fil faut ici parler encore de fiable : qui eft ce tou-
tesfois qui en ceci n'eftimera ceus impitoyables qui
auecques leurs brocards publiques, leurs fecretes repro-
ches, & leurs iniuftes iniures ne m'ont point pardonné
d'auantage que û i'eulTe efté coupable du plus grand
crime de lefe maiefté ? Mais ie parleray de tout ceci en
fon Heu, & me femble deia que i'ay trop longuement
difcouru auant que de venir au recueil que ie délibère
de fîedre, qui peut eftre, eftant bien leu, fi la France
n'eft la plus facheufe marâtre du monde, encore que
ie me tienne moymefme grandement coupable, me
pourra bien apporter au lieu des haynes, mefpris & ca-
lomnies, le pardon & la grâce des grands, la louange
des doâes, l'admiration des eftrangers, l'ezcufe de
noftre peuple, la repentance des maldidEms, &. le creue-
cueur de l'ennuie. Ayant donques (pour venir au point)
drefifé & fait drefier tout ce que i'auois proieâé, le Roy
fur les quatre heures du iour que i'ay dit, fans aucune
pompe arriua auecques toute fa compagnie en la maifon
de la ville, deuant laquelle on lui fit feullement vne
falue de l'artillerie auecques quelque efcopterie qui
Pacordant fort bien à l'affluance du peuple, au bruit
des tabourins, &. au fon des trompetes , donnoit vn
tefmoingnage publiq de l'allegreffe que receuoient tous
les citoyens. Alors ceus qui eftoient curieus de telles
nouueaulés peurent voir ce que i'auois premièrement
ordonné pour l'entrée, fuiuant d'affés près Tantiquité ad-
mirée d'vn chacun, & aucunement recherchée par moy,
tant en tous mes autres ouurages qu'en ces miennes
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES 248
petites inuentions, qui premièrement eftoient telles *
que dedans vne grande Arcade, fus le portail de l'hoftel,
i'auois fait peindre force trophées à l'antique , des ar-
mes, & enfeignes ennemies, & au meileu d'eus tirer
▼ne fort longue & fpacieufe oualle entourée de laurier
à Pvn des coftés de laquelle efloit le portrait de Calais,
& à l'autre le portrait de Guignes, & au dedans d'icelle
cette longue infcription :
DD.
- VIRTVTI ET VICTORIJE.
S.
D. HENRICO REGI PRACLARISSIMAR. RERVM IN VNI VERSA
TVK GALL. TVM rrAL. TERRA MARIQ.. BENE AC FELICITER
GESTARVM ERGO TRIVMPHVM PVBL. DIGNAMQ.. SVIS FACTIS
ET LAVRBAK ET MEMORIAM MERENTI RENVENTI SED IN
POSTERVK EXPECTANTI. OB FORTISS. ET VETVTISS. NOS-
TRORVM CALETVM CIVrrATEM NVPER A FRANCISCO LOTHA-
UJfGO GVISIORVM PRINCIPE GLORIOSS. OMNI INGENIO OB-
SBflAM KOE OMNI MARTE EXPVGNATAM AC PERENNI VOTO
CVM A ce ET Z AN. BRTrANNORVM SERVIT VTEM PATERETVR
8TJB GAIX. RESTTTVTAM. OB GVINAS OMNIB. ET VI ET VI-
aiB. CAFTAS, SOLOQ.. AD£Q.VATAS. OB HAMMENSEM PAGVM
Qyi HO8TIVM KETV DERELICTVS FVERAT RECEPTVM. OB LI-
BERATAM DENIQ.VE AB OMNIB. BRITAN. GALL. HOC INTERIM
AD PRIMAK ILLAM INSPERATA REI COMMENDATIONEM ET IN
VOSTRYM O DD. VIRTVS ET VICTORIA FAVOREM EX. VOTO
ET DEBrro.
VRBS.
PD CONS.
ST. lODELIVS PAR, PPP.
Au deflbus de TArcade, defTus la grande frize du por-
tail que i'auois fait fi proprement couurir, qu'il fembloit
244 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
_ . _ --■! Il I ' I ■■■- ■_
que ce feuft vn marbre noir nouuellemeut aioufté,
eftoient efcripts ces trois vers en letres d'or :
NON POMPA, NON ROMVLEIS TE CV&RIBVS ALTVM
ACCIPIMVS, FACTIS CVM SH* SPES REGLA MAIOR ,
SPE Q.VOQ.VE UAIORES, Q.VORUM EST TVA LAVREA , DIVI.
L'infcription de ces trois vers eftoit régi piiss. pu
CIVES. Aus deus codés de P Arcade font deus grandes
colonnes Doriques, dont les deus pieds coftoyent les
deus bouts de la corniche du portail : en chacune d'i-
celles colonnes eiloient ces deux lettres d'or h h & au
meilleu des deus efcrit en lettres d'argent hoc hercvle
DiGNJE. l'auois ordonné qu'on feift mouler deus grands
croisants argentés pour planter fur le haut de ces co-
lonnes au lieu que l'Empereur y plante fes aigles : mais
la brieueté du tens, & la dîuerîQté des occupations, fit
qu'ils demeurèrent. le ne parle point ici de l'enn-
chiffement du lierre qui embeliCfoit cefle entrée, ni de
tout autre ornement d'entre les deus portes, vn peu
mieus deuifé que mis en œuure, voulant courir toutes
telles chofes le plus legierement que ie pourray. Si
ne veus-ie pas pourtant aller (1 fort que ie ne m'ar-
refle ici pour dire que û les Princes eiloient autant
amoureus des chofes qui les perpétuent , comme ils
font defireus de fe perpétuer, ils tiendroient bien autant
de conte de telles nouuelles antiquités, voire de tous
autres labeurs dont les hommes do6les fupportent leur
gloire, que des chars, des images, & pompes inacouilu-
mées. Car de ceus ci les vns fe rompent, les autres
f'enfument, les autres foublient, lors que l'honefte
curiofité des do6les. & des bien nourris, enuoyant de
main en main ces vifs inftruments de la mémoire, les
fait demeurer entre les mains de l'éternité. le ne veus
pas dire que ce peu que i'ay deia décrit, & tout ce que
ie decriray ci après, aproche en rien de cela, car on fçait
bien v^uc la hafte, & la foiblelîe de mon efprit ne me le
FIGVRBS, DEVISES ET MASQVARADES. 2^5
pouuoient permetre. Mais ie diray que decouurant de-
dans Pinfcription les mérites, dedans les trois vers Tex-
cufe du triomphe, dedans les colonnes l'efperance fu-
ture, i'ay tâché de donner quelque merque à la fou-
uenance des hommes : comme doiuent faire tous ceux
qui ont quelque pouuoir fur la mémoire, qui fans
auoir aucun égard à la louange , ou à la faneur, ou
à la recompanfe, me femblent eftre naturellement
obligés enuers leurs Princes, de garder alors plus foin-
gneufement l'honneur des beaus aâes , qu'ils voyent
les Princes fen foncier le moins. Or paflbns outre fans
plus nous arrefter de telle forte. Sur la féconde porte
enrichie de tapifferie, & de feftons de lierre, dedans vn
grand compartiment entouré de fon chapeau de triom-
phe eftoit peinte vne DeefTe tenant vne couronne de
laurier en Pvne des mains, &. vne ch{dfne de fer en
l'autre, ayant le Soleil & la Lune aus deus coftés d'elle,
& pouffant vne fphere du pié. Sur la tefte d'icelle, de-
dans vne efpace que faifoit le compartiment , eiloit ef-
crit, vicissiTVDO, & au bas dedans vne autre plus grand
efpace ces trois ver&«:
ME PftOPERA, NVlfENQ.VE VmE, VISVHQ.VE VERERE
AC GENIVM METIRE TVVM, NAHQ.VE OMNIA LEGI
SVPPOSVIT NOSTRJE, NOSTRA Q.VI LEGE SOLVTVS.
Ce qui eftoit dans la montée fuiuoit affés bien cefte
figure de Viciffitude, qui après toutes ces premières
louanges &. trophées, . auertiCfoit de ne fe fier que de
bonne forte à la félicité. Car là dedans outre l'ornement
de la tapififerie, des feftons, &. des armes tant du Roy,
que de la ville, on lifoit trois ou quatre fois cefte deuife,
GRADuigriM, efcrite toufiours dedans vne oualle couchée,
. & entourée d'vn compartiment femé de couronnes,
montrant qu'on ne va point autrement aus victoires que
par degrez, &■ qu'en les voulant trop hafter on fc pré-
cipite foymefme. Au hault de la montée, fur la porte
24^ RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
talités de ceft antique vaiffeau , qui fe pourroient approprier
à nos armes, mais on en lira dauantage dedans vne des
Mafquarades qui fuiuront après. Il me fuffîra d'ozer pro-
noncer ce mot, que ie trouue cefle deuife inuentée par
moy affés digne d^eftre gardée pour deuife de la ville éter-
nellement. On eufl trouué merueilleufement beau,
qu'ainû que ce front de falle eftoit orné de ces trois
figures, tout du long auffi des deus coilés de la falle
tous les interualles que faifoient ces grands croiCGants
de lierre , qui pouuoient eftre huit ou dix de chafque
cofté, euffent efté remplis de figures diuerfes auecques
leurs deuifes & vers : mais chacun fçait que la main des
ouuriers ne peut fuiure l'abondance de mes inuentions.
Toutesfois ce qui fut poffible d'acheuer y fut mis. Pre-
mièrement du coflé droit, au premier interualle refpon-
dant encores fur la table du Roy , eftoit la figure d*yn
dieu lanus, vieillard comme on le peint , ayant la clef
en la main dextre, & fon bafton en la gauche : mais
n'ayant point deusvifages comme on lui fouUoit donner.
Cefte ftatue eftoit fur vn autel, dans lequel eftoit ef-
crit: Iano Gallico; la deuife d'en hault eftoit : Iam
NON RESPEXiT vTRiNQ.yE, &. les trois vers d'en bas, ceus
ci :
Qyi BIFRONS FVERAM, GALLIS SVM GALLICVS VNA
FrONTE deys, CSLVMQ.VE MEA DVH CLAVE RESOLVI,
ViDI INCVMBENTEM GALLIS TOTVM ACRIBVS ANNVM.
l'auois voulu montrer par cefte peinture , combien
le mois de lanuier nous a efté fauorable, auquel tant
par la vertu de nos Princes , que par la faueur du tens,
fe font faites chofes fi belles & fi merueilleufes, que ie
ferois prefque d'auis qu'on fift peindre vn lahus en nos
enfeignes pour vne heureufe merque de noftre bon
heur. La figure que l'on voyoit au prochain efpace
d'après fuiuoit d'afles bonne grâce la première pour
exprimer cefte faueur du tens. Car iauois fait peindre
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 249
au haut vne petite partie du zodiaque , qui montroit
feuliement le figne du Ganimede que Ion nomme
Aquarius, & au deflbus vn ieune dieu, beau, fans barbe,
couronné de fleurs, qui félon les antiques reprefentoit
le printens. A l'vn des coins de la peinture, foufHoit vn
2Lephîre ietant des fleurs par la bouche, & dedans le
cham de Poualle voloient par ci par la quelques aron-
delles. Le petit efpace d'en hault que faifoit le compar-
timent d'alentour, contenoit celte deuife : cessit natvra
FAVORI, & au grand efpace qu'on auoit lailTé au delTous
de la figure, faifant vne allufion à celui qu'on dit auoir
efté tant heureus, qu'en vne bataille les vents mefmes
▼indrent combatre pour lui, i'auois fait efcrire trois vers
comme en tous les autres :
NON CONIVRATI VENIVNT AD CLASSICA TANTV'M
MOUDJE, VERVII GELIDO SOL SYDERE VERNANS
FVNDIT INASSVBTOS ARVISQ.VE ARMISQ.VE CALORES.
U y a bien peu de gens comme ie croy, qui n^yent pris
guide cefte année à la vérité de celle figure, & fils ont bien
coniideré le tens qu'il a fait tant durant Tentreprife que
l'eyecution de Calais, ils n'ayent veu contre l'ordre ac-
couffaimé des années vn beau Printens au meilleu de
l'hyaer : Quand à moy, i'ofe affermer eftant pour lors
aus cfaams auoir veu fortir les herbes nouuelles, & tous
autres indices du renouueau. Ce qui montre affés que
nos viâoires ne viennent point ni par noftre feulle puif-
Iknce, ni par vn fort, ni par vn certain ordre de la na-
ture, mais de la feulle £aueur & difpofition de Dieu, qu'il
les enuoye^ en tel tens, en tel lieu, & à telles perfonnes
qu'il lui plaid, fans la puififance duquel, tant fen faut
que nous puifûons eftre vaincueurs, que nous ne pou-
uons pas feuliement eftre puifTans. Vis à vis de ces deus
dernières figures, dedans les deus premiers efpaces que
ftifoient les Croififants de l'autre cofté, l'en auois fait af-
foir deus autres, qui fuiuoient le mefme argument de
16'
250 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
cède nouuelle & heureufe conquelte. Dedans la pre-
mière fe montroit vn lafon hardi & courageus à arra-
cher vne toifon d'or , pendue à vn arbre , nonobftant
l'efiroy que luy pouuoit donner vn horrible dragon qui
eftoit au pié^ & qui au rebours de celui de Coichos
charmé & endormi par Medée, ouuroit les yeus effroya-
blement, & fenÛoit û fort de venin, qu'il fembloit
quafi creuer dai\s le tableau. On lifoit au deffiis pour
deuife : arbipiam vigilet licet, et au deflbus :
VELLVS AB INSOMNI LOTHARENC DRACONE TVLISTI, ~^
CARMINIBVS NEC SVNT FERA LVMINA VICTA, NEC HERBI8,
INGENIVM, MARTEHQ.VE VOCES NISI CARMEN, ET HERBAS.
Dedans la féconde efloit feullement figurée vne vieille
baniere Romaine reprefentant vne de celles de Iules
Cefar, qui eflant de couleur iaune eidoit trauerfée de
bihais d'vne large bande noire, qui portoit ces trots
letres d'or V.V.V. lefquelles comme chacun fçait affés,
& comme il a efté chanté &. rechanté par nos nouueaus
poôtes, qui depuis naguieres ont fi bien tenu chacun
leur partie en la louange de celle viâoire, fignifibient le
VENi, viDi, vici, de Cefar. Et pour autant que Monfei-
gneur de Guife n'a point efté en ceci accompaigné d'rn
moindre bon heur, que celui la dont fc vantoh ce Ro-
main, eftant fi opportunément venu, ayant fi ihgenieu*
fement veu, ayant fi vaillamment vaincu, ie l'ay bien
voulu auecques les autres le faire héritier de ces trois
letres, lefquelles il a fait perdre en d'autres viftoires
(ie pourrois bien alléguer Mets) à ceus qui font mefme-
ment héritiers de Cefar. Cette peinture auoit fa deuife
telle, TER HOC FELICITER ACTVM, & fcs troïs vers tels : •
CAESARIS HOC, CAESAR DEMAS TIBI, GVISIVS ADDAT,
NAM VENIT, VIDIT, VICIT SIMVL ISTE, TVOSQ.VE
DVM Q.VOQ.VE VINCEBANT, VICTO lAM CAESARE VICIT.
En efcriuant ces vers ci, il me vient de naiftre vne
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 2 5l
afifés gentille fontaûe dedans refprit pour donner plus
de grâce à cefte figure, dont l'argument a efté trouué fi
propre & à la chofe & à la perfonne, c'eft de mètre en
îa deuife au lieu de ter ce mot q.vater, aiouftant encore
vn V dedans la bande, & peignant au deffous de. la ba-
niere vne fortune garrotée de chaifnes de fer, auecques
ces vers changés ainfi :
HOC CAESAR MIHI CEDE, TRIBVS Srr ET ADOPTA Q.VARTA
UTTERA, SORS ADVERSA MEOS ET INIQ.VA PREMEBAT,
MOX VENIy VIDI, VICI : VINXI Q.VOQ.VE VICTAM.
Pay aiouflé ceci de gayeté de cueur, comme i'aiou-
fteray quatre autres figures qui eftoient deia toutes
ordonnées, & dont les compartimens efloient faits, ainfi
que me font tefmoins ceus qui eftoient auecque môy &
mefmement Baptifte excellent peintre qui les faifoit, &
qui en auoit reuu l'ordonnance des le foir de deuant :
mÔB rarriuée du Roy nous preiTa de fi près, qu'encores
que le peintre fift vne admirable diligence, il fut impof
iible d'en faire tant : & fufmes contraints de nous con-
tenter de ces quatre premières, pour les interualles de$
croiilants, dont les deus premiers qui en eftoient rem-
plis contenoient autant d'efpace de la falle, que faifoit
le lieu ou Ion deuoit couurir pour le Roy. Dedans la
première donques de ces quatre figures eiloit peinte
▼ne Andromède eftant deia déliée de fon rocher, au pié
duquel eftoit fon grand monidre marin , nauré deia de
quelques coups, & demi eflourdi, fur qui retournoit
encore vn Perfee, ayant fes ailles au dos, volant dedans
Pair, tenant le glaiue dans l'vn des poings, & le chef de
Medufe dans l'autre, lequel il iprefentoit au monilre
pour foudain le tourner en pierre. Et d'vn autre cofté
fe voyoit vne grande compaignie de gens armés. Lefcri-
ture du deflus eftoit : novo sva salva picardia perseo,
&.les vers du defifous :
252 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
CAVTIBVS ANDROMEDBN PERSEVS, CETOQ.VE MARINO
ERIPVIT, MONSTRIS TV MB HENRICE MARINIS ,
ESQ.VE TIBI, SI NOS PHINEVS PETAT, ALTERA GORGON.
Âpres cède figure qui montroit combien la Picardie
eftoit heureufe d'auoir vn tel Roy pour fon prince, le-
quel ayant premièrement repris Boulongne, & mainte-
nant reconquis Calais, Guignes, & Hammes fur les
Ânglois ne Va. pas feullement deliurée de fon monflre
marin, mais a deia refifté, & combatra/ en la fin le Phi-
née qui la veut rauir : l'auois fait faire vne autre figure
dedans laquelle on eull veu vne Niobe deia demi tour-
née en pierre, autour de laquelle euflent eflé fes en-
fans, moitié fils & moitié filles, deia prefque tous
morts, eflant chacun d'eus nauré dVne fieche dargent.
Vis à vis de ce mafifacre i'auois fait peindre vn Phebus,
& vne Diane, tenant chacun vn arc d'argent au poin,
duquel ils venoient de faire telle vengeance pour l'or-
gueil infupportable de Niobe, qui fofoit préférer & elle &
fa race à Lato ne & à fes enfans. Celle deuife eftoit pour
le haut : dat iniq.vas svperbia poenas, & ces trois vers
pour le bas :
LATONAE NIOBE TIBI SESE O GALLIA PRAEFERT
ANGLIA, PROLE T^TMENS, PHOEBVM, PHOEBENQ.VE LACBS8ENS,
SIC SAXVM GENITRIX, FIVNTQ.VE CADAVERA NATI.
L'orgueil d'Angleterre fi bien rabaiffé par cette pein-
ture, eftoit fuiui de la deftinée du mefme païs, que i'a-
uois voulu exprimer par la figure fuiuante, y ifàifant
peindre vn Alexandre tout tel que nous le pouuons re-
tirer des médailles antiques, baifant & accollant vne
Royne figurée en Amazone, de mefme forte auffi que
les antiques nous Pont montré : Laquelle reprefentoit
la dernière Royne des Amazones, qui pour le defir
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 253
quelle eut de coucher auecques Alexandre, perdit le braue
règne de ces courageufes & viâorieufes femmes. L'ef-
pace du haut contenoit cefte deuife : res iiipar sed fata
EADEM, & celui du bas ces trois vers :
VLTIMA TE MACEDO REGINA CVPIVrr AMAZON,
ANGUCA CAESAREVM CVPIIT REGINA PHILIPPVM,
VTRAQ.VE SIC REGINA SVI MANET VLTIMA REGNI.
Pour autant qu'on pourroit trouuer quelques chofes
en cefte figure qui du tout ne Paccommoderoient point,
ie lui ay fait porter la deuife d'en haut qui eft telle, que
les chofes eftans différentes, le deftin eft de mefme. Car
ie ne voudrois point ici dire que la Royne d'Angleterre
fîift Taillante comme vne Amazone, à laquelle on n*a
point veu encore porter les armes finon contre fon
peuple, ni faire autre vaillantife finon contre les teftes
des gentilz hommes de fon païs. le voudrois encores
moins comparer vn Roy Philippes à vn Alexandre , le-
quel pourtant fembloit auoir vn tel heur en fon com-
mencement, que fil euft bien vfé de (a fortune, &. qu'en
fe tempérant en tout, il n'euft point reculé le bras de
Dieu d'auecques le fien, ie croy certainement qu'il
nous euft montré que les vices de noftre France, qui
depuis ie ne fçay combien Peftdu toutdeprauée, crioient
vengeance contre nous. Mais maintenant ie voy bien
(ce n'eft pas la première fois que i'ay veu & prédit) que
la ballance PabbaifTe de noftre cofté, & que fi nous nous
maintenons au chemin qu'il faut toufîours fuiure,
noftre bon heur fe maintiendra au cours qu'il a deia
commencé. Outre ce premier égard ie ne feray point ce
tort à ce grand Prince, & à cefte grande PrinceiTe, qui
font conioints par légitime mariage, d'approprier leur
alliance au concubinage de ces deus : Car i'ay efté d'auis
de tout tens que c'eftoit le plus fotement fait qu'on
fçauroit fiELire, d'iniurier par efcrit les Princes qui nous
font ennemis, principallement aus chofes qui font con-
256 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
prenons toutes les chofes que le Roy a Eûtes depuis fon
auenement à la couronne, le tout allant d^ordre & le
tout û bien efcrit , & en fi grands carraâeres , qu'il fe
pouuoit facilement lire de la table du Roy. Ceci efloit
au deiTus des vers : ex d. caroli lotharingi pyramide,
A STEPH. lODELio DEscRiPTA , &. les vers qui fuiuoient
edoient tels :
SCOTIA TVTA SVIS , ACCEPTA BOLONIA , METAE,
ET RHENI PAVOR ATTONITI, FVSVSQ.VE PER VMBRAS
CAESAR, ET HINC VICTAE TVRMIS REOEVNTIBVS VRBES,
MOX Q.VOQ.VE DEFENSAE LOTHARENI GLORIA METAEy
INSTAVRATAE ACIES, VRBESQ.VE AEDESQ.yE SORORIS
CAESAREAE, RENTINA TIBI PALICA ADDITA GVISI,
AC SI Q.VA IN BELGIS Q.VAESITA TROPHOEA SVPERSVNT :
HAS INTER PALM A S PARMA, ET MIRANDVLA, SENAE,
CORSICAQ.VE, ET TOTIES DECEPTVS IN ALPIBVS HOSTIS l
NVNC Q.VOQ.VE Q.VOD RELIQ.VIS POTIVS FATALE CALETVM,
Q.VAEQ.VE FEROX POTIOR FATALI GYINA CALETO,
HAEC SVNT Q.VAE REGEH LAVRV RES LAVDE CORONANT.
Ces vers , comme Pinfcription le montre , font tirés
de la Pyramide de monfeigneur le reuerendifïime Car-
dinal de Lorraine, qui eft vn petit œuure que ie fi der-
nièrement d'enuiron fix cents vers héroïques Latins,
autant beau comme ie croy qu'aucun qui foit encores
forti de moy, fans excepter mefmes ceus que i'ay feits
d'vne beaucoup plus longue alaine. Pauois efperance
voyant vn chacun à l'enui lui prefenter ce qu'il - pou-
uoit, de faire vne arrière garde après tous les autres.
Laquelle encores qu'elle me femblaft trop foible pour
garder fon nom, & les grâces dont il eft pourueu contre
^es iniures du tens, de la mort, & de l'oubliance, fi
prometoit elle pour l'auenir quelque chofe aprochante
de cela. Mais mon defaftre acouftumé l'a pendue au
croc, comme tous mes autres labeurs, lefquels fi ie
ne penfois auoir bien faits , & fi ie ne penfois qu'ils
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 2 57
fufTent aucunement dignes de la leéhire des grands fei-
gneurs, ie les brulerois & eus & mes Hures. Si i'auois
le loifir de difcourir ici tout ce qui m'en efl auenu, ie
fer ois emerueiller ceus qui fans me connoiftre bien,
iugent de moy à Pauanture. Mais ce n'eft pas ici ou il
me &ut vfer de ces plaintes autant contre la fortune &
les defÎEdlres, que contre l'ingratitude des noflres. Vne
occaûon fe prefentera vn iour, ou telle mifere déduite
apprandra bon gré mal gré à beaucoup de feueres cen-
feurs, qm tancent, reprennent, & confeillent, pour pa-
Toiftre & non pour ayder, que la conduite de nos for-
tunes n'eft point en noflre conduite. Ce qui ne fuit
point entré en mon cerueau non plus qu'au leur,
fi ie n'eufle expérimenté que contre toutes les pre-
uoyances & pouruoyances que i'aye fceu iamais faire,
i*aytouûours fenti les malheurs d'vne deftinée, tellement
enchaifnés queue à queue , &. fe rencontrans tellement
au point, qu^il a fallu qu'en toutes entreprifes en dépit
de moy, la charte me foit demeurée au poin. Car quand
sus letres (Pii faut' encore vn peu reprandre ma di-
grefiion) qu'eft ce que i'ay iamais voulu faire voir de
moy, qu'vn affaire, vne maladie , vne débauche d'amis,
vn de&ult ou vne perte d'occafion, vne entreprife nou-
uelle, ou ce qui efl le pire de tous, vne enuie n'ait em-
pefché d*eftre veu ? le ne parle point des labeurs de
ma petite ieunefife, mais de ceus ou i'ay trauaillé depuis
quatre ou cinq ans : lefquels ay-ie iamais fceu faire
fortir en lumière, encores que i'y tachaffe &. que ie pen-
faife bien leur auoir donné des yeus d'aigle pour la
fouftenir? Quand aus armes ou i'ay toufiours fenti ma
nature aflés encline; en quel camp, en quel voiage
n'ay-je voulu aller, & quels aprefts & quelles pourfuites
n'ay4e tâché de faire? Mais touûours ou quelque autre
maladie ou le defiaut prefent du moyen qui ne peut
accorder auecque la grandeur d'vn bon cueur, ou le
delay de îour en iour, ou quelques autres incommodités
m'ont tellement retenu, qu'il femble que ces malheurs
me feruans de fers, ma ville, qui m'eft malheureufe
lodelle. — 1. 17
■ y
258 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
le poiïibie, me doiue feruir d'éternelle prifon. Quand
aus affaires, encores que îe n'i fois ni fait ni nourri, auf-
quels pour le moins n*eflois-ie point né'i Mat& tant Pen
faut, comme me reprochent plufieurs, que te les fuye,
qu'ils m'ont de tout tens fui , fana qu'il 7 ait eu rien
qui m'en ait rendu incapable que le trop de malheur,
ou le trop de capacité , defquels Tvn m'a peu apporter
les haines & les enuies , & "l'autre la prefumption &
fiance de moymefme , qui deplaifent merueilieufement
aus grands. l'entens bien deia ce qu'on me dit fur ceci,
que ie fuis encore fort ieune, & que ie ne fcaurois fiiire
telles complaintes fans que i'aye dedans moy vne deme-
furée outrecuidance, le ne refpons autre chofe, finon
que par le paffé & par le prefent ie iuge bien du futur.
Toutesfois i'efpere encores, & peut eftre qu'au meilleu
de mon aage, la fortune fe fera meilleure pour moy. le
reuien à ma Pyramide laquelle i'auois fait fort bien ef-
crire, dorer & acoulbrer pour prefenter, mais roffrant
cefle occafion de fefiin, & penfant que toutes les chofes
que i'auois bien ^Elites, eftans bien exécutées & bien
receOes, lui donneroient vne meilleure entrée,^ luy fi
garder le coffre qu'elle garde encores. Certainement
i'auois aiTés de fois appris que le vice & la defobai0ance
reculoit la vertu & le feruice premier, mais ie n'a-
uois encore iamais oui dire que la vertu reculaft la vertu,
& le feruice, le feruice. Or ne demeurons point fi long-
tens en û beau chemin, & venons à ce qui a efté caufe
de tout le mal, qui efl la première des mafquarades, ne
nous haflant point de déduire les fautes qui y furent
commifes, le retranchement que ie fus contraint d'y
faire, les excufes qui à la vérité me doiuent abfoudre,
ains remetant tout cela iufques à tantoft que le leâeur
l'aura toute leûe. Mon inuention eftoit, qu'ayant veu
porter à la ville vne nauire en fes armes , & me refou-
uenant de la nauire Argon dont i'ay deia parlé, ie deli-
beray pour les belles accommodations que Ion verra ca-
chées la deflbus, faire ma mafquarade d'Argonautes. Or
pour autant qu'entre tous autres trauaus que les Argo-
FIGVHES, DEVISES ET MASQVARADES. 269
nautes ont foufiferts, & auquels la pauure Argon mefme
a elté fuiete, cetui ci eft vn des plus mémorables, que
dedans la Lybie ils furent contraints de la porter fur
leurs efpaules, ie voulois aufû qu'en la mafquarade la
rapportans au Roy pour lui eftre heureufe & fatalle
comme elle leur auoit efté, & pour le confeiller & lui
prophetifer fes heurs &. fes malheurs, comme elle
leur auoit toujours confeilié &. propheti2é, ils la por-
taient fur leurs efpaulles, auffi bien qu'ils auoient
£ûtda&s la Lybie, pour montrer au Roy qu'en tous
périls & dangers il la £edloit porter, ce qui à mon iu-
gement eftoit afifés propre à cefte communauté de Paris.
Pour ce aufû que Minerue l'auoit fait bâtir du bois
de la forefl parlante , qui eft la caufe qu'elle parloit ,
& qu'elle eftoit prophète, ie voulois que Minerue les
accompaignaft, comme elle leur auoit efté prefente &
fouorable en leur voiage de la toifon d'or. Dauantage
fçachant que la beauté d'vne mafquarade eft la mufique,
ie voulois qu'Orphée qui eftoit iadis l'vn des Argonautes,
marchaft deuant eus, fonnant & chantant vne petite
chanfon en la louange du Roy, & que comme il fouloit
anciennement tirer les rochers après foy, deus rochers
plains de muQque le fuiuiffent, laquelle chantaft comme
fi ce fiift efté la vois de quelques Satyres ou quelques
Nimphes cachées au dedans. Mais à caufe que le refte fe
verra mieus par la leéture des vers ie viendray à la
chanfon d'Orphée, à laquelle ie faifois refpondre ceus
qui eftoient dans les rochers.
CHANSON D'ORPHEE.
Si iamais rochers & bois
Ma foixe dans foy fentirent,
Si fous ma vois, fous mes dois
S'arrachans ils me fuiuirent.
26o RECVËIL DES INSCRIPTIONS ,
Suiués rochers, & auecq* voftre Orphée
Admirés moy (Pvn grand Roy le Trophée.
Si quelque Nimphe dans vous
Qjtelque Pan^ quelque Satyre y
Pour ouir mes accords dous^
D*auanture fe retire,
Chantés rochers, & auecq* voftre Orphée
Adorés moy d^vn grand Roy le Trophée.
LA MVSIQVE DES ROCHERS.
On nous auoit veu cacher
Pour fouir, aus roches creufes.
Mais auecque le rocher
Nous tirent tes mains heureufes,
Raui!(, abftraits, mourants d*ouir Orphée,
Et plus encor d^ouir vn tel Trophée.
O heureus Roy, qui as eu
Pour ton fonneur vn Orphée,
Heureus fonneur qui as peu
Si bienfonner tel Trophée,
O trois trois fois trois fois heureus Orphée,
O trois trois fois trois fois heureus Trt^hee.
Apres cete chanfon, qu'expreflement i'auois fiait
douce & en bas flyle, vfant de vers intercalaires qui ont
bonne grâce en la mufique, i'auois fait parler Minerue
en telle forte:
M IN EKVË.
Voyant ainji, ô Roy, dans ma main doâe & forte
Branler affeurément les armes qu'elle porte,
Et voyant ma Medufe effroyer de rechef
Tous vos y eus des feipens de fon horrible chef,
Me voyant me/ma auoir la bourguignotc en tefte.
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 201
Qjtifon panache fait flotter dejfus fa creflCy
Nefçay tu pas défia que Minerue iefuis,
Q)ii feule fur les arts & fur les armes puis
Autant qu* Apollon mefme, autant que Mars mes frères?
Minerue f qui laiffant mes deux villes premières
Athènes, & puis Rome {auiourdhuy feul tombeau
De ce qu^elles ont eu de bon, de grand, de beau)
Me fuis de ton Paris faite la gardienne
Par ton Père, qui feul me rend Parifienne,
Et me rendras toufiours, fi toufiours ie ne voy
Fouller Vheur que ie donne à ta ville & à toy,
Et fur le fçauoir faint mettre le pié barbare,
Sçauoir, qui feul les Roys des lourds bouuiers fepare,
Sans lequel, foit qu^vn Roy lefuiuepar autruy.
Ou qu'en foymef me ilaytfa conduitte par luy,
n nefçauroit guider Vefpoir de plus grand (gloire,
Ny, eftant mort, auoir de fa mort la viûoire.
Mais pourquoy tout ceci puis que tes bras tu tends
Pour de ta gardienne eftre garde en tout tens ?
le m'égare, & nCeftant propofée autre chofe
Je nCefbahi quUiinfifans propos ie propofe.
Orfçache donc que c^eft, &f cachent tous pourquoy
Ma trouppe tant eftrange arriue deuant toy.
'7*ti as bien leu qu^auant que la Greque ieuneffe
Eufi voué de laijfer le repos de la Grèce,
Se donnant au hœ^ard pour première ramer,
Et contreindre au faij( Veau pucelle de la mer,
Enfuiuant le confeil du cauteleus Pelie,
Qsti penfoit perdre ainfi defon Neueu la vie.
S'il pouuoit enuoyer ce courageus lafon
Au dangereus conqueft de la riche Toifon :
Sur le mont Peliaque en la foreft parlante
lefei faire pour eus la Nau prophetifante.
Qui fut nommée Argo, & Argonautes ceus
Qjii dedans elle iroientpar les flots dépit eus.
Us demarent, ils vont, mille monftres ils voyent,
Souffrants cent mille maus cent fois ils fe deuoyent .
Ils viennent en Colchos, oit Medée les fait
264 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
Quand elle fut par moy pour vne autre laiffée :
Si tu te peus garSkr, toy qui es Roy prudent ^
De maint flateur fùbtil, maint flaUur impudent,
Qui courtisan de rfjf , de façon ^ de harangue,
Couure mille venins du dous miel de fa langue,
Et qui, fi tu n^eftois vn bon Prince auiféy
Rendrait fur la Vertu le Vice autorifé.
Plus trompeur que n^eftoient les Serenes flatanies.
Dont Véchappay les vois doucement attrayantes^
Qui pour le beau loyer dufon qu'ils *• accordoiemt,
Et ma vie & la vie à tous nous demandoient :
Briefji en toutes peurs, tous périls, tous orages,
Argon ta pauure Nef tu portes & foulages.
Comme dans la Lybie elle fe fit porter.
Et comme tu la vois deuers toy r^apporter
Deffus le dos courbé des Argonautes mefmes.
Qui paroiftroient tous tels que font les ombres blefmes
Des champs Elyfiens^ ou nous des long tens morts
Habitons maintenant, & n^auroient point de corps
Si Minerue n^auoit à voftre humaine veûe
Accommodé la chofe. Eftant donc ainfi vèûe^
Si viuement, croies que tous vous nous voyés.
Sans phantaufme, tous tels. que voir vous nous croyés.
Tout ainfi par la mer quelquefois nous vogafmes :
Tout ainfi quelquefois ce vaiffeau nous poriafmes :
Et fi on ne le croit qu^on oye le vaiffeau
Parler au vieil lafon, & au lafon nouueau.
ARGON.
lafon mon plus cher fils, & la gloire indontée.
Quand Veftoisfur les eaus, de toute ma portée,
Si iufques aus enfers defcend Vaffeâion,
Et fi les Ombres ont aucune paffion,
Pren vn peu de pytié de moy qui fuis venue
Du ciel, où ie me fuis par fi long tens tenue
En aife & en repos : & il faut maintenant
FIGVRBS; DEVISES ET MASQVARADES. 205
Qfi^on me voye Cent maus S- cent maus fouftenant :
Toutesjbis puifque c'eft pour porter de tels Princes
Iufqu*aus dernières mers, aus dernières prouinces,
Je veus bien fupporter encore ce labeur.
Mais Mopfus, qui foulois prédire le malheur
Et l'heur de mes en/ans, ie te prV prophetife
A mon fécond la/on Vheur de/on entreprife.
MOPSVS.
De cefte peine en brefie te dechargeray,
MerCy & au lieu de toy ie propheti:(eray
Ce qu^ ont défia prédit quelques Prophètes fages,
Qjte les François bien tofi loin du monde à Vefcart
Mettront au ioug le col de VAnglois Léopard,
Et de Vautre cofté rabatront Varrogance
De ceux qui fe font grands par ru:(e & alliance,
Faifant en fin la fin de V Empire Romain,
Duquel le nom mourra fous leur fatale main.
Et qui ne le croira, que la raifon il croye.
Apprenant que le ciel de terre en terre enuoye
L'Empire des humains, & que quand il permet
Vos humaines grandeurs croiftre iufqu^au fommet.
Ce f^eftfinon afin qu'auffi tofi il les baiffe^"".
Comme monter en haut lentement il les laiffe:
Cetui la des long tens eft deia renuerfé.
Semblable au pauure oifèau, qui fur terre bleffé,
Allors que dedans V^aer p ébranler ilpeffaye ,
Ne fait plus que trainer &fon fang & fa playe.
Et fi tu crains, ôRoy, que le François prochain
De la grandeur qu*auoit iadis le nom Romain^
Ne foit point héritier de la grand Monarchie,
Et que ton Croiffant cède au Croiffant de Turquie,
Tellement que Ion vift vn grand Lion couché
Apres auoir long temsfur le ventre marché.
Pour épier fa proye, en p élançant deffaire
L'Aigle & le braue Coq Vvn à Vautre contraire :
206 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
Affeure toypar moy que les Turcs mefine tiennent,
Qpte les frains de V Empire entre les mains reuiennent
Des grans Roy s indontés heritiem de Francus,
Par qui doibuent vn iour eus me/me eftre^vaincus,
Mefmes qui te peut plus affeurer de ces chofes
Que fi deuant tes y eus Calais tu te propofes, ^
Et les derniers Lauriers dont après \m malheur
Ce grand Prince Lorrain couronne ta grandeur?
Car cela feul deia te promet V Angleterre^
Ou les deftins font faus : V Angleterre & ta terre
Auecq VEfcoce auffi, feront que chacun Roy
De V Europe fera contraint fléchir fous toy.
Et mefme en ce difcord qu'on verra bien toft naiftre
Pour V Empire, il faudra que toy le plus grand maijhe.
Si tous les tiens au moins fçauent bien leur meJUcTf
Taches de ce gi^and rond auoir le tiers entier :
Si V Europe tu as, les deus autres parties,
Veu qu*au pris de V Europe elles font abruties
Et barbares, enfin par force & par moyens
Peu à peu couleront deffous la main des tiens :
Tant que fi feul tu n'as toute la terre baffe,
Tu te peus affeurer qu^vn iour Vaura ta race.
Voila ce que Calais, & le cueur aiov/té
Aus tiens, peut aioufter à telle Maiefié.
lASON.
Argon pen reiouit, Argon parmi la voye
En murmuroit tantofi vn long lo de ioye,
Oyant le bruit méfié de toute la cité,
Qui la porte enfignal de fa félicité,
Croy doncq^ qu'elle eft ia prefte aux premières conquejies
Q}ii des vieus ennemis doiuent brifer les teftes.
Ne crain doncq^ point, tu as' des Deeffes & Dieus
Comme nous, pour ta guide & faueur en tous lieus :
Ta femme eft ta lunon, tafeur eft ta Minerue,
Qui le droit de la noftre à bon droit fe referue:
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 267
Et bien que nou9 tCeuffions autre fupport finon
Qjie celui de Palla^f & celui de lunon,
Tu as outre ces deus vne tierce Deejfe,
Vne Diane ardiere, & chafte, & chaffereffe.
Ce bon Roy Nauarrois-, fon ieune frère encor,
Te pourront bienferuir de Pollux & Caftor,
€e grand vaincueur de Guife eft ore ton Hercule^
Qui fous toy, VEfpaignol outrepaffant recule.
Calais & Zethes font deus frères quHl a.
De deus frères encor vn chacun choifira
Le nom quUl lui eft propre*'. S- Vautre diuin frère
Qui d'vn double confeil les affaires modère
Auecq la pieté, fera ton grand Typhis
Gouuemeur de la nef. Mefme ie voy ton fils.
Et d'autres ieunes Dieus, & tant d'autres Deeffes,
Qfti leurs faueurs rendront de tous malheurs maîtreffes.
Voici nos rames, li dedans elles nos noms.
Et vien accommoder les noms des bons aus bons :
Nous les allons porter enfemble & leur nauire
La dedans, pour toufiours f attendre, & te conduire
Par tout ou il plaira à ta grand Maiefté
Singler d^vn voile plain de la profperité.
Voila qui efloit fi mal fait, que ie dirois volontiers que
tous ceus qui ont pris Poccafion au poil pour me pein-
dre de toutes les couleurs quMls ont peu, deuroient plus
toft apprandre en telles chofes qu*y reprandre, n'efteit
que ie me commande la modeftie plus que iamais. Et
auffi à la vérité que ie ne Teftime point pareil à mes
autres œuures que i'ay faits à loifir, mais ayant eu fi
peu de tens, & en ce peu de tens tant d'occupations,
ie m'ebahi moymefme comme ie Pay fait de telle forte,
& ou i*ay peu dérober les heures pour le faire. Car i'ay
cent tefmoins qui fçauent, que de ce que i*ay décrit,
il m'a fallu foucier entièrement de tout iufques à faire
alToir la moindre feuille de lierre, tellement que tout ce
que i*auois à reciter en celle mafquarade fous laperfonne
de lafon, ie le compofay mefme ce ieudi au matin, &
268 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
encore auois-je affés de tens pour en venir à bout, n^eftoit
qu'on ne cefTa tout ce iour la de me rompre la tefte
depuis le matin iufques au foir. Tant pour la noncha-
lance, mefpris, ou ignorance que fembloient auoir ces
Parifiens de ce qui leur pouuoit apporter honneur,
que pour le continuel empefchement que de moment
en moment les maneuures me venoient donner. Qui
pourroit croire en quel dépit me mettoient quelques
vns de ces mefïieurs, qui penfans comme ie croy tout
ce que ie faifois efbre des foriboles, fembloient ne fe
foucier que des chofes dont leur cerueau fe rend ca-
pable ? le fçay bien que Ion dira que ie ne deuois point
entreprandre tant de chofes, & que ie me deuois con-
tenter de bien faire &. mener à meilleure iflue ce qu'on
pouuoit prîncipallement attendre de moy. Ceus qui
parlent ainii montrent bien le defiBsiut de noflre ûecle,
qui fe contente feullement de la fimple apparence^
comme il Ion deuoit recueillir la feuille ou Pefcorce
pour le fruit ou pour le fuc. Car qui efl celui qui ait
ii peu de iugement qui ne rie toutes les fois qu'il orra
dire qu'on Peft û criminellement attaché à moy, en vne
chofe qui n'eftoit faite que pour plaiiir & rifée, & au re-
bours qu'on a laifTé pafler fi légèrement toutes les
chofes qui emportoient vne durable mémoire ? Combien
de fois ay-ie veu bailler de main en main auecque cé-
rémonie, reciter auecques admiration, recueillir auecques
vn foin nompareil, & louer auecques vne afFeâion ex-
trême, des infcriptions qui peut eftre eftoient moindres
que celles que i'ay dites,' n'euft efté l'aulhorité qu'elles
empruntoient de quelque vieille ruine ? Toutesfois,
tant la France efl curieufe de ce qui efl bon , chacun
comme ie croy les a paffées fans les lire, & moitié par
ignorance, moitié par malice, ceus qui n'ont efté que
trop plains de paroUes en ma faute, fe font trouués
tous muets en mon mérite. Mais prenons que cefte
mafquarade que i'auois faite toute telle que vous l'aués
leûe, ayt efté la plus mal recitée qu'on fçauroit imagi-
ner, en quoy peut on auoir occafion de m'accufer? Si
V
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 269
Ion me refpond maintenant, pour ce qu'elle efloit mal
faite, certainement ie feray contraint de qulter ma
caufe, moyennant qu'on produife de quoy, mais encore
que le monde foit auiourdhui autant impudent qu'il efl
pofûble, ie croy que ie ne trouueray point de telles im-
pudences. Si Ion me dit, pour ce quelle efloit mal acouf-
trée, ie tien deia mon procès pour tout gaigné, veu que
chacun fçait bien que la iufle colère de voir ce que i'auois
ordonné fi mal mis en œuure, me mit à bon droit hors
de moy. Car me Tentant autheur, Tentant l'expe£lation
qu'on auoit de moy, & voir qu'on m'auoit âdt au lieu
de rochers des clochers, qu'on m'auoit mequanique-
ment mefnagé les habits, qu'à l'heure mefme qu'il
fiallut partir plufieurs chofes defifailloient, que peut on
penfer que ie deuinfe , û l'on connoifl le grand cueur
que i'ay, finon fiirieus & demi mort, voyant apertement
que i'eflois contraint d'aller en vn lieu, dont ie ne pou-
uois rapporter pour toute recompanfe, que ma courte
honte & ma repentance éternelle ? Si Ion dit, pour
autant que les aâeurs efloient mal choifis, quelle foute
eut on aperçu en leur prolation naturelle, fi l'afTeurance
& la mémoire euffent eflé de mefme ? Et comment, bon
Dieu, eufife-ie cherché de bons aâeurs, veu que les trois
iours que i'auois d'efpace fefufTent coulés à les chercher if
Mefmement comment eufl il eflé poffîble que ie les
eulTe peu façonner, veu que ie ne les fceu feullement
faire repeter ce qu'ils auoient à dire fors le iour mefme,
& encore à demi, voire vne feuUe heure deuant le fou-
per ? Et lors de quel remède n'vfay-ie ? Ne retranchay-
ie pas tous leurs rooles de tout cela ou ie les voyois
hefiter ? Que refloit il donc de mon deuoir, fors que
d'efbre Dieu & de commander à leur nature ? Si Ion
dit que ie me deuois garder pour les conduire, fans
faire moymefme l'vne des perfonnes & fans m'abaiffer
iufques la, combien que i'y confefTe auoir vne grande
faute, quelles raifonnables excufes n'ay-ie point ? Pre-
mièrement qui efl celui qui eufl appris la perfonne de
lafon le iour mefme, comme le iour mefme ie fu con-
206 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
Affeure toypar moy que les Turcs mefine fiennent,
Qjie les frains de VEmpire entre les mains reuiennent
Des grans Roy s indoniés héritiers de Francus,
Par qui doibuent vn tour eus me/me eftrmvaincus,
Mefmes qui te peut plus affeurer de ces chofes
Que fi deuant tesyeus Calais tu te propo/es, ^
Et les derniers Lauriers dont après vn malheur
Ce grand Prince Lorrain couronne ta grandeur?
Car cela feul deia te promet V Angleterre^
Ou les deftins font faus ; V Angleterre & ta terre
Auecq VEfcoce auffi, feront que chacun Roy
De V Europe fera contraint fléchir fous toy.
Et mefme en ce difcord qu'ion verra bien tofi naijtre
Pour VEmpire, il faudra que toy le plus grand maijtre^
Si tous les tiens au moins fçauent bien leur mejtiery
Taches de ce grand rond auoir le tiers entier :
Si V Europe tu as, les deus autres parties,
Veu qu^au pris de V Europe elles font abruties
Et barbares, enfin par force & par moyens
Peu à peu couleront deffous la main des tiens :
Tant que fi feul tu n^as toute la terre baffe.
Tu te peus affeurer qu^vn iour Vaura ta race.
Voila ce que Calais, & le cueur aioufié
Aus tiens, peut aioufier à telle Maiefté.
lASON.
Argon pen reiouit. Argon parmi la voye
En murmuroit tantofi vn long lo de ioye,
Oyant le bruit méfié de toute la cité,
Qui la porte enfignal de fa félicité.
Croy doncq^ qu^elle efi ia prefie aux premières conquejies
Qui des vieus ennemis doiuent brifer les teftes.
Ne crain doncq^ point, tu as des Deeffes & Dieus
Comme nous, pour ta guide & faueur en tous lieus :
Ta femme eft ta lunon, tafeur efi ta Minerue,
Qui le droit de la nofire à bon droit fe referue:
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 267
Et bien que nous rCeuf fions autre fupport finon
Qfte celui de Pallas, & celui de lunon,
7\i as outre ces deus vne tierce Deeffe,
Vne Diane archere, S- chafte, & chaffereffe.
Ce bon Roy Nauarrois^^ fon ieune frère encor,
Te pourront hienferuir de Pollux & Caftor.
Ce grand vaincueur de Guife eft ore ton Hercule,
Qjiifous toy, VEfpaignol outrepaffant recule.
Calais & Zethes font deus frères quUl a,
De deus frères encor vn chacun ckoifira
Le nom quHl lui eft propre*' , & Vautre diuin frère
Qui d*vn double confeil les affaires modère
Auecq la pieté, fera ton grand Typhis
Gouuemeur de la nef Mefme ie voy ton fils.
Et d^ autres ieunes Dieus, & tant d* autres Deejfes,
Qjii leurs faueurs rendront de tous malheurs maître ffes.
Voici nos rames, H dedans elles nos noms.
Et vien accommoder les noms des bons aus bons :
Nous les allons porter enfemble & leur nauire
ha dedans, pour toufiours f attendre, S- te conduire
Par tout ou il plaira à ta grand Maiefié
Singler d*vn voile plain de la profperité.
Voila qui efloit fi mal fait, que ie dirois volontiers que
tous ceus qui ont pris l'occafion au poil pour me pein-
dre de toutes les couleurs qu'ils ont peu, deuroient plus
toft apprendre en telles chofes qu*y reprandre, n'efteit
que ie me commande la modeftie plus que iamais. Et
aufïi à la vérité que ie ne Teftime point pareil à mes
autres œuures que i*ay faits à loiûr, mais ayant eu fi
peu de tens, & en ce peu de tens tant d'occupations,
ie m*ebahi moymefme comme ie Pay fait de telle forte,
& ou i'ay peu dérober les heures pour le faire. Car i'ay
cent tefmoins qui fçauent, que de ce que i'ay décrit,
il m'a fallu foucier entièrement de tout iufques à faire
aflbir la moindre feuille de lierre, tellement que tout ce
que i'auois à réciter en cefle mafquarade fous la perfonne
de lafon, ie le compofay mefme ce ieudi au matin, &
268 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
encore auois-je afliés de tens pour en venir à bout, n^elloit
qu'on ne cefla tout ce iour la de me rompre la teite
depuis le matin iufques au foir. Tant pour la noncha-
lance, mefpris, ou ignorance que fembloient auoir ces
Parifiens de ce qui leur pouuoit apporter honneur,
que pour le continuel empefchement que de moment
en moment les maneuures me venoîent donner. Qui
pourroit croire en quel dépit me mettoient quelques
vns de ces meffieurs, qui penfans comme ie croy tout
ce que ie faifois eflre des fiariboles, fembloient ne fe
foucier que des chofes dont leur cerueau fe rend ca-
pable ? le fçay bien que Ion dira que ie ne deuois point
entreprandre tant de chofes, & que ie me deuois con-
tenter de bien faire & mener à meilleure iflue ce qu'on
pouuoit prîncipallement attendre de moy. Ceus qui
parlent ainfi montrent bien le de£Beiut de noftre fiecle,
qui fe contente feullement de la fimple apparence,
comme û Ion deuoit recueillir la feuille ou Pefcorce
pour le fruit ou pour le fuc. Car qui efl celui qui ait
û peu de iugement qui ne rie toutes les fois qu'il orra
dire qu'on Peft û criminellement attaché à moy, en vne
chofe qui n'eftoit faite que pour plaiûr & rifée, & au re-
bours qu'on a laiflé pafler û légèrement toutes les
chofes qui emportoient vne durable mémoire? Combien
de fois ay-ie veu bailler de main en main auecque ce*
remonie, reciter auecques admiration, recueillir auecques
vn foin nompareil, & louer auecques vne affeâion ex-
trême, des infcriptions qui peut eftre eftoient moindres
que celles que i'ay dites, n'euft elle l'auihorité qu'elles
empruntoient de quelque vieille ruine ? Toutesfois,
tant la France eft curieufe de ce qui eft bon, chacun
comme ie croy les a paffées fans les lire, & moitié par
ignorance, moitié par malice, ceus qui n'ont efté que
trop plains de paroUes en ma faute, fe font trouués
tous muets en mon mérite. Mais prenons que celle
mafquarade que i'auois faite toute telle que vous l'aués
leiie, ayt elle la plus mal recitée qu'on fçauroit imagi-
ner, en quoy peut on auoir occafion de m'accufer? Si
FIGVRËS, DEVISES ET MASQVARADES. 269
Ion me refpond maintenant, pour ce qu'elle eftoit mal
faite, certainement ie feray contraint de quiter ma
caufe, moyennant qu'on produife de quoy, mais encore
que le monde foit auiourdhui autant impudent qu'il efl
poffible, ie croy que ie ne trouueray point de telles im-
pudences. Si Ion me dit, pour ce quelle elloit mal acouf-
trée, ie tien deia mon procès pour tout gaigné, veu que
chacun fçait bien que la iufle colère de voir ce que i'auois
ordonné û mal mis en œuure, me mit à bon droit hors
de moy. Car me Tentant autheur, Tentant Pexpeélation
qu'on auoit de moy, & voir qu'on m'auoit fait au lieu
de rochers des clochers, qu'on m'auoit mequanique-
ment mefnagé les habits, qu'à l'heure mefme qu'il
fallut partir pluûeurs chofes defiBedlloient, que peut on
penfer que ie deuinfe , û l'on connoifl le grand cueur
que i'ay, finon fiirieus & demi mort, voyant apertement
que i'eflois contraint d'aller en vn lieu, dont ie ne pou-
uois rapporter pour toute recompanfe, que ma courte
honte & ma repentance éternelle ? Si Ion dit, pour
autant que les aâeurs eftoient mal choifis, quelle faute
eut on aperçu en leur prolation naturelle, ii l'afleurance
& la mémoire euffent elle de mefme ? Et comment, bon
Dieu, euflè-ie cherché de bons aâeurs, veu que les trois
iours que i'auoisd'efpace fe fuflent coulés à les chercher?
Mefmement comment eufl il eité poffible que ie les
eulTe peu façonner, veu que ie ne les fceu feullement
fidre repeter ce qu'ils auoient à dire fors le iour mefme,
& encore à demi, voire vne feuUe heure deuant le fou-
per ? Et lors de quel remède n'vfay-ie ? Ne retranchay-
ie pas tous leurs rooles de tout cela ou ie les voyois
hefiter ? Que reftoit il donc de mon deuoir, fors que
d'eftre Dieu & de commander à leur nature ? Si Ion
dit que ie me deuois garder pour les conduire, fans
faire moymefme l'vne des perfonnes & fans m'abailTer
iufques la, combien que i'y confeffe auoir vne grande
fiiute, quelles raifonnables excufes n'ay-ie point ? Pre-
mièrement qui eft celui qui eufl appris la perfonne de
lafon le iour mefme, comme le iour mefme ie fu con-
272 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
qui me virent en telle peine, Pil n'eftoit pas fkcile de
connoiftre à ma morte contenance, qu'il nU auoit rien
qui me referraft tous les fens, que le iufte dépit, qui
eut pour lors telle force fur moy, que ie ne fça-
uois û i'eilois moy. Mais qui feroit, bon Dieu, ce-
lui la qui m'ayant connu le moins du monde, &
m^ayant veu en tout autant aCTeuré qu'on fçauroit
eltre, pourroit penfer que c'euft eflé par vn eftonne-
ment que les grands me pouuoient donner, veu que ie
fuis tous les iours entre eus, & que deuant eus i*ay
autresfois tant affeurement recité ? Se pourroit il en-
core trouuer quelcun, qui en accufaft la mémoire & ma
trop grande fiance en icelle, veu que ie ne foy iamais
vers, que ie ne fçache auffi tofl par cueur que ie les ay
faits ? le deduirois encore pluûeurs autres points, qui
feroient autant tourner le tout en ma louange, comme
quelques vns ont tâché de le Bûre tourner en mon vi-
tupère, n'efloit qu'il me femble, que i'ay deia pafté
toutes les bornes de raifon en cefte mienne forme d'a-
pologie, que ie ne me fuis fceu tenir d'entrelaCTer ici :
& qu'en eilant fi long ie ferois penfer à vn chacun que.
la faute auroit elle beaucoup plus grande, & de plus
grand defhonneur à moy qu'elle n'a eflé. Or fçachent
donq'tant les noflres que les ellrangers , fi ceci vient
iufques en leurs mains, que combien que cefte maf-
quarade ne fuft point ni conduite ni recitée, comme te
le defirois, fi efi: ce toutesfois affin qu'on ne penfe point
que du tout nous demeurafmes, qu'elle fut entièrement
prononcée, excepté ce que i'en auois retranché parauant,
tellement que le deffault feroit le plus petit qu'on'fçauroit
dire, n'eftoitque par l'extrême apprehenfion que i'enay
eCLe, ie me le fuis moymefmes agrandi, tant la prefence
d'vn Roy m'eft fainte , & tant la moindre faute que ie
puiiTe faire, m'a femblé grande & preiudiciable de tous
tens. Qu'on fçache auffi, que quand on fe fuft du tout
arreflé, fans en prononcer vn feul vers, que la chofe
n'eufi: pas eilé moins louable à caufe de l'inuention, veu
que couftumierement toutes telles mafquarades font
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 2 7!^
muetes, qui pourtant n*ont point moins de grâce : & qui
plus eil quand elle n'euft rien valu, ni quand à Tinuen-
tion, ni quand à Tadlion, que ie ne m^en deuffe aucu-
nement foucier, ni penfer que la gloire de mes autres
inuentions en fiift amoindrie , veu que ceft vne chofe
qui ne hit feullement que pafler pour vn léger plaifir,
& de laquelle on ne fe doit foucier qu'à Pheure pre-
fente. Mais qu'on fçache auffi, que pour autant que Dieu
m'a donné le cueur tel, que i'endurerois auffi tofl vn
éléphant en mon œil qu'vne tache en mon honneur, il
m'a elle impoiïible de me garder d'vfer de beaucoup de
paroUes en ceci, veu que ni ma raifon, ni les raifons de
tous mes amis ne m'ont perfuadé qu'à grand peine que
ce defaflre fuft peu de chofe. Âufii que i'ay bien voulu
en alongeant mon propos, montrer la pure vérité du
fiait , affîn qu'vfant de longue confutation en vne faute
petite, ie face aufû reconnoiftre à toute la France fa
fiiute accouftumée, qui en ce fiecle fe montrant & in-
grate & enuieufe tout enfemble, au lieu de fupporter
les bons efprits'qui l'honorent, ouure les yeus le plus
feuerement qu'elle peut fur les moindres vices, & fa-
ueugle inceifamment en toutes leurs vertus. Âpres que
nous eufmes tellement quellement acheué ceile mafqua-
rade, qui efloit enuiron de quatorze perfonnes, à fça-
uoir celles qui ont parlé auecq' dix autres Argonautes
tous habillés à la matelote antique de blanc & de noir,
qui font les couleurs du Roy, nous en fifmes entrer
vne autre qui ne parloit point, que i'auois deuifée
en telle forte, que la première ayant elle des cou-
leurs du Roy, celte ci feroit des couleurs de la
Royne qui font blanc & verd, ce qui fut affés bien
exécuté félon mon vouloir. Les perfonnes eftoient la
Vertu, la féconde laViâoire, la troifiefme ladeeffeMne-
mofyne, qui iignifîe la Mémoire : defquelles la Vertu
fort richement acouflrée à lantique de mefme forte que
les deu8 autres, auoit fon acouftrement femé d'efloilles,
la Viâoire de trophées, & la Mémoire de ferpens mor-
dans leur queue, Auecques elles deuoient eflre trois en-
lodelle. ~ I. 18
274 RECVEIL DES INSCRIPTIONS,
fans nuds, comme û ce fuflent elle de petits Amours
ou de petits leus, dont les deus portoiént deus paniers
à l'antique façon, plains de toutes fleurs & parfuns
méfiés enfemble, auecques des eufs vuidés &. remplis de
toutes bonnes eaus de fenteurs, pour ieter deçà delà
pefle méfie & parfumer toute la compaignie. Le tiers
deuoit auoir fon panier plain de couronnes arrangées
Pvne fur l'autre, félon Tordre de ceus & celles à qui
Ion les deuoit prefenter, & aufquels chacune couronne
efloit propre : comme au Roy la couronne de laurier,
tant pour ce que nous le faifons auiourdhui le Phebus
de la terre, que pource qu'après tant de victoires nous
le voyons de rechef fi brauement vaincre : à la Royne
vne couronne de palme, laquelle elle porte mefme en
l'vne de fes deuifes : A Madame feur du Roy vne cou-
ronne d'oliue, pour ce que nous la pouuons iullement
nommer noflre Pallas, à qui l'oliue a efté anciennement
facrée, & pour ce qu'elle mefme en a pris la deuife,
portant dedans vne targue Palladienne le chef de Gor-
gonne : à monfeigneur de Guife la couronne de peu-
plier, qui eft celle dont Hercule fe couronnoit après fes
combats, & que prenoient mefme les anciens vaincueurs
après auoir gaigné le pris deffus Olympe : à monfei-
gneur le reuerendiffime Cardinal de Lorraine vne cou-
ronne de lierre, pour ce que luimefme en fa deuife fe
fiiit le lierre embraflant tout à lentour celle grande Py-
ramide des François, qui commence deia de porter &
fon chef & fa renommée iufques dedans le ciel : à madame
la ducheffe de Valentinois la couronne ou de laurier ou
de fleurs, l'vne pour ce que Diane fe peut bien cou-
ronner de la couronne de fon frère , & que le laurier
eft toufiours appelle chafte à caufe de Daphné, l'autre
que fes nimphes lui peuuent faire dedans les bois lorf-
qu'elle va chafler : à Monfieur, à monfieur de Lorraine,
à la Royne d'Efcoce, à Mefdames, des couronnes de
mirte, qui font les couronnes de l'Amour. Toutes ces
couronnes deuoient eftre prifes par la Vertu dedans le
panier de l'enfant, & prefentées par elle mefme de la
FIGVRES, DEVISES ET MÀSQVÀRADES. 275
forte que i'ay dite, en la prefence de la Viâoire & de la
"Mémoire, dont la première, pour nous auoir eflé tant
fauorable, efloit la caufe d'vn tel prefent, & la féconde
eftoit pour en rendre perpétuel tefmoingnage à la pofte-
rité. Ce prefent fait, la Vertu auecques vne harangue
conuenable à cela, deuoit prier le Roy de la mener dan-
cer, & les deus autres Deeffes deus autres Princes,
tellement que la dance commenceant deuoit fiaire pafler
lé refte de l'apres-foupée en telle reiouiffance, qui eft
la fin couftumiere de tous les feflins. Cefte dernière
mafquarade euft mereuilleufement pieu, fi Ion euft fait
tout ainli que ie vien de dire, & ainfi qu'on fçait que
ie Pauois arrefté, mais au lieu d'enfans nuds, les
Pariûens mirent de leurs enfans vefhis & bien peu
deguifés, tellement que les ailes & les trouffes que
deuoient auoir ces Amours, demeurèrent au peintre.
Quand aus couronnes, encore que i'euffe dit que il Ion
n'en trouuoit de naturelles, qu'on en ûH contrefaire de
toutes les fortes, on n'en recouura pas vne, fors celle
de laurier pour le Roy encore qui fut apportée bien
tard. On ne fçauroit dire combien ie fu marri de cefle
négligence, tant pour ce que ce prefent euft efté mer-
ueilleufement agréable , que pour autant que i'auois
délibéré de faire efcrire le plus proprement que Ion euft
peu, dedans vn lien de tafetas qui euft lié les couronnes,
vn vers ou deus vers au plus, accommodés à tel pre-
fent. Et me fouuient que i'auois deia fait ces deus pour
la couronne du' Roy :
Magna tIbI Capto ConCessIt CVra CaLeto,
cinge comas, similes lanvs et annvs ervnt.
Le premier de ces deus vers eft numéraire, & pour
autant c[ue le fécond contient que toute cefte année fera
autant heureufe qu'en a efté le premier mois, tant que
le Roy fe doit à bon droit couronner , i'ay compris
dedans les letres numéraires du premier ce nombre mil
276 RËCVEIL DKS INSCRIPTIONS,
cinq cens cinquante huit, qui eft le nombre de noflre
année. Tous les autres vers qui deuoient eftre dedans
les autres couronnes demeurèrent à faire comme les
couronnes à recouurer. Le refte de la mafquarade fe
porta tellement que ie croy que la compaignie ne fen
mefcontanta point. Voila comme ie penfe tout ce qui fe
peut recueillir de tout le labeur que i'auois pris pour
penfer me montrer, en vne û belle occafion, curieus de
l'honneur de mon pals, & afiPeâionné au feruice de mon
Prince. Il ne me refte plus rien maintenant, fors de
m'adreffer auecques toute PafiPeâion que ie puis , aus
maieftés, hautefles, & excellences, des Princes, Princefles,
grands feigneurs, & grands dames de ce Royaume, pour
les fuplier trefhumblement, puifque ayans efté tous
fpeélateurs de mon ceuure ils en pourront bien auffi
Pen faire lecteurs, de me faire droit en cefte caufe : &
après auoir, à l'imitation des dieus, receu la volonté
pour le fait, & l'ordonnance pour Pexecution, ne fouf-
frir plus dore en auant que les calomnies des enuieus
tachent à me faire demeurer fus la telle ce que ie ne
meritay iamais. Les affeurant, que toutes les fois qu'ils
voudront vfer de mon labeur en plus grandes chofes^
& que le iufte efpace du tens^ me permettra de £iire
auffi bien que i'y auray de pouuoir & de vouloir, ie
feray paroiflre à tous ceus qui dernièrement ont û bien
demafqué leurs fauffes volontés encontre moy , que
l'enuie qu'on a fur la Vertu ne raporte point d'autre fin
ni d'autre loyer à fon homme, fors que le contraire de
fon attente & la perpétuelle rage de fa vie. le chaflirois
bien autrement ces meffieurs, en la fin de ce recueil,
n'eftoit que ie ne veus point irriter les grands par cela,
ni donner la moindre occafion à ces efcumeurs des
oeuures vertueufes, de fiairc par ce moyen trouuer mau-
uais ce qui ne peut déplaire qu'à trois fortes de gens :
à ceus qui sont fi ftupides qu'ils ne peuuent rien fentir :
à ceus qui font fi degouftés qu'ils ne peuuent rien fa-
uourer : à ceus qui font fi malins qu'ils tachent de faire
perdre le fentiment & le goult des autres. Si ne les laif-
FIGVRES, DEVISES ET MASQVARADES. 277
feray-ie point fi tofl echaper, fans leur protefter par le
vray Dieu , que fi iamais ils Pattaquent iniuftement à
moy, ie hafarderay plus toft & refprit, & le cors, & les
fortunes, que ie ne leur fiace connoifire que l'homme
de bien doit auffi tofl mourir de mille morts que d'efire
▼ne feuUe fois trahiflre à fa vertu. Ce qui me garde
aufîQ de me piquer dauantage contre eus, ceft que ie
croy certainement que toutes telles gens ne m'ont au-
cunement connu. Car qui efl celui fi mal né, qui
me voyant franc & fincere en toute chofe, & fans
aucune enuie, ambition, diffimulation , ou tromperie
me vendre & me dépendre moymefme pour l'ami, ait
peu tellement forcer fa confcience que tâcher de me
nuire? Qui eft celui auffi, qui fçachant que i'ay toufiours
fait, & que je feray tant que ie viuray, vn bouclier de
ma vie pour fauuer mon honneur, mefmc qu'ayant
receu de Dieu plus d'vn moyen pour faire repantir ceus
qui me feront tort, i'aymeray toufiours mieus creuer
que de ne prandre vengeance de telles iniuflices, ayt
efté tant ennemi de foymefme que de me vouloir efire
ennemi fans raifon? Quand à quelques befles & quel-
ques impofleurs que ie fçay, qui ont à ce coup decou>
uert leur venin, pour autant que ie decouurois par tout
leur maladie, qu'ils attendent pour tout certain de moy,
ce qu'ils ont ordinairement connu en ma nature : cefl
que i'ay toufiours tant aymé ma nation, que ie ne la
foufiriray iamais defhonorer par ie ne fçay quels fatras
dont on brouille le papier, & encores moins piper par
impofhxres : Et pour autant qu'en pourfuiuant trop
hafliuement vn vice, on en encourt le plus fouuent vn
autre, i'attendray que leur honte & confufion fe meu->
rifle. le referueray auffi à dire de bouche, au tens & au
lieu qu'il faudra, les indignités premièrement, & fecon-
dement l'ingratitude , defquelles ceus mefmes pour qui
ie faifois, ont vfé enuers moy, ne voulant point faire
part au s eflrangers de la barbarie des noflres. le fupli-
ray feullement de tout mon cueur ma ville dont ie vien
de parler, ou plus tofl au lieu de ma ville toute la France,
28o A SA MVSE.
Tufçais que quelques vnsfe repaijfent d*vn fon^
Q}ti les flate par tout, mais helas! ils démentent
La courte opinion, la gloire, & la chanfon.
Tufçais que moyviuant les viuans ne te f entent.
Car V Equité fe rend efctaue de faueur :
Et plus font creus ceus la qui plus effrontés mentent.
Tu fçais que le fçauoir n*a plus fon vieil honneur.
Et qu'on ne penfeplus que Vheureufe nature
Puiffe rendre vn ieune homme à tout œuure meilleur,
Tufçais que dautant plus, me faifant mefme iniure.
Je m'aide des Vertus, ajfin de leur aider.
Et plus ie fuis tiré dans leur prifon obfcure.
Tu fçais que ie ne puis Ji tojt me commender.
Tu connois ce bon cueur, quand pour la recompanfe
Il me faut à tous coups le pardon demander.
Tu fçais comment il fault gefner ma contenance.
Quand vn peuple me iuge, & qu'en dépit de moy
Pabaiffe mes fourcis fous ceus de V Ignorance.
Tu fçais que quand vn Prince auroit bien dit de toy,
Vn plaifant f'en riroit, ou qû'vn piqueur Stoique
Te voudroit par fotie attacher de fa loy.
Tu fçais que tous les iours vn labeur poétique
Apporte à fon autheur ces beaus noms feullement,
De farceur, de rimeur, de fol, de fantajtique.
Tufçais que Jî ie veus embrajfer mefmement
Les affaires, V honneur, les guerres, les voyages.
Mon mérite tout feul mejert d'empefchement.
Bref, tufçais quelles font les enuieufes rages,
Qui mefme au cueur des grands peuuent auoir vertu,
Et qWauecq^ le mépris fe naiffent les outrages.
Mais tu fçais bien aufft, pour néant aurois tu
Debatu fi long tens, & dedans ma penfee
De toute Ambition le pouuoir combatu,
Tufçais que la Vertu n^efl point recompanfee,
Sinon que de foy mefme, & que le vray loyer
De Vhomme vertueus, c'efifa Vertu paffee.
Pour elle feulle donq ie me veus employer,
Me deuffé'ie noyer moymefme dans mon fleuue.
CHAPITRi:.
Et de mon propre Jeu le chef me Jbudroyer.
Si donq' vn changement au rejle ie n'epreuue,
Rfatiltqae Uftul vraymefoit mon but dernier^
Etqne mon bitn total dedans moyfeulje treuue:
lamait rOpinion ne fera mon colier.
L'HYMENEE
DV
ROY CHARLES IX
4*
Mineruefe peut dire au/Jï bien gardienne
De mes murs, de mou nom, de mes arts, de mon heur,
Qfi'elle, fille du Dieu gui des Dieux efi Seigneur,
^Fut garde de la ville, S gloire Athénienne.
Bien qu'elle fait armée en fa ville ancienne.
Par la tranquille oliue ell' emporta l'honneur
Sur le Cheuat guerrier, dont vn Dieu fut donneur,
Par/on offre effaçant t'offre Neplunienne.
Si Minerue me fait comme à fa ville auoir
Force & confeit en guerre S ert paix, mon deuoir
C'eji de rendre àmonRox tout l'iûurqu'ellem'y donne.
Si donc mqy, lafuieite, ay veu que lu te plais
En la paix, ie le doy t'oliue de la paix.
Attendant qu'vn laurier plu g parfait te c<
286 HYMENEK.
II.
De quatre dons Amour , Pallas, Phebus, Mercure,
Auoyent voulu ta. paix marquer & ajfeurer :
L^ amour fainû cPvn flambeau te vouloit honorer.
Pour les tiens vers les tiens enflammer cP amour pure :
Pallas vouloit f orner (monflrant la paix qui dure)
De Varbre Athénien : Phebus te décorer
Defon arCy dont il vient fur les Monftres tirer ^
Pour de nos vices faire ample déconfiture :
U autre donner fa verge, afin qu'à toutiamais
Nos maux on en charmât : mais en vain feroient faits
. Tous ces dons, car il faut que ta iuftepenfee
Pour ardre, vnir, purger, ou affoupir ainfi
Par f aine ^ele, accord, force, & charme, férue ici
De flambeau, d^oliuier, d'arc, & de caducée.
III.
Pour monftrei' que la paix {qu* ainfi comme tu veus
Deuote ie reçoy) te vient du Dieu fupreme.
Et que toy, SiKE, autant pour nous que pour toymefme
L^as requife auec ^ele, & prières, & vœus :
le diroy volontiers qu^onques entre ces deux.
Le vueil d^vn Roy Chreftien, & le veuil de Dieu mefme,
Différence il n^y a : car Dieu prend foing extrême
Des Rois, & dans fa main tient toufiours le cœur d^eux.
Mais fi durant ta paix tu guerroyes le vice,
Redreffant tout autant Pieté que luftice,
Chaffant aiiec tes cerfs tout crime detefté,
Tachant les foruoyans r^appellev en la voye,
Tu prouueras au vray qu*en la paix quHl fenuoye.
Dieu d'vn cœur tout femblable à ton cœur a efié.
HYMENEE. 287
IIII.
Par mes feus iuftement ie tefmoigne la ioye
Qjte Pay /entant mon Roypétreindre d*vn beau nœu,
Et luy mefme eftre plein de maint & de maint feu,
Qjii en terre & au ciel diuerfement flamboyé.
Sa pieté, fon droite fon efpoir qui verdoyé.
Tout preft à meurir, pouffe au ciel maint ardent vœu :
Par addreffe & valeur fon renom peu à peu
Jette des feus qu^aux bouts de la terre il enuoye,
Lefainâfeu qu*Hymen donne à fon cœur vient des deux.
En terre fon cœur prend vn autre feu des yeux
De ma Roine, & tel feu tous les autres excite.
Or comme tous mes feus de ioye vont en haut.
Que leur vertu flambante aille au ciel, car il faut
Q)ie par le ciel la terre en fente le mérite.
V.
Pour vrayment m'éiouir ie ne quiers que dans moy
Le ciel en cefainû iour tranf mette la lieffe,
Et que ce dieu qu^on feint fans fln eftre en ieuneffe,
Defes Tygres tiré, me V amené auecfoy :
Dans mes murs ie n'appelle Hymen, lunon, la Foy,
Venus, V Amour, le Jeu, le Ris, & la Careffe,
Qji^auiourd^huy tout tel Dieu, toute telle Deeffe,
Soyent aux lieux oit Hymen doit étreindre mon Roy
Mais ie quiers que la paix n'agueres reuolee
J)ans moy, pour confoler la France defolee,
Etreigne autant fon nœu qu'Hymen étreint lefien :
Ou fila paix ne peut refter ferme en la France,
Je quiers qu'Hymen eftrangle en fon nœu d'alliance,
Des faux fuiets l'effort qui nous vole vn tel bien.
288 HYMENEE.
VI.
Qu^ Hymen y Amour, le ciel, defoy, d^ ardeur & d'heur
Leur ioigne, enflamme, illuftre, & corps, & cœur, & vie.
Tant qu^à nul change, ou haine, ou defaftre afferme
Soit oncq leur alliance, & chaleur, & fplendeur :
V accord qui vient des dieux, laflame, ou la grandeur.
Ne craint dif cor d, froideur, ny du bas fort Venuie,
Dont fouuent eft rompue, efleinte ou toft rauie,
VHymen, d'amour, du ciel, Vinfluence ou Vardeur,
Si aux grands le hautfang lie, allume, & bien-heure
Tel laqs, telle ferueur, telle faueur, pour Vheure
Vertu Vétreint, Vembrafe, & profpere encor mieux :
Ce lien royal donc, cet amour & hauteffe.
Ferme, extrême, &fupreme, en tout vainque fans ceffe
Tout nœu, tout feu, tout don, d'Hymen, d'amour, des deux.
VII.
Extrême eft la grandeur de Vvn & Vautre fang :
Uvn aioufte à fon tige illuftre d'Allemagne,
Entre autres les maifons de Bourgongne & d'Efpagne,
Et du Romain Empire & le nom & le rang :
L ^ autre fans fin des loix, fors que des fiennes, franc,
Tout fang Chreftien deuance, & par fon Charlemagne
A fon beau lis doré V Aigle noir accompagne.
Lis qui mefme fans tache eft pareil au lis blanc :
La race donc des deux, la beauté, la ieuneffe.
L'heur & la ioye iffant de malheur & trifteffe.
Et le long temps qu'Hymen par vn premier amour
N'étreigneit vn mien Roy, méritent qu'on ordonne
Tout vn an pour tel iour célébrer, & qu'on donne
A tous les ans d'après lafefte d'vn tel iour.
HYMENEE. 289
VIII.
Combien que Mars, cefemble, & Prince & peuple rende
Appauutiy la grandeur du Roy, du pays Jien,
L^heur fertily qui du mal femble croiftre fon bien,
De ces nopces encor rendront la pompe grande.
Mais iefçay que d^vn Roy la hafte qui demande
Le but d}vn tel defir, & le temps qui à rien
Ne me femble commode, & le lieu que ie tien
Malpropre à receuoir & Vvne & Vautre bande.
Ont fait que de beaucoup telle pompe ait efké
Moindre que n'en ejioit du Roy la volonté :
Mais il faut transférer de Spire & de Me\ieres
V entier decorement de ces nopces en moy.
Qui à ma Roine puis monftrer, que de mon Roy,
Mars, ce femble, ialoux,furfon heur ne peut gueres.
A LA ROINE MERE DV ROY.
Soit donc par ta main digne à mon Roy confacree
Uoffrande de ces vers, que d^vn beau vœu Vay faiâs
Au nom de fi grand"* ville, en exaltant la Paix,
Le Royal mariage, & Vvne & Vautre Entrée,
Mon Roy croit la faueur des hauts Dieux rencontrée
En ces trois heurs diuers, fortir de tes effeâs :
nfaut donc qu'vn prefent que fur ces trois tu fais,
Ainfi que le prefent des trois heurs luy agrée.
Or fi après auoir par armes deffendu
Son efkat, par la paix calme tu Vas rendu,
Si pour croiftre fon heur fon efpoufe efï fatale :
lodelle. — I, 10
290 HYMENEE.
Fay qu^à luy, qu'à la Roy ne j on iuge encor tant cPheut-,
Qu^eux (Veux entrant dedans leur ville càpîtalCy
Hors des flots foyent entres^ au port de leur grandeur.
VERS CHANTEZ ET RECITEZ
L'HYMENEE DV ROY CHARLES IX
VERS INTERCALAIRES CHANTEZ ET SONNEZ
PAR TOVTE LA TROVPE DES MVSICIENS.
Puis que de ces fept Dieux la conduite décore
Vheureux Hymen, qui va fainûement attachant
Deux cœurs royaux enfemble : il faut que noftre chant
Les Dieux j le Roy y la Roine, & leur Hymen honore.
VERS RECITEZ ET CHANTEZ PAR LA PREMIERE MVSE
DV PREMIER RANG.
Ces Dieux veulent que nous, les neuf filles du Dieu
Qui prefque à tous ces Dieux, ainfi qu*à nous, eftpere.
Sous nos fons, fous nos chants conduifions en ce lieu
Cefte arriuee autant nouuelle que profpere.
Ces fept Dieux font feigneurs des ronds de Vvniuers :
Neuf vers doncques ie chante à neuffuiets diuers :
Les fept à ces fept Dieux gouuemeur s, le huiûiefme
Au grand Hymen qui fuit: le neuflefmeà nous mefme,
Qui toutes neuf ornons tels Hymen par nos vers.
Puis que de ces fept...
HYMENEE.
291
LA PREMIERE MVSE DV SECOND RANG.
Charles qu^ Hymen étreint cfvn lien faind & dous,
Eftant de nom neufiefme entre les Rois de France,
Maintenant de ces Dieux ^ & d'Hymen^ & de nous
Reçoit neuf grands faueurs en fa grande alliance.
La Lune offre grand fruiû : Mercure offre les arts :
Venus Vamour : Phebus toute fplendeur, & Mars
Grand viâoire promet : Jupiter grand richeffe,
Et Saturne exalté promet grande hauteffe :
Hymen grand ioye, & nous grands los en toutes parts.
Puis que de cesfept.,.
LA PREMIERE MVSE DV TIERS RANG.
Par moy de ces neuffœurs, auecques ces neuf vers
Charles, fa chère efpoufe, & V Hymen qui les ferre
Ayent encor neuf dons : trois fleurs, fix rameaus vers,
Laurier, Myrte, oliuier, cèdre, palme, & lierre.
Oeillets, rofes, & lis : pour viâoire, amour, paix,
Pour fanté, pour iuftice, & fcience en leurs faits :
L* œillet f oit pour grandeur, la rofe pour plaifance.
Leur lis pour grand efpoir, puis qu*à eux V influence
Des neuf deux ces neuf dons par neufMufes a faits.
Puis que de cesfept,,.
cleion.
Outre ces fons, ces chants fortans dHnftrumens d^or,
Et de celeftes voix, oye^ ces vers encor
De moy Cleion, qui fuis des Mufes la première :
Ces Dieux qui du Soleil empruntent leur lumière,
Ainfi que tout cela qui peut auoir en foy
Grand* fplendeur entre vous, remprunte defon Roy,
292 HYMËNEE.
Ordonnent que la cau/e aux dames ie déclare
De leur de/cente ainji pompeufe, heureufe, & rare :
Car ils ont dans leurs, chars tel fuperbe appareil
Que quand leurs grans flambeaux enflamme^ du Soleil
Au ciel inceffamment dans leurs cercles ils guident,
Et par eux fur vos maux & fur vos biens prefident :
Non que ce foyent les chars celeftes de ces Dieux,
Ny les mefme animaux, qui dans leurs diuers deux
D*vn corps fimple & fubtil tirent ces chars, quipaffent
Sans frayer leurs fentiers que par reigle ils compajfent.
Car tous ces Dieux efmeus des caufes & des fins
Que pour vous ils voyoyent en leurs heureux deftins,
Font cefte pompe exprès dreffee en telle mode,
Qu^à vos yeux, qu^à vos fens V appareil Raccommode :
Chafque dieu toutesfois imitant tout cela,
Qjde propre àfoy là haut dedans fon cerne il a,
Vœil mortel reçoit bien la plus pure figure
De ce qui eft diuin, non la pure nature.
Car au ciel qui n'a rien en tout fon Globe entier.
Qui tant foit peu puijfe efire & maffif & groffier.
Des animaux, des chars, des palais la matière
Eft faite d^efprit pur, deflame & de lumière,
D^ argent & d'or fubtil, argent & or pareil
A celuy de la Lune & celuy du Soleil,
Et fi quelque couleur f y méfie, elle eft pareille
A ces couleurs fans corps qu'à V Aurore vermeille.
Ou qu'Iris Varc du ciel par le Soleil reçoit.
Ou qu^au Soleil couchant fouuent on apperçoit.
Qui tout autour de foy bigarre vn beau nuage.
Et par ces ombres fait embellir fon image,
Ceft pourquoy tous ces chars, tous ces animaux ci,
En or & en argent, & en couleurs auffi.
Et prefque en mouuemens, en fplendeurs, & au refte
Imitent quafi Vordre & matière celefte.
L^ appareil ample & digne, & propre à chacun Dieu
S" eft fait tel que voye\ pour en temps & en lieu
Qui feroit propre j orner vn fi haut mariage,
Qui auroit ta lié de foy, corps & courage.
HYMENEE. 295
Mérite bien, qu'ainjt qu*on voit eftre celefte
De ces celeftes Dieux la mufique, qu'au refte
De ce qui peut aider à remarquer fans fin
Si nouuelles faueurs, rien n^y foit que diuin.
Les grandes caufes aujfi qui tous ces Dieux efmeurent,
Lors que par tel deftin tel dejjein ils conclurent,
Pour après tant de maux dans la France honorer
Vn bien, dont on pouuoit tant de biens efperer :
Mefme la conuenable & durable mémoire,
Q}ie requiert de ce fait la mémorable gloire,
Qjii par ces Dieux fe rend ainfi grande, d'autant
031* Hymen va tous f es nœus en ce nœu fw^montant.
Par tant d!* heurs que reçoit non feulement la France,
Mais bien la terre entière en fi digne alliance :
Et pour fin nofireiufte & coufhtmier deuoir.
Qui f acre au vueil des Dieux des Mufes lepouuoir.
Font que tant pour le fiecle auenir, que le voftre.
Ces vers n^ayent requis autre main que la nofire,
Enten les donCy Madame, & mefme à ce grand Roy
Ton efpoux, à la Roine auffi, qui près de toy
Apparoifi tout ainfi qu^entre les Dieux Cybele,
Qjiand mère elle Je voit d^vne race tant belle.
Dont prefque approche en traits, en hauteffes, en heurs
De celle ci la race : à fes filles tesfœurs.
Dont au grand Duc Lorrain fe voit coniointe Vvne,
L* autre, peut eftre, encor attend plus grand fortune :
A toute Dame auffi qui eft, ou fera près
De ta grand maiefté, fay les entendre après.
Si des Mufes la bande en eft la chantereffe.
Si enuersfi grand Roine vn fi grand chant faddreffe,
Si le fuiet furpaffe en ce quHl contiendra.
Tous fuiets, rien iamais au monde il ne craindra.
Nous dépitons Vorgueil, Venuie, Vignorance,
Le fort, le tort, la mort : & quanta Voubliance,
Nousfommes de Mémoire & la race & le foin.
Qui près de nous bannit fa contraire bien loin.
Ces Dieux ont veu Vheureufe & haute defiinee,
Qui fort de leurs afpeds pour tel grand Hymenee^
294 HYMENEE.
Aux grands Rois fils des Dieux, aux grands Roines auffi^
Qui en tel heur des dieux font le premier fouci,
Ce n^eft aujfi qu'à nous de Vefcrire en tel fiile,
Qjieprefque à Rome eftoyent les vers de leur Sibylle.
Car cela dépendant du deftin incogneu,
Et parauant fecret entre les Dieux tenu.
Ne peut eftre argument des hommes, quand la Afufe
Sur tous auroit en eux des vers la grâce infu/Cy
Pour aux fiecles fuiuans les heurs futurs pouuoir
Faire cognoiftre, il faut cognoiffance en auoir :
Ce qui rCeft qu'aux Dieux propre : A nos forces hautaines
Soit le diuin fuiet^ & Vhumain aux humaines.
Tous les vers Sibyllins qui reftoient, & ceux là
Que la Sibylle encor deuant Tarquin brûla,
Venoient vrayment de nous, qui les Sibylles fommes.
Interprètes du vueil des Dieux aux dignes hommes.
En vers iadis eftoient les Oracles diuers.
Et feules nous auons puijfance fur les vers :
S'il fort de Vame humaine aucun vers prophétique.
Nous Vinfpirons tout fait dans Vame poétique.
Qui en ce fait fi prompt fent bienpluftoft V effet.
Qu'aucun égard, difcours, ou bien trauail du fait.
Car nous, & nos beaux arts, qui Vame au ciel emportent,
Faifons que d^ elle après des voix celefies fortent :
De nous elle eft Vorgane, & fi ce bon heur n^eft
Dedans vn vers, il meurt tout auffi toft quHl naifi.
Tout ouurage, où par nous fe fouffie vigueur telle.
Ha fa vie auffi bien que la nqftre immortelle :
Mais en ce fait (6 Roine) où la pofierité
Doit admirer fans fin Vefirange rarité
Du haut deffein des Dieux, qu^vn grand deftin fit naiftre,
le croy qu'onc à cela rien pareil ne peut eftre.
Donc de fi rare emprife, & fi merquable à tous,
Vexecution digne & haute {qui à vous
Auec fi grand merueille auiourdhuy fe prefente,
Qu^elle furpaffe en tout de tous Rois toute attente.
Qu'ils pour j'oieni prendre enfoydesfaueurs, dont les dieux
Voudraient vn grand Hymen fauorifer le mieux)
HYMENEE. 295
Mérite bien, qu^ainfi qu'on voit eftre celefte
De ces celeftes Dieux la mujique, qu'au refte
De ce qui peut aider à remarquer fans fin
Si nouuelles faueurSf rien n^y foit que diuin.
Les grandes caufes auffi qui tous ces Dieux efmeurent,
Lors que par tel deftin tel dejjein ils conclurent,
Pour après. tant de maux dans la France honorer
Vn bien, dont on pouuoit tant de biens efperer :
Me/me la conuenable & durable mémoire,
Que requiert de ce fait la mémorable gloire,
Qlti par ces Dieux fe rend ainft grande, d'autant
Qfi^Hymen va tousfes nœus en ce nœu furmontant,
Par tant d'heurs que reçoit non feulement la France,
Mais bien la terre entière en fi. digne alliance :
Et pour fin nofireiufie & couftumier deuoir,
Qjtifacre au vueil des Dieux des Mufes lepouuoir.
Font que tant pour le fiecle auenir, que le vofire.
Ces vers h*ayent requis autre main que la nofire,
Enten les donCy Madame, & mefme à ce grand Roy
Ton efpoux, à la Roine auffi, qui près de toy
Apparoifi tout ainfi qu'entre les Dieux Cybele,
Quand mère ellefe voit d*vne race tant belle.
Dont prefque approche en traits, en hauteffes, en heurs
De cette ci la race : à fes filles tes fœurs.
Dont au grand Duc Lorrain fe voit coniointe Vvne,
Vautre, peut eftre, encor attend plus grand* fortune :
A toute Dame auffi qui eft, ou fera près
De ta grand maiefté, fay les entendre après.
Si des Mufes la bande en eft la chant ereffe.
Si enuersfi grand Roine vn fi grand chant faddreffe.
Si le fuiet furpaffe en ce quHl contiendra.
Tous fuiets, rien iamais au monde il ne craindra.
Nous dépitons Vorgueil, Venuie, Vignorance,
Le fort, le tort, la mort : & quanta Voubliance,
Nousfommes de Mémoire & la race & le foin.
Qui près de nous bannit fa contraire bien loin.
Ces Dieux ont veu Vheureufe & haute deftinee,
Qitifort de leurs afpeàs pour tel grand Hy menée,
296 HYMENEE.
Qîtiy fa couple eftant faite, ici deuoit venir.
Pour auoir plus grand pompe à tout iamais bénir
Ce fainâ nœu, quifurmonte encot toute alliance.
De la race d^Auftriche à la race de France :
Car Charles qui a pris Elizabet, ainfi
Vvn Roy fils de grands Rois, Vautre qui fort aufft
De Rois. & d'Empereurs, doit auec elle luire
Deffus tous les flambeaus de ces Dieux, qui conduire.
Orner, & profperer ont voulu ce Dieu fainâ,
sPar qui Charles auec Elizabet fétreint.
Vous dirie:(, tant leurs feus de conionâions prennent,
Qjte pour telle alliance allier ilsfe viennent,
Si généralement, que doppojition
Aucune ne fe rompt telle conionâion.
Les Royauté^ qui font des deite:{ prochaines,
Emeuuent plus des Dieux les faueurs ou les haines.
Soit pour voir la grandeur des Rois, ou pour fentir
Ce qui en peut de bon ou de mauuais fortir :
Ce qu^ encore fur tout au mariage ils gardent.
Car aux branches autant qu'aux tiges ils regardent,
Vers les rameaus petits, ou vers les tiges hauts.
Continuant la fuite ou de biens ou de maux.
Ou changeans Vvn en Vautre, ou ramenans le change
Du bien au plus grand bien, du mal au mal efirange.
Dont les Dieux prennent bien, ou plaifir, ou pitié :
Mais leur deflin n'a point de haine, ou d* amitié,
Inflechiffable il fuit, & les Dieux pitoyables
Ne fe font point pourtant par pitié flechiffables :
Long temps ils te Vont fait {pauure France) efprouuer.
