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\,
LE SYSTÈME
D'ARISTOTE
LIBRAIRIE FELIX ALCAN
Autres ouvrages de M. HAMELIN
Essai sur les éléments principaux de la représentation. 1 vol.
in-8. (Epuisé).
Aristote. — Physique, II. Traduction et commentaire par 1 vol.
in-8 3 fr. >-
Le système de Descartes. Publié par L. Robin, chargé de cours à
l'Université de Caen. Préface de E. Durkheim, professeur à la
Sorbonne. i vol. in-8 7 fr. 50
Autres ouvrages de M. L. ROBIN
La théorie platonicienne des idées et des nombres, d'après Aris-
tote. 1 vol. in-8 (Couronné par V Institut et par V Association
pour U encouragement des études grecques) ... 12 fr. 50
La théorie platonicienne dé l'amour. 1 vol. in-8 (Couronné par
r Institut et par C Association pour V encoxiragement des étu-
des grecques) 3 fr. 75
Etudes sur la signification et la place de la physique dans la
philosophie de Platon. 1 vol. in-8 4 fr. »
LE SYSTÈME
DARISTOTE
PAR
0. HAMELIN
Chargé de Conrs à la Sorbonne
PUBLIE PAR L. ROBIN
Chargé de Cours à la Sorbonne
PARIS
LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN
108, BOULEVARD SAINT-6KRMAIN, 108
1920
Tous droits de reproduction, d'adaptation et <ie traduction,
réservés pour tous pays
miw
.
^050
AVANT-PROPOS
Il serait superflu de rien ajouter à ce qu'écrivait M. Durk-
heim, dans la préface du Système de Descartes, sur ce
qu'a été la partie proprement historique de l'enseigne-
ment d'Octave Hamelin. Ce qu'on doit dire cependant,
c'est que l'étude de la pensée d'Aristote en est, sans nul
doute, l'exemple privilégié. L'intelligence toujours péné-
trante des doctrines s'y appuie en effet sur l'érudition la
plus substantielle et la plus étendue, acquise par vingt-
cinq années de constante familiarité avec les œuvres du
maître et avec les interprétations qu'en ont données ses
commentateurs. Il n'est pas un élève d'Hamelin qui ne
garde le souvenir de ses explications d'Aristote, et pour
eux c'est un regret que le public philosophique n'en pos-
sède pas d'autre témoignage que sa traduction, avec com-
mentaire, du livre II de la Physique. Ce qui donnait à sa
méthode son originalité profonde c'est qu'elle conciliait,
avec une incomparable maîtrise, l'analyse philologique du
texte, la détermination exacte du sens, où avaient excellé
un Trendelenburg, un Waitz, un Bonitz, avec l'effort d'un
penseur qui cherche, en vue de la culture philosophique, à
dégager l'esprit des doctrines, à en mesurer la port
l'efficacité.
Les leçons sur Arîstote que contient le présent volume,
professées à l'École Normale Supérieure en 1901-5, sont
une synthèse de ces travaux particuliers. Aussi M. Durk-
heiin en avait-il souhaité la publication, dès l'époque où
il me confiait le soin d'éditer le cours sur Descartes. En
101 i cette publication était décidée ol déjà préparée. La
Akistote \
Il AVANT-PROPOS
guerre, puis les difficultés présentes que personne n'ignore,
lui ont imposé un long retard. Au moment où elle va enfin
se faire, élève d'Hamelin et de Durkheim, je veux apporter
à la chère mémoire de ces deux maîtres de ma jeunesse,
qu'a unis la plus noble et la plus confiante amitié, le pieux
hommage d'une gratitude et d'un respect infinis.
Il me reste à dire quelques mots du manuscrit que j'ai
été chargé d'éditer et des principes qui ont guidé mon tra-
vail. D'une manière générale, ceux-ci devaient être les
mêmes que pour le Descartes (voir Préface, p. X). Hamelin
avait, en effet, selon sa coutume, entièrement rédigé avec
un soin minutieux la plupart de ses leçons. En outre il
avait, de son vivant, donné la neuvième (V opposition des
concepts) à Y Année philosophique (XVI, 1905), en l'adap-
tant par quelques retouches à cette publication (1). Ma prin-
cipale tâche était donc d'établir les notes d'après les indi-
cations du manuscrit, et en vue de l'utilisation pratique du
livre comme instrument de travail. En revanche, pour la
septième et la quatorzième leçon, la rédaction était incom-
plète, et la première leçon surtout ne comportait qu'un plan
détaillé avec des références. Pour restituer l'une et com-
pléter les autres, j'ai utilisé les notes, remarquablement
fidèles (là où elle était possible, la comparaison avec le
texte le prouvait), d'un des auditeurs du cours, Antoine
Bianconi, tombé glorieusement à Mesnil-les-Hurlus, au
cours d'une attaque, le 5 mars 1915, et dont la mort, à
trente-deux ans, demeure un sujet d'affliction pour tous
ceux qui savent ce qu'il avait déjà fait et ce qu'il promet-
tait encore. Ai-je besoin d'ajouter que le travail délicat de
complément ou de restitution, qui m'était ainsi imposé,
a été accompli avec tout le respect dû à la pensée d'un
maître?
On remarquera enfin que ce cours sur Aristote ne traite
pas avec une égale ampleur toutes les parties de sa philo-
sophie et que ni la morale, ni la politique n'y sont abor-
dées. C'est à la logique qu'est consacrée l'étude la plus
(4) Je me suis au contraire conformé à la rédaction primitive, qui
s'accorde mieux avec relie îles autres leçons.
AVANT-PROPOS 111
approfondie ; sans doute les logiciens ne se plaindront-ils
pas que j'aie conservé dans son intégralité (1), bien qu'elle
fût hors de proportion avec le reste, la leçon sur les syllogis-
mes modaux. Mais, tel qu'il est, ce livre n'en apporte pas
moins un exposé vraiment systématique de la pensée
d'Aristote. En dépit même des lacunes dont j'ai parlé, il
méritait donc de recevoir le titre sous lequel il paraît
aujourd'hui. Il donne en effet la clef qui ouvre la doctrine
entière, et il apporte la lumière dans les parties même de
ce vaste édifice qu'il n'a pas parcourues.
L. H
(4) Dans cette leçon j'ai fait quelques emprunts à des brouillons
liés élaborés que Hamelin avait joints à la rédaction.
4?5"
2,0
LE SYSTÈME DARISTOTE
PREMIÈRE LEÇON
VIE D ARISTOTE
U est sans doute incontestable, si Ton se place dans
l'absolu, que la connaissance de la vie d'un philosophe,
en permettant de reconstituer sa psychologie individuelle
et sociale dans ses traits profonds et dans ses accidents,
est de la plus haute utilité pour aider à comprendre les
doctrines que ce philosophe a professées. Quand il serait
vrai, comme nous sommes tenté de le croire pour notre
part, qu'il faut, pour expliquer l'apparition des doctrines,
se référer avant tout à des considérations qui ne sont ni
psychologiques ni sociologiques, il resterait toujours que
la psychologie et la sociologie pourraient encore nous
apporter, relativement à certains points, beaucoup de
lumière. Par malheur, nous sommes, en fait, souvent mal
renseignés sur la vie de philosophes modernes, ou même
contemporains ; nous le sommes plus mal encore en ce qui
concerne la vie des philosophes de l'antiquité. La vie
d'Aristote ne fait pas exception à cette règle, au contraire.
Nous ne pouvons donc pas attendre d'une étude biogra-
phique sur notre auteur un grand profit pour l'intelligence
de ï'Aristotélisme. Nous tâcherons de nous attacher aux
quelques points qui offrent le plus d'intérêt à cet égard.
Cependant, ce que nous apprendrons peut-être le plus et le
mieux, c'est qu'il est bien difficile d'avérer des faits posi-
tifs sur une vie qui s'est déroulée il y a plus de vingt
siècles. Nous verrons à combien peu se réduisent les rensei-
gnements certains dont nous disposons, et combien, en
revanche, il est relativement facile de réduire à néant les
Aristote 1
Z LE SYSTEME D ARISTOTE
indications fournies par la plupart des auteurs. Dans cette
critique négative Zeller a excellé ; or c'est son travail que
nous allons suivre dans l'ensemble ; car on ne voit pas
qu'il soit présentement possible, même si l'on était bien
armé, de faire beaucoup mieux que lui.
Il y a deux points que nous considérons comme les
plus intéressants pour des philosophes : les rapports per-
sonnels d'Aristote avec Platon, et les procédés d'enseigne-
ment'employés par Aristote. C'est sur ces deux points que
nous comptons insister de préférence. Pour le reste nous
tacherons d'être court.
Nous possédons six biographies d'Aristote : 1° celle de
Diogène Laërce (V, i) ; 2° un passage de Denys d'Hali-
carnasse dans les Lettres à Animée {Lettre I. ch. 5) ;
3° 'ApwwceXoug (Jfoç xal o-uyypàjjLjiaTa oturoû, par l'anonyme
de Ménage ; 4° sous trois formes, la vie faussement attri-
buée à Ammonius ; 5° Hésychius de Milet, rcepl 'ApwcoTsXouç ;
6° l'article de Suidas sur Aristote (1). La majeure partie
de ce que nous pouvons tirer de sûr de ces diverses sour-
ces se ramène à ce texte de Denys (2), dont nous avons
parlé et qui lui-même, à part l'addition de quelques déduc-
tions, ne diffère presque pas d'un passage de Diogène
(V, 9-10), dont la source est évidemment la même. Cette
source, ce sont les Chroniques d'Apollodore d'Athènes (3).
A cette source première et capitale il faut joindre quel-
ques documents privilégiés. Le testament d'Aristote, que
nous a conservé Diogène (11-16), paraît bien authentique :
les bibliothèques alexandrines l'avaient recueilli en même
temps que les œuvres du philosophe (4) et l'avaient sans
(!) Ed. Zeller, Die Philosophie der Griechen... Zweiter Teil, v.-
Abteilung : Aristoteles und die alten Peripatetiker (3e Auflage,
1879), p. % n. 1.
("2) Cf. par exemple Historia philosophiae graecae. Testimonia
auctorum conlegerunt notisque instnueerunt H. Ritter et L. Preller,
éd. VIII, 1898, texte 365.
(3) Sur Apollodore, voir V. Egger, De fontibus Diogenis Laërtii...
(1881) p. 73, et F. Jakoby, Apollodors Chronik, eine Sammlung der
Fragmente (Philolog. Untersuch. ,6, 1902).
(4) Voir dans l'édition de l'/Vcadémie de lîerlin, p. 1463 : Âristotelis
qui ferebantur lïbrorum fragmenta collegit Val. Rose. Ces fragments
VIE D ABISTOTE O
doute tiré plus ou moins directement de la bibliothèque
de l'école péripatéticienne. Il y a aussi des vers d'Aristote,
contenant des renseignements précieux, et conservés les
uns par Diogène, les autres par Olympiodore (1). Nous
trouverons encore un ou deux passages d'Aristoxène de
Tarente, le musicien, contemporain et ami de Dicéarque
et, comme lui, philosophe péripatéticien ; quelques mots du
Mégarique Lubulide ; deux extraits concordants, l'un de
l'historien Timée de Tauroménium et l'autre, d'Epicure ;
une épigramme de Théocrite de Chios (2); enfin des ren-
seignements qui viennent d'Hermippe de Smyrne, érudit
alexandrin, qui floiïssait vers 200 av. J.-C.
Hors de là nous n'avons plus que des témoignages récents,
— qu'on ne peut plus accepter que quand ils s'accordent
pour assurer en gros l'existence d'un certain fait, sur les
détails duquel ils se contredisent presque toujours, — ou
quand ce qu'ils affirment parait une conséquence de ce
qui est établi par les témoignages anciens.
Nous commencerons par relever un à un les points éta-
blis dans les Chroniques d' Apollodore, tels qu'ils ressor-
tent des textes de Denys et de Diogène.
Aristote est né la lrc année de l'Olympiade 99 (38 ï av.
J.-C). Cette date est probablement déduite par Apollodore
de celle de la mort, à 63 ans, dans la 3e année de l'Olym-
piade 1 14. Les autres témoins, indépendants ou non d'Apol-
lodore, sont d'accord sur l'âge, à l'exception de l'inconnu
Eumèlos : celui-ci fait vivre Aristote 70 ans. Mais,
ajoute-t-il, tciwv xxôvitov ÈreXeur^o-cv : ce qui suffit à nous
édifier sur la valeur de la première indication (3). — Les
renseignements relatifs au lieu de naissance et à la famille
d Aristote, que nous trouvons dans Denys et dans Diogène
(V, 1), n'étaient sans doute pas dans Apollodore, puisque
sont joinls au t. V. Une nouvelle édition, plus complète, l'ait partie
de la collection Teubner.
(1) Itnd., p. 1583.
(2) Diog. La. 11. Théocrite île Chios -est un satirique contemporain
d'Alexandre, mis à mort par Antigone, le père de I > ;u i. ■ t rins Polioi
(3) Zeller, p. 2, n. 2. — Four L'étude des textes relatifs à la chro-
nologie d'Aristote, cf. Jakoby, op. cit., p. 316-839.
4 LE SYSTEME D ARISTOTE
Diogène cite ici, à propos du second point, une source
spéciale; cette source est peut-être Hermippe (1). Tou-
jours est-il que, selon tous les deux, Aristote était de
Stagire, et le fait n'est pas douteux puisque, dans le tes-
tament, il est question de la maison paternelle de Stagire
(D. L. 14). Ajoutons que Stagire, ville de la Chalcidique,
était une colonie grecque et qu'on y parlait grec : on a
donc tort de parler quelquefois d' Aristote comme d'un
demi-grec ; c'est un pur Hellène, aussi bon Hellène que
Parménide, par exemple, ou qu'Anaxagore (2). Si, pj^ir ce
qui concerne maintenant les parents d' Aristote, Hermippe
est, comme nous l'avons dit, la source de Denys et de
Diogène, il témoignerait alors directement d'une fable,
rapportée par l'un et par l'autre quant à l'origine de sa
famille paternelle. Sa mère, nous dit-on, se nommait
Phaestis ou Phaestias, son père, Nicomaque ; il était
médecin et nous est donné pour un authentique Asclé-
piade ; Suidas lui attribue six livres de larpixà et un de
-.ouaaxà (3). La profession du père pourrait être impor-
tante par rapport à la formation de l'esprit du fils. Cepen-
dant nous savons que Nicomaque mourut de bonne heure,
et, d'après le Pseudo-Ammonius, Aristote, après la mort
de son père et de sa mère, aurait été élevé par un certain
Proxène d'Atarnée dont le fils, nommé Nicanor, reçut plus
tard du philosophe le même service et auquel il donna sa
fille en mariage ; le renseignement doit être exact, car le
testament (D. L. 15) règle ce mariage et mentionne même
le nom de Proxène (4). Il est par conséquent douteux
que l'influence de Nicomaque sur l'esprit de son fils ait pu
être bien profonde. Il n'est pas non plus sans importance,
quoique d'un moindre intérêt au point de vue philosophi-
(1) Sur ce sot pariait, auteur de $Loi et d'un ouvrage en plus d'un livre
7rsoi 'ApioroTî/ovç, voir Egger, op. cit., p. 23-29. En raison de l'épo-
que où il vivait et de ce qu'il était élève de Calliraaque, on peut
admettre qu'il devait être bien renseigné, au moins sur de gros
points de fait. Cf. ibid., 25-27.
(2) Zeller, p. 3, n. 2 et 3.
(3) Ibid., p. 4, n. 1.
(4) Ibid.. p. 5, n. 6.
VIE D ARISTOTE
que, de savoir que Nicomaque était médecin d'Amyntas,
sans doute le neveu de Philippe et que celui-ci supplanta :
on s'expliquerait ainsi en partie le crédit dont Aristote a
joui auprès des princes macédoniens.
Voilà en somme tout ce que nous savons d'Aristote
avant son entrée dans l'école de Platon. Revenons au
témoignage d'Apollodore, dans Denys etDiogène. Aristote
avait dix-sept ans, autrement dit-il, était dans sa dix-hui-
tième année, lorsqu'il se fit inscrire à l'Académie. Quand
Eumèlos (D. L. 6) place cet événement dans la trentième
année de notre philosophe, ce sont là des fantaisies, dont
il faut rapprocher les assertions de Timée et d'Epicure que
nous rapporterons tout à l'heure (1). Aristote demeura
dans l'École jusqu'à la mort du Maître, c'est-à-dire pen-
dant vingt ans. — Au lieu de renseignements sur les
études d'Aristote. nous n'avons guère que des racontars
sans valeur. « 11 serait de la plus haute importance, dit
excellemment Zeller (p. 8), de savoir quelque chose d'exact
sur cette période de la vie du philosophe, sur ces longues
années d'études, pendant lesquelles il a posé les fonde-
ments de son prodigieux savoir et de son système propre.
Malheureusement nos informateurs gardent un profond
silence sur l'essentiel, sur la marche et les circonstances
particulières de son développement scientifique, pour nous
entretenir, à la place, de toute sorte de racontars malveil-
lants sur sa vie et sur son caractère». C'est ainsi que, d'après
Anstoclès de Messène, qui d'ailleurs n'en croit rien, Timée
racontait èvtoùç wnropîaiç qu'il avait assez longtemps gagné
sa vie à taire métier d'apothicaire, ou même de charlatan,
et que, au «lire d'Epicure, h tq 7cepl tûv èictr^SeufiiàTtov
btcwtÔ/o^, Aristote. après avoir dissipé son patrimoine,
aurait dû s'engager connue soldat, puis, y ayant mal
réussi, se serait mis à vendre des drogués et n'aurait entin
trouvé son salut qu'auprès de Platon \'2). .Mai., les ten-
(i) Grote (Ariatotle, 1874, p 3 sq.) fail aces fantaisies trop d'hon-
neur de les prendre • ; : cf. Zeller, p. 6, n. '■'•■
Voir les textes dans Zeller, |> 8, n .' el 3; pour la critique,
Q. !.
6 LE SYSTÈME b' ARISTOTE
dances calomnieuses de Timée, celles d'Epicure qui a vio-
lemment dénigré tous ses prédécesseurs et ses contempo-
rains, sont trop connues et il y a dans ces témoignages
trop peu de vraisemblance interne, pour qu'on puisse leur
accorder la moindre créance.
Au sujet des rapports d'Aristote avec Platon, nous
rencontrons d'autres assertions plus intéressantes, mais
qui ne sont encore sans doute que des médisances. Ici
le texte le plus autorisé provient d'Eubulide, le succes-
seur d'Euclide dans l'école de Mégare. Mais l'acharne-
ment calomnieux d'Eubulide contre son contemporain
Aristote était bien connu (D. L. II, 109), et d'ailleurs
ce texte, bien compris, ne renferme aucune articulation
grave (1). En outre, selon Diogène (2) et selon r^lien
("F. H. IV, 9 et III, 19), Aristote aurait, du vivant de
Platon, élevé école contre école et même un jour, en l'ab-
sence de Xénocrate et de Speusippe, poursuivi de ses cri-
tiques le Maître, alors octogénaire, jusqu'à le forcer de
quitter l'Académie (2). Ces allégations n'auraient par
elles-mêmes aucun poids si elles ne trouvaient, ou ne
paraissaient trouver, un appui dans une assertion d'Aris-
toxène dans sa Vie de Platon. Mais Aristoclès, qui la rap-
porte, ne manque pas d'indiquer qu'il n'est pas du tout
certain qu'il y soit question d'Aristote (3). Il y a d'ail-
(1) Cette assertion d'Eubulide est rapportée aussi par Aristoclès ; voir
le texte dans Zeller p. 10, n. 1. 1° Aristote, disait-il, n'était pas présent
à la mort de Platon. C'est possible, mais il n'y aurait là rien de sur-
prenant : Platon en effet est mort inopinément, seribens est mor-
tuus, comme dit Cicéron. De Senect. 5, 13 (cf. Zeller, II, l'\ 427, 2).
2o D'autre part les mots : t« ~i r'j&'i.iv. aJroy itaf^siaxt ne signifient pas
sans doute, au sens littéral, qu'il ait détruit les livres de son maître,
mais, au figuré, qu'il les a déchirés, ce qui ferait allusion à l'âpre
critique dirigée par Aristote contre son maître. — Sur I'animosité
d'Eubulide à l'égard d'Aristote, cf. Zeller, ibid. 246, 7 (tr. fr. III,
230. 4) et infra, p. 28, n. 2 et p. 69.
(2) Zeller, p. 10, n. 3 et p. 11, n 2.
(3) Dans ce texte en effet (cf. Zeller, 11. 2) Aristote n'est pas
nommé; mais, au dire d'Aristoclès, quelques-uns voulaient que, dans
la phrase : xai twTatxoêotLéîv aurai [se. tm II^aTuve] tivk: tczoI.tzxzo-j
Çévouç ffvTaç, le mot resoîjraTo; se rapportât à Aristote. Or ce terme,
VIE B ARISTOTE 7
leurs des textes positifs pour établir qu'Aristote, à une
époque postérieure au troisième et dernier voyage de Pla-
ton en Sicile, était resté fidèlement attaché à son maître.
1° Olvmpiodore nous a conservé un fragment d'une Élégie
d'Aristote sur Eudème (1), dans laquelle il s'exprime avec
la plus grande admiration sur le compte d un maître qui
ne semble pas pouvoir être Socrate, mais seulement Platon.
2° Aristote a édité certaines leçons de Platon qui, en raison
de leur Caractère, semblent être postérieures au dernier
voyage de Sicile : elles portaient en effet sur l'Un et le
Grand et Petit, sur les Nombres idéaux, bref sur des doc-
trines qui sont étrangères aux dialogues et que l'on con-
naît pour appartenir à la dernière période de la vie de
Platon (2). 3° Denys dit expressément qu'Aristote, du
vivant de Platon, ne fonda point d'école (3), et, s'il n'en
avait été réellement ainsi, l'assertion d'Apollodore, qu'Aris-
comine lo montre Zeller (13, 1), peut s'appliquer à d'autres écoles qu'à
celle d'Aristote. Du reste, puisque d'après Aristoxène le fait en question
se serait produit vj cii iù«.vy /.où ry K7ro(f»j/xîa, c'est-à-dire pendant un
des deux derniers voyages de Platon en Sicile, qui seuls sont postérieurs
à la fondation de l'Académie, Aristote n'aurait eu que vingt-quatre ans
au moment du troisième, en 361/360 (cf. 11, 4). 11 est plus vraisem-
blable que le témoignage d'Aristoxène vise lléraclide du Pont (cf.
Zeller, II 43, 424, 4 ; 989, 3).
(1) Fr. 623, p. 1583 a; cf. Zeller, 12, 1. — L'Eudème dont il
s'agit ne parait pas être Eudème de Rhodes, mais plutôt ce condisci-
ple d'Aristote dans l'école de Platon, qui mourut en 352 et en souve-
nir de qui Aristote composa son dialogue intitulé Eudème. Dès lors,
c'est de cet Eudème, disciple de Platon, que parle Aristote, et non
pas de lui-même, comme il arriverait si son élégie se rapportait à
Eudème le Rbodien. C'est donc bien après le dernier voyage de Platon
en Sicile qu'Aristote célèbre magnifiquement son maître. Au dernier
vers, au lieu de «3 jù-j, il faut lire uo-jvk? (« nul ne peut jamais acqué-
rir bien et bonheur à part l'un de l'autre »). Quant à « l'autel de
l'amitié ». c'est ici une figure de rhétorique. Sur tout ceci, cf. Zeller,
loc. cit. Au reste L" élégie fût-elle adressée à l'Eudème, disciple d'Aristote,
qu'il lesterait toujours dans la bouche d'Aristote un éloge enthousiaste
de Platon : c'est ainsi que paraît avoir compris Olympiodore.
(2) Cf. Zeller, lac. rit., et II 1*, 416, 6 et 417, 1, 2; il s'agit des
fameuses leçons sur h- Bien.
i'.<) /:'/>. ad Amm. I, 7, p. l'Si : avirijv nÂar&m /.«i Stïcpvtyev Sus
£7'.)v ir.rù. rr«i roi'y/.ovra, ojti nyo\î)<; qvoûpivQC ojV '.Jixv mnowoi
(/.i.Cll'jlV.
8 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
tote resta vingt ans auprès de Platon, perdrait tout son
sens. i° Aristote se range lui-même parmi les Platoniciens,
quand il emploie la première personne du pluriel pour rap-
porter des opinions platoniciennes (1). 5° Le célèbre pas-
sage de l'Éthique à Nicomaque, où Aristote parle avec
tant d'élévation de la peine qu'il ressent au moment de
sacrifier, en philosophe, à la sauvegarde sacrée de la vérité
ses sentiments personnels d'amitié à l'égard du fondateur
de la doctrine des Idées, ce passage témoigne encore d'un
affectueux et profond respect pour la personne du maî-
tre (2). 6° On peut ajouter que Théocrite de Chios repro-
che à Aristote d'avoir quitté Y Académie pour la Macé-
doine (3). 7° Enfin, d'après Strabon, Xénocrate accompagna
Aristote dans ce voyage à Atarnée dont il sera question
tout à l'heure, et il conserva par la suite avec lui d'ami-
cales relations. Si Aristote avait manqué, aussi gravement
qu'on le dit, à ses devoirs envers son maître, les faits qui
viennent d'être rapportés seraient en contradiction avec-
ce qu'on sait du dévouement absolu de Xénocrate à
l'égard de Platon (4). - On a cru, il est vrai, trouver
une preuve du ressentiment que les procédés d Aristote
auraient inspiré à Platon dans le silence de celui-ci à
l'égard de son élève. Mais comment aurait-il pu nommer
Aristote dans des entretiens socratiques ou qui, d'une
façon générale, sont supposés antérieurs à Platon lui-
même (5) ? Au surplus, on tend aujourd'hui à penser.
(1) Par ex. Metaph. A, 9, 990 b, 8, 22 : ... *a8' ou; rpo'jrou; Sèix-
vuutv on ï(TTi rà eioï)... — v.y.-'j. uIvj rijy ûnà\i}lttv, xaô' r,v ûvui vauiv rà;
ioiv.;... Autres références dans Zeller. 45, :; Il faut observer, de quel-
que façon qu'on doive expliquer le fait, que cette façon de s'exprimer
ne se rencontre que dans les livres A et B de la Métaphysiq
qu'elle ne se retrouve plus dans les passages du livre M où il y a
identité de contenu avec le livre A.
(2) I, 4, déb. : il faut examiner le concept universel du Bien,
XC.I.77Ï0 77007C/:j7co; tjjç to'.c/.ût/;; Çy;t7;<7îoj; ■yivouiv/j; oiv. rô ©tOiOu; ôLvoov.-
ueruyuysZ'j t« ûSa . ôoEzn o'âv iaotç S-'Ànov eïvui v.y\ o-vj ï-i awrqpta ve
zf,ç aÀjjôct'aç -/.ai, rà oùcstec xva.ipe.tv, a)./w; tï x«i s>t).o<rôyou; ô'vraç 'ctuaohi
yàjo q-jtqiv fù.oiv, ô'ciov KpoTiac/.'j ~r,v à/vjôîtav.
(3) Voir le texte dans Zeller, 45, 6. Cf. supra, p. 3, n. 2.
(4) Zeller, p. 46, et n. 4 et 2.
(5) Ibid., p. 43, n. 3.
vu: d'aristote 9
depuis les nouvelles recherches sur la chronologie des dia-
logues, que plusieurs d'entre eux contiennent au moins
des allusions aux objections élevées par Aristote, dans l'Aca-
démie même, contre la théorie des Idées. A la vérité ceci
ne prouverait pas -des relations amicales. Mais, sans insis-
ter plus qu'il ne convient sur ce que la tradition nous
apprend de l'estime en laquelle Platon aurait tenu la péné-
tration de l'esprit d'Aristote et son zèle pour l'étude
il semble que les preuves précédentes doivent suffire : la
vivacité de la critique n'a pas empêché l'estime et l'amitié
chez le maître, le respe'ct et l'admiration de la part du dis-
ciple.
Rien dans tout cela malheureusement ne nous renseigne
sur les études d'Aristote à l'Académie. Nous n'avons aucun
détail, et nous sommes réduits à penser qu'il n'a pu man-
quer d'y apprendre tout ce qui s'y enseignait. Peut-être a-
t-il accordé à l'étude des sciences de la nature plus de déve-
loppement qu'on n'avait coutume de le faire dans l'école
de Platon (2). 11 y a joint aussi sans doute une étude plus
attentive de la rhétorique. Dès cette époque il donna proba-
blement, sous le patronage de l'Académie, des leçons de
rhétorique pour lutter contre l'enseignement d'Isocrat
et c'est là, semble-t-il, ce qui a donné naissance à la tradi-
tion mensongère d'après laquelle, comme on l'a vu, il
aurait ouvert, du vivant de Platon, une école rivale de phi-
losophie.
Si maintenant nous revenons au cadre chronologique
!>ar Apollodore et aux notices biographiques de Denys
et de Diogène, nous voyons qu'Aristote, à la mort de Pla-
ton, se rend auprès d'Hermias, tyran d'Atarnée et d'Assos
en .Mysie. avec lequel il s'était lié pendant le temps que
celui-ci avait, passé dans 1 école de Platon. C'est en l'honneur
de ce prince, ou en souvenir de lui. qu'Aristote a écrit son
(1) Platon admiraH a ce poinl l'ày^ivoia d'Aristote qu'il app
celui-ci, raconte Philopon, w>û; t.;; $tarptfôit « lu tête de l'École >■.
D'après le I'.-;. Aunnon., il le noran iseur o (o àvayvwôrioç
Zeller, 14, i el II I*, 989, -'.
(2) Zeller, p. ! -. a i
(:;) fhid.. n. -
10 LE SYSTÈME d'aMSTOTE
Hymne à la vertu. Hermias fut tué en trahison par les Per-
ses, comme nous l'apprend Aristote lui-même dans l'ins-
cription de la statue qu'il lui avait élevé à Delphes. On ne
sait au juste si c'est avant cet événement, ou plus tard,
qu'Aristote, après un séjour de trois années auprès de son
ami. quitta Assos pour se rendre à Mytilène, en 315/4.
Après la mort d'Hermias, il avait épousé la nièce ou fille
adoptive de celui-ci, Pythias, dont il prescrit dans le testa-
ment que les restes soient réunis aux siens. Ajoutons tout
de suite que, après la mort de Pythias, Aristote avait
épousé Herpyllis, au dévouement cfe laquelle il rend hom-
mage dans son testament, en même temps qu'il prend soin
d'assurer son avenir et la recommande à ses amis ; c'est elle
qui fut la mère de Nicomaque (1).
C'est de iVfytilène que, en Tannée 343 ou au commence-
ment de 342, Aristote fut appelé en Macédoine par
Philippe pour faire l'éducation d' Alexandre, alors âgé de
treize ans (2). Sur l'enseignement qu'Aristote donna à son
élève on ne sait rien de précis, et Plutarque est réduit à des
suppositions (3).
Après être resté huit ans auprès d'Alexandre, Aristote
revint à Athènes, en 335/4, et c'est là qu'il enseigna pendant
une douzaine d'années, faisant preuve, aussi hien comme
professeur que comme auteur, d'une extrême activité. II
avait choisi pour lieu de son enseignement le Lycée, gym-
nase attenant au temple d'Apollon Lycien. Sous les ombra-
(1) Surtout ceci, voir Zeller, p. 20 sq. avec les notes. L'Hymne à
la vertu et l'inscription à la mémoire d'Rermias se trouvent dans les
fragments, nos 625 et 62-4, p. 1583, b et a. Pour ce qui se rapporte au
Testament, voir Diog. La., -16 et 13.
(2) Diogène dit. il est vrai, qu'Alexandre avait quinze ans. Mais Apol-
lodore ne pouvait ignorer que ce prince était né le 19 juillet 356. Il y a
donc là une altération du texte (cf. Jakoby, p. 339). Quant à la pré-
tendue lettre de Philippe ;i Arislote au sujet de cette éducation, au
moment, même de la naissance d'Alexandre, c'est un faux dont il est
inutile de parler davantage ; cf. Zeller, 23, 3.
(3) Les deux lettres d'Alexandre à Aristote au sujet de la publi-
cation des ouvrages ésotériques, dont parle Plutarque sont fausses
vi materiae, comme on le verra plus tard, p. 53, n. 3. Cf. Zeller,
p. 23, n. 4.
VIE DARISTOTE 11
ges du jardin il se promenait en s'entretenant avec ses élè-
ves : c'est de cette coutume («epMtàTeïv), et non de l'exis-
tence, commune à l'Académie et au Lycée, d'une galerie ou
promenoir (itepwtaroç), que provient le nom de nepwtawj-
xtxot, sous lequel on désignait les disciples d'Aristote ; du
reste cette dérivation se justifie seule au point de vue de
la langue. Il est difficile pourtant de croire que cette cou-
tume fût constante, et que le maître n'}r renonçât pas quand
son auditoire devenait trop nombreux. D'après Aulu-Gclle,
il donnait deux sortes de leçons, consacrant à la philoso-
phie celles du matin, à la rhétorique, celles de l'après-
midi (1). — Quelle était, d'autre part, sa méthode d'expo-
sition? Zeller semble croire que c'était le dialogue socratique
et qu'il n'y renonçait que par exception. Mais, d'abord, il
semble bien que les témoignages contredisent cette manière
de voir: les expressions dont se servent Cicéron, Aulu-Gelle,
Diogène impliquent la continuité de son discours, et, en
outre, Aristoxène dit formellement qu'Aristote indiquait le
sujet et traçait le plan de sa leçon, avant de développer les
points de détail (2). D'autre part, chez Platon lui-même,
nous assistons à une transformation de la méthode socrati-
que d'enseignement par le dialogue : l'importance de la
forme dialoguée diminue progressivement et les derniers
écrits de Platon sont presque des traités ex professa. Au
reste, entre un tel procédé et les tendances générales de la
méthode d'Aristote, il paraît bien y avoir une incompatibi-
lité essentielle. Le dialogue suppose la maïeutique, ou, ce
qui en est l'équivalent platonicien, la réminiscence : il s'agit
seulement de se reporter à une sorte d'évidence intime.
Pour Aristote, au contraire, enseigner c'est démontrer ; il
a l'idée du moyen-terme et de la preuve ; nul besoin d'un
retour sur soi de l'auditeur, ni qu'on lui demande son assen-
timent : on le contraint. — Notons enfin que, pour son
{{) Sur ces divers points, voir Zeller, p. 2!) (surtout n. 3-5) et 30
(surtout n. \).
(2) Cf. Zeller, p. 30 sq. Les textes auxquels nu vient de Taire allu-
sion sont cités par Zeller Lui-même, p. 31, n. 2 (cf. 30, 3) et 3; p. 30,
n. ±
12 LE SYSTÈME DARISTOTE
enseignement, Aristote eut besoin de collections et de
livres. Bien que son testament soit d'un homme pourvu de
richesses suffisantes, ses ressources personnelles, même
jointes à celles de l'Ecole, n'auraient peut-être pas suffi à
faire les frais de ce matériel considérable. Il n'est donc pas
impossible que, dans ce but, Aristote ait été aidé par Phi-
lippe et surtout par Alexandre. D'ailleurs, si vraisemblable-
ment le meurtre de Callisthène dut amener quelque refroi-
dissement dans leurs relations, il semble bien qu'Aristote
ait toujours gardé de bons rapports avec son élève.
La mort de celui-ci fut pour le philosophe la source de
graves dangers. On sait comment la Grèce se souleva con-
tre la domination macédonienne. Sans doute Aristote
n'avait jamais joué aucun rôle politique ; mais il n'en était
pas moins connu pour appartenir au parti macédonien. On
l'accusa d'impiété, parce qu'il avait célébré Hermias comme
un dieu et, prétendait-on, lui avait, ainsi qu àPythias, offert
un sacrifice. Mais, comme autrefois pour Socrate, l'accusa-
tion couvrait des motifs politiques. Devant ce péril, Aristote
quitta Athènes pour se retirera Chalcis, dans l'île d'Eubée,
au cours de la troisième année de l'Olympiade 114, selon
Apollodore, c'est à-dire en 323. L'année suivante, proba-
blement pendant l'été, il succombait à une maladie d'esto-
mac, vers le temps où, dans file de Galaurie, s'empoisonnait
Démosthène (1).
(1) Au sujet de l'accusation d'impiété, voir Zeller 38, 1 et 21. I
s. fin. ; pour les griefs d'ordre politique, ibid,, 37,2 ; Aïistoclès, en
rapportant les divers motifs allégués, ouvertement ou non, pour per-
dre Aristote, en souligne l'inanité. Sur l'époque et les circonstances
de la mort, cf. 40, 3, 4. — Du caractère d' Aristote, eu l'absence de
témoignages suffisants, il vaut mieux ne rien dire : les inférences à
ce sujet sont aussi précaires que faciles.
DEUXIÈME LEÇON
LES CATALOGUES DES ÉCRITS D ARISTOTE
SES ÉCRITS NON SCIENTIFIQUES; SES ŒUVRES DE JEUNESSE
ET, EN PARTICULIER, SES DIALOGUES
Nous possédons trois catalogues des ouvrages d'Aristote,
reproduits tous les trois par Rose en tète des fragments
dans l'édition de Berlin. Les deux premiers sont ceux de
Diogène et de l'anonyme de Ménage. Mais on voit au pre-
mier coup d œil que celui-ci a beaucoup de parenté avec
celui-là. Des 146 titres de Diogène, 132 se retrouvent dans
l'anonyme, et, parmi les titres ajoutés par ce dernier, quel-
ques-uns ne sont que des répétitions ou des variantes de
titres mentionnés par Diogène. Si l'on tient compte en
outre du fait que certaines particularités dans la notation
des titres se rencontrent chez les deux auteurs à la fois, on
ne peut douter que l'un ait copié l'autre, ou qu'ils aient
eu une source commune. Selon l'opinion de Rose (1), c'est
l'anonyme qui a copié Diogène, et, d'après Rose encore,
suivi par Zeller (2), l'anonyme c'est ici Hésychius de Milet
(vers 500 ap. J.-C).
Ce? deux conjectures ne sont peut-être pas des mieux
appuyées. D'ailleurs il faut bien reconnaître que le catalo-
gue de l'anonyme, disons le catalogue d'Hésychius, a eu,
pour une de ses parties au moins, une autre source que
Diogène et, peut-être, une autre source que celle de Dio-
gène. Il s'agit de l'appendice, dont les nos 147-1<>8 (3) eon-
(1) Fragm., p. 14GG, dans les notes.
-2, Op. cit., p. 50, n. :'».
(3) Fragm., p. 1-468 b.
14 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
stituent des titres d'ouvrages capitaux et authentiques. Le
fait d'avoir ajouté un second appendice, consacré à des écrits
apocryphes, en les donnant pour tels (1), parle aussi en
faveur d'Hésychius ou de sa source. Quoi qu'il en soit, il
reste un fonds commun à Diogène et à Hésychius. Ce fonds
est fait pour nous surprendre ; car, s'il mentionne nombre
d'ouvrages inconnus ou incertains, en revanche il n'indir
que qu'une dizaine, ou, pour tout mettre au mieux, une
quinzaine des ouvrages que nous connaissons (2). La source
n'en saurait donc être, pour cette raison même, Androni-
cus de Rhodes, l'éditeur de notre collection aristotélique,
ni même, après lui, Nicolas de Damas. Ajoutons que le
Ilepl Ippiveiaç, rejeté, à tort ou à raison, par Andronicus, est
admis par Diogène dans son catalogue (3). Quelle est donc
la source de la partie commune du catalogue de Diogène
et du catalogue d'Hésychius ? Zeller conjecture que c'est
Hermippe (-4). Hermippe, selon Zeller, se serait contenté
de relever celles des œuvres d'Aristote que possédait la
bibliothèque d'Alexandrie. S'il a fait cela en croyant être
complet, c'est digne de sa sottise, mais non pourtant du
soin et du zèle qui lui étaient ordinaires (5). Reconnaissons
du reste que cette hypothèse d'une collection aristotélique,
fort incomplète à Alexandrie, explique hien le même défaut
dans les catalogues de Diogène et de l'anonyme, et qu'une
autre explication est difficile à trouver. Cependant l'hypo-
thèse ne va pas toute seule : on s'étonne que la bibliothè-
que ait été si mal pourvue, car on sait avec quel empres-
sement, principalement sous Pj,olémée Philadelphe, on y
recherchait les textes aristotéliciens. Sans doute les faus-
saires montraient-ils un égal empressement à profiter de
ces dispositions, et, en un sens, il est bien vrai que l'abon-
dance des faux implique peut-être l'absence des textes
jl) Ibid., p. 1469 b.
(2) Cf. Zeller, op. cit., p. 52, n. 1.
(3) Zeller, p. 5-1-53.
(4) 11 avait écrit une vie d'Aristote (cf. p. 4, n. 1) et en outre un
catalogue des ouvrages de Théophraste, cf. Zeller, p. 53, n. 3.
(5) Cf. V. Egger, De fontibus Diog. Laërtii, p. 25.
CATALOGUES DES ÉCRITS D'ARISTOTE 15
authentiques (i). Il n'en demeure pas moins douteux que
Hermippe ait fourni le fonds commun des catalogues de
Diogène et d'Hésychius.
Notre troisième, ou, si l'on veut, notre second catalogue,
présente un caractère très différent. On y cite, incidemment
Apellicon et Andronicus (2), et presque tous les ouvrages
de notre collection s'y trouvent. Yl Éthique à Nicomaque
peut avoir été oubliée et les Parva naturalia peuvent avoir
été réunis, pour abréger, sous les titres de deux d'entre eux,
confondus d'ailleurs en un seul : De memoria et somno (3).
Ge catalogue ne nous est d'ailleurs parvenu qu'incomplet.
Il nous a été transmis par deux auteurs arabes du xiu" siè-
cle (4), Ibn-el-Kifti et Ibn-Abi-Oseibia, qui déclarent l'avoir
emprunté à un certain Ptolémée, de la province de Rome.
Ce nom n'est pas inconnu des écrivains grecs. David dit
que Ptolémée, qu'il confond, il est vrai, avec Ptolémée Phi-
ladelphe, évaluait les ouvrages d'Aristote à mille livres. Or
nous connaissons l'existence d'un péripatéticien du nom de
Ptolémée, dont divers indices nous permettent de placer la
vie entre 70 au plus tôt et, au plus tard, 220 ap. J.-C. ;
%
(1) Sur ces divers points, voir Chaignet, Essai sur la psychologie
d'Aristote (1884), p. 76, n. 1 et p. 77, n. 2 : le texte, traduit dans la
première noie (et qui provient d'un commentaire des Catégories
qu'on attribuait autrefois à Ammonius [le fils d'Hennins et L'élève de
Proclus, vers 500; cf. Zeller, III 24, 893 sqq.], mais qui doit être res-
titué à Philopon [Jean d'Alexandrie, surnommé Philopon, disciple
d' Ammonius, vers 530]) est particulièrement intéressant : cf. Philo-
pon (olim Ammon.) in Categ. 7, 2:1 éd. Busse {Comment, in Ar. r/r.
XIII, 1 ; Srholia publiés par Brandis dans le vol. IV de l'éd. de Berlin,
28 a, note). Voir aussi Elias (olim David) in C.at. 128, 5-9 éd. Busse
(XVIII, I ; Schol. fir.,28 a, 13-16) et Simplicius Cat. 8, 22-24 éd. Ivulb-
fleisch (VIII ; Schol. 28 a, noie). — Elie et David, probablement chré-
tiens comme Philopon, sont, à ce qu'il semble, des élèves d'Olym-
piodore le Jeune, disciple lui-même d'Ammonius : cf. Zeller, III 2\
917, 4. Sur Simplicius, élève d'Ammonius et l'un des meilleurs com-
mentateurs d'Aristote [vers 530], voir Zeller, iùid., 909 sqq. — Ci',
aussi infra, p. 07 sq.
(2) N«s 80 el90 dans les Fragm. de Rose, p. 1 169 sq. Au iv 87 on
reconnaît en outre le nom d'Artémon (cf. infra, p. 10).
(3) No 40. Cf. Zeller, op. cit.. p. 55, a. 3.
(4) Cf. Rose, p. 1469, note placée en tête du catalogue en question.
16 LE SYSTÈME [/aRISTOTE
c'est celui-ci probablement qui est l'auteur du catalogue.
Il faut remarquer que l'évaluation à mille livres des œuvres
d'Aristote est celle même d'Andronicus. Telle que les deux
auteurs arabes nous la donnent, la liste de Ptolémée ne
contient plus que cinq cent cinquante livres environ poul-
ies quatre-vingt-douze ouvrages cités (1). Peut-être, de
l'identité primitive des chiffres et de la citation du nom
d'Andronicus, pourrait-on induire avec quelque vraisem-
blance que le catalogue incomplet qui nous est parvenu par
l'intermédiaire de ces auteurs arabes est, au fond, un reste
du catalogue même d'Andronicus.
Quoi qu'il en soit, et même dans l'hypothèse la plus favo-
rable, il faut avouer que nos catalogues, même celui de
Ptolémée, ne peuvent pas nous être d'une grande utilité.
Celle qu'on attendrait d'eux, ce serait d'établir l'authenti-
cité des ouvrages qu'ils indiquent. Evidemment ils ne sau-
raient nous la fournir. La question d'authenticité ne peut
être résolue que par un examen de chacun des ouvrages.
Force est donc de les parcourir tous. Nous commencerons
par les ouvrages non scientifiques, et, puisque nous n'au-
rons pas à revenir sur ces ouvrages si ce n'est d'une façon
tout accidentelle, noÉ profiterons de la revue que nous
allons entreprendre pour faire connaissance avec eux, du
moins avec les plus caractéristiques d'entre eux.
Il ne semble pas qu'Aristote ait écrit un grand nombre
de vers. Diogène (n° 145) et Hésychius (n° 138) mention-
nent deux poèmes dont on ne sait pas si ce sont ceux dont
les fragments nous sont parvenus. Ces fragments parais-
sent authentiques. L Hymne à la vertu est d'une assez belle
allure. Mais ce n'est ni du lyrisme de génie, ni de la poésie
philosophique comme celle de Cléanthe (2).
Le catalogue arabe (n° 90) nous dit qu'Andronicus a connu
vingt livres de Lettres ou peut-être seulement vingt lettres.
D'autre part (n° 87), on nous parle de huit livres de Lettres,
réunies par un certain Artémon. Ces lettres étaient célébrées
comme des modèles. Il semble bien qu'il ne nous en reste
(1) Zeller, p. 54, n. 2 et p. 55.
(Y) Zeller, p. 56, n, 1.
ŒUVRES DE JEUNESSE. DIALOGUES 17
rien d'authentique, et il nous en reste de sûrement inauthen-
tiques (1).
Passons maintenant aux écrits philosophiques qu'Aris-
tote a composés pendant sa jeunesse. Les plus caractéristi-
ques de ces écrits sont sans doute ses dialogues. Ce sont
ces ouvrages qui figurent au commencement des listes de
Diogène et d'Hésychius, en allant, semble-t-il, de ceux qui
comptaient le plus de livres à ceux qui en avaient le moins.
Rose donne des fragments qu'il rapporte à vmgt-et-un dialo-
gues. Quelques-uns sont évidemment apocryphes, par exem-
ple le Mavtxôç, qui est déjà signalé comme tel par Hésychius
(n° 191). Pour d'autres on reste dans l'incertitude : par
exemple, le rpûXXoç r\ -zz\ pTrjTopwoiç, le lloXvcoeéç, le Scxp'tcroiç;
r'Epamxéç, le EuuTcôo-tov, à plus forte raison le Mevé£svo<; dont
nous n'avons aucun fragment. En général, les fragments
dés dialogues précédents ne nous fournissent pas de rai-
sons internes décisives pour prononcer l'inauthenticité.
D'autres paraissent plutôt authentiques : telle IIspl sJ-'svslaç.
qui parle de la bigamie de Socrate, allégation controuvée
sans doute, mais qu'on rencontre de si bonne heure chez
les Péripatéticiens qu'elle a tout l'air de provenir du maî-
tre. D'autres sont garantis par des raisons plus sérieuses.
Tel, d'abord, le Ilepl evyr\ç, dont un passage rappelle de près
un endroit célèbre (VI, 508 e sq.) de la République de Pla-
ton {Fragm. 1483 a, 24). Tel ensuite, et surtout, le Etepl -ovrr
tçûv, auquel il semble bien qu'Aristote lui-même se réfère,
quand, dans la Poétique (chap. 15, /?/?), il renvoie à une dis-
cussion contenue dans les ixosocuivo'.. Xéyot. L'ouvrage paraît
du reste avoir été employé comme authentique par Eratos-
thèno et par Apollodore (2).
.Mais, parmi les dialogues, il en est trois qui l'emportent
de beaucoup sur les autres par leur importance. Ce sont :
Eudème ou DeFâme, le rjeplotÀocrocpCaçetlé Efepl Sixaioorûvriç.
<[) Ibid., n. 2. — Sur V4pologie, qu'Aristote aurai! écrite en
réponse à l'accusation d'impiété dirigée contre lui. sur i Eloge de
Platon, sur le Panégyrique d'Alexandre, voir ibid., p. 57. ri. 1 el 2.
L'authenticité d'écrits portant ces titres est plus que douteuse, el il suf-
fira de les avoir mentionnés en passant.
(2) /elle!', p, tii. ri. I cl "2. GF, en nuire infra, p, 47
Aristote -
18 LE SYSTÈME DARISTOTE
Nous reviendrons tout à l'heure sur le contenu des deux
premiers. Du ITepl Sixatoo-tivrjç, il ne nous est resté aucun
fragment caractéristique (Fragm. 1487 b à 1489 a). Cet
ouvrage, en quatre livres, cité par Gicéron dans la Républi-
que, déjà critiqué par Chrysippe selon Plutarque, et visé
par le grammairien Démétrius lequel est probablement
antérieur à Gicéron, ne peut manquer d'être authentique. Sa
place au premier rang dans les catalogues de Diogène et
d'Hésychius le désigne comme dialogue (1). — L'Eudème
n'est pas seulement cité par Plutarque, par les commenta-
teurs d'Aristote ; il l'est encore par Cicéron, et, bien mieux,
il semble résulter indubitablement d'un rapprochement de
textes que c'est bien à lui qu'Aristote nous renvoie dans le
De anima (2). — Le Ilepl <p».Xo<To©îaç est cité par Philodème et,
d'après lui, par Cicéron dans le De natura deorum (I, 13,
33) ; Aristote lui-même y renvoie dans la Physique (3).
Sans doute on peut dire avec Heitz et Zeller qu'Aristote
n'a pas l'habitude de désigner ses dialogues par leur titre.
Mais il faut bien reconnaître d'autre part, avec Zeller aussi,
que le renvoi ne peut viser ni le Ilepl Tràyaôoù qu'Aristote
n'aurait jamais désigné par l'expression II. fpt/Xootxpiaç, ni la
Métaphysique (A, 7, 1072 b, 2), parce qu'Aristote ne pou-
vait guère, dès la Physique, citer la Métaphysique qu'il a
laissée inachevée. Il paraît donc que^ somme toute, le Ilepl
«ptXocooiaç soit garanti par le témoignage même d'Aristote,
comme YEudème. Priscien et, d'après une induction, Pro-
clus nous apprennent que le Ilepl ©iXoo-ocp bç était un dialo-
gue (4).
Par son contenu et par sa forme YEudème est particu-
lièrement remarquable. Nous y trouvons un Aristote tout
platonicien pour la doctrine et, autant que possible, pour
(1) Ibid., p. 58, n. 3.
(2) 1, 4 début, cité infra, p. 48, n. 1. A propos de ce texte, voy.
Philopon, Dean. 141, 22 ; 142. 4 (éd. Ea.yàuck[Co?ntnenfar. gr. XV]),
cité dans les Fragm. 1481 b, 20 sqq. Cf. Zeller, p. 58, n. 4.
(3) II, 2, 194 a, 35 : SiyjK yàp tô oS êvïxa • sïpirjTcu <î'iv rot? iripi
YÙoaoflxç. Cf. Bonitz, Index Aristotelicus (vol. V de l'éd. de Berlin),
404 b, 28.
(4) Zeller, p. 58, n. 2 ; cf. p. 64, n. 1 .
ŒUVRES DE JEUNESSE. DIALOGUES 19
le style. Ce dialogue est une imitation du Phédon. Un
passage de Cicéron, dans le De divinations (I, 25, 53)
nous apprend à quelle occasion et sur quel thème il fut
composé. Un songe avait annoncé à Eudème, cet ami
d'Aristote dont nous avons déjà parlé (p. 7, n. 1), une suite
d'événements,- dont les premiers se réalisèrent, mais non
le dernier qui était son retour à Chypre, sa patrie, après
cinq années ; à ce moment même, en effet, Eudème mourut
à Syracuse. C'est donc sans doute à son âme que le retour
promis par le songe dut être accordé. C'est ainsi que la
mort de son ami inspira à Aristote un écrit sur l'immor-
talité de l'âme. Il démontrait cette immortalité en réfutant
la doctrine de l'a me harmonie (fr. 41), et il définissait l'àme
comme une forme, efôôç ti (fr. 42). Il s'appu}rait sur l'idée
de la réminiscence (fr. 35), et il insistait sur la vie séparée
des âmes (fr. 37 et 39). Il allait même jusqu'à maudire le
corps (fr. 35 et 36). Si maintenant nous considérons la
forme, notons la place faite au récit du songe, par lequel
s'ouvrait le dialogue (fr. 32), et, quant au style propre-
ment dit, nous pouvons en juger par un fragment textuel
assez étendu (fr. 40), que nous devons à Plutarque (1).
Sous tous les rapports, ce dialogue paraît en somme por-
ter la marque platonicienne ; ce qui s'explique par la date
à laquelle il fut probablement écrit, peu de temps sans
doute après la mort d'Eudème (352), alors que Platon vit
encore et qu'Aristote, âgé de trente-deux ans, n'a pas cessé
de faire partie du cercle platonicien, bien qu'il n'appartienne
plus à l'École. Cependant il y a déjà des nuances. D'abord,
pour le fond, on aperçoit dans quelques fragments (35 et 37)
des indices d'on ne sait quel naturalisme aristotélicien.
D'autre part, il ne semble pas que Y Eudème ait eu les carac-
tères d'un dialogue platonicien : ce ne devait être un dialo-
gue que dans la lettre, mais non dans l'esprit, et selon ce
que Cicéron appelle àpurroTéXewv morent : in quo sermo ita
inducitur ceterontm, ut pênes ipsum sit principatus {ad
Att. XIII, 19, 4). Autrement dit, c'est toujours l'auteur
(1) Voir la traduction de ce fragment en appendice à la fin «l«* la
leçon.
20 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
qui parle. De même, le style n'est plus celui de Platon : la
phrase est trop logique, trop régulière ; ce n'est plus de la
conversation, c'est du style oratoire et non exempt de
recherche, ni d'apprêt. On ne s'étonnera guère, après cela,
des jugements de Cicéron sur la langue d'Aristote : /lumen
aureum orationis fundens Ariétoteées, écrit-il dans les Aca-
démiques (II, 38, 119), à propos, semble-t-il, du dialo-
gue dont nous allons parler tout à l'heure ; il loue les
« ornements » dont elle se pare [De fin. I, o, 14), et il va
même (ad AU. II, 1, 1) jusqu'à vanter les Aristotelia pig-
menta ! (1)
Le Depl çptXoo-oçpîaç doit, semble-t-il, dater d'un peu plus
tard. Il est encore écrit très brillamment et dans une manière
qui veut être platonicienne : ainsi le fragment 14 renferme
une transposition de l'allégorie de la caverne. Mais, poul-
ie fond, Aristote est déjà plus lui-même (2). D'abord
Aristote se prononce contre la théorie des Idées et notam-
ment contre les Nombres idéaux (fragrn. 10 et 11) ; puis il
affirme non seulement l'impérissabilité, mais l'éternité du
monde aparté ante (fr. 17, 18). Il y donnait, paraît-il, une
histoire du développement de l'humanité qui, tout en
admettant les déluges périodiques, n'était plus platoni-
cienne en ce qu'il n'y avait plus de commencement. Le goût
de l'histoire et de l'érudition, en même temps que le sens
critique, se montraient aussi dans cette partie du dialogue :
ainsi, dans le fragment 9, les doutes sur l'authenticité des
poèmes» attribués à Orphée.
A côté des dialogues, mais en l'en distinguant, il faut
mettre le UpoTpeimxoç. Il n'est pas certain en effet que ce fût
un dialogue, car l'ouvrage était, nous dit-on, non pas dédié,
mais adressé à Thémison, prince de Chypre, non pas 0ep.»l-
ccov, TipoTypaçô^evoç, niais ttcoç ®£jû<ytûva Ypacoôuevoç : ce qui
s'expliquerait bien difficilement s il s'agissait d'un dialogue.
(1) Il est vrai d'ajouter que, dans le second de ces texte?, Cicé-
ron ne l'ait pas de différence entre Platon et Aristote, auquel il joint
Théophraste. Cf. p. 47, n. 4 et d'autres textes dans Zeller, lit. 1.
(2) Ainsi que T'établit Zeller, p. 59, n. i, seconde moitié de la note
(p.60sq.).
AUTRES OEUVRES DE JEUNESSE 21
Une autre raison d'en douter c'est que le DpoTpcimxo; a servi
de modèle à YHorteîisius de Cicéron, qui n'était pas un dia-
logue. Bref nous sommes à son sujet très mal renseignés.
En outre il ne nous en est parvenu qu'un petit nombre de
fragments de contenu philosophique ; c'est dans l'un d'eux
(fr. 50) que se trouve le célèbre dilemme par lequel Aris-
tote établissait qu'il est impossible de se soustraire à la
nécessité de philosopher (1).
C'est encore à la jeunesse d'Aristote qu'il faut rapporter
d'autres écrits, relatifs à Platon ou aux philosophes anté-
rieurs. Parmi ces derniers, il y en a dont nous n'avons que
les titres, par exemple llepl tï\q Siceuo-tTcrcou xal EevoxpàTouç
s>tXo<jo«pîaç(Diog., n°93 ; anon., n°8-i! ; OpôçTà 'AXxûatwvos :
HpoêXrîjxaTa zv, :wv A^uo/v/to-j ; Qpoç tyjv HapixevtSou ooçav,
cité de seconde main par Philopon dans son commentaire de
la Physique, etc. (2). Naturellement il n'y a rien à dire de
leur authenticité. La question pourrait en revanche se
poser avec plus d'intérêt à propos d'autres' écrits analo-
gues, dont nous n*avons aussi que les titres : IIco- -'%
Eevo<pàvouç [cod. — xpà-rouç] (Diog., n°99), riooc rà MeXw-<rou
(Diog., n" 9"> ; anon., n° 86), ITpô,- xh ropyîou (Diog., n° 98;
anon., n° 89). On peut en effet se demander si ces écrits
n'auraient pas été utilisés par l'auteur du traité, certaine-
ment apocryphe, De Xe?iophane, Zenone et Gorgia, dont le
titre doit du reste être corrigé en De Me/issu, Xenophane
et Gorgia (3).
D'autres, tels que le QepiTwv QuQwv'ope uov | Fragm., 1510 a-
1514 a), peuvent être authentiques, car les fables qui rem-
plissent ce livre étaient peut-être données comme des
(1) I is -, h. 29, 12 ; 1484 a, 2, 8, 18 : la formule se retrouve identi-
que, sans qu'on puisse assurer que l'expression même appartient à
Aristole : ùftvi juîocro^Teov, vtkoooftiréov, /.'A. zifiii fùoaofrtréov, çh),o<to-
fitréov, -avT'/j; xpa ftloaofnTsov. Cf., sur le fl/)OTjB«jrTtxôç, Zeller, <>:{, 1.
(2) P. <;:;, 23, éd. Vitelli (vol. XVI de la collection précitée).
(3) Ce traité n'est certainement pas de Théophraste ; il est pro-
bablement, comme l'a montré Diels (Abhdl. d. berl. Âkad:, 1900),
l'œuvre d'un Péripatéticien éclectique du I'''' Biècle de l'ère chrétienne.
L'auteur est particulièrement irol informé en ce qui concerne S
phane. Il semble que Siraplicius ail eu L'ouvrage entre les mains.
22 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
fables (1). — Il n'y arien à dire des extraits ou analyses de
divers ouvrages de Platon dont les titres sont rassemblés
par Zeller (2). Quant aux Divisions platoniciennes que men-
tionne le catalogue des Arabes (n° 59), sans doute il ne
faut pas prétendre les retrouver dans l'opuscule que Rose a
tiré d'un manuscrit delà bibliothèque de Saint-Marc (3);
mais Zeller ne paraît nullement fondé à nier qu'il ait jamais
existé, de la main d'Aristote, des Siaipso-stç platoniciennes, et
à prononcer qu'il n a jamais existé que des 8tatpé<7etç aris-
totéliciennes. Nous penserons plutôt que nos Arabes signa-
lent sans erreur un ouvrage authentique ; car Aristote cri-
tique quelque part (De part. anim. I, 2, 642 b, 10), comme
contraires aux affinités des êtres naturels, certaines ysypajji-
ulvou Biaipéa-etç qui ne peuvent être les siennes, d'autant
qu'il s'agit de dichotomies, qui sont donc de Platon et qu'on
ne peut identifier avec celles du Sophiste (220 b) (4). — Mais
les deux ouvrages les plus importants de cette époque et de
ce groupe sont le Qspl xàyaOoû et le IIspl ISsôv. Le IL xàya-
Bo'j a été perdu de bonne heure : on a contesté à tort
qu'Alexandre l'ait eu en mains ; mais, après lui, les com-
mentateurs ne le citent plus d'original. C'était comme un
compte- rendu des leçons de Platon (5). — Le IIspl weiov est
une exposition et une critique de la théorie des Idées. Le
fait qu'il se présente, non comme une partie d'un ouvrage
dogmatique, mais comme un livre de polémique visant
spécialement un auteur déterminé, donne à penser qu'il
peut bien appartenir à la fin de la période de jeunesse.
Syrianus (6) cite sans doute le IL L8ewv de seconde main,
(1) Zeller, p. 66, n. 1.
(2) P. 65, n. 4. '
(3) P. 66, n. 2.
(4) Quoi qu'en pense 0. Apelt, ad toc, dans son édition du Sophiste
(1897, refonte de l'édition de Stallbaum). Voir Zeller, p. 66, n. 2, p. 78,
n.4 et II l4, 437,3.
(5) Zeller, p. 64, n. 1 et 2. Voir l'index des loci aristotelici dans
l'éd. du commentaire de la Métaphysique par Hayduck (Comment,
gr., I) [Alexandre d'Aphrodisias, vers 200 ap. J -G.].
(6) Dans son commentaire de la Métaphysiqxie, publié par Usener
dans le t. V de l'édition de Berlin et par G. Kroll dans la collection
OEUVRES DE JEUNESSE. FRAGMENT DE l'eL'DÈME 23
mais Alexandre a bien l'air, puisqu'il donne des indications
précises sur les endroits qu'il vise (fr. 183 fui et 184 fin),
d'avoir eu le livre sous les yeux. Aristote, non seulement
d'après Alexandre, mais, autant qu'on en peut juger par le
texte même de la Métaphysique, s'est lui*même référé au
0. lostôv (1). Avec le II. ioeùv nous sommes loin de l'Aris-
tote purement platonicien de YEudème. Lorsqu'il l'a écrit,
Aristote avait repris toute son indépendance. Ce livre a
tout ce qu'il faut pour avoir été le dernier de ceux qu'on
peut rapporter à la jeunesse d'Aristote.
APPENDICE
Traduction du fr. 40, provenant de YEudème d'Aristote.
« Aussi est-ce pour eux chose excellente et souveraine-
ment heureuse que de franchir le terme. Et, non contents de
croire que les morts sont dans la félicité et le bonheur,
nous croyons encore qu'il y a de l'impiété à commettre
contre eux quelque mensonge ou quelque blasphème,
comme s'ils étaient devenus désormais des êtres meilleurs
et plus excellents que nous. Ces croyances persistantes
sont même parmi nous si vieilles et si grandement antiques,
que personne n'a jamais connu leur origine dans le temps
ni leur premier auteur, et qu'il se trouve au contraire
qu'elles ont toujours régné dans l'infinité des siècles.
Ajoute à cela qu'on trouve dans la bouche des hommes,
transmis et répété h travers la multitude des années et
depuis les temps antiques, ce propos... — Lequel? dit-il. —
Et lui, il reprit : Ce propos que le sort le meilleur est de ne
des commentateurs grecs, vol. VI, i. Pour Alexandre, voir l'éd. de
sa Métaph. citée dans la note précédente.
(1) A, 9, 990 h. S : xaô' où; tgo-om; Jstxvup*v ôrt sort -v. sïor,... —
Cf. Zeller, p. (Jo, a. 1,2, 3.
24 LE SYSTÈME DARISTOTE
pas naître et que mourir vaut mieux que vivre. Beaucoup
d'hommes en ont reçu la confirmation par des témoignages
divers. C'est ce qui est arrivé, dit-on, au fameux Midas
notamment, après la chasse où il prit Silène. Gomme il
l'interrogeait et lui demandait ce qu'il y a de meilleur poul-
ies hommes et de plus souhaitable entre tous les biens,
Silène, d'abord, ne voulut rien dire et, silencieux, refusa
toute parole. Puis, violemment pressé, par tous les moyens,
de prononcer une réponse, contraint et forcé, il parla
ainsi : " Fils éphémères d'un dieu laborieux et d'une for-
tune rebelle, pourquoi me contraignez-vous de dire ce qu'il
serait meilleur pour vous de ne pas savoir? Car la vie est
le plus exempte de chagrins quand elle ignore les maux qui
lui sont propres. Ce qui vaut le mieux pour les hommes,
ce n'est point de naître et de participer par là à la nature
de ce qu'il y a de plus excellent: ce qui vaut le mieux
donc pour tous et pour toutes, c'est de ne pas naître ; et,
après cela, le premier des autres biens possibles, mais le
second des biens, c'est, étant nés, de mourir au plus vite. "
Evidemment Silène voulait indiquer par là que l'existence
dans la mort est supérieure à l'existence dans la vie. »
(1481 «, 32-6, 18, cité par Plutarque Consolai io ad Apol-
lonium, p. 115 B sq.).
TROISIÈME LEÇON
LES OUVRAGES SCIENTIFIQUES D'ARISTOTE
En faisant la revue des écrits proprement scientifiques
d'Aristote, c'est-à-dire de ceux qu'il a composés pendant son
second séjour à Athènes, nous ne procéderons pas tout à fait
de la même manière que pour les écrits de sa jeunesse.
Nous ne devions pas en effet revenir sur ceux-ci, pour deux
raisons, l'une, qu'il ne nous en reste que des fragments, l'au-
tre : qu'ils ne contenaient pas la pensée vraiment propre et
caractéristique d'Aristote. Nous avons donc dû, en les énu-
mérant, toucher à leur contenu, donner de ces écrits une
idée sommaire, mais, dans la mesure du possible, com-
plète. Les écrits scientifiques, au contraire, nous occupe-
ront sans cesse jusqu'à la fin du cours, puisqu'ils seront
nos sources. Aussi est-ce d'un point de vue tout extérieur
que nous les envisagerons aujourd'hui, un à un. Nous par-
lerons seulement de leur authenticité et de la constitution
de leur texte.
C'est là d'ailleurs une tâche bien suffisante pour l'éten-
due d'une leçon : ce sérail même une tâche trop longue,
si nous voulions parcourir tous les titres d'ouvrages dont
nous parlent les auteurs. Mais nous nous garderons de la
tentation d'être complets : il sera moins fastidieux et plus
utile de faire un choix parmi les écrits trop nombreux qui
ont circulé sous le nom d'Aristote. Nous nous attacherons
donc exclusivement, en ayant soin de ne nous arrêter que sur
les principaux, aux ouvrages qui composent la collection
aristotélicienne, telle qu'on la trouve dans l'édition de Ber-
26 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
lin, et à ceux des ouvrages perdus qui ont quelque chance
d'avoir été authentiques.
Les ouvrages scientifiques d'Aristote se répartissent aisé-
ment en cinq classes : logique, métaphysique, sciences de la
nature, morale et politique, théorie des arts. 11 s'agit là
d'une classification, non d'un ordre que nous devions suivre
plus tard dans l'exposition de la doctrine.
Comme il faut rattacher aux ouvrages de logique ceux
qui traitent de la connaissance simplement probable, qui
eux-mêmes ne font qu'un avec la rhétorique, les ouvrages
de la collection aristotélique qui constituent le premier
groupe sont les suivants : Les Catégories, Y Rermêneia, les
Analytiques, les Topiques avec la Réfutation des argu-
ments sophistiques, la Rhétorique et la Rhétorique à
Alexandre.
Le titre de Korcrfyoptat est celui que donnent nos manus-
crits, et c'est probablement le vrai titre. D'autres titres, tels
que icspi ~ù)v osxa yîvixwràTwv yevwv, s'expliquent comme
des allusions au contenu du traité. Celui que nous citons a
d'ailleurs un cachet plutôt post-aristotélicien. Andronicus
nous parle d'un autre titre intéressant : to. Trpo -ù>y tÔkwv;
mais il ne le croit pas authentique et il donne une explica-
tion vraisemblable de son apparition (1). Par malheur, on
ne voit pas qu'Aristote ait cité l'ouvrage par son titre. Zel-
ler l'avait cru autrefois. Il admet maintenant, avec Bonitz (2 »,
qu'Aristote, dans les passages en question, se réfère à la doc-
trine, mais non pas précisément au livre des Catégories
en tant qu'ainsi intitulé. — Ce point est important, non
seulement pour la question de titre, mais pour celle d'au-
thenticité. En faveur de l'authenticité il faut dire, avec Zel-
ler, que les renvois d'Aristote ont l'air de désigner un livre
connu et facilement accessible ; que d'ailleurs nos Kar^yopiat
portent dans leur ensemble un cachet éminemment aristoté-
licien; que les commentateurs anciens, qui rejettent comme
apocryphe une autre rédaction des Catégories, maintiennent
(1) Dans Siraplicius Cat. 379, 8. éd. Kalbfleisch ; Schol. 81 a, 27.
(2) Ind. Aristotet. 102 a, 19. Cf. Zeller, p. 67, n. 1. et, de même,
pour ce qui suit.
LES OUVRAGES DE LOGIQUE 27
l'authenticité de celle que nous connaissons ; enfin que les
raisons qu'on a voulu faire valoir contre l'authenticité de
l'ouvrage sont dépourvues de solidité. C'est ainsi que Prantl
a été choqué d'y trouver, pour définir l'essence même des
relatifs, que cette essence consiste en :ù -cô; xi tccuç v/zvt
[Categ. 7, 8 a, 31 et 39), car l'expression lui paraît déce-
ler une main stoïcienne. Mais l'expression incriminée se
retrouve dans les Topiques, dans la Physique, dans
YÉthiçue à Nicomaque. Les principales difficultés contre
l'authenticité des Catégories viennent, des cinq derniers
chapitres, qui sont étrangers au sujet primitivement
annoncé, pendant que, de son côté, le chap. 9, à la fin,
tourne court et s'excuse de ne pas continuer jusqu'au bout
l'étude des catégories, parce qu'on ne pourrait plus rien
ajouter de nouveau et d'intéressant sur celles qui restent.
Ces cinq derniers chapitres des Catégories ont été, depuis
une haute antiquité, considérés comme un tout à part, car
ce sont eux que la tradition désigne sous le nom de Post-
prédicaments . Andronicus a déjà admis qu'ils avaient été
ajoutés au texte par une main étrangère, et c'est même
par là qu'il explique le titre ~zh tô>v tôtcwv, substitué
comme plus général au titre primitif de KaTïiyoptai. On ne
sait si les Post-prédicaments sont originairement un frag-
ment aristotélicien; s'il n'en est pas ainsi, du moins ils
semblent bien provenir des successeurs immédiats d'Aris-
tote (cf. p. 131).
Le Depi ép(i.7jvewç n'est cité dans aucun autre ouvrage
d'Aristote (Bonitz, Ind. 102 a, 27). Il cite lui-même les
Analytiques et les Topiques; mais il a le malheur de
citer aussi le De anima pour une proposition qu'on a grand'
peine à y retrouver (Bonitz, tô.,97 />, 49). Le chapitre 14,
le dernier a été, selon Ammonius, passé sous silence par
Porphyre dans son commentaire, et le même Ammonius
rejette ce chapitre comme inauthentique. L'ouvrage tout
entier était condamné par Andronicus (1). Mais, d'autre
(1) De interpr. 251, 27 ; 252, 8, éd. Husse (Comm. >/r., IV, ;. : Schol.
135 l). 10. 25). Sur l'opinion d'Andronicus, cf. •'., 88-6,4 {Schol. ;*7 a, 19)
et infra, p. 63, n. 2.
28 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
part, Alexandre (1) avait vivement combattu cette opi-
nion, et, à son sentiment, Théophraste, en écrivant son
ITeûI xÉXTaœàcswç xal àitoœào-ewç, devait avoir sous les yeux
notre Hermêneia. Sans doute, comme le remarque Zeller,
cette appréciation d'Alexandre n'équivaut pas à une citation
àel'Hehnêneia, relevée dans Théophraste. C'est néanmoins
un fait considérable. Au reste, comme l'admet Zeller,
l'ouvrage ne contient rien qui ne soit conforme à la doctrine
d'Aristote. Déplus si, comme on l'a pensé depuis Zeller,
ce livre contient des allusions aux Mégariques dont nous
aurons à parler (cf. p. 167, n. 2), ces allusions, qu'elles
soient ou non tout à fait primitives, prouveraient que le
livre est d'Aristote (2), ou tout au moins qu'il appartient
à la première génération péripatéticienne.
11 faut ou on peut, comme on sait, distinguer, dans les
Analytiques les Premiers et les Seconds, les uns et les
autres en deux livres, les Premiers sur le syllogisme, les
Seconds sur la démonstration. Le commentateur Adraste
(d'Aphrodisias, entre Néron et Marc-Aurèle) connaissait,
(1) Inpri. anal. 367, 12-14, éd. Wallies [Comm. gr.. II, i: Schol.
183 /j, 1).
(2) Zeller, p 69, n. 1. La relation dont il s'agit entre Y Hermêneia
et certaines théories des Mégariques a été mise en pleine lumière par
lleinr. Maier dans une étude sur l'authenticité de cet ouvrage (Àrchiv
f. Gesehichte der Philos. XVII, 1899, 23-72; cf. surtout 28-35). Il a
fait voir que les trois propositions dont se compose le célèbre argu-
ment de Diodore Cronos, « le triomphateur » (6 xupuûuv) sont toutes
empruntées à Aristote, comme le prouve la ressemblance littérale
des textes : que cet argument est l'écho ou même l'expression directe
d'une réponse des Mégariques à l'attaque dirigée contre eux au début
du ch. 3 de Métaph. 0. On sait qu'Eubulide et son disciple Alexinus
avaient soutenu contre Aristote de violentes polémiques, allant jus-
qu'aux personnalités les plus outrageantes et même les plus menson-
gères (cf. p. 6, n. 1). C'est donc à eux qu'il faudrait faire remon-
ter, pour le fond du moins, le xupieûwv, si Ton ne préfère, ayant
d'autre part des raisons pour regarder Y Hermêneia comme un des
derniers ouvrages d'Aristote, en maintenir l'invention tout entière au
compte de Diodore, lequel pouvait avoir (l'anecdote rapportée par
Diog. La. II, 111 le fait mourir en 307) une trentaine d'années au
moment de la mort d'Aristote. Une hypothèse est d'ailleurs encore
possible : c'est qu' Aristote aurait remanié Y Hermêneia pour répondre
à de nouvelles chicanes de ses adversaires.
LES OUVRAGES DE LOGIQUE 29
nous dit-on. quarante livres à' Anal y tiques, dont quatre seu-
lement tenus pour authentiques. Il y avait sans doute, et
des contrefaçons d'Aristote, et des rédactions diverses, de
sorte que peu importent le nombre de livres qui figurent
dans les catalogues de Diogène et de l'anonyme de Ménage.
L'authenticité des Analytiques, résulte de leur contenu
interne, surtout pour les Premiers dont le contenu est si
caractéristique et précisé par les auditions ou corrections
des premiers disciples. Nous savons qu'Eudème avait
écrit des Analytiques, chose significative dans les habi-
tudes des premiers Péripatéticiens ; nous savons même
que Théophraste avait écrit des Premiers Analytiques,
et c'est de ces ouvrages que venaient les corrections
ou additions dont nous avons parlé. Pour les SpcuwIs
analytiques, nous n'avons pas d'aussi précises réfé-
rences des deux premiers disciples. Cependant, chez des
commentateurs anonymes, on trouve des expressions de
Théophraste, rapportées par Alexandre, et une remarque
d'Eudème qui paraissent s'appliquer à cet ouvrage. De plus,
l'existence de Seconds analytiques de Théophraste, déjà
impliquée par celle des Premiers, nous est attestée par Galien
et par Alexandre. Aristote cite un grand nombre de fois
/aÀ'jT'./.à, sous ce titre et. d'autres fois aussi, en ren-
voyant à leur contenu sans les nommer tëonitz, liai., 102
a, 30; . D'autres titres : -. o-uXXoYwrfioû, ~. i-ootizito; ou
'A r.oo v./r. o«j, employés par les commentateurs, ou déjà par
Aristote, dans leurs formules de citation, ne doivent pas
nous faire illusion : ce ne sont pas les vrais titres. Galien, en
usant de 'AicoSeuerunî, nous dit lui-même qu'il préfère cette
désignation à la désignation consacrée. On a remarqué que
1rs Seconds analytiques sont moins achevés que les Vre-
miers et que les deux Livres des Premiers ne paraissent
pas avoir été écrits immédiatement l'un après l'autre I .
Des ouvragés sur les éléments du syllogisme et le syllo-
gisme en général et sur la démonstration, passons mainte-
(i) Zeller, p. 70, n. I. Pour l'assertion de Théophraste, voir s
140 i). 2, et, pour celle d'Eudjème, 248 a, 24 (Comment. gr.t XIII, :?,
$4, 17. éd. Wullies).
30 LE SYSTÈME DARISTOTE
nant à ceux qui concernent la connaissance probable. Le
plus considérable qui nous reste, ce sont les Topiques, en
huit livres, dont le dernier et peut-être aussi le troisième et
le septième paraissent avoir été écrits assez longtemps après
les autres. Leur titre et leur authenticité sont prouvés par les
citations nombreuses d' Aristote (Bonitz, ibid., a, 40). Spen-
gel a voulu établir que notre texte présente des lacunes, et il
s'est fondé pour cela sur deux textes de la Rhétorique (I, 2,
1356 6, 10 etlï, 25, 1402« , 34). Mais le premier, bien examiné,
n'exige rien de plus qu'une distinction du syllogisme et de
l'induction, qui se trouve en effet dans les Topiques (I, 12),
et, dans le second, les mots lv toïç totcucoïç peuvent s'enten-
dre : « dans l'art de la topique ». — On a quelquefois distin-
gué dans l'antiquité entre nos Topiques et un certain
ouvrage intitulé MeôoSucg ou MeQo8ix6v, et de fait Aristote
(Rhet. I, 2, 1356 b, 19) emploie ce titre dans un renvoi ;
mais nous avons vu que le renvoi s'applique aux Topi-
ques (cf. aussi VIII, 2 déb.). Comme les Topiques consti-
tuent un ensemble doctrinal sur le probable (-pay^ai^a
rapl rr)V ot.aÀsxTt,xrjv) et que les premiers mots de nos Topi-
ques indiquent qu'il s'agit de ;j.é9ooov eupeîv, de « découvrir
une méthode » qui nous mette en possession de faire des
syllogismes sur tous les svooç"a, il est assez clair que les
MeôoSuci ne font qu'un avec les Topiques (1).
Le dernier des ouvrages de logique de notre collection
est le ÏIîpl crocpt.c7Tt.xwv k\éyy wv ou 2ocst.oTt.xol IXeyyot.. C'est très
probablement à tort qu'on l'a sépare du précédent, dont il
constituait sans doute, comme le veut Waitz(2), le neuvième
livre. D'abord, en effet, Aristote renvoie à des passages du
II. G-ocpwTixwv s^éy^wv par les mots lv toïç tottuoïç (cf.
Bonitz, loc. cit.), et, en second lieu, il dit que l'étude des
sophismes fait partie de la dialectique. Si, dans d'autres
passages, Aristote paraît distinguer les deux ouvrages,
c'est simplement comme des parties d'un même tout (3).
(1) Zeller, p. 70, n. 2 (p. 72).
(2) Theod. Waitz, Aristotelis Orgmion grœce..., commentario
instr. (2 vol., 1844, 484CJ), II, p. 528. Cette opinion est approuvée par
Bonitz, Ind. 102 a, 49.
(3) Zeller, p. 73, n. 1.
LES OUVRAGES DE RHÉTORIQUE 31
Aristote avait sans doute écrit d'autres ouvrages se rap-
portant à la logique. Mais, parmi les nombreux titres cités
parles catalogues ou dans les auteurs, il y en a beaucoup
sans doute qui se rapportent à des ouvrages qui n'ont
jamais existé, ou à des ouvrages apocryphes, ou à des
ouvrages de Théophraste pris à tort pour des ouvrages
d' Aristote ; ou enfin il y a des titres qui font double emploi
avec ceux des ouvrages que nous possédons, quand ce ne
serait que le Hepl TuXXoyi<r{jiû>v, en deux livres, des catalogues
de Diogène (n° 56) et de l'anonyme (n° 54). Nous nous
contenterons de signaler les ouvrages suivants : 1° un
Ilepl xaxaoicreftx; ixal à-o^ào-ecoç], qu'Alexandre (1) distingue
expressément de YHermêneia et qu'il paraît connaître de
première main ; 2° le Hepl tojv ivrue€i|iivo)v, identique peut-
être au Elepl svavT'lojv (Diog., n° 30; anon., n° 32). et
dont Simplicius nous parle (2) avec quelque précision :
fcnopuôv tiay/îos àu.7,y ave-/, avec exemples à l'appui ; et
c'est là en effet dans la doctrine d' Aristote une question
difficile et épineuse : ouvrage certainement authentique et
dont la perte, en raison de son importance, est tout à fait
regrettable ; 3g c'est à tort sans doute qu'on a cru trouver
dans les eittvetpiiuaTixol Xoyotdu De Memoria (ch. 2 début)
l'indication par Aristote d'un autre ouvrage ainsi intitulé ;
il s'agit simplement du chap. îcr du II. [rn^-^c, (3); mais
Aristote n'en avait pas moins composé sous ce titre, ou
sous un titre analogue : Béretç èttt^eipvjjMraxttt, un recueil de
thèmes de développements dialectiques avec' des exemples
et des indications sur la manière de traiter le pour et le
contre (4).
La rhétorique n'étant, selon Aristote (voir le début de la
Rhétorique) qu'une dépendance de la topique, nous devons
parler des ouvrages sur la rhétorique après les ouvrages sur la
{{) Metaph. 328, ls Hayduck ; 286, 23 éd. Bonite : Schol.GSQ a, 26.
(2) Dans son commentaire des Catégories 382,7-9 (Kalbfl.), et, à
plusieurs reprises (cf. l'index des loci aristotelici de celle édition).
Voir irifra, p. 134, n. 3.
(3) Zeller, p. 71, a. 7. vers la lin (p. 75).
(4) Top. 27, 17, éd. M. WaJIies {Comm. gr., 11, %);Schol. 2S4 b, 10.
Sur tous ces ouvrages de logique et d'autres encore, voir Zeller, p. 73-75.
32 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
logique. — Peut-être Aristote avait-il donné des modèles de
discours ; dans tous les cas, nos catalogues (Diog., nn 84;
anon. n° 88), parlent d'un livre intitulé svôujjir^a-a prjTOfHxà.
— Ce qui est sûr, c'est qu'Aristote avait consacré à l'histoire
de la rhétorique un ouvrage célèbre, un résumé de tous les
traités antérieurs aux siens : auvaywyr, tê^vwv, qu'a bien
connu Cicéron (fr. 130 et 131, p. 1500). — Quant aux ouvra-
ges sur la théorie de la rhétorique, il y en a trois princi-
paux à considérer. La Rhétorique, au livre III, ch. 9 fin,
renvoie à un ouvrage qu'elle appelle -h. ©eoSéx-ma, et la
Rhétorique à Alexandre (1, 1-421 h, 1) porte ces mots :
xa7.; uti' èaoû -zéyyy.iç ©eooéxTr, ypaoeio-atç. On connaissait
donc, avant Andronicus et même de très bonne heure,
une Rhétorique à Théodecte, ou de Théodecte, dont il est
question dans nos deux plus anciens catalogues (Diog.,
n° 82 et anon., n° 74) et dont parlent plusieurs auteurs,
notamment Quintilien. Si le livre est authentique* c'était
sans doute une « Rhétorique dédiée «Théodecte » (et non pas
publiée par Théodecte), et, comme Théodecte ne survécut
pas à l'expédition d'Alexandre et que d'ailleurs Alexandre
avait fait, nous dit-on, la connaissance de Théodecte par
l'intermédiaire d' Aristote, il a fallu qu'elle fût écrite pen-
dant le séjour d'Aristote en Macédoine (1). — La Rhétorique à
Alexandre qui fait partie de notre collection aristotélicienne
est unanimement reconnue pour un ouvrage inauthentique, à
cause notamment de la dédicace à Alexandre qui constitue
le premier chapitre. Bien entendu, Fauteur s'inspire de la
doctrine d'Aristote ; mais il ne cite pas, sauf le renvoi
dont nous avons parlé, les livres d'Aristote. Inutile de dire
qu'il n'est pas cité par eux. Diogène l'indique peut-être au
n° 79 de son catalogue par les mots Tsyvr, à (2). — L'ouvrage
incontestablement aristotélicien est la Rhétorique. Son
authenticité résulte de son contenu. Toutefois il v a des
interpolations et des transpositions : au livre II notam-
ment, les chapitres 18-21 étaient primitivement avant î-17.
Le livre III tout entier parait apocryphe.
(1) Zeller, p. 76, n. 2.
(2) Zeller, p. 78, n. 2.
LES OUVRAGES DE MÉTAPHYSIQUE 33
Nous passons aux traités consacrés* à la métaphysique
.Nous n'avons pas à revenir sur deux écrits de la| jeunesse
d'Aristote, le llepl oùsxrofia/; et le llepl eoyrjç. Nos trois
catalogues citent des opio-poî ou opoi ; mais nous n'avons pas
à leur sujet d'autres renseignements. Us mentionnent aussi,
et Ptolémée avec quelques détails, des 8iaipé<xeiç, qu'il ne
faut pas confondre avec les 8uupé<rsi<; dont il a été question
plus haut (cf. p. 22); mais rien ne confirme leur autorité.
Sans doute, Aristote lui-même parle d'un ouvrage ou mor-
ceau d'ouvrage analogue, l'ÈxÀoyTj xwv èvavxûov (1). Mais
Alexandre ne savait déjà plus (2) si les mots sxao-'Tj twv
Evavutov désignaient un ouvrage particulier, ou un chapi-
tre du traité du Bien. En somme, la métaphysique n'est
représentée dans notre collection et ne l'a peut-être jamais
_ruère été que par un seul traité, celui que nous nommons
précisément la Métaphysique. L'ouvrage s'appelle dans le
De motn animalium (6,700 b, 9) : —cl ta,; TCptonrjççiXoaro^pva^,
et un grand nomhre de textes d'Aristote rendent vraisembla-
ble que c'est là le titre qu'il voulait lui donner (3). Le titre
de [j.i-'y. xh tpu<nxà qu'on trouve pour la première fois sous la
plume de Nicolas de Damas, d'après un scholie de la Méta-
physique de Théophraste, doit remonter à Andronicus, car
Nicolas est son jeune contemporain. Ce titre, devenu tout
de suite usuel, dérive de l'arrangement matériel des écrits
par Andronicus, comme le dit bien Alexandre, et non,
comme le voudrait Simplicius, de considérations inter-
nes (4). — Parmi nos auteurs de catalogues, Ptolémée cite
ta Métaphysique, avec treize livres, suivant la compilation
grecque ; l'anonyme la mentionne deux fois (nos 111 et loi) ;
il est bien connu que, au contraire, Diogène l'ignore entiè-
rement. Aristote en parle souvent comme d'un ouvrage
futur; peut-être même l'a-t-il citée sans indication de titre
dans la Physique (1, 8, 191 bt 29; voy. Bonitz, Ind. 103 //,
(1) Metaph., r. 2, 1004 a, i : cf. I, 3, 1054 fl, 30 : îs rfl iuupiau tûw
Èvecvr/<uv .
(2) Zeller, p. <ii. n. 1.
(3) Zeller, p. 79, n. 1.
(i) Alex. Metaph., 110, c», Ha/duck {127, 21, Bonitz); Simpl. Phys.,
1, 17, éd. II. Diels (Comm. gr.,vo\, IX).
Aristote 3
34 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
30). Au reste l'authenticité des principaux morceaux est
manifeste, et elle résulterait encore des citations qui en
sont faites par Théophraste et Eudème.
La question de savoir comment le texte de l'ouvrage
s'est constitué a été résolue par Brandis et Bonitz. — Le
corps de l'ouvrage est constitué par les livres A, B, r, E,
Z, H, ©. — Le livre I (iota) est une reprise et une suite de
questions traitées dans les livres précédents, mais assez
mal soudée au reste. — Des deux moitiés de K, la première
répète B. T, E ; la seconde, depuis le chapitre 8, est une com-
pilation inauthentique de la Physique. — Le cas du livre A
est particulièrement intéressant. Selon Bouitz, il faudrait y
voir un écrit isolé dans lequel Aristote aurait exprimé, en
la rattachant étroitement par les chapitres 1-5 à ses ensei-
gnements sur la physique, une partie importante de sa
métaphysique, la théorie du premier moteur. Mais tout
d'abord, s'il est malaisé d'indiquer dans le livre A des réfé-
rences précises aux autres livres de la Métaphysique, encore
faut-il reconnaître, comme l'avait très justement noté Bran-
dis, que la discussion contenue dans le ch. 4 de ce livre a du
rapport avec certaines des questions posées dans le livre B, et
notamment avec celle, qui ouvre le ch. 3, de savoir si l'on
peut admettre que les genres soient erot^ew xal ip^at. De
plus, le livre A ne paraît pas avoir le caractère physique que
lui prête Bonitz. Il y a en effet dans Aristote une démons-
tration physique du premier moteur, mais c'est le livre VIII
de la Physique qui la donne. Au contraire, ce qui est traité
dans A, ce n'est pas exclusivement, tant s'en faut, la
démonstration du premier moteur ; c'est bien plutôt la
nature de l'être en tant qu'être et spécialement la nature
de Dieu. Or le vrai nom de la philosophie première est,
comme on le verra (p. 82), théologie. On peut donc sou-
tenir que le livre A traite, et traite seul, le sujet propre et
véritable qu' Aristote s'est proposé dans la Métaphysique.
Fût-il d'ailleurs une dissertation séparée, il faudrait tou-
jours reconnaître que le premier éditeur de la Métaphysique
ne pouvait se dispenser de le faire entrer dans le corps de
l'ouvrage. A vrai dire, le livre A, comme on l'a vu, con-
tient deux parties, dont la liaison est rendue manifeste par
LES OUVRAGES DE MÉTAPHYSIQUE 35
le début du chapitre 6. Il est incontestable que la première
ressemble à une ébauche (cf. ch. 3 déb. et 1070 a, 4) ; mais
sa brièveté même s'explique, puisqu'elle n'est encore qu'un
prélude, le plus prochain, il est vrai, de l'objet propre de
la métaphysique. Bonitz est frappé de son aspect décousu
et il renonce à y trouver une suite réglée de pensées ; il
n'y voit qu'un résumé désordonné de la Physique. Nous
croyons tout au contraire que ce résumé est systématique
et qu'il est dominé par deux préoccupations des plus oppor-
tunes : l'une, d'attribuer le premier rôle, entre les causes,
à la cause motrice (1-3); l'autre, d'établir que la causalité
réelle n'appartient pas aux universaux, mais à des choses
individuelles, de sorte que, en dernière analyse, les choses
sensibles s'expliquent par des causes substantielles et indi-
viduelles. Ceci posé, la seconde partie pourra établir que,
en dehors et au-dessus des substances naturelles, mobiles
et périssables, il doit nécessairement une substance immo-
bile et étemelle. — Les livres M et N, qui avaient été pro-
bablement destinés à faire partie du traité sur la philosophie
première, ont dû être abandonnés ultérieurement, lors-
qu'Aristote écrivit le livre A : celui-ci est plus mûr que le
livre M dans les parties qui leur sont communes, et il a pu
paraître à Aristote suffisant, à lui seul, pour traiter les ques-
tions qui étaient étudiées dans M etN. Ces deux livres ont
pour objet la théorie platonicienne des Idées et des Nom-
bres, partie capitale de l'introduction historique qu'est le
livre A. — Le livre A est le irèpl :wv -ocrayoK Asyoyivov,
connu, sous ce titre, des auteurs et d' Aristote. L'intro-
duction dans l'ouvrage de cette dissertation en compromet
manifestement le plan. — Le livre Alpha eXarrov {%) est une
préface, évidemment apocryphe et d'ailleurs ici hors de
plaie, à une Physique. Parmi les anciens, on L'attribuait
généralement à Pasiclès de Rhodes, neveu d'Eudènie. —
iTagrégat a été constitué de bonne heure, à l'exception sans
doute du livre a: caries plus anciens auteurs le connaissent
tel. Selon Alexandre, l'éditeur serait Eudème : l'indication
n'est qu'incidente, mais elle est clairement impliquée (1).
(1) Metaph., 518, 9, Hujd.; 483, 19, Bz; Schol. 760 0, 17. Il convient
36 LE SÏSTÈME d'aRISTOTE
Les ouvrages relatifs aux sciences de la nature, le groupe
le, plus nombreux, se divisent naturellement en ouvrages
sur le monde en général et les êtres physiques en dehors
des animaux terrestres, puis en ouvrages sur les animaux,
et qu'on peut, jusqu'à un certain point (1), subdiviser en
descriptifs et explicatifs.
Le premier des ouvrages de physique, à cause de sa géné-
ralité et peut-être même de son importance, est la $u9ixi]
àxpôao-iç, en huit livres. Tel est le titre dans les manuscrits
que nous avons et dans ceux qu'ont eus les commenta-
teurs. Quant à Aristote, qui cite très souvent l'ouvrage, il
dit, pour les premiers livres, outnxàouTaTîep». œuc-scoçet, pour
les derniers, rapl x^rjc-ewi;. Quant à la question de savoir
comment diviser les deux groupes, elle reste d'ailleurs un
peu incertaine. Il semble que le premier soit constitué par
les livres I à IV, et le second par les livres V, VI et VIII.
Le livre VII fait à peine partie de l'ensemble et il présente
cette circonstance que nous en avons deux textes : l'un est
une paraphrase, déjà connue d'Alexandre et qui a même
fini, jusqu'à l'édition minoràe Bekker, par usurper la place
du vrai texte (2). — Après la $>u<ji*.ri àxpoamç viennent, dans
l'ordre des matières, le Ilepl oupavoû et le ïlepi yîvéo-etoç xal
çOopàç, le premier en quatre, le second en deux livres. Mais
le II. yevécmoç xai oGopâ; ressemble plus aux deux derniers
du Ilepl oùpavoû que ceux-ci aux deux premiers du même
traité. Aristote cite souvent les deux ouvrages. Théophraste,
dans son de Caelo, avait cité celui d' Aristote (3). — Les
de noter que cette partie du commentaire (à partir de E) est suspecte
et que, d'après certains, elle doit être attribuée à Michel d'Epbèse
(xie s. ap. J.-C). — Sur la Métaphysique, cf. Zeller, p. 80-81.
(4) Avec Zeller, p. 91.
(2) Alex. ap. Simplic. Phys., 1051, 5, 1052, 20, 1054, 27, 1086, 23,
1093, 8, Diels. Cf. Zeller, p. 85, 1. — Voir aussi la discussion, dans
YArchiv fur Gesch. d. Philosophie, entre P. Tannery et G. Rodier
sur La composition de la Physique d' Aristote, le premier soutenant
(VII, 224-229 et IX, 115-118) que notre Physique est un tout l'ait de
morceaux disparates, dont les livres V et VI notamment doivent être
détachés ; le second, défendant au contraire l'unité de l'ouvrage (VIII,
455-460 et IX, 185-189, 1895-6).
(3) Zeller, p. 87,1.
LES OUVRAGES SUR LES SCIENCES DE LA NATURE 37
MeTstopoXoywà tiennent étroitement aux deux ouvrages
précédents. Aristote les cite souvent par désignation de
leur contenu (Bonitz, Ind., 102 b, 49). Il semble bien qu'ils
aient été pris par Théophraste pour modèle de ses Metocp-
fftoXoywà. Le IVe livre ne s'adapte pas bien à la fin du IIIe,
ni au plan primitif de l'ouvrage (1, 1 fin). C'est, semble-t-
il, une dissertation à part qui n'a été mise à cette place par
Aristote lui-même, peut-être faute de temps, que pour rem-
placer une partie absente (1). — Le fragment des <nj[*swc ou
7 rcy.y.T;.y.'. yî-.^wvcov, inséré sous le titre de Ilêpl T/jusiwv par
Bekker dans l'éd. de Berlin, p. 979, n'est pas authentique,
non plus que l'ouvrage auquel il conviendrait de le rappor-
ter (cf. fragm. 1581 a-1583#). — L'authenticité du Ilsplypw-
uàrcov a été sérieusement combattue par Prantl. Alexandre
pense qu'Aristote a écrit un Iïspl yu;juôv, mais il ne sem-
ble pas l'avoir eu en mains. — Aristote fait espérer (Meteor.
III, fin) une étude sur les métaux ; mais on ne sait si ce livre
a été écrit et si c'est le uovôêwêXoç t.. [xsràXXcov dont par-
lent les commentateurs, et notamment Simplicius (Phyp.
3, 4, Diels). Les catalogues et les auteurs citent encore
beaucoup d'écrits physiques d'Aristote, mais sans authen-
ticité.
Aux écrits physiques il faudrait rattacher les écrits mathé-
matiques d'Aristote. Aux yswusTp wcâ ~t xal p,7)^aytx& (JtêXloc
dont parle Simplicius (Cat. 4. 25 sq., Kalbfl.), on pourrait
rapporter nos Mfyvavwcà ; mais ils ne sont pas authentiques. —
Le Ikpl xcôptov ypafxjjwov (éd. de Berlin, p. 968) était, d'après
Simplicius (2), attribué à Théophraste tout autant qu'à Aris-
tote. — Des o-x'.xà (JiêXîa ou o-twx -pooA/;j.'/Ta étaient en
circulation, sous le nom d'Aristote, au temps d'une traduc-
tion latine (vers 230 après J.- Ci.) de la Catop trique de Héron
d'Alexandrie. — Enfin, à moins qu'Aristote n'entende se
référer, dans les Meteoroi: I, 3, 339 />, 7; 8, 345 />, 1 et clans
(1) Seller, p. 87, n. t. Voir V index ttominum, au mol Bso'ooaT-o;
dans les commentaires des Meteor. d'Alexandre (éd. Hayduck, Comm.
(jr. III. "2) et d'Olympiodore (éd. Stûve, même collection. XII. 2).
Cf. infra, XIX* leron.
(2) Dans son commentaire du />>■ Caelo, 566, 85, éd. fïeiberg (Comm.
gr. VII i; Schol., KtO b, 10.
38 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
le De Caelo II, 10, 291 a, 29, à un ouvrage d'un autre
auteur et non à un ouvrage écrit par lui-même, il semble
qu'il a dû composer un owrrpayofjiucév ou aurrpoXoyutiv (1).
Parmi les ouvrages descriptifs sur les animaux, il n'y a
peut-être d'authentiques que les oyaroftoti et notre îlepl tfc
Zùy. Lfftopta. — Les àvaxopiaî sont souvent citées par Aristote
(Bonitz, Ind. 104 a, 4). Il nous indique lui-même qu'elles
contenaient des dessins, et peut-être en était-ce la partie
la plus importante. L'ouvrage est perdu et sans doute
depuis longtemps. — Notre Histoire des animaux, en dix
livres, est authentique, à l'exception du dernier : les neuf
premiers sont souvent cités par Aristote ; le Xe, au contraire,
contient une doctrine essentiellement anti-aristotélicienne,
celle de germes féminins (2).
Au premier rang des livres explicatifs sur les vivants il
faut placer le Ilscl ^•r/ï; (3). Il y a eu deux rédactions du
second livre : des fragments de l'une d'elles ont été décou-
verts par Torstrik dans le ms. E (Paris. n° 1853) (4). Mais
c'est assez arbitrairement que Torstrik entreprend d'expli-
quer par le mélange des deux rédactions les fautes de com-
position, les répétitions surtout, dont il est choqué au
livre III, voire au livre I ; car la preuve de l'existence de
deux rédactions pour les livres I et III n'est même pas
faite. Ajoutons d'ailleurs que les deux rédactions du second
livre ne paraissent pas avoir présenté de différences con-
sidérables.
Au Etepi 'i/u'/'^s se rattachent naturellement plusieurs
petits traités portant tous sur des fonctions communes à
l'âme et au corps et connus sous le nom traditionnel de
Parva naturalia. Commençons par parler de ceux d'entre
(1) Zeller, p. 90, n. 4.
(2) Zeller, p. 93, n. 1 et 91, n. 1.
(3) Pour les renvois d'Àristote à son w. ^jyïi, voir Bonitz, Ind.
102 *, 60 sqq.
(4) Voir la préface de son édition (Berlin, 1862). Ces fragments se
trouvent à la suite du texte dans l'édition de G. Biehl (bibl. Teubner),
et dans celle de G. Rodier (Aristote, Traité de rame, traduit et
annoté, 2 vol., 1900 ; voir I, p. NI sq. etpassim dans le commentaire,
vol. II). Cf. Zeller, p. 93, n. 2.
LES OUVRAGES SUR LES SCIENCES DE LA NATURE 39
eux qui ont disparu ou qui sont apocryphes. — Aristote avait
annoncé en plusieurs endroits (Bonitz, Ind. 104 a, 47) un
rcepî vôo-ou xocl uyieîotç. Mais, bien qu'un auteur arabe ait
parlé d'un écrit intitulé De sanitate et morbo, il ne semble
pas qu'Aristote ait tenu sa promesse, car Alexandre (1) n'a
pas connaissance de ce traité. — Il semble au contraire qu'on
trouve chez lui non seulement promis, mais indiqué comme
écrit déjà, un wepl Tpopïjç (Bonitz, Ind. 104 b, 16). — Le
Efepl Ttveufxoroç qui fait partie de notre collection aristotélique
n'est pas authentique ; car il fait entre les veines et les artè-
res une distinction qu'Aristote ne connaissait pas (Bonitz,
Ind. 109 a, 22). Comme d'ailleurs il est cité par le Depl Ç<j>o>v
xiv^<rew<; (Bonitz, 103 a, 42), il appartient aux premières
générations péripatéticiennes. — Nous possédons dans les
œuvres un fragment d'un Ilepl àjcouorwv: Il ne cite pas Aris-
tote et n'est pas non plus cité par lui. Zeller en trouve l'ex-
position trop traînante pour être de la main d' Aristote, et il
le rapporte aux premiers temps de l'Ecole. Ce n'est pas,
comme on l'a cru, un morceau distrait de notre ITspl alo-fty-
c-îwç ; car celui-ci déclare (ch. 4, déb.) que son plan ne com-
porte pas une étude détaillée du ton et de la voix, et les ren-
vois du De generatione animalium (Bonitz, Ind. 100 b, 40)
ne réclament pas sur ce sujet plus que ne donne notre texte
actuel du Hepl yXrjhr^tuK (ib.). — Passons aux autres Parva
naturaliade notre collection. Le nspla'.o-Orjo-cw; /al alo-QrjTÛv
est promis par les Météorologiques, peut-être aussi par le De
anima, cité par les traités Sur les parties et Sur la génération
des animaux, par le De memoria et le De somno (Bonitz, Ind.
103 a, 8). Notre texte n'est pas mutilé ; car les renvois du
De generatione animalium (V, 2, 78 J a, 20) et àuDe partibus
animalium (II, 10, 656 a, 27), s'ils s'appliquent mal au De
$ensu proprement dit, portent convenablement sur d'autres
des Parva naturalia, et Aristote a pu désigner ces petits
traités sous le titre de-, aio-fojffeuc, parce qu'ils sont comme
des dépendances de ce premier traité lequel contient dans
son premier chapitre une introduction commune à eux tous.
(1) Dans son commentaire du De Sensu, ti, 19, éd. Wend]and(Co?;«m.
gr., 111,1).
40 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
— Le Ilepl [jlvv][jl^ç; xal àvapLvrjO-scoç est mentionné par Ptolé-
mée (n° 40) et cité par les commentateurs. Il cite le De anima
et d'autres ouvrages d'Aristote, mais il n'est cité que par le
riepi. Ç<j>h)v xw/jo-eco; (Bonitz, Ind. 99 a, 36 et 103 a, 13). Son
contenu démontre son authenticité. — Le Depl utcvou xal
sYp^yôpcetos cite plusieurs fois Aristote et en est plusieurs
fois cité (Bonitz, Ind. 99 a, 42; 103 a, 16). Il forme série
avec le Depl svuttvudv et le Ilepl vî^ xaSï uttvov puxvrtxrjç, comme
Aristote l'indique dans ce dernier écrit (ch. 2 fin). De son
côté, le De somno (2, 456 a, 27) promet le -. îVj-vIgjv.
— Le rispl ij.axpoê!.6T7iTO^ xal [jpayuë'.ÔTyj'ûoç est indiqué dans
nos catalogues, cité par Athénée sous son titre, et, sans
indication de titre, dans le traité des Parties des animaux
(Bonitz, Ind. 103 a, 23). — Le Ilepl Çcorjç xal Qavà-cou ne fait
avec le Ilepl àva-vo^ç qu'un seul tout (voir le premier, au
ch. 1 déb., et le second, vers la fin du dernier chapitre). Zel-
ler qualifie d'évidemment illégitime la coupure que font les
éditeurs dans le Ilepl Çor/iç xal Gavà^ou, dont ils mettent à part
les deux premiers chapitres sous le nom de Ilepl veotïjtoç xal
yrçpwç ; il pense que l'ouvrage de ce nom, annoncé par
Aristote, a été perdu de bonne heure, ou même, comme
incline à» le croire Bonitz (Ind. 103 a, 26), n'a jamais été
écrit. Le De vita et morte et le De respiratione sont cités
plusieurs fois par le traité Sûr les parties des animaux
(Bonitz, Ind. 103 a, 34 et 38) (1).
Le Depl Çiôwv p.opuov, en quatre livres, cite beaucoup d'ou-
vrages d'Aristote et est cité par le De generatione anima-
Hum, le De incessu animalium, leDemotu animalium, parle
De vita et morte, par le De respiratione et par le De somno
(Bonitz, Ind. 99 b, 30 et 103 a, 55). Zeller signale dans cet
écrit le renvoi du ch. 3, 457 b, 29, comme pouvant s'appli-
quer mieux au De sensu (2, 438 b, 28) ; mais, en revanche,
le renvoi du ch. 1, 455 b, 34 conviendrait mieux au II. Çcj>u>v
(jtopiwv (III, 3, 665 a, 10) qu'au De sensu (2, 438 b, 25). Le
premier livre est une introduction générale aux recherches
sur les vivants, qui n'est peut-être pas à sa vraie place (2).
(1) Sur les Parva naturaïia, voir Zeller, p. 94, n. 1 (94-96).
(2) Zeller, p. 96, n. 1.
LES OUVRAGES SUR LES SCIENCES DE LA NATURE 41
Le Qepl Ç([>cov ysvsc-swç cite les autres ouvrages d'Aristote,
notamment V Histoire des animaux, le De sensu, le De
anima (Bonitz, /nrf. 100 a, 59). Mais, s'il est cité par les
autres ouvrages, c'est toujours comme un traité à écrire
(Bonitz, Ind. 103 b, 8). Cependant, pour des raisons inter-
nes, son authenticité n'est pas douteuse. Seulement, le
livre V et dernier est peut-être, par rapport à lui, plutôt
qu'une partie intégrante, un complément, comme sont les
Parva naturalia pour le De anima.
Le Ilsol swtov rcopeioç cite l'Histoire îles animaux et les
Parties des animaux (Bonitz, Ind. 100 a, oo). Il est cité sous
ce titre, ou sous celui, plus long, de -. 7cooeîaç xal xtVrçcews
tôjv Ç(j>u>v par les Parties des animaux, sous celui de -. T&;
tojv "Çwcov xtvvjo-stç dans le De Caelo (Bonitz, Ind. 103 b, 3).
Avec ce traité authentique il ne faut pas confondre le
n. £<JKov xivvi<re(i)ç, .qui est sans doute apocryphe, puisqu'il
cite (10, 703 a, 11; le n. icyeupàToc (2).
Aristote promet en plusieurs endroits, et même ailleurs
il cite comme écrit, un -sol courwv. On ne peut donc guère
douter qu'un traité de ce titre ait été composé par lui.
Mais Simplicius et Philopon paraissent parler du -. tpurûv
sans l'avoir eu en mains. Alexandre (3) dit qu'il n'existe
sur 1rs Plantes qu'un ouvrage de Théophraste. L'ouvrage
d'Aristote a sans doute été perdu de bonne heure après
Callimaque et Hermippe, et il est impossible de lui attribuer
notre Ilsol yurûv actuel, traduit de l'arabe en latin et du
latin en grec. On ne saurait non plus prétendre enlever à
Théophraste, pour les transporter à Aristote, les deux ouvra-
ges, que nous possédons encore : De causis plant arum et
Historia plantarum ; dans aucun de ces deux ouvrages il
n'y a trace en effet d'un passage authentique du Ilsol outwv
d'Aristote cité par Athénée (fr. 250), et de plus ils contien-
nent des allusions à des faits postérieurs à Aristote i
(I) Zëller, p. 97, n. i.
Zeller, p 97, a. 8.
Dr sensu 87, 11 Wendland. Pour les textes de Simplicius, PI
lopon. etc., roir Rose, Àristotëles pseudepigraphus, p. 261
(-4) Zeller, p. 98, d I.
42 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
Nos $-j!7'.oYvio;jiov'//.à, qui ne citent pas Aristote et ne
sont pas cités par lui, ne sont pas authentiques (1). — Il
est impossible qu'Aristote ait écrit des Laxpixà, bien qu'on
lui en attribue dans nos catalogues, car il se désigne lui-
même quelque part comme étranger à la médecine (2). —
Les ouvrages sur l'agriculture et la chasse sont apocry-
phes (3). — Aristote renvoie sept fois à des 7cpo6Xiîpa.Ttt.
Mais il est remarquable que, à l'exception d'un seul qui
ne porte pas lui-même très juste, aucun des renvois
d' Aristote ne trouve où s'appliquer dans les Problèmes que
nous possédons (Bonitz, Ind. 103 b, 17). Ces Problèmes ne
sont donc pas de lui. Il résulte des études de Prantl qu'ils
sont l'œuvre successive des premiers Péripatéticiens et qu'il
y en a eu plusieurs rédactions (4). — Enfin, avant de quitter
les ouvrages physiques d' Aristote, n'oublions pas de signa-
ler l'inauthenticité du ïïepl xôo-pio'j (o).
Nous arrivons aux écrits sur la morale. Indépendamment
des ouvrages de jeunesse, et notamment du Ilepl Bucauo-
o-ûv/jç dont nous avons parlé, on attribue encore à Aris-
tote beaucoup d'autres ouvrages sur des sujets moraux.
Le irepl È-'.Ojulaç, qu'il paraît nous promettre au début du
De sensu, n'a sans doute pas été écrit. Peut-être avait-il
écrit un ~tp\ to&8ou< ôpr^ç, un -sel {JtiQriç, attribuable aussi à
Théophraste, des vo;ao>. o-ua-ctTixot. Notre traité IIspl àpexwv
y.y.l xaxtwv est l'œuvre d'un éclectique qui ne peut guère
être antérieur au ier siècle av. J.-C. (6).
Malgré la bizarre assertion de Schleiermacher sur l'an-
tériorité des 'HQ'.xà ueyàXa, par rapport aux deux autres trai-
tés de morale, personne ne songe plus à voir dans cet
ouvrage qu'un résumé des 'HG-.xà EoÔT){jiia. Les 'RQucà p.syà),a
ne citent pas Aristote : on ne pourrait y relever qu'un renvoi
(1) Zeller, p. 99, n. 2.
(2) Zeller, p. 9, n. 1 vers la fin el p. 99, n. 3.
(3) Zeller, p. 100, n. i el 2.
(4) Zeller, p. 100, n. i et 5.
(5) Zeller, III i*, 653-670. Cet ouvrage, où l'influence stoïcienne est
manifeste, date probablement de la seconde moitié du 1er siècle av.
J.-G.
(6) Zeller, p. 103, n. 1.
OUVRAGES SUR LA MORALE ET LA POLITIQUE 43
à des Analytiques, dont rien n'assure que ce soient ceux
d'Aristote (Bonitz, Ind. 101 a, 52). — Les 'HQucà Eùo^u-.ane
citent pas non plus autre chose que des Analytiques, et, sans
titre, des Catégories, qui ne sont peut-être d'Aristote ni les
uns ni les autres. Déjà Aspasius ;1) attribuait, implicitement
mais clairement, à Eudème la composition des 'Hfkxàc Eùoriu'.a
et son affirmation a le plus grand poids. — C'est une ques-
tion de savoir si les trois livres communs à cet ouvrage et
aux 'H8utà Nixopfyeta (Et,i- Nic- VVn I Eth- Eud- IV-VI)
appartenaient primitivement à celui-ci ou à celui-là. L'in-
dication d'Aspasius, que le passage sur le plaisir [Eth. Xic.
VII, 12 sqq.) est d'Eudème, donnerait plutôt à penser que
ces trois livres sont d'Eudème. Mais, pour le reste, Y Éthi-
que à Nicomaque est l'œuvre d'Aristote. Elle renvoie aux
Analytiques et à la Physique (Bonitz, Ind. 101 a, 37); elle
est citée une fois par la Métaphysique et assez souvent
par la Politique (Bonitz, Ind. 103 h, 46) (2).
Aristote avait écrit des yô;j.',;j.o. 3acêap',xà, cités notam-
ment par Varron [De ling. lat. VII, 70) et des rcoXiTetai,
dans lesquelles étaient analysées cent cinquante-huit con-
stitutions d'états grecs (3). On sait que la IIoÀ'.Teîa AQïjvaiojy
a été retrouvée à une date encore très récente ; elle permet
de se faire une idée du reste du recueil (4). — La Politique
jnoXiTtxà) cite l'Éthique (Bonitz, Ind. 101 b, 19); elle est
citée par la Rhétorique et promise par YÉthiquc (Bonitz,
Lui . 10.'] //. 52). Son authenticité n'est pas douteuse. Seule-
ment l'ouvrage est inachevé ; il se termine par un déve-
loppement sur la musique et n'a pas de conclusion. Il
paraît en outre acquis que l'ordre des livres a été boule-
versé (5).
Nos O'.xovou'./.y.ne peuvent être considérés comme authen-
tiques (6).
(1) Et/iira, 454, 24-36, éd. '.. Heylbut (Comm. gr., XIX, i).
(2) Zeller, p. 401, u. 2 cl |>. 102, n. 1.
(3) Zeller, p. 105, n. 3.
(4) Kilo a été publiée pour la première fois par (1. F. Kenjon à Lon-
dres en 1891.
(5) Zeller, p. 10i, n. 1 ci p. 67*, n. 2 (672-(i78).
(ti) Zeller, p. 105, n. 2.
44 LE SYSTEME D ARISTOTE
Des traités sur l'art, nous ne possédons que la Poétique.
Elle est citée dans la Politique comme un ouvrage futur
et, dans la Rhétorique, comme un ouvrage achevé. Selon
les plus anciens témoins l'ouvrage avait deux livres. Que
notre texte soit d'ailleurs incomplet, c'est ce qui résulte
notamment de ce que le développement sur le •/.â'jac7^,
dont parle la Politique, fait défaut dans la Poétique telle
qu'elle existe (1). Le rapt ttoitjtwv, dont nous avons déjà
parlé (p. 17), et les cOpY)pixààTO>p.i)jjitera étaient des ouvrages
d'histoire et non de théorie (2).
(1) Zeller, p. 107, n. 1.
(2) Zeller, p. 108, n. 1. — Aristote avait écrit quelques autres
ouvrages historiques du même genre : les listes critiques des vain-
queurs aux jeux Olympiques et aux jeux Pythiques, un xepi eûpupâruy.
— Notre Tlipi ha.uuv.aiMj àxova-aaTwv est inauthentique ; cf. Zeller,
p. 109, n. I.
QUATRIÈME LEÇON
LES DIVERSES CLASSES DES ECRITS D'ARISTOTE.
LES ÉCRITS PUBLIÉS ET LES AUTRES
Tous les écrits d'Aristote que nous possédons, du moins
ceux qui sont authentiques, présentent les plus étroites
analogies internes pour la composition et pour le style ; à
quoi il faut ajouter qu'ils sont reliés entre eux, comme
nous l'avons déjà vu, par des références multiples. Ces
écrits forment donc une classe unique. Mais ils étaient loin
de constituer l'œuvre entier d'Aristote. Des écrits d'un
caractère différent, sans parler des poèmes ni des lettres,
formaient, à côté des précédents, une ou peut-être plusieurs
classes distinctes.
Une première distinction à établir, et qui ne soulève pas
de difficultés, est celle des o-yy-'-à^aT?. (ruvray^atocà et des
a-UYypâfÀjxaxct ■j-o[j.-ni<j.y.-::y.y.. Les premiers sont les écrits
méthodiques, réguliers, pourvus, comme dit Elias ou le
pseudo-David, d'une entrée en matière et d'une conclusion
avec une rédaction suffisante ; à quoi nous ajouterons : sauf
inachèvement. Les seconds étaient des recueils de notes,
que l'auteur destinait à son propre usage et qu'il aurait
fallu soumettre à un nouvel examen pour en faire des
ouvrages réguliers. D'après un renseignement qui remonte
à Alexandre, les uicopiv»ijJiaTtxà n'étaient même pas consa-
crés un par un à des sujets spéciaux, mais il arrivait que le
même écrit traitait de plusieurs sujets à la fois. On ne peut
mieux dire que c'étaient de purs recueils de notes. Après
cela, il ne faut pas s'étonner que, selon Simplicius, les
facoiAV7)|AaTixâ lussent tenus en médiocre estime et que per-
46 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
sonne ne s'avisât d'aller y chercher des textes capables de
faire foi pour l'établissement de la pensée d'Aristote (1).
Aucun des écrits qui nous restent ne paraît appartenir à la
classe des j~oij.vY);jaT!.xà : à peine pourrait-on y ranger la
première partie du livre A de la Métaphysique. JNos Pro-
blèmes eux-mêmes ne peuvent être considérés comme
équivalent à un exemple d'écrits hypomnêmatiques ; car,
puisque Aristote renvoyait souvent à ses Problèmes authen-
tiques comme à un livre connu du lecteur, ils avaient donc
été publiés, au moins à quelque degré, et n'étaient pas des
notes pour son usage propre, — poc ùîrojjLVTjcrtv olxetav. Le De
Melisso etc. est inauthentique (p. 21, n. 3) ; et d'ailleurs,
quoi que Zeller paraisse en penser, il ne présente peut-être
pas très sûrement les caractères requis. C'est donc exclusi-
vement parmi les ouvrages perdus qu'il faut chercher les
•j-o;jt.v71;j.a-'..y.à. Il est vraisemblable que les extraits des Lois
de Platon, les extraits du Tbnée, les extraits d'Archytas,
les Problèmes tirés de Démocrite (cf. ibid.) appartenaient à
cette classe. Zeller a sans doute eu raison de douter, même
avant l'apparition de la ïlo^'/rsia 'AOrjvaiwv, qu'il y fallût
mettre les rcoXiTEttu. Et, quant au tc. ràyaOoj, le fait qu'il
est employé par Alexandre comme une source sérieuse,
nous paraît rendre plus que douteuse sa parenté avec les
Une seconde distinction à faire parmi les écrits d'Aristote
est celle des écrits publiés et des écrits non publiés. Cette
distinction résulte d'abord des témoignages extérieurs,
puis des textes d'Aristote. Elle résulte implicitement des
témoignages extérieurs, parce que ceux-ci nous parlent, en
considérant en lui l'écrivain, d'un Aristote dont il est
impossible que les ouvrages de notre collection aient
donné l'idée, dont l'idée par conséquent doit dériver de la
lecture d'ouvrages appartenant à une autre classe. Mettons
que Quintilien ait lu la Rhétorique et les Topiques ; Cicé-
(i) Animonius in Cat. 4, 5, Busse (sur ce commentaire, voir infra,
p. 51, n. 1) ; Simplicius Cat. 4, 14, Kalbfl. {Schol. 24 a, 4-2) : Elias
{olim David) Cat. 414, 1 sq., Busse {Schol. 24 a. 37). Cf. Zeller,
p. 410, n. 2.
LES DIVERSES CLASSES DES ÉCRITS 4i
ron qui se vante d'avoir lu ces ouvrages ne les connaît
peut-être que de seconde main(l). Du moins, selon la remar-
que de Ch. Thurot (2), les ouvrages de Cicéron, où celui-ci
annonce qu'il va suivre Aristote et, par exemple, ses Topi-
ques, ne présentent, quand on les examine de près, aucun
rapport avec les textes d'Aristote qu'il prétend suivre.
Dans tous les cas, ni les Topiques, ni la Rhétorique même,
ne peuvent avoir donné à Cicéron et à Quintilien l'idée qu'ils
se font du style d'Aristote. Nous avons déjà cité (p. 20)
ces jugements à propos des dialogues. Suaritas est une
expression qui revient plusieurs fois chez Cicéron et se
retrouve dans Quintilien : pour eux Aristote est un écri-
vain abondant et orné. Denys d'Halicarnasse de son côté
parle de l'agrément d'Aristote (3). Ce ne sont pas nos écrits
scientifiques qui peuvent avoir inspiré une pareille appré-
ciation à Denys ; car ils n'ont que les qualités sévères du
style technique, quand même ils ne sont pas gâtés par ce
que Bonitz appelle Aristotelis insignis in seribendo négli-
gent ia. Xous venons de voir en outre que les deux
Romains avaient à peine touché aux plus accessibles des
écrits scientifiques. C'est donc qu'il y avait en circulation
d'autres ouvrages d'Aristote, des écrits publiés, au sens le
plus fort du mot, publiés jusqu'à atteindre, autant qu'il
était alors possible, le grand public. Cicéron avait employé
le Depi (piXo<ro©taç, YEudème, le QporpeTmxoç ; il avait
employé aussi des ouvrages sur la politique qui n'étaient
pas la Politique, peut-être le iroXtTtxôç et le -. [IJaaiXeiaç (4).
Les textes d'Aristote que nous pouvons invoquer pour
établir plus précisément et plus directement cette division de
ses écrits en publiés et, au moins dans un certain sens, non
publiés, sont au nombre de deux. L'un se trouve à la Un
du ch. 15 de la Poétique : z'.yr-v.<. os tcepl aùtwv èv toïç
èxôeSojxévofc; X6votq btotvûç. Ce texte est très formel. D«8
fi VoirZeller, ibid. et n. 3.
(2) Éludes sur Aristote (1800), Appendice 13 : Cicéron et lu
lorii/w; d'Aristote, p. 200-270.
(3) Les lexios sont cités par Zeller, p. 111. a. I.
(4) Pour les passages où Cicéron se reporte à ces écrits d'Aristote,
voir Zeller, p. 111, n. 2.
•48 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
tentatives qu'on a faites pour en détourner ou en atténuer
le sens, aucune ne parait soutenable. Ni la formule etp^xat,
ni les mots êx§e§o{Aévot.ç Xoyovç ne conviendraient pour ren-
voyer à un ouvrage de l'Ecole platonicienne. D'autre part,
le renvoi ne peut s'adresser aux chapitres antérieurs de la
Poétique, ni à la Rhétorique : deux opinions auxquelles
Rose a renoncé après les avoir successivement soutenues.
Enfin Aristote ne peut vouloir dire que la question a été
traitée dans ses écrits antérieurs ; car, pour signifier cette
antériorité, la qualification de êx8e8opivot n'eût été ni la
plus naturelle ni la plus propre, si l'on songe surtout qu'il
n'y a plus opposition, quant au fait d'être et de n'être pas
publié, entre les ouvrages qu'un auteur a publiés autrefois
et un ouvrage qu'il vient de publier. Il faut donc prendre
l'expression sxosoojjiévot. Xéyot. dans toute sa force. — Le
second texte d' Aristote qui témoigne dans le même sens
se trouve au début du ch. 4 du Ier livre du De anima : il y
est question d'une opinion sur l'àme, dont les raisons ont
été exposées dans des discours répandus dans le public
(sv xo'.vw vtvojjLévoiç ~kôyoiç) (1). Bien que ce texte ait moins
de précision que le précédent et qu'on n'en puisse peut-
être pas ôter toute espèce d'ambiguité, on arrive toutefois,
en le discutant, à reconnaître qu'il renvoie à des ouvrages
publiés. L'opinion de Simplicius, que le renvoi indiqué ici
par Aristote se rapporte au Phédon, n'a aucune vraisem-
blance; car une pareille formule serait tout à fait impropre
dans une telle fonction et Aristote n'en emploie jamais
d'analogues pour renvoyer aux écrits de Platon. Peut-il
s'agir de conversations courantes dans le public éclairé ?
Non sans doute, caria question en jeu est déjà trop délicate,
et Aristote se réfère trop évidemment à une réfutation
qu'il regarde comme précise et concluante. S'agirait-il de
conversations platoniciennes? Non, puisqu'Aristote pouvait
se référer à quelque chose de plus saisissable, c'est-à-dire au
Phédon. Le renvoi vise-t-il donc des discussions orales dans
l'École péripatéticienne elle-même, ou bien encore un écrit
(1) /.ai u)jy) c?e tiç (Fô£a TrxpaêiiïozcKi ~zpï ifiu^ç, 7ri6avirç f*èv 7ro)./oîç. . .
).6yo'j; <J'wff7T£p EÙÔûvaç fîeiïtûxvLK xcà roîç sv xoivw yivouiévoti Xôyotç.
LES DIVERSES CLASSES DES ÉCRITS 49
d'Aristote qui ait la forme d'une conversation, c'est-à-dire
un dialogue ? Cette opinion, déjà indiquée, en partie du
moins, par Philopon, est celle d'Ueberweg. Mais en fait,
nous allons le voir, Aristote ne renvoie pas à des discus-
sions orales. Reste donc qu'il ait renvoyé à un dialogue. A
l'appui de cette manière de voir on pourrait faire valoir
que l'expression sv xcc.vù y.vvoyivo^ Xoyoïç peut recevoir,
comme le veut Ch. Thurot, le sens de èv ratç StaXsxTucaïs
(ruvôSotç {Top. VIII, 5, 155 a, 32), et que l'expression
eoOôvaç ôsoor/.'j'.a s'appliquerait très convenablement à un
examen contradictoire dans lequel la doctrine attaquée
aurait été d'autre part défendue. Mais c'est une question
de savoir si les mots en question, qui peuvent recevoir
cette interprétation, n'en admettent pas d'autre. En fait il
n'est pas douteux, puisque les commentateurs nous pro-
duisent les .textes, qu'Aristote renvoie à YEudème. Seule-
ment, si cet écrit est un dialogue, c'est aussi un ouvrage
publié et il reste douteux qu'Aristote ait voulu le désigner
en tant que dialogue, plutôt que comme ouvrage publié.
C'est même cette dernière désignation qui semble le plus
probable ; car le participe présent y.yyouivo'.ç ne pourrait
s'appliquer à une conversation qui, fixée une fois pour
toutes au moyen de l'écriture, est entrée dans le domaine
du passé ;' il ne s'appliquerait bien qu'à des conversations
de chaque jour, sans cesse recommencées et par consé-
quent toujours actuelles. Or nous avons vu que les faits
excluaient une référence à de telles conversations. S'appli-
quant à YEudème, puisque tel est le fait, le participe pré-
sent signifie donc, et c'est un sens très naturel : les dis-
• ours qui, consignés dans VEtidème, sont tombés et se
trouvent présentement, par la publication de l'ouvrage,
dans le domaine public. Le texte du Traité de Pâme est donc
en somme d'accord avec celui de la Poétique pour répar-
tir les écrits d'Aristote en écrits publiés et écrits non
publiés. — Deux autres textes paraissent d'ailleurs confirmer
les deux précédents. Dans VÉthiçtteà Nicomaque, Aristote
renvoie à des èyxùxXia (1, 3, 1096a, 2) et, dans le De caelo,
à dos :-x.>/.A'.a çptXoffOç7J|Mrca (I, 9, 279 a, 30), qui sont,
eux aussi, des ouvrages publiés. Non seulement c'est
Axistote 4
50 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
ainsi qu'a compris Simplicius, mais Zeller estime, avec
raison semble-t-il, que le renvoi de Y Éthique s'applique à
un passage du dialogue w. Bwcouoo-ùvïjç et le renvoi du De
caelo k un passage du n. tptXoaro:pyx4 (1).
De la classification des écrits d'Aristote en publiés et
non publiés ou à peine publiés, nous sommes amenés à
celle qui divise les écrits du philosophe en exotériques et
ésotêriques] car c'est peut-être la même classification sous
des titres différents. Mais le vrai sens de l'expression
èÇtdTeptxol Àoyoi a été et est encore notoirement l'objet de
discussions assez délicates. Comme dans la question pré-
cédente, nous nous occuperons d'abord des témoignages
extérieurs, puis des textes d'Aristote. — A l'exception de
deux commentateurs néo-byzantins de YÉthique à Nico-
maqïte.j Eustratius et Héliodore de Pruse, qui entendent
par £HwT£û',xolX6yo!., le premier, l'opinion commune (Xéyouç,
siiç e£o) xf;ç Xoyw^s ftapaSéo-etoç -zk ïîX^Ôt) çaa-'l), le second,
des discussions orales (àrcè tr-rép-aroç rcpoç roùç evTuy^àvov-
Taç) (2), on peut dire que tous les auteurs anciens pensent
que cette expression désigne une classe particulière des
écrits d'Aristote. — Le texte le plus détaillé que nous
possédions sur la classification des écrits d'Aristote est
celui d'Elias, commentateur du vie siècle, dans le préam-
bule d'un commentaire des Catégories qu'on attribuait
autrefois à David. Il est probable qu'il puise dans Ammo-
nius ; car, d'une part, il renvoie à propos d'une question
connexe au commentaire d'Ammonius sur le Ilepi eppjveîaç,
et, d'autre part, il est tout à fait d'accord avec le commen-
taire sur les Catégories faussement attribué à Ammonius,
mais pourtant dérivé du véritable commentaire d'Ammo-
(1) Simplicius De Caelo 288, 31. Heiberg {Schol. 487 a, 3); cf. le
texte de Philopon cité plus haut, p. 18, n. 2. — Ch. Thurot, op.
cit., p. 2! 9. —Voir Zeller, p. 112, n. 3 et 144, n. 1.
(2) Cf. Zeller, p. 415, n. 1. Les commentaires d'Eustratius (environ
4050-1120) et d'Héliodore (vers 1367) ont été publiés par G. Heylbut
dans la collection des Commentaria, vol. XX (cf. p. 298, 28-31) et
vol. XIX, pars 2 (p. 23, 38). Ce dernier commentaire était autrefois
attribué à Andronicus de Rhodes ; cf. plus bas, p. 6t.
LES DIVERSES CLASSES DES ÉCRITS 51
nius (1). Parmi les écrits «•uvcayiAarixdc, nous dit Elias, les
uns sont aoTQacpédtûrox, c'est-à-dire qu'Aristote y parle seul,
s'adressant au lecteur : aussi ces écrits portent-ils encore-
la qualification d'àxpo<x|jumxà ; les autres sont des dialogues
et reçoivent la qualification dexotériques : otaXoyucoc à xai
$-wrepixà XéyovTat. Les ouvrages acroamatiques, tels que
la ipu<rot7j oocpoao"K sont écrits pour les lecteurs aptes à la
philosophie, les ouvrages exotériques pour ceux qui n'y
sont pas aptes. Aussi, dans les écrits acroamatiques, Aris-
tote emploie-t-il des démonstrations nécessaires et, dans
les écrits exotériques, procède-t-ii par des raisons sim-
plement propres à persuader [otk it'.Oœvôv etxorwç). —
Simplicius dit, dans son commentaire sur la Physique :
èÇwrçbtxoc ci ècxt ta xoivà xal o*, svSôçtov ïcepatvoufiva, àXXà
[j.Yi àrcoSsixTixà pi<Sè àxpocuxiroxà (2). Ailleurs il dit, en pré-
cisant moins, que les E^toTepocà étaient destinés à la foule
et il les identifie avec les èyxùxÀta (3). — D'après Elias
(pseudo-David), Alexandre opposait aux oocpoajjumxà les
^aXoytxà, sans qu'on nous dise positivement qu'il identi-
fiait les SwcXoytxà avec les èÇonspixà. Elias ajoute que les
dialogues différaient des écrits acroamatiques par le fond
même des opinions, touchant l'immortalité notamment. Si
on croit avec Zellerque le commentateur a mal compris, il
(1) Zeller, p. HT, n. 2 et 118, n. 1 (cf. III 2% 344, l). Cf. Elias
[David) Cat. 113, 17-117, lî, Busse, et, pour la question particulière
de la ilistinction entre les écrits acroamatiques et les exotériques,
114. IS (Schol. 24 a, 18; b, 10). Le commentaire d'Ammonius sur
iHerméneia, cité par Elias Mi, 9 (Schol. 24 b, 5), a été publié par
. Busse (Comm. gr.t IV, 5), ainsi que celui sur les Caléi/ories (IV, i),
lequel, à vrai dire, n'est qu'une rédaction d'élève d'après les leçons du
maître (cf. la prêt, de Musse, p. V) : c'est donc l'œuvre^d'un l'seudo-
Ainiiiouius. On y trouve, 3, 20-5, 30, la même classification des écrits
d'Aristote que chez lïlias (le ps. David), mais moins développée.
