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^'^i3^é.i7'/^
HARVARD COLLEGE
LIBRARY
Boughtfrom the
LUCY ALLEN PATON
Bequest
DigitizedbyGoOg
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;dby Google
;dby Google
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Digitizedby Google
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tL A È7É TIRA
7 exemplaires «or japon impérial, nnmérotét
I à 7 {iiûmt j hors commerce).
6 exemplaires sur chine, numérotés 8 à 13 (doni
3 korê commerce").
ÊO exemplaires sur hollande Tan Gelder, numé-
rotés 14 à 35 (doni 10 hors commerce).
498 exemplaires sur papier Yei^é à la forme.
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Le trèfle noir
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DU MÊMB AUTEUR
BPI80DB8, SITB8 Vt SomiBTS I VOL.
PoàlIBS AkCIBMS BT SOMAMBSQUBS. • . I VOL.
TBL qu'en SOMQB I VOL.
CONTBS A 801-lfftlIB I VOL.
Lb B08QUBT DB Psyché i vol
ASÂTHirSB I VOL*
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HENRI DE RÉGNIER
Le trèfle noir
orné par Altohsb Hbbold
PARIS
ÉDITION DV € MBRCVRB DE FRANCE »
I5i SVB DE L^éCHAVDi-SAnrr-QBBMAIll, 15
M DCCC XCV
Tons droits rétervés.
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Izvrt.s-Y.ia.
\y
HARVARD
[UNIVERSITY]
L1BRAR.Y
OCT 23 1961
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The shadow of something.
Georges Meredith.
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Un roman ou un cànte peut n*êire
qu*une fiction agréable figurée par
des masques imaginaires.
S*il présente un sens inattendu
au-delà de ce quHl semble signifier y
il faut jouir de ce surcroît à demi
intentionnel sans y exiger trop de
;dby Google
suite et en le considérant plutôt
comme né fortuitement des concor^
dances mystérieuses qu'il y «, mal-
gré tout y entre toutes choses.
R,
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Hertulie
ou
les messages
A AP^ de Bannières.
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;dby Google
d'hbrmohmr a hbrmas
Quand on te remettra cette l^tre,
je serai déjà loin ; j 'aurai marché toute
la nuit sous les étoiles ; j'aurai marché
toute la nuit vers mon Destin. J'avais
cru pourtant que je ne quitterais ja-
mais nos beaux jardins, ô Hermas.
Nous nous y promenions ensemble;
c'est là où j'ai rencontré Kertulie;
c'est là où tu lui apprendras mon dé-
part. Elle accusera mon amour et si
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lO LE TRÈFLE NOIR.
je là quitte c'est à cause de Tamour!
L'amour seul nous fait nous-
mêmes ; il nous rend conuae nous se-
rions, car il devient ce que nous
sommes. Aussi, sa façon d'avoir lieu
se subordonne à notre manière d*être,
et elles témoignent Tune et Tautre
de leur réciproque imperfection. La
stature de Tamour est à la taille de
notre ombre. Hélas! la contagion
de notre infirmité le discrédite; on
lui attribue Torigine de ses effets;
elle est ailleurs, elle est en nous.
L'Amour est beau. La laideur seule
de nos âmes grimace sur son masque
qui les représente. Son aspect se fa-
çonne à notre image et nous voyons
en lui notre ressemblance intérieure.
Si misérables que nous soyons, et
bien qu'il participe à notre misère, son
;dby Google
HERTUUE. II
insuffisance et sa dififormité sont
encore désirables. L'amour reste l'a-
mour. Nous l'aimons tout contrefait
qu'il soit.
Imagine alors, ô Hermas, sa ra-
dieuse beauté si, au lieu de se grimer
en des cœurs vils et mauvais, il se
dénudait en des âmes magnifiques et
sages. L'amour doit être l'hôte de la
sagesse, mais son flambeau doit
éclairer, à l'intérieur de nos songes,
des voûtes merveilleuses, en dia-
manter les grottes de toute l'anxiété
des stalactites du silence; alors tout
flamboiera d'une chaste fête de clarté
et, à des aurores souterraines, d'entre
les pierres, pousseront d'inflexibles
lys. D'ordinaire, hélas! sa lampe in-
certaine ne hante que des tombeaux
ou des antres. Les hiboux trempent
;dby Google
la LE TRÈFLE HOIR.
leurs grifies dans Thuile funéraire;
d'obscènes satyres miment en ombres
bestiales sur les parois Timposture du
dieu.
L'amour est Thôte de la sagesse et
je pars lui préparer sa demeure. J*ai
consulté le passé et le présent ; tu me
reproches de ne pas m'étre assez con-
sulté moi-même, d'avoir lu trop de
livres et d'avoir, à la hâte, heurté à
la porte des sages. La sagesse, me
disais-tu, n'est pas errante; elle sé-
journe et fait semblant de dormir ; elle
ne dort pas dans un château de pierre
au milieu de la fiorêt. Son attentive
patience nous écoute en nous; elle
répond à nos auscultations inté-
rieures.
Hélas I mon ami, je suis resté sourd
à ma propre oreille ; j'ai besoin qu'on
;dby Google
SBK«KJB. 13
parle pour ^nteaàie mon silence et
j'ai dû être ua passant pour aller à la
rencontre de moi-même. U y a des
voies, il y a des clefs que cachent des
mains mystérieuses. Ahlj'ensuis sûr,
il y a des portes qu'elles ouvrent, et
des semailles étrangères et hasardeu-
ses produisent Tépi consécrateur de
notre propre fécondité. Plains-moi,
Hermas, de recourir à l'aide des sages
pour devenir l'un d'eux; il le faut
pour aimer, car la sagesse peut seule
exorciser l'amour du sortilège où il
s'atrophie. J'aime Hertulie, mais je
récuse à notre amour le sort de se
parodier. L'accord de nos perfections
sera la source de la sienne. Je pars ;
il y a des étoiles au ciel et je pleure.
Hertulie pleurera. Je reviendrai.
Qu'elle aille te voir quelquefois dans
;dby Google
14 LE TRÈFLE NOIR.
ta maison silencieuse. Vous y par-
lerez de moi comme nous parlions
ensemble de la grâce d'Hertulie. Ah !
puissé-je la revoir dans ce jardin.
C'est là où je Tai rencontrée, c'est là
où tu lui liras ma lettre. Adieu. Her-
motime déjà vous salue.
;dby Google
l'escalier de narcisse
Hermas revint seul, le lendemain,
à ces beaux lieux où il s'entretenait
si souvent avec Hermotime. I^es
heures leur parurent douces, une à
une, dans ce vaste espace d'arbres et
de fleurs. C'était un jardin ornementé
et solitaire. D'un château, là jadis, il
ne restait rien, sinon le charme pour
soi de se l'imaginer d'après Iç décor
qui lui survivait.
;dby Google
I6 LE TRÈFLE NOIR.
Trois allées d'eau irradiaient d'une
pièce centrale en octogone, et, au
bout de chacune d'elle*,, assez loin,
une fontaine, parmi divers artifices
d'architecture et d'hydraulique, s'a-
nimait d'une figure différente. L'une
représentait un homme qui riait en
versant une amphore de bronze,
l'autre une femme qui, en pleurant,
emplissait un cratère d'or. La fon-
taine du milieu était la plus belle.
Une nappe d'onde débordait d'une
vasque d'où naissait, debout, une
statue hermaphrodite. Aux tablettes
du buffet de porphyre des masques
alternatifs de Tritons et de Sirènes
crachaient par la bouffissure de leurs
bouches convulsives ime suffocante
gotgée de cristal. Parfois, quand la
fontaine s'était tue et que les marbres
;dby Google
HIRTULIS. 17
èni^datiqnes embaumaieiit de leur
trif^e audité le bosquet d '^bressileft-
denx, on voyait, sur le bord de la
vasque gouttante, se poser, pour 7
boire, une colombe.
AmoBf de roctog(»ie du bassin,
des statues de bronze alternaient avec
des i& équarris en pyramides et des
cyprès taillés en obélisques. Leur re-
flet se métallisait dans une eau calme
oà celui des statues semblait se dis-
soudre à demi, se fondre en une sorte
d^pect d'outre vie, moins leur image
que leur ombre, car toute eau est un
peu magique et, si elle est tout à fait
tranquille, on ne sait pas ce qui y
peut dormir.
Le teste du jardin se disposait en
carrés de futaie; une palissade d'un
bms dur et ras les encadrait. A l'in-
;dby Google
iS LE TRÈFLE NOIR.
térieur, sons les hauts arbres, on mar-
chait toujours sur des feuilles mortes.
Tous ces carrés, dont deux face à
face de chaque côte du bassin, s'agré-
mentaient chacun d'ime surprise. Ici
une petite source coulait goutte à
goutte. L'heiu-e s'y marquait à son
horloge naturelle ; là on entendait un
écho; la voix en revenait de très
loin, et, des syllabes perdues, résul-
taient de curieuses équivoques.
Dans les deux autres on trouvait deux
bancs circulaires avec un siège de
marbfe ou de pierre, et pour accou-
doirs des sphinx ou des dauphins.
Une terrasse à balustres se super-
posait à l'ensemble du jardin. Elle
étalait ses allées de sable jaune en
bordure à des parterres de broderie
et des pelouses plates. On y montait
;dby Google
HERTULIB. 19
par des rampes courbes et on en des-
œndâit aussi, au milieu, par un esca-
lier d'où Ton sevoyait en bas dans le
bassin, de sorte que, de marche en
marche, on avait Timpression de
s'approcher de soi-même. On appelait
cet escalier l'Escalier de Narcisse.
L'étendue du bassin se continuait
par la perspective de trois allées
d'eau qui en divergeaient. C'étaient
comme des routes de la mémoire où
le souvenir semblait marcher à doux
pas sur leurs longs miroirs tremblants.
Le soleil, disparu derrière les arbres,
tiédissait encore la pierre du degré
où Hermas assis, ce jour-là, goûtait
le plaisir d'être tout à ses songes. Le
souvenir d'Hermotime les mélangeait
d'un peu de tristesse et de qudque
ironie ; il retrouvait devant lui, sur le
;dby Google
ao LB trAplciioir.
sable» des figures bizarres et irr^^u-
lières dont Tabsent, la veiUe, tout en
parlant, ayait tracé la géométrie in-
cohérente du bout de sa canne, d'é-
bène ; des lignes entrecroisaient leurs
cercles brisés et Icois spirales» ana-
logues à celles que le petit serpent
d'argent ccMitounjait à la poignée de
la svelte épine noire.
Cette canne figurait presque une
sorte de demi caducée mondain dont
Hermotime portait habituellement
l'attribut, mais un des deux serpents
commémoratifs manquait encore à
l'emblème et le jeune sage semblait
attendre l'occasion où s'en paracheva
l'exactitude. Aussi, paraissait^! cir-
oon^>ect vis-à-vis de soi-mêmeet cette
précaution guindait sa grâce un peu
austère à une gravité qui, pour i6ire
;dby Google
HBrnn.iB. ai
parfaftgment él^;%ntie, n'allait pas
sans qodqme apprêt.
Hermas pensait à la sagesse d*Her-
motiine «t en réentendre les propos.
Chaque jour presque, les deux amis
étaient venus jouir de ce beau jardin.
Hermotime F^rettait un peu que le
cbâteau n'existât plus. Avec un prince
studieux ou honnête, la bibliothèque
aurait correspondu à ses goûts. Illettré
même, le nombre de ses livres prou-
verait son ignorance en essayant de
la dissimuler parTostentation des us-
tensiles propres à donner le change
sur cette infirmité. Abondante ou
choisie, c'était une ressource, et le ca-
binet des médailles, avec ses bustes
antiques et ses curieuses ^gies, im
refuge, contre les pluies d'été qui
{tiuf ois huilaient de leurs averses le
Digitizedby Google
22 LE TRÈFLE NOIR.
bronze des statues ou la verdure mé-
tallique des its et s'égouttaieut aux
feuilles alourdies des arbres en dia-
mantations dissoutes. Hermotime
déplorait tout cela, augurant la beauté
de la demeure à celle des jardins.