Car combien que pitié fe peufl en eux trouuer,
Pour tes guerres, tes maux, crimes, meurdres, outrages j
Horreurs, faccagemens, ruines, où, tes rages
Aueugles te poujfoyent, ferme efioit le deflin,
Qui de tes propres mains mefme à ta propre fin
Sémbloit te traîner prefque, alors que Voubliance
De Roy, de loy, de fang, d'amitié, d'alliance
Tenoit vos cœurs faifis, & qu'on recommençoit
Tant de fois ce qu'au vray fa ruine on penfoit.
HYMENEE. 2gj
Car après que du fort Vorageufe tourmente
D'horribles coups de mer^ prefque auoit toute attente
De tonfalut chaffee, on voyoit bienfouuent
L'air ferain, Ponde calme, & paifible le vent :
Mais c'eftoit pourfoudain te ramener au double
Le vent, le flot, & Pair, plus afpre, fier, & trouble.
On a veu me/me après Ji diuers changement,
Du grand effort dernier Vaigre redoublement.
Par effroyable heurt & bourrafque importune.
De plufieurs de tes grands la nef^ & la fortune.
Et la vie engouffrer, tant qu'ainji fannonçoit
Tonfalut, ou ta fin du tout fe prononçoit :
D'autant, ou que les Dieux molliffoyent leur courage
Receuans telle amende, ou qu'après tel orage
Tu nepouuois iamais ton vaiffeau rehauffer,
Qfii plein d^eaufe voyoit défia prefque enfoncer.
On voyoit mefmement que les peuples eflranges,
De ton nom, de tes faits, de tes heurs, & louanges.
Et du fceptre fi beau de tant & tant de Rois^
Q^i à ces peuples mefme auoient donné tes lois,
Ne penfoyent plus rien voir quafi que les reliques
Pendans encore au flot de tes troubles Galliques,
' (2k< pleines dedans foy de leurs propres éclats.
Sans voile, ancre, timon, hune, cordage, & mas,
Sembloyent a tes voiftns pour vn temps rachetées
Des foudres, tourbillons, & va'gues dépitées,
De ciel, d'aire & de mer, à la merci des eaux
Abandonnées prefque : & bien que tes vaiffeaux
Fuffent grands, & encor fort arme:^, maint corfaire
Proiettoit fon proffit de ton dommage faire :
Et maint efiant, ou bien paroiffant eflre humain,
Par j^ele, ou autre égard tendoit aux tiens la main :
Maint auffi fe voyant prefque en telle tempefle.
Tachait qu'elle reftafi entière fur ta tefte.
En fon abri fi fort fe ferrant, &f ancrant.
Que le volant orage en luy n'allafi entrant.
Aux autres, d*vne forte ou d'vne autre accufee,
Tuferuois de pitié, d* exemple, ou de rifee.
29B HYMENEE.
Sans voir que tout autant leur en pendoit à Vœil,
Sans voir me/me la part quHls aurqyent en ton dueiL
Dans nous aux maux d'autruy vient pluftoft malvueillance
Que pour autruy fecours, & pour foy pouruoyance.
Mais Soudain (tel auoit des Dieux efté le foin)
Les contraires deftins fe trouuans au befoin,
En temps calme &ferain vindrent tourner la rage
Du Jbrtunal eftrange, & le prochain naufrage y
En feurté de vray port^ voire auffi le mépris,
Que precipitément Veflranger auoit priSy
En admiration, en amour, ou en crainte
De ta claire grandeur, quifoumife ou efteinte
Ne peut eflre iamais, ains qui peut faire choir
(Peut eflre) deffousfoy tous ceux qui voudroient voir.
Aider, ou hafler mefme en elle vne ruine :
Grand efï Vappuy qui fort d^ordonnance diuine.
Tout eflat qui fe doit haufferplus quUl n^efipas.
Se hauffe mefme alors que Ion le croit plus bas.
Car pour Vheure le ciel, qui fit la Paix defcendre.
Par tel deflin profpere vn moyen luy fit prendre
Plus grand qu'elle n^euft onccf d*amollir peu à peu^
Defaigrir, amortir, le cœur, le fiel, le feu
Des François achame:{ : pénible & long affaire.
Qu'elle ia defcendant par deux fbis^ne peut faire :
Et ce qu'au premier coup faire encor ne pourroit^ .
Lors qu^à la tierce fois defcendre vn la verroit.
Mais ce deftinfi doux dont elle print puijfance,
D'heure en heure en cela luy fait prendre accroiffance.
Tant que la rendant fiable auec fa fermeté,
n efiablit les heurs qui en elle ont efié
Defiine^ par le ciel ; def quels ce mariage
Tant haut, & tant heureux, nefertpas deprefage
Seulement, mais d'entrée & feur auancement :
L'heur fans fin l'heur attire. Or quand fatalement
Telle Paix defcendit, les Die^x qui l'enuoyerent
D'vn tel bien refiouis, tout ce tourfe trouuerent
Che^ le Père Océan. *
HYMKNKK. 299
L*ABONDANCE.
Au Char de la Lune.
La nature fans fin ie rens belle & féconde
Moy qui fuis V Abondance, & pour elle portant
Ma riche corne en main, dont toutfruià vafortant,
PaidCj l'orne, t* empli, f on foin, f on art, f on monde:
Mais celle là qui fait que plus ma corne abonde,
C*eft de Phebus la fœur, qui du frère empruntant
Ce grand luftre, qui va tout fon teint argentant,
Fait de tout abonder Vair, & la terre, & Vonde :
Car la froide moiteur par le chaud f enflammant,
Se formant, faccroiffant, &fouuent p animant.
De fruits, & de lignée apporte V abondance.
Chauds, Elizabet, puiffent donc par nous deux
Se voir croiftre en lignée, & ce qui naiflra d'eux
Puiffe voir en tous fruits de France Vaccroiffance.
LE SOMME.
Au derrière du Char.
Pour le Silence^ & moy, ie parle en peu de mots
Car Vvn toujours fe taifl, & Vautre dort fans ceffe.
Du Roy Vheureux Silence accroiffe la Sagejfe^
Du Roy le Somme heureux accroiffe le repos.
LE GENIE.
Au Char de Mercure.
Mercure, qui des arts fut au monde inuenteur.
Fait que fon gentil afire en tout temps a puiffance
Sur toute inuention, fur toute cognoiffance,
Sur Veloquence auffi, dont luymefme efl auteur.
300 HYMENEE.
Mais fans moy les humains n'auroyent iamais cet heur^
Qui premier aux bien nés, & me/me en leur naiffance
Soufle vn pouuoir (Vauoir toute telle influence y
Pourtant ce Dieu me fait de fon Char conduâeur.
La nature peftrit lia majfe, moy Génie
Diuers inftinâ luy foufle auec vigueur & vie :
Fortune aueugle après Vexpo/e à fes ha/arts.
Nature Jut prodigue, & Fortune opportune
Tant au Roy qu^à la Roine : en eux pourtant les arts
Puiffent vaincre les dons de Nature & Fortune.
LES TBOI S GRACES
Deuant le Char de Venus.
Amour, Venus, & nous compagnes feruiables
A Venus, les ardeurs, les beauté:^, les attraits,
Mettons aux cœurs, aux corps, aux gracesplus louables.
Amour brufle les cœurs, fous fa puiffanCe- attraits :
D*air, de traits, & de teint. Venus les corps décore :
Nous de grâce animons Vair, le teint, & les traits.
Mefme en ces trois effets Vvn par Vautre phonoi-e,
Tous les trois font communs entre nous, S- pouuons
Tous cinq ardre, embellir. S- donner grâce encore.
L^ Amour aide aux beauté^ & aux grâces qu^auons
Mifes en vous, Venus vous addreffe & enflame.
Et Nous vos beauté:^ croiftre & vos flames fçauons.
Auffi d'Amour la mère, & de nous trois la damCy
Venus que vous voye:{, eft le beau feu toufiours,
La beauté, Vomement de tout corps & toute ame :
Caufe, entretien, plaifir de Vejfence, du cours
Et mouuement de tout, de trois Grâces fuiuie.
Que mérite fon grand & continu fecours.
Car pour tous biens Venus le feul bien de la vie.
Doit de tous receuoir fans fin remerciment,
Auquel fans fin pour nous tout efprit fe conuie.
Ceft pourquoy noftre nom Ion peut prendre autrement,
HYMENEE. 3o I
Qui eft de grâces rendre : or nous conuions donques
De rendre ore à Venus grâces infiniment,
Charles, Ëlizabet, & leur Hymen, fi onques
Rien a receu grand heur, ont receu tout le bien
Qu^auecq' Amour, & nous. Venus peut direfien.
CVPIDON CONDVISANT LEDICT CHAR.
Vers Sapphiques rymcz.
Sans voler dans Pair ie guide en ce beau lieu.
Dans ce Char Cypris reuerant ce beau Dieu,
Q}ii retint d*vn nœu mémorable fousfoy
Charles, auec moy,
D*vn léger trompeur le renom ie perdray.
Ferme pour toufiours tel amour ie tiendray :
Car chacun des Dieux promet en ce grand bien
Rompre le vol mien.
Seul iefuis autheur de ce bien, â*amour vient
Uheur d? Hymen : Cypris de mon heur,fon heur tient
Rien ne peut des deux ranimer le brandon.
Fors que Cupidon.
AV CHAR DV SOLEIL, OV ESTOYENT
LES QVATRE SAISONS.
Vers intercalaires chantez & fonnez par les Muliciens
eftans dans le creux du Char, & auili par les Mufcs.
Le grand Soleil fait luire aux deux
Tous aftres, & fur tous la Lune :
D^vn Roy le luftre radieux.
Ses deeffes, fes demi^dieux
Fait luire tous, &fur tous vne,
QvLe mefme il fait paroiftre vn Soleil à chacun :
Car puis que Vamour fait que les deux nefoyent qu^vn^
D^vn des deux la lumière eft à tous deux commune.
304 HYMENEE.
La race & la vertu doit venger voftre fin.
Charles, Elizabet, pleins de profperité
Puiffent en leur hyuer renouueller leur âge,
Au ciel par Deité^ fur terre par lignage :
Tout bon Roy fils des dieux mérite éternité.
l'avrore
Conduifant ledi£l Char.
Bien que i'aye vn char propre à moy qui fuis P Aurore ,
Dont (Dames) vous femble^ emprunter en vos teints
Les rofeSf dont les deux par moyme/me font peints,
le me fuis mife au char quifeul tout le ciel dore.
Ce Dieu duquel Vannonce, & deuance, & colore
L^or premier, veult quHci de mes rofines mains
A fes chenaux tous d^or ie reigle ainfi les freins.
Pour fes faueurs vers^ous, vous annoncer encore,
Vn Roy femhle vn Soleil : que Phebus, que ces Dieux
Eclaire!^ de fon feu, qu^au huiâiefme des deux
Les feux cloue^, & ceux de fes dou\e demeures.
Pour vous puiffent toufiours tellement bien-heurer
Ses ans, & fes faifonSy fes mois, fes iours,fes heures.
Qu'à Venui Charles femble vn bas monde dorer.
E N Y O N.
AV CHAR DE MARS.
Vers Afclepiades rymez.
On feint Mars violent, plein de fureur, de fiel,
D^horreur, meurdre, hideur, en reputant le ciel
Au bas monde pareil, tant que la paffion
Des Dieux femble régir leur volage aâion.
H Y MENEE. 3o5
Mars vient dPvnfage Dieu, qui de ce monde fien
Seul compaffe le cours, Vordre, le mal, le bien.
Puis cherché de Venus Mars ne feroit iamais.
Si tant il reiettoit Vordre, V Amour, la Paix.
Aux mortels le defir. Vire, le changement.
Et Vafpre ambition, font tel aueuglement.
Tant quUls vontfanimans en ce péril de Mars,
Mafquans Vambition peinte de mille fards:
Et pleins d'aigre dépit, pleins de fureur, de tort.
Qu'on voit bondir en eux, contre le iujlejort,
Prefqu'aux grands Deite^ arracheroyent le droite
Qpi efclaue de Dieu rendre la terre doit.
Lors maint peuple félon, qui de la loy fe rit,
Qjti contemne le Roy, qui le mutin chérit.
Brouille, & fouille le temps : Mars retenant le foin
Des guerres, fa faueur fait venir au befoin.
Mars fi fort ne requiert en ce pays lefang,
L*horreur, meurdrCy hideur, quHl ne le rende franc,
Et fi vous reuerex en ce pays la Paix,
Qji*en fin n^aille quittant tel pays à iamais»
Le» vers chantez aux trois autres Chars de Saturne , lupiter,
& d'Hymen, n'ont peu eftre recouurez.
FIN DU TOME PREMIER.
lodelle. — 1. 20
/
NOTES
NOTES
I. De L< POESIE FRANÇOISE, ET DES OBVVRES d'EstiEKHE lo-
DCLLE,... p. I.
Cette préface de Charles de li Mothe a pani dans la deux 6ii-
tiona dei Œuarei de Jodelle publiées en 1574 et en i383. Nous
■TODS jugé utile de la reproduire i cansc des curieux détails qu'elle
milerme sur les poètes de la Pléiade. Nous avons même comerTé,
TU Bon peu d'étendue, la première partie de ce morceau, bien qu'elle
Knt étrangère i notre sujet. Nous noua sommci contenté de ne
point j joindre les rectificatiouB et les preuves dont elle aurait grand
bcKMn, mais qui seraient déplacées ici.
Voici le titre exact de la première édition publiée par Ourles de
Il Motbe :
LES OEVVRES
& Meflanges Poétiques
D'ESTIENNE lODELLE
Premier Volume.
A PARIS,
AVEC PRIVILEGE DV ROY.
3lO NOTES.
Le privilège, accordé à Nicolas Chefneau, est du 24 septembre
1 374. On lit au bas : c Ce volume a efté acheué d'imprimer le
6. iour de Nouembre 1574. » Il est de format in-49, se compose de
huit feuillets liminaires^ de 3o8 feuillets chiffrés et de deux feuillets
d'errata et de table. L'errata a pour titre : 1 Ce qui eft à corriger en
ce premier volume, m
L'édition de i383 porte l'adresse de Nicolas Chesneau ou celle de
Robert le Fizelier; elle est de format in- 12. On lit sur le frontispice
au lieu de Premier volume : « Reueuës & augmentées en cejte der-
nière édition. » Il y a néanmoins à la fin comme dans la première
édition : Fin du premier volume des Œuures & Meflanges cPEJ-
tienne lodelle, mais c'est là un oubli de l'imprimeur, à qui l'on a
donné pour copie l'édition précédente, qu'il a suivie aveuglément ; il
est certain qu'alors il n'était déjà plus sérieusement question de
donner au public d'autre volume des Œuures de Jodelle que celui-ci.
Quant aux augmentations mentionnées sur le titre de l'édition de
i383, elles ne consistent qu'en un petit nombre de pièces com-
posant un cahier additionnel qu'on ne trouve que dans quelques
exemplaires où il forme les feuillets 289-298. Comme le remarque
Charles de la Mothe, Jodelle n'avait rien publié de son vivant, à l'excep-
tion du Recueil des infcriptionSy figures^ deuifes, & mafquarades
que nous décrivons ci-après (note 41); les éditions de 1374 et de
i383 sont donc les véritables éditions originales; la première a
servi de base à notre texte, et nous avons soigneusement indiqué les
différences que présente la seconde lorsqu'elles nous ont paru de
quelque intérêt pour l'étude de la langue ; quant au classement des
Œuures^ nous l'avons complètement modifié, en ayant soin de faire
connaître dans nos notes lès motifs qui nous ont fait préférer celui
que nous avons adopté. ^
2. En /es mœurs particulières, p. 8.
Ainsi dans l'édition de 1374. En fes mœurs particuliers dans
celle de i583.
3. Quarante & vn an^ p. 8.
Le mot an est ainsi au singulier dans les deux éditions. Il fau-
drait se garder de voir là une faute. Vaugelas a intitulé une de ses
Remarques : « Si après vint &vn, il faut mettre vn pluriel, ou vn
Jingulier, » Il est d'avis « que l'on dit, & que l'on efcrit affeurement,
vint & vn an, & non pas vint & vn ans, ny vint & vue années. »>
Mais il reconnaît « que l'on dit, & que l'on efcrit, il y a vint & vn
chenaux, & non pas il y a vint & vn ckeual, » Dans les Ohferva-
tions de l'Académie françoije fur les Remarques de M. de Vau-
gelas, publiées en 1 704, in-4», on lit : « Il eft certain qu'on dit
vingt & vn an, & l'Ufage l'authorife ; mais ce mefme Ufage veut que
NOTES. 3n
s'il fait an adjeâif après un on mette cet adjeélif au pluriel. H a
vingt &vnan accomplis^ à. vingt & un anpaffei & non pas vingt
&unan accompli ou paffé, »
4. l'eVGENE, COMEDIE... p. II.
Jodelle étant surtout connu par ses œuvres dramatiques, nous
ATons cm devoir les placer les premières, quoique Charles de la
Mothe les ait mites à la fin de son volume. L'ordre chronologique
ne s'opposait point d'ailleurs à ce classement, car de la Mothe
nous apprend que Jodelle « en i532. mit en auant, & le premier
de tous les François donna en fa langue la Tragédie, & la Comédie,
en la forme ancienne. » (Voyez ci^-dessus, p. 5) et un peu plus loin,
il compte parmi les « pièces faites par l'autheur aux plus tendres
ans de fa ieunefle... la Tragédie de la Cleopatre, & la Comédie
d'Eugène, » Guidés par ceslndications, les frères Parfait, dans leur
Hifioire du théâtre français, ont placé l'analyse de ce dernier
ouvrage à l'année 1 552, époque à laquelle Jodelle avait 20 ans. Cette
date paraît exacte, car il s'agit dans la pièce de l'expédition d'Al-
lemagne qui valut à Henri II Metz, Toul et Verdun, et il y est
question , comme d'une éventualité peu probable, du siège de Metz
par Charles-Quint, qui n'eut lieu que l'année suivante. Charles de la
Mothe nous apprend que « la Comédie d'Eugène fut faite en quatre
tndttes. » (Page 7). C'est cependant un des meilleurs ouvrages
de Jodelle; non qu'on y trouve le moindre talent de composition,
mais il renferme des vers heureux et quelques traits de caractère.
On peut voir dans notre Notice sur Jodelle la curieuse relation que
Pasqoier fait de la représentation de Cleopatre et d'une comédie
intitulée La Rencontre, que les frères Parfait ont considérée comme
étant la même pièce que l'Eugène, Jodelle, dit Pasquier, « fit deux
Tragédies, la Cleopatre & la Didon, & deux Comédies, La Ren-
contre & V Eugène, La Rencontre ainfi appel lée parce qu'au gros
de la meflange, tous les perfonnages f 'eftoient trouuez pefle-mefle
cafnellement dedans vne maifon, fuzeau qui fut fort bien par luy
demeflé par la cloflure du ieu. Cefte Comédie, & la Cleopatre
forent reprefentees deuant le Roy Henry. » Les frères Parfait
font à ce sujet les remarques suivantes : « Tout ce qui regarde
cette prétendue Comédie de La Rencontre, n'efl qu'une faute de
mémoire de Pafquier. Si Jodelle avoit compofé cette pièce, La
Motte, qui raflembla fes Ouvrages après fa mort, & qui donne un
éloge de cet Auteur à la tête de l'édition, n'auroit pas manqué d'en
parler. Ainfi il eft certain que la Comédie fut intitulée : Eugène
on La Rencontre, » Les raisons sur lesquelles les frères Parfait
sTappuient sont bien faibles puisque Charles de la Mothe parle d'un
très-grand nombre d'oeuvres de Jodelle qui se sont trouvées perdues,
et que ce que dit Pasquier du denoflment de La Rencontre ne paraît
nullement convenir à la comédie d'Eugène,
3l2 NOTES.
La scène de VEugène est à Paris, comme on le voit par divers
passages, et notamment par ces trois vers : (Acte II, scène II, p. 37.)
Combien que mille fois & milîe^
Paye veu & reueu la ville
De Paris, oiifuis à cejle heure.
5. Amault, Homme de Florimond, Pierre, Laquais, p. 12.
Dans les éditions de 1574 et de i583, les qualités de ces deux per-
A>nnages se trouvent interverties, mais les indications des p. 34
et 37 et le texte même de la pièce ne peuvent laisser aucim doute
sur la véritable leçon.
6. Ont y p. i5.
Il y a dans les deux éditions on qui ne donne aucun sens rai-
sonnable.
7. Que Jeruiroit f expliquer, p. 19.
Ainsi dans la première édition ; que ferùiroit expliquer dans la
seconde.
8. Le perdreau, p. 19.
Ainsi dans les deux éditions; il faut prononcer perdreau en trois
syllabes pour que le vers soit juste. Cotgrave, dans son diction-
naire français-anglais de 161 1, donne perdreau et perdriau.
9. Qui ejt tout tel qui nous le faut, p. 21.
Le sens demanderait qu'il nous le faut.
Jusqu'au dix-huitième siècle 17 de il ne se prononçait pas devant
une consonne, ce qui rendait facile et fréquente la confusion de qu'il
et de qui. Voyez ci-après les notes 39, 42, 43 et 47.
10. Mais que tefemble, p. 22.
Ainsi dans la première édition; mais qui, à tort, dans la seconde
et par suite dans le Théâtre françois de la Bibliothèque el^évi-
rienne.
1 1. Les cornes luy féent fort bien, p. 3i.
Il y di fient dans la première édition, mais cette faute est corrigée
à l'errata.
12. Sus l'amour, p. 47.
Sur l'amour dans la seconde édition, où l'on trouve aussi fur
lef quels pour fus lef quels, page 84, et fur moy pour fus moy,
page i38.
i3. Comme vn autre, p. 5o.
Il y a dans les deux éditions vne autre, qui ne donne pas de sens
raisonnable.
NOTES. 3l3
14. MeurdricTy p. 32.
Ainsi dans l'édition de 1 574 ; meur/r/er dans celle de 1 5 83.1^
première forme est par&itement en rapport avec meurdrir qui se
trouve quelques vers plus haut; Jodellc a d'ailleurs employé fré-
quemment ce mot meurdrier. Voyez ci-dessus, p. i32 et 271.
i3. Foruoyant^p, 6n.
Fentruoyant, dans la seconde édition.
16. L'Enfer du Chaftellet, p. 66.
Voyez lepoSipe de Clément Marot intitulé L'Enfer, aii. commen-
cement duquel on lit :
Les paflfetemps, & confolations
Que ie reçoy par vilitations
En la prifon claire & nette de Chartres,
Me font recors des tenebrcufcs Chartres
Du grand chagrin, & recueil ord & layd.
Que ic trouuay dedans le Chaltelet.
Si ne croy pas qu'il y ait cliofe au monde •
Qui mieulx reflemble vn enfer treiimmunde.
le dy enfer, & enfer puis bien dire.
Tout le reste du poème n'est que le développement de cette idée.
17. Tous ces maux auront guarifon, p. :o.
Il y a mots dans les deux éditions, mais le sens ne saurait être
un seul instant douteux. Voyez ci-après, note 22.
18. Premièrement ^onné m*ont
Auec leurs mots, comme ejtocades, p. 73.
Voyez les Œuures de du Bellay^ t. II, p. 546, note 9.
19. ClEOPATRE CAPTIVE..., p. 93.
Cette tragédie date, commt L'Eugène, de la jeunesse deJodelle et
a été composée et représentée à la même époque. (Voyez la Notice
et ci-dessus, noté 4.)
Les frères Parfait font la remarque suivante sur la versification
des pièces de Jodelle et en particulier de sa Cléopatre : v Jodelle,
dans fes deux Tragédies, &dans fa Comédie, n'a point obfervé la
oonpe des rimes mafculines ou féminines. Le L Aéle de Cléopatre
^ en vers Alexandrins, & tous féminins. Le II , même mefure de
vers, mais mêlés de mafculins & de féminins. Les III, IV, & V,
tantAt vers de dix fyllabes, & tantôt de douze, avec mêmes défauts :
il n'y a que les Chœurs qui font à rimes croifées, & rimes exaéte-
ment. Il y a apparence que les Poètes qui fuivirent Jodelle dan» le
20»
N
3i4
NOTES.
même genre connurent cette défeéhiofité, car ils n'y tombèrent prefque
pas. Pafquier nous apprend pourquoi les Tragédies de Jodelle furent
ainfi verfifiées. » {Hiftoire du Théâtre François, t. III, p. 288,
note.) Ici les frère^ Parfait citent fort inexactement le passage
suivant, que nous avons pris soin de rétablir dans son intégrité :
« le ne palTeray foubs fUence ce que i'ay obferué en Clément
Marot. Car aux Poèmes qu'il eftimoit ne deuoireftre chantez, comme
Epiftres, Elégies, Dialogues, Paftorales, Tombeaux, Epigrames,
Complaintes, Traduâion des deux premiers liures de la Metamor-
phoje, il ne garda iamais l'ordre de la rime mafculine & féminine.
Mais en ceux qu'il eftimoit deuoir ou pouuoir tomber foubs la mu-
fique, comme eftoient fes Chanfons, & les cinquante Pfeaumes de
Dauid par luy mis en François, il fe donna bien garde d'en vfer de
mefme façon, ains fur l'ordre par luy pris au premier couplet, tous
les autres font auffi de mefmes. Suiuant cefte leçon Eltienne lodelle,
en la manière des anciens Poètes, en fa Comédie d'i?tt^ene,&. Tragé-
dies de Cleopatre & Didon, de fois à autres, mais rarement, a ob-
ferué la nouuelle couftume, mais en tous les Chœurs qu'il eftimoit
deuoir eftre chantez par les ieunes gars ou filles, il a fai£l ainfi que
Marot en fes Chanfons. j» (Pasquier. Recherches VII, 8.)
Dans un court passage du Recueil des infcriptions (page 260),
Jodelle a fort sommairement indiqué les motifs qui le portaient à se
déterminer pour un système ou pour l'autre, et a fait remarquer
que les « vers intercalaires... ont bonne grâce en la muQque ».
On peut voir ce que du Bellay a dit à ce sujet dans son Illujlra -
tion de la langue françoife, t. I, p. 52 de notre édition, et dans
l'avis Au ledeur de ses Vers lyriques, t. I, p. 175.
20. De la grandeur de tonfainâ nomf'ejionne, p. 95.
Il y a/off, mais à tort, dans les deux éditions.
21. Tradable, p. io5.
Ainsi dans la première édition; traiâtable dans la seconde.
22. Maux, p. 112.
Ici encore les deux éditions portent mots, mais à tort. Voyez ci-
dessus la note 17.
23. QiCvne infelicité, p. 117.
Il y a dans la première édition qu'vn infelicité, l'errata donne
qu'vne. La seconde édition porte qu'vne infidélité, mais c'est une
laute évidente reproduite dans le Thédtrefrançois de la. Bibliothèque
eliévirienne.
24. Tien traijlre, tien. — O Dieux ! — O chofe detejlable,
p. l32.
Ce vers a ainsi douze pieds au lieu de dix dans toutes les édition».
NOTES. 3l5
35. Leurtj p. i33.
Ainsi dans U seconde édition ; leur dans la première. Voyez
Œmiret de du Bellay^ 1. 1, p. 5o6, note 2 1 3.
36. // ne nuira rien^ p. i35.
Ainsi dans la première éditioli; dans la seconde: // ne nuira de
rien, qui rend le vers faux.
37. Des fiers Romains, p. 137.
La première édition porte des gens Romains, mais cette faute est
corrigée à l'errata.
s8. En deuallant, p. 140.
Ainsi dans la première édition ; & deuallant, mais à tort, dans la
seconde.
39. Veuque helat I tant douloureuje, p. i5o.
Ce vers est ainsi imprimé dans les deux éditions, mais on pro-
nonçait qu'hélas, sans quoi il y aurait eu un pied de trop.
3o. DœON SE SACRIFIANT..., p. i53.
On ignore la date de la composition et de la représentation de
cette pièce. « Nous conjeéhirons, difent les frères Parfait {Hijioire
du Théâtre François, t. III, p. 397) qu'elle parut la même année
que les précédentes, par la fodlité que Jodelle avoit dans la compo-
litionde fes Ouvrages.» L'argument nous paraît assez faible, et mieux
Tant assurément laisser cette tragédie sans date que d'en fixer une à
l'aide de pareilles inductions.
3u Qu'il n'y ait maft, antene, ancre, voile ou hune, p. 160.
n manque un pied à ce vers dans toutes les éditions.
33. Ne mefuislaijférienquimefoitfecourable, p. 172.
Qui ne /oit dans toutes les éditions, mais c'est assurément une
faute.
33. Sous vn honnefte mot, p. 176.
Il y a mort au lieu de mot dans les deux éditions originales, et,'
par fuite, dans le Théâtre françois'dt la Bibliothèque cl\évirienne, ^
mais c'est une faute évidente.
34. L* Aigle, ou le Gerfaut? l'homme méchant ejtfeur, p. 177.
Il manque un pied à ce vers dans toutes les éditions.
35. Ha vne couleur blefme, p. 181.
Ainsi dans la première édition; dans la seconde : Ha d'vne tou-
/
3l6 NOTES.
leur blefme, ce qui fait disparaUre un hiatus, mais ne donne pas un
fort bon sens.
36. Mille renaijjfantes poifons, p. i86.
Il y a dans la première édition renaijfans^ qui rend le vers faux,
mais cette âiute est corrigée dans l'errata.
37. CeuXy qu'on voit le plus fe debatre, p. 187.
Ainsi dans la première édition ; qu'on veit, dans la seconde.
38. De tout ejtre viuant^ page 194.
Ainsi dans la première édition. Il y a, mais à tort, efpoir au
lieu di'ejlre dans la seconde et dans le Théâtre françois de la
Bibliothèque el\évirienne,
39. Quiy p. 21 3.
Qui est ici pour qu'il. Voyez ci-dessus la note 9, et ci-après les
notes 43, 43 et 47.
40. lene/çay^p. 221.
Ainsi dans toutes les éditions. Le sens parait demander plutôt :
le lefçajr.
41. Le Recveil des Inscriptions..., p. 23 1.
Voici la description bibliographique de cet ouvrage :
LE
RECVEIL DES
INSCRIPTIONS, FI-
GVRES, DEVISES, ET M A S-
quarades, ordonnées en l'hoftel
de ville à Paris, le Jeudi 17.
de Feurier. i558.
Autres Infcriptions en vers Héroïques Latins,
pour les images des Princes de la Chreftienté.
PAR ESTIENE lODELLE PARISIEN.
A PARIS.
Chez André Wechel, à l'enfeigne du Cheual
volant, rue S. Jean de Beauuais.
i558.
Aucc priuilege du Roy.
NOTES. 3l7
Ce volume, de format in-40, commence par quatre feuillets non
chiffrés comprenant le titre, et , au verso, l'extrait des lettres pa-
tentes du Roi à André Wechel, « données à Reims, rvnziefmc de
luing 1 357 1», pais Tépitre et le « Sonet ■> que nous avons reproduits
aux pages 23i-236 du présent volume, et la pièce latine suivante,
dans laquelle Jodelle, comparant son livre à ceux d'Ovide exilé,
nous apprend qu'il s'était volontairement éloigné de la Cour pour
quelque temps, et cherche, en rappelant ses succès passés, à dimi-
nuer la fâcheuse impression que sa mascarade avait produite.
IN LIBRVM
ELEGIA.
Infœlix quales Nafo iubet ejpe libellos.
Quoi patriœ gelido mittit ab axejuœ^
Regia te talcm^ cùm fis liber exulis^ Aula
Cernerety exilium ni mihi dulce foret ^
' Ni quoque /ponte mea^ non iujfu Numinisexul,
Semotus Clario redderer v/qtie Dec.
Ergo cultus abiy auratis quoque cornibus audax.
Sis licet ingenii pars propè nulla mei.
Nec tener inuidice timeas examen edacis,
Natn multum quod te vindicet agmen erit :
lamque cothumatum potui reuocajfe Sophoclcm^
Smjrrnasum, Siculum, Tretciumque fenenzy
Lœtus Arijtophanes, & amatrix vmbra Philetx^
Thebanasque aderit puljor & ipfe lyras,
His quondam ceffit Liuor, cedetque vocatis^
Dum viuus nojlra quilibet artc redit.
Quidfi Pelides hos inter^ & acer Vlyjfes,
Alcidefque, ^ quos In cecinêrc iuuent ?
Acjic Bellona me me natum artibus aptent.
Regibus inuitis Regibus vt placeam ?
Sedtu vade prier ; bene Jijuçcejferit^ illi
Grandia donaferent^ nulla venenaferent :
Sicfequar, & Reges repetam;fic fpretus Apollo
Qui cornes exilii^ forfan honoris erit.
Après cette élégie vient le « Recueil des infcriptions », comprenant
28 feuillets chiffrés, ensuite, au feuillet 29, un faux titre portant :
ChriJHanorum noftri temporis heroum & heroinarum icônes.
Ad D. Margaritam francicam. Authore Steph. lodelio Parifio,
Au verso de ce faux titre se trouve un avis au lecteur en latin dans
lequel Jodelle explique qu'il aime joindre des ouvrages français aux
ouvrages latins afin qu'à la faveur de ceux-ci, ceux là se répandent
peu à peu à l'étranger : " Nec mireris quoJ in hoc loto libella^
3l8 NOTES.
Latina Gallicis coniunxerim : id enim in quibufdam aliis libris
data opéra facere voluiy vt & ea quœ GattUè-^fvribo^ pure vt
arbitror l^tinitati commixfta, tandem aliquando, quod paucis
adhuc contigit^ ad exteras nationes tranfire pojfint. »
On trouve au feuillet 41 une pièce latine intitulée :> Ad Claud.
Kerquifinanum, Steph. lodelii, in fuas miferias^ elegia. JodeWe
s'y compare à Prométhée, à Tantale, à Sisyphe, mais il n'y a rien
là à recueillir pour l'histoire de sa vie ou de ses ouvrages.
La pièce intitulée : « A sa xvse. Chapitre », que nous avons
réimprimée aux pages 279-281 du présent volume, occupe le feuil-
let 43 et le recto d'un dernier feuillet non chiffré. Au bas se trouve
une liste des Fautes furuenues en Vimprejflon^ à la fin de laquelle
on lit : H Quand aus points & diftinélions vous les fuplieres. » Ce
volume est le seul que Jodelle ait publié lui-même; Charles de la
Mothe n'a reproduit que les vers français qui s'y trouvent sous le
titre de : « Vers francois extraits de la Mafquarade faiâe à l'hoftel
de la ville de Paris, i558. »
42. Silifont tant objtinés contre ma caufe, quHh ne vous veulent
point prendre pour garants^ qui cherchent les tefmoingt qui
Vayansveu à l'œil, leur pourront faire vne plus feurefoy^
p. 233.
Ce passage, reproduit fort exactement, est un peu obscur. Qui
cherchent peut s'expliquer par eux qui cherchent^ mais il vaudrait
peut-être mieux remplacer qui par qu'ils. Voyez ci-dessus les
notes 9, 39, et ci-après les notes 43 et 47.
43. De la feullefaueur & difpofition de Dieu, qu'il les enuoye,
p. 249.
Tel est le texte du Recueil des infcriptions ; il offre un sens
acceptable, mais mieux vaut peut-être lire qui au lieu de qu'il.
Voyez la note précédente.
44. Qu'eJ! encores ici cil qui ma Toi/on porte^ p. 263.
Il y a dans le texte du Recueil des infcriptions : Que font encore
ici cens qui ma Toi/on portent. La leçon que nous avons suivie
se trouve parmi les corrections indiquées dans la liste des Fautes
furuenues en Vimprefjîon et dans les deux éditions de Charles de la
Mothe.
45. Qui pour le beau loyer dufon qu'ils accordaient^ p. 264.
Il y a bien qu'ils dans le Recueil des infcriptions et dans les
deux éditions de Charles delà Mothe; le sens exige néanmoins qu'on
regarde ce pronom comme se rapportant au mot Serenes.
46. Ce n'eftfinon afin qu'aufjî toft il les baiffe, p. 265.
Ainsi dans le Recueil des infcriptions et dans l'édition de 1574;
il abaiffe dans celle de 1 583.
NOTES. 3l9
47. De deusjrere% encor vn chacun choifira
Le nom qu'il lutvfi proprCy p. 267.
Ainsi dans toutes les éditions. On peut entendre le nom qu'il lui
ejt propre de choijir^ ou mieux substituer qui à qu'il. Voyez ci-
dessus les notes 9, 39, 42 et 43.
48. L'Htmenbc dv Rot Charles IX, p. 283.
II noas a para naturel de placer ici, après le théâtre, et à leur
rang de date parmi les mascarades, les vers composés pour un diver-
tissement mythologique qui eut lieu à l'occasion du mariage de
Charles IX (p. 290-3o5). Nous n'avons pas voulu en séparer les
•omets qui les précèdent dans les deux éditions de Charles de la
Mothe. Nous avenu donc réuni le tout sous un titre commun. Par
malheur nous manquons de détails sur le divertissement. A la suite
d'une relation intitulée : C'ejt l'ordre & forme qui a ejlé tenu au
/acre & couronnement de... Madame Eli^abet d^AuJtriche...faid
en VEglife de VANuiiefaind Denis en France le vingt cinquiefme
Unir de Mars 1371. A Paris. De l'Imprimerie de Denis du Pré...
1371. In-4«, se trouve : L'ordre tenu à l'Entrée de... Madame
EU\abet ctAuJlriche Royne de France, qui eut lieu le « leudy en-
fniuantXXlX. lourde Mars mil cinq cens LXXI. » L'auteur, après
avoir raconté en fort grand détail le cortège et le souper royal, se
oontenle ensuite de dire : « Ce faiâ, fe retirèrent leurs Maieîtés au
Palais, ou le foir furent faides plulieurs belles & magnifiques maf-
quarades, defquellea ne fera fait icy autre mention, d'autant que
cela n'eft du faidl d'iceUe ville. *>
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE PREMIER VOLUME.
Pages.
Notice biographique fur Eftiennc lodelle. ... i
De la poefie françoife & des œuures d'Eiiienne
lodelle, fieur du Lymodin, par Charles de la
Mothe I
L'Eugène. Comédie ii
Cleopatre captiue. Tragédie 93
Didon fe facrifiant. Tragédie i53
Le Recveil des inscriptions, figvres, devises
et ma8q.varades.
Eftiene lodelle à fes amis .S 23 1
Le liure à la France. Sonet 236
Le Recueil des infcriptions, figures, deuifes &
mafquarades, ordonnées en THoftel de Ville à
Paris, le leudi 17 de Feburicr i558 237
A fa mufe. Chapitre 279
ai*
X
t
•\
PLÉIADE FRANÇOISE
Cette collection a été tirée à 250 exemplaires numérotés
et parafés par l'éditeur.
2^0 exemplaires sur papier de Hollande,
18 — sur papier de Chine,
LES OEVVRES
et Meslanges Poétiques
D'ESTIENNE lODELLE
Avec une Notice biographique et des Notes
Ch. MARTY-LAVEAUX
PARIS
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
LES AMOVRS
D'ESTIENNE lODELLE
SONNETS
Madame, c'tfi à vous à qui premièrement
Pay voué mon efprit, & ma voix, S mon ame,
A qui l'offre ces vers, que d'vne fainûe flamme
Amour me/me Infpira à maint & maint amant :
nus lirej fous le nom de quelque autre comment
L'amour de vos beaux yeux la poitrine m'enflam\
Vous verrez fous le nom d'vne autre belle dame
De vos rares beauté^ le plus riche ornement.
Qjieji mon amour n'eji par eux bien peint encore,
Quefi voftre beauté affe^ ne fy décore,
Excufe^ : car Amour n'a peufi ardemment
Qji'à moy, ardre leur cœur d'vnfuietfi louable :
H ne fut oncques Dame, il ne fut oncq' Amant,
A vous de la beauté, d'amour à moy femblable.
,4
AMOVRS.
VI.
Qjiand ton nom ie veux faire aux effeâs rencontrer
De la fœur de Phœbus, qui chafte, & chaffereffe
Eft tant au ciel qu^en terre^ & aux enfers Deeffe^
Elle fort dijfemblable à toy fe vient monjtrer,
Diane les chiens mené, & aux pans fait entrer
Ses cerfs : tu peux mener les grans Héros en lejfe,
Ains les prendre en tes rets ; fon arc le/eul corps blejfe^
Tes traiâs peuuent au fond des âmes pénétrer.
De fon frère elle emprunte en fon ciel la lumière :
Dedans tes yeux flambans & rayonneux fon frère
Prendroit ce qui croijtroit fa lumière & fes feux.
Aux enfers elle n^a que fur les morts puiffance :
Sur nous, ains fur les Dieux, par rigueur & clémence
Faire en la terre vn ciel^ ou vn enfer tu peux.
VII.
Quelque lieu, quelque amour, quelque loy qui fabfente,
Et ta deîté tafche ofter de deuant moy.
Quelque oubli qui contraint de lieu, d'amour, de loy,
Face qu''en tout abfent de ton cœur ie me fente :
Tu m''es^ tu me feras fans fin pourtant prefente
Par le nom, par Veffed fatal qui efi en toy.
Par tout tu es Diane, en tout rien ie ne voy.
Qui mon œiU qui mon cœur de ta prefence exemte.
En la terre, & non pas feulement aux forefis
De moy viuant Vobied continuel tu es,
Eftant Diane : & puis fi le ciel me rappelle,
O Lune, ton bel œil mon heur malheurera :
Si ie tombe aux enfers, monfeul tourment fera
De fouffrir fans fin Vœil d^vne Hécate tant belle.
AMOVRS. 5 If
VIII.
Si quelcun veut fçauoir qui me lie^ & enflante,
Qui efclaue a rendu ma franche liberté,
Et qui m^a ajferui, c^eft Vexquife beauté
D*vne que iour & nuiâ Vinuoque & ie réclame :
Oeft le Feu, c^eft le Nœu, qui lie ainfi mon ame *,
Qui embrafe mon cœur, & le tient carotté
D*ifn lien fi ferré de ferme loyauté ^
QuHl ne fçauroit aimer ny feruir autre Dame,
Voila le Feu, le Nœu, qui me brufle, & eftraint :
Voila ce qui fi fort à aimer me contraint
Celle, à qui Vay voué amitié éternelle :
Telle que ny le temps ny la mort t^e fçauroit
Confommer ny diffoudrevn lien fi eftroit
De làfainte vnion de mon amour fidelle.
IX.
Amour vomit fur moy fa fureur & fa rage,
Ayant vn iour du front fon bandeau délié,
Voyant que ne m*eftoisJbus luy humilié.
Et que ne luy auois encores fait hommage :
Il mefaifit au corps, & en ceft auantage
M^a les pieds & les mains garroté & lié :
De Vor de vos cheueux plus qu^orfin délié,
Hpeft voulu feruir pour faire fon cordage.
Puis donc que vos cheueux ont efté mon lien.
Madame, faites moy, ie vouspry^ tant de bien,
Si ne voule^ fouffrir que maintenant ie meure,
Que Vay^ pour faueur vn braffelet de vous,
Quipuijfe tefmoigner d^orefnauant à tous,
Qji'a perpétuité voftre efclaue demeure.
8 AMOVRS.
XIIII.
raifne le verd laurier, dont Vhyuer ny la glace
N'effacent la verdeur en tout viâorieufe,
Monftrant Vetemité à iamais bien heureu/e
Que le temps, ny la mort ne change ny efface,
Paime du hous aujfi la toujours verte face,
Les poignans eguillons de fa fueille^pineufe :
r aime le lierre auffi, & fa branche amoureufe
Qui le chefne ou le mur ejlroitement embraffe.
Paime bien tous ces trois, qui toujiours verds reffemblent
Aux penfers immortels, qui dedans moy paffemhlent ,
De toy que nuiâ & iour idolâtre Vadore :
Mais ma playe, & poinâure, & le Noeu qui me ferre,
Eft plus verte, & poignante, &plus eftroit encore /
QuerCeJi le verd laurier ^ ny le hous, ny le lierre.
XV.
lufqu^aux autels ie nHray feulement
Me prefenter vidime au facrifice.
Plus outre encor pour vous faire feruice
Piray, Madame, affeâionnément.
le fuis à vous dédié tellement,
Qmc ie ne crains gefne, mort, ou fupplice :
Ce m'eji affe:^, mais qu^en mourant ie puiffe
Vous apporter quelque contentement.
Long temps y a que ie porte. Madame,
( Vbi/5 lefcaue^O ce dejir en mon ame,
A tout le moins vous le deue^ fçauoir,
le fuis toufiours en cefie mefme enuie.
Et fi ne puis autre vouloir auoir
Que d^ employer en vous feruant ma vie.
AMOVRS.
»
xf I.
Qjie n^ay-ie mes efprits vn peu plus endormis^
Mon cerueau plus pefant^ & Vame plus groffiere^
Pour ne fentir fi fort vne douleur meurtrière,
Qui fait que fans repos languiffant te gémis.
Mes fens fenfibles trop ce font mes ennemis.
Qui efpoinâs tuf qu'au vif d* vne douceur trop fiere
Ont perdu le repos, la liberté première.
Pour trop fentir le mal qu'en eux ils ont permis.
Si ie n^eujfe à clair veu ta grâce & ton mérite.
Mon mal feroit legier, & ma peine petite :
Maispour voir^pour cognoiftre, & fentir iufqu* au fons
Ta grâce, ta valeur, ta rigueur ennemie, *
Mesyeux, efprits, &fens, trop clairs, trop vifs, troppnM08
Sont meurtriers, font tyrans, font bourreaux de ma vie.
XVII.
'Maudiray~ie, Madame, ou 4e fort euuers moy
Cruel & inhumain, ou ma trifte auenture.
Qui fait que de tout temps miferable V endure
Mille & mille tourmensfous Vamoureufe loy ?
Maudiray~ie Vamour, maudiray-ie de toy
La grâce ou la rigueur & trop douce & trop dure ?
Maudiray~ie de moy vne encline nature
A fuiure & receuoir le mal que ie reçoy ?
Ha non! ie nefçaurois autre chofe maudire
Que ce mefme qu'en moy de plus rare Vadmire,
Oefi mon affe&ion^ ma confiance, & ma fby.
Car tout auffifoudain qu^vne maifireffe Vaime
D'vne ferme confiance, & d'vn amour extrême,
Soudain le fort cruel la retire de moy.
•'
\
10 AMOVRS.
XVIII.
Auec ton cher pourtraiÛ, qui dans mon ame efprife
Eft mieux peint quHl n'eft peint danstonprefentfi cher.
Tu fis fur le dehors tailler vn dur rocher^
Deuife que la foy confiante a toufiours prife.
Lefioty le vent, le foudre, vn dur rocher ne brife :
Ta foy du temps faucheur fait Vader reboucher :
Mais lors il me fallut d^autres marques chercher
Pour ma foy, qui V acier du mefme temps mefprife,
Auec monpourtrait mefme en baffe taille doncq^
Des figures tu vis, qui ne furent adoncq*
Selon mon vray proiet par vers bien decouuertes.
^ Pour renfort des premiers, ces vers cy que tu lis,
Puiffent rendre enuers toy ces chofes que tu vis,
Auec ma foy, mon ame, & mon cœur, plus ouuertes.
, XIX.
Afin qu^en cet ouurage, aux faces de dehors
Selon Part Vvne à Vautre accordante fe treuue.
D'ans deux temples diuersfefait la double efpreuue
De deux effets d* aimer, plus eftroits &plus forts.
De Pylade & d^Orefie vn débat fur leurs morts, *
Dans le temple Taurique, vn extrême foy • preuue :
. Dans le temple Troyen d*vn Chorebe f efpreuue
Vamour, qui fait f on cœur n^auoir foin defon corps.
Ouurant V ouurage, on voit vne foy plus eftreinte,
Qui à toy par Diane en Vvn des cofte:{ peinte.
Sur vn autel de Foy, quand mefme ilfeferoit
Pour elle autel de mort, iufqu^à tout eft iuree :
Et qui là fur toute autre amour fort affeuree.
De mort, & de toute autre amour triompheroit.
AMOVRS. II
XX.
Des trois fortes d* aimer la première exprimée
En ceci c'eft Vin/tinâ, qui peut le plus mouuoir
L^homme enuersVhomme, alors que d^vn hautain deuoir
La propre vie efi moins qu*vne autre vie aiptee,
L^autre moindre ^ & plus fort toutesfois enflammée,
Oefi V amour que peut plus Vhomme à la femme auoir,
La tierce c^eft la nofïre, ayant d*vn tel pouuoir
De la femme la foy, vers la femme animée.
Que des deux hommes donc taiîle^ icy, les noeus
Tant forts cèdent à nous. Que fur tes ardens feus
(O amour) cet amour entier, foit encor maiflre.
L^ autel mefme de mort feroit foy de ceci,
Que Vautel de Foy monjire, A iamais donc ainfi
Diane en Anne, & Anne en Diane puiffe efire.
XXI.
le viuois, mais ie meurs, & mon cœur gouuerneur
De ces membres, fe loge autre part : ie te prie
Si tu veux que i^acheue en ce monde ma vie,
Ren le moy, ou me ren au lieu de luy ton cœur,
Ainfi tu me rendras à moy -mefme, & tel heur
Te rendra mefme à toy : ainfi Vamour qui lie
Le feul amant, lira & V amant & Vamie :
Autrement ta rigueur feroit double malheur.
Car tu perdras tous deux, moy premier qui trop faime.
Et toy qui n^aimant rien voudras haïr toymefme :
Mais, las! fi Von reproche à Vvn S- Vautre vn iour
Et Vvne & Vautre faute : à moy qui trop fefiime,
A toy qui trop me hais, plus grand fera ton crime,
D^autant plus que la haine efl pire que Vamour .
12 AMOVRS.
XXII.
Quel humeur, mais quel crime alors qu'on fe di/pence"^
D*euenter les faueurs qu^on reçoit en amour :
Qu^on ouure au bruit la voye, & que d^vn heureux tour
Moins que du bruit de Vheureftre heureux on fepenfe :
Qu^on rauitffacrilege, à V amour lejilence,
Qjii le garde & Ve/corte^ épiant tout autour :
Vodeur qu'au iour on met fe perd de iour en tour:
Le defcouuert threfor fouuent fon maiftre offence.
Par cet heur, par cet art, de celer & tacher
Que tel bien puiffe mejme à Phebus Je cacher
Qjti voit, comme il vit Mars & Venus, toute chofe,
On bannit hors d^amour tout mal qui luy fait tort,
Dol, blafme, change^ enuie, effroy, remors & mort.
Et des deux parts, Maijireffe^on double V ardeur clofe.
XXllI.
Q}iel heur, Anchife, à toy, quand Venus fur les bords
Du Simoente vint fon cœur à ton cœur ioindre !
Quel heur à toy, Paris, quand Oenone vnpeu moindre
Que Vautre, en toy berger chercha pareils accords!
Heureux te fit la Lune, Endymion, alors
Q}4e tant de nuiâsfa bouche à toy fe vint reioindre:
Tu fus, Cephale, heureux quand V amour vint époindre
L"^ Aurore fur ton veuf, & palle, & trifle corps.
Ces quatre eflans mortels des Deeffes fe veirent
Aime}( : mais leurs amours affe![ ne fe couurirent.
Au filence eji mon bien : par luy, Maiflreffe, à toy
Dans mon cœur plain, content & couuert ie n^egale
Venus, Oenone, Lune, Aurore : ny à moy
Leur Anchife, Paris, Endymion, Cephale.
AMOVRS. l3
xxnii.
le te ren grâce, Amoury & quicofiques des Dieux
Fauorife aux amans, non de la Dame acquife
'Par mqy, qui de vous Dieux deuoit eftre conquife^
Tant fa grâce & beauté fe rend digne des deux :
Non pour Vefpoir que Vay qu*elle, qui par fes yeux
Pleins de rays & de feux mon cœur fans ceffe attife, i
Pourra mieux appaifer la flamme en Vame efprife.
Pour mefme en Vappaifant V attifer encor mieux,'
Tels biensfaits enuers vous eflreignent monferuice,
O Dieux, 6 cher Amour : mais plus grand bénéfice,
Ce m'efi que vous couure:( ma flamme aux yeux de tous.
Mon heur eftre celefie & diuin ie protefle :
Si donc à tous mortels vous cache^ Vheur celefie,
A tous mortels cachet Vheur qui m'égale à vous.
XXV.
La Roche du Caucafe, oîi du vieil Promethee
L'aigle vengeur fans fin va le cœur bequetant.
Et la Roche où Sifyphe en vain va remontant
Lâchant toufiours en haut fa pierre en vain portée.
Vont à plufieurs amans, dont Vame efi tourmentée.
Ou bien fe feint de Vefire, vnfuiet apportant,
Monfirant qu'ils vont encor la peine furmontant.
Qui aux deux roches fut à ces deux arrefiee,
Moy qui ne veux point feindre vn tel mal, pour otiet
De mes yeux, pourfeul but de mon cœur, pourfuiet
De mes vers Vay la roche, oit d'vne ardeur extrême
le preten tout ainfi qu'on feroit aufommet
Du rocher efpineux, oit la vertu Ion met ;
Auffift Vy attein, Vattein la vertu mefme.
\
\
8 àmovrs.
.•».
XIIII.
faifne le verd laurier, dont Vhyuer ny la glace
N^ effacent la verdeur en tout viâorieufe,
Montrant V éternité à iamais bien keureufe
Que le temps f ny la mort ne change ny efface,
Paime du hous au/fi la toufiours verte face^
Les poignans eguillons de fa fueille%fpineufe :
faime le lierre au/fi, & Ja branche amoureufe
Qui le chef ne ou le mur eftroitement emhraffe,
Paime bien tous ces trois, qui toufiours verds reffemblent
Aux penfers immortels, qui dedans moy pajfemblent,
De toy que nuiâ & iour idolâtre Vadore :
Mais ma playe, & poinâure, & le Nœu qui me ferre,
Eft plus verte 3 & poignante, &plus ejiroit encore ^
Que n*eft le verd laurier^ ny le hous, ny le lierre.
XV.
lufqu'aux autels ie nUray feulement
Me prefenter viâime au facriflce.
Plus outre encor pour vous faire feruice
Piray, Madame, affedionnément,
le fuis à vous dédié tellement.
Que ie ne crains gefne, mort, ou fupplice :
Ce m' eft affe:{^ mais qu'yen mourant ie puiffe
Vous apporter quelque contentement.
Long temps y a que ie porte. Madame,
{Vous le fcaue^) ce dcfir en mon ame,
A tout le moins vous le deue^ fçauoir,
le fuis toufiours en cefte mefme enuie.
Et fi ne puis autre vouloir auoir
Que d"* employer en vous feruant ma vie.
AMOVRS.
♦
Qjte h'ay-ie mes efprits vn peu plus endormis^
Mon cerueau plus pefanty & Vame plus groffiere^
Pour ne fentir fi fort vne douleur meurtrière.
Qui fait que fans repos languiffant te geinis.
Mes fens fenfiblet trop ce font mes ennemis.
Qui efpoinds iûfqu^au vifd^vne douceur trop fiere
Ont perdu le repos, la liberté première.
Pour trop fentir le mal qu'en eux ils ont permis.
Si ie rCeuffe à clair veu ta grâce & ton mérite.
Mon mal feroit legier, & ma peine petite :
Maispour voir, pour cognoiftre, S fentir iufqu^au fons
Ta grâce, ta valeur, ta rigueur ennemie, -«
Mesyeux, efprits, &fens, trop clairs, trop vifs, troppr<n0s
Sont meurtriers, font tyrans, font bourreaux de ma vie.
XVII.
\Maudiray-ie, Madame, ou 4e fort euuers mojr
Cruel & inhumain, ou ma trifte auenture.
Qui fait que de tout temps miferable i'endure
Mille & mille tourmensfous V amour eufe loy ?
Maudiray-ie V amour, maudiray-ie de toy
La grâce ou la rigueur & trop douce & trop dure ?
Maudiray-ie de moy vne encline nature
Afuiure &receuoir le mal que ie reçoy?
Ha non! ie nefçaurois autre chofe maudire
Que ce mefme qu*en moy de plus rare t'admire,
Oeft mon affeâion^ ma confiance, & ma fby.
Car tout auffi foudain qu*vne maifireffe Vaime
D^vne ferme confiance, & étvn amour extrême,
Soudain le fort cruel la retire de moy.
r
/'
<*
10 AMOVRS.
XVIII.
Auec ton cher pourtraiâ, qui dans mon ame efprife
Eft mieuxpeint qu'il n'eft peint danstonprefentfi cher.
Tu fis fur le dehors tailler vn dur rocher ^
Deuife que la foy confiante a toufiours prife.
Lefioty le vent, le foudre, vn dur rocker ne hrife :
Ta foy du temps faucheur fait Vader reboucher :
Mais lors il me fallut d'autres marques chercher
Pour ma foy, qui Vacier du mefme temps mefprife,
Auec monpourtrait mefme en baffe taille doncq^
Des figures tu vis, qui ne furent adoncq^
Selon mon vray proiet par vers bien decouuertes.
Pour renfort des premiers, ces vers cy que tu lis,
Puiffent rendre enuers toy ces chojes que tu vis,
Auec ma foy, mon ame, & mon cœur, plus ouuertes.
. XIX.
Afin qu'en cet ouurage, aux faces de dehors
Selon Vart Vvne à Vautre accordante fe treuue.
D'ans deux temples diuers fe fait la double efpreuue
De deux effeâs d'aimer, plus eftroits S- plus forts.
De Pylade & d'Orefte vn débat fur leurs morts, '
Dans le temple Taurique, vn extrême foy " preuue :
. Dans le temple Troyen d^vn Chorebe f efpreuue
L^amour, qui fait fon cœur n'auoir foin de fon corps.
Ouurant V ouurage, on voit vne foy plus eftreinte,
Qui à toy par Diane en Vvn des cofte\ peinte.
Sur vn autel de Foy, quand mefme ilfeferoit
Pour elle autel de mort, iufqu^à tout eft iuree :
Et qui là fur toute autre amour fort affeuree,
De mort, & de toute autre amour triompheroit .
AMOVRS. II
XX.
Des trois fortes d'aimer la première exprimée
En ceci c'eft Pinftinâ^ qui peut le plus mouuoir
L'^hommeenuersV homme, alors que (Vvn hautain deuoir
La propre vie eft moins qu*vne autre vie aipiee.
L*autre moindre, & plus fort toutesfois enflammée,
Oefi V amour que peut plus V homme à la femme auoir,
La tierce c^efi la nofire, ayant d^vn tel pouuoir
De la femme la foy, vers la femme animée,
Qjie des deux hommes donc taiîle:( icy, les nœus
Tant forts cèdent à nous. Que fur tes ardens feus
(O amour) cet amour entier, foit encor maiftre,
L*autel mefme de mort feroit foy de ceci,
Qfte V autel de Foy monftre. A iamais donc ainji
Diane en Anne, & Anne en Diane puiffe eflre.
XXI.
le viuois, mais ie meurs, & mon cœur gouuerneur
De ces membres, fe loge autre part : ie te prie
Si tu veux que Vacheue en ce monde ma vie,
Ren le moy, ou me ren au lieu de luy ton cœur,
Ainfi tu me rendras à moy-mefme, & tel heur
Te rendra mefme à toy : ainfi Vamour qui lie
Le feul amant, lira & V amant & Vamie :
Autrement ta rigueur feroit double malheur.
Car tu perdras tous deux, moy premier qui trop faime,
Et toy qui n*aimant rien voudras haïr toymefme :
Mais, las! ft Von reproche à Vvn & Vautre vn iour
Et Vvne & Vautre faute : à moy qui trop Veflime,
A toy qui trop me hais, plus grand fera ton crime,
D^autant plus que la haine efï pire que Vamour.
12 AMOVRS.
XXII.
Qfiel humeur y mais quel crime alors qu'on fe difpence''
D*euenter les faueurs qu^on reçoit en amour :
Qu^on ouure au bruit la voye, & que (Vvn heureux tour
Moins que du bruit de V heur eftre heureux on fepenfe :
Qu*on rauityfacrilege, à V amour le Jilence,
Q}ii le garde & Vefcorte^ épiant tout autour :
L^odeur qu'au iour on met fe perd de iour en tour:
Le defcouuert threfor fouuent fon maiftre offence.
Par cet heur, par cet art, de celer & tacher
Que tel bien puijfe mefme à Phebusfe cacher
Q}ti voit, comme il vit Mars & Venus, toute chofe,
On bannit hors d'' amour tout mal qui luy fait tort,
Dol, blafme, change^ enuie, ejfroy, remors & mort.
Et des deux parts, Maiftreffe,on double V ardeur clofe.
XXllI.
Quel heur, Anchife, à toy, quand Venus fur les bords
Du Simoente vint fon cœ.ur à ton cœur ioindre!
Quel heur à toy, Paris, quand Oenone vnpeu moindre
Que Vautre, en toy berger chercha pareils accords!
Heureux te fit la Lune, Endymion^ alors
Q}ie tant de nuiâs fa bouche à toy fe vint reioindre :
Tu fus, Cephale, heureux quand V amour vint époindre
L' Aurore fur ton veuf, & palle, & trifle corps.
Ces quatre eftans mortels des Deeffes fe veirent
Aime\ : mais leurs amours affe^ ne fe couurirent.
Au filence efï mon bien : par luy, Maifireffe, à toy
Dans mon cœur plain, content & couuert ie n^ égale
Venus, Oenone, Lune, Aurore : ny à moy
Leur Anchife, Paris, Endymion, Cephale.
AMOVRS. l3
xxnii.
le te ren grâce, Amour^ & quiconques des Dieux
Fauorife aux amans, non de la Dame acquife
Par moy, qui de vous Dieux deuoit eftre conquife^
Tant /a grâce & beauté fe rend digne des deux :
Non pour Vefpoir que Vay qu^elle^ qui par fes yeux
Pleins de rays & de feux mon cœur fans cejfe attife, ^
Pourra mieux appaifer la flamme en Vame efprife,
PoMT mefme en Vappaifant Vattifer encor mieux.
Tels biensfaits enuers vous eflreignent mon feruice,
O Dieux, 6 cher Amour : mais plus grand bénéfice y
Ce nCefi que vous couure:( ma flamme aux yeux de tous.
Mom heur eftre celefte & diuin ie protefte :
Si donc à tous mortels vous cachei Vheur celefte,
A tous mortels cache^ Vheur qui m^ égale à vous.
XXV.
La Roche du Caucafe, oit du vieil Promethee
JWaigle vengeur fans fin va le coeur bequetant.
Et la Roche oit Sifyphe en vain va remontant
Lâchant toufiours en haut fa pierre en vain portée.
Vont à plufieurs amans, dont Vame eft tourmentée.
Ou bien fe feint de V eftre, vnfuiet apportant,
Monftrant qu^ils vont encor la peine furmoutant.
Qui aux dauc roches fut à ces deux arreftee.
Moy qui ne veux point feindre vn tel mal, pour oUet
De mes yeux, pourfeul but de mon cceur, pourfuiet
De mes vers tay la roche, oit d'vne ardeur extrême
Je preten tout ainfi qu'on feroit aufommet
Dm rocher efpineux, oit la vertu Ion met :
Aufftft ly attein, fattein la vertu mefme.
'l6 AMOVRS.
XXX.
Comme vn quipej^ perdu dans la foreft profonde
Loing de chemin y d^oree, & d^addreffe^ & de gens :
Comme vn qui en la mer groffe d'horribles vens,
Se voit prefque engloutir des grans vagues de Vonde :
Comme vn qui erre aux champs, lors que la nuià au monde
Rauit toute clarté, Vauois perdu long temps
Vqye, route, & lumière, & prefque auec le fens,
Perdu long temps Vobieà, oti plus mon heur fe fonde.
Mais quand on voit (ajrans ces maux fini leur tour)
Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le iour.
Ce bien prefent plus grand quefon mal on vient croire,
Moy donc qui ay tout tel en voftre abfence efté,
r oublie en reuoyant voftre heureufe clarté,
Foreft, tourmente, & nuiâ, longue, orageufe, & noire.
XXXI.
En mdn cœur, en mon chef (Vifn fource de la vie,
L'autre fiege de Vame) vn amour haut & faînd
Voftre facré pourtraiû a fi viuement peint.
Que par mort ne fera fa peinture rauie.
Car Vvne n'eftant point à la mort afferme.
Ce qui eft peint au vif dedans elle, & empreint
Au cœur dans le defir {qui ne peut eftre efteint
Sans Vame) en Vame vit, bien que le corps deuie.
Mais, las! V œil de mon corps, qui ne fe peut paffer
De voir inceffamment ce que voit fon penfer.
Fait qu'auec telle ardeur ie vous requiers tel gage.
Voftre image, de grâce, au corps ne refufe:{,
Ou bien toft par langueur fi de refus vfe:{,
Il verra Vame au ciel emporter voftre image.
AMOVRS. 17 ^
XXXIl.
Alle^j mes vers^ enfans (Vvn dueil tant ennuyeux,
Qjte mon pleur plus que l'ancre amoitift cefte carte.
Las alle:(, puis qu'il faut que mon foleilpefcarte.
Accompagne:^ la nué efpeffe de mes yeux :
Alle:(j mes pleurs fourdans d'vn cœur tant curieux
De ces beaux rais, quUlfaut qu^auecques eux il parte :
Allej( doncquesy mon cœur : Vame feroit la quarte,
Mais dans moy ce foleil veut pen feruir bien mieux.
Or puis qu*il faut que vif, en mourant, ie demeure,
- De peur que le renom d'vn fi beau feu ne meure^
Alle:{ tous trois, au moins dire iufqu'en ce lieu.
Dont le vers, Vœil, le cœur, & Vame attend fa force,
Le trifie mot, hélas J vous ne pouue:( qu^on force
Ce qui nuit, dites donc, adieu, mon dieu, adieu.
XXXIII.
H faut que pour ton may, quiconques foit celuy,
Madame^ qui plus digne en fon efprit V adore,
D^vn verd & grand laurier à ta porte il honore
Ton beau nom, tes beauté:^, tes vertus auiourd^huy,
Simon double laurier feiche.pref que d^ennuy,
Dont ce temps, dont mon fort, dont mon^aigreurdeuore
Sa verdeur & grandeur, fi croy-ie faire encore
Osi* Apollon & Mars me/me auront honneur en luy. ■
Mais il faut que cet autre en plantant ce may braue.
Ces vers ci pris de moy dedans Vefcorce il graue.
Av nom qui pour V honneur des Frasçoi&es fut tel,
Aux beaute:ç, aux vertus, de noftre temps la gloire.
Pour trois couronnes- faire à la triple vidoire,
Voué, facré, planté fut cet arbre immortel,
lodelU. — II. 2
^
• .
l8 AMOVRS.
XXXIIII.
Recherche qui voudra cet Amour qui domine,
Comme Ion dit, les Dieux, les hommes, les efprits,
Qu'on feint le premier né des Dieux, & qui a pris
Eternellement foing de cefte grand' machine :
Dont Varc, le trait, la trouffe, & la torche diuine
PPa rien que la vertu pourfon but & fon pris,
Sanspajfions, douleurs, remords, larmes & cris :
Quant à moy ie croiray que tel on Vimagine,
Et qu^au monde il n*eft point : quant mixfaulfes amorces.
De Vautre aueugle Amour t'en dépite les forces.
Mais ie croyfi Amour aucun nous vient des deux,
Oejl lors que deux moitié:^ par mariage vnies.
Quittent pour Vamour vray dont Je paijfent leurs vies.
Tout amour fantaftique, & tout amour fans yeux.
XXXV.
Pourrois-ie voir Vheureufe & fatale iournee^
Où deux âmes, deux coeurs, & deux corps enlacej^
Dans le beau ret d^ amour fe verront careffe\.
Egalement tous deux du doux bien d^Hy menée :
Lors qu'ejlant auec Anne, Antoinete enchaînée.
Tous nos efprits feront Vvn de Vautre embraffe^,
Et mefle^ Vvn dans Vautre, & fans efïre laffe:{,
De cognoiftre Vautre ame eflre pour Vautre née ?
Plus tofl que ce doux bien m^ejfchape hors des mains,
Et qu^amour & les Dieux me foient tant inhumains,
le dejire, 6 Amour, que tu changes ta flèche
A celle de la Mort, à fin de m"* en tuer :
Mais, fi tu^fais ce bien, que pour perpétuer
Ton fait, iamais la Mort n*y puiffe faire brèche.
AMOVRS. 19
XXXVI.
Tout cet hiuer pat: Vafpre & Vaigre véhémence '
De longue maladie, a fur moy tempefté
Plus que fur vn vaiffeau dans la mer tormenté,
N*euft fait fon orageufe & froide violence.
Mais de mes maux le pire eftoit la dure abfence
De mon foleil, fans qui ie hairois la clarté
De Vautre, qui m'ayant fon Printemps pr^enté.
De ma Dame me rend quanta quant laprèfence.
Mais comme de Vhiuer la queue on voit durer,
Lç Printemps fait mon corps auffi bien endurer
Q^e Vhiuer, & le ciel de mes maux nefe laffe.
Or fi ma faute, helas! faite en mon longfeiour,
De ne voir mon foleil le rend trouble au retour,
Mon malheur du Printemps mes maux de Vhiuer paffe.
/
XXXVII.
Sans pleurer (car ie hay la couftumiere feinte
De nos amans, qui n^ont que leurs pleurs pour fuiet)
D^vn cœur ardent, dolent, deuot, fournis, abiet,
le me iette aux fainâs pie:{ detoy, maiftreffe fainde :
La feinte n'a mon ame à tel ade contrainte,
Tel efprit ne peut eftre à la feinte fuiet :
Mais ia depuis cinq mois Vay toufiours pour obiet
Ma faute, qui feft mefme à telle amende eftreinte. -
Pardonne donc, Deeffe, accufe mon malheur,
Non pas moy, dont le ciel ialoux empefche Vheur .•
Si tu dis mes malheurs chaffer ta bien-vueillance,
Veu qu'ion ne doit Vamantfi malheureux aimer,
Vien ton cœur pour mon bien contre mon mal armer ;
Pauray du bien le comble, & du mal la vengeance.
20 AMOVRS.
XXXVIII.
Qjiand ton nom ie veux fsindre, 6 Françoife diuine,
Des Françoifes V honneur, iepuis bien te nommer
Venus pour tes heaute^^ mais ta façon d* aimer
Ne conuient point au nom de Venus la marine :
De VAttique Pallas ta vois & ta doârine
Mérite encor le nom, mais tu ne veux Varmer^
Fors de§ rais de tes yeux, dont tu viens enflammer
Dans mon cerueau monfens, moncœur dans ma poitrine :
Diane Delienne vn prefque pareil port
Te peut faire appeller, mais V aigre ou le doux fort
Deffous le ioug d'Hymen dés long temps te rend férue,
le veux {laiffant aux Grecs, dont ces noms font venus.
Leurs Deeffes) te dire & Françoife Venus,
Et Françoife Diane, & Françoife Minerue.
XXXIX.
Admirant ta blancheur, beauté, maieflé, gloire,
Qui fur ton front placée, orgueilUt tout ton port.
Et ce qui de Vefprit comme vn oracle fort,
Car c'efï vn Dieu renclos qui t^eut ce corps dHuoire,
Digne de te feruir ie ne me fçaurois croire,
Euffé-ie vn cœur*plus haut & tout vn autre fort.
Et mon corps logeafl il pour te venger de mort.
Quelque grand Mufe fille & mère de Mémoire»
Comme de te feruir indigne ie me fens,
le fens pour te louer incapables mes fens,
Si faut-il que ie Vaime, & faut que ie te chante.
Ta faueur, qui fera mon humbleffe hauffer.
Ta deité qui fait mon efprit renforcer.
Rend mon feruice digne, & ma Mufe puiffante.
ÀMOVRS. 21
XL.
De moy-mefme iefuis deuotieux, Madame,
Oeft d^où me vient vers toy telle adoration :
Mais ce fainâ iour requiert autre deuotion,
Si mon amour pour toy n'occupoit toute Vame,
Ce prompt Dcemon qui voit que mon :çele Venflame,
Baifant la croix, oyant la fain&e paffion,
De fa flamme ialoux, vient par tentation
Mon efprit retirer de Vautre fainâe flame,
n m^offre helasl la croix quHl me faudroit porter,
Si tu me viens ta grâce & ta prefence ofter.
Me faifant de ton ciel redefcendre en la terre,
la la peur, mon tyran, crucifier me veult.
Et ma croix enferrer dans vn enfer me peult.
Au lieu que Vautre croix hors d^ enfer nous defferre.
XLI.
Sapphon la doâe Grecque, à qui Phaon vint plaire.
Chantant f es feus, de Mufe acquefta lefumom :
Corinne vraye ou faulfe aux vers a pris renom.
Dont le Romain Ouide a voulu la pourtraire.
Pétrarque Italien, pour vn Phebus fe faire.
De Vimmortel laurier alla choifir le nom :
Nofire Ronfard François ne tafche auffifinon
Par V amour de Caffandre vn Phebus contrefaire.
Si tu daignes m^ aimer. Délie, fi tu veux
Chanter ta fiamme ainfi que dode tu le peux.
Si ie chante. Délie, vn pris nous pourrons prendre,
En hauteffe d^amour, en ardeur & en art,
Sur Sapphon, fur Ouide, & Pétrarque, & Ronfard,
Sur Phaon, & Corinne, & fur Laure, & Caffandre.
23 AMOVRS.
XLII.
le me trouue & me pers, ie m'affeure & nCeffroye^
En ma mort ie reui^ ie voy fans penfer voir.
Car tu as d* éclairer & d'obfcurcir pouuoU^
Mais tout orage noir de rouge éclair flamboyé.
Mon front qui cache & monftre auec trifteffe, ioye,
Lefilence parlant^ Vignorance au fçauoir,
Tefmoignent mon hautain & mon humble deuoir,
\ Tel eft tout cœur, qu*e/poir & defefpoir guerroyé.
Fier en ma honte & plein de friffon chaloureux,
Blafmant flouant, fuyant, cherchant V art amoureux,
Demi-brut f demi-dieu ie fuis deuant ta face,
Qjiand d^vn œil fauorable & rigoureux, ie croy.
Au retour tu me vois, moy las! qui ne fuis moy :
O clair-voyant aueugle, 6 amour, flamme & glace!
XLIIl.
le ne fuis de ceux la que tu m'as dit fe plaindre.
Que leur Dame iamais ne leur donna martel :
Veu Vame véhémente, vn dur martel m'ejî tel,
QuHlpeut plus à la mort qu^à V amour me contraindre.
SHl peult doncques Vamour auec ma vie ejîeindre,
En tout amour ie chaffe vn poifon fi mortel :
Puis ayant mon fuiet haut, celefie, immortel.
Humble & petit, pourrois-ie en moy tel mal empraindre?
Mais las ! d^auoir peur d^efire en ton cœur effacé.
Craindre qu^vn Delta double en chiffi-e entrelacé,
Ne f oit plus pour mon nom, craindre qu^en ton abfence
Tu ne me faces plus tes lettres receuoir.
Ce n^ eft pas vn martel, c^eft d'amour le deuoir^
Qui monftre en froide peur V ardente reuerence.
AMOVRS. 23
XLIIII.
Aux communes douleurs qui poindre en ce iour viennent
Tous cœurs chre/Hens, Pétrarque alla chanter quUlprint
De fes douleurs la fource^ & par là nous aprint
Que les ruj^es d^amour dépourueus nous furprennent.
En ce iour où les deux, la mort, les pleurs, retiennent
Nos cœurs ardents, quel lieu refte au feu quiVéprint?
n ne fe gardoit pas du laqs qui le furprint,
Non plus que moy des rets qui plus forts me reprennent.
Bien qu'amour fçache ajfe:{ quHl efien moy trop fort,
Pour croiftre du tourment, non du dejîr Peffort^
n arme la peur froide, & V aigre deffîance.
Pétrarque à Vheure eufl peu perdre fans grand* douleur
L*heur incogneu : ma perte auroit, las! ce malheur,
D^auoir de Vheur perdu fi, haute cognoiffance.
XLV.
Par quel fort, par quel art, pourrois-ie à ton cœur rendre
Au moins fil peut vers moy f engourdir de froideur,
Cefte viue, gentille, & vertueufe ardeur
Qjii vint pour moy foudain, de foy-mef me f éprendre.
Et quoy ? la pourrois tu comme au parauant prendre
Pour fatale rencontre, & parlant en rondeur
D^efprit, comme ie croy, la iuger pour grand heur,
Qjiiplus à ton efprit contentement engendre.
Tel que ie m'en fentois, indigne ie m'en fens,
Mais de tafoy ma foyfaccroift auec le tems,
Qfiel moyen donc? fi c^efi par grandeurs, ie le quitte :
. Si par armes & gloire^ au haut cœur nos malheurs
S*oppofent : fi par vers, tu as des vers meilleurs :
Ton hault iugement peut fauuer fettl mon mérite.
24 AMOVRS.
XLVI.
Chaque temple en ce iour donne argument fart ample
De ioye, refaifant fan haut fafie fanjsker.
Et cPvn chant gay fan chœur & fa nefrefanner^
Où chafaue image à nu découuerte on contemple. ^
En Veglife te pren de Veglifa Vexemple,
le veux le dueil, la peur, la peine abandonner^
Et en blancheur faudam telle noirceur tourner.
Si ie te puis fans robe adorer dans ton temple.
Le grand iour de dewiain difpqfé d^eftre beau.
Peut auec vn Printemps me tirer du tombeau,
Si de vaincre ma mort tu prensfaudaine enuie ;.
Je diray, fans vouloir rien à Dieu comparer,
Qjiefil peut reuiuant nos vies réparer.
Remuant par toymefaie, à toy ie rendray vie.
XLVII.
En tous maux que peut faire vn amoureux orage
Pleuuoir deffus ma tefte, il me plaift d^affeurer
Etfarener monfi'ont, & fans deuil mefarer
De Vame Vallegrejfe à celle du vifage.
Ta fille tendrelette admirable en cet âge
Oit elle tette encor, vient tes coups endurer
Sur fes petites mains, fans crier y fans pleurer.
Sans frayeur, fans aigrir vifage ny courage.
Pour te baifer fan col alonger tu luy vois
A chaque coup de buft qu' elle fant far fas dois,
Quand mauuaifa tu fais vn ieu de luy mal faire.
De gefte tout pareil, quand tu viendras vfar
De rudeffe enuers moy, ie veux tes mains baifar,
Si vn baifar meilleur au moins ne te vient plaire.
AMOVRS. 2:)
CHAPITRE DE L'AMOVR.
Amour qui quelquesjbis emportes fur tes ai/les
Mainte ame viue, & haute, & d^vn inftint celefle
L^empliffanty luy fais voir les chofes les plus belles :
Quand la guidant dans Vair, dans le ciel, dans le refle
De ce grand monde vni par ta fainâe harmonie,
Que le temps ne corrompt, ny change ny moîefle*,
Luy monftres ce qu'en tout ta fainâe main manie
iy amoureux entretien, tirant de la difcorde
De tout, la paix qui eft par Vamour feule vnie :
Et fais voir que par toy tout cela qui n'accorde
EnfemblCffe recherche, & deffous ta puiffance
Se méfie, & fe méfiant engendre par concorde :
Et voir qû*ainfi c*eft toy qui donnes toute effence,
Toutmouuementj tout cours, comme eflant la grand* ame
Du grand Tout maintenu par durable alliance :
Que c^eft toyfeulpar qui reluit, tourne, &f enflamme,
Tout rond, & feu celefle, & que fous les deux mefme
La terre fe maintient^ Vonde. Vair, & la flamme :
Que de toyfeul dépend toute baffe &fupreme
Ame, vie, & vigueur, & croiffance^ & durée :
Car rien ne dure en rien, que d'autant qu'ilfentr''aime,
Et dés lors que ta force amoureufe infpiree
Dans quelque chofe, en fort par difcord ton contraire,
Soudain fon efïre & forme efl d'elle retirée :
Tu fais donc voir alors que Ion ne peut forfaire,
Qjtand fous ton nom d* amour noflre ame vient entendre
Cefeul grand Dieu qui peut par vnion tout faire :
Qjii àfes œuures fait tout tel entretien prendre
QuHllui plaift, & autant qu*en eux cet Amour dure,
Qfii efi en tout, & mefme enfoypeut tout comprendre.
Voila cela que peut telle ame viue & pure.
Hautaine^ & fur ton vol hautain plus haut rauie,
Cognoiflre en ta plus haulte & plus fainâe nature :
2*
26 AMOVRS.
Tefaifant celuy feul par qui defajferuie
Fut la confufion, qui empefchoit le monde
D'auoir en fon Chaos forme^ ornement & vie.
Ou fi auant le ciel, & cette terre ronde
Rien n^efioitj cefu^lors V amour d*vn tel ouurage
Qui fit faire de rien ce qui en tout abonde.
Cet amour nous filit naifire, accroift, nourrifi, foulage,
Par maifonSf par cite^y par peuples nous allie,
Conferuant tout cela qu'il feit pour noftre vfage.
Cet amour m'efmement à foymefme nous lie :
Et fi le faux Difcord de luy nous vient diftraire^
A foy doux & benin^ il nous reconcilie.
V antiquité fafceu coti^uertement pourtraire
Pour tel Dieu, te fa\fant du Chaos premier naifire,
Que tu creuas, domtant Difcord ton aduerfaire.
Ce que par tes noms mefme on veut faire cognoiftre,
T^appellant premier^né des Dieux, forme & idée
Souueraine de tout, & Veftre de tout eftre,
Par qui fut toute chofe en ordonnant guidée
En fon lieu le plus propre^ & par force amoweufe ,
Sans que rien reftaft vc^ Vvne de Vautre aidée
Tu es de tout kt-Jburce & Vorigine heureufe,
L*vnité, le principe vniq* de la machine.
Et de tous f es effeâs la caufe plantureufe,
Son effence cinquième, & fa chaifne diuine,
Qui tout embraffe & tient, reftaurateur des chofes
Que la vifficitude en les changeant termine.
Dejfous maints autres noms font tes puiffances clofes.
Que telle ame rauie en toy trouue en toymefme.
Contemplant les fecrets qu^àfes yeux tu propofes.
Mais la mienne ne veut deffus ton vol fupr^me
Ores fi haultement tefuiure: tu la fiches
Ça bas fur vn obieâ en rarite^ extrême :
Et bien que ce ne fait qu^vn feul de tes plus riches
Effeâs, vnfeul fubieâ de ta vertu plus ample
En qui de tous tes dons tes mains n'ont efté chiche s,
De toy vnfeul chefd^œuure, vn feul petit exemple
De tout ce que tu peux infiniment, fi efi-ce
AMOVRS. 27
Que ton los en cela plus qu^en rien Je contemple.
Et moy ie recognoy dans fi haute deejfe.
Qui eft Vœuure & fuieâ oit mon ame/e range ^
Et de tes rarite:( la rarité maifireffe^
le ne/çay quoy tant beau, tant diuin, tant efirange^
Qu*auecques toy, ie croy, ie fuis forcé la dire,
Le mieux de tout ton mieux, le plus de ta louange.
Il ne faut donc qu^au ciel ton vol ailé me tire,
Pourvoir rien de plus grand : ievoy la chofe en terre,
En qui auecques toy ton ciel courbé fe mire,
le voy ça bas la chofe en qui le plus p enferre
Ton threfor le plus cher, & qu^expre^ voulus faire ,
Pour plus à ton faind ioug de grands âmes acqiierre.
Tu Vas faiâe, ie croy, comme pour fanâuaire,
Pour retraite & palais où le plus tu feiournes,
Pour à toy les grands cœurs par telle organe attraire:
Car en tous les beaux dons^ dont fi bien tu Vatournes,
Amour & deitéfe retrouuent enfemble,
Tefmoignansque toy. Dieu, peu fouuent fen deftournes.
Si ie veux raconter chafque don, qui paffemble
Enfonfeul chef diuin, ie ne fuis, pour defcrire
Ce beau poil feulement, capable ce me femble :
Ce poil diuin, tCeft tel que Ion le puiffe dire
D'or, ou d^ebene, encor que fur vne albaftrine
Blancheur, Vebene, & l'or des cheueux on admire :
Mais tel que iuftement Vvne & Vautre diuine
Cheueleure, foit celle excellemment dorée,
Qjie du chef d'Apollon on feint Vornement digne :
Ou foit celle qu^on donne à Venus Cytheree,
Luy cédant en beauté, qui rendroit bien captiue
Defes beaux nœus d^vn Dieu Vame plus affeuree.
Ce beau poil couronnant cefte blancheur natfue
Defes tortis mefle:^, d*vne crefpe frifeure.
Et Voreille ombrageant, tant mignarde & tant viue,
Empeftre en foy les cœurs, qui de telle Heure
Sentent accompagner deux maux qui les attaignent,
Qui font defes beaux yeux la bleffure & bruflure :
Ces liens précieux fi fortement eftreignent,
28 AMOVRS.
L^œil naure,& ard fi fort, quenceusyplayes & fiâmes^
Se rompent peu fouuent, fe guenffent, pefteignent.
Œil, œil, leplusbelœil, qu'eurent oncques les Dames,
Qui comme vn fer ardant (car de V amour les flèches
Portent & fer & feu) nous perces & enflammes :
Bien que le coup, Vardeur, les amoureufes mèches.
Nous tourmentent, tuviens pourtant nos cœur s contraindre
De te laijfer fans fin renouueller tes brèches.
Car auec telplaifir tu nous viens ardre & poindre.
Que quand gi'os, grand, brillant, ray onneux, plein de fier e
Douceur, dardant Vefpoir, & la crainte non moindre.
Tu tournes, & répans dejfus nous ta lumierç,
Tufembles nous ouurir tout vn ciel, auffi eftr-ce
Vn cieL efiant d^vn Dieu retraite couftumiere.
La vouffe de ce ciel, vers qui nofire œil fe drejfe
Tout efblouy de voir cefte torche iumelle.
Qui fain&ement fe fait dç nosfens charmereffe,
Se décore à Ventour de Varcure tant belle
D^vn fourcil délié, portant rigueur & grâce,
CommeJirant des traits for tans des yeux dHcelle.
Diray-ie vn front ferain deffus lequel fe place
La maiefté hautaine, vn teint qui de Vaurore
Et de Phebe les teints mefle!( enfemble efface?
Vn ne:( de beau pourfil, mefme vne bouche encore.
Petite & coraline, & par qui Vame toute
Au parler, au chanter, au baiferfe deuore?
Car quant à Vvn des trois, diuine elle fe boute,
Le mufc, le miel coulant, & l'harmonie efirange
Se fait, quand on la touche j ou foit que Von Vefcoute :
Dedans elle des dents le double rang fe range,
Qui blanches feroient honte à Valbafire, à Viuoire,
Et claires ofieroient aux perles leur louange.
Ce braue chef celefte, enuironné de gloire,
De Grâces, & d* Amours, & qui nous efpouuante
De i-ais, d^efclairs, de foudre, à fes amans notoire.
Et porté ^ fur f on col, femblable à Vexcellente
Colomne, droiâe, ronde, albafirine & polie.
Sur qui vn chapiteau^ riche & orné fe plante?
AMOVRS. 29
Cefte gorge de marbre affe:{ graffe & vnie^
Se flanque <Pvne double &raide montaignette,
Dont V amour pour deffence a la place munie.
Toute force approchant dé la force fecrette
De ces deux ronds, fe fent pouffée & reculée
^ifort, qu'elle f en rend & confufe, & muette.
Q}te diray-ie du refte? ha grand beauté voilée,
Qjte Vefprit par le refte imagine & regarde.
Mais las! qui eft aux yeux par trop long temps celée.
De defcrire & chanter par mes vers ie n^ay garde
Celai car V honneur me/me y mettant couuerture.
Ne permet qu^â Vofter noftre voix fe has^arde:
le diray feulement, que toute laftruâure
De ce beau corps parfaid, eft en port & en taille
Tant admirable aux Dieux, que rare en la nature.
Ce corps encloft vne ame : Ha Dieu fault il que Vaille
Auec toyfurton vol. Amour, ou bien fur Vaile
De cefte ame, tant hault que du corps il ne chaille ?
Fault il aller cercher la grand* caufe éternelle
D^vn tel efprit, tiré du pur de la fubftance,
Sur quife formeroit toute forme plus belle?
Contre ce mien deffein, contre ton ordonnance.
Sur ce chant me fault il laiffer la terre baffe,
Pour voir le plus parfait de tafainâe puijfance^
Toutes perfeâions que cet efprit embrajfe.
Tant d?inftinâs, grâces, dons, quidetoyluyprouiennent
Font, comme on dit, voiler d^Agamemnon la face *^.
Tout eft inexprimable, il fault que tes mains tiennent
La bride à ce haut vol, m^arreftant fur la chofe
Terrefhre, qui pourtant (affermer ie te Vofe)
Ne cède à rien de tout ce que les çieux contiennent.
30 AMOVRS.
CHAPITRE D'AMOVR.
ie croy lors que noftre ame eft'au ioug afferme
D'vne beauté farouche, &fuperbe, & rebelle,
Qu'amour de mille morts tourmente nojire vie.
Je croy celuy-laferf d^vne peine éternelle,
Qui ferf d'vne maijïreffe inconfiante & voilage^
Ne peut ny la lier nyfe deflier d'elle.
le croy qu'amour fait naiftre encores plus grand^ rage
Dans Vefprit, qui ialoux d'vne beauté èonquife,
Fait au milieu du port luy mefmes fon naufrage.
le croy le mal que fent Vvne & Vautre ame efprife^
Qjdand on ne peut trouuer Voccafion fuyante.
Qui tant plus eftfuiuie & moins peut eflre prife.
Je croy le mal que fent toute ame violente,
Lors que de fa moitié par force fe retire^
Se repaiffant de pleurs, & de fonge, & d'attente»
Mais ie croy mieux encor que c'efiplus grand martyre
D'aimer, & de penfer l'amitié mutuelle,
Sans que les deux amans ofent fe Vent redire.
le croy certainement cejte ardeur efïre telle.
Que le feu qui fans air fe cache fous Vefcorce,
Confommant prefque V arbre auant qu'il ejiincelle :
Ou bien comme la glace, alors que plus péforce
L'hiuer de retenir le cours d'vne riuiere,
Fait perdre au fil de Veau fon apport & fa force,
Celuy-là qui glaffantfa liberté première.
Et qui craintif dans foy fon defir emprifonne.
Perd auec fon efpoir fa force couflumiere.
Tous ces deux font en moy, Vamour le feu me donne ^
La peur tous mes efprits engourdit de fa glace,
Et fens deux ennemis régner en ma perfonne.
L'vn graue. en moi ton nom. Vautre ton nom efface :
L'vn me fert d'efperon, Vautre me fert de bride :
>
AMOVRS. 3l
L^vn me volte dans Vair, & Vautre me terrajfè.
L^vn me dit que Vamour ainfi que moy te guide :
L^autre me dit que non, & tous deux entretiennent^
Bien quHls /oient ennemis, Vefpoir mon homicide.
Par Vvn le plus fouuent les parolles me viennent
lufqWau bord de la^langue^S' par Vautre au contraire
Mon bon heur & ma vois prifonniers fe retiennent.
O malheureufe peur, qui feule peux dijlraire
Le cœur des bas humains des entreprifes hautes,
Monftrant que V homme feul rien de bon ne peut faire,
Oejk toy qui vas guidant nos defirs & nos fautes,
Quipourfuiuant Vorgueil d*vne immortelle guerre.
Et le vouloir enfemble, & le pouuoir nous ojles :
Oefi toy qui fais fentir que nousfommes de terre,
Oeft toy dont le brandon, le fléau & la tenaille,
L^ame des criminels brufle, affomme & enferre,
Cefitoy dont le venin court d^ entraille en entraille.
Et qui de peur qu^on entre en lumière & mémoire,
Nous fers incejfamment d^vne horrible muraille.
Mais helasl fi tu veux rabaiffer toute gloire,
Pourquoy eft-ce. que tant à Vamour tu fataches,
Veu que V humilité des amans fejl notoire?
Il faut que feulement tes fureurs tu delafches
Sur le vice, & non pas fur la fainâe puijfance
D^ amour f qui n^ entra oncau cœur des hommes lafches**.
Amour efi vertueux, diuine efifon effence,
Effence qui fe fait de toute effence mère :
Car amour efl de tout Veternelle alliance-
Amour de ce grand Tout fe peut dire le père,
Vame, le gond, Vappuy, Ventretien & la vie,
Qjii tout par la Difcorde accordante tempère.
Amour tous f es effeûs diuerfement allie.
Amour efi le plaifir defes cauf es fécondes,
Soit que Ion aime bien, foit qu^on aime en folie.
Amour darde fes traiâs iufqu*au plus creus des ondes,
H balance fon vol deffus le vol des nues.
Et fe fait mefme craindre aux abyf mes profondes .
Si donc mes volonté:^ ne font de nul cogneuês,
t
32 AMOVRS.
Si les affeâions que maintenant Pembraffe^
Me font plus toftpour bien que pour vn mal venues y
Qui fera celuy-la qui prendra cejle audace
De nCaccufer d^ aimer, & pourquoy la peur mefme
Me renuerfera elle au milieu de la place?
Arrière, arrière, peur, furie maigre & blefme
Defiourne toy de moy, laiffe moy V amour fuiure,
Puis qu^ amour mon obiet eji de tous biens V extrême.
le veux aimer ma Dame, en elle ie veux viure.
Et luy ouure mon cœur auecques ma parole :
Tel amour ne peut-il de crime ejire deliure?
le veux que cefle voix iufques vers elle vole y
La peur pen efï fuye, & fi veux qu^ elle fente
Qji^vn amour vertueux folaftrement m^ affole.