(2) I». 695, 34 (et. 8, 16), Diels. De même Pliilopon, P/n/s 705, 22,
éd. Vitelli.
(3) De Caelo (référence indiquée p. bO, n. 1). De ce dernier pas-
sacre il faut encore rapprocher celui où Philopon. dans son De anima
(!».'). 22, éd. M. Flayduck, Comm. f/r. XV), dit que les dialogues
sont au oombre des ifaztptxû, et que les i^ireoixa sont ainsi appe-
lés parcequ'ils ne sont pas écrits ttoo; roj; yv^atow; ay.ooaT'/i;. Cf. Zeller,
p. 115, n. 4.
52 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
reste qu'Alexandre reconnaissait l'opposition de méthode
mentionnée par Elias, le pseudo-Ammonius et Simpli-
cius (1).
Passons maintenant des commentateurs d'Aristote aux
autres témoins et remontons aussi haut que possible dans
l'ordre chronologique. — Clément d'Alexandrie oppose
parmi les écrits d'Aristote les £7<o-:Ep',xâ et les xoivà -z xal
eçtotepixà. Si les sa-aru-epixà prennent chez lui un sens mysti-
que, c'est là une circonstance accessoire qui n'est d'ailleurs
pas propre à Clément : nous allons la retrouver ailleurs. Et
du reste, malgré toute son intelligence, Simplicius lui-même,
sous la pression du milieu, n'hésite pas à écrire cette pro-
position déraisonnable qu'Aristotea affecté l'obscurité dans
ses écrits acroamatiques (2). Plutarque, qui donne aussi la
même note mystique surlesàxpoap^tuxàdans la Vie d'Alexan-
dre, distingue ailleurs les IÇwTfepixà des autres écrits et en
même temps il identifie les èijcoTrepixdt avec les dialogues :
Stà ttov èioyceptxtôv o'.aAôyto/, dit-il. Aulu-Gelle oppose les
àxpoartxâ et les sçco-rspixà (3). — Avec le témoignage
d'Aulu-Gelle nous quittons l'époque des Antonins pour
passer à celle d'Auguste. Strabon nous dit que les écrits
exotériques d'Aristote n'étaient pas propres à permettre à
ceux qui n'avaient pas d'autre aliment de philosopher véri-
tablement (©uXocrocps.tv -payua-î'.xco^) : ceux-là ne pouvaient
qu'amplifier des thèses (OécreiçÀTixuQtÇetv) : ce qui consacre la
distinction des deux classes d'écrits, en faisant des écrits
exotériques des ouvrages dialectiques. Cicéron dans le De
fiïtibus dit qu'Aristote et Théophraste ont laissé deux genres
(1) Gai. 115, 3-5. liasse {Sckol. 21 b, 33); cf. Zeller, 117, 1. La
même opinion- est rapportée par le ps -Anamonius, mai* sans qu'Ale-
xandre soit nommé (-rivèçfjsèv ouv .. 4, 20).
(2) Clémenl. Strom. V, 575 A; Simplicius, Phys. 8, 18, Diels. Cf.
Zeller, p. 116, n. 3 et i.
(3) Plut. Alex. 7; Adv. Col. 14, 1115 b. - Aulu-Gelle X. Att. XX.
5 : « 'EgcorsptxM dicebantur quae ad rhetoricas meditationes facul-
tatemque argutiarutn (ces derniers mots sont à remarquer) civilium-
qup rerum notitiam conducebant, kx/jogctixk autem vocabantur in
quibus philosophia remotior subtil torque agitabatur quaeque ad
naturae contemplationes disceptationpsque dialecticas pertine-
bant. n — Cf. Zeller. 115, 6, 7 ; 116, 3.
LES DIVERSES CLASSES DES ÉCRITS 53
décrits dont l'un populariter scriptum quod ^onrepucôv
appellabant. Dans les Lettres, à Attiats, il dit que à chacun
de ses livres du De Republica il a mis des prologues : ut
Arislotclc* in Us quos êjjjwTeptxouç vocal (1). S'il fallait
prendre au pied de la lettre les mots appellabant et vocal,
nous aurions ici le témoignage d'Aristote lui-même. Quoi
qu'il en soit, Strabon est né avant la mort d' Andronicus, et
Cicéron n'est pas seulementle contemporain deïyrannion ;
Tyrannion a donné des leçons aux lils de Cicéron (2). Le
témoi<mat;e de Strabon et surtout celui de Cicéron sont
donc des plus autorisés. Il y a plus encore : nous avons
un témoignage antérieur à Andronicus lui-même. En effet
Andronicus connaît les deux prétendues lettres échangées
entre Alexandre et Aristote au sujet de la publication de
certains écrits de celui-ci (3). Puisque, selon l'auteur de
ces prétendues lettres, Alexandre se plaint de la publication
des écrits acromatiques (oûx ôpOwç èitofoiaoç èxSoùç tojç àx.soa-
tcxoùç Ttov Xôywv), il fallait donc que, dès le temps de cet
auteur, la distinction des écrits d'Aristote en acroamati-
ques et exotériques fût consacrée. Au reste, dans la Rhétori-
que à Alexandre , on voit déjà le prétendu Aristote faire
mystère de cet écrit; et la Rhétorique à Alexandre paraît
avoir été connue des premiers bibliographes d'Alexan-
drie (4).
Après avoir suivi la division traditionnelle des écrits
d'Aristote en acroamatiques et exotériquesjusqu à l'époque
la plus rapprochée de lui que nous avons pu, il nous reste
à considérer les passages d'Aristote lui-même où il a parlé
des « discours exotériques ». Nous aurons du reste à en rap-
procher quelques textes d'Eudème. — 11 ya quatre inter-
prétations principales de ces textes : 1° L'ancienne interpré-
tation de Zeller, qui était déjà celle de Saint Thomas.
(1) Strabon, XIII, 1. 54, p. 609. — Cic. De fin. Y, :>. 1-2 : ad AU.
IV, 16, 2. - Cf. Zeller, 11.'», 2, 3, S.
(2) Sur Tyrannion, voir plus bas p. 63 s<|.
(3) Pour ces lettres, voir les textes déjà i ités d' Aulu-GeUe e1 de Plut.
Alex. Cf. Zeller, H6, ± et 4 cl sùpra, p. 10. a, ::.
(4) Rhet. ad Alex. I. 1-121 a, 26 sqq. Cf. Zeller, lit"., a. 3 fin el
fa, 2.
54 LE SYSTÈME DARISTOTE
« Discours exotériques » aurait le sens de considérations
extérieures à la question traitée, ouvrages autres que celui
où l'on traite la question ; 2° l'interprétation actuelle de
Zeller : les ouvrages donnés au public, c'est-à-dire les
ouvrages qui circulent hors de l'Ecole péripatéticienne,
tçtùTipiv.oi signifiant alors précisément le fait d'être en
dehors d'une région donnée, comme dans l'expression de la
Politique, s;oJT£(;t.xY] àpyr- , une province étrangère', ou bien
les ouvrages qui, par destination, s'adressaient au public,
comme Aristote parle, dans la Politique aussi, des è£(>>?epucai
7tpà£s!.ç, des actions par lesquelles on sort de soi pour pour-
suivre un but <?>r/mie; 3° l'interprétation de Ch.Thurot: écrits
ou discussions orales d'Aristote dont la méthode était la dia-
lectique; 4° l'interprétation de Ravaisson : écrits d'Aristote
dont la méthode était la dialectique, et la forme extérieure,
le dialogue. — Nous ne parlons pas de l'interprétation trop
simple, qui entend par l^ôxip'.ysA Aoyai l'opinion commune,
fût-ce celle du public cultivé. On verra tout de suite, à la
lecture de quelques-uns des textes d'Aristote, d'abord que
les l^ontp'.y.ol Xoyot qu'il invoque ne sont pas toujours d'ac-
cord avec l'opinion la plus commune, ensuite qu'il ne se
référerait pas à l'opinion commune, comme à un travail
antérieur qu'il est désormais dispensé de renouveler et
dont il n'a plus qu'à employer les résultats (l).
1° On ne voit pas pourquoi xVristote ne se serait pas
contenté de l'expression qui lui est si familière: sv aXXotçj
si s^orûspixol Aoyoi a le sens, non seulement d'autre, mais
d'étranger à la question, il est bizarre qu'Aristote ait dit des
choses, souvent importantes, précisément dans un ouvrage
« étranger à la question >>. Mais il y a plus : l'interprétation
vient échouer devant un texte sur lequel nous aurons
à revenir, Phys. IV, 10, 217 b, 30 ; car tout le monde
tombe d'accord que les èÇcoTepixol Aôycndontil est question
(1) Zeller, 123, 1, 123., 1 et 119, 2. Ch. Thurot, op. cit. (app. 5 : De
la valeur de l'expression oî iÇcor^oixcù ïôyoi, 209-223) p. 220. Ravais-
son, Essai sur la Métaph. d'Arist., I (1837), p. III, liv. I, ch. 1, sur-
tout 224-233. — Les textes de Polit, allégués par Zeller sont II, 10,
1272 b, 19 et VII, 3, 1325 b, 22, "29.
LES DIVERSES CLASSES DES ÉCRITS 55
dans ce texte ne sont pas autre chose que les développements
qui suivent, dans la Physique même, jusqu'à 219 a, 2.
2° Zeller reconnaît avec la plus grande impartialité que
certains textes (notamment Polit. III, 6, 1278 b, 30 et
Eth. N. VI, 4, déb.) souffrent une autre interprétation que
la sienne; que, pris en eux-mêmes, ils pourraient renvoyer
même à l'opinion commune. Il y en a deux, Polit. VII, 1,
1323 a. 21 et Eth. Nie. I, 13, 1102 a, 26, qui lui paraissent
appuyer très fortement son opinion : ils disent tous les deux
qu'il faut se servir de ce qui a été établi dans les discours
exotériques. Or cela ne peut pas s'appliquera l'opinion com-
mune, ni même à des discussions orales d'Aristote; car il
n'est pas vraisemblable qu'Aristote ait pu renvoyer d'une
façon si pressante et si précise à de simples paroles, c'est-
à-dire à quelque chose d'instable et d'un peu vague : les
indications qu'il s'agit d'employer doivent être très définies
et très faciles à retrouver dans leur intégrité. Ajoutons que
la vraie raison sur laquelle compte Zeller, c'est que son
interprétation est d'accord avec la tradition qui remonte
au-delà d'Andronicus. — Mais, quelle que soit la force de
ces raisons, quelque satisfaction qu'il faille en fin de compte
trouver moyen de leur donner, le texte déjà mentionné de
la Physique est pour l'interprétation de Zeller une pierre
d'achoppement surlaquelle elle se disloque. Zeller convient
très franchement que, dans ce texte, èÇtùrsputol Xoyot ne peut
pas signifier les ouvrages donnés au public. Dès lors il
devient malaisé de soutenir que la même expression pré-
sente ailleurs cette signilication, directement et par soi (1).
3° L'interprétation de Ch. Thurot ne se suffit peut-être
pas à elle-même. Mais elle a le mérite, comme le dit l'au-
tour, de s'appliquera tous les textes. Ch. Thurot prend pour
point de départ le texte d'Eudème {Eth. Eud. I, 8, 1211
b, 22) où l'expression ê^wcepuol Aoyo». est opposée à Xoyoi
xatx'a ©iXouoçptav. Quel est l'opposé de ©iX<OT©«ta dans Aris-
tote? C'est o-.aAEXT'.x/j, la discussion des opinions com-
munes, fondée sur des opinions communes oYsvoôÇwv.
Donc l'expression en question signilie : discussions dia-
(1) Voir Zeller, il«J, 2 (119-122).
56 LE SYSTÈME d'âBISTOTE
lectiques. Cette interprétation reçoit une confirmation écla-
tante du texte de la Physique : les è^tarepixol Xoyoi sont ici
sous nos yeux ; ce sont des opinions sur le temps, qui ne
se déduisent pas du 11 è<m du temps. L'interprétation s'ap-
plique à tous les textes déjà mentionnés de l'Éthique à
Nicomaque et de la Politique et, en outre, à Mclaph. M.
1, 1076 «, 28. Il y a plus : l'interprétation convient encore
très bien à un texte voisin des précédents (Pol. I, o, 12o4 a.
33) et dans lequel Zeller croit évident que les mots èÇwTe-
pwctorspaç craé^etoç signifient une recherche étrangère à la
question présente. En analysant le passage, Thurot montre
au contraire combien son interprétation s'y adapte. Enfin il
y a, à propos de Phys. I, 2, un texte d'Eudème que Zel-
ler cite comme une preuve concluante du fait que sçojts-
p'./o; a parfois dans Aristote le sens que nous venons de
dire, ce dont par conséquent il faudrait tirer une objection
contre Thurot. Il s'agit de discuter la doctrine éléatique de
l'unité de l'être : Aristote montre que, s'il est un en tant
que continu, il est, en vertu même de l'essence du continu,
plusieurs aussi. Puis, dans une sorte de parenthèse, il
passe incidemment à une difficulté tirée non plus de l'es-
sence du continu, mais de la relation du tout et des par-
ties, prise en général : ïyv. S'àwjptav, écrit-il (185 b, 11),
•.Ttoç Se où fipoç tov Xovov. Ce qu'Eudème traduit par sçco7£-
c'.y.Àj owropia. Simplicius, qui cite le fragment d'Eudème,
estime qu'il s'agit en effet d'une discussion dialectique (8ta-
Às/.T'.xr, [xâXXov oua-a). Or l'expression d'Aristote, où rcpôç
rpvXéyov, ainsi rendue par Eudème, signifie : qui ne sera/p-
porte pas à la définition du continu (1). — Ainsi l'interpré-
tation de Thurot ne rencontre d'obstacle dans aucun texte.
Est-ce à dire pourtant qu'elle satisfasse complètement ? Il
ne le semble pas. Car il reste toujours, d'une part, que les
remarques de Zeller sur la vraisemblance d'un renvoi à des
textes définis, connus et faciles à trouver, donc à des ouvra-
ges publiés, n'est pas sans force. Et, d'autre part, il y a
(1) Thurot, op. cit., 209-212, 219, milieu. Zeller, 118, n. 2. Le texte
d'Eudème (fr. 6 Spengel) est cité par Simplic. Phys., 85, 25-30, cf.
83, 24-27. Diels.
LES DIVERSES CLASSES Dl.S ECRITS 0/
l'autorité de la tradition. La vérité semble être tout
d'abord, comme le pense Ravaisson, que les discussions
dialectiques auxquelles renvoie Aristote étaient des dis-
cussions écrites et n'étaient, en aucun cas, des discus-
sions orales. Mais il faut ajouter autre chose. Ces écrits,
dans lesquels Aristote employait la méthode dialectique,
étaient par là-même des ouvrages destinés au public, des
ouvrages qui avaient été publiés. Thurot a donc raison :
l'expression è^ayrepixol /.ôyc. désigne un caractère interne
de certaines productions d'Aristote. Toutefois Aristote dési-
gne en même temps par là, d'une façon indirecte, mais non
moins naturelle pour cela, des ouvrages publiés. Remar-
quons que cette interprétation est, plus qu'aucune autre,
d'accord avec la tradition. Car les commentateurs disent
bien, de temps en temps, que les discours exotériques sont
des ouvrages dialectiques : Aulu-Gelle dit qu' Aristote ensei-
gnait dans ses livres exotériques facultatem argutiarum,
et Strabon, que les ouvrages exotériques permettaient
exclusivement (téo-etç ):ri-/.-jb;Zi'.y, travail essentiellement dia-
lectique par opposition à ©iXo<ro<pétv TcpqvuaTixuç (p. 52).
Puisque les écrits exotériques coïncident ainsi avec les
ouvrages publiés, quelle était donc la situation des écrits
acroamatiques, c'est-à-dire en somme de toute notre collec-
tion aristotélicienne? Il faut, semble-t-il, répondre, avec
Zeller, qu'ils n'ont pas été publiés dans toute la force du
terme avant la mort d'Aristote, mais que cependant ils
n'étaient pas restés complètement inédits, c'est-à-dire qu'ils
avaient été publiés pour les besoins et dans l'enceinte de
l'Ecole péripatéticienne. Le fait le plus considérable, parmi
ceux qui doivent nous porter à croire que les écrits acroa-
matiques n'avaient pas été vraiment publiés avant la mort
d'Aristote, «'est la manière dont ces écrits se réfèrent les
uns aux autres. Les références d'un écrit à l'autre s'entre-
croisent, et cela non pas quelquefois et par exception, mais
d'une façon constante. Les Topiques ont dû être écrits avant
les Analytiques, et ils sont fréquemment cités par les Ana-
lytiques (voy. Bonitz, Ind. 102 a, .VI. :)7, ."!!)). Mais, à leur
t<mr. Les Analytiques sont cités quatre fois dans les Topi-
ques. Le D<: cœlo renvoie à propos de la droite et de la
58 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
gauche du monde) au De incessu animaiium qui lui
est postérieur. Les Météorologiques qui, à la fin de leur
premier chapitre, annoncent pour plus tard les recher-
ches sur les êtres vivants, citent pourtant le De sensu
(ev toïç Tisplxàs alarB7j<Teiç). Le Hepl coutw? est promis comme
un ouvrage futur dans les Parva naturalia et dans d'autres
ouvrages qui citent T H isltiiré des animaux; or Y Histoire
des animaux cite le II. cdutûv comme un ouvrage déjà com-
posé. Le traité Des parties des animaux est cité une fois
dans La marche des animaux, et à son tour La marche des
animaux cite trois fois le traité Des parties des animaux.
Ces références qui se croisent sont trop nombreuses pour
qu'on puisse admettre que le futur et le passé y ont été mis
à la place l'un de l'autre par l'inadvertance des copistes, et
elles sont trop intimement unies au contexte, au moins dans
plusieurs cas, pour qu'on puisse les regarder comme des
interpolations (1). Mais, si c'est bien Aristote qui les a pla-
cées dans ses ouvrages, il faut donc qu'il les ait eus tous à
la fois sous la main et à sa disposition, c'est-à-dire qu'il n'ait
pas eu à compter avec le fait que les uns étaient publiés,
quand il composait les autres. C'est dire que les écrits
acroamatiques n'ont pas été à proprement parler publiés du
temps d' Aristote. — L'examen du passage célèbre par lequel
se terminent les SoojwtmcoI sAsy/o',, et avec eux tout YOrga-
non, conduit à la même conclusion. Aristote s'y adresse
à des lecteurs, mais aussi à ses auditeurs, et évidemment
les lecteurs auxquels il s'adresse ne sont pas le public, puis-
qu'il convie les lecteurs à travailler avec lui à l'améliora-
tion de sa logique, ou au moins des Topiques (2) : ce sont
peut-être des auditeurs de demain. L'ouvrage est donc
publié pour l'usage d'un cercle restreint. Le livre A de la
Métaphysique, ou Ttepl tcôv -ocray coç Xeyofiiywv, si souvent cité
par Aristote comme un ouvrage qu'on a en mains, n'a pour-
(4) Voir Zeller, p. 126 sqq., principalement 427, 3, 4 ; 428, 4, 3, 4 ;
429 et n. 2.
(2) 33, fin : et <?k «savsrcu Osowatjisvoiç JfAtv... éVeiv r\ ptiOo<?oç txavw;
îrapà t«ç aD.xç rrpuyuciTziixç. rà; ix 7r«pac?o'a,£(o; rçuÇnfiSvaç, )oitôv àv èt>3
7râvrwv iipùv :h rwv ijx.pou.pi.evav 'épyov rdtç ftèv nuo</lùîip.p.ivtiç, rf/Z jaîÇo^ou
vvyyjûpnv -oie iï'vjpnp.évoiç. nollyv îyjiv yjàpiv.
LES DIVERSES CLASSES DES ÉCRITS 59
tant pas pu être donné au grand public tel qu'il est, sans
entrée en matière ni conclusion (1). Enfin les négligences
du style, les répétitions et, d'autre part, l'existence parfois
d'une double rédaction, comme pour le livre II du Traité de
l'cime, s'expliquent au mieux dans l'hypothèse d'une demi-
publication. — Cette demi publication est d'ailleurs la
mesure exacte à laquelle il faut s'en tenir. D'une part en
effet les écrits scientifiques, tels que nous les possédons,
sont plus que des notes personnelles destinées à des leçons.
D'abord ils sont trop soigneusement articulés', malgré leurs
imperfections, pour n'être que cela. Ensuite le système de
renvois dont nous avons parlé eût été sans utilité pour
l'usage personnel de l'auteur. D'autre part, à moins que par
impossible les cours d'Aristote aient été dictés, ce qui d'ail-
leurs nous ramènerait au même point, on ne peut admettre
que les traités que nous lisons ne soient que des rédactions
d'élèves : ils sont pour cela trop détaillés et surtout trop
chargés de détails fins et subtils. Une seconde raison du reste
plaide très fort contre cette hypothèse: c'est qu'Eudème et
Théophraste, dans des lettres dont nous aurons l'occasion de
parler (p. 70), s'entretiennent du texte de la Physique : il exis-
tait donc un texte arrêté et authentiquement aristotélicien
de cet ouvrage (2). Ainsi nous sommes ramenés à conclure
que les écrits acroamatiques ont été, de la part d'Aristote,
l'objet d'une demi-publication. Demi-publication pour les
écrits scientifiques; publication complète pour les écrits dia-
lectiques et, parla, populaires, tel était en somme l'étatdes
ouvrages d'Aristote à sa mort. Nous avons dit au reste que
certains ouvrages scientifiques étaient incontestablement
inachevés, tels la Métaphysique et la Politique. Peut-être
même aucun ouvrage scientifique n'avait-il reçu la dernière
main, puisque la demi-publication permettait un demi-
achèvement et qu'elle laissait ainsi le champ toujours
ouvert aux corrections.
(1) Zeller, p. 132.
(2) Zeller, [>. 132- 13S.
CINQUIEME LEÇON
HISTOIRE DES ÉCRITS SCIENTIFIQUES D'ARISTOTE.
DATE DE LEUR COMPOSITION
Nous avons vu que les écrits scientifiques d'Aristote.
s'ils ont été publiés, n'ont pourtant pas dû être l'objet
d'une publication complète. C'est ce fait de n'avoir été
qu'à demi publiés qui a permis, au sujet de ces ouvrages,
la naissance du célèbre récit de Strabon et de Plutarque (1).
Résumons d'abord ce récit et donnons les renseigne-
ments indispensables sur les personnages, qu'il met en
scène. — Voici d'abord ce que dit Strabon. A Scepsis (ville
de la Troade) étaient nés deux philosophes socratiques (c'est-
à-dire sans doute deux disciples de Platon), Eraste et Coris-
cos. Le fils de Coriscos, Nélée, fut lui-même le disciple
d'Aristote, puis de Théophraste. Théophraste lui laissa sa
propre bibliothèque, qui renfermait celle d'Aristote. Nélée
emporta cette bibliothèque à Scepsis où elle tomba entre les
mains de ses héritiers, gens ignorants (ISuiraxiç àvOp(o-o».;).
Ceux-ci, pour soustraire les livres aux recherches des
Attales de Pergame, les enfermèrent dans un souterrain.
Plus tard (2) la famille les vendit très cher à Apellicon
de Téos. L'humidité et les vers les avaient fort endom-
magés, sans parler du désordre où ils étaient tombés après
la mort de Nélée. Apellicon les fît copier et les édita.
(1) On trouvera les textes de Strabon (XIII, i, 54) et de Plutarque
( Vie de Sylla, c. 26) dans les Fragmenta philosophorum graecorum
de Mullach (Coll. Didot), III, p. 294 sq., n. 8 et 9, ou dans Ritter et Prel-
ler8. no 367.
(2) Théophraste meurt vers 287. Les Attales régnent de 241 à 129.
Sylla prend Athènes en 86.
HISTOIRE DES ÉCBITS SCIENTIFIQUES 61
Mais, comme c'était un bibliophile plutôt qu'un philo-
sophe (<pt)v6êi.êXoç aâXXov 7, oiXôçoooq), il combla mal
(àva-A-r, 0(7)7 oùx eu) les lacunes causées par les vers. Pen-
dant que les manuscrits d'Aristote et de Théophraste pour-
rissaient à Scepsis. les successeurs de Théophraste, n'ayant
en mains que quelques-uns des ouvrages exotériques,
étaient réduits à cultiver la dialectique plutôt que la phi-
losophie. Ceux qui vinrent après eux (c'est-à-dire sans
doute les Péripatéticiens qui purent se servir de l'édition
d'Apellicon) philosophèrent et atistoèélisèrent mieux,
bien que, la plupart du temps, ils fussent réduits à parler
par conjecture à cause de la multiplicité des fautes de
l'édition. Rome contribua à son tour au mauvais état des
textes. En effet Sylla, après la prise d'Athènes et la mort
d'Apellicon. transporta à Rome la bibliothèque de celui-ci.
Là le grammairien Tyrannion, qui avait du goût pour
Aristote, trouva moyen de se faire communiquer les
manuscrits. Avec le concours de certains libraires il lit
faire des copies. Mais les scribes étaient mauvais et les
copies n'étaient même pas collationnées, comme il arrive
quand on ne songe qu'à la veute.
Voici maintenant ce que Plutarque ajoute au récit de
Strabon. A son retour d'Asie, où il était allé battre Mithri-
date, Sylla, parti d'Ephèse pour Athènes, prend la biblio-
thèque d'Apellicon, <• dans laquelle se trouvaient la plupart
des ouvrages d'Aristote et de Théophraste, qui jusqu'alors
n'étaient pas clairement connus du grand nombre. » On
dit que. la bibliothèque ayant été transportée à Rome (1),
If grammairien T\ rannion donna ses soins à beaucoup des
manuscrits et que par lui Andronicus de Rhodes ayant été
mis en possession de copies en lit une édition et écrivit les
labiés (-'//-//.sel qui circulent maintenant. Les anciens
Péripatéticiens, gens de mérite et de savoir, paraissent
d'avoir connu qu'en petit nombre et inexactement les
écrits d'Aristote et de Théophraste, à cause de l'ignorance
des héritiers de Nélée.
Complétons ces deux récits par quelques iniseiijnemeuts
(1) Le retour 'le Sylla se place en 83.
62 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
sur Andronicus, Tyrannion et Apellicon. — Nous savons
les noms des huit premiers successeurs d'Aristote : Théo-
phraste, Straton, Lycon, Ariston de Céos, Gritolaùs, Dio-
dore de Tyr, Eurymneus. Nous ignorons quels furent le
neuvième et le dixième. Andronicus fut le onzième (1).
Comme le îtepl ^aôtôv, petit recueil de définitions quasi
stoïciennes, n'est plus attribué à Andronicus, non plus
que la paraphrase de YÉthique à Nicomaque qu'on a
rendue à Héliodore (2), les renseignements que nous pos-
sédons sur lui sont plutôt rares et confus. Peut-être est-il
permis de croire que, à la différence de Gritolaùs par
exemple, il avait enseigné que l'âme n'est ni corporelle,
ni située dans un lieu, ni divisible : ce qui donnerait à pen-
ser qu'il avait retrouvé le sens de la notion aristotéli-
cienne de la forme (3). En dehors de cela, nous ne connais-
sons plus que des noms d'ouvrages et quelques détails de
son travail d'éditeur. Il avait écrit un De divisions, que
Porphyre avait jugé digne d'être reproduit intégralement
dans son commentaire du Sophiste de Platon (4-). Simpli-
cius le cite comme ayant commenté les Catégories, et des
références du même Simplicius peuvent faire penser qu' An-
dronicus avait écrit un commentaire de la Physique (5).
Quant à son travail d'éditeur, dont il avait rendu compte
dans un livre spécial, il est certain qu'il a fait époque (6).
(1) Zeller, p. 806 sqq., 901 sqq., 922-934 et M l4, 642, 5. Pour le
rang d' Andronicus dans la diadochie des Scolarques, cf. Elias (p8.~
Davidj 1 48, 19, Busse (Schol. 24 «, '20) et Ammonius, ffermen. 5, 28 sq.,
Busse.
(2) Sur le n. îraôato et la paraphrase de V Et/tique, insérés par Mul-
lach dons le t. III des Fragm. philos, gr., p. 570, et p. 363-569,
voir Zeller III 2'\ 644. 4 (deuxième partie de la note). Sur Héliodore,
voir supra, p. 50, n. 2.
(3) Mullach, ibid., p. 298, n. 33 et Zeller, 646, 1. Ce dernier, il est
vrai, n'interprète pas les témoignages dans le même sens; ceux-ci du
reste s'accordent mal entre eux. Sur la conception de 1 âme chez Gri-
tolaùs, voir Zeller II 23, 929, 2.
(4) Témoignage de Boèce, De divisione, début (Migne, Patr. lat.,
64, II, col. 875); cf. Mullach, ibid.
(5) Categ. 26, 17; 30, 3 (cf. 139, 32), Kalbfleisch, éd. etPhys., 440,
44 ; 450, 46; 924, 20, Diels. Cf. Mullach, ibid.
(6) Voir le texte d'Aulu-Gelle, cité n. suiv., et peut-être une allusion
HISTOIRE DES ÉCRITS SCIENTIFIQUES 63
Cependant on est porté à se défier de la pénétration et
du jugement d'un critique qui admet, non seulement l'au-
thenticité des prétendues Catégories d'Archytas, mais celle
des deux lettres d'Alexandre et d'Aristote sur la publication
des écrits acroamatiques (1), tandis qu'il proclame l'inau-
thenticité du Itepl £ par) y s 'la; sur une unique et bien faible
raison, à savoir que cet ouvrage qualifie les voYjjjia-ra de
7-^Jir/j.y-x ty;ç <W/ t[<, ce qui est contraire au Traité de Vâme%
de sortequ'il faudrait choisir entre l'un et l'autre pour l'au-
thenticité. Reconnaissons qu'il paraît mieux inspiré lors-
qu'il condamne les Postprédicaments (2).
Selon Plutarque, Tyrannion était un athénien qui, pour
échapper à la tyrannie d'Anstion, s'était réfugié à Amisus
(sur le Pont-Euxin), où il passait pour un habile gram-
mairien. Lorsque la ville toucha au pouvoir de Lucullus,
en 72 dans la dernière guerre contre Mithridate (74-67),
Tyrannion, plus ou moins explicitement réduit en escla-
vage, fut donné par Lucullus à son lieutenant Muréna qui
le lui demandait. A son retour à Rome (peut-être en 66
avec Lucullus), Muréna l'affranchit. En 57, d'après deux
lettres de Cicéron {ad Qu. fr. II, 1; ad Att. IV, 4, 8),
Tyrannion instruisait les fils de Cicéron et donnait ses
soins à la bibliothèque de celui-ci. Suidas nous dit qu'il
mourut vieux, mais le chiffre de l'Olympiade est défiguré
par une faute d'écriture. En supposant que Tyrannion ait eu
quarante ans ea 72, il en avait cinquante-cinq en l'an 57.
à cet ouvrage dans Simpl. Phys. 1)23, 9, Diels. — Porphyre (Vie de
Plotin, c. 2-t s. in.) dit qu'il a rangé les écrits de Plotin, non dans l'or-
dre chronologique, mais d'après les matières, imitant en cela Andro-
nicus, qui n réparti eu traités les ''dits d'Aristote et de Théophraste
el réuni lis matières voisines (r«; ol^da.- ùno^iTz^ d$ raûrô* cruvaw«-
yeiv) .
(1) Anlu-Gelle lYoct. Au. XX. r; : exempta utrarumgue literarum
Bumpia ex Andronici philosophi libro, subdidi. Cf. Mullach, p. :.".'".,
n. 3.
(2) Sur ces opinions d Audronicus, en outre des références à Ammo-
niuset à Alexandre données p. 27, 1 e1 28, 1, voir Boèce, De interpr.
éd. 2a, liv. l (Migne, <ii, II, col. 397 B) et, en ce qui concerne les
Postprédicaments, Simplicius, <:<it. :î7'.*, 8-12, Kalbfl. Cf. Mullach,
III, p. 2!>7 sq, et Zellcr, Il i\ (59. 1 ; 67, 1 et III 2\ 643, I.
64 LE SYSTÈME D ARISTOTE
C'est donc, au plus tard, vers la moitié du dernier siècle
av. J.-C. qu'il a pu faire ses travaux sur Aristote (1).
Nos renseignements sur Apellicon nous viennent
d'Athénée (2). Celui-ci raconte, d'après Posidonius et dans
un esprit malveillant, l'histoire d'Athénion (celui que Plu-
tarque dans la Vie de Sylla appelle Aristion), qui gagna les
Athéniens à la cause de Mithridate et gouverna Athènes
jusqu'à la prise de la ville par Sylla. Sans être un des
chefs de l'Ecole péripatéticienne, c'était, comme d'ailleurs
son père, de même nom que lui, un péripatéticien. Par
sympathie philosophique, il choisit pour un de ses lieute-
nants Apellicon de Téos. Apellicon fut hattu à Délos par le
romain Orobius, ce qui explique très bien la mainmise de
Sylla sur la bibliothèque d'Apellicon. Si l'on en croit Athé-
née, c'était, non à proprement parler un philosophe, mais un
aventurier ayant du goût pour la philosophie et en général
pour les livres, et qui, dit-il, avait volé, dans le Mètrôon où
ils étaient déposés, des originaux de décrets du peuple
athénien. La part faite des intentions malveillantes de
Posidonius, il semble que nous sommes en présence d'un
simple amateur, peu capable de mener à bien une édition
d'Aristote.
Mettons-nous maintenant en face du récit traditionnel et
examinons-en la valeur. Pour cela, ramenons -le d'abord à
sa source. Nous avons trouvé le récit dans Strabon et dans
Plutarque. Il est aussi dans Suidas, mais celui-ci ne fait
évidemment que compiler Plutarque. Plutarque, comme
on l'a vu, ajoute un seul détail à ceux que nous donne
Strabon, et il est vrai que c'est un détail capital, la men-
tion d'Andronicus et de ses travaux. Mais, comme Plutar-
que utilise peu après dans la Vie de Sylla, au sujet d'un
incident du séjour de Sylla à Athènes, les mémoires histo-
riques de Strabon, la conjecture de Stahr est vraisemblable :
le passage relatif à Andronicus peut venir aussi de cet
ouvrage. Ainsi Strabon demeure, pour le récit qui nous
(1) Plut., Lucullus, 19. Cf. Zeller. III 2', 643, 2 et II l3. 139, 1.
,2) Deipnosoph., V, 48 53 (cf. 47. 211 d, où Athénée désigne sa
source), surtout p. 214 d. Cf. Zeller, Il 23, p. 934, n. 3.
HISTOIRE DES ÉCRITS SCIENTIFIQUES 65
occupe, notre seul et unique témoin (1). Où. Strabon avait-il
puisé? Ce n'est pas sans cloute dans Tyrannion : il mal-
traite trop son édition ; sur ce point Zeller a raison. Mais,
malgré Zeller, on ne voit pas de raison sérieuse qui
empêche de croire que ce soit dans Andronicus. Car dire que
les Péripatéticiens venus après Apellicon ont sans doute
mieux fait que leurs prédécesseurs, mais ont été réduits
pourtant, à cause des fautes du texte, à parler par conjec-
ture, ce n'est pas leur rapporter le mérite de la restaura-
tion du Péripatétisme et l'enlever à Andronicus. Encore
moins peut-on, pour cette raison que les Péripatéticiens
en question sont exaltés aux dépens d'Andronicus, refuser
d'admettre, avec Grote, que Strabon s'est documenté
auprès du disciple d'Andronicus, le péripatéticien Boèthus
de Sidon. Puisque Strabon nous dit qu'il a étudié, en
même temps que Boèthus, la philosophie péripatéticienne (2),
il nous semble indubitable que Boèthus est la source de
Strabon. Il faut convenir qu'une telle origine serait propre
à donner au récit de Strabon une autorité considérable.
Quoi que nous ayons à dire contre ce récit, il faudra bien,
pour ne pas manquer à toute vraisemblance, que nous y
reconnaissions quelques faits exacts, bien que peut-être
mal interprétés.
Nous savons par le testament de Théophraste (3) que
Théophraste a légué sa bibliothèque à Nélée. Pour ce qui
est du sort ultérieur de cette bibliothèque, nous ne sommes
pas forcés d'admettre que Nélée s'en soit dessaisi; car, si,
d'après Athénée Ptolémée Philadelphie lui a acheté tous
«es livres ' i et les a transportés à Alexandrie, d'une part,
le même Athénée, nous l'avons vu, raconte qu' Apellicon a
eu eu su possession la bibliothèque d'Aristote et de Théo-
phraste. Et d'autre pari, Athénée ne se contredit peut-être
(1) Stahr, Atisto/eiia, Il {die Schicksale der aristotel. Schriften,
. p. 23. a. Zeller, 139, 2.
(2) Strabon, \YI. 2, 21, p. 757. Cf. Grote, Aristotle, 1, p. .'ii; Mul-
làch, p. 297, n. 27 et Zeller. III i'. 606, l s. fin. (607).
iinns mogèno, V, 52. Cf. Zeller, II. 2», I il
U) Athénée, I, 4, :\ b. Cf. Mullaeh, p. 295, n. il *. fin.
Aristote 5
60 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
pas; car, comme le suppose Mullach (1), Nélée n'avait
peut-être vendu que des copies. Ce qui est plus embar-
rassant, c'est la suite du récit : les manuscrits enfermés
dans un souterrain pour les soustraire à l'avidité des rois
de Pergame. Comment ces ignorants ne les avaient-ils pas
vendus auparavant, et, si on voulait les leur prendre, com-
ment y attachaient- ils du prix? On peut admettre qu'ils
défendaient leur tranquillité ; surtout il faut se dire que
nous ignorons le détail et la complication des circonstan-
ces. Reste enfin une dernière question, qui est la plus
épineuse de toutes : c'est que, si les manuscrits des héri-
tiers de Nélée étaient les originaux, Andronicus ne se soit
pas servi de leur autorité. Or il n'invoque pas cette auto-
rité pour résoudre la question de l'authenticité de VHermê-
neia et, d'autre part, non seulement nous ne trouvons pas
dans les commentateurs d'indications portant qu' Androni-
cus ait recouru aux manuscrits en question pour fixer des
leçons douteuses, mais même nous possédons un texte
important de Dexippe (2), où les diverses copies auxquelles
recourt Andronicus sont mises les unes et les autres sur
le même plan. Disons, sur le premier point, que les manu-
scrits d'Aristote pouvaient être indiscernablement mêlés
avec ceux de Théophraste. Sur le second point, une réponse
est difficile ; peut-être toutefois peut-on essayer celle-ci :
parmi les copies étrangères à la bibliothèque de Nélée il y
en avait d'excellentes, tandis que les manuscrits originaux
étaient dans un état assez déplorable pour être de peu
d'utilité. Qu'on eût dû quand même les utiliser pour cer-
tains détails, c'est là une obligation qui ne s'imposait pas
à la conscience d'un ancien, comme à. la nôtre. — En
somme, pour déférer à l'autorité considérable de la source
de Strabon, on peut, bien que non sans peine, admettre les
faits positifs articulés dans le récit de celui-ci.
Mais ce qu'il est impossible d'accepter, c^st l'assertion
négative que les œuvres scientifiques d'Aristote n'existaient
(1) Mullach, p. 295 b, s. med.
(2) Catég. 21, 18 sq., Busse {Comm. g>\ IV, 2 : p. 25 Spengel ;
Schol. 42 a, 30). Cf. Zellev, p. 142, n. 1.
HISTOIRE DES ÉCRITS SCIENTIFIQUES 67
que dans la bibliothèque de Nélée. Une assertion négative
de ce genre est en principe bien plus difficile à avérer que
l'assertion d'un fait positif. Nous sommes peut-être en
présence d'une méprise de Strabon, dupe de quelque
hyperbole de Boèthus. On ne lisait guère l'Aristote scien-
tifique, même dans l'Ecole péripatéticienne dégénérée. La
découverte d'Apellicon serait venue remettre à la mode
cet Aristote. Peu connu avant cette découverte et les
travaux d'Andronicus, il sera devenu, pour Strabon, tout à
fait inconnu. Songeons, du reste, que par là Strabon se
donnait une explication de la médiocrité notoire dans
laquelle était tombée l'Ecole péripatéticienne. Quoi qu'il en
soit, il n'est pas admissible que les œuvres scientifiques
d'Aristote aient disparu à la mort de Théophraste. Les
raisons abondent pour l'établir. Indiquons d'abord l'ordre
dans lequel nous présenterons les principales. Il y a une
raison négative et des raisons positives : parmi celles-ci,
l'une est indirecte ; les autres sont directes et, soit généra-
les, soit spéciales.
La raison négative est le silence qu'ont gardé, sur la
découverte d'Apellicon, les commentateurs et les écrivains
qui se sont occupés d'Aristote. Comment Simplicius, qui
aime l'érudition, comment Alexandre lui-même n'ont-ils
rien dit de cette découverte, si, avant elle, l'Aristote scienti-
fique était vraiment perdu ? Comment surtout Cicéron, qui
parle souvent d'Aristote et qui a si bien connu Tyrannion,
n'a-t-il rien dit de cette renaissance d'Aristote? Enfin Her-
mippe, dans son livre sur Aristote, n'aurait pas manqué
de raconter la disparition romanesque dos écrits d'Aristote,
et Diogènc aurait, encore moins, manqué d'en reproduire
le récit (1).
Parmi les raisons positives, la raison indirecte est celle
qui résulte de la fondation d'une grande bibliothèque à
Alexandrie. Nous avons déjà eu l'occasion (p. I ï sq.) de
rappeler l'ardeur que des faussaires mettaient à fabriquer,
parce qu'ils comptaient sur un bon prix, de prétendus
ouvrages d'Aristote. Ils ne l'auraient pas fait s'il avait été
(1) Zeller, p. 142 et 14(i, n. 3.
68 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
de notoriété publique que les livres d'Aristote étaient
enfermés à Scepsis. D'autre part au nombre des premiers
et principaux organisateurs de la bibliothèque alexandrine,
on sait qu'il faut compter Démétrius de Phalère. Or Démé-
trius était le disciple de Théophraste. Comment eût-il
négligé de procurer à la bibliothèque les ouvrages de son
maître et d'Aristote ? Si le catalogue des œuvres d'Aristote,
conservé par Diogène, vient d'Hermippe et représente l'in-
ventaire du fonds aristotélicien de la bibliothèque d'Alexan-
drie, ce fonds contenait beaucoup des ouvrages scientifiques
d'Aristote. Mais il y a plus. Laissons de côté ce catalogue :
il paraît certain du moins qu'Hermippe avait dressé un
catalogue des œuvres de Théophraste (1) ; or, puisque les
œuvres de Théophraste auraient eu le même sort que
celles d'Aristote, il ne l'aurait pas pu, si le récit de Strabon
était exact (2).
Passons aux raisons directes. Il y en a de générales, il
y en a de spéciales. — Les raisons spéciales consisteront
dans les références à tel ou tel ouvrage d'Aristote, que nous
pourrons relever dans les auteurs, entre Théophraste et la
découverte d'Apellicon. — Les raisons générales consistent
dans les preuves que nous avons, soit du fait que la doctrine
scientifique d'Aristote a été connue, pendant la même
période, dans l'École péripatéticienne et ailleurs, soit du fait
qu'il y a eu en dehors de la bibliothèque de Théophraste
des copies d'Aristote en circulation. — Que la doctrine
scientifique d'Aristote ait été connue des autres écoles phi-
losophiques c'est ce qui résulte des indices suivants. Antio-
chus, dans Cicéron, montre bien, à travers beaucoup de
contre-sens une certaine connaissance d'Aristote. On nous dit
encore que Posidonius, dans ses opinions sur la physique
(1) Zeller, p. 1-46, n. 2 et 810, n. 3.
(2) Ajoutons qu'il y a, sur la bibliothèque d'Alexandrie et à propos
des livres d'Aristote et de Théophraste, une petite phrase d'Athénée
qui mérite peut-être de l'attention (citée dans Mullach, p. 295, n. 11
fin) : Tcxp' ou [de Nélée] 7V«vtcc [r« p&\ix\... 7rptâpi£voç 6 ï)U-i3<xnôç Sa<T<-
"kevs riro)ve^«toç, QikdSelfOç Se ènixlyv, psrù twv 'A6rjv/j6év xat twv utto
r¥d$o\j tiq tàv xeùyjv 'AX£Ç«vo*pet«v jj.zrriyxyi. Notons spécialement, pour
nous en souvenir tout à l'heure, les derniers mots.
HISTOIRE DES ÉCRITS SCIENTIFIQUES 69
i puaixoç Xévoç) principalement, s'est beaucoup rapproché
d'Aristote (1), et Cicéron nous rapporte ailleurs que Pané-
tius avait sans cesse à la bouche Aristote et Théophraste.
Enfin ce même Cicéron nous apprend que le stoïcien
Hérille de Carthage, disciple indépendant de Zenon, a
incliné sur certains points de morale vers le Péripatétisme.
Les Mégariques, qui, du vivant d'Aristote, avaient été pour
lui des adversaires acharnés, ont continué, après lui, leur
polémique contre sa doctrine. Nous savons que le dernier
des Mégariques, Stilpon a écrit un dialogue intitulé Aris-
tote. De son côté enfin l'épicurien Hermarque avait écrit
un -pôç 'ApwTOTéXTjv. Nous enfermons-nous maintenant
dans l'Ecole d'Aristote ? Cicéron nous assure que Crito-
laûs a voulu imiter les anciens maîtres de l'École, c'est-à-
dire Théophraste et Aristote (2). Mais le grand fait qui
prouve que les livres d'Aristote n'ont pas disparu avec
Théophraste, c'est l'activité philosophique de son succes-
seur Straton. Ce penseur, le plus original entre les Péri-
patéticiens, a tantôt suivi, tantôt contredit Aristote, et il ne
pouvait sans doute ni l'un ni l'autre, sans se référer d'une
façon précise aux textes du maître. Nous verrons tout à
l'heure qu'il y a là plus qu'une présomption. — On possède,
avons-nous dit, des preuves qu'il y avait des copies
d'Aristote en dehors de la bibliothèque de Théophraste.
D'abord, les deux lettres apocryphes, accueillies par
Andronicus, montrent qu'il était de notoriété publique
qu'Aristote avait publié, au moins dans une certaine
mesure, ses écrits scientifiques. D'autre part, dans l'Ecole
de Théophraste qui comptait, semble-t-il, un grand nom-
bre d'élèves (3), comment aurait-on pu se passer de
copies d'Aristote ? N'était-ce pas le premier instrument de
1 1) VoirZeller, III a*, 899, I.
(2) Cf. Zeller, p. 146 sq. — Les textes de Cicéron sont, dans L'ordre
où ils ont été allégués, De fin. V, 85, 73 ; IV., 38, 7i»; V,5, I i. Pour les
deux autres faits. Cf. Diog. La. II, 1Î0 et X, 25.
(3) Diog. parle (V, 37) de deux mille élèves, s;ms qu'on puisse
savoir s'il s'agit du nombre des élèves pendant toute la durée de l'en-
seignement de Théophraste, ou de son auditoire à un moment donné.
Cf. /Hier. p. 807, -4.
70 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
travail? De plus, parmi les disciples immédiats d'Aris-
tote, qui ont sans doute été nombreux eux aussi, il y en a
qui ont écrit. Par exemple Phanias, Dicéarque et Aristo-
xène. Ils avaient sans doute en main les ouvrages du
maître : c'étaient autant de sources d'où on pouvait recueil-
lir ces ouvrages, ou au moins des copies de ces ouvrages.
Enfin nous voici en face de ce qui constitue pour nous, dans
l'ordre de raisons que nous exposons, l'argument capital
et décisif. Après la mort d'Aristote, que ce soit immédiate-
ment ou non, Eudème avait quitté Athènes. Nous ne
savons pas où il s'était fixé, mais il n'est pas invraisem-
blable que c'ait été dans Rhodes, sa patrie. Remarquons en
passant que, puisqu'il nous dit, dans un fragment de sa
Physique, que, à en croire les Pythagoriciens, un temps
reviendra où il parlera de nouveau devant son auditoire,
assis, tenant à la main la baguette du professeur, Eudème
avait une école, dans laquelle sans doute n'auront pas man-
qué les copies d'Aristote (1). Quoi qu'il en soit de ce der-
nier point, un fait est certain, c'est qu'Eudème, séparé de
Théophraste, lui écrit pour le consulter sur le texte de la
Physique. Le fait est établi par la réponse de Théophraste
citée par Simplicius (2). Si maintenant nous songeons que,
d'après Athénée (cf. p. 68, n. 2), ce n'est pas seulement
d'Athènes, mais encore de Rhodes, que Ptolômée Philadel-
phe avait acquis ses collections, nous serons tentés de
penser que la bibliothèque d'Eudème a passé dans celle
d'Alexandrie. Dans tous les cas, elle constituait pour les
copistes une source indépendante de la bibliothèque de
Théophraste.
Terminons en relevant, dans les auteurs étrangers au
Péripatétisme, puis dans les Péripatéticiens, quelques-unes
des références les plus incontestables aux ouvrages d'Aris-
tote. Nous laisserons de côté la mention faite dans le cata-
logue de Diogène d'un grand nombre des ouvrages compo-
(t) Fr. 51, Spengel, ap. Simplic. P/iys. 732, 24, Diels. Cf. Zeller,
p. 869, 4 et 871, 4.
(2 Phys. 923. 10, Diels {Schol. 404 b, 12):uarè/> un hreffrs&aç xsXeww
m yoâ-i/ai xai «rroTTêt).«t ex rôv $vcrixâv, vjroi îvù où Huvtqvc h...
HISTOIRE DES ÉCRITS SCIENTIFIQUES 71
sant notre collection aristotélicienne. Zeller ne relève pas
de références à YHerméneia en dehors de la mention qui en
est faite dans le catalogue. Nous croyons que la doctrine,
si purement aristotélicienne, qu'a professée Épicure sur les
propositions touchant le futur (1), ne peut s'expliquer que
si Epicure avait sous les yeux le chapitre 9 de Y tienne neia.
Les Topiques ont été, d'après Alexandre, connus de Stra-
ton (2). La Rhétorique a été employée par l'auteur de la
Rhétorique à Alexandre et par Démétrius, auteur du
De elocutione, et, avant lui, par un certain Archédème, que
cite Démétrius et qui est peut-être le stoïcien de ce 'nom.
Un disciple d'Euûème, Damasus, cite les trois livres icepl
xivïiwewç, c'est-à-dire les livres V, VI et VIIÏ de la Physi-
que. D'après des indications de Simplicius, nous voyons
que le même ouvrage a été employé par Straton et par
Posidonius. Les Météorologiques ont été employés, selon
Simplicius, par l'un et l'autre philosophe. Il faut ajouter
sans doute qu'ils l'ont été par Epicure. L Histoire des ani-
maux a été remaniée par Aristophane de Byzance, et ou en
avait fait un abrégé populaire très usité dans la période
alexandrine. Non seulement Eudème et l'auteur de la
grande Morale ont connu Y Éthique ; il faut ajouter qu'elle a
été connue aussi d'Antiochus d'Ascalon; car, dans le V° livre
du De fiiuhusi-lO s. in., 55), on trouve une réplique du pas-
su-" connu sur Endymion (X, 8, 1178 ô, 20), sans parler
de la formule : rita heata non beatissima, qui, selon Cicé-
ron, revient sans cesse chez Antiochus, et où l'on retrouve
un écho des déclarations de Y Éthique sur la nécessité des
biens du corps et des biens extérieurs pour compléter le
bonheur de la vie (3). L'auteur du 1er livre de notre Éco-
nomique, que connaît déjà Philodème, a eu sous les yeux
la, Politique, dont Dicéarque, dans son Trtpo&ticus, s'est
également servi. Les ico\cxetat ont été beaucoup mises à
profit pendant la période alexandrine. Enfin les gram-
I) Gicéron, De fato, 21 et 37.
(t) Alex Top. 340, 3, Walli.'s {Sehol. 281 h, $)', cf. Zeller, 148, 7.
(3) De fin. V, 27.81 (cf. 24, 71) el ailleurs, par ex. Arad, pr. 11.43,
134 el Tusc. V, 8, 22 sq. Voir Eth. Nié. I, il, 1 101 a, 0-21, X, <J et al.
72 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
mairiens alexandrins ont bien connu la Poétique (1).
Ainsi il est donc établi que les écrits scientifiques d'Aris-
tote n'ont jamais cessé d'être dans les mains des savants.
C'est le cas de dire que, si le récit de Strabon est
vrai dans ce qu'il affirme, il est faux dans ce qu'il nie.
Pour en finir avec les questions d'histoire relatives aux
écrits scientifiques d'Aristote, il ne nous reste plus qu'à
dire quelques mots sur la date à laquelle ces écrits ont été
composés. On peut d'abord établir aisément que, dans leur
ensemble, ils appartiennent sans exception au second
séjour d'Aristote à Athènes (335/4-323). Si en effet on
peut prouver de quelques-uns d'entre eux qu'ils appar-
tiennent à cette période, la preuve s'étend à tous en vertu
du lien étroit que nous avons signalé entre eux. Aristote
fait souvent allusion, dans ses ouvrages scientifiques, à la
ville d'Athènes, ou même au Lycée, comme au lieu où il se
trouve, par exemple dans les Catégories, les Premiers ana-
lytiques, la Physique, la Métaphysique, la Rhétorique.
Ajoutons qu'une observation de couronne boréale dans les
Météorologiques se rapporte convenablement à la latitude
d'Athènes d'après le calcul d'Ideler (2). Il s'ensuit que
tous ses ouvrages scientifiques ont été composés à
Athènes. Dès lors, pour prouver qu'ils l'ont été pendant
le second séjour, il suffit de relever dans les textes
l'indication de quelques faits postérieurs au premier
séjour Or il y en a de tels en abondance. Voici quel-
ques-uns des plus frappants. Les Météorologiques mention-
nent une comète qui fut visible à Athènes sous l'archontat
de Nicomaque, c'est-à-dire en 341 avant J.-C. La Rhéto-
rique (II, 23, 1397 b, 31) fait incontestablement allusion à
la demande que Philippe adressa aux Thébains pendant la
seconde Guerre Sacrée de passer par leur territoire pour
envahir l'Attique (339). La Politique (V, 10. 1311 h, 2) fait
allusion à l'assassinat de Philippe (336). Enfin voici une
indication qui, par elle seule, serait concluante. L'Histoire
(1) Zeller, p. 148, n. 8 ; 449, 3, 4. 5 : 150, 3, 4, 7, 8 : loi et n. 1, :>.
4; 152, 1, 2.
(2) Zeller, p. 155, n. 1.
CHRONOLOGIE DES ÉCRITS SCIENTIFIQUES 73
des animaux ne peut avoir été écrite avant le moment où
les Macédoniens ont vu des éléphants, c'est-à-dire avant
la bataille d'Arbèles (331) (t).
Pour ce qui est de la date propre de chacun des écrits il
n'y a pas un très grand intérêt à la déterminer, parce que
la pensée d'Aristote, telle que nous la connaissons, est une
pensée arrêtée et non pas en développement, comme celle de
Platon. Toutefois il est possible d'arriver à quelques déter-
minations assez probables, parce que, malgré les renvois
réciproques, le nombre de ces renvois est pourtant, dans
la totalité, une quantité assez faible. D'autre part, il est
naturel de penser que l'ordre systématique des matières à
dû en principe déterminer l'ordre de composition. Pour
ces raisons, les ouvrages de logique, à l'exception de YHer-
méneia, semblent être venus les premiers. Les Seconds
analytiques annoncent expressément la Physique. Les
Météorologiques disent d'une façon précise, au début, qu'a-
près la Physique viennent, et dans cet ordre, le De caelo,
la De generatione et corruptione, les Météorologiques. On
ne pent décider si le Traité de rame, avec les Parva natu-
ralia, vient avant les traités biologiques ou si c'est l'inverse.
Enfin les traités sur la morale et la politique pourraient
avoir précédé ceux qui concernent les sciences de la nature.
Zeller pense que, pour obéir aux exigences de son système,
Aristote, qui fait reposer la morale sur la physique, a dû
écrire l'Éthique et la Politique en dernier lieu (2).
(1) Zeller, p. 154, n. 4.
(2) Zeller, p. 157, n. 2 ; 188, n. i : 158 sq.
SIXIEME LEÇON
POINT DE DÉPART DE LA PENSÉE DARISTOTE.
DIVISIONS DU SYSTÈME. PLAN DE L'EXPOSITION
Le réalisme des Physiologues avait rencontré beaucoup
de difficultés lorsque Socrate parut. Par exemple, les
Éléates avaient été fortement choqués par l'insaisissabilité
des choses sensibles : si ces choses sont, comment se fait-
il que ce qui est blanc se trouve noir et que ce qui est chaud
se trouve froid ? Devant cette impossibilité de savoir ce
qu'une chose est et ce qu'elle n'est pas. les hommes sont
condamnés à admettre le oui après avoir admis le non et,
comme disait Parménide, à revenir sur leurs pas et à
tourner sur eux-mêmes (1). D'autre part, s'il y a une
réalité véritable, alors les sens ne la donnent pas. La neige,
étant composée d'eau, est noire malgré nos yeux, disait
Anaxagore (2) ; les qualités, autres que la figure, la position
et l'ordre, sont des conventions, disait Démocrite (3), pen-
dant que, de son côté, la critique de Zenon ne laissait pas
subsister grand chose de ces qualités privilégiées, puisque
Zenon ruinait la représentation de l'étendue, leur commun
support. Aussi les philosophes se plaignaient-ils communé-
ment de l'incertitude delà connaissance, et particulièrement
de l'insuffisance des sens. Enfin le mal s'accroissait encore
par la contradiction mutuelle des doctrines, dont Gorgias,
(1) Ritter et Preller, 8« éd., textes 147 et 115; Fragm. der Vorso-
kratiker, de H. Diels (2eéd.),'Mclissus, fr. 8. Parménide, fr. 6, v. 6-9
(48-51, Karsten).
(2) Sextus, Hyp. Pyrrh. I. 33 et Cic. Acad. If. 34, 100, textes cités
dans Ritter et Preller, 161 b et dans Vors. 46 A, 97).
(3) Vorsokr., ch. 55, B texte 125 p. 408, 17.
POINT DE DÉPART DE LA. PENSÉE d'aRISTOTE 75
plus que tout autre, se chargeait de dégager le résultat. —
Pour toutes ces raisons négatives, et peut-être aussi pour
une raison positive, à savoir l'avènement de la géométrie,
un penseur de la dernière moitié du ve siècle devait se
sentir poussé à quitter le point de vue des Physiologues,
à chercher d'autres objets de pensée que les choses sensi-
bles. Socrate était tout spécialement disnosé pour céder à
cette pression du milieu pensant, puisque, d'autre part, il
était porté à s'intéresser aux questions morales. La tem-
pérance, la justice, la piété, sur la nature desquelles il avait
le désir de s'éclairer, étaient précisément des objets oppo-
sés à ceux des physiologues : c'étaient des choses spiri-
tuelles. Ces nouveaux objets, disons-nous, étaient opposés
à ceux des Physiologues. Voici en effet les principaux
caractères qu'ils présentent. D'abord ils sont composés,
non pas de parties intégrantes, comme dira l'Ecole, ils
sont composés de parties ou inférieures ou subjectives. On
fait la partition d'une table ou d'une pierre en des planches
et des pieds, en des morceaux de pierre. Mais la vertu, par
exemple, se diversifie par la division en des vertus spécia-
les : courage, tempérance, justice etc. D'un autre coté, par
l'analyse, la vertu se résout en des parties d'autre sorte,
mais qui sont aussi loin que les précédentes d'être des
parties intégrantes juxtaposées dans l'étendue : c'est, par
exemple, une disposition permanente, une disposition «le
l'âme, une disposition à agir, à agir dans le sens de la per-
Fection. etc. En second lieu, les objets de la spéculation
socratique sont des oniversaux. El cela pour deux raisons.
La première, c'est que, puisqu'on s'entend, au moins dans
une certaine mesure, quand on parle des choses morales,
la justice par exemple est la môme en deux ou plusieurs
esprits individuels. La seconde raison, c'est que, quand on
s'enfermerait dans un seul esprit, on trouverait, dans les
objets moraux qui sont en lui, des éléments communs :
ainsi la vertu est un élément commun au courage et a la
tempérance, le courage est un élément commun au cou-
rage civil et au courage militaire, etc. En troisième lieu, les
parties dont se composent les objets de la spéculation
socratique se commandent les unes los autres. D'abord, le
76 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
tout entraîne et suppose les parties ; au moins le tout qu'on
analyse entraîne et suppose les parties qui le constituent :
ainsi la vertu suppose ses éléments. Ensuite, les parties
s'assemblent dans un certain ordre pour former le tout :
elles constituent le tout, mais le tout par exemple préside
pour ainsi dire à leur groupement, car, pour constituer la
vertu, chaque élément vient à son heure et à, sa place. —
De cette conception de l'objet découle naturellement chez
Socrate celle de la méthode. La méthode consistera en
deux procédés capitaux. Le premier consistera à dégager
une vertu ou un vice des représentations que s'en font les
divers esprits, ou des divers exemples que croit en aper-
cevoir un même esprit. Le second procédé consistera à
montrer le passage d'une vertu spéciale à une vertu plus
large, par exemple des espèces du courage au courage lui-
même, ou bien d'une vertu générale aux vertus plus par-
ticulières ; ou bien enfin à montrer le passage d'une vertu
à un exemple de cette vertu.
La philosophie du concept n'est pas autre chose que la
généralisation de cette conception de l'objet et de cette con-
ception de la méthode. Elle consiste essentiellement à
penser que tous les objets sont constitués comme les objets
moraux, ou,, en un mot, que tous les objets sont des
choses spirituelles ; que la méthode applicable à la con-
naissance de tous les objets est la même que celle qui con-
vient à la connaissance des choses morales. Cette généra-
lisation, à la fois de la conception socratique de l'objet et de la
méthode de Socrate, est essentiellement l'œuvre de Platon.
Sans doute cette généralisation a ajouté beaucoup de dif-
ficultés au système. Mais le système en contenait déjà par
lui-même, qu'elles fussent solubles ou non, et la générali-
sation platonicienne, si elle a aidé à les faire ressortir, ne
les a pas créées. La philosophie socratique dont nous venons
de rappeler les principaux traits n'était elle-même qu'une
esquisse : il y a bien des questions inévitables qu'elle ne
posait pas. La philosophie du concept débute par nous pré-
senter le monde comme une hiérarchie de concepts, et la
méthode comme un passage progressif ou régressif d'un
degré à l'autre de la hiérarchie. Mais, au point de vue de
POINT DR DÉPART DK LA PENSÉE h'ARISTOTE 77
l'objet, où se trouve le maximum de réalité ? Est-ce dans
le plus général ou, au contraire, dans le plus particulier ? Au
point de vue de la méthode, est-ce le général ou, au con-
traire, le particulier qui explique le plus de choses, et d'autre
part, question liée à la précédente, est-ce sur l'extension
ou, au contraire, sur la compréhension des concepts que les
procédés d'explication se fondent ? C'est dans ces deux ou
trois points que se résume la difficulté interne de la philo-
sophie du concept, et c'est à la résoudre que cette philoso-
phie consacrera la majeure partie de ses efforts. — Elle
commence par penser que c'est l'universel qui est le plus
réel et le plus explicatif, et du même coup elle fait prédo-
miner le point de vue de l'extension. On sait que pour Pla-
ton les plus hautes réalités sont l'Un et l'Etre, qu'il consi-
dère comme des genres ,-^et rton comme des individus ou
quelque chose qui y ressemble, et on sait que, pour lui, le
propre de la science est de voir beaucoup d'espèces sous
l'étendue du genre (1). — Pourquoi la philosophie du
concept a-t-elle ainsi débuté ? Il y en a au moins trois rai-
sons faciles à apercevoir. 1° L'universel est en même temps
le simple ; or il est clair que le simple, puisqu'il débar-
rasse l'esprit de la multiplicité des déterminations spé-
ciales, est pour lui un objet commode, qui lui permet de
satisfaire avec le moins de frais possible son besoin de
rationalité. 2° Le procédé régressif qui nous conduit à
l'universel est à la fois sûr et facile ; il était donc naturel
que l'on commençât par admettre que savoir c'est réduire
le particulier au général. 3° La résolution du complexe
en simple est ce qui ressemble le plus à la méthode des
l'hysiologues : c'en est la transposition la plus immédiate.
Thaïes faisait, lui aussi, des réductions : il ramenait, à sa
façon, c'est-à-dire par une analyse réelle, les divers modes
des choses à la terre. Mais, si cette prééminence de l'uni-
versel dans l'ordre de l'être et dans celui du savoir était
naturelle au début de la philosophie du concept, ceux-là
mêmes qui la consacraient sentaient bien qu'elle ne répon-
dait pas à tous les besoins de la pensée. Et c'est pourquoi,
(1) />'('/). 7, ;>37 C : ô uh> */«o (xvvotttixo; ^tXAIXTtXO;, 6 Si aï, oj.
78 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
dans l'ordre du savoir, à côté de la régression Platon
essaie, peut-être même avec le sentiment de son impor-
tance supérieure, la progression du simple vers le com-
plexe et de l'universel vers le particulier. C'est pourquoi
aussi, dans l'ordre de l'être, il a déjà le sentiment de l'im-
portance de la cause finale, c'est-à-dire de la subordination
des parties au tout ou du simple au complexe. Mais sa
méthode de division et sa conception des causes finales
sont, en même temps peut-être que les plus intéressants,
les points les plus délicats du système.
Voilà en somme où en était la philosophie du concept
au moment où Aristote a commencé de penser par lui-
même. Il se rattache à cette philosophie avec pleine con-
science. Le point de vue des anciens est à ses yeux un
point de vue dépassé, et il se compte lui-même parmi les
Platoniciens (1). Il se rattache à Platon par son idée de
l'objet de la science et par sa méthode. En effet l'objet de
la science pour Aristote, ce qui est s-wt7)~6v, c'est bien
l'élément conceptuel des choses, et même c'est souvent cet
élément en tant que conçu sous l'aspect de l'universel, c'est-
à-dire de ce qui est commun à plusieurs. La science saisit
dans une espèce, qui est elle-même de l'universel encore,
une hiérarchie de genres qui, à plus forte raison, sont tous
des universaux. D'autre part, les opérations de la nature,
celles du moins qui sont saisissables et n'ont pas leur
principe dans un arrière-fond mystérieux, sont pour Aris-
tote des processus logiques et, dans celle de leurs parties
qu'il considère volontiers comme la plus essentielle, des
régressions du complexe au simple. Pour ce qui est de la
méthode, elle est, d'une manière générale, .chez Aristote
comme chez Platon, logique et notionnelle : c'est-à-dire
qu'elle vise à définir et à enchaîner des concepts. Elle
est raisonnante, au point de paraître quelquefois raison-
neuse. Et, si nous considérons le procédé qui est propre à
Aristote, la démonstration, nous voyons qu'il s'appuie sur
le concept et que, après tout, il n'est que la réalisation d'un
idéal plus ou moins confusément entrevu par Socrate.
(1) Cf. Zeller, II V, 15, 3 et supra, p. 8, n. i.
POINT DE DÉPART DE LA PENSÉE d'aRISTOTE 79
« C'est avec raison, dit-il, que Socrate cherchait l'essence ;
car ii cherchait à faire des syllogismes, et le principe des
syllogismes c'est l'essence » (1).
Cependant Aristote, tout socratique et platonicien qu'il
est, a pourtant en lui quelque chose du sentiment réaliste
des anciens et du goût pour un réalisme qui est, en un sens,
l'opposé de celui de Platon. De là certains traits mar-
quants de sa manière de penser, et dans l'ordre de 1 être,
et dans l'ordre de la science. Dans l'ordre de l'être, Aristote
pense dès l'abord, et très décidément, avec les anciens que
l'être c'est l'individu. Par suite, il estime que, en dehors de
l'individu, le plus réel est ce qui s'en rapproche le plus,
savoir le complexe. Dans Tordre de la science, la direction
réaliste de sa pensée se marque d'une double façon.
D'abord les universaux dont part la démonstration ne sont
pas les genres les plus généraux : ce sont au contraire des
genres déjà complexes, irréductibles entre eux, des univer-
saux riches de contenu. D'un autre coté, Aristote fait une
part à l'expérience, soit en tant que la sensation est pour la
raison une manière d'exercer son pouvoir d'intuition, soit
même en tant que la sensation a pour fonction de saisir le
contingent. L'esprit expérimental est même si développé
chez Aristote qu'il faut voir en lui le plus puissant des pro-
moteurs de la science expérimentale chez les anciens. C'est
grâce à lui et à son école, qu'il y a eu dans l'antiquité, eu
dehors de l'astronomie, une certaine somme de connaissan-
ces sur les phénomènes naturels et quelque soupçon de la
méthode propre aux sciences de la nature (cf. infra).
11 y a donc eu dans la pensée d'Aristote deux tendances
opposées, bien que la tendance prédominante ait été la ten-
dance conceptuelle. A-t-il réussi à compléter la philosophie
du concept par la conciliation de ces deux tendances, et à
idre, en y faisant entrer des éléments réalistes assimi-
lables, la difticulté interne que cette philosophie avaii laissé
voir chez Socrate et chez Platon \ C'est ce que nous recher-
cherons plus tard seulement. Nous voulions marquer le
(1) Metaph. M i. 1U78 0, 23 : cttivoi tftiïkirftn î^otei ro ?i ;;tto.
OvYkoviÇtaQat vota i^nru, WYi it t«ï (TvXkvYtttftiu ~à rt sttiv.
80 LE SYSTÈME DARISTOTE
point d'où part la pensée d'Aristote et indiquer les direc-
tions dans lesquelles cette pensée s'engage. A essa}^er de
faire plus, nous anticiperions fâcheusement sur l'exposition
de sa doctrine. Fâcheusement ; car, ou bien nous serions
obscurs pour être courts, ou bien nous devrions entrer dans
des développements où nous épuiserions d'avance tout
l'intérêt que peut offrir l'étude de la pensée aristotélicienne.
Cependant nous ne pouvons commencer notre exposition
sans indiquer le plan que nous suivrons. Or un auteur
méthodique et dogmatique comme Aristote n'a pu manquer
d'ordonner lui-même sa pensée suivant un plan. De sorte
que la première chose à faire est de chercher comment se
divise, d'après Aristote lui-même, la philosophie aristoté-
licienne. C'est là une question vraiment préliminaire.
Nous n'avons pas à faire beaucoup de fond sur l'indica-
tion que nous donnent les Topiques, au livre I, ch. 14
(105 b, 19-29), d'après laquelle les problèmes et les propo-
sitions se répartissent en trois classes : morales, physiques,
logiques. Ce qui rendrait cette division spécieuse, c'est
qu'elle n'est pas autre chose que la division de la philoso-
phie qui devient classique avec les Stoïciens. Mais, d'abord,
le passage où elle est énoncée est isolé dans Aristote; Fau-
teur n'y insiste pas ; il n'y rattache aucune subdivision. En
outre, il nous prévient lui-même qu'une telle division prend
les choses très en gros (o>ç zôny îtEpiXaëeïv). Nous trouve-
rons chez lui des déclarations, autrement expresses et
appuyées, dans un autre séné.
Chez les commentateurs, nous trouvons très constam-
ment une division bipartite. La philosophie se divise d'après
eux en théorique et pratique. C'est l'opinion d'Ammonius,
de Simplicius, de Philopon et, avant eux tous, celle d'Ale-
xandre. Elias (le pseudo-David), pour pousser jusqu'au bout
cette classification, rapproche même expressément la Poé-
tique de la Rhétorique , et il rapporte celle-ci, comme celle-
là, à un ordre de recherches qui ne fait pas partie intégrante
de la philosophie (1). La même division se retrouve dans
(1) Cf. Zeller, p. 177, n. 1 et Elias (ps. David) in Cat. 116. 32,
Busse {Schol. 25 b, 16-20)
DIVISIONS DU SYSTÈME 81
Eudème et chez l'auteur du livre a de la Métaphysique :
Eudème, au début de sa Morale (I, 1, 1214 a, 8) oppose,
comme il est naturel en pareil lieu, les sciences qui n'ont
pour but que la connaissance et celles qui ont pour but
quelque résultat dans le monde de l'action ; le livre a déclare
que la science théorétique a pour objet la vérité, la science
pratique, un epyov (1, 993 b, 19). Il y a plus, la division est
dans Aristote lui-même. Le premier chapitre de l'Ethique à
Nicomaque (1095 a, 5) oppose yvwtiç et -pâç^, et d'autres
textes du même ouvrage reproduisent en d'autres termes
la même distinction (J).Mais une telle opposition, qui s'im-
pose au point de vue de la morale aristotélicienne et qu'Aris-
tote ne pouvait éviter d'énoncer, no peut pas passer pour
une classification. Si Eudème et l'auteur du livre a ont
voulu indiquer une classification, ils n'ont songé qu'à une
classification sommaire et abrégée, réunissant dans le second
groupe deux choses, voisines sans doute, mais dont ils sont
bien loin d'insinuer qu'on ne saurait les distinguer. Ils insi-
nuent plutôt qu'il y a une distinction à faire. Car l'auteur du
livre a, au lieu de dire que la science pratique a pour but une
7tpâÇiç, dit qu'elle a pour but un epvov, terme qui signifie aussi
bien ['action que l'œuvre extérieure produite par l'action (2).
Eudème, de son côté, dit (1214 a, 11) que les connaissances,
qui n'ont pas pour objet le connaître seul, travaillent rcepl
Tàç •/-/, ersu -/.-A îrepl vhç -rzzy.lv.^. Comme il y a assurément
beaucoup de différence entre xttJo-u; et TepâÇiç, on peut dire
qu'ici le second membre de la division est presque subdi-
visé. En somme donc, ce serait tout au plus chez les com-
mentateurs que la division bipartite se présenterait comme
complète et suffisante. Et encore rien ne paraît garantir
qu'ils lui aient conféré une valeur absolue, au lieu de lui
reconnaître simplement de la commodité pour l'organisa-
tion de leur enseignement.
La vraie division des sciences, suivant Aristote, esl tripar-
titc Cette division, qui est très expressément rappelée en
deux endroits des Topiques^ VI, 6, 14fta,15etXNI, I. Vu a,
(1) II, 2 déb. et X, 10 s. in. (1119 a, 35).
-' lionitz, /«e/. av. 285 h, 1 .
Aristote ('.
82 LE SYSTÈME D' ARISTOTE
10), dans le VIe livre de la Morale à Nicomaque (3-5, et
notamment ch. 2, 1139 a, 27), est exposée dans le premier
chapitre du livre E de la Métaphysique et dans le chapitre
correspondant du livre K (ch. 7). Aristote, comme on sait,
distingue trois grandes classes de sciences : les sciences
théorétiques, les sciences pratiques et les sciences poéti-
ques (1). Les sciences théorétiques n'ont pour objet que le
savoir même ou la vérité. Les sciences poétiques ont pour
objet la production d'une œuvre extérieure à l'agent, tan-
dis que les sciences pratiques n'ont pour fin que l'action
elle-même (Éth. Nie. VI, 4 déb. ; cf. I, 1 début). Les textes
allégués du livre E et du livre K de la Métaphysique ajou-
tent que les sciences théorétiques se subdivisent en trois :
mathématiques, physique et théologie. Pour la subdivision
du second groupe, nous en parlerons un peu plus tard.
Remarquons pour le moment que les trois grands groupes
sont distingués par Aristote, non seulement avec la préci-
sion, mais encore avec la constance, qui indiquent une
doctrine élaborée et arrêtée.
Cela n'a pas empêché Zeller de prétendre (2) que cette
classification ne doit pas être considérée comme l'expres-
sion définitive et complète de la pensée d' Aristote. Cette
pensée serait restée flottante sur la question, et, pour orga-
niser une exposition de la philosophie aristotélicienne, nous
ne saurions trouver un sûr appui dans une classification
en partie inexistante.
Nous croyons qu'un examen des objections de Zeller
nous montrera qu'il se trompe. Le principe de ces objec-
tions est que les divisions et les subdivisions de la classifi-
cation généralement attribuée à Aristote ne s'appliquent
pas bien aux œuvres qu'Aristote nous a laissées. Nous allons
voir en détail ce qu'il faut penser de cette assertion. Mais,
tout d'abord et à prendre les choses en général, on con-
viendra qu'il est peut-être excessif d'exiger que les œuvres
d'un auteur répondent point pour point à la classification
des sciences telle que la comprend cet auteur. Et en effet,
(1) Cf. Zeller, p. 177, n. 5.
(2) P. 181-183.
DIVISIONS DU SYSTÈME 83
pour classer les sciences, on se place nécessairement au
point de vue de l'idéal, on suppose les sciences étudiées
dans toutes leurs parties et toutes les parties distinguées
d'une façon rigoureuse, sans admettre que des raisons de
commodité puissent conduire à fondre entre elles certaines
parties. Or il est trop clair qu'un penseur, fût-ce Aristote,
peut toujours être empêché d'accomplir tout son pro-
gramme, ou entraîné à négliger en fait certaines distinc-
tions qu'il accepte en droit, à réunir par exemple dans un
même ouvrage des matières qui régulièrement auraient
dû faire l'objet de plusieurs.
Venons maintenant au détail des objections de Zeller.
La première est que, si les sciences poétiques ont formé
pour Aristote un groupe vraiment distinct, il est singulier
que nous ne trouvions dans ses œuvres, pour représenter
ce groupe, qu'un seul ouvrage traitant d'un art très spé-
cial, savoir la Poétique. — On peut admettre que la Poéti-
que est le seul représentant du groupe ; du moins ni le
traité de la médecine (lotcputà), ni celui sur l'agriculture, etc.
ne sont authentiques (cf. p. 43). Mais bien des raisons pou-
vaient porter Aristote à se dispenser d'écrire une technolo-
gie. D'une part, il ne devait pas lui sembler très urgent
pour l'éducation d'hommes libres de réfléchir sur des arts
essentiellement illibéraux, dont il partageait, au moins en
partie, le mépris avec tout son milieu. D'un autre coté,
la matière d'une telle technologie ne pouvait être réunie
qu'au prix de très longs efforts ; et il aurait fallu en outre
prendre l'élaboration par la base puisqu'il n'y avait pas
de travaux préparatoires, ceux des Sophistes étant sans
doute purement dialectiques et ne pouvant guère compter.
Au reste, dans la nature, un seul individu suffirait au
besoin pour représenter un ordre, au besoin un embran-
chement ou un règne, et Zeller même est obligé de l'aire
une place à part à la Poétique (1). Mais est-il bien sûr
qu'on se trompe quand on joint d'autres ouvrages à la
Poétique^ pour représenter le groupe? Sans doute Aristote
rattache très étroitement la rhétorique à la dialectique, et
(1) P. *83, -vers le bas.
84 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
il ne peut être question de séparer ces deux disciplines.
Mais Ravaisson n'avait peut-être pas tort de les ranger Tune
et l'autre parmi les sciences poétiques (1). Zeller avoue
qu' Aristote parle de la rhétorique comme de la théorie
d'un art : qu'il fasse de cet art un moyen de la politique,
cela ne l'empêche pas d'être en lui-même un art. Aristote
dit quelque part que la stratégie est un moyen de la politi-
que et il a dû penser de même de la tactique navale ; or
celle-ci a pour instrument les navires que produit l'art,
assurément poétique, du constructeur de navires (2).
La seconde objection de Zeller porte spécialement sur la
subdivision des sciences théorétiques. Les mathématiques,
dit Zeller, ne sont pas représentées dans l'œuvre d'Aristote;
et d'autre part il appelle la physique, par opposition à la
philosophie première, philosophie seconde, Seurépa cçaXo-
aro©(a : s'il avait compté les mathématiques, il aurait dû
appeler la physique philosophie troisième. — Mais Aris-
tote ne pouvait, ni se dispenser de compter les mathémati-
ques parmi les sciences théorétiques, ni leur faire une place
dans sa philosophie proprement dite, dans le système dont
ses traités sont l'exposition rédigée. En effet, il réagissait
de toutes ses forces contre ces prolongements métaphysi-
ques des mathématiques, qui constituaient toute la philo-
sophie des Platoniciens de son temps (3). D'autre part les
mathématiques, s'étaient en fait, séparées de la philoso-
phie : il y a des géomètres non philosophes au temps
d'Aristote. Eudème, l'historien des mathématiques, dit de
l'un d'eux, Hippocrate de Chios, que, partout ailleurs qu'en
géométrie, il était lent d'esprit et sans intelligence, ^'Àa; xoti
à-ppiov, c'est-à-dire sans doute qu'il n'entendait rien à la
philosophie [Éth. Eud., VIII, 14, 1247 «, 17). Aristote
meurt en 322, Euclide fleurit sous le premier des Ptolémées
vers 320. Il suffisait donc pour Aristote de faire une philo-
sophie des mathématiques, et c'est à quoi il ne manque pas.
(1) Essai sur la Métaphysique d'Aristote, I, p. III, liv. I, ch. 2,
p. 252
(2) Zeller, p. 180, n. 2.
(3) Metaph. A, 9, 992 a, 32 : yéyove tù ^«O^aro: -oïç vùv r> fù.oaooia..
DIVISIONS DU SYSTÈME 8->
Mais, comme, d'après cette philosophie, l'objet des mathé-
matiques est tiré par abstraction de l'objet de la physique
et ne consiste nullement en des essences séparées, il est
tout naturel que la physique représente à elle seule tout ce
qui n'est pas la philosophie première et qu'elle reçoive le
nom de 91X00-09 la Seutépa.
C'est sur la subdivision des sciences pratiques que Zèller
dirige sa troisième objection. La subdivision de ces scien-
ces en éthique, politique et économique n'est pas d'Aris-
toto, dit-il, mais des Péripatéticiens, Et il pense qu'il v en
a plusieurs preuves : ainsi Aristote traite en fait de l'éco-
nomique, non pas dans notre Économique, qui est apocry-
phe, mais dans le livre I de la Politique (1). — La remar-
que est exacte ; mais elle prouverait simplement qu'Aristote
a cru pouvoir réunir dans un même ouvrage la politique
et l'économique, et non que celle-ci, dans un plan idéal
du savoir, ne pouvait pas constituer à ses yeux une subdi-
vision distincte. — Aristote, dit encore Zeller, a, au début
de V Éthique (1, 1094 b, 2). compté l'économique avec la
stratégie et la rhétorique parmi les arts qui sont les ser-
viteurs de la politique. — Il faut répondre que la classifica-
tion et les rapports de subordination répondent à deux
points de vue différents; que l'éthique est, elle aussi pour
Aristote subordonnée à Ja politique, ce qui ne l'empêche
pas sans doute de compter à part dans le groupe des
sciences pratiques et, en tout cas, d'être l'objet d'un
ouvrage distinct. — Selon Zeller, il n'y aurait rien à con-
clure du passage du livre VI de YÉtkique (9, 1142 a, 9) (2)
dans lequel Aristote distingue de la prudence qui a
rapport au bien de l'individu et appartient à l'éthique,
l'économie et la cité. On ne pourrait rien conclure de ce
passaire, parce que, à la page précédente, Aristote, au lieu
d'opposer l'économique à la politique, aurait fait de la pre-
mière une partie de la seconde. — Mais il n'est pas vraisem-
blable qu'Aristote soit ainsi contredit à quelques lignes île
distance, et le passage 8, 1141 />, 23 sqq., n'a pas le sens
(1) Zeller, p. 182, n. 3.
(2) y.atr'.i ii'.}- 9Ùx £CT'. t6 «vrov tu Otviu ot/.ovotuaç ov<î dcvtu 7roÀtTlta(.
86 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
que lui prête Zeller (1). Pour marquer que la prudence, au
sens large, n'est pas restreinte à la vie individuelle, Aris-
tote dit que c'est elle au fond qui, sous le nom de politi-
que, règle la moins individuelle de toutes les vies, la vie
de la cité. Mais Aristote ne dit pas que la vie de la cité est
toute la vie collective. Lors donc que, quelques lignes plus
bas, il mentionne à son tour l'économie comme un domaine
où règne la prudence au sens large, ce n'est pas une sub-
division de la politique qu'il désigne, c'est un territoire
voisin de celui de la politique. Donc le premier texte garde
toute sa signification et contient bien la triple distinc-
tion de l'éthique, de l'économique et de la politique.
Observons d'ailleurs que ce texte est confirmé par les
deux premiers chapitres de la Politique (voir notamment
le début du ch. 2) : il est bien connu qu 'Aristote fait sortir
la tî6X'.; de l'oîxoç, la cité de l'association familiale, premier
groupement naturel des individus. Ce premier groupement
naturel parait tout indiqué pour être l'objet d'une science
à part. Enfin Zeller est bien obligé d'avouer (2) que la dis-
tinction de l'économique et de la politique est dans Eudème.
Eudème en effet, après avoir dit que le bien c'est la fin en
tout art, et notamment dans l'art qui est le maître de tous,
continue en ces termes : auvt\ B'èaxX tto^tTutT, xal oueovop.opq
xattppowic-tç (i. c. ^Ounj) (Eth. Eud. I, S, 1218 b, 13). Des
insinuations d'Aristote, appuyées par une assertion nette
d'Eudème, équivalent à une déclaration expresse d'Aristote.
Mais la dernière et capitale objection de Zeller, à propos
de laquelle nous allons ajouter à la classification d'Aristote
telle que nous l'avons résumée, un complément indispen-
sable, est fondée sur ce que cette classification ne fait pas
de place à la logique. Il serait inadmissible, selon Zeller,
qu' Aristote, après tant de soins donnés à la logique, ne
l'eût pas comptée comme une partie intégrante de son
système. Sans doute tous les commentateurs, depuis
Alexandre (3), professent que la logique n'est pas une par-
(1) P. 181 sq. ; notes 6 de la p. 181 et 1 de la p. 182.
(2) P. 181, n. 6.
(3) P. 182, n. 5. Cf. Alexandre, commentaire des An. pt\, début
(Schol. 141a, 19, 24).
DIVISIONS DU SYSTÈME 87
tie, mais seulement un instrument (opvavov), de la philoso-
phie. Une telle opinion ne peut pas être d'Aristote. —
D'abord cette opinion remonterait très haut parmi les
commentateurs, puisqu' Alexandre dit qu'elle a été profes-
sée O-o tùv apvaitùv. Et d'autre part pourquoi, comme
dit le même Alexandre, un instrument serait-il quelque
chose de moins considérable qu'une partie de la philoso-
phie (1)? Zeller trouve que c'est un mauvais expédient de
dire, avec Ravaisson, que la logique n'est que la forme de
la science. C'est une science, dit-il, c'est la science de la
forme (2). Admettons sa correction à la formule de Ravais-
son ; il reste que l'objet de la logique est un objet à part.
Au lieu d'être un objet naturel, comme celui de la métaphy-
sique, de la physique ou même des mathématiques, c'est
un objet subjectif. C'est une raison suffisante pour qu'Aris-
tote ne l'ait pas mis sur le même plan que les autres.
Ajoutons que, de l'aveu de. Zeller (3), la logique d'Aristote
n'est pas, comme on dirait en termes hégéliens, la science,
de l'idée, mais simplement une méthodologie. Cette appré-
ciation très exacte est bien près, quoi qu'en pense Zeller,
d'équivaloir à l'aveu que la logique est bien pour Aristote
un instrument des sciences, plutôt qu'une science dans
toute la force du terme. Enfin il existe en ce sens une affir-
mation d'Aristote, éclaircie et corroborée par un passage
du livre a. La déclaration en question se trouve dans le cha-
pitre 3 du livre r de la Métaphysique (4). Après avoir dit
qu'aucune science particulière ne s'occupe des axiomes
communs à toutes les sciences, Aristote ajoute que tout ce
que certains philosophes prétendent, lorsqu'ils parlent des
exigences qu'on devrait apporter pour l'admission de la
vérité des axiomes, provient d'une ignorance des « analy-
tiques » : il faut en effet, dit-il, connaître les « analytiques »
(1) la Pr. Anal. 3, 3; 4, 30, éd. Wfcllies (Comm. gr. Il, 1); Schoi.
i41 a, 30 ; b, 24.
(2) Zeller, p. d82, n. 8 ; cf. Rataisson Essai I, 252 sq., 264 sq.
(3) P. 182, vers le bas.
(4) 1005 b, 2-5 : ôu<x (Tgy^ïtooûcrt t»v XtyôvTWV rwirç ^epï t^; àïr.Q-ia;,
ôv rpoîTov dû v.nooé^î'jOai, St ù.itatiïzv(Tiav rwv ôveçXvrtxâv tovto «îowffiv
Siï yàp r.tpi TO-Jrwv rt/.nv Trpoïrriara^î'voyç, ùXkb. txi) «xovovra; Çrjrstv.
88 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
avant d'aborder les sciences et non pas, au moment où Ton
entreprend de suivre des leçons sur une science, chercher à
part soi ce qu'on aurait dû apprendre dans les « analyti-
ques ». L'auteur du livre a dit de son côté : « Il faut donc
avoir appris quelles exigences on doit apporter pour
admettre les assertions en chaque espèce de sciences ; car il
est absurde de chercher à la fois les vérités d'une certaine
science et quelle est la manière d'être de cette science » (1).
On résumera exactement ces deux textes, semble-t-il, en
disant que la logique est une propédeutique. C'est au fond
ce qu'ont soutenu les commentateurs, et c'est tout ce qu'il
faut pour justifier l'absence de la logique dans la classifica-
tion des sciences aux livres E et K de la Métaphysique.
Donc, d'une manière générale, cette classification doit être
considérée comme exprimant exactement le plan de la phi-
losophie, tel qu'Aristote l'a conçu et, par conséquent, c'est
elle qu'il convient de prendre comme guide pour l'ordre à
suivre dans l'exposition de la doctrine d'Aristote. Il faut se
garder de remplacer cet ordre, vraiment historique, par un
ordre soi-disant meilleur, ainsi que le fait Zeller. Au reste
cet ordre artificiel revient en partie à celui qu'indique la
classification d'Aristote. Car Zeller répartit son étude en
cinq parties successives : logique, métaphysique, sciences
de la nature, recherches morales (auxquelles Zeller rat-
tache la rhétorique comme dépendance de la politique),
théorie de l'art. Il n'y a qu'un point sur lequel, en défini-
tive, Zeller s'écarte gravement de l'ordre aristotélicien. Il
place la métaplrysique avant les sciences de la nature, et
sa raison est que l'on ne peut comprendre la doctrine sans
la théorie des causes, la distinction de l'acte et de la puis-
sance et que ce genre de questions est évidemment méta-
physique (2). Mais cette dernière assertion est, au point de
vue aristotélicien, une hérésie. La théorie des quatre cau-
ses et -la distinction de la puissance et de l'acte sont des
généralités qu'Aristote développe là où il en a besoin pour
(1) 3, 995 a, 12-14 : Sib Seï 77E7r«i<?£Û<r9ai ttûç ëxaora «7r<x?êy.7£'ov, w;
aroîrov au'/ ÇyjteZi/ srrtorïja/jv y.cà roo-ov 67rtOTïju>îs.
(2) P.' 183 vers le bas et sqq.'
PLAN DE L'EXPOSITION 89
l'étude de la nature, si tant est qu'il ne s'y réfère pas dans
sa logique même. Mais la métaphysique n'a pas ces géné-
ralités pour objet. Elle en reprend l'examen sans doute ;
seulement c'est pour leur donner un fondement, non pour
les poser et les éclaircir en elles-mêmes. Que de cette
manière de faire il résulte des répétitions, la chose est incon-
testable. Cependant il ne faudrait pas sacrifier à un avantage
accessoire la vérité dans l'enchaînement des parties de la
doctrine d'Aristote. Nous mettrons donc, comme Aristote
lui-même l'a fait, car il allait des phénomènes à leur expli-
cation (1), les sciences de la nature avant la métaphysique.
(1) Cf. Zeller, p. 165, n. 2; dans cette note, il renvoie à Meta. A,
9, 992 a, 24 ; De caelo, III, 7, 306 a, 16; De an. I, 4, 402 a, 46 (cf.
5,409 b. 11 sqq.).
SEPTIÈME LEÇON
NATURE DE LA LOGIQUE. — LES CATÉGORIES
De quelque manière qu'il faille ensuite interpréter plus
précisément cette expression vague, tout le monde doit
convenir que la logique est une réflexion, et même un
ensemble de réflexions, sur les procédés de la pensée. Or un
tel ensemble de réflexions suppose avant lui, d'abord, l'exer-
cice naturel et irréfléchi de la pensée, ensuite, la formation
d'un grand nombre de réflexions isolées sur lesdits procé-
dés. Ces deux conditions préalables de l'apparition de la
logique ont été réalisées par les prédécesseurs d'Aristote.
Au moment où la pensée passe de l'action ou, pour mieux
dire, de l'imitation esthétique de l'action, de l'activité de jeu,
au savoir, elle est bien près de réfléchir sur elle-même.
Car, dès qu'elle aura créé, soit une science, soit une cer-
taine somme d'explications visant à être scientifiques, la
pensée trouvera inévitablement dans cette création, c'est-
à-dire en elle-même, un nouvel objet de savoir. Aussi les
premières réflexions sur les procédés de la pensée appa-
raissent-elles de bonne heure dans le développement mer-
veilleusement rapide, de la pensée grecque entre Thaïes et
Socrate. A peine les penseurs grecs ont-ils commencé la
constitution de la géométrie et, d'autre part, rassemblé un
certain nombre d'hypothèses physiques, que la réflexion
de la pensée sur elle-même commence de se faire jour :
telles sont les plaintes des Physiologues sur la faiblesse des
moyens de connaître et notamment sur la faiblesse des
sens ; telle est encore la découverte, que fait Parménide, d'un
véritable critère de la vérité, avec son principe : e<mv r\ où*
XVTURE DE LA LOGIQUE 91
Ib-riv (1), puisque tout cela suppose, et même comme à
demi dégagée, une certaine notion de la science. Avec
Socrate et Platon, pendant que d'autre part la géométrie
achève de se constituer, les réflexions de la pensée sur
elle-même s'accroissent tout à coup prodigieusement en
importance et en nombre. Il s'en faut de peu qu'elles se
réunissent chez Platon en un corps de doctrine. Toutefois
ce n'est pas lui, c'est Aristote qui opère avec pleine cons-
cience l'abstraction du procédé hors de ses applications et
qui réduit définitivement en un sj^stème les réflexions
abstraites rassemblées. Aristote lui-même s'est rendu
compte et de ce qu'il devait en la matière, à ses prédéces
seurs, ou du moins à Socrate, et de son originalité comme
créateur de la logique. Les deux textes auxquels il faut se
référer à ce propos parlent de la dialectique plutôt que de
la logique en général, et cela est vrai, semble-t-il, même
du second, par lequel se termine VOrganon. Mais on com-
prendra plus tard, quand on saura comment Aristote défi-
nit la dialectique, que c'est précisément dans celte partie de
la logique qu'on voit le mieux à quel degré d'abstraction il
a dû s'élever pour dégager les lois du raisonnement. Le
premier texte est au chap. 4 du livre M de la Métaphysi-
que, 1078 b, 25-27 :2) : Socrate ne sait pas encore séparer
le syllogisme d'avec l'essence dont le syllogisme part ni
se rendre compte qu'on bâtirait aussi bien un syllogisme
en partant d'une essence fictive opposée à l'essence réelle,
et que ce syllogisme conclurait aussi légitimement que
l'autre, bien que d'une manière opposée. L'autre texte, De
sophisticis elenchû, 34, 184 a, 8-b 3, n'est pas moins
net (3). Aristote se reconnaît, et c'est à juste titre, comme
le fondateur de la logique.
(I) Vorsokr. fr. S, v. ib sq. (v. 70, Karslen) : ... r, Jg xpfatc nspt
(i) A la suite du texte cité p. 79, n. 1: J/a>«XTix^ yùp ter;çùî o-J-m
tôt' flv, uorn SàvaaQcti xcù ;/wpi? toû tî îoti rênicnrrfa J~t7xon;tv, xai twv
HavTÎwv il o a.jz/1 îniT-rrxri.
(3) Kcù nepi aïv rùyj pr.roov/.'.Vj i>r.r,ctyj. iro/Aà xai ira).suà Ta Ifyâptva,
nipi S'î To-j avX).o~(iÇEr7Qca 7ravTt^*>ç ojosj û%otm npôrapw iYio Xfattv, à^).'
y rpiëy Çqroûvrc; 7r<Aùv xj>6vov nrovoûftrv. On peut, il est vrai, connue
92 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
Quelle conception s'est-il faite de cette science qu'il a
fondée ? Nous dirons tout à l'heure qu'il y a de l'empirisme
dans la logique d'Aristote, et comment en eût-il été autre-
ment dans une science qui débutait? Mais il ne résulte
aucunement de là qu'Aristote ait conçu la logique comme
un prolongement de la psychologie. Un disciple des Sophis-
tes aurait pu entreprendre de décrire, par exemple, la suc-
cession des états d'esprit par lesquels passe un géomètre
qui établit un théorème. Mais rien n'est et ne devait être
plus loin des intentions d'Aristote, disciple de Socrate et
de Platon. Il conçoit l'objet de la science comme étant le
nécessaire, et la logique comme faisant connaître les pro-
cédés nécessaires de cette pensée du nécessaire. Reste seu-
lement à savoir en quoi consistent ces procédés nécessai-
res, dont la logique entreprend l'étude théorique ou
enseigne le maniement pratique.
La manière la plus simple de donner à la logique un
objet nécessaire, c'est de la considérer comme formelle.
Et l'on a dit effectivement qu'Aristote est un des parti-
sans de la logique formelle. Si l'on sait prendre avec quel-
que rigueur cette notion d'une logique formelle, elle doit
s'interpréter, semble-t-il, dans le sens adopté par Hamil-
ton. Dire que la logique est formelle, cela veut dire qu'elle
est la science de l'accord de la pensée avec elle-même, ou
de la conséquence. La pensée apporterait avec elle la loi
de non-contradiction, et, sans s'inquiéter du contenu quel-
conque des notions et des propositions, elle les transfor-
merait sans autre souci que de ne pas se contredire ; la
logique serait la science des lois de ces transformations,
toutes lois dérivées de celle de non-contradiction. Cette
manière de voir est étrangère à Aristote. Il n'a aucunement
l'idée d'une loi de non-contradiction qui flotterait au-des-
sus des choses. La loi de non- contradiction est pour lui
une nécessité, non de la pensée, mais des essences mêmes,
nous l'avons indiqué tout à l'heure, croire avec Thurot (op. cit. App. 1 :
Aristote s'est il désigné comme l'auteur de la théorie du syllogisme ?
p. 195-197) que ce texte se rapporte ;'i la dialectique plutôt qu'à la
logique.
NATURE DE LA LOGlyUE 93
un principe qui est à l'œuvre dans les choses. On doit
même ajouter que ce principe n'est pas, au fond, une géné-
ralité qui, dans le monde des essences, soit comme une
essence qui enveloppe et pénètre des essences subordon-
nées. La loi de non-contradiction prend en chaque sorte
d'essences, ou même on chaque essence, un caractère
spécial : c'est, par exemple, l'impair comme impair qui
repousse la division par un multiple quelconque de deux.
Chaque essence a sa loi de non-contradiction, à elle adap-
tée et à elle propre. Ainsi, pour Aristote, la logique n'est
pas même formelle en ce sens qu'elle aurait pour objet un
genre suprêmement général et qui envelopperait tous
les autres. — Il est vrai qu'Aristote a faitf dans les Pre-
miers analytiques, une théorie du syllogisme, dans laquelle
cette forme essentielle du raisonnement apparaît comme
dégagée de tout contenu. Mais d'abord il faudra deman-
der à la métaphysique si le syllogisme est, à proprement
parler un procédé général, ou s'il n'est pas seulement l'équi-
valent d'un procédé général. Ensuite les Premiers analy-
tiques ne sont pas toute la logique d'Aristote. Le syllo-
gisme, tel qu'ils l'étudient, convient indistinctement à toutes
les sciences et, qui plus est, à la dialectique aussi bien qu'à
la science. Mais, à côté des Premiers, il y a les Seconds
analytiques ; ou plutôt ce sont ceux-ci qui sont la cause
finale de ceux-là. Or les Seconds analytiques étudient non
plus tout syllogisme, mais le syllogisme démonstratif
seulement, c'est-à-dire celui qui s'adapte aux exigences
de l'objet de la science.
Aristote, ainsi opposé à la logique formelle, aurait-il
donc absorbé la logique dans la métaphysique et conçu la
Logique comme la science de la pensée nécessaire en tant
qu'identique avec l'être, en un mot à peu près comme les
Hégéliens, qui la définissent la science de l'idée pure? Les
notions, prises en elles-mêmes et élevées au-dessus des
contingences du inonde sensible, se constitueraient et s'en-
chaîneraient d'une façon nécessaire; cette constitution et
cet enchaînement des idées pures seraient L'objet du savoir,
ou le savoir puisque c'est tout un, et la logique serait
elle-même l'idée de ce savoir. La constitution de cette idée
94 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
et son expansion en enchaînements d'idées subordonnées
seraient bien entendu, eux aussi nécessaires, et si étrangers
à toute contingence qu'ils se feraient comme au-dessus de
l'individu et sans l'intervention de l'individu. — Bien que
Prantl ait essayé de retrouver une conception de ce genre
dans Aristote (1) on peut affirmer qu'elle n'est pas aristo-
télicienne. Aristote a dit sans doute que la science est
identique à son objet. Mais cette identité s'explique plutôt
par l'absorption de la pensée dans son objet, que par le
fait que l'objet serait luiymême, au fond, un moment de la
pensée. Ensuite, Aristote n'étant pas notionaliste jusqu'au
bout à la façon de Hegel, ou même de Platon, l'être sur
lequel porte la métaphysique n'est pas le même que celui
sur lequel portent les autres sciences et la logique : l'être
de la métaphysique est une substance première ; l'être
qu'atteignent les autres sciences en tant qu'elles raisonnent,
et par conséquent l'être qu'atteint la logique, n'est jamais
en somme que quelque substance seconde. Si donc on
pouvait dire, en un sens, que chez Aristote la logique est
la science de l'idée, il ne s'ensuivrait pas qu'elle serait la
science de l'être. Ce serait plutôt le contraire. Enfin, un
peu peut-être par le sentiment, qui ne lui est pas tout à
fait étranger, qu'il y a au fond de l'individu de la liberté,
et beaucoup par la raison qu'il est disposé, étant dans une
certaine mesure empiriste, à faire une part à la contingence
brute, Aristote, en fin de compte, distingue le connaître et
l'être et estime que la connaissance est l'œuvre de l'indi-
vidu, ou du moins qu'elle se fait dans l'individu et ne se
laisse pas détacher de lui, si ce n'est par abstraction. C'est
donc le savoir humain, et en tant qu'humain, que sa logi-
que prend pour objet. A la vérité le savoir vise, au néces-
saire, mais c'est en l'extrayant du contingent, et la logi-
que étudie les procédés, nécessaires en eux-mêmes, par
lesquels le nécessaire est extrait du contingent. Mais ces
procédés nécessaires s'accomplissent au milieu des opéra-
tions psychologiques de l'individu et ne s'en séparent que
par abstraction. C'est pourquoi la logique, aux yeux d'Aris-
(1) Prantl, Geschichte der Logik, I, 136; cf. Zeller, p. 187, n. I.
NATURE DE LA LOGIQUE 95
tote, est la science d'un savoir qui n'est pas identique à
l'être, mais qui constitue, en face de l'être, un ordre distinct.
Et c'est pourquoi aussi la logique, qui ne serait déjà que la
théorie du savoir, n'est pas même purement et simplement
théorique : elle n'étudie pas des lois suivant lesquelles le
savoir se constituerait automatiquement et de lui-même ;
elle formule plutôt des règles dont l'application réussit,
encore que ces règles soient, bien entendu, fondées en rai-
son. En un mot, la logique n'est pas une science pure ; elle
garde quelque chose d'un art. C'est bien ce qu'entendaient
les Péripatéticiens en disant qu'elle est un instrument pour
faire la science. On pourrait dire encore qu'elle est pour
Aristote une science normative : autre façon d'indiquer
qu'elle s'adresse à l'individu et le regarde comme l'auteur
de la connaissance. Ainsi, pour Aristote, la logique est bien
distincte de la métaphysique, de la métaphysique propre-
ment dite et comme il l'entend, ou science de l'être. Il faut
remarquer en revanche qu'elle ne se distingue pas, ou
qu'elle se distingue mal pour lui, de ce que nous appelons
la théorie de la connaissance. 11 n'a pas songé à mettre à
part de la métaphysique et de la logique à la fois, pour en
faire une science purement théorique, l'étude de la connais-
sance quant à sa portée et à sa valeur : la théorie de la
connaissance est restée mêlée pour lui avec la logique.
Valeur de la science et procédés pour obtenir la science,
cela réuni fait l'objet d'une seule étude. Mais dans cette
étude la principale place revient aux procédés pour obtenir
la science.
C'est bien comme la connaissance de ces procédés que
les textes d' Aristote nous invitent à nous représenter la
logique. Voici trois considérations, empruntées à Zeller (1),
qui l'établissent assez bien : 1° l'objet de la dialectique est
de nous enseigner à déduire, sur toutes sortes de sujets, des
syllogismes fondés sur des prémisses plausibles (2). En
(1) Zeller, p. 185-187.
(2) Top. I, 1 <léb. : ri ftsv tioqOcti; t»;; -o^axzùoL^ aéOoâoj sûptfv, «y'
^4 QWtltrifttêtt vuXkovlÇtiTdcu ittpl rcavroç ro-j irportOcvrot xooS).riu.<x.7o; î£
ÎMÂÇeuv, /.où «Jro'. Voyov ùni%WT€Ç uloOij tp«û[Uv v-Evavrtov. — 3. dëb. : iÇoum
o; Ttkieoç -e;j u.ïfJoào'j. ÔT«* ov-oiw; 'iyj.tu.fj ûvrctp i-\ oqroptxrji xoù ioLTOir.rjq
96 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
vertu de la correspondance qui existe entre la dialectique et
l'analytique, celle-ci doit nous mettre en possession des
moyens de déduire des syllogismes fondés sur des prémisses
nécessaires. 2° L'ensemble des traités de logique d'Aristote
donne bien l'impression que ce qui commande tout le reste,
c'est l'étude du procédé qui procure la science, savoir la
démonstration ; et d'ailleurs le début des Premiers analy-
tiques eux-mêmes indique que tel est bien l'objet de la
recherche d'Aristote logicien (I). 3° La Rhétorique (I, A,
1359 b, 10) nous parle d'une fotaAutUttq stcwt/"^/;, ce qui est
le nom authentique de la logique selon Aristote. Or qu'est-
ce que àvaÀiisiv ? C'est ramener une chose à ses éléments,
ou en général à ses conditions. L'avaXotoo) |«urni[«ï, c'est
donc la science qui nous apprend à remonter aux causes,
c'est-à-dire à constituer la science. — En somme donc la
logique d'Aristote est une méthodologie, à laquelle est
intimement unie une théorie de la connaissance.
Le plan de la logique d'Aristote suit immédiatement de
cette manière de la concevoir. Déjà nous avons vu, dans
le début des Premiers analytiques, quelque chose qui res-
semble fort à une indication de ce plan. Philopon ne fait
que développer cette indication dans le passage suivant où
le plan en question est présenté de la façon la plus sûre et
la plus lumineuse (2) : « Nous voulons connaître la démons-
tration. Mais la démonstration est une sorte de syllogisme ;
nous devons donc chercher, avant de nous attacher à la
démonstration, ce que c'estquele syllogisme pur et simple.
Le syllogisme pur et simple est, comme l'indique son nom,
quelque chose de composé... Il faut donc commencer par
'/.«(. T&iv TOIQV'MV <?VVKUï(»V. TO'JTO S'iVri TO SX. TOOV bj§ iyOU.VJ OiV 7T01ÊÎV «
7roocuooûu.e0a.
(i) I, 1 déb. : TT/swrov stTTEcv mai ri. y.a'i rivo; êotîv rt o~-/.é-li:< on ~êot
iiroSei^fj x«t èniarv) >xr,i coToosiXTix^ç.
(2) Schol. 38 a, 15. A la vérité, le morceau que Brandis a publié
dans les Scholia sous le nom de Philopon, appartient au commen-
taire des Catég. qu'on désigne sous le nom d'Ammonius (cf. p. 51,
n. 1 et Busse, p. X) ; encore faut-il noter que le texte suivi par Bran-
dis dans ce passage n'est peut-être pas le meilleur (p. H, 1 et dans
Vappar. crit. 1. 3).
LES CATÉGORIES 97
apprendre de quels éléments il se compose : ces éléments
sont les propositions. Celles-ci se composent de sujets et
d'attributs. » Ainsi nous sommes amenés à considérer
comme l'objet initial de la logique l'étude des notions
séparées dont la proposition est l'assemblage. En un mot
la logique doit débuter par l'étude des catégories. C'est
cette étude qui va maintenant nous occuper.
Les catégories ont pour caractère extérieur — et c'est ce
caractère qui leur assigne leur place au début de la logique
— d'être des choses qui sont dites en dehors de toute liai-
son (1).
Mais que sont ces choses qui sont dites en dehors de
toute liaison ? D'abord, ce ne sont pas des mots ; ce sont des
notions. C'est ce qu'indique, à notre avis, le début des Caté-
gories. Ce début en effet est la distinction des opovuua et des
TJvojvj;j.a. Si Aristote fait ici cette distinction des homonymes
et des synonymes, c'est sans doute afin de nous avertir qu'il
ne faut pas considérer comme se rangeant sous la même
catégorie les choses qui n'ont en commun que le nom. Par
exemple un homme et un homme en peinture ne sont pas
l'un et l'autre des substances ; mais le premier seul est une
substance (2).
Ainsi les catégories sont des notions. Mais quelle sorte
de notions ? 11 ne faut pas songer un instant à y voir avec
Kant des formes de la pensée, fût-ce des formes subjecti-
ves d'attribut, et non de jugement ou d'attribution; car ce
subjectivisme est étranger aux anciens, et à Aristote plus
qu'à aucun autre.
Rangeons donc les catégories parmi les notions qui
expriment quelque chose de l'être, et, pour trouver ce
qu'elles en expriment, considérons d'abord le mot même
de catégorie. Le sens classique du mot xa-r^yops^v. comme
terme technique chez Aristote, est celui à' at tribut' r. On ne
voit point que le mot signifie jamais énoncer. Ainsi une caté-
(1) Cdt. 2 dtib. : :wv XgYopmriv r« un x«rà ffvjAirXox^v Xtycrett, rà
q'oLjvj Tvarr/ox/jç. rà fùv ouv /.arà QtffA7rXoxi$v oiov avOo'.j-oç racygt, avdoeu-
7roç vtxcjç, Tvt o âviu avu.T:/o/.ô; otov âv6/9&>7ro(j jîo'j;, -.n/ti, ytxâ.
(2) Les noms dérivés indiquent les modes de le substance, les autres
u'ios.
Aristote 7
98 LE SYSTÈME n'ARISTOTE
gorie, ce serait un attribut (1). — On peut faire à cette manière
de voir deux objections, dont la première est facile à lever et
dont la seconde ne porte pas, — parce qu'elle prouverait
trop. La première objection, c'est qu'un attribut fait partie
d'une proposition et qu'une catégorie est une notion prise à
part. — Sans doute, répondrons-nous, une catégorie n'est
pas un attribut dans sa fonction d'attribut ; mais c'est une
notion qui peut devenir un attribut. — La seconde objec-
tion est que la première des catégories, ou la substance,
est précisément ce qui ne peut être attribut de rien. — On
pourrait dire que la substance seconde s'attribue à la sub-
stance première comme sujet (Cat. 5, 2 a, 19), et que la
substance première peut elle-même devenir attribut par
accident : cette chose blanche est Socrate (Pr. an. I, 27,
43 a, 33). Mais ces deux réponses seraient sans valeur. Ce
qu'il faut dire, c'est qu'il est impossible de trouver une
notion qui convienne à la fois aux autres catégories et à la
substance, que dès lors celle-ci constituera toujours un
ordre à part et que tout ce qu'on peut faire est de définir
l'ensemble des autres catégories : autrement il n'y aura
aucune définition possible des catégories en général. Peut-
être d'autre part faudrait-il ajouter que, si les catégories
renferment la substance, ce ne serait du moins que la
substance seconde. En effet la science discursive, qui pro-
cède par notions, par attribution d'universaux à un sujet,
ne peut pas porter sur un être qui n'a rien de commun
avec les universaux. Cette substance ne peut jamais être
que la substance seconde, et non pas la substance première.
Sous ces réserves donc les catégories sont des attributs
possibles, et, selon la distinction que fait le 2e chapitre des
Catégories, elles sont xa9' yiroxetpévou, et non èv ûjcoxst.ijivfo.
Etre ev uTroxs'.piévco, c'est résider dans un sujet, sinon à titre
de partie intégrante de ce sujet, du moins comme devant
y trouver un siège et un support : ainsi la grammaire est
(1) Pr. anal. I, 27, 43 a, 29 : il y a des êtres qui ne sont attributs
de rien ; il y en a d'autres qui sont attributs, mais ne reçoivent pas
d'attributs antérieurs à eux. rà cTcor« pzv xar' «Xktd-j y.azr,yopiïToci, xecTCt
âï toûtwv %Kkx npÔTîpov où xa-nyoptirou.
LES CATÉGORIES 99
dans l'âme. Ce qui est, comme les catégories, xa9' utzoy.z:-
aivo'j, ce qui est attribut d'un .mjet, c'est ce qui admet des
parties subjectives (des espèces subordonnées), ou ce qui
peut entrer comme partie logique dans la compréhension
d'une notion ; en un mot c'est un genre. Les catégories sont
donc des genres et, de fait, Aristote les appelle souvent
les genres de l'être, xk yévr\ toû 5vroç(i). — Qu'est-ce mainte-
nant qu'un genre pour Aristote ? C'est quelque chose qui
peut se retrouver, à titre de fond commun, en plusieurs
termes différents ; ces termes, sous l'aspect considéré, diffè-
rent par le plus et le moins seulement : ainsi les oiseaux,
voilà un genre. Et par contre on ne fait pas un genre avec
de simples ressemblances de rapports : ainsi les plumes et
les écailles sont les unes à l'oiseau ce que les autres sont
au poisson, mais cela n'autorise pas à faire rentrer, quant
à l'enveloppe qui les revêt, les poissons et les oiseaux dans
un même genre [De part. an. I, \ déb.). Ainsi un genre
est un contenu réellement commun; un genre est, autant
que cela est possible à un universel, quelque chose de
réel. Puisque les catégories sont des genres, elles sont
donc chacune un élément réellement commun dans les cho-
ses qui participent de chacune ; elles expriment des déter-
minations réelles de l'être.
Mais, si les catégories sont des genres, ce sont des genres
qui ont quelque chose de caractéristique. Elles diffèrent des
autres genres en ce qu'elles sont les genres /es plus géné-
raux possibles. Comme le disait le passage des Premiers
analytiques que nous avons cité tout à l'heure, elles sont
les premiers attributs des choses. Ce caractère des catégo-
ries est ce qui en fait le mieux saisir la signification et
l'importance. Pour Platon il semble que, depuis les indivi-
dus jusqu'à rUn et à l'Être, il n'y avait qu'une seule et
(inique hiérarchie de genres et d'espèces, avec un genre
suprême qui se retrouvait jusque dans les dernières espèces.
Aristote rompt absolument avec cette manière de voir. Il
divise l'être en plusieurs genres irréductibles ri incom-
(1) En quoi faisant, il est clair qu'il ne prétend pas faire de la
substance un genre.
100 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
municables. Ces genres sontdéjà très généraux sans doute,
et ainsi le savoir, qui porte toujours sur des universaux,
pourra s'élever très haut. Mais il n'y aura pas d'universel
suprême et unique d'où l'on puisse faire découler tout le
reste. Il y aura des genres coordonnés entre eux, sans pas-
sage de 1 un à l'autre (1).
Cette irréductibilité des catégories assure la réalité
qu'elles possèdent comme genres, puisqu'il n'est plus à
craindre qu'elles soient, comme le genre suprême unique
de Platon, vidées de tout contenu par une abstraction sans
limites. Cependant, en tant qu'elles sont, malgré tout très
générales, les catégories d'Aristote peuvent être appelées
formelles, dans un sens qui approche de celui où l'on
parle d'une logique formelle. Elles peuvent aussi être qua-
lifiées de déterminations logiques. Et en effet le logique pour
Aristote, c'est ce qui est très général : c'est en ce sens qu'il
oppose une recherche logique, ÇrjTeïv Xoyixwç, à des consi-
dérations spéciales, Xôyoî. càxeïoi (Bonitz, Ind. 432 6, o).
Aussi est-ce avec raison que le traité des Catégories figure
parmi les ouvrages de logique, et Zeller a commis un con-
tre-sens en voulant renvoyer la théorie des catégories à la
métaphysique. Il est bien entendu qu'il n'y a rien de pure-
ment formel et de purement logique dans Aristote ; mais les
catégories sont justement ce qu'il yade plus formel et de
plus logique, ce qui en thèse générale est le plus éloigné de
l'individu. Or c'est sur un individu que roule la métaphy-
sique.
De la nature des catégories découlent plusieurs consé-
quences, qui permettent de lever certaines objections ou
d'éclaircir la pensée d'Aristote. — Puisque les catégories
sont des genres, c'est-à-dire quelque chose qui a un contenu
réel, Aristote a dû en exclure, ainsi qu'il l'a fait, l'Un et
l'Etre qui n'ont aucun contenu parce qu'ils conviennent à
tout (2). Ce sont ces termes qui s'élèvent au-dessus des caté-
(1) Metaph. A, 28 fin : oùdï ykp Taùra «vaquerai o'Jr et; «lïyly. orr'
tîq h rt. Cf. K, 9, 1065 6, 8 et Phys. III, 1, 200 b, 34.
(2) Voir p. ex. Metaph. B, 3, 998 b, 21 : raùra yàp (l'Un et l'Etre)
xari 7r«vrwv f/,«) terra *> é+r'-r,, ^j-,-^^^*..^, x ^■'■■v »7n,i -g §\ T^j ovzuv o-'Jze 70 ev
oCzt to 5v etvat "yévoç
LES CATÉGORIES 101
gories que l'Ecole appellera termini transcendent aies. — En
tant que les catégories sont quelque chose de réel et d'on-
tologique, elles excluent en outre des déterminations sub-
jectives comme le vrai et le faux, comme l'acte et la puis-
sance, comme ce que l'École appelle les prédicables : le
genre, l'espèce, la différence, le propre et l'accident, ou
comme la matière et la forme. On peut dire d'ailleurs que
le vrai et le faux, l'acte et la puissance conviendraient à
tout, comme l'Un et l'Etre. — En tant que les catégories
sont formelles ou très générales, elles excluent pareillement
les déterminations plus concrètes, par exemple le mou-
vement qui est une détermination proprement physique.
Le quand et le où, r.o-zk et ttoG, peuvent appartenir à tous
les êtres réels, même à l'individu suprême, car il est éter-
nel, àîi, et il enveloppe le premier ciel, domaine propre du
divin. — Enfin, puisque les catégories ne peuvent se
déduire d'aucun genre, il est clair qu'Aristote ne pouvait
que les recueillir empiriquement. Lés tentatives pour trouver
le fil conducteur dont il se serait servi sont arbitraires. La
première en date et la plus spécieuse est celle de Trendelen-
burg. Pour lui la table aristotélicienne des catégories se
fonde sur une classification des parties du discours : l'où<na,
la substance, correspond au substantif; la qualité, à l'ad-
jectif; la. quantité, aux noms de nombre; icpôç ~\, par rap-
port à, à toutes les formes comparatives et relatives ; noté et
-où, quand et où, aux adverbes de temps et de lieu; -ote7.v,
-ï/rys'.v, xeîa-Ôau, agir, pâtir, être dans tel état, aux verbes
actifs, passifs et intransitifs ; v/i'.v, à la signification pro-
pre du parfait grec, exprimant l'état que le sujet possède
comme résultat d'une action accomplie. Mais il convient
tout d'abord d'observer qu'il n'y a pas trace chez Aristote
d'une telle classification des parties du discours. De [il us
le parallélisme de cette classification avec la table des caté-
gories est loin d'être aussi exact que le donne à enten-
dre Trendelenburg : c'est ce qui apparaît avec évidence,
notamment dans le cas de la relation (1).
(1) Trendelenburg, Geschiehte der Kategoritnlehre (1er Vol. des
ffistorische Beitrâge, i>. 23 sqq., 194 sq.), 1846, et Elément a logices
102 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
La liste des catégories telle que la donne Aristote, par
exemple au début du chapitre 4 des Catégories, est une énu-
mération ordonnée empiriquement : 1° substance, 2° quan-
tité, 3° qualité, 4° relation, 5° où, 6° quand, 7° situation,
8° avoir, 9° action, \d° passion (\). Mais cette énumération est
considérée par lui comme complète et comme exacte: il est
persuadé qu'il a trouvé le nombre vrai des catégories ou, dans
tous les cas, le nombre le plus vraisemblable, car cette liste,
exception faite pourtant de Y avoir et de la situation, se
retrouve entière en plusieurs endroits (2). Quant aux
cinq notions dont il est question à la fin des Catégo-
ries, à partir du chap. 12 : opposé, antérieur, simultané,
mouvement, avoir au sens d'être propriétaire de quelque
chose, on a vu (p. 27) que cette partie du traité, les Post-
prédicaments, doit être tenue pour inauthentique.
Le développement qu'Aristote a consacré à ses dix
catégories est tout à fait inégal en étendue, même propor-
tionnelle : presque rien sur wotsw et icow^eiy, rien sur -où,
tzoté, È'ye-.v, ni, en somme, sur xeto-Oat, (3). Pour les autres
catégories, sauf pour la subs|ance, le développement est
quelquefois de peu d'intérêt, souvent hâtif et artificiel. Rien
de difficile, il est vrai, comme une définition de notions, et
Aristote avait encore bien peu de prédécesseurs.
La substance est étudiée au chapitre 5. Aristote com-
Arisloteleae, 8e éd., p. 56 sq. — Cf. Zeller, p. 264, n. 2, où l'on trou-
vera sur la question des indications plus complètes.
(1) Twv xarà ittiSutix* cr-juTr'/oxrçv le^oy-évu-j tx.x<7~o-j QTOiaua'îav cvuatvsi
i 7T0T0V ri rrotov ri tvoo; rtr] noù y kotï rj /.£Î<r6xt r; î/ivj f] tto'.îï-j r, tz«.'T~/jiv.
(2) Cf. Zeller, p'. 263, n. 1 et p. 266, n. 3.
(3) Cat. ch. 9 : 7roisîvet nirgu* admettent la contrariété (ér/t a uffer,
refroidir ; être échauffé, être refroidi), ainsi que le plus et le moins.
Le xEïT0ai (11 b, 8 sq.) se dénomme *r«pMvûfu»ç «776 rûs 0é<t£mv; c'est
pourquoi on en a parlé au chapitre de la relation. Cf. 7. 6 b, 41-14 :
«vxx/t«riç, ot«<ti;, -/.ixOédpK. 'le coucher, la station droite ou assise) sont
des positions, des fts'«siç, mais non oc/kxsêtôo», eerrôat, xaôvjo'Sat [être
couché, être debout, être assis dont les noms peuvent sembler en
effet déj'ivés de ceux des Sfrets correspondantes, et 8;'cri; est un k/jôs Tt ;
un autre exemple mettrait ceci très clairement en lumière, à l'envers,
retiverse. — Sur tto-j, r>o~i, ij^stv Aristote se borne à déclarer que
manifestement il n'y arien d'autre à dire, sinon à rappeler les exem-
ples donnés antérieurement.
LES CATÉGORIES 103
mence par distinguer entre les substances premières
et les substances secondes \déb. à 2 #, 19). Parmi les
substances secondes, l'espèce est plus substance que le
genre (2 b, 7-28). Il n'y a d'ailleurs que les espèces et les
genres qui soient des substances secondes, parce que seuls
ils expriment l'essence des substances premières, quand
on dit par exemple de tel homme, substance première, que
c'est un homme, un animal ; au contraire, des termes tels
que blanc, (il) court etc. ne donnent pas l'essence (b, 29-
3 a, 6). Tandis que la substance première n est, comme
on l'a vu, ni èv ûtcoxei^svio ni xaO' uitoxeipévou, le sujet ne
pouvant être ni dans un sujet ni attribut d un sujet, la
substance seconde en revanche n'est pas Iv •j-oxî'.usvw, car
l'homme n'est pas partie ou fonction de tel homme parti-
culier, mais elle est xa6' uwoxetjiévou (a, 7-21). De plus la
substance seconde ne signifie pas le particulier et l'indivi-
duel, "réôe Tt, elle est un universel, plus ou moins d'ailleurs
selon qu'il s'agit de l'espèce ou du genre et selon le degré
d'élévation de ce genre. Elle signifie une qualification, un
îtoviv, à savoir le icowv de la substance première, mais non
un -o'.ôv qui ne soit que cela, comme le blanc par exemple
(3 b, 10-23). Ajoutons que les substances, tant premières
que secondes, n'ont pas de contraires (b, 24-32) et qu'elles
n'admettent pas le plus et le moins (à, 33-4 a, 9). Enfin
ce qui, plus que tout, est le propre de la substance, c'est
l'aptitude à recevoir en elle les contraires, tandis que cette
aptitude fait défaut à toutes les autres catégories : il est
impossible en effet qu'une couleur, une action, sans perdre
leur unité et leur identité numériques, c'est-à-dire leur
individualité, soient le sujet de contraires, comme blanc
et noir, bon et mauvais (4 a, 10, ad fin.) (1).
(1) Ce morceau est d'une importance capitale : en voici le début
(a, 10-21) : fiuktvru o- to\ov 7Â; •û<r£a( âoxti sîvai ro tccJtôv xsu îv àoiOuû
ryj rûv tveatrUtv ei>a» ocy.Tixov, oIoj érri jxkv r&iv gTa),«v oùx Slj i/oi ri; ro
Toioûro frpotvcyxstv, ôa-j. ulï] tiavj oùaiat, ô iv ùoiQuû ôv twv ivavTtuv âix.-
Tt/.ov èariv, o'ov ro yo'Luv-, o iariv iv xa'e. rccvràv Toi àoiGuù, ovx carat
fovxôv y.y.i (jô.av, oùS' n ajrii itpâZii xai p.irx :w àotOuû oJ/. tarai ycrj),»j
xai TT:o-j'j<xia. ' wcaOrw; Sï xai ini -u>v i'ù.'.rj, ôtu fx/j ùatv oùo'iai, h âé yt
o-Jai.% iv /.ni reevrâv àoiOu.'y 5v oextixov râv évavrtwv jotîv, oFov 6 riç âvOaco-
104 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
Passons aux catégories autres que la substance. — La
quantité, le ttoo-ôv (c. 6) comporte deux distinctions impor-
tantes : 1° la distinction de la quantité discrète (ttot. Swopw-
jjievov), les nombres, les éléments du discours, et de la quan-
tité continue (tcoo-ov o-uveyéç), constituée par des parties dont
les extrémités sont communes, ligne, surface, solide, temps,
lieu (déb. — 5 «, 14); 2° la distinction entre les quanta
formés de parties qui ont une position les unes par rapport
aux autres (ex Géo-tv syévviov tioo^ aXkr^ka -ttôv Iv aOroïç
|ioplwv), ainsi les lignes, les surfaces etc., et d'autre part
les quanta qui ne sont pas formés de telles parties (oùx s;
syôvrtov Oéc'.v), la série des nombres, les moments du
temps, les mots du discours (a, 15-37). Aristote distingue
encore entre les ïtoc-à xa9 auxà, dont il vient d'être ques-
tion, et les uoa-à xatà a-u^ësêrjxôç : ainsi c'est par accident que
la couleur, l'action, le mouvement sont des quanta, en tant
que l'une s'étend sur la surface, que les autres se déploient
dans le temps {a, 37 — b, 10). Le tcoo-ôv n'admet pas la
contrariété : peu et beaucoup, grand et petit sont des
relatifs ; c'est surtout par rapport au lieu que la quantité
offre l'apparence de la contrariété, ainsi le haut et le
bas, etc. (b, 11— -6 a, 18). Il n'y a pas davantage place
ici pour le plus et le moins : une longueur de trois cou-
dées ne peut pas être plus longue qu'une autre longueur de
trois coudées (b, 19-25). Enfin ce qui caractérise propre-
ment la quantité, c'est renonciation égal, inégal; partout
ailleurs il ne peut être question que de similitude {b, 26
ad fin.}. — Le relatif ou ~p6ç ti est étudié dans le ch. 7. Est
relatif ce qui se réfère à autre chose (xrcep è<mv érspcov... -/,
-repô^ êtepov) : double de, semblable à, plus grand que, etc.
Parmi les relatifs, il faut compter les dispositions peruia-
nentes (eÇiç) ou passagères (oiâ9scr!.<; ; cf. 8, 8 b, 27), la
sensation, la science, la position (déb. — 6 b, 14). Certains
relatifs, vertu et vice, science et ignorance, admettent des
contraires, mais non certains autres : double, triple
(b, 15-19). Il en est de même pour le plus et le moins ; car,
7roç, sî; -Ac/.i 6 wjtôî wi, ôts ukv Ivjy.b; 67't $k aî).aç yiverai, xat Gepjxoç y.w.
^/u^po;, xa't yau).oç /.ai tttov (Jato;.
LES CATÉGORIES 105
s'il y a des degrés dans la similitude, par contre le double
ne peut être plus ou moins double (6, 20-26). Tout relatif,
bien énoncé, a son corrélatif (ivtvo-rpéipov) : maître, esclave,
double, moitié (ô, 27-7 6, 14). Entre les corrélatifs il y a
souvent, comme dans les deux exemples précédents,
simultanéité naturelle (5ja« rr, tpiiréi) ; mais il n'en est pas
toujours ainsi, car l'objet de la science ou de la sensation
(to èrcwTïjTov, 70 aMrffoywv) peut exister antérieurement à
l'une ou à l'autre. D'autre part, tandis que la non-existence
ou la suppression de l'objet entraîne celle de la faculté
corrélative, la réciproque n'est pas vraie (1)(^. 15-8 a. 12).
Enfin c'est une question (àiropta) de savoir si le relatif est
seulement ce qui se réfère à autre chose. Si en effet le rela-
tif peut être quelque chose de plus que ce rapport, alors
au moins les substances secondes seront quelquefois des
relatifs; car la tête et la main, non en tant que telle ou
telle [ce seraient alors des substances premières), mais
en tant que tète et que main, seront la tète et la main
du corps. Toutefois la vérité est que tout l'être du rela-
tif est proprement dans la relation (8 a, 32, 39 : l<m Se
to etvtti 70'.; -po; 7'. 7a'J70v :w itpôç ~'. ruoç sye'.v) et que
qui sait un des termes sait le tout de l'autre : par exemple,
le doubie est le double de ce qui en est la moitié ; au con-
traire la connaissance de la tète et de la main ne donne
pas la connaissance totale du corps (a, 13 ad fin.). — La
qualité, le to'.ôv (c. 8) a plusieurs acceptions. Une pre-
mière espèce comprend Y'içi^ et la o'.àôsa-'.;, que nous avons
déjà ou ù mentionner à propos des relatifs : de la première
Àristote donne comme exemples la science, la vertu; de
la seconde, la chaleur et le refroidissement, la maladie et
la santé (déb. 9 a, Kl). En second lieu, c'est l'aptitude ou
l'inaptitude naturelles à faire, à subir une action ou à y
résister (8ûvau,tç ©ua"txY| r\ àojvay.a to'j fcotîpreu 7'. paôicoç y,
uijSèv -;j.z-fi':t) : ainsi L'aptitude à courir facilement dans
un coureur; chez l'homme sain ou L'homme maladif , l'ap-
titude ou l'inaptitude à n'être pas affecté par les causes de
(l; TO ufo iirtffTTJTÔv XiutptQsv SUVKVOUÛli ri.-J ir.l'JZ r,u.T,-j. r, ni i-f.-.c/t-C.
. - fltôv oO avvuveupzï.
106 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
maladie; dur et mou, c'est l'aptitude ou l'inaptitude à
résister à la division (9 a, 14-27). Viennent ensuite les
qualités affectives (xcaÔTiTixil Tcoiô-ïr^eç), les unes étant les
qualités diverses qui affectent les sens (saveurs, tempéra-
tures), les autres exprimant les affections de leur sujet, la
rougeur par exemple ou la pâleur, car le sujet rougit ou
pâlit parce qu'il est affecté (àiso TtiOouç, oCa tzôlHoç) (6, 28-10 a,
10). Dans la quatrième espèce de tcgiôv Aristote range la
figure (cry^aa, ^opcp-^), ainsi le droit et le courbe (1) (10 a,
11-24). C'est, observe-t-il encore, du nom de chaque qua-
lité que dérive, au moins quand la langue est complète,
le nom du quaie correspondant (àTtoTrjçTïoiGr^To? Ttapwvjjjiw;
"Xéysxat. tô tcolov) : blancheur, blanc, justice, juste, etc.
(a, 27-6, îl). Ajoutons que, dans la plupart des cas, la
qualité admet aussi bien la contrariété que le plus et le
moins (b, 12-11 a, 14). Enfin le propre de la qualité, c'est
d'être dite semblable ou dissemblable (a. 15-19). Il n'y a
d'ailleurs aucun inconvénient à faire entrer, comme on l'a
fait, dans la qualité des déterminations que nous avons
comptées parmi les relatifs, à savoir des scsiç et des Ô'.aôéc-siç.
Le quale en effet est essentiellement ce qui appartient à un
sujet individuel, et ce sont les qualités de ce sujet qui font
son individualité; or ce qui est individuel n'est pas relatif
(a, 20 ad fin.). La remarque est importante; elle exprime
bien le caractère des catégories aristotéliciennes : ce ne
sont pas des morceaux réalistiquement découpés dans les
choses, ce sont, des points de vue sur les choses, et une
même chose peut être envisagée à différents points de
vue.
Du traité des Catégories il faut rapprocher le livre A de
la Métaphysique qui contient parfois des indications plus
intéressantes et plus mûres. Mais peut-être est-ce en partie
volontairement qu'Aristote s'est borné dans le traité des
Catégories à des indications très imparfaites. Car, si selon
(1} Il exclut du nrotov des déterminations telles que rare et dense,
rude et lisse : elles signifient plutôt, selon lui, la position réciproque
des parties constituantes (plus ou moins éloignées par ex.) et sont par
conséquent de l'ordre du 7rpoç ri.
