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Full text of "Le trèfle noir"

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^'^i3^é.i7'/^ 






HARVARD COLLEGE 
LIBRARY 






Boughtfrom the 

LUCY ALLEN PATON 

Bequest 




DigitizedbyGoOg 



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tL A È7É TIRA 

7 exemplaires «or japon impérial, nnmérotét 

I à 7 {iiûmt j hors commerce). 
6 exemplaires sur chine, numérotés 8 à 13 (doni 

3 korê commerce"). 
ÊO exemplaires sur hollande Tan Gelder, numé- 
rotés 14 à 35 (doni 10 hors commerce). 
498 exemplaires sur papier Yei^é à la forme. 



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Le trèfle noir 



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DU MÊMB AUTEUR 

BPI80DB8, SITB8 Vt SomiBTS I VOL. 

PoàlIBS AkCIBMS BT SOMAMBSQUBS. • . I VOL. 

TBL qu'en SOMQB I VOL. 

CONTBS A 801-lfftlIB I VOL. 

Lb B08QUBT DB Psyché i vol 

ASÂTHirSB I VOL* 



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HENRI DE RÉGNIER 



Le trèfle noir 



orné par Altohsb Hbbold 



PARIS 

ÉDITION DV € MBRCVRB DE FRANCE » 
I5i SVB DE L^éCHAVDi-SAnrr-QBBMAIll, 15 

M DCCC XCV 

Tons droits rétervés. 



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Izvrt.s-Y.ia. 



\y 



HARVARD 

[UNIVERSITY] 

L1BRAR.Y 

OCT 23 1961 



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The shadow of something. 
Georges Meredith. 



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Un roman ou un cànte peut n*êire 
qu*une fiction agréable figurée par 
des masques imaginaires. 

S*il présente un sens inattendu 
au-delà de ce quHl semble signifier y 
il faut jouir de ce surcroît à demi 
intentionnel sans y exiger trop de 



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suite et en le considérant plutôt 
comme né fortuitement des concor^ 
dances mystérieuses qu'il y «, mal- 
gré tout y entre toutes choses. 

R, 



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Hertulie 

ou 

les messages 



A AP^ de Bannières. 



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d'hbrmohmr a hbrmas 

Quand on te remettra cette l^tre, 
je serai déjà loin ; j 'aurai marché toute 
la nuit sous les étoiles ; j'aurai marché 
toute la nuit vers mon Destin. J'avais 
cru pourtant que je ne quitterais ja- 
mais nos beaux jardins, ô Hermas. 
Nous nous y promenions ensemble; 
c'est là où j'ai rencontré Kertulie; 
c'est là où tu lui apprendras mon dé- 
part. Elle accusera mon amour et si 



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lO LE TRÈFLE NOIR. 

je là quitte c'est à cause de Tamour! 
L'amour seul nous fait nous- 
mêmes ; il nous rend conuae nous se- 
rions, car il devient ce que nous 
sommes. Aussi, sa façon d'avoir lieu 
se subordonne à notre manière d*être, 
et elles témoignent Tune et Tautre 
de leur réciproque imperfection. La 
stature de Tamour est à la taille de 
notre ombre. Hélas! la contagion 
de notre infirmité le discrédite; on 
lui attribue Torigine de ses effets; 
elle est ailleurs, elle est en nous. 
L'Amour est beau. La laideur seule 
de nos âmes grimace sur son masque 
qui les représente. Son aspect se fa- 
çonne à notre image et nous voyons 
en lui notre ressemblance intérieure. 
Si misérables que nous soyons, et 
bien qu'il participe à notre misère, son 



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HERTUUE. II 

insuffisance et sa dififormité sont 
encore désirables. L'amour reste l'a- 
mour. Nous l'aimons tout contrefait 
qu'il soit. 

Imagine alors, ô Hermas, sa ra- 
dieuse beauté si, au lieu de se grimer 
en des cœurs vils et mauvais, il se 
dénudait en des âmes magnifiques et 
sages. L'amour doit être l'hôte de la 
sagesse, mais son flambeau doit 
éclairer, à l'intérieur de nos songes, 
des voûtes merveilleuses, en dia- 
manter les grottes de toute l'anxiété 
des stalactites du silence; alors tout 
flamboiera d'une chaste fête de clarté 
et, à des aurores souterraines, d'entre 
les pierres, pousseront d'inflexibles 
lys. D'ordinaire, hélas! sa lampe in- 
certaine ne hante que des tombeaux 
ou des antres. Les hiboux trempent 



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la LE TRÈFLE HOIR. 

leurs grifies dans Thuile funéraire; 
d'obscènes satyres miment en ombres 
bestiales sur les parois Timposture du 
dieu. 

L'amour est Thôte de la sagesse et 
je pars lui préparer sa demeure. J*ai 
consulté le passé et le présent ; tu me 
reproches de ne pas m'étre assez con- 
sulté moi-même, d'avoir lu trop de 
livres et d'avoir, à la hâte, heurté à 
la porte des sages. La sagesse, me 
disais-tu, n'est pas errante; elle sé- 
journe et fait semblant de dormir ; elle 
ne dort pas dans un château de pierre 
au milieu de la fiorêt. Son attentive 
patience nous écoute en nous; elle 
répond à nos auscultations inté- 
rieures. 

Hélas I mon ami, je suis resté sourd 
à ma propre oreille ; j'ai besoin qu'on 



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SBK«KJB. 13 

parle pour ^nteaàie mon silence et 
j'ai dû être ua passant pour aller à la 
rencontre de moi-même. U y a des 
voies, il y a des clefs que cachent des 
mains mystérieuses. Ahlj'ensuis sûr, 
il y a des portes qu'elles ouvrent, et 
des semailles étrangères et hasardeu- 
ses produisent Tépi consécrateur de 
notre propre fécondité. Plains-moi, 
Hermas, de recourir à l'aide des sages 
pour devenir l'un d'eux; il le faut 
pour aimer, car la sagesse peut seule 
exorciser l'amour du sortilège où il 
s'atrophie. J'aime Hertulie, mais je 
récuse à notre amour le sort de se 
parodier. L'accord de nos perfections 
sera la source de la sienne. Je pars ; 
il y a des étoiles au ciel et je pleure. 
Hertulie pleurera. Je reviendrai. 
Qu'elle aille te voir quelquefois dans 



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14 LE TRÈFLE NOIR. 

ta maison silencieuse. Vous y par- 
lerez de moi comme nous parlions 
ensemble de la grâce d'Hertulie. Ah ! 
puissé-je la revoir dans ce jardin. 
C'est là où je Tai rencontrée, c'est là 
où tu lui liras ma lettre. Adieu. Her- 
motime déjà vous salue. 



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l'escalier de narcisse 

Hermas revint seul, le lendemain, 
à ces beaux lieux où il s'entretenait 
si souvent avec Hermotime. I^es 
heures leur parurent douces, une à 
une, dans ce vaste espace d'arbres et 
de fleurs. C'était un jardin ornementé 
et solitaire. D'un château, là jadis, il 
ne restait rien, sinon le charme pour 
soi de se l'imaginer d'après Iç décor 
qui lui survivait. 



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I6 LE TRÈFLE NOIR. 

Trois allées d'eau irradiaient d'une 
pièce centrale en octogone, et, au 
bout de chacune d'elle*,, assez loin, 
une fontaine, parmi divers artifices 
d'architecture et d'hydraulique, s'a- 
nimait d'une figure différente. L'une 
représentait un homme qui riait en 
versant une amphore de bronze, 
l'autre une femme qui, en pleurant, 
emplissait un cratère d'or. La fon- 
taine du milieu était la plus belle. 
Une nappe d'onde débordait d'une 
vasque d'où naissait, debout, une 
statue hermaphrodite. Aux tablettes 
du buffet de porphyre des masques 
alternatifs de Tritons et de Sirènes 
crachaient par la bouffissure de leurs 
bouches convulsives ime suffocante 
gotgée de cristal. Parfois, quand la 
fontaine s'était tue et que les marbres 



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HIRTULIS. 17 

èni^datiqnes embaumaieiit de leur 
trif^e audité le bosquet d '^bressileft- 
denx, on voyait, sur le bord de la 
vasque gouttante, se poser, pour 7 
boire, une colombe. 

AmoBf de roctog(»ie du bassin, 
des statues de bronze alternaient avec 
des i& équarris en pyramides et des 
cyprès taillés en obélisques. Leur re- 
flet se métallisait dans une eau calme 
oà celui des statues semblait se dis- 
soudre à demi, se fondre en une sorte 
d^pect d'outre vie, moins leur image 
que leur ombre, car toute eau est un 
peu magique et, si elle est tout à fait 
tranquille, on ne sait pas ce qui y 
peut dormir. 

Le teste du jardin se disposait en 
carrés de futaie; une palissade d'un 
bms dur et ras les encadrait. A l'in- 



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iS LE TRÈFLE NOIR. 

térieur, sons les hauts arbres, on mar- 
chait toujours sur des feuilles mortes. 
Tous ces carrés, dont deux face à 
face de chaque côte du bassin, s'agré- 
mentaient chacun d'ime surprise. Ici 
une petite source coulait goutte à 
goutte. L'heiu-e s'y marquait à son 
horloge naturelle ; là on entendait un 
écho; la voix en revenait de très 
loin, et, des syllabes perdues, résul- 
taient de curieuses équivoques. 
Dans les deux autres on trouvait deux 
bancs circulaires avec un siège de 
marbfe ou de pierre, et pour accou- 
doirs des sphinx ou des dauphins. 

Une terrasse à balustres se super- 
posait à l'ensemble du jardin. Elle 
étalait ses allées de sable jaune en 
bordure à des parterres de broderie 
et des pelouses plates. On y montait 



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HERTULIB. 19 

par des rampes courbes et on en des- 
œndâit aussi, au milieu, par un esca- 
lier d'où Ton sevoyait en bas dans le 
bassin, de sorte que, de marche en 
marche, on avait Timpression de 
s'approcher de soi-même. On appelait 
cet escalier l'Escalier de Narcisse. 

L'étendue du bassin se continuait 
par la perspective de trois allées 
d'eau qui en divergeaient. C'étaient 
comme des routes de la mémoire où 
le souvenir semblait marcher à doux 
pas sur leurs longs miroirs tremblants. 
Le soleil, disparu derrière les arbres, 
tiédissait encore la pierre du degré 
où Hermas assis, ce jour-là, goûtait 
le plaisir d'être tout à ses songes. Le 
souvenir d'Hermotime les mélangeait 
d'un peu de tristesse et de qudque 
ironie ; il retrouvait devant lui, sur le 



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ao LB trAplciioir. 

sable» des figures bizarres et irr^^u- 
lières dont Tabsent, la veiUe, tout en 
parlant, ayait tracé la géométrie in- 
cohérente du bout de sa canne, d'é- 
bène ; des lignes entrecroisaient leurs 
cercles brisés et Icois spirales» ana- 
logues à celles que le petit serpent 
d'argent ccMitounjait à la poignée de 
la svelte épine noire. 

Cette canne figurait presque une 
sorte de demi caducée mondain dont 
Hermotime portait habituellement 
l'attribut, mais un des deux serpents 
commémoratifs manquait encore à 
l'emblème et le jeune sage semblait 
attendre l'occasion où s'en paracheva 
l'exactitude. Aussi, paraissait^! cir- 
oon^>ect vis-à-vis de soi-mêmeet cette 
précaution guindait sa grâce un peu 
austère à une gravité qui, pour i6ire 



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HBrnn.iB. ai 

parfaftgment él^;%ntie, n'allait pas 
sans qodqme apprêt. 

Hermas pensait à la sagesse d*Her- 
motiine «t en réentendre les propos. 
Chaque jour presque, les deux amis 
étaient venus jouir de ce beau jardin. 
Hermotime F^rettait un peu que le 
cbâteau n'existât plus. Avec un prince 
studieux ou honnête, la bibliothèque 
aurait correspondu à ses goûts. Illettré 
même, le nombre de ses livres prou- 
verait son ignorance en essayant de 
la dissimuler parTostentation des us- 
tensiles propres à donner le change 
sur cette infirmité. Abondante ou 
choisie, c'était une ressource, et le ca- 
binet des médailles, avec ses bustes 
antiques et ses curieuses ^gies, im 
refuge, contre les pluies d'été qui 
{tiuf ois huilaient de leurs averses le 



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22 LE TRÈFLE NOIR. 

bronze des statues ou la verdure mé- 
tallique des its et s'égouttaieut aux 
feuilles alourdies des arbres en dia- 
mantations dissoutes. Hermotime 
déplorait tout cela, augurant la beauté 
de la demeure à celle des jardins. 

