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Full text of "Le Tigre de 1560, reproduit pour la première fois en fac-simile d'après l'unique exemplaire connu (qui a échappé à l'incendie de l'Hotel-de-Ville en 1871)"

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LE  TIGRE 


PAMPHLET     ANTI-GUI  S  A  RD 

DE    i 56o 


TIRAGE    A    PETIT    NOMBRE 

sur  papier  fort  de  Hollande,  de  Van  Gelder  Zonen 
d'Amsterdam. 

Plus  i5  ex.  sur  papier  de  Chine. 

—  i5  —  —  Whatman 

—  3   —  sur  parchemin. 


m 


J 


LE 


TIGRE 

DE    I  5  60 

REPRODUIT     POUR    LA    PREMIÈRE     FOIS     EN 

FAC-SIMILE 

d'après  l'unique  exemplaire  connu 
Qui  a  échappé  à  l'incendie  de  l'Hâtel-de- Ville  en  18  7/ 

ET    PUBLIÉ    AVEC    DES    NOTES 
HISTORIQUES,    LITTÉRAIRES   ET   BIBLIOGRAPHIQUES 

Par  M.  Charles  RE  AD 


n 


ITT^z 


PARIS 
-      MIE   DE  PHILES 

3  3  8,     RUE    SAINT-HONORÉj 

MDCCC1 


M* 


2/Lu  "Baron  Ch.  TOISSON 

Ancien   Officier  d'Artillerie,  Ancien  Membre 

du  Conseil  Municipal  et  Président  de  la 

S. -Commission  des  Trav.  Histor. 

de  la  Ville  de  Paris 


Qd  toi,  mon  cher  ami,  cette  épave,—  bien  petite, 
mais  précieuse  et  unique  en  son  genre,  —  de  l'immense 
naufrage  que  tant  d'inepties,  d'en  haut  et  d'en  bas, 
du  dedans  et  du  dehors —  int  :s  et  extra  —  ont  infligé 
en  1S7 1  £3  notre  pauvre  Ville  de  'Paris. 

Qdvec  notre  vieil  Hôtel-de-Yille,  que  de  souve- 
nirs et  de  trésors  anéantis!  'Désastre  à  jamais  irré- 
parable! Zr^ous  y  avons  perdu,  toi  et  moi,  les  résul- 
tats et  les  témoins  mêmes  de  ce  labeur  incessant  de 
six  années,  dont  tu  avais  si  heureusement  prit,  l'ini- 
tiative, et  qui,  sous  ta  direction  ^élée  et  habile,  portait 
déjà  tant  de  fruits.  C'est  notre  fortune  historique  qui 
a  sombré  tout  entière,  comme  en  pleine  mer,  avec  nos 
^Archives  et  notre  Stat-Civil  séculaires,  avec  notre 
'Bibliothèque  et  nos  Collections  et  Matériaux  de  toute 
sorte  ! 

Ifestait  l'ecrin,  destiné  à  recevoir   les  richesses 

évanouies  de  ce  Musée   Parisien — dont  la  création 

artenait  :  —  ce  charmant  Hôtel  Carnavalet,  que 

tu  as  l'honneur  d'avoir  fait  adopter  par  la  Ville,  et  où 


devait  figurer,  parmi  les  curiosités  bibliographiques, 
le  petit  livret  dont  il  s'agit  ici. 

Tar  quel  miracle,  l'un  et  Vautre,  —  monument  et 
petit  livre,  —  ont-ils  pu  échapper?... 

Si  Z'Hôtel  Carnavalet  fut  préservé  de  tout  mal- 
heur, même  de  l'étendard  rouge  de  la  Commune,  c'est 
grâce  au  brave  que  tu  avais  désigné  pour  en  être  le 
gardien,  et  qui  est  demeuré  ferme  à  son  poste,  dans 
les  mauvais  jours,  fidèle  à  son  devoir  et  à  mes  in- 
structions. 

Si  le  Tigre  fut  sauvé  du  feu  infernal  qui  a  dé- 
voré tous  nos  chers  trésors,  c'est  que  le  Hasard  l'a  bien 
voulu,  —  ce  dieu  Hasard  à  qui  Von  avait  fait,  ô  honte! 
abandon  de  notre  malheureuse  capitale,  après  avoir 
joué  son  sort  sur  le  coup  â.e  dés  du  18  mars  (  i). 

Notre  épave  te  rappellera  des  jours  meilleurs,  qui 
nous  furent  communs,  et  surtout  l'amitié  dévouée  de 
ton  vieux  camarade 

C.  % 


(i)  Compte  à  régler  avec  l'histoire!  —  M.  Maxime  du  Camp 
avait  écrit  prophétiquement,  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  % 
du  Ier  juillet  1869,  que  si  le  pouvoir  venait  à  défaillir  un  seul 
jour,  «  Paris,  comme  une  ville  mise  à  sac,  serait  livré  à  tous 
les  épouvantements  du  vol,  de  l'incendie  et  du  meurtre.  »  — 
M.  E.  Rousse,  bâtonnier  de  l'Ordre  des  Avocats,  dans  son  dis- 
cours si  remarquable  du  2  déc.  187 1,  a  réservé  cette  grave 
question  du  facile  et  néfaste  triomphe  de  la  Commune,  et  des 
«  défaillances  qui  lui  ont  livré  le  pouvoir.  » 


1* 


UN 

CHAPITRE   D'HISTOIRE 

ET 

DE    BIBLIOGRAPHIE 

A     PROPOS     DE     CE     PETIT     LIVRET 


UN 


CHAPITRE  D'HISTOIRE 

ET  DE  BIBLIOGRAPHIE 

A     PROPOS     DE     CE     PETIT     LIVRET 


I 


n  i559,  dès  l'avènement  du  fils  aîné 
de  Henri  II,  les  chefs  de  la  maison 
de  Lorraine  s'appliquèrent  à  justi- 
fier une  prédiction  dont  les  avait  honorés  le 
roi  François  Ier,  et  qui  s'était  formulée  dans 
ce  quatrain  populaire,  devenu  célèbre  : 

Le  feu  Roy  devina  ce  poinct  : 
Que  ceulx  de  la  maison  de  Guize 
Mettroient  ses  enfants  en  pourpoinct, 
Et  son  pauvre  peuple  en  chemise  (1). 


(1)  On  trouve  ce  quatrain  cité  par  plusieurs  auteurs 
rontemporains,  notamment  par  Régnier  de  La  Plan- 
:hc,  à  la  date  de  1  5Go,  et  (chose  digne  de  remarque), 


—    2 


L'histoire  ne  saurait,  en  effet,  reprocher  aux 
Guisards  d'avoir  reculé  devant  aucun  des 
moyens  qu'ils  purent  croire  propres  à  servir 
leur  ambition.  S'ils  ne  sont  pas  parvenus  à 
usurper  la  couronne,  ils  ont  du  moins  pleine- 
ment réussi  à  mettre  «  en  pourpoint  »  les  der- 
niers Valois,  et  «  en  chemise  »  le  pauvre 
peuple,  qui  dut  à  leur  faction  persévérante 
quarante  années  de  troubles,  de  misères  et  de 
deuils. 

La  fatale  conjuration  d'Amboise  fut  une 
généreuse,  mais  imprudente  tentative  contre 
les  premières  entreprises  de  ces  arrogants  tu- 
teurs du  jeune  roi  François  II  (  i) .  Les  horribles 


dans  une  lettre  inédite,  écrite  au  duc  d'Etampes,  gou- 
verneur de  Bretagne,  le  29  mars  i56x,  Catherine  de 
Médicis  dit  elle-même  :  «  II  n'a  pas  tenu  à  des  fols 
qu'ils  ne  m'ayent  mise  en  pourpoiact  et  spoliée  de  ce 
que  je  pense  justement  m'appartenir  [le  gouvernement 
du  royaume].  »  —  (Bibl.  nat.,  Mss.  VC  Colbert,  t.  27, 
fol.  343.) 

(1)  Elle  fut  surtout  mal  conduite.  «  Res,  non  satis 
prudenter  suscepta,  deterius  tractata  fuit,  »  écrivait 
Calvin  (i3  mai  -i56o). 

M.  Mignet,  dans  une  remarquable  étude  sur  les  Let- 
tres de  Calvin  {Journal  des  Savants,  1857-59),  a  fait 


-  3  — 

exécutions,  dans  lesquelles  ceux-ci  se  plurent 
à  la  noyer,  inaugurèrent,  en  mars  i56o,  le 
sombre  drame  où  tant  d'acteurs  allaient  jouer 
successivement  leurs  sinistres  rôles,  et  qui  de- 
vait aboutir  un  peu  plus  tard  à  la  Saint-Bar- 
thélémy, aux  fureurs  de  la  Ligue,  aux  assas- 
sinats de  Blois  et  de  Saint-Cloud  (i). 

Ces  exécutions  impitoyables  eurent  tout  l'ap- 
pareil d'un  massacre,  et  c'en  fut  un  effroya- 
ble, en  effet.  Il  révolta  les  âmes  de  tous  les 


la  lumière  sur  tout  le  détail  de  cette  conjuration.  Il 
reste  acquis  à  l'histoire  que  ce  fut  un  dessein  géné- 
reux, mais  remis  pour  l'exécution  en  des  mains  inex- 
périmentées et  maladroites.  Là  où  un  complot  savant 
et  habile  aurait  infailliblement  réussi,  il  n'y  eut  qu'une 
«  entreprise  téméraire  et  désordonnée,  »  que  son  triste 
avortement  a  fait  qualifier  de  «  tumulte.  »  (Journal 
des  Savants,  1857,  pp.  472,  480.) 

(1)  Le  Brief  discours  (de  1 565)  rend  les  Guises  ou- 
vertement responsables  du  tumulte  d'Amboise  :  «  D'où 
«  sont  venus  les  maux  qui  nous  ont  accablés  sur  la  fin 
«  du  règne  du  roy  Henry  II?  De  la  conjuration  faite  en 
«  Italie  par  le  cardinal  de  Lorraine,  qui  excita  le  tumulte 
«  d'Amboise;  de  la  conspiration  de  ceux  de  Guise  pour 
«  usurper  le  gouvernement  de  ce  royaume.  » 

Brantôme  dit  bien  que  dans  la  conjuration  d'Am- 
boise «  il  n'entra  pas  moins  de  mescontentement  que 
«  de  huguenoterie.  » 


—  4  — 

hommes  qui  n'en  étaient  pas  devenus,  par  po- 
litique, les  instruments  ou  les  complices.  Tout 
ce  sang  répandu  cria  contre  ceux  qui  le  ver- 
safent  ainsi  à  cœur  joie  :  il  cria  de  façon  à 
être  écouté. 

Entre  autres  détails  affreux  qu'a  enregistrés 
le  véridique  historien  Régnier  de  La  Plan- 
che, «  on  réservoit  les  supplices  après  le  dis- 
«  ner,  ceux  de  Guise  le  faisant  expressément 
«  pour  donner  quelque  passe-temps  aux 
«  dames...  Et,  de  vrav,  eux  et  elles  estoient 
a  arrangés  aux  fenestres  du  chasteau,  comme 
«  s'il  eust  esté  question  de  voir  jouer  quelque 
«  mômerie...  Et  qui  pis  est,  le  Roy  et  ses 
«  jeunes  frères  comparaissaient  à  ces  specta- 
«  clés,  comme  qui  les  eust  voulu  acharner;  et 
«  leur  estoient  les  patiens  monstres  par  le 
ce  Cardinal,  avec  des  signes  d'un  homme 
«  grandement  resjoui,  pour  d'autant  plus 
te  animer  ce  prince  contre  ses  sujets  (i).  » 

(i)  La  duchesse  de  Guise  elle-même  s'éloigna  en 
disant  à  Catherine  de  Médicis  :  «  Ah  !  Madame,  quel 
tourbillon  de  haine  s'amasse  sur  la  tête  de  mes  pauvres 
enfants!  »  —  En  effet,  comme  le  dit  très-bien  Miche- 
let,  «  cette  scène  funèbre  semble  porter  malheur  à 


—  5  — 

Aussi  le  même  historien  ajoute-t-il  :  «  En- 
te tre  les  choses  notables  qui  advinrent  en  ce 
«  tumulte,  ceste-cy  n'est  à  oublier.  Villemon- 
«  gys  estant  dessus  l'escharTaut,  et  ayant 
a  trempé  ses  mains  au  sang  de  ses  compa- 
ct gnons,  les  eslevant  au  ciel  s'escria  à  haute 
te  voix,  disant  :  Seigneur,  voicy  le  sang  de 
«  tes  enfansl  Tu  en  feras  la  vengeance  !  » 

Peu  de  temps  après,  un  vieux  soldat,  pas- 
sant par  là  avec  son  jeune  fils,  âgé  alors  de 
huit  ans,  reconnut  avec  horreur  les  têtes  de 
ses  compagnons,  encore  exposées  aux  potences. 
Il  ne  put  retenir  une  exclamation  qui  pouvait 
le  perdre  :  Les  bourreaux  !  ils  ont  décapité 
la  France  i  Puis  passant  sa  main  sur  la  tête 
de  l'enfant  :  Mon  fils,  il  ne  faut  point  épar- 
gner ta  tête  après  la  mienne,  pour  venger 
ces  chefs  pleins  d'honneur  ï  Si  tu  t'y  épar- 
gnes, tu  auras  ma  malédiction.  »  Le  vieux 
soldat  qui  s'exprimait  ainsi,  c'était  Jean  d'Au- 
bigné  :  les  Tragiques  sont  là  pour  dire  si  son 

tous  ceux  qui  en  avaient  été  les  témoins,  à  François  II, 
à  Marie  Stuart,  au  grand  Guise,  au  chancelier  Olivier, 
protestant  dans  le  cœur,  qui  les  avait  condamnés  et 
en  mourut  de  remords.  »  {Précis  de  l'hist.  de  France.) 

I. 


—  6  — 

fils  Agrippa  a  tenu  parole  et  s'il  a  rempli  le 
vœu  paternel. 


II 


L'impression  produite  par  le  carnage  d'Am- 
boise  était  trop  profonde,  l'indignation  trop 
vive,  pour  ne  pas  se  manifester  soudain  par 
quelque  trait  éclatant.  Malheur  au  cruel  op- 
presseur qui  triomphe  !  Comment  ne  pas  pro- 
tester, de  toutes  les  forces  de  son  âme,  contre 
cette  force  brutale?  Mais  quel  moyen  em- 
ployer ? 

Un  pamphlet  parut,  le  moins  verbeux  sans 
doute,  le  plus  virulent  à  coup  sûr  et  le  plus 
terrible,  parmi  les  pamphlets  fameux  de  tous 
les  temps.  C'est  bien  à  lui  que  s'applique  cette 
appréciation  d'un  historien  de  notre  temps 
sur  «  l'âpre  éloquence  de  la  Némésis  calvi- 
niste, »  et  sur  ces  écrits  dont  «  chaque  ligne 
semble  tracée  à  la  pointe  du  glaive  et  avec  le 
sang  des  martyrs.  »  (Henri  Martin.)  Son 
titre  seul  jetait  à  la  face  du  cardinal  de  Lor- 


—  7  — 

raine  la  qualification  de  Tigre  de  la  France  $ 
son  contenu  déversait  l'opprobre  goutte  à 
goutte  sur  la  vie  tout  entière  du  cynique  et 
sanguinaire  prélat  (i).  Bien  que  celui-ci  se 
considérât  comme  à  l'épreuve  du  feu  ;  bien  que, 
professant  une  superbe  indifférence  pour  les 


(i)  «  UEpître  au  Tigre  de  la  France  est  un  chef- 
d'œuvre  d'indignation,  de  fureur  et  de  mâle  élo- 
quence. Le  style  en  est  passionné,  brûlant;  l'ironie 
cruelle  et  sanglante;  le  reproche,  horrible  et  féroce  : 
chaque  mot,  le  coup  de  poignard  qui  blesse  ;  chaque 
phrase,  le  coup  de  massue  qui  terrasse.  »  (  L.  Paris, 
Chronique  de  Champagne,  1887,  t.  I.) 

«  La  guerre  des  pamphlets  commença Une  nuée 

de  libelles  s'abattit  sur  le  cardinal  de  Lorraine,  un 
surtout,  atroce,  enragé,  rugissant  comme  son  titre 
même,  le  Tigre.  C'était  une  malédiction  en  règle 
contre  les  Guises,  un  réquisitoire  et  une  exécration  à 
la  mode  antique,  grosse  d'injures,  d'apostrophes  et  de 
menaces,  comme  une  coulevrine  chargée  de  mitraille 
jusqu'à  la  gueule.  »  (  Lenient,  la  Satire  en  France 
ou  la  Littérature  militante  au  XVF  siècle.  —  1866.) 

D'Aubigné  s'exprime  ainsi  :  «  Croissoit  la  maladie 
du  royaume,  eschauffée  par  les  vents  de  plusieurs  es- 
prits irrités,  qui  avec  merveilleuse  hardiesse  faisoient 
imprimer  livres,  portans  ce  qu'en  autre  saison  on  n'eust 
pas  voulu  dire  à  l'oreille.  »  (Hist.,  II.  liv.  II,  chap.  2.) 

Voilà  bien  le  Tigre,  invective  à  la  manière  antique, 
véritable  catilinaire  de  la  Réforme. 


—  8  — 

libelles  dirigés  contre  lui,  il  affectât  d'en  faire 
collection,  en  disant  que  «  c'estoient  les  coû- 
te ronnes  de  sa  vie,  pour  le  rendre  immor- 
«  tel,  »  il  sentit  cette  fois-là  le  fer  rouge  (i),  et 
Brantôme  rapporte  que  «  si  le  galant  auteur 
du  «  Tigre  eust  esté  appréhendé.,  —  quand  il 
«  eust  eu  cent  mille  vies,  —  il  les  eust  toutes 
«  perdues,  »  tant  le  cardinal  en  fut  «  estoma- 
«  que  »  et  exaspéré. 

Il  ajoute  même  que  «  le  grand  et  la  grande 
(le  cardinal  et  une  très-grande  et  belle  dame 
de  sa  parenté)  en  cuidèrent  désespérer.  » 


III 


Cependant  le  pamphlet  avait  fait  son  che- 
min, et,  malgré  tout  le  zèle  déployé  pour  dé- 
couvrir soit  l'auteur,  soit  l'imprimeur,  coupa- 
bles d'un  tel  forfait,  la  justice  n'arriva  à  rien. 

(i)  Voir  sa  harangue  à  l'assemblée  de  Fontaine- 
bleau, le  24  août  1559.  (La  Popelinière,  éd.  de  i582, 
n-8,  t.  I,  p.  389.) 


—  9  — 

L'histoire,  aussi  bien  que  la  fable,  nous  ap- 
prend qu'il  faut,  en  pareil  cas,  que  dame  Jus- 
tice trouve  un  criminel,  qu'il  faut  qu'elle  se 
venge,  soit  sur  lui,  soit  sur  «  quelqu'un  des 
siens.  »  Voici  comment  elle  se  vengea,  en 
appréhendant,  «  sans  autre  forme  de  procès  » 
(le  mot  y  est),  deux  victimes  pour  une. 

«  On  arrêta,  dit  De  Thou,  un  pauvre  libraire 
(pauperculus  librarius)  nommé  Martin  Lhom- 
met,  qu'on  avait  trouvé  saisi  d'un  exemplaire 
de  l'ouvrage,  et  on  l'appliqua  à  la  question  pour 
lui  faire  avouer  qui  en  était  l'auteur,  et  qui 
était  celui  de  qui  il  le  tenait.  N'ayant  voulu  rien 
avouer,  il  fut  condamné  au  gibet.  Lorsqu'on  le 
menait  au  supplice,  un  marchand  de  la  ville  de 
Rouen,  qui  passait  par  là,  à  peine  arrivé  et  en- 
core botté  (Rotomagensis  quidam  institor,  qui 
adhuc  ocreatus  ex  via  erat),  voyant  le  peuple 
extrêmement  animé  contre  cet  homme  qu'at- 
tendait la  potence  et  tout  prêt  à  se  ruer  sur  lui, 
engagea  cette  foule  à  modérer  sa  colère  et  à  ne 
point  souiller  ses  mains  du  sang  d'un  malheu- 
reux, quand  le  bourreau  dans  un  instant  les 
allait  satisfaire.  A  ces  mots,  la  populace  de  tour- 
ner sa  fureur  contre  l'étranger  et  de  le  vouloir 
mettre  en  pièces.   A   peine  s'est-il  soustrait  à 


—    10    — 

leur  rage  que  les  archers  s'emparent  de  lui  et 
l'entraînent  en  prison,  d'où  il  ne  sort  bientôt 
que  pour  être  exécuté  sur  cette  même  place 
Maubert,  où  l'on  avait  pendu  Lhommet,  comme 
s'il  eût  été  le  confident  et  le  complice  de  ce  der- 
nier. Cette  exécution  jeta  de  l'odieux  sur  le  con- 
seiller Du  Lion  (non  sine  Leontii  senatoris  in- 
vidia) ,  lequel,  pour  faire  sa  cour  aux  princes 
lorrains,  avait  condamné  à  mort,  avec  une  ri- 
gueur hors  de  propos  (prœpostera  severitate),  un 
homme  innocent  échappé  à  la  fureur  du  peuple.  » 

Régnier  de  La  Planche  raconte  les  mêmes 
faits  en  ces  termes  : 

«  La  Cour  de  Parlement  faisoit  de  grandes 
perquisitions  à  l'encontre  de  ceux  qui  impri- 
moyent  ou  exposoyent  en  vente  les  escripts  que 
l'on  semoit  contre  ceux  de  Guyse.  En  quoy 
quelques  jours  se  passèrent  si  accortement,  qu'ils 
sçeurent  enfin  qui  avoit  imprimé  un  certain  li- 
vret fort  aigre  intitulé  le  Tygre.  Un  conseiller 
nommé  Du  Lyon  en  eut  la  charge,  qu'il  accepta 
fort  volontiers,  pour  la  promesse  d'un  estât  de 
président  au  parlement  de  Bourdeaux,  duquel 
il  pourroit  tirer  deniers,  si  bon  luy  sembloit. 
Ayant  donc  mis  gens  après,  on  trouva  l'impri- 


meur,  nommé  Martin  Lhommet,  qui  en  estoit 
saisy.  Enquis  qui  le  luy  avoit  baillé,  il  respond 
que  c'estoit  un  homme  incogneu,  et  finalement 
en  accuse  plusieurs  de  l'avoir  veu  et  leu,  contre 
lesquels  poursuytes  furent  faictes  :  mais  ils  le 
gaignèrent  au  pied. 

«  Ainsi  qu'on  menoit  pendre  cest  imprimeur, 
il  se  trouva  un  marchand  de  Rouen,  moyenne- 
ment riche  et  de  bonne  apparence,  lequel  voyant 
le  peuple  de  Paris  estre  fort  animé  contre  ce  pa- 
tient, leur  dict  seulement  :  «  Eh  quoy,  mes  amis, 
ne  suffit-il  pas  qu'il  meure?  Laisse^  faire  le 
bourreau.  Le  voulez-vous  davantage  tourmenter 
que  sa  sentence  ne  porte?  »  (Or,  ne  sçavoit-il 
pas  pourquoy  on  le  faisoit  mourir,  et  descendoit 
encores  de  cheval  à  une  hostellerie  prochaine.) 
A  ceste  parolle  quelques  presbtres  s'attachent  à 
luy,  l'appellant  huguenaud  et  compaignon  de 
cest  homme,  et  ne  fut  ceste  question  plustost 
esmeue  que  le  peuple  se  jette  sur  sa  mallette  et 
le  bast  outrageusement.  Sur  ce  bruict,  ceux 
qu'on  nomme  La  Justice  approchent,  et,  pour 
le  rafreschir,  le  mènent  prisonnier  en  la  con- 
ciergerie du  palais,  où  il  ne  fut  pas  plustosi  ar- 
rivé que  Du  Lyon  l'interrogue  sommairement 
sur  le  faict  du  Tygre  et  des  propos  par  luy  te- 
nus au  peuple.  Ce  pauvre  marchand  jure  ne  sça- 


—    12    — 

voir  que  c'estoit,  ne  l'avoir  jamais  veu,  ny  ouï 
parler  de  messieurs  de  Guyse  ;  dit  qu'il  est  mar- 
chand qui  se  mesle  seulement  de  ses  affaires.  Et 
quant  aux  propos  par  lui  tenus,  ils  n'avoyent 
deu  offenser  aucun  ;  car  meu  de  pitié  et  de  com- 
passion de  voir  mener  au  supplice  un  homme 
(lequel  toutesfois  il  ne  recognoissoit  et  n'avoit 
jamais  veu) ,  et  voyant  que  le  peuple  le  vouloit 
oster  des  mains  du  bourreau  pour  le  faire  mou- 
rir plus  cruellement,  il  avoit  seulement  dict  qu'ils 
laissassent  faire  au  bourreau  son  office,  et  que 
là-dessus  il  a  été  injurié  par  des  gens  de  robe 
longue,  pillé,  volé  et  outragé  par  le  peuple,  et 
mené  prisonnier  ignominieusement,  sans  avoir 
jamais  mesfait  ne  mesdit  à  aucun,  requérant  à 
ceste  fin  qu'on  enquist  de  sa  vie  et  conversation, 
et  qu'il  se  soumettoit  au  jugement  de  tout  le 
monde. 

«  Du  Lyon,  sans  autre  forme  et  figure  de  pro- 
cès, fait  son  rapport  à  la  cour  et  aux  juges  délégués 
par  icelle,  qui  le  condamnent  à  être  pendu  et 
estranglé  en  la  place  Maubert,  et  au  lieu  mesme  où 
avoit  esté  attaché  cest  imprimeur.  Quelques  jours 
après,  Du  Lyon  se  trouvant  à  souper  en  quel- 
que grande  compagnie,  se  meit  à  plaisanter  de 
ce  pauvre  marchand.  On  luy  remonstra  l'iniquité 
du  jugement  par  ses  propos  mesmes  :  Que  vou- 


le^-vous? dit-il,  ilfalloit  bien  contenter  monsieur 
le  Cardinal  de  quelque  chose,  puisque  nous  n'a- 
vons peu  prendre  l'autheur;  car  autrement  il  ne 
nous  eust  jamais  donné  relasche.  » 

Les  registres  du  Parlement  consultés  en 
1842  par  un  magistrat  chercheur  et  érudit, 
M.  Taillandier,  ont  fourni  deux  arrêts  rela- 
tifs à  cette  lamentable  affaire  et  en  ont  fait 
connaître  la  date  certaine  (1)  : 

1°  Veu  par  la  Court  le  procès  criminel  faict  à 
la  requête  du  procureur  général  du  Roy  à  ren- 
contre de  Martin  Lhomme,  maître  imprimeur, 
demeurant  en  cette  ville  de  Paris,  rue  du  Mûrier, 
près  la  rue  Saint-Victor,  aux  trois  marches  de 
degré,  natif  de  Rouen,  prisonnier  es  prisons  de 
la  Conciergerye  du  palais  à  Paris,  pour  avoir 
par  le  dict  prisonnier  imprimé  les  épistres,  li- 
vres et  cartelz  diffamatoires,  plains  de  sédition, 
schisme  et  scandales  tendant  à  perturbation  de 
repos  et  tranquilité  publicque  contre  les  edictz 
et  ordonnances  du  Roy  et  proclamations  faictes 
en  ceste  ville  de  Paris,  ainsi  que  plus  à  plain  est 

(1)  Bulletin  du  Bibliophile,  fév.  1842,  p.  5i. 


—  14  — 

contenu  audict  procès,  le  procès-verbal  de  mais- 
tre  Gilles  Du  Pré,  commissaire  et  examinateur 
au  Chastelet  de  Paris,  du  dimanche  23e  de  juing 
dernier  passé,  contenant  l'emprisonnement  de 
la  personne  dudict  prisonnier,  aultres  procès- 
verbaulx  de  maistres  Guillaume  Duchemyn  et 
Jehan  Louschart,  aussi  commissaires  et  exami- 
nateurs audict  Chastelet,  les  épistres,  livres  et 
cartelz  diffamatoires  mentionnez  audict  procès, 
desquelz  ledict  prisonnier  a  esté  trouvé  saisy, 
interrogatoires  et  confessions  et  répétitions  du 
dict  prisonnier,  par  lui  faictes  devant  deux  des 
conseillers  de  ladicte  Court  à  ce  par  elle  com- 
mis ,  les  conclusions  du  procureur  général  du 
Roy,  et  ouï  et  interrogé  par  ladicte  Court  iceluy 
prisonnier  sur  les  cas  et  crimes  à  lui  imposez, 
et  tout  considéré, 

«  Il  sera  dict  que,  pour  réparation  desdicts 
cas  et  crimes  mentionnez  audict  procès,  la  Court 
a  condamné  et  condamne  ledict  Martin  Lhomme 
à  estre  pendu  et  estranglé  à  une  potence  qui 
sera  mise  et  affichée  à  la  place  Maulbert,  lieu 
commode  et  convenable,  et  a  déclaré  tous  et 
chascun  les  biens  dudict  prisonnier  acquis  et 
confisquez  au  Roy,  en  oultre  ordonne  la  Court 
que  les  dicts  cartelz,  épistres,  livres  diffama- 
toires mentionnez  audict  procès  seront  arses  et 


—  i5  — 

bruslez  en  la  présence  du  dict  prisonnier  aupa- 
ravant ladicte  exécution  de  mort. 

«  Lemaistre.  A.  de  Lyon. 


«  Prononcé  audict  Martin  Lhomme  prison- 
nier, pour  ce  faict  venir  en  la  chappelle  de  la 
dicte  Conciergerie,  le  1 3e  jour  de  juillet,  l'an  1 56o, 
et  depuys  exécuté  le  i5e  jour  de  juillet  audict 
an  cinq  cens  soixante.  » 

11°  «  La  Court,  après  avoir  ouï  le  rapport  ver- 
balement faict  en  icelle  par  Jehan  Pean,  huissier 
en  la  dicte  Court,  ensemble  les  procès-verbaulx 
de  Jehan  Chesnay,  aussi  huissier  en  la  dicte 
Court,  et  de  Jehan  Louschart,  commissaire  et 
examinateur  au  Chastelet  de  Paris,  par  eulx 
faictz  les  diligences  de  prendre  au  corps  aucunes 
personnes  suyvant  l'ordonnance  de  la  dicte  Court, 
pour  estre  ouy  sur  aucuns  poinctz  résultant  du 
procès  criminel  faict  à  rencontre  de  Martin 
Lhomme,  prisonnier,  auquel  l'arrest  de  mort 
contre  luy  donné  a  esté  prononcé  le  i3e  jour  de 
ce  présent  moys  de  juillet,  et  néantmoings  l'exé- 
cution dudict  arrest  différée  pour  aulcuncs  con- 
sidérations à  ce  mouvant  la  Cour,  a  ordonné  et 
ordonne    que   ledict  arrest   donné  à  rencontre 


—  i6  — 

dudict  Martin  Lhomme,   prisonnier,   sera  exé- 
cuté selon  la  forme  et  teneur. 