LES CATÉGORIES 107
toute apparence ce traité était l'introduction à tout le cours
de philosophie, il s'adressait à des auditeurs non prépa-
rés. Quoi qu'il en soit, ni le sens et la portée générale de
la doctrine des catégories, ni la nature de chaque catégorie
n'ont été déterminés avec une précision suffisante par
notre traité et ces lacunes n'ont été ailleurs qu'imparfaite-
ment comblées par Aristote.
HUITIEME LEÇON
LE CONCEPT
Le plan de la logique d'Aristote est en gros facile à sai-
sir. L'objet final de la logique étant l'ensemble des procé-
dés scientifiques et, avant tout, la démonstration, il faut
que la logique s'occupe des éléments dont la hiérarchie
constitue la démonstration, c'est-à-dire du syllogisme, de la
proposition ou du jugement, du terme ou du concept.
Mais, lorsqu'on veut considérer ce plan d'un peu près, on
trouve qu'il n'est pas parfaitement net. En effet le syllogisme
suppose des opérations élémentaires qui produisent les pro-
positions et les termes. Entre ces trois opérations l'ordre
hiérarchique est visible. Examinons au contraire la démons-
tration et le syllogisme. La démonstration n'est pas une
opération nouvelle et plus composée, dont le syllogisme
soit l'élément ; c'est seulement un syllogisme dont les pré-
misses sont d'une nature particulière. Mais, s'il y a deux
sortes de syllogismes, il y a sans doute aussi deux sortes de
propositions ; ou, pour mieux dire, puisque c'est le caractère
propre de ses prémisses qui fait que le syllogisme scientifi-
que est scientifique, il est indubitable qu'il y a deux sortes
de propositions, les unes scientifiques et les autres, non.
Comment n'en serait-il pas de même des termes? Comment
n'y aurait-il pas des concepts scientifiques et des concepts
non scientifiques? Ainsi, ce qu'Aristote aurait dû faire, ce
n'est pas de superposer la démonstration au syllogisme et,
médiatement, aux éléments du syllogisme ; il aurait dû
diviser toutes les opérations de la logique en scientifiques
et non scientifiques. Nous aurions eu d'une partie concept,
PLAN DK L'ÉTUDE DE LA LOGIQUE 109
le jugement et le raisonnement scientifiques ; de l'autre, le
concept, le jugement et le raisonnement dialectiques. Et,
quant aux relations de ces deux hiérarchies entre elles, il
aurait fallu dire, semble-t-il, pour traiter ce point confor-
mément à l'esprit du système, que les trois opérations dia-
lectiques sont des analogues, des imitations des trois opé-
rations scientifiques, en ajoutant que, si les trois opérations
scientifiques sont les premières en soi, ce sont au contraire
les trois opérations dialectiques qui sont les premières par
rapport à nous. Pour présenter les choses sous un autre
aspect, moins aristotélique peut-être quoique plus tradition-
nel, on peut dire qu'Aristote aurait dû dédoubler chacune
des trois opérations en une opération scientifique et une
opération formelle, c'est-à-dire assez générale pour s'adap-
ter à un autre contenu encore que le contenu scientifique.
Mais, de quelque façon qu'on présente le dédoublement des
opérations logiques, il est sûr que, pour obtenir la clarté
partout, il aurait fallu dédoubler les trois opérations. Or,
en fait, le dédoublement n'a été vraiment accompli par
Aristotc que pour une seule, le syllogisme. Cela étant, on
éprouve quelque embarras pour savoir par où il convient
de commencer une étude systématique de la logique d' Aris-
tote. Peut-on aborder tout de suite le syllogisme pur et
simple ? Faut-il essayer de dégager des quelques indications
que nous possédons une théorie dialectique ou formelle du
jugement et du concept? Ou bien enfin faut-il donner la
théorie du jugement et du concept scientifiques?
En réalité il semble bien qu'Aristote, après le traité des
Catégories comme prélude, a commencé sa logique par les
Premiers analytiques. Car le LTepl IpjxTivsMu; semble avoir été
ajouté après coup ; et môme, si certains chapitres contien-
nent des allusions àDiodorelc iMégarique, il devient absolu-
ment certain que l'ouvrage appartient aux dernières années
de la vie d'Aristote (cf. p. 28, n. 2). Mais il est pourtant impos-
sible, quoi qu'on en ait, de traiter du syllogisme sans s'ap-
puyer sur uno théorie, au moins ébauchée, du jugement et
du concept. Aussi Aristoto n'a-t-il pu éviter, au début des
Premiers analytiques, quelques considérations sur ces deux
points.. Elles occupent les trois premiers chapitres et voici
110 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
en quoi elles consistent. Il faut, avoue Aristote, déterminer
ce que c'est qu'une proposition et ce que c'est qu'un terme
(t«1 i<m tz?6tol<j^ xai xi opoç, 24 a, 11). Une proposition est
un discours qui affirme quelque chose de quelque chose, ou
qui nie quelque chose de quelque chose (1). Cette affirma-
tion ou cette négation est, soit universelle, soit particulière,
soit indéfinie (ib. a, 16-22). Un terme est ce en quoi se
résout la proposition, c'est à savoir l'attribut et le sujet,
soit que l'être s'y ajoute, soit que le non-être en soit séparé
(24 b, 16-18) (2). Dans le chap. 2 Aristote résume la théo-
rie de la conversion des propositions simples. Dans le
chap. 3 il s'occupe de la conversion des modales. Ces consi-
dérations, si peu de place qu'Aristote leur accorde, mon-
trent qu'il faut, de toute nécessité, commencer la logique
aristotélicienne par le jugement et le concept.
Devra-t-on maintenant essayer de reconstituer, pour en
faire les deux premiers chapitres de la logique, une théorie
dialectique ou formelle du concept et du jugement, en réser-
vant pour plus tard la théorie du concept et du jugement
scientifiques? En ce qui concerne la théorie du jugement,
on n'aurait d'autre ressource que de développer verbale-
ment les indications que nous venons de rapporter au
sujet de la proposition. Mais ce développement verbal lais-
serait forcément subsister beaucoup d'obscurité sur les
points importants et serait dès lors de peu de profit. En ce
qui concerne le concept, il en serait encore de même. A la
vérité, on pourrait ajouter à l'explication bien obscure de
la nature des termes, telle que nous venons de la recueil-
lir, les indications qu'Aristote donne ailleurs sur la défini-
tion de mots. Voici le passage le plus net peut-être de
ceux où il indique, toujours brièvement, la distinction de
la définition de mots et de la définition de choses (3). D'après
(1) a, 16 sq. : jrporetfftç fùv ovv lori "Xo'yoç. X«T«p<mxô$ h «7roj>anxoi;
tivo; xotrâ tivoç.
(2) ôpoy iïsxotkû tic, ôv Stcà'jîzou y iipozo.tjiç,, oîov rô T£ xKTir/opoûpevov
xcà rô x'/.ô' ou XKT'/r/opîiTai, rj Trooariôc^êvoy v? (Jtatpou^svou sivai xai tx>7
eivat.
(3) An. post. II, 1, 92 ô, 5 : rà ykp pô m oôSdç, oïïvj S ti êart'v, à>>«
LE CONCEPT 111
ce passage, une définition de mot c'est la définition d'une
essence fictive. Si une telle essence fictive est prise au
sérieux par un habile homme ou par l'opinion d'un grand
nombre d'hommes, elle devient un objet considérable de
raisonnements, de raisonnements dialectiques. D'ailleurs,
fût-il simplement l'illusion d'un homme isolé et sans impor-
tance, que le bouc-cerf pourrait encore servir de fondement
à des syllogismes, savoir à des syllogismes qui constitue-
raient une démonstration par l'absurde. Ainsi, en dehors
des essences réelles, Aristote sait bien qu'il y a des essen-
ces imaginaires, et que les unes comme les autres peuvent
servir de termes dans des syllogismes. Mais cette considé-
ration, jointe à la définition du terme que nous traduisions
tout à l'heure, constitue, semble-t-il, tout ce qui chez
Aristote pourrait servir à établir une théorie formelle ou
dialectique du concept. Dans une telle théorie on trouve-
rait moins de lumière encore que dans la théorie formelle du
jugement.
Aristote, au moins dans ses premiers ouvrages scientifi-
ques, n'a pas traité de la proposition pour elle-même, et il
semble bien que jamais il n'a traité du concept pour lui-
même. C'est pour cela que, au point de vue formel, ses
indications se réduisent à si peu de chose. Et c'est pour-
quoi, môme au point de vue scientifique ou métaphysique,
elles ne sont pas encore très abondantes. Par conséquent
donc il ne faut pas hésiter à étudier, au début même de la
logique, le jugement et le concept au point de vue réel.
C'est seulement ainsi qu'on pourra obtenir, parle rappro-
chement d'éléments en nombre suffisant, un peu de clarté.
Au reste, même dans les Premiers analytiques, l'unique
ouvrage où Aristote ait fait quelque chose qui approche de
la logique formelle, les considérations matérielles intervien-
nent sans cesse : témoin, entre autres, le fait qu'Aristote
s'occupe tout de suite des propositions modales.
Nous allons donc nous demander qmeUes sont les vues
d'Aristote sur le concept. Comme il n'en fait la théorie que
Tt fz'ey Tfiuaiv:s 6 /o'yo; ~'r, rô ôvouoCj ôr«v îïk'o rpayc^ctoo;, ri 8 içvi rpecys-
y.KfOi, à#ôvKTOV tï'liva.1.
112 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
d'une manière incidente et accessoirement, nous ne trou-
vons pas chez lui de définition expresse du concept. 11
a bien un nom pour le désigner, à savoir le mot Xàyoç
(voy. Bonitz, Ind. 434 a, 13 sqq.). Mais ce nom même, il
le remplace le plus souvent par des équivalents et, dans
tous les cas, Aristote n'y ajoute pas de définition. Pour
obtenir une définition extérieure du concept qui puisse nous
servir de point de départ, nous sommes réduits à l'extraire
de ce que nous savons touchant le rôle de concept dans le
syllogisme. Le syllogisme se compose de propositions et
les propositions se composent de termes. Dans cette marche
régressive du complexe au simple, le terme, une fois retiré
du syllogisme, puis de la proposition elle-même, se présente
comme une chose qui a cessé d'être en relations avec
d'autres et qui est prise en elle-même. Autrement dit, la
définition extérieure du concept semble n'être pas autre
chose que celle de la catégorie. Le concept est quelque
chose de aveu a-uu.7:Aox^ç Xeyojjievov. Et de fait nous verrons
qu'il y a des concepts de toutes les catégories.
Mais, si le concept correspond ainsi à une chose prise
en elle-même et exprime la chose en elle-même, il est clair
qu'il représente la nature de la chose, puisque, retirée des
relations où elle entre, la chose n'a plus en elle que sa
propre nature. Le concept est donc l'expression par un
seul mot de la définition de la chose, ou bien encore il est
l'essence de la chose dans la pensée. Nous nous rendrons
compte en avançant que c'est bien ainsi qu'Aristote se
représente le concept. Mais, pour y arriver, il nous faut,
sous les généralités extérieures par lesquelles nous venons
de caractériser le concept, mettre des déterminations pré-
cises ; il nous faut voir de quoi se compose le concept et
comment il s'établit.
Platon avait déjà insisté sur ce premier point, que, lors-
qu'on voulait exprimer la nature d'une chose, il fallait
exclure les accidents au sens propre du mot, les attributs
accidentels. Sur ce point Aristote regarde la cause comme
entendue. Il donne la définition de \ accident dans un assez
grand nombre de textes, dont un des plus nets est peut-
être celui des Topiques, I, 5 : l'accident est un attribut de la
LE CONCEPT 113
chose qui peut lui appartenir ou ne pas lui appartenir (1).
Mais c'est à peine s'il indique que l'accident ne doit pas
entrer dans la notion, tant la chose lui paraît évidente et
facile à déduire de la définition même de l'accident. Tout
au plus se contente-t-il d'opposer l'accident ou par soi, au
xaT auto, ou, comme il le fait ailleurs, à l'oùo-ia (2).
xMais ce n'est pas seulement l'accident, c'est-à-dire le
prédicat non essentiel, qui n'est pas constitutif du concept ;
c'est encore le prédicat qui, fondé dans l'essence, n'appar-
tient pourtant pas à l'essence. Car Aristote distingue nette-
ment de l'essence les prédicats dérivés, que le raisonne-
ment sait dégager et qu'il a précisément pour fonction de
dégager de l'essence (3).
De même encore le propre n'entre pas dans le concept.
Le propre, au sens étroit du mot, est une détermination
qui n'appartient qu'à une seule chose et appartient à cette
chose dans toute son extension, de sorte qu'il se récipro-
que avec la chose. Malgré cette identité d'extension il n'y
a pas identité de nature : le propre est au contraire traité
par Aristote comme une marque extérieure et comme une
'détermination superficielle qui n'entre pas en ligne de
(1) lUi b, 4 : <xup.6îëïjxoç dé Éartv q uyjo'ev usv toùtwv éazi, y.rtrz ôpoq
j.r.ri ïotov !J.r,-i Y£VO(, i>nv.pyj.t ôz rw npcéyuaxi, /.ai ô êvoé^srat ÙTido-^siv
ôraioOy £vi xai -■•> ocûrûxat i*à Ûjr«p^siv,oZbvTÔxsi8>jff0ou htoé^stcu ûirâp^scv
rivt :w aurai r.cti ur, ÙTTÛoyiu. oj^oico; iïï /.ai to Xfuxâv ' rô yàp avTo où dira
x&j).-Jît ôtî uîv ).guxôv 6t£ ôï u.n kijv.vj zl-j'xi. îexi Se rwv rov a-juot€r,y.0T0<;
opiffuàv o ttûzepoç 'pù.rito-j ■ toù uev yào npûrou pqdsvroç àvayxaïov, Et ■j.ùJ.u
Ttç vuvqffeiv, 7Tpo£t06vai tï loriv ôpoç xai ye'voç /.ai t<?tov, 6 <Ts ^EÙyeoo;
KÙTOT*AVjç éctti npoç 7? yvci>piÇetv ri — jt étti r6 XîYOfASvOv xc.0 6CUT0. — Cf.
d'autres références dans Zeller, p. 204, n. 4.
(2) i'ar ex. Metaph. r, 4, 1007 a, 31 : -ojtw y«p fiuptorett oOo-iaxai
to auuâeSijxé; • to yàù 'iivaov -<■» àvôpcinw (TUu6«6t)X8V, pti eOTi uni Xbuxoç,
y/, o,/ 5««p «uxov (Cf. A, 7 début). Ou encore Anal. post. 1, 22, 84 «,
84-30. Voir Th. \\ aitz, Organon II, 203.
(3) Metaph. A, 30 .v. /î»., 10:i.:j6, 3U : XtYKWt ii /.ai âX5u»ç ffuuljlêflxoç,
ttOV 5ff« jTrv.rjyiL î/.kttoj xaô aûrô u^ îv rij oJTta ovtk, afov t-o rptviùvftJ to
ipÔàç e/e'v. Cf. .■!//. post- I, G, 75 r/, 18 : rûv oè ffvaêtëïjxoTwv a^
xab aura.., o;/. ïortv iffumiaq ctirofffcxrixi). 7, 7.'i /;, 1 : :« x«'/ a^rà »ua-
fc6qxor« JjjXoî r, àjrô<f«iÇ»{. Dans Mpta/ih. V, 2, 1004 b, a, Aristote se
s.m-i de l'expression wtfflij /.«o' «ûr«; ef. Bonite, âfetaphys. Il, «</ loc.
[p. 181) et ici même infra* p. 240.
Aristote B
114 LE SYSTÈME D' ARISTOTE
compte lorsqu'il s'agit de se faire une notion d'une
chose (1).
Sur quoi donc porte le concept, puisque ce n'est ni sur
l'accident, ni sur l'attribut nécessaire mais dérivé, ni sur le
propre? C'est évidemment sur l'oùoâa, la substance. C'est ce
qu'Aristote exprime ordinairement en disant qu'il n'y a défi-
nition que de Foùo-ia (Bonitz, Ind. 525 a,, 8). Mais ce n'est
pas encore là une manière assez précise de déterminer l'ob-
jet du concept et, par cet objet, la nature du concept ; car le
concept n'est, bien entendu, que le reflet de son objet.
L'objet du concept, si l'on veut le déterminer avec la plus
grande précision, n'est donc pas seulement l'oùo-îa, c'est une
sorte particulière d'oùc-'la. C'est Fouo-ta en tant qu'elle exclut
la composition, en tant qu'elle est simple. Aristote nous dit
en effet qu'il y a identité entre la chose prise en elle-même,
entre chaque chose, c'est-à-dire entre la chose en tant
qu'objet du concept, et la quiddité de la chose, lorsque la
chose considérée est une izpwzy\ ouata. En d'autres termes,
une chose est vraiment elle-même, elle est vraiment objet
de concept lorsqu'elle est une substance première, Tvpûuvj
oùcrla (2). — Qu'est-ce maintenant qu'une Tcpwtvj oùcâa? Il
est clair que l'expression n'a aucunement le même sens que
dans le chap. 5 des Catégories (cf. p. 103). Aristote nous
explique d'ailleurs aussitôt ce qu'il entend : une où<na est
première quand elle n'est pas attachée à autre chose qu'elle-
même, quand elle n'est pas quelque chose dans autre
chose (3). Mais, ainsi définie, une Tcptlrrr, ou«na est la même
chose que les ojzXcL, les natures simples dont parle ailleurs
Aristote. Car ce qui caractérise ces natures simples, c'est
précisément qu'il n'y a en elles aucune composition,
(1) Top. I, 5, 102 a, 18 : ïoiov cS"sariv h p.o êriïoï to ri rçv twoti, pàvu»
d'vTTxpyji xai v.vr ixx-oyooEÏTui toù nociyfiixroi;, oTov lâiov àvôpwTrou to Yp«p-
panx/ji; ivj'j.i ^î/rtxôv • si yv.p avGjW7r6; sari, •yoauot.aTixvj; Jczrtxo; sari, xai
si ypuuuc/.Tty.ïjç s?îxTtx6ç ïortv, avôpwTroç îazcv.
(2) Metaph. Z, 11 s. fin., 1037 a, 33 : xai on rô tL %•» dvuixai ix«a-nv
tnï rtvwi> pàv raùrov, ÛGnep èizi twv xpùrMv QÙatûv, olov xgcj^ttvaotïk *<**•
xapvTtukérvïTi elvcti, si ttùcôtïj sazi-j.
(3) Jbid. b, 3 sq. : Xe'yw Sï Tzpoizrrj h p.r, léyezat :ù â).)o sv ûXXm sivou
xkî vnoY.ziu.iv(o &j;ûXvj.
LE CONCEPT 115
aucune trace d'une chose rapportée à une autre. Et en
effet, dune part, Aristote fait du mot ôl-kH un synonyme
de Ta xi z?-'. (1), et, d'autre part, il oppose ces natures
simples au groupe formé par un sujet et un attribut et
l'acte mental qui saisit ces natures simples, au jugement (2).
La simplicité des natures simples n'est d'ailleurs aucu-
nement affaire de relation et de point de vue ; c'est une
simplicité essentielle, ou, mieux encore, en prenant l'épi-
thète dans toute sa force, une simplicité réelle. C'est ce dont
on se rend compte, si l'on songe aux deux acceptions dans
lesquelles Aristote paraît avoir pris ces expressions d'a-Aà,
d'ào'.abîTa d'àstivGera, choses simples, indivisibles, incom-
posées. — En un sens les natures simples sont pour lui
toutes les formes pures sans exception. Il parle d'une unité
et d'une indivisibilité qui consistent, sans plus, dans le fait
de tomber d'an seul coup sous la pensée et d'être formelle-
ment ou spécifiquement une seule chose (3) ; et le chap. 6 du
livre 111 du De anima se termine par la déclaration qu'il
faut considérer comme des indivisibles tout ce qui est sans
matière, ô?a avsu uÀ-^ç (4). Prise en ce sens, la simplicité de
la nature simple n exclut, pas plus que celle de la monade de
Leibniz, un certain genre de composition. C'est en ce sens
assurément, que le plus réel des êtres, celui dont la nature a
le plus de richesse, est une nature simple. Mais, même ainsi
entendue, la simplicité n'est sûrement pas identique à celle
qui résulterait de l'unification, toujours extérieure, d'une
matière concrète ou presque concrète et d'une forme,
comme par exemple la simplicité de l'essence de l'homme
ou du camus. La simplicité d'une forme pure, même lors-
que cette forme contient une matière logique, est une sim-
plicité interne et nécessaire, précisément parce que l'ab-
sence de matière, dans l'acception propre du mot matière,
supprime toute espèce de distance entre les parties de la
forme, qui dès lors se pénètrent et s'unifient. — Quoi qu'il
fi) Metaph. c->, 10 ; E, 4, 4027 *, 27. Cf. Bonite, Metaph. II, 410 sq.
(aj Vo.y. par ex., outre Metaph. 0, 10, De un. III, G, 430 b, 26.
(3) Par ex. Metaph. I, 1, 1052 a, 34 ; De An. III, 6, 430 b, 14.
(4) Cf. aussi Metaph. II, 6 fin. (passage suspect à la vérité, à partir
de 1045 b, 19).
116 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
en soit du reste, peu importe. Car Aristote a encore une
autre manière plus fondamentale de comprendre la simpli-
cité des natures simples. Le type primitif de ces natures
ne comporte même pas de matière logique. Au-dessus des
natures simples, qui le sont à la façon du cercle, lequel a
une matière logique savoir le genre figure plane, il y a les
natures simples qui sont immédiatement ce qui s'appelle
unes, savoir, avec quelques autres également primitives
et irréductibles, ces notions qui n'ont pas de genre : l'être
et les catégories, substance, qualité, etc. (1). La simplicité
des natures simples ainsi comprises se distingue absolu-
ment d'une unité de point de vue et de rapport; cette sim-
plicité n'est plus une affaire de point de vue : c'est une
réalité par soi. S'il en est ainsi, l'objet du concept est une
chose prise en elle-même ou un terme, c'est-à-dire une
essence, c'est-à-dire une nature simple, c'est-à-dire quel-
que chose qui est simple inévitablement et par soi.
Mais de la nature de son objet suit immédiatement celle
du concept, avec celle de l'acte par lequel il est conçu :
au vor,TÔv simple correspondent un vô^ua simple et une
voVjeriç simple. Le concept est une intuition dans toute la
force du terme. Il n'y a en lui aucune discursion. C'est
une intuition, intellectuelle bien entendu; et, enfin de
compte, il n'y en a sans doute pas d'autre. Qu'elle soit
intellectuelle, cela ne l'empêche pas d'être aussi véritable-
ment, et même, a coup sûr, plus véritablement, étrangère à
toute discursion que l'intuition sensible, qui peut cependant
servir ici de terme de comparaison, comme étant quelque
chose de plus connu pour nous. Le concept est, pour repren-
dre les termes par lesquels le De anima et la Métaphysique
qualifient la perception des natures simples, une intuition
comparable à la vision d'un objet propre de la vue, ou encore
à l'acte de toucher (2) .
(1) Metaph. H, 6, 1045 a, 33 : sort c?î t/?ç ÛAv;ç o pb voijTiij ij S'utabrirr,,
xc/.i uhti toS ïôyov to jt/kv û).u to S'hèp'/tid zgzvj, oJlq-j à xûxaoç aX.rjuoL zn'mz-
oov. ôaa Si j^à zyzi vtoï», fxvjrg vo»jt/;v uriTE aitrOqrijv, z\ih\>^ ôjtîo iv ri éffftv
êxaarov, dùcnzzp xcà omp 6v tt, to roo'e, to notov, to tto<70v. Cf. Bonilz,
Metaph., Il, ad toc. et, sur toute la théorie des notions simples,
Rodier, Aristote. Traité de l'âme, II, 473-476.
(2) De an. III, 6 fin, 430 b, 29 : «À),' uxrnzp ro ôpàv zov i§io\i àXijÔéç,
LE CONCEPT 117
Nous venons de voir ce qu'est le concept quand on le
prend sous sa forme rigoureusement propre. Et c'est sous
cet aspect qu'il fallait commencer par le considérer pour
bien comprendre que. aux yeux d'Aristote, il y a entre lui et
tout ce qui est opération discursive une distinction, non pas
de degré, mais de nature. Car autrement nous aurions pu
croire que le concept, selon Aristote, est quelque chose
comme une discursion ramassée et unifiée. Or c'eût été là
une manière de voir insuffisamment précise, à laquelle
aurait échappé ce qu'il y a de vraiment propre dans le con-
cept. — Mais, si le concept est, en lui-même et primitive-
ment, une opération et presque une chose à part, dont l'unité
n'est pas ceiie d'un rapport ou, autrement dit, d'une fonc-
tion, il est impossible cependant à toute doctrine de ne pas
reconnaître, à côté de ce type essentiel et primitif, une
autre sorte de concepts. Le concept, comme aperception
absolument simple, peutbien rester l'idéal de tout concept :
au-dessous de cet idéal, si l'on ne veut pas que presque
toute la réalité échappe aux concepts, force est bien d'ad-
mettre des concepts moins radicalement distincts des opéra-
tions discursives, et dont la simplicité ne soit plus autre
chose que celle d'un rapport et d'une fonction. — Nous
allons tout à l'heure passer en revue ces concepts de second
ordre. Avant de le faire, n'oublions pas de remarquer
qu'Aristoteabien le sentiment de la parenté entre l'intuition
et la discursion et qu'il a su assigner le point où elles pas-
sent, pour ainsi dire, l'une dans l'autre. Nous aurons pro-
chainement à dire que la définition se compose du genre et
de la différence ; peut-être ne faut-il pas prendre cette for-
um!" au pied de la lettre, au moins lorsque la définition
s'applique à certains objets tout intelligibles : à parler
exactement, le genre est dans certains cas, ainsi qu'un l'a
fait remarquer, enveloppé dans la différence et ne fait qu'un
elle (1). Cependant, même lorsque la différence ne
si oâvQpwtOi ~o Xsvxôv h an, &0x 'x't.r/ji; xti, ovnuf i/j.i ôiu. v.jvj vAlg;.
Metapk. h, iu, |0:,i h. :i:\, 25 : itïX lort ro pb àX*0ï«.„ Brytiv..., rà
i'icyvoiïv 'j.n Biyycivuv, Cf. infra leÇOQ X\l.
(1) KoditT, op. cit., Il, i». 175 s. in.
118 LE SYSTÈME d'aïUSTOTE
peut se concevoir sans le genre, Aristote admet qu'il faut
procéder comme si la séparation était possible. Et, en con-
séquence, il proclame que toute définition est un dis-
cours (1). Mais, d'autre part, le discours qu'est la définition
n'est pas discursif en réalité. Car, comme disent les Seconds
analytiques (II, 3, 90 b, 33), tandis que toute démonstra-
tion, par exemple, aboutit à attribuer quelque chose à autre
chose, il n'y a dans la définition aucune attribution de cette
espèce, puisque les deux termes sont identiques : èv Bè t<j>
op'-o-fj-û o'jSèv eTepov l'épou xarriyopeiTat. Ainsi, par la défi-
nition, le passage s'établit entre l'intuition et la discursion,
entre le concept et le jugement. La possibilité de traduire
une intuition par un jugement donne à penser qu'on peut
réciproquement traduire un jugement par un concept. Ceci
n'équivaut pas à dire que les deux opérations ne diffèrent
qu'en degré. Néanmoins cela prépare bien à comprendre
que, dans certains cas, le concept pourra se rapprocher du
jugement et n'être plus que l'unité fonctionnelle d'une
diversité.
Aux natures simples, tant à celles qui le sont au point de
n'avoir pas même de matière logique, qu'à celles qui sont
simples comme étant de pures quiddités bien qu'elles enve-
loppent des parties logiques, s'opposent les natures com-
posées ; aux obcXâ, les choses doubles, qui ne s'expriment
qu'au moyen d'une addition de quelque détermination à un
sujet. L'opposition marquée, Aristote se demande aussitôt
s'il y a définition, autant dire s'il y a concept, de ces natu-
res composées (2). Bien que la distinction et la question
ainsi posées visent littéralement les substances compo-
sées seules, l'opposition et la question peuvent être géné-
ralisées, et il s'agit de savoir si les choses composées en
général, même quand ces composés sont autre chose que
des substances, admettent des définitions ou donnent lieu
(i) Top. J, 5, 102 a, 2 : ô<70i ^'orrwo-oùv q-jqu'xzi rrtv K77Ô<Jo!7iv 7toioùvtcu,
ârjlov ù>ç où* «7roc?i<?oa<7iv o'jtol tôv tov npi-ypxTo; ôptffuov, ènudri îrà?
épl<7U.0Ç XOYOÇ TtÇ SGTIV.
(2) Metaph. Z, 5 déb. : ïyti d'ÙKopim, èxv rtç fnà yy âoiapiov ecvcu tov
ix 7rpo<70s'(7Sto; làyov, Ttvo; l'arai ôpttfpio; twv oï>% àn/tûv ôtXkK wjdeovM-
jxÉvuy ; ix npovQéaîvt; yàp av«yx/j ân'kovv.
LE CONCEPT 119
à des concepts. Evidemment il faut distinguer plusieurs cas.
Non moins évidemment, le premier est celui des substan-
ces composées. Nous n'avons pas à exposer pour le moment
la théorie de la substance, et il suffira d'indiquer qu'il y a
pour Aristote des substances, ou au moins une substance,
toutes formelles, et, d'autre part, des substances qui sont
formées par la réunion d'une matière et d'une forme, ce
qu'il appelle criivoXoç où-ia. Y a-t-il donc définition ou con-
cept d'une o-ùvoXoç ooerta, d'un homme, par exemple, qui est
composé d'un corps et d'une âme ? Aristote est certaine-
ment tenté de répondre qu'il n'y a définition des substances
composées que par leur forme. Ainsi, pour définir ou con-
cevoir un homme, on ne définirait ou on ne concevrait que
l'âme (1). Si cette formule voulait dire que l'âme est tout
l'homme, parce qu'elle implique tout le reste de l'homme,
savoir un corps organique dune certaine espèce, en tant
que ce corps est considéré en général et non comme un
corps individuel, on pourrait la considérer comme donnant
la pensée définitive d'Aristote. Mais alors elle ne différerait
que verbalement de la conclusion à laquelle nous allons
aboutir tout à l'heure. Si au contraire la formule signifie
qu'il faut prendre l'âme en elle-même, la définir d'une façon
toute logique, à la manière, par exemple, de celui qui défi-
nirait, la maison sans tenir compte des pierres, du bois et
des tuiles et comme un abri protecteur contre les intempé-
ries [De cm., I, 1,403 b, 3 sqq.), alors la formule n'exprime
pas la pensée définitive d'Aristote. Car les substances com-
posées sont dos substances; donc elles ont une; unité et, par-
tant, il faut bien qu'il y en ait un concept. .Mais l'établisse-
ment de ta définition ou du concept no va pas sans difficulté.
Les substances composées sont comparables à ces attributs
qui enveloppent leur sujet. Ce n'est pas là, pour Aristote,
le cas de tous les attributs ; c'est celui des attributs qui par
soi appartiennent à un sujet; le sujet ne les possède pus
par lui-même, mais au contraire c'est eux qui, par eux-
(1) Metaph. />, II. 1037 <i, 26 : ratûmc [sc- ~r-^ *"vq>ou owoiatç] Si
'/eori Ktùi Xôyof xâi eux ïz-u. u.-.-% tùv yàp rfj; ùïr,; ovx ?<rriv, ùapurrov
yùp, xxrà rijv nptàviv o'ovvloo) i<rztv, olo-j àvOp'JTrou 6 ~ci ^vy${ Xoyoç,
120 LE SYSTÈME d'aRISÏOTE
mêmes, se rapportent à leur sujet : ainsi le pair, l'impair,
le premier, le divisible sont des attributs qui enveloppent le
nombre (1) ; le camus, to cu|j.6v, qui sert ordinairement
d'exemple à Aristote (Bonitz, Ind. 680 a, 40), suppose
comme sa matière et son siège un nez. Or, comment défi-
nir de tels attributs et, par exemple, le camus ? Si « camus »
veut dire « nez camus » , ce qu'on aura à définir c'est en réalité
« nez camus », et il faudra dire que c'est « un nez, nez con-
cave » (2). Cette répétition, inévitable si l'on veut être exact,
décèle la dualité invincible qui se cache au fond des attri-
buts dont il s'agit et, par conséquent, au fond des cnivoXot
ouo-. dont le cas est exactement le même. Cependant,
malgré cette difficulté, il faut bien dire qu'il y a définition
ou concept des substances composées, mais c'est d'une
autre façon que des quiddités pures ; car le mot de défini-
tion se prend en plusieurs sens (Metaph. Z, 5,1031 â, 8).
Dans le chap. 2 du livre H de la Métaphysique, Aristote
explique qu'il y a trois sortes de définitions : par la matière,
par la forme, par la réunion des deux (3). La définition par
réunion de la matière et de la forme est même si bien une
définition légitime que c'est la manière de définir propre à
l'une des trois sciences théorétiques, c'est-à-dire à la physi-
que (4).
(1) An. post. I, 4, 73 a, 37 : xcù oixotç rwv switocp^évriav «uroî; aura
[ces deux derniers mots désignent les sujets] b rw "kôyn svunKp^ovtri
tw Tt Ictti oîïj/OÙyTt, olov ~b eùQù 'j—v.pyîi ■{oc/y.u.rj Y.y.ï to Trsptyejoe'ç, x«i tô
Tîeotrrôv xal âprtov àpiOuù... •/.ai tt«o"i roOrotç sv\nrKp%ov(tiv i-j -'o l.àyta ~y
Tt irsnv Xiyovri ëvQx u.ïvypxy.uii è'vOa Japifyiô?. Cf. Metaph. A, 18, '1022 a,
27-29.
(2) Metaph. Z, 5, 1030 a, 28 : tl fiev yàp to «ùrô èan tji-j.h plç x*î
XOt/ï} OtÇ, TO a'JTÔ SOTKÏ TO <7lp;ÔV /.XI TO /.ollo-J ' il 3ï UT, Slk TO C'.OUVaTOV
£tvat zlmvj to Gip.bv aveu rou npdy piaroç ou lori tt«9o; xaô'ocurô (eare Y*p
tô ctuôv xoi^ôtïjç ev pivi), tô ptvà <riui)ï> eiiretv ij où/. Êrjrtv ij $i: to c.ùtô
so"T«t £Îpv;pcsvov, pi; ûtç xoiàïj • r/ yàp pi; ^ cmÀ pi? pi? xoD.ïj serrât.
(3) 1043 «, 14 : cîtô r<iv opi&fiévcàv oi p.'sy ïéyo-j-zç, ri lartv otxia, orc
),i9ot lùdv^Qt çû)i«, rrçv ouvaptst ot/.tav ).Eyouo"tv, u).ïj yàp t«ùt« ' oi $c «y^ïtov
GV.ETTaCTtXÔV 0"wp;«TWV XCÙ 2£01}pSC?6)V, V? Tt â').).0 TOIOÙTO 7rp00"ÔEVT£?, TVJV
svgpyzia. ~kéyov<Tw ■ oî cTany w récura cruvTÎ0e«TSî tàv rpîrvjv xai nôv £/. Toûtwv
oùo"tav.
(4) Z)e .4n. I, 1, 403 6, 7 : tî;ouv 6 puo-ixô? roûrwv [de celui qui défi-
nit par la fin, ou par la matière, ou par la forme réalisée dans la
LE CONCEPT 121
Par une première extension il y a définition ou concept
des substances composées, aussi bien que des quiddités.
Cette première extension est suivie de plusieurs autres. Et
d'abord, il y a définition ou concept des choses qui tombent
sous les autres catégories, aussi bien que des substances. La
manière dont Aristote l'explique nous fait pénétrer très
avant dans sa pensée et nous permet de comprendre com-
ment, d'une façon générale, il peut et doit y avoir définition
et concept d'autre chose que des quiddités. L'être Se dit en
leurs sais, savoir selon chacune des catégories. N'y a-
t-il rien qui rattache ces sens les uns aux autres ? Certes
il n'y a pas d'élément commun, entre les diverses catégo-
ries. Mais chacune d'elles se rapporte1 au même terme pri-
mordial et c'est ce rapport à un même terme qui fait qu'il
y a de l'être dans chacune des catégories : entre une plante
médicinale, un instrument médical, une œuvre médicale il
n'y a pas d'élément commun ; mais chacun de ces termes
se rapporte à un même terme primordial, l'art de produire
la santé. C'est précisément la même chose pour les catégo-
ries par rapport à la substance : chacune, pour ainsi dire,
imite selon sa mesure la substance. Et c'est pour cela que,
à côté de la définition ou du concept de la substance, il y
aura des définitions ou des concepts de la qualité, de la
quantité, etc. (1).
Non seulement il y a définition ou concept des qualités,
des quantités etc. ; il y a définition du groupe formé par un
sujet et un attribut. En principe cela paraît impossible, car
il y a là quelque chose de multiple et de disjoint, qu'on
matière et en vue de la fin] : irânpov ômoï 7t,-j GXuv, rov Si Xoyov âyvoàiv,
1 6 7«pi rov Xôyov pâvov [comme fait le dialecticien] ; r, u.iïùo-j 6 î;
RUOOZV.
(1) Metapfl. Z, 4, 1030 a, 17 : h xai 6 6pt7uo; ûanip /.xi 70 ri î/jtl
>rXsovflcyâ; Xtfvtrac ' xat '{'J-° ~° T' forw ïw« fùv rpàrrov vriftaivu rr,v o'J^txv
xat rô TorJe te. dcXXw o'sxa<rrov tôï xacràyopouiM'voJV, tcogov, noiov xai ôt«
J'ù'A -roiy.-jxa.. '•tr>r.io yà.o ro ri it~vj jr.xy/ii Tt&qrtv u/X où^ ou.oir.i-, iXXà
■■ CT'.'lT'.j; TO'.; S'inOflivOiÇ, 0J7'.) XOtî : 0 71. Ï77I.-J X.K/:>; U.VJ 70 o'jii'j irùç
(?£ roï; a/"/oi;. Cf. Unité la lin du chap. à partir de à, 3."> sqq. et r.
Hr/r'b. (l'exemple des choses médicinales ou médicales qui sont, dites
rroo; ro 'jj7o x«1 ;v, oûti ôfiûwyuwç sîfri xy'/ ïv) ; voir encore To/J. I, 0,
103 6, 23-37.
122 LE SYSTÈME DARISTOTE
peut bien désigner si Ton veut par un nom unique, comme
le mot « Iliade » désigne les vingt-quatre chants d'Homère ;
mais le mot employé ne constituera pas plus un concept que
le mot« Iliade » {Metaph. Z, 4, 1030 a, 2-17). Cependant Aris-
tote, parmi les différents sens de l'être, compte, en le rappro-
chantdes catégories, l'être comme copule (1). Ainsi la liai-
son : « l'homme est blanc » est quelque chose qui est. Nous ne
sommes donc pas surpris d'entendre Aristote déclarer qu'il
y a définition ou concept de l'homme blanc {Metaph. Z,
k fin.). Enfin il y a définition ou" concept du groupe formé,
non plus par un sujet et un attribut, mais par une manière
d'être qui, au lieu d'être attribuée à un sujet, est placée
dans un sujet, comme un élément dans une chose à laquelle
il vient s'ajouter comme, ou presque comme, une partie
intégrante. Aristote cite et accueille des définitions de
cette sorte données par Archytas : le silence des vents
(v7|vejjua), c'est le repos de la masse de l'air; le calme
(yaX7]V7)), c'est l'égalité de niveau dans la mer (2).
Nous pouvons dire maintenant, d'une manière générale
qu'il y a définition ou concept de tout ce qui n'est pas seu-
lement juxtaposé, comme les vers de Y Iliade, mais de tout
discours qui est un, et il y a autant de sens de l'un que de
sens de l'être (3). Nous étions partis du concept comme
chose; nous voyons depuis longtemps se développer les
diverses formes du concept comme fonction. S'il faut ne pas
oublier qu'il n'existe que parce qu'il imite, d'une manière
prochaine ou éloignée, le concept absolument simple, dont
(1) Metaph. Z, 4, 1030 a, 25 sq. : certains disent que le non-être
est, parce qu'il est non-être. Cf. Bonitz, Metaph. II, ad loc, p. 310.
(2) .Metaph. H, 2, 1043 a, 19-25 (à la suite du passage cité p. 120,
n. 3) ; cf. B, 3, 998 b, 12 sq. : êteooç §"évt«.t 6 <?ià rwv yi-jw ôoict/aoç
xoî 6 îiEyw IÇ w é'otiv ivvnc/.p£Ô-J7M-j. Sur ht ujroxetfiévw par opposition à
x«8' vnox.uu.evov, voir Categ. 2, 1 a, 20 sqq. ; cf. p. 98 sq.
(3) Metaph. Z, 4, 1030 b, 4 : ix£Ïvo âï yavepôv ô'rt 6 7rpcÔ7w; /.ai à^w;
ôpta^oç xai tq ri r;v etvai rwv oùoxûv saTtv. ov {jlïjv ccXkx xeù t&jv a),).wv
[ôaoîw;] tari, tt^tiv où KpÙTMi' où yào ùvciyxt), ihi rovzo ftGâjXSV, rowrflU
6pc<7u.ov £iv«t 5 àv ).6yw zo aôro Grrjaatv«, «).).à rtvt ^6yw' rovro (TÈàysvôçq,
/xi? tw eruvegfsï wcr^so vj D.iàç a ô<xa <7v»Siuu.(,j, oùX éàv ôtay^ùç, Xéysrat ro îv
to (5"îv Xsyerat ojamp ro 6V rà (?'ov ro uèv to^£ rt, ro Je Troffov,. ~o <îk 770tov
Tt o~t) paivei.
LE CONCEPT 123
l'objet est une quiddité indécomposable, c'est cependant ce
concept- fonction, ce concept unité d'une multiplicité, qui
occupe dans le système le plus de place et celui dont la
logique et la dialectique s'occupent en fait à peu près uni-
quement. En effet le concept absolument simple est
quelque chose de tout fait : on ne le construit ni ne le
reconstruit en aucun sens. Il en est autrement du concept
relativement simple. Indiquons comment il se constitue
d'après Aristote.
La définition ou le concept porte sur l'espèce et résulte
de la réunion du genre prochain et des différences (1). Le
genre est ce en quoi deux choses, diversifiées par des diffé-
rences spécifiques, sont essentiellement identiques {Meta. I,
8, 1057 b, 37), ou encore ce qui est commun à plusieurs
espèces, mais de telle façon que ce soit iin élément essen-
tiel de ces espèces, quelque chose qui puisse s'attribuer à
elles dans la catégorie de la substance (ev tw xi èori xotyi-
vopoujiêvov), quelque chose qu'on puisse donner comme
réponse à la question : qu'est-ce qu'une certaine espèce,
par exemple qu'est-ce que l'homme ? On répondra : c'est
un animal, et en effet « animal » est bien le genre de
« homme » {Top. I, 5, 102 a, 31 sqq.) (2). Le genre tient
donc une place considérable dans la définition ou le concept.
Il tient une place considérable en ce qu'il est la première
basedu concept(3). Mais la différence joue un rôle qui n'est
pas moins considérable ; car, étant ce qu'il y a de plus propre
à une chose, elle est ce qui est le plus constitutif de l'être de
la chose. C'est pourquoi Aristote va quelquefois jusqu'à dire
que ce qui constitue le concept d'une chose, c'est l'ensem-
ble des différences ou, ce qui revient au môme, la dernière
différence. Mais il faut observer qu'il entend par là, non
les différences prises abstraitement, mais bien en tant
qu'elles enveloppent le genre comme leur base (4). A la
(1) Mttaph. Z, 12, 4037 b, 29 sq. Cf. 7.A\o.v, p. 206, n. 1.
(2) Cf. Zellcr, p. 205, n. 2.
(3) Top. VI, 5, 142 b, 27 : tô <îk yjvos ^oOAsrai tô ri Î7zl tngucuvttv,
(4) Cf. Zcller, p. 207, n. i.
124 LE SYSTÈME d'aïUSTOTE
prendre abstraitement, en effet, une différence peut n'être
pas propre à son espèce, et c'est seulement en réunissant
plusieurs différences les unes aux autres, et surtout en
réunissant les différences avec le genre, que l'on constitue
un ensemble de caractères qui a exactement la même
extension que l'objet à définir ou concevoir, et qui en
exprime adéquatement la nature. Ainsi le nombre trois
est un nombre impair, premier dans les deux sens, c'est-à-
dire qui n'est ni un produit ni une somme de nombres ; le
caractère d être premier dans les deux sens appartient aussi
au nombre deux ; mais d'être en même temps impair et
premier dans les deux sens, cela n'appartient qu'au nombre
trois (1). Ainsi les différences unies au genre constituent
un propre du déiini qui se réciproque avec lui (2). Du reste
les différences ne sont nullement des dénominations exter-
nes : tout comme le genre, elles s'attribuent à leur sujet en
tcô v. è<rct (3). Parle moyen du genre et delà différence on
reconstitue donc, à l'aide d'éléments antérieurs à elle et
en soi plus connus qu'elle [Top. VI, 3, 141 b, 25-34),
l'o'jo-îa de la chose à définir ou concevoir.
Pour achever de nous rendre compte de la nature du
concept, il ne nous reste plus qu'à nous demander de quelle
sorte d'oùo-ia il est ici question. Qu'est-ce, en d'autres
termes, qui est saisi dans le concept, quelle est la valeur
ontologique du concept ? Considérons deux aspects du
concept ou de Yo'jy'ia sur laquelle il porte : d'abord l'unité
du concent, ensuite son contenu.
L'unité du concept est conçue par Aristote sur le modèle
(1) An. pont. II. 13, 96 a, 33-6, 1 : ... wv [se. râa :jr.yp-/o-j-.wj '-'■' '':'
ôpiffpw] ïxxarov uïj ï~: tt'/.ho-j -jTzri.p'iii. â~«vr« <?k fXÀ ztzï rf.-'ov ry.'jrr,-J y/p
«voéyxVî oùaivy îhzi roO Koûyaotroe,. oXo-j roicioi :jr.âpy^ti r.d^r, xtà. Ci.
ïrendelenburg, Elem. loq. Aristot. 8 § 57, p. 144 sq.
(2) Top. I, 4, principalement 101 b, 18 : vy-i y«p tï.-j oiy.yooa.-j m;
ojtco ^vjvat.-j 6uo0 T'o yeyee rscxrsov. ir.v. Se zoj iSiou ~.ô fis» ~b ri r,v etvat
cvj^aiv-t, ~.o 3'o-j Trjotatvst, diripnaQv to ï^io-j eiç aptyw rà ^poiipxuivx
pépij, /.où Y.x/.tio-dcû to U.Ï-J 76 ~i r,-J Eiveei ffujaaïvov ôpo;, v->. Cf. 8, 103 b,
7-16. Voir plus haut, p. 113 sq.
(3) Top. VI, 6, 144 a, 2i : ovSeftia yàp Jtâyopà twv y.arà c-jao£Çr;y.6ç
•J-xo^Qvrwv ziri, /.y.by.r.ip oùSï to Yg'vo;" 3w yàp èitOé/^ery.'. z'r.v oiy.yopu.-J
■j—u.p/zvj rm y.a.1 p\i) ii-KÛoytvj .
LE CONCEPT 125
de la chose. Le concept, au moins le concept des choses
qui admettent quelque composition, doit être un, parce que
la chose conçue est une {Metaph. Z, 11, 1037 «, 18). Or la
chose est une parce que la forme et la matière sont faites
pour s'unir, et l'unité de la définition ou du concept s'ex-
plique, elle aussi, par ce rapport, d'espèce réelle, entre la
matière et la forme {Metaph. H, 6). Le genre joue le rôle de
matière, la différence, celui de forme {Metaph. A, 24,
1023 b, 2 ; cf. Bonitz, Ind. 787 a, 19). Mais, quoique
d'espèce réelle, la relation de matière et de forme est bien
générale et bien souple, et, lorsqu'elle s'applique au genre
et à la différence, elle n'est plus guère peut-être qu'une
métaphore.
Passons à la considération du contenu du concept. Le
chapitre 10 du livre Z de la Métaphysique cherche lon-
guement ce que sont les parties que peut contenir la défi-
nition ou le concept. Et il répond que ces parties sont des
parties de la forme. Sans doute, si toute substance était
pour Aristote, comme sa substance suprême, une substance
formelle, on pourrait dire que des parties formelles peuvent
bien être en même temps des parties substantielles, dans le
sens le plus propre du mot substantiel. Mais on sait d'autre
part qu'il n'y a pour Aristote qu'une seule substance
formelle, à savoir précisément la substance suprême. —
Au reste, et c'est ce qui achève de préciser la signification
de l'expression « parties de la forme », ces parties sont
toutes, selon Aristote, des universaux. Sans doute il ne
faut pas se méprendre et attribuer au point de vue de
I extension chez Aristote une prédominance absolue : il s'en
faut bien que les genres et les espèces soient chez lui des
titres de classe. D'autre part, en effet, l'universel lui-même,
tel qu'il le définit, n'est [tas seulement un universel. Car
Aristote distingue de la Façon la plus notte entre le xarà
icavréç et le xa8' *ut6, que nous alloua voir entrer dans la
notion du xa86Xou (1). 11 déclare que, quand on sait par
(1) An. post. I, i, l'A li, Mf : rô fitv &uv xorà Travrôj x«i xocO'aârd ftw-
pf<r8u >v TOÙTOv... Cette distinction, entre x«rà rcavroç « (ohitr-
tnent » et k«6' «Ord • par soi », es1 exposée dans le développement qui
précède, à partir de 7:< a, 28.
126 LE SYSTÈME d'àBISTOTE
énumération complète de tous les cas, on ne sait pas véri"
tablement, de la façon à laquelle il réserve la qualification
d'universelle (1). Le véritable universel, c'est, dit-il, ce
qui n'est pas seulement xa-rà Ttavrôç, mais encore xa9'
auto (2). D'autre part, Aristote pense certainement, comme
l'a fait Alexandre, par exemple, dans le morceau de ses
'Adopta', xal Xuisiç (I, 3) qui est intitulé : ^ivcov ewiv o\ op wjjuh ;,
que les définitions portent sur un ensemble de caractères
dont l'existence en plus ou moins d'exemplaires est assez
indifférente (8, 12-17, éd. Bruns, 21,6, éd. Spengel; cf. infra,
leçon XXI). — Mais il y a une contre-partie. D'abord, l'ex-
tension tend à être quelque chose de plus qu'un signe et un
moyen de contrôle de la compréhension. Car il y a chez Aris-
tote cette étrange notion du d)ç èrel to îtoXu, c'est-à-dire de ce
qui se reproduit avec une certaine fréquence, et ce commen-
cement de constance suffit, sans autre raison, à faire de la
chose qui en porte le caractère un opposé de l'accident (3).
Ensuite, ce qui est plus significatif encore, il n'y a pas
selon Aristote de définition ou de concept du singulier :
tous les prédicats qu'on peut attribuer à une chose singu-
lière ont, ou au moins sont susceptibles d'avoir, de l'exten-
sion ; s'il y avait plus d'un soleil, le second soleil répéterait
le premier ; donc le concept de soleil est un concept géné-
ral (4). Les caractères qui entrent dans les concepts sont
(1) Ibid. 5, 74 a, 30 : où yùp n rpiyuvov ot<?sv, tù$s Ttàv rpLyatvov, à).).
A xar «piBuov x«t' elfaç S'où r.w. Il peut y avoir dans la connaissance
totalité numérique résultant de rénumération complète (dSévai xar'
upi.bu.Qv), il n'y a pas connaissance d'un tout spécifiquement un(eiSii»xi
xa:' zlâoç).
(2) Ibid. 4, 73 6, 26 (suite du texte cité dans l'avant-dernière note) :
xaOô/ou âï Xéyu ô âv x«rà Travroç te -jndpy^ xoù x«6' ctjto x«i ïj auro. fx-jzpbv
âpu ôt( ôia. xaôoXou, sÇ ècneiyxxti xj-nùpyzi -oïç, v:pd^u.a.avj. to xaO'aûrô <iî
Y.o.1 y aùro tcvj-ôj...
(3) Voy. par ex. Metaph. A, 30 dèb. : cf. Zeller, p. 166, n. 1. pour
d'autres références.
(-4) Metaph. Z, 15, 1040 a, 33 : m ô<7« [on ne se trompe pas seule-
ment en attribuant à ces substances éternelles uniques des caractères
qu'elles pourraient perdre sans cesser d'être ce qu'elles sont, mais
encore en ce que les caractères allégués sont tels que...] en a).).ov
vjSiytrv.i. otov iàv ârîooç ycV/jrai rotoùroç, <J/jAov â~i çlioç larai ■ xoivoçâpa
6 À670;. Cf. Bonitz, ad loc. et Zeller, p. 212, n. 4.
LE CONCEPT 127
donc tous des universaux. Le contenu du concept n'est
donc pas substantiel au sens le plus profond du mot.
Par conséquent, les genres et les différences ont beau
être attribués aux choses dans la catégorie du xi ecrci, ils
ont beau, par leur assemblage, reconstituer des ovcrîai, ces
ôuctai non seulement ne sont pas le réel, mais même ne
sont pas des équivalents complets du réel. Le traité des
Catégories dit excellemment que le genre et la différence
signilient une sorte particulièrement élevée de tcoiov, le
•rcoiov de la substance (1). Le même traité dit encore très
bien que les genres et les espèces des substances premières,
c'est-à-dire ici des individus, sont aux genres et espèces dans
les autres catégories, ce que les substances premières sont
elles-mêmes par rapport aux autres catégories (ibid., 3 a,
1-4). En un mot le concept n'atteint pas les substances: il
n'atteint pas même toute l'essence des substances, si par
essence on entend tout ce qui constitue la nature d'un être.
La réalité de l'individu ne se définit pas et ne se conçoit
pas, sauf l'exception de l'individu suprême. La réalité de
l'individu lui vient de la matière, non de la matière qui est
un universel et entre comme telle dans les définitions et
les concepts, mais de la matière concrète, celle qui n'est
pas des pierres et du bois en général, mais cette pierre et
ce bois. Nous nous heurtons pour la première fois à la
dualité du connaître et de l'être, que nous retrouverons
sans cesse chez Aristote. Et pourtant il a bien vu lui-même
que, si les quiddités et les choses font deux, il n'y aura
pas de science des êtres et que ce dont il y aura science ne
sera pas (2).
(1) 5, 3 b, 19 : ~o 'je il'joi /.ai to yî'vo; ntal oJniu-j ro ttoiov Ufopi^îi '
■kqiol-j yûp 7vju oûfft'av tnjfiatvei. Cl. p. 10 >.
(2) Metaph. Z, G, 1031 b, 3 : x«< d u'vj «xolùvyi-jai. «a).«X«uv [il
s'agit dos Idées platoniciennes, qaidditéa sr'/H/n'rs des choses], rwv pto
oOx «7T«t ixiarnufi, rà J'oùx ïcttx>. ovr«. Vuir t'/l/TO, leçOD XXI.
NEUVIÈME LEÇON
L'OPPOSITION DES CONCEPTS
Il y a, pour une philosophie conceptuelle, deux métho-
des suivant lesquelles les concepts peuvent s'enchaîner.
La première est la méthode analytique, par laquelle on
retrouve dans une- notion les éléments qu'elle suppose.
C'est de cette méthode qu'Aristote a été le premier théori-
cien rigoureux. L'autre méthode ne pouvait être décou-
verte, ni surtout être mise en pleine lumière, avant que
Kant eût défini l'analyse et la synthèse. Le principe de
cette méthode, dont les successeurs de Kant se sont avisés,
est l'opposition des concepts. Quelque forme particulière
qu'elle revête, elle doit toujours, en effet, revenir à faire
remarquer qu'un concept ne se sépare pas d'un concept
opposé, et à réunir les deux opposés dans une synthèse.
L'opposition des concepts constitue donc, pour une philo-
sophie conceptuelle qui emploie la méthode synthétique,
une question capitale. On comprend en outre qu'une philo-
sophie, qui, sans en concevoir nettement l'idée, aurait eu
quelque soupçon de la méthode synthétique, n'aurait pu
manquer de pressentir en même temps l'importance du
problème de l'opposition des concepts. Platon, avec sa
méthode de division, si inadéquate d'ailleurs à la tâche
qu'il lui assigne, a eu le soupçon dont nous parlons ; car la
différence est un opposé du genre, l'espèce, une synthèse
des deux, et, par conséquent, c'est sans surprise que nous
rencontrons chez lui, sinon une théorie générale de l'oppo-
sition, du moins l'esquisse, déjà très ferme, d'une doctrine
solide et circonspecte touchant cette sorte capitale d'oppo-
l'opposition des concepts 129
sition qui s'appelle la contradiction. La position d'Aristote
est bien différente. Il ne connaît pas d'autre enchaînement
rationnel entre les concepts que renchaînement analytique.
La principale raison qu'il y ait de méditer sur l'opposition
des concepts n'existait donc pas pour lui. Cependant on
trouve chez lui une théorie de l'opposition des concepts,
qui, malgré ses imperfections, est considérable et à laquelle
l'esprit humain paraît s'être tenu jusqu'au temps de
Kant. D'une part, en effet, les Scolastiques se sont conten-
tés sans doute de fixer la doctrine d'Aristote dans des for-
mules encore plus arrêtées que les siennes. On peut voir,
par exemple dans le Lexicon de Signoriello (1), qu'Albert
le Grand ne fait que résumer très nettement, mais aussi
très littéralement, Aristote. D'autre part Hamiiton, pour
qui la philosophie post-kantienne n'existe pas, mais qui
possède, hors de là, une connaissance extrêmement éten-
due de la littérature logique, ne signale rien qui dépasse
les vues d'Aristote, et la doctrine qu'il fait sienne n'est, en
somme, qu'un appauvrissem'ent de celle d'Aristote ; c'est
celle d'Aristote réduite aux exigences de la logique for-
melle (2).
Comment donc Aristote a-t-il été amené à spéculer assez
sur l'opposition des concepts, pour en donner une théorie
qui a si longtemps régné et dont certaines parties méritent
de durer encore? Les raisons qui appelaient l'attention
d'Aristote sur l'opposition sont, semble-t-il, au nombre de
trois. D'abord les contraires, qui jouent un grand rôle
dans la physique des Aoté-socratiques, n'en jouent pas
un moins considérable dans celle d'Aristote. Tout châti-
ment, selon lui, va d'un opposé à un autre, et notamment
û'wn contraire à un contraire. Il fallait donc, pour fonder
sa théorie du changement, qu'il délinît les opposés, et
(ju'il déterminât les rapports possibles des opposés entre
{i) Signoriello, Lexicon peripateticum philosophico-theologicum,
in quo echolasticorutn distinctiones rt effata praecipua explican-
tur 'VA. de I8K1). p. tiîi Bq.
(2) Lectures on lo<ii<\ Lee t. .XII, Il 42, l, W3 2*6 (J« éd., Mansel el
Veitch, 1860).
Aristote 9
130 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
eux, et aussi, dans le cas où il y en a, avec les termes inter-
médiaires. En second lieu, quelles que soient, quand on
y regarde de près, les incertitudes de la doctrine sur ce
point, Aristote a bien reconnu que le passage de l'un à
l'autre des opposés est un procédé de la pensée, qui ne
saurait se confondre avec aucun autre et qu'on ne saurait
laisser passer inaperçu. Par différentes formules il a très
fréquemment indiqué que la pensée ne peut séparer les
opposés et qu'ils sont l'objet dune seule et même con-
naissance. Il ne dit pas seulement, considérant une espèce
d'opposés : « la science des contraires est une », mais, d'une
manière tout à fait générale : « c'est à une seule et même
science qu'il appartient de spéculer sur les opposés » (1).
Enfin la troisième raison est sans doute la principale. Le
problème de l'attribution a été, pour plusieurs des Sophistes
et pour deux ou trois des petites Ecoles socratiques, une
question capitale, pour ne pas dire la question capitale.
Platon en avait senti toute l'importance, bien que la
solution lui en parût facile et que les négations d'An-
tisthène lui semblassent des pauvretés (Soph. 251 b).
Aristote connaît le problème comme son maître. Il parle
d'Antisthène, qui voulait qu'on énonçât chaque chose sépa-
rément sans lui rapporter d'autre attribut que son concept
propre (2). Il mentionne dans la Physique l'embarras des
derniers prédécesseurs de Socrate, du sophiste Lycophron
notamment, en face de l'attribution ; car ces philosophes
redoutent d'être obligés, en l'admettant, de professer qu'une
même chose est à la fois une et plusieurs (3). Devant l'im-
possibilité de l'attribution, toute spéculation fût du même
(1) tû-j ivavftwv a-lv. OU vj KÙtiJ iisi'j-rlu:c, — lii&i ïm<T-i)tJ.r,£ TKvnxeiusvft
eewpjja-^. Cf. Boni'tz, Ind. 247 a, 43 et 64 a, 27.
(2) Metaph. A, 30, 1024 b, 32 : Sià 'Avwaflsvijî weto r3jî0uç, fuiik»
àÇtwv ).ev/£a-8ca tiI^v :w oixsîw ).6y<i> sv i<f évôç... Cf. H, 3, 1043 b, 23-28.
(3) Phys. I, 2, 485 b, 25 : âôoouoouvro §t x«i oi vartooi :«v ào^aiwv
Ô7tw; y.fj âaa yé-Ji)TXi avroî; rà kÙto hi xai. To'/lci.. iïiô xxi oi f/isv ~o ïg-vj
«yet^ov, ûcrnsp Avxoypcov, oi Se rrçv Xe£cv ptereppvôjxiÇov, art 6 av0pw77o; o-j
Xsuxoç sary» àXXà XcXeûxwrae, o'j$t pa(?iÇo<)v sariv âiO.à Ba<?îÇgt, ïva pr, irore
rà S<rrt 7rpoTâ7rrovTs; 7roA).à eivcci 7Totwai ro év, wç uovayâiç /eyousvou roù
évài ri ro-j ovroç. Cf. Metaph. H, 6, 1045 b, 7 sqq. et Bonitz, ad loc.
l'opposition des concepts 131
coup devenue impossible. Il fallait donc qu'Aristote, dût-il
pour cela se contenter de renouveler à sa façon les arguments
de Platon, fît voir que l'attribution est possible. Nous ne
disons pas qu'il était obligé, ni encore moins qu'il ait réussi,
à montrer sur quoi se fonde, dans ce qu'elle a de positif,
toute attribution non tautologique. Nous disons seulement
qu'il lui fallait établir que l'attribution n'est pas impossi-
ble. Or, comme il nous l'indique lui-même dans le passage
de la Physique que nous avons cité, les difficultés élevées
contre la possibilité de l'attribution venaient de l'Eléatisme.
Dans l'Eléatisme, elles venaient de la manière dont Parmé-
nide avait compris la contradiction. L'être est, disait-il, et
tout ce qui est en dehors de lui, à un titre quelconque et en
quelque sens que ce soit, tout cela est une négation absolue
de l'être. Pour faire voir que l'attribution n'est pas impos-
sible, Aristote était- donc forcé de déterminer le sens de
l'opposition contradictoire, et par suite il était même con-
duit à réfléchir sur l'opposition en général. Voilà pour
quelles raisons nous trouvons chez lui toute une théorie
de l'opposition.
En l'absence du rospî ivT'./.s'.aÉvwv, dont il ne nous reste
que bien peu de chose, les deux textes principaux relative-
ment à cette théorie sont les chap. 10 et 11 des Catégi
et le chap. A du livre I de la Métaphysique. Aux chap. 10 et
11, les Catégories ne sont plus, il est vrai, que ce qu'on a
appelé les Poït-préclicamcnts, et nous avons vu (p. 27) que
les Post-prédicaments ne sont pas une partie intégrante
du traité des Café go ries, tel qu'Aristote l'avait primitive-
ment écrit ou conçu. Mais le morceau qui nous intér
porte tout à fait la marque aristotélicienne, et, si par has;ird
il n'était pas d'Aristotc lui-même, il faudrait qu'il fût de
«phraste ou d'Eudème. On peut l'employer sans scru-
pule.
Il y a, nous dit Aristote, quatre sortes <1 opposition : celle
des relatifs, celle des contraires, celle de [& privation et de
Y habitude, celle de X affirmation et de la négation. Le dou-
ble et la moitié sont opposés comme des relatifs ; le mal et
le bien, comme des contraires ; la cécité et la vue comme
la privation et l'habitude; « il est assis », « il n'est pas
132 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
assis », comme l'affirmation et la négation (1). Ce dénom-
brement des oppositions est, chez Aristote, classique et
définitif. Il y a quatre oppositions, comme il y a dix catégo-
ries. Il est vrai cependant que le chap. 10 du livre A de la
Métaphysique mentionne deux oppositions de plus : savoir
celle du point de départ et du terme de la génération et de
la corruption (è£ t5v xal, elç à ea-^a-ra al yevéo-et.; xal çOopaO,
puis celle d'un contraire extrême et d'un intermédiaire, par
exemple du blanc et du jaune. Mais la première de ces
deux sortes d'oppositions se ramène facilement à la con-
tradiction et la seconde, à la contrariété (2).
Parcourons successivement les quatre sortes d'opposi-
tion. — Sur l'opposition des relatifs, prise en elle-même,
Aristote est toujours excessivement bref, et le chapitre de
cette sorte d'opposition ne prend quelque étendue que
quand on y rapporte les développements, qu' Aristote con-
sacre ailleurs à montrer que l'opposition des contraires et
celle de l'habitude et de la privation ne se ramènent point
à celle là. Cette brièveté se comprend du reste, au point de
vue d'Aristote. En effet un relatif n'est ce qu'il est que par
son corrélatif. Tout relatif se dit de son corrélatif, ou
comme étant pour son corrélatif, ou, en général, comme se
référant de quelque manière que ce soit à son corrélatif. Le
double est le double de la moitié ; la connaissance est la
connaissance du connaissable ; le connaissable est connais-
sablé pour la connaissance (3). Mais, si un relatif n'est
(1) Cat. 10, Mb, 17 : KiytTui êi ètêoov érépcti u.vtix.zït9ou rerpa^w;, r,
w; tk ttooç ri, rj w; t« Ivocvti'k, rç wç vj orépwt; xai ïÇiç, y wc xaT«^«aiî
xai ùnàyouriç. àvTÎxsirat 3ï ïxaarov rwv toiovtmv. coç TÛrcw eÎttsîv, w; u.ïj rà
npài ti, olov tÔ <?i7r),«cr tov tw iiiiiaei, wç â's rà évavTia, oîov tô xkxôv rû
«yaôw, wç as rà xarà arépriGVJ xai éÇtv, olov T'jyAo'rïj? xai oi|/iç, wç Sï
xar«y«<7£ç xai «7r6^>«(Tfç; olov xaôrçTai — où xa'ôvjTai.
(2) Cf. Bonitz, Metaph. II, ad loc, p. 247 ; et plus haut : «... tôt esse
gênera [se. oppositionwri] tamquam certum et exploratum ponit
pariter ac causarum vel categoriarumnumerxim... »
(3) Cat. 10, 11 b, 24 : ô'o-a pùv ouv wç rà 7rp6ç ti «vuxerrai, aura
aTTep fort tûv àvTixêipisveov léytTui y ônuaovv âMwç Trpèç aùr«, oîov tô
S inlda tov , aura ôrreo lart'v, STÉpou Sinkâciov léyzrui ' tivôç yàp 6*t7r)l«o"tov.
xai rç iiziGïiip.1) Se rw £7rio"TïjT<â w; rà 7ro6ç rt «vrixEirat, xai ÀÉ'/Erat ye «
èViorïjpr/; aura ônep larri tov £7tio"T'/îtoù. xai tô Ituotïîtôv Je aùrè Ô7rtp è&vï
l'opposition des concepts 133
ce qu'ilest que par référence à son opposé, il est clair que
l'opposition des deux corrélatifs ne fait qu'un avec leur
nature. Il n'y a pas besoin d'établir que les corrélatifs sont
des opposés : ils sont tels évidemment et par définition.
Passons à l'opposition des contraires. Pas plus que l'op-
position de l'habitude et de la privation, comme nous le
verrons ci-après, l'opposition des contraires ne se confond
avec l'opposition des relatifs. D'abord, les choses qui s'op-
posent comme des contraires n'ont pas leur essence dans
le rapport qu'elles soutiennent l'une avec l'autre. On dit
bien que l'une est le contraire de l'autre ; on ne dit pas que
l'une est ce qu'elle est, de l'autre, ou par rapport à l'autre ;
on dit, par exemple, que le bien est le contraire du mal,
que le blanc est le contraire du noir; on ne dit pas que le
bien est le bien du mal, ni que le blanc est le blanc du noir,
comme on disait que le double est le double de la moi-
tié (1). En second lieu, les corrélatifs sont ontologiquement
simultanés (2). Il en est tout différemment des contraires :
ils peuvent être l'un sans l'autre, ou quelquefois même ils
s'excluent réciproquement : si tous les êtres animés se
portent bien, alors il n'y a pas de place pour la maladie ; si
Socrate se porte bien, il est impossible qu'il soit simultané-
ment malade (Cat. 11, 14 a, 7-14). Voilà comment l'opposi-
tion des contraires se distingue de celle des corrélatifs ; nous
verrons prochainement comment elle se distingue de l'oppo-
sition contradictoire et de l'opposition de l'habitude avec la
privation. — Pour aller au fond de la nature de l'opposi tion de
contrariété, voyons comment il fautdéfinir les contraires. La
définitiou la plus vague qu'on puisse donner des contraires
est celle qui est présentée comme traditionnelle dans Yuthi-
ttooî zo kvrixtiuevov "kiyerai, zh'J IrrtOTiQjutiqv • zo yètp ïnnznzo-j rivi Xsvrrccc
£7rioTïjrov, zr, int9Tr)jvn,
(4) Ibid. b, IJ2 : ôva oxj-j àvrixtiTai wç zù 7rpo; ri, ctjzù âmp iortv
rrtooov /ï/îzui h ÔKMtriïo'KOZï ttoo; oiïlri'/ot. t.iyira.i. rà Se û( zù tvavTfa, aOrà
tt'tv insp iiz'u oûoajzâf npôç â).Xïj).« Xtyrrat, ivavrta ixivzoï uù.ti\m-j Àêvarat '
o-jz- yào zo mvrSôv zov x«xov ïiyîzc/.i àyc.Oov, à)/.' tvavrtov, o-jts zo XlUXÔV
toO pAavo; Xsuxôv, à)).' hotvriov.
(2) Ibid. 7, 7 b, ITi : $o/.ù o; zà irpét XI âua zfj fxiirti «vat... Cf.
infrct) p. iil.
134 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
que à Nicomaque, III, 8, 1108 b, 33 : « On appelle contraires
des termes qui sont éloignés l'un de l'autre au maximum »
(xà ô£7rXewrov àirévovTa àXX7]Xwv Ivavx'la opiÇovrat). Cette défi-
nition très extérieure est d'accord avec cette idée que le pre-
mier type delà contrariété doit être cherché dans l'espace (1).
Mais il est clair que le caractère d'éloignement maximum
ne suffit pas à définir les contraires ; car, comme dit la
Métaphysique (1, 4, 1055 a, 6 ; p. 135, n. 5), il n'y a point de
contrariété entre des choses qui sont trop diverses, trop
étrangères l'une à l'autre pour être comparables, entre des
à<rjj/.êXT1Ta. Il faut donc chercher quelque chose de commun
entre les deux contraires. Ce quelque chose de commun
peut être l'identité de sujet (2). Mais l'identité de sujet se
ramène, en vertu de la parenté de la matière et du genre, à
Y identité de genre. C'est bien celle-ci qu'Aristote va finir
par faire entrer dans la définition des contraires. Toutefois
il y a chez lui sur ce point, au moins avant l'époque, sans
doute tardive, à laquelle il écrit le livre I de la Métaphysi-
que, beaucoup d'hésitation. Simplicius nous dit (3) que,
dans le rcepl àvrixci^évcov, Aristote examinait et redressait
une vieille définition des contraires, ainsi conçue : oo-a ev tû
yévet itXswTOV àXX7)Xa>v SiacpépovTa. Puisque la correction
d'Aristote a consisté, selon la remarque du commentateur, à
remplacer èv Ttp yévet. par ev T<j> aùry yévet., les mots ht :w
yeveine pouvaient signifier que ceci : pour que deux termes,
très éloignés l'un de l'autre, soient des contraires, il faut
qu'ils diffèrent le plus possible quant au genre. Autrement
dit, des genres peuvent être contraires l'un à l'autre, le
(1) Cat. 6, 6 a, 12 : jx«Xiot« <?i y îv«vti6tuî toû tt6<tov jrept tov rÔ7rov
(?oxeî CnvoCo^eiv. zà vc/.p ôi'jro tw x«rw Ivavriov Tt^éact, nôv Trpôç rô uéaov
ydtpoaf xâroo léyovzzç Sià. tô Tzltiarviv toj [iégu 8iv.GTa.avj npbç, rà nipuru.
zoù xcm7uou tha.t. ïoi/.uvi aï xoù rov rwv £Xknv ivavTÎuv ôoi<rp.9w utzo toùtwv
ETClfioeiV. ..
(2) Ibid. 11. 14 a, 15 : âijlov Se Sri xaî nep\ tkjtov rj eïSeï h yéuu,
Tzéfwx.z ■yîvstrQai t^ ivavTtff. vâaoç p.e-j yUp xai iiyieix ev «rwaart £<ûou,
Xsuxor/jç (?'t xal pùcmloL Ô.TÙMC, é'v <jùy.avi, <Jixaio<rJvïj t?è xai ào ixia Iv Tpv~/.ï
«v9pw7rou.
(3) Fr. 115 (Rose), 1497 6, 3-14 (de son commentaire des Catégo-
ries, 387, 21, 27, éd. Kalbfleisch). Sur le nepi «yrtxstac'vwv, voir supra.
l'opposition des concepts 135
seul élément commun nécessaire pour qu'il y ait contra-
riété consistant seulement en ce que les opposés doivent
être des genres de l'être, et non pas des termes d'un autre
ordre que les genres, par exemple des termes transcenden-
taux comme l'être et le néant. Et de fait, nous lisons dans les
Catégories et dans le livre A de la Métaphysique que les con-
traires peuvent appartenir à des genres différents (1). Mais
déjà dans les Catégories (2) Aristote donne la définition pré-
cise avec sv xw y.\)-(» yévet, et il la présente même comme tradi-
tionnelle ou usuelle. Enfin, dans la Métaphysique (I, 4 déb.),
il identifie la contrariété avec la « différence » maxima, et il
fait voir que la différence maxima est, du même coup, la
différence parfaite ou complète (TeXeia Suwpopà); car il n'y
a rien dans le genre au-delà de ce qui y est au maximum
de distance (3 . 11 n'y a nul doute que la définition ici don-
née soit l'expression de la pensée définitive dTAristote. Non
seulement cela résulte de la date du livre I de la Métaphysi-
que et du caractère de maturité qu'il présente (4) ; cela
résulte encore de ce qu' Aristote nous laisse voir la raison
et la source de la définition dont il s'agit. Il définit les con-
traires en vue de la physique et en fonction de considéra-
tions physiques (o). Ainsi les termes qui s'opposent comme
(1) Metaph . A, 10, 1018 a, 25 : èvauria Àgygrae r« -z \xh <?uv*r« âtxa
T'Ji KVTM KKOIÎVXI T&V itàfSOOVTtùV /KT5( 76VÛÇ, /.OÙ T'A 7r),EÎ0T0V iJlXCp ÉOOVTa
~.w iv ?-.) cor o yevsi, v.xi rù. 7r*,;t7Tov dictféoojrtx. rr-yj 'j~o rijv aJrrjv ojvatuv
[comme exemple de contraires de cet ordre, on pourrait citer lasanté
et la maladie], xa'c wv c, Çtayopà ueytornj ii c/k1ù; t) xarà ye'voç y xar'
e^Joç. Qat. il, 14 o, 19 : Ujy.yr.n <?s ircéwT* rà svavria r, iv rw aùrû •yrfvte
Etvat îj ev rot; ;jv.'jtLoi; yévtdtv, t) «-jrà yéwïj sîvttc. /ev/.ov acv yào x«i u.éïocv
vj T'T) kOtÛ yrvci (yoû>y.x yào corwv ro ytvoç), (?ix«io<rJj») <?e xat àc?<xia év
toïç ivavTtOi; yhïiu (toj y.s./ y«o ocoet/;, toù <?e xaxia to yÉvo<;) ■ âyaOov <Ts
/'/.i xaxôv o ûx î'tti.v iv ysvtt, «Va' aOrà ruyjçâvw ygviq rtvù» ovra.
(2) Caf. 6, H a, 17 (;ï la suite du texte cité p. 134, n. i) : rà yàp
ir^gfarov v'ù f,~),',ïj vcdrrqxôrat rwv n râ kût£ y«vie rvavrt'a ootÇovrae.
(3) £~et c?; OlUfépsiv ïj'ii/ixv.i c/j.'/r,'/'-» ~v. JutysoovTa 7t^eîov x«t é'/kttov,
ÏCTI tiç x«t ptyivzr, Siayoov., xai Tav->jv ).£y.> ivavrt'wo-tv. Cf. un peu plus
bas. 1055 a, 10-16, la définition de la riÀcfa fftopopâ.
(4) VoirZeller, p. 215, milieu (n. 4 de la p. 214).
(5) Mf'Uiph. I, 4, 1055 a, 6 : t<z piev yv.oyîju âtxfépo-jru. oOx ê^ei é(?ov
etç aV/yj/a, «)."/. ùniyst rcXê'ov xai à(jûp:6iï;r« ■ toïç a'et^îi Jtayt'oouartv «t
yEvîCEiç ex rùv tvavTÉwv eïtiv wç fffyâruy... Cf. 6. 11.
136 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
contraires, ce sont les extrêmes d'un même genre : pair et
impair, blanc et noir. Ce sont là du moins les termes pri-
mitivement constitutifs de l'opposition de contrariété. Car
il y a des oppositions dérivées, mais elles se fondent tou-
jours sur la primitive (1). L'opposition du jaune et du gris
se fonderait sur ce que les deux termes renferment (tcô ïy eiv),
l'un, plus de clair, et l'autre, plus de sombre. Une autre sorte
d'opposition de contrariété dérivée est celle dont parlent
les Catégories (10 , 13 b, 12-15) : Socrate est en santé, Socrate
est malade. En passant, signalons tout de suite que, à pro-
pos de l'babitude et de la privation, il faudra reconnaître
aussi, au-dessous de l'opposition primitive, des oppositions
dérivées (Cat. 10, 12 b, 1-5 et 13 b, 22 sq.).
Le sens de l'opposition de l'habitude et de la privation
dépend naturellement de la définition de l'habitude et de la
privation. Aristote, dans le chap. 22 du livre A de la Méta-
physique (jusqu'à 1022 é, 29), et même par voie d'allusion
dans le chap. 4 du livre I (1055 b, 4 sq.), distingue trois con-
ceptions delà privation : ne pas posséder un attribut suscep-
tible d'être possédé, mais sans queJe sujet soit fait pour le
posséder : c'est en ce sens que la plante est privée d'yeux ; —
ne pas posséder un attribut qu'on est fait, soi ou son genre,
pour posséder : c'est en ce sens que l'homme aveugle d'une
part, la taupe d'autre part (car la taupe appartient au genre
animal), sont privés de la vue; — ne pas posséder un attri-
but au temps et sous toutes les conditions dans lesquels on
est fait pour le posséder. Il est clair que c'est la définition
la plus précise qu'il faut choisir comme représentant véri-
tablement la nature de la privation selon Aristote. Le type
de l'opposition de l'habitude et de la privation c'est la
cécité et la vue, dans un sujet fait pour jouir de la vue et à
l'époque où il doit en jouir. — Mais le point capital, à pro-
pos de cette opposition, c'est de la distinguer des trois
autres sortes d'opposition.
Pour ce qui est de la distinction d'avec l'opposition des
(l) Ibid., a, 35 : t« <To).Xk svavrîa xarà raùra Xs^Ôjjffsrat, rà fte» zcô
£y£Eiv, rà oe t<£> iroteïv ri itovôrvuà etvai, rà Sï zii /vi^îi; etvat xat «jro§o).ac
TOÛtwv 17 aA).wv èvavTiwv.
l'opposition dks concepts 137
relatifs, elle peut être brièvement exposée. On dit « le dou-
ble de la moitié », on ne dit pas « la cécité de la vue »,
et, quand même cette expression serait de mise, il est sûr
que sa réciproque « la vue de la cécité » serait toujours
inacceptable, tandis qu'on dit également bien « le double
de la moitié », « la moitié du double » [Çat. 10, 12 6,16-25).
La différence entre l'opposition de l'habitude et de la pri-
vation et l'opposition contradictoire est déjà un peu plus
compliquée. En premier lieu, il faut dire que l'opposi-
tion de l'habitude avec la privation, même quand il s'agit
d'une privation du premier type (la plante privée de la vue),
se distingue de la contradiction en ce qu'elle est une contra-
diction déterminée, une contradiction dans laquelle on ne
considère pas seulement un prédicat et sa négation, mais où
le prédicat et sa négation sont pris en tant qu'ils se rap-
portent à un certain sujet. Tandis que l'opposition contra-
dictoire : « est assis», « n'est pas assis » peut exprimer un
simple fait, l'affirmation ou la négation d'un prédicat acci-
dentel, l'opposition de la vue avec la cécité tourne autour
d'un sujet (oTsp7j<nç os xal e£iç as-'ôtx'. [jubv tcsoI taùtôv Tt xt/>.
Cal. 10, 12 a, 26-29 dont on considère les exigences, même
impossibles. Cette opposition est une contradiction qui ne
se sépare pas de la nature du sujet (cuveiXiifijjiivr) ~ù osx.t'-.xcô).
Lorsqu'on dit que la plante est privée de la vue, on n'ex-
prime pas sans doute l'absence d'un attribut que la plante
devrait posséder, mais (telle semble être du moins la pen-
sée d'Aristote) on n'exprime pas non plus la simple absence
de la vue dans la plante, on exprime que cette absence est
une limitation, une impuissance de sa nature : et une
imperfection, voulue par la nature d'un sujet, reste cepen-
dant une imperfection. Lorsque la privation est prise dans
son sens propre, il est bien plus évident encore que ce qui
s'oppose ii l'habitude, ce n'est pas une simple négation,
mais une négation qui contrarie les exigences du sujet (1).
(t) Metaph. I, 4, 1053 h. 'A : ri 0i ttîo»j<xi; kvTitpotvii ri; ivzcj ■ r.yxo
to ùorjy-o-j o/.w; iyttv, r, ô eu mfwtôi ;/.''•' ''■^ *XV> *ffT*|»TjT*l h ô).&>; r,
7rw; ûfoptaBh • -o'ùc/.y'-i; yàp r,o i) roùro Xjvoucv. w<nt«|B oiriflqrai iiftlv iv
ô).Xot; ! .illusion, soit à la fuUpwii OU btkoyi rwv îvavrtcuv, k laquelle
Arislote renvoie 3. 1031 a, 30'ou r, 2, 1004 a, 2, soit à A. 88; cette
138
LE SYSTÈME d'aMSTOTE
En second lieu, l'habitude et la privation ne s'opposent pas
entre elles, quant à la vérité, de la même manière que l'af-
firmation et la négation. Prenons une opposition dérivée
entre l'habitude et la privation : « Socrate voit », « Socrate
est aveugle ». Si le sujet n'existe pas, alors les deux oppo-
sés sont faux l'un comme l'autre. Si le sujet existe, il ri est
pas nécessaire en tout temps qu'il possède l'un ou l'autre
des opposés ; car, quand Socrate n'est pas encore fait pour
posséder la vue (c'est-à-dire sans doute quand Socrate est
encore un embryon), il ne possède pas la vue et on ne peut
pas dire non plus qu'il en est privé. Dans l'opposition con-
tradictoire, si le sujet existe, il faut en tout temps qu'il pos-
sède l'un ou l'autre des opposés : Socrate est ou n'est pas
malade. Si le sujet n'existe pas, l'un des deux opposés est
faux, l'autre vrai ; car, lorsque Socrate n'existe pas, il est
faux que Socrate soit malade (Cat. 10, 136, 20-35).
C'est de l'opposition de contrariété qu'il est le plus difficile
de distinguer l'opposition de l'habitude avec la privation.
Certains contraires n'admettent pas entre eux de terme
moyen; dans ce cas, en tout temps, il faut que l'un ou l'autre
appartienne au sujet : tels, par exemple, la santé et la mala-
die, le pair et l'impair. Certains autres contraires admettent
entre eux des termes moyens ; dans ce cas, il n'est néces-
saire en aucun temps que l'un ou l'autre des deux appar-
tienne au sujet : ainsi il n'est jamais nécessaire qu'un sujet
soit chaud ou froiu, noir ou blanc, car il peut être tiède, ou
jaune. Il n'y a à cette règle qu'une exception : il peut se
faire, en effet, que l'un de ces contraires qui admettent
entre eux des termes moyens soit indéfectiblement caracté-
ristique d'un certain sujet ; ainsi le feu est toujours chaud
et la neige est toujours blanche. — Ces manières d'être des
contraires ne se retrouvent pas dans l'habitude et la priva-
tion. Il n'est pas nécessaire en tout temps que l'habitude ou
la privation appartienne au sujet : cela n'est nécessaire que
dans le temps où le sujet doit jouir de l'habitude. Donc le
dernière référence est seule indiquée par Bonitz, Metaph., p. 433].
TW (JîXTlXW.
l'opposition des concepts 139
cas de l'habitude et de la privation n'est pas le même que
celui des contraires qui n'admettent pas entre eux de terme
moyen. — Mais l'habitude et la privation ne se comportent
pas non plus comme les contraires qui admettent des termes
moyens ; car, lorsque le temps est arrivé où le sujet doit jouir
de l'habitude, alors il n"y a pas de milieu : il faut qu'il ait
l'habitude ou la privation. — Reste le cas où un contraire
appartient nécessairement à son sujet à l'exclusion de l'au-
tre contraire, comme la chaleur au feu : rien de pareil pour
l'habitude et la privation, car c'est toujours la privation
ou l'habitude, indéterminément, et non celle-ci plutôt que
celle-là, qui doit appartenir au sujet (Cai. 10, 12 b, 26-13
a, 17). — D'autre part, le devenir peut aller indifféremment
de l'un des contraires à l'autre, du froid au chaud comme
du chaud au froid ; mais le devenir va de l'habitude à la
privation, et jamais de la privation à l'habitude : de chauve
ou ne devient pas chevelu, et, quand on a perdu ses dents,
on ne les retrouve plus (ibid. 13 a, 18-36). Ainsi l'opposi-
tion de la privation avec l'habitude se distingue de l'oppo-
sition de contrariété. — Il est vrai que dans certains cas la
privation et l'habitude admettent un terme moyen. Mais ce
ne sont plus l'habitude et la privation proprement dites et
telles que nous les avons considérées. C'est cette espèce par-
ticulière d'habitude et de privation qui se confond avec
les contraires (Metaph. I, 4, 1055 b, 8-11) ; c'est cette
espèce d'habitude et de privation dont le sujet et la notion
ne sont pas bien précisés. Par exemple l'homme peut n'être
ni bon ni méchant : le bien et le mal appartiennent à des
genres différents, et Aristote pense sans doute que sous
l'idée d'homme sont compris les enfants encore sans rai-
son, aussi bien que les adultes (voir ibid. 1055 b, 20 — fin
du chap.).
Nous arrivons enfin à l'opposition de contradiction. On
a déjà vu que, pour donner un exemple de cette espèce d'op-
position, Aristote a pris un verbe à la troisième personne
de l'indicatif, sans négation d'une part, et, de l'autre, avec
légation : xàOy.xa»., ou xàO-riTai. Pour la définir, il dit que les ter-
mes en sont opposés comme l'affirmation et la négation : wç
xaTà'ja<nç xal ocTrôjaT'.ç (Cat . 10, 13 a, 37). Et il insiste en
140 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
disant que les autres oppositions ont lieu entre des termes,
sans liaison, aveu trupTiX©^?- tandis que la contradiction,
ràvTÛpao'iç, est l'opposition de deux liaisons de termes, disons
de deux propositions ou de deux jugements (ibid. b, 10).
Voilà du moins ce que l'opposition de contradiction est pri-
mitivement. C'est seulement par dérivation qu'il y a oppo-
sition entre les termes ou choses, qui sont sous le discours
affîrmatif et le discours négatif, c'est-à-dire entre les con-
cepts dans lesquels on peut substantifier l'affirmation et la
négation : ainsi entre xaQTycrQai et jjitj xaÔ^o-Qat, qui substan-
tilient JcàO^Tat et où xàQr/m (1). Toutefois Aristote se mon-
tre très prudent dans l'extension qu'il fait de l'opposition
contradictoire des propositions aux termes. S'il passe sans
hésitation des indicatifs aux infinitifs, il est très réservé
quand il s'agit de passer aux substantifs. Il n'opposerait
pas comme contradictoires avôpwrcûç et oùx avôpwTtoç : on
sait qu'il appelle cette dernière expression un ovojxa àôpw--
tov, une expressiou indéfinie (Hermen. 2, 16 «, 30; cf.
p. 163;, tant il est loin d'y voir une négation précise de
àvQpoMçôç. Il faut reconnaître cependant (2) qu'il étend à des
termes substantifs la qualification d'opposés contradictoi-
res ; car, dans la Physique par exemple (V, 3, 227 a, 7-10),
il désigne sous le nom d'àvf L<pa<nç l'opposition des points de
départ et d'arrivée de la génération et de la corruption, qui
sont l'être et le non-être. — Mais primitivement l'opposition
contradictoire reste celle de deux jugements. Aussi a-t-elle
pour caractère propre et privilégié de séparer le vrai du faux,
l'un ou l'autre des deux opposés contradictoires étant vrai
et l'autre faux (Cat. 10, 13 b, 33-35). Comme les relatifs, les
contraires, les habitudes et les privations sont des termes et
(1) Cat. 10, i'ï 6, 6 : o-jx ïaxt Se oùâs zo ùnà rijv v.r:of va i-j xat y.v.roi~
fvaiv ÙT7Qf uaiq xat xccTaya<7i<; • vj pikv yàp xaraçsaaiç Xô'/Oî ïi~ï xarawarixo;
xai >j ùnàfxcni; /oyoç v.K0<j>uzf/.6;, rwv ai ùtio tàv xaT«ya<xiv xai à-àfc/.çu/
oùSh è&ri ).6yo;. Xévsrat <Jk xai -v.ïitv ùvrixiloQy.i a/À 17/01; w; Av.Tv.yv.Gi;
xai uKoyv.aiç • xai yào èni toûtwv 6 -oorcoç t^ç KVTtdscreo); ô viràç. w; y«û
7tot£ h xara^aatç npôç, ryv c/.nàyvaiv àvrixecrat, o?on to xadiQTat ~w ov
xaôïjTai, oûrw xai to uy' sxotîoov npày^u. Kvrt'xeiTat, ~ô x.uQïj<tQki t& uri
xa&rja-Ôai.
(2) Avec Zeller, p. 21€i, n. 2.
l'opposition des concepts 141
non des discours, il est impossible qu'ils soient vrais ou
faux [ibid. b, 3-12). Mais il y a plus : lorsque les contraires,
lorsque l'habitude et la privation prennent dans des opposi-
tions dérivées l'aspect de discours, ils ne participent pas
pour cela au privilège des contradictoires. Nous avons
déjà vu (p. 138) que l'un de ces deux opposés : « Socrate
est bien portant », « Socrate est malade », ou de ces deux
autres : « Socrate voit », « Socrate est aveugle » n'est pas
nécessairement vrai, pendant que l'autre serait faux (ibid.
b, 12-27).
INous venons de parcourir les quatre sortes d'opposition
et nous avons vu combien Aristote s'applique à les distin-
guer. Mais, s'il les distingue, il reconnaît aussi entre elles
une parenté. Le lien de parenté n'est pas dégagé dans les
deux chapitres des Catégories. Malgré cela, les quatre oppo-
sitions sont exposées dans un ordre assurément voulu et
considéré comme rationnel. La contradiction ou l'opposi-
tion des relatifs n'est pas mise au milieu des deux autres,
et celles-ci ne sont pas placées au commencement ou à la
lin. On commence par l'opposition des relatifs, on passe à
celle des contraires, de là à celle de l'habitude avec la pri-
vation, pour aboutir à celle des contradictoires. Dans le
chap. 4 du livre I de la Métaphysique, cette classification
hiérarchique, dont on aperçoit alors tout le sens, est rem-
placée par l'indication expresse d'une filiation. L'opposition
la plus absolue est celle des contradictoires. Celle de l'habi-
tude avec la privation est une limitation de la précédente.
Limitée à son tour, l'opposition de l'habitude avec la priva-
tion devient l'opposition de contrariété. C'est donc au der-
nier rang qu'il faut placer l'opposition des relatifs, et, si
telle est forcément sa place, c'est assurément, dans la pen-
sée d'Aristote bien qu'il ne le dise pas, parce que cette
opposition est celle qui contient le moins de négation ( 1 ).
Ainsi pour Aristote chaque sorte d'opposition n'est pas
(I) 105?) a, 38 ; b, 3 et 14 : ù Si) kvtîxïitcu u'ev «yriyao-iç v.'xi n-éùr,(jic,
xoù gvavrtOTïjç xai rà 7rpo<; rt, to-jt&jv oï tcoûtov àyrtyaffiç... q oï 9Ttpi)7iç
ù-jzifxaiç rtç scrrtv... o/j/ov ôrt »j ukv ÉvavTcuo't; TTeor;o"iç âv rtç et/j 7rà<r&:,
 iï's aréjavjffiç tcxwç où nâau èvavTior*;;.
142 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
quelque chose d'isolé. A ses vues pénétrantes sur chacune
des oppositions il a joint une vue d'ensemble, qui est com-
plexe en même temps qu'elle est ample, puisque la liste des
oppositions n'est pas seulement une collection, mais un
système.
Il nous reste à reconnaître les défauts et à faire ressortir
les mérites et la portée de cette théorie considérable. La
partie la plus faible qu'elle présente est assurément celle
qui concerne l'opposition de l'habitude avec la privation.
Cette sorte d'opposition ne se distingue pas sans peine de
la contradiction^ ni surtout de la contrariété.
Occupons-nous d'abord du premier point. Sans doute on
ne saurait, en principe, maintenir trop énergiquement le pri-
vilège qu'Aristote a si justement attribué à l'opposition con-
tradictoire, de partager le vrai et le faux. Sans doute encore
il est exact que, si le sujet n'existe pas, les deux opposés
« Socrate voit », « Socrate est aveugle » sont faux tous les
deux, ou plutôt peut-être ne sont ni vrais ni faux. Mais le
privilège de l'opposition contradictoire s'étend-il assez loin
pour qu'on puisse dire que, des deux contradictoires
« Socrate est malade » et « Socrate n'est pas malade », la
seconde est vraie et la première fausse, quand le sujet
n'existe pas ? Il n'y a guère de raison pour faire ici un sort
différent à l'opposition des contradictoires et à celle de
l'habitude avec la privation. Dans l'espèce, aucune des
deux propositions contradictoires n'est ni vraie ni fausse,
et par conséquent il n'y a pas lieu de chercher ici à dis-
tinguer entre les deux sortes d'opposition. — Toutefois
ce défaut serait véniel. En voici un autre qui paraît plus
grave. On a fait remarquer (1) que la privation au premier
sens (la privation de la vue pour la plante) ne se distingue
pas de la négation et que, par conséquent, toute différence
entre l'opposition de l'habitude avec la privation, et Top-
p*«ition contradictoire tombe. Sans doute Aristote entend
que, même dans ce, cas, le sujet entre en ligne de compte,
que la contradiction est ici a-uvsiXïjjAjjiiv/i — cp Ssxtixw. Cepen-
dant, en tant que la plante est prise comme plante et non
(1) Zeller, p. 216, n. 7, vers le commencement.
l'opposition des concepts 143
comme un sujet vague, capable en principe de recevoir, ou au
moins de demander, tous les attributs positifs, toutes les per-
fections, la plante n'exclut pas moins d'elle la vue, que l'être
tout parfait, univers ou Dieu, exclut le néant. La plaute
comme plante, telle qu'Aristote la définit (ce qui possède
une âme végétative et jamais une âme sensitive), ne peut
rien avoir de commun avec la vue. Il est donc juste de
dire que l'opposition de l'habitude et de la privation ne se
distingue pas ici de la contradiction. Assurément on pourra
remarquer après cela que la plante comme plante n'est
qu'une abstraction, parce que la plante n'est pas un être
complet et fait partie d'un ensemble. Mais personne ne
voudrait soutenir, et Aristote soutiendrait moins que per-
sonne, qu'on n'a pas le droit de considérer, sous les réser-
ses voulues, une abstraction comme un être complet et
d'admettre que, en un sens, tout ce qui est en dehors de
cette abstraction est, quant à elle, négation pure ou néant.
Il n'importe pas d'ailleurs extrêmement que la priva-
tion au premier sens se distingue mal de la négation ; car
la vraie privation est la privation au troisième sens. Celle-là
se distingue de la négation. Mais par malheur, quand la
privation est prise au troisième sens, c'est de l'opposition
de contrariété que l'opposition de l'habitude et de la priva-
tion ne se distingue plus. Remarquons d'abord que, lors-
qu'Aristote veut distinguer la contrariété de la privation,
son argument le plus clair est un argument extérieur ; il
recourt à une considération physique : il dit que les con-
traires sont cette espèce d'habitude et de privation qui
constituent les extrêmes du mouvement {Metaph. 1, 4,
1055 ô, 11-15). Nous retrouverons d'ailleurs ce point tout
à l'heure sous un aspect plus particulier. En second lieu, il
y a de l'inconséquence dans l'une des allégations qu'Aris-
tote apporte pour distinguer la privation de la contrariété.
Il allègue, comme on a vu (p. 139), qu'une contrariété, c'est
une opposition de privation et d'habitude qui admettrait
des termes moyens, car quelquefois les contraires admet-
tent entre eux des termes moyens ; et il ajoute qu'il y a
place pour des termes moyens quand le sujet de l'habitude
et de la privation n'est pas défini (Jbid. à, 3 sq. et 20-26).
144
LE SYSTEME D ARISTOTE
Mais il y a méprise : une opposition d'habitude et de priva-
tion, dont le sujet est indéfini, ne saurait être une contra-
riété, puisque le sujet d'une contrariété est défini. — Voici
des difficultés plus graves (1). Selon Aristote, ceux des con-
traires qui n'admettent pas de termes moyens s excluent l'un
l'autre en tout temps, tandis que l'habitude et la privation
s'excluent seulement en un temps déterminé, savoir dans le
temps où le sujet doit jouir de l'habitude. Mais, quand ce
temps n'est pas arrivé, il ne peut être question ni d'habitude
ni de privation, de sorte que la différence, indiquée par
Aristote entre les contraires sans terme moyen et l'opposi-
tion de l'habitude et de la privation, s'évanouit. En second
lieu, Aristote avance que, dans le temps où le sujet doit
normalement jouir de l'habitude, il faut que le sujet ait
l'habitude ou en soit privé, sans terme moyen possible,
tandis que certains contraires admettent des termes moyens.
Mais il n'estpas exact qu'il n'y ait jamais de terme moyen
entre l'habitude et la privation : entre la vue et la cécité par
exemple, il y a tous les degrés de lamaurose. Ajoutons
qu'Aristote a eu tort d'affirmer que jamais une habitude ne
peut appartenir indéfectiblement à un sujet, comme le
chaud au feu ou le blanc à la neige. Ailleurs en effet (De
an. III, 13, 435 b, 4), il professe qu'il y a une sensibilité
que l'animal ne peut perdre sans mourir, savoir la sensibi-
lité tactile. Enfin il est inexact que le devenir ne puisse aller
que de l'habitude à la privation : Chrysippe, en face de cer-
tains cas où la vue, après une disparition momentanée,
était restaurée au moyen d'une ponction (uapaxévurunç), se
demandait s'il fallait appeler aveugles, pendant leur maladie,
les malades qu'on pouvait ainsi guérir (2) ; quand l'homme
perd ses dents de lait, une seconde dentition vient rem-
placer celle qui disparait, etc. La nature est plus complexe
que ne le suppose la doctrine d' Aristote sur l'opposition
d'habitude avec la privation. Nous pouvons remarquer en
(1) Pour ce qui suit sur la contrariété et la privation, voir Zeller,
p. 217 (n. 7 de la p. 216).
(2) Ap. Simplicius in Caleg. 401, 7, éd. Kalbfleisch (Schol. 86 a, 30 :
Arnira, Stoicorum veterum fragmenta II, n. 178).
l'opposition des concepts 145
passant que, dans sa théorie de l'opposition, on saisit un
des vices généraux de la philosophie conceptuelle, telle
qu'il en use. Il entreprend d'appliquer aux choses les plus
concrètes les concepts abstraits de sa théorie de l'opposition.
Il ne songe pas qu'il faudrait commencer par analyser et
définir les choses concrètes, et il met sur le même pied,
comme exemples de contraires, avec le pair et l'impair, la
santé et la maladie. — Quoi qu'il en soit d'ailleurs de cette
remarque, il est certain que l'opposition de l'habitude avec
la privation se distingue très mal de la contradiction et sur-
tout de la contrariété. A vrai dire, il faut supprimer cette
sorte d'opposition pour ne laisser subsister que l'opposition
des relatifs, celle des contraires et celle des contradic-
toires.
Peut-être même faut-il supprimer une distinction de plus.
Car il semble que les contraires se ramènent aux corrélatifs
et que l'opposition de relation, prenant une importance
qu'Aristote n'a pas soupçonnée, doit être regardée comme
le type et l'élément fondamental de toute espèce d'opposi-
tion. Selon Aristote, on ne dit pas « la vue de la cécité ». ni
« le blanc du noir », tandis qu'on peut dire « le double de la
moitié », ou réciproquement, et aussi « le connaissable pour
la connaissance ». La différence vient, dans la pensée d' Aris-
tote, de ce que les deux corrélatifs sont réels tous les deux,
et l'un autant que l'autre, alors que l'un des contraires est
négatif. Si l'on dresse, dit-il, une table de contraires, on
s'aperçoit que l'une des colonnes ou séries d'opposés n'est
que la privation de l'autre série : twv svav-rûov y, srspa
au<noL^ia ct^cyjct^ {Metaph. l\ 2, 1004 6, 27). Mais Aris-
tote contredit ailleurs cette doctrine : dans le De genera-
tione et corruptione (II, 2, 329 b, 24) il reconnaît au froid
et au sec un pouvoir positif d'agir ; dans le De partibus
ùnimaliitm (II, 3, 649 a, 18) il convient que, dans certains
cas. le froid est une nature et non une privation (1). Du
reste, c'est parce que les contraires sont réels tous les deux,
que la contrariété ne se confond pas avec la contradiction.
(1) 70 ^ij/ooj yûo-tç ri; «/.).' où ors/aDoi; (otiv. Cf. Zeller, lin de la
n. 7 de la p. 216 (p. 218).
Aristote 10
146 LE SYSTÈME d'àMSTOTE
Si les deux contraires sont réels, les différences de langage
invoquées par Aristote ne peuvent plus être de très grande
conséquence. La preuve d'ailleurs qu'il ne faut pas s'y fier,
c'est que eertains.opposés, qu'Aristote range parmi les con-
traires, se laissent appliquer les mêmes formes de langage
que les corrélatifs. Aristote serait obligé de déployer beau-
coup de subtilités peu solides pour nous empêcher de dire « le
droit du gauche » et « le bas du haut»). — Cependant il s'en
faut, aux yeux d' Aristote, que, pour ramener les contraires
aux corrélatifs, ce soit assez d'avoir établi que la seconde
série des contraires a, comme l'autre, de la réalité. Car cette
réalité des seconds contraires, on peut soutenir qu'elle
n'est pas analogue à celle des corrélatifs qui répondent aux
relatifs. Un commentateur des Catégories qui se plaisait à
faire des objections, Nicostrate (1), avait bien cru s'aper-
cevoir que les contraires, comme les corrélatifs, s'intro-
duisent l'un l'autre dans la pensée et que, dès lors, il n'y a
plus entre les uns et les autres de différence radicale. A
cela Simplicius répond que Nicostrate a confondu les con-
traires, en tant qu'il y a entre eux contrariété, avec la réa-
lité qui est sous les contraires. Autrement dit, dans l'opi-
nion de Simplicius, les contraires sont des corrélatifs quant
à la forme, mais non quant à la matière, quant au contenu
qui est sous cette forme (2). Cette réponse de Simplicius
nous apparaîtra comme l'expression fidèle de la pensée
d' Aristote pour peu que nous nous reportions aux Catégo-
ries (3). Mais, dans l'espèce, la pensée d' Aristote est peu
conforme aux principes qui d'ordinaire la dirigent. En effet
cette séparation delà contrariété et de son contenu rappelle
les abstractions violentes dans lesquelles se complaisent les
partisans de la logique formelle ou du formalisme kantien,
et elle ouvre la porte aux difficultés qu'amènent après elles
ces deux manières de voir. Pourquoi appliquer la forme de
(1) Sur ce personnage, voir le début du commentaire de Simplicius
sur les Catégories, 1, 18 sqq., éd. Kalbfl. (passage traduit par Bouil-
let, les Ennéades de Plotin, III, 630).
(2) Ibid. 385, 4-12, K. (Sckol. 82 b, 26).
(3) Voir 10, 11 b, 32-35, texte cité p. 133, n. 1.
l'opposition des concepts 147
la contrariété au noir et au blanc, si rien ne prédestine le
noir et le blanc à recevoir cette forme ? Il faut donc, en bonne
doctrine aristotélicienne, comme aussi en vérité, que le noir
et le blanc, et en général tous les contraires, soient jus-
qu'au fond imprégnés de contrariété, que le contenu de
chacun deux ne se comprenne que par le contenu de son
opposé. Si cette conclusion est juste, nous avons réussi
cette fois à ramener, quant à son élément générique, la
contrariété à la corrélation. — De là suivent des consé-
quences importantes. Il ne reste plus en présence que deux
sortes d'opposition : la corrélation et la contradiction. Or,
cela étant, la corrélation devient l'élément fondamental et
partout présent de l'opposition. En effet ce rôle ne peut être
joué par la contradiction ; car, si l'on prend en eux-mêmes
des termes contradictoires, ils apparaissent comme entière-
ment isolés l'un de l'autre, et on ne comprend pas comment
une pareille opposition est en même temps une liaison. Au
contraire on comprend que, si c'est une loi fondamentale
de la pensée que dépasser d'un corrélatif à l'autre, la pen-
sée puisse épuiser progressivement toutes les corrélations,
jusqu'à ce que cette loi expire enfin dans une dernière cor-
rélation où l'un des corrélatifs est la négation pure et sim-
ple de l'autre. De cette façon l'idée d'Aristote se trouve
conservée, que les oppositions forment un système : le sys-
tème est seulement réduit à deux articles principaux. —
L'opposition de corrélation peut et doit d'ailleurs se sub-
diviser autant que besoin est. Car cette opposition est infi-
niment plus souple et plus complexe qu'Aristote ne l'a cru.
S'il est vrai, comme il l'a bien vu, que les corrélatifs ne
sont que l'un par rapport à l'autre, il faut se garder de
prendre dans un sens trop étroit la proposition, qu'il a
d'ailleurs entourée lui-même de quelques restrictions prur
dentés, que les corrélatifs sont simultanés par nature {Cat. 7,
7 b, 15; cf. p. 133, n. 2). Cela ne peut pas signifier que
les corrélatifs existent toujours dans le même temps, ni
même qu'ils possèdent toujours autant de réalité l'un que
l'autre. Aristote a bien soin de no pas compter parmi les
relatifs l'antérieur et le postérieur; cependant il est clair
que c'est là une séparation artificielle et qu'il n'y a d'avant
148 LE SYSTÈME d'aRISTOTK
et d'après que par corrélation. D'autre part des termes
comme la cause et l'effet, et en général la condition et le
conditionné, sont des corrélatifs, et cependant la relation
même qui les lie signifie que l'un dépend de l'autre.
Il ne nous reste plus à examiner dans la théorie aristoté-
licienne de l'opposition que ce qui concerne l'opposition
contradictoire. Sur ce point capital Aristote, avec l'aide de
Platon il faut le reconnaître, s'est élevé à la vérité défini-
tive. On doit seulement bien comprendre sa doctrine. Sui-
vant une manière de voir encore très répandue et qu'on
trouvera exposée par exemple dans la Logique de Benou-
vier (1), un terme contradictoire par rapport à un terme
donné est simplement celui qui est autre. Il est vrai que
Renouvier ajoute « sous un même rapport ». Mais cette
addition, qui rend la formule à peu près juste, n'empêche
pas la première base de cette formule d'être tout à fait
vicieuse. Or, s'il fallait en croire Zeller, c'est sur une pareille
base qu'Aristote aurait assis sa définition du contradictoire.
« Si deux concepts diffèrent aussi complètement que pos-
sible, dit Zeller (p. 214), ils sont opposés à titre de con-
traires; s'il se trouve simplement que l'un n'est pas ce
qu'est l'autre [die blosse Verschiedenheit), ils sont opposés
comme contradictoires ». — Autantdire qu'Aristote a défini
la contradiction exactement de la même manière que Par-
ménide. Car, pour Parménide, tout ce qui est, en quelque
sens que ce soit, autre qu'une notion contredit cette notion :
tout ce qui est autre que l'être est non-être, et par non-
être il faut entendre quelque chose qui nie l'être, quelque
chose qui le contredit. Platon reçoit de Parménide cette
expression : le non-être, et il lui fait signifier, comme Par-
ménide, tout ce qui est en dehors de l'être. Mais il a bien
soin de distinguer, dans l'extension du non-être, un terme
qui serait un opposé absolu de l'être, opposé absolu dont il
ne s'occupe pas (Soph. 258 e, 258 a-b) ; il a bien soin de
distinguer, parmi les genres qui sont à part les uns des
(1) Essais de critique générale. 1^ Essai. Traité de logique géné-
rale et de logique formelle, 2e éd., I, 248 en haut (I, p. 456, de la
réimpression).
l'oppositjon des concepts 149
autres, ceux qu'on ne pourrait réunir sans contradiction
(ibid. 255 e, 252 cl) et, à l'encontre des termes contradic-
toires ainsi dégagés, il fait ressortir les termes qui sont
simplement autres. Il a donc été loin de confondre l'autre
avec le contradictoire et de définir le second par le premier.
Si, pour désigner l'opposé absolu de l'être, il emploie le
mot âvaycîov, c'est peut-être simplement que son vocabu-
laire est encore insuffisant et qu'il n'a pas de mot pour
signifier le contradictoire en le distinguant du contraire.
Quand même d'ailleurs il aurait pensé qu'un opposé absolu
est un contraire, resterait toujours qu'il a mis tous ses
soins à marquer une différence radicale entre ce qui
s'oppose absolument à un terme donné et ce qui est seule-
ment autre que ce terme. — Il eût été bien étrange
qif Aristote ne tînt pas compte d'indications si pénétrantes
et si nettes. La vérité est qu'il les a mises à profit et qu'il
a défini le contradictoire exactement dans le même esprit
que son maître, sauf à employer un langage encore plus
précis. D'abord, il évite toute confusion entre l'èvavcutXTiçet
ï'àmooOTtç. Entre autres preuves qui établissent cela, on en.
trouvera une particulièrement manifeste dans le fait que les
mouvements proprement dits sont définis chez lui par la
contrariété, tandis que la génération et la corruption sont
définies par la contradiction. Mais nulle part Aristote
n'apparaît mieux comme le continuateur magistral de la
pensée de Platon sur la contradiction, que dans la manière
dont il présente et dénomme cette sorte d'opposition.
Certes il pouvait chercher la contradiction dans une oppo-
sition entre des termes. Pourtant il est sûr qu'il a trouvé
le moyen d'être plus net, en procédant autrement. Le
terme oux xvôptorcôç lui a semblé ambigu, comme à Pla-
ton le terme u.'r, 5v. C'est pourquoi il a placé le siège pri-
mitif delà contradiction dans les propositions et donné a ce
genre d'opposition le nom qu'elle a conservé, sauf trans-
cription, ïvTtçowiç. En disant, que les contradictoires s'oppo-
sent comme l'affirmation et la négation, il faisait ressortir,
d'une façon si forte qu'elle semblait rendre impossibles
toutes les méprises, le fait que de deux contradictoires l'un
est la négation absolue de l'autre. Une telle manière de
150 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
présenter les contradictoires ne ressemble en rien, on en
conviendra, à celle que Zeller a mise au compte d'Aristote, à
une définition de la contradiction par l'altérité.
Cette définition, encore une fois, était précisément Ter-
reur et le danger qu'il fallait éviter à tout prix. — Que cette
définition soit une erreur, c'est ce qui résulte indirectement
de ses conséquences absurdes, de ce que nous appelons le
danger de la définition, point sur lequel nous reviendrons
tout à l'heure. On voit aussi, directement, qu'être autre
qu'une certaine notion et nier cette notion, ce sont choses
fort différentes. D'abord il y a, à côté d'une notion, pour
ainsi dire, une foule d'autres notions qui jamais ne pour-
ront lui être attribuées et qui cependant ne la nient pas et
qu'elle ne nie pas. Tel est le cas des notions coordonnées
et, par exemple, des différences en nombre quelconque
qui, à un certain moment de la pensée, s'ajoutent simulta-
nément à un même genre pour constituer autant d'espèces
qu'il y a de différences. Ces différences sont autres les unes
que les autres ; mais, si elles s'excluent, ce n'est pas
comme l'affirmation et la négation. Prenons ensuite le cas
de notions hiérarchisées. Les notions les moins complexes
s'opposent aux plus complexes ; mais il n'y a pas entre
elles de contradiction : il y en a si peu que les moins com-
plexes entreront dans les plus complexes comme leurs
éléments. A regarder les choses de ce point de vue, on
voit qu'un terme contradictoire n'apparaîtra qu'au sommet,
ou plutôt au-delà du sommet de la hiérarchie. Car, après
avoir épuisé la série des affirmations, il ne restera plus
que la négation, au delà de l'être, le néant, qu'on ne peut
poser qu'en niant l'être, puisque le néant n'a point de con-
tenu qui lui soit propre. Ainsi l'altérité et la contradiction
ne s'identifient pas. Ce qui fait qu'on les confond trop sou-
vent c'est que, par abstraction, toute notion, si incomplète
qu'elle soit, peut se poser comme complète, et, à ce titre,
faire considérer tout ce qui est autre qu'elle comme un
néant par rapport à elle, comme quelque chose qui n'est
conçu que par négation d'elle. Mais remarquons bien que
c'est seulement en tant qu'on a fermé la notion, en tant
qu'on en a fait un univers et un absolu, que ce qui est
l'opposition des concepts 151
autre qu'elle est devenu une négation d'elle, quelque chose
donc qu'il est désormais interdit d'affirmer d'elle : le cheval
en tant que cheval ne court pas, et, s'il est entendu qu'on
parle du cheval en tant que cheval, on se contredit en
prononçant que le cheval court ; car le courir c'est, par
rapport au cheval en tant que cheval, quelque chose qui
est non-cheval, et rien de plus ni de moins. Mais, avant
qu'on eût fermé la notion de cheval, le courir était, par
rapport à elle, de l'autre, et non du contradictoire. Avec de
l'autre on peut, en fermant une notion, faire du contradic-
toire : mais l'autre n'est pas, par lui-même, du contradic-
toire, et par conséquent il ne saurait servir à définir le con-
tradictoire. — Arrivons au danger que présente une telle
manière de définir le contradictoire.
Si une notion est contredite par tout ce qui est antre
qu'elle, alors il est clair que toute attribution devient
impossible. On peut dire qu'il y a trois sortes de jugement
nou tautologiques. Il y a d'abord le jugement analvtique
proprement dit. celui qui procède, non par une répétition,
mais par une décomposition du sujet. Ensuite il est permis
de distinguer deux espèces de jugements synthétiques. Les
uns ajoutent au sujet un prédicat non compris dans l'es-
sence du sujet, comme lorsqu on dit : « le cheval court »,
a la maison est blanche ». Les autres prennent pour sujet,
au lieu d'une notion définie, une ébauche de notion, une
sorte d'y, un nom sans contenu, et ils poursuivent la con-
stitution de la notion du sujet en enrichissant d'attributs
nouveaux cette notion ébauchée. Aucune de ces trois sortes
de jugement non-tautologique n'est possible, si tout ce qui
est autre est contradictoire. D'autre part, et plus évidem-
ment encore s'il est possible, toute conciliation des contrai-
res est impossible ; car le contraire est de l'autre et. pour
ainsi dire, plus que de l'autre.
Avec la théorie d Aristote, non seulement toute erreur
est redressée, mais tous les dangers disparaissent. Lu ce
qui touche à la conciliation des contraires, il y a peu de
chose à dire : Aristote en fait disparaître l'impossibilité et
c'est un grand point ; cependant on pent aller jusqu'à affir-
mer qu'il sait concilier les contraires régressivement dans
152 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
le genre, et progressivement en composant avec les con-
traires extrêmes, tels que le noir et le blanc, des termes
moyens comme les couleurs. — Relativement à l'attribu-
tion, il y aurait à dire beaucoup plus. On ne peut pas lui
demander d'avoir connu la constitution progressive des
essences par synthèse des attributs : c'était déjà beaucoup
que d'avoir renversé une théorie de la contradiction qui
aurait déclaré ou supposé une telle entreprise contradic-
toire et impossible. Quant aux jugements qui rapportent
à un sujet un prédicat non essentiel, du moment que cha-
que notion n'était pas fermée et qu'il pouvait y avoir,
grâce à cela, des relations de causalité entre les choses,
on entrevoyait la possibilité de jugements tels que : « cette
pierre est chaude ». Mais c'est surtout la possibilité des
jugements analytiques, des jugements par décomposition,
que la théorie aristotélicienne de la contradiction permet-
tait de concevoir pleinement. Une fois que les genres se sont
synthétiquement combinés, opération dont ni Platon ni
Aristote n'expliquent, il est vrai, la partie positive, rien de
plus légitime et de plus rationnel, dans la doctrine d'Aris-
tote, que de défaire cette opération. Une essence n'est pas.
au moins en règle générale, une unité absolue qu'on ne
peut que mettre en équation avec elle-même. Il n'y a
nulle contradiction à dire qu'un animal est une substance
animée sensitive, ou que deux est 1 -f- 1. Si la communi-
cation des genres ne se construit pas a priori, elle se
constate et s'analyse a posteriori.
DIXIEME LEÇON
LE JUGEMENT
Les choses qui sont les objets de la pensée étant les
mêmes pour tous les hommes, elles provoquent dans les
âmes des représentations qui, en somme, sont partout les
mêmes. Ces représentations sont traduites par les hommes
au moyen des signes du langage, qui sont traduits à leur
tour par ceux de l'écriture. Les signes du langage, à la
différence des représentations, ne sont pas partout les
mêmes, ils varient au moins avec chaque peuple, et cela
se comprend, car le langage n'est pas un instrument natu-
rel de la pensée et c'est par convention que les mots dési-
gnent les représentations (1). Mais, si les langues diffèrent,
elles ont pourtant toutes ceci de commun qu'elles sont
chacune une traduction des états de la pensée. On peut
donc s'aider des formes du langage comme d'un moyen
extérieur pour trouver les divers états de la pensée. Or
le langage présente avant tout deux aspects qui sautent
aux yeux : on peut considérer en lui d'abord les mots pris
un â un et sans lien, les noms et les verbes isolés les uns
des autres, aveu <TupKkoxrr\<; comme disent les Catégories-
Ci dèb. ; cf. 10, 13 6, 10} ; il y a d'autre part la liaison des
mots entre eux et celle-ci constitue le discours. Corrélati-
vement, il faut distinguer tes pensées isolées et les peu
dans lesquelles il y a liaison, soit sous forme de réunion,
soit sous forme de séparation (2 1. Dans les pensées isolées,
(1) Voir ffermen. 1 déb. 6 16a, il. et, sur le caractère convention-
nel du langage, ibid. 2 <h-h. et i. 17 a, 1 sq.
(2) Hermen, 1, 16 a, i'i s'j . : tùqv'j ôvofiam -x-j-b. xal -;j. Â&Mft'ct fwxi
154= LE SYSTÈME d' ARISTOTE
exemptes de composition et de division, nous reconnaissons
les concepts, ou du moins le type essentiel et primordial des
concepts. Les pensées dans lesquelles il y a de la composition
et de la division sont, bien que le mot soit étranger à la langue
d'Aristote, les jugements. Ainsi, tandis que le concept est
essentiellement quelque chose d'un et de simple, le juge-
ment est essentiellement quelque chose de multiple et"
complexe. Sans doute le jugement a aussi son unité et on
ne peut songer à le définir exclusivement par son caractère
de multiplicité et de complexité. Mais, d'une part, l'unité du
jugement n'est pas naturelle, mais faite ; et, de l'autre, bien
qu'elle puisse avoir un fondement dans la réalité, elle
provient de l'esprit, elle est plus subjective que l'unité du
concept (1). Nous verrons tout à l'heure pourquoi la pensée
discursive est plus subjective que l'intellect au sens étroit.
Commençons par considérer de plus près la composition
et la division, qui sont le premier caractère du jugement.
Platon avait dit que, pour constituer le discours, il faut au
moins un nom et un verbe (Soph. 262 a). Au fond Aristote
n'est pas d'un autre avis. Sans doute il dit dans la. Portique
(20, 1457 a, 24) que tout discours ne se compose pas d'un
nom et d'un verbe, par exemple la définition de l'homme (2).
Mais Y Hermêneia nous dit qu'un tel discours n'est pas celui
qu'il faut, comme nous verrons, considérer dans une théorie
du jugement, qu'il n'est pas un Xôy'oç à-oœavr-.xoç (3). Nous
pouvons donc partir de ce point que, pour Aristote comme
pour Platon, un jugement suppose l'assemblage d'un nom
et d'un verbe. — Or que signifie un verbe? Aristote est
très frappé du fait que le verbe marque les temps ; cepen-
dant il ne fait pas de cela la fonction principale du verbe :
(1) De An. III, 6, 430 b, 5 : to â't êv noioùv, touto ô vov; Ixaarov. et
Metaph. E, A, 1027 b, 29 : iirù S'o o-u^7r).ox7J eotiv xai o ô'tatûîa-tç h
Six-joia èùX ovx èv toZç npc/.y[iu.<n...
(2) Par où il faut entendre, semble-t-il. le second terme de la défi-
nition : animal raisonnable mortel. Où yào ôc-nuc, ).6yoç êx p^aâ-wv xai
ôvopxrwv <<ûyxeiTat olov 6 toù «vÔow7roy ôotapioç, a).). £-j$é%eza.i aveu pnpû-
twv etvat ).5yov.
(3) 5, 17 a, 11 : xat vào 6 toO àv9ow;rou, êàv pi) to ïnxvi t, v;v t? zazou
VJ Tt TOIOVTOV TTpOGTt&y, 0V7TW ^OyO? à7T0»KVTtXÔ;.
LE JUGEMENT 155
la fonction principale du verbe est précisément d'indiquer /#
composition, de marquer que quelque chose est ajouté à
quelque chose (1). Le passage de YHermmeia où cette
idée est exprimée, et dont il faut rapprocher un texte du De
anima (2), nous fait faire un pas de plus, en nous montrant
en quoi consiste la composition que marque le verbe, c'est
celle de l'attribut avec le sujet. — Le jugement est donc
multiple, en ce sens qu'il contient deux termes distincts,
un sujet et un attribut. Tandis que dans le concept on ne
saurait distinguer des parties, le jugement n'est ce qu'il
est qu'à la condition de mettre, en présence deux choses
séparées et de rapporter l'une à l'autre. Peu importe d'ail-
leurs que la discursivité de l'opération se marque par
une composition ou par une division : on peut dire éga-
lement que juger consiste à attribuer un prédicat à un
sujet, et à discerner dans l'unité d'une notion qui les enve-
loppait tous les deux un sujet et un prédicat (3). Ce qu'il
faut retenir c'est la dualité de termes qui est toujours pré-
sente dans le jugement.
D'où vient cette multiplicité essentielle du jugement?
Pour répondre, commençons par considérer quelles sont
les diverses sortes d'attributs que le jugement peut, selon
Aristote, rapporter à un sujet. Il y a trois espèces d'attri-
buts. Il y a d'abord le <TO^.&#/pcoç xa(Tauv6, l'attribut qu'un
lien interne et nécessaire rattache au sujet. Mais cette sorte
d'attribut se présente sous deux formes ; car ce peut être la
(1) Hermetl, 3 déb. ; bviu.cn oi iffTi rô koo7ttiuc<î.j'>j yjjwrj, ou izî'oo;
OVOSV S"!7fiCUVSt JÇtofHÇ... HÏOV Ù-fltlOl ILU OVOUOC, TÔ S\ ÛYlOClVEt fjr,U.(A '
<7tij.rj.ijv yv.a to ryj jT.yr.yivj. Cf. De An. III, t>, 430 a, 30 : ce qui
caractérise, par opposition à l'intuition infaillible du «impie, le mode
do pensée qui comporte vérité el erreur (voir plus loin, y. 161), ''est
essentiellement la T-'r/jiTi.c, : z%j-v. xs^atotffutva nvrlùtrcui., ' «v Si
ysvoitnuv h ÏTiu.vjr,>j , rov jqjôvov -ooo~ewo^v *a't owriOslç. Il convient de
nietln- Taccenlsur les mois njj-ihi-on, cruvnOtl; Cf. Poet. 20, i 4T>7 a,
14-IH.
(2) Hermen., loc. cit. (après xr,>P^ b> ^ S'I-) : *a' ivm [se. rà p-ôy-*]
v.îï twv x«8' i'ioo-j Xsyoutvoiv trrijiiZov.,., olov tûv xaO' ùnoxsitié-joj fi h
Ùno-Kiiué-JM. De An. III, t>, 430 h, 20 : fan <Vh ukv (paatç rt xara tcjo;,
rôrjnsp r, xktcôkt';, /.où oCtr/jt); h -Ihj'ic; Ttâtrtt,..
(3) De An. III, 0, 430 /;, 3 : ivj'f/erai (Sïxai Jiai'oïcriv yâvea 7ravra.
156 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
notion du sujet qui renferme dans son contenu la notion
de l'attribut ; et ce peut être au contraire la notion de 1 at-
tribut qui renferme dans son contenu la notion du sujet.
Ainsi le sujet homme renferme dans son contenu l'attribut
animal: et d'autre part les attributs pair, impair, droit,
circulaire renferment dans leur contenu les sujets nombre
ou ligne. Une troisième sorte d'attribut est celle qui n'est
pas rattachée au sujet par un lien intrinsèque, et que dési-
gne proprement le mot c-uu.êeë7)x6ç : telles sont pour l'ani-
mal la qualité d'être blanc ou la qualité d'être musicien (1).
Pour cette dernière sorte d'attribut il est évident qu'elle est
en soi, dans l'ordre des choses et non pas seulement rela-
tivement à nous, «poç t.^ôcç. séparable et parfois séparée
de son sujet, que le lien, qui rattache l'attribut au sujet
quand il y a lieu, est réel sans être interne ni intrinsèque-
ment nécessaire. La multiplicité, dans un jugement comme
« cet animal est blanc » ou « cet homme est musicien », a
sa raison dans les choses, et, s'il y a quelque chose de sur-
prenant dans les jugements accidentels, ce n'est pas qu'il y
ait en eux de la multiplicité ; c'est qu'ils puissent recevoir
de l'unité Mais lecas des jugements constitués avec les deux
premières sortes d attributs est bien différent : ici l'attribut
n'est pas en soi séparé ou séparable du sujet ; c'est la pen-
sée qui sépare ce qui dans la réalité est uni. Pourquoi,
maintenant, cette séparation dans la pensée? C'est parce
que la pensée qui juge n'est pas complètement, indépen-
dante de la matière ; c'est parce que cette pensée est inter-
médiaire entre l'intelligible et le sensible. Nous aurons
l'occasion de voir que la sensation, suivant Aristote, est,
ou du moins veut être une intellection, mais qu'elle est
astreinte à se produire en tel lieu, en tel temps et, en
outre, dans des conditions qui impliquent contingence,
qu'elle est donc bornée et coupée, non sans arbitraire,
spatialement et temporellement, réduite à saisir des qua-
lités isolées, quand même ce ne sont pas des qualités
mutilées. De sorte que, si nous considérons le jugement
(1) An. post. I, 4, 73 a, 34—6, 5. Cf. Wailz, Organon II, 302-304.
Voir aussi supra, p. 112 sq. et p. 119 sq.
LE JUGEMENT 157
comme s'exerçant sur les données de la sensation, il est
immédiatement évident qu'il doit contenir de la multi-
plicité. Mais, si nous prenons les choses par l'extrémité
inverse, si nous considérons le passage du concept au juge-
ment, il nous faut bien admettre ici encore une réfraction
de l'intelligible à travers la matière. Ce n'est plus par la
sensation que l'influence brisante, dispersiveet contingente
de la matière s'exerce, mais c'est, comme nous le compren-
drons mieux quand nous aurons étudié directement ces
deux fonctions, par l'imagination et la mémoire. Ou, si
l'on veut, c'est pour devenir objet d'imagination et de
mémoire que le concept se fragmente, et c'est pour rester
dans les parties les plus hautes et les plus intellectuelles de
l'opération, qu'il se décompose logiquement. De toute façon
le jugement implique, par suite de l'influence de la matière,
une multiplicité empirique ou tendant à le devenir, alors
même que les attributs à faire entrer dans le jugement
sont des attributs par soi. C'est pourquoi Aristote a pu
comparer l'œuvre du jugement à celle que, suivant Empé-
docle, la nature accomplit dans la production des êtres
organisés : les êtres organisés ne sont pas sans unité, mais
c'est une unité faite de pièces et de morceaux (1).
Comme nous avons étudié la multiplicité du jugement,
étudions à présent son unité. On peut distinguer dans cette
unité deux aspects : d'une part le fondement du rapport
entre le sujet le prédicat dans les choses : d'autre part l'acte
mental qui pose ce rapport. — A propos du rapport entre le
sujet et le prédicat dans les choses, nous n'avons guère
qu'à reprendre d'un autre point de vue ce que nous avons
dit des diverses sortes d'attributs. Entre certains prédicats
et leur sujet il y a, avons-nous dit, séparabilité en droit et,
en fait, parfois séparation : l'union de ces sortes de prédi-
cats avec leur sujet dans les choses ne peut donc être
qu'une union de fait (2 . Lorsqu'il s'agit au contraire des
(1) De An. III, <i, 430 a, 27 : v(r»Q$trtt ru Jiit wt>(i£tuv Aaittp h oytuv,
xaO ''}.--.?, Y.'i.-.vi'j/j.r,--, ïyr, v f, iroXkàv ukv xopffai àvav£tvsc iS\âaTi}vccv .
ÏTZcirce <7vvt£9c<tô«i ri) »t/i«, o-Jr'.» xat raùTa xiyuotarutva vwvlBntu... Cf,
p 155, ii. I.
(i) C'esl ce qù'Aristole exprime parfaitement dans la définition sui-
158 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
attributs par soi, l'union du prédicat avec le sujet sera
fondée sur la nature même des deux termes. Alors, dans
l'un des deux cas qu'il faut distinguer ici, le sujet sera dit
être contenu dans l'attribut ; dans l'autre cas, le plus fré-
quent et le plus typique, ce sera l'attribut qui sera contenu
dans le sujet. Ce rapport s'exprime, non plus seulement
par le verbe uïràp^eiv avec le datif, appartenir à (expression
qui s'applique même à l'attribut accidentel), mais, souvent
du moins, parles expressions plus précises de vTzxpysw h ou
de èvywàpvet.v, être dans ou immanent à (Bonitz, Ind., 789 a,
12 et 257 a, 59). A ce propos faisons en passant une remar-
que importante : pour marquer l'attribution Aristote ne dit
pas « B est A », mais «à A, B appartient, tco A u-àcyst.
B », ou « sv tcô A uTiàpys!. B ». Or cette manière de s'ex-
primer indique qu'Aristote interprète le jugement en com-
préhension et non en extension. Quelque part qu'il fasse
ailleurs à la quantité logique, et nous verrons que cette
part est très grande, il est certain que, lorsqu'il s'agit de
la proposition, Aristote n'a aucune velléité de recourir aux
titres de classe, ni à des cercles qui représenteraient l'ex-
tension des termes. En somme donc le rapport, qui dans la
réalité fonde l'unité du jugement, lorsqu'il ne s'agit pas
d'un pur rapport de fait, est un rapport d'immanence de
l'attribut dans la compréhension du sujet, ou inversement.
L'acte mental par lequel se fait pour nous l'unité du
jugement est l'affirmation ou la négation. Aristote a dégagé
de la manière la plus expresse cette caractéristique du
jugement. Il commence par opposer les discours qui ne
sont pas des jugements à ceux qui en sont, ou, comme il
dit, les discours qui sont déclaratifs, owsecpœmxo»!, à ceux
qui ne le sont pas. Ces derniers, par exemple les souhaits,
sont à renvoyer à la rhétorique et à la poétique (1). Ainsi
vante du awaStS/jxo; proprement dit, Mctaph. A, 30 dêb. : o-jaSéo^xo;
léyzrc/.i ô i>-xv.ayj.i ttév tivi -/.cet ukr.Q'ec, eïnelv, où uévTOi oùV if «v«yx7;; ovr'
hù -o r.o'hxi... Cf. Bonitz, Ind. 714 a, 20.
