LE TIGRE
PAMPHLET ANTI-GUI S A RD
DE i 56o
TIRAGE A PETIT NOMBRE
sur papier fort de Hollande, de Van Gelder Zonen
d'Amsterdam.
Plus i5 ex. sur papier de Chine.
— i5 — — Whatman
— 3 — sur parchemin.
m
J
LE
TIGRE
DE I 5 60
REPRODUIT POUR LA PREMIÈRE FOIS EN
FAC-SIMILE
d'après l'unique exemplaire connu
Qui a échappé à l'incendie de l'Hâtel-de- Ville en 18 7/
ET PUBLIÉ AVEC DES NOTES
HISTORIQUES, LITTÉRAIRES ET BIBLIOGRAPHIQUES
Par M. Charles RE AD
n
ITT^z
PARIS
- MIE DE PHILES
3 3 8, RUE SAINT-HONORÉj
MDCCC1
M*
2/Lu "Baron Ch. TOISSON
Ancien Officier d'Artillerie, Ancien Membre
du Conseil Municipal et Président de la
S. -Commission des Trav. Histor.
de la Ville de Paris
Qd toi, mon cher ami, cette épave,— bien petite,
mais précieuse et unique en son genre, — de l'immense
naufrage que tant d'inepties, d'en haut et d'en bas,
du dedans et du dehors — int :s et extra — ont infligé
en 1S7 1 £3 notre pauvre Ville de 'Paris.
Qdvec notre vieil Hôtel-de-Yille, que de souve-
nirs et de trésors anéantis! 'Désastre à jamais irré-
parable! Zr^ous y avons perdu, toi et moi, les résul-
tats et les témoins mêmes de ce labeur incessant de
six années, dont tu avais si heureusement prit, l'ini-
tiative, et qui, sous ta direction ^élée et habile, portait
déjà tant de fruits. C'est notre fortune historique qui
a sombré tout entière, comme en pleine mer, avec nos
^Archives et notre Stat-Civil séculaires, avec notre
'Bibliothèque et nos Collections et Matériaux de toute
sorte !
Ifestait l'ecrin, destiné à recevoir les richesses
évanouies de ce Musée Parisien — dont la création
artenait : — ce charmant Hôtel Carnavalet, que
tu as l'honneur d'avoir fait adopter par la Ville, et où
devait figurer, parmi les curiosités bibliographiques,
le petit livret dont il s'agit ici.
Tar quel miracle, l'un et Vautre, — monument et
petit livre, — ont-ils pu échapper?...
Si Z'Hôtel Carnavalet fut préservé de tout mal-
heur, même de l'étendard rouge de la Commune, c'est
grâce au brave que tu avais désigné pour en être le
gardien, et qui est demeuré ferme à son poste, dans
les mauvais jours, fidèle à son devoir et à mes in-
structions.
Si le Tigre fut sauvé du feu infernal qui a dé-
voré tous nos chers trésors, c'est que le Hasard l'a bien
voulu, — ce dieu Hasard à qui Von avait fait, ô honte!
abandon de notre malheureuse capitale, après avoir
joué son sort sur le coup â.e dés du 18 mars ( i).
Notre épave te rappellera des jours meilleurs, qui
nous furent communs, et surtout l'amitié dévouée de
ton vieux camarade
C. %
(i) Compte à régler avec l'histoire! — M. Maxime du Camp
avait écrit prophétiquement, dans la Revue des Deux Mondes %
du Ier juillet 1869, que si le pouvoir venait à défaillir un seul
jour, « Paris, comme une ville mise à sac, serait livré à tous
les épouvantements du vol, de l'incendie et du meurtre. » —
M. E. Rousse, bâtonnier de l'Ordre des Avocats, dans son dis-
cours si remarquable du 2 déc. 187 1, a réservé cette grave
question du facile et néfaste triomphe de la Commune, et des
« défaillances qui lui ont livré le pouvoir. »
1*
UN
CHAPITRE D'HISTOIRE
ET
DE BIBLIOGRAPHIE
A PROPOS DE CE PETIT LIVRET
UN
CHAPITRE D'HISTOIRE
ET DE BIBLIOGRAPHIE
A PROPOS DE CE PETIT LIVRET
I
n i559, dès l'avènement du fils aîné
de Henri II, les chefs de la maison
de Lorraine s'appliquèrent à justi-
fier une prédiction dont les avait honorés le
roi François Ier, et qui s'était formulée dans
ce quatrain populaire, devenu célèbre :
Le feu Roy devina ce poinct :
Que ceulx de la maison de Guize
Mettroient ses enfants en pourpoinct,
Et son pauvre peuple en chemise (1).
(1) On trouve ce quatrain cité par plusieurs auteurs
rontemporains, notamment par Régnier de La Plan-
:hc, à la date de 1 5Go, et (chose digne de remarque),
— 2
L'histoire ne saurait, en effet, reprocher aux
Guisards d'avoir reculé devant aucun des
moyens qu'ils purent croire propres à servir
leur ambition. S'ils ne sont pas parvenus à
usurper la couronne, ils ont du moins pleine-
ment réussi à mettre « en pourpoint » les der-
niers Valois, et « en chemise » le pauvre
peuple, qui dut à leur faction persévérante
quarante années de troubles, de misères et de
deuils.
La fatale conjuration d'Amboise fut une
généreuse, mais imprudente tentative contre
les premières entreprises de ces arrogants tu-
teurs du jeune roi François II ( i) . Les horribles
dans une lettre inédite, écrite au duc d'Etampes, gou-
verneur de Bretagne, le 29 mars i56x, Catherine de
Médicis dit elle-même : « II n'a pas tenu à des fols
qu'ils ne m'ayent mise en pourpoiact et spoliée de ce
que je pense justement m'appartenir [le gouvernement
du royaume]. » — (Bibl. nat., Mss. VC Colbert, t. 27,
fol. 343.)
(1) Elle fut surtout mal conduite. « Res, non satis
prudenter suscepta, deterius tractata fuit, » écrivait
Calvin (i3 mai -i56o).
M. Mignet, dans une remarquable étude sur les Let-
tres de Calvin {Journal des Savants, 1857-59), a fait
- 3 —
exécutions, dans lesquelles ceux-ci se plurent
à la noyer, inaugurèrent, en mars i56o, le
sombre drame où tant d'acteurs allaient jouer
successivement leurs sinistres rôles, et qui de-
vait aboutir un peu plus tard à la Saint-Bar-
thélémy, aux fureurs de la Ligue, aux assas-
sinats de Blois et de Saint-Cloud (i).
Ces exécutions impitoyables eurent tout l'ap-
pareil d'un massacre, et c'en fut un effroya-
ble, en effet. Il révolta les âmes de tous les
la lumière sur tout le détail de cette conjuration. Il
reste acquis à l'histoire que ce fut un dessein géné-
reux, mais remis pour l'exécution en des mains inex-
périmentées et maladroites. Là où un complot savant
et habile aurait infailliblement réussi, il n'y eut qu'une
« entreprise téméraire et désordonnée, » que son triste
avortement a fait qualifier de « tumulte. » (Journal
des Savants, 1857, pp. 472, 480.)
(1) Le Brief discours (de 1 565) rend les Guises ou-
vertement responsables du tumulte d'Amboise : « D'où
« sont venus les maux qui nous ont accablés sur la fin
« du règne du roy Henry II? De la conjuration faite en
« Italie par le cardinal de Lorraine, qui excita le tumulte
« d'Amboise; de la conspiration de ceux de Guise pour
« usurper le gouvernement de ce royaume. »
Brantôme dit bien que dans la conjuration d'Am-
boise « il n'entra pas moins de mescontentement que
« de huguenoterie. »
— 4 —
hommes qui n'en étaient pas devenus, par po-
litique, les instruments ou les complices. Tout
ce sang répandu cria contre ceux qui le ver-
safent ainsi à cœur joie : il cria de façon à
être écouté.
Entre autres détails affreux qu'a enregistrés
le véridique historien Régnier de La Plan-
che, « on réservoit les supplices après le dis-
« ner, ceux de Guise le faisant expressément
« pour donner quelque passe-temps aux
« dames... Et, de vrav, eux et elles estoient
a arrangés aux fenestres du chasteau, comme
« s'il eust esté question de voir jouer quelque
« mômerie... Et qui pis est, le Roy et ses
« jeunes frères comparaissaient à ces specta-
« clés, comme qui les eust voulu acharner; et
« leur estoient les patiens monstres par le
ce Cardinal, avec des signes d'un homme
« grandement resjoui, pour d'autant plus
te animer ce prince contre ses sujets (i). »
(i) La duchesse de Guise elle-même s'éloigna en
disant à Catherine de Médicis : « Ah ! Madame, quel
tourbillon de haine s'amasse sur la tête de mes pauvres
enfants! » — En effet, comme le dit très-bien Miche-
let, « cette scène funèbre semble porter malheur à
— 5 —
Aussi le même historien ajoute-t-il : « En-
te tre les choses notables qui advinrent en ce
« tumulte, ceste-cy n'est à oublier. Villemon-
« gys estant dessus l'escharTaut, et ayant
a trempé ses mains au sang de ses compa-
ct gnons, les eslevant au ciel s'escria à haute
te voix, disant : Seigneur, voicy le sang de
« tes enfansl Tu en feras la vengeance ! »
Peu de temps après, un vieux soldat, pas-
sant par là avec son jeune fils, âgé alors de
huit ans, reconnut avec horreur les têtes de
ses compagnons, encore exposées aux potences.
Il ne put retenir une exclamation qui pouvait
le perdre : Les bourreaux ! ils ont décapité
la France i Puis passant sa main sur la tête
de l'enfant : Mon fils, il ne faut point épar-
gner ta tête après la mienne, pour venger
ces chefs pleins d'honneur ï Si tu t'y épar-
gnes, tu auras ma malédiction. » Le vieux
soldat qui s'exprimait ainsi, c'était Jean d'Au-
bigné : les Tragiques sont là pour dire si son
tous ceux qui en avaient été les témoins, à François II,
à Marie Stuart, au grand Guise, au chancelier Olivier,
protestant dans le cœur, qui les avait condamnés et
en mourut de remords. » {Précis de l'hist. de France.)
I.
— 6 —
fils Agrippa a tenu parole et s'il a rempli le
vœu paternel.
II
L'impression produite par le carnage d'Am-
boise était trop profonde, l'indignation trop
vive, pour ne pas se manifester soudain par
quelque trait éclatant. Malheur au cruel op-
presseur qui triomphe ! Comment ne pas pro-
tester, de toutes les forces de son âme, contre
cette force brutale? Mais quel moyen em-
ployer ?
Un pamphlet parut, le moins verbeux sans
doute, le plus virulent à coup sûr et le plus
terrible, parmi les pamphlets fameux de tous
les temps. C'est bien à lui que s'applique cette
appréciation d'un historien de notre temps
sur « l'âpre éloquence de la Némésis calvi-
niste, » et sur ces écrits dont « chaque ligne
semble tracée à la pointe du glaive et avec le
sang des martyrs. » (Henri Martin.) Son
titre seul jetait à la face du cardinal de Lor-
— 7 —
raine la qualification de Tigre de la France $
son contenu déversait l'opprobre goutte à
goutte sur la vie tout entière du cynique et
sanguinaire prélat (i). Bien que celui-ci se
considérât comme à l'épreuve du feu ; bien que,
professant une superbe indifférence pour les
(i) « UEpître au Tigre de la France est un chef-
d'œuvre d'indignation, de fureur et de mâle élo-
quence. Le style en est passionné, brûlant; l'ironie
cruelle et sanglante; le reproche, horrible et féroce :
chaque mot, le coup de poignard qui blesse ; chaque
phrase, le coup de massue qui terrasse. » ( L. Paris,
Chronique de Champagne, 1887, t. I.)
« La guerre des pamphlets commença Une nuée
de libelles s'abattit sur le cardinal de Lorraine, un
surtout, atroce, enragé, rugissant comme son titre
même, le Tigre. C'était une malédiction en règle
contre les Guises, un réquisitoire et une exécration à
la mode antique, grosse d'injures, d'apostrophes et de
menaces, comme une coulevrine chargée de mitraille
jusqu'à la gueule. » ( Lenient, la Satire en France
ou la Littérature militante au XVF siècle. — 1866.)
D'Aubigné s'exprime ainsi : « Croissoit la maladie
du royaume, eschauffée par les vents de plusieurs es-
prits irrités, qui avec merveilleuse hardiesse faisoient
imprimer livres, portans ce qu'en autre saison on n'eust
pas voulu dire à l'oreille. » (Hist., II. liv. II, chap. 2.)
Voilà bien le Tigre, invective à la manière antique,
véritable catilinaire de la Réforme.
— 8 —
libelles dirigés contre lui, il affectât d'en faire
collection, en disant que « c'estoient les coû-
te ronnes de sa vie, pour le rendre immor-
« tel, » il sentit cette fois-là le fer rouge (i), et
Brantôme rapporte que « si le galant auteur
du « Tigre eust esté appréhendé., — quand il
« eust eu cent mille vies, — il les eust toutes
« perdues, » tant le cardinal en fut « estoma-
« que » et exaspéré.
Il ajoute même que « le grand et la grande
(le cardinal et une très-grande et belle dame
de sa parenté) en cuidèrent désespérer. »
III
Cependant le pamphlet avait fait son che-
min, et, malgré tout le zèle déployé pour dé-
couvrir soit l'auteur, soit l'imprimeur, coupa-
bles d'un tel forfait, la justice n'arriva à rien.
(i) Voir sa harangue à l'assemblée de Fontaine-
bleau, le 24 août 1559. (La Popelinière, éd. de i582,
n-8, t. I, p. 389.)
— 9 —
L'histoire, aussi bien que la fable, nous ap-
prend qu'il faut, en pareil cas, que dame Jus-
tice trouve un criminel, qu'il faut qu'elle se
venge, soit sur lui, soit sur « quelqu'un des
siens. » Voici comment elle se vengea, en
appréhendant, « sans autre forme de procès »
(le mot y est), deux victimes pour une.
« On arrêta, dit De Thou, un pauvre libraire
(pauperculus librarius) nommé Martin Lhom-
met, qu'on avait trouvé saisi d'un exemplaire
de l'ouvrage, et on l'appliqua à la question pour
lui faire avouer qui en était l'auteur, et qui
était celui de qui il le tenait. N'ayant voulu rien
avouer, il fut condamné au gibet. Lorsqu'on le
menait au supplice, un marchand de la ville de
Rouen, qui passait par là, à peine arrivé et en-
core botté (Rotomagensis quidam institor, qui
adhuc ocreatus ex via erat), voyant le peuple
extrêmement animé contre cet homme qu'at-
tendait la potence et tout prêt à se ruer sur lui,
engagea cette foule à modérer sa colère et à ne
point souiller ses mains du sang d'un malheu-
reux, quand le bourreau dans un instant les
allait satisfaire. A ces mots, la populace de tour-
ner sa fureur contre l'étranger et de le vouloir
mettre en pièces. A peine s'est-il soustrait à
— 10 —
leur rage que les archers s'emparent de lui et
l'entraînent en prison, d'où il ne sort bientôt
que pour être exécuté sur cette même place
Maubert, où l'on avait pendu Lhommet, comme
s'il eût été le confident et le complice de ce der-
nier. Cette exécution jeta de l'odieux sur le con-
seiller Du Lion (non sine Leontii senatoris in-
vidia) , lequel, pour faire sa cour aux princes
lorrains, avait condamné à mort, avec une ri-
gueur hors de propos (prœpostera severitate), un
homme innocent échappé à la fureur du peuple. »
Régnier de La Planche raconte les mêmes
faits en ces termes :
« La Cour de Parlement faisoit de grandes
perquisitions à l'encontre de ceux qui impri-
moyent ou exposoyent en vente les escripts que
l'on semoit contre ceux de Guyse. En quoy
quelques jours se passèrent si accortement, qu'ils
sçeurent enfin qui avoit imprimé un certain li-
vret fort aigre intitulé le Tygre. Un conseiller
nommé Du Lyon en eut la charge, qu'il accepta
fort volontiers, pour la promesse d'un estât de
président au parlement de Bourdeaux, duquel
il pourroit tirer deniers, si bon luy sembloit.
Ayant donc mis gens après, on trouva l'impri-
meur, nommé Martin Lhommet, qui en estoit
saisy. Enquis qui le luy avoit baillé, il respond
que c'estoit un homme incogneu, et finalement
en accuse plusieurs de l'avoir veu et leu, contre
lesquels poursuytes furent faictes : mais ils le
gaignèrent au pied.
« Ainsi qu'on menoit pendre cest imprimeur,
il se trouva un marchand de Rouen, moyenne-
ment riche et de bonne apparence, lequel voyant
le peuple de Paris estre fort animé contre ce pa-
tient, leur dict seulement : « Eh quoy, mes amis,
ne suffit-il pas qu'il meure? Laisse^ faire le
bourreau. Le voulez-vous davantage tourmenter
que sa sentence ne porte? » (Or, ne sçavoit-il
pas pourquoy on le faisoit mourir, et descendoit
encores de cheval à une hostellerie prochaine.)
A ceste parolle quelques presbtres s'attachent à
luy, l'appellant huguenaud et compaignon de
cest homme, et ne fut ceste question plustost
esmeue que le peuple se jette sur sa mallette et
le bast outrageusement. Sur ce bruict, ceux
qu'on nomme La Justice approchent, et, pour
le rafreschir, le mènent prisonnier en la con-
ciergerie du palais, où il ne fut pas plustosi ar-
rivé que Du Lyon l'interrogue sommairement
sur le faict du Tygre et des propos par luy te-
nus au peuple. Ce pauvre marchand jure ne sça-
— 12 —
voir que c'estoit, ne l'avoir jamais veu, ny ouï
parler de messieurs de Guyse ; dit qu'il est mar-
chand qui se mesle seulement de ses affaires. Et
quant aux propos par lui tenus, ils n'avoyent
deu offenser aucun ; car meu de pitié et de com-
passion de voir mener au supplice un homme
(lequel toutesfois il ne recognoissoit et n'avoit
jamais veu) , et voyant que le peuple le vouloit
oster des mains du bourreau pour le faire mou-
rir plus cruellement, il avoit seulement dict qu'ils
laissassent faire au bourreau son office, et que
là-dessus il a été injurié par des gens de robe
longue, pillé, volé et outragé par le peuple, et
mené prisonnier ignominieusement, sans avoir
jamais mesfait ne mesdit à aucun, requérant à
ceste fin qu'on enquist de sa vie et conversation,
et qu'il se soumettoit au jugement de tout le
monde.
« Du Lyon, sans autre forme et figure de pro-
cès, fait son rapport à la cour et aux juges délégués
par icelle, qui le condamnent à être pendu et
estranglé en la place Maubert, et au lieu mesme où
avoit esté attaché cest imprimeur. Quelques jours
après, Du Lyon se trouvant à souper en quel-
que grande compagnie, se meit à plaisanter de
ce pauvre marchand. On luy remonstra l'iniquité
du jugement par ses propos mesmes : Que vou-
le^-vous? dit-il, ilfalloit bien contenter monsieur
le Cardinal de quelque chose, puisque nous n'a-
vons peu prendre l'autheur; car autrement il ne
nous eust jamais donné relasche. »
Les registres du Parlement consultés en
1842 par un magistrat chercheur et érudit,
M. Taillandier, ont fourni deux arrêts rela-
tifs à cette lamentable affaire et en ont fait
connaître la date certaine (1) :
1° Veu par la Court le procès criminel faict à
la requête du procureur général du Roy à ren-
contre de Martin Lhomme, maître imprimeur,
demeurant en cette ville de Paris, rue du Mûrier,
près la rue Saint-Victor, aux trois marches de
degré, natif de Rouen, prisonnier es prisons de
la Conciergerye du palais à Paris, pour avoir
par le dict prisonnier imprimé les épistres, li-
vres et cartelz diffamatoires, plains de sédition,
schisme et scandales tendant à perturbation de
repos et tranquilité publicque contre les edictz
et ordonnances du Roy et proclamations faictes
en ceste ville de Paris, ainsi que plus à plain est
(1) Bulletin du Bibliophile, fév. 1842, p. 5i.
— 14 —
contenu audict procès, le procès-verbal de mais-
tre Gilles Du Pré, commissaire et examinateur
au Chastelet de Paris, du dimanche 23e de juing
dernier passé, contenant l'emprisonnement de
la personne dudict prisonnier, aultres procès-
verbaulx de maistres Guillaume Duchemyn et
Jehan Louschart, aussi commissaires et exami-
nateurs audict Chastelet, les épistres, livres et
cartelz diffamatoires mentionnez audict procès,
desquelz ledict prisonnier a esté trouvé saisy,
interrogatoires et confessions et répétitions du
dict prisonnier, par lui faictes devant deux des
conseillers de ladicte Court à ce par elle com-
mis , les conclusions du procureur général du
Roy, et ouï et interrogé par ladicte Court iceluy
prisonnier sur les cas et crimes à lui imposez,
et tout considéré,
« Il sera dict que, pour réparation desdicts
cas et crimes mentionnez audict procès, la Court
a condamné et condamne ledict Martin Lhomme
à estre pendu et estranglé à une potence qui
sera mise et affichée à la place Maulbert, lieu
commode et convenable, et a déclaré tous et
chascun les biens dudict prisonnier acquis et
confisquez au Roy, en oultre ordonne la Court
que les dicts cartelz, épistres, livres diffama-
toires mentionnez audict procès seront arses et
— i5 —
bruslez en la présence du dict prisonnier aupa-
ravant ladicte exécution de mort.
« Lemaistre. A. de Lyon.
« Prononcé audict Martin Lhomme prison-
nier, pour ce faict venir en la chappelle de la
dicte Conciergerie, le 1 3e jour de juillet, l'an 1 56o,
et depuys exécuté le i5e jour de juillet audict
an cinq cens soixante. »
11° « La Court, après avoir ouï le rapport ver-
balement faict en icelle par Jehan Pean, huissier
en la dicte Court, ensemble les procès-verbaulx
de Jehan Chesnay, aussi huissier en la dicte
Court, et de Jehan Louschart, commissaire et
examinateur au Chastelet de Paris, par eulx
faictz les diligences de prendre au corps aucunes
personnes suyvant l'ordonnance de la dicte Court,
pour estre ouy sur aucuns poinctz résultant du
procès criminel faict à rencontre de Martin
Lhomme, prisonnier, auquel l'arrest de mort
contre luy donné a esté prononcé le i3e jour de
ce présent moys de juillet, et néantmoings l'exé-
cution dudict arrest différée pour aulcuncs con-
sidérations à ce mouvant la Cour, a ordonné et
ordonne que ledict arrest donné à rencontre
— i6 —
dudict Martin Lhomme, prisonnier, sera exé-
cuté selon la forme et teneur.
« Lemaistre. A. de Lyon.
