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Full text of "Lettres de deux amans, habitans d'une petite ville au pied des Alpes"

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J U L I 

ou -^ 

LA NOUVELLE HELOÏSE, 

TOME PREMIER. 


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• 





K 


L E T TRES 

D fî DEUX AMANS, 

Habitam d'une petite Ville 
au pied des Alpes. 

RECUEILLIES ET PUBLIEES 
Par J. J. RO^UStVeAU' 

PREMIERE PARTIE. 



A AMSTERDAM, 
Chc2 MARC MICHEL RE Y. 

M D CCLXJ, 




-. N •>•. 




pi-^^és^ 




PREFACE. 



L faut des fpefUclcs dans les grau-* 
des villes^ ic des Romans aux pea« 
pies ccxTompus* J'ai vu 1^ moeurv 
de mon tems^ & j*ai publié ces lettres. 
Que n'airje vécu dans unfiecleoùje 
duâeJes jetter au fea ! 

Quoique, je ne porte ici que le titre 
d*£diteur^ j'ai travaillé moi-même à 
ce livre^ & je ne m'en cache pas. Ai- 
je fait le tout, & la correfpondance 
entière eft-elle une fiâion? Gens da 
Torrte h A monde. 


PREFACE. 

monde, ' ^u^ vûat importe ? Ceil^ 
fûrement une fiâion pour vous. 

Tout honnête fapmnie dok avoioer 

« • ■ " » -- - ' 

les livres qu'il publie. Je me nomme 

- donc à la tête de ce recueil, non pour 

tnc l'approprier, maïs pour eh répoa- 

dre. S'il y a du tna!, qu*ôn me ?im- 
fvttti ^H y a du. bien, je n*eateiHi$ 

pokit fn'^nifiiFe.hoQnÀur. ^iletlvirè 
/ eft-mauvaid, j'en ïuîs phiS obligé: de 

le reconnoitre : je ne veux pas palfer 
pour m^ll^ur <fiè j« ne fois. . 

Kb^tsaA à la irérilé des làks, jcèé- ^ 
clare qu*apnt été plafîeiirs fois dan^ 
le pays des dctix amans, je n'y ai ja- 
mais ùQÏ parler du Baron il'Btange ni 
3 de 


PREFACE. 

de Ya fiU«3 ni de M. d'Orbe, ni de 

Mitord Edouard Bomftofl, ni de M. 

de Wolmar. J'avertis encore que la 

topographie eft groffierement altérée 

en plufieur^ endroits ; foit pour mieux 

donner le change au Icdeur ;foit qu'en 
effet ^Tâuteur n'en fut pas davantage. 

Voila tout ce que je puis dire : Que 
cbaciM penfe comme U lui plaira. 

Ce livre n'eft point fait pouf circu« 
1er dans k monde^ & cqnvieni à ui\ 
peu de leâeurs* Le fiile rebutera les 
gens de goût, la matière allarmera les 
gens fevcres, tous les fcntimens feront 
hor^ de la nature pour ceux qui ne cto- 
yent ^s à la vertu. Il doit déplaire 

A z aux 


PREFACE. 

aox dévots, aux libertine, aux philo- 
fophes: il doit choquer les femmes 

galantes, & fcandalifer les honnêtes 
femmes. A qui platra*t-ii donc i 
Peut-être à nooi feul : mais à coup 
fur il ne plaira médiocrement à per- 
fonne. 

Quiconque veut fe refoudre à lire 
ces lettres doit $'armer de patience fur 
ks fautes de langue, fur le fiile em-* 
phatique &; plat, fur les penfées com- 
munes renijues en termes empoulées ; 
H doit fe dire d'avance que ceux qui 
les écrivent ne font pas des François, 
des beaux*efprits, des académiciens, 
des philofophes -, mais ^s provinciaux» 

des 


t* R E E A C R 

des étrangers^ des fblitaires, de jeunes 
gens, prefqoe des enfims, qui dam 
leurs imagination^ romanefques pren* 
nent pour de la philofbpbie les honnê- 
tes délires de leur cerveau. 

Pourquoi craindrois-je de dire ce^ 
que je penfe ? Ce recueil avec fon go« 

èhique ton convient mieux aux fetn- 
iaoes que les livres de philo(bphie. Ut 
peut même être utile à celles qui dans 
une vie déréglée ont confervé queU 

que amour pour l*honnctetc. - Quant 

aux filles, c*eft autre chofe. jamais 

fille chafte n*a lu de Romans 3 & j*ai 

ihîs à ceiui^ci un titre afTés décidé 

pour qu'tn. l'ouvrant on fut à. quoi 

s*ea 


P R B F A C R 
9r'e0: tenir. Celfe qui^ tnajgré ce ittre^ 
œ ofen lice une fenle ps^j eft wie 
£Ue per^ : maïs qu'elle B'iimpttCei 
pdim h pétte à ce livre ; le mal étoit 
fait d'avance* Pui%o*eUe a corn- 
nence, cpi'elie ài^vc de lire: die 
n'a pins riea à rîftfuei:. 

Qu'aa hoomnie amlterc eim paccDU>» 
lânt ce liœLieii. iè cébafee aux bnmimsi 
pairties,. jdld le ItKce anreà cokce, ic 
a!i9dignËe iSmin l'Editeur sl je ne im 
plalodtai poîat de fou injuftice -, à (i 
place, j 'en aureis pu. faire autant. Qxe 
fi, après l'avoir lu tout ewi^, quel- 
qu'un m'ofoit Wamer de l'avpir pub- 
lié} qu'il te difc, ^'il vrot, à to^tc la 

terre. 


PREFACE, 
terre,» mais qu'il ne vienne pas me le 
dire : je fens que je ne pourrois de ma 
vie eûimer cet homme-là^ 



LE T. 


r 


« • 


\, 


» ^ 


L E T T R ES 

DE DEUX AMANS, 

UABisTÂNS D'UNS PETITE FUIS 
AU ^IMD.DE.S Aie^ES. 


PREMIERE PARTIE. 


JL É T T R E L 

A JuHe. 

IL fiiBt VOUS fuir, MaâemoïfcUe, je le fen^ 
bien : j'aurois dû beaucoup moins attendre» 
ou plutôt il feloit ne vous voir jamais. 
Mais que ftire aujourd'hui ? Comment m'y 
prendre ? Vous m'avez promît de l'amitié ; 
Voyez mes per^lcxrtés, &>confeiliez-moi. 

Vous iàvez que. je ne- fuis entté dans votre 
maifon que fur l'invitation de Madame votre 
mère. Sachant que j'avcis cultivé quelques 
taletls agréables, elle a cru (jfu'ils ne feroient pas 
itiutfles, dans <ufl lieu 'dépourvu de maîtres, à 
l'éducation d'une fi^e qu'elle adore. Fier, à 
Aion tour, d'orner -de quelques fleurs un fi beau 
naturel, j'ofai me chareer de ce dangereux foin 
6ns en prévoir le péru, ou du moins fans le 
redouter. Je ne* vous dirai point que je corn- 
tt^nce à payel* le prix de ma témérité : j'efjpére 
que je ne ^m^blierai jamais jufqu'à vousfenîr 
dtsdifcours{u'il ne vous convient pas d'enten-* 

Tenu /• B drej^ 


3 LA NOUVELLE 

^rf, & fi^anquer au refeeâ que je db^ à yof 
mœurs, encore plu$ qu à votre naiflance & a 
vos oharine^ Si je fou^Fei jVii 4u moin^ la 
confolation de founrir feu], & je tie voudsrois 
pas d'un bonheur qui pût coûter au vôtre. 

Cependant je vous vois tous les j<^i^; ^- 
je m'apperçots que fans y.fofigeii^bua aggravez 
innocemment des maux que vous ne pouvez 
plaindre, Se que vous devç^ igno^çiv • J^: H^ 'i 
eft vrai^ le p^ti €\\ip dj^ç en p|irçil ç^ I9 i^-u-^ 
deilce au défaut de rerpotr, & je am fefois* efforcé 
dlç le prendf^.; fi jf iKwyoi$ açcp^der > ^n, ce|tc 
occafion la prudence avec Thonnêtete ; mais 
comment me, retU^r ^éç^m^ent^ d'une maifon 
dont la maîtreffe' elle-même m** oftrt Tentree, 
où elle m'accable de bQntés, où elle me 
croit de quelque utilité k ce qu'elle a de plus 
cher au -n^tàkie? . Cocai?»eo^ fruftr^r Cette 
cendre mère du pJatiic die fyrpwod^ m joi^r 
fon époux .par vo«:progcèiS: 4pn^^ de§ étudié- . 
qii'ellQ lui cache iicç d/eflfeir>:? Jpartpt-il quitter 
impolioi^nt fans M nipailxçii Fi«rt^il lt|l ééqU-^, 
rer le (ajetdema retr^itq^ ^ cet aveumêm^ 
ne TeSenfera-t^l pa$ dej^ P4f.4 4*mK homme 
4ont la naiflance&la fottwç qc. peuvent lui, 
permettre d'afptrer ^ vou^ ? ' 

jQqe vois, M^moifelki- q;*'uDf bnQjren de» 
f<>rtir de l'emlu^was du je^ fiii»; e'eft qu^ h 
ipain qui n>'y plongp m^'en retire,:, qjuQ. mil peUift 
ainii que ma faute me vieune de vous. Si qu'aut 
moins par pitié. pour moi vous daigniez ^l'interr 
dire votre préfonce.! Mqot^esi 9^a lettre à voSi 
parens ; fai&esf moi T^ukti voira -pof^e ; çhaficK^ 
moi odmme il vou^t^plaira ; je> pui^itôuf êndurerî 
de. vous i^ je.' ne puis vous fuir do au^tfimêine. .: 

Youst 




H E L O ï s E. ^ 

Vous, me chafler I moi, vous fuir ! & pour* 
quoi? Pourquoi donc eft-ce un crime d'être 
fenfible au mérite, & d'aimer ce qu'il faut qu'on 
honore? Non, belle Julie | vos attraits a voient 
ébloui mes. yeux, jamais ils n'euflent égaré mon 
cœur, fans l'attrait plus puiflant qui les anime. 
Ceft cette union touchante d'une fenfibilité fi* 
vive & d'une inaltérable douceur, c'eft cette 
pitié fi tendre à tous les maux d'autrui, c'efl 
cet efprit jufte & ce goût exquis qui tirent leur 
pureté de celle de l'ame, ce font, en un mot» 
les charmes des fentimens bien pliis que ceux de 
la perfonnCy que j'adore en vous. Je confens 
iqu'on vous puifie imaginer plus belle encore ^ 
mais plus aimable & plus digne du cœur d'un 
honnête homme, non Julie, il n^eft pas poffible« 

J'ofe me flatter quelquefois que le Ciel a mis 
une conformité fecrete entre nos affeâions, ainfi 
qu'entre nos goûts & nos âges. Si jeunes en* 
core, rien n'akere en nous les penchans de la 
nature, & toutes nos inclinations femblent fe 
rapporter. Avant que d'avoir pris les uniformes 
préjugés du monde, nous avons des manières 
uniformes defentir & devoir, &4)ourquoî n'o- 
ferois-je imaginer dans nos cœurs ce même con- 
<:ert que j'apperçois dans nosjugemens? Quel- 
quefois nos yeux fe rencontrent ; quelques fou- 
pirs nous échapent en même tems; quelques 
larmes furtives . . . . ô Julie 1 fi cet accord ve- 
noîr de plus loin .... fi le Ciel nous avoit de- 

ilinés .... toute la force humaine ah, 

pardon ! je m'égare: j'ofe prendre mes vœux 

£our de Tefpoir : l'ardeur de mes defirs prête à 
:ur objet la poffibilité qui lui manque, 

B M J^ 


4 LA NOUVELLEr 

Jç vois avec efFrpi quel tourment mon cceur 
fe prépare* Je ne cherche point à flatter moa 
mal ; je voudrais le haïr s'il écoit poffible. . Jugez 
fi mes fentimens font purs, par la forte de grâce 
ijue je viens vous demander. Tàriflez s'il fepeut 
la fource' du poifôn qui me nourrit & me tue. 
Je ne veux que guérir ou mourir^ & j'implore 
vos rigueurs comme \in amant imploreroit vos 
bontés. 