Un haut goût décoratif les parait,
quoique leur ordonnance autoritaire
et syllogistique dénotât qu'ils eussent
été composés par un esprit spécieux
et dominateur, et imaginés, à cause de
leur méditatif assemblage de bronzes
et d'eaux, par un songeur peut-être
im peu hypocondre qui aima y con-
former ses rêveries méthodiques et y
appronfondir quelque hautaine, aca-
riâtre et morose délectation.
L'été corrigeait cette sévérité qui,
imbue d'une richesse généreuse, s'y
assortissait par ime attitude de douce
;dby Google
HIRTULIE. as
magnificence. Tout le jardin se paci-
fiait. La simplicité de sa disposition
rendait la promenade presque inutile ;
il valait par l'ensemble et c'était de
prendre en soi, pour l'avoir contem-
plé, l'équivalent de son ordre, où
s'en constituait le sens.
Hermas et Hermotime s'y reposè-
rent souvent, d'ordinaire sur cette
dernière marche, au bas de l'Escalier
de Narcisse. Le beau jardin s'éten-
dait sur un fond de silence. Le regard
suivait la fuite de l'eau sous les ar-
bres. Parfois, seulement, aux heures
de grand soleil, on recherchait l'abri
des futaies, leur intérieur frais et
sombre. Hermotime aimait s'arrêter
auprès de la petite source. Hermas
préférait s'accouder nonchalamment
aux sphinx de marbre ou caresser
;dby Google
S4 LE TRirUE MOIK.
TécaôUe cambrée des dan^ûns de
porphyre. L*écho ne répéta jamais
rien en le faussant deœ que les deux
amis se dirent à demi-voix. Leur
concorde appariait leurs différences.
Un jour ils suivirent une des allées
d'eau jusques à cette fontaine où sou-
riait une statue singulière. Hermas y
vit un songe; Hermotime y supposa
un symbole ; ils revinrent sans parier,
car le crépuscule déclinait déjà et les
eaux, s'étant tues, invitaient au si-
lence.
D'habitude Hermotime racontait
volontiers à Hermas, avec ses pen-
sées, le détail de ce qui les lui avait
suggérées. Il en discourait ingénieu-
sement avec des divisions d'école. Sa
jeunesse la fréquenta. Le plus sou-
vent, il portait sous son bras, par
;dby Google
■atTom. ws
manîe, un Ihrre fermé et alkiBif à une
sorte de lecture intérieure qui donnait
à ses paroles de la pesée et de la jus-
tesse dues plus peut-être à la mémoire
qu'à rimagination. Aussi se dissertait-
il mifaiT qu'il ne se fût rêvé à Tim-
proviste et son éloquence produisait
plus d'agrément que de surprise.
Les voyages l'avaient conduit en
des lieux singuliers ou du moins qui
le semblaient à Hermas, à cause de
leurs noms sonores ou langoureux.
Hermotime ne se les r^résentait plus
que par un signe de leur beauté , signe
abstrait, intérieur et cryptogra-
phique : on n'y participait pas. Son
esprit poiurtant valait scoi âme en dé-
cence aimable et la surpassait par le
surcroit d'ime gravité sentendasse
prise sans doute dm commerce des
;dby Google
26 LB TRÈFLE NOIR.
hommes illustres et sages. Hermas le
poussait peu aux récits de ces col-
loques, car ces maîtres lui paraissaient
plus curieux par leur entente de la
vie que par leur science de la sagesse,
et Hermotime, subordonné aux pré-
ceptes, se fût montré court d'anec-
dotes. S'il avait oublié les voix, il
avait retenu toutes les doctrines pour
y chercher la matière de la sienne. La
sagesse est partout, disait-il; de ses
mille pièces éparses et mêlées, il faut
reconstituer une figure qui les utilise ;
sa forme déterminée par la coïnci-
dence de leurs parties ne prend sens
qu'à leur totalité.
Hermotime cherchait de par le
monde ces pièces dépareillées. Là-
dessus il était infini, Hermas le laissant
dire, car sa songerie un peu taciturne
;dby Google
HÏRTULIE. rj
prêtait à ces propos un silence inat-
tentif et indulgent qu'il animait du
geste de cueillir une fleur ou de jeter
un peu de sable dans Teau calme du
bassin auprès duquel ils restaient
assis.
De grands poissons erraient là mé-
lancoliquement, lents et presque vé-
gétatifS) si vieux que des mousses
oxydaient leur bronze spongieux et
écaillé ; ils se veloutaient de vétusté
et glissaient dans l'eau lourde, onc-
tueux et graves.
Hermas et Hermotime les r^ar-
daient parfois, en silence, s'engourdir
vers le soir tout à fait et s'incorporer
à l'eau où ils n'étaient plus qu'une
stupeur opaque et vague. Le jardin
devenait plus beau encore à ces heures
dégénérescentes, en sa solitude com-
;dby Google
3ê LE TlÉiPLB HOIR.
posée. Quelque jeanei^QHie, parfok»
passait au* bord de VaUèe d'eau. Hef-
mas, sans connaître toutes ceUea qui
habitaient la ville^ en estibnaii ca^->
taines de venir ainsi errer un inslant
dans le calme du noble lieu. Celloi*
là au moins n'étaient point peut-être
sans mélancolie et elles y pi?e»ai9»l
cette sorte de grâce tendre où m pa-
rachève la beauté. Quelques-iiwws v^
naient là sans doute un peu pour èire
vues de lui. Sa richesse et soa godt
pour la solitude le singularisaient*
Personne n'entrait dans sa maibon
somptueuse. Il n'en quittait guère la
clôture que pour se promener d^ms ce
jardin ou dans les siens, vastes aussi
et aland)iqué3. Il avait voulu savQÛr
les noms de ces passantes et, qua^d
HennotUne lui demanda celui de l'une
Digitizedby Google
HSRTI^Jl. J9
d'elles, il put lui apprendre qu*dle
s'a{^)elait HertuUe.
Hermotime Taiinait. U la rencontra
le matin même de son arrivée en se
promenant sur la terrasse où il atten-
dait Hermas. Bien qu'à peine vers
midi des nuées déjà orageuses se
boursouflaient dans tout le del. Le
soleil brillait par intervalles etla jeune
fenmie ouvrait et fermait tour à tour
son ombrelle. Ils se croisèrent pin-
ceurs fois, ensuite ils se parlèrent et
ce fut un grand amour qu'Hermotime
confia à scm ami. A lui aussi il don-
nait le soin d'avertir Hertulie de son
dépajrt, et de lui en dire les méthodi-
ques raisons. Hermas pensait donc
à ces. choses quaxKi, du bout de l'allée
d'eau, il vit venir Hertulie.
Elle venait lentement vers lui en
;dby Google
30 LS TRÈPLB NOIR.
souriant, peut-être parce qu'elle te-
nait à la main un bel iris mauve à
longue tige. La fleur et elle se res-
semblaient très mystérieusement par
ime même sveltesse épanouie, par im
accord apparié de grâce languissante
et délicate. Sa robe rose et blanche,
tout à rheure jaune et verte, à cause
du reflet des arbres et de Teau, la pa-
rait d'un atour naïf et précieux. Le
détail en était exquis, car les feuilla-
ges tramés en arabesques dans le
glacis de l'étoffe y miroitaient im
givre de soie, et la jeune femme res-
tait ainsi, debout, devant Hermas, un
peu étonnée qu'il fût seul, et ne ré-
pondit pas à son salut, et, après une
petite hésitation, comme pour ne
point marquer, par décence, trop
d'empressement, ni par politesse ne
Digitizedby Google
HERTUUE. 31
pas paraître déçue, elle demanda, en
r^ardant la fleur : c Mais où donc est
aujourd'hui notre Hermotime? En-
core à songer sur quelque livre? >
Hermas la contemplait gravement, en
silence, avec des yeux de pitié
douce. Elle lui paraissait si svelte et
si frêle qu'il s'inquiétait d'avoir à lui
dire la nouvelle inattendue ; elle lui
semblait tout à fait pareille à l'iris
délicat dont le port s'inclinait au
poids de la fleur, si pareille qu'il
allait en casser la flexibilité d'un
contre-coup imaginaire de la longue
canne d'épine noir. Le serpent d'ar-
gent enroulé au demi caducée enve-
nimerait l'amour de sa dent d 'anxiété.
Sans rien dire Hermas tendit la lettre
à Hertulie.
Il la regardait lire assise sur la
;dby Google
^ LE TflÈFLK NOIR.
dernière marche de l^escaHer. Elk
lisait d'ime façon appliquée et minu-
tieuse, les coudes aux genoux siur ia
tige froissée de l'iris dont la fleur
pendait tristement. Le mince papier
qu'aucun vent ne remuait tremblait
dans ses mains. D'un doigt elle rar
justait une boucle de sa coiffure.
Un grand silence s'était fait dans
tout le jardin, car on avait fermé les
fontaines au bout des allées d'eau.
Le murmure tû s'égouttait en une
stillation presque imperceptible, ei
on entendait ainsi, toute la nuit, sa
durée intarissable. La surface des
bassins, terne d'une taie crépusculaire!
se figea. Les massifs d'arbres se pé^
trifièrent. Tout prit une attitude «de
dureté suprême avant de s^iian-
donner aux ténèbres; il y eut une
;dby Google
HBltTULn. 13
dernière rédstance des ehosesà qroii-
k>ir cc^fôister en leur aspect diurne.
Elles s'y retractaient comme méfian-
tes des insmuadons dissol?caites de
Tombre.
Hermas songeait tristement sans
oser regarder Hermlie. Us restèrent
longtemps ainsi. Le orépuscale était
moite et doux, quand, d*un tacite
accord, ils se levèrent. Haute et fine
dans sa longue robe dcMit les plis se
canneiaient jusqu'à terre, Hennas la
voyait reflétée dans l'eau morne du
bassin, avec son visage pâle transfi-
guré par Tau delà de songe et de
sommeil que praid toute face à y être
vue. Tout et le silence était si sem-
i>lable à la mort qu'Hermas sentit la
nécessité dlat^rrompre par quelques
paroles d'e^>oir, même inutiles, le
;dby Google
34 LE TRÈFLE NOIR.
suspens de cette angoisse, et ce furent
celles-là, prononcées une à une, lea-
tement :
« Hertulie, disait-il, tendre Hertu-
lie, vous êtes trop belle pour n'avoir
pas quelquefois regardé les hommes
au visage. Les faces humaines sont
presque toutes tristes de la figure de
leur passé et il reste de la cendre au
fond de tout ce qui a tâché d'être ; rien
n*est qu'à travers un songe. Je ne vous
parlerai pas des miens, ils eurent lieu
en des désirs trop singuliers ; c'est de
moi et en moi où s'est consmnée leur
solitaire brûlure; ils furent le cré-
puscule de mes propres ténèbres. I^
simplicité des vôtres leur sauvegarde
au moins l'espoir. Cependant, voici
la nuit venue; il faut rentrer; on a
fermé les fontaines. Leur rire mort,
;dby Google
HERTULIB. 35
elles expirent, une à une, les gouttes
imperceptibles de leur survie. Il y a
toujours ainsi en nous, à certains
moments, des choses qui semblent se
taire et se continuent par d'occultes
persévérances. Votre solitude a un
écho, celui d*un pas qui s'éloigne et
reviendra; on revient de toutes les
sagesses et les fleurs interrompues
refleuriront. >
Hermas salua cérémonieusement
Hertulie. Elle restait seule, au bord
de Teau, son iris brisé à la main,
mais les fils de la cassure faiblirent,
et la trop lourde fleur tomba sur le
sable. Le silence s'accrut de ce frô-
lement, car on n'entendait plus mar-
cher Hermas et, au-dessus des grands
arbres, à une place plus claire du ciel,
montait doucement une étoile.