«  Lemaistre.  A.  de  Lyon. 


«  Prononcé  audict  prisonnier,  pour  ce  faict 
venir  en  la  chappelle  de  la  dicte  Conciergerie,  le 
i5e  jour  de  juillet  l'an  i56o.  »  (i) 

(i)  D'Aubigné,  lui  aussi,  a  mentionné  le  Tigre, 
mais  sans  le  nommer;  et  les  trois  lignes  de  son  His- 
toire qui  s'y  rapportent  (Liv.  II,  ch.  xvi),  contiennent 
un  nom  tellement  estropié,  inintelligible  (et  cela  dans 
les  deux  éditions),  que  nul  ne  s'est  jamais,  je  crois,  avisé 
d'y  reconnaître  le  pauvre  imprimeur  Martin  Lhomme 
ou  Lhomme  t.  C'est  pourtant  bien  de  Lhommet  qu'il 
s'agit,  à  n'en  pas  douter,  dans  le  texte  que  voici  : 

«  Cette  lecture  (celle  d'un  «  traitté  nommé  Théo- 
«  phile  »  )  en  fit  redoubler  plusieurs  autres  pam- 
«  phlets),  notamment  contre  ceux  de  Guise  :  le  Me% 
«  (sic)  en  fut  pendu  à  Paris  :  durant  le  supplice  un 
«  Normand  voulut  remonstrer  à  la  populace  l'iniquité 
«  d'un  tel  jugement,  qui  l'en  accabla  de  coups,  et  le 
«  fallut  pendre  (pour  la  contenter)  le  lendemain  en 
«  mesme  lieu.  » 

Ce  passage  est  le  même,  mot  pour  mot,  dans  l'édi- 
tion de  Maillé,  iô  1 6  ( page  99  du  tome  I )  et  dans  celle 
de  Genève,  1626  (page  i3i,  col.  1  ).  Lhommet  y  est 
est  transformé  en  le  Me%.  Avis  au  futur  éditeur  de 
l'Histoire  de  d'Aubigné,  de  ce  livre  dont  on  apprécie 
enfin  aujourd'hui  la  grande  valeur  historique  et  litté- 


—  17  — 

Ainsi,  Martin  Lhomme  [alias  Lhommet), 
maître  imprimeur,  arrêté  le  23  juin  i56o, 
nullement  convaincu  d'ailleurs  d'être  l'auteur 
ou  l'éditeur  du  Tigre,  avait  été,  nonobstant, 
condamné  le  i3  juillet,  et  pendu  le  i5  (i). 

Le  18,  un  arrêt  de  non-lieu  fit  mettre  en 
liberté,  ou  renvoyer  devant  le  prévôt  de  Paris, 
Catherine  Beaumanoir,  femme  de  Martin 
Lhomme;  Martial Gasteau,  fondeur;  Christo- 
phe Lhomme  et  Henri  Senapel,  ses  serviteurs 
(probablement  ses  ouvriers);  Antoine  Bras- 
chet,  colporteur,  ainsi  que  trois  autres  impri- 
meurs de  Paris,  Roullin  (ou  plutôt  Adolphe), 
Lamothe,  Galliot  (ou  Guillaume)  Thiboust, 

raire,  trop  longtemps  méconnue,  et  dont  il  importe 
que  nous  ayons  désormais  une  édition  classique. 

(i)  Lhommet  n'était  évidemment  qu'un  diminutif 
usuel  de  Lhomme,  qui  est  le  vrai  nom,  ainsi  qu'on  le 
voit  dans  l'arrêt  de  la  Cour  précité  et  dans  le  titre  d'un 
livre  publié  par  lui  en  1 558  :  «  Les  Regrets  de  Charles 
d'Autriche  empereur,  Ve  de  ce  nom,  ensemble  la  des- 
cription du  Beauvaisis  et  autres  œuvres,  par  Jacques 
Grevin,  de  Clermont,  dédiés  à  Mme  Magdeleine  de 
Suze,  dame  de  Warty.  A  Paris,  chez  Martin  Lhomme, 
imprimeur,  demeurant  à  la  rue  du  Meurierprès  la  rue 
Saint-Victor,  1 558.  »  (Avec  privilège".  In-8  de  22  ft. 
non  chiflr 


—  15  — 

et  Jehan  Bridier.  Le  retentum  de  l'arrêt  porte 
que  oc  les  livres  non  réprouvés,  trouvés  en  la 
«  maison  du  dict  Martin  Lhomme,  seront 
«  rendus  à  sa  femme,  attendu  sa  pauvreté,  » 
ce  qui  ne  justifie  que  trop  le  mot  de  De  Thou  : 
pauperculus  librarius  (i). 

(i)  Sous  cette  rubrique  :  «  Le  Tigre  fait  mourir 
deux  hommes  »,  l'historien  Jean  de  Serres  dit  : 

«  A  l'encontre  de  tant  de  livrets  publiés  contre  l'illé- 
gitime gouvernement  de  ceux  de  Guise,  Jean  du  Tillet. 
greffier  de  la  cour  du  Parlement  à  Paris,  composa  un 
livre  intitulé  :  la  Majorité  du  Roy...  On  lui  fit  plu- 
sieurs réponses  fermes  et  véhémentes,  auxquelles  ni 
lui  ni  son  frère,  évesque  de  Saint-Brieuc,  n'osèrent 
répliquer,  quoiqu'ils  en  fussent  instamment  sollicités 
par  le  Cardinal,  pour  le  contentement  duquel,  à  la  sol- 
licitation d'un  certain  conseiller  nommé  Du  Lyon,  un 
imprimeur  de  Paris,  nommé  Martin  Lhommet,  fut 
pendu  et  estranglé  pour  avoir  mis  en  lumière  un  livret 
intitulé  le  Tigre,  fait  contre  ceux  de  Guise.  Mesme 
traitement  fut  fait  à  un  notable  marchant  de  Rouen, 
qui,  se  trouvant  à  l'exécution,  et  voyant  le  peuple 
estrangement  animé  contre  THommet,  avoit  exhorté 
quelques-uns  à  se  comporter  plus  modestement.  Ce 
fut  un  procès  sans  forme  ne  figure,  et  pour  contenter 
le  Cardinal,  comme  Du  Lyon  l'avoua  depuis  en  une 
grande  compagnie.  »  (Histoire  dite  des  Cinq  Rois,  ou 
Recueil  des  Choses  mémorables,  etc.,  1 5g5,  in-8.) 

On  voit  par  cet  extrait  combien  cet  excellent  ou- 
vrage est  exact  et  mérite  créance. 


—  i9  — 

Pour  achever  ces  éclaircissements,  disons 
que  l'infoituné  marchand  de  Rouen,  qui  eut 
la  malechance  d'arriver  à  Paris  et  de  pas- 
ser par  la  place  Maubert,  à  l'heure  du  sup- 
plice de  Martin  Lhomme,  se  nommait  Robert 
Dehors.  C'est  sous  la  date  du  19  juillet  que  se 
trouve  l'arrêt  du  président  De  Lyon,  le  con- 
damnant à  être  pendu,  «  pour  raison  de  la  sé- 
«  dition  et  émotion  populaire  faite  par  ledict 
a  prisonnier,  lors  de  l'exécution  de  mort  de 
a  Martin  Lhomme,  par  le  moyen  des  propos 
«  scandaleux  et  blasphèmes  dicts  et  proférés 
«  par  ledict  Dehors  contre  l'honneur  de  Dieu 
c  et  de  la  glorieuse  Vierge  Marie,  induisant 
a  par  ledict  prisonnier  le  peuple  à  sédition  et 
«  scandales  publics.  »  —  Ce  qui  signifie  tout 
simplement,  comme  le  remarque  M .  le  conseil- 
ler Taillandier,  qu'il  était  suspecté  d'hérésie. 
Autre  temps,  autre  langage,  mais  mêmes  pro- 
cédés. Ne  fallait-il  pas  que  le  conseiller  De 
Lyon  «  contentât  »  M.  le  cardinal,  afin  de 
s'avancer  et  de  ce  gagner  son  estât  de  prési- 
dent au  parlement  de  Bordeaux  ?  » 

Hélas  î  ainsi  va  le  monde! 


—    20    — 


IV 


Toujours  est-il  que  Fauteur  du  Tigre,  après 
avoir  trompé  les  investigations  de  la  police  de 
son  temps,  avait  échappé  de  même  aux  pour- 
suites des  bibliophiles.  On  a  pu  croire,  jusqu'à 
nos  jours,  que  le  corps  du  délit  était  totale- 
ment disparu.  Les  possesseurs  du  dangereux 
pamphlet  en  avaient-ils  donc  anéanti  jusqu'au 
dernier  exemplaire?  Aucun  auteur  ne  sem- 
blait en  avoir  parlé  de  visu,  aucun  bibliophile 
d'autrefois  (pas  même  L'Estoile,  si  friand  et 
si  bien  achalandé  en  fruit  défendu)  n'était 
signalé  comme  ayant  rangé  le  fameux  libelle 
parmi  ses  curiosités  (  i  ) .  Le  titre  lui-même  n'en 

(i)  L'Estoile  constate,  à  la  date  du  9  février  1608,  que 
«  l'inventaire  de  ses  paquets  contenant  un  ramas  de 
«  presque  un  siècle  de  nouvelletés  et  curiosités  de  ce 
«  temps,  sur  toutes  sortes  de  matières  et  sujets,  »  ne 
s'élevait  pas  à  moins  de  12 10.  Ce  qu'il  dit  ailleurs  (à 
la  date  du  27  juin  1G07)  nous  apprend  comment 
ont  dû  se  perdre  les  quelques  exemplaires  survivants 


était  pas  exactement  connu,  et  Ton  en  était 
venu  à  douter  (témoin  les  auteurs  de  la  Bi- 
bliothèque historique  de  la  France,  1769) 
que  le  pamphlet  eût  réellement  existé  à  l'état 
d'imprimé. 

C'est  en  1834  qu'un  exemplaire  de  ce  vé- 
ritable phénix  fut  enfin  miraculeusement  dé- 
couvert par  M.  Louis  Paris,  alors  bibliothé- 
caire-archiviste de  la  ville  de  Reims,  dans  le 
magasin  du  libraire  Techener,  parmi  des  lots 
de  vieux  bouquins,  provenant  d'une  biblio- 
thèque de  province.  Il  ne  sut  pas  contenir  sa 
joie  (1);  il  la  lit  partager  naïvement  àTechener, 


de  certains  pamphlets,  dont  la  possession  constituait 
par  moments  un  grave  péril.  «  Boudin  m'a  vendu  ung 
«  meschant  petit  livret  que  j'ai  trouvé  par  hasard  en 
«  sa  boutique,  intitulé  :  Taxe  des  parties  casuelles 
«  de  la  boutique  du  Pape,  en  latin  et  en  françois,  im- 
«  primé  à  Lyon,  in-8°,  1564.  Il  y  avoit  longtemps  que 
«  j'en  cherchois  un,  pour  remettre  à  la  place  de  celui 
«  que  je  bruslai  à  la  Saint-Barthélémy,  craignant  qu'il 
«  ne  me  bruslast.  » 

(1)  M.  L.  Paris  a  lui-même  fait  le  récit  de  sa  trou- 
vaille :  «  Un  jour,  il  était  quatre  heures  de  relevée, 
heure  chère  aux  bibliophiles  parisiens,  j'entrai,  selon 
l'habitude,  chez  Techener,  pour  y  humer  la  sainte 
poussière  de  ses  précieux  bouquins.  J'avise  un  lot  de 


—    22    — 

qui  en  fit  part  aussitôt  à  Charles  Nodier,  le- 
quel (moins  naïvement)  communiqua  la 
grande  nouvelle  au  monde  lettré  dans  un  cé- 
lèbre article  du  Bulletin  du  Bibliophile 
(ire série,  1834,  p.  9,  n°  161). 

Quel  événement  !  Aussi,  quelle  émotion  ! 

C'était  bien  le  cas  de  s'écrier  :  Habent  sua 
fata  libellil  Un  enfant  perdu  était  donc  re- 
trouvé, et  les  bibliophiles  se  devaient  de  tuer 
le  veau  gras  !  Techener,  après  avoir  fait  don- 
ner au  mince  fascicule  une  belle  et  simple 
reliure,  maroquin  brun,  par  Bauzonnet, 
l'inscrivit  à  son  catalogue  (Bulletin  du 
Bibliophile,  nov.  i835,  p.  48,  n°  3212)  avec 
cette  cote  d'honneur  : 

Epître  envoyée  au  Tigre  de  la  France, 
rarissime  pamphlet  de  14  pages.  Prix  : 
200  francs. 

vieilleries,  qu'à  son  retour  de  voyage,  Techener  avait 
rapporté  :  l'un  des  volumes  qui  me  tombent  sous  la 
main  est  un  Miscellanée ,  ou  recueil  de  plusieurs 
opuscules  d'époques  et  de  matières  diverses.  Tout  à 
coup,  je  me  sens  tressaillir  des  pieds  à  la  tête.  Je  ve- 
nais de  lire,  à  la  volée,  en  feuilletant  du  pouce  :  Au 
Tigre  de  la  France!...  » 


—    23     - 

Brunet,  le  renommé  thésauriseur  de  livres, 
s'en  rendit  aussitôt,  au  prix  coûtant,  légitime 
et  incommutable  propriétaire. 

Appelé  à  en  parler  de  nouveau  dans  le  Bul- 
letin du  Bibliophile  (nov.  1841,  4e  série, 
p.  872),  Charles  Nodier  épancha  ainsi  sa 
douleur  :  «  Cet  inappréciable  pamphlet  ne 
«  m'appartient  point.  Ma  petite  dissertation 
a  (de  1834),  en  révélant  ses  titres  historiques, 
«  le  fit  monter  à  un  prix  auquel  je  ne  pouvais 
«  plus  atteindre,  et  il  fait  partie  aujourd'hui 
«  des  brillantes  richesses  de  notre  savant  bi- 
«  bliographe  M.  Brunet.  » 

Ce  dernier  qui,  dans  son  Manuel  du  Li- 
braire, avait  jusque-là  nié  l'existence  de  l'ou- 
vrage, ou  plutôt  s'était  prudemment  abstenu 
d'en  faire  aucune  mention,  se  donna  le  plaisir 
de  le  décrire  dans  la  plus  nouvelle  édition  . 
«  C'est,  dit-il,  un  petit  in-8°,  sans  lieu  d'im- 
«  pression  ni  date,  de  7  feuillets  non  chif- 
«  frés ,  y  compris  le  titre  et  le  7e  feuillet 
«  qui  ne  contient  qu'un  huitain.  Chaque 
«  page  de  texte,  imprimée  en  gros  caractè- 
tt  res  romains,  a  21  lignes,  excepté  la  10e  qui 
«  en  a  22.  Cet  éloquent  pamphlet  dirigé  con- 


—  24  — 

«  tre  le  cardinal  de  Lorraine,  alors  tout  puis- 
ce  sant,  est  une  invective  imitée  de  la  ireCati- 
a  linaire  de  Cicéron.  »  —  Et  Brunet  ajoute 
avec  un  sentiment  de  doux  orgueil  :  «  Mon 
<j  exemplaire  est  jusqu'ici  le  seul  que  Von 
«  connaisse.  Charles  Nodier  Va  bien  décrit 
«  dans  son  excellente  notice.  » 

Pourtant,  dans  cette  minutieuse  description, 
Brunet  a  encore  omis  de  dire  :  i°  que  chaque 
page  est  encadrée  de  filets  au  carmin,  et  que  la 
première  a,  sous  le  titre,  une  grande  tache  d'en- 
cre noire,  de  forme  presque  triangulaire,  visi- 
blement faite  là  à  dessein,  pour  effacer  quelque 
chose  d'écrit  dont  on  aperçoit  encore  la  trace, 
mais  trop  peu  pour  qu'on  puisse  venir  à  bout  de 
rien  déchiffrer  ;  2°  qu'au  dessous  de  cette  même 
tache,  on  lit  ces  cinq  mots  très-nettement 
tracés  :  Ce  livre  est  à  Daniel  Du  Monstier. 

Cet  ex-libris  autographe  est  bien  celui  du 
célèbre  dessinateur,  à  qui  l'on  doit  tant  d'ad- 
mirables portraits,  aux  trois  crayons,  de  per- 
sonnages de  la  fin  du  XVIe  siècle.  Du  Mons- 
tier était  (comme  Pierre  de  L'Estoile,  comme 
son  neveu  le  conseiller  Du  Puy,  ses  amis, 
comme   Hotman-Villiers,  fils  de  l'auteur  du 


-    25   — 

Tigre ,  comme  Justel  et  le  célèbre  médecin 
Ras?e  des  Neux)  un  chercheur,  un  collection- 
neur de  raretés  (i). 

(i)  Du  Monstier,  nous  dit  Tallemant  des  Réaux, 
«  étoit  un  peintre  au  crayon  de  diverses  couleurs...  Il 
savoit  de  l'italien  et  de  l'espagnol,  aimoit  fort  à  lire, 
et  il  avoit  assez  de  livres...  Son  cabinet  étoit  assez 
curieux  :  il  y  avoit  sur  l'escalier  une  grande  paire  de 
cornes,  et  au  bas  :  «  Regarde^  les  rostres  »;  et  au 
bas  de  ses  livres  :  «  Le  diable  emporte  les  emprun- 
«  teurs  de  livres.  »  Du  Monstier  n'étoit  catholique 
qu'à  gros  grains...  A  la  mort  de  Du  Monstier,  le  chan- 
celier, par  l'instigation  des  jésuites,  fit  acheter  tous  les 
livres  qu'il  avoit  contre  eux  et  les  fit  brûler.  »  (Histo- 
riettes, CXLI.)  Il  en  est  pourtant  qui  durent  échapper, 
témoin  certain  manuscrit  in-folio  que  M.  Ed.  Tricotel 
nous  a  récemment  signalé  à  la  Bibliothèque  Nationale, 
et  qui  n'est  autre  qu'une  copie  de  YEnfer,  antérieure 
à  celle  du  Recueil  Gonrart,  d'après  laquelle  nous  en 
avions  fait  la  publication  (L'Enfer,  satire  dans  le  goût 
de  Sancy,  etc.  Jouauât,  1873,  in- 18).  Les  lacunes 
y  sont  d'ailleurs  les  mêmes,  et  l'examen  de  ce  ms. 
n'a  diminué  en  rien  nos  desiderata.  —  Le  premier 
feuillet  porte  en  tête  Yex-libris  autographe  :  Ce  livre 
est  à  Daniel  Du  Monstier,  et  au  dernier,  le  nom  de 
Du  iMonstier  se  trouve  encore  écrit.  Au  dernier  feuillet 
de  garde,  nous  avons  découvert  un  autre  signe  très- 
caractéristique  et  digne  de  remarque  :  c'est  l'esquisse 
au  crayon,  très-légère  et  à  peine  visible,  d'une  char- 
mante tête  de  femme. 


—    26    - 


Pendant  de  longues  années  le  précieux 
Tigre  reposa  donc,  gardé  à  vue  par  M .  Bru- 
net,  dans  l'ombre  de  sa  belle  bibliothèque.  Il 
fut  donné  à  quelques  privilégiés  de  l'y  con- 
templer, sous  son  globe  de  verre,  parfois 
de  le  tenir  en  main  et  de  le  parcourir  des 
yeux.  Je  fus  un  de  ces  favorisés.  Mais  à  au- 
cun mortel  il  n'était  permis  d'en  prendre  co- 
pie. Charles  Nodier,  voulant  en  citer  quelques 
phrases,  dans  son  article  de  1 841,  disait,  non 
sans  quelque  amertume  :  «  Je  suis  obligé  de 
me  les  reprendre  à  moi-même,  à  défaut  de 
pouvoir  choisir  parmi  les  autres;  »  et  Géru- 
zez,  en  corrigeant  les  épreuves  de  la  dernière 
édition  de  ses  excellents  Essais  de  littéra- 
ture, m'a  déclaré  que  c'était  par  un  effort  de 
mémoire  qu'il  avait  réussi  à  s'approprier  les 
quelques  lambeaux  reproduits  par  lui.  —  Le 
spirituel  écrivain  avait  ainsi  dérobé  ces  par- 


-    27    — 

celles  du  trésor,  sous  les  yeux  mêmes  de  son 
cerbère. 

Lorsque,  après  la  mort  de  Brunet,  la  mise 
en  vente  de  ce  trésor  fut  annoncée,  il  excita 
bien  des  convoitises.  Plus  d'un  amateur  de- 
manda l'autorisation  de  copier  la  rarissime,  et 
«  plus  que  rarissime  »  plaquette,  puisqu'elle 
n'a  point  de  double  connu  et  qu'elle  équivaut 
à  un  texte  manuscrit  unique  et  vierge.  Mais 
le  libraire  Potier,  respectant  fidèlement  les 
intentions  du  défunt,  se  montra  inexorable. 
Enfin  vint  le  jour  des  enchères...  et  des  folies 
(22  avril  1868).  A  qui  resterait  le  numéro  65 1  ? 
Et  à  quel  prix  ?  C'était  la  grande  question .  Potier 
se  rendit  tout  d'abord  acquéreur  à  55o  francs. 
La  dispute  fut  chaude  ;  le  chiffre  s'éleva  suc- 
cessivement à  1,400  francs,  et  M.  le  préfet 
de  la  Seine,  ou  plutôt  le  libraire  Baur,  qui  le 
représentait  en  cette  occasion  solennelle,  fut, 
à  ce  prix,  proclamé  adjudicataire.  On  disait 
qu'un  riche  et  noble  amateur  avait  poussé 
l'enchère  jusqu'à  1,375  francs. 

Je  m'estimai  heureux,  je  l'avoue,  d'avoir  pu 
doter  d'un  tel  joyau  la  Bibliothèque  de  notre 
pauvre  Ville  de  Paris,  dont  la  direction  m'é- 


—    28    — 

tait  alors  confiée.  Il  est  bon  qu'une  bibliothè- 
que publique  retienne  parfois  au  passage  ces 
rarœ  aves  de  la  bibliographie  et  qu'elle  s'en 
fasse  honneur.  La  Ville  de  Paris  avait  d'ail- 
leurs, en  cette  circonstance,  un  intérêt  parti- 
culier à  posséder  celui-ci,  soit  pour  sa  collec- 
tion spécialement  parisienne,  déjà  si  riche,  soit 
pour  les  vitrines  bibliographiques  du  Musée 
historique  qu'elle  se  proposait  alors  d'installer 
à  l'Hôtel  Carnavalet.  Ne  s'agissait-il  pas  d'un 
spécimen  (et  quel  spécimen!)  de  pamphlet 
parisien,  d'un  libelle  fameux  qui  avait  mis 
en  mouvement  le  Châtelet  et  le  Parlement,  et 
motivé  la  pendaison  de  deux  innocents  en 
place  Maubert? 

•  Mais,  hélas  !  de  combien  peu  s'en  est-il  fallu 
que  ce  petit  livre,  —  unique  exemplaire  sur- 
vivant et  si  étonnamment  préservé  jusqu'à 
nous,  —  ne  fût  tout  à  coup  replongé  dans 
le  néant  par  la  catastrophe  à  jamais  mau- 
dite qui  a  fait  sombrer  notre  infortunée  Ville 
de  Paris,  et  englouti,  en  quelques  heures, 
tous  les  souvenirs,  toutes  les  richesses  amon- 
celées de  son  vieil  édifice  municipal  :  ses 
Archives  si  précieuses  et  encore  inexplorées, 


—  29  - 

—  les  registres  originaux  et  séculaires  de  son 
Etat-civil, — ses  collections,  si  considérables  et 
uniques  en  leur  genre,  de  Plans  de  la  Cité, 
de  Monographies,  de  Vues  et  de  Portraits, 
Peintures,  Dessins,  Estampes,  Médailles,  Ma- 
nuscrits et  Documents  de  toutes  sortes,  —  sa 
Bibliothèque  enfin  ! . . . 

Honnis  soient-ils,  ceux  qui  nous  ont  valu 
le  risque -tout  et  le  sauve -qui -peut  du 
18  mars  1871,  avec  leurs  abominables  et  ir- 
réparables conséquences!... 

Sollicité  depuis  longtemps  de  donner  une 
réimpression  du  Tigre  et  concevant  d'ail- 
leurs, pour  la  sûreté  de  notre  petit  volume, 
je  ne  sais  quelle  vague  et  jalouse  inquiétude, 
je  ne  l'avais  point  laissé  dans  mon  cabinet  de 
THôtel-de- Ville  (où  j'ai  subi  des  pertes  person- 
nelles considérables!)  Je  l'avais,  en  préparant 
mon  travail,  gardé  par  devers  moi,  dans  mon 
domicile  privé,  — où  il  a  bien  failli  rencontrer 
les  mômes  vicissitudes,  mais  où  finalement  il  a 
trouvé  son  salut  :  seule  et  unique  épave  de  cet 
immense  naufrage  ! 

C'est  donc  aujourd'hui ,  à  double  titre,  un 

3. 


—  3o  — 


phénix  bibliographique,  et  deux  fois  provi- 
dentiellement retrouvé,  qui  renaît  ici,  on  peut 
presque  le  dire,  de  ses  cendres  (i). 


VI 


L'auteur  d'un  excellent  travail  sur  François 
Hotman,  publié  il  y  a  quelques  années  (i  85o), 
M .  Rodolphe  Dareste,  a  parlé  du  Tigre  en 
ces  termes,  d'après  l'examen  qu'il  en  avait  pu 
faire  chez  M.  Brunet  : 

«  C'est,  dit-il,  de  tous  les  libelles  publiés 
«  à  cette  époque,  le  plus  violent  et  le  plus  élo- 
«  quent,  le  plus  net  et  le  plus  concluant.  — 
«  Le  grand  défaut  de  la  prose  du  XVIe  siècle 
a  est  d'être,  en  général,  lourde  et  traînante, 
a  On  savait  trouver  des   mots  heureux,  des 

(i)  J'avais  promis  la  présente  réédition  à  l'Académie 
des  Bibliophiles,  qui  me  l'avait  demandée,  et  je  l'avais 
annoncée  à  l'Assemblée  générale  de  la  Société  de 
l'Histoire  de  France,  le  3o  avril  1868,  en  y  lisant  une 
notice  qui  se  trouve  résumée  dans  son  Bulletin,  p.  134. 
Elle  m'a  été  bien  des  fois  réclamée  depuis  lors.  Je  suis 
heureux  d'avoir  pu  enfin  dégager  ma  parole. 


—  3i  — 

«  expressions  piquantes,  mais  on  n'entendait 
a  guère  l'art  de  faire  des  phrases  et  de  compo- 
«  ser  des  discours.  Au  contraire,  quoi  de  plus 
«  vif  et  de  plus  serré  que  les  apostrophes  du 
«  pamphlétaire  au  Tigre?  Changez-en  l'or- 
cc  thographe,  et  elles  vous  paraîtront  écrites 
i  d'hier.  Tous  les  mots  sont  comptés  et  portent 
«  coup,  et  l'intérêt  va  toujours  croissant  jus- 
ce  qu'au  moment  où  l'auteur,  s'arrêtant  brus- 
<t  quement,  termine  par  un  mot  admirable.  » 
Partageant  le  sentiment  de  M.  Dareste, 
j'ai  pensé  que  je  ne  devais  pas  me  borner  à 
donner  une  reproduction  matériellement  fi- 
dèle du  Tigre.  Comme  il  est  plein  de  ces 
fautes  de  typographie  et  de  ponctuation,  qui 
trahissent  une  impression  hâtive  et  clandes- 
tine, et  en  rendent  la  lecture  pénible,  j'ai  jugé 
nécessaire  d'en  présenter  d'abord  un  texte  re- 
visé, où  l'orthographe  ne  lut  pas  sensiblement 
modifiée,  mais  qui  mît  le  lecteur  à  même  de  ne 
pas  hésiter  à  chaque  ligne  et  de  sentir  tout  d'a- 
bord les  mouvements  de  haute  éloquence  de  ce 
morceau  si  véhément,  que  l'on  dirait,  en  effet, 
écrit  d'hier.  Je  fais  suivre  cette  première  trans- 
cription ,  ainsi  préparée  ad  legendum ,  d'un 


—    32    — 

fac-similé  ou  report  photographique  ad  usum 
curiosorum,  plaçant  sous  les  yeux  des  biblio- 
philes l'original  même,  page  pour  page,  ligne 
pour  ligne,  mot  pour  mot.  Pour  les  connais- 
seurs, ce  sera  évidemment,  à  tous  égards,  «  la 
bonne  édition;  39  ils  y  retrouveront  toutes  les 
taches  originelles  qu'ils  auraient  pu  regretter 
de  ne  pas  rencontrer  dans  la  reproduction 
rectifiée. 

Afin  de  ne  pas  étendre  davantage  ces  préli- 
minaires, je  renvoie  à  l'Appendice  tout  ce  qui 
reste  à  dire  sur  les  points  demeurés  si  long- 
temps incertains  de  l'auteur  du  Tigre,  de  la 
date  et  du  lieu  d'impression,  ainsi  que  la  pa- 
raphrase versifiée,  dans  laquelle  on  avait,  à 
tort,  voulu  voirie  véritable  Tigre  de  i56o  : 
il  n'était  pas  sans  intérêt  de  les  juxtaposer  ici 
en  regard  l'un  de  l'autre. 


~c^cH<âvx>- 


LE  TIGRE 

TEXTE    RECTIFIÉ 

AU     POINT     DE     VUE    TYPOGRAPHIQUE 


«^ 


«  Nos  auteurs  ne  seront  jamais 
appréciés    ce    qu'ils  valent,  s'ils 
restent    inintelligibles.    Il    faut 
pouvoir  les  lire  aisément...  » 
J.-V.  Leclerc, 
Disc,  sur  l'état  des  lettres 
au  XV8  siècle. 


ÉPISTRE 

ENVOYÉE 

AU  TIGRE  DE 
la  France 


I 


EPISTRE 

Envoyée  au  Tigre  de 
la  France 


igre  enragé  !  Vipère  ve- 
nimeuse! Sépulcre  d'a- 
bomination !  Spectacle 
de  malheur!  Jusques  à 
quand  sera-ce  que  tu 
abuseras  de  la  jeunesse  de  nostre  Roy  ? 
Ne  mettras-tu  jamais  fin  à  ton  ambi- 
tion démesurée,  à  tes  impostures,  à  tes 
larcins?  Ne  vois-tu  pas  que  tout  le 
monde  les  sçait,  les  entend,  les  con- 
noist?  Qui  penses -tu    qui   ignore  ton 


—  38  - 

détestable  dessein,  et  qui   ne  lise   en 
ton  visage  le  malheur  de  tous  nos  jours, 
la  ruine  de  ce  Royaume,  et  la  mort  de 
(nostre  Roy? 