Ouï, je promets, je jure de faire de mon côté 
tous mes efforts pour recouvrer ma raifon, ou 
Concentrer au fond de mon ame le trouble que 
j*y fens naître: mais par pitié, détournez de moi 
ces yeux fi doux qui me donnent la mort ; dé- 
robez aux miens vos traits, votre air, vos bras, vos 
mains, vos blonds cheveux, vos geflcs ; trompez 
Favide imprudence de mes regards ; retenez cette 
voix touchante qu'on n'entend point fans émo- 
tion : foyez, hélas, une autre que vous-même, 
pour que mon cceur puifTe revenir à lui. 

Vous le dirai-je fans détour? Dans ces jeux 
que l'oifivcté de la foirée engendre, vous vous 
livrez devant tout le monde à des familiarités 
cruelles ; vous n'avez pas plus de réferve avec 
moi qu'avec un autre. Hier même, s'en falut 
peu que par. pénitence vous ne me laifl^fTiez 
prendre un baifer: vous refiftâtes foiblement. 
Heureufement je n'eus garde de m'obftiner. Je 
fentis à mon trouble croifTant que j'allois me 

Fèrdre, & je m'arrêtai. Ah, fi du moins Je 
eufle pu favourer à mon gré, ce baifer eut été 
mon dernier foupir, ^ je ferois mort le plus 
heureux des hommes ! 

'De grâce, quittons ces jeux qui peuvent avoir 
des fuites funeftes, Noni il n'y en a "pas un 

qui 


HELOÏSE, 5 

qui n'ait fon danger, jufqu'au plus puérile de 
tous. Je tremble toujours d'y rencontrer votre 
main, & je ne fais comment il arrive que je la 
rencoritre toujours. A peine fe pofe-t-elle fur 
la mienne qu'un treflàillement me faifit;'le jeu 
me donne la iievre ou plutôt le délire; je né 
vois je ne fenâr plus rien, & dans ce moment 
d'aliénation, que dire, que faire, où me cacher^ 
comment répondre de moi ? 

Durant nos leâurés, c'eft un autre inconvé- 
nient. Si je vous vois un inftant fans votre merè 
ou fans votre coufine vous changez tout k coup dé 
maintien ; vous prenez un air fi férieux fi froid, fi 
glacé^' que le rêfpeâ & la crainte de vous déplaire 
m'ôtent la préfence d'efprit & le jugement, & 
j'ai peine à bégayer en tremblant quelques mots 
d'une leçon que toute votre fagacité vous fatt 
fuivre à peine. Ainfi l'inégalité que vous af- 
feâez to\irne à là fois au préjudice de tous 
deux : vous me défolez & ne vous inflruifez 
point, fans que je'puiiTe concevoir quel motif 
fait, ainfi changer d'humeur une perfonne fi rai- 
fbnnable. J'ofe vous le demander, commcitt 
pouvez-v'oûs être fi folâtre eh public & fi gravé 
dans le tête-à-têté? Je penfois que ce devoit 
être tout le contraire, & qu'il faloit compofer 
fon mairiricn à pi'oportion du nombre des Speâ:a4 
teurs. Au lieu de cela, je voys vois, toujours 
avec une égale perplexité de ma part, le toii 
de cérémonie en* particulier & le ton familier 
devant tout le monde. Daignez être plus égale^ 
peut-être ferai-je moins tourmenté. 

Si la confmiferation naturelle aux âmes bien 
nées peut vous attendrir fur les peines d'une in- 
fortuné auquel vous avez témoigné quelque 

B 3 eftime. 


6 LA NOUVELLE 

eftime^ de légers changemens dans votre .con<^ 
duite rendront fa fituation moins violente. Si; 
lui feront fupporter plxis paifiblesnent & foa 
filence & fes maux : û fa retenue & ion état ne 
vous touchent pas, & que vous vouliez ufer du 
droit de le perdre» vous je pouvez fans qu'il ea 
murmure : il aime mieux encoire périr par vo- 
tre ordre que par un traniport indifcret qui le 
rendit coupable à vos yeux^ £nfîn, quoique vou^ 
prdx>nniez de mon fort ; au moins n'aurai-je 
point à me reprocher d'avoir pu former uii 
efpoir téméraire, & il vous avez lu cette lettre^ 
vous avez fait tout ce que j'oferois vous de- 
mander, quand même jo n^aurois point de refu» 
à craindre. 


L E T T R E IL 
^Ju^e. 

QUE je me fuis abufé, MademoifeUe, dans 
ma première lettre ! Au Ueu de foula« 
ger mes maqx, je n'ai &it qne les augmenter ca 
m'expofant à votre difgrace, & je fens que le 
pire de tous eft de vous déplaire» Votre filence» 
yotjpe air froid &c refervé ne m'annoncent qu^ 
trop qion malheur. Si vous avez exaucé ma 
prière en partie, ce n'eft que pour mieux m'eA 
punir,^ 

E pot ch^amor dl me vl fece ûccârta 
Fur i biondi capêlli alhr vilûti^ 
£ Pamorofofguardoi in Je raaolta* 

Vous 


H E L O I s, E. > 

Vous Vetfinchiez en publie rifiAocèiHe âmiliarité 
dont j'eus la folie de mfe phindre ; mais vous 
n'en étés que plus févéré dans le particulier, & 
votre ingénieufe rigueur s'exerce également par 
votre compkifance èc par vos refus. 

Que ne pouvez- vous connoitre combien cette 
froideur m'eft cruelle ! vous me trouveriez trop 
puni. Avec quelle ardeur ne voudrois-je pas 
revenir fiir le pafle, & faire que vous n*euffiez 
point vu cette fatale lettre! Non*) dans la 
crainte de vous oilenfer encore, je n'écrirois 
point celle-ci fi je n'euflè écrit la première, & 
je ne veux pas redoubler ma faute, mais la ré- 
parer. Faut- il pour vous appaifer dire que je 
m'abufois moi-même i Faut-il protefter que ce 
n'étoit pas de Tamour que j*avois pour vous ? 
••••••• moi je prononcerois cet odieux parjure ! 

Le vil menfonge eft-il digne d'un cœur où vous 
régnez? AK! que je fois malheurex, s'il faut 
l'être ; pour avoir été téméraire je ne ferai ni 
menteur tii lâche, & le crime que mon coeur a 
coiiimis, ma plume ne peut le defavouer. 

Je ftns .d'avance le poids de votre indigna^ 
ition^ te j'en attends les derniers efiêts, comme 
àxté ^ace tcfue voue^ mè devez au (tefaut de 
toute autre'; car le feft qui me confnme mérite 
é'être puht, nmis «cm méprifé. Pai^ pitié ne 
m'abandonnez pas à nioi«mème ;. daignez au 
moins difpofer de mon fort; dites quelle efl: 
votre volonté. Quoique vous puif&ez me pre- 
fcrire, je ne faurai qu'obéir. M'impofez-vous 
un filence éternel ? je faurai me contraindre à 
le garder. Me banniflèz-vous de votre pré- 
fence ? Je jure que vous ne me verrez plus. 
M'ordônnez-vous 'de mourir? Ah! ce ne fera 

B 4 pa» 


'%r 


« LA.NOUVELLE 

pas le plus difficile. II n*y a point d'ordre att<* 
quel je ne foufcrive, hors celui de ne vous plus 
aimer : encore obéirois-je. en cela même, s'il 
m'étoit poffible. 

Cent fois le jour je fuis tenté de me jetter à 
vos pieds» de les arrofer de mes pleurs, d'y 
obtenir la mort ou mon pardon. Toujours uh 
eiiroi mortel glace mon courage ; mes genoux 
tremblent & n'ofent fléchir ; la parole expire fur 
mes lévreçy ic mon ame ne trouve aucune aiTu- 
rance contre la frayeur de vous irriter. 

Eft-ilau monde un état plus affreux que le 
mien ? Mon cœur fent trop coïnbien il eft 
coupable & ne fauroit ceiTer de l'être ; le crime 
& le remord l'agitent de. concert, & hns favoir 
quel fera mon deflin, je flotte dans un doute in- 
fupportahle, entre Tefpoir de I^ cléaience & la 
crainte du châtiment. î. 

Mais non je n'efpere rien, je n'ai droit 
de rien efpérer. La feiile grâce que j'attends 
de vous eft de hâter, mon fupplice. Contentes^ 
une jufte vengeance. Eft-ce être afles. malheu- 
reux que de me voir réduit à la foUiciter nioi- 
jnême? PuniiTez-moi» vous le devez: maisifi 
vous n'êtes impitoyable, quittez cet air /roid & 
mécontent qui me. met au defefpoir: quand 
on ehvôye. un coupable à la mort^^ on &• 
iui montre plus de coléie*. 


XETTRi: 


HELOISE. 9 


LETTRE IIL 

A Julie. 

NE vous impatientez pas, MademoUcIIe i 
voici la dernière importunité, que voua 
Kcevrez de moi. 

Quand je commençai de vous aimer, que 
j'etois loin de voir tous les maux que je m'ap* 
prêtois ! Je .'ne ièntis d'abord que celui d'un 
amour Tans efpoir, que la raifon peut vaincre à 
force; de tems ; j'en connus enfuite un plus grand 
dans la douleur de vous déplaire; & maintenant 
j'éprouve le plus cruel de tous, dans le fenti«» 
nent de vos propres peines. O Julie ! je le voi» 
avec amertume, mes plaintes troublent votre re-^ 
pos. Voi;^ gardez un filence invincible, mais tout 
décèle à mon cœur attentif vos agitations fecre* 
tes. Vos yeux deviennent fombres, rêveurs, fixés 
c;n terre ; quelques regards égarés s'échapent fur 
moi; vos. vives couleurs, fe. fanent; une pâleur 
étrangère couvre vos joues ; la gaité vous aban- 
donne ; une trifiefie mortelle vous accable; & 
il n'y a que l'inaltérable douceur de votre ame 
qui vous préfervé d'un, peu d'humeur. 