Et fi quelque hargneux après p en mef contente,
Difant, que fi Vamour eftoit honnejte & bonne.
Que la peur fi long temps ne m^euft eftéprefente,
Il fault que feulement ref ponce ie luy donne,
Qjt^on voit le plus fouuent telle langue & enuie
En chemin vertueux de/tourner la perfonne.
Et toy, Dame, ie croy parauant afferme
A la peur, comme moy, fuy telle hardieffe.
Comme tu peux long temps ma peur auoirfuiuie.
Car ie croy qu^^en aimant vne telle maiftreffe.
Faudra qu' enuie cède à f es vertus treffainûes.
Comme a faiâ à Vamour la peur enchantereffe.
Et lors qu'en nous feront fes flammes bien empreintes,
Nous nous rirons de ceux qui en diuerfe mine
Portent leurs paffions fur leurs vifages peintes :
Et fur le haure affis aux flots de la marine.
Nous verrons le reffus, le tort, la ialou^ie,
Vattente, les regrets dédaigneux de leur vie.,
Bayer après le bien de cefte amour diuine.
AMOVRS. 33
\
CHANSON
POVR LE SEIGNEVR DE BRVNEL.
L^efprii auquel les Dieux, & la Nature,
L*aftre bénin, lafage nourriture,
L^art, & V expérience
Ont fait tant <Vheur, que fon dejir fupréme
Recherche en tout la perfeâion me/me,
De qui tient fon effence :
Bien qu'en fon chois tantofl il fe propofe
Pour obiet Vvne, & tantofl Vautre chofe,
Variable en fon change,
(Comme de tout le cours efi variable)
H efl pourtant en fon but immuable.
Et iamais nefy change,
C'eflfonfeul but que d^ aimer, & de fuiure
L^obiet parfait, & en luy touiours viure,
Tant quepatfait il dure:
Mais quand V obiet fe change auecques Vage,
De changer lors ce n^eft de luy Voutrage,
Mais fefl du temps Viniure,
le ne veux point prendre tant d'arrogance,
Q}$e de vouloir que parfait on me penfe :
Mais il faut que ie die,
, Que rien ne peut, fors la chofe parfaite,
.. Ny me rauir, ny rendre au ioug fuiette
Ma raifon & ma vie,
Celuy qui fçait Varchiteâure antique i
Corinthienne, Ionique, Dorique,
Auffi toft quHl decœuure
Quelque Palais où Vordre & oii la grâce
Eftoffencee, auffi toft ilfe laffe
Du regard d'vn tel œuure :
lodtlU. — II. ^
34 AMOVRS.
Et quand le temps rauiffeur, qui deuore
Tout œuure beau, nous laiffe voir encore
Dedans quelque ruine
La beauté grande^ & Part d*vn édifice y
Qui par les traits de quelque frontifpice
Tout entier fe deuine :
On iuge bien pour lors que chofe telle
Durant fon temps fut parfaitement belle :
Mais quant à la demeure^
Nul en ce lieu ne peut choifir fon aife^
Et n'y a nul à qui tout ce lieu plaife,
Si ce n^efi pour vne heure,
Celuy quifçait Varchiteâure vraye
De ceft amour ^ que ma loy veut que i^aye,
Du défaut fe retire :
Et quand il voit des chofes les mieux nées
Par tant de temps de grâces ruinées,
Sans aimer il admire.
Il fçait fort bien recognoiftre vne Dame,
Soit quant au corps, foi mefme quant à Vame,
Quelle les Dieux Vont faite :
Je fçay encor les fautes mieux cognoiftre,
Ven ay Vidée, & fçay ce quÙlfaut eftre
Auant qu* eftre parfaite,
Viuant toufiours en la confiance vraye
De n^aimer rien, que parauant ie n*aye
Des perfedions preuue,
le fçay choifir, ou bien reietter celle.
Qui efi parfaite, ou vulgairement belle,
Sans que pris ie me treuue.
Ayant choifi, moy-mefme me viens rendre,
Et en prenant moy-mefme me fens prendre
Si fort, que Vame mienne,
Ayant trouué le bien qu^elle defire.
Ayant atteint le but où elle tire,
Se fait férue à lafienne.
Tout autant vit Vaffeâion extrême
Dans moy, que vit la perfeétion mefme
AMOVRS. 35
Mais auec la ruine,
Tant des beauté:^, qui tout le corps décorent y
Que des beauté^, qui tout Vefprit honorent,
VaffedioH décline,
le ne fay plus que remarquer les traces,
Où Vauoy veu parauant tant de grâces.
Et louant tout Vouurage,
le fuis marri que noftre grand^ ouuriere
Ne fait durer la beauté iournaliere
Contre Veffort de Vage.
Paccufe encor la celefte ordonnance,
D*auoir comblé d^vne telle abondance
Et ce corps, & cefte ame,
Pour tout foudain fes biens faits en retraire
Et leur laiffer feulement au contraire
Le regret & le blafme.
Lors en gardant ma confiance première,
le fors de là pour ietter ma lumière
Sus quelque autre excellence :
Car de vouloir tant feulement pour vne
Garder en moy la confiance commune.
Ce feroit inconfiance.
Lors que premier de moy tu fus choifie,
Tu enflambois le ciel de ialoufîe.
Tant tu eflois parfaite :
Alors tu fus digne obiet de mon ame.
Puis que le Ciel ne veut qu^ellepenfiame
D*vne chofe imparfaite.
Mais maintenant que Ion voit inconfiante
Cefle beauté, & qu^on voit permanente ,
Dans moy la braue chaffe.
Dont ie pourfui toufiours vn bien fupreme,
Change auec moy en accufant toymefme.
Le coeur comme la face.
Tel fans raifon le plusfouuent accufe,
Qui a beaucoup plus de befoin d^excufe :
M^ accufant de la forte
Tu dois penfer puis que mon ardeur viue
36 AMOVRS.
S'étend, qu'il faut que mon mal qui arriue.
De toy^ non de moy forte,
SHlfort de toy, tu es feule coulpable,
Et moy ie rejte encore plus louable
D'auoir telle confiance.
Que mon amour, qui fut vers toy fi grande.
Sur Vautre amour, qui fans fin me commande,
N^a point eu de puiffance,
Toy donc au lieu defouffrir quelque peine.
Soit du regret de cefte beauté vaine.
Soit de moy qui fe change,
Reiouy^toy d*auoir efiéferuie^
D'amy parfait, puis que toute fa vie
Au feul parfait fe range.
Et V enrôlant au nombre des parfaites,
Moque toy lors de tes beautés^ défaites
Ainfi que de fumées :
Et croy que Dieu toutes beauté^ volages
Euftfait durer, pu vouloit qu*en tous âges
Nous vous euffions aimées.
Car, quoy qu'on die, il faut que Ion confeffe.
Que quand on met Vamour en fa maiftreffe,
La beauté le fait faire :
Si la beauté de fon fuiet feftrange.
Il faut qu'amour auec Vobietfe change,
Oefl chofe neceffaire.
Et quand quelqu^vn de fa maiftreffe agee,
Ne veult enfoy voir la flamme changée
lufqu^à lafepulture.
Il n'en faut pas vne confiance faire :
Oefi pobfiiner, &fe rendre contraire
Aux loix de la Nature,
Et fi tu dis que ie f aimais à l'heure
Four le feul corps, & queji^amour meilleure
Ne fe voit fi légère y
le le veux bien : Mais fil faut que ie t'aime
D'efprit, encor ie faimeray de mefme
Que Vaimeroy ma mère.
AMOVRS. 37
Mefmes encor {qui eft-ce qui V ignore?)
Leur âge vieil, qui les femmes dedore
Tout ainji qu^vne image^
Leur ofte auffi de Vefprit Vallegrejfe :
Appelle donc Vamour vers la vieilleffe^
Aueuglementf & rage.
Si tu me dis que tout ce difcours monftre.
Que ie fay cas de la feule rencontre
Sans en aimer pas vne,
Veu que iamais on ne vit en ce monde
Rien de parfait,^ & veu que là ie fonde
Cefte amour non commune :
Penten d'autant que Vhomme on peut cognoiflre,
Penten Sautant que parfaite peut eflre
Noflre ejfence mortelle.
Autant queftoit parfaite en tout la tienne,
Et autant qu^efl parfaite encor la mienne,
Aimant d^vne amour telle.
AVTRE CHAPITRE D'AMOVR.
Qjiand en efpoir &peur par les vers que ie chante.
Par ma parole encore enuers toy plus hardie.
Et par Vame en toy feule & viuante & mourante.
Par tous tefmoins de Vame, ardente & engourdie,
A qui V efpoir douteux fert de flamme & de glace,
Et parferuice autant long & cher que ma vie,
Pauray monfïré Vamour qui, peint dejfus la face,
Segrdue au cœur, fepand dans les os, dans les veines.
Et repos & raifon hors de mes efprits clUhffe :
Si alors toy, peut eflre, impiteufe à mes peines,
{Ce que le ciel ne vueille) accufois de folie
40 AMOVRS.
4
Tant qu^ en celdy qui n^eji que deminoftrey dure
L'amour par le dejir, qui d'autant renouuelle
Sa force y que luy fait V empefchement d'iniure.
Ainjî doncques V amour fefait perpétuelle y
Qui ejl pénible & libre, & non plaine & contrainte :
Car toujiours nouueauté fe fait conipaigne d^elle*
Mais aux amours bride:{ lors que Von fent ejieinte
Auecle tempslafoify cela qu'on y peut prendre
N^efl pasplaijîry mais bien acquit de Vame ejlreinte.
Outre Vamour qui vient doucement nous efprendrCy
Sans tels liens de fer y n'a point maint & maint trouble y
Par qui les feux d'' Hymen fe reduifent en cendre :
Comme efi le dur fouci, qui de iour en iour double
Débats, controublemens , hargnesy & ialoufiesy
Dont telle amour contraint fe regefne & retrouble :
Puis les deux âmes font d'humeurs diuers faiftes
Souuent : car VAndrogyne eft toufiours feparee.
Et de nous nos moitié:^ font peu fouuent choijtes.
La moitié quelquesfois autre part égarée
Defon autre moitié fans y penfer fe treuuCy
Et lors Vvne efl de Vautre ardemment defiree,
Qjte danc eft malheureufCy ainfi comme ie preuue,
L^ humaine loy par V homme aueuglément forgée,
Qui de foy aduerfaire & bourrelle fefpreuue :
Voulant non feulement rendre Vame rangée
A vnfeul iou g, fouuent fans defir nefansflame,
Ains dedans mefme foffe à tout iamais plongée.
Cruelle nous armant contre chacune Dame,
Des efpritSy Nouueauté, Beauté, Grâce, Plaifance,
Et dans Vame tuant ce qui plus nourrit Vame :
Voulant forcer des deux toute gaye influance,
Et de tous yeux plus beaux la force plus celefte.
Et de ce Dieu puiffant fur les Dieux la puiffance :
Forçant Nature à qui le temps rend tout molefte.
Si la diuerfité touftours ne la foulage,
Mefme vn grand bien quifoitfeul & long,fe detefte :
Forçant mefme le temps dont le change volage
Force tout à changer, & voulant {ô fotie!)
AMOVRS. 41
Commander par 710s loix aux fortes loix de Page :
Rendant vaine du tout lafaueur départie
Des Dieux, des deux, de Part, de nature, & fortune.
Et des fens plus aigus la puiffance amortie :
Imaginant à tort que chacun pour chacune
A ejté fait de Dieu, bien qu'on voye le nombre
Confus, & la mefure en rien n^ejlre toute vne ;
Donnant Vefpouuentail d'vn beau mot, & d*vn ombre "
De reigie & de police, à fin que la perfonne
Prenne pour amour haine, & pour iourla nuiàfombre.
Car tel eft tout efprit qui fl fort pemprifonne,
Qjtefans aimer ilfert chaffant tout gay feruice.
Et voyant n*ofe voir tout bien qui Péguillonne :
Tachant que Vimpoffible ainfl fe conuertiffe
Enpoffible, & que P homme en qui fans fin domine
Tout diuers mouuement,fans mouuoir pélourdijfe ;
Ordonnant qu^vn chacun en cela f imagine
Trouuerfa moitié vraye, & iufie & fortijfable^
Bien que rien de pareil le fort ne luy affine :
Mais qui plus eft, voulant à P Amour indomtable,
Etfeul domteur de tout, donner loix, & enfi'aindre
Sa loy^ quUl rend toufiours deffus toutes loix fiable :
Qjii eft, comme Vay dit, qu^ Amour ne peut peftraindre
D'aucune loy, mais bien fon vol léger Peflongne
De nous, tout auffi tofi quUl f'eft fenti contraindre.
Non pas que ce qui fait à nature vergongne,
Ne le doiue auffi faire à P Amour : car nature
Par V Amour, & P Amour par nature befongne.
Tant que tout ce qui eft de nature Piniure,
Ainfl que tout incefte & toute fiame énorme.
Amour doit Pexempter de fa liberté pure.
Mais quand on veut gefner la nature par forme
Et couftume, P Amour doit tout rompre, & deffendre
Nature, & fa franchife à nature conforme.
Oeft là la vraye loy, étemelle, & qui rendre
Peut feule entre les loix P homme mortel capable
De la garder, fans elle & fans foy-mefme offendre.
Car toute loy n^eftant de nul homme obferuable
4^
AMOVRS.
En tout, & en tout temps, ou fe fait force en toute.
Et cefte naturelle en tout fe rend gardable.
Or toute loy fe fonde, ainft que nul ne doute,
Sur raifon, cefte ci naturelle, éternelle.
Et faite d*vn tel Dieu, la raifon ne déboute,
Mefme toute raifon eft iufte, vraye, & telle
Qjî'elle doit deffousfoy toutes raifons abbattre.
Quand elle fuit la loy plus haute & naturelle.
On ne peut doncques plus encontre moy debatre.
Qu'en ce fait ci les loix & la raifon ie fauffe.
Car Ampur pour ces deux méfait deuêment combatre, .
Arrière donc la loy qui eft vulgaire & faulfe.
Pour le peuple groffier lourdement inuentee^
Vautre raifon & loy^fur toute autre fe haulfe.
L'ayant donc auec moy, pour cela reiettee
Ne peut eftre ma voix, que la raifon ie bleffe.
Et la loy, fi ma voix eft par ces deux portée :
Voire bien mieux encor que quand ie prins adrejfe.
Pour brider mes amours, voulant la loy vulgaire
Par vulgaires raifons rendre d'amour tfiaiftrejfe.
Promettant faulfement ce qui ne fe peut faire,
Qjii monftre la loy faulfe & la raifon peu vraye^
Puis qu'elle trouue Amour & Nature contraire»
Tant f en faut que befoin doncques enuers toy Paye,
De m'excufer, ou bien qu'au lieu de moy ta grâce
Et ta beauté forçante à m'excufer f'effaye y
Qu'il ne faut point d'excufe en ce que ie pourchaffe^
Ayant pour moy la loy des loix viâorieufe,
Prife de deité, qui tout autre fuîpajfe.
Comme celle d'Amour & de Nature heureufe,
Mère & guide de tout : car toute chofe cède
A la loy de ces deux, durable & amoureufe.
Et dont l'éternité toutesfbis ne procède
Qjie de leur changement : car par le diuers change
Ces deux ont de leur fin trouué lefeul remède.
Au lieu donc de donner à mon feu qui eftrange
Semble du premier coup, vne excufe inutile,
Vien donner ta raifon à la loy qui me range :
AMOVRS.' 43
A ma mort vrievie, à ta flamme gentile
Le plaifir, au plaifir longue perfeuerance,
Tant qu^vn deftr faujfant ailleurs noftre confiance^
Sans fin maugré V encombre auecnos ans fe file.
CHANSON.
Vafpre & Veftrange fiame
Qu'amour méfait fentir,
De tout celapenfiame,
Qjii deuroit ** Vamortir.
Ma trop longue foujffrance,
Ma trop vaine efperance
Font que ma raifon parme
Encontre ma poifon :
Mais mon feu charmé charme
L'effort de ma raifon.
Vafpre,.,
Mon efprit fe propofe
Sans cejfe toute chofe,
Que moindre puiffe faire
LHniufte affe&xon :
Mais par Vobiet contraire
Croift Vapprehenfion.
L^afpre..,
Tel qu^il eft Vimagine
L^ amour f qui me domine.
Et fi ne puis pas eftre
Aueugle en fes effeâs :
Mais cet aueugle maifire
M aueugle en tous mes faits.
Vajpre,,,
Difcourant la naiffance
44 - AMOVRS.
D\amour^ & fa puiffance.
Bien que ie ne Vapprouue
Ny Dieu y ny fils des deux,
Deffus moy ie le trouue
Plus fort que nul des Dieux.
L^afpre...
Comme fa geniture
le congnoy fa pafture :
Nojlre efpritfeul V engendre,
Seul le paijï noftre cœur,
Qui feul force fait prendre
A fon propre vaincueur.
Vafpre,..
Mes vrais dif cours le peignent
Autre que ne le feignent
Les vers, ou la peinture.
Ou les difcours des Dieux :
"Mais les maux t'en endure.
Qui fe feignent par eux.
L^afpre,,,
Il n^efl enfant volage :
Car dedans mon courage
npobflinefans ceffe :
Aux cefles & au vol
Ne conuient fa pareffe,
Ny V enfance à fon dol,
Vafpre,..
SHl eftoit Dieu, la bande
Des Dieux qui nous commande,
Ne lairroit fes outrages
Si long temps triomphans
Sur les efprits plus fages.
Qui font leurs vrais enfans.
• Vafpre.,.
Ou bien pu efloit mefme
Des Dieux le Dieu fupréme,
Qui tout ce monde accorde,
Qui rompit le Chaos,
AMOVRS. 4^
// romprait ma difcorde
L*efchangeant en repos,
Vafpre...
Mefme aux Dieux la malice y
La rage & Viniuftice^
Et cet ardeur de faire
Outrage aux innocens,
Ne peut plaire, mais plaire
A luy feulie lesfens.
CHANSON
POVR RESPONDRE A CELLE DE RONSARD,
QVI COMMENCE :
Quand i'eftois libre
15
Sans eftre efclaue, &fans toutesfois eftre
Seul de mon bien, feul de mon coeur le maiflre,
le me plais à feruir :
Car celle la que faime, &Sers, & prife.
Plus que tout bien, plus que toute franchife,
Me peut àjoy rauir.
La liberté fi chère Je doit rendre,
Que pour tout or ne fe doit iamais vendre ;
Mais la mienne ie vens,
lyvn plus cher pris, que n^eft toute richeffe ;
Car ta beauté, qui mefme en eft maiftreffe,
Eft le pris que Vattens.
Oeft peu de cas qu^vn tant aifé feruice.
Pour mériter par ta faueur propice,
De ta beauté le pris :
Ce pris fi grand ne peut pas eftre mefme
46 AMOVRS.
Pris deferuice^ ains c^eft vn don extrême
Qu^vnferuice aurait pris.
Sous vn tel ioug i*accours de franc courage.
Ma liberté Je trouue en mon feruage :
Et quand mon cœur vôudroit
Sans tel lien viure en laferuitude
De Vamour faux, vn ioug cen,t fois pbts rude
Endurer luy faudrait .
Vardeur, le foin, la pipeufe efperance,
Les chers prefens, Vaigreur, la repentance,
Et la honte, & la peur.
Le martel afpre, & le volage change,
Le vain plaifir : c'ejl le ioug oîi nous range
Tout tel amour trompeur.
Toujiours Vamour dans noftre amefenflame,
Car le defir {tierce part de noftre ame)
Efï père des amours :
Mais celuy-là fage & heureux me femble.
Qui en lieufeur toutfon defir raffemble,
*Sans Vécarter toujtours.
Celuy, ie croys qui efl né pour pourfuiure
Plufieurs amours, femblable n^a peu viure
Aux farouches poulains.
En dédaignant les beauté^ & careffes,
Veu que nos coeurs font mefme en nos ieuneffes
De tel defir tous pleins.
Moy maintenant {combien quepaffé Paye
Des premiers ans la faifon la plus gaye)
En mes ans les plus forts
Non au poulain femblable ie veux efire,
Mais au cheual, qui brauefert fon maiflre,
Et fe plaifl en fon mords :
Ayant henni de ioye après fa bride,
Cognoifl la main qui adroite le guide :
Le peuple à Venuiron
L^orgueil premier de fon marcher admire,
Et plus encor quand on le volte & vive
Au gré de Vefperon : ^
AMOVRS. 47
Laijfant ce peuple en vn moment derrière^
Comme vn vent vole au bout de fa carrière.
Les courbeteSf les bonds,
La bouche frefche, & Phaleine, à toute heure
Vont tefmoignanty qu'yen œuure encor meilleure
H eft bon fur les bons,
Doulx au montei\ & plus doulx à Vejlable,
Au manimentS craintif & trait able.
Aux combats furieux,
Sans ceffe ilfemble afpirer aux vijQoires,
Prefque iugeant, que du maiflre les gloires
Le rendront glorieux,
le ne fuis pas prefumptueux, de forte,
Qjte tout ceci, ie vueille qu^on rapporte,
D*vn tel cheual, à moy :
Mais ie diray que V Amour qui commande
A mon efprit, autant comme il demande
Le fent prompt à fa loy.
Tel frein luy plaijl, tel efperon l'excite,
n porgueillit fous V Amour, du mérite
Defon gentil vouloir.
Portant Vamour, fa charge il ne dédaigne,
Ains volontaire en fa fueur fe baigne,
S*en faifant plus valoir,
n braue, il vole, & dans moy bondit d^aife.
De ce qu^amour a fait quUl te complaife,
Toy qui es fon feul but.
Bien qu'il foit doux, Vamour à la viÛoire
Va V animant, compagnon de fa gloire
Comme autheur il en fut.
Si beaufuiet luy double fon courage.
Le cœur doublé luy fait dans le vif âge
Plus d'audace porter,
La raifon marche auecquesfon attente
D^vn mefme pas, puis quHl croit que contente
Tu veux le contenter.
Alors du tout fur luy tes deux beaux aftres
Luiront fans ceffe, écart ans tous defaflres :
4^ AMOVRS.
Et perdre ilfe viendra
{O perte heureufe!) en tes lis y en tes rofes :
Car pour toujiours Vheur de fi rares chef es
Plus captif le rendra,
ray fait ajfe\ à mafranchife apprendre
Par meur difcours, que c^eft d*ainfife rendre
Aux beaux rets que ie voy :
Mais l'aime mieux eftre encor ton efclaue.
Que de ce monde auoir le Roy plus braue
Efclaue dejfous moy.
Or adieu donc tout faulx Amour y qui menés
Aux ceps, aux fer s y aux gefneSy aux cadenes
Trop impiteux vaincueur ;
Mon ame n^eft forcere ou prifonniere.
Ma Dame n^eft corfairey ny geolierey
Mais garde de mon cœur.
Elle voudray ie croyyfur mon chef mettre
Le Myrte heureuxy qu^amour me veut promettre.
Non le pié rude & fier.
Peut eftre encor elle qui éguillonne
Dans moy Vhonneur, & l'audace me donney
Y mettra le laurier.
Si donc pour toy ie méprife & abhorre
Toute autre amour, qu'yen moy ie puis enclorre :
Si Vay les yeux toufiours
Sur ton pourtrait, que mieux que dans vne onde
le voy dans moy, fay que ton cœur réponde
Du tout à mes amours.
Fay qu'yen mon fort ie ne rende vangee
Toute autre amour, par moy tant eftrangee,
Comme Narciffe fit :
Mais qu'^à Pelée on me nomme fans ceffe
Semblable en heur, dont Thetis la Deeffe
Ne dédaigna le lit.
Aux nopces foit prefent & fauorable
Chacun des Dieux : mais de fifainâe table
La Difcorde foit loin.
Comme Thetis, ton ventre après fertile,
AMOVRS. 49
Dés Van premier porte vn petit Achile,
Ton plaifir & ton foin.
CHANSON.
BRANLE I.
Ma pafjion, qui a peur
Qu'on la iuge feinte,
Veutfe couurir dans le cœur.
Sans pouurir par plainte.
Si mes vrais maux vous fcaue^.
Vous qui caufe{ les aue:^
Vray Amour, vraye Venus,
De ma foy confiante.
Rendes^ les trauaux cognus
Sans que ie les chante.
Ma paffion...
Ouure\ à Vœil, & au cœur.
Qui du mien pefï fait vainqueur.
Ma plainte, qui vaudra mieux
Par vous bien ouuerte,
Qjie par moy mefme à tous yeux
En vain découuerte.
Ma paffion.,,
Vefprit haut infpire:^ en
De celle pour qui iefen
Mon efpritferfde vos loix,
Qjii pour recompenfe
Requiert que facie^ fans voix
Penfer ce quUl penfe.
Ma paffion..
lodelle. — 11.
50 AMOVRS.
Puis pour faire à tous chercher
Le mal, quife veut cacher
De tous bons yeux attife:ç
De V amour plus vraye^
Chafque beau trait éguife:^
Pour fonder maplaye.
Ma pafjîon,,.
Cet œil tout diuin pil veut
Et Vœil des autres fil peult
Verront ce mal quife taifï.
Non pas pour fe faire
Plus grand: mais fouuent on efl
Plus creu pourfe taire.
Mapaffion.,,
Mon amour n^eft pas tant haut.
Tant fubtil, eftrange, & chaud
Que pourtraire il nefe peufl :
Mais pour bien fe peindre,
H n^efï pas tel qu^on le creufl
S^eftre peint fans feindre,
Mapaffion,..
Ilfault en ces hauts difcours
De tous nos chanteurs d^amours,
Et aux amours qui naïfs
Par nousfe pratiquent^
Chercher les traits vrais & vifs :
Sont ceux qui me piquent.
Ma pajjton...
Or fuppleans en cela
Ma vois ailleurs tourne:^^ la.
Vous deux qui dans moy Vémoy
Attache!{ de forte
QuHl faut quHlfe tienne en moy
Renclos fans qu"* il forte.
Ma pafjion...
Aide^ nous auec ces deux,
Vous les trois compagnes d^eux^
Grâces, qui m^aue^ appris
AMOVRS. 5l
Si bien vos cadences,
Qu*ofter te vous puis le pris
De vos propres dances.
Ma pajfion.,.
Vous donc qui fi bien parle:(y
Sonne^, baltes^, carolles[j
Entende^ chanter^ parler^
Dancerfur les peines
Des amours perdus dans Vair,
Par leurs chanfons vaines.
Mapajfion,,,
Des forts amours les mieux faits
Vous cognoijfe^ les effedSy
Car V amour feul vous hantes^ :
Iuge:{ donc, de grâce,
Si par tant d'amours chante:^
Mon amour p efface.
Ma paffion...
Dançans en rond auec moy,
D^vne gaye & doâe loy
Arondir vous me vetTe^
Par mainte manière
De branles que vous orre:ç
Ma Carrolle entière.
Ma paffion..,
Q^''en ces gais branles nouueaus,
Les leuSf les Cupidineaus,
Et les Ris viennent auffi^
Non pas pour y eftre
FolaftreSf mais pour ici
Leurs vrais faits cognoiftre.
Ma paffion...
Tous les chants des amans font
Pleins d'vn mal que point ils n^ont.
Pleins de tourmens, & de pleurs.
De glaces, & fiâmes :
Mais feintes font leurs douleurs,
Ainfi que leurs âmes.
• »
52 AMOVRS.
Mapq[fion,..
Si ces amans enduroyent
Titnî de mauXf & pils pleuroyent
Vraiment du cœur & de Pceil,
Non par plainte Jble,
On leur ntrroit plue de dueil.
Et moins de parole.
Ma pajpon,;
S*ils pouuox^nt-de peur geler,
-^ * On bien de defir tnàer^
' L'im engourdiffant /èroit
La voix lente & morte :
Vautre étoufimt bouckeroit
Aux peitfers la porte.
Ma pq/fion.,.
Mais au rebours leurs propos
Sont enfle^ de tous gros mots,
Qjie Ion voit plujtojt fortir
Pour montre &. brauade,
Qfts non pas vrajrment fentir
Leur ame malade.
^ MapaJIfion...
le ne dipas que d'entre eux.
Mille beaux traits amoureux
Ne puijfent fouuent couler.
Mais ^ejt auenture i
Car des bleffures parler
On peut fans bleffur^.
Ma paJ[/ion..,
Auffi leurs Dames ornant,
Tous me/me ornement donnant,
Tachent faire vn tableau faux
Des beauté:^ & grâces,
Comme des pleurs, & des maux^
Des feus, & des glaces.
Ma paffion...
Tous en leurs pareils fuiets,
Prenans femblables obiets,
AMOVRS. 53
Vfans de me/mes couleurs,
Dorent, aîbaftrinent,
Ornent de perles S- fleurs.
Teignent, coralinent.
Ma pajflon...
De mefme les emmiellans^
De mefme les enfiellans^
Leurs hourrelles ils en fi)nt,
Bafilics, ty greffes,
Mots qui doux & fâcheux font
Aux vrayes maiftreffes.
Ma paffion,.»
Combien que la femme foit
Piquée, p elle fe voit
De tels mots iniurier,
S*on la dit cruelle
Elle pen fait plus prier,
Etpen plaift dans elle.
Ma paffion,..
Si V amour fimple eftoit d'eux
Bien cogneu, ces mots hideux
llsfuiroyent, def quels V horreur
Nuit beaucoup, & monjlre
Qjte des plumes non du cœur
Le malfe rencontre.
Ma paffion,,.
Les noms déciles inuente:ç,
Les traits fans fin remprunte:^,
Ces mots, Deeffe, moitié :
Brief, cefle amour foie
N'eft qu^vn autel dédié
A Pombreufe idole.
Ma paffion.».
La cruelle ayant pouuoir
De faire leurs yeux plouuoir,
Quand viuante elle feroit
Pour leur pluye toute
De leurs yeux ne tireroit,
54 AMOVRS.
Peut ejtre, vne goûte.
Ma pafjion,..
Telle peut les vns brûler ^
Gefnery meurtrir, bourreler,
Qjii n^ aurait rien de leurfang^
Fuji pour fa querelle,
Ny me/me d^vn cœur bien franc
La moindre eftincelle.
Ma paffion.,.
Tous leurs foufpirs & fanglots.
Plus grands que les vens renclos
Qu^ Vlyjfe auoit en fa nef.
Sont veus de leurs dames
De beaux vents fortis du chef,
Non du creux des âmes,
Ma paffîon,,.
Ces dames pour quifoujfrir
Us font forçe^, & offrir
Leur vie, & leur fang^ n'auroyent
Souuent de leurs bourfes
Ce, dont {peut ejïre) ils pourroyent
Les voir moins rebourfes,
MapaJJion.,.
Or fi, leurs dames ainfi
De leurs dons n^auoyent fouci,
n les faudrait rauir mieux
Que d'vne furie.
Qui tout-vne prefque en eux
Paroijl fingerie.
Mapaffton,,,
Vous donc qui les tours aue:(
De ce mien branle acheue:[,
luge^ quilsfe monftrent pleins
D'ardeurs furieuf es
Pour néant, fans eJlre attaints
D^ardeurs amoureufes»
AMOVRS. 55
BRANLE II.
Aux flmes mapaffion
N%lk point comparable,
On la croinoit fiâion
Ainfi que la fable.
Pour enrichir leur deffein
De ma/que j & de fçauoit* plein.
Les fables d'horreurs, fureurs,
Malheurs, font extraites
Des vieux, qui n'ont ces erreurs.
Dans leurs amours faites.
Aux fables...
Ces anciens écriuoyent
Les biens & maux qu'ils auoyent :
Mais fans nul égard ceux ci
Des maux nous écriuent,
Qjii onc a eux, ni auffi
One à nul n^arriuent.
Aux fables...
lefçay qu'Amour peut bien or^
Des vieilles fables encor
Les maux faire naiftre en nous :
Mais quand vnfeul plaindre
Se voit enfemble de tous.
Tous fe voyent feindre.
Aux fables.,.
Souuent la feinte ofte à foy.
Voire aux vérité^ la foy.
Quand auec elle on les dit :
Qu'eft-ce donc quHl femble.
Quand fans vérité Ion lit^^
Cent feintes enfemble ?
Aux fables...
Tous vieux maux de playe, & ceux
56 AMOVRS.
D*afpfe langueur font en eux^
De lienSf angoiffe, arrejt
D*vn cruel martyre :
Mais leur plus grancV peine c'eft
DHnuenter leur dire, -. ^
Aux fables,,. *^\
Sur ce Ion voit ramajfé -^m*-
Le Philoâete bleffé,
Le Phinee languiffant,
L*étreinte Andromède^
La Niobe gemijfanty
L'occis Palamede.
Aux fables,,.
Ou fi de ce dernier Grec
La mort nefuffit^ auec
Tous ces tourmens fera mis
Vhoflelage iniufïe
De Diomede, & Scinis,
Scyron, & Procrufle,
Aux fables,,.
Tous les périls d^vn lafon
Nauigant à la toifon
Se vqyent d^eux retirer^
Toute horreur eflrange
QuHl peut voir ou endurer
A leurs doigts démange.
Aux fables..,
le croy toute horreur auffi,
Qu* Homère ou Virgile ainfi
Peignent f aux feintes quHls font
Eflre ramenée
Par ces amans, qui en font
VVlyffe &V^nee.
Aux fables...
Mefme pour tragiquer mieux,
Ils recourent furieux
La citéf race, & maifon
Thebaine ou Troyenne,
AMOVRS. 57
Sur tout pillans à foifon
La Mycénienne,
Aux fables,,.
Ces trois grands maifons eftans'
Celles dont prefque fortans
Sont tous les diuers fuiets
Des fables tragiques^
Ce leur font riches obiets
D'amours fantajliques .
Aux fables.,.
Tout autre exemple de maux.
De morts, remords, & trauaux
Rend leurs écrits embellis,
Mefme on leur voit prendre
Les Iphis, &.les Phyllis
Tous prejls à fe pendre.
Aux fables...
Comme Narciffe expirer,
Comme Didon fe tirer
Par glaiue le double feu
D*amour & de vie,
Cejl en leur feint & fou ieu
Leur commune enuie.
Aux fables...
Si tel defefpoir faijit
Tous ceux qu^auiourd^huy Ion lit,
Q}te non Vamour, mais du nom
Le bruit fait écrire.
Tout le iardin d^vn Timon
Ne leur peut fufflre.
Aux fables...
Mais au lieu d'en auoir bruit,
Auec vn chacun fen rit
Leur dame, Ji vraye elle ejl :
Ou en farce telle.
Si elle la croit, fe plaijl
De fe voir cruelle.
Aux fables...
4*
58 AMOVRS.
A ce bifarre animal
Il ne faut monftrer fon mal,
Mais fans monftre & fîâion
Luy faut faire office
D"* ardente deuotion^
Et de gay feruice.
Aux fables,.
Mais ceux ci ne font contans
De tous les maux tourmentans
Les chetifs humains ici :
Mais aux enfers fombres^
Us cherchent les maux aufji
Des peruerfes Ombres,
Aux fables...
Là le Tityan vautour
Et là Vinfini retour
D^Ixion fe voit, en ^eau
Se voit le Tantale,
Et celuy dont le fardeau
Sans fin redeuàle.
Aux fables,. ,
Afin que leurs malheurs tels
Se feignent d'efïre immortels,
Ces tourmens là bas font pris :
Mais la dame fage
Veut Vhomme, non les efprits.
Le dueil, non la rage.
Aux fables.,.
Seulement continuel
N^ejl pas ce mal éternel.
De leurs vers les changemens,
Et leur foy mal feure.
Font de leurs déguifemens
Vépreuue à toute heure.
Aux fables...
Tous Vvn Vautre reffemblans
Et tous cent fois redoublans
Ces mefmes traits langoureux,
AMOVRS. 59
Font voir que leur ame
Trop plus d'écrits amoureux
Que (V amour penflame.
Aux fables,,.
Tous chargeans me/mes fardeaus,
Altère^ de me/mes eaus.
De me/me roue emporte:(,
Et en leur menfonge
D*vn Vautour me/me empiete:[y
Mais tout h'ejl qu^vn fonge.
Aux fables,..
Tous ces amans pleins de cris
Et ces infernaux efprits,
PPont rien du tout, qui entr'eux
Commun fe propofe,
Fors qu'en vain, fans fin les deux
Refont mefme chofe.
Aux fables,,.
BRANLE III.
Quand noftre paffion craint
Qu'on la trouue ejïrange.
De foy tout cela qu'on feint
D'ejlrange elle ejlrange.
Apres ces maux, ces tourmens,
Trauaux, erreurs, damnemens,
le vous prie à cejlefois
Amour, Venus, Grâces,
De refuiure encor ces trois.
Leurs pleurs j feus, & glaces.
Quand nojlre,..
Sans eftre glacés, ardens,
Ny pleur ans, tous impudens
Font par mainte ejlrangeté
Diferte, mais lourde,
60 AMOVRS.
Leur iugement Jingeté
Empirer la bourde.
Quand nojlre,,.
L^ejlrangeté qu^en tout poinâ
Ils rejingetent, ri* ejl point
Sur lesfeuls brasiers, glaçons.
Larmes f qui leur viennent,
Mais fur tous noms & façons
Qu'eftranges ils prennent.
Quand nofire,,.
Seulement prifes ne font
Ces ejlrangete^ quHls font
Des fables : mais d'autres cas
Tels quHl faut qu'on voye,
Qu*euxmefmes ne veulent pas
Qjie leur fonge on croye
Q}tand noftre.,.
CHANSON
DIVISÉE EN TROIS AIRS, ET CHACYN AIR
EN SIX STANSES.
AIR PREMIER.
Maijlreffe que fans fin ie doue
De tout mon cœur, que ie te voue
D^vn vœu qui efi & fiable & faint :
N^atten point que ma Chanfon fuiue
Quelque amant j quifaflame écriue
Trop difertementj plus atteint
D'vne ardeur que fa chanfon viue,
Q}ie de toute autre ardeur quHl feint.
AMOVRS. 6l
Car outre encor qu*à la feintife
Ne fut oncq ma nature aprife :
L*ardente & vraye affedion
Etreignant fans fin monferuice
A ta faueur, qui m^eft propice^
Sort de plusfainâe intention
QMe tout amour naiffant de vice,
Etfapâtant de fiâion.
Tels amans d^ejlranges louanges^
De peines, & plaintes efiranges.
Font retentir prefque tous lieux :
En tachant de rendre immortelles
Leurs Dames, qu* ils peignent tant belles,
Que toutes Deejfes des deux
Deuroyent quiter, cefemhle, à elles,
Ce que Nature a fait de mieux.
Comme auffi^ par tout où ils feignent
Uhorrible mal dont ilsfepleignent,
L^amour ils déguifent, Varmans :
Et tout de mefme armans leurs Dames,
De mortelles flèches, &flames.
Qui entamans, qui confumans.
Voire & empoifonnans les âmes.
Retuent fans fin ces amans,
Ainfi ce grand Dieu, quifupréme
Fait faire ioug aux grands dieux mefme,
Par f on arc diuin furmonte\,
Nefe voit pas feulement faire
Boute-feu, meurtrier ordinaire,
Traifïre, & bourreau des cœurs donte\ :
Mais leur Damefe voit pourtraire,
Vraye Furie en cruaute:{.
Lors quHls Vadmirent & Vadorent,
Aueugle:{, ils la defhonorent
64 AMOVRS.
De moy tu ne peux rien entendre.
Qui hors du vrayfoit inuenté.
Car puis que Vheureufe iournee
En qui Vefpere^ qu^Hymenee
Nous ioindra d^vn facré lien ,
Eft le feul but de ma pourfuite :
Il faut que ma chanfon conduite
Soit du tout félon le cœur mien,
Qui toute feinte a interdite
De Vardeur quHl a d^ejtre tien.
Si ejl-ce pourtant que fans feindre,
Sans trop louer, fans trop me plaindre.
Pour la louange, ie diray,
Que Vair, & les traits de ta face,
Ton port, ton efprit, & ta grâce
Que fans ceffe Vadmireray,
Par amour, dans mon cœur efface
Tout ce que iamais Vadmiray,
Qu^ay-ie, pour tes beaux yeux pourtraire,
Des rayons du Soleil affaire ?
Ou qu^ay-ie affaire de chercher
Valbajlre, le corail, la rofe
L^or, les perles, pour telle chofe
Aux autres beaute:{ attacher :
Si ce qu'yen toy ie me propofe
M^efi plus excellent & plus cher ?
Diray-ie après la peine dure
Qu^eftant abfent de toy V endure
En V attente de mon feul bien?
Lequel fi par quelque inclémence
Du ciel, n^efl tout tel que iepenfe.
Ma vie pour morte ie tien.
Or ta grand' grâce en ton abfence,
Tourne fouuent ma peine en rien.
AMOVRS. 63
Mais pour tout autre, qui forcené
En fa courte & volage peine,
Vamour ce celefte vainqueur
(Sçachant bien f on ame eflre telle)
Dans luy, hors des enfers, appelle
Megere, ou Vvne ou Vautre fœur ;
Qui, pour le temps perdu ^ bourrelle
D^heure en heure ce lâche cœur.
Car voyant délayer la gloire
De Vinique & faulfe viâoire,
Et toutesfois fy ohjïinant
Creue de voir perdre toute heure
Propre à quelque quefie plusfeure.
Sans fin fe rongeant & gefnant :
Mais toujiours Vamour la meilleure,
Sans telle peine va peinant.
Car encores que malheureufe,
Fut telle pourfuite amoureufe,
Qiti n^ a pour fon but que V honneur :
Vefprit frujlré de fon attente,
Enfouffrant beaucoup, fe contente
A la fin d*auoir ce bon heur,
Que de fa pourfuite fabf ente
Et tout crime f & tout defhonneur.
AIR TROISIÈME.
Or quant aux louanges, maistresse,
Qiie pour toymefme à tous Vaddveffe,
D*vn chant diuerfement chanté.
Sur tes beauté^ qui m'ont fceu prendre :
Et quant aux plaintes que peut rendre
Mon cœur pris de telle beauté :
64 AMOVRS.
De moy tu ne peux rien entendre,
Q}ti hors du vrayfoit inuenté.
Car puis que Vheureufe iournee
En qui Vefpere, qu^Hymenee
Nous ioindra d'vn facré lien^
Eft le feul but de ma pourfuite :
Il faut que ma chanfon conduite
Soit du tout félon le cœur mien.
Qui toute feinte a interdite
De Vardeur quHl a d^efire tien.
Si eft'Ce pourtant que fans feindre.
Sans trop louer, fans trop me plaindre,
Pour la louange, ie diray,
Que Vair, & les traits de ta face,
Ton port, ton efprit, & ta grâce
Que fans ceffe Vadmireray,
Par amour, dans mon cœur efface
Tout ce que iamais Vadmiray.
Qu*ay-ie, pour tes beaux yeux pourtraire,
Des rayons du Soleil affaire ?
Ou qWay-ie affaire de chercher
L*albajlre, le corail, la rofe
L*or, les perles, pour telle chofe
Aux autres beauté:^ attacher :
Si ce qu'*en toy ie me propofe
M''eft plus excellent & plus cher ?
Diray-ie après la peine dure
Qu'efiant abfent de toy V endure
En V attente de mon feul bien?
Lequel fi par quelque inclémence
Du ciel, n*efl tout tel que iepenfe.
Ma vie pour morte ie tien.
Or ta grand" grâce en ton abfence,
Tourne fouuent ma peine en rien.
AMOVRS. 65
Ainfi qu'yen nen ie tourne encores
La plainte qua-Ven ferais ores
Contre Va/pre longueur du tems,
Qjie doncques le ciel équitable,
En ta beauté tant fouhaitable
Rende tous mes trauaux contens .
Faifani honte par Vamour Jtable,
Aux amours faux, ou inconjlans.
CHANSON
POVR RESPONDRE A CELLE DE RONSARD ,
QVI COMMENCE :
le fuis Amour le grand maiftre des Dieux "
Amour n^eft point ce grand Dieu qui fous foy
Tient Vvniuers gouuerné par fa loy :
Et qui enfant, anime, agite, enfiame,
Ainfi qu^vn corps, tout le ciel qui nous luit,
Qjiepar accords difcordans il conduit :
Vn corps fi grand* n'auroit fi petite ame.
Ce v^efi céluy qui premier-né^ rendit
Ordre & lumière au Chaos quHl fendit :
Et qui depuis hommes & Dieux maiftrife,
Vn autre Dieu ce grand œuure a bafli,
Et àfon vueil afeul affuieti
Toute ame au ciel & en terre comprife.
Premier ce Dieu (puis quUl fait tout parfait)
Vobfcur Chaos & confus n^auroit fait,
Pour en tirer & Vordre & la lumière :
SHl pouuoit tout de fes formes orner,
lûdelle. — II. j
66 AMOVRS.
^ ^
Il peut à tout les matiei^es donner,
Eftant des deux feule caufe première.
Pour tel ouurage, il luy falloit auoir
Non Vamour feuly mais Vinfini fçauoir^
La pouruoyance, & puiffance infinie.
De tout Vidée, & auffi prompt V effet
Q)ie la voix me/me : Amour donc en ce fait
Neft qu^vnfeul nœu de fi grande harmonie.
Encores c^eft le prendre improprement
Pour Vaccordance & fans commencement : .
Paimerois mieux faire éternel le monde,
Que faire vn Dieu d^vnfeul effet diuin,
Tant qu^vn principe &fupréme & fans fin
On eftablift d^vne caufe féconde.
Amour pourroit [fi c^efioit quelque Dieu
Naiffant en nous, prenant au cœurfon lieu.
Et de nosfens tirant fa nourriture)
Eftre vn archer, dont nous n'euiterions
Le plaifant trait, & ne refifterions
Au feu, qui prend de noftre vueil pafture,
\ Doncques tout nu fes guerres il feroit.
Car fans nos fens force aucune il n^auroit :
Encor nousfeuls fes dignes fuiets fommes :
> Tous animaux qu^on voit voler en Pair,
' Marcher fur terre, & nager dans la mer.
Ne fentent point cet amour propre aux hommes.
Si nos defirs, dont fortent nos amours.
Sont toufiours ioints aux fens & au difcours,
\ Ce naturel qu^on voit aux beftes eftre,
Ne peut {encor quHl les vienne enflammer)
Ce mefme Amour encontre elles armer,
Qpii par raifons de nos raifons eft maiftre.
Sa paix, fa guerre, S' fa treue fe fent.
Selon quHl eft, & félon qu'ion confent,
Ou qu^on refifte à fes forces couuevtes.
Son feu caché dedans le fond du cœur,
Faifant monter au cerueaufa vapeur.
Tient de nos pleurs les fontaines ouucrtes.
AMOVRS. 67
Hfemble bien fans la vie épargner.
Dans nojtrefangfes deux ai/les baigner :
Mais c'eftfouuent la Haine fon contraire,
Quifacouplant à ce mutin petit,
Soûle de fangfon meurdrier appétit:
SUl eft donc Dieu, Deeffeil la faut faire.
Par le dehors on ne pare les coups
De ce guemer, qui combat dedans nous :
Q}te feruiroit ou rondache ou cuirace?
Nojfre ennemi de nos armes armans,
Flatans la playe, & mefme nous charmans,
Enflons encor de la honte Vaudace,
Bien que ce mal ait fait diuerfement
Mainte ruine, & maint grand changement,
Jl ne faut pas en faire vn Roy fupréme.
Les Rois nUroyent dejfousfon ioug captifs.
Au moins gefnei(, pâlies, tranfis, chetifs,
S*ilsfe pouuoyent faire Rois de foymefme.
On pourroit bien vn trophée drejfer, \
De Varc, des traits, dont il vient nous bleffer^
Et de la trouffe, & de la torche fienne :
Mais il ne faut queiuy feul de nos cœurs,
{Qui pour luyfont de foymefme vainqueurs)
Approprier le trophée ilfe vienne.
Outre que c^efl vne fable, des Dieux
Qu'on feint en mer, & en terre, & aux deux,
Et iufqu*au fond de V enfer implacable :
Quand ilsferoyent, leurs amours feroyent fainâs,
Très-hauts, trefpurs, de nul effort contraints :
Tout Dieu fe rend toujtours àfoyfemblable.
Laiffon lupin, Pluton, Neptune aufjt.
Mars & Phebus : comme cet Amour ci
N^a pas le vol Jî hautain &fi roide,
QuHl aille au ciel, il ne defcend en mer.
Pour les Tritons & poijfons faire aimer :
Telle amour eft trop ftupide & trop froide.
Etplus ftupide encor V homme fer oit,
Vray bois, vray roc, qui point nefentiroit
68 AMOVRS.
«i
« •
Cet amour propre à fa haute nature^
Qui feulement comme aux bejtes ne naift
Du fens du corps, mais qui dedans nous eft
De noftre efprit la propre geniture.
Bien que V efprit de fa flame alumé
Enfoit courtois, hardi, prompt, animé,
n ne faut pas fi grand maijlre le feindre :
Car plus fbuuent que nojlre efprit ne doit
Par nojlre efprit maijlrifer on le voit,
Mefme auec luy Vhonneftetép éteindre.
CHANSON
Faut il, Chanfon, que ie defemprifonne
^ Mon mal dans moy prifonnier Ji long temps?
Faut-il, Chanfon, qu^ ores par toy ie donne
L^air à ce feu, bourreau de tous mes fens?
^ Faut-il rejhreindre auiourdhuy par mes plaintes
\, La crainte, helas! qui les tenoit ejlreintes?
Faut 'il encore, 6, Chanfon, que ie penfe
^ Que tu peux bien porter Ji loing mon dueiU
En iouiffant pour moy de laprefence
De celle, helas! dontVay banni mon œil?
Te vantes tu qu'en pouuant voir fa face,
Tu pourras voir d^ elle fur moy la grâce?
Ainji qu^on voit deffous les nuids plus fombres
Les voyageurs endurer mille ennuis :
Ainjî qu'ion voit fouffrir là bas les ombres
Des panures morts aux infernales nuids :
Et comme au cul des foffes plus obfcures
\i Les prifonniers fouffrent cent peines dures :
Depuis le temps que Vayfenti retraire
De moy les rais d'vn flambeau nompareil :
AMOVRS. 09
Depuis le tempit que Vay laijfé ma Claire,
'Dont la clarté fert (Vvn fécond Soleil,
le/en tel dueil, ie fen telles ténèbres,
Q}ie mes beaux iours ne font que nuiâs funèbres,
Encor ceux là, qui fous la nuiâ fouruoyent,
Vont efperant de Vaube le retour :
Encor ceux là, qui aux foffes larmoyent,
Efperent voir de iour en iour le iour :
Mais, las / mon ame errante & prifonniere
N^ofe efperer liberté ne lumière,
Ainji des trois qui font tous mif érables,
EJlans errans, ou captifs, ou damne^.
Les deux ne font du tout à moy femblables,
N*ejlàns du tout d'efpoir abandonne^ :
Refte le tiers qui mefemble de mefme.
Puis que Vamour ejï vn enfer extrême.
Helas bons Dieux, faut-il que ie condamne
A tout iamais mon œil d^ejlre priué
Defon obieti faut-il que ie le damne
Auant qu*auoir tout moyen éprouué I
Si mon forfait fans fin d'elle m^ exile,
Parracheray mon œil comme mutile ".
Car fans voir Claire, vn plaifir defirable
A tout iamais luy feroit déplaifir.
Et me fentant eftre tant miferable
Des deux enfers Vaimerois mieux choifir
L*enfer dernier où la mort nous engoufre,
Q}te mon enfer, que fous Vamour iefouffre.
Si donc, ô Claire, ains 6 clarté diuine.
Le mien forfait n^eft fait pour Voffenfer,
Et fi le temps, qui tout amour termine^
Ne peut le mien tant feulement bleffer :
Si Vaime mieux mes deux enfers enfemble,
Que faire rien qui déplaifir te femble :
Appaife toy, & te monftrant Deeffe,
Ainfi qu'on voit le grand Soleil des deux
Enluminer ta tourbe pechereffe.
Tout auffi bien que les moins vicieux,
I
* 'JO AMOVRS.
ï
r * Fay qu'en m^ aimant & luifant fur ma face
! De tel enfer vn paradis fe face,
• Oefi fait c^eftfaity 6 bien-heureux augure,
• le voy à gauche vn pigeon blanc voler ^
Signe d'amour : pendant qu^encor i endure
Vn peu, Chanfon, pouffe toy dedans Vair,
Ton vol me foit & ton retour profpere,
, Autant qu'au vol de ce pigeon Vefpere,
\
CHANSON
POVR LA DEFFENSE DE l'aMOVR.
Les vers des amans
(O Amour) parmans
Contre toy de cris.
De reuolte, & d'ire.
Ne nous font que rire,
Comme d'eux tù ris,
Vn qui fous ton nom
Enroulé, tient bon,
Soldat vieil S- fin,
Fuit toutes parolles
De reuoltes foies,
Et en craint la fin.
Tel encor captif,
Malade, ou chetif.
Feint fa liberté.
Et par fan langage
Dément fon vif âge.
Ou fa pauureté :
Qui dedans tremblant.
AMOVRS. 71
En ce faux femblant^
Sa vie fent bien
Peu franche, peu faine,
Peu riche, qui traine
Son plus fort lien,
Vn vaincu, trainéj
Enferré, gefné.
Soit dans la prifon.
Soit daks la galère,
Captif, ouforcere.
Perd crainte & raifon :
Ne pouuant tenir
Son durfouuenir
S*attaque au geôlier,
L*argoufin irrite.
Et en vain dépite
Et chaine, & colier:
Maisfe repentant
Soudain, & /entant
Moquer par ces deux
Sa colère éprife.
Mal à propos prife.
Contre Vexce^ d'eux :
Sans rien profflter.
Fors que d^augmenter
Vapprehenfion,
Accroijt par batûres.
Outrages, naurûres.
Son affliâion.
Par lesfangliers vieus
Des trenchans épieus
La pointe fe voit
Souuent dédaignée,
Bien qu'en la feignee
Entrée elle/oit.
Mais dequoy leur fer t
Ce gros cœur, qui perd
Force auec le fang ?
/
72 AMOVRS.
# .
• ■
» ■ * Leur double deffence^
Ne peut par nu^ame
Garentir leur flanc,
I» Plus vont ^allumant, *
^ Plus vont écumant.
Voire tant plus fort
Us vont par fecouffe
^ ''; PouffanSf plus fe pouffe
Dans leur corps la mort.
Tes traits defferre^
W ^,m ' (Amour) font ferrè:(,
*|^ '' Ainfl que fouhyent
I - ; Les flèches Angloifes,
• Qjiifor les Françoifes
Campagnes gréloyent,
• Lot^ auecfoudain
l; -■ Mépris f & dédain^
Qftefert d^arracher
'. Là flèche for Vheure,
fSi le fer demeure
Dans Vosy dans la chair?
\ ^ Telfouuent médit,
Detefte^ & maudit
Vn, dont il dépend,
Qjii mefate en Voutrage,
\ Dedans fon courage .
A merci fe rend.
Tel veult paffronter,
Charger, fermenter ,
Comme braue il feint,
Quelqu^vn trop plus roide :
Mais vne peur froide
Au feul nom Vattuint.
Toy Amour, de nous
Pren les vains courrous,
||l Et feudains mépris,
^ En mépris extrême,
Sur nous par nous me/me
*
•V
■i
I
AMOVRS. 73
Regaignant ton pris.
Et puis que des cueurs
Des plus forts vainqueurs j
Vainqueur tu te rends.
De nos forces vaines
(Sans que tu te peines)
Plus grand* for ce prens,
Souuent on te fuit.
D'autant plus qu*on fuit :
Etfouuent tu fais
Sur ceux quipennuyent
De ton iougy qu'ils fuyent,
Redoubler ton fais.
Que craindre il te faut,
Pour tout afpre affaut
Naijfant des defirs !
Qu*aimé tu dois ejlre.
Pour Vheur que font naijire
Tes diuers plaijirs !
Ainji nojlre cœur
A Vamour, & peur,
Efl ejlreint par toy :
Qjtel haut pouuoir doncques
Sur nos faits peut onques
Auoir plus de loy ?
Si tu n'as rien mieux,
Q]ti dedans les deux
Te face eJlre Dieu,
TelV amour & crainte,
Voire en nous contrainte
T^y donne ton lieu.
Quand donc en tel rang
Des Dieux le haut fang
Ne fauroit point mis,
Quand les doues plaintes,
Ou piete^ feintes,
7^ en auroyent démis :
Quand ton arc fi fort,
r
/
74
AMOVRS.
Qjte tout autre effort
Luy cède en tous lieux ^
Ne Vauroit fceu faire
Comme Hercule attraire
Dans ce rang des Dieux :
Les vifsrfentimens
D^aifes ou tourmens,
Que prefque à nous tous
Plus grands tu fais prendre.
Que rien qui pengendre
De nous, dedans nous^
Puis Végardy quHl faut
Qu^vn pouuoirfoit haut.
Pour fi. puijfammeni
Agir fur vne ame,
QuHl meut & enflame
Plus qu^ humainement y
Feroyent
* *
CHANSON.
Payfans nulle occafion
De chanter affeâion,
Je veux me plaire, & ne puis
Voir autour de moy qu^ ennuis:
Mon cœur tachant d'' enchanter ,
L^ennuy me force à chanter:
Mais Vennuy fe rend vainqueur
De mon chant & de mon cœur.
le fen de mes maux le cours
Egal au cours de mes iours,
Trifte, & feul ie fouffre émoy,
Pour vn qui m^ejï plus que moy,
AMOVRS. ' y5
Qui non plus que moy iamais
N^eut de repos ni de pais ^
Duquel pourtant Vheur & bien
Peut tout feul faire le mien,
Mefmement le temps fe voit
Extrêmement trijle & Jroid :
Et qui pis eft, de ce tems
Les miferes que iefens.
Viennent par indignité^
Soties, mefchancete^,
Plus que tous mes maux diuers,
Aigrir mon fiel & mes vers.
Si rCefi-ce pas la façon
D^vne gaillarde chanfon,
Propre à chanter, à fonner,
A baller, & à donner
Relâche à nos durs trauaux.
Que /^emplir de tous ces maux,
Qjti Vennuy n^efteindroyent pas,
Ains luy feruiroyent d^ appas.
Si ne voy~ie proprement
De mes chants autre argument,
Qjiif abhorre toutesfois
De mon cœur & de ma vois :
Quelque part que mon perfjh'
Diuerti faille adrejfer.
Rien ne voit qui propre foit
A ce que chanter il doit.
SHlpenfe à Vœuure, à Vhonneur
Des deux, de Chrift, du Seigneur,
Il trouue que c'ejl tout Vart,
La couuerture, & le fard.
Dont ce temps feditieux
Mafquefon trouble odieux :
Du bien onfe diuertit,
Qtii en malfe conuertit.
D^auantage il n^eft celuy
Qui n^en remplijfe auiourd^huy,
76
AMOVRS.
a
lufques aux plus vils faquins.
Leurs chants^ & lourds, & mutins :
Sans fin Vaureille on rn'en ront :
A ceux qui degou/le:^ font,
Comme moy, iamais ne plaift
Ce qui trop commun nous eft.
Si ie veux dhanter des Rois,
Des meurs, des vertus, des lois.
Le malheur nous remet là,
D*eflre auiourd^huy fans cela :
Voulant chanter nos débats,
Nos troubles, & nos combats.
Ce feroit me plaire au fang
Coulant de mon propre flanc.
Si ie chante les grandeurs,
Puis qu'elles ne font qu'aux cœurs
Vertueux, & grands, & francs.
Non pas aux biens, ny aux rangs,
Veu ce que font nos François :
En ce temps peruers ma vois
Ne plairoit, ains au rebours,
le ne chanterois qu'aux fourds,
Puisc^eft vn dur fouuenir,
Q}ie voir ce qu^on doit tenir
Tout le plus cher entre nous,
Se laiffer prefque de tous :
Quant à chanter les grands biens,
Les rangSf faueurs, & moyens
Des grands, fait tel argument
Propre aux flateurs feulement.
Tout autant m'efï n'auoir rien
Qu^vfer comme ils font du bien,
En leurs hauts rangs ie les voy
Eflre trop plus bas que moy :
Je dédaigne tous les heurs,
Tous les moyens, & faueurs
Naiffans du hasard, & non
Du mérite S- du renom.
AMOVRS. 77
Fi des vertus, qui aux Cours
Ont maintenant plus de cours :
Comme de tout ignorer.
Et nonobftant paffeurer
A donner effrontément
De tout vn lourd iugement :
Ou bien par mine vouloir
Faire vn filence valoir :
De me/me façon morguer.
Et de me/me haranguer,
Par tout en tout n^ayans qu^vn
Gefte & iargon pour chacun,
Selon que différemment
S*offre à leur courtifement
Mafqué, apparoiftre accords,
D*habit, de cœur, & de corps ;
laqueter, & bouffonner.
Sur autruy fe patronner y
Singes en dits, & en faits,
Jufques aux gejies mauuais
De ceux qui ont vogue & bruit.
Car ces deux tous feuls on fuit:
Eftre à tous fer f, toutesfbis
Se morguer en petits rois :
Auancer le ne:{, fouffler
Ses plumes, fa voix enfler
Et puis foudain, fil le faut,
La rabaiffer de bien haut,
La radouciffant d^vn ris
Qu^on a tout expre^ appris,
Quifouuent entre eux f émeut
Sans fçauoir qui les y meut.
Car ce quiplaifl, à Venui
Efi à^out propos fuiui.
La Court efffans iufle chois,
lufte raifon, iufle pois,
Qui pis efi, fans amitié,
Sans droite fans foy, fans pitié ,
yS AMOVRS.
Chacun à/on proffit tend,
Faifant trafique du vent.
Le vent eft fouuent loyer
De celuy, qui employer
A voulu fes ans entiers
A tels indignes meftiers.
Si eft'Ce que viure ainji
Ce leur femble, c^eft dUci
La vertu feule, Vhonneur,
L^accorteffe, & le' bonheur.
% Toute leur vie & façon
i. N^efi point propre à ma chanfon.
Soit pour flater les prifanty
^ Ou foit en leur deplaifant,
Me déplaire en mon difcours,
En me les peignant fi lours,
Tant loing de toute valeur,
En n^eftimant que la leur.
Quant à chanter des fecrets
Que les Romains & les Grecs,
Ou mes difcours plus gaillards.
En tant & tant de beaux arts
M^ont peu fans ceffe enfeigner^
Us feroyent a dédaigner
Efians enuers tous fans bruit,
Eflans enuers moy fans fruit :
N^eftoit que mon efprit tend
Defy rendre feul content,
/ * * *
►
AMOVRS. 79
CHANSON.
O bel œilf 6 blanc tetin,
Teint albaftrin^
Rouge bouchette,
la P Aurore au teint vermeil
Dans fa rojtne charrette,
Sortoit auant le Soleil,
Pour chaffer la nuiâ fréchette.
O bel œil,,.
Le verdoyant mois de May
Plus propre à toute amourette,
Rendoit tout efprit plus gay
De ce que plus il appette,
.0 bel œil,..
Le temps eftoit frais ^eau :
Car lors le Soleil ^ts iette
De fa maifondu Toreau,
Vne ardeur freche & doucette.
O bel œil...
Les boiSy les champs, & les pre!(
Couuerts de verte herbelette,
EJloyent par tout diapré^
De mainte & mainte fleurette.
O bel œil,,,
Vamour à Voccafion
De Vheure aux amans fecrette,
En mon afftgnation
Me chaffa hors ma chambrette. '
O bel œil,,.
Tout le ciel fembloit femé
De mainte rofe clairette,
Tout Vair eftoit embafmé.
Toute voye verdelette.
O bel œil...
\l
^.
il
•i . ,80 AMOVRS.
iir
i
'}• Des ieuSf & des gais amours
* La bande gaye &Jaffrette^
Auoit ta fini les tours *•
»; De fa dancefur Vherbette,
\,\ O bel œil...
Tout autour de. moy, ie croy,
Chacun d^eux tourne & volette,
Tournant & menant dans moy
Mon ame à leur loy fuiette,
O bel œil. . .
i^ Mon chemin eftre plus court
'li. Cent & cent fois ie fouhaitte,
Tant en ma mémoire court
Le plaifir que ieproiette.
O bel œil...
Prés du iardin fuis venu,
Oit ma Deeffe eflfeulête,
Et Vhuis défia bien cogneu
JSans faire bruit ie crocheté.
O bel œil,..
Elle deflors m^ attendant,
Efcoutoit la chanfonnette
Du Roffignol^ accordant
Ses amours de fa gorgette.
O bel œil,..
Dans vn cabinet bien verd,
Que ia par mainte branche tte
Le lafmin auoit couuert
De fa petite fueillette :
O bel œil...
le trouue cet obiet beau,
Qui fur fa chair graffelette,
N"* auoit fous vn long manteau
Qu^vn crefpe pour chemifette.
O bel œil...
Son aife & fa crainte font
Qu^vn teint plus rofinfe iette
Surfes ioués, fur fan ff'ont,
AMOVRS. 8l
/
Luftre de blancheur fi nette,
O bel œil,..
Mais, 6 Dieu, quel doux recueil
Sa voix tremblante & foiblette
M* a fait auec foKdoux œil,
Forçant mon amepauurette,
O bel œil.,.
Dérober, las, ie me fens
D'vne force doucelette,
Ma plus grand* force & mesféns.
Et rendre ma voix muette,
O bel œil.,.
Mon œil rauip éblouit
En richejfe fi parfaite,
S'éblouit & péiouit
jyvn œil qui fi bien le traitte.
O bel œil,,.
Mon cœur, mon fang eft faifi.
Et mon ame toute attraite
Par Vame d'acné, quafi
N'en peult faire fa retraitte.
O bel œil,,.
Voyant nepouuoir vfer
De mon ame, la recepte
O^ de me mettre au baifer.
Qui mon ame en fin rachepte.
O bel œil,,,
Prejfant & repreffant fort
Cefte leure tendrelette,
Auecques mon ame en fort
Son ame mignardelette,
O bel œil,,.
Seulement ne m'a repeu
Sa leure chaude & molette :
Mais tout cela que Vayfceu
Baifer fur fa' chair doucette,
O bel œil.,,
Pay cent fois baifé ce teint,
lodelle. — II. 1
H
82 AMOVRS.
Cefte bouche vermeillette,
Cet œil qui tout aftre efteinty
Et Vvne & Vautre pommette,
O bel œil.,.
Q}te de rayons précieux,
Mais que de coups de fagette
Entrent en baifant fes yeux
Dans ma poitrine tendrette.
O bel œil...
Que d'autre riche threfor
Payfurfa gorge grajfette
Amajfé, mais plus encor
Sus fa double montagnette.
0 bel œil...
Que de rofesy que de lis,
De ma bouche trop folette
Ay-ie fur fon teint cueillis.
En fa blancheur rougelette.
O bel œil...
Quel mufc, & quel ambre gris, ^
Ay-ie entre mainte perlette
Dedans fes deux leures pris,
Entr^ouurant fa bouchelette.
O bel œil...
Du rejïe ie me tairay :
Le Roffignol, la logette,
Les ieus, & les amours V ay ,
Pour témoins d'amour bien faite.
O bel œil, ô blanc tetin,
Teint albajlrin;
Rouge bouchette.
AMOVRS. 83
CHANSON.
le fuis parmi le trouble , & le foin, & Vapprefi,
Dont vn iufie deuoir rend ici chacun prefi
A repouffer Verreur, qui renouuelle
De nouSf fur nous vne guerre cruelle. ^
Mais ie pourrois pluflojl, au moins Ji au befoin
Se pouuoit écarter de moy Ji iujlefoin
Mettre en oubli tout tel deuoir de guerres-
Pris pour mon Dieu y pour mon Prince y & fa terre y
Q3ne le deuoir extrême auquel Vamour vainqueur
A tellement pour toy foumis mon libre cœur,
QnHl faut durant tous lesfoucis dHci,
Que toy fans fin fois fon plus gran d fouci.
Car combien qu'au premier mon Pais & mon Roy,
Et mon Dieu mefme étreigne & requière ma foy :
Elle iCeft point à ces trois plus aftreinte
Que ie la fen peftre à ton ioug étreinte.
Car pour femblable caufe & par pareilles lois
Tu as pxis deffus moy tel pouuoir que ces trois,
En tefdlfant de mon amefans ceffe
Le feuljeiour, la royne & la Deeffe,
Doncques non feulement de toy fe refouuient.
Mais bien en mon abfence en toymefme fe tient :
Elle tefert comme royne, & encore
Comme Deeffe après fon Dieu t* adore.
Mais, las ! dans toy logée & fuiette fous toy,
Mefme enuers toy deuote, il faut pourtant qu^enfoy
Durant la guerre vne guerre elle voye.
Dont pour loyer ta beauté la guerroyé.
Et ne faut point qu^ Amour luy prefte pour cela
Uarc, la troujfe, les traits, ny leflÊhtbeau qàUl ha :
Car contre moy dHnceffables alarmes
Elle me fait combatre de mes armes.
De Vœil, le fens fubtil, qui le premier receut
84 AMOVRS
Dans foy telle beauté que pour obiet il eut,
Efi celuy-là qui dedans Vante mienne
Affault fes fens auecla rai/on Jienne,
Le foudain iugement que mon œil tout épris
Feit prendre à mon efprit, dans tes nœus deia pris.
Qui eft pour vray, que grâce & beauté telle
Pajfoit en tout grâce & beauté mortelle,
Eft vnfort champion, qui fans fin retournant
En Vaffault, & dedans fans ceffe redonnant,
Force cela, qu'yen fi roide rencontre
Peut la raifon oppofer à V encontre.
Puis Vapprehenfion qui par tel iugement^
Imagina dans foy Vobiet fi viuementy
Qu'elle engraua dans mon cœur, dans mon ame,
Pour fon'' trophée vne éternelle fiame,
Eft celle qui encor par vn droit bien acquis,
Veultfans ceffe r^auoir le fort qu^elle a conquis,
Si tant foit peu mon ame & mon cœur ofe
Appréhender quelque contraire chofe :
Si tant foit peu le loifir l'engourdit,
Si tani foit peu la peur le refroidit.
Ou fi quelque autre égard, plaifir, affaire.
Le vient de toy par reuolte diftraire, ^
ELEGIE.
Madame, fi iamais ma douce liberté
Deffous ta dure main efclaue n^euft efté,
Si faimant feulement d^vne faulfe apparance
le n'euffe efté captif au vray fous ta puiffance,
Eftant en ton endroit feint & de double cœur,
Plus toft que vray amy & loyal feruiteur :
Et fi fans me piquer & fans iamais me prendre,
AMOVRS. 85
Peujfe voulu tacher amoureufe te rendre,
Toufiours feignant beaucoup & n^ aimant que fort peu,
Brûler dedans la glace, & glacer dans le feu,
Ha ie ferois encor bien-heureux en ta grâce,
Comme Vejlois auant que fi fort ie faimaffe!
Ou ne ferois à toy fi fort ajfubieti,
Qjie ie ne puijfe prendre ailleurs autre parti :
Ains demeurant toufiours mon cœur en fa franchife.
Sans que Veujfe efté pris, ie te tiendrois éprife.
Mais, d'autant que Vay mis fans fart, fans fiâion,
En toy feule mon cœur & mon affeâion :
D'autant que ie me fuis d^vn cœur trop volontaire
Rendu à toy captif plus que n'eft le forfaire.
Et que tu as cogneu que ie n'auois en moy
Autre efpoir, autre amour, autre defir qu'en toy,
Tuasfoudain de moy defiourné ton courage.
Et ce qui te deuoit encore d'auantage
Efmouuoir à Vamour & ton cœur enflammer.
Cela fa fait du tout delaiffer à m' aimer.
En toy, qui par auant m'eftois fi fauorable,
Pay veu vn changement fi bifarre & muable.
Que de ton feu premier ie n'ay point apperçeu
Rien que la cendre morte en la place du feu :
Et ce qui fa ainfi légèrement changée.
Ce dont tu fes fentie eftre plus outragée.
Et ce qu'à mon amour m'a fait vn plus grand tort,
N'eft finon mon amour trop ardent & trop fort.
Si ie4^eujfe porté l'amitié froide & lente,
La tienne en euft efté beaucoup plus violente,
Si bien que fans aimer i'eujfe aifément acquis
Ton amour, qu'en aimant aquerir ie ne puis :
Et fi 4'euffe voulu diffimuler & feindre
jyvncœur traiftre & mef chant, & d'vn parler non moindre,
le n'euffe efté de toy aimé tant feulement.
Mais ie t'eujfe trompée auffi bien aifément,
le fçay ce que l'on dit, iefçay ce qu'il faut faire
Pour pouuoir lafchement les courages attraire :
Iefçay lafotte rufe, le langage commun,
;l
■|
88 AMOVRS.
De point ne larmoyer Je pourroit contenir?
le dépite le ciel, la fortune cruelle,
Le deftiny & le fort ^ qui pour eftrefldelle
M'ordonnent maintenant d^ endurer plus grand mal.
Que fi Vauois eflé pariure & defloyal.
le dépite V enfer, car il n'efl pas poffible
De me faire fouffrir vn tourment plus horrible.
Pour le iujle loyer d*vn damnable forfait,
Que celuy que ie fens, pour auoir fatisfait
Au deuoir, à V amour, & à cejte promeffe
Qjie ie dois, que ie porte, & garde à ma maijlreffe :
Et faut fans trouuer foy en elle ny amour,
Que ie luy fois fidelle & V aime fans feiour :
Et que fans nul efpoir de recouurerfa grâce,
En ce cruel enfer ma ieuneffe fe paffe.
Sans pouuoir relier ma defiointe moitié,
Ny fans pouuoir ailleurs chercher d^ autre amitié.
/
ODE
SVR LA DEVISE DE NŒV ET DE FEV".
Quand ce grand Macedon laijfa fan Emathie,
Pour ranger fous fa main Vvne & Vautre partie
De ce grand vniuers.
Et borner les confins de fa terre natale,
En tous lieux où Titan fa fommité détale
Aux deux pôles diuers :
Animé du defir des vidoires futures.
Et d'en eflre affeuré par la voix des augures
Et oracles des Dieux :
Veit le temple d'Hammonfur les chaudes arènes
AMOVRS. 89
De V Egypte brûlante, outrepaffant les plaines
Des plus étranges lieux,
n veit de Gordian la royale charrette.
Qui eftoit defon heur la fatale prophète.
Et le nœu merueilleux :
Nœu tellement feé quHl promettoit lefceptre
De Vopulente Afie à qui feroit le maijlre
De fon tour cauteleux.
Mais le fils de V Olympe impatient d* attendre,
Depouuoir de ce nœu les cordelles eftendre.
Fit que le couftelas
Termina le deftin iufqu^à lors inutile.
Tranchant le labyrinth, & la corde fuhtile
Du fâcheux entrelas,
Eftant le nœu deffait, il peut aujfi deffaire
La Perfienne armée, & les forces de Daire,
Et de Pore Indien,
Pouffant outre le Tygre, outre Euphrate, outre Gange y
Et outre Tanaîs la fameufe louange
Du Macédonien,
Ce nœu refit depuis le Feuure, qui martelle
Dans VjEthnean fourneau la brûlante efiincelle
Du foudre rougiffant :
Lors que le Dieu guerrier de ta belle Cyprine
Preffoit Viuoire blanc, lefein, & la poitrine,
Sur le lia gemiffant,
Cupidon Veut après, Cupidon qui en lie
Les cœurs des amoureux en fa douce folie.
En fa foie douceur :
Et ce nœu eftfi fort, qui captifs les peut rendre,
Que pour le délier dWn fécond Alexandre
Cefferoit la valeur :
Nœu qui toufiours efi nœu, & pour croiftré fa force
U le voulut douer d^vne nouuelle amorce,
Et luy donner le Feu :
Feu qui brûle fans ceffe & ne fe peut efleindre.
Ne pouuant toutesfois auec la flamme atteindre
Au Dédale du Nœu,
6'
\
9°
.;' Seroit-ce point ce Naeu qui te fert de deuife?
'. ' Seroit-ee point ce Feu qui lu cordelle attifef
■L Ouy, mais autrement
l 1 Car la feule vertu eji le Ncbu Gordien,
j! Qui à ton amejerld'vn immortel lien
■: Plein de contentement
T Si le Feu f_ft d'amour c'eji d'vn amour kantfte.
Amour 5111 eJi liée S du tiaeu & du eefte
J I>'vne cha/le Venus :
\ Auffi Ion Nau Ion Feu ioufiours auront durée,
1 Tandis que Ion verra en la voûte etheree
f La clarté de Phebua,
CONTR'AMOVRS
91
I.
Vous, 6 Dieux, qui à vous prefque égalé m^aue:(,
Et qu^on feint comme moyferjs de la Cypvienne.
Et vous doues amans, qui d'ardeur Delienne
Viuans par mille morts vos ardeurs écriue:^ :
Vous efprits que la mort n^a point d*amour priue^,
Et qui encor au frais de Vombre Elyjienne
Rechantans par vos vers vojire flamme ancienne.
De vos pâlies moitié^ les ombres refuiue:( :
Si quelquesfois ces vers iufques au ciel arriuent.
Si pour iamais ces vers en noflre monde viuent,
Et que iufqt^aux enfers defcende ma fureur.
Appréhende^ combien ma haine efk équitable.
Faites que de ma faulfe ennemie exécrable
Sans fin le Ciel, la Terre, & V£nfer ait horreur.
92 ' CONtKA'AMOTRS.
j
P
li.
O Toy qui as & pour mère & pour pere^
De Jupiter lefainû chef, & quifiUs
Qftand il te pUdft^ & Ut guerre, & lapaix^
Si iefuis tien, fljeul ie te reuere.
Et fi pour tojr ie dépite la mère
Du faux Amour, qui de feux, & de traite.
De paix, de guerre, & rigueurs, & attraits
Tachoit plonger ton Poète en mifere,
Vien vien ici, fi venger tu me veux.
De ta Gorgone éprein moy les cheueux.
De tes Dragons Pordepance prejfure :
Enyure moy du fleuue neuf fois tors,
Fay^moy vomir contre vne**,. telle ordure.
Qui plus en cache & en Pâme, & au corps.
III.
Dés que àe Dieufouhs qui la lourde maffe
De te grand Tout ' hvuillé pécartelà.
Lés deux plus hauts clairement étoila,
Et d*animaulx remplit la terre baffe :
Et dés que V Homme au portrait de fa face
Heureufement fur la terre il moula.
Duquel Vefprit prefqWau fien égala,
Heurant ainfi fa plus prochaine race :
Helas ce Dieu, helas ce Dieu vit bien
Quel deuiendroit cet homme terrien,
Qui plus en plus f on intelleâ furhauffe.
Donc tout foudain la Femme va baftir,
Pour afferuir Vhomme & Paneantir
Au faux cuider d'vne volupté faulfe.
contr'amovrs. 93
un.
le nCétoy retiré du peuple, & folitaire
le tachoy tous les tours de iouir fainâement
Des celeftes vertus^ que iadis iuftement
Jupiter retira des yeux du populaire.
la les vnes venoyent deuers moyfe retraire j
Les autres Vappelloy de moment en moment,
Quand V Amour traiftre, helas! (las trop fatalement !)
Tefeit, 6 ma Pandore ^ en malV heure me plaire :
le vy^ ic vins^ ie prins, mais m'ouurant ton vaiffeau.
Tu vins lâcher fur moy vn efquadron nouueau
De vices monftrueuXj qui mes vertus m^emblerent.
Ha,Ji les Dieux ont fait pour mefme cruauté
Deux Pandores, aumoins que n*as-tu la beauté,
Puis que de tout leur beau la première ils comblèrent!
V.
Myrrhe bruloit iadis d'vne flamme enragée,
Ofant fouiller au lia la place maternelle :
Scylle iadis. tondant la tefle paternelle,
Auoit bien V amour vraye en trahifon changée :
Arachne ayant des Arts la Deeffe outragée,
Enfloit bienfon gros fiel d^vne fierté rebelle :
Gorgon fhorribla bien, quand fa tefte tant belle
Se vit de noirs ferpens en lieu de poil chargée:
Medee employa trop f es charmes, & fes herbes,
Quand brûlant Creon, Creufe, & leurs palais fuperbes.
Vengea fur eux la foy par lafon mal gardée.
Mais tu es cent fois plus, fur ton point de vieillejfe,
Pute, traitreffe,fiere, horrible, & charmer effe,
Qtie Myrrhe, Scylle, Arachne, & Medufe, & Medee.
96 CONTRE
Jamais ne fut affe^ en fon vray los tenue
Ny pratiquée au vray y ny mefme au vray cogneué
D'amour la claire torche : & ce noir brandon ci
Ne peut eftre aborré, ne peut eftre obfcurci
D^vne exécration f qui ajfe^pour luy vaille,
Puis que contre les loix de Nature il bataille.
Si tout bien de Nature eft fur tous biens facré,
Tout mal contre elle foitfur tous maux exécré :
Quoy que ie couure ou monfire amour, iamais rCappaife
Au foyer^e mon cœur Vafpre & Vocculte braife.
Dont V effort plus contraint fe rend d'autant plus chaud :
Et comme ces Démons qui font du rang plus haut,
Et^u^on croit dans le feu dernier élément viure,
Mon efprit, qui leur haut naturel femblefuiure,
Deufl-il fentir fon corps confumer peu à peu.
Brûlant d'amour ne peut viure ailleurs qu'en fon feu,
Laflame aux deux volant, vient des deux, & nofire ame
Eft plus celefte alors qu'elle encloft plus de flame :
Mais comme ie me laiffe à toute heure attifer
Tel foyer qui prochain vient mop. ame embrafer.
Aimant mefme vn amour qui agréant molefie :
Cet autre amour contraire à V amour ie detefte,
le hay, ie fui, Vaborre vne Riere^Venus,
Dont les feus puis n^aguere en France font cognus >
Car le brandon qu'vn cœur fous nqftre Amour endure
S'allume dans le ciel de flame haute & pure.
Telle, comme ie croy, que peut auoir aux deux
Pour les Dieux & pour nous le feul œil de tous yeux :
Le ciel, le feu, Vair, Veau, la terre, & ce qui mefme
Ou dans noflre bas Globe ou dans tout rond fupreme,
Difcourt & fent & croifl, fait hommage au brandon
D'amour, & ce grand Tout n'efl rien fans Cupidon,
Qui feul fait & repare & maintient ce qu enferre
Enfoy le ciel, le feu, Vair, & Vonde, & la terre ^
Au rebours du brandon horriblement infet,
Qui ne fait aucun œuure iffir de fon effet.
De Nature la haine & Voutrage exécrable :
D'autant qu'à celuy~là de Megere femblable.
LA RIERE-VENVS. 97
f — ■
np allume la bas aux brandons inhumains,
FumeuSfPuanSyfanglans, dont fàorriblent les mains
Des fœurs, qui pour cheueuxfur leur chefamoncelent
Leurs hideux couleureaus, & qui tantoft bourrelent
Les coupables efprits de ces feipens rongeurs.
Arrache^ d'vn tel poil, ou de ces feus vengeurs,
Qjii vn poifon de rage & puanteur font prendre
Au brandon qu^ Amour faux deffus eux fait épandre :
Oejt pourquoy fon effet des faux cœurs enchanteur,
Leur fait <Vvne or de rage aimer la puanteur.
Lâche & vilain fe voit le defir qui endure
Son contentement propre, auoir pour but Vordure,
Et que cela qui mefme au contentement fort,
Doiue auecques Vordure aller au lieu plus ord : ^
Qjû telle Venus^monftre eftre d^embas yffue^
Puis qv?au fond de la terre elle eft encor receue,
Qfte donc V Amour hautain mette en cendre mon cœur^
Non pas vue infemalle & furialle ardeur.
Comme maint otfillon approchant d'auantage
L^ardent Soleil, fon chant enfon chaud encourage :
Comme vn Grillon noâume efk au chant enflammé.
Tant plus ilfent au foir fon foyer allumé :
Et comme la Cygale au fort de VEflé chante.
Tant plus la challeur eft & brûlante, & fechante :
Sur mes heurs malheureux, fur mes gayes douleurs,
le fay maint chant diuers au millieu des chaleurs.
Et fans fin pour V amour, quifes cruels alarmes
Refrefchit dans mon cœur^ ie pren mefme les armes
Deffendant mon tyran : mais ne pouuant aimer
L'autre amour ^ contre luy ie veux mes chants armer
De plus fort en plus fort. Car tout bon cœur ne fouffre
Ce feu, non plus qu^vnfeufe dégorgeant du fouffre
Que la bouche du mont Sicilien rendrait
Alors que plus de fouffre en fon ventre fondroit :
Non plus que desferpens chaque efpece prochaine
Du Bafilic, ne peut endurer fon haleine,
De Vhaleine & non pas du regard, comme on feint ^
Ce royal ferpenteau la vie en eux efteint:
lodelte, — II. 7
98 CONTAE
Non pltis que Vair/wtant des m^es crQupiJfsmies,
Ou VairjpUa eorrcmpu.Âe$ cloaques pumntes :
Non plus qu^ la fumée emmi les cfumps/a^rUtni,
ï^vn /tu fait de toute herbe & tout bois mal, /entant ^
Ou ces fortes vapeurs par médecine extraites
Des drogues que Um trouue entre autres piu^ infetes :
Non plus que des ferpens plus chauds & piuf vU^^s,
JLef repaires qui font <feftrange çdeur toifi pleins^^
Ou des porcs engrf^e^ç le tet plusr^ordmaii^^
Ou d'autres animaux plus, puants fe repaire i
Et non plus qu^im ^ffi^ clufrongnemx de ces corpft
Soit d*anhnaux puantSf oufoit deferpen^ ^ort.*»
Horreur mefmit aux o^féaux & .b^e9 c^n^ier^f
i' Nepeuteftreeudutà.paitAei.^pim9^€kMnfpùfres*....
!; Mefme à fin. ^Myùgmttt toutes amresfeff^mtirs^ /\,
Pappropmàeél fÊitfes propres puknHUxt^\ .^.'
ip Nom plus que cela mefine em qièi fomàeni fefàmiUe . .
!l
i Ce crime f qui Pordure aimCf reckèfrdm ^ fomllq
DefbrtpréSi & long temps ne peut efire foti^fert ....
Z>*yit, qffi-par punaifie au nukins tel fenà ne.peifdè i . i. . •.
« Vàme-atmantke »erfus. abomine Ucritne .
« Plus qtCvnbotk ne^ Uoden^r ne f€iem pu efUme* »
Si donc M mm09Meus^^/alê échauygement
Hors mou ame^AMour^t^e. enéor plue ardem^imf
Par vn.beaû céwtr^fm. de me» amontf-Jf, ch^ge^ .'.
QsûardeÊuàutnt vim auiomr par:. cU« ne. JP^mJbrafffi. :■
H faut bien que nîon chant ^ puifi qu^ettces veretoujtours
Poppofe Vamour noftre aux nnmfirueux amours,
Face prendre à tous ceux qui hâtent tflle pejle, .
Vn fi grief contre^ccsur du mal que ie detefle,.
QuUl puijfe encorpaffer la pitié, la faueur,
La iufte bien vueillance & V ardente ferueur,
Qu*en écriuant d^amour te veux grauer en celle,
Qui fait, quifçait mon feu^ qu^etu decouurant ie celé.
En ceci ie V implore, elle qui iufte doit
Par pitié bienheurer ma ferueur, qu'elle voit
Si bien à la chaleur de ma vie ^nç eftreinfe,
Q^e Vvne en moy ne peut fe voir fans Vautre efteinte :
\
LA RIERE-VENVS. 99
Si bien qvhm tel tortisfe croifant. Je laçant
De cent nœusy & dans Vair en ma mort Je haujfant.
Fera voir tout d^vn coup mon amour & ma vie
En deux pointes de feu iujques au ciel rauie,
le voudrais qu^en voyant bouillir mon Jiel Ji fort ,
Contre vn Jbrfait, qui fait aux Dames tant de tort,
Et qui peut mejme faire aux François de nojire âge
Trop plus qu'à la Nature & aux Dames d'outrage y
Elle vint tout enjemble ici fauorijer
Ce qui peut & mon fiel & mon cœur attijer^
Mon fiel tout plein de haine encontre ceci fbrte,
Moftcœur tout plein d^amour quUmmortel ieluy porte.
Et qu*auec moy iurant en mon meJme dejfein^
Elle fift plus que moy y qui fuis de courroux plein :
Si bien qu'en fe ioignant aux Deeffes plus belles.
Se voilans de ces noms Dames ou Damoyfelles,
Elle fift que chacune vfafl du haut pouuoir 1
Qu^on leur voit contre nous en nojlre amour auoir :
Au moins Ji leur bel œil & leur pudique oreille
Pouuoyent ouir & voir cefte horreur nompareille,
Par V éclat de leurs yeux qui peut mefme eclarcir
Tous les cteux, &" d'éclairs toute flame obfcurcir,
Rauirfoudain du ciel des Dieux Vame immortelle.
Et des humains porter au ciel Vame mortelle.
Forcer mefme aux enfers Pluton de les aimer :
Pour amortir ce feu qui nous vient diffamer.
Elles viendrôyent eftans iujkement irritées,
Et dans ces vers encor par mon ire excitées,
Efteindre telle rage : en faifant par beauté^
Tel obfcur brillement céder à leurs clàrtaç,
Voire armant pour chaffer telles forceneries,
Au ciely terre & enfers, Dieux, & Rois & Furies.
Mefme aux premiers arrefts par leur grandeur donne\
Contre ceux qu^on verroit du crime foupçonnes^,
Elles les priueroyent pour iamais d} auoir place
En leurs yeux, en leur cœur, en leur mémoire S- grâce,
Tant qu'elles, que Ion croit de Nature Vhonneur,
Defon beau le plus beau, V heur plus grand de fon heur,
lOO CONTRE
De Nature les fleurs, & plus dignes richeffes.
De Nature par moy Je feijfent vengereffes :
Mais elles ne voudroyent honieufes en ceci
Entendre le feul nom de cefte hideur ci.
Tout François vrayment noble, à qui la force grande
Des Dermes & d"* Amour par f on vrayjens commande,
Du nom &plus du fait prendra, ce croy-ie, horreur.
Sans me lire & fans prendre en mes fureurs fureur :
Moymefme ie ne puis dans vn tel chant me plaire.
Qu'à bon droit & pour bien iefuis contraint parfaire
Sans peine & fans plaifir, Souuent Vafpre courrous
Maint difcours prompt & haut peut pouffer hors de nous.
La preftreffe à Phebus quand ce Dieu la poffede.
Par Jbrhe à la fureur de fes oracles cède :
Elle fent en fa langue vn forcé mouuement.
Changement en fon corps, nouueau tranfportement
En fon efprit prophète, en fa poitrine enfleure.
En fa face, en fes yeux mefme, en fa cheueleure,
Palleur, terreur, meflange, &fans aucun plaifir
Met hors ce qui luy vient efprit & corps faifir,
Oeft malheureux fuiet que de voir ou d'entendre,
D^écrire ou de parler, ce qui l'horreur engendre.
Tout ord & vilain vice en foy ioufiours a eu
Deplaifance efiant dit, & croiffance eftant teu, ^
Qjiand Vinftind de V Amour ranimant dans moymefn\e
L^ autre ardeur de chanter Vembrafement extrême,
M^offre^ ainfi double feu : Vvn dont Vamour nous ard,
L^ autre dont Apollon nous échauffe en fon art,
Faifant au feu premier fi viue clarté rendre,
QuHl puîffe après la mort éclairer nofire cendre,
le m'égaye en ces feus, bien quHls m'aillent brûlant.
Comme fur le mont d^Oete vn grand Hercule allant
Par brulement au ciel, lors qu'*vne flame telle
Purgeant fa chair diuine eufi brûlé fa mortelle ;
Ou comme cet oifeau, qui pour renouueller
Sa vie vient foymefme après mil ans brûler.
Car telle ardeur d'amour qui aux grands cœurs vient naifire,
Rencontrant Vautre ardeur chajfe le mortel efij-e,
LA RIERE-VENVS. lOI
Nous porte dans le ciel, gaignant par vn tourment.
L^etemité qui fort d'vn hardi brulement,
Tant que de nojtre cendre à la mort afferuie,
Defiecle en Jiecle on voit renouueller la vie,
Quife rend par pareil & perpétuel cours
De mémoire aux deux noms, aux vers, & aux amours:
Ce qu* attendre ie puis, non ceux dont on decœuure
Auant la. mort mourir les vers, Vamour &Vœuure,
Bien qu'ils fe vantent tous^ Jinges de hauts efprits,
D*etemifer leur nom y leur Dame & leurs efcrits :
Ce cher loyer des Dieux, de Nature, & des aftres,
N*eft pas pour les labeurs des mal-ne:{ •' poétaftres.
Moy donc eftant épris de ces deux diuinsfeus,
le donne à V heure vn ftile aux vers tel que ie veus,
Pouuant tourner ma Mufe en mainte & mainte forme,
Comme quand vn Prothee en cent façons fe forme.
Comme Achelois fentant V effort Herculean,
Comme Thetis fuyant Vautre effort Pelean,
L'ample fuiet d'amour prefque encloff toute hcofe,
Qjte tout autre fuiet à nos d{fcours propofe :
Luy des Dieux premier né, nous fait parler des Dieux,
Rechercher leur fuhjiance é compaffer les deux
S*accordans par iuy feul, tellement que fans peine
Là haut de cercle en cercle vn hautfens il pourmeine.