Je  ne  veux  d'autre  tesmoignaige,  pour 
te  convaincre,  que  tes  propres  actions. 
Tu  scais  bien  que,  vivant  le  Roy  Fran- 
çoys  premier  (le  jugement  duquel  étoit 
admirable),  tu  n'osois  comparoistre  de- 
vant luy,  et  qu'il  défendit  au  feu  Roy 
Henry,  son  fils,  que  toy  ni  les  tiens 
n'eussiez  aucune  intelligence  de  ses  af- 
faires. Mais  toy,  voyant  que  ta  vertu 
ne  fy  pouvoit  conduire,  tu  vins  à  im- 
plorer Taide  des  femmes  et  demander 
leur  alliance,  envers  lesquelles,  après 
t'en  estre  prévalu,  tu  as  esté  non  moins 
ingrat,  que  tu  fus  cruel  à  ton  propre 
oncle,  lequel,  estant  cassé  et  débilité  de 
vieillesse  et  de  maladie,  tu  contraignis 


-  39  - 

d'avancer  ses  jours  par  le  voyage  de 
Rome,  pour  la  faim  qui  te  rongeoit  in- 
cessamment de  sa  dépouille. 

Avec  tels  moyens  tu  entras  au  manie- 
ment des  affaires  de  ce  Royaume,  dont 
depuis  il  n'a  esté  que  misérable.  Car  il  n'a 
esté  fait,  dit,  ne  pensé  chose  par  toy,  qui 
ne  revienne  au  dommage  de  la  France, 
et  au  profit  de  ta  maison.  Qui  fut  l'entrée 
de  la  guerre  d'Allemaigne  ?  Ne  fut-ce 
pas  toy  ?  Si  je  te  demande  la  raison,  me 
diras-tu  que  c'étoit  pour  bien  que  tu 
souhaitois  à  la  couronne  de  France? 
Tu  n'estois  pas  si  peu  malin,  en  ce 
temps-là,  que  tu  n'entendisses  bien  où 
telle  entreprise  pouvoit  revenir  :  mais 
la  cupidité  te  mordoit  de  faire  grande 
la  maison  de  ton  cousin,  et  l'espérance 
que  tu  te  proposois  de  l'Evesché  de  Metz. 
Et  aussi  que,  par  ce  voyage,  tu  assurois 


—  40  — 

tes  biens  et  avançois  la  fortune  de  ton 
frère  aîné. 

Toutes  ces  choses-là  (et  quelques 
autres  que  toy  et  moy  savons  bien) 
firent  prendre  les  armes  au  feu  Roy 
Henry.  Qu'en  est-il  advenu?  La  mort 
d'une  infinité  de  vaillans  hommes,  la 
pauvreté  universelle  de  ce  Royaume, 
fors  qu'en  ta  maison,  la  perte  de  trois 
batailles,  le  délaissement  du  pays  con- 
quis. Tu  me  diras  que  ce  n'a  pas  esté 
à  ton  occasion.  As-tu  jamais  parlé  de  la 
paix,  que  lorsque  tu  n'osas  parler  de  la 
guerre?  N'as-tu  pas  fait  un  voyage  à 
Rome,  et  devers  tous  les  potentats 
d'Italie,  parmi  les  neiges  et  les  glaces, 
au  plus  grand  froid  de  l'hiver,  pour 
faire  la  guerre  à  Naples,  lorsque  les 
affaires  étoient  plus  bouillantes  par  deçà, 
entre  l'empereur  Charles,  le  grand  guer- 


—  4i  — 
royeur,  et  le  feu  roi  Henry  ?  Tu  savois 
bien  que  nos  forces  unies  lui  pouvoient 
bien  résister,  et  tu  les  as  voulu  séparer 
et  diviser  au  milieu  du  plus  grand  dan- 
ger !  Mais  Ton  aperçut  ta  malice  et  mé- 
chanceté ,  car,  outre  ce  que  tu  fus 
désavoué  par  le  feu  Roy,  la  trêve  fut 
arrestée  sans  attendre  ton  retour.  Mais, 
dis-moi,  brave  négociateur  (la  diligence 
duquel  pour  faire  une  méchanceté  n'est 
point  retardée  par  les  neiges,  par  les 
glaces  des  Alpes,  ni  de  F  Apennin),  as-tu 
jamais  fait  démonstration  de  vouloir  la 
paix?  Si  tu  me  parles  du  Chasteau- 
Cambrésis,  je  te  dis  que  tu  n'y  avois 
aucune  puissance,  mais  le  tout  des- 
pendoit  du  Connestable  de  France,  avec 
lequel  tu  estois  allé  pour  finsinuer  en 
son  amitié,  estant  desjà  averti  du  congé 
que  Ton  te  minutoit. 

4- 


—  42  — 

Mais  que  me  répondras-tu,  quand  je 
te  dirai,  qu'encore  que  le  voyage  de 
Naples  fût  une  fois  rompu,  tu  fis  tant 
par  tes  impostures,  que,  sous  l'amitié 
fardée  d'un  Pape  dissimulateur,  ton 
frère  aisné  fut  fait  chef  de  toute  l'ar- 
mée du  Roy,  pour  s'en  servir  à  se  faire 
Roy  lui-même,  et,  si  le  Pape  fût  mort, 
à  te  faire  Pape? 

Quand  je  te  diray  que,  pour  avoir 
diminué  la  France  de  ses  forces,  tu  as 
faict  perdre  au  feu  Roy  une  bataille,  et 
la  ville  de  S1  Quentin  ?  —  Quand  je  te 
diray  que  pour  rompre  la  force  de  la 
justice  de  France  et  pour  avoir  les  juges 
corrompus  et  semblables  à  toy,  tu  as 
introduit  un  semestre  à  la  cour  de  Par- 
lement ?  —  Quand  je  te  diray  que  tu  as 
fait  venir  le  feu  Roy  pour  te  servir  de 
ministre  à  ta  méchanceté  et  impiété  ?  — 


-43  - 

Quand  je  te  diray  que  les  fautes  des  ' 
finances  de  France  ne  viennent  que  de 
tes  larcins  ?  —  Quand  je  te  diray  qu'un 
mari  est  plus  continent  avec  sa  femme 
que  tu  n'es  avec  tes  propres  parentes? 

—  Si  je  te  dis  encore  que  tu  t'es  em- 
paré du  gouvernement  de  la  France,  et 
as  dérobé  cet  honneur  aux  Princes 
du  sang,  pour  mettre  la  couronne  de 
France  en  ta  maison,  —  que  pourras- 
tu  répondre?  Si  tu  le  confesses,  il  te  faut 
pendre  et  estrangler  :  si  tu  le  nies,  je  te 
convaincrai. 

Tu  fais  mourir  ceux  qui  conspirent 
contre  toy  :  et  tu  vis  encore,  qui  as 
conspiré  contre  la  couronne  de  France, 
contre  les  biens  des  veuves  et  des  or- 
phelins, contre  le  sang  des  tristes  et  des 
innocens!  Tu  fais  profession  de  près- 
cher  de   sainteté,   toy  qui   ne  connois 


~  44  — 
Dieu  que  de  parole  ;  qui  ne  tiens  la  re- 
ligion chrétienne  que  comme  un  masque 
pour  te  déguiser;  qui  fais  ordinaire  tra- 
fic, banque  et  marchandise  d'éveschés 
et  de  bénéfices  -,  qui  ne  vois  rien  de  saint 
que  tu  ne  souilles,  rien  de  chaste  que  tu 
ne  violes,  rien  de  bon  que  tu  ne  gâtes  ! 
L'honneur  de  ta  sœur  ne  se  peut  garan- 
tir d'avec  toy.  Tu  laisses  ta  robe,  tu 
prends  Tépée  pour  Palier  voir.  Le  mari 
ne  peut  être  si  vigilant,  que  tu  ne  dé- 
çoives sa  femme. 

Monstre  détestable!  Chacun  te  con- 
noît,  chacun  t'apperçoit  :  et  tu  vis  encore  ! 
N'oys-tu  pas  crier  le  sang  de  celuy  que 
tu  fis  estrangler  dans  une  chambre  du 
bois  de  Vincennes?  S'il  estoit  coupable, 
que  n'a-t-il  été  puni  publiquement?  Où 
sont  les  témoins  qui  Pont  chargé  ?  Pour- 
quoi as-tu  voulu  en  sa  mort  rompre  et 


-45  - 

froisser  toutes  les  loix  de  France,  si  tu 
pensois  que  par  les  loix  il  pût  être  con- 
damné? 

Tu  dis  que  ceux  qui  reprennent  les 
vices  médisent  du  Roy,  tu  veux  donc 
qu'on  t'estime  Roy  ?  Si  César  fut  occis 
pour  avoir  prétendu  le  sceptre  injuste- 
ment, doit-on  permettre  que  tu  vives, 
toy  qui  le  demandes  injustement? 

Mais  pourquoi  dis- je  ceci?  Afin  que  tu 
te  corriges?  Je  connais  ta  jeunesse  en- 
vieillie  en  son  obstination,  et  tes  mœurs 
si  dépravées,  que  le  récit  de  tes  vices  ne 
te  sçauroit  émouvoir.  Tu  n'es  point 
de  ceux-là  que  la  honte  de  leur  vilainie, 
ni  le  remords  de  leurs  damnables  in- 
tentions, puisse  attirer  à  aucune  rési- 
picence  et  amendement.  Mais  si  tu  me 
veux  croire,  tu  t'en  iras  cacher  en  quel- 
que tannière,  ou  bien  en  quelque  désert, 


-46- 
si  lointain  que  Ton  n'oye  ni  vent  ni  nou- 
velles de  toy  !  Et  par  ce  moyen  tu  pour- 
ras éviter  la  pointe  de  cent  mille  espées 
qui  t'attendent  tous  les  jours  ! 

Donc  va-t'-en!  Descharge -nous  de 
ta  tyrannie!  Evite  la  main  du  bour- 
reau! Qu'attends-tu  encore?  Ne  vois- 
tu  pas  la  patience  des  Princes  du  sang 
royal  qui  te  le  permet?  Attends-tu  le 
commandement  de  leur  parolle,  puisque 
leur  silence  t'a  déclaré  leur  volonté?  En 
le  souffrant,  ils  te  le  commandent-,  en 
se  taisant,  ils  te  condamnent.  Va  donc, 
malheureux,  et  tu  éviteras  la  punition 
digne  de  tes  mérites  ! 


^  I 


LE  TIGRE 

FAC-SIMILE 
de   l'original  de    i56o 

%0 


Oculis  subjectafidelibus. 
Hor. 


EPISTRE 


ENVOIEE 

AV  TIGRE  DE 

la  France. 


# 
« 


EPISTRB 


Enuoyêe  au  Tigre  de 
la  France- 

IG  RE  enrage,  Vi> 
père  venimeufe,  Se^ 
pulcred'abominario, 
fpcdaclede  malheur; 
ïufquesàquand  fera  ce  que  tu  as 
buteras  de  la  ieuneffe  de  noftre 
RoyCnemérras  tu  iamais  fin  à  ton 
ambition  demcfuree,  àtesimpo* 
ftures,à  tes  larcinsCNevois  tu  pas 
que  tout  le  monde  les  fcai  t,  les  en* 
tend,lescongnoift?  Qui  pence  tu 
qui  ignore  todeteftabledeffeing, 
écqui  nehfeen  ton  vifage  lemaU 
heur  detous  tes  iours,  la  ruine  de 
ce  Royaume,  &  la  mort  de  noftre 
Roy?  le  ne  veux  d'autre  tefmons 


gnaige  pour  te  conuamcre  que  tes 
propres  adios.  Tufcaisbienque 
viuantle  Roy  Francoys  premier 
(le  iugernent  duquel  étoit  admi* 
rabIe)tunofoiscomparoiftrede* 
uant  luy  ,  dC  qu'il  defenditau  feu 
Rox  Henry  fon  fils,que  toy  ny  les 
tiens  nVuffiez  aucune  intelligence 
de  fes  affaires,  Mays  toy  voyant 
que  ta  vertu  ne  t'y  pouuoyt  con* 
duire,  tu  veins  à  implorer  layde 
des  femmes  &  demander  leur  al* 
liance,enuerslefquelles  après  t'en 
être  preualu,  tu  as  efté  non  moins 
ingrat,  que  tu  fus  cruel  à  ton  pros 
pre  onclejequel  eftant  cafïe  6cd& 
bilité  de  viellefTe  &  de  maladie ,  tu 
contraignis  d'auâcer  fes  ioùrs  par 
le  voyage  de  Rome,  pour  la  faim 
qui  te  rongeoit  inceflamment  de 
fa  dépouille*  Auectelsmaniemes 


tu  entras  aux  maniemenTcïes  afFai M 
resdeceRoyaume^ontdepuisil  ! 
n'a cfté que  miferablercar  il  n  àes  ; 
ftéfait,dit,nepenfechofepartoy, 
qui  ne  reuienneau  dommage  de 
la  Frâce,&  au  profit  de  ta  maiforw 
Qui  fuefêtree  de  la  guerre  d'Aï- 
IematgneCnefufTè  pas  toy?  Si  ie  te 
demâdelaraifon,  médiras  tu  que 
c'étoit  pour  bien  que  tu  fouhétois 
à  la  couronne  de  France?  Tu  n'e* 
ftois  pas  fi  peu  mallin  en  ce  temps 
la,  que  tu  n  entendifTes  bien  ou 
telle  entreprife  pouuoyt  reuenir: 
matslacupiditétemordoitdefai* 
re  grande  la  maifon  de  ton  coufin, 
&  Tefperance  que  tu  te  propofois 
de  TEuefché  de  Metz»  Ec  aufsi 
que  par  ce  voyage,  tu^fTeurois  tes 
biens  &  auancoys  la  fortune  de 
ton  frère  aifné. 

7~ft     îï)~    "Toutes 


Toutes  ces  chofesla,  &T  quête 
ques  autres  que  toy&moyfcauos 
bien,  ferrent  prendre  les  armes  au 
feu  Roy  Henry*  Qu'en  eft  il  ad* 
uenuC'  la  mort  dVne  infinité  de 
vaitlans hommes,  lapouretévni* 
uerfellede  ce  Royaume,  fors  qu'Ne 
tamaifon:laperte  de  trois  batailles 
le  delaifTement  du  pais  conquis» 
Tu  me  diras  quecen'àpaseftéà 
tonoccafio*  Astuiamaisparléde 
la  Paix,  que  lors  quen'ofas  parler 
delaguerreC  N'as  tu  pas  fait  vng 
|  voyage  à  Rome,&deuers  tous  les 
potentas  d'Italie,parmy  les  neiges 
&  les  glaces,  au  pluf  grand  froid 
de  PyuerC  pour  faire  la  guerre  à 
Naplesjorsqueles  affaires  étoycÇ 
plus  bouillâs  par  deçà  eritrel'Em* 
pereurCharles,legrâd  guerroie^ 
&  le  feu  Roy  Henry  ?  Tu  feauois 

bien 


BîcrTqucnon^yccsvniesTuy^p^uTf 
uoyenc  bien  refifter  f  &  ru  les  as 
youlu  feparer&diuiferau  milieu 
du  plus  grand  danger,  mais  l'on 
aperceut  ra  malice  &C  méchanceté; 
car  outre  ce  que  tu  fus  defauoué 
par  le  feu  Roy,  la  Trefue  fut  arre* 
ftee  fans  attêdre  ton  retour.  Maïs 
dymoybraue négociateur,  (ladis 
ligenceduquel  pour  faire  vnemé' 
chancetén'eft  point  retardé  par 
neiges ,  par  les  glaces  des  Alpes, 
tiydel'Apenyn)  as  tuiamaisfait 
demôftration  de  vouloir  la  Paix? 
Si  tu  me  parle  du  chafteauChams 
brefi,  ietedyquetun'yauoisau^ 
cune  puifTance  :  mais  le  tout  def- 
pêdoit  du  Conefhble  de  France, 
auec  lequel  tu  eftois  allé  pour  te 
infinueren  fon  amitié ,  eftantia  a* 
uerti  du  congé  cjl  on  reminutoif* 


T 


A  Hq       Mttfs- 


Mais  que  me  refpondras  tu7 
quand  ie  te  diray  qu'encores  que 
le  voyage  de  Naples  fut  vne  foys 
rompu,  tu  fis  tant  par  tes  impos 
ftures,  .que  foubs  l'amitié  fardée 
dVnPapedifsimuIateur,tonfrere 
aifné  fut  fait  chef  de  toute  Tannée 
du  Roy ,  pour  s'en  ferufr  à  fe  faire 
Roy  luy  mefmes  9  &  fi  le  Pape  fut 
m  orra  te  faire  Pape, 

Quand  ie  te  diray  que  pour 
auoir  diminué  la  France  de  fes 
forces,tu  as  fait  perdre  au  feu  Roy 
vne  bataille,  &  la  ville  de  faincfl 
Quentin.  Quand  ie  te  diray  que 
pour  romprelaforcedela  luftiee 
de  France,  &  pour  auoir  les  iuges 
corrumpus  Se  femblables  à  toy, 
tu  as  introduit  vng  femeftreàla 
court  de  Parlement*  Quand  ie  te 
diray  q  tu  as  fait  venir  le  feu  Roy 

pour 


1 


pour  te  feruir  de  minifire  à  ta  mé* 
chanceté&  impieté.  Quand  ie te 
diray  que  les  fautes  des  finances 
de  France  ne  viennentquedetcs 
larcins*  Quand  ie  te  diray  qu'vng 
mary  eft  plus  continent  auec  fa 
femme  que  tu  n'es  auec  tes  pro^ 
près  parentes.  Si  ie  te  dy  encores 
que  tu  tes  emparé  du  gouuerne^ 
ment  de  la  France,  &asdefrobé 
ceft  hôneur  aux  Princes  du  fang, 
pour  mettre  la  cour one  de  France 
en  ta  maifon  i  que  pourras  tu  ref- 
pondreCSituleconfeflesJltefaut 
pendre  &  eftrangler  :  fitulenye, 
ie  te  conuaincray*  Tu  fais  mourir 
ceux  qui  confpirent  contre  toy,& 
tu  vis  encores  qui  as  confpiré  con 
tre  la  couronne  de  France,  contre 
les  biens  des  vefues&des  orfel ins, 
contre  le  fang  des  triftes  &  des  im 
A    v      nocens* 


nocen$*Tu  fais  profefsion  depre^ 
fchcr  de  faindeté  t  toy  qui  ne  con* 
gnois  Dieu  que  de  parolle,qui  ne 
tiens  la  religion  Chreftienneque 
comevnmalquepourtedeguiîer, 
qui  fais  ordinaire  traffique,bâque 
bC  marchandife  d  Euefchez  &  de 
benefices,qui  nevoisriendefaimfl 
que  tu  ne  fouilles,  riendechaftej 
que  tu  ne  violles ,  rien  de  bon  que 
tunegaftes.  L'hôneurdetafceur 
nefepeutgarentir  d'auectoy,  Tu 
laiflTes  ta  robe,tu  près  l'efpee  pour 
Tallervoin  Lemarynepeut.eftre 
fivïgillant,  quetunedecoyuesfa 
fcme4  Monftre  deieftable  chacun 
tecongnoit,  chacun  t'aperçoit, & 
tuvisencoresC  Noys  tu  pas  crier 
iefangdeceluy  que  tu  fis  eftrans 
gler  dans  vne  chambre  du  boys 
deVincennesC  Sileftoitcoupa* 

— * — — m 


pablc,  que  n'a  il  eftépuny  publia 

quementC'  Oufontlesiefmoingts 

qui  l'ont  chargée  Pourquoyasru 

voulu  en  fa  mortr5pre&  froiffer 

toutes  les  loix  de  France.  Si  tu  pë* 

coys  que  par  les  loix ,  il  peut  eftre 

condemné?  Tu  dis  que  ceux  qui 

reprengnent  les  vices  ,  medîfent 

du  Roy:  tu  veux  doneques  qu'on 

t'eftime  Roy*     Si  Caefarfutocci 

pour  auoir  prétendu  le  Sep  tre  in* 

iuftement,  doit  on  permettre  que 

tu  viues  toy  qui  le  demandes  iniu* 

ftementC'Maispourquoydyieces 

ey,  afin  que  tu  te  corriges.  le  cons 

gnoistaieuneflefienuiellieenfon 

j  obftination,&tes  meurs  fi  defpras 

I  uez,  que  le  récit  de  tes  vices  ne  te 

jfeauroyent  efmouuouv  Tu  n'es 

i  point  de  ceux  là  que  la  honte  de 

I  leur  vilain ie,  ny  le  remorsde  leurs 

dam* 


fia  m  n  ables  in  tétions,  puiiïè  attirer 
â aucune  refipifcence&  amende* 
ment.  Maisfitumeveuxcroyre, 
tu  t'en  iras  cacher  en  quelque  tan* 
niere,  ou  bien  en  quelque defert  fi 
loingtain^quefonn'oyenyvëtny 
nouuelles  de  toy, Et  parce  moyen 
tu  pourras  euiter  la  poinde  de 
cent  mille  efpees  qui  t'attendent 
tous  les  iours» 

Doncques  vaten,  defeharge 
nous  de  ta  tyran  nie,  euites  la  main 
du  bourreau,  qu'attês  tu  encores? 
Ne  vois  tu  pas  la  patiêcedes  Prin* 
ces  du  fangRoialqui  te  le  permet? 
attens  tu  le  co m mandemët  de  leur 
parolle ,  puis  que  la  filence  t'a  de* 
claré  leur  volume  en  le  fouffrant? 
ilste  le  commandent,enfetaifant, 
ils  te  condamnent»  Va  doncques 
malheureux,  &  tu  efuiteras  la  pu* 


nition  digne  3e  tes  mérites» 


Huitaîn* 

Il  m'eft  aduis  qu'il  te  deburofc fuffire 
(Tigre  euenté)  voyr  le  Roy  noftre  (îre 
Vouloir  foufrir  remplir  ta  bourceainfï 
De  Tes  trefors,  va  luy  crier  mercy 
Va  infecte,  qu'il  netefacefuireJ 
Car  s'il  congnoit  quelque iour  en  fes  fens 
Que  tu  refpans  le  fang  des  ïnnocens 
Tu  pourras  dire  alors  qu'auras  du  pire» 

FIN. 


APPENDICE 

m 


\o    < 


LE   TIGRE 


SATIRE 

sur  les  gestes  mémorables  des  guisards 

i56i 


eschant  Diable  acharné,  Sépulcre  abominable, 
*  Spectacle  de  malheur,  Vipère  épouvantable, 
Monstre,  Tigre  enragé,  jusques  à  quand  partoy 
Verrons-nous  abuser  le  jeune  âge  du  Roy? 
Ne  cesseront  jamais  tes  lourdes  impostures  ? 
Montreras-tu  toujours  tes  vilaines  ordures  ? 
Jamais,  Traistre  voleur,  ne  mettras-tu  de  fin 
A  ta  briganderie  et  à  tant  de  larcin 
Que  tu  fais  dans  ce  règne?...  O  malheureux  Achriste! 
10.  Epicure  deux  fois,  et  trois  fois  Athéïste! 
Incestueux  vilain,  ennemi  de  vertu, 
Bourreau  de  notre  peuple  !  Ores  qui  penses-tu 
Qui  tes  desseins  n'entende  et  n'ait  bien  connoissance 
De  l'évident  péril  que  tu  promets  en  France  ? 
Du  danger  de  la  mort,  que  nous  voyons  prochain 
Sur  la  teste  du  Roy,  si  Dieu  n'y  met  la  main? 
Et  de  cent  mille  maux  piteux  et  déplorables 
Qui  menacent  par  toy  ces  pays  misérables  ? 


—  68  - 

Pour  te  convaincre  ici,  je  ne  veux  amener 
20.  Que  le  tien  propre  fait,  qui  te  peut  condamner  : 
Car  il  est  tout  prouvé  que  ta  fausse  cautelle 
Et  secrette  malice  a  toujours  été  telle, 
Qu'aux  yeux  du  Roy  François,  peu  devant  son  trépas, 
Pour  ta  meschanceté,  montrer  ne  t'osois  pas. 
Mesme  on  sçait  bien,  durant  sa  mémorable  vie, 
Luy  te  connoissant  bien,  qu'il  n'avoit  pas  envie 
De  se  fier  en  toy,  ni  te  voir  près  de  luy, 
Prévoyant  bien  le  mal  que  tu  fais  aujourd'huy  : 
A  Henry,  dernier  mort,  ne  fit-il  pas  défense 
3o.  Que  ni  toy,  ni  les  tiens  n'eussent  intelligence 
Des  affaires  de  France,  et  que  de  trahison 
Il  soupçonnoit  déjà  ta  meschante  maison  ? 
Mais  quand  tu  vis  alors  ton  espoir  te  séduire, 
Pour  ce  que  la  vertu  ne  t'y  pouvoit  conduire, 
Tu  vins  flatteusement  les  femmes  implorer, 
Cherchant  par  l'amitié  d'icelles  t'honorer, 
Et,  quoiqu'en  ton  endroit  leurs  faveurs  les  plus  belles 
N'espargnèrent  en  rien,  toutesfois  envers  elles 
Tu  ne  t'es  point  montré,  avec  ton  cœur  de  fiel, 
40.     Moins  ingrat,  qu'à  ton  oncle  inhumain  et  cruel, 
Lorsque  le  contraignis,  tout  courbé  de  vieil  âge, 
De  s'abréger  les  jours  par  le  romain  voyage, 
Pour  l'affamé  désir,  qui  ton  cœur  émouvoit, 
De  vestir  sa  dépouille  et  les  biens  qu'il  avoit. 

Avecques  tels  moyens,  à  l'équité  contraires, 
Tu  as  pris  en  tes  mains  de  France  les  affaires  : 
Tu  as  tant  entrepris,  qu'il  n'y  a  plus  que  toy 


-6g- 

Qui  gouverne  et  conduis  les  affaires  du  Roy. 
Et,  ores  qu'on  voit  tout  en  ta  main  dangereuse, 
5o.  L'on  voit  pareillement  la  France  malheureuse, 
Car  rien  n'a  été  fait  ni  conduit  par  ta  voix, 
Qui  ne  soit  à  la  perte  et  péril  des  François, 
Afin  que  ta  maison  par  ce  dommage  y  gagne. 
Car,  c'est  toy  qui  causas  la  guerre  d'Allemagne, 
Pour  hausser  ton  cousin,  et  pour  le  bon  espoir 
De  l'évesché  de  Metz  que  tu  voulois  avoir; 
Pour  assurer  aussi  tes  biens  et  ta  pécune 
Et  de  ton  frère  aîné  bienheurer  la  fortune. 

Toutes  ces  choses  là  (plusieurs  autres  aussi 
5o.  Que  tu  sçais  comme  moy,  et  que  je  tais  ici) 
Au  défunt  Roy  Henry  firent  les  armes  prendre, 
Dont  la  mort  fit  plusieurs  dessus  la  terre  estendre, 
Par  quoy  toute  misère  et  toute  pauvreté 
Toujours,  depuis  ce  temps,  dedans  France  a  esté  : 
Et  ne  nous  est  resté,  de  guerre  tant  mortelle, 
Qu'un  triste  sentiment  d'angoisse  universelle, 
Perte  de  maints  soldats  fort  vaillans  et  exquis 
Et  le  délaissement  de  nos  pays  conquis  ! 
Des  Romains  n'as-tu  pas  recheminé  la  terre 
70.  Pour,  au  fin  cœur  d'hiver,  faire  à  Naples  la  guerre, 
Lorsque  du  grand  guerrier  et  puissant  Empereur 
Contre  le  Roy  Henry  s'efforçoit  la  fureur? 
Tu  savois  bien  alors  que  nos  gents  assemblées 
Eussent  de  l'Empereur  les  forces  accablées. 
Mais,  au  plus  grand  péril  pour  la  France  abuser, 
Enfin  tu  as  bien  sçu  les  rompre  et  diviser, 

6. 


—  7o  — 

N'estant  point  ignorant  que  la  discorde  tremble, 
Quand  devant  elle  voit  plusieurs  liés  ensemble. 
Mais  on  apperçoit  bien  et  toy  et  tes  abus  : 

80.  Car,  outre  que  du  Roy  désavoué  tu  fus, 

La  trêve  toutesfois  en  France  se  vient  rendre 
Par  un  accord  conclu,  sans  ton  retour  attendre. 
Mais  dis-moy,  je  te  prie,  Monstre  de  fausseté, 
Le  soin  duquel,  pour  faire  une  meschanceté, 
Ne  se  voit  retardé  par  les  glaces  et  neiges, 
Est-il  un  repos  long  qu*à  la  fin  tu  n'abrèges? 
Dis  moy,  meschant  Cafard,  as-tu  esté  jamais 
Soigneux  de  conseiller  un  seul  bien  de  la  paix? 
Si  or'  de  Cambresys,  Orgueilleux,  tu  te  vantes, 

90.  Je  te  dis  que  ton  heur,  ni  tes  ruses  meschantes, 
N'y  eurent  ni  pouvoir,  ni  grand  crédit  aussi; 
Mais  que  le  tout  venoit  de  par  Montmorancy, 
Duquel  à  toy  gagnas  l'amour  et  l'alliance, 
Pour  ce  qu'on  te  vouloit  rejetter  de  la  France. 

Quand  je  te  prouverai,  qu'encore  fut  cassé 
De  Naples  le  voyage,  et  quand,  ton  cœur  pressé 
De  vaine  ambition  dans  ton  âme  allumée, 
Tu  fis  ton  frère  aîné  estre  Chef  d'une  armée  : 
Et  quand  je  te  dirai  que  tout  cela  se  fit 
00.  Par  toy,  pour  estre  Pape,  et  pour  le  seul  proufit 
Que  tu  te  promettois,  en  pensant  Roy  le  faire, 
Comment  me  pourras-tu  respondre  et  satisfaire  ? 

Quand  je  te  prouverai  que,  mesme  pour  avoir 
Diminué  la  France  en  sa  force  et  pouvoir, 


—  7i  — 

Tu  fis  que  du  feu  Roy  la  bataille,  ordonnée 
Autour  de  Saint-Quentin,  fut  enfin  ruinée? 
Quand  je  te  prouverai  que,  pour  rompre  les  loix, 
La  justice,  et  le  droit  de  nos  pays  François, 
Et  pour  avoir  à  toy  des  juges  tout  semblables, 
o.  Tu  as  au  Parlement  introduit  des  coupables? 
Si  je  te  dis  encor'  que  tu  as  fait  venir 
Le  feu  Roy,  pour  ton  fait  inique  soutenir, 
Et  que  les  fautes  mesme,  aux  finances  trouvées, 
Seront  par  tes  larcins  comme  tiennes  prouvées  ? 
Quand  je  te  soutiendrai  (ce  qu'on  sçait  en  tous  lieux) 
Qu'un  mari  vers  sa  femme  aussy  se  contient  mieux 
En  ses  affections,  voire  les  plus  ardentes, 
Que  tu  ne  fais,  Vilain,  avecque  tes  parentes?... 