(1) Hermen. 4, 17 a, 2 : a7iro<pavTixôç Se ov 7rà; [Xôyoçj, «XV lv m to
«XïjQeûeiv i) ipsûc?£<7Ôai iindoyet. aux sv i-nv.ni Se virci.p%ei, oîov rt eùyri) /oyo;
jze'v, «XV ours àXvjô^ç odre tyevSriç. oï u£v <x).),oi àya'aO&xrav • p-/}Topix.îJiyùp
G îrotïjTtxÀç oiy.eiorépcf. rç arxs'-^iç • ô Se ùnofotvrixbq riji vùv Ô£wpî«ç. Il
LE JUGEMENT 159
un jugement pose on déclare une attribution. Aristote
ajoute ensuite que tout discours déclaratif, élémentaire ou
réduit à ses plus simples éléments, est, soit une affirmation,
soit une négation (1). — Mais, si Aristote a bien vu que tout
jugement est un acte d'affirmer ou de nier, il n'a pas aussi
nettement aperçu quel est dans la proposition, expression
du jugement, le signe qui traduit l'affirmation ou la néga-
tion ; autrement dit, il n'a pas dégagé avec toute la netteté
désirable la copule et son rôle. Sans doute il admet la décom-
position du verbe en attribut et copule, et il reconnaît qu'on
peut dire indifféremment : àvf}p<o-o; fîaStÇet et avOpwiroç èVrt
(JaSiÇwv 2). Il y a môme un passage de Y Hermêneia qui
enseigne que le verbe être, considéré dans l'un de ses usa-
ges, n'exprime point un être qu'on puisse prendre en lui-
même et à part des termes qu'il met en relation, attendu
que sa fonction est d'indiquer la oruvOscriç (3). On ne peut pas
mieux définir, semble-t-il, l'être comme copule. Cependant
il y a une contre-partie. Aristote admet bien la décompo-
sition du jugement en sujet, attribut et copule ; mais il tient
cette décomposition pour facultative, et il n'enseigne nulle
part que tout jugement, sans exception, doit se ramener à
ces trois éléments. De plus il se plaît à prendre, comme
exemples de jugement, des*jugements d'existence qu'il ne
décompose pas : bctiv av6pw-oç [Herm. 10, 19 b, 15). Enfin
il est certain que, dans le verbe èim, le sens d'exister et celui
qui appartient à la copule se confondent pour lui étran-
gement, au premier alinéa du chap. 10 de Y Hermêneia.
convient, bien entendu, pour le présent de réserver, dans ce texlc,
le caractère que possède ou ne possède pas le discours d'être préci-
sément vrai ou faux, et d'être surtout attentif à l'acte mental de
VuitoyoLvaic,.
(1) IbiiL . \> défi. : ïa-i $'t il( ttowtoî ).6-/o; à^oyxvrr/6; jcarayafftç,
EIT3C «TTOVCTt;.. .
(2) ffermen. 12, -1 b} 9 : oùSsvyitp diavipn ùtïîï-j âvdjMdTrov 3x<?i^;tv
r, âj'jû'.iiroj 3«oiÇov7« thon. De même, avec quelques autres exemples,
Melaph. A, 7, 1017 a, 27-30. Cf. Phys. 1, 2, 183 b, 27-30 (voir p. 130,
n. 3).
(3) 3, 16 b, 22 : o'jSï yxa tô etvai h pr, ivttu vqpcZày étti t«û npxyux-
toç, oOrJ' âv ro ôj lfor»{ «ùro xa9' aura yt).ov. îawTo fùv yào oJâtv sari,
TtooTfjQ'j.ut.'Jîi iïï tnrjBtaiv riva, îjv dvîv :wv <jvyxtiu.i'Jorj oùx. fffTt voiq cou.
160
LE SYSTEME D ARISÏOTE
Aristote dans ce passage distingue les jugements où il n'y a
que deux éléments : eoriy àv9po>Tcoç, et ceux où il y en a trois :
èVîi obcaioç àvOpcoTco;. Mais ce dernier jugement paraît bien
signifier : « il existe un homme juste ». Il est vrai qu'on passe
peu après à ce jugement : 7z5.q sorlv àv9po>7coç oîxa'.oç, où
z?xL ne peut plus signifier exister. Mais tout ce qu'on peut
conclure de là c'est qu'Aristote mêle très confusément les
deux sens du verbe être (1). — Ainsi Aristote n'a pas bien
vu comment l'acte d'affirmer ou de nier s'exprime dans le
langage, et cela implique peut-être qu'il n'a pas eu une con-
science aussi haute que possible de l'hétérogénéité de l'acte
d affirmer par rapport aux éléments qu'il assemble, c'est-
à-dire en somme de l'indépendance du sujet pensant. Quoi
qu'il en soit de cette nuance subtile, Aristote a su pour-
tant dégager, sinon l'expression de cet acte, du moins l'acte
qui constitue essentiellement l'unité du jugement dans
l'esprit.
De ce caractère du jugement, qu'il est une affirmation
ou une négation, un dernier caractère découle qui achève
de définir le jugement et de l'opposer à l'intuition, surtout
à l'intuition intellectuelle. Une affirmation, c'est-à-dire la
position d'un rapport entre un prédicat et un sujet, est vraie
ou, aussi bien, fausse. Si l'idéal est de penser par intuition,
par natures simples, sans multiplicité, c'est que dans cette
pensée simple et non pas composée il n'y a pas place pour
l'erreur. Au contraire l'affirmation, ou, si l'on veut, plus
généralement la déclaration, t'owrooavaiç, étant l'unité d'une
multiplicité, est sujette à faillir. Qu'est-ce que la vérité et
l'erreur en effet ? Dire vrai, c'est dire que ce qui est est, et que
ce qui n'est pas n'est pas (2). En d'autres termes, la vérité
c'est la conformité de la pensée avec les choses. Mais, lorsque
la pensée porte sur une nature simple, comme elle ne peut
(1) Telle est l'opinion de Waitz (Org. 1,345,5. med. et sq.) dans
son commentaire de ce passage assez obscur. Sur tout ceci, voir
Zeller, p, 221, n. %
(2) Metaph. T, 7, 1041 b, 25 : av?).ov Si Ttpùrov uïv ôjoto-auévotç rï tô
«/7]6j; /.«'t -^êù^oç. to wè» yùp ).éyivj rô ov fr<7 Etvai r, 76 ai] ov sn/ca ileùSo^,
to oè to ov sivoci xai to urç ov uii stvai «âïj&jç...
LE JUGEMENT 161
pas saisir cette nature simple autrement que tout entière
si elle la saisit, il est impossible que la pensée mette ici
du sien ; elle est forcément conforme à la chose (Metaph. H,
10), Si au contraire la pensée porte sur un objet qui se
divise en elle, il pourra se faire que la pensée ne rapproche
pas les morceaux de l'objet comme ils sont unis dans l'ob-
jet. Toute pensée qui procède par affirmation et négation
est donc sujette à Terreur : elle n'atteindra la vérité que si
elle reproduit dans les liaisons qu'elle établit les liaisons
des choses Mais il faut ajouter ici une contre-partie. Si
la pensée composée, qui procède par affirmation et néga-
tion, est au-dessous de la pensée simple parce que l'affirma-
tion et la négation ouvrent la porte à l'erreur, en revanche
cette même pensée composée, qui affirme ou nie. est au-
dessus de la pensée composée qui ne fait encore ni l'un ni
l'autre. Cette dernière espèce de pensée est au-dessous de
la vérité et de l'erreur. Le bouc-cerf est une pensée com-
posée ; mais, si l'on n'y ajoute aucun verbe, cette pensée, à
la différence d'un jugement, n'est ni vraie ni fausse (1). Ce
caractère de comporter l'erreur, mais aussi la vérité, achève
de définir la place moyenne qu'occupe le jugement au-
dessous de l'intellection et au-dessus de la sensation.
Après avoir essayé d'apercevoir quelque chose de la
nature intime du jugement selon Aristote, il nous reste,
nous plaçant désormais à un point de vue plus extérieur,
à étudier les différentes sortes de propositions et les diffé-
rentes sortes d'opérations qu'on peut faire sur elles. Tou-
tefois nous écarterons, pour maintenant du moins, tout ce
qui a trait à la modalité des propositions. Cette' élimina-
tion faite, nous n'aurons en somme à parler des proposi-
tions qu'à deux points de vue : celui de la qualité et celui
île la quantité.
(lommençons par une remarque de vocabulaire. Nous
avons observé plus haut qu' Aristote n'avait point de
tenue qui correspondît exactement à notre mot de juge-
(I) ffermen. 1. ». fin. : «al yùp 6 Toay-).«^o^ ayftulvu uî-j «, o'jr.u S'a
ut.r/jïç, r. l/ij'jo;. èàv 'J.r, zo livfl» r, uc, ilju.i -gotteO/; , r, KirXûç r, ■/.'*-.:<.
/Ù'JJOJ.
Aristote 11
162 LE SYSTÈME d'aHISTOTE
ment ; les mots de 3ô£aet d'OTO^-j/iç (cf. Bonitz, Ind. 203 a,
14; 800 a, 56) eux-mêmes sont dans ce cas. Au contraire,
pour désigner l'expression du jugement ou la proposition,
Aristote est en possession de deux termes au moins :
oMcotpoiva'iç et xpÔTaciç. Mais aTûôœavort.ç désigne la proposition
en tant qu'elle est prise en elle-même. C'est le mot qu'em-
ploie YHermêneia, quand elle ne se sert pas, ce qu'elle
fait de préférence, de l'un ou de l'autre des termes qui
désignent les deux divisions de l'àtcécpocva-tç : àïcôœao-iç et
xoçrà^aartç, affirmation et négation. L'usage du mot Tcpotowrtç
est réservé aux Analytiques et aux Topiques, parce que ce
mot désigne la proposition en tant qu'elle est destinée à
servir de prémisse dans un syllogisme (Cf. Bonitz, lnd. 650 a,
36). En effet une icpôrao-iç est un discours qui est mis en
avant (Tcporetvéjievoç) par celui qui veut préparer une con-
clusion. Sous cette réserve de la destination qu'elle doit
recevoir, la proposition garde d'ailleurs toute l'étendue de
son sens sous la désignation de ~p6-ao-iç (1). Comme les
Analytiques et YHermêneia parlent tous les deux de la
nature des propositions et des opérations qu'on peut faire
sur elles, nous pouvons nous attendre à voir Aristote
employer, sur le sujet qui va nous occuper, un double lan-
gage, sans que cette dualité d'expression empè'che en rien
l'unité des idées.
La brièveté avec laquelle Aristote procède dans les
Premiers analytiques à Tétude' de la proposition rend dif-
ficile de dire si Aristote commence par considérer la qua-
lité ou la quantité des propositions (I, 2 déb.). Dans YHer-
mêneia (c"h. 6), la considération de la qualité vient la pre-
mière, et tel est bien l'ordre rationnel. On sait que les
logiciens ont appelé qualité des propositions, désignation
étrangère à Aristote, le fait qu'une proposition est affirma-
tive, négative, ou peut-être encore indéfinie. Or cette
dénomination est moins arbitraire qu'on ne l'a pensé quel-
quefois. Il convient en effetde remarquer (2) que, lorsqu'on
(i) La preuve en est dans la définition que donnent de la -poras-t;
les Premiers analytiques, I, 1, 24 a, 16 : Tzoozuirti ab ovv ê&ti 'iàyo<;
•/.KTaytXTtxo; o ct.TïOfGLTix.o; rivàç x«t« tivoç. Ci. Waitz, Org. I, 388.
(2) Avec Trendelenburg, El. log. Ar. 8, § 4, p. 59.
LE JUGEMENT 163
demande d'une chose quelle elle est, c'est sa nature ou
son essence que Ton vise. Or, d'après ce que nous avons
vu, l'affirmation ou la négation est bien, dans la doctrine
d'Aristote, et sans doute en vérité, l'essence de la proposi-
tion. Ajoutons, pour insister sur cette idée, qu'il y aurait
encore des propositions quand il n'y aurait pas de quan-
tité logique, mais qu'il n'y en aurait plus s'il n'y avait plus
d'affirmation et de négation. Ainsi c'est bien du point de
vue de la qualité qu'il faut d'abord envisager la proposi-
tion. Aristote, à ce point de vue. admet deux sortes de pro-
positions {Ilermen. et Anal, pr., IL cill.) : les affirmatives
et les négatives, et il n'en admet que deux sortes. Il connaît
bien les propositions formées à l'aide de ce qu'il appelle les
noms indéfinis (àôo'.TTGv ovo[jt.oc, cf. p. 140), comme oùx âv&poi-
tto; (Herm. 2, 16 a, 30) : par exemple, eo-ctv ou* àv&oto-oç et
oùx sortv oOx avôpuwroç [ib. 10, 19 h, 10 et 16). Mais il n'a pas
eu l'idée de constituer avec ces noms indéfinis, pris comme
sujets ou attributs, des jugements indéfinis, comme l'ont
fait plus tard certains logiciens; ainsi « l'àme est non-
mortelle », pour rappeler l'exemple de Kant. Les jugements
indéfinis sont un contre-sens, puisqu'ils méconnaissent le
rôle essentiel de la copule dans le jugement, en faisant
porter la négation sur un terme et non sur la copule. En
refusant d'admettre ce contre-sens, Aristote a montré qu'il
avait, en fin de compte, mieux senti le rôle de la copule
que ses explications ne permettaient de l'espérer.
Au point de vue de la quantité, désignation qui lui est
aussi étrangère que la précédente, Aristote distingue quatre
sortes de propositions, les universelles (aiitpo?«78iç xoôôXoo),
les particulières (ai cv [j.£pî'.),les indéterminées (al ào'.opvrToi;
(Pr.a/tal.\, 2déb.) et les singulières (1). Les indéterminées
sont des propositions dont le sujet ne porte aucun signe, de
quantité, ni -a,-, ni où itâc : par exemple « la science des con-
traires est une », ou <; le plaisir n'est pas un bien »(Pr. anal .
(4) Celles-ci, bien qu'employé*! dans les Analytiques, ne Sgurenl
dans une classification des propositions que dans VB'erméneit
encore assez indirectement : ce sont celles qui ont pour sujel des
individus ; voir Ilermen. 1, dèb. h 17 b, 3.
164 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
I, 1, 24 a, 17-22). Aristote traite les singulières comme
des universelles, et les indéterminées comme des particu-
lières, ainsi que nous aurons l'occasion de le constater tout
à l'heure (Voy. Hermen. 7, 17 b, 26). — Cette manière
de traiter les indéterminées met l'accent sur l'importance
qu'Aristote attribue à la quantité logique. Nous avons vu
qu'Aristote interprète les propositions en compréhension,
en tant du moins qu'il s'agit de l'attribut. Il n'a donc aucune
velléité de quantifier l'attribut, et nous verrons qu'il se garde
de justifier la conversion des propositions par des règles telles
que celles dont se sont avisés les logiciens du Moyen-Age,
à savoir que l'attribut des affirmatives est particulier et celui
des négatives universel. Mais cela ne Tapas empêché de faire
jouer un grand rôle dans sa logique à la quantité des sujets
et, par suite, des propositions. Si Aristote, dans sa logi-
que, s'était placé à un point de vue exclusivement rationa-
liste, s'il avait voulu que les sujets des propositions fussent
toujours des notions parfaitement définies, ainsi qu'il arrive
dans les mathématiques, il aurait fait bon marché de la quan-
tité logique et considéré la proposition indéterminée comme
le vrai type de la proposition logique. On dit « le triangle
vaut deux droits » ; on n'a que faire de dire « tous les triangles
valent deux droits ». Il en est autrement quand on se place
avec Aristote à un point de vue plus empirique. A ce point
de vue il faut distinguer tous de quelques, et c'est même là
une distinction capitale. Le signe « quelques » est la carac-
téristique d'une détermination empirique. Si nous disons
en effet <i quelques hommes sont blancs », c'est que notre
sujet « hommes » n'est pas ici rigoureusement déterminé.
Si nous déterminions rigoureusement ce sujet, nous pour-
rions dire « l'homme caucasique est blanc ». Mais une telle
détermination n'est pas possible dans tous les cas ; elle ne
l'est pas pour les cas où l'attribut est accidentel, c'est-à-dire
encore pour les jugements qui n'ont pas et ne peuvent pas
avoir d'autre fondement que l'expérience. Si donc il y a
dans la connaissance une part pour l'expérience,, et surtout
une part non pas seulement provisoire, mais une part défi-
nitive, c'est-à-dire encore s'il y a de la contingence dans le
monde, il faut que la logique tienne compte de la quantité
LE JUGEMENT 165
des propositions, à moins qu'on ne veuille prétendre que
la logique appliquée à une matière empirique ne peut ren-
dre aucun service. Il faut donc donner raison à Aristote,
mais pourtant sous cette réserve qu'il a peut-être confondu
l'accessoire avec le principal et que la logique de pure
compréhension, d'où serait exclue toute considération exten-
sive. en un mot la logique portant exclusivement sur des
concepts définis, pourrait bien être la logique normale et
primordiale.
Sachant ce que c'est que la qualité et la quantité des
propositions, nous pouvons arriver aux deux opérations
qu'Aristote pratique sur les propositions, savoir l'opposi-
tion et la conversion.
Occupons-nous d'abord de l'opposition et commençons
par l'opposition qui porte sur des universelles et sur des
particulières. Aristote admet ici deux sortes d opposition :
celle des contradictoires, xvrtxeurôat ayriacmxcôç; et celle des
contraires, àvroeew-Bai êvavriiwç. L'opposition contradictoire
est celle qui met en présence une affirmative universelle et
une négative particulière : -■}.: ivOpcoTOç Xeuxôç, où -àç ivSpwrcoç
Âsjy.o; [Hermen. 7, 17 b, 16). Si l'une est vraie, l'autre est
nécessairement fausse et inversement (ibid., 9 déb.). L'op-
position contraire est celle de deux universelles, l'une affir-
mative, l'autre négative : -à; àvOsco-oc Xeuxéç, oùSelç
ïv6pa>rcoç Xevxdç {ibid . , 7, lac. -rit.\. Il est impossible qu'elles
soient vraies toutes deux (ibid. 10, '20 a, 16 . Mais Aristote
remarque ailleurs qu'elles peuvent être fausses toutes deux
(Pr. anal. II, 11, 62 a, 11 ad fin.). C'est certainement
cette dernière propriété de deux universelles opposées par
la qualité qui a fait donner par Aristote à leur opposition
le nom de contrariété. En effet, il y aici quelque chose qui
rappelle ce qui se passe quelquefois dans l'opposition de
termes contraires, savoir qu'entre ces deux termes il y a
un terme moyen, par exemple entre le blanc et le noir. Une
fois admis le rôle de la quantité dans les propositions, on
voit qu'il y a une proposition moyenne entre les deux
universelles opposées, et qu'un attribut qui n'appartient
pas proprement au sujet peut lui appartenir pourtant par
accident, de sorte qu'il est faux de «lire que l'attribut en
166
LE SYSTÈME d' ARISTOTE
question appartienne toujours au sujet et également faux
qu'il ne lui appartienne jamais. — Au reste Aristote n'a
pas fait expressément l'analyse que nous venons d'essayer,
et, d'une manière générale, on peut dire qu'il n'a rien fait
pour démontrer l'opposition des propositions. Cependant,
s'il est impossible de démontrer (1) que de deux contradic-
toires, l'une étant vraie, l'autre est fausse et réciproque-
ment, il est en revanche facile de démontrer que deux
contraires ne peuvent être vraies toutes deux, ou que deux
subcontraires ne peuvent être fausses toutes deux, puisqu'on
peut passer de la A'érité d'une universelle à la vérité de la
particulière et de la fausseté d'une particulière à celle de
l'universelle, ce qui nous ramène au cas des contradictoires.
Aristote, à la différence des logiciens du Moyen-Age, a
préféré s'en tenir entièrement à une vérification par des
exemples. — Cette remarque faite, revenons aux diverses
espèces d'opposition. Nous venons de parler incidemment
des subcontraires. Aristote ne connaît pas le mot (2),
mais il connaît la chose : il sait qu'on peut mettre en face
l'une de l'autre deux particulières différentes de qualité, et
il admet qu'elles peuvent être vraies toutes deux (Hermen.
10, 20 a, 19). Il ajoute d'ailleurs que ce ne sont point, en
réalité et quant au fond, des propositions opposées, qu'elles
le sont seulement dans le langage (3). Reste l'opposition
des singulières et celle des indéterminées. Aristote admet
que les singulières opposées se comportent comme des con-
tradictoires et que les indéterminées se comportent comme
des particulières (Hermen. 7, 17 6, 26-34). — Pour ce qui
(4) Car une prétendue démonstration, telle que celle de Rondelet,
Théorie des propositions modales (Paris, 1861 ; cf. sa thèse latine
de 4847), p. 141, démonstration fondée sur le principe de contradic-
tion, est une évidente pétition de principe.
(2) C'est seulement dans Alexandre qu'on le trouve, An. pr. 45,
23, éd. Wallies (Comm. gr. II, 4) : ôt«v Sï wo-iv km y.époi>i ùafàrspxi
Ivcc-jtLvj., ùvivoairieu xa/oûvrai. Voir aussi Ammonius De interpret . 92,
21 ; 409, 49, éd. Busse (IV, 5) (Schol. 445 a, 15).
(3) Pr. anal. II, 45 S. in. : tktyat ipKVTtXfïfWVRÇ eha.i npoTÙazic, /.ara
ukv ti?v )é|tv TïT7«oa;, ... xar' «AïjÔstav Sï toeï; ' tô yxp rat ry oi rrvi
xarà Tvjv /sÇiv àvrtxstrat povov.
LE JUGEMENT 167
est de la subalternation des propositions, qui n'est pas une
opposition véritable quoi que semble en penser quelque-
fois la logique traditionnelle, Aristote, qui ne connaît pas
ce nom de subalternes, n'a garde de compter ici une espèce
d'opposition. Il professe d'ailleurs que l'universelle con-
tient virtuellement la particulière, et il pense certaine-
ment que celle-ci se conclut de celle-là par syllogisme.
Pour en finir avec l'opposition des propositions, il n'y a
plus qu'à rappeler l'exception célèbre qu'Aristote admet à
la règle des contradictoires, lorsqu'il s'agit des propositions
portant sur des futurs contingents (Hermen. ch. 9). Si un
événement tel qu'une bataille navale est contingent, c'est-à-
dire peut ou non se produire, de deux propositions comme
celles-ci « il y aura demain, — il n'y aura pas demain une
bataille navale », on ne peut pas dire que, si l'une est vraie,
l'autre est fausse, ou réciproquement. Tout ce qu'on peut
affirmer, c'est qu'elles s'excluent indétermitoément. A suppo-
ser vraie l'une quelconque des deux, l'autre est fausse, ou
inversement. Mais on ne peut pas dire dès maintenant que
l'une des deux déterminément, celle-ci plutôt que celle-là,
soit vraie et rejette l'autre dans le faux. Car, à les bien
considérer, ni l'une ni l'autre présentement n'est vraie ou
fausse. Et en effet : « les discours sont vrais, dit Aristote
rappelant sa définition de la vérité, entant qu'ils se confor-
ment aux choses » (1). Lors donc qu'un événement n'existe
pas encore, et qu'il n'existe même pas comme préformé
dans sa -cause puisqu'il est contingent, il est clair qu'aucun
discours sur cet événement ne peut être ni vrai ni faux et
qu'on ne peut pas dire que, tel discours opposé étant vrai,
l'autre est faux ou inversement. La question de savoir s'il
y a réellement des futurs contingents est tout autre ; mais,
s'il y en a, la doctrine d'Aristote sur l'application du prin-
cipe de contradiction à ces futurs est seule correcte et
rationnelle (2).
(1) Hermen. *K 19 a, 33 : ... ôuoiwç ci Xôyoi &i)dtî( C^j-kio rà rcpir/-
uu-ck. Pour la définition de la vérité, voir supra, p. 160.
(2) On ne comprend pas que X<'1I<t, p. 890, o. 3. trouve préférable
la pauvreté dont s'étaient avisés les Académiciens(cf. Cicéron, De fato,
168 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
La seconde opération sur les propositions est, selon
Aristote, la conversion (avTwrpo:prï), par laquelle le sujet et
l'attribut échangent leurs rôles (Bonitz, Ind., 67 a, 1).
Bien qu'il y ait des sujets naturels et des attributs natu-
rels (1), on peut pourtant, sans altérer la vérité, renverser
l'ordre des deux termes, pourvu qu'on se conforme à certai-
nes règles. Toute la théorie de la conversion, dans laquelle
Aristote ne s'occupe d'ailleurs que des universelles et des par-
ticulières en laissant de côté les indéterminées et les singuliè-
res (2), est contenue dans un passage extrêmement dense et
court des Premiers analytiques (I, 2, 25 a, 14-26). C'est ce
passage qu'il s'agit de présenter sous une forme suffisamment
développée (3). Aristote commence par la conversion de l'uni-
verselle négative. La proposition Nul B n'est A se convertit
en Nul A nest B. Voici la démonstration d'Aristote. Si on
nie que la converse soit Nul A ri est B, c'est-à-dire si l'on
soutient que cette proposition est fausse, il faudra donc
que la proposition vraie, la converse légitime, soit la con-
tradictoire de Nul A ii est B, à savoir Quelque A est B.
Appelons Tout Y ce Quelque A ; nous obtiendrons ainsi la
proposition Tout Y est B. D'autre part, comme Tout Y est
Quelque A, nous pouvons dire que Tout Y ey/ A (c'est-à-dire
quelque A est A). Nous pouvons donc constituer, le syllo-
gisme suivant (4) : Tout Y est A, Tout Y est B, donc Quelque
B est A. Mais la conclusion de ce syllogisme est la contra-
dictoire de la proposition à convertir Nul B ri est A ; la con-
clusion est donc fausse, et partant il faut que l'une des
12, 27-28), qu'une des propositions détenninément est déjà vraie,
savoir celle qui se trouvera réalisée fortuitement. La doctrine par-
faitement fondée d'Aristote était une réponse aux Mégariques, qui
croyaient trouver dans le principe de contradiction la base suffisante
d'un fatalisme logique (cf. Zeller, ibid.).
(1) Cf. Trendelenburg, Elem. log. Ar. 8, p. 68 (§ 8 déb.) : ce sont
d'une part des choses singulières et qui ne peuvent être attributs,
d'autre part les genres derniers (les catégories) qui, précisément
parce qu'ils sont derniers, ne peuvent être sujet de quelque attribut
plus général.
(2) Cf. Rondelet, op. cit., p. 108 sq.
(3) Ainsi que l'a fait Waitz, p. 374.
(4) C'est un syllogisme de la 3« figure, en dArAptl.
LE JUGEMENT 169
prémisses soit fausse. Or la prémisse Tout F est A ne peut
être fausse, puisque c'est au fond une proposition identi-
que. La prémisse fausse est donc Tout T est 13. Mais cela
revient à dire que la proposition Quelque A *est B est
fausse. Si elle l'est, la proposition Nid. A n'est B, sa con-
tradictoire, est donc vraie ; c. q. f. d. — A l'aide de la
conversion de l'universelle négative, désormais acquise,
Aristote démontre les deux autres conversions, celles de
l'universelle etdela particulière affirmatives. L'universelle
affirmative Tout B est A a pour converse Quelque A est B.
Car, si Nul A /t'estB, on aura par conversion Nul B n'est A.
Or cette dernière proposition, par l'intermédiaire de la
subalterne Quelque B n'est pas A, contredit la proposition
à convertir. Donc la proposition Nul A n'est B est fausse
et c'est sa contradictoire Quelque A est B qui est vraie ;
c. q. f. d. — La particulière affirmative Quelque B est A
a pour converse Quelque A est B. Sinon, en effet, la converse
sera Nul A n'est B, laquelle, à son tour, a pour converse
Nul B n'est A. Par suite, Quelque B n'est pets A ; ce qui
contredit l'hypothèse, etc. — Quant à la conversion de la
particulière négative, Aristote ne. l'admet pas, et il se con-
tente d'en montrer l'illégitimité par un exemple. Soit la
proposition Quelque animal n'est pas homme; il n'est pas
nécessaire que Quelque homme ne soit pas animal ; cela
n'est pas nécessaire, puisque dans l^spèce cela est faux et
que Tout lu, m me est au i 'mal. Aristote n'examine même
pas le cas où l'on voudrait prendre pour converse Nul homme
n'est nmmal : c'était inutile en effet, puisque, s'il est déjà
faux que Quelque homme ne soit pas animal, il doit être
plus faux encore que Nul homme ne soit animal. Bien
entendu. Aristote ignore la conversion par contraposition
et n'essaie pas de s'en servir pour convertir la particulière
négative (i).
Nous verrons en étudiant le syllogisme quel inconvénient
gravo présente la manière dont Aristote démontre les con-
(1) Voir Logique de Port Royal (é i- Charlesj 1869), p. 229, n 3 :
îorte de conversion consiste, comme on suit, a mettre ui
ni chaque terme el & transposer les len
170 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
versions. Théophraste et Eudème, puis Alexandre, ont
essayé d'en trouver une autre (1). Selon Théophraste et
Eudème, dire que la totalité de B est séparée de la totalité
de A (Nul B n'est A), cela revient à dire que la totalité
de A est séparée de la totalité de B, et par conséquent la
converse est, sans difficulté, Nui A n'est B. Mais, ou bien
Théophraste et Eudème se représentent les termes de la
proposition par des cercles et font un appel à l'intuition, et
alors ils n'apportent qu'un exemple et non une démonstra-
tion ; ou bien ils commettent une évidente pétition de
principe. Alexandre a, semble-t-il, été beaucoup plus heu-
reux. Si, dit-il, la converse de Nul B n'est A n'est pas
Nul A nest B, ce sera donc Quelque A est B. Mais, en par-
tant de cette dernière proposition et delà proposition à con-
vertir, nous obtenons le syllogisme suivant (2) : Nul B
n'est A ; Quelque A est B ; donc Quelque A n'est pas A. La
conclusion est absurde. Donc la prémisse Quelque A est B
est fausse, et sa contradictoire Nui A n'est B est vraie;
«. q. f. d.
Indépendamment de lamodalité, que nousavons réservée,
la qualité et la quantité sont les seuls aspects de la propo-
sition dont Aristote se soit occupé. Il n'a rien dit de ce que
les logiciens postérieurs ont appelé la relation. Il ignore
tout à fait la division des jugements en catégoriques, hypo-
thétiques et disjonctifs. L'expression de 7tp6towtç xar^yopix^
revient souvent chez lui, mais elle signifie proposition
affirmative (3). Sous la réserve qui a été faite, nous avons
donc achevé l'étude du jugement selon Aristote.
(1) Cf. Rondelet, op. cit., p. 155-157. Pour les opinions de Théo-
phraste et d'Eudème, cf. Alexandre, An. pr. 31, 4-10, cf. 34, 13, éd.
Wallies ; pour la démonstration propre d'Alexandre, ibid. 34, 15-20.
(2) Syllogisme de la ire figure, en fKrIO.
(3) Voir Trendelenburg. op. cit., p. 69.
ONZIEME LEÇON
LE RAISONNEMENT
Pour autant qu'elle ne se ramène pas à l'intellection, la
sensation n'est pas un savoir, car elle n'est ni vraie ni
fausse ; l'intuition intellectuelle est le suprême savoir, inac-
cessible à l'erreur ; le jugement, qui est vrai ou faux, n'est
par lui-môme ni un savoir ni l'opposé : il est plutôt une
simple position ou affirmation contingente. C'est seule-
ment dans l'opération supérieure de la pensée discursive,
dans le raisonnement, que la science reparaît. Tout ensei-
gnement de nature discursive, qu'il soit donné ou reçu,
comme dit le début des Seconds analytiques, et par là il
faut entendre toute science, car ce qui s'enseigne et s'apprend
est science (Eth. Nie. VI, 3, 1139 b, 25), toute science dis-
cursive donc et même tout ce qui imite la science discur-
sive, provient, soit par le syllogisme, soit par l'induction,
d'une connaissance antérieure. En d'autres termes, la science
discursive se fonde sur une connaissance antérieure où elle
trouve une garantie que le simple jugement ne présentait
pas. et l'opération, par laquelle la science se fait en s'ap-
puyant sur les connaissances antérieures, est le raisonne-
ment. Car l'induction, sur laquelle nous aurons à revenir
plus tard, participe elle aussi de la nature du raisonnement,
et, quant au syllogisme, il est pour Aristote le type du rai-
sonnement par excellence. C'est le syllogisme que nous
allons étudier dans cette leçon, en essayant tout d'abord de
voir comment et pourquoi une conclusion est quoique chose
de scientifique, alors qu'on ne peut pas en dire autant d'un
jugement, puis aussi de dégager le principe du syllogisme
172 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
et, par là, de déterminer dans quel ordre de choses il est
permis de chercher des liaisons syllogistiques ; enfin nous
exposerons ce qu'on appelle proprement la théorie du syl-
logisme. Nous écarterons tout ce qui a trait aux syllogis-
mes à propositions modales.
On sait comment Aristote a défini le syllogisme. Cette
définition extérieure fait ressortir, sans l'approfondir encore,
le caractère auquel nous nous sommes référé dans tout ce
que nous venons de dire, à savoir que le syllogisme part de
certaines données pour en dégager par ses propres forces
des connaissances enveloppées dans ces données (1). Les
choses qu'il faut poser pour qu'une autre s'ensuive, ce sont
deux prémisses et trois termes. D'une seule proposition
aucune autre chose ne s'ensuit : il en faut deux, et encore
telles qu'elles aient un élément commun. Les deux propo-
sitions que les logiciens du Moyen-Age nomment les pré-
misses s'appellent ordinairement chez Aristote al rçpotà-
c-ô'.ç, ou encore Ta Êkaam^aTa, parfois al 6ito9édre#.ç ; celle que
nous nommons la majeure s'appelle ri tcowttj irpoTao-tç, la
mineure est oeurépa, sTspa, TëXeuT&ià tz^ôxcutiç. La conclu-
sion s'appelle <n>|ATOpaar{jux. Les deux prémisses, devant
avoir un élément, c'est-à-dire un terme, qui leur soitcom-
mun, renferment trois termes. Ceux qui ne sont pas com-
muns s'appellent chez Aristote les extrêmes, toc àxpa : l'un,
notre majeur, est to [jlsïÇôv ou to Tcpôkov axpov, l'autre, notre
mineur, est to eXarcôv ou eavatov axpov. Celui qui est com-
mun est 6 picoç ô'poç ou to jjLécrov (2).
C'est en considérant le rôle du moyen- terme que nous
pouvons nous faire une idée de la nature intime du syllo-
(1) An. pr. 1. 1, 24 b, 18 : GvWo-pauvc, §é ïtjn ),oyoç iv <>j, reôsvrwy rtvwv,
è'repôv -t twv xecuévcuv le Kvayxvjç rjuu.Sa.vjzi -rji -aura ù-jc/.t. léyu oï -'•>
zocùroc Etvoa tô Siv. tc/.vto. (7Vj^6c.îv£tv to pt/j^evàç ëlfwôev ôoou npoaiïîî-j ttaôç
TÔ yevê'cÔat to àvayx.«îov.
(2) /foc?. 23, 40 b, 30-41 à, 13 ; 25, 42 a, 31-40 : ... ira; c-w.Àoyto-ao;
l'arat o^tà zptù-j ô'owv povov. to-jtou J'ôvtoç p&vépou, <?»jaov m; xai i/. ^ôp
T.oo-:'J.nz(ii-t ' ot yào rosi; ôoot, c?vo tïoqtc/.gsiç... Sur ôoo;, voir 1. 24 />.
16 cité p. 110, n. 2. Pour la terminologie d'Aristote, voy. Zeller,
p. -226, n. 4 et 7 et Bonitz, Index 189 6, 11 (Stda-r^oc) ; 796 6, 59
(•Jîro&t'o-ciç) ; 651 6, 26 (irporaotç) ; 717 a, 34 (G\j;j.népK7u») ; 457 «, 36
(^c'o-o; ô'foç, to p.£o-ov).
LE RAISONNEMENT 173
gisme. Le moyen n'est pas seulement « celui des termes
qui est dans les deux prémisses » [An. pr. I, 32, 47 a,
38). On commence à entrevoir quelque chose de sa fonc-
tion, quand on dit qu'il relie entre eux les deux actes d at-
tribuer qui constituent les prémisses (1). Mais il y a plus à
dire. Le savoir se formule dans des propositions qui sont
des conclusions de syllogismes ; telle, par exemple, cette
proposition que l'angle inscrit dans un demi-cercle est
droit. Cette proposition consiste à attribuer le majeur du
syllogisme au mineur. Or, entant que cette proposition est
la conclusion d'un syllogisme, elle possède un caractère
qui lui fait défaut quand on la considère comme un simple
jugement : c'est que l'attribut y a été rattaché au sujet par
une raison. Et cette raison, c'est précisément le moyen-
terme qui la représente : xh [ièv yap autov xb <jà?w (Sec.
anal. II, 2, 90 a, 6). Dans l'exemple choisi, le moyen, terme
c'est le fait que l'angle inscrit est égal à la moitié de deux
angles droits (car, comme on peut le démontrer d'autre
part, l'angle inscrit au-dessus du diamètre intercepte un arc
égal à celui qui sert de mesure à deux angles droits), et le
syllogisme est le suivant : La moi/h} de deux angles droits
est un angle droit : or l'angle inscrit dans le demi-cercle
est lu moitié de deux angles droits,; donc, etc. Le moyen-
terme, tout en exprimant une condition nécessaire et suffi-
sante, n'est donc pas ici une notion proprement dite, un
tout, mais au contraire une partie, un élément, quelque
chose qui indique décomposition; bref c'est ce qu'Aristote
appelle une cause matérielle. Mais il n'importe : cette cause
matérielle joue dans l'espèce le même rôle qu'une autre
sorte de cause. Le plus souvent d'ailleurs ce que le moyen
exprime, c'est la cause motrice, la cause finale, la cause
formelle ou essence : trois sortes de causes qui, connue dit
un p;issuge célèbre de la Physique^ se ramènent à une
Beule, savoir la lormo (2). De sorte que le moyen, raison
([) Unit. i;i. il <i. il : '.nri Kr,--ioj xi fiiaov ùttfoh, S ?vvaytt ràç
XMTqyoptaç. . .
(2) II, 7, 198 a, -i : . . xi ;îoo;, rô x.tv$9m, xà oj iv;x«. Ipytreu^'g rà
rpta (i$ h KO/J.ùxi;.
174 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
de la conclusion ou, plus explicitement, de l'attribution du
majeur au mineur dans la conclusion, c'est l'essence, ou,
dans le cas le plus défavorable, quelque chose qui, dans
l'accomplissement de la fonction voulue, peut servir de
substitut à l'essence (cf. Sec. anal. ch. 2 et 11). Nous com-
prenons par là tout le sens de cette proposition familière à
Aristote, que l'essence est le principe du syllogisme (1). Et
enfin cette proposition achève de nous faire comprendre la
nature intime du syllogisme : ce qui dans le jugement était
rapporté l'un à l'autre comme attribut à sujet, sans moyen-
terme et sans raison, trouve dans le syllogisme sa raison, et,
d'autre part, la raison apportée par le syllogisme c'est,
sous les espèces de l'essence, l'objet propre de l'intellection,
la nature simple sans multiplicité. La discursion, qui avait
d'abord, dans le jugement, brisé l'unité de l'intuition, se rap-
proche de l'intuition. Ou, corrélativement, la multiplicité
sensible, déjà quelque peu ramassée dans le jugement,
achève de se concentrer à la lumière et sous l'influence de
l'intuition intellectuelle. Le syllogisme, c'est donc en somme
la discursion recevant une raison, et par là, puisque cette
raison est une nature simple, ramenée ou élevée autant que
possible à l'unité de l'intuition. — Le résultat de cette ana-
lyse peut être confirmé par une contre-épreuve. Si l'on
compare au syllogisme une prétendue méthode de raison-
nement qui, malgré ses prétentions, n'aboutit pas, on verra
que son imperfection vient de l'absence du moyen-terme.
IS'ous trouvons précisément, selon Aristote. l'exemple d'une
telle méthode dans la division platonicienne. Comment pro-
cède-t-elle ? Tous les êtres sont animés ou inanimés ; ran-
geons l'homme parmi les êtres animés. Tout animal est
terrestre ou aquatique ; rangeons l'homme parmi les ani-
maux terrestres. Et, en continuant ainsi, nous obtiendrons
tous les caractères de l'homme. Mais, dit Aristote, tout ce
qu'on pourrait conclure, c'est, dans le premier cas, que
l'homme, étant un être, est animé ou inanimé, et, dans le
(1) Metaph. M, 4, 1078 b, 24 : àpyr, iïï t<ûv o-v/.Xoyto-piwv -à zi èartv.
Z, 9, 1,034 a, 31 : ... ûimep Iv rolç, ffv/.^ovia'ixciZ; tt«v?wv ù-pyjri r> oùaix.
ex yUp to-j ré èartv oi aulloyiiruoi eiirtv. . . Cf. A?l. post. II, 3 début.
LE RAISONNEMENT 175
second, que l'homme, étant un animal, est terrestre ou aqua-
tique. Le surplus, l'attribution à l'homme de tel caractère
à l'exclusion du caractère opposé, au lieu de le démontrer,
on le (I finaude à la bonne volonté de l'interlocuteur, on le
postule (o uèv yào o£T. SetÇat, aiTeïtai). Et pourquoi ? parce
que le seul moyen-terme qu'il y ait ici (tous les êtres, ou,
au degré suivant, tous les animaux) n'est pas celui dont on
pourrait tirer ce qu'on a besoin de conclure. C'est un moyen
trop général, qui ne permet qu'une conclusion trop générale.
Le moyen qu'il faudrait, l'essence de l'homme, seule capa-
ble de fournir les attributs qu'on entreprend d'établir, est
absent. En réalité donc il n'y a pas de moyen, pas de raison,
pas de preuve ni d'explication, et, en conséquence de cette
absence de moyen, la division est « comme un syllogisme
impuissant » (olov «<rôeyy|ç aruXXoywpwç) [An. pr. I, 31, du
début à 40 b, 37; cf. An. post. IL 5, du début à 91 b, 27).
Ainsi ce qu'Aristote reproche à la division platonicienne, ce
qui l'empêche selon lui d'être concluante, c'est qu'elle ne
renferme pas de moyen-terme, et certes, quel que soit le
mérite de la division platonicienne comme promesse et
ébauche d'une méthode progressive, dont on peut regret-
ter que toute idée manque chez Aris-tote, le reproche est
exact. Le moyen-terme que comporte sans doute la
méthode progressive, Platon ne sait pas le dégager et, telle
qu'il la présente, sa division ne conclut pas. Donc la grande
idée qui fait tout l'essentiel du syllogisme, c'est précisé-
ment celle qui fait défaut chez Platon, c'est l'idée que rai-
sonner consiste à donner une raison, à fonder sur une rai-
son l'union des deux termes du jugement; c'est L'idée de
la preuve et de L'explication, l'idée de l'affirmation ou de la
négation médiat i-
Maintenant que nous voilà fixés sur la nature du syllo-
gisme, au moins dans ce qu'elle a de plus intérieur cf. de
plus capital, nous devons nous demander comment le syl-
• me accomplit son processus, ce. qui l'autorise à con-
clure, bref quel est le principe «lu syllogisme. A la vérité,
nous ne devrions pas paraître aborder ici une question nou-
velle. C'est la même question qui devrait se continuer. Ce
qui rend possible la marche du syllogisme devrait résul-
176 LE SYSTÈME DA.RISTOTE
ter de la nature du syllogisme, et ainsi nous devrions n'avoir
qu'à tirer ici les conséquences des vérités que nous avons
énoncées tout à l'heure. Puisque le moyen contient toute
l'essence et tout le secret du syllogisme, il devrait suffire
de poursuivre l'analyse de la nature du moyen-terme, pour
en faire sortir le principe qui fonde le syllogisme et qui en
rend la marche possible. Et cependant c'est en somme une
•question nouvelle que nous abordons, et le principe du
syllogisme, tel qu'Aristote l'a compris, ne se conclut pas
purement et simplement de ce que nous savons déjà du
rôle qu'il accorde au moyen. Cela vient de ce qu'il y a dans
la théorie aristotélicienne du syllogisme, et d'une manière
générale dans toute la logique d'Aristote, une constante
dualité. Lorsqu'on nous dit que le mo}^en est l'élément
commun des deux prémisses, qu'il est la raison de l'union
du mineur et du majeur, nous sommes portés à croire que
le moyen est pour Aristote une notion dans le contenu de
laquelle le contenu de deux autres notions s'identifie. Et
nous sommes confirmés dans cette manière de voir, quand
nous songeons qu'Aristote emprunte de préférence ses
exemples de syllogisme démonstratif aux mathématiques,
quand nous nous reportons notamment à l'exemple dont
il se sert pour nous faire comprendre que l'égalité de l'an-
gle inscrit dans le demi-cercle à un droit se prouve par ce
moyen-terme : un angle de deux demi-droits. Et certes la
manière de voir en question n'est pas fausse : elle exprime
bien ce qu'il y a de plus profond dans la pensée d' Aristote,
théoricien de la démonstration. Pourtant elle ne s'accorde
pas toujours avec la lettre de la théorie de la démonstra-
tion, et surtout elle est contredite par les déclarations
d' Aristote, théoricien du syllogisme proprement dit. ïren-
delenburg a présenté, comme étant le principe du syllo-
gisme suivant Aristote, la formule suivante : « Tout ce qui
s'affirme de l'attribut devra s'affirmer aussi du sujet» (1).
Cette formule donne le principe du syllogisme au point de
(1) Cdteg. 5, 3 b, 4 : ôtra yùp xscrà toù y.a.royopovp.évoxj léytrui xài
xarà toCi ÛTroxeifxÉvou onQ/iaerui. Cf. Trendelenburg, Elem. log. Aris-
totel. 8, p. 93 (§ 23). '
LE RAISONNEMENT 177
Vue du contenu des notions, comme nous disions tout à
l'heure, bref au point de vue de la compréhension. Mais,
d'une part, il ne s'agit nullement du syllogisme dans le
passage des Catégories d'où Trendelenburg a extrait cette
formule; c'est donc par accident qu'Aristote a écrit, dans ce
passage, une proposition qui pourrait servir de principe au
syllogisme. D'autre part, lorsqu'il s'agit de formuler en
connaissance de cause le principe du syllogisme, Aristote
tient un langage tout différent. On sait que les logiciens du
Moyen-Age ont fondé le syllogisme sur un principe qu'ils
appelaient diclum de omni et nul lu. La source de cette
expression est certainement dans la fin du premier chapitre
du livre I des Premiers analytiques \'l\b, 26), où Aristote
explique ce que c'est que « d'être dit de tous et de n'être dit
d'aucun ». Quant au principe lui-même que les explications
en question sont destinées à préparer, il faut plutôt le cher-
cher dans un autre passage que nous indiquerons tout à
l'heure (Au. pr. I, 4, 25 b, 32). — Voyons les explications
préparatoires d'Aristote et tâchons d'en saisir l'impor-
tance (1). « Dire qu'une chose est dans la totalité d'une
autre, et dire qu'une chose est attribuée à une autre, celle-ci
étant prise universellement, c'est même chose. Et nous
disons qu'une chose qui reçoit un attribut est prise univer-
sellement, lorsqu'il est impossible de rencontrer aucune
partie du sujet dont la seconde chose ne se dise pas. De
même pour l'expression : n'être attribué à aucun. » Ne
nous occupons ni du dernier membre de phrase : « de
même etc. », où les sous-entendus peuvent être aisément
rétablis avec un peu d'attention et où il y a plus de brièveté
que d'obscurité. Ne nous occupons pas non plus de la
phrase qui précède : « Et nous disons... », car elle est fort
claire. Restent la première phrase et surtout l'expression ht
oa() l'.v/'., « être dans la totalité d'une chose ». Elle no signi-
fie pas que l'attribut est dans tout le sujet; car alors cette
I .1/'. ///•. I, 1, i-'-i i)y 26 : rô o:- iv ôaaj uveti rrcoov iripeu xai -à xarà
tt'/.-j-'j; x«Ti)yopita0ae Sarcaou âârtoov rttùrov écttiv. Aiyouev dï -6 xurù.
XGtTTjyopctffOat, orco umi'tv h Xa6c?v rwv tov jr.o/.iiu.ïJryj, x«0' ou
reritpov où As £01; errreci x«i to /.«?« ui)o tvô( ûffaûrtu;.
Aristote 12
178 LE SYSTÈME d'a.RISTOTE
première expression serait si rigoureusement synonyme de
la suivante et si exactement calquée sur elle mot à mot, qu'il
n'y aurait pas besoin d'explication. De plus ce sens du mot
èv ne s'accorderait pas avec celui que nous serons forcé de
lui reconnaître tout à l'heure dans les locutions comme
[iio-ov elvat sv oX<j> ~y Tcpw-a), sayaTov slvai sv oào) xw |J^s-a>,
uiarov èaTtv h àXXw, aXXo èarxiv ev uléctw. L'expression sv
ÔXo> ne signifie pas non plus, et cela commence à nous
intéresser davantage, que l'attribut est dans la compréhen-
sion de son sujet, comme un caractère est dans la totalité
des caractères, ou dans l'essence. Cette signification est ici
inadmissible, parce qu'elle ne s'accorderait pas avec le sens
du mot sv dans les locutions que nous venons de signaler.
Il faut donc (1) que sv oAy eïvouait le sens de « être dans la
totalité extensive de », « être dans l'extension de » (2).
Ainsi, lorsqu'Aristote, théoricien du syllogisme, dit : « Tel
attribut appartient à tel sujet pris universellement », il faut
traduire : « Tel sujet pris universellement est dans l'exten-
sion de tel attribut », ou encore : « le sujet est une espèce
dont l'attribut est le genre ». Mais qu'est-ce à dire? Cela signi-
fie qu'Aristote, qui s'était placé au point de vue de la com-
préhension dans la théorie de la proposition, passe à celui
de l'extension dans la théorie du syllogisme. — Ce chan-
gement de front est naturellement de la plus haute impor-
tance. En effet le principe du syllogisme, le dictum de
omni et nullo, bien loin de ressembler à la formule acciden-
ts Comme ledit Trendelenburg, Elem. tog. Ar. 8, p. 94 sq. (§24),
approuvé par Boniiz, Ind. 505 b, 13;
(2) Ce sens, comme le fait remarquer Trendelenburg, ibid., con-
corde avec celui de iv dans un passage des Catégories, 5, 2 a, 1 5 - J 7
(les substances secondes sont les espèces et leurs genres, h olc, ûStaiv
aï 7rpco7wç O'jfxica Is^oasvoci {jircipy^ovrjL . . . oïov 6 Ttç âv0p«7ro? sv eïc?si ftèv
Û7r«p^et -à «y0pw7rw. . .), et, dans un passage de la Physique, IV, 3,
début, où ce sens est précisé par un rapprochement avec le sens
opposé : il y a plusieurs acceptions de la formule â).).o h cLWm, la par-
tie est dans le tout, le tout d'autre part est dans les parties, ou encore
w; 6 âLvQpùïKOç sv Çww xai ôlùi slâo^ sv ysvsi, ou bien enfin wç ro ■yr./os iv
tw sïdsi x«t ÔAwç rô fxî'po^ zoû ûSouç, iv tw toù sï^ov; /oyw [ut sv, dit
Trendel., modo generi speciem subesse, modo genus formae inesse
indicei].
LE RAISONNEMENT 179
telle du chap. odes Catégories (d. p. 174, n. 1), sera une pure
affaire d'extension. Ce.principe, nous ne le trouvons formulé
qu'à propos de la première figure du syllogisme. Mais
nous comprendrons prochainement que, pour Aristote, le
principe de la première figure est le principe du syllogisme,
parce qu'il n'y a que la première figure qui vaille. Voici
donc le principe [Prem. anal. I, 4. 25 ô, 32) : « Lorsque trois
termes sont entre eux dans de tels rapports que le mineur
soit dans l'extension du moyen et que le moyen soit dans
l'extension du majeur, ou au contraire n'y soit pas. alors il
y a nécessairement syllogisme [littéralement syllogisme
des extrêmes] parfait » (1).
De cette manière de concevoir le principe du syllogisme
découlent des conséquences qui méritent l'attention. D'une
part, le syllogisme n'est pas autre chose que la subalterna-
tiou d'une proposition universelle ; car, puisqu'il s'agit
uniquement d'extension et, par conséquent, d'un passage du
général au particulier, le mineur n'est qu'un autre nom de
quelques exemplaires du moyen : Tous les hommes sont
morte! s ; or quelques hommes sont hommes ; donc quelques
hommes sont mortels. Le syllogisme devient ainsi assez
insignifiant, et peut-être même est-il bien près d'être une
pétition de principe. On dirait qu'Aristote a pressenti ce
dernier danger; car, lorsqu'il énumère dans les Topiques
les diverses sortes de pétition de principe, il écrit en passant
cette phrase curieuse : « Lorsqu'il s'agit de démontrer
quelque chose de particulier, on le postule en termes uni-
versels. Par exemple, s'il s'agit de démontrer que la science
des contraires est une, on prend pour admis qu'il y a une
seule science dos opposés. Il semble alors que ce qu'il fal-
lait démontrer à part, on le postule en compagnie de plu-
sieurs autres choses » (2). Sans doute au fond Aristote
(1) Orsc» ouv ôpoi rpsïç ovr-.>; ;/.'>>'<■ Moç xXÀqXov; '.".ttî rôv t^/atov iv
/.' r& j-iTy kcù rôv tiivov h ô".) T'ô irourod r, taxi r, ur, zl-j-xt, Kvayxq
y,,j ttvece i-j< i'j-jiti.tj -ùit/jj.
(2) VIII, 13, ICiii <(, 1 : ... otco /.ara uip©{ nirj K7T09(l£a( xaOoÀov n<
oÙtctc, orjj iT.i/^now ôrt T'.jv rwotVTÎoiv UÏOL izia-r, j.c,, 5Xtt{ tw KVTUUtatVMV
«ÇiMTîiî piav «tvctt • c?oxtî y*,0 ° £'J;'- A%fj <tû*' BtZÇai x i 7 ' i'/J'o-* «irdtaOxt
irAitàvuv.
180 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
est convaincu de la validité du syllogisme, et il la défen-
drait par bonnes raisons; mais ce serait peut-être en reve-
nant au point de vue de la compréhension, et ce double jeu,
qui est au fond de sa pensée, enlève à celle-ci beaucoup
de fermeté. — Une autre conséquence du point de vue de
l'extension est peut-être plus grave encore que la précé-
dente. Si le syllogisme est une subsomption médiate, il
s'ensuit qu'il n'est à sa place que dans le domaine des
genres et des espèces. En effet qu'est-ce que le moyen-
terme ou la raison, à ce point de vue? C'est une classe qui
est subsumée sous une autre et à laquelle on en subsume
une dernière. Ce qui explique, c'est donc l'universel en
tant qu'universel ; le mineur reçoit le majeur comme attri-
but, parce que le mineur est une espèce du moyen,
qui était déjà une espèce du majeur. Voilà le syllogisme
purement extensif, et il est immédiatement évident qu'il
ne peut s'appliquer qu'à des termes qui se subordonnent
l'un à l'autre en extension. Mais, quand môme on en
reviendrait à interpréter la majeure en compréhension,
lui donnant ainsi le sens d'une loi : tous les hommes
meure?i/, et non plus d'une classification : tous les hommes
sont un groupe dans la classe des mortels, si pourtant la
mineure reste encore interprétée en extension (et il le faut
bien pour ne pas sortir tout à fait de la logique extensive),
le champ d'application du syllogisme demeurera aussi res-
treint. En effet la mineure subsumera le mineur sous le
moyen; c'est-à-dire que le moyen sera une classe, et le
mineur, une subdivision ou un individu de cette classe.
Nous retombons toujours sur l'idée que c'est l'universel
qui explique et que ce qui est expliqué, c'est le particulier :
toujours une subordination d'espèce à genre (1). Au fond
(1) Aristole semble bien cou venir de cetle conséquence : cf.
Metaph. M, 10. 1080 b, 34 : o-j ynp yiyveTOU aj't.loytaui'j; on. roo£ rô
Toïy&jvov dvo ôpftoûç, si a 77 7vàv rot'ywvov dvo ôpQuïz, oj<T ôrt oài 6 av&pw7ro;
Çwov, ù p.'À 7râ; dvbpwKoç Çwov. An. post . I, 31, 87 b, 38 : r> 0 j-utt/ju/j
tw t6 xK&oAouyvwoi^tv sartv. Le passage de la Métaphysique que nons
venons de citer est d'autant plus significatif qu'il fait parlie d'un
développement dont l'objet est d'établir que, si les Idées platonicien-
nes sont des choses singulières et. non des universaux, il ne peut pas
y en avoir de connaissance scientifique.
LE RAISONNEMENT 181
donc Aristote aurait dû reconnaître que les mathématiques
échappent au syllogisme, puisque les essences mathémati-
ques sont singulières ; il aurait dû prévoir et accueillir tout
le fond des objections de Descartes contre le syllogisme.
S'il n'en a rien fait, c'est, d'une part, qu'il n'a pas bien vu
que les essences mathématiques sont singulières ; d'autre
part et surtout, c'est que l'universel a chez lui un double
sens, que ce n'est pas seulement ce qui s'étend à tous les
membres d une classe, que c'est aussi ce qu'une essence
possède par soi. Cela revient à dire, encore une fois, qu'il
passe subrepticement du point de vue de l'extension à
celui de la compréhension. Mais il est acquis qu'en inter-
p ré tant le syllogisme en extension, ce qui est sa doctrine
consciente et avouée, il diminue singulièrement la portée
de l'opération. Ce n'est plus du tout la portée sans limite
qu'il lui conférait, lorsqu'il jugeait suffisant, pour définir le
syllogisme de lidentilier avec l'acte d'enchaîner par une
raison ou de médiatiser.
Cette remarque terminée, reprenons les choses où nous
en étions arrivés après avoir exposé le principe du syllo-
gisme et passons à la théorie logique de cette opération.- Il
s'agit, bien entendu, de ce qu'on appelle le syllogisme sim-
ple et catégorique. Nous avons écarté les syllogisme
propositions modales et, quant aux syllogismes hypothéti-
ques et disjonctifs, Aristote ne les connaît pas (1).
Nous avons dit que le principe <lu syllogisme, tel qu'il
;i été énoncé plus haut, est le principe même de la pre-
mière ligure. 11 y a donc syllogisme de la première figure
1 7'//>;/a) lorsque le moyen est dans l'extension du majeur ou
n'y est pas), et que le mineur est dans IVxtension du moyen.
d) Voit- Zeller, p. 21's. ± Notons en ;> iss.i ni que l'expression
jvïùo'/icrfAbi i% Û7rod(7g<»; ii.' signifie pas syllogisme hypothétique, mais
syllogisme doni la conclusion s'appuie sur t/n>'/<//,> ■ ,, ,,)
. V-, ail/, i, i^T. ad An. pr, I. 23, 40 b, ■ our l'expo-
sition de la théorie logique 'lu BjlJogisme ainsi délimitée, nous
à profit une étude, très claire ci généralemenl très exacte, de
M. Fonsegrive, La théorie </// syllogisme catégorique d'après
tote, Annales de la : es Lettres de Bordeaux, 3e année, 1881,
!>. 393-410.
182 feP SYSTÈME D ARISTOTE
Par son extension le l'Jioyen se place donc ici entre le
majeur et le mineur (xal' ~ï tiérsi ylvsrat [x&roVj An. jrr. I,
4, 25 6, 36). On traduira!'/; donc la pensée d'Aristote en
symbolisant le rapport des t'fois termes, dans la première
figure, par trois cercles concentriques dont le plus intérieur
serait le mineur, le plus extérieui> le majeur et l'intermé-
diaire, le moyen. On peut dire encore pour définir la pre-
mière figure, en se plaçant au point de Vue, moins techni-
que selon Aristote, de la compréhension, qye le majeur A
y est l'attribut de tout le moyen B et que le moyen B y est
l'attribut de tout le mineur T. — Nous n'avons plus main-
tenant qu'à déterminer les modes de la première figure.
Aristote ne considère les combinaisons possibles entre
quatre sortes de propositions que dans les prémisses : il
laisse de côté avec raison les conclusions, et cela lui fait seu-
lement 16 modes possibles à examiner, au lieu de 64, dans
chaque figure. Il commence constamment par examiner les
modes à prémisses universelles et passe, ensuite seulement,
à ceux qui contiennent des particulières. La détermination
des modes de la première figure est contenue dans le chap. i
(An.pr.l). Aristote admet comme évidemment justifiés par
le principe de la première figure les deux modes dont les
prémisses sont, comme on a dit au Moyen-Age, AA et EA.
Tout B est A, Tout T est B, donc. Tout T est A ; — Nui B
n'est A, Tout T est B, donc Nui T n'est A. Ce sont les modes
qu'on a appelés bArbArA et cElArEnt. Viennent ensuite
les modes AE et EE. Aristote les rejette, en faisant voir sur
des exemples (exemples qu'il ébauche seulement, en indi-
quant des triades de termes concrets avec lesquels on peut
construire des syllogismes) qu'ils admettent, en partant de
prémisses vraies, des conclusions, tantôt vraies, tantôt
fausses, c'est-à-dire des conclusions qui ne sont pas néces- l
saires, des conclusions accidentelles qui ne sont pas des^
conclusions. AE peut, avec les termes anima/, homme, ch>
val, donner lieu à une conclusion fausse : Tout homme est \
animal) Aucun cheval n'est homme ; Aucun cheval n'est ani-
mal. Avec un autre exemple il donne une conclusion vraie :
Tout homme est animal', Aucune pierre n'est homme;
Aucune pierre n'est animal. Le mode EE admet une conclu-
LE RAISONNEMENT 183
sion vraie avec l'exemple : Aucune lig ne n'est science ;
Aucune unité n'est ligne ; Aucune unité n'est science. Avec
l'exemple suivant, il a une conclusion fausse : Aucune ligne
n'est science; La médecine n'est pas ligne', La médecine
n'est pas science. Parmi les modes où l'une des prémisses
est particulière, Aristote conserve AI et El, soit dArlI et
fErlO. Par la même méthode que précédemment, c'est-à-
dire en s 'appuyant sur des exemples, Aristote rejette les
modes IA, OA, 1E, AO, EO. Il ne dit rien du mode OE,
auquel d'ailleurs rien n'empêche d'appliquer le même pro-
cédé, et enfin il rejette en bloc les modes dont les deux
prémisses seraient particulières, en indiquant des termes
concrets qui permettraient d'obtenir dans ces modes des
conclusions vraies et des conclusions fausses.
La seconde ligure est ainsi définie : « Lorsqu'un même
terme appartient h l'un, pris universellement, et n'appartient
pas à l'autre, pris universellement, ou lorsqu'il appartient
ou n'appartient pas tant à l'un qu'à l'autre des deux termes,
pris universellement, cette figure, je l'appelle la seconde.
Ce que j'appelle le moyen dans cette figure, c'est le terme
qui est l'attribut des deux autres, les deux extrêmes sont
ses sujets ; le majeur est celui qui, par son extension,
approche le plus du moyen, et le mineur est celui qui, par
son extension, s'éloigne le plus du moyen. Le moyen est
en dehors des extrêmes, et sa place, quanta l'extension, est
la première. » [An. jrr. I, 5, déh.) Le moyen est en dehors
des extrêmes, parce qu'il n'est pas sujet de l'un et attribut
de l'autre. Mais cela n'empêche pas de comparer les trois
termes sous le rapport de la quantité. Etant deux fois
attribut, c'est-à-dire deux fois genre, le moyen a plus d'ex-
tension que les extrêmes, et d'autre part le majeur a plus
d'extension que le mineur, puisque, dans la conclusion, il
est son attribut ou son genre. — Cherchons maintenant
les modes valables. Soit d'abord cESÀrE : Nul N n'est M ;
Tout H est M ; donc Nul E n'est N. Ce mode est valable;
en effet il se ramène, par la conversion, de la majeure,
au mode cElArEnt de la première ligure (1). Le modo
(1) Cf. An. pr. I, [j, 27 a, 12 : ■/■:'/ivrl7xt. yùç> irctXiv tô ttowtov cr/TJaa.
184
LE SYSTEME D ARISTOTE
cAmEstrES etlemode fEStlnO sont bons aussi, parce qu'ils
se ramènent à cElArEnt et à fErlO. Le mode bArOcO est
bon lui-même, parce qu'on le ramène aussi, non plus, il
est vrai, par transposition de prémisses et conversion, mais
par une réduction à l'absurde, au mode bArbArA. Quant
aux modes non concluants, Aristote les rejette, en procédant
absolument de la même manière que pour la première
figure.
Voici la définition de la troisième (1) : « Si un même
terme, pris universellement, a comme attribut l'un des deux
autres termes et n'a pas l'autre, ou si, toujours pris uni-
versellement, il a tous les deux comme attributs, ou n'a ni
l'un ni l'autre, une telle figure, je l'appelle la troisième. Je
nomme moyen le terme qui est ici le sujet des deux attri-
buts ; je nomme extrêmes les deux attributs; majeur, celui
qui, par son extension, est le plus loin du 11103-en; mineur,
celui qui en est le plus près. Le moyen est en dehors des
extrêmes, et, par sa place sous le rapport de la quantité, il
est le dernier. » (An. pr. I, 6, début) Le moyen a la plus
petite extension, parce qu'il est deux fois sujet, et le majeur
en a plus que le mineur, parce qu'il est, dans la conclusion,
son attribut. Le mode dArAptl : Tout S est U ; Tout ï est P :
donc Quelque P est II, est bon, parce qu'il se ramène à
dArlI. Même procédé de démonstration pour ffilAptOn,
dlsAmls, dAtlsl et fErlsOn ; pour bOcArdO, on a recours
à la réduction à l'impossible. Les modes non concluants
sont rejetés par le même procédé que dans les deux pre-
mières figures. — De même que la seconde figure n'ad-
mettait que des conclusions négatives, de même celle-ci
n'en admet que de particulières (Ibid. 5 fin et b' fin).
Aristote ne parle pas d'une quatrième figure. Ce n'est
sans doute pas par oubli. C'est parce que, à bien considérer
les définitions des trois premières figures, on voit que ces
trois premières figures épuisent toutes les combinaisons
possibles des termes entre eux. En effet x\ristote définit au
(1) On remarquera qu'ici, comme à propos de la 2e figure, la défi-
nition est conçue de manière à ne pas écarter les modes faux. On
remarquera aussi qu'elle omet, par négligence, de faire une place
aux modes dlsAmls et dAtlsl.
LE RAISONNEMENT 185
fond les trois figures par les rapports d'extension entre les
extrêmes et le moyen. Or il est clair qu'il n'y a que trois
cas possibles : le moyen-terme est, soit d'une extension
intermédiaire, soit le plus, soit le moins étendu des trois
termes. Sans doute Aristote ne se fait pas faute, nous
l'avons vu, de caractériser aussi les figures par la place
grammaticale du moyen dans les prémisses; mais c'est là
une considération accessoire et non pas fondamentale. Par
conséquent on est fondé à dire (1) que, quand Galion a
inventé la quatrième figure, il n'a pas complété la classifi-
cation (J'Aristote, mais avancé une classification nouvelle,
fondée sur un principe tout différent.
Reste à considérer les rapports des deux dernières
figures avec la première. Les syllogismes des deux der-
nières figures sont tous imparfaits [An. pr. I, 5, "28 a, *
et 6, 29 a, 14) ; ceux de la première figure, au contraire,
sont tous parfaits (4, 26 /;, 28). Un syllogisme parfait
est celui qui, en dehors de ce qui est posé clans ses pré-
misses, n'a besoin de rien pour que Yévirfenee du lien
nécessaire qui rattache la conclusion aux prémisses appa-
raisse ; par contre, le syllogisme imparfait est celui qui a
besoin qu'on dégage de ses prémisses quelques relations
qui y sont impliquées, mais non pas posées (2). Si les
syllogismes de lapremière figure sont évidents, c'est assu-
rément par la place qu'y occupe le moyeu qui, au point
de vue de l'extension, est contenu d'une part et contenant
de l'autre. Si les syllogismes des deux dernières figures
manquent d'évidence, c'est que le moyen n'y occupe pas
la même situation; et enfin, s'ils renferment, mais impli-
citement, tout ce qu'il faut pour conclure, cela signifie que
leur moyen peut recevoir par un traitement convenaluV, la
position privilégiée qui caractérise celui de la première
figure. Un peut se demander comment «les conversions
(1) Trendelenburg, AV. log. Ar. L03 sq. (§ 28).
In. /))•. I, 1, 2i h, %i : -ù-ivj uzv ouv /.'///■> nvWoyia u.b\> rôv /x»>o*i-
y-i/ï, Se -;yj KûoaStiy.nm r, svà$ »v, à ïa-.i psv y.-ju-^y.ot.iy. <?tà rù«
ÙltOXtlUtvu'J Ôa<UV, OÙ UtyV l'ur,j:-yj. <?l« naorÛOttùV,
186 LE SYSTÈME d'aRJSTOTE
qui font passer les termes de la place de genre à celle
d'espèce peuvent ne pas dénaturer, bien loin de les traduire
en plus clair, les rapports des termes. Mais on se rend
aisément compte que, en changeant de place, le moyenne
change pas de quantité. En effet, lorsqu'il s'agit de la
seconde figure, on convertit une négative universelle, et le
moven, devenu sujet, reste universel ; lorsqu'il s'agit de
la troisième figure, le moyen dont on change la position
n'est pas celui qui est pris universellement, de sorte que le
changement est sans influence sur le rapport des termes.
Mais, si la transformation qu'Aristote fait subir au syllo-
gisme peut se comprendre en elle-même, elle n'en constitue
pas moins dans la logique aristotélicienne une grave inco-
hérence, en même temps que, si l'on revient à la considérer
une fois de plus en elle-même, on découvre qu'elle est une
erreur. La réduction des syllogismes des deux dernières
figures à la première constitue, disons-nous, une incohé-
rence. En effet cette réduction se fait au moyen de con-
versions de propositions. Or Aristote, et en cela il n'a pas
eu tort, n'a pas admis, comme l'ont fait les logiciens du
Moyen- Age, que la conversion constitue une inférence
immédiate, ayant son évidence propre et ne demandant
point à être fondée sur une démonstration syllogistique.
Comme nous l'avons vu, il démontre syllogistiquement les
conversions. Or, pour démontrer la conversion de l'univer-
selle négative, qui sert ensuite à démontrer les deux autres
conversions, il a recours à un raisonnement par l'absurde,
dont la partie syllogistique est un syllogisme endArAptl,
c'est-à-dire un mode de la troisième ligure. Comment donc,
après cela, recourir à la conversion pour ramener les deux
dernières figures à la première? C'est évidemment commet-
tre un cercle vicieux. Maintenant il est vrai qu'Alexandre,
en démontrant autrement les conversions (ainsi que nous
l'avons indiqué p. 170), a réussi à affranchir la logique
aristotélicienne de ce cercle vicieux. Mais il n'a peut-être pas
par là assez fait encore. Car, en regardant les choses de plus
près, Ramus, Leibnitz, M. Lachelier ont pu faire voir que
les conversions étaient, à vrai dire, des syllogismes de la
deuxième et de la troisième figure et que chacune de ces
LE RAISONNEMENT 187
figures avait son principe et son évidence propres. Reste
toutefois que la première figure qui, comme Aristote l'a
justement remarqué, permet seule des conclusions de toute
nature (An, pr. I, 4 fin), affirmatives aussi bien que néga-
tives, universelles aussi bien que particulières, est la plus
importante de toutes et que de celle-là Aristote a constitué
la théorie définitive, autant du moins que cela est possible
du point de vue de l'extension.
DOUZIÈME LEÇON
LES SYLLOGISMES MODAUX
On se ferait une idée très inexacte de celui des livres de
YOrganon qui est consacré à ce qu'on pourrait appeler les
questions les plus purement logiques, c'est-à-dire des Pre-
miers analytiques, si Ton se figurait que cet ouvrage ne
contient pas beaucoup d'autres choses que la théorie du
syllogisme simple, avec les indications sommaires qu'elle
suppose sur les propositions. Après avoir rappelé les prin-
cipaux traits de la théorie du syllogisme, Zeller continue
(p. 229-231) : « Aristote a aussi expliqué tout au long
comment la science doit se servir de ces formes du raison-
nement [les figures du syllogisme] et quelles sont alors les
fautes à éviter. Il montre d'abord quelles sont les thèses
les plus difficiles à établir et les plus faciles à réfuter, et
réciproquement [Pr. anal . I, 26] ; il donne ensuite les
règles à suivre dans la recherche des prémisses qui sont
requises pour la démonstration d'une conclusion, étant
données la qualité et la quantité de cette dernière [ch. ?/-
29], et il profite de l'occasion pour faire de la méthode pla-
tonicienne de la division l'objet de quelques critiques
[ch. SI] ; puis il indique en détail les principes à observer
et les procédés à suivre pour construire, avec la matière de
la démonstration ainsi trouvée, des syllogismes exacts et
réguliers [ch. 32-46]. Il s'occupe en outre de la portée des
divers syllogismes, c'est-à-dire l'étendue [explicite ou
implicite] de leurs conclusions [Pr. anal. II, i], des syl-
logismes à prémisses fausses [ch. 2-4], de la démonstra-
tion en cercle [démontrer l'une des prémisses à l'aide de la
LES SYLLOGISMES MODAUX 189
(■(inclusion et de la converse de l'autre prémisse] [ch. 5-7],
de la réciprocation du syllogisme [c'est-à-dire de la des-
truction d'une des prémisses par l'union de /'autre avec
t'a contradictoire ou la contraire de la conclusion] [ch. 8-
10 , do la réfutation d'une proposition par ses conséquen-
ces \ch. 11-14], des syllogismes que l'on peut obtenir en
prenant les opposées des prémisses d'un syllogisme donné
[ch: 15], des nombreuses fautes qu'on peut commettre en
raisonnant et des moyens de les éviter [p. ex. la pétition
de principe [ch. 16-22]. Il recherche enfin ces moyens de
preuve qui ne constituent pas des démonstrations au sens
étroit [p. ex. l'induction, l'exemple, le syllogisme fondé
sur des signes], pour analyser le procédé caractéristique de
raisonnement que chacun d'eux représente [ch. 23-21]. »
Nous reviendrons sur linduction. Mais, si nous sommes
forcés de laisser de côté tout le reste de ce qui est traité
dans les Premiers analytiques, nous voulons du moins, à
l'étude du syllogisme simple, joindre celle des syllogismes
modaux. — La théorie des syllogismes modaux, avec les
éléments sur la théorie des propositions modales qui y sont
joints, constitue une des parties les plus difficiles et les
moins connues des Premiers analytiques, Cette théorie,
hautement caractéristique de la manière d'Aristote, traite
d'ailleurs des questions, dont quelques-unes sont impor-
tantes et dont les autres sont curieuses. Il est important de
savoir à quelles conditions, en mélangeant des prémisses
de diverses sortes, on peut obtenir une conclusion néces-
saire ou une conclusion contingente. Et il est au moins
curieux de voir quels syllogismes l'introduction de la moda-
lité dans les prémisses peut retrancher ou ajouter aux qua-
torze types qu Aristote reconnaît comme concluants dans
le syllogisme ordinaire.
Nous passerons rapidement sur la théorie des proposi-
tions modales, d'autant que, chemin faisant, nous retrou-
verons 1rs points importants au moment où Aristote, ayant
besoin de s'en servir, les établit. Mous suivrons do près au
contrairo le texte de l'auteur dans l'étude des syllogismes
modaux [Pr. anal. 1, 9-22), Car notre but principal est de
permettre à qui le voudrait de lire, sans trop de temps ni
190 LE SYSTÈME d'àKISTOTE
d'efforts, cette portion ardue des Premiers analytiques.
Aristote ignore l'emploi du mot xpo-rcoç, courant chez les
commentateurs, pour désigner les modes ou modalités. Il
n'a même donné nulle part, semble-t-il, une définition de la
modalité en général. S'il fallait en croire un grand nombre
de commentateurs et notamment Ammonius, Philopon et
Boèce, un mode serait un adverbe quelconque joint à la
proposition simple. Ainsi : Socrate discute, proposition
simple, deviendrait une proposition modale quand on dirait
par exemple : Socrate discute bien. A ce compte, il y
aurait une infinité de modes et de modales (1). Mais cette
conséquence, que les commentateurs en question avouent
du reste, soulève une grosse difficulté qui amène à douter
de la légitimité de leur définition. S'il y a une infinité de
modes, pourquoi Aristote s'occupe-t-il de deux modes seu-
lement, le nécessaire et le contingent? Comment y a-t-il
intérêt à parler de ces deux là, quand il faut bien négliger
tous les autres ? Et, si cet intérêt est réel, d'où vient aux
deux modes dont il s'agit leur privilège ? La vérité semble
bien être qu'Aristote, et avec lui Alexandre, n'auraient
jamais souscrit à la définition que nous venons de rappeler.
Si Aristote traite de deux modes seulement, c'est sans
doute qu'il n'y en a pour lui que deux, et non pas que ces
deux ont un privilège. Pour expliquer qu'il y ait deux
modes privilégiés, on a cru pouvoir leur reconnaître un
caractère qui, croyons-nous, est essentiel à tout mode selon
Aristote. Ce caractère, dit-on, c'est que les modes privi-
légiés concernent, non pas la matière, mais la forme (2).
— Il y a là une idée juste, à condition toutefois qu'on la pré-
sente autrement. En disant que la logique est formelle, il
est possible d'entendre par là qu'elle n'a pas de valeur
objective. Elle n'aurait pas de valeur objective : 1° parce
que les notions qui servent de termes dans les raisonne-
(1) Voir Rondelet, Théorie logique des propositions modales,
p. 10 et 42-14 —Ammonius in Hermen. 214, 25 sqq. 230, 10 Busse ;
Philopon. An. pr. 304, 28-30 éd. Wallies : Boèce, in Hermen. l**éd.
II, 12 déb. (Migne, 64 II, col. 362 G).
(2) Ibid., p. 59-66; Alexandre, An. pr. 20, 2-4; 270, 1-28, 329,
31 sqq.
LES SYLLOGISMES MODAUX 191
ments seraient des créations subjectives de l'esprit et cons-
titueraient, tout au plus, des signes tout à fait inadéquats
des réalités auxquelles elles correspondent ; 2° parce que
les rapports établis par l'esprit entre les notions, celles-ci
fussent-elles objectives, ne seraient pas des rapports de
même espèce que ceux qui sont à l'œuvre dans la nature.
A prendre les choses de cette façon, Aristote refuserait
complètement d'admettre que la logique est formelle, et
qu'on puisse établir qu'une certaine détermination relève
de la logique en disant que cette détermination est une
pure question de forme. iNon seulement il croît que les rap-
ports sur lesquels roule la logique sont des rapports natu-
rels, que la nature syllogise comme l'esprit; mais il ne
songe guère à douter que les notions prises pour termes
de nos syllogismes puissent ne pas être adéquates. C'est
sur un double acte de confiance dans les rapports et daus
les notions que repose précisément la méthode de démons-
tration par les exemples, que nous avons vu Aristote
employer dans la théorie du syllogisme ordinaire, que nous
allons le voir employer dans la théorie du syllogisme
modal. Lorsqu'une conclusion syllogistique s'accorde avec
la conclusion tirée par la nature, le syllogisme est logi-
quement légitime ; si la nature ne conclut pas comme lui,
c'est qu'il ne vaut rien. Ainsi, en donnant au mot de formel
le sens qui vient de nous occuper, nous ne saurions dire,
pour caractériser les modes, qu'ils sont aux yeux d' Aristote
quelque chose de formel (1). — Mais le mot de formel
comporte une autre acception encore, et, quoique mal
démêlée, c'est cette acception qui est au fond de la pensée
que nous examinons et qui la rend en partie juste. Prenons
la proposition et le raisonnement en eux-mêmes. 11 est
entendu qu'ils sont quelque chose d'objectif, et quant à leurs
termes, et quant aux rapports de ces termes. Cependant,
malgré leur commune objectivité, nous pouvons distinguer
(1) Zeller, p. 223, a grandement raison de dire que la nécessité et
la contingence qu' Aristote a en vue dans sa théorie des modales con-
cernent les choses, et non pas un aspect subjectil de la pensée qui
192 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
l'an de l'autre ces deux éléments de la pensée jugeante
et raisonnante. La distinction faite, nous appellerons les
termes matière, et nous appellerons forme les rapports.
Dans une proposition, par conséquent, la forme ce sera ce
qui est exprimé par la copule et nous pourrons dire que ce
qui caractérise chez Aristote, soit les modes privilégiés,
soit, pour mieux dire, les modes, c'est qu'ils concernent
le rapport du prédicat au sujet, qu'ils portent sur la copule.
Et nous verrons tout de suite par là, les rapports étant
beaucoup plus généraux que les termes, comment il est
possible de faire une théorie des modes, puisque le risque
de se perdre dans l'infinité sera écarté. Or, que les modes
selon Aristote, et non pas à vrai dire des modes privilégiés
mais tous les modes, concernent le rapport du prédicat au
sujet et portent sur la copule, c'est ce qui nous paraît
incontestable (I). Au reste le fait qu'Aristote, pour dire qu'il
y a des modes, dit qu'il y a des propositions contingentes,
comme il y a des propositions exprimant simplement le l'ait
que le prédicat existe ou n'existe pas par rapport au sujet,
ce l'ait est suffisamment éloquent (Pr. an. 1, 2 déb., cf.
8 déb.). Car, si la forme, c'est-à-dire l'essence de la propo-
sition, c'est le rapport et la copule, caractériser la moda-
lité en disant que c'est une manière d'être de la proposi-
tion, cela revient bien à professer que le mode porte sur la
copule.
Voilà donc ce que c'est qu'un mode en générai pour
Aristote. Quant aux espèces de modalité, elles sont au
nombre de deux, lorsque du moins on ne compte pas
(1) iiondelet, qui croit qu'Aristote, tout ou n'ayant pas eu la con-
science de cetie opinion, en a eu pourtant le soupçon, renvoie, pour
prouver l'existence de ce soupçon, à deux passages des Pr. anal.,
dont le meilleur ne nous semble pas très probant. Aristote dit bien
dans ce passage, I, 3, 25 b, 21, que le mot sjoi/jzui est a mettre sur
le même x*ang que le motèVrt (rà jùp kvoé/trui Twi<mv ôuoto>; 7*r?îTai).
Malheureusement tout ce qu'il s'agit d établir dans le passage, c'est
qu'une proposition où figure ivoé-^èrai est une proposition affirmative,
comme celle où figure êort. De même, et plus clairement peut-être,
dans le second passage, I, 13, 32 b, 1-3. Et il y a encore assez loin île
là à l'idée que le mot ivSèyviai n'est, au fond, qu'un adverbe portant
sur la copule. Voir Rondelet, p. 65, n. 1.
LES SYLLOGISMES MODAUX 193
pour une espèce de modalité le caractère que prend la pro-
position simple, en tant que cette proposition est opposée
aux autres modales. Les deux modes reconnus par Ari3-
tote sont le nécessaire et le contingent. — La notion du
nécessaire semble à Aristote, à tort ou à raison, si claire
par elle-même que, dans les Premiers analytiques, il ne la
définit pas. Il dit ailleurs que le nécessaire est ce qui ne
peut pas être autrement, ttô p.-/] èvosyôijLevov aAAw; sys'.v, et
que le premier type en est la nature simple, qui en effet
n'a et ne saurait avoir qu'une seule manière d'être
{Metaph. A, 5; cf. Bonitz, lnd. 42 «, 50). — La définition
du contingent est plus délicate. Il y revient à plusieurs fois
dans les Premiers analytiques (notamment I, 3, 25 a, 37
et 13, 32 a, 18). Le mot que nous traduisons par contin-
gent est to £vosyô;ji£vov. Entre ce mot et celui de Suva^ôv, il
semble malaisé de faire une différence (1). Au sens propre,
nous disent les Premiers analytiques (I, 13, 32 <z, 18) le
contingent (svosy&|Asvov) est ce qui n'est pas nécessaire, et
qui peut être supposé exister sans qu'il y ait à cela d'ini-
(1) Wailz, I, 375-377 (ad 25 a, 37), que nous sommes un peu surpris
de voir approuvé par Bonitz (Metaph., ad 0, 3, 4017 a, 20), croit, il
est vrai, apercevoir entre l'un et l'autre une différence capitale :
Vivôeyàuevov serait ce qui est logiquement possible, ce que nous pou-
vons concevoir sans contradiction, tandis que le «Juvoctov serait ce qui
est ontologiquement possible, ce qui peut être sans qu'il y ait incohé-
rence dans les choses. Waitz va même jusqu'à identifier Ysv$vxpitiW*
d'Arislote avec le problématique de Kant. Mais ce. rapprochement, à
lui seul, est un sûr indice d'erreur. Et d'ailleurs comment Waitz
ferait-il pour donner un sens subjectif, ou du moins mental, au mot
fjSiyia(iui dans un passage tel que celui-ci, du ch. 13, livre I, des Pr.
anal. '? Il y a, y dit Aristote, deux sortes d'iv£tf;gcer0«f, celui qui concerne
les choses de la nature, les choses qui arrivent le plus souvent sans
être nécessaires, comme lorsqu'on dit:Èvoï;££<7Ôai7ô TrohowjOai <xv9pw7rov
(32 b, 16), et celui qui concerne les faits de fortune et de hasard,
comme lorsqu'on dit : nityiaBou tô [3«<?iÇeiv Çûov r, ro |3«o iÇouro,- ynfofatt
o-siffuov (32 6, 11). De même encore pour le passage célèbre de YUer-
méneia, où il est dit des événements, en les opposant précisément à
nos discours et à nos pensées, ônàrtû' trvyi xoù r« faturim vjSiyi<j^xt
(9, 19 a, 32 : ... inti OfAoiwç ot Àoyot ù/.r/jti; ûmttpirù nou^aocra, c?q).ov
Û7i otoc oûto)ç ï%ti w<TT£ o-nà-zif xz\ . ) ? 11 n'y a donc pas de différence à
faire, au moins sous cet aspect, entre svJs^ojitivov et cJuvarov.
Aristoto 13
104 LE SYSTEME d'aRISTOTE
possibilité. Or c'est presque littéralement dans les mêmes
termes que le possible (ouvarôv) est défini par la Métaphysi-
que (0,3, 1047 a, 24) (1). Cette définition assurément n'est
pas irréprochable, elle contient un cercle évident. Malgré
cela, il faut reconnaître que la notion aristotélicienne du
contingent est parfaitement précise : le contingent est ce
qui peut également être et n'être pas. Tel est du moins le
sens propre de la notion. C'est dans un autre sens que
l'on dit, en parlant du réel et même du nécessaire, qu'ils
sont possibles, et èvosysa-ûa». ne doit plus alors se traduire
par « être contingent » (Pr. an., fin du texte cité).
A côté des propositions assertoriques (toû jTràcys'.v), il y a
donc des propositions nécessaires \xoû se àvàprçç urcàp^eiv) :
« Il est nécessaire que... » et des propositions contingen-
tes (xoù evSl^effBai ûitâp^etv) : « Il est possible que... »
Lorsqu'on veut opposer les propositions modales, il faut
faire attention à deux points. D'abord l'opposition doit
porter sur le mode. A la proposition : Il est nécessaire que
telle chose ait telle qualité, il ne faut pas donner comme
contradictoire : a II est nécessaire que telle chose n'ait pas
telle qualité» ; la vraie contradictoire est : Il n'est pas néces-
saire etc. De même pour les contingentés (2). Mais, pour
celles-ci, il y a plus à dire. Une contingente : Il est possible
que tout B soif A, peut toujours subir une opération
qu'Aristote appelle du même nom que la conversion
(àyr'.crrpocpT]), mais qu'il faut pourtant se garder de confon-
dre avec elle : c'est la transformation de l'affirmative qui
suit le mode en négative, ou réciproquement. Ainsi : // est
possible que tout B soit A, et : // est possible que nul B ne
(1) Pr. an ., toc. cit. : Xêyea o'ïjoiyin'iu.i x«i ro sv^sjrôfisvov, ov un
TjTO; U-JV.y/.'S.io-j. rSÔSWTOÇ o'i/~V.pyiL-J, oCâbi £<7T«'. OL'JL tout' kovvgctov • ro
vàp kvxyxaïov ôjiwwôawç ij^éyjrdui '/.iyouî-j. Metapfl. t. cit. : ê<7TC 3ï
dwXTÔV -TJ-O. '■> S'JSJ -J-'J.CZO r, SvépyÇKt OU /.ï'/z7UL Ï/J-VJ ~'f,'J 'jJJV-'J.l-j, OVOÇV
l-y-.'j.i uojju-o'j. \fj'ji o'oï.o-j, et JwktÔv xaOijsOai sceei ïjoî/j-ui xaô^ffÔKt,
Toù-ro ïy.-j ûiri/.cçr, zo xa0ï5i-Ô«t, oCd'ev ëgtou «Sûvoito-j . . . Voir le commen-
taire de Bonitz [Metaph. II, p. 387) sur ce dernier texte ; il appelle
l'attention sur le cercle que comporte la définition aristotélicienne du
contingent.
(2) Voir llertnen. ch. 12 et Rondelet, p. 401 sq.
LES SYLLOGISMES MODAUX 195
soit A, sont deux propositions parfaitement équivalentes et
dont chacune est impliquée dans l'autre. Lors donc qu'on
veut prendre la contradictoire d'une contingente, il faudrait
lui opposer à la fois deux propositions. Chacune de ces
propositions commencerait par la négation, ou l'équivalent
de la négation, du mode contingent ; mais l'une serait
suivie d'une affirmative, l'autre, d'une négative. A la contin-
gente : // est possible que tout B soit A, il faudrait opposer
à la fois : // est nécessaire que tout B soit A, et : // est
nécessaire que nul BnesoitA{Pr. anal.î, 17). — Pour ce
qui est de la conversion, les nécessaires suivent les mêmes
lois que les assertoriques (Pr. anal. I, 3 déb. — 25 a, 36) :
Il est nécessaire que nul B ne soit A, // est nécessaire que
nul A ne soit B. Le cas des contingentes est différent.
Sans doute les affirmatives contingentes suivent les mêmes
lois que les affirmatives assertoriques (ib. 25 a, 37-/y, 3).
Mais, pour les négatives, c'est autre chose. Si les contin-
gentes, qui n'ont des contingentes que le nom et qui por-
tent en réalité sur le nécessaire (comme quand on dit : //
est possible que nul homme ne soit cheval), suivent les
mêmes lois que les assertoriques négatives, et lorsqu'elles
sont universelles, et lorsqu'elles sont particulières, par
contre les vraies contingentes se comportent d'une autre
manière. S'il s'agit de contingentes portant sur les faits
naturels, non nécessaires mais se produisant le plus sou-
vent, les négatives particulières se convertissent, tandis
que les assertoriques ne se convertissent pas ; et, ce qui est
bien plus important, les contingentes négatives universelles
portant sur les faits naturels ne se convertissent pas (25 6,
3-19); non plus d'ailleurs que quelque sorte de vraies
contingentes négatives universelles que ce soit (17, 30 6,
3."> — 37 a, 32). C'est un point capital que nous retrouverons
plus loin.
Ces préliminaires étant posés, arrivons aux Syllogismes
modaux.
Les syllogismes, «iont Les deux prémisses seront des néces-
saires, se comporteront, sauf la réserve que nous ferons
tout à l'heure, comme les syllogismes dont les deux pré
misses sont des assertoriques. En ''(Tel les rapports diaclu-
196 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
sion entre les termes sont parfaitement correspondants ici
et là, et les lois de la conversion sont les mêmes ; ce qui
permet de réduire les syllogismes des deux dernières figu-
res à ceux de la première, de la même façon que pour les
syllogismes simples. Toute la différence entre le syllo-
gisme simple et le syllogisme à deux prémisses nécessai-
res, c'est que, dans celui-ci, les trois propositions seront
modifiées par les mots : Il est nécessaire que... ou : // est
nécessaire que... ne pas. La seule réserve à faire porte sur
les modes bArOcO et bOcArdO. Pour les démontrer par
l'absurde, il faudrait commencer par prendre la contradic-
toire des conclusions contestées. Or ces contradictoires de
propositions nécessaires seraient des propositions contin-
gentes, par exemple : Il est possible que tout T soit B. Les
syllogismes où ces contradictoires entreraient auraient donc
une prémisse nécessaire et une prémisse contingente. Mais
nous n'apprendrons que plus tard (ch. 16) à manier de tels
syllogismes. Il faut donc démontrer les deux modes en
question par ecthèse, c'est-à-dire en mettant en lumière, à
l'aide d'un nom, la partie du mineur dont le moyen est
nié (2e figure), ou la partie du moyen dont le majeur est
nié (3e figure) (1). Soit le syllogisme en bArOcO :
// est nécessaire que tout B soit A ;
Or il est nécessaire que quelque F ne soit pas A ;
Donc il est nécessaire que quelque T ne soit pas B.
Appelons A la partie de r dont A est nié avec nécessité,
nous aurons le syllogisme suivant, en cAmEstrEs :
// est nécessaire que tout B soit A;
Or il est nécessaire que nul A ne soit A ;
Donc il est nécessaire que nul A ne soit B.
Comme Tout A est identique à Quelque T du syllogisme
primitif, le sens de la nouvelle conclusion est donc que : //
est nécessaire que quelque T ne soit pas B ; c. q. f. d. —
Soit maintenant un syllogisme en bOcArdO :
(1) Voir Waitz, ad 28 a, 23 et 30 a, 8 (I, 390 sq. et 394 sq.).
LES SYLLOGISMES MODAUX 197
// est nécessaire que quelque V ne soit pas A ;
Or il est nécessaire que tout F soit B ;
Donc il est nécessaire que quelque B ne soit pas A.
Appelons A la partie de F dont A est nié avec nécessité, et
convertissons notre mineure de façon à pouvoir écrire :
// est nécessaire que quelque B soit T, et par conséquent :
// est nécessaire que quelque B soit A. Nous aurons le
syllogisme suivant, en fErlO :
Il est nécessaire que nul A ne soit A;
Or il est nécessaire que quelque B soit A ;
Donc il est nécessaire que quelque B ne soit pas A.
c. q. f. d. (ch. 8). — Au rapport de Théophraste, dans
Alexandre (1), certains préféraient démontrer par l'absurde
les syllogismes à deux prémisses nécessaires, enbArOcO et
en bOcArdO, en renvoyant seulement cette démonstration
à plus tard, soit après le chapitre 16. On comprend par quel
scrupule de méthode Aristote a été d'un autre avis.
Occupons-nous maintenant des syllogismes de la pre-
mière figure, ayant une prémisse assertorique et une pré-
misse nécessaire.
Si la majeure, affirmative ou négative, est une néces-
saire, la conclusion est une nécessaire :
// est nécessaire que tout B soit A ;
Or tout T est B ;
Donc il est nécessaire que tout T soit A.
Telle doit bien être la modalité de la conclusion. En effet,
dit Aristote, T n'est pas autre chose que Quelque B, et
nous pouvons dire, dans un langage un peu différent du
sien que la conclusion n'est que la subalterne de la
majeure. — Si c'est la mineure qui est nécessaire (mineure
qui est toujours affirmative dans la première figure), que la
majeure assertorique soit d'ailleurs affirmative ou négative,
la conclusion n'est pas uno nécessaire. Cela se démontro
(t) C.ï. liondelet, p. 223, n. 3; Alex. l'r. an. 123, 18-24, éd. Wallies.
198 LE SYSTÈME DARISTOTE
d'abord par l'absurde au moyen d'un syllogisme en
dArAptl-dArll, si la conclusion doit être affirmative ; au
moyen d'un syllogisme en cEl ArEnt, si elle doit être négative .
Soit, en effet, par exemple, une conclusion nécessaire affir-
mative : // est nécessaire que tout T soit A, jointe à la
mineure du syllogisme primitif : Or il est nécessaire que
tout T soit B, elle donne la conclusion : Donc il est néces-
saire que quelque B soit A. Mais cette conclusion est
fausse, car dans notre majeure primitive : Tout B est A,
A, au lieu d'être un attribut nécessaire, n'est peut-être
qu'un attribut contingent, et il s'est pu que nul B ne fût A,
ou il peut arriver que nul B ne soit A. D'autre part, la
démonstration par l'exemple établit aussi que, dans la
conclusion : // est nécessaire que tout T soit A (ou que
nul T ne soit A), le caractère de nécessité est usurpé. En
effet, avec les trois termes : se mouvoir — animal —
homme, on verra que, par exemple, la conclusion affirma-
tive : // est nécessaire que tout homme se meuve, est con-
traire à la vérité, la vérité étant seulement que tout
homme se meut (ch. 9 cléb. — 30 «, 33). — Les syllogis-
mes à conclusion particulière suivent les mêmes lois, et
les démonstrations seraient les mêmes. Pour prouver
qu'un syllogisme en fErlO dont la mineure est nécessaire
ne saurait conclure par une nécessaire, il faudrait se servir
des termes : se mouvoir — animal — blanc (30 a, 33-/>, 6).
Considérant toujours des syllogismes dont une prémisse
est assertorique et l'autre nécessaire, passons de la
première ligure à la seconde. Si la prémisse nécessaire est
négative, la conclusion est une nécessaire ; autrement ce
n'est qu'une assertorique. En effet, dans le premier cas, un
syllogisme en cEsArE se ramènera à un syllogisme en
cElArEnt, où la nécessaire sera majeure, et un syllogisme
encAmEstrEs se ramènera au même mode cElArEnt, dans
lequel la nécessaire sera encore une fois majeure. Dans le
second cas, la réduction de cEsArE et de cAmEstrEs à
cElArEnt donnera des syllogismes où la nécessaire sera
mineure. On peut d'ailleurs démontrer par l'absurde que,
dans le cas qui nous occupe, la conclusion ne saurait être
une nécessaire. Soient par exemple les deux prémisses sui-
LES SYLLOGISMES MODAUX 199
vantes d'un syllogisme en CxVmEstrEs : // est nécessaire
que tout B soit A. Or ma' Y n'est A ; admettons que la
conclusion soit celle-ci : II est nécessaire que nul Y ne
soit B ; convertissons-la et convertissons aussi la majeure
de notre syllogisme ; avec ces deux converses, nous aurons
le syllogisme suivant :
// est nécessaire que nul B ne soit F;
Or il est nécessaire que quelque A soit B ;
Donc il est nécessaire que quelque A soit Y.
Mais dans la proposition : nul A n'est r, converse de notre
mineure primitive, r n'est peut-être pas un prédicat néces-
sairement nié de A et peut-être s'est-il pu que tout A fût
F, ou est-il possible dans l'avenir que tout S. soit Y Enfin
on peut encore recourir à la démonstration par un exem-
ple. Si nous posons : // est nécessaire que tout homme soit
animai; Or nul être blanc n'est animal, la conclusion ne
devra pas être : II est nécessaire que nul être blanc ne
soit homme. Car il es}; possible que quelques êtres blancs
soient hommes, et cela parce qu'il est possible aussi que
quelques êtres blancs soient des animaux, quand même en
fait il se trouverait qu'aucun être blanc n'est animal
(ch. 10 dèb. — 30 6, 40). — Pour ce qui est des syllogis-
mes à conclusion particulière, si la prémisse nécessaire est
négative et universelle, la conclusion sera une nécessaire.
.Mémo démonstration que dans le cas où les deux prémisses
sont universelles, c'est-à-dire réduction à la première ligure :
ŒstinO-fErlO. Si l;i prémisse nécessaire est affirmative et
universelle (bArOcO), la conclusion n'est pas une néces-
saire. Cela -e démontre à l'aide de la même triade de ternies
qui nous a servi quand les deux prémisses étaient univer-
selles : animal —homme — être blanc. Si la aécessaire est
iive mais particulière (dAfQcO), la conclusion
pas nécessaire, delà se démontre à l'aide des mêmes ternies.
dit Arislole. Mais d'autres termes seraient préférables, par
exemple : infaillible — sage — homme (.il a. 1-17).
Pour en linir avec les syllogismes dont l'une des pré-
misses es1 nécessaire et l'autre assertorique, reste à nous
200 LE SYSTÈME d'àïUSTOTE
occuper de ceux de ces syllogismes qui appartiennent à la
3e figure. Lorsque les deux prémisses sont universelles et
affirmatives, si l'une quelconque est une nécessaire, la
conclusion est une nécessaire. En effet, on aura des syl-
logismes, l'un en dArAptl, l'autre voisin de dArAptl. Si
c'est la majeure qui y est nécessaire, la conversion de la
mineure donnera un syllogisme de la lre figure, dont nous
savons qu'il conclut par une nécessaire. Si c'est la mineure
qui est nécessaire, le syllogisme sera, pour ainsi dire, en
dApAmlp : on ne touchera pas à cette mineure, on conver-
tira la majeure, on la transposera pour en faire la mineure
et l'on aura le même syllogisme delà lre figure que dans le
cas précédent ; on n'aura qu'à convertir la conclusion. —
Lorsque la prémisse nécessaire est négative, la conclusion
est une nécessaire. En effet un tel syllogisme sera en
fElAptOn (car, dans la 3e figure, il n'y a pas de mineure
négative) ; il se réduira à un syllogisme en fErlO, où la
prémisse nécessaire sera majeure et où la conclusion ne
sera en somme, pouvons-nous dire, que la subalterne de
la majeure. — Si la nécessaire est affirmative et l'autre
prémisse négative, la conclusion n'est pas une nécessaire.
En effet, dans un tel syllogisme, la nécessaire sera mineure
(puisque dans la 3e figure la mineure est affirmative) ; en
la convertissant, on aura un syllogisme de la lre figure
(fElAptOn-iErlO), dont nous savons que la conclusion ne
peut pas être une nécessaire (cf. 30 a, 33). En outre on
peut recourir à une démonstration par l'exemple avec les
termes : éveillé ■ — animal — cheval. Soit : Nul cheval n'est
éveillé ; Or il est. nécessaire que tout cheval soit animal.
La conclusion : II est nécessaire que nul anima! ne soit
éveillé, serait contraire à la vérité. Tout ce qui peut être
vrai, c'est qu'il se trouve que nul animal n'est éveillé
(ch. 11 déb. à 31 b, 10).
Arrivons aux syllogismes dont l'une des prémisses est
particulière. Les deux prémisses étant affirmatives, si la
nécessaire est l'universelle, la conclusion sera nécessaire.
En effet les syllogismes répondant à ces conditions seront
en dlsAmls et en dAtlsï. Ils se ramèneront tous les deux
à des syllogismes en dArlI, où la nécessaire universelle
LES SYLLOGISMES MODAUX 201
sera majeure. — Si la nécessaire est la particulière, une
fois le syllogisme ramené à la lre figure (dArlI), la néces-
saire ne pourra être que mineure. Du reste, on peut aussi
faire une démonstration par l'exemple avec les termes
treille — bipède — animal. La conclusion : // est néces-
saire que quelque bipède soit éveillé, qu'on prétendrait
déduire, soit en dlsAmls, soit en dAtlsï, est évidemment
contraire à la vérité, puisque celle-ci est seulement que
quelques bipèdes sont éveillés. — Si la prémisse nécessaire
est l'universelle négative, la conclusion sera une néces-
saire. Car le syllogisme sera en fErlsOn; il se ramène par
conséquent à un syllogisme en fErlO, où la nécessaire sera
majeure. — Si c'est l'affirmative, soit universelle (bOcAr-
dO), soit particulière (fErlsOn), qui est la nécessaire, alors
la conclusion n'est pas une nécessaire. En effet, le syllo-
gisme en fErlsOn une fois ramené à fErlO, la nécessaire
sera mineure. Et d'autre part, pour le syllogisme en bO-
cArdO, et aussi bien d'ailleurs pour le syllogisme en fErl-
sOn, une démonstration par l'exemple est facile. Dans le pre-
mier cas, nous aurons les prémisses suivantes : Quelque
homme n'est pas éveillé ; Il est nécessaire que tout homme
soit animal. La vérité ne nous permet pas de conclure :
// est nécessaire que quelque animal ne soit pas éveillé.
La vérité permet seulement la conclusion : Quelque ani-
mal n'eet pas éveillé. Dans le second cas, nous aurons les
prémisses : Nul être blanc n'est éveillé ; Il est nécessaire
(pie quelque être blanc soit animal. Pour rester dans le
vrai il no nous est pas permis de conclure : Il est accessoire
que quelque animal ne soit pas éveillé, mais simplement :
que/que anima! n'est pas éveillé. — Enfin, si la nécessaire
est négative niais particulière (bOcArdO), la conclusion
n'est pas une nécessaire. En effet, soient les prémisses : //
est nécessaire que quelque animal soit bipède, (h- tout uni-
malsemeut La seule conclusion vraie est : Quelque être
(pii se meut est bipède, et non pas : // est nécessaire que
quelque être qui si' meut SOÎt bipède (il, Bl h, Il — 13,
:i2 b, 3).
Nous devons maintenant aborder la partie la plus déli-
cate do la théorie des syllogismes modaux, celle où inter-
202 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
viennent les propositions contingentes. Lorsque nous con-
cluons que : /7 est possible que tout Y soit A, notre raison
peut être que A est un attribut possible de B et que B est,
assertoriquement, un attribut de I\ ou bien que A est un
attribut possible de B et que B est un attribut possible de T.
Bien que, dans ce second cas, le raisonnement ait quelque
chose de plus compliqué, en ce qu'il superpose une possi-
bilité à une autre, tandis que, dans le premier, une seule
possibilité intervient, cependant, au point de vue de la
théorie des syllogismes modaux, un syllogisme à deux pré-
misses contingentes est moins compliqué qu'un syllogisme
où il entre une prémisse contingente et une prémisse asser-
torique. C'est pourquoi nous commencerons par les syllo-
gismes à deux prémisses contingentes (32 /;, 23-37, fin du
ch. 13). Aristote étudie d'abord les syllogismes a deux
prémisses contingentes de la première figure, puis les syl-
logismes dont l'une des prémisses seulement est contin-
gente, dans la première figure également. Viennent ensuite
les mêmes sjdlogismes de la seconde et enfin de la troi-
sième figure.
Considérons donc les syllogismes à deux prémisses con-
tingentes de la lre figure. Les modes bArbArA et cElArEnt
sont des syllogismes parfaits et évidents, parce que ce qui
se peut de l'attribut, lequel se peuj, du sujet, se peut du
sujet. De même les modes dArïï et fErlO. Comme on peut
transformer une contingente négative en une affirmative,
le mode AE est recevable, parce qu'on le transforme en
AA (1); de même le mode EE qui devient EA (ou, si
Ton veut, AA)-; de même le mode AO, qui devient 01 ; de
même enfin à coup sûr, bien qu'Aristote ne le dise
pas (2), le mode EO, transformable en AI (ch. 14 dêb. —
33 a, 34). — Si la majeure est particulière, quelle que soit
sa qualité et quelles que soient d'ailleurs la quantité et la
qualité de la mineure, il n'y a pas de conclusion. Posons
que : Quelque B est A. Peut être B a-t-il plus d'extension
(1) Et non en AI, comme l'admet, sans qu'on voie pourquoi, Ron-
delet, p. 241 }
(2j Voy. Waitz, ad 33 «, 34 (l, 407) et Rondelet, loc. cit.
LES SYLLOGISMES MODAUX 203
que A ; autrement dit, peut-être certains B ne sont-ils pas
A. Si T est pris parmi ces certains B, tout F aura beau
être B, T ne sera pas pour cela A. S'il s'agit de proposi-
tions contingentes, on ne pourra pas dire : // est possible
que tout T soit A, ni, non plus : // est possible que nul Y ne
soit A, parce que telle est la nature des contingentes que
cette négative est simplement une autre forme de l'afiir-
mative et qu'elle ne peut avoir de sens que si cette affir-
mative en a un (1) (33 a, 34-6, 17). — En somme, lorsque
les prémisses sont universelles (ou plutôt lorsque la
majeure est universelle), qu'il y ait d'ailleurs une affirma-
tive dans les prémisses ou qu'elles soient négatives toutes
deux, il y a syllogisme; seulement, dans le dernier cas, le
syllogisme est imparfait, puisqu'il faut, pour le rendre con-
cluant, quelque chose de plus que les prémisses, savoir la
transformation de l'une d'elles, la mineure, en une affir-
mative (33 b, Lx-24, fin du eh. 14).
Cette règle est encore très simple. Les syllogismes de la
1"' figure dont l'une des prémisses est contingente et
l'autre assertorique sont plus compliqués. Si la majeure
est contingente, on a des syllogismes à conclusion con-
tingente (comme cela a toujours lieu d'ailleurs dans les
syllogismes où l'une des prémisses est assertorique et l'autre
contingente), et ces syllogismes sont tous parfaits et évi-
dents. Aristote se contente d'en donner des exemples en
désignant les termes par les lettres consacrées, en faisant
la majeure tour h. tour affirmative et négative. — Si c'est
la mineure qui est contingente, alors les syllogismes vali-
des sont tous imparfaits, et de plus, dans ceux qui doivent
(1) \ 'marque, peu! r au < as Où la
in mu.' est affirmative. Le cas où elle est négative est pins délicat,
irce que le moyen terni» parait être pria une Poia universellement,
i'où possibilité <! une conclusion El ou aurait 'i<: la peine :< démon-
ite évidemment a îci eu vue, à savoir que, même dans
cas, dès que la majeure es' particulière, il n'y a pas de conclusion,
larce que véritablement ii n'y a pas de moyen terme. La règle sco-
ïaslique. que la mineure doit rire affirmative dans la l'a figure, se
Remontre par la quanti!.' du majeur et non par celle au moyen;
vov. par ex. L tgique de Port-Royal, :t' partie, cb. 5, vers Ip début.
204 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
conclure négativement, la conclusion, au lieu d'être une
contingente au sens propre, énonce seulement une non
nécessité pour tous ou pour quelques-uns (ch. 15 déb. —
33 6,40).
Occupons-nous d'abord du cas où la conclusion est affir-
mative. Aristote renouvelle sans la prouver l'affirmation
que les syllogismes dont il s'agit sont imparfaits, et, avant
d'entreprendre la démonstration des conclusions impar-
faites, il établit une sorte de lemme(l), qui va lui permet-
tre de simplifier cette démonstration en remplaçant une
contingente par une assertorique. Nous pouvons avoir des
liaisons de la forme : Si A est possible, B est possible, aussi
bien que de la forme : Si A est, B est ; et, une liaison de la
première forme étant posée, il y aurait contradiction à ce
que A fût possible sans entraîner la possibilité de B. A
représente ici un couple de deux prémisses. Or, «pour
qu'une conclusion possible résulte de prémisses possibles,
il n'est pas nécessaire que ces prémisses soient vraies ; il
suffit qu'elles soient possibles, quoique fausses (34 #, 1-33).
Cela posé, soit un syllogisme à conclusion affirmative dont
la majeure est assertorique et la mineure, contingente :
Tout B est A ;
Or il est possible que tout T soit B ;
Donc il est possible que tout T soit A.
Nous avons à démontrer la conclusion par l'absurde.
Mais, en vertu de la remarque qui précède, nous pourrons
prendre pour mineure de notre syllogisme par l'absurde,
au lieu de la contingente : Il est possible que tout T soit B,
l'assertorique : Tout F est B. Il est indispensable que nous
le fassions, puisque autrement notre syllogisme par l'ab-
surde serait du même type que le syllogisme à démontrer.
Et nous pouvons le faire, car, s'il est vrai que notre mineure
assertorique est fausse (attendu que a posse adactumnon
valet consequentia), elle reste possible. La conclusion, qui
doit énoncer une possibilité, ne sera donc pas altérée du
(1) Ce lemme a échappé à Rondelet, p. 253.
LES SYLLOGISMES MODAUX 205
fait de notre mineure, et, si la conclusion exprime en ter-
mes de possibilité quelque chose d'impossible, cette impos-
sibilité ne pourra venir que de la majeure. Voici donc
notre syllogisme par l'absurde, syllogisme de la 3e figure :
// n'est pas possible que tout Y soit A ;
Or tout Y est B ;
Donc il n'est pas possible que quelque B soit A.
La conclusion est absurde, puisqu'elle contredit notre
première majeure : Tout B est A ; donc notre première
conclusion est démontrée. Au reste notre syllogisme de la
3e figure peut à son tour se démontrer par l'absurde en
bArbArA. Nous dirions :
II est possible que tout B soit A ;
Or tout T est B ;
Donc il est possible que tout Y soit A
(34 «,34-34 6, 6) (1).
Nous venons de justifier les syllogismes à mineure con-
tingente, lorsque la conclusion est affirmative. Lorsque la
conclusion est négative, avons nous dit, la conclusion n'est
plus une véritable contingente : elle énonce seulement une
non-nécessité.. Voici comment cela s'établit. Nous pren-
drons un exemple, au lieu des simples lettres que donne
Aristote. Soit le syllogisme suivant :
Nul sage n'est envieux;
Or il est possible que tous les hommes soient sages ;
Donc il est possible que nul homme ne soit envieux.
(4) Le sens des cinq lignes (34 b, 2-6) consacrées à celte dernière
démonstration par l'absurde, est assez difficile à établir. Waitz (ad
34 b, 3, p. 4M) pense qu'il s'agit d'une autre forme de la première
démonstration. Mais il est obligé d'admettre qu'Aristote s'est trompé.
Gomme, au point où nous en sommes, nous ne savons rien encore de
la valeur d'un syllogisme en fElAptOn dont une des prémisses est
contingente et l'autre asserlorique, Aristote peut avoir songé à lever
tout scrupule en faisant remarquer qu'un tel syllogisme se démontre
au besoin par l'absurde. Et peu importe qu'il y ait a une telle démons-
tration des difficultés, puisqu'Aristote a bien entrepris de démontrer
par l'absurde le mode bOcArdO. Cf. 21, 39 a, 32.
206 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
Ce syllogisme doit être démontré par l'absurde. Nous pren-
drons comme mi neure l'assertorique, fausse mais non impos-
sible : Tous les hommes sont sages. Pour majeure, il nous
faut la contradictoire de la conclusion contestée. Cette con-
tradictoire ne peut pas être : // est possible que tous les
hommes soient envieux; car ce ne serait là que notre con-
clusion transformée de négative en affirmative, comme
peut toujours l'être une contingente. La contradictoire
cherchée sera donc : II n'est pas possible que nul homme
ne soit envieux, c'est-à-dire plus clairement : // est néces-
saire que quelques hommes soient envieux. Notre syllo-
gisme par l'absurde sera donc le suivant (3e figure) :
// est nécessaire que quelques hommes soient envieux ;
Or tous les hommes sont sages ;
Donc il est nécessaire que quelques sages soient envieux.
Mais la plus vraie contradictoire de la majeure de ce
dernier syllogisme n'est pas la conclusion contestée : // est
possible que nul homme ne soit envieux. Cette contradic-
toire la plus vraie, c'est : II n'est pas nécessaire que tous
les hommes soient envieux. C'est donc cette proposition-ci
seulement que nous avons démontrée. Donc, d'une manière
générale, les syllogismes comme celui dont nous avons cher-
ché à démontrer la conclusion ne peuvent établir qu'une
non-nécessité. Mais la non-nécessité est bien différente
de la contingence. Le non-nécessaire peut n'être pas pos-
sible : il n'est pas nécessaire que 2 et 2 fassent 5 ; cela est
même impossible. Une proposition de la forme : // n'est
pas nécessaire que... exclut seulement la nécessaire affir-
mative : // est nécessaire que... ; mais elle n'exclut pas :
// est impossible que 2 et 2 fassent 5, ni même : // est
possible que 2 et 2 fassent ou même ne fassent pas 5 (1).
D'ailleurs, reprend Aristote, on peut démontrer par des
exemples que les syllogismes du type qui nous occupe ne
peuvent prouver, ni la contingence (car leur prétendue con-
(1) Voir Pacius, In Anal. pr. lib. 1, Cùmmenfarius analyticus,
in cap. XV, 2e éd. Francfort, 45'j7, p. 148 a (trac), dans Rondelet,
p. 230).
LES SYLLOGISMES MODAUX 207
clusion est quelquefois une proposition qui, prise dans sa
vérité, est une nécessaire), ni la nécessité (car leur préten-
due conclusion est quelquefois une proposition qui, dans
sa vérité, est une contingente). Reste donc qu'ils sont capa-
bles d'établir la non-nécessité et rien d'autre. Voici les
exemples d'Aristote (1). Le syllogisme suivant donne une
conclusion qui, en vérité, est une nécessaire :
Nul être pensant n'est corbeau;
Or il est possible que tout homme soit un être pensant ;
Donc il est possible que nul homme ne soit corbeau.
La vérité est : // est nécessaire que nul homme rie soit
corbeau. Inversement, un autre syllogisme donne une con-
clusion qui, dans sa vérité, est une contingente :
Nulle science ne se meut ;
Or il est possible que tout homme soit science;
• Donc il est possible qur nul homme ne se meuve.
Un type de syllogisme qui paraît conclure indifférem-
ment par la nécessité ou par la contingence ne peut, en
réalité, conclure ni par l'une ni par l'autre. 11 ne saurait
donc, à vrai dire, conclure que par la non-nécessité (34 />,
19-35 a, 2).
Nous venons de voir quels sont les modes concluants à
conclusion universelle. Passons à ceux de la même espèce
qui ne concluent pas, ou du moins ne concluent pas sans
qu'on transforme une des prémisses. Si, dans la mineure, la
proposition qui dépend du mode est négative (AL), ou si
la proposition qui, dans la mineure, dépend du mode et,
d'autre part, la majeure assertorique, sont négatives toutes
doux (KL), il n'y a pas de conclusion, à moins qu'on ne
transforme les mineures en affirmatives. Si la négation dans
la mineure porte sur le mode : Or. il n'est pas possible
que.., que la majeure assertorique soit négative ou m
(1) Observons qur du reste ces exemples ne Le satisfaisaient pas
pleinement, puisqu'il a noté qu'il conviendrait de prendre 'f',; t. nues
meilleurs, 35 a, 2j cf. Waitz, ad loc. (p. -iii).
208 LE SYSTÈME d'aJUSTOTE
qu'elle soit affirmative, il n'y a aucune manière d'obtenir
une conclusion; car on ne peut pas alors changer la qualité
des mineures, et des syllogismes en cElErEnt ou même en
cAlErEnt sont inadmissibles. On montrerait, en prenant
par exemple les termes blanc — animal — neige et blanc
— animal — poix, que de tels syllogismes concluraient
aussi bien le faux et le vrai (35 a, 3-24).
Lorsque, avec une majeure contingente et universelle,
soit affirmative, soit négative, la mineure est une asserto-
rique affirmative particulière, tout se passe comme si la
mineure était universelle (dArlI, fErlO). — Lorsque la
majeure est une assertorique universelle et la mineure une
contingente particulière, que les prémisses diffèrent ou non
en qualité, il y a toujours syllogisme, à condition de trans-
former, au besoin, la mineure de négative en affirmative.
Mais le syllogisme est toujours imparfait, et il faut le
démontrer par l'absurde. — Si la majeure est particulière,
qu'elle soit affirmative ou négative, assertorique ou con-
tingente, quelle que soit alors la nature de la mineure, ii
n'y a pas de conclusion. En effet, dans tous ces cas, en
prenant les deux triades de termes que nous avons indi-
quées dernièrement, on aurait de prétendus syllogismes, qui
concluraient aussi bien le faux et le vrai (35 a, 25-6, 19).
En somme, avec une majeure universelle, il y a toujours
une conclusion ; avec une majeure particulière, il n'y en a
jamais (1) (35 b, 20-22, fin du chap. 15).
Les syllogismes où l'une des prémisses est nécessaire et
l'autre contingente se comportent, naturellement, d'une
façon analogue à ceux que nous venons d'étudier. — Avec
une majeure nécessaire et une mineure contingente,
toutes les deux affirmatives et universelles, on obtient un
syllogisme à conclusion contingente, mais imparfait et qu'il
faut démontrer par l'absurde (ch. 16, 35 6, 37 — 36 a, 2).
— Si, toutes les autres conditions restant les mêmes, la
majeure est négative, la conclusion est une assertorique
(1) Toutefois la majeure aurait beau être universelle, il n'y aurait
pas de conclusion, si la mineure était une assertorique négative ; voy.
35 6, 8 et Waitz, ad 35 b, 21 (p. 414).
LES SYLLOGISMES MODAUX 209
négative. La démonstration par l'absurde ne va pas sans
quelque complication. Voici ce type de syllogisme :
// est nécessaire qu'aucun B ne soit A ;
Or il est possible que tout T soit B ;
Donc nul T n'est A.
Voici maintenant la démonstration par l'absurde. On y
prend pour majeure la converse de la majeure primitive et,
pour mineure, la contradictoire de la conclusion à démon-
trer :
// est nécessaire que nul A ne soit B ;
Or tout T est A ;
Donc il est nécessaire que nul Y ne soit B.
La conclusion est la contradictoire de la mineure primi-
tive (36 «, 7-15). — Une majeure contingente et une
mineure nécessaire, toutes deux affirmatives et universel-
les, donnent un syllogisme à conclusion contingente, par-
fait et évident (36 a, 2-7). — Si, les autres conditions restant
les mêmes, la majeure est négative, le syllogisme est par-
fait; en conséquence, la conclusion suit la nature de la
majeure (cf. 36 «, 21) et est une contingente négative;
elle ne saurait être une nécessaire négative (cf. 35 6, 32-
36):
Il est possible que nul B ne soif A;
Or il est nécessaire que tout T soit B ;
Donc il est possible que nul T ne soit A.
On ne pourrait pas arriver à démontrer par l'absurde la
soi-disant conclusion : // est nécessaire que nul l ne soit
A. En effet, la contradictoire de cette soi-disant conclusion
est : // est possible que que/que r soit A. Jointe avec la
mineure de notre syllogisme, elle donne un syllogisme de la
3'' ligure, dont la conclusion est (cf. ch. 22 déb.) : // est
possible que quelque l> soit A, proposition qui, bien loin
de contredire la majeure de notre syllogisme primitif, no
fait au contraire que la traduire sous un aspect complé-
mentaire. Si c'est avec la majeure du syllogisme primitif
Aristot'î 14
210 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
qu'on joint la proposition : // est possible que quelque
F soit A, on constitue les prémisses, toutes deux contin-
gentes, d'un syllogisme de la 2e figure. Or un tel syllo-
gisme ne conclut pas (cf. 17 déb.) (36 a, 15-25). — Lors-
que la mineure est négative et contingente, en transformant
cette négative en affirmative, on a un syllogisme imparfait
semblable en tout à celui que nous avons reconnu le pre-
mier (36 a, 25-27). Si la négation, dans la mineure, porte
sur le mode (Il est impossible qu'aucun T soit B). le syl-
logisme est impossible (36 «, 27 sq.). — Lorsque, les
deux prémisses étant négatives, la mineure est contingente,
on obtient, en transformant cette mineure en une affirma-
tive, un syllogisme en cElArEnt, à conclusion contingente
et imparfaite ; si la mineure est la nécessaire, il n'y a pas
de conclusion. Gela se démontre à l'aide des deux triades
de termes dont nous nous sommes servis tout à l'heure : on
obtient avec l'une une conclusion fausse et, avec l'autre,
une conclusion vraie (36 a, 28-31).
Lorsque l'une des prémisses est particulière (ce ne peut
être, dans la lre figure, que la mineure), si c'est la nécessaire
qui est négative (et majeure, car, dans la lre figure, la
mineure est toujours affirmative), la conclusion est une
assertorique négative et le syllogisme, étant imparfait, doit
être démontré par l'absurde. Voici ce type de syllogisme :
// est nécessaire que nul B ne soit A ;
Or il est possible que quelque F soit B ;
Donc quelque V n'est pas A.
Dans la démonstration par l'absurde, on prend pour
majeure la converse de la majeure primitive et, pour
mineure, la contradictoire de la conclusion à démontrer :
II est nécessaire que nul A ne soit B ;
Or tout T est A ;
Donc il est nécessaire que nul F ne sait B.
(36 a, 32-39). — Si, les autres conditions restant les mêmes
quo dans le cas précédent, c'est la mineure qui est néces-
saire, la conclusion n'est pas une assertorique, mais une
LES SYLLOGISMES MODAUX 211
contingente ; car le syllogisme, de même que dans le cas
correspondant où les deux prémisses sont universelles,
est parfait, et la nature de la conclusion, dit Àristote, se
démontre de même (36 b, 2) (1). — Lorsque, les deux
prémisses étant affirmatives, c'est la mineure qui est con-
tingente et particulière, la conclusion est une contingente,
comme dans le premier syllogisme (cf. p. 208) du présent
chapitre 16 (36 6, 2) ; mais elle est particulière au lieu d'être
universelle (2).
Avec une majeure particulière, nécessaire ou contin-
gente, et une mineure universelle, nécessaire ou contin-
gente, quelle que soit la qualité des prémisses, il n'y a pas
de conclusion. De même, si les prémisses sont toutes deux
des indéterminées ou des particulières. L'invalidité de ces
divers syllogismes se démontre par des exemples, qui don-
nent indifféremment des conclusions vraies et des conclu-
sions fausses. Aristote indique les triades de termes dont
il faudrait se servir dans chaque cas (36 6, 3-18).
Les divers types de syllogismes avec une prémisse
nécessaire et l'autre contingente peuvent tous être mis en
parallèle avec les syllogismes dont l'une des prémisses est
assertorique et l'autre, contingente. La seule différence est
que, avec une assertorique négative (majeure), la conclu-
sion était contingente, tandis que, avec une nécessaire
négative (majeure), la conclusion peut être présentée
comme assertorique, aussi bien que comme contingente.
Tous ces syllogismes, ajoute Aristote, sont imparfaits (3) ;
ils se complètent par les différents types de syllogismes
que nous avons employés à cet effet (par exemple des syl-
logismes de la 3e figure) (36 />, 19-2o ; cf. p. 203-208).
Nous en avons fini avec les syllogismes de la première
(t) Si, an lieu d'être aégatiTe, la majeur' était affirmative ; la
conclusion serait aussi une contingente.
(î) Aristote ne parle pas du ras où la mineure serait négative ; OK
il est évident qu'il tant alors transformer cette négative en une affir-
mative et eela nous ramène au cas précédent.
(:$i Non pas tous, mais seulement 'ceux dont la mineure est une
Contingente. Cf. l'hilopon, An. pr. 205, 38 éd. Wailiee [Schot. 166a.
31).
212 LE SYSTÈME u'aRISTOTE
figure; passons à ceux de la seconde. Deux prémisses con-
tingentes, soit affirmatives, soit négatives, soit universel-
les, soit particulières, ne donnent jamais de conclusion.
Lorsqu'une des prémisses est assertorique ou nécessaire, si
cette assertorique ou cette nécessaire est négative et uni-
verselle, il y a toujours syllogisme; autrement, non (ch. 17
dèb. — 36 b, 34).
Afin de pouvoir démontrer ces règles, Aristote a besoin
d'un lemme, à savoir que la contingente négative (univer-
selle) ne se convertit pas : II est possible que nul B ne soit
A ; la converse serait : II est possible que nul A ne soit B.
Mais cette dernière proposition se transforme de plein droit
en l'affirmative : II est possible que tout A soit B. Or il n'est
pas nécessaire qu'un attribut, affirmé d'un sujet, se récipro-
que avec ce sujet (1). Il peut même arriver que l'attribut
de la prétendue converse doive, en partie, être nié de son
soi-disant sujet : II est possible que nul homme ne soit blanc ;
mais : II est nécessaire que quelques êtres blancs ne soient
pas des hommes, bien loin qu'on puisse dire : II est possi-
ble que nul être blanc ne soit homme. — On pourrait son-
ger à une démonstration par l'absurde. On dirait : suppo-
sons fausse la converse : /7 est possible que nul A ne soit
B. Sa contradictoire sera : 77 n'est pas possible que nul A
ne soit B. Or cette contradictoire signifie : Il est nécessaire
que quelque A soit B ; d'où se tire, par conversion simple, la
proposition : Il est nécessaire que quelque B soit A, laquelle
contredit la proposition que nous avions à convertir. Donc
la proposition : Il n'est pas possible que nul A ne soit B,
est fausse, et sa contradictoire : Il est possible que nul A ne
soit B, est bien, comme il fallait l'établir, la vraie converse.
Mais, malgré la première apparence, cette prétendue
démonstration par l'absurde est sans valeur. En effet la
proposition : Il est nécessaire que quelque A soit B, n'est
pas la traduction unique et incontestable de la proposition :
Il n'est pas possible que nid A ne soit B. Car cette dernière
proposition comporte, bien qu'avec peine au point de vue
(1) Sauf dans des cas exceptionnels, il n'y a pas de conversion, au
moins pas de conversion simple, de l'universelle affirmative.
LES SYLLOGISMES MODAUX 213
de la langue, et, dans tous les cas, elle devrait comporter,
un autre sens. La converse que nous cherchons est une con-
tingente ; il faudrait donc, pour bien faire, que sa contra-
dictoire fût aussi une contingente, c'est-à-dire enveloppât,
elle aussi, la dualité, l'ambiguïté, du oui et du non. C'est
pourquoi, outre le sens que nous avons vu, la proposition :
Il n'est pas possible que nul A ne soit B, doit être encore
capable du suivant : Ce n'est pas une possibilité que nul A
ne soit B, c'est-à-dire : On n'a pas le droit d'affirmer que
nul A ne soit B, et on n'en a pas le droit parce que, préci-
sément, il est nécessaire (et non pas contingent) que quel-
que A ne soit pas B. Ainsi la proposition : // n'est pas
, possible que nul A ne soit B, implique : // est nécessaire
que quelque A ne soit pas B, aussi bien qu'elle implique :
// est nécessaire que quelque A soit B. Par conséquent,
' ces deux dernières propositions sont, au même titre, les
, contradictoires de la prétendue converse qu'on veut
^ démontrer. Pour que la démonstration par l'absurde
aboutît, il faudrait que l'on tirât une absurdité de la
|- négative : // est nécessaire que quelque A ne soit pas B,
» aussi bien que de l'affirmative : Il est nécessaire que quel-
que A soit B (1). Or de la négative il ne résulte rien qui
i contredise la proposition à convertir. En somme on ne
saurait prouver, fût-ce par l'absurde, que les contingentes
négatives se convertissent. Elles ne se convertissent pas
, (36 />, 35-37 a, 31).
Pourvus de ce lemme, revenons aux syllogismes de la
2e figure. Deux prémisses contingentes universelles, dont
l'une est négative, ne donnent pas de conclusion. Soient
ces deux prémisses : // est possible que nul B ne soi/ A;
// est possible que tout Y suit A. La négative ne peut se
convertir, et, par conséquent, on ne peut ramener ce pré-
tendu syllogisme à un syllogisme de la lre figure (cEsArE-
cfilArEnt). On ne saurait d'ailleurs recourir à une démons-
Itration par l'absurde. La conclusion à démontrer serait :
// est possible que nul Y m- s<,it |{. Prenant pour majeure
(i) Cf. Wailz, Orr/ation, I, 41!* s.j.
214
LE SYSTÈME d'aRISTOTE
celle du syllogisme contesté et, pour mineure, la contra-
dictoire de la conclusion contestée, nous aurions :
// est possible que nul B ne soit A ;
Or il est possible que tout Y soit B ;
Donc il est possible que nul V ne soit A.
Or cette conclusion n'est pas la contradictoire, elle n'est
que l'aspect complémentaire de la proposition : // est pos-
sible que tout V soit A (37 «, 32-37). — D'une manière
générale, tout syllogisme de la 2e figure, à deux prémisses
contingentes, devrait avoir une conclusion contingente, soit
affirmative, soit négative. Or on démontre par des exem-
ples que la prétendue conclusion contingente affirmative
est, dans sa vérité, une proposition qui énonce une impos-
sibilité et que la prétendue conclusion contingente néga-
tive est, dans sa vérité, une proposition nécessaire néga-
tive :
77 est possible que tout homme soit blanc ;
Or il est possible que tout cheval soit blanc ;
Donc il est possible que tout cheval soit homme.
Il est possible que tout homme soit blanc ;
Or il est possible que nul cheval ne soit blanc ;
Donc il est possible que nul cheval ne soit homme.
Quand on donnerait une autre place à la négative dans
les prémisses, quand les prémisses seraient négatives tou-
tes deux, on pourra toujours démontrer, en se servant de
la même triade de termes, qu'il n'y a pas de conclusion.
Pareillement, si l'une des prémisses est particulière ou
indéterminée, ou si les deux prémisses le sont. Donc il n'y
a pas de syllogisme de la 2e figure à deux prémisses con-
tingentes (37 a, 38-6, 18, fin du ch. 17).
Qu'advient-il lorsqu'une des prémisses est assertorique?
Admettons que l'une d'elles est négative. Si cette négative
est la contingente, il n'y a pas de conclusion, quelle que
soit d'ailleurs la quantité des prémisses. Cela se démontre
à l'aide de la triade précédente. Si c'est l'assertorique qui
LES SYLLOGISMES MODAUX 215
est négative, il y a syllogisme ; car, par la conversion de
cette assertorique (cEsArE), et, s'il le faut, en outre parla
transposition des prémisses et la conversion de la conclu-
sion (1) (cAmEstrEs), on aura un syllogisme de la première
figure (cElArEnt). — Quand les deux prémisses sont néga-
tives, on transforme la contingente en une affirmative. —
Si les prémisses sont affirmatives toutes deux, pas de con-
clusion. Cela peut se démontrer à l'aide des deux triades
de termes : bien jjorta.nt — animal — homme, et : bien por-
tant — cheval — homme (2). En effet, avec ces triades, on
construira des syllogismes concluant par des propositions
qui sont, dans leur vérité, Tune assertorique et l'autre
impossible, quand elles devraient être contingentes toutes
deux, et, d'autre part, l'une des soi-disant conclusions est
vraie, l'autre fausse (ch. 18 déb.-M h, 38).
Pour ce qui est des syllogismes à conclusion particulière,
si la prémisse assertorique est la négative, on la convertit
et l'on obtient un syllogisme de la l,e figure, comme dans
le cas où la conclusion est universelle. Si les deux pré-
misses sont négatives, et si celle des deux qui est univer-
selle est l'assertorique. en transformant la contingente en
une affirmative, en convertissant la négative assertorique
et. au besoin, en transposant les prémisses, on aura un syl-
logisme de la lle figure (fEstlnO ou flmEsnO-fErlO). Dans
le cas où, les autres conditions restant les mêmes, l'asser-
torique serait particulière, il n'y aurait pas de syllogisme :
on le démontreraità l'aide des mêmes triades de termes que
précédemment (3). Par le même procédé on ferait voir
(1) Cf. Waitz,ad37*, 89 (p. m).
(2) Dans lus triades destinées à constituer <los syllogismes de !a
|fi Bgure, Aristote met en tête de la triade le moyen, parce qu'il est
le terme le plus étendu ; cl', f'r. anul. 1, N, "21 n, il).