Soit fenfibilité, foit dédain, foit pitié pour 
mes ibuiFrances, vous en êtes afFeâée, je le 
vois; je crains de contribuer aux vôtres, & 
cette crainte m'afflrge beaucoup plus que refpoif 
qui dçvroit en naître, ne peut me flatter; car oa. 
je me trompe moi-mêj^e, ou votre bonheus 
la'efl plus cher que le mien. 

B 5 Ccpcof 


lo LA NOUVELLE 

Cependsmt en revenant a mon tour fîir moiy^ 
je commence à connoître combien. J'avois mal 
jugé de mon propre cœur, & je vois trop tard 
que ce que j avoi» d^abord pi^is pour un délire 
pafia^er, fera le deftjn de ma vie. C'eft le 
progrès de votre triftefle qui m'a fait fentir celui 
de mon mal. Jamais,, non, jamais le feu de 
vos yeux, l'éclat de votre teint, les cbûriiies de 
vocre efppit, toutes les grâces de votre ancienne 
gaité, n^euflent produit un effet femUable à ce* 
lui de votre abattement. N'en doutez pas, di- 
vine Julie, fi vous pouviez voir quel embraft-^ 
ment ces huit jours de langueur ont allumé dans^ 
mon ame,^ vous gémiriez vous-même des nnau» 
que vous me cauièXe Ils fofit déformais fan» 
feméde, & je&ns avec defefpoir que le feu qu» 
me coniume ne s'éteindra qu'au tombeau. 

N'importe ; qui ne peut fe rendire heureuie 
peut au moins mériter de l'êfire, & je faura» 
vous forcer d'eftimer un homme à qui vou» 
n'avez pas da^né faire la moindre réponfe* 
Je fuis jeune & peux mériter un jour la con«- 
fidération dont je ne fuis pas maintenant dig^e. 
En attendant, il faut vous rendre le pepos que* 
j'ai perdu pour toujours, & que je voâs ôte icF 
malgré moi. 11 eft jufte que je perte feul la 
peine du crime dont je fuis feul coupable. Adieu», 
trop belle Julie, vivez tranquille ic reprenez, 
votre enjouement; dès demain vous ne me 
verrez plus. Mais foyez fure que l'amour ar- 
dent & pur dont j'ai brûlé pour vous ne s'étein- 
dra de ma vie, que mon cœur plein d'un fi digne 
objet ne fauroit plus s'avilir, qu'il partagera de» 
formais fes uniques hommages entve vous & la- 
vertu, & qu'on ne verra jamais profeiier par* 
d'autre» feux l'autel où Julie fut adorée. 

BILLET, 


H E L O I s E. ri 




BILLET. 

De JuUe. 

N'Emportez pas ropinfen d'avoir rendu vo«^ 
tre éloignement nécefiaire. Un cœur ver'* 
tileûK fâuroit fe vaincre on fis talle, & devien- 

droit peuii-être àscraindre,. Mai» vous • ». 

vou« pouvez refier. 

REPONSE. 

Je me fuis tu longtems ; votre froideur m'a 
fiiit parler k la fin. Si Ton peut ffe Vaincre pour 
lia vertu. Ton ne fupporte point le mépris de ca 
qu'on aime. II faut partir. 

H. B I L L E T. 

De Julie. 

NO N, Monfieur ; après ce que vous avess^^ 
paru fentir ; après ce que vous m'avez ofé 
tfirc; un homme tel que vous avez feint d'être 
'Uk part points il fait plus. 

REPONSE. 

• 

Je n'ai rien femt, qu'une paflion modérée». 
cUÀ uft cœur au defefpoir. Demain vous ferc& 

B- 6 contente^ 


14 \, UA NOU V Ë Via E 

contente, & quoique vous* en puiffiez dire> j'à\f* 
ni moins £att que de partir. 

«MMiMHMMHiinniHiÉ«HHaMHpaiH«Ml^iMpniHMiiHHMk^M^ 

JII. BI L L,E T. 

INf^nfé ! fi.meç joui» te font diers» crains ^^a(> 
te;\t.ér auj;tiens^. Je fuis obfédée, & nepuis^ 
ni vous parler ni vous écrire jufqu'à. demain» 
Attendez, 


' LrÊ T T RE IV. 

De Julïu 

IL £aut donc Tavouer enfin, ce fatal' fêcret 
trop mal déguifé ! Combien de fois j'ai juré 
qu'il ne fortiroit de mon çqeuc qu'avec la vie ! 
La tienne eh danger me Parraclie ; if m'échape,. 
& l'honneur eft perdu. Hélas ! j'ai trop tenu^ 
parole ; eft-il une mort plus cruelle que de fur« 
vivre, à l'honneur ? 

Que dire, conunent rompre un fi pénible 
Clence ? Ou plutôt n'al-je pas déjà tout dit, & 
ne m'as-tu pas trop entendue ? Ah tu en as trop 
vu pour ne pas deviner le * refte ! Entraînée par 
dégrés dans les^ pièges d'un vil fédu£);.eur, je vois^ 
fans pouvoir m'^arréter l'horrible précipice t>ii je 
cours* Homme artificieux ! c'eft bien plus mpn 
^JXÀm que le tien qui fait ton audace. Tii vèJa 

1- "' 


HE L O I S E. jj 

|^egâirà)ent de mott cœur ; tuVen préaux pbw 
me perdre9'& fuand tu nie rends ihéprifabley 
}e pire de mes maux eft d'être forcée à te mépri* 
fer. Âb malheureux !' je t'eftknois^ & tu me 
déshonores ! crois-moi, n ton coeur étoit Ait pouc 
jouir en paix de ce trioaiphe> il ne L'eut jamai» 
obtenu. 

Taie iais^, tes remords en augmenteront f je 
B'avoiâ.point dans Tame des inclinations vicieufes» 
La modeftie & Pbonnéteté m'étoient chères ; jT^ê*- 
mois à les nourrir dan» une vie fimple & labori* 
eufe. Qiie m'ont fervi des foins que le Ciel 9 
Kjettés fDès le premier jour que j^eus le mal- 
heur de te voir, je fentts Le poifon qui corrompt 
mes fens & ma railbn $ je le' fentis du premier 
îoftanty & tes yeux tes fentimens tes difcours t^ 
plume criminelle le rendent chaq^ue jour plut 
mortel •■ 

Je n'ai rien négligé pour arrêter le progrès de 
cette paffion funefte. Dans l'impuiflance de ré-^ 
fifter, j'ai voulu me garantir d'être attaquée ; te» 
pourfuitea-ont trompé ma vaine prudence. Cent 
fois j'ai yeuiu me jetter a^ix pieds des auteurs de^ 
mes jours, cent fois j'ai voulu leur ouvrir mon. 
cœur coupable ; ils ne peuvent connoitre ce qui^ 
s'y pafle : il» voudront appliquer des remèdes or»^ 
dinaires à un mal defefpéré ; ma mère eft foible-g 
& fans autorité ; je conneis l'inflexible févérlté^. 
de mon père, & je ne ferai que perdre & desho-'^ 
norer moi ma ^^ille & toi-même. Mon amie 
eft abfente, mon frère n'eft.plus; je ne trouve 
aucun proteâeur au monde contre l'ennemi qui<^ 
me pour&iit; j'implore en vain le Ciel, le Ciel« 
eft fourd aux prières des foibles. Tout fometite 
l'ardeur qui me dévores tout m'abandonne, k: 

moyg 


/ 




14 I.A NOUVELLE 

WHn^wmiéf ou f^ôt tout me Utrt! à t^t 
^um entière fiHobfe^ttt.taleQinpIke^, tOii&mes^ 
e&>m (orit vaiitd, j^ f adort en dcj^t de moH 
sieine< Cominefit n)on tctiir^ qui n'» pH TeiiiW 
clans toute fa foroe9.ce4ercii^-il mainleilaDt à deftii t 
comment ce cœur qui ne fait rien dUSm^let ttf' 
cacheroit-il le refie de ùl fotUefTe ? Ah ! le pré*- 
mier pa»» ^ covto le plu», étoit celai qu'il ne 
&loit pas faire; coouBtent tfj'arrêteFôis>}e ain» 
autres/ Non, de ce preiïiter pas '^ i6& fen#- 
«itrjuiler dans l'abimey & tu pei» mei'erïdre^ 
auiH rliaiheureuiê qu'il te plaira. 

Tel cft l'état affreux i>\Ê je nie vcas^ que jp 
ne puis plus avoir recours qu'à celui <pii m'y a 
fédutte, ic que pour me garantir de ma plerte^ 
tu dois être mon unique ^ffenfeur contre tôi^^ 
Je po^vois» je le fais» différer cet aveu de moi» 
defefpoir; je pouvois quelque tems déguifer mai 
kfûnte) & céder par degrés po^f m'en! impofer 
à moi-même. Vaine addiefle qui pouvoit flatter^ 
Mon amour-propre, £s non pas (àuver ma vertu» 
Va, jfe vois trop, je fens trop ou. mené la prc-i 

ÎtA^nfiefe faute, & je ne cherdioi^ pas à pcépârét nSial 
'd;viiine, mais à l'éviter. i 

& •' Toutefois il tu n'es pas le dernier déa homaMS»» 
parfi quelque étinceUe de vertu brilla daUfi tename^ 
viVs'il y refte encore quelque tjface des féntînesd^ 
'«Phonneuit dont tu m^às paru pénétré, puis- je te' 
Cle^mi'c affés vil pot» abûlfer dé l'aveu fatal q>i^ 
ne iwcm délire m'arrache ? Non, je td oonniok bien^jt 
vu tu foutiendras ma foiblef&, tu* deviendras n^an 
<^é|fiHivegardey ta protégeras ma peffonne contie^ 
fai mon propre cœur. Tes vertus font le demier 
cob|«fuge de mon innocence^ mon honAcbr s'ofr 
^mçoiact au tien» tUr ne peux conièrver ru» tuit. 

l'autre > 


H E L O ï s E. x$ 

Fautre ; amc génércufe, ab ! conferve-Jes tou* 
^eux, & du moins, pour Tamour de toi-même 
daigne prendre pitié de moi. 

Ô Dieu ! fuis- je aiilts humiliée f Je t'écris ^ 
genoux ; je baigne mon papier de mes pleurs ^ 
jr'éléve à toi mes timides- fiipplications» Et ne 
penfe pas, cependant, que j'ignore que c'étoit 
à moi d'en recevoir, & que pour me faire obéir je 
n^avois qu'à me rendre avec art méprifàbie.^ 
Ami, prend ce vain empire, tt laiilê moi llion* 
fiêteté : j*aiine mreux être ton efcJave & vivre 
kinocente, que d'acheter ta dépendance au prix 
àe mon deshotmeufr Si tu daignes m'écouter,. 
que d'amoufy que de refpeéis ne dois-tu pas 
attendre de celle qjjî te devra fon retour à la vie ? 
Quels charmes dans la douce union de deux 
smies pures ! Tes defirs vaincus feront la fource 
de ton bonheur, èc les plaifira dont tu jouira» 
feront dignes du Giel même. 