Un haut goût décoratif les parait, 
quoique leur ordonnance autoritaire 
et syllogistique dénotât qu'ils eussent 
été composés par un esprit spécieux 
et dominateur, et imaginés, à cause de 
leur méditatif assemblage de bronzes 
et d'eaux, par un songeur peut-être 
im peu hypocondre qui aima y con- 
former ses rêveries méthodiques et y 
appronfondir quelque hautaine, aca- 
riâtre et morose délectation. 

L'été corrigeait cette sévérité qui, 
imbue d'une richesse généreuse, s'y 
assortissait par ime attitude de douce 



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HIRTULIE. as 

magnificence. Tout le jardin se paci- 
fiait. La simplicité de sa disposition 
rendait la promenade presque inutile ; 
il valait par l'ensemble et c'était de 
prendre en soi, pour l'avoir contem- 
plé, l'équivalent de son ordre, où 
s'en constituait le sens. 

Hermas et Hermotime s'y reposè- 
rent souvent, d'ordinaire sur cette 
dernière marche, au bas de l'Escalier 
de Narcisse. Le beau jardin s'éten- 
dait sur un fond de silence. Le regard 
suivait la fuite de l'eau sous les ar- 
bres. Parfois, seulement, aux heures 
de grand soleil, on recherchait l'abri 
des futaies, leur intérieur frais et 
sombre. Hermotime aimait s'arrêter 
auprès de la petite source. Hermas 
préférait s'accouder nonchalamment 
aux sphinx de marbre ou caresser 



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S4 LE TRirUE MOIK. 

TécaôUe cambrée des dan^ûns de 
porphyre. L*écho ne répéta jamais 
rien en le faussant deœ que les deux 
amis se dirent à demi-voix. Leur 
concorde appariait leurs différences. 
Un jour ils suivirent une des allées 
d'eau jusques à cette fontaine où sou- 
riait une statue singulière. Hermas y 
vit un songe; Hermotime y supposa 
un symbole ; ils revinrent sans parier, 
car le crépuscule déclinait déjà et les 
eaux, s'étant tues, invitaient au si- 
lence. 

D'habitude Hermotime racontait 
volontiers à Hermas, avec ses pen- 
sées, le détail de ce qui les lui avait 
suggérées. Il en discourait ingénieu- 
sement avec des divisions d'école. Sa 
jeunesse la fréquenta. Le plus sou- 
vent, il portait sous son bras, par 



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■atTom. ws 

manîe, un Ihrre fermé et alkiBif à une 
sorte de lecture intérieure qui donnait 
à ses paroles de la pesée et de la jus- 
tesse dues plus peut-être à la mémoire 
qu'à rimagination. Aussi se dissertait- 
il mifaiT qu'il ne se fût rêvé à Tim- 
proviste et son éloquence produisait 
plus d'agrément que de surprise. 

Les voyages l'avaient conduit en 
des lieux singuliers ou du moins qui 
le semblaient à Hermas, à cause de 
leurs noms sonores ou langoureux. 
Hermotime ne se les r^résentait plus 
que par un signe de leur beauté , signe 
abstrait, intérieur et cryptogra- 
phique : on n'y participait pas. Son 
esprit poiurtant valait scoi âme en dé- 
cence aimable et la surpassait par le 
surcroit d'ime gravité sentendasse 
prise sans doute dm commerce des 



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26 LB TRÈFLE NOIR. 

hommes illustres et sages. Hermas le 
poussait peu aux récits de ces col- 
loques, car ces maîtres lui paraissaient 
plus curieux par leur entente de la 
vie que par leur science de la sagesse, 
et Hermotime, subordonné aux pré- 
ceptes, se fût montré court d'anec- 
dotes. S'il avait oublié les voix, il 
avait retenu toutes les doctrines pour 
y chercher la matière de la sienne. La 
sagesse est partout, disait-il; de ses 
mille pièces éparses et mêlées, il faut 
reconstituer une figure qui les utilise ; 
sa forme déterminée par la coïnci- 
dence de leurs parties ne prend sens 
qu'à leur totalité. 

Hermotime cherchait de par le 
monde ces pièces dépareillées. Là- 
dessus il était infini, Hermas le laissant 
dire, car sa songerie un peu taciturne 



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HÏRTULIE. rj 

prêtait à ces propos un silence inat- 
tentif et indulgent qu'il animait du 
geste de cueillir une fleur ou de jeter 
un peu de sable dans Teau calme du 
bassin auprès duquel ils restaient 
assis. 

De grands poissons erraient là mé- 
lancoliquement, lents et presque vé- 
gétatifS) si vieux que des mousses 
oxydaient leur bronze spongieux et 
écaillé ; ils se veloutaient de vétusté 
et glissaient dans l'eau lourde, onc- 
tueux et graves. 

Hermas et Hermotime les r^ar- 
daient parfois, en silence, s'engourdir 
vers le soir tout à fait et s'incorporer 
à l'eau où ils n'étaient plus qu'une 
stupeur opaque et vague. Le jardin 
devenait plus beau encore à ces heures 
dégénérescentes, en sa solitude com- 



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3ê LE TlÉiPLB HOIR. 

posée. Quelque jeanei^QHie, parfok» 
passait au* bord de VaUèe d'eau. Hef- 
mas, sans connaître toutes ceUea qui 
habitaient la ville^ en estibnaii ca^-> 
taines de venir ainsi errer un inslant 
dans le calme du noble lieu. Celloi* 
là au moins n'étaient point peut-être 
sans mélancolie et elles y pi?e»ai9»l 
cette sorte de grâce tendre où m pa- 
rachève la beauté. Quelques-iiwws v^ 
naient là sans doute un peu pour èire 
vues de lui. Sa richesse et soa godt 
pour la solitude le singularisaient* 
Personne n'entrait dans sa maibon 
somptueuse. Il n'en quittait guère la 
clôture que pour se promener d^ms ce 
jardin ou dans les siens, vastes aussi 
et aland)iqué3. Il avait voulu savQÛr 
les noms de ces passantes et, qua^d 
HennotUne lui demanda celui de l'une 



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HSRTI^Jl. J9 

d'elles, il put lui apprendre qu*dle 
s'a{^)elait HertuUe. 

Hermotime Taiinait. U la rencontra 
le matin même de son arrivée en se 
promenant sur la terrasse où il atten- 
dait Hermas. Bien qu'à peine vers 
midi des nuées déjà orageuses se 
boursouflaient dans tout le del. Le 
soleil brillait par intervalles etla jeune 
fenmie ouvrait et fermait tour à tour 
son ombrelle. Ils se croisèrent pin- 
ceurs fois, ensuite ils se parlèrent et 
ce fut un grand amour qu'Hermotime 
confia à scm ami. A lui aussi il don- 
nait le soin d'avertir Hertulie de son 
dépajrt, et de lui en dire les méthodi- 
ques raisons. Hermas pensait donc 
à ces. choses quaxKi, du bout de l'allée 
d'eau, il vit venir Hertulie. 

Elle venait lentement vers lui en 



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30 LS TRÈPLB NOIR. 

souriant, peut-être parce qu'elle te- 
nait à la main un bel iris mauve à 
longue tige. La fleur et elle se res- 
semblaient très mystérieusement par 
ime même sveltesse épanouie, par im 
accord apparié de grâce languissante 
et délicate. Sa robe rose et blanche, 
tout à rheure jaune et verte, à cause 
du reflet des arbres et de Teau, la pa- 
rait d'un atour naïf et précieux. Le 
détail en était exquis, car les feuilla- 
ges tramés en arabesques dans le 
glacis de l'étoffe y miroitaient im 
givre de soie, et la jeune femme res- 
tait ainsi, debout, devant Hermas, un 
peu étonnée qu'il fût seul, et ne ré- 
pondit pas à son salut, et, après une 
petite hésitation, comme pour ne 
point marquer, par décence, trop 
d'empressement, ni par politesse ne 



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HERTUUE. 31 

pas paraître déçue, elle demanda, en 
r^ardant la fleur : c Mais où donc est 
aujourd'hui notre Hermotime? En- 
core à songer sur quelque livre? > 
Hermas la contemplait gravement, en 
silence, avec des yeux de pitié 
douce. Elle lui paraissait si svelte et 
si frêle qu'il s'inquiétait d'avoir à lui 
dire la nouvelle inattendue ; elle lui 
semblait tout à fait pareille à l'iris 
délicat dont le port s'inclinait au 
poids de la fleur, si pareille qu'il 
allait en casser la flexibilité d'un 
contre-coup imaginaire de la longue 
canne d'épine noir. Le serpent d'ar- 
gent enroulé au demi caducée enve- 
nimerait l'amour de sa dent d 'anxiété. 
Sans rien dire Hermas tendit la lettre 
à Hertulie. 
Il la regardait lire assise sur la 



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^ LE TflÈFLK NOIR. 

dernière marche de l^escaHer. Elk 
lisait d'ime façon appliquée et minu- 
tieuse, les coudes aux genoux siur ia 
tige froissée de l'iris dont la fleur 
pendait tristement. Le mince papier 
qu'aucun vent ne remuait tremblait 
dans ses mains. D'un doigt elle rar 
justait une boucle de sa coiffure. 

Un grand silence s'était fait dans 
tout le jardin, car on avait fermé les 
fontaines au bout des allées d'eau. 
Le murmure tû s'égouttait en une 
stillation presque imperceptible, ei 
on entendait ainsi, toute la nuit, sa 
durée intarissable. La surface des 
bassins, terne d'une taie crépusculaire! 
se figea. Les massifs d'arbres se pé^ 
trifièrent. Tout prit une attitude «de 
dureté suprême avant de s^iian- 
donner aux ténèbres; il y eut une 



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HBltTULn. 13 

dernière rédstance des ehosesà qroii- 
k>ir cc^fôister en leur aspect diurne. 
Elles s'y retractaient comme méfian- 
tes des insmuadons dissol?caites de 
Tombre. 

Hermas songeait tristement sans 
oser regarder Hermlie. Us restèrent 
longtemps ainsi. Le orépuscale était 
moite et doux, quand, d*un tacite 
accord, ils se levèrent. Haute et fine 
dans sa longue robe dcMit les plis se 
canneiaient jusqu'à terre, Hennas la 
voyait reflétée dans l'eau morne du 
bassin, avec son visage pâle transfi- 
guré par Tau delà de songe et de 
sommeil que praid toute face à y être 
vue. Tout et le silence était si sem- 
i>lable à la mort qu'Hermas sentit la 
nécessité dlat^rrompre par quelques 
paroles d'e^>oir, même inutiles, le 



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34 LE TRÈFLE NOIR. 

suspens de cette angoisse, et ce furent 
celles-là, prononcées une à une, lea- 
tement : 

« Hertulie, disait-il, tendre Hertu- 
lie, vous êtes trop belle pour n'avoir 
pas quelquefois regardé les hommes 
au visage. Les faces humaines sont 
presque toutes tristes de la figure de 
leur passé et il reste de la cendre au 
fond de tout ce qui a tâché d'être ; rien 
n*est qu'à travers un songe. Je ne vous 
parlerai pas des miens, ils eurent lieu 
en des désirs trop singuliers ; c'est de 
moi et en moi où s'est consmnée leur 
solitaire brûlure; ils furent le cré- 
puscule de mes propres ténèbres. I^ 
simplicité des vôtres leur sauvegarde 
au moins l'espoir. Cependant, voici 
la nuit venue; il faut rentrer; on a 
fermé les fontaines. Leur rire mort, 



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HERTULIB. 35 

elles expirent, une à une, les gouttes 
imperceptibles de leur survie. Il y a 
toujours ainsi en nous, à certains 
moments, des choses qui semblent se 
taire et se continuent par d'occultes 
persévérances. Votre solitude a un 
écho, celui d*un pas qui s'éloigne et 
reviendra; on revient de toutes les 
sagesses et les fleurs interrompues 
refleuriront. > 

Hermas salua cérémonieusement 
Hertulie. Elle restait seule, au bord 
de Teau, son iris brisé à la main, 
mais les fils de la cassure faiblirent, 
et la trop lourde fleur tomba sur le 
sable. Le silence s'accrut de ce frô- 
lement, car on n'entendait plus mar- 
cher Hermas et, au-dessus des grands 
arbres, à une place plus claire du ciel, 
montait doucement une étoile. 