;dby Google
PRESAGES EMBLEMATIQUES
Ce matin-là Hertulie s'éveilla tout
en pleurs. Cela lui arrivait souvent
depuis le départ d'Hermotime; ses
sonuneils se fondaient ainsi en une
tristesse dolente et moite. Après s'être
tout le jour énervée à retenir ses san-
glots, la nuit lui prodiguait à son insu
la bienfaisante eôusion des lannes.
Les ténèbres sont secrètes et délicates,
elles prennent soin des âmes blessées,
;dby Google
HERTUUB. 37
et l'anxieuse Hertulie, à la suite de
ces attendrissements mystérieux, s'é-
veillait d'ordinaire tendrement endo-
lorie et presque souriante.
Ce matin-là, au contraire, eUe se
sentit plus troublée ; dans son sommeil
elle avait entendu longuement, avec
des pauses, des reprises, longuement,
derrière la nuit, à quelque embuscade
de l'ombre, entendu chanter à son
oreille des flûtes lointaines et minu-
tieuses ; leur mélodie se mêlait à un
bruit congénère de fontaines et y
empruntait une liquidité analogue,
de telle sorte que l'eau semblait se
moduler et s'apparenter à ITiydro-
phonie des instruments. Le silence où
l 'on se croit quand on dort avait tres-
sailli, animé de murmures inexplica-
bles ; KHite la mélancolie du passé et
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3S LE TRÈFLE NOIR.
la transe de Tavenir s'étaient chucho-
tées à la dormeuse et, sans voix qui
en formulât le sens, par allusion, tout
y disait le départ d'Hermotime et les
issues dangereuses où se fourvoient
les destinées.
Hertulie, assise en sursaut et avec
une sorte d*angoisse plaintive, r^ar-
dait, encore couchée, la chambre où
elle avait dormi. Le soleil rosait les
tulles de la fenêtre et les rideaux du
lit emmousseliné, conmie en suspens
de toute leur légèreté immobile. Ce
lit imitait la forme d'une barque et
les cygnes de cuivre qui Tomaient
aux angles paraissaient vraiment de
Tor dans la matinale lumière. Leurs
ailes doucement éployées entraînaient
la nef nocturne sur le fleuve imagi-
naire du tapis où des arabesques s'é-
;dby Google
HSRTtnJE. 35
tiraient en algues langoureuses et
compliquées. De grandes rosaces y
gyraignt leurs remous çà et là.
Du dehors s'entendaient des voix
sonores et fraîches; c'était le bruit
d'un marché en face de la maison. On y
vendait des fleurs, des herbages, des
fruits exorbitants, des légumes rares
ou de surprenantes volailles. Hertulie,
de la fenêtre, s'amusait au spectacle
de cette petite foule. De belles dames
y fréquentaient, par groupes com-
mentateurs ou seules, précaution-
neuses, soupesant de leurs grasses
mains dégantées la maturité de quel-
que fruit ou triant d'une gerbe odorante
le choix des plus belles fleurs. Des
ânes passaient, secouant le velours
usé et tiède de leurs longues oreilles
grises, indifférents aux efforts d'ailes
;dby Google
40 LB TBÂFLK MOIR.
dtts grands flaxaaBts roses liés par
paires d*un jonc souple qui paraly-
saient leurs hautes jambes ardcnlées
en statures de roseaux. Au milieu
d^un cercle d'auditeurs, im astrologue
coiffé d*un haut bonnet a^>alistique
prédisait l'avenir. Hertulie Teût vo^
lontiers interrc^é, mais elle pensa à
Hermotlme. Sans avoir bien compris
le sens des grandes choses qu'il en-
treprenait, elle en admirait la tenta-
tive. Son âme respectueuse, attentive
et tendre, souârait de cette absence, et
le ressentiment d'un naïf orgueil à y
songer n 'en compensait pas la douleur
de la subir. Malgré cela, se représen-
tant le jeune sa^ dans toute sa grâce
docte et vagabonde, elle eut honte
des frivolités de' son impatience.
D'ordinaire le spectacle de la petite
;dby Google
RBRTULIS. 4t
place la distrayait moins. Trois or-
meaux solitaires y conversaient lon-
guement du murmure confidentiel de
leurs feuillages, juste en face de la
> fenêtre d'Hertulie qui, étendue dans
son fauteuil, les regardait se balancer.
Le soir on les entendait jfrémîr dou-
cement, un à un, ou, parfois, tous
trois ensemble.
Les nuits où elle ne dormait pas
lui paraissaient interminables. Elle
relisait pour s'occuper la lettre d'Her-
motime et tâchait d*en bien pénétrer
le sens, car elle s'imaginait avec
peine cette sagesse dont il parlait
comme d'un bien nécessaire et diffi-
cile. Quoi qu'il dît des misères de
l'amour, elle en sentait le vif instinct
sans comprendre qu'on en subor-
donnât la jouissanoeà des précautions
;dby Google
42 LE TRiFLB NOIR.
si mystérieuses. Sa simplicité d'a-
moureuse le rêvait plus naturel et
moins initiatique. Âh! Hermotime,
Hermotime, pensait-elle, au retour
auras-tu les yeux plus beaux; tes
cheveux lisses et un peu longs seront-
ils d'un pli plus gracieux? C'était là
toute sa sagesse et, bien qu'elle sût
qu'il reviendrait, l'anxiété de ce retour
la laissait involontairement déses-
pérée.
Les jours passaient; un à un elle
les marquait sur son calendrier; les
petites croix rouges s'y suivirent et
composèrent des semaines, et on tou-
chait déjà aux confins de l'été et de
l'automne. L'air devint tranquille et
frais; les choses s'aggravèrent d'une
sorte de lourdeur en s'ankylosant
imperc^tiblement de somnolence
;dby Google
HKKTULU. 43
méditative. Hertulie à vivre seule
dans sa maison y contracta nne stu-
peur lasse d'accord avec l'attitude
immobile de ses pensées.
Un jour, songeant ainsi en face de
sa fenêtre ouverte sur un des derniers
cLels tièdes de la saison, vers midi,
elle vit, avec surprise, une flèche
lancée du dçlK>rs s*accrocher un ins-
tant aux dentelles des rideaux, y va-
eiller, puiis tomber et se ficher droite
dans le tapis.
' Dans la rue déserte aucun pas ne
s'éloignait. D'où venait cette flèche?
sa pointe d'acier triangulaire et bleuie
luisait ironiquement et cruelle. Que
voulait dire ce message, car Hertulie
coaxpni que c'en était un et ne douta
pas qu'il ne vînt d'Hermotime, non
plus qu'ensuite ce poignard nu où sa
;dby Google
44 LE TRJtrUI NOIR.
main tressaillit un soir en le trouvant
sur la table. Ce singulier présent
Teffraya par son présage peut-être
de .quelque tragique aventure, mais
la pauvre amie s'entendait peu aux
allégories, et, de jour en jour, elle
^ait s*attristant davantage, plus
désolée en l'inquiétude de son att^ite.
La nuit, elle ne pleurait plus, car elle
ne dormait pas et J'insomnie la pri-
vait de la douce faiblesse dies lanxkès»
Le vent soufflait au dehors avec un
bruit de flûtes discordantes ; Tautomne
inclinait vers Fhiver ; il vint.
Pendantdes mois elle futsans autres
nouvelles d'Hermotimé; Le printemps
reparut; les nuages filaient vers le
nord. De nouveau, le petit marché
sur la place égayait le silence de la
îVille. Hertulie sortit pour acheter des
Digitizedby Google
HEKTULIB. 4$
fienrsé C'étaient les premières dé la
saison, naïves et comme improvisées ;
leurs pétales semblaient de la neige
ensoleillée et fondante. Devant les
étalages peu fournis presque personne
ne se promenait. Le cabaliste man-
quait et les ânes piétinaient, tout
bourhis encore de leur poil d'hiver.
Hartulie choisit à la hâte quelques
primevères et, en rentrant, sa surprise
fut grande, car, sur la console où elle
allait les placer dans un vase, on
avait, en son absence, posé sur le
marbre une gourde d'étain et un pe-
tit miroir. Longtemps elle rêva de-
vant ces attrif>uts; la gourde était
toute bosselée comme si on Peut
apportée de très loin.
Les jours grandissaient et les hi-
rondelles revinrent; Hertnlie; aimait
;dby Google
46 LE trAfle noir.
à les regarder voler; leur vivadlé
Tamusait; d'un vol franc, elles tour-
noyaient autour de la maison dès
Taube jnsqu'au moment où, au ciel
crépusculaire, les chauves-souriâ
leur succédaient, cherchant aies imi-
ter hâtivement, à tâtons, de leurs
ailes molles et vives. Alors elle se
détournait presque avec peur, leur
voltige alambiquait Tombre d*un al-
phabet bizarre et incompréhensible.
Un soir qu'Hertulie s'attarda un peu
à les regarder inscrire en zigzags sur
le del les paraphes hiéroglyphiques
de leur apocryphe légende, en allant,
la fenêtre enfin close', allumer une
dre, son pied heurta sur le tapis un
objetKsonore, c'était une clef.
Le lendemain, la jeune femme se
réveilla tout ai pleurs, comme si les
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HBRTUUE. 47
ténèbres eussent eu de nouveau pitié
d'elle. Sa pauvre âme se navrait de
rinterminable absence et s'affolait des
signes mystérieux dont'Tincompré-
hensibilité énigmatique augmentait
sa détresse; détendue par les larmes,
pourtant, elle se sentait faible et en-
dolorie. L'aube d'été enfarinait l'en-
linceulante blancheur de ses draps
et, posé là pendant son sommeil, juste
snc.sa poitrihe, il y avait im épi de
Wé mûr.
. Ce fiit alors qu'elle p^isa à aller
trouver Hermas pour lui demander
L'esplication de ces singulières allé-
gories, et, étant languissante et très
lasse, la route longue et l'après-midi
brûlante,, elle n'arriva chez lui
qu'après le milieu du jour.
;dby Google
LA MAISON DU BEL-EN-rSOI-DORMANT
Hermas habitait seul une maisoa
isolée au bout du vieux jardin, non
loin d*immenses étangs, à l'endroit
où le parc devenait forêt. A travers
les eaux mortes du marécage et les îvl*
taies latérales, une interminable allée
d^andques arbres conduisait à un
rond-point d*où Ton avait devant soi
la somptueuse demeure au delà d'une
va^te cour qui la précédait. Les payés
I
Digitizedby Google
. M HntTHUB. 49
degrés gris se mélangeaient de qu^
ques uns qui étaient un peu rosés.
Le soleil y faisait scintiller des micas
et, après la pluie, une fraîcheur en
émanait; alors les fers dorés de la
bàuie grille luisaient plus clairs et les
deux lanternes Suspendues de chaque
côté de la p<>rte oscillaient au moincbre
vent. Leur • dorure fcfrgée encadrait
les tailles en biseau de leur cristal ; la
nuit, on n^ les allumadt plus, car Her-
mas n*était point hospitalier.
On ne savait rien de lui, et comme
être hautain et taciturne constitue,
aux yeux de la bassesse humaine,
une infraction à ses usages et une
scnrte de sortilège où on se différencie
de sa servitude, on envisageait cette
réserves d^ea une malveillancec con-
tenue à peine par une réputation
;dby Google
50 LK TRftFLI NOIR.
d*extréme ridiesse. Cette double
sorcellerie de l'or et du silence
constituait Hermas.
En effet, précédant son installation
dans cette demeure, des voitures y
avaient amené de magnifiques mobi-
liers. Une de ces voitures chargée de'
cristaux rares et d'inestiipables ver-
reries qui s^entrechoquaieot aux
cahots en traversant la ville, au pas
lourd des chevaux, y laissa le souve^
nir d'un tîntemçnt mystérieux. Le len-
demain passèrent les argenteries, car
Hermas se plaisaità un luxe solitaà:e.