Pour commencer Veffence & les cours & les rangs
Des aftres arrefte:^, & des aftres errans :
Luy qui eft tout flambant & noftreflame eguife.
Nous porte dans laflame après les deux aff\fe
Au plus haut defon monde, & luyfeul infpirant
Uair, que nous refpirons, en Vair nous va tirant,
Puis fur toutes les mers nous dreffe vn nauigage,
Oùfouuent noftre efpoir par luy fouffre vn naufrage,
U rompt f on vol & vient fur terre fe ficher,
Pour dedans & dehors la flame rechercher :
Soit tel qu'on feint ou non, proffitahte eft la feinte
Par qui prefque de tout la fcience eft attainte,
Luy donc qu'on fait auffi de toute vie autheur,
Comme on le fdnt auffi Vautheur & le moteur.
V
lOa CONTRE LA RlfiRE-VENVS.
J-'ait que Paigu difcours four /a guide decceuwre
De Nature tout art, toute cavfe, & tout eeuure,
Toute tnatiere * prme, & donne tant iPobiets,
Fait prendre vn diuerx Jlile en fi diueriifuiets,
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DES GVERRES
DV ROY HENRY DEVXIESME
CONTRE l'eMPEREVR CHARLES CINQVIESME,
ApKB le fîege de Metz teuiî.
L.e dol hng tempi couué, tafui-pri/e, & l'audace.
Tombent en cotitrerufe, en repouffe, S rabais:
Qsiiamque hait les fiens, leur repos, & leur pais,
L'efiranger, le trauail, la guerre le terraffe.
Celuy n'eJIplttS gu'vn/onge, vn tronc, & vue glace,
Qui feiUoit, floriffoit, & bruloit en fes faits :
S'on veut vaincre, enrichir, reuiure par meffaits,
La dépouille, la perte, & la mort nous menaffe.
Malheur quand Page vieil, le trouble, & la froideur.
Rencontre vne ieunejfe, vn accord, vne ardeur :
Par ces trois l'heur paffé, l'egOrt, S l'efperance
Se toVment en malheur, foiblejfe, S- defefpoir,
Or' que l'Empereur, l'Aigle, S l'Efpagne font voir
Qpevautuofire grandRoy, nofireLys, nofireFrance
104 SONNETS..
A MADAME MARGVERITE,
SŒVR DV ROY HENRY DEVXIESME,
Depuis Duche(re>de Sauoye.
i.
T^oyant ce iour parler du grand Dieu, dont Veffence
En Je méfiant par tout, anime Vvniuers,
le mefouhaitte auoir & mille & mille vers,
Qjie do&e Vay cent Jbis facre^ àfapuiffance.
Et voyant que le ciel pour reuenger la France,
Nous enuoye en ce temps le plus beau des hyuers :
Sur ce temps ie conçoy mil argumens diuers,
Pour par vn bon augure aider noftre efperance.
Puis ie brufle d^ emplir cent papiers écriuant
Vaife de noftre Roy, f es enfans receuant,
Vaife de toy leur Tante, & Vheur de telle race.
Et ne pouuant du tout m*affouuir, ie ne veus
Me faillir fans qu*aumoins ces petits traits ie trace
De Dieu, du temps^ du Roy, de toy, de tes neueus.
II
Dieu, ce Dieu qui promet aux François plus de bien
Qm'H ne leur a ces iours permis faire d'outrage.
De foy, d^œuure, defens, de langue, & de courage^
Doit ejire aux biens f aux maux, lefeulbut duChreftieu
SONNETS. I05
Seule caufe de toutf de tout feul entretien y
Tout infini, tout bon, tout puiffant, & tout f âge,
L*ame^ le gon^ l^^PP^X du monde fon ouurage^
QuHlfit luy eftant tout^ & pouuant tout de rien :
Qjd pacifique en tout, par harmonie accorde
Des neuf deux & des quatre elemens la dif corde,
Par fon deftin certain guidant V incertain fort :
Qfii par ordre & raifon donne ou ame ou croiffance^
Qui nous fauue par cHVLisT, fa race, & fon effence.
Seul fort, & feul vengeur du tort & de la mort.
III.
Ore qu'en ce beau parc penfif & folitaire.
Pour façonner ces vers ie raffemble mes fens :
le m^efmerueille en tout de fentir que ce temps,
Ce beau temps nefent rien du cornu Sagitaire.
I^esDieuxpour nous venger, cefemble, ou pour nous plaire,
A la queue d* Automne ont fait naifire vn Printemps,
Tant que les Dieux de nous parauant mal contens.
Ne feront plus nomme:ç Bourguignons du vulgaire.
Ha! quHl me plaift d'aller par vn feruice beau
Chercher che:{ Vennemi la gloire ou le tombeau :
Tu mens, Iule Cefar^ lâche en fon infortune
Le François ne fe montre, ains renforçant fon cœur,
Comme VHydre, des coups, des playes, du malheur^
Doit fous mon Roy combatre & les Rois & Fortune.
IIII.
Mon Roy fçait'il pas bien que les deftins ont fait
Afin qu*vn changement maintienne ce grand eftre,
L^vn peuple à Vautre peuple, & les Rois aux Rois eftre
Contraires, pour en tout monftrer tout imparfait?
1"
I06 . SONNEtS.
Et mon Roy fçait-iî pas aujfi que le mtffait
Par lepreuoir des Dieux rend le deJHn feneftre?
La vidoire </f toufiaurs (â hbnkt) dans ta dextre,
Mais de nous tesfuiets le vice nous deffadt.
Le vice & la viûoire ont bien peu d^aHiance,
VertVf valeur f vid(dre^ eneorfont en la France,
Ne crain qu^vnfeul poiffon retarde ton vaiffeau**,
Ny que la nuiû te puiffe en ton beau iour te nuire.
Sois Tiphys, fois Phebus^ &pour pourfuiure & luire
La vertu foit toufiours ta voille & ton flambeau.
Trouppe d^enfans ^iuins,fàit celle qui arriue^
Ou bien foit monfieur mefme, ^ii Pvne & Vautre fontr,
/' Voftremere lunon vous doué defon heur,
Vojtre tante P allas de fa vertu nalfue :
Mars ce prince Lorrain, qui ia fous foy captiue
Nos ennemis, vous foit deprouéffe donneur.
Mercure ce prélat des Cardinaux Phonneur^
Vous doué de coitfeil & d'éloquence viue. ^
Ainfi vousfere^ fûdts tous fept, 6 nombre beau.
Sept pandores en France, & chacun fon vaiffeau
Dans fes mains receura de lupiterfon père :
Puis Vouurant vous verre:^ fortir tant de vertus,
Qye les maux de Pandore à la fln combatus,
Lairront noftre air François fans crime &fans mifere.
EPISTRE. 107
A MADAME MARGVERITE DE FRANCE
SŒVR DV ROY HENRY,
Deuant qu'elle fuft mariée *'.
Vierge^ ta France te veut^par ces versfacrer vn autel,
Auquel nuire le fer ^ Vonde, ne Page, ne peut.
Vagefuperbe ne mord les vers, dont Grèce fe baftit
Vn las éternel, ny ce que Rome graua:
Moy doncq qui retirant mes pas leur gloire refuiuray,
ïdeurdrijfant Voubli, viure ta gloire feray,
Et de ce vers mefuré ton fainâ nom bruire Ion orra,
Puis que ta fainâe faueur aide ma fainâe fureur.
EPISTRE A LA MESME DAME.
Si déformais vers toy, fous qui doit eftre férue
LHmpudente ignorance , on addreffe, ô Minerue,
Tant d*œuures auorte:^, à qui leurs pères font
Porter effrontément ton beau nom fur lefront.
Comme fi Ion vouloit fa fauue garde faire
Sous la targue qu'on voit au poing de Vaduerfaire :
Si mefme dans ton temple impatient ie voy
Quelque enroué corbeau croûaffer deuant toy,
Q!iife pouffant au rang des Cygnes les plus rares,
Vienne fouiller ton nom dedans f es vers barbares,
Et qui tout bigarré d'vn plumage emprunté.
Ne couche iamais moins qu*vne immortalité :
I08 EPISTRE.
le ne feray point moins dépit, ny not Charités,
Tes neuf/çauantes Scmrs ne feront moins dépites,
Qiiefi nous auions veu dans ton temple Troyen,
Ou .Aiax Oilee, ou le Laértien :
JL Vfi pour forcer encor ta preftreffe Cajfandre,
Vautre pour ton pourtrait gardien vouloir prendre
D'vne fanglante main, indigne de toucher
A cela que la Troye auoit tenuji cher:
Car pareil à ceux-ci efl celuy qui f efforce
De bon gré maugré faire aux Mufes toute finxe.
Pour d'vne main fouillée au bourbiet d'ignorance.
Toucher au facré los d*vne Pallas de France,^,
Faifant tort à ton temple, à moy ton prejire fainâ.
Voire à f on nom qu^on voit dés fa naiffance ejteint.
Mais auf fi quand iefçay qu*vn Ronsard, qui eftonne
Et contente les Dieux, à qui f es vers il donne.
Vient humble dans ton temple à tes pieds (apporter
Ce qui peut aux neueux, voire aux pères ofter
La gloire des beaux vers, bien que. Ion me vift eftre
Ton plus cher feruiteur, ton plus fauori prejtre.
Te repaiffant fans fin dvn vers qui vient à gré,
Quand il vient d'vn Iodellv à toy feule facré :
le ne fuis moins ioyeux que la preftreffe antique
Du deuin Apollon, quand au temple Delphique
Le grand Roy Lydien prodigant fon threfor.
Vint enrichir ce lieu de mille prefens d*ory
Efchangeant les vaiffeaux d*argille bien tournée,
Aux vaiffeaux mafjifs d*or, où la troupe efionnee
Des deuots pèlerins aborde:( en ce lieu,
Beuuoyent de longue fuite aux feftes de ce Dieu,
Car les riches prefens qui or^ che:( toy fe treuuent
Prefente:( par Ronsard, tout ainji nous abbreuuent :
Inuitans tout vn monde à louer ton honneur,
Inuitans tout vn monde à louer ton donneur,
Qui recule en Vautel de ma grand^ Margverite,
Pour faire place à Vor, mon argille petite,
Oii deuant ie faifois Vqffrande à ta grandeur
Non pas d^vn pareil pris, mais bien d^vn pareil cœur.
EPISTRE. lOQ
Malheureux font ceux-là, de qui les ialoufies
Pour les gefner tous/euls, ont les âmes faijies :
Malheureux eft celuy, qui pour penfer gaigner,
D^vn admirable ouurier veut la gloire efpargner :
Dans les antres ombreux, le ialoux d'vn bel œuure
Doit viure, fil ne veut que fa rage on decœuure.
Qu^efl'Ce qui fait les vers, & leurs fainâs àrtifans,
Seruir d*vne rifee à tant de Courtifans,
Et que les grands qui font leur but de la Mémoire,
Dédaignent à tous coups Vouurier de telle gloire,
Aimans mieux fe priuer mefme de leur efpoir,
Portans tout au cercueil, qu*en viuant receuoir
Les vengeurs de leur mort? Hé! qui fait que la France
Charge fouuent d'honneurs fon afneffe Ignorance,
Si ce n^ejt vne enuie ? enuie qui ne veut
Souffiir vne vertu, qui trop plus qu^elle peut.
Se perdant pour la perdre. Il faut, il faut des autres
Vanter les beaux labeurs pour donner force aux noflres.
Tel admire fouuent ce quHl doit admirer.
Qui de foymefme fait d*auantage efperer :
Car quant au point d^ honneur, tant plus vn homme en quitte,
Et plus il en retient, & plus il en mérite.
leferay toufiours franc, Vhonneur que Vay de toy,
Au rebours de tout autre éueille vn cœur en moy,
Vn cœur prompt & gentil, qui fait que gay V adore
Celuy, qui comme moy ma grand Miner ue honore.
Et fi fait que de luy ie m^ accompagne, afin
Q}ie ton nom &lefien vole au monde fans fin.
Aux couards foit V enuie, oncques on ne vit eflre
L'enuie dans Vefprit courageux & adextre.
Nul nefçauroitfi bien fe faire plaire aux Dieux,
Qjie ie ne defiraffe encor qûHl leur pleufi mieux.
Quand on a le cœur tel, bien qu'encore on ne face
Ses traits du tout parfaits, ce braue cœur efface
Par vne opinion le trait le plus parfait^
Puis de V opinion la vérité fe fait :
Ainfi Vœuure d*autruy doit feruir à la vie
D^vn encouragement, & non pas d*vne enuie.
Tant f en faut qu'tnuieux de nos hommes ie fois,
Que ie iure ton chef, qu'entre tous nos François,
Tant Vhonneur du pays m'a peu toufiours efpaindre,
le voudrais qu'on me viji, tel que ie fuis, le moindre,
le ne feruirois plus fors qu'à tonfacri los
D'inciter languiffant les efprits plus difpos.
Maispuifque nous voyons croijlreen France vn tel nombre
De brouilleurs, qui nefontfinon que porter ombre
A la vertu naijjanle, il te fa.ut prendre au poing
To» glaiue, & ton bouclier, pour tn'aider au befoing,
Et tant qu'encourageant mes forces, à l'exemple
Du vainqueur Vandomois, ie forte de ton temple.
Pour fur les ignorans redoubler les efforts.
Et voir ces auortons auffi tofi que nais morts,
A jîn que l'heur de France S des Mufes ie garde,
Faifant après Ronsard tafeure arriere-gardè.
Je les verray foudain fous mes Irails feffroyer,
le les verray foudain fous ta Gorgon muer.
Mais non pas de beaucoup, car eftans demi-pierre
De l'efpril, il ne faut finon que Ion referre
Leur mouuemeni, d'vn roc, à fin qu'on ojle à tous
Le pouuoir de fe nuire eux-mefmes de leurs coups,
Arrejlant par les yeux de Medufe auec Pâme
Le malheureux Démon qui fi mal les enfiame.
Or cependant qu'ainfi ton fecour^attendray.
Et redoutable à tous au combat me rendray,
Embrajfe moy ces vers, que la Harpe meilleure
Pour lafainie grandeur a fonne!( à cefte heure :
Embraffe, embraffe, & fay ces beaux hymnes fonner.
Frères de ceux qu'on vit àfon Odet donner.
Tant que depuis ton temple entendent les efiranges
Des hommes & des Dieux tes plus belles louanges,
Confèffans qu'en ce fiecle ingrat, aueugle, ff las
Des troubles de la guerre, on voit vne Pallas,
Qjtifait de nos vertus & de nos mufes conte,
Autant qu'à l'ignorance S au vice de honte,
Prenant pour les faueurs que fait fa deité
Lvfure qu'elle attend en noftre éternité.
EPITHALAME. 1 ï I
EPITHALAME
DE MADAME MARGVERITE",
SŒVR DV ROY HENRY II. TR ES-CH R ESTIEN ,
Ducheflfe de Sauoye.
Q}tUl te deplaiftf déesse, en qui tellement viuent
Vertu, Science, amour de ceux qui ces deux fuiuent,
Qjte les deux nous deuroient contraindre à Vadorer,
L*autre efmouuoir les Rois de ces deux honorer :
QtiHl te deplaift {ie croy) quand les ingratitudes
Qu* on fait, foit aux vertus, foit aux diuers ejiudes
Des grans hommes, leur font rapporter feulement
D*vn trauail vn trauail, d'vn mérite vn tourment :
Et penfe que tu crois ces grâces^ plus diuines
Ne pouuoir tant en nous affeurer leurs racines,
Qu^on n'en perde fouuent le defir ou Veffet
Pour le tort qu'à ces dons aueuglement on fait.
Lors qu'aux vns de mépris fert vne ame bien née,
Aux autres d'vne enuie, aux autres de fumée.
Et de regret àfoy iuftement fe fâchant
D*eft renée au pouuoir dufotou du méchant :
Pitié dont tellement la confiance f ébranle
Qu^elle met à tous coups toutes vertus en branle^
Nonobfiant ce confort fantaftiquement pris,
Qsie la vertu foulée enfin retient le pris.
Car puis que noftre vie eft tant douteufe & breue^
Et que Viniquité toufiours Vequité greue.
Tant qu'yen perdant plaijtr & proffit bien fouuent
Nous perdons mefme encor du renom lefeul vent :
Q)ti ne croira {bons Dieux!) telle caufe eftre forte
Pour mouuoir la perfonne en fon meflier accorte^
I 12 EPITHALAME.
De fuiure vne plaifante & feure oifiuetét
Ou par vn defefpoir quelque autre volonté.
Aimant mieux peu ou prou dejfous vn hasard viure,
Qm'vw bien qui Je fait mal obftinément pourfuiure.
Mais fi iamais (toufiours la vertu qû*on eftrange
Nous laiffe vn vain efpoir ou vn regret pour changey
Quelque ame ainfi bien faite, après auoir laijfé
Vheur qui la nourriffoit, pour le voir offenfé,
Par raifons, par remors, maifires de fa penfee.
Et par occafions fe vit iamais forcée,
Ceft la mienne auiourdhuy. fauois quitté ce bien
Qui outre mille maux ne rapporte ici rien,
Voulant, fi Mars toufiours eufi V Europe troublée.
Rendre nulle ma vie ou ma gloire doublée,
Pour en fin reioignant & Vvn & Vautre effort,
Par Mars vaincre mes maux, & par Phebus ma mort :
Mefme ce fainâ retour de paix, puis que Vvn manque
Comme Vautre, à tous deux m'auoit fait quitter banquet
Pour viure au fentiment de Vheur qui nCeftprefté,
Et fans le fentiment du malheur arrefté ,
Ains garder tout ainfi le char de Vame mienne.
Que pelle eftoit défia fous Vombre Elyfienne :
Mais vn remors me prend, Vamour accoufiumé
M attire mon efprit à plus grand chofe né.
Me force^ & dedans moy ne peut iamais conclure,
Que Dieu m' ayant fait tel inutile m'endure,
le fonge à cette loy, qui naturellement
Ne permet que pour moy ie fois né feulement :
lefongCj fi ie veux fuiure le plaifir mefme,
Qu*en ceci ie me puis feindre vn plaifir extrême :
le fonge à Vheur que défi de viuant dépiter
Les riches ignorans, & mort les furmonter :
le fonge aux changemens, au temps, à Vefperance
Que ton accroiffement donne aux efprits de France,
A mon Prince, à toymefme, à la pofierité,
A qui ie fay, peut eftre, vn tort non mérité, '
Aux amis, & à ceux qui bons me fauorifent,
Qui n'auront rien de moy contre ceux qui méprifent,
EPITHALAME. I l3
Aux fingeSy aux pedans, aux flatteurs^ aux vanteurs.
Que monfilence aura rendu fur moy vainqueurs :
lefonge mefmement bien que ie ne fois point
Si fier de nC égaler à ces deux de tout point,
A la faconde heureufe, à la Mufe fluide
Du grand Tulle Arpinois, du Sulmonois Ouidc,
Dont Vvn ahfent vn peu. Vautre fous V Aquilon
Traînant f es derniers iour s, efcriuoient, Apollon
Hors du ciel rauîffoit àfoy les champs d'Amphryfe,
Ayant au lieu du Luth la cornemufe prife,
Sans qu^vn dépit de voir bleffer leurs deite:{
Rendift ces trois en vain contre eux mefme irrite^ :
Bien qu*en cela plus iufie argument les peufl poindre
Que moy, qui rCay leurs maux, S- qui mefen bien moindre,
Q)ii mefme en mon pats plein de repos & d^heur.
Ne me puis plaindre en rien que du vulgaire' erreur,
Qfii, de tout temps cruel aux vertus, ne doit faire,
Qjié tuant mon honneur ie me fois Ji contraire.
levoy, fil faut au grand le moindre apparier,
Scipion ce me femble àfoy contrarier
Cent fois dansfon Linterne, alors quefon inique.
Voire à fonfeul fauueur ingrate Republique,
Voulant forcer au conte vn, auquel on deuoit
Et la ville & la vie & tout Vheur qu'on auoit.
Fit là ce grand vainqueur folitaire fe rendre,
Arrachant au pals fa vieille ffe &fa cendre.
Oresie penfe voir V amour enraciné
D'vn chafcun vers la terre en laquelle il efl né :
Ore vn defir plus grand {car defir nous r^enflame
Sans ceffe, comme eflant vne part de noflre ame)
Vouloir donter Vefprit, donteur des Africains,
Ardant de croître encor par confeil & par mains.
Et fa Romme & fa gloire, or^ lesfieres tempeftes
Qjti de fes citoyens menaffoient ia les teftes.
Or Vennuyeux défaut des honneurs iournaliers.
Or lesparens abfens, & les Dieux familiers.
Or mille occafions qui poffr oient de bien faire.
Et or la palme aux mains de Venuie aduerfaire,
lodelle. — II. 8
1^
i
EPITRALAKE,
:ourroux /on triomphe plus grand,
lû, & tout obiet qui rend
nnors reteatoient ce grand homme,
Monfirans qu'auani la mort U foing ne Je confomme,
Qjiifoit que nous cherchions ou le iour ou la nuiû,
Jufqu'en la nuiâ mortelle inceffammetit nous fuit :
Si Je vainquit-il lors /cachant que la vaillance
Plus grande, c'ejl douter les /ens & Vincanfiance.
Mais reuenant à moy, qui voulais de mon gré
Quitter du tout les Rois, S- VHelicon/acrê,
Dant ie pui/ais deuant vne liqueur tant belle.
Pour arrou/er le plant de leur gloire immortelle,
Encor qu'vn casur trop haut qui me rend plus /uiet
Au malheur, que tous ceux qui ont vu c<eur abiet.
S'efforce me donner cefie loy dommageable,
Wejlre plufiojt chetifque iPe/lre variable :
Maugré ce eeeur ie pren la re/olution
De ne m'objliner point, comme vn grand ScipioH,
Puis que ma petîteffe & Viniure petite
Ne peuuent égaler/on tort ny /on mérite.
Et qu'ores plus qu'à luy d'occajion ie voy,
Pour changer mon dcj/ein, /e prefenter à moy.
Ici le foin des Dieux, S- la/ain^e alliance
Q}ie le ciel à l'Europe, & VE/pagne à ta France,
Voire tous quatre enfemble ont~feuJi bien iurer.
Que deux peuples vnis /emblent deia tirer
Tiiiis 'ins peuples en paix, S qu'Europe /es guerres
Garde au barbare /eul, & le ciel /es tonnerres :
Ici ton Hymenee & l'heur qui t'eftoit deu
Auanl que naître, l'heur 3 l'e/poir qu'en ont eu
Les liens, ma ioye extrême en qui ie/ens mon ame
D'autant paffer chacun, que toy /a/eule Dame
Ou trépaner les Dieux, S- les Rois au pouuoir
Que ta vertu te fait deffous cefte ame auoir :
Ici ta vertu me/me & les biens ordinaires.
Dont à iamais tu rens les Mu/es tributaires.
S'offrent, S d'autre part les liens/ainds & forts.
Dont par miracle Hymen garrotant nos di/cords.
EPITHALAME. IID
Ta Niepce accouplant : les vœus qu^à ton feruice
fay cent fois repete^ç, mon ancien office f
Qui veut bouillant dans moy nCétoufer au fortit\
Voyant auecques Mars r autre office amortir :
D'autre cofté Vhumeur qui hifarre fecouè
L*ame des efchauffe\ Poètes, & pen iouê
Plus que iamaiSy pour faire accorder à ce fon
Des nopces & la doâe & Vindoâe chanfon :
L'ajfeurance que Vay de te pouuoir bien plaire^
Si ie me puis au moins moymefme fatisfaire,
Et Vefpoir^defgaigner mon Roy y puis que le mieux ^
Qu'on face, c'eji de plaire aux Rois nos féconds Dieux ,
Me rallument mon feu, que ie rembrafe encore
Des mérites premiers que ia V oubli deuore,
'Le befoing de charmer par mes vers les ennuis
Qjie Vay, pour n'erre veu iamais ce que ie fuis,
Ains quejinçere &fain de crime & confcience
le voy cha^er mon heur, tacher mon innocence
Par Viniquité mefme, ou mefmement par ceuxj
Qjii, îasi m^honoreroientft Veftois cogneu*"* d'eux :
La crainte du reproche & le iufïe argument
Que Venuieux prendra fi ie fais autrement,
Combien qu'en le faifant ie n^aye point d'attente,
Qu'autre que mon deuoir enuers toy me contente :
L'amour de la vertu & ce cœun^rayement mien,
D'' aimer & faire en tout le bien pour le feul bien,
Qui fur foymefme tient fa recompenfe affife :
Car fans fin la vertu fer t de chaffe & de prife.
Bref mille autres raifons m'ont en ce changement
Rendu l'art, le vouloir, l'efpoir, & Vargument :
Dont l'vne qui fe naifl de toy dans mon courage,
Languiffant parauant m'anime d'auantage
Qji' Achille dépité pour fefïre veu rauir
La venue de Lyrneffe, & voulant afferuir
Tant les deflins des fiens, que fa hayne ennemie,
A vn iuré courroux^ encor qu'auec famie
On luy offinft des dons, ne fut alors forcé
De reuoler aux coups, quand Pat rode percé
I \6 epithalame.
Tout outre par Heâor dedans fes mefmes armes^
Luy fift changer au fer &fa lyre & Jfes larmes.
Il eft vray que ie fuis renflambé d'vn grand heur.
Et ce Pelide efloit remhrafé d^vn malheur :
Aufji ie ne repren les armes, mais la lyre,
Comme luy quand premier il digeroit fon ire.
H faut donques fortir, & comme celuy-là
Qui dedans fa maifonfi long temps fe cela
A ce Thebain Adrafïe : il ne faut que la crainte
De tout prochain danger rende ma force efireinte,
Me deuft Vingratitude & Venuie engloutir
Comme la terre Vautre : il faut donques fortir.
Et quand ie n^aurois point d^occafion meilleure,
La furieufe ardeur qui f empare à cefte heure
De moy, dedans V horreur de ces bois oit laffé
D'auoir en ces chaleurs fi longuement chaffé,
Laffé du vain fouci que ie rechange en ioye,
Riant des biens, des maux que le hasard enuoye,
Trouuant mau gré fortune en ces lieux écarté
Le repos, le plaifir, l'heur^ & la liberté.
le refrefchi au bord fecret d*vne fontaine.
Tant le corps comme Vame, & reprenant Valeine,
Auecques les :[ephirs & Vodeur de ce lieu,
le refpire** dans moy vn ie ne fçay quel Dieu,
L* antiquité dit vray, que les Jforefls plus fombres
Cachent enfoy des Dieux, des Démons & des Ombres,
Aux lieux fecrets fe fait maint my fï ère f acre,
Non plus qu'à moy le peuple aux Dieux ne vient à gré
Quiconque foit ce Dieu qui tous mesfens domine,
D^vne folajlre humeur rempliffant ma poitrine.
Rend la conception que Venfante pour toy.
Tant eftrange, tant belle, & tant nouuelle à moy,
Que combien qu'acné foit trop tarde & inutile,
Pen penfe bien pourtant mouuoir Vame gentille*^
De ta diuinité, comme efmeu ie mefens
Or que telle fureur fe fait plaire à mes fens.
Il me faut donc par force entreprendre, ma Dame,
Ce que Vay commencé de ton Epithalame,
EPITHALAME. II7
Auec Vit autre chant pour lafolennité
D'autres nopces défia dedans moy proietté
Et force e/crits plus grands, dont mes Mufes trop vaines ^
Ont taché ces trois mois de foulager mes peines,
Dans le/quels ajfeure^ de Vimmortalité
Le los de cefte Paix prend vne éternité.
Au lieu de ces labeurs ma Ubrefantafie
A d*vne gaye humeur la peinture choifie
D*vn doâe, d^vn bifarre^ & fuperbe appareil.
Que dans moy Vimagine eftre du tout pareil,
Tes mérites pourtant au vif y feront peints :
Cefonge en vérité fe fuft changé, peut eftre,
S*onpouuoit,pon daignoit en France me cognoiftre.
Vn appareil plus grandies autres V auront fait,
Moy ie te paye ici du vouloir pour V effet.
Et loing de toy n'ayant du vray la pourtraiture.
Mon ardeur méfait plaire en la feinte figure.
Comme Ion voit fouuent dans ces cerueaux plus creus
Errer ces beaux difcours, propres à leurs humeurs *'.
L^vn dans Vefprit fe peint d^ eftre Roy, Duc ou Conte :
L^ autre mille ennemis dans vne heure furmonte :
Le moyne eft Cardinal, Vapprentifeft ouurier,
L*afne fe fait do&eur, Vaduocat Chancelier :
L'^vn fe fait ou Crefus, ou Crajfus, & fe ronge
L"* entendement, pour eftre Irus au bout du fonge :
Cent beaux chafteaux en Vair peft ia bafti ceftuy,
Qj/iifa pauure chambrette empruntoit auiourdhuy :
Vautre feint enuersfoy les amours des plus belles.
Vautre {les fiâions des fiances font telles)
Auecfoyfa moitié f imagine d'auoir,
Qjii n*^mbraffe en la fin que le vent & Vefpoir :
Moy, qui te cognoiffant Deeffe, ne puis ore
Auoir plus grand defir, finon que Von t* honore
Ainft que ie voudrois d^vn infertile foing :
IlS EPITHALAME.
le fuis dedans Paris encor que t* en fois loing^
Oit ie dejfeine, & taille^ & charpente, & maffonne^
le brode^ ie pourtray^ ie couppe^ ie façonne.
Je cii^eîe, ie graue, émaillant, & dorant,
le griffonne, ie peins, dorant & colorant,
le tapiffe, Vaffieds^ ieféftonne, & décore y
le mufique, iefonne, &poétife encore :
Et en ne faifant rien ie fais tous ces rHeftierSj
Comme pour teferuir Veuffe fait volon^ers.
Et m^oferois vanter fi tous mes beaux nuages
Rempliffent ce papier, que les riches ouurages,
Qjti au vray ce beau iour de nopces orneront.
Cent fois moins que monfonge au monde dureront.
Mais quoy, en doy~ie donc remplir ces vers? il femble
QjiHlfuffit mepener, fans en voir mille enfemble ^
Defaueur courtifane éplucher à loifir,
Etfe pener en vain de ce qui mUfi plaifir :
Je ne le veux donc point : Il vaut mieujfi- que Pacheue
Tonfainâ Epithalame, ou que ie me releue
Du tout de toute peine, & que tous ces vers ci
Nefoyent qu*vne promeffe, ainfi, que font ici
Plufieurs, qui prometteurs d'hifioire ou d*onture feinte.
Font naiftre lafouris ou la corneille peinte*^ »
le ne le veux point donc : quoy? le malin diroit
Qft^apres la ville prinfe au fecours on iroit :
L* autre auec vn fou-ris eftranglé dans la gorge,
Louant Vouurier, viendroit blâmer Vœuure & la forge :
Vautre plus dangereux, plaindroit que ie ne puis
Efïre auffi fage & dous que bon ouurier ie fuis :
Vautre diroit vrayment ce fange efire aggreable,
Et qu'il efpere voir ce ieune homme metable :
Vautre au rebours diroit, que ie croy faire mieux,
Orgueilleux & trompé; que les plusftudieux,
Et iugera de moy, qui fuis humble & facile,
Q}ie fouuent mon orgueil rend mon ame inutile :
QuUl eufl trop mieux valu chanter ce qu^vn grand Roy
Fait apprefler de grand, que ce qui vient de moy.
Tant que ic vois finir après que Vauray dit
EPITHALAME. IIQ
Que ce que mieux iamais Hymen au monde fit :
Oefi cefte couple fainde, & grande, & vertueufe.
Que la faueuv des Dieux face encor plus heureufe.
Ainfi mafeulCy ardante &.pure volonté
Rendra ton iugement fans rien voir contenté :
Toutesfois te ne puis : ce Dieu qui me vient mettre
Cefte manie au chef ne me veut point permettre
Que te cède & defifie, & veut, ie penfe^ à tort
Me faire croire ici que des Rois le difcord
Efieint, & leur enuie au fond d^oubli iettee,
Ont Difcord & Enuie à leurs fuiets oftee.
Et puis ie refpotidray quHl n^efioit point befoin
D^offrir ceci pluftofl, fçachant qu^on a le foin
De chofe encor plus grande, & qu'vn fort aduerfaire
Se rend fouuent à Vheur de mes deffeins contraire :
Auffi que le deffein plaire ie ne penfoiSt
Q)ti vient d'vn homme doâe, ou qui vient d'vn François :
Nofire peuple fe fert à foy-mefme de rire,
Et comme Dieux nouueaux les efirangers admire.
le refpon que bien tofi mes œuures feront foy,
Sans qu'on f attache à tort, de ma vie & de moy :
le refpon que Vorgueil ne me feit onc rien faire,
Et qu*ore mon feul but c^efl d'humble pouuoir plaire.
Toufiours la modeftie accompagne vn cœur haut^
Qui ne fe haxtffe en rien, fvàon quand il le faut :
Et faut que fans bleffer V honneur & la nobleffe,
La vertu face à tous & fupport & careffe :
JLon m'a toufiours veu tel, qui ne me di pourtant
Ny grand ny vertueux, mais ces deus fouhaittant.
O mif érable terre ^ helas, qui tes fens bouches
Au bien pour les ouurir aux medifantes bouches!
O peuple vil &fot, qui fans fin hais- le plus
Ceux qu^ honneur & vertu tient d'auec toy forci us !
O Rois, ô fiecle, ô Court, où V ardeur fainde & gaye
Pour le bien contre tous refifter ne feffaye!
le puis refpondre encor, que fi Veuffe peu voir
Ce que de riche & grand ce faind iour doit auoir,
Que Veujfe mieux aimé chanter l'honneur du Prince ,
I
i I20 EPITHALAMfE.
I
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Ton honneur vray, V honneur de Paris maprouince^
L^honneur de ton Efpoux^quéyour vn Dieu ie tien,
Tant pour fon propre los que pource qu'il eft tien,
Qjte non la vaine ardeur qui rien ne nous rameine,
Qji^à moy d^efcrire, à toy de la lire la peine.
Mais qu^euffe-ie peu voir, quand eftant innocent
le fuis du lieu par force & fans raifon abfent?
le n^ay pourtant nul foin de. mon mal, Vinnocence
Rompt tout mal & fouci^ remors & pénitence :
Je n^ay iamais encore importuné mon Roy
Soit de grâce ou de biens, ie iCay encor dequoy .
LHmportuner de Vvn, tant pourfçauoir cognoiftre
Comme il faut eif la fin fon droit faire paroiftre,
Qjt^ pour Vaife & le bien qu^aux lieux auf quels iefuis
Vay receus, & qu*affe:{ publier ie ne puis :
] Et pourfçauoir défia, toufiours ne mord Venuie,
j Qu*on commence à cognoiftre & mon droit & ma vie,
- Pendant donc que le vray deuiner ie n^ayfceu.
Et que ce que Pefcri f*executer n^a peu,
T . Au lieu d*vn vray prefent de chofe plus aimée,
Laiffe toy doucement encenfer de fumée.
Digne offrande des Dieux : auec vn tel encens
Ma volonté plus fainâe au ciel voler ie fens,
Qjti porte deffus.foy fes honneurs, ce mérite,
Ce grand nom que Pallas ef change à Margtbritb,
Et ce nom Philebbrt, qui tous deux après eux
Ayant le monde orné feront honneur aux deux :
Vn cœur deuot fe feint la prefence en abfence,
lettant Vœil & la foy hors de fon apparance.
Mais pàurquoy ft long temps femblé-ie marchander?
Il femble que ie vueille en vain recommander
L^ouurage par Vattente à Vame defireufe :
La chofe délayée àpparoift precieufe.
Qui que tu fois pourtant Dieu, qui me faifant gros
De charge en vain germee, & qui mouuant mes os,
Tendant mes nerfs, bruflantmonfang, renflant mes veines
f Comme fi ie fouffrois à ton for tir les peines
De la femme accouchante : Ore fors fors dehors ^
EPITHALAME. 121
Tu es trop gay pour eftre étouffé dans mon corps^
le retien ta fureur en moy fi long temps clofe,
* -
Dont Vopinion faulfe & défia le long temps
Qjiekuers cefte Deeffe en refte ie me fens, --,
Me chargeoient Vefiomac, ou pour vfer d'vne autre
Comparai/on plus gaye en cefte longueur noftre^
le te manie ainfi que quand vn bon piqueur
Sur la carrière effaye vn cheual belliqueur,
Si toft piquant au vif & luy lâchant la bride
Ne luy dinne carrière, ains en brauant le guide
Pas à paSf fièrement d*vn orgueilleux dédain.
Le faifant Je iouér de la charge & du frein,
Compajfer hautement fa pompeufe pennade,
Sansfault, &fans gallop, fans bond & fans ruade,
Efcumer^ fe gourmer, & d^vn braue hennir
Monftrer prendre courroux qu'on le vient retenir ^
Puis adroit roidement fa carrière luy donne.
Puis il Varrefte, & puis de rechef luy redonne.
Puis plus follaftrement le volte à toutes mains,
A courbettes, à bonds, tant que de fueur pleins
Le maiftre & le cheual rapportent cefte gloire.
De n^ eftre faits tous deux finon pour la viâoire.
A toy gaye fureur Vay long temps retenu
La bride, & nefemblois eftre en ce champ venu,
•Sinon que pour brauer & partir fans rien faire
Comme fi fans donner plaifir ie voulois plaire.
Or fus donc, vie-vie efforce maintenant
Ta courfe, & fayfi bien qu'on aille fouftenant,
Que d^emporter le prix indignes nous ne fommes :
Toy de beaucoup d?efcris, & moy de beaucoup d^hommes,
Celuy qui a le cœur plus deuôt en tels lieux.
Face qui vouâra faire, il fait toufiours le mieux.
Car cela qu'il a moins qu*vn autre d'excellence,
L'ardeur le luy fait prendre ou bien le recompenfe.
8*
Me voila donc, Vy flth, bien toft tu m as porté
Dans ma ville où ie voy ce gui eft apprefti,
Par moy, fous le vouloir de mon FoXi ^^ "■* femble.
Joignant rhonneur, la grâce, & la rickeffe enfembte.
la l'Aurore laiffantfon Tilhon endormi,
Chajfe la nuit ombreuft, & refeme parmi
L'air tranquille S ferain des rofis qu'elle apprefte
Pour les faire pleuHoir fur
Dedans la maifon ioinie au temple principal.
Où mon Prince ejl couché, i'ojr l'accord mujical
Des Chantres & fonneurspius diuins, qui rcueillent
Deçà delà ces Dieux, qui ce matin fommeillenl.
Fors les amans ajfes; reueille:; de l'amour,
Qsii les fait fouhailer lefoir de ce beau iour.
Pay bien d'autre façon habillé telle bande.
Que Cvfage commun grùffier ne nous commande,
Guillaume, lean Dugué, Charles, Mitou,foni ceux,
Qfie de nom S d'habit, i'ay fait Princes d'entr'eux :
L'habit fait qu'affe^ bien à ces noms ils conuiennent.
Leur fon fait que ces noms pour tamais ils retiennent.
Guillaume efi vu Pkebus, Charles tant de la main
Comme du refle imite va Ampkioa TTtebain,
lean Dugué fait le Pan, Mitou qui raccompagne.
Le Thracien Orphée, S pour ce coup dédaigne
Son luth, ayant aux champs Ety^ens appris
D'vtt gentil inflrument, qu'il a maintenant pris.
Les deux deffus le luth, dont comme Dieux ils fonnent,
Doucement vu Sonet doux S hautain fredonnent,
Qye fur ce iour i'ay fait : les deux autres fuiuans
Accordent au fonet S au fon, émouuans
L'ame plus aigrement : Pvn touche fes regales
Auxfepl luyaus derPan Archadien égales :
Et l'autre vn clauecin accorde gayement.
Et félon fa partie auec Vautre infirument.
Deuant chacun des deux, par en/ans de la forte
Q]ie Ion peint les Amours, leur infirument fe porte,
Et tous ces quatre enfemble ont fur moy tel pauuoir.
Que ie penfe ces Dieux, & non ces hommes voir.
EPITHALAME. 123
Qfiand Vvn d*eus tient le plain, Vautt-e deffus fredonne,
Et le tiers fredonnant, le quart plainement fonne :
Puis rechangent foudain, & fe iouans de nous
Auec vn dous réueil donnent vn fommeil dous,
Et fans la prompte ardeur en chacun embrafee,
le croy que Ion lairroit en fon lid Vefpoufee,
Ces quatre donc tousfeuls des autres à Vécart
Se faifant rois des fens font leur mufique à part.
le voy là d'harmonie encore vne autre bande,
Qjti guère moins aux fens de nous tous ne commande.
Ce font Mufes, parmi cefte troupe Vay mis
Deux de ces trois enfans Italiens tranfmis
Non de Rome, ains du ciel, pour adoucir la peine,
Qjte toute affaire apporte au Prélat de Lorraine.
En vn autre troupeau de Chantres on peut voir
Leur frère plus âgé faire vn autre deuoir :
Mais quant à ce faint Chœur, qui fi bien fe deguife
Et de port, & d'habits, fur tout vne Denife,
Denife Mufe vraye ores que mieux ie Voy,
Auec fa voix hautaine emporte hors de moy
Mon ame dedans Pair : lesfix autres pucelles
Se font en tous eftats choifies des plus belles.
Ou quipouuoient au moins auec quelque beauté
Joindre ce diuin chant dont ie fuis enchanté :
Les oyant tant au vif reprefenter V antique,
Qu'elles nousfemblent rendre encor la chromatique :
Chacune tient en main vn infirument diuers,
Q}ie les vnes vont bien accordant aux fainds vers.
Dont î'ay loué les Dieux'* autheurs de V alliance.
Aux autres il ne fert finon de contenance,
Vne autre troupe encor des Chantres mieux appris
A qui donne la Court V entretien & le pris.
Marchent tels que Ion peint les poètes antiques.
Entre lef quels on voit les huiâ fçauans Lyriques,
Sapphon eft autre part, & tant Vautres bien ne:{,
Veftus en long, & tous de laurier couronne:^
Ces grands Démons humains, ces Chantres & Poètes,
Vont chantant dvn ramas des chofes que Vay faites
Il
124 EPITHALAUE.
' Sur le dos de la Paix, les train les mieux Hrej
nj-' Aufquels on a des chants eelefies infpire\,
NI H ' Comme famé des vers. Vne bande confiife
Ijl n , . D'autres miyïciens tous en/ans de la Mufe,
•Il , _ Se rompt deçà delà portant diuerfement
D'homme ou de Dleujl bien le vieil accouflrement.
De femme, & de Triton, de Seraine, S Satyre,
Qjie leur/on fait rMurir, leur gaye façon rire.
Leurs chants font fort diuers, foXaftre efi leur accord,
I ' Hors des vulgaires loix, mais pourtant fans difcord :
M .> ' ^ ^uffi tous feparef, trois à trois, quatre à quatre,
i' Ne fouffrent le plaïfir par le difcord combattre :
Trois beaux enfans qui font S femmes & poijfons.
Des Seraines encor vont imitans les fons.
Voila vn petit mont, qui porte fur fa pente
Mercure encor afjis, qui maintenant n'enchante
I ' . No/Ire lumière, ainjt qu'il fit d'Argus les yeux,
fit, Sa flutte nous réueille, & Ji peut tous les deux.
I I . ~ Mon Anglois qui chej moy m'a cent fois de fa harpe
I I I ■ Recréé (e* efprits, l'ayant ore en écharpe
I Contrefait Arion,fur des flots cheuauchant
I '. " Son Dauphin, Sfauuant fa vie par fon chant.
Sappkon fur vn rocher, qui enleué la porte,
De fon ciftre S fa voix fes amours reconforte :
Le Centaure Chiron fagement comparant
Sa marche de cheual, & fon aix delaiffant
Qu'il porte dans le ciel, tient la lyre diuine.
Dont il apprifl au fis de Thetis la marine.
Et fonnant fait le quart. Entre ceux ci voila
Qjiatre autres qui vn peu f écartent de ceux-là.
Qui d'vne aigre mufique & gaillarde & hautaine
Font retentir le ciel à granJ'force d'haleine,
Vn Triton embouchant vn gros injirument creus.
Trompe des Dieux marins retorfe en plufieurs nœus.
Porté deffus des flots, de toque blanche & bleue.
Dieu vieillard par le haut, S poiffon par la queue,
Sert d'vne baffe-contre à ces quatre. Vn Triton
Plus ieune que celui, d'vn plus mefuré ton
EPIXHALAME. 125
Va remplijfant fa trompe y autrement retournée
Qjte celle que fort père a fi bas entonnée.
Deux Satyres plus haut & plus clair que ces deux.
De cornets à bouquin éclattent auec eux :
La-Mare, que premier entre ceux-ci Vefiime,
Vn ton perçant & doux fi viuement anime,
Qjte les plus endormis foit d'ici, foit d^ autour.
Se iettent hors du lid, beniffans ce beau iour
0« le cielfe decoeuure à leurs yeux fauorable.
Autant qu^eft cet accord à Vaureille aggreable.
Voila, ie voy fortir encor de ce degré
Trois pafteurs, qui tantoft iouoient tant à mon gré
D'vn flageol, d^vne flufte, & d'vne comemuje, ^
Qjti m'ont fait fouuenir de la ruftiqueMufe,
Qjti ne dédaignant point les trouppeaux & les bois,
Ny la chanfon champeftre, enflamba quelquefois
Tytire Mantouan^ Damete de Sicile,
Et VErgafte gentil de Naples la gentile :
Darinel en eft Vvn, qui bourdonne fi bien
Qu'aux chants Arcadiens le Poidou ne doit rien.
Toutes ces bandes font de gens excellents pleines.
Soit en efprits, en mains, en vois, ou en haleines,
Mefmement quelques vns qui de nom & d'honneur.
Dédaignent le nom vil de publique fonneur,
Se f entent trop heureux pour toy qui es Maiftreffe
De la trouppe fçauante, & trouppe chantereffe.
D'honorer ce faind iour, comme feroient ces Dieux,
Comme feroient auffi cesfainâs efprits des vieux.
Contrefaits par ceux ci, fi ces gaillardes bandes
f^^ approchaient de fi près de leurs grâces plus grandes :
Ou fi eux^mefme au ciel, ou là-bas dans leurs champs ,
N^auoient à reiouir auiourd'huy de leurs chants
Les Ombres & les Dieux, pour les fainâes concordes,
Qfii nous accordent mieux que n'accordent leurs cordes.
Je ne voy point ici ce bien fonnant Albert,
Héritier de l'honneur de fon père : Lambert,
Ny tant d'autres encor que noftre Court renomme,
D'eftre nés à tirer àfoy l'efprit de V homme,
Comme Orphée les bOis, ne fy-foift point Irouuej,
Et croy fue pour la chambre ilafe font refeme^.
Ton Francifque eft ahfent que ie plaïn d'auanlage ,
Sois Deeffe enuers luy, & pardonne à/on âge :
le ne voy plus ici de bande, dont le fon
Et Vhabit reprefente vne antique façon :
Les bandes des hauts-bois, 8- clerons, & trompettes,
Aux autres fai/ans place & iufqu'ici muettes,
Ont bien fceu qu'il efl iour ici de tout cofté, —
Que toute dame ioint la pompe à la beauté, ^B
Qji'on ieue les deux Rois, que defia Ion habille f^H
Ces trois Roines, la Mère, S Fille, S Belle fille, ^^
Et que fur toutes, toy {de ce iour le Soleil) ' "
Tu vas faire enrichir d'vn éclat nompareil.
D'or, d'argent, de fiambeaus, qui par tout illumineni,
Deffus lefquels encor tes deux beaux yeux dominent.
<
De tous cœurs fe faifit i'allegrejfe, S lefoing
Auec le vent qui fort, S emporte bien loin.
L'accoufirement d'eux tous, fans qu'on leur accommode
l^etque antique perfonne, eft fait à noftre mode, . _
Cijiefiri riche d'étoffe, encor mieux façonné i^^U
De tes couleurs, tu as à chacun d'eux donné. *<^^H
Tous ces gais violons font de mefme liuree, ^^^
Et maints autres defquels noftre Court fe recrée.
Qui veut, ie croy, ce iour, veu ces feules merueiltes.
Soûler tous grands efprits, tous yeux, toutes oreilles.
Sus enfans, fus amis, fus fus troupeau diuin,
La miifique eft la fteur de la ioye & du vin :
Du vin la fureur fainSe égayant par mefure.
Fait mefme fouuent vaincre S l'art S la Nature.
AUei, dejfemble^-vous, le vin frais vous attend,
Defiune^", rende^j^vous l'efprit libre S content,
Et puis demi-repeus de légère viande,
Que chacun plus difpoftfe retrouueenfa bande.
EPITHALAME. iZy
Afin que quand le iour Je monftrera plus haut y ^
Et que le Roy voudra qu^on marche y comme il faut.
Par ordres & par rangs vos troupes ie difpofe
Pour marcher y fans confondre en vous la moindre chofe,
Par cefte grande allée que %*ay fait ordonner.
Ce qui peut tout ce peuple & moy-mefme étonner,
Cejle allée à main dextre au long du mur menée y
Et félon les retours par compas retournée,
Tantofi baiffant plus bas y & tantoftfe leuanty
Sans perdre pourtant grâce y & toufiours enjuiuant
Sa hauteur y fa largeur y & Vart qu^on y contemple y
Prefque iufques auprès des portes du grand Temple
Commence y à Vhuis duquel tous ces Dieuxfortironty
Qui fous elle à çouuert iufques au temple iront.
Je Vay prefque en façon de longue gallerie
Fait fonder, & leuerfur la charpenterie.
Qui fe fuit y baiffe, hauffe & tourne par endroits, ~
Par efpaceSy gardant f es allignemens droits :
Car tantoft à niueau tout droit fe continue^
Puis tantojl la mefure & grâce retenue
Peu à peu fait fon fais deualler contre^basy
Puis peu à peu le monte encore par compas.
Pay toutesfois par tout de gfbsfeftons de Vhierre
Reuejiu tous les bords y & mefme iufqu^à terre
Couuert & enfîthi tout ce qui la foufiienty
Tant que rien en tout Vœuure offenfer ne nous vient.
Sur ce bois donc quifert à tout Vœuure de ferme.
De huiâ pieds en huid pieds on voit vn double terme
Duquel la hauteur va le naturel paffanty
Qui en deux chefs humains par le haut finiffant,
Dont Vvn monftre au dehors. Vautre au dedans la face,
Dont Vvn ejt maflcy & Vautre a de vierge la grâce.
Se couple dos à dos, & toufiours au millieu
De fa hauteur ioignant les deux nombrils au lieu
De iambes & de pieds, il f amortit en pierrCy
Qjti large par le haut defcendant contre terre,
Toufiours fe ramenuifcy & au pied feulement
S*eflargity fe plantant ainfi plus fermement ;
128 EPITHALAME.
le les ay fait y à fin que chafque terme enfemble
Sans différer d^vn trait Vvn à Vautre reffemble,
Tous mouler de papier, qui cache dans le creus
Ce qui fouftient le fais qui repofe fur eus :
Vartifan ftudieux a d*vne gi'ace telle
Dans fon moulle exprimé Vaâion naturelle,
Qu*à les voir on diroit quHls ahanent bien fort,
Et que prefque leur corps raccourfit fous V effort,
Tant bien pour fouftenir chafque arcade voutee,
Mefme la voûte auffi des arcades portée.
Ils renfoncent les yeux, ils referrent les dents,
\ Ils repliffent le col, & retenans leurs vents
\ Ils fe font arondir le ventre & la poitrine,
Ils renflent les tetins, & renfrongnent la mine.
le les euffe bien fait au lieu de les brun^er^
En toutes les couleurs de marbre déguifer^
Et prendre leur poli, ou bien en pierre nofire^
En ferpentine, albafire, oU porphyre, ou quelque autre,
Mais la façon du brunie efi haute, &fe peut mieux
Reprefenter au vif & contenter les yeux :
Ce qui f efi fi bienfait , qu^on ne fçauroit cognoiftre
Lequel des deux ouuriersfeft monflré meilleur maiftre,
Le fculpteur^ ou le peintre : ils font ainfi qu^ alors
i4-
AV ROY CHARLES IX.
«PBES LA REDVCTIÛN DV HAVRE DE GRACe"
5/ te Vay Jifcouru ces tours tfvn baftiment,
le ne fuis pourtant. Sire, vn maigre d'édifice
, L'heur de Nature S l'art m'ont pourueu d'e;
Plus grans, pour au pals rendre vn auln
Non que ie refufaffe à méfier dexirement
D>V« fi bel art l'efiude à d'autres artifices.
Et pour toy ie feruiffe à mes plus grans feruices,
Si iepouuois tel art embraffer dignement.
Mais le bafiiment vray qu'il faut qu'vn Roy demande
De moy, c'eft de fon nom, c'eft de fa gloire grande
L'édifice, à la flamme S au fer reflfiant.
Pourfuy, CHARLES, l'heureux infiinâ de ta nature,
Taitt qu'enfuiuant tes ans, tes faits, telle firuâure
Aille par moy tous ans S tous faits furmi
Milli. —'u.
SONNBTS.
5i ce bien, dont ta race S ta face & ta grâce,
Ton inJiinS, ton de/lin, me gardent d'en douter.
Se peut voir de mes yeux, qui eft de furmonter
Nùftre efpoir, & pajfer les gloires de ta race -■
Si lu fais voir que quand en cejle terre baffe
Tout ie déplore, alors Dieu vient tout augmenter :
Bref, fi tu es vray Roy {car ie ne puis flater
Ny men(ir) ne crain point qu'aucun ton losfurpajfe.
Mon fubiet non pas my tout autre effacera,
la du/uiet Ventrée affej ample fera.
Quand ie diray le trouble & Vheur de ton enfance.
Le trouble empefcke Pheur , mais le vouloir des deux
Ton confeil. Ion efprit & braue & gracieux.
Font à l'œil Ion heur croifire auecques la croiffance
EJlre fils d'vn HENav qui fut fils d'vn paAnçois,
Tous deux rares honneurs de ta France en prouéffes,
En vidoires, grandeurs, fciences & fageffes:
EJlre de faiig iffu & rang de puiffans Rois :
Efire orné feul des dons que Ion a feint aux trais.
De Venus, de Minerue, S de lunon Deeffes,
Qjtifont les grands beauté^, les vertus, les^hauleffes,
El en face & façon promettre armes S- loix :
Dés l'enfance auoir veu foudroyer les murailles,
Nefejlre point troublé des affaults S- batailles.
En courant fon Royaume iiuoir molly fous foy.
Et rembarré lesjiens, affoupi nojlre guerre.
Et fait chaffer l'Anglais dedans fon coin de terre,
C'efi ia pour tqy grand gloire,S- grand fuiet pour Moy .
SONNETS. l3l
IIII.
Aïars en guerre ejfroyable enfes combats tempefte^
Venus plus douce, tire en Vamour noftre cœur,
Forcé dejfous les loix de fon enfant vainqueur,
Et Diane fes ferfa en la chajfe conquefte.
Mars te vit en naijfant, & fouffla dans ta tejle
le ne fçay quqy^ qui doit du monde eftre la peur,
Et Venus finfpira le meilleur de fon heur,
Diane par les bois faccoufiume à la quefie.
Sous Mars tout ce grand monde au ioug ajferuiras,
Sous Venus tous les cœurs du peuple rauiras,
Et pour dHci chaffer le mal qui nous menaffe,
Tout ce rondfpatieux teferuira de bois,
Voire ^ pourras en tout ce que peuuent les trois,
Mars, Venus), & Diane, en guerre, amour & chaffe.
V.
Pendant qu'en mes difcours ie ri de Viniuflice,
Qui à tort f efforçant m*abyfmer de malheurs,
Réueille vn cœur en moy, qui domteur des douleurs
Ne permet qu'à mes maux ma confiance flechiffe :
lefonge, & contrepoife à mon mal la malice
Du temps, qui mefme à tort f attachant aux grandeurs
De nos princes & Rois, monflre que les grands heurs
Sont enttie:( du peuple, & pourfuiuis du vice.
Mais le ris de mon mal n*eft pas de làforti.
Pour voir vn mal commun iufqu^aux grands départi :
Car riant de mes maux ie pleure des publiques.
Puiffé'ie de ces deux en fin telle fin voir,
Qtie Vvn engendre en moy Vheur, V égard y le fçauoiv,
L'autre aux grands le confeil, & Vhorreur aux iniques.
kK
C'eftait affe^ ce femble (p Dieu) qu'après auoii-
Au règne de henkï dix ans nourri la guerre.
Nous auoir fait decroijire en accroijfanl Ja terre.
Dont en fin Ion ne peut grande eroiffanee voir :
Faire encor, lors quefoibte ejtoit nojtre pouuotr.
Rompre vne tréue heureufe, S puis comme un tonnerre,
Qjii fi'' v double éclat deux grands fapins atterre.
En deux batailles pre/que accabler nous vouloir.
Nous arracher le pris, le cœur, S Cefperance,
Si deux prifes deux fois n'euffent vangé la France:
Sans après vne paix qui nous fait difçorder.
Faire vn grand Roy meurdrir, comme en duel, S faire
(O monfire) le François au François aduer/aire,
Ofier vn autre Rnj-. & l'autre hajarder.
SONNETS. l33
CONTRE LES MINISTRES
DE LA NOVVELLE OPINION,
I.
Ne nCeft-ce affe:(, helasi puis quHl faut commencer
Par regret fur vn temps plein de regrets , ma plainte ^
De voir par faâion nouuelle iniujie & feinte,
L^vfance antique & droite & vrayef effacer 9*^
Voir tel etreurfans choix & fans pois fembraffer
Par pique, ou dol, ou fby légèrement étreinte,
Et voir la fby, la loy, V amour, la iufie crainte,
Prefqu^auec tout Veflat des François renuerfer?
Voir les champs, les cite:(, de leur Roy plus voifines.
Pleines de fang, de feus, de vols, & de ruines.
Qu'on couure, à faux, du nom tant de Dieu que du Roy?
Sans voir, las! que défia par deux fois fur fa tefïe,
La France ayant bien peu preuoir telle tempefle.
Sans remède & fans yeux V attende ainfi fur foy .
/^
Ce qui deuoit le plus decouurir telles rages.
Ce qui deuoit devant, après, S à ïamais
Contre iesfaujc deffeiru de ces gens, & leurs faits.
Animer nos cùnfeils, nos efcrits, nos courages.
Sont les prétextes feints, les fau-x &fots langages
Des Miniflres leurs chefi, impudents, contrefaits,
Seurs du martel des leurs, & qui hayans lapais
Cachent du faux dejir d'icelle leurs orages.
Qli'ores on voye au moins comme ils fçauent piper.
Qui creuans d'auair veu de leurs mains échapper
Leur Ray, par les chemins luy lâchant faire outrance,
Le faifans affteger dans Paris, cotlifer
Ses/uiels, /es moulins brûler, fes ponts brifer.
Crient que c'efi en humble & vraye obeijfance.
Apres tant d'autres matuc braffej en d'autrts lieux.
Vouloir ici d'entrée S reuolle première,
Rendre il y a fepl ans la nobleffe meurtrière
Des parens de leur Roy deuant fes propres yeux ;
Puis couuant, nourrïjfanl leurs feux ambitieux.
Piquer, pouffer, preffer leurs fauteurs, de manière
Que leur caute fimplejfe S- leur hiimbleffe fiere,
Afon Roy demafquafon front feditîeux :
Nous vouloir cantonner, mettre rAnghis en France,
Faire enuahir du Roy la terre & la finance.
Soudoyer de larcin, defacrilege auffi,
Enfiege S en bataille ofer co\ilre vn Roy faire
Par traître affafinat fon Lieutenant défaire,
N'e/lnit-ce pour pouuoir en cela voir ceci?
SONNETS. l35
un.
Oeft aux miniftres feuls, miniftres des miferes
(PeuX'ie dire) & des maux, & des torts inhumains
Que nous fouffrons par eux, qui branlans en leurs mains
No^e fatal brandon, fe font faits nos Mégères :
Oeft aux miniftres donc que les iuftes colères.
Soit de moy, foit de tant de diferts écriuains
^ Se doiuent addreffer, mon/irans lâches & vains
D*efprit tous les fauteurs de fi faux minifteres.
Seuls ils ont machiné, dreffé, tramé, conduit.
Dénombré leur pouuoir par Eglifes inftruit,
Des viures, des moyens, desfurprifes commodes.
Donné le iour auquel le Roy prendre on deuoit,
Qui des leurs dés long" temps & fort loin fe fçauoit,
Mefme c^eft ce qu^ entre eux ils nommoyent leurs Jynodes.
V.
Qjtoy que ces éhonte!(, qui n'ont eu leurs pareils
En ce monde, ayent dit que pour fauuer leurs teftes,
De leurs chefs faffembloient les forces toufiourspreftes.
Et quHls nHgnoroyent point de Marcel les confeils :
Us en font démentis par les longs appareils.
Par mémoires trouues[, par mille autres enqueftes ,
Que Ion peut faire au vray, par toutes four des queftes,
Achapts, amas, traffics, & complots nompareils.
Je Vay toufiours fenti^ car telle humeur couuerte
Ne pouuoit pas faillir d^eftre à mesfens ouuerte :
Mais m^amufant fans fin contre ces Antechrifts,
Aux points de leur doârine & faulfe & obfiinee,
le laiffois là leurs faits : auffi lafeâe née
D^écrits, ne peut mourir iamais que par écrits.
f
■v »
i36
SONNETS.
i^ia.
•'
VI.
l
:<2lf>aw^e ^mra bien feeu de quelUs fartes arw^es.
En combien defgçonSf épar combien de ien^f
■ De qeei nombre infini, non de chèuattx & gène.
Mais d^écritSf qui nCtJtoyentê'SainU &Jmrs gendarmes^
Pay fftdié guerroyer V erreur, le fard, les charmes
De ceux qsdfimt trafflc d^ainfi piper nosfens :
Quiconque aura cogneu que fans fin ie preiens
A ce butf de liurer tout itim coup mes alarmes:
Qfdconque encorfçaura que non par mon efiirt.
Mais par la vérité, contre qui rien n^^fart,
lepuis plus toutfeuiprefque encontre eux qu^pne armée.
Se fâchera qu^ainft que le temps trijte & faux.
Contre w^fire bien f arme, amjècours de nos maux
Safltte Oceafion contre mqyfoit armée.
t
/
VII.
Les hauts esprits, quimifine offènfei^fçahiayent wdeux
En m tel tort aimer, voire aider leur pairie, -
Durant les maux publics par quelque fyynpathie.
Tous prefqu'auoyent des maux particuliers pour eux.
Qjiand vn corps eft greué d^aucun mal furieux,
Du mal la plus grand^ part eft toufiours départie
A chacune plus viue & fubtile partie :
Car mieux fe rend par là le mal viâorieux.
C'eft pourquoy demandoit ce Roy Macedonique
Ces grands chiens gardiens de leur grand parc attique,
Moy qui toufiours depuis Verreur, le mal, Veffroy
Du pais, n'ay receu que tort & que trauerfe,
N^oppoferay-ie point maugré ma chance aduerfe.
Aux infidelles loups mon plus fidelle abboy?
f
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t
■ v
• ONNETS. lij
VIII.
(^e font (o Dieu) meffait, ou ma France, ou mon Prince,-
* Que fa meffait eucor la tnefme pieté,
Qft^ejtant vtil en tout, inutil Vaye ejïé
Aufecoursi dé la foy, du Roy, de la prouince?
Car encoraue fouuent maint labeur i*entrepriirfe
Bien comeu, bien conduit, & ia prefqu^ enfanté,
Jlfalloit par rencontre eftrange, ou nouueauté
De fuiet^ qu^entre-rompre à tous coups ie le vinfe.
Mais que fa mon corps me/me à point nommé'forfiLit^
; Qyi^eftant contraint changer les parolles au fait.
Les Hures aux harnois, les plumes aux pijiôiles,
Prifonnier dans vn lia ^ie fois arrejlé lors?
Au moins fi. tel deuoir tu veux, ofter au corps,
Tay vaincre Vame, & pren viâoire en fes parolles.
IX.
Je ne crains pas que Dieu, lefçauoir, la vertu,
LaSffent vaincre Satan, Vignorance, & le vice,
Ny qWen tout foit Veftat, le repos, la police.
Par faux fuiets, par trouble, & defordre abbatu :
Que ce qui fiable efioit, grand, & bon, combatu
Soit par légèreté, petiteffe, & malice :
Que de Pfiabit du bien, defimpleffe, & iufiice,
Le mat, le dol, le tort, foit long temps reuefiu :
Mais ie crains qu*vn defafire, & honte, &playe cède
(O Dieu!) trop tard à Vheur, à Vhonneur, au remède^
Qiiand le rebelle (d Dieu!) Vheretic, Vefiranger,
Auront mangé mon Roy, mon Eglife, & ma France,
Hafie nous donc le iour^ lefens, Vobeîffance,
Pour de leur nuiâ, furie, & mépris nous venger.
r
l38 SONNET»
X.
Qfiel deftinfait que ceux piiplus aux chofespeuuent,
Enfoyeàt par deftourbîer ou defaftre empefche^^
Que comme vn finge au bloc on y voye attache\^
Pour la plus part ceux là qui moins apt^py treuuent?
Et que ctux bien fouuent plus hardiment pémeuuent
Aux vengeances d^vn tort public, qui lors cache^y
Defaftre!{y mécongneusy & le moins recherché^,
Toutfeuls en vain dans Joy leurs courages épreuuetU?
Par armes j par efcrits, de ce Jiecle V erreur
Des doâes & vaillans doitfentir la fureur :
En VvH bien que malade, & que riche V égale
Par vouloir les meilleurs : en Pamtre ayant tant fait^
Voire vn peu mieux que ceux qui ont en main ce fait,
le meurs d^eftre au millieu de mes biens vn Tantale»
] • XI.
Mon but d^ainfi fans eejfe après ces gens hiçoffer
Par les forts les plus longs, plus drus, & pleins d'éfines,
N'eji pas pour bruit acquerre en fi hautes doârines :
Mais pour aider ma France & ces monftres chaffer.
Par leurs dodrines donc il failloit commencer,
Non pour monfirer combien on les verroit mutines,
Mais combien ces dodeurs par leurs hargnes malignes,
Auoyent peu VEuangile & forcer & fauffer :
Puis monfirer que leur mafque abied, & doux, & morne,
S^échangeroit en face, & cruelle, & difforme,
Nous ayans fait dedans leur labyrinth entrer.
Mais quoy? fentans qu^on trouue vn filet de Thefee,
Ils nous tachent enfin dans leur prifon rufee.
Bon gré, maugré,par meurdre & parfiame empefirer.
*ONI^ETS. iSq
■•»-
Xll.
I
Qjti aroiroit de trouuer Verreur, la barbarie,
Le deffaut de cermelle, & Venuelopement,
Mais bien le pur menfonge en leur enfeignement,
Dont Vouminay V occulte &ricke tromperie?
j^t euft penfé de voir tant d? aigreur, defurie"^^
De vils & ords brocards, d'aboy, de hurlement,
î>e vains efpouuentaux en leur reuenchement,
« Si toft que Ion fait tefte à leur affi'onterie?
4liMX proiets qui croiroit tant de trajjic & dol?
ï. Aux exploits qui croiroit tant defang & de vol?
Sur tout quipourroit croire (6 V impudence extrême /)
^iftaujt nànuelles qu^ihjbnt pour vanter ou cacher
Leur bien ou mal qui court, ils femblajfent tacher
IfefifiUre aux leurs vaincre en impudence mefme^^?
Xlll.
le luty qu^eftéis tous p-efque arraehe:( de dedans
L^ejtole pédante/que, ou le cloiftre, qu^en haine
Extrême ils ont, leur face & leur façon foit pleine
Du pis qu^ayent en eux les moynes, les pedans,
le hmy que telle humeur les rende en tout ardans.
Bien qu^H» feyent deguife^ d^vne attrempance vaine^
Plus ^ii*Mi Crapaut creuans d*vne enfleure vilaine ,
Plus qu*vn chien plein de rage, écumans & mordans,
le hay quHls rendent tels aufoujtien de leurs fonges
Les leurs, voire aufoujtien de tous nouueaus menfonges :
Mais ie hay plus ceci que quand on les reprend,
Outrageant, menaçant leurs dodes aduerfaires,
Ains Je faifans Dieu mefme, ejlans à Dieu contraires,
Ne vont criant finon qu'à Dieu mefme on fe prend.
V»Jbrl S Jtut -effiit fe renforce & foulage
Tant plus fort fort ialoux luy prefetite d'ajfaux,
Comme on feint qu'un Hercule eajes diuers IrauOM,
Contre l'afpre rencueur de lunonf encourage.
Les maujc que contre mojr de ces maiftres l'outrage
Pourrait braffer de foy, de leurs meurtriers loyait
Les aguets, ny l'effroy de nos publiques maux,
Ny mes malheurs n'ont peu mordre fur mort courag
Qu'efiant fain S difpos, iufques au bandement
Entier de tous mes nerfi, iufqu'à Vépanchement
Dernier de tout mon fang, iufqu'au foupir extrême,
le n'y vueillc ce corps S cejle orne oppofer,
Et fur tout, gui plus eft, toute Pâme épuifer,
Pourfauuer contre eux tous lefauueur de nous mefm
Si tant de mal fe peiff par bon auis guérir, 4
Si par le fer vengeur on peut telle hydre albâtre,
Si telle erreur on peut par difputes combatre.
Et fi la JiJti/eau £isur peut ces monjlrss ferir,
Embraft^-vous, ô vous qui pourrez fecourîr .--■
Encor trop mieux quemoy la France en l'vit^s quatt
Carfuiuii de con/eil, d'armes fefentaHi batre,
De vois & vers forcer, ils font feurs de périr.
Apporte^ le Moly transformant, que^0rcure
Apporta pour changer da Grecs l'orde figure,
La maffe Herculienne, 9 l'effort apporte^
Des vieux pères Chrétiens, les fureurs lambiques
D'Archiloc, S deffus les honteufes reliques
De la France vn trophée à fa gloire plante^.
SONNETS. 141
XVI.
Tout mon regret n^eflpas que ta durable EgUfe,
(O christ) foit diffipee en noftre France ainfi^
Je ne plains pas encor tant feulement quHci
Ton règne pmdfique & ton nom Ion méprife,
JUfais ie plains que la France abolit ou deguife
Outre la pieté, toute autre forme aufji
Requife en tout ejtat : ie plains que ce temps ci
Toute autre gent Chrejlienne^ ainft que nous, diuife :
Tant que ce mal, par qui nousfommes defunis,
Nous rend de tant de maux comme à bon droit punis.
Par nos vices Vamour qu^enuers toy tu commandes,
Mifinement tout amour d^entre nous ejloit mort :
Tu fais donc à propos, que haine & q^ difcord
Seyant de Vamour ejlaint les fanglantes amendes.
XVII.
(
Dés nations qite christ àfonfainû nom foubmety
le tairay chafque ver naturel qui les pique.
Bien que ma Mufe foit quelquefois fatyrique,
Vn fiel pourtant trop afpre enfes vers ne permet:
Elle aux yeux d^vn lourd peuple y urongne ne remets
QuHl noyé toutes loix dans Vorde loy Bacchique :
Ellefe taifi du peuple & feint & impudique,
Du^peuple enflé le nom & du mutin f omet :
Maisie diray {Pen veux au peuple que plus Vaime)
Qjie Venuie aux François par nature efi extrême.
De là fort ce difcord nojtre fatal poifon :
Par là le doâe eft fol, le vertueux inique^
Le doux prince efï tyran, mais las! maint ieu tragique
CoWimençant par enuie acheue en trahifon.
SONNETS.
XVIll.
ïljaut qti'vn coun du ciel étrangement contraire
Au climat de la Gaule, S- qui oncques, ie erqy,
Autre pari nefefiveu tel qu'au vray ie le voj-.
Vienne en nos faits ainfi qu'en vn iouét fe plaire.
Tout ce que chafque efiat veut S doit S croit faire.
Se fait mefmc au rebouri : quand on penfe duRoy
Retrencher la defpence, un viiit venir dequoy
Rengager, rembrouiller, déplorer fon affaire ;
Plus la nobleffe veut mefnager, plus fe croift
Par pompe fon fardeau : mainte grandeur decroifi,
Voire S fe fait vilaine, en penfant faire gloire
D'auarice S d'acquefi : plus fe croifl la fbifon
D-officiers S d-edias, moins fe fait de raifon .-
Plus de Dieu Ion difpule, S moins Ion en fait croire-
Qfie de ce fiecle I IMe on me peigne vu tableau.
Par ordre y or nant Vejlrange mommerie
Où tout vice, tout crime, erreur, pefte, furie,
De fon contraire ait pris lé mafque & le manteau :
Aux peuples S aux Rois dejfous maint faux flambeau
Qui les yeux éblouit S les cœurs enfurie.
Soit de ces mafques faux Penorme tromperie
Conduite, & pour moumon porte à tous vn bandeau :
L'iniufiice prendra le beau mafque d'Aflree,
En fcience fera l'ignorance accouflree ,
Sous le mafque de christ, d'humbleffe S charité,
Satan, ambition, /édition félonne
Marcheront, S n'efloit la chance que Dieu donne,
Leurs faux de^ piperoyent tout heur # vérité.
SONNETS. 143
XX.
Pour débonder les maux, dont maintenant abonde
Lafainâe & iadis ferme & forte Chrejlienté^
Sur tout la France, en qui Vechaffaut apprefté
Enfanglante de loin prefque tout œil du monde.
Ces apoftres nouueaux n*ont pas ouuert la bonde
Tousfeuls d'vne tant afpre & roide aduerfité^
Auec eux les auteurs du malheur ont ejlé
Tant d*àbus dont en tous nojlre France efï féconde.
Mais comme en temps mauuais dans Pair on peut bien voir
En grand'pluye creuer vn gros nuage noir.
Puis voir après les vents, les grefles, les tonnerres
Saccager tout Vefpoir des pâlies vignerons :
Entre nos maux fans fin ces gens nous marquerons.
Comme orage & degaft de nous & de nos terres.
XXI.
lefçay que mille efcrits, V apparence du vray,
Lespaffages deioints, V ardeur de contredire,
L^amour des nouueaute^ auec excufe attire
Maint & maint à ces gens def quels Vay fait Veffay.
le fçay qu*en nos Prélats gifi force abus, iefçay
Qfte maint qui feulement à fon falut afpire,
Penfe d^ homme de bien trouuer ce quHl defire
Aux autres quHl n'a pas fi bien fondé que Vay,
le fçay que c^efï grand bien de bannir de VEglife
Tout abus, iurement, larcin, & paillardife,
Mais les voyant doubler tant de /éditions,
le fçay fous ombre fainâe en leurs âmes fenclorre
De tout temps vn orgueil, qui couue '& fait eclorre
Tant de monftres, naiffans pour nos perditions.
Pique^ iPvne acre humeur, n'ayons dequoy fe plah
Aux lieux de leur exil, l'vnfur l'autre etitaffe^.
De nombre, de difette, & de remors feffe^,
Fafche^ de rien, de trop, de mefme ckofe faire :
Car en diuers i'ay veu ce triple dueil contraire.
Hais des leurs fouuent, des leurs me/mes chajfej,
D'efperance penjlans, du ioug fâcheux la§E\,
Sous desloi-x qu'en ceslisux donne mefme vnvulgi
Tous Hargneux, tous ialoux l'un de l'autre, obJHne
Pourtant, S ennemis des lieux oii ils font nef, .
Bien que d'y retourner leur dejir fut extrême.
Ont en/e ralliant tous confeils a^emblej,
Pour rendre tous endroits du royaume (rouMef,
A tout hasard du Roy, du pays, & d'eux mefme,
SXIII.
En fongeant aux mayens qui par eux ont efli
Proielteif, pour attraire à ce but d'Euangile,
Tout ce qui entre nous fe voyait plus débile.
Le tentans d'apparence ou bien de nouueauté :
Je trouue vn mauuais art d'auoîr folicilé
Le Mayne las du cloiftre, &la Nonnain fragile,
Aux pratiques trouuans Voccafion vtile.
Qui eft laferuitude & la lubricité :
Comme aufji le pédant débauché, le folaflre
Difciple, l'artisan tant plus opiniaftre
Qu'il eft Sot : mais ce dol eft extrême, qu'ils ont
Par nos femmes gaigné noftre nobieffe : Ô rufe j
Antique de Satan. Toujîours Adam fabufe '
Par Eue, en tels appas^" tous tels poifoni fe fbnt.
SONNETS, 145
XXIllI.
t
le m'emerueillois fortf fanspenfer rCau Papifme,
N^au Caluinifme auffi^ de quel humeur épris
En ce fauxfiecle eftoyent nos bifarres efprits.
Contre Vhumeur Françoife & le doux Chriftianifnie,
D*ofer contre /e^ grands par vn vray fatanifme
Tant dHniures vomir, par dits & par efcrits,
Les diffamant : Satan. eft père de me/pris ,
De menfonge, d*orgueil, & d'outrage, & defchifme :
Ces mots de fot, me/chant, ladre, traiftre^ poltron,
Sodomite, atheifte, &. meurtrier & larron,
Et pour femmes tous mots d'ordure & de fallace,
Sonnent à noftre oreille : or tout effay public
M'a fait voir tel infiinâ ejlre huguenotic.
Et voir qu'ainjt ces gens font de Satan la race.
XXV.
Aux plaintes que ma Mufe en ces vers cypourfuit.
Soulageant dans vn lia mon mal & V aigreur forte,
Que la publique horreur & la pitié m'apporte,
le ne rens pas l'erreur par difputes deflruit ;
Telle viâoire ailleurs i'obtiendray, mais le fruit
Qjte ie quiers en ceci, c'ejl que leur grand' cohorte
Mife en armes peut bien conceuoir de la forte
Qji'ilfaut en quel péril & honte on la conduit :
Sans ediâyfans bataille, elle mefme animée
Seroit à bannir ceux qui Vont tant enflammée,
Qjti cruels pour fe faire en France retenir,
Sans ceffe aufang, aufac, d'vn fouet fanglant la chaffent.
Et leurs feurtes[ au dam de fa feurié pourchaffent,
La faifansau lieu d'eux f on propre honneur bannir,
lodelle, — II. «0
■46 _
Efi-ce Chbist, ou Satan, ambition ou jele.
Droit ou tort, faux ou vray, dijcùrd iufte ou ialous.
Rage ou fage confeit, haine au amour de nous.
Sou/lien du Prince ou bien fcdltm^ rebelle.
Qui vouspique S vous poajfe en vue ef meute telle.
Et qui vous faites CiiaisT le canduâear de vous?
Ce beau nom d'EuangUe, S tous les mots plus doui.
Dont tafaul/e apparence efl faite efain^e S belle,
PouuoyenI faire cuider quepouffe{ en ce fait
Vous eftie\ du meilleur de ceci, mais l'effet,
Comme impofer, piper, mal~dire, mal efcrire,
Trafiquer, mutiner, ckaffer, meurtrir, brûler.
Du Prince les deniers S- les villes voler,
Doiuent faire cuider qu'efles pouffe^ du pire.
Je penfe eueores voir fous celuy de nos Roii
Q)ie pour /es faits du nom d'Augufle Ion appelle.
L'erreur, l'embrafement, lafaâion rebelle.
De ceux là que pour lors i
Vaincus, chaffci{, luej parno
Que le Romain Pontife oui
Aux grands eurent loufiou
Comme au Roy d'Arragon
Nos François qui vainqueurs
Pour chef de tout le refke i
Qui ajjiegi,preffé, voulut
Des myfleresfacrei,puisfoudain hors la ville
Saillant, donnant, fbrceant, en occit dixhuiS mille.
Tant la France a toujours rembarré tout erreur.
.Ibigeois :
Seigneurs François,
la d'vn fain3 jele :
! recours de leur qiierelli,
comme au Comte de Fois :
m France retournèrent,
1 Montfort ordonnèrent
/m
SONNETS. 147
XXVIII.
O moy pourtant heureux de Vheur qu* aurait ma France
Si ces gens qui fe font contre elle mutine:^,
Si les noftres auffi qu'yen fin ces obftine:ç
. Forceront de venir iufqu^à V extrême outrance ^
Auoyent ceux la par crainte, & ceux cy par clémence ^
D*vn fainâ & iufte accord leurs cœurs defacharne:(,
Fuyons le cruel choc oit les a deftine:{
La contrainte dernière, & Vardeur de vengeance :
le fentirois fort grand vn tel heur pour ne voir
Ce beau règne noyé dans fon fang, &fçauoir
Que ces pipeurs diroyent fils auoyent ta viâoire.
Dieu venge ainfi les fiens en tout temps en tout lieu :
Et vaincus ils diroyent, font des verges de Dieu,
De noftre Eglife vraye & la marque & la gloire.
XXIX.
Ne. les a ton peu donc decouurir? aumoins ceux
Q}ii à leur gloire fote & fonglante prétendent,
Et vrais Pythons enfle^ d*vn ord venin fo rendent
*- Comme vn Sphinx aguettans par leurs propos douteux.
Et qui fouillans de Christ le Jainâ banquet entre eux,
Sont Harpyes, qui or^ pour nous piller fo bandent,
Quileur batt^nfornale en Cerbères efpandent,
En Chimères fo font & cruels & hideux,
Qfi*im Phcèbus, vn Œdipe, vn Zetes, vn Alcide,
Vn prompt Bellerophon en puiffe eftre homicide
Ou domteur, ie ne veux les plusflmples bleffer :
Mais les felons qu'ion voit pour nous mettre en mifore,
D^enfleure, aguet, rauage, efoume, horreur, paffer
Tout Python, Sphinx, Harpye, & Cerbère, & Chimère^
Chsibt pacifique Roy, qui entre Un tiens ejlre
Ne fçauroiSffans y voir ta compagne ta Paix,
Qiii/ars naijtre entre nous ces troubles ë meffails
Pour nous faire les Mens par nos maux recognoijlre
Et tes apprehendans t'en recognoijlre maijlre,
Manjire que tous de Dieu Us en/ans tu nous fais,
Toy ejtanl no_ftre frère, & que /oyons refaits
Ton beau corps, que Satan par difcard fait decroijire .
Ou bienfi ces errans toujiours obftinexfont
Contre toy Roy ceUJle, S l'autre Roy qu^îls ont,
Noflre cœur, noflre droit, à' norfOrces profpcre :
Car ie crains veu Feflat oii on ejl, qu'en noa ioars
La paix ne -naijfe point, fans qu'eUe ait ton fecours
Pour pare, S la viâoire ample & iufie pour mère.
Tous les fainâs mandemens, que nqfire Jby Ckreftieniie
Commande de garder, font de la vieille loy
Fors vn, que Iesvb-Ckbist à l'exemple de foy.
Veut que comme à nous feuls particuliers on tienne,
C'eft que nos ennemis nous aimions. Or qu'on vienne
Surnommer maintenant ces affîegeurs de Roy,
Ces troubUurs de repos, ces ébranUurs de foy.
Les vrais rejlauraleurs de VEglife ancienne.
Referuer la vengeance à Dieu, pour ceux prier
Qui affligent, fans fin deffous les Rois plier,
Fuffent ils tyrans, efl-ce ou f armer ou écrire
Cent libelles vilains? Je filUrfon cordeau,
Se faire des mutins le chef& le bourreau,
Efi.cefuiure rfeCHUiST ^poHr Christ le martyre^
SONNETS. 149
XXXII.
Depuis que Vay leur caufe entièrement fondée^
La conférant à Vautre, & tout point épluché,
Q}ie pour elle & contre elle aux efcrits Vay cherché,
le la hay la trouuant & nuifihle & fardée.
Puis voyant leur façon aujlere, outrecuidee,
Hargneufe en dits & faits^ bien que tout foit caché
Sous vouloir d*euiter des autres le péché,
le la hay comme ejlant defauxjinges guidée.
le hay que la plufpart d'entr^eux, fans rien fçauoir.
Voire fans leurs raifons fouuent n^ouir ne voir,
S*obftinent à crédit : leurs fiâmes ie detefle.
Mais plus leurs fiers deffeins, & plus encor cent fois,
Ces petits libelleurs, de qui les fois abbois.
Tant le refte eft aueugle, embrafent tout le refte.
XXXIII.
Oefi horreur, que n^ofans braffer telle entreprife
Du règne d*vn feu Roy puiffant & redouté.
Sur les ans d^vn Roy ieune, en paix & en feurté.
Ils ont Voccafion de leur maffacre prife :
Puisfe voyans foudain découuerts^ par feintife.
Par harangue emmiellée, & menfonge ehonté
.Ont taché pallier Vindigne lâcheté,
Difans ne confpirer que contre ceux de Guife.
Etpon obieâe à Vœil de leur profeffion
Le rebours, ils diront quHl n^efl pas queftion
De la foy, mais que c'eft vn fait ciuil : & femble
Ce quHls ne lairroyent pas faire eux mefme à leurs chiens
Qu*vn grand Roy doit laiffer meurdrir les parens fieyts
Par tels iuges, partie, & bourreaux tout enfemble.
! à
Q)ie ie H quand le voy ces placarts, ces requefiés,
Où ces mefjieurs fe font de France les ejiats :
Et monfirent que défia c'eji fauaacer d'vn pas
Contre nos loix, nos Rois, nos repos, & nos tefies
De France les eftals, pour mouuoir ces tempejles,
A Vuormes, à Geneue, ou ailleurs ne vont pas.
Àuecpitié ie ri. Us voyant mettre à bas
Leursdejfeingspar leur faute, S fy conduire en bejlts.
le ri d'ouïr qu'il faut pour les iujles venger.
Ceux qui n'en peuuertt mais voler & faccager.
Et qu'ainfi des plus grands la tutelle on pratique.
Mais las! ie pleurerais quand ils pleurent des feux,
Pour vne opinion, fpââaele trop hideux.
S'ils n'efcriuoyent qu'il faut ardre tout hérétique.
L'éternité que Chbist en VEglife apromife.
Qui tant d'ans a régné fans que fujfent ceux ci :
Les clefs & le povuoir que faina Pierre evfi ici.
Qu'ils co,,feffent cux-mcfme éternel à VEglife :
L'efprity demeurant pour iamais, qui maiflrife.
Qui in/pire S conduit tous vrais payeurs ainfi
Qu'il a fait les premiers : les/ainâs pères auffi
Par qui lesfainâs efcrits ont authorité prife :
Ce que mefme Luther a creu du facreinent ;
Les difcors qu'ils en ont : les faux Anabaptifles,
Les Parfaits, les Dormants, Frerols, 6 Dauitifles
Qui font engendre^ d'eux, ejl-ce par argument
Pour monflrer qu'ils n'ont pas l'efpril ny fa doSri
Mai>i qu'en fe ruinant ils cherchent fa ruine?
SONNETS. l5l
XXXVI.
Que ce confeil me plaiji, qu'auant qu'vn faind Concile
Reûniffe de Christ les membres différents ^
S'on trouue quelques vns de ceux cy conspirants
Pour la /édition & non pour VEuangile,
On les puniffé à mort . qu'on mette en chafque ville
Secrettemcnt main forte, & qu^à tous adhérants
Toute occajion pofte, & que mille enquerants
Ayent fans ceffe V œil fur lafaûion vile.
Mais ie loué encor plus que ceffans tous les feux,
Puis que le nombre efï tel, que fi ce n'efl par eux,
Et par la raifon mefme extirper ne fe peuuent :
De mille efcrits fçaùansj ingénieux & forts ,
SainâSy &pris de Dieu mefme ^ on face tant d^ efforts^
Qj*e d^euxmefmes d^auoir pitié de foy fefmeuuent.
POVR LE lOVR QVE LA. PAIX FVST FAICTK
l568»\
I.
Si ta paix efï honnefïe, & iufle, & fainâe, & bonne,
Qji^elle ait heureufe entrée, accroiffance & feurté :
Si ton difcord n^eft pas, comme il faut, garroté,
Qfie ta couronne on voye orner d^autre couronne,
Q)ii fon rond d^or d*vn rond de laurier enuironne.
Non d'oliue^ qui donne & loijîr & fierté.
Et confort au difcord^ que plus grand* loyauté
Dieu pour iamaisenuers ton beau fceptre nous donne :
M
jSa SONNETS.
liu'il donne à ton Can/eil l'adreffe, S le bon cuevr,
A les beaux ans la ioye. S- l'heur, S la longueur,
Sur tous à tes faids gloire, à ta gloire mémoire ;
A moy, gui fuis tout lien, grand pouvoir, grand effori
Tant pour aider, qu'ornei' ta Paix, ou ton difcord.
Ton fcepire, ton confeil, tes ans, tes faits, ta gloire
POVK LE lOVR DE PASQVES ENSVIVANT.
Ce ioiir que tu viens, Sike, au faind banquet Chre/lie»
Prendre & manger de Christ le corps que tuadorei
Par qui fans fin la vie^en toit corps tu rejlaures:
Car ce corps remuant, fait reuîure le tien :
Croy que c'efi d'une paix l'infaillible entretien
Auec Dieu, par /on fils, qu'en toy tu incorpores :
El fur Ji fainde paix fonge à la paix encores
Que tu asfaide, & l'vne auec l'autre maintien :
Mais crain toufiours que ceux, qui par fardé menfongi
Ont fait vne figure, vne foy vaine, vri fonge
De Vvnion que C khht fait ce iour aiiee toy.
Ne feignent Vvnion qu'auec eux tu asfaiâe,
Trompeufe S- J'vnfaux mafqiie en leur dam contrefaite
Rompans en telle paix, comme en l'autre leur foy.
l LA PENTECOSTE ENSVIVANT,
Dieu vueille qu'en ce iour, qui du nom de cinquante
Prend fon nom, l'efpril fainâ auparauant promis
SONNETS. l53
Du Fils, & puis du Père aux Apoftres tranfmis^
Face en toy quelque occulte, & puijfante defcente,
Pour ton ame efchauffer,.felle eft encore lente,
A retenir, & mefme enflammer tes amis,
A réunir, ou bien domter tes ennemis,
Car de ce Dieu la force eft douce & violente.
Il voit le plus beau règne où Christ az7 dominé^
Aueuglé, corrompu, mutiné, butiné.
Sans qu^vn efpoir d* accord iufte & vray py decœuure,
Luy donc Dieu {car des Rois V effort n^eft affe:{ fort)
Par toy nous monftre à Vosil, pour vaincre vn teldifcord,
Qjt^en taparolle il parle, & quHl œuure en ton ceuure.
POVR LE lOVR DE LA. SAINCT MICHEL ENSVIVANT,
un.
En Vautre faind Michel, ce haut prince des Anges,
Patron de ton fainà ordre, auoit fait {que ie croy)
Sur V autel d^or luy mefme ardre & fumer pour toy
L^encenfoir plein de vœus, d^oraifons, & louanges :
Puis contre Satan mefme, & contre les eftranges
Complots defes enfans il f arma pour la foy.
Pour la vie & Veftat de toy, qui es vray Roy,
En Vinfpirant quHl faut que tel mefpris tu venges :
Mais enfemblable iour qu^auec fi fainâs, fi grands.
Si pompeux appareils, tes vœus à Dieu tu rends,
Et que fi grands parfums de prières faffemblent,
Il a trop plus dequoy fon encenfoir combler,
Pour impetrer qu^ainfi quHl fait Satan trembler^
Satan & tous enfans de Satan fous toy tremblent.
lO*
Jtdce étt Dieux, Hknbv, jflt Sfirert ée Boy,
Qjii rettmtHt le nomj^ le eaur tPitn tel père,
Aè thinuteur de tenir la place tfVii tel fifre, --'
^t de fi grand' armée d mis le faix fur toy :
Qlit me/me ayant Faàdfeffe ff la vatlUatee en foy.
Voudra par fa prefenee extrêmement prq^ere.
Porter fur l'ennenty la peur, le vitupère.
En ren/brfant lesfiens, l'heur, le cceur, 3 lajby :
Va U premier, fay bien, & de cceur magnanime,
De voix, ^effeS, de face, S- de façons anime
Si Uen ton camp, que feinte aucune n'y ail lieu,
■ Oeft grand heur d'eftre Chefft grand en fa ieunejfi.
(^oy donc'? de pouuoir ieune obliger par prouêffc
Et r^at de fon Prince, S la loy de fon Dieu ?
LE lOVR QVE L AVTHEVR A LEV LE DERNIER
Quel débat fur ceci? ceux qui entre nous cèlent
L'ardent ^ele qu'ils ont vers l'autre faâion,
Ne fe pouuans garder que de leur paffiùn
Lis feux fecretsfans ceffe à tous mots eftincellent.
Font bruit qu'en l'autre camp par l'ediâ ils rappellent
Ceux qui fe contenoyent : qu'en indignation
SONNETS. l55
De Vediâ VAUemaigne ejï en combuftion ;
Qsie les Anglais fur nous leur haine renouuellcnt :
Nous difons qu^en tous lieux où ces gens ont efté
MaiftreSy ils ont banni Vantique Pietéy
Et qu^ainjt Vautre Ediâ par eux fans fin fç force :
QuUls ont en pleine paix ruiné lesfainâs lieux.
O vain débat , tachons par armes faire mieux
Que deuant, & la loy prendra des armes force.
POVR LE lOVR Q.VE TOVT LE CAMP PARTIT
POVR ALLER TROVVER l'eNNEMY.
VII.