Je crois, j'efpére qu'un cceur qui m*a paru» 
mériter tout Rattachement du mien ne démentir» 
pas la générofité que j'attens de lui« Ji^êfpére 
encore que s'il étoit afiës l^he pour abufer de 
mon égarement & des aveux qu'il m'arf^che, 
le mépris Tindignation me rendroient Ta raifon» 
que j'ai perdue, & que je ne ferois pas affés lâche 
moi-même pour craindre un amant dont j'aurois 
à rougir. Tu feras vertueux ou mépriie; j[e 
ferai refpeâée ou guérie ; voila Tunique eipour 
%ui me refte avant celui de mourir» 


; / 

LETTRE 


•i6 LA NOUVELLE 


LE T T R E V. 

/i Julie, 

PUiflances. du Cfel î pavois une âme pour la 
douleur^ donnez m'en une pour la félicité*. 
Amour, vte de l'ame,^. viens foutenir la mienne 
prête à défaillir. Charme inexprimable de la 
vertu ! Force invincible Je la voix de ce qu'oa 
aimeT bonheur^ plaifirs, tranfports^ que vo& 
traits font poignants ! qjui peut en foutenir, Tat*- 
teintè ? O comment fuifire au torrent de délices 
qui vient inoAder mon cœur ! comment expiée 
les al larmes d'une craintive amante ? Julie ... 0. 
non! ma .Julie à gendux! ma Julie verfer des 
pleurs ! • . . . celle à qui l'univers devroit des 
hommages fupplier un homme qui Tadore de ne 
pas Toutrager, de ne pas fe deshonorer lui-même l 
fi je pouvois m'indigner contre toi je le ferois». 
pour tes frayeurs qui nous aviliffent! juge mieux^; 
Beauté pure & célefte,'de la nature Je ton empire L 
Eh ! fî j'adore les charmes de ta perfonne, n'eft-ce 
pas fur tout pour l'empreinte de cette ame fans.' 
tache qui l'anime, & dont tous tes traits portent 
la divine enfeigne? Tu crains décéder âmes 
pourfuites ? mais quelles pourfuites peut redouter 
celle qui couvre de refpeâ & d'honnêteté tous. 
ks fentimens qu'^eHe'fnfpire ? eft-il un hbmmtf 
affés vil fur la terre pour ofcr être téméraice avec 
toi? 
. Permets, permets que je favoure le bonheur 
\inattendu d'être aimé . • • « aimé, de celle • . . . • 


r- 
* 


H E L O I s E. rr 

trône du monde» combien je te vois au dcdoot 

de mai ! Que je la relife mille fois, cette lettne 

adorable où ton amour & tes fentimens font 

écrits en caraâéres de feu $ où, malgré tout 

l'emportement d'un- cœur agité, je vois avec 

transport combien dans une arae honnête les 

.paffions les plus vives gardent encore le faint 

.caraâére'de la vertu. Quel monftre, après 

avoir lu cette touchante lettre, pourroit abufer 

de ton état, & témoigner par l'aâe le plus 

marqué ion profond mépris pour lui-même? 

Non, chère amante, prend confiance en .\m 

ami fidelle qui n'eft point fait pour te tromper. 

Bien que ma raifon foit à jamais perdue, bien 

que le trouble de mes fens s'accroiflè à chaque 

inftadt, ta pecfonne eft defotnjais pour moi le 

iplus charmant, mais, le pluiifacré dépôt dont 

Jamais mortel fut honoré. Ma flamme & fon 

objet confcrveroxit ehfemble une inaltérable 

pureté. Je frémirois de porter la mafn fur tes 

chafles attraits, plus que du plus vil incefte, 

& tu n'es pas dans une fureté {dus inviolable 

avec ton père qu'avec ton amant.- O £ jam^ 

.cet^iunant heureux s'oublie un moment devant 

.toi ........ l'amant de Julie auroit une ame 

abjeâe ! Non, quand je cefi&rai d'aimer 1^ 
.vertu, je ne t'aimerai plus \ à ma première lâcheté, 
je ne veux plus que tu m'ainaes. 
. Rafiiire^toi donc, je t'en conjure au nom 
du tendre & pur amour qui nous unit ;. c'cft 
à lui de l'être garant de ma retenue & de mon 
refpeâ, c'eft à lui de te répondre de lui-même» 
£t pourquoi tes craintes iroient-elles plus loin 
que mes defîrs ? à quel autre bonheur voudrois* 
je afpirer, fi tout mon cœur fuffit à peine à 

c«lui 


rt LA NOUVELLE 

oelai qu'il goûté ? Nous fommes jeunes totls 
deux, il eA vrai; nous ahho^s pour la pre- 
mière & l'unique fois de la vie^ & n'avons nutfe 
coB^rience des* pafiions; cnais Thonneur qui 
nous conduit eft-il un guide trompeur f a^t-il 
befoin d'une expérience fufpeâe qu'on n'acquiert 
qu'à force de vices ? J'ignore fi je m'abufe, 
mais il me femble que les fentimens droits forrt 
tous au fond de mon ctseur. Je ne fuis poir^t 
uti vil fédfèâeur, comme tu m^appelles dar»s 
ton defefpoir, mais un homme fimple & fef>- 
fible, qui montre aifémei|t ce qu'il fent & ne 
fent rien dont il doive rougir. Pour dire tout 
en un feul mot, j'abhorre encore plus le cricne 
que je n'aime Julie. Je ne fais, non, je ne 
&is pas même fi l'amour que tu fais naître eft 
compatible avec roublt de la vertu, & fi tout 
autre qu'une ame honnête peut fentir afiës f0U9 
tes charmes» Pour moi, f^tis j'en fuis pénéh 
tré, plus meâ fentimens s'ëlevent. Quel bien» 
que je n'aarois pas ^ait pour lui^ntêiiie, ne 
ferois*je p2» maintenant pour me ifndre digne 
tde toi ? Ah\ d«fgfie te confier mx hvnc que 
tu m'ixifpi»9« & qoe tu iaift fi bien ^ifiet; 
cr^is qu^il . fi^ que ie t'adore pi>ur reipeâeir k 
janiaèfle prédeuf dépôt dont tu ifi'as chargé. 
O quel cotu? je v^s poflèder! vtii bonheur, 
gFoire de ce qu'on ^ime^ triomphe d'un amour 
qui s'hôiforet cdnrintfn tu vau^ mieux que tous 
•fes pWfirs ! - ■ . 


»■ 


LETTRE 


H E L O î s E. tg 

LETTRE VI. 

De Julie à Claire. 

V Eux- tu, ma CouCne» paflèr ta vie } 
pleurer cette pauvre Chaillot, & faut- il 
que les morts te fafTent oublier les vivans ? Tes 
jregrets font jufles, & je les partage, mai» 
doivent.ils être éternels ? Députa la perte de ta 
mère elle t'avoit élevée avec le plus grand foin % 
elle étoit plutôt ton amie que ta gouvernante. 
£l]e t'aioioit tendrement & m'aimoit parce que 
tu m'aimes; elle ne nous infpira jamais qu9 
des principes de fagefiè & d^honneur. Je fais 
tout cela, ma chère, & j*en conviens avec 
plaiilr. Mais conviens auffi que la bonne fem* 
œe étoit peu prudente avec nous, qu'elle neuf 
feifoit fans néceffité les confidences les plus ki* 
difcretes, qu'elle nous entretenoit fans ceflè des 
maximes de la galanterie, des arantures de (a 
jeuneflè, du outnége des amans, & aue pour 
nous garantir des piéges'des homm^,. u elle ne 
nous appre^oit pas à leur en tendre^ elle non* 
inilruifok au moins de sûUe cbofes que de jeu- 
ises filles le pafièroient bien de (avoir. Confolp 
toi donc de fa perte, comnie d'un mal qui n'eft 
pas bas qitelque dédommagement. A Fâge oîf 
nous ibnunes, fes leçons commençoient à de^ 
venir dangereules, & le Ciel nous ra peut-êtr^ 
otée au monoent où il n'étoit pas bon qu'elle 
nous reftât plus longtems. Souviens- toi d» 
tout ce que tu me difois quand je perdis le 

meiUeuf 


20 LA NOUVELLE 

meilleur des frères. La Chaillot t'eft-elle plix^ 
chère? As-tu plus de raifons delà regretter? 

Reviens, ma chère, elle n'a plus befoîn dç 
toi. Hélas ! tandis que tu perds ton tems en 
regrets fuperflus, comment ne crains-tu point 
de t'en attirer d'autres ? comment ne crains-tu 
point, toi qui connpîs l'état de mon cceur, 
d'abandonner ton amie à des périls quêta pré- 
feiice auroit prévenus ? O qu'il s'eft paffé de cho- 
fcs depuis ton départ ! Tu frémiras en appre- 
nant quels dangers j'ai courus par mon impru- 
dence. J'cfpére en être délivrée; mais je me 
vois, pour ainfi dircj à la difcrétion d'autrui :' 
c'eft à toi dé me rendre à moi-même. Hâte- 
toi donc de revenir. Je n'ai rien dit tant que 
tes foins étoient utiles à ta pauvre Bonne ; 
j'eufle été la première à t'exhorter à les lui 
rendre. Depuis qu'elle n*eft plus, c'eft à fa 
famille que tu les dois: nous les remplirons 
mieux icr de concert que tu ne ferois feule à la 
campagne, & tu t^acquitteràs dès devoirs de la 
reçonnoifTance, fans rien ôter à ceux de l'amitié. 

Depuis le* départ dé moif Père nous avons 
repris notre ancienne manière de vivre & ma 
mère me quitte moins.- Mais c'eft par habitude 
plus que par défiance. Ses fociétés lui prennent 
encore bien des momens qu'elle ne veut pas 
dérober à mes petites études, & Babi remplit 
alors fa place afles négligemment. Quoique je 
trouve à cette bonne mère beaucoup trop de fécu- 
rité, je ne puis me réfoudre à l'en avertir j je 
voudroîs bien pourvoir à ma fureté fans perdre 
fon eftime, & c'eft^-oi -feule qui peux concilier 
tout cela. Reviens, ma Claire, reviens fans tarder. 
J'ai regret aux leçonS que je prcns fans toi, & j'^ai 

peur 


H E L O I s E. 31 

peur de devenir trop fayaate.. Notre maître n'eft 
pas feulement un homme de mérite ; il eft ver- 
tueux, & n'en eft que plus à craindre.^ Je fuis trop 
contente de Uii pour rêtre de moi. A Ton âge & 
au notre, avec l'hommele plus vertueux, quand il 
eft aimable, il vaut mieux être deux filles qu'une. 


L E T t R E VIL 

\.,Reponfe. 