C'était son droit, ayant su s'inter-
dire tout mélange entre soi et les
choses, car il suffit, pour innocenter
une jouissance, de conserver, au delà
tie ^on atteinte, un intangible point
qui sache en être intact à îamais.
;dby Google
HSRTULIE. SI
i était de œuz qui ont droit à
Dut par la supériorité où ils sont
[*en pouvoir neutraliser Tesclavage ;
^ussi il accommoda sa solitude à un
itour de magnificence silencieuse,
apparentée à ses songes; puis les
5rtes se refermèrent sur ces mer-
[veilles sans que l'oubli pût se faire
I de leur passage à travers les rues de
' la petite ville.
On commentait fort l'attitude de
cette retraite où nul ne fut admis à
pénétrer; aussi la venue d'Hermo-
time produisit-elle quelque éton-
nement d'un privil^é, à ce point en
familiarité avec la réserve de ce hau-
tain jeune homme qui semblait, au
verre de miraculeux cristal où il
buvait, disait-on, assis seul devant
sa table étincelante, avoir bu, à ja-
;dby Google
5^ LE trIeflb noir.
mais, avec le silence,un de ces philtres
qui désapparient, pour toujours,'
quelqu'un d'avec ses semblables et ne
le rend plus conforme qu'à soi-même.
Cette situation d'avoir confisqué
ainsi pour son usage ce qui sert
d'habitude de prétexte à ostentation
concordait avec cette retraite d'un
homme seul dans un lieu dont la dis-
position et l'architecture semblaient
comporter l'entourage d*une sorte
de popularité choisie — domestique
ou amicale.
Les curieux se désappointaient de
voir les habitudes du fantasque
maître si contraires, non seulement
à leur curiosité, mais encore à l'état
qu'eussent paru lui devoir imposer
les apparences presque princières du
château où il vivait à l'écart.
;dby Google
HBRTULIE. 53
, L'aspect du lieu s'embellissait
pourtant de ce contraste intentionnel.
Il avait une sorte de gravité fatidique,
cette façon de grâce superflue qu'ont
les endroits en désaccord avec leur
destination originelle. Leur inutilité
et leur disproportion semblent ne plus
s'ajuster qu'à quelque manie spiri-
tuelle du maître qui les habite. C'est
en lui où se fait la concorde de leur
disparate ; il est le point où s'équili-
libre la jonction de leurs mystères, et,
sans plus d'autre attribution que de
satisfaire à quelque mélancolique
singularité qui s'emblématise en eux,
ne coïncidant plus avec la vie, on les
sent se proportionner à im songe et
ils prerment à cela je ne sais quoi de
fictif et d'imaginaire où ils se rehaus-
sent et s'inmiobilisent. .
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54 UE TRiPLB NOIR.
Le logis d*Hermas consistait en un
rez-de-chaussée surmonté d'un étage^
le tout vaste. De hautes et larges fe-
nêtres à grandes glaces ou à petits
carreaux alternaient sur la façade^
séparées Tune de Tautre par des
colonnes plates de marbres divers.
Au-dessus de chaque fenêtre souriait
ou grimaçait, sculptés dans la pierre^
un masque satyrique ou une face hé»
liconienne.
Cette façade se développait au fond
de la spacieuse cour l^èrement bom-
bée. Hertulie marchait lentement sur
les pavés inégaux. Venue consulter
Hermas, maintenant elle hésitait à
entrer. L'autre aimée pourtant elle
s'était familiarisée avec lui à force
, de l'avoir rencontré dans le vieux
jardin où, avec Hermotime, ils ^as-
;dby Google
HBRTUUX. 5S
seyaient tous les trois au créposcnle
en face des allées d'eau. Hermas se
montra toujours envers la jeune
femme d*une politesse cérémonieuse;
mais, le soir où il lui remit la lettre et
lui parla plus longuement, elle avait
senti dans sa voix quelque chose de
si lointain que le mélancolique inter-
locuteur de son désespoir s'éloigna
en sa pensée à des confins de songe,
à une sorte de distance d'outre vie
dont elle gardait une appréhension
sybiUine comme s'il en devait sortir
la réponse même de la Destinée.
Elle hésitait à quelle porte elle
fîapperait. Toutes trois étaient fer-
mées et des heurtoirs de bronze y
crispaient leur saillie ornementale.
Enfin elle se décida pour celle
du milieu. Le coup se répercuta
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$6 LE TRirLB NOIR.
à riûlérieur. On devinait aux pro-
longements de cet écho la maison,
vaste parcourue de longs corridors.
Le marbre poli du dallage mirait
limpidement les murs de stuc du ves-
tibule. Une fraîcheur tranquille et
délide^use en agrandissait encore les
belles proportions. Des galeries s'ea
détachaient au bout desquelles on
voyait, par des portes vitrées, des
perspectives diverses de treillages en
portiques et en arcades; des ifs en-
guirlsmdés de roses dressaient leurs
obélisques aux intersecdons des
allées. C'était à la fois grandiose,
coquet et triste.
L'escalier que monta Hertulie la
conduisit à travers une 3érie de
chambres, toutes curieusement meu-
blées dHin môme goût f^^tstueux et
;dby Google
HSRTUUB. $7
morne. Les objets s*y immobilisaient
en une sorte de solitude anxieuse ou
indifférente. Dans œs pièces, con-
formes à quelque visiteur taciturne,
les parquets en mosaïques de bois ne
craquaient pas sous le pied. Le silence
y semblait, bien qu'absolu, plutôt
comme en suspens que définitif; il
n^avait pas cette imperceptible vie
dont se craquelé sa plus glaciale lé-
thargie et, par contre, on ne sait quoi
d'apparent et de superficiel en fêlait
la stabilité.
Parmi ces chambres, une se distin-
guait par ses tentures charmantes.
Les lés de l'étoffe gardaient empreinte
comme l'ombre moite d'un attouche-
chement de fleurs sur qui on les eût
anciennement plies, et, à cause de
cette étoffe d'un vert très pâle, un
;dby Google
5S LE TRËraïC NOIR.
mobilier de bois jaune dair et d*ors
vieillis alanguissait ses formes et cris-
pait aux angles ses consoles où se
congelaient, debout, des vases de
jade.
Dans une autre de ces chambres,
Hertulie vit avec étonnement beau-
coup de miroirs appendus aux murs.
Enfermés en des cadres d'or, d*écaiUe,
d'ébène ou de burgau, ils s^oppo-
saient les uns aux autres, échangeant
leurs reflets réciproques et les com-
binaisons de leurs incidences ; certains
montés en des bordures de pierre
ressemblaient à des bassins d*eau, et
Hertulie en passant s'y apparut très
pâle.
Elle continua à chercher Hermas
de chambre en chambre. Des portes
^ serrures travaillées séparaient ces
;dby Google
HBSTULUI. $9
diverses pièces qui, d'antres fois, s'al-
longeaient en enfilades. De lourdes
portières de soies, de satins ou de
moires la frôlaient de leurs franges
qui tremblaient longtemps derrière
elle. Tout était vide.
La solitude de ces vastes apparte-
tements se solitarisait encore plus du
maûque au mur d'aucun portrait;
nuUe face humaine, gracieuse ou
triste, n'assistait, en son passé mé-
morial, à tout cet appareil de richesse,
là,sans, pour témoin de sa matérialité
délicate ou fastueuse, nul visage.
Des lustres de vieux cristal, com-
pliqués et scintillants, pendaient des
plafonds hauts par des cordes de
soie ou des chaînes d'argent; leurs
adamantines couronnes gélives sa-
craient l'absence de quelque majesté
;dby Google
6p LE TRÈFLE NOIR.
invisible,' et leur lumineuse et froide
congélation glaçait le silence et gelait
la solitude où s'allongeaient les pen-
deloques de leur artificielle stalactite.
Certains s'irisaient de phosphores-
cences comme par allusion au cou-
chant qui teignait le ciel au dehors ;
ils assimilaient aux imaginaires cou-
leurs d'automne de l'occident leurs
fructifications cristallines. La journée
avançait et Hertulie voyait par les
fenêtres se stratifier les onyx illusoires
des nuées.
Toujours à la recherche d'Hermas,
elle arriva enfin à une spacieuse salle
où, par les croisées toutes grandes
ouvertes, un vent léger éparpillait
sur une table des feuillets humides
d'écriture; près de ces cahiers, \me
flèche, tm poig^iard nu, ime gourde
;dby Google
HERTUUS. 6l
et une def qu'Hertulierecontiut pour
pareils aux siens; i*épi de blé cares-
sait de ses longues barbes le tapis de
soie mauve qui étoffait la table et en
voilait à demi de ses plis le pied d*é-
bène dont une chimère sculptée tu-
méfiait la torsion.
Des fenêtres on voyait le jardin
d'Hermas. C'était une vaste espla-
nade dallée de marbre verdâtre ; mal-
gré la dureté de sa matière, sa couleur
donnait Tillusion d'une surface hu-
mide, moisie et spongieuse. Tout
autour, des bordures de houx poin-
tillé de petits fruits rouges semblaient
taillées dans un jaspe sanguin. Un
bassin d'eau verdie s'ornementait,
debout sur une patte, d'im ibis rose
qui avait l'air d'une fleur malade. Une
ligne de cyprès cqniques fermait la
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6t LB TRÈPLB HOIR.
vue de cet étrange et artificiel maré-
cage de pierre et de feuillage; an^
dessus pourrissaient les restes d*iin
couchant oxydé de cuivre et vitrifié"
de salives sanguinolentes et tièdes.
Tout à coup, derrière chaque cy»
près, une flûte discordante chanta,
puis elles émirent, une à une, la note
de leur isolement ; ensuite elles s*ap*
parièrent et enfin s'unirent ; elles
chantaient, lointaines et minutieuses,
au seuil cfe la nuit, dans quelque em- i
buscade de Tombre. Leur mélodie
se coupait de pauses et s'enfiait aux
reprises. Hertulie y reconnut les flû-
tes de son sommeil, mais plus mer- i
telles et plus au-delà de Tespoir.
Tout ce qu'elles disaient faisait
allusion à Tabsence d'Hermotime,
elles en consacraient rirrévocabilité, t
;dby Google
HIRTUUB. 63
et Hertolie comprenait le sens de ce
mélancolique concert. Hermotimene
retiendrait pas. Elle le savait depuis
bien longtemps par Tiris brisé et par
les hiéroglyphes des chauves-souris ;
elle Tavait lu aux grimoires de leur
vol ; les flûtes le lui avaient chuchoté
etil lui semblait qu'Hermas le lui redi-
sait encore. Comme autrefois, près de
FEscalier de Narcisse, il murmurait :
Hertulie, tendre Hertulie, on a fermé
les fontaines; elles ont pleuré toutes
les nuits plus tristement; elles pleu-
raient dams votre vie; elles pleurent
dans votre destin. O Hermotimel tu
ne reviendras pas ; j'en atteste la flèche
voyageuse, le cruel poignard, la
gourde et sa signifiance de route
lointaine, tout, et la clef par qui tu as
fermé le passé sur tes pas. Hermotime
;dby Google
64 LE TRÂFLE NOIR.
ne reviendra plus; il ne pouvait pas
revenir. L*épi ne redevient plus une
fleur; la sf^esse ne redevient pas
l'amour.
Les flûtes s'étaient tues à mesure
qu'Hermas semblait avoir parlé et
Hertulie mit en silence un doigt sur
ses lèvres ; le jardin de marbre vert
noircissait ; les nuées du couchant s'é-
teignirent; lentement, à reculons,
Hertulie s'éloigna vers le fond de la
chambre, puis se retourna et disparut.
Derrière elle une lourde draperie
noire striée d'or retomba, remua un
instant ses fronces et demeura immo-
bile en ses plis graves et somptueu-
sement funèbres.