« Prononcé audict prisonnier, pour ce faict
venir en la chappelle de la dicte Conciergerie, le
i5e jour de juillet l'an i56o. » (i)
(i) D'Aubigné, lui aussi, a mentionné le Tigre,
mais sans le nommer; et les trois lignes de son His-
toire qui s'y rapportent (Liv. II, ch. xvi), contiennent
un nom tellement estropié, inintelligible (et cela dans
les deux éditions), que nul ne s'est jamais, je crois, avisé
d'y reconnaître le pauvre imprimeur Martin Lhomme
ou Lhomme t. C'est pourtant bien de Lhommet qu'il
s'agit, à n'en pas douter, dans le texte que voici :
« Cette lecture (celle d'un « traitté nommé Théo-
« phile » ) en fit redoubler plusieurs autres pam-
« phlets), notamment contre ceux de Guise : le Me%
« (sic) en fut pendu à Paris : durant le supplice un
« Normand voulut remonstrer à la populace l'iniquité
« d'un tel jugement, qui l'en accabla de coups, et le
« fallut pendre (pour la contenter) le lendemain en
« mesme lieu. »
Ce passage est le même, mot pour mot, dans l'édi-
tion de Maillé, iô 1 6 ( page 99 du tome I ) et dans celle
de Genève, 1626 (page i3i, col. 1 ). Lhommet y est
est transformé en le Me%. Avis au futur éditeur de
l'Histoire de d'Aubigné, de ce livre dont on apprécie
enfin aujourd'hui la grande valeur historique et litté-
— 17 —
Ainsi, Martin Lhomme [alias Lhommet),
maître imprimeur, arrêté le 23 juin i56o,
nullement convaincu d'ailleurs d'être l'auteur
ou l'éditeur du Tigre, avait été, nonobstant,
condamné le i3 juillet, et pendu le i5 (i).
Le 18, un arrêt de non-lieu fit mettre en
liberté, ou renvoyer devant le prévôt de Paris,
Catherine Beaumanoir, femme de Martin
Lhomme; Martial Gasteau, fondeur; Christo-
phe Lhomme et Henri Senapel, ses serviteurs
(probablement ses ouvriers); Antoine Bras-
chet, colporteur, ainsi que trois autres impri-
meurs de Paris, Roullin (ou plutôt Adolphe),
Lamothe, Galliot (ou Guillaume) Thiboust,
raire, trop longtemps méconnue, et dont il importe
que nous ayons désormais une édition classique.
(i) Lhommet n'était évidemment qu'un diminutif
usuel de Lhomme, qui est le vrai nom, ainsi qu'on le
voit dans l'arrêt de la Cour précité et dans le titre d'un
livre publié par lui en 1 558 : « Les Regrets de Charles
d'Autriche empereur, Ve de ce nom, ensemble la des-
cription du Beauvaisis et autres œuvres, par Jacques
Grevin, de Clermont, dédiés à Mme Magdeleine de
Suze, dame de Warty. A Paris, chez Martin Lhomme,
imprimeur, demeurant à la rue du Meurierprès la rue
Saint-Victor, 1 558. » (Avec privilège". In-8 de 22 ft.
non chiflr
— 15 —
et Jehan Bridier. Le retentum de l'arrêt porte
que oc les livres non réprouvés, trouvés en la
« maison du dict Martin Lhomme, seront
« rendus à sa femme, attendu sa pauvreté, »
ce qui ne justifie que trop le mot de De Thou :
pauperculus librarius (i).
(i) Sous cette rubrique : « Le Tigre fait mourir
deux hommes », l'historien Jean de Serres dit :
« A l'encontre de tant de livrets publiés contre l'illé-
gitime gouvernement de ceux de Guise, Jean du Tillet.
greffier de la cour du Parlement à Paris, composa un
livre intitulé : la Majorité du Roy... On lui fit plu-
sieurs réponses fermes et véhémentes, auxquelles ni
lui ni son frère, évesque de Saint-Brieuc, n'osèrent
répliquer, quoiqu'ils en fussent instamment sollicités
par le Cardinal, pour le contentement duquel, à la sol-
licitation d'un certain conseiller nommé Du Lyon, un
imprimeur de Paris, nommé Martin Lhommet, fut
pendu et estranglé pour avoir mis en lumière un livret
intitulé le Tigre, fait contre ceux de Guise. Mesme
traitement fut fait à un notable marchant de Rouen,
qui, se trouvant à l'exécution, et voyant le peuple
estrangement animé contre THommet, avoit exhorté
quelques-uns à se comporter plus modestement. Ce
fut un procès sans forme ne figure, et pour contenter
le Cardinal, comme Du Lyon l'avoua depuis en une
grande compagnie. » (Histoire dite des Cinq Rois, ou
Recueil des Choses mémorables, etc., 1 5g5, in-8.)
On voit par cet extrait combien cet excellent ou-
vrage est exact et mérite créance.
— i9 —
Pour achever ces éclaircissements, disons
que l'infoituné marchand de Rouen, qui eut
la malechance d'arriver à Paris et de pas-
ser par la place Maubert, à l'heure du sup-
plice de Martin Lhomme, se nommait Robert
Dehors. C'est sous la date du 19 juillet que se
trouve l'arrêt du président De Lyon, le con-
damnant à être pendu, « pour raison de la sé-
« dition et émotion populaire faite par ledict
a prisonnier, lors de l'exécution de mort de
a Martin Lhomme, par le moyen des propos
« scandaleux et blasphèmes dicts et proférés
« par ledict Dehors contre l'honneur de Dieu
c et de la glorieuse Vierge Marie, induisant
a par ledict prisonnier le peuple à sédition et
« scandales publics. » — Ce qui signifie tout
simplement, comme le remarque M . le conseil-
ler Taillandier, qu'il était suspecté d'hérésie.
Autre temps, autre langage, mais mêmes pro-
cédés. Ne fallait-il pas que le conseiller De
Lyon « contentât » M. le cardinal, afin de
s'avancer et de ce gagner son estât de prési-
dent au parlement de Bordeaux ? »
Hélas î ainsi va le monde!
— 20 —
IV
Toujours est-il que Fauteur du Tigre, après
avoir trompé les investigations de la police de
son temps, avait échappé de même aux pour-
suites des bibliophiles. On a pu croire, jusqu'à
nos jours, que le corps du délit était totale-
ment disparu. Les possesseurs du dangereux
pamphlet en avaient-ils donc anéanti jusqu'au
dernier exemplaire? Aucun auteur ne sem-
blait en avoir parlé de visu, aucun bibliophile
d'autrefois (pas même L'Estoile, si friand et
si bien achalandé en fruit défendu) n'était
signalé comme ayant rangé le fameux libelle
parmi ses curiosités ( i ) . Le titre lui-même n'en
(i) L'Estoile constate, à la date du 9 février 1608, que
« l'inventaire de ses paquets contenant un ramas de
« presque un siècle de nouvelletés et curiosités de ce
« temps, sur toutes sortes de matières et sujets, » ne
s'élevait pas à moins de 12 10. Ce qu'il dit ailleurs (à
la date du 27 juin 1G07) nous apprend comment
ont dû se perdre les quelques exemplaires survivants
était pas exactement connu, et Ton en était
venu à douter (témoin les auteurs de la Bi-
bliothèque historique de la France, 1769)
que le pamphlet eût réellement existé à l'état
d'imprimé.
C'est en 1834 qu'un exemplaire de ce vé-
ritable phénix fut enfin miraculeusement dé-
couvert par M. Louis Paris, alors bibliothé-
caire-archiviste de la ville de Reims, dans le
magasin du libraire Techener, parmi des lots
de vieux bouquins, provenant d'une biblio-
thèque de province. Il ne sut pas contenir sa
joie (1); il la lit partager naïvement àTechener,
de certains pamphlets, dont la possession constituait
par moments un grave péril. « Boudin m'a vendu ung
« meschant petit livret que j'ai trouvé par hasard en
« sa boutique, intitulé : Taxe des parties casuelles
« de la boutique du Pape, en latin et en françois, im-
« primé à Lyon, in-8°, 1564. Il y avoit longtemps que
« j'en cherchois un, pour remettre à la place de celui
« que je bruslai à la Saint-Barthélémy, craignant qu'il
« ne me bruslast. »
(1) M. L. Paris a lui-même fait le récit de sa trou-
vaille : « Un jour, il était quatre heures de relevée,
heure chère aux bibliophiles parisiens, j'entrai, selon
l'habitude, chez Techener, pour y humer la sainte
poussière de ses précieux bouquins. J'avise un lot de
— 22 —
qui en fit part aussitôt à Charles Nodier, le-
quel (moins naïvement) communiqua la
grande nouvelle au monde lettré dans un cé-
lèbre article du Bulletin du Bibliophile
(ire série, 1834, p. 9, n° 161).
Quel événement ! Aussi, quelle émotion !
C'était bien le cas de s'écrier : Habent sua
fata libellil Un enfant perdu était donc re-
trouvé, et les bibliophiles se devaient de tuer
le veau gras ! Techener, après avoir fait don-
ner au mince fascicule une belle et simple
reliure, maroquin brun, par Bauzonnet,
l'inscrivit à son catalogue (Bulletin du
Bibliophile, nov. i835, p. 48, n° 3212) avec
cette cote d'honneur :
Epître envoyée au Tigre de la France,
rarissime pamphlet de 14 pages. Prix :
200 francs.
vieilleries, qu'à son retour de voyage, Techener avait
rapporté : l'un des volumes qui me tombent sous la
main est un Miscellanée , ou recueil de plusieurs
opuscules d'époques et de matières diverses. Tout à
coup, je me sens tressaillir des pieds à la tête. Je ve-
nais de lire, à la volée, en feuilletant du pouce : Au
Tigre de la France!... »
— 23 -
Brunet, le renommé thésauriseur de livres,
s'en rendit aussitôt, au prix coûtant, légitime
et incommutable propriétaire.
Appelé à en parler de nouveau dans le Bul-
letin du Bibliophile (nov. 1841, 4e série,
p. 872), Charles Nodier épancha ainsi sa
douleur : « Cet inappréciable pamphlet ne
« m'appartient point. Ma petite dissertation
a (de 1834), en révélant ses titres historiques,
« le fit monter à un prix auquel je ne pouvais
« plus atteindre, et il fait partie aujourd'hui
« des brillantes richesses de notre savant bi-
« bliographe M. Brunet. »
Ce dernier qui, dans son Manuel du Li-
braire, avait jusque-là nié l'existence de l'ou-
vrage, ou plutôt s'était prudemment abstenu
d'en faire aucune mention, se donna le plaisir
de le décrire dans la plus nouvelle édition .
« C'est, dit-il, un petit in-8°, sans lieu d'im-
« pression ni date, de 7 feuillets non chif-
« frés , y compris le titre et le 7e feuillet
« qui ne contient qu'un huitain. Chaque
« page de texte, imprimée en gros caractè-
tt res romains, a 21 lignes, excepté la 10e qui
« en a 22. Cet éloquent pamphlet dirigé con-
— 24 —
« tre le cardinal de Lorraine, alors tout puis-
ce sant, est une invective imitée de la ireCati-
a linaire de Cicéron. » — Et Brunet ajoute
avec un sentiment de doux orgueil : « Mon
<j exemplaire est jusqu'ici le seul que Von
« connaisse. Charles Nodier Va bien décrit
« dans son excellente notice. »
Pourtant, dans cette minutieuse description,
Brunet a encore omis de dire : i° que chaque
page est encadrée de filets au carmin, et que la
première a, sous le titre, une grande tache d'en-
cre noire, de forme presque triangulaire, visi-
blement faite là à dessein, pour effacer quelque
chose d'écrit dont on aperçoit encore la trace,
mais trop peu pour qu'on puisse venir à bout de
rien déchiffrer ; 2° qu'au dessous de cette même
tache, on lit ces cinq mots très-nettement
tracés : Ce livre est à Daniel Du Monstier.
Cet ex-libris autographe est bien celui du
célèbre dessinateur, à qui l'on doit tant d'ad-
mirables portraits, aux trois crayons, de per-
sonnages de la fin du XVIe siècle. Du Mons-
tier était (comme Pierre de L'Estoile, comme
son neveu le conseiller Du Puy, ses amis,
comme Hotman-Villiers, fils de l'auteur du
- 25 —
Tigre , comme Justel et le célèbre médecin
Ras?e des Neux) un chercheur, un collection-
neur de raretés (i).
(i) Du Monstier, nous dit Tallemant des Réaux,
« étoit un peintre au crayon de diverses couleurs... Il
savoit de l'italien et de l'espagnol, aimoit fort à lire,
et il avoit assez de livres... Son cabinet étoit assez
curieux : il y avoit sur l'escalier une grande paire de
cornes, et au bas : « Regarde^ les rostres »; et au
bas de ses livres : « Le diable emporte les emprun-
« teurs de livres. » Du Monstier n'étoit catholique
qu'à gros grains... A la mort de Du Monstier, le chan-
celier, par l'instigation des jésuites, fit acheter tous les
livres qu'il avoit contre eux et les fit brûler. » (Histo-
riettes, CXLI.) Il en est pourtant qui durent échapper,
témoin certain manuscrit in-folio que M. Ed. Tricotel
nous a récemment signalé à la Bibliothèque Nationale,
et qui n'est autre qu'une copie de YEnfer, antérieure
à celle du Recueil Gonrart, d'après laquelle nous en
avions fait la publication (L'Enfer, satire dans le goût
de Sancy, etc. Jouauât, 1873, in- 18). Les lacunes
y sont d'ailleurs les mêmes, et l'examen de ce ms.
n'a diminué en rien nos desiderata. — Le premier
feuillet porte en tête Yex-libris autographe : Ce livre
est à Daniel Du Monstier, et au dernier, le nom de
Du iMonstier se trouve encore écrit. Au dernier feuillet
de garde, nous avons découvert un autre signe très-
caractéristique et digne de remarque : c'est l'esquisse
au crayon, très-légère et à peine visible, d'une char-
mante tête de femme.
— 26 -
Pendant de longues années le précieux
Tigre reposa donc, gardé à vue par M . Bru-
net, dans l'ombre de sa belle bibliothèque. Il
fut donné à quelques privilégiés de l'y con-
templer, sous son globe de verre, parfois
de le tenir en main et de le parcourir des
yeux. Je fus un de ces favorisés. Mais à au-
cun mortel il n'était permis d'en prendre co-
pie. Charles Nodier, voulant en citer quelques
phrases, dans son article de 1 841, disait, non
sans quelque amertume : « Je suis obligé de
me les reprendre à moi-même, à défaut de
pouvoir choisir parmi les autres; » et Géru-
zez, en corrigeant les épreuves de la dernière
édition de ses excellents Essais de littéra-
ture, m'a déclaré que c'était par un effort de
mémoire qu'il avait réussi à s'approprier les
quelques lambeaux reproduits par lui. — Le
spirituel écrivain avait ainsi dérobé ces par-
- 27 —
celles du trésor, sous les yeux mêmes de son
cerbère.
Lorsque, après la mort de Brunet, la mise
en vente de ce trésor fut annoncée, il excita
bien des convoitises. Plus d'un amateur de-
manda l'autorisation de copier la rarissime, et
« plus que rarissime » plaquette, puisqu'elle
n'a point de double connu et qu'elle équivaut
à un texte manuscrit unique et vierge. Mais
le libraire Potier, respectant fidèlement les
intentions du défunt, se montra inexorable.
Enfin vint le jour des enchères... et des folies
(22 avril 1868). A qui resterait le numéro 65 1 ?
Et à quel prix ? C'était la grande question . Potier
se rendit tout d'abord acquéreur à 55o francs.
La dispute fut chaude ; le chiffre s'éleva suc-
cessivement à 1,400 francs, et M. le préfet
de la Seine, ou plutôt le libraire Baur, qui le
représentait en cette occasion solennelle, fut,
à ce prix, proclamé adjudicataire. On disait
qu'un riche et noble amateur avait poussé
l'enchère jusqu'à 1,375 francs.
Je m'estimai heureux, je l'avoue, d'avoir pu
doter d'un tel joyau la Bibliothèque de notre
pauvre Ville de Paris, dont la direction m'é-
— 28 —
tait alors confiée. Il est bon qu'une bibliothè-
que publique retienne parfois au passage ces
rarœ aves de la bibliographie et qu'elle s'en
fasse honneur. La Ville de Paris avait d'ail-
leurs, en cette circonstance, un intérêt parti-
culier à posséder celui-ci, soit pour sa collec-
tion spécialement parisienne, déjà si riche, soit
pour les vitrines bibliographiques du Musée
historique qu'elle se proposait alors d'installer
à l'Hôtel Carnavalet. Ne s'agissait-il pas d'un
spécimen (et quel spécimen!) de pamphlet
parisien, d'un libelle fameux qui avait mis
en mouvement le Châtelet et le Parlement, et
motivé la pendaison de deux innocents en
place Maubert?
• Mais, hélas ! de combien peu s'en est-il fallu
que ce petit livre, — unique exemplaire sur-
vivant et si étonnamment préservé jusqu'à
nous, — ne fût tout à coup replongé dans
le néant par la catastrophe à jamais mau-
dite qui a fait sombrer notre infortunée Ville
de Paris, et englouti, en quelques heures,
tous les souvenirs, toutes les richesses amon-
celées de son vieil édifice municipal : ses
Archives si précieuses et encore inexplorées,
— 29 -
— les registres originaux et séculaires de son
Etat-civil, — ses collections, si considérables et
uniques en leur genre, de Plans de la Cité,
de Monographies, de Vues et de Portraits,
Peintures, Dessins, Estampes, Médailles, Ma-
nuscrits et Documents de toutes sortes, — sa
Bibliothèque enfin ! . . .
Honnis soient-ils, ceux qui nous ont valu
le risque -tout et le sauve -qui -peut du
18 mars 1871, avec leurs abominables et ir-
réparables conséquences!...
Sollicité depuis longtemps de donner une
réimpression du Tigre et concevant d'ail-
leurs, pour la sûreté de notre petit volume,
je ne sais quelle vague et jalouse inquiétude,
je ne l'avais point laissé dans mon cabinet de
THôtel-de- Ville (où j'ai subi des pertes person-
nelles considérables!) Je l'avais, en préparant
mon travail, gardé par devers moi, dans mon
domicile privé, — où il a bien failli rencontrer
les mômes vicissitudes, mais où finalement il a
trouvé son salut : seule et unique épave de cet
immense naufrage !
C'est donc aujourd'hui , à double titre, un
3.
— 3o —
phénix bibliographique, et deux fois provi-
dentiellement retrouvé, qui renaît ici, on peut
presque le dire, de ses cendres (i).
VI
L'auteur d'un excellent travail sur François
Hotman, publié il y a quelques années (i 85o),
M . Rodolphe Dareste, a parlé du Tigre en
ces termes, d'après l'examen qu'il en avait pu
faire chez M. Brunet :
« C'est, dit-il, de tous les libelles publiés
« à cette époque, le plus violent et le plus élo-
« quent, le plus net et le plus concluant. —
« Le grand défaut de la prose du XVIe siècle
a est d'être, en général, lourde et traînante,
a On savait trouver des mots heureux, des
(i) J'avais promis la présente réédition à l'Académie
des Bibliophiles, qui me l'avait demandée, et je l'avais
annoncée à l'Assemblée générale de la Société de
l'Histoire de France, le 3o avril 1868, en y lisant une
notice qui se trouve résumée dans son Bulletin, p. 134.
Elle m'a été bien des fois réclamée depuis lors. Je suis
heureux d'avoir pu enfin dégager ma parole.
— 3i —
« expressions piquantes, mais on n'entendait
a guère l'art de faire des phrases et de compo-
« ser des discours. Au contraire, quoi de plus
« vif et de plus serré que les apostrophes du
« pamphlétaire au Tigre? Changez-en l'or-
cc thographe, et elles vous paraîtront écrites
i d'hier. Tous les mots sont comptés et portent
« coup, et l'intérêt va toujours croissant jus-
ce qu'au moment où l'auteur, s'arrêtant brus-
<t quement, termine par un mot admirable. »
Partageant le sentiment de M. Dareste,
j'ai pensé que je ne devais pas me borner à
donner une reproduction matériellement fi-
dèle du Tigre. Comme il est plein de ces
fautes de typographie et de ponctuation, qui
trahissent une impression hâtive et clandes-
tine, et en rendent la lecture pénible, j'ai jugé
nécessaire d'en présenter d'abord un texte re-
visé, où l'orthographe ne lut pas sensiblement
modifiée, mais qui mît le lecteur à même de ne
pas hésiter à chaque ligne et de sentir tout d'a-
bord les mouvements de haute éloquence de ce
morceau si véhément, que l'on dirait, en effet,
écrit d'hier. Je fais suivre cette première trans-
cription , ainsi préparée ad legendum , d'un
— 32 —
fac-similé ou report photographique ad usum
curiosorum, plaçant sous les yeux des biblio-
philes l'original même, page pour page, ligne
pour ligne, mot pour mot. Pour les connais-
seurs, ce sera évidemment, à tous égards, « la
bonne édition; 39 ils y retrouveront toutes les
taches originelles qu'ils auraient pu regretter
de ne pas rencontrer dans la reproduction
rectifiée.
Afin de ne pas étendre davantage ces préli-
minaires, je renvoie à l'Appendice tout ce qui
reste à dire sur les points demeurés si long-
temps incertains de l'auteur du Tigre, de la
date et du lieu d'impression, ainsi que la pa-
raphrase versifiée, dans laquelle on avait, à
tort, voulu voirie véritable Tigre de i56o :
il n'était pas sans intérêt de les juxtaposer ici
en regard l'un de l'autre.
~c^cH<âvx>-
LE TIGRE
TEXTE RECTIFIÉ
AU POINT DE VUE TYPOGRAPHIQUE
«^
« Nos auteurs ne seront jamais
appréciés ce qu'ils valent, s'ils
restent inintelligibles. Il faut
pouvoir les lire aisément... »
J.-V. Leclerc,
Disc, sur l'état des lettres
au XV8 siècle.
ÉPISTRE
ENVOYÉE
AU TIGRE DE
la France
I
EPISTRE
Envoyée au Tigre de
la France
igre enragé ! Vipère ve-
nimeuse! Sépulcre d'a-
bomination ! Spectacle
de malheur! Jusques à
quand sera-ce que tu
abuseras de la jeunesse de nostre Roy ?
Ne mettras-tu jamais fin à ton ambi-
tion démesurée, à tes impostures, à tes
larcins? Ne vois-tu pas que tout le
monde les sçait, les entend, les con-
noist? Qui penses -tu qui ignore ton
— 38 -
détestable dessein, et qui ne lise en
ton visage le malheur de tous nos jours,
la ruine de ce Royaume, et la mort de
(nostre Roy?
Je ne veux d'autre tesmoignaige, pour
te convaincre, que tes propres actions.