JE t'enténa, & jtu me fais trembler. T^on que 
je croye le- danger auffi preflâiit que tu 
l'imagines. 'Ta crainte modère la miçnne fur 
le prefent: mais l'avenir m'épouvante, & fi tu 
ne peux te vaincre, je ne vois plus .que des 
malheurs. Hélas ! combien de fois la pauvre 
Chaillot *m'a-t-elle prédit que le premier foupir 
de ton cœur feroit le deftin de ta vie ! Ah, 
Coufine ! fi jeune encore, faut-il voir déjà ton 
fort s'accomplir? Qu'elle va nous manquer, 
cette femme habile que tii nous crois avanta- 
geux de perdre ! 11 l'eut été, peut-être, de tom- 
oer d'abord en de plus fûres mains ; mais nous 
fommes trop inftruites en fortar\t des fiennes 
pour nous laifier gouverner par d'autres, & pas 
âffés pour nous gouverner nous-mêmes: elle 
feule pouvoit nous garantir des dangers aux- 
quels elle nous avoit expofées. Elle nous a 
Beaucoup appris, & nous avons, cç me feoible, 
beaucoup penfé pour notre âge. La vive & 
tendre amitié qui nous unit prefque dès le ber- 
ceau nous a> pour ainfi dire, éclairé le cçeur de 

bonne 


21 LA NOUVELLE 

bonne heure fur toutes les palEons. Nou» 
connoilTons afles bien leurs iignes & leur? 
€£Fets$ il n*y a qtue Tart de les réprimer qui 
nous manquel JDîeu veuille que ton jeune 
philofbphe connoIfTe mieux que nous cet art là. 

Qiian4 je dis mus, tu m'entens j c*eft fur 
tout de toi que je parle : car pour moi» la Bon- 
ne m*a toujours dit que mon étourderie me 
tiendroit lif u de raifon, que je a'auj-ois jamais 
refprit de' fa^pîr aimer, &'qae j^tois trop 
folle pour faire un jour des folies. Ma Ju- 
lie, prend garde à tdi; mieux elle auguroit de 
ta raifon^ plus elle ccaignoit pour ton cœuc 
Ais bon courage, cependant ; tout ce que h 
fagefle* & l'honneur pourront faire, je fais que 
ton ame le fera, & la mienne fera, n'en doute 
pas, tout ce que Tamitié peut faire à fon toun 
Si nous en favons trop pour notre âge, au moins 
cette étude n'a rien coûté à nos moeurs. Crois, 
ma chère, qu'il y a bien des filles plus fimples, 
qui font moins honnêtes que nous: nous le 
fommes parce que nous voulons l'être, & quoi 
qu'on en puîfle dire,^ c'eft le moyen de l'être 
plus furement. 

Cependant fur ce que tu me marques, je 
«n'aurai pas un moment de repos que je ne fois 
auprès de toi ; car fi tu crains le danger, il n'eft 
pas tout-à-fait chimérique. II eft vrai que le 
préfervatif eft facile ; deux mots à ta mère tc 
tout eft fini ; mais je t€ comprends ; tu ne veux 
point d'un expédient qui finit tout : tu veux 
tien t^ôterle pouvoir de fuccomber, mais non 
pas l'honneur de combattre. O pauvre Cou- 

llne ! encore fi la moindre lueur ^ le Ba- 

^on d'Etange cohfentir à donner fa fille, fou 
3 enfant 


H EL Q r S E. 2fg) 

efifent uoiqtiCr à; un. p^t iM)ui>gQoi9 lans. ftr** 
tms^ l tJe^res-ttt / «.•••. q«£e(pérca-tu .donc ? 

que veux-tu ? pauvre, pauvre Goufinc ! 

Ne craifls rien, toutefois, de ma part. Ton 
(fQ^f^km gméi par ton aoiie. . Bien des genS' 
tirouvcioient^ua bonnête: de. le. révéler;: peut-»; 
êtc« auK>ienl-ila làifon. JPouf jsoi qaime fuis; 
paa w» jffêMdQ ti^\bnfÊtv6py jà ne veux point 
4'we .honnête^ qui tr^bit L'amitié, la lioi, la 
confiance; j'imagiof que chaque relation, cha* 
qftet âge a b^ inaidmes, fes devoirs, &s vertus, 

2UÇ ce qui fiwoit. prudence à d'autres, à moi 
^^t IfccBdle,: A^ qu'au lieu de nous rendre fa- 
gep» .<Mà nous lend mécbans en confondant tout 
œld*. Si loV amour eft foîbk, nous Je vain- 
9f9W y s'il, eft exitreme, c'eft Texpcfer à des 
tr^é<&s que de l'attaquer par des moyens vio* 
lens^ & il cie convient à Tanailié de tenter que 
oeuT^ dont elle peut répondre* Mais en re- 
Ymicfae, tu.a^as qu'à marclier droit quand ta 
ibr^ibusma garda Tu^veeras, tu verras co 
i|ue c'eâ qu'une Duègne* de dîx^huit ans I 

Je ne (iiis. pas^ comme tu fais, loin dd toi 
pour nsPA piaifip, U le prlntero^n'eftpaifi agréf- 
2i}>le en cainpagne que tu pen&s ; on y ibuffie à 
b foia le ffOid & le chai^; oa n'a point d'ombre 
à la promirnad^,. &. il biat . fe cbpuflèff dans la 
maifoQ» UlfHï PflTO, de fonxoté ne latfie pas zm 
mUeu 4q fesibâtimena, de $'a|^»cflvoii^ qu'on a 
UffM^ m plus.tard qu'à k viUe^ Aînfi touli 
\$ mofid^ no dômax^de pas.aiif usj que d'y retoui^ 
ner, & tu m'embraflèras, j'efpére^ xlahs quatre 
ou cinq, jouis» Mj»ia cfe qui in!inqusélfe eft. que 
quMl^.ou^cinq joursifoiU je ae fais i combien 
d'heures^ 'dont plufieurs ionijàsâÙDO^ au^philo- 

a '•. V ': ;: .i fopbe. 


%f LA NOUVELLE 

(bphe. Au philofophe, ventens-tu^ Coufitiè ? 
pi^e que toutes ces keuves-là ne doivent tonnes 
que pour lui« 

Ne va pas ici rougir & baiflèr les yeux. Pren- 
dre un air grave» il t^eft impoi&tde ; cela ne feut 
^er à tçs tiaits. Tu fais bien que je né iaurois' 
pleurer iàn^ rire, & que je n'en fuis pan pour 
cela moins fen&Ué ; je ti^m ai pasmoiasdecbaM 
gria d'être loio <le tof; «je n'en regnette pas 
Rtôins' la bonne Cfaaillot. Je te fais. un gré m-^ 
fini de vouloir partage* avec i moi le foili de &' 
famille; je ne rab^ndonnerai de mes -jours» 
mais tu ne ferois plus toi-même fi tu perdois 
quelque occafion de faire du bien. Je C(MivieM: 
que la pauvre Mie étoit babillaide, afles libre' 
dans fes propos famlMers, peu difcrette avec de 
jeunes filles, & qu'elle aimôit à parler de fon 
vieux tems. Âuffi ne font-ce pas tant les quali- 
tés de fon efprit que je regrette, bien qu'ellç en 
eut d'excellentes parmi de mauvaifee. La perte' 
que je pleure en elle, c'eil fon bon cœur, fon 
parfait attachmentqui lui donnoit à la fois pour- 
moi la tendrefiè d'une mère & la confiance d'une 
Asun Elle me tenoit liga de toute ma famille ; 
k peine ai-je connu m^ mère ; mon père m'aime 
autant qu'il peut aimer ; nous avons perdu ton 
aimable frère; je kie vois prefque jamais les 
miens; Më voila comme une orpheline dé*: 
laifTée. Monenfiuit, tu me reftes feule ; carta^ 
bonne mère , c'eft tcM. Tu as raifon pourtant,^^ 
Tu me reftes: je pleuras ! j'étois donc folle :■ 
qu'avois-je à pleurer ? ' - 

P. S. De peur d'accident j*addreffe cette let- 
tre a notre m^tre^ afin qu'elle te parvienne 
plus fiirement» ; ^ 

LETTRE 


HELOÎSE 25 
LETTRE VIII. (a) 

* • 

yf Julie. 

• • * 

OUels font, belle Ju^ie, les bizarres caprices 
de ramoui ? Mon; cœur a plus qu'il 
nVperoit, & n'eft pas content. Vous m'aimez, 
vous me le dites» & je fouoire. Ce cœurinjufte 
oft defirer encore, quand il n'a plus, rien k de- 
firer; il me punit de fes fantaiiies, & me rend 
inquiet au (ein du bonheur. Ne Croyez pas que 
j'aye oublié les loix,. qui me font impofées, ni 
perdu la volonté ^e les obferver ; non, mais un 
fecret dépit m'agite en voyant que ces loix ne 
coûtent qu'à moi, que vous qui vous préten- 
diez fi' foibip êtes ft forte à prefent, & que j'ai 
(i peii de combats à rendre contre moi-même, 
tant je vous trouve attentive à les prévenir. 

Que vous êtes changée depuis. deux mois, 
fans que rien ait changé, que vous ! Vos lan- 
gueurs ont difparu ; il n'eft plus queftion de dé- 
goût ni d'abattement; toutes les grâces font 
venues reprendre leurs poiles ; tous vos charmes 
fe font ranimés i la rofe qui vient d'éclorre n'eft 
pas plus fraîche que vous ; les faillies ont recom- 
mencé ; yous avez de l'cfprit avec tout le mondes 
yous folatrçz, même avec moi comme aupara^ 

(a) On fen^ ^u*il y a ici une hcufie, & Ton en trouve fou* 

.vent dans la fuite de cette correfpondance. PJu£eurs lettres Te 

'font perdues ; d'antres ont été luppriméed; d*aûtresi>rit tànf~ 

fert des retranchemens : iRtis ii ne manqne rien d*e(rei|tifâ 

^u^on ne puifle aifémçnt fuppléer, à Taide de ce qui refte. 

. Tmf I. C vant; 


t6 LA NOUVELLE 

yant 5 &, ce qui m'irrite plus que tout le rcfte, 
vous me jures un amour éternel d'un air aùffl 
gai que fi vous difiez la choie du monde la plus 
plaifante. 