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PRESAGES EMBLEMATIQUES 

Ce matin-là Hertulie s'éveilla tout 
en pleurs. Cela lui arrivait souvent 
depuis le départ d'Hermotime; ses 
sonuneils se fondaient ainsi en une 
tristesse dolente et moite. Après s'être 
tout le jour énervée à retenir ses san- 
glots, la nuit lui prodiguait à son insu 
la bienfaisante eôusion des lannes. 
Les ténèbres sont secrètes et délicates, 
elles prennent soin des âmes blessées, 



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HERTUUB. 37 

et l'anxieuse Hertulie, à la suite de 
ces attendrissements mystérieux, s'é- 
veillait d'ordinaire tendrement endo- 
lorie et presque souriante. 

Ce matin-là, au contraire, eUe se 
sentit plus troublée ; dans son sommeil 
elle avait entendu longuement, avec 
des pauses, des reprises, longuement, 
derrière la nuit, à quelque embuscade 
de l'ombre, entendu chanter à son 
oreille des flûtes lointaines et minu- 
tieuses ; leur mélodie se mêlait à un 
bruit congénère de fontaines et y 
empruntait une liquidité analogue, 
de telle sorte que l'eau semblait se 
moduler et s'apparenter à ITiydro- 
phonie des instruments. Le silence où 
l 'on se croit quand on dort avait tres- 
sailli, animé de murmures inexplica- 
bles ; KHite la mélancolie du passé et 



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3S LE TRÈFLE NOIR. 

la transe de Tavenir s'étaient chucho- 
tées à la dormeuse et, sans voix qui 
en formulât le sens, par allusion, tout 
y disait le départ d'Hermotime et les 
issues dangereuses où se fourvoient 
les destinées. 

Hertulie, assise en sursaut et avec 
une sorte d*angoisse plaintive, r^ar- 
dait, encore couchée, la chambre où 
elle avait dormi. Le soleil rosait les 
tulles de la fenêtre et les rideaux du 
lit emmousseliné, conmie en suspens 
de toute leur légèreté immobile. Ce 
lit imitait la forme d'une barque et 
les cygnes de cuivre qui Tomaient 
aux angles paraissaient vraiment de 
Tor dans la matinale lumière. Leurs 
ailes doucement éployées entraînaient 
la nef nocturne sur le fleuve imagi- 
naire du tapis où des arabesques s'é- 



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HSRTtnJE. 35 

tiraient en algues langoureuses et 
compliquées. De grandes rosaces y 
gyraignt leurs remous çà et là. 

Du dehors s'entendaient des voix 
sonores et fraîches; c'était le bruit 
d'un marché en face de la maison. On y 
vendait des fleurs, des herbages, des 
fruits exorbitants, des légumes rares 
ou de surprenantes volailles. Hertulie, 
de la fenêtre, s'amusait au spectacle 
de cette petite foule. De belles dames 
y fréquentaient, par groupes com- 
mentateurs ou seules, précaution- 
neuses, soupesant de leurs grasses 
mains dégantées la maturité de quel- 
que fruit ou triant d'une gerbe odorante 
le choix des plus belles fleurs. Des 
ânes passaient, secouant le velours 
usé et tiède de leurs longues oreilles 
grises, indifférents aux efforts d'ailes 



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40 LB TBÂFLK MOIR. 

dtts grands flaxaaBts roses liés par 
paires d*un jonc souple qui paraly- 
saient leurs hautes jambes ardcnlées 
en statures de roseaux. Au milieu 
d^un cercle d'auditeurs, im astrologue 
coiffé d*un haut bonnet a^>alistique 
prédisait l'avenir. Hertulie Teût vo^ 
lontiers interrc^é, mais elle pensa à 
Hermotlme. Sans avoir bien compris 
le sens des grandes choses qu'il en- 
treprenait, elle en admirait la tenta- 
tive. Son âme respectueuse, attentive 
et tendre, souârait de cette absence, et 
le ressentiment d'un naïf orgueil à y 
songer n 'en compensait pas la douleur 
de la subir. Malgré cela, se représen- 
tant le jeune sa^ dans toute sa grâce 
docte et vagabonde, elle eut honte 
des frivolités de' son impatience. 
D'ordinaire le spectacle de la petite 



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RBRTULIS. 4t 

place la distrayait moins. Trois or- 
meaux solitaires y conversaient lon- 
guement du murmure confidentiel de 
leurs feuillages, juste en face de la 
> fenêtre d'Hertulie qui, étendue dans 
son fauteuil, les regardait se balancer. 
Le soir on les entendait jfrémîr dou- 
cement, un à un, ou, parfois, tous 
trois ensemble. 

Les nuits où elle ne dormait pas 
lui paraissaient interminables. Elle 
relisait pour s'occuper la lettre d'Her- 
motime et tâchait d*en bien pénétrer 
le sens, car elle s'imaginait avec 
peine cette sagesse dont il parlait 
comme d'un bien nécessaire et diffi- 
cile. Quoi qu'il dît des misères de 
l'amour, elle en sentait le vif instinct 
sans comprendre qu'on en subor- 
donnât la jouissanoeà des précautions 



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42 LE TRiFLB NOIR. 

si mystérieuses. Sa simplicité d'a- 
moureuse le rêvait plus naturel et 
moins initiatique. Âh! Hermotime, 
Hermotime, pensait-elle, au retour 
auras-tu les yeux plus beaux; tes 
cheveux lisses et un peu longs seront- 
ils d'un pli plus gracieux? C'était là 
toute sa sagesse et, bien qu'elle sût 
qu'il reviendrait, l'anxiété de ce retour 
la laissait involontairement déses- 
pérée. 

Les jours passaient; un à un elle 
les marquait sur son calendrier; les 
petites croix rouges s'y suivirent et 
composèrent des semaines, et on tou- 
chait déjà aux confins de l'été et de 
l'automne. L'air devint tranquille et 
frais; les choses s'aggravèrent d'une 
sorte de lourdeur en s'ankylosant 
imperc^tiblement de somnolence 



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HKKTULU. 43 

méditative. Hertulie à vivre seule 
dans sa maison y contracta nne stu- 
peur lasse d'accord avec l'attitude 
immobile de ses pensées. 

Un jour, songeant ainsi en face de 
sa fenêtre ouverte sur un des derniers 
cLels tièdes de la saison, vers midi, 
elle vit, avec surprise, une flèche 
lancée du dçlK>rs s*accrocher un ins- 
tant aux dentelles des rideaux, y va- 
eiller, puiis tomber et se ficher droite 
dans le tapis. 

' Dans la rue déserte aucun pas ne 
s'éloignait. D'où venait cette flèche? 
sa pointe d'acier triangulaire et bleuie 
luisait ironiquement et cruelle. Que 
voulait dire ce message, car Hertulie 
coaxpni que c'en était un et ne douta 
pas qu'il ne vînt d'Hermotime, non 
plus qu'ensuite ce poignard nu où sa 



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44 LE TRJtrUI NOIR. 

main tressaillit un soir en le trouvant 
sur la table. Ce singulier présent 
Teffraya par son présage peut-être 
de .quelque tragique aventure, mais 
la pauvre amie s'entendait peu aux 
allégories, et, de jour en jour, elle 
^ait s*attristant davantage, plus 
désolée en l'inquiétude de son att^ite. 
La nuit, elle ne pleurait plus, car elle 
ne dormait pas et J'insomnie la pri- 
vait de la douce faiblesse dies lanxkès» 
Le vent soufflait au dehors avec un 
bruit de flûtes discordantes ; Tautomne 
inclinait vers Fhiver ; il vint. 

Pendantdes mois elle futsans autres 
nouvelles d'Hermotimé; Le printemps 
reparut; les nuages filaient vers le 
nord. De nouveau, le petit marché 
sur la place égayait le silence de la 
îVille. Hertulie sortit pour acheter des 



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HEKTULIB. 4$ 

fienrsé C'étaient les premières dé la 
saison, naïves et comme improvisées ; 
leurs pétales semblaient de la neige 
ensoleillée et fondante. Devant les 
étalages peu fournis presque personne 
ne se promenait. Le cabaliste man- 
quait et les ânes piétinaient, tout 
bourhis encore de leur poil d'hiver. 
Hartulie choisit à la hâte quelques 
primevères et, en rentrant, sa surprise 
fut grande, car, sur la console où elle 
allait les placer dans un vase, on 
avait, en son absence, posé sur le 
marbre une gourde d'étain et un pe- 
tit miroir. Longtemps elle rêva de- 
vant ces attrif>uts; la gourde était 
toute bosselée comme si on Peut 
apportée de très loin. 

Les jours grandissaient et les hi- 
rondelles revinrent; Hertnlie; aimait 



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46 LE trAfle noir. 

à les regarder voler; leur vivadlé 
Tamusait; d'un vol franc, elles tour- 
noyaient autour de la maison dès 
Taube jnsqu'au moment où, au ciel 
crépusculaire, les chauves-souriâ 
leur succédaient, cherchant aies imi- 
ter hâtivement, à tâtons, de leurs 
ailes molles et vives. Alors elle se 
détournait presque avec peur, leur 
voltige alambiquait Tombre d*un al- 
phabet bizarre et incompréhensible. 
Un soir qu'Hertulie s'attarda un peu 
à les regarder inscrire en zigzags sur 
le del les paraphes hiéroglyphiques 
de leur apocryphe légende, en allant, 
la fenêtre enfin close', allumer une 
dre, son pied heurta sur le tapis un 
objetKsonore, c'était une clef. 

Le lendemain, la jeune femme se 
réveilla tout ai pleurs, comme si les 



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HBRTUUE. 47 

ténèbres eussent eu de nouveau pitié 
d'elle. Sa pauvre âme se navrait de 
rinterminable absence et s'affolait des 
signes mystérieux dont'Tincompré- 
hensibilité énigmatique augmentait 
sa détresse; détendue par les larmes, 
pourtant, elle se sentait faible et en- 
dolorie. L'aube d'été enfarinait l'en- 
linceulante blancheur de ses draps 
et, posé là pendant son sommeil, juste 
snc.sa poitrihe, il y avait im épi de 
Wé mûr. 

. Ce fiit alors qu'elle p^isa à aller 
trouver Hermas pour lui demander 
L'esplication de ces singulières allé- 
gories, et, étant languissante et très 
lasse, la route longue et l'après-midi 
brûlante,, elle n'arriva chez lui 
qu'après le milieu du jour. 



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LA MAISON DU BEL-EN-rSOI-DORMANT 

Hermas habitait seul une maisoa 
isolée au bout du vieux jardin, non 
loin d*immenses étangs, à l'endroit 
où le parc devenait forêt. A travers 
les eaux mortes du marécage et les îvl* 
taies latérales, une interminable allée 
d^andques arbres conduisait à un 
rond-point d*où Ton avait devant soi 
la somptueuse demeure au delà d'une 
va^te cour qui la précédait. Les payés 



I 



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. M HntTHUB. 49 

degrés gris se mélangeaient de qu^ 
ques uns qui étaient un peu rosés. 
Le soleil y faisait scintiller des micas 
et, après la pluie, une fraîcheur en 
émanait; alors les fers dorés de la 
bàuie grille luisaient plus clairs et les 
deux lanternes Suspendues de chaque 
côté de la p<>rte oscillaient au moincbre 
vent. Leur • dorure fcfrgée encadrait 
les tailles en biseau de leur cristal ; la 
nuit, on n^ les allumadt plus, car Her- 
mas n*était point hospitalier. 

On ne savait rien de lui, et comme 
être hautain et taciturne constitue, 
aux yeux de la bassesse humaine, 
une infraction à ses usages et une 
scnrte de sortilège où on se différencie 
de sa servitude, on envisageait cette 
réserves d^ea une malveillancec con- 
tenue à peine par une réputation 



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50 LK TRftFLI NOIR. 

d*extréme ridiesse. Cette double 
sorcellerie de l'or et du silence 
constituait Hermas. 

En effet, précédant son installation 
dans cette demeure, des voitures y 
avaient amené de magnifiques mobi- 
liers. Une de ces voitures chargée de' 
cristaux rares et d'inestiipables ver- 
reries qui s^entrechoquaieot aux 
cahots en traversant la ville, au pas 
lourd des chevaux, y laissa le souve^ 
nir d'un tîntemçnt mystérieux. Le len- 
demain passèrent les argenteries, car 
Hermas se plaisaità un luxe solitaà:e. 

C'était son droit, ayant su s'inter- 
dire tout mélange entre soi et les 
choses, car il suffit, pour innocenter 
une jouissance, de conserver, au delà 
tie ^on atteinte, un intangible point 
qui sache en être intact à îamais. 