('A) Un syllogisme en OEO, une luis ramené ;ï la combinaison OAO,
lurrait, par transposition <les prémisses, devenir un syllogisme il
lAjrOcO. ÂjrLstote regarde sans doute ce mode comme indémontrable
ir l'absurde, el d'ailleurs il faudreM encore, avant d'entreprendre
démonsirationi convertir la conclusion. Il es! vrai qu'Ari&toie
adnid que les contingentes négatives particulières se convertissent
quelquefois. Vby. plus baut p. !'.!■'» et Pr. anal, I, '.}, '25 b, 17.
216 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
que deux prémisses particulières ne donnent pas de con-
clusion (37 bt 39-38 a, 12, fin du ch. 18).
Nous nous trouvons maintenant en présence des syllo-
gismes de la 2e figure dont l'une des prémisses est une
nécessaire et l'autre, une contingente. Admettons que l'une
d'elles est négative. Si c'est la nécessaire, et que celle-ci
soit la majeure, on la convertira et on aura un syllogisme
de la lre figure. Si la nécessaire négative est mineure, il
faudra de plus transposer les prémisses et convertir la
conclusion. Mais la conclusion n'est pas seulement une con-
tingente, c'est aussi bien une assertorique. Cela se démon-
tre par l'absurde. Les prémisses du syllogisme étant : //
est nécessaire que nul B ne soit A; II est possible que tout
T soit A. supposons que la conclusion ne soit pas : Nul T
n'est B; ce sera donc : Quelque Y est B. Cette proposition,
comme mineure, avec la proposition : // est possible que
nul B ne soit A comme majeure, donnera la conclusion :
// est possible que quelque T ne soit pas A, ce qui contre-
dit la conclusion du syllogisme primitif (1) (ch."19 déb.-
38 a, 26). — Lorsque la prémisse nécessaire est affirma-
tive, qu'elle soit d'ailleurs majeure ou mineure (cf. 38 b,
4 sq.), et si la contingente est négative, il n'y a pas de
syllogisme. 1° La conclusion ne saurait être une contingente.
Soient en effet les prémisses : II est possible que nul homme
(1) On ne voit pas de quel droit Aristote substitue la contingente :
77 est possible que nul B ne soit A à la nécessaire : 77 est nécessaire
que nul B ne soit A. On pensera peut-être qu'il aurait dû prendre
pour majeure de son syllogisme par l'absurde celte proposition néces-
saire : car la conclusion : 77 est nécessaire que quelque T ne soit
pas A, aurait contredit elle aussi, ajoutera-t-on, la mineure : 77 est
possible que tout T soit A. Mais cette contradiction, unilatérale et
incomplète (cf. 17, 37 a, 24), est sans valeur, et ainsi le défaut n'au-
rait fait que se déplacer. Aristote ne peut pas plus présenter une
nécessaire unique (c'est-à-dire prise à part de sa contradictoire) comme
contredisant une contingente, qu'il n'avait le droit de regarder une
contingente comme impliquée dans une nécessaire et de dire que ce
qui est nécessaire est a fortiori contingent. La démonstration par
l'absurde pourrait bien ici être impossible. Et, si la conclusion d'un
syllogisme dont la mineure est contingente peut être, dans certains
cas, autre cbose qu'une contingente, c'est par un autre procédé qu'il
conviendrait de l'établir.
LES SYLLOGISMES MODAUX 217
ne soit blanc ; Il est nécessaire que tout cygne soit blanc.
La vérité exigerait que la conclusion fût : // est nécessaire
que 7iul cygne ne soit homme. 2° La conclusion ne saurait
pourtant être une nécessaire. Car, pour obtenir une con-
clusion nécessaire, il faut que les deux prémisses soient
des nécessaires. Or, dans l'espèce, nous ne trouvons même
pas réalisée la condition qui permet d'obtenir, comme con-
clusion, non pas une nécessaire, mais une simple asserto-
rique, à savoir que celle des deux prémisses qui est une néces-
saire, pendant que l'autre est une contingente, soit néga-
tive (1). 3° Nous ne pouvons pas obtenir une conclusion
assertorique négative. Car, des deux prémisses suivantes :
// est possible que nul animal ne se meuve ; Il est néces-
saire gué tout être éveillé se meuve, on ne peut pas con-
clure que : Nul être éveillé n'est animal, puisque la vérité
est que tout être éveillé est nécessairement un animal.
4° Enfin, puisque nous avons vu que, avec les termes
homme, blanc et cygne, la conclusion qu'exigerait la vérité
serait une nécessaire négative, il est clair que nous ne sau-
rions obtenir, comme conclusion, aucune des trois sortes
d'affirmatives qui s'opposent à la nécessaire négative et
qui sont condamnées à être fausses dès que cette néga-
tive est vraie, ni la nécessaire, ni l'assertorique, ni la con-
tingente affirmatives (2) (38 a, 26-6, o). — Si les deux
prémisses sont négatives, on transformera la contingente
en une affirmative, qu'elle soit d'ailleurs mineure (cEsArE),
ou majeure (cAmtëstrEs), et l'on aura un syllogisme de la
1IC figure (38 b, 6-13). — Si les deux prémisses sont affir-
matives, il n'y aura pas de syllogisme. En effet la conclu-
sion ne peut être ni une assertorique négative, ni une
nécessaire négative, puisqu'il n'y a pas de proposition, soit
de l'une, soit de l'autre espèce, parmi les prémisses. D'au-
tre part on ne saurait conclure par une contingente néga-
tive. Car, des prémisses suivantes : // est nécessaire que
tout cygne soit blanc ; 1/ est possible que tout homme soit
blanc, la vérité exigerait que l'on tirât comme conclusion :
(1) Waitz, ad 38 a, 37 (p. 421 sq.).
(2) Ibid., ad 38 ù, 3 (p. 422 sq.).
218 LE SYSTÈME d'àMSTOTE
// est nécessaire que nul homme ne soit cygne, proposition
nécessaire négative. Enfin, puisqu'une conclusion néces-
saire négative s'imposerait au nom de la vérité, il est clair
qu'on ne peut songer à aucune des trois sortes de conclu-
sion affirmative que celle-ci condamne à la fausseté :
nécessaire, assertorique, contingente (38 b, 13-23).
Envisageons les syllogismes à conclusion particulière.
Si la prémisse nécessaire est négative et universelle (car la
nécessaire négative particulière ne se convertit pas), il y a
syllogisme [comme plus haut, 38 «, 13-26]. Si la prémisse
nécessaire est affirmative, il n'y a pas de syllogisme [comme
plus haut, 38 #,26-6,5]. De même, si les deux prémisses sont
affirmatives [comme plus haut, 38 b, 13-23]. Si les deux
prémisses sont négatives et que la nécessaire soit l'univer-
selle, il y a syllogisme [comme plus haut 38 b, 6-13]. Si
les deux prémisses sont des particulières ou des indétermi-
nées, il n'y a pas de syllogisme ; cela se démontre par la
même triade de termes que plus haut [38 b, 13-23] (38 b,
24-37).
En somme, pour qu'il y ait syllogisme avec une néces-
saire et une contingente, il faut que la nécessaire soit uni-
verselle et négative (1). Les syllogismes, dont l'une des
prémisses est nécessaire et l'autre contingente, se laissent
mettre en parallèle avec ceux dont l'une des prémisses est
assertorique et l'autre contingente. Ils sont d'ailleurs
imparfaits et doivent être réduits à la l,e figure (38 b, 38-
39 «, 3, fin du ch. 19).
Les syllogismes de la 3e figure sont beaucoup plus sou-
vent concluants que ceux de la 2e. Si les deux prémisses
(1) Car voici ce qu'on peut dire dans le système d'Àristote : si la
nécessaire est particulière, elle ne peut être (pie mineure en passant
à la Ire figure, et d'ailleurs il faudra, pour jouer ce rôle, qu'elle soit
affirmative ; donc ii faudrait convertir, pour en faire la majeure dans
la Ire figure, la prémisse contingente négative de la 2e figure : con-
version impossible. Si la prémisse nécessaire est universelle affirma-
tive, elle ne pourra être que mineure dans la ire figure, puisque, dans
cette figure, la majeure seule peut être négative. Ainsi il faudrait
convertir la prémisse négative contingente du syllogisme de la
2e figure pour en faire la majeure du syllogisme de la tre, etc.
LES SYLLOGISMES MODAUX 219
sont contingentes, on si l'une est contingente, l'autre,
assertorique, la conclusion est contingente. Si l'une des
prémisses est contingente et l'autre, nécessaire, quand la
nécessaire est affirmative, la conclusion est contingente ;
quand la nécessaire est négative, la conclusion est une
assertorique négative (ch. 20 déb.-39 a, 13).
Lorsque, dans un syllogisme dont les deux prémisses
sont contingentes, toutes les deux, ou l'une d'elles, sont affir-
matives, le syllogisme est concluant. II est en effet du mode
dArAptl ou du mode fElAptOn, et se ramène aisément à
dÀrlI ou à ŒrlO (39 a, 14-23). — Quand les deux prémisses
sont négatives, on en transforme une en affirmative (39 a,
23-28). — Parmi les syllogismes dont l'une des prémisses
est particulière, Aristote reconnaît les modes dAtlsI,
dlsAmls et fErlsOn. Quant à bOcArdO, il n'en dit rien.
Pour le démontrer par l'absurde, il faudrait prendre la con-
tradictoire d'une contingente négative (39 a, 28-38). — Lors-
que les deux prémisses sont négatives, on transforme l'une
d'elles en une affirmative (39 a, 38-/;, 2). — Avec deux
particulières ou deux indéterminées, il n'y a pas de con-
clusion. En effet, avec les deux triades : animal — homme
— blanc, et cheval — homme — blanc (le moyen est ici le
dernier des termes énoncés), on construit des syllogismes,
dont le premier conclut par une proposition qui est, dans sa
vérité, une nécessaire affirmative, et le second, par une pro-
position qui est, dans sa vérité, une nécessaire négative
(39 6, 2-6, fin du ch. 20).
Avec l'une des prémisses contingente et l'autre asserto-
rique, il y a conclusion, toujours contingente, dans les
mêmes cas que quand les deux prémisses sont contingen-
tes. Seulement chacun des modes concluants (affirmatifs),
par exemple dArAptl et fElAptOn, est double, puisque les
prémisses peuvent se combiner de deux façons différentes.
Si la mineure est contingente et négative, ou si les deux
prémisses sont négatives, ou transforme la mineure contin-
gente en une affirmative (car il n'y a pas dans la 3* ligure
de mineures négatives) (ch. 21 dcb.-'M) />, 2">).
Lorsqu'une des prémisses est particulière, si toutes les
deux sont affirmatives, on a des syllogismes en dAtlsI et
220 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
dlsAmls. Si c'est l'universelle qui est négative, on a le
mode fErlsOn. Si c'est la particulière qui est négative, la
conclusion se démontre par l'absurde (bOcArdO) :
Quelque Y n'est pas A ;
Or il est possible que tout Y soit B ;
Donc il est possible que quelque B ne soit pas A.
Prenant la contradictoire de la conclusion, il vient :
Il est nécessaire que tout B soit A ;
Or tout Y est B ;
Donc il est nécessaire que tout Y soit A.
Conclusion qui contredit la majeure du syllogisme pri-
mitif (1) (39 i, 26-39).
Avec deux prémisses particulières ou indéterminées, il
n'y a pas de conclusion. Cela se démontrerait à l'aide des
deux triades qui ont servi à la fin du chap. 20. Aristote ne
dit rien (2) des modes à conclusion universelle qu'il fau-
drait rejeter : il se contente d'assurer qu'on pourrait en
démontrer l'invalidité en recourant, encore une fois, aux
deux mêmes triades de termes (40 a, 1-3, fin du ch. 21).
Restent enfin les syllogismes de la 3e figure dont l'une
des prémisses est nécessaire et l'autre contingente. Lors-
que les deux prémisses sont affirmatives, la conclusion est
une contingente. Lorsque celle des deux prémisses qui est
négative est la nécessaire, la conclusion peut se présenter
comme une assertorique, aussi bien que comme une con-
tingente. La conclusion, pas plus que dans les autres figu-
res, ne peut jamais être une nécessaire, même négative
(chap. 22 déb.-AO a, 11).
Deux prémisses affirmatives, que la nécessaire soit
majeure ou non, donnent des syllogismes en dArAptl-
dArlI (40 a, 11-18). — Avec une prémisse affirmative et une
(1) Aristote entreprend ici, indûment et malgré ce qu'il a dit au
ch. 17, 37 a, 9-30, de prendre la contradictoire d'une contingente
négative; cf. supra, p. 195 et 213.
(2) Cf. Waitz, adiO a, 2 (p. 425).
LES SYLLOGISMES MODAUX 221
négative, que ce soit la nécessaire qui soit l'affirmative ou
que ce soit la contingente, on a des syllogismes en f ElÀptOn-
fErlO. Par la conversion de la mineure, qui procure la
réduction à la lre figure, la mineure est inévitablement
particularisée. C'est pour cela que la conclusion est parti-
culière dans la lre figure, et c'est parce que la conclusion
est particulière dans la lre figure, qu'elle ne saurait aussi être
que particulière dans la 3e. — Lorsque la nécessaire néga-
tive est mineure, il n'y a pas de conclusion. En effet, d'une
part, des deux prémisses suivantes : // est possible que
tout cheval dorme ; Or il est nécessaire que nul cheval ne
soit homme endormi, la vérité voudrait que l'on conclût :
// est nécessaire que tout homme endormi dorme. D'autre
part, de ces deux autres prémisses : // est possible que
tout cheval dorme ; Or il est nécessaire que nul cheval ne
soit homme éveillé, la vérité voudrait que l'on conclût :
// est nécessaire que nul homme éveillé ne dorme. Or ces
deux conclusions, exigées par la vérité, excluent la con-
clusion que les règles demanderaient, savoir une conclu-
sion contingente négative. Puisque les conclusions vraies
sont nécessaires, il ne saurait y avoir place pour une con-
clusion contingente, et, puisque les conclusions vraies sont,
l'une négative, mais l'autre affirmative, on ne saurait dire
qu'une conclusion négative est de droit (1). — Si la mineure
est négative, mais contingente, les prémisses donnent la
combinaison AE, inadmissible dans la 3° ligure. Mais, en
transformant la mineure contingente en une affirmative, on
obtient un syllogisme endArÀptl-dArlI (40 «, 18-38) (2). —
(1) il faut, 40 a, 30-:i8, corriger le texte de Wailz et lire : û/reoç-
Innoi-xuQtvStùv Avùptoini, puis ûmoç-inîtoç-sypriyopùç iïjf}po>no^ (au lieu
de rattacher, comme fait Wailz, xafiiuifov e( iypvyopùq à unro;j ; ci'.
Philopon, An. pr., lelemme 235, 22 sq. el 236, 3-9, éd. Wallies(£cAo/.
169 a, 24). Arislote a pensé ses deux syllogismes dans la i'« ligure,
et non dans la 3' connue nous les présentons : on s'en apercevra si
l'on convertit nos mineures, qui offriront alors un sens bien plus
naturel. C'est parce qu' Arislote songeait à la lre figure, que les moyens
sont, dans le texte, énoncés entre lis deux antres termes.
(2) Arislote n'examine pas le cas où les deux prémisses sont néga-
tives. Il n'y lait même pas allusion, quoi qu'en pense Waitz, ad il) a,
33 (p. 420). Lorsque la mineure est contingente, on est évidemment
ramené au cas précédent. Autrement, il n'y a pas de conclusion.
222 LE SYSTÈME d'aïUSTOTE
Dans les syllogismes à conclusion particulière, la conclusion
est contingente si les deux prémisses sont affirmatives ; elle
estassertorique négative, si la prémisse nécessaire est néga-
tive; tout se passe ici comme précédemment [22 déb., à
40 a, 11] (40 a, 39-6, 6). — Si les deux prémisses sont
affirmatives, on aura les modes dAtls! et dlsAmïs, qu'on
démontrera en dArlI (40 b, 6-8). Si la mineure universelle
négative est nécessaire, il n'y a pas de conclusion (comme
40 a, 35-38, et même démonstration). Si la mineure univer-
selle négative est contingente, en la transformant en une
affirmative, il y a syllogisme [comme ci-dessus 40 «, 33] (1)
(40 6,8-16)".
Nous venons de suivre Aristote pas à pas dans son étude
des syllogismes modaux. Cette étude eût demandé beaucoup
de corrections et de simplifications. Nous nous bornerons
à la résumer en rassemblant et en condensant les règles,
trop éparses et trop prolixes, qu'Aristote a données chemin
faisant.
Il n'y a rien à dire des syllogismes à deux prémisses
nécessaires, puisqu'ils se comportent en tout comme les syl-
logismes à deux prémisses assertoriques. Considérons donc,
pour commencer :
I. — Les syllogismes dont l'une des prémisses est
nécessaire et l'autre, assertorique.
4K figure. Lorsque la prémisse nécessaire est majeure,
la conclusion est une nécessaire ; lorsque la prémisse néces-
saire est mineure, la conclusion est une assertorique. Le
premier point se démontre en remarquant que la conclu-
sion n'est en réalité que la subalterne de la majeure : le
second, par l'absurde et par l'exemple.
2e figure. Pour que la conclusion soit une nécessaire,
(1) Peu importe que ce soit la mineure qui soit universelle, ou
la majeure ; ce qui est requis, c'est que la mineure puisse devenir
affirmative. Lorsque la mineure contingente est universelle, elle
donne., par transformation, un syllogisme en dlsAmïs; si elle était
particulière, elle donnerait un syllogisme en dAtlsI.
LES SYLLOGISMES MODAUX 223
il faut que, dans les prémisses, la nécessaire soit une néga-
tive universelle ; car c'est à cette condition seulement que
cette prémisse pourra être majeure, après réduction à la
lie figure. — Démonstration par l'absurde ou par des
exemples pour le cas où, la prémisse nécessaire étant
mineure dans la lre figure, la conclusion est une asserto-
rique.
3* figure. Pour que la conclusion soit une nécessaire, il
faut que la prémisse nécessaire soit universelle, et, dans
le cas où l'une des prémisses est négative, il faut que la
prémisse nécessaire soit, non seulement universelle, mais
encore négative ; car c'est à ces conditions que la réduc-
tion à la lrc ligure donnera des syllogismes où la néces-
saire soit majeure.
II. — Syllogismes dont les deux prémisses sont
contingentes.
I1'" figure. La conclusion est toujours contingente; pour
qu'il y ait conclusion, il faut et il suffit que la majeure soit
universelle, quelle que soit d'ailleurs la qualité des propo-
sitions, puisqu'on peut toujours transformer une proposi-
tion contingente négative en une contingente affirmative.
III. — Syllogismes dont l'une des prémisses est contingente
et l'autre, assertorique.
1™ figure La conclusion est toujours contingente ; seule-
ment, lorsqu'elle est négative, elle n'énonce à vrai dire
qu'une non-nécessité. Si ta prémisse contingente (prémisse
universelle, car il faut qu'elle soit telle pour pouvoir être
majeure dans la 1"' ligure) est majeure, la conclusion esi con-
tingente, comme subalterne de la majeure. Si la prémisse
contingente est mineure, le syllogisme est imparfait, et il
faut le démontrer par l'absurde. Déplus, si la conclusion doit
être négative, cette conclusion pose seulement la non-néces-
sité : ce n'est pas une vraie contingente.
La mineure ne pouvant jamais être négative dans la
lr'' ligure, il n'y a pas de conclusion avec une mineure
224 LE SYSTÈME d'àRISÏOTE
assertorique négative; s'il y a une conclusion avec une
mineure négative contingente, c'est parce qu'on transforme
la mineure négative en une affirmative; sous cette réserve,
il y a toujours une conclusion avec des prémisses quelcon-
ques, dès que la majeure est universelle.
IV. — Stjllogismes dont l'une des prémisses
est contingente et l'autre, nécessaire.
j™ figure. La conclusion n'est pas toujours une contin-
gente ; c'est parfois, si l'on préfère la présenter ainsi (cf.
ch. 16 fin), une assertorique.
Lorsque la contingente est mineure, le syllogisme est
imparfait et la conclusion est contingente ; cependant, lors-
que la mineure contingente, qui doit toujours en fin de
compte être affirmative, est jointe à une majeure négative,
la conclusion peut être présentée comme une assertorique
négative.
Lorsque la~Vprémisse contingente est majeure, le syllo-
gisme est parfait, et la conclusion est une contingente.
Avec une mineure négative contingente, on peut obtenir
une conclusion, grâce à la transformation de cette mineure
en une affirmative.
V. — Syllogismes de la 2e figure avec deux prémisses con-
tingentes, ou une prémisse contingente et l'autre, soit
assertorique, soit nécessaire.
Lorsque les deux prémisses sont contingentes, il n'y a
jamais de conclusion. Pour qu'il y ait syllogisme, il faut
que ce soit la prémisse assertorique, ou la prémisse néces-
saire, qui soit universelle et négative ; »car cette prémisse
peut seule devenir majeure dans les modes cElArEnt et
fErlO de la lre figure, auxquels se ramènent les syllogismes
de la 2e figure ; elle le peut seule, car les négatives univer-
selles contingentes ne se convertissent pas. — L'invalidité
des syllogismes en bArOcO se démontre par des exemples
exclusivement. — Dans les syllogismes où les deux pré-
LES SYLLOGISMES MODAUX 225
misses seraient négatives, la contingente se transformerait
en une affirmative.
Dans les syllogismes où la prémisse nécessaire est une
universelle négative, la conclusion est une assertorique.
VI. — Syllogismes de la 3e figure, avec deux prémisses
contingentes, ou une prémisse contingente et famtre,
soit assertorique, soit nécessaire.
Lorsque les deux prémisses sont contingentes, la conclu-
sion naturellement est contingente. A part cela, et aussi
qu'on peut obtenir une conclusion lorsque la mineure est
négative, ou lorsque les prémisses sont négatives toutes
deux (car l'une d'elles, contingente négative, peut toujours
être transformée en affirmative), — les modes concluants
sont les mêmes et se démontrent de la même manière que
dans le syllogisme assertorique, par réduction à la lre figure.
Le mode bOcArdO, dont Aristote ne dit rien, ne peut sans
doute se démontrer par l'absurde.
Lorsque l'une des prémisses est contingente et l'autre
assertorique, la conclusion est contingente. Les modes
concluants sont les mêmes que dans le syllogisme asserto-
rique, sauf que chacun se dédouble, puisque la contingente
peut être, soit majeure, soit mineure, et qu'il y a des svl-
logismes à mineure négative contingente, ou à deux pré-
misses négatives. Aristote oublie qu'il ne peut démontrer
par l'absurde le mode bOcArdO.
Si l'une des prémisses est contingente et l'autre néces-
saire, les modes concluants sont les mêmes que dans le cas
précédent Les conclusions affirmatives sont contingentes.
Pour ce qui est des conclusions négatives, elles sont con-
tingentes, si, dans les prémisses» c'est la nécessaire qui est
affirmative ; elles'sont, si l'on veut, assertoriques, lorsque,
dans les prémisses, la nécessaire est négative.
Aristote
TREIZIEME LEÇON
LA DIALECTIQUE ET LA SCIENCE
De la logique aristotélicienne, nous avons étudié une
partie, celle qu'Aristote appelle Y Analytique, dont le point
capital, auquel tous les autres sont subordonnés, est la
théorie du syllogisme. Mais le syllogisme a deux emplois
principaux : il est l'instrument de la science, quand il est
assujetti à employer des prémisses qui expriment entre
leur sujet et leur prédicat des rapports particulièrement
profonds et, par suite, particulièrement certains ; lorsque,
sans changer de nature en lui-même, il s'applique à des
propositions qui ne jouissent pas des mêmes privilèges, il
est l'instrument de la Dialectique. Par conséquent, pour
continuer notre étude de la logique aristotélicienne, nous
devons dire ce que sont la science et la dialectique.
Pour définir la dialectique, Aristote, au commencement de
l'ouvrage qu'il consacre à cet art, dit qu'il s'agit pour lui,
dans l'ouvrage en question, de trouver une méthode grâce
à laquelle on soit capable sur tout problème, c'est-à-dire
sur toute question posée de telle façon qu'elle demande
une réponse par oui ou par non (1), de raisonner d'après
des opinions ou prémisses plausibles et, si l'on joue le rôle
de répondant, de ne pas se contredire (2). Avant d'appro-
(1) Top. I, 4, 101 b, 28 : $ia.oipzi <?« rô npôGlyucc. xoù h 7ro6raffi; :w
TûÔ7rw. oûyw uvj ycr.p oijOsvtoç, v.pû ye rô Çùov 7rsÇôv Sijzovv ôoio^o; sortv
KvQpùnov ; xai «.où. ys to Çwov yévoç sari zoû «vBpâtnov ; irpârcLUiç ytvETjci.
E«v as ttotsoov rô Çwov tïeÇo'j Sîtzo'jv ôpi'jp.oç Èariv kvBpûirov vj oC ; TzpàSlr.ux
ytvsTat.
(2) Ibid. I, 1 déb. : h |*«v 7rpo'0g<7t? t>jç îrpay/xarsîa; péQoSov eûptïv, ày'
LA DIALECTIQUE D'APRÈS « LES TOPIQUES » 227
fondir cette définition, complétons-la en donnant une indi-
cation sommaire du contenu de l'ouvrage consacré par
Aristote à la dialectique. — La dialectique consiste d'abord
pour le répondant, et implicitement pour l'interrogeant lui-
même, à ne pas se contredire : or la science de l'analytique
nous a appris à rester d'accord avec nous-même, et, sur ce
point strictement pris, Àiïstpte n'a rien à ajouter. Mais il
reste à nous approvisionner d'opinions pour développer
l'opinion fondamentale qui sert de point de départ à la
recherche dialectique. Puisqu'il s'agit d'opinions et non pas
de la réalité des choses, ce n'est pas dans la nature propre
de chaque chose que nous devons chercher nos dévelop-
pements. Ce qu'il faut, c'est que nous ayons des moyens
de suggestion pour retrouver ou, au besoin, pour trouver,
autour d'un sujet quelconque, une abondance d'opinions.
Nous obtiendrons ces moyens de suggestion, si nous parve-
nons à grouper sous certains chefs généraux tout ce qu'on
peut se proposer de dire sur un sujet quelconque. Or toute
proposition et tout problème portent, relativement au terme
qui est sujet dans la proposition ou dans le problème, sur
le genre, le propre ou l'accident qu'on peut donner pour
attributs au sujet. On pourrait songer aussi à la différence :
comme elle est quelque chose qui touche de près au genre
(6ç outfa'v yevoajv), on peut la ranger à côté du genre. D'autre
part, le propre a deux acceptions : c'est un caractère qui
n'appartient qu'à un sujet, sans cependant être essentiel,
ou bien c'est l'essence même qui s'exprime par la définition.
Nous devons donc considérer tout problème comme se
référant en définitive à quatre objets : le propre, la défini-
tion, le genre, l'accident {Top. I, 4, jusqu'à 101 />, 25). Si
donc nous formulons des propositions très générales se
référant à ces quatre objets, telles que celles-ci par exem-
ple (1) : « Quand le contraire d'un accident convient au
contraire d'un sujet, l'accident convient au sujet [si la vertu
If 'jjjctouîOu i7'j).)oyi£co-0ai Ktûl 7ravrôç TOÛ 7toot£0*vtoç v:opS'/,r,uxro; t;
IvJôçwv, /.v.i a'jzoi /o'yov ùni%QVTti urçOiv ipovftn ùitonnlov. Cf. pour
d'autres textes Honitz, Ind. 183 a, 27.
(1) Cf. i.li. Thurot, Kiudcs sur Aristote (IV. De la Dialectique et
de la Rhétorique), p. 164.
228 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
est utile, le vice est nuisible) », ou : « Quand la définition ne
convient pas à tout le défini, l'attribut (la définition) ne
convient pas au sujet (le défini) », nous aurons ce qu'Aris-
tote appelle des lieux (totto-.). Aristote n'a point défini
le « lieu » dans son livre sur la dialectique. Mais il l'a
défini en matière de rhétorique, et, malgré certaines diffé-
rences, l'analogie est étroite entre la dialectique et la rhéto-
rique. Un lieu, dit-il dans la Rhétorique, est ce en quoi
coïncident une multitude de raisonnements oratoires, c'est-
à-dire leur source commune. Théophraste dit d'ailleurs
plus clairement : « Le lieu est un principe ou élément, dans
lequel, lorsque nous y appliquons notre réflexion, nous
puisons des principes [c'est-à-dire des prémisses] applicables
à des objets particuliers ; le lieu est quelque chose de déter-
miné, en tant qu'il est une circonscription [c 'est-à-dire une
classe], mais, relativement aux objets particuliers, il est
indéterminé » (1). Pour réduire la dialectique en art, la
principale chose à faire, comme on voit, était de la rame-
ner tout entière à certains « lieux », groupés autour de cer-
tains chefs. On comprend maintenant quel est en gros le
contenu de l'ouvrage consacré par Aristote à la dialectique,
et, en même temps, on voit pourquoi cet ouvrage s'appelle
les Topiques.
Ces indications données, revenons à la définition de la dia-
lectique et tâchons devoir quel jour elle projette sur les
idées d' Aristote relativement à la théorie delà connaissance
La conception aristotélicienne de la dialectique exprime, par
opposition, une conception déjà très mûre et, en un sens,
définitive de la science, une conception qui peut pécher
encore, sans doute, par étroitesse et surtout par cette intran-
sigeance qui s'attache d'ordinaire aux conceptions nouvel-
les, mais une conception dans laquelle le caractère le plus
(d) Aristote, Rhet. II, 26, d403 a, 18 : rà yùp corô Àî'yw azoïyjlo'j x«i
T07rov • É'ortv yUa otoi^sïov xoù T07roç, £tç ô 7ro}./à iv9v^>j /xara iuni^rîL.
Cf. Bonitz, Ind. 767 a, 5d, où la référence à Théophraste est indiquée.
Voici la définition de celui-ci : sari yùp 6 to7to; àpyr, ztç xcù crTot^eïov
U'/ Q-J >KJ*ê«VOpl£V TKÇ 77£j3 1 £Xa(770V Up%Û(i, £7Tl<T?JJ<7KVTcÇ T1JV âl'J.VOlUJ, TJJ
nzpiypxyfi pvj 6ùpi<ru.évo>z, roxj âk xk9' Sxâorec àojOtGTwç (Alex. Top. 5, 21-
26 ; 426,13, éd. Wallies [Schol. 252 a, 12]).
LA DIALECTIQUE ET LÀ SCIENCE 229
essentiel de l'objet est nettement saisi. — Les premiers
penseurs grecs, jusqu'aux Eléates et aux Sophistes, avaient
découvert et affirmé des propositions hardies, et certes ils
tenaient ces propositions pour des vérités. Mais il y a bien
de la distance entre le fait de poursuivre des vérités et celui
de s'interroger sur la nature de la vérité en elle-même/
Pour des esprits primitifs, la vérité se confond très proba-
blement avec l'opinion collective ; car cette opinion se pré-
sente, non seulement avec une forte autorité, mais encore
avec une infaillibilité relative. Prendre conscience de ce
qu'est le vrai comme vrai, ce n'est rien de moins que
secouer le joug" de l'opinion collective et de ses succédanés.
L'avènement de la dialectique marque le début de cet
affranchissement, et la définition de la dialectique comme
radicalement distincte de la science en marque la première
et la plus décisive consécration. Interroger et répondre sur
une opinion, c'est au moins vouloir la tirer au clair, c'est-
à-dire la dégager de tout ce qui n'est pas elle et en démê-
ler les conséquences. Ce n'est pas encore discuter l'autorité,
mais c'est se rendre compte de l'étendue et des limites de
ses affirmations. De là à les discuter il n'y a qu'un pas, et,
en fait, le pas paraît avoir été immédiatement, ou presque
immédiatement, franchi. Les entretiens dans lesquels on
commentait les prescriptions de la sagesse traditionnelle,
par exemple ceux du maître d'école qui commentait les
poèmes d'Homère, étaient quelque chose comme de pre-
miers essais de dialectique, et il peut se faire que cette dia-
lectique rudimcntaire n'ait eu aucune velléité destructive.
Mais le premier dialecticien un peu conscient de lui-
même, celui auquel Aristote attribue l'invention de la
iialectique, à savoir Zenon (1), celui-là se proposa déli-
bérément, non pas seulement de tirer au clair, mais bien
de réfuter, le sens commun. En un sens il fut plus hardi que
Socrate, à qui Aristote réserve ailleurs le mérite d'avoir été
le premier dialecticien (2). Socrate, peut-être parce qu'il
s'occupait de questions morales, donna, au moins souvent,
(4) V :•..".{, liSi /,, 28 el 36.
(-_' Metaph. A, (i, '.I.X7 h, 32 : o>. yùp ~ c).txrtx>}; oJ u£?.
230 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
pour objet à Fart du dialogue de reconnaître l'état exact
de l'opinion commune. La conversation régulière devait
aboutir à se mettre d'accord sur certains points, ces points
étant tenus pour vrais, précisément parce qu'on s'accordait
et parce qu'on établissait que l'opinion commune, au moins
implicitement, s'accordait à leur sujet. Il est vrai que, d'au-
tre part, Socrate osait parfois se détacher de l'opinion com-
mune et qu'il disait se distinguer en cela des Sophistes : il
se qualifiait alors d'auToopyoç tï{ç cpOcoa-ocpiaç. Mais, lors
même qu'il s'assignait un pareil rôle, il ne cessait pas de
penser que l'art du dialogue était la méthode unique et
suffisante de la philosophie. Chez Platon, la part de la pen-
sée proprement dite, indépendante de l'opinion collective,
est beaucoup plus grande que chez Socrate. On se rappelle,
par exemple, ce passage du Gorgias (472 ah ; cf. 482 c, 521
de) où le Socrate de Platon dit qu'on réunira facilement
contre lui les voix de tous les hommes qui font autorité
en Grèce, mais qu'il est, quoique seul, d'un autre avis. Et,
à un point de vue plus proprement spéculatif, on sait com-
ment l'Idée de Platon, source de toute science, est loin
d'être la notion moyenne et courante, puisqu'elle est même
d'un autre monde que l'humanité. Cependant une confusion
persiste. Le dialectique est toujours présentée comme la
méthode du véritable savoir, et elle est définie à la fois
comme l'art de bien interroger et de bien répondre, et.
d'autre part, comme l'art de réunir et de diviser dans
l'ordre des Idées. Le dialogue, forme extérieure de la dia-
lectique, est d'ailleurs maintenu jusqu'à la fin. bien que non
sans atténuation, comme le seul procédé de recherche qui
convienne à la philosophie. — La définition de la dialecti-
que, telle que la formule Aristote, met fin à toute hésita-
tion et consacre, par opposition, la rupture entre la science
et les thèses fondées sur l'autorité. La dialectique est fondée
sur l'opinion, sur l'opinion qui est reconnue pour ce qu'elle
est. Par suite il n'y a plus rien de commun, au moins direc-
tement, entre la recherche de la vérité et la dialectique. La
méthode unique de Socrate et de Platon se dédouble défi-
nitivement. La méthode scientifique ne consiste plus en
aucune façon à dégager entre interlocuteurs un point sur
LA DIALECTIQUE ET LA SCIENCE 231
lequel on s'accorde. Elle n'a plus rien à voir avec l'art du
dialogue. Et de son côté l'art du dialogue, et plus généra-
lement l'art de raisonner sur des opinions, n'a plus pour
but la découverte de la vérité.
Mais à la dialectique, ainsi restreinte à sa véritable
notion, iVristote, et c'est ce qui nous reste à montrer, ne
laisse pas de reconnaître un rôle encore considérable. Elle
n'a pas directement pour objet la découverte de la vérité.
Nous allons voir cependant qu'elle y contribue. Pour pou-
voir jouer ce rôle, il faut d'abord que, si elle n'a pas le vrai
pour objet propre, elle participe pourtant d'une certaine
manière à la vérité. C'est effectivement ce qui a lieu. Aris-
tote distingue avec soin la dialectique de Y éristique et de la
sophistique, deux arts faux qui n'en font qu'un; car Aris-
tote définit le sophisme en l'appelant précisément « raison-
nement éristique » (1). Il y a presque la même distance entre
un dialecticien et un éristique qu'entre un géomètre et un
faiseur de fausses figures (2). Qu'est-ce en effet qu'un dis-
cours éristique ou sophistique? C'est celui qui raisonne juste
en partant de prémisses qui n'ont que l'apparence d'être des
opinions, car le plus léger examen découvre d'ordinaire que
personne ne saurait sérieusement les professer ; ou bien c'est
le discours qui, en partant d'opinions ou de soi-disant opi-
nions, raisonne faux (Top. I, 1, 100 b, 23-101 a, 1 ; cf. IX,
ch. 2). La dialectique participe donc de la vérité en ce qu'elle
raisonne juste, et on peut même dire encore qu'elle en par-
ticipe, ou approche d'en participer, en tant qu'elle a pour
prémisses des propositions qui sont au moins plausibles (3).
Avant ainsi sa vérité partielle et relative, la dialectique,
par ses trois usages, peut contribuer à la recherche ou,
d'autres fois, à la transmission de la vérité. Les trois usa-
(1) Top. VIII, 11, 162 a, 1G : <7oyi<7p:a <?k Tvlloyia^ioi; kpiTTixo;. Toute
la différence est que l'éristicpie poursuit seulement la victoire dans la
dispute, lundis (jue le sophiste vise la gloire ou la richesse. Top. IX
{Soph. el.), 11, 171 6,23-31.
(2) Ibid. 171 b, 34 : o o'èoi'jzi/.o; Èori ttw; owtmc é'%mv 7rp6ç tov ô^ta-
n/.-r/.'yj ',>; ô ftsuooypoLfQç 77005 tov ytuuErptxov.
(3) 'Top. I, 1, 100 0, 21 : ?v£oÇa oï rù. foxovvTa rrào-iv rj rotç trXlfarorc
r, roï; TO'^ût;...
232 LE SYSTÈME D' ARISTOTE
ges de la dialectique selon Aristote sont de s'exercer à
la pensée, d'apprendre à redresser son interlocuteur en
prenant pour prémisses des opinions qu'il admet lui-même,
enfin de venir en aide, dans certains cas, aux sciences
véritables, à celles qui entrent dans l'encyclopédie du
savoir ou, autrement dit, dans la philosophie (1). — Pour
ce qui est du second usage nous venons de l'indiquer assez
clairement, et il n'y a pas lieu de rien ajouter (cf. Metaph.
T, 5, 1009 a, 16sqq.). — Il n'y aurait pas non plus beaucoup
de développements à donner au sujet du premier usage, si
Aristote n'avait vraiment considéré sous ce chef que des
exercices de pensée. On devrait se contenter de dire avec
lui, dans ce passage des Topiques où il définit, comme on
l'a vu, les fonctions de la dialectique : « Qu'elle soit utile
pour s'exercer à penser, cela est évident de soi ; car, si
nous sommes en possession d'une méthode, nous pourrons
raisonner avec plus de facilité sur une question proposée. »
Mais à la yu^vacria, à l'exercice, Aristote attache étroite-
ment la iretpa, l'examen [Top. VIII, 5, déb. et 11, 161 a,
25) (2). Cette partie, ou cette fonction, de la dialectique,
qui mérite le nom de TOtpoKrcuo), consiste à examiner celui
qui se donne comme possédant une science, et cette épreuve
peut être faite même par quelqu'un qui ne sait pas, puis-
qu'elle procède à la manière de toute opération dialectique,
sans se référer au contenu propre de la science dont il
s'agit (cf. Top. IX (Soph. e/'.), 8 dèb. ; 11, 171 />, 4 et 172 a,
21). Cette fonction, parente de la réfutation socratique, est
évidemment très importante. — Elle ne le cède en impor-
tance qu'au troisième usage de la dialectique, qui est relatif
aux sciences. Cet usage se dédouble : d'une part, nous
dit Aristote (3), la dialectique sert à poser les owospiat et,
(1) Ibid. 2, 101 a, 26 : êori Sri r.pbq rpioc, Ttpàc, yvfzvairiav, r.po; -«;
vjtvj^zic,, npàç tkç y.arà yùoaofiu-J 67ri<777$u(z; ' oti fiSV ovv Tcpàç yvu.-JUGia.-j
jfOïicrifAo;, l£ aurcôv xarayave'ç sari ' ptiÔoiîov yùp £%ovtzc pàov mpï roi»
■xpoTsèé-jzoç, Ï7ii%eipeîv 6\»v»j<76p:£âa. xt>. Cf. infra, n. 3 et p. 234, n. 1 .
(2) etrzt Se y Sicxlcxrix.ii •nzipaari/.y Tapi wv vj filoGoyio. yywptoTt/.vi, dit
un texte connu de la Métaphysique, r, 2, 1004 b, 25.
(3) Top. I, 2, 101 a, 34 : irpàc, as rà; xarà piXoiroyiav S7u<77/;u«;, Ôti
dvVKUÎVOl 7TOOÇ «piyÔTEOK SlIXTtOpr, CTCU pàûV £V £XK(7TO(Ç y.SCTO'J/OUsSa Tà).Y3^r:
xecî tot|/î'JiJo;. êti Se 7rpè;rà rrowTa twv ttsoï ïxaarïjv ÊTUOTijpiUV àp^o-j.
LA DIALECTIQUE ET LA SCIENCE 233
d'autre part, elle aide à découvrir les premiers principes de
chaque science. Une ootopLa, c'est la mise en présence de
deux opinions, contraires et également raisonnées. en
réponse à une même question (Il On sait que, pour Aristote,
toute recherche scientifique doit être précédée d'un exposé
des x7Eopûu ; d'autant que la solution des difficultés (eùreopia),
suggérée par les difficultés, est la vérité même [Metaph. B,
1, déb.) (2). De fait, on sait que les ouvrages d' Aristote
commencent le plus souvent par une introduction consa-
crée aux oncopiou : tels le livre I de le Physique, le livre I du
De anima et le livre B de la Métaphysique ou, pour mieux
dire, tels les deux premiers livres de la Métaphysique, car
l'histoire des doctrines dans le livre A n'est pas autre chose
qu'un premier recueil d'àitopUu. D'une manière générale,
l'historien chez Aristote est subordonné au dialecticien : il
n'expose les doctrines de ses devanciers que pour en
extraire les àicopiai dont il a besoin pour préparer ses solu-
tions. Cette fonction de la dialectique est, cela va sans dire,
d'une extrême importance dans l'Aristotélisme. Et on peut
dire qu'elle est importante aux yeux de l'esprit humain.
En effet, nous avons ajouté à la critique dialectique d 'Ai is-
tote une autre manière de mettre à l'épreuve les concepts
scientifiques. Nous admettons que des concepts, qui ne sont
pas seulement à la porte, mais à l'intérieur de la science,
peuvent être insuffisants et sujets à réforme : c'est le déve-
loppement même de la science et l'usage scientifique de ces
concepts qui en décèle les imperfections. Aristote se faisait
de la science une conception trop idéale et trop rigide pour
songer à cette sorte de critique des concepts. Mais sa cri-
tique dialectique, non seulement a joué un rôle considéra-
ble à une époque où, n'inventant pas, on n'avait pas autre
chose à faire que de pratiquer cette critique ; mais elle a
(1) Top. VI. B, 14") b, I 7 : ... ~r.\ pnroataç SàEetsv » tmvn~ir.hv stSai
r, T-.jv htecvrltùv r.Torr,; Àovieraûv ' otco yitp sn koyiÇeusvotç t,u.vj
ÔU0tO>; XTT«VT« DCUV7JTGCJ A'/.')' fKttXtpOV •jijil'l'J.l, KITOÙOÛjiS» 'iT.T.i'j'. .
Sup. Cf. VIII, li, 162 a, 17 ; ! la suite du texte cité au débul de la
n. i, p. 231) : «Troonjua 'h <TuXkoyi9U.6i j';j i/.rc/.o; ccvrt9a?gu;.
(2) Voir leste - par Waita dans son commentai]
j,ost. 11,3, 9 <■. 38 {Org. Il, p. 384 Bq.).
234 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
peut-être encore un rôle à jouer. Après tout, manier con-
venablement cette critique, c'est ce que nous appelons
aujourd'hui savoir penser. — Le dernier usage attribué par
Aristote à la dialectique n'a qu'une importance plus étroi-
tement aristotélique ; mais il ne laisse pas de soulever une
question intéressante sur les fondements de la doctrine.
Ce dernier usage, on l'a vu, consiste en ce qu'elle nous
aide à découvrir les principes des sciences. En effet, dit
Aristote, chaque science est spéciale, et les principes sont
en chacune ce qui est rationnellement antérieur à tout
le reste. Il est donc impossible de raisonner sur les princi-
pes d'une science en se fondant sur des prémisses emprun-
tées à cette science. Par conséquent, nous ne saurions rai-
sonner sur les principes qu'en nous servant de la dialectique,
qui n'a aucun objet déterminé (1). En fait, c'est en raison-
nant dialectiquement, fait observer Thurot, qu' Aristote, au
livre F de la Métaphysique, établit le principe de contradic-
tion. Par la même voie, Zeller va jusqu'à dire que les opi-
nions comblent pour Aristote les lacunes et abrègent les
longueurs interminables de l'induction (2). C'est-à-dire
qu'Aristote puiserait les principes des sciences dans les
opinions, et non dans les choses. Mais, ainsi entendue, la
pensée d' Aristote nous paraît dénaturée. Il n'est pas permis
d'oublier que l'induction ne se fonde pas toujours, pour
Aristote, sur une énumération ; qu'elle est au contraire,
comme l'établit le dernier chapitre, si connu, des Seconds
analytiques, une intuition qui saisit l'universel dans la
sensation. Si donc la dialectique sert à l'établissement des
principes, ce ne peut être qu'indirectement. Le principe de
contradiction lui-même, pour lequel, en raison de son
(1) Top. I, 2, 101 «, 36 : la dialectique, dit Aristoie, a encore pour
objet, dans son troisième usage, les principes des sciences (pour le
texte, cf. p. 232, n. 3 fin : sx ftev ykp rôv oï/.ziwj twv xarà xt4-j ■xoozzOïï'yy.-j
£7TH7T7Jcr/JV «O^ÛV kiïilVXTOV etTTEÎV Zt 7T£Ol «I/Ttôv, 'ÈTZilS'h 7rpWT0Cl Ul C/O^OÙ
ûndivTw siai, c?ià <?k râv îrgpi éy.v.aza. £vt?6Çwv àvayxvj -kzoï kÛt<%>v SiÙSivj.
toûto ci'tiJtov t, {XtxluTTK oixiïov "ïjç 9tod.ex.-iz/Jz iaTtv • ï\i- ca~ 'tx.it yc/.o ovgq.
(2) Thurot, op. cit. (III. De la Dialectique et delà Science), p. 132-
134 ; Zeller, p. 242 sq.
LA SCIENCE 235
extrême généralité et de sa compréhension extrêmement
réduite, la thèse de Zeller serait plus spécieuse que pour
aucun autre, ne fait pas exception. Au chap. 4 du livre T
(1006 a, 11) de la Métaphysique, Aristote parle d'établir le
principe de contradiction par réfutation t (àttoSelÇat sÂsy/-'.-
xcôc) : par réfutation, c'est assurément d'une manière indi-
recte. La dialectique, à propos de chaque principe, nous
• apprend surtout où il ne faut pas le chercher. Les élimina-
tions convenables étant opérées par elle, l'œil de la pensée
ne s'égare plus ; il va droit, dans la sensation, au principe
qui servira de base à la science. Mais, en l'absence de cette
sensation et de l'intuition intellectuelle qui s'y applique, le
principe n'existerait pas pour nous. C'est une proposition
célèbre des Seconds analytiques (1) que, si une espèce de
sensation nous manque, une science disparaît avec elle.
Au reste il est vrai qu'une opinion a toujours chance d'être
une vérité, et qu'elle a d'autant plus de chances qu'elle est
plus répandue ; car l'esprit humain va naturellement vers
la vérité (2). Mais les opinions ne remplacent pas pour
cela l'intuition intellectuelle, et la vraie doctrine d' Aristote
sur les principes sera toujours celle que résume la propo-
sition célèbre : ~/.z;.-i~y.: vojv ihzi twv àpycov (Eth. Nie. VI.
G fin). Si Aristote avait professé la doctrine que lui prête
Zeller, il aurait contredit la distinction capitale qu'il a si
définitivement aperçue et posée entre la dialectique et la
science.
Nous venons de voir combien la science se distingue delà
dialectique. La dialectique ne touche pas directement les
choses et peut, tout au plus, procurer sur le vrai des vues
probables, probables parce qu'après tout il y a des chances
pour que le coup d'œil de la majorité des hommes ou celui
des habiles gens ne portent pas entièrement à faux. I.a
science au contraire est caractérisée par une certitude com-
plète et immuable (3). Cependant la science, selon Aris-
(1) I, 18 déb. : . . . û Ttç «ÏTO/iTt; î/j.i'i/jir.vj . mayxij v.uï ïr.ii- irxr.-j
(2) Cf. Les lexics cités pu Zeller, p. 343, ri. 3.
(3) Top. V, 2, 130 Ik 15 : ... ÎJtiffr4f*Hî liw» 'j-Kokri-bu &/xirebrttar««
236 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
tote, n'est pas ou ne veut pas être d'un autre monde que le
monde sensible. En effet, d'abord, elle part des phénomè-
nes, et, si elle ne les prend pas pour objet, elle trouve du
moins son objet en eux, puisque les formes intelligibles sont
immanentes dans le sensible et non pas séparées. Ensuite,
la science part des pensées de l'individu ; car c'est de l'ex-
périence et de la routine que se dégagent l'art et la science
{An.post. II, 19, 100 a, 6 etMetaph. A, 1, 981 a, 2).
Mais la science et son objet, bien qu'ayant des attaches
avec le monde sensible, sont, malgré tout, d'un autre ordre,
sinon d'un autre monde. Si la science est, quant au sujet
pensant, une suite de jugements qui s'imposent à la convic-
tion, c'est qu'elle est, en elle-même, la connaissance par
raison ou médiation et, par conséquent, la connaissance
de l'ordre de dépendance ou de la nécessité des choses. Ce
caractère dominateur de la science, déjà aperçu, au moins
à l'arrière-plan, par Platon, est définitivement saisi et fixé
par Aristote, grâce à la notion nouvelle et supérieure qu'il
s'est faite de la preuve et de l'explication. Toutefois il est
manifeste qu'il ne reste encore que trop platonicien et
qu'il mêle à sa notion propre de la science un élément qui
lui vient de son maître et de Socrate. Aristote définit ordi-
nairement la science en disant qu'elle consiste à connaître
par la cause. Il professe aussi qu'elle est la connaissance
du nécessaire. Mais, d'un autre côté, il dit qu'elle est la con-
naissance de l'universel, et il identifie la cause avec l'uni-
versel. Nous allons voir que cette façon de présenter les
choses révèle une véritable dualité dans la pensée d'Aris-
tote et qu'elle jette l'incertitude et l'obscurité sur sa con-
ception de la science, qui était en principe et qu'il aurait
pu maintenir si nette.
Il n'y a en effet pour lui de science que de l'universel,
et il n'y en a point de l'individuel. Si on prend ces ternies
dans leur sens extensif, cela signifie donc qu'il ne peut y
avoir de connaissance scientifique d'une chose ou d'un fait
qui ne se répéterait pas et que, par cela qu'une chose ou
vttô ).o'yov... Cf. 4, 433 b, 29 ; 134 a, 4-4 et Eth. Nie. VI, 6 déb. Voir
Hodier, Aristote, Traité de l'Ame, II, p. 404 s. med.
LA SCIENCE "237
an fait est unique, il est exclu de la science. Corrélative-
ment, il faut alors que ce qui rend une chose ou un fait
connaissable scientifiquement, ce soit la constance avec
laquelle ils se répètent : manière aussi empirique que plato-
nicienne de comprendre la science; car, en dépit d'intui-
tions plus profondes, les mêmes que chez Aristote avec
cette différence qu'elles sont encore moins dégagées, la
conception de la science chez Platon est encore primitive,
rudimentaire et extérieure. Cette conception tout extensive
paraît bien compter sérieusement dans la pensée d'Aristote,
puisque nous le voyons admettre que, s'il n'y a de science,
au plus haut sens du mot, que de l'universel, il y a pour-
tant aussi une certaine science de ce qui arrive le plus sou-
vent, c'est-à-dire, à ce qu'il semble, de ce qui, sans attein-
dre à la constance, en approche (1). C'est par une double
conséquence de cette part considérable faite à l'universel
dans la définition de la science, que la science, telle que la
conçoit Aristote, est à peu près bornée au point de vue sta-
tique et qu'elle risque, en opposition avec le fond même de
l'esprit aristotélicien, d'expliquer le supérieur par l'infé-
rieur. — Le premier point est évident. L'universel, dégagé
de la comparaison de tous les cas, est un résidu mort. L'ex-
plication des cas particuliers revient à reconnaître en eux
la présence de ce résidu inerte. Pourquoi tel être ou tel fait
est-il ou arrive-t-il de telle ou telle façon? C'est parce que
le type de tel être a toujours été tel, ou la place de ce fait
parmi d'autres toujours telle. Le devenir est par là éliminé,
non expliqué. De fait, chez Aristote comme chez Platon,
l'essence est éternelle, et, la cause motrice se ramenant
elle-même à l'essence, ce qui se produit s'explique en
disant que, quant à ce qu'il y a en elle d'universel, la chose
produite a toujours été. En prenant donc la pensée d'Aris-
tote sous cet aspect, on trouve qu'elle ne rend aucun compte
du mouvement et du progrès des choses. — Elle ne rend pas
compte davantage de leur diversité, et c'est là ce qui nous
faisait dire tout à l'heure qu'Aristote risquait d'expliquer le
(1) Metaph. K, 8, \m\ a, it; : An. post. I, 30, 87 h, ÎS-J5. Cf.
Zeller, p. 232, n. 5 et supra, \>. 120, h. 3.
238 LE SYSTEME d'ARISTOTE
supérieur par l'inférieur. En effet le plus général est aussi
le plus simple et le plus vide, de sorte que, s'il faut expli-
quer par le plus général, ce qu'il y a de spécifique dans les
choses ne recevra en somme aucune explication. Bien
entendu, cette tendance est sans cesse tenue en échec par
la tendance opposée. — Cette lutte des deux tendances
apparaîtra dans deux commentaires assez différents qu'Aris-
tote donne lui-même de sa formule, que savoir c'est con-
naître par la TcpwTr) alrloc ou, comme il dit aussi, par l'àxpé-
xx-zov amov (Phys. II, 3 dèb. et 195 b, 21). Il est admis
que, afin de pouvoir servir de moyen-terme dans la démons-
tration, la cause doit être antérieure à ce qu'il s'agit d'ex-
pliquer et qu'elle ne doit pas être médiatisée par d'autres
causes (An* post. I, 2, 71 6, 19 et 9, 76 a, 19). Mais ce
qu'il s'agit de savoir, c'est si la cause qui est antérieure et
non médiatisée est la cause la plus élevée possible dans la
hiérarchie de l'extension, ou si, au contraire, ce doit être la
cause la plus riche possible en compréhension, celle qui
rend compte sans autre condition du plus grand nombre
possible des caractères de l'objet. L'incertitude est grande.
Aristote entend certainement, quelquefois au moins, par cau-
ses premières les causes les plus éloignées des faits à expli-
quer : telles les premières causes de la nature, dont il est
question au début des Météorologiques. Ne dit-il pas d'ail-
leurs que l'universel, objet de la science et identique à la
cause, est ce qui est le plus loin de la sensation, c'est-à-dire
du particulier (An. post. I, 2, 72 a, 1)'? Mais il y a une
contre-partie. Voici en effet ce que nous lisons dans la
Métaphysique : «Lors donc qu'on cherche la cause, comme
la cause se dit en plusieurs sens, il faut indiquer toutes les
causes possibles. Par exemple, quelle est la cause maté-
rielle de l'homme ? Ne sont-ce pas les menstrues? Quelle
est sa cause motrice ? N'est-ce pas la semence ? Quelle est
sa cause formelle ? La quiddité de l'homme. Quelle est la
cause finale ? La fin de l'homme. Ces deux dernières cau-
ses n'en font d'ailleurs peut-être qu'une seule. Quoiqu'il en
soit, il faut indiquer les causes les plus rapprochées. Quelle
est la matière? Ce n'est pas le feu ou la terre, c'est la
matière propre. Voilà comment il faut procéder au sujet
LA SCIENCE 239
des substances naturelles et générables, si Ton veut procéder
correctement, puisque tels sont le nombre et la nature des
causes et qu'on doit chercher les causes » (1). — On voit
comment Aristote est poussé dans deux directions opposées,
pour n'avoir pas dégagé son propre point de vue de celui
de son maître. Il est à croire qu'il les concilie tous les deux,
autant que faire se peut, en admettant que l'universel, qu'il
s'agitd'invoquer comme cause d'une classe de phénomènes,
est pourtant restreint aux limites de cette classe : c'est le
terme le plus universel, mais parmi des termes spécifique-
ment déterminés. Gela s'accorde avec la doctrine fameuse,
qu'il n'est pas possible de passer d'un genre à un autre et
de démontrer une science plus concrète par les principes
d'une science plus abstraite sans rien ajouter à ces principes
[An. post. I, 7), propositions dans lesquelles s'affirme le plus
véritable esprit d' Aristote. L'universel d'où part la démons-
tration scientifique n'est jamais que la définition, laquelle
est, par construction, spécifique et contient au besoin les
caractères de l'espèce dernière elle-même. Cela n'empêche
pas que le point de vue de l'extension tendait à orienter
dans un autre sens la théorie aristotélicienne de la science.
Mais il faut reconnaître, non seulement que le point de
vue delà compréhension s'est imposé en majeure partie à
Aristote, mais encore qu'il devait s'imposer à lui . Sans doute,
au-dessous do l'espèce dernière il reste encore l'individu, et
décidément la science aristotélicienne ne l'atteint pas : excep-
tion grave, car à vrai dire le déterminisme de la nature est
individuel, ou du moins les notions qu'il enchaîne et l'en-
chaînement qu'il met entre elles sont sans extension, ou bien
encore n'ont de l'extension qu'à titre tout à iait accessoire.
Il est donc fâcheux qu'Aristote s'en soit tenu à la théorie
(1) H, 4, 1 04 4 a, 32 : ôrxv 9y ri; ^tirr, ri to aïrtov, inù 7r),govaj£&K
a'tTiK ).s'y£Tat, 7râ<xaç Oiï Xfyliv rà; ïjOiyoy.i-Jrx; caria;, <hov à-jQpu-o-j ri;
iric '■>; ~S):n ; '/.pu t« xarajxiqvta. ri o'r.t; xtvoûv ; ko a rà aitipfiei. ri o'ùç
; to ri flv levai, ri â'ù>; ov ivsxa ; ro reÀo;. tao; (?ï r«ur« iuifu rà
:Ùto. Siï <?è rà rovÛTOTB aïriu Xlyltv. ri; c, û)./j ; pn nûo r, y%v, «À).à -njv
îtov. r.ïpi pitv etn rà; oJaixàç ovTiaç xa't TKWflTàî àvàyxvj ojtw lUTttvat,
Ttç (Urnaigt ôûflûç, Ûlttp ci.pv. aïriu rz Txjra xai roffaura xai osî rv.
îtik yvwotÇEiv.
240 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
platonicienne' de l'individuation et n'ait pas essayé de trai-
ter l'individu comme une espèce dernière. Néanmoins, si
les faits élémentaires et les lois élémentaires qui consti-
tuent les individus sont hiérarchiquement superposés, et
si même souvent ils peuvent, au moins par abstraction,
être considérés comme se répétant en plusieurs exemplai-
res, il y a là, sous forme d' universaux, toute une partie du
savoir que la doctrine d'Aristote n'excluait pas. Connaître
la réalité jusqu'aux espèces dernières, c'est déjà en con-
naître une très grande partie. Or la théorie d'Aristote, et
plus encore l'esprit de l'Aristotélisme, assurent à la science
la possession de ce domaine. Au fond Aristote sent très
bien que le plus complexe est le plus réel, et c'est bien le
complexe, jusqu'à l'individu exclusivement, qu'il propose
à la science de connaître. Les universaux qu'elle prend pour
objets sont, comme nous l'avons vu, des universaux très
chargés de contenu. La définition même de l'universel,
telle que la donne Aristote, introduit explicitement le néces-
saire, puisque l'universel n'est pas seulement le xatà Tcavrôç,
mais en plus le xaQ'auro (1). La vraie définition de la science
n'est donc pas connaissance de l'universel, mais connais-
sance par les causes (2) ; de même, la rareté est plutôt le
signe que le fond de l'accident (3).
En définitive, par conséquent, l'Aristotélisme, lorsqu'on
le considère dans son esprit et dans sa vérité, enveloppe
une théorie de la science qui ne le réduit pas à se payer
d'abstractions creuses, comme on pouvait le craindre chez
Platon. Reste seulement, mais ce sont là des reproches
d'un autre ordre, que la science aristotélicienne est conçue
exclusivement sur le type des mathématiques, seule science
explicative qu' Aristote ait pu voir fonctionner, que l'idée
de cause proprement dite est absente de la science d'Aris-
tote, remplacée qu'elle est par l'idée de raison; qu'enfin
(1) An. post. I, 4, surtout 73 b, 25 sqq. ; pour les textes, voir
plus haut p. 125, n. 1 et p. 126, n. 2.
(2) Ibid. 31, 88 a, 5 : tô <?£ xaflo7ov ripiov, ôti Sr,\ol ro oftrtov.
(3) Ibid. 6 déb. et fin, par ex. 74 b, 6, 12 : ... -« <?i *«$' «j-v.
■jttc<p%ovtu KvayxaîK rotç 7rp«yjzot(nv... t« ok <xufi(i£ëv;x6TK ovx «vayxcua.
LA SCIENCE 241
Aristote n'a guère la notion d'une science inductive : la
connaissance inductive ne lui apparaît certainement que
comme quelque chose de provisoire, et la science est
coextensive à la démonstration.
Aristote 16
QUATORZIÈME LEÇON
LES AXIOMES, LES DÉFINITIONS, L'INDUCTION
D'après ce que nous avons vu dans la leçon précédente,
la science et la démonstration sont pour Aristote des ter-
mes à peu près coextensifs : c'est à peine si l'on peut par-
ler d'une science qui ne serait pas démonstrative. Mais
cela ne signifie pas que, pour établir la science, il n'y ait
qu'à recourir à la démonstration seule, ou, autrement dit,
que la science soit le seul mode de connaissance et qu'elle
se suffise à elle-même. La vérité est, au contraire, que le
domaine de la démonstration et de la science est, non seule-
ment fini, mais encore borné, c'est-à-dire entouré par une
autre espèce de connaissance où la démonstration et la
science trouvent leur point de départ et leur terme. Si l'on
ne pouvait connaître que ce qui est démontré, ou bien il
faudrait démontrer circulairement la conséquence par son
principe et le principe par sa conséquence, et cela en pre-
nant le mot de démontrer dans le même sens la première
fois et la seconde, ou bien il faudrait remonter à l'infini de
principe en principe. Mais la démonstration circulaire, qui
ne serait d'ailleurs possible qu'avec des propositions sus-
ceptibles de se réciproquer, s'abîmerait dans l'insignifiance
de la tautologie, et la régression à l'infini équivaudrait à
un aveu de l'impossibilité de la science (An. post. I, 3). La
vérité est que la série des propositions par lesquelles s'éta-
blit la science est finie. En premier lieu, si nous voulons
nous élever dans l'échelle des prédicats, nous aboutissons
finalement à des genres derniers. Si, en second lieu, nous
LA CONNAISSANCE IMMÉDIATE 243
nous proposons inversement de descendre du plus général
au plus particulier, nous aboutissons à des espèces derniè-
res et aux individus. Enfin on ne saurait interposer entre
un mineur, ou sujet, et un majeur, ou attribut, une infi-
nité de moyens-termes ; car, si les attributs qu'un sujet
possède par soi sont en nombre uni, le plus dérivé de tous
ces attributs, médiatisé par tous les autres, ne l'est jamais
que par un nombre fini de moyens {ibid. I, 19-22) (1). Mais
dire que la série des propositions par lesquelles on arrive
aux conclusions dernières est finie, cela revient à professer
qu'il y a un autre savoir que le démonstratif, puisque la
démonstration suppose avant elle des points de départ et
aboutit à des termes devant lesquels elle expire. — Cette
connaissance, dans laquelle la science proprement dite
plonge par ses deux extrémités, nous pouvons dire que
c'est la connaissance immédiate. Ce nom de connaissance
immédiate, si plein de signification chez Aristote, s'appli-
que expressément aux pensées qui fournissent à la science
ses points de départ. Implicitement il convient aussi aux
pensées qui marquent le terme de la démonstration. Car les
termes derniers, les soya-a, synonymes des xa^IxoKrra, sont,
comme les termes primordiaux, étrangers à la discursion
et, comme eux, relèvent de l'intellect, bien que, à la diffé-
rence des termes primordiaux, ils tombent sous la sensa-
tion (2). Nous verrons d'ailleurs à propos de l'induction,
que les ïtrycesa sont principes à leur façon comme sources
des principes. Il était donc juste de dire que la science est
bornée de part et d'autre par la connaissance immédiate.
— Aussi, après avoir étudié la notion de la science suivant
Aristote, avons-nous à nous occuper aujourd'hui du savoir
immédiat, en tant qu'il vient en aide à la science. Do ce
point de vue apparaît l'unité du triple objet de notre leçon :
les axiomes, les définitions, l'induction.
(!) Voir Zeller, p. 234, n. 8 et p. -
(2) Eth. Sic VI, !), I \H a, 28 : ... ro-j i-r/'/rov, o5 OVX ?<mv îziirriur,
kX) atffÔTjffiç... 12, 1 1 i'.\ a, )ir> : xat yùpr&v irpuruv ôowv x%i t'.jv itryjâirm
toûç ëoti avX a-j >.6yo;.,. Sur l'éqnivaleuce de r« x«9' ixourrot et de ~v.
îi'/'j.-.'j, cf. Bonitz, Ind. 289 6, 39-!
244 LE SYSTÈME DARISTOTE
Pour étudier les axiomes, nous commencerons par les
distinguer de tout ce qui n'est pas eux, et notamment des
définitions. Si, en essayant ensuite de pénétrer la nature
des axiomes, nous sommes amenés à rapprocher ce que
nous aurons d'abord séparé, nous tâcherons de ne pas
tomber pour cela dans une contradiction.
Les principes immédiats, ou traités comme immédiats,
dont partent les démonstrations sont de plusieurs espèces,
et les axiomes constituent seulement l'une de ces espèces.
Il y a d'abord les thèses (9é<rsiç) et les axiomes. — Les thè-
ses se divisent en deux classes. D'une part en effet il faut
compter sous le nom de thèses proprement dites les défini-
tions, en tant qu'elles posent le sens d'un mot (xi <nr)jjia£vei).
Ainsi envisagées, les définitions ne touchent pas à la ques-
tion d'existence, elles n'affirment pas la réalité de leur
objet. Par exemple définir l'unité, dire qu'on entend par
unité l'indivisible dans l'ordre de la quantité estime chose ;
affirmer que l'unité existe est autre chose. Que la défini-
tion, dans l'acception étroite que nous venons d'indiquer,
doive être étrangère à toute question d'existence, c'est ce
que l'on comprend sans peine, dès qu'on se reporte à la
constitution même de la définition. En effet l'existence se
pose par une proposition. Or, puisqu'une définition
n'énonce pas une attribution, attendu que l'attribut n'y est
qu'un équivalent du sujet, il ne saurait donc y avoir posi-
tion d'existence dans la définition strictement dite (An,
post. I, 2, 72 a, I i-24 et II, 3, 90 b, 34) (1 ). Sans doute, les :
définitions ayant pour but d'atteindre le xi sort., l'ouata, c'est-
à-dire le réel, il ne se peut, en fin de compte, qu'une affir-
mation d'existence ne vienne pas s'adjoindre à la définition.
On ne peut pas dire ce quest (xi sort) le bouc-cerf, puisqu'il
n'est rien : aussi la définition toute nominale qu'on en
(1) Cf. Thémistius, commentaire des An. post. p. 11, 1 , éd . Spengel
(bibl. Teubner) : x«iroi sirsrai ui-j uxtzoïc, aoù êivki tô npùyaa o-j liyoyai
tov opitruàv, càX où roùro /.éyouai iTpoi}yovu.évtoç, «),).« roùro f/.ev ùirûpjra
c-yuësêvjxôç, irpor,yoiiu.évuç Je ri èo*rt 't.èyovai ' roitq yv.p ôpio'p.o-ji f*ov«fl
ijvviév Kl <?st. ïïtb xoci èmopyo~suv av tiç, et TToorauiç ôlus; ô ooicru.6q ' i.voov-
vKfxsî yùp tu ôvot/iecn xa< f^éo yïarj 'àoiotots'Xïjç ov ÀKuêâvsi ro ù-jui r, u.r,
Eivat.
AXIOMES ET DÉFINITIONS. LES POSTULATS 245
donne est-elle un acte imparfait, qui appelle un complément.
Ce complément s'obtient, soit, lorsque le défini a une cause,
en faisant entrer la cause dans la définition et, par cette
cause, la réalité ; soit, lorsque le défini est quelque chose
de premier, en ajoutant à la définition au sens étroit l'affir-
mation de l'existence de son objet, que cette existence se
trouve alors affirmée purement et simplement, ou qu'on
dispose, pour la rendre manifeste, de quelque procédé
autre qu'un recours à une cause, puisque l'objet n'en a
point. Ainsi le mathématicien, en même temps qu'il définit
l'unité, pose l'existence de l'unité ; le physicien, en même
temps qu'il définit le froid et le chaud, en proclame l'exis-
tence sur le témoignage delà sensation [An. post. II, 7,
92 b, 5-8 ; 9; I, 10, 76 b> 16-19). Mais, lorsque la position
de l'existence s'ajoute ainsi à celle de la signification du
nom, nous nous trouvons en présence de la seconde classe
des thèses, les hypothèses, dont le nom convient surtout
lorsque l'existence du défini n'est pas pleinement évi-
dente (1). La proposition par laquelle débute l'arithméti-
cien, énonçant ce qu'il entend par unité et qu'il y a des
' unités, est une intôOea-fc; (2). Il faut compter aussi, à côté
des uicoOsaretç, les postulats (a'-yjv.a-a) : un postulat en elfet
est une proposition démontrable qu'on se dispense de
démontrer, ou bien, dans un sens plus précis et plus inté-
ressant, c'est une proposition indémontrable que le maître
uemande au disciple de lui accorder, bien qu'il y répugne.
C'est donc une proposition qui, comme I'Ottc-Osct'.;, enve-
loppe attribution et existence [An. post. [, 10, 76 6, 27-34).
— L'axiome s'oppose à l'avnjfxùc en ce qu'il est conforme à
(opinion du disciple, et de TuitàOscriç en ce qu'il va jusqu'à
l'imposer à l'esprit (3). 11 s'oppose aux thèses proprement
(i) Ibirf., 37, G : oO yùp ùizoTibiTut a puctxôç slvui n Seoixôv h <pvyo6v,
iarpoç elvui zi «v9pw7rëiov aeoua, a//' 6 ys àpiduijTCXÔç koi.Quqv vtto-
Tiôcrai xai fiovxoa ■ où yùp âuoc'u; z/.'jujr,; r, toûtcuv oûirc'a.
(2) .1//. post. I, 2, 72 a, 18 : Qéveeaç d'il (itv ôïroTspovowv rûv fiopiaiv
fijq v.nofd'Jizrj^ 1v.[j.&c/.-jov<7ix, otov Xsyiu ~o sivaî ri. r, ro ai) ttvat rt, •j~
r. S'&vsv, zo'j-ov, 6pi<7uoç. 10, 70 b, 35 : oi. fùv ouv opot oùx sivlv ûiro6ca,ft(
(ov<?ev yào thou r, u'n ta'yovTat), où.)' èv ruïq npotûasaw ui Curoôs'aiiç. raùç
0 0'>oj ; uovov l'jvtgïOai $=î ' toOto ô'ovjj ûïrôOsiTiç...
(S) 76 ù/. 10, 76 A. 23 : oùx ëor* J'ÙTrôôstnç oOiT afr/jua. 5 kvccvxij iZva<
cti' « Jro xai cToxsîv àvavxij.
246 LE SYSTÈME d'aRTSTOTE
dites ou définitions, d'abord en ce qu'il est impossible que
celui qui doit apprendre quoi que ce soit ne le possède pas
par devers lui, tandis que la définition peut venir du maî-
tre (1). Ensuite, se rapprochant par là des uitoOéc-siç et des
oÙT7]|jiaTa, il s'oppose aux définitions en ce qu'il est une
proposition enveloppant l'existence. En même temps que
l'existence, les axiomes enveloppent bien une significa-
tion ; mais elle est si claire qu'il n'y a pas besoin de l'expli-
quer : il n'y a pas besoin par exemple d'expliquer le sens
de l'axiome « Si de deux quantités égales on retranche des
quantités égales, etc. » [An. post. I, 10, 76 ô, 20). C'est
donc bien le rapport d'existence qui est la partie maîtresse
de l'axiome. De plus, les matériaux de chaque science se
rangent sous trois chefs : le genre, ou la définition pre-
mière qui est le sujet duquel (rapt ô) il s'agit de démon-
trer quelque chose, les attributs par soi (toc u-àoyov-a
xaOV.'Jxà ou encore zk TcàQyjxaQ' au-ûà, cf. p. 113, n. 3) qu'il
s'agit de reconnaître au sujet dans la conclusion, enfin les
axiomes d'après lesquels (è£ wv) s'enchaîne la démonstration.
Or, lorsqu'Aristote, du second de ces chefs, relativement
auquel tout ce que chaque science suppose est v. o7i[xaivet,,
distingue les deux autres chefs, savoir le genre premier et
les axiomes', il dit que ce sont là, pour chaque science,
oo-a elvai TÊÔerai [An. post. I, 10, 76 fr, 12). Mais il ne faut
pas entendre par là, à propos des axiomes, qu'ils existent
dans l'esprit ou même dans les choses. On doit entendre
qu'ils expriment et posent de l'existence ; car autrement
on ne comprendrait plus comment Aristote pourrait les
rapprocher des intoSéo-eiç, dont la fonction est précisément
de poser l'existence d'une Géciç, l'existence de l'unité par
exemple.
Après avoir déterminé extérieurement la nature de
l'axiome en le comparant avec les thèses, les hypothèses et
les postulats, tâchons d'y pénétrer plus avant. Tandis que le
(1) Ibid. 2, 72 b., 4-4 : «wéaou S'upyjic, ov^XoytartxiBç ôso-w fùv )iyw $v
ut6 JTtt oeï£ki, ut)i' «vaV/tn ïjretv rov fxaÔijTOUEVOT ti * riv o'ccvàyxy é/ji-j
ràv értoùy u.aQt> vopevov, «£c<uu« * é'ari yùp evta roiaûTa • rovToyàp fiukuti
£7Ù roîç Totoûroiç ci&>6«psv O'JOpLO. léyeiv .
LES AXIOMES 247
genre sur lequel porte une science et les attributs, nécessai-
res mais dérivés, qu'il s'agit de rapporter démonstrative-
ment à ce genre, sont pour chaque science des principes
propres, les axiomes ont ce caractère capital d'être, au
contraire, des principes communs à toutes les sciences :
si bien que l'expression t« xo'.và est synonyme du mot
iÇubjMtta (An. post. I, 10, 76 a, 37; 11, 77 a, 26). Il faut
même dire plus. Aristote ne donne pas de liste des axio-
mes, mais il les rattache tous, en un sens, au principe de
contradiction [Mciaph. V, 3, 1005 b, 11 ad fin.). S'il fallait
prendre au pied de la lettre ce caractère de généralité des
axiomes, et de généralité absolue du plus fondamental
d'entre eux, les axiomes étant des propositions portant sur
l'existence, il se trouverait que l'existence primordiale serait
celle des plus hautes généralités. Mais il n'y a là qu'une
apparence. En tant qu'il joue un rôle dans une science, un
axiome se restreint aux limites du genre sur lequel porte
cette science : il devient quelque chose de numérique ou
de géométrique par exemple en arithmétique ou en géo-
métrie. La généralité des axiomes n'est qu'une généralité
d'analogie (1). Cette formule nous apporte la lumière. Si
la généralité des axiomes signifie seulement une identité
de rapport entre les relations d'existence dans les diffé-
rents genres de l'être, nous comprenons tout de suite que
les axiomes n'ont pas leur fondement dans une universalité
vide. C'est ce qu'Aristote enseigne très explicitement, en
nous disant à quelle science il appartient de spéculer sur
les axiomes. Si les axiomes étaient, au fond, des généralités
vides, ils ne pourraient relever d'aucune science propre-
ment dite, ils ne pourraient être étudiés et établis quo par
la dialectique (An, post. I, 11, 77 a, 29; Metaph. B, 2,
996 />, 26 ; V, 2, 1001 b, 17). Or nous avons déjà eu occa-
sion de voir (p. 234) que la dialectique ne concourt qu'in-
directement à l'établissement du principe de contradio
(1) Ibid. 10, 76 a, '.\H : ... xotvà oï xter' avoàoyîav, i-ù yorisiuo-j yt
ifftti -j T-.) J770 ?r,v ïr:n-r,ar,j yévtt. iSta u'vj ocov "(oxaçt^-j Et'vca roiavcTt,
à to eùOO, xoivà <îk oîov 70 « ''tx ùnb Zarwv âv ùféïr), art ïaa. rà )oi7r« ■•.
eavov o'-./.c/.ttoj -oj-'-fj 070v ht t'.j ys'vst • tcoto yc/.o ~'jir,Tii, x/.v uri xarà
tfltVTWV 'l.'/.'jr, a».' ïr.i 'J.vrzOw pôvov, rw d'ùpibpr.ziY.y '-n' Ètj3(0uàv,
248
LE SYSTEME D'ARISTOTE
tion. Avec la plus grande énergie Aristote affirme qu'il y a
une science, une science portant sur un genre déterminé,
qui étudie et fonde les axiomes. Cette science, c'est la
science de l'être en tant qu'être, laquelle, au lieu d'avoir
pour objet un universel, porte au contraire sur ce qu'il y a
de moins général (1). Nous ne ferons que commenter la
pensée d'Aristote, en disant que les axiomes expriment au
fond la relation de l'être en tant qu'être avec lui-même, ou,
si l'on veut, la première et plus élémentaire propriété de
l'être en tant qu'être. Après avoir paru très éloigné de la
définition, prise du moins au sens strict, l'axiome se rap-
proche, presque jusqu'à l'identification, de la définition de
l'être. Mais c'est que, dans la définition d'un pareil objet,
la signification et l'existence sont, pour ne pas dire plus,
beaucoup moins indépendantes l'une de l'autre que lorsqu'il
s'agit d'un objet appartenant au monde.
Puisque les deux choses, tout en restant, bien entendu,
assez distinctes pour être considérées chacune à part, sont
plus voisines qu'on ne le croirait au premier abord, nous
passons naturellement de la théorie des axiomes à celle des
définitions. Nous considérerons les définitions surtout en
tant qu'elles sont la source, ou l'une des deux sources, de
la démonstration, et tel est bien leur principal rôle dans la
pensée d'Aristote. Nous verrons cependant que les défini-
tions sont aussi, en un sens (2), le. but de la science. Car
la définition exprime le concept, et le concept c'est l'essence,
laquelle ne fait qu'un avec la raison d'être. Or le but de la
science est bien d'arriver à dégager les raisons d'être de
chaque chose. Peut-être toutefois vaut-il mieux dire que la
définition est la science même en tant que la science se
fait ; car la science, une fois faite, se compose plutôt d'un
ensemble de conclusions, dans lesquelles un attribut est
affirmé d'un sujet sans que la raison d'être de l'attribution
(1) Metaph. r, 3, jusqu'à 1005 b, 11, notamment le début : Xsxtww
<?è Tzàzspov jxiàç y érépc/.ç znn7T/iu.ï}<; r.zpi rz twv £v rot; ux6»jfA«<ri xa/o'juîvwv
à£twp.«T«v xaî nzoi -çc, oiktîkç. Et plus bas, «, 27 : dUar' lirei $ij\ov ô-(
7, ovrec jxy.oyji r.<i.Qi (toOto yàp avroî; rô xotvôv), roO -toi ro ov f, ov
yvwpî^ovroç xai ntpï tojtwv Iotiv 'h Qsoipia.
(2) Gomme le dit Zeller, p. 251.
LES DÉFINITIONS ET LA DÉMONSTRATION 249
puisse figurer dans ces conclusions. Ce qui est sûr, c'est
qu'Aristote a très justement senti, sinon très nettement for-
mulé, la parenté de la démonstration et de la définition. Il
distingue d'abord fortement entre les deux choses. Il n'y a
pas définition de tout ce dont il y a démonstration ; car on
démontre des propositions négatives, des propositions par-
ticulières, des propositions exprimant des attributions de
prédicats dérivés, tandis que la définition est toujours affir-
mative, universelle et a pour objet, au lieu des propriétés,
l'essence. Inversement, il n'y a pas démonstration de tout
ce dont il y a définition; car nous n'ignorons pas que la
démonstration part, au moins quelquefois, de définitions
indémontrables [An. post. II, 3, jusqu'à 90 b, 27). Il faut
même dire, d'une manière générale, qu'une définition ne
comporte pas de démonstration. En effet définir c'est indi-
quer l'essence, et la démonstration suppose l'essence, au
lieu d'y aboutir. Et ce à quoi la démonstration aboutit,
c'est à l'établissement d'une propriété ; or les propriétés
sont quelque chose de dérivé et ne figurent point directe-
ment dans l'essence, objet de la définition. De plus l'essence
et la définition qui l'exprime ne sont pas au fond des affir-
mations, tandis que la démonstration établit l'existence
d'un attribut dans un sujet {ibid. 90 b, 28, jusqu'à la fin du
chap.). Enfin on peut aisément se rendre compte qu'il est
impossible de constituer un syllogisme propre à donner
comme conclusion une définition. Il s'agit, dans un svllo-
gisme, de substituer le majeur au moyen comme attribut du
mineur. Mais, si le majeur doit exprimer tout le contenu
du mineur dans la définition soi-disant obtenue comme
conclusion, il faut déjà que, dans la mineure, le moyen
exprime aussi tout le contenu du mineur. La mineure et
la conclusion ne feront donc qu'une seule et même propo-
sition sous deux formes, ou, autrement dit, le majeur et le
moyen ne seront que deux noms différents de l'essence du
mineur (.1//. post. II, 4). — On peut traduire encore la
pensée d'Aristote dans les ternies suivants : lo syllogisme
trouve lo majeur dans le contenu du mineur par l'inter-
médiaire du moyen ; du moment que c'est tout le contenu
du mineur qu'il s'agit d'attribuer au mineur, il n'y a plus
250 LE SYSTÈME D'àRISTOTE
d'intermédiaire possible. On est, du commencement à la
fin de l'opération, devant le contenu total du mineur, et, au
lieu d'un/f" marche analytique, on ne peut plus accomplir
qu'une stagnation dans la tautologie. Ainsi la définition et
la démonstration sont bien différentes l'une de l'autre, et
les définitions ne se démontrent pas. — 11 faut même ajou-
ter qu'il n'y a p*as de procédé discursif pour les établir.
Nous savons déjà (cf. p. 174 sq.) que la division platonicienne
est incapable de prouver une définition, puisqu'elle postule
l'esseDce au lieu de la conclure [An. post. II, 5, jusqu'à
91 b, 27). Et, quant à l'induction, elle peut bien établir, en
faisant valoir l'absence d'exemples contraires, que toujours
tels caractères appartiennent à tel sujet ; mais c'est là éta-
blir un fait, une proposition d'existence et non pas l'essence,
c'est-à-dire un rapport interne- d'identité entre le sujet et
l'attribut {An. post., II, 7, 92 a, 37-ô, 1).
Cependant, si la définition est différente du raisonnement
et ne peut être, à proprement parler, établie par le raison-
nement, il faut reconnaître qu'elle peut, dans une certaine
mesure, se démontrer et que, d'autre part, sa nature se
rapproche singulièrement de celle de la démonstration.
Aristote articule ici les cadres de sa doctrine avec la plus
grande netteté. Il y a, nous dit-il, trois sortes de défini-
tions : l'une est le discours indémontrable qui exprime
l'essence ; la seconde est le syllogisme de l'essence et ne
diffère de la démonstration que par la manière de se pré-
senter ; la troisième est la conclusion de la démonstration
de l'essence (1). Pour commenter ces déclarations précises,
il faut tout d'abord rappeler la distinction capitale entre les
définitions premières et celles qui ne le sont pas. C'est cette
distinction qu'établit la phrase par laquelle débute le petit
chapitre 9 du IIe livre des Seconds analytiques, auquel
nous avons déjà renvoyé (p. 245) (2). Il est clair que les
(1) An. post. II, 41, 94 #, 11 : êffTtv âoa ô&ia-uo; et; uèv ~).6yo<; toû tî
èartv u-junàdïi/.TOç, et; Se <7v),),oytt7uô; roi* tî ègtj, TTT&xrst otaoEowv zijç
«7ro<?etÇswç, zplroq â's. tvj; toù tî iartv «7toc?£Îçsw; <jv^néf>x<ju.u.
(2) 93 b, 21 : sort as r<wv f*b krBpov ti aêrtov, twv <î'o-jx êotiv. mots
ot'ho-j o-.i xat twv ri e<m rà fxèv âuecra xaî àoyjxi cfatv, à xat etvai xcà tî
eariv ûrroGéffôcu âîï y ôCxlov rpono'J »«vêoà 7rotij<reci.
LES DÉFINITIONS ET LA DÉMONSTRATION 251
définitions premières ne peuvent être démontrées, puis-
qu'elles sont premières. D'autre part, elles ne peuvent pas
être au fond des démonstrations, parce que les essences
premières sont simples. Elles sont simples, car, si on pou-
vait distinguer des parties dans une essence première, elle
ne serait plus première : ce seraient ses parties qui le
seraient. Or nous savons que les natures simples ne se
prêtent à aucune discursion. Mais les définitions dérivées
se comportent tout autrement que les définitions premières.
Sans doute, si l'on considère une définition dans son tout,
elle est toujours, sous cet aspect, une sorte de nature simple,
et c'est bien pour cela que, comme nous l'avons vu, on ne
démontre jamais, à proprement parler, une définition quel-
conque. Pourtant une définition peut être composée et, en
ce sens, dérivée. Elle est composée, dès qu'on peut y dis-
tinguer des parties, une forme et une matière. Dès lors on
peut démontrer lune de ses parties par l'autre, à savoir la
matière par la forme. Telle est du moins la formule qu'em-
ploient les commentateurs (1). La formule traduit d'ailleurs
exactement la pensée d'Aristote, comme nous pouvons le
voir en nous reportant au livre Z de la Métaphysique :
a Lorsqu'on cherche le pourquoi, on cherche toujours
pourquoi telle chose est attribut de telle autre... Chercher
pourquoi une chose est elle-même, ce n'est rien chercher...
On peut vouloir chercher pourquoi l'homme est un animal
de telle sorte :... c'est donc qu'on cherche pourquoi telle
chose est attribut de telle autre... Par exemple : pour-
quoi tonne-t-il ? Cela veut dire : pourquoi se produit-il du
bruit <luns les nuages? Car, de cette façon, ce qu'on cher-
che, c'est pourquoi telle chose s'attribue à une autre. On
cherche encore pourquoi telles choses, à savoir des tuiles
et des pierres, sont une maison. Il est donc évident que ce
qu'on cherche, «'est la cause, c'est-à-dire, pour parler logi-
quement, la quiddité... il est donc clair qu'on cherche
pourquoi In matière a telle /"nue ; par exemple, pourquoi
ces matériaux sont-ils une maison^ La réponse est : parce
(1) Voir Philopon, An. post. 366, « Wallies (XIII, 3 ; Schol. 1
7) et les scljolies réunies par Waitz, I, p. 58, <ul 93 a, 4.
252 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
que à ces matériaux appartient la quiddité de la maison...
ainsi on cherche la cause de la matière et cette cause c'est
la forme par laquelle la matière est quelque chose, je veux
dire ici une maison (1) ». Ainsi, lorsqu'une essence n'est
plus première, lorsqu'on peut y distinguer une matière et
une forme, la matiè/e de l'essence peut se démontrer par
la forme. Or par là s'expliquent les deux dernières des
trois sortes de définition que nous avons vu Aristote énu-
mérer tout à l'heure. La troisième sorte de définition, nous
disait-il, est la conclusion de la démonstration de l'essence.
Le traité De l'âme (II, 2, 413 a, 16-20) nous fait compren-
dre ce dont il s'agit au moyen d'un exemple et d'une oppo-
sition. Si l'on demande ce que c'est que de carrer un rec-
tangle à côtés inégaux, on pourra dire que c'est trouver un
rectangle à côtés égaux équivalent au rectangle donné. C'est
là une définition qui est en tout comparable à la conclusion
d'un syllogisme ; car elle énonce un fait (o~>.), un résultat,
sans en donner la raison. Les meilleures définitions, les
définitions complètes, ajoute Aristote, ne sont point ainsi
constituées. Au fait elles ajoutent la raison : carrer, ce
n'est pas seulement arriver au résultat que nous avons dit,
c'est trouver une moyenne proportionnelle, d'où se déduit
le résultat voulu. Dans ce dernier cas, la définition est ce
que nous avons vu Aristote appeler le syllogisme de
l'essence, ne différant de la démonstration que par la
(1) 17, 101-1 a, 10 : {Tiîtbïtki <?e ~o c?eà ri v.ïzï ovtwî, oi.v. ri vù.o A'Ùm
rtvi y~do/ji ; ... ro p.kv owv Siv. ri goto Èctiv goto, 6ù$fj ïn-.< 'irc-.ivj...
Çr-.-c^zii $'&v rtç Siv. ri 6 a.vbpy>Tzo: Ion Çôov ro'.ovot... ri xpa v.v.rr/. rivoç
ÇvjTcî 3 iv. ri jTTV.oyzL... olov <Ji« ri fipovrif \ oiv. ri -fyovoz, yiyjzrvi £v rolç
•jzvzrjfj • allô yc/.Q oûrwç v.v.r v.'ù.o-j hrti ro lc\ro-'j\j.z-JO'j . v.vl Siv. ri rv.oi,
oioj îrÀcvôot -/.ai \LQoi, oixix lorîv ; cj/vvzpdv rotvuv on Çr,rzî ro v.ïrio-j ' rovro
o ïo-rï ro ri yy etvat, 6>- zixzlv Xoytxôç [phrase peut-être interpolée : c'est
du moins l'opinion du Ps. Alex. S40, 38 Hd, 510, 13 Bz, suivie par
Christ, mais la suite ne paraît pas justifier cette opinion]... âijlov an
on rr,j "j):r,v Ccirïï. ôiv. ri. ri ètrriv " oïov oïxiv. ~«.Si Siv. ri ; on. v—v.oyzi à
Jjy oiy.iv. zIjv.l.., ojcttï ro «i'riov 'Çr.rzïrv.i ?/;; û),»;ç ' rovro 8'iati ro zlooq
[c'est à tort, semble-t-il, que Christ a mis ces derniers mots entre cro-
chets, comme varia lectio de ceux qu'on trouve plus loin : rovro S'h
o-jo-iv..) S> ri larvj ■ ... Voy. aussi H, 3, 1043 b, 28 et An. post. II,
8 jusqu'à 93 a, 13.
l'induction . 253
manière de se présenter. Le syllogisme n'établit pas alors
l'essence, chose impossible ; il rend l'essence manifeste en
la présentant comme la cause de la conclusion, laquelle
conclusion ne peut jamais être qu'une partie secondaire et
subordonnée de l'essence (1). On pourrait dire que la
démonstration est la définition déployée et que la définition
est la démonstration concentrée. Ce qui résulte de là, c'est
que la définition des essences composées, lorsqu'elle est
complètement formulée, est toujours génétique, et c'est cela
même qu'exprime sous une forme logique la proposition
connue que la définition se fait par le genre et la différence ;
car le genre et la différence, c'est l'ensemble des conditions
nécessaires et suffisantes du défini (2). A son tour, cette
nature :_<''nétique et hiérarchique de la définition fait com-
prendre comment la division platonicienne, qui était impuis-
sante à prouver la définition, est la méthode propre à la
découvrir (.4//. post, II, 5, 91 />, 28 jusqu'à la fin du chap.).
Mais, malgré le caractère génétique de la définition des
essences composées, malgré la parenté de la définition avec
la démonstration lorsqu'il s'agit de ces essences, le dernier
mot comme le premier de la théorie aristotélicienne de la
définition, c'est que la définition, non seulement des essences
simples, mais même des essences composées, ne se déduit
pas, ne se dérive pas, qu'elle constitue, en d'autres termes,
une connaissance immédiate.
C'était déjà le cas des axiomes. Xous allons voir que
c'est aussi, en fin de compte, le cas des connaissances
inductives.
Le rùle de l'induction dans la philosophie d'Aristote est
bien connu. Tout enseignement et tout acte d'apprendre de
nature discursive partent de connaissances antérieures.
Pour le syllogisme notamment, il est manifeste qu'il part
de certains principes. .Mais selon Aristote il n'y a pas de
principes innés. Ll faut donc que ces connaissances univer-
selles sur lesquelles s'appuie le syllogisme soient acquises,
(i) Ail. pOSt. IL S. 'Xi h. |6 : ... 7JA"y-(.'.'7//,: J.lJ TOÛ T< IvtOt Qj
ytvsrai w$' c/.-ooeiii: . . .
Vov. Zeller, p 255 et les noies.
254 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
Elles sont acquises par l'induction. Celle-ci à son tour
suppose d'ailleurs quelque chose avant elle, à savoir, dans
la mesure du moins où elle s'en distingue, la sensation (1).
Ayant pour rôle de fournir l'universel, l'induction se défi-
nit naturellement pour Aristote le passage du particulier
au général (2).
La doctrine sur l'induction présenfe deux points princi-
paux qu'on ne peut pas du reste distinguer absolument :
la théorie logique et, pour ainsi dire, le mécanisme de
l'induction, puis l'interprétation approfondie de l'induction.
La théorie logique de l'induction est contenue dans un
passage célèbre et difficile des Premiers Analytiques (II, 23).
Nous allons d'abord le traduire, nous essayerons ensuite de
l'expliquer : « L'induction et le syllogisme inductif, dit
Aristote, consistent à conclure, en s'appuyant sur le second
des extrêmes [le mineur], que l'autre extrême est attribut
du moyen. Par exemple B étant moyen entre A et r, on
montrera, en s'appuyant sur r, que A appartient à B.
C'est ainsi en effet que nous constituons nos inductions.
Supposons qu'on désigne par A le fait de vivre longtemps,
par B celui d'être sans fiel, par T les êtres particuliers qui
vivent longtemps, savoir : homme, cheval, mulet. Cela
posé, r dans foute son extension possède l'attribut A, car
tout animal sans fiel vit longtemps. Mais r, dans toute
son extension, a aussi pour attribut B, le fait d'être sans
fiel. Si donc r se réciproque avec B, ce moyen-terme
n'ayant pas plus d'extension que F, il faut que B possède
l'attribut A. Nous avons en effet montré antérieurement
[22, 68 a, 21] que, si deux attributs appartiennent au
même sujet et que cet extrême se réciproque avec l'un
d'eux, celui 'des deux attributs qui, par la réciprocation,
aura pris la place du sujet possédera l'autre attribut. Il faut
ici penser r comme composé de tous les êtres particuliers
à considérer, car l'induction doit se faire par le moyen
(1) An. post. I, 1 début et 48, 81 b, S ad fin.; Eth. Nie. VI, 3,
1139 b, 26-31 ; Mdtaph. A, 9, 992 b, 30-33.
(2) Top. I, 12, 405 a, 13 : ... ma.ytoyii <?s h k^ô twv x«tû' Ixatffoj» éni
l'induction 255
d'eux tous. — Cette espèce de syllogisme sert à se procu-
rer des propositions primordiales et immédiates. Là en effet
où il y a un moyen-terme, le syllogisme s'appuie sur ce
moyen-'terme ; là où il n'y en a pas, le syllogisme se fait
par induction. Et d'une certaine façon le syllogisme s'op-
pose à l'induction ; car la première sorte de syllogisme
montre, en s'appuyant sur le moyen, que le premier des
extrêmes appartient à l'autre extrême, tandis que l'induc-
tion montre à l'aide du mineur que l'autre extrême appar-
tient au moyen. Dans l'ordre de la nature, le syllogisme
qui s'appuie sur le moyen est plus primordial et plus connu,
mais pour nous le syllogisme inductif est plus clair » (1).
Ce passage a été l'objet d'explications laborieuses (2).
Voici celle que nous proposons. Pour nous les mots : Si
donc F se réciproque avec B... jusqu'à possédera l'autre
attribut, équivalent à ceci : T se réciproquant avec B, la
mineure : Tous les animaux sans fiel sont l'homme, le che-
val et le mulet s'ajoutera à la majeure qui était la conclu-
sion du syllogisme déductif : Vhomme, le cheval et le
mulet vivent longtemps . — Or cette sorte de syllogisme est
possible malgré la dénaturation qu'y subit le moyen, puis-
(1) 68 b, 15 jusqu'à la fin du ch. : ènnyiayi) fùv o-3v êert /.où 6 ï\
ï~ «yor'/j; T'j/AC/VfT^o; to oV>. toù itipov Oztîoov A*.pçv rw itêttta o-j),).oyi-
rrv.i'iv.i, olo-j si rwv Ar figffov to B, <?i« tov T Sùiai rô A T'y B vrroio^ov .
O'jro) yàp RotvùasQvt rà; è7rayr«>Y«Ç. oïov ?OTO) to A ftaxpttôtovi. rô ï-S ta B to
y^olii-j ur, ï/oj. i'j y ae T to v.ab' hv&OTW uu/.pbZio-j, OÏO'J '/.jOomtzo; xc;
îtt^o; y.7.\ lijiw'ovo;. -y or, I' b'/.'o 'j-v.oyu to A ' 7râv yào to â%okov uaxpo-
6tOV, à/,///. ■/.:'.'> ?6 }',, -b ur, iyi'.'J yj-tlr,-j, iravrt J-'/.oy-r. ry T. -t ouv KVTt-
trrpéfsi to r T'.) Il xoci ui vmprsivei to uîto-j, àcveéyxij vo A ~y \\ ÛTrapygtv.
3i$iv/-y.i. yàp ttpirspov Sri Scu iï-'jo d~rx r<ù ujry wTrapyi) v.cli npôç Bi'spO'J
KUV&v xvTLGTpifrt to ot/.oov. ÔTt ry Ki/TtOToittoVTt /.«'t Ov.Tîpov ùttûo^îl :ùv
XKT/îyooov'ifv.jv. $tl os vofîv to V to k\ àjravroav tmj xk#' Sxocotov o-uyxêi-
ftgvov • /; yào ïr.v.^'.r/i, 9 ta iteévfftiv. — £0-tc o'o Toto-jToç o"-j/).oy.o"ao; t»? ;
jrpÛTJj; xsci Kus'ffou 7tootx7jo>; ■ 2>v pkv vàp j'art uîto-j, Siàroù hêtrou b
<t->//o--'.7(xo,-, 'o'j os y.»: io-T'., oY Ê7raY4>Y7Jç. xal rpéirov Ttvà àvrtxctrec a
tKcc{b>yo ry o-jM.oyi.V'j.y ' ô uvj yào £tà tov uévou tô âxpov rqî toîtm
Oft'xvua'tv, jj oi o'.à tov xpirOM tô àxpov :w uî'ovy. ^jtïi ai» ou» ttootsûo;
xcu '/j'.ioi.u.-,>-.ioo; o oi.'j. roû tiiion VvWoYLÇpLOÇ, Âttîv ^'ivapyïTTîoo; ô o^ta
Tfl; É7T«y-' ■;.
(2) Par exemple, Haroilton, Lectures on logie, Append. VI 11 dl.
865-369).
256 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
que nous avons vu que, d'une manière générale, si un sujet
qui possède deux attributs se réciproque avec l'un deux,
celui-ci possède le second de ces attributs. Cela posé, le
sens du passage d'Aristote nous paraît être le suivant. Si
nous nous supposons placés au point de vue de l'ordre de
la nature, nous ferons ce syllogisme :
Tous les animaux sans fiel vivent longtemps ;
Or l'homme, le cheval et le mulet sont des animaux sans
fiel ;
Donc t homme, le cheval et le mulet vivent longtemps.
Soit : B est A, T est B, r est A. Le moyen, le fait que
certains animaux sont sans fiel, est, comme dans tout syl-
logisme constitué conformément à l'ordre de la nature, la
raison véritable de la conclusion. C'est lui qui prouve et
explique que le majeur est l'attribut du mineur. Mais,
quand il y a lieu d'induire, nous ne sommes pas en pos-
session de l'ordre de la nature [An. post. I, 2, 71 h, 33 sqq. ;
Phys. I, l déb.). L'induction est, comme le dit expressé-
ment Aristote à la fin de notre texte, une opération inverse
et relative à nous : nous en trouverons donc l'expression
syllogistique en renversant le syllogisme conforme à Tor-
dre de la nature ; de la conclusion nous ferons la majeure,
puis, dans la mineure, nous ferons du moyen le mineur,
tandis que le mineur, à son tour, deviendra le moyen.
Ainsi nous montrerons à l'aide du mineur que le majeur
est un attribut du moyen, ou du moins de ce qui est le
moyen dans le syllogisme conforme à l'ordre de la nature.
Mais, pour qu'il soit possible de mettre ainsi le mineur à
la place du moyen, il faut que le moyen n'ait pas plus d'ex-
tension, car il pourra se réciproquer avec lui et il pourra
recevoir pour attribut le majeur. Or pour cela il faut que
le mineur embrasse tous les individus de la classe repré-
sentée par le moyen. En d'autres termes l'induction ne
peut s'exprimer sous forme syllogistique que dans le cas
où elle se fait par énumération complète. Voici donc com-
ment se présente le syllogisme inductif :
L'homme, le cheval et le mulet vivent longtemps ;
Or tous les animaux sans fiel sont l'homme, le cheval et
le mulet;
l'induction 257
Donc tous 1rs animaux sans fiel vivent longtemps.
Soit : Y est A, B est r, B est A. Il est clair que l'homme,
le cheval et le mulet ne constituent pas un moyen-terme
réel, conforme à l'ordre de la nature. Car, si nous deman-
dons pourquoi les animaux sans fiel vivent longtemps, on
répondra : précisément "parée qu'ils sont sans fiel.
Pour compléter l'explication du texte d'Aristote, il ne
nous reste plus qu'à nous demander ce qu'il pense de la
valeur de son exemple, et surtout s'il croit véritablement
avoir apporté une énumération complète des animaux sans
fiel. La proposition que tous les animaux sans fiel vivent
longtemps est véritablement une loi aux veux d'Aristote.
Le traité Des parties dos animaux (IV, 2, 677 a, 15-//, 1 1
dit que l'absence de fiel peut être une cause, ou au
moins un signe de longévité. Et on comprend en effet qu'il
en soit ainsi dans la physiologie aristotélicienne. Le foie,
si riche en vaisseaux sanguins, est, grâce à l'afflux du sarm,
doué d'une haute température et joue, par suite, un rôle
considérable dans la digestion ou coction des aliments (cf.
ibid.j 111. 7. 070 a, 20). Or la vésicule biliaire est destinée
à recevoir les produits excrémentiels qui peuventse dégager
du foie et du sang qu'il contient. L'absence de cette vési-
cule, d'autant qu'elle coïncide avec une belle couleur et une
saveur douce dans le tissu du foie, indique la pureté de cet
organe. C'est pourquoi, conclut Aristote, certains des
anciens ont eu raison de dire que les animaux sans fiel
vivent [dus longtemps, puisqu'on aperçoit que l'état d'un
organe aussi important que le foie peut influer sur la vie
d»> L'animal. — Pour ce qui est de 1'énumération qui cons-
titue le moyen du syllogisme inductif, c'est par fiction, on
n'en peut douter, (ju Aristote l'a considérée comme com-
plète. L'Histoire des animaux (II, 15, 506 a, 20) nous
apprend qu'un certain nombre d'animaux (une espère de
cerfs, les daims, les phoques, les dauphins, d'autres encore
n'ont pas de fiel. Les mêmes observations sont répétées et
accompagnées d'autres analogues dans le chapitre des
Parties des animaux que nous avons cité (cf. IV, 2, 676 />,
20 sqq. . La présence et l'absence de fiel, v est-il dit. se
rencontreraient l'une et l'autre dans un même genre et
Aristote 17
258 LE SYSTÈME d'a.RIST0TE
parfois dans la même espèce : c'est ainsi que certains hom-
mes auraient un fiel, d'autres non.
La théorie de l'induction, que nous venons d'exposer
d'après les Premiers analytiques, contient de précieuses
indications, même sur la nature profonde de l'opération
inductive, par exemple lorsqu'on nous dit que c'est une
opération inverse, relative à nous, et dans laquelle il n'y
a pas de moyen, ou du moins pas de moyen-terme vérita-
ble. Mais cette théorie est pourtant bien loin de résoudre
tout le problème de l'induction. Puisqu'Aristote ne prend
pas au sérieux la possibilité d'une énumération complète
des faits qui tombent sous la loi, il reste à se demander
comment il conçoit, dans la réalité de la vie logique de
l'esprit, le passage du particulier à l'universel. Si vraiment
Aristote a pris au pied de la lettre sa définition de l'induc-
tion, s'il s'agit pour lui littéralement d'un passage du par-
ticulier au général, il faut dire qu'il n'a pas résolu le pro-
blème, ou plutôt qu'il ne l'a même pas posé (i). Mais,
malgré l'apparence, le point de vue d' Aristote n'est pas
celui de l'extension, ou du moins ce n'est pas, dans la
théorie de l'induction, son principal point de vue. Nous
avons déjà eu l'occasion d'indiquer (cf. p. 125 sq., 236 sqq.)
que l'universel chez lui n'est pas seulement ce qui se dit
de tous, que c'est encore, et surtout, le nécessaire. Si cela
est, le vrai problème de l'induction consiste, pour lui, à
apercevoir le nécessaire derrière le contingent, et il ne
s'agit plus de passer de quelques-uns à tous. Le dernier
mot d'Aristote sur l'induction est donc (2) dans le dernier
chapitre si connu des Seconds analytiques et dans les pas-
sages analogues. Induire, c'est se servir de la sensation
comme d'une intuition rationnelle : v.uxv\ S'«ra voûç, comme
dit le VIe livre de la Morale à Nicomaque (12, 11-43 ô, 5).
Dans un acte singulier, l'esprit saisit le nécessaire qui est
(1) Tel est le reproche que lui adresse Zeller (p. 245), en l'adou-
cissant d'ailleurs par cette remarque que le problème n'a été nette-
ment posé par personne avant Mill et que Mi 11 n'a su le résoudre que
par une contradiction.
(2) Comme l'a indiqué M. Lachelier, Fondement de l'induction
p. 7 (de la 2e édition).
l'induction 259
aussi singulier, et l'universalité n'est qu'une propriété
secondaire qui se déduit de la nécessité.
Cette solution des problèmes de l'induction et de l'ori-
gine des principes par une intuition de l'intellect dans la
sensation est assurément trop facile. Peut-être imposée à
Aristote par l'état rudimentaire des méthodes d'observa-
tion et d'expérience à son époque, elle Fa, en retour,
encouragé à se contenter à peu de frais en matière d'expé-
rience, non qu'il n'ait accumulé beaucoup de faits exacts et
qu'il n'en ait même discuté quelques-uns avec sagacité;
mais, à côté de faits bien observés, il accueille souvent des
observations étrangement fausses (1). Il en eût été autre-
ment, il aurait fait plus d'efforts pour avérer scrupuleuse-
ment les faits, s'il avait pensé que chaque fait compte
comme un signe de la loi et que c'est par leur ensemble,
par leur liaison, par le détail exact de leurs circonstances
que les faits prouvent la loi. Mais quels qu'en soient les
défauts à cet égard, il ne faut pas perdre de vue l'importance
de la théorie de l'induction et de l'origine des principes, en
tant qu'on rapproche cette théorie de l'ensemble de la phi-
losophie aristotélicienne. En mettant à la base de la science
le singulier, elle rapproche assez près l'une de l'autre l'on-
tologie, qui est individualiste, et la théorie de la connais-
sance. Sans doute il reste du Platonisme dans celle-ci. 11
en reste peut-être moins qu'on ne le pense quelquefois.
(1) Cf. Zeller, p. 245-251. On trouvera p. 248, n. 3 plusieurs
pxemples d'observations dont l'inexactitude est surprenante.
ainsi, le fait vaut ici d'être rappelé, qu* Aristote admet que certains
hommes ont un fiel et que d'autres en sont dépourvus, Départ, an.
î, î, 676 b, 31.
QUINZIÈME LEÇON
LES QUATRE CAUSES; LE HASARD
Nous avons déjà vu que savoir, c'est d'une manière
générale, connaître par la cause ou raison et que la cause
ou raison d'un fait, c'est-à-dire de l'attribution d'un pré-
dicat à un sujet, c'est ce qui médiatise cette attribution,
c'est le moyen-terme du syllogisme démonstratif. Nous
quittons maintenant la logique pour entrer dans la science
proprement dite ou, pour mieux dire, dans la science des
ehoses concrètes, puisqu'Aristote laisse de côté la science
abstraite ou mathématique. Comme, dans la science des
choses concrètes, c'est par la science de la nature que
commence Aristote, nous passons de la logique a la physi-
que. Or, au moment où nous accomplissons ce passage, le
premier objet qui doive nous occuper c'est évidemment la
théorie des causes ; car nous avons à compléter, à rendre
plus concrète la détermination générale de la cause dont
nous avons pu nous contenter en logique (p. 173). Nous
étudierons donc aujourd'hui le déterminisme de la nature
tel que le comprend Aristote, en étudiant aussi par consé-
quent la lacune que présente selon lui ce déterminisme,
c'est-à-dire le hasard.
Le but que se propose la physique est, dit Aristote, de
savoir [Phys. II, 3, 194 /;, 17) ; en d'autres termes c'est
une science théorétique et non, comme la morale, une
science pratique. Or, puisque savoir c'est connaître par la
cause première, c'est-à-dire immédiate, nous devons cher-
cher les causes de la génération et de la corruption et, ei
MATIÈRE ET FORME 261
général, de tout changement physique et par conséquent
nous avons à voir quelle est la nature des causes et com-
bien il faut compter d'espèces de causes (ibid. , déb. du chap.).
Aristote, comme on sait, compte quatre sortes de causes :
la matière, la forme, le moteur, la fin (ibid.) (1). Ces qua-
tre sortes de causes se divisent en deux classes, les deux
premières et les deux dernières se rangeant naturellement
ensemble. Nous avons donc d'abord à nous occuper de la
matière et de la forme. Après avoir cherché à les définir
l'une et l'autre et à déterminer ce qu'est leur relation
mutuelle, nous indiquerons quel est leur rôle, en tant
qu'on les considère spécialement comme causes.
C'est en étudiant le problème du changement qu'Aristote
a été amené à créer dans ce qu'ils ont de plus original les
deux concepts de forme et surtout de matière (2), C'est donc
seulement quand nous exposerons la théorie du change-
ment que nous pourrons comprendre tout à fait le sens de
ces deux concepts. Mais nous pouvons dès maintenant
indiquer en gros comment la forme et la matière sont
requises par le changement ; et, d'autre part, nous pouvons
nous rendre compte de ce que sont la forme et la matière
à tous les autres points de vue. Nous insisterons d'abord
sur la matière. — Le changement suppose en premier lieu
une chose, un sujet qui change ; en d'autres termes, il
faut, dans le changement, quelque chose qui soit indépen-
dant de l'attribut qui disparaît et de celui qui apparaît. Si
le changement se réduisait à la succession de deux états
qui ne seraient les états de rien, à la succession du blanc,
au noir par exemple, selon Aristote il n'y aurait plus de
changement. En effet le changement ne se comprend que
par une permanence qui s'y oppose, et, si l'on considère un
changement en lui-même sans se reporter à un repère
(1) Cf. Metaph. A, 3 déb. Pour les différents synonymes, voir
Honii/, /////. 22 b, 29 el 610 a, 9. Le plus intéressant es! noi.nztxàv
Rrtov pour désigner le moteur.
(2) Voir les trois derniers chapitres «lu livre I de la Physique et
Metaph. II, 5, 10i4 />, 27 : o0<?'î nravro{ 7//j éttiv kaV ôffwv yivtvti Ittc
xoci a*7«6o).(ô sic £k\n\a. 'ôtol iï'âvi'j rov urr«©e&Xiiv ëinv à f**i, ovx j'tt'.
Wtwv û>»j . Cf. BonitZj Ind. 783 n. \ s(|i|.
262 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
extérieur, sans sortir du phénomène individuel constitué
par un passage donné du noir au blanc, il faut que la per-
manence requise réside dans ou sous ce phénomène même.
Il y aura donc sous le changement quelque chose qui ne
change pas. En second lieu, ce quelque chose qui a per-
sisté sous le changement, et qui possédera l'attribut apporté
par le changement comme il possédait l'autre attribut,
n'est pourtant pas quelque chose qui reste indifférent sous
le changement et n'en soit pas affecté. Il faut que l'attribut
apporté par le changement convienne à la chose, c'est-à-
dire, pour considérer ici cette relation de convenance sous
son aspect négatif, il faut que l'attribut apporté par le
changement fasse défaut dans la chose avant le change-
ment, il faut que cet attribut soit une détermination qui
manque à la chose. Ainsi la matière, dans le changement,
est sujet et de plus sujet indéterminé. — Ces deux carac-
tères de la matière, nous pouvons les lui retrouver par
une analyse faite du point de vue statique. Considérons
une chose artificielle qui ait de l'unité et, dans une cer-
taine mesure du moins, constitue un être. Soit, par exem-
ple, une statue. Nous apercevons facilementquecettecho.se
est un composé (c7Jvoâov). En effet la statue est limitée par
des surfaces, dont la combinaison représente la figure d'un
personnage, réel ou idéal. Mais, d'autre part, il y a sous
ces surfaces quelque chose dont la statue est faite, de l'ai-
rain par exemple. Si nous enlevions ces surfaces une aune,
la statue perdrait tout ce qui la détermine ; mais il resterait
quelque chose qui lui sert de sujet et qui même, en un
sens, pourrait paraître ce qu'il y a en elle de plus substan-
tiel, puisque c'est ce qui persiste le plus obstinément sous
les abstractions successives qu'on fait subir à la chose. Si,
au lieu d'une chose artificielle, nous considérions mainte-
nant une de ces substances sensibles véritables dont per-
sonne ne conteste l'existence (cf. Melaph. A, 1, 1069 a, 30),
un animal, une plante, un corps simple tel que de l'eau ou
du feu, nous pourrions répéter la même analyse. Nous
pourrions toujours par la pensée regarder la chose comme
composée des déterminations et de ce qui est déterminé,
puis enlever les déterminations. Comme résidu de l'opéra-
MATIÈRE ET FORME 263
tion nous trouverions toujours, après avoir éliminé les
déterminations dont l'ensemble est précisément ce qu'on
appelle la forme, une chose indéterminée qui peut à sa
façon prétendre, comme l'être composé ou comme la
forme de cet être, au titre d'oùc-ia. Cet indéterminé, c'est,
encore une fois, la matière; si bien qu'on peut définir la
matière en disant que c'est ce qui par soi n'est ni qualité,
ni quantité, ni aucune autre des déterminations de l'être (1).
— Nul caractère n'est plus apparent ni plus général dans la
matière que cette indétermination. C'est en la définissant
par lui qu'Aristote a pu généraliser, comme il l'a fait,
l'idée de matière pour transporter cette idée du domaine
du réel dans celui des abstraits, dire qu'il y a une matière
intelligible (3Xt) vo/.tO comme il y a une matière sensible,
qu'il y a notamment une matière des choses mathémati-
ques, à savoir l'étendue où se tracent et s'individualisent
les figures et que, dans la définition, tandis que les diffé-
rences sont formes, le genre est matière (2). — Mais la
matière n'est pas seulement le fond tout négatif sur lequel
viennent se poser les déterminations. Il y a encore en elle
quelque chose de relativement positif, bien que cela reste
négatif encore si on le compare avec la forme. Pour assi-
gner ce nouveau caractère, il faut que nous retournions
encore au devenir. Si la détermination que le changement
apporte à la matière était en elle, avant le changement,
simplement quelque chose qu'elle ne possède pas, en enten-
dant cette non-possession comme une négation absolue,
alors, quand la détermination serait apportée à la matière,
elle lui resterait étrangère. Pour que la matière se l'appro-
prie, il faut, en quelque sorte, que la détermination ait été"
en elle avant d'v être. En d'autres termes, la matière c'est
(\) Metaph. Z, 3, surtout 1029 a, 16 : 4XX4 ffhv ùvoupo-j'xéjij pugxfttfc
fatÇéfisvov ûttô rouTwv, côoTS rr,v j/cj Kvecyxq çaivëirOai uwt)\> ovfffav oJtoj
Txorrovi/évoiç. 't.iyv r;'j),/jv ô xoc-0' côr r,-j uotî ri u/;-e tto<tov ar,ri £).')o
uc'jïj '/iy-rou ofç dotarui 76 ov.
Voir, pour le premier point, ibid. lu, 1086 a, 9: 41, 403G b.
10, iu:<r, a, 'a el lf,«t, pour le second point, Honitz, ln,l. 7S7 <i%
49 et supra, p. 115 et 123 ; voir aussi |». 268, n. 4.
2ê4 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
la puissance. On sait du reste qu'Aristote ne définit pas à
proprement parler la puissance et qu'il se contente de dire
qu'exister en acte, c'est exister autrement que ce que nous
appelons exister en puissance ; après quoi il donne des
exemples : tel, dit-il, un Hermès dans le bloc de bois d'où
on le tirera, telle la moitié d'une ligne dans le tout, tel le
savant qui spécule dans le savant qui ne spécule pas (1).
Mais il n'en est pas moins vrai que l'assimilation de la
matière avec la puissance fait ressortir très clairement ce
qu'il y a de relativement positif dans la matière, ce qu'il y
a de positif, nous venons de l'indiquer. Que ce positif ne le
soit que relativement, c'est ce qui ressort du fait que la
puissance est inférieure à l'acte et de cet autre fait voisin,
que la puissance est essentiellement ambiguë, capable d'être
une certaine détermination et le contraire de celle-ci (2). —
En somme la matière est le sujet indéterminé et potentiel
de toutes les déterminations.
Mais, pour nous faire une idée suffisante de la matière,
il faut reprendre et commenter les trois caractères que
nous avons dégagés, et peut-être même les compléter par
un autre. Il est évident que les deux derniers, savoir l'in-
détermination et la virtualité sont des relatifs ; car il n'y a
d'indéterminé que par rapport au déterminé, ni de puis-
sance que par rapport à un acte ; et d'ailleurs il est certain
que le devenir d'où ces caractères sont, en fin de compte,
dégagés est quelque chose qui ressemble fort à une rela-
tion. Le cas du premier caractère est assez différent. La
matière est un sujet : s'il faut prendre la formule au pied
de la lettre, il va falloir faire d'elle quelque chose d'absolu.
(4) Metaph. ©, 6, 4048 a, 39 : ïteu S'il ivspyewe tô ùtiko^h-j zà ^pày^a.,
u"À outm; Momp léyopsv dvi/ciusi • liyopizv S's Svjku.zi oZov év tw Çû).w
'Eofxijv xat Èv t^ ôly r/jv vjpu<mav, ôzi àfoupzBûr, âv, y.at ini<jzr)[i0'jv. /.où
tq-j p\y Gswpoûvra, sàv Juvarôç ri ôswpijo-at ' to §ï èvtpysiu. Cf. Bonitz.
Metaph., ad loc. (11,392-394).'
(2) Sur l'identité de la matière avec la puissance, voir Metaph. H,
4, 4042 a, 27 : vïyv â'e Xs'yw ri pi) voiïe ri oixtk hepyiia. Swàpst sot'c zoo-:
rt (cf. Zeller, p. 348, n. 4) ; sur l'ambiguïté de la puissance, ibid. 6,
8, 4050 b, 8 : 7ràcra <5uvapiç «ua rij; àvTupâffîtoç éartv, et la suite (cf.
Zeller, p. 337, n. 3).
MATIERE ET FORME
265
Nous verrons tout à l'heure si Aristote a pu se dispenser
d'attribuer à la matière toute espèce de réalité substantielle.
Quoi qu'il en soit, il est certain que, lorsqu'il appelle la
matière un sujet (yicoxeCuevov)', et même une oao-ux, il n'en-
tend pourtant pas la mettre sur le même pied que les indi-
vidus ou substances premières, ni, qui plus est, sur le même
pied que les genres ou substances secondes. Dans le chapi-
tre même de la Métaphysique (Z. 3) où il fait valoir le plus
fortement les titres de la matière à passer pour un sujet,
il ajoute tout de suite qu'il est impossible que la matière
soit un sujet à la rigueur, et cela pour cette raison que la
caractéristique universellement admise d'un sujet ou d'une .
substance, c'est d'exister seul et séparé, tandis que la
matière a toujours besoin d'être rattachée à autre chose
pour exister (1029 a, 26-30). Et ailleurs (Metaph. X 3.
1070 a, 9), il dit que la matière n'apparaît comme une sub-
stance que par un prestige de l'imagination : -zoot tt ouo-A
tw octtyeo'Gat. On ne peut pas mieux dire que la matière
n'existe pas en soi. Il faut donc regarder la formule célèbre
de la Physique (II, 2, 194 b, 9) comme exprimant le meil-
leur de la pensée d' Aristote sur la matière : tÛ>v icpôç -: r,
\j\r\. De cette formule suivent aussitôt des conséquences
capitales au point de vue de l'être et à celui de la connais-
sance. Au point de vue de l'être, si la matière est quelque
chose de relatif, un simple corrélatif de la forme, comme il
y a certainement diverses sortes de formes, suivant les
catégories, et aussi divers degrés de perfection dans cha-
que catégorie de formes et notamment dans les substances,
il y a plusieurs espèces de matière, par exemple celle de
la quantité, celle de la qualité, etc. et surtout il y a des
matières de divers degrés. Comme ajoute la Physique*
après l'énoncé de la formule qui vient de nous occuper :
■jjj .(.) yècp etûet, aXXrj ûXïj. L'être animé capable d'intellection
a pour matière l'être animé sensitif, celui-ci l'être animé
végétatif et celui-ci, le mixte, le mixte enfin, l'élément (1).
On peut craindre un moment que quelque embarras com-
mence au-dessous de ce ternier terme ; car. l'élément étanl
(1) Cf. Zeller, p. 326, n. i.
266 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
encore un composé de forme et de matière, il -faut bien se
mettre en présence de la matière de l'élément, de la matière
première (1). Toutefois cette matière première ne se pré-
sente jamais séparée d'une forme : un élément peut se
transformer, comme nous le verrons plus tard, en un autre
élément ; jamais on ne saurait descendre dans .l'échelle de
l'être au-dessous de l'élément (2). Ainsi la matière, c'est
bien toujours quelque chose qui est inférieur d'nn degré à
la forme dans l'échelle ontologique, sans qu'il soit possible
de sortir de cette corrélation. Au point de vue de la con-
naissance, la matière, n'étant qu'un relatif, ne peut pas plus
être connue par soi qu'elle n'était capable d'exister par soi.
On ne saurait dire, en la montrant du doigt pour ainsi dire :
voilà la matière. La matière n'est connue que par égalité
de rapport ou analogie : ce que l'airain est à la statue, ce
que le lit est au bois, voilà ce qu'est la matière par rap-
port à la substance, à l'être concret et réel (.?■).
Aristote paraît donc bien loin de voir dans la matière
une chose, ni une notion en soi. Ajoutons même que, par
cela que la matière est au-dessous de son corrélatif dans
l'ordre de l'être et dans celui de la connaissance, elle n'est
pas vraiment et à la rigueur un corrélatif de la forme. Aris-
tote met les corrélatifs sur la même ligne ; la matière est
donc plutôt peut-être un contraire qu'un corrélatif de la
forme, un contraire figurant dans la table des contraires
du côté des négations (4). La matière est un moindre
être et, à la limite, une négation. Pourtant Aristote, à
(1) TrpûT-Q ii).r,, par opposition à la matière prochaine, relative à
chacune des formes à laquelle elle touche, ïayjs-fi v).r, ou, comme
disent les commentateurs, Kpocrsysarûxti tftg ; voir Zeller, p. 320, n. 2.
(2) De Gen. et corr. II, 1, 329 a, 24 : éjtsîç <?£ yopsy ub il^L zivu.
•j~):r,v Twv (Kua'/Twj zoyj oàvOyrtov, otXkx taÛTjjv oj yjj->oi<j-ïtv «).).' v.ù ixer1
evKVTtwsrjw;, sÇ r,; yLvsrut rà xa/ovuîva ffroiysta. Cf. Zeller, p. 32-4, n. 2.
(3) Melaph. Z, 10, 1036 a, 8 : vj <Tûàvj ôfyvwînroç x«6' àûxbt (cf.
Zeller, p. 323, n. 1) ; Phys. I, 7, 191 a,l : h S'jr.oAiiu.é^n wûc-iç ïit«j-.-orri
xar' «va/o'/tav. u{ yàp 7:06; àv?otavr« ya/.Aot r, 7rpà; xÀîvïjv £viov vj npài
tw £Xaw ti twv l^ovrrov u.op'fnv c ûiig xc<i ~6 6iu.op'fO-j gyst no'rj )<x%ùj ttjv
p.op'fTi'J, ourw; au-*} xpoç, O'iiTÎav 'éyei xcù 7rpà; to<?£ ri xai to av.
(4) Cf. Metaph. r, 2. 1004 b, 26-29; K, 9, 1066 a, 15 sq. ; Y, 7,
1072 a, 30-32 (voir Bonitz. Ind. 736 b, 57).
MATIÈRE ET FORME 267
d'autres égards, attribue à la matière, du moins implicite-
ment, une réalité positive. Lorsqu'il invoque la matière
comme apportant avec elle le hasard dans le monde (1),
lorsqu'il fait d'elle la cause des erreurs de la nature et de
la production des monstres (De gen. an. IV, 10, 778 «, 6-9),
il y a moyen peut-être de ramener le pouvoir de la nature
à un défaut, à une pure négation. Mais, d'autres fois, cette
réduction devient impossible. Par exemple (2) la généra-
tion, et la différence clés sexes qui en est la condition, sont
quelque chose de positif au plus haut degré dans le sys-
tème d'Aristote, puisque c'est par elles que se réalise l'éter-
nité des espèces. Il est donc bien difficile d'admettre qu'il
soit permis à Aristote d'expliquer par la matière, sans lui
prêter une action positive, la production de la différence
des sexes. — Mais surtout le point difficile est la théorie
de l'individuation. L'individu est seul réel dans l'ontologie
aristotélicienne. Or l'individu, lorsqu'il s'agit du moins de
l'individu composé de forme et de matière, est individualisé
par sa matière (3). Voilà la matière qui devient source
de réalité. Le sujet, la substance, ont bien l'air d'être au
fond la matière. — Quoi qu'il en soit il n'y a là qu'une
imperfection de la pensée d'Aristote. Ce n'est pas son inten-
tion délibérée et directe de faire de la matière une réalité
véritable. Il ne pouvait pas vouloir lui conférer la réalité,
non seulement parce que la théorie de la connaissance le
force à mettre l'universel au-dessus du particulier, mais
parce que, en laissant de côté toute la question de l'univer-
sel, son ontologie est en elle-même, après tout, conceptua-
liste ou idéaliste et que le concept, fùt-il singulier, a pour
essence d'être un autrement que par juxtaposition, unité
qui fait l'être et qui précisément manqué à la matière. Car
Aristote n'est pas loin, à certains moments, de définir la
matière par un caractère que nous n'avons pas encore
(\) Metapk. E, 2, 1027 a, 13 : mtte iTTca r, û>ij r, hd 'iyou.hr, -nuov. ro
TÎ rà ttqVj a).).wç tov <T\iu.(ji6r)xÔTOç c/.irio:.
(2 Comme le l'ail remarquer Zeller, p. 336", pu basetsq.
(3) Par ex. De Caelo, \, 9. 278 a, 19 : ... ôcmv c oJorfc h "An l<nlv,
ix\*i.>.) /.ai ïr.vpv. ?vt« ?à âpoios£i}. Cf. /''lier, [>. 33!) et, pour d'autres
textes, l- ■ )iiz. IikI. 786 a, 52.
268 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
signalé, mais qui, tout au fond de sa pensée, a pour lui
presque autant d'importance que pour les Platoniciens.
Plotin, comme on sait, s'est plu à nommer la matière le
multiple, atoXAa. Or, dans le passage du livre A de la Méta-
physique où nous l'avons vu (p. 265) déclarer que la sub-
stantialité de la matière n'est qu'un prestige de l'imagina-
tion, Aristote ajoute tout de suite que ce qui caractérise la
matière et le sujet, c'est d'être un assemblage et de n'avoir
pas d'unité naturelle : oç-a yàp |<mv ô.'or, v.al \xr\ orujjupucjei, -jay,
v.y\ •j-oxeî;j.£.vov (1).
Après ce que nous venons de dire de la matière, nous
sommes dispensés d'insister longuement sur la forme,
puisque les deux choses sont corrélatives et que la science
des opposés est une. Dans le changement, la forme est ce
que la matière devient (2). Au point de vue de l'analyse
statique, la forme est le déterminé (3) et, dans les choses
abstraites, elle est la différence (4). Pour retourner au
devenir, elle est l'acte (o). Au point de vue de la connais-
sance, elle est le connaissable par soi (6). Au point de
vue de l'être, elle est ce qu'il y a de plus réel (7). Enfin,
si elle est ce qu'il y a de plus réel aux yeux d'Aristote, cela x
résulte en quelque sorte de la définition même de la philo-
sophie conceptualiste. Tandis que la matière est le multiple,
le dispersé, la forme est ce qui existe réellement parce que
ce n'est point un assemblage de parties. En un mot la forme,
qui est déjà quelque chose de l'esprit, est, comme une for-
(1) Voir aussi le texte, cité 2 le leçon de A, 8, 1074 a, 33.
(2) o 7797s ixsfvij [r; -jlr,] yiyverat. o yiyvsTOLt, £t; ô. Voj. les textes dans
Zeller, p. 314, n. 2.
(3) Phys. III, 7, 207 a, 33 : ■n-piiyjri/.i yào w; ri û)>v; èvroç to ârretpov,
nsptixst Se -o tlâoç. Cf. De Caelo, IV, 4, 312 a, 12.
(4) Phys. I, 4, 187 o, 19 : ... dix'jopùz xoù sïâo. Départ, an. I, 3,
643 a, 24 : fort d'h Sioupopà r6 zlôoz kv ?/j -j'it,. Voir&tfpra, p. 263, n. 2.
(5) Metaph. 0, 8. 1050 b, 2 : fsivspàv ô-i r, o'jtlu xsù to stoo; btipytia.
hru. Cf. Zeller, p. 318, n. 4.
(6) Ibid. r, 5, 1010 a, 25 : ... xarà ~o ùooi £it«.-j-u yiyvùnrxoatv.
Cf. Bonitz, Ind. 219 n, 33-37.
(7) Par ex. Metaph. Z, 3, 1029 a, o : ... se ro dSo^ -f^ ùXuç ttootcoo-j
xai uà/).oy ov, x«i ro\J éÇ kttfQîv [le composé de matière et de forme,
70 OVVOXov] 7TG07Î50V eT7«f. ê IV. 70V KVTOV lù'/OJ .
LA THÉORIE DES CAUSES 269
mule célèbre le dit de l'esprit, la quantité supprimée. Il va
de soi qu'il y a une hiérarchie des formes et des actes,
comme il y en a une des matières et des puissances (1).
A peu près édifiés sur les notions de la matière et de la
forme, nous n'avons plus qu'à revenir à la théorie des
causes et à considérer la matière et la forme dans leur rôle
de causes, et cela tout d'abord en tant qu'elles sont causes
sous leur dénomination propre et expresse de cause maté-
rielle et de cause formelle (2). La forme est cause, cela va
sans dire, dans les choses abstraites avant tout. Dans les
choses immobiles, c'est-à-dire mathématiques, nous dit
Aristote, le pourquoi se ramène enfin à la quiddité et à la
définition qui l'exprime ; on trouve en dernière analyse le
pourquoi de telle propriété d'une figure dans la définition
du droit ou du commensurable par exemple (3). Mais il
ne faudrait pas croire que la cause formelle, proprement
et expressément dite, n'ait pas son rôle en physique.
D'abord il y a, parmi les sciences physiques, des sciences
qui se constituent au moyen de l'introduction d'une don-
née concrète au milieu de relations mathématiques (4) :
telles l'astronomie, l'optique, l'acoustique ou, comme dit
Aristote, l'harmonique. L'exemple d'une explication par la
cause formelle, qui se présente le premier à la pensée d' Aris-
tote au chapitre 3 du 11° livre de la Physique, est justement
emprunté à l'harmonique : l'octave s'explique par sa cause
tonnelle, à savoir le rapport de 2 à 1. Mais, jusque dans
les sciences les plus franchement physiques, la cause for-
melle, et cela sous son nom propre, a sa place. Il n'y a pas
de doute que les définitions des éléments en physique, de
(1) Outre le passage si connu du f)r an. Il, 1. (12 a. 10 (to I
'mtkiyuot, v.ui roûro ot/vi;, ?6 u'sv m; f7rtffTijfi>i, rd <?'■); rô BtMOtlv), voir
Bonitz, Ind. 254 a, 14).
Voir surtout Paya. Il, 3 el \fetapfl. A, 3 déb. et A. 2 ; il y ;i
d ailleurs presque toujours identité littérale entre ce dernier texte el
celui île la Physique.
(3) P/t>/s. Il, 7, 198 a, 10' : h yàp it« ri ri êorw otyecysreti ro Siv. ri.
i': /'j.'.ryj iv Toi; c/./.tvcroi;, otov h TOÎÇ uc/.'j r4 ■/■(/. 7 rj (aç ôptfffMV yfe> "OÙ tùQioç
/. TUfi^Utpou <i 'xû.o-j rivoç mdytTou ïffjjarow),...