Dites, dites, volage ? £ft-ce là le caraâére 
d'une paffion violente réduite à fe combattre 
elle-même, & fi vous aviez le moindre defir à 
vaincre, la contrainte n'étouflêroit-elie pas au 
moins rehjouement ? Oh que votts ét^ bien 
plus aimable quand rovtà ititz moins belle ! (^û 
je regrette cette pâleur touchante, précieux ga^ 
ixi bbnbenr^d^taif'afnànt, & 'que je haSs riiK»^ 
crette fanté que vovts avet, recouvrée aux dé* 
jpends de mon reposT Oui, j'àinHirè^ -mîolttdi 
vous voir malade ençpre, que cet air content^ 
cesyeyx briUans, ce ternt fleuri qui m'ôutràgeint» 
Avez- vous oùblré fitôt qvtt v^ous il^^tiez pas' aînfi 
quand vous imploriez ma clémence ? Julie, Ju- 
lie ! Qiie cet amour fi vif eft devenu tranquille 
en peu de tems ! - 

Mais, ce qui m*offenfe plus encore, c'eft 
qu'après vous être remife à Ina difcretion, vous 
paroiflez vous en défier, te que vous fukz les 
dangers comme s'il vous en reftoit à craindre. 
£ft-ce ainfi que vous honorez ma retenue, & 
mibn inviolable re^â méritoit-il cet aiFront de 
votre part ? Bien loin que le départ de votre pè- 
re nous ait laifle plus de liberté, à peine peutK>a 
vdus voir feule. Votre inieparable Coufine ne 
vous quitte plus. Infenfiblement notisiallons re- 
prendre nos premières manières de vivre & notre 
ancienne circonfpeâion, avec cette unique dif- 
férence qu'alors elle vous étoit à charge & qu'elle 
vous plait msuntenant. 

Qyer 


H E L p I s E. 27 

Quel fçra donc le prix d'un fi pur hpmoiage 
il vofriB jeftîme ne Teft pas, & de quoi me fert 
Tabfi^efic^ éternelle ic volontaire de ee qu'il / 
ji de plus doux m monde fi celle qui Texige ne 
m'en fait aucun gré ? Certes, je fuis las de fouf- 
frk inu^lemeat, & de me coodanomcr aux plu* 
dures jprivations fans cogvoir ipême le inéritç^ 
Quoi f faut-il que vous embelliffiez impunément 
tandis que vous me meprÂfte j faut-îl qu'i». 
ceflàmment mes yeux dévorent des charmes 
dont jamais ma bouche n'oTe approcher? 
Faut-il enfin que je m'ôte'à moi-même toute 
efperance, fans pouvoir au moins m'honorer 
d'un facrifice auffi rigoureux ? Non, puifque 
vx>us ne vous fiez pas a xn^ foi, je ne veux 
plus la laiiler vainem/e^t eng^ée ! c'eft une fu- 
reté injiifte que celle que vous tirez à la fois de 
ma parole & de vos précautions ; vou^ êtes trop 
ingrate ou je fuis trop'fcrupuleux, & je ne veux 
plus refufer de la fortune les occafions que vous 
n'aurez p^ lui ôter. Enfin quoiqu'il en foit de 
inon forjt, je fçns que j'ai pris une charge au- 
de^> 4|^.9)fes, fqrfes^ Julie, reprenez la garde 
de vo^S7lnéme; Je vous rends .un dépôt trop 
da9ge;r^U:X pour la fidélité du depofitaire, &dont 
la deffenfe coûtera moins à votre cœur que vous 
n'avez fei|it de le craindre. 

Je vous le dis férieufement ; comptez fur 
vous, ou chaiTez^moi, c'eft-à-dire, ôtez-moi la 
vie. J'ai pr^s un eogagement téméraire. J'ad- 
Qiire comment je l'ai pu tenir fi longtems $ ie 
ikis que je dois toujours, mais je le fens qu^il 
m'eft i^ippi^ble. On mérite de fuccombec 

Îuand on s'impofe de fi périlleux devoirs, 
'royez-moi^ chère ic tendre Julie, croyez-çn 

C 2 ce 


28 LA NOUVELLE 

ce coeur fenfibfe qui ne vît que pour vous^ vous 
fêtez toujours refpeftéej mais je puis iih inftaht 
manquer de raifon, & rivreilè -des fens peiit 
diâer uit crime dont on aiiroit'hcJrrcUr dé fang- 
froid. Heureux de n^avotr point trompé votre 
cfpoir, j'ai vaincu deux iDois» & vous me deyess 
]e prix de deux fiecles de foufFrances. i 

-•• • »- » >. j i , , ^ 

LE T t. R E I^: ' ' f> 
' De Julie: ''' ' ' ^ 

J'Entens : les plaifirs du vice & Thonneur de 
. la vertu vous feroient un , fort agréable ? Eft- 
ce là votre morale? ....:. Eh ! ' mon bon ami, 
vous vous làlTez bien vite d'être généreux! Ne 
l'étiez- vous donc que par artifice ? La finguliere 
marque d'attachement, que de vous plaindre de 
"ma fanté ! feroit-ce que vous efpériéz voir mon 
fol amour achever de la détruire, & que vous 
m'attendiez au moment de vous demander îa 
vid ? ou bien, comptiez* vous de me refpcâicr 
aufîi longtems que je feroîs peur, & de vous 
retrafter quand je deviendrois fupportable? Je 
ne vois pas dans de pareils facrifices un mérite à 
tant faire valoir. 

Vous me reprochez avec la même équité le 

ïbin que' je prends de vous fauver des combats 

' j)erîibles avec vous-même, comme Ji vous ne 

^ deviez pas plutôt m'en remercrer. ' Pùîsi vous 

' vous retraôez de l'engagement que vous avez 

pris, comme d'un devoir trop à charge; en forte 

'que dans la même lettre vous vous plaignez de 

ce 


H E L O î s E. «9 

ce que vous, avez trop de peine, &de ce que 
vous n'en avez pas affîs. Penfez y mieux ic 
tâchez d'être d'accord avec vous, pour donner 
à vos prétendus griefs une couleur moins frivole. 
Ou plutôt, quittez toute cette diffimulation qui 
n'eft pas dans votre .caraâere. Quoique vous 
puiffiez dire, votre cœur eft plus content du 
mien qu'il ne feint de l'être ; Ingrat, vous fayez 
trop qu'il n'aura jamais tort avec vous! Votre 
lettre même vous dément par fon ftile enjoué, 
& vous n'auriez pas tant d'efprit fi vous étiez 
moins tranquille. En voila trop fur les vains, 
reproches qui vous regardent j pafibns a ceux' 

3ui me regardent moi-même, ti qui femblent 
^abord m ieux fond es. 

. Je le fens bien; Ja vie égale & douce que 
nous menons depuis deux mois ne s'accorde, 
pas avec ma déclaration précédente, & j'avoue 
que ce n'eft pas fans raifon que vous êtes furpris 
de ce contraAe. Vous m'avez d'abord vue au de- 
fefpoir ; vous me .trouvez à préfent trop palfible ; 
de là vous accufez mes fentimens d'inconftance 
& mon cœiir de caprice. . Âh mon ami ! ne 
le jugez-vous point trop févérement? Il faut 
plus d'un jour pour le connoître. Attendez, & 
vous trouverez peut-être que ce cœur qui vous 
aime n'eft pas indigne du votre. 

Si vous pouviez comprendre avec quel efFro^ 
j'éprouvai les premières atteintes du fentiment 
qui m'unit à vous, vous jugeriez du trouble qu'il 
dût me cau/er. J^ai été élevée dans des maximes 
fi févéres que l'amour le plus pur me paroifToit le 
comble du deshonneur. Tout m'apprenoit ou 
me faifoit croire qu'une fille fenfible étoit perdue 
au premier mot tendre échapé de fa bouche; 

C 3 mon 


36 LA NOOVËLLM 

mon îmagrAatïon troub!ée coÂfèndoif^ le, èritrfe' 
avec l'avea de la pzÛhn ; & j'avois nùt (t aiFrftufe' 
idée de ce premier pas, qu'a peiné t'oyois-je au 
delà ntil intervalle jufqa'au dernier. L'cxédHvc 
. défiance de moi-même augntenta mes allarmes j 
les combats àé la modeftre me parurent ceux de 
l'a chafteté; je pris lé tourment du fileiice pour 
l^emportemettt desdéfirs. . Je me cra^* perdue 
âuffi-tôt que j'aurais patlé, & cependant Û faîoit 
parler du vous perdre. Ainfi fie pouvant plus 
déguifer mes fentimens, je tâchai d'exciter la 
générolité des vôtres, & me fiant plus à vous 
qu'à moi, je voulus, en intcreflailt vbtt^éhonneur 
à ma defFenfé, nie ménager des refTource^ dont 
je me croyois dépourvue. 

J'ai reconnu que je me trompôis ; je n*eu$ 
pas parlé que je me trouvai foalagée ; Vous 
ii'eute$ pas répondu que je me fentis . tQut-à-fait 
calme, & deux mois d'expérience m'ont appris 
que mon cœur trop tendre a befoin d'amour, 
mais que mes fens n'ont aucun l>efoin d'amant. 
Jugez, vous qui aimez la vertu, avec <)uélfe 
joye je fis dette heureulfe découverte. Sortie de 
cette profonde ignominie où mes terreurs m'a- 
voient plongée, je goûte le plaifir délicieux d'ai- 
mer parement. Cet état feit le bonheur de ma 
vie; mon humeilr & ma fanté s'en reflentent; 
k peine puis-je en concevoir un plus doux, & 
raccord de l'amour & de l'innocence me fcnible 
être le paradis far là fèrfe. 

Dès-lors je ne vùus clraîgiiîs plus ; & quand 
je pris foin d'éviter la foKtude avec Vous, ce fut 
autant pour vous que pour moi ; car vos yeux 
& vos foupirs annonçoieht plus de tranfports que 
de fagcfle, & fi vous eûlficz oubKé Vslîtîx que 

vous 


H E L O î s E, 31 

vous avez prononcé vous-même» je ne Vzuioï$ 
pas publié. 

Ah mon ami, que ne puis-je faire palier dans 
votre ame le fentiment de bonheur & de paix 
qui régne au fond de la mienne 1 Que ne puis- 
je vous apprendre à jçuïr tranquillement du plus 
délicieux état de la vie I Les charmes de l'union 
des cœurs fe joignent pour nous k ceux àt Tin- 
nocence j nulle crainte, nuUe honte ne trouble 
notre félicité ; au fein des vrais plaifirs de Ta* 
mour nous pouvons parler de la vertu fans 
rougir, 

E v^ e il placer con TQntJlai$ accanto. 

Je ne iàis quel trlfle prefientiment s'élève dani 
inon fein & me crie que nous jouï/Tons du feul 
tems heureux que le Ciel nous ^it deftiné. Je 
n'entrevois dans l'avenir qu'abfence, orages» 
troubles, contradictions. La moindre altération 
\ notre fituation préfente me paroit ne pouvoir 
être qu'un mal* Non, quand un lien plus doux 
pous uniroit à jamais, je ne fais A l'excès du 
bonheur tCtXi deviendroit pas bientôt la ruine. 
\jt moment de la pofleffîon eft une crife de l'a* 
mour, & tout changement eft dangereux au 
notre $ nous ne pouvons plus qu'y perdre. 