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HSRTULIE. SI 

i était de œuz qui ont droit à 

Dut par la supériorité où ils sont 

[*en pouvoir neutraliser Tesclavage ; 

^ussi il accommoda sa solitude à un 

itour de magnificence silencieuse, 

apparentée à ses songes; puis les 

5rtes se refermèrent sur ces mer- 

[veilles sans que l'oubli pût se faire 

I de leur passage à travers les rues de 

' la petite ville. 

On commentait fort l'attitude de 
cette retraite où nul ne fut admis à 
pénétrer; aussi la venue d'Hermo- 
time produisit-elle quelque éton- 
nement d'un privil^é, à ce point en 
familiarité avec la réserve de ce hau- 
tain jeune homme qui semblait, au 
verre de miraculeux cristal où il 
buvait, disait-on, assis seul devant 
sa table étincelante, avoir bu, à ja- 



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5^ LE trIeflb noir. 

mais, avec le silence,un de ces philtres 
qui désapparient, pour toujours,' 
quelqu'un d'avec ses semblables et ne 
le rend plus conforme qu'à soi-même. 

Cette situation d'avoir confisqué 
ainsi pour son usage ce qui sert 
d'habitude de prétexte à ostentation 
concordait avec cette retraite d'un 
homme seul dans un lieu dont la dis- 
position et l'architecture semblaient 
comporter l'entourage d*une sorte 
de popularité choisie — domestique 
ou amicale. 

Les curieux se désappointaient de 
voir les habitudes du fantasque 
maître si contraires, non seulement 
à leur curiosité, mais encore à l'état 
qu'eussent paru lui devoir imposer 
les apparences presque princières du 
château où il vivait à l'écart. 



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HBRTULIE. 53 

, L'aspect du lieu s'embellissait 
pourtant de ce contraste intentionnel. 
Il avait une sorte de gravité fatidique, 
cette façon de grâce superflue qu'ont 
les endroits en désaccord avec leur 
destination originelle. Leur inutilité 
et leur disproportion semblent ne plus 
s'ajuster qu'à quelque manie spiri- 
tuelle du maître qui les habite. C'est 
en lui où se fait la concorde de leur 
disparate ; il est le point où s'équili- 
libre la jonction de leurs mystères, et, 
sans plus d'autre attribution que de 
satisfaire à quelque mélancolique 
singularité qui s'emblématise en eux, 
ne coïncidant plus avec la vie, on les 
sent se proportionner à im songe et 
ils prerment à cela je ne sais quoi de 
fictif et d'imaginaire où ils se rehaus- 
sent et s'inmiobilisent. . 



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54 UE TRiPLB NOIR. 

Le logis d*Hermas consistait en un 
rez-de-chaussée surmonté d'un étage^ 
le tout vaste. De hautes et larges fe- 
nêtres à grandes glaces ou à petits 
carreaux alternaient sur la façade^ 
séparées Tune de Tautre par des 
colonnes plates de marbres divers. 
Au-dessus de chaque fenêtre souriait 
ou grimaçait, sculptés dans la pierre^ 
un masque satyrique ou une face hé» 
liconienne. 

Cette façade se développait au fond 
de la spacieuse cour l^èrement bom- 
bée. Hertulie marchait lentement sur 
les pavés inégaux. Venue consulter 
Hermas, maintenant elle hésitait à 
entrer. L'autre aimée pourtant elle 
s'était familiarisée avec lui à force 
, de l'avoir rencontré dans le vieux 
jardin où, avec Hermotime, ils ^as- 



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HBRTUUX. 5S 

seyaient tous les trois au créposcnle 
en face des allées d'eau. Hermas se 
montra toujours envers la jeune 
femme d*une politesse cérémonieuse; 
mais, le soir où il lui remit la lettre et 
lui parla plus longuement, elle avait 
senti dans sa voix quelque chose de 
si lointain que le mélancolique inter- 
locuteur de son désespoir s'éloigna 
en sa pensée à des confins de songe, 
à une sorte de distance d'outre vie 
dont elle gardait une appréhension 
sybiUine comme s'il en devait sortir 
la réponse même de la Destinée. 

Elle hésitait à quelle porte elle 
fîapperait. Toutes trois étaient fer- 
mées et des heurtoirs de bronze y 
crispaient leur saillie ornementale. 
Enfin elle se décida pour celle 
du milieu. Le coup se répercuta 



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$6 LE TRirLB NOIR. 

à riûlérieur. On devinait aux pro- 
longements de cet écho la maison, 
vaste parcourue de longs corridors. 
Le marbre poli du dallage mirait 
limpidement les murs de stuc du ves- 
tibule. Une fraîcheur tranquille et 
délide^use en agrandissait encore les 
belles proportions. Des galeries s'ea 
détachaient au bout desquelles on 
voyait, par des portes vitrées, des 
perspectives diverses de treillages en 
portiques et en arcades; des ifs en- 
guirlsmdés de roses dressaient leurs 
obélisques aux intersecdons des 
allées. C'était à la fois grandiose, 
coquet et triste. 

L'escalier que monta Hertulie la 
conduisit à travers une 3érie de 
chambres, toutes curieusement meu- 
blées dHin môme goût f^^tstueux et 



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HSRTUUB. $7 

morne. Les objets s*y immobilisaient 
en une sorte de solitude anxieuse ou 
indifférente. Dans œs pièces, con- 
formes à quelque visiteur taciturne, 
les parquets en mosaïques de bois ne 
craquaient pas sous le pied. Le silence 
y semblait, bien qu'absolu, plutôt 
comme en suspens que définitif; il 
n^avait pas cette imperceptible vie 
dont se craquelé sa plus glaciale lé- 
thargie et, par contre, on ne sait quoi 
d'apparent et de superficiel en fêlait 
la stabilité. 

Parmi ces chambres, une se distin- 
guait par ses tentures charmantes. 
Les lés de l'étoffe gardaient empreinte 
comme l'ombre moite d'un attouche- 
chement de fleurs sur qui on les eût 
anciennement plies, et, à cause de 
cette étoffe d'un vert très pâle, un 



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5S LE TRËraïC NOIR. 

mobilier de bois jaune dair et d*ors 
vieillis alanguissait ses formes et cris- 
pait aux angles ses consoles où se 
congelaient, debout, des vases de 
jade. 

Dans une autre de ces chambres, 
Hertulie vit avec étonnement beau- 
coup de miroirs appendus aux murs. 
Enfermés en des cadres d'or, d*écaiUe, 
d'ébène ou de burgau, ils s^oppo- 
saient les uns aux autres, échangeant 
leurs reflets réciproques et les com- 
binaisons de leurs incidences ; certains 
montés en des bordures de pierre 
ressemblaient à des bassins d*eau, et 
Hertulie en passant s'y apparut très 
pâle. 

Elle continua à chercher Hermas 
de chambre en chambre. Des portes 
^ serrures travaillées séparaient ces 



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HBSTULUI. $9 

diverses pièces qui, d'antres fois, s'al- 
longeaient en enfilades. De lourdes 
portières de soies, de satins ou de 
moires la frôlaient de leurs franges 
qui tremblaient longtemps derrière 
elle. Tout était vide. 

La solitude de ces vastes apparte- 
tements se solitarisait encore plus du 
maûque au mur d'aucun portrait; 
nuUe face humaine, gracieuse ou 
triste, n'assistait, en son passé mé- 
morial, à tout cet appareil de richesse, 
là,sans, pour témoin de sa matérialité 
délicate ou fastueuse, nul visage. 

Des lustres de vieux cristal, com- 
pliqués et scintillants, pendaient des 
plafonds hauts par des cordes de 
soie ou des chaînes d'argent; leurs 
adamantines couronnes gélives sa- 
craient l'absence de quelque majesté 



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6p LE TRÈFLE NOIR. 

invisible,' et leur lumineuse et froide 
congélation glaçait le silence et gelait 
la solitude où s'allongeaient les pen- 
deloques de leur artificielle stalactite. 
Certains s'irisaient de phosphores- 
cences comme par allusion au cou- 
chant qui teignait le ciel au dehors ; 
ils assimilaient aux imaginaires cou- 
leurs d'automne de l'occident leurs 
fructifications cristallines. La journée 
avançait et Hertulie voyait par les 
fenêtres se stratifier les onyx illusoires 
des nuées. 

Toujours à la recherche d'Hermas, 
elle arriva enfin à une spacieuse salle 
où, par les croisées toutes grandes 
ouvertes, un vent léger éparpillait 
sur une table des feuillets humides 
d'écriture; près de ces cahiers, \me 
flèche, tm poig^iard nu, ime gourde 



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HERTUUS. 6l 

et une def qu'Hertulierecontiut pour 
pareils aux siens; i*épi de blé cares- 
sait de ses longues barbes le tapis de 
soie mauve qui étoffait la table et en 
voilait à demi de ses plis le pied d*é- 
bène dont une chimère sculptée tu- 
méfiait la torsion. 

Des fenêtres on voyait le jardin 
d'Hermas. C'était une vaste espla- 
nade dallée de marbre verdâtre ; mal- 
gré la dureté de sa matière, sa couleur 
donnait Tillusion d'une surface hu- 
mide, moisie et spongieuse. Tout 
autour, des bordures de houx poin- 
tillé de petits fruits rouges semblaient 
taillées dans un jaspe sanguin. Un 
bassin d'eau verdie s'ornementait, 
debout sur une patte, d'im ibis rose 
qui avait l'air d'une fleur malade. Une 
ligne de cyprès cqniques fermait la 



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6t LB TRÈPLB HOIR. 

vue de cet étrange et artificiel maré- 
cage de pierre et de feuillage; an^ 
dessus pourrissaient les restes d*iin 
couchant oxydé de cuivre et vitrifié" 
de salives sanguinolentes et tièdes. 

Tout à coup, derrière chaque cy» 
près, une flûte discordante chanta, 
puis elles émirent, une à une, la note 
de leur isolement ; ensuite elles s*ap* 
parièrent et enfin s'unirent ; elles 
chantaient, lointaines et minutieuses, 
au seuil cfe la nuit, dans quelque em- i 
buscade de Tombre. Leur mélodie 
se coupait de pauses et s'enfiait aux 
reprises. Hertulie y reconnut les flû- 
tes de son sommeil, mais plus mer- i 
telles et plus au-delà de Tespoir. 
Tout ce qu'elles disaient faisait 
allusion à Tabsence d'Hermotime, 
elles en consacraient rirrévocabilité, t 



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HIRTUUB. 63 

et Hertolie comprenait le sens de ce 
mélancolique concert. Hermotimene 
retiendrait pas. Elle le savait depuis 
bien longtemps par Tiris brisé et par 
les hiéroglyphes des chauves-souris ; 
elle Tavait lu aux grimoires de leur 
vol ; les flûtes le lui avaient chuchoté 
etil lui semblait qu'Hermas le lui redi- 
sait encore. Comme autrefois, près de 
FEscalier de Narcisse, il murmurait : 
Hertulie, tendre Hertulie, on a fermé 
les fontaines; elles ont pleuré toutes 
les nuits plus tristement; elles pleu- 
raient dams votre vie; elles pleurent 
dans votre destin. O Hermotimel tu 
ne reviendras pas ; j'en atteste la flèche 
voyageuse, le cruel poignard, la 
gourde et sa signifiance de route 
lointaine, tout, et la clef par qui tu as 
fermé le passé sur tes pas. Hermotime 



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64 LE TRÂFLE NOIR. 

ne reviendra plus; il ne pouvait pas 
revenir. L*épi ne redevient plus une 
fleur; la sf^esse ne redevient pas 
l'amour. 

Les flûtes s'étaient tues à mesure 
qu'Hermas semblait avoir parlé et 
Hertulie mit en silence un doigt sur 
ses lèvres ; le jardin de marbre vert 
noircissait ; les nuées du couchant s'é- 
teignirent; lentement, à reculons, 
Hertulie s'éloigna vers le fond de la 
chambre, puis se retourna et disparut. 
Derrière elle une lourde draperie 
noire striée d'or retomba, remua un 
instant ses fronces et demeura immo- 
bile en ses plis graves et somptueu- 
sement funèbres. 