Tu scais bien que, vivant le Roy Fran-
çoys premier (le jugement duquel étoit
admirable), tu n'osois comparoistre de-
vant luy, et qu'il défendit au feu Roy
Henry, son fils, que toy ni les tiens
n'eussiez aucune intelligence de ses af-
faires. Mais toy, voyant que ta vertu
ne fy pouvoit conduire, tu vins à im-
plorer Taide des femmes et demander
leur alliance, envers lesquelles, après
t'en estre prévalu, tu as esté non moins
ingrat, que tu fus cruel à ton propre
oncle, lequel, estant cassé et débilité de
vieillesse et de maladie, tu contraignis
- 39 -
d'avancer ses jours par le voyage de
Rome, pour la faim qui te rongeoit in-
cessamment de sa dépouille.
Avec tels moyens tu entras au manie-
ment des affaires de ce Royaume, dont
depuis il n'a esté que misérable. Car il n'a
esté fait, dit, ne pensé chose par toy, qui
ne revienne au dommage de la France,
et au profit de ta maison. Qui fut l'entrée
de la guerre d'Allemaigne ? Ne fut-ce
pas toy ? Si je te demande la raison, me
diras-tu que c'étoit pour bien que tu
souhaitois à la couronne de France?
Tu n'estois pas si peu malin, en ce
temps-là, que tu n'entendisses bien où
telle entreprise pouvoit revenir : mais
la cupidité te mordoit de faire grande
la maison de ton cousin, et l'espérance
que tu te proposois de l'Evesché de Metz.
Et aussi que, par ce voyage, tu assurois
— 40 —
tes biens et avançois la fortune de ton
frère aîné.
Toutes ces choses-là (et quelques
autres que toy et moy savons bien)
firent prendre les armes au feu Roy
Henry. Qu'en est-il advenu? La mort
d'une infinité de vaillans hommes, la
pauvreté universelle de ce Royaume,
fors qu'en ta maison, la perte de trois
batailles, le délaissement du pays con-
quis. Tu me diras que ce n'a pas esté
à ton occasion. As-tu jamais parlé de la
paix, que lorsque tu n'osas parler de la
guerre? N'as-tu pas fait un voyage à
Rome, et devers tous les potentats
d'Italie, parmi les neiges et les glaces,
au plus grand froid de l'hiver, pour
faire la guerre à Naples, lorsque les
affaires étoient plus bouillantes par deçà,
entre l'empereur Charles, le grand guer-
— 4i —
royeur, et le feu roi Henry ? Tu savois
bien que nos forces unies lui pouvoient
bien résister, et tu les as voulu séparer
et diviser au milieu du plus grand dan-
ger ! Mais Ton aperçut ta malice et mé-
chanceté , car, outre ce que tu fus
désavoué par le feu Roy, la trêve fut
arrestée sans attendre ton retour. Mais,
dis-moi, brave négociateur (la diligence
duquel pour faire une méchanceté n'est
point retardée par les neiges, par les
glaces des Alpes, ni de F Apennin), as-tu
jamais fait démonstration de vouloir la
paix? Si tu me parles du Chasteau-
Cambrésis, je te dis que tu n'y avois
aucune puissance, mais le tout des-
pendoit du Connestable de France, avec
lequel tu estois allé pour finsinuer en
son amitié, estant desjà averti du congé
que Ton te minutoit.
4-
— 42 —
Mais que me répondras-tu, quand je
te dirai, qu'encore que le voyage de
Naples fût une fois rompu, tu fis tant
par tes impostures, que, sous l'amitié
fardée d'un Pape dissimulateur, ton
frère aisné fut fait chef de toute l'ar-
mée du Roy, pour s'en servir à se faire
Roy lui-même, et, si le Pape fût mort,
à te faire Pape?
Quand je te diray que, pour avoir
diminué la France de ses forces, tu as
faict perdre au feu Roy une bataille, et
la ville de S1 Quentin ? — Quand je te
diray que pour rompre la force de la
justice de France et pour avoir les juges
corrompus et semblables à toy, tu as
introduit un semestre à la cour de Par-
lement ? — Quand je te diray que tu as
fait venir le feu Roy pour te servir de
ministre à ta méchanceté et impiété ? —
-43 -
Quand je te diray que les fautes des '
finances de France ne viennent que de
tes larcins ? — Quand je te diray qu'un
mari est plus continent avec sa femme
que tu n'es avec tes propres parentes?
— Si je te dis encore que tu t'es em-
paré du gouvernement de la France, et
as dérobé cet honneur aux Princes
du sang, pour mettre la couronne de
France en ta maison, — que pourras-
tu répondre? Si tu le confesses, il te faut
pendre et estrangler : si tu le nies, je te
convaincrai.
Tu fais mourir ceux qui conspirent
contre toy : et tu vis encore, qui as
conspiré contre la couronne de France,
contre les biens des veuves et des or-
phelins, contre le sang des tristes et des
innocens! Tu fais profession de près-
cher de sainteté, toy qui ne connois
~ 44 —
Dieu que de parole ; qui ne tiens la re-
ligion chrétienne que comme un masque
pour te déguiser; qui fais ordinaire tra-
fic, banque et marchandise d'éveschés
et de bénéfices -, qui ne vois rien de saint
que tu ne souilles, rien de chaste que tu
ne violes, rien de bon que tu ne gâtes !
L'honneur de ta sœur ne se peut garan-
tir d'avec toy. Tu laisses ta robe, tu
prends Tépée pour Palier voir. Le mari
ne peut être si vigilant, que tu ne dé-
çoives sa femme.
Monstre détestable! Chacun te con-
noît, chacun t'apperçoit : et tu vis encore !
N'oys-tu pas crier le sang de celuy que
tu fis estrangler dans une chambre du
bois de Vincennes? S'il estoit coupable,
que n'a-t-il été puni publiquement? Où
sont les témoins qui Pont chargé ? Pour-
quoi as-tu voulu en sa mort rompre et
-45 -
froisser toutes les loix de France, si tu
pensois que par les loix il pût être con-
damné?
Tu dis que ceux qui reprennent les
vices médisent du Roy, tu veux donc
qu'on t'estime Roy ? Si César fut occis
pour avoir prétendu le sceptre injuste-
ment, doit-on permettre que tu vives,
toy qui le demandes injustement?
Mais pourquoi dis- je ceci? Afin que tu
te corriges? Je connais ta jeunesse en-
vieillie en son obstination, et tes mœurs
si dépravées, que le récit de tes vices ne
te sçauroit émouvoir. Tu n'es point
de ceux-là que la honte de leur vilainie,
ni le remords de leurs damnables in-
tentions, puisse attirer à aucune rési-
picence et amendement. Mais si tu me
veux croire, tu t'en iras cacher en quel-
que tannière, ou bien en quelque désert,
-46-
si lointain que Ton n'oye ni vent ni nou-
velles de toy ! Et par ce moyen tu pour-
ras éviter la pointe de cent mille espées
qui t'attendent tous les jours !
Donc va-t'-en! Descharge -nous de
ta tyrannie! Evite la main du bour-
reau! Qu'attends-tu encore? Ne vois-
tu pas la patience des Princes du sang
royal qui te le permet? Attends-tu le
commandement de leur parolle, puisque
leur silence t'a déclaré leur volonté? En
le souffrant, ils te le commandent-, en
se taisant, ils te condamnent. Va donc,
malheureux, et tu éviteras la punition
digne de tes mérites !
^ I
LE TIGRE
FAC-SIMILE
de l'original de i56o
%0
Oculis subjectafidelibus.
Hor.
EPISTRE
ENVOIEE
AV TIGRE DE
la France.
#
«
EPISTRB
Enuoyêe au Tigre de
la France-
IG RE enrage, Vi>
père venimeufe, Se^
pulcred'abominario,
fpcdaclede malheur;
ïufquesàquand fera ce que tu as
buteras de la ieuneffe de noftre
RoyCnemérras tu iamais fin à ton
ambition demcfuree, àtesimpo*
ftures,à tes larcinsCNevois tu pas
que tout le monde les fcai t, les en*
tend,lescongnoift? Qui pence tu
qui ignore todeteftabledeffeing,
écqui nehfeen ton vifage lemaU
heur detous tes iours, la ruine de
ce Royaume, & la mort de noftre
Roy? le ne veux d'autre tefmons
gnaige pour te conuamcre que tes
propres adios. Tufcaisbienque
viuantle Roy Francoys premier
(le iugernent duquel étoit admi*
rabIe)tunofoiscomparoiftrede*
uant luy , dC qu'il defenditau feu
Rox Henry fon fils,que toy ny les
tiens nVuffiez aucune intelligence
de fes affaires, Mays toy voyant
que ta vertu ne t'y pouuoyt con*
duire, tu veins à implorer layde
des femmes & demander leur al*
liance,enuerslefquelles après t'en
être preualu, tu as efté non moins
ingrat, que tu fus cruel à ton pros
pre onclejequel eftant cafïe 6cd&
bilité de viellefTe & de maladie , tu
contraignis d'auâcer fes ioùrs par
le voyage de Rome, pour la faim
qui te rongeoit inceflamment de
fa dépouille* Auectelsmaniemes
tu entras aux maniemenTcïes afFai M
resdeceRoyaume^ontdepuisil !
n'a cfté que miferablercar il n àes ;
ftéfait,dit,nepenfechofepartoy,
qui ne reuienneau dommage de
la Frâce,& au profit de ta maiforw
Qui fuefêtree de la guerre d'Aï-
IematgneCnefufTè pas toy? Si ie te
demâdelaraifon, médiras tu que
c'étoit pour bien que tu fouhétois
à la couronne de France? Tu n'e*
ftois pas fi peu mallin en ce temps
la, que tu n entendifTes bien ou
telle entreprife pouuoyt reuenir:
matslacupiditétemordoitdefai*
re grande la maifon de ton coufin,
& Tefperance que tu te propofois
de TEuefché de Metz» Ec aufsi
que par ce voyage, tu^fTeurois tes
biens & auancoys la fortune de
ton frère aifné.
7~ft îï)~ "Toutes
Toutes ces chofesla, &T quête
ques autres que toy&moyfcauos
bien, ferrent prendre les armes au
feu Roy Henry* Qu'en eft il ad*
uenuC' la mort dVne infinité de
vaitlans hommes, lapouretévni*
uerfellede ce Royaume, fors qu'Ne
tamaifon:laperte de trois batailles
le delaifTement du pais conquis»
Tu me diras quecen'àpaseftéà
tonoccafio* Astuiamaisparléde
la Paix, que lors quen'ofas parler
delaguerreC N'as tu pas fait vng
| voyage à Rome,&deuers tous les
potentas d'Italie,parmy les neiges
& les glaces, au pluf grand froid
de PyuerC pour faire la guerre à
Naplesjorsqueles affaires étoycÇ
plus bouillâs par deçà eritrel'Em*
pereurCharles,legrâd guerroie^
& le feu Roy Henry ? Tu feauois
bien
BîcrTqucnon^yccsvniesTuy^p^uTf
uoyenc bien refifter f & ru les as
youlu feparer&diuiferau milieu
du plus grand danger, mais l'on
aperceut ra malice &C méchanceté;
car outre ce que tu fus defauoué
par le feu Roy, la Trefue fut arre*
ftee fans attêdre ton retour. Maïs
dymoybraue négociateur, (ladis
ligenceduquel pour faire vnemé'
chancetén'eft point retardé par
neiges , par les glaces des Alpes,
tiydel'Apenyn) as tuiamaisfait
demôftration de vouloir la Paix?
Si tu me parle du chafteauChams
brefi, ietedyquetun'yauoisau^
cune puifTance : mais le tout def-
pêdoit du Conefhble de France,
auec lequel tu eftois allé pour te
infinueren fon amitié , eftantia a*
uerti du congé cjl on reminutoif*
T
A Hq Mttfs-
Mais que me refpondras tu7
quand ie te diray qu'encores que
le voyage de Naples fut vne foys
rompu, tu fis tant par tes impos
ftures, .que foubs l'amitié fardée
dVnPapedifsimuIateur,tonfrere
aifné fut fait chef de toute Tannée
du Roy , pour s'en ferufr à fe faire
Roy luy mefmes 9 & fi le Pape fut
m orra te faire Pape,
Quand ie te diray que pour
auoir diminué la France de fes
forces,tu as fait perdre au feu Roy
vne bataille, & la ville de faincfl
Quentin. Quand ie te diray que
pour romprelaforcedela luftiee
de France, & pour auoir les iuges
corrumpus Se femblables à toy,
tu as introduit vng femeftreàla
court de Parlement* Quand ie te
diray q tu as fait venir le feu Roy
pour
1
pour te feruir de minifire à ta mé*
chanceté& impieté. Quand ie te
diray que les fautes des finances
de France ne viennentquedetcs
larcins* Quand ie te diray qu'vng
mary eft plus continent auec fa
femme que tu n'es auec tes pro^
près parentes. Si ie te dy encores
que tu tes emparé du gouuerne^
ment de la France, &asdefrobé
ceft hôneur aux Princes du fang,
pour mettre la cour one de France
en ta maifon i que pourras tu ref-
pondreCSituleconfeflesJltefaut
pendre & eftrangler : fitulenye,
ie te conuaincray* Tu fais mourir
ceux qui confpirent contre toy,&
tu vis encores qui as confpiré con
tre la couronne de France, contre
les biens des vefues&des orfel ins,
contre le fang des triftes & des im
A v nocens*
nocen$*Tu fais profefsion depre^
fchcr de faindeté t toy qui ne con*
gnois Dieu que de parolle,qui ne
tiens la religion Chreftienneque
comevnmalquepourtedeguiîer,
qui fais ordinaire traffique,bâque
bC marchandife d Euefchez & de
benefices,qui nevoisriendefaimfl
que tu ne fouilles, riendechaftej
que tu ne violles , rien de bon que
tunegaftes. L'hôneurdetafceur
nefepeutgarentir d'auectoy, Tu
laiflTes ta robe,tu près l'efpee pour
Tallervoin Lemarynepeut.eftre
fivïgillant, quetunedecoyuesfa
fcme4 Monftre deieftable chacun
tecongnoit, chacun t'aperçoit, &
tuvisencoresC Noys tu pas crier
iefangdeceluy que tu fis eftrans
gler dans vne chambre du boys
deVincennesC Sileftoitcoupa*
— * — — m
pablc, que n'a il eftépuny publia
quementC' Oufontlesiefmoingts
qui l'ont chargée Pourquoyasru
voulu en fa mortr5pre& froiffer
toutes les loix de France. Si tu pë*
coys que par les loix , il peut eftre
condemné? Tu dis que ceux qui
reprengnent les vices , medîfent
du Roy: tu veux doneques qu'on
t'eftime Roy* Si Caefarfutocci
pour auoir prétendu le Sep tre in*
iuftement, doit on permettre que
tu viues toy qui le demandes iniu*
ftementC'Maispourquoydyieces
ey, afin que tu te corriges. le cons
gnoistaieuneflefienuiellieenfon
j obftination,&tes meurs fi defpras
I uez, que le récit de tes vices ne te
jfeauroyent efmouuouv Tu n'es
i point de ceux là que la honte de
I leur vilain ie, ny le remorsde leurs
dam*
fia m n ables in tétions, puiiïè attirer
â aucune refipifcence& amende*
ment. Maisfitumeveuxcroyre,
tu t'en iras cacher en quelque tan*
niere, ou bien en quelque defert fi
loingtain^quefonn'oyenyvëtny
nouuelles de toy, Et parce moyen
tu pourras euiter la poinde de
cent mille efpees qui t'attendent
tous les iours»
Doncques vaten, defeharge
nous de ta tyran nie, euites la main
du bourreau, qu'attês tu encores?
Ne vois tu pas la patiêcedes Prin*
ces du fangRoialqui te le permet?
attens tu le co m mandemët de leur
parolle , puis que la filence t'a de*
claré leur volume en le fouffrant?
ilste le commandent,enfetaifant,
ils te condamnent» Va doncques
malheureux, & tu efuiteras la pu*
nition digne 3e tes mérites»
Huitaîn*
Il m'eft aduis qu'il te deburofc fuffire
(Tigre euenté) voyr le Roy noftre (îre
Vouloir foufrir remplir ta bourceainfï
De Tes trefors, va luy crier mercy
Va infecte, qu'il netefacefuireJ
Car s'il congnoit quelque iour en fes fens
Que tu refpans le fang des ïnnocens
Tu pourras dire alors qu'auras du pire»
FIN.
APPENDICE
m
\o <
LE TIGRE
SATIRE
sur les gestes mémorables des guisards
i56i
eschant Diable acharné, Sépulcre abominable,
* Spectacle de malheur, Vipère épouvantable,
Monstre, Tigre enragé, jusques à quand partoy
Verrons-nous abuser le jeune âge du Roy?
Ne cesseront jamais tes lourdes impostures ?
Montreras-tu toujours tes vilaines ordures ?
Jamais, Traistre voleur, ne mettras-tu de fin
A ta briganderie et à tant de larcin
Que tu fais dans ce règne?... O malheureux Achriste!
10. Epicure deux fois, et trois fois Athéïste!
Incestueux vilain, ennemi de vertu,
Bourreau de notre peuple ! Ores qui penses-tu
Qui tes desseins n'entende et n'ait bien connoissance
De l'évident péril que tu promets en France ?
Du danger de la mort, que nous voyons prochain
Sur la teste du Roy, si Dieu n'y met la main?
Et de cent mille maux piteux et déplorables
Qui menacent par toy ces pays misérables ?
— 68 -
Pour te convaincre ici, je ne veux amener
20. Que le tien propre fait, qui te peut condamner :
Car il est tout prouvé que ta fausse cautelle
Et secrette malice a toujours été telle,
Qu'aux yeux du Roy François, peu devant son trépas,
Pour ta meschanceté, montrer ne t'osois pas.
Mesme on sçait bien, durant sa mémorable vie,
Luy te connoissant bien, qu'il n'avoit pas envie
De se fier en toy, ni te voir près de luy,
Prévoyant bien le mal que tu fais aujourd'huy :
A Henry, dernier mort, ne fit-il pas défense
3o. Que ni toy, ni les tiens n'eussent intelligence
Des affaires de France, et que de trahison
Il soupçonnoit déjà ta meschante maison ?
Mais quand tu vis alors ton espoir te séduire,
Pour ce que la vertu ne t'y pouvoit conduire,
Tu vins flatteusement les femmes implorer,
Cherchant par l'amitié d'icelles t'honorer,
Et, quoiqu'en ton endroit leurs faveurs les plus belles
N'espargnèrent en rien, toutesfois envers elles
Tu ne t'es point montré, avec ton cœur de fiel,
40. Moins ingrat, qu'à ton oncle inhumain et cruel,
Lorsque le contraignis, tout courbé de vieil âge,
De s'abréger les jours par le romain voyage,
Pour l'affamé désir, qui ton cœur émouvoit,
De vestir sa dépouille et les biens qu'il avoit.
Avecques tels moyens, à l'équité contraires,
Tu as pris en tes mains de France les affaires :
Tu as tant entrepris, qu'il n'y a plus que toy
-6g-
Qui gouverne et conduis les affaires du Roy.
Et, ores qu'on voit tout en ta main dangereuse,
5o. L'on voit pareillement la France malheureuse,
Car rien n'a été fait ni conduit par ta voix,
Qui ne soit à la perte et péril des François,
Afin que ta maison par ce dommage y gagne.
Car, c'est toy qui causas la guerre d'Allemagne,
Pour hausser ton cousin, et pour le bon espoir
De l'évesché de Metz que tu voulois avoir;
Pour assurer aussi tes biens et ta pécune
Et de ton frère aîné bienheurer la fortune.
Toutes ces choses là (plusieurs autres aussi
5o. Que tu sçais comme moy, et que je tais ici)
Au défunt Roy Henry firent les armes prendre,
Dont la mort fit plusieurs dessus la terre estendre,
Par quoy toute misère et toute pauvreté
Toujours, depuis ce temps, dedans France a esté :
Et ne nous est resté, de guerre tant mortelle,
Qu'un triste sentiment d'angoisse universelle,
Perte de maints soldats fort vaillans et exquis
Et le délaissement de nos pays conquis !
Des Romains n'as-tu pas recheminé la terre
70. Pour, au fin cœur d'hiver, faire à Naples la guerre,
Lorsque du grand guerrier et puissant Empereur
Contre le Roy Henry s'efforçoit la fureur?
Tu savois bien alors que nos gents assemblées
Eussent de l'Empereur les forces accablées.
Mais, au plus grand péril pour la France abuser,
Enfin tu as bien sçu les rompre et diviser,
6.
— 7o —
N'estant point ignorant que la discorde tremble,
Quand devant elle voit plusieurs liés ensemble.
Mais on apperçoit bien et toy et tes abus :
80. Car, outre que du Roy désavoué tu fus,
La trêve toutesfois en France se vient rendre
Par un accord conclu, sans ton retour attendre.
Mais dis-moy, je te prie, Monstre de fausseté,
Le soin duquel, pour faire une meschanceté,
Ne se voit retardé par les glaces et neiges,
Est-il un repos long qu*à la fin tu n'abrèges?
Dis moy, meschant Cafard, as-tu esté jamais
Soigneux de conseiller un seul bien de la paix?
Si or' de Cambresys, Orgueilleux, tu te vantes,
90. Je te dis que ton heur, ni tes ruses meschantes,
N'y eurent ni pouvoir, ni grand crédit aussi;
Mais que le tout venoit de par Montmorancy,
Duquel à toy gagnas l'amour et l'alliance,
Pour ce qu'on te vouloit rejetter de la France.
Quand je te prouverai, qu'encore fut cassé
De Naples le voyage, et quand, ton cœur pressé
De vaine ambition dans ton âme allumée,
Tu fis ton frère aîné estre Chef d'une armée :
Et quand je te dirai que tout cela se fit
00. Par toy, pour estre Pape, et pour le seul proufit
Que tu te promettois, en pensant Roy le faire,
Comment me pourras-tu respondre et satisfaire ?
Quand je te prouverai que, mesme pour avoir
Diminué la France en sa force et pouvoir,
— 7i —
Tu fis que du feu Roy la bataille, ordonnée
Autour de Saint-Quentin, fut enfin ruinée?
Quand je te prouverai que, pour rompre les loix,
La justice, et le droit de nos pays François,
Et pour avoir à toy des juges tout semblables,
o. Tu as au Parlement introduit des coupables?
Si je te dis encor' que tu as fait venir
Le feu Roy, pour ton fait inique soutenir,
Et que les fautes mesme, aux finances trouvées,
Seront par tes larcins comme tiennes prouvées ?
Quand je te soutiendrai (ce qu'on sçait en tous lieux)
Qu'un mari vers sa femme aussy se contient mieux
En ses affections, voire les plus ardentes,
Que tu ne fais, Vilain, avecque tes parentes?...