Je t'en conjure, mon tendre & unique ami, 
tâche de calmer l'ivrefiè des vains defirs que fui- 
vent toujours les regrets, le repentir, la trifteilè. 
Goûtons en paix notre fituation préfente. Tu 
te plais à m'inftruire, & tu fais trop, fi je me 
plais à recevoir tes leçons. Rendons-les encore 
plus fréquentes; ne npus quittons qu'autant 
qu'il faut pour la bienféance ; employons à nous 

C 4 écrire 


3a LA NOUVELLE 

t^crire les tnômcns que nous ne pouvons paflèr 
â nous voir, & profitons d'un tems précieux 
après lequel, peut-être, nous foupirerons un 
jour. Ah puiiTe notre fort, tel qu'il eft durer 
autant que notre vie ! L'efprit s'orne, la raifon 
s'éclaire, Tame fe fortifie, le cœur jouît: que 
tnanque-t-il à notre bonheur ? 


LETTRE X. 

A Julie. 

QU £ vous avez raifon, ma Julie, de dire 
que je ne vous connois pas encore ! Tou- 
jours je crois connoitre tous les tréfors de votre 
belle ame, & toujours j'en découvre de nou* 
veaux. Quelle femme jamais afibcia comme 
vous la tendrefTe à la vertu, & tempérant l'une 
par l'autre les rendit toutes deux plus char- 
mantes i Je trouve je ne fais quoi d'aimable 
& d'attrayant dans cette fageflè qui me défoie, 
& vous ornez avec tant de grâce les privations 
que vous m'impofez, qu'il s'en faut peu que 
vous ne me les rendiez chères. 

Je le fens cibaque jour davantage, le plus 
grand des biens eft d'être aimé de vous s il n'v 
en a point, il n'y* en peut avoir qui l'égale, & 
s'il faloit choifir entre votre cœiir & votre 
pofleflion même, non charmante Julie, je ne 
balancerois pas un inftant« Mais d'où viendroit 
cette amere alternative, & pourquoi rendre in- 
compatible ce que. la nature a voulu réunir i Le 
tems eft prçcieux, :dites-vous, fâchons enjouïr 

tel 


H E L.Q ï S E. 33 

tel qu'il eft, & gardons nous par notre impa- 
tience d'en troubler le paifible cours. Eh! qu'il 
paflè & qu'il foit heureux ! pour profiter d'un 
état aimable faut<pit\ en négliger un meilleur, & 
préférer le repos à la félicité jfuprêoie? Ne perd- 
on pas tout le tenis qu'on peut mieux employer ? 
Àb ! .fi.l'on peut vivre caille ans en un quart 
d'heur^ à quoi ; bon compter triftement les . 
jours qu'on aura vécii ? 
. Tout ce que vous dites du bonheur de no- 
tre fituation préfente eft inconteftable ; je fens 
quf nous devons être heureux^ & pourtant je 
ne le fuis, pas. La fageflTe a beau parler par votre 
bouche, la voix de la nature eft la plus forte. 
X<e moyex^ de lui refiiler quand elle s'accorde 
à la voix du cœur ? Hors vous feule je ne vois 
rien dans ce-féjour terreftre qui foit digne d'oc* 
cuper moname.& mes fens,, non, fans vous la 
nature n'eft plus rien pour moi : mais fon em- 
pire eft dans vos, yeux, & c'eft là qu'elle eft in- 
vincible. , , 

II n'en eft pas ain(i de vous, célefte Julie j > 
vous vous contentez de charmer nos fens, & 
n'êtes point en guerre avec les vôtres. Il fem^ 
ble que des paffions humaines foient au deilbus 
d'une ame ji fublime. Se compfie vous avez la 
beauté des Anges, vous en avez la pureté. C) 
pureté que je reipefte en murmurant, que ne 
puis-je ou vous ratiaifler ou m'élever jufqu'à 
vous! Mais non, je ramperai toujours fur 
la terre, & vous verrai toujours briller dans les 
Cieux. Ah ! foyez heureufe au dépends de 
iuon repos i jouïflez de toutes vos vertus ; pe- . 
rifle le vil mortel qui tentera jamais d'en fouil- 
ler une. Soyez- heureufe, je tâcherai .d'oubUqr 

C 5 combien^ 


j4 LA NOUVELLE 

(Tombieii je ibis i plàihdre, iS je tirerai de ràttc 
'bonheur même la confolation de mes maux. 
Oui chère, Ahiante^ il me iêmble que mon 
amour eft auffi parfait que fon adorable objet; 
tous les deflrs enflammés par vos charmes s'é- 
teignent dans les perfeâionis de votre ame, je la 
vois fi paifible que je n*oiè en troubler la tran- 
quillité* Chaque fois qUje je fuis tenté de vous 
dérober la moindre careile^ fi le danger de vous 
cffFenfer me retient*, mon cœur me retient en- 
core plus par la crainte d'altérer Une félicité fi 
pure ; dans le prix des biens bû j'afpire, je ne 
vois plus que ce qu'ils vous peuvent coûter, & 
ne pouvant accorder mon bonheur avec le vo- 
tre, jugez comment j'aime! c'eft au mien que 
j'ai renoncé. 

Que d'inexpliquables contradiâions dans les 
fentimens que vous m'infpirez ! Je fuis à la fois 
foumis & téméraire, impétueux & retenu, je 
ne faurois lever les yeux fiir vous fans éprouver 
des combats en moi-même. Vos regards, votre 
voix portent au cœur avec rameur l'attrait 
touchant de l'innocence ; c'eft un charme divin 
qu'on auroit regret d'effacer* Si j'ofe f3rmer des 
vœux extrêmes ce n'eft plus qu'en votre ab- 
ience; mes d'efirs n'ofant aller jufqU'à vous 
s'addreiTent à votre infiage, Sb c'eft fîir elli; que 
je me venge durefpeâ que je fuis contraint de 
vous porter. 

Cependant je languis & me confume; le feu 
coule dans mes veines ; rien ne fauroit l'éteindre 
ni le calmer, & je l'irrite en voulant le contrain- 
dre. Je dois être heureux, je le fuis, j'en con- 
viens ; je ne me plains point de mon fort ; tel 
^'u'il eft je n'en changerois pas avec les Rois de 

U 


HELOÏSR 35 

la terre. Cependant un mal réel me tourmente» 
je cherche vainement à le fuir ; je ne voudrois 
point mourir, & toutefois je me meurs; je 
voudrois vivre pour vous, Se c'eft vous qui m*ô- 
tez la vie. 


*» 


L E T T R E XL 
De yuHe. 

MON «mi, je fens que je m'attache k 
vous chaque jour davantage ; je ne pui» 
plus me féparer de vous, Is^ moindre abfence 
m'eft infupportable, & il faut que je vous voye 
ou que je vous écrive, afin de m'occuper de 
vous fans ceflè. 

Ainfi mon amour s'augmente avec le votre ^ 
car je connots à préfent combien vous m'aimez 
par la craiitte réelle que vous avea de me dé- 
plaire, au Nea que vous.n'Ien aviex d'abord 
Îu'une apparente pour mieux venir à vos fins. 
e fais fort bien diftinguer en vous l'empire que: 
le cœur a fu prendre du délire d'une imagina- 
tion échauffée, & je vois cent fois plus de paf- 
fions dans la contrainte où vous êtes, que dans 
iros' premiers emportcmens. Te fais bien auili 
i|ue votre état, tout gênant qu'il eft, n'eft pas fana 
plaHirs. Il eft doux pour un véritable amant 
de faire des facrifices qui lui font tous comptés, 
& dont aucun n'eft perdu dafis le cœur de ce 
qu'il aime. / Qui fait même, fi connoifiknt ma 
fenfibilité, vous n'employez pas pour me fé- 
duire une addreflè mieux entendiie i Mais non^ 

C 6 3^ 


3^ 


LA NOUVELLE 


je fuis injufte & vous n'êtes pas capable d'ufçr 
d'artifice avec moi*. Cependant, (i je fuis fage, 
je me défierai plus encore de la pitié que de 
l'amour. Je me feus mille fois plus attendrie 
par vos refpeâs que par vos tranfports, & je 
crains bien qu'en prenant le parti le plus hon- 
nête, vous n'ayez pris enfin le plus dangereux* 

Il faut que je vous dife dans l'épanchement 
de mon cœur une vérité qu'il fent fortement & 
dont le votre doit vous convaincre : c'eft qu'en 
dépit de la fortune, des paréos, & de nous 
mêmes, nos deftinées font à jamais unies, & que 
nous ne pouvons plus être heureux ou malheu- 
reux qu'^nfemble. Nos âmes fe font, pour ainfi 
dire, touchées par tous les points, & nous ayoçs 
par tout fenti la même cohérence. (Corrigez-mpi» 
mon ami, fi j'applique mal vos leçons de pby- 
fique.) Le fort pourra bien nous, féparer, ^lais 
non pas nous defunir. Nous n'aurons plus que 
les mêmes ^laifirs & les mêmes peines; & 
comme ces aimans dont vous jme parliez, qui 
ont, dit-on, les i^émes mouvemeçs en diffé- 
Ttns lieux, nous fentirions les mêmes chofes 
aux deux extrémités du monde. 

Défaites-vousdonc de l'efppir, fi vqus l'eûtes 



pouvoir d'un oeil fatisfait.contempler mon ig- 
nominie & mes larmes. Croyez-moi, mon 
ami, je connois votre cœur bien mieux que vous 
ne le connoiflez, . Un amour fi tendre & fi 
vrai doit favoir commander aux defirs ; vous 
en avez trop fait pour achever fans vous perdre, 
.& ne pouvez plus combler, mon malheur fana 
laire le votre. 

Je 


HE L O ï S E, 3^ 

Je voudrois que vous puffiez fentir combien 
il eft important pour tous deux que vous vous 
en remettiez à moi du foin de notre deftin corn* 
mun. Doûtez^vous que vous ne me foyez 
auifi cher que moi-même; -& penfez-vous 
qu'il put 'exifter ppur moi quelque félicité que 
vous ne partageriez pas? Non, mon ami, j'ai 
les mêmes intérêts que^ous & un pe« plus de 
raifon pour les conduire. J'avoue que je fuis 
la plus jeune ; mais n'avez- vous jamais remar- 
qué que fi la raifon d'ordinaire eft plus foible 
& s'éteint plutôt chez les femmes elle eft auffi 
plutôt formée, comme un frêle toumefol croit 
& meurt avant un chêne. Nous nous trouvons, 
dès le premier âge, chargées d'un fi .dangereux 
dépôt, que le foin de le conferver nous éveille 
bientôt le jugement. Se c'eft un excellent moyen 
de bien voir les conféquences des choies que de 
fentir vivement tous les rilques qu'elles nous 
font courir. Pour moi, plus je m'occupe de 
notre fituation, plus je trouve que la raifoà 
vous demande ce que je vous denunde au nom 
de l'amour. Soyez donc docile à fa douce voix, 
& laifiez vous conduire, hélas, par une autre 
aveugle, mais qui tient au moins un appui. 

Je ne fais, mon ami, fi nos coçurs auront le 
bonheur de s'entendre & fi vous partagiez ea 
lifant cette lettce la tendre énu)tion qui Ta 
diâée. Je ne fais fi nous pourrons jamais nous 
accorc^r. fur la^nianiere de voir comme fur celle 
de fentir ; \mais je fais bien que Tavis de celui 
des deux qui fépare le moins fon bonheur du 
J)onbeur de l'autre, eft Tavis qu'il faut préférer. 


tETtRfi 


y 


5« I*A'NOUVELLE 

9 

L E T T R E XII. 