Vous Charles, Catherine, & Henry, qui tene^
Nofire fortune en main: Charles les loix nous donne,
Catherine maintient defonfils la couronne ^
Et par Henry les camps fraternels font mene:{.
Vous tous qui aux confeils, & aux combats prene^
A cœur la foy d'vn Dieu, qui voftre ame eguillonnCy
A cœur le droiâ d^vn Roy que Dieu fur vous ordonne,
A cœur Vamour de France en qui vous eftes nés :
S'il n^y a plus d'efpoir que Ion nous pacifie
De tel accord, que Vvne & Vautre part f y fie,
Prene:( & faites prendre à nous tous plus de cœur,
D^ardeur, & vnion, de force & rufe encore.
Sans qu'en traînant toufiours ce Royaume on deuore,
Le faifant fur foymefme infortuné vainqueur.
VIÏI.
Encor que toy, ta France & tes fuiets fidelles,
Mefmcs iufqu'à la mort des Princes bons & preux,
i56
Par aguet ou ha/art de coups malencontreux ,
Tous les hurs receuiej quelques piayes nouuelles :
Bien que tu daines eftre irrité des nouuelles
Et faux bruits que les gens hargneux forgent entr'eax.
Sans qu'en rien Monconlour,Gernac,/ainâ Denis, Dreu.r
Voire le chic dernier contienne ces rebelles :
Combien que tout traitti qu'ils fini auecques toy
Ne doiue ejlre dit paix, mais bien pardon d'vn Roy,
Telle paix maintenant ejl pourtant feure & bonne.
Si donc vers Dieu, vers toy, ces gens cherchent mercy.
Pardonnes les reçoy : pardonner en cecy
Plus que vaincre en combat la vidoire te donne.
A LA ROVNE MERE DV ROV.
Qjiand ie te voy fur toy porter toute la France,
Comme Athlas fait le ciel, ton chef Royal baiffani
Sous un fardeau gui va le faix du ciel paffant :
Car l'vi! d'ordre S- d'accord iujlementfe balance.
L'autre ejl plein de dîfcord, de/ordre S in/olence.
Abus, erreur, fureur, que lu vas regijjant,
Pourtant dejfous ton fils les hauts caurs moliffant,
Et rabaijfant les vils par confeit S prudence :
Qiiand ie voy que fur toy toute l'Europe a l'ail.
Quand ie te voy porter fouuent vn double dueil
Du temps, & de Henrv, quand ie voy qu'on ie charge
T^aboyant des deux parts, ie te plains fort dans mor :
Mais ie m'appaife alors qu'vn tel fils ie te voy,
Qui ia plein d'heur reprend S- raccorde ta charge.
:ê^^
SONNETS. 13-7
II.
Dieu, Madame, a permis en vengeant nos malices.
Nos piques & nos torts, nos abus obfline:(,
Que deux partis fe foyent Vvnfur Vautre acharne!^,
Faifant par nous fur nous exercer f es iuftices.
De là les maulx, les tortSy les hontes, les fupplices,
Les pecfié^f les prifons, les trauaux, deftine:{
Eftoyent à Vvn ^ Vautre, à fin qu*éguillonne:^
Nous fuffions de remords de nos haines & vices :
Mais la paix, la bonté du Roy, cefte vnion
Commune, pour reprendre à ta fuafion
Le Haure, Veftranger chaffer hors les prouinces,
Se defarmans fi>nt foy de ton futur bon heur,
Et qu*au double entre nous reflorira V honneur
De Dieu, du Roy, de toy, de France, & defes Princes,
SVR LA MORT DE LA ROYNE d'eSPAGNE
SA FILLE AISNEE".
m.
le croy qu^eftanty Madame, aux maux exercitee
Autant ou plus que Roy ne oncques le fut ici :
Et comme en plaine mer des vagues de fouci,
D'ennuyy d^effroy, de tort, de malheur tourmentée,
Et qu^ en voyant fouuent toute ioye reftee
De ioye ejire la fin, tous plaifirs mefme auffi
Neftre queferuitude, en qui nos fens ainfi
QjA*en vn rets d'or leur force ont fans ceffe arreftee :
Sçachant quHl faut par force arriuer tous au port.
Et qu'après nos honneurs vne honorable mort.
Qui fans crime nous prend, rend la vie plus viue :
Toy mefme ne voudras en ta mort f ennuyer :
Voudras tu donc tel port à ta fille enuier.
Qui hors des maux duec tant d^ honneurs y arriuè?
De Ion dueil ie ne veux par ces vers arrefier
Le roide & premier cours, en l'afpre deftinee.
La douleur tft rebelle alors qu'elle efi ge/nee.
Trop f aigrit vn grand mal qu'on veut trop tofl ojler.
A trop bon droit ta file il te faut regretter, '■■
Tant vtile, tant grande, aux vertus tant bien née, Il
Bien que Roj-ne dix Jbis, dix elle en peut porter.
Mais quand le eceur, le fiel, où gifi Vamour & Vire,
Font que iiajire ejlomach tant de foupirs en lire.
Tant de eris nojlre bouche, S tant de pleurs nofire cei\
Comme en vn ciel il faut que du haut de la lefte
La raijon qui rejfemble vn beau Soleil, arrefle
Le venteux, l'orageux, & le pluuieux dueil.
Bien que tu fois graniP Royne, & que ta grandeur daine
Prefgue approchant des Dieux, des Dieux mefmefenlir, 1
Sans vn lerreflre dueil faire de foy fortir.
Si faul-il que grand dueil par force die conçoive :
Nature veut que mère & femme on t'aperçoiue :
Le fang ne peut, S moins l'humaine loy, mentir :
Puis quelle mort pourrait tel amour amortir?
Mais il faut que ton dueil foymefme fe deçoiue.
De toy naiffant il doibt dire dans toy. Qui fait
Que ie contefte au vueil d'vn Dieu fiable & parfait?
Qui m'arme contre moy, fi la vie on voit efire
Vn fonge S briefS grief, Ji le bien plus choifi
Au monde efi quafi mal, fi tout n'eft rien quafi,
D'vntelrienqu'enpeui-ïlaucaurd'vnChrefliennaiftre?
SONNETS. I 59
VI.
Des deux grands Rois d'Europe, eftre fille première
A Vvn, & femme à Vautre, outre encor eftre fœur
D^vn Roy non feulement des pères fucceffeur
En règne & en vertu, mais en façon guerrière :
Eftre auffifœur de quatre y à qui la terre entière
D'autres grandeurs referue, auoir foymefme Vheur
D'eftre plufieurs fois Roine^ en maiefté, douceur,
Et autres vertus^ eftre en terre vne lumière :
Auoir vefcu & mefme eftre morte en V amour
Extrême d*vn mary, pouuoir reuiure vn iour
En terre par mérite, & viure au ciel par grâce.
Hors des tragiques fins, qu^ont les plus grands, V auoir
Laijfee en te laiffant feurté de la reuoir,
N^eft'Ce a]fe\ pour calmer & ton ame & ta/face ?
VÎI.
La fille à ce Cefar qui peut iadis conquerre
Nos Gaules en dix ans, par mort auoit rendu
Le tribut de nature : or du père entendu
Fut tel trefpas alors quHl domtoit V Angleterre,
{L'Angleterre il nommoit Albion pour la terre
Qjii de loin paroit blanche), Adonc fut refpondu
Par luy, Morte ma fille & mon gendre perdu :
Auffi le gendre & luy toft après feirent guerre.
Mais tu doibs au rebours, ces nouuelles oyant.
De ton gendre iuger : car luy, Chreftien, voyant
Qu^vne caufe qu'on croit Chreftienne vous allie.
Fera (quand deux enfans ne le tiendroient lié,
Qjtand autre Hymen de nous ne Vaura rallié)
Qfte Dieu, que le danger ^ plus que V amour le lie.
INSCRIPTION
POVR VNE STRVCTVRE
A La Grandeur, Vert. & Liberalilé de Calherinc R.
de Fran, auiourd'ltuy des II. pius puiffans & floriff.
R.R. de l'Europe, mère & l'vn, & bclle-mere à Tau ire :
ires-hcroique & treE-magnif. PrincelTe, foit iuftement A
deuotem. dédié le deffein de fi rare, fi riche, & à tou)
fiecleE admirabl. ftrufture : à iîn qu'elle qui fur toiH
les grans Héros & grandes Heroines du monde, la peut
plus franchement & plus dignem. Entreprendre, m
faifant honte à tout l'orgueil des plus grandes malTesanâ-
■qucs, plus par richelîe & gentileffe d'inueniîon que par
defpence immodérée ; & mefme en peu de temps poll-
uant venir à chef d'vne entreprife affez incroyaHa,
vienne après par vu folenncl & digne vœu la confncrer
elle mefme, tant à la future & perdurab. mémoire do
Charles VIUL. trefchr. R. de Fran. fon fils, comme aulE
à la lienne propre deui^ment & immorlelem. foit pour
vne marque inaccoiiftumee de fa Gloire înduftrieufe 4
Magnificence incomparab, foit pour la conferualion &
proleft. de la louange que mérite vne inuention telle,
aidée & pour iamais affeurce fous l'apparence d'vn fi
haut nom : non pas tant contre les ctforis de l'Igno-
rance&de l'Enuie, qui ftcilement & to
u fi ours feront
contnintes de céder à l'admiration d'vn
que contre la ialoulîe que tout Art plu
& la Nature mefme tres-inimitab. ouurie
tel ouurage,
induftrieui,
e, en doiuenl
prendre ; Pvn pour fe voir vaincu, l'autr
e pour fe voit
SONNETS. i6r
quafi mieux que naîfuement & veritablem. rendue :
comme toufiours le tefmoigneront affez ces vers addref-
fez icy, & facr. à celle mefme Maieflé.
Toy qui dois & peux feule en la France entreprendre
Tel ouurage, qui feft facré par fon Ouurier^
Voy comme tu pourras contre tout Art plus fier ^
Contre Nature mefme vn fi bel art deffendre.
EuXy en voyant vrayement fous la voûte fépandre
Vne grand* vigne en treille : aux vrais miroirs d'acier
Les colonnes fembler y voire en tout Vœuure entier
Tiges, fleurs y fueilles,fruitSj vrayement viuansfe rendre :
Veau de V arbre ou du rocfortir : le branl^n^ent
Cà & là faire croire vn naïf mouuementy
Tous deux iahuSj dépits, nuifibles pourront efire :
Mais ne crain point, tous deux fiupides fe rendront.
Plus que V arbre ou le roc, à tous coups quHls viendront
P enfer que tout efi faux, fans rien faux y cognoiftre.
Si l'Art & la Nature mefme fe doiuent (lupifier fur tel
édifice dreffé de telle forte, & en tous lieux tranfpor-
tab. Il ne relie rien au monde qui ne puiffe à iamais
gratifier telle hardieffe d^œuure : duquel le delîein efl
à tel nom, & l'exécution efl à telles mémoires éternelle-
ment voûee DD. Confacr.
loielU, •> II. II
i62 soTrmTs.
A MONSEIGNEVR"
Ci'cy 411 11 / impoufueii ce ioiir ie le pfoiete,
Grand Duc S grand vaingiieii);ej! peu d'ouuragC'iu pris
Des vers facre; à ioy, lors qu'à mesfens éprh
Ton Dieu, ton Roy, ta France, S la gloire fobiete.
Mais pour monjlrer mon ame en rien n'ejlre fuiette
A Voubii, quand de moy fouuenance on a pris,
le iette en l'air ces vers : car quant aux longs efcrili
Ce temps ne veut encor qu'au mande ie len iette.
le te dy donc, qu'aînji qu'il te fouuint de moy.
Lots que fort e/loignê ie ne penfais à toy~:
Moy, ma Mufe, S le ciel, fans que lors lu y penfe.
De te recompenfer prendrons vu télfouci,
' Qu'à ton Dieu, qu'à Ion Roy. S à la France auf/i.
Grand' part tu pourras faire en telle yecompenfc.
Cefi beaucoup voir les Dieux, les Héros, S les Rois,
De rangfenlrefuiuans au lige de ta race,
Auoir pour digne père vn Heneï, qui en face,
En façons S en faits fembloit paffer ces trois:
Qui te laijfant Jon nom pour armes S- pour lois.
Te laiffafon affable &fa hautaine grâce.
Auoir pour frère S Roy, Charles, qui en fa place.
Te commet, receuani de toy ce que tu dois.
SONNETS. l63
Dés V enfance auoir veu mainte alarme animée^
Prejque enfant par deux fois ejire grand chef d'armée .
Aucamppremier^fuiuantypreffantygaignantygardan t :
Au fécond, triomphant de deux grandes batailles.
Mais c^eft plus, qu*à Dieufeul le los & foin tu bailles,
A fon vueil le laurier & Voliue accordant.
III.
En la douceur de paix^ ta douceur naturelle
Semble prefque oublier tes mérites guerriers,
Mais le ciel ne peut voirfeicher tes beaux lauriers.
Et veut que leur verdeur fans fin ie renouuelle.
Des Prouençaux la route ainji foubliroit elle?
Pourrois-ie de Coignac me taire volontiers?
Taire Vheur d'affranchir d'vn teljiege Poiâiers?
Taire de Montcontour la vidoire plus belle ? x
Du Roy la gloire y gifl : trahir ie ne la puis.
Si foldat, fi poète, à mon Prince ie fuis,
Trop plus que moy, mon Dieu, mon Roy^monpaîs Vaime .
Et quoy? tu vois quHci d*vn tien petit bienfait
Enuers moy, la mémoire ainfi chanter me fait :
^ Ton bienfait oublirois-ie enuers ces trois extrême? .
A MONSEIGNEVR LE DVC*'
i.
Ce iourd*huy d^vn trait mefme, à Vimpourueu, ie veuic
{Duc, qui prens d*Alençon ton filtre & ton partage)
-«v-
|64
Ail Duc d'AaiOtt ion frère offrir mon fainâ hommage ,
Puis/acrer dans ton temple eucor mes humbles vicus.
Pareil bien, d'vn caur mefme, S fans penfer aux deux,
De (OUI deux Cay receu .- /ans qu'ayes tefmoignage,
Que Ji ce n'ejl d'effeâ îe vous fers de courage,
Qji'à toute heure efprouuer pour ioy pour luy tu peux.
Pour doncques enuers vous vos bienfaits recognoijlre.
Qui font vn franc vouloir plus qu^vn Ici don paroiflre,
Les armes S les vers ie pourrais pref enter.
Le premier feroit peu : mais ie voudrais vous fuiure
D'vn tel cœur, que ie psujft en vos gloires reuiure.
Comme vous la mort vofire en mes vers furmouter.
II.
ladii la France a veu fon Hercule Gaulois.
Dansfon temple tenir les peuples^ par l'oreille
A fa langue enchaîne^ : monfirant toute merueilie
Defçauoir, d'éloquence, & de maurs, & de loix :
François ton haut ayeul, l'autre Hercule François,
Ramena de ces dons la force nompareille,
Q}ii rauit & enchaîne. Or d'une ardeur pareille
Gaulant ces dons, il faut qu'à luy pareil tu fois :
Hercule on te nomma peu après ta naijfanee.
Depuis nommé François quand tu fortois d'enfance.
En ce nom tu changeas vn nom de haut renom.
Mais des deux noms iefay la différence nulle.
Car puis qu'en tous effeâs François efloit Hercule,
Suiuant François tu prens d'Hercule encùr le nom.
Homère, qui diuinfon Achille chanta.
Commença, que ie peiife, à la dernieri
ODE. l65
Qu^ Achille auoit vefcuy quand fon ire obftinee
Fitf que des fiers combats long temps il pabfenta,
Stace moindre poète à/es vers prefenta
D'Achille lefubieâ, chantant la deftinee
De fa naiffancCy enfance, & ieuneffe bien née,
Mais la mort Vœuure enfemble & Vouurier arrefta.
Commence de bonne heure ^ & en beaux faits profpere
Sous noftre Agamemnon : qui des deux eftant frère.
Fera qu'entre vous trois difcord ne fortira.
Si pour vos ans derniers, ie ne vy tant d'efpace
Que ie vousjbis Homère, aumoins feray-ie Stace :
Dans tel Stace (peut eftre) vn Homère on lira.
ODE
SVR LA NAISSANCE DE MADAME,
Fille du Roy Charles neufiefme**.
la la Lune argentine,
Q)ti au bas ciel chemine,
Et qui parfait fon cours
En trente iours :
Prenant, perdant lumière,
Neuf fois fefi faite entière,
Etfe comblant neuf fois
A fait neuf mois :
Depuis que Dieu propice,
Qui par maint bénéfice
Veut mon Roy rejlaiirev.
Et bien-heurer^
^ r
Tout cela qu'elle porte
Senl/on Aigle, en laforte
Ce naturel liaulai»
Leur tft certain.
Comme qui verrait croijire
(Si cela pouuoit ejlré)
Le grand tige admiiè
D'vn Lys doré:
Si haut qu'il femblajl me/me,
Qjie ta giandeur extrême
Des fieuroni précieux
Touchaji aux deux.
Tant que leur beauté grande.
De toui les Dieux la bande
Qui la carefferoit,
EJlonneroit:
Ainfi no/lre Héroïne,
Nojlre grand Catherine,
E/leue l'heur fatal
Du Lys Royal,
Q.II1* des Rois veu/ue, S tnerc.
D'alliance pro/pere,
Tous Princes fous /on Lys
A recueillis.
Tout ce qu'en ces Prouitices
L'Europe a de grandi Prina
M grand lieiir
Ou ir
Car
>ufœu
Bruj, ou Gendres
Pre/que tou.
Sans lesfuli
De Ses deux fil
Cybetle elle eft féconde
De grands tiens au monde,
Sans les troubles pervers
De rvxiuers.
Vu Tige on ta peut dire,
Dont les fleurs un admire.
ODE. 169
Sont fes filles^ & ftls.
Fleurons du Lys,
L^odeur de tant de grâce j
Qui en la terre baffe
En telle fleur fe fent.
Au cielfe rend :
Au ciel leur chef arriue,
,Et leur fplendeur nàifue
Prefque efface cela.
Qui reluit là,
Charles le Prince noftrej
Grand fleuron fur tout autre,
Par vn couronnement
Fait Vornement :
Veu fes ans, fon attente,
Hommes, & Dieux contente :
Ceux-là luy foyent fournis^
Ceux-ci amis.
Son cœur eft de hauteffe.
Et fon corps plein d^adreffe,
Son ame S- fon cerueau
De deffein beau,
Vexploit de la vengeance
Sur les traitres de France,
Fait par fi bon effet
Voir ce quHl fçait.
Les enfans que Dieu donne,
Oeft cela qui guerdonne
La foy, qui d*vn nœu faint
Deux cœurs étreint :
Qjii fouuent dans noftre ame
Serre, eguife, renflame^
D^vn froid amour le nœu,
Le trait, le feu :
Qui le plus rend loyale
La couche coniugale.
Et qui plus en met hors
Les fourds difcors :
II*
SONNKT.
Qiiifouuent plus en chaffe
De dédain, qui pourchaffe
Va divorce, qu'il veut
Faire fil p€ull:
Qui donne iiouiffance,
Qi,i nounijl fefperance.
Qjiiplusen tout beau fait
Valoir nous fait:
Qui maint deffein inuentt.
Qui en guide Valtenle,
Qui en borne le bout.
Seul but de tout,
Qlii fait d'vn heur extrême
Voir en autruy faymefnte,
Pour en luy viure alors
Si Dieu pour premier fruit-de ton fainS mariage
Teufk donné (Si a i) vii_;îls, luy naiffani tout guerriei ,
Comme enfant d'vn tel Roy, Veujt auec le laurier
De maint futur triomphe apporté le prefage :
Mais de ton fainâ lien tu as pour premier gage
Vnejitle, qui doit contre ce monjlrefier
Nojlre objliné Difcord, apporter Voliuier,
Et de la paix de France ejlre. l'heureux mejfage.
Paix fait premier chej toy, pour dehors perdre après
Tousceux quipourleur gaing àtaperte eftoyentprejls :
Ta Fille aujfi nous vient, torS qu'vnepaix notoire
Par toy dufang des chefs feditieux nous fort :
Puis vn fils qui naijlra doit d'vn fi bel accord
Faire naijire auec foy fur Vejh-anger ta gloire.
♦ #
SONNET. 171
SVR LA NAISSANCE
DE
HENRY DE LORRAINE COMTE D'EV,
Second fils du Duc de Guife*^.
SONNET. *
O Dieu pour tout ce iour tourne en douce tiédeur
Ma fleure^ quipeftend d^vne rage ohftinee
Sur monfangffur ma chair, fur mes nerfs acharnée,
Tantofl d* ardeur me tue, & tantofi de froideur :
En ce relâche (o Dieu) renforce encor mon cœur.
Ma Mufe, & ma raifon par foiblejfe étonnée,
Pour augurer en bref Vheureufe deflinee
D*vn enfant dont en moy ie preuoy la grandeur :
Enfant, qu'ores on offre au faind facré Baptefme,
Outre Vheur de ton ajkre, outre cet heur extrême
Qy/Cen vaillance le ciel ottroye au fang l^orrain :
Ton nom Henry Vexcite à gloire plus hautaine,
Par Vheur fatal d*auoir pour père & pour parrain
Deux Henrys, ^u haut fang de Bovrbon & Lorraine.
Cejfant de mon ma/ la rigueur.
Et ma Mufe prenant vigueur,
{Enfant) fur le nom qu'on te donne,
le veux de trois hauts noms chanter.
Qui le plus femblent augmenter
L'heur de la Françoife couronne.
L'vn de ces Monii, dont le bonheur
Emporte auiourd'kuy plus d'honneur,
C'efl celuy que porte ton Père,
Cetuy qu'a ton Parrain, celuy
Que luprens amourdhuy de luy,
Nom qui fait à tous trois profpere.
Ce gui dedans la France rend
Ce beau nom de HEsat Ji grand,
C'efl ce grand Henrï magnanime,
HctiKYpere de nojlre Roï,
Qui par tout exemple defoy
Son fila à toute gloire anime.
De ce grandHESRY les valeurs,
Maugré tous les diuers malheurs
laloux d'vnefi braue gloire.
Ont fait qu'il ait efté nommé
Père des armes, qui armé
Sur Mars me/me eufk eu la viâoire.
Les ai-mes ne font feulement
D'vnfi grand Prince l'ornement:
En voyant fa iujiice grande
Elfes vertus, on eufl cuidé.
Qu'il eutjeui fousfoy foffedi
La vierge Aftree auec fa bande. "^
O que n'ay-ie en cefte chanfon
Et pour le vers, 9 pour lefon,
CHAN-T.
La veine, & l'haleine plus forte j
Son Efprit ie deifiroy
Au ciel, & ça bas ieferoy
Sortir des fleurs d€ Ja chair morte.
Henry, V emplir oy de ton nom
Tous les deux, & de ton renom
Tout ce bas globe auquel nousfommes,
De ta mémoire tous les temps,
De ton amour tous cueurs des gens,
De ton exemple tous grands hommes.
Sur les fons facre^ ce Roy tint
Ton Père, qui f on nom en print,
Et qui fait preuue en fa ieunejjfe,
Outre le cueur heredital^
Qjie quafl ce nom eft fatal,
Et pour addreffe, &pour proueffe.
Ton Parrain mefme de * *
Donne du preux fang de Bovrbon
Et de Vheur fatal defon nom
Grand* preuue &plus grand^ efperance.
Ce qui rend ores entre nous
Ce nom mémorable fur tous^
Ce Prince à fon fécond fils mefme
Ce beau nom fatal a laijfé
Qui par luyfera furhauffé
Vn iour en fon honneur fupréme.
Il efk du naturel entier.
Comme du nom fait héritier :
Car dés quHl eft forti d? enfance
Sous Charles, fon frère, & fon Roy,
De deuoir, d'ardeur, & de foy,
Il P eft fait V Achille de France,
la la faulfe Religion,
la Vouuerte rébellion,
Se mafquans de Pieté feinte
Fouloient tout deuoir & r'aifon,
Qjtand Verreur & la trahifon
Jl a deffous fon ioug étreinte.
,73
174 sot» NETS.
Ejfant encorjl itunt d'ans,
Deuxjbis chtj d'armet en deux camps.
Entre maint aâe mémorable.
Deux grandes batailles gaignant,
Auant le temps il va ceignant
Son front de laurier perdurable.
Or lEnfanl) c'ejl agej chanté
Du Horn, que tu as rapporté
Du Bapte/me cefie ioumee ■■
La valeur de emx que i'ay diâs,
En cueur, en faiâs, e» graee, en dids,
Tefoit auec leur nom donnée.
A K. LE COMTK
DE J-AVQVEMBERGE ET DE COVRTENAY.
I.
Quand feul fans tojr iefuU, car rien que ton abfenee
Ne méfait frouuer fettl, tant que quand ie ferais
Auecq' tous les humains feul te me iugerois.
Car plus que tous humains m'eft ta feule prefence :
De peur de m'ennuyer ie fantaftique S- penfe
Par quel art, queW magie, à tous coups ie ferais,
Qite toy efiant abfent, prefent te trouuerois :
Car iamais nul ennuy, toy prefent, ne m'offenfe. .
Ma Mufe ou ce Démon qui me fait tant de dons.
Que Ion me met moymefme au rang des hauts Démons,
Se ma/quant lors de loy fe prefente à ma veué.
Par luy donc ie te voy, en luy ie l'entretien,
El des vers du Démon, qui efi & tien & mien,
Prefent, abfent, ie pais l'ame à toy toute deue.
SONNETS. 175
II.
Oeft vn grand heur à toy d'auoir de la Nature
Vn efprity qui fait honte au labeur & à Vart :
Ceft vn grand heur à toy fans craindre ny hafart,
Ny deflin^ V appuyer dejfus la raifon pure :
C^eft encor plus grand heur, que nonobftant Viniure
Que ton procès^ ta fleure^ & Venuie, & le fard
De plufieurSy & tout mal qui de tous ces maux part ,
Te font fans fin, fans fin ton fens tout tel te dure •
Oefivn grand heur de voir qu^auxvertuSy aux hautejfes,
De Vefprit tu ioindras les grandeurs, les richeffes.
Que ie fen féueiller d'vn fommeil long &fort;
Mais entre tous ces heurs, qu^eft-ce qui voudroit taire
L*heur de m*auoirpour tien, qui veux & qui puis faire
Tous heurs croifire en ta vie, & reuiure en ta mort ?
III.
Jamais ne peut nofire ame affeoir de certitude
Sur rien, que fur la vraye & parfaite amitié :
Les filandieres fœurs, ny les fœurs fans pitié ^
N^ajjferuent point tel bien à la viciffitude :
Taufiours à foy femblable en V éternel efiude.
De tenir & main prefie & prompt & ferme pié,
A tous maux de Vami participe en moitié.
De tout fans regarder ne gré nHngratitude :
De là le bien de V homme efl fait vn plus grand bien,
De là les maux humains fe transforment en rien,
Cela combat la peur &fouuent la mort nofire :
Mais Vamitié cent fois eji plus heureufe encor,
Qftand vne couple ainfi que Pollux & Cafior,
Se peut communiquer Delté Vvn à Vautre.
lyS * ' SANNEJS.
IIII,
Combien que veu ton fimg, ton rang, ton abondance^
Seruiteur ie te fois i Pqfe prendre enuers toy
Vn nom plus haut, plus digne, &plus grand, puis qu^à moy
Tu daignes fabaiffant en donner lapuiffance.
Te fuis donc ton ami^ mais tel que V excellence
Du beau mot n'orgueillit mon deuoir ny ma foy :
Car plus que mille ferfs ie puis ce que ie doy
Payer ^ & croy qu"^ amour doit toute obeiffance .
Thefee Perithoe, & Pylade & Orejke,
Scipion & Leliej &fi quelque autre refte
Des couples des amis furent, ce croy-ie, efgaux :
Mais Valliance ainfi d'hommes pareils vnie,
Se pourroit rien gaigner en Vefpreuue des maux,
Sur mon amitié férue & feruitude amie, .
V.
A fin que ceux qu*enuie enfemble brufle & mange,
Ne fe peinent dequoy tu me peux tant aimer,
La brufque & libre humeur qui me vient enflammer^
Me fera déborder iufques en ma louange.
Sous vn fort malheureux le ciel en ce corps range
Vn efprit que tout fien il peut bien efiimer,
Vn fens, vn iugement, vn cœur qu^on peut nommer
Vray iuge du vray bien, vainqueur du mal efïrange :
Vn prompt fçauoir fans fard, vn dol, mais fans vfage,
Vn ie nefçay quel don qui iuge & qui prefage
Toutes fins par difcours, nonparfonges menteurs :
Vne bonté qui point ne change oufefpouante,
Et fi Ion dit que trop par ces vers ie me vante,
Oeft queftant tien ie veux te vanter en mes heurs.
SONNETS. 177
VI.
Si aux extrêmes maux, où mon ht^art me guide,
Tu fCefprouuois mon ame eftrefans changement ,
Qui prend du bien non pas du mal lefentiwtenty
Comme en tout affeuree & nsm comme Jhtpide :
Tu pourrois bien douter que le fort, qui prejide
Sur tous cœurs, les changeant de moment en moment,
T^eftant cruel pourroit faire vn ébranlement
A ma foy, dont la mort ne peult efïre homicide.
Mais Vefpreuue de Vvn ne peult reudre certain •
En Vautre, que fi Dieu mefloit le ciel hautain
A la terre, & vouloit faire vn Chaos renaiftre^
S*encor Veftois tout tel, ie ferois & ne puis
Tant céder à ce Dieu, que fi en tout ie fuis
MalheurefÂX, en cela ie. ne puiffe heureux eftre.
VII.
Maudiray-ie {cher Comté) ou les Dieux enuers moy
Nonchalans, ou ialoux, ou du fort la confiance.
Qui ne fut oncq confiant fors qu^en Vafpre nuifance^
Que fans relâche il fait tant à moy comme à toy?
Des celefies flambeaux maudiray-ie la loy ?
{Si quelque loy fur nous peut auoir Vinfluence
Des corps non anime:{ ;) maudiray-ie qu^en France
Ils m'ont fait naifire & voir tout cela que Vy voy?
Maudiray~ie la Court, ou les grands qui ne penfent
A moy, tant que trop plus que moymefme ilsfoffenfent.
Ha non! ie maudiray feulement la Vertu.
Seul Vexecre^^ auiourd'huy ce qu'yen moy plus V admire.
Car pourquoy? fi Vefioyfans cela, penfes-tu
Qu'en France en vn tel temps Veuffe rien que maudire.
lodelle. — II. 12
^.
\
78 SONNETS.
VIII.
Comme mCTloâe artifan^ pil rCentremet Vouurage,
Sent éblouir fes yeux y fent étourdir fesfens :
Noftre ame au long trauailfe deplaiji, fi le tems
De cent variété:^ fes esprits ne foulage.
Tu fçais quand tu partis^ de quel hem:.& courage -
lefuiuois Vœuurefainâ que de moytïï attens :
Mais par trop longue halene élourdir ie me fenSj
Si par le changement ie ne me rencourage,
Donques tant eh la ckaffe, & au vol des perdreaux,
Qu* au pourmenoy des bois, des iardins, & des eaux,
le repren les plaifirs, les Mufes & Vhaleine :
Là ott pour ne laijfer rouiller Vœuure des vers,
le refue cesfonnets deffus ce temps diuers,
Sonnets faits de grand chofe, & toutesfois fans peine.
\,
A M. SYMON.
SONNET.
L'amitié qui me lie à toy dés ma ieuneffe,
De ma Mufe (ô Symon) print fon fatal lien :
Quand premier des François, toy m^ouurant le moyen,
Pempruntay le Cothurne, & le Soc, a la Grèce :
Pour aux Rois, pour au peuple, auecques la hauteffe,
Auecques la baffeur^ du vers ^fchylien.
Et du vers de Menandre, apporter Vancien
Miroir Tragic, Comic, qui Rois, & peuple dreffe.
SONNETS. 179
Or ma Mufe^ qui peut nqftre amitié nouer f
Se /entant immortellçy ores luy i^eult vouer ^
Qu^ainfi qu'elle luy fit prendre (Velle naiffance,
Elle luy donnera ce qu'elle fent enfoy,
Qui eft Veternité, tant que du temps la loy
N^ait fur ton nom non plus que fur le mien puiffance.
A LOYSE L'ARCHER,
ET A SES SŒVRS.
On vante ajfej le banquet ancien
De cefte perle à V ami pref entée:
Affe\ des vieux Vamhrofie eft chantée^
Lefeul honneur du paft Olympien»
Vvne pour eftre vn miracle Indien^
Par tant de vers fe voit ainfi vantée :
- Vautre pour eftre auxfeuls Dieux apprefteCy
Mefme paffant le ius Hymettien.
En ce difner peuuent eftre choifies
Plus fainâs ioy aux, plus fainâes ambrofies
Que VInde n'a, que n ont pas les hauts deux :
Mais la douceur eft en Vaigreur changée.
Et bien que fuft Vautre perle mangée,
Ces perles ci deuoreroient les Dieux.
e
\
178 tOKNBTS.
VIII.
Comme mfTIoâe artifan^pH iCentremet Vouurage^
Sent éblouir fes yeùx^ fent étourdir Jesfens :
Noftre orne au long trauailfe deplaijlf fi le tems
De cent variété^ fes efifrits ne foulage.
Ttrfçais quand tu partis^ de quel /!iem% ^ courage •
lefuiuois Pœuurefainû que de mqytlr attens :
Mais par trop longue halene étourdir ie mefens^
Si par le changement ie ne me rencourage.
Donques trnit en la chiffe, & au vol des perdreaux,
Qjt^au pourmenoy des bois, des iardins, & des eaux,
le rqnren les plaifirs, les Mufes & Vhaleine :
Là où pour ne laiffer rouiller Vceuure des vers,
h refue cesfonnets deffus ce temps diuers.
Sonnets faûs de grand chofe, & toutesfiiis fans peine.
A M. SYMON
SONNET.
L'amitié qui me lie à toy dés ma ieunejfe,
De ma Mufe (d Symon) print fon fatal lien :
Quand premier des François, toy m^ouurant le moyen,
Pempruntay le Cothurne, & le Soc, à la Grèce :
Pour aux Rois, pour au peuple, auecques la hautejfe,
Auecques la baffeur, du vers jEfchylien,
Et du vers de Menandre, apporter Vancien
Miroir Tragic, Comic, qui Rois, & peuple drejfe.
SONNETS. 179
Or ma Mufe, qui peut nqftre amitié nouer ,
Se f entant immortelle^ ores luy veult vouer,
Qu^ainji qu^elle luy fit prendre (Velle naiffance.
Elle luy donnera ce qu'elle fent enfoy.
Qui eft Veternité, tant que du temps la loy
N^ ait fur ton nom non plus que fur le mienpuiffance.
A LOYSE L'ARCHER,
ET A SES SŒVRS.
On vante affe:^ le banquet ancien
De cejte perle à Vami prefentee :
Affe:{ des vieux Vambrojte eft chantée,
Lefeul honneur du paft Olympien,
Vvne pour eftre vn miracle Indien,
Par tant de vers fe voit ainji vantée :
- L'autre pour eftre auxfeuls Dieux appreftee,
Mefme pajfant le ius Hymettien.
En ce difner peuuent eftre choifies
Plusfainâs ioy aux, plus fainâes ambrofies
Que VInde n'a, que n'ont pas les hauts deux :
Mais la douceur eft en Vaigreur changée,
Et bien que fuft Vautre perle mangée.
Ces perles ci deuoreroient les Dieux,
FANTASIE SVR VN VERS
Bien chanU & bien tonné fur le Lut.
\ I.OVSE L'*RCHER.
Chauler ce vert, fonner ce fou aiii/i.
Ce foii qui eft l'efpril au vers enclos,
Animer fvn, animer Fautre aufji,
C'ejl de ta voix & de tes doigts le las
Tant excellent (d Loïse) qu'iceux
Dignes de toy, te rendent dignes d'eux.
O voix! 6 dois! â beau veis! ô beau/on!
O ameî ô corps! dejl rare chan/on,
Qiu ame S corps nous rauit par ces deux.
L'AMOVR CELESTE DE VERTV.
SVR l'A IFV
A M, Sï M O N.
Par mqy l'Amour celefie on voit mener ici
Trois Cupidons, captifs deffous ma main diuine:
L'vn eft l'amour de Mars, qui fanglani" vous mutii
L'autre vous va brupant d'vn auare foaci,
C'efi l'amour de Plutus : le tiers, qui brufle auffi,
Efi Pamour trop lafcifde Venus la marine.
Ce/le Mujïque accorde à ma pompe enfantine.
Qui pour vous S' pour nous va chantant ces vers ci
>
SONNETS. l8l
n faut que pour le fils de la Venus celefte,
Hautain & pur Amour , ces trois ci Ion detefte,
Qui en ce peruers fiecle ont eu le plus de cours.
Il les a pris captifs en cefte fainâe fefte
Des Innocens : Que doncq vn trophée on apprefte
A V Amour innocent^ fur ces trois faux Amours.
A M. DE l'aVBESPINE, SECRETAIRE d' ESTAT.
Bien que Vallufion des noms fort peu fouuent
A Vantiquité doué & à moymefme agrée,
Si m^en iouray^ie ici : VAuhefpine eft facree
A VenuSf aux honneurs de/on autel feruant :
Ce que Venus chérit, d^elle il va receuant
Des grâces la faueur, qui feules font entrée
A Vhonneur, à Vamour : VAubefpine recrée
Le Roffignol, fa plainte en fes chants pourfuiuant.
L* odeur de fa fleur blanche en telle forte attire,
Que nonohftant Vefpine il faut que Ion Vafpire,
Ayant de telle efpine éprouué la douceur.
Il faut que d'elle vn iour, fous elle vn chant ie face,
Qui mefme eftant du chant des roffignols vainqueur,
Soit plein d^ honneur, d^ Amour, de Venus, S- de grâce.
A MADAME DE PRIMADIS.
Voyant, Madame, en vn bel œuure
Oîi mainte rofefe décœuure.
Si tofi ces rofes façonner,
Vefloy prefl à m'en eftonner^
Qftand il me fouuint que fans peine
EIV apromptement ce bel heur
D*en prendre enfon teint la couleur ^
L^odeur fuaue en fon haleine,
Ailleurs la façon de la fleur.
\
l82 SONNETS.
A Madamoyselle de SVRGIERES.
Nonobftant tout mépris^ la Vertu fait paroiftre
A tout cœur vertueux fon befoin de bien loin.
De moy {qui ay bien peu de moymefme le foin)
Le foin entra dans toy fans mefme me cognoiflre.
Cela fans fin m'oblige, & toufiours me faiâ croiftre
Cefte ardeur, de me rendre vn immortel tefmoin,
Q]ie puis que les vertus tu fecours au befoin,
Tout fiecle doit en toy ta vertu recognoifire.
le n^ay point aux vertus tant de part ny tant d^heur^
Que toy, qui la vertu couples à la grandeur,
Deuffes peiner pour vn qui oncq pour foyne peine.
Que doncq ce cosur gentil, qu'yen cela tu as pris y
Me rende à recognoiftre à iamais, tant épris,
Qjt'à toy, plus grand qû*à moy,foit lefruiâ de tapeine.
SVR LA devise DE LA CYGALLE.
Quand le chien d'Erigone ou V auant-Chien encore,
Au plus fort de VEfté d^vne ardente cuiffon
Seiche toute herbe aux champs, auançant la moiffon
Que le Soleil doré de fon or mefme dore :
Du plain iour Vafpreté, qui tout humeur deuore,
Vient tous gofiers d^oifeaux fermer à leur chanfon,
La Cygalle fans plus renforçant fon haut fon,
Sans fin de voix&dueil, Vœildu grand monde honore.
Or tu es la Cy^gallCy & ta Dame vn Soleil^
Mais au chaud de VEfié ton chaud n^efi pas pareil y
Ny ton beau chant au chant de la rauque Cygalle :
Car ta Dame peut faire ainfi qu^aucun fiambeau
N^egalle à ton auis fon lufire en tout fi beau.
Qu'aucun chaud, qu'aucun chant, ton chaud ^ ton chant n'egii
SONNETS. l83
ANAGRAME, SON ARC TIRE FLAME.
Varc d'Apollon & Varc de fa Sœur^ ont des deux
A plufieurs fait fentir Vire & valeur celefle,
Tefmoin foit la Niobe, & des Grégeois la pefïe,
Les Cyclopes tue^, & le Python hideux,
L^arc d'^Hercule dans Vair de maint coup ha:(ardeux,
Des Harpyes la bande & puante & molefïe
Tua mefme en volant : mais Vamour nous molefie
D'vn arc paffant tout arc, & tout art mefme, d^eux :
Encorfon arc premier ne tiroit que des flèches,
Qjti pouuoient mefme au fond des âmes faire brèches :
Mais ma Maiftreffe Va d'autres armes armé,
Dont il embrafe tout, tirant près de Madame :
Ce qui fait donc qu'Amour m'ait fi toft confumé,
Oeji de Madame Varc, car son arc tire flame.
AV SEIGNEVR DE LA BOVRDAIZIERE.
Voyant ta beauté grande on peut (cher Bovrdaiziere)
A celle de Narciffe en tout la conférer,
Non tes amours, qu'on voit des fiennes différer^
Autant qu'il te fembloit de face & forme entière.
L^air, Vor, le teint, les traits, peurent à la prière
Pouffer la Nymphe Echo qu'il fit defefperer :
Au contraire tu viens fans ceffe reuerer
Etfupplier ta Nymphe y encontre toy trop fier e.
Ta Deeffe auffipaffe en beauté mille fois ^
CeV autre qu^vn refus fit transformer en voix :
Mais lors quefon amour, non Vamour vers toymefme
Te fait languir au feu, non pas au bord d'vne eau,
Tu te changes en voix, dont fort ce vers fi beau,
QuHl peut venger ton fort contre fon tort extrême.
i84
Lors que ie iuge en tout ta Deejfe ejtre telle.
Que fa beauté mffemble en for tes rarite^
Qu'à part on allribue à plujieurs Deite^,
Et qu'autant que/on corps fim efprit mefme excei
Lors qu'à tant de beauté^ ie vien conférer celle.
Dont Nature en ton corps a les traits l'mtfei
D'Apollon, &fes arts dans ton ame excite^.
Pour cejle autre beauté rendre encore plus belle :
le dy quejî ta Dame tjl cruelle enuers toy,
Qu'en fin ton corps fi beau perd le plus beau de /
Sont les vers gu' fans fin les beauté^ embeliffent :
le dy que l'efprit perd le los du ïugement,
(ijii aux vaines grandeurs pofipofe aueuglement
Les beau(ej S' beaujc dons quiles grandeurs grandifjt
FhebUS, Amour, Cypris veutlfauuer, nou
Ton vers, cœur, & chef, d'ambre, de flan
SVR LES Mhn-RORES DF, T. A. DE Bj*ÏF<7.
Tant bien chercher aux deux leur fubflanee plus pi
Qlte n'ejt l'élémentaire, & en leurs adions
Merquer les tours, les temps, les inclinations,
Mefme en leurs feux tout nom, tout cours, ordre S
Defcrire en Vêlement du feu la nourriture
Qu'il prend, les qualité^ S- les impreffions :
ELEGIE. l85
Chanter en Vairfes corps fubtils, f es régions,
Sa pluye, foudre^ & vents , neige ^ & grefle plus dure :
Chanter tant bien en Veau, fa liqueur, fes reflusy
Sonfel, fes animaux : puis ce qui efi reclus
Dans terre, ou qui fur elle & végète & chemine :
Comme vn B a if fera, chafque chofe enfon lieu,
C^ejl monftrer qu^on a Vame en tout vrayment diuine,
. Qw' 1?^'' tout dans ce Tout fe méfie ainfi -que Dieu,
A LA FRANCE.
ELEGIE.
Sur ce que tourne le ciel, & fur ce que clofe dedans luy
Forme la Terre encor, VOnde, le Vuide, le Feu :
Combien voy-ie en toy fans ceffe fe naiflre de terreurs,
Et fans ceffe en toy, France, /e naiftre d^abus?
Veux-tu dans vn vers cognoiflre la caufe de ces deux?
C^eJlleméprisqu*onfait, Fr an ce, d'aprendre quec^'ejl.
Or donc ceffe le Feu, VAir, VOnde, la Terre, de leurs faits
Intimider nosf^ns, tromper, époindre, rauir,
Mefme le Ciel, par faute de voir defaDanfe le vray cours
Ceffe de mille liens Vame pefante lier.
Par la diferte leçon des Vieux (qui mefme de leur rang
Ont fait par ce labeur efïre le doâe Baif)
S*ouure la caufe de tout, tant bien que la crainte, que V erreur
Et la fuperfiition faulfe, fe donte par eux.
O doncq* digne labeur ! ô Gens dont Vame ne peut pas
En rien eftre de Feu, d'Air, ne de Terre, ne d^Eau !
D'elle le Ciel efï feul géniteur de fon efire le plus pur.
Tel qu^efï V efïre de Dieu prefque tel efïre créant,
Vn propre corps luy confïituanty qui par fa pefanteur
12'
\
Lâche, ne puiffe le vol roide de l'ame tenir,
Parjbis doncq la tirant. S- iufqa'aufefte de fes ronds.
En voletant, fe ficher fur chafque chofe la fait.
Lors de ce haut far lous Elemens trefhaute fe comprend,
Ains comprend dansfoy Vceuiire de tous Elemems,
Voire le rond des deux, voire ainji tout ce que fans fi»
Caufe le Vuide, le Feu, l'Onde, la Terre, le Ciel.
Puis au corps derechef fe logeant, parfongraue difcours
Enclos dansfon corps tient de ce monde le corps.
Tant qu'vn mondepetit clojl vn grand monde dedans foy.
Vil miracle cncar peut de la chofe venir,
L^ame de foyretiranl par l'art de la Mufe ce grand Tout,
Comme le peut retirer par ce poème B aif,
[Mieux que celuy qu'an veit{ce dit-an)d'vn verre fe bafiir
Vn monde en ce petit verre de Dieufe moquant.)
Tous les deux vrayment figure:^ peut clorre de fes vers,
CInn-e la Terre encor, l'Onde, le Vuide, le Feu.
EN FAVEVR D'ORLANDE
EXCELLENT MVSICIEN".
S'il faut que tes chanfons graues enfemble S douces.
Sur Vaile des beaux chants qu'on leur doit inuenter,
lufqu'aux Rois (ô ma Mufe) ains iufqu'aux Dieux tu poup'-
Des vers en contr'echange ici tu dois chanter
Pour Orlande, qui peut aux vers l'aile Jl belle,
D'vn heur, d'vn air, d'vn art, admirable prefler.
L'aile qù'Orlande peut donner aux vers, efl telle.
Que f on vol animé de mouuemens fi beaux,
Siprompts,fi hauts, furpaffe en volant toute autre aile^
CHAPITRE. 187
D'enfer au ciel, du ciel aux infernales eaux.
Mercure en vn moment remonte & redeuale,
Ayant au chef, aux pies, fes ailerons iumeaux.
Ce beau vol peut porter à la riue infernale
Nos vers, au ciel, aux coins de la terre, fans peur
De ce qui fit en mer choir le fils de Dédale,
Mercure auffi qu'on fait fort fubtil inuenteur.
En Mufique, peut eftre^ eft la Mufique mefme,
Haujfant, haiffant, par tout ce beau vol enchanteur.
Puis donc qu'vn tel art donne & courfe & force extrême
Aux vers, & puis qu'Orlande vn tel vol façonnant,
Eft des vieux & nouueaux ouuriers Vouurier fupréme:
Mufes qui d'vn tel art ire:( toufiours tenant.
Comme Vart tient de vous, il ne faut qu'ion refufe
D'orner ce qui vous peut donner tant d'ornement.
Puis la Mufique a pris fon beau nom de la Mufe,
Mefme Vair des beaux chants infpire^ dans les vers,
Eft comme en vn beau corps vne belle ame infufe.
Le ciel qui roide emporte auecq' foy l'vniuers.
Retournant tant de ronds , vne harmonie engendre
Par leurs accords, tire^ de leurs difcords diuers.
Si V humain fens pouuoit de ces cercles entendre
Le bruit, qui de difcords fans reigle, & infinis y
En tant d'accords reigle:ç, & finis. Je vient rendre,
Tous lesplaifirs humains feroient de nous bannis :
Mais au défaut des fens, nos efprits de diuine
EJfence, abfens des corps, font au ciel réunis :
Et raprenans au lieu de leur haute origine,
Tous cesfons qu'ils auoient autresfois entendus.
En rapportent des tons dans leur frefle machine :
Mefme aucuns d* eux fi toft qu'ils font redefcendus.
Tachent faire imiter à leurs fens l'harmonie,
Qui d'aife les auoit pareils aux Dieux rendus.
Telle accordance encor J'imite au ciel, vnie
Aux beauxvers, quand la main de Phebus, de fes Sœurs,
Du tout prejque àjon gré l'ame des Dieux manie:
Et qu'eux émeus, force^, par accents rauiffeurs,
Lairroient & l'Ambrofie, & le Nedar, pour paifire
I
Leurs deilej fans ctffe en ces autres douceurs.
Car queftrt Vautre pajl à leur immortel ejtre?
Mais tel ceiejie accord à tous coups fait dans eux.
De leur ejlre cele/le vnfentiment renaijh-e.
Il ne fait feulement les Dieux fefentir Dieux,
Mais les hommes il /ail, par vue éprife extrême
Se fentir tels, que font ces Dieux mefme en leurs eieiix.
Nojlre effence mortelle, en ieffence fupréme
Sur l'heure il ne peut pas feulement transformer.
Mais en hommes il peut tourner les befles mefme :
Ains ce qui efl fans atne, il £effbrce animer.
Comme le boisfuiuant, & la fuiuante pierre,
Qu'il femble d'effort propre S fans charme charmer.
Et comme au ciel, en l'air, en la mer, en la terre.
Aux Dieux,aux hauts efprits,aux oifeaux,auxpoïffons, \
Aux befles, aux humains, Amour fea traits defferre, ,
Voire & encor pénètre aux Enfers, parfes fons
Et par fis chants, qui font fes deux traits, laMufiqut
Force tout ce qu'en tout rencontrent fes chanfons:
Elle a mefme forcé la porte Plutonique,
Retenant le Mdeux & Vincejfable aboy,
Qfii fort par trois gojiers hors du corps Cerberique,
Quand ce mon^inteus chien, tout tranfporté, tout coy,
Touf béant, aualloil ces charmes indomtables,
Dansfoy tournant fa rage en douceur mavgri foy t .
Quand les Sœurs fans pitié fe firent pitoyables.
Quand les trois autres Sceurs {qui tout deftin fïlans,
Ne fleckijfent samais) fe veirent flechiffables.
Ces tons fi forts, fi dons, pénétrons, Scoulans,
Du cruel, de l'auare Enfer les lois faulferent.
Toute ombre trifie, rude, S farouche emmielans :
Tant qW Yxion, Sifyphe, S Tantale laifferent
Ou le dur fouuenir & fentir de leurs maux.
Ou leur roué, & leur faix, & leur foif.farreflermit:
Auffi non feulement aux efprits infernaus
Cet Orphée eufl fait fbrce.ains aux Dieux,auxÛeeJfes,
Aux Démons, aux humains, aux brutes an.maus.
Nofire Mufique.doncq', qui aux enchaniereffes
CHAPITRE. 189
Chanfons de cet Orphée exerçait fon pouuoir.
Les fit fur tous les cœurs autant qu^ Amour maiftreffes.
Meftne fort mont Rhodope en fin ne Veuft peu voir
De Thyrfes ajfommé par les foies Bacchantes,
{Car puiffance il eujï peu fur fa mort mefme avoir:)
Mais les barbares bruits des cymbales fonnantes.
Des éclatantes vois, des cornets, des tabours,
EJloufferent V effort de chanfons fi puiffantes,
La Mufiqueplus vraye & parfaite a toufiours
Telle rencontre^ alors que plus on chante & fonne.
Que des meilleurs ouvriers on fait plus le rebours,
Ainfi contre Apollon fes lours tuyaus entonne
Le Satyre Marfye : & le iars éclatant
Penfe égaller Voifeau dont Méandre refonne.
Ces Bacchantes, qui haine extrême alloyent portant
A tel honneur, fefians leurs iours Trieteriques
Alloyent par tout errant, chantant, dahfant,faultant :
Mais fi le fainâ effort défi rares Mufiques
- Euftpeu lors dans leurs chefs, dans leurs cœurs pénétrer.
Pleins de vapeurs, d^ardeurs, & de rages Bacchiques,
Auecques la Mufique Orphée euft fait entrer
Vamo^r mefme au dedans des vineufes Menades,
Faifant ces deux pareils en force fe monftrer.
Car Vvne tous leurs fens & trouble^ & malades,
Euft remis en leur train : & V Amour euft domté
La haine fa contraire éprife en ces Thyades:
Doucement le cerueau par tels appas flaté
Euft mis hors toute erreur, & fureur, par Vaureille :
Et Vamour allumé dans le cœur euft efté,
Vadmivation donccf de chofe nompareille,
Vers Oiphee euft efté tel amour produ if ant :
Et la Mufique feule euft fait telle merueille.
Mefme aux amours plus vrais la Mufique attifant
Au cœur, au chefémeu, le defir, la mémoire.
Va Vapprehenfion viuement embrafant.
Amour fait'& refait, par elle fa viâoire,
Et croy que cault il porte en fon carquois des traits,
QjiUl luy dérobe, afin d^en reftaurcr fa gloire.
SVR LA GRAMMAIRE DE P. RAMVS".
Lts vieux Gaulois auoyenl tous arts en leur langage,
Mais Dis fvn de leurs Dieux (jui riche tient couuers
Sous les obfcures nuiâs mille threjbrs diuers)
Aujc champs Eiyjiens retint des arts Vvfage :
n fallait doncq' auoir pour ta bas pénétrer.
Les rappelter, les faire en l'air Gaulois rentrer.
Ce Rameau d'or, par eux redorant tout nnflre âge.
Si de Phottneur le «om fhonore en toutes parts,
S'il faitfeuî les duels, les ajfauta, les ioumees :
S'il conduit aii fçauoir les âmes les mieux nées,
Honneur lefeul guidon d'Apollon S de Mars:
Bref, fil ejï nourricier & noun-ifon des arts.
S'il ejlfeul conducleur des plus grand's deftir.ees,
Vainqueur de la ranqucur, de la mort, des années.
Et bienfouuentlefieaudes Rois & des Cefars :
Quel poinâ plus honorable eufl trouué pour déduire,
L'aalheur Italien, ne GrUgel pour traduire.
Fors l'honneur Sfon poinS, des outrages domleur?
Ceux doncques de ce temps, & leurs enfans encore,
Soyent tels enuers ceux cy, que cet Honneur honori
D'vn honneur éternel S l'vn S l'autre Autheur.
ODES. IQ3
•\
ODE
SVR LA TRADVCTION DE PAVL EMILE,
Faiéle par lean R«gnard, Sieur de Miguetiere''\
Si les fages Dieux, qu^on doit croire
laloux de noftre baffe gloire^
N'auoyent d*vne imperfeâion '
Bridé toute humaine aâion,
A fin de rabaiffer V audace
Des hommes, leur rebelle race :
Et fi dés le commencement
Ils n^auoyent méfié iuftement^
Et leur defaueur & leur grâce.
Par mille beaux faits entrepris,
Par mille admirables écrits^
Maugré le dard de la mort blefme,
Mille mortels fe fuffent faits
Eux-mefme immortels & parfaitSy
Auffi bien que les grands Dieux Mefme :
Mais cefte ordonnance fupréme,
-^A fait qu^ aucun peuple n'hait eu
Lepouuoir d'empefcher qu'vn vice,
Apres mille efforts n^obfcurciffe
Tout ce que de bon il a peu»
Les peuples (^e Phebus éclaire
Tous les premiers, quand au matin
Afon leuer il fait retraire ^
Defafœur le char argentin^
Ont premièrement par vaillances.
Par la grandeur de leurs puiffances,
Par hautes apprehenflons,
IL —lodelle. i3
Et par doâcs h
Mères de toutes nos fciences.
Taché d'égaUer leur povuoir.
Taché d'égaUer leur fçauoir.
Voire & par leur renom, lûur vie,
Aiur Dieur, gui ejloienl maijtres d'eux :
Mais toufiours Vorgueil hafardeux
A fus la vraye gloire enuie.
Car leur gloire leur fut rauie,
Ou pour au milieu de leur bien
Auoir^voulu trop entreprendre.
Ou pour en voulant tout apprendre.
A lafin ne comprendre rien.
Quelle enireprije a ton trouuee
Qu'ils ayent iamats acheuee.
Comme deuanl ils la penfoyent ?
Tanloft quand plus ils fefforçoyenl
De venir au but de la chofe.
Le tour du dejlin, qui poppofe
A nos forces, à nos confeiU,
Rompait les humains appareils.
Inutiles, quand trop on ofe :
Tantojl voulons cognoijlre tout.
Ils fentoyent au lieu d'ejh-e au bout
La peine, loyer de la peine.
Ou fus vn principe inuenté
Ils ajfeuroyent leur vérité,
Ainfi qu'vne tour fur l'arène.
Ou d'une pieté qui meine
Cent mille fuperjlitions,
■ Faifant femblant d'atteindre aux nues.
Et parlant par voyes incongneués
Bigarroyent leurs opinions.
Depuis la cauteleufe Grèce,
La Grèce toujiours mentercffe.
Et par beaux faits & par écrits
Voulut à tous rauir_ le pris
De cejle immortalité grande.
ODES. 195
Que V homme ainfi qu*vn Dieu ^demande :
Mais leurs vertus- ils embrouilloyent
Des vices, dont ils fe fouilloyentj
Et de mainte exécrable offrande^
En ma/quant d^vne pieté
Leur detejlable cruauté :
Ou bien dans Vonde obliuieufé
Enuoyoyent leur nom défia mort y
Pour Peftre efforce\jpour le tort,
Fuftpar audace auantageufe,
Fuji par rufe malicieufe.
Ou bienpils Vont fait viure ici,
Ils Vont fait viure avec leur honte,.
Et noftre reproche, qui donte
Leur labeur & leur gloire auffi.
Que diray-ie de mille fongesy.
Mille fables, mille menfonges.
Dont ils penfoyent orner leurs faitsy
Et leurs beaux efcripts contrefaits ?
Q}ioy que le vulgaire m'en tance,
le me permets fans arrogance
De dire, que la grand* faueur.
Que nous faifons à leur labeur,
^-^ Ne vient que de noftre ignorance,
Qui approuue, comme à crédit,
Tout ce que le commun nous dit.
Sans que rien àfoy Ion retire.
Ce que le Ciel plus chichement
Nous donne, c^eft le iugement :
Qui fait que Vofe encore dire.
Que tous ceux qui veulent efcrire
Du tout comme Vantiquité,
Seruans aux aueugles d^amorce,
Se penfent eux mefme fans force,
Etfansyeuxlapofterité,
Apres que les deftins bornèrent
L^heur des Grecs, les Romains régnèrent,
Ces plus fiers que yaillans Romains,
196
Qj'i penfoyeni tenir en leurs mains,
Fuji en guerre, fufi en doBrine,
Les gonds de cefte grand' machine :
Mais par mainte /édition.
Qu'enfantait leur prefomption,
Ont fait eux me/me leur mine.
Laijfons mille vices vilains.
Dont leurs plus beaux aÛes font pleins,
Comme le ciel les enlremejïe :
Laiffons leurs proce\ obfline^,
Laiffvns leurs cceurs efféminé^.
Quand on cotnbatoit pefle-mefle :
Laijfons S U foudre S la grefle,
Qiii leur ferain fouuent brouillail,
Qui au fang de leurs amis me/me
De rage fouuent fe fouitloiC.
Si ejt~ce qu'entre tant de fautes
Ils ont leué leurs gloires hautes.
Par beaucoup de brauts vainqueurs.
Par beaucoup de doues autheurs :
Et bien que fi firts ils ne fuffent.
Bien que fouuent mefme ils reeeuffent.
Voyant Vautre camp affronté,
La froide peur de leur cqflé :
Et combien que tant ils ne feeuffeni.
Par grands morgues, par grands moyens.
Par la largeffe de leurs biens,
Seruoyent d'épouuentail au monde,
Encore leur viuant renom
Nous efpouuentant de leur nom,
Nefentiroit la nuiâ profonde,
Noyé dedans Pinfemale onde.
Si les bons efprils S te temps
Ne decouuroyent que les plus braues,
> Les mieux difanSjiHes plus graues,
Font bien fouuent les charlatans.
Mais que diray-ie de leur race.
ODES. 197
Qui encore auiourd^huy pourchaffe
De Je faire nommer de nous^
Le peuple le mieux né de tous?
le ne parle point de leurs vices,
lefçay que toujiours les malices,
S^on les contrepoife aux bienfaits,
Rauallent V honneur fous le fais.
Et puis toujiours quelques fupplices,
Suiuent ceux-là^ qui écriuans
Parlent librement des viuans :
le ne fçay pas fi, ce peuple ofe,
En reprenant vn cœur plus haut,
Quelque beau fait quand il le faut,
le diray cefie feule chofe.
Puis quHlfaut que ma flamme enclofe
Trouue vnfoupirail en cela,
Que ce peuple &fon voifinage
Nous donne fouuent tefmoignage,
Qye les Gots ont paffé par là.
Encore ont ils cejle prudence
De pauthorifer d'vn filence.
Et par mille admirations,
Quelquefois par inuentions,
De mains, d^efpaules, de louanges,
Se faire admirer aux ejlranges :
Mais toy^ mais toy, peuple François,
Qjii, vaillant^ iamaisfous les lois
D^vn peuple ejiranger ne te ranges,
Qjtel autre plus grand vice as tu
Qjii obfcurciffe ta vertu,
Sinon le mépris de ta gloire?
le fçay qu^ aucun n^egallera
Ce qu'il a fait, ce quHl /«viy*"*'
Aux couronnes de ta viâoire :
Mais fi des hommes la mémoire ^
Ne les fait à tous fiecles voir.
Qu'as tu gaigné par tant d'alarmes,
Sinon que perdre tes genfdarmes,
igS
Et le plus beau de Ion efpoir?
Qiielle autre plus belle efperancc
Auois tu, pour la recompenfe
De tant de traucàl de/pendu,
Et de tant de fang re/patidu.
Sinon l'honneur, qui deuoit future
Ta vaillance, & qui ne peut viure
Si quelque ingenieufe tnain,
Mieux qu'en vne taille d'airain,
D'or, de bois, de marbre, & de cuiurc.
Ne l'anime Ji doâement,
Qu'on y voye éternellement
Vne ame des fiecles maifireffef
Mais comme ennemi du plus beau
Que nous ayons d'un lourd tombeau.
Tu fais que ta lourde pareffe
Ton nom & tes ayeulx oppre^e,
Ou pour de tout temps mettre au bas
Les vrais artifans de la vie,
Qui par les ans n'efl point rauie,
Ou pour ne le cognoijlre pas.
Voila ce que le ciel t'enuoye.
Voila le trait dont il foudroyé
Tout cela que lu as de bon,
En te priuant du vray guerdoa
Que la feule vertu mérite.
Mais i'attens qu'vne chatemite
Contre mes'vers grince les dents,
Q}ti Sardanapale au dedans.
Contre/ace au dehors i'hermite :
Mefaifant de ce lourd défaut
Vne vertu, difant qu'il faut
Efiimer-que la gloire humaine .
Efivne honte deuant Dieu,
Et que fi Ion fiche en ce Heu
Qjielque attente, l'attente efl vaine :
Mais fi cefie befte vilaine
Veut fonder fon efpoir infet,
ODES. 199
Elle trouuera que la rage
D*auoir quelque gloire en fort âge.
De tel ma/que la contrefait.
le fçay qu'vn "peuple quife vante ^
Rend fa gloire au ciel deplaifantCy
Oejl le vice dont Vay blafmes^
Les peuples parauant nommes^ :
Mais fi la chofe que Ion traitte
Se voit au naturel pourtraitte,
Q}iel autre eguillon voudroit on
Pour embraffer ce qui efï bon,
Et fuyr la chofe mal faite ?
Dy moy^ donc fi les autheurs fainâs
N^euffent par hiftoire dépeints ^
Les faits facre\ que Ion doit croire,
Qu^eufi-il en ce monde refié
De foy, de loy, de pieté,
Veu que du vieil temps la viâoire
En eufi effacé la mémoire ?
Dy moyfi tout Roy des Chrefiiens
Voyoit nos hifloires bien peintes,
Suiuroit-il pas les guerres faindes
Ainfîque nos Rois anciens?
Mais quel Prince auroit ce courage,
SHl efï amy du beau langage.
Et fi les hiftoires des vieux
Ont défia paffé par f es yeux.
De vouloir tous les faits apprendre,
Q}i^ont voulu iadis entreprendre
Nos pères, des Dieux les enfans,
De toute guerre triomphans,
Veu qtton ne les fçauroit où prendre,
Sinon de quelques vieux ramas
De Chroniques, & vieux fatras
Qui doiuent feruir, ce me femble,
D^enuelopemens aux merciers.
Et de cornets aux efpiciers : ^
Ou bien quand vne fefte affemble
Six ou fept artifans tn/emble.
Entre les tifons. S- les pots.
Leur faire paffer la froidure.
Tous bayaas après la leûure.
Dont pre/que ils épellent les mots?
Mais, au rebours, quel homme braue
S'ejlant acquis vn Jlyle graue.
Et fejlanl enrichi de traits,
Sur les meilleurs des vieux pourtraits,
Euft voulu fe mettre en tel ceuure,
Veu qu'en toy. Peuple, Ion decceuure
Vne ingratitude enuers ceux
Qui font de ton bienfoudeux,
El plus qu'en autre qui fe Ireuue?
Le ciel qui fait tout par compas.
Fait que ceux, qui ne peunent pas,'
Veulent toute cliofe parfaire :
Et que ceux qui le peuuenl bien.
Ne veulent iamais faire rien.
Qjielque efpril aux Mufes contraire
Entreprendra bien tel affaire.
Qui, nourri feulement aux plaids.
Apporte du creu de fa terre,
Et fouuent parlant de la guerre.
Du pur iargon de fon palais.
Fkançois, ce grand Roy, dont la Fra
Prend iiijleyneni vne arrogance.
Voulut de nos Rois le premier
Chaffer ce vice cou^umier,
Q/i'apafioit toufiours la pareffe
Pour amortir nofire hauteffe ;
Et ainfi que de toutes pars
Les plus doâes hommes efpars
H appelloit par fa largeffe.
Dedans fa France il appella
{Peux lu bien entendre cela,
O peuple, fans rougir de honte.
Voyant qu'il faut qu'un ejlranger
ODES. 20I
Vienne tes hiftoires renger,
Et qu^vn peuple que chacun domte
De cefte gloire te furmonte ?)
H appella doncques à foy
Ce doâe hiftorien ^mile,
L^honneur de Veronne, fa ville,
Du peuple Italique & de toy.
Or ce n*eft pas tout^ que la peine
D^vn doâe efcriuain nous rameine
Nos ayeulx dehors de la nuiâ^
Si chacun n'en reçoit le fruiâ.
Vne hiftoire n*eft pas fuiuie
Pour ceux feulement qui leur vie
Confomment au parler Romain,
Où ^mile employa fa main :
Jlfaut qu'on contente Venuie,
En fa propre langue efcriuant^
Du gentil- homme peu fçauant,
Et d'vne grande part du vulgaire,
Qjii veut auffi bien voir fon los
Sous la main dHgnorance enclos.
Sortir en lumière plus claire.
Ce que mon Régna rd afceu faire,
Rendant ^mile d*vn tel heur,
Qjt'vn autre qui a voulu fuiure
Le premier & fécond Hure
Doit borner au tiers fon labeur.
Ce h*ejl pas moy qui chacun prife
Dans mes vers, & qui authorife
Pour eflre quitte à mon ami,
Des écrits forge:{ à demi :
Ma liberté inuiolable.
Et ma louange efï équitable^
Et nefçay que c*efl qu'en flattant
Louer quelcun, puis detradant
De fon nom plaifanter à table.
Il ne faut la gloire celer
Des amis, ny trop en parler :
i3'
u
Ce qui a fait qu'en bref l'e vanie
La double gloire de eeluy.
Qui brauemeni vient auiourd'huy
Entre nojlre trouppe fçauante.
Combattre la trouppe ignoyaale.
Et quifuiuant le Dieu guerrier.
Méfiant les tiures aux alarmes,
Bien /ai/anl, bien difant des armes,
Doit attendre vu double laurier.
Toy trouppe des Dieux, qui maifirifes
Deffus toutes nos entreprifes,
El toy qui nous donnes les toix,
Henht, le meilleur Roy des Rois :
Toy Anne aufft^ dont la hauteffe
A fait que cet œuure on t'adreffe,
Vueille^, les vns par leur bonté,
L'autre par libéralité.
L'autre par moyen S addreffe,
Par l'exemple de cejluy-ei
Nous inciter ^ bien ici
A bien faire S à bien écrire,
Puis qu'un bon Jiecle eji retourné,
Puis que le ciel a ordonné
Au peuple François plus d'Empire,
Qu'à autre que i'aye fçeu dire :
Qji'en gloire, il les furmonte tous.
Tant que, fi parfaits nous ne sommes.
Nous puiffions les premiers des hommes,
O grands Dieux, approcher de vous.
ODES. 203
SVR LE ilONOPHILE
D'ESTIENNE P ASQVIER,
Âduocat en la Cour de Parlement ^*.
Ne verray-ie point que ma France
S^eftonne defonjtecle heureux^
Mais de fon Jiecle malheureux ^
Qjii n'a de fon heur cognoijfance?
Verray-ie point cet an nouueau.
Que le Latonien flambeau,
Qtii va reuoir fon Ganymede,
Chaffe auecques fes ans paffe\^
Ces ans à tout iamais chajfe:ç^
Le mal dont ce mal nous procède ?
Verray-ie point qu'il te regarde^
(O ma France) encor vnefois,
Goufter la douceur de fes loix.
Qui feule de V oubli te garde?
Loix que le Prince Delien
Sur fon coupeau Theffalien,
Entre fes fçauantes Sœurs donne :
Loix qui mieux te couronneroyent
Qjte quand les Rois adioufteroyent
L^autre couronne à leur couronne.
Pour quoy parmi noftre ignorance
Seffue^-vous (o doues efprits)
Tant d^œuuresy fi pour voftre prix
Vous h*aue:( que la repentance ?
La terre qui vous a porte:{,
La terre que vous exalte:^,
laloufe de voir vos louanges
Se faire maiftreffes des ans y
204 ODES.
' ' Engloutit fes propres en/ans,
Pitié me/me aux terres eftranges,
Mocquons nous y Lyre,:ie te prie y
Mocquons nous des feuerite:[
De ces vieux fourcils de/pite^,
Par qui tout œuurefe décrie?
Que feruira {dit vn vilain)
Ceftoeuure de menfonge plein,
Qjti le peuple, à menfonge incite ?
O vilains, vo,ule3[-vous encor
■■ DeJ/bus vn ma/que de Neftor
Celer vn déforme Therftte?
Moquons nous, ma Lyre, & me chante
Que de ce vieil fîecle doré,
Ce Jtecle pour Vor adoré,
la la faifon nous eji prefente :
' Vor tout feul retient fon honneur,
Vor feul de France le bon heur,
L*or qui a la terre pour mère,
Veult clorre au ventre maternel
Deffous vn cercueil éternel^ .
' Tous ceux qui ont le ciel pour père ;
Tant Vambition exécrable
Loing de la vertu fe tenant.
Hait le bien d^autre part venant
Qj4e de fa faim infatiable :
Ce qui de fon gibier n^efi pas,
Ne fera iamais fon repas :
Et comme Vafne courbé laiffe
Les fleurs, pour manger les chardons,
Reiette les celeftes dons.
Et fa feule fange careffe.
Mocquons-nous, ma Lyre^ & brocarde
Ces autres finges, qui mal nés
Pendent vn chacun à leur nés
Sous vn demi-ris, que Ion farde
De quelques geftes cour tif ans :
Ceux-ci par mines déprifans
<• .-=.
ODES. 2o5
Les bonnes chef es quHîs n'entendent,
Se vont naurans de leur coufteau.
Me/me de leur propte cordeau
Deuant les doâes yeux fe pendent.
Mocquons nous y Lyre, d'auaniage
De ceux-là qui me/me entre nous,
Eftans Vvn de Vautre ialouxy
Blafment Vvn de Vautre Vouurage :
Et bien quHls cèlent au dedans
Leurs poifons fan^Jin rèmordans,
Ils appaftent de leur mouélle
L^enuie qui dedans fe paijl,
L^enuie qui fans fin leur efi
Et leur amie, & leur bourrelle. ^
Mais qui nous fait ores;' ma Lyre,
Changer telleinent noftre fon.
Que la douceur de la chanfon
Se tourne en Vaigreur de Satyre?
PASQ.VIER, deftoume nous du ris, *
Pas Q VIE R, entre les bons efprits
Ce la France vne gloire rare,
Radreffe vers toy nofïre voix,
De toy feul parler ie deuois.
Mais fans fin ce malheur rn^ef gare.
Si noftre terre n^efioit telle
Que tu peux voir dedans mes vers,
France comblèroit\Vvniuers
la ia de ta gloire immortelle.
Pour auoir fi bien mis au iour
De ton Monophile Vamour :
Mais helas helas! noftre gloire
En France n'aura point fon cours,
Si te temps rechangeant toufiours.
N'a mefme fus France vidoire.
Sus donc. Faucheur, que lonfemplume,
Ra^e tout, pren V affaire en main,
Et tant, que contre nous en vain
Se puiffe obftiner la couftume.
>f> ODES,
Si tu fais un Ici changement,
la nnjlre Pasqvieh iujltment
Vaincra ifvne étemelle vie
L'Ignorance, le gros/ourci,
L'ardente ambition aujfi,
Le ris, & Pefcumeufe enuie.
Î
Si nous avions po\tr nous les Dieux,
Si noflre peuple auoit des yeux,
Si les grands aimoyent les doârinc.
Si nos Magijtrats ti-affiqueurs,
Aimoyeat mieux fenricliir de tnomi
Qye /"enrichir de nos ruinu:
Si' ceux là qui/e vont mafquans
Du nom de Dode, en Je mocquans,
N'aimoyenl mieux mordre lesfcien
Qy'en remordre leurs cotifciences :
Ayant d'vn tel heur labouré,
■ïa^y^-t, tu ferais ajfeuré
Des moiffons de ton labourage.
Quand fauorifer tu verrais
Aux Dieux, aux hommes, & aux Ri
Et ton voyage, & ton ouurage.
Car/, encov nous ejiimons
De ceux là les fuperbes noms,
:*
ODES. 207
Qui dans leur grand Argon oferent
AJferuir Neptune au fardeau,
Et qui maugré Vire de Veau
lufques dans le Phafe voguèrent :
Si pour auoir veu tant de lieux ^
yiyffe eft prefque entre les Dieux,
Combien plus ton voyage Vorne,
Quand pajjant fous le Capricorne,
As veu ce qui eufl fait pleurer
Alexandre? Si honorer
Lan doit Ptolemee en fes œuures,
Qu'eft-ce qui ne fhonoreroit,
Qtti, cela que Vautre ignoroit^
Tant heureufement nous decœuures?
Mais le Ciel par nous irrité.
Semble d*vn œil tant dépité
Regarder nofire ingrate France.
Les petits font tant abrutis,
Et les plus grands, qui des petits
Sont la lumière & la puiffance,
S^empefchent toujtours tellement
En vn trompeur accroiffement,
Qfte veu que rien ne leur peut plaire.
Que ce qui peut plus grands les faire r
Celuy-làfait beaucoup pour foy
Qui fait en France comme moy.
Cachant fa vertu la plus rare :
Et croy, veît<e temps vicieux,
Qu^encor ton liureferoit mieux
En ton Amérique barbare.
Car qui voudrait vn peu blafmer
Le pays qu'il nous faut aimer ^
Il trouueroit la France Arâique
Auoir plus de monflres, ie croy.
Et plus de barbarie en foy,
Que n^a pas ta France Antaràique.
Ces Barbares marchent tous nuds :
Et nous, nous marchons incogneus^
Fardés, ma/que j. Ce peuple eftr ange
A la pieté ne se renge :
JVous la ttojire nous me/prifons.
Pipons, vendons, S- degui/ont.
Ces Barbares pour fe conduire
N'ont pas tant que nous de ratfon :
Mais qui ne voit que la foifon
N'en/ert que pour nous entre-nuire?
Toulesfois, toutes/ois ce Dieu,
Q)ii n'a pas banni de ce lieu
Changeant des deux l'inimitié.
Aura de fa Francepitié,
Tant pour le malheur que le vice.
le voy nos Rois, & leurs enfant.
De leurs ennemis triomphans.
Et nos magijlrats honorables
Embraffer les choses louables,
Separans les boucs des agneaux,
Ofier en France deux bandeaux :
Au peuple celuy d'ignorance,
A eux celuy de leur ardeur.
Lors ton Hure aura bien plus d'heur
En fa vie, qu'en fa nalffance.
il*
ODE A CLAVDE COLET,
...- -toi „<..«/(..-
. .^vit les lourds e/prits des hc
-Ve permet qu'on puijfe honorer
Ceux, qui, bannijfani l'Ignorance
ODES. 209
m
Tachent de retrainer en France
L^agCy qui nous viendrait dorer :
Sans noftre enuenimé courage,
Quij reiettant chacun ouurage,
Veult toufiours fa rouille endurer,
Mefme le mal, qui plus eftrange
Nourrit noftre cœur en fa fange,
Oeft que toufiours nous trouuons bien
Quelque raifon, quelque deffenfe.
Ou quelque probable apparence.
Pour battre contre noftre bien.
Sans que pour la cliofe louable
(Bien qu^'elle nous foit proffitable)
Noftre efprit fe condaninê>efC rien.
Tant eft la venimeufe enuie
Familière de noftre vie^
Qu^vn bien eft pluftoft deietté,
Qji'vn mefpris d'vn bien falutaire,
D*vn bien qui mefme pourrait plaire y
Puiffe eftre des hommes quitté :
Et ne faut point que Ion efcriue,
En efpoir qu'au monde Ion viue,
Sinon par la pofterité.
Du Philofophe, du Poète
La peine eft à ceci fuiette,
Q}i*on n^euft point efcrit au millieu
' De nos vieux Payens autre chofe,
Que cela qu^efcrire Ion ofe,
Voire f^ on efcriuoit de Dieu,
On trouueroit qu^Hypocrifie,
Ou bien que Vaueugle Herefie
En tels efcrits aurait f on lieu.
Ne fçais-tu pas que Vemprifonne
Les grâces que le ciel me donne,
Deffous vnfilence obftiné?
Bien que ie fente en moy la gloire
Et Poétique & Oratoire :
Bien que 4e Ciel m'ait deftiné
lodelle. — II. 1-4
2IO ODES.
Pour plus haute philofophie^
Et bien que braue ie me fie
D'eftre au monde heureufement né.
Mais quand on me verroit confondre
Tous nos anciens, & refondre
Des Sciences ¥n Rond nouueau.
On ne verroit point que jna France
à Vint efirener telle affeurance.
Sinon que d*vn obfcur tombeau,
Pour Je rendre à fon bien contraire.
Et defes amis aduerjaire,
Ne Souffrir vn ejjprit plus beau,
^aut'il donc que tu Vefmerueilles^
CoLET, Ji les do&es merueilles
Tant des amours que des combats,
Si ta plus mielleufe parole.
Si me/me du peuple Vefchole
^ Façonnant les courages bas,
Maugré ton heureufe entreprife.
Par le peuple en mefpris eft mife.
Peuple indigne de tels appas?
Vvn tantoft d*vn front vénérable.
De fon front bannira tafoble,
Etfourcilleux contre fon heur.
Aime mieux reietter tout Vœuure,
Que lire ce qui luy decceuure
Le contraire de fa foreur :
Lequel fera, Ji la rencontre
D\n bon fiecle poppofe contre.
Du peuple la fable & Vhorreuv,
L^antiquité quipeternife
Par ceux là mefme qu^elle prife,
EJlimoit vn œuure immortel.
Quand la façon bien ordonnée
Paffoit la matière donnée :
Ton ouurage, Colet, ejl tel^
Qui cefïe mentereffe feinte.
Par ta doâe efcriture as peinte,
\
ODES. 211
D^vn pinceau qui n'eft point morteU
Penferoit'On bien qu^vn Homère
Dépeignant de Pirrhe le père.
Ou bien de Laêvte le fils.
Sous tant d^ alarmes furieuf es.
Sous tant d'erreurs auantureufes.
Sous tant de dangers defconfits^
N'ait voulu voiler la vaillance^
Nait voulu voiler la confiance,
Double but aux hommes prefix ?
Lors que Ion lit la deftinee *
De ceft Anchijien jEnee,
Le règne Troyen replantant :
Ne voit-on pas ces mefmes chofe s
Eftre hors des fables éclofes,
Qjte le Mantouan va chantant?
Et toutesfois de telles fables
Les façons^ à iamais durables.
Vont Vvne & Vautre mort domtant.
Pourfuy donc, Colet, ^^ toy viure,
Et ton nom, comme moy, n'enyure
Déjfus le riuage oublieux,
Par faute d^auoir ce courage^
Defupporter Viniujle rage
De noftre fiecle iniurieux :
Tu vaincras, peut ejlre^ Vaudace
Desfiecles, tirant par ta trace .
Mes efcrits dépitant les vieux. X
ei
AVX CENDRES DV MESME COLET.
Si fna voix, qui me doit bien tojl pouffer au nombre
Des Immortels, pouuoit aller iufqu'à ton ombre ^
Col ET, à qui la mort
Se monjtra trop ialoafe S- dépite d'attendre
Qlie tu eiiffcs pat-fait ce qui te peut dépendre
De /on aiiareport :
Si tu pouuois eiicor fous la cadence fainfle
D'vn Lut, qui gémirait S- ta mort, £■ ma plainte.
Tout ainfl te rauir.
Que lu te rauijfois deffous tant de merueilles.
Lors que durant tes ioura ic faifois tes oreilles
Sous mes toix fajferuir ;
Tu ferais efcouter à la trouppe facree
Des Mânes bien heureux, quifeule fe recrée
Entre les lauriers verds.
Les mots que maintenant deuôt en mon office
le rediray neuf fuis, pour V heureux facrijice.
Que te doiuent mes vers.
Mais pource que ma voix, aduerfaire aux ténèbres.
Ne pourrait pas paffer par les fleuues funèbres.
Qui de bras tortille^
y ou's ferrent à Ventaur, S dont, peut ejlre, l'onde
Pourrait fouiller mes vers, qui dedans noftre mande
Ne feront point fouille^ :
Il me faut contenter, pour mon deuoir te rendre.
De tefmoigner tout bas à ta muette cendre.
Sien que ce fait en vain.
Que cefle horrible Sœur qui a tranché ta vie.
Ne trancha point alors l'amitié qui me lie,
Où rien ne peut fa main.
Que les fardej amis, dont l'amitié cliancelle
Sous le vouloir du fort, évitent vn Iodellk,
Objliné pour, vanger
Toute amitié rompue, amoindrie, S volage.
Autant qu'il efl ami des bons amis, que l'âge
Ne peut iamais changer.
Sois moy donc vn tefmoin, ô tay Tumbc poudreiife.
Sois moy donc vn tefmoin, o toy Fojfe cendrcufe,
Qid t'anoblis des os
Defia pourris en toy, fois tefmoin que i'arrache
Maugré Viniujle mort ce beau nom, quife cache
ODES. 2l3
Dedans ta poudre enclos.
Vous qui m'accompagne;^, 6 trois fois trois pucelles^
Qu*on donne à ce beau nom des ailes immortelles,
Pour voler de ce lieu,
lufqu'à V autel que tient voftre mère Mémoire,
Qui regaignant fans fin fus la mort la viâoire^
D*vn homme fait vn Dieu.
Pour accomplir mon vœu, ie vois trois fois efpandre
Trois gouttes de ce laiÛ dejfus la feiche cendre, .
Et tout autant de vin, *
Tien, reçoy le cyprès, Vamaranthe, & la rofe,
O Cendre bien heureufe, & mollement repofe
Icy iufqu'àlafin.
• 1 •
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I .'
LES
DISCOVRS DE IVLES CESAR
AVANT LE PASSAGE DV RVBICON.
Ou croit que ce qui plus pouffe, dreffe, & et
Des mieux nés le deftr, le protêt, & Paltente,
SiHB, c'e/î leferuice S lafuile de ceux
Qfte Dieu me/me & Nature uni commis deffus e
Tant pour leur dominer que pour en tout affaii
Comme Nature & Dieu tacher de leur bien fait
Sans mors les gouverner, fans dol les n
Sans fin en paix S- guerre enfemble les v:
Pour les vnir à foy prendre vn dejîr i
De leurs biens S- repos autant que desjtens mefine :
Chercher à les cognoiftre, & en leur commandant
Les merquer pour f aider d'eux me/me en leur aidant.
Car là le Roy doit mettre S le but de fa gloire,
Et l'efpoir le plus haut de fa longue mémoire.
Comme en luy nous mettons {quand on a ce bon heur
De lefuiure & feruir) le but de nojlre honneur.
Croy pourtant qu'vn efprit vrayment haut & deUure
De ioug S vaine ardeur, hait de feruir & fuiure
El les Rois S leurs cours, dont pour lesfeuls appas
l
31l> LES DISCOTRS
D'y»! efpoir, il efpauje & 1rs toiâs, & les pas.
Sans ga'vn vouloir plus franc, que VefpoU- ne peu! efirc.
Et fans qu'va eguillon, que tuy peut faire naifire
La vertu, pour preuoîr rkonaeur futur d'un Roy,
Et fans qu'vii iufle amour Vy contraigne de Joy.
C'eji pourguoy les plus grands qui furent oncq' au monde.
Dédaignaient des Tyrans la Court en tout féconde.
Fors qu'en honneur, vertu, iuflice, & liberté.
Dont telles Courts auoyent fans ceffe pauureté :
Tant que ces gens viuoyent en leur pauvre fagejfè
Plus contens, que ces Rois en leur pauure richeffe.
Eneorvoit on que quand les plus vrais Rois, au lieu
Qu'Us tiennent deffus nous, montent d'effet que Dieu
Les donne heureufement, comme il t'a donné. Sire,
El qu'àfoy leur vertu les vertueux attire :
Si efl-ce que l'efprit que tant entier Pay fait,
Efiant attrait des Rois, fûuuent d'eux fe diftrait,
Fafcké de voir gefner tant fa franche nature,
Que f on difcours, me/pris, gaillardife, & droiture
Par feruice feruil, duquel il fait efireint
Tant plus fort, que plus fort fa bonté l'y contraint.
Et par fuite, en laquelle il ne face oncques faute,
Suiuant d'ardeur plus vraye,S plus prompte ff plus haute, '
Carceux qui de tous poinSi de franchife font /fanes.
Quand ils fe font donnejf Jbnt tous devoirs plus grand»
* (}]ie nul fer/de loyer : qui fans qu'aucun mérite.
Ou fans qu'vrt voidoir franc, & iufle amour l'incite,
{Fait efclaue d'efpotr) & feulement tachant
Afon but, efpiant, reculant, raprockant.
Donne, reçoit, attend, prefque de ru/e égale,
Des beaux vents courti/ans la plaine £ vaine l•alle^
itabile à retourner fon cœur girouélant.
Vendant les mefmes vents qu'il va mefme achetant.
Tous tels feruiteursvils, fait qu'ils feruent leurs Princes,
Ou ceux qui lesfuiuans tiennent de leurs prouinces
Les charges dans leurs mains : voulons fans ^n piper,
JVe faillent guère en fin d'eux mefme fe tromper ;
Tant qu'on les voit fouuent pauures S vieux fe rendre,
r^\.
DE IVLES CESAR. 217
Pour aîorSy tout ainfi qu*vn oifeau de Méandre,
En regrettant d^auoir pajfé leur âge entier
En maint indigne, & dur, voire infertil mefiier,
Apres leurs vent^ leurs ieux, & la longue rifee^
Dont leur faueur aueugle en fon fonge abufee
S*eclaphoit contre tous, tous blancs & tous mourans.
Lamenter tant le but, que le cours de leurs ans,
Tous deux tels, que fouuent au bout de leur attente^
Rien nCy a qui leur maiftre, ou les autres contente,
Ny mefme eux, ou leur race, en leur fin faifans voir
Qii^vn defefpoir occit ceux qui viuent d^efpoir.
Bien qu^ aucuns foyent entre eux, qui ne laijfentpas d^eftre
Seruans pour lefalaire, & bien Jeruans leur maiftre,
Et qu^ aucuns de ceux-ci, en Vefpoir quHls ont eu,
Ayent plus rencontré qu^à Vefpoir n^eftoit deu :
Et que fouuent encor les bons heurs fe referuent
A ceux qui pis, ou moins, ou le moins fouuent feruent.
Mefme qu^aucuns, ou foit pour Vauoir mérité.
Ou pour eftre importuns^ ou par fatalité.
Trompons Vopinion de tous, par Vheur extrême
Paffent infiniment leur opinion mefme :
Puis ce grand heur fepaffe encor par autre efpoir.
Car plus ha Phomme auide, & plus il tache auoir,
Tant que fouuent on perd tout efgard de feruice.
S'en méfiant bien ou mal, pourueu que Vardent vice
Vauoir, fe puiffe en nous à toute heure fouller,
Qjiifeul nous fait de tout, plus qu^on ne veut, méfier,
Et dés que nouWÊroyons grandement fruÛueufe
Telle meflange, ou bien feintement glorieufe,
laçoy que foit vn mal qui fouuent nous appert.
On peftime perdu pourtant fi Ion la pert :
Creuant contre chacun, qui loyal la manie :
Car toute^oyauté des Courts n^efi pas bannie.
Maint On voit grand ou bas, fuiure &feruir vn Roy,
Qui trop plus tient fon ame à fon Prince qu'àfoy.
Mais au rebours de tout, quelquefois fans paftreihdre
A tel feruice & fuite, & fans caller ne feindre
Soit V ame foit la voix^ fans voir fouuent flater,
14*
ai6
LKS DItCOVRS
Chatouiller, fucrer, oindre, amorcer, appafler
Par l'oreille S par l'aHt, de Uandice ou louange,
L'humeur qui frefcke ou vieille en vn maiftre démange.
Que fans eege on aecouftre ainji, tant qu'il deplaifi
Souvent, ce croy-ie, à lay, qui tout entier f en paijl :
Sans crainte, honte ou dueîl de pourfuite importune.
Et fans à chafque tour du temps S de fortune.
Voir les vns en Calons, Us autres fe tourner
En bouphons, S tous deux leurs finges façonner :
Loin deifameufes Courts, 6 loin de la perfantte
A qui tel efprit franc d'vn franc vouloir fe donne.
Seul, feeietf& deuot, dans foy la vaferuant.
Et non du corps, mais bien d'vn cœur plus feur fuiuanl
Attrait., gaigné, lié, autant par vraye & viue
Gentilleffe S grandeur, que par vertu naifue:
Et fur tout par l'humeur, qui à tel efprit rond
Par vn refentiment fatisfait & refpond :
Le condamnant ainji par l'attrayant mérite,
A l'efloigné feruice, ains à Vabf ente fuite :
Qui le rendans prefent en Vabfence, & tout pre/l
D'ejlre vrayment prefent, quand befoin il e» efk
Quifouuent rendans mefme vtitefon abfence.
Plus que n'ejl de beaucoup utile la prefence,
V affranchi ffent des loix d'offre quemanderie
Souuent vaine, de dol, de mafque, & fiaterie,
Comme il eft affranchi des vents S- vanité^.
Dont par efpoir & peur tous caeurs font agite j.
Car luy fans proietter rien de ce qui auanee.
Sans craindre ingratitude, inconfiance, oubliance,
Mefme fans en foy prendre aucun butoufouci.
Fors que pour le mérite il luy plaift faire ainfi :
De gayeté de cœur, reuere, honore, S aime
D'vn grand caur, qui n'a point d'eguilton quefoymefn
Celuy qui fon vouloir prend pour fuiet gaillard.
Et qui iamais dehors ce franc vouloir ne part :
Et fange à part d'aider à faire à tous paraître.
D'aider à maintenir, d'aider à faire croijire.
Non feulement de l'autre & le los & l'honneur.
I
DE IVLES CESAR. 219
La grandeur, & le rang, le repos, & bon heur^
L^eternité du nom : mais Vaccorteffe, addreffe,
Etfageffe, & vertu, voire encor la lieffe,
La gaillardife vtile, & Vaccort pajfetemps,
Qui pour les faits meilleurs rafrefchiffent nosfens.
Et fur tout il fe peine à faire, que d^ouurage
En fecret entrepris, toute peine il foulage
A celuy qu'il adore, en tachant que tous biens
Soyent creus. ou reflaure^, tant à luy comme aux Jiens.
L* encourageant^ fil peut, aux chofes les plus hautes,
Des plus grands anciens luy propofant les fautes.
Vertus, rufes, difcours, & ce dont la grandeur
Peut renuerfer, ou croifire, ou fauuer fon grand heur,
Prenant fans fin le foin des chofes qui luy viennent.
Veillant pour empejcher tous troubles qui retiennent
Son eflat empeftré, foit quHceluy foit Roy y
Ou bien que foit quelque autre ayant eflatfous foy.