Les salles par où repassait la fugi-
tive lui paraissaient plus spacieuses;
les lustres amortis suspendaient au-
;dby Google
HBRTUUS. 65
dessus de sa tête le pendentif de lenr
silence cristallisé; de chambre en
chambre, haletante et lasse, dans une
où étaient les miroirs, elle s'arrêta.
Son image s*y multipliait à Tinfini.
Hertulie autour de soi se vit jusqu'au
fond d'un songe où elle perdait le
sentiment d'avoir produit tant de
fantômes identiques à sa pâleur; elle
s'y sentait dispersée à jamais et, à
force de se voir ainsi, ailleurs, tout
autour d'elle, elle s'y morcela au
point que, dissoute en ses propres re-
flets, exorcisée d'elle-même par cette
surprenante magie où elle s'imaginait
indéfiniment impersonnelle, ses ge-
noux fléchirent et elle s'affaissa dou-
cement sur le parquet, inanimée, tan-
dis que, dans la chambre solitaire,
au-dessus des yeux clos de sa face
;dby Google
66 LB TRiPLB NOIR.
pâle, les miroirs, en leur cadres d*or,
d'écadlle et d'ébène, continûment à
édianger entre eux l*illusoire aspect
de leurs réciproques vacuités.
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D*IIBRMAS A RBRHOmiB
Il est donc vrai que tu aies marché
vers ton DestinI Je pressentais cette
conjoncture^On tergiverse vis-à-visde
soi-même, mais qui s^entrevoit se
cherche ensuite à jamais» et les pré-
sents que. tu m'envoyas m*aiq>rirent
que tu t*étais trouvé* Lesvoidf là,
sur ma table,^^ et, en les rq^ardant. Je
pense à toi. Je te revois tel que lors
de nos rencontres dans le vieux jar-
;dby Google
68 LE TRÈFLE NOIR.
din. J'ignore tes voies, ô Hermotime !
quelles pierres tu as fait rouler devant
toi, sur tes chemins, du bout de ta
canne d'épine noire. Comment en
vins tu à la sagesse de te conformer
à tes songes? C'est à soi-même qu'on
s'initie. Ce fut à toi qu'il fallut que tu
revinsses à travers les vaines doc-
trines. Hertulie t'en enseigna davan-
tage que les livres des philosophes.
Elle avait^des yeux; dbacoiants et sa-
vait tenir une flexu: de ses belles
mains; elle lui ressemblait. Nous ne
devons respirer que ce que nous
avoi» ifleuri etc!est à la couleur de
nos yeux'où se nuance la beauté des
choses. On cherchei^trdp loinw Ton
âme sonpuieusè^ didactique et for-
maliste Voulut aller jusqu'au bout de
soà errcàiT; UtmovLV est Thôte ode la
;dby Google
hj disais-tu, mais tu Isuekercbais
où' ne paradait iqttè'la ^ms^rée àô êsl
^èsenoe. La dotilenr te; montra la
îatos&^é des dbottlHAès ; ^oe peuyeftt-
elies pour nous guérir ?
J'ai compris renvoi' de la ilècte
n^ssagère; faite de ptmne ^ d'acier^
elle aUège eti nous ce qui liè^^'èû-
vdler, elle tue ^cé qui doit ymouidr.
-Le pô^fuard nu signifiait déjà tOQ
mOtlÊl désâ: d'ôtre un autre homme,
et la gourde voulait dire ta soif de
te; connaître au ^miroir emblématique
où Vùa s'appafatt au-delà de soi-
même; meds^ quand j'ai reçà la' clef
fatidique, j'ai deviné qu'elle t'ouvrait
l'accès de ton Destin, et l'épi mûr, 6
Hermotime! te représente à mes
yeox.
Tout oela est beau. L'amour te
;dby Google
7D LE tttVXXiJKHR.
4i]e»mft f ii^tioct dkconforaifir.toiMh^
.jkla:^t>«»até.du;sefaiineat dontyaiRx:
Vfrcçpeil q^'il méntei^ Tu ¥Oul»s.|)Afér
ton âme pour son u^ioispheet dé^iur-
fll^:^ivk*c>«?e et,, ea ctoxmaat Ta-
m0miH% 9««es3e, cbma^ la sag^see
-è'iîawwr» Tu as vu^qw^ Ojétaàt cot loi
Ou gisait le secret 4*toe ua ^trcî :
;]L*pbIi^oire! notre ^mystérieM^ <tor-
^ maat qu^n/éveilleut td les suJ^tUités
des méthodes, m le bruit d^ (X^ntro-
verser ni rien de -ce^^qui n'eçtpas
congénère à^son mystérieux silence.
Tout cela est beau, Hffpolime, et
j'imagine aux jardins où nous nous
promenions une part du miracle où
tu t'es transformé. Souviens^toi de
TËscalier de Narcisse ; les lieu^ ^^[is-
aent à leur insu sur nos songesi c'est
;dby Google
HIRTUUI. |X
là nudateaant où les tiens se retrou-
veront le mieux autour d'eux.
Reviens donc, mon fcère^ car, au
bout des ailées d'eau, tu trouveras la
sépukure d'Hertulie. C'est là qu'elle
repose. Nous y reposerohs aussi un
joàr^.Où on voyait trois statues s'élè-
veront trois tombeaux. Le sien déjà
est au milieu. Le monument est d'un
marine rose et noir, l'endroit à jamais
silencieux car j'y ai fait détruire les
fontaines; à la place on a planté des
fleurs, les plus naïves et les plus fraî-
ches — d'autres croîtront pour nous
— on dirait que l'aurore a posé sur
celles-là son pied nu. Hertulie ne fut-
elle pas l'aurore de ta vraie science,
le printemps de ta sagesse dont tu
goûtes maintenant l'opulent été; tu
en connaîtras peut-être les amers au-
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'7a LE TldkFtX'NOIR.
tomnes; c'est la saison de mèaâniie
et voici qu^elIe vient aussi! suri les
vieux arbres du jardin.
Il m'appartient maintenant, je l'ai
acheté tout entier et jdnt aux niiens :
ma solitude est vaste, tu vois, et nous
y pourrons au moins marcher la face
nue, ayant dédaigné l'un et l'aiUre les
masques où se déguisent les humains,
nous qui portons à jamais le seul vi-
sage de notre Destinée!
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Histoire
d'Hermagore
A Saint fulim V Hospitalier,
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Digitizedby Google
U avait été longtemps le Pauvre
Pèdiènr qu*on voit, à Testuaire du
feuve, debout sur sa barque immo-
Mie.
L^eau passe lentement le long du
bordage et, comme elle vient de très
loin, du fond des terres sylvestres ou
plantureuses, elle entraine à la dérive
des feuilles, des pailles et parfois une
fleur, des Irétbes qui s'entravent au
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76 LE TREFLE NOIR.
bateau ou tournoient dans quelque
remous. Le ciel est gris sur une mer
pâle ; le sable des berges va rejoindre
les dunes du rivage; la barque os»
dlle imperceptiblement ; souf&ante et
lasse, elle geint; la plainte de ses
jointures se mêle aux soupirs du câ-
ble et les bras maigres ne lèvent qu*uxx
filet vide.
Depuis des jours et des années il
Pavait bien spuvent.lev^ en vain. ;Le
poîs3onne s'y prenait pas, bien qi|e;
le Pêcheur fût patient et attcAtif à^
consiilter le vent, la saison, la marée,
avec grand soin que sqn ombre ne
dépassât pas la barquç,et pas une
fois U ne vit son visage dans Teau.
Parfois, las de la station inutile,
il ramait vers la haute m^. Les lames,
plus fortes berçaient içurdement sa.
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HISTOIRE D'HERMAGORE. 77
mélancolie; Teau profonde verdis-
sait. Du large il voyait la côte sablon-
neuse et Testuaire. Le vent sifflait
dans les cordages et, tout le jour, le
le pécheur s'acharnait à sa tâche.
A ces journées rudes et infruc-
tueuses, il préférait la médiocrité
d'une proie dérisoire, le fretin des
eaux douces, le calme du fleuve, son
balancement paresseux, sa fuite onc-
tueuse et monotone où passaient, une
à une, des feuilles, des pailles, une
fleur.
Les oiseaux, ne le craignant point,
volaient autour de lui. C'étaient des
mouettes grises à envergure aventu-
reuse. Les bergeronnettes qui sau-
tillent sur le sable des berges lui
plaisaient davantage. Avec elles sa
penôée allait à de vastes terres inté-
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78 LE TREFLE NOIR.
rîeures où ne murmure pas d'autre
eau que les sources où boivent les
pâtres : la vase molle autour des
mares est piétinée par les bestiaux;
le parfum du foin se mêle à l'odeur
des étables; il y a des ruches d'a-
beilles dans les jardins et des meules
s'alignent sur les chaumes; du pe-
tit champ carré où on bêdie au
soleil, on -n'a devant soi, au-dessus
des haies vives, que le ciel. La
sueur coule du front en gouttes
tièdes, et l'ombre des arbres est si
fraîche qu'on croirait boire à une fon-
taine.
Un soir qu'il songeait ainsi enl
étendant ses filets sur le sable autour
de sa barque tirce, il entendit quel-
qu'un qui lui parla. C'était un étran-
ger; sa stature s'appuyait sur un I
;dby Google
HISTOIRE D'BSRMAGORE. 79
bâton; avec ses traits las et son
manteau de bure il ressemblait au
crépuscule. L'homme demandait à
acheter les engins et le bateau et,
tout en parlant, comptait dans
Tombre, une à une, des pièces d*or.
A l'aube, Hermagore le Pêcheur
s'arrêta au milieu d'une vaste plaine
sablonneuse où poussaient des herbes
bleuâtres. Le fleuve l'avait rejoint
par un caprice de ses méandres, et son
eau glauque coulait entre des îles
qui s*y reflétaient et semblaient s'y
enraciner par les chevelures de leurs
arbres renversés. Un oiseau s'envola
d'un buisson; des papillons volti-
geaient avec leurs ailes de soie
endormie, gris et roses, certains
jaunes comme de l'or. Hermagore
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80 LE TRÈFLE NOIR.
tâta la somme qu*il portait dans une
sacoche de toile et se remit en route.
Le crépuscule vint, et chaque soir le
marcheur recomptait son humble
trésor.
A la fin d*un jour où il avait par-
parcouru de molles prairies Herma-
gore aperçut des forêts. Elles bar-
raient tout rhorizon de leur ligne
massive; à l'intérieur c*étaient de
longues ténèbres, des espaces de
silence; parfois la futaie paraissait
finir et s*élaguer en orée; alors il se
mettait à courir, mais le bois recom-
mençait en contre-bas de quelque
ravin dont la crête et les arbres en
interstices sur le ciel avaient simulé
cette éclaircie d*où Ton dominait la
continuation, au loin, de cimes ondu-
lantes.
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HISTOIRE D'HERMAGORE. 8i
Longtemps, en ces solitudes, Her-
magore n'entendit que le vent, mais
un jour il reconnut des échos qui se
renvoyaient le bruit d'une hache, et,
s'étant orienté, il rencontra des bû-
cherons qui abattaient des hêtres;
plus loin il vit fumer un toit, et il
aperçut enfin la terre qu'il avait rêvée.
Les collines ondulaient lentement;
des prairies alternaient avec des
champs de blé le long desquels s'ali-
gnaient des peupliers; parfois on
entendait chanter une flûte; des
linges séchaient sous les saules et, le
soir, tout semblait si calme qu'on
n*osait pas marcher dans l'herbe.
Le petit champ était situé au pen-
chant d'une colline ; carré, des haies
l'entouraient. Hermagore le cultiva
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82 LE TRÈFLE NOIR.
avec soin. Dans la terre profondé-
ment labourée U ensemença. Tout
l'hiver il fut heureux, mais au prin-
temps il vit que les champs voisins
seraient plus fertiles que le sien.
Cela eut lieu. A peine si la récolte
suffirait aux semailles prochaines.