Et quand je te dirai que seul tu t'es baillé
0. Le maniement de France, et que tu as pillé
A nos princes du sang l'honneur qui t'environne,
Pour mettre, en ta maison, de France la Couronne,
Que me répondras-tu ?... Si tu veux confesser
Tes crimes, Malheureux, te faut-il pas dresser,
Afin de te punir et justice te rendre,
Au milieu de la Cour, un gibet pour te pendre?
Si tu les veux nier, convaincre je te veux !
Car je te prouverai que tu fais mourir ceux
Qu'on connoist innocens, et desquels tu retires
>o. Leurs biens par devers toy, mesme que tu conspires
Contre la pauvre veufve et le triste orphelin,
Et contre notre Roy, pour le perdre à la fin !
— 72 —
Tu fais profession de prescher l'Evangile,
Qui ne reconnois Dieu que pour chose futile,
Et la Religion des fidèles élus
Que pour masque à couvrir tes actes dissolus!
Qui fais des Eveschés et banque et marchandise,
Et penses cependant persécuter l'Eglise !
Qui ne vois rien de saint, qu'aux pies ne soit foulé,
140. Rien de chaste, et pudicq, qui ne soit violé,
Rien tenu pour constant, qu'à ton gré tu ne changes,
Rien de si net qu'enfin tu ne souilles aux fanges!
Car d'avecq' toy, Meschant, qui veux tout pervertir,
L'honneur ne se peut pas de ta sœur garantir :
Pour l'aller voir, tu ceinds à ton côté l'épée
Et ne te suffit pas d'un coup l'avoir trompée :
Le mari ne peut être en ce fait si rusé
Qu'il ne soit vu par toy de sa femme abusé !
Horribles sont les maux que tu te plais à faire,
i5o. Qui sont suivis de près par le marquis, ton frère :
Car lors qu'il fut à Dieppe, à ses gens il permit
D'effondrer la maison, et emporter le lit,
Et plusieurs autres biens de deux sœurs damoiselles
Pour n'avoir pu souiller le chaste honneur d'icelles.
Cet effronté paillard, avec ses maquereaux,
Au peuple Dieppois a causé mille maux.
Il n'a point eu horreur de donner la licence
Aux siens de paillarder et de faire insolence
Aux honnestes maisons, jusqu'à rendre contraints
160. Les habitants de Dieppe à coucher leurs putains.
Que si quelqu'un venoit devers luy pour se plaindre
- 73 -
« Baille-leur, disait-il, ta femme pour éteindre
« Ce désir qui les brûle, et plus n'amèneront
« Coucher en ta maison les paillardes qu'ils ont! >»
Il a pris des chevaux des villes et villages :
Aussi a-t-il, par force, avec plusieurs dommages.
Démonté les marchands; et trois hommes, à tort,
Par luy et par les siens, ont esté mis à mort :
Voilà comment ton frère, ainsi que toy, veut vivre,
). Et, en tous tes malfaits, t'imiter et te suivre !
Car ainsi que tu fis (toy seul l'ayant mandé)
Dans les coffres fouiller du prince de Condé,
Ainsi qu'à un voleur et larron misérable,
Ton frère, en compaignie et grande et honorable,
Comme on prouvera bien, louangeant les excès,
Dit que tu faisois faire, au Palais, le procès
Et au Roy de Navarre et au prince, son frère,
Pour les crimes secrets que tu dis qu'ils font faire.
Par ainsi, Cardinal, prenant tout sur tes bras,
3. Tu fais du roy de France ! Et si, tu ne l'es pas,
Oses-tu bien, larron, estranger infidelle,
A nos princes du sang faire une injure telle,
Estre bien si hardi, Traistre, de t'attacher
A leur royal honneur, et d'iceux t'empescher ?
Si je voulois encor' du reste de tes frères
Amplement réciter les malfaits ordinaires
(Lesquels, tout aussi bien comme moy, tu entends)
Combien me faudroit-il y employer de tems i
Tout le monde sçait bien les factions perverses
o. Du Grand Prieur, ton frère, et ses ruses diverses,
- 74 —
D'où est venu le mal, qui s'est mis en avant
Par la guerre dernière. En la mer du Levant,
Sous prétexte de bien, par luy combien de pertes !
Combien de lourds travaux et de peines souffertes !
Et combien de malheurs, de regrets et d'ennuy,
En la mort de plusieurs, avons-nous vus par luy !
Combien d'enfondremens des galères de France,
Et combien dans les eaux écouler de finance !
De tous ces meschants faits le monde est tout certain,
200. Et de les réciter seroit travail en vain.
Du Cardinal de Guise, est-il un qui ne sache
Ses actes dissolus, qui mesme ne se fasche
D'ouïr tant seulement qu'il donne plus de lieu
Et de gloire à Bacchus, qu'il ne fait pas à Dieu ?
D'ouïr que Jésus-Christ blasphémer il endure,
Et qu'il est, entre tous, le premier Epicure ?
D'ouïr qu'il aime mieux ses garces et putains
Tenir entre ses bras, qu'un bon livre en ses mains?
Et cependant il veut que France le renomme,
2 1 o. Comme suivant la vie et les moeurs d'un saint homme !...
Que dirai-je d'Aumale ? Encor' qu'il ne soit mis
Au rang des plus méchants et des grands ennemis,
Si est-ce toutes fois que la réponse infâme
Qu'il fit au villageois, duquel la pauvre femme
Ses gens avaient forcée, a montré que son cœur
Est assez adversaire et ennemy d'honneur.
Car ce pauvre homme n'eut autre droit ni justice,
Sinon que : « Violence, en tels faits, n'est pas vice ! »
Et « qu'un homme tout seul, de droit, ne justement,
- ;5 -
« Ne doit avoir sa femme à son commandement ! »
Quant est des braves tours du meschant duc de Guise
On sçait bien qu'il fait tout ainsi comme il advise,
Et que, toy comme luy, ou bien luy comme toy,
As autant de pouvoir en France que le Roy.
Monstre infect et vilain ! Nulle personne ignore
Tes horribles forfaits : et si, tu vis encore !...
Meschant ! Tous nos François tu veux faire périr :
Et personne pourtant ne te fait pas mourir !
Ne connoit-on pas bien que, par ta tyrannie,
Tu fais expressément venir de l'Italie
Huit mil bougres infects, avecques seize mil
Barbares et bourreaux, pour nous mettre en exil ;
Pour, au seul appétit de ta bouillante rage,
Donner piteusement notre France au pillage ;
Pour mesme abandonner, nous estant déconfits,
A Sodome et Gomor' nos filles et nos fils;
Et pour livrer à force à une boucherie
Les jours calamiteux de notre pauvre vie !...
Ne connoit-on pas bien qu'aux vagues de la mer
Tu chasses la Noblesse, afin de l'abismer !
Ne provoques-tu pas encore l'Angleterre,
A faire maintenant une nouvelle guerre,
Non pas contre le Roy, mais contre toy, Meschant,
Qui vas le droit d'autruy par malice arrachant ?
Mais ne voit-on pas bien, que c'est toy qui travailles
Nostre peuple françois de tributs et de tailles,
Et que tu as juré de charger tant son dos,
Qu'il n'aura pas moyen d'avoir jamais repos r
-76-
Ne sçavons-nous pas bien les torts que tu pourchasses
i5o. A notre nation, quand ores tu amasses
Les finances de France, afin, par ces moyens,
De payer tous ceux-là qu'à louage tu tiens,
Et cauteleusement que ta mémoire oublie
De payer cependant du Roy l'infanterie ?
Néanmoins tu veux être impudent et si fol
De penser, par ta fraude et ton malheureux dol,
Qu'aisément nous croirons, que cette gent brutalle
D'estrangers vient, par toy, pour la garde royale !
Hélas, ô pauvre France, est-ce là le bon bruit
260. Que tu as si long temps ? Est-ce là donc le fruit
De la fidélité, que maintenant il faille
Que, pour gardes du Roy, des estrangers on baille !
O Seigneur Eternel ! Veux-tu venger ainsy
Tant de sang innocent que l'on espand icy ?
Le tems est-il venu des angoisses cruelles
Que nos pauvres enfants, et mâles et femelles,
Par les Gommoréens des poings nous soient ravis,
Pour estre à leurs forfaits maintenant asservis.
Et que pareillement, dans la France éplorée,
270. La Couronne du Roy soit d'iceux transférée,
Que les larrons Guisards, du Roy tant soutenus,
Appellent Huguenots, comme estant provenus
Du Roy Hugues Capet, afin d'être remise
Entre les mains de ceux de la maison de Guise r
Lesquels, pour davantage accroître leur renom,
Vantent de Charlemagne et leur race et leur nom,
Ne pouvant aux François mieux donner à entendre
— 77 —
Que la couronne doit de leur costé descendre !
Où donc est la sagesse, où sont les jugemens
Des Estats de la France et de ses Parlemens,
Qu'ils ne prennent en main, de ce fait, la justice ?
Où sont les Présidents ? Qu'est-ce de leur office ?
Doivent-ils ignorer ce qu'un enfant connoit :
« Que celuy qui prétend ou querelle aucun droit
« Sur le bien du pupille, à bon droit ne peut estre
« Son administrateur ? » Doivent-ils pas connoistre
Que celuy-là qui brigue une tuition
Ne doit être receu, à juste occasion,
Comme estant soupçonné? O vous, conseillers sages,
Jusqu'à quand voulez-vous ignorer ces outrages ?
Ah ! France, tant loyalle et fidèle à ton Roy,
Jusques à quand veux-tu porter ce mal sur toy ?
Jusquesà quand, François, baisserez-vous les testes,
Pour vous laisser manger à ces estranges bestes,
Qui meurent tous les jours d'insatiable faim,
Et bâillent, altérés après le sang humain ?
Sus donc, France ! A ce coup, il faut que tu te vanges !
Arme-toy de ton ire encontre ces estranges !
Hausse ton noble cœur, et d'un bras vertueux
Enfondre-moy le chef de ces monstres hideux !
A ce coup, à ce coup, revange tes misères
Et ne laisse échapper un tout seul de ces frères !
Tire cent mille coups de pistole en leur flanc,
Consume leurs entraille' et leurs os et leur sang,
Et, après estre morts par les coups de ta foudre,
A la merci du vent éparpille leur poudre !
France, tire premier à ce rouge Voleur :
- 78 -
Avant que de mourir, arrache-luy le cœur!
Et, pour changer tes pleurs en nouvelles lyesses,
3io. De tes fers émoulus taille-moy-le par pièces !
Ah! bougre Cardinal, qui vas tout ruinant,
C'est de toy que l'on parle ! Ois-tu point maintenant
De ce peuple François, qui jusques au ciel monte,
L'effroyable clameur qui ses douleurs raconte ?
Ois-tu point après toy, misérable Meurtrier,
Ois-tu point après toy le sang juste crier
De celui que tu fis, par tes menées fines,
Etrangler innocent dans le bois de Vinceines?
S'il estoit éprouvé coupable aucunement,
320. Que ne le faisois-tu mourir publiquement?
Qui sont ceux qui par droit devant toi l'accusèrent
Et où sont les témoins qui mesme le chargèrent ?
Pourquoy as-tu voulu, en sa piteuse mort,
Rompre et casser les loix, le condamnant à tort ?
Si les loix condamnoient à la mort son offense,
Que n'as-tu, par les loix, prononcé sa sentence ?
Misérable tyran, ennemi d'équité,
Combien en as-tu fait mourir par cruauté !
Rompant entre tes mains l'Ordonnance françoise,
33o. Combien en as-tu fait assommer dans Amboise !
Combien en as-tu fait, par tes sanglans bourreaux,
Au déçeu du Conseil, noyer parmi les eaux !
Ah ! vilain Sodomit' ! Penses-tu que la France
Puisse longtems souffrir ton excès et outrance?
Tu dis que tous ceux-là qui mesdisent de toy
— 79 —
Par un mesme moyen sont mesdisans du Roy :
Si César fut occis pour trop prétendre au sceptre,
A juste occasion nous ne devons permettre
Qu'encor' tu sois vivant, et, contre la raison,
340. Tu prétendes l'avoir pour grandir ta maison.
Retire-toi, Meschant ! et toy, et tous tes frères !
Cherche-moi les forests et dévale aux tanières !
Entre en quelque désert, et pleure les forfaits
Que misérablement tu as commis et faits !
Retire-toy si loing que le bruit, sur ses ailes,
Jamais de ce pays n'apporte les nouvelles !...
Que veux-tu donc attendre? Echappe le danger,
Qui vient courant vers toy pour ta vie abréger
Et ne t'assure pas, voyant la patience
35o. De nos Princes du sang : car leur muet silence
Te déclare le cœur et le vouloir qu'ils ont.
En se taisant, entre eux ton jugement ils font,
Et, en te souffrant tout, de partir te commandent:
Sinon, ta mort prochaine et ton sang ils demandent !
Quitte la place doncq, si sauver tu te veux !
Car par autre moyen éviter tu ne peux
De nos Françoises gents, de ta haine frappées,
La pointe et le taillant de cinq cens mil espées,
Qui, par tous ces pays, t'attendent quelque jour,
36o. Pour purger de ses maux et la 1 rance et la Cour !
FIN DE LA SATIRE DU TIGRE
NOTES
DU TYGRE EN VERS
Titre. — Le Tygre en vers n'est autre chose que la
traduction, ou plutôt la paraphrase rimee de VE-
pistre envoiee au Tigre de la France, sans date,
in-8 de 7 feuillets non chiffrés, sous la signât.
A. -Av. Malgré la date de i56i, on n'y trouve re-
latés aucuns faits dépassant l'année i56o. Ceci
prouve bien que cette pièce est une simple traduc-
tion de YEpistre en prose.
N. B. UEpistre en prose a été écrite après la
conspiration d'Amboise(i5 mars i56o) et avant
l'arrestation du prince de Condé (3o oct., même
année).
Vers 1. — L'auteur s'adresse directement dans cette
pièce au cardinal Charles de Lorraine. Né le
17 févr. i525, ce prélat mourut à Avignon le
26 déc. 1574, à l'âge de 49 ans et 10 mois.
Vers 3. — Cette épithète de Tigre donnée au cardi-
nal était en quelque sorte de mode dans les sa-
7-
— 82 —
tires dirigées contre lui, comme le démontrent
les deux pièces suivantes :
I. Au CARDINAL.
Faulse vipère, aspic pernicieux,
Qui en ayant au diable ton service
Du tout voué, n'as rien que l'avarice,
Loup enraigé, renard ambitieux;
Bouc, mais de tous le plus incestueux,
Moqueur de Dieu, magazin de malice,
Où sa dernière espreuve fait le vice,
Tygre affamé du sang des vertueux;
Monstre hydeux, infect, insatiable,
Sans foy, sans loy, sans honte, abominable,
Fléau des chrestiens, contraire à vérité :
Qu'attends-tu plus? Ne vois-tu la tempeste
Qui ja desja foudroyé suz ta teste,
Et contre toy Dieu très fort irrité ?
(BlBL. NAT. MSS. 225ÔO, Vol. A, p. ÏJ.)
II. De luy mesmes.
Loup ravissant, tygre trop inhumain,
Enflé d'orgueil et de tout maléfice,
Cessera point ta ravissante main
A fourraiger la France, ta nourrice?
Regarde à toy et au futur supplice,
Dond tu ne peux nullement eschapper.
Je te voy ja traîner, lier, happer :
Ne crains tu point, estant dessus l'eschelle?
Atten un peu : on te vient attraper :
L'enfer aussi est tout prest qui t'appelle.
(lbid., vol. A, p. 19.)
— 83 —
Vers 4. — François II, né le 20 janv. 1 544, mort à
Orléans d'un mal à l'oreille le 5 déc. i56o. Voyez
sur lui Castelnau, Mém., édit. de ^Zi, 3 vol. in-
fol., t. Ier, p. 520-524 {Additions de Le Laboureur).
Vers 9. — Achriste : qui ne croit pas au Christ.
Vers 11. — On accusait le cardinal de Lorraine, mais
sans doute à tort, de relations intimes avec sa
belle-sœur Anne d'Esté, femme de François, duc
de Guise. Sa sœur Renée, abbesse de Saint-Pierre
de Reims, Marie Stuart, sa nièce, Catherine de
Médicis, elle-même, s'il faut en croire les pam-
phlétaires, auraient partagé ses dérèglements. Tout
ceci ne saurait être pris, on le pense bien, pour
article de foi. Ces reproches contre le cardinal sont
encore formulés dans : Le Réveille-Matin des
François et de leurs voisins, composé par Eusèbe
Philadelphe, cosmopolite , en forme de dialogues
(Edimbourg, Jaques James, 1574, 2 vol. in-8.
Voir t. Ier, p. u-i3).
Vers 24. — Dans la Supplication et Remonstrance
adressée au Roy de Navarre et autres Princes du
sang de F?*ance pour la délivrance du roy et du
royaume, pièce datée de i56o, on lit ces quelques
lignes sur les Guises : « O prudent et excellent
roy François, combien s'en fault-il que tu n'ayes
esté vray prophète, quand tu prédis ce que nous
voyons quasi à l'œil, que si jamais ceste meschante
maison de Guise gouvernoit le Roy ton rïls, elle le
mettroit en chemise.» {Mém, de Condé, édit. in-4,
t. Ier, p. 5oo).
Ce mot de François I" à l'égard des Lorrains a été
-84-
enchâssé en un quatrain bien connu, dont voici le
vrai texte :
Le feu Roy devina ce point,
Que ceux de la maison de Guyse
Mettroyent ses enfans en pourpoint,
Et son poure peuple en chemise.
La leçon que nous donnons se trouve à la page 24
de l'opuscule : L'Histoire du tumulte d'Amboyse ad-
venu au moys de mars MDLX, ensemble un Avertis-
sement et une Complainte au Peuple françois, i56o,
in-8 de 28 p., plus un feuillet non chiffré. Nous fe-
rons remarquer que ce quatrain a été composé sous le
règne de Henri II : les mots « le feu Roy » le prou-
vent suffisamment.
Vers 29. — Henri II, né le 3 1 mars 1 5 ig, mort le
10 juillet i559, à l'âge de 40 ans et 3 mois.
Vers 35. — Allusion à Diane de Poitiers, maîtresse de
Henri II, qui par son influence sur le roi, avait
contribué à l'élévation des Guises. Ils l'abandon-
nèrent en i559, lors de l'avènement de François II
à la couronne, et cette ingratitude leur est juste-
ment reprochée par l'auteur anonyme de la satire.
Voyez à cet égard la Supplication et Remonstrance
adressée au Roy de Navarre (Mém. de Condé,
t. Ier, p. 5o5, 5 17 et 5 18) et la Légende de Charles
cardinal de Lorraine (ibid., t. VI, Ire partie, p. 6
et i3.)
Vers 40. — Jean, cardinal de Lorraine, né en avril
1498 et mort en mai i55o d'une attaque d'apo-
plexie. Il avait été nommé cardinal par Léon X,
— 85 —
en i5i8. Voyez sur sa mort De Thou, Hist. uni-
verselle, trad. franc., édit. de 1734, t. Ier, p. 402
(liv. VI), et René de Bouille, Hist. des ducs de
Guise (1849-1850.4 vol. in-8, t. Ier, p. 232-233).
Les mœurs de ce prélat étaient loin d'être chastes :
aussi Brantôme ne l'a pas oublié dans ses Dames ga-
lantes (Discours VII, édit. Garnier, Paris, 1848, in-12,
p. 358-36o). Bayle a appliqué à tort, en son Dictionnaire
(lettre L), au cardinal Charles de Lorraine, le passage de
Brantôme que nous venons d'indiquer : il concerne
exclusivement son oncle Jean. C'est là une erreur qui
mérite d'être rectifiée.
On lui fit cette épitaphe simple et touchante :
Epitaphe de Jehan, cardinal de Lorraine.
Des voluptés et délices du monde
N'ay eu deftault au temps que j'ay vescu,
Ce neantmoins la mort trop furibunde
En les prenant m'a surprins et veincu.
Or en vivant n'ay avarice onc eu,
Mais comme prince aymant l'heur de noblesse,
Ay par le monde espandu ma largesse,
Dont durera à jamais ma mémoire;
Reste que Dieu par Christ, ma seure adresse,
Me donne au ciel les délices de gloire.
(Mss. 2256i, 2e partie, p. 1 55.)
Vers 41. — Il semble qu'il y a de l'exagération à qua-
lifier de la sorte le cardinal Jean : il mourut en
i55o, âgé seulement de 52 ans.
Vers 42. — Le romain voyage est celui que fit le car-
— 86 — ■
dinal Jean, pour se rendre au conclave après la
mort de Paul III (10 nov. 1549) : ^e cardinal del
Monte fut élu pape le 8 févr. i55o et prit le nom
de Jules III.
Vers 44. — Sur cette conduite de Charles de Lorraine
à l'égard de son oncle, voyez la Légende du car-
dinal de Lorraine (Mém. de Condé, t. VI, ire par-
tie, p. i3-i5). En héritant des biens et des béné-
fices, le cardinal se garda bien de payer les dettes.
Vers 54. — La guerre d'Allemagne, en i552.
Vers 55. — Ce cousin était Charles II, duc de Lor-
raine, fils de François de Lorraine et de Christine
de Danemark. Né le i5 févr. 1543, il mourut le
14 mai 1608. Il épousa, en fév. i55g, Claude de
France, seconde fille de Henri II.
Vers 56. — La ville de Metz fut prise, le 10 avril
i552, par le connétable de Montmorency : l'é-
vêque était alors Robert de Lenoncourt. — « De
là donques s'ensuit le voyage d'Allemaigne auquel
ces malheureux faillirent (Dieu merci) à leur entre-
prise en ce qu'il ne permit que l'Allemaigne tombast
en leurs pattes : mais leur cruauté fut telle que leur
propre païs de Lorraine en feit pour lors la pre-
mière expérience, comme à la vérité elle semble
n'en avoir esté indigne pour avoir produict de
telles et si venimeuses vipères au monde. Et pour
preuve de nostre dire, quand il n'y auroit qu'une
seule ville de Mets pour en tesmoigner, quel
tesmoignage plus suffisant scauroit on requérir ?
-87-
Car qu'est-ce que ceste povre ville n'a souffert en
peu d'années, et par dedans et par dehors, estant
despouillée de sa liberté sous ombre de la protec-
tion d'icelle, desmembrée de l'Empire, ruinée pour
la plupart et (qui est le comble de toutes ses mi-
sères) réduite en la servitude du cardinal qui,soubz
un nom emprunté, en tire tous les ans pour le
moins cent mille livres.... » {Supplication et Re-
montrance, etc., aux Mém. de Condé, t. Ier, p. 5og-
5 10.) Voyez aussi ce même passage reproduit pres-
que textuellement, dans la Légende du cardinal
de Lorraine, édit. citée, t. VI, p. 20-21.
Le cardinal de Lorraine, d'abord coadjuteur de son
oncle Jean à l'évêché de Metz, dès l'année 1548, de-
vint évêque de cette ville, à la mort de ce dernier, en
i55o : il résigna, en i55i, son évêché à Robert de Le-
noncourt, mais avec réserve expresse de conserver par
devers lui l'administration du temporel de cet évêché.