Toujîours dedans les Courts aux Rois on nefe donne.
Bien que tous foient aux Rois, ny toujîours leur perfonne
Hors des Royales Courts, ne peut ejïre Vobiet
D^vn franc efprit qui prend quelque grand pour fuiet:
Car il ne choifit pas (fil choifit par franchife)
Ce qui efi plus prifé, mais ce que plus il prife.
Quand c^eji vn Roy pourtant, le choix de cejïuy-ci
Se rend plus glorieux, plus profitable auffi.
Car veillant pour vn Roy, qui deffous Dieu commande
A tant d^œuures de Dieu, mainte chofe plus grande
S^en peut après laijfer à la poflerité,
Qjiifait prendre à tous deux plus d^ immortalité.
Or tout ceci m^auient, qui hors de ta prefence
T*ay choifi pour mon but, te feruant en abfence :
Et quand (d Sire) encor mon Roy tu ne ferois.
Si Vaurois-ie pourtant choifi plus que tous Rois :
Car ce que Vay conceu dedans moy d*efperance.
Des traits que Vay merque^ dés ta première enfance,
APont fait, fans à ta fuite autrement m^afferuir.
Comme ilVapparoiflra, d'vn grand cœur te feruir.
Moy pauure, & qui pis efï, defafïreux gentilhomme.
Tant riche touUsfi»a, que le fort de nul homi
N'eji enuii de moy, ne me puis ny de rang, J
Ny de biens, ny d'honneurs.vanler, mais d'vn ceeur/)-anc,
Par lequel i'ay/acré tout ce que peut d'office
Et mon ame S mon corps, à ton plus haut feruice :
Sans que i'aye eu fouci, fi en gré tu Pauois,
Sans iamais m'enquerir, fi rien tu en fçauois.
Le temps veut commencer, fans que ie vueille 4irc
Ici ce qu'il en efi, à te decouurir, Sire,
Qjiel feruice eft le mien : voulant fa '
Deuers tay mes labeurs, S me faut
Par vne arre petite, en qui ma fantafie
Pour grand' occafion chofe haute a choifie.
Que ie veux en ces vers fubtilement (après
Vauoir bien exprimée) à toymefme à plus près
La venir adapter, pour bie» te faire apprendre.
Me/me à propos, le frui3 qu'ores tu en peux prendre-
Moy donc à qui defor fans aucun vain efpoir.
Le temps & mon Démon, ton règne S mon deuoir.
Commandent defortir hors de ma folitude.
Pour faire iffir dehors les fruits d'vn franc eflude,
Et pour d'orefnauant après vn domefiic
Seruice recelé, t'en motffirer vn public :
le refen bien, mais c'ejipour diffemblable chofe,
Qsi'vn efiroit Rubicon à paffer fe propofe,
A moy comme à Cefar. Car pour efire incogneu
lufqu'ici, ie fçay bien quel grand hsurm'eft venu,
lefçay bien, veu le temps, qui contre noflre tejle
Nous refirge fans fin diuers traits de tempefte.
Que fil peut bien fçauoir, ce que fur luy ie puis.
Ce m'ejl d'efire cogneu pour tout^l que ie fuis,
Vn grand malheur, peut ejtri, & continuel trouble ;
Si tu n'as, Sihk, en main le bouclier fept fois double.
Dont vn Aiax de gloire & de fureur ardent.
En combatant couuroit Vlyffe le prudent.
Tant qu'il ne tourne en moy gueres moins de penfees,
Qjie Cefar en fentit dedans foy r'amagees,
La nuiâ dont il voulait pajfer le lendemain
•ï
DE IVLES CESAR. 221
Le Rubicon, pour faire à fort pays Romain
La guerre f & de fureur iujle enfemble & inique,
Le ventre maternel de fa grand République,
Parricide fouler. Quant à moy çà & là,
Tantoft deuers ceci, tantofl deuers cela,
Mes penfers fe rouans m'agitent & me meinent,
Et mefmement pour toy d'autres penfers me peinent :
Sçachant que lefoupçon, le garbouil, le befoin,
Auant les faits doit faire aux faits auoir le foin.
Car ie fen que défia la Vage turbulente
De cefiecle, bien toft à paffer te prefente
Maint nouueau Rubicon, où mefme tout ainfi
Qji'à Cefar, pour paffer ou reculer auffi,
Pourroit, peut eftre, enfinfe trouuer vne perte,
Perte ou honte, ou bien mefme & la honte & la perte.
Cela donc méfait poindre en ces penfers diuers
jyvn prompt & chaud humeur, pour vouloir dans ces vers
De ce Cefar penfif les mefmes dif cours faire,
QuHlfit fur tel paffage, & pour, & au contraire,
AÛfquels ie brufle après d^accommoder les tiens:
Mais premier permets, Sire, ici chanter les fiens.
la ce Cefar contoit par dix fois les années
Dedans Voblique tour du grand Soleil tournées.
Depuis quHl eut fa charge aux Gaules, & qu^aux loix
De Romme il entreprint fléchir tesflers Gaulois,
Qui deflors eftoient tels que pour à fa fin rendre
L*entreprife, il falloit Cefar pour V entreprendre :
Car à tels la vaillante & iufte liberté
Peut céder, mais encor c*eft par fatàtité.
la donc par cent affauts, par batailles, parprifes,
Efcarmouches, exploits vrayment guerriers, furprifes.
Attraits, rufes & dois, il auoit (non d'effort.
Bien que f on effort fuft fubtil enfemble & fort:
Mais bien du fil du temps qui tout mine & dépeuple)
Sousfon deffein fuperbe accablé ce franc peuple.
Qui ia fur Romme auoit prefque pris en fes mains,
Ce que fur luy prenoyent par Cefar les Romains :
Et qui fous toy, peut eftre, ou bien fous les tiens. Sire,
224 ^^^ DISCOVRS.
Par force p arracher hors la flamme allumée^
Sans Je laijfer du tout confumer de ces feux.
Et fans garder que mefme aux arrière -neueux
De ces plus grands Romains , au moins quelque relique
Entière peufi refier de liberté publique.
Mais quoy? fon piteux fort & fon Démon qu'elle ha
Pour guide de fa fin ^ la pouffe & conduit là,
Veflat mefme^ oit elle eft^ vient par force ^ cefemble^
Appeller deffus elle & fon fort, & -eitjemble
Son contraire Démon, qui chaffanttout^Confeil
Luy fait contre foy mefme ourdir tel appareil,
Se plaire en fes ardeurs, & py rendre acharnée.
Pour voir par fes efforts fa force ruinée :
Trop auantpefi pouffé de fon mal tardent cours.
Et du fecours Vefpoir meurt auec le fecours.
Il faut céder aux nœuds d^eflreinte ambitieufe.
Il faut céder au feu d^ ardeur feditieufe.
Quand entre les Romains ce Cefar neferoit,
Romme alors pour cela cent Cefars fe feroit :
Auffi de tout efïat Vaccroiffance fatale.
Dés lors qu^elle efl portée au fommet,, redeuale
Par force, tout ainfi qu^ Ion feint le fardeau
De Sifyphe aux enfers, porté iufqu^au coupeau
De fon roc, pechaper, & de roide roulée
Gaigner en vn moment le fond de la vallée :
Si bien que ce qui a tant de trauaux couffé.
Pour eftre par la voye afpre & haute porté
lufqu^ au propofé fefte , échappe^ & de vifieffe
Par fort ^ par fauîfe gloire, & faulx efpoir fe laiffe
Précipiter, trompat/it les mains, les fens. Vefpoir,
Le trop tardif defir qu'on a de le rauoir.
Et Vepancement vain qu^on fait pour le rateindre,
Ne laiffant que le dueil pour vainement pen plaindre :
Tant qu^on eft plus lojig temps fouuent à regreter.
Que Ion n^auoit eflé long temps à le monter.
Et en ces deux longueurs de temps la précédente.
Et celle là qui fuit la cheute violente.
Se font fouuent du tout vaines en vn moment^
DE IVLES CESAR. 221)
Auquel Ji toft on voit Vimpourueu roulement
Du hault iufqu^au plus baSjjau moins fi dans la roche
Quelque débile appuy pour vn temps ne Vaccroche,
^^^Qui par Vefpoir refté nous fait plus refentir,
Et plus fouuent V effet du premier repentir.
Pour tout vray donc eft vaine^ & la longueur de Vage,
Durant lequel auec tout effort, tout courage^
Tout ha/art, tout encombre, on pouffe ce qu'il fault
Voir par necejfité tomber de/on plus hault.
Et vaine eft la longueur des regrets & des plaintes,
* * pour ces cheutes contraintes
Par naturelles loix, dont Vvne c^eft que tout
De grandeur & durée en fin trouue le bout :
Vautre que Vhomme eft né pour aux chofes plus hautes
Et plus grandes, toufiours faire les plus grandes fautes:
L^auti-e encor que tant plus Vhomme fe voit haujfer
En vn eftat, & plus il veut fous foy baiffer ^
Ses egauSC en Veftat, d'aueuglement extrême,
Hai(ardant auec eux & Veftat, &foymefme
Sans égard de pay^, de loix, ny d'amitié,
D^alliance, de fang, de peur, ny de pitié,
Parfes difcours faifant à foymefme vne excufé,
Q}ie pour le bien futur, du malprefent il vfe,
Vne autre loyfe peut adioufter à ces loix,
Confiderable encor plus que les autres trois,
Oeft qu*au monde inconfiant toute chofe rechange
Par la viciffitude incertaine qui renge
Sous f es tours ^ retours, non pas tant feulement
La chofe, mais pour elle auffi Veuenement
Entre nous, tout autant diuerfe fur tout efire,
Qjiefur tout bien ou mal qui pour nous fe peut naifire :
Changeant auec fes tours, f es façons, & fouuent
Lentement, & fouuent trop plus roide qu^vn vent.
Pour ramener non pas toufiours après la chofe
Bonne ou mauuaife, vn bien ou mal qu'elle propofe
^ Au rebours Vvn de Vautre : ains d*vn moyen fatal
Apres le mal fouuent cela qui efi moins mal.
Ou fouuent retourner api'es le mal le pire,
loiilli. — II. IJ
\
I
22b LES DESCOVRS
Ou t/pii après le bien celuy qu'on peut eflire
Pour le mieux de deux biens, ou me/me en moindre bien
En changeant labaiffer quelque autre bien moyen:
Ou par vil fault ejlrange aller conuertir me/me
Va bien ou mat léger, en bien ou mal extrême :
Ou d'vn reuottement encores plui léger.
Du bien du mal l'extrême en l'extrême changer :
Si bien que par fes faits ne/oit pas maintenue
Seulement cefie loy, qui mobile efi venue
Du naturel de tout, mais que fans fin tournant
Elle aille mefme en tout nature maintenant.
Qui caduque ne peut conferuer fes effences.
Ou bien fes avions que ptA-fes inconjlances.
Qui ne voit que lafeure S plus confiante lay,
D'vne inconflance telle au ciel change fous foy
Les dominations des feux qui fur nous luifenl,
Et ^i de quelque infiind nous S nos faits conJuifent
Par leurs retours diuers, fait qu'Us foyent afcendans,
Ou bien de leurs konneHrs S forces defcendans :
Soit que l'vn auec l'antre ou fe ioint, ou poppofe.
Soit qu'autrement du Ciel le grand bal les difpo/e
Aux rencontres qu'ils font par fes douje maifons.
Oh les heures, les iours, les mois. S- les faifons
De l'an par les trauaux du Soleil fe partiffent :
Soit que tous ces afpeâsfur nousfe reûniffent
Par tant d'autres moyens que l'art peut efprouuer.
Et aufquels il a peu des noms propres trouuer :
Tant que tel art fouuent par principe inniable,
Par fuppofition pour le moins vray-femblable.
Par obferuation que comme il dit U fait,
Et par diuers calcul qu'il tient iufie S parfait,
S'efforce de monfirer que tout ce qui chemine
En cefle haute, claire, & tournante machine,
En tours, en ordre, en nombre, en figure, en pouuoir.
Et mefme en tous effets, que tel cours fait auoir
A toute autre nature en ces ronds contenue.
Et neceffairemtntfous les reiglet tenue
Du Ciel, qui la contient, pourrait parfaitement
DE IVLES CCSAR. 227
Par cognoijfance entrer dans noftre entendement^
Si pour Vafpre longueur de Veftude, la vie
Au millieu du trauail ne nous eftoit rauie.
Or cet art dans ce Ciel tantoft en haut honneur ,
Fait quelque aftre efleuer comme maijlre & feigneur^
Et du Ciel, & du temps ^ & de toute influence,
Que le Ciel à chacun durant tel temps difpence :
Toute chofe qui naift, tout faià qu'on voit venir,
Se feint ou peu ou prou de tel pouuoir tenir.
Comme fi dansfon throne alors ce grand Planète
Afon règne rendoit toute ejfence fuiette,
Ainfl qu^vn grand Monarque : après il vient céder
A quelque autre qu'on voit après luy commander.
Tantoft pour autre égard vn tel art nous ajfemble
Des principaux flambeaux vne grand* troupe enfemble,
Qfti femblent, mais non pas du tout également.
Par leurs regards donner vn commun mouuement.
Tout ainfi que Ion voit qu*vne Ariftocratique
Façon de gouuerner quelque grand' republique.
Des hauts & fainds décrets d^vn Sénat par compas
Doit régir V ordre haut, le moyen & le bas :
Bien que ne plus ne moins qu'en telle compagnie
Des celeftes flambeaux, la ciiUle harmonie
D*vn efiat publiq, rompe enfoy l'égalité
Par enfleure de biens, de race, ou dignité.
Par vn refentiment de bienfaits & viâoires.
Ou par V orgueil qui veut croiftre ou perdre fes gloires :
Mefme toUfiourf faut~il (mais chacun au rebours
Confeffe neceffaire & louable toufiours
Telle inégalité) que les vns tousfeuls guident^
Et qu* entre les plus hauts les vns fur tous prefident,
Voire vnfeul, ou bien deux, qui prennent prefque enfoy,
(JLeféul nom excepté) tout ce qui eft d^vn Roy :
Mais leur charge & puiffance, ou bien n'efi qu^annuelle
Seulement, ou bien n'eft qu'autant que les appelle
A cela le befoin, encore leurs adions
Cèdent aux loix, ê mefme aux fuperftitions :
Qui plus.eft, quelquesfois de nouuelle ordonnance
228 LtS DISCOVBS
El de ControuHemens, fe borne leur puiffanee :
Ou celuy qui Monarque entre leijiens tft ni.
De rien que de fa mort n'a /on poauoir borné.
Ctfte AriJIocratie en ceci, comme au rejie.
Suit le gxtuuernement de la troupe cele/le,
De tant de feux méfie:; vnis enfemblémenl,
De/quels cet art obferue vn commun reiglement.
Car là toiljiours Us vnsfar les autres maifirifent.
Et félon plus ou moins fauorifenl, ou nui/eut,
Mefme par leurs afpe3s contraires S- malings.
Semblent prefgue fe rendre en leur troupe mutins,
Cqptme en vn corps ciuil iroublans par leur difcorde,
Tout ce qui à peu près en telle chofe accorde.
Voila donc comme au Ciel les obferualions
De l'art AJtronomicq', aux propo/ilions
Hautes quelles fe /ont, Irouuent que d'vne forte
Ce haut gouueinement celefie fe rapporte
A l'ejlat Monarchicq dWn Empereur, d'vn Roy,
Ou d'vn autre qtiijeul tient tout l'ejlat fousfoy :
Et que, comme Cay dit, d'autre forte il reffemble
A l'ejial de plujieurs qui commandent enfemble.
Se faifans les premiers, tant par Vitlujlre fang
Des plus vieilles maifonSt que par mérite S rang:
Ne pouuaas loutes/ois, ou ne deuans riem/aire
Sans va accord de tous, fufi-ce du populaire,
Qmi puiffant en Vejlat {bien qu'il foit le plus bas)
Ha pour cela fes voix, & propres magijlrats.
Dont l'aulhorilé mefmc à toute autre Poppofe,
Tirant fouuent àfoy pour la publique chofe
Tout vueil, & tout pouuoir des armes, S des loix.
Tant il craint que les granda facentfurluy tes Rois.
Mais deflors que Ion voit fes fureurs modérées.
Ou bien de fes foupçons les caufes retirées,
Jlfe raccorde S met ce qu'il auoit repris,
Aux mains de ceux qui font à régir mieux appris,
Deuersfoy retenant toutes/ois fa puiffance.
Qui contre les grandeurs, toujours contrebalance.
Si bien qu'il n'a pas moins entre eux d'authariti.
'■^v
DE IVLES CESAR. 229
Mais il a moins d*honneur, de charge^ & dignité,
Auffi croire il nous^faut que dyne multitude^
Sans quelques nobles chefs Vejiat eft vil, & rude,
Incertain, confus, lâche, ignoble^ & qui ne peut
Auoir Vhonneur en foy, qui feul pourtant nous meut
Non feulement aux faits, qui par Vheur de la guerre,
Du nom, du los, du bien, font Vaccroiffance acquerre :
Mais aux vertus, aux arts, auxfciences auffi.
Bref, à tout ce qu'on peut cognoiftre & fuiure ici
De bon, de beau, de grand, &fans qui {ie croy) qu*efire
Seroit pis que mourir, ou bien iamais ne naiftre :
Bien qu'en quelques endroits, quelque afpreté des lieux ^
Quel^uu^Jnfignes torts qu'ont receu les ayeux
Des peuples, qui groffiers deffous tel Ciel habitent,
Et d' afpreté de mœurs ces mefmes lieux imitent.
Tant que la durté lourde, & du viure, & des mœurs.
Les exempte auffi bien de Seigneurs que d'honneurs :
Outre cela, le long, & coufïumier vfage
De hoir la ffoblejfe, à caufe de Voutrage
Que, peut efïre, ils auoyent (comme Vay dit) receu
De leur nobleffe, & mefme vn égard qu'ils ont eu
Quelquesfbis. à bon droit, pour voir aucuns des Princes
Leurs voifins,fp monftrer tyrans de leurs prouinces :
Puis la difficulté que Ion trouue à vouloir
AJféruir ceux qui font fous leur propre pouuoir^
D'autant que la franchife eftant long temps gouftee, .
Bien que lourde elle foit, ne peut eftre domtee,
Qft'à toute extrémité de trauail & pouuoir.
Qui mefme en fin trompé bien fouuentfe peut voir :
Puis leur gloire groffiere, & les vaines audaces
De penfer corriger les Rois, & les menaffes
Qu'aux plus grans mefme ils font, pourfe voir eftre amis
Des Princes, fans fe voir à nul Prince f ouf mis.
Les dures loixfans grâce, & les peines cruelles
Qui à leur liberté rendent les leur fidelles :
L^ajfeurance qu'ils ont qu'en voulant faire exce^f
A leur baffe franchife, on trouue fans acce^
Tout leur pays, peut eftre, & l'effort fans louange y
a3o LE
Me/mementfans grand gain telle conque/le e/lrange :
Et bref, maint autre égard qu'on peut encor trouver,
Qjii les gai-defans jin d'autre ioug efprouuer,
A ferui, me/me encor ferl auiourdhuy d'excvfe
Aux peuples, dont l'ejlat fuyant les nobles, vfe
De tel entretien bas, gui n'efi point vrayment franc.
Où pour tout rang n'y a que du peuple le rang.
Qui bien fouuenl fe peut defon propre ioug plaindre.
Lequel plus que le ioug dWn Roy le vient efireindre.
Ployant fous f es égaux vilement, lâchement.
Et fans qu'efpoir de grâce y fait aucunement.
Mais ie dy que quiconque a goulé des noblejjea
Ledeuoir, S lefruià, les grandeurs, les prouve»,
Lesplus gayes vertus, & les ciuHitej,
Qui foyent franches pourtant des fuperfluile^.
Les honneurs, que Dieu mefme exprés a voulu faire
Des vertus l'eguillon, le but, & le falaire,
Les gloires, des honneurs compagnes, & les arts
Plus riches, plus hautains, plus rares, plus gaillards,
Qjii deleSent tous feuls, foulagent, S conferuent
Noflre vie, S qui feuls de grand luflre luy ferueiit,
Lesfpeàacies gentils, & tout divers plaifir.
Où licitement tire vn grand S haut deftr, J
Les plus dignes, plus forts, & plus hauts exercices,
Par ordre refuiuls des honneftes déliées:
Les entremeflemens qui gi-ands & fruSueux,
D'hommes brutaux nous font foutient des Demi-dieux:
La louange, qui lors qu'à l'oreille elle agrée
Dedans nous S noflre ame, & nos vigueurs recrée.
Soit qu'un bruit populaire exalte nos renoms.
Ou fur tout qu'vn beau vers embraffe nos beaux noms.
Comme ne pourrait plaire (ô Dieux) louange telle -
Aux morlels, qu'elle plaifl à vous Troupe immortelle.
Lors que là haut Mercure, Apollon, ou fesfœurs.
Flattent vos deite^ de leurs doaes douceurs?
El mefme outre le los, les grand' s pompes licites ■'
D'vn triomphe, en publieq couronnant nos mérites :
Les beaux chars de dîuert animaux attelej.
*
DE IVLES CESAR. 23ï
Les lauriers. S- les fleurs, lesfons, les chans ntefle^
D^allegrejfe & de ris^ les enfeignes, trophées.
Et autres merques <Vor & (V argent eflophees,
Les grands arcs triomphauls, les prières, les vœus^
Les facriflees fainûs, les feftins, & les ieus,
Qui mont ans iufqu^au Ciel, des palmes glorieufes
Peuuent les deUe:{ rendre prefque enuieujes :
Mefmement, qui plus eft, de tant & tant de los
La mémoire à toufiours gardant quHl ne /oit clos
Sous le cercueil muet^ dans la muette cendre.
Ou quHl n^aille en la bourbe oublieufe de/cendre ,
Ains qu'il foit éternel par la poflerité,
Quiàuitçm des mortels donne immortalité.
Et pour encore en fin comprendre d*auantage
Tout cela qu*vn efprit hautain, accord, &fage,
Braue, heureux, généreux, en tous fes faits peut voir,
Admirer, defirer, & me/me receuoir
En fa vie, en fa mort, voire après la mort mefme,
Dejfous vn noble eftat, foit quefoit le fuprême,
Qyi en tout temps tout tel dure en fes Royauté \,
Ou foit Veftat publicq, qui en fes dignité^
Et magiftrats plus hauts, pour vn temps prefque égale.
Et la fuyant enfuit la puiffance Royale.
Or quiconques dansfoy tous ces dons gouftera,
D*vn populaire vil fans fin dédaignera V
L^eftat tout populaire : & n^y a rien qui bleffe
Vn noble efpf*it^fljbrt, que de voir fans nobleffe
nus ceux entf9 lef quels, comme vn aftre qui luit
Vn peu, mais tout autour couuert de noire nuiû.
Il luy conuient trainer indignement fa vie,
QjtUl aimeroit trop mieux fe voir foudain rauie.
Que voir tirer toufiours le filet que Clothon
Luy a predeftiné, fous quelque gros Canton
De Suiffes, Grifons, ou bien d^ autres fauuages^
En leur iaug tant ignoble auilijfans leurs âges.
Ijfie cent fois foyent maudits {filon dit vray) tous ceux,
Q$ii entre nous vouloyent tacher nous faire à eux
Semblables, en ejtat : Grande efioit leur furie
232 LES DISCOVRS
Hypocrite^ plus grande encor leur barbarie.
Les fauuages viuans tous nuds qui n'ont ny Iqy,
Ny Dieu, nyraifonprefque, ont entr*eux comme vn Roy:
Cet ordre eft naturel^ que les chofes guidées
Soyent des chofes par ordre, & d'elles commandées :
Et iaçoy que fouuent par defaftre ou erreur
De Nature^ ceux-là qui en plus grand* grandeur.
Et auec plus de faix de grands charges futures.
Règnes, principautés^, dignités^, prelatures,
Se voyent naiflre ici, ne foyent pas ceux qui ont
Le plus d'autres grandeurs, qui les plus propres font
Pour guider celles ci, comme vn inflinâ de flam^^
Qui haut & vifrehauffe & repoint fans fin Vam($^
Et vient pourtant promettre en cefte prompte ttrdeur,
D'vn iugement plus froid & plus feur la tiédeur :
Comme eft vn autre inftind d^accorteffe, méfiée
A droidure, & bonté, qui là rendent reiglee.
Pour en tout Vage entier fans fin la mefurer.
Sans iufques à la mort d'elle fe feparer :
Comme eft Vinftinâ encor de fcience & fageffe
Plus hautaine^ & Vinftind de plus noble hauteffe.
Et celuy-là qui peut fans ceffe nous hauffer
A tout ce que plus grand fans ceffe on peut penfer :
Voire & celuy qui fait qu'en addreffg & «9 grâce ^
Lfs autres tant du corps que de Vame onfurpaffe :
Et tous autres inftinâs, dont pour nous patronner
Au plus près fur les Dieux, le Ciel nous vient orner.
Si eft'Ce que pourtant la meflange fatale
De Nature, aux vns chiche, aux autres libérale.
Tant diuerfe en fes dons, mefme les tours des deux
Ramenans aux vns pis, ainfi qu^aux autres mieux,
Eux mefmes tant ifiuers, en cent mille influences,
Qui font de nos efprits {comme on dit) les puiffances :
Et fur tout du grand Dieu les grâces, qui autant
Les va diuerfement dans nos âmes iettant.
Soit d^vne main prodigue, ou chiche, compaffee
A ce qu'il a preueu de nous dans fa penfee^
Rendroyent, comme ie penfe, & nos complexions
^
DE IVLES CESAR. 233
Egales, & nos fens, & nos conditions :
Et n^auroyent diftingué de tant de différences
Les grâces^ dont en nous ils verfent lesfemences,
Et fur tout celles là qui nous peuuent guider
A policer, 4pfigir, régner^ & commander^
A guerroyer^ & vaincre^ à deffendre^ conduire
Ùu bien amplifier de^trement vn Empire,
Et par viuacité natfue^ par effort
De cœur, par maiefté de vif âge & déport.
Et d*efprit, & de voix, tantoft tenir en bride,
Tantoft à ce qu^on veut piquer ceux que Von guide :
Et reUil^f9ti$ fur tout, des plus précieux biens
^fm€ifi0iil^0U$lps,fa terre, & foymefme, & les fiens.
De tonimi^ns on voit fans trauail, fans ejtude,
Aux vns ta naturelle, & tant grande aptitude.
Aux autres on la voit plus médiocre, aux vns
De ces dons on y voit ceux qui font plus communs
Aux autres, & ceux-cy font quafi tous les hommes.
Car des hommes doûe^ tant richement, nous fommes
Au monde malpourueus, on voit fi grand deffaut
De tels & pareils dons, quHlfemble {peu p en faut) ^
QjiHls nejoyeni pas des Dieux, ny des hommes Wvace :
Mais qu*excepté la voix, & la forme, & la face/
Ils ayent retiré Peftre de leurs efprits
Des brutes animtMX bien fouuent mieux apris.
Et paurquoy dotât Dieu mefme &fous luy mefmement
Le Cieli & la nmtftre^ auroyent ils tellement
A^peu i^enir9='f0ts, d^vnefi riche corne
Refpandu totit cèîtl qui plus nos efprits orne ?
Et au rebours^ mu nombre infini des humains.
Pour tels dons auroyent-ils tant referré leurs mains ^
S*Us ne vouloyent qû*exprés des âmes fuffent nées
4u monde, dontferoyent les autres gouuernees?
i^fans ou plus, ou moins, & par diuers degré
au ioug, aux lois, à la vois, S- au gré
iklles, que ie croy telles entre nous naijlre
?, pour le deffaut qu'aux autres on voit eftre.
^Àx^ ny le deftin celefte, ny le fort,
i3*
334 "-^S DISCOVRS
Qjii fft Veuenemenl particulier qui fort
Du dejiin à toute heure, S dejfaa chafque chofe
Qui peut ejlre en Varrefi de tout deJlin encloje,
Nefe fuffeat point veus (depuis que du grand monde
Se va fans fin tournant VarchiteQure ronde.
Et logeant nojlre efpece humaine dedans foy)
Maintenir pour iamais cefte immuable loy.
Que toufiours nous naijfons, les vnspour eftre grands.
El les autres petits pour eJIre ferfs o« francs.
Riches ou fauffreteus, fans qu'en laplus brutale
Façon de viure, oii plus la baffeur ejl égale.
Leur loy toufiours courante oncques permettre peu â
Qji'auxvns quelque grandeur plus qu'aux autres Ke fiifi\
Qjie plus riches les vns naquijfent, oufefeiffeM
Que les autres, les vns me/me aux autres feruiffent :
Et que par tous moyens telle focieté
Ne recherchafl toufiours telle inégalité
Qlte luy ait peu Fardeur naturelle promettre,
Ou bien que luy aitpeufon vil eflat permettre.
Qui plus efl ce defiin, & ce fort, quant au bien,
N-euffent iamais fouffert ces noms de tien, & mien :
Ils n'euffent point laiffê fans fin entre nous efire
V La force qu'ont ces noms de feruiteur, & maiflre.
Sans qui tous les labeurs des humains cefferoyent
Etfatts qui tout commerce, &fecouTS manqueroyentz ^
Mefme en fin thomme mefme ils n'euffent par concorit
(Ojii à Nature, au Ciel, voire à Dieu, les accorde
En face, & en façon, en courage S defir)
Semblé les vns du tout difpofer, S choifir
Au fer, aux coups, au fang, au fceptre, à la couron
Que le vray fang ou bien la prouéffe nous donne :
Et tant aux chars, jti'à mille autres pris Martiaux.
Aux diâatures mefme, aux haches, aux faifceaux.
Aux puiffanstribunats, prelures, & quefiures.
Aux fainâes dignité^ de preftres, & d'augures.
Et à mille autres rangs d'honneurs, tous diffère
De nom, félon l'ejlat, S la terre, S le temps :
Les autres au contraire, au foc qui leur agrée,
K
DE IVLES C£SAR. 235
' Au paftoralflageol qui aux champs les recrée,
Aux périlleux trauaux de leur petit trafficq,
Auxfueurs de tout art plus bas & mecanicq :
Qjii pis eft par malice, ou par difete, aux peines
Des hôtes, & des piqs, des rames, & cadenes :
Tout cela (dis-ie) ici ne/efuji veu fans fin
Sur nous entretenu du Sort, & du deftin.
Si Dieu, le Ciel, Nature, & la fuite ordonnée
Par eux en toute chofe, & dé leur deftinee
Les cheutesy ramenans tout effet incertain
A itoMS, d*vn roullement qui eft pourtant certain,
Nef'accordoy^ent tous là, par confeil neceffaire
Qjti preuemif &pourueut de toufiours ainfi faire :
Ains nê-CO^traignoyent tout fans ceffe à telle fin,
Eftant eux mefme adftraintspar ce g/and vueil diuin,
Mefme immuable à Dieu, dHnceffablement tendre
A ce but, que tel vueil pour le mieux vouluft prendre :
Qui eft; que par vn ordre inégalement mis
Par mille Jorts diuers, les vns fuffent foufmis
Aux autres, que ceux cy de ceux là garantiffent
La vie aux grands dangers, les efprits affranchijfent
De grands de ffeins, grands foins, grands difcours, qui ne font
Propres à ceux^ auf quels les rangs vulgairesjont
Vulgaires les efprits : qu^ autant en autre terre
Comme en la leur, autant en la paix qû*en la guerre
Les maintinffentfousfoy : quant aux biens, quant àJ^ heur,
Aux mceurSj & au repos, tout ainfi que des leur.
Défit, f<Àn, & trauail en toute chofe ils euffent,
Et en leur commandant, afpres^ & doux ils fuffent,
Afpres pour leurs vouloirs effrene:{ refréner.
Doux pour par bonté mefme à bonté les mener :
Et qui tout autrement fuiuant la loy commune^
Ok nous réduit la baffe & vulgaire fortune^
Ceux làferfs, oufuiets, ou foufmis à ceux ci,
■ Y'-Dé Vamour, de la crainte, & du feruice auffi
w|âyiir rendans tout deuoir, auec Vobeiffance,
^^^phêrchaffent par trauaux leur aifance & croiffance :
SUjfént le foin pour eux de tout commun befoin^
r
l36 I.KS DISCOVKS
En les affranchiffant du trop vulgaire foin.
Au traffiMie dehors, en Faliaient pubticque.
Au domtfficq mefnage, ou labeur trop ru^ique.
Aux ceuures manuelt, au-x devoirs plus petits
Desfoldats, oh des chefs fous eux ajfuietis.
Au commun appareil des diuers exercices,
A l'aeuure, à l'ornement des diuers éditées,
Soyent murs, iardins, maifons, grans arc» & grana chajiiiii
Soyent cite^, forts, ou ports, ou bien marias vaijjeau-x.
A tout cela dequoy toute grandeur falourne,
El dont fous elle encor la petiteffe fome :
Au minifiere auffi tant des defirs remis
Sous le ioug de raifon, que des plaifirs permis :
Aux ordinaires mefme, &facrej minijieres
De leurs religions, S cotiftumiers myfleres :
Au minijiere encor des exécutions
De leurs toix, mandemens, grâces, punitions :
Au minijiere vtile de ceux, qui pour les PriHces".
Ou bien pour va publicq, les deniers des prouincrs
Doiueiil affeoir, leuer, ajfembler, départir,
Lesfaifans nettement rentrer, S reforlir
Dyne main non glueufe : * bref, en tous offices
Qui des petits aux grands exercent les feruices .■
Et que pouffe;^ ainjl du continu deuoir,
Qui moine puiffaus les lie à ceux qui ont pouuoir.
Non feulement pour tux, leur art, S leur ouurage.
Leur indujlrie, & foin, leur trauail, leur courage.
En paix, S en repos employer on les v\fi.
Et que non feulement chacun d'eux affertiifl
A tel commun befoia, repoujfé d'pne extrême
Ardeur, les bras, les pieds, le corps, S l'efprit mefme :
Mais bien qu'à l'heure auffi que d'vn difcord bouillant,
La fanglante Enyon va leur repos brouillant.
Se vifl de tous enfemble & le fang & la vie
Sacrée obfiinément, S fans ceffe afferuie
Au fouflien de la vie, honneur, S dignité
De tous ceux qui fur eux ont iujle autharité,
Soil Rqv-, /oit magiflral, d'autant qu'il ejl noloii e
DE IVLES CESAR. ^ 287
Q^ie leur gloire, & leur bien ne pend que de la gloire
Et du bien de ces grands, pouuansfeuls eftranger
Des teftes du bas peuple, & du ioUg eftranger^
La honte, & fans parler des playes eftrangeres.
Les pauurete^ qui font au dedans familières,
A quoy fur toute chofe, auec tout iufle égard.
Tout vouloir franc & prompt, tout confeil & tout art,
Preuoyance, & fouci,mefure & accorteffe.
Tout noble S- digne chef doit mettre ordre fans ceffe.
Pour le moins fans relâche efforcer il fe doit.
Que tel quHl eft requis fans fin mis il y f oit.
Sans fouffrir que de charge indigne Ion le foule
Tantyjquepar trop de faix hors de fes mains f écoule
Tout moyen d*enrichir, fans le voir deueflir
De champs^ & de maifons, fans du tout engloutir
Ses ioumallesfueurs, & de mains facrileges^''
Ses franchifes, fes droiÛs, fes facre:^ priuileges.
Voler, ou violer, fouuent ofier pour rien
La vie aux vns, à fin d'ofter aux leur le bien :
Tout crime amende doit, mais font-ce légitimes
Façons de p enrichir, que de laiffer aux crimes
Les chemins pour remplir vn fifque? les chercher,
Efpier, fouhaiter, fureteur, efplucher.
Et tacher pour tel gain, contre tout ce qu^on penfe.
Défaire conuertir en crime V Innocence?
Oit tant plus les malings^ & trop cauts officiers
Font plus malf plus ils font eftime^ iufliciers :
Laiffant enjemueté richeffe, honneurs, louanges.
Ceux-là qui tnefme entre eux des vices plus efiranges,
Plus fordides, plus faux, fe voyent entache^,
D^autant quHlsfont comme eux fainâement empefche^
A ce trefbon, trefdigne, & trefiufte exercice,
Qiti de iufiice n*a qu*vnfaux nom de iuftice:
Ou bien laiffans ainfi tous ceux qui en leurs rangs
Soyent petits y ou bienfoyent médiocres, ou grands,
^s^^iéiident à faire cheoir par diuerfes fouleures
'Sur le peuple oppreffé toutes telles blejfeures,
Lorsque {non fous les Rois iuftes, bons, & féaux.
Mais dejfom des Tyrans) iUfe /ont lyre
Ou que la Tyrannie iU fislltnt, & confenUat
A ces maux, fur hfqueh bien foauent Us plai/anletit.
Ou bien la degui/ans bien fauuent par raifons,
Peuuent me/me vit bon Roy gafter de leurs poifons.
Tous prefque marians à telle pejie inique.
Maint autre crime eneor tant prtué gîte publique.
Sou uent pourtant la/aulfe apparance les fait
Pour des coutombes prendre, ou le moindre rneffait
Peut fai%-e les petits pour noirs corbeaux paraître :
I Sauuent me/me en ce rang des petits, on/ait eftre
\ En tous tels torts, ceux-là gui ea tout foy n'ont rien
De petit, ^ ce n'ejl la faueur, & le bien,
n ne faut donc iamaii que ceux qui veulent fuiure
Ce qui auec honneur, voire après la mort viure
\ Dans l'vniuers nous /ait, fait gue ceux-là foyent Roh,
! Ou qu'aux libres eite^ ils baillent lors les loix,
I Ou que les Rois fous foy leur baillent charge grande.
Ou qu'autrement leur main fouueraîne commande,
1 Puijfent iamais permettre àfoymefme, ou à ceux
Qfiifant eneor commis pour polieerfous eux
#' Ou l'i'ii, ou fautreeftat, qu'au foufmh populaire
Toute cruauté telle à lortfe voye faire :
Dont pourtant on a veu mille brouilleurs efprits
Nés au dam des kumains, enragément épris,
^ N'efpargnans ny difcours fubtil, ny rufe inique.
Pour de plus en plus rendre vn ejlat tyranntque :
lufques à vouloir mefme en ces maux fe baigner, -
{Sans femonce ou befain, pour plus faire régner
Par exemple mauuais leur nature inhumaine
Sur la terre, & régner fur l'ejlat plus de haine.
Plus de maux fur le peuple, & fur leurs aâions
L - Maudites, & fur eux plus d'exécrations.
" !e croy. Sire, pour vray que toutes fois S quanles
'! Qu'en quelque eflat antique à ces âmes mefchantes,
I Les Eumenides fœurs d'vn tifon infernal
I Ont échauffé lesfens engendreurs de tout mat,
A leur propre pays de langueur ff mifere.
I
DE IVLES CESAR. 239
Aux panures & aux grands de honte & vitupère,
n ne leur afuffi pour à V heure ajfouuir
L^eflrange & lâche ardeur^ qui là les.vient rauir,
D'auoir fouuent ouuert la voye à ces maudites
FoulleureSy que défia par mes vers ie fay dites :
D'auoir fans nul égard ^ fans pitiés fans propos.
Sans mefure introduit impos après impos :
D^auoir mefme recreu toute charge annuelle,
la trop dure, de charge encore plus cruelle,
Qjdi non feulement peut tout mefnage empefcher
D*accroifi & ^entretien, mais peut mefme arracher
Au four, aux mains, aux dents^*, d^vne deconfortee
Famille le pain cuit, ou la pafte appreftee.
Ou tout autre fien meuble, au moins fi bienfaifir,
(O barbare hideur!) que fur terre gefir
Plus vilement encor que les befies il faille,
Dejfous qui tels voleurs ne rauiroyent la paille.
Mais il n^efi rien quHci ces hommes hayent tant.
Que Vhomme dont ils vont les feuls membres portant,
La feule face auffi : car fi tant que nous fommes ^
Ne leur eftions d*efprit diffemblables^ des hommes
La race ne deuroit du ciel fe regarder.
Se porter de la terre, & tant foit peu garder
En fa peruerfe efpece, ains dans fon ventre large "**
Telle mère engloutir deuroit fa faulfe charge.
Pour tels hommes le Ciel n'a point affe\, ie croy.
De foudres, de courroux, de defaftre, & d'effroy :
La mer n^a pfdnt ajfe:( de hurlemens, d'orages.
De tourmentes, d'horreurs, d'abyfmes & naufrages :
La terre affe\ de pefte & d^ autres hidèus maux.
De trifles, veneneus, ou cruels animaux,
Depoifons, de venins, de funeftes difcordes^
De précipices bas, de feu, de fer, de cordes.
De luges impiteus pour là les condamner,
Ny de bourreaus pour telfalaire leur donner :
Jfe permettans iamais que leur charongne rentre
Au grand tombeau dufein maternel, mais au ventre
Des maftins charongners, des finiftres oifeaux.
■ t
3^C> I-RS niSCOVBS
1^1 nte/me encor cetl fais font trop dignes lombeavs
De tels hommes de proye, en toutes leurs befongnei
Recherchans des humaim les maux S tes charongnes,
Q}ie mefme auant la mort on leurvoil déchirer,
Bequetei; tf tous vifs en la fa deuorer.
Potr eux l'Enfer encor n'a point tant de Cerbères.
De Tifiphones, tant d'Aleâons, de Mégères,
Qu'il faudrait de prifons, de tenebrevs manoirs.
De brandons, deferpens, Pvn G l'autre tous noirs.
De faits enfanglante^, de tenailles mordantes.
De flèvues tous bruflans, de grand's roches pendantes
Sur le chef attendant, de pierres, de tonneaus,
Ht de roués qu'en vain on porte, on remplit d'eaux.
On tourne, fans jamais voir la peine étemelle
Ceffer, puis que l'efprit eft éternel eotntne elle :
Ou fi ces maux ne font qu'antiques fia ions.
Pour eux la eonfcience a moins de pafjîons
Qji'il ne conuieni, d'aigreurs, de remors, de piqueuretf
De cautères rongeans par fecrettea brufleures,
D'eflourdiffans Jleau coupfurcoup rebataas ,
D'affamé^ vipereaus \ns ceffe refortans
Du fond de la Mémo,, e, & de mainte autre peine
Que tel refentiment horriblement rameine,
D'vn tel viure faifant prefque vn continuel
Mourir, S de la terre vn Enfer plus cruel,
Faifant de noftre eoipt nofire ame efire bourrelle.
Et defoymefme encor la meurtrière cruelle.
Maispourquoxcestoiirmens,quandplusauvrax>'xpenfe,
Veus-ie eflre accreus à ceux qui font fans eonfcience.
Pour la plus part exempts de fouffrir tels tourmens.
Puis qu'ils fe font exempts de tous tels fentimens?
Il vaut mieux renuoyer aux" vrais tourmens leur vie.
Dont enfin quelque fin mefchante la chaftie.
Soit par confeil des Dieux, fait par vne équité,
Qliifouuent mefme aux tours de fortune a efté :
le fçay qu'en rien pluftofifur leurs chefs ie n'attire
Par ces vers que fefcri, les maux que ie defire
Leur eflre ramenej, mais fi ie ne puis plus
DE IVLES CESAR. 24I
Proffitei' aux vieux Grecs, aux vieux Romains exclus
Et de vie, & d^ Empire, &puis que tout barbare
Règne vieil ou nouueau de mes vers ie fepare,
Comme indigne de reigle, & fi à nos ayeulxj
Lors qu^on voit tout remède inutile pour eux,
Seruir il v^eft poffible : au moins à la couronne.
Que fus vn fi doux peuple vn grand deftin te donne,
Mefme au fceptre des Rois tes voifins qui à toy
Sont lie3[ & par fang & par femblable foy,
A tout Roy de V Europe & aux grands Republiques j
Qui encore à mon gré imitent les antiques,
A tout Duc, à tout Prince, ou Prélat qui en main ,
Tient en la Chreftienté quelque eftat fouuerain,
Voire à toute leur gent, puis qu^ainfi que la tienne
Prefquefous mefme loy,foit ciuile ou Chreftienne,
Chacune fe maintient, puis que d^efprits & cœurs
Et de mefmes dejfeins •" pour mefme loy, de mœurs,
D^armes & arts encor quHl y ait différence,
La différence n^efi pourtant telle qu^on penfe :
Si bien que qui voudroit faire fous foy trembler
L^vniuers^ il pourroit Vvne à Vautre affembler :
Et puis que toutes font en V Europe, qu^eflire
Les dejtins ont voulu, pour fouuent vn Empire
Donner aux fiens, plus vray,plus grand, plus fainâ, plus droit ,
Qui, peut eftre, enfin^ Sire, aux tiens tousfeulsfe doit :
Ou bien fans auoir foin de tout tel peuple eftrange,
Bien que fous la loy noftre, vn Dieu commun le range.
Au moins à tes François^ peuple qui 4^vn lien
Plus grand que naturel eftreintfon bien au mien,
le veux iufqu'à la mort dédier cet office.
Comme à toy, Roy, ie veux facrer ce fainâ feruice ,
Sans chercher de m'y voir par toy Prince excité.
Et fans qu*onque ta gent Vait de moy mérité.
le veux donc qu^vne ardeur & plus libre &plusfainâe,
Et plus aigre à bon droit, dont iamais ejïre atteinte
Puiffe quelque haute ame, éprife en mon cœur f oit,
Par Vequitable infiinû dé la Mufe qu'on voit
Plus afpre, & brufque, & tufie, & quelle alors me face
hdelU. — II. lO
)*
24-2
D'an ttouueau façonner quelque trompe de chajfe,
Inufilee à loui, méfiant à la fureur,
A Vefprtuuentcment, à la froide terreur.
Des mefchans les raifons. S- mefme des agences.
Ou des aaeuglemens, ou bien des
Qu'aux offenfes on fait vn ivfle re/enlir
Vn forcé marrijfon, vn tardif repentir,
El maugré qu'on en ait na con/eil qui i
L'horreur de ce qui mefme agréait: Melpomene
Ceft la Mufe qui peut des diuerfet façons.
Plus rares qu'ayent eu iamais les plus hauts fons.
Animer vta grand' trompe, & d'vne efirange haleine,
Par toutes les forefts de la grand' race humaine
Peut faire entendre wn iour ce tortueux airain,
Auquel & mon efpaule S- ma bouche 6 ma main
Addreffer fe verra, pour auec quelque grâce
Le porter en echarpe, auec ardente audace
Dans le poing le reprendre, & puis en chafquepart
■ Q}i'il le faudra fohiier, l'emboucher d'un grand art,
■Plus bruyamment eHCor,'^qu'eH mes feenes Tragiques
te ri ay fait éclater mes grands cornets Bacchiques:
Plus librement auffi. que parmi les hauts bois.
Premiers des anciens, les HiJIAons fans loix
De Comédie encor, fe barbouillans de lie,
Nefouloyent d'vn chacun au vif piquer la vie,
Mefme plus aigrement, que parmi maint rocher.
Et maint bois contredit, on ne voit emboucher
Vn long cornet bouquin crochu par le gros bout.
Lors qu'vn Satyre vieil en fe riant de tout.
Entre fes tons aigus, mord, egratigne, affolle.
Les ridie»iet motUrs de nqfire racefolle.
En ces Setnes qui ont des Satyres cornus.
Le nom de leur poème & leurs noms retenus :
Et fans que toutesfois par les mots de ma trompe
Les loix de modeflie '" ie rompe.
Si bien que trop d'aigreur me pouffafi hors des rangs.
Et fans qu'en rien ie poigne ou les Rois ou les grands,
Si ce n'eft en cela pour qui vrayment ie penfe
DE IVLES CESAR. 2^,3
s.
Qu^ils nCadiugeroyent mefme & los & recompenfe^
Se voyans à leur bien fi bien eguillonner,
Ou bien à ce qui peut plus (Vhonneur leur donner.
Car il ne faut iamais qu'vn Prince au gain regarde
Si fort, quefon honneur &fa gloire il ha^^ardCy
Ains fa mémoire encor, de qui le feul efpoir
Doit caufer le grand cœur qu^en tout il doit auoir,
Et le mefpris quHl fait aux chofes belliqueufes,
Des hasards, fe pouffant iufqu^aux plus ha:{ardeufes,
Le defir d^eftre veu iufte, accord & loyal,
GeneteuXj vertueux^ adroit^ & libéral,
Et Venuie de faire atousfiecles paroifire
Son Règne entre ceux-là que plus grands on voit efire.
Car c^eft le feul efpoir de mémoire, qui fait,
Au moins fil eft vray Roy, que dans f on ame il ait
Tout tel hautain defir, & qui mefme peut faire
Qu'en heur comme en grandeur de fon peuple il diffère.
Car fans vn tel efpoir, veu le faix, les ardeurs
De croiftre, lesfoupçons, lesfoucis, & les peurs.
Et veu les aigrifons & les fureurs enclofes.
Trop plus grandes d^ autant que de plus grandes chofes
Elles vont renaiffant : veu les afpres douleurs
Que lonfent pour fe voir arriuer des malheurs.
D'autant plus grands qu'aux grands plus heureux ils auiennent :
Veu les aigus regrets qui dans leurs ferres tiennent
Telles âmes, alors que par vn long effort
De maladie, ou bien par crainte de la mOrt,
Par ruine ou^prifon, il faut que Vheur qui trompe
Et enfle duparauant, periffe ou fentre-rompe :
Et quHl faut d^ autant plus que fon heur on hauffoit.
Le voir cheoir de plus haut, & que ce qu^on penfoit
Efire tout, vienne à rien, ou que chofe tant belle.
Tant agréable ceffe, au moins de fe voir telle,
Veu le iufte penfer qu^on prend des vanité:^
Souuent, veu mefmement les importunite:^,
Le degouftement fade, & charge nompareille,
De voir fans fin charger fon œil & fon oreille
Defots entremeteurs, fots parleurs, medifans,
/'
\
Bouffons, fialeurs , miocqueurs, ou farde\ Courtifm
Puis àe me f mes façons, me/mes mots, mefine efludi
Me/me efbala & plaijirt", «on fans grand' ftruitut
Se voir fans fÎH fouller : S veu tant d'autres maux
Qui tous foni compagnons de tous les heurs Royat
Sur tout VEU que la vie encores n'eft qu'vn fonge.
Qui d'obiets plus fâcheux ceux quifont plus grands ra
Et qu'il y a cent fois plus de mal à dreffer
El tenir ces grandeurs, & mefme à les taiffer
Cent fois plus de tourment, S que d'vne vifleffe
Tant roide chet le poinâ oii il faut qu'on les laiffe
Q}ie Ion efi plus long temps fouuenl à fatourner
D'or, d'argent, & de pourpre, à grauement orner
Ses gefles &fa voix, encor ceci ie donne
A ceux qui font mieux nés pour fi graue perfonne.
Et plus long temps encor pour attendre que l'heur
Jne/peré nous pouffe en vn roolle meilleur.
Que ron n'efl pas à fiiire & à dire en la forte
Qu'vn décore requiert tout ce qu'à l'heure porte
Ce ieu brief S ce roolte, après lequel il faut
Soudainfe retirer derrière l'echauffaut, ^^^
Souuent fans lefucce^ des ekofes defirees, ^^H
Souuent auecq' ennuy des chofes empirees^ ?^^H
Souuent auecq' regret S mefcontentement - ■^
D'auoir ainfi fini fon roolle brieuement.
Plus fouuent auec honte & repentance S rage
D'auoir trop mal ioué tant digne perfonnage.
Tant qu'auecques vn biafme en fort encor vn ris.
De voir l'orgueil enflé foudainement furpris
D'effonnement à faute, S bien fouuent encore
Auec cruelle fin, qui fans fin dejhonore.
Qui aux chaifnes " de fer les couronnes changeant
Ou fous honteufe mort piteufement rangeant
Telle enfleure de vie en mille horreurs terribles,
En muglemens tragicqs, en larmes, en horribles
Pitie^, qui quelquesfois pour le peu d'amitié
Qfi'on porte à tel loueur, ne fbnt point de pitié,
Voyit tout d'un coup cachant tout cela qu'on admirt
DE IVLES CESAR. 245
En eux, fous le rideau que le fort foudain tire
D^iceluy, les couurant pour iamais tel rideau.
Le plusfouuent tout noir : c^ejl vn obfcur tombeau.
Si tombeau mefme ils ont, qui pour la fin receué,
Peut ejlre, couurira la grâce qu'ils ont eue
Pour vn temps, la faueur des fpeâateurs, V honneur,
Magnificence^ pompe, accorteffé^ & bon heur,
Mefme ce quHls ont eu de courage & viâoire
Sur d'autres, voire encor de clémence en leur gloire.
Et en leur trifle fin dHnnocer.ce & de cœur.
Pour contre le malheur, la fureur, la rancueur.
Et le tort, fil X efl, porter telle inhumaine
Iffue^ & meprifant comme trompeufe & vaine
Toute gloire & grandeur, méfier aux durs fanglots
Quelque parole, ou fait, digne de quelque los.
Et dont on puiffe après quelque confiance apprendre.
Au lieu de f enterrer dans Vvrne de leur cendre.
Mais au rebours fouuent on voit ce tombeau là.
Qui {peut eflre) dans foy pour iamais tout cela
Que Pay dit, couurira, fi ces Rois d^auenture
Ont eu foit en viuant, foit en la mort fi dure.
Quelques vns de ces dons : il ne couurira pas y
Soit pour la vie ou bien pour Vhorrible trefpas,
Les dejjfàuts d^heur, de fens, de bon cœur, de paroles
DigneSj & dignes faits, aduis, les rages, les folles**
Ardeurs, V horreur honteufe en Vair il vomira.
Puis par tout Vvniuers Vair Véparpillera,
Tant que le bruit ailé qui fera d'âge en âge
Courir ce qui eft pire^ en portant grand dommage
A tout bien qu\ils ont eu, portera grand renfort
Aux blafmes de leur vie, aux hontes de leur mort.
On fe taift à bon droit du mol Affyrien
Sardanapale, auffi ie croy quUl n'y eut rien
De bon dans telle femme, ou dans tel homme lâche
Qfii en femme pornoit, & partiffant la tache
A fa troupe lafciue, impudemment mefloit
D'vnfalle & mol regard Vouurage qu'il filait :
Encore a l'on bien fceu retenir de fa vie
LEE DtSCOVSS
Aux grandes ehofes petit enlremrjler leur vice,
FrùidetnenI faffopir d'y» dormir continu.
Ou bien céder au mal qui mieux ejl retenu.
Que retient on de grand, de toute la grand'race
Du vieil Laomeitoa? qu'a t'on dont me/me an /ace
Mémoire de /on fils, ce Priant tant puiffant, ^H
Sous qui ta grand' A/ie allait /on che/ baiffantf ^^Ê
Et qu'e/l-ce donc qui plus fur luy /e reinemore, ^^|
Et plus /ouuent, /inon ce qui honnit encore ^^1
Auiourdhay /es honneurs, /apuiffance, S le droit,
Qu'enuerr chacun garder aux grands Rois il /audroit'?
Ce qu'on merque de Iiij~, bien que la vaine Grèce
Feindre (peut tjlre) ait peu toute la mentere/fe
Fable qu'on oit de luy : c'cjl que pour reuenger
Hcfione rauie, il/ouJi-U outrager
Ceux qui n'en pauuoyent mais, & qu'après au pubUqtit
Repos S-paix des fient, il propo/a l'inique
Con/eil de ne vouloir rendre honteu/ement.
Comme aumoins ilfembloit, ce qui non autrement
Qu'auecques de/~honneur, auec honte & pillage.
Et /aui/e-ment de /oy /ait au /ainS haftelage,
Auoit e/lé raui, puis défia re/ufé.
Dés que pre/que on en eut fi trai/lrement v/é :
(Quelle reproche helas! de voir cheoir tant de peine
Sur vn Roy ia vieillart pour Faduitere tieUae ?
Et qu'il/alioii qu'vn Roy, que me/mement vn cas
Si vain ne concernait ny »e deleâait pas,
la toi,l meur £■ !o«l bianc. fo„ffnft e/ire en/lammee
Pour vne /emmeà tort dedans/es murs menée,
Telle guerre fur luy, quand me/me il abondait
De /amille che^foy, qui encor redondoit
Par diuers Hymenee en tant d'autres /amilles.
Tant de /ils, S de bru^, que de gendres Salles,
Pour qui craindre il deuoil qu'enfin par la rai/on
Que quelques Dieux /eroyent fi puiffante mai/on.
Que tant d'autres auoyent pour leur fource /uperbe,
Ne/ufi auec leur ville en fin couuerte d'herbe,
Apres qu'vn long effort d'vn grand peuple outragé
\
"r\^
DE IVLES CESAR. 249
Aurait tout & par fer ^ & par feu faccagéy
Tant de grandeurs, & tant de richeffes rauies,
Tant de teftes à luyji chères affermes,
Qui au cruel feruage encores ne feroyent
Que triftes demourans de tous ceux qui auroyent
Accompagné durant le fac de leur prouince.
Par leur mort le piteux meurtre de ce vieil Prince.
Auffi quelle mémoire agréable peut il
Retirer de fon fort parauant tout fertil
D'heur^ de race^ & de biens, quand d'vne infortunée,
Trifte, defhonnorable, & cruelle ioumee
On verra tout borner dans vne Scène, ou bien
Dedans vn Hure encor faigneux du meurdre fien?
Quand par Pyrrhe on verra forcer fes murs royaux.
Tous les fiens fe ferrer le cœur de fi gi'ands maux.
Les femmes rompre Vair de leurs vois éclatantes.
Et rompre de leur poil les treffes innocentes :
Quand dans vne peinture, ou dans les vers qu^on lit,
Ou dans la Scene^ ou bien en ce que mefme on dit^
Sifuiuant la mémoire en ceci pitoyable,
L'vit à Vautre on raconte vn tel fait lamentable,
A'uec lesfens émeus & trouble:^ on orra^
Ou bien reprefenter à Vceil mefme on verra
Cent ¢ autres maux, dont cefle nuiâ meurtrière,
Q)ii du règne de Troye efloit la nuid dernière.
Remplit la ville oit ia par tout bruy oient les feux ^
Et la Court, & Vceil mefme à ce Roy, qui aux vœus,
Auxfainds autels facres[, aux fanglotSy & aux larmes
Auoit eu vain recours, ne pouuant rien par armes,
laçoit que caffé d^dge & defaccouftumé
A veJHr la cuiraffe, ilfe fufl lors armé :
Et iaçoy que voyant Polite ieune d*age
Plus que nul de fes fils, iufqu'au propre vifage
De luy fon père feflre en fuyant echapé
De Pyrrhe, & de rechef eftre là ratrapé :
Et voyant que nauré^ tombant, & demi-roide,
Blefmiffanty debatant, atteint de la mort froide y
Auec fanglots les yeux paternels ilfouilloit
10*
aSo
LES DISCO-TRS
Du /ang, du^ucft dépit & iemie il petiHoii,
Il ne peut lors fouffrir qii-auxpiii S qu'à la/aee
lyvH père tel tnaffatre en ce pauuret fe fiice.
Mais d'indignation lançant iPvn bras vieitlard
Et faible, mais pourtant fi firt qu'il peut fan dard
Sur Vinhunain meurtrier, & d'ardant vitupère
Le démontant de dire vh Achille fon père,
Qji'il auoil trouui mefme erniemy tant kuwuxin.
Fit Feffart de la voix accompagner la mai» ;
Qjii fut caufe, qu'kelas! Pyrrhe piqué d'outrage.
De haine, S de fureur, enuoya cemejfage
A /on père porter iufqu'à l'ombreux enfer
Par ce mefme Priam, qui trop moins de Jon fer,
Qjie de fon afpre voix auoit peu faire f^enfe
A ce Neoploleme, * 5111 pour recompenfe
Tout murmurant encor fui aux ombres d'endos
Chajfé d'vn autre coup pouffé d'un autre bras.
Car fan corps fut à tour trauerfi de Vefpte,
Là où le durd ayant la targue vn peu frappée
Par la pointe du fer, pr^que à peine y pendait,
Monjh-ant le pauvre effort du bras qui le dardait.
Puisqu'onfçaitquelafin d'vn grand, quifc decœuuu
Aux ans fentrefuiuans, couronne enfin fan ceuure.
Ou bien d'vn verd laurier pour tout iamais après
Verdijfaitt, ou d}v« vieil & funefte cyprès.
Et d'vne branche ififpar Us atu fetche & wiarte.
Tant qu'il femble à tous coups qu'à nous on la rapporte
De Voublieux cercueil, ne nous reprefentant
Qu'vn nom que va la mort auec le corps dontant :
Puis que c'efi la fin, dis-ie, en quoy le plusfarrefle
Le vol du Temps, foit elle honnefle ou defhonnefle.
Pleine d'heurs ou malheurs, pleine de faits & mauls
Admirables, ou bien vuide de tout grand los :
Puis que l'homme en ayant parler de quelque antique,
Auaat que prefque ouir de fa vie Héroïque,
Ou bien cruelle, ou lâche, ou folle, les difcours,
Impatient fenguiert, ce qu'à ta fin du cours
n deuint, & de brufque ardeur précipitée
L
DE IVLES CESAR. 25l
Met là le but entier âe la thofe contée^
De /^ mémoire auffl qWU en veult retenir^
Et de tout fruid qui peut par Vexemple venir :
Voyons quelk efi la fin de ce grand Roy d*Afie,
Qui trop plus eft merquee^ & plus fouuent choifie
Pourfuiet, qu'vn grand cours de /es ans, quand on va
En mémoire amenant la mémoire quHl ha:
Jugeons Pelle enrichit vers les fiecles fuiuans
Le/ouuenir quUls ont du long fil de /es ans^
Ou pelle Vapauuritj d^orageu/e nuée
Couurant toute /a vie affe\ ia dénuée
De /oyme/me, de vraye & plus digne clarté^
Veu les dons qui en elle extrêmes ont efté^
Pour rendre par Empire, & puijfance, & riche//e,
Vne lueur qui /ufl des grandes lueurs maifireffe.
Mais elle affei^ défia malheureu/e en grand heur,
N^ayant pas /on mérite égal à /a grandeur.
En /a richeffe encor quelque peu /ouffreteu/e^
De ce qui iuftement pour rendre plantureu/e
La vie qui plus ferme & durable nous/uit^
St le viure premier à ce /econd ne nuit :
Me/me en /on grand Empire encor es mal adextre.
Non pas pour ne pouuoir extrêmement Vaccroiftre :
Mais pour n^auoir preueu que {peut eftré) il faudroit
Que le tort outrageux enfin cedaftau droit.
Au long fiege les murs, les cho/es ordonnées .
Par les Dieux, comme on dit, quxfins des deftinees :
Et pourtant n^auoir pas chaffé Voccafion,
Qfii petite euft bien peu fi grand^ deftruâion
Sur ce Règne apporter, fi Ion venoit permettre
Ce qui tant /oit peu me/me en bran/le Veufi peu mettre.
Et, fi faut encor dire, en /a puijfance extrême
Aueuglément /efit impuijfante/oy me/me.
Enfermant & bornant tout ce qu'elle pouuoit
De /es murs, oii trop grande a/feurance elle auoit.
Car fi ce grand Troyen iugé des Grecs barbare,
N*euft efté non plus qu'eux de /es forces ignare,
SHl euft eu le con/eily Vaddrejfe, & le deuoir.
r
Par lesJSeni, par luymefme égal à/on pouuoir :
Et fi dés que tes Grecs, qui/e me/contentèrent
De ce rapt, & les vns tes autres irritèrent.
Se mandoyent,fafreftoyent, eux Sieurs nausarmoyeut,
Et leurs diuer/es mers pour /'affembUr ramoyent,
Qu'ils attendoyent les vents fi long temps en Aulide,
Pour guileurplus grandcheffe rendit l'homicide
D'vne horrible façon, lors que par pieté
Faulfe & lourde excvfant l'énorme cruauté
Sur Vexecrable autel, au fang de tapucelle
fyliygeneil trempa fa dextre paternelle :
Et durant vtefme encor que de ce lointain port
lu/qu'aux bords Phrygiens leur route S leur abord
D'heure 5 en peu de temps, luy qui telle abondance
De biens tenoii che^foy, deuoil toute puiffance
Des fiens S des amis en Pkrygie affembler.
Qui trop plus que les vents, les Grecs eufl fait trembler.
Et pour qui dans Aulide eufl efié du tout vaine.
D'autres Vierges le meurdre S l'offrande inhumaine.
De loin dedans leurfein il eufi poujfé la peur.
Il euji de loin rompu le defiein S l'ardeur.
Car quel efpoir eufi eu d'enir'eux vn chef de guerre;
Si n'ayant que- des naus, S point d'armée en terre,
Ëtfçachant qu'vnefiote, encor qu'eflrangement
Effroyable & nombreux foit fon embarquement.
Ne peut pas prefque encor porter fi grand' armée,
Qtii: la moindre gui peut par lèvre efire menée,
Aueugle eufi entrepris d'aller lors conquefier
La terre où il eufi fceu fur terre faprefler
Trop plus puiffante armée, afin de le furprendre
En la defcente, ou bien l'engarder de defcendre?
Qui nefçait combien l'un trop plus que l'autre peut I,
Si rien fors qu'empefcher la defcente on ne veult?
Par vn nombre petit, lors qu'un bon chef commande.
Rembarrer mefme on peut la fiotte la plus grande,
lugeon donc quel moyen toute la Grèce eufl eu.
Si ce Roy Dardanide à fa force eufl pourueu :
DE lYLES CESAR. ' 253
De Je mocquer des Gi^ecs il luy eftoit facile ^
D* autant plus qu*à fon dos il euft eu fa grand^ ville,
Pour lors forte & munie, où mefme euft peu loger
Vn oft entier, en tout fucce:{ de tout danger.
Outre efpoir auenu, fil euft efté poffible
Au moins que Voft Grégeois luy fuft en rien nuifible.
En la forte quUci breuement Vay fait voir,
Et dont le prompt moyen h'excedoit fon pouuoir.
Car tant fen'ftnxt qu^ainfides grandes forces fiennes^
Sur les bords affrontant les naus Pelagiennes,
Il ne les euft au moins contraintes à ramer
De rechef leurs chemins ftllonne:ç en la mer,
Pour en ejffroy^ dédain, & honte, & moquerie.
Porter les leur chei( eux digérer leur furie,
Qjtefans doute ce Prince euft peu les laiffant prendre
Terre dans fes pays fans les riues défendre ^
En pièces les tailler, & femer par monceaux
De charongnes fes champs, des armes & vaiffeaux
Eftre maiftre, en vn rien priuer d^ honneur My cènes.
Gardant ces chauds fnaris d^auoir befoin d^Helenes,
Se fiant aux fiens feuls, & trop barbarement,
Qjie te croy, mefprifant tout aduertijfement.
Les laiffant aborder iufques au port Sigee,
Pour en leur prime abord voir fa ville affiegee,
Et ne penfant, ie croy, pour affaut ou bataille
Qu*il euft befoin de rien, fors que de fa muraille
Pour entière feurté, des propres enfans fiens
Pour chefs de tout combat, de fes feuls citoyens
Pour foldats, de fa haute & fuperbe apparence
Pour tout rebut des Grecs & toute fa deffence :
Q}ii pis eft ne fongeant, ce croy-ie, à tout le fort
Appareil de ces Rois ajfemble^, qui d^effort,
De haine, efpoir, & cœur^ & de force cueillie
De mainte force auoyent Vne force affaillie,
S*eftant mefme vn chacun en fon endroit forcé,
Trop plus qu'en mefurantfa force on n^euft penfé :
Bref, ne poifant^ ie croy, que fe voir che:( foymefme
Surprendre à Vennemi, c*eft vn péril extrême :
r
f
354 LBS DISCOVRS
Encore, S nonobjfaitt ce lourd ov fier mépris,
Dont la Mémoire à tort ne l'aurolt paiitt repris,
Que vit-ii arriuer aiiffi tofi qu'à la riue
Troxenne telle armce en mille naus arriiie?
Tant ejloit grand & fort S haut de ce Roy ci
Le pouuoir : & quoy doncq, fi le prévoir auffi
Grand S haut, comme luy par con/eil braue S fage.
Au pouuoir eufi donné de foymefme Pvfage?
S'il faut croire eeluy qui mefmement en gloin
De fes Grecs a gardé dans/es vers la mémoire
De Vafpre & langtie guerre, auffi tofi que dede
Ce haure cet Grégeois apparurent ardeiis
De vanger leur iniare, & que les TVorvnï veirent
Qli'arme^ d'armes & cœurs fur la greue ils faillirent :
Eux au rebours enjlej, afpres, 8- forts, & durs.
Au hafarji du combat, en laijfant de leurs murs
Lafeurlé, marchaiis roide S droit fe prefenterent
A l'ofi dcfambarqué qu'en fureur ils chargèrent,
Doanans puis çà, puis. là, puis tantofi de camrs grands,
Efcartans ceuj: ^tit ta vovloyeni prendre des rangs :
Puis courans renfbncer taniofi de cul & tefîe
Ceux qui rangea tenaient defta leur troupe prefte
Pour d'ardeur fovftenir le choc, S repouffer
Ceux, qui pour tofi les rompre enrageoyent d'cnjbncti
Sur d'autres, qui non pas par froideur ou pareffe.
Mais d'autant que {peut efire) itauoyent en la preffe
Des vaiffeaux, leurs vaiffeaux, ou que plus efloigm^
Ils les auqyent du bord, ou bien qu'embefongnei;
Aux charges Us efiqyent, pour faire en ordonnance
Tenir leurs naus, S mefme y laiffer refifiance ."
Ou bien à tous deuoirs, dont lors auoit b^oin
Selon la loy guerrière, vn grand ordre & grand foin
Qu'il leur falloit auoir de tout poinS ntceffaire,
Et duifible S gaillard qu'il leur conuenoil faire
Pour l'égard de la mer, ou d'autant qu'ils efioyent
Embe/ongnej à ceux qui encore fortoyent
A la file, & de rang, & qui dés leurs Jbrties
Rendoyent agilement leurs forces départies
DE IVLES CESAR. 355
Par troupes : car encor ils n'auoyent eu loifir
De drejfer bataillons & tout ordre choifir,
Us auoyenf feulement entre leurs Capitaines
En leur chemin conclu les chofes plus certaines.
Pour au faillir premier le de/ordre empefcher^
S* on venoit viuement leurs \gens efcarmoucher .
Plujieurs donc de ces qhefo yoyent que Vefcarmouche
Si forte à leur me^ris^ ainssfi. leur perte touche y
Si les Troyens voy oient mettre àfimg cespremiet^.
Et croyans de pouuoir faire ainfi des derniers^
Faifoyent encor de/lors faillie fur faillie ^
Dont i%fqu^au creus des naus fujt leur flote ajfailîie :
Et tore entre les cris des bruyans matelots^.
S^entrehafient de gejle, & de figne, & de mots,
Et monjtrent en tous trois quHls vouloyeni de courage i
Indomtabie domter cejte aduerfaire rage.
Les vns font leurs vaiffeaux du riuage approcher y
Les autres font les leur aux prochains accrocher ^
Puis pajfans par plujieurs fautent d^vn pié deliure
De tilti^ en tUlac, aux leur fe faifans fuiure :
Les autres, font leur naus au largue depeftrer ï
D* entre lapreffe drue, & pour bien tojl entrer
Au plus près des combats, feflongnans vn peu prennent
Vn tour ny long ny court, les vns en cernant tiennent
Vn tour plus long,, afin de pouuoir fortir mieux l
En ordrey & fe trouuer tous rangea fur les lieux \
De Vachatmé combat, les autres d^ autre forte
Fontfembler qu^au riuage vn vol léger les porte,,
Tant ils font roidement leur galère arriuer.
Pour plus vijte la gloire auecq les coups trouuer ,^
Chacun boufi & fremift, nul n^eft qui ne dejire
D^ejtre pluftofl dehors que dedans fon nauire :
Mais le deuoir le nie à beaucoup, & meftier
n rCefi point de tirer tout Vexercite entier
Contre telle faillie, encore que V encombre • '■
Que faifoitfoni effort fujt plus grand que le nombre *
Si eft-<e, que ie croy, que ces Grecs peftonnans
Des boffkares fMats fi vaillamment donnons.
r
356 LES DISCOVRS
Et outye efmeus, pique^ & bruflans, n'aperçoiueiU
Refler prefque en leurs naus qae ceux qui rejler doiuent.
Tandis ces Phrygiens non feulement bourroyent,
Et de ceeur S de coups foudroyans rembarroyeni
Les premiers dtfcendus, mais bien ceux gui furlirent
Prefgu'à Pheure rentrer dedans leurs vaiffeaux feirent :
Car fi tofi qiCoa les voit allie^, prefente^.
Et en diuerfe place afprement affronte:;
A ces fiers Dardanois, de prime effitrt Je fenlent
Cliargc^, preffe^, fitrce^, fi fort qu'ils fe/pouuCnlenl
Tantofi, S puis tantqfî reprenons leur vigueur.
Recueillant S leur troupe, & leur farce, & leur ceeur.
Us vont tenons, donnans, pouffans, & tant renforcent
El le nombre & l'effort, qu'à leur tour prefque ils forcent
L.'eniteYay, qui pourtant de fes barbares voix
Plus effroyable qu'eux, d'vn large S long pauois
Plus couuert qu'ils n'eftoien t des courts boucliers de Grèce,
De fon foudain deffein, d'orgueil, d'ardeur, d'afprejf».
D'effort hardi, robufie, aueugle, & hefardeux,
Eftoit, ie croy, pour l'heure encor plus pouffé qu'eux'.
Contre quay le Grégeois vante fon auaniage, IflJU
Que luy baillait l'adreffe & conduite pluafage ; ^^^
Qui plus efi, ilfefenl époint outre cela ^^Ê
D'vn dépit enfiellé, d'vn creutceeur qu'il ha, -J^
De voir qu'à fi grand'Jbulle vu peinte effranger aille-
En fa terre, en fon haure, aupié de fa muraille.
En brauant menaffer le Roy, les enfans fiens,
Et du peuple len murs, les ieftes, S les biens :
Il efi encore mefme enflé qu'à la rencontre
Première qui fe fait, le menaffeurfe monftre
Plus eftonnê, mains roide, S- moins ardent alors,
Matigré les cœurs repris, & les doublés efforts
Des Grégeois, les menant bâtant de place en place,
Souuent iufqu'à Pendroit de leurs naus il les chaffe.
Tant que plufieurs d'entr' eux fans rien plus hafarder,
Prefque confeilleroient de rentrer pour garder
Leurs naus, en fe gardans dedans leurs naus foy mefme,
Dont ils pourroienl forcer tout effort plus
DE IVLES CESAR. 257
Auec les traits volans, auec Us dards lancej.
Et qu'après fur la greue ils combattraient affe:ç :
Qu'on ferait mieux pour lors y attendant que fut faite
Leur pouruoyance à tout, de tendre à la retraite :
Qn^pn grand barbare effort faufienir Ion ne doit y
Tant que tout efprouué, tant que tout preueu foity
Et par art ordonné^ mais fi ces raifons crues
Dans ces gens refroidis^ par eux fe fujfent creues
Du tout, ie croy, qu'à Vheure on les euft pourchaffe^,
Efpouuentes[y batus, maffacre:^, S-force^,
lufqu'en leurs propres naus réduites au pillage,
Ainfi que ces fuitifs au meurdre & au feruage :
Parmi lef quels pour tel carnage exécuter,
Pefle méfie on euft peu ces Troyens fe ietter,
Suiuant de bois en bois, par tout fe faifans maiftres,
Plus par defordre &peur que par leurs propres dextres.
Mais ceux quifembloientprefis dansfoymefme de prendre
Tel confeil, leurs auis foudain viennent reprendre.
Se rechauffans eux mefme, & les autres qui font
Par tout en tel deuoir qu^aux Troyens tefte ils font,
S'encourageans des coups, à la longue cognoiffent
Qfie d^vnpeu ces Troyens plus laffe^ leur paroiffent
. D'efforts plus longs & grands, & fi bien les fouftiennent.
Que peu p en faut qu^ égaux tous les deux nefe tiennent,
Auffi croy^ie que ceux qui fur tous autres furent
L*efpoir des peuples Grecs^ & qui toufiours parurent
En dix ans que dura ce long fie ge odieux.
Vrais demi-dieux eux mefme, ou fort aide^ des Dieux,
Purent ceux qui deuant, & lors que plus ils veirent
Qfte les inefpere^ forcemens le requirent,
S*eftans tous les derniers en fureur debarquesf,
Tous les derniers Peftoient aux vainqueurs attaques^.
Si dés Vabor dément qu'en ces riues Troïques
Se ietterent dehors ces troupes Argoliques,
Et deflors que foudain ces Teucres enflamme:^
En grand nombre & grand ordre efioyent faillis arme:{,
Euffent voulu d'entrée éftre de la méfiée
Auecq le moindre Aiax qu'on nommoit Oïlee,
lodeîle, — II. 17
I
^
258 LES DISCOTRS
L'autre Aiitx au bouclier quifepl Jbis double efioit,
Et le Roy Menelai grand guerrier, guifentoit
Plus fort l'outrage Jien, puis l'autre Roy fort frt
Qui choifi pour feu! chef de l'entreprife Jîere,
Roy des Iwmmes efloit, S pour au grand effort
Adioufter fuT le champ quelque tour plus accorci,.
Vlvffe en tout meflé^ qui, de peur qui ne cède
Maugréjon dol , prendroii Aiax ou Diomede
Près de fox pourfouftien, ce braue S furieux
Diomede qu'on feint auoir nauré les Dieux :
Fuis fur tout autre encor le fils de la Deeffe
Tkelis aux pieds d'argent, qui d'extrême vtteffe
■ Méfiant Pextreme effort pour courir aux dangers
Plus grands fejl bien peu dire Âchile aux pieds legt
Qui quelque iour deuoit venger après les larmes
Defon dueil, fon Palrocle occis deffousfes armes
Par He&or fort trompé, quand l'autre il aperçoit
Deffous Varmet, au lieu qu'vn Achile il penfoit
Mettre à mort, qui vengeant fon cher Menetiade
Fit tout d'vn coup eejfer la Troyenne brauade.
Car en crainte & frayeur Heâor auoit tenu
Ces Grecs, tant que f^oit ce Pelide abjlenu
De combattre en fa nef, mafchant Vire enflammée
Pour Brifeis au lieu de Crifeis meitee ^—
Au fier Agamemnon, qui pourfe voii- lollu ^1
Son butin, le butin d'Achile auoit voulu : ^|
Mais l'ami fut piqué du regret de la vie, ^
Qui au lieu de la Jienne à V ami fut rauie.
Plus qu'il n'ejloit des morts, & pertes des Grégeois,
Des prières de Vofl, & de leurs autres Rois,
Ni des riches prefens qu'on luy prioit de prendre
Auecqfa Brifeis qu'à luy l'on voulait rendre :
Il f arme, & de colère agilement fautant
Sur fon char, va fon œil tout embra:^é iettant
Par tout le camp, pour voir fi ce grand Priamide
Tueur d'hommes viendrait encor au vray Pelide
Furieux p attacher : luy donc par tout faifott
Tourner Automedon qui fon char conduifoit
1
DE IVLES CESAR. 259
Galopant, dédeignant toute cargue, fors celle
Où Vamoury la vengeance, & la rage Vappelle,
le ne veus pas ainfi que Vaueugle fonneur
De ce braue duel croiftre à Vvn d^eux Vhonneur
Sans mefure, en faifant deux fi grands capitaines
Courir fi fiyrt à pié quHls perdroient leurs haleines
A tourner quatre fois les murs d'vne cité,
L*vn épouantant Vautre, & Vautre épouanté
Plus que n*efi la perdris, qui ia trois fois remife,
En repartant fe void par Vautour prefque prife,
le ne veux point encor en couurant d*vn defiin
Vne lafche, fuitiue & trop couarde fin,
Pfiuer Vvn d*eux d'honneur, & par fin fi chetiue
La racine arracher de la menioire viue
De eeluy, fur quifeul tant nos premiers François,
Et nos pères & nous, qu*auffi nos premiers Rois,
Et tojr. Sire, qu'on void héritier de leurs gloires,
Auons toufiours pofé de nos hautes mémoires
Le tige S- fondement, mefme il ne nie plaifi point
De me laiffer aller lourdement fur tel poind
Auec VanHque erreur, qui tache en vain de feindre '
Aueuglêment qu'vnfeul Achile peut contraindre
La fortune fi fort, que pour forée qu'il eufi.
Et pour tout cœur nouueau que fa prefencepeuft
Redonner aux Grégeois^ i^çoy que Ion f efforce
Mefme de faire faire à luy feul toute force.
Du fang des hommes Grecs, comme fous la nuid noire
Vn loup dans vn troupeau rougiroitfa machouére:
Combien qu'à vray parler, tant Heàor que tous ceux
De fa part ^ fous V effort ferme & non pareffeux
Des Grecs rencourage:{, commençaffent adonques
De fouffrir au combat plus quHls n'auoyent fait onques :
Car ces Héros, ces Rois, ces autres chefs bouillans,
Auec les leur peftoient cent fois fait plus vaillans,
S^çachans que leur efpoir ce grand Pelide, en place
Viendroit pour affi^onter d'Heâor Vhorrible audace,
Et que fes Myrmidons à la guerre bien nés.
Pour f^rand renfort feroient auec luy ramené^ :
958 LB9 niscoviis
L'tOàtrt AidX au bouclier qui/gpt fi>is double efloil,
El le Roy Mentlal grand guerrier, quifentoit
Plui fort l'outragt fien, pvii Vautre Roy fon frère.
Qui ehoifi pourfivi chef de l'en<reprije fiere,
Ray des hommeê fjlolt, & pour du grand effort
Adiou/ier fur le champ quelque tour plut accord,
Viyffe en tout mefté, qui, de peur qui «e cède
Maugré fon dol , prendrait Aiax ou Dîomede
Près de foy pour fouftitn, ce braue S furieux
Dîomede qu'on feint auotr nauri In Dieux :
Puis fur lou e encor le fils de la Deeffe
Thelii aux j,. d'argent, qui d'extrême vïtefft
■ Menant l'exIi ^ effort pour courir aux dangers
Plus grand. bien peu dire Achile aux pieds legei
Qui quelaui deuott venger après les larmes
De fon . .... Palrocte occis degous fes arme
Par Ht trompé, quand l'autre il aperçoit
Deffous 1 ui» au lieu qu'vn Achile ïl penfoit
Mettre à mon, ,fui vengeant fan cher Menetiade
Fit tout d'un coup ceffer la Troyenne brauade.
Car en crainte S frayeur Heâor auoit tenu
Ces Grecs, tant ^.le fefioit ce Pelide abyienu
De combattre en fa nef, mafchaat l'ire enflammée,
Pour Bri/eit au lieu de CrifeU menée
Au fier Agamemnon, qui pour fe voir toliu
Son butin, le butii d'Aehile auoit voulu :
Mais Carni fut piqué du regret de la vie.
Qui au lieu de la fienne à l'ami fui •aiiie.
Plus qu'il n'ejloit des morts, & pertes des Gregeais,
Des prières de l'oft, S de leurs autres Rois,
Ni des riches prefens qu'on luy priait de prendre
Auecqfa Brîfeîs qu'à luy l'on voulait rendre ;
Il f arme, & décolère agilement fautant
Sur fon char, va fon ceil tout embra:^é iettant
Par tout le camp, pour voirfi ce grand Priamide
Tueur d'hommes viendrait encor au vray Pelide
Furieux f attacher : luy donc par tout faifoit
Tourner Autamedon qui fon char conduifoit
1
I
DE IVLES CESAR. 259
Galopant, dédeignant toute cargue, fors celle
Où Vamour, la vengeance, & la rage Vappelle,
le ne veus pas ainfi que Vaueugle fonneur
De ce hraue duel croiftre à Vvn d'yeux Vhonneur
Sans mefurCy enfaifant deux fi grands capitaines
Courir fi fort à pié qu'ils perdroient leurs haleines
A tourner quatre fois les murs d'vne cité,
L^vn épouantant Vautre^ & Vautre épouanté
Plus que n'eft la perdriSy qui ia trois fois remife,
En repartant fe void par Vautour pref que prife.
le ne veux point encor en couurant d*vn defiin
Vne lafche, fuitiue & trop couarde fin,
Priuer Vvn d'eux d'honneur, & par fin fi chetiue
La racine arracher de la menioire viue
De eeluy, fur quifeul tant nos premiers François,
Et nos pères & nous, qu*auffi nos premiers Rois,
Et toy. Sire, qu^on vaid héritier de leurs gloires,
Auons toufiours pofé de nos hautes mémoires
Le tige & fbndement, mefme il ne nie plaifi point
De me laijjfer aller lourdement fur tel poinû
Auec Vantique erreur, qui tache en vain de feindre "
Aueugîément qu'vn feul Achile peut contraindre
La fortune fi fort, que pour force qu'il euft.
Et pour tout cœur nouueau que fa prefencepeuft
Redonner aux Grégeois^ i^çoy que Ion f efforce
Mefme de faire faire à luy feul toute force.
Du fang des hommes Grecs, comme fous la nuid noire
Vn loup dans vn troupeau rougiroitfa machouêre:
Combien qu'à vray parler, tant Heàor que tous ceux
De fa part^ fous V effort ferme & non pareffeux
Des Grecs rencourage:(, commençaffènt adonques
De fouffrir au combat plus qu'ils n'auoyent fait onques :
Car ces Héros, ces Rois, ces autres chefs bouillans,
Auec les leur peftoient cent fois fait plus vaillans,
Sçachans que leur efpoir ce grand Pelide, en place
Viendroit pour affi*onter d'Heâor Vhorrible audace,
Et que fes Myrmidons à la guerre bien nés.
Pour f^rand renfort feroient auec luy ramené^ ;
^
260 LES Discovas
Mait ce iour H voulut que Its fits attachaffent
Premier, puisque tous d'ordre S de cœur fjrpoujfajfent.
Et puis pour V» rffray tout faudain des Troy-em,
Contre leur efperance it decochaft lesfiens
Sur eux, iuy fur Hedor : or il voit donc qu'à l'heure
Aux cris des Myrmidons Heâor planté demeure
Surfon char, il rappelle, S le faifant tourner
Voit orgueilUr fon gefie au lieu depejionner :
Car il çognoiJI eeluy qui plus pouuoit/a Troye
Faire de Myrmidons S d'autres Grecs la pruye.
Dont la mort p__. •it plus enfemble auantager
Sa terre auec fa 1 oire, & la Grèce outrager.
Leurs guides foui ursiioixfbntqu'ardemmenl décochent
Lescheuauxdesi x chars quiVvn de Vautre approchent,
Mefme auaat . -ocher ces Héros en courant
D'vn bras roid 'ont leurs iauelots tirant :
Le coup d'Hei.,^, jimbla plus que l'autre effroyable,
Mais Achile a le corps par tout inuulnerable.
Fors qu'en fon talon feul, par qui Thetis dans l'eau
De Slyx le tenait lors qu'elle charmait fa peau.
Par tille trempe: ou bien Payant renouuellee, ^^1
Comme autrement on feint, après Vauoir bruflee, , ^^^|
Pour ce qui ejloitfien faire à la peau rejter, 3^|
Et tout ce qui eftoit du Père Iuy ojler, J^B
Mais fans croire à la feinte, au moins fi &eft hijioin,
Non pas fable qu' Achile & gu'HeSor, il faut croire
Qu'ejlans outre nature étrangement tous deux
Vijies, roides, & forts, adroits, hautains, & preux.
Des autres pouuoit bien leur chair eflre eflimee
No» vulnérable, ainçois contre les coups charmée.
Ce que l'vn fit paroiflre en ce combat mortel.
L'autre auffifirt long temps, mais il ne fufi pas tel
EJlimé fur la fin, quand fa proueffe agile
Et forte, vint céder au coup fatal d'Achile.
Or ils n'eurent pas donc fi lofl lancé ces dards,
Qh'i'Jj voyent retourne^ eu à eu leurs deux chars.
Tant quefe rencontrons fi près, de violences
Incroyables faifis, pofent vnpeu leurs lances
J
DE IVLES CESAR. 261
Qu^en la gauche ils auoient, fur les chars, pour après
Les reprencffe & darder lors quHls feroient moins près.
Ces lances n^eftoient pas ni groffes, ny pefantes,
Ni toufiours vers le bout plus fort pamenuifantes ,
Sans arrefl fans poignée en hault ils les portoient,
Pour les lancer, & rien des nojires ne fentoient :
Et combien -queplujlojl elles euffent femblance
De iaueline en fer & en bois que de lance.
Lances on pouuoit bien les nommer du lancer,
A quoy Ion voy oit plus ces vieux preux padreffer :
Laiffans les lances donc, & pour ce que leur rage
Prompte brupoit après les coups & le carnage.
Et pource quHls vouloient plus fort que de la nue
On ne voit cheoir la grepe & groffe & forte & drue,
Affouuiffant leur faim tant fanglante, venir
Aux coups & drus & forts & durs à foujlenir,
Croyans faire par là plufïofï que par Vadreffe
"De bien darder vn bois remerquer leur proueffe,
Outrecuide:{^ penfans defarmer & tailler
L^vn Vautre en vn> moment, comme on voit écailler
Qjtelque. horrible poiffon dur d'ecaille, & Vatteindre
-Dans la chair, Vécaillantfi fort qu^on le voit teindre
Defonfangpav^ endroits^ afin que quand V écaille
Eft ojtee àfon gré, par pièces on le taille,
Enfembledonc tous deux fans que Vvn regardafï
Aux premiers coups de Vautre, & qu'en rienfe gardafl
Que les Troyens pour luy perdiffent tout leur cueur,
Que Priam neprefchafl à fon fils que la peur
Qji^vnfeul luy deuoit faire, & combien que'lonface
Heâor objiinément V attendre en vne place
Sans oncq vouloir entrer aux portes, que pourtant
Toutfoudain il pallafï fi fort efpouuantant
Le voyant fur luy courre, & que tous ceux de Troye
Comme fi cent éclats du Ciel quand il foudroyé
Fuffent tombe\ entre eux, auec tant d^ autres forts
Peuples & chefs venus à leurs fecours pour lors,
lufqu^à vn tous perdus aux portes accouruffent,
Se ferraffent dedans, fans qu'en rien fecouruffent
{yfjpoir, d'kontmett 4t trdilt, de quelque autre deuoir.
Contre vn/eul l'hotnme/tul, qu'ili iugeoicnt leur efpoir :
Eujc qui auparauatit long temps viûorieux,
Ayaiis par leurs efiours fréquent S furieux.
Apres neuf ans fitreé cm troupes Danaidea,
De Je vouloir fauuer par les roules liquides.
N'y voyaient point pour lors d^accroijfaace plus grande,
Sinon iCvn homme feul S d'vne feule bande.
Voire encorfe voyaient fains S-faufi, & qu'encor
Sain & faufleur refiait ce magnanime MeSor,
Qui deuant lan, ftiï ajfaillaal leurs grand's troupes
Sentant le ckamti morts, & dans les creufes poupes
Dardant les , ngeurs, pouuoit plus effrayer
Q)ie ce graai qu'vn Grec menteur fait Jbudroytâ
Q/iitanI defi... — t pour fe^rcer d'abattre
Son orgueil, défi" eul à feul le combattre.
Et mcfme alors ^ -n fein t que cliacun fe rendait
Fuitif dedans les ...irs, de pie coy l'attendait :
Comme mefme vne ^lle incroyable contrainte.
Par vn feul, ne m'i ,i rien que vaine S lourde feinte !
Four menfonge li 'ux tout autant reprouuer,
Vn Phebus defce.. ntpour Heâar preferuer,
Minerue contre h 'or haranguant à/on père.
Par lupiter enfin l'I dejlin imprafpere
De mort, contre cet ly d'Ackite balancé
Dans la balance d'à - fefire à l'heure abaijfé,
Cejtc mefme Deeffe aux yeux vers dcfcendue.
Afin que telle vie à tel poinâ fujt rendue :
Son Achile exhorté par elle, le moyen
Défaire Heâor tourner, puis du vifagefien.
De l'habit, de la forme, vn faux Sfoudain change,
Pour vers Heâor vfer de trahifon efirange
Se faifant Deiphobe, vn encouragement
Simulé qu'elle donne, vn prompt recueillement.
Pour à tort rebailler la lance Peliade
A ce Pelidefier, qui trompant fa brauade,
Auoit failli d'atteindre HeSor, qui n'eufi failli
Achile, fi fon coup du bouclier recueilli
DE IVLES CESAR. 203
N^euft efté deftourné : Puis Vautre ieâ de lance,
Dont luy qui fur Heâor tout armé la relance,
L'atteint vers le gojier, ce que ie penfe encor
Eftre de tout ceci le plus vray : car d* Heâor
Oeftoit Varreft fatal, de voir vn iour finie
Par la lance qu'on dit Peliade, fa vie :
Puis du mourant encor & du viûorieux,
Les mots vn peu groffiers & trop iniurieux
Pour vn vainqueur honnefle, & trop abiets auffx
Pour le cœur d^vn vaincu, tel qWefloit cefïuy-ci :
Puis tant d'autres façons de la fable afforties
Souuentji mal, qu'au vray f elles n *efloyent parties
De telle antiquité vénérable à toufiours,
Mefme tant en celuy qu'en tayit d'autres difcours
Onpen pourroit moquer, n'ejloit que l'affluance
Si grande des beaux traits que iuflement on penfe,
Et hauts, & bons, & mefme au poète decele\
Par les Dieux, font parmi telles chofes mefle:(.