La moisson suivante s'annonça plus
maigre encore : les oiseaux s'achar-
nèrent et on voyait Hermagore par-
mi les épis clairsemés, debout,
comme jadis dans sa barque plate,
gesticulant et jettant des mottes de
terre aux pillards.
Parfois il désertait sa garde et par-
courait le pays; partout des mois-
sons plantureuses mûrissaient et le
privilège de sa misère lui parut plus
amer. Des troupeaux passaient et, de
oin, il les regardait comme jadis dis-
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HISTOIRE D'HERMAGORE. 83
paraître à Thorizon les navires;
leurs voiles connaissaient tous les
vents et, par des mers lointaines, ils
vont à de riches contrées d'où leurs
cales reviennent imprégnées de rô-
deur des cargaisons pour enrichir des
maîtres puissants qui, en des de-
meures ornées de coraux et de cartes,
supputent les escales et les marées.
L'année suivante fut telle qu'Her-
magore glana pour pouvoir semer.
Il allait par les champs courbé sous
le soleil. Enfin ses semailles prospé-
rèrent; son champs aussi fut vermeil,
et, un jour, il le regardait préparer sa
prospérité quand le ciel se couvrit.
L'orage creva en grêle; pas un épi
ne resta debout, et Hermagore, pâle
et silencieux de colère et de déses-
poir, s'éloigna, à travers la plaine, la
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> 84 LE TRÈFLE NOIR.
face meurtrie et les mains saignantes
des grêlons qui les avaient blessées.
Comme il s'approchait d'une fon-
taine pour y laver ses plaies, il vît
un homme couché sur le bord et en-
dormi. C'était ce même étranger qui
lui compta jadis les pièces d'or pour
l'achat de la barque; il avait donc
quitté les rames et le filet, et Herma-
gore, au moment de l'éveiller afin de
s'enquérir de ses fortimes, remarqua,
à côté du dormeur, une bourse en-
tr'ouverte; des monnaies y scintil-
laient; quelques-unes luisaient entre
les doigts de la main fermée ; il avait
dû commencer à les jeter dans l'eau,
car on en distinguait, à travers la
transparence^ qui reposaient sur le
fond de sable de la source. L'homme
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HISTOIRE D'BBRMAGORE. 8$
dormait toujours. Hermagore ra-
massa la bourse et, ayant marché
toute la nuit et une partie de la mati-
née, il arriva vers midi en vue d'une
ville.
Les maisons se groupaient autour
d'un vaste dôme accompagné d'autres
plus petits. Des palais bordaient un
large fleuve traversé de ponts bom-
bés; les arbres se mêlaient aux mai-
sons; parfois ils s'alignaient en
longues avenues ou se répandaient en
jardins. Des eaux y miroitaient. Les
rues vaquèrent, désertes à cause de
la chaleur.
D'immenses cimetières entouraient
la ville; on eût dit des forêts, un
cyprès se dressant à chaque angle de
chacune des tombes qui étaient toutes
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S6 LE TRÈFLE NOIR.
en pyramides ou de blocs carrés de
pierre. Les premières, celles des
femmes, ornées de roses. I^e parfum
du lieu, par ce mélange de fleurs et
de feuillages, se composait à la fois
amer et doux comme la mort même.
Là-bas une visiteuse solitaire allait
lentement parmi les tombes. Son
long voile jaune s*accrochait parfois
à la branche d'un cyprès ou aux
épines d'une rose, et alors on voyait
son visage, qui était délicatement
fardé. Une fois elle se pencha pour
lire un nom, et les médailles de son
bracelet tintèrent sur le marbre, puis
elle s'assit et elle pleura. Hermagore
s'approcha : « Pourquoi pleures-tu? >
lui dit-il. « D'où viens-tu donc, pas-
sant! > répondit-elle, «pour ignorer
ma célèbre douleur. On en parle au
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âlSTOmS D^HfiRMAGORE. 87
loin et toi seul n'en saurais rien. N'as-
tu pas su qu'Ilalie aima. Elle aima
celui qui Ta délaissée. Il ^t parti, et
dès lors ie me plus à errer dans ces
lieux; il est parti im soir, et m'a
quittée pour la pauvreté et la sagesse,
et on dit qu'il est maintenant pêcheur
au bord d'im fleuve, près de la Mer 1 >
€ Moi aussi j'ai été pêcheur au bord
d'un fleuve », répondit Hermagore,
c j'ai labouré une terre aride, je suis
las du soc et de la rame et je viens
vers Tor et vers l'amour ».
Hermagore qui avait couché nu
parmi les roseaux du fleuve et dormi
la tête sur une pierre dans le sillon
de son champs, qui avait été flagellé
par le vent, piqué par les abeilles et
aboyé par les chiens, coucha sur des
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88 LE TRÈFLE NOIR.
lits de bronze et dormit sur des soies
tissées. On Téventait de palmes et on
le berça de chansons; des parfums
fumèrent à son chevet. Ce furent
d'étonnantes amours. Il devint cé-
lèbre et recherché, car il y a une
secrète et lâche douceur, pour ceux
qu'elle repousse, à fréquenter au
moins les amants heureux de la
femme qu'on désire, et Ilalie kantait
les songes des jeunes hommes
comme une statue hautaine. Un ma-
tin on la trouva nue sur sa couche et
plus blanche que du marbre, sou-
riante comme si elle fût morte de
joie.
Hermagore ne la pleura point.
On admira la supériorité de son in-
différence, et la rumeur du renom
d'élégance qu'elle lui valut parvint
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HISTOIRE D'HERMAGORF. 89
jusqu'à la reine. Elle habitait un
palais surmonté d'un vaste dôme
entouré d'autres plus petits. Herma-
gore y fut introduit en secret, et
souvent le soir il y entrait pour n'en
sortir qu'à l'aurore. La reine l'aima
et, comme il y a dans les destins des
contagions mystérieuses, il devint roi,
celui pour qui on régnait étant mort,
idiot et béat, dans le pavillon soli-
taire où il se tramait en bavant sur
les dalles. La sépulture du défunt
consacra l'avènement de l'usurpateur ;
quelques têtes coupées consolidèrent
l'aventure. L'arrogance du parv^cnu
fit croire à sa prédestination. On
se prosterna devant lui ; il s'en-
nuya.
Un jour qu'il traversait la grande
place de la ville, en plein soleil
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90 tE TRÈFLE NOÎR.
couronne en tête et sceptre à la main
il remarqua un homme vêtu de
haillons qui, debout, le considérsdt
en riant. Il reconnut de nouveau
l'étranger qui lui avait acheté sa
barque, le dormeur dont la boiirse
le tenta, un soir, près de la fontaine.
Sur Tordre du roi on amena devant
lui le loqueteux. « Pourquoi ris-tu? >
dit Hermagore, « que veux-tu de
moi, parle >. « O roi >, répoi^t le
misérable :>, je regarde à tes pieds
Tombre que fait ta gloire > ; et le roi
ayant baissé les yeux vit cçtte ombre.
Composée de la crête dç la haute
couronne, du bec du sceptre, des
ailes du manteau, elle était difforme
et trapue, et, monstrueuse, elle sem-
blait, avec son envergure chimérique,
quelque bête hargneuse et infirme.
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HISTOIRE D'HERMAGORE. 9I
accroupie aux pieds du triomphateur
et qui le précédait.
Le roi Hermagore comprit Tallu-
sion du mendiant. Il lui semblait
avoir vu dans la parodie de son corps
rimage même de son âme, et il pleura.
Le soir même il s'enfuit de la ville
furtivement et, après avoir, en passant,
jeté dans la fontaine où jadis il déro-
ba le dormeur son sceptre et sa cou-
ronne, il arriva au petit champ qu'il
avait autrefois labouré et, couché nu
sur la terre dure, il s'y laissa mourir.
Cette année-là, s'annonça dans
tout le pays une moisson extraordi-
naire ; des enfants se perdirent dans
les blés. Seul un petit champ resta
stérile; il s'étendait sur le penchant
de la colline, inculte et plein de
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92 LE TRÈFLE NOIR. 1
ronces^ vert sur le jaune environnant, i
mais quand on eut coupé tout le blé
d'alentour, de près, on vit que, seul, J
un énorme épi y avait poussé et on I
découvrit un squelette. Il était étalé 1
les bras en croix et du crâne germait
la miraculeuse merveille. Un étran- j
ger qui travaillait à gages parmi les I
moissonneiu-s s'avança, cueillit l'épi, '
puis, à genoux, courbé, embrassa sur
la bouche le masque d'ivoire. On le ,
regarda faire en silence et, comme il i
ne se relevait pas, on s'aperçut, en le
touchant, qu'il était mort !
•!•
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Hermocrate
ou
le récit qu^on m'a fait
de ses funérailles
•
A M, le Comte de Clapiers,
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Digitizedby Google
Je fus réveillé au matin par un
bruit de voix inaccoutumé ; tout se
tut; un cheval frappait du sabot le
pavé de la cour et, au moment où,
sorti de mon lit, j'ouvrais la fenêtre,
on gratta à ma porte; sans attendre
ma réponse mon valet entra, une
lettre à la main. Je rompis le large
sceau noir et je lus que le duc Her-
mocrate était mort.
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96 LE TRÈFLE NOIR.
Le poids de la cire sigillaire incli-
nait légèrement un angle de l'écrit
déplié; au dehors les fers sonnèrent
sur le grès et je vis, enlevant au
galop son chevsil pommelé, le cour-
rier franchir la grille; il enfila l'ave-
nue et je suivais des yeux cette fig^ure
inattendue, brusque et diminuée, se
réduire peu à peu à ime proportioii
de vignette comme au haut d'une
page dont je tenais entre mes doigts
le feuillet.
Avec la tunique verte à galons
d'argent, la toque à plumes jaunes,
le fouet à manche de corne, je revis
le train domestique et seigneurial du
vieux duc, le château, toute la livrée
des antichambres, des écuries et des
chenils, laquais, écuyers et piqueurs,
les uns râblés et actifs, les autres
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BSRIiOCRATl. 97
bottés et sveltes, traversant le caillou-
tis des cours ou le sable des mandes,
et, debout sur le perron, avec la
cambrure de leurs mollets et le flotte-
ment de leurs basques, ou assis sur
les banquettes des vestibules, Tai-
goille à tricot plantée dans leur per-
ruque poudrée, ceux du service inté-
rieur, arrogants, obséquieux et co-
quets.
Le vaste château me réapparais-
sait du milieu de ses forêts, au bout
d*avenues interminables, parmi ses
iardins de propreté ou de magnifi-
cence, avec des pièces ou des bou-
quets d'eau. Un automne, j'y avais
été reçu. Le Duc peu expansif ne se
comuniqua guère à ce jeune parent
venu le saluer avant de partir pour
l'armée. J'y allais avoir pour compa-
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96 LE TRÈFLE NOIR.
gnon son âls Hans, et, liés d'amitié,
nous devions ensemble rejoindre
notre enseigne.
Nous dînâmes dans Timmense
salle à manger. Des tapisseries vè*
taient les murs jusqu'au plafond.
Une Diane parmi les roseaux d'une
rive faisait désaltérer ses chiens dans
la vasque d'une fontaine. On enten-
dait l'eau bruire aux intervalles des
rares paroles. L'odeur des vins et
des épices pimentait et engorgeait
le silence; le sucre semblait crépiter
son givre sur les gâteaux ouvragés ;
un fruit roula d'une jatte et, à tra-
vers les argenteries et les cristeaux,
mieux que face à face en arrivant,
j'avais pu considérer à l'aise, pen-
dant la cérémonieuse minutie d'un
long repas, ce maigre vieillard, aux
;dby Google
&ERMOCRATÈ. 99
dieveux ras et blancs, glabre et dur,
que son extraordinaire vie rendait
pour moi un objet d'admiration et
dé curiosité. Le lendemain^ à Taube,
nous partîmes; puis des années
passèrent et aujourd'hui il était mort.
Sur le billet Hans me disait de venir.