Il garda toute sa vie ce titre d'administrateur du tem-
porel, sous ses trois successeurs à l'évêché de Metz :
Robert de Lenoncourt, François de Beaucaire.et Louis,
mort en 1678. Voyez à ce sujet l'ouvrage de Meurisse :
Hist. des evesques de l'Eglise de Met^ (Metz, Jean
Anthoine, 1684, in-folio, p. 614-617).
Vers 58. — François de Lorraine, duc de Guise, né le
17 février 1 5 ig, et assassiné par Poltrot, au mois
de fév. 1 563.
Vers 69. — En 1 555 : le cardinal se rendait auprès
du pape Paul IV (Jean-Pierre Caraffe). Il avait déjà
fait deux voyages à Rome en Ô47 et en 049.
-ï
— 88 —
Vers 71. — Charles-Quint.
Vers 81. — Trêve conclue à Vaucelles, près de Cam-
brai, le 5 fév. i556 : elle devait durer cinq ans,
mais fut bien vite rompue. Voyez De Thou, Hist.
universelle, trad. franc., édit. de 1734, in-4, t. III,
p. i2-i3 (liv. XVII), et l'abbé Lambert, Histoire
et règne de Henri II (Paris, Bauche, 1755, 2 vol.
in-12, t. II, p. 184-188).
Vers 89. — La paix de Cateau-Cambresis fut signée
entre la France et l'Espagne, le 3 avril i55cj, paix
honteuse, disent tous les historiens. Voyez sur
cette paix, De Thou, Histoire universelle, édition
citée, t. III, p. 35o-355, liv. XXII; Jean de Serres
Histoire des choses mémorables avenues en France
depuis l'an 1547, etc., 1 599, in-8, p. 60-61; l'abbé
Lambert, Histoire et règne de Henri II, t. II,
p. 397-403.
Vers 92. — Anne de Montmorency, connétable de
France, né en 1493, mort en déc. i56j, des bles-
sures reçues à la bataille de Saint-Denis. Voyez
sur lui Brantôme, édit. du Panthéon littér. (t. Ier,
p. 3 1 3- 317, 324-332); les Mém. de Castelnau,
édit. Le Laboureur (173 1, in-fol., t. Ier, p. 325-
341 ; t. II, p. 5oo-5i4), et de Mayer, Galerie phi-
los, du seizième siècle (Paris, Moutard, 1783- 1790,
3 vol. in-8, t. III, p. 125- 134). Les protestants
qu'il n'aimait point et qui lui rendaient la pareille
se vengèrent en lui décochant cette épitaphe sati-
rique :
-89-
Epitaphe d'Anne de Monmorancy, connestable
de France (1567).
Cy gist le compère Aplanos *,
Qui supportoit les Huguenos,
Deux fois connestable de France,
Et trois fois prins par sa vaillance **,
Au reste le premier chrestien
Qui jamais ne fit rien pour rien.
Encor pour néant n'est il mort,
Et si à présent il ne mord,
C'est qu'il ne trouve rien à prendre,
Sinon des vers et de la cendre.
(Mss. io3o4, p. 176.)
Vers 98. — Allusion à la malheureuse campagne
d'Italie de 1557. Le duc François de Guise était
parti à la fin de nov. de l'année précédente. Il dut
retourner en France, rappelé par une dépêche de
Henri II, en date du i5 août i55y, écrite cinq
jours après la perte de la bataille de Saint-Quen-
tin.
Vers 100. — Cette accusation contre les deux frères
n'était pas dépourvue de tout fondement. On disait
que le cardinal voulait être pape (Paul IV était alors
fort âgé, à cette date de 1557), et le duc de Guise
roi de Naples. Tous les pamphlets anti-guisards,
De Thou lui-même, attribuent l'expédition d'Italie
à l'ambition des Lorrains qui caressaient avec
* Allusion à la devise du connétable.
** En i525, i557, i562, aux batailles de Pavie, de Saint-
Quentin et de Dreux.
8
- 9o -
amour ces rêves plus ou moins chimériques. —
Quant aux poètes protestants, ils raillèrent d'une
manière piquante les audacieuses prétentions des
deux frères, et lancèrent contre eux une grêle de
pasquils. En voici quelques-uns que nous trou-
vons dans Le Laboureur (Additions à Castehiau) :
I. Quelque mine que tu face,
Bien aussi fasché te voy
De mourir sans estre pape,
Que cestuy sans estre Roy.
(Castelnau, A/e'm., édit. de 173 1, t. I,
p. 397 ; il/55. 2256o,vol. A, p. 17.;
II. Par l'aliance et amour éternelle *
Du cardinal faite avecque le Roy,
On voit tout mal ne trouver plus de quoy
Battre la France et sa fleur immortelle.
Qui Dieu mesprise, il sent sa main cruelle;
Luy jusqu'au bout aime et soustient la foy.
Qui pille tout, et veut vivre sans loy,
Son frère Guise afflige de bon zèle.
Ces deux fort bien ayans un cœur uny
Gardent que rien demeurant impuny
Ne leur eschappe. O très heureuse France !
Car l'un de soy connoissant combien craint,
Veut estre Roy, sa justice il advance,
Et l'autre Pape imite tant est saint,
(Castelnau, ibid., p. 279 ; Mss. 22 56o,
vol. A, p. 21.)
On remarquera que ce sonnet, lu en entier, est tout
à fait élogieux pour le cardinal de Lorraine et pour le
* Variante : mutuelle.
— 9i —
duc de Guise ; coupé en deux, il présente un sens tout
contraire.
La pièce intitulée : Les Estais de France opprimés
par la tyrannie de Guise (i56o), et la Légende du
cardinal de Lorraine, n'ont pas oublié de mention-
ner ces prétentions des Guisards à la papauté et à la
couronne de Naples. (Voyez Mém. de Condé, t. Ier,
p. 407-408; t. VI, p. 24.)
Vers 106. — La bataille de Saint-Quentin est du
10 août 1 557 : elle fut gagnée sur le connétable
de Montmorency, par Emmanuel Philibert, duc
de Savoie. ( Voyez sur cette bataille De Thou,
liv. XIX, t. III, p. 156-162; Jean de Serres, ou-
vrage cité, p. 5 1-52 ; Lambert, Hist. de Henri II,
t. II, p. 277-285.)
Vers 110. — C'est-à-dire des juges à la dévotion du
cardinal, et qui ne valent pas mieux que lui.
Vers 1 1 3. — On accusait le cardinal de dilapidations
au fait des finances, et ces concussions, disaient
ses ennemis, avaient surtout eu lieu sous le règne
de Henri. De là ces vers qui coururent contre les
Guises, du temps de François II :
I. Lorrains.
Si voulez de vostrc renom
Tost avoir certaines nouvelles.
Ostez un I de vostre nom,
Et transposez les deux voyelles *.
(Mss. 2256o, vol. A, p. 17.)
* Ce qui fait larrons.
— 92 —
II. De Charles de Lorraine, cardinal
Si lors qu'Henry vivoit encor.
Tu as, méchant, ravy tout l'or
Et tout le bien de France, en sorte
Que le peuple en est appauvry,
Ton nom tourné à bon droit porte
Que raclé as l'or de Henry *.
(Ibid., vol. A, p. 122.)
III. Du Cardinal.
Charles, cardinal de Lorraine,
Voulant mettre France en ruyne,
Cuydant de tous estre adoré,
Ses faits sont par trop descouverts,
Ainsi qu'il advient aux pervers,
Car il cherra l'asne doré **.
(Ibid., vol. A, p. 268.)
Vers 118. — Sur les débauches plus ou moins avé-
rées du cardinal avec ses parentes, voyez la note
sur le vers 1 1 .
Vers 1 34. — « Cependant il est très certain que le car-
dinal, quoy qui vous écrive, n'a aucun soin de la
religion, ou réformation des choses en mieux :
car estant congneu de tous pour athée, contempteur
manifeste de la parole de Dieu et corrumpu en
toute sa vie, comment pourroit-on penser qu'il
eust zelle à la vérité de l'Evangile, ou voulust re-
formation en la vie des Prélats, ou consentist à
* Anagramme de : Charles de Lorraine.
** Autre anagramme.
-93 -
aucune bonne chose?... » (Brieve exposition des
lettres du cardinal de Lorraine envoyées au nom
du Roy aux cours de Parlement, i56o, dans les
Mém. de Condé, t. Ier, p. 358.) Voyez encore la
Supplication et remonstrance adressée au Roy de
Navarre (Ibid., t. Ier, p. 520-52 1).
Vers i3j. — Sur ce grand nombre d'évêchés et d'ab-
bayes que possédait le cardinal de Lorraine, nous
citerons ce passage de la Supplication et re-
monstrance, etc.. : a ... Et nommément quant au
cardinal,, qui fait du prescheur et théologien, trou-
vera il que l'Escripture Saincte approuve pluralité
d'eveschez ou d'abbayes dont il est accablé, ou que
l'evesque face ordinaire d'estre absent de son esves-
ché, ou que pour faire fraude aux décrets et ca-
nons, il soit permis d'avoir des masques à louage
qui ayent les tiltres dont Monsieur l'insatiable en-
gouffre le profict ? » (Mém. de Condé, t. Ier, p. 522.)
— Voyez aussi à ce sujet la note sur le vers 56.
Vers i38. — C'est-à-dire l'Eglise protestante ou hu-
guenote.
Vers 144. —Lisez belle-sœur : il s'agit d'Anne d'Esté,
femme du duc de Guise.
Vers i5o. — {René de Lorraine, marquis d'Elbeuf, né
le 14 août i536, mort en 1 566. Remy Belleau
a écrit des vers sur le trépas de son maître et
de son bienfaiteur (Œuvres compl. de Remy
Belleau, édition Gouverneur. Paris, 1867, 3 vol.
in-iô, t. II, p. 258-266). Voyez sur lui Bran-
tôme, édition du Panthéon littéraire, t. Ier, p. 444;
8.
— 94 —
Castelnau, Mém., ij3ï, 3 vol. in-fol. p. 438-
439 (Additions de Le Laboureur).
Vers 1 56. — Je n'ai rien trouvé sur ces excès commis
à Dieppe, sans doute en i56o, sous le règne de
François II. J'ai consulté inutilement les Mém. de
Vieilleville; Desmarquets, Mém. chronologiques
pour servir àl'hist. de Dieppe, 1785, 2 vol. in-12;
et Vitet, Hist. de Dieppe, 1844, in-12. — Il est
question des débauches du marquis d'Elbeuf dans
la Supplication et remonstrance (Mém. de Condé,
t. Ier, p. 5 19). On dit de lui que tout le monde le
reconnaît « pour ung monstre en toute paillar-
dise et villenie, plustoi que pour ung homme. »
Voyez aussi le même ouvrage, p. 504.
Vers 172. — Louis de Bourbon, prince de Condé, tué
à Jarnac en 156g. Voyez, sur cette saisie et fouille
des papiers du prince , Régnier de la Planche,
Histoire de V 'Estât de France, tant de la répu-
blique que de la religion, sous le règne de Fran-
çois 7/(Edit. du Panth. littér., p. 268).
Vers ijj. — Antoine de Bourbon, roi de Navarre,
frère du prince de Condé. Il mourut aux Andelys,
le 17 nov. i562, des suites de la blessure qu'il
avait reçue au siège de Rouen. Voyez sur lui Bran-
tôme, édit. du Panth. litt., t. Ier, p. 470-474; Le
Laboureur, Additions à Castelnau, t. Ier, p. 846-
856.
Vers 190. — François de Lorraine, grand prieur de
Malte en 1549, général des galères de France en
1557. Né le 18 avril i534, il mourut le 7 mars 1 563
-95 -
(d'autres disent le 6), à l'âge de 28 ans et 10 mois.
Voyez les Mém. de Condé, t. 1er, p. 504 (Suppli-
cation et remonstrance,etc, 1 5 60); Brantôme, t. Ier,
p. 402-407, et Le Laboureur, Additions à Castel-
nau, t. Ier, p. 439-450.
Il existe sur sa mort une pièce de vers signée des
initiales I. G., et intitulée : Epitaphe de Françoys de
Lorraine, grand prieur de France, enterré au Tem-
ple à Paris le dernier jour de mars i5Ô2. A Paris.
de l'imprimerie de Thomas Richard, à la Bible d'or,
devant le collège de Reims, i563 (in-4 de 2 feuillets
non chiff. Sig. A.-Aij). Cette pièce étant très-rare, nous
en citons quelques vers :
Passant, qui sans penser au destin rigoureux,
Vivant, au pris des morts, t'estimes bien heureux,
Arreste un peu le pas, et tu pourras cognoistre
Lequel est plus heureux, ou celuy qui vient naistre
Ou celuy qui, mourant, laisse avecques son nom
Les fidelles tesmoings d'un immortel renom.
Soubs ce marbre engourdi demeure l'ombre vaine
Et le corps enfermé de François de Lorraine,
Non de ce grand François qui, par ses braves faicts,
Deffendit les Lorrains et recouvra Calais :
Mais d'un qui descendu d'un mesme père et mère,
Suivit assez de près la grandeur de son frère,
Qui deffendant la foy ne voulut s'espargner,
Comme de sa vertu Malthe peult tesmoigner.
Qui deffendit son Roy, voire toute la France,
Comme confesse assez la coste de Provance,
Les nourrissons du Rhin, le Païs boullenois,
Les remparts emmurés des frontières d'Artois.
Vers 201. — C'est le Cardinal des bouteilles : Louis
-96-
de Lorraine, cardinal de Guise, né le 21 oct. 1527,
mort à Paris le 29 mars 1 578, à l'âge de 5o ans.
« Le samedi 29 mars, veille de Pasques, mourust à
Paris le cardinal de Guise qui estoit demeuré le
dernier de six frères de la maison de Guise; neant-
moins mourust jeune comme en l'aage de qua-
rante huict ans. Son corps fut porté de l'hostel de
Sens où il estoit decedé en une chapelle de l'ab-
baie de Saint- Victor lès Paris, de laquelle il avoit
esté abbé vingt-cinq ans, et depuis fut là inhumé.
On apeloit ce bon prélat le Cardinal des Bou-
teilles, pource qu'il les aimoit fort, et ne se mes-
loit gueres d'autres affaires que de celles de sa
cuisine où il se cognoissait fort bien, et les en-
tendoit mieux que celles de la religion et de
Testât. » (Lestoile, Journal de Henri III, édit.
Nouv. Paris, 1875, in-8, t. I, p. 2 38.)
Vers 2 1 1. — Claude de Lorraine, duc d'Aumale, né le
Ier août 1026, tué au siège de la Rochelle le 3 mars
1573, à l'âge de 46 ans et 7 mois. Voyez sur lui :
Brantôme, t. Ier, p. 444-446, et l'ouvrage en vers
de Jean Heluis, intitulé : Les tombeaus et dis-
cours des fais et déplorable mort de tres-debon-
naire et magnanime prince Claude de Lorraine
duc d'Aumale, pair et grand veneur de France,
gouverneur de Bourgongne, et des plus signalés de
ce royaume, occis es guerres civiles meues pour
le fait de la religion depuis l'an i5Ô2 jusques à
présent. A la tres-illustre et tres-constante mai-
son de Lorraine, par Jean Heluis, de Beauvoisis.
A Paris, par Denis du Pré, imprimeur, demeu-
rant en la rue des Amandiers à l'enseigne de la
— 97 —
Vérité. Avec privilège du roy, sans date (après
1573), in-S de 12 feuillets liminaires et 78 pages,
plus un feuillet non chiffré pour le privilège.
Voici maintenant une chanson inédite sur la mort
du duc d'Aumale : nous en devons la communication
à l'obligeance de M. Pottier de Lalaine, le directeur du
Bibliographe musical.
LA COMPLAINTE DE MADAME D'aUMaLLE SUR LA MORT
DU SIEUR D'AUMALLE SOX MARY.
Sur le chant : La Parque est si terrible.
O Dieu, quelle nouvelle !
O Dieu, quelle douleur!
La nouvelle mortelle
.Me transperce le cœur.
J'ay perdu mon espoulx :
O vray Dieu, quel courroulx !
O maudite Rochelle,
Tant tu me faictz de tort !
Mon cher espoux ridelle,
A esté mis à mort
Par les traistres mutins,
Qui t'ont entre leurs mains.
Plorez, nobles Princesses,
Mon extrême douleur;
Plorez, plorez, duchesses,
Et vous, dames d'honneur,
Plorez avecques moy
Mon grand et triste esmoy.
Helas ! noble roy Charles,
N'avez vous point regret
D'avoir perdu d'Aumalle,
Chevalier tant discret,
Qui fut jusque au mourir,
Prest à vous obeyr ?
Il servit vostre père
Henry dit de Valoys,
En après vostre frère,
Le noble roy François,
Puis vous, prince royal :
N'estoit il pas loyal?
Quant aux ruses de guerre
Il estoit fort adroit,
Fut sur mer ou sur terre,
Ou en quelque aultre endroit
Usant du conseil sien,
Le tout venoit à bien.
Il estoit équitable
A son prince et seigneur,
Sans estre variable,
Plein d'ung fidelle cœur;
Il n'avoit aultre' esbatz
Qu'assister aux combatz.
A Rouan, noble ville,
Se monstra vertueux,
Et fit depuis Blinville
Près la ville de Dreux,
Courir tous les meschans
Jusques à Orléans.
Voyant le duc de Guyse
Son frère mys à mort,
Par trahison commise,
D'ung trahistre à grand tort ,
A combattre il fut prest
Encor plus que jamais.
— 99 —
D une volonté bonne,
Auprès de Chasteau-Neuf*.
Il frappe [et] il assomme
Les meschans, plein d'horreur.
Et puis à Moncontour
Leur joua d'ung fin tour.
Lors d'une amour fidelle,
Faisant service au Roy,
S'en va à La Rochelle,
Où par piteux arroy
Fut en parlementant
Mys à mort meschamment.
O Dieu, quelle tristesse !
O Dieu, quelle douleur !
O vierge de liesse,
Donne joye à mon cœur !
Ton cher filz Jésus Christ
Console mon esprit!
Vers 23 1. — La Complainte au Peuple français, i56o
(Mém. de Condé, t. Ior, p. 404), dit la même
chose : a Peuple françois, l'heure est maintenant
venue qu'il faut monstrer quelle foy et loyauté
nous avons à nostrc bon Roy (François II)...
Voici les estrangers à nos portes qu'ils ont fait
venir aux despens du Roy pour estre ministres et
instrumens de leur meschante entreprise. Ils
cognoissent la fidélité que nous avons à nostre
Prince: ils cognoissent que leurs conseils ont esté
empeschez par la nation françoise. Ils cognoissent
que nous voulons deffendre et maintenir la cou-
* Mss. Auprès de C h as t eau-neuf $. Il s'agit ici de la ba-
taille de Jarnac (i3 mars i56g).
— 100 —
ronne de France entre les mains de notre bon Roy
et maistre, auquel elle appartient. A ceste cause
font ils descendre huict mille Italiens, pour mettre
le povre peuple françoys en proye et en pillage...»
Vers 236. — On lit dans la Complainte au Peuple
françois, déjà citée : « Le temps est-il venu que
les estrangers ravissent d'entre nos bras nos pau-
vres enfans et maies et femelles pour en abuser
en toute vilanie et ordure?... » {Mém. de Condé,
t. Ier, p. 405.)
Vers 241. — Ceci est encore dans la Complainte : «Les
ennemis du Roy chassent la noblesse en la mer
pour estre viande des poissons. Ils suscitent les
Anglois à faire nouvelle guerre, non pas contre le
Roy, comme la Royne d'Angleterre l'a protesté
par son escrit imprimé et divulgué, mais seule-
ment à rencontre de leur ambitieuse tyrannie. »
{Mém. de Condé, t. Ier, p. 404.)
La proclamation de la reine d'Angleterre figure éga-
lement dans les Mém. de Condé, t. Ier, p. 5 29-5 3 2 :
elle est datée de Westminster, 24 mars i55g, ancien
style (nouv. style, i56o).
Vers 246. — Sur ces impôts et tailles, dont le peuple
était surchargé, voyez les Pamphlets suivants,
tous de i56o : Brieve exposition des lettres du
cardinal de Lorraine envoyées au nom du Roy
aux cours de Parlement; Complainte, etc. ; Les
Estats de France opprimés par la tyrannie de
Guise. {Mém. de Condé, t. Ier, p. 357, 404 et 408.)
Vers 254. — a Ils (les Lorrains) possèdent le Roy très
chrétien, pour l'empescher d'entendre les adver-
— 101 —
tissemens qu'on luy pourroit faire. Ils amassent
toutes les finances de France, pour en payer les
estrangers qu'ils ont à louage et laissent toute la
gendarmerie et infanterie françoise sans payer :
et néantmoins sont si impudens que de nous vou-
loir faire entendre qu'ils font venir les estrangers
pour la garde du Roy. » (Complainte, etc. Ibid.,
t. Ier, p. 404.) Voyez encore les mêmes Mém. de
Condé, t. Ier, p. 408-409.
Vers 259. — «Ha! pauvre nation françoise, est-ce là
l'estime que l'on faict de ta fidélité? est-ce là la
réputation que tu as acquise et maintenue par si
long temps à l'endroict de toutes les nations estran-
geres, d'estre si loyalle à ton Prince, qu'il faille
maintenant envoyer aux païs estrangers pour faire
venir gens à la deffence et protection de ton Roy?
Et qu'est-ce qu'un Roy, s'il n'a des subjects qui
le gardent et défendent: ou qui sont les subjects,
s'ils ne gardent leur Roy? » {Complainte, etc. Ibid.,
t. Ier, p. 404.)
Vers 264. — Allusion à la répression de la conspira-
tion d'Amboise.
Vers 266. — Voyez la note sur le vers 236.
Vers 272. — Le Laboureur, dans ses savantes Addi-
tions aux Mém. de Castelnau, a cité ces vers (t. Ier,
p. 35 1-352) en les accompagnant de ce préam-
bule : «Un de leurs auteurs se glorifia de ce nom
(le nom de huguenot) en quelques vers et dit qu'à
bon droit les avoit on nommez tels, puisqu'ils dé-
fendoient la postérité de Hugues Capet contre les
9
— 102 —
Lorrains se pretendans issus de Charlemagne...»
Voyez encore la pièce de i56o : Advertissement au
Peuple de France. {Mém. de Condé, t. Ier, p. 402.)
Vers 276. — Sur ces prétentions des Lorrains à se
dire descendants de Charlemagne, voyez les Mém.
de Condé, t. Ier, p. 356, 405, 407 et 5o2.