Et  quand  je  te  dirai  que  seul  tu  t'es  baillé 
0.  Le  maniement  de  France,  et  que  tu  as  pillé 

A  nos  princes  du  sang  l'honneur  qui  t'environne, 
Pour  mettre,  en  ta  maison,  de  France  la  Couronne, 
Que  me  répondras-tu  ?...  Si  tu  veux  confesser 
Tes  crimes,  Malheureux,  te  faut-il  pas  dresser, 
Afin  de  te  punir  et  justice  te  rendre, 
Au  milieu  de  la  Cour,  un  gibet  pour  te  pendre? 
Si  tu  les  veux  nier,  convaincre  je  te  veux  ! 

Car  je  te  prouverai  que  tu  fais  mourir  ceux 
Qu'on  connoist  innocens,  et  desquels  tu  retires 
>o.  Leurs  biens  par  devers  toy,  mesme  que  tu  conspires 
Contre  la  pauvre  veufve  et  le  triste  orphelin, 
Et  contre  notre  Roy,  pour  le  perdre  à  la  fin  ! 


—  72  — 

Tu  fais  profession  de  prescher  l'Evangile, 
Qui  ne  reconnois  Dieu  que  pour  chose  futile, 
Et  la  Religion  des  fidèles  élus 
Que  pour  masque  à  couvrir  tes  actes  dissolus! 
Qui  fais  des  Eveschés  et  banque  et  marchandise, 
Et  penses  cependant  persécuter  l'Eglise  ! 
Qui  ne  vois  rien  de  saint,  qu'aux  pies  ne  soit  foulé, 
140.  Rien  de  chaste,  et  pudicq,  qui  ne  soit  violé, 

Rien  tenu  pour  constant,  qu'à  ton  gré  tu  ne  changes, 
Rien  de  si  net  qu'enfin  tu  ne  souilles  aux  fanges! 
Car  d'avecq'  toy,  Meschant,  qui  veux  tout  pervertir, 
L'honneur  ne  se  peut  pas  de  ta  sœur  garantir  : 
Pour  l'aller  voir,  tu  ceinds  à  ton  côté  l'épée 
Et  ne  te  suffit  pas  d'un  coup  l'avoir  trompée  : 
Le  mari  ne  peut  être  en  ce  fait  si  rusé 
Qu'il  ne  soit  vu  par  toy  de  sa  femme  abusé  ! 

Horribles  sont  les  maux  que  tu  te  plais  à  faire, 
i5o.  Qui  sont  suivis  de  près  par  le  marquis,  ton  frère  : 
Car  lors  qu'il  fut  à  Dieppe,  à  ses  gens  il  permit 
D'effondrer  la  maison,  et  emporter  le  lit, 
Et  plusieurs  autres  biens  de  deux  sœurs  damoiselles 
Pour  n'avoir  pu  souiller  le  chaste  honneur  d'icelles. 
Cet  effronté  paillard,  avec  ses  maquereaux, 
Au  peuple  Dieppois  a  causé  mille  maux. 
Il  n'a  point  eu  horreur  de  donner  la  licence 
Aux  siens  de  paillarder  et  de  faire  insolence 
Aux  honnestes  maisons,  jusqu'à  rendre  contraints 
160.  Les  habitants  de  Dieppe  à  coucher  leurs  putains. 
Que  si  quelqu'un  venoit  devers  luy  pour  se  plaindre 


-  73  - 

«  Baille-leur,  disait-il,  ta  femme  pour  éteindre 
«  Ce  désir  qui  les  brûle,  et  plus  n'amèneront 
«  Coucher  en  ta  maison  les  paillardes  qu'ils  ont!  >» 
Il  a  pris  des  chevaux  des  villes  et  villages  : 
Aussi  a-t-il,  par  force,  avec  plusieurs  dommages. 
Démonté  les  marchands;  et  trois  hommes,  à  tort, 
Par  luy  et  par  les  siens,  ont  esté  mis  à  mort  : 
Voilà  comment  ton  frère,  ainsi  que  toy,  veut  vivre, 

).  Et,  en  tous  tes  malfaits,  t'imiter  et  te  suivre  ! 
Car  ainsi  que  tu  fis  (toy  seul  l'ayant  mandé) 
Dans  les  coffres  fouiller  du  prince  de  Condé, 
Ainsi  qu'à  un  voleur  et  larron  misérable, 
Ton  frère,  en  compaignie  et  grande  et  honorable, 
Comme  on  prouvera  bien,  louangeant  les  excès, 
Dit  que  tu  faisois  faire,  au  Palais,  le  procès 
Et  au  Roy  de  Navarre  et  au  prince,  son  frère, 
Pour  les  crimes  secrets  que  tu  dis  qu'ils  font  faire. 
Par  ainsi,  Cardinal,  prenant  tout  sur  tes  bras, 

3.  Tu  fais  du  roy  de  France  !  Et  si,  tu  ne  l'es  pas, 
Oses-tu  bien,  larron,  estranger  infidelle, 
A  nos  princes  du  sang  faire  une  injure  telle, 
Estre  bien  si  hardi,  Traistre,  de  t'attacher 
A  leur  royal  honneur,  et  d'iceux  t'empescher  ? 

Si  je  voulois  encor'  du  reste  de  tes  frères 
Amplement  réciter  les  malfaits  ordinaires 
(Lesquels,  tout  aussi  bien  comme  moy,  tu  entends) 
Combien  me  faudroit-il  y  employer  de  tems  i 
Tout  le  monde  sçait  bien  les  factions  perverses 
o.  Du  Grand  Prieur,  ton  frère,  et  ses  ruses  diverses, 


-  74  — 

D'où  est  venu  le  mal,  qui  s'est  mis  en  avant 
Par  la  guerre  dernière.  En  la  mer  du  Levant, 
Sous  prétexte  de  bien,  par  luy  combien  de  pertes  ! 
Combien  de  lourds  travaux  et  de  peines  souffertes  ! 
Et  combien  de  malheurs,  de  regrets  et  d'ennuy, 
En  la  mort  de  plusieurs,  avons-nous  vus  par  luy  ! 
Combien  d'enfondremens  des  galères  de  France, 
Et  combien  dans  les  eaux  écouler  de  finance  ! 
De  tous  ces  meschants  faits  le  monde  est  tout  certain, 
200.  Et  de  les  réciter  seroit  travail  en  vain. 

Du  Cardinal  de  Guise,  est-il  un  qui  ne  sache 
Ses  actes  dissolus,  qui  mesme  ne  se  fasche 
D'ouïr  tant  seulement  qu'il  donne  plus  de  lieu 
Et  de  gloire  à  Bacchus,  qu'il  ne  fait  pas  à  Dieu  ? 
D'ouïr  que  Jésus-Christ  blasphémer  il  endure, 
Et  qu'il  est,  entre  tous,  le  premier  Epicure  ? 
D'ouïr  qu'il  aime  mieux  ses  garces  et  putains 
Tenir  entre  ses  bras,  qu'un  bon  livre  en  ses  mains? 
Et  cependant  il  veut  que  France  le  renomme, 
2 1  o.  Comme  suivant  la  vie  et  les  moeurs  d'un  saint  homme  !... 
Que  dirai-je  d'Aumale  ?  Encor'  qu'il  ne  soit  mis 
Au  rang  des  plus  méchants  et  des  grands  ennemis, 
Si  est-ce  toutes  fois  que  la  réponse  infâme 
Qu'il  fit  au  villageois,  duquel  la  pauvre  femme 
Ses  gens  avaient  forcée,  a  montré  que  son  cœur 
Est  assez  adversaire  et  ennemy  d'honneur. 
Car  ce  pauvre  homme  n'eut  autre  droit  ni  justice, 
Sinon  que  :  «  Violence,  en  tels  faits,  n'est  pas  vice  !  » 
Et  «  qu'un  homme  tout  seul,  de  droit,  ne  justement, 


-  ;5  - 

«  Ne  doit  avoir  sa  femme  à  son  commandement  !  » 
Quant  est  des  braves  tours  du  meschant  duc  de  Guise 
On  sçait  bien  qu'il  fait  tout  ainsi  comme  il  advise, 
Et  que,  toy  comme  luy,  ou  bien  luy  comme  toy, 
As  autant  de  pouvoir  en  France  que  le  Roy. 

Monstre  infect  et  vilain  !  Nulle  personne  ignore 

Tes  horribles  forfaits  :  et  si,  tu  vis  encore  !... 

Meschant  !  Tous  nos  François  tu  veux  faire  périr  : 

Et  personne  pourtant  ne  te  fait  pas  mourir  ! 

Ne  connoit-on  pas  bien  que,  par  ta  tyrannie, 

Tu  fais  expressément  venir  de  l'Italie 

Huit  mil  bougres  infects,  avecques  seize  mil 

Barbares  et  bourreaux,  pour  nous  mettre  en  exil  ; 

Pour,  au  seul  appétit  de  ta  bouillante  rage, 

Donner  piteusement  notre  France  au  pillage  ; 

Pour  mesme  abandonner,  nous  estant  déconfits, 

A  Sodome  et  Gomor'  nos  filles  et  nos  fils; 

Et  pour  livrer  à  force  à  une  boucherie 

Les  jours  calamiteux  de  notre  pauvre  vie  !... 

Ne  connoit-on  pas  bien  qu'aux  vagues  de  la  mer 

Tu  chasses  la  Noblesse,  afin  de  l'abismer  ! 

Ne  provoques-tu  pas  encore  l'Angleterre, 

A  faire  maintenant  une  nouvelle  guerre, 

Non  pas  contre  le  Roy,  mais  contre  toy,  Meschant, 

Qui  vas  le  droit  d'autruy  par  malice  arrachant  ? 

Mais  ne  voit-on  pas  bien,  que  c'est  toy  qui  travailles 

Nostre  peuple  françois  de  tributs  et  de  tailles, 

Et  que  tu  as  juré  de  charger  tant  son  dos, 

Qu'il  n'aura  pas  moyen  d'avoir  jamais  repos  r 


-76- 

Ne  sçavons-nous  pas  bien  les  torts  que  tu  pourchasses 
i5o.  A  notre  nation,  quand  ores  tu  amasses 

Les  finances  de  France,  afin,  par  ces  moyens, 
De  payer  tous  ceux-là  qu'à  louage  tu  tiens, 
Et  cauteleusement  que  ta  mémoire  oublie 
De  payer  cependant  du  Roy  l'infanterie  ? 
Néanmoins  tu  veux  être  impudent  et  si  fol 
De  penser,  par  ta  fraude  et  ton  malheureux  dol, 
Qu'aisément  nous  croirons,  que  cette  gent  brutalle 
D'estrangers  vient,  par  toy,  pour  la  garde  royale  ! 
Hélas,  ô  pauvre  France,  est-ce  là  le  bon  bruit 
260.  Que  tu  as  si  long  temps  ?  Est-ce  là  donc  le  fruit 
De  la  fidélité,  que  maintenant  il  faille 
Que,  pour  gardes  du  Roy,  des  estrangers  on  baille  ! 

O  Seigneur  Eternel  !  Veux-tu  venger  ainsy 
Tant  de  sang  innocent  que  l'on  espand  icy  ? 
Le  tems  est-il  venu  des  angoisses  cruelles 
Que  nos  pauvres  enfants,  et  mâles  et  femelles, 
Par  les  Gommoréens  des  poings  nous  soient  ravis, 
Pour  estre  à  leurs  forfaits  maintenant  asservis. 
Et  que  pareillement,  dans  la  France  éplorée, 
270.  La  Couronne  du  Roy  soit  d'iceux  transférée, 

Que  les  larrons  Guisards,  du  Roy  tant  soutenus, 
Appellent  Huguenots,  comme  estant  provenus 
Du  Roy  Hugues  Capet,  afin  d'être  remise 
Entre  les  mains  de  ceux  de  la  maison  de  Guise  r 
Lesquels,  pour  davantage  accroître  leur  renom, 
Vantent  de  Charlemagne  et  leur  race  et  leur  nom, 
Ne  pouvant  aux  François  mieux  donner  à  entendre 


—  77  — 

Que  la  couronne  doit  de  leur  costé  descendre  ! 
Où  donc  est  la  sagesse,  où  sont  les  jugemens 
Des  Estats  de  la  France  et  de  ses  Parlemens, 
Qu'ils  ne  prennent  en  main,  de  ce  fait,  la  justice  ? 
Où  sont  les  Présidents  ?  Qu'est-ce  de  leur  office  ? 
Doivent-ils  ignorer  ce  qu'un  enfant  connoit  : 
«  Que  celuy  qui  prétend  ou  querelle  aucun  droit 
«  Sur  le  bien  du  pupille,  à  bon  droit  ne  peut  estre 
«  Son  administrateur  ?  »  Doivent-ils  pas  connoistre 
Que  celuy-là  qui  brigue  une  tuition 
Ne  doit  être  receu,  à  juste  occasion, 
Comme  estant  soupçonné?  O  vous,  conseillers  sages, 
Jusqu'à  quand  voulez-vous  ignorer  ces  outrages  ? 
Ah  !  France,  tant  loyalle  et  fidèle  à  ton  Roy, 
Jusques  à  quand  veux-tu  porter  ce  mal  sur  toy  ? 
Jusquesà  quand,  François,  baisserez-vous  les  testes, 
Pour  vous  laisser  manger  à  ces  estranges  bestes, 
Qui  meurent  tous  les  jours  d'insatiable  faim, 
Et  bâillent,  altérés  après  le  sang  humain  ? 
Sus  donc,  France  !  A  ce  coup,  il  faut  que  tu  te  vanges  ! 
Arme-toy  de  ton  ire  encontre  ces  estranges  ! 
Hausse  ton  noble  cœur,  et  d'un  bras  vertueux 
Enfondre-moy  le  chef  de  ces  monstres  hideux  ! 
A  ce  coup,  à  ce  coup,  revange  tes  misères 
Et  ne  laisse  échapper  un  tout  seul  de  ces  frères  ! 
Tire  cent  mille  coups  de  pistole  en  leur  flanc, 
Consume  leurs  entraille'  et  leurs  os  et  leur  sang, 
Et,  après  estre  morts  par  les  coups  de  ta  foudre, 
A  la  merci  du  vent  éparpille  leur  poudre  ! 
France,  tire  premier  à  ce  rouge  Voleur  : 


-  78  - 

Avant  que  de  mourir,  arrache-luy  le  cœur! 
Et,  pour  changer  tes  pleurs  en  nouvelles  lyesses, 
3io.  De  tes  fers  émoulus  taille-moy-le  par  pièces  ! 

Ah!  bougre  Cardinal,  qui  vas  tout  ruinant, 
C'est  de  toy  que  l'on  parle  !  Ois-tu  point  maintenant 
De  ce  peuple  François,  qui  jusques  au  ciel  monte, 
L'effroyable  clameur  qui  ses  douleurs  raconte  ? 
Ois-tu  point  après  toy,  misérable  Meurtrier, 
Ois-tu  point  après  toy  le  sang  juste  crier 
De  celui  que  tu  fis,  par  tes  menées  fines, 
Etrangler  innocent  dans  le  bois  de  Vinceines? 
S'il  estoit  éprouvé  coupable  aucunement, 

320.  Que  ne  le  faisois-tu  mourir  publiquement? 

Qui  sont  ceux  qui  par  droit  devant  toi  l'accusèrent 
Et  où  sont  les  témoins  qui  mesme  le  chargèrent  ? 
Pourquoy  as-tu  voulu,  en  sa  piteuse  mort, 
Rompre  et  casser  les  loix,  le  condamnant  à  tort  ? 
Si  les  loix  condamnoient  à  la  mort  son  offense, 
Que  n'as-tu,  par  les  loix,  prononcé  sa  sentence  ? 
Misérable  tyran,  ennemi  d'équité, 
Combien  en  as-tu  fait  mourir  par  cruauté  ! 
Rompant  entre  tes  mains  l'Ordonnance  françoise, 

33o.  Combien  en  as-tu  fait  assommer  dans  Amboise  ! 
Combien  en  as-tu  fait,  par  tes  sanglans  bourreaux, 
Au  déçeu  du  Conseil,  noyer  parmi  les  eaux  ! 
Ah  !  vilain  Sodomit'  !  Penses-tu  que  la  France 
Puisse  longtems  souffrir  ton  excès  et  outrance? 

Tu  dis  que  tous  ceux-là  qui  mesdisent  de  toy 


—  79  — 

Par  un  mesme  moyen  sont  mesdisans  du  Roy  : 
Si  César  fut  occis  pour  trop  prétendre  au  sceptre, 
A  juste  occasion  nous  ne  devons  permettre 
Qu'encor'  tu  sois  vivant,  et,  contre  la  raison, 
340.  Tu  prétendes  l'avoir  pour  grandir  ta  maison. 

Retire-toi,  Meschant  !  et  toy,  et  tous  tes  frères  ! 
Cherche-moi  les  forests  et  dévale  aux  tanières  ! 
Entre  en  quelque  désert,  et  pleure  les  forfaits 
Que  misérablement  tu  as  commis  et  faits  ! 
Retire-toy  si  loing  que  le  bruit,  sur  ses  ailes, 
Jamais  de  ce  pays  n'apporte  les  nouvelles  !... 
Que  veux-tu  donc  attendre?  Echappe  le  danger, 
Qui  vient  courant  vers  toy  pour  ta  vie  abréger 
Et  ne  t'assure  pas,  voyant  la  patience 
35o.  De  nos  Princes  du  sang  :  car  leur  muet  silence 
Te  déclare  le  cœur  et  le  vouloir  qu'ils  ont. 
En  se  taisant,  entre  eux  ton  jugement  ils  font, 
Et,  en  te  souffrant  tout,  de  partir  te  commandent: 
Sinon,  ta  mort  prochaine  et  ton  sang  ils  demandent  ! 

Quitte  la  place  doncq,  si  sauver  tu  te  veux  ! 
Car  par  autre  moyen  éviter  tu  ne  peux 
De  nos  Françoises  gents,  de  ta  haine  frappées, 
La  pointe  et  le  taillant  de  cinq  cens  mil  espées, 
Qui,  par  tous  ces  pays,  t'attendent  quelque  jour, 
36o.  Pour  purger  de  ses  maux  et  la  1  rance  et  la  Cour  ! 

FIN    DE    LA    SATIRE    DU  TIGRE 


NOTES 

DU    TYGRE   EN   VERS 


Titre.  —  Le  Tygre  en  vers  n'est  autre  chose  que  la 
traduction,  ou  plutôt  la  paraphrase  rimee  de  VE- 
pistre  envoiee  au  Tigre  de  la  France,  sans  date, 
in-8  de  7  feuillets  non  chiffrés,  sous  la  signât. 
A. -Av.  Malgré  la  date  de  i56i,  on  n'y  trouve  re- 
latés aucuns  faits  dépassant  l'année  i56o.  Ceci 
prouve  bien  que  cette  pièce  est  une  simple  traduc- 
tion de  YEpistre  en  prose. 

N.  B.  UEpistre  en  prose  a  été  écrite  après  la 
conspiration  d'Amboise(i5  mars  i56o)  et  avant 
l'arrestation  du  prince  de  Condé  (3o  oct.,  même 
année). 

Vers  1.  —  L'auteur  s'adresse  directement  dans  cette 
pièce  au  cardinal  Charles  de  Lorraine.  Né  le 
17  févr.  i525,  ce  prélat  mourut  à  Avignon  le 
26  déc.  1574,  à  l'âge  de  49  ans  et  10  mois. 

Vers  3.  —  Cette  épithète  de  Tigre  donnée  au  cardi- 
nal était  en  quelque  sorte  de  mode  dans  les  sa- 

7- 


—    82    — 

tires  dirigées   contre  lui,  comme  le  démontrent 
les  deux  pièces  suivantes  : 

I.  Au  CARDINAL. 

Faulse  vipère,  aspic  pernicieux, 
Qui  en  ayant  au  diable  ton  service 
Du  tout  voué,  n'as  rien  que  l'avarice, 
Loup  enraigé,  renard  ambitieux; 

Bouc,  mais  de  tous  le  plus  incestueux, 
Moqueur  de  Dieu,  magazin  de  malice, 
Où  sa  dernière  espreuve  fait  le  vice, 
Tygre  affamé  du  sang  des  vertueux; 

Monstre  hydeux,  infect,  insatiable, 

Sans  foy,  sans  loy,  sans  honte,  abominable, 

Fléau  des  chrestiens,  contraire  à  vérité  : 

Qu'attends-tu  plus?  Ne  vois-tu  la  tempeste 
Qui  ja  desja  foudroyé  suz  ta  teste, 
Et  contre  toy  Dieu  très  fort  irrité  ? 

(BlBL.  NAT.  MSS.    225ÔO,   Vol.  A,  p.   ÏJ.) 

II.        De  luy  mesmes. 

Loup  ravissant,  tygre  trop  inhumain, 
Enflé  d'orgueil  et  de  tout  maléfice, 
Cessera  point  ta  ravissante  main 
A  fourraiger  la  France,  ta  nourrice? 
Regarde  à  toy  et  au  futur  supplice, 
Dond  tu  ne  peux  nullement  eschapper. 
Je  te  voy  ja  traîner,  lier,  happer  : 
Ne  crains  tu  point,  estant  dessus  l'eschelle? 
Atten  un  peu  :  on  te  vient  attraper  : 
L'enfer  aussi  est  tout  prest  qui  t'appelle. 

(lbid.,  vol.  A,  p.  19.) 


—  83  — 

Vers  4.  —  François  II,  né  le  20  janv.  1 544,  mort  à 
Orléans  d'un  mal  à  l'oreille  le  5  déc.  i56o.  Voyez 
sur  lui  Castelnau,  Mém.,  édit.  de  ^Zi,  3  vol.  in- 
fol.,  t.  Ier,  p.  520-524  {Additions  de  Le  Laboureur). 

Vers  9.  —  Achriste  :  qui  ne  croit  pas  au  Christ. 

Vers  11.  —  On  accusait  le  cardinal  de  Lorraine,  mais 
sans  doute  à  tort,  de  relations  intimes  avec  sa 
belle-sœur  Anne  d'Esté,  femme  de  François,  duc 
de  Guise.  Sa  sœur  Renée,  abbesse  de  Saint-Pierre 
de  Reims,  Marie  Stuart,  sa  nièce,  Catherine  de 
Médicis,  elle-même,  s'il  faut  en  croire  les  pam- 
phlétaires, auraient  partagé  ses  dérèglements.  Tout 
ceci  ne  saurait  être  pris,  on  le  pense  bien,  pour 
article  de  foi.  Ces  reproches  contre  le  cardinal  sont 
encore  formulés  dans  :  Le  Réveille-Matin  des 
François  et  de  leurs  voisins,  composé  par  Eusèbe 
Philadelphe,  cosmopolite ,  en  forme  de  dialogues 
(Edimbourg,  Jaques  James,  1574,  2  vol.  in-8. 
Voir  t.  Ier,  p.  u-i3). 

Vers  24.  —  Dans  la  Supplication  et  Remonstrance 
adressée  au  Roy  de  Navarre  et  autres  Princes  du 
sang  de  F?*ance  pour  la  délivrance  du  roy  et  du 
royaume,  pièce  datée  de  i56o,  on  lit  ces  quelques 
lignes  sur  les  Guises  :  «  O  prudent  et  excellent 
roy  François,  combien  s'en  fault-il  que  tu  n'ayes 
esté  vray  prophète,  quand  tu  prédis  ce  que  nous 
voyons  quasi  à  l'œil,  que  si  jamais  ceste  meschante 
maison  de  Guise  gouvernoit  le  Roy  ton  rïls,  elle  le 
mettroit  en  chemise.»  {Mém, de  Condé,  édit.  in-4, 
t.  Ier,  p.  5oo). 

Ce  mot  de  François  I"  à  l'égard  des  Lorrains  a  été 


-84- 

enchâssé  en  un  quatrain  bien  connu,  dont  voici  le 
vrai  texte  : 

Le  feu  Roy  devina  ce  point, 
Que  ceux  de  la  maison  de  Guyse 
Mettroyent  ses  enfans  en  pourpoint, 
Et  son  poure  peuple  en  chemise. 

La  leçon  que  nous  donnons  se  trouve  à  la  page  24 
de  l'opuscule  :  L'Histoire  du  tumulte  d'Amboyse  ad- 
venu au  moys  de  mars  MDLX,  ensemble  un  Avertis- 
sement et  une  Complainte  au  Peuple  françois,  i56o, 
in-8  de  28  p.,  plus  un  feuillet  non  chiffré.  Nous  fe- 
rons remarquer  que  ce  quatrain  a  été  composé  sous  le 
règne  de  Henri  II  :  les  mots  «  le  feu  Roy  »  le  prou- 
vent suffisamment. 

Vers  29.  —  Henri  II,  né  le  3 1  mars  1 5 ig,  mort  le 
10  juillet  i559,  à  l'âge  de  40  ans  et  3  mois. 

Vers  35.  —  Allusion  à  Diane  de  Poitiers,  maîtresse  de 
Henri  II,  qui  par  son  influence  sur  le  roi,  avait 
contribué  à  l'élévation  des  Guises.  Ils  l'abandon- 
nèrent en  i559,  lors  de  l'avènement  de  François  II 
à  la  couronne,  et  cette  ingratitude  leur  est  juste- 
ment reprochée  par  l'auteur  anonyme  de  la  satire. 
Voyez  à  cet  égard  la  Supplication  et  Remonstrance 
adressée  au  Roy  de  Navarre  (Mém.  de  Condé, 
t.  Ier,  p.  5o5,  5 17  et  5 18)  et  la  Légende  de  Charles 
cardinal  de  Lorraine  (ibid.,  t.  VI,  Ire  partie,  p.  6 
et  i3.) 

Vers  40.  —  Jean,  cardinal  de  Lorraine,  né  en  avril 
1498  et  mort  en  mai  i55o  d'une  attaque  d'apo- 
plexie. Il  avait  été  nommé  cardinal  par  Léon  X, 


—  85  — 

en  i5i8.  Voyez  sur  sa  mort  De  Thou,  Hist.  uni- 
verselle,  trad.  franc.,  édit.  de  1734,  t.  Ier,  p.  402 
(liv.  VI),  et  René  de  Bouille,  Hist.  des  ducs  de 
Guise  (1849-1850.4  vol.  in-8,  t.  Ier,  p.  232-233). 

Les  mœurs  de  ce  prélat  étaient  loin  d'être  chastes  : 
aussi  Brantôme  ne  l'a  pas  oublié  dans  ses  Dames  ga- 
lantes (Discours  VII,  édit.  Garnier,  Paris,  1848,  in-12, 
p.  358-36o).  Bayle  a  appliqué  à  tort,  en  son  Dictionnaire 
(lettre  L),  au  cardinal  Charles  de  Lorraine,  le  passage  de 
Brantôme  que  nous  venons  d'indiquer  :  il  concerne 
exclusivement  son  oncle  Jean.  C'est  là  une  erreur  qui 
mérite  d'être  rectifiée. 

On  lui  fit  cette  épitaphe  simple  et  touchante  : 

Epitaphe  de  Jehan,  cardinal  de  Lorraine. 

Des  voluptés  et  délices  du  monde 

N'ay  eu  deftault  au  temps  que  j'ay  vescu, 

Ce  neantmoins  la  mort  trop  furibunde 

En  les  prenant  m'a  surprins  et  veincu. 

Or  en  vivant  n'ay  avarice  onc  eu, 

Mais  comme  prince  aymant  l'heur  de  noblesse, 

Ay  par  le  monde  espandu  ma  largesse, 

Dont  durera  à  jamais  ma  mémoire; 

Reste  que  Dieu  par  Christ,  ma  seure  adresse, 

Me  donne  au  ciel  les  délices  de  gloire. 

(Mss.  2256i,  2e  partie,  p.  1 55.) 

Vers  41.  —  Il  semble  qu'il  y  a  de  l'exagération  à  qua- 
lifier de  la  sorte  le  cardinal  Jean  :  il  mourut  en 
i55o,  âgé  seulement  de  52  ans. 

Vers  42.  —  Le  romain  voyage  est  celui  que  fit  le  car- 


—  86  —      ■ 

dinal  Jean,  pour  se  rendre  au  conclave  après  la 
mort  de  Paul  III  (10  nov.  1549)  :  ^e  cardinal  del 
Monte  fut  élu  pape  le  8  févr.  i55o  et  prit  le  nom 
de  Jules  III. 

Vers  44.  —  Sur  cette  conduite  de  Charles  de  Lorraine 
à  l'égard  de  son  oncle,  voyez  la  Légende  du  car- 
dinal de  Lorraine  (Mém.  de  Condé,  t.  VI,  ire  par- 
tie, p.  i3-i5).  En  héritant  des  biens  et  des  béné- 
fices, le  cardinal  se  garda  bien  de  payer  les  dettes. 

Vers  54.  —  La  guerre  d'Allemagne,  en  i552. 

Vers  55.  —  Ce  cousin  était  Charles  II,  duc  de  Lor- 
raine, fils  de  François  de  Lorraine  et  de  Christine 
de  Danemark.  Né  le  i5  févr.  1543,  il  mourut  le 
14  mai  1608.  Il  épousa,  en  fév.  i55g,  Claude  de 
France,  seconde  fille  de  Henri  II. 

Vers  56.  —  La  ville  de  Metz  fut  prise,  le  10  avril 
i552,  par  le  connétable  de  Montmorency  :  l'é- 
vêque  était  alors  Robert  de  Lenoncourt.  —  «  De 
là  donques  s'ensuit  le  voyage  d'Allemaigne  auquel 
ces  malheureux  faillirent  (Dieu  merci)  à  leur  entre- 
prise en  ce  qu'il  ne  permit  que  l'Allemaigne  tombast 
en  leurs  pattes  :  mais  leur  cruauté  fut  telle  que  leur 
propre  païs  de  Lorraine  en  feit  pour  lors  la  pre- 
mière expérience,  comme  à  la  vérité  elle  semble 
n'en  avoir  esté  indigne  pour  avoir  produict  de 
telles  et  si  venimeuses  vipères  au  monde.  Et  pour 
preuve  de  nostre  dire,  quand  il  n'y  auroit  qu'une 
seule  ville  de  Mets  pour  en  tesmoigner,  quel 
tesmoignage  plus  suffisant  scauroit  on  requérir  ? 


-87- 

Car  qu'est-ce  que  ceste  povre  ville  n'a  souffert  en 
peu  d'années,  et  par  dedans  et  par  dehors,  estant 
despouillée  de  sa  liberté  sous  ombre  de  la  protec- 
tion d'icelle,  desmembrée  de  l'Empire,  ruinée  pour 
la  plupart  et  (qui  est  le  comble  de  toutes  ses  mi- 
sères) réduite  en  la  servitude  du  cardinal  qui,soubz 
un  nom  emprunté,  en  tire  tous  les  ans  pour  le 
moins  cent  mille  livres....  »  {Supplication  et  Re- 
montrance, etc.,  aux  Mém.  de  Condé,  t.  Ier,  p.  5og- 
5 10.)  Voyez  aussi  ce  même  passage  reproduit  pres- 
que textuellement,  dans  la  Légende  du  cardinal 
de  Lorraine,  édit.  citée,  t.  VI,  p.  20-21. 