Pour les obsèques du surlende-
main il fallait se mettre en route au
plus vitg afin d'arriver au château la
veille aûa soir. Je donnai ordre
d*appréter les porte-manteaux et
d'atteler la voiture. Les chevaux
tirèrent sur les traits ; le fouet claqua
aux montées ; au crépuscule, un lièvre
traversa le diemin entre deux champs
de trèfle et de luzerne ; le del gris se
rosa un peu entre les peupliers.
L'auberge où on arrêta à la nuit
était bonne. La chambré à rideaux
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100 LE TRÈFLE NOIR.
de serge donnait sur la grande place ;
l'horloge sonna d'heure en heure ; je
dormis mal.
Au sortir de la ville, le chemin
s'allongeait entre deux lignes d'ar-
bres. Vers midi nous longeâmes un.
canal. Sa lame d'eau plate se conti-
nuait indéfiniment, tantôt rigide
entre les berges droites, tantôt flexi-
ble entre les rives tournantes. Des
hâleiirs traînaient de lourdes barques;
un petit âne les y aidait. Durant le
voyage le long de ce paysage monie
efc presque pareil à son rdlet rien
n'avait distrait mes pensées. Elles
s'occupèrent du duc Hermocrate. Les
histoires narraient sa vie surprenante
qui s'amplifiait déjà en légende, et,
aujourd'hui terminée, j'en revoyais
le cours et l'aspect.
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HBRMOCRATS. lOI
Le Destin y ressembla à une fic-
jtion; tout s'y ordonna comme d'ac-
cord avec une intention myst^eusç,
et ce mélange de tout la fit quelque
chose d'unique et de singulier.
L'aventure y risqua l'échec et y es-
camota la gloire. Vie l:urbulente et
méthodique, l'abondance des événe-
ments y fiit l'occasion du plus cons-
tant bonheur. Cette main leva l'épée,
soupesa le sceptre, fit mouvoir le fil
des mille marionnettes humaines. La
lampe -d'Aladin mêla sa goutte
d'huile à la dre fondue de la torche
d'Eros sur la chair engourdie d*une
Psyché à deux visages et éveilla la
Fortune en même temps que la Vo-
lujrté. Les affaires du temps, avec
leurs entreprises, leurs péripéties,
leurs issues, fournirent à cet homme
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ÎÔ2 htrUÈftÈ SOiR.
les expériences de sa diplomatie et
i'occujpatîon de sa puissance. Dé sia
jeunesse à ëa vieillesse, toiit, âtootiT)
pàiii^y J licmneurs, ' serv^ileiiient' * se
donnèrent à 'lui. Il oôntfaft'le* bcwi-
heur humain* de ses excès â' èès toi-
nuties, 1^ faveurs du sort de- fea
connivenée k son esclavage. I^ vie
lui oflrit toutes ses eircoristaiices au
point de liii permettre totite occa-
sion, du haiA fait à la. manigance ; et
maintenant il était niort. Mdrt! «i
que regrettait-îl eu mourant? Pen-
dant les vingt années de sa i^tr^te
dans ce solitaire château, à quel res-
sassément de soi-même voua-t*îl son |
silence en suspens sur le silence
éternel ? On le disait vivant là dans
un écart orgueilleux avec le prestige
du pouvoir volontairement abdiqué,
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HULMOGRATB. I0|
sauf Ja réserve de ,oertaines préroga*
tives honorifiques, cérémonieux et
hautain. L'étiquette est la momie de
la grandeur, la gloire s'y atrophie en
poupée. Il se plaisait à ia miniature
minutieuse des fastes efficaces de sa
vie& Héks! errant dans les sonip-
tueuses galeries, le long de ces eaux
magnifiques, droit.et rogue, altentil
sans doute â . soi-même^ qu'avait-il
réentendu du passé dans l'écho des
salles, dans la voix des fontaines,
sous les chênes nléMoriaux qui
semblent, avec la stiiioture de la vie,
la voix même du Destin.
Les approches de la forêt annon-
cèrent celle du château. La route
coupait des futaies admirables et
contourna en levée un vaste étang.
Des grenouilles y coassaient. Le
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104 LE TRirLE NOIR.
triangle d*eau immobile, dallé, cà et
la, par places, de nénufars, enfonçait
sa pointe parmi les roseaux. A des
ronds-points, d*un obélisque de
marbre vert, irradiaient des routes
en étoile. L'ime d'elles, que nous
suivîmes, s'élaigit enfin en avenue,
deux contre-allées la bordaient ; entre
la quadruple rangée d'arbres le
carros^ roula plus vite; je mis la
tête à la portière.
Dans le crépuscule on apercevait
le château; il était massif et somp-
tueux, monumental et délicat, avec
ses fenêtres, ses frontons, ses com-
bles. Les roues s'adoucirent sur le
sable ; ime grille forgée ouvrait son
passage entre deux bornes de pierre
cerclées de cuivre. On traversait des
potagers; de petits bassins carré
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HERMOCRATE. 105
luisaient comme le fer des bêches;
des bâtimems' bas, avec des pots à
feu sur leurs corniches, entouraient
une cour circulaire dont le portail
laissait voir la cour d'honneur, des
arbres en caisse Tornaient. On arrêta
à un perron. Aux portières, des la-
quais haussaient des cires et Tun
deux me précéda dans le vestibule.
Tout y était déjà drapé de noir; ime
grande lanterne de cristal balançait
au plafond sa flamme crêpée, et le
majordome, sa haute canne à la
main, inclina devant moi, avec le
tintement de sa chaîne d'argent, son
front chauve.
Je logeais dans Taile droite du
château; un candélabre brûlait sur
ma table ; on y avait placé la liste
des personnes déjà arrivées. Je la
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I06 LE TRÈFLE NOIR.
parcourais en attendant le retour du
valet parti sur mon ordre s'enquérir
auprès du nouveau duc de Pinstant
où il pourrait me recevoir. I-^es hôtes
étaient déjà en nombre. Toute la pa-
renté y figurait; puis les amis du
défunt, des dignitaires venus payer
à leur collègue la redevance funèbre,
la plupart là par devoir ou par con-
venance, quelques-uns pour l'avan-
tage de vanité qu'il y a à être de quoi
que ce soit. Mon ancien camarade
Hudolphe de Haubourg de ceux-là,
certes.
On frappa. Hans me faisait dire de
Taller rejoindre dans la chambre
mortuaire où il veillerait, à dix heures.
L'horloge en sonna huit et je pris le
parti de dîner seul dans mon app^-
tement, appréhendant de risquer le
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HERMOCRATE. I07
repas commun et surtout la ren-
contre de Haubourg et la chance de
le subir. Sa conversation, toute d'éti-
quettes, de prérogatives et de quali-
tés, lassait même Tinattention. Le sen-
timent de sa dignité s'exagérait en
manie, s'acharnait aux plus minu-
tieuses pratiques. Il revendiquait ce
qu'on lui devait au point de faire
douter qu'on le lui dût. Du reste,
honnête homme bien qu'infatué;
l'érudition de son rang le rendait
exact à en exiger les préséances. Les
cérémonies lui plaisaient; nuptiales
ou funéraires, il n'en manquait pas
une, en jouissant délicieusement, y
critiquant les fautes, goguenard pour
celles qui lésaient autrui, pointilleux
quant à celles qui l'eussent atteint.
Les obsèques du vieux duc et ce
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I08 LE TRÈFLE NOIR.
qu'elles prétexteraient avaient dû Toc-
cuper depuis des années, et il ne fe-
rait moins, pensai-je, que de s'y
montrer admirable.
J'avais repoussé le chanteau et
trempais dans du sucre des quartiers
de pondre quand on vint m'avertir.
Par d'interminables corridors, j'arri-
vai au vestibule. L'escalier montait
droit; sa rampe de fer forgé bordait
ses marches de pierre. Le laquais me
précédait à travers des salons, les
uns sombres où on se heurtait aux
meubles; à tâtons, je sentais en les
évitant le pelage des tapisseries ou
la chair des satins; parfois, en soule-
vant une portière, le chevelure de soie
des effilés me frôlait la main ou le
visage. Ailleurs les lustres flam-
boyaient; la paume des appliques
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HBkMOCRATE. I09
étalait en bougies sa main de lumière ;
le bois djoré des consoles se crispait
à soutenir les tablettes de marbre
rare où, sur des socles d*onyx, repo-
saient des bustes de bronze adossés
aux hautes glaces qui, en leurs cadres
de burgau ou de rocailles, reflétaient
des tonsures d'empereur ou des
nuques de déesse, des coiffures de
reines ou des toisons de faunes. Au
milieu d'un des ces salons, circu-
laire et peint de guirlandes, une
seule bougie brûlait sur un guéridon
dejade. D^s une vaste galeriedes mo-
saïques sonnèrent sous mes pas. Entre
des entrelacs de fruits, de fleurs et de
coquilles, on voyait des figures et des
emblèmes ; un zodiaque y cabrait son
sagittaire et y rampait son scorpion.
Enfin une porte s'ouvrit et j'entrai.
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IIO LE TRÈFUiUlIR.
C'était la chambre du duc. H
gisait sur son lit; au chevet se con-
sumaient deux cierges. Je Taurais
reconAu, tel qu'autrefois mais coixune
rapietxssé. Ses cheveux «blancs sem-
blaient plus ras.et la faoç^plus glabre.
I^a chair humaine restent atatuaire
da9s ce dur visage mari^nsé. U se
roidis^it dans unç soirte de sculp-
ture mortuaire et sèche. Hans m'em-
brassa; je le trouvai nerveux et pâle,
et, tout en causant, il allait et vena^,
ouvrant un meuble, entrebâillant un
tiroir, y froissant des papiers et des
bijoux; enfin, d'une- petite cassette
d'or émaillé, il tira une large euve-
loppe scellée et en jon^>it la cire
vivement. Le silence était profond.
Je regardais dans la serrure du coffret
la petite clef à laquelle en oscillaient
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R3RMOCRATE. III
fi'aTitres en trouBseau. Hans s'^tsait et
me fit signe de rimiter; des heures
passèrent;. il me tendit :1e papier et
voici ce que j'y lus à mon tour, ce que
j*yai lu jusqu'à Tanbe :
'C Je ne te saconterai pas nia vie,
mcm âis^'iu Pas; apprise sans doute
parla' rumemr où en reste encore la
nièmoire dç ceux qui me Pont vu
vivre. Us sonti rares déjà, car me voici
vijbtix; Les histoires en décriront les
parties; certes en nôtercMit^nirieu-
semen^' les particularités; quelques
irophées en attesteront peut-être la
gloire à l'avenir. Le soc de Ja charrue
en retournant la glèbe y remuera des
médailles où mon profil survivra
entre deux dates mémorables. Un
laurier crèitra sur mon tombeau;
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112 LE TRÈFLE NOIR.
répitaphe rappellera mes actions;
quelques-unes furent grandes, dit-on.
Ce renom fait partie de rhéritage que
je te lègue; tu en bénéficieras s'il te
vient jamais le goût de te répandre
parmi les honmies et de te mêler de
leurs Destinées. Que ne puis-je aussi
te léguer la sagesse ; écoute au nK>ins
la vérité particulière que j'ai tirée de
Texpérienee d'une longue vie. J'i-
gnore ce que sera la tienne et si tu
prendras part aux jeux du siècle.
Ton humeur t'y prédispose peu ; il
faut des désirs que tu n'auras point,
et ce château où s'est passée ma
vieillesse sera, je le sens, le séfoUr
de ta maturité. On l'appelle à la cour
le château d'Amereœur. Ils y voient
le boudoir monumental de quelqu'un
qui y a retiré avec soi le r^;ret et
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HBRMOCRATE. 113
Torgueil, quand ce n'est que le nom
naturel de toute retraite où un
homme se souvient qu'il a vécu.
Ah! laisse vivre au sens où ils
entendent cela; contente-toi d'être;
mais avant, ô mon fils, que tu
prennes possession de cette de-
meure, il faut que tu saches sur
quelles pensées au moins se sera
refermé mon sépulcre.