Vers 279-289. — Tout ceci est à rapprocher de ce
passage de la Complainte, etc. «...Où est ceste
sapience tant renommée des estats et Parlemens de
France qu'ils ne considèrent la justice de ceste
cause? Le grand scavoir de tant de Presidens et
conseillers est il mort, qui semblent ignorer une
chose que les enfans apprennent en l'escole : que
celuy qui querelle, ou que l'on doibt tenir pour
suspect vouloir quereller aucun droict sur le bien
d'un pupille ou adolescent, n'en peut estre légi-
time administrateur, attendu l'ouverture qu'on
lui feroit d'occuper la possession. Davantage que
celuy qui s'est ingéré ou seulement a affecté et as-
piré à une tutelle ou curatelle en doit estre dé-
bouté comme suspect. » [Mém. de Condé, t. Ier,
p. 40b.)
Vers 3 11. — Cette épithète cynique a été souvent
employée par les protestants, qui accusaient le
cardinal des plus honteux désordres. Voyez à
ce sujet les Mém. de Condé, t. Ier, p. 504 et 5 16.
On connaît ce vers des Tragiques de d'Aubigné
sur lcGuisard (Edit. Lalanne, 1867, in-16, p. 62):
Adultère, paillard, bougre et incestueux.
(Liv. Ier, Misères.)
- io3 -
Vers 3i8. — Il s'agit ici de Gaspard de Heu, sieur de
Buy, pendu au château de Vincennes le 4 sept.
1 558. Il était le beau-frère de La Renaudie, le chef
de la conspiration d'Amboise. Voyez sur lui les
Mém. de Condé, t. Ier, p. 333-334; Pierre de la
Place : Comment, de l'estat de la Religion et Re-
publique, sous les roys Henry et François seconds
et Charles neufviesme, édit. du Panth. Littér.,
liv. Ier, p. 41, 45-46; Régnier de la Planche :
Hist. de l'Estat de France, tant de la Rép. que
de la Rel. sous le règne de François II (même
édit., p. 3i6, 3 18," à la suite de La Place); De
Thou, liv. XXV, année i56o, t. III, p. 5i5;
Moreri, Lettre H, t. V, p. 658-659; Maimbourg,
Hist. du calvinisme, 1682, 2 vol. in- 12, t. II,
p. 170-175.
Voici, au surplus, le procès-verbal de l'exécution de
ce malheureux; bien que la pièce soit longue, nous
croyons devoir la reproduire dans nos notes, car elle
est fort curieuse, et de plus inédite.
« Procès verbal de l'exécution à mort de Caspar de
Heu, ST de Buy.
«Ce jourd'huy premier jour de septembre i558,
nous lieutenant soubz signé, avons reçu par les mains
de Monseigneur le reverendissime Cardinal de Sens,
garde des seaux de France, certain arrest et jugement
de mort donné contre Caspard de Heu, sr de Buy, pri-
sonnier au chasteau du boys de Vincennes, ensemble
certaines lettres de commission du Roy attachées au-
dit arrest, soubz le contre-seel de la chancellerie, par
— io4 —
lesquelles nous estoit mandé mettre icelluy arrest à
exécution, qui selon sa forme et teneur ensuyt, le dit
arrest signé Henry, et au dessous de l'Aubespine, et
ladite commission aussi signée Par le Roy, de l'Au-
bespine, et seellee du grand seel. Au moyen de quoy,
pour satisfaire au contenu de ladite commission, le
iiije jour du dit moys, accompagnez de Thomas Guay,
prins pour greffier en ceste partie, et de Ian Corneille,
sergent royal en ladite prevosté, nous sommes trans-
portez audit chasteau du boys de Vincennes, où estans
arrivez avec et en la compagnee de noble homme Me Mi-
chel Viallard, conseiller du Roy, et lieutenant civil en
ladite prevosté de Paris, a esté par ledit Sr Viallard et
nous fait entendre au cappitaine du chasteau, nommé
de Belloy, les choses qui nous menoyent : à ce qu'il
eust à faire retirer ses gens et nous ayder à exécuter
secrètement ladite commission, suyvant le vouloir du
Roy, et, affin qu'il n'en prétende cause d'ignorance,
luy avons commandé de faire ouverture de certains
lieux et endroits dudit chasteau, affin d'adviser
lieu propre et commode pour l'exécution dudit juge-
ment de mort, et après en avoir advisé par l'exécuteur
de la haulte justice, auquel avions commandé se trou-
ver là, nous serions allez et transportez en une cham-
bre basse où estoit ledit Viallard, affin d'assister avec
luy à la torture qu'il debvoit bailler, avant l'exécution
de mort audit de Heu, où avons esté jusques environ
les quatre heures du soir qu'estant ladite question
baillée, se seroit ledit Viallard retiré et party dudit
chasteau, et serions nous et nostre greffier demeurez
seuls, en ladite chambre basse, avec ledit de Heu, au-
quel nous aurions dit qu'il estoit besoin qu'il veint
avec nous jusques en une autre chambre prochaine
— ICO —
le là. Sur quoy il nous auroit demandé pourquoy,
aisant reffuz d'y venir. Luy aurions respondu que
uy ferions entendre, si tost qu'il seroit en l'autre
hambre, finallement l'aurions doucement et par
aoyens fait sortir de ladite chambre, et allans au lieu
iù entendions le mener, se seroit plusieurs foys ar-
esté, demandant si le voullions faire mourir, nous re-
ndant souvent à la face : auquel aurions respondu
Restants au lieu où le menions, luy ferions entendre
a volonté du Roy et le jugement contre luy donné.
rinallement aurions tant fait que l'aurions fait mon-
sr en un grenier dudit chasteau, où luy aurions pro-
loncé le dit arrest et jugement de mort contre luy
ionné. Et pour exécuter le contenu en icelluy, l'au-
ions délivré es mains de l'exécuteur de la justice :
[uoy voyant, ledit de Heu nous auroit dit, en ces
ermes : Comment ! le Roy me veut donc faire mou-
ir ! Et après avoir demeuré quelque peu pensif se seroit
pproché de nous, nous demandant s'il y auroit point
noyen d'avoir sa grâce. Auquel aurions respondu
[u'il avoit entendu le contenu de sondit arrest, le-
[uel avions charge de faire exécuter. Nous auroit de-
nandé où estoit ledit Viallard, lui aurions respondu
|u'il s'en estoit allé à Paris; nous auroit dit qu'il
voit plusieurs choses à dire au Roy qui estoyent de
onséquence et qui luy importoient grandement. Luy
turions remonstré que s'il nous les voulloit dire,
ious en advertirions Sa Majesté, l'admonestant de ce
aire, et par adventure quand aurions entendu que
:'est, nous pourrions différer ladite exécution, pensant
)ar ce moyen l'induyre à nous déclarer quelque
:hose; toutesfoysne nous auroit rien voulu dire, et au-
•oit demandé un prestre, disant qu'il se voulloit con-
— io6 —
fesser, parquoy en aurions mandé un. Ce pendant
nous auroit requis le laisser parler audit cappitaine,
ce qu'aurions accordé, espérant qu'il luy descouvri-
roit et confesseroit plus tost quelque chose que non
pas à nous, dont ledit cappitaine comme bon et ridelle
serviteur du Roy pourroit advertir puys après ledit
seigneur. Or nous incontinant après aurions demandé
audit cappitaine quels propos lui auroit tenuz le dit de
Heu : nous auroit dit qu'il ne luy auroit parlé que de
sa femme. Sur cela seroit arrivé le Prestre qu'avions
envoyé quérir. Et aussitost ledit de Heu nous auroit
dit qu'il nous déclaroit en la présence de luy et du-
dit cappitaine, que toutes les choses qu'il avoit ce
jourd'hui dittes audit Viallard, estoyent faulses et in-
ventées, et que ce qu'il en avoit dit estoit pour la tre-
meur et crainte qu'il avoit de ladite question, nous
réitérant ces propos par deux ou troys foys, disant
davantage qu'il n'y avoit rien de vérité, sinon ce qu'il
avoit dit et confessé audit Viallard par ses premiers
interrogatoires : luy aurions remonstré que s'il n'en
estoit rien, qu'il ne le debvoit dire pour offenser sa
conscience; nous auroit respondu qu'il eust dit lors
tout ce que l'on eust voulu, pour la crainte de ladite
question. Luy aurions remonstré qu'il n'estoit vray-
semblable qu'il eust si promptement inventé tout ce
qu'il avoit ce jourd'huy dit. Auroit soutenu que
si, qu'il l'avoit inventé et n'en estoit rien. Ce fait, se
seroit mis à genoux où après avoir fait en françois son
oraison tout haut, ledit Prestre l'auroit admonesté de
sa conscience et salut et fait plusieurs remonstrances
touchant la religion, entre autres choses qu'il ne suf-
fisoit de mourir avecques Jésus Christ, mais qu'il fal-
loit aussi mourir avec nostre mère saincte Eglise. Sur
— io7 —
quoy en fin, et après quelques propos, auroit ledit de
Heu respondu qu'il vouloit mourir avecques Jésus
Christ et l'Eglise, mais non pas comme les Papistes.
Et sur ce, aurions demandé s'il se vouloit point con-
fesser et prendre l'absolution dudit prestre, auroit dit
que non. Parquoy voyant qu'il ne vouloit dire autre
chose et qu'il ne tendoit qu'à nous tenir en longueur,
aurions commandé audit exécuteur le mener en un
autre grenier prochain et attenant de celluy où nous
estions. Où estant l'auroit ledit exécuteur fait monter
en une eschelle qui estoit posée contre le surfeste de
la couverture dudit grenier, et estant là, ayant la
corde au col, nous auroit dit en ces termes : Le Roy
me fait mourir, mais il s'en repentira devant qu'il
soit troys sepmaines, et il le cognoistra et alors il
sçaura bien au vray qui sont ceux qui ont escrit, fa-
briqué et composé la lettre envoyée aux Princes élec-
teurs de l'Empire. Luy aurions remonstré qu'il nous
le diroit bien de ceste heure s'il vouloit, l'admonestant
de ce faire : nous auroit dit qu'il n'en diroit autre
chose puisqu'il alloit mourir, mais que l'on le sçau-
roit assez avant qu'il fust troys semaines, réitérant
que le Roy s'en repentiroit et cognoistroit la faulte
qu'il faisoit de le faire mourir, et qu'il luy eust bien
peu encores faire service. Et sur ce, après avoir dit en
françois le symbole des apostres, l'auroit le dit exécu-
teur jette et estranglé, où il seroit demouré pendu en-
viron une heure. Ce pendant aurions fait faire une
fosse dans les fossez du donjon dudit chasteau, soubz
les arches du pont de la poterne, comme nous sem-
blant lieu le plus caché et secret d'alentour dudit chas-
teau, d'autant que l'on ne va souvent ny aysement
esdits fossez, et que les herbes y sont communément
io8
grandes, auquel lieu nous avons fait mettre et poser le
corps dudit de Heu, suyvant que par ladite commis-
sion nous estoit mandé faire. Ce fait aurions fait se-
crètement retirer ledit exécuteur de la justice et def-
fendu à luy et à son varlet de dire ny révéler aucune
chose de ladite exécution. Pareillement avons def-
fendu audit de Belloy, capittaine dudit chasteau, sur
la fidélité qu'il doit au Roy, d'en rien déclarer, et en-
chargé faire pareilles deffenses au portier, ses mortes
payes et serviteurs qui en pourroyent avoir entendu
quelque chose, et faire en sorte que ladite exécution
fust tenue secrette suyvant le vouloir du Roy, ce qu'il
auroit promis de faire. Et à l'instant serions montez à
cheval et retournez à Paris, où serions arrivez environ
les neuf ou dix heures de nuict, et tout ce certifions
estre vray et par nous avoir esté ainsi fait l'an et jour
que dessus.» (Mss. 22562, ire partie, p. 1 10-1 13.)
Vers 329. — C'est-à-dire, en les faisant mourir sans
jugement ni forme de procès.
Vers 33o. — Voyez sur la conjuration d'Amboise
(1 5-17 mars i56o) les ouvrages ci-après : L'hist.
du tumulte d'Amboyse, advenu au moys de mars
MDLX ensemble un avertissement et une com-
plainte au peuple françois. Esa. 8, cap. 12 : Ne
dites point conspiration toutesfois et quantes que
ce peuple dit conspiration. i56o. In-8 de 28 p.,
plus un feuillet non chiff. sous la signature A-Dij
(il y a d'autres édit. de ce livret réimprimé, du
reste, dans les Mém. de Condé, in-4, t. Ier, p.
32o-33o); La Place, Comment, de V estât de la
rel., etc., édit. du Panth litt., liv. II, p. 32-35;
— 109 —
Régnier de la Planche, Hist. de V estât de France
sous le règne de François II, édit. du Panth.,
p. 237-240, 245-266 (c'est l'ouvrage capital sur le
règne de ce prince); La Popeliniere, Histoire de
France, etc., i58i, 2 vol. in fol., t. Ier, liv. VI,
feuillet 162-169; Castelnau, Mém., édit. de 173 1.
in-fol., t. Ier, liv. Ier, chap. vu, vm et ix, p. i3-ig,
et 383-386 {Additions de Le Laboureur); De
Thou, Hist. Univ., 1734, t. III, p. 467-497,
liv. XXIV; Jean de Serres, Hist. des choses mémo-
rables, etc., 1599, in-8, p. 77-80, 81-88; Es-
tienne Pasquier, Œuvres, Amsterdam, 1723,
2 vol. in-fol. t. II, col. 78-80 (Lettre IV du li-
vre IV); D'Aubigné, Hist. Univ., édit. de 1626,
3 vol. in-fol., t. Ier, col. 124-129 (liv. II, ch. 17);
Henri Martin, Hist. de France, 4e édit., Paris,
Furne, i855-i86o, t. IX, p. 33-4i ; Théophile
Lavallée, Hist. des Français, i863, 4 vol. in-12,
t. II, p. 406-409 ; et René de Bouille, Hist . des
ducs de Guise, Paris, Amyot, 1 849-1850, 4 vol.
in-8, t. II, p. 34-41, 42-52.
Edouard Tricotel.
NOTES
ET
OBSERVATIONS
HISTORIQUES
LITTÉRAIRES ET BIBLIOGRAPHIQUES
f
NOTES
HISTORIQUES, LITTERAIRES
ET BIBLIOGRAPHIQUES
P. i, note i. — Le quatrain anti-guisard.
A tort ou à raison, on a cru, paraît-il, que
c'était Charles IX qui avait ainsi mis en quatre
vers la prédiction de son aïeul. Dans la Satyre
Ménippée, M. d'Aubray, s'adressant aux Lor-
rains, leur dit : « Quand vous vistes le roy
« Charles décédé, qui autrement ne vous aimoit
« pas beaucoup et qui avoit plusieurs fois répété
« le dire du grand roy François, dont luy-mesme
« avoit faict ce quatrain, maintenant tout vul-
« gaire :
« Le Roy François ne faillit point,
« Quand il prédit que ceux de Guyse
« Mettroient ses enfants en pourpoinct,
« Et tous ses subjects en chemise. »
On voit qu'il y a ici de légères variantes.
Les Mémoires dits de Condé, dont le premier
10
— n4 —
volume parut en 1 565, mirent en grand relief,
page 3i, le quatrain, tel que nous l'avons cité. Il
se trouve encore reproduit de même par Michel
Hurault de l'Hospital, sieur du Fay, dans le pre-
mier des célèbres « Discours sur l'Estat de la
France, » où il est donné comme étant, « depuis
« plus de trente ans, le cri d'une partie de la na-
« tion contre la Maison de Guise, voire avant
« qu'il nasquit aucun soupçon de rébellion dans
« l'esprit des François. »
P. 2, 1. 6. — Le Passé et les Guises. — L'Avenir.
Chateaubriand a marqué, dans la Préface de ses
Etudes historiques, le caractère funeste de cette
époque.
« Le règne des seconds Valois, dit-il, c'est le
temps de la terreur aristocratique et religieuse,
de laquelle est née la monarchie absolue des
Bourbons, comme le despotisme militaire de Bo-
naparte est sorti du règne de la Terreur popu-
laire et politique. »
« Le passé, dit-il encore, qui mit les Guises à sa
tête, arrêta Y avenir. »
C'est bien là, en effet, le principe du mal sé-
culaire dont notre pays a subi et subit toujours
les misérables conséquences. La réforme, avor-
— II D —
tée sous les Valois, sera, sous les Bourbons, une
révolution .... qui dure encore.
Comment en serait-il autrement dans un pays
où
i° en 1829, l'abbé de La Mennais (qui dt puis...)
vantait « l'époque trop peu connue de la Ligue,
l'une des plus belles de notre histoire », et assu-
rait qu'elle « avait replacé la monarchie sur ses
bases » ; (Progrès de la révolution, etc.)
20 en 1841, le ier février, dans la chaire de
Notre-Dame, l'abbé Lacordaire osait prôner
(nous l'avons entendu de nos oreilles, et cela est
imprimé) « cette sainte et glorieuse Ligue, dont
on peut dire beaucoup de mal, mais dont on
comprendra la grandeur chaque jour davantage ;
car quand on sauve la nationalité d'un peuple,
quand on lui conserve sa foi, toutes les fautes
se perdent dans la gloire ».
La Ligue proclamée sainte et glorieuse! La
Ligue présentée comme une des plus belles pages
de nos annales ! La Ligue, qui nous a valu le
« sault périlleux » du 25 juillet 1 593....
Dérision ou démence? ouïes deux à la fois(i)?
(1) Il faut qu'on lise ici quelques lignes bien remarquables
d'un écrivain contemporain, qui ne nous sont pas sorties de
la mémoire depuis que nous les avons rencontrées, il y a vingt
ans, dans la Revue de Paris (juillet i855) :
» IS Abjuration de Henri /Vcst une scène qui, pour porter
avec elle son enseignement, devrait être divisée en deux par-
— n6 —
« Souvent je me suis esmerveillé de la stupidité
de plusieurs François, qui font profession d'avoir
de l'esprit à revendre, et cependant font sem-
ties : dans la première on verrait Henri IV mettant en ac-
tion son mot : Paris vaut bien une messe; dans la seconde,
on verrait le roi Louis XVI gravissant les degrés de 1 echa-
faud. En effet, en renonçant à la foi protestante, Henri IV a
créé dans le sein même de la France deux rivalités, dont la
lutte incessante n'est pas près de finir. » Et l'auteur, qui n'est
pas — notons-le — un protestant , explique ainsi sa pensée :
« Egalitaire par tous ses sentiments propres, d'une part; de
l'autre, subissant la tyrannie d'un dogme autoritaire jusqu'à
l'infaillibilité, la France, tiraillée perpétuellement entre ses be-
soins d'indépendance et les traditions absolutistes de sa reli-
gion, va de soubresaut en soubresaut, sans pouvoir trouver
la forme définitive de son choix. Sans l'abjuration de i5g3,la
France échappait sans doute aux dures épreuves qu'il lui a
fallu traverser. Le roi vainqueur sans condition, le protestan-
tisme régnait avec lui, le droit de libre examen se répandait
bientôt de l'Eglise dans l'Etat; le développement normal et suc-
cessif de la liberté humaine s'accomplissait sans violences et
sans secousses, — dérivation forcée du principe intronisé par
l'avènement d'un prince protestant, — la France était sous-
traite à l'influence de Rome ; la religion et la monarchie, étroi-
tement unies, restaient nationales et s'inféodaient au peuple
lui-même, réalisant dès lors cette grande unité française dont
on parle, que l'on vante, mais qui n'est point accomplie.
« Au moment où se préparait cette grande destinée pour
cette maison de Bourbon qui devait être le salut et la gloire de
la France, son chef, ébloui par les clartés de la terre, fut frappé
d'aveuglement! Henri IV abjura, pour la seconde fois de sa
vie, entre les mains de l'archevêque de Bourges, dans l'église
de Saint-Denis!
« Mais je vous dis qu'on entendit à cette heure, vibrant à l'u-
nisson des notes rauques du plain-chant et de la psalmodie
des diacres, le roulement implacable et lointain des tambours
de Santerre. et qu'au moment même deux dates furent inscrites
sur le grand livre des responsabilités humaines : la date de ce
— lî7 —
blanî de croire que nous n'avons bien quelcon-
que, sinon de ceux desquels la plupart de nos
maux découlent. Si les affections particulières
jour qui fut le 25 juillet i5g3, et la date de cet autre jour qui
fut le 21 janvier 1793... »
Qu'on ne vienne pas alléguer que, sauf quelques gens de cœur,
comme Du Plessis-Mornay et d'Aubigné, les conseillers hugue-
nots du Béarnais auraient admis comme nécessaire ce fameux
1 saut périlleux » — plus périlleux en effet qu'on ne le voulut voir.
Qu'on ne nous objecte pas que tous les historiens (y compris
AI. Guizot!; ont fait aussi, sur ce point, le saut des moutons
de Panurge. La ferme opinion, que Henri IV aurait pu et au-
rait dû ne point abjurer, a été, au moment même, celle de plus
d'un catholique, et ce n'est pas pour les besoins de la cause que
le véridique Pierre de l'Estoile a consigné les notes que voici
dans son Journal secret (Bibl. Nat. Ms^. 10,299, p. 528 J :
« Un conseiller du Grand Conseil, très-grand catholique,
ayant entendu la conversion du roi et comme il estoit retourné
à la messe, encores qu'il eust toujours suivi et tenu le parti de
Sa Majesté, dit néantmoins à celui qui le lui contoit, comme
estant fasché et indigné de ce que le Roy avoit fait : « Ah !
« monsieur mon ami, le Roy est perdu : il est tuable à ceste
1 heure, là où auparavant il ne l'estoit pas ! »
« Ung évesque. qui avoit semblablement toujours tenu le
parti du Roy, dit à un mien ami sur ceste conversion : « Je
« suis catholique de vie et de profession et très-fidèle sujet et
« serviteur du Roy : vivrai et mourrai tel. Mais j'eusse trouvé
« bien aussi bon, et meilleur, que le Roy fust demeuré en sa
« religion que la changer comme il a fait. Car, en matière de
« conscience, il y a un Dieu là-haut qui nous juge : le respect
« duquel seul doit forcer les consciences des rois, non le res-
« pect des roiaumes et couronnes, et les forces des hommes. Je
« n'en attends que malheur! •
Ces paroles d'un magistrat et d'un prélat sont graves: leur
témoignage mérite apparemment d'être médité par la postérité
et par messieurs les historiens. S'ils ont été convaincus que leur
roi, en abjurant, s'était rendu vulnérable et avait attiré le
malheur sur sa tête, il est permis de croire que la France avait
10.
— n8 —
n'avoient corrompu la vue de leurs entende-
mens, je m'assure qu'ils seroient d'autre avis. »
Que vous semble de cette pensée ? C'est le
début de la fameuse « Légende du cardinal de
Lorraine. » N'est-ii pas toujours de saison (i)?