Le  cardinal  de  Lorraine,  d'abord  coadjuteur  de  son 
oncle  Jean  à  l'évêché  de  Metz,  dès  l'année  1548,  de- 
vint évêque  de  cette  ville,  à  la  mort  de  ce  dernier,  en 
i55o  :  il  résigna,  en  i55i,  son  évêché  à  Robert  de  Le- 
noncourt,  mais  avec  réserve  expresse  de  conserver  par 
devers  lui  l'administration  du  temporel  de  cet  évêché. 
Il  garda  toute  sa  vie  ce  titre  d'administrateur  du  tem- 
porel,  sous  ses  trois  successeurs  à  l'évêché  de  Metz  : 
Robert  de  Lenoncourt,  François  de  Beaucaire.et  Louis, 
mort  en  1678.  Voyez  à  ce  sujet  l'ouvrage  de  Meurisse  : 
Hist.  des  evesques  de  l'Eglise  de  Met^  (Metz,  Jean 
Anthoine,  1684,  in-folio,  p.  614-617). 

Vers  58.  —  François  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  né  le 
17  février  1 5 ig,  et  assassiné  par  Poltrot,  au  mois 
de  fév.  1 563. 

Vers  69.  —  En  1 555  :  le  cardinal  se  rendait  auprès 
du  pape  Paul  IV  (Jean-Pierre  Caraffe).  Il  avait  déjà 
fait  deux  voyages  à  Rome  en  Ô47  et  en  049. 


-ï 


—  88  — 
Vers  71.  —  Charles-Quint. 

Vers  81.  —  Trêve  conclue  à  Vaucelles,  près  de  Cam- 
brai, le  5  fév.  i556  :  elle  devait  durer  cinq  ans, 
mais  fut  bien  vite  rompue.  Voyez  De  Thou,  Hist. 
universelle,  trad.  franc.,  édit.  de  1734,  in-4,  t.  III, 
p.  i2-i3  (liv.  XVII),  et  l'abbé  Lambert,  Histoire 
et  règne  de  Henri  II  (Paris,  Bauche,  1755,  2  vol. 
in-12,  t.  II,  p.  184-188). 

Vers  89.  —  La  paix  de  Cateau-Cambresis  fut  signée 
entre  la  France  et  l'Espagne,  le  3  avril  i55cj,  paix 
honteuse,  disent  tous  les  historiens.  Voyez  sur 
cette  paix,  De  Thou,  Histoire  universelle,  édition 
citée,  t.  III,  p.  35o-355,  liv.  XXII;  Jean  de  Serres 
Histoire  des  choses  mémorables  avenues  en  France 
depuis  l'an  1547,  etc.,  1 599,  in-8,  p.  60-61;  l'abbé 
Lambert,  Histoire  et  règne  de  Henri  II,  t.  II, 
p.  397-403. 

Vers  92.  —  Anne  de  Montmorency,  connétable  de 
France,  né  en  1493,  mort  en  déc.  i56j,  des  bles- 
sures reçues  à  la  bataille  de  Saint-Denis.  Voyez 
sur  lui  Brantôme,  édit.  du  Panthéon  littér.  (t.  Ier, 
p.  3 1 3- 317,  324-332);  les  Mém.  de  Castelnau, 
édit.  Le  Laboureur  (173 1,  in-fol.,  t.  Ier,  p.  325- 
341  ;  t.  II,  p.  5oo-5i4),  et  de  Mayer,  Galerie  phi- 
los, du  seizième  siècle  (Paris,  Moutard,  1783- 1790, 
3  vol.  in-8,  t.  III,  p.  125- 134).  Les  protestants 
qu'il  n'aimait  point  et  qui  lui  rendaient  la  pareille 
se  vengèrent  en  lui  décochant  cette  épitaphe  sati- 
rique : 


-89- 

Epitaphe  d'Anne  de  Monmorancy,  connestable 
de  France  (1567). 

Cy  gist  le  compère  Aplanos  *, 
Qui  supportoit  les  Huguenos, 
Deux  fois  connestable  de  France, 
Et  trois  fois  prins  par  sa  vaillance  **, 
Au  reste  le  premier  chrestien 
Qui  jamais  ne  fit  rien  pour  rien. 
Encor  pour  néant  n'est  il  mort, 
Et  si  à  présent  il  ne  mord, 
C'est  qu'il  ne  trouve  rien  à  prendre, 
Sinon  des  vers  et  de  la  cendre. 

(Mss.  io3o4,  p.  176.) 

Vers  98.  —  Allusion  à  la  malheureuse  campagne 
d'Italie  de  1557.  Le  duc  François  de  Guise  était 
parti  à  la  fin  de  nov.  de  l'année  précédente.  Il  dut 
retourner  en  France,  rappelé  par  une  dépêche  de 
Henri  II,  en  date  du  i5  août  i55y,  écrite  cinq 
jours  après  la  perte  de  la  bataille  de  Saint-Quen- 
tin. 

Vers  100.  —  Cette  accusation  contre  les  deux  frères 
n'était  pas  dépourvue  de  tout  fondement.  On  disait 
que  le  cardinal  voulait  être  pape  (Paul  IV  était  alors 
fort  âgé,  à  cette  date  de  1557),  et  le  duc  de  Guise 
roi  de  Naples.  Tous  les  pamphlets  anti-guisards, 
De  Thou  lui-même,  attribuent  l'expédition  d'Italie 
à  l'ambition   des   Lorrains  qui   caressaient  avec 


*  Allusion  à  la  devise  du  connétable. 
**  En  i525,  i557,  i562,  aux  batailles  de  Pavie,  de  Saint- 
Quentin  et  de  Dreux. 

8 


-  9o  - 

amour  ces  rêves  plus  ou  moins  chimériques.  — 
Quant  aux  poètes  protestants,  ils  raillèrent  d'une 
manière  piquante  les  audacieuses  prétentions  des 
deux  frères,  et  lancèrent  contre  eux  une  grêle  de 
pasquils.  En  voici  quelques-uns  que  nous  trou- 
vons dans  Le  Laboureur  (Additions  à  Castehiau)  : 

I.  Quelque  mine  que  tu  face, 
Bien  aussi  fasché  te  voy 
De  mourir  sans  estre  pape, 
Que  cestuy  sans  estre  Roy. 

(Castelnau,  A/e'm.,  édit.  de  173 1,  t.  I, 
p.  397  ;  il/55.  2256o,vol.  A,  p.  17.; 

II.   Par  l'aliance  et  amour  éternelle  * 

Du  cardinal  faite  avecque  le  Roy, 

On  voit  tout  mal  ne  trouver  plus  de  quoy 

Battre  la  France  et  sa  fleur  immortelle. 

Qui  Dieu  mesprise,  il  sent  sa  main  cruelle; 

Luy  jusqu'au  bout  aime  et  soustient  la  foy. 

Qui  pille  tout,  et  veut  vivre  sans  loy, 

Son  frère  Guise  afflige  de  bon  zèle. 

Ces  deux  fort  bien        ayans  un  cœur  uny 

Gardent  que  rien  demeurant  impuny 

Ne  leur  eschappe.         O  très  heureuse  France  ! 

Car  l'un  de  soy  connoissant  combien  craint, 

Veut  estre  Roy,  sa  justice  il  advance, 

Et  l'autre  Pape  imite  tant  est  saint, 

(Castelnau,  ibid.,  p.  279  ;  Mss.  22  56o, 
vol.  A,  p.  21.) 

On  remarquera  que  ce  sonnet,  lu  en  entier,  est  tout 
à  fait  élogieux  pour  le  cardinal  de  Lorraine  et  pour  le 

*  Variante  :  mutuelle. 


—  9i   — 

duc  de  Guise  ;  coupé  en  deux,  il  présente  un  sens  tout 
contraire. 

La  pièce  intitulée  :  Les  Estais  de  France  opprimés 
par  la  tyrannie  de  Guise  (i56o),  et  la  Légende  du 
cardinal  de  Lorraine,  n'ont  pas  oublié  de  mention- 
ner ces  prétentions  des  Guisards  à  la  papauté  et  à  la 
couronne  de  Naples.  (Voyez  Mém.  de  Condé,  t.  Ier, 
p.  407-408;  t.  VI,  p.  24.) 

Vers  106.  —  La  bataille  de  Saint-Quentin  est  du 
10  août  1 557  :  elle  fut  gagnée  sur  le  connétable 
de  Montmorency,  par  Emmanuel  Philibert,  duc 
de  Savoie.  (  Voyez  sur  cette  bataille  De  Thou, 
liv.  XIX,  t.  III,  p.  156-162;  Jean  de  Serres,  ou- 
vrage cité,  p.  5 1-52  ;  Lambert,  Hist.  de  Henri  II, 
t.  II,  p.  277-285.) 

Vers  110.  —  C'est-à-dire  des  juges  à  la  dévotion  du 
cardinal,  et  qui  ne  valent  pas  mieux  que  lui. 

Vers  1 1 3.  —  On  accusait  le  cardinal  de  dilapidations 
au  fait  des  finances,  et  ces  concussions,  disaient 
ses  ennemis,  avaient  surtout  eu  lieu  sous  le  règne 
de  Henri.  De  là  ces  vers  qui  coururent  contre  les 
Guises,  du  temps  de  François  II  : 

I.        Lorrains. 

Si  voulez  de  vostrc  renom 
Tost  avoir  certaines  nouvelles. 
Ostez  un  I  de  vostre  nom, 
Et  transposez  les  deux  voyelles  *. 

(Mss.  2256o,  vol.  A,  p.  17.) 

*  Ce  qui  fait  larrons. 


—  92   — 

II.        De  Charles  de  Lorraine,  cardinal 

Si  lors  qu'Henry  vivoit  encor. 
Tu  as,  méchant,  ravy  tout  l'or 
Et  tout  le  bien  de  France,  en  sorte 
Que  le  peuple  en  est  appauvry, 
Ton  nom  tourné  à  bon  droit  porte 
Que  raclé  as  l'or  de  Henry  *. 

(Ibid.,  vol.  A,  p.  122.) 

III.        Du  Cardinal. 

Charles,  cardinal  de  Lorraine, 
Voulant  mettre  France  en  ruyne, 
Cuydant  de  tous  estre  adoré, 
Ses  faits  sont  par  trop  descouverts, 
Ainsi  qu'il  advient  aux  pervers, 
Car  il  cherra  l'asne  doré  **. 

(Ibid.,  vol.  A,  p.  268.) 

Vers  118.  —  Sur  les  débauches  plus  ou  moins  avé- 
rées du  cardinal  avec  ses  parentes,  voyez  la  note 
sur  le  vers  1 1 . 

Vers  1 34.  —  «  Cependant  il  est  très  certain  que  le  car- 
dinal, quoy  qui  vous  écrive,  n'a  aucun  soin  de  la 
religion,  ou  réformation  des  choses  en  mieux  : 
car  estant  congneu  de  tous  pour  athée,  contempteur 
manifeste  de  la  parole  de  Dieu  et  corrumpu  en 
toute  sa  vie,  comment  pourroit-on  penser  qu'il 
eust  zelle  à  la  vérité  de  l'Evangile,  ou  voulust  re- 
formation en  la  vie  des  Prélats,  ou  consentist  à 

*  Anagramme  de  :  Charles  de  Lorraine. 
**  Autre  anagramme. 


-93  - 

aucune  bonne  chose?...  »  (Brieve  exposition  des 
lettres  du  cardinal  de  Lorraine  envoyées  au  nom 
du  Roy  aux  cours  de  Parlement,  i56o,  dans  les 
Mém.  de  Condé,  t.  Ier,  p.  358.)  Voyez  encore  la 
Supplication  et  remonstrance  adressée  au  Roy  de 
Navarre  (Ibid.,  t.  Ier,  p.  520-52 1). 

Vers  i3j.  —  Sur  ce  grand  nombre  d'évêchés  et  d'ab- 
bayes que  possédait  le  cardinal  de  Lorraine,  nous 
citerons  ce  passage  de  la  Supplication  et  re- 
monstrance, etc..  :  a  ...  Et  nommément  quant  au 
cardinal,,  qui  fait  du  prescheur  et  théologien,  trou- 
vera il  que  l'Escripture  Saincte  approuve  pluralité 
d'eveschez  ou  d'abbayes  dont  il  est  accablé,  ou  que 
l'evesque  face  ordinaire  d'estre  absent  de  son  esves- 
ché,  ou  que  pour  faire  fraude  aux  décrets  et  ca- 
nons, il  soit  permis  d'avoir  des  masques  à  louage 
qui  ayent  les  tiltres  dont  Monsieur  l'insatiable  en- 
gouffre le  profict  ?  »  (Mém.  de  Condé,  t.  Ier,  p.  522.) 
—  Voyez  aussi  à  ce  sujet  la  note  sur  le  vers  56. 

Vers  i38.  —  C'est-à-dire  l'Eglise  protestante  ou  hu- 
guenote. 

Vers  144.  —Lisez  belle-sœur  :  il  s'agit  d'Anne  d'Esté, 
femme  du  duc  de  Guise. 

Vers  i5o.  —  {René  de  Lorraine,  marquis  d'Elbeuf,  né 
le  14  août  i536,  mort  en  1 566.  Remy  Belleau 
a  écrit  des  vers  sur  le  trépas  de  son  maître  et 
de  son  bienfaiteur  (Œuvres  compl.  de  Remy 
Belleau,  édition  Gouverneur.  Paris,  1867,  3  vol. 
in-iô,  t.  II,  p.  258-266).  Voyez  sur  lui  Bran- 
tôme, édition  du  Panthéon  littéraire,  t.  Ier,  p.  444; 

8. 


—  94  — 

Castelnau,  Mém.,  ij3ï,    3  vol.   in-fol.  p.  438- 
439  (Additions  de  Le  Laboureur). 

Vers  1 56.  —  Je  n'ai  rien  trouvé  sur  ces  excès  commis 
à  Dieppe,  sans  doute  en  i56o,  sous  le  règne  de 
François  II.  J'ai  consulté  inutilement  les  Mém.  de 
Vieilleville;  Desmarquets,  Mém.  chronologiques 
pour  servir  àl'hist.  de  Dieppe,  1785,  2  vol.  in-12; 
et  Vitet,  Hist.  de  Dieppe,  1844,  in-12.  —  Il  est 
question  des  débauches  du  marquis  d'Elbeuf  dans 
la  Supplication  et  remonstrance  (Mém.  de  Condé, 
t.  Ier,  p.  5 19).  On  dit  de  lui  que  tout  le  monde  le 
reconnaît  «  pour  ung  monstre  en  toute  paillar- 
dise et  villenie,  plustoi  que  pour  ung  homme.  » 
Voyez  aussi  le  même  ouvrage,  p.  504. 

Vers  172.  —  Louis  de  Bourbon,  prince  de  Condé,  tué 
à  Jarnac  en  156g.  Voyez,  sur  cette  saisie  et  fouille 
des  papiers  du  prince ,  Régnier  de  la  Planche, 
Histoire  de  V 'Estât  de  France,  tant  de  la  répu- 
blique que  de  la  religion,  sous  le  règne  de  Fran- 
çois 7/(Edit.  du  Panth.  littér.,  p.  268). 

Vers  ijj.  —  Antoine  de  Bourbon,  roi  de  Navarre, 
frère  du  prince  de  Condé.  Il  mourut  aux  Andelys, 
le  17  nov.  i562,  des  suites  de  la  blessure  qu'il 
avait  reçue  au  siège  de  Rouen.  Voyez  sur  lui  Bran- 
tôme, édit.  du  Panth.  litt.,  t.  Ier,  p.  470-474;  Le 
Laboureur,  Additions  à  Castelnau,  t.  Ier,  p.  846- 
856. 

Vers  190.  —  François  de  Lorraine,  grand  prieur  de 
Malte  en  1549,  général  des  galères  de  France  en 
1557.  Né  le  18  avril  i534,  il  mourut  le  7  mars  1 563 


-95  - 

(d'autres  disent  le  6),  à  l'âge  de  28  ans  et  10  mois. 
Voyez  les  Mém.  de  Condé,  t.  1er,  p.  504  (Suppli- 
cation et  remonstrance,etc,  1 5 60);  Brantôme,  t.  Ier, 
p.  402-407,  et  Le  Laboureur,  Additions  à  Castel- 
nau,  t.  Ier,  p.  439-450. 

Il  existe  sur  sa  mort  une  pièce  de  vers  signée  des 
initiales  I.  G.,  et  intitulée  :  Epitaphe  de  Françoys  de 
Lorraine,  grand  prieur  de  France,  enterré  au  Tem- 
ple à  Paris  le  dernier  jour  de  mars  i5Ô2.  A  Paris. 
de  l'imprimerie  de  Thomas  Richard,  à  la  Bible  d'or, 
devant  le  collège  de  Reims,  i563  (in-4  de  2  feuillets 
non  chiff.  Sig.  A.-Aij).  Cette  pièce  étant  très-rare,  nous 
en  citons  quelques  vers  : 

Passant,  qui  sans  penser  au  destin  rigoureux, 
Vivant,  au  pris  des  morts,  t'estimes  bien  heureux, 
Arreste  un  peu  le  pas,  et  tu  pourras  cognoistre 
Lequel  est  plus  heureux,  ou  celuy  qui  vient  naistre 
Ou  celuy  qui,  mourant,  laisse  avecques  son  nom 
Les  fidelles  tesmoings  d'un  immortel  renom. 

Soubs  ce  marbre  engourdi  demeure  l'ombre  vaine 
Et  le  corps  enfermé  de  François  de  Lorraine, 
Non  de  ce  grand  François  qui,  par  ses  braves  faicts, 
Deffendit  les  Lorrains  et  recouvra  Calais  : 
Mais  d'un  qui  descendu  d'un  mesme  père  et  mère, 
Suivit  assez  de  près  la  grandeur  de  son  frère, 
Qui  deffendant  la  foy  ne  voulut  s'espargner, 
Comme  de  sa  vertu  Malthe  peult  tesmoigner. 
Qui  deffendit  son  Roy,  voire  toute  la  France, 
Comme  confesse  assez  la  coste  de  Provance, 
Les  nourrissons  du  Rhin,  le  Païs  boullenois, 
Les  remparts  emmurés  des  frontières  d'Artois. 

Vers  201.  —  C'est  le  Cardinal  des  bouteilles  :  Louis 


-96- 

de  Lorraine,  cardinal  de  Guise,  né  le  21  oct.  1527, 
mort  à  Paris  le  29  mars  1 578,  à  l'âge  de  5o  ans. 
«  Le  samedi  29  mars,  veille  de  Pasques,  mourust  à 
Paris  le  cardinal  de  Guise  qui  estoit  demeuré  le 
dernier  de  six  frères  de  la  maison  de  Guise;  neant- 
moins  mourust  jeune  comme  en  l'aage  de  qua- 
rante huict  ans.  Son  corps  fut  porté  de  l'hostel  de 
Sens  où  il  estoit  decedé  en  une  chapelle  de  l'ab- 
baie  de  Saint- Victor  lès  Paris,  de  laquelle  il  avoit 
esté  abbé  vingt-cinq  ans,  et  depuis  fut  là  inhumé. 
On  apeloit  ce  bon  prélat  le  Cardinal  des  Bou- 
teilles, pource  qu'il  les  aimoit  fort,  et  ne  se  mes- 
loit  gueres  d'autres  affaires  que  de  celles  de  sa 
cuisine  où  il  se  cognoissait  fort  bien,  et  les  en- 
tendoit  mieux  que  celles  de  la  religion  et  de 
Testât.  »  (Lestoile,  Journal  de  Henri  III,  édit. 
Nouv.  Paris,  1875,  in-8,  t.  I,  p.  2  38.) 

Vers  2 1 1.  —  Claude  de  Lorraine,  duc  d'Aumale,  né  le 
Ier  août  1026,  tué  au  siège  de  la  Rochelle  le  3  mars 
1573,  à  l'âge  de  46  ans  et  7  mois.  Voyez  sur  lui  : 
Brantôme,  t.  Ier,  p.  444-446,  et  l'ouvrage  en  vers 
de  Jean  Heluis,  intitulé  :  Les  tombeaus  et  dis- 
cours des  fais  et  déplorable  mort  de  tres-debon- 
naire  et  magnanime  prince  Claude  de  Lorraine 
duc  d'Aumale,  pair  et  grand  veneur  de  France, 
gouverneur  de  Bourgongne,  et  des  plus  signalés  de 
ce  royaume,  occis  es  guerres  civiles  meues  pour 
le  fait  de  la  religion  depuis  l'an  i5Ô2  jusques  à 
présent.  A  la  tres-illustre  et  tres-constante  mai- 
son de  Lorraine,  par  Jean  Heluis,  de  Beauvoisis. 
A  Paris,  par  Denis  du  Pré,  imprimeur,  demeu- 
rant en  la  rue  des  Amandiers  à  l'enseigne  de  la 


—  97  — 

Vérité.  Avec  privilège  du  roy,  sans  date  (après 
1573),  in-S  de  12  feuillets  liminaires  et  78  pages, 
plus  un  feuillet  non  chiffré  pour  le  privilège. 

Voici  maintenant  une  chanson  inédite  sur  la  mort 
du  duc  d'Aumale  :  nous  en  devons  la  communication 
à  l'obligeance  de  M.  Pottier  de  Lalaine,  le  directeur  du 
Bibliographe  musical. 

LA  COMPLAINTE  DE   MADAME   D'aUMaLLE  SUR  LA  MORT 
DU  SIEUR  D'AUMALLE  SOX    MARY. 

Sur  le  chant  :  La  Parque  est  si  terrible. 

O  Dieu,  quelle  nouvelle  ! 
O  Dieu,  quelle  douleur! 
La  nouvelle  mortelle 
.Me  transperce  le  cœur. 
J'ay  perdu  mon  espoulx  : 
O  vray  Dieu,  quel  courroulx  ! 

O  maudite  Rochelle, 
Tant  tu  me  faictz  de  tort  ! 
Mon  cher  espoux  ridelle, 
A  esté  mis  à  mort 
Par  les  traistres  mutins, 
Qui  t'ont  entre  leurs  mains. 

Plorez,  nobles  Princesses, 
Mon  extrême  douleur; 
Plorez,  plorez,  duchesses, 
Et  vous,  dames  d'honneur, 
Plorez  avecques  moy 
Mon  grand  et  triste  esmoy. 

Helas  !  noble  roy  Charles, 
N'avez  vous  point  regret 
D'avoir  perdu  d'Aumalle, 


Chevalier  tant  discret, 
Qui  fut  jusque  au  mourir, 
Prest  à  vous  obeyr  ? 

Il  servit  vostre  père 
Henry  dit  de  Valoys, 
En  après  vostre  frère, 
Le  noble  roy  François, 
Puis  vous,  prince  royal  : 
N'estoit  il  pas  loyal? 

Quant  aux  ruses  de  guerre 
Il  estoit  fort  adroit, 
Fut  sur  mer  ou  sur  terre, 
Ou  en  quelque  aultre  endroit 
Usant  du  conseil  sien, 
Le  tout  venoit  à  bien. 

Il  estoit  équitable 
A  son  prince  et  seigneur, 
Sans  estre  variable, 
Plein  d'ung  fidelle  cœur; 
Il  n'avoit  aultre'  esbatz 
Qu'assister  aux  combatz. 

A  Rouan,  noble  ville, 
Se  monstra  vertueux, 
Et  fit  depuis  Blinville 
Près  la  ville  de  Dreux, 
Courir  tous  les  meschans 
Jusques  à  Orléans. 

Voyant  le  duc  de  Guyse 
Son  frère  mys  à  mort, 
Par  trahison  commise, 
D'ung  trahistre  à  grand  tort , 
A  combattre  il  fut  prest 
Encor  plus  que  jamais. 


—  99  — 

D  une  volonté  bonne, 
Auprès  de  Chasteau-Neuf*. 
Il  frappe  [et]  il  assomme 
Les  meschans,  plein  d'horreur. 
Et  puis  à  Moncontour 
Leur  joua  d'ung  fin  tour. 

Lors  d'une  amour  fidelle, 
Faisant  service  au  Roy, 
S'en  va  à  La  Rochelle, 
Où  par  piteux  arroy 
Fut  en  parlementant 
Mys  à  mort  meschamment. 

O  Dieu,  quelle  tristesse  ! 
O  Dieu,  quelle  douleur  ! 
O  vierge  de  liesse, 
Donne  joye  à  mon  cœur  ! 
Ton  cher  filz  Jésus  Christ 
Console  mon  esprit! 

Vers  23 1.  —  La  Complainte  au  Peuple  français,  i56o 
(Mém.  de  Condé,  t.  Ior,  p.  404),  dit  la  même 
chose  :  a  Peuple  françois,  l'heure  est  maintenant 
venue  qu'il  faut  monstrer  quelle  foy  et  loyauté 
nous  avons  à  nostrc  bon  Roy  (François  II)... 
Voici  les  estrangers  à  nos  portes  qu'ils  ont  fait 
venir  aux  despens  du  Roy  pour  estre  ministres  et 
instrumens  de  leur  meschante  entreprise.  Ils 
cognoissent  la  fidélité  que  nous  avons  à  nostre 
Prince:  ils  cognoissent  que  leurs  conseils  ont  esté 
empeschez  par  la  nation  françoise.  Ils  cognoissent 
que  nous  voulons  deffendre  et  maintenir  la  cou- 

*  Mss.  Auprès  de  C  h  as  t  eau-neuf $.  Il  s'agit  ici   de  la  ba- 
taille de  Jarnac  (i3  mars  i56g). 


—    100   — 

ronne  de  France  entre  les  mains  de  notre  bon  Roy 
et  maistre,  auquel  elle  appartient.  A  ceste  cause 
font  ils  descendre  huict  mille  Italiens,  pour  mettre 
le  povre  peuple  françoys  en  proye  et  en  pillage...» 

Vers  236.  —  On  lit  dans  la  Complainte  au  Peuple 
françois,  déjà  citée  :  «  Le  temps  est-il  venu  que 
les  estrangers  ravissent  d'entre  nos  bras  nos  pau- 
vres enfans  et  maies  et  femelles  pour  en  abuser 
en  toute  vilanie  et  ordure?...  »  {Mém.  de  Condé, 
t.  Ier,  p.  405.) 

Vers  241.  —  Ceci  est  encore  dans  la  Complainte  :  «Les 
ennemis  du  Roy  chassent  la  noblesse  en  la  mer 
pour  estre  viande  des  poissons.  Ils  suscitent  les 
Anglois  à  faire  nouvelle  guerre,  non  pas  contre  le 
Roy,  comme  la  Royne  d'Angleterre  l'a  protesté 
par  son  escrit  imprimé  et  divulgué,  mais  seule- 
ment à  rencontre  de  leur  ambitieuse  tyrannie.  » 
{Mém.  de  Condé,  t.  Ier,  p.  404.) 

La  proclamation  de  la  reine  d'Angleterre  figure  éga- 
lement dans  les  Mém.  de  Condé,  t.  Ier,  p.  5 29-5 3 2  : 
elle  est  datée  de  Westminster,  24  mars  i55g,  ancien 
style  (nouv.  style,  i56o). 

Vers  246.  —  Sur  ces  impôts  et  tailles,  dont  le  peuple 
était  surchargé,  voyez  les  Pamphlets  suivants, 
tous  de  i56o  :  Brieve  exposition  des  lettres  du 
cardinal  de  Lorraine  envoyées  au  nom  du  Roy 
aux  cours  de  Parlement;  Complainte,  etc.  ;  Les 
Estats  de  France  opprimés  par  la  tyrannie  de 
Guise.  {Mém.  de  Condé,  t.  Ier,  p.  357,  404  et  408.) 

Vers  254.  —  a  Ils  (les  Lorrains)  possèdent  le  Roy  très 
chrétien,  pour  l'empescher  d'entendre  les  adver- 


—    101    — 

tissemens  qu'on  luy  pourroit  faire.  Ils  amassent 
toutes  les  finances  de  France,  pour  en  payer  les 
estrangers  qu'ils  ont  à  louage  et  laissent  toute  la 
gendarmerie  et  infanterie  françoise  sans  payer  : 
et  néantmoins  sont  si  impudens  que  de  nous  vou- 
loir faire  entendre  qu'ils  font  venir  les  estrangers 
pour  la  garde  du  Roy.  »  (Complainte,  etc.  Ibid., 
t.  Ier,  p.  404.)  Voyez  encore  les  mêmes  Mém.  de 
Condé,  t.  Ier,  p.  408-409. 

Vers  259.  —  «Ha!  pauvre  nation  françoise,  est-ce  là 
l'estime  que  l'on  faict  de  ta  fidélité?  est-ce  là  la 
réputation  que  tu  as  acquise  et  maintenue  par  si 
long  temps  à  l'endroict  de  toutes  les  nations  estran- 
geres,  d'estre  si  loyalle  à  ton  Prince,  qu'il  faille 
maintenant  envoyer  aux  païs  estrangers  pour  faire 
venir  gens  à  la  deffence  et  protection  de  ton  Roy? 
Et  qu'est-ce  qu'un  Roy,  s'il  n'a  des  subjects  qui 
le  gardent  et  défendent:  ou  qui  sont  les  subjects, 
s'ils  ne  gardent  leur  Roy?  »  {Complainte,  etc.  Ibid., 
t.  Ier,  p.  404.) 

Vers  264.  —  Allusion  à  la  répression  de  la  conspira- 
tion d'Amboise. 

Vers  266.  —  Voyez  la  note  sur  le  vers  236. 

Vers  272.  —  Le  Laboureur,  dans  ses  savantes  Addi- 
tions aux  Mém.  de  Castelnau,  a  cité  ces  vers  (t.  Ier, 
p.  35 1-352)  en  les  accompagnant  de  ce  préam- 
bule :  «Un  de  leurs  auteurs  se  glorifia  de  ce  nom 
(le  nom  de  huguenot)  en  quelques  vers  et  dit  qu'à 
bon  droit  les  avoit  on  nommez  tels,  puisqu'ils  dé- 
fendoient  la  postérité  de  Hugues  Capet  contre  les 

9 


—    102    — 

Lorrains  se  pretendans  issus  de  Charlemagne...» 
Voyez  encore  la  pièce  de  i56o  :  Advertissement  au 
Peuple  de  France.  {Mém.  de  Condé,  t.  Ier,  p.  402.) 

Vers  276.  —  Sur  ces  prétentions  des  Lorrains  à  se 
dire  descendants  de  Charlemagne,  voyez  les  Mém. 
de  Condé,  t.  Ier,  p.  356,  405,  407  et  5o2. 