Les salles par où repassait la fugi- 
tive lui paraissaient plus spacieuses; 
les lustres amortis suspendaient au- 



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HBRTUUS. 65 

dessus de sa tête le pendentif de lenr 
silence cristallisé; de chambre en 
chambre, haletante et lasse, dans une 
où étaient les miroirs, elle s'arrêta. 
Son image s*y multipliait à Tinfini. 
Hertulie autour de soi se vit jusqu'au 
fond d'un songe où elle perdait le 
sentiment d'avoir produit tant de 
fantômes identiques à sa pâleur; elle 
s'y sentait dispersée à jamais et, à 
force de se voir ainsi, ailleurs, tout 
autour d'elle, elle s'y morcela au 
point que, dissoute en ses propres re- 
flets, exorcisée d'elle-même par cette 
surprenante magie où elle s'imaginait 
indéfiniment impersonnelle, ses ge- 
noux fléchirent et elle s'affaissa dou- 
cement sur le parquet, inanimée, tan- 
dis que, dans la chambre solitaire, 
au-dessus des yeux clos de sa face 



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66 LB TRiPLB NOIR. 

pâle, les miroirs, en leur cadres d*or, 
d'écadlle et d'ébène, continûment à 
édianger entre eux l*illusoire aspect 
de leurs réciproques vacuités. 



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D*IIBRMAS A RBRHOmiB 

Il est donc vrai que tu aies marché 
vers ton DestinI Je pressentais cette 
conjoncture^On tergiverse vis-à-visde 
soi-même, mais qui s^entrevoit se 
cherche ensuite à jamais» et les pré- 
sents que. tu m'envoyas m*aiq>rirent 
que tu t*étais trouvé* Lesvoidf là, 
sur ma table,^^ et, en les rq^ardant. Je 
pense à toi. Je te revois tel que lors 
de nos rencontres dans le vieux jar- 



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68 LE TRÈFLE NOIR. 

din. J'ignore tes voies, ô Hermotime ! 
quelles pierres tu as fait rouler devant 
toi, sur tes chemins, du bout de ta 
canne d'épine noire. Comment en 
vins tu à la sagesse de te conformer 
à tes songes? C'est à soi-même qu'on 
s'initie. Ce fut à toi qu'il fallut que tu 
revinsses à travers les vaines doc- 
trines. Hertulie t'en enseigna davan- 
tage que les livres des philosophes. 
Elle avait^des yeux; dbacoiants et sa- 
vait tenir une flexu: de ses belles 
mains; elle lui ressemblait. Nous ne 
devons respirer que ce que nous 
avoi» ifleuri etc!est à la couleur de 
nos yeux'où se nuance la beauté des 
choses. On cherchei^trdp loinw Ton 
âme sonpuieusè^ didactique et for- 
maliste Voulut aller jusqu'au bout de 
soà errcàiT; UtmovLV est Thôte ode la 



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hj disais-tu, mais tu Isuekercbais 
où' ne paradait iqttè'la ^ms^rée àô êsl 
^èsenoe. La dotilenr te; montra la 
îatos&^é des dbottlHAès ; ^oe peuyeftt- 
elies pour nous guérir ? 

J'ai compris renvoi' de la ilècte 
n^ssagère; faite de ptmne ^ d'acier^ 
elle aUège eti nous ce qui liè^^'èû- 
vdler, elle tue ^cé qui doit ymouidr. 
-Le pô^fuard nu signifiait déjà tOQ 
mOtlÊl désâ: d'ôtre un autre homme, 
et la gourde voulait dire ta soif de 
te; connaître au ^miroir emblématique 
où Vùa s'appafatt au-delà de soi- 
même; meds^ quand j'ai reçà la' clef 
fatidique, j'ai deviné qu'elle t'ouvrait 
l'accès de ton Destin, et l'épi mûr, 6 
Hermotime! te représente à mes 
yeox. 

Tout oela est beau. L'amour te 



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7D LE tttVXXiJKHR. 

4i]e»mft f ii^tioct dkconforaifir.toiMh^ 
.jkla:^t>«»até.du;sefaiineat dontyaiRx: 

Vfrcçpeil q^'il méntei^ Tu ¥Oul»s.|)Afér 

ton âme pour son u^ioispheet dé^iur- 

fll^:^ivk*c>«?e et,, ea ctoxmaat Ta- 

m0miH% 9««es3e, cbma^ la sag^see 

-è'iîawwr» Tu as vu^qw^ Ojétaàt cot loi 

Ou gisait le secret 4*toe ua ^trcî : 

;]L*pbIi^oire! notre ^mystérieM^ <tor- 

^ maat qu^n/éveilleut td les suJ^tUités 

des méthodes, m le bruit d^ (X^ntro- 

verser ni rien de -ce^^qui n'eçtpas 

congénère à^son mystérieux silence. 

Tout cela est beau, Hffpolime, et 

j'imagine aux jardins où nous nous 

promenions une part du miracle où 

tu t'es transformé. Souviens^toi de 

TËscalier de Narcisse ; les lieu^ ^^[is- 

aent à leur insu sur nos songesi c'est 



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HIRTUUI. |X 

là nudateaant où les tiens se retrou- 
veront le mieux autour d'eux. 

Reviens donc, mon fcère^ car, au 
bout des ailées d'eau, tu trouveras la 
sépukure d'Hertulie. C'est là qu'elle 
repose. Nous y reposerohs aussi un 
joàr^.Où on voyait trois statues s'élè- 
veront trois tombeaux. Le sien déjà 
est au milieu. Le monument est d'un 
marine rose et noir, l'endroit à jamais 
silencieux car j'y ai fait détruire les 
fontaines; à la place on a planté des 
fleurs, les plus naïves et les plus fraî- 
ches — d'autres croîtront pour nous 
— on dirait que l'aurore a posé sur 
celles-là son pied nu. Hertulie ne fut- 
elle pas l'aurore de ta vraie science, 
le printemps de ta sagesse dont tu 
goûtes maintenant l'opulent été; tu 
en connaîtras peut-être les amers au- 



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'7a LE TldkFtX'NOIR. 

tomnes; c'est la saison de mèaâniie 
et voici qu^elIe vient aussi! suri les 
vieux arbres du jardin. 

Il m'appartient maintenant, je l'ai 
acheté tout entier et jdnt aux niiens : 
ma solitude est vaste, tu vois, et nous 
y pourrons au moins marcher la face 
nue, ayant dédaigné l'un et l'aiUre les 
masques où se déguisent les humains, 
nous qui portons à jamais le seul vi- 
sage de notre Destinée! 




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Histoire 

d'Hermagore 

A Saint fulim V Hospitalier, 



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U avait été longtemps le Pauvre 
Pèdiènr qu*on voit, à Testuaire du 
feuve, debout sur sa barque immo- 
Mie. 

L^eau passe lentement le long du 
bordage et, comme elle vient de très 
loin, du fond des terres sylvestres ou 
plantureuses, elle entraine à la dérive 
des feuilles, des pailles et parfois une 
fleur, des Irétbes qui s'entravent au 



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76 LE TREFLE NOIR. 

bateau ou tournoient dans quelque 
remous. Le ciel est gris sur une mer 
pâle ; le sable des berges va rejoindre 
les dunes du rivage; la barque os» 
dlle imperceptiblement ; souf&ante et 
lasse, elle geint; la plainte de ses 
jointures se mêle aux soupirs du câ- 
ble et les bras maigres ne lèvent qu*uxx 
filet vide. 

Depuis des jours et des années il 
Pavait bien spuvent.lev^ en vain. ;Le 
poîs3onne s'y prenait pas, bien qi|e; 
le Pêcheur fût patient et attcAtif à^ 
consiilter le vent, la saison, la marée, 
avec grand soin que sqn ombre ne 
dépassât pas la barquç,et pas une 
fois U ne vit son visage dans Teau. 

Parfois, las de la station inutile, 
il ramait vers la haute m^. Les lames, 
plus fortes berçaient içurdement sa. 



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HISTOIRE D'HERMAGORE. 77 

mélancolie; Teau profonde verdis- 
sait. Du large il voyait la côte sablon- 
neuse et Testuaire. Le vent sifflait 
dans les cordages et, tout le jour, le 
le pécheur s'acharnait à sa tâche. 

A ces journées rudes et infruc- 
tueuses, il préférait la médiocrité 
d'une proie dérisoire, le fretin des 
eaux douces, le calme du fleuve, son 
balancement paresseux, sa fuite onc- 
tueuse et monotone où passaient, une 
à une, des feuilles, des pailles, une 
fleur. 

Les oiseaux, ne le craignant point, 
volaient autour de lui. C'étaient des 
mouettes grises à envergure aventu- 
reuse. Les bergeronnettes qui sau- 
tillent sur le sable des berges lui 
plaisaient davantage. Avec elles sa 
penôée allait à de vastes terres inté- 



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78 LE TREFLE NOIR. 

rîeures où ne murmure pas d'autre 
eau que les sources où boivent les 
pâtres : la vase molle autour des 
mares est piétinée par les bestiaux; 
le parfum du foin se mêle à l'odeur 
des étables; il y a des ruches d'a- 
beilles dans les jardins et des meules 
s'alignent sur les chaumes; du pe- 
tit champ carré où on bêdie au 
soleil, on -n'a devant soi, au-dessus 
des haies vives, que le ciel. La 
sueur coule du front en gouttes 
tièdes, et l'ombre des arbres est si 
fraîche qu'on croirait boire à une fon- 
taine. 

Un soir qu'il songeait ainsi enl 
étendant ses filets sur le sable autour 
de sa barque tirce, il entendit quel- 
qu'un qui lui parla. C'était un étran- 
ger; sa stature s'appuyait sur un I 



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HISTOIRE D'BSRMAGORE. 79 

bâton; avec ses traits las et son 
manteau de bure il ressemblait au 
crépuscule. L'homme demandait à 
acheter les engins et le bateau et, 
tout en parlant, comptait dans 
Tombre, une à une, des pièces d*or. 

A l'aube, Hermagore le Pêcheur 
s'arrêta au milieu d'une vaste plaine 
sablonneuse où poussaient des herbes 
bleuâtres. Le fleuve l'avait rejoint 
par un caprice de ses méandres, et son 
eau glauque coulait entre des îles 
qui s*y reflétaient et semblaient s'y 
enraciner par les chevelures de leurs 
arbres renversés. Un oiseau s'envola 
d'un buisson; des papillons volti- 
geaient avec leurs ailes de soie 
endormie, gris et roses, certains 
jaunes comme de l'or. Hermagore 



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80 LE TRÈFLE NOIR. 

tâta la somme qu*il portait dans une 
sacoche de toile et se remit en route. 
Le crépuscule vint, et chaque soir le 
marcheur recomptait son humble 
trésor. 

A la fin d*un jour où il avait par- 
parcouru de molles prairies Herma- 
gore aperçut des forêts. Elles bar- 
raient tout rhorizon de leur ligne 
massive; à l'intérieur c*étaient de 
longues ténèbres, des espaces de 
silence; parfois la futaie paraissait 
finir et s*élaguer en orée; alors il se 
mettait à courir, mais le bois recom- 
mençait en contre-bas de quelque 
ravin dont la crête et les arbres en 
interstices sur le ciel avaient simulé 
cette éclaircie d*où Ton dominait la 
continuation, au loin, de cimes ondu- 
lantes. 



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HISTOIRE D'HERMAGORE. 8i 

Longtemps, en ces solitudes, Her- 
magore n'entendit que le vent, mais 
un jour il reconnut des échos qui se 
renvoyaient le bruit d'une hache, et, 
s'étant orienté, il rencontra des bû- 
cherons qui abattaient des hêtres; 
plus loin il vit fumer un toit, et il 
aperçut enfin la terre qu'il avait rêvée. 
Les collines ondulaient lentement; 
des prairies alternaient avec des 
champs de blé le long desquels s'ali- 
gnaient des peupliers; parfois on 
entendait chanter une flûte; des 
linges séchaient sous les saules et, le 
soir, tout semblait si calme qu'on 
n*osait pas marcher dans l'herbe. 

Le petit champ était situé au pen- 
chant d'une colline ; carré, des haies 
l'entouraient. Hermagore le cultiva 



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82 LE TRÈFLE NOIR. 

avec soin. Dans la terre profondé- 
ment labourée U ensemença. Tout 
l'hiver il fut heureux, mais au prin- 
temps il vit que les champs voisins 
seraient plus fertiles que le sien. 
Cela eut lieu. A peine si la récolte 
suffirait aux semailles prochaines. 
La moisson suivante s'annonça plus 
maigre encore : les oiseaux s'achar- 
nèrent et on voyait Hermagore par- 
mi les épis clairsemés, debout, 
comme jadis dans sa barque plate, 
gesticulant et jettant des mottes de 
terre aux pillards. 