P. 2, 1. 12. — Les frères Lorrains.
En parlant des deux frères (le duc François de
Guise et le cardinal Charles), le savant annota-
été, du même coup, blessée au cœur, et qu'encore une fois,
suivant la pensée de Chateaubriand, le passé avait arrêté ïa-
venir. Le poignard de Ravaillac, au nom de l'ancienne société,
intronisera la régence italienne, et Louis XIII parfera l'œuvre
en vouant son royaume au pharisaïsme.
(Voir ce que nous avions publié nous-même sur ce sujet,
en i854, dans notre mémoire sur Henri IV et Daniel Cha-
rnier, et les appréciations dont il avait été l'objet, notamment
de la part de Prevost-Paradol, dans la Revue des Deux Mondes
du i5 janv. i855.)
(i) Rapprochons de ce qu'on vient de lire ces passages de
Bossuet :
c La Ligue ne fut une affaire de religion que pour le peu-
ple abusé; pour les Guises, ses chefs ambitieux, elle fut une
odieuse révolte colorée, du beau nom de la religion qui leur
était très-indifférente : religionis absente studio. »
« Plus Espagnols et plus Lorrains que Français, plus hé-
rétiques que les hérétiques eux-mêmes, les meilleurs Français
et les meilleurs Catholiques furent réduits à se féliciter haute-
ment de la résistance opposée à la cour de Rome par Henri IV,
le plus clément et le pius brave des enfants de Hugues Capet
et de saint Louis : clementissimus et fortissimus. » (Défense
de la Déclar. du clergé gallican, chap. 28.J.
— ii9 —
teur des Mémoires de Michel de Castelnau
(Paris, 1659. 2 v°l- in-fol.). Le Laboureur, qui
leur est pourtant favorable, s'exprime ainsi :
« La Maison de Guise en peu de temps s'éleva
en telle autorité, qu'elle pensa ruiner celle de
Bourbon et toutes les plus illustres du royaume
qui se voulurent opposer à sa grandeur...
« Le cardinal de Lorraine tira de grands avan-
tages, peur lui et pour sa Maison, de la perte de la
bataille de Saint-Quentin et de la prison du Con-
nétable : il gouverna seul l'esprit du Roi, et son
frère eut le commandement des armées...
« Les hérétiques les accusèrent principalement
de la mauvaise administration des finances du
rovaume. qu'ils avaient à leur disposition.
« Le cardinal se laissa insensiblement possé-
der à la passion des emplois de Cour et des
grandeurs du siècle, passion qui l'emporta si
loin qu'il commit l'Etat et la Religion pour sa
querelle : on peut dire que ce fut lui qui fit
trouver des chefs au parti Huguenot, par la trop
grande autorité qu'il prit à la Cour et par le mé-
contentement qu'il donna au prince de Condé. à
la Maison de Coligny et à plusieurs autres, qui
n'eurent pas tant de modération que le conné-
table et ses entants , lesquels persévérèrent dans
la religion de leurs pères...
« C'est faire tort au duc de Guise de le soup-
çonner d'avoir pris part dans ce que son frère
— 120 —
n'entreprit de violent que par la nécessité natu-
relle de le maintenir dans les périls où il exposait
toute sa Maison. Ce fut contre son avis qu'il
poursuivit avec trop de vigueur et de ressenti-
ment les coupables et les suspects de l'affaire
d'Amboise, qu'il y voulut comprendre le prince
de Condé, et qu'il fit ensuite arrêter prisonnier
pour le faire périr... »
La condamnation de la maison de Lorraine
est dans ces sages paroles d'un libelle du temps :
« Je ne veux pas nier que si ceux de Guise se
fussent tenus en leur rang, ils pouvoient faire
service à la Couronne de France : mais, de ser-
viteurs voulans devenir maistres, ils ont gasté
tout et ruiné eux et les autres. »
P. 2, 1. 14. — La conjuration d'Amboise.
« Le but avoué delà conspiration, a fort bien
dit Gerazez, était la délivrance du roi et la cap-
ture des Guises. Après ce coup de main, on au-
rait instruit le procès des Lorrains et convoqué
les Etats-Généraux. Le roi et la nation, repre-
nant leur indépendance, se seraient concertés
pour mettre fin aux troubles de la religion. »
La Complainte au Peuple français (i56o), en
forme de remarquable proclamation, débute
— 121
ainsi : « Peuple François, l'heure est maintenant
venue qu'il faut montrer quelle foy et loyauté
nous avons à nostre bon Roy. L'entreprise est
découverte, la conspiration est cognue : les ma-
chinations de la maison de Guise sont révélées.
Voici les étrangers à nos portes, qu'ils ont fait
venir pour estre ministres et instrumens de leur
meschante entreprise... Ils cognoissent que nous
voulons deffendre et maintenir la Couronne de
France entre les mains de nostre bon Roy et
maistre, auquel elle appartient... »
On comprend que beaucoup, qui n'avaient pas
été de la conjuration, aient plus tard dit tout
haut, comme le rapporte Brantôme, « que l'en-
treprise estoit bonne et saincte ». (Œuvres
compl., Paris, 1868, in-8, t. IV, p. 364.)
Si elle avait réussi, la France, légalement dé-
livrée des usurpateurs Lorrains, pouvait être
préservée des trente années de convulsions et
de guerre civile, et marcher dans une autre voie
que celle de la monarchie absolue et de la révo-
lution permanente.
Les Guises usèrent et abusèrent de leur vic-
toire. Après avoir noyé les vaincus dans leur
sang, ils travaillèrent à les perdre à tout jamais
dans l'esprit du Roi en les représentant comme
ennemis, non d'eux-mêmes , mais de la royauté
et de la noblesse, et comme visant à l'abolition
de l'autorité monarchique pour, à l'exemple des
122
Suisses, «vivre en commun», c'est-à-dire fonder
une république. Se voyant ainsi traités de bri-
gands et de pillards, décimés par les supplices,
menacés par les édits, traqués partout, les hu-
guenots répandirent partout, dit M. Dareste,
d'après l'historien Régnier de la Planche, que le
projet bien arrêté des Guises était de réduire la
France à la façon de vivre du Turc, et que,
pour arriver à ce but, ils étaient résolus « de
rendre toutes choses tellement confuses, qu'on
en vinst au pis aller, à une sédition populaire en
laquelle ils s'asseuroient de faire mourir tant de
gens que le champ leur demeureroit asseuré ».
C'était pressentir l'expédient du 24 août 1572,
et qui sait si la mort de François II n'a pas dé-
concerté des desseins, naissants ou déjà formés ?
Quant au pamphlet de la France -Turquie, il
avait une portée sérieuse, puisque notre pays
n'échappa au régime monarchique, tel que les
huguenots le voulaient contre les Guises, que
pour s'acheminer au despotisme, et il est à re-
marquer qu'un autre pamphlet de l'époque de
Louis XIV a justement pour titre : la Cour de
France turbanisée (1686). De quoi se plaignait-
on alors? Du fait accompli (1).
(1) Il est vrai qu'il ne manque pas de gens pour dire que
cette pauvre France adore le turban, — comme la femme de
Sganarelle aimait à être battue, comme Marianne voulait être
— 133 —
Notons encore que cette accusation, injuste
alors et prématurée, des Guises, prétendant que
les huguenots songeaient à établir une républi-
que, a dû contribuer à en faire bientôt surgir
l'idée, qui a plus tard inquiété Henri IV, et qui a
été développée ensuite, comme à plaisir, par les
absurdes persécutions de son petit-fils... — De-
puis l'époque des Lorrains, les huguenots n'ont
certes pas été payés pour aimer la monarchie.
P. 2, note i. — L Hôpital et La conjuration
d'Amboise.
Il importe de savoir ce que pensait de l'entre-
prise d'Amboise le chancelier de l'Hôpital. Voici
:e qu'il a dit dans son testament, écrit, à l'âge
ie soixante-neuf ans, le i3 mars i5j3 :
« En ces entrefaites, arriva un courrier en
très-grande diligence, de la part du Roy Fran-
çois, qui m'appela pour estre Chancelier, qui
2st le premier estât des gens de robbe longue,
vacant par la mort de très-honorable Olivier.
J'arrivay à la Cour, fort troublée et esmue d'un
tartujjiée, comme enfin M. Jourdain « voulait marier sa fille
avec le fils du grand Turc » et être fait lui-même mamamou-
:hi!
— i24 —
grand bruit de guerre, incontinent après le tu-
multe d'Amboise, qui ne fut pas tant de soy
dangereux, que pour le remuement des par-
tiaux, qui bientost après s'ensuivit. Alors j'eus
affaire à des personnages non moins audacieux
que puissants, voire qui aimoient mieux con-
duire les choses par violence que par conseil et
raisons, dont pourroit donner tesmoignage la
Roine-Mère : laquelle fut alors réduite en tel
estât, qu'elle fut presque déboutée de toute l'ad-
ministration du Royaume. A raison de quoy, se
complaignant souvent à moy. je ne luy pouvois
autre chose proposer devant les yeux que l'auto-
rité de Sa Majesté. » (Add. aux Mémoires de Cas-
telnau, t. I, p. 493.)
P. 4, 1. 20. — Les massacres d'Amboise.
« Cette scène funèbre sembla porter malheur
à tous ceux qui en avaient été témoins : à Fran-
çois II, à Marie Stuart, au grand Guise, au chan-
celier Olivier, protestant dans le cœur, qui les
avait condamnés et en mourut de remords.» (Mi-
chelet, Précis de VHist. de Fr. 1834.)
— 125 —
P. 7, 1. 5. — Oraison funèbre du cardinal
de Lorraine.
Le cardinal de Lorraine est incontestablement
responsable au premier chef des maux sans nom-
bre que l'ambition et la convoitise de sa maison
commencèrent alors à faire pleuvoir sur la
France. Lorsqu'il mourut à Avignon, le 26 dé-
cembre 1574. à l'âge de cinquante ans, voici
l'oraison funèbre que lui fît Pierre de l'Estoile
dans le secret de son registre-journal :
« Le jour de sa mort et la nuit ensuivante,
s'esleva en Avignon, à Paris, et quasi par toute
la France, un vent si grand et si impétueux, que
de mémoire d'homme il n'avoit esté ouï ung tel
fouldre et tempeste. Dont les catholiqueslorrains
disoient que la véhémence de cest orage portoit
indice du courroux de Dieu sur la France, qui
la privoit d'un si bon, si grand et si sage prélat.
Les huguenots, au contraire, disoient que c'es-
toit le sabbath des diables, qui s'assembloient
pour le venir quérir: qu'il faisoit bon mourir ce
jour-là, pour ce qu'ils estoient bien empeschés.
Ses partizans maintenoient qu'il avoit fait une
tant belle et chrétienne fin que rien plus. Les
huguenots soustenoient , au contraire , que
quand on lui pensoit parler de Dieu, durant sa
maladie, il n'avoit en la bouche pour toute res-
1 1
— 126 —
ponse que des vilanies, et mesme ce vilain mot
de foutre; dont Monsieur de Reims, son nep-
veu, l'estant allé voir, et le \oyant tenir tel lan-
gage, auroit dit en se riant, qu'il ne voioit rien
en son oncle pour en désespérer, et qu'il avoit
encores toutes ses paroles et actions naturelles.
Or la vérité est que sa maladie estoitau cerveau,
lequel il avoit tellement troublé qu'il ne sçavoit
qu'il disoit, ne qu'il faisoit; en quoi il continua
jusques à la fin, mourant en grand trouble et in-
quiétude d'esprit, invoquant mesme et appelant
horriblement les diables sur ses derniers soupirs :
chose espouvantable, et toutefois tesmoignée de
tous ceux qui lui assistoient
« Pour en parler sans passion, c'estoitung pré-
lat que le cardinal de Lorraine, qui avoit d'aussi
grandes parties et grâces de Dieu que la France
en ait jamais eu. Mais s'il en a bien usé ou
abusé, le jugement en est à celui devant le
throsne duquel il est comparu, comme nous
comparoistrons tous. Le bon arbre, dit nostre
Seigneur, secongnoist par le fruit. Ce fruit estoit
(par les tesmoingnages mesme de ses gens) que,
pour n'estre jamais trompé, il faloit croire tous-
jours tout le contraire de ce qu'il vous disoit.
« Ce jour, la Roine-Mère se mettant à table
dit ces mots : Nous aurons à ceste heure la paix,
puisque M. le cardinal de Lorraine est mort, qui
estoit celui {ce dist-on) qui l'empeschoit. Ce que
— 127 —
je ne puis croire; car c'estoit un grand et sage
prélat, et homme de bien, et auquel la France et
nous tous perdons beaucoup. Et en derrière di-
sent que ce jour-là estoit mort le plus meschant
homme des hommes. Puis s'estantmise à disner,
ayant demandé à boire, comme on lui eust baillé
son verre, elle commença tellement à trembler
qu'il lui cuida tumber des mains et s'escria :
Jésus! voila M. le cardinal que je voy ! Enfin,
s'estant un peu rassise et rasseurée, elle dit tout
haut : C'est grand cas de l'appréhension! je suis
bien trompée si je nJay veu ce bonhomme passer
devant moi pour aller en paradis, et me sembloit
que je Vy voyois monter. Les nuits aussi elle en
avoit des appréhensions (au dire de ses femmes
de chambre), et se plaignoit de ce que souvent
elle le voyoit et ne le pouvoit oster et chasser
de sa fantaisie, encore que dès qu'il fust mort,
on ne parla non plus du cardinal de Lorraine,
que s'il n'eust jamais esté; et en fist-on moins
de bruit à la Cour (ce qui est digne de remar-
que) qu'on eust fait d'un simple protenotaire ou
curé de village. » {Journal de Henri III, édit.
de 1875, t. I, p. 40.)
(1) Chateaubriand a soin de citer ces lignes du chroniqueur,
lorsqu'il mentionne la mort du cardinal, « finissant la première
génération des Guise, » — et léguant à la France cette vraie fille
maudite de ses œuvres qui s'est appelée la Ligue.
28 —
P. 7, note. — La funeste ambition des Lorrains.
Dans ses Additions aux Mémoires de Cas-
telnau, Le Laboureur a consacré un chapitre aux
Libelles publiés contre la maison de Guise. Il
montre fort bien qu'il est tout naturel que « le
soupçon d'ambition personnelle et de prétention
à la Couronne soit tombé en la personne du duc
de Guise, et qu'on ait cru que le Cardinal, son
frère, ait aspiré au pontificat. » « On fit, dit-il,
mille libelles pour les en convaincre, et on y joi-
gnit des prédictions de François Ier et de
Henri II, qui se publièrent avec tant d'autorité
parmi la France, que beaucoup de gens en furent
persuadés, plusieurs des grands qui n'en croyaient
rien feignant d'y ajouter foi, pour l'intérêt qu'ils
avaient de s'opposer à leur puissance. Le parti
huguenot, déclaré ouvertement contre eux, ser-
vit beaucoup à cela, parce que les meilleures
plumes étaient de son côté Je ne veux pas
tellement justifier le duc de Guise et le cardi-
nal, son frère (poursuit l'auteur), que je n'avoue
qu'ils n'aient bien mérité d'avoir des ennemis,
et qu'on n'ait eu plus de raison de trouver à re-
dire aux entreprises qu'ils faisaient, qu'ils n'en
pouvaient avoir de prétendre si haut et de trou-
bler l'ordre et les rangs à la Cour... »
« Pour moy (continue Le Laboureur), je croi-
— 129 —
rais bien que le duc de Guise, qui avait le cœur
et toutes les qualités nécessaires pour faire un
grand roi, aurait pu penser à une couronne,
mais plutôt à celle de Naples qu'à celle de
France, et que pour la même raison le cardinal,
son frère, aurait souhaité d'être pape. Ce peut
bien être le sujet pour lequel ils obligèrent le roi
Henri II, contre le sentiment du connétable et
des autres grands, à rompre la trêve avec l'Es-
pagne, sous prétexte de défendre l'Eglise ro-
maine, et à jeter une armée en Italie sous la
conduite du duc, qui passa au royaume de Na-
ples, l'an i557, et qui en fut rappelé après la ba-
taille de Saint-Quentin. »
Suit le pasquil rapporté ci-dessus p. 90, 1. 7;
puis un « extrait d'une plus longue pièce faite
contre la Maison de Guise, et adressée au car-
dinal de Lorraine. »
Cette pièce, que Le Laboureur ne nomme
point (il n'ose peut-être, après avoir dit quel-
ques lignes plus haut qu'il « aurait eu honte de
lire ces libelles » ), n'est autre que le Tigre (ce-
lui en vers, bien entendu, car il n'a pas dû con-
naître notre vrai Tigre en prose), et il en cite
les vers 97 à 122 :
De vaine ambition dans ton âme allumée, etc.
1 1
— i3o —
P. 8, 1. 2. — Le cardinal de Lorraine,
collectionneur de pamphlets.
C'est le 24 août i55o. que le cardinal prit la
parole, à l'assemblée de Fontainebleau, après le
duc de Guise, et pour renforcer sa harangue en
réplique à celle de l'amiral Coligny. A propos
des « placards et libelles diffamatoires » que les
mécontents « produisoient tous les jours contre
le monde », il « dit qu'il en avoit sur sa table
vingt-deux, faits contre luy, lesquels il gardoit
très-soigneusement comme le plus grand hon-
neur qu'il sauroit jamais recevoir, que d'estre
blasmé par tels meschans : espérant que ce se-
roit le vray esloge de sa vie pour le rendre im-
mortel. » (La Popelinière, éd. de i582,in-8, 1. 1,
p. 389.)
Le lendemain 2 5 août, conformément à toutes
les comédies politiques du même genre, les che-
valiers de l'Ordre, appelés à opiner l'un après
l'autre, avaient conclu « à ce qu'avoit proposé le
cardinal, » et, ce fait, le Roy et la Royne sa
mère avoient remercié très-affectueusement un
chacun de leur bon conseil, promettant de
l'ensuivre et se conduire selon iceluy. » Mais,
observe notre historien, le duc de Guise « se
monstra tant passionné, » en cette occasion, et
parla « de telle animosité, que plusieurs pensé-
— i3i —
rent que dès lors se forma la haine incroyable la-
quelle est toujours depuis augmentée entre luy
et l'amiral, et qui a esté cause de grands maux.»
(Ibid., p. 386, 388.)
P. i3, 1. 4. — Le magistrat courtisan. — La
« Ce trait, dit Geruzez, peint toute l'époque.
On voit que le pouvoir est aux mains d'un parti
courtisan de la populace. Lorsque la foule de-
mande des victimes et que les magistrats ren-
dent des services et non plus des arrêts, la loi
est violée et la société passe à l'état de guerre.
Les gens de bien n'ont plus à prendre conseil
que de leur conscience et de leur courage. »
C'est dans ce même temps que les Lorrains
ont songé à faire de la « vile multitude » un in-
strumentum rcgni. et qu'ils ont inventé, pour se
défaire de leurs adversaires, le procédé noblement
défini par eux et caractérisé en ces termes :
lâcher la grande lévrière (1). Le massacre de
Vassy, premier exploit du duc François deGuise,
est un premier pas dans cette via scelerata, où
(1) Sismondi, Etudes sur les sciences sociales, i836, t. I,
p. 59.
— l32 —
l'on marchait vers la Saint- Barthélémy et la
Ligue.
P. 16, note. — Castelnau et Maimbourg.
Les Mémoires de Michel de Castelnau, pu-
bliés en 1621 (in-40), contiennent aussi cette
mention, p. 81 : « Sur quoy l'on print un im-
primeur qui avoit imprimé un petit livre inti-
tulé Le Tigre, dont l'auteur présumé, et un
marchand, furent pendus pour ceste cause. »
Le jésuite Maimbourg, dans son Histoire du
Calvinisme, enregistre le supplice des malheu-
reux Lhomme et Dehors, mais c'est pour n'y
voir, bien entendu, qu'un bel exemple de zèle
orthodoxe, qu'il propose pieusement à l'imita-
tion du Grand Roi, appelé à foudroyer l'hérésie.
P. 32, 1. 14. — L'auteur du Tigre.
De Thou écrit dans son Histoire (liv. XXV) :
« Libellus, sed incerto nomine, in Guisianos
scriptus, cui ob id Tigridi titulus prcefixus erat,
quo eorum crudelitates summa acerbitate exagi-
tabantur. »
— i33 —
On en était encore, il n'y a pas longtemps, à
cet incerto nomine.
a On ignore le nom de l'auteur du Tigre, dit
M. Dupont. Le célèbre jurisconsulte Baudoin,
et Bayle après lui, l'attribue à François Hotman,
professeur de droit ; mais cette inculpation est
bien hasardée. » (Hist. de l'Imprimerie^ Paris,
1854, t. I, p. 203.)
« Quel était l'auteur deYEpistre au Tigre? On
ne le saura jamais avec certitude, écrivait M. Da-
reste, mais Baudoin nomme Hotman, et quelque
suspect que puisse être son témoignage, toutes
les vraisemblances se réunissent pour nous le
faire accepter. » (Essai sur Fr. Hotman, Paris,
i85o, p. 45.)
Dès 1834, Charles Nodier avait discuté cette
attribution, et, loin de la déclarer hasardée, il
l'avait affirmée hautement. « La même incerti-
tude, dit-il, existe encore sur l'auteur de l'ou-
vrage, qui a eu d'excellentes raisons pour ne pas
se faire connaître. Bayle l'attribue à François
Hotman, et, s'il l'avait vu, il aurait insisté sans
doute avec une conviction mieux établie sur sa
conjecture, car je ne crains pas de dire qu'il n'y
avait peut-être que François Hotman alors qui
fût capable de s'élever dans notre langue aux
hauteurs de cette véhémente éloquence. Là se
trouvent, et presque pour la première fois, quel-
ques-unes de ces magnifiques tournures ora-
- i34-
toires qu'un génie inventeur pouvait seul dérober
d'avance au génie de Corneille, de Bossuet, de
Mirabeau. » (Bull, du Bibliophile, 1834.)
Bayle citait, à l'appui de son opinion, un mot
de Baudoin écrivant au sujet d'Hotman : 77-
grim peperit (1). Si, d'une part, Baudoin était
à même de savoir ce qu'il disait, d'autre part,
c'était l'allégation d'un ennemi, c'était une sorte
de dénonciation, contre laquelle on pouvait se
tenir en garde, toute plausible qu'elle fût.1, Mais
voilà qu'un savant professeur de Strasbourg,
M. Ch. Schmidt découvre et produit, en i85o,
deux textes prouvant d'une manière positive que
le Tigre est bien d'Hotman et qu'en i5Ô2 on
savait généralement qu'il en était l'auteur.
C'est d'abord un petit écrit intitulé : Religio-
nis et Régis adversus exitiosas Calvini, Betçœ
et Ottomani conjuratorum factiones Defensio
prima, ad Senatum Populumque Parisiensem.