(4) An. post. I. 27; 7, 75 b, 12-17; Phys. Il déb. a M a, 12.
270 LE SYSTÈME DARISTOTE
l'animal en biologie, de l'âme en psychologie servent sans
cesse de principes d'explication. — Quant à la cause maté-
rielle, si elle peut par exception intervenir en mathémati-
ques [An. posl. II, 11, 94 a, 24), il est clair que c'est en
physique surtout qu'on y fait appel. Aristote emprunte le
plus souvent des exemples de cause matérielle au domaine
de l'art, parce que c'est son procédé constant de comparer
la nature avec l'art : c'est pour cela qu'il dit que la matière,
c'est l'airain d'une statue, l'argent d'une tasse, le bois d'un
lit : aussi bien eût-il pu dire que Ja matière des métaux
est l'eau [Meleorol. IV, 10, 389 «, 7), que la matière des
os, des tendons et des poils est la terre [De an. I, 5, 410 a,
30). Mais la cause matérielle, pour Aristote, ce n'est pas
seulement les matériaux dont une chose est faite, bien qu'il
aime à insister sur le caractère d'immanence que possède
la matière plus encore que la forme et qui fait de cette
espèce d'apyrj, plus encore que de la forme, un cnrot^elov;
par cause matérielle Aristote entend aussi tout ce qui est
condition nécessaire de l'apparition d'un produit de la
nature, ce sans quoi la chose ne serait pas, oj o.ùx aveu (1).
Cela étend singulièrement le champ de la cause matérielle.
Aussi la retrouverons-nous dans ce qui suit.
La cause matérielle et la cause formelle proprement dites
sont des causes immanentes, des éléments des choses et non
des déterminants du devenir, et c'est pour cela que, après
Aristote et dès les Stoïciens, ce sont les principes qu'on a
le moins volontiers considérés comme des causes. Quant à
lui, Aristote s'est bien gardé d'omettre ce qu'on a regardé
après lui comme les causes par excellence, savoir les prin-
cipes extérieurs à l'objet produit et qui en provoquent seu-
lement la production. Mais, comme nous le verrons, ces
principes extérieurs, loin d'être pour lui les causes par
excellence, ne sont encore que la forme et, quand l'un
d'eux s'oppose à l'autre comme plus formel, la forme et
(1) Pour le premier caractère (par ex. Phi/s. II. 3, 194 b, 24 :
uXnov ... ~ô i\ oZ yivezcr.i ri ivvKâp%0V70<;), cf. Zeller, p. 327, n . 1 et
Bonitz, Ind. 702 a, 18, 44 ; pour ^second, Phys. II, 9, 200 a, 6, 9,
14 et Zeller, p. 331 et n. 1.
s
:
s
LA THÉORIE DES CAUSES 271
la matière (1). Malgré la part considérable qu'Aristote
fait au devenir, il obéit encore à la tendance du conceptua-
lisme platonicien, qui était de ramener, comme on dirait
dans le langage d'Aug. Comte, le dynamique au statique.
Les deux causes extérieures à l'objet ou au fait produit
sont le moteur ci la fin. — Il y a dans Aristote, au sujet
de la cause motrice, un certain nombre de textes où on le
voit approcher assez près de la notion de cause proprement
dite ou mécanique, notion déjà dégagée en partie par
Démocrite. Dans le traité de la Génération des animaux
(V, 8, fin), Aristote parle de choses qui arrivent pi evexà
tû'j yj.'/.'zç àvàvx.y^ xai o'.à t/,v avuotv Siy x'.v/^'.x^v. Au livre H
de la Métaphysique (4, 1044 ù, 9-12) il se demande quelles
sont les causes en jeu dans la production d'une éclipse de
lune. Il n'y a pas là de matière, il y a seulement un patient,
la lune. Le phénomène n'a sans doute aucune fin. Pour
l'expliquer, il n'y a qu'à chercher quelle est la cause qui fait
disparaître la lumière à la surface de la lune. Cette cause,
à savoir l'interposition de la terre, est- une cause purement
motrice (xvcwv wç x'.v^av). Nous trouvons aussi la cause
proprement dite, assez bien mise à part, dans le passage de
ses œuvres où Aristote a poussé le plus loin qu'il lui était
possible l'analyse de la causalité (Metaph. Z, 7, 1032 //, 15-
30 i Dans une génération, c'est-à-dire daus la production,
et même, en l'espèce, dans la production artilicielle d'un
phénomène, il faut, dit-il, distinguer deux parties : l'une
s'appelle la pensée (vôt^-.c), la réflexion sur la nature da
phénomène et ses conditions, l'autre est la réalisation
(-oiï,-'.,-) du phénomène, et c'est dans cette seconde partie
qu'on voit à l'œuvre l'agent, l'efficient qui fait commencer
e mouvement {-h stovoûv k*1 ôQev y.y/z-y.: r\ xiwt\9\q). Cette
seconde partie serait d'ailleurs la même, si la première
n'existait pas et si l'efficient qui fait commencer le mou-
vement était fourni par le hasard. Soit donc, par exemple, à
produire la santé dans un corps affecté d'une certaine mala-
die. Il faut, dans ce corps, rétablir l'équilibre du froid et du
(\) Voir Zcller, p. 327-330. Mclapk. A, 1, I0!:< (/. 1!» : mfa» ift
> Kpjçâv] ai fùv èvjr:ûp%>ï\i!T(xi ziivt, ai S't ïxro;.
272 LE SYSTÈME d'aIUSTOTE
chaud. Pour cela que faut-il ? L'échauffer. Pour l'échauf-
fer, il faut faire telle chose, opérer par exemple un mouve-
ment de friction. Alors la réalisation commence par ce terme
qui a été le dernier dans l'analyse à laquelle s'est livrée la
pensée. Maintenant ce terme, premier dans la réalisation,
qu'est-il par rapport au résultat qui va s'ensuivre? Il est ce
qui produit une partie de la santé, ou le réchauffement, et
ainsi il est lui-même une partie de la santé (1). Aristote isole
assez bien dans ce passage la cause proprement dite. Mais,
la causalité une fois isolée, il ne l'étudié plus en elle-même.
La courte aualyse qu'il en donne en une ligne et demie
(b, 28 sq.), ou bien n'atteint pas ce qu'il s'agirait d'attein-
dre, car il y a notamment, une ligne plus haut, un certain
sTO-rat dans lequel, sous l'idée de consécution, se cache une
relation proprement causale ; ou bien, pour autant qu'il y
a analyse, la causalité est, avec la notion de partie, rame-
née à autre chose. Elle est ramenée à la cause matérielle :
r, vàp uX-rç fiépoç, est-il dit un peu plus bas (2). Suivant en
cela Socrate et Platon, c'est à la matière qu Aristote assi-
mile la cause nécessaire (3). Après cette réduction des
causes nécessaires à la matière, il ne reste plus qu'un pas
à franchir pour faire disparaître complètement ce que la
nécessité mécanique peut avoir de spécifique. Il reste à
(1) Nous citerons seulement les dernières lignes du passage, b, 26-
30 : h ftsouor'/j; roîvuv ij ht r<p crâftscTi r, fisooç r?,ç ùyuiaq c êrcsrflct ri
«jT/j roioûrev 6 sert uspo; rtjc, ùyteiuç, [à savoir l'équilibre du froid et du
chaud] ... to'jto d'Ëa^KTO-j zb îtoiouv ~b p.ipoç, v.y.i u.jzo n&çuépoç eotî zr,;
ùyteiixç x«i z'tjç, otxifaç oiov os lidoi, xcà riJv vJlorj. Après ïrsyjxzo-j (b, 28),
nous pensons qu'il faut, avec Alexandre (Metaph. 492. 11 Hayd. 459,
26 Bz), supprimer èati, qui manque du reste dans le ms E (Paris. 1853),
et qu'on doit, à la ligne suivante, lire avec Bonitz (Met. II, p. 323) :
« jro 7twç pépoç (au lieu de zb ovtmç pépo<;), mais en conservant, ce que
ne fait pas Bonitz, après 7roioùv, les motsro uépoç. — Pour ce qui con-
cerne la cause motrice, voir Zeller, p. 333, n. 1.
(2) Voici en effet la suite du passage : wore... k<?vv«tov yevêaQat si
wTvj Tzpovxdp%ot. on pkv ouv zi fAs'poç é\ àvâyxïjî -j-'Àplu. pavepov ' r. yàp
■j'k-i) pipoz • gvùïrâpvei yàp /.où yiyverat ajT>j [elle est sujet de la généra-
tion] (6, 30-1033 o,i).
(3) Phys. Il, 9, 200 «, 30 : yeraepôv §Tt ô:i ro KvotYxaïov b zoîc, fvtrt-
xoîç zb M£ v/.ïj Iz-yôuévov y.cà ai xiv/J7E>: Kt raOrr};, Cf. Zeller, loi .
(tin de l'avant-dernière note).
LA THÉORIE DES CAUSES 273
expliquer cette nécessité, ou aussi bien la matière, puis-
que c'est la même chose. La nécessité dont il s'agit, Aris-
tote l'explique en en faisant une nécessité hypothétique,
c'est-à-dire une nécessité qui n'existe que si le résultat du
processus causal est tout d'abord posé. La nécessité des
Physiologues n'est, vraiment, que l'envers de la nécessité.
La santé nécessite l'équilibre du froid et du chaud, celui-ci
nécessite la production de chaleur, celle-ci nécessite le
mouvement qui la produit. La nécessité va à vrai dire du
conséquent à l'antécédent, et non de l'antécédent au consé-
quent (Pays. II, 9 déb.). Il n'y a qu'un cas où l'on puisse
parler d'une détermination nécessaire du conséquent par
l'antécédent, attribuer à l'antécédent la nécessité absolu-
ment : c'est le cas où les phénomènes considérés forment
un cycle : soit par exemple la production de la pluie par
les nuages et des nuages par la pluie (De Gen. et corr.,
fin, 19e leçon, à la lin). Mais si, dans ce cas, la nécessité de
l'ensemble rejaillit sur chacune des parties, on voit bien,
par ce cas lui-même, que jamais les parties d'un devenir
ne possèdent, comme parties, la nécessité et la vertu néces-
sitante; car, dans un cycle, il n'y a ni commencement ni
terme, et, par conséquent, il n'y a plus aucune partie qui
ne soit qu'une partie : chacune est, à sa façon, le tout. Donc
la nécessité vient toujours du terme de la causalité, et jamais
de son origine. Dès lors nous comprenons la façon dont
Aristote présente, en fin de compte, la causalité motrice ou
efficiente. La phase de la réalisation s'atténue jusqu'à dis-
paraître. Ce qui produit la santé, ce n'est pas le mouvement
de l'opérateur, c'est en somme la santé : c'est la santé
telle qu'elle est dans l'intellect du médecin, et, si dans le
domaine, non plus de l'art mais de la nature, nous consi-
dérons un agent et un patient, nous voyons que l'action
consiste en ce que l'agent qui est en possession de la forme
informe le patient, soit en lui transmettant la forme, soit
plutôt en éveillant chez lui la forme qui y sommeille à
l'état virtuel (1).
(1) Meiaph., foc. cit., 103:2 b, H : mttî orupStclvit -oo7rov rtvà ÎÇ
iyului ndv vyitton ylyvtcrQu... De Gen. et corr . I, 7, surtout 321 «, 9-1 1.
Cf. Zeller, p. 328, o. i.
Aristote 18
274
LE SYSTÈME d'aRISTOTE
La causalité que nous venons d'exposer, après avoir
commencé par promettre, avec Aristote, que ce serait la
causalité motrice ou efficiente, c'est, sous un autre titre, la
causalité de la forme. En passant à .la causalité finale, ce
sera encore le même processus que nous allons retrouver.
Enumérant les quatre causes du début du traité De la
génération des animaux, Aristote dit de la fin et de l'es-
sence qu'il faut les considérer toutes les deux comme ne
faisant qu'un, à peu de chose près. Et en effet la différence
des deux choses ne peut consister pour lui qu'en une
nuance : la fin, c'est la forme non encore possédée et qui se
cherche, ou vers laquelle aspirent la puissance et la
matière. D'autre part Aristote incline évidemment vers la
cause finale la cause formelle, lorsqu'il donne à celle-ci le
nom de modèle (1). L'activité que nous avons décrite sous
le nom d'activité motrice ou efficiente, n'étant que la réa-
lisation de la forme, était donc déjà téléologïque, et nous
n'avons rien de nouveau à dire sur la causalité finale.
Cette causalité a son type le plus accessible pour nous dans
la production des œuvres de l'art. Et c'est à cette produc-
tion qu'Aristote se réfère sans cesse pour la faire compren-
dre. Mais notre art n'est après tout qu'un cas particulier
d'un art plus général et plus profond, et la présence en nous
de la délibération et de la conscience ne change pas l'es-
sentiel de la procédure. Le rapport des antécédents et des
conséquents est le même dans la nature et dans l'art. Si
nous remarquons en outre qu'un art vraiment digne de son
nom, un art parfait, ne délibère pas, nous devrons donc
dire que la finalité dans la nature est identique à l'art, sauf
qu'elle est immanente à l'objet produit. Lorsqu'un homme
se guérit lui-même, il agit comme la finalité naturelle.
Mettons l'art de la construction navale dans le bois : nous
aurons exactement cette finalité {Phys. II, 8, 199 a, 18sqq.
et 199/;, 26 à la fin du ch.).
La théorie aristotélicienne des causes aboutit donc bien
à la conclusion que nous avions annoncée. Toutes les
causes se ramènent à la forme et à la matière. Le moteur
(1) Phys. II, 3, 194 b, 26 : ... zo slSos xa't -o irapa^sr/txa.
LE DÉTERMINISME 275
et la fin ne font qu'un avec la forme (1) et, de son côté,
la matière joue le rôle de tout ce qui est nécessité venue
d'en bas, de tout ce qui est vis a tergo.
Mais le déterminisme a beau être ainsi simplifié, il n'est
pas pour cela unifié. Parce que la matière y joue un rôle
irréductible, le déterminisme se trouve imparfait. Nous
touchons ici à l'un des points les plus obscurs de la philo-
sophie d'Àristote. II y a deux façons dont la matière rend
le déterminisme imparfait. Voici la première. Dépourvue
par elle-même de tout pouvoir de produire, de déterminer
quelque effet que ce soit, la matière, comme nous l'avons
vu, reçoit de la fin et de la forme un pouvoir de provoquer
comme antécédent des conséquents. La nécessité vient
résider en elle, comme le mouvement réside dans le mû et
non dans le moteur ; et dès lors on peut dire que la matière
est une cause nécessaire ou nécessitante : sv yàp trj :Th-ri xh
ivaYxatov (Phys. II, 9 200 a, 14). Mais cette nécessité qui
lui vient du dehors, la matière la reçoit h sa façon. Il y a
dans la matière un manque de souplesse, une espèce de
raideur. Quand elle reçoit un pouvoir, elle ne le reçoit pas
pour l'employer uniquement à réaliser la fin : elle en reçoit
la lettre et non l'esprit. Par exemple, la fonction d'une
scie étant ce qu'elle est, il faut que la Scie soit de telle
figure, et de plus il faut qu'elle soit de fer {Phys., ihid. a,
10). Il faut qu'elle soit de fer afin de couper ; mais le fer ne
se dépouille pas de ses autres aptitudes en entrant dans la
scie : il y entre en bloc, en apportant aussi son aptitude à
rouiller et il pourra arriver que la scie soit détruite préci-
sément parce qu'elle est de fer : ce qui faisait sa force peut
faire, par accompagnement, sa faiblesse. Cet exemple, qui
n'est pas d'Aristote mais qui est analogue à d'autres qu'il
emploie, rend bien sa pensée. « Certaines choses étant
telles, dit-il, une foule d'autres surviennent accidentelle-
ment parce que ces choses sont telles » (2). Nous -avons
fait le possible pour présenter la raideur de la matière
(1) P/iya. Il, 7, 198 a, %i : Ifr/vcttt St rà rpi'x si; h r.oilùy.i^.
(2) Dp part. an. IV, 2, (177 <i, 18 : ... rtvdiv ôvtwv rotowrwv inpa. è;
«vay/.'Cî ffu|w6atv«e <?ià raùra iro^a. Cf. Zeller, p. 33:'», n. i.
276 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
comme quelque chose de négatif. Mais c'est plutôt l'ana-
lyse d'une quantité négative que d'un simple zéro. Il y a
donc quelque chose comme un déterminisme propre à la
matière, qui se pose à côté du déterminisme venu de la
forme. L'imperfection du déterminisme total vient, à ce
pomt de vue, d'un conflit entre les deux déterminismes.
Mais la matière a encore une autre façon de rendre le déter-
minisme imparfait. Elle est, nous l'avons vu, essentielle-
ment ambiguë, toujours partagée entre deux contraires ;
car telle est la nature de la puissance, nature avec laquelle
la sienne propre se confond. Sans doute Aristote dit que
toutes les puissances dépourvues de raison (oXoyoti Buvà{jieiç)
(Metaph. é, 2 1046 b, 2), ou au moins beaucoup de ces
puissances {Hermen. 13, 22 b, 39), ne sont capables que
d'un seul effet, à la différence des forces douées de raison
qui sont capables de l'un ou de l'autre de deux actes
opposés. Mais d'abord on voit que certaines puissances
irrationnelles restent ambiguës par elles-mêmes ; et d'ail-
leurs elles le demeurent toutes, ou presque toutes, indirec-
tement. En effet une puissance naturelle est presque tou-
jours instable et à la merci du changement. Il n'y a donc
guère de chose sensible sur laquelle on puisse compter pour
produire tel ou tel effet. Des effets attendus ne se produi-
ront pas et d'autres inattendus se produiront. Ainsi, d'une
part, en tant que la nécessité devient dans la matière quel-
que chose de brutal, d'autre part, en tant qu'il y a de l'am-
biguïté dans la matière, le déterminisme est rendu impar-
fait. Ces deux façons dont la matière rend le déterminisme
imparfait peuvent-elles se ramener à l'unité? L'unification
semble assez difficile. Quoi qu'il en soit, le déterminisme
est imparfait. Nous arrivons à la théorie du hasard, qu'il
nous reste à résumer.
Elle est exposée dans les chapitres 4 à 6 du IIe livre de la
Physique. Aristote commence par réfuter deux objections
contre l'existence du hasard et par établir que le hasard
existe. On invoquait d'abord le fait qu'aucun des anciens
philosophes n'avait songé à compter cette cause parmi
celles qu'il admettait. Aristote répond que ce silence est
d'autant moins probant que les philosophes dont il s'agit,
LE HASARD 277
et par exemple Empédocle, invoquaient à l'occasion l'ao
tion du hasard (4, 195 b, 36 et 19!) a, 16). Une autre
objection, que nous savons par Eudème être de Démo-
crite (1), est plus sérieuse. Il y a toujours, énonce-t-elle,
une cause déterminée de tout événement : par exemple,
rencontrer quelqu'un sur la place publique sans y compter
a pour cause qu'on s'est rendu sur la place publique afin
de faire un achat. Aristote ne conteste pas l'assertion de
Démocrite ; mais elle ne fait, remarque-t-il. que nous por-
ter encore plus à croire à l'existence du hasard. Car on a
beau connaître la cause dont il s'agit, le fait de la rencon-
tre apparaît néanmoins comme un hasard -(196 a, 11). Le
fait de hasard a d'ailleurs une caractéristique sur laquelle
tout le monde tombe d'accord. Tout le monde parle de faits
rares, défaits exceptionnels, et tout le monde entend parla
des faits de hasard, tellement que les deux expressions se
réciproquent. Et qu'il y ait, pour répondre à cette caracté-
risation verbale, des faits réels, c'est ce qui résulte, d'une
part, de ce que l'existence incontestée de faits constants, ou
défaits arrivant la plupart du temps, requiert par opposi-
tion l'existence de laits rares, et, d'autre part, de ce que
nous constatons dans notre expérience la présence de tels
faits (>) déb. à 196 b, 17). — Remarquons que la caractéris-
tique invoquée par Aristote, et qui relève du point de vue
de l'extension, est extrêmement défectueuse. Il se peut
qu'un faitde hasard soit, au moins en général, un fait rare.
Mais, quoi qu'Aristote en dise, il n'y a pas réciprocité. S'il
parvient à dire sur le hasard des choses qui portent, c'est
grâce à L'emploi des expressions « par accident », « acci-
dentel », auxquelles il donne le sens, non pas de rare,
mais de contingent. 11 faut d'ailleurs signaler que, si Aris-
tote se plaît à insister Bur ce caractère de rareté dans les
exemples de faits fortuits qu'il allègue, ce caractère ne
tient en revanche aucune place dans sa définition du
hasard. — Cette définition, Aristote l'applique à une
espèce du hasard; mais peu importe :elle contient tous les
(1) Voir Zeller, I», 8<;s-x72 et surtoul 871, I (tr. Ir. II. 304-307
30ti, 4).
278 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
caractères essentiels du hasard. Aristote distingue, comme
on sait, le hasard en général [xo aù-ïô^aTov) et, dans l'exten-
sion de celui-ci, une espèce particulière de faits fortuits,
ceux qui se produisent dans le domaine de la pratique
humaine et qu'il appelle des effets de la fortune (xà omco
"'■J'/r^ç) (ch. 6). Or, au lieu de définir le hasard, c'est la for-
tune qu'il définit ; mais on voit que peu importe et que
la fortune, si elle surajoute à ceux du hasard un caractère
propre, doit contenir tous les éléments constitutifs du
hasard. La définition est la suivante : « La fortune est la
cause par accident de faits susceptibles d'être des fins,
quand ces faits relèveraient de la pensée et du choix » (1).
Il suffit de supprimer le caractère de relever de la pensée
pour avoir la définition du hasard en général, et de rem-
placer la pensée par la nature pour avoir la définition du
hasard au sens étroit, en tant qu'il est, dans le genre, l'es-
pèce opposée à la fortune. Le caractère de rareté laissé de
côté, on voit que le hasard est pour Aristote constitué par
deux éléments. D'abord il faut que ce qui sera un fait de
hasard soit en principe susceptible d'être une fin, soit de
l'homme, soit de la nature : tel le fait de rencontrer un débi-
teur sur la place publique, comme dit la Physique, ou de
trouver un trésor, comme dit la Métaphysique (A, 30),
second exemple qui est devenu classique et se retrouve
jusque chez Cournot. Il faut ensuite que ce fait susceptible
d'être une fin soit pourtant arrivé sans avoir été effective-
ment pris pour fin. Déterminé par des causes à tout autre
égard, il n'en a pourtant pas en tant qu'il est susceptible
d'être une fin. Capable de relever dune activité téléologi-
que, il n'a pourtant été produit par aucune activité téléo-
logique, ou du moins par aucune activité qui ait été téléo-
logique en tant qu'elle l'a produit. Ea d'autres termes,
l'activité productrice d'un fait de hasard n'est téléologique
que par accident : elle réalise, sans le poursuivre comme
une fin, un événement qui pourrait être une fin. Le hasard
est la cause que nous mettons à la place de l'activité téléo-
(1) Phys. II, 5, 197 «, 5 : ... h viiyjri airla xarà avuSeêuxoç « roïç
•/arà 7roo«ips<rtv rwv gvsxcc rou.
LE HASARD 279
logique, absente en l'espèce, et c'est pour cela que nous
parlons d'heureux hasard, de bonne et de mauvaise for-
tune (5, 197 a, 2o,'zùyri y.^-yJr/^ çpaûXT) ; z:j-r/:.y.). Le hasard
est donc sans réalité, et d'autre part réel. Il est sans réalité,
en tant qu'on voudrait en faire une cause efficiente posi-
tive, une activité agissant pour des fins en dehors de la
nature ou de la pensée. Mais il est réel, en tant qu'il
signifie l'absence d'une activité téléologique, là où la pré-
sence d'une telle activité semblerait requise ; car cette
absence est un fait qui n'a rien d'imaginaire (o, 197 a, 10-17).
SEIZIÈME LEÇON
L'INFINI, L'ESPACE, LE VIDE, LE TEMPS
La physique a pour objet le changement, avec tout ce
qu'il implique en fait d'êtres et de relations sensibles.
Aristote, dans celui de ses ouvrages par lequel il ouvre la
série de ses spéculations physiques, commence donc par
montrer comment le changement est possible, puis par
définir le principe du mouvement, et ensuite les diverses
espèces du changement. Mais, arrivé à ce dernier point,
il ne continue pas immédiatement l'étude du changement
et du mouvement. Avant de pénétrer jusqu'au cœur de ces
phénomènes fondamentaux, il s'arrête pour s'occuper de
certaines généralités qui doivent, dit-il, être étudiées avant
les déterminations plus spéciales du changement et du
mouvement. Le mouvement en effet est, suivant l'opinion
générale, quelque chose de continu ; or le continu est le
premier siège de l'infini. De plus, toujours suivant l'opi-
nion générale, le mouvement n'est pas possible sans l'es-
pace, sans le vide et sans le temps. Une fois donc qu'il a
indiqué la définition du mouvement et les espèces du chan-
gement, Aristote étudie l'infini, l'espace, le vide et le
temps (Phys. III, 1 déb. à 200 b, 25). Comme ces quatre
choses ne supposent, parmi les caractères du changement
et du mouvement, que les plus extérieurs et les moins
contestés, il n'y a sans doute aucun inconvénient à en pré-
senter d'abord la théorie de façon à pouvoir suivre après
cela, d'un trait, celle du mouvement.
Il y a cinq raisons de penser que l'infini existe. D'abord
l'infini 281
l'infinité est un caractère essentiel du temps. Ensuite les
grandeurs mathématiques se divisent à l'infini. En troi-
sième lieu on peut penser qu'il faut un infini pour alimen-
ter sans fin la génération des substances. De plus on peut
penser que toute limite suppose un au delà, de sorte qu'on
s'avance sans fin au delà d'une limite, puis d'une autre.
Enfin, comme la pensée va toujours de l'avant, la série des
nombres, l'accroissement des grandeurs ou étendues
mathématiques, la progression dans un espace extérieur au
monde apparaissent comme autant d'infinis (Phys. III, 4,
203 à, 15-25).
Comment donc faut-il concevoir l'existence de l'infini ?
L'infini existe-t-il en lui-même et par lui-même sans sup-
port d'aucune sorte, de façon à ce qu'il soit une substance ?
Ainsi l'ont envisagé les Pythagoriciens et Platon. Mais
l'infini n'est infini que s'il est divisible et constitué par
une infinité de parties ; car autrement il ne s'opposerait au
fini que comme appartenant à un autre genre : il serait
infini comme la voix est invisible. Le véritable infini est
donc divisible. Or la divisibilité n'existe que dans la gran-
deur ou dans la pluralité (1). C'est dire que l'infini n'est pas
une chose en soi, que c'est un simple attribut de la gran-
deur et du nombre (5 déb. à 204 a, 19; 4, 203 a, 4). Si
d'ailleurs l'infini, en même temps qu'il serait une sub-
stance, était pourtant divisible, chacune de ses parties,
retenant la nature de la substance à laquelle elle appar-
tiendrait, serait elle-même infinie : de sorte que, dans
l'unité de l'infini, il y aurait une pluralité d'infinis (5, 204
a, 20-26). L'infini existera-t-il donc en tant que qualité
d'un support, ainsi que l'ont pensé, sans aucune exception,
tous ceux des Physiologues qui ont cru à l'existence de
l'infini (4, 203 a\ 1b) ? Contre cette thèse les arguments
d Aristoto sont de deux sortes. Comme il entend examiner
l'infini en physicien (5, 204 b, 1), c'est à ses arguments les
plus physiques (œucnxôiç jjiétXXov 204 l>, 10) qu'il attache le
plus d'importance, et c'est d'eux qu'il parle en dernier lieu.
Pour nous au contraire, ce sont les arguments les plus
(I) /'ht/s. III, 5, 204 a, Il : ro ykp Smtptxiv r, itr/ifjo; tarai y ir)U}6of.
282
LE SYSTEME D ARISTOTE
logiques, bien que déjà physiques à quelque degré dans la
pensée d'Aristote (Aoy.xwç b, 4), qui nous intéressent le plus,
aussi les réserverons-nous pour la fin. — Voyons ses argu-
ments les plus physiques. Le corps infini des Physiologues
est-il composé ? Si chacun des éléments qui le composent
est fini, le tout est fini. D'autre part, il est impossible
qu'ils soient tous infinis ; car un infini ne laisse pas de
place pour autre chose que lui. Enfin, si, les autres éléments
étant finis; l'un d'eux est infini, cet élément, fût-il le moins
agissant de tous, l'emportera pourtant sur tous les autres
et les ramènera à sa propre nature ; de sorte que, dans ces
conditions, il n'y aura pas de composé possible (5, 204 b,
10-23). Le corps infini serait donc un corps simple. Mais
il n'y a pas de corps simple unique,, soit qu'on entende par
là l'un des quatre éléments, tel le feu d'Heraclite, soit au
contraire qu'il s'agisse de l'Infini d'Anaximandre, supérieur
aux quatre éléments. Un tel corps n'existe pas, puisqu'on
ne l'a jamais aperçu au terme d'aucune corruption (5, 204
b\ 22-205 a, 7 ; cf. 4, 203 b, 10). Mais l'argument physique
qu'Aristote estime le plus considérable, parmi ceux qu'il
oppose à l'existence de l'infini, est certainement celui
qu'il tire de sa doctrine sur le lieu. Tout corps a un lieu
naturel. Or un lieu est quelque chose de déterminé et de
fini. Le haut et le bas, qui sont des déterminations spatia-
les, réelles en soi et non pas seulement par rapport à une
position que nous occupons, n'auraient aucun sens dans
l'infini. Ils désignent des régions limitées de l'espace : le
haut, c'est ce qui est éloigné du bas au maximum, et le
bas est ce au-dessous de quoi on ne peut descendre, et,
d'autre part, ce qui occupera le bas sera séparé par une
limite ou par des intermédiaires de ce qui occupera le haut.
Dans ces conditions il n'est pas possible que rien de cor-
porel soit infini (5, 205 a, 8-fin du ch.). — Restent main-
tenant les arguments moins physiques et plus logiques
que nous avions ajournés. Il y en a deux. Le premier se
fonde sur la définition du corps en général. Qu'est-ce
qu'un corps ? C'est ce qui est limité par une surface.
D'après cela il ne saurait y avoir de corps infini, que ce
corps soit d'ailleurs sensible ou qu'il soit intelligible, c'est-
l'infini 283
à-dire mathématique. Le second argument s'appuie sur la
nature du nombre. Considérons, non pas la série des nom-
bres, mais un nombre réalisé et existant par lui-même
.y.v/(oy.7'xi\>oç), un tel nombre ne peut pas être infini. En
effet un nombre, c'est ce qui est nombrable ou ce qui est
déjà nombre ; dans le cas même où un nombre est seule-
ment quelque chose de nombrable, puisque ce nombrable
peut, par définition, être nombre, le nombre n'est pas
infini. S'il l'était, ce serait donc qu'on peut accomplir et
achever le parcours de l'infini ; car nombrer, c'est parcourir
(5, 204 />, 5-10). Et dans le VIIIe' livre de la Physique, expo-
sant une forme nouvelle qu'on avait donnée à l'argument
zénonien de la dichotomie, Aristote dit : « de cette façon,
quand le mobile a parcouru la totalité de la ligne, il arrive
qu'il a nombre un nombre infini ; mais cela, d'un commun
accord, est impossible » (1). Ainsi il est démontré que l'in-
fini n'existe pas, du moins au sens plein du mot exister.
Cependant il est impossible de nier d'une façon absolue
l'existence de l'infini. En effet, si nous nous reportons aux
cinq raisons que nous avons indiquées d'admettre l'infini,
on voit que certaines se laissent écarter, et non toutes. Il
n'y a pas besoin d'un infini pour alimenter la génération
des substances, parce que cette génération est circulaire :
la génération d'un élément est la corruption d'un autre : on
passe ainsi sans fin d'un élément à l'autre (8, 208 a, 8-11).
Il n'est pas exact que toute limite suppose un au-delà,
attendu que être limité et toucher à autre chose sont des
notions qui ne se confondent pas : car la première de ces
notions ne signifie pas, comme la seconde, une relation
(ihirf., 11-14). La marche en avant de la pensée ne prouve
rien quant à la réalité de l'infini ; car le fait de penser
qu'un homme se trouve en dehors de la ville ne prouve
pas qu'il se trouve effectivement à cet endroit (ibid., 1 5-19).
.Mais les autres raisons d'admettre l'infini subsistent. Il faut
bi<;n que le temps n'ait ni commencement ni tin, que les
grandeurs se divisent en grandeurs à l'infini, que la série
(1) 8, 263 a, 9 : ... aSori ote/.Oovro; njv tkyv âirccpov ttvftSetltu hpi9ui)-
284 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
des nombres soit infinie (ch. 6, déb.). La seconde de ces
raisons surtout est puissante ; elle est la vraie raison d'être
de l'infini. En effet la grandeur, c'est-à-dire avant tout
l'étendue, ne se compose pas de points qui se toucheraient,
puisque, se touchant, les points se confondraient, de sorte
qu'avec autant de points qu'on voudra on n'aurait jamais
qu'un seul point. Donc les points, dans la grandeur, sont
séparés l'un de l'autre (cf. par ex. Gen. et corr. I, 3, 317 a,
11). Cela revient à dire que la grandeur est composée de
parties qui sont situées les unes par rapport aux autres
(Cat. 6, déb.), ou, comme nous disons en langage moderne,
extérieures les unes aux autres. Mais des parties extérieu-
res les unes aux autres ne feraient pas un tout, ou quel-
que chose d'un, si elles ne faisaient que se suivre, fût-ce
en se touchant ; il faut encore qu'elles soient continues
l'une avec l'autre (1), car la continuité consiste précisément
dans l'identité de limite entre choses qui se suivent, une
même limite étant terme d'une partie et commencement de
l'autre (2). Il suit de là, d'une part, qu'il n'y a pas de
morceaux isolés l'un de l'autre dans une grandeur, mais,
d'autre part aussi, qu'on pourrait partout opérer l'isole-
ment de deux parties en dédoublant leur commune limite.
En un mot une grandeur est essentiellement divisible à
l'infini : il n'y a pas de lignes insécables (5, 206 a, 17). —
Puis donc qu'on ne peut se passer de l'infini et qu'il ne
peut non plus exister au sens plein, il faut lui reconnaître
une existence inférieure à l'existence pleine, et cependant
distincte du néant. Ce mode intermédiaire d'existence,
qu'Aristote reconnaît d'une manière générale et dont la
solution du problème de l'infini n'est qu'une application
particulière, c'est la puissance. L'infini, qui ne saurait
exister en acte, existe en puissance. Mais il faut voir de
quelle sorte de puissance il s'agit. Une statue existe en
(1) Metaph. K, 12, 1069 a, 7 : ... daïov ôtt zb avvz-^ec, èv to-Jtocç è;
wy sv Tt TTs'yuxs yîyvîo-ftcu x«r« r^v TÛvai|/tv.
(2) Phys. V, 3, 227 a, 10 : zb Sï «tuve^èç sort p'ev ô-mf, j^opsvov rc
[contigu ; le texte correspondant de Meta, l. cit., a, 5 ajoute x «axo*-
a-vov], ).s'yw (J'etvca auv£%éi, orav rayro yï'vflT«t y.ai h zà s'xarî'poy nipocz
l'infini 285
puissance dans un bloc de marbre. Sous les conditions
voulues cette puissance deviendra acte, et nous aurons sous
les yeux un Hermès, par exemple, complètement réalisé.
Tel ne saurait être le cas de l'infini, puisque précisément
il ne peut jamais exister en acte. L'espèce de puissance
qu'il est reste toujours une puissance. Nous verrons plus
tard qu'il y a au moins une autre puissance de cette sorte,
à savoir le mouvement; car il est passage entre deux
extrêmes et s'évanouit dès qu'il atteint son terme. Comme
le mouvement, l'infini n'est rien de substantiel ; il est tou-
jours en voie de génération ou de corruption. En langage
moderne, nous dirions que c'est un processus (1). Ainsi
compris, non seulement l'infini n'est que matière ; il est
même moins encore : il est privation dans ce sujet ou
matière qu'est le continu (2). Il convient de le définir, non
pas par un attribut positif, mais par une négation. Au lieu
qu'il soit, comme on l'a dit, ce en dehors de quoi il n'y a
rien, il est au contraire ce en dehors de quoi il y a tou-
jours quelque chose (6, 207 a, 1). Anaximandre, lorsqu'il
lui reconnaissait un prestige particulier (c-sy-vÔTr^), le défi-
nissait de la manière positive, et c'était se tromper entière-
ment (ibid. 207 a, 17-21 ; cf. 4, 203 6, 10-15). L'infini est
l'imparfait, car le parfait c'est l'achevé (207 a, 10-15 .
Aussi la nature évite-t-ele partout l'infini autant qu'elle
peut, puisque ce qu'elle vise c'est un terme fixe {De yen.
an. I, 1, 715 b, 14). — En conséquence de cette manière
de comprendre l'infini, Aristote rejette, bien entendu,
l'infini de composition (to xoxot r^v -pô^Osa-'-v à-s'.pov), en ce
sens qu'on pourrait, par la composition, réaliser un tout
infini. Il n'y a point de corps infini. Le ciel est fini et nous
avons vu que le fait d'être limité ne suppose pas un au-
delà. Le seul infini qui mérite considération est celui de la
division (xarv. Btaipeo-'.v ou occpaipécei) toujours inachevée.
(1) Phi/s. III, 6, 206 a, 14-Ô, '.l ; riions seulement quelques liynes :
Ctzzi t6 'XT.iio'-yj où itï Xa/xêccvew m; zoiïe ri, oîov iv0pw7rov h otxûcv, «'/.à'
m( nuéoy. liysrv.i xat o ceyûv, ot? zo uvttt oj^ m; ovuta ri; yiyovn, à'/./.' ùù
Èv ytvitrtt /.ai fOopù... (a, 29-39
(2) Ibid., 7, 207 b, Mb : ... '■>$ 'Sir, to owritpov îotw uïtio-j, xai... ro tùv
itv«t aÙTÛ <Tripr><xti, rà Stxttf}' «vto ùimxti[Mm xi rvviyic xal <U?0i)rôv.
286 LE SYSTÈME D'AEISTOTE
S'il y a un infini de composition, c'est celui qui serait
l'inverse de l'infini de division (6, 206 b, 3-6 et 24-27).
Les théories de l'espace, du vide et du temps sont expo-
sées suivant cet ordre dans le IVe livre de la Physique.
Le mot dont se sert Aristote, pour désigner l'espace est
Toroç. Ce mot signifie plutôt encore le lieu que l'espace.
C'est que pour Aristote, comme on verra, il n'y a pas d'au-
tre espace que le lieu. Peut-être nous arrivera-t-il d'ailleurs
d'employer alternativement les deux termes.
L'étude de l'espace s'impose au physicien, d'abord parce
que tout être, ou du moins tout être sensible (Phys. IV, 1,
208 b, 28), est dans l'espace et parce que le mouvement
local est le premier et le plus général des mouvements
(ibid., déb. duch.). C'est d'ailleurs, dit Aristote, une étude
nouvelle ; car les philosophes antérieurs n'ont point résolu
les difficultés que soulève la nature de l'espace, puisque
Platon seul a essayé de dire ce qu'il est, et ils n'ont même
pas, à l'exception de Zenon d'Elée, appelé l'attention sur
quelques-unes au moins de ces difficultés (1, 208 a, 32 et
2, 209 b, 17). Relativement à l'existence de l'espace il n'y
a pas de contestation, bien que peut-être il pût y en avoir
quand on a compris les difficultés que soulève sa nature.
Mais l'existence de l'espace se présente tout de suite comme
fortement appuyée sur deux faits, qui sont d'ailleurs con-
nexes. L'un est la substitution d'un corps à l'autre dans an
même lieu (àvTifxeTà<rtra<rtç) ; l'autre est le mouvement local
(1, 208 b, 1-8 et 4, 211 à, 11-17). Par ces deux faits l'es-
pace se détache des corps et se pose en lui-même. Puis un
troisième fait survient, qui achève de faire ressortir la réalité
de l'espace, une réalité très proprement physique cette fois
et, pour ainsi dire, qualitative : caractère qu'Aristote
exprime en disant que l'espace possède ttvoc 8uvap.iv. Le
fait en question est l'existence dans l'espace de détermina-
tions qui lui sont essentielles et qui apparaissent comme
la cause, ou l'une des causes, du mouvement naturel des
corps : le droit et le gauche et surtout le haut et le bas
(1, 208 b, 8-22). La réalité de l'espace paraît si bien établie
par ces divers faits qu'on peut songer un moment à se
l'espace 287
demander s'il n'est pas le premier et le plus fondamental
des êtres (ibid. 208 b, 29-209 a, 2).
Mais il faut voir quelles difficultés on rencontre quand
on entreprend d'assigner sa nature. Comme il a, ou parait
avoir, les trois dimensions, cette propriété, qu'il partage
avec les corps, fait qu'on est tenté tout d'abord de voir en
lui un corps, bien que, comme nous l'avons dit, il se dis-
tingue des corps. Cependant, s'il est un corps, il y aura,
ou il pourra y avoir, deux corps à la fois dans le même lieu
[ibid. 209 a, 2-7). D'ailleurs il faut un lieu pour les sur-
faces et les autres limites, aussi bien que pour les corps ;
l'espace, puisqu'il est ainsi requis par des choses abstrai-
tes, ne serait donc pas une chose concrète, et, par consé-
quent, ne serait pas un corps. Néanmoins l'espace a une
grandeur réelle et non pas seulement idéale. Or avec des
êtres de raison on ne fait aucune grandeur réelle (ix oï :wv
votjTwv oùSèv yiverat péyzhoq) [ibid. 209 a, 8-18). Admettons
que l'espace soit le contenant des corps : deux difficultés
vont se présenter. D'abord il faudra se demander avec
Zenon dans quoi est l'espace, si tout être est dans l'espace
(209 «, 23-26). En second lieu, si l'espace est un être,
que faut-il penser de l'espace qui sert de lieu aux êtres
en voie d'accroissement? Comme le lieu d'un corps doit
être de même étendue que ce corps, l'espace va donc
avoir sa croissance, comme l'être en voie d'accroissement
qu'il renferme (209 a, 26-29) ? — Il convient évidem-
ment de distinguer deux sortes de lieux : le lieu qui est
commun à plusieurs corps, comme quand on dit que la
terre est dans le ciel; parce qu'elle est dans l'air, qui est
lui-même dans le ciel (t6ikx; xoivoç), et le lieu propre (toit»;
'.o.o-i, celui où chaque chose est immédiatement contenue
(2, déb.). Mais, cette distinction faite, le lieu qui mérite
vraiment son nom, le lieu propre, va apparaître connue
embrassant et limitant le corps qu'il contient, c'est-à-dire
comme la forme de ce corps (2, 209 6, 1-5). Or, d'autre part,
en tant qu'il parait posséder les dimensions de l'étendue
(G'.àcnrr.ua toù [jl^ysOo'j^ >, c'est-à-dire en tant qu'il parait
s'étendre entre les limites, l'espace se présente comme étant
la matière des choses, et telle est précisément la première
288
LE SYSTEME D ABISTOTE
en date des conceptions définies de l'espace, la concep-
tion de Platon dans le Timée (209 b, 5-17). Il est donc dif-
ficile de connaître la nature de l'espace (209, b, 17-20), et
même les difficultés de se faire de l'espace une conception
quelconque sont telles qu'on pourrait aller jusqu'à douter
de l'existence de l'espace (1 fin).
Quelque embarras que puissent causer les difficultés
ainsi rassemblées, leur exposition, et aussi Tordre dans
lequel elles sont rangées, préparent une solution. Cette
solution, qui sera fournie par une bonne définition de l'es-
pace, Aristote achève de s'en rapprocher en considérant
une dernière fois, et de plus près, les deux tentatives oppo-
sées pour définir l'espace, ou par la forme, ou par la matière,
et en cherchant dans une distinction des divers sens de
l'expression « être dans quelque chose » un moyen de
mieux préciser l'idée du rapport spatial de contenu à con-
tenant et d'écarter la difficulté proposée par Zenon. — Les
difficultés sur la nature de l'espace qu'Aristote a eu soin
de ranger à la suite et au-dessus de toutes les autres sont
celles que soulève l'application à cette essence des idées de
matière et de forme. Et en effet, tout en nous laissant
encore loin du but, il est incontestable que la tentative
d'employer ces deux notions à définir l'espace nous pré-
pare à comprendre ce qu'il est effectivement. L'espace ne
peut pas être la matière des choses, parce qu'il les enve-
loppe et les limite, tandis que la matière est l'indéfini qui
est entre les limites (2, 209 b, 31). Mais il y a une raison
commune qui empêche l'espace d'être forme comme d'être
matière, c'est qu'une forme et une matière sont l'une et
l'autre inséparables de la substance dont elles sont éléments.
Au contraire, en vertu du fait capital de l'àv-r'.pîTâaTaa-'.;, l'es-
pace, au lieu d'être une partie ou une habitude des corps,
est séparé des corps {^top\.<jzbç 6 tottoç sxàsTou) [ibicl . 209 6,
17-20). — Si maintenant nous essayons de nous rendre
compte avec quelque exactitude de ce qu'il faut entendre
par « être dans quelque chose », nous allons voir se préciser
notre conclusion que l'espace n'est ni la matière, ni laforme,
et qu'il est distinct de ce qu'il renferme. L'expression
« être dans » a évidemment beaucoup de sens : par exem-
l'espace 289
pie, le sujet est dans l'attribut, c'est-à-dire dans l'extension
de l'attribut, et l'attribut est dans le sujet, c'est-à-dire dans
la compréhension du sujet; et même le sort des Grecs est
dans les mains du roi de Macédoine. Mais le sens le plus
propre de « être dans », c'est celui qui se rapporte à l'es-
pace. Or, à ce point de vue, que faut-il entendre par l'ex-
pression dont il s'agit? Peut-on dire qu'une chose est dans
elle-même? Oui, si on considère une chose qui se divise
en deux parties : dire, par exemple, qu'une amphore de vin
est dans elle-même, c'est dire que le vin, d'une part, et,
d'autre part, l'amphore sont, à titre de parties, dans le
tout qu'est l'amphore de vin. En un mot on dit très bien :
dans une amphore de vin, dans le volume total que fait
une amphore de vin, il y a l'amphore et le vin, il y a place
pour l'amphore et le vin. Mais une chose ne peut être mise
ainsi dans elle-même que médiatement, grâce à l'interven-
tion de l'idée de totalité, opposée à celle des parties Si, au
contraire, on considère une chose en bloc,, et si l'on se
demande ce qu'on entend lorsqu'on dit que cette chose
est immédiatement dans quelque chose, on. s'aperçoit que
ce quelque chose est une autre chose, que c'est une chose
extérieure à celle qui est dans elle, que c'est « comme un
vase » (1). Quanta la difficulté soulevée par Zenon, à savoir
dans quoi sera l'espace, question à laquelle il faut bien
répondre sous peine de se perdre dans un procès à l'infini,
la réponse est que l'espace est dans autre chose que lui :
mais que Zenon a cru à tort que l'expression « ètro dans »
devait continuer à recevoir, quand on l'applique au tout
même de l'espace, son sens propre ou spatial. Le tout de l'es-
pace est dans autre chose comme une propriété est dans
un sujet, une habitude dans une matière, une limite dans
le corps qu'elle limite (3, 210 6, 22-27; cf. 5, 212 b, 27 sq).
Ouoi qu il en soit d'ailleurs de cette difficulté, la détermi-
(1) Cl). 'A ot surtout 210 a, 23 : ircop^vtu S'&v rt;, v.ou xkï u'jto rt iv
icturù ïvdiyi-'j.L lïvcu... Si/'h^ <ïz tout' forlv, ïjtoi x«0" c'j-.o [>'//». TTflÙTWç]
h xa9' stcoov, ôrav u'ïj yùo n [tooiv roO Skov ro h u xai to h rovrtu,
't.ey Or, vît ou ro o'/.o-j sv iv.iny... ; b, S cl 21 : on pùrv ojv èeoûvarov iv
Tt ti-iv.i Ttpiûrwç, SO-ov.
Aristote 10
290 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
nation du sens propre de l'expression « être dans » nous
fait voir une fois de plus que l'espace n'est ni matière ni
même forme (3, fin).
Grâce à cette préparation, nous voilà mis en mesure et
en demeure d'apercevoir la véritable nature de l'espace.
Nous touchons à la définition exacte, capable de rendre
compte de toutes les propriétés et de résoudre toutes les
difficultés que nous avons signalées (-4 déb.). L'espace,
avons-nous dit, est « comme un vase ». C'est là une méta-
phore sans doute, mais si juste qu'elle exprime adéquate-
ment la nature de l'espace, à l'exception d'un seul trait. Un
vase se transporte, l'espace non : un vase c'est un lieu
transportable ; l'espace est un vase qu'on ne peut mou-
voir ( J ). Il n'y a qu'à traduire cette image en termes abstraits
pour obtenir la définition cherchée : « L'espace est la limite
immobile et immédiate du contenant » (2). La proposition
que cette limite est immédiate veut dire qu'elle enveloppe
sans aucun intermédiaire le contenu. Il faut bien compren-
dre d'ailleurs que la limite, ainsi caractérisée, du contenant
est contiguë (iyôuîvov) et non pas continue (cuve^éç) avec
celle du contenu. Il ne peut y avoir ici continuité : il faut que
le contenant et le contenu soient séparés l'un de l'autre,
autrement il n'v aurait pas rapport de contenu à contenant
mais de partie à tout. Mais, si la continuité est, comme
nous le savons, une identité de limite, la contiguïté est sim-
plement une coïncidence de limites (3), et la coïncidence
n'empêche pas la dualité.
Cette définition de l'espace rend évidemment compte des
propriétés et résout les difficultés signalées par Aristote.
Parmi les difficultés qu'elle peut soulever à son tour, il y en
a une qu'Aristote s'est efforcé de résoudre, mais dont, par
(t) 2, 209 b, 28 : oo/.il yào toiojtg ti si-joli 6 toîto; oTov zo «y'/£t0v :
A, 212 a, 14 : son o'oJtxîo tù àyysïov 707ro; uErawoo'flro'ç, oûrw x«i 6 707ro;
ayy îïov «i/erax hr, to-j .
(2) 4, 212 a, 20 : ... ~i to-j TZcpiéy^o-j-ro; Trepaç ixhvrvu noôtrov, roûr'
la-VJ 6 707TOÇ.
(3) Ibid., 211 a, 33 : h ykp :w aùrw rà sV^ara twv âîtropevwv. La
contiguïté, c'est le contact joint à la consécution ; cf. Mefapfi. K. ii,
1069 a. 1 ou Phys. V, 3, 227 a, 6 : a é^ojtsvov » 9% 5 x» îit; 3v k*t»t«i.
l'espace 291
malheur., il n'a donné qu'une solution assez obscure. Que
l'univers ne soit pas dans l'espace parce qu il n'y a rien
au-delà du ciel (5 déh. et 212 /; 8-10), c'est là une doctrine
qu'on peut contester, mais qui est du moins parfaitement
nette. Ce qui interdit à Aristote de nous laisser sur cette
impression de netteté, c'est que le ciel se meut ; or se
mouvoir c'est se détacher d'une limite contiguè. Assuré-
ment le ciel est immobile en ce sens qu'il n'est animé
d'aucun mouvement de transport. Mais il se meut circulai-
rement. Si donc on considère une partie de la sphère du
premier ciel, cette partie change de lieu et, à plus forte rai-
son, a un lieu. Ce lieu, nous dit Aristote, c'est la limite
immobile continue au premier mû. La difficulté est de
comprendre à quoi appartient cette limite, puisqu'il n'y a
rien en dehors du premier ciel. Sans doute la limite dû pre-
mier ciel peut se dédoubler par la pensée et, sous un de ses
aspects, toucher seulement le premier ciel. Seulement une
limite idéale n'en est pas une pour Aristote, c'est an attri-
but sans sujet il).
Le caractère de la doctrine d' Aristote sur l'espace, et ce
qui en fait la force, est justement de ne pas se payer d'ab-
stractions en nuise de notions complètes. Assurément c'est
un esprit réalistique qui anime sa théorie, et c'est à parler
aux sens et à l'imagination qu'il s'est attaché, plutôt qu'à
satisfaire la raison. Toutefois, sous quelque inspiration que
c'ait été, il y avait du mérite à ne pas faire de l'espace un
être. Il ne serait pas juste de reprocher à Aristote de n'avoir
pas assez, dégagé et assez abstrait la notion d'espace, si
l'on entend par là qu'il n'a pas considéré l'espace comme un
pur intervalle sans limites, comme un vague milieu homo-
gène. C'ot justement lace qu'il o/a pas voulu faire. L'es-
pace, pour lui. est si peu l'intervalle ijifil n'est même pas
l'intervalle limité; c'est exclusivement la limite. Voilà
(I) Pftys. IV . 5, il2 b, lu : T'ai, roûrç x«ti r*f»ra< iorl
TOtç U'jÇii.îi-, • mooj 'i'J.0 ITI69U iyitxrVOV ''-ij UUUtitûN Uttiv, IN ; ;7Tt <Tô
TQ7ÎOÇ O'J/ 0 Û'JpOVOî, OL//CA TOV OV0CCVOÛ 71 M Ï9V9X9V Y.U.Ï KITTOfACVOV 70V
■/.ijt-oj ffoijxKTff; 7rép«; ipspoûv... — Le texte du De cû lo (V, S) auquel
Zellerfati allusion (p. M8, î) est indiqué d'une façon erronée el nous
ne l'avons pas trouvé.
292 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
pourquoi sa doctrine de l'espace est plutôt une doctrine du
lieu, conception unilatérale sans doute, mais nette et forte.
Comme plus tard Leibnitz, il a laissé dans l'ombre, autant
qu'il l'a pu, le caractère quantitatif de l'espace, ce qui
répond d'ailleurs chez lui à la répugnance que nous lui avons
vu éprouver contre l'infini.
C'est le même esprit que nous allons retrouver dans ses
théories du vide, puis du temps.
Anaxagore s'est inutilement attaché à démontrer que le
vide ne consiste pas dans l'absence de tout corps autre que
l'air et que l'air est lui-même un corps. Le vide vrai, celui
que tout le monde entend par le mot vide, c'est le vide de
Leucippe et de Démocrite, une étendue (Siàarrjfjia) autre
que les corps (6, 213 a, 22-213 b, 2). Bref le vide c'est le
lieu privé de contenu, le lieu privé de corps (6 déb. et
7 déb.). Les deux grandes raisons qu'on croit avoir d'ad-
mettre le vide sont que, sans le vide, le mouvement serait
impossible (6, 213 b, 4-7) et que, sans le vide, seraient
impossibles aussi les changements de densité dans les
corps. Comment expliquer par exemple que, dans un vase
rempli de cendre, on puisse faire tenir encore autant d'eau
que s'il n'y avait pas de cendre et, par conséquent, dou-
bler la quantité de matière contenue dans le vase (2i3 bs
14-22)?
Mais ces raisons ne valent pas, et l'existence du vide est
plus qu'inutile : elle est inadmissible. Le mouvement local
n'exige pas le vide ; car ce mouvement peut s'expliquer
par le fait que certains des corps se retirent à mesure que
d'autres avancent, les uns prenant la place des autres,
comme il arrive dans les tourbillons qu'on observe dans
les liquides (7, 214 a, 28-32). Le mouvement local n'est
pas d'ailleurs le seul mouvement : l'altération, qui est la
transformation en masse d'un corps donné sans transport de
cette masse, resterait possible dans le plein en tout état de
cause (214 a, 26-28). Et ce n'est pas tout. Bien loin d'être
requis par le mouvement, le vide rendrait le mouvement
impossible, et cela établit que le vide n'existe pas. Si l'on
suppose un corps placé dans le vide, le vide, en s'ouvrant
à lui, au lieu de le mettre en mouvement, l'empêchera de se
LE VIDE
293
mouvoir ; car le corps n'aura pas de raison pour aller dans
une direction plutôt que dans une autre (8, 214 b, 28-215
a, 1). Il ne pourrait pas y avoir de mouvement forcé (r\
ptatoç y.'lyy, <riç), c'est-à-dire contre nature (irocpoc '.s jo-'.v), s'il
n'y avait auparavant des mouvements naturels ; or comment
y aurait-il des mouvements naturels dans le vide infini où
il n'existe ni haut ni bas (8, 215 a, 1-14) ? Viennent ensuite
deux arguments, aussi erronés que célèbres, et qui repo-
sent l'un et l'autre sur ce fait qu'Aristote ne soupçonnait
pas la notion de masse. Le premier se ramène en somme à
ceci : toutes choses égales d'ailleurs, un mobile parcourt
un milieu avec d'autant plus de vitesse que ce milieu est
moins résistant, c'est-à-dire, dans l'hypothèse du vide, moins
plein. Si nous supposons que, dans les conditions indi-
quées, un mobile ait à traverser un espace absolument vide,
la résistance de ce milieu étant comme zéro par rapport à
un nombre, il faudra que le mobile le parcoure avec une
vitesse infinie (215 a, 24-216 a, 11). Le second argument
prend pour point do départ que les vitesses de chute d'un
corps grave (ou d'ascension d'un corps léger) sont propor-
tionnelles aux poids (ou à la légèreté) de ces corps, et que
la raison de cette loi des vitesses serait qu'un corps pesant,
par exemple, écarte d'autant mieux les obstacles qu'il pèse
davantage. Comme il n'y a pas de résistance dans le vide
absolu, deux corps de poids différent y tomberaient avec
des vitesses égales (216 «, 11-21). Pour ce qui est des
changements de densité, ils peuvent s'expliquer parce qu'un
corps «ii chasse un autre, comme on expulse un noyau en
pressant un fruit (Èxicop7ivîÇeiv) : ainsi fait sans doute, par
rapport à l'air, l'eau qu'on verse dans un vase rempli de
cendre (7, 214 a, \ïl-l>, 1). Enfin les changements de gran-
deur ne s'expliquent pas par une introduction ou une éli-
mination de vides dans un corps, mais par le moyen de
l'altération qui entraîne par elle-même des changements do
grandeur : la grandeur d'un corps est fonction de sa qualité,
et, la qualité changeant, la grandeur change du même
coup. Vax d'autres termes, il y a, au sens propre, des con-
densations et des raréfactions (9, 217 a, 21-6, 11 , surtout les
quatre dernières lignes). — Mais, quoi quo vaillent les
294 LH SYSTÈME d' ARISTOTE
réponses et les objections d'Aristote que nous venons de
résumer, sa vraie raison contre le vide est simplement
que sa théorie de l'espace condamne le vide. Si en effet
le lieu est un contenant et, par conséquent, ne va jamais
sans un contenu, il est clair qu'il ne saurait y avoir d'es-
pace qui ne soit rempli (1).
Après celle du vide, simple corollaire de l'espace, vient
naturellement l'étude du temps, puisque, comme on va
voir, le temps a d'étroits rapports avec l'espace dans la con-
ception d'Aristote.
On pourrait penser que le temps n'existe pas ou existe à
peine quand on réfléchit à son instabilité. Il n'est jamais,
puisque l'avenir n'est pas encore, que le passé n'est plus et
que le présent est insaisissable. L'instant lui-même, limite
du temps, paraît incapable d'exister, parce qu'il doit être
toujours autre. Cependant il est impossible de fixer le temps :
ce serait le détruire que de mettre ensemble hier et aujour-
d'hui (10, 217 ù, 32-218 a, 30). De fait, Aristote se gardera
bien de faire du temps un être.
Qu'est-il ? L'opinion suivant laquelle il serait la sphère
même de l'univers ne vaut pas d'être examinée. Mais est-
il, comme on l'a dit aussi, le mouvement de l'univers ?
C'est impossible ; car, s'il y avait plusieurs univers, il fau-
drait alors admettre plusieurs temps (10, 218 a, 30-21S 6,9).
Cependant, qu'il ne soit pas le mouvement de l'univers,
l'opinion générale l'admettrait encore : ce qu'elle veut sur-
tout, c'est que le temps soit un mouvement. Par malheur,
un mouvement est une propriété de son mobile, tandis que
le temps est commun à tous les mouvements, indépendant
des mouvements, pourrait dire Aristote, comme l'espace
l'est des corps. De plus un mouvement est rapide ou lent:
le temps au contraire a un cours uniforme (218 b, 9-20).
Tout en n'étant pas mouvement, le temps esL insépara-
ble du mouvement. La preuve en est facile à faire. Ceux
(1) Ibid., 7, 214 a, 10 : î~û S's izzoï twtou ttiupiGTat, xoi ro xenrô
«VK-J/XÏJ T077&V ÎVJI/.1 II. ÏJXTLV I^TSflUjagVOV 'jV'J.O.TO:, 70770; $'i V.O.Ï TTOj; £774 7.W.
rrrô; oiîx sforiv ûptiTax, yavEûôv ôrt oJrro ùev xîvov ovx ecrrj.v, oûre k^woiotov
oO're XEjçr»ptfl"uli»ov ■ tô y-so jcsvo» où twuk «).),« BtûjxKTOç ow.vrtiy.et. j3oû).£-ai
£4v«t. oib xai 76 -/evôv Joxei zi. shunt, ôrt xoù 6 totto: v.y.'i §iù -%-jry..
LE TKMPS 295
qui s'endorment dans le temple de Sardes rattachent l'ins-
tant dn réveil à l'instant où iis se sont endormis, et. n'ayant
le sentiment d'aucun changement survenu entre les deux,
ils se figurent qu'il ne s'est écoulé aucun temps pendant
leur sommeil. Si donc, pour percevoir le temps, il faut
percevoir du changement, il faut conclure de là que, dans
la réalité, s'il n'y a pas de changement, il n'y a pas de
tempe (il déb. à*219 a, 2).
La proposition qu'il faut prendre pour point de départ
quand on cherche la nature du temps, est par conséquent
que le temps est inséparable du mouvement. N'étant pas le
mouvement lai-même, il faut qu'il soit quelque chose du
mouvement (-.\-.-f,z xwvio-etdç) (219 a, 2-10). Reste à déter-
miner cette vue encore vague. Le temps suit le mouvement,
le mouvement suit l'étendue. De là il résulte que l'étendue
confère sa continuité au mouvement, celle-ci au temps,
qui se trouve être ainsi un continu. D'autre part, la même
liaison du temps avec l'étendue par l'intermédiaire du
mouvement fait que le temps est caractérisé par l'antérieur
et le postérieur. En effet il y a dans l'espace et, par suite,
dans le mouvement, de l'arrière et de l'avant. Ce Ttpône^
cet ûerrepov de l'étendue et du mouvement se retrouvent
dans le temps et, matériellement, ils sont la même chose
dans les trois choses. Seulement dans le temps leur quid-
dité est autre : ils ne sont plus l'avant et l'arrière ; ils
deviennent, comme on peut le dire en français, l'antérieur et
le postérieur. Or. quand nous distinguons ainsi de l'anté-
rieur et du postérieur, que faisons nous ? ,\ous distinguons
des phases dans le mouvement, nous le déterminons en
enfermant entre des instants comme limites un intervalle
différent d'eux ([xercdj'j u xàrcôv skepov . Le temps n'est donc
pas autre chose que le mouvement, déterminé par des ins-
tants (219 a, 10-30). Cela pose, il n'y a plus qu'à dé{
la définition abstraite du temps. « Le temps est le nombre
du mouvement, suivant l'antérieur et le postérieur ■>, c'est-
à-dire que le temps consiste dans des phases, distinguées
l'une de l'autre comme venant l'une après l'autre et, par
conséquent, àombrées ; car distinguer dans la quantité,
296 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
c'est immédiatement nombrer (1). Le nombre dont il s'agit
est d'ailleurs, bien entendu, non pas le nombre nombrant
ou purement arithmétique, c'est un nombre nombre analo-
gue à des objets comptés (219 b, 2-9). Mais cela n'empêche
pas qu'il est différent du mouvement et que cela lui con-
fère une suffisante indépendance.
Ayant ainsi défini le temps par le nombre, Aristote se
pose une question restée célèbre. Il n'y a, dit-il, qu'une
puissance capable de nombrer, et c'est l'âme. L'existence
du temps dépendrait donc de celle de l'âme ? Aristote
répond affirmativement (14, 223 a, 16-29). Sans doute il ne
faut pas voir là déjà toute faite (2) une théorie idéaliste du
temps. Toutefois il est incontestable qu'Aristote, incon-
sciemment et malgré lui, fait ici un pas vers l'idéalisme. Et
cela s'explique très bien. D'une part, il ne veut pas voir
dans le temps une entité séparée, et pour autant il s'éloi-
gne d'un certain genre de réalisme, celui qui se plait à
réaliser des abstractions. D'autre part, s'il est vrai qu'il
met le temps dans un sujet conçu par lui d'une manière
réalistique, à savoir le mouvement, il n'en est pas moins
vrai que le temps est, par rapport à ce sujet, quelque chose
de plus formel et de plus actuel que la forme même du
mouvement. De ce chef, le temps se rapproche forcément
des choses de l'âme. Ce n'est d'ailleurs ici que l'aboutisse-
ment de la même tendance déjà observée par nous à pro-
pos de l'espace. Bien que, dans le temps, Aristote admette
l'intervalle en même temps que la limite, il n'y a pas de
doute que c'est la limite qui prédomine. Or, en définissant
l'espace et le temps par les limites, on tend à en faire des
relations et, qu'on le veuille ou non, cela conduit à en
faire des choses de l'âme.
(1) 11, 219 b, 1 : touto yt&p tarai a jçpôvoç, àoiSab; /.l-jcvî',!: xarà ~o
Tlf/OZipû-J Y.U.I ÛOTEOOV.
(2) Ainsi que l'observe avec raison Zeller, p. 401 sq.
DIX-SEPTIÔIE LEÇON
LA NATURE ET LE MOUVEMENT
La théorie des causes, puis celles de l'infini, de l'espace,
du vide et du temps n'étaient encore que des préliminaires
de la physique. Nous sommes maintenant en face du phé-
nomène fondamental de la physique, le phénomène du
changement, et de la cause primordiale et spécifique de ce
phénomène, la nature. Nous étudierons donc dans cette
lec"on la nature et le changement.
Ainsi que son nom l'indique, la physique a pour objet
propre la nature ; en d'autres termes, se proposant de con-
naître par les causes comme toute science, la cause à
laquelle elle veut ramener, au moins en dernière analyse,
les phénomènes qu'elle étudie, c'est la nature. Un phéno-
mène physique aura reçu son explication la plus profonde
quand on aura fait voir qu'il a sa source dans ce principe
qu'on appelle la nature Qu'est-ce donc que la nature ?Pour
le dire en gros d'abord, la nature est un princ; ne de
mouvement et de repos.
La première question qu'il faut se poser, semble-t-il,
après avoir ainsi indiqué d'une façon sommaire en quoi
consiste la nature, c'est celle de savoir si la nature existe.
Nous nous souvenons en effet qu'une science, selon Aris-
tote, commence par une définition de mots et que cette
science doit ensuite supposer ou établir d'une façon quel-
conque qu'une réalité répond à la définition proposée. La
physique paraît donc avoir pour première tâche d'établir
qu'il existe telle chose qu'une nature. Comme il n'y a pas
298 . LE SYSTÈME D ARISTOTE
de cause de mouvement sans mouvement, ni de mouvement
sans mobile, la question se diviserait en deux: y a-t-il des
choses en mouvement et, comme la cause de ce mouve-
ment, une nature ? A la première partie de la question, Aris-
tote répond en somme dans les chapitres 2 et 3 du premier
livre de la Physique, et aussi dans tous les passages où il
s'occupe des arguments de Zenon (VI, 2 et 9; YHÏ, 8). On
sait qu'il réfute Zenon avec le plus grand soin au moven
de la distinction de l'infini en acte et de l'infini en puis-
sance. Mais, au premier livre de la Physique, où il réfute
aussi la doctrine éléatique de l'immobilité, il procède plus
sommairement et il consacre plus de développement à
l'examen de la doctrine de l'unité de l'être qu'à celle de
l'immobilité. C'est que l'examen des thèses éléatiques ne
lui paraît pas relever proprement de la physique. Tout en
reconnaissant que l'étude de ces thèses a son intérêt (î ) et
qu'il peut arriver à leurs auteurs de soulever par accident
des difficultés vraiment physiques, il estime que le physi-
cien n'a pas à discuter longuement avec eux. Cela revient
à dire que le physicien n'a pas à établir les principes de la
physique. Pourtant on ne voit pas que, comme métaphy-
sicien, Aristote se soit davantage préoccupé de les établir.
La vérité est que l'existence d'êtres en mouvement lui
parait aller de soi. Il n'y a pas même besoin d'en apporter
une démonstration indirecte en réfutant ceux qui le nient.
Il existe des êtres en mouvement : l'induction, c'est-à-dire
l'expérience, le prouve de la façon la plus manifeste
(2, 185 #,12-14). — Lorsque, au IIe livre de la Physique,
Aristote arrive à la seconde partie de la question, à savoir
l'existence de la nature sous le mouvement et les mobiles,
il procède encore de la même façon. On n'a qu'à considérer
ceux des êtres qui sont dits exister par nature, des ani-
maux, des plantes, des corps simples : on constate de la
manière la plus évidente que ces êtres présentent avec les
autres une différence marquée qui est précisément de se
(i) Pliijs. ï. 2, ISS a. 20 : 1/j.i yUo '^ù.oTO'fLuv ï> ov.-'yi;. Le mot
yù.oTaoia a ici le sens de iuvesttQGtio, lout ;'i fait comme dans PoL
III, 12', 4282 b, 23 : cf. Bonitz, Ind. 820 b, 58.
LA NATURE 299
mouvoir par eux-mêmes. Et Aristote conclut qu'on ferait
preuve de faiblesse intellectuelle en demandant une
démonstration de l'existence de la nature : aveugle qui ne
la voit pas (1, I9â b, 12 et 193 a, 1-9). Sans doute il ne
faut pas oublier qu'Aristote essaie ailleurs de l'aire sentir
que, contrairement à la prétention de Démocrite, des mou-
vements toujours reçus du dehors et toujours dépourvus
de cause interne sont en réalité des mouvements sans cause
[Phys. VIII, 1 fur,. Néanmoins on peut trouver qu'il passe
un peu vite sur la réalité de la nature, c'est-à-dire sur la
condamnation du mécanisme et l'affirmation du dynamisme ;
car il ne s'agit de rien de moins. Mais, à y l)ien réfléchir, ce
n'est pas une constatation des sens qui fonde l'existence de
la nature dans le système d'Aristote; c'est tout l'esprit de
ce. système. La nature ne se constaterait pas, qu'elle n'en
serait pas moins incontestable, péripatétiquement parlant ;
car tout autre principe du mouvement est inintelligible :
c'est par elle seule que le-mouvement peut être compris.
La question de l'existence de la nature ainsi réglée, il
nous faut revenir à la notion de la nature et tâcher de
l'approfondir. Ce n'est pas tout à fait sans raison que
Zeller se plaint qu'Aristote ne nous donne pas assez d'ex-
plications lorsque nous voulons nous faire une idée précise
de la nature (1). Quoique la pensée d'Aristote reste peut-
être moins vague que celte remarque donnerait à le croire,
il est sur que Zeller signale justement plusieurs incertitudes
et obscurités. Le mot de ojc-u chez Aristote ne désigne pas
seulement le principe île mouvement qui se trouve dans
un objet concret limité, tel qu'un bloc d'airain ou une
motte de terre, et, d'autre part, i! ne désigne pas non plus
le principe moteur d'une • d'objets- En d'autres
termes il y a, ou il semble y avoir, une nature universelle
et, d'autre part, plusieurs sortes de nature. Lorsque, au
VIIIe livre de la .". i déà.), Aristote dit que le
mouvement éternel es! comme une vie (\v^ êtres qui
existent par nature (xpicet.) : lorsqu'il énonce la proposition
fameuse que Dieu et la nature ne font rien en vain [De
(I) Voir Zeller. p. 38G. en bas, à 389.
300 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
caelo, I, 1 fin) ou quand il écrit [Polit. I, o, 1254 b, 27)
que la nature veut faire des corps différents à l'homme
libre et à l'esclave, assurément ce qu'il entend par nature,
c'est une force partout répandue dans le monde, envelop-
pant tous les individus. Or la nature ainsi entendue est
évidemment un pouvoir malaisé à définir. C'est presque
une divinité ou une âme du monde, capable de toutes les
tâches parce qu'elle n'est spécialement affectée à aucune,
parce qu'elle n'est attachée à aucun être en particulier.
Cependant, si Aristote admet une àme dans chaque sphère
céleste, il est certain qu'il ne saurait admettre une âme du
monde qui circulerait de corps en corps, au lieu de résider
immuablement en un corps déterminé. Il ne faut donc pas
chercher à interpréter dans un sens panthéistique la nature
universelle d'Aristote. Il convient d'y voir surtout une
métaphore. Toutefois, si c'est peu de chose de plus qu'une
métaphore, c'est bien quelque chose de plus. Lorsqu'il
s'agit d'un animal ou d'une plante, le principe interne de
mouvement, qui d'ailleurs s'appelle exactement âme, et
non pas nature, ce principe est individualisé par le corps,
ou au moins comme le corps très déterminé où il a son
siège. Quand, au contraire, il s'agit de la nature plus pro-
prement dite, du principe de mouvement des corps inorga-
niques et par exemple des corps simples, on comprend que
ce principe devienne quelque chose d'un peu flottant. Car
une motte de terre n'a pas une individualité marquée et sa
nature est, si l'on peut dire, un morceau de celle de toute
la terre (1). D'un autre côté, le mot nature désigne collec-
tivement plusieurs espèces de principes moteurs. Lorsque,
par exemple, Aristote écrit la proposition fameuse : oj -xtoc
•Vj/Yj oûo-tç (De part. an. I, 1, 641 6, 9), ses paroles impli-
quent certainement que certaines âmes sont des moteurs
comparables à la nature, objets, comme la nature au sens
étroit, des études du physicien. C'est que peut-être bien y
a-t-il quelque chose de commun, un genre commun aux
divers principes moteurs immanents. Quoi qu'il en soit et
(1) Sur ces incertitudes de la signification du mot y-'71*' °f* Bondi,
Ind. 836 a, 48.
LÀ NATURE 301
à quelques rapprochements que nous devions être conduits
tout à l'heure, il est certain que la nature, au sens techni-
que où Aristote l'entend, n'est pas plus le principe moteur
d'un être organisé qu'elle n'est un pouvoir sans siège
défini.
Mais ce n'est pas tout que d'écarter ces incertitudes et
ces obscurités un peu extérieures. Il y a autre chose à faire,
et Aristote nous fournit d'autres précisions pour détermi-
ner l'idée de nature. « La nature, dit Aristote, est un prin-
cipe et une cause de mouvement et de repos pour la chose
en quoi elle réside immédiatement et à titre d'attribut
essentiel, et non pas accidentel, do cette chose •> (1). Un
premier éclaircissement de cette définition va résulter pour
nous d'un commentaire quasi littéral de ses divers éléments.
— Tout d'abord, comment la nature est-elle un principe
de repos en même temps que de mouvement ? La nature
n'est quelquefois qu'un principe de mouvement : il y a
en effet un élément, l'éther, qui circule sans cesse en vertu
de sa nature. Lors donc qu'Aristole écrit que la nature est
un principe de mouvement et de repos, il faut entendre :
de mouvement ou de repos. Mais peu importe. Ce qui
demande explication, c'est que le repos ait, aux yeux d'Aris-
tote, besoin d'un principe. Ce n'est pas parce qu'il consi-
dère le, repos comme un état d'équilibre entre des forces
opposées C'est pourtant parce que le repos participe en
quelque façon du mouvement. Il ne faut pas confondre en
effet le repos avec une immobilité quelconque. Ce qui n'est
pas susceptible de mouvement est immobile, mais n'est
pas eu repos. Le repos est l'immobilité de ce qui pourrait
être mû. Le repos est donc postérieur au mouvement (2).
Lu un mot il est la privation du mouvement, et, comme
toute privation, il n'est pas une pure négation, mais une
négation déterminée. C'est pourquoi le repos ne peut s'ex-
pliquer que par une certaine intervention du principe du
)
(1) PhyS. II. \, H*2 h, 20: ... oûani rr,; -vvtï'o; ùy/.'i; Ttv6;zîù CctTfof
to-j xiv(Z?9«( xeù qptftsûi h <'■> •j-v.pyji iraairruç xetô' «Oro x«i ai] /.ol-U
auftSiêm*oç, Cf. Zeller, p. 386, a. 0.
(2) Ibid. III, 2, 202 a. i ; u yùp q y.i-jr,'7i^ jr.yy/:.<., toj7-;> r, âxtvqfffa
lia. \ III, '.I. 2<>0' a, 27 : ... h 3k i-.'Xiic, if9«pfuvn xivj;7iç.
302 LE SYSTÈME DARISTOTE
mouvement. — Un second caractère de la nature, c'est
d'être un principe de mouvement pour la chose en quoi
elle réside, un principe interne ou immanent. C'est par là
que la nature se distingue de l'art. Bien que l'art accom-
plisse des œuvres que ne fait pas la nature, il n'est cepen-
dant qu'une imitation de la nature (Phi/s. II, 8, 199 a, 15
et 2, 194 «, 21), et la chose artificielle se distingue de l'être
naturel, précisément par cette infériorité qu'elle est figée et
ne tend vers aucune destinée ultérieure, qu'elle est, en
d'autres termes, privée de toute spontanéité : un manteau
ou un lit ne renferme, comme tel, aucun principe qui le
porte à changer ; si une chose artificielle tend à changer ce
n'est pas en tant qu'elle est ce qu'elle est, c'est en tant que
faite de terre, d'eau ou de quelque mixte (Phys. II, 1, 192
/>, 15-20). Un médecin qui se guérit lui-même se rapproche
de la nature en ce que le principe de son action est en lui
[ibid. 8 fin). Nous allons voir pourtant qu'il n'atteint pas
encore au degré de perfection de la nature ; mais enfin,
pour autant que le principe de son action est interne et
spontané, il est comparable à la nature. En résumé, pour
comprendre le sens et la portée du caractère d'immanence
qui appartient à la nature, il suffit de dire avec le livre À
de la Métaphysique (3, 1070 a, 7) : « l'art est principe en
une autre chose (àpyy, sv à/.Xw ), la nature est principe dans
la chose même (àp%"/| h j'.Otw) ». — Nous venons d'indi-
quer qu'il manque encore quelque chose au médecin qui
se guérit lui-même, pour être principe de son action comme
la nature l'est des mouvements qu'elle imprime à l'être
naturel. Ce qui manque au médecin qui se guérit lui-même,
c'est de posséder le principe de son action en tant qu'il
est le sujet qui subit et en qui se développe cette action.
C'est par accident que l'agent et le sujet de la guérison se
trouvent ici ne faire qu'un. La nature au contraire est
dans le mobile en tant que ce mobile est ce qu'il est, c'est-
à-dire un sujet apte à être mû, et réciproquement la nature,
de même qu'elle est exigée par le mobile auquel elle est
unie, exige ce mobile (1). — Enfin la nature est dans son
{{) Phys. I!. !. 192 h, 8§-ÎÉ6 Cf ïbëinià. paraphr. Phys. 158,
25 sqq. Spèiagel
LA .NATURE 303
sujet immédiatement, en même temps qu'essentiellement.
L'art de gouverner les navires, pourrait-on dire, n'est pas
dans le navire comme une nature, non seulement parce
qu'il n'appartient pas essentiellement an navire, mais
encore parce qu il est dans le navire grâce à un intermé-
diaire, à savoir Je pilote. Un attribut immédiat n'est pas
toujours d'ailleurs un attribut essentiel : par exemple une
vertu dans une âme, ou une couleur dans la surface d'un
corps. Mais réciproquement aussi un attribut essentiel
n'est pas toujours un attribut immédiat. Par exemple l'éga-
lité de la somme de ses angles à deux droits est un attribut
essentiel de l'isocèle; ce n'est pourtant pas un attribut
immédiat, puisqu'il n'appartient à l'isocèle que par l'inter-
médiaire du triangle (1).
Le commentaire que nous venons de donner de chacun
des termes contenus dans la définition de la nature a sûre-
ment précisé pour nous le sens de cette définition. Cependant
il nous reste encore un progrès à faire. Il s'agit, si l'ou
veut, de reprendre d'une manière moins littérale l'explica-
tion du caractère que possède la nature, d'être un attribut
essentiel de son sujet, c'est-à-dire d'être contenue dans l'es-
sence de ce sujet ou de contenir ce sujet dans son essence.
C'est autour de ce caractère en effet que tourne l'impor-
tante et laborieuse discussion dans laquelle Aristote dis-
tingue, sans séparer ces deux aspects, la nature comme
matière et la nature comme forme. C'est à peine si, de la
double conception de la nature : la nature est matière, la
nature est forme, Aristote prend la première à son compte,
même en lui attribuant un rôle aussi subordonné qu'on
voudra. Pour énoncer cette conception, il emploie les mots
BoxeÏ, ).i--i-v.: {Phys. II, 1, 19;î (7, 0 et 28), et il ne donne
expressément que deux arguments très faibles, empruntés
l'un au sophiste Antiphon, l'autre aux Physiologues en
général. enfouissez un lit, avait dit Antiphon, et, s'il résulte
de là quelque génération, ce sera du bois et non un lit qui
naîtra. Donc ce qui est la nature, c'est ce qui est le [dus
loin de la forme, c'est ce qui persiste te plus à travers le
(I) Voir Simplicittei Phy$. 267, 23-3ÎDiels.
304 LE SYSTÈME d'àRISTOÏE
changement, c'est la matière. Et les Physiologues étaient
évidemment dans la même conviction, puisque ce qu'ils
appelaient la nature de toutes choses, c'était le corps dans
lequel se résolvent les autres [ibid. 193 «, 9-28). Il est
visiblement facile d'objecter à Antiphon qu'il ne peut
mettre une forme artificielle sur le même pied qu'une
forme naturelle (ibid. 193 6,8-12) (1). Et il est évident aussi
qu'Aristote ne manque pas de bonnes raisons pour réfuter
le matérialisme des Physiologues. Mais il y a bien autre
chose à dire, du point de vue aristotélicien, en faveur de
la conception de la nature comme matière. Puisque la
nature est un principe de mouvement, il faut bien qu'elle
s'applique à un mobile. C'est même là la raison profonde
pour laquelle les objets sur lesquels porte la physique sont
des corps et des corps concrets. En effet, un mobile est
forcément quelque chose d'étendu ; cela résulte, comme
nous le comprendrons tout à l'heure, de la notion du
mouvement. De plus c'est un étendu d'une autre espèce
que les lignes, les surfaces et les volumes mathémati-
ques, précisément parce qu'on ne fait pas mouvoir des
limites sans contenu (2). Ce n'est pas tout : la nature
n'est pas seulement dans le mobile ; elle est forcément
un aspect de ce mobile. Car il n'y a point de mouve-
ment sans mobilité, et, pour que la nature soit la cause
suffisante en même temps que nécessaire du mouve-
ment, il faut que la mobilité soit en elle, qu'il y ait en
elle de la puissance, en un mot qu'elle ait, et même qu'elle
soit de la matière. — D'autre part, bien entendu, comme
Aristote se plaît à l'établir, la nature est forme. Le mou-
vement est la réalisation d'une forme, et c'est seulement
(1) Passage délicat, dans lequel il faut, à la ligne H, supprimer le
mot Té'/yti, que ïhémistius (163, 18 Sp.) et Philopon (209, 31 Yilelli)
ne commentent pas, et qui est d'ailleurs absent du teste, tel que le
i-ite Simplicius (p. 278, 30 D.). Le même commentateur a certaine-
ment lu (278, 11) les mots ôrt y-'votr' dtv... %'Ao-j (b, 10 sq.), que Prantl
met h tort entre crochets sur la seule autorité du ms E. Enfin, avec
tous les mss. saut E, il faut lire à la 1. 12 yivsrai yUo, leçon confirmée
■îpressément par Simplicius (277, 20), et non ytvsrecî ~;ï.
(2) Voir Zeller, p. 384, n. 3 et p. 385, n. 1, 2, 3.
LE CHANGEMENT 305
quand une chose est informée qu'on reconnaît qu'elle est
en possession de sa nature. L'analogie des choses arti-
ficielles peut ici être invoquée et témoigne d'une manière
frappante : un lit n'est tel que quand il a reçu la forme du
lit ; c'est cette forme qui le fait et qui l'a fait lit. De même
c'est par leur forme que la chair et l'os sont devenus ce
qu'ils sont. Le principe générateur, c'est le principe même
qui caractérise et définit, c'est la forme. C'est l'homme qui
engendre l'homme ; du moins, en tant que nature, c'est
l'homme contenu à l'état de principe actif dans la
semence {ibid. 193 a, 30 b, 12) (I). En conséquence le phy-
sicien, au lieu de s'interdire la recherche de la forme, fera
de cette recherche au contraire le principal objet de ses
spéculations (cf. par exemple Phys. II, 7). Mais, lors-
qu'Aristote a énoncé toutes ces propositions anti-maté-
rialistes et y a insisté, il est bien forcé de ne pas oublier
qu'elles ont une contre-partie. Prise en elle-même, la
forme est immobile comme le premier moteur : c'est un
principe qui meut naturellement, mais qui n'est pas natu-
rel [ibid. 7, 198 a, 35). Et en effet prendre la forme en
elle-même, c'est la séparer. Et une forme séparée ne peut
pas être une nature, puisqu'elle n'est plus immanente. —
La nature est donc bien quelque chose d'ambigu entre la
matière et la forme, et le dernier mot d'Aristote sur la
nature est bien dans les lignes suivantes du 2° chapitre du
livre II de la Physique (194 a, 12-15) : « La nature avant
donc deux sens, celui de forme et celui de matière, il faut
l'étudier de la même manière que nous chercherions l'es-
sence du camus, et, par conséquent, des objets de cette
sorte ne sont ni sans matière, ni pourtant considérés sous
leur aspect matériel (2) ».
De la nature, cause suprême des phénomènes naturels
en tant qu'on ne s'élève pas au-dessus du monde jusqu'à
l'objet do la philosophie première, passons à ces phénomè-
(1) De pari. an. I, 1, 640 l>. 28 : h yàp «atà riv fxo/jynv -fJTtS
XVOUtrifia rc; 'Ai/.rj; BVffMttÇ.
(2) lit* a, 12 : êrrît $"r, fJ7i; 6i/'o;, ro n tïioi xaî r. ukv, ■>; kv v
moi ffiuôrijro; axoiroûtcv ~i îartv, oûru Ocupvriov. cjtt' o'J~' dbrj ûXnç rdt
potaûra oïn /.«?>. -i-.j û7.ijv.
Ari-lot» 20
306 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
nés eux-mêmes, ou du moins à ce qui est leur fond com-
mun, c'est-à dire au changement.
Les Eléates avaient nié radicalement toute espèce de
changement par cette raison qu'un changement quelcon-
que serait, disaient-ils, création de ce qui n'est pas, ou
annihilation de ce qui est, et que l'être, puisqu'il est, ne
saurait ni sortir du néant, ni y tomber. La première tache
que rencontre Aristote est donc de faire voir que le chan-
gement est possible et comment il l'est. Aux Eléates, ou à
ceux de leurs imitateurs qui niaient la légitimité de l'attri-
bution, Aristote répondait en distinguant plusieurs sens
ou plusieurs aspects de l'être, en divisant l'être en plu-
sieurs genres ou catégories. C'est d'une manière tout à
fait analogue qu'il établit la possibilité du changement en
générai. Il ne fait que transporter au temps, pour ainsi
dire, la pluralité de l'être. De même que l'être a plusieurs
aspects simultanés, il a successivement plusieurs degrés
de réalité. Si les anciens avaient connu cette vérité, ils ne se
seraient pas effrayés devant la raison invoquée par Parmé-
nide pour nier le devenir. Ils auraient répondu que, sans
doute., rien ne peut provenir du non-ètre absolu ni s'y
abîmer, mais que tout peut sortir de ce non-être relatif
que sont la puissance et la matière ; car la puissance et la
matière sont du non-être sans doute, en tant qu'elles ne
sont pas la chose que le devenir doit appeler à l'acte, mais
elles ne sont pas un néant; elles sont de l'être en tant
qu'elles sont déjà quelque chose d'autre que ce qui va
naître et même en tant qu'elles sont déjà comme une pro-
messe et une ébauche de ce qui va naître [Phys. I. 8, sur-
tout le début du ch.).
Mais, ainsi présentée, en tant seulement qu'elle fournit
une solution générale au problème du devenir, la doctrine
aristotélicienne est loin de livrer tout son sens. Il s'agit de
comprendre qu'elle ne se borne pas à remplacer la néga-
tion éléatique par une affirmation quelconque du change-
ment, et que, tout au contraire, elle vise à instituer le
changement dans toute la profondeur que cette notion
possède. Pour cela, il faut voir comment la conception
aristotélicienne s'oppose aux conceptions incomplètes du
LE CHANGEMENT 307
changement, et comment, aux négations partielles que ces
conceptions impliquent, elle entreprend de substituer une
affirmation pleine et entière. La négation absolue des Éléales
n'avait été admise nulle part en dehors de leur école, mais
on avait essayé par des conceptions bâtardes d'accommo-
der le changement avec la logique de Parménide. Les
mécanistes, d'une part, et, de l'autre, quelques-uns des
Socratiques, les Mégariques notamment, avaient adopté
des conceptions de cette espèce. Selon les mécanistes.
qu'il s'agisse d'Empédocle et d Anaxagore ou bien de
Démocrite, il n'y a rien de tel que ce qu'Aristote appellera
l'altération : il n'y a, selon l'excellente formule d'Empé-
docle, que mélange et séparation d'éléments, en eux-mêmes
immuables. Et, quant au mouvement local, sa nature est
gravement atteinte, au moins dans l'Atomisme, par le fait
que les mobiles sont des indivisibles qui ne peuvent se
déplacer que tout d'une pièce. C'est précisément à bannir du
changement la continuité, à le composer de limites sans
intervalles, de xtY^fjtxxTcc comme dit Aristote, que certains
Socratiques, et notamment les Mégariques, se sont atta-
chés. La doctrine des lignes insécables chez Xénocrale
entraînait évidemment une doctrine discontinuiste du
changement et -Plaiton lui-même, le jour où il s'est mis le
plus directement en face du problème, a répondu que le
changement se faisait brusquement et sans transiliou dans
l'instant (I . Diodore Cronos ne l'ait qu'exprimer sous leur
forme achevée de pareilles tendances quand il dit que
jamais rien ne se meut et que le mouvement, à quelque
moment qu'on l'observe, se présente toujours comme quel-
que chose de passé et d'accompli (2). Les mécanistes et les
Mégariques aboutissaient les uns et les autres à rem; I
le changement par- une succession d'états discontinus.
(i) Pùrtnen. 156 '/ e : ... o èÇaûfvyi «vnij ;-r>7t:... u?-uî-j -..
n-'i.i7it4%, iv Xpovfci v'jotji oÔt«, gai il; raûrijy ai auï ï/. tc/jt/i; 70 rr
UVOVftCJQu uirc/.%u/.).£i. ïr.ï 70 î<77«vai /ai ?6 Ï77Ô; i;:t ro Mtwîo'âcsL,
.•. <'t corr. I, s, notamment
M el b, '■'■' 12, Pour la théorie -i.: ceux quïcompo-
lenl l< s mouvements avec des xonjutotraj roir Phys. VI, 1, 2M a, 6-10
Mil h. .'iO-241 a, 6
308 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
Aristote estime que c'est là une négation détournée du
changement, et, contre cette négation détournée et plus
subtile, comme contre la négation directe et brutale des
Eléates, il entreprend de rétablir le changement dans son
intégrité. Si la doctrine qu'il professe à cet égard n'est
pas nouvelle en ce sens qu'on peut dire qu'elle est déjà
dans ceux des Pr^siologues qu'on qualifie de dynamistes,
toujours est-il qu' Aristote est le premier qui ait analysé
la notion du changement et qui, avant de l'admettre,
en ait pris pleine conscience. Ce qu'il y a de plus essentiel
dans le changement aux yeux d'Aristote, ce ne sont pas
les deux contraires qui lui servent de limites, c'est l'inter-
valle de progrès qui s'étend entre ces deux limites, et cet
intervalle est, selon lui, continu. Nous devons donc repren-
dre ces deux points, c'est-à-dire considérer dans le chan-
gement l'intervalle, puis la continuité de cet intervalle.
Le changement, disons-nous, n'est pas, d'après Aristote,
une substitution d'un être ou d'un état à un autre : c'est
un passage entre les deux extrêmes. Réduit à la pure idée
d'un remplacement successif, il est clair en effet que le
changement s'évanouit. En effet, changer c'est devenir
autre ; ce n'est pas faire place à autre chose. En d'autres
termes, le changement implique unité et liaison entre les
deux limites qui le circonscrivent. Il faut, pour qu'il y ait
changement au vrai sens du mot, qu'il y ait entre l'ancien
état de choses et le nouveau une certaine communion.
Cette communion se présente à Aristote sous un double
aspect. Elle lui paraît supposer d'abord un rapport entre
les deux limites, et ensuite un sujet unique sous les termes
de ce rapport. Il faut d'abord un rapport entre les limi-
tes. En effet ces limites ne sont pas des termes quelcon-
ques : tout ne provient pas de tout. Bien loin de là :
l'être déterminé auquel le changement aboutit est l'op-
posé d'un non-être déterminé. Les deux extrêmes sont des
contraires dont l'un est une « privation » et l'autre une
« habitude » ; bref ce sont des corrélatifs et, de ce chef, il
y a entre eux une certaine communauté, la communauté
du genre (Phys. I, 5, 188 a, 31-/>, 26). Mais cette com-
munauté, en tant qu'on la ramènerait à un pur rapport,
CHANGEMENT ET MOUVEMENT 309
ne suffit pas selon Aristote. Il faut la concréter en un
sujet. D'abord, en effet, la privation n'est rien; elle a donc
besoin d'un support, de quelque chose qui existe déjà. Ce
quelque chose de positif, en un sens c'est ia puissance et,
un peu plus concrètement parlant, la matière. Car la puis-
sance d'une habitude est déjà cette habitude, puisqu'elle
n'en est pas seulement la négation et qu'elle en est, de plus,
la promesse. D'autre part, les contraires n'agissent pas
l'un sur l'autre, ces pures limites se remplacent l'une l'au-
tre : il faut quelque chose où elles se remplacent. Bien
entendu, c'est en vain qu'on voudrait convaincre Aristote
que le rapport des deux termes suffit par lui-même à
constituer le sujet demandé. Cette conception idéaliste est
étrangère à sa pensée et il donne à sa matière l'existence
d'une chose en soi. Néanmoins, comme cette réalisation de
la matière est pleine de difficultés, Aristote, en analysant
aussi profondément qu'il l'a fait le problème du change-
ment et en montrant avec raison que ce phénomène implique
une communauté entre les deux extrêmes, Aristote pour-
rait bien avoir travaillé au profit de l'idéalisme. Cette idée
de puissance, de chose incertaine et ambiguë, risque fort
de ne pouvoir subsister ailleurs que dans l'esprit (1).
Quoi qu'il en soit, le changement, s il existe, est avant
tout un intervalle, un passage, un progrès. De plus ce pro-
grès est continu. Au livre VI de la Physique-, en même
temps qu'il réfute les philosophes qui veulent composer le
mouvement avec des xw^para, Aristote établit avec insis-
tance que le mouvement est continu. Mais ce caractère de
continuité s'affirme déjà avec beaucoup de relief dans la
définition du mouvement telle qu'on la lit au ch. 1 du
livre 111 de la Physique : « Le mouvement, dit-il, est l'acte
de ce qui est en puissance en tant que cela est en puis-
(1) Sur la matière sujet du changement, voir principalement les
textes suivants : i<> La privation n'a pas d'être, Phys. I, 9, 192 a, 3-6:
tjlieïç oùv yàp ûXlflV y. eu OTëVflTiv (TC0ÔV ycniitj ftvat, x«L roOrwv to u'cj qC/.
ôv thon xarà 9-ju6e6*)xô;, «Jv 2À*V, tàv as iripr,afj xuO' u-jzr.J, xcù rr/j
tùv t'(yji x«t oJaiw ««ç, t^v G).tjv, t/,v 6ï griciQcrtv oiSuttèùç. 2o 7, 190 b,
Z'.i : un* ù)lrj}r,H yàp mcv^itv râvavrfa &£ûvecrov. 3° Le couple des con-
traires suppose un sujet, 5. 189 «, 37-32; cf. 7, 190 h, *3'*7,
310 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
sance » (1). La définition exprime d'abord excellemment
le caractère d'indétermination, de fluctuation et de demi-
réalité du changement (2). Mais pourquoi le mouvement
est-il ainsi quelque chose d'inachevé ? Sans doute c'est
parce qu'il est un passage. C'est aussi parce .que ce passage
est continu et, partant, enveloppe l'infini. L'infinité le con-
damne à être une puissance qui ne peut pas avoir d'autre
acte que de se développer comme puissance. De ce côté
encore A ris to te tend, malgré lui, vers l'idéalisme. Quelle
que soit d'ailleurs la conclusion dernière qu'il faille don-
ner à son analyse du changement, que ce phénomène com-
porte ou non une existence autre que mentale, toujours
est-il qu'Aristote en a dégagé l'essence avec une pénétra-
tion et une logique parfaites. Le changement est bien le
passage progressif et continu qu'il a dit.
Pour achever la théorie générale du changement dans
ce qu'elle. a de proprement physique, il ne nous reste plus
qu'à exposer la division de ce phénomène en ses diverses
espèces. Nous avons jusqu'ici employé comme synonymes
les mots de changement et de mouvement et c'est là une
manière de faire dont Aristote lui-même donne l'exem-
ple (3). Cependant, lorsque ces mots sont considérés dans
leur usage vraiment technique, ils n'ont plus le même
sens. Le mot de changement est un terme générique qui
comprend le changement proprement dit et les différentes
espèces de mouvement. Tandis que le mouvement se
déroule toujours entre des contraires et, par conséquent,
dans l'enceinte d'un même genre, le changement a lieu entre
des termes bien plus radicalement opposés : il a lieu entre
l'être et le néant. En d'autres termes, le changement porte
sur la production ou la destruction d'une substance. Aris-
tote l'appelle génération et corruption (^évecriç jcxl cpGov/i.
(1) 201 a, 10 : ... h roù Suvâuei 6-j-o; vj-ii.iyziu, r, roioûrov, xivr,vit
èvrvj... b, 4 : ... h ~o~j ovvaro'J, rj ^uvarov, hrvtXéyttet toe&tpov on xîvjjoï;
iawv. Cf. Zellcr, p. 351, n. 1 et' 353, n. t.
(2) Phys . III, 2, 201 b, 31 : ... h t« wv^fft; ïvéû'(ei«. tiiv n; thaï $qxù,
v-zlr,^ Se.
(3) Voir dans Zellei*, p. 352, n. 3, l'indication do divers textes où
Aristote donne à xîvvcnç le sens de u.£T«êo)>vj (p. ex. Phys. III, 1, 201 a,
9-19), ou bien emploie ces deux mots comme synonymes.
LES ESPÈCES DU MOUVEMENT 311
Puisqu'il reste, à le prendre en général, dans les limites de
l'être, et que d'autre part, considéré sous ses divers aspects,
il se déroule à l'intérieur d'un genre, le mouvement se
divise en espèces d'après la liste des catégories. Mais il n'y
a pas mouvement dans chacune des catégories. Aristote
montre en particulier qu'il n'y a pas mouvement dans la
relation, ni dans l'agir et le pàtir (Bkys. V, 2 déb.). Il n'y
a pas mouvement dans l'agir et le pàtir, parce que cela
Reviendrait à dire qu'il y a mouvement du mouvement :
ce qui, selon Aristote, est un non-sens. Pour ce qui est de
la relation, elle ne comporte pas le mouvement, parce
qu'on peut changer deux relatifs en opérant sur un seul
d'entre eux. La raison donnée par Aristote est intéressante,
puisqu'elle montre qu'il considère le mouvement comme
une propriété du mobile, évitant 4e se placer jamais à ce
que nous appelons le point de vue cinématique. Les catégo-
ries qui ne comportent pas le mouvement éliminées, il en
reste trois dans lesquelles il peut s'opérer : la qualité, la
quantité et le lieu. Le mouvement dans la quantité, c'est-à-
dire i ement et le ■'■3"-^)>
va d'une grandeur inférieure à la normale à la grandeur
normale, ou inversement. C'est dire qu'il s'applique exclu-
sivement, ou au moins le plus proprement, aux êtres orga-
nisés pour lesquels il y a une taille exigée par leur nature.
Le mouvement dans la qualité, lequel se subdivise en
autant d'espèces qu'il y a de qualités sensibles, va d'un
contraire qualitatif à un autre, par exemple du noir au
blanc, ou même du gris au blanc, ou à tout autre terme
moins extrême que le blanc. Ce mouvement s'appelle
Y altération (àX/vO'/os-.;). Le mouvement selon le lieu va en
rai d'un endroit à un autre (icéflev ton.) i Etk. Nû . X, 3,
1J74 a, 30) et, plus spécialement, d'un des contrat!
l'autre dans la catégorie du lieu : de l'arriére à l'avant, du
dmil au gauche, do haut au Itas, Aristote, qui parait inau-
gurer le mot comme tenue technique, lui donne le nom
de translation (oopi) (1). Des trois sortes de mouvements
Sur fouie cette division des mouvanonta et sur le
voir Phys. Y, { à partir de 1M 0, 33 et eh. 2.
312 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
la plus fondamentale est la translation ; car elle se retrouve
sous tous les autres mouvemeuts. Mais on se tromperait du
tout au tout, si l'on pensait qu'Aristole réduit les deux
autres mouvements à la translation. Elle ne fait que leur
servir de condition et de base, et visiblement, dans la pen-
sée d'Aristote, le plus important des mouvements est
l'altération. Cela se comprend sans peine. Car, si le mouve-
ment en général est bien pour lui ce que nous avons cru, il
est clair que c'est dans l'altération que se trouve le type par-
fait du mouvement. C'est en elle qu'on assiste le mieux à
l'actualisation progressive d'une forme qui n'était d'abord
que puissance. Les trois sortes de mouvement, et peut-
être même le changement, sont au reste susceptibles de se
distinguer tous en mouvement naturel (xctxôt yûstv) et mou-
vement forcé (jivj, fâwuoç), Le mouvement forcé est celui
qui est contraire à la nature (~aox cpy<nv). Quant au mouve-
ment naturel, c'est celui qui a son principe dans la vJ?1.;
et par conséquent c'est le mouvement primordial (1).
La génération et la corruption concernent, avons-nou3
dit, les substances elles-mêmes, ou, comme dit Aristote, le
changement va de sujet à non-sujet ou inversement. Si
Ton prenait cette déclaration au pied de la lettre, si l'on
pensait que les limites du changement proprement dit sont
vraiment deux contradictoires, il s'ensuivrait que la doc-
trine d'Aristote serait trop étroite pour en rendre compte,
et que le problème reparaîtrait qui avait effrayé ses prédé-
cesseurs : comment quelque chose peut-il naître du néant
ou s'y perdre? Mais les déclarations expresses d'Aristote
établissent qu'il n'y a jamais pour lui, bien qu'il emploie ces
expressions, de génération ni de corruption absolues (2) :
il n'y a jamais que passage d'une forme à l'autre de la
matière. Ceci, il est vrai, soulève une autre difficulté, mais
moins grave. La génération et la corruption se trouvent
(1) Phys. IV, S, 215 a, 1 : irpârov uh ovv, Sri itâvu seivïjo-iç r, {Jia f]
Aa.rU fxxriv. âvâyxvj S'âv kîo à ^Siato t, siyecc xat rijv xarà dvoiv • r, uïj yàp
(Jtaioç irapà fûaiv êariv, h Sï kv.où. tpjçvj ùtrrépa, rv;ç xarà yûsiv. Cf. V, G,
230 a, 29-31.
(2) De Gêner, et corr. I, 3; cf. 2, déb. : oïu; -.-. Si moi yevistàn;
xat fftopiç zôi «7r),ij; >îxtî'ov...
LES ESPÈCES DU MOUVEMENT 313
singulièrement rapprochées de l'altération, et il est diffi-
cile de distinguer entre le cas où une chose, pour parler
le langage des commentateurs, devient oXXolov et celui
où elle devient aXXo, c'est-à-dire une autre substance.
Le seul recours est évidemment celui que suggère Sim-
plicius (1), à savoir que la forme substantielle se com-
pose de toutes les formes partielles que peuvent pro-
duire plusieurs altérations successives ou simultanées
et que, quand les altérations sont toutes réunies, la
forme substantielle se constitue alors comme leur tout,
comme leur tout qui est à la fois elles toutes et plus
qu'elles toutes. C'est d'ailleurs à peu près exactement ce
que dit Aristote dans un passage intéressant du VIP livre
de la Physique^ passage qui nous fait aussi mieux com-
prendre comment la translation, ainsi que nous le disions
tout à l'heure, peut être à la base des autres mouvements
sans les absorber en elle. Peu de textes décèlent aussi bien
l'esprit indéfectiblement hiérarchique de la philosophie
aristotélicienne : « Il est nécessaire peut-être, dit Aristote,
que la génération se produise en conséquence de quelque
altération, par exemple en conséquence d'une raréfaction
ou d'une condensation, d'un échauffement ou d'un refroi-
dissement de la matière. Mais, malgré cela, être engendré
n'est pas être altéré, la génération n'est pas altération ».
Et, quelques lignes plus bas, Aristote ajoute que la géné-
ration est, par rapport aux mouvements qui en sont les
conditions nécessaires, comme le comble et la toiture de
tuiles, qui achèvent une maison <2 .
Telle est la partie purement physique de la théorie du
(1) Phys. i>s2. 18-29 Diels : la génération et la corruption vu x«9'
av7Ô Tov iloojc, kTzh, ù'ù.ù xarà r«Ç TO-J £(!?'/j; OLuyopù; [pour le feu p. ex.,
la chaleur, la sécheresse, le mouvement vers le haut]. pdtipopm»
ma îxclvoiv un v.Yrr.i.r.fj ffUfiaOltoirat rj cioo;, tiiirio xoù tv^o^ov/ct-ôv
STTl*/ IV ê
(2) 3| 246 n, 'i : «a)// yivtvBcu fùv ïjw: ïxccctov àvavxeclov k"a)oioj^£vo-j
Ttvo';, oîbv r$(vXV)Ç 7Tuxvou!/ivYj; o fUtvouucyqç q r)ioj.ui:jou.ïjr, ( r, rpvYOfx^v^?,
o-j pévrot -.'j. ytvôpcvei yz vJlruo'Jrc/.'., oùô' i\ vrvffft; u-jtw idîkoiwxlç £<77tv.
(t, 17 : ... ojOï to ri;; otxt'aç rtltlupa ).£'/ouev îtXkofoow [iro-ov m(ùp ù 6
SotYXÔç xsti ô xeoauo; à.)loi'oii.:, r, v Opiyy.oj\ii-jr, v.cti xîoauoOa-'vyj «)).ojov-
-■j.i iCù.U p.h 7!/iiov7ai y O'.xia)...
314 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
mouvement en général et de la cause du mouvement d'après
Aristote. Cette théorie est marquée d'un caractère dyna-
miste et vitaliste très prononcé. Nous avons même vu qu'elle
tend à devenir, malgré elle, idéaliste. C'est le résultat
naturel de l'effort qu'a fait Aristote pour aller dans toute
cette théorie au plus profond et au plus réel. Mais il s'est
trompé gravement en pensant que, pour établir dans ses
droits ce plus profond et ce plus réel, il fallait sacrifier le
mécanisme. Nulle part il ne donne à penser qu'il s'est avisé
de l'idée de Leibnitz, à savoir qu'il faut conserver le méca-
nisme et qu'il suffit de le subordonner.
DIX-HUITIÈME LEÇON
LE MOUVEMENT ET LE PREMIER MOTEUR
La $u?ix7) àxpôao-tç est destinée à exposer ce qu'il y a de
fondamental aux yeux d'Aristote dans les phénomènes
naturels et dans leurs causes. Or ce n'est pas par leurs
détails secondaires que ces phénomènes et ces causes se
rattachent à la philosophie première : c'est par ce qui con-
stitue leur fond commun. Voilà pourquoi Aristote n'attend
pas d'avoir achevé la physique pour en montrer le lien
avec la métaphysique. Avant de passer à l'étude spécifique
des divers phénomènes naturels et de leurs causes, étude
qui est l'objet du De cae/o, du De generatione et conup-
tione et de tous les traités qui suivent sur les choses, non
vivantes et vivantes, du monde sublunaire, il s'élève, dans
le dernier livre de la £>ucrtati?j ixpôouru; elle-même, non seu-
lement jusqu'au phénomène le plus haut entre les phéno-
mènes naturels, jusqu'au mouvement le plus parfait de
tous, mais encore jusqu'à la source de ce phénomène,
.-à-dire jusqu'à une cause dont l'action seule est natu-
relle, tandis que cette cause prise en elle-même ne l'est
plus (I i. Et en effet, tout en agissant dans la nature (ce qui
va de soi, car le mouvement, actualisation du nmbil
dans le mobile [Pays. IN, »i déb.J), cetic eaux- n'es! pas
dans la nature ou, autrement dit, n'est [tas une nature,
parce qu'elle est h forme en pleine possession d'elle-même,
(1) Pkys. II, 7, 196 n, '.\:> : •?'—'/.' 'h y uv^ou ai xivovtoci fuatnûç,
(uj i, êréaa où fxKTizri..,
316 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
de sorte qu'il n'y a point de matière attachée à elle et
qu'elle n'est point un principe immanent (1).
Le dernier livre de la ^ua-tx-/) axpoounç est donc déjà pres-
que une étude de métaphysique : « La connaissance de la
vérité sur ce point [c'est-à-dire non pas même encore sur
la cause suprême du mouvement, mais sur l'éternité du
mouvement et la manière dont il faut l'entendre] sera utile,
dit Aristote, non seulement pour la science de la nature,
mais encore pour l'étude dont l'objet est le premier prin-
cipe » (2). Ainsi la $vorù<7j oxpéaciç touche immédiatement à
la métaphysique. Pourtant elle n'entre pas dans le
domaine de la métaphysique proprement dite, et l'on aurait
tort de croire que le livre VIII de la Physique fait double
emploi avec le livre A de la Métaphysique. D'abord eu effet
la ^'jo-w/) àxpciao-!.;, comme nous le verrons, si elle établit
l'existence du premier principe, n'en détermine la nature
que d'une façon incomplète et même négative. Sans doute
elle nous dit bien, et surtout elle suppose constamment,
que le premier principe est forme et purement forme. Tou-
tefois ce qu'elle fait ressortir, c'est l'aspect négatif de ce
principe formel. Elle nous dit qu'il est sans étendue. Elle
ne nous dit pas que cet être inétendu, c'est l'esprit. Seul
le livre A de la Métaphysique développera cette détermi-
nation positive du premier principe. Mais il y a plus. Le
dernier livre de la Physique, et la Métaphysique diffèrent
dans la démonstration de l'existence même du premier
principe. Il s'agit sans doute dans la Métaphysique d'expli-
quer l'action des êtres naturels, c'est-à-dire le mouvement.
Cependant ce n'est là que l'objet accessoire de la Méta-
physique. Son objet principal est de rendre compte des
substances mêmes, le mouvement s'expliquant ensuite par
les âmes elles natures, formes immanentes des substances.
Le premier principe est donc proprement, dans la Métaphy-
(1) où yàp s%£i xivv;<7cm; «p^v iv «vry, ajoute Arisfote immédiate-
ment après les mots cités dans la note précédente.
(2) Phys. VIII, 5, 251 a, 5 : npô spyou yup où uovov tt(oôç tjîv irs/st
yÛTêw; Oeoapim \8ii-j t-qv à)/2$eiav, à).).à xai npô; rijv uédoiïov tt?v moi r/;ç
Ûp%i}q TVJÎ 7TO&ITU1Ç .
l'existence du premier moteur 317
signe, la cause, la raison d'être des substances et, seule-
ment d'une façon indirecte, la cause du mouvement. Ce
qui peut masquer la différence entre le point de vue de la
<î>'ja-'.xy, à/.ooao-'.çet celui de la Métaphysique-, c'est la manière
dont se présente pour Aristote l'explication des substances.
Les substances ne peuvent être créées; car, aux yeux
d" Aristote, la création n'a aucun sens. La matière est éter-
nelle, la forme l'est aussi, et à plus forte raison. Expliquer
une substance ne peut donc plus signifier qu'une chose :
c'est montrer comment telle matière prend telle forme.
Mais la matière prend une forme par le mouvement et,
quand il s'agit d'une forme substantielle, par la génération.
Le principe qui rend compte des substances n'est donc
qu'un principe moteur. Mais la démonstration de l'existence
du premier moteur a déjà été donnée par la Physique et,
par conséquent, il se trouve que, sur ce point, la Métaphy-
sique trouve la tâche toute faite. De fait le livre A ne fait
que reprendre ou résumer la démonstration de la «l'uc-.xr,
œxpoowiç. Cela n'empêche pas que c'est seulement par un
détour que les deux ouvrages arrivent en fin de compte à
coïncider en ce qui regarde la démonstration du premier
moteur.
Telle que le présente le VIIIe livre de la Physique et telle
que nous voudrions l'exposer, cette démonstration est lon-
gue et laborieuse. Peut-être ne sera-t-il pas inutile d'en
tracer d'abord le sommaire. Aristote établit en premier lieu
l'éternité du mouvement et réfute les objections qu'on y a
faites (eh. 1 et *2). 11 examine ensuite si et jusqu'à quel point
les divers êtres participent à l'immobilité et au mouvement
(ch. 3). Après ces préliminaires, la démonstration propre-
ment dite commence. Les êtres naturels eux-mêmes ont
besoin d'êjtre nuis par quelque chose (ch. 4). Entre le der-
nier mû et le premier moteur il peut y avoir des intermé-
diaires ; mais on doit aboutir à un premier moteur, que
celui-ci se meuve lui-même ou soit immobile. Mettons
qu'on aboutisse à un moteur qui se meut lui-même; un tel
moteur se décompose en un mû purement mû et un moteur
immobile. Ajoutons que l'existence d'un moteur immobile
apparaît en outre directement comme rationnelle et néces
318
LE SYSTEME D ARISTOTE
saire (ch. 5). Le premier moteur, ou les premiers moteurs,
est éternel, ou sont éternels ; s'il y a un mouvement con-
tinu et dès lors vraiment éternel, il faut au moins un moteur
(ch. 6). Quel est le mouvement dont meut le premier
moteur? C'est une translation, et la translation circulaire,
seule capable de continuité (ch. 7). Cette translation circu-
laire est infinie (ch. 8). Elle est le premier, le plus parfait
des mouvements (ch. 9). N'est-il pas possible que quelque
chose soit mû sans une action permanente et sans cesse
renouvelée du moteur, et même que le mouvement de cette
chose soit continu ?N'est.il pas possible qu'un moteur mû
meuve d'un mouvement continu ? Le premier moteur est
inétendu (ch. 10).
Reprenons un à un les divers articles de la démonstration,
et tout d'abord voyons comment Aristote établit l'éternité
du mouvement. Tous les physiciens, par cela même qu'ils
sont des physiciens, supposent le mouvement. Mais au
sujet de son éternité ils ne s'accordent pas. Ceux qui
admettent une infinité de mondes naissant et périssant à
l'infini admettent aussi l'éternité du mouvement ; ceux qui
n'admettent qu'un seul monde sans éternité, ou même plu-
sieurs mondes sans éternité, regardent en conséquence le
mouvement comme n'étant pas éternel, et alors ils pensent
ou bien, comme Anaxagore, que le mouvement a été pré-
cédé d'un repos sans durée déterminée, ou bien, comme
Empédocle, que le repos et le mouvement se succèdent par
périodes (1, déb.-25\ «, 5). Il faut reprendre la question.
Considérons le mouvement en nous attachant surtout au
mobile. En vertu de la définition du mouvement comme
actualisation du mobile, il faut, pour qu'il y ait mouvement,
qu'il y ait des mobiles. Ceux-ci sont donc soit engendrés,
soit éternels. S'ils sont engendrés, alors leur génération
constitue un changement, et même, puisque la génération
suppose le mouvement proprement dit, un mouvement
avant le soi-disant commencement du mouvement. Si les
mobiles sont éternellement préexistants, le repos est anté-
rieur au mouvement ; or c'est ce qui ne se peut, parce que
le repos n'est que la privation du mouvement. Donc, pour
produire le repos, il a fallu un premier changement, et il y
ÉTERNITÉ DY MOUVEMENT 319
a changement avant le changement (2ol a, 5-28). Atta-
chons-nous maintenant à considérer le moteur. Tout agent
est en somme capable de produire un effet ou son opposé,
suivant l'attitude réciproque de l'agent et du patient, et,
par conséquent, l'agent n'a vrai ment la puissance d'agir, et le
patient celle de pâtir, que lorsqu'ils sont en présence et dans
le voisinage l'un de l'autre. L'absence de mouvement s'ex-
plique donc parce que le patient et l'agent sont éloignés l'un
de l'autre. Par suite il faudra, pour faire commencer le
mouvement, un mouvement qui les rapproche, et ce mou-
vement sera antérieur au commencement' du mouvement
ia, 28-è, 10). — Nous venons de parler d'un commence-
ment du mouvement et d'une durée venant après ce com-
mencement. Mais il n'y a pas d'antérieur et de postérieur
sans le temps, et. d'autre part, pas de temps sans le mou-
vement, puisqu'il n'est que le nombre du mouvement. Si
donc le temps est éternel, le mouvement l'est aussi. Or
c'est à tort que Platon a contesté l'éternité du temps, que
Démocrite tenait au contraire, ajuste titre, pour évidente.
En effet il n'y a pas de temps sans l'instant : or l'instant, le
présent, est un milieu entre deux intervalles ; au commence-
ment d'un avenir, il est également le terme d'un passé.
C est-à-dire que le temps n'a pas commencé, ni, par consé-
quent, le mouvement (251 A, 10-28). — Ce qui précède
démontre que le mouvementest sans commencement. Il faut
dire aussi qu'il est sans lin. En effet, si le mû et le moteur
disparaissaient comme tels, il resterait en présence les sujets
capables d'être mus et de mouvoir, de sorte que le mouve-
ment devrait recommencer (\ \. Pour anéantir ces sujets, il
faudrait ie ;ï cette corruption ; cette cause serait
elle-même corruptible, et ainsi à l'infini, de sorte qu'il ne
Brait jamais d'y avoir du mouvement (/>, 28-"2,")*2 a, 3). —
Le mouvement est donc éternel. Anaxagnre et Empédocle
le faisaient commence; sans raison et même, selon le pre-
mier de ces philosophes, il n'y avait aucune loi de su
sion entre le règne do repos el relui du mouvement, ni
'iun o'esl paa rigoureuse, puisqi el le
nt pourraient, par ' ' n «le l'autre.
320 LE SYSTÈME bARlSTOTE
aucune proportion entre les temps occupés par le repos,
d'une part, et, de l'autre, par le mouvement. A cet arbi-
traire et à ce désordre de doctrines artificielles, qui ne
peuvent évidemment rien avoir de commun avec la nature,
puisque celle-ci n'agit jamais sans raison ni sans régularité,
la démonstration de l'éternité du mouvement met fin. Mais
l'éternité du mouvement est bien loin d'être une réponse
dernière au problème que soulève l'existence du mouve-
ment. Ce fut un tort chez Démocrite que de ramener toute
explication des choses naturelles à cette formule : cela est
ainsi, parce que cela se faisait déjà ainsi antérieurement.
Les seules vérités éternelles dont il n'y ait pas à rendre rai-
son sont les principes. Nulle autre vérité n'est dispensée
par son éternité de produire ses raisons : la somme des
angles d'un triangle est éternellement égale à deux droits ;
mais il y a dans l'essence du triangle une raison de cette
vérité éternelle. Ainsi nous avons à rechercher la cause du
mouvement éternel (2o2 a, 3 à la fin du chap.).
Avant de nous y appliquer, il convient toutefois de
répondre aux objections qu'on peut élever contre l'éternité
du mouvement. Elles sont au nombre de trois : 1° Tout
mouvement est borné par son point de départ et par son
terme; donc il n'y a point de mouvement infini, c'est-à-dire
point de mouvement éternel ; 2° si le mouvement était éter-
nel, nous ne verrions pas certains sujets, et tout d'abord des
choses inanimées, commencer de se mouvoir lorsqu'un
moteur extérieur intervient ; 3° les êtres animés présen-
tent d'une manière bien plus frappante encore ce spectacle
d'un mouvement commençant : ce qui est possible dans le
petit monde qu'est l'animal doit l'être aussi dans le monde
et, au besoin même, si l'on pouvait admettre l'existence
d'un tel être, dans l'Infini (2 déb. -2o2 b, 28). — La première
objection repose sur un fait exact, mais indûment géné-
ralisé. Il y a beaucoup de mouvements finis. Et certains
mouvements, tel par exemple celui d'une corde qui rend
pendant un certain temps le même son, ne consistent que
dans une succession de mouvements, pareils entre eux
mais différents, et ne sauraient passer pour constituer un
mouvement numériquement un. Mais cela n'empêche pas
OBJECTIONS ET RÉPONSES 321
qu'il puisse exister d'autre part un mouvement continu et
un et, dès lors, capable d'être éternel (b, 28-253 a, 2). —
De même la seconde objection ne prouve pas que le moteur
externe, qui détermine le commencement du mouvement
dans une chose inanimée, n'ait pas lui-même, ou ne sup-
pose pas, un mouvement éternel. Reste, il est vrai, à se
demander pourquoi ce mouvement éternel n'entraîne pas
dans tous les mobiles auquel il se communique un autre
mouvement éternel. Mais se poser cette question, ce
n'est plus contester qu'il puisse v avoir quelque part un
mouvement éternel : c'est se demander pourquoi certains
êtres sont susceptibles d'être toujours en mouvement,
et d'autres non, et c'est précisément le problème qui
se pose à l'entrée de la présente recherche (253 a, 2-7).
— La troisième objection est la plus spécieuse. Mais
l'opinion que les animaux se mettent en mouvement
sans aucun moteur externe est fausse. En effet le milieu
entretient sans cesse dans les corps qui font partie de la
constitution de l'animal quelque mouvement ; car tantôt
l'animal est chauffé ou refroidi, mouillé ou séché, et non
par son propre fait. Ce qui dépend de lui en effet, c'est
seulement de se mouvoir selon le lieu. Or, dans la production
même du mouvement local, l'action du milieu intervient.
Parmi les mouvements que le milieu imprime à l'animal,
il y en a qui meuvent l'intelligence et le désir, ces moteurs
du mouvement local. Qu'il en soit ainsi, nous en avons la
preuve par ce qui se passe dans le sommeil. L'animal
n'éprouve alors aucun mouvement sensitif; mais la respi-
ration, la digestion, l'imagination, le froid et le chaud
reçus du dehors, entretiennent en lui certains mouvements
qui, comme on l'explique dans le Traité du sommeil
(ch. 3 dé/).), provoquent, quand ils sont d'une certaine
nature, le réveil de l'animal et, par suite, le recommen-
cement de la sensation (253 a, 7 à la (in du chap.). —
Aristote, comme il l'annonce, retrouvera plus tard, au
cours de son développement, ces objections et ces répon-
ses. Pour le moment il passe à la question que la seconde
objection lui a fourni l'occasion de signaler : comment se,
Aristote fi
322 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
fait-il qu'il y ait pour certains êtres des intermittences de
mouvement et de repos?
Tout est éternellement immobile, ou tout est éternelle-
ment en mouvement, *ou encore certaines choses se
meuvent et d'autres sont en repos. Cette dernière hypo-
thèse se subdivise à son tour de la façon suivante : les
choses qui se meuvent éternellement, et celles qui sont en
repos, y sont éternellement ; ou bien il y a pour toutes des
alternatives de mouvement et de repos ; ou bien enfin cer-
taines choses sont éternellement immobiles, certaines
autres éternellement en mouvement, et d'autres encore,
tantôt en moiïvement et tantôt' en repos. Voilà tous les cas
qu'on peut concevoir. Le but et le terme de l'étude que
nous poursuivons seront atteints si nous établissons que,
de tous ces cas, c'est le dernier qui se présente et doit se
présenter dans la réalité (3 dê6.-2&3 a, 32). — La doc-
trine de l'immobilité universelle repose sur une erreur de
jugement, puisqu'elle veut substituer l'entendement aux
sens dans une question qui est du domaine de ceux-ci. En
supprimant tout mouvement elle supprime la nature entière,
en croyant peut-être n'en supprimer qu'une partie ; ce n'est
pas la physique seule qu'elle rend impossible, mais presque
toutes les sciences et toutes les opinions; car ces doux
manières de connaître supposent presque toujours le mou-
vement. Enfin le physicien n'est pas obligé de la réfuter ;
car la physique part de la donnée du mouvement 253 a.
32-A, 6). — Lés partisans du mouvement universel s'éloi-
gnent moins de l'esprit de la physique. Mais, selon Aristote
qui nous livre, en les réfutant, des aperçus intéressants et
de conséquence sur sa dynamique, ces penseurs se trom-
pent gravement dans le raisonnement qu'ils emploient
pour soutenir leur thèse là où elle ne peut plus s'autoriser
du témoignage des sens. D'après les partisans du mouve-
ment universel, lorsque les sens ne nous montrent plus de
mouvement, il y en a encore ; et ils raisonnent comme ceux
qui croient à la division infinie en acte du décroissement
d'une pierre sous l'action des gouttes d'eau, ou de la fente
d'une pierre par l'effet d'une racine qui se développe dans
une fissure. De ce qu'une certaine quantité de gouttes d'eau
HYPOTHÈSES SUB LE MOUVEMENT ^23
a enlevé pendant tel temps telle quantité de pierre, ils
infèrent que la moitié de cette quantité de pierre a été enle-
vée par la moitié de la quantité de gouttes d'eau. Mais il
en est ici comme dans l'action de tirer à sec un navire. On
ne saurait admettre, selon Aristote, qui évidemment ne
distingue pas entre les résistances et la masse, que, si tel
nombre d'hommes fait avancer le navire avec telle vitesse,
une partie quelconque de ce nombre d'hommes le fera avan-
cer avec une vitesse proportionnellement réduite. Il estime
que, si le nombre des hommes employés est trop faible,
aucune vitesse ne pourra être, en quelque hypothèse que
ce soit, imprimée au navire (i). II faut donc s'en tenir au
témoigna-»' des sens et ne pas chercher, sous un mouve-
ment donné, une infinité de mouvements élémentaires, ni,
par conséquent, vouloir remplacer l'immobilité, quand les
sens la constatent, par dos mouvements élémentaires
insensibles. La divisibilité des sujets qui subissent le
décroissemeUt ou l'altération n'entraîne pas la division de
ces opérations elles-mêmes. L'altération par exemple peut
avoir lieu d'un seul coup (àtilpôa ytysTa».), c'est-à-dire qu'elle
peut s'attaquer simultanément à toutes les parties d'un
sujet : telle la congélation. Cela posé, il est facile de
réfuter la doctrine du mouvement universel. Une altéra-
tion a un commencement, un milieu et un terme. On cons-
tate «les repos quant à l'altération. On en constate au>si
quant à la translation. Kt ie repos dans la translation est
même nécessaire pour tous les corps qui ont atteint leur
lieu naturel rii:} //, 6-254 '/. 3). — Puisque le mouve-
ment universel est. en lin de compte, inacceptable comme
l'immobilité universelle, devons-nous admettre qu'il va des
cho>i llemenl immobiles, d'autres éternellement en
mouvement, et qu'il n'y en a point qui passent par des
alternatives de mouvement et de repos? Cette hypothèse
est condamné! . comme les précédentes, par le témoignage
(1) ci', f'/ii/s. VII, .'». 250 '/. 15-49. — Le passage que nous analy-
sons est un peu confus, parce qu'Aristote entremôle la division d'une
fiction dans le temps avec la division d'une force el 'le ses effets en
parties, cl nous en avons Bimpliflé l'exposition.
324 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
des sens. En effet nous constatons dans certains cas qu'un
même sujet subit les changements dont nous venons de
parler dans l'énoncé de l'hypothèse, c'est-à-dire que tantôt
son repos se change en mouvement, et tantôt son mouve-
ment en repos. D'ailleurs nier la possibilité de ces alter-
natives, c'est nier aussi la possibilité de certains mouve-
ments dont l'existence nous est garantie par l'évidence
sensible, savoir la translation forcée et l'accroissement :
la translation forcée, parce que celle-ci suppose avant elle
le repos du mobile en son lieu; l'accroissement, parce que
l'accroissement résulte de la nutrition, qui implique la
translation forcée, puisque la nutrition transporte en haut
ou horizontalement des aliments, c'est-à-dire des corps
lourds dont le mouvement naturel est vers le bas. Enfin
l'hypothèse a pour conséquence immédiate de nier la géné-
ration et la corruption, puisque ces deux opérations font
précisément arriver à l'être ce qui n'était pas et passer au
non-être ce qui était. Ainsi il n'y aurait rien qui commen-
çât ou qui cessât d'être. Si l'on rétablit la génération et la
corruption, on rétablit les alternatives de mouvement et
de repos ; car tout mouvement peut s'interpréter comme
une génération ou une corruption partielles. Il est donc
clair que certaines choses tantôt se meuvent et tantôt sont
en repos (254 a, 3-15). — Reprenons une dernière fois
l'énumération de toutes les hypothèses possibles. Cela nous
permet d'ajouter, en passant, contre l'hypothèse de l'im-
mobilité universelle, que reconnaître au mouvement le
titre de phénomène imaginaire et d'objet d'une opinion
fausse, c'est avouer qu'il existe effectivement, puisque
l'imagination et l'opinion sont des mouvements (1). Nous
verrons en outre qu'il ne nous reste plus qu'une hypothèse
à examiner, à savoir que toutes les choses sans exception
passeraient par des alternatives de mouvement et de repos.
Désormais notre recherche tendra à établir que, si certai-
nes choses sont tantôt en mouvement et tantôt en repos,
ce n'est pas là le sort commun de toutes choses et qu'il y
(1) Cf. De an. III, 3, 428 b, 10 sqq. : ... h §ï ^«vrao-t'a xivqfftç nç
SoY.tl avca . , .
DÉMONSTRATION DU PREMIER MOTEUR 325
a aussi des choses toujours en mouvement et des choses
toujours en repos, ou plutôt toujours immobiles (1) (254 a,
15 à la fin du chap.).
Jusqu'ici Aristote n'a fait que poser les préliminaires de
la démonstration du premier moteur. A présent il va enta-
mer cette démonstration proprement dite. Le premier
point qu'il va établir, c'est que toute chose mue l'est par
quelque chose, c'est-à-dire qu'il faut distinguer, de quelque
façon que la distinction doive se préciser plus tard, entre
le moteur et le mû. Laissant de côté les choses mues par
accident, considérons les choses qui sont réellement le
sujet d'un mouvement. Ces choses peuvent se diviser,
d'une part, en choses mues par elles-mêmes et choses mues
par autre chose ; d'autre part, en choses mues par nature
et chosos mues d'un mouvement forcé ou contraire à la
nature. — Mais il est à la fois urgent et délicat d'établir des
rapports exacts entre ces deux classifications. Dire qu'une
chose est mue par elle-même et qu'elle est mue par nature,
cela semble ne faire qu'un, puisque la nature est un prin-
cipe interne de mouvement. A leur tour, les choses qui sont
mues par autre chose coïncident aisément avec les choses
mues contre nature, puisque le moteur qui meut un
mobile contrairement à la nature de ce mobile est, par
définition, extérieur à lui. Cependant tout ce qui est mû
par nature n'est pas mû par soi. Sans doute tout ce qui
est mû par soi (o:p' éauroG) est mû par nature. Ainsi, bien
que parfois certaines parties des animaux soient mues con-
trairement à la nature, comme lorsque des parties ter-
reuses de l'animal sont portées vers le haut au moyen
(1) n'/.i'i'i-j 'h Kxtvqra ii-vj oui, dit Thémistius, dans sa paraphrase
de la Phys. 420, 17 S[>. Il esl hautement probable que c'esl par négli-
gence qu'Arislote a écrit ici (254 h. :{) : r« i'^pstiù-j «si. Au début du
eh. (253 a, 29), il avait écrit : r« fùv ùù... Kxîvvjra itvat. Au surplus
tout l'ensemble du livre VIII nous oblige à croire qu'il s'agil dans Ba
pensée du moteur immobile, et non pas de la terre, toujours en
repos au centre du monde. Car quel intérêt majeur y aurait-il à
appeler si fortement l'attention sur elle '.' Le repos de la terre ne joue
aucun rôle dans la démonstration du principe premier du mouve-
ment. Le rôle le plus inférieur est joué par la sphère de la lune,
représentant le mû qui ne meul plus rien.
326 LE SYSTÈME DARISTOTE
d'un saut, ou lorsque des organes sont détournés de leur
position ou de leur fonction normales, les mains par
exemple étant employées à marcher, il faut dire que, dans
son tout, l'animal se meut conformément à la nature et
par nature. Mais, si tout ce qui est mû par soi est mû
par nature, la réciproque n'est pas vraie. Car être mû par
soi c'est encore bien autre chose que d'être mû par
nature. Etre mû par soi cela n'appartient qu'aux êtres
animés et implique l'égale possibilité de continuer de se
mouvoir et de s'arrêter. Or ce mouvement, qu'Aristote
aurait pu qualifier de libre pour en faire ressortir le carac-
tère distinctif, ce mouvement libre n'appartient pas aux
êtres naturels, mais inanimés. Il faut donc, en définitive,
classer les êtres quant au mouvement en êtres mus par
nature et en même temps par soi, êtres mus par mature
sans être mus par soi. susceptibles par conséquent d'être
mus en quelque façon par autre chose, et enfin êtres mus
contrairement à la nature et, dès lors, par autre chose.
C'est dans la dernière classe qu'apparaît le plus irréfraga-
blement cette vérité qu'un être mû est mû par quelque
chose. Mais la même vérité ressort encore assez bien de la
considération des êtres qui se meuvent par soi dans toute
la force du terme. Car ce qui les meut a beau être dans eux,
on n'est cependant pas tenté de le confondre avec ce qui est
mû : l'âme se présente tout de suite comme l'analogue du
matelot qui meut le navire. On ne rencontre l'obscurité et
l'incertitude que quand on arrive aux êtres mus par nature
sans être mus par soi : il est difficile de voir comment
ceux-là sont mus par quelque chose i ofé£.-25a a. 2; cf.