Parfois il désertait sa garde et par- 
courait le pays; partout des mois- 
sons plantureuses mûrissaient et le 
privilège de sa misère lui parut plus 
amer. Des troupeaux passaient et, de 
oin, il les regardait comme jadis dis- 



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HISTOIRE D'HERMAGORE. 83 

paraître à Thorizon les navires; 
leurs voiles connaissaient tous les 
vents et, par des mers lointaines, ils 
vont à de riches contrées d'où leurs 
cales reviennent imprégnées de rô- 
deur des cargaisons pour enrichir des 
maîtres puissants qui, en des de- 
meures ornées de coraux et de cartes, 
supputent les escales et les marées. 
L'année suivante fut telle qu'Her- 
magore glana pour pouvoir semer. 
Il allait par les champs courbé sous 
le soleil. Enfin ses semailles prospé- 
rèrent; son champs aussi fut vermeil, 
et, un jour, il le regardait préparer sa 
prospérité quand le ciel se couvrit. 
L'orage creva en grêle; pas un épi 
ne resta debout, et Hermagore, pâle 
et silencieux de colère et de déses- 
poir, s'éloigna, à travers la plaine, la 



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> 84 LE TRÈFLE NOIR. 

face meurtrie et les mains saignantes 
des grêlons qui les avaient blessées. 

Comme il s'approchait d'une fon- 
taine pour y laver ses plaies, il vît 
un homme couché sur le bord et en- 
dormi. C'était ce même étranger qui 
lui compta jadis les pièces d'or pour 
l'achat de la barque; il avait donc 
quitté les rames et le filet, et Herma- 
gore, au moment de l'éveiller afin de 
s'enquérir de ses fortimes, remarqua, 
à côté du dormeur, une bourse en- 
tr'ouverte; des monnaies y scintil- 
laient; quelques-unes luisaient entre 
les doigts de la main fermée ; il avait 
dû commencer à les jeter dans l'eau, 
car on en distinguait, à travers la 
transparence^ qui reposaient sur le 
fond de sable de la source. L'homme 



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HISTOIRE D'BBRMAGORE. 8$ 

dormait toujours. Hermagore ra- 
massa la bourse et, ayant marché 
toute la nuit et une partie de la mati- 
née, il arriva vers midi en vue d'une 
ville. 

Les maisons se groupaient autour 
d'un vaste dôme accompagné d'autres 
plus petits. Des palais bordaient un 
large fleuve traversé de ponts bom- 
bés; les arbres se mêlaient aux mai- 
sons; parfois ils s'alignaient en 
longues avenues ou se répandaient en 
jardins. Des eaux y miroitaient. Les 
rues vaquèrent, désertes à cause de 
la chaleur. 

D'immenses cimetières entouraient 
la ville; on eût dit des forêts, un 
cyprès se dressant à chaque angle de 
chacune des tombes qui étaient toutes 



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S6 LE TRÈFLE NOIR. 

en pyramides ou de blocs carrés de 
pierre. Les premières, celles des 
femmes, ornées de roses. I^e parfum 
du lieu, par ce mélange de fleurs et 
de feuillages, se composait à la fois 
amer et doux comme la mort même. 
Là-bas une visiteuse solitaire allait 
lentement parmi les tombes. Son 
long voile jaune s*accrochait parfois 
à la branche d'un cyprès ou aux 
épines d'une rose, et alors on voyait 
son visage, qui était délicatement 
fardé. Une fois elle se pencha pour 
lire un nom, et les médailles de son 
bracelet tintèrent sur le marbre, puis 
elle s'assit et elle pleura. Hermagore 
s'approcha : « Pourquoi pleures-tu? > 
lui dit-il. « D'où viens-tu donc, pas- 
sant! > répondit-elle, «pour ignorer 
ma célèbre douleur. On en parle au 



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âlSTOmS D^HfiRMAGORE. 87 

loin et toi seul n'en saurais rien. N'as- 
tu pas su qu'Ilalie aima. Elle aima 
celui qui Ta délaissée. Il ^t parti, et 
dès lors ie me plus à errer dans ces 
lieux; il est parti im soir, et m'a 
quittée pour la pauvreté et la sagesse, 
et on dit qu'il est maintenant pêcheur 
au bord d'im fleuve, près de la Mer 1 > 
€ Moi aussi j'ai été pêcheur au bord 
d'un fleuve », répondit Hermagore, 
c j'ai labouré une terre aride, je suis 
las du soc et de la rame et je viens 
vers Tor et vers l'amour ». 

Hermagore qui avait couché nu 
parmi les roseaux du fleuve et dormi 
la tête sur une pierre dans le sillon 
de son champs, qui avait été flagellé 
par le vent, piqué par les abeilles et 
aboyé par les chiens, coucha sur des 



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88 LE TRÈFLE NOIR. 

lits de bronze et dormit sur des soies 
tissées. On Téventait de palmes et on 
le berça de chansons; des parfums 
fumèrent à son chevet. Ce furent 
d'étonnantes amours. Il devint cé- 
lèbre et recherché, car il y a une 
secrète et lâche douceur, pour ceux 
qu'elle repousse, à fréquenter au 
moins les amants heureux de la 
femme qu'on désire, et Ilalie kantait 
les songes des jeunes hommes 
comme une statue hautaine. Un ma- 
tin on la trouva nue sur sa couche et 
plus blanche que du marbre, sou- 
riante comme si elle fût morte de 
joie. 

Hermagore ne la pleura point. 
On admira la supériorité de son in- 
différence, et la rumeur du renom 
d'élégance qu'elle lui valut parvint 



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HISTOIRE D'HERMAGORF. 89 

jusqu'à la reine. Elle habitait un 
palais surmonté d'un vaste dôme 
entouré d'autres plus petits. Herma- 
gore y fut introduit en secret, et 
souvent le soir il y entrait pour n'en 
sortir qu'à l'aurore. La reine l'aima 
et, comme il y a dans les destins des 
contagions mystérieuses, il devint roi, 
celui pour qui on régnait étant mort, 
idiot et béat, dans le pavillon soli- 
taire où il se tramait en bavant sur 
les dalles. La sépulture du défunt 
consacra l'avènement de l'usurpateur ; 
quelques têtes coupées consolidèrent 
l'aventure. L'arrogance du parv^cnu 
fit croire à sa prédestination. On 
se prosterna devant lui ; il s'en- 
nuya. 

Un jour qu'il traversait la grande 
place de la ville, en plein soleil 



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90 tE TRÈFLE NOÎR. 

couronne en tête et sceptre à la main 
il remarqua un homme vêtu de 
haillons qui, debout, le considérsdt 
en riant. Il reconnut de nouveau 
l'étranger qui lui avait acheté sa 
barque, le dormeur dont la boiirse 
le tenta, un soir, près de la fontaine. 
Sur Tordre du roi on amena devant 
lui le loqueteux. « Pourquoi ris-tu? > 
dit Hermagore, « que veux-tu de 
moi, parle >. « O roi >, répoi^t le 
misérable :>, je regarde à tes pieds 
Tombre que fait ta gloire > ; et le roi 
ayant baissé les yeux vit cçtte ombre. 
Composée de la crête dç la haute 
couronne, du bec du sceptre, des 
ailes du manteau, elle était difforme 
et trapue, et, monstrueuse, elle sem- 
blait, avec son envergure chimérique, 
quelque bête hargneuse et infirme. 



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HISTOIRE D'HERMAGORE. 9I 

accroupie aux pieds du triomphateur 
et qui le précédait. 

Le roi Hermagore comprit Tallu- 
sion du mendiant. Il lui semblait 
avoir vu dans la parodie de son corps 
rimage même de son âme, et il pleura. 
Le soir même il s'enfuit de la ville 
furtivement et, après avoir, en passant, 
jeté dans la fontaine où jadis il déro- 
ba le dormeur son sceptre et sa cou- 
ronne, il arriva au petit champ qu'il 
avait autrefois labouré et, couché nu 
sur la terre dure, il s'y laissa mourir. 

Cette année-là, s'annonça dans 
tout le pays une moisson extraordi- 
naire ; des enfants se perdirent dans 
les blés. Seul un petit champ resta 
stérile; il s'étendait sur le penchant 
de la colline, inculte et plein de 



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92 LE TRÈFLE NOIR. 1 

ronces^ vert sur le jaune environnant, i 
mais quand on eut coupé tout le blé 
d'alentour, de près, on vit que, seul, J 
un énorme épi y avait poussé et on I 
découvrit un squelette. Il était étalé 1 
les bras en croix et du crâne germait 
la miraculeuse merveille. Un étran- j 
ger qui travaillait à gages parmi les I 
moissonneiu-s s'avança, cueillit l'épi, ' 
puis, à genoux, courbé, embrassa sur 
la bouche le masque d'ivoire. On le , 
regarda faire en silence et, comme il i 
ne se relevait pas, on s'aperçut, en le 
touchant, qu'il était mort ! 



•!• 



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Hermocrate 

ou 

le récit qu^on m'a fait 
de ses funérailles 



• 

A M, le Comte de Clapiers, 



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Je fus réveillé au matin par un 
bruit de voix inaccoutumé ; tout se 
tut; un cheval frappait du sabot le 
pavé de la cour et, au moment où, 
sorti de mon lit, j'ouvrais la fenêtre, 
on gratta à ma porte; sans attendre 
ma réponse mon valet entra, une 
lettre à la main. Je rompis le large 
sceau noir et je lus que le duc Her- 
mocrate était mort. 



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96 LE TRÈFLE NOIR. 

Le poids de la cire sigillaire incli- 
nait légèrement un angle de l'écrit 
déplié; au dehors les fers sonnèrent 
sur le grès et je vis, enlevant au 
galop son chevsil pommelé, le cour- 
rier franchir la grille; il enfila l'ave- 
nue et je suivais des yeux cette fig^ure 
inattendue, brusque et diminuée, se 
réduire peu à peu à ime proportioii 
de vignette comme au haut d'une 
page dont je tenais entre mes doigts 
le feuillet. 

Avec la tunique verte à galons 
d'argent, la toque à plumes jaunes, 
le fouet à manche de corne, je revis 
le train domestique et seigneurial du 
vieux duc, le château, toute la livrée 
des antichambres, des écuries et des 
chenils, laquais, écuyers et piqueurs, 
les uns râblés et actifs, les autres 



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BSRIiOCRATl. 97 

bottés et sveltes, traversant le caillou- 
tis des cours ou le sable des mandes, 
et, debout sur le perron, avec la 
cambrure de leurs mollets et le flotte- 
ment de leurs basques, ou assis sur 
les banquettes des vestibules, Tai- 
goille à tricot plantée dans leur per- 
ruque poudrée, ceux du service inté- 
rieur, arrogants, obséquieux et co- 
quets. 

Le vaste château me réapparais- 
sait du milieu de ses forêts, au bout 
d*avenues interminables, parmi ses 
iardins de propreté ou de magnifi- 
cence, avec des pièces ou des bou- 
quets d'eau. Un automne, j'y avais 
été reçu. Le Duc peu expansif ne se 
comuniqua guère à ce jeune parent 
venu le saluer avant de partir pour 
l'armée. J'y allais avoir pour compa- 



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96 LE TRÈFLE NOIR. 

gnon son âls Hans, et, liés d'amitié, 
nous devions ensemble rejoindre 
notre enseigne. 

Nous dînâmes dans Timmense 
salle à manger. Des tapisseries vè* 
taient les murs jusqu'au plafond. 
Une Diane parmi les roseaux d'une 
rive faisait désaltérer ses chiens dans 
la vasque d'une fontaine. On enten- 
dait l'eau bruire aux intervalles des 
rares paroles. L'odeur des vins et 
des épices pimentait et engorgeait 
le silence; le sucre semblait crépiter 
son givre sur les gâteaux ouvragés ; 
un fruit roula d'une jatte et, à tra- 
vers les argenteries et les cristeaux, 
mieux que face à face en arrivant, 
j'avais pu considérer à l'aise, pen- 
dant la cérémonieuse minutie d'un 
long repas, ce maigre vieillard, aux 



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&ERMOCRATÈ. 99 

dieveux ras et blancs, glabre et dur, 
que son extraordinaire vie rendait 
pour moi un objet d'admiration et 
dé curiosité. Le lendemain^ à Taube, 
nous partîmes; puis des années 
passèrent et aujourd'hui il était mort. 
Sur le billet Hans me disait de venir. 

Pour les obsèques du surlende- 
main il fallait se mettre en route au 
plus vitg afin d'arriver au château la 
veille aûa soir. Je donnai ordre 
d*appréter les porte-manteaux et 
d'atteler la voiture. Les chevaux 
tirèrent sur les traits ; le fouet claqua 
aux montées ; au crépuscule, un lièvre 
traversa le diemin entre deux champs 
de trèfle et de luzerne ; le del gris se 
rosa un peu entre les peupliers. 