Vers  279-289.  —  Tout  ceci  est  à  rapprocher  de  ce 
passage  de  la  Complainte,  etc.  «...Où  est  ceste 
sapience  tant  renommée  des  estats  et  Parlemens  de 
France  qu'ils  ne  considèrent  la  justice  de  ceste 
cause?  Le  grand  scavoir  de  tant  de  Presidens  et 
conseillers  est  il  mort,  qui  semblent  ignorer  une 
chose  que  les  enfans  apprennent  en  l'escole  :  que 
celuy  qui  querelle,  ou  que  l'on  doibt  tenir  pour 
suspect  vouloir  quereller  aucun  droict  sur  le  bien 
d'un  pupille  ou  adolescent,  n'en  peut  estre  légi- 
time administrateur,  attendu  l'ouverture  qu'on 
lui  feroit  d'occuper  la  possession.  Davantage  que 
celuy  qui  s'est  ingéré  ou  seulement  a  affecté  et  as- 
piré à  une  tutelle  ou  curatelle  en  doit  estre  dé- 
bouté comme  suspect.  »  [Mém.  de  Condé,  t.  Ier, 
p.  40b.) 

Vers  3 11.  — Cette  épithète  cynique  a  été  souvent 
employée  par  les  protestants,  qui  accusaient  le 
cardinal  des  plus  honteux  désordres.  Voyez  à 
ce  sujet  les  Mém.  de  Condé,  t.  Ier,  p.  504  et  5 16. 
On  connaît  ce  vers  des  Tragiques  de  d'Aubigné 
sur  lcGuisard  (Edit.  Lalanne,  1867,  in-16,  p.  62): 

Adultère,  paillard,  bougre  et  incestueux. 
(Liv.  Ier,  Misères.) 


-  io3  - 

Vers  3i8.  —  Il  s'agit  ici  de  Gaspard  de  Heu,  sieur  de 
Buy,  pendu  au  château  de  Vincennes  le  4  sept. 
1 558.  Il  était  le  beau-frère  de  La  Renaudie,  le  chef 
de  la  conspiration  d'Amboise.  Voyez  sur  lui  les 
Mém.  de  Condé,  t.  Ier,  p.  333-334;  Pierre  de  la 
Place  :  Comment,  de  l'estat  de  la  Religion  et  Re- 
publique, sous  les  roys  Henry  et  François  seconds 
et  Charles  neufviesme,  édit.  du  Panth.  Littér., 
liv.  Ier,  p.  41,  45-46;  Régnier  de  la  Planche  : 
Hist.  de  l'Estat  de  France,  tant  de  la  Rép.  que 
de  la  Rel.  sous  le  règne  de  François  II  (même 
édit.,  p.  3i6,  3 18,"  à  la  suite  de  La  Place);  De 
Thou,  liv.  XXV,  année  i56o,  t.  III,  p.  5i5; 
Moreri,  Lettre  H,  t.  V,  p.  658-659;  Maimbourg, 
Hist.  du  calvinisme,  1682,  2  vol.  in- 12,  t.  II, 
p.  170-175. 

Voici,  au  surplus,  le  procès-verbal  de  l'exécution  de 
ce  malheureux;  bien  que  la  pièce  soit  longue,  nous 
croyons  devoir  la  reproduire  dans  nos  notes,  car  elle 
est  fort  curieuse,  et  de  plus  inédite. 

«  Procès  verbal  de  l'exécution  à  mort  de  Caspar  de 
Heu,  ST  de  Buy. 

«Ce  jourd'huy  premier  jour  de  septembre  i558, 
nous  lieutenant  soubz  signé,  avons  reçu  par  les  mains 
de  Monseigneur  le  reverendissime  Cardinal  de  Sens, 
garde  des  seaux  de  France,  certain  arrest  et  jugement 
de  mort  donné  contre  Caspard  de  Heu,  sr  de  Buy,  pri- 
sonnier au  chasteau  du  boys  de  Vincennes,  ensemble 
certaines  lettres  de  commission  du  Roy  attachées  au- 
dit arrest,  soubz  le  contre-seel  de  la  chancellerie,  par 


—  io4  — 

lesquelles  nous  estoit  mandé  mettre  icelluy  arrest  à 
exécution,  qui  selon  sa  forme  et  teneur  ensuyt,  le  dit 
arrest  signé  Henry,  et  au  dessous  de  l'Aubespine,  et 
ladite  commission  aussi  signée  Par  le  Roy,  de  l'Au- 
bespine, et  seellee  du  grand  seel.  Au  moyen  de  quoy, 
pour  satisfaire  au  contenu  de  ladite  commission,  le 
iiije  jour  du  dit  moys,  accompagnez  de  Thomas  Guay, 
prins  pour  greffier  en  ceste  partie,  et  de  Ian  Corneille, 
sergent  royal  en  ladite  prevosté,  nous  sommes  trans- 
portez audit  chasteau  du  boys  de  Vincennes,  où  estans 
arrivez  avec  et  en  la  compagnee  de  noble  homme  Me  Mi- 
chel Viallard,  conseiller  du  Roy,  et  lieutenant  civil  en 
ladite  prevosté  de  Paris,  a  esté  par  ledit  Sr  Viallard  et 
nous  fait  entendre  au  cappitaine  du  chasteau,  nommé 
de  Belloy,  les  choses  qui  nous  menoyent  :  à  ce  qu'il 
eust  à  faire  retirer  ses  gens  et  nous  ayder  à  exécuter 
secrètement  ladite  commission,  suyvant  le  vouloir  du 
Roy,  et,  affin  qu'il  n'en  prétende  cause  d'ignorance, 
luy  avons  commandé  de  faire  ouverture  de  certains 
lieux  et  endroits  dudit  chasteau,  affin  d'adviser 
lieu  propre  et  commode  pour  l'exécution  dudit  juge- 
ment de  mort,  et  après  en  avoir  advisé  par  l'exécuteur 
de  la  haulte  justice,  auquel  avions  commandé  se  trou- 
ver là,  nous  serions  allez  et  transportez  en  une  cham- 
bre basse  où  estoit  ledit  Viallard,  affin  d'assister  avec 
luy  à  la  torture  qu'il  debvoit  bailler,  avant  l'exécution 
de  mort  audit  de  Heu,  où  avons  esté  jusques  environ 
les  quatre  heures  du  soir  qu'estant  ladite  question 
baillée,  se  seroit  ledit  Viallard  retiré  et  party  dudit 
chasteau,  et  serions  nous  et  nostre  greffier  demeurez 
seuls,  en  ladite  chambre  basse,  avec  ledit  de  Heu,  au- 
quel nous  aurions  dit  qu'il  estoit  besoin  qu'il  veint 
avec  nous  jusques  en  une  autre  chambre  prochaine 


—    ICO    — 

le  là.  Sur  quoy  il  nous  auroit  demandé  pourquoy, 
aisant  reffuz  d'y  venir.  Luy  aurions  respondu  que 
uy  ferions  entendre,  si  tost  qu'il  seroit  en  l'autre 
hambre,  finallement  l'aurions  doucement  et  par 
aoyens  fait  sortir  de  ladite  chambre,  et  allans  au  lieu 
iù  entendions  le  mener,  se  seroit  plusieurs  foys  ar- 
esté,  demandant  si  le  voullions  faire  mourir,  nous  re- 
ndant souvent  à  la  face  :  auquel  aurions  respondu 
Restants  au  lieu  où  le  menions,  luy  ferions  entendre 
a  volonté  du  Roy  et  le  jugement  contre  luy  donné. 
rinallement  aurions  tant  fait  que  l'aurions  fait  mon- 
sr  en  un  grenier  dudit  chasteau,  où  luy  aurions  pro- 
loncé  le  dit  arrest  et  jugement  de  mort  contre  luy 
ionné.  Et  pour  exécuter  le  contenu  en  icelluy,  l'au- 
ions  délivré  es  mains  de  l'exécuteur  de  la  justice  : 
[uoy  voyant,  ledit  de  Heu  nous  auroit  dit,  en  ces 
ermes  :  Comment  !  le  Roy  me  veut  donc  faire  mou- 
ir  !  Et  après  avoir  demeuré  quelque  peu  pensif  se  seroit 
pproché  de  nous,  nous  demandant  s'il  y  auroit  point 
noyen  d'avoir  sa  grâce.  Auquel  aurions  respondu 
[u'il  avoit  entendu  le  contenu  de  sondit  arrest,  le- 
[uel  avions  charge  de  faire  exécuter.  Nous  auroit  de- 
nandé  où  estoit  ledit  Viallard,  lui  aurions  respondu 
|u'il  s'en  estoit  allé  à  Paris;  nous  auroit  dit  qu'il 
voit  plusieurs  choses  à  dire  au  Roy  qui  estoyent  de 
onséquence  et  qui  luy  importoient  grandement.  Luy 
turions  remonstré  que  s'il  nous  les  voulloit  dire, 
ious  en  advertirions  Sa  Majesté,  l'admonestant  de  ce 
aire,  et  par  adventure  quand  aurions  entendu  que 
:'est,  nous  pourrions  différer  ladite  exécution,  pensant 
)ar  ce  moyen  l'induyre  à  nous  déclarer  quelque 
:hose;  toutesfoysne  nous  auroit  rien  voulu  dire,  et  au- 
•oit  demandé  un  prestre,  disant  qu'il  se  voulloit  con- 


—  io6  — 

fesser,  parquoy  en  aurions  mandé  un.  Ce  pendant 
nous  auroit  requis  le  laisser  parler  audit  cappitaine, 
ce  qu'aurions  accordé,  espérant  qu'il  luy  descouvri- 
roit  et  confesseroit  plus  tost  quelque  chose  que  non 
pas  à  nous,  dont  ledit  cappitaine  comme  bon  et  ridelle 
serviteur  du  Roy  pourroit  advertir  puys  après  ledit 
seigneur.  Or  nous  incontinant  après  aurions  demandé 
audit  cappitaine  quels  propos  lui  auroit  tenuz  le  dit  de 
Heu  :  nous  auroit  dit  qu'il  ne  luy  auroit  parlé  que  de 
sa  femme.  Sur  cela  seroit  arrivé  le  Prestre  qu'avions 
envoyé  quérir.  Et  aussitost  ledit  de  Heu  nous  auroit 
dit  qu'il  nous  déclaroit  en  la  présence  de  luy  et  du- 
dit  cappitaine,  que  toutes  les  choses  qu'il  avoit  ce 
jourd'hui  dittes  audit  Viallard,  estoyent  faulses  et  in- 
ventées, et  que  ce  qu'il  en  avoit  dit  estoit  pour  la  tre- 
meur  et  crainte  qu'il  avoit  de  ladite  question,  nous 
réitérant  ces  propos  par  deux  ou  troys  foys,  disant 
davantage  qu'il  n'y  avoit  rien  de  vérité,  sinon  ce  qu'il 
avoit  dit  et  confessé  audit  Viallard  par  ses  premiers 
interrogatoires  :  luy  aurions  remonstré  que  s'il  n'en 
estoit  rien,  qu'il  ne  le  debvoit  dire  pour  offenser  sa 
conscience;  nous  auroit  respondu  qu'il  eust  dit  lors 
tout  ce  que  l'on  eust  voulu,  pour  la  crainte  de  ladite 
question.  Luy  aurions  remonstré  qu'il  n'estoit  vray- 
semblable  qu'il  eust  si  promptement  inventé  tout  ce 
qu'il  avoit  ce  jourd'huy  dit.  Auroit  soutenu  que 
si,  qu'il  l'avoit  inventé  et  n'en  estoit  rien.  Ce  fait,  se 
seroit  mis  à  genoux  où  après  avoir  fait  en  françois  son 
oraison  tout  haut,  ledit  Prestre  l'auroit  admonesté  de 
sa  conscience  et  salut  et  fait  plusieurs  remonstrances 
touchant  la  religion,  entre  autres  choses  qu'il  ne  suf- 
fisoit  de  mourir  avecques  Jésus  Christ,  mais  qu'il  fal- 
loit  aussi  mourir  avec  nostre  mère  saincte  Eglise.  Sur 


—  io7  — 

quoy  en  fin,  et  après  quelques  propos,  auroit  ledit  de 
Heu  respondu  qu'il  vouloit  mourir  avecques  Jésus 
Christ  et  l'Eglise,  mais  non  pas  comme  les  Papistes. 
Et  sur  ce,  aurions  demandé  s'il  se  vouloit  point  con- 
fesser et  prendre  l'absolution  dudit  prestre,  auroit  dit 
que  non.  Parquoy  voyant  qu'il  ne  vouloit  dire  autre 
chose  et  qu'il  ne  tendoit  qu'à  nous  tenir  en  longueur, 
aurions  commandé  audit  exécuteur  le  mener  en  un 
autre  grenier  prochain  et  attenant  de  celluy  où  nous 
estions.  Où  estant  l'auroit  ledit  exécuteur  fait  monter 
en  une  eschelle  qui  estoit  posée  contre  le  surfeste  de 
la  couverture  dudit  grenier,  et  estant  là,  ayant  la 
corde  au  col,  nous  auroit  dit  en  ces  termes  :  Le  Roy 
me  fait  mourir,  mais  il  s'en  repentira  devant  qu'il 
soit  troys  sepmaines,  et  il  le  cognoistra  et  alors  il 
sçaura  bien  au  vray  qui  sont  ceux  qui  ont  escrit,  fa- 
briqué et  composé  la  lettre  envoyée  aux  Princes  élec- 
teurs de  l'Empire.  Luy  aurions  remonstré  qu'il  nous 
le  diroit  bien  de  ceste  heure  s'il  vouloit,  l'admonestant 
de  ce  faire  :  nous  auroit  dit  qu'il  n'en  diroit  autre 
chose  puisqu'il  alloit  mourir,  mais  que  l'on  le  sçau- 
roit  assez  avant  qu'il  fust  troys  semaines,  réitérant 
que  le  Roy  s'en  repentiroit  et  cognoistroit  la  faulte 
qu'il  faisoit  de  le  faire  mourir,  et  qu'il  luy  eust  bien 
peu  encores  faire  service.  Et  sur  ce,  après  avoir  dit  en 
françois  le  symbole  des  apostres,  l'auroit  le  dit  exécu- 
teur jette  et  estranglé,  où  il  seroit  demouré  pendu  en- 
viron une  heure.  Ce  pendant  aurions  fait  faire  une 
fosse  dans  les  fossez  du  donjon  dudit  chasteau,  soubz 
les  arches  du  pont  de  la  poterne,  comme  nous  sem- 
blant lieu  le  plus  caché  et  secret  d'alentour  dudit  chas- 
teau, d'autant  que  l'on  ne  va  souvent  ny  aysement 
esdits  fossez,  et  que  les  herbes  y  sont  communément 


io8 


grandes,  auquel  lieu  nous  avons  fait  mettre  et  poser  le 
corps  dudit  de  Heu,  suyvant  que  par  ladite  commis- 
sion nous  estoit  mandé  faire.  Ce  fait  aurions  fait  se- 
crètement retirer  ledit  exécuteur  de  la  justice  et  def- 
fendu  à  luy  et  à  son  varlet  de  dire  ny  révéler  aucune 
chose  de  ladite  exécution.  Pareillement  avons  def- 
fendu  audit  de  Belloy,  capittaine  dudit  chasteau,  sur 
la  fidélité  qu'il  doit  au  Roy,  d'en  rien  déclarer,  et  en- 
chargé  faire  pareilles  deffenses  au  portier,  ses  mortes 
payes  et  serviteurs  qui  en  pourroyent  avoir  entendu 
quelque  chose,  et  faire  en  sorte  que  ladite  exécution 
fust  tenue  secrette  suyvant  le  vouloir  du  Roy,  ce  qu'il 
auroit  promis  de  faire.  Et  à  l'instant  serions  montez  à 
cheval  et  retournez  à  Paris,  où  serions  arrivez  environ 
les  neuf  ou  dix  heures  de  nuict,  et  tout  ce  certifions 
estre  vray  et  par  nous  avoir  esté  ainsi  fait  l'an  et  jour 
que  dessus.»  (Mss.  22562,  ire  partie,  p.  1 10-1 13.) 

Vers  329.  —  C'est-à-dire,  en  les  faisant  mourir  sans 
jugement  ni  forme  de  procès. 

Vers  33o.  —  Voyez  sur  la  conjuration  d'Amboise 
(1 5-17  mars  i56o)  les  ouvrages  ci-après  :  L'hist. 
du  tumulte  d'Amboyse,  advenu  au  moys  de  mars 
MDLX  ensemble  un  avertissement  et  une  com- 
plainte au  peuple  françois.  Esa.  8,  cap.  12  :  Ne 
dites  point  conspiration  toutesfois  et  quantes  que 
ce  peuple  dit  conspiration.  i56o.  In-8  de  28  p., 
plus  un  feuillet  non  chiff.  sous  la  signature  A-Dij 
(il  y  a  d'autres  édit.  de  ce  livret  réimprimé,  du 
reste,  dans  les  Mém.  de  Condé,  in-4,  t.  Ier,  p. 
32o-33o);  La  Place,  Comment,  de  V estât  de  la 
rel.,  etc.,  édit.  du  Panth    litt.,  liv.  II,  p.  32-35; 


—  109  — 

Régnier  de  la  Planche,  Hist.  de  V estât  de  France 
sous  le  règne  de  François  II,  édit.  du  Panth., 
p.  237-240,  245-266  (c'est  l'ouvrage  capital  sur  le 
règne  de  ce  prince);  La  Popeliniere,  Histoire  de 
France,  etc.,  i58i,  2  vol.  in  fol.,  t.  Ier,  liv.  VI, 
feuillet  162-169;  Castelnau,  Mém.,  édit.  de  173 1. 
in-fol.,  t.  Ier,  liv.  Ier,  chap.  vu,  vm  et  ix,  p.  i3-ig, 
et  383-386  {Additions  de  Le  Laboureur);  De 
Thou,  Hist.  Univ.,  1734,  t.  III,  p.  467-497, 
liv.  XXIV;  Jean  de  Serres,  Hist.  des  choses  mémo- 
rables, etc.,  1599,  in-8,  p.  77-80,  81-88;  Es- 
tienne    Pasquier,    Œuvres,    Amsterdam,     1723, 

2  vol.  in-fol.  t.  II,  col.  78-80  (Lettre  IV  du  li- 
vre IV);  D'Aubigné,  Hist.   Univ.,  édit.  de  1626, 

3  vol.  in-fol.,  t.  Ier,  col.  124-129  (liv.  II,  ch.  17); 
Henri  Martin,  Hist.  de  France,  4e  édit.,  Paris, 
Furne,  i855-i86o,  t.  IX,  p.  33-4i  ;  Théophile 
Lavallée,  Hist.  des  Français,  i863,  4  vol.  in-12, 
t.  II,  p.  406-409  ;  et  René  de  Bouille,  Hist .  des 
ducs  de  Guise,  Paris,  Amyot,  1 849-1850,  4  vol. 
in-8,  t.  II,  p.  34-41,  42-52. 

Edouard  Tricotel. 


NOTES 

ET 

OBSERVATIONS 

HISTORIQUES 
LITTÉRAIRES    ET    BIBLIOGRAPHIQUES 


f 


NOTES 

HISTORIQUES,     LITTERAIRES 
ET     BIBLIOGRAPHIQUES 


P.  i,  note  i.  —  Le  quatrain  anti-guisard. 

A  tort  ou  à  raison,  on  a  cru,  paraît-il,  que 
c'était  Charles  IX  qui  avait  ainsi  mis  en  quatre 
vers  la  prédiction  de  son  aïeul.  Dans  la  Satyre 
Ménippée,  M.  d'Aubray,  s'adressant  aux  Lor- 
rains, leur  dit  :  «  Quand  vous  vistes  le  roy 
«  Charles  décédé,  qui  autrement  ne  vous  aimoit 
«  pas  beaucoup  et  qui  avoit  plusieurs  fois  répété 
«  le  dire  du  grand  roy  François,  dont  luy-mesme 
«  avoit  faict  ce  quatrain,  maintenant  tout  vul- 
«  gaire  : 

«  Le  Roy  François  ne  faillit  point, 
«  Quand  il  prédit  que  ceux  de  Guyse 
«  Mettroient  ses  enfants  en  pourpoinct, 
«  Et  tous  ses  subjects  en  chemise.  » 

On  voit  qu'il  y  a  ici  de  légères  variantes. 
Les  Mémoires  dits  de  Condé,  dont  le  premier 

10 


—  n4  — 

volume  parut  en  1 565,  mirent  en  grand  relief, 
page  3i,  le  quatrain,  tel  que  nous  l'avons  cité.  Il 
se  trouve  encore  reproduit  de  même  par  Michel 
Hurault  de  l'Hospital,  sieur  du  Fay,  dans  le  pre- 
mier des  célèbres  «  Discours  sur  l'Estat  de  la 
France,  »  où  il  est  donné  comme  étant,  «  depuis 
«  plus  de  trente  ans,  le  cri  d'une  partie  de  la  na- 
«  tion  contre  la  Maison  de  Guise,  voire  avant 
«  qu'il  nasquit  aucun  soupçon  de  rébellion  dans 
«  l'esprit  des  François.  » 


P.  2,  1.  6.  — Le  Passé  et  les  Guises.  —  L'Avenir. 

Chateaubriand  a  marqué,  dans  la  Préface  de  ses 
Etudes  historiques,  le  caractère  funeste  de  cette 
époque. 

«  Le  règne  des  seconds  Valois,  dit-il,  c'est  le 
temps  de  la  terreur  aristocratique  et  religieuse, 
de  laquelle  est  née  la  monarchie  absolue  des 
Bourbons,  comme  le  despotisme  militaire  de  Bo- 
naparte est  sorti  du  règne  de  la  Terreur  popu- 
laire et  politique.  » 

«  Le  passé,  dit-il  encore,  qui  mit  les  Guises  à  sa 
tête,  arrêta  Y  avenir.  » 

C'est  bien  là,  en  effet,  le  principe  du  mal  sé- 
culaire dont  notre  pays  a  subi  et  subit  toujours 
les  misérables  conséquences.  La  réforme,  avor- 


—    II  D    — 

tée  sous  les  Valois,  sera,  sous  les  Bourbons,  une 
révolution  ....  qui  dure  encore. 

Comment  en  serait-il  autrement  dans  un  pays 
où 

i°  en  1829,  l'abbé  de  La  Mennais  (qui  dt  puis...) 
vantait  «  l'époque  trop  peu  connue  de  la  Ligue, 
l'une  des  plus  belles  de  notre  histoire  »,  et  assu- 
rait qu'elle  «  avait  replacé  la  monarchie  sur  ses 
bases  »  ;  (Progrès  de  la  révolution,  etc.) 

20  en  1841,  le  ier  février,  dans  la  chaire  de 
Notre-Dame,  l'abbé  Lacordaire  osait  prôner 
(nous  l'avons  entendu  de  nos  oreilles,  et  cela  est 
imprimé)  «  cette  sainte  et  glorieuse  Ligue,  dont 
on  peut  dire  beaucoup  de  mal,  mais  dont  on 
comprendra  la  grandeur  chaque  jour  davantage  ; 
car  quand  on  sauve  la  nationalité  d'un  peuple, 
quand  on  lui  conserve  sa  foi,  toutes  les  fautes 
se  perdent  dans  la  gloire  ». 

La  Ligue  proclamée  sainte  et  glorieuse!  La 
Ligue  présentée  comme  une  des  plus  belles  pages 
de  nos  annales  !  La  Ligue,  qui  nous  a  valu  le 
«  sault  périlleux  »  du  25  juillet  1 593.... 

Dérision  ou  démence?  ouïes  deux  à  la  fois(i)? 


(1)  Il  faut  qu'on  lise  ici  quelques  lignes  bien  remarquables 
d'un  écrivain  contemporain,  qui  ne  nous  sont  pas  sorties  de 
la  mémoire  depuis  que  nous  les  avons  rencontrées,  il  y  a  vingt 
ans,  dans  la  Revue  de  Paris  (juillet  i855)  : 

»  IS  Abjuration  de  Henri  /Vcst  une  scène  qui,  pour  porter 
avec  elle  son  enseignement,  devrait  être  divisée  en  deux  par- 


—  n6  — 

«  Souvent  je  me  suis  esmerveillé  de  la  stupidité 
de  plusieurs  François,  qui  font  profession  d'avoir 
de  l'esprit  à  revendre,  et  cependant  font  sem- 


ties  :  dans  la  première  on  verrait  Henri  IV  mettant  en  ac- 
tion son  mot  :  Paris  vaut  bien  une  messe;  dans  la  seconde, 
on  verrait  le  roi  Louis  XVI  gravissant  les  degrés  de  1  echa- 
faud.  En  effet,  en  renonçant  à  la  foi  protestante,  Henri  IV  a 
créé  dans  le  sein  même  de  la  France  deux  rivalités,  dont  la 
lutte  incessante  n'est  pas  près  de  finir.  »  Et  l'auteur,  qui  n'est 
pas  —  notons-le  —  un  protestant ,  explique  ainsi  sa  pensée  : 
«  Egalitaire  par  tous  ses  sentiments  propres,  d'une  part;  de 
l'autre,  subissant  la  tyrannie  d'un  dogme  autoritaire  jusqu'à 
l'infaillibilité,  la  France,  tiraillée  perpétuellement  entre  ses  be- 
soins d'indépendance  et  les  traditions  absolutistes  de  sa  reli- 
gion, va  de  soubresaut  en  soubresaut,  sans  pouvoir  trouver 
la  forme  définitive  de  son  choix.  Sans  l'abjuration  de  i5g3,la 
France  échappait  sans  doute  aux  dures  épreuves  qu'il  lui  a 
fallu  traverser.  Le  roi  vainqueur  sans  condition,  le  protestan- 
tisme régnait  avec  lui,  le  droit  de  libre  examen  se  répandait 
bientôt  de  l'Eglise  dans  l'Etat;  le  développement  normal  et  suc- 
cessif de  la  liberté  humaine  s'accomplissait  sans  violences  et 
sans  secousses,  —  dérivation  forcée  du  principe  intronisé  par 
l'avènement  d'un  prince  protestant,  —  la  France  était  sous- 
traite à  l'influence  de  Rome  ;  la  religion  et  la  monarchie,  étroi- 
tement unies,  restaient  nationales  et  s'inféodaient  au  peuple 
lui-même,  réalisant  dès  lors  cette  grande  unité  française  dont 
on  parle,  que  l'on  vante,  mais  qui  n'est  point  accomplie. 

«  Au  moment  où  se  préparait  cette  grande  destinée  pour 
cette  maison  de  Bourbon  qui  devait  être  le  salut  et  la  gloire  de 
la  France,  son  chef,  ébloui  par  les  clartés  de  la  terre,  fut  frappé 
d'aveuglement!  Henri  IV  abjura,  pour  la  seconde  fois  de  sa 
vie,  entre  les  mains  de  l'archevêque  de  Bourges,  dans  l'église 
de  Saint-Denis! 

«  Mais  je  vous  dis  qu'on  entendit  à  cette  heure,  vibrant  à  l'u- 
nisson des  notes  rauques  du  plain-chant  et  de  la  psalmodie 
des  diacres,  le  roulement  implacable  et  lointain  des  tambours 
de  Santerre.  et  qu'au  moment  même  deux  dates  furent  inscrites 
sur  le  grand  livre  des  responsabilités  humaines  :  la  date  de  ce 


—  lî7  — 

blanî  de  croire  que  nous  n'avons  bien  quelcon- 
que, sinon  de  ceux  desquels  la  plupart  de  nos 
maux  découlent.   Si  les  affections  particulières 


jour  qui  fut  le  25  juillet  i5g3,  et  la  date  de  cet  autre  jour  qui 
fut  le  21  janvier  1793...  » 

Qu'on  ne  vienne  pas  alléguer  que,  sauf  quelques  gens  de  cœur, 
comme  Du  Plessis-Mornay  et  d'Aubigné,  les  conseillers  hugue- 
nots du  Béarnais  auraient  admis  comme  nécessaire  ce  fameux 
1  saut  périlleux  »  —  plus  périlleux  en  effet  qu'on  ne  le  voulut  voir. 
Qu'on  ne  nous  objecte  pas  que  tous  les  historiens  (y  compris 
AI.  Guizot!;  ont  fait  aussi,  sur  ce  point,  le  saut  des  moutons 
de  Panurge.  La  ferme  opinion,  que  Henri  IV  aurait  pu  et  au- 
rait dû  ne  point  abjurer,  a  été,  au  moment  même,  celle  de  plus 
d'un  catholique,  et  ce  n'est  pas  pour  les  besoins  de  la  cause  que 
le  véridique  Pierre  de  l'Estoile  a  consigné  les  notes  que  voici 
dans  son  Journal  secret  (Bibl.  Nat.  Ms^.  10,299,  p.  528 J  : 

«  Un  conseiller  du  Grand  Conseil,  très-grand  catholique, 
ayant  entendu  la  conversion  du  roi  et  comme  il  estoit  retourné 
à  la  messe,  encores  qu'il  eust  toujours  suivi  et  tenu  le  parti  de 
Sa  Majesté,  dit  néantmoins  à  celui  qui  le  lui  contoit,  comme 
estant  fasché  et  indigné  de  ce  que  le  Roy  avoit  fait  :  «  Ah  ! 
«  monsieur  mon  ami,  le  Roy  est  perdu  :  il  est  tuable  à  ceste 
1  heure,  là  où  auparavant  il  ne  l'estoit  pas  !  » 

«  Ung  évesque.  qui  avoit  semblablement  toujours  tenu  le 
parti  du  Roy,  dit  à  un  mien  ami  sur  ceste  conversion  :  «  Je 
«  suis  catholique  de  vie  et  de  profession  et  très-fidèle  sujet  et 
«  serviteur  du  Roy  :  vivrai  et  mourrai  tel.  Mais  j'eusse  trouvé 
«  bien  aussi  bon,  et  meilleur,  que  le  Roy  fust  demeuré  en  sa 
«  religion  que  la  changer  comme  il  a  fait.  Car,  en  matière  de 
«  conscience,  il  y  a  un  Dieu  là-haut  qui  nous  juge  :  le  respect 
«  duquel  seul  doit  forcer  les  consciences  des  rois,  non  le  res- 
«  pect  des  roiaumes  et  couronnes,  et  les  forces  des  hommes.  Je 
«  n'en  attends  que  malheur!   • 

Ces  paroles  d'un  magistrat  et  d'un  prélat  sont  graves:  leur 
témoignage  mérite  apparemment  d'être  médité  par  la  postérité 
et  par  messieurs  les  historiens.  S'ils  ont  été  convaincus  que  leur 
roi,  en  abjurant,  s'était  rendu  vulnérable  et  avait  attiré  le 
malheur  sur  sa  tête,  il  est  permis  de  croire  que  la  France  avait 

10. 


—  n8  — 

n'avoient  corrompu  la  vue  de  leurs  entende- 
mens,  je  m'assure  qu'ils  seroient  d'autre  avis.  » 
Que  vous  semble  de  cette  pensée  ?  C'est  le 
début  de  la  fameuse  «  Légende  du  cardinal  de 
Lorraine.  »  N'est-ii  pas  toujours  de  saison  (i)? 