2ôo a, 5-11). — Le mouvement de ces êtres n'est pas un
mouvement forcé ; et cependant ou ne peut leur attribuer
le mouvement libre, ni même discerner d'aucune façon, dans
leur essence d'êtres continus et homogènes (c-uve^s? u xal
yj'j.-s'jiç), un agent qui meut et un patient qui est mû.
Toutefois il y a une solution à la difficulté. Elle est fournie
par la distinction de divers degrés dans l'acte ou dans la
puissance. Celui qui apprend et celui qui possède la science
sans se livrer présentement à la spéculation sont tous les
deux en puissance par rapporta la science. Seule la science
DÉMONSTRATION DU PHEKIER HOTEUB 327
qui s'exerce est pleinement actuelle. Pourtant celui qui
possède la science sans ajouter l'usure à l'habitude n'est
plus en puissance, par rapport à la science, dans le même
sens que celui qui apprend. Il a déjà un premier degré
d'actualité. La science est en lui, et, si rien ne l'en empê-
che, si par exemple la volonté ne l'arrête pas. cette science
passera à l'acte plein de la spéculation. En somme il y a
trois degrés dans l'échelle de la puissance et de l'acte. On
peut donc distinguer trois degrés dans l'existence d'un
corps simple. 11 y a par exemple le feu existant en puis-
sance dans l'air : il est au feu réalisé comme celui qui
apprend est à la science. Il y a ensuite le feu réalisé, à qui
il manque encore d'être dans son lieu propre : à ce cl
le feu est comparable à la science en habitude; il se rendra
en son lieu propre, si rien ne l'en empêche. Il v a enfin le
feu en train de brûler dans son lieu propre. Mais, s'il en est
ainsi, on peut dire qu'un corps naturel comporte double-
ment d'être mû par quelque chose. Le feu est mû d'abord
par l'agent qui l'actualise ; il est mù ensuite, s'il v a lieu,
par la cause qui supprime l'obstacle par lequel il était
empêché de gagner son lieu propre ; car renverser la
colonne qui soutient un corps grave ou enlever la pierre
qui maintient sous l'eau une outre gonflée, c'est bien encore
mouvoir le grave ou le léger. Et, quant au mouvement
propre du corps simple, celui par lequel ce corps, devenu
lui-même, va se placer ou son lieu, ce mouvement, qui nous
intéresse ici particulièrement, n'est que la suite de celui
par lequel l'agent initial fait apparaître, par exemple dans
le feu en puissance, c'e$t-à-dire dans l'air, la tonne ou habi-
tude du fou. Le mouvement naturel dos éléments a donc
sou moteur, et même son moteur externe. Ainsi la propo-
sition est vraie sans exception, que tout ce qui est mû est mù
par quelque chose 225 a, 2 a la tin du ehap.).
Ouelle conclusion faut-il tirer de cette proposition relati-
vement à la condition et. à la manière d'être du moteur?
C'est ce qu'il s'agit maintenant de rechercher. Que tout soit
uni par quelque chose, cela comporte deux sons. On peut
entendre, on que le nui reçoit immédiatement l'action du
moteur, ou qu'il la reçoit par l'intermédiaire d'un moteur-
328 LE SYSTÈME DARISTOTE
mû, ou de plusieurs moteurs-mus. Soit la seconde hypo-
thèse : une pierre est mue par un levier, le levier par la
main, la main par l'homme. Comme il faut que la série des
intermédiaires soit finie, on arrive à un moteur premier, ou
qui meut directement. Si celui-ci est mû par quelque
chose, il faut que ce soit par lui-même (5 déb.-2od a, 21).
Supposé que l'on renverse en quelque sorte la procédure
précédente et que, au lieu de remonter du mû au moteur, on
essaye de partir du moteur pour aboutir au mû, on voit
bien encore que l'on ne peut aboutir, si la série des inter-
médiaires n'est pas finie, qu'il est nécessaire de s'arrêter et
que, par conséquent, le moteur d'où on est parti est bien un
moteur premier (256 a, 21-/>, 3), — Un nouvel argument
ya nous conduire à la même conclusion. Supposons que
toute'chose mue le soit par un moteur-mù. De deux cho-
ses l'une : ou bien ce moteur-mù est mù par accident, ou
bien il est nécessaire qu'il soit en mouvement, encore que
son mouvement soit emprunté. Dans le premier cas. ht
supposition que le moteur-mù ne serait pas en mouvement
peut être fausse et condamnée par les faits; pourtant elle
reste possible (cf. De caelo I, 12, 281 b, 2 sqq.) ; par suite,
il serait possible aussi que le mouvement ne fût pas ; or
nous savons que le mouvement est nécessaire (256 b, 3-13 .
Dans le second cas, on se heurte à des difficultés non
moins graves. Sans doute, si le moteur-mù est nécessai-
rement en mouvement bien que son mouvement soit
emprunté, le mouvement nécessaire du monde ne reçoit
aucune atteinte. Mais quel mouvement possède le moteur-
mù? Est-ce celui qu'il communique? Ce serait concevable
si les moteurs-mus recevaient eux-mêmes le mouvement
en question d'un moteur d'un autre ordre. Mais l'hypothèse
est précisément qu'il n'y a que des moteurs-mus. Si donc
le moteur-mù est mû lui-même du mouvement qu'il com-
munique, autant dire que ce qui enseigne la géométrie
l'apprend en même temps. La forme à transmettre n'est
possédée nulle part. Dira-t-on que le moteur- mû est mù
d'un autre mouvement que celui qu'il communique ; qu'il
imprime une translation par exemple, et que lui-même,
pendant ce temps, n'est pas transporté, qu'il est altéré :
DÉMONSTRATION DU PREMIER MOTEUR 329
que le moteur-mù qui l'altère subit à son tour L'accroisse-
ment, et non l'altération? Comme les espèces de mouve-
ment sont en nombre fini et que force est bien de s'arrêter, il
y aura dans la série des moteurs-mus un moteur altéré, en
même temps que le dernier d'entre eux jouera le rôle d'al-
térant. La contradiction, un instant éloignée, reparait.
L'absurdité de la doctrine selon laquelle tout moteur est
mû se manifeste d'ailleurs plus clairement encore de la
façon suivante. Si tout ce qui est susceptible de mouvoir
est susceptible d'être mû, il faudra que, soit directement
soit indirectement, tout ce qui est capable de guérir soit
guéri, tout ce qui est capable de bâtir, bâti. Donc il est
impossible qu'il n'y ait que des moteurs-mus, c'est-à-dire
des moteurs intermédiaires. II faut qu'il v ait un moteur
immobile, ou, si le premier moteur est mû, il faut du
muins qu'il ne soit mù que par lui-même (256 //, 27-2o7
a, 271. — Accommodons-nous de la dernière hypothèse, et
voyons comment se meut un moteur qui se meut lui-même.
Tout mobile est continu et divisible ; un moteur-mû peut
donc se diviser: or, sous peine d'être mû du même mou-
vement que celui qu'il donne, il faut qu'il se divise en une
partie mue et une partie motrice. D'ailleurs, comme
moteur, il est en possession d'une forme ; il ne peut donc
pas être en même temps mobile, c'est-à-dire privé de la
Tonne dont il s'agit et seulement capable de la recevoir.
Donc il faut distinguer dans le moteur qui se meut lui-
même ce qui meut et ce qui est mù. Dira-t-on que les
parties du moteur qui se meut lui-même sont toutes mues
et motrices à la fois, parce qu'elles se meuvent réciproque-
ment? Mais alors le mouvement et la forme n'ont plus
d'où partir. D'ailleurs, si chaque partie n'a pas de soi,
mais tire de l'autre, le mouvement, alors le mouvement est
en chacune d'elles accidentel, c'est-à-dire que le mouve-
ment pourrait ne pas exister. Enfin chacune dvs parties
recevrait de l'autre le même mouvement qu'elle lui donne.
Quant à prétendre que c'est seulement une partie du
moteur qui se meut elle-même, cela n'avance à rien, puis
que cette partie devient le moteur se mouvant lui-même et
que les mêmes difficultés renaissent à son sujet. Donc le
330 LE SYSTÈME d'.VRISTOTE
moteur qui se meut lui-même ne reçoit de lui-même sou
mouvement que par accident. Il se meut lui-même en tant
que le mobile est chez lui considéré comme indistinct du
moteur. Mais en réalité il contient une partie mué et une
partie motrice immobile (257 a 27-258 a, 5). — On arrive
a la même conclusion en considérant quels éléments il faut
pour constituer une chose se mouvant elle-même. Elle peut
renfermer une partie F. susceptible d'être retranchée parce
que cette partie était purement mue. Le ^este ÀB est encore
une chose se mouvant elle-même. Si la partie A est telle
qu'on ne puisse la supprimer sans supprimer le mouve-
ment, A était donc un moteur immobile, et B, un pur
mobile. Il n'y avait point unité entre ces deux parties, elles
ne faisaient, que se toucher, ou du moins le moteur touchait
le mobile (1). Si l'on peut retrancher quelque chose de A et
de B sans empêcher le mouvement de subsister dans les
parties restantes et contigo.es d'A et de B, les tout s A et B
n'en étaient pas moins en acte, et, avant que la division
changeât la nature des fragments enlevés, les parties inté-
grantes du moteur qui se meut lui-même. D'ailleurs, si
l'on veut dire que le tout AB n'est pas immédiatement un
moteur qui se meut lui-même et qu'il n'est cela que par la
présence en lui d'une partie de A et d'une partie de B, le
moteur se mouvant soi-même, ainsi dégagé, reste toujours
composé d'un moteur immobile et d'un mù (258 a, o-l>. 4).
Il est donc évident que le moteur premier est immobile,
soit qu'on arrive directement à ce moteur immobile, soit
qu'on le dégage par analvse du moteur se mouvant lui-
même. — Cette conclusion est de nature à satisfaire la
raison. Car voici une considération particulièrement frap-
pante d'où résulte directement l'existence d'un moteur
immobile. Nous constatons l'existence de moteurs-mus et
d'un mù qui ne meut plus rien : il est donc rationnel, pour
ne pas dire nécessaire, qu'il existe un moteur immobile. Ce
que le mù purement mù est au moteur-mù, le moteur-mû
doit l'être au moteur immobile. Anaxagore a eu le senti-
'-■
fi) L'agent doit toujours toucher le patient: mais la réciproque
H' si pas vraie, De {/en. et rorr. I. (i, 3i3 a, \jÏ-o>.
DÉMONSTRATION DU PREMIER MOTEUR 331
ment de cette vérité quand il a voulu que l'esprit, qui est
chez* lui le moteur, fût impassible et sans mélange (256 (>.
13-27)1,
J- étude de la proposition que tout ce qui est mù l'est
par quelque chose nous a conduits à reconnaître que le
mouvement ne s'expliquerait pas sans un moteur immo-
bile. Mais le mouvement est éternel. 11 faut donc, pour
l'expliquer, un moteur immobile éternel. Sans doute il
peut v avoir des moteurs immobiles qui ne soient pas éter-
nels. Car ces moteurs, tout en ayant une existence bornée
dans le temps, peuvent, puisque ce sont des formes, naître
et périr autrement que par génération et corruption, c'est-
à-dire sans changement ni mouvement. Il ne s'agit donc
pas de réclamer l'éternité pour tous les moteurs immo-
biles. Mais il est impossible que tous les moteurs immo-
biles soient sujets à commencer et à finir. Car l'apparition
et ii disparition perpétuelles de ces moteurs, et aussi la per-
péluité de la génération et de la corruption des corps aux-
quels ils sont liés, doivent recevoir une explication. Or ni
l'un quelconque des moteurs immobiles transitoires, ni
leur ensemble, qui est successif et discontinu, ne peuvent
fournir l'explication requise. 11 faut, donc au moins un
moteur immobile éternel, qui enveloppe cette inimité de
moteurs immobiles transitoires. Et même, s'il y a plusieurs
mouvements éternels, il faudra autant de moteurs éternels
que de mouvements éternels. 11 en faudra, de préférence,
un nombre lini, ou un seul. Or un seul suflit, qui sera le
principe du mouvement ôv> autres. Ce moteur immobile
(l)i ni. qui a ses analogues dans la Metap/i. A,
T. h)T2 a. -i\ 26 el le De an. III. [<>, 433 b, 13-15 (cf. Zeller,
<;l n. 3), se trouve placé dans la Physique entre la première el là
seconde partie d'un argument destin '• à prouver l'existence dn moteur
se mouvanl lui-même, et, d'autre pari, la transition par laquelle le
ne peul pas êtjje considérée comme se référanl aux
mots qui précèdenl dans le lexte. On semble donc très autorisé à
Buivre l'exemple de plusieurs commentateurs, el notamment de Thé-
mistius ( i^c», 10 ; 429, ■i Sp.), <|ui, malgré l'opposition d'Alexandre,
transposent ce passage après la lin du eh 5. Cf. Simplicios, PAys.
4224, Î6 Diels {Schol. 433 6, 36).
332 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
éternel, à la différence des autres moteurs immobiles ne
sera pas même mù par accident, à la manière d'une âme
(6 déb.-m2oS) a, 13). — Une seconde preuve de l'éternité du
moteur immobile se tire de la nature même du mouvement
éternel. Nous avons établi que le mouvement est éternel.
Mais, pour être éternel, il faut qu'un mouvement soit con-
tinu ; pour être continu, il faut qu'il soit un, et non pas une
suite de plusieurs mouvements ; pour être un, il faut qu'un
mouvement porte sur un mobile unique, et, de plus, pro-
vienne d'un seul et même moteur; car un mouvement pro-
venant d'une série de moteurs qui se succèdent n'est pas
un. Dans ces conditions, l'éternité du mouvement entraine
celle d'un moteur immobile (259 r/, 13-20). — Enfin l'exis-
tence éternelle d'un moteur immobile résulte encore de la
manière d'être des autres moteurs immobiles. Ce que nous
avons entrepris de prouver, ce n'est pas qu'il y a des prin-
cipes de mouvement et de repos ; car l'existence évidente
d'êtres qui sont tantôt en mouvement et tantôt en repos
implique incontestablement l'existence de tels moteurs.
Nous voulons établir qu'il y a un moteur aussi éternel
qu'immobile et un mobile éternellement en mouvement.
Pour y arriver, nous avons montré que, toute chose mue
l'étant par quelque chose, il doit y avoir des moteurs
immobiles, ou au moins, pour commencer, des moteurs
se mouvant eux-mêmes. Or les êtres animés sont évidem-
ment des moteurs se mouvant eux-mêmes, et. par consé-
quent, c'est chez eux qu'on est tenté de chercher d'abord
les moteurs immobiles enveloppés dans l'existence des
moteurs se mouvant eux-mêmes. Mais le moteur immo-
bile des êtres animés, celui qui leur donne le mouvement
qui dépend d'eux-mêmes, lame en un mot, ne meut que du
seul mouvement local, et ce mouvement, il ne le leur donne
que pendant des durées limitées et pan accès. Si bien que
c'est même le spectacle du mouvement local des animaux
qui a suggéré l'opinion fausse que le mouvement peut
commencer absolument et de rien. Sans doute il y a bien
dans les animaux un mouvement continu et qui est la
condition profonde de leur mouvement local. Mais ce
mouvement, dû aux aliments et à d'autres agents, ne pro-
DÉMONSTRATION DU PREMIER MOTEI R 333
vient pas du moteur immobile de l'animal; il provient au
contraire du dehors. De plus le moteur immobile de l'ani-
mal, ou l'âme, est mû en quelque façon malgré son immo-
bilité. Il est mû par accident. L'âme se fait changer de
lieu accidentellement en déplaçant son corps, comme un
homme pourrait se déplacer avec un levier. Il en résulte
que l'âme, se trouvant transportée dans une certaine région
du lieu, mouvra désormais pour faire sortir le corps de
cette région et le faire passer dans une autre. En un mot
le mouvement qu'elle imprimera sera conditionné par le
lieu où elle s'est accidentellement transportée. Mais un
tel mouvement ne saurait être continu, ni, par conséquent,
éternel. Pour produire un mouvement éternel, il faut un
moteur qui reste toujours en soi-même et dans le même
lieu. C'est seulement avec un tel moteur, restant toujours
dans le même rapport à l'égard de son mobile, qu'il peut
y avoir un mouvement immortel et sans pauses. Sans
doute, si ce moteur, par l'intermédiaire de son mobile
propre, transmet son mouvement à des mobiles avant
eux-mêmes des moteurs immobiles, ces derniers moteurs
seront mus par accident. Toutefois leur condition ne sera
pas pareille à celle de l'âme, parce que le mouvement reçu
n'empêchera pas leur mouvement propre de rester ce qu'il
est, c'est-à-dire continu et éternel. On voit donc que l'âme
des animaux ne peut pas être le moteur immobile dont on
a besoin pour expliquer l'éternité du mouvement et qu'il y
faut un moteur immobile éternel (259 «, 20-/;, 31). — A ce
moteur immobile éternel doit obéir immédiatement un
mobile éternel, par l'intermédiaire duquel le reste soit mû.
En effet il \ a de la génération et de la corruption dans une
partie du monde. Or elles ne peuvent être produites direc-
tement par le moteur immobile, attendu que, étant tou-
jours le même par rapport aux choses, il ne saurait leur
imprimer qu'un mouvement unique. Le premier mobile,
au contraire, ne conserve pas toujours le même rapport
avec les choses, puisqu'il est mû. 11 peut donc mouvoir
un autre mobile d'un mouvement qui admette des chan-
gements de position dans le mobile qui est le sujet de ce
mouvement. Ce second mobile, passant par des positions
331 LE SYSTÈME d'aIUSTOTE
opposées et devenant par là le principe de formes oppo-
sées, c'est-à-dire du chaud et du froid, provoque les alter-
natives de la génération et de la corruption (239 />, 32-
260 a, 10). Le problème que nous avions posé au com-
mencement de cette discussion (ch. 3 déb.) a maintenant
reçu une solution complète. Il y a des choses éternellement
immobiles, parce qu'il faut quelque moteur premier; il y
a des choses éternellement mues parce qu'elles sont mues
par le moteur immobile ; il y a des choses tantôt mues et
tantôt immobiles, parce qu'elles sont mues par un moteur
qui est lui-même déjà mû (260 «, 11 à la fin du chap.).
Nous venons d'établir l'éternité du premier nmteur
immobile et d'indiquer qu'il donne un mouvement inva-
riable éternel à un premier mobile,. Cependant nous lais-
serons de côté cette indication et nous chercherons, en
reprenant la question pour elle-même, quel est le mouve-
ment dont meut le premier moteur. Y a-t-il un mouve-
ment continu, et, s'il y a un tel mouvement, ce mouvement
est-il le premier? S'il faut répondre affirmativement, il est
clair que ce sera de ce mouvement là que mouvra le pre-
mier moteur. — Des trois mouvements : accroissement, alté-
ration, translation, c'est celle-ci qui est première. L'accrois-
sement suppose l'altération; car l'aliment, d'abord contraire
à ce dont il est l'aliment, doit finalement lui être rendu
semblable. Mais, pour que l'agent altère, il faut rappro-
cher l'agent et le patient. Donc la translation est première.
Et si, parmi les translations, il y en a une qui soit pre-
mière, c'est celle-ci qui est le premier de tous les mouve-
ments (7 déô.-yïïQ A, 7). — En outre, de toutes les affections
qualitatives, la première est la raréfaction et la condensa-
tion ; car toutes les autres déterminations de qualité pas-
sent pour se ramener à celle-là. Or raréfaction et conden-
sation, c'est réunion et dispersion, et, par conséquent,
mouvement local. De leur côté, l'accroissement et le
décroissement sont des changements de grandeur dans le
lieu et, sous ce rapport, apparaissent d'une façon directe
comme des mouvements locaux (260 /;, 7-15). — Enfin il y a
trois sens du mot premier et l'on peut établir que la trans-
lation est, parmi les mouvements, première en ces trois
DÉMONSÏRATIOH DU PREMIER MOTEUR 335
sens. Est premier : 1° ce qui est supposé par autre chose
et ne suppose pas cette autre chose ; 2° ce qui est anté-
rieur dans le temps ; 3° ce qui a le plus de valeur ontolo-
gique. 1° C'est, nous le savons, une nécessité qu'il y ait
perpétuellement du mouvement. La nature, tendant tou-
jours au meilleur, satisfera à cette nécessité par un mou-
vement continu plutôt que par une conséeution de mouve-
ments, pourvu seulement qu'un mouvement continu soit
possible. Supposons pour le moment, sauf à donner plus
tard une démonstration, et cette possibilité, et que le mou-
vement continu ne peut être qu'une translation. Comme
aucun mouvement ne saurait se produire sans reposer sur
le mouvement continu, si le mouvement continu est une
translation, la translation sera donc première. 2° Les étre<
éternels, puisqu'ils ne naissent ni ne varient, ne peuvent
se mouvoir que du mouvement local. Il est vrai que, si
nous considérons des individus vénérables et corruptibles,
la génération apparaît comme le premier des changements :
car. avant do subir l'accroissement et l'altération, il faut
d'abord que les sujets existent, et le mouvement local
est même celui que chaque animal possède en dernier
lieu. Mais, outre qu'un individu engendré suppose avant
lui un générateur appartenant à la même espèce et que
celui-ci, animal adulte, jouissait déjà du mouvement local,
il n'est [ias possible de s'en tenir à. la considération des
sujets engendrés ; car, si le mouvement ne comportait que
de Iris sujets, le mouvement ne serait [tas éternel, ce qui
est impossible. Par conséquent, non seulement aucun des
mouvements consécutifs à la génération, accroissement,
altération, et, ajouterons-nous, mouvement local de l'indi-
vidu, enfin corruption, ne saurait être premier, mais la
génération même ne saurait être première. 'A1 Ce qui, sui-
vant l'ordre chronologique, apparaît le dernier dans le
développement des êtres engendrés est outologiquenlenl
le premier : tel est le cas >\\\ mouvemehl local. D'autre
part, ce mouvement est le seul qui n'ajoute ni n'enlève
rien à l'essence des êtres, différanl en cela de l'accroissemenl
et de l'altération. Lutin ce mouvement est celui que nous
attribuons au moteur se mouvant lui inème. c'est à-dire à
336 LE SYSTÈME d'aRISTOTK
l'âme, moteur que nous considérons volontiers comme le
premier de tous (260 b, 15-261 a, 26).
La translation est donc première. Mais puisqu'il y a
plusieurs espèces de translation, quelle espèce de transla-
tion est première? En répondant à la question, nous mon-
trerons la vérité d'une proposition que nous avons suppo-
sée, savoir qu'il peut y avoir un mouvement continu et
éternel. Aucun mouvement autre que la translation ne
peut être continu. En effet tous les mouvements et chan-
gements sont limités par des termes. Donc, avant le
commencement de chaque changement, le sujet était
immobile dans l'état ou le lieu opposés à ceux vers les-
quels tend le changement. VA il est impossible qu'il en
soit autrement ; car le sujet serait engagé à la fois dans
deux changements opposés ; et peu importe comment
on entendra ici l'opposition, pourvu qu'elle entraine l'in-
compatibilité des deux déterminations qu'on qualifie d'op-
posées. — D'ailleurs il paraîtrait absurde qu'un être lût
engendré pour périr immédiatement après, et de même,
par une généralisation conforme à l'esprit de la nature,
pour les autres mouvements (261 #, 27-fin du ch.). •
Mais, si les mouvements autres que la translation sont
incapables d'être continus, il y a, parmi les translations, un
mouvement qui, étant un et continu, peut être infini,
savoir la translation circulaire. Le mouvement local com-
porte trois sortes de trajectoires : le cercle, la droite, ou
une ligne mixte, une courbe qui participe à la fois de la
droite et du cercle (1). Si l'une des deux trajectoires sim-
ples exclut la continuité du mouvement qui la suit, de
même en sera-t-il des trajectoires composées. Or un mobile
qui suit une droite finie ne se meut pas d'un mouvement
continu, du moins au delà d'un certain temps ; car, arrivé
à une extrémité de la droite, il faut, pour se mouvoir
encore, que le mobile revienne sur lui-même, et un mou-
vement qui revient sur lui-même est l'assemblage de deux
mouvements contraires ; contraires, puisqu'ils sont définis
(1) Telle, par exemple, que l'hélice ; cf. un extrait du commentaire
de Damascius sur De caelo 1, dans Schol . 455 b, 22.
DÉMONSTRATION DU PREMIER MOTEUR 337
chacun par des déterminations contraires du lieu : haut,
bas, etc. Or nous savons déjà qu'un mouvement continu,
c'est-à-dire un, exige un mobile unique, une durée une ou
ininterrompue, et exclut tout changement dans l'espèce du
mouvement. Mais un mouvement qui revient sur lui-même
contient deux espèces de mouvement, c'est-à-dire deux
mouvements contraires. La preuve que les deux mouve-
ments en question sont bien des mouvements contraires,
c'est que deux mouvements rectilignes inverses l'un de
l'autre s'empêchent mutuellement, et la preuve que l'arrêt
du mobile résulte bien de la contrariété des deux mouve-
ments, et non de la figure de la trajectoire, c'est que tout
se passe de même sur un cercle, encore que chacun des
deux mouvements considérés soit continu, du moins dans
ses limites, et n'aitpoint eu à subir de retour sur soi. Ajou-
tons qu'un mouvement ascensionnel et un mouvement
horizontal, lorsqu'ils se rencontrent, ne s'empêchent pas.
Donc deux mouvements inverses suivant une droite sont
bien des mouvements contraires. — Maintenant, il est plus
évident encore que le mouvement qui revient sur lui-même
ne se fait pas dans un temps un. Et cela est vrai de tout
mouvement dans lequel le mobile revient sur lui-même, le
mouvement eût-il lieu sur un cercle ; car, remarquons-le,
il ne faut pas confondre le mouvement qui s'accomplit sur
un cercle, sans le parcourir complètement, avec le mouve-
ment circulaire. Un mouvement qui revient sur lui-même
ne se fait pas dans un temps un, parce qu'il y a une pause
entre les deux parties du mouvement, ainsi que le montrent
non seulement les sens, mais encore la raison. Voici la
démonstration. On peut, sur la trajectoire d'un mouve-
ment rectiligne fou de tout autre mouvement assimilable),
distinguer trois points : le point de départ, le point d'ar-
rivée et un point médian. (<e point médian est lui-même
à son tour, par rapport aux deux mouvements qu'il sépare,
à la fois terme et point de départ: il est un numériquement ;
logiquement il est deux. Ou encore, il existe comme milieu
en puissance seulement, mais non en acte : il devient milieu
en acte, si, par lui, on sépare deux mouvements de sorte
qu'il soit le terme de l'un et le commencement de l'autre.
Aristote -2
338 LE SYSTÈME DARISTOTE
S'il ne joue pas ce double rôle, on peut bien dire, en par-
lant du point médian, que le mobile y est en un certain
instant; on ne peut dire que le mobile y arrive et en
repart. Si l'on pose que le mobile arrive au point médian
et en repart, alors le mobile s'arrêtera entre les deux actions,
et il y aura entre elles un intervalle, c'est-à-dire un temps.
Et ainsi le mobile sera en repos au point médian. Si la
pensée veut assigner le point médian, elle le dédoublera
aussi, tout comme ferait un mobile, et elle fera du point
assigné un point d'arrivée et un point de départ. Comme
s'éloigner suppose qu'on est arrivé et comme arriver sup-
pose un départ futur ou un séjour futur, si l'on peut dire
que le mobile s'éloigne de son point de départ et qu'il
arrive à son terme, c'est qu'on envisage, antérieurement
au départ et postérieurement au fait de toucher le but, un
repos du mobile en chacun des deux points extrêmes. En
somme, arriver en un point et s'en éloigner, cela n'est pos-
sible pour un mobile qu'à la condition d'être en repos
pendant un temps qui sépare les deux actes. — A cette doc-
trine on fera sans doute une objection. Si les deux actes
sont séparés par un temps, il en résulte, dira-t-on, une
absurdité. En effet, soient deux lignes égales E et Z, ou,
en les désignant d'une façon plus complète, ET et ZH ;
soient deux mobiles, se mouvant d'un mouvement continu
et sans arrêt, avec des vitesses égales entre elles et con-
stantes, A sur ET et A sur ZH. Gomme on peut toujours,
sur le parcours d'un mobile, prendre un point où ce mobile
arrive et d'où il s'éloigne dans sa course, nous prendrons
un tel point sur ET, soit B. Maintenant A et A partent en
même temps de E et de Z, et, pendant que A est en B, A pour-
suit son mouvement vers H. Or, dans ces conditions,
A arrivera plus tôt en H que A en Y ; car A part et s'éloigne du
point de ZH qui correspond à B, plus tôt que A de B, puis-
que V séjourne et se repose en B. Mais il est absurde que
deux mobiles ayant des vitesses égales ne franchissent pas
dans le même temps des distances égales. Cette consé-
quence absurde résulte bien de ce ,qu'on admet un inter-
valle de temps entre arriver en un point et s'en éloigner;
c'est bien parce que A n'arrive pas en B et ne s'en éloigne
DÉMONSTRATION Dl PREMIER MOTEUR 330
pas en même temps, qu'il retarde sur A : s'il faisait ces
Jeux choses en même temps, il est clair qu'il ne retarderait
plus ; mais, dès qu'on admettra qu'il ne les fait pas en
même temps, il faudra nécessairement que A retarde, et son
retard ne saurait provenir que de ce qu'il s'arrêterait en
route, puisque, par hypothèse, il se meut sans arrêt. Ainsi,
lorsqu'on soutient qu'un mobile ne peut arriver en un point
et s'en éloigner sans un intervalle de temps, on aboutit à
cette conséquence absurde que. dans le même temps, des
mobiles doués d'égales vitesses ne parcourent pas des dis-
tances égales. — A cette objection, voici ce qu'il faut répon-
dre. Si l'on pose que -\ arrive en B et. par conséquent, qu'il
devra s'en éloigner, il en résultera la conséquence qu'on
signale. Mais il ne faut pas dire que, pendant que A pour-
suit son mouvement de 7. vers il, A arrive en 1$ pour s'en
éloigner, deux actes qu'il ne pourrait en elïet accomplir que
l'un après l'autre. Ce qu'il faut dire, c'est que A est au
point B en un instant, et non dans un temps. On n'a pas le
droit, quand on considère un mouvement continu, de par-
ler, comme on l'a fait, d'un point intermédiaire où ie mobile
arrive et d'où il s'éloigne ; car par là même on détruit la
continuité du mouvement que l'on admettait par hypo-
thèse. Et C*est dans cette prétention illégitime, non dans la
doctrine qu'il y a toujours un intervalle de temps entre les
actes d'arriver ci de s'éloigner, qu'est la source de l'absur-
dité dont on voulait rendre cette doctrine responsable. .Mais
le mouvement d'un mobile qui revient sur lui-méim
bien différent d un mouvement continu. Lorsqu'il s'agit du
premier de ces mouvements, il faut dire que le mobile arrive
au tenue d< la ligne et s'en éloigne de nouveau. Par
exemple, si un mobile II se meut de bas en haut vei> A.
puis, de là, revenant sur lui-même, se meut de haut en
bas, le mobile se comporte au point A comme si ce point
étaitdouble : c'est, pour lui. un terme et un commencement,
et, pour cette raison, il s'y arrête. On doit dire qu'il arrive
en A et s en éloigne. El il ne peu! pas faire les deux choses
en même temps ; car arriver en un point, c'est v être, et
s'en éloigner, <Vsf n'y être plus, br un mobile ne saurait
'tre à la lois et n'être pas en un même point. Nous ne
340 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
pouvons plus ici tenir le langage que nous appliquions tout à
["heure au mouvement continu. Le point culminant n'est
pas en puissance, comme un simple point de passage ; il
est en acte. L'arrivée du mobile y est donc aussi un acte et,
de même, le nouveau départ du mobile. Le point est réel-
lement double et la présence du mobile en lui occupe une
durée qui coupe le mouvement. Donc il ne peut y avoir
sur une droite de mouvement continu infini ou éternel
(8 déb.-Zm a, 3).
Ici Aristote intercale une remarque importante sur la
continuité de l'espace et du temps et sur la réponse qu'il
convient de faire, en définitive, aux arguments de Zenon.
Il est sans doute impossible de nombrer l'infini. Mais c'est
en voulant nombrer qu'on crée précisément dans le con-
tinu, qui en lui-même n'est que divisible, des divisions
effectives. Car nombrer, c'est s'arrêter et dédoubler chaque
limite pour séparer une fin et un commencement. C'est un
accident pour la ligne que d'apparaître comme composée dis-
continûment de moitiés et de moitiés de moitiés : son essence
et sa quiddité sont autres. Il en est du temps de même
que de l'espace : la limite entre le passé et l'avenir leur
est commune. Lors donc que l'on considère dans le temps
un devenir effectif, il faut toujours regarder la limite der-
nière du temps consacré à ce devenir comme appartenant
déjà au temps qui suit. Ce qui emploie tout le temps A à
devenir blanc est déjà blanc au terme de ce temps, c'est-à-
dire au commencement du temps qui suit. Si l'on remplace
cette limite commune par une distinction de parties sépa-
rées et chacune indivisible, il faudra, entre le temps A,
employé tout entier à la génération du blanc, et le temps
suivant, où la chose est blanche, insérer un nouveau temps
pendant lequel la chose passera de l'état de devenir à celui
d'immobilité. Mais il n'y a point ainsi de temps interca-
laire :' la limite du temps antérieur est déjà le commence-
ment du temps qui suit et qui est, avec le précédent, con-
tinu, et non pas contigu comme un indivisible lest avec
un autre indivisible. Et la preuve que le moment où le
devenir atteint son terme n'est pas un temps distinct du
temps précédent, mais une limite, c'est que, si l'on ajoute
DÉMONSTRATION DU PREMIER MOTEUR 341
ce moment au temps qu'a duré le devenir, cela ne l'ait pas
plus de temps (263 a, i-26i a, 6 .
Nous avons donné les raisons les plus propres, tirées de
la nature de la droite et du mouvement qui la parcourt,
pour établir qu'un mouvement rectiligne ne peut pas en se
prolongeant rester continu et, partant, infini. Voici d'autres
raisons plus logiques, tirées de la considération des diverses
espèces de mouvement prises en général. — Un mouvement
continu, à quelque moment qu'on le prenne, tend vers son
terme. Si donc le mouvement ascensionnel de A vers r et
le mouvement inverse forment un mouvement continu, le
mobile, dès qu'il part de A, va aussi vers A tout en allant
vers r : c'est-à-dire qu'il est animé à la fois de deux mouve-
ments contraires ; et, d'autre part, il s'éloigne de V avant d'y
être parvenu. Pour éviter ces impossibilités, il faut que le
mobile se repose en T; le mouvement est donc coupé par
une pause et, partant, n'est plus un. C'est là le sort com-
mun de tous les mouvements non circulaires, en y compre-
nant la translation (264û, 7-21). — L'argument suivant, dit
Aristote. est plus général encore : cela, sans doute, parce
que l'argument se fonde, non seulement sur la considéra-
tion de tous les mouvements, mais encore sur l'incompatibi-
lité, tout à fait générale, de la privation et de l'habitude.
Les mouvements inverses sur une droite sont contraires
entre eux. et des mouvements contraires ne peuvent appar-
tenir en même temps à un mobile. Donc le mobile ne reçoit
les deux mouvements inverses que l'un après l'autre.
Mais, comme ce qui ne se meut pas d'un certain mouve-
ment, étant pourtant apte à le recevoir, en est privé, et que
cette privation est, en chaque espèce de mouvement, le
repos approprié, un mobile qui revient sur lui-même es!
donc en repos au point de retour i20ï a, 21-b, 1). — Lu lin
un dernier argument, plus propre et moins logique, vise
spécialement l'altération. 1° Le moment où l'un des con-
traires a achevé de se corrompre et celui où l'autre con-
traire est présent ne font qu'un. Mais, si le mouvement
vers le blanc et le mouvement à partir du blanc forment
un seul mouvement, le moment où la corruption du non-
blanc est achevée, celui où le blanc est présent, et celui où
342 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
le non-blanc reparaît de nouveau, ne font qu'un seul
moment. 2° Si deux altérations inverses n'étaient pas sépa-
rées par un repos, leur limite médiane leur serait commune
comme un instant l'est au passé et à l'avenir dans le temps
continu : le blanc et le noir se confondraient sur cette
limite (264 b, 1-9).
A la différence des mouvements qui impliquent retour
du mobile sur lui-même, la translation circulaire est tou-
jours une et continue et, partant, infinie. En effet le
mobile se meut à partir de A et vers A d'un seul et même
élan, sans pour cela recevoir à la fois des mouvements
contraires. Car ce n'est pas tout mouvement allant vers
un point qui est contraire à tout mouvement partant de ce
point, c'est seulement une certaine espèce de tels mouve-
ments : c'est, par exemple, un mouvement rectiligne et son
inverse, tels les mouvements qui se font suivant un dia-
mètre, attendu que les deux extrémités du diamètre, étant
aussi éloignées que possible l'une de l'autre, répondent à
la définition des contraires. Le mouvement circulaire
échappe, pour sa part, à toute opposition ; il peut donc
être continu et sans lacune. Ce qui produit la discontinuité
du mouvement rectiligne, c'est que ce mouvement a ton-"
jours un terme et un commencement distincts entre eux et
actuels ; au contraire, le mouvement circulaire va d'un
point à ce même point. Il n'y a donc pas, sur son trajet,
de point où il doive arriver pour, ensuite, s'en éloigner et
où périsse sa continuité. Et, pas plus qu'il ne se com-
pose de mouvements distincts les uns des autres comme
inverses l'un de l'autre, pas plus il ne se compose d'une
répétition de mouvements. Si l'on peut dire, en effet,
que le mouvement circulaire ,va d'un point à ce même
point, on peut dire, en un sens différent, qu'il va toujours vers
un point autre, qu'il est toujours nouveau. Tout le monde
dira, au contraire, que le mouvement qui suit une droite
ou une courbe non fermée se répète et repasse plusieurs
fois par les mêmes points. Or quelle est la raison qui fait
qu'un mouvement de cette espèce repasse plusieurs fois
par les mêmes points? Pour qu'on puisse dire qu'un
mobile repasse plusieurs fois par les mêmes points ou
DÉMONSTRATION DU PREMIER MOTEUR 343
recommence plusieurs fois le même mouvement, il faut
que le lieu, et en général le domaine de son mouvement,
soit fini: car, de la sorte, chaque trajet entre les. extré-
mités constitue un mouvement distinct, puisqu'on ne peut,
identifier des mouvements contraires. Mais, quand le
mobile suit un cercle, comme sur une telle ligne le com-
mencement coïncide avec le terme (t), ou plutôt, comme
tout point peut être commencement et terme, ce qui équi-
vaut à dire qu'aucun ne l'est, il est impossible de prendre
à part un certain parcours du mobile et, par conséquent,
de dire que le mobile recommence ce parcours. D'autre
part, il résulte de la coïncidence du commencement et du
terme dans le mouvement circulaire que ce mouvement
est parfait. Tandis que tout mouvement rectiligne peut
être prolongé, le mouvement circulaire n'est pas suscep-
tible d'augmentation. La distinction entre les mouvements
comme repassant et ne repassant pas par les mêmes points
peut foire voir en outre que les mouvements autres que
le mouvement local ne sont pas moins condamnés que
les translations non circulaires à ne jamais former un
mouvement susceptible de rester continu en se pro-
longeant : altération, accroissement et décroissement.
génération et corruption, chacune de ces espèces de
changement comporte que le mobile passe itéra ti ve-
ulent par les termes intermédiaires entre les extrêmes,
ou. dans tous les cas. par les extrêmes. De tels mou-
vements, puisqu'ils se répètent, ne sauraient former un
mouvement continu infini. Les Physiolognes se soûl donc
trompés eu parlant d'un mouvement éternel des corps
sensibles : car ils entendaient par ce mouvement des alté-
rations, des accroissements et des décroissements, des
générations et des corruptions. Ainsi il est établi que la
translation circulaire! seule est un mouvement continu
infini (264 A. '.> à la lin du chap.). — Cette infinité du
mouvement, rendue possible par la continuité, implique
essentiellement, remarquons-le, qu'on ne nombre pas le
(I Idée emppantée, au moins m partie, h VIcméon : cf. Zeller
P, 490, ! : 191, I Mr. lr. 1 I i).
344 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
mouvement. Elle n'est pas contraire aux principes de
l'Aristotélisme. Mais il semble qu'on n'en puisse dire autant
de l'infinité du temps, puisque le temps est essentielle-
ment nombre. Peut-être devrait-on entendre que le temps
proprement dit est toujours fini et que c'est seulement le
temps en puissance, la possibilité de nombrer, qui, comme
sa matière nombrable, le mouvement, est infini.
Quoi qu'il en soit, nous venons de voir que la transla-
tion circulaire est infinie. Nous allons voir qu'elle est pre-
mière, et cela en raison de sa valeur ontologique. Les deux
mouvements locaux simples, le circulaire et le rectiligne,
sont antérieurs au mouvement composé de l'un et de
l'autre. A son tour, la translation circulaire a la priorité
sur la translation rectiligne. Elle est première parce qu'elle
est plus simple et plus parfaite. Elle est plus parfaite :
en effet la translation rectiligne n'est pas infinie, 1° parce
qu'il n'y a pas de droite infinie, 2° parce que l'infini ne
peut se parcourir. Etant donc finie, la translation circu-
laire, à moins de se prolonger par le retour du mobile sur
lui-même (mais cela lui ôte l'unité) est imparfaite et péris-
sable. Or le parfait et l'impérissable sont antérieurs à
l'imparfait et au périssable, à la fois ouaet, Xôytp et '/fôvco
(9 déb.-2Q5 a, 24). D'ailleurs le mouvement susceptible
d'éternité est forcément antérieur à tous les autres ; car
les mouvements qui ne sont pas éternels supposent le repos
avant eux, et le repos, privation du mouvement, c'est du
mouvement qui a péri (265 a, 24-27). — Arrivé ici, Aristote,
avant de donner de nouvelles raisons de l'antériorité de la
translation circulaire, revient sur la continuité de cette
translation et la déduit de la perfection de sa trajectoire.
Ce n'est pas sans raison qu'il arrive que la translation
circulaire est une et continue, tandis que la translation
rectiligne ne l'est pas. En effet la translation rectiligne a
des limites qui sont autant de lieux de repos pour le mobile,
et ces limites sont sur la droite elle-même. La transla-
tion circulaire est sans limite: car où serait sa limite?
Tout point du cercle est également point de départ, milieu
et terme, ce qui fait que le mobile est toujours et n'est
jamais à son point de départ et à son terme. C'est pour-
DÉMONSTRATION DI PREMIER MOTEUR 3 4S
quoi la sphère est en repos, en même temps qu'elle se
meut à un autre égard. Elle est en repos, parce qu'elle
garde le même lieu. La cause de ces propriétés de la trans-
lation circulaire et de sa trajectoire, c'est qu'elles n'ontpoint
de limites qui résident en elles. Le commencement, le
milieu, le terme du cercle, rien de tout cela n'est dans le
cercle. C'est le centre qui est tout cela : le commencement,
parce que le cercle s'éloigne toujours également du centre ;
le terme, parce que les droites les plus longues à partir du
cercle sont les rayons. Or le centre n'est pas sur la ligne
circulaire. Aussi le mobile ne peut-il atteindre ce point; il
n'a donc pas où se reposer, et, d'autre part, le mobile est
pourtant iixe parce qu'il tourne toujours autour du centre
qui ne se déplace pas (265 a, 27-^, 8). — Un nouvel argu-
ment en faveur de la priorité de la translation circulaire
se tire de ce qu'elle sert de mesure aux autres mouvements.
Elle sert de mesure ; car c'est le mouvement de la sphère
des fixes qui, en un sens, mesure le temps même, puisque
un jour et une nuit ne sont pas autre chose que la durée
d'une révolution de la sphère des fixes. Or, en tout genre,
c'est le primitif qui est la mesure du reste. Donc le mou-
vement circulaire est primitif. Réciproquement, parce qu'il
est primitif, il peut être la mesure des autres mouvements
■2C>'.') h, 8-11). — Enfin la perfection et, par conséquent, la
priorité du mouvement circulaire résultent de son unifor-
mité. En effet, sur une droite la translation n'est pas
uniforme, d'abord parce qu'un mouvement forcé se ralentit
en s'éloignunt du point de départ, et aussi parce qu'un mou-
vement naturel s'accélère à mesure que le mobile appro-
che de son lieu naturel (t). La translation circulaire ne
comportant ni éloignement d'un point de départ, ni rap-
procliement d'un point d'arrivée, est, pour celte raison,
uniforme. L'uniformité, régularité parfaite, est une mar-
que d'excellence et une raison d'antériorité (265 //, 11-16 ■
— Ajoutons que la priorité de la translation, sinon de la
(1) Seule, cette seconde raison de la non-uniformité du mouve-
ment rectiligne est donnée pan Aristote. La première esl indiquée par
Simpliciua, Phys. i'Ml, 18-21 Diels.
346 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
translation circulaire, est attestée par les Physiologues. La
Haine et l'Amitié d'Empédocle, puisque l'une sépare et que
l'autre réunit, produisent des mouvements locaux ; de
même l'Esprit dWnaxagore, qui sépare. Le mouvement des
atomes dans le vide qui s'ouvre devant eux, mouvement
qui sert de base aux autres mouvements et en constitue la
vérité, est une translation. Les raréfactions et condensations
dont parlent d'autres Physiologues sont encore des mouve-
ments locaux. Enfin ceux qui regardent l'âme comme le
principe suprême du mouvement professent encore la pri-
mauté du mouvement local ; car c'est de cette sorte de
mouvement que, dit-on, lame se meut elle-même. A ces
témoignages des Physiologues celui de la langue pourrait
se joindre. Car, lorsqu'on parle de se mouvoir, si on prend
le mot dans son sens propre, on entend par là se déplacer
selon le lieu (265 b, 17-266 a, 5). — En résumé, il a été
établi jusqu'ici que le mouvement est éternel, qu'il faut.
pour rendre compte de ce mouvement, un premier moteur,
que le premier mouvement est la translation circulaire, que
ce mouvement seul est capable d'être éternel et enfin que le
premier moteur est immobile (a, 6 à la fin du ch.).
Au point où Aristote est parvenu, il ne lui reste plus
qu'à couronner sa démonstration par le théorème impor-
tant que le premier moteur immobile est au-dessus de
l'étendue. L'établissement de ce théorème est l'objet prin-
cipal du dernier chapitre de la Physique. Toutefois ce n'en
est pas le seul objet. Ce chapitre s'occupe aussi, en l'inter-
calant entre les preuves du théorème et les conclusions qui
le rappellent, de ladiscussionde deux objections. Nous com-
mencerons par le développement consacré à ces objections.
— La première intéresse le fond même de la dynamique
d'Aristote et, d'autre part, elle amène l'auteur à indiquer la
manière dont meut le moteur immobile. Aristote ignore la
loi d'inertie ; il en ignore surtout la partie qui est liée à la
notion de masse. Le mouvement lui apparaît donc comme
incapable de subsister en dehors de l'action sans cesse
renouvelée du moteur, et, pour maintenir à une masse
libre une vitesse constante, ce moteur, aux yeux d'Aristote,
accomplit un travail et consomme de l'énergie. Aussi le
DÉMONSTRATION DU PREMIER MOTEUR 347
moteur mécanique doit-il être sans cesse attaché au mû et
Taccompauner dans tous les mouvements qu'il lui commu-
nique. Tirer, pousser, voiturer, faire tourner le mobile,
voilà tous les divers modes de la translation, et tous impli-
quent le contact ininterrompu du moteur et du mobile
entre eux {Ph>js. VII, 2, 243 a, 15-18 et 244 b, 1 sq.).
Cependant il y a dans l'expérience un cas frappant, où le
mû continue de se mouvoir après qu'il s'est séparé du
moteur : il s'agit des projectiles. Serait-il donc vrai que
le miî pût conserver du mouvement indépendamment du
moteur et qu'un moteur mécanique pût agir sans partager
tous les changements du mû? Le fait semble être celui-ci :
les projectiles se meuvent quelque temps encore et même
d'un mouvement qui, dans ses limites du moins, parait
continu, après que le moteur a cessé de les toucher. Gom-
ment expliquer le fait? On dira que le moteur, en mettant
le projectile en mouvement, a mis aussi en mouvementautre
chose qui touche le projectile, par exemple l'air. Mais, dès
que le moteur a'agit plus sur l'air, l'air et le projectile
devraient s'arrêter. Il faut dire plutôt que le moteur com-
munique de proche en proche, à l'air par exemple, non pas
seulement du mouvement, mais de la force pour mouvoir :
c'est ainsi que l'aimant donne à une série de morceaux de
fer la puissance d'attirer. La force motrice transmise par
le moteur vient résider dans l'air ou dans l'eau et elle v
persiste quelque temps. Toutefois cette force s'atténue à
mesure qu'on s'éloigne du moteur, et enfin le mouvement
du projectile cesse, parce qu'un moment arrive où le der-
nier des intermédiaires n'a plus que du mouvement sans
réserve de force et, en ce sens, n'est plus qu'un nui non-
moteur. Il est nécessaire d'admettre cette délégation de la
force : '■■<w il esi impossible d'expliquer le mouvement d'un
projectile par l'àvutirspiaroanç. Sans doute; dans un tel mou-
vement, les parties du milieu déplacé passent bien de
l'avantà l'arrière du mû. Seulement il v a la un effet simul-
tané avec le mouvement du projectile, et non une cause
de mouvement (1). Ainsi la continuation du mouvement
I) Le p.lN^H.'C dlÔ SV «*(&{... '.">7T£ /.'Al. ~V.'jil')VX, L>!w (I , II) t'.». qur
348 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
d'un projectile s'explique par une délégation de force à des
moteurs qui meuvent eux-mêmes par contact ; de sorte
que le mouvement du projectile perd son apparence
paradoxale. Quant à la continuité de ce mouvement, ce
n'est aussi qu'une apparence. Car il est imprimé, non
par un moteur unique, puisque le moteur primitif a cessé
de toucher le mû, mais par une série de moteurs. Ce
n'est donc pas dans la translation des projectiles qu'il
faut chercher un mouvement continu. Cependant il est
nécessaire qu'il y en ait un dans le monde. Or un tel
mouvement suppose comme mobile un objet étendu uni-
que et, d'autre part, un moteur unique. Si ce moteur était
mû, il serait déjà un premier mobile, et, de plus, il faudrait
qu'il fût mû par quelque chose, et ainsi il ne serait pas pre-
mier moteur. Comme il faut s'arrêter, le moteur du mou-
vement continu est nécessairement immobile. Exempt de
toute participation au mouvement du mû, il meut sans
peine et, dès lors, il peut mouvoir éternellement. Par une
nouvelle conséquence de l'immobilité du premier moteur,
le mouvement qu'il donne est seul uniforme ou, au moins,
le plus uniforme de tous. Il est vrai qu'il faut aussi que la
situation du mobile relativement au moteur ne change pas
parle fait du mobile. Pour satisfaire à cette condition, le
moteur doit siéger au centre, ou sur la périphérie du
mobile; car c'est le centre, ou la périphérie, qui commande
la figure géométrique du mobile. Comme la périphérie se
meut plus vite que les parties voisines du centre, puisque,
dans le même temps, un point de la périphérie décrit une
plus grande trajectoire; comme ce sont les parties les plus
proches du moteur qui doivent se mouvoir le plus vite,
c'est donc sur la périphérie que le moteur réside, èxsî apa
to x'.vq'jv (10 déb.-2Ql b, 9). — La seconde objection dont
s'occupe Aristote est d'un moindre intérêt ou, dans tous les
cas, d'une moindre difficulté. Ne serait-il pas possible
qu'un moteur-mû donnât aussi bien qu'un moteur immo-
bile un mouvement continu? Supposons que le moteur-
nous insérons dans le développement un peu plus tôt que ne fait
Aristote, doit dans tous les cas être considéré comme une parenthèse.
DÉMONSTRATION DU PREMIER MOTEUR 349
mû meuve par lui-même, et non par une série d'intermé-
diaires, comme nous avons vu tout à l'heure qu'il arrive
dans le cas des projectiles. Même dans cette hypothèse, on
ne parviendra pas à obtenir la continuité du mouvement ;
on en restera toujours à une série de mouvements consé-
cutifs ; car, le moteur-mû étant divisible comme l'eau et
l'air, il ne constituera jamais un moteur unique : au fond,
on n'aura avec lui qu'une suite de moteurs. Seul, un moteur
immobile peut mouvoir d'un mouvement continu, parce
que, seul, il peut être vraiment unique (267 b, 9-17).
Il peut être vraiment unique, parce qu'il est inétendu.
Nous voilà au théorème qui est l'objet principal du chapi-
tre. Le moteur immobile meut d'un mouvement éternel,
c'est-à-dire infini dans le temps. Si ce moteur a de l'éten-
due, il faut que ce soit une étendue finie ou une étendue
infinie. Infinie, cela ne se peut, parce qu'il n'y a pas d'éten-
due infinie, comme on l'a démontré auparavant dans la
première partie de la Physique (III, 5). L'étendue du
moteur immobile sera-t-elle donc finie? Non, car une éten-
due finie ne comporte pas une force infinie, et il est impos-
sible qu'une force finie meuve pendant un temps infini
(267 b 19 à la fin du chap.). Pour arriver à sa conclusion
finale, que le moteur immobile est inétendu, Aristote va
donc démontrer successivement : 1° que nulle force finie
ne peut mouvoir pendant un temps infini ; 2° que dans une
étendue finie réside une force finie ; 3° qu'une étendue infi-
nie serait forcément le siège d'une force infinie. — Aris-
tide, démontre cette dernière proposition plutôt que sa
réciproque, parce que, dans ses trois arguments, il ne con-
sidère jamais, comme il importe de le faire remarquer, que
des forces attachées à l'étendue. Et en effet, s'il considé-
rait des forces sans sujet étendu, il ne pourrait évidemment
pas dire, comme nous allons le voir faire tout à l'heure,
qu'une force infinie mouvrait dans un temps nul, c'est-à-
dire hors du temps, c'est-à-dire encore ne mouvrait pas,
puisque tout mouvement est dans le temps (1). La Force
infinie qu'est eu fait le premier moteur meut réellement:
(1) /'/it/s. VI, 4, 235 a. Il : ... iizuva xivu<xn u /jow . . .
350 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
elle agit naturellement, bien que surnaturelle ; or elle meut
pendant un temps infini. Telle est la thèse d'Aristote. Donc
c'est seulement une force inhérente à l'étendue, qui ne peut
être infinie sans mouvoir avec une vitesse infinie. C'est
sans doute que la vraie force infinie n'est pas composée de
parties. Et le fait est que, en elle-même, aux yeux d'Aris-
tote, la force n'est pas divisible : nous avons vu qu'un effet,
dynamique en tant que dynamique, ne se décompose pas
en parties, ni sa cause nou plus. Ainsi c'est seulement dans
l'hypothèse où la force serait fonction de l'étendue qu'on
pourrait la diviser, et c'est dans cette hypothèse qu'Aristote
argumente au passage qui nous occupe. Au reste, il ne
soupçonne pas sans doute combien le lien entre l'étendue
et l'énergie est extensible, en raison de ce que l'on peut
diminuer autant qu'on veut l'élément masse au profit de
l'élément vitesse. Il est vrai qu'Aristote pourrait toujours
soutenir que c'est seulement à un point de vue mathéma-
tique et abstrait que le rapport entre l'énergie et retendue
où elle réside est inassignable. — Etant donc bien entendu
qu'il s'agit de forces toujours fonctions de l'étendue, voici
le premier argument d'Aristote : nulle force finie ne peut
mouvoir pendant un temps infini. Supposons qu'un
moteur A meuve un mobile B pendant un temps infini I\
Prenons une partie A du moteur À; elle mouvra une par-
tie E du mobile B pendant un temps Z qui sera fini, car il
est impossible d'admettre qu'une force moindre mouvra
autant de temps qu'une force infinie (1). Mais, en ajoutant
les parties A et E à elles-mêmes, je reconstituerai les touts
finis A et B, et jamais, au contraire, le temps infini Y. Donc
une force finie ne meut que pendant un temps fini. — Le
second point à démontrer, c'est qu'une étendue finie ne
peut contenir une force infinie. Posons d'abord qu'une force
plus grande produit dans le même temps plus d'effet qu'une
moindre, qu'il s'agisse d'une altération, du lancement d'un
projectile etc., et qu'une force infinie produit plus d'effet
(I) Même si, comme en l'espèce, on essaie de compenser la dimi-
nution de la force par celle du mobile; car il faudrait que la dimi-
nution du mobile allât jusqu'à l'infini.
DÉMONSTRATION DU PREMIEB MOTEUR 3ol
dans le même temps qu'une foire finie quelconque. Posons
ensuite que le temps employé par une force infinie pour
produire un mouvement ne peut être qu'un temps assigna-
ble, attendu qu'il n'y a point de mouvement hors du temps.
Cela posé, soient A le temps qu'exige une force infinie
pour accomplir son effet, et AB le temps plus long- qu'exige
une force linie pour accomplir le sien. En ajoutant cette
force à elle-même, on constituera une force d'une inten-
sité suffisante pour accomplir le même effet que la force
infinie, et dans le même temps A. Comme cola est absurde,
il est donc impossible qu'aucune étendue finie possède
une force infinie. — En troisième et dernier lieu, Aristote
démontre que. s'il y avait une étendue infinie, elle possé-
derait une force infinie. 11 remarque d'abord qu'une force
plus grande peut résider dans une étendue moindre que
celle qui sert de base à une force plus petite. Ajoutons
qu'il sous-entend, pour simplifier, que les forces dont il
parle sont également distribuées entre tous les points de
leurs sujets étendus. Ces conditions établies, la démonstra-
tion est double. 1° Soit une étendue infinie AH, dont la
partie HT possède une force qui, pour mouvoir A, exige un
temps EZ. Admettons qu'une force double exige moitié
moins de temps pour produire le même effet qu'une force
égale à l'unité. La force possédée par le double de I5T mou-
vra A dans un temps Z0, moitié de EZ. Et ainsi de suite.
Mais jamais je n'épuiserai l'étendue AB, et, d'autre part,
le temps exige pour la production de l'effet diminuera sans
terme d'une façon inversement proportionnelle à l'accrois-
sement de la force. Donc la force inhérente à AB est plus
grande qu'une force finie quelconque, et, de plus, exige
pour produire l'effet un temps moindre que ne ferait une
force finie quelconque, c'est-à-dire que, pour celle double
raison, la force inhérente à AB est infinie. 2° Plus simple*
nient, si la force inhérente à une étendue infinie étail finie,
en prenant une force de même espèce, c'est-à-dire altérante,
ou locomotrice, etc . on mesurerait cette force, autrement
dit on ('épuiserait. .Mais cela esl absurde : il faut que la
force eu question soit infinie, puisqu'il est impossible
d'épuiser une étendue infinie el que la force réside partout
352 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
dans cette étendue. Ainsi une force infinie ne saurait
être attachée à une étendue. Donc, de même qu'il est
immobile, le premier moteur est inétendu. C'est là le der-
nier mot de la Physique, et il nous fait décidément sortir
du domaine de la nature.
DIX-NEUVIÈME LEÇON
LE MONDE
Après avoir achevé la théorie générale du mouvement et
de ses causes prochaines, après avoir rattaché cette théorie
à la philosophie première, Aristote passe à l'étude détail-
lée des êtres naturels. Cette étude se divise en trois parties :
l'étude du ciel, qui vient d'abord, est suivie de celle des
êtres générables et corruptibles. Mais celle-ci comporte
deux subdivisions : l'une est consacrée aux choses qui ne
vivent pas, l'autre a pour objet les vivants. L'étude des
êtres vivants commence par celle de l'àme, et c'est seule-
ment après le Nepl 'Vj/t,; que viennent les traités de biolo-
gie proprement dite. A cette différence près qu'Aristote
donne place dans ce livre à des recherches plus spécialisées
que celles dont se compose sa théorie générale du mouve-
ment, le n. tyuyfiS joue dans l'étude des êtres vivants un
rôle parfaitement analogue à celui de la Œ'jo-ixt) àxpéowrt;
dans l'étude des êtres naturels en général. 11 s'agit en effet,
dans le II. 'J^y/n;, d'indiquer les principes des activités vita-
les de chaque degré, et, par le moyen d'une activité supé-
rieure qui s'ajoute aux autres activités vitales comme leur
couronnement, de rattacher la théorie des êtres vivants ù
la métaphysique. Car, de même qu'il y a une cause motrice
qui, tout en produisant des effets naturels, n'est plus natu-
relle, de mêm6 il y a une âme qui n'appartient plus ;'i la
nature. Pour suivre exactement le plan d'Aristote, nous
devrions donc exposer la théorie de l'âme avant de nous
occuper de la biologie. Toutefois il n'y aura sans douto nul
Aristote 23
354 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
inconvénient, après avoir reconnu ce qu'il y a d'artificiel
dans cette manière de procéder, à réunir l'étude des êtres
vivants avec celle des êtres inorganiques, pour passer
ensuite seulement à l'étude de l'âme. Aussi bien sommes-
nous obligés de nous contenter d'indications rapides relati-
vement aux vues d'Aristote sur ces deux classes d'êtres,
de même d'ailleurs qu'en ce qui concerne la théorie du
ciel.
Aristote divise le monde en deux régions d'inégale éten-
due et d'inégale excellence. Sur la terre et autour de la
terre se passent la génération et la corruption. C'est là
l'endroit qu'on a appelé, après Aristote, le monde sublu-
naire et que lui-même désigne par les mots xàTG> o-eX^vy.ç
[Meteor. I, 4, fin). Au-dessus de la. lune, àvw xal y-é/p'.
o-eXr^v/js (ibid. 3, 340 h, 6), s'étend une région immensément
plus vaste, où les phénomènes présentent une tout autre
régularité et où les vicissitudes de la génération et de la
corruption n'existent pas (1). Nous nous occuperons d'abord
de ce monde sidéral.
Le premier point qui doive appeler l'attention est celui
de savoir quelle est la nature substantielle des êtres de ce-
monde supra-lunaire. La question est d'ailleurs pour Aris-
tote autrement compliquée qu'elle ne lestpourun moderne.
En effet les substances sensibles éternelles ne sont pas
seulement des corps : ce sont des êtres animés. Nous avons
donc à nous demander, d'une part, quel est le corps dont
ces substances sont faites, et ce qu'il faut penser de l'âme
qui les informe. — Pour déterminer l'essence du corps dont
les astres sont faits et même, plus généralement, pour
déterminer l'essence des éléments dont toutes choses sont
faites, Aristote, dans les chapitres 2 et 3 du livre I du
De caelo, procède d'une manière entièrement déductive. La
nature, dit-il, est un principe interne de mouvement, et
tous les corps naturels sont mobiles. D'autre part, il ne
peut manquer d'y avoir correspondance entre les mouve-
ments simples et les corps simples : un corps simple doit
se mouvoir d'un mouvement simple et, inversement, un
(4) Voir Zeller, p. 460 et n. 2, où des textes sont cités.
LE MONDE SIDÉRAL 355
mouvement simple requiert un corps simple. On peut
donc partir de la considération des mouvements pour
déterminer le nombre et l'essence des corps simples. Or
il n'y a que deux sortes de mouvements simples : le circu-
laire et le rectiligne. Comme le mouvement circulaire est
le plus parfait des mouvements, il doit donc servir à défi-
nir le plus parfait des corps simples. Par conséquent, les
astres sont faits d'un élément que sa nature meut du mou-
vement circulaire (1). Cet élément, dont le mouvement, en
même temps que circulaire, est éternel, s'appelle l'étheri 2).
De même que la translation circulaire n'admet en elle aucune
contrariété, de mêmeFéther n'a pasde contraire. Déjà exempt
de génération et de corruption parce qu'il doit être le sujet
d'un mouvement éternel, il l'est encore comme n'ayant
pas de contraire ; car la génération suppose, au moins par
l'altération quelle implique, le passage d'un contraire à
l'autre. Toujours au même titre, l'éther est non seulement
inaltérable, mais aussi soustrait à l'accroissement et au
décroissement [ibiâ. 270 a, 13). Bref l'éther n'admet pas
d'autre changement ni mouvement que la translation cir-
culaire, à laquelle il est destiné à servir de sujet adéquat.
C'est pourquoi il mérite d'être appelé divin (3). — Cela,
bien entendu, ne signifie nullement que l'éther soit en lui-
même autre chose qu'un corps et qu'il recèle des puissances
supérieures à celles qui peuvent appartenir à un corps.
Nous venons de voir qu'il a une nature. Plus parfaite que
celle des autres éléments, cette nature est pourtant du
même ordre, et elle n'est pas motrice à un autre titre que
les natures des corps graves et des corps légers. Mais
l'éther n'est que la matière des êtres sidéraux. Nous som-
(1) De caelo I, 2, 269 a, 5 : • .. èaueyxeùov cvjxL ri èrûjftcc ôurAoûv ô
irifuxt fipeaBoti r^v xûxXu xivwtv zarà -r,j tauroù [awTOÛ Prantl] vOviv.
Voir ibid. 268 b, 13-19, 26-269 a, 9 ; 269 6, 2-6 3, 2TQ b, 26, jusqu'à
lu fin ilu chap.
(2) Kib-iip, doul l'érymologie serait, d'après Arisioie, i«i 0«v (courir
toujours) ei non pas *ï6«* (brûler), car l'éther n'i rien de commun
avec le feu : cf. ibid. 3. 270 a. 4-25, Voir Zeller, p. 437, n. 5 et 6.
(3) Meleor. I, 3, 33!) b, 25 : rô yàp v.ïi s<ûfM 8«w duo. Otïo-j n rêjn
Y'TVJ . . .
356 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
mes portés à considérer les astres comme des points géo-
métriques. C'est une erreur : ce sont des êtres animés qui
ont une vie, Çor/j, et même une activité pratique, tcôô!^ (De
caelo II, 12, 292 a, 18), et tellement même qu'il faut les con-
sidérer comme des êtres beaucoup plus divins que l'homme
(Elh. Nie. VI, 7, 1141 a, 34). Aussi le ciel, animé et doué
comme tel d'un principe de mouvement, jouit-il éternelle-
ment de la vie la plus excellente et la mieux faite pour se
suffire à elle-même (1). Il n'est donc pas douteux qu'il y
ait dans le monde sidéral pour informer l'éther, simple
corps comme les autres éléments, des âmes et même des
âmes très parfaites. — Toutefois, quand nous voulons aller
au delà de ces indications générales, nous rencontrons chez
Aristote un assez grand nombre d'obscurités et d'incerti-
tudes. On sait que les astres, selon Aristote, sont attachés
à des sphères, et que ces sphères sont corporelles (2). Mais
Aristote ne nous dit pas si l'âme appartient à l'astre ou à la
sphère, ou si chacune des deux choses a une âme. Comme
l'astre est fixé sur la sphère et que c'est celle-ci seule qui
se meut, comme d'ailleurs Aristote dit positivement,
nous venons de le voir, que le ciel est animé, il est hors
de doute que la sphère a une âme. Peut-être l'astre n'en
a-t-il pas d'autre et participe- t-il seulement à celle-là,
comme l'œil par exemple participe à l'âme sensitive de
l'homme. — Mais, cette première difficulté écartée, il s'en
présente aussitôt une seconde qui est plus grave et dont
l'examen nous fait passer de la question de la substance
des êtres sidéraux à celle de leur mouvement. Le corps
de l'astre et de la sphère est fait d'éther, et l'éther a une
nature. Quels sont donc respectivement le rôle de la nature
de l'éther et celui de chaque âme sidérale dans le mouve-
ment d'une sphère ? Lorsqu'il s'agit d'un animal terrestre,
son âme le meut autrement que ne feraient les natures de
la terre, de l'eau et du feu : elle meut souvent contre ces
(1) De caelo II, 2, 285 a, 29 : ... 6 <ToOp«vo; zpfyux?'-, *«' ï/j-'-
xtvvjasw; âp^vjv . . . I, 9, 279 a, 20 : ... àva),),oiwTa xai b.KV.Ht) -r,* KflffTfr
syo-JToc Çw/jv xai aOraox£TT«Tflv dtazùtî rôv â7ravr« ai-ûva.
(2) Ibid. II, 12, 293 a, 7 : ... bmcota S's <tv«îou râpe « rvyx&xt Sv.
LE MONDE SIDERAL
357
natures. Une sphère sidérale ne peut se mouvoir que cir-
culairement, et deux principes moteurs immanents sem-
blent de trop. La seule ressource est de dire, avec Alexan-
dre (1), que la nature n'est ici que puissance par rapport
à l'àme, et que celle-ci est seule le principe vraiment actuel
du mouvement, du moins au point de vue de l'imma-
nence.
Il s'en faut de beaucoup cependant que le mouvement
des sphères ne soulève pas de difficulté plus troublante que
celle-ci. On sait que, pour Aristote, le moteur des sphères
est, en fin de compte, un moteur immobile. Faut-il enten-
dre qu'il v a, outre le premier moteur immobile, d'autres
moteurs qui, comme lui, ne se mouvraient absolument
pas, même par accident, et qu'un tel moteur serait attaché
à chaque sphère? Malgré la peine qu'on éprouve, lorsqu'on
admet ainsi 56 moteurs transcendants, à comprendre com-
ment il n'y a pourtant qu'un seul d'entre eux, celui du
premier ciel, qui mérite pleinement le titre de Dieu, c'est
pourtant peut-être à cette interprétation qu'il faut s'en
tenir. En effet elle a été classique chez les commentateurs
d'Aristote, et, si Alexandre, dans le passage que nous
avons cité, ne nous indique pas très clairement comment
les moteurs secondaires reçoivent du premier leur achève-
ment et leur bien, peut-être trouverait-on plus de lumière
dans cet endroit du VIIIe livre de la Physique (259 b, 28),
où Aristote distingue les moteurs immobiles, accidentelle-
ment mus par eux-mêmes, et les moteurs immobiles, acci-
dentellement mus par un autre ou par d'autres moteurs.
On comprendrait que ce mouvement accidentel, dont ne
peuvent s'affranchir les 55 moteurs subordonnés, moteurs
dont chacun est plus esclave à mesure qu'il est plus infé-
rieur, pût suffire à hiérarchiser les moteurs en question
par rapport à Dieu et entre eux. Et cela expliquerait que,
dans le même chapitre de la Physique (2;>(.) a, 12). Aris-
(1) Ou le Pseudo-Alexandre, Metaph. 700, 31-707, 1 Hayd., 082,
4-10 Boiliiz, SUrtOUl : . . . tyovatv c/.rro ukv rré; nûo'fWf al a-ftxïpou Tt)-j
ujzofwx x«t àêt«OTOv zxi y.sr' coro to stJo; lniTi)$ti9Tvna r.ab$ zo xtvtïffOott,
c.7ro dk 7/;; pnyrj^ zr,-' plfra6artxi)v hiùytiav, npo; t4-j xzyJx.a.vi $iU nj*
358 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
tote ait écrit cette affirmation décidée, dont on ne trouve pas
l'équivalent ait 89 chapitre du livre A de la Métaphysi-
que : wavovSè -/.al ev (1).
Quittons maintenant le monde sidéral pour passer au
monde sublunaire. Deux caractères très généraux de ce
monde inférieur doivent d'abord être signalés. Lepremier est
que la part du changement et même du désordre y est con-
sidérablement plus grande que dans le monde sidéral. Aris-
tote avait été vivement frappé de la régularité des mouve-
ments célestes : témoin le passage du IIe livre de la Physique
(i, 196 h, 2) où il reproche à Démocrite d'avoir regardé
le ciel comme sétant constitué au hasard, alors que, au
contraire, on voit bien, dit Aristote, qu'il y a du hasard
ailleurs, tandis que manifestement il n'y en a aucun dans
les événements du ciel. Si les moteurs célestes sont des
êtres spirituels, cela n'entraîne nullement qu'il y ait de la
contingence dans leur manière d'agir. Leur manière d'agir
est parfaitement simple, et elle consiste à actualiser dans
le mobile la seule puissance que ce mobile enveloppe, celle
de se mouvoir localement, et encore de la seule trans-
lation circulaire. Il ne faut donc redouter ou chercher
aucune indétermination dans les phénomènes sidéraux (2).
(i) Zelier, il est. vrai, adopte une autre interprétation (p. 456, n. 1)1
Selon lui, les moteurs des sphères ne sont pas autre chose que leurs
aines. — Mais, d'une part, les moteurs des sphères seraient alors mus
accidentellement par eux-mêmes, et nous venons de voir qu'Arislote
paraît bien penser que les moteurs des sphères subordonnées ne sont
mus accidentellement que par autre chose. D'autre part, et surtout.
si les moteurs étaient des âmes, celui du premier ciel serait aussi une
Ame ; ou du moins, à supposer que, en raison de sou excellence pro-
pre, on fût autorisé à lui faire un sort spécial et à le regarder comme
seul transcendant parmi les moteurs, le premier ciel ne devrait pas
avoir, outre ce moteur, une âme et Aristote ne devrait pas parier,
pour le premier ciel, d'une existence bienheureuse distincte de celle
de Dieu (cf. Zelier, p. 464, n. 4). Malgré la simplification et la clarté
que l'interprétation de Zelier introduirait dans la doctrine des
moteurs, il semble donc malaisé de l'admettre et l'interprétation clas-
sique reste comme la plus probable.
(2) Voir G. Rodier, Sur la cohérence de la morale stoïcienne,
Année philos. 1904 (XV. 1905), p. 3. — Aristote appelle vkv tottixij
LE MONDE SUBLUNA1RE 359
Au contraire les phénomènes sublunaires admettent beau-
coup d'indétermination, et c'est à eux que songe Aristote
lorsqu'il écrit la phrase célèbre : Iv oï totjtôiç [se. toù; txlfffa}-
toîç) ttoXat, f| ■cou ttopierrou ©ôa-iç {Mclaph. T, 5, 1010 a, 3).
Non seulement il y a dans une chose physique terrestre
une grande part de matière, c'est-à-dire un grand nombre
de possibilités diverses, ce qui rend les phénomènes phy-
siques terrestres extrêmement compliqués ; chaque possi-
bilité est encore plus ou moins limitée par la concurrence
de la possibilité opposée, tellement môme que parfois, la pos-
sibilité négative se développant au détriment de l'autre, au
lieu du résultat normal et attendu c'est un monstre qui est
produit. En un mot, le déterminisme est si relâché dans
le monde sublunaire que ce n'est plus de nécessité qu'il y
faut parler, mais seulement d'une constance approchée, de
ce &ç £-1 -:o -o*A'j, si différent de ce que sera plus tard pour
les Stoïciens l'ordre absolument déterminé de la nature (1).
Fussent-ils absolument réguliers d'ailleurs, les phénomè-
nes terrestres resteraient toujours beaucoup plus chan-
geants que les phénomènes célestes. La translation suivant
les contraires dans le lieu, l'altération, l'accroissement et
le décaissement, exclus par la nature del'éther, sont, par
contre, impliqués dans la nature des éléments inférieurs;
et, par dessus tous ces mouvements, les choses sublunaires
supposent encore la génération et la corruption. Ici ce ne
sont plus les événements ou phénomènes seuls qui sont
en jeu : ce sont les substances mêmes. Les substances
du monde sublunaire naissent et périssent ; elles sont,
par définition, des substances sensibles périssables. —
Le second caractère très général qu'il faut relever au
sujet des choses d'ici-bas, c'est que, tandis que dans le
monde sidéral il n V a, mémo parmi les substances sen-
sibles, que des Aires animés, il y a sur la terre un
cette unique puissance qui subsiste encore dans les êtres sidéraux : cf.
Metaph. Il, l, 1042 6, 5-7.
M) i soiii réunit dans W'aii./, Org. I, 378 el 408 (ad ï.> />,
U et 38 o, V.)). Cf. en outre Bonitz, Metaph, II, p. 28* {ad loi»; A.
24). Voir aussi supra, [>. 2-iO, n. \.
360 LE SYSTÈME DARÏSTOTE
grand nombre de choses sans âme. Il y a d'abord celles
qui n'ont pas d'unité par elles-mêmes, celles qui ne sont
que des agrégats (1) et parmi lesquelles il faut évidemment
compter les choses artificielles, puisque leur unité est
extrinsèque. Il y a ensuite les choses qui ont une nature.
Celles-ci ont une véritable unité, et les choses qui les possè-
dent sont des êtres ; même, comme nous l'avons déjà
remarqué ailleurs (p. 300), le principe interne qui les informe
et les meut n'est pas sans analogie avec une âme. Toutefois
non seulement une nature diffère de l'àme sensitive déjà
consciente ; elle diffère encore de l'àme végétative dont
l'action est autrement souple et compliquée. Force est
donc de distinguer parmi les choses et, qui plus est, parmi
les êtres terrestres, entre ce qui est animé et ce qui ne l'est
pas. Cette distinction va même servir de cadre à ce qui
nous reste à dire sur la théorie aristotélicienne du monde
terrestre.
Les choses inanimées se divisent en deux groupes : d'une
part, les éléments ou corps simples et, de l'autre, les mix-
tes. — Nous avons tout à l'heure indiqué la méthode dont
Aristote se sert dans le De caelo pour déduire les éléments.
Cette méthode s'applique, bien entendu, aux éléments ter-
restres comme à î'éther. Des deux mouvements simples, le
circulaire et le rectiligne, le premier réclame comme sujet
et caractérise I'éther. Le mouvement rectiligne requiert et
sert à déterminer les autres éléments. A la différence du
mouvement circulaire qui n'admet point en lui de contra-
riété, le mouvement rectiligne se définit par deux contrai-
res, le haut et le bas, c'est-à-dire la périphérie de la sphère
du monde et le centre de cette sphère (De caelo I, 3, 270
a, 17 ; 2, 269 a, 14 et IV, 4, 312 a, 7). Ce qui se meut vers
le haut, c'est-à-dire en s'éloignant du centre, c'est le léger ;
ce qui se meut vers le bas ou le centre, c'est le grave. Il y
a donc dans le monde sublunaire deux éléments fonda-
mentaux : l'un, le grave, n'est autre que la terre, qui est
(i) o-wpot. Voir les textes indiqués par Bonitz, Melaph. II, 3o7
(ad Z, 16, 1040 b, 9), particulièrement Z, 19, 10-41 b, H sq. ; H, 4,
1044 a, 4 sq. ; 6, 1045 a, 8-10.
LES ÉLÉMENTS 361
au centre du monde; l'autre, le loyer, est le feu (De caelo,
IV, 2, 308 /;, 13). Mais, entre le grave et le léger absolus,
il fallait un grave et un léger relatifs. Il y a donc dans le
monde deux éléments secondaires : l'eau, relativement
lourde, et l'air, relativement léger (1). Ces déterminations
de gravité et de légèreté sont d'ailleurs si purement quali-
tatives, quoique tirées de la considération du mouvement
local, elles sont si étrangères à toute idée de quantité, que,
l'air étant léger par rapport à l'eau bien que pesant en
lui-même ou par rapport au feu, un corps qui contient de
l'air sera, par rapport à l'eau, d'autant plus léger qu'il con-
tiendra plus d'air, fût-ce sous un même volume [De caelo,
IV, 3-5) (2). — Mais il y a une autre méthode pour éta-
blir les quatre éléments terrestres. Cette méthode, moins
générale que la précédente et applicable seulement dans le
inonde sublunaire, consiste à partir des données du plus
fondamental des sens, le toucher, et des qualités les plus
fondamentales parmi celles que le toucher nous révèle, en
faisant abstraction toutefois de la légèreté et de la pesan-
teur. Les qualités tactiles fondamentales, une fois cette éli-
mination faite, sont le chaud et le froid, le sec et l'humide
{De g en. et corr. II, 2, 330 a, 24). Les autres qualités se
ramènent à celles-là : tels le mou, qui dépend dç l'humide,
et le dur, qui dépend de la sécheresse (ihid., 329 6, 32, 330
a, 8). Les qualités fondamentales sont donc au nombre de
quatre. Pour avoir les éléments il suffît de combiner ces
qualités deux à deux, en écartant sur les six combinaisons
possibles les deux qui associeraient les contraires, c'est-à-
dire des termes incompatibles. Il reste le chaud et le sec,
ou le feu ; le chaud et l'humide, ou l'air; le froid et l'humide,
ou l'eau; le froid et le sec, ou la terre (ih'nl., II, 3déôi).
Il n'y a pas au-dessous des éléments une substance con-
(i) De caelo IV, 4, i!l2 a, 7 : ... rô j3«pù x«i xoùytft Jùo èarrtv ■ xai
yÙ,Q 01 TÔirOl tfÛO, TO UÏGOV Xat 70 -7/a.roj. ïij-l oz Sri Tl X«< 79 utr«;J
roûrwv, ô ftjoôj sxâfipov «ÔtûSv \éy$rai dû-iooj . . . <?ià rovro ïttc ts xxt
â).).o fiepù xu). KoOfov, olov ûitùû Y.cà ù.r,o. . . 5, 312 a, 28 : îtr«l j"i<rriv h
jxq'jo-j [le feu] o irâcriv inino\ù^ii xat h [la terre] ô k'Âqvj ûçpi77«7«t,
«vxy/.o o\io a/.Aa ujv.i '/. /.ai j'^iT-'x-ui. nvi z«t faliroXecÇlt rtvt.
(2) Voir Zeller, p. 4(0 en bai.
362 LE SYSTÈME DARISTOTE
crête plus simple, dans laquelle ils puissent se résoudre et
dont ils proviendraient tous (ibiri., II, 5, 332 a, 26). Ils ne
peuvent que se transformer les uns dans les autres : ce qui
est rendu possible par le fait que chaque élément a au
moins une qualité opposée à l'une des qualités de chaque
autre élément (ibicl., II, 4, 331 a, 13) et parce que les qua-
lités se divisent en actives, le chaud et le froid, et passives,
le sec et l'humide (Meteor., IV, 1 déb.). De cette façon la
destruction d'un élément est, du même coup, la naissance
d'un autre et réciproquement, la matière se conservant
sous le passage des formes (De gen. et corr., I, 3) (1).
Les éléments ne tombent jamais à l'état de pureté sous
l'observation [ibid., II, 3, 330 h, 21) et, dans tous les cas,
ces éléments ne sont pas les seuls corps du monde terres-
tre : au-dessus d'eux sont les mixtes. Aristote, dans sa
théorie de la mixtion {De gèn. et corr., I, 10), montre ta
même tendance hiérarchique qui lui fait affirmer en thèse
générale que la forme est autre que ses conditions, la forme
de la syllabe par exemple, autre que les lettres (Metap/t..
H, 3, 1043 b, 5-14), et la même préoccupation de la qualité
qui inspire sa théorie de l'altération. La mixtion n'est pas
un mélange mécanique où subsisteraient dans leur nature
première Jes éléments juxtaposés, comme si on avait mêlé
de l'orge et du blé. Les éléments mêlés ne subsistent qu'en
puissance ; leurs formes s'altèrent réciproquement et une
forme nouvelle prend naissance. En un mot la mixtion,
pour Aristote, est ce que nous appelons une combinaison
chimique, à condition toutefois qu'on ne limite pas cette
notion de combinaison par des réserves d'atomiste.
Les éléments et les mixtes sont, au point de vue de la
substance, comme les deux moments du monde inanimé
selon Aristote. Nous ne pouvons songer à poursuivre dans le
détail l'explication des divers mixtes reconnus par Aristote,
pas plus que, nous plaçant au point de vue des mouve-
ments et non plus de la substance, nous ne pouvons lui
demander comment procèdent, selon lui, dans leurs spéci-
al) Surtout 318 a, 23 : ... rrçv r&5£s -/hoà-j «Mou thaï yévetrùi x««
LÀ BIOLOGIE 363
fications dernières les mouvements locaux, les altérations,
les générations et les destructions. C'est surtout dans les
Météorologiques, dont le i* et dernier livre, assez diffé-
rent des autres, a pour objet propre, non plus les phéno-
mènes qui se passent autour de la terre, mais les phéno-
mènes qui s'accomplissent sur la terre et à l'intérieur de la
terre, qu'il faudrait chercher la physique spéciale d'Aris-
tote, celle où il s'efforce de suivre les faits et de les serrer
de près. Tout ce qu'il convient de faire, c'est de signaler la
différence assez maftjuée qui sépare cette physique spéciale
des spéculations générales de l'auteur. D'une part, quoique
la dialectique n'en soit pas absente, l'expérience y occupe
une grande place, et, d'un autre coté, les causes auxquelles
l'explication des phénomènes est demandée sont souvent
moins des causes formelles et finales que des causes motri-
ces et matérielles. Il y a là, en dehors de la philosophie,
c'est-à-dire en dehors des recherches conduites par la
méthode notionnelle, les rudiments, confus sans doute et
obscurs et erronés, mais en revanche déjà très abondants,
d'une physique expérimentale (1).
Avec les mixtes nous sommes parvenus au degré le plus
élevé du monde terrestre inanimé. Nous passons ensuite au
monde des vivants. Ce n'est pas dans ce domaine, comme
on sait, que le génie d'Aristote a le moins brillé. Sou-
vent des biologistes de profession ont célébré l'étendue
des connaissances d'Aristote et la profondeur de ses
vues. Certaines parties de {'Histoire des animaux et sur-
tout les traités des Parties des animaux et de la Géné-
ration des animaux sont rangés par ces biologistes au
nombre des ouvrages qui font le plus d'honneur à l'esprit
humain \'l).
Résumons d'abord la conception aristotélicienne de la vie.
t Parmi les corps naturels, dit Aristote, les uns ont et les
autres n'ont pas la vie. Nous appelons vie le l'ail, de se
(1) Voir G. Ltodier, La physique de Straton de Lampsaque
(1891), p. 124-127. Cf. aussi plus haut, p.79el p. 239.
(2) Voir, par exemple, G. Pouchet, La biologie aristotélique
(4885).
364 LE SYSTÈME D* ARISTOTE
nourrir, de s'accroître et de décroître par soi-même » (l).
Comme l'accroissement n'est possible que par l'assimila-
tion des aliments, c'est donc le fait de se nourrir qui est
le caractère le plus élémentaire et le plus indispensable du
vivant. « On ne dirait pas mieux aujourd'hui, écrit
M. Pouchet (2)... Aristote y reconnaît [dans la nutritivité]
aussi bien que nous le phénomène fondamental de la vie. »
Toutefois il faut tâcher de ne pas se méprendre. Si la nutri-
tion est dans l'être vivant quelque chose de très caracté-
ristique et de très indispensable, elle ne constitue pas
pourtant le fond et le secret de la vie. La nutrition en effet,
aux yeux d'Aristote, n'est pas, pour parler le langage
moderne, un simple phénomène physico-chimique. Cer-
tains ont pensé, dit-il (De an. II, 4, 416 a, 9), que le feu
explique le fait de la nutrition, et lui-même ne se fait pas
faute d'appeler la digestion une coction (-é-Liç) et d'invo-
quer pour en rendre compte une chaleur, déjà spéciale il
est vrai, la chaleur animale (3). Cela n'empêche pas que
le feu, bien loin de suffire à l'explication, n'est ici qu'une
cause adjuvante (o-uvatTiov) et que la cause véritable est
l'âme. Et comme Aristote, ainsi que nous avons eu occa-
sion de l'indiquer ailleurs (p. 314), n'a pas songé à con-
server le mécanisme en le subordonnant aux autres
causes, l'àme intervient dans la fonction élémentaire de
la vie tout autrement que l'idée directrice de Claude Ber-
nard : on peut être sûr qu'elle joue le rôle d'une cause effi-
ciente. Il faut donc, à vrai dire, définir un vivant non pas
un être qui se nourrit, mais un être animé, et chercher le
principe de la vie dans l'àme : sorti 8s 7) ùvyr\ ~o-j Çûvtoç
onwjjux-poç akia xal y-pyjn (De an. II, 4, 415 b, 8). Ainsi Aris-
tote est, en matière de théorie de la vie, ce qu'on appelle un
animiste. A plus forte raison est-il, comme d'ailleurs dans
toute sa physique, un finaliste décidé. L'origine d'un
vivant, comme on sait, doit toujours être cherchée, d'après
(i) De an. II, 1, 412 a, 13 : -r&iv <?'» yvaixâv ri uïv ïyn Çwcv, ta £'ovx
tyji ■ Çwiàv <?k ~kiyaaz-j -r,-j ôt sotov [ou <?t' etûroà] rooyijv x«t aCf|»ffiv scsci
yèiffiv. Cf. 2, 413' a, 20 sqq.
(2) Op. cit., p. 24.
(3) Pour les textes, cf. Bonitz, lad. 591 a, 17.
LA BIOLOGIE 305
Aristote, dans un autre vivant de même espèce qui a
imprimé au germe un mouvement régulier et concerté tel
que peut le donner une activité finale (cf. p. ex. Metaph.
A, 7. 1072 b, 30 et De g en. an., IL 1, 733 b, 23-734 b, 19;.
Il n'y a d'exception que pour un petit nombre d'êtres infé-
rieurs qui peuvent, par génération spontanée, naître de la
pourriture [ihid., III, 11, 762 a, 8). La théorie de la forma-
tion des vivants au moyen d'une réunion accidentelle d'or-
ganes et de la survivance des plus aptes, enseignée par
Empédocle, est réfutée dans tout un chapitre de la Physique
(II, 8). Enfin qu'est-ce qu'un corps qui a la vie en puis-
sance, c'est-à-dire considéré à part de l'âme qui est sa
forme et son acte ? C'est un corps organique, autrement dit
un corps dans lequel l'âme a tous les instruments qui lui
sont nécessaires pour exercer ses fonctions [De an. II, 1,
412 a, 27-6, IV . La nature apporte d'ailleurs le plus grand
soin et la plus grande sagesse à pourvoir ainsi les âmes
des instruments les mieux faits pour favoriser leurs
actions : à l'éléphant, qui devait vivre dans l'eau autant
que dans l'air, elle a donné une trompe pour rendre la
respiration facile ; à chaque espèce d'oiseaux elle a donné
un bec approprié au genre de uourriture requis, etc. (1).
Quoi qu'il faille penser de cette profonde théorie de la
vie, Aristote, en abordant les parties moins métaphysiques
de sa biologie, a rencontré nombre d'idées dont la valeur
est unanimement reconnue. L'une des plus remarquables
est sa distinction des IwmcomtWes et des anhoméomères
[Dp pari, an., Il, 1). Les homéomères sont ces parties des
vivants qu'on peut diviser en parties de même espèce, tan-
dis que les anhoméomères se résolvent en parties dissem-
blables entre elles. Parmi les homéomères, on peut citer
les vaisseaux, le sang, la chair, les ongles, les poils, la
graisse, etc. Les anhoméomères sont au contraire des par-
ties telles que le visage ou la main. La distinction d Aristote
revient donc à pou près à celle que nous faisons entre les
tissus et les organes, et on comprend tout de suite que la
portée en est immense. De même que, en essayant de
(1) Cf. Zeller. p. 48H. n. \i H p. 49:î, n. 3.
366 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
déterminer les fonctions universelles de la vie, Aristote
faisait déjà de la physiologie générale, de même, par la
distinction qui nous occupe et par les développements éten-
dus qu'il y consacre, il fondait l'anatomie générale (1).
— D'un autre côté, Aristote créait aussi l'anatomie et la
physiologie comparées. Il a fait dans sa métaphysique le
plus grand usage de l'idée d'analogie, c'est-à-dire de l'idée
de la ressemblance résultant d'une identité de rapports et
non d'une identité générique. Dans sa biologie il a intro-
duit la même idée féconde, et il s'est plu à démêler dans
les êtres les plus divers les analogies de fonctions et d'or-
ganes. L'instinct des animaux est l'analogue de notre art.
Quand le cœur ou les poumons font défaut, ils sont rem-
placés par des organes analogues. Les animaux dépourvus
de sang possèdent un liquide analogue. Les cartilages dans
les poissons, les carapaces chez d'autres animaux sont les
analogues du squelette des animaux supérieurs. Les poils
des quadrupèdes sont les analogues des plumes des
oiseaux. La racine de la plante est l'analogue de la bouche
de l'animal, etc. Ayant ainsi saisi dans la nature vivante les
éléments communs et les éléments analogues, Aristote est
disposé à voir dans l'ensemble de cette nature une unité
de plan. 11 n'y a pas pour lui de filiation entre les diverses
formes vivantes : manifestement il est un partisan résolu
de la fixité et presque de l'éternité des espèces. Mais les
diverses formes vivantes lui paraissent les degrés d'une
seule et même hiérarchie. La nature, dit-il, passe graduel-
lement des êtres inanimés aux êtres animés et parmi
ceux-ci de la plante à l'animal. La plante paraît inanimée si
on la compare à l'animal, et toutefois il y a des êtres dont
nous ne saurions dire au juste s'ils sont des plantes ou des
animaux : les huîtres, quand on les compare aux animaux
capables de se déplacer, sont presque des végétaux. Le
plus haut terme de la hiérarchie, celui dont tous les autres
ne sont que des ébauches, et auquel il faut se reporter
(4) Sur les parties anhoméomères de l'organisme, cf. Bonitz, Ind.
510 b, 3-4. — La portée de cette distinction est bien marquée par Pou-
chet, op. cit., p. 35.
PLANTES ET ANIMAUX 367
pour juger tous les autres, ce terme supérieur, c'est
l'homme (1).
Nous savons que le véritable ouvrage d'Aristote sur les
plantes est perdu (cf. p. 41). C'est donc seulement dans ses
autres traités que nous trouvons, incidemment indiquées,
ses opinions sur les végétaux. Ce qui caractérise les
plantes, c'est que, tout en possédant les fonctions élémen-
taires de la vie, celles de se nourrir et de se reproduire,
elles ne possèdent que celles-là, ou, en d'autres termes,
n'ont qu'une âme végétative. Aussi leur essence est-elle
douée d'une faible unité, leurs fonctions et leurs organes
sont-ils peu différenciés, le plan de leur constitution, impar-
fait. Il y a des animaux inférieurs qu'on peut couper en
plusieurs morceaux sans empêcher la vie de persister dans
les morceaux : c'est que ces animaux ressemblent à une
pluralité d'animaux juxtaposés et qu'ils ont en puissance
plusieurs âmes. Cette manière d'être, exceptionnelle dans
le règne animal, est au contraire constante chez les plantes.
Le sommeil et la veille ne sont point chez elles différen-
ciés ; les plantes vivent dans un sommeil perpétuel. Les
fonctions et les organes sexuels sont chez elles réunis
dans le même individu ; et en effet il n'y avait pas lieu
à une différenciation plus grande, puisque la plante a
exercé toute son activité et atteint tout son but, lorsqu'elle
s'est reproduite. D'une manière générale, les organes de la
plante sont simples, et la finalité naturelle, qui n'y est pas
méconnaissable, ne s'y déploie pourtant pas avec la même
précision que chez les animaux. Le plan de la structure de
la plante est l'inverse de celui de l'animal, puisqu'elle a les
racines, c'est-à-dire la bouche située vers le bas, disposition
qui donne la plus mauvais*,' place à l'un des plus excellents
entre les organes. Ajoutons enlin que les plantes sont sur-
tout faites de terre, le plus inférieur des cléments (2).
L'animal se définit par la possession de l'âme sensitive.
11 n'y a point d'animal qui n'ait au moins le toucher, et un
grand nombre d'animaux, au-dessous do l'homme, se dis
(1) Voir, sur ces datera |ioiiils^ Zelltu', p. 591-505.
(2) Ibid., p. 509-312.
368 LE SYSTÈME DABISTOTE
tinguent déjà par des manifestations mentales assez
élevées. Au lieu de se nourrir et de se reproduire simple-
ment comme la plante, l'animal sent et parfois imagine, ce
qui entraîne dans sa vie une énorme complication. A cette
vie supérieure répond une plus grande variété et une plus
grande délicatesse dans les tissus et les organes. Le plus
important des tissus animaux est la chair. Il est le plus
important, parce qu'il est l'organe du tact, ce fondement
de la vie animale. Quant aux organes, le principal est le
cœur, ou ce qui en tient lieu. Le cœur, qui contient le
pneuma source de la chaleur animale et siège immédiat de
lame, est le centre de l'organisme animal. Aussi est-il le
premier organe qui apparaisse dans l'embryon (I) et,
quand il est mis hors de service, la mort s'ensuit immédia-
tement. C'est à lui aue la sensation aboutit et c'est de lui
que le mouvement part, il a d'ailleurs une autre fonction
encore, qui n'est guère moins capitale : c'est d'élaborer le
sang, cette nourriture définitive de l'animal. Le cerveau,
dont Platon s'était exagéré l'importance, a seulement pour
fonction, ainsi que les poumons, de rafraîchir le sang. Les
organes digestifs, c'est-à-dire l'estomac, aidé d'ailleurs
chez certains animaux par les intestins dont le rôle ordi-
naire est cependant d'éliminer les résidus de la digestion,
préparent la matière de laquelle le cœur tirera le sang.
Cette matière va de l'estomac au cœur par quelques-unes
des veines. D'autres portent le sang du cœur dans les diffé-
rentes parties du corps. Aristote n'a d'ailleurs pas l'idée de
la circulation proprement dite. Le squelette sert principale-
ment à la locomotion. Sauf chez les animaux inférieurs,
tels que les huîtres et les zoophytes, les sexes sont différen-
ciés. Le mâle est l'être parfait : il joue le rôle de la forme
dans la génération et transmet l'âme, surtout l'âme sensi-
tive. La femelle est l'animal imparfait qui a subi un arrêt
de développement : elle joue dans la génération le rôle de
la matière. Les deux liquides séminaux, à savoir la semence
et les menstrues ou ce qui en tient lieu, sont l'un et l'autre
(1) Arislote avait étudié le développement du poulet dans l'œuf,
An. hist. VI, 3 (jusqu'à 562a, 20).
CLASSIFICATION ZOOLOGIQUE 369
des produits très élaborés de la nutrition. lis ne diffèrent
qu'en degré : le liquide mâle complètement achevé est
acte; le liquide femelle demeuré imparfait est puissance.
La production des sexes dans la génération s'explique par
le fait que, si le liquide mâle est en état d'accomplir toute
sa fonction, c'est un être parfait ou mâle qui est engendré,
tandis que c'est une femelle qui est produite dans le cas
contraire i .
Le nombre des espèces animales étudiées par Aristote a
été considérable par rapport aux circonstances dans les-
quelles il se trouvait. 11 y a dans l'Histoire des animaux
400 espèces qu'on a pu identifier. Aristote avait donc dans
ses observations la base étendue et solide d'une classifica-
tion. Sa classification ou ses classifications ne sont pas, à
vrai dire, poussées très loin puisqu'elles s'arrêtent à la
délimitation des groupes principaux, à quelque chose
comme nos types ou nos classes. Mais, dans ces termes,
elles peuvent, d'après M. Pouchet, soutenir la comparai-
son avec le Systema nalurae de Linné, et encore faut-il
ajouter, à l'avantage des classifications d'Aristote, qu'elles
visent ;'i être naturelles. Suivant le même naturaliste,
les trois caractères sur lesquels se fondent les divisions
d'Aristote sont des meilleurs et valent ceux que nous invo-
quons aujourd'hui. Os caractères sont : la présence
l'absence de sang; le milieu qu'habite l'animal; son mode
de reproduction. Le plus grand défaut des classifications
aristotéliciennes, c'est qu'elles sont plusieurs et qu'elles
accordent pas toujours entre elles. Celui qu'on peul
ensuite leur reprocher, c'est que les divers groupes distin-
gués par Aristote ne sont pas toujours conçus de façon à
représenter les degrés de perfection que son esprit es
tiellement hiérarchique s'est plu d'autre part à signaler
dans le règne animal '2 .
(1) Voir Zeller, p. :»i:i -.33.
Pouchet, op. cit., p. 131 »qq. ; il expose, p. 122-125 deux
classifications d'Aristote qui sont d'ailleurs en partie concordantes.
Cf. aiissi Zcllci'. p. 559-561. Celui-ci, p. •>t'»i 163, insiste principale-
ment sur le second défaut dea classifications aristotéliciennes.
Aristote
370 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
Le traité De la génération et de la corruption finit sur
une grande idée essentiellement aristotélicienne, qui se
retrouve aussi très souvent dans les ouvrages de biologie
et qui est faite pour leur servir de couronnement naturel :
les êtres terrestres, inanimés ou animés, sont sujets à la
génération et à la corruption. Tous les individus naissent et
meurent. Cependant ces êtres qui passent ne laissent pas
d'imiter à leur façon l'éternité des choses du ciel. Les choses
et les phénomènes du domaine inorganique forment des
cycles, dont celui de la pluie et des nuages fournit excel-
lemment le type, et ces cycles sont éternels. De même,
parmi les êtres animés, chaque plante et chaque animal
meurent ; mais ils produisent un autre être pareil à eux et
ainsi, par la perpétuité de l'espèce, ils participent eux aussi
à l'éternité (1).
(1) De gen. et corr. Il, il, et surf oui à partir de 338 b, 1 : si yùp
70 y.ùyJ.M zfvoûaEvov v.ii ~.i y.ivv., ocjy.y/.r, y.v.i toùtmv xvxaoj ivj'j.i ~.'c,-j xivfirtt»,
oiov ri g à»w yopàç owflpjjçxûîllft» 6 viÀto; coSi, ïr.ii rî'<C ouro; > ovtoj;, eei WjMK
oi'j. Toûro v.xjvJm •/L'jQv-.a.i. v.v'.i «vwxauKTOvffW, Tûû"»» (J'oÛtm yevojxjvwii t.:Ô.uj
~k wjrà TO-JTwv. te ouv or, -non rà j*sv oîJtw situerai, otov û<îaT8t y.v.ï Uï)p
X'ix/'yj yrjouzva, x«i et asv »ÈWç êffTKt, Oct -j^ki, x«i si uffst yî, (Jât xoti vs'yoç
Eivat, ivôpMzot ps xat £sï« oùx ù-ju/.c/.utz7o-j'7cj ef'ç otvroûç, »<rrs 7f«).w yiiteaQou
tov «ùroy. . . ei^ sùôù <?k i'or/.sv sîvki «ûrij vj ys'veffiç. Qu'elle comporte ou
non la réversibilité, la continuité de la génération ne peut être d'ail-
leurs que spécifique et non individuelle ou numérique dans les choses
dont la nature est périssable. De an. II, 4, 415 a, 26 : puaixûraTov
yàp rtâv ïpytù-j rot; Çôfftv. . . to zrofÀ(7ai £~£ûov oïov coro, Çwov otkv Ç<ùov ,
yvrèv <Te oîutov, t'y« ïftw «si /.ai rov Oîtou ugrivoûffêi/ ïj <?iivavr«t " t.kj-.t. yào
èxdvou oosysriy.i, v.où zazvjotj svzy.x ffpeÉrrgi osa JtjJarTet' xscrà fJGi-j. De gen.
anim. II, 1, 731 6, 24-732 a, i. Cf. Zeller. p. 511, n. 2. '
VINGTIEME LEÇON
L'AME
L'idée de hiérarchie qui inspire toute la philosophie
d'Aristote est particulièrement présente dans sa théorie de
rame, et en même temps cette idée, dans la théorie de
l'âme comme ailleurs, est pourtant tenue en échec d'une
façon plus ou moins manifeste par une idée toute différente,
que l'idée de hiérarchie avait précisément pour destina-
tion de remplacer. Les Phvsiologues, même en v compre-
nant les Éîéates jusqu'à Métissas inclusivement (1). et
même en y comprenant Anaxagore 2). n'avaient soupçonné
! que bien faiblement qu'on pouvait trouver de la réalité
dans la pensée et comment il fallait définir cette réalité.
L'existence et la nature de cette réalité, c'est la philosophie
du concept qui les découvre. Elle en découvre du moins la
face objective, c'est-à-dire que, si Socrate et Platon ne
songent pas à définir la pensée par la conscience comme
le fera Descartes, s'ils ne s'avisent pas qu'il n'y a pas de
pensée sans sujet, ces deux philosophes aperçoivent lumi-
neusement que les objets de la pensée sont d'une autre
essence que les choses dont s'occupent les Physiolo^ues.
Les objets île la pensée sont incorporels, ou. selon le lan-
gage qu'Aristote emploie pour rendre l'opinion de i'Iaton,
(1) Car h- fragm. 16 «le Mullacb ( Vorsokr. »ch. JO, B 9, p. 148, 19)
Murait n'être qu'une induction <!•• Siraiplicius.
(2) Son î»oûî n'est en effH que « la plu- tabtile et La pl'is pure def
fr. G Mullach ( Vorsokr, - ch. 46, !'> 12, p. 318, 13).
372 LE SYSTÈME d'âKISTOTE
« les Idées ne sont pas dans le lieu » (1). Aristote ne se
fait pas une notion moins forte de cette nouvelle sorte de
réalité : la forme, chez lui, est aussi supérieure à la quan-
tité que l'Idée platonicienne. Mais la nouvelle sorte de réa-
lité n'avait pas remplacé pour Platon l'ancienne réalité
des Physiologues ; il en avait seulement fait un ordre à
part de l'ancien qu'il laissait subsister. Aristote est plus
loin encore que Platon, s'il se peut, de réduire toute réalité
à celle des objets de la pensée. Pourtant il met en jeu, pour
remplacer la transcendance platonicienne, une notion, à
lui propre, qui n'aurait pu se développer complètement
que dans l'hypothèse d'un monisme idéaliste. On ne
hiérarchise bien que des termes homogènes, homogènes
du moins sous le rapport où on les considère quand on en
fait une hiérarchie. Pour que la hiérarchie des matières
et des formes suffît véritablement à expliquer ce que
d'autres doctrines expliquaient ou tendaient à expli-
quer par la juxtaposition de réalités d'ordres divers, il
aurait fallu que les matières et les formes fussent seule-
ment les degrés divers d'une seule et même réalité.
Autrement la notion de hiérarchie n'est plus à sa place, ou
au moins elle n'y est pas partout dans le système ; car à
l'une des extrémités, sous le nom de matière, la réalité telle
que l'entendaient les Physiologues se pose en elle-même
et, à l'autre extrémité, la forme s'isole elle aussi. Dans
toute la théorie de l'âme d'Aristote, nous allons voir l'idée
de hiérarchie résoudre une foule de difficultés, et, en même
temps, des difficultés dernières demeurer insolubles, parce
que ce qu'Aristote veut demander à cette idée, c'est, au
bout du compte, de concilier des réalités hétérogènes, parce
qu'il est demeuré dualiste. Aristote n'a jamais essayé d'ab-
sorber l'étendue ou la quantité dans la nouvelle réalité
qu'avait découverte la philosophie conceptuelle ; il ne s'est
pas demandé si l'étendue elle-même ne pouvait pas devenir
un objet intelligible, ou plutôt, quand il a rencontré la
(1) Phys. IV, 2, 209 b, 33 : HÀaTwvt uïvtoi Xexrsov... <?ià -i ovx
Èv T07TW rà ïlSri . . . III, 4, 203 a, 9 : ... [nr^i r.o-j eivbm «vrac [se. T
l'amb 373
question (1), il l'a résolue négativement. La matière a
iini par rester pour lui en dehors delà forme, en dépit de la
vigueur avec laquelle il a su ramener à de simples diffé-
rences de degré nombre d'oppositions moyennes.
Parcourons maintenant les principaux points de la
théorie aristotélicienne de l'àme.
Platon avait considéré l'âme comme une réalité sépara-
blc du corps, et corrélativement il avait reconnu au corps
une existence propre. En cela il avait suivi les Pythagori-
ciens, ces premiers défenseurs du dualisme spiritualiste,
qui sans doute d'ailleurs n'avaient pas pu se faire de l'exis-
tence spirituelle une notion bien nette et bien approfondie.
Quoi qu'il en soit et quelles qu'aient été leurs raisons, ils
avaient professé très résolument la séparation des corps et
des âmes. Aristote, qui pourtant sait beaucoup mieux ce
qu'est l'existence spirituelle, ne se lasse pas d'élever des
objections contre le dualisme violent des Pythagoriciens et
même de Platon. Il ne comprend pas comment on peut
s'imaginer qu'une àme quelconque peut venir résider dans
un corps quelconque. Cette conception familière aux
mythes pythagoriciens revient à peu près au langage d'un
homme qui prétendrait que l'art du charpentier peut des-
cendre dans des (lûtes (2). C'est d'une tout autre façon,
quant à lui, qu'il a défini lame. Il ne veut pas sans doute
qu'elle soit l'harmonie du corps ; car l'harmonie ou l'as-
semblage des parties est quelque chose de postérieur et de
subordonné [De an. I. 4 (/rf/.-\08 a, 28 |. .Mais l'àme est
l'entéléchie première d'un corps organique qui a la vie en
puissance (3). Un corps qui a la vie en puissance ou un
corps organique, c'est la même chose : c'est un corps qui
;l) Au livre / de la Métaphysique, 10, {().):, h. 83-1036 a, 12 ; cf.
11, 1036 A. 4-7.
De un. I. :;. -lo7 h, \-i jusqu'à la lin du ch., dont voici les der-
9 ligues : Kapanïrjticn o*i liyovatt \sc. oc nvOxyopiy.oi itv8ot, b, "2i\
I û rt; yurr, -r,j riXTOVUC^v et; c/.-'AoJ; i-jfi-'ji'jQv.i. ■ Su -/vo '■'(,■> ti'tu
ri/yr,j %pij<T$tU roï; opyavoi:, ?àv 0*1 jj/c-j tm erûiUCTt.
(3) Ibid. II, \. La définition de l'âme est énoncée 412 a, -21 : ...
n ^t/j, i'j'ij vi-.ùiyj.i'x r, jroÛTi] aùutcroi yjo-ixoù ivjâtut (u4v l^ovro?.
rotovTo or ô iv Jj-j ôpycaiVKQV,
374 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
a tout ce qu'il faut pour servir aux fonctions de l'âme, qui
a tout ce qu'il faut, non pas seulement au point de vue
anatomique comme un cadavre exempt de lésions, mais
encore au point de vue physiologique. C'est la machine
prête à fonctionner, en tant qu'on fait abstraction en elle
de la condition la plus haute qui lui donne l'aptitude à
fonctionner. Cette aptitude à fonctionner est précisément
ce qu'Arisîote appelle l'entéléchie première du corps. Nous
avons vu (p. 326) que l'acte a plusieurs degrés. Le premier
ou le plus bas est celui où la fonction va d'elle-même pas-
ser à l'acte plein, pourvu que rien d'extérieur ne l'en
empêche. C'est en un mot l'habitude à laquelle il ne manque
que l'exercice ou usage. Telle est l'âme, puisque l'àme
n'exerce pas toujours ses fonctions, témoin l'âme animale
pendant le sommeil. Ainsi l'âme a pour matière un corps
organique et elle n'est pas l'acte le plus élevé de ce corps.
Mais ces déterminations, quelque importantes qu'elles
soient, ne sont pourtant que secondaires par rapport à
l'idée principale de la définition : l'âme est la forme du
corps. Avec cette idée tout s'éclaire, semble-t-il; touchant
la nature de l'âme et, d'autre part, touchant l'union de
l'âme et ses rapports avec le corps. Lorsque Platon dit que
l'âme est un mouvement qui se meut soi-même, ou Xéno-
crate, qu'elle est un nombre qui se meut soi-même, ces
définitions sont sans doute d'une métaphysique plus avan-
cée que l'âme matérielle, quoique subtile, de Démocrite,
ou même que l'âme des Pythagoriciens. Cependant il
subsiste peut-être encore au fond des conceptions de Platon
et de Xénocrate quelque trace de matérialisme. Au con-
traire la définition aristotélicienne rompt tout à fait avec
le matérialisme. Une forme n'est à aucun degré une chose
matérielle : l'âme n'est plus aucunement un corps dans un
corps. De Platon et d'Aristote, c'est certainement celui-ci
qui se fait la notion la moins épaisse, la notion la plus
idéaliste de l'âme. Quant à la question des rapports de
l'âme avec le corps et, en général, de l'union de l'âme et
du corps, elle est résolue de la façon la plus victorieuse.
L'âme partage les affections du corps, comme toute forme
partage les affections de sa matière ; elle ne fait qu'un avec
l'ami: :37.">
1-e corps, comme toute forme avec sa matière, puisque
aussi bien la matière la plus prochaine et la forme sont une
seule et même chose, sauf que Tune est puissance et l'au-
tre, acte (1). Le retour aux âmes séparées chez les Alexan-
drins, dans la Seolastique et chez Descartes, marquera
certainement un recul : et de plus il donnera lieu, dans la
Scolastique, a une incohérence, puisque les philosophes
de 1 Ecole persisteront à donner à l'àme le titre <$e
forme du corps. Mais, si victorieuse que soit ici, entre les
mains d'Aristote, l'idée de hiérarchie, on sent bien que
les difficultés ultimes ne sont pas résolues. 11 est posé, il
n'est pas démontré que la forme est apte à unir l'indéfinie
multiplicité de l'étendue qui se retrouve toujours au fond
de la matière : Aristote ne fait rien pour montrer que
l'étendue ne serait pas pensable, n'aurait pas de réaiité
concevable, par conséquent, si elle ne tombait sous les
prises de la forme, démonstration qui impliquerait la non-
e«ee de l'étendue en elle-même. D'autre part, nous
verrons qu'un moment vient où Arislole éprouve l'irrésis-
tible besoin de rompre les liens de l'unie, ou d'une partie de
l'âme, avec cette étendue indomptée, qui morcelé et indivi-
dualise obstinément tout ce qui tombe eu elle.
Le problème <!e l'unité de l'àme en elle-même et de la
diversité de ses fonctions ne sort pas du domaine de la
forme. Aussi, dans ce domaine boBOQgèae, l'idée de hié-
rarchie s'applique-t-elle pleinement et fournit-elle à Aris-
tote une doctrine entièrement rationnelle et satisfaisante,
sauf une unique relativement à l'âme intellecLive.
parce que les autres âmes, tout en étant des formes, sont
pourtant antre ebose que des formes pures et ipielles sont
des formes attachées à la matière. Aristote admet trois
âmes : l'àme végétative, l'âme sensithe. l'àme raisonnable
ou intellecLive. Ces trois âmes ne sont pas pour lui trois
entités séparées et .superposées. Ce sont trois degrés d'une
même hiérarchie, dans laquelle les termes inférieurs peu-
vent exister seuls, mais où les termes supérieurs supposent
(I) Mrta/ih. H, G, H>4.'i h, il : ït:l #'..., g I<T£«TU \i)ï) y.ui r, ftOM*)
tcot'> /.y.'. îv, 70 'i.-.j îj yj ■/:!.■_■ t'ftbCC.
376 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
ce qui est au-dessous d'eux. De même, dans la question, à
peine différente, des fonctions de 1 âme, Platon avait séparé
d'une façon matérielle, matérielle au moins indirectement,
une âme concupiscible, une âme irascible et une âme rai-
sonnable. Aristote ne voit dans les fonctions psychiques
que les manifestations hiérarchisées, et au besoin, à chaque
degré de la hiérarchie, les manifestations coordonnées,
d'une seule et même âme (De an. III, 9, 432 a, 22). —
Nous avons désormais à rendre compte sommairement de
ses opinions sur ces fonctions diverses. Nous disons sur
ces fonctions diverses, plutôt que sur ces âmes diverses.
Car, après ce que nous avons dit dans la leçon précédente,
nous n'aurions rien d'essentiel à ajouter sur l'âme végéta-
tive, et nous avons surtout à nous occuper des fonctions
diverses de l'âme animale. Cependant il y a quelque analo-
gie entre la connaissance rationnelle et la connaissance sen-
sible et nous verrons que, péripatétiquement parlant, ce
n'est pas sans difficulté qu'on décide s'il y a là une diversité
de fonctions, ou quelque chose de plus. Parlons donc pour
le moment d'une diversité de fonctions. Comment Aristote
classe-t-il par grands groupes les fonctions de l'âme? Il dit
que, selon l'opinion commune, lame est caractérisée par
deux fonctions principales : la pensée et la production du
mouvement local. Sans doute cette classification ne saurait
embrasser la fonction de l'âme nutritive, et sans doute
aussi elle ne s'applique même pas à toute âme animale,
puisque certains animaux sentent, sans se déplacer 1
Cependant, lorsqu'il s'agit de l'âme humaine ou de l'âme
des animaux supérieurs, cette manière de classer les fonc-
tions psychiques semble bien être prise à son compte par
Aristote (2). La manière dont Aristote envisage le plaisir
prouve, croyons-nous, qui] serait peu disposé à faire de
ce que nous appelons les fails affectifs les manifestations
(1) Ils sont dits pévipc. Cf. G. Rodier, Aristote, Traité de l'âme,
II, p. 197 sq. ; 566 en bas ; 527 sq. ; 153.
(2) De an. III, 9 deb . : ... ~'n tyv~/r, y.xzù <?ùo 'joic-rai ow^uei; ?, twv
Çwcov, tw te xptrtxâj 5 Sicrjoiuç, ïpyov èar't y.eà aîaôjjarcwç, x«i tre tù xtvetv
tàv x«rà -ônov xtvïjcriv. . . Cf. 3 déb. et I, 2, 403 b, 25 : zà 'éu.^v%qv Sri
■zr/j '/.•ty-'y/jiM (Juoïv usO.iotk §ta.'féptrj ^oy.ù} <uvr)tr£i -.1 xeei 7;]> «iaflcôeTÇat.
I.\ SKNSATION 377
d'une fonction susceptible d'être placée sur le même pied
que les deux précédentes. Nous considérerons donc la
classification d'Aristote comme bipartite, et nous parle-
rons d'abord de la pensée ensuite de la production du
mouvement.
La pensée offre plusieurs degrés hiérarchiques, dont le
plus inférieur est la sensation. Qu'est-ce que la sensation?
La formule connue, qu'elle est l'acte commun de la sensibi-
lité et du sensible, ou mieux que l'acte de la sensibilité et
du sensible est un seul et même acte, est, ou peu s'en faut,
une définition de la sensation. Seulement il importe de bien
comprendre cette formule. Le sensible se prend en plu-
sieurs sens. Il y a d'une part les sensibles propres, tels que
la couleur et le son, et, de l'autre, les sensibles communs :
mouvement, repos, nombre, figure, grandeur; il y a même
les sensibles par accident, par exemple que cette chose
blanche est le fils de Diarès. Précisément parce qu'ils n'ont
rien de commun avec autre chose, les sensibles propres
sont toujours sentis sans erreur, tandis que l'erreur est
possible sur les sensibles communs, et surtout sur les sen-
sibles par accident (De an. II, G). Dans la définition de la
sensation, c'est, bien entendu, le sensible propre qui est
principalement pris en considération. A cette distinction
dans les sensibles répondent des distinctions dans la sen-
sibilité. Il y a, notamment, d'un côté des sens spéciaux, la
vue, l'ouïe, etc. et un sens commun, fond indifférencié de
la sensibilité. Pour définir la sensation c'est surtout aux
sens spéciaux qu'il faut songer. Mais ce qu'il importe au
plus haut point et ce qu'il est le moins facile de compren-
dre, c'est la signification exacte des mots acte commun, ou
acte unique de la sensibilité et du sensible. Il va de soi que
cela ne signifie pas une coopération quelconque des deux
termes dans une oeuvre vaguement indiquée. Les mots
doivent être pris dans leur sens précis et technique. T,ela
estd ailleurs loin de suffire ; car il reste à savoir comment
l'acte des deux termes est commun, si c'est parce que l'un
d'eux, la sensibilité sans doute, n'a pas de nature propre
et n'est qu'un accident du sensible; ou si les deux termes
sont bien réels l'un et l'autre et aboutissent, chacun par un
378 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
développement, en quelque sorte parallèle, de ses puissan-
ces, à un acte qui est pareil à celui de l'autre ; ou bien
enfin si la sensibilité et le sensible ne sont séparément que
des puissances et, à vrai dire, des abstractions dont la sen-
sation, en les réunissant dans un état unique, fait une réa-
lité et un acte. — A la vérité, la pensée d'Aristote oscille
entre les trois conceptions. D'une part, il proteste contre
l'opinion commune, qui voit dans la sensation une altéra-
tion du sensitif : si c'est une altération, dit-il, c'est une
altération d'un nouveau genre, àXAoûoa-u tiç ; car elle ne
change pas la nature de l'altéré, elle ne fait que le rendre
plus lui-même en actualisant ses puissances propres. —
Mais Aristote est bien loin de pousser jusqu'au bout cette
conception paralléliste ; il est bien loin de se représenter
l'action du sensible sur les sens comme une simple occa-
sion de la sensation. La vérité est tout au contraire que le
sensible actualise la sensibilité par une action parfaitement
réelle. La sensation est dans la sensibilité comme le mou-
vement est dans le mobile : il y a, comme nous dirions en
langage moderne, une action transitive du sensible sur la
sensibilité. Et la sensibilité est si bien subordonnée au sen-
sible que, en faisant disparaître la première, on ne sup-
prime pas le dernier, tandis que la disparition du sensible
entraine celle de la sensation (2). La sensation, de ce point
de vue, apparaît bien comme la peinture d'un dehors dans
un dedans, ou comme l'impression d'un cachet sur la cire.
Parfois Aristote ne semble même pas très éloigné de com-
parer la réception d'une sensation à celle d'un aliment.
(1) De an. II, 4, 415 b. 24 ; 5, 416 b, 34 ; 417 a, 30-6, 7 : celle
altération est un passage £/- ~oû ïyitv ?v7v tâcrbnvni 2j tàv ypxujuartKife,
tx.-/) êuspystv ô'i:: 70 suepyslv. . . (jimoouv yàp yiyvsTxi rô ï~/j>~j tv;v ïr.irj-.c1u.rl-j,
ottîo y ovx ïrj-fj c/X).oioû(j9a.t (etj aurô yào ri iTTifoGiç y.où si; IvTS^sjfstav) h
Ire/soy yivoç ôA\oi&wre<»s. Cf. Roclier, op. cit., p. 256, p. 257 et surtout
p. 258 sq. et «60 (ad Ml b, 16-19).
(2) De sensu, 2, 438 b, 22 : to ykp nlaO/iro-j èvepysïv rcowï tcj «ïo-ftoja»».
Dean. III, 2, 426 a, 2 : si Sri sax/.v h xîy/30-1; v.où ?, vtoixiriç y.où to nô&tu;
sv tm -oto-juévM, Kvâysqg «ai tov ^oopov xtù ~rt-j v.7.ùt,-j r'C'J *«t êvépyeioeH ev
TJj -Z.V.7Ù. Sûvuy.CJ SIVIX.1 " h yV.p ZOJ TTOIV/Tl/.O'J y.où suvrjTtxoù évs'oyîia ï-j rw
7r«o-^ovT£ syyh-rcf.i. . . Cat . 7, 7 b, 36 : ~o v.î'j yàp aÎTÔjjTÔv avatpsfle»
(juv«v«tpet tà-v tSfBujstv, r, oï rôarBjgctç -ô cniihr.zo-j ov trwuvixiaéï.
LES SKNSATln.NS SPÉCIALES 379
Seulement, dit-il, la sensibilité, au lieu de recevoir tout le
sensible, matière et forme, en reçoit la forme sans la
matière il). — A côté de cette théorie paralléliste et de
eette théorie transi ti vis te, Aristote paraît bien en ébaucher
une troisième. Dans la définition même de la sensation, il
dit que l'acte de la sensibilité et celuidu sensible n'ont pas la
même quiddité, -o B'élyà&eO xô kuto iùraïç (Dean. III, 2, 425
b, 27) ; et il accuse fortement la différence des deux actes, l'un
étant, par exemple, résonance, <|<*cpoç ou (/oœ^o-iç, et l'autre,
audition, àxor- ou Sacoutriç \])ean. III, 2, 426 a, 8-26). Mais
il ajoute au même endroit que ces deux actes sont simul-
tanés et corrélatifs. Or on sait combien est étroite pour
Aristote la solidarité ontologique des corrélatifs. D'ail-
leurs, si les deux actes diffèrent par la quiddité, ils sont
donc un numériquement et matériellement. Autant dire
presque qu'ils sont l'acte d'une seule et même substance.
Nous sommes donc ici en présence d'une sorte de théorie
de l'identité. La sensibilité et le sensible, pris à part.
ient des puissances qui viendraient s'actualiser dans un
moment synthétique et hiérarchiquement supérieur, la
sensation. Voilà encore une fois à l'œuvre l'idée de hié-
rarchie, et la voilà encore une fois condamnée à ne pas
lever toute la difficulté à propos de laquelle on l'invoque,
parce que ce sont deux ordres, deux mondes qu'elle aurait
à réunir et non deux degrés d'une même réalité. Aristote,
dans sa théorie de la sensation, ne parvient pas, malgré
ses velléités, à sortir du dualisme et du transitivisme.
Le nombre des sensibles propres détermine celui des sens
spéciaux. A l'exception du toucher, qui est moins un sens
qu'un agrégat de sens et porte sur plusieurs qualités, qui
ont d'ailleurs pour caractère commua de no pouvoir élre
appréciées qu'au contact, chaque sens porte sur une qua-
lité unique, ou plutôt sur un couple de deux contraires
entre lesquels il est comme une moyenne (usrâTqç), ce qui
({) 1)0 an. II. 12 dëb. : . . . r, u-v cutOçti; ii-.i ro oi/-i:.:oj r»v aÎTÔ/;-
T'-.v ùiïtov /jïj -f.; J''i;, t t j -oj voiïxtptiu
MKt TOÛ yo-jTyj <]i/j.rv.i rô Tr.'iiWj. \ttftSdaiu t's ro yjtuooùv h ~o yj/J.xov-j
T^/i'.ov, iùX ©ûjj i, /ojo-o; h /'/.ï/j>;. .. CI. III, 11*. 434 6, H-2'J ; II, \'l.
424 a, ol-h. 3. "
380 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
lui permet de pâtir par l'action des extrêmes et de les
apprécier ; ce qui fait aussi qu'il ne peut supporter, sans
dommage pour lui, qu'une action modérée (De an. II,
11, 424 a, 2; 12, 424 a, 28). Le nombre des couples
ou des sortes de couples de qualités sensibles est tel
qu'il y a cinq sens spéciaux et qu'il ne peut y en avoir
davantage (ibid. II, 0, 418 a, 11 ; III, 1 déb.). Le plus
élevé, celui qu'il faudrait, par conséquent, étudier
comme type, est la vue (1). On voit à plein, à propos de ce
sens, un fait caractéristique qui se retrouvera, bien que
moins manifeste, dans tous les autres, à savoir qu'il faut,
pour que la sensation se produise, un milieu interposé
entre ce qui sent et le sensible. Le sens commun, dont
nous parlerons tout à l'heure, réside dans le TtvsGua, con-
tenu lui-même dans le cœur (2) ; de plus chaque sens spé-
cial a un organe ou sensorium propre : l'œil, l'oreille, etc.,
qui sont d'ailleurs en communication avec le sensorium
central. Or, pour qu'il y ait sensation, il faut, comme on
le voit manifestement dans la vision, que le sensible ne
touche pas immédiatement le sensorium. Les objets colo-
rés n'agissent sur l'œil qu'à travers un intermédiaire, un
milieu, le diaphane, sorte de puissance qui se trouve dans
l'air et dans l'eau (3). De même l'ouïe réclame un milieu
que les commentateurs appellent le o'.^/éz, et l'odorat un
autre milieu qu'ils appellent le oloc-uov. Le goût doit par-
tager à cet égard le sort du toucher. Pour ce dernier,
Aristote s'attache à démontrer qu'il exige, lui aussi, un
(1) Ibid. III, 3, 429 a, 2 : . . . h oiptç pâîkiata. oûaQvviç, èort. . .
(2) Voir Rodier, op. cit., ad II, 12, 424 a, 24 sq. (II, p. 332-334).
(3) De an. II, 7 et principalement 418 b, 4-13, 26-419 a, ! . Sur le
diaphane et sur la théorie des couleurs, voir Rodier, op. cit.. p. 'iSl
sq. : « Le visible, c'est la couleur. Mais, pour être vue, la couleur «toi t
agir sur le diaphane, et sur le diaphane éclairé. Par lui-même, le
diaphane, véhicule de la couleur, est invisible et incolore. Cependant
on peut dire, en un sens, qu'il a pour couleur la lumière et que son
acte, la lumière, est visible. » La lumière, c'est l'acte du diaphane
indéterminé ; les couleurs, ce sont les diaphanes déterminés qui rési-
dent dans les corps et qui se rapprochent plus ou moins du blanc ou
du noir, selon qu'ils renferment plus ou moins de feu ou de terre, de
l'élément brillant ou de l'élément obscur.
LE SENS COMMUN 381
milieu, et que ce milieu c'est la chair, instrument du tou-
cher sans doute, mais non à titre de sensorium. Toute
la différence avec les autres sens est qu'ici le milieu fait
partie du sentant lui-même [De an. II, 11, 422 /;, 34-423
b, 26).
Sous les sens spéciaux, il y a un sens commun qui a trois
fonctions : sentir les sensibles communs ; constituer par
son indifférenciation l'unité du sensitif, ou, comme nous
dirions, de l'esprit percevant à travers la diversité des sens
et des sensations spécialisés ; enfin procurer au sentant la
conscience de sa sensation. Cette dernière fonction est
particulièrement intéressante. Elle ne peut pas relever de
chaque sens spécial comme spécial ; car un tel sens est
tout entier absorbé par la sensation de son sensible propre
et c'est pourquoi, dans le De somno, Aristote a dit que ce
n'est pas par la .vue qu'on voit qu'on voit. Mais, dans le
De anima, il dit au contraire que c'est la vue qui nous
donne le sentiment que nous voyons (1). Il n'y a pas
contradiction. C'est que chaque sens spécialisé plonge par
ses racines dans le sens commun : par ces racines, il n'est
plus spécial, il est quelque chose du fond même de la
sensibilité. Maintenant, pourquoi ce fond commun de la
sensibilité nous donne-t-il, outre la sensation, la conscience
de la sensation ou, selon l'expression des commentateurs,
car Aristote n'a pas ici de mot technique, la o-uvaûïOyiartç?
G est qu'il ne devient pas tout entier la l'orme sensible. Le
sens se sent donc accessoirement lui-même (2) ; et, s'il
avait son objet en lui-même comme l'intellect a en soi les
universaux (3 . il serait sensation de la sensation. Aris-
(1) De sorm o, -, i55 a, 12 sqq. et surtout 15 : . . 5«t« Si rr; xeci
xom) ^•'yj'j.\n\ «xO^OvQoOcrn -nùacmi, [se. rul; «i.TOrjTô<Ti.\, y xui ô'i bpâ /ai
ù/.vjzi y.oiï at<T0«v«Taj • OÙ yào Sri t/j yt fytt opa en bpèt. . . Dr an. III,
■i déb. : de deux choses l'une", ?, *<? 5-pa «î<7(Jco£?tfai on ôpâ. h s'rïV/ |s<-.
wtOctii] ; or il faut nécessairement que •'; ■'■>'h forai r>3ç o'^c-'.>; (aùr/
?'.; ïTTi/.t K-jrr,; ii'.'tfj, te»), car la seconde hypothèse aurait pour consé-
quence la régression à l'infini.
(2) Metaph. A, '.», 1074 //, Hri : peu'vtrai 'Txi.û «Mou... q Ktffôïjo-tî...,
istvTiJt S'îv itapÀùyiu,
(3) Vml. 107.rj f/, '\ : oy/ iripov owv dtaof roù voowutfvtu x«i to-j vo'j,
382 LE SYSTÈME D ARISTOTE
tote est au fond si réaliste qu'il exprime, comme, on voit,
dans les termes les plus exprès l'idée que la conscience
est encore une sensation on perception, une connaissance
de la connaissance (1). On peut dire que ici, encore une
fois, intervient l'idée de hiérarchie pour expliquer l'unité
des faits; il est remarquable seulement que l'unité est
demandée, non pas au terme supérieur, mais au terme
inférieur de la hiérarchie.
Après les sens, Aristote étudie les facultés imaginatives
et les opérations intellectuelles les plus inférieures. C'est
toujours l'idée de hiérarchie qui l'inspire, la sensation
étant avant et sans doute pour l'imagination, et celle-ci
étant sûrement en vue de l'intellect. Seulement ici, jus-
qu'à ce qu'il soit question de la fonction la plus élevée de
l'intellect, cette idée est parfaitement dans son rôle, puis-
que nous sommes en présence d'une série de termes homo-
gènes. — Ni dans le De anima, ni dans le De sensu, Aris-
tote ne dit un mot de la mémoire, à laquelle il a consacré
un petit traité à part. C'est, que la mémoire, en tant que
reproductive, ne se distingue pas pour Aristote de l'imagina-
tion. Elle ne s'en distingue que par deux caractères. D'une
part, elle est la possession de l'image, en tant que celle-ci
est considérée comme la copie de ce dont elle est l'image,
et, d'un autre côté, elle enveloppe la conception du passé
et la reconnaissance (2). Mais ces caractères paraissent
bien dériver de l'intelligence, encore qu'Aristote attribue la
mémoire à beaucoup d'animaux, sinon à tous (3). 11 y a,
dans tous les cas, à côté de la mémoire, une fonction qui
est proprement humaine, la remémoration, ky?.u.yrl<7::.
ock ult, s/ji jî.t,-j, -q rîÎto Ëorat /.ai r, vôvjatç ~ôû voovusvu ata. a, 10 : 0Ût*»ç
3'ïyji u.'j-.t) Kyrçs x voijwiç. . . Cf. De an. III, 4, 430 a, 3.
(1) Sur le sens commun, voir Rodier, op. cit., II, p. 265-268 (ad
De an. Il, 6, 418 a, 18).
(2) De rne?n. i, fin : ... ■ic/.'j-in-j.v-oz, wç ii-/.ovoç où yâvrafffiH, ïiit...
449 a, 22 : Sii yào ôrav sveayjj xarà ro avijaosawffiv, o-j7mz ht t>j *\>v/J?i
\ér/zvj, Sri •Kùàzzoot vxBuasu y jjœ&ero r, bjoyiGSv.
(3) Cf. Bonitz, Metaph. lî, p. 38 {ad 980 a, 28). — Il est" à croire
qu'Aristote emploie souvent umay pour paurourioc, par exemple quand
il parle de plusieurs avyu.ou qui fusionnent pour constituer kur.eioia.
uîk {An. post. Il, 19, 'lOO a, 5).