L'auberge où on arrêta à la nuit 
était bonne. La chambré à rideaux 



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100 LE TRÈFLE NOIR. 

de serge donnait sur la grande place ; 
l'horloge sonna d'heure en heure ; je 
dormis mal. 

Au sortir de la ville, le chemin 
s'allongeait entre deux lignes d'ar- 
bres. Vers midi nous longeâmes un. 
canal. Sa lame d'eau plate se conti- 
nuait indéfiniment, tantôt rigide 
entre les berges droites, tantôt flexi- 
ble entre les rives tournantes. Des 
hâleiirs traînaient de lourdes barques; 
un petit âne les y aidait. Durant le 
voyage le long de ce paysage monie 
efc presque pareil à son rdlet rien 
n'avait distrait mes pensées. Elles 
s'occupèrent du duc Hermocrate. Les 
histoires narraient sa vie surprenante 
qui s'amplifiait déjà en légende, et, 
aujourd'hui terminée, j'en revoyais 
le cours et l'aspect. 



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HBRMOCRATS. lOI 

Le Destin y ressembla à une fic- 
jtion; tout s'y ordonna comme d'ac- 
cord avec une intention myst^eusç, 
et ce mélange de tout la fit quelque 
chose d'unique et de singulier. 
L'aventure y risqua l'échec et y es- 
camota la gloire. Vie l:urbulente et 
méthodique, l'abondance des événe- 
ments y fiit l'occasion du plus cons- 
tant bonheur. Cette main leva l'épée, 
soupesa le sceptre, fit mouvoir le fil 
des mille marionnettes humaines. La 
lampe -d'Aladin mêla sa goutte 
d'huile à la dre fondue de la torche 
d'Eros sur la chair engourdie d*une 
Psyché à deux visages et éveilla la 
Fortune en même temps que la Vo- 
lujrté. Les affaires du temps, avec 
leurs entreprises, leurs péripéties, 
leurs issues, fournirent à cet homme 



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ÎÔ2 htrUÈftÈ SOiR. 

les expériences de sa diplomatie et 
i'occujpatîon de sa puissance. Dé sia 
jeunesse à ëa vieillesse, toiit, âtootiT) 
pàiii^y J licmneurs, ' serv^ileiiient' * se 
donnèrent à 'lui. Il oôntfaft'le* bcwi- 
heur humain* de ses excès â' èès toi- 
nuties, 1^ faveurs du sort de- fea 
connivenée k son esclavage. I^ vie 
lui oflrit toutes ses eircoristaiices au 
point de liii permettre totite occa- 
sion, du haiA fait à la. manigance ; et 
maintenant il était niort. Mdrt! «i 
que regrettait-îl eu mourant? Pen- 
dant les vingt années de sa i^tr^te 
dans ce solitaire château, à quel res- 
sassément de soi-même voua-t*îl son | 
silence en suspens sur le silence 
éternel ? On le disait vivant là dans 
un écart orgueilleux avec le prestige 
du pouvoir volontairement abdiqué, 



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HULMOGRATB. I0| 

sauf Ja réserve de ,oertaines préroga* 
tives honorifiques, cérémonieux et 
hautain. L'étiquette est la momie de 
la grandeur, la gloire s'y atrophie en 
poupée. Il se plaisait à ia miniature 
minutieuse des fastes efficaces de sa 
vie& Héks! errant dans les sonip- 
tueuses galeries, le long de ces eaux 
magnifiques, droit.et rogue, altentil 
sans doute â . soi-même^ qu'avait-il 
réentendu du passé dans l'écho des 
salles, dans la voix des fontaines, 
sous les chênes nléMoriaux qui 
semblent, avec la stiiioture de la vie, 
la voix même du Destin. 

Les approches de la forêt annon- 
cèrent celle du château. La route 
coupait des futaies admirables et 
contourna en levée un vaste étang. 
Des grenouilles y coassaient. Le 



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104 LE TRirLE NOIR. 

triangle d*eau immobile, dallé, cà et 
la, par places, de nénufars, enfonçait 
sa pointe parmi les roseaux. A des 
ronds-points, d*un obélisque de 
marbre vert, irradiaient des routes 
en étoile. L'ime d'elles, que nous 
suivîmes, s'élaigit enfin en avenue, 
deux contre-allées la bordaient ; entre 
la quadruple rangée d'arbres le 
carros^ roula plus vite; je mis la 
tête à la portière. 

Dans le crépuscule on apercevait 
le château; il était massif et somp- 
tueux, monumental et délicat, avec 
ses fenêtres, ses frontons, ses com- 
bles. Les roues s'adoucirent sur le 
sable ; ime grille forgée ouvrait son 
passage entre deux bornes de pierre 
cerclées de cuivre. On traversait des 
potagers; de petits bassins carré 



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HERMOCRATE. 105 

luisaient comme le fer des bêches; 
des bâtimems' bas, avec des pots à 
feu sur leurs corniches, entouraient 
une cour circulaire dont le portail 
laissait voir la cour d'honneur, des 
arbres en caisse Tornaient. On arrêta 
à un perron. Aux portières, des la- 
quais haussaient des cires et Tun 
deux me précéda dans le vestibule. 
Tout y était déjà drapé de noir; ime 
grande lanterne de cristal balançait 
au plafond sa flamme crêpée, et le 
majordome, sa haute canne à la 
main, inclina devant moi, avec le 
tintement de sa chaîne d'argent, son 
front chauve. 

Je logeais dans Taile droite du 
château; un candélabre brûlait sur 
ma table ; on y avait placé la liste 
des personnes déjà arrivées. Je la 



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I06 LE TRÈFLE NOIR. 

parcourais en attendant le retour du 
valet parti sur mon ordre s'enquérir 
auprès du nouveau duc de Pinstant 
où il pourrait me recevoir. I-^es hôtes 
étaient déjà en nombre. Toute la pa- 
renté y figurait; puis les amis du 
défunt, des dignitaires venus payer 
à leur collègue la redevance funèbre, 
la plupart là par devoir ou par con- 
venance, quelques-uns pour l'avan- 
tage de vanité qu'il y a à être de quoi 
que ce soit. Mon ancien camarade 
Hudolphe de Haubourg de ceux-là, 
certes. 

On frappa. Hans me faisait dire de 
Taller rejoindre dans la chambre 
mortuaire où il veillerait, à dix heures. 
L'horloge en sonna huit et je pris le 
parti de dîner seul dans mon app^- 
tement, appréhendant de risquer le 



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HERMOCRATE. I07 

repas commun et surtout la ren- 
contre de Haubourg et la chance de 
le subir. Sa conversation, toute d'éti- 
quettes, de prérogatives et de quali- 
tés, lassait même Tinattention. Le sen- 
timent de sa dignité s'exagérait en 
manie, s'acharnait aux plus minu- 
tieuses pratiques. Il revendiquait ce 
qu'on lui devait au point de faire 
douter qu'on le lui dût. Du reste, 
honnête homme bien qu'infatué; 
l'érudition de son rang le rendait 
exact à en exiger les préséances. Les 
cérémonies lui plaisaient; nuptiales 
ou funéraires, il n'en manquait pas 
une, en jouissant délicieusement, y 
critiquant les fautes, goguenard pour 
celles qui lésaient autrui, pointilleux 
quant à celles qui l'eussent atteint. 
Les obsèques du vieux duc et ce 



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I08 LE TRÈFLE NOIR. 

qu'elles prétexteraient avaient dû Toc- 
cuper depuis des années, et il ne fe- 
rait moins, pensai-je, que de s'y 
montrer admirable. 

J'avais repoussé le chanteau et 
trempais dans du sucre des quartiers 
de pondre quand on vint m'avertir. 
Par d'interminables corridors, j'arri- 
vai au vestibule. L'escalier montait 
droit; sa rampe de fer forgé bordait 
ses marches de pierre. Le laquais me 
précédait à travers des salons, les 
uns sombres où on se heurtait aux 
meubles; à tâtons, je sentais en les 
évitant le pelage des tapisseries ou 
la chair des satins; parfois, en soule- 
vant une portière, le chevelure de soie 
des effilés me frôlait la main ou le 
visage. Ailleurs les lustres flam- 
boyaient; la paume des appliques 



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HBkMOCRATE. I09 

étalait en bougies sa main de lumière ; 
le bois djoré des consoles se crispait 
à soutenir les tablettes de marbre 
rare où, sur des socles d*onyx, repo- 
saient des bustes de bronze adossés 
aux hautes glaces qui, en leurs cadres 
de burgau ou de rocailles, reflétaient 
des tonsures d'empereur ou des 
nuques de déesse, des coiffures de 
reines ou des toisons de faunes. Au 
milieu d'un des ces salons, circu- 
laire et peint de guirlandes, une 
seule bougie brûlait sur un guéridon 
dejade. D^s une vaste galeriedes mo- 
saïques sonnèrent sous mes pas. Entre 
des entrelacs de fruits, de fleurs et de 
coquilles, on voyait des figures et des 
emblèmes ; un zodiaque y cabrait son 
sagittaire et y rampait son scorpion. 
Enfin une porte s'ouvrit et j'entrai. 



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IIO LE TRÈFUiUlIR. 

C'était la chambre du duc. H 
gisait sur son lit; au chevet se con- 
sumaient deux cierges. Je Taurais 
reconAu, tel qu'autrefois mais coixune 
rapietxssé. Ses cheveux «blancs sem- 
blaient plus ras.et la faoç^plus glabre. 
I^a chair humaine restent atatuaire 
da9s ce dur visage mari^nsé. U se 
roidis^it dans unç soirte de sculp- 
ture mortuaire et sèche. Hans m'em- 
brassa; je le trouvai nerveux et pâle, 
et, tout en causant, il allait et vena^, 
ouvrant un meuble, entrebâillant un 
tiroir, y froissant des papiers et des 
bijoux; enfin, d'une- petite cassette 
d'or émaillé, il tira une large euve- 
loppe scellée et en jon^>it la cire 
vivement. Le silence était profond. 
Je regardais dans la serrure du coffret 
la petite clef à laquelle en oscillaient 



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R3RMOCRATE. III 

fi'aTitres en trouBseau. Hans s'^tsait et 
me fit signe de rimiter; des heures 
passèrent;. il me tendit :1e papier et 
voici ce que j'y lus à mon tour, ce que 
j*yai lu jusqu'à Tanbe : 

'C Je ne te saconterai pas nia vie, 

mcm âis^'iu Pas; apprise sans doute 

parla' rumemr où en reste encore la 

nièmoire dç ceux qui me Pont vu 

vivre. Us sonti rares déjà, car me voici 

vijbtix; Les histoires en décriront les 

parties; certes en nôtercMit^nirieu- 

semen^' les particularités; quelques 

irophées en attesteront peut-être la 

gloire à l'avenir. Le soc de Ja charrue 

en retournant la glèbe y remuera des 

médailles où mon profil survivra 

entre deux dates mémorables. Un 

laurier crèitra sur mon tombeau; 



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112 LE TRÈFLE NOIR. 

répitaphe rappellera mes actions; 
quelques-unes furent grandes, dit-on. 
Ce renom fait partie de rhéritage que 
je te lègue; tu en bénéficieras s'il te 
vient jamais le goût de te répandre 
parmi les honmies et de te mêler de 
leurs Destinées. Que ne puis-je aussi 
te léguer la sagesse ; écoute au nK>ins 
la vérité particulière que j'ai tirée de 
Texpérienee d'une longue vie. J'i- 
gnore ce que sera la tienne et si tu 
prendras part aux jeux du siècle. 
Ton humeur t'y prédispose peu ; il 
faut des désirs que tu n'auras point, 
et ce château où s'est passée ma 
vieillesse sera, je le sens, le séfoUr 
de ta maturité. On l'appelle à la cour 
le château d'Amereœur. Ils y voient 
le boudoir monumental de quelqu'un 
qui y a retiré avec soi le r^;ret et 



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HBRMOCRATE. 113 

Torgueil, quand ce n'est que le nom 
naturel de toute retraite où un 
homme se souvient qu'il a vécu. 

Ah! laisse vivre au sens où ils 
entendent cela; contente-toi d'être; 
mais avant, ô mon fils, que tu 
prennes possession de cette de- 
meure, il faut que tu saches sur 
quelles pensées au moins se sera 
refermé mon sépulcre. 