P.  2,  1.  12.  —  Les  frères  Lorrains. 

En  parlant  des  deux  frères  (le  duc  François  de 
Guise  et  le  cardinal  Charles),  le  savant  annota- 


été,  du  même  coup,  blessée  au  cœur,  et  qu'encore  une  fois, 
suivant  la  pensée  de  Chateaubriand,  le  passé  avait  arrêté  ïa- 
venir.  Le  poignard  de  Ravaillac,  au  nom  de  l'ancienne  société, 
intronisera  la  régence  italienne,  et  Louis  XIII  parfera  l'œuvre 
en  vouant  son  royaume  au  pharisaïsme. 

(Voir  ce  que  nous  avions  publié  nous-même  sur  ce  sujet, 
en  i854,  dans  notre  mémoire  sur  Henri  IV  et  Daniel  Cha- 
rnier, et  les  appréciations  dont  il  avait  été  l'objet,  notamment 
de  la  part  de  Prevost-Paradol,  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes 
du  i5  janv.  i855.) 

(i)  Rapprochons  de  ce  qu'on  vient  de  lire  ces  passages  de 
Bossuet  : 

c  La  Ligue  ne  fut  une  affaire  de  religion  que  pour  le  peu- 
ple abusé;  pour  les  Guises,  ses  chefs  ambitieux,  elle  fut  une 
odieuse  révolte  colorée,  du  beau  nom  de  la  religion  qui  leur 
était  très-indifférente  :  religionis  absente  studio.  » 

«  Plus  Espagnols  et  plus  Lorrains  que  Français,  plus  hé- 
rétiques que  les  hérétiques  eux-mêmes,  les  meilleurs  Français 
et  les  meilleurs  Catholiques  furent  réduits  à  se  féliciter  haute- 
ment de  la  résistance  opposée  à  la  cour  de  Rome  par  Henri  IV, 
le  plus  clément  et  le  pius  brave  des  enfants  de  Hugues  Capet 
et  de  saint  Louis  :  clementissimus  et  fortissimus.  »  (Défense 
de  la  Déclar.  du  clergé  gallican,  chap.  28.J. 


—  ii9  — 

teur  des  Mémoires  de  Michel  de  Castelnau 
(Paris,  1659.  2  v°l-  in-fol.).  Le  Laboureur,  qui 
leur  est  pourtant  favorable,  s'exprime  ainsi  : 

«  La  Maison  de  Guise  en  peu  de  temps  s'éleva 
en  telle  autorité,  qu'elle  pensa  ruiner  celle  de 
Bourbon  et  toutes  les  plus  illustres  du  royaume 
qui  se  voulurent  opposer  à  sa  grandeur... 

«  Le  cardinal  de  Lorraine  tira  de  grands  avan- 
tages, peur  lui  et  pour  sa  Maison,  de  la  perte  de  la 
bataille  de  Saint-Quentin  et  de  la  prison  du  Con- 
nétable :  il  gouverna  seul  l'esprit  du  Roi,  et  son 
frère  eut  le  commandement  des  armées... 

«  Les  hérétiques  les  accusèrent  principalement 
de  la  mauvaise  administration  des  finances  du 
rovaume.  qu'ils  avaient  à  leur  disposition. 

«  Le  cardinal  se  laissa  insensiblement  possé- 
der à  la  passion  des  emplois  de  Cour  et  des 
grandeurs  du  siècle,  passion  qui  l'emporta  si 
loin  qu'il  commit  l'Etat  et  la  Religion  pour  sa 
querelle  :  on  peut  dire  que  ce  fut  lui  qui  fit 
trouver  des  chefs  au  parti  Huguenot,  par  la  trop 
grande  autorité  qu'il  prit  à  la  Cour  et  par  le  mé- 
contentement qu'il  donna  au  prince  de  Condé.  à 
la  Maison  de  Coligny  et  à  plusieurs  autres,  qui 
n'eurent  pas  tant  de  modération  que  le  conné- 
table et  ses  entants ,  lesquels  persévérèrent  dans 
la  religion  de  leurs  pères... 

«  C'est  faire  tort  au  duc  de  Guise  de  le  soup- 
çonner d'avoir  pris  part  dans  ce  que  son  frère 


—    120   — 

n'entreprit  de  violent  que  par  la  nécessité  natu- 
relle de  le  maintenir  dans  les  périls  où  il  exposait 
toute  sa  Maison.  Ce  fut  contre  son  avis  qu'il 
poursuivit  avec  trop  de  vigueur  et  de  ressenti- 
ment les  coupables  et  les  suspects  de  l'affaire 
d'Amboise,  qu'il  y  voulut  comprendre  le  prince 
de  Condé,  et  qu'il  fit  ensuite  arrêter  prisonnier 
pour  le  faire  périr...  » 

La  condamnation  de  la  maison  de  Lorraine 
est  dans  ces  sages  paroles  d'un  libelle  du  temps  : 
«  Je  ne  veux  pas  nier  que  si  ceux  de  Guise  se 
fussent  tenus  en  leur  rang,  ils  pouvoient  faire 
service  à  la  Couronne  de  France  :  mais,  de  ser- 
viteurs voulans  devenir  maistres,  ils  ont  gasté 
tout  et  ruiné  eux  et  les  autres.  » 


P.  2,  1.   14.  —  La  conjuration  d'Amboise. 

«  Le  but  avoué  delà  conspiration,  a  fort  bien 
dit  Gerazez,  était  la  délivrance  du  roi  et  la  cap- 
ture des  Guises.  Après  ce  coup  de  main,  on  au- 
rait instruit  le  procès  des  Lorrains  et  convoqué 
les  Etats-Généraux.  Le  roi  et  la  nation,  repre- 
nant leur  indépendance,  se  seraient  concertés 
pour  mettre  fin  aux  troubles  de  la  religion.  » 

La  Complainte  au  Peuple  français  (i56o),  en 
forme   de    remarquable    proclamation,    débute 


—     121    

ainsi  :  «  Peuple  François,  l'heure  est  maintenant 
venue  qu'il  faut  montrer  quelle  foy  et  loyauté 
nous  avons  à  nostre  bon  Roy.  L'entreprise  est 
découverte,  la  conspiration  est  cognue  :  les  ma- 
chinations de  la  maison  de  Guise  sont  révélées. 
Voici  les  étrangers  à  nos  portes,  qu'ils  ont  fait 
venir  pour  estre  ministres  et  instrumens  de  leur 
meschante  entreprise...  Ils  cognoissent  que  nous 
voulons  deffendre  et  maintenir  la  Couronne  de 
France  entre  les  mains  de  nostre  bon  Roy  et 
maistre,  auquel  elle  appartient...  » 

On  comprend  que  beaucoup,  qui  n'avaient  pas 
été  de  la  conjuration,  aient  plus  tard  dit  tout 
haut,  comme  le  rapporte  Brantôme,  «  que  l'en- 
treprise estoit  bonne  et  saincte  ».  (Œuvres 
compl.,  Paris,  1868,  in-8,  t.  IV,  p.  364.) 

Si  elle  avait  réussi,  la  France,  légalement  dé- 
livrée des  usurpateurs  Lorrains,  pouvait  être 
préservée  des  trente  années  de  convulsions  et 
de  guerre  civile,  et  marcher  dans  une  autre  voie 
que  celle  de  la  monarchie  absolue  et  de  la  révo- 
lution permanente. 

Les  Guises  usèrent  et  abusèrent  de  leur  vic- 
toire. Après  avoir  noyé  les  vaincus  dans  leur 
sang,  ils  travaillèrent  à  les  perdre  à  tout  jamais 
dans  l'esprit  du  Roi  en  les  représentant  comme 
ennemis,  non  d'eux-mêmes ,  mais  de  la  royauté 
et  de  la  noblesse,  et  comme  visant  à  l'abolition 
de  l'autorité  monarchique  pour,  à  l'exemple  des 


122 


Suisses,  «vivre  en  commun»,  c'est-à-dire  fonder 
une  république.  Se  voyant  ainsi  traités  de  bri- 
gands et  de  pillards,  décimés  par  les  supplices, 
menacés  par  les  édits,  traqués  partout,  les  hu- 
guenots répandirent  partout,  dit  M.  Dareste, 
d'après  l'historien  Régnier  de  la  Planche,  que  le 
projet  bien  arrêté  des  Guises  était  de  réduire  la 
France  à  la  façon  de  vivre  du  Turc,  et  que, 
pour  arriver  à  ce  but,  ils  étaient  résolus  «  de 
rendre  toutes  choses  tellement  confuses,  qu'on 
en  vinst  au  pis  aller,  à  une  sédition  populaire  en 
laquelle  ils  s'asseuroient  de  faire  mourir  tant  de 
gens  que  le  champ  leur  demeureroit  asseuré  ». 

C'était  pressentir  l'expédient  du  24  août  1572, 
et  qui  sait  si  la  mort  de  François  II  n'a  pas  dé- 
concerté des  desseins,  naissants  ou  déjà  formés  ? 

Quant  au  pamphlet  de  la  France -Turquie,  il 
avait  une  portée  sérieuse,  puisque  notre  pays 
n'échappa  au  régime  monarchique,  tel  que  les 
huguenots  le  voulaient  contre  les  Guises,  que 
pour  s'acheminer  au  despotisme,  et  il  est  à  re- 
marquer qu'un  autre  pamphlet  de  l'époque  de 
Louis  XIV  a  justement  pour  titre  :  la  Cour  de 
France  turbanisée  (1686).  De  quoi  se  plaignait- 
on  alors?  Du  fait  accompli  (1). 


(1)  Il  est  vrai  qu'il  ne  manque  pas  de  gens  pour  dire  que 
cette  pauvre  France  adore  le  turban,  —  comme  la  femme  de 
Sganarelle  aimait  à  être  battue,  comme  Marianne  voulait  être 


—    133    — 

Notons  encore  que  cette  accusation,  injuste 
alors  et  prématurée,  des  Guises,  prétendant  que 
les  huguenots  songeaient  à  établir  une  républi- 
que, a  dû  contribuer  à  en  faire  bientôt  surgir 
l'idée,  qui  a  plus  tard  inquiété  Henri  IV,  et  qui  a 
été  développée  ensuite,  comme  à  plaisir,  par  les 
absurdes  persécutions  de  son  petit-fils...  —  De- 
puis l'époque  des  Lorrains,  les  huguenots  n'ont 
certes  pas  été  payés  pour  aimer  la  monarchie. 


P.  2,  note  i.  —  L Hôpital  et  La  conjuration 
d'Amboise. 

Il  importe  de  savoir  ce  que  pensait  de  l'entre- 
prise d'Amboise  le  chancelier  de  l'Hôpital.  Voici 
:e  qu'il  a  dit  dans  son  testament,  écrit,  à  l'âge 
ie  soixante-neuf  ans,  le  i3  mars  i5j3  : 

«  En  ces  entrefaites,  arriva  un  courrier  en 
très-grande  diligence,  de  la  part  du  Roy  Fran- 
çois, qui  m'appela  pour  estre  Chancelier,  qui 
2st  le  premier  estât  des  gens  de  robbe  longue, 
vacant  par  la  mort  de  très-honorable  Olivier. 
J'arrivay  à  la  Cour,  fort  troublée  et  esmue  d'un 


tartujjiée,  comme  enfin  M.  Jourdain  «  voulait  marier  sa  fille 
avec  le  fils  du  grand  Turc  »  et  être  fait  lui-même  mamamou- 
:hi! 


—  i24  — 

grand  bruit  de  guerre,  incontinent  après  le  tu- 
multe d'Amboise,  qui  ne  fut  pas  tant  de  soy 
dangereux,  que  pour  le  remuement  des  par- 
tiaux, qui  bientost  après  s'ensuivit.  Alors  j'eus 
affaire  à  des  personnages  non  moins  audacieux 
que  puissants,  voire  qui  aimoient  mieux  con- 
duire les  choses  par  violence  que  par  conseil  et 
raisons,  dont  pourroit  donner  tesmoignage  la 
Roine-Mère  :  laquelle  fut  alors  réduite  en  tel 
estât,  qu'elle  fut  presque  déboutée  de  toute  l'ad- 
ministration du  Royaume.  A  raison  de  quoy,  se 
complaignant  souvent  à  moy.  je  ne  luy  pouvois 
autre  chose  proposer  devant  les  yeux  que  l'auto- 
rité de  Sa  Majesté.  »  (Add.  aux  Mémoires  de  Cas- 
telnau,  t.  I,  p.  493.) 


P.  4,  1.  20.  —  Les  massacres  d'Amboise. 

«  Cette  scène  funèbre  sembla  porter  malheur 
à  tous  ceux  qui  en  avaient  été  témoins  :  à  Fran- 
çois II,  à  Marie  Stuart,  au  grand  Guise,  au  chan- 
celier Olivier,  protestant  dans  le  cœur,  qui  les 
avait  condamnés  et  en  mourut  de  remords.»  (Mi- 
chelet,  Précis  de  VHist.  de  Fr.  1834.) 


—    125    — 


P.  7,  1.  5.  —  Oraison  funèbre  du  cardinal 
de  Lorraine. 

Le  cardinal  de  Lorraine  est  incontestablement 
responsable  au  premier  chef  des  maux  sans  nom- 
bre que  l'ambition  et  la  convoitise  de  sa  maison 
commencèrent  alors  à  faire  pleuvoir  sur  la 
France.  Lorsqu'il  mourut  à  Avignon,  le  26  dé- 
cembre 1574.  à  l'âge  de  cinquante  ans,  voici 
l'oraison  funèbre  que  lui  fît  Pierre  de  l'Estoile 
dans  le  secret  de  son  registre-journal  : 

«  Le  jour  de  sa  mort  et  la  nuit  ensuivante, 
s'esleva  en  Avignon,  à  Paris,  et  quasi  par  toute 
la  France,  un  vent  si  grand  et  si  impétueux,  que 
de  mémoire  d'homme  il  n'avoit  esté  ouï  ung  tel 
fouldre  et  tempeste.  Dont  les  catholiqueslorrains 
disoient  que  la  véhémence  de  cest  orage  portoit 
indice  du  courroux  de  Dieu  sur  la  France,  qui 
la  privoit  d'un  si  bon,  si  grand  et  si  sage  prélat. 
Les  huguenots,  au  contraire,  disoient  que  c'es- 
toit  le  sabbath  des  diables,  qui  s'assembloient 
pour  le  venir  quérir:  qu'il  faisoit  bon  mourir  ce 
jour-là,  pour  ce  qu'ils  estoient  bien  empeschés. 
Ses  partizans  maintenoient  qu'il  avoit  fait  une 
tant  belle  et  chrétienne  fin  que  rien  plus.  Les 
huguenots  soustenoient ,  au  contraire ,  que 
quand  on  lui  pensoit  parler  de  Dieu,  durant  sa 
maladie,  il  n'avoit  en  la  bouche  pour  toute  res- 

1 1 


—    126    — 

ponse  que  des  vilanies,  et  mesme  ce  vilain  mot 
de  foutre;  dont  Monsieur  de  Reims,  son  nep- 
veu,  l'estant  allé  voir,  et  le  \oyant  tenir  tel  lan- 
gage, auroit  dit  en  se  riant,  qu'il  ne  voioit  rien 
en  son  oncle  pour  en  désespérer,  et  qu'il  avoit 
encores  toutes  ses  paroles  et  actions  naturelles. 
Or  la  vérité  est  que  sa  maladie  estoitau  cerveau, 
lequel  il  avoit  tellement  troublé  qu'il  ne  sçavoit 
qu'il  disoit,  ne  qu'il  faisoit;  en  quoi  il  continua 
jusques  à  la  fin,  mourant  en  grand  trouble  et  in- 
quiétude d'esprit,  invoquant  mesme  et  appelant 
horriblement  les  diables  sur  ses  derniers  soupirs  : 
chose  espouvantable,  et  toutefois  tesmoignée  de 
tous  ceux  qui  lui  assistoient 

«  Pour  en  parler  sans  passion,  c'estoitung  pré- 
lat que  le  cardinal  de  Lorraine,  qui  avoit  d'aussi 
grandes  parties  et  grâces  de  Dieu  que  la  France 
en  ait  jamais  eu.  Mais  s'il  en  a  bien  usé  ou 
abusé,  le  jugement  en  est  à  celui  devant  le 
throsne  duquel  il  est  comparu,  comme  nous 
comparoistrons  tous.  Le  bon  arbre,  dit  nostre 
Seigneur,  secongnoist  par  le  fruit.  Ce  fruit  estoit 
(par  les  tesmoingnages  mesme  de  ses  gens)  que, 
pour  n'estre  jamais  trompé,  il  faloit  croire  tous- 
jours  tout  le  contraire  de  ce  qu'il  vous  disoit. 

«  Ce  jour,  la  Roine-Mère  se  mettant  à  table 
dit  ces  mots  :  Nous  aurons  à  ceste  heure  la  paix, 
puisque  M.  le  cardinal  de  Lorraine  est  mort,  qui 
estoit  celui  {ce  dist-on)  qui  l'empeschoit.  Ce  que 


—    127  — 

je  ne  puis  croire;  car  c'estoit  un  grand  et  sage 
prélat,  et  homme  de  bien,  et  auquel  la  France  et 
nous  tous  perdons  beaucoup.  Et  en  derrière  di- 
sent que  ce  jour-là  estoit  mort  le  plus  meschant 
homme  des  hommes.  Puis  s'estantmise  à  disner, 
ayant  demandé  à  boire,  comme  on  lui  eust  baillé 
son  verre,  elle  commença  tellement  à  trembler 
qu'il  lui  cuida  tumber  des  mains  et  s'escria  : 
Jésus!  voila  M.  le  cardinal  que  je  voy  !  Enfin, 
s'estant  un  peu  rassise  et  rasseurée,  elle  dit  tout 
haut  :  C'est  grand  cas  de  l'appréhension!  je  suis 
bien  trompée  si  je  nJay  veu  ce  bonhomme  passer 
devant  moi  pour  aller  en  paradis,  et  me  sembloit 
que  je  Vy  voyois  monter.  Les  nuits  aussi  elle  en 
avoit  des  appréhensions  (au  dire  de  ses  femmes 
de  chambre),  et  se  plaignoit  de  ce  que  souvent 
elle  le  voyoit  et  ne  le  pouvoit  oster  et  chasser 
de  sa  fantaisie,  encore  que  dès  qu'il  fust  mort, 
on  ne  parla  non  plus  du  cardinal  de  Lorraine, 
que  s'il  n'eust  jamais  esté;  et  en  fist-on  moins 
de  bruit  à  la  Cour  (ce  qui  est  digne  de  remar- 
que) qu'on  eust  fait  d'un  simple  protenotaire  ou 
curé  de  village.  »  {Journal  de  Henri  III,  édit. 
de  1875,  t.  I,  p.  40.) 


(1)  Chateaubriand  a  soin  de  citer  ces  lignes  du  chroniqueur, 
lorsqu'il  mentionne  la  mort  du  cardinal,  «  finissant  la  première 
génération  des  Guise,  »  —  et  léguant  à  la  France  cette  vraie  fille 
maudite  de  ses  œuvres  qui  s'est  appelée  la  Ligue. 


28    — 


P.  7,  note.  —  La  funeste  ambition  des  Lorrains. 

Dans  ses  Additions  aux  Mémoires  de  Cas- 
telnau,  Le  Laboureur  a  consacré  un  chapitre  aux 
Libelles  publiés  contre  la  maison  de  Guise.  Il 
montre  fort  bien  qu'il  est  tout  naturel  que  «  le 
soupçon  d'ambition  personnelle  et  de  prétention 
à  la  Couronne  soit  tombé  en  la  personne  du  duc 
de  Guise,  et  qu'on  ait  cru  que  le  Cardinal,  son 
frère,  ait  aspiré  au  pontificat.  »  «  On  fit,  dit-il, 
mille  libelles  pour  les  en  convaincre,  et  on  y  joi- 
gnit des  prédictions  de  François  Ier  et  de 
Henri  II,  qui  se  publièrent  avec  tant  d'autorité 
parmi  la  France,  que  beaucoup  de  gens  en  furent 
persuadés,  plusieurs  des  grands  qui  n'en  croyaient 
rien  feignant  d'y  ajouter  foi,  pour  l'intérêt  qu'ils 
avaient  de  s'opposer  à  leur  puissance.  Le  parti 
huguenot,  déclaré  ouvertement  contre  eux,  ser- 
vit beaucoup  à  cela,  parce  que   les  meilleures 

plumes  étaient  de  son  côté Je  ne  veux  pas 

tellement  justifier  le  duc  de  Guise  et  le  cardi- 
nal, son  frère  (poursuit  l'auteur),  que  je  n'avoue 
qu'ils  n'aient  bien  mérité  d'avoir  des  ennemis, 
et  qu'on  n'ait  eu  plus  de  raison  de  trouver  à  re- 
dire aux  entreprises  qu'ils  faisaient,  qu'ils  n'en 
pouvaient  avoir  de  prétendre  si  haut  et  de  trou- 
bler l'ordre  et  les  rangs  à  la  Cour...  » 

«  Pour  moy  (continue  Le  Laboureur),  je  croi- 


—  129  — 

rais  bien  que  le  duc  de  Guise,  qui  avait  le  cœur 
et  toutes  les  qualités  nécessaires  pour  faire  un 
grand  roi,  aurait  pu  penser  à  une  couronne, 
mais  plutôt  à  celle  de  Naples  qu'à  celle  de 
France,  et  que  pour  la  même  raison  le  cardinal, 
son  frère,  aurait  souhaité  d'être  pape.  Ce  peut 
bien  être  le  sujet  pour  lequel  ils  obligèrent  le  roi 
Henri  II,  contre  le  sentiment  du  connétable  et 
des  autres  grands,  à  rompre  la  trêve  avec  l'Es- 
pagne, sous  prétexte  de  défendre  l'Eglise  ro- 
maine, et  à  jeter  une  armée  en  Italie  sous  la 
conduite  du  duc,  qui  passa  au  royaume  de  Na- 
ples, l'an  i557,  et  qui  en  fut  rappelé  après  la  ba- 
taille de  Saint-Quentin.  » 

Suit  le  pasquil  rapporté  ci-dessus  p.  90,  1.  7; 
puis  un  «  extrait  d'une  plus  longue  pièce  faite 
contre  la  Maison  de  Guise,  et  adressée  au  car- 
dinal de  Lorraine.  » 

Cette  pièce,  que  Le  Laboureur  ne  nomme 
point  (il  n'ose  peut-être,  après  avoir  dit  quel- 
ques lignes  plus  haut  qu'il  «  aurait  eu  honte  de 
lire  ces  libelles  »  ),  n'est  autre  que  le  Tigre  (ce- 
lui en  vers,  bien  entendu,  car  il  n'a  pas  dû  con- 
naître notre  vrai  Tigre  en  prose),  et  il  en  cite 
les  vers  97  à  122  : 

De  vaine  ambition  dans  ton  âme  allumée,  etc. 


1  1 


—  i3o  — 


P.  8,  1.  2.  — Le  cardinal  de  Lorraine, 
collectionneur  de  pamphlets. 

C'est  le  24  août  i55o.  que  le  cardinal  prit  la 
parole,  à  l'assemblée  de  Fontainebleau,  après  le 
duc  de  Guise,  et  pour  renforcer  sa  harangue  en 
réplique  à  celle  de  l'amiral  Coligny.  A  propos 
des  «  placards  et  libelles  diffamatoires  »  que  les 
mécontents  «  produisoient  tous  les  jours  contre 
le  monde  »,  il  «  dit  qu'il  en  avoit  sur  sa  table 
vingt-deux,  faits  contre  luy,  lesquels  il  gardoit 
très-soigneusement  comme  le  plus  grand  hon- 
neur qu'il  sauroit  jamais  recevoir,  que  d'estre 
blasmé  par  tels  meschans  :  espérant  que  ce  se- 
roit  le  vray  esloge  de  sa  vie  pour  le  rendre  im- 
mortel. »  (La  Popelinière,  éd.  de  i582,in-8, 1. 1, 
p.  389.) 

Le  lendemain  2  5  août,  conformément  à  toutes 
les  comédies  politiques  du  même  genre,  les  che- 
valiers de  l'Ordre,  appelés  à  opiner  l'un  après 
l'autre,  avaient  conclu  «  à  ce  qu'avoit  proposé  le 
cardinal,  »  et,  ce  fait,  le  Roy  et  la  Royne  sa 
mère  avoient  remercié  très-affectueusement  un 
chacun  de  leur  bon  conseil,  promettant  de 
l'ensuivre  et  se  conduire  selon  iceluy.  »  Mais, 
observe  notre  historien,  le  duc  de  Guise  «  se 
monstra  tant  passionné,  »  en  cette  occasion,  et 
parla  «  de  telle  animosité,  que  plusieurs  pensé- 


—  i3i  — 

rent  que  dès  lors  se  forma  la  haine  incroyable  la- 
quelle est  toujours  depuis  augmentée  entre  luy 
et  l'amiral,  et  qui  a  esté  cause  de  grands  maux.» 
(Ibid.,  p.  386,  388.) 


P.   i3,  1.  4.  —  Le  magistrat  courtisan.  —  La 


«  Ce  trait,  dit  Geruzez,  peint  toute  l'époque. 
On  voit  que  le  pouvoir  est  aux  mains  d'un  parti 
courtisan  de  la  populace.  Lorsque  la  foule  de- 
mande des  victimes  et  que  les  magistrats  ren- 
dent des  services  et  non  plus  des  arrêts,  la  loi 
est  violée  et  la  société  passe  à  l'état  de  guerre. 
Les  gens  de  bien  n'ont  plus  à  prendre  conseil 
que  de  leur  conscience  et  de  leur  courage.  » 

C'est  dans  ce  même  temps  que  les  Lorrains 
ont  songé  à  faire  de  la  «  vile  multitude  »  un  in- 
strumentum  rcgni.  et  qu'ils  ont  inventé,  pour  se 
défaire  de  leurs  adversaires,  le  procédé  noblement 
défini  par  eux  et  caractérisé  en  ces  termes  : 
lâcher  la  grande  lévrière  (1).  Le  massacre  de 
Vassy,  premier  exploit  du  duc  François  deGuise, 
est  un  premier  pas  dans  cette  via  scelerata,  où 


(1)  Sismondi,  Etudes  sur  les  sciences  sociales,   i836,  t.  I, 
p.  59. 


—    l32    — 

l'on   marchait  vers  la   Saint- Barthélémy  et  la 
Ligue. 


P.  16,  note.  —  Castelnau  et  Maimbourg. 

Les  Mémoires  de  Michel  de  Castelnau,  pu- 
bliés en  1621  (in-40),  contiennent  aussi  cette 
mention,  p.  81  :  «  Sur  quoy  l'on  print  un  im- 
primeur qui  avoit  imprimé  un  petit  livre  inti- 
tulé Le  Tigre,  dont  l'auteur  présumé,  et  un 
marchand,  furent  pendus  pour  ceste  cause.  » 

Le  jésuite  Maimbourg,  dans  son  Histoire  du 
Calvinisme,  enregistre  le  supplice  des  malheu- 
reux Lhomme  et  Dehors,  mais  c'est  pour  n'y 
voir,  bien  entendu,  qu'un  bel  exemple  de  zèle 
orthodoxe,  qu'il  propose  pieusement  à  l'imita- 
tion du  Grand  Roi,  appelé  à  foudroyer  l'hérésie. 


P.  32,  1.  14.  —  L'auteur  du  Tigre. 

De  Thou  écrit  dans  son  Histoire  (liv.  XXV)  : 
«  Libellus,  sed  incerto  nomine,  in  Guisianos 
scriptus,  cui  ob  id  Tigridi  titulus  prcefixus  erat, 
quo  eorum  crudelitates  summa  acerbitate  exagi- 
tabantur.  » 


—  i33  — 

On  en  était  encore,  il  n'y  a  pas  longtemps,  à 
cet  incerto  nomine. 

a  On  ignore  le  nom  de  l'auteur  du  Tigre,  dit 
M.  Dupont.  Le  célèbre  jurisconsulte  Baudoin, 
et  Bayle  après  lui,  l'attribue  à  François  Hotman, 
professeur  de  droit  ;  mais  cette  inculpation  est 
bien  hasardée.  »  (Hist.  de  l'Imprimerie^  Paris, 
1854,  t.  I,  p.  203.) 

«  Quel  était  l'auteur  deYEpistre  au  Tigre?  On 
ne  le  saura  jamais  avec  certitude,  écrivait  M.  Da- 
reste,  mais  Baudoin  nomme  Hotman,  et  quelque 
suspect  que  puisse  être  son  témoignage,  toutes 
les  vraisemblances  se  réunissent  pour  nous  le 
faire  accepter.  »  (Essai  sur  Fr.  Hotman,  Paris, 
i85o,  p.  45.) 

Dès  1834,  Charles  Nodier  avait  discuté  cette 
attribution,  et,  loin  de  la  déclarer  hasardée,  il 
l'avait  affirmée  hautement.  «  La  même  incerti- 
tude, dit-il,  existe  encore  sur  l'auteur  de  l'ou- 
vrage, qui  a  eu  d'excellentes  raisons  pour  ne  pas 
se  faire  connaître.  Bayle  l'attribue  à  François 
Hotman,  et,  s'il  l'avait  vu,  il  aurait  insisté  sans 
doute  avec  une  conviction  mieux  établie  sur  sa 
conjecture,  car  je  ne  crains  pas  de  dire  qu'il  n'y 
avait  peut-être  que  François  Hotman  alors  qui 
fût  capable  de  s'élever  dans  notre  langue  aux 
hauteurs  de  cette  véhémente  éloquence.  Là  se 
trouvent,  et  presque  pour  la  première  fois,  quel- 
ques-unes de  ces  magnifiques  tournures  ora- 


-  i34- 

toires  qu'un  génie  inventeur  pouvait  seul  dérober 
d'avance  au  génie  de  Corneille,  de  Bossuet,  de 
Mirabeau.  »  (Bull,  du  Bibliophile,  1834.) 

Bayle  citait,  à  l'appui  de  son  opinion,  un  mot 
de  Baudoin  écrivant  au  sujet  d'Hotman  :  77- 
grim  peperit  (1).  Si,  d'une  part,  Baudoin  était 
à  même  de  savoir  ce  qu'il  disait,  d'autre  part, 
c'était  l'allégation  d'un  ennemi,  c'était  une  sorte 
de  dénonciation,  contre  laquelle  on  pouvait  se 
tenir  en  garde,  toute  plausible  qu'elle  fût.1,  Mais 
voilà  qu'un  savant  professeur  de  Strasbourg, 
M.  Ch.  Schmidt  découvre  et  produit,  en  i85o, 
deux  textes  prouvant  d'une  manière  positive  que 
le  Tigre  est  bien  d'Hotman  et  qu'en  i5Ô2  on 
savait  généralement  qu'il  en  était  l'auteur. 