Dont Vadmiration doit tourner la rifee
En Vhonneur d'vne Mufe en tous fiecles prifee.
Mais moy qui ne veux pas laiffer ore outrager
Ce qui nous appartient, & qui veux reuanger
Vne mémoire haute eflrangement bleffee.
Par qui ta grand' mémoire & la noflre auancee
Pour iamaispeut bien efïre, & qui me penferoiSy
Qiumd du coflé des Grecs mefmement ie ferois,
Leur mémoire auancer, en rendant inutile
Comme fableufe en tout la viûoire d'Achile :
le veuxfuiure Vinflinà gaillard que ie reçoy.
Que par refentiment celefle i'apperçoy
EJlre vray, pour le moins plus femblable à Vhiftoire,
Si quelqu'vne en efloit que vrayment on peufi croire :
Car Didys & Darés font fuppofe^, encor
Le Grec Diâys n'euft fait ainft mourir Heâor :
Et fous tel inflinâ libre en briefie te vois faire ■'-
D'vne façon qui plus te peut & te doit plaire,
Combatre noflre Heâor, encor qu'vn fort fatal
Trop enuieufement foit fur luy tourné mal.
\
s64 ^Bs
Ce grand Ptlide armé de corps, de bras, de tejle ,
Maisfur fort mùriaii n'ayant pas cefie ciefte
Effroyable, qu'auant il y /aifoil foter,
Ti-op marri de fe voir d'autres amies porter,
Sçachant mefine qu'Heâor auoil les Jieiuies prifes,
Surfoy par le combat de Palrocle conqui/es.
Fort S fier, haut & droit, S bruflant de bien faire.
Sur fon char qu'il fait bruire, S dans ce champ eclcUn
D'vne face enjlammee, ainfi que Ion peut voir
Vn tonnerre fiambant, lors qu'il ne vient pas choir
En pierre, mais ei flamme, & qu'en forme de boulle
Rouge bruyant, Ji ant, dans les champs ilfe rouUe
Tout auffl toft qu'il voit Heâor le fort des forts,
Dont le bras iufqu'au coude eJloU tout rouge alors.
Me/me auant que fichej d'rne affeurance extrême.
Front à front, eeil dans ail, dpié contre pie mefme,
fis recherchaffent l'art , l'vnfur l'autre auancé
lufqu'à moitié du fer, de nerfs bande^ haujfé.
Tant que leur bras efi long, en mefme injlant déchargent
Leur coupfuiui de coups, dont l'vnl'autre ils fe chargent
Plus que Vulcan l'enclume, ayant dés l'aborder
Avec vifieffe S grâce, S force, fans tarder
la pieça mis au poing leurs trenchantes efpees,
Noirafires de couleur, larges & bien trempées,
Aufquelles cedoit lors le clair iour en clarté.
Et de leurs bons harnais tout l'acier en durtê.
Toutes les fois qu'en l'air incejfammcnt mouuaates,
Efcartoient leurs lueurs, ou bien que retombantes
Coup fus coup dextrement fans beaucoup efpier,
Faifoient fembler qu'en plomb fuJI conuerti l'acier,
Au moins celle qu'Heâor roùoit dedans fa dexire,
El dont il chamailloit d'elle le propre mai/tre.
Sur l'épais morion faifant appefanlir
Le roide S dru chaplis, horrible au retentir,
El quifouuent remplit d'efilncelles laplace.
Ou bien faifant les coups tomber fur la cuirajfe.
Et plus fouuent encor deffus vn acéré
Pefant & grant bouclier, dont alors fut paré
i
DE IVLES CBSAR. 205
Par Achile maint coup^ quand le Troyen p efforce
D^vne fubtHité méfiée à Vafpre force,
En feignant quelques coups y les ramener tout droit
Deffus la face nue, ou fur tout ce qu'on voit
En luy de decouuertj entre la cuiracine
Et le fort morton, ou de rufe plus fine
Sur Vvne & Vautre efpaule adroitemmt^tionnant,
Les courrayes trancher^ qui feules vont tenant
Le corfelet fermé, pour après Vouuerture
Trouuer ce qui n^a pas refiftancefi dure,
Veu Vàrt & veu V effort qu*à V heure on ne croit pas,
Le voyant & Voyant fortir d^vn mortel bras y
Tu as vrayment alors digne fils de Pelée,
Grand meftier de grand force aux addreffes méfiée.
Et grand meftier encor d'auoirfur toy tout bon
Corfelet & braffals, bouclier & morion :
En flatant noftre los, pourtant ie ne veux dire
Que ton parti nefuft touchant ces armes pire.
Car de celles que lors Vaduerfaire portoit.
Meilleure de beaucoup chacune pièce eftoit,
Auec les autres deux la cuiraffeS- Vefpee
Dans la forge JEtneanne auoit efté trempée.
Et polie, & garnie, & richement encor
De relief burinée, & tant d'argent que d'or
Couché dedans V acier par hiftoires ornée,
Qjti fembloient viure en Vœuure, en qui la deftinee
D^Heâor & ton trophée on pouuoit fur tout voir :
Heâor mefme les vit, fans pourtant, enfçauoir
Pour V heure rien cognoiftre^ & ne penfa que fuffen t
Chofes qui fur Achile ou fur luy tomber deuffent :
Malheureux de porter ignoramment fur foy
Defon cruel deftin la trop iniufie loy.
Dans ce mont, qui fans fin fous la grand* forge fume
Vulcan le forge^foudre auoit deffus Venclume
Tourné tout cet ouurage, & luy mefme qui peult
Par vn grand art former aux métaux ce quHl veult.
Des Cyclopes aydé pour batre, ou dans la braife
Mouuoir le fer^ ou bien ranimer la fournaife,
17'
De fa maitis inefme auoit Ji luifamment poli
Tel ouvrage, S de tant iPhiftoires embelli
Sur tout, ou bien par trempe, ou par force diurne.
Donnant ene durté prefque diamantine
A telle efpee, & mefme aSe\ endurciffant
Le refie, pour garder que rien fallafl fauçanl.
L'aeuure fait, il bailla tel prefent à ta mère,
<^i pour te le forger à ce Dieu fit prière.
Tachant faire par là qu'en toy, qui fus humain
Du cojlé paternel, de la Parque la main
Pour trancher Ion beau Jil Ji toji ne fufl haflec *
Ta vie toft après pourtant le fat ojlee.
Quand pour venger Heâor au temple d'Apollon,
Tufits occis d'vn trait par ton fatal talon.
Ou fi ce que t'ay dit des armes n'efl encore
Que feinte, dont tant plus Heâor ie de/honore.
Encontre toy Parmant de tel prefent fatal.
Dont me/mes il la fceu faire eneor aucun mal.
Si faut-il maugrè moy confejfer fans faintife.
Quelque part qu'eufl eflé Varmeure par toy prtfe.
Qu'en tout cela que toy, Prince, auoir tu pouuois
D'armes dans tes vaiffeaux, au que tous autres Roii
Auoient dedans les leur, Méfiait l'armeure à l'heure
Qlti en chacune pièce ejloil bien la meilleure,
Fufl morion, cuirajfe, # bragals, & bouclier,
Semblans, tant efioit bonne S la trempe & l'acier,
Fatallement feâs : mais vcu que tel orage
De coups tombans d'en/mut, d'effort, rage, £■ courage.
Dont Heâor bien payé par les bras tant & tant,
Va fur toy comme toy dejfus luy rebatant :
Il faut que prefque autant foit bonne & forte. S- dure,
Chafque arme que tu as qui tant d'efforts endure,
Et puis ayant affej de l'horrible vaillance
D'Heâor, que de la tienne armeure cognoiffance,
Tu ne te ferais oncq en tel combat ietté.
Si par trop contre toy l'auanlage eufl eflé.
lufqu'ici donc ces deux ont eu prefque vne egalte
Puiffance, mais la fin à tous les deux fatalle.
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268 LES DtSCOVRS
Que quand Vukait alors que d'un infatigable
Trauail faifoit forger ce harnois infauffable.
Sur quipobjline Achite, au moins fil/aut ici
Me plaire de recbef en ces flàions ci.
Et que ce Dieu parmi fa troupe ren/rongnee
De Cyctopes autour de Cœuure embefongnee,
Auec retetttijfani afian^ S- d'vn gros bras
Qui par compas fe voit tantofi haut, tantofi bas.
Bâtant S rebatant aprefloieni les matières
Plus rudes, dont Vulcan fit ces armes entières :
Ou quand Pœuure fbrmé fur Penclume on mettait,
L'enclume qui de plainte éclatante tintait,
Pour d'vn gros marteau batre vne des pièces feule,
La portant tofl après eclarcir fur la meule ;
Aufft fort tout cela qu'auoil Vulcan batu
Pour Açkile, d'Achile eftoit lors rebalu.
Ainfi tiniamarrant par renfort Vvnfur l'autre.
Le Grec en fin f aillait fur le cheualier nqfire,
Lajfant, & mefme encor laffé des coups trop lourds
Que renforçait MeÛor : mais Heâor au rebours
Plus fort, plus vigoureux, plus nerueus, de la peine
Accroiffoit fa valeur, fan ame, &fon haleine.
Et ces trois qui dans tuy de plus en plut croiffoyent,
Faifoyent qu'elles par fbrce en l'autre renaiffoyent :
Tant peut vite louable & genereufe enuie
Exciter la vertu, quand non pas de la vie
Moins chère, mais il va de ce tant cher honneur,
Q}te la vertu fe fait " de tous travaux feigneur.
On diroil tes voyant que Ion voit mainte cfiofe.
Que plus efpouuentabie vn efprit fe propofe.
En tout cela qu'on trouue au monde rechercher
Auidemeni l'vn Vautre, & Vvn Vautre attacher:
Mefme attache^ ainfi rendre en eux acharnée
Leur rage par moments entre eux remutlnee,
Soit inflinâ naturel de haine entre les deux.
Qui le face, ou de proye, ou deftr hafardeux.
Mais que me feruiroit pour comparaifon telle
Enfuiure ou inuenter ckofe vieille ou nouuelle,
DE IVLES CESAR. 269
Veu qu^auec tel combat rien ne peut J^affembler,
Qui tant extrême peut foymefme reffembler?
O que c^eft peu de voir la furieufe attache
De deux Taureauxplus grands, que V ardeur d'vnevache
Plus qu^onques on ne vit, forcenés^ brufleroit,
Et durant rage telle au combat poufferoit.
Mortellement ialoux, aimans mieux en leur flame
Et penfenient brutal perdre en leurfang leur ame,
Que Vvn de Vautre maiftre à fon gré puiffe vfer
De la chofe en qui Vvn veut Vautre maiftrifer :
Tant qu*apres leur regards de trauers & la hargne
Des malins muglemens leur rage en rien n'efpargne,
Par cour/es & grands heurs mille fois redouble^,
Le teftf le front, les yeux, de leurs haines trouble:^.
Les tempes, ny la gorge, ou mefme la poitrine,
Qui de la vie endofe en leur cœur efï voifine :
Ains leurs cornes craquans Vvne en V autre, & leurs frons
Qjii femblent faire ouir le choc de deux grands monts,
Et leurs pies anime^ regalopans derrière ,
Pour faire plus grand coup toujîours plus grand carrière.
Ne defiftent iamais tant que Vvn de ces deux
Animaux, en grandeur & en fureur hideux.
Dont les yeux gros & ronds vne torche en eux portent,
Faifant fembler qu^au heurt les ejiincellesfortent,
Ait de fon compaignon la viâoire par peur.
Par grand playe, ou par mort, & du prix f oit vainqueur.
Ceferoit bien peu, mefme à telle horrible befte,
Ayant la dans fon fiel, dans fon cœur, dans fa tefte.
Par eguillonnemens embrafé peu à peu
L'audace & le dépit, la terreur, & le feu.
Mettre en tefte vn Lyon, gran(f, effroyable, & braue.
Qui de V antre fartant de marche fiere & graue.
Dédaigneux va rouant f es longs pas en circuit.
Et qui en rtrgiffant d^vn long & d*vn long bruit,
Rompt tout Vair, rebruyant, & tourne à lafeneftre
L^œil de trauers, que plein toufiours dHre on voit eftrc^
Dés qu^en tournant il a dans vn coin apperceu
Son Taureau, qui dédain & cowy^uxa receu,
îy2 LES DISCOVBS
Son écaille craquer, fa langue veneneufe
Dardiller, & branfler/a queue lortueufe,
Où la nature a mii U plusdefon ejbrl.
Qui plus en combatant à V Eléphant fait tort,
Ofe fe ruer fur la bejte trop bien née.
Pour ejlre a vn combat Ji vilain dejtinee.
Car non pas en grandeur excefjiue du corps
Seulement, & non pat pour fardeaux, pour efforts
Généreux, quifouuent ont peu feruir en guerre.
Elle va furpaffant les beflea de la terre,
Mais enfublilité de prompt entendement.
En douceur, en mémoire, & prefque en iugemenl.
Et qui du graue port grandement vénérable.
Par l'iuoire des dents fi grandes admirable.
Admirable en Rature , & de beau poil qui plaiji
Toufiours, & mefme plus lors que tout blanc il eft.
Toute autre befte, ainçois le ferpent homicide.
Qui quelquefois te tue auecfa probofcide ,
Le hapanl, le ferrant, ou bien Vejloufferoit ,
Ou mefme l'atterrant expirer le ferait
En l'affommant, foullant, ou de quelque autre forte
Triomphant en dédain de fa charongne morte.
Mais fouuent prefque en tout vn grand mal ejl égal
Au grand bien, pour le bien faire luter au mal,
Afin que la nature en tout par la malice
Donne aux mefmes bonte\ vn nuifible exercice.
De peur que ce qui ha receu d'elle trop d'heur.
N'ayant rien de contraire enfle trop fa grandeur.
En grand force de corps pour diuers égard prife.
En grand haine entre eux deux embrafement eprife.
Comme par mouuemens naturels en deuoir
De chercher ce qui peut vîâoire faire auoir,
En affaut, en repouffe, en longue & dure peine,
Oii fouuent ta longueur d'vn tel combat les meine,
En effroyable ardeur, de grands heurs ejtonnans.
De maints tours acharnej, d'horribles coups fonnans
Efpouuentabtement, de nuifances, morfures,
Prifes, depejlremens, & mortelles naureures.
DE IVLES CESAR. 273
£« ^âmf ôfttiV (Vinfinis JifflemenSf & en bruit
Dont V Eléphant par cris efpouuentables bruit.
En toute chofe donc fait elle auantageufe,
Ou contraire^ qui fuit telle guerre hidéufe^
On peut tel combat dire eftre égal, & pourtant
L^vn des deux ne va pas la viâoire emportant
A tous coups : car fouuent le dur fort a baillé
Sur VElephant viâoire, au grand monftre écaillé :
Souuentji cautement VElephant peuertué ,
Que fans danger de mort Vailé ferpent il tué,
Et quelquefois luymefme, ouf oit que fe trompant
n pueillê la méfiée acourcir en tombant,
P^enfant Vautre affommer^ fi fa groffe, pefante ,
Et grand* maffe il fait cheoir fur la pefte volante :
Ou fait que de tomber par force itfoit contraint ^
EJt€mt de plufieurs nœus par les iambes etreint,
Dont du monftre la queue incroyablement forte,
Le garrotefifort qu*en terre elle V emporte^
Far pfi deftin pareil en tombant il deffait
Vennemy, que creuerfousfa grand^ cheute il fait,
Et It^nnefme en creuant & tuant Vaduerfaire,
De ce kruflant venin extrêmement contraire
A fa nature f il va penuenimant fi fort
QuHlf*enfle & creue , & prend fa mort en Vautre mort.
Tels combats donc à voir f croient pleins d^horreurs toutes
Degrands dangers aux faits, mefme aux fins de grands doutes.
Sur ces trois points derniers plus au vray fe pourroient
Par ¥ers qui pour la chofe adapter difcourroyent
A tel combat Indique apparier Vaffreufe
HorreuTy le danger grand, Viffue encor douteufe
Du duel, qu^à cfianter ie me plais, y mettant
Autant de temps que prefque on mit en combatant,
Oeft grand horreur de voir comme aigris ils trauaillent
Comme peftourdiffans ils faffomment & taillent
Au bord des morions, au grand tour des boucliers.
Des brèches, & fouuent des éclats tous entiers.
Et de grands coups toufiours tombans de toute afpreffe,
loJelle. — II. i8
i74 '■^* DISCOVRS
Enjonceni iu/gu'au «u lonte arme plus e/pefe.
Tant que pu faut encore en ceci donner lieu
Aux fixions, faifant ces armei par ce Dieu ,
O ' avoir efté forgées.
Voire {fH m'ejt permis ifainfi parler) feees,
Veu ce qu'on leur voit faire, elles ne lairroienl pas
De/enlir à tous coups dommage fous leurs bras
Plus feéi, pour pouvoir quelque enclume, iepenfe,
Dttraneher, que ne peut contre eux quelque degenfe
Se feer fur Penclume : Or c'ejl v«e horreur doncq.
Si en conjlïû femblable aucune horreur fut oncq.
De voir qu'à cha/que coup qu'on peut donner ou rendre,
Promptement on les voit tous deux à pentre-fendrt
Qfiajifans ceffe prefts : c'efi horreur que defor,
MeSar, Achile, S mefme AchUe plus qu'Hedor,
Qui du choir co»''"" de leur bruyant tonnerre,
Rehauffé, rabaif, tmhlent S ciel & terre
Autour d'eux ej ■, S qui de coups tant lourds
Deuroyent tous ■ pieça fe^re entre-rendus fourds.
Plus que ne font 's d' Krion, quand ils forgent.
Ou le peuple ha les lieux oiife dégorgent
Les fepl boucksi un riil, pour dire au vray,fe vont
Par force enfin lajfant de l'œuure auquel ils font.
Et que pourtant tant plus leur vigueur efl forcée,
Tant moins on voit dans eux leur rage efire Xaffee ,
Qui cent ans les pourrait faire opiniafirer.
S'ils ne fortent au but qui les a fait entrer
En fi cruels travaux, qui mefmes les enfiammeni
Toufiours d'efpoir, tant plus que leurs armes pentament,
Penfans mettre en morceaux tout ce fer, & tuer
Le premier de/armé quelque part, ou ruer
Tant & tant de tels coups, que quelques
Par quelque brèche, ou plus l'ame S- les forces
Car on ne les euft peu ft long efpace voir
Continuer, n'ejlûit l'irreuocable efpoir,
Obftini par l'efpreuue, encore que tant bonne
Efpeffeur & durté des armes les eftonne
DE IVLES CESAR. 275
lyauoir vn fi long temps fur elles tempefté^
Sans auoir Vvn fur Vautre encor rien proffité.
Or quant à telle horreur de ceux qui le fait voyent ,
Ou de ceux qui Voyans, comme prefent m*en oyent
Chanter, Sire, en ta gloire & mémoire ces vers,
Que Venuoye en tout fiecle & tout terroir diuers^
DUcelle pour le plus la caufe ne procède
Que de voir que parforçç il faudra que Vvn cède
A Vautre, ou que d'vn mefme implacable deftin
Donnent tous deux naure\ Vvn à Vautre leur fin,
Tant que la terre helasi qui fur telle ioumee
Doit maudire à iamais Vordonnance donnée :
Veu qu^apres ou deuant elle n^a fceu trouuer
Deux Héros qui plus haut ayent fceu releuer
Sa maternelle gloire, en rendant par fatalle
Vert^ fa race baffe aux Dieux mefmes egalle^
Et que pourtant il faut qu^vn dès deux demeurant
Toutfeul dans elle, ou bien Vvn & Vautre mourant,
Elle refte 4 iamais miferablement veufue
Du pairt ou de moitié^de ce pair qu'elle treuue
L*auo%r defhonoree, ains qu^n peu de rancœur
A deufs^rand'sparts du monde ait fait perdre leur cœur,
Heâor eftoit le cœur de VAfie puiffante,
Achile eftoit tt cœur de V Europe vaillante :
Mais ce n' eftoit pas lors en ce pair glorieux
Seulement que le Ciel fe rendroit enuieux
De leur gloire & haute ffe en Vvne & Vautre terre.
Soit deuant, foit après leur decennalle guerre,
Aux vaincus, aux vainqueurs le Ciel ialoux ofta
Ce que la terre aux deux de plus grand enfanta :
Comme fi la hauteffe enfemble & la ruine
De Troye euft courroucé la hauteffe diuine.
Et que Vvne euft eftéfur les vaincus ainfi
Punie, comme Vautre eftrangement auffi
Le fut fur les vainqueurs, qui dans leurs propres portes
Les haines, les fureurs^ & les hontes plus fortes
Trouuerent que deuant les Pergames Troyens.
276 LES DlSCOVRS
Tr/moinfoit le grand chtfdts cAcJS Pelafgiens.
Ct Roy Afyceiiieu, que l'inique adultère
Fît mourir, adioufiant la mort au vitupère:
Tefmoin ce Roy qui fut par tUmpudicilé
De fa femme contraint d'aller vne cité
Fonder en terre ejfrange : ainji lors l'outragée
Venus, iecroy, rendait fon llium vangee.
Ht quoy des durs trauaux d'Vlyffe errant dix ans?
Quoy de l'un des Aiax que les Caphareans
Rochers, qu'alors les mains de Neptune dardèrent
Sur fan chef dans la mer en paffant accablèrent?
Quoy de tant d'autres Grecs iufques à Pyrrbe encor,
Qui long temps ne garda VAndromaque d'Heàor?
Et mefme auant le fac ce pié-leger Achile,
Luymefme occis laiffa fes cendres dans la ville
Qu'on vouloil mettre en cendre ; S-faudain après luy
Au débat qu'on fit lors des armes d'iceluy.
L'autre Aiax de fa main arracha fon feruice
Etfavie, aux ingrats Grégeois fauteurs d'Vlyge.
Quant auxjbrcej Troyens, pourrait ou bien vn lac
Defang, vn mont de cendre, exprimer en tel fac.
Tant defang que, te cray, le vainqueur vint efpandre,
Qu'efteindre il en eufi peu les feux qu'il fit efpandre.
Au double dejlin donc lupiter courroucé.
Comme on peut feindre encor, femble fefire pouffé
D'vne part en grand haine S fentence cruelle,
Puis enpitié de voir perdre en tout grandeur telle.
Et d'autre part au trifie enuoy de tous malheurs,
Aufoudain contrepois des aifes aux douleurs^
Des lauriers aux cyprès, des gloires aux diffames.
Et des fiâmes de Troye à leurs lugubres fiâmes,
S'ils en ont eu Vhonneur : car des Dieux le deflin
Qui ne doit, fils font Dieux, que tendre à iufie fin,
Preuoyans & fbrce^ fans force aux pouruoyances ,
A double faute auoyent prefcrit doubles vengeances.
Au moins comme euffent peu deuiner tous ces vieux,
Oui tous effets fondoyent au confeil de leurs Dieux.
DE IVLES CESAR.
277
Les Dieux pouuoyent fleurer dés long temps Vobftinee
Et faulfe aigreur, non pas du ciel à nous donnée,
Mais par Vimpurité de nature, qui lors
D*eux mefme^ & dedans eux^ &pour eux tant de torts ^
De maux, d*enormite:{, feroyentfortir enfemble,
TOMBEAVX"
A L'OMBRE DE M. SIMON.
l'archer.
Aux Mu/es par les vers de l'A/crettn Poète,
Vn M arc proprement Je voit accommodé.
Qui de leurs miiiits, au haut du Parnajfe. bandé,
Dtccche en l'vniuers mainte doâe fagette.
Tel arc aux grands efpritspar les Mufesfe prefte.
Ses traits font les renoms, de/quels on eft guidé
Par exemple à vertu. Mais il faut ejlre aidé
Pour fçauoir en vifant tirer comme onfauhaite.
Tu peusfuiuant ton nom ifvn tel arc eJlre archer,
Mais tu n'euî tel plaijir à fi bien décocher,
Comme à bien adextrer à tel arc la ieuneffe :
Q)iï f efforce à t'en rendre à cefte heure vn loyer.
Voulant de ta mémoire au Ciel mefme enuoyer
La flèche, qui du dard de la Mort fait maiflrejfe.
A LOMBRE MESME.
Si plus lojl, cher Efprit Paternel, Nom fou gendre
Et ta fille, n'auons payé le /ainâ deuoir,
Qiie dés longtemps pouuoit par nos mains receuair
Enpieurs, enfeurs, en vreus, en prières, la Cendre,
Noftre deuoir pourtant moindre ne fen doit rendre :
Nom fçauions Ion merile auoir bien cepouuoir
De faire à Ion renom quelgue mémoire auoir.
Si ce merile l'fi iour fe pouuoit faire entendre.
La mémoire gui doit vn fort long temps durer,
Nefe perd pour fe voir quelque peu différer,
Pourueu que Ion luy dreffe en fin vn cours qui dure.
Si au fainâ payement que nofire deuoir fait,
A nofire affeaionfegalle nofire effet.
Du deuoir différé lu prendras longue vfure.
RESLE. 1
PERONNE LE GR!
Par trois fortes de vraye & fainSe pieté.
Qui font enuers mon Dieu, mon pays, & mon père.
Fut le cours de mes ans {en vnfiecle impro/pere
D'une mort qui n'ejl point impro/pere) arrejté.
le voyoy' la nouuelle S fauife impieté
Prejle à bannir la foy que diuine on reuert :
le croyoy' ma pairie àbyfmer en mifere :
le croyoy' à mon père vn maffacre apprefté.
Si grand' ardeur enfin me rendit froide & bleftne :
Veu ces malheursmamort me fui vn grand heur mefme:
TOMBEAVX. 281
La patrie f & le père en mémoire j & deuoir
Sepulchral wC ont payée : Et Dieu le feul falaire
Des ChreftienSy tant au Ciel, comnC enfoy nCapeu faire
Et plus vraye patrie, & plus vray père duoir.
A l'esprit
DE M. LE COMTE DE BRISSAC,
Tué devant Muiïidan.
Cher efprit, non à moy, non aux tiens feulement.
Mais à ton fiecle, auquel tu fus grand ornement :
Puis qu^à moy, puis qu^aux tiens, fe rauit ta prefence,
Et que ton Jiecle en toy perd fi haute efperance :
Puis que ta Jby^ ton Roy, ton cher pays auffi,
Qfte tous trois d*vn tel cœur tu fouftenois ici,
Mettant pour eux telle ame ardente & forte, & belle ^
Ont veu ton corps mourir premier que leur querelle :
Puis que tu Ves fi toft, non en genre de mort.
Mais en cœur^ en vaillance, en addreffe, en effort,
Drejfé dedans le Ciel la mefme trace heureufe
Qfte de ton père Pâme accorte & valeur eufe
S*eftoit tracée auant : puis que moy qui Vauois
Pris entre les hauts noms, que chanter ie deuois,
I^ay pour toy que ces pleurs, & ce chant qui regrette
De né fe faire ouir qu^à ta cendre muette :
Qfi*ores le Ciel au moins ne me puiffe nier
De f honorer pour tous de quelque honneur dernier.
Au cœur, qui non flateur, mais haut & franc, honore,
i8»
3ti:t lOHBEAVX.
Craift l'ardeur d'honorer après la mort encore.
Si ma vùix ne prend vol iufqu'â toy, fait permis
Qu'au lieu de toy pour loy nCenlendent tes amis.
Qu'vne voix naiffe en moy, que fans fin puiffe entendre
Et ce fiecte & roui autre: en moy te faifant prendre
De tajoy^ de Ion Prince, S de ta France, vn don,
Qui fait de ton deuoir vers ces trois vn guerdun.
Ou bien fi des Héros la âmes demeflees
De fens charnels & lourds, & iufqu'à Dieu volées,
Kous oyent de tant haut : fi ma voix pénétrant
Par fa puiffante ardeur, va iu/qu'au Ciel entrant.
Qu'elle au lieu de mouvoir leienfers bas & /ombres,
Tire pour ce feul coup, non (comme an dit) les ombra.
Mais les deux clairs efprils (au Ciel ce croy ie enclos)
De ton Père S de loy : car en Ion los/on los
Par ta vie, S ta mort, prend auffi bien croijfance.
Qjt'oresfon efprit prend au tien refiouijfance,
Qji'efprife elle vous fajfe appréhender de prés
Ce qu'il faut que de toy Ion appréhende après,
C'ejl que ta mort apporte heur S malheur cn/embte,
El fait qu'au commun dueil vn los publicqpajfemble.
Car c'efi defafire iniufie, & ivfie dueil, de voir
Auec fi riche fleur tomber fl grand efpoir :
Mais'c'eft grand los, grand heur, d'eflre mort de laforU
Et mort en France, auanf que voir ta France morte :
Qjii fait guerre, ou foil paix, par eflrange dejlin
Se'nbh- en faits & co,>feih ne tendre qu'à fa fin :
Si Dieu ne garde au moins que proye on ne la voye
Des voifins, f'efiant faite elle me/me fa proye.
Le temps de les beaux ans fait donques le malheur
De ta mort, & le temps de nos malheurs, fait Theur.
Heureufement fe perd, qui en la gloire aperte
Se fauue de future & de honteufe perte.
Toy donc qui en mourant as cet heur de mourir
Glorieux, & cet heur de ne nous voir périr :
Toy, toy donc (par trois fois ie t'appelle, ô Génie
Bien-heureux, car le coup qui te mit hors de vie
Vofta hors tant de maux) faifant fortir de loy
TOMBEAVX. 283
Quelque voix claire & grefle, en brief confejfe moy^
Que ta mort en tel temps tellement glorieufe,
Ne peult eftre qu^à nous, non à toy^ malheureufe,
Auant qWvn. tel de/tin eut tranfmis en ce lieu
Ton corps, ta gloire au monde, & cefte ame à ton Dieu :
{Car celuy qui vaillant pour tel Dieu perd fon ame
La regaigne auec luy) de viue & prompte flame,
D^e/poir, de hardiejfe, & de dejfeins bouillans.
Propres à tes faueurs, à ton fiecle, à tes ans.
Ton corps fentoit dansfoy remplir fon ame enclofe.
Qui las ne penfoit pas Jbrtir fans plus grand^ chofe !
Tu ne tachois alors fors qu'en te hafardant,
Aller à ton nom Grec tes beaux faits accordant :
Ainfi que né, nourri, exercité pour eflre
Nqfire Lyon, tu fis {Ttmoleon) paroiflre
(Prefque enfant) ton grand cœur en Piedmont : & Lyon
Te veit de Lyonceau te monftrer vn Lyon,
Depuis en tant d^exploits, & mefme en cefle guerre
Dernière, quand Mouuans vaincu mordit la terre :
Apres à las^eneuil, à Congnac, oit le chef
Des ennemis trouua le loyer du mefchef :
Mefme en tant d'autres lieux quHci ie te veux taire.
Tu fis bieny & te tins touftours prefï à mieux faire :
Voire & de Muffidan deuant le mur fatal,
Qiii aux tiens f qui à tous, plus qu^à toy fit de mal :
Sans ceffe ardent de faire en accorte entreprife.
En efcarmouche, fuite, imbofcade,furprife.
En rencontre, en bataille, enfiege, & en affaut,
Tout ce que tufentois digne de ton cœur haut,
Duferuice dû Roy, de la iufïe querelle
Qfii du Roy, qui de Dieu porte le droit en elle :
Veillant, fondant, cherchant, fans que Vajfeâion
Se peuft vnfeul moment depeftrer d^aâion.
Mais alors tu croyois, fans pourtant la mort craindre,
Qfie c^euft efté malheur pour toy, de voir efleindre
Si tofi fi rare vie. Or'' m^ ayant entendu
A toy nous conférant, & dans les deux rendu
Plus pur, tu vois, tufens, tu crois toute autre chofe.
Va, reuale, S ton père auecq' toy : puis repofe
Pour iamais auec luy : nous laiffant pour iamaîs
Auatil que reuoler, vos deux noms, & «os faits :
A moy, qui mieux orner les veux ailleurs encori
A Vvniuers, qui mieux les oye & Us honore.
SVH LE TRESPAS
DE lEANNE DE LOYNES.
Demo'-i"xin. Ce-"- , Orphée, jEnee, ont fait
■>cris, d'Eurydice, S- de Creufe,
\s regrets, félon que l'amoureufi
firoitplusou moins fon effeâ.
JW orts ont tous pre/que forfait :
II . hyllis par attente angoijjeufe,
i c cris en ta vallée vmbreufe,
L tiers fa grandperte refait.
yCn, ;il, & moins de faute, encore
Ni \ja> foupçon. Le dueil qui le deuorc
(" tU t ou faute, ou mort Jbrcee eùr^fi
Moi ' qt \uoit à vojire couple heureufe
Ceaer Fnyiiss, rrocris, S Eurydice, S Creufe,
Demophoon, Cephale, Orphée, jEnee, auffi.
A M. SOREAV-SON MARY.
Qu'vn paffant nefeflonne en voyant tant d'efpritt
Si rares, tefmoigner ta douleur iufte, & forte.
TOMBEAVX. 285
Monjtrant qu'à Vamitié qu^aux vertueux on porte,
Plus que les grandeurs touche aux efprits mieux apris.
Me/mes ton dueil (Soreav) d*amour extrême eft pris.
Vray fuiet de nous tous, puis ta face aujfi morte
Qjie ta morte moitié, puis ton pleur en la forte
Nous efprant, qu^on peut efire en cas fi rare épris, v
Orphée en repleurant fa moitié reperdue
Efmouuoit à fa perte, à fa plainte entendue, '
Les rochers lefuiuans, les befies, & les bois.
Toy les Orphées mefme efmeus à ta trifteffe.
Qui pour toy fi le Ciel n^enfermoit ta maiftreffe,
De la mort & d*enfer romproyent encor les loix.
II
Tout ce qui peut plus nuire à V amour coniugalç,
La mort, le temps, Voubli, la haine, auoyent vn iour
Confpiréfus voftre afpre , & ferme, &fainÛ amour.
Tant que la mort pour. toy hafta Vheure fatale :
Mais le temps trompé, donne à telle ardeur loyale
Mémoire au lieu d^oubli : L'oubli donc à fon tour
En f* efforçant fe trompe : Enfin la haine autour
.De mon cœur vient verferfa poifon fufiale :
Son venin la déçoit, qui méfait bien fuir
Les bois, la court, le monde, ains moymefme haïr,
Mais de V effort contraire amour fa force excite.
Comment? la mort par dueil me rend mort comme toy,
La mortfe trompe, Icy la Mufe, au Ciel la foy.
En Vvn Vautre V Amour tous deux nous refufcite.
DE M. BOVRDIN
■■R GENERAL DV ROY aV parlement
1 chef qui courbé Irauailtoil
nds dons, dont le ciel, la naturt,
mblépour tout bienqu'onproairt
lu Roy, fans relâche veilloit.
1, Jans ceffe fontmeilloit
ux paris, alors que pour la cure
I fin lous ces dons efueilloît.
u'tn vue apoplexie
tmeurs qvi efiouffafa vie,
rt des mouuetntns vitaux :
B( des puiffances de famé,
la les efpriis & la fiatt
L'AME DE M. DESPENCE.
En ce fiecle aueuglé, par celejle doârine.
Par voixfain^e S publique, & par maint doâe efcril,
Par tout injigne exemple embraffer lefus Chrift,
Cefi le remède heureux du malheur qui domine.
Ame heureufe, tu as à la lettre diuine
Confacré lous les ans, plein du diuin efprit :
Long temps lu as prefché, tu as maint liure efcril.
TOMBEAVX. 287
OÙ Veffort de raifort Veffort d*erreur ruine.
Mais de ta vie encor Vexemple tu paffas
En ta mort, quand la Croix d^vn tel !(ele embraffas,
En vn temps où V erreur contre la Croix pirrite.
Doncq* comme acquis ici par doârine^ par voix,
Par efcrits, los, .& fruit, & renom, tu auois,
La Croix faquiere au Ciel de la Croix le mérite.
DE M. DE MONTSALEZ.
l'ombre.
l
Suy donc, Paffant, & ly : Cet immortel flambeau
Qu*ardent dedans fa main tient la Pieté fainde,
OeftPinftinâ, c^eftVamour, dont noflreame efl contrainte
A tout grand œuure iufle, & noble, Sfainû, & beau.
Et ces fleurs qu^elle auffi refpand fur maint tombeau,
Oeft vn deuoir auquel les Vertus Vont eflreinte :
Ce vafe c^eft le los, les mérites, la plainte,
Et les vœus, qui toufiours refument de nouueau.
Ce qui eft propre à moy,font ces Enfans qui tiennent
Ces flambeaus contre bas, parlefquels ils f apprennent
Qji^ainfi ma vie efleinte en la mort a eflé.
Mais croy qu'vn iour la gloire & mémoire immortelle
Leur fera r^allumer ma vie encor plus belle,
A Vautre ardent flambeau que tient la Pieté.
II
La Pieté] qui plus aux autres Vertus meine,
Qui plus meine à la gloire & mémoire ces trois,
Nascctar3,«oifaits,nùsnonis,finiiceffepourfesdroits,
SoytutdiuiijSi/oient humain», nous r'appelleàlapeîne:
Notis armant, quant l'erreur, ouquand l'orgueil Jorcene
Contre Dieu, S qu'il blejfe, ou qu'il Jbulte nos Rois,
Nos pais, nos amis, nos parens : Cér des loix
Et lien de ces cinq, tout braue cteurfe peine.
Pour tous les cinq Pay fait, facrant aux trois premiers
Mol) fang à eux vodé, laiffant aux deux derniers
L'ai/eS-l'heurde mon los : Mais tous cinq m'en guerdounenti
Dieu les deux m'a donner, S mes Rois les honneurs,
Mon pals la toùange, S mes amis les pleurs,
Mes pareas ce fepiilchre avec les pleurs me donnent.
DE M. D'ALLVYE
SECBET*IRE D ESTAT.
De mon aj-eul le ne
Ce furnom, RoBKHTET,e^ le nom de ma race,
leune ie fis ma fleur louer de mainte grâce :
Secrétaire d'EJlal d'vn Roy Charles ie feu :
Sur tout Paimay Pune, * pour femme ie l'eu,
Qjii feule en moy le tort fait par ma mort, efface :
Car bien que Ion rauijfe à fon tige vne fleur.
L'eau dans vn vafe peut maintenir fa couleur :
Mais cefle eau, qui aux yeux de ma Piane abonde,
Fait bien plus : car méfiée auec l'éternelle onde
D'Helicott, m'arrofant S ranimant toufiours.
Dans ce vafe mortel fait reflorir au monde
Mon nom, monfang, mon los, ma charge, Smesamours
TOMBEAVX. 289
POVR LE TOMBEAV DE M. THEVET,
COSMOQRAPHR DV ROY.
Le grand Moteur du Ciel & Nature féconde^
Pour en vn feul fuiet faire voir en ce monde
Comme eft grand leur pouuoir, réduit en fon effet,
jyvn accord accompli Thevet auoit parfait.
Le Ciel la plus belle àme en fes beaux feux choifie
Emprunta pour ici luire vne belle vie :
Et Nature choijit fes plus riches threfors.
Pour ce beau don du Ciel loger en digne corps,
Ainfi, le faind honneur du Ciel & de Nature
Fut découùert çà bas en vne créature.
Qui d'efprit & de corps tefmoigna la grandeur
De Ja forme & matière, & de fon créateur :
Car toutes les vertus qui Vefprit enrichiffent,
Et toutes les beauté^ qui le corps embelliffent,
Les fciences^ les arts, la fainâe pieté,
La grâce, la vigueur^ & la dextérité,
Feirent eftre cefte ame vn diuin exemplaire,
Etfeirent que ce corps onques nefceut déplaire
Qu'à fon ame, qui n'eut autre obiet pour penfer,
Qjte celuy quipourroit à fon ciel la hauffer.
Comme le corps pefant, qui forcé dans Vair entre,
Bien tofl courbe fa voye, & rechetfur le centre :
Ainfi le feu léger longuement ne peut pas
Contre fon naturel demeurer ici bas,
Auffi cefïe belle ame eflant au corps forcée^
D'ordinaire defir contre le Ciel pouffee,
Impetrapar VeffeQ d^vne viue oraifon,
Defortir de ce corps^fa mortelle prifon :
Autour duquel ici autre chofe ne refle
lodelle. ~ II. iQ
290 UANTIQVE CHRESTtEN.
Qu'vne image de mort, à fes amis moUfie :
Kt de tant de vertus n^eft demeuré, Jinon
Vne glaire immortelle, S vn illuflre nom.
Qui if'uiT vol empenné de Romaine parolle
Par le difert Thevet court Vvit & l'autrepole,
Pendant que l'ame au Ciel iouît d'vn doux repos.
El mollement la terre ici couurefon corps.
CANTIQVE CHRESTIEN.
O grand Dieufouuerain, dont la diuinilé,
Chreftieni, nous adorons deffous ti-tple vnité,
Qui as pour ton palais cejie voujie etkeree.
Où des Anges tefert la troupe bienheuree :
Qui Jbrmas, tout-puijfant, le grand tour fpaeicux
De ce diuin chef-d'auure admirable à nos yeux :
Qfii tournes d'vn clin d'ail cejle grand" maffe ronde.
Qui lances de ta main le foudre par le monde.
Pardonne nous, Seigneur, S nos peche^ lauant.
En ta iufie fureur ne nous va pour/uiuanl.
Que fi tu mets nos faits en égale balance.
Et veux à la rigueur condamner nojlre offenfe,
Qui pourra fupporier le terrible courroux
De ce grand Dieu viuant animé contre nous ?
Rien nefe fauuera de ta fureur diuine,
Non pas mefme du Ciel l'éternelle machine.
Car où efi celuy-là qui ne f oit criminel
Parfon propre péché, ou par l'originel?
Mais bien lu es celuy Dieu facile S- ployable,
Qjii es également S iufte, & pitoyable :
Qtti donnes le loyer plus grand que le bien faiû.
Et la punition moindre que le forfait ;
CANTIQVE CHRESTIEN. 29 1
Aujfi ta pieté nos offences furpaffe :
Et donner au non digne eft digne de ta grâce.
Bien que dignes affe\ nous nous pouuons nommer.
Si dignes tu nous fais^ & nous daignes aimer.
Doncques regardes nous de tes x^''^ Pitoyables,
Soit comme feruiteurs^ oufoit comme coulpables :
Coulpables jommes nous, fi ta feuerité
Regarde feulement à noftre iniquité :
Mais fi tu as égard à la noble nature
Dont tu nous as ome^/ur toute créature,
Sire^ nous Jommes ceux qui de création
Te fommes feruiteurs & fils d'adoption,
Dontj helasi d'autant plus coulpable eft noftre race.
Nous ayant le péché priue:^ de cefte grâce :
Mais par la grâce /oit le péché furmonté.
Et croijfe en nos forfaits V honneur de ta bonté.
Carfoit que ta fagejfe, ou foit que ta puiffance,
Vueille autrement de foy nous donner cognoiffance,
Uhonneur de ta bonté eft trop plus grand en nous :
Et ceft Amour là, Sire, eft aimable fur tous.
Qui a peu lefeigneur du Ciel faire def cendre^
Et les membres de Dieu deffus la croix eftendre
Pour louer nos peche:^, par Vonde & par lefang.
Que lefir inhumain fit for tir de ton flanc :
Ainfi ta pieté & ton amour (o Sire)
Fait que vainqueur du mal noftre bien fe peut dire.
O amour, 6 pitié foigneufe de nos biens,
Q^i férue de tes ferfs t'es faite pour les tiens :
O amour y 6 pitié de nous mal recogneué,
Que nous auons quafi par nos peche:^ vaincue,
Fay que de ton amour la violente ardeur
Vers toy puiffe ef chauffer noftre lente froideur :
Affranchi nous. Seigneur, de V odieux féru ice
Qui nous a fi long temps fait efclaues du vice : *
Efteins en nous Vardeur de noftre vain plaifir^
Et fay de ton amour croiftre en nous le defir^
A fin qu'ayant parfait le cours de noftre vie.
Lors que deuant fon Roy Vamefera rauie
SONNETS.
De ton partage heureux iouiffant a
Tu lux fois eomme père & non pas
SONNETS.
A LA ROYNE MERE.
I.
( de Toy, de les enfans,
I amis de vertu, tant qu^il faille
lusfeulsfe caafaçre, & qu'elle aSlt
t noms^ vos heurs, vos faits, vos rdnp;
■ cercher les dons plus grans,
ux & rare afpeâ du ciel te bailli,
•e Enuie & Fortune bataille,
enkeurant, le beau Jil de tes anK:
Ftray çercnei tci« ifUe tu as d'auai^tage.
De nourriture & d'art, de confeil, S d'vfage.
N'oubliant l'heur receu du feu Roy ton feigneur.
L'heur auffi, qui de Rois, S Roynes te fait mère :
Mais ft vaincre tupeux noftre Erreur & Mifere,
le mettray ce pris double au plus haut de ton heur.
C'ejloit grand bien {encor que la crainte ou contrainti
Tait peu mefme à bon droit tel vouloir efbranler)
SONNETS. 293
Que tu voulais toufiours entre nous rappeller
La Paix, bannie helas! par ardeur fainâe ou feinte :
Que tu as fans en rien fefpargner, &fans crainte
ly aucun hafard, pomlm peiner ^fonder, aller
Deçà delà, mander, deffeigner, & parler
Tant bien, pour par raifon rendre Vardeur éteinte,
Oeft grand bien, nonobflant tant defang^ tant d*horreurs,
lufte amende payée à Dieu pour nos erreurs,
D*auoir en fin pourtant eftouffé la grand^fiame.
Et mefme defaigri la playe frefche, auoir
Tout fermé, tout couuert: mais c'eft tout de pouruoir
Qu'vn mal caché, couuert, ne fe r^ouure & renflame.
m
Tu n^ as pas feulement de nqftre Paixfouci,
Soit pour Vauoir bien fceu rechercher^ & bien faire.
Soit pour la preferuer du trouble f on contraire.
Mais noftre guerre en main** tu as pris tout ainfi :
Penten guerre licite, & non celle quHci
Vn mal d^efprit a peu finiflrement attraire.
Pour du lien commun d'vn feid Dieu nous diflraire,
D*vnfeul Chrifl, dCvn feul Roy, d'vnfeul pais auffi.
Le Haure oii ton aduis tout feul pouffa V armée ^
De ton coeur j de ton heur, de ton droit animée,
Lesfoldats enflamme^ & guerdonne\ par toy:
Les bleffe:( recueillis, le lieu que tu ordonnes,
Oit la vie honorable après V honneur leur donnes ^
Monftrent que nous auons en vne Royne vn Roy.
A MONSIEVR"
Du Croiffant de Henrï toutes les autres parts
Ne dcunyent pas fous luy remplir leur fitrme rouie -
Cefte mcrque par qui pentend le rond du monde.
Se gardai! à ta race iffué d'vn tel Mars.
Fra nçois/oudain mourut .-Ciiahi.es hors des kafards
Et troubles, doit régir fa France en tout féconde:
Aleïandbk-Edo VA RD doit pour fa part féconde
S'aller pouffer au rang des Anglais Kdovahds ;
C'cyï ton fcepire premier, mon vers ejl prophétique,
L'vn de tes noms, le tort, Vaccafion Vy pique,
Que ce mien vœu lefoit vn vueil continuel.
Puis excité du nom d'Ai.EXAHDti¥,à Ion Jrere
Aidant, tous deux aidej du tiers dejlin profpere
D'vn Hbbcvle, comble^ le Croiffant paternel.
A MONSEIGNEVR LE DVC**.
Tu es feut, que ie penfe, en tout le fang des Rois
Tes aj-eulx, qui as eu (non, ie croy , fans pref âge
D'heureux S grand defiin de grand' force S courage)
Le nom ij'Hehcvle, auquel prendre vn patron tu dois.
Sois donc premièrement noftre Hercvle Gaulois,
A ta langue eiichaifnant les peuples de cet âge.
Par leurs oreilles pris, & liej, d'vit langage
Plein du doux miel d'honneur, de vertus. S- de loix.
SONNETS.
29D
Cet âge en a befoin. Puis comme Hercvle domte
Tout rebelle, & tout monftre exécrable furmonte,
Afferuantj nettoyant, pacifiant, tous lieux^
Où tes frères, parens, allie:{, & toymefmes
Regnere:ç : pour après tous les labeurs extrêmes,
Du rang des Rois, te mettre enfin au rang des Dieux.
ODE DE LA CHASSE"
En qiioy mefen-ie ores pouffer
Dans ce bois, remerquant les places
Où ie l'ay veu ces iours ckajfer
(Sire] ejlantpre/ent à tes chaffes?
Sus quitton nojlre Lyre, allon
Quêter, chaffer, pourfuiure, ô Mu/e,
Suy mor, Deeffe, & ne refufe
D'imiter to» frère Apollon :
Qjii bien fovuent ayant fonné
Des Dieux la gloire, & la nature,
Et du grand Monde façonné
Par eux la cau/e & la flruSure :
Ou bien fonné les fiers Geans,
Q)ii par fon père à coups de foudre
Furent en quartiers & en poudre
Efpars dans les champs Phlegreans :
En fa main, dontji doâement
De fon archet fa Lyre il touche,
ODE DE LA CHASSE.
Accompagnant /an in^rument
Des ditiini accorda de fa boucke.
Prend foudaîn Farc d'argent, & va
Ckaffer dam wii bols foUtaire,
Ou bien quelque moitjlre deffaire,
Ainfi que Python il tua.
Comme ce celejle fonneur
le fonnoy d'vn grand Dieu les gloires,
El de mon Roy Pheur ff l'honneur.
Attendant fonner les viâoirea
Tant d'vn tel Dieu que d'vn tel Roy,
Sur ceux qui leuent leur audace
Contre eux: mais ie fens d'vne Ckajfe
L'ardeur ores bouillir dans moy.
Dés Vautre iour l'humeur m'en print.
Sme, enfuiuant ton ajfembîee.
Et depuis Pardeur qui m'iprint
Eft toujours en moy redoublée.
Non pas pour Jeuleiïint qutfter
Beftes fauues, noires, ou autres, ■
Qiti repairent aux Jorefis nqflres.
Mais pour d'autres montres domter.
Sans en/uiure pourtant ce Dieu
Chaffevr, S Harpeur, S fana prendre
Au lieu de ma Lyre vit ipieu ,
Paime mieux ma Lyre retendre,
Et fur elle chanter fi bien
La chaffe qu'ores ie proieite,
Qiie me/me à Vœil ie te la mette
Pour le profit & plaifir tien.
Car en tout ce que i'ay vouloir
(Sire) de rechercher ou faire.
De dire, e/crire, ouïr, & voir,
La fin qui feule m'en peut plaire,
Cejt d'y pouuoir auecq' plaifir
Prendre vn proffit d'efprit enfemble :
Car quand ce double fruit f'affemble,
C'eft le but parfait d'vn de/ir.
ODE DE LA CHASSE. 299
Auffi mefme en ce que ie veux
Offrir aux grands^ ie me propofe
De leur faire enfemble ces deux
Cueillir en vne mefme chofe :
Le plaifir remuant les cœurs
Leur attrait Vefprit, & Voreille,
Et Vautre leur deuoir éueille
Aux confeilSf aux faits, & aux moeurs.
Si dans mes vers tu ne voulais
Chercher que la fueille agréable
Sans fruit, Vef cor ce fans le bois,
Le bois fans le fuc proffitable,
Paimerois mieux te voir toufiours
Baller, courre, efcrimer, Vefbatre
A cent ieus, & faire combatre
Dans ta court ton Once & tes Ours :
Ou bien chaffer, non pas ouïr
La Chaffe quHci ie fay faite,
' La Mujique outr, non iouîr
D^vne Mufique plus parfaite.
Par laquelle tafchant chaffer
A cor & cri nofïre manie^
le veux la paijible harmonie
Faire à tesfuiets embrajfer.
Ou bien Vaymeroy mieux te voir
Amufer d'vne mafquarade,
Vuide de fens & de fçauoir.
Te paiffant de vaine brauade :
Ou f amufer par des bouffons
De ce qui par eux Comédie
Se nommerait, ou Tragédie, '
Et des deux n*auroit que les noms.
Pay le premier de ces deux ci
L^ honneur en ta France fait naiftre,
Qjti des Rois, qui du peuple auffi.
Deux diuers miroirs fouloyent eftre :
Si les premières n'ont efté
Parfaites pour mon trop ieune âge '",
3oO ODE DE LA CHASSE.
le me fuis en ce double ouurage
Moymefme depuis furmonté,
Pay (pour n'efloignev mon propos)
Maint grand labeur tafché parfaire y
Pour ce bien du commun repos
Difirait de nous, à nous retraire y
Tant pour domter Vopinion,
L^abus, & V ardeur aueuglee,
Qu*en la police dereiglee
Chercher la reigle & Vvnion.
Mais fur ma Lyre ie ne veux
Maintenant chantant vne Chajfe,
Que dreffer quelques petits vœus
Sur le mal quHl faut que Ion chaffe^
Et dedans mes vers rapportant
LPvne & Vautre pourfuitte & quefte.
Faire que ce chant que Vapprefle
Taille doublement contentant.
Car comme du plaifir Vay dit^
Si en cela que ie te donne
Tu recherchois le feul prof/it
Et le maintien de ta couronne^
Tu ferois mieux en ton royal
Confeily arrefié du langage
D^ affaires, & du faind vifage
Du gvaue & dode VHofpital.
La leuneffe, la Royauté,
Et des Princes la nourriture,
Font que toute feuerité
Répugne fort à leur nature :
Maisfî faut'il qu^ armes & loix.
Honneur, vertu, fçauoir, prudence,
Fufl-ce entre le fefiin, la dance,
Et le ieu, Rapprennent des Rois.
Vn Prince fe peut deflourner
Tant de Vamour que de l'eflude^
De tout ce qui peut plus Vorner,
Quefon fceptre : foit par trop rude
Csmfimme ni TufinfCtr-,
Sat pttTJtas£. ïm ptrsnu /ni foMCt
De pOÊOtar- Thmncur ir^tmt£ en hauu .
f « jr amjenunc daur^r-;
Par famie Àt miBjlcr îf ia
Et IcF ^aàs mosL. par ia £^à^zn£
Se fàtre plaire. &vs»i àpCM
IjKyftâre plszre la diMÔnc
Rsàme À£ iaaii hatr S bien,
Fafdkaft quam os la prvpq^t i
Jâais qui mtjçait qu'en tcaac chqû'
Qn hieu me ^aujte -n'aime rien f
Orfiu domc Ssxe ex-àte toy
Bhme cxmrfe de Cerf, ckamtee
Briejkemeniy & mefme la croy
Vrajre. & mom pas reprejentet.
Je te TOT ia (Snti afprejté z
Car ayamî ceJU maîiuee
A la v<jierie dommee,
A cheaal m es rewtomié.
Le buijfom au matin feft fait.
Faifant beanj revoir & cognoifirc.
Et qm'm bon chien eftoit am trait
Dans la main d'vn veneur adcxtrc.
Qui voyant, iugeant, defaijanty
La nuiû parlant^ & faifant fejic
Au chieny qui vouloit de la bejfc^
Et toufiours çà & là brifant z
Conduit tant jpar Taffentement
Du chien^ que par fa propre veuc.
Soit que par le pied feurementy
Le temps, & la route il ait veuë^
QuUl ait les portées, ou bien
Les foulées, les repofees,
Ou autres chofes aduifees.
En fon meftier n^oubliant rien :
A deftouméfon Cerf, & fait
Son rapport, fans que les fumées
Apporté dans fa trompe il ait,
Pvurce que Je trouuam formées''
Eh Aouft 3 Juillet feulement,
Par (roches m luis, S picores
Par platteaux en May, du tout ores
Etlesfonl hors de lugement.
la drpartisjoni les Melaii,
Ht pendant que moy d'alnji dire,
Toy d'ainji m'ouir tu te plaix.
Nous fommes ia paruenus (Sihb),
Au laijfer-courre, il faut penfei-
De piquer tant que tout lu voyes :
Voila, le Veneur fur les voyes
Tient fon limier prefi à tancer.
Ce limier rauoit tnetié droit
A«x brifees, tant il ejl fage.
Puis a toujiours fuitti fon droit:
Tant peut ta nature S l'vfage
Les bejles tnefine façonner.
La meute des chiens ne demeure
Guercs loin après, pour à l'heure
Bien decoupler & bien donner.
Ce Cerf, pauure Cerf qui caché
Dans l'épais du buiffon fe penfe,
Oii ce matin l'a rembufché
Ce mefme limier gui le lance.
De fa vie enfes pieds difpos
Sefe, tous ces bois refonnent
D'VH long gare-gare, &fe fannent
Parce tien Veneur deux longs mots.
Tout foudain que ce lancement
A nos oreilles Je vient rendre.
On fait le prompt decouplemeni
Par quatre ou cinq longs mots entendre
Toute ame/epeut ajferair
Afesfens: mais Pceil, S- l'oreille,
Contens ici, par nompareille
Force nous peut poindre S rauir.
r\
ODE DE LA CHASSE. 3o3
Voy-le-ci (Sire) dans ce fort,
Aller par ces portées me/me :
Il rompt, il brife, il bruit, il fort,
Et défia de vifteffe extrême
Se court, fe preffe à cri & cor,
Suiui de la meute courante.
Tout enfemble après luy parlante,
Attendu des relais encor.
Tu vois ces prompts piqueurs brufler
D^ ardeur, & tantoft par bruyères,
Tantoft par fuftay es voler.
Par champs, par forts, & par clairières :
Des mots de leur trompe animans
Enfemble les chiens & la befte,
, Et au plaifir de la conquefie
Plus qu^à la proye penflammans,
le ne m^eftonne d^ Or ion,
Ny d^ Adonis, ny d*Hippolyte,
Ny du mif érable Aâeon,
Ny d^Atalante, ou de la fuite
Qpie Diane fouloit mener :
Car ce plaifir dompteur des vices,
Paffe tous plaifirs & délices
Qui ne nous font qu'effeminer.
Tant que ceux-ci, qui nuià & iour
Menans leur vie chaffereffe,
Fuyoyent le cafanier feiour,
Quife couplant à la pareffe
Se fait Vengendreur de tous maux,
Outre leur déduit & leur quefte
Auoyent Vheur de la vie honnefte
Pour grand loyer de leurs trauaux.
On feint les plus forts Dieux chajfeurs,
Ainfi qu^ Hercule, & Phebus mefme:
Car toufiours la grandeur des cœurs,
La force & la Nobleffe faime
Aux chaffes^ qui peuuent drejfer
Beaucoup, & maint lesfçait bien faire,
liuipeul en guerre l'aduerjaire.
Et en paix tes crimes chaffer.
Mais retourner a» Cer/U/aut,
Qfii itvne longue randonnée
Forlongeant, fait eflre en défaut
Toute noflre meute ejlonnee :
Il faut que ces chiens ia branlans
Toufiours en crainte fe retiennent.
Tant qu'eux-mefme aux voj'es il
Apres leur Cerf toufiours allons.
' Il fi îï mainlenant
<i_. ,.1 aeufoH âge apprendre.
Aux hu ! des bejles donnant.
Pour fai. , aux chiens le change prendre
Ou bien qn trir (peul-ejlre) il va
D'autres I ;rfs, que toufiours il chaffe
Deuantfo_ , par fi long e/pace
Qu'il face future vn de ctux là.
Ou n'ayant qu'vn feul Cerf trouué
Dedans fa repofee, à l'heure
Il le chajf' : & d'oiifeft leué
Cefl autr, le noftre demeure :
Ou tout a bout d'vn long fuyant
Bondifl ■ fort, ou bien il vfe
Ettcorei mainte autre rufc
Sur luy yant ff refuyant.
Si pas vn de tes chiens n'a Jccu
Défaire la malice fienne.
Et que relancer ne l'ait peu,
Rfaut que le limier on prenne.
Et qu'on commence à requefler
Depuis la brifee dernière,
Oii l'on a veu les chiens derrière
Leur proye branfler S douter :
Suture les voyes, adui/er
Fort bien fil demeure, ou fil paffe
Songer comme il a peu rufer.
Tant quefes rufes on defface :
.ODE DE LA CHASSE. 3o5
Et qjÊÛen parlant alors ainp,
Qfi^au laiffer-courre on le relance.
Or fus donques chacun fauance
Pour y eftre^ & toy (Sire) cuâ/fi.
De la trompe les mefmes mots
Qjte Vay ditsparauantjfe fonnent :
De me/mes cris^ me/mes propos
Tous les lieux d'alentour re/onnent :
On le recourt, rebaudijfant
Les chiens, grande eft la randonnée :
Mais la bejte en fin maumenee
Perdfon haleine en Je lajfant.
Ce pauuret preffé défi près
Par la meute qui le mau'^meinef
Veut gaigner quelque eau tout exprès.
Pour fraifcheur reprendre & haleine :
Mais las! chetif il apprendra
Tout au rebours que la viftejfe
Dedans Veau nuifible fe laiffe,
Et toft les abois il rendra.
Quelques Cerfs Je font par les eaux
Porter, de peur que les chiens viennent
Les affentir: dans les rojeaux
Quelques autres caches^Je tiennent :
Vn autre porter Je fera
Sur le dos de quelque autre befte.
Mais, de ceftuy la mort eft prefte,
Peu après que forti fera.
Aux trouffes ia les chiens ardans
Le tiennent, il eft ia par terre,
Us le tiraffent de leurs dents,
loutjfans du fruit de leur guerre :
Les larmes luy tombent des yeux :
Et bien que pitié prefquHl face.
Si faut-il que de telle chaffe
Sa mort Jqit le pris glorieux,
La mort du Cerffe fonne, alors
Les montSj les vaux, & les bois, rendent
II. — lodelle. 20
ODS SE LA CH&S3B.
Les bruyant S hautains accors,
Que les trompes dans Vair e/pandenl.
On coupe S leue »n des pieds droits.
On abat l'orgueil de fa lefte,
Qfiifont (Sire) de la conquejle
Les enfeignes & premiers droits.
Onje met (peut-ejlre) à parier
Voyant cefte lejle ramee
De /rayer, brunir, S perler.
De bienfommee, & bien paumée.
De bien roûee, GJieUe a
Marrein, andouilliers, & goutieres
D'vH Jbrt vieux Cerf, S cent manières
De difpute outre celles là :
Si Ion auoil premièrement
Bien iugé qu'il fut Cerfcourable,
S'il efl Cerf dix cors ieunement,
Ou fart vieux Cerf S fort chaffabte :
Si le pied monftroit bien que c'efl.
Et tous fjgnes qu'on a peu prendre.
En ton retour lu peux entendre,
Tout tel deuis qui aux grands plaift.
Là fouuent du particulier
On tombe à parler de la chaffe
En commun, comme du Sanglier,
Soit que Ion du Vautray Ion face.
Ou d'autres façons le difcours" :
Qitandpar grands leuriers que Ion iaque.
Au fortir du fort il /'attaque
Du cafté qu'on a fait l'accours.
Ces animaux grondans, fumans
A gueule ouuerte, arme^ d'horribles
Deffenfes, bauans, écumans.
Et plus dangereux que terribles,
Se peuuent à cheual tuer
De l'efpee : mais ie m'ajfeure
Que l'efpieu efl l'arme plus feure.
Soit pour atteindre ou pour ruer.
ODE DE LA CHASSE. 3oj
On parle des loups que Ion prend
A la hueej ou d'autre forte j
Du carnage par qui Ion rend
La gloute hefte prife & morte :
On parle des cheureuls, des daims,
Et d'autres, foit pour courre, ou tendre,
Ou pour épiant les furprendre
D^vn plomb, ou bien d'vn trait attaints :
Ainfi que VOurs qui ne court fus
Aux gens, tant qtte mal on luy face,
Ains attend le coup de deffus
Vn haut arbre. Or quand on le chaffe
De fes cauemes les grands trous
On boufche, & bien quHl grimpe, & rué
Des pierres, qu'il ferrey & quHl tué.
Cède en fin aux chiens & aux coups.
Puis du caut Renard buiffonnier,
Qui toufiours entre les chiens vfe
De tours rufe:(^ mais du leurier
La dentfi^it enfin fa rufe :
Ou de petits chiens Ion fe plaifi,
Comm' au Blereau luy faire guerre ,
On efcoute, on houé la terre
Droit fur Vaccul quand il y eft.
Parler auffi du Lieure on peut
Qu^ à force on prend, ou d*vne forte
Rare, quand le Léopard veut
En qûatiie ou en cinq fauts V emporte :
Mefme on peut difcourir combien
A leuretter onfe peut plaire,
Quand en plaine rafe on voit faire
Au lieure & aux leuriers fort bien.
Pour le quefler on va marchant
Par rang dedans telle campagne.
Le Pelaud part : on va lâchant
Les leuriers, les cheuaux d'Efpagne,
Et les vifïes courtaus après
Font poudroyer leur longue trace:
llfe court, f atteint, fe bourraffe.
Tant il a [an ennemi près.
Paint ne luy fait perdre le cœur
L'atteinte d'atteinte fuiuie.
Ses pied) font ale^par lapeiir.
Qui feuU peuvent fauuer fa vie:
n e/t mis enfin au noûet.
Dont quelquejbîs mefme il efchappe
Far bands quelquefois ilfe happe.
Et criant roidit le iarret.
Des animaux plus ejtrangers
Oh peut en bref toucher la chaffe.
Comme des bien ramej Rangers,
Ou des Lyons qu'au feu Ion chaffe.
Des Tygres qu'on trompe au miroir,
Des Elephans qu'auf/i Ion trompe.
Et dont ne peut la Jbrte trompe
Contre Pefprit humain valoir.
Tels propos renflent eflans pleins
De mots propres à ce langage,
Dont les Grecs, & dont les Romains
N'eurent iamaisji riche vfage :
Làfonnent ces mots de limier.
Chien-courant, dogue, chien- d'attaque
Epagneu, chien d'Artois, S braque,
Barbet, turquet, allant, leurier.
Là des chiens oublier ne faut
La race, couleur, & manière.
Les noms, comme Afiraut, Briffaut,
Tirebais, Cleraude, S Légère :
Et en leuriers, lafon. Valant,
Cherami, Cigoigne, Cibctle :
Et cent noms dont on les appelle.
De toutes les fortes parlant.
D'etabler, de rere, d'aller.
De bontems, de fraye, gaignage,
Du contre-pié, dufuraller,
D'as, de pinces, du viandage:
ODE DE LA CHASSE. 309
Bref^ de tout autre iugement
Qu* il faut que Von face à toute heure,
D^entree, /ortie, demeure,
Suitte, drejf^ment, lancement :
Des diuers langages qu^on doit
Dire aux chiens, diuers mots de trompe,
Et diuerfes voix que Ion oit.
Du change, auquel ît faut qu^on rompe
Les chieûs, ou de leur long défaut.
De bien remeuter, de vijlejfe,
De créance, voire fagejfe.
Qui fur tous aux chiens blancs ne faut :
Du cours de Chajfe, & des abois.
Des tefies^ meulles^ cheuilleure.
De perches, couronnes, epois,
Andouilliers, trocheuré, & paumeure,
Puis des traces, & dufouillard,
Des marches, Ifliffees, fumées.
Et tant d^ autres accouftumees
Façons déparier en tel art.
On oit de toiles, de haler.
De bloquer^ crochetter, d^enceindre
De harts, & de perches, parler,
D*épieux, que diuers fang peut taindre
Sans en vfer : parler de pans.
De maiftres, de nappe, de mailles.
Du fauue, du noir, de bichailles.
De layes, marcafjins, & fans :
De broqumrs qui les dagues ont,
Puis des beftes de cêmpagnie.
Ou qui au tiers ou quart an font ^
Et tous les mots de Vénerie :
Ou d^autres chajfes, f oit pour voir,
Pour quefter, pour pourfuiure, ou prendre
Et que nul vers ne peut comprendre,
Sont pris là pour vn grand fçauoir.
Là quelqû*vn {peut-efire) ialoux
De ces longs difcours, & encore
r
Piqui du plaijïr que fur tous
H aime, U exerce S honore,
Sublitemenl de/iotirneia
Le propos hors de Vénerie,
Et haut S dru de Valérie,.
Mais en brr/ pourtant parlera.
Voccafion Je peut choîjir
Sur cela que loti t'a fait prendre
Ce malin aux oifeaux plaifir,
Auant que par cour/e entreprendre
De forcer ce Cerf, & premier
U'Aufirueher fera la parole.
Soit qu'en faif on propre fe vole
Le perdreau par vn Efpreuier :
Soit que d'autres oifeaux de poing
On vole auffi pour champs, à l'heure
Que ces perdreaux font ia plus loin/f
Leurs vols,' d'aile aujfi roide, 3- feure
Qlte père & mère, ou quand ils font
la perdrix, qui vieilles dfiuienneut :
Four tel vol fur lepoingfe tiennent
Les Autours, qui guerre leur font.
Ou bien leurs Tiercelets qu'on croit
Faire mieux, & que plus on aime,
Mefme fouuent dreffer on voit
L'oifeau de leurre à ce vol mefme :
Vn Lanier dans l'air fe foujlieni
Sans fin, & rouant ne f 'écarte
lufqu'à tant que fou gibbier parte,
Mefme vn Faucon long temps f'^ lient.
Qui plus efi, vn Sacre, vn Gerfaut,
Se drejfe à cejle mefme proye,
Qu'auparauant ietier ne faut
Que partir leur proye on ne voye :
Tous ces oifeaux ne bloquent pas
Lors que les perdrix ils remettent ;
Mais tous, quand ils font bons, les mettent
Au pied, fondansfoudain en bas.
/
1
ODE DE LA CHASSE. 3ll
Soit oifeau de leurre^ ou de poings
De petits chiens pour la remife,
Sages & bons, Ion a béfoing.
Que peu ardens, & à laprife
lamais afpres, Ion doit choijir :
Leur deuoir, auec Vaile bonne
De VoifeaUf aux cuijines donne
Dugibbier, & aux yeux plaijir,
le te diroy bien comm\ après
njuiura le vol pour riuiere,
Et quand de mares on eft près,
Ou ruiffeaux, en quelle manière
Les oifeaux alors decouuerts
Se iettent à mont, là où vaine
Efl V attente, pon ne prend peine
Que leurs gibbiers foyent bien couuerts :
De quels cris on v/e, & quels mots,
De quel égard & patience,
Pour faire tourner à propos
D^vn oifeau la tefte, oii Ion penfe
Qu'il ait mieux fur fa proye Voeil,
De crainte que Ion ne foruuide.
Comme on croife, comme Ion vuide.
Contentant & Vœil & le vueil.
Les Ridanes font le gibbier.
Les Varriens, & les Sarcelles,
Sur tout le Canard, qu*vn Lanier,
Ny qu*vn Faucon à tire-d^cele
Ne peut r^auoir, fi quand il part
H ne Varrefie, & lors en terre
Fondant roide comme vne pierre,
Affomme fous foy le Canard,
le te feroy encor^ iouir
Du plaijir que telle perfonne
Pourra donner, faifant ouïr
Le plaifir qu'eaux grands feigneurs donne
La haute Volerie, au lieu
Ou ore pour Milan, & ore
Oii vole pour Héron encore.
Pour Chat-huan S Fauperdrieu.
Si toji que le Milan Je voit
Vn haut cri la veuè accompagne.
Le Duc que porté Ion auoii
EJI telle deffus la campagne.
Four faire le Milan baijfer.
Au ciel comme luyfe trovjfer.
Quelques autres Sacres à mont
Sont ietlej, S mainte venue,
Prejque iufquea dans le ciel von
Donner à leur proye cogneué,
Qliand cejle méfiée au ciel faite
Se perd quafi de l'œil, qu'on iette
Apres tous autres le Gerfaut.
L'vn braue & fort, depuis le bas
îufqu'au plus haut de pareille aile.
Ne de façon ne monte pas
Que les Sacres : mais en efchelle
Roide Sfoudainfe vienf* hauffer
Droit au Milan, que par la force
D'vne feule venue, il firce
Du haut de trois clochers baijfer :
Puis hauffer, & faire on luy voit
Des fuites, mais en toute place
Nouuelle venue il reçoit.
Tant qu'en fin la cheute fe face
Souuent bien fort loing : Mais auai
Que commencer, dés que la proye
S'e/Î veué, loufiours on enuoye
Q}iatre ou cinq piqueurs fous le vent
Du Milan la cuiffe fe rompt
Aujfi toJi que la cheute eft faite,
Puisjoudain la curée ils font,
ODE DE LA CHASSE. 3l3
Et chacun y pique j & fouhaite
Varriuer premier, pour auoir
De ce Milan la queue, pource
Qjie c^eft le prix de telle courfe,
Q}i^en fon leurre on fait après voir.
Or combien le vol pour Milan
A celuy pour Héron rejfemble,
Pour Fauperdrieu, ou Chat-huan :
Et combien tout diffère enfemble,
Par ce mefme homme fe diroit,
Et Pen récit eroy la forte :
Mefme puis qu'au faire elle apporte
Plaifir, le récit en plairoit.
le diroy qu^vn Héron fouuent
Dans Vair, fouuent fe trouue en terre,
D^oii Von le fait partir, auant
Que dans Vair on luy face guerre :
Et qu'on peut de Faucons f aider
Pour vne telle volerie,
Ou de Sacres comme Ion crie
Pour de fon bec faire garder.
le diroy qu'en ce vol il faut
Des leuriers, pour le Héron prendre,
Et qu'à l'heure qu'il chet d'enhaut,
Les oifeaux que Ion a peu rendre
Sifages, crainte aucune n'ont
Des Chiens : & ces chiens qui fe drejfent
Ainfifi bien y iamais ne bleffent
Ces oifeaux qui communs leur font,
le diroy cela qu'eftans pris
Par leur bec, quelques Hérons rendent,
' Puis la curée, & puis le pris
Que les mieux faifans en attendent :
Les bouts des ailes de l'oifeau
Pour fon leurre quelqu'vn remporte.
Et au Seigneur la houpe on porte
Pour en décorer fon chappeau.
Le Fauperdrieu, & l'autre auffi^
20*
El leurs vola ne différent guère
De Vvne S de Vautre manière.
Dont en bref par mes vers Pay dit
le pourroy loucher nomAfianl
Les différences qui fe Ireuuent :
Puis d'ordre firoy recitant
Tous les autres vols, qui fe peuuent
Par vn tel homme raconter.
Comme du Geay, de la Corneille,
De la Pie, qui /ait merueille
De craqueter S caqueter :
Mais bien de FAlhaette, eftant
Mefme au nombre du haut vol mi/e
Quife perd de tout œil, montant
Droit dans les cieux, oii elle ejl pr
Par le gentil Emerillon :
Bref, de tout vol depuis la Grue,
Qui quelquefois voler pefi veué
lufqu'à ce petit oijillon.
l'exprimeroy mefme les mots.
Dont comm' vn autre en Vénerie,
Celuy farcira fon propos
Parlant de la Fauconnerie,
Comme de '
Paffager, oifeau d'vne nué.
Ou de plujieurs chofes cogneué'"
Tant feulement à ceux de Vart.
Comme curer, paifire, tenir,
Auoir bonne gorge, & enduire,
Emeutir, poiurer, deuenir
Pantois, S d'autres qu'on peut dire
ODE DE LA CHASSE. 3l5
Les longues pannes & cerceaux.
Perche^ gand (Voifeau^ chaperons^
Longes, iets, veruelles, fonnettes.
Et tant cT autres Ji proprés noms
Des chofes ou (Vaâions faites:
Et or* pour dire en gênerai,
le comprendroy toutes les chofes
Qui font en tout tel fçauoir clofes,
Des Nobles fçauoir principal.
Mais ie mefen ia trop laffé
De ma longue courfe^ égarée
Hors du propos : Pay trop laiffé
Mon Cerf fans en faire curée:
La longueur du propos déduit,
Le chemin de ton retour pajfe.
Puis, peut-eflre, quelque autre chaffe
"Pamufera iufqu^à la nuid :
Qui jgardera qu^en ton retour
Ta Maiefié tel difcours oye :
Il faut que ce refte de iour
A mon premier deffein f employé :
le reuien, ce me femble, au lieu
Oit ce Cerf couché Ion defpouille.
Sur fa chaffe^ mort, & defpouille,
Faifant maint & maint iufle vceu.
Je luy voy couper les *
Puis f on cuir ofïer ils luy viennent.
Les
Auecques *
On fend fon cœur pour vne croix,
Ainjî comme Ion dit, y prendre.
On cherche en luy tes menus droits
Qu'en ton crochet (Sire) on vient pendre^
Entre lef quels les filets font ,
El le fTancboyau qu'on affemble
A pla/ieurs défia mis enfemble:
D'autres droits les veneurs y ont.
Tout te fang dont ce corps efi plein
Se raj^emble hors de la bejle.
On met par morceaux tout le pain,
Cependant qu'il faut que la tejie
Onfepare, S qu'on levé auant
La hampe, & puis que Ion partijfe
Le rejte, l'vne & Vautre cuiffe
Et les deux efpauies leuaat.
Les coftcs, le petit fimier.
Que le cinq if quatre on appelle,
La pièce du fimier dernier
Qfii la venaifon monjtie en elle :
Le pain trempé aufangpeflend
Sur le cuir, la curée on/onne.
Qui auant qu'aux chiens an la donne,
Tant qu'ils y foyent tous,fe deffend.
Tout cela qui nous rend ardans
A le future, & qui pour la gloire
Nous poind, S nous ardau dedans,
Nous travaillant pour la viÛoire,
Donne aux vainqueurs vne fierté.
Tant fait de petit pris laprife.
Vu triomphe, vne ioye éprife,
Qiiifentremefle d'afprelê:
De cela tous ces chiens fe fiinl
Vn exemple age^ conuenable,
Qui plus afpres S plus fiers font :
Et de mainte façon merquabie
Semblent recognoiflre leur fait,
Triomphans du pris de leur peine :
Cefle mefme viÛoire ameine
Les Veneurs à pareil effeS :
Qui plus rejiouis, plus gaillards.
Et brauans de leur peine prife,
Sont plus ardans d'auoir leur parts,
O
ODE DE LA CHASSE. Siy
Que fi grand* chofe eftoit conquife :
Chacun n'oublie à Je vanter
De cela quHl afceu mieux faire ^
Tachant pour fon plus grand fallaire
La gloire che:[ foy remporter.
Or ie voy qu^en ce temps diuers
Ta principale Chaffe (Sirb)
Doit eftre des Difcords peruers,
Renuerfeurs de tout grand Empire,
Pour en les pourchajfant chaffer
La ruine qui nous menace,
Comme ia telle heureufe chaffe
Dieu Va fait fi bien commencer,
le fçay mefme qu'en émouuant
Tant foit peu quelque eau croupiffante,
Sort grand* puanteur : & qu*vn vent
D*vn peu de braife languiffante
Excite fouuent grandes ardeurs.
Et pour tels dangers ie ne cuide
Qji'encor* noftre France foit vuide
De fouffleurs & de remueurs.
le fuis feur que les grands font pleins
Souuent de grande haine & pique.
Ne fuiuant pas de ces Romains
La doârine & la gloire antique.
Qui moins de triomphe auoient mis
A vaincre les forts aduerfaires.
Qu'à vaincre les propres cholereSj
Nos plus familiers ennemis.
Pay grand* peur qu*vne Ambition
Soit d* Ambition refuiuie:
le fçay qu'en noftre nation
Naturelle & propre eft Venuie,
Et que tout cela qui en vn
Nous doit eftreindre d'auantage^
Christ, le Pats, le parehtage.
Et dvn Roy le lien commun :
C*eft cela qui feul au rebours
ODC DE LA CHASSE.
Noarrifl tn nous la funne 3- noife.
Par « Mon/)r« Enuie, taufiours
Maniant nofiie humeur Françoife,
Sous piquant plus contre la loy
De Ions ces lUns qu'on fepare.
Que contre le lui/, le Barbare,
L'Iucogneu, Pennemi du iîo>-.
Ce vice à nous particulier.
Comme aux autres pals pu vice
Efi toufiùurs propre S familier.
Sous fait {voulant faire feruiee
A u Roy) iuy nuire : car ialoux
El piquef à qui efire, S faire
Pourra le plus, par vn contraire
Dïfcord, nous perdant lujr S nous.
'Outre encor, ie voy (car te veux
Prefque toutes les caufea rendre.
Qui me font eonceuoir ces vans
Sur ce Cerf que lu vieiu de prendré^M
Que mainte perfuafion
Qu'en tout on croit S fainâe & bonm
Soit par ^ele ou rufe,fe donne
Pour l-vne S Vautre faâion.
Qui Ijieut-eftre) trauuaat dcfta
Eh nous la rencontre opportune.
Qui efi Pambition qu'on a.
Compagne de cejle rancune :
Nous eguifant, nous defermtmt
L'efprit & Veeil, au foufiien d'elle
Et toutes chofes, fors icelle,
Va nosfens & nosyeux charmant.
C'eft ce qui fait que nous trouuons
Du tout bon ce qui efi des nojlres.
Que nous hayons S dédaignons.
Fut-il bon, ce qui efi des autres ;
Puis les vns Je voulant haujfer,
Peut-eftre, fur le^proches Princes,
El tant du Roy que des prouinces
n
ODE DE LA CHASSE. 3 IQ
Toutes les charges embraffer :
Les autres fe voulant fentir
Du me/pris qu^on fait à leur race
Pour les premier^ anéantir
Affrontent Vaudace à Vaudace :
Et Christ (qui n'*en peut mais) eft pris
Pour bon droit, ou pour couleur belle :
Nos brouilleurs font de la querelle t
Par icelle épians leur pris,
Mefmeainft que maint enflammeur,
Afpre & plein de pédanterie.
Retenant de fa vieille humeur
D^ef choie ou bien de moynerie :
Ou d^ autre cofié maint criart,
Qui dedans fa chaire extermine
Et brufle vn chacun, & mutine
Le peuple, par \ele ou par art :
Ou tafche à faire des difcords
Des grands, leur prof fit, & leur gloire.
Et du fang des grands hommes morts ^
Couronner enfin leur viâoire,
Plujieurs feigneurs (peut-efire) auffi
Ont tafché par telle difpute^
De frapper le blanc de la butte,
OU ils tiroyent deuant ceci.
Les aucuns pour hauffer leur rang.
Les autres pour chercher vengeance :
Les vns pour faffouuir de fang.
Dont mefme Venorme abondance
Affe^ encor ne les repaifl :
Ceux-ci ont la mutinerie
De nature, & la pillerie
Plus que Dieu mefme à ceux-là plaifl.
Quant à maint autre, ou à crédit,
Ou par quelque pique légère,
Ou par des grands n'eflre point dit
Auoir vne ame cafaniere :
Ou par vn deuoir^ dont il fent
ODF. DE LA CHASSE.
Sa vie à vn feignenr éteinte :
Ou par la force, ou la contraint
Det crimes qu'il void ou entendr-^
Ou pour la deffcnee du bien
Que fa n,aifon tient en PEglife:
L'Auarice Irouue moyen
Ou par vn éguillonnemettl
De femmes, d'amis, de lignage.
Ou bien pour quelque autre auantagt-,
Riife, égard, ou tranfportement,
A fans rien polfer efpoufé
Soudain l'vne ou l'autre querelle :
Et quant à ceux qui ont vfè
En cela Svn bon & vray \eie.
Le nombre e_ft grand, mais ie nefçay
Si des autres le nombre ils paffent :
Et quoy qu'ili prétendent oufacent.
En ejtime ie ne les ay.
Car quant aux vns ilsfçauent bien
Que CHKiàT e_fl vn Roy pacifique.
Dieu de paix, Sfeul entretien
D'vnité dansfon corps myflique :
Que Chkiït veut puis qu'il n'ejl permis
{Difent-ils) glofer FEfcriture,
Quen
Nous font, S-
nousfon
ennemis .-
Qii'à celuy qui
va fouffletant
L'vne des iou
es. Vaut
e on baille .-
Que quand o
[. nous va
tourmentant
D'vne ville en
nf'en aille :
Qjie lesfainds ancien
n'ont pas
Défendu ieu
caufe par armes.
Mais leur ieu
/ne, prière & larmes.
Et leur mort
efloyent
leurs combats
aue ceux-ci
mefmes
Nagueres ceux
qui d'vn
courage
Trop charnel
eii auan
mettoyent.
ODE. 32 1
Qu'il falloit repouffer Voutrage,
Difans, que bien qu'en Vancien
Teftament guerre & refiftence
Fut permife^ telle licence
N'eft point du Teftament Chreftien :
Mais que Christ par affliâions^
Par tourmens^ croix, & vitupère.
Veut qu'en Venfuiuant nous entrions
Au royaume de Dieu f on père :
Du fang des fainâs Veffufion^
Et femence continuelle
De VEglife, & la merque d'elle,
N'eft quefaperfecution.
Tant que par leur dire voulans
Faire ceffer par force & armes,
Les maux, les affauts violens,
Perfecutions, & alarmes
En leur Eglife, ils font ceffer
La merque qui la fait cognoiftre :
Et ce nom en eux ne peut eftre
Qu'à eux feuls ils vouloyent laiffer.
ODE
A M. LE COMTE DE DAMMARTIN
Bien que de ta mai/on le tige, & Vornement,
Dufceptre de Hongrie ait pris commencement,
Qjii de mainte alliance
Dans la mai/on d'Aniou, d'Angleterre , & Bourbon,
lodtlU. - II. ai
A prouigné foH fiull, Sfa gloire, S /on nom,
Rare honneur de la France :
Bien que de tes ayeulx S Its/aita, & les cœurs.
Bien que le père tien qui des grandi belUqueurs
Amortit ta mémoire,
A ctfte grand' nobltge accouplans la vertu.
Aytnt pour loy la mort & le temps combatu.
Deux meurdriert de la gloire :
Bien que la gloire au/fi {qui, fi ce n'eft en bien ,
Au moins à tes ayeulx en vertu ne doit rien)
Soit de telle hauieffe.
Qu'il femble qu'à tous coups elle devji dédaigner
Va chetif comme moy fans trop p accompagner
D'vne humble petitejje :
Si efl-ce toutesfois que te voyant aittfi
Avoir de moy Jaas feinte, & fana cejfe fouet
D'vne amiable chère,
M'ouurant fi priuément ton feeours S ton caur,
i^'il femble proprement qu'au lieu de mon/tifi'»'
Tu le rendes mon frère,
E/prouuant mefmement qu'en cent S cent difeoun
Que des abut humains nous faifons tous les îourx.
Comme par /ympalhies,
Tu as aueeques moy femblable opinion.
Semblable liberté, femblable affeSion,
Guide de nos deux vies.
Je croiray que les Dieux, qui foin de nous ont pris.
Auani nojlre naijfance accouployent nos efprits
D'vne alliajige telle,
Qji'au pris de telle coupe, au pris d'vnfi grand htar,
C'eft bien peu que les corps, les biens, S la grandeur,
Qpi n'eft rien que mortelle,
le croiray quand le Ciel à ton corps remefla
Ton ame, qui première ici bas deuala
Du monceau des Idées,
{Pardonne fi l'accorde au Platonicien)
Ne peut, nous feparani, rendre de tout leur bien
Nos deux âmes fraudées ;
ODE. 323
Ains comme Pollux fait pour la fraternité,
le recommuniquois vne diuinité
Aux ans de ton enfance :
Ou bien comm^ vn Démon minijlre de nos Dieux
Maugré le corps maffifie rapportoy des deux
Vobfcure preuqyance.
Ou ie croiray pluftoft {me pardonne vn Chrejlien,
Si ie me mets au rang Pythagoricien)
Que quand tu vins à croiflre,
Pefloy quelque vieillard, qui pour lors te hantoy,
Et qui de iour en iour doucement fincitoy
De te vouloir cognoiflre :
Et quand ie renafqui, que Clothon (qui pour nous
Des douces amitiés^ fila le nœu plus doux)
D^vn charme inuiolable,
Défendit & au Temps, & à fa tierce Sœur
De ne trancher au fil de V acier rauiffeur.
Ce lien perdurable :
Mefmement qu^en viuant ie n^ay du ciel receu
Aucun bienfait, finon que quand ce feul bien Veu
Que ie te recogneujfe,
Ceffent donc mes malheurs, ceffent les tiens encor,
T*ayant, Vauray touiours vn éternel threfor.
Bien que pauure ie fujfe.
Car bien que mille maux le ciel me faffe auoir^
T^aimer^ & Vhonorer, & fans fin conceuoir
Vheur d^vne amitié douce
M^eft plus qu^vne Nepenthe enchantement des yeux,
Ou bien que de Circé le beau fruit oublieux
Qui le fouci repouffe.
Si doncques tout entier ie me trouue dans toy.
Si doncques à toy feul moymefme ie me doy,
Se pourroit-il bien faire
Que rien peufl efchaper de moy qui ne fufï tien
Veu que telle amitié fait qu^en tout ie te tien
Autheur de mon affaire?
Qm*o« cherche autre que moy, qui par menteurs écris
Pour heliftver le bien qui gefne les efprits.
* ^ — - — ^Il^*>^'""*'"
'' -^ f«oÎr. "^/^'it, uV.c, ^^ c grand k.
Ton **^' *p, *o*c«»» *= ^^^c-.^^
fw bi
ODE. 325
Veulent que leurs efprits deffus la faulfeté
La vérité pratiquent,
La vérité me plaift^ le bien qui m'eft prefent
Me contente en ce monde : & lefouci cuifanty
Soit des chofes pajfees,
Ou de celles qui font ^ ou qui viendront vn iour^
Ne fera ^ fi ie puis, mon éternel vautour,
Bourreau de mes penfees,
Oejt pourquoy de mes fons V artifice immortel
A toufiours efié veu ne fentir rien de tel :
Car la liberté douce
Qui ne me veit iamais deffous le toug rauir.
Ne me permet auffi que ie puiffe afferuir
Mes cordes, ny mon pouce.
Et c^eft pourquoy le bien qui feulement me plaifty
Et c*eft pourquoy le bien qui vrayement me paift,
Maugré la Parque blefme
Reuiure fe verra dans mes viuans efcrits :
Hé, rien de bon peut-il fortir de' ces efprits
Contraires à foy*nefme?
O douce amitié donc, ô pardurable foy,
Qjti mes foucis mordans accable dedans moy.
Et d^vne fainâe audace
Va toufiours poppofant à mon plus fier malheur,
Mallegeant du fardeau que ie fens fous Verreur
De ce vil populace.
Oeft cefte amitié donc {bien que ce nœu fatal
Soit du petit au grand, & du maiftre au vaffal)
Oeft cefte amitié fainâe
Qyii dedans la Mémoire oit rien ne peut le Temps y
Empraintefe verra^ d^ autant que ie la fens
Dedans mon cœur emprainte.
Cefte amitié m^eft plus que le bien mendié
Des Princes reflatte:^, ou qu^vn los épié
Sous vn mafqué vifage :
Ou qu*vn proffit qu'on a pour fçauoir retracer
Les pas d^vn populaire, & gefnant fon penfer
S^ afferuir à Vvfage,
324 ODE.
Promette vne autre vie
Aux Rois, qui meurdrijfans eux mefmes leur renom,
Feroyent que Ion verroit mon œuure auec leur nom
Dans Veau cf Oubli rauie.
Qu'on cherche autre que moy qui iugefon bon heur
En Phonneur, & non pas au mérite d'honneur :
Et qui d*vne apparence
En Je trompant foymefmey aime mieux deceuoir
Tout le monde auec foy, que iuftement Je voir
Trompé d'vne efperance.
Qu'on cherche autre que moy qui traine vn repentir
Pour auoir trop voulu au peuple confentir.
Peuple qui touiours erre :
Veu que de cent remors repiqué ieferoy
Et qu'éternellement moy me/me ie feroy
A moymefme la guerre,
le ne fuis de ceux /à, qui pour eftre inconftans
Vont par mille moyens leur fortune tentans,
Qui comme vne nauire
Les tournoyé en la mer, qui engouffrer les peut.
L'efprit qui contenter en foymefmefe veut.
Rien que foy ne defire,
le fuis encore moins de ceux là, quifouuent
Miferables, helas! fe repaiffent du vent,
Entretenans leur vie
De cet heur malheureux, qu'ils ont pour efperer^
Et de voir fous les Rois à iamais martyrer
Leur raifon afferme.
Moins ie me fens encor de ceux là, qui fe font
Eux-mefmes leur poifon, par le dépit qu'ils ont
De la gloire d'vn autre.
Car fi la gloire n'efï qu'vn ris & qu'vn fouet,
Rions & defirons vne gloire eftre ici
Plus aux autres, que noftre.
Et combien moins feroy-ie encore de ces fous.
Qui pour fe contenter f'appaftent à tous coups
D'vn bien^u'Hs fantaftiquent,
Et fe flattans en l'heur, qu'ils n'ont point mérité.
APPENDICE
7n
ODE
AV COMTE D'ALCINOIS
SVR SES CANTIQVES
DV PREMIER ADVENEMENT DE lESVS CHRIST ".
Le Harpeur^ qui dans la Thrace
Donna les premières lois ,
Et qui feit fuiure fa trace
Et aux rochers , & aux bois :
Ny celuy dont Vartifice
Feit orgueillir Vedifice
De la Thebaine cité ,
Sous fa voix fainâement rare ,
Rangeant le peuple barbare,
A fes lois inujtté :
Ny mefme les mains diuines
Du Sonneur qui en la fin
Vainquit les ondes marines ,
Sus Vefpine du daulphin :
Ne fonnoient pas chofe vaine ,
Chofe caduque , ou humaine ,
Pour alecher à leurs fons :
Mai» quelque hauite merutiUt
Rauiffoit la lourde ortille
A leurs celeftea dianfons.