Sois en paix, mon fils; ne crains
pas que jamais mon ombre repasse
ce seuU. Je ne viendrai pas soupeser
aux panoplies l'épée que jadis je
portais dans les batailles, ni com-
pulser parmi la poussière des ar-
chives les titres de ma gloire, ni
recompter l'or dont les caves sont
pleines, ni accomplir spectralement
les simulacres de fantômes que furent
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114 LE TRÈFLE NOIR.
les actions de la vie. Je serai un
mort tranquille,, mort tout entier, et
nul r^et de ce que j*ai été ne fera ^
tressaillir ma cendre ; pourtant il y au- 1
rait eu dans mon passé matière à créer
une ombre orgueilleuse et obstinée.
J'ai fait la guerre ; les clairons d'or
m'ont précédé et tous les vents, tour I
à tour, ont secoué les plis de mes
drapeaux. De grandes armées fran-
chirent des montagnes, traversèrent
des fleuves; j'ai même passé la mer. |
J'ai réglé des contremarches et des
victoires. On m'a dressé des arcs de
triomphe de bronze et de feuillages,
d'où s'envolaient, d'heure en heure, |
un aigle ou une colombe. Par moi,
l'imperceptible aboutit au prodi-
gieux; ce sont quelques poignées
d'avoine, juste à temps, qui font la
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HSRMOCRATE. II5
charge; c'est un morceau de pain
à point qui fait l'assaut. Par mes
soins des milliers d'honunes con-
vergèrent au même carrefour et
rétoile des routes devint l'étoile
même du Destin. J'ai connu les
grandes entreprises, la brusquerie
des aventures, l'inattendu des réus-
sites, tout l'infini détail des expédi-
tions, tout l'impromptu des impro-
vistes. On a joint à mon nom des
noms de batailles, et le territoire de
mon duché compte plus d'une pièce
sanglante.
Vainqueur par la force, je restai
maître par l'intrigue. Dans mon cabi-
net s'abouchèrent les secrets des
États et le trafic des consciences; les
portes de mes antichambres battirent
au chassé-croisé des convoitises. En
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Il6 LE TRÈFLE NOIR. '
des heures d*anxiété ou d'attente,
j*ai suivi en pensée le galop des
courriers sur des routes lointaines;
leur vitesse était la clef des consé-
quences. J*ai coalisé des espoirs,
dissous des rancunes; mon sceau
charge le bas des traités; chacun
d'eux ajoutait à ma richesse une
dotation ou une tabatière, un do-
maine ou un brimborion.
Riche, puissant et victorieux, j*ens
Tamour. Dans des chambres de mi-
roirs j*ai renversé sur des coussins
des beautés célèbres. Elles arrivaient,
ftutives ou impudentes, s'oflfrir ou
se livrer; leurs baisers étaient un |
gage ou un salaire. L'altesse et l'in-
trigante y apportèrent leur caprice
ou leur odcul. Les glaces reflétaient
à rinfini les postures de ma victoire
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HSRMOCRATE. II7
dans les facettes de ma vanité. Des
lèvres merveilleuses satisfirent mes
plus vils désirs.
J*ai essayé de vivre dans ces
mensonges, d*en jouir et de m*en
contenter, mais un jour je compris
la duperie de mon illusion, quand
je la voulus revivre en cette soli-
tude préparatoire où Tétre se ré-
sume et soupèse déjà sa propre
cendre.
Hélas, mon fils, pendant les vingt
années de ma retraite en ce solitaire
château, je n'ai rien retrouvé en moi-
même de tout cela où je m*étais cru
tout entier. Âh! mes pensées étaient
ailleurs! Autour de moi les choses
continuaient la contenance de mon
passé. Des gardes se tenaient à ma
porte; les laquais encombraient Tan-
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Il8 LE TREFLE NOIR.
^dchambre; des femmes parèeà s*aâ-
sirent à ma table ; des hommes cu-
rieux et doctes couchèrent sous mon
toit en pèlerinage vers Tandienne
idole, exemplaire de leurs ambitions.
L'étiquette seule articulait Tarma-
ture de mon apparence et je condes-
cendais à rester le simulacre du
héros de tant d'histoires, de combats,
de succès et d'amour.
On a pu s'imaginer que, vieillard
orgueilleux et ressasseur, je revoyais,
avec l'apparatdema gloire, lesfaitsde
son origine, que ma cervelle rumi-
nait des plans de bataille ou des as-
tuces de diplomaties, et quand, sur
le sable uni des allées, ma canne tra-
çait des entrelacs et des signes, on
croyait respectueusement que ma
mémoire de maniaque se distrayait à
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HBRMOCRATE. II9
sinraler des ordres de mancBUvres ou
des chiôre&de^xffrespondances.
Ah, motPÊls^ je ne pensais nLanx
guerres,^ aux affaires, ni anx prin-
cesses fardées dans les kiosques; de
miroirs^ ni aux mannequins de mon
orgueil, ni aux poupées de n^*. va-
nité. Les architectures mentales, c^
mes efforts s'évertuèrent en colonnes,
en dômes «t en labyrinthes icroulèteht
an fond de mon souvenir. Lq palais,
devenu catacombes, s'enfouit dans la
poussièii^ de roûbli, et, au lieu de
tout Tamasdes entreprises, des tfom-
binaisons et des mesures, il ne me
restait, comme témoignage de moi-
même, que qudques fugitives impres-
sions, ce que la vie a de momentané,
d^involontaire et de furtif. Ces mi-
nutes éparses sur les ruines des lou-
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120 LE TR&PLE NOIR.
gues années me semblaient, outre le
seul bonheur, en avoir été les seules
preuves. Cela, c'est tout nous-mêmes,
nous ne regrettons que cela, ces se-
condes, ressenties presque incons-
ciemment dans Tàme et dans la
chair, si brèves et qui ont la durée
même de la mémoire d'avoir comme
poussé aux fentes de ses décombres.
Cela seul vaut! le reste, jeux de
l'esprit, vie avide, sottise de notre
ambition, convoitises de notre bruta-
lité, subterfuges, simagrées!
Oui, mon fils, des grandes guerres,
je ne me souvenais que de tel éclair
de soleil sur une épée, d'une petite
fleur sous le sabot d'un cheval, d'un
frisson, d'un geste cà et là, événe-
ments minimes mystérieusement in-
corporés à mon souvenir! je me sou-
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HERMOCRATE. 121
venais d*une porte ouverte, d'un
froissement de papier, d*un sourire
snr une bouche, de la tiédeur d*une
peau, de Fodeur d\ui bouquet, dé-
tails infinitésiinaux et qui sont ce
que la vie a de rapide, de fiirtif, de
vraiment fait à la mesure de notre
néant.
Mon heure approche; je sens que
je vais mourir et mourir tout entier.
Il y a peut-être des survies pour
ceux dont l'esprit a connu d'autres
joies; les miennes me bornent ma
destinée.
Un tombeau se dresse au bout de
mes jardins dans un lieu solitaire.
Tu m'y conduiras avec la pompe or-
donnée. Ma poussière frivole y repo-
sera. Une massive pyramide de
marbre noir en marque le lieu ; l'épi-
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122 LE T&ÂPLE NOIR.
laphe continuera le mensonge de
mon existence, car le héros qu'elle
exaltera ne fut qu'une chétive sensi-
bilité éphémère qui, des circons-
tances où les honunes voient un
magnifique de^in, n'a goûté que les
misérables etthumbles joies de toute
chair périssable.
Mon enfant, je ne reviendrai pas
hantar cette demeure; je suis de ces
morts qui ne font pas d'ombre sur
l'au-delà. Les quelques petits souve-
nirs d'heures et d'instants que j'y
emporte se dissoudront avec ma
cendre. Je suis un de ces morts qui
n'ont pas d'ombre ; je ne hanterai pas
cette demeure, tu peux y vivre tran-
quillement et sourire quand on te
parlera d'Hermocrate et qu'on
t'exhortera à imiter ses travaux ; tu
;dby Google
HERMOCRATÊ. lâj
sais ce qui lui resta de ses pensées
et de ses œuvres. Souris et songe à
lui parfois au crépuscule; il en a
aimé quelques uns >.
Il faisait alors grand jour. Hans
ouvrit les fenêtres; je lui rendis
l'écrit singulier qu'il renferma en si-
lence dans la cassette d*or; des
bouffées d*air frais entrèrent ; une des
deux roses qui s'épanouissaient dans
une fiole de cristal' se défleurit ; je
pris l'autre et, m'approchant du lit
où, rigide et les mains nouées, gi-
sait le vieux duc, je mis la fleur entre
ses doigts pour qu'il emportât au
moins dans la mort l'hiéroglyphe
éphémère et furtif de sa condes-
cendante hypocrisie.
À midi on était réuni dans la
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I31| LE TREFLE NOIR.
grande galerie du rez-de-cbaossée.
Le relief des trophées bossuait sous
les tentures de deuil dont la draperie
gonflée de place en place par Fangle
d'un piédestal laissait passer rorteil
d*une déesse ou le sabot d'un sa-
tyre. On se pressait ; des uniformes
se mêlaient aux habits de cour et
cette noble foule se tenait, immo-
bile sous les lustresi le long des
murs, adossée aux hautes fenêtres.
Le hasard me plaça auprès de Hu-
dolphe de Haubourg. Il m'aborda et
s'enquit par où je m'apparentais au
défunt, m'avouant ensuite son inquié-
tude au sujet des obsèques; l'igno-
rance universelle du cérémonial ren-
dait toute cérémonie dangereuse;
les difficultés de rang lui paraissaient
redoutables; certains cas s'y présen-
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HBRMOCRATK. 135
taient de nature à ce qu'on recou-
rût à une compétence autorisée; on
n'en avait rien fait ; aussi respecterait-
on même les préséances les mieux
établies, et il se rengorgeait, pronos-
tiquant des accrocs et des péripéties.
Enfin les huissiers annoncèrent le
duc Hans, il s'avança; on fit cercle;
il y eut des saints et des condo-
léances et on commença à s'écouler ;
je sortis le dernier.
Le cercueil reposait dans le vesti-
bule sous un cata£sdque, parmi des
lumières; les épées des gardes scin-
tillèrent; les hallebardes heurtèrent
les dalles; huit porteurs enlevèrent
la lourde bière. On suivit.
Le château développait sa façade
monumentale en face du parc. Les
fenêtres écartelaient leurs vitres
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126 LE TRÈFLE NOÏR.
claires; les balcons contournaient
leurs ferrures élégantes et judi-
cieuses; les niches abritaient des
statues; les colonnes de marbre fleu-
rissaient leurs chapiteaux ouvragés.
Lesjardiils étaient déserts avec leurs
tapis de pelouses couverts à plat de
larges erêpes noirs; des trépieds de
bronze brûlaient entre des ifs taillés ;
les allées sablées de jais intersec-
taient leurs lignes à des obélisques
de stuc; l'avenue d'eau, teinte de
flots d'eiicrei stagnait comme une
dalle de marbre noir; il y eut un
moment d'arrêt, puis les panaches
des chevaux oscillèrent ; des crânes
chauves se couvrirent de calottes,
un groupe s'agita d'où sortit Hau-
bourg, roùge, gesticulant, en es-
clan^e de quelque passe^irôit,
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HERMOCRATE. 137
rebifié et jouant des coudes. Un
sourd roulement de tambour retentit
et le cortège traversa le parc, le long
des pelouses et des bassins où s'effa-
rouchaient les cygnes noirs qu'on
avait lâchés sur Teau mortuaire.
FIN
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Table
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TABLE
Hertulie^ 5
Histoire d'Hermagore 73
Hbrmocratb 93
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ACHEVÉ D'IMPRIMSR
le vingt-cinq janvier
mil hait cent quatre-vingt-quinxe
PAR
CHARLES RBNAUDIB
56, rue de Seine, 56
PARIS
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•!•
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