C'est  d'abord  un  petit  écrit  intitulé  :  Religio- 
nis  et  Régis  adversus  exitiosas  Calvini,  Betçœ 
et  Ottomani  conjuratorum  factiones  Defensio 
prima,  ad  Senatum  Populumque  Parisiensem. 
(Paris,  Vincent  Sertenas,  i5Ô2,  in-8),  où  se  ren- 
contrent, fol.  17,  ces  lignes  :  «  Hic  te,  Ottomane, 
excutere  incipio.  Scis  enim  ex  cujus  officina 
Tigris  prodiit,  liber  certe  tigride  parente,  id  est 
homine  barbaro,  impuro,  impio,  ingrato,  male- 
volo,  maledico  dignissimus.  Tu  te  istius  libelli 
auctorem,  generis  Francici  propugnatorem,  cae- 


(1)  Fr.  Balduini  Responsio  altéra  ad  J.  Calvinum  (Paris, 
i562,  p.  128). 


—   i35  — 

dis  bonorum  machinatorei.*  audes  venditare  ?  » 
On  voit  que  le  ton  de  ce  petit  écrit  était  appro- 
prié au  goût  de  ceux  à  qui  il  s'adressait. 

Plus  explicite  encore  est  le  second  texte,  tiré 
d'une  lettre,  alors  inédite,  de  Jean  Sturm,  rec- 
teur de  k  haute-école  de  Strasbourg,  à  Hotman, 
datée  du  mois  de  juin  i5Ô2.  Hotman,  irrité  de 
l'échec  d'Amboise  et  brouillé  avec  Sturm,  avait 
accusé  celui-ci,  qui  comme  lui  avait  été  dans  le 
secret  de  la  conjuration,  d'avoir  dénoncé  au  car- 
dinal de  Lorraine  le  projet  des  conjurés.  Sturm 
écrit  à  Hotman  une  lettre  où  il  se  disculpe,  ré- 
crimine vivement  et,  adressante  son  ancien  ami 
d'amers  reproches  :  «Ex  hoc  génère  Tygris,  lui 
dit-il,  immanis  illa  bellua  quam  tu  hic  contra 
cardinalis  existimationem  divulgari  carasti,  im- 
prudente magistratu  nostro,  qua  in  audacia, 
quid  te  stultius  aut  impium  magis?  cum  fra- 
trem  Joannem  Hottomannum  habeas  apud  car- 
dinalem  Lotharingœ  quaestorem,  tu  Tygrim 
divulgare  audes  et  fratrem  tuum  certissimo 
exitio    objicere!  »  {Bull,  du  Bibliophile.    i85o, 

P.  773-) 

M.  Dareste  a  publié  depuis,  en  son  entier, 
ce  document  qui  faisait  partie  d'un  recueil 
de  lettres  du  temps,  conservé  à  la  Bibliothèque 
du  Séminaire  de  Strasbourg  (Epistolœ  au- 
tograpluv,  t.  III).  Il  a  ainsi  mis  lui-même  en 
lumière  la  solution    définitive    de   la    question 


-  i36  — 

qu'il  s'était  posée  peu  auparavant.  (Biblioth.  de 
V Ecole  des  Chartes,  1854,  p.  36o.) 

Dans  leur  grande  Biographie  de  la  France  pro- 
testante(iS55,  t.  V,  p.  528,  532),  MM.  Haag  n'ont 
pas  hésité  à  reconnaître  à  Hotman  la  paternité 
du  «  libelle  le  plus  violent  et  le  plus  éloquent 
qui  ait  paru  chez  nous  au  XVIe  siècle.  » 


P.  32,  1.  i5.  —  Lieu  et  date  d'impression 
du  Tigre. 

«  Le  libelle  a  été  certainement  imprimé  a 
Strasbourg  ou  à  Basle  (a  dit  Ch.  Nodier,  dans 
une  note  de  1834)  et  on  ne  sait  dans  laquelle  de 
ces  villes  Jacques  Estange,  imprimeur  à  Basle 
en  i5Ô2,  avait  d'abord  établi  ses  presses.  Ce  dont 
il  est  impossible  de  douter,  c'est  que  YEpistre  au 
Tigre  est  sortie  des  presses  de  Jacques  Estange; 
la  conformité  des  caractères  frapperait  les  yeux 
les  moins  exercés.  C'est  la  forme  large  et  évasée 
des  capitales,  l'E  romain  à  la  bouche  oblique,  au 
lieu  d'être  tirée  horizontalement  au  compositeur, 
le  Z  romain  aux  barres  flexueuses  comme  dans 
les  italiques,  le  point  d'interrogation  capricieu- 
sement contourné,  le  type  identique  enfin  de 
Y  Elégie  de  la  jeune  fille  déplorant  sa  virginité 
perdue,  signée  en  i55j   par   Jacques    Estange, 


-  i37- 

qui,  selon  la  méthode  de  ce  temps-là,  ne  fait  pas 
mention  de  nom  de  lieu.  » 

Quant  à  Martin  Lhomme,  Ch.  Nodier  l'écarté, 
considérant  qu'il  ne  fut  pas  pendu  pour  le  fait 
d'impression  du  Tigre,  et  qu'il  «n'était  pas  même 
imprimeur,  »  mais  simplement  libraire.  On  a  vu 
ci-dessus,  p.  17,  que  le  titre,  cité  par  nous,  d'un 
volume  de  1 5 58,  dit  positivement  qu'il  était  im- 
primeur. 

C'est  ce  que  démontra  d'ailleurs  M.  Tail- 
landier, en  arguant  des  Sonnets  héroïques  sur  le 
mariage  du  duc  de  Lorraine  et  de  Madame 
Claude,  deuxième  fille  du  roi  Henri  II,  portant 
la  même  rubrique,  avec  la  date  de  1 559.  (Bull, 
du  Bibliophile,  fév.  1842,  p.  56.) 

En  ce  qui  concerne  le  Tigre,  «  après  l'avoir 
examiné  dans  le  cabinet  de  M.  Brunet,  »  M.  Tail- 
landier demeura  convaincu,  «  malgré  l'opinion 
de  Nodier,  qu'il  avait  été  imprimé  à  Paris.  »  «  Les 
caractères  sont,  dit-il.  des  imprimeurs  parisiens 
de  ce  temps;  les  réclames,  au  bas  des  pages, 
étaient  alors  aussi  bien  en  usage  à  Paris  qu'à 
l'étranger;  le  petit  fleuron  au  milieu  du  titre,  se 
voit,  se  retrouve  en  beaucoup  de  livres  imprimés 
à  cette  époque,  soit  à  Paris,  soit  à  Lyon.  Il  est 
acquis  que  le  pauvre  Martin  Lhomme  était  im- 
primeur (1),  et  il  n'avait  pas  eu  besoin  de  recou- 

(1)  L'arrêt  du  i5  juillet  i56o  le  qualifie,  en  effet,  de  maistre- 

12 


—  i38  - 

rira  son  confrère  Jacques  Estauge,  de  Strasbourg 
ou  de  Basle...  Si  Fr.  Hotman,  ce  qui  n'est  pas 
impossible,  en  était  l'auteur,  il  a  fort  bien  pu, 
étant  alors  à  Strasbourg,  envoyer  le  manuscrit  à 
Paris,  où  je  persiste  à  croire  qu'il  a  été  im- 
primé. » 

M.  Dareste  ne  fut  pas  de  cet  avis,  lorsqu'il 
étudia  la  question  huit  ans  plus  tard  (Essai,  etc. 
i85o).  «  L'Epistre  au  Tigre  est,  remarquait-il, 
imprimée  en  caractères  écrasés  et  presque  go- 
thiques, tels  que  ceux  dont  on  se  servait  à 
Strasbourg  et  à  Basle,  et  il  semble  que  les  mê- 
mes caractères  ont  servi  à  imprimer  la  seconde 
édition  des  Partitiones  juris  d'Hotman,  publiée 
à  Bâle  en  i56i.  Pour  M.  Dareste  le  lieu  d'im- 
pression était  donc  bien  Strasbourg  ou  Bâle,  et 
la  question  typographique  venait  ainsi  à  l'appui 
de  l'attribution  de  paternité  faite  à  Hotman. 

Sur  ces  entrefaites,  M.  Ch.  Schmidt  intervint 
dans  le  débat  avec  sa  lettre  inédite  de  Sturm 
(mentionnée  dans  la  précédente  note),  lettre  qui, 
selon  lui,  confirmait  par  un  témoignage  positif 
la  conjecture  de  Ch.  Nodier  et  l'observation  con- 
forme de  M.  Dareste.  «  Ex  hoc  génère  (dit 
Sturm,  écrivant  de  Strasbourg)  Tygris ,  imma- 


imprimeur  et  dit  qu'il  fut  arresté  le  23  juin,  «  pour  avoir  im- 
primé les  épistres,  livres,  etc.,  desquels  il  avoir  esté  trouvé 
saisi.  • 


-   r39- 

nis  illa  bellua  quam  hic...  divulgari  curasti...  » 
(Le  Tigre,  ce  libelle  monstrueux  que  tu  as  pu- 
blié ici....)  Il  paraît  difficile,  en  effet,  de  contes- 
ter l'assertion. 

Une  seule  recherche  nous  semble  rester  àfaire, 
et  on  ne  l'a  pas  encore  indiquée  :  c'est  celle  de 
l'alphabet  auquel  appartientla  lettre  initiale  fleu- 
ronnée,  un  T  majuscule,  qui  inaugure  le  Tigre. 
On  pourra,  en  même  temps,  examiner  quelle  im- 
primerie de  Strasbourg  employait  en  i55o.  le 
point  d'interrogation  de  forme  ancienne  et  la  di- 
vision (trait  d'union  géminé)  qu'on  a  sous  les 
yeux,  —  puisque  pour  la  première  fois  chacun 
est,  par  notre  fac-similé,  mis  à  même  de  s'en- 
quérir et  de  se  prononcer  en  connaissance  de 
cause  :  Oculis  subjecta  fidelibus. 

Pour  ce  qui  est  de  la  date  de  l'impression,  elle 
a  pu  faire  d'abord  quelque  doute,  lorsqu'on  n'a- 
vait que  le  récit  assez  vague  de  quelques  histo- 
riens. Mais  depuis  que  M.  Taillandier  a  retrouvé 
et  mis  au  jour  les  documents,  judiciaires,  la  date 
est  certaine.  L'arrestation  de  Martin  Lhomme 
étant  du  2  3  juin  i56o,  et  la  conjuration  d'Am- 
boise  étant  du  1 5  mars  précédent,  c'est  bien  évi- 
demment entre  ces  deux  époques  qu'il  faut  pla- 
cer l'apparition  de  YEpistre  au  Tigre. 


—  140  — 

P.  37,  1.  7.  —  Quousque  tandem... 

«  Jusques  à  quand  sera-ce...  »  —  Le  grand  ci- 
céronien  (c'était  le  nom  que  les  ennemis  même 
d'Hotman  lui  donnaient)  se  montre  ainsi  dès  le 
début.  Le  Quousque  tandem  des  Catilinaires 
éclate  du  premier  coup.  Il  n'était  pas  encore 
devenu  le  lieu  commun  le  plus  rebattu  de  l'ar- 
senal oratoire,  et  il  était  alors  permis  de  s'en  ser- 
vir, —  du  moins  à  un  Hotman,  capable  de  sou- 
tenir tout  le  discours,  comme  celui  de  l'orateur 
romain,  sur  ce  ton  d'apostrophe  et  d'impréca- 
tion. Ch.  Nodier  a  vu  là  avec  raison  une  preuve 
frappante  d'identité. 

Brantôme  avait  bien  dit  que  le  Tigre  était  «  sur 
l'imitation  de  la  première  invective  de  Cicéron 
contre  Catilina.  »  L'a-t-il  connu  ?  Rien  ne  le 
montre.  Il  en  parle,  en  tout  cas,  avec  une  cer- 
taine réserve  qui  ne  lui  est  pas  habituelle,  s'abs- 
tenant  de  lever  le  voile  sur  les  personnalités  pi- 
quantes qu'il  ne  fait  qu'indiquer. 


P.  38, 1.  i3.  —  Omniaserviliter prodominatione. 

Le  cardinal  de  Lorraine  s'était  mis  au  service 
de  la  maîtresse  du  roi  Henri  II,  pour  exploiter 
son    influence.  Aussi  le   peuple  les  associa-t-il 


—  i4i  - 

dans  son  ressentiment,  en  leur  attribuant  à  tous 
deux  les  exactions  dont  il  souffrait,  comme  le 
montre  ce  quatrain  cité  par  Le  Laboureur  : 

Sire,  si  vous  laissez,  comme  Charles  désire, 
Comme  Diane  veult,  à  tous  vous  gouverner, 
Pestrir,  mollir,  taster,  tourner  et  retourner, 
Sire,  vous  n'estes  plus,  vous  n'estes  plus  que  cire. 

L'Histoire  particulière,  publiée  dans  les  Ar- 
chives curieuses  (ire  série,  t.  III,  p.  281),  dit 
bien  que,  «  pour  du  tout  s'asseurer.  ils  (les  Lor- 
rains) se  jettèrent  du  commencement  au  parti  de 
ceste  femme,  spécialement  le  Cardinal,  qui  es- 
toit  des  plus  parfaits  en  l'art  de  courtiser.  » 

La  Supplication  et  remonstrance,  de  1 56o,  rap- 
pelle que  ces  cadets  de  Lorraine  «  s'allièrent  en 
premier  lieu  avec  celle  qui  pour  lors  possédoit 
nostre  pauvre  Roy  (comme  un  chacun  sçait),  de 
laquelle  ils  vouloient  se  servir,  comme  d'une 
éponge,  pour  succerla  substance  de  ce  royaume.  » 
Et  plus  loin  :  «  Pourroit  la  Royne-mère  s'ou- 
blier et  se  fier  en  ces  estrangiers.  lesquels,  après 
avoir  fait  tout  leur  effort  pour  la  despouiller  du 
tiltre  de  Royne,  en  la  faisant  répudier  au  feu  Roy 
son  mari,  le  luy  ont  ravi  et  pollué  si  longtemps 
par  leurs  infâmes  macquerélages,  et  ont  si  long- 
temps soutenu,  à  son  veu  et  sceu.  ceste-là  dont 
cy-dessus  a  esté  mention  ?...  » 


12, 


—  142  — 


P.  40, 1.  12;  p.  42,  1.  7.  —  Le  voyage  d'Italie. 

Tous  ces  griefs  se  retrouvent  dans  un  remar- 
quable commentaire  sur  les  lettres  du  roy  Fran- 
çois II  aux  cours  de  Parlement,  du  dernier  jour 
de  mars  i55o.  ou  l'on  signale,  «  entre  autres  ac- 
tes, le  voyage  de  M.  de  Guise  en  Italie,  par  luy 
entrepris  (en  trompant  une  bonne  et  nécessaire 
trêve)  aux  excessifs  despens  de  la  France,  pour  se 
faire  roi  de  Naples  et  de  Sicile,  et  le  cardinal, 
pape  ;  duquel  on  n'ignore  point  estre  procédée 
la  perte  de  la  journée  Saint-Laurens.  avec  sa 
suitte,  etc.  »  (Mém.  de  Conde',  I,  3 57.) 

Le  Brief  discours  (de  1 565)  contient  encore 
ce  passage  :  «  D'où  sont  venus  les  maux  qui  nous 
ont  accueillis  sur  la  fin  du  règne  du  roy  Henri  II? 
De  la  conjuration  faite  en  Italie  par  le  cardinal 
de  Lorraine  qui  excita  le  tumulte  d'Amboise  ;  de 
la  conspiration  de  ceux  de  Guise  pour  usurper 
le  gouvernement  du  royaume.  » 

[Cfr  aussi  p.  70,  vers  95-102.] 


P.  42,  1.  19.  —  Les  finances  de  France. 

«  Ils  rançonnent  le  pauvre  peuple  de  tailles, 
tributs  et  exactions  intolérables...  Ils  amassent 


-  t43  - 

toutes  les  finances  de  France  pour  en  payer  les 
estrangers  qu'ils  ont  à  louage,  et  laissent  toute 
la  gendarmerie  et  infanterie  françoise  sans 
payer  :  et  néantmoins  sont  si  impudens  que  de 
nous  vouloir  faire  entendre  qu'ils  font  venir  les 
estrangers  pour  la  garde  du  Roy.  Ha  !  pauvre 
nation  Françoise!  »  (Complainte  au  Peuple 
français.  i56o.) 

«  Tu  vois  le  cardinal  de  Lorraine  qui  tient  du 
bien  d'autrui  quatre  ou  cinq  cens  mille  francs, 
qui  luy  appartient  autant  comme  l'argent  du 
passant  au  brigand  qui  le  destrousse  :  et,  non 
saoul  de  cela,  encores  ne  cesse  de  piller,  avec 
meurtre  et  massacre,  les  confiscations  de  tant  de 
gens  de  bien,  desrobe  les  deniers  de  ce  royaume.» 
(Response  chrestienne,  etc.  i56o.) 

[Cfr  aussi  p.  y5,  vers  245-262.] 


P.  43,  1.  9.  —  Remarque. 

«  Si  tu  le  confesses,  il  te  faut  pendre  et  étran- 
gler: si  tu  le  nies,  je  te  convaincrai...  »  —  Cicéron 
lui-même,  dit  Ch.  Nodier,  n'a  pas  de  traits  qui 
ne  le  cèdent  à  ceux-ci  en  vigueur  et  en  bon- 
heur d'expression. 


—  i44  — 


P.  43,  1.  n.  —  Rapprochement. 

Num  negare  audes?  Quid  taces?  Convincam. 
si  negas.  (Cic.  In  Catil.  I,  4.) 


P.  44,  1.  6.  —  Rapprochement. 

Nihil  est  tam  sanctum  quod  non  violari,  nihil 
tam  munitum  quod  non  expugnari  pecunia  pos- 
sit.  {Cic.  In  Verr.  II,  2,) 


P.  44, 1.  14.  —  Rapprochement. 

Ainsi  dira  un  des  plus  beaux  vers  de  Racine  : 
Le  sang  de  vos  rois  crie,  et  n'est  point  écouté  ! 
{Athalie,  acte  I,  se.  1.) 


P.  44,  1.  7.  —  Le  «  grand  »  et  la  «  grande.  » 

«  L'honneur  de  ta  sœur...  »  c'est-à-dire  de  sa 
belle-sœur.  «  Une  très-grande  et  belle  dame,  » 
dit  Brantôme,  «  et  un  grand,  son   proche.  »  — 


-  i45  - 

«  Et  le  grand  et  la  grande  en  furent  si  estoma- 
qués, qu'ils  en  cuidèrent  désespérer.  *> 

«  Ne  serait-ce  pas,  dit  Ch.  Nodier,  Anne 
d'Esté,  femme  de  François  de  Lorraine,  duc  de 
Guise,  belle-sœur,  et  non  sœur,  du  cardinal,  ce 
qui  diminuerait  au  moins  un  peu  l'horreur  de 
cet  inceste  ?  C'est  un  doute  que  j'abandonne  à 
regret  aux  muses  spinthriennes  qui  explorent 
sur  nos  théâtres  les  débauches  et  les  turpitudes 
des  vieilles  cours.  »  (Bull,  du  Bibliophile,  1834.) 
Ainsi  que  Nodier  le  fait  remarquer,  cet  épisode 
relatif  aux  amours  d'un  grand  et  d'une  grande 
est  encore  plus  diffamatoire  que  la  vague  indica- 
tion de  Erantôme  ne  l'aurait  fait  supposer. 


P.  45,  1.  2.  —  L'assassinat  de  Vincennes. 

Voir  sur  ce  fait  le  document  inédit  produit  ci- 
dessus,  p.  io3,  par  M.  Ed.  Tricotel. 


P.  45,  1.  10.  —  Appréciations. 

«  Je  connais  ta  jeunesse  envieillie  en  son  ob- 
stination... »  —  Tous  les  mots  sont  comptés  (dit 
M.  Dareste),  et  portent  coup,  et  l'intérêt  va  tou- 


—  146  — 

jours  croissant  jusqu'au  moment  où  l'auteur, 
s'arrêtant  brusquement,  termine  par  ce  mot 
admirable. 

C'est  là  une  trouvaille  de  grand  écrivain  (dit 
Geruzezj.  Jamais  on  n'a  reproché  l'impudence 
avec  des  expressions  aussi  vigoureuses,  et  la  ti- 
rade suivante,  où  le  pamphlétaire  a  jeté  ses 
idées  dans  le  moule  cicéronien,  est  d'une  admi- 
rable vivacité  :  «  Quand  je  te  dirai,  etc.  » 

C'est  ainsi  qu'écrivait  Montaigne  en  i58o,  et 
Bossuet  cent  ans  plus  tard  (dit  encore  Ch.  No- 
dier) ;  mais  en  i56o,  il  n'y  avait  rien  de  ce  goût 
dans  toute  la  littérature  française.  (Bull.  1842, 
p.  876.) 


P.  46,  1.   14.  —  Jugements  sur  le  Tigre 
en  prose. 

VEpistre  au  Tigre  porte  le  sceau  manifeste 
de  la  verve  et  du  génie.  (Ch.  Nodier.) 

C'est  un  morceau  très-remarquable  :  on  y 
trouve  des  traits  où  la  colère  touche  à  l'élo- 
quence, éloquence  moderne  entée  sur  des  sou 
venirs  classiques.  (Geruzez.) 

C'est  de  tous  les  libelles  publiés  à  cette  épo- 
que, le  plus  net  et  le  plus  concluant.  Tout  ce 
qu'ont  pensé,   tout  ce  qu'ont  voulu  les  protes- 


—  J47  — 

tants  sous  le  règne  de  François  II,  se  retrouve 
dans  YEpistre  au  Tigre.  (Dareste.) 

Curieux  spectacle  que  cette  passion  toute  vive, 
née  de  la  veille,  courant  et  bouillonnant  comme 
une  lave  dans  le  vieux  moule  de  la  période  cicé- 
ronienne.  (Lexient.) 


P.  49  et  p.  24.  —  Fac-similé  du  Tigre. 

L'original  a  été  très-rogné  et  mal  rogné.  La 
marge  qui  subsiste  varie  de  5  à  10  millimètres 
sur  les  trois  côtés. 


P.  67.  —  Le  Tigre  en  vers. 

On  ne  connaît  aucune  impression  de  cette 
pièce,  qui  soit  antérieure  à  1842;  mais  il  en 
existe  des  copies  plus  ou  moins  anciennes,  por- 
tant ce  titre  :  Le  Tygre,  satyre  sur  gestes  mé- 
morables des  Guysards.  et  la  date  de  i56i  (1). 
Elle  n'est  évidemment  qu'une  paraphrase  faite 
après  coup  (i56i),  du   Tigre  en  prose,  de  i5Go, 


(1)  C'est  d'après  quelqu'une  de  ces  copies  que  Le  Laboureur 
en  a  cité  une  dizaine  de  vers,  dans  ses  Additions  aux  Mémoires 
de  Castelnau  (iô5gj.  ainsi  que  nous  l'avons  dit  p.   129. 


—  148  — 

lequel  est  bien,  à  n'en  pas  douter,  le  Tigre  ori- 
ginal, celui  qui  excita  si  fort  la  grande  colère  du 
cardinal  de  Lorraine  et  le  zèle  du  conseiller  Du 
Lyon,  et  occasionna  la  mort  de  deux  hommes  en 
place  Maubert.  Vainement  M.  Gratet-Duplessis, 
possesseur  d'un  manuscrit  qui  lui  venait  de  la 
vente  Crozet,  essaya-t-il,  il  y  a  trente-quatre  ans, 
de  soutenir  que  le  Tigre  versifié  était  le  vérita- 
ble. Ch.  Nodier  démontra  fort  bien  que  cette 
opinion  était  une  erreur  :  c'en  était  une,  surtout 
depuis  la  découverte  de  notre  exemplaire  im- 
primé de  ce  Tigre  en  prose,  qui  jusque-là  était 
resté  à  l'état  de  mythe.  (Voir  Bull,  du  Bibliophile, 
nov.  1841.) 

M.  Gratet-Duplessis  fit  imprimer  à  Douai, 
chez  Ad.  d'Aubers,  en  1842,  son  manuscrit  du 
Tigre  en  vers,  qui  ne  fut  tiré  qu'à  2  5  exem- 
plaires, pet.  in-8  de  16  p.  —  Il  en  a  été  fait,  en 
i85i,  une  réimpression  à  Strasbourg,  chez  Sa- 
lomon,  à  soixante  exemplaires,  in-8  de  18  p. 
non  paginées.  A  la  fin  se  trouve  une  notice  de 
37  lignes,  signée  M.  T.  —  Dans  le  volume  de  ses 
Souvenirs  historiques  des  Résidences  royales 
consacré  au  Château  d'Amboise  (Paris,  1845, 
in-8),  M.  Vatout  a  aussi  placé  le  Tigre  versifié. 
Ces  éditions,  calquées  l'une  sur  l'autre,  sont 
également  défectueuses,  comme  le  sont  d'ail- 
leurs toutes  les  copies  à  la  main  qui  s'étaient 
conservées,  telles  que  celles  que  possède  la  Bi- 


—  H9  — 

bliothèque  Nationale,   mss.  nc's   2339  et   13764. 

La  version  que  nous  donnons  est  celle  d'une 

copie  nous  appartenant,  soigneusement  revisée. 


P.  72,  1.  17.  —  Addition. 

Si  Ton  compare  cette  paraphrase  versifiée  avec 
l'original  en  prose,  on  voit  que  tout  ce  passage, 
compris  entre  les  vers  149  et  22  5,  est  un  déve- 
loppement ajouté  par  le  versificateur. 


Sur  le  portrait  de  l'auteur  du  Tigre. 

François  Hotman,  l'aîné  des  onze  enfants 
d'un  conseiller  au  parlement  de  Paris,  naquit 
à  Paris  le  23  août  1524.  et  mourut  à  Bàle  le 
12  février  i5<jo.  Il  eut  pour  maître  Pierre  de 
L'Estoile,  et  Estienne  Paquier  fut  un  de  ses 
disciples.  Il  professa  à  Paris  dès  1546,  et  succes- 
sivement à  Orléans,  à  Valence,  à  Bourges,  à 
Lausanne,  à  Strasbourg.  Renommé  comme  ju- 
risconsulte et  comme  historien,  il  a  publié  un 
très -grand  nombre  d'ouvrages,  presque  tous 
écrits  en  langue  latine.  Il  suffit  de  nommer 
YAnti-Tribonien,  le  De  furoribus   Gallicis,    la 

i3 


_   i5o  — 

Gaule-Franke.  Sa  vie  a  été  toute  militante  et 
remplie  d'épreuves  vaillamment  soutenues.  Une 
inscription,  qui  se  voit  encore  au  cloître  de  la 
cathédrale  de  Baie,  rappelle  les  traits  principaux 
de  sa  carrière  accidentée. 

Le  beau  portrait  que  nous  donnons  d'Hotman 
est  une  reproduction,  par  l'héliogravure,  de  celui 
qui  fut  publié  en  1598  par  J.-J.  Boissard  et 
Théod.  de  Bry,  dans  leurs  Icônes  virorum  illus- 
trium,  etc.  (Francfort,  in-folio),  t.  III,  p.  140. 
Voici  le  début  du  texte  qui  l'accompagne,  et  qui 
montre  en  quelle  grande  estime  Hotman  était 
tenu  par  ses  contemporains  : 

Francisci  Hotomanni,  jurisconsulti  clarissimi 
historiarumque  et  totius  antiquitatis  sctentissimi, 
Basilea?,  anno  Christi  j  590,  animam  expirantis, 
ex  mortui  schemate,  deformavimus.  Accurate 
quidem  illam,  sed  quam  ad  vivum  maluissemus 
efjingere,  si  id  in  manu  nostra  fuisset.  Intérim 
hac  contenu  veram  animi  ideam  in  scriptis  ejus 
contemplabimur.  Mortuus  est,  reliais  post  se 
ingenii  sui  monumentis ,  quitus  in  œternum 
victurum  nomen,per  universum  orbem,  obtinet. 
(Suit  la  longue  liste  de  ses  ouvrages.) 


o  ; 


INDEX 

Portrait  de  François  Hotman. 

Dédicace v 

Un  chapitre  d'histoire  et  de  bibliographie  a 
propos  de  ce  petit  livret 

I.  La  conjuration  d'Amboise i 

II.  Le  Tigre  de  la  France 6 

III.  Martin  Lhomme  et  Robert  Dehors.     .  8 
IV '.  Découverte,  en  1884,  d'un  exemplaire 

du  Tigre,  qui  devient  la  propriété  de 

J.  Brunet 20 

V.  Il  est  acquis,  en  1868,  pour  le  Musée 

historique  de  la  Ville  de  Paris.     .     .        26 

VI.  Jugement  sur  le  Tigre 3o 

EPISTRE  ENVOYÉE  AU  TlGRE  DE  LA  FRANCE. 

i°  Texte  rectifié  au  point  de  vue  typogra- 
phique         33 

20  Fac-similé  de  l'original  de  i56o.  ...        47 

Appendice. 

Le  Tigre,  satire  sur  les  gestes  mémorables 

des  Guisards.  i56i 67 

Notes  du  Tigre  en  vers,  par  M.  Ed.  Tricotel.        8 1 

Notes   historiques,  littéraires  et   bibliogra- 
phiques, 
Le  quatrain  anti-guisard.  ...  ...      1  1  3 

Le  Passé  et  les  Guises.  —  L'Avenir.  ...      114 

Les  frères  Lorrains 118 


—    152   — 

La  conjuration  d'Amboise 120 

L'Hôpital  et  la  conjuration  d'Amboise.    .     .  123 

Les  massacres  d'Amboise 124 

Oraison  funèbre  du  cardinal  de  Lorraine.  .  2  5 

La  funeste  ambition  des  Lorrains.  ...  1.8 
Le  cardinal  de  Lorraine  collectionneur  de 

pamphlets i3o 

Le  magistrat  courtisan.  —  La  «  grande  lé- 

vrière  » 1 3 1 

Castelnau  et  Maimbourg i32 

L'auteur  du  Tigre i32 

Lieu  et  date  d'impression  du  Tigre.  ...  1 36 

Qiiousque  tandem 140 

Omnia  serviliter  pro  dominatione.    .     .     .  140 

Le  voyage  d'Italie 142 

Les  finances  de  France 142 

Remarque 143 

Rapprochements 144 

Le  grand  et  la  grande 144 

L'assassinat  de  Vincennes 145 

Appréciations 145 

Jugements  sur  le  Tigre  en  prose  .     ,     .     .  146 

Fac-similé  du  Tigre 147 

Le  Tigre  en  vers 147 

Addition  du  versificateur 14g 

Sur  le  portrait  de  François  Hotman. .     .     .  149 


4947.  —  Paris.  Typ.  de  Ch.  Meyrueis,  i3,  rue  Cujas.  —  1875. 


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