Car fi le defir, ou Vire
Ou l'amour, on eu/1 fonnê :
Qui ejl-ce gui fous leur lyre
Sefuji alors efionné?
Qlii eujl laifféfa nature ,
Pour choifir à l'auanturt
Les loijc maiftreffes aînfi ;
Veii que pre/que en fa naiffanee
Chacun prenait cognoiffanee
Decesaffeaionscy?
Mais encordant la peinture
De ce monde ramaffé , •
Qlte quelque autheur de nalvre
Avait ainfi compajfi,
Deploram la vie huntaine ,
Serue de la mort prochaine.
Et monjlrans que les efprils
Des hommes mortels ne meurent ,
Ains qu'après la mort demeurent
Au litu , duquel ils font pris.
Bref, fonnanl quel bénéfice
Rapporte auxfiens la vertu ,
Et que le plaifir du vice
Efi tout foudain abatu,
Emouuoient la fourfte pierre
Ou l'homme-befie qui erre
• Sans mai/on , & fans cité ,
Faifansfous les loix égalles ,
Leurs affeÛions brutal les
Céder à ciuilité.
Ce/ont là les pierres dures ,
/^\
APPENDICE. 329
Oeft là Voreillé rocher^
Ce font lesforefts obfcures ,
Que Von voy oit p arracher y
Ce font les beftes ployantes
Sous les chanfons emmiellantes ,
Ce font les Dauphins piteux ,
Qui dans leurs moites oreilles
Receuoient telles merueilles
Parmy les flots dépiteux.
Orpleuft à la main diuine
Qjie tels monjires empierre^ ,
'^ans nojlre baffe machine
Ne feuffentplus enferre i[ ,
Et que de ces lourdes beftes
Elle eufifaccagé les teftes
Oftant leur viure ocieux :
Mais la terre , helas , efl pleine
De cejfe race vilaine
S^obflinant contre les deux.
L^vnique Autheur de noflre efire
Par tout oublier fe voit :
Lefeul Prince y lefeul Maiflre,
Le nourriffier, qui pouruoit
A no:^ baffes indigences.
Par erreurs, ou négligences^
la ia deuient odieux :
Mefmes les fonneurs qui tafchent
D* entonner fa gloire , fafchent
Les oreilles , & les yeux.
Mais en ce tems miferable ,
Dieu^ ce grand Dieu^ faiâ chanter
Maint Orphée plus louable
Que celuy qu'on voit vanter:
Qui contre Vhumaine rage
21
Sa roitte corde encourage
Le plus haull pin rabaijfanl .
TantoJI iTvne douice corde.
Où la clémence il accorde.
Le rocher amoïijfant.
Drejfe^, dreffe\ la ortillef,
Laijfej fiater doulcement
De ces chanfona nomparetUes
Voftre rude entendement :
Recepuej la voix facrée ,
Faiâes à ce Conte entrée.
Non plus Conte iJ'Ai.cihois ,
Mais Prince des hymnes fainûei
Rendant les gloires ejlainâea
De tous les antiques doigtj.
Efco,U,c,/o,mr,,oir,
Ce grand Orphée enchanteur,
Qui charme la maifon noire
Aux accords; du luth chanteur:
Et retire fa penfée.
Qui iafeftoit abaiffée
Sous la fourche de Fluton
Epouantant tous les Diables,
Qui leurs tourmens incroyables
De Ibsvchhist nouueau né.
Et le tiiumphe , S la gloire
Contre l'En/er obftiné :
Confacrant par ces Cantiques,
La dépouille des iniques
Bourreaux des chetifs humains
A Dieu, qui fous nojlre forme,
Laua le forfait énorme ,
Tuant la Mort de fes mains.
APPENDICE. 33l
Qî^e nous fert plus de redire
Maint fatal enfantement ,
Qn^en no!{ Menteurs on peut lire
Defcrit fabuleufement ?
Fuyons ces vois menterejfes.
Que nous feruent ces Deeffes ,
L^vne fortant d^vn cerueau :
Vautre de Vécume fille ,
Qui aborde en fa coquille ,
Vireuoltante fus^ Veau?
Qjie nous fert , finon d"* amorce ,
La race des oeuf\ iumeaus :
Et Vautre iffu d^vne écorce
A demi fil^ des rameaux :
Ou voir Bacchus , qui d^vn ventre
Dedans vne autre cuijfe entre ;
Bref, que fert à moy Chreftien
Toute naiffance menteufe ,
Si cette naiffance heureufe
Eft feule caufe du bien?
Que me fert que d'vn vers graue ,
ranime deuant les yeux
Cefte entreprife tant braue
Des Serpenfpiei^ & des Dieux :
Si cefte feule viâoire
De lefus Chrift eft ma gloire
Qui fait aux enfers effort :
Et fi cefte feule guerre.
Dont il met la Mort par terre ,
Me fait viure après ma mort ?
Dequoy me fert le Parnaffe ,
UHelicon Pegafien,
Ou encor ie m^abbreuuaffe ,
Comme vn refueur ancien ;
Si cefte fain H e Fontaine , •
De gract S de douceur plaine ,
Sourd pour tn'arracher tTe/moy:
Si cefie fainâe nuisance.
Me donne la cognoijance
Et de mon Dieu , S de mox^
Que deuiendrar-ie Jblajlre ,
A/riaadé par les vieux,
Si à tous coups Pidolaflre
Eh mille S mille autres Dieux :
Veu gu'il in'ejl tant maaifejle ,
Que l'ordonnance etlejte
Mêle de/end, &aujfi
Q)ie quand le/us Chriji vint naij}\
On vit céder à leur maifire
Tous les Idoles d'icy?
Celuy qui fa Republique
Nous a laijfee en portrait ,
Qlii au rang Académique
Bayiiffoit les faux Poètes
Hors des villes , quifuieles
Etaient au ioug de fes droits :
Mais toy. Comte, dont la mufe
En ces fables nepamufe,
Ta place tu rclicndrois.
Car plus iojk bannis des villes
Soient de Platon les efcrits ,
Que tes Odes tant vtiles,
Abreuuoir de nos efprils.
Va donc, & la renommée
Plus conftammeni emplumee.
Trace tout ce monde bas :
Sa courfe prompte S durable ,
D'vn Icare miferable
Le tombeau ne craindra pas.
APPENDICE. 333
Si tes chanfons mal ornées ,
Que fous le fiecle obfcurci
Tu fais , depuis dix années ,
Villoter par ce lieu ci
Meurent par leur défaillance :
Voicy, voicy la vengeance,
Vengeance , qui fièrement
Pourrait vaincre la mémoire
Des trois Harpeurs , dont la gloire
Pay mife au commencement.
A LVY MESME.
Le flamboyant , V argentin , le vermeil ,
Œil de Phœbus , de Phœbé, de V Aurore ,
Qui en fon rond brûle , pallit^ décore,
Midi, minuit, Ventrée du Soleil ^
Ses feus, fon teint, Vhonneur de fon reueil,
Vouldroit cacher, brunir, & tenir ore ,
Voyant le feu , qui ard, blanchit, honnore ,
Ton iour, ta nuiâ, & la fin dufommeil.
Phœbus , alors que plus le ciel alume ,
N*eft poinâ fi beau qu^on le voit par ta plume ,
Phœbé n^efl poinâ, ny VAube belle ainfî,
O peintre heureux ! mais plus qu*Ange! qui ores
As bien tant peu , que mefme tu colores
Le Soleil mieux ^ la Lune , & VAube aufft.
332 APPENDICE.
De grâce & de douceur plaine ,
Sourd jpour nC arracher d'efmoy :
Si cefte fainâe naijfance ,
Me donne la cognoijfance
Et de mon Dieu , & de moy ?
Que deuiendray-ie Jolaftre ,
Afriandé par les vieux ,
Si à tous coups ndolaftre
En nulle & mille autres Dieux:
Veu qu'il nCeft tant manifefte ,
Que l'ordonnance celefte
Me le défend , & auffi
Que quand lefus Chrift vint nai/lre.
On vit céder à leur maiftre
Tous les Idoles d'icv?
Celuy qui fa Republique
Nous a laijfee en portrait ,
Qui au rang Académique
Plufieurs encores attrait ,
Baniffoit les faux Poètes
Hors des villes , qui fuie tes
Efloient au ioug de fes droits :
Mais toy. Comte y dont la mtife
En ces fables nefamufe ,
Ta place tu retiendrois.
Car plus tojl bannis des villes
Soient de Platon les efcrits ,
Que tes Odes tant vtilcs ,
Abreuuoiv de nos efprits.
Va donc, & ta renommée
Plus conflamment emplumee,
Trace tout ce monde bas :
Sa courfe prompte & durable ,
D'vn Icare mif érable
Le tombeau ne craindra pas.
APPENÛICF. 335
De fon immortalité,
Dont le trait viuement affole,
Les Dieux repeu^ en leur parollc.
Q}ti eft-ce qui la Nature
Tant diuerfe en fes effet:{
Peut animer en peinture.
Sinon les fonneurs parfait:(
Qui d'vne main induftrieufe,
La font de foymefme amour eufe?
Contre le Ciel peut me/prendre
Le peintre qui de fa main,
Dans fon tableau tâche rendre,
Deffou:( vn vif âge humain,
La face & la force animée,
D^vn Dieu fuieâ à la fumée.
Mais le labeur d^vn Poète
Que la rouille ne corront
Dont la carte n*eflfuiette
A rien quifoit en ce rond.
Les Dieux en leur nature trace.
Et mefme entre les Dieux prend place.
La Caftianire heureufe,
Que Magny adore icy.
Dans la table rechineufe^
N^eufl pas efïé peinte ainfi.
Et pour vne Déeffe telle,
La table feroit trop mortelle.
Qui efi-ce qui peindroit Vame
Ornement de ce beau corps,
Qui efl-ce qui cefie flame.
Qui efï-ce qui ces accord:^.
Ce beau port,' ces humbles brauades,
Ces propos, ces ris., ces œillades ?
334 APPENDICE.
SVR LES PESCHERIES,
BERGERIES ET EGLOGVES DE CHASSE
DE CLAVDE BINET".
Ton Neptun , mon Binet , ton Pan , & ta Diâynne ,
Sous le marbre des eaus, dans les pre\, dans les bois^
De Trident j de houlette ^ & d? ef pieu fous f es lois
Ne tient tant de poijfons , d'aigneaux , de fauuaginef
Que ta longue mufette & que ta trompe orine ,
Aux riues, aux vallons, & aux taillis plus cois,
Fait outr, fait parler, fait courber fous ta vois,
De flot ^, de rocs, de raims à la verte courtine^
Le Daufin as[uré à VOurque au pefant cors ,
Le loup à la brebis f accorde à tes accors ,
Le chien, le dain craintif à toy bornent leur quefle.
Donc pefcheurs, & bergers, chaffeurs venes[ lier
De vert myrthe marin, de faule , & de laurier,
La ligne ^ la houlette, & le dard d^vn tel poète.
ESTIENNE lODELLE
Pari lien
(a OLIVIER DE MAGNY).
ODE'".
L es poètes fauorables
A mys de la Deité,
Sont les peintres pardurables
APPENDICE. 337
SONET.
(a salel. )
Sur quel riuage à mes yeux incogneu,
Dedans quel bois faintement folitaUe,
Ou en quel coin farouchant le vulgaire
As-tu j PhebuSf mon Salel détenu?
Salel vainqueur de ce faucheur chenu,
Salel qui tant par f es vers me peult plaire?
La France ainjifa plainte vouloit faire
Quand fon Salel de rechef ejï venu,
Luy apportant cejle abondante corne,
■^ Dont il répand le beau fruyt qui nous orne,
Fruyt quHl acouple à ce prefent fécond.
Qu'au iardin Grec iadis on luy veit prendre.
Lors quHlfe fit vn Homère fécond
Digne du lit de mon grand Alexandre.
A LA MEMOIRE
(de salel").
Qiiercy m'a engendré, les neuf Sœurs m'ont appris.
Les Rois m'ont enrichy^ Homère m'eternife ,
La Parque maintenant le corps mortel a pris,
Ma vertu dans les deux Vame immortelle a mife :
Donc ma feule vertu m' a plus de vie acquife.
Plus de deuin fcauoir, plus de richeffe aufji
Et plus d^éternité, que n'ont pas faià icy
Quercy, les Sœurs, les Rois, V Iliade entreprife.
hdelle. — II 22
lEPlTAPHE DE CLEMENT MAROT"
Quercy, la Cour, h Piémont, l' Vniuers,
\tefil, me Uni, m'eaterra, me connut;
Qjierey mon los, h Cour tout mon tems eut,
Piémont mes os, S- V Vniuers mes vers.
(A lEAN DE VOYER,
ViCONTD DE PAVLMVj
l'ii Diaiogirmc du Gcnic & <lu PalTant.
SONET".
L.G.N'outrepaffe PaJfant.L.P. Pourquoydoncq^L.G. VnGet
T^en requiert, pour vn Mort, gui auecq Mars chtrit
Les Mufes, & des deus fc rendit fauoril :
A fan los, l'œuil, taureille, S- la «ois, ne dénie. _
L. P. CanimentV A qui les Arts & les Armes manîc ^H
En ce tens, le mérite & te vray los périt : ^U
La Fiance des l^eaus Arts, qu'elle JJa!e,/e rit,
Par Armes fur foymefme acharnant fa manie.
L, G. Mais quoy9 La Mufe vange après la mort le tort
Fait à la vie : S Mars /ail tuyie après la mort
Ceusqui leur Dieu, leur Roy, Jbntfeul but de leur guerre :
Tel fut ce Cheualier De Paulmy. L. P. Poy, levoy.
Ma vois ejl, qu'il mérite & pleurs S fleurs de moy.
Gré des Roys, du Ciel gloire, & renom de la Terre.
APPENDICE. 339
(A I. DV BELLAY.
sonnet".)
le Jçay bien, du Bellay, que Rome eft le bordeauy
Où Von voit paillarder fans fin le corps S- Vame :
Le corps y eft efpris d^vne bougreffe flamme,
Vefprit paillarde auec VAntichriftfon boureau.
Elle eft de tout erreur contre Chrift le Chafteau,
V enfer de tous les bonSy desfaux-prefcheurs la dame :
Et de nos Rois charme^ la concubine infâme :
Des Mufes, des lettre!^, des vertus le tombeau.
Elle eft des Empereurs la fine larronneffe:
De la grâce de Dieu fauffe reuendereffe :
Lafource de tout mal, le gouffre de tout bien.
Bref que dirai~ie plus? c^ eft cette pute immonde.
Que Von nomme à bon droit le chef de tout le monde
Puifque le monde entier auiourd^hui ne vaut rien.
DE TH. DE BESZE,
FAISANT L*AMOVU*\
Bef^e voulant plaifanter vn petit
Difoit vn iour à vne non fottarde :
De vous baifer Vauroy grand appétit,
Mais voftre ne:{ qui eft fi long m^engardc.
La dame alors viuement le regarde,
En luy dîfant : Pour fi peu ne tene:{,
Car fi cela feulement vous engarde,
Pay bien pour vousvn vif âge fans ne^.
(EPITAPHE DE CLEMENT MAROT".)
Quercy, la Cour, le PUmonl, V Vniucrs,
Me fil, me tint, m'enMrra, me connut;
Q}iercy mon los, la Cour tout mon tems eut,
Piémont mts os, S- rVniuers mes vers.
(A lEAN DE VOYER,
VJCONTE DE PAVLMY)
l'i! Dinlogirmc du Gcnîc & <lu PatTanl,
SONET*'.
L.G.N'outrcpaJfePaffitnt.L.P.Poui-quoxdo>icq?l.C.VA(itm
T'en requiert, pour vn Mort, qui auecq Mars cheril
Lti Mufes, & des deusfe rendit fjuorit :
A fan loi, rœuil, l'aureille, <? la vols, ne deaie.
L. P. Comment? A qui les Arts if les Armes manie
En ce tens, le mérite S le vray los périt :
La FiLiiice des beaus Arts, qu'elle flale,fe rit,
Par Armes fur foymeftae acharnant fa manie.
L. G. Mais quoy? La Mufe vange après la mort le tort
Fait à la vie : & Mars fait luyre après la mort
Ceus qui leur Dieu, leur Roy , fontfeulbut de leur gueiTe :
Tel fut ce Chcualier De Paulmy. L. P. Poy, levoy.
Ma vois e/i, qu'il mérite & pleurs & fleurs de moy,
Gré des Roys, du Ciel gloire, 3 renom de la Terre.
APPENDICE. 339
(A I. DV BELLAY.
sonnet".)
le fçay bien, du Bellay, que Rome eft le bordeauj
Où Von voit paillarder fans fin le corps & Vame :
Le corps y eft efpris d'vne bougrejfe flamme,
Vefprit paillarde auec V Antichrift fon boureau.
Elle eft de tout erreur contre Chrift le Chafteau,
V enfer de tous les bons, desfaux-prefcheurs la dame :
Et de nos Rois charme^ la concubine infâme :
Des MufeSy des lettre:^, des vertus le tombeau.
Elle eft des Empereurs la fine larronneffe:
De la grâce de Dieu fauffe reuendereffe :
La four ce de tout mal, le gouffre de tout bien.
Bref que dirai-ie plus? c^ eft cette pute immonde,
Que Von nomme à bon droit le chef de tout le monde
Puifque le monde entier auiourd^hui ne vaut rien.
DE TH. DE BESZE,
FAISANT L*AMOVr"\
Bef:ie voulant plaifanter vn petit
Difoit vn iour à vne non fott'arde :
De vous baifer Vauroy grand appétit,
Mais voftre ne^ qui eft fi long m^engardc.
La dame alors viuement le regarde.
En luy dîfant : Pour fi peu ne tene:{,
Car fi cela feulement vous engarde,
Vay bien pour vousvn vif âge fans ne^.
î-to
Apres que ces pipeurt onl demafqué leurjby,
Affrimli leur Jtigneur en baiaille rangée.
Qu'ils OHl dedans Paris fa per/omie a/ftegee^
Failly à la fiirprendre & luy donner la loy;
Apres aaoir eneor mis ta F'rance en effroy,
Eiaiaki fa frontière & Vauoir engagée
A r Anglais defloyal, après Vauoir chargée
Ue fubfide & d'impojl au mefpn's de leur Roy;
Voyons à la parfin le fer viâorieiix.
Le fer & Vonde auffi, par le vouloir des deux.
Forcer, venger, purger leurs fautes critnîneHes,
Ces martyrs ob/liaés en leur rébellion
Se couitrans du manteau de Perfecution,
Dieu, difent ils, ainji efprouue fes ftdelles!
SVK LES
SONNET
iEAVTEZ d'vnE GAHSe".
Comment pourroy-ie aimer vn fourcil bériffé
Vn poil roux, vu œil rouge au teint de couperose
lus grand bouche inceffc ' '
>i efprit de ces leurcsfu
• -i f-ji- • w^x, vn œil rouge au teint de couperose
Vn grand ne\, plus grand bouche inceffamment declofe
Pour gefner mon efprit de ces leurcs fuccé.
APPENDICE. 341
Vne gorge tannée^ vn colji mal drejfé^
Vn eftomaq Ethique, vn tetin dont ie n^ofe
Enlaidir mon fonnet^ & qui eft pire chofe
Vne bouquine aiffelle, vn corps mal compafféf
Vn dos qui rèjfembloit d^vne mort le derrière.
Le ventre befacier, la cuiffe heronniere
Et mefme quant au rcfte,.. Ah fi fonnet taî-toi!
Oeft trop pour demonftrer à tous quelle deeffe.
Tant le Ciel îe moqua de V amour & de moy,
Deuoroit les beaux ans de ma verte ieuneffe.
CE QVI FVT CHANTE AV LOVVRE POVR LA BANDE
DE FLORE ET PHŒBVS.
CHANT DE PAN«\
Flore la deeffe des fleurs
La terre efmailla:)it de coulleurs,
D'odeurs enbaume & ciel & terre; -
Nature emprunte tout le teind
Dont vo;f beauté^ mefme elle painû.
Sur les fleurs que fa corne enferre
La belle aurore & de Phœbus la fœur
En va triant fes rofes, fa blancheur.
Et Phœbus Vor des grands traiâs quHl déferre.
Tout ce qu'ont les Roys & les Dieux
Délicieux ou précieux
y prend odeur ou coulleur belle;
ipPEVnice.
L'amintiJU h cn^ fem fiUa :
ToM omemeMife amtre/aid
Defiu Ut kMwc oratmeai d'elle.
Km lo^i priatemft U ciel en reckerip
La terre Mb S-leprmtempi qmi rit.
Comme vtig ferpeni te monde en renouuelle.
Fhre ne faiâ fot fcuUement
Raieunir par /on orn^m^iil
Le monde, mau qaa.»d la mi/ere
Faià pre/que vitg grand règne périr
Des qu'il eommcuce à reftorir
Flore Ivy femble tfire prajpere.
Qui en re/at défia refioriffant
Reuerfe aînfi qu'au ehampt reuerdiffaat
Les heurs, les Jleurs dont eUefefaia mère.
Elle vouloit Ici champs français
Et les champs de nos voifias royt
Hayr, 6 fe rendre fauuagc,
Moy Pan, S ces/atirei ey.
Cet komma fauuaget aaffy,
La trouuafmes eu tel courage.
Elle vouloit exécrant voj malheurs
Priuer toute herbe S tout arbre de fieur»
Faijant finir par Jorce voftre rage.
Mais hors de ces boys incogneuj
A nous, à ces hommes tout nuds
Eftrange S- fiirt loinglain repaire.
Apres la paix fe fata mener
En ce lieu prefie à retourner
Si la paix fen voulloit retraire.
le Vaccompaigtie en chants S fons Jiuers,
Pour elle encor i'ay dreffé d'autres vers
Pour de fou veiiil vng oracle vous faire.
VO:
S fcaurej par eux qu''elle veult
APPENDICE. 343
Faire floriv tant qu^elle peult
Non feuUement vof iardinaiges,
Vox pre^y [^] vox champs y & vo^ bois ,
Mais bien le beau fil^ de vof Roy s
Qui fletrijfoit foub^ vojf orages.
Or fi ces vers plaifent à vos beaultei
On ne verra déformais furmonte^
Par Apollon mesfept tuiaux fauuages.
CHANT DE VENVS
povR l'entrée des tenans a l^hostel de gvyse".
Auant qu^en ce throfne monter
Pour trois cheualiers prefenter
Dont ie voy Vame & la main prefte,
Vair, la mer, les mont^ & les boys^
Lors qu^en mon char ie defcendoys,
A ma defcente faifoient fefte.
Tout Vair riant fe ferenoit
Et la mer calme fe tenoit.
Les montx S- des forefts le fefte
Soub^ moy prefque en fleur reuenoit.
Pay toufiours des hommes efté
Comme des dieux la volupté ;
Et du tiers ciel où ie domine
Penuoye non les Cupidons,
Les Jeux, les Ri^ qui leurs brandons
Arment d^vne flamme maligne,
Mais d^vng hault amour le defir
Qui peult ces grands hommes faifir
Lorfque quelque beauté diuine
Se rend feul but de leur plaifir.
344
APPENDICE.
lefaij ejire tout ce qui ejt,
tf/ai^plaire tout ce qui plaifl.
Pourtant toute cho/e nf honore ;
Vous doncq honorer me deue^
Dames qui de Venus auej
Tout cela qui plus nous décore :
Mah fi iioas con/iderej bien
Pouf quelle caufe icy ie vien.
Plus d'koneur mc/erej encore.
Car ce party ejl vojlre S mien.
Mercure vous a faiâ fcauoir
Par des vers qu'on vous a faiâ v
De Mars S de moy la querelle.
Pogre le cartel & la fay
De ces trois qui tiennent pour may,
V/ej, dames, de/aueuv telle
Qu'elle leur double ettcor le cueur :
Si vous nousprejle^ vng tel heur ,
Efperej de Venus la belle
En voj amours l'heur S- l'honneur.
Oncques Iraiâ, Jlamme ou lacqs d'amoureufe fallace
N'a poingt, bru/lé, lié, fi dur, fioid, deftaché
Cœur, comme eftoit le mien bleffé, ars, attaché.
Miferable qui èft enfipenible chage.
Ferme & gellé trop plus que le marbre & la glace.
Libre & franc le n'auois crainte d'ejlre empefché
Depiaye,feu,priJon, maisviuement touché
M'a I arc, m'a le brafier, m'a la relj qui me lace.
'è
APPENDICE. 345
Transflx, desfaiâ iefuis, & tellement eftraint
Qu'aultrecœurquele mien n^ouure, n*enflambe ou ceint
Dard^ brandon ne lien de rigueur plus extrême ;
Et ne peult aduenir que le nœu,feu &fang
Qui m^eftrainâ\, me confomme & m^abreuue le flanc^
De/lie, eflraigne^ eftanche autre que la mort mefme.
STANCES
SVR LE DEPART DE MADAME LA MARESCHALLE
DE RETZ"*.
Le Ciel pleure vng départ,, le Ciel faiâ diftiller
Vne pluye foudayne ef campagnes de Vaer,
Voyant iafaprejïer à ce loingtain voyage
Vne Diâynne telle en toutes fes grandeurs
Qu^au bruiâ de fon départ le Ciel ieàe des pleurs
Craignant d'eftre efloigné de fon diuin vif âge.
Ce n^eji pas tout le Ciel qui pleure fon départ^
Oejï V endroiâ feulement ou fon heureux regard
Faiâ luyre fes foleil^ deffus les bors de Seyne
Quife monjire ialoux^ parce que fes beaux yeulx
Vont bientojl faire honneur à ce quartier des deux
OU borne fa longueur le pats de Lorrayne,
Heureufes pleurs^ heureux tout ce Ciel larmoyant^
Heureufe nue où fort ce crijlal ondoyant^
leâé pour le départ d^vne fi belle Dame!
Mais plus heureux encor les champs & les pais
Où tant de Citoyens feront fort efbahis
Voyants luyre [à leurs yeux] vne Diuine flame.
21*
346 APPENDICE.
Les fleurs qui commençoient à changer de couleur
S^ enrichiront encor (Vvne gaye verdeur,
Et le North froydureux guidera la campagne ;
Vng gracieux Zephire, vng émail du printemps,
Vne moijfon de fleurs enrichira les champs
Où fa grandeur y ra coftoyer VAlemagne,
Courtifans, ne craigne:^ les rigueurs d^vn hyuer.
Quelle part qu^on verra la Diûynne arriuer
On ne verra qû* œillet:^ & quvn trefor de ros[es :
Elle peut d^vn regard tout le monde enflammer
Et V ardeur de fes feux fai& foudain confumer
Les glaces d*vn hyuer dedans la terre enclofes.
Elle a pouuoir au Ciel, elle ef claire ef Enfers,
Elle prœfide e\ bois, & aux plus grands defers^
Faifant craindre partout fa diuine puiffance :
L^ hyuer ^fll:( de nature^ & du Ciel a:{uré.
Contre fon beau Soleil ne feroit affeuré
Veu mefme que Icr Ciel luy porte obeiffance.
Helas! ce beau foleil enrichi de fcauoir ,
De gracCy de vertu:ç, & dHnfini pouuoir
Nous cachera bientofl les rai:( de fa lumière :
Nous la perdrons de veue auec mefme langueur
Que la fleur du Soucy pert la claire lueur
Du Soleil abaiffant fa treffeprintaniere.
Non point que le Soleil de fes perfeâions
N'^aye bien le pouuoir d^épendre fes rayons
Des le pais lorrain iufqu^en Vifle de Finance :
Son Soleil luyt par tout, fa grandeur en tous lieux
Defcouure excellemment vn luftre précieux.
Mais Vheur eft bien plus grand près de luy qu^ en Vabfence.
Il n'y a rien que d'eftre auprès de fon flambeau :
Les peuples froidureux qui combatent fur Veau,
Voyerit bien les rayons de ce grand œil du Monde :
f
APPENDICE. 347
Mais tel:^ rai:{ affoibli:( ont bien peu de pouuoir
Trop loing de VMquateur qui nous faiâ receuoir
Tous les feux epandu^ fur la machine ronde.
Il n^y aura plaijir qui puiffe contenter
No:( Efprits éperdu:^ fi Ion voit abfenter
Cefte belle Diane à no:{yeulx eclipfée :
Vefclipje & le deffault (Vvne telle beauté
Ne rendront à no^yeulxrien qu^vne obfcuritéj
Qu^ennuy & que trifïeffe à nof cueurs enlacée.
Vng lardin enrichy des fleurons du printemps
N'apporte tant de dueil aux yeux des regardans
Quand Vhyuer faiâ iaunir leur couleur basanée ,
Qjie nous aurons d^ennuy^ en ce trifïe départ
Voyants à grand regret fen aller autre part
Cefïe Nymphe fi tofï de nos yeulx efloignée.
Au moings Ciel larmoyant mets fin à tes ennuys,
Reprens ton bon vifage & maintenant reluys
Aux lieux où doibt paffer Vheur de fon excellence :
Ton dueil efi infiny de mefme que le mien y
Si nous fault il refouldre, & luy monfïrer combien
Nous voulons obeyr aux vœux de fa puiffance,
Toy qui as fymp'atie à fon Efprit diuin,
Fais de ton beau regard deffecher le chemin
Et d*vn temps embelly efiouysfon courage.
Moy qui ne puis fi hault eftendre mon pouuoir y
Par Vaccent de mes vers ie feray mon deuoir
De fouhaider tout heur pour fon loingtain voyage.
Penchanteray Vennuy d^vn hyuer froidureux^
Le trauail du voyage ^ & les vents amoureux
De fes rares beaute^y & de fa bonne grâce :
Son nom tant renommé ce fera le nomfainâ
Au feul pouuoir duquel leur bruiâfera contraint
De ronfler autre part qù* aux entours de fa face.
348 APPENDICE.
Et Vefpoir que Vauray de la veoir au retour
Charmera les regrets, le/quel^ comme vng vautour
Loing cPelle rongeront le creux de ma poitrine :
le feray Promethée^ & V aigle ma doulleur^
Mais cet efpoir que Vay en fa feulle grandeur
Ce fera mon Hercule & ma faueur diuine.
(SATIRE
CONTRE LE CHANCELIER DE L'HOSPITAL'^y
// vit encores ce vieillard.
Ce mefchant afne montagnard,
Et veoit auec impunité
De fon pays Vembrafement
Dont malheureux il a ejlé
La caufe & le commencement.
Il eftjier defeftre vangé,
Ce fils d^vn bonnet orangé.
Des chrejiiens & des bons François,
D^auoir foub^ mafque de prudence
Trahy la bonté de deus Rois
Mefmes au tcms de leur enfance.
Mais Dieu nous fçaura bien venger
Vn iour de ce monfîre efiranger,
Et puis quUl tarde fa iuflice^
C'efi quHl luy prépare vn fupplicc
Eternel, qui ne fera pas
Finir fa pêne à fon trefpas.
Il a efcrit que cefte peflc
Huguenotte il fuit & detcfte^
Qu^il ofïra ce chancre pourry
APPENDICE. 349
Si vn tour les f eau s il exerce;
Mais qui Va mieus creu & nourry
Que ce médecin cV Aigueperce?
Oeft ce preudhomme, ce Renart
Qui a régné en Leopart,
Dont mefchamment & en malheure
Il ne peut faillir qu'il ne meure
Comme vn chien ^ car il ne peut croire
De Vame V immortelle gloire.
Jamais on ne veid tel pipeur
Si feint f Jî menteur, fi trompeur.
Et iamais n'a eu lefuchrift
De fi rebelle créature,
C*e/?, feft le dernier Antechrift
Duquel parle tant VEfcriture.
Von penfoit à veoirfon vifage
Que ce fuft vn grand perfonnage,
Le teint pafle & Vœil enfoncé,
Le ne^ grand, le fourcil froncé,
La barbe blanche^ & longue efchine,
Mais tout ce n'eft que poil & mine.
Car f on ediû des deus Eglifes,
Les daces, puis les paillardifes
Des fiens, du feau les pilleries.
Ses biens, fes rudes poéfies,
Tefmoingnent qu^oncques il n'a eu
De Dieu, de fçauoir, de vertu.
Sa vertu eft d^eftre vn Prothée,
Sa neutralité d^eftre Athée,
Sa paix deus lignes maintenir :
Changer les loix^ c* eft fa prattique,
Sa court les pédant:^ fouftenir,
Et fon fçauoir d^eftre hérétique.
35o APPENDICE.
Si le vice & Vinfuffifance
n portait donc foub\ Papparence,
A Von en France tant efté
A defuelopper fes denrées^
ET Va Von fouffert tant d'années
Humer Vair qu'il ha infeâé ?
Non, non : quHl meure où il pourra ;
Toufioursfon nom Von dannera
Et/on vmbre à iamaisfera
Le phantofme & Vefpouuentai
Du chreftien quife croifera
Toujiours à ce mot d^Hofpitai.
NOTES
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:» t
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I
I.
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Jl- 1 îl
NOTES
C'est par CE recneiLqnecoininencentLfsŒiiiirei de Jodells dana
lu dcui éditions de Charles de la Mothe; noua avons jugé qu'il
convenait mieux de présenter d'abord au lecteur les ouvrages dra-
matique» du poète. Voyez note 4 du tome I", p. 3ii. L'ordre
■doplé dans les éditions originales pour le classement des pièces
qui composent Les Amoars a d'ailleurs ét£ suivi rigoureusement
par nous, sauf l'unique eiception indiquée ci-après dans les notes 11
et 16.
A qni sont adressés les quarante-sept sonnets par lesquels com-
mencent Le> Amours?
Réunissons d'abord les divers renseignements précis épars dans
les vers de Jodelle, ensuite nous hasarderons nos conjectures.
L'objet des amours du poète est une veuve (sonnet IIII, page 3),
mère dune fille , tendrelette i la ïérité, et qui tette encor (son-
net XLVll, page 24), Jodelle, en dépit de sa flamme purement
poétique, désire fort un mariage qui amènerait sans doute quelque
brusquement à l'épi t bal ame : dès le quatrième sonnet, il dit à sa
_. En veuuage enuieitlir tu ne dois.
me elle ne u MMt t
X au irente-diiquîtaie sonnet, m l'ierie :
Pourmit-ie roir l'kfurevfe & fatale i
Qii dnx awm. itria caeun. £- Jeux •
XMk) le beau rel ifaiKour/e irerraMl carejèj
Epiiement toat deux du doux bien ^Hymenee?
I ton «ithaBsiisme. il Iiiik mime ^happer 1«s noms dndtu
, D'ordiniire il appelle eo iaa
II de V<nD> oD Diane, ie PaUai o
MUMive. qu'il lui donne «uni (unnels Itl cl XXWiri, pages
cl 3e), n'en qu'une politesse de poile, tandis que le prénom Ai
toinetle, rien mythologique, doit noua inspirer IguI
ConOBOct.
Eumloonc maimeaanl la devïM de laïeunc leuve; c'etl^Tii
fia, Itnaïu. • {Voyei ci-aprè» note 4.) CeMe devise ne nous»!
prend rien par elle-même, mais chacun des deu> mots qui ta a«c
posent 1 an lynoDjme, et ces deux syuanytncK Ttpéxii à sitîâ
dlnt Let Amoun, bien que foi^ différents l'un de l'uulie fat ta li
dit iDuEd'alwrd Jodellc i >i dune (sonne! II, page 9). Les
cri «ont les rayons brQlanti, eaflummés, le feu; le rets, c'
nixad; ca eipresiioni revienoenl i chaqne inslanl. Nous t
tout * l'heore de voir tes dsux amants enlacés dans te beau «t J"»- |
moarîdansunsonneldeMjjpCTiiin! (page 3+4), quia sansdm
partie des Amouri, Jodetle parle encore de • ta relz 9111 tel
Rail, rtl, rets, retj, aous leura (brmei orthographiques ii
désignent également le nom de Reti , el , pour bien établi
si pas 1^ ui
Slaacei
fur le départ de h
( marefckalle .
à la fin de r Appendice, son
it également re
nona de signaler.
Tout
ceci bien éUbli. no
us sommes foi
Hunau!
laye,morleni56i,
.au combat de
rappelle
: Ronsard dans l'épi
tsphe qu'il lui
p. 194-
198, de l'édition de
<tclX. qui
NOTES. 355
2. Des flambans forts & griefs^ p. 2.
Il y a Jlambeaus dans la première édition, mais l'errata indique
qu'il faut lire ^^m^ans. La seconde édition ^orXt flambe ans.
3. L'auflerité, p. 3.
L'autorité, dans la première édition ; cette faute est corrigée à
l'errata.
4. C'efl le FeUy c'efl le Nœu, gui lie ainfi mon ame^ p. 5.
On lit, à la marge, dans la première édition : « Lefeu^ le nœu,
deuife de fa Dame.» Voyez ci-dessus la note i et ci-après les notes
12, 20 et 88.
5. Defon obfcur ombre ^ p. 6.
Ainsi dans les deux éditions; non qu'il faille considérer ombre
comme masculin, mais parce que l'auteur a supprimé pour l'œil Ve
muet final, comme nous le supprimons pour l'oreille ; souvent cette
suppression était indiquée par une apostrophe. Voyez Les Œuures
françoifes de loachim du Bellay^ 1. 1, p. 5o2, note 190, et ci-après,
notes 6, 1 3 et 43.
6. Vn extrême foy preuue^ p. 10.
Voyez la note précédente.
7. Alors qu'on fe dif pence ^ p. 12.
Voyez la note 5o du tome II des Œuures françoifes de loachim
du Bellay^ p. 353.
8. Que le temps ne corrompt^ ny change ny molejle^ p. 2 5.
Il y a dans la première édition :
Que nul ne le corrompt....
Mais on lit à l'errata :
Que les temps ne corr.
Et c'est aussi la leçon de l'édition de i583. Il nous a paru indispen-
sable de substituer le temps à lés temps.
9. Et portéy p. 28.
Ainsi dans la première édition ; efl porté à l'errata et dans la
seconde édition. La mention faite dans l'errata m'a un instant
échappé, et j'ai cru devoir préférer la leçon & porté qui donne un
sens à peu près aussi satisfaisant et présente un tour plus vif. Si
on l'adoptait, il faudrait considérer l'énumération comme conti-
nuant ; Diray-ie vn front fer ain...'Vn ne\ de beau pourfll... vne
tOmcMe... prtU» S Mm/lar... et braae cltc/ctlefte... Mais corami
og >rrl« ensuite 1 une pli me nnfErRiant ua lerbf.eejlf gorge Jf
fanfàc. (t que l'^nonifralioD h Irouve ïulerrompue, mieui viui
lUlTM U coriwitan prépaie par L'ernti.
lo. Font, tomme on dit. voiler ifAgametmnon lafact, p. sg-
Vofu Let (Euureijyanfolfn de loachin Ju Bellay, tome I, p
II. Qui>(enlraoi,ca»c<fiiTd.
,. hommes laf
cA„.
p. 31.
Ain» d>D> la deuxième m\«>
a. <Jui onc n-,
la premliPB.
it. Un-ru, I<.fiafne,f.i^.
Voyu ci-destii> Icï notes i e
t *. el d-apri!
. letr
«les :o et sa.
i3, Vn ombre, v.^<..
VojBï ci-de»ii< le. notes Sel
G, et ■:i-après 1
. BOl
e43.
14. DeHfoit.v <3.
Ainil dan» la première éii\\ot
\-, deaoit daas
la se
™>de.
li. CH*KB0» VO\» BESPOWD»!
Z A CELLE DE
RONI
5*BD, qïl COU-
HENCE : QlMIlJ fefio" 1"^'.
p. 45.
Joddle*UittrJï-liefdB«tle
lutte avec Ronsard,
Puqnlsr i'eiprime i ce suiet dîne tei Reche
rches
r de la Ftm<'
llWre VII, cfaiptlre 7) :
f .. Il«etomia«q«tegm>i.
emuit TU ioui
■etilr
oawak'U
'l'oefiefainflïtMiloit-il eBre chaloOidé). il Inyaduim
de me diic.qtie
n m Bonfard auoii W dcfl-gs d
■in lodtllt 1c
,, rapresdiWi
lodeik l'emparterolt de Ronlari
l:adefaitil
feph
ne de> plua a(
jreabi
es chanfDcs de
Bonfard efl celle qui fe Irooiie
au fécond liar
edc
il regrette la liberté de Ta ieun
eUe (lome 1, p
, de r&Ution de
Qw»<f i-efioii ieune, ait:
^,qu-«neamou
rnou
«elle
Nefe/ujtprifeenmal.
r«dre moelle.
leviuoit bien-tieareux :
Comme ârenuy les plus
accoTtes Jillei
Se trauaiUoienI par lev
r! fiâmes gentilles
De me rendre am
Mait tout ainji qHvn bec
m poulain /a,
■ouch.
/^
NOTES. 357
Qui n'a mafché le frein dedans fa bouche^
Vafeulet ef carte :
N'ayant foucy Jinon d'vn pied fuperbe,
A mille bonds fouler les fleurs & V herbe
Viuant en liberté.
Ores il court le long d'vn beau riuage^
Ores il erre en quelque bois fanuage^
Fuyant défaut en faut :
De toutes parts les poutres hennijfantes
Luy font l'Amour^ pour néant blandiffantes
A luy qui ne f'en chaut.
Ainfi i'allois defdaignant les pucelles
Qu'on eftimoit en beauté les plus belles,
Sans refpondre à leur vueil :
Lors ie viuois amoureux de moy-mefme^
Content & gay fans porter face blefme^
Ny les larmes à l'œil.
Vauois efcrite au plus haut de laface^
Auec rhonneur, vne agréable audace
Pleine d'vn franc defir :
Auec le pied marchoit ma fantaifie
Où ie vouloiSf fans peur ne ialoufie^
Seigneur de mon plaifir,
« Par le demeurant de la chanfon il recite de quelle façon il fe fit
efclaue de fa Dame, & la mifere en laquelle il fut depuis réduit.
Au contraire lodelle fur la comparaison du mefme cheual voulut
brauer Ronfard : & monftrer combien la feruitude d'amour luy ef-
toit douce ; le premier couplet de la chanfon eft » Pasquier rapporte
textuellement les six premiers vers de la pièce [page 46 du pré-
sent volume], puis il ajoute :
« le vous pafTeray icy plufieurs autres fixains, pour venir à ceux
aofquels il feft efgayé en la comparaifon du cheual dompté en-
contre le Poulain farouche. »
Pasquier cite un long morceau de la pièce de Jodelle depuis :
Afoy maintenant {combien que paffé faye
Des premiers ans lafaifon la plus gaye)^
jusqu'à :
S'en faifant plus valoir.
pages 46-47, puis il termine ainsi :
« Cela s'appelle à bien affaillir, bien défendu. II y a plufieurs
autres couplets, que de propos délibéré ie laiiTe. »
Pasquier, ainsi qu'on a pu le remarquer dès le premier hémistiche
du premier vers, ne cite pas le texte de Ronsard tel qu'où le trouve
dans Les Amours ; il y a plusieurs différences que nous avons con-
358 NOTES.
servées. Au contraire, le texte de Jodelle qu'il rapporte ne s'écarte en
rien de celui que nous avons suivi.
A la citation déjà longue de Pasquier il nous paraît indispensable
d'ajouter encore ces vers de Ronsard :
Et lors tu mis mes deux mains à la chai/ne^
Mon col au cep & mon coeur à la gefne^
N* ayant de moy pitié^
Non plus, helas! qu'vn outrageux cor faire
(jOfier Dejlin) n'a pitié d'un forcer e
A la chai/ne lié.
Tu es four de à mes cris.
Et ne refpons non plus que la fontaine
Qui de Narcis mira la forme vaine.
On voit que Jodelle dans sa chanson ne répond pas seulement
d'une manière générale aux idées exprimées par TUlustre poète,
mais qu'il en reprend souvent les expressions
i6. Quand auec elle on les dit :
Qu'eft-ce donc qu'il femble.
Quand fans vérité Ion lit, p. 55.
Ainsi dans la première édition; dans la seconde :
Quand auec elle on les lit :
Quand fans vérité Ion dit,
17. Chanson povr respondre a celle de Ronsard, qvi com-
mence : le fuis Amour le grand maiftre des Dieux, p. 65.
La pièce à laquelle Jodelle répond est de i 567 ; elle fait partie du
recueil intitulé : Les Majcaradcs^ combats & cartels; son titre par-
liculicr est: Le Trophée d'Amour à la comédie de Fontaine-
bleau (tome IV, p. i3i, de l'édition de M. Prosper Blanchemaini.
Jodelle a surtout en vue ces premiers vers :
le fuis Amour^ le grand maijlre des Dieux,
le fuis celuy qui fait mouuoir les deux,
le fuis celuy qui gouuerne le monde^
Qui, le premier hors de la majfe efclos,
Donnay lumière &fendi le chaos
Dont fut bajii cejle machine ronde.
18. Mutile, p. 69.
Ainsi dans les deux éditions. Cette expression, quon ne trouve
NOTES. 359
pas dans les lexiques, doit signifier mutilé^ estropié^ si c'est bien là
le mot qu'il faut conserver ici ; mais on ne peut s'empêcher de se
dire qu'inutile conviendrait encore mieux au sens, et que le com-
positeur a probablement lu m au lieu de in; aucune erreur n'est
plus facile à commettre.
19. Auoit iajini les tours^ p. 80.
Ainsi dans la première édition ; les iours^ mais à tort, dans la
seconde.
20. Ode svr la devise de nœv et de fev, p. 88.
Voyez ci-dessus les notes i, 4 et 12, et ci-après la note 88.
21. Contr'amovrs, p. 91.
Dans les éditions de 1 574 et de 1 583, on trouve, entre VOdefur la
deuife de nœu & defeu^ et les Contr'amours^ YEpithalame de ma-
dame l^arguerite^ que nous avons reporté plus loin (p. 1 1 1-128),
avec les autres pièces relatives à la même princesse.
Pasquier, à la suite du passage de ses Recherches de la France,
que nous avons reproduit plus haut (note i5, pages 356-357), nous
donne les détails qui suivent sur les Contr' Amours ^ dont il cite la
première pièce avec des variantes de texte et même de mesure que
nous avons conservées :
« Il (Jodelle) eftoit d'vn efprit fourciileux, & voyant que tous
les autres poètes fadonnoient à la célébration de leurs Dames, luy,
par vn priuilege fpecial, voulut faire vn liure qu'il intitula Contr'-
AmourSy en haine d'vne Dame qu'il auoit autresfois affedlionnée,
dont le feul premier fonnet faifoit honte à la plus part de ceux qui
fe mefloient de Poëtifer, tant il eft hardy.
Vous qui à vous prefque égalé m'aue^^
Dieux immortels, dés la naijfance mienne.
Et vous. Amans, qui fous la Cyprienne
Souuent par morts amoureufes viue^.
Vous que la mort n'a point d'Amour priue^,
Et qui au/rai^ de l'vmbre Elijîenne,
En rechantant vojlre amour ancienne,
De vos moitié^ les vmbres refuiue:^,
Si quelques/ois ces vers au Ciel arriuent,
Si quelques/ois ces vers en terre viuent.
Et que l' Enfer entende ma fureur :
Appréhende^ combien iujle ejt ma haine,
Etfaiâtes tant que de mon inhumaine,
Le Ciel, la Terre, & r Enfer ait horreur.
« Vous pouuez iuger par ce riche efchantillon quel efloit le de-
meurant de la pièce. Bien vous diray-ie qu'il m'en recita par cœur
tra qui fecondatCBI att^y de bien prit. El
ir defilâigiit de mettre en lumière (et Poeilei
c le Seigneur de la Molle, Confeiller au Erand
■prêt (on decez, & dont il nom * fuit pan, e[t
vue in fini t£ d
D'iprés Charles de la Molhe, les Conir'ivtiouri, qoi m
(cnt, din> sou édition comme ici, que de tcpl Hinneii, e
Dieni, CI • que l'aulheur pour Ct maladie
dem.) Oiarletde la Molhe, an le voit par
cliuer Ici ouvragei dt Jodslle par genre
poier dant on ordre chronologique quil e
ie peut parfaire
33. M.il-11!^ poêufirrt, p. loi.
Ualingt, dam la preiniire «dltion; iiai-ue\ i l'crrala el dans
■ecoode édillon.
Ce poluon ett celui que I» Grecs nommaient échénéit, Isa lalii
rtmora. et que nos p^beara appellent iKcel. Plïae a recDcïl:
duu »D Hâtoire tiatitrtlU (liv. XXXII, chap. i), \ti divers
Qat les vnts forcené^ fajfemblenl tous en ™,
(lue Secourus dafiiu ou tejlus dfNfpluit
Us choquent me nef, & que la force accorte
De ceH( loHjs auirons leur/ace encor e/corle,
La Rtmore fickanl Jon dehUe mu/eau
Contre le moite bout du tempéré saipiau,
L'arrefie tout tfvn cok;' au milieu d'rne fiole
Qui/uil le vueil du vent 6 le vuell du pilote.
Les refnet de la itefon lafihe tant ju'oi» peut.
Mais la nef pour cela, charmée, nefejmeutf
Non plut que fi la denl de maint anchrefickee
Viagipiedidejfous Thetit la tenait accrochée:
NOTES. 36l
Non plus qu'vn chefne encor qui des vents irrite^
A mil & mille fois les efforts defpite^^
Fermey n'ayant pas moins^ pourfouffrir cejie guerre,
De racines deffous, que de branches fur terre.
Di nouSy Arrejle-nef di nous^ comment peux-tu
Sansfecours t'oppofer à la ioinâte vertu
Et des vents, & des mers, & des deux, & des gajches ?
Di nous en quel endroit, ô Remore, tu caches
L'anchre qui tout d'vn coup bride les mouuements
D'vn vaiffeau combatu de tous les éléments ?
D'où tuprens cet engin? d'où, tu prens cejte force.
Qui trompe tout engin, qui toute force force?
{Cinquiefme iour de la i^femaine.)
2 5. A MADAME MaRGVERITE DE FrANCE, SŒVR DV RoY HeNRY,
Deuant qu'elle fujt mariée, p. 107.
Charles de la Mothe place ce huitain après A la France. Elégie
(voyez ci-dessus, p. i85), uniquement, suivant toute apparence,
parce que ces deux pièces sont en vers métriques. Dans notre édi-
tion, comme dans celle de Charles de la Mothe, le huitain est suivi de
VEpiJlre à la mefme dame. Elle a paru pour la première fois sous
ce titre : A trejillujlre Princeffe Marguerite de France, EJtienne
lodelle parijien, en tète de : Le Second Hure des hymnes de P. de
Ronfard Vandofmois, à trejillujlre Princeffe Madame Margue-
rite de France, Seur vnicque du Roy, & Ducheffe de Berry. Pa-
ris. A. Wechel, i556, in-4''.
Au lieu de :
Et voir ces auortons aujfi, tojt que nais morts, p. 1 10.
il y. a dans cette première édition :
Et voir ces auortons aujji tojl nés que morts.
26. EpITHALAME de madame MaRGVERITE, p. III.
Nous avons cru devoir placer ici, à la suite des autres pièces rela-
tives à Marguerite, cet Epithalame qui, dans les éditions anciennes,
se trouve à la fin des Amours^tt avant les Contr'amours»Woytz ci-
dessus, note 2 1 .
27. Si Vejtois cogneu d'eux, p. 11 5.
Si i'ejlois comme deux dans la première édition, faute qui, du
reste, est corrigée à l'errata.
23*
4--
362 MOTBS. V
li. It ffpirt, p- 116.
1
L« premiire éJiiion poils fjj- re/firé. Mais l'errala i
leçon que nous roproduitous.
lonn.; Ij
19. L-ame gnlUli, p. iiS.
Allai itm li premii™ Uitkm. D.ns Im B*eoûde Famé
qui rime niieuii pour rail «wc «Wile, damier mot du 1
fesHle,
ren pré-
Errrr cei teaux diftoun, propres à Irun
1 humeurs. [
). 11-,
readsit celte rime légilîme, au moins pour Tort
iille.
' '^"°'''
J 1 Foni naifiri lafoiirh ob la comeUte pih
^le,p.iiS.
Allusian « la hble de La IHonlagnr gui accoucha et à
neillt dooi parle Horace d«iLiHs EpUra (Mi . l. S), a à
de PhMre.
laquelle
fi. Dont Vay toaélti Dieux.., p. I23,
■
Ainsi dons la premiin: édition ; les deux dan
i la seconds
■
n. Defiuj,ej.p-,i6.
Ainsi dans [a première édition ; de^euae; à
ans la secon
dï.
^^^^^^L 34. Ay Rot Charles IX, Apkes u BEnvcr
::::;. *
r le connétable Anne de Montmorency, apnt
naréchal de Montmorency, son fils, et le maré-
larles IX assistait au siège.
3S. L'vfance antique & droite & vrayeyegaa
Meaie. S'effacer, mais
« impudence mefme.
NOTES. 363
Mais Terrata donne la leçon que nous avons reproduite, et qu'avant
nous la seconde édition avait adoptée.
36. En tels appas, p. 144.
La première édition donne <& tels appas, mais l'errata rectifie ce
texte.
37. POVR LE lOVR QVE LA PAIX FVST FAICTE, l568, p. l5l.
Deuxième paix conclue avec les Protestants, à Lonjumeau, le
27 mars; elle fut nommée paix fourrée ou petite paix, parce
qu'elle ne dura que six mois. Bientôt Alexandre-Edouard, duc
d'Anjou, né le 19 septembre 1 55 1, à qui Catherine de Médicis avait
fait prendre, en souvenir de son époux, le nom d'Henri, sous lequel
il devait régner à son tour, est nommé, à dix-sept ans, lieutenant gé-
néral dans la guerre contre les huguenots (voyez ci-dessus, p. 1 54),
et gagne en 1569 les batailles de Jarnac et de Montcontour.
38. SVR LA MORT DE LA ROYNE d'EsPAGNE... p. I 57.
Elisabeth de France, morte en couche à Madrid le dimanche
3 octobre i568; elle était née à Fontainebleau le i3 avril i545, et
avait épousé, le 22 juin i559, Philippe II, roi d'Espagne.
39. Inscription povr vne strvctvre Entreprife par la Roine
mère du Roy, p. 160.
Cet ouvrage « facré par fon Oaurier » à la Reine , semble être
de l'invention de Jodelle; c'est une décoration du genF« de celles
qu'il nous a décrites dans Le Recueil des infcriptions, figures...
ordonnées en VHoftel de Ville ( T. I, p. 237 ), et qui lui avaient valu
de la part de Charles de la Mothe , le titre de « grand Architedle ».
(T. I. p. 7.)
40. A Monseignevr, p. 162.
Voyez, ci -dessus, la fin de la note 37.
41. A monseignevr LE DVC, p. i63.
François-Hercule, d'abord duc d'Alençon, et plus tard duc d'An-
jou, né le 18 mars i554, mort le 10 juin 1584.
42. Ode svr la naissance de madame. Fille du Roy Charles neu-
fiejme, p. i65.
Marie- Elisabeth, née à Paris le 27 octobre 1572, morte le 2 avril
1578.
364
^i. Or que ioncqt
wcMAMr.
T. p. i60.
Voï=« d-d™u. 1
a note* 5, fi
rti3.
4 |. SVB LU NAISIAKCe DE HEN
co»dfilt dit Duc de Gul/e, f
■ï DE LUUUIHE Cl
1. 171.
.MTE D-Ev.Se-
Henri de Lorr.ii
oc, nd lu 3o
joiniS7=.mort!ei2
1 «nût 1S74-
.,i.Uxecre.p.,,7.
U premier* ili
l'emU. Vox«ci-.
lion porle i
le la note 87.
»ù. Lm ejt Varna
irdcMan,
qui/angUnt^utf»
uIiiif.p.iSo.
Aiaii dans ti premii^ri édilio
donne un sent un peu dilTérent,
n;dan» U Mconde :
.maiaqni pourrait El
™«dopW.
47 SïB LES Meteohes de I. A, DE B*Ir. p. [84,
Cei ouvrage de B»!f a poru sous Is illre tuivnnl : Le premt
des meuorei de laa Antoine de Baîf, A Caterine de Mediciï^
l'arii, Robert Epienat, MDIAVU. On ; cbercbe vainement la
préienle pl£cE, maïE on y trouve, au retlo da qnatriinie feuillcl.
U EUivante, inlituliie : A la France. Elégie Si Balf n'a pas Eait
piacar en lile de se* Météores les vers mesur«s de son ami, c'eii
probablement purce qu'ils n'ont éti licrit» qu'âpre» la publication
de l'ouvrage. La plUe du taime genre adressée A Madame Mar-
guerite de Frtmce t paru, nous l'avons dit, en i556 (voyei ci-
dessus, note ii),inaia le difihiqne qoi pt&èdeSnr lei Meltorei.
eu anidrienr; U remanie il l'anniie iS3i. Nous l'avons repiu-
duilde nouveau dans l'.4p/>eiidice sous son vdrilable li ire, avec ks
piicei parmi lesquellea il a paru pour la première fois, et ddos v
avons joint une cnrieuse remarque de Pasqoier. Voyez ci-après la
!.T^B
48. Chapitre en
p. 186.
FAVEVR D'OkLAMDE EXCELLENT UÏSltlEI
Entre A la Fraa.
Mitions originales,
guérite que nous a
note s 5.
ce. Elégie, et cette pièce se trouvent, dans li
les deux morceaux adressés A madame Mai
vons placés plus haut, p. 107. Voyez p.36..
49. SVR LÀ CM»»
*.RE DE P. Raiivs, p. igî-
La première édil
reté. Dans son ouv
riem du XVIr sii.
rage intitulé ; La Grammaire et les Gramma
tle. M, Livcl déclare ne l'avoir pas rencontti
'1
NOTES. 365
(p. 177. note). Un exemplaire de cette édition est cependant con-
servé à la Bibliothèque Impériale sous le n» X 1200. Ce volume,
de format in- 12, porte le titre suivant :
GRAMERE
A PABI&
De l'imprimerie d'André
Wechel,
i562.
Les vers de Jodelle ne s'y trouvent pas, mais on les lit en tète
de l'édition dédiée à la reine mère et publiée en 1 572, l'année du
massacre de la Saint-Barthélemy, dont Ramus fut une des vic-
times. Lorsque, dans le dernier de ses vers, Jodelle donne à la
grammaire de Ramus le nom de Rameau d'or, c'est par allusion
au nom de son auteur. Joachim du Bellay a joué sur ce même nom
d'une manière tout à fait analogue. Voyez ses Œuuresfrançoifes^
tome II de notre édition, p. 364 et 565, notes I25 et i3o.
5o. Sonnet svr les dialogves d'honnevr de I. Baptiste Pos-
SEviN, p. 192.
Ce sonnet se trouve au verso du troisième feuillet de l'ouvrage
in-4«» dont voici la description : /
Les dialogves
d'honnevr de messire
Ian Baptiste Possevin man
tovan, esqvelz est amplement discovrv
&. refolu de tous les poindtz de l'honneur,
entre toutes perfonnes :
Mis en François par Claude Gruget.
Parilien.
A Paris
Pour Ian Longis^ Libraire.
1557. \
Vis-à-vis du sonnet de Jodelle est une pièce de vers latins com-
posée par lui sur le même sujet.
^f^^îï^^
HOTKS.
1
1
1
^H •■1. om il
■ L« TRiavcnoN DE Pail Euile,
'aide
par
,„.
^H CctModc
.
^^^^L
CINQ PREMIERS
^^^^M
Hures de miltoin: Fninçoifc
^^^^^Ê
TkADUTÏ EM FHiUÇOIS OV
^^^^P
1 jiin de Paul «mile.
^^^^r
P*n Iak BeoKiiiT Anckvik.
^n
A (HES HAVT ET PVISS
ANT
^H Contflabte de France.
Pfr&
H
APaws.
^^^^^_ à l'hollcl d'Albrel.
■~ l
^^^^^^ U livre est In-folio. L'ode de notre po«e y
^^r lin*e toMle, Parifieii, au peuple Franco!,.
^^ L< test» ESI le Dième que celui des éditiana de
Jodel
ituli»
eqm
•1
ailiiui
flSoa..i Jûuoirc ^JJilinn,
Le premiiT &ftcotti livre,
a ainsi imprimi! en ICie de cel ouvrage:
Le premier S le fécond Hure,
ans doute parce que Jodelle n'avait compté premier que pc
eux syllabes et que Charles de la Mothe lui en donnail trois.
!. Svn Li
ie P.irleiaent,' p. io3.
Le privilège du Monophile e:
: it'EtTiEHNE pASqyiERJ^iiuociil en la Cour
^
NOTES. 367
d'imprimer du 2« jour de janvier i555. Les éditions de Charles de
la Mothe ne présentent qu'une seule variante. Au lieu du vers :
Loing de la vertu fe tenant,
qu'on y lit et qui est-reproduit dans notre édition (p. 204), il y a
dans l'édition originale :
Tous f es nourriffbm enchaifnant.
53. Ode svr les singvlaritez de la France antarctiqve,
d'André Thevet, Cofmographe du Roy^ p. 206.
Cette pièce se trouve en tète du volume intitulé : Les Jingulari-
te\ de la France antardique nommée Amérique & de plufieurs
terres & if les decouuertes de nojlre temps^ par F. André Theuet,
cofmographe du Roy. A Paris, i558. 4» Elle y porte pour titre :
Eftienne lodelle^feigneur du Limodin, A M. Theuet, Ode. Les
vers:
Et nos magiflrats honorables
Embraffer les chofes louables ,
(p. 208 de notre édition) y sont intervertis, ce qui du reste pré-
sente un sens fort acceptable.
54. Ode a Clavde Colet, svr le ix d'Amadis, p. 208.
Nicolas d'Herberay, seigneur des Essars, avait publié, de 1 540 à
1548, la traduction des huit premiers livres; en i553 parut, chez
Vincent Sertenas, dans le format in-folio : Le neufiefme Hure
d'Amadis de Gaule... reueu^ corrigé & rendu en nojlre vulgaire
Françoys mieux que par cy-deuant par Claude Colet champe-
nois. C'est au commencement de ce volume que se trouve la pièce
de Jodelle, qui y porte pour titre : Ode dEjlienne lodelle pari-
fien à Cl. Colet Champenois. Au lieu de ce vers (p. 209 de notre
édition) :
Tachent de retrainer en France^
ainsi donné par Charles de la Mothe, on y Ut:
Tachent de retramer en France^
qui est évidemment préférable. Charles de la Mothe faisait sans
doute sa publication sur les manuscrits mêmes de Jodelle, et les
imprimeurs auront transformé les trois jambages de Vm en deux
lettres, un f et une n.
55. Les Discovrs de Ivles César avant le passage dv Rvbicon.
AvRoY, p. 21 5.
Ce poëme, adressé par Jodelle au roi Charles IX, dont l'auteur
avait pu, comme il le fait remarquer (page 219), observer la « pre-
is la première édilion ait vr
u au singulier, vrais et tourmens au pluriel. Ce genre
st friiquenl à cette époque. Ce vers de la page J49 :
ti autels facrex. aux/anglots, & aux larmes,
ii dans les deui édition? :
o
NOTES. 369
singulier et dejffeins sl\x pluriel; on peut, presque indifféremment,
imprimer dans ce passage, ou de me/mes dej/eins^ comme nous
l'avons mis, ou de me/me dejfein.
61. Puis de mejmesfaçons^ mefmes mots^ me/me ejiude.
Me/me efbats & plaijirs^ p. 244.
Ainsi dans les deux éditions, avec me/me au singulier, efbats &
plaijirs au pluriel. Impossible, à cause de la mesure du vers, de
mettre mefme au pluriel ; faut-il, comme nous le croyons, laisser
passer cette étrange irrégularité, ou doit-on imprimer au singulier
ejbat &plaijir?
62. Qui aux chaijnes de fer les couronnes changeant^ p. 244 .
Les deux éditions donnent encore ici au au singulier et chaifnes
au pluriel. Voyez les notes 58 et 59.
63. Dignes^ & dignes faits ^ aduis , les rages y les folles^ p. 245.
Ce vers a ainsi un pied de trop dans les deux éditions. On sent
du reste que tout le texte des difcours est inconsistant et peu fixé ;
ici la correction est des plus faciles : il suffît de retrancher l'article
avant rages ou SL\SLnt folles.
64. Mais il va de ce tant cher honneur.
Que la vertu fe fait de tous trauaux feigneur , p. 268.
Il y a dans la première édition : mais qu'il va^ ce qui rend encore
moins intelligible ce passage si embarrassé.
La première édition donne refait au lieu de fe fait; mais l'er-
rata corrige cette faute. .
65. Tombeaux, p. 279.
Dans les deux éditions, plusieurs des pièces françaises réunies
sous ce titre sont accompagnées d'épitaphes latines intéressantes
pour la biographie des personnages célébrés par Jodelle ; nous n'a-
vons pas jugé à propos de les reproduire ici; mais nous ne man-
querons pas de mettre à profit pour la table des personnages célé-
brés par Jodelle les nombreux renseignements qu'elles four-
nissent.
Outre les épitaphes latines traduites ici en français, Jodelle en
avait composé d'autres qui n'ont point été recueillies dans ses œu-
vres. Piganiol de la Force rapporte dans sa Defcription de Paris
( t. IV, p 62 ) celle de Philippe de Chabot, qui se trouvait dans l'é-
glise des Célestins. Plusieurs des épitaphes françaises réunies ici
avaient d'abord paru dans de petits recueils, consacrés à la mémoire
lodelle, — II. 24
37»
danc »n Manuel du Libraire, nuaque U plupart du temps; il k
imuve a^aamoios diQb I ciciiiplairi de [a Réscros de la Bibliolbi-
qat impériale et dans celui. de la BiMioitiique Sainte-Geneviève
qui pofle le n" iijç, et qui eit conKrvf parmi lei inanuccrits.
Les Irol» pièces de ven reproduites pages Jay-aj^ occupent les
feuillEls 3S^3(ij de M cahier; ou trouve au fenlllet icjJ : A4.
Claud. Kerquifinamm', Steph. lodelii, in.fuaimijeriia Elegia;
et au feuillet jgS; Ven funebm de Th. A. d'Aubigni, Gmlil-
honmr Xantongoii, Sur la mort (t^flienae lodelle Parifien
Prince dei Pottet Tragiitiet... Odf. Ces deux dernihes piices,que
menlt pour li
e Jodcll
Voyez la Biographie
1 Ute dn
77. SVB t;
ClA»DE BlNET, p. 33+.
Claude BInet d'b point publia d'ouvrage ainsi inliluiï, mais 1
rtoii plusieurs de ses pièces de vers it la suite d'une édition in
des Œuaret de la Ptruiie, qu'il a dédiée le > Premier iiwi
lanuier i573 . ù . René de Voler, Vicoute de Paulmy & d<
Roche laoes .. et dont voicUe tiers
Les
OEVVRES
"'psrvse''*
^^_ Anec quelque! aatrer
^^L diuerfet Poijiet de
^^ Binet
U-
1573
A PARIS.
Par Nicolas Bon/ans
demeurant rue S, /a-
ques, à la Charité.
Les diverse» poésies de Claude Binet ne sont
dans ce volume, de la pièce de vers de Jodelle, ma
parte s'y appliquerait fort bien, bti effet on y tro
point précédées,
s le litre qu'elle
uve ; Vœu rfm
berger à la deege Venni (fol. 1^3 v). VeoL dm marinier ou
pefcheurau Dieu Neptune (fol. 144 v). Chant forefiier, ou le
Chageur. Au Seign. Amadit lamin.
i
NOTES. 373
Didynnej dont il est question au premier vers de ce sonnet ,
est une nymphe de Diane dont le nom, à cette époque, a sou-
vent désigné la maréchale de Retz. Voyez ci-après la fin de la
note 89.
• c
78. ESTIENNS I0DEU.E, Parifien (A Outier de Magnt). Ooe,
p. 334.
Cette ode, et les deox pièces qui la suivent, se trouvent dans un
petit volume in-8* publié eu 1 553, et plusieurs fois réimprimé, no-
tamment en 1373 ; voici le titre exact de la première édition :
Les Amovrs
D'OLIVIER DE
Magnt qvercikois,
et qvelqves odes de lvt-
Em/emble (sic)
Vn recueil d'aucunes œuures de Monfieur Salel
Abbé de faint Cheron, non encore veues.
Auec priuilege du Roy
A PARIS
Par Efticnne Groulleau Libraire, demeurant
en la rue Neuue noftre Dame à Tenfei-
gne faint lean Baptiile,
i333.
Le Diftique mefuré^ qui vient en second rang, a déjà été public
par nous i la place qu'il occupait dans l'édition de Ch. de La-
motbe. (.Voyez ci-dessus, page 364, la fin de la note 47.) Mais nous
le reproduisons id avec son véritable titre. Pasquier avait pour
cette pièce une admiration qui ne laisse pas de nous surprendre.
Voici comme il s'exprime à ce sujet dans le douzième chapitre du
septième livre de ses Recherches de la France^ intitulé: Que noftre
langue eft capable des vers mefure^ tels que les Grecs & Romains :
« Cela a efté antresfois attenté par les oollres, & peut eftre non
mal à propos. Le premier qui l'entreprit fut Eftienne lodelle en ce
diftiqne qull mift en l'an mil cinq cens cinquante trois, fur les
œuures Poétiques d'Oliuier de Maîgny. »
Id il reproduit le texte du distique et reprend : « Voila le pre-
mier coup d'eflay qui fut fait en vers rapportez, lequel eft vrayment
vn petit chef-d'oBuure. »
79. A LA MEMOIRE ^DE SaLEL), p. 337»
imt ton Manuel du Libraire, manque Uplupait du temps; il te
trouve n^amaini' dam reiemplaire de 1i H&erïe de la Bibliothè-
que irnpfrtale cl dana celui de la Bibliolhèqae Sainle-GencrièTe
qui porte lo n' ii3g, ci qal est conserva pirmi les maDoicrlU.
Le* troll pltcei de vers reproduites pages 337-334 occupent la
feulllata iSg-:!^! de « cahier; on trouve au lèuilicl 193 : Ad.
Ciaud. KerqatfiKanim; SIepK. hdelll, in/aaimiferiat Elcgia;
el au feuillet î0: Vert funebret de Th. A, d'Aubi^i, OtKlil-
fiomme Xanlongois. Sur la mort d'Eflimne lodelle Parlera
Prince det Pottei Tragiques... Odr.CesdsiuderDiires pi£ce&,que
menlt pour U
e de Jodells. Voyei la Biographie
Claude Blael n'a pain! publîiï d'ouvrage aïn« intitulé, ris!) il a
i^aiiî planeurs de ses piiees de vers i la tuite d'une édition in-ia
~ "i Pérusc, qu'il a dédiée le > Premier iour de
. Henti do Voîer, Vlconte de Paulmy d de la
des Œmirn i
OEVVRES
Avec quel^ei atitrei
dinerfes Poéjiet de
Cl. BiHct
demeurant rae S
. la-
î'
,es,âlaCliari
Les di'
„rse»
poésies di
: Oaude Biaet ne sa
nt po
inl prdeédto,
dan» cet
■olumi
:, ds la pli.
:e de vers de Jodelle,
e titre qu'elle
porte s'y
applii
luerait for
t bien. En elfe
ton y
5 : Vceudim
berger à
■efe Venu
. (fol. 14Î V»)
pefckeur
auD.
ieu Neplui
« <fo!. [44 V
\ Chant /oi
-eflier, ou le
Chafeur
■ Au Seign. Amadh lamin.
\
NOTES. 373
Diéty-nnCy dont il est question au premier vers de ce sonnet,
est une nymphe de Diane dont le nom, à cette époque, a sou-
vent désigné la maréchale de Retz. Voyez ci-après la fin de la
note 89.
78. EsTiENNB loDELLE, Parificn (A Olivier de Magny). Ode,
p. 334.
Cette ode, et les deux pièces qui la suivent, se trouvent dans un
petit volume in-8«» publié en 1 553, et plusieurs fois réimprimé, no-
tamment en 1573 ; voici le titre exact de la première édition :
Les âmovrs
D'OLIVIER DE
Magny qvercinois,
et qvelqves odes de lvy.
Emfemble (sic)
Vn recueil d'aucunes œuures de Monfieur Salel
Abbé de faint C héron ^ non encore veues.
Auec priuilege du Roy
A PARIS
Par Efticnne GrouIIeau Libraire, demeurant
en la rue Neuue noftre Dame à l'enfei-
gne faint lean Baptifte,
i553.
Le Diftique mefuré^ qui vient en second rang, a déjà été publié
par nous à la place qu'il occupait dans l'édition de Ch. de La-
mothe. (Voyez ci-dessus, page 364, 'a fin de la note 47.) Mais nous
le reproduisons ici avec son véritable titre. Pasquier avait pour
cette pièce une admiration qui ne laisse pas de nous surprendre.
Voici comme il s'exprime à ce sujet dans le douzième chapitre du
septième livre de ses Recherches de la France^ intitulé: Que nojtre
langue ejl capable des vers mefure^ tels que les Grecs & Romains:
« Cela a efté autresfois attenté par les noftres,& peut eftre non
mal à propos. Le premier qui l'entreprit fut Eftienne lodelle en ce
diftique qu'il mift en l'an mil cinq cens cinquante trois, fur les
œuures Poétiques d'Oliuier de Maigny. »
Ici il reproduit le texte du distique et reprend : « Voila le pre-
mier coup d'effay qui fut fait en vers rapportez, lequel eft vrayment
vn petit chef-d'œuure. »
79. A LA MEMOIRE (DE SaLEL), p. 337.
374 NOTES.
Ce haitain est imprimé au verso da onzième feuillet d'un vo-
lume in- 1 2 intitulé :
Les XXÏIII.
LIVRES DE
l'Iliade d'Ho-
mère, PRINCE
des Poètes Grecs.
Traduisis du Grec en vers Faançois (sic).
Les XI PREMIERS PAR
M. HvGVES Salel, Abbé
de Saind Cheron.
r- Et
Les XIII DERNIERS PAR
AmADIS lAMYNf SECRETAIRE DE LA
chambre du Roy : tous les xxiiii. re-
ueui & corrige^ par ledit
Am. Iamtn.
Avec
Les trois premiers Liures de
rOdissee d'Homère.
Plus vue table bien ample fur r Iliade cT Homère.
A Paris
Chez Abel l'Angelier, au premier
pillier de la grand'falle du Palais
M. D. XCIX.
Auec priuilege du Roy,
Il y a bien au sixième vers deuin fcduoir^ qu'on serait assez tenté
de remplacer par diuinfçauoiry mais qui offre cependant un sens
acceptable à la rigueur.
80. iEpitaphe de Clément Marot), p. 358.
Goujat s'exprime ainsi dans l'article qu'il consacre à Clément
Marot, mort en 1544 : « Jodelle lui fit cette épitaphe dans le goût
defonliècle. » {Bibliothèque françoife ^ tome XI, p. 5o.) Puis il
donne les vers que nous avons recueillis.
81. (A Iean de Voyer, viconte de Pavlmy) Par Dialogifme du
Génie & du Pajfanl. Sonet, p. 338.
Cette pièce se trouve à la page 27 d'un volume in -40 contenant
NOTES. 375
43 pages et un feuillet non chiffré. Cette rare plaquette est con-
servée à la Bibliothèque de l'Arsenal sous le n» 9098 des Belles-
Lettres . En voici le titre complet :
LE TVMBEAV DE
TRES-HAVLT ET PVISSANT SEI-
GNEVR, MESSIRE lEAN DE VOYER
CHEVALIER DE l'ORDRE DV ROY, ET
GENTIL-HOMME ORDINAIRE DE SA
CHAMBRE, VICONTE DE PAVLMY ET
de la Roche de Gennes^ Seigneur
d'Argenfon^ la Baillolierey
Le Pleffis , Cha-
Jires, &c.
(?*
EN PLVSIEVRS LANGVPS.
LVTETIAE, M.D.LXXI.
Apud loannem Bene-natum.
Jean de Voyer est mort le 10 mars- iSji, à soixante-seize ans.
82. (A I. DV Bellay. Sonnet), p. 339.
Cette pièce se trouve à la page 11 de La Chajfe de la bejte ro-
maine.,, par George Thomfon... Genève, Ph. Albert, 161 1, in-S".
L'auteur dit en parlant de Rome : « lodelle l'a nayfuement pour-
traite en ces vers. » Puis il donne immédiatement, sans aucun
titre, le sonnet que nous avons reproduit. Si ce sonnet est réelle-
ment de Jodelle, on doit le considérer comme ayant été inspiré par
la publication de l'ouvrage de Joachim du Bellay, intitulé : Les
Antiquité^ de Rome contenant vne générale defcription de fa
grandeur & comme vne deploration de fa ruine ^ dont le premier
livre, le seul qui ail paru, est de i558. Voyez Œuures françoifes
de loachim Du Bellay^ tome II de notre édition, p. 263.
83, De Th. de Besze, faisant l'amovr, p. 339.
Ce huitain est tiré du manuscrit 1662 du fonds français de la
Bibliothèque impériale, manuscrit dont voici la désignation : • Re-
cueil de poésies satiriques sur Henri III et son époque. Papier.
XVI« siècle. Ane. 7652 «», Colbert, 3220. » {Catalogue des manu-
scrits français^ tome I, p. 281)
Les vers sur Théodore de Bèze se trouvent au folio 27 de ce
Reçue//, dont ils forment le u9 65. Le manuscrit 1662 renferme plu-
376
NOTES.
sieurs autres pièces attribuées également à Jodelle. Le Catalogue
décrit ainsi deux articles qui précèdent les vers sur Bèze :
33. « Cinq sonnets tirés de la Priapée de E. Jodelle. » (Fol. 20.)
34. Trois c Sonnets vilains dudidl Jodelle. » (Fol. 22.)
Le sujet de ces trois derniers sonnets est indiqué de la sorte dans
le manuscrit : c Contre vne garfe qui l'auoit poïuray. » Nous n'a-
vons reproduit aucune de ces huit pièces fort libres, assez obscures,
très-médiocres, et qui d'ailleurs n'appartiennent pas incontesta-
blement au poète dont nous publions les œuvres. Voyez les deux
notes suivantes pour les autres pièces de Jodelle comprises dans
le manuscrit 1662, sous les n°* 89, 97 et 98.
84- Sonnet de la fidélité des Hvgvenots, p. 340.
Ce sonnet se trouve au verso du folio 3i du manuscrit décrit
dans la note précédente; il en forme le n» 89. Il continue fort na-
turellement les pièces dirigées contre les miniftres de la nouuelle
opinion.'VoyQZ ci-dessus, page i33. Au troisième vers il y a dans le
manuscrit leur per/onne au lieu de/<2 perfonne^ et au dernier vers
cesjidelles au lieu de/esjidelles,
85. Sonnet svr les beavtez d'vne garse, p. 340.
Le folio 33 du manuscrit 1662, llécrit dans l'avant dernière note,
commence par trois pièces intitulées :
96. Sonnet de Pajerat fur les beauté^ d'vne garfe.
97. Sonnet fur les beauté^ d'vne autre, par lodelle.
98. Autre par lediâ lodelle.
Nous avons rejeté la pièce 97 par les mêmes motifs qui nous ont
empêché d'admettre les huit sonnets dont nous parlons dans la
note 83. Nous avons reproduit au contraire la pièce 98, plus sup-
portable que les autres , et qui donnera du moins une idée, fort
adoucie il est vrai, des pièces que nous n'avons pas cru devoir pu-
blier. A l'avant-dernier vers le manuscrit donne fe moquant au
lieu de/<? moqua.
86. Ce qvi fvt chanté av Lovvre povr la bande de Flore et
Phœbvs. Chant de Pan, p. 341.
Ces vers sont tirés du manuscrit i663 du fonds français de la
Bibliothèque impériale ainsi désigné à la page 283 du tome I du
Catalogue des manuscrits français : « Recueil de poésies fran-
çaises et latines. Papier. XVI"' siècle. Ane. 765233A, Colbert,
22o5. »
On les trouve au folio 32 de ce manuscrit. En regard on a écrit
d'abord le nom de Ronsard, qui a été effacé et remplacé de la même
main par celui de Jodelle.
A la page 342, dans le vingt-deuxième vers :
FAle voulait exécrant vo-{ malheurs.
NOTES. 377
il y avait d'abord exerçant^ qui a été remplacé par la leçon que
nous avons adoptée. Nous avons déjà remarqué une confusion
du même genre. (Voyez ci-dessus, p. 364, note 45.)
87. Chant de Venvs povr l!entree des tenans a l'hostel de
GvYSE, p. 343.
Cette pièce se trouve au folio 32 du manuscrit décrit dans la
note précédente; elle y est attribuée à Jodelle.
88. Sonnet, p. 344.
On lit ces vers au folio 73 du manuscrit décrit dans la note 86.
Ils j>ortent le nom de Jodelle. Ce sonnet paraît faire partie des
premières pièces des Amours. (Voyez ci-dessus note i, p. 353 et
354.) La leçon primitive du vers 8 était :
M'a VarCy tria le hrafier^ m'a la ret^ qui me fafche.
Le dernier mot, fafche^ a été postérieurement effacé et remplacé
par lajfe déjà préférable, mais auquel nous avons cru devoir sub-
stituer lace qui donne un sens meilleur et parfaitement analogue
à celui que présentent ces vers du Vni« sonnet de la page 5 :
Cejl le Feu, c'eji le Nœu^ qui lie ainfi mon ame.
Voila le Feu, le Nœu, qui me bru/le & ejlraint.
On lit au folio 1 1 2 du même manuscrit 1 663, qui nous a fourni
ce Sonnet, un quatrain traduit du grec, publié dans l'ouvrage de
Delort, intitulé : Mes voyages aux environs de Paris (T. II,
p. 3 10), avec cette mention qu'il est extrait d'un « manuscrit du
XVI* siècle où l'on trouve plusieurs pièces inédites de Jodelle. »
Une telle remarque ne suffît pas pour prouver que ce po£te en soit
l'auteur. M. Blanchemain n'a pas hésité à faire figurer ce quatrain
dans les Œttwes inédites de Ronsard (T. VIII, p. i32), mais il
n'a pas indiqué les motifs qui l'y ont déterminé.
89. Stances svr le départ de madame la mareschalle de
Retz, p. 346.
Ces vers sont adressés à Claude Catherine de Clermont, dame
de Dampierre, épouse en secondes noces de Jean, baron d'Anne-
baut,deRetz et de laHunaudaye (voyez la fin de la note i, p. 354),
laquelle eut de son époux la baronniedeRetz et la porta en mariage,
le 4 septembre i565, à Albert de Gondi, qui devint maréchal de
France à la mort de Tavannes, le 6 juillet 1573, c'est-à-dire dans le
mois même du décès de Jodelle.
Ces stances occupent les feuillets 2-4 d'un volume in-40 de
149 feuillets qiii faisait jadis partie des collections des Célestins de
Paris, et qui appartient actuellement à la Bibliothèque impériale
24*
>78
Db il ponc, parmi les mânoicrili françiis, le n' li, 455. Le» fe
Icti a-107 el ijû-i?3 de ce manuscril sont remplis de poé
trançiiK* ou iuliennes Ibrt ^Idgammenl copiéo. *vcc titres
iniliiici en or ou en couleur. Li plapart des plkcts oinii écr
uni «laucr^s 1 11 lauinge de ti marfcliïle et de aon ^poui.
On lit lu b» du rccla du lecond reuillct. en tile duquel ci
mencenl Ie> StaiKei que août «vont reproduites : • Ce» ver» I
compoWi pat Jodelle « (ont iraprimiis. . Nous «von» tenli vai
menl de vdrilier l'eucliiude de cette assertion.
Le nom de DlâfHne qui parait dans le quatriime vers de
(Uaces appartient k nne njmpbe de Diane, mais il servait ti
fr^uemmenl i désigner d'une manière poétique la mari<i:halc
Edrenes à Madams la Marerchullc.
DIétfHie aux blont cheueux, la Nymphe plMjidelte
ifur Diane eut lapais aux courfes desforefla.
Dette trnfme iauenla lea pentes S 1« relht
Beau S- digne fiàbget ivne Dame fi belle.
i entre crochets [à leurtjrtux) qui se trouvent dam
le la page j<45 manquent dans le manuscril ; noai
iés, pat conjecture, pour cooipliitcr le ver».
i poiat d'autre» ver» de Jodelle k extraire de a
meutioa qai «a troOTe au bat des Stancet que nom
« s'ajiçllque-l-elle k cette seale pièce ou k an cer-
délicates. 11 est probable qae quelque».)
me» de» pièces que ren-
ferme ce volume sont encore de Jodelle
; mais lesquelles choisir
parmi ce» acrostiches, ce» lieux commi
Tiner TauteurîCe qu'il y
n-apparlient pa» en son
1 du feuillet 56 une pitce
Pour le Roy qui s'adresse non à Charli
!» IX, mais i Henry de
Valoyt. k son retour de Pologne, et qu
i ne peut par consAjueot
avdr été écrite par Jodelle. mort au mois
deiuilleliS73.
NOTES. 379
pas placés dans V Appendice^ nous donnerons seulement ici, comme
échantillon, le suivant (teuillet 24 r»), qui est d'une tournure assez
vive et qui, par les termesde vénerie qui y abondent, rappelIel'Oiie
de la chajfe^ réimprimée aux pages 297-321 du présent volume.
Quand ie voy l'exercice honnejie de la Chajfe^
Sans fin (sire) enflammer tout généreux defir^
En eflrenes ie veulx pour toy ce vœu choifir
Qu'autre chajfepar toy ceft an nouueau Je faffe.
Tant d'ennemis ouuerts & couuerts qui d'aud.tce
Viandent tes beaux champs, ofans bienfefaifir
De tes forts, puijffent tous fur terre enfin gefir
En rendant les abois en mainte & mainte place.
' Rufés chercher de iour leur repofee ils vont;
Pour nuyfance la nuiât toufiours fur pied\ il^font;
Fay bien iuger le temps, fay leur nuid bien dejffàire,
Brifant fouuent,fay les rembu/cher, détourner.
Lancer, fuyure, efmeuter, bien courre, & maumener
Pour maint Trophée enfin de leurs Majfacr es faire.
90. (Satire contre le chancelier de l'Hospital), p. 348.
Cette pièce n'est pas inédite; M. Tricotel l'a fait paraître l'année
dernière dans l'Amateur d'autographes (n°» 177 et 178, !•' et
16 mai, p. i3i et suivantes). On la trouve dans deux manuscrits
du fonds français de la Bibliothèque impériale (n» 3282, feuil-
let 118 verso et 22,565, feuillet 24 recto). M. Tricotel établit ainsi
que cette pièce a Jodelle pour auteur : « Le titre de la satire est
ainsi conçu dans le premier manuscrit : Traduéiion du latin
deE.J.
Vivit adhuc, patriaeque rogos impune videbit
Quorum causa fuit, vanus inersque senex.
Et dans lé second : Du latin par luy mefmes. Or les initiales E. J.
sont bien celles de Jodelle et ne peuvent s'appliquer à aucun autre
poète; ce qui démontrerait encore plus cette attribution si cela était
nécessaire, serait le fait suivant que le recto du même feuillet du
manuscrit (M s. 3282) contient la transcription d'un sonnet égale-
ment signé E. J. qui commence par ce vers :
Ne les a Ion donc peu defcouurir au moins ceus
et ce sonnet fait partie des Œ uures de Jodelle. n (Voyez t. II, p. 147
de notre édition.)
M. Tricotel, il est vrai, a vainement cherché la pièce latine de
Jodelle, mais cela ne prouve rien contre l'attribution de la pièce
française. Nous avons, à l'exemple du premier éditeur, suivi le texte
^^^^^^^^é
1
1
P
1
^^^^^H du manut
^^^^^H poruntei
cril 3j8ï.
t-'aulri préfeole qoelqm
~
-1
^^^^^H
Nojtre niync 6 le tourment.
^^^^^^^■l place fan i/aann-j
^^^^^^^H celle pcDl-clri
ma/quéf prudence au lieu
fers 1. pfiii remplace mii
■'ejl.c'ejt; p. 33Q,aarers
enfin le dernier vende la
B pr<)lérable :
dei
pièc
nafque de
1 blafmtm
sons
I
TovJlO
unàcemot.rHofpital.
?
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES pANS LE SECOND VOLUME.
Pages.
Les âmovrs d^Estienne Iodelle Parisien.
Sonnets i
Chapitre de Pamour 25
Chapitre d'amour 3o
Chanfon pour le feigneur de Brunel 33
Autre chapitre d'amour 3y
Chanfon , 43
Chanfon pour refpondre à celle de Ronfard, qui
commence : Quand Ceftois libre 45
Chanfon 49
Chanfon diuifée en trois airs, & chacun air en
fix (lanfes 60
Chanfon pour refpondre à celle de Ronfard, qui
commence : le fuis Amour le grand maiftre
des Dieux 65
Chanfon 68
Chanfon pour la deffenfe de l'amour 70 <
Chanfon 74 ^
\
TABLE DES MATIÈRES. 383
Ode fur la naiflance de Madame , fille du Roy
Charles neufiefme i65
Sonnet lyo
Sur la naiffance de Henry de Lorraine comte
d'Eu, fécond fils du Duc de Guife. Sonnet. , 171
Chant , 172
A M. le comte de Fauquemberge & de Cour-
tenay ij^
A M. Symon. Sonnet. 178
A Loyfe PArcher, & à fes fœurs 1 79
Fantafie fur vn vers bien chanté & bien fonné
fur le Lut. A Loyfe TArcher. ........ 180
L'amour celefte de vertu, fur vnieu. A M. Symon. 180
A M. de l'Aubefpine, fecretaire d'Eftat.. 181
A madame de Primadis 181
A madamoyfelle de Surgieres 182
Sur la deuifede la cyiialle 182
Anagrame, Jbn arc tire flame iH3
Au feigneur de la Bourdaiziere i83
A luy mefme 184
Diflhique 184
Sur les Météores de L A. de Baïf. 184
A la France. Elégie i85
Chapitre. En faueur d'Orlande excellent muficien . 1 86
A Loyfe l'Archer. Sonnet 191
Sur la grammaire de P. Ramus 192
Sonnet fur les dialogues d'honneur de L Baptifte
Poffeuin 192
Ode fur la tradu6lion de Paul Emile, fai6te par
lean Regnard , Sieur de Miguetiere. ..... 193
Sur le Monophile d'Eftienne Pafquier , Aduocat
en la Cour de Parlement 2o3
Ode fur les Singularitez de la France antarctique,
d'André Theuet, Cofmographe du Roy. . . . 206
TABL.B OBS MATIÈBBS.
Ode a Claude Colet, fur le IX. d'Amadis. ... 208
Aui cendres du mei'me Colet an
Les DiacovR* de Ivlek Cesah avant le passage
nv RvBicoN 3l5 I
TOHBBAVX.
A l'ombre de M. Simon l'Archer 27g
A l'ombre mcCme z8o
L'ombre de Peronne le GrcslE ï8o
A l'efprit de M. le comte de BrifTac, lue deuant
Muffidan 281
Sur le irefpas de leaane de Loynes 2^
A M. Soreau Ton mary 284
De M Bourdin, procureur gênerai du Roy eu
Parlemeni de Paris 2S6
Al'amede M. Defpence i86
De M. de Montfalez 287 /
De M. d'Alluye fecretaîre d'Eftat 288 ^ «
Pour k lombeau de M. Theuet, Cofmographe du ^^^fl
Roy aSg^H
-Cantique chreftien ^9^-^^^M
SoNHrrs. ^^1^1
A la Royne mère 19»
A Monfteur 294
A Monfeigneur le Duc 294
Ode de la chaffe. Au Roy 197
Ode à M. le comte de Dammarlin 3ir
Appendice.
Ode au comte d'Alcînois fur fes cantiques du
de lefus Chrift 327
9
TABLE DES MATIÈRES. 385
A luy mefme 333
Sur les pefcheries, bergeries & eglogues de
chafTe de Claude Binet 334
I
Eftienne lodelle Parifien (à Oliuier de Magny).
Ode 334
Luy mefme à Magny. Diftique mefuré 336
Sonet (à Salel). 337
A la mémoire (de Salel) 337
(Epitaphe de Clément Marot) 338
(A lean de Voyer, viconte de Paulmy). Par Dia-
logifme du Génie &. du Paffant. Sonet 338
(A I. du Bellay. Sonnet) 339
De Th. de Befze, faifant Tamour. ....... 339
Sonnet de la fidélité des huguenots, par EU,
lodelle, Poète Parif. 340
Sonnet fur les beautez dVne garfe 340
Ce qui fut chanté au Louure pour la bande de
Flore & Phœbus. Chant de Pan 341
Chant de Venus pour Peniree des tenans à l'hoftel
deGuyfe 343
Sonnet 844
Stanœs fur le départ de Madame la M^refchalle
de Retz 345
(Satire contre le chancelier de l'Hofpital) .... 348
Notes 35 1
PIN DE LA TABLE.
JodelU. — II. a 5
'
f'
Achevé d* imprimer
LE VINGT-CINQ JUIN MIL HUIT CENT SOIXANTE-DIX
PAR D. JOUAUST
POUR A. LEMERRE, LIBRAIRE
A PARIS.
HUGO P. THÎEM'd
ANN AKBOR. MICH.
■ i
ii
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