MÉMOIRE, IMAGINATION, INTELLECT 383
Aristote l'analyse avec soin et montre à ce propos com-
ment l'homme emploie, pour retrouver ses souvenirs, ce
que nous appelons les lois de l'association. Aristote con-
naît les trois lois de ressemblance, contraste et conti-
nuité (1). — Sous le nom de mémoire, ou sous son nom
propre, l'imagination est la faculté de lame immédiate-
ment supérieure à la sensation. L'imagination est une sen-
sation affaiblie, ou encore elle est une sensation dépouillée
de sa matière, c'est-à-dire sans doute affranchie de la con-
dition d'être hic et nu ne, ou. autrement dit, dépendante de
nsible; et on voit comment elle constitue un progrès
et un élargissement considérables pour la vie de l'Ame. Si
l'on considère le coté physique du phénomène, il faut dire
que l'imagination consiste en une trace laissée dans les
sensoria parla sensation, ou plutôt encore dans un mouve-
ment qui se continue après la sensation. Mais Alexandre
fait justement observer que ce n'est pas là pour Aristote
toute l'imagination, qu'elle est aussi quelque chose de men-
tal et d'actif, à savoir l'acte de la faculté Imaginative elle-
même (2). Quelle que soit d'ailleurs la part de formalité
et d'activité que puisse receler l'imagination, elle est pas-
sive par rapport à la fonction la plus élémentaire de l'in-
telligence proprement dite. Aristote marque avec force ce
degré de sa hiérarchie. Cette l'onction élémentaire, F'j— ôa/.^'.ç,
qui répond à peu près à ce que nous appelons jugement,
atteint déjà l'universel et, d'autre part, comporte vérité et
erreur, deux choses' au-dessous desquelles l'imagination
demeui<\ De VwÀ'ktityw se différencie à peine la odÇor. Au-
dessus de l'une et de l'autre, sont la prudence, s,zWri<j-.ç,
et la science (3).
Nous voilà parvenus a l'intellert, ou du inoins à l'in-
tellect discursif. Mais, avant de nous occuper de L'âme
intell. jetive en elle-même, nous devons noua placer un
(1) Dr ment, il, et surtout 451 //. d8 : ... to ift%r)<; 9ïjprJotxiv -jor^a-j-
T£; euro roy jjj ï; k).).ow rivôç, xat (/■/ ouoloy à rju.-j-i.o-j r, roû <T\ivêyyv$.
(2) Voir Roofieri op. <-it., il, 428-430 el Alexandre, De <m. es. \t
3u Br.
(3) / \ 15). Cf. aussi 194 497.
384 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
moment à un point de vue plus historique et moins des-
criptif que nous n'avons fait jusqu'à présent, et essayer
d'indiquer quelle est, selon Aristote, l'évolution de la con-
naissance. Il va de soi qu'Aristote ne distingue pas entre
l'histoire psychologique de la pensée et ce que Fichte en
appellerait l'histoire pragmatique, et qu'il s'attache surtout
à ce qui intéresse la théorie de la connaissance. Toutefois,
de quelque façon qu'on l'entende, la connaissance a pour
Aristote une évolution, qui est distincte de l'analyse stati-
que à laquelle nous nous sommes livrés avec lui en traitant
de la logique. Pour Aristote toute connaissance commence
avec l'expérience ou, pour mieux dire, avec la sensation,
avec la sensation en tant qu'elle s'exerce ici et maintenant
et paraît avoir pour objet un individu (1). Car Aristote
repousse la réminiscence platonicienne ou, en général,
l'innéité proprement dite, et, selon lui, le problème du
Menait se résout tout autrement (An. pr. II, 21, 67 a, 21).
Toute connaissance part d'une connaissance antérieure :
mais cela ne signifie pas que toute connaissance suppose
une autre connaissance toute faite. Le problème du devenir
de la connaissance se résout par les mêmes principes que
celui du devenir en général. Nous avons vu que. grâce à
l'être en puissance, nulle réalité ne venait du non-être pur,
tout en pouvant cependant, en un sens encore très positif,
commencer d'être. Pareillement nulle connaissance ne
sort d'un néant de connaissance ; mais la connaissance en
acte sort de la connaissance en puissance. La connaissance
universelle est en puissance dans la connaissance indivi-
duelle et sensitive. L'individu commence par la sensation
et actualise peu à peu l'universel que la sensation contient
en puissance. Des images semblables fusionnent et forment
ainsi une image composite ou. si l'on aime mieux, une
routine. Et c'est là un premier universel, auquel il ne man-
que plus que d'être saisi et posé comme universel. De même
que, ontologiquement, les formes intelligibles sont dans les
(i) An. post. II, 19, 100 a, 17 : ... eùffôâv»rai pev [se. h fy~/jî\ t» v.'xh'
ï/.c.cttov, ij o'c/.iabr.Gi^ zoxi z«6o}.ov eotîv, olo-j yvôownrov, vj.V oO Ka).7to-j
«ïôpwîrou. Cf. De an. III, 7 déb. et infra, p. 398 sq.
l'intellect 383
choses sensibles, de même, au point de vue de la connais-
sance, la notion est dans la sensation (1). Seulement ni la
forme n'est un produit de la matière, ni la notion n'en est
un de la sensation et de l'imagination. C'est l'intellect qui
fait, ou. si l'on vent, qui est les notions. Nous voilà en
face de cette fonction qui soulève tant de problèmes redou-
tables.
Contentons-nous de quelques indications sommaires, en
ayant soin toutefois de faire sentir les incertitudes où
Aristote nous laisse. Il y a un intellect discursif qui est
tout voisin de l'imagination, bien que déjà supérieur à elle :
c'est, à vrai dire, la faculté dont l'J-ÔAr,!/^ est l'acte 2>.
Nous le laisserons de côté pour nous occuper de celui qui
correspond à la v4q<rc^ twv aSwupérwv [ibid. 6, déb.). Cet
intellect a plusieurs degrés. Il en a deux au moins. 11 est,
d'une part, l'intellect passif (roxfbiTUcéç), l'intellect qui
devient (t(J> ïcàvra yîyve<r^ai) : il est d'autre part l'intellect
qui fait (tw navra reotetv) (ibid. chap. o . L'intellect passif,
l'intellect qui devient, n'est par lui-même rien d'actuel :
c'est une tablette sur laquelle originairement ii n'y a rien
décrit, C'est un simple réceptacle, qui ne serait pas sans
analogie avec la matière première, puisque, afin de ne pas
compromettre la vérité ou, comme nous dirions, l'objec-
tivité de la connaissance, il faut qu'il soit entièrement
indéterminé (3). Toutefois il est clair qu'il doit, à la diffé-
de la matière, ne pas individualiser les formes qui
tombent en lui, et c'est peut-être là ce qu'indique Aristote
(4) Cf. An. posé. I. I ; II, 19 ; Metaph. A, l ; Phys. I. 1 déb ; />■■
On. 111, K, 432 Cl, 4 : . . . ft ri?: noiT' roi; set 7 6 r, roîç rà -joc-'X £TT'.. . .
431 b, 2 : rà 'j.ïj oùv i':rJ r, ro voijrotôy b roîç yenixciautun vmî., .
Voir p. 39b\ n. X.
_ De an. HT, i, HU a . 23 : Xéyw fi voira, ■■< t?t«vostr«i xat ûvoXsuc-
■ j //■■
laid, n , 15-29 : arrxOîi ar>a où stvact, ^îxrtxov âï toj £t<îo^ net)
ni rotoÙTov, a).)-/, ao roCro.. Kvâyxu àoa, i-i>. -x-jtk -joîï, ititiyij
iliy.i '-j77î f*»o' KÙTOÛ etVCtl yJTiv ar/l i'j.'.%j '//'/.' r, tcot/îv, oti JvraecTÔ
II. i de la p. 387). .. /;. 30 : ... o-j-jxuu --.<; MTI r'J.Jor.Tu o vq'j;, &À)
iu/v.j. o-jOiJ, Ttplv x* -j'y?, . oi- J'oûruf ûstrta rv ypctuftccTt t«> u utqOtv 0-
ivT£)£/£f-/ ysypat[ifiévov... Suc ce dernier point, cf. Rodier, op. ci/., Il,
p. 4:»7.
A ri-1
386 LE SYSTÈME DARISTOTE
en disant que l'intellect passif est lui-même un intelli-
gible (1). Quelque supérieur qu'il soit déjà à l'âme sensi-
tive et même à l'intellect discursif, l'intellect passif ne peut
évidemment rien penser par lui-même. Il faut qu'il soit
actualisé par les formes intelligibles. Mais comment, chez
l'homme, ces formes intelligibles pourront-elles actualiser
l'intellect, alors qu'elles ne sont elles-mêmes rien d'actuel,
enveloppées qu'elles sont dans la sensation et l'image ?
C'est ici qu'intervient l'intellect qui fait, le voj>; tiqiv\'u.xoç,
comme ont dit les commentateurs. Il actualise les intelli-
gibles enveloppés dans les images ; et en ce sens, en ce
sens limité seulement, il fait les intelligibles. Quant à
expliquer comment il procède pour actualiser les intelli-
gibles, virtuellement contenus dans les images, c'est ce
qu'Aristote ne fait qu'au moyen d'une comparaison. L'in-
tellect qui fait est, dit-il, comme la lumière est aux couleurs
dans la sensation : il rend l'intelligible saisissable (2).
Cette comparaison ne nous avance pas beaucoup. Reste
toujours qu'éclairer est une action et qu'un agent n'agit
que parce qu'il possède la forme. L'intellect qui fait ne
serait donc pas autre chose, en dernière analyse, que la
forme intelligible pure et déjà séparée : cette forme séparée
évoquerait, appellerait à elle, pour ainsi dire, les formes
engagées dans la matière Imaginative. Mais, si l'intellect
qui fait est forme pure, voilà la grave question de sa trans-
cendance qui se pose. La pensée proprement humaine sup-
pose toujours des images (3), et, partant, est corpo-
relle ou du moins elle est liée au corps, forme du corps.
L'intellect actif, qui est forme pure, n'a plus rien de com-
mun avec le corps : il pense sans organe. Dès lors est-il
encore quelque chose de nous ? Le fait est qu'Aristote lui
prodigue des épithètes qui en font quelque chose de surna-
(i) Ibid. 430 a. 2 : xpù cotoç Sk «wroç îffrtv Ù7--p tU vojjtk.
(2) Ibid. 5, 430 a, 15 : ... 6 d's [se. -otoùroç -joùz] tw 7r«vr« r.'jul-j,
wç îfiç ztÇj elov ro ywç • toôtcov ycip Ttvc. vecii ~o yw; t:oiîï ~'j. iïvvdy.îi »VT«
■fcprouuTa. èvepyîia. y_où>u.7.xot..
(3) Ibid. 7, 431 a, 16 : ... Q'jSir.QTZ vo£Ï aveu i/coTzcrua'ro; i)
^v/ij. De mem. 1, 449 b, 31-450 a, 5, où le rôle des images dans la
pensée abstraite est bien défini. Cf. Rodier. op. cit., 494-i'JT.
LE PLAISIR 387
turel et de surhumain, v.-y.'rr;. ay.- r,-, iôdcvarov, xtourv I
Et ailleurs il déclare qu'il entre du dehors, Qûpaâev, dans le
corps de l'embryon (2). Le inoins qu'on puisse dire, c'est
que l'intellect qui fait semble bien être un autre _
dïime (3). Des commentateurs et. parmi eux, Alexandre I
estimeront que cet intellect est Dieu même pensant en
nous. Aristote a laissé le problème sans solution, ou plu-
tôt peut-être il a volontairement évité de le poser.
Nous en avons maintenant fini avec la théorie de la
pensée proprement dite ; il nous reste à parler de la fonc-
tion motrice de l'ùme. — Toutefois nous devons dire d'abord
quelques mots sur la théorie du plaisir. Le plaisir, c'est-
à-dire le seul phénomène affectif dont Aristote ait parlé avec
quelque détail, le plaisir, avons-nous dit, ne constitue pas
dans l'âme un ordre à part. Nous allons voir en effet qu'il
tient à la fois à la pensée et ù la fonction motrice, surtout
à celle-ci dont il n'est, à vrai dire, qu'un accessoire. Le plai-
sir ressemble à la pensée en ce qu'il est comme elle quel-
que chose d'actuel, d'intemporel et d'un. Aristote le com-
pare spécialement à la vision, qui, comme on sait, était
pour lui un phénomène instant*] D'un autre côté.
(4) Suite de la citation du Du an. dans ratant-dernière note. 43
set ovto; ô voùtj y wûttrroç xai v.-v.';r,: xeù ktuyf,c, -■; .
[plutôt que cf. Rodier. ad toc. p. 462
uivw rovfl' h-.-.; tari, /.y.', roûro pava* Ubdvaxn xoù kcomw. 4, 421) a, U :
ov-?-: ■j.iulyOv.L pjfoyov xùrov [il s'agit de l'intellect passif i
n. 3) : mais c'est encore plus vrai de l'intellect actif; voir note sui-
vante] V& rûuorrt ' - -, s» fiftoiTO, /-,:. % av.j
6pyav<n - . < if h, 4 s<\ .
De gen. anim. 11, :;. 73 i ;'. -7 : Itincrm is
UCtlOliltOU .■.V.iJji'.'i' ttVRI y I/O; 'jjCJîj jùû BEI
I)p ur. II. S, i'-iO b, 25 : ... ieuu i, soi
roûro ftimv s*&é%tzeu /■■>'J:t:-'j/.i, xaOcbru
(4» Par exemple D .17 Brune : rocoûron ni fo [i.
xaù :"qo; /'"'>'; ivvxu /.?«: wjr"
aïrio- •.: ;;:■ -V;.;. :o y..
/t'/y. '///''/■ 108, 22 : ... tûpcOni mti X*j
oiov.v /.«'. Juvauîç ri; r/; - /; uït;û'./.; Ij/ï,;, aV/ ;: •./;•> - Qjûv.
:ler, III. 1% Ki6, 3.
(5) £7A. .V/V. \, 3 (4) J b. : o'oxti *//o .
ypovov ri"/£'z -îv«t, . • roiovrw Pioutt» teù r, .- -■./.. .
388 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
le plaisir dépend de la fonction motrice. Le plaisir et la
douleur sont des signes qui révèlent la présence des appé-
tits : si on voit qu'un animal éprouve des plaisirs et des
douleurs, il faut en induire qu'il a des appétits (De an. III,
11, 434 «, 2). Le plaisir n'est pas une fin principale : c'est
seulement quelque chose qui s'ajoute à la fin, j-'.ytvôpievôv
t'. réXoç (l). On ne peut pas mieux indiquer que la ten-
dance est antérieure au plaisir et son fondement. Nous
désirons l'accomplissement de la fonction, et non pas pri-
mordialement le plaisir. Le plaisir dépend si bien de l'acti-
vité qu'il en suit toutes les espèces et se partage en autant
de sortes qu'elle, et vaut uniquement ce qu'elle vaut (2).
Enfin toute la doctrine d'Aristote sur le plaisir a pour sens
que c'est l'activité qui est première et que le plaisir ne se
comprend que comme le retentissement d'une activité
conforme à la nature (3).
La théorie de la fonction motrice de l'âme n'est pas la
partie la plus claire de la psychologie d'Aristote. A la
prendre dans ses grandes lignes, on peut dire quelle est
marquée d'un double caractère, qu'elle est à la fois
intellectualiste et toute pénétrée, d'autre part, du senti-
ment que le désir est en lui-même quelque chose d'irré-
ductible à la raison et qu'on ne peut s'en passer dans l'ex-
plication du mouvement de l'animal raisonnable. Le désir
est l'organe de l'intellect pratique et, par conséquent, quel-
que chose comme la matière dont cet intellect est la forme.
Mais les deux ordres sont difficiles à réunir par l'idée de
subordination hiérarchique de l'un à l'autre. Selon Aris-
tote, c'est la pensée qui, dans l'âme, est fondamentale, et la
fonction motrice qui est dérivée. Il dit dans le livre A de
(1) Eth. Nie. X, 4, 1174 b, 32 : zù.ttoï de rvjv evépyetecv h hdovii ov^
wç é'çt; è-jVKc/.fi'/Q-jfjc/., ctkV wç iiriytyvousvàv ti té).o; olov rot; xxuaîot; ré
woa... Cf G. Kodier, Éthique à iXicomaque, livre X (Paria, Delà-
grave, 1897). p. 97, n. 2 {ad 4, 5, 1175 a, 15-19).
(2) Ibid 5 s. in. : swsw -s yào Ivzpyeioiz o-3 yivsroti 7j<?ov7J, rcàc-av tî
ÈvépvetMv TE>.stoî i) r^ovô . . ràç Ivepyeîetç t«; JtayepoOeraç tm zïrjzi i~o
Sia.'fzci6'jroi'j û5n TelzLO-juOa.L. Cf. 2 (3), 1173 b, 28 sqq.
(3) Ibid. VII, 13 (12), 1153 a, 14 : ... >sxr£ov [s. eut. shott rît* rjo-
v>jv] « hioysiQLv tvj; xarà yv<7iv IÇîw; », c/.jri âï roû « kItOctt/j v.vsuno-
(Jiotov ». Cf, Rhet. I, 11 déb.
LE DÉSIR 389
la Métaphysique que nous désirons parce que nous nous
représentons le désirable, et non inversement, et il s'efforce
d'établir au même endroit que c'est le suprême intelligible
qui est le suprême désirable (1) ; car l'excellence ontolo-
gique est la raison qui fait qu'une chose est bonne. Aussi
dans le De Anima (2) présente-t-il le désir et l'aversion
comme étant les dérivés, ou tout au moins les analogues,
de l'affirmation et de la négation. Désirer, c'est affirmer
qu'une chose est bonne; éviter, c'est dire que la chose
n'est pas bonne. Par suite encore le processus moteur se
figure, pour Aristote, par une opération tout intellectuelle,
par l'opération intellectuelle par excellence, par le syllo-
gisme. Tel genre de chose est désirable, dit soit l'intellect,
soit l'opinion pratique; ceci tombe sous le genre en ques-
tion, dit de son côté la sensation ; l'action suit comme la
conclusion de ces prémisses : il faut boire, ceci est buvable
et l'animal boit (3). Aristote dit encore, et c'est une façon
à peine différente de présenter les choses, que le désirable,
moteur immobile, meut le désir qui, comme moteur-mù,
meut à sou tour le corps, simple mobile (4). Le moteur
immobile est évidemment ici l'analogue de la majeure, le
(1)7, 1072 a, 29 : optyàusOu dï âtorL Soxeï [se. xeàov] ua).).ov r. oo/.-î
oioti oaêyàusQa ■ v.oyr, yùp h -jocti;. a, 26 : xtvsî 3z tact [i. e. où xtvoû-
fitvov a, ^*>; to opexfov, y.ca ro vovTÔv /.'.jv. où xrvoûusvov. Cf. Bonitz,
Metaph. II, p. 496. De an. III, 10, 433 a, l-is<\<\.. 22 : . . . voûç Si 6 hzv.6.
toj ).oy>.'Çou.zvo; xeel o îxoc/.y-c/.q:... xoù rt o'osÇtç ïvexx toj -;/.iv. ' o-j yàp h
o*p»£iç, uJ/rri vo/r, ro-j irpscxrixoù »où ■ to oii/rj.-ryj r'y/j. ~c-. irpa'Çswç. . .
jjj Si o usv -jrjj; o-j frxi.-jiTv.i xtvJjv aveu ôoï'£-'.>; . .. Cf. !). 433 a. 1-3 et
De mo lu uni m . 6, 700 b, 23 : ... xtveî itpâtrov to o'pexrôv xeù to <?iavoï!TÔv.
Voir infra, n. 4.
(2) De an. III, 7, 431 a, II : ôtco Je y-c?j q Xvmjpov, oôv /^«y/o-a >j
Kiroyâou j.v. ■- roû ato-ôavsffôai svgpYStee], cmûxk >7 optûyei. Et h. .Me.
VI. 2, H 30 a, 21 : c'ttiv o'okio ïj Sittvoia xara^aai? /; sbrocpafftç, roûro èv
OpcÇtl oir„-i. ; y.ai fW/Ô. ■ .
' (3) /;///. AVr. VI, 5, 1 1 11 a, 23 31 ; De ww<u a«tw. 7, (ont le «lébut
ci particulièrement 701 r/. 32 : rrore'ov pot, $ nrtdvpfa icytt • toiJî iJs
7ror6v, â «ï^Oflit; £t~ïv i; /; Bavratffta S o voOç • iû0ùf rrtvst. Cf. Dé <7/'.
III, Il *. /în. (434 a, 16-19).
(4) /)<?«/;. III, 10, 433 a, 27 àqq. et surtoul 6, 13-21. Cf. De mofti
unir». 6, 700 6, 3îi sq. : to ub ou? irpârov ov xivoûptvov xtvit, ») t?*0|9iÇtç
xat ro ôptxrcxôv xtvovurwov xivsï.
390 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
moteur-mû, celui de la mineure, et le mobile, qui ne meut
plus rien, est l'analogue de la conclusion. En revanche
Aristote reconnaît, de la façon la plus formelle, non seule-
ment que sans le désir il n'y a pas de mouvement possible,
mais que le désirable peut être un faux désirable (1). Le
premier de ces points ne soulève pas de difficulté, une fois
du moins qu'on a admis que l'excellence ontologique doit
présenter un aspect pratique et apparaître comme désira-
ble ; car, au surplus, il va de soi que le désirable éveille le
désir. Mais, si le désir peut être provoqué par une fausse
représentation du désirable, s'il n'est pas indispensable que
ce soit l'intellect pratique qui représente quelque chose
comme désirable, si l'opinion, qui est faillible, peut rem-
placer l'intellect, alors le désir n'est plus dépendant du
rationnel. Ce n'est plus qu'en apparence qu'il relève de
l'intellect ; en réalité il est son propre maître, et il peut
commander à son tour, comme il arrive dans l'intempé-
rance (2). — C'est précisément dans cet intervalle entre
le désir rationnel et le désir irrationnel que s'établit la
contingence. On sait (cf. p. 167) avec quelle force et quelle
logique Aristote en affirme l'existence au chapitre 9 de
YHèrméneia et ailleurs. Mais sa doctrine de la liberté n'est
pas aussi nette que son affirmation de la contingence (3).
(i) De an. III, 10 le début du chapitre et 433 a, 26-30.
(2) Ibid. 9, 433 a, 1 à la fin du ch. : l-.i xoù im-â-ro-j-o; -où voù
x«l Isyoùrrr.ç ~'r,z oiavoîa; œsjyâtv zi "o âtwxstii ou Kivsiroci, c/X/.à y.arà njv
hci&v filou -pc/.rrîi, oîbv 6 ôuepanjç... k'ù.ù ityv oû<?' h opsÇiç [t. e. h à).oyoç
6/DEçtç] r«uTijç'xuDt« TJ?ç xivjjffawç [du mouvement qui noi:s porte vers
l'objet ou nous en éloigne] ■ oi yàp iyxparsîç àpsyQfis-Joi x«t sîuSuttovvTSÇ
OÙ JTÛKTTOUfftV W ïyQiJGI. T'flV^ Ojp.S§tV, KAà' àxo)vOU^OÛ!T£ TW VU. Ci. '11,434 Gf,
12-14. Voir Rodier, op. cit., il, p. 535 sq., 555-56l'et 212,
(3) Sur la contingence, en outre de Herm. 9, voir De gen. et
Curr. II. Il, 337 .v, R-9. — Le nom du désir rationnel est. dans Aris-
tote, jâoiibjffiç, De an. III, 10, 433 a, 23 (à la suite du texte cité
p. précéd., n 1) : r, yàp (ÎouXvjitiç àpeÇtç • otûv o*e y.arà tov Aoyicruàv
-/.L-jO-ut., /.où y.a-v. |SoûX7jfftv xcveêrae. 9, 432 b, 5 : h ~.z rw ioytfTTtxw yàp
h SoûV/jo-iç ylvsrat, xai h tS> k\oyca o éirf6wltt« xai ô 9uuo$. . . Cf. Rodier,
op. cit., p. 532, 542. — De la j3o0/ïj<7i-, se distingue la Kpocdptmç, qui
est la volonté proprement dite, bien qu'elles soient très voisines l'une
de l'autre, Eth. Nie. III, 4 (2), 1111 b, 19 : oàlx pojv oùèe pavlnnic, yt
[se. h -poci.pî'jii], xulnep aûvsyyvç «atvousvov. VI, 2, 1139 a, 31 : 7Tp«'^«ws
l'acte libre 391
On ne voit pas très bien comment l'action libre diffère, soit
d'un fait de pur hasard, soit d'une action déterminée par la
raison. Peut-être la pensée d'Aristote est-elle déjà celle que
plus tard exprimera ouvertement Alexandre, à savoir que
la liberté est un remède à la contingence et que l'action
libre est une initiative violente par laquelle le sujet se
remet sous la loi de la raison, en sautant par dessus les
lacunes dont souffre à certains moments le déterminisme
rationnel dans le monde sublunaire (1). Dans tous les cas,
u';j ovj 'J-oyj, JTpoatpefftç, ôOîv r, xîvïjctiç à).).' ovj* o\> vjz/.c/., — oov.'.pinv >; 9k
ôpiif; xai ),6yo; 5 ivexa Ttvoç. h. 1 : iïi'o r, ooiy.tiy.ôç vo-j^ vj ttoqcu'oî'ti; r,
opiiit oiavojjTtxjj, xai r; -roiv.'jTC uoyrt à*»8pwTroç. La ~povJ.oz<ji^ consiste
en un choix entre nos désirs raisonnes quant aux aeies qui sont en
notre pouvoir et qui sont particulièrement nos actes moraux, ibid.
HT, 5 (3), 1113 a, 9 : ô'vroç Sï tov Tzpoutpzroù (iou/éuroj oor/.ToO frôv lo'
iflfûv, xai r, irpoc/.Lû-rji; an îvc\ Bou^sutix^ opeÇtç twv r»' tiuvj ■ ht roù Boy*
Ie-'j<tc/.<7B<xi y«(3 xptvavrsç ôpçyoueÔa y./.tv. tïjv |3oû)suffiv. 7 (5), 1113 6, 6,
11, 15 : sy' Âpûv os /.'/t ^ iosrv?, ôaotoi; tTs xai â xaxîa. iv otç yàp èy' Oftïv
tô Trp«TTêtv, -/ai tô j^à jrp«rrsiv, xai sv ol; tô oiy;, xai tô val... si oè if'
rçuîv rà •/.«).« 7rp«TTStv •/.xi tm alrrypd, ôptotKÇ ô*6 xai to y.vî TrpeérTfftv, roùro
<Jj jjv to kyaOoï; y.v.'l x«xoî; stvat, êy' Jjpùv apa tô ïr.in.v.ïii x'ai BaSXoeç
Stvat... uaxapto; ptev yào ovôYtç axwv, y; o'î uoyQopia- Éxotfffiov, L'homme
est le principe et le père (âp£*>, ysvvïjDjç) de ses actions, comme il
l'est de ses enfants : il n'y a pas lieu de remonter à d'autres principes
TTKpà rà; ;©' rçpitv ■ Su xat a« aplati w flftïv, xai a-j-à sa»' ijpiîv xai îxouma.
Cf. Zeller, p. 587-589 : Bonitz, Jntf. 633 6, 43 : 268 b. 23 ; Rodier, op.
cit., 87, 90 (arf406 6, 25).
(1) Ce n'est pas dans le Zte fato qu'il faut chercher l'exposition la
plus forte cl la plus profonde de la doctrine d'Alexandre sur la
liberté, mais plutôt dans les deux sections du De anima iibpr aller
qui sont intitulées ràîrapà 'Apierrorslous irepï roù I*' -hy-u (169, 33-173,
16-175, 32 Bruns ; cf. Ravaisson, Essai, Iï, p. 309 sq.). Il y a. dit-il
en substance, du non-être répandu et mélangé dans les êtres (trios
le domaine de ce non-être es1 réduil : c'est le domaine des faits races
(tô hit' ïkctTzov), par opposition à ioul ce qu'il y a dans l'univers de
fréquent (ro «? ï~\ tô nokù) ou même de nécessaire : c'est en outre
seulement le domaine, si peu étendu, du monde sublunaire Or c'est
ce non-être qui l'ail la corruptibilité des êtres qui sont dansée monde,
leur faiblesse et leur infirmité; c'est lui qui les empêche d'exister et
ter toujours dans le même état. Cette part de non être, quand
elle se rencontre dans les cab* sures à nous, donne
à la fortune et au hasard {?. rvyj,, -b aÛToparov) ; quand elle se ren-
contre dans les causes qui sonl en nous-mêmes, elle fait qu'il y a des
choses qui sont eu noire pouvoir (tk s»' r/jJ.-j) et dont les opposés sont
392 LE SYSTÈME d'aRISTOTE
un point est sûr, c'est que l'action libre ne vaut pas aux yeux
d'Aristote l'action, aussi parfaitement nécessaire que par-
faitement rationnelle, des êtres supérieurs à notre monde.
Et il est sûr aussi que. pour les êtres de notre monde, le
principe formel n'est pas le seul moteur, de sorte que le
mouvement de ces êtres ne s'explique pas complètement
en disant qu'ils vont vers leur perfection et leur nature. Ils
diffèrent de cette perfection et de cette nature autrement
encore que par le degré.
également possibles. Noire liberté résulte donc d'une faiblesse et
d'une imperfection. Mais c'est en raison même de cette imperfection
que nous désirons et voulons le bien qui nous manque (170, 20-171, 1,
avec la correction de Bruns). Ainsi l'acte libre, en tant qu'il nous
remet sous l'autorité delà raison, est un effort pour rétablir en nous
et dans notre conduite l'uniformité qui caractérise les natures éter-
nelles et nécessaires. Voir surtout les dernières lignes de la deuxième
dissertation : ~v.?vj yàp àvQow— oi; roï; xarà «J<7tv rï ïywavj /.«'t uçroo-
foiz, inï tàv -Apivi-j te xai oCiptni-j §vvx?w UpEvIiit xtï)oout6ou xai Juv«tôv
ot aurou. âio tzoù.w xa^â; ~oo: upÉT'ôv nswvxoron çpaïAôrspov tivî: 7tî»vx6-
--.: Kjxeîvouç yiyvovTou 7ro).Xaxtç ri&v ïiiïstow r/ji? yûcrgs*ç tairccpEvot zr. -v.r/
kÙt&v z&ucLol (175, 27-32).
VINGT ET UNIEME LEÇON
LA THEORIE DE L'ETRE
Nous avons parcouru la logique et la physique d'Aristote.
Or, si elle suppose le réel, attendu que, comme théoricien
des méthodes et. à plus forte raison, comme théoricien de
la connaissance, Aristote répudie le formalisme, la logique
n'est pourtant pas l'ontologie elle-même : elle n'en est
qu'un dérivé et même une contre-partie. Pour la physique,
s'il est sûr qu'elle porte sur le réel, et cela dans un sens
très fort du mot de réel, puisque, à la différence des mathé-
matiques, elle s'occupe d'êtres concrets et non d'abstrac-
tions, elle ne spécule pas néanmoins sur ce qu'il y a de plus
central et de plus fondamental dans le réel. Elle étudie les
accidents des suhstances sensibles, à savoir le mouvement
dans ses diverses espèces; elle étudie en outre la nature,
cause du mouvement des êtres sensibles. Mais, si la nature,
est quelque chose de la substance, ce n'en est pas encore le
fond dernier, puisque la nature n'est que ce qui porte l'être
sensible vers son acte dernier, la terre ou le feu par exem-
ple vers leur lieu naturel. La forme elle-même, vers
laquelle l'être sensible se meut, n'est que le moteur, rela-
tivement ou absolument immobile, de cet être : c'est-à-dire
que, dans la physique, la forme apparaît surtout comme fin ;
c'est-à-dire encore comme tournée vers autre chose qu'elle-
même. Donc la physique ne s'attache nulle part à la caté-
gorie de substance prise en elle-même. Ajoutons enfin que,
assujettie qu'elle est à considérer exclusivement des êtres
sensibles, la physique ne pourrait jamais étudier la sub-
394 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
stance dans toute l'extension de cette catégorie, qu'elle ne
pourrait pas même se poser la question de savoir s'il v a
d'autres substances que la substance sensible ; car, si elle
aboutit à une substance surnaturelle, c'est sans en avoir
délibéré et sans l'avoir cherchée. La physique conduit donc
seulement au seuil de la catégorie de substance. Une fois
qu'elle s'est acheArée, il reste au philosophe à se demander
ce qu'est la substance comme substance et en thèse géné-
rale, puisqu'il peut y avoir une substance ou des substances
supra sensibles, et même en tant qu'il s'agit de décider ce
qu'est, en son dernier fond, la substance sensible. La théo-
rie de la substance comme substance ou de l'être en tant
qu'être est une science à part, la science suprême, celle
qu'Aristote appelle la philosophie première et qu'on a
appelée après lui la métaphysique.
Il est bien connu, et nous avons déjà eu l'occasion de
rappeler (p. 93 sq.), que la théorie de la connaissance et la
théorie de l'être chez Aristote sont, ou paraissent être ani-
mées chacune d'un esprit différent. Nous allons donc com-
mencer par demander à la théorie de la connaissance quelles
sont ses conclusions, et, sans dissimuler le désaccord qui
peut exister entre elle et la théorie de l'être, nous aurons
soin pourtant de signaler tous les efforts qu'elle fait pour
s'accommoder avec celle-ci. Nous passerons ensuite à la
théorie de l'être proprement dite et nous la suivrons jus-
qu'à la définition du premier des êtres.
D'une manière générale, la théorie de la connaissance
d'Aristote conclut comme celle de Platon que l'objet de la
science est l'universel. Cette conclusion revient à chaque
page, pour ainsi dire, des Seconds analytiques. Mais il ne
faut pas la prendre en gros et au pied de la lettre : ce serait
un moyen trop commode et aussi trop injuste et trop inintel-
ligent de se préparer à mettre Aristote en contradiction
avec lui-même. Il faut voir comment il explique, complète
et corrige cette proposition. Tout d'abord la sorte d'univer-
sel que réclame la science n'est pas celle que Platon avait
cru. En effet, pour qu'il y ait démonstration, il faut qu'il y
ait un moyen-terme, et, pour qu'il y ait un moyen-terme,
il faut qu'il y ait de l'universel ; car l'essence, ou la défini-
LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE 395
tion, ou l'universel, ce sont là des expressions synonymes.
Cependant l'universel qui constitue le moyen-terme du
syllogisme démonstratif n"a pas besoin d'être, comme l'Idée
platonicienne, extérieur aux choses. Certes le moyen-terme
est constitué par ce qu'il y a de commun entre les divers
cas dans lesquels se présente le mineur : il est l'unité de ces
divers cas. Cela n'entraine pas qu'il doive exister à part de
ces divers cas : c'est une unité immanente aux choses, iv
y.'j.-.'-j. -o/.MÔv ou i-\ -oÀ/.ù>y, non une unité transcendante,
iv nctpkxk TzoXkâ. {Anal. pont. I, Il dëh.\. Et. si cette unité
est réalisée quelque part en dehors des termes dont elle est
l'unité, ce ne peut être que dans l'âme (1). Mais il y a plus.
Non seulement l'universel, objet de la science, n'a pas
besoin, pour que la science soit possible, d'être une chose
à part. L'universel, bien considéré, est encore différent de
ce que l'on pourrait croire qu'il est au premier abord. Sans
doute l'universel est, en un sens, ce qui se dit de plusieurs
choses, ce qui possède une extension capable d'envelopper
tous les sujets dans lesquels se rencontre l'attribut ainsi
désigné comme universel. Cette délinition est dans Aris-
tote (2i : elle tient une place certaine dans sa pensée.
Elle en tient si bien une que, comme nous l'avons vu ail-
leurs (p. 127, n. 2), Aristote objecte un moment contre
l'Idée platonicienne que celle-ci ne peut être définie et con-
nue en tant qu'elle apparaît, ainsi qu'il arrive sous un
certain aspect ou dans certains cas, comme un individu
d'une nouvelle sorte, comme un être intelligible singulier.
On ne définit pas le singulier, ocra, [xovavàj dit-il à la fin du
cli. 18 du livre Z de la Métaphysique. Mais, dans ce passage
même, il finit par donner à son objection un sens autre
que celui qu'on aurait attendu en commençant. Les carac-
II) !><• en. II, 5, 417 h, 23 : ratura •. rà xaOoXeu] S'bt </.'■>-.
rç yy/j,- Cf. III, 4. '. : xai u r/: oi XeyovTtc -•-,■•> '^'->/SJ stvau
TÔ7TOV . .'j-.i 5X» kAV r, vorçruaj, otrra ijrùi /-.<■/. '/■'//. SvvtifiH
rà lîJij. VoirRodier, op. cit., II. p 161 et 439.
(2) Mctaph. Z, <:i, 1038 A. Il : tu-o yètp XsyrrKC xâôotav ô -"•
■jt.j.'j /z>:j rréyuxcv. i, 1 '>, 29 : rà fùv yàp xaOoXou... ovr«
x«0o).ou '•>; -'i'/'/v. jrsouyov rà ttctTttyoptîv9at xaâ' ixctorou xai h /-«vra
wç fxaorov... Cf. lîonilz. Ind . 356 A, 4 sqq.
396
LE SYSTEME D ARfSTOTE
tères qui entrent dans une définition n'ont pas toujours de
l'extension, ils sont seulement susceptibles d'en recevoir : è-'
yXkvj ïvos^eTas. (1). Cette universalité de droit est assez diffé-
rente de l'universalité de fait. Si elle suffit, on peut donc
en réalité penser un concept sans extension. C'est si bien
là au fond l'opinion d'Aristote que, comme nous l'avons
aussi indiqué, Alexandre assigne pour objet à la définition
l'ensemble des caractères qui constituent la compréhension
d'un concept, sans qu'on ait à se demander si ce concept est
ou non répété en plusieurs exemplaires (2). D'ailleurs l'acte
essentiel de la connaissance n'est pas, nous le savons
(p. 1 IGsqq.), leÀôyosOii la discursion, c'est l'intuition. Or, si
l'extension est naturellement afférente au Xoyoç, non moins
naturellement l'intuition est un acte singulier. La preuve
en est dans le rapprochement qu'Aristote établit entre
l'intellection et la sensation. D'une part, il se sert de
l'exemple de la sensation pour faire comprendre l'inteilec-
tion des indivisibles ; de l'autre, il déclare que la sensation
qui saisit l'homme dans Callias et la sensation des gens
expérimentés qui savent voir sont intellection (3). Lors
(1) Une partie de ce texte a été citée p. 126, n. 4; cf. Bonitz,
Metaph. II, p. 356. L'Idée platonicienne est un véritable individu et,
pour cette raison, ne peut être définie : voir en particulier Metaph.
M, 9, 1086 a, 32-35 et Z, 15, 1040 a, 8-14 ; b, 2 sq.
(2) Alexandre, 'knopiou /.-A Ivtntz, I, 11 b, 23, 23-32 Bruns (cf supra,
p. 126). Voir Rodier, op. cit.. II, p. 19.
(3) Voir p. 116, n. 2. Cf., en outre des textes cités à cet endroit,
De an. II. 4, 429 a, 13 : i\ So sari rô voetv tûffiréo -o aiaQoLvstrQou, r, nùtryen
[cf. Rodier, p. 436] ri Ofrô to-j vojîtoù tj ti rotoûrov étspov... [cf. p. 385,
n. 3] oiloimc, é%£i'j, MGT.zp zà uicrQ-on/Jj-j rrpôq rU «.luBiixi, oûrw rôv «ou»
jrpôç r« voTiTci. 8, 432 a, 2 : ... ô voyç ùdoç tiSw -/ai <j ocïer9i}a-iç ii$oç
eçîfffiflTâv [cf. p. 379, n. i}. C'est à l'aide de métaphores emprun-
tées au contact et à la vision qu'Aristote décrit l'intellection, Metaph.
0, 10, 1052 a, 3 : ni l'erreur, qui est le fait d'une synthèse incorrecte,
ni l'ignorance ne sont comparables à la cécité, ô ukv -/ko ruy>6n}ç
ioriv <wç $» se tô voqrixsv ô')m; un ïyj>i itç. A, 7, 1072 b, 20 : l'intellect
se pense lui-même xarà jxaTafojiptv roû vojjtoù... Gr^ycôwv x«i voâv... to
7«o ô*sxtixov roû »o«toù' xaJ ?«; oû.«rÉa« «où;. Et h. Nie. I, 4 (6). 1096 b,
28 : wç '/«p £v o-w^art o-k;, b ^Z'j? vowç.;. et de même Top. I, 17,
108 a, 11. — Sur le rapport de l'intellection et des intuitions de l'ex-
périence, cf. Eth. Nie. VI, 12 (11), 1143 b, 4, H : Ix-tw» x*6' 1™.i-.v.
LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE 397
donc qu'il dit que la sensation, ainsi identifiée avec l'intel-
lection, a pour objet l'universel (r, 8'aîd)7i<uç tou xaOôXot*,
An. post. II, 19, 100 a, 17), l'universel dont il s'agit n'est
plus l'universel extensif. La source de toute connaissance
inductive et. par conséquent, de toute connaissance, puis-
que ce qui ne se démontre pas se connaît par induction, la
source de toute connaissance est un acte qui n'a rien à voir
avec l'extension, point que nous avions signalé (p. 258) dans
la leçon sur l'induction. Enfin, et c'est là le point le plus
important et le plus décisif de tous, l'universel proprement
dit, l'universel du genre, pris ou non avec extension, n'est
pas le seul objet de la connaissance. Faisant appel à l'idée
d'analogie que nous avons déjà rencontrée chez lui plu-
sieurs fois, Aristote montre que, quand il n'y aurait pas
d'universel générique, la science ne chômerait pas pour
cela, et il tend même parfois à ramener l'universel généri-
que à l'universel analogique : « Ce n'est pas seulement, dit-il
dans le livre r de la Métaphysique, dans les choses qui ont
un caractère commun qu'il faut voir l'objet d'une science ;
des choses rapportées toutes à une même nature consti-
tuent aussi un pareil objet ; car ces choses ont, à leur façon,
un caractère commun. Et c'est pourquoi il y a une science
des êtres en tant qu'êtres ». De même la médecine s'occupe
de tout ce qui a rapport à la santé, encore qu'il n'y ait pas
à proprement parler d'unité générique pour relier entre
eux l'agent, l'instrument, le réceptacle de la santé il). Si
i K£c6oÂou • rovTwv ouv Êfygtv oîl cûjQriçiv, flt'jTic S'kazi vo-j;... &Jo*rî
ozl rroo-j;/: îtaaiv x«è itpè<rGu~ép<av r, soovtuMV rc/.t; Kvairoastxrotç
'^■j.iiii. /.«'. o'jz/;.'; v>/_ flTTOV T<àv xito3si%îo>v ' rJii/. yio ro ïytiv sx -r,:
èuKtipiui dftfta ôpàaiv ooOâc. Cf. aussi p. ;>84, n. 1.
(1) Metajth. Y. î déb. : ro S'ov Xcyrrat fin noiXa/âf, «).)à -po; h /«i
iu'ocv rtvâ mùaiv, xat où% ôu&ivûfjuu;, iÙJ ÛTittp xaè ro ùyutvàv j.-ol-j npôi
CryUwc», ro u.'u -■■> yu).«rrsev, ro Jg rù irotstv, ri -îj rai yvjutîov jtvat -r,-
iyteiaç, ro o'ort Six.rt7.Qv xùrrjq ' xeci ro iarptxov jtûôç îarotxiqv ■ ... ovr-.j
Je... r«f*èv.., ôri o /T'y ôvt« Xéysrat, rà o'ort jt«Ô>] oùfffaç, rà o'ôrt 60^6;
£'.; oJTt'av... y.v.r)'}.-'.o rij-j /.ai w5v ûytstvàfo «itkvtmv ula èrctTr^tx/j sTri'v,
ôuotfij; roûro y.c.t îni twv '/V/,mv. oO yào uôvov râv x.aO' iv Xnoutvam hrio>
rcy-ij; larè &«eop»jo'ae u'-a;, «>./à xai rân ~oo; utow Xeyourvwv yvaiv ' xai
yàû raûra rpo'jrov r'và '/-'/irai xa0' ï». oijXov ouv ôr« x<tl rà ôvt«
ÔCWO^COH Ô 8VT« X7T«VT«. Cf. p. 121. D. i.
398 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
nous nous rappelons à ce propos ce que nous avons dit
(p. 247) des axiomes, qui ne se répètent pas, mais se
correspondent d'un genre à l'autre de l'être et trouvent dans
cette correspondance une sufflsante universalité, nous
voyons qu'il résulte de la dernière considération à laquelle
nous venons de nous attacher, comme cela résultait déjà
des précédentes, que la science ne réclame pas pour objet
aux yeux d'Aristote des universaux proprement dits. Elle
se passe parfaitement de l'élément extensif dans les genres,
et elle se passe même aussi des genres.
On arrive à un résultat identique en prenant les choses
à l'envers pour ainsi dire, et en portant son attention, non
plus sur ce qui est propre, mais au contraire sur ce qui est
impropre, selon Aristote. à servir d'objet à la science : « on
ne peut pas savoir par le moyen de la sensation », « la
sensation porte sur l'individuel, la science sur l'univer-
sel » (1). Ainsi ce qui est impropre à servir d'objet à la
science, c'est le sensible ou lindividuel. Or qu'est-ce que
le sensible ou l'individuel ? Sans doute, en un sens, c'est
le singulier, et c'est même ce mot qui traduit le plus litté-
ralement l'expression aristotélicienne x«8' Exaorov. Cepen-
dant il faut examiner s'il s'agit bien du singulier comme
singulier. Nous avons vu tout à l'heure Aristote dire qu'on
ne définit pas So-a •xovzyi. et telle est la manière vraiment
précise et sans ambiguïté dont il convenait de désigner le
singulier comme singulier. Mais nous avons vu aussi que
cette singularité, comme telle, n'allaitpas, en fin de compte,
jusqu'à empêcher la définition et la science. Nous devons
donc ne pas entendre trop facilement dans le sens extensif
les expressions par lesquelles Aristote indique la raison qui
empêche à ses yeux la sensation de donner la science :
« Bien que la sensation, dit-il. ait pour objet ce qui est de
telle espèce et non cette chose particulière, néanmoins il
est inévitable que ce soit cette chose ici et maintenant qui
(i) An. posf. I, 31 déb. : oJC: tdsQvtretôq éaru ï-ls-y.siïv.i. De an. II,
5, 417 b. 22 : ... reav x«0' hut&îw ?, xxr' tvépysicai aïo'ôvjctç, h o' i-n iot car,
LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE 399
soit sentie » (1). Le sensible et l'individuel, en tant qu'im-
propres à la science, sont donc cette chose qui est perçue
ici et maintenant. En d'autres termes, ce qui est impropre
à la science est caractérisé par le fait d'être situé en tel lieu
et en tel instant. Or pourquoi ce fait est-il rebelle à la
science? A cette question il n'y a qu'une réponse possible :
c'est que, par lui-même au moins, le fait d'être en tel lieu
et en tel instant est arbitraire et sans raison. Assurément
Aristote, dans sa théorie de l'espace et du temps, a été bien
loin d'envisager ces deux choses comme des milieux homo-
gènes. Il a écarté la considération de l'intervalle pour voir
exclusivement les limites. Par conséquent, il tend à réduire
l'espace et le temps, comme plus tardLeibnitz, à des ensem-
bles de relations. Par contre, pourtant, il insiste sur la
divisibilité indéfinie de l'étendue et, par suite, du temps.
De ce chef il rétablit l'homogénéité, la possibilité, par
conséquent, de poser la limite où on veut et sans autre
raison. Sa pensée se porte donc sur l'espace et le temps
homogènes quand il. dit que le fait d'être ici ou là est carac-
téristique de l'individuel, et il veut dire, en dernier.' ana-
que l'individuel est impropre à être objet de science,
parce qu il est sans raison. L'individuel et le sensible ne
sont pas, à vrai dire, des choses à nulles autres pareilles:
ce sont des choses contingentes. — De ces considérations
directes et inverses sur l'ensemble de la théorie de la con-
naissance d'Aristote, nous devons conclure en somme que
ce n'est pas par l'universalité, mais bien plutôt par la néce§-
sité qu'il définit la science, que ce n'est pas par l'idée de genre,
mais par celle de raison : de sorte que la question d exten-
sion n'a pas ici grand rôle à jouer et que le simple fait d'être
seule de son espèce n'empêcherait pas une chose d'être
connaissable scientifiquement. Cela nous mène fort loin de
la théorie platonicienne de la connaissance, peut-être telle
qu'elle est dans sa vérité, en tous les cas telle qu'Aristote
la comprend. Et, en revanche, sans que toutes les difti-
(4) An. post. (à la suite ûo la pbrase citée note précédente) : ii yàp
xci fa?» v sttffSigffif jûù roioyJs y.vj. ur. roûJs rwo;. kaV tùa&«vta$*i ja
Kvetyxalov r6<?« ri ■/.%'<. no-j *y
400 LE SYSTÈME n'ARISTOTE
cultes, ni encore moins toutes les hésitations, soient sup-
primées, la théorie aristotélicienne de la connaissance, hien
scrutée, cesse de se présenter comme destinée à contredire
violemment la théorie de l'être. Nous ne serons pas, sem-
ble-t-il, condamnés à professer, ni surtout à professer sans
réserve, que chez Aristote ce qui est connu n'est pas réel
et que ce qui est réel n'est pas connu.
Abordons maintenant la théorie de l'être elle-même. La
partie négative de cette théorie est célèbre et parfaitement
nette. Si Aristote a pu être tout près parfois de reprendre
pour son compte la doctrine que la science exige comme
objet les Idées platoniciennes, jamais, dans sa théorie de
l'être, il n'a cessé de combattre le Platonisme et de soute-
nir que l'Idée, bien loin d'être la réalité suprême, n'est
nullement capable de subsister par soi. Il ne peut être
question de reproduire ici dans son entier l'argumentation,
indéfiniment prolongée et variée, d'Aristote contre la réalité
des Idées. Rappelons seulement quelques-unes de ses rai-
sons. L'Idée, en tant qu'universel extensif, est par là-même,
aux yeux de Platon, transcendante, c'est-à-dire douée
d'une existence séparée ; car ce qui est commun à plusieurs
choses n'est, comme tel, enfermé dans aucune d'elles. Pour
Aristote, c'est précisément là un caractère qui l'empêche
d'être une réalité. En effet l'essence d'une chose, c'est ce qui
est propre à cette chose. Ou bien donc toutes les choses qui
participent d'une Idée ne font qu'une seule et même chose,
ou bien l'Idée qui n'est adéquate à aucune des choses qui
participent d'elle ne saurait en être l'essence et la subs-
tance [Melaph. Z, 13, 1038 /;, 8-15). Si d'ailleurs il faut
compter une Idée partout où se trouve un élément commun
à deux ou plusieurs choses, ces prétendues réalités seront
en nombre infini. En effet entre les hommes et l'Idée de
l'homme il y a quelque chose de commun ; donc il existe
une nouvelle réalité, le troisième homme, et, oomme il y a
encore quelque chose de commun entre ce troisième homme
et les autres termes au-dessus desquels il s'est élevé, il
faudra ériger une réalité de plus, et ainsi à l'infini (l).Lors-
(1) Voir Bonitz, Metaph. II, p. 111 sq.
LA THÉORIE DE L'ÊTRE 401
qu'on voudra réunir ces diverses réalités pour constituer
avec elles une réalité, par exemple l'homme, on n'y par-
viendra jamais car, chacune des Idées, qu'on la considère
d'ailleurs maintenant ou qu'on ne la considère pas comme
un universel, étant un être à part, l'homme sera formé du
bipède, du pluripède, de l'animal pourvu de pieds, de
l'animal, etc., et tout cela, au lieu de faire un être, ne sera
jamais qu'un agrégat d'êtres [Metaph. '/., 14). Donc les
Idées ne sont que des abstractions : il est impossible que
la substance et ce dont elle est la substance soient deux
choses à part: les formes intelligibles sont en puissance
dans les formes sensibles, et il n'y a rien qui existe à part
des choses sensibles et étendues (1). Bref Aristote se
montre profondément pénétré de l'esprit nominaliste lors-
qu'il examine la conception que son maître s'est faite du
réel. Il condamne de la façon la plus expresse le réalisme
platonicien.
Mais cette critique du réalisme platonicien n'est encore
qu'un préambule, et il s'agit de voir comment Aristote a,
pour sa part, conçu et défini le réel. Il semble qu'il a conçu
et défini le réel de deux points de vue différents, celui de
la sensation et celui de la raison, de sorte qu'il restera fina-
lement à se demander lequel de ces deux points de vue
compte le plus et quel est, en dernière analyse, aux yeux
d'Aristote, le réel le plus réel. — Qu'Aristote ait regardé
les sens comme nous révélant des réalités, c'est ce qui ne
saurait être un instant mis en doute. Rappelons-nous, par
exemple, comment il prend en pitié ceux qui voudraient
contester l'existence des êtres naturels, alors que leur exis-
tence nous est attestée par les sens (cf. p. 21)9). L'attitude
des Eléates et des Mégariques, qui ne veulent pas déférer
au témoignage de la sensation, est, pense-t-il, au-dessous
de la critique. Placé k ce point de vue sensualiste, Aristote
(1) Metaph. A, «>, 991 b, 1 (M,5,i079 h, :'>:>) : îr« Joïiivj «v àowarov
taxi "/vol, 7/jv o-jtlc/.-j y.'/.i ou n OÙ via. mt-ï r:r.>; XV ai i<?î'ai zw -auyav.rf.rj
où ace t J£»aiî sisv ; Lie (in. III. 8, 432 a, 3 : èrrei aï oùi't npàyua oùOiv ïi-i
zaoù. -v. utytàn,.. zù. m'i.iOftZv. y.î/'ooi'j'j.ij'iJ, h roi; dozvi rot; KiafliîTOÎ; t«
VOfl75< îlJTl. . .
Aristoto 26
402 LE SYSTÈME DARISTOTE
déclare que le réel, c'est ce qui tombe sous la sensatiou , à
savoir le sensible et l'individuel. Qu'est-ce que la sub-
stance première, la seule vraie substance, par rapport à
laquelle les genres n'ont qu'une substantialité seconde et
empruntée? C'est un homme ou un cheval : voilà ce qui
n'est ni attribut d'un sujet ni astreint à résider dans un
sujet (1) ; voilà ce qui existe en soi-même d'une existence
séparée. Or qu'est-ce qui fait l'individualité et quel est le
fond, quelle est la première propriété de la substance pre-
mière et individuelle? Ce qui fait l'individualité, le carac-
tère coextensif à elle, c'est l'unité numérique (2). L'uni-
versel commence ou finit avec l'espèce dernière : au-des-
'sous d'elle, il y a l'infinité des individus (3), dont chacun
se distingue des autres parce qu'il est comme une unité
dans un nombre. Aristote ne fait qu'exprimer autrement
la même pensée quand il dit : oo-a àpi9p.w icoXXà, uXtjv è'ysi
(Metaph. A 8, 1074 a, 33 ; p. 268, 1). De sorte que, en un
mot, sa doctrine de l'individualité revient à dire que ce
qui fait l'individu c'est la matière. Se demander quel est le
fond dernier de la substance individuelle, c'est seulement
se poser en d'autres termes la même question : qu'est-ce
que l'individu ? La réponse d' Aristote est aussi la même. La
première et plus fondamentale propriété de la substance,
c'est, étant numériquement une, d'être capable de recevoir
comme attributs les contraires (Cat. 5, àa, 10 ; p. 103, n. 1).
Comme ce qui reçoit ainsi les contraires sans perdre son
unité c'est la puissance et la matière, la substance indivi-
duelle doit donc sa première et plus essentielle propriété
à la matière. Par conséquent, voilà la réalité du sensible
délinie par la matière. Ce qui réalise les uriiversaux, c'est
gu'ils viennent résider dans une matière ou, pour mieux
(1) Cat. 5 dc'b. : o-jtîv. âé sirtw  Y.voirJjruzdi ts x«i tïO'Ôtw: xai uvJlctu
Xzyouévr,..., otov 6 riz, âvOpwTro; o ô tic Î-tto;. Cf. supra, p. 103.
(2) Metaph. B, 4, 999 b, 33 : to yàp àpiô^w h h -6 xaô' Èxaarrcra
Xiyetv oiccfipsi oùSiv. ovrw yào léyopzv ~o xaO' Ixkotov ~b àptSjxw ev... Cf.
Cat. ~2 s. fin. : onrXùç oz rà âro^a xa/. iv àpiOpy /.«:' ojovjoz ■jtïov.zl'j.ïjw
Xéyeroti. ..
(3) Top. H, 2; 109 6, 14: <7X07tîcv Sï xar' ûS-o xa't y.r, zj toi; xneipoiç...
Cf. Platon, Philèbe 16 d.
LA THÉORIE DE l'ÊTRE 403
dire encore, dans cette matière ; car une matière prise en
général est déjà quelque chose de formel.
Mais est-ce donc vraiment cette conception de la réalité
qu'Aristote oppose en fin de compte au Platonisme ? Il serait
alors tout.près d'Antisthène. Ce pur sensualisme ne saurait
être l'expression définitive de sa pensée. A vrai dire, lors-
qu'on s'étonne qu'Aristote ait eu recours à la matière pour
définir le réel, il faut éviter de se méprendre et ne pas
lui faire dire que" c'est la matière comme telle qui est le
réel. Ce qui est le réel, au moment de la pensée d'Aristote
qui nous occupe, ce n'est ni la matière ni la forme, c'est
le composé des deux. Le ariSvoXov est pour lui, à ce moment,
la réalité véritable. Ces pierres, ce bois et ces tuiles, infor-
més par la détermination générale : un abri contre le vent,
la pluie et la chaleur; et, réciproquement, cette détermi-
nation générale, matérialisée dans ces pierres, ce bois et
ces tuiles, voilà le réel (cf. De an. I, 1, 403 a. 29-6, 8). La
réalité n'appartient ni à la forme, ni à la matière : toutes
deux y contribuent, et il n'y a de réel que par leur union.
C'est ainsi qu'il faut présenter la pensée d'Aristote, si Ton
veut ne pas la trahir. Toutefois cette doctrine de concilia-
tion n'empêche pas qu'il est permis et même nécessaire de
se demander auquel des deux facteurs de la réalité on doit
attribuer la contribution la plus considérable ; elle n'em-
pêche pas surtout qu'il faille chercher ailleurs le dernier
mot d'Aristote sur la substance.
Si l'on avait proposé à Aristote de faire de la sensation
la mesure de l'être, on se représente avec quelle vigueur
il aurait repoussé la proposition. Le sensualisme de Pro-
tagoras n'a pas d'adversaire plus déterminé : il y voit avec
raison l'anéantissement du principe de contradiction et,
par conséquent, de la plus essentielle propriété de l'être
(Metaph. V ï, 1007 6, 19-25 et 5 déb.). Si L'individualisme
est le vrai, ce ne peut être au sens où il s'accorde avec
le sensualisme de Protagoras, et réciproquement le sensua-
lisme qui découle de la vraie théorie individualiste de la
substance ne saurait être celui de Protagoras. De l'ail, rim
de plus éloigné du sensualisme de Protagoras que le sen-
sualisme d'Aristote. Le sens qui ne trompe pas, c'est, selon
404 LE SYSTÈME d' ARISTOTE
Aristote, celui de l'homme normal (1) : première manière
de transformer la sensation en intuition rationnelle ; et la
transformation est complète, quand on nous dit que la sensa-
tion a pour objet, non pas -zb -6oz, mais to Toiôvoe, et qu'elle
est intellection (cf. p. 399, n. 1). Le réel, c'est donc ce que
saisit l'intellect, bien plutôt que ce n'est ce que saisit la
sensation. Corrélativement, si on le considère en lui-même
et non plus par* rapport à nous, le réel est constitué bien
plutôt encore par la forme que par la matière. Le livre Z de
la Métaphysique distingue les trois sortes de substances :
la matière, le composé de matière et de forme et enfin la
substance formelle, et c'est celle-ci qu'il met très décidé-
ment au premier rang. Sans doute le livre Z porte sur la
substance comme objet de la définition, plutôt que sur la
substance en elle-même. Cependant le livre H, qui est le
complément du livre Z, est d'un caractère ontologique, et
d'ailleurs ce caractère marque ia fin même du livre Z. On
y trouve énoncée une conclusion vers laquelle tend en
somme toute la doctrine d' Aristote sur la puissance et
l'acte, sur la matière et la forme : la forme de la syllabe,
distincte des éléments de la syllabe, est la cause de la syl-
labe. C'est donc la forme qui est la substance de chaque
chose, parce qu'elle est la cause première de l'être de cha-
que chose (2). Ainsi, à considérer les substances com-
posées elles-mêmes, on voit que ce qu'il y a de plus subs-
tantiel en elles c'est la forme : la matière ne joue dans la
constitution de ces réalités qu'un rôle subordonné.
Quand même d'ailleurs la part de la forme ne serait pas
aussi manifestement prépondérante dans la réalité des sub-
(1) Meiaph. K, G, 1062 b, 35 : ... o-joinors yùp -o «îtô yat-Jêtai toJs
ûkt yï-jy.-j roi; 3ï ToùvàvTÎov, fuj $Ufd<xpy.éw» xai Xs^wênjug'vùjv :w hépae»
TO atO"9"/3T"flptOV V.0Ù X.piT'ÔpLOV T&JV ),££0ÉVT(UV %Uf*kV.
(2) Z, 10, 1035 a, 2 : ... oOc-ta Jj xt iïXit /.ai tô eï<?oç /.«î ro va rovrwv...
Sur la primauté de la forme, cf. 3, 1029 a, 5 (eilé p 268, n. 7). —
Ce qui fait que la syllabe est quelque chose en dehors des lettres,
voyelles ou consonnes, dont elle est composée, c'est la cause qui fait
que telle matière est syllabe et précisément telle syllabe, 17, 1041 b,
11 jusqu'à la fin du chapitre, et surtout b, 27 : oOo-ia (J'sxâo-rou ptv
toùto * tovto yào KtTtOV RUÛTOV TOV etvat.
l'être en tant qu'être -405
stances composées, cela serait de peu d'importance, puis-
que ces substances ne sont pas encore ce qu'il y a de plus
substantiel et que, selon Aristote, l'être en tant qu'être ne
doit pas être cherché parmi elles, ni mémo, à proprement
parler, au fond d'aucune d'entre elles. L'objet de la philo-
sophie première, dit Aristote, est l'être en tant qu'être (1).
Mais il ne faut pas croire que l'être en tant qu'être
est un universel, un caractère commun à tous les êtres.
Ici Aristote appelle à son aide une dernière fois la distinc-
tion de l'unité générique et de l'unité d'analogie. Tous les
êtres ont de l'être. Mais ce qu'ils ont de l'être n'est pas
une partie, même conceptuelle, de l'être. C'est l'identité du
rapport qu'ils soutiennent, chacun avec ses attributs ou les
autres êtres, et du rapport que soutient l'être en tant
qu'être avec ses propres prédicats. Si l'être, en tant qu'il
se retrouve à propos de tous les êtres, peut être dit univer-
sel, c'est d'un genre particulier d'universalité : il est uni-
versel parce qu'il est premier et fondement d'analogie (2).
L'être en tant qu'être, étant premier, devient un type, il
est imité par d'autres êtres. Chacun d'eux se règle sur lui.
Mais il est h part d'eux tous, et cela réellement, non logi-
quement ; et le vrai nom de la philosophie première, c'est
Théologie (E, 1, 1026 a, 18). En un mot, l'objet de la
philosophie première est un individu. Or cet individu,
comme Aristote le répète sans cesse avec des expressions
diverses, est une pure forme (cf. p. 407, n. 2). 11 est une
pure forme, parce que sa fonction est d'expliquer les autres
êtres et que la véritable explication consiste à invoquer la
fin et, en dernière analyse, la forme. La forme explique
tout le reste et se suffit à elle-même.
Nous reviendrons tout à l'heure sur l'être en tant qu'être
pour le considérer en lui-même et approfondir son essence.
( ummençons par comparer cette essence avec celle des
autres êtres. Que les autres êtres doivent plus ou moins
(1) Metaplt. r, i di'but : ït-u ï-ivrour, -i; r) Qzbipv. ro îv r, ov *«'(
?à -ryj-.x ÛTrapyovTB x«0' coro. . .
(2) Metaph. F-, 1 fin : ... xai xaOoÀov Q-jm; ôzt npùrr) . l'our l'uni-
TCrsalité d'analogie, voir p. 397, n. 1.
406 LE SYSTÈME D'ARISTOTE
leur réalité à la forme, cela, avons-nous dit, importe peu,
puisque le premier de tous les êtres est forme pure,
de sorte que la suprématie reste inéluctablement à la
forme. Cependant il y a quelque chose de choquant dans le
fait que l'individu suprême soit une forme pure, tandis que
les autres sont des individus précisément par leur matière.
C'est là dans le système d'Aristote une incohérence qu'on
ne peut nier. Mais il reste à savoir si, tout en étant une
vérité historique, elle est aussi une vérité philosophique;
si, en d'autres termes, elle est exigée par l'esprit du sys-
tème. Il semble bien qu'il n'en est rien. Tout dans le sys-
tème, nous avons essayé de le montrer, est orienté vers la
forme comme aussi vers l'affirmation de l'individu ou,
mieux encore, des individus. Le point faible, nullement
exigé par la logique de la doctrine, est la théorie de l'indi-
vidualité. Entre les deux conceptions de l'individualité qui
se trouvent dans la lettre d'Aristote, une seule est compa-
tible avec les principes directeurs de la pensée aristotéli-
cienne : l'individualité de Dieu lui vient de ce qu'il se suffit ;
c'est parce qu'il a une réalité positive pleinement suffi-
sante, qu'il est un être séparé (1). Au contraire c'est par
des caractères négatifs que s'expliquerait l'individualité des
autres individus : ce privilège de l'existence séparée, qui
est en lui-même réellement un signe d'excellence et de réa-
lité positive, leur viendrait d'un défaut. Cette manière de
voir platonicienne se comprend dans Platon, qui ne place
pas très haut dans son estime l'individu. On ne comprend
pas qu'Aristote l'ait adoptée. La logique lui aurait conseillé
d'en adopter une autre. Il aurait dû, obéissant au mouve-
ment d'ensemble de sa pensée, définir tous les individus
par la forme. Parla matière il aurait pu expliquer pourquoi
(1) Metaph. A, 7, 1073 a, 4 : ... gorty oùaux. -ic, àtôtoç xoù àxtvrçroç
v.v.'i v.zyjiïcn<jy.iv(\ :wv aîffô/jr&jv. . . Cf. 10 déb. et K, 1, 1064 a, di'j, 1.
Le divin est ce qui se suffit, De caelo I, 9, 279 a, 21 : ... -r,-j upiczriv
ïyoj-v. [se. ràxîî a, 18, c'est-à-dire les natures divines qui sont au-
dessus du premier ciel] Ç«àv r.cà <xvz«.px.i<T7d-rlv... cf. a, 35 ; Eth. Xie.
X, 7, 1177 a, 27 : ij ts Xeyope'vi] «ÛTapxEtK Trepi riiv OîwpvjTtzvjv [se. oia-
ywy^v] àv enj, et la vie théorétique est précisément celle de Dieu
(Metaph. A, 7, 1072 b, 14). Cf. aussi Eth. N. I, 5 (7), 1097 b, 7 sq.
l'être en tant qu'être 407
les individus sensibles ne sont pas des dieux, c'est-à-dire
pourquoi ils ne sont pas des êtres suffisamment séparés,
indépendants, individuels ; car ces trois mots expriment la
môme notion. Il ne pouvait demander à la matière d'expli-
quer ce qu'il y a de positif dans l'individu : un tel mode
d'explication revient en effet à traiter l'individualité comme
une infirmité. Les Platoniciens d'Alexandrie, qui lui doivent
tant d'ailleurs, ont été plus aristotéliciens qu'Aristote
quand, éclairés, il est vrai, par la doctrine stoïcienne des
raisons séminales, ils ont admis une Idée de Socrate, une
Idée de chaque individu (i). Si Âristote avait rompu sur
ce point avec son maître, toute sa doctrine de l'être se
serait aussitôt éclairée d'une vive lumière et développée
d'un bout à l'autre dans un parfait accord avec elle-même.
Elle eût été partout anti-universaliste ou individualiste,
sans cesser d'être un rationalisme, puisqu'elle eût été par-
tout formaliste. La notion de la forme, complètement rec-
tifiée, eût été sans hésitation envisagée du point de vue de
la compréhension.
Mais nous n'avons encore fait qu'esquisser le contour
extérieur de l'individu suprême. 11 faut pénétrer un peu
plus avant dans son essence, nous demander ce qu'est au
fond l'être en tant qu'être. Ce fond de l'être en tant qu'être
se présente, semble-t-il. sous trois caractères : c'est la
forme, la forme concrète., et enfin la forme vivante (2).
(Il Voir Plotin, Ennéade V, vu, par ex. 1 : ... ei pùsv ksi Soixpârijç
XOÙ 'l'J/j, ïw.oy-'j-j;, ïircr.t Uj-o<7',>/.pv-rt; xetô' ô r, ty*>~/Jr, 7.v.Hi/.v.G-.'/. -/.ai
îxî? • si oovx àst, v'.û.'/. 5X'ÀOT£ a)./7î ytvcTca 6 -oorcoov Zoj/.oarvrç olo-j 6
llvtfcr/ooaç y; ri: v.'/j.oç, oùx.S'1 ô y.c.5-'/.acr75< o-jto: v.v.v.il. Sur cette concep-
tion dans la doctrine stoïcienne des raisons séminales, cf. Némésius
Nat. hum. 38, p. 277). Arnini. St. rrt. frrujm. n. 625, H, p. 490, 16).
(2) C'est la forme pure et l'acte pur, Metaph. \, 8, 1074 a, 35 : rà
<Jî ri r,v stvac ov/. i/u û\ï)v ro irpûrov ' hirs).é%eta yao . h ioci. y.-A Xovu
xaè usjih'j.', Ta TrrjùTO-j xjvoûv.. . 7, 1072 a, 25 : ... v.i'lm xai o-'j-ic/. /.ai
ivépyua ovaa. Cf. />, 8 : 0, 1071 b, 19 sq., 22 et tûep. C'est une forme
vivante, ibid. 7, 1072 b, 26 : xeei Ç<wi fe y' jr.v.p/v. • h yùp -jq-j hépytut
Çwij, sxïîvoç oï rt i'jiry/et.'x ■ ijipyn.x os r, /.?.<)' etùri)* ixïivoti Z'->'ô ùpivm
/.où «tôto;. ftxftvj ai) [Bonitz, au lieu de St] rov Qéôv etvai Çyo-j ài<?tov
aotTTOv, ùtzî Ç'-rï, /.ai ottùv iwv/ji^ xai oûvi.o; ùfrapysi t<7j Oc'û. roûro yào ô
0eoç. Cf. 6, 16 sq. ; /)e eae/û 11," 3, 286 a, 0 ; I, 9, 279 i rw/wa,
p. précéd., note).
408 LE SYSTÈME d'âRISTOTE
Aristote était trop pénétré de l'esprit de la philosophie
conceptuelle pour céder, lorsqu'il s'agissait de définir la
réalité suprême, à la tendance qui le reporte souvent vers
le réalisme des Physiologues, en haine de celui de Platon. Il
fallait bien qu'il définit par la forme le principe souveraine-
ment explicatif et souverainement réel. C'est ce qu'il a fait
de la façon, non seulement la plus expresse, mais aussi la
plus conséquente et la plus consciente. Il ne se contente
pas de dire sans cesse que Dieu est tout en acte. Il écarte
encore de lui la quantité (1), ce qui, à moins de réussir à
rendre intelligible la quantité elle-même, était le moyen
décisif de donner à cet être des êtres une essence concep-
tuelle. Si les Idées de Platon ne sont pas dans le lieu, le
premier moteur est inétendu, et même, puisqu'Aristote dis-
tingue du temps l'éternité, Dieu, tout en durant peut-être,
n'est pas dans le temps au sens ordinaire des mots (2). Il
est donc bien entendu qu'il ne reste au fond de l'être
suprême aucune trace de matière ou de support. Mais cette
façon de définir la réalité suprême ne constitue pas, par
elle-même, un progrès sur Platon. On n'en saurait dire
(1) Voir supra, p. 4U2 le texte de Metaph. A, 8, 1074 a, 33 et 7,
1073 a, 5- 11 : dans ce dernier passage Aristote renvoie à une démon-
stration antérieure, #sJïçxtki os v.oà on pu'ysôoç o-j^av ï/jcj hdéyzza.1
rawTKjv tàv oùatav [se. tàv àîiïtov /.ai âxcvqrov] ; c'est celle de la Physi-
que, VIII, 10, 267 b, 17 à la fin (voir p. 349 sa;.).
(2) Pays. IV, 12, 221 b, 3 : . . . t« «si ovra, r, àsi ôwtk, oùx êartv iv
Xpôv&ij D'autre part les natures simples qui sont l'objet de la pensée
divine sont pensées dans un temps indivisible, De an. III, 6, 430 b,
14 : to <Js p.ri x«rà kqgo-j c/.$iu.ioiro-j à).).à rû eïiï&i vozï sv Uâiuipézto ypovM
xai ào iu.ipé-o> zfjc, i|»u%v5ç. . . Ces textes permettent de comprendre le
remarquable passage sur lequel s'achève le ch. 9 de Metaph. A, 1075
a, 5 : ïzi Sh \i'nzi-a\. uTtopix si trfc/QeTov to voovusvo-j [l'objet de la pen-
sée divi7ié\ • jxeTaS«X).o£ yv.p 3b [la pensée divine] sv toîç [lipsat roy
o1o-j. ri [mais ne faut-il pas dire plutôt] kStttipsrv» 7T«v zb ari i'^ov
v\yv ; âansp 6 iaiBpéitivoi vôûç, r, 6 ys [ou en général tout intellect
qui a pour objer...] twv truyôsrwv, ïyti êv rtvt xpovw [cf. 7, 1072 b,
15, 25 : pi.ix.pav voôvov rjp.lv, iiç flpuïç ttots']' où yùp Ê^ît to sv sv zcodi c sv
zyâi [se. ^oovwj, «/).' sv ôXw Ttvi rô âpiarov, ôv aX).o zt [quoique ce par-
fait soit distinct de lui ; à plus forte raison si ce parfait était la
pensée même qui le pense, comme c'est le cas pour Dieu}' owtws $ zxu
uùjt) «ûtvjç r) vovjui; tôv ânuvzot. eùcôva. Cf. Bonitz, Metaph. II, p. 517 sq.
l'être en tant qu'être 409
autant à propos du second caractère fondamental de
l'être en tant qu'être. On a quelquefois été tenté de consi-
dérer sa nature comme très abstraite, et le fait est qu'Aris-
tote n'a peut-être pas assez fait ressortir combien, dans sa
pensée, l'être en tant qu'être est loin de ressembler à l'être
de Parménide ou à l'Idée de Platon. En dépit de tendances
contraires, l'Idée de Platon est d'autant plus réelle qu'elle
est plus générale, c'est-à-dire plus vide. La forme d'Àristote
est au contraire quelque chose de concret ; car l'espèce a
plus d'être que le genre (1). Dieu, être simple, c'est-à-dire
sans parties, comme eût avec raison commenté Leibnitz,
n'est pas pour cela un être sans attributs. C'est au con-
traire l'être souverainement réel (2). Reste enfin un der-
nier caractère de l'être en tant qu'être, qui suppose les
deux autres et les dépasse en excellence et en significa-
tion : l'être des êtres, c'est l'esprit (3), Non seulement
Aristote l'affirme, mais il a au moins le sentiment, sinon
l'idée adéquate, de la portée de son affirmation. Sans doute
il a dit quelque part que la pensée, c'est les pensées (4),
ce qui paraîtrait ramener le sujet à* l'objet, même après
qu'il n'est plus question d'une dualité de l'intelligible et
(1) Ccit. 5, 2 b,1 '. rûv <?'î OêUTSOwv oûcrtûv •j.y'ù.ryj oûcicc -o ilooz -rjj
vevouç • è'yytovyào rijç tto'.jtv;; Q»<r£aç éorî».
(2) Il l'est en tant que forme pure et acte pur, fin suprême et
bien suprême, et c'est pourquoi il se suffit ;ï lui-même (cf. p. 406,
n. 1). Cf. Metaph. A., 1, 1072 a, 27 : ce qui est souverainement et
immédiatement intelligible et désirable, autrement dit ce qui a le
plus d'être, est uDe seule et même cbose : toûtuv t« -o-ôtx t« cor*, a,
31 sq. : ... toûtvjç [se. -f,^ a-jcroi^ia; rij; yo'jjrjjç y-y'j sauniv] r, ouata
-o:,—rlf /.ai raÛTUÇ [se. ~c; ojil'xç, r, fteckiarcn 7TOWT1}] r, v.-'ir, /.'/.<. /.a?'
Ivépyeuicv. 34-6, 1 : dans la même série se Irouvenl le bien et le dési-
rable par soi, xai ïtrciv xpiarov ùlil y ôvôÀoyov rà ttûwtov. b, 10 sq. : s|
Kvctyxv; £p« • au sens de 78 ai, ïj'jiyoxïjryj 'j.'O.'.i; uù' ').-'/.'■>;, 13j loTÎvbV
xat ç u.'jv.v/.r,, xoùùq, xai oSt-.j; 'M/jt-
(3) Ibicl. 9, 1074 b, 33 : ... -0 ûptaxov ô vouais [lorsque, au lieu
d'être, comme en nous, C actualisation d'une puissance, elle est la
pensée immédiatement actuelle]* erôtèv àpa voeî [se. 6 «ovç], ic««o i-rri
[se. ô woùç] fo xoartorov, /.nci éttiv â yôijfftî vo/i7;'.>; vôioffiç. 1075 a, 3 :
OV;/ cTEOOV OUV OVT*0{ TOV VOODUsVO'J X«î TOJ VOÙ, ÔO"« firç £££( tftïJV, TO «VTQ
£775(1 /.Kt q VOÏJTt; TM VQOUUCVU Ut2«.
(1) Zte «n. I, 3, 407 a,l : h $ï vivais ry. vosuara.
410 LE SYSTÈME d'àRISTOTE
de l'intelligent, ni d'une action exercée sur l'intellect par
l'intelligible. Cependant ce n'est pas là, semble- t-il, le der-
nier mot d'Aristote. Il affirme trop ériergiquement la vie de
Dieu pour en revenir à faire de lui, par un détour, une Idée
platonicienne, une loi morte. Dieu, pour Aristote, est et
reste sujet en même temps qu'objet, et l'assertion qu'il est
l'esprit mérite d'être prise dans le sens le plus propre et le
plus plein. S'il est vrai que les autres êtres imitent le pre-
mier des êtres (1), on voit que la philosophie concep-
tuelle, idéalisme tout objectif chez Platon, tend déjà forte-
ment chez Aristote à passer à l'idéalisme complet, pour
qui un être est la synthèse d'un objet ou d'un sujet.
(1) De caelo I, 9, 279 a, 28: ôfcv [à partir de celte substance
immortelle et divine qui est la fin de l'univers] xat zoï: ôCù.oiç è^jbtij-
rsa, roi; ue-j KxoiSésTfepo?, roïç^'àixaupwç, ri sîvoû tî v.oà Çijv C'est aussi
sous le rapport de la finalité que le livre A de la Métaphysique, envi-
sage cette action du modèle suprême., 7, 1072 b, 3. 1-i : xtveï 8ï wç
ipwasvov... iv. TOiaÛTîjç y.ov. ap'/Jô^ ripzrjTv.i 6 oûp«vô;xal h yuffiç. Par con-
tre, dans le De gen. et corr. I, 3, 318 a, 1 sq.. il la considère comme
celle d'une cause efGciente : o3<niç S'ctï-rix; uiïz fiev ôôîv ritv «pjf^v etvotï
yoLui-j rijç ■/ i-jï,n -.'■>;... Cf. 7, 324 b, 43 sq. où les deux points de vue sout
expressément opposés l'un à l'autre.
INDEX ALPHABETIQUE
N. U. — Afin de ne pas briser le contenu de la table et d'en rendre
V usage plus facile, j'y ai introduit les mots grecs et je les y ai
classes à leur rang alphabétique, sans tenir compte de l'aspiration
et en adoptant les équivalences suivantes : y = g, 8 =: th, x — k,
ç = x, ç> = ph, x = ^i V — Ps- — Les termes techniques grecs
sont accompagnés de leur équivalent français. Z/astérisque ren-
voie au mot qui en est suivi. Les chiffres gras signalent les pas-
sages les plus importants. — Le titre des ouvrages d'Aristote qui
sont mentionnés dans la table y est indiqué en italiques et d'après
sa traduction française ; le renvoi permet de retrouver le titre
grec. Les écrits perdus sont précédés du signe f et les apocryphes
placés entre crochets.
ABSURDE (démonstration ' par 1').
ACADÉMICIENS 167-.
ACCEPTIONS (diversité d') (-07«^w; * Àr/ooisva) de l'être ', de l'un *
121 sq. Cf. catégories.
ACCIDENT, — eï, ri> ^esSv;x3ç ', 101, 112 sq., 126, 156, 1572, 227,
240, 277 sq. Sensible par — 377.
ACCROISSEMENT. otwÇïjat^ opp. décroissaient ', ySiat;, 311, 324,
359. 364 sq.
ACTE, êvé/>Y«a> opp. puissance ' : relativité 264-266: degrés 326 sq.,
HT i ; pur 407 sq. — 88 sq., 101, 268, 284 sq., 306, 309 sq., 358, 375.
Cf. sensation.
ACTION, jrp«§t« ', Si ; opp. passion ' 273 ; agir (faire), irotscv ', 101 sq.;
opp. pâtir 311 ; agent, opp. patient 319, 334: actif, opp. passif
(cf. intellect, qualités, verbes) ; activité 388.
ADJECTIF 101.
AAIOPI2TOI TTîoraTiï, proposition indéterminée '.
ADRASTE, commentateur d'Aristoi
\ \ >'\ \M1.\ -jjTr/.r,, 'HoofrOùTy., Tuvtùtiuunri r« fatrucû ', inaptitude
(impuissance) naturelle, déterminée ou liée au sujet 137*. Cf. apti-
tude.
AFFECTION, -ù')o;, 106 ; affectives (qualités '. -kCujtixoù Trotorïjrcî).
AFFIRMATION, *«r«y«<wç, 110, 162 sq. : opp. négation \ 131, 139 sq.,
412 INDEX ALPHABÉTIQUE
149 sq., 158-160, 161. Cf. désir, proposition — f Sur l'affirmation,
et la négation 28, 31 . ,
AGRÉGATS 360.
AIR 361.
AKPA (t«), les extrêmes ' ; rô «Kpôretrov vï-io-j, la cause * première.
AITEI20AI, postuler: cuTipu, postulat ".
ALBERT LE GRAND 429.'
ALCMÉON de Crotone 3131 : f Contre Alcmëon, 21.
ALEXANDRE d'Àphrodise 225, 387, 3911, 396.
ALEXANDRIE (bibliothèque d') 14,65. 68, 70. Alexandrins 208, 375, 407.
ALEX1NUS de Mégare ', 28.
A A MO h a).)/.» I782. — «Moiov, 313.
ALTÉRATION, étttaucric, 292 sq., 307, 311, 313, 334 sq., 355, 359,
362 sq.. 378 ; — en masse, — «ôpoa 323.
AMA, simultané ',
AMBIGUÏTÉ de la puissance ' 264.
AME ( Traite de l) k. -hvy^i 38, 71, 353 ; 1. 1, 233. — Définition 373 sq. ;
fonctions 375-392 ; — et corps 373-375, 386 sq. ; moteur immobile
de l'animal 326, 335 sq., 356 sq.. 376; mue par accident 332 sq..
. 357. — 17, 19, 296, 300, 316, 353, 364, 395. Cf. désir, intellect,
monde, nature, pensée, sensitif, végétatif.
ÀMMON1US fils dHermias 15' , 51*.
ANATKH sÇ wTroÔgVswç, nécessité ' hypothétique. — arrÂvat 328 sq.
ANALOGIE (universalité d') 247, 397, 405, cf. 121 (ëv '). Connaissance
par — 266. — en biologie 366.
ANALYTIQUES, Premiers et seconds 28 sq., 93 ; Premiers I, ch. 1-3
109 sq., 188 sq. — et logique * 96, 226 sq. Cf. jugement, méthode.
ANAXAGORE 74, 292, 307, 318, 319 sq., 330 sq.', 346, 371. Physio-
logues.
ANÀXIMANDRE 282, 285. Cf. physiologues.
ANDRONICUS de Rhodes 14, 15 sq., 26 sq., 32 sq., 50», 53, 61, 62 sq.
ANEY (to où oùx), la condition ' nécessaire.
ANHOMÉOMÈRES (parties), Cf. homéomères.
ANIMAL 366 sq., 367-369 ; le mouvement dans F — 321, 326, 332 sq.,
335. Cf. âme, vie. classification.
ANIMISME 364.
ANTÉRIEUR, postérieur, nporepav, vc-tpov, 102, 147, 295, 319.
ANTIKEI2»AI «vTtaany.w;, svkvtîwç, opposition contradictoire', con-
traire ' .
ANTIMETAZTAS12, ANTIHEYISTAm, remplacement * mutuel des corps
dans le lieu.
ANTIOCHUS d'Ascalon 68, 71.
ANTI*A2I2 QiopiaQïïGu, Gv>>iù:rlu.u.vjr, :w <?extixw '. contradiction * déter-
minée, liée au sujet '.
ANTIPHON, le Sophiste 303 sq.
ANTISTHÈNE 130, 403.
ANTI2TPE*ON corrélatif *. ANTI2TPO*H, conversion '.
INDEX ALPHABÉTIQUE 413
A0PI2T0Z, AAIOPirrOS, indéfini \
APELLICON 13, 60 sq., 64.
A*AIPE2EJ âvstftov, infini * de division.
Ali \A (r«), les natures ' simples.
APOLLODORE d'Athènes i\ 17.
AI10i»A2I2, négation ' ; c/.-oyx rr/A; /.oyo; Ttvôç y.v.rv. tivoç 110*.
AI10*AN2I2, ônroyecv nxo; \6yoç, déclaration ". discours déclaratif.
AUOPIA, difficulté ', question.
APPARTENIR à. ùjeàpx,™ ' avec le datif.
APPÉTIT 388.
APTITUDE naturelle. îûv«f*tS fvaixr, 105 sq.
ARISTOPHANE de Byzanee 71.
ARISTOTE. Biographie 2-12. Testament 2 sq., 14. .Méthode d'ensei-
gnement 10-12, 57-50. — Ecrits (leç. II-V) : catalogues 13-16. 70 sq. ;
transmission 14, 60-72; syntagmatiques et hypomnémaliques 45
sq. ; publication 46-50, 57-59, 00 : exotériques et ésotériques ou
acroamatiques ' 103, 17, 50-57; chronologie 19, 22 sq., 25, 29*,
57 sq., 72 sq., 109, 134 sq. — Platonicien 5, 6-9, 17, 18 sq., 20, 22,
40-78 : critique de Platon ' 20, 22 sq., 400 sq.
ARJSTOXÈNE de Tarente 3, 6, 70.
ART (ouvrages sur 1) 44, 53 sq. Fart. 236, 366 ; et la nature * 270,
273 sq . 278, 302, 305, 360.
ASSERTORIQUES (propositions "),tow ùnâpyjm (xarevouatz r, àwo'y.). 194.
ASSOCIATION des idées 383.
ASTRES 354-358. Cf. éther, sphère*.
A2TMBAHTA, incomparables 134 sq.
ATOMISME 307, 340. Cf. Leucippe, Démocrite.
ATTRIBUT et sujet ' 97, 98 sq., 103, 110, 115, 155 sq., 157 sq., 402,
409 ;— essentiel (ùncipxov xot8'avr6, 246), accidentel ', immédiat 301,
303 ; — dérivé essentiel (îwc8oç, ffuuSeg»xô« ' xa^oÛTo) 113, 115, 245
sq. ; — enveloppant le sujet (camus ') 119 sq., 305. Quantification
de V— 161. — Attribution, xarnyopta ' : problème de 1— 118, 130
L52, I731, 306.
AYTOMATON (rà), hasard au sens propre.
AUTORITÉ 229 sq.
AUTRE (altérité) 148-150.
AVOIR (posséder '), ixtlv> "" S'I-
AXIOMES («Çieôuora, t« xstvflé) 244-248. 398.
BAS e1 haut 104, 337, 360.
BEAUCOUP cl peu 104.
BIA10Z xivijdtç, mouvement' forer-, contre nature ".
/;/A\V(f Rédaction des tennis de Platon sur le) T-, 18, 22, 33, 16.
BIOLOGIE ouvragesde) 88-41, 333. - 257, 363-369 [cf.257 8q.)«
BOÉTHUS de Sidon 365.
CAMUS, cf. attribut.
CATÉGORIES. Traité des — 26 sq., 100 sq., 169, 130; poslprédica-
ments'. -97-167,116,121,168*, 306; par rapport au concepl "112;
414 INDEX ALPHABÉTIQUE
au mouvement * 311. — Catégorique (proposition) 170 (syllogisme)
181.
CAUSE : les quatre —s 88 sq., 148, 173, 237 sq., 251 sq* 253, 260-275,
363 ; motrice 35, et finale 4101. — nécessaire * 270, 272 sq., 275;
adjuvante, oryvaÎTiov, 364 ; première (irp&Ty «trî«, aïnov àxpora-roy)
260, 315; prochaine («ïnov èyyÛTetTov) 238 sq. Connaissance par la
— 236, 238-240. Dans Platon 78. Cf. condition ".
CERCLE (mouvement * en) 336, 345 sq., 348. Devenir en — 273, 283.
Cf. démonstration, Euler.
CHANGEMENT (psra£o?tâ 310») 129, 261 sq.. '280, 295, 297, 306-313,
318 sq., 358 sq. Cf. mouvement.
CHAUD et froid 334, 361 sq., 364.
CHOIX, xoouIoîvl;, 278, 3903.
CHRYSIPPE 18, 144. Cf. Stoïciens.
CICÉRON 19 sq., 21, 32, 47 sq., 55, 67 sq.
CIEL {Traité du), «.oâpmtô, 36: I, ch . 2 et 3, 354. Le ciel 101,290 sq.,
oj3, 357, 358, 370.
CINÉMATIQUE 311. Cf. dynamique.
CLASSIFICATION des sciences 80-88, 180; des animaux 369.
COMMUN (sens, sensible) 377, 381 sq. Cf. lieu.
COMMUNICATION des genres '.
COMPARATIVES (formes) 101.
COMPLEXE 77-79.
COMPOSÉ (le), tô orûvoW, 262, 403. — 153-155, 160 sq. Cf. infini.
COMPRÉHENSION 77, 126, 158, 164 sq., 177-182, 396, 407. Extension '.
CONCEPT, Xoyoç, voyuu. Leçon VIII, 108-127; 154, 157, 248, 396.
Philosophie du — chez Platon et chez A. 76-80, 128, 145, 370 sq.,
408. — Conceptualisme 268 sq , 271. Cf. catégories, définition,
opposé.
CONCLUSION. wj.néf>«<i(i.u, 162, 171, 249 sq., 253.
CONCRET (Sciences du) 260.
CONDENSATION 313, 334, 346. Cf. dense,
CONDITION 148, nécessaire, cf. âv-v, cause.
CONNAISSANCE (théorie de la) 94, 96 sq. , 394-400 ; évolution de la —
384 sq. Cf. immédiat, logique, pensée.
CONSCIENCE 371, 381 sq. '
CONSTANT, irotf (wç em tô).
T CONSTITUTIONS (Les). La constitution d'Athènes, 43.
CONTIGU, èxôpevt», 284, 290.
CONTINGENCE, to èv^ô^vov, 94, 156 sq., 164, 171, 258, 277 sq.,
358, 399 ; des futurs 167, 390 sq. (cf. hasard, liberté). — Mode
contingent, toù èvâéyjiâOxi iiny.pyju.
CONTINU, owtfç, 2842, 307 sq., 309 sq. (Translation ' circulaire)
— quantité " 104. Cf. espace, temps.
CONTRADICTION, kvzioastq ', opposition * de concepts 129, 131-133,
. 137 sq., 139-141, 142 sq., 145, 147, 148-151, 152 ; de propositions '
165-167 — délerminée, Siopiifjzlact, liée au sujet, tTvvet'h)[iftéviQ -ù
facrtxp ■ 1371. Principe de -- 92 sq., 234 sq., 247, 312, 403.'
INDEX ALPHABÉTIQUE 415
rRAPOSITION (conversion 'par) 169.
CONTRARIÉTÉ, évavTi-ov, — u7t;, opposition " de concepts 131 sq.,
133-136, 138-140, 143-147, 148 sq., 151 sq., 310 sq. ; de propositions
163 ; dans les catégories 1023, 103 sq., 106 : en physique 129., 135
sq., 309, M55, 301 sq., 373 sq. Unité de la science des — s 130,
308. Cf. extrême. — f Traité et Choix des contraires 31, 33, 137'.
CONVERSION, xif-icTpofi ', 110. 164, 168-170. 185 sq., 194 sq., 212
sq.,22l)'.
COUPS naturel 282 sq. et simple 327, 354 sq. Cf. âme.
CORRÉLATIF, àvrtffTpsyov *, 105, 132 sq., 145-148, 379. Cf. relatifs.
COULEURS 3803, 386 [Traité des —1 37.
COURBE lOo, 330. 342.
COUHNOT 278.
CRÉATION 317.
CRITOLAUS 02, 69.
DANS (être) 288-290.
DÉCLARATION K7rôy«vffi« ', 160, 162; discours déclaratif loi, 158 sq.
DÉFINITION, optepéi Ils1; 119-127, 227 sq., 239, 248-253, 394, 396.
— de mots et de choses 110 sq. Cf. concept, démonstration, fin,
logique, physique.
AEKTIKONtûv ÈvavTtuv, le sujet ' des contraires ' (la suhstanre '). Cf.
àouvauta, y.vri'jact;.
DÉMÉTRIUS dePhalère 68.
DÉMOCRITE74, 277, 292, 299,307, 349 sq., 358. 374, 21,40. Cf. Ato-
ut isme.
DÉMONSTRATION 11, 78 sq., 93, 96, 108, 170, 240 sq., 394 sq. : —
et définition ' 249-253; — circulaire ' 188 Bq., 2-42, 248;— par
L'absurde * 110 ; — par réfutation (itayxTixôç) 2^5. Cf. principes.
DÉNOMINATION dérivée, jrccpùxupoî kttô..., 102*, 100.
DENSE, — ITÉ, 106, 293. Cf. condensation.
DENYS d'Haiicarnasse 47.
DESCARTES 181,371, 375.
DÉSIR, désirable 321, 388-390; - et affirmation ' 389 sq.
DÉTERMINISME 260, 275 sq., 359, 391 sq.
184. Cf. cercle, changement.
DIALECTIQUE (Ouvrages sur la) 21) Bq., 31*, —méthode 52,
01, s.! sq., 91, 93, 93, 109 111, 226-228, 231-235, 247 sq., 303. —
platonicienne 230.
DIALO ho.le 11. 54, 230 sq. - y Dialogues iTArist. 17-20.
Cf. 23 sq., 33, 42, 47 Bq., 4!» sq.
alAll i!\i l \ i, les préi .
M \i-)i.:Ji, disposition ' \> i
DICÉARQUE :?, 70, 71.
DICHOTOMIE 283 (340). Cf. Zé
D1CTUM de omniet nullo 177 17'.).
DIEU 34, :::»7. 387, 406-410.
416 INDEX ALPHABÉTIQUE
DIFFÉRENCE spécifique * 101, 117*sq., 123-125, 127 sq., 227, 263. —
parfaite ou complète, rù.dx Stayopâ. 135.
DIFFICULTÉ, question, ùnopix, 405.' 232-234 {evnopiec ').
DIODORE Gronos, le Mégarique ' 283, 109, 807.
AIOTT (tô), le pourquoi, la raison, 252.
DISCOURS 118, 123, 140 sq., 153, 156 ; (parties du) 101. - Discursion,
discursif 116 sq., 154. 171, 174, 243. 396, Cf. intellect '.
DISCRÈTE (Quantité) *., aiMpnuvjov Troffov, 104.
DISJONCTIF (Jugement) 170; (syllogisme) 181.
DISPOSITION : permanente. Hu ; passagère. ViMiTt;, 104 106.
DI VIN A TION (De la) par le sommeil 40.
DIVISION, méthode platonic. 78, 128, 174 sq., 188, 250, 253. Divisibi-
lité 281,284 (343 sq.).— Siaipivzic, de Platon 22: f - d'A. 33, 137\
Cf. infini
DROITE 336. Ci", courbe ".
DUALISME 372 sq.. 379.
&YNAMI2. puissance ', aptitude '; ro Swurâv, le possible '.
DUR et mou 106, 361.
DYNAMISME 299, 314 : -mique d'A. 293. 322 sq., 346-348 (349-352).
Cf. cinématique '.
EAU 361.
EXEIN, posséder, avoir *. rô i^o/xsvov, le contigu *.
ÉCONOMIQUE (science) 85 sq."-- [Traité de V — ] 43, 71, 85.
ECTHÈSE, £/.(k(7tÇ, 196.
ÉC.AL 104.
EITïTATON oiïnov, cause ' prochaine.
EKA2TON (xaO') singulier * ; -k •/.cQ"éx.>x.<j7y., syn. r« ïayjx-v. '
EAÀTTON (to), le mineur '.
ÉLÉATES 74, 229, 298, 306-308, (322), 401. Cf. Xénophane, Parme-
ni de, Zenon, Mélissus.
ÈAErKTIKilS, par réfutation (démonstration ').
ÉLÉMENT, G-otyjïo-j, 265 sq., 270, 282 sq., 354, 360-362.
EMPÉDOCLE 157, 277, 307, 318 sq., 346. Cf. Physiologues.
EMPIRISME d'A. 92, 94, 101 sq., 164.
EN xptQftû, unité numérique ". — Ku-'ûoSudv, choses qui possè-
dent un élément commun, opp. 7700; -6 a-Jrô xai h, qui se rappor-
tent k un même terme (analogie ') 1211, 3971. é» y.v-k ou î-i ro/'/wv.
opp. jrapà t« 77o).).à, unité * immanente et transcendante 395. Cf.
spécifique.
ENAEXOMElN'ONj contingent * : ftx — âuw; ê%eiv, nécessaire ' ; hSi-
^£(râat, être possible ' 1931, 194.
ENAOSA (t«), propositions plausibles 30, 55, 95.
ENEKA (to o3), la cause ' finale.
ENEPrEIA, l'acte *.
ENTÉLÉCHIE 373 sq.
ÉNUMÉRATION complète 256-258, x«r'àp,0u6v 126* Cf. h.
ENYnAPXEIN, être immanent * à...
ErurnrH, induction \
INDEX ALPHABÉTIQUE 417
ÉPICURE3, 6sq.. 71.
ÊRATOSTHÈNE 17.
ÉRISTioUE 231.
ERREUR 160, 377, 383, 3963. Ci. vrai.
E2XATON (to), le mineur ' ; rè 6o-^rt« (xkO'jxkcttk '), les termes der-
niers de la démonstration * 2432 ; ia/«rr- ûAij, matière ' prochaine.
ESPACE -280, k 86-292, 294 sq., 340 sq.,"399.
ESPÈCE 77 sq., 101, 103, 123, 125, 128, 1782, 180, 409 ; dernière 239
sq.. 243, 402. Espèces animales 306, 369.
ESPRIT 316, 409 sq.
ESSENCE 79, 91, 103, 413, 116, 121, 127, 173-175, 237, 248-250, 25-2,
394 ; simple ou composée 251, 253 ; réelle ou fictive 110.
ÉTAT (être dans tel), xsàrOac, 101.
ÉTENDUE 372, 375. Cf. force.
ÉTHBR 301, 355 sq., 359 sq.
ÉTHIQUE à Nicomaque (iO),[Éthique dyEudèmc],[Gra?ide morale '}
42 sq., 71.
ÊTRE, t6 ôv, -b r6(?£ : copule 122, 159 sq., 163, 192; acceptions ' diver-
ses 121, 398 (catégories *) ; — et non-être 140, 148-151, 306, 391" ; —
en tant qu'être 34, 77, 94, 99-101, 248, 394, :i97, 400-410. — de
Platon 78, 99. Cf. dans, pensée.
EUBULIDE le Mégarique 3, 6, 28.
EUCLIDE de M égare " 6.
EUCL1DE le géomètre 84.
EUDÈ.ME le Platonicien 7». Cf. dialogues.
EUDÈME de Rhodes 29, 34 sq., 43, 55, 59, 70, 81, 84, 131, 170. Cf.
Ethique.
EULER (cercles d') 158. 170, 182.
EVIIOPIA, la solution des difficultés ".
EXAMEN dialectique ', r.zïpa, 232.
EXEMPLE 189, 191.
EXERCICE 374 (hahitude ') ; — dialectique " de la pensée, yjuvao-ia.
232.
ESIZ, disposition ' permanente, habitude, manière d'être. Cf. ùuiôaviç.
EXISTENCE (position de Y) 245 sq., 248.
EXPÉRIENCE 236, 396' ; dans Aristote 79, 259, 3(i:«.
EXTENSION I7.X-I.S2. 187; point de vue de 1'— 77, 125 sq.,236,
238 sq., iris. 395-397, 39!); être dans ' la totalité extensive de .
okt>) tivai 177 sq., 179'.
EXTRÊMES : contraires * 132, 138 sq., 152; du syllogisme, -à àxo*.
172 ; du mouvement 143.
PAIT (le), ro on, 252.
Fiai 361, 364, 393.
FIGURE, 1/jriJ.u., u.op-jifi,'MS. Cf. èyllogiwne.
FIN 278 sq.", 364 sq., 405 (cause finale) ; définition par la - 120'.
FONCTION (unité de). Cf. relatifs '.
FORCE et étendue 349-362. Mouvement ' forcé. (Huiez xb^ai;.
A.iMote 27
418 INDEX ALPHABÉTIQUE
FORME, eiïoq, et matière 125, 261-269, 271-275: substantielle 313,
317 ; intelligible ou sensible 401 ; principe générateur 305, et moteur
392 sq., d'uuité et d'individualité *, 404-407 ; — pure et séparée
115, 315 sq., 386 sq., 405, 407-410. — 173, 190, 192, 327, 372 sq.,
374 sq. — Formel; logique 92 sq., 111, 129, 146, 190-192, 393;
dans les catégories 100 sq., 109-111, Formalisme 407 ; — Kantien *
446.
FORTUNE, Tûyji, 278 sq. Cf. hasard.
FRÉQUENT ; cf. wo>w.
GALIEN 29, 185.
GÉNÉRATION et corruption (Traité de la) 36. — 140, 149, 260, 281,
283, 310 sq., 312 sq., 317 sq., 324, 334 sq., 353, 354 sq., 359, 363.
— De la génération des animaux 41, 363. — 365, 369 sq.
GENRE, yévoç, rô ri * sort 34, 77 sq., 99 sq. (incommunicabilité des
—, ci. 239), 103, 117 sq., 123 sq. (— prochain), 125 (est matière \
cf. 263), 128, 134 (identité de — ), 150, 152, 1782, 180, 227, 265,
397 sq., 402. Cf. catégorie, espèce, substance.
TNilSIS, connaissance, opp. jrpôpÇiç, 81.
GORGIAS\{\ Contre), 21 ; cf. Mélissus.
GRAND et petit. 104. Grandeur mathématique 281, 283 sq. ; chan-
gement de — 293.
ITMNASIA, exercice* dialectique de la pensée.
HABITUDE, %n{opp. priration *), 131-133,136-139, 140 sq., 142-145,
308, 327, 341, 374.
HAMILTON. 92, 109.
HASARD 193», 260, 271, 276-279, 358, 391.
HAUT et bas \
HEGEL, Hégéliens, 87, 93 sq.
HÉRACLIQE du Pont63.
HERACLITE 282. Cf. Physiologues.
HÉRILLUSde Carlhage 69.
HERMARQUE l'Épicurien 69.
HERMÈNEIA {De l'expression de la pensée) 14, 27 sq., 73, 109, 166.
HERMIPPE de Smyrne, 3, 41, 14 sq., 67 sq.
HIÉRARCHIE 70 sq., 313, 371-373, 375 sq., 379, 382, 388 - des cho-
ses terrestres 303, 366, 369; cf. inférieur, notion.
. HîPPOCRATEde Chios, mathématicien, 84.
HISTOIRE de la philosophie dans Aristote 35, 233.
HISTOIRE des animaux 38, 71, 363.
HOMÉOMÈRES et anhoméomères (parties des animaux) 365 sq.
f HOMÉRIQUES {Questions) 45.
HOMONYMES (termes), éjAcâwgoç, 97, 121', 397'.
HOMME 367, humanité (histoire de 1') 20. — L'homme engendre
l'homme (forme ') 305, 335, 365.
HUMIDE et sec 361 sq.
HYPOTHÈSE, TJ7To6i(Ttç 245 sq. ; hypothétique (jugement) 170 ; (syllo-
gisme) 181. Cf. nécessité '.
INDEX ALPHABÉTIQUE 419
IDÉALISME 267, 296, 309 sq., 314, 372, 374.
IDÉES platoniciennes 20, 127', 1801, 372, 395, 396', 400 sq., 408, 409
sq. — 7 Sur les /i/e'es22sq.
IMAGINATION 157, 324, 368, 382 sq.,384 sq., 380. Cf. intellect.
IMMANENT (principe ') 302, 305, 310, 357 ; être — à... svuw«px8« ou
•jitv.pyjîvj ' i'j... 158. Cf. ev.
IMMÉDIAT, svôûç, Tzpùru; (unité '). Connaissance — e 243.
IMMOBILITÉ 301, 328\
IMPUISSANCE, ùSvvaui* \
INDÉFINI : expression — e, kôpitrrov o-jo-j.*, 140, 163; proposition — e,
162.
INDÉPENDANCE, atirapsia, 400.
INDÉTERMINATION : des propositions MO, 163 sq., 166, 108 ; de la
matière 162 sq. ; dans le monde * sublunaire 358 sq. Cf. indéfini.
INDIVIDUEL, rotfs ri, 77, 79, 94 sq., 100, 103, 106, 236, 239 sq., 265,
300, 398 sq., 402 ; l'individu suprême 101, 105, 127, 405-410. Cf.
forme, matière.
INDIVISIBLE : ligne ' — 283, 307 (37); — de mouvement, *»qp«,
307, 309. Intellection des —s 385. 396.
INDUCTION, IraywyÂ, 171, 189, 234, 241, 243, 250, 253-259, 298, 397.
INÉTENDU 310,. 318 (le premier moteur ').
INFÉRIEUR (explication du supérieur par 1') 237 sq., 282.
INFINI, i'rrstpov, 280 286, 292, 320, 344; -- en acte et en puissance
298, 322 sq. ; — de composition (y.arà Trpoc-ôea-tv) et de division
(xarà oiv.Loisij, ùy v.tainci) 285 sq.
INNE >pas de principe ') 253 sq.,259, 384.
INSTANT, ro vww, 294 sq., 319.
INSTINCT 366.
INTELLECT J54, 243, 321, 382, 333-387; — pratique 388, 330 ; —
séparé 375, 386 sq., 409 sq. Intellection 150, 101, 171, 174; intel-
lective (âme) 265, 375, 383. Intelligible 156 sq. ; forme — 236, 386 ;
matière — 263.
INTEMPÉRANCE 390.
INTERMÉDIAIRES (moyen terme ") cnlre les opposés ' 130, 132,
138 sq . 143 Bq., 152, 105; entre le premier moteur et le dernier
nui 317, :;:!S ; dans lu sensation 379-381.
ICES du mouvement 322-325.
INTERROGER cl répondre 220 sq.. 230 sq.
INTERVALLE 291, 296.
INTUITION 7'.), 100, 171. 174, 390; - intellectuelle et sensible 110-
118, 234 sq., 258 Cf. limite.
ISOCRATE 9.
JUGE '/•-,!".; ', leç. X; nature et fonction 151,161-170, mul-
tiplicité 15 157, et unité du — 157-160; analytique et synthéti-
que 151 sq.
K.WT 97, 128 sq., 163, 193»; et. formalisme. Su de - 129.
KATA4AZI2, affirmation' ' ; x«t«î»x -v/.-j\ Xoyo^ nv«c xara rwoç 110'.
420 INDEX ALPHABÉTIQUE
KATA TTcoTo-:, totalement, 125*, 240, 238. — aut apiBpiv, par énu-
mération ' complète. — xa6»' «J-6, par soi (attribut *). x«Qr ôcaorov,
singulier * — x«0' h '.
KATHTOPEIN.-IA, attribuer "; xarrr/opiu, attribution '.
KA0OAOY (-6), l'universel ', 126'.
KEI2©\I, être dans tel état * Ksi(uîv« (rà), les données du raisonne-
ment 172'.
KINHMATA, indivisibles * de mouvement.
KOINA (t«), les principes communs, les axiomes *. — h» xoivm ytyyà(te»6t
loyoi 48 sq.
KTHS1S. opp. yvojc-t; ', dist. wpafiç ", 81.
LACHELIER 186.
LANGAGE 153, 166.
LEIBNITZ US, 186, 292, 314, 399, 409.
LEUCIPPE292. CL Atomisme.
LIAISON 97, 102', 461 sq. — Termes sans —, 'hi\t wfiirXoxijs
lsy6u.iju 112, 140, 153. Cf. catégories.
LIBERTÉ 94, 390-392. — Mouvement libre 326.
LIEU, to-oç : propre ou commun 287, 327; — naturel 282, 286, 327.
Adverbes de — 101, 104, 314. Cf. matière. Les lieux dans la dialec-
tique 2:27 sq.
LIMITE 2S4, 290 sq., 294 ; cf. intervalle.
LISSE 1011.
LOGIQUE (ouvrages sur la — ) 26-31, 73. Nature 90-97, 176, 180 sq. :
place dans la science 86-88, 100. Cf. 108, 111, 123, 260, 384, 393.
Adj. ; une recherche —, Çijtuv ï*ytxw; 100; une définition — ou
formelle ' 119, 120*.
AOros, concept ' .
LOI 180, 257 sq.
LOURU et léger 327, 360 sq : cf. pesanteur.
LUMIÈRE, cf. couleurs.
LYCOPHRON 130.
MAJEUR, -o ~ùù-ov, tqilzïÇo-j, 172.
MARCHE {De la) des animaux 41.
MATHÉMATIQUES 82, 84 sq., 87, 176, 181, 240, 260, 304. 393.
MATIÈRE, ÛU, et forme ' 156 sq., 178, 190, 192, 260-268, 275 sq. , 285,
306, 30U, 317, 362, 372 sq. ; — première et prochaine, npùrr,,
zrj/v-ri -Tir, 266, 274; — logique 115 sq , 118, 127; — intelligible,
yojjrjj ûàij 203; — topique, tottixà ù//j 358 ; principe d'individuatiou
127, 267, 385 sq., 402 sq., 406 sq. ; dans les catégories 265, 269.
Ce qui est sans matière, ô<ra âvtu û).tjç, 115, 316, 4093. Cf. genre,
fj-j-ylu, puissance-
MÉCANISME 299, 307, 314,364.
MÉGARIQUES 166, 1672, 307, 401. Cf. Alexinus, Diodore Cronos,
Eubuiide, Euclide, Stilpon.
MEILLEUR (la Nature ' tend au) 335.
MEIZ.QN (rô), le majeur '. '
INDEX ALPHABÉTIQUE 421
{MÊLISSUS (Sur), Xénophane ' et Gorgias ' 2ia, 46]. f Contre
Mélissusti. — 371.
MÉMOIRE 157, 382 sq. — De la — et de la remémoration 40.
MEPEI (iv), le particulier '.
MÉTAPHYSIQUE 87, 88 sq . 391 — La — 32, 33-35, 46 : 58 sq. AB
233, A 100. 269!, ZH 404, I 434 sq., A 315, 317. Autres ouvrages
sur la — 33.
MÉTÉOROLOGIQUES (Les) 37, 303.
MÉTHODE 30 ; dans la philosophie du concept 76-78 ; analytique ' et
synthétique 128 sq. — Méthodologie 87, 90.
MINEUR -o éD.arrov, zô iayurrrj, 172.
MIXTE, mixtion 265, 362 'sq.
MOBILE, -ité 318 sq., 322 sq., 329, 332, 333 sq., 348, 389 sq. Cf.
moteur, mouvement.
MODE, Tj»6«»ç : modal : proposition 110 sq., 161, 170, 189-195; syllo-
gisme 172, 181 sq ., le.:. XII 188-225.
MODÈLE 274, 405, 410 (121).
MOINS et plus, dans les catégories 1023, 103 sq., 106.
MONDE, leç. XIX, 353-370: sans commencement 20 : sublunaire et
supralunaire 354, 358, 391 sq. ; hypothèses diverses 318 sq. ; aine
du — 300 ; le petit — et le grand 320 — [Un monde]
MONSTRES 207, 359.
MORALE (écrits sur la) 42 sq., 73; cf. 85. Cf. Éthique.
MOTEUR premier, 315-318, 325-352; Cf. 34, 305, 357, 408. Autres
— s 318 sq., 331-333, 357, 389 sq. Cf. cause, mobile, mouvement .
MOUVEMENT : définition 309 sq. ; espèces 310-313; naturel et fore- 293.
• '.12. 345; par soi et par autre chose 325-327 ; par accident 329, 332 :
continu, un et infini 880, 284 sq., 290, 295, 321. 332, 334 sq., 336-
340,349-352; éternel 299, 316 sq.. 318-322; êtres en -^298, 301, 355.
— Cf. 101 sq. , 149. 292 (voyez mobile, moteur, translation, temps).
— il. xtvTja-ewç, Pkys. V-VTII. 36. — [Du mouvement des ani-
maux'] 41.
MOYEN-TERME, ro (tivov, i ui-ro; [ôpoç], 11, 238, 394 sq : comme
cause 173-175, 180; dans l'induction ' nombre fini des — *
243; connaissante par médiation ou raison ' -■ 399.
NATURE : Ouvrages sur la — - 36-42, 73; s ne a de la — 78 sq. —
297-305. 312, 322. 353, 401; ordre de La — 255-257, 260; ses
erreurs 2<i~. 359; cause hors de la — u'une action dans la — -
■ sq. : — et âme 300, 310, 350, 300. Natures simples 114-116,
160 sq., 174, 193, 251. 408 sq. ; — composées 118-123. Cf. art,
déterminisme, meilleur, vain (en).
NÉCESSAIRE 92, 94, 96, 20»;, 236, 359, 392; - et universel 258 sq.,
399. — ■ Proposition —, rov =.l àvo^x»? \tnipyjnv, 194 ; mode — 190,
l'.)3. — Nécessité hypothétique el nécessité absolue (cf. coavx»i)
273. Cf. cause.
MON, Urtàf*<rit, HO, H.i. 266.
NÉLÉE60, 65.
422 INDEX ALPHABÉTIQUE
NICOLAS de Damas 14, 33.
NICOSTRATE 147.
NOHMA, concept; voutôv, objet du — 116; voïj<tiç, acte par lequel il
est conçu ib. (cf. pensée *) ; voïjtâ OXy?, matière * intelligible.
NOM 154; — indéfini *. Nominalisme d'A. 401.
NOMBRE 281, 283, 295 sq., 343 sq., 377; — idéal 20. Noms de —
101.
NOTION 97, 102, 385 ; —s coordonnées, hiérarchisées 150.
NUMÉRIQUES (unité et identité), h xedrayTov àptSpâ, 103, 402.
NUTRITION 324, 332 sq., 334, 364, 368. Nutritive (âme *) ou végé-
tative *. — f De la nutrition 39.
OBJET 75-77.
OEUVRE extérieure, èpyov, Troînjo-t:, 81 sq.
orill (ctvai ev), être dans la totalité extensive ' de...
ONTOLOGIE, ontologique 389 sq., 393 sq.
OPINION, 8<%« 324, 390; dans ia dialectique 227, 229-231, 234 sq. :
admise, ùitoXwtytz, 162, 383.
OPPOSÉ 102, 179; — ition des concepts, exposée 128-142 (cf. contra-
dictoires, contraires, habitude, relation), examinée 142-152 ; —
des propositions 165-170, 194 sq., 2161. — f Sur les — 31, 131, 1348-
Cf. intermédiaires.
OPrANON, instrument : — de la Science 86 sq. ; — en biologie 365. 380.
OPIZM02, définition \
OPOZ, terme *.
OQF.N H KINHZIE, cause * motrice 20.
OTI (tô), le fait *.
OU, 7toû, catégorie, 101 sq.
OY2IA, substance ; 7rpwr/j, Svjziou, première et seconde. Ojo-îa de la
matière 263, 265.
PANÉTIUS 69.
PANTHÉISME 300.
PARMÉNIDE 90 sq., 131, 148, 306 sq.. 409. Cf. Éléatés.
nAPftNYMOI «.no..., dénomination ' dérivée.
PAR SOI, xafl'aÛTé, 109, 113, 125, 240, 258.
PARTICULIER, év ftépet, 77 ; proposition 110, 162, 168: passage dû
— à l'universel 254, 258.
PARTIES (Des) des animaux 40, 363.
PARVA naturalia, collection, 39 sq.
PASICLÈS de Rhodes, 35, 81.
PASSION, pâtir, KÛayji-j, 101 sq. ; patient (intellect *). ; passif {cf.
qualité, verbes) Cf. action.
J1A0OS, affection *; nuQ^ixciï ■Koiirrtrzç,, qualités' - ives ; ndBoi xu6'
auto, attribut * dérivé essentiel.
• I1EIPA, l'examen * dialectique ; iziipMTixri, la dialectique '.
PENSÉE et être " 94 sq., 371 sq. (cf. connaissance) ; — , voua*?, opp,
■KQiyai% 271 ; sans organe 386 sq. ; la — est les pensées 4094.
PÉR1PATÉTICIENS 85, 95 ; îrsp&raroç, - rdv 63, 10 sq.
INDEX ALPHABÉTIQUE 123
PESANTEUR 293. Cf. lourd.
PÉTITION DE PRINCIPE 179, 189.
PHANIAS 70.
PHILOPON (Jean) 151.
PHILOSOPHIE 21 ' ; — première 33 sq., 305, 394, 405, et seconde 84
sq. — Qù.oaofîtx, recherche 2981 .
*OPA, translation '.
't>T2I2, nature * ; fjnv., par — 299 ; xarà on 7rapà yû«v, selon ou con-
tre la— 312.
PHYSIOLÔGUES (Anfésocratiques) 74 sq., 77, 90, 129, 273, 282, 303
sq., 305. 308, 343, 346, 371 sq., 408.
PHYSIQUE (La) 34 sq., 82, 84 sq., 129, 135, 260, 280, 297 399,332 sq..
363. 393. Définition — (par la matière) 120. Cf. nature. - La Phti-
sique 34, 36, 59, 269*, 353 sq. ; I 233, III 280, VIII 315 317 et
leç. XVIII.
PLAISIR 376, 387 sq.
PLANTES 366, 367 — f Traité des — 41 .
PLATON 76-78. 91 sq.,94,99 sq.. H2, 128, 130 sq., 148 sq., 130 sq.,
148 sq.. 152, 154,174 sq , 230, 236 sq , 239 sq., 271 sq., 281,286
sq., 307, 319, 371 sq., 373 sq., 376, 384, 394, 400 sq., 407, 408-410.
— f Extraits de Platon par A. 22, 47. — Platonisme 259, 390, 403
— Platoniciens contemporains d'A. 843 et Alexandrins *. Arisfote '.
PLAUSIBLES (propositions), t« bSofr '.
PLOTIN 268, 4071.
PLUSIEURS 268, 402, 408'. Cf. un.
PLUTARQUE61 sqq.
PNEUMA 368, 380 — [n. 7rv*ip«Toç]39.
POETIQUE (science) 82, 83 sq. — La — 44, 84.
noiElN, agir, faire : mlyaiç, réalisation " 'l'une œuvre ; itoôjthiôv kïtwv,
cause ' efficiente ou motrice.
noiON(-o), la qualité '.
POLITIQUE (écrits sur la) 43, 73. La — 43, 53 — Science — 84. 85 sq.
[IOAT (w? î7ri tô), ce qui se reproduit avec une certaine fréquence
126, 193i, 49^ 237, 359.
noiAXili. UyàfievK (rà) 35, 68 sq. Cf. acceptions.
POSIDONIUS 64, 68,71.
POSITION, 9é<jt< I023, 104.
itoiON (ro), la quantité .
POSSÉDER, ïyjiv, 101 sq. Cf. avoir, ."■-:, habitude.
POSSIBLE {\e), ro Jwvorov, 193 sq., 206.
POSTPRÉDICAMENTS (Les), Catégories ' ch. 10-15, 27. 10î.
POSTULAT, postuler, «Irnfut, -$ ZvQat 175. 245 sq.
nO&EN nol, d'ici là. Cf. translation.
POURQUOI (le), ->■ o'ori, 251 Bq., 289.
ih'M'matkia, ensemble doctrinal 80.
PRATIQUES (sciences) 82. 88 sq. : activité pratique, »/»ôÇi;, si, 356.
Cf. intelhi t.
421 INDEX ALPHABÉTIQUE
PllÉDIGABLES 101 . Cf. attribut.
PREMIER, trois sens 335, 344 sq.
PRÉMISSES, jrpoTscrttç, iikttrii'^xct^ Û7rt©é<ms, ùnokrityeis, 162, 172.
PREUVE 11, 230.
PRINCIPES 233, 234 sq., 244. 247,320. Cf. immanent, inné'.
PRIVATION, rcipyrtçi 285, 301. Cf. habitude.
[PROBLÈMES {Les)] 42, 40. — Problématique 1931.
PROJECTILES 347 sq.
PHOPOSITÎQNS Kporouriq : théorie des — 161-165; opérations sur les
— 165-170. Cf. 97, 108-112, 140, 149, 161 sq.
PROPRE, Mue 101, 113 sq., 227. Sensible — 377.
riPOS «fjtàç, par rapport à nous, 109, 255-238.
11PO20E2IN (x«rà) âneipov, infini * de composition.
nP02 TI (rà), les relatifs ' ; npoç ri w»; sx"v> 1°5-
PROTAGORAS403.
I1POTAXI2, proposition ' ; rcporianc,, les prémisses *.
nPiTTON (t6), le majeur. Cf. cause, matière, llpo-epov, premier '.
PRUDENCE, ypévflffiç, 85 sq., 383.
PSYCHOLOGIE et logique 92, 94. Cf. âme.
PUISSANCE, (WpuçCf., outre les renvois à acte", 263 sq., 384, 402.
Les — s rationnelles et .irrationnelles, 276
PYTHAGORICIENS 373 sq. — f Sur les — 21 sq., 281.
QUESTION, knopiu, difficulté *.
OU1DUITÉ, to -A h eheu, 114, 1J8, 120 sq., 123, 127. 238. 251 sq.,
269
QUINTILIEN 46 sq.
RAISON et sensation 79, 376, 390-392, 401-404. — d'être 248 sq.,252:
connaissance par — ou médiation (moyen'-terme).
RAISONNEMENT, 109, 113 et leç. XI, 171-187.
RAMUS 186.
RAPPORTS (ressemblance de) 99 ; identité de — , universalité d'ana-
logie " Cf. npôç ijudcç.
RARE opp. fréquent ' 240. 277. Opp. dense '.
RATIONALISME 407.
RÉEL, réalité 76 sq., 99, 101, 268, 314, 371 sq., 400, 401-404; Cf.
logique ' (111, 393). L'être le plus — 115, 405 410. Réalisation d'une
œuvre, ttoWs, 82, 271, 272 sq. Réalisme 79, 291, 296, 401 .
RÉFUTATION (démonstration* par).
RÉGRESSION à l'infini 242(328, 348).
RELATIFS, rà tt/jôç ti, 27, 101, 1023, 104 sq.. 1061. Opposition des —
131, 132 sq., 136 sq., 140 sq., 145-148. Unité de relation ou de
fonction 115 sq., 117 sq., 122 sq. Formes — ives 101 . Cf. acte.
REMINISCENCE platonic. 19, 384
l! EMPLACEMENT successif, 9wnpi«T«ffTa^tç, œj-impiç-yaic,, 280, 288,
308. 407.
RENOTJvIÉR 148.
RENVOIS d'A. h lui-même 57 sq., 73 ; — des Anciens à A. 70-72.
INDEX ALPHABÉTIQUE 426
REPOS 301, 318, 328», 338 sq., 344 sq., 377. Cf. immobilité, mouve-
ment.
RESPIRATION 368. Delà respiration 40.
RHÉTORIQUE (ouvrages sur la) 31 sq. La — 40. f La — à Théo*
dette 32. [La — à Alexandre] 32, 53.
ROUTINE236, -284. Cf. expérience.
SXHMA, ligure '.
SCIENCE 78 sq., 92, 105, 130, 171, 179, 232-235 (et dialectique '), 235-
241, 242 sq.; 248, 326 sq., 383, 394-400. Cf. classification.
SCOLASTIQUE (la) 101, 129, 164, 166, 172, 177, 182, 186, 375.
SEMBLABLE, similitude 106, 334.
SENSATION, sensible, sensorium : théorie générale 377-382 ; contient
l'universel ' 234 sq., 243, 384', 396 sq. ; — et science ' 398-400 ; —
et intellection ' 386, 396, 401-404; — 105, 161, 171, 234 sq., 254,
368, 384. Cf. accident, commun, intuition, propre. — De la — et
des sensibles 39. — Ame sensitive 367, 375 sq. (265, 360). Sen-
sualisme 401, 403 sq.
SEXES 267, 367, 368 sq .
SIGNE, signification 245 sq., 248.
SIMPLE 77 sq., 115 sq. Proposition — 110, 193; syllogisme — 481,
189 ; mouvement — 354 sq., 358 ; corps - 327, 354 sq.
SIMULTANÉ, à/ta, 102, 105.
SINGULIER, >•</'/ Èx«<ft<», 126 sq., 248, 259, 395 sq., 398 sq. Proposi-
tion singulière 163 sq., 166, 168.
SITUATION, xsîffflw, 102.
SOCRATE 74. 75 sq.. 78 sq., 90-92. 229 sq., 236, 272, 371. Socrati-
ques 130, 307.
SOMMEIL 321, 367, 37 i. — Du - et du réoeil 40. — Des songes, ib.
SOPHISTES 83, 92, 130, 229 sq. Sophismes 231. — Réfutation des
arguments sophistiques 30 (Topiques ', livre IX).
SOUVENT (ce qui arrive le plus) ttoàû \
SPÉCIFIQUE (unité) ou formelle, sv eïStt, x«r' stfoç 115. 126*.
SPÉCULATION, 9«<»/»t«, 327.
SPEUSIPPE6(21).
SPHÈRES 300, 345, 356 sq., 360.
STEPHII2, privation '.
STILPON le Mégarique ' 69.
2TOIXJEION, élémenl '.
STOÏCIENS 80, -12*, 359, 407. Cf. Chrysippe.
STRABÛN 52 sq.,60sqq., 65.
STRATON de Lampsaqueflî, 69, 71.
STYLE d'Aristote 19 sq., 47.
SUBALTERNES 107; subalternation 179.
SUBCONTRAIRES f66.
SUBJECTIVISME 97.
SUBSOMPTION 180.
SUBSTANCE, t>v<rl*,\rà xhit, ri xi Lni. Catégorie <>*, 101. 102 sq.,
426 INDEX ALPHABÉTIQUE
121, 393 sq. ; première et seconde 94, 98, 103, 105, 1782, 265, 402;
sujet * des contraires 103, 309, 362, 402, opp. accident 113 ; — et
concept 114, 127; trois sens 403; sensible, périssable ou non, et
suprasensibie 125, 354, 359 ; composée " (unité " de forme et
matière) ou formelle 119. — Cf. 127, 267 sq., 312, 316 sq.
SUBSTANTIF 101, 140.
SUCCESSION causale 272 sq., 274 sq.
SUJET, tô Û7Toy.£îpeuov *, rà Szxziy.qj ' ; du changement 261 sq., 264 sq.,
267 sq. ; identité de — 134; — et objet 371, 409 sq. Cf. «tfwvafu«
attribut, contradiction, substance.
2YMBEBHK.OZ, accident ', attribut*.
lYMIIEPAZrvlA, conclusion ".
2YMriAOKH; liaison*.
SYNEXHZ, continu *.
SYNOAON (to), o-uvôoç q-jiLk, substance formée par la réunion dune
matière et d'une forme.
2Y2TOIXIA, série ou colonne de termes 145.
SYLLA61.
SYLLOGISME : nature 172-175 ; principe 175-181 ; figures * 181-187.
— s modaux * ; réciprocation du — 189 ; fondé sur des signes ib. ; —
de l'essence 250, 252 sq. ; — inductif 255; — du désirable 389 sq.
— Cf. 79, 91, 93, 95 sq., 96 sq., 108 sq., 110, 112, 162, 167, 226. Cf.
hypothèse.
SYNONYMES, t« tsvym\i^} 97.
TAUTOLOGIE 161.
TAYTON «ptôaw, identité numérique *.
TECHNOLOGIE 83.
TEMPS 280 sq.,283, 294-296, 319, 340 sq., 399, 408; — et mouve-
ment 319, 343 sq.
TERMES ôpoi, 108. 110, 112, 140: du syllogisme 172.
TERRE 328, 354, 360 sq. ; élément 367.
THALÈS 77, 90 Cf. Physiologues.
THÉOCRITEde Chios 32, 83.
THÉOLOGIE 34, 82, 405.
THÉOPHRASTE 213, 28 sq.,31, 34, 37, 41 sq., 59-61, 65, 68-70, 131,
170.
THÉORÉT'QUES (sciences) 82, 84 sq.
THÈSES, bciuz, 244 sq. ~- Cf. position..
TI ion (tô), la substance, le genre — zozirrj ehou, la quiddité *.
TIMÉE de Tauroménium 3, 6 sq.
TO AE zi la chose individuelle * ; roc?* (rô), la substance * (416*)-
TOPIQUE 30 sq. — Les —s 29, 46 sq., 226-228. — Cf. matière.
TOUCHER 361, 367 sq., 379-380 sq.,3963.
TOUT, (ô).ov *) et parties 75 sq., 78. Cf. xarà 7ravr6ç,
TRANSCENDANCE 372, 386 sq., 395 : transcendentaux 100 sq., 135.
TRANSLATION, ?opd, mOsv mî, 311, 313 sq., 321, 334-336; — recti-
ligne 336-340, 341 sqq., 355, 359 sq. ; circulaire 318, 342-346,349-
352, 355, 358, 360.
INDEX ALPBABÉTHjt K 427
TPOnoz, mode .
TYRANNION 53, 61, 63 sq.
[S, h *, 100 sq. ; — et plusieurs 130 ; unité immédiate (rJôùç ômp h n)
116 ; numérique " : immanente et transcendante ; — d'analogie * :
— d'une matière et d'une forme 115, 119, 317, 403 sq. — L' — dans
Platon 77, 99.
UNIFORME (mouvement) 345, 348.
UNIVERSEL, universaux. «eflo^ou, 35, 75, 77-79, 99 sq., 103, 125 sq.,
127, 180, 234 sq., 258, 383, 394-400, 407 — Propositions — les 110,
163 sq. — Cl. analogie, cause, nécessaire, seiisation.
vriAPXEIN avec le dat., appartenir * à (svurrap^siv) ; vn-ap^ovra xaô' avri,
attributs ' essentiels. Cf. propositions assertoriques *.
VHOKEIMENC^ (tô), le sujet "; BÏvat x«0' — ou, être attribut * d'un — ;
iv — ta, résider dans un — 98 sq., 103.
viim ui'KIZ, jugement * (383. 385) ; opinion* admise, prémisse *.
vno0EZI2, hypothèse *, prémisse * ; JÇ — £<r£w; («vâyxrç "), (o-u/Joy.,
syllogisme fondé sur un postulat non démontré).
VAIN (la nature ne fait rien en) 299 sq. (320).
VASE (l'espace est comme un) 289 sq.
VÉGÉTATIVE (âme) 367, 375 sq. (265, 360).
VKRBES140, 154 sq.. 199, 161; — actifs, passifs, intransitifs 101.
VIDE 280, 292-294.
VIE 353, 363-365 ; le vivant suprême 407-410.
VISION 380,387, 396'.
VRAI 160, 167, 229, 231, 235. Vérités éternelles 320. Cf. erreur.
VOLONTÉ 390*.
XÉNOCRATE fi, 8, 21, 307, 374.
XKNOPHANE (f Contre — ) 21. Cf. Éléates.
ZENON d'Élée '229, 283, 286, 287 sq., 289, 298.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
AvANT-PltOPOS V
I. — Vie d'Aristote 1
11. — Les catalogues des écrits d'Aristote. Ses écrits non
scientifiques, ses œuvres de jeunesse et en parti-
culier ses dialogues 13
III. — Ouvrages scientifiques d'Aristote 25
IV. — Les diverses classes des écrits d'Aristote. Les écrits
publiés et les autres 45
V. — Histoire des écrits scientifiques d'Aristote. Date de
leur composition 60
VI. — Point de départ de la pensée d'Aristote. Divisions
du système. Plan de l'exposition 74
VII. — Nature de la logique. Les catégories 90
VIII. — Le concept 108
IX. — L'opposition des concepts 128
X. — Le jugement 153
XI. — Le raisonnement 171
XII. — Les syllogismes modaux 188
XIII . — Dialectique et science 226
XIV. — Axiomes, définitions, induction 242
XV. — Les quatre causes. Le hasard 260
XVI. — L'infini, l'espace, le vide, le temps 280
XVII. — Nature et mouvement 297
XVIII. — Le mouvement et le premier moteur 3 J
XIX. — Le monde
XX. — L'âme 31
XXI. — Théorie de l'Être 39$
Index alphabétique 4 !
LAVAI.. — IMPBIMERIE L. BARNtOUri ET C".
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THE INSTITUTE OF MEDIAEVAl S7UDIES
10 ELMSLZY PLACE
TORONTO 5, CANADA.
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