Sois en paix, mon fils; ne crains 
pas que jamais mon ombre repasse 
ce seuU. Je ne viendrai pas soupeser 
aux panoplies l'épée que jadis je 
portais dans les batailles, ni com- 
pulser parmi la poussière des ar- 
chives les titres de ma gloire, ni 
recompter l'or dont les caves sont 
pleines, ni accomplir spectralement 
les simulacres de fantômes que furent 



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114 LE TRÈFLE NOIR. 

les actions de la vie. Je serai un 
mort tranquille,, mort tout entier, et 
nul r^et de ce que j*ai été ne fera ^ 
tressaillir ma cendre ; pourtant il y au- 1 
rait eu dans mon passé matière à créer 
une ombre orgueilleuse et obstinée. 
J'ai fait la guerre ; les clairons d'or 
m'ont précédé et tous les vents, tour I 
à tour, ont secoué les plis de mes 
drapeaux. De grandes armées fran- 
chirent des montagnes, traversèrent 
des fleuves; j'ai même passé la mer. | 
J'ai réglé des contremarches et des 
victoires. On m'a dressé des arcs de 
triomphe de bronze et de feuillages, 
d'où s'envolaient, d'heure en heure, | 
un aigle ou une colombe. Par moi, 
l'imperceptible aboutit au prodi- 
gieux; ce sont quelques poignées 
d'avoine, juste à temps, qui font la 



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HSRMOCRATE. II5 

charge; c'est un morceau de pain 
à point qui fait l'assaut. Par mes 
soins des milliers d'honunes con- 
vergèrent au même carrefour et 
rétoile des routes devint l'étoile 
même du Destin. J'ai connu les 
grandes entreprises, la brusquerie 
des aventures, l'inattendu des réus- 
sites, tout l'infini détail des expédi- 
tions, tout l'impromptu des impro- 
vistes. On a joint à mon nom des 
noms de batailles, et le territoire de 
mon duché compte plus d'une pièce 
sanglante. 

Vainqueur par la force, je restai 
maître par l'intrigue. Dans mon cabi- 
net s'abouchèrent les secrets des 
États et le trafic des consciences; les 
portes de mes antichambres battirent 
au chassé-croisé des convoitises. En 



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Il6 LE TRÈFLE NOIR. ' 

des heures d*anxiété ou d'attente, 
j*ai suivi en pensée le galop des 
courriers sur des routes lointaines; 
leur vitesse était la clef des consé- 
quences. J*ai coalisé des espoirs, 
dissous des rancunes; mon sceau 
charge le bas des traités; chacun 
d'eux ajoutait à ma richesse une 
dotation ou une tabatière, un do- 
maine ou un brimborion. 

Riche, puissant et victorieux, j*ens 
Tamour. Dans des chambres de mi- 
roirs j*ai renversé sur des coussins 
des beautés célèbres. Elles arrivaient, 
ftutives ou impudentes, s'oflfrir ou 
se livrer; leurs baisers étaient un | 
gage ou un salaire. L'altesse et l'in- 
trigante y apportèrent leur caprice 
ou leur odcul. Les glaces reflétaient 
à rinfini les postures de ma victoire 



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HSRMOCRATE. II7 

dans les facettes de ma vanité. Des 
lèvres merveilleuses satisfirent mes 
plus vils désirs. 

J*ai essayé de vivre dans ces 
mensonges, d*en jouir et de m*en 
contenter, mais un jour je compris 
la duperie de mon illusion, quand 
je la voulus revivre en cette soli- 
tude préparatoire où Tétre se ré- 
sume et soupèse déjà sa propre 
cendre. 

Hélas, mon fils, pendant les vingt 
années de ma retraite en ce solitaire 
château, je n'ai rien retrouvé en moi- 
même de tout cela où je m*étais cru 
tout entier. Âh! mes pensées étaient 
ailleurs! Autour de moi les choses 
continuaient la contenance de mon 
passé. Des gardes se tenaient à ma 
porte; les laquais encombraient Tan- 



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Il8 LE TREFLE NOIR. 

^dchambre; des femmes parèeà s*aâ- 
sirent à ma table ; des hommes cu- 
rieux et doctes couchèrent sous mon 
toit en pèlerinage vers Tandienne 
idole, exemplaire de leurs ambitions. 
L'étiquette seule articulait Tarma- 
ture de mon apparence et je condes- 
cendais à rester le simulacre du 
héros de tant d'histoires, de combats, 
de succès et d'amour. 

On a pu s'imaginer que, vieillard 
orgueilleux et ressasseur, je revoyais, 
avec l'apparatdema gloire, lesfaitsde 
son origine, que ma cervelle rumi- 
nait des plans de bataille ou des as- 
tuces de diplomaties, et quand, sur 
le sable uni des allées, ma canne tra- 
çait des entrelacs et des signes, on 
croyait respectueusement que ma 
mémoire de maniaque se distrayait à 



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HBRMOCRATE. II9 

sinraler des ordres de mancBUvres ou 
des chiôre&de^xffrespondances. 

Ah, motPÊls^ je ne pensais nLanx 
guerres,^ aux affaires, ni anx prin- 
cesses fardées dans les kiosques; de 
miroirs^ ni aux mannequins de mon 
orgueil, ni aux poupées de n^*. va- 
nité. Les architectures mentales, c^ 
mes efforts s'évertuèrent en colonnes, 
en dômes «t en labyrinthes icroulèteht 
an fond de mon souvenir. Lq palais, 
devenu catacombes, s'enfouit dans la 
poussièii^ de roûbli, et, au lieu de 
tout Tamasdes entreprises, des tfom- 
binaisons et des mesures, il ne me 
restait, comme témoignage de moi- 
même, que qudques fugitives impres- 
sions, ce que la vie a de momentané, 
d^involontaire et de furtif. Ces mi- 
nutes éparses sur les ruines des lou- 



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120 LE TR&PLE NOIR. 

gues années me semblaient, outre le 
seul bonheur, en avoir été les seules 
preuves. Cela, c'est tout nous-mêmes, 
nous ne regrettons que cela, ces se- 
condes, ressenties presque incons- 
ciemment dans Tàme et dans la 
chair, si brèves et qui ont la durée 
même de la mémoire d'avoir comme 
poussé aux fentes de ses décombres. 
Cela seul vaut! le reste, jeux de 
l'esprit, vie avide, sottise de notre 
ambition, convoitises de notre bruta- 
lité, subterfuges, simagrées! 

Oui, mon fils, des grandes guerres, 
je ne me souvenais que de tel éclair 
de soleil sur une épée, d'une petite 
fleur sous le sabot d'un cheval, d'un 
frisson, d'un geste cà et là, événe- 
ments minimes mystérieusement in- 
corporés à mon souvenir! je me sou- 



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HERMOCRATE. 121 

venais d*une porte ouverte, d'un 
froissement de papier, d*un sourire 
snr une bouche, de la tiédeur d*une 
peau, de Fodeur d\ui bouquet, dé- 
tails infinitésiinaux et qui sont ce 
que la vie a de rapide, de fiirtif, de 
vraiment fait à la mesure de notre 
néant. 

Mon heure approche; je sens que 
je vais mourir et mourir tout entier. 
Il y a peut-être des survies pour 
ceux dont l'esprit a connu d'autres 
joies; les miennes me bornent ma 
destinée. 

Un tombeau se dresse au bout de 
mes jardins dans un lieu solitaire. 
Tu m'y conduiras avec la pompe or- 
donnée. Ma poussière frivole y repo- 
sera. Une massive pyramide de 
marbre noir en marque le lieu ; l'épi- 



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122 LE T&ÂPLE NOIR. 

laphe continuera le mensonge de 
mon existence, car le héros qu'elle 
exaltera ne fut qu'une chétive sensi- 
bilité éphémère qui, des circons- 
tances où les honunes voient un 
magnifique de^in, n'a goûté que les 
misérables etthumbles joies de toute 
chair périssable. 

Mon enfant, je ne reviendrai pas 
hantar cette demeure; je suis de ces 
morts qui ne font pas d'ombre sur 
l'au-delà. Les quelques petits souve- 
nirs d'heures et d'instants que j'y 
emporte se dissoudront avec ma 
cendre. Je suis un de ces morts qui 
n'ont pas d'ombre ; je ne hanterai pas 
cette demeure, tu peux y vivre tran- 
quillement et sourire quand on te 
parlera d'Hermocrate et qu'on 
t'exhortera à imiter ses travaux ; tu 



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HERMOCRATÊ. lâj 

sais ce qui lui resta de ses pensées 
et de ses œuvres. Souris et songe à 
lui parfois au crépuscule; il en a 
aimé quelques uns >. 

Il faisait alors grand jour. Hans 
ouvrit les fenêtres; je lui rendis 
l'écrit singulier qu'il renferma en si- 
lence dans la cassette d*or; des 
bouffées d*air frais entrèrent ; une des 
deux roses qui s'épanouissaient dans 
une fiole de cristal' se défleurit ; je 
pris l'autre et, m'approchant du lit 
où, rigide et les mains nouées, gi- 
sait le vieux duc, je mis la fleur entre 
ses doigts pour qu'il emportât au 
moins dans la mort l'hiéroglyphe 
éphémère et furtif de sa condes- 
cendante hypocrisie. 

À midi on était réuni dans la 



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I31| LE TREFLE NOIR. 

grande galerie du rez-de-cbaossée. 
Le relief des trophées bossuait sous 
les tentures de deuil dont la draperie 
gonflée de place en place par Fangle 
d'un piédestal laissait passer rorteil 
d*une déesse ou le sabot d'un sa- 
tyre. On se pressait ; des uniformes 
se mêlaient aux habits de cour et 
cette noble foule se tenait, immo- 
bile sous les lustresi le long des 
murs, adossée aux hautes fenêtres. 
Le hasard me plaça auprès de Hu- 
dolphe de Haubourg. Il m'aborda et 
s'enquit par où je m'apparentais au 
défunt, m'avouant ensuite son inquié- 
tude au sujet des obsèques; l'igno- 
rance universelle du cérémonial ren- 
dait toute cérémonie dangereuse; 
les difficultés de rang lui paraissaient 
redoutables; certains cas s'y présen- 



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HBRMOCRATK. 135 

taient de nature à ce qu'on recou- 
rût à une compétence autorisée; on 
n'en avait rien fait ; aussi respecterait- 
on même les préséances les mieux 
établies, et il se rengorgeait, pronos- 
tiquant des accrocs et des péripéties. 

Enfin les huissiers annoncèrent le 
duc Hans, il s'avança; on fit cercle; 
il y eut des saints et des condo- 
léances et on commença à s'écouler ; 
je sortis le dernier. 

Le cercueil reposait dans le vesti- 
bule sous un cata£sdque, parmi des 
lumières; les épées des gardes scin- 
tillèrent; les hallebardes heurtèrent 
les dalles; huit porteurs enlevèrent 
la lourde bière. On suivit. 

Le château développait sa façade 
monumentale en face du parc. Les 
fenêtres écartelaient leurs vitres 



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126 LE TRÈFLE NOÏR. 

claires; les balcons contournaient 
leurs ferrures élégantes et judi- 
cieuses; les niches abritaient des 
statues; les colonnes de marbre fleu- 
rissaient leurs chapiteaux ouvragés. 
Lesjardiils étaient déserts avec leurs 
tapis de pelouses couverts à plat de 
larges erêpes noirs; des trépieds de 
bronze brûlaient entre des ifs taillés ; 
les allées sablées de jais intersec- 
taient leurs lignes à des obélisques 
de stuc; l'avenue d'eau, teinte de 
flots d'eiicrei stagnait comme une 
dalle de marbre noir; il y eut un 
moment d'arrêt, puis les panaches 
des chevaux oscillèrent ; des crânes 
chauves se couvrirent de calottes, 
un groupe s'agita d'où sortit Hau- 
bourg, roùge, gesticulant, en es- 
clan^e de quelque passe^irôit, 



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HERMOCRATE. 137 

rebifié et jouant des coudes. Un 
sourd roulement de tambour retentit 
et le cortège traversa le parc, le long 
des pelouses et des bassins où s'effa- 
rouchaient les cygnes noirs qu'on 
avait lâchés sur Teau mortuaire. 

FIN 



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Table 



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TABLE 

Hertulie^ 5 

Histoire d'Hermagore 73 

Hbrmocratb 93 



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ACHEVÉ D'IMPRIMSR 

le vingt-cinq janvier 

mil hait cent quatre-vingt-quinxe 

PAR 

CHARLES RBNAUDIB 

56, rue de Seine, 56 

PARIS 



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