(Paris, Vincent Sertenas, i5Ô2, in-8), où se ren-
contrent, fol. 17, ces lignes : « Hic te, Ottomane,
excutere incipio. Scis enim ex cujus officina
Tigris prodiit, liber certe tigride parente, id est
homine barbaro, impuro, impio, ingrato, male-
volo, maledico dignissimus. Tu te istius libelli
auctorem, generis Francici propugnatorem, cae-
(1) Fr. Balduini Responsio altéra ad J. Calvinum (Paris,
i562, p. 128).
— i35 —
dis bonorum machinatorei.* audes venditare ? »
On voit que le ton de ce petit écrit était appro-
prié au goût de ceux à qui il s'adressait.
Plus explicite encore est le second texte, tiré
d'une lettre, alors inédite, de Jean Sturm, rec-
teur de k haute-école de Strasbourg, à Hotman,
datée du mois de juin i5Ô2. Hotman, irrité de
l'échec d'Amboise et brouillé avec Sturm, avait
accusé celui-ci, qui comme lui avait été dans le
secret de la conjuration, d'avoir dénoncé au car-
dinal de Lorraine le projet des conjurés. Sturm
écrit à Hotman une lettre où il se disculpe, ré-
crimine vivement et, adressante son ancien ami
d'amers reproches : «Ex hoc génère Tygris, lui
dit-il, immanis illa bellua quam tu hic contra
cardinalis existimationem divulgari carasti, im-
prudente magistratu nostro, qua in audacia,
quid te stultius aut impium magis? cum fra-
trem Joannem Hottomannum habeas apud car-
dinalem Lotharingœ quaestorem, tu Tygrim
divulgare audes et fratrem tuum certissimo
exitio objicere! » {Bull, du Bibliophile. i85o,
P. 773-)
M. Dareste a publié depuis, en son entier,
ce document qui faisait partie d'un recueil
de lettres du temps, conservé à la Bibliothèque
du Séminaire de Strasbourg (Epistolœ au-
tograpluv, t. III). Il a ainsi mis lui-même en
lumière la solution définitive de la question
- i36 —
qu'il s'était posée peu auparavant. (Biblioth. de
V Ecole des Chartes, 1854, p. 36o.)
Dans leur grande Biographie de la France pro-
testante(iS55, t. V, p. 528, 532), MM. Haag n'ont
pas hésité à reconnaître à Hotman la paternité
du « libelle le plus violent et le plus éloquent
qui ait paru chez nous au XVIe siècle. »
P. 32, 1. i5. — Lieu et date d'impression
du Tigre.
« Le libelle a été certainement imprimé a
Strasbourg ou à Basle (a dit Ch. Nodier, dans
une note de 1834) et on ne sait dans laquelle de
ces villes Jacques Estange, imprimeur à Basle
en i5Ô2, avait d'abord établi ses presses. Ce dont
il est impossible de douter, c'est que YEpistre au
Tigre est sortie des presses de Jacques Estange;
la conformité des caractères frapperait les yeux
les moins exercés. C'est la forme large et évasée
des capitales, l'E romain à la bouche oblique, au
lieu d'être tirée horizontalement au compositeur,
le Z romain aux barres flexueuses comme dans
les italiques, le point d'interrogation capricieu-
sement contourné, le type identique enfin de
Y Elégie de la jeune fille déplorant sa virginité
perdue, signée en i55j par Jacques Estange,
- i37-
qui, selon la méthode de ce temps-là, ne fait pas
mention de nom de lieu. »
Quant à Martin Lhomme, Ch. Nodier l'écarté,
considérant qu'il ne fut pas pendu pour le fait
d'impression du Tigre, et qu'il «n'était pas même
imprimeur, » mais simplement libraire. On a vu
ci-dessus, p. 17, que le titre, cité par nous, d'un
volume de 1 5 58, dit positivement qu'il était im-
primeur.
C'est ce que démontra d'ailleurs M. Tail-
landier, en arguant des Sonnets héroïques sur le
mariage du duc de Lorraine et de Madame
Claude, deuxième fille du roi Henri II, portant
la même rubrique, avec la date de 1 559. (Bull,
du Bibliophile, fév. 1842, p. 56.)
En ce qui concerne le Tigre, « après l'avoir
examiné dans le cabinet de M. Brunet, » M. Tail-
landier demeura convaincu, « malgré l'opinion
de Nodier, qu'il avait été imprimé à Paris. » « Les
caractères sont, dit-il. des imprimeurs parisiens
de ce temps; les réclames, au bas des pages,
étaient alors aussi bien en usage à Paris qu'à
l'étranger; le petit fleuron au milieu du titre, se
voit, se retrouve en beaucoup de livres imprimés
à cette époque, soit à Paris, soit à Lyon. Il est
acquis que le pauvre Martin Lhomme était im-
primeur (1), et il n'avait pas eu besoin de recou-
(1) L'arrêt du i5 juillet i56o le qualifie, en effet, de maistre-
12
— i38 -
rira son confrère Jacques Estauge, de Strasbourg
ou de Basle... Si Fr. Hotman, ce qui n'est pas
impossible, en était l'auteur, il a fort bien pu,
étant alors à Strasbourg, envoyer le manuscrit à
Paris, où je persiste à croire qu'il a été im-
primé. »
M. Dareste ne fut pas de cet avis, lorsqu'il
étudia la question huit ans plus tard (Essai, etc.
i85o). « L'Epistre au Tigre est, remarquait-il,
imprimée en caractères écrasés et presque go-
thiques, tels que ceux dont on se servait à
Strasbourg et à Basle, et il semble que les mê-
mes caractères ont servi à imprimer la seconde
édition des Partitiones juris d'Hotman, publiée
à Bâle en i56i. Pour M. Dareste le lieu d'im-
pression était donc bien Strasbourg ou Bâle, et
la question typographique venait ainsi à l'appui
de l'attribution de paternité faite à Hotman.
Sur ces entrefaites, M. Ch. Schmidt intervint
dans le débat avec sa lettre inédite de Sturm
(mentionnée dans la précédente note), lettre qui,
selon lui, confirmait par un témoignage positif
la conjecture de Ch. Nodier et l'observation con-
forme de M. Dareste. « Ex hoc génère (dit
Sturm, écrivant de Strasbourg) Tygris , imma-
imprimeur et dit qu'il fut arresté le 23 juin, « pour avoir im-
primé les épistres, livres, etc., desquels il avoir esté trouvé
saisi. •
- r39-
nis illa bellua quam hic... divulgari curasti... »
(Le Tigre, ce libelle monstrueux que tu as pu-
blié ici....) Il paraît difficile, en effet, de contes-
ter l'assertion.
Une seule recherche nous semble rester àfaire,
et on ne l'a pas encore indiquée : c'est celle de
l'alphabet auquel appartientla lettre initiale fleu-
ronnée, un T majuscule, qui inaugure le Tigre.
On pourra, en même temps, examiner quelle im-
primerie de Strasbourg employait en i55o. le
point d'interrogation de forme ancienne et la di-
vision (trait d'union géminé) qu'on a sous les
yeux, — puisque pour la première fois chacun
est, par notre fac-similé, mis à même de s'en-
quérir et de se prononcer en connaissance de
cause : Oculis subjecta fidelibus.
Pour ce qui est de la date de l'impression, elle
a pu faire d'abord quelque doute, lorsqu'on n'a-
vait que le récit assez vague de quelques histo-
riens. Mais depuis que M. Taillandier a retrouvé
et mis au jour les documents, judiciaires, la date
est certaine. L'arrestation de Martin Lhomme
étant du 2 3 juin i56o, et la conjuration d'Am-
boise étant du 1 5 mars précédent, c'est bien évi-
demment entre ces deux époques qu'il faut pla-
cer l'apparition de YEpistre au Tigre.
— 140 —
P. 37, 1. 7. — Quousque tandem...
« Jusques à quand sera-ce... » — Le grand ci-
céronien (c'était le nom que les ennemis même
d'Hotman lui donnaient) se montre ainsi dès le
début. Le Quousque tandem des Catilinaires
éclate du premier coup. Il n'était pas encore
devenu le lieu commun le plus rebattu de l'ar-
senal oratoire, et il était alors permis de s'en ser-
vir, — du moins à un Hotman, capable de sou-
tenir tout le discours, comme celui de l'orateur
romain, sur ce ton d'apostrophe et d'impréca-
tion. Ch. Nodier a vu là avec raison une preuve
frappante d'identité.
Brantôme avait bien dit que le Tigre était « sur
l'imitation de la première invective de Cicéron
contre Catilina. » L'a-t-il connu ? Rien ne le
montre. Il en parle, en tout cas, avec une cer-
taine réserve qui ne lui est pas habituelle, s'abs-
tenant de lever le voile sur les personnalités pi-
quantes qu'il ne fait qu'indiquer.
P. 38, 1. i3. — Omniaserviliter prodominatione.
Le cardinal de Lorraine s'était mis au service
de la maîtresse du roi Henri II, pour exploiter
son influence. Aussi le peuple les associa-t-il
— i4i -
dans son ressentiment, en leur attribuant à tous
deux les exactions dont il souffrait, comme le
montre ce quatrain cité par Le Laboureur :
Sire, si vous laissez, comme Charles désire,
Comme Diane veult, à tous vous gouverner,
Pestrir, mollir, taster, tourner et retourner,
Sire, vous n'estes plus, vous n'estes plus que cire.
L'Histoire particulière, publiée dans les Ar-
chives curieuses (ire série, t. III, p. 281), dit
bien que, « pour du tout s'asseurer. ils (les Lor-
rains) se jettèrent du commencement au parti de
ceste femme, spécialement le Cardinal, qui es-
toit des plus parfaits en l'art de courtiser. »
La Supplication et remonstrance, de 1 56o, rap-
pelle que ces cadets de Lorraine « s'allièrent en
premier lieu avec celle qui pour lors possédoit
nostre pauvre Roy (comme un chacun sçait), de
laquelle ils vouloient se servir, comme d'une
éponge, pour succerla substance de ce royaume. »
Et plus loin : « Pourroit la Royne-mère s'ou-
blier et se fier en ces estrangiers. lesquels, après
avoir fait tout leur effort pour la despouiller du
tiltre de Royne, en la faisant répudier au feu Roy
son mari, le luy ont ravi et pollué si longtemps
par leurs infâmes macquerélages, et ont si long-
temps soutenu, à son veu et sceu. ceste-là dont
cy-dessus a esté mention ?... »
12,
— 142 —
P. 40, 1. 12; p. 42, 1. 7. — Le voyage d'Italie.
Tous ces griefs se retrouvent dans un remar-
quable commentaire sur les lettres du roy Fran-
çois II aux cours de Parlement, du dernier jour
de mars i55o. ou l'on signale, « entre autres ac-
tes, le voyage de M. de Guise en Italie, par luy
entrepris (en trompant une bonne et nécessaire
trêve) aux excessifs despens de la France, pour se
faire roi de Naples et de Sicile, et le cardinal,
pape ; duquel on n'ignore point estre procédée
la perte de la journée Saint-Laurens. avec sa
suitte, etc. » (Mém. de Conde', I, 3 57.)
Le Brief discours (de 1 565) contient encore
ce passage : « D'où sont venus les maux qui nous
ont accueillis sur la fin du règne du roy Henri II?
De la conjuration faite en Italie par le cardinal
de Lorraine qui excita le tumulte d'Amboise ; de
la conspiration de ceux de Guise pour usurper
le gouvernement du royaume. »
[Cfr aussi p. 70, vers 95-102.]
P. 42, 1. 19. — Les finances de France.
« Ils rançonnent le pauvre peuple de tailles,
tributs et exactions intolérables... Ils amassent
- t43 -
toutes les finances de France pour en payer les
estrangers qu'ils ont à louage, et laissent toute
la gendarmerie et infanterie françoise sans
payer : et néantmoins sont si impudens que de
nous vouloir faire entendre qu'ils font venir les
estrangers pour la garde du Roy. Ha ! pauvre
nation Françoise! » (Complainte au Peuple
français. i56o.)
« Tu vois le cardinal de Lorraine qui tient du
bien d'autrui quatre ou cinq cens mille francs,
qui luy appartient autant comme l'argent du
passant au brigand qui le destrousse : et, non
saoul de cela, encores ne cesse de piller, avec
meurtre et massacre, les confiscations de tant de
gens de bien, desrobe les deniers de ce royaume.»
(Response chrestienne, etc. i56o.)
[Cfr aussi p. y5, vers 245-262.]
P. 43, 1. 9. — Remarque.
« Si tu le confesses, il te faut pendre et étran-
gler: si tu le nies, je te convaincrai... » — Cicéron
lui-même, dit Ch. Nodier, n'a pas de traits qui
ne le cèdent à ceux-ci en vigueur et en bon-
heur d'expression.
— i44 —
P. 43, 1. n. — Rapprochement.
Num negare audes? Quid taces? Convincam.
si negas. (Cic. In Catil. I, 4.)
P. 44, 1. 6. — Rapprochement.
Nihil est tam sanctum quod non violari, nihil
tam munitum quod non expugnari pecunia pos-
sit. {Cic. In Verr. II, 2,)
P. 44, 1. 14. — Rapprochement.
Ainsi dira un des plus beaux vers de Racine :
Le sang de vos rois crie, et n'est point écouté !
{Athalie, acte I, se. 1.)
P. 44, 1. 7. — Le « grand » et la « grande. »
« L'honneur de ta sœur... » c'est-à-dire de sa
belle-sœur. « Une très-grande et belle dame, »
dit Brantôme, « et un grand, son proche. » —
- i45 -
« Et le grand et la grande en furent si estoma-
qués, qu'ils en cuidèrent désespérer. *>
« Ne serait-ce pas, dit Ch. Nodier, Anne
d'Esté, femme de François de Lorraine, duc de
Guise, belle-sœur, et non sœur, du cardinal, ce
qui diminuerait au moins un peu l'horreur de
cet inceste ? C'est un doute que j'abandonne à
regret aux muses spinthriennes qui explorent
sur nos théâtres les débauches et les turpitudes
des vieilles cours. » (Bull, du Bibliophile, 1834.)
Ainsi que Nodier le fait remarquer, cet épisode
relatif aux amours d'un grand et d'une grande
est encore plus diffamatoire que la vague indica-
tion de Erantôme ne l'aurait fait supposer.
P. 45, 1. 2. — L'assassinat de Vincennes.
Voir sur ce fait le document inédit produit ci-
dessus, p. io3, par M. Ed. Tricotel.
P. 45, 1. 10. — Appréciations.
« Je connais ta jeunesse envieillie en son ob-
stination... » — Tous les mots sont comptés (dit
M. Dareste), et portent coup, et l'intérêt va tou-
— 146 —
jours croissant jusqu'au moment où l'auteur,
s'arrêtant brusquement, termine par ce mot
admirable.
C'est là une trouvaille de grand écrivain (dit
Geruzezj. Jamais on n'a reproché l'impudence
avec des expressions aussi vigoureuses, et la ti-
rade suivante, où le pamphlétaire a jeté ses
idées dans le moule cicéronien, est d'une admi-
rable vivacité : « Quand je te dirai, etc. »
C'est ainsi qu'écrivait Montaigne en i58o, et
Bossuet cent ans plus tard (dit encore Ch. No-
dier) ; mais en i56o, il n'y avait rien de ce goût
dans toute la littérature française. (Bull. 1842,
p. 876.)
P. 46, 1. 14. — Jugements sur le Tigre
en prose.
VEpistre au Tigre porte le sceau manifeste
de la verve et du génie. (Ch. Nodier.)
C'est un morceau très-remarquable : on y
trouve des traits où la colère touche à l'élo-
quence, éloquence moderne entée sur des sou
venirs classiques. (Geruzez.)
C'est de tous les libelles publiés à cette épo-
que, le plus net et le plus concluant. Tout ce
qu'ont pensé, tout ce qu'ont voulu les protes-
— J47 —
tants sous le règne de François II, se retrouve
dans YEpistre au Tigre. (Dareste.)
Curieux spectacle que cette passion toute vive,
née de la veille, courant et bouillonnant comme
une lave dans le vieux moule de la période cicé-
ronienne. (Lexient.)
P. 49 et p. 24. — Fac-similé du Tigre.
L'original a été très-rogné et mal rogné. La
marge qui subsiste varie de 5 à 10 millimètres
sur les trois côtés.
P. 67. — Le Tigre en vers.
On ne connaît aucune impression de cette
pièce, qui soit antérieure à 1842; mais il en
existe des copies plus ou moins anciennes, por-
tant ce titre : Le Tygre, satyre sur gestes mé-
morables des Guysards. et la date de i56i (1).
Elle n'est évidemment qu'une paraphrase faite
après coup (i56i), du Tigre en prose, de i5Go,
(1) C'est d'après quelqu'une de ces copies que Le Laboureur
en a cité une dizaine de vers, dans ses Additions aux Mémoires
de Castelnau (iô5gj. ainsi que nous l'avons dit p. 129.
— 148 —
lequel est bien, à n'en pas douter, le Tigre ori-
ginal, celui qui excita si fort la grande colère du
cardinal de Lorraine et le zèle du conseiller Du
Lyon, et occasionna la mort de deux hommes en
place Maubert. Vainement M. Gratet-Duplessis,
possesseur d'un manuscrit qui lui venait de la
vente Crozet, essaya-t-il, il y a trente-quatre ans,
de soutenir que le Tigre versifié était le vérita-
ble. Ch. Nodier démontra fort bien que cette
opinion était une erreur : c'en était une, surtout
depuis la découverte de notre exemplaire im-
primé de ce Tigre en prose, qui jusque-là était
resté à l'état de mythe. (Voir Bull, du Bibliophile,
nov. 1841.)
M. Gratet-Duplessis fit imprimer à Douai,
chez Ad. d'Aubers, en 1842, son manuscrit du
Tigre en vers, qui ne fut tiré qu'à 2 5 exem-
plaires, pet. in-8 de 16 p. — Il en a été fait, en
i85i, une réimpression à Strasbourg, chez Sa-
lomon, à soixante exemplaires, in-8 de 18 p.
non paginées. A la fin se trouve une notice de
37 lignes, signée M. T. — Dans le volume de ses
Souvenirs historiques des Résidences royales
consacré au Château d'Amboise (Paris, 1845,
in-8), M. Vatout a aussi placé le Tigre versifié.
Ces éditions, calquées l'une sur l'autre, sont
également défectueuses, comme le sont d'ail-
leurs toutes les copies à la main qui s'étaient
conservées, telles que celles que possède la Bi-
— H9 —
bliothèque Nationale, mss. nc's 2339 et 13764.
La version que nous donnons est celle d'une
copie nous appartenant, soigneusement revisée.
P. 72, 1. 17. — Addition.
Si Ton compare cette paraphrase versifiée avec
l'original en prose, on voit que tout ce passage,
compris entre les vers 149 et 22 5, est un déve-
loppement ajouté par le versificateur.
Sur le portrait de l'auteur du Tigre.
François Hotman, l'aîné des onze enfants
d'un conseiller au parlement de Paris, naquit
à Paris le 23 août 1524. et mourut à Bàle le
12 février i5<jo. Il eut pour maître Pierre de
L'Estoile, et Estienne Paquier fut un de ses
disciples. Il professa à Paris dès 1546, et succes-
sivement à Orléans, à Valence, à Bourges, à
Lausanne, à Strasbourg. Renommé comme ju-
risconsulte et comme historien, il a publié un
très -grand nombre d'ouvrages, presque tous
écrits en langue latine. Il suffit de nommer
YAnti-Tribonien, le De furoribus Gallicis, la
i3
_ i5o —
Gaule-Franke. Sa vie a été toute militante et
remplie d'épreuves vaillamment soutenues. Une
inscription, qui se voit encore au cloître de la
cathédrale de Baie, rappelle les traits principaux
de sa carrière accidentée.
Le beau portrait que nous donnons d'Hotman
est une reproduction, par l'héliogravure, de celui
qui fut publié en 1598 par J.-J. Boissard et
Théod. de Bry, dans leurs Icônes virorum illus-
trium, etc. (Francfort, in-folio), t. III, p. 140.
Voici le début du texte qui l'accompagne, et qui
montre en quelle grande estime Hotman était
tenu par ses contemporains :
Francisci Hotomanni, jurisconsulti clarissimi
historiarumque et totius antiquitatis sctentissimi,
Basilea?, anno Christi j 590, animam expirantis,
ex mortui schemate, deformavimus. Accurate
quidem illam, sed quam ad vivum maluissemus
efjingere, si id in manu nostra fuisset. Intérim
hac contenu veram animi ideam in scriptis ejus
contemplabimur. Mortuus est, reliais post se
ingenii sui monumentis , quitus in œternum
victurum nomen,per universum orbem, obtinet.
(Suit la longue liste de ses ouvrages.)
o ;
INDEX
Portrait de François Hotman.
Dédicace v
Un chapitre d'histoire et de bibliographie a
propos de ce petit livret
I. La conjuration d'Amboise i
II. Le Tigre de la France 6
III. Martin Lhomme et Robert Dehors. . 8
IV '. Découverte, en 1884, d'un exemplaire
du Tigre, qui devient la propriété de
J. Brunet 20
V. Il est acquis, en 1868, pour le Musée
historique de la Ville de Paris. . . 26
VI. Jugement sur le Tigre 3o
EPISTRE ENVOYÉE AU TlGRE DE LA FRANCE.
i° Texte rectifié au point de vue typogra-
phique 33
20 Fac-similé de l'original de i56o. ... 47
Appendice.
Le Tigre, satire sur les gestes mémorables
des Guisards. i56i 67
Notes du Tigre en vers, par M. Ed. Tricotel. 8 1
Notes historiques, littéraires et bibliogra-
phiques,
Le quatrain anti-guisard. ... ... 1 1 3
Le Passé et les Guises. — L'Avenir. ... 114
Les frères Lorrains 118
— 152 —
La conjuration d'Amboise 120
L'Hôpital et la conjuration d'Amboise. . . 123
Les massacres d'Amboise 124
Oraison funèbre du cardinal de Lorraine. . 2 5
La funeste ambition des Lorrains. ... 1.8
Le cardinal de Lorraine collectionneur de
pamphlets i3o
Le magistrat courtisan. — La « grande lé-
vrière » 1 3 1
Castelnau et Maimbourg i32
L'auteur du Tigre i32
Lieu et date d'impression du Tigre. ... 1 36
Qiiousque tandem 140
Omnia serviliter pro dominatione. . . . 140
Le voyage d'Italie 142
Les finances de France 142
Remarque 143
Rapprochements 144
Le grand et la grande 144
L'assassinat de Vincennes 145
Appréciations 145
Jugements sur le Tigre en prose . , . . 146
Fac-similé du Tigre 147
Le Tigre en vers 147
Addition du versificateur 14g
Sur le portrait de François Hotman. . . . 149
4947. — Paris. Typ. de Ch. Meyrueis, i3, rue Cujas. — 1875.
University of Toronto
Library
DONOT
REMOVE
THE
CARD
FROM
THIS
POCKET
Acme Library Card Pocket
LOWE-MARTIN CO. UMITed