MA Tufie, tptt Ift fimfiické de votre lettre 
eft touchante ! Que j^y voie kien h Té* 
ïïénité d'une ame innocente, & la tendre (olU^ 
feitude de Tamottr ! Vos penfêe» s^xhalenit (ans 
art & fans peine; elles portent au cœur une 
tmpreffion delideure ^e ne produit point uft 
ftile apprêté. Vous donnes des raifons invin» 
cibles d'un air fi fimple^ qu'il y faut réfléchir 
pour en fentir la force, & les fentimens élevés 
TOUS coûtent fi peu, qu'on eft tenté de le» 
prendre pour des nutnieres de penfer communes^ 
Ah^ oui fiins doute, c'efl à vous de régler nos 
deftins ; ce n'efî pas un droit que je vous laîfiè, 
c'efl un devoir que j'exige de vous, c'efl une 
Juflice que je vous demaooe, & votre raifon me 
doit dédonnnager du mal que vous avez fait à la 
mienne. DtB cet înftant je vous remets pour 
ma vie l'empire de mes volontés : diiîx>(èz de 
isnoi comme d'un homme qui n'eft plus rlen^ 
pour lui même, & dont tout l'être n'a de rap« 
port qu'à vous. Je tiendrai, n'en doutez pas, 
l'engagement tpie je prends, quoique vous 
puiffiez me prefcrire. Ou j'en vaudrai mieux» 
t)u vous tn ferez plus heureuf^, & je vois par 
tout le prix afTuré de mon obéiflancet Je vous^ 
remets donc fans referve le foin de notre bbn* 
heur commun ; faites le votre, & tout eft fait» 
J^our moi qui ce puis ni vous oublier un inftant» 


J 


HELOISË. 5^ 

a! penfer à vous fans des tranfports qu^il £iut 
vaincre, je vais m'occuper uniquement des feint 
que vous m'avez impofés» 

Depuis un an que nous étudions enfanble^ 
tious n'avons gueres fait que its lefhires iâns 
ordre Se preTque au hazard, plus pour conlultèr 
votre goût que pour l'éclairer. D'aUIeuts tant 
de trouble dans Tame ne nous laiflbit gueres de 
liberté d^rprit. Les yeux étoient mal fixés fur 
le livre» la bouche ert prononçoit les mots, l'at* 
tention manquoit toujours. Votre petite coa<^ 
fine, qui n'étoît pas u préoccupée, nous repro- 
choit notre pev de conception, & fé faifoil 
ttn honneur facile de nous devancer. Infenîi* 
blement elle eft devenue le maître du maître, U 
quoique nous ayons quelquefois ri de fes pré* 
tentions, elle eft au fond la feule des trois qui 
luit quelque chofe de tout ce que nous avons 
appris. 

• Pour régagner donc le tcms perdu, (Ah, Ju- 
Ke, en fut-il jamais de mieux employé?) j'ai* 
imaginé une efpecedeplan quipuifle réparer par 
la méthode le tort que les diftraâions ont hît au 
fevoir. Je vous l'envoyé^ nous le lirons tantôt 
enfemble, & je me contente d'y faire ici quelques» 
légères obfervations. 

Si nous voulions, ma charmante amie, nous 
charger d'un étalage d'érudition, & favoir pour 
les autres plus que pour nous, mon fiftême ne 
vaudroit rien ; car il tend toujours à tirer peu dé 
beaucoup de choies, & à faire un petit recueil 
d'une grande bibliothèque. La fcîence eft dauB 
la plupart de ceux qui la cultivent une monnoye 
dont on fait grand cas, qui cependant n^^outc 
iu bien-être qu'autant qu'on la cdmm unique, & 
n'eft bonne que dans le commerce. Otez à ne» 

Savans 


4o 3b:À,N-OUVELLE 

/^Sayansle plaifirde fe faîr« écouter, leTavoîrile * 
nentrien pour eux. Us n'amailënt dans le cabi- 
vet que pour répandre dans le public; ils ne 
Reculent être fages qu'aux yeux d'autrui, & ils né 
^ foucieroient plus de l'étude s'ils n'avoient plus 
^ admirateurs. (^) Pour nous qui voulons profi- 
ter de, nos connoiflànces, nous ne les amaflbn^ 
Point pour les c eyen^lre, mais pour les convertir 
^ notre ufage, n^ pour nous en charger,^ mais 
pouf nqi^s en nourrijc*. P^u lire, & penfer beau- 
coup à nos leàures, ou ce qui eft la même cho- 
fe en caufer beaucoup entre nous^ eft Je moyen 
de les bien digérer. Je penfe que quand on a 
une fois l'entendement ouvert par l'habitude de 
refléchir» il vaut toujours mieux trouver de foi- 
même les chofcs qu'on trouveroit dans les livres: 
c'eft le vrai fecret de les bien (nouler à fa tête & 
de fe les approprier. Au lieu qu'en les rece- 
vant telles qu'on nous les donne, c'eft prefque 
toujours fous une forme qui n'eft pas la notre. 
Nous fommes plus riches que nous ne penfons, 
inais, dit Montaigne, on nous drefle à l'emprunt 
tz à la quefte; on nous apprend à nous fervir du 
bien d'autrui plutôt que du notre» ou plutôt^ 
accumulant fans celle nous n'ofons toucher à 
rien : nous fomm'es comme ces avares qui ne 
fondent qu'à.remplir leurs .greniers, & dans le 
iein de l'abondance fe laiflent mourir de faim. 
. U y a, je l'avoue» bien des gens à qui cette 
méthode (eroit fort nuîfible & qui. ont befbin de 
beaucoup lire & peu méditer, parce qu'ayant la 
tête mal faite, ils ne raflemblem rien de fi mau- 

{h) Ç*cft ainfi que penfoit S^néque loî-ineme. Si Von mw 
aofinotiy dit'il> lafcience^ à cùnditiôn de ne la 'pas montrer t je 
tCen vQuérm pouàt * Sublime plûJoA^hie> voila éonc ton 

vais 


M E L O î s E; 4t 

vais que ce qu'ils produifent d'eux-anctncft. Je vous 
recommande tout le contraire, à vous qui mettez 
dans vos leâures mieux que ce que vous y trou- 
vez, & dont l'efprit aâif fait fur le livre un autre 
livre, quelquefois meilleur que le premier. Nous 
nous communiquerons donc nos idées ', je vous di- 
rai ce que les autres auront penfé, vous me direz 
fur le même fujet ce que vous penfez vous- 
même, & fouvent après la leçon j'en fortirai plu^ 
inftruit que vous« 

Moins vous aurez de leâure à faire, mieux il 
faudra la choiiir, & voici les j^ifons de mon 
<:hoix» La grande' erreur de ceux qui étudient 
eft, comme je viens de vous direj de fe âer trop à 
leurs livres & de ne pas tirer ailes deleuj; fond; fans 
fonger que de tous les Sophiftes, notre propre rai- 
fon eft prefque toujours celui qui nôusabufele 
moins. Si tôt qu'on veut rentrer en (bi-même, 
chacun fent ce qui eft bien, chacun difçeme ce qui 
eft beau ; nous n'avons pas befoin qu'on nous s(p« 
prenne à connoître ni l'un ni l'autre, & Y on ne s'en 
impofe là-deflTus qu'autant qu'on s'«n veut impo- 
fer. Mais les exemples du très bon & du très 
beau font{)lus rares h moins* connus, il les faut 
aller chercher loin de nous. La vanité, mefu- 
rant les forces de la nature fur notre foiblefle, 
nous fait regarder comme chimériques les quali- 
tés que nous ne fentons pas en nous-mêmes ^ 
la pareiTe & le vice s'appuyent fur cette préten- 
due impoffibilité, & ce qu'on ne voit pas tous 
les jours l'homme foible prétend qu'on ne^ le voit 
jamais. C'eft cette erreur qu'il faut détruire» 
Ce font ces grands objets qu'il faut s'accoutumer 
à fentir & à voir, afin de s'ôter tout prétexte de 
ne les pas imiter. L'ame s'élève, le cœur s'en -^ 
flamme à la contemplation de ces divine modèles ^ 

k force 


4A LAîNiOUVELLE 

à forcé ^e ïtêcûnSiéter on cherche à leur dé« 
venir fômbkible, il Von ne ibnifire plus rien de 
m^focre fans tin 4égo6t mortel. 

N'allons donc pa» chercher dans les livres des 
principes & des regkr que nous trouvons plut 
furement au dedans de nous» Laifibns-là toutes 
ces vaines dif})uted djeiphîtofophes fur le bonheur 
& .{ur la vertu i empdoyon» à nou^ rendre bons 
& heureux le tetnSf qufib pendent à chercher 
comment on doit l'être, & propofons*nous de 
grands exemples à imiter plutôt que de vains 
nftêmes à fuîvre. 

J'ai toujours cru que le bon n'étoît que le 
beau mis en aâiein, que Tun tenott intimement 
à Tautre, & qu'ils avoient tous deux une fource 
cominune dans la nature bien ordonnée. Il fuit 
de cette idée que le goût fe perfeâtonne par les 
mêmes moyens que la iàgeiiè, & qu'une ame 
bien touchée des chamffts oe la vertu doit à pro* 
porrion être aufi ftnfible à tous ks autres genres 
de beautés. On s'exerce à voir comme à fenttr» 
ou plutôt une vue es^quife n'eft qa^uh fentiment 
délicat & fin. C'eil ainfi qu'un peintre à Tafpeâ 
d'un beau payfaee oo devant un beau tableau 
s'extafie i des objets qui ne font pas même re« 
marqués d'un Speâateur vulgaire. Combien de 
chofes qu'on n'apperçbit que par fentiment & dont 
3 eft rmpôffiUe de rendre raifon î combien de ces 
je ne fais quoi qui reviennent fi fréquemment & 
doné le goût feul décide î Le- goût en en quelque 
manière le microfc<^ du jugement ; c'eft lui qui 
met les petits objets à fa portée, & fes opérations 
commencent où s'arrêtent celles du dernier. Que 
fiut-il donc pour le cultiver i s'exercer à voir 
ainfi qu'à (èntir, & à juger du beau par infpec* 
lion comme du bon par fentiment. Non, je 

foutiens 


lï Ë L O I s E, 4f 

fûutittis qu'il n'appartient pa^ même li îcm les 
cœurs <f être ëmus au prenâer regard <ie JaKe. - 

Voila, ma charmante EcoK^re, i>outt|uoi je 
borne toutes vos études à des livres de goât 8c 
de moeurs. Voila pourquoi tournant toute ma 
méthode en exemples, Je ûe vous donne point 
d'autre définition des vertus qu'un tableau des 
geùs vertueux, ni d'autits réglés pour bien 
écrire, que les livres qui font bien écrits. 

Ne fove^ donc pas furprife dès retranchemens 
que je .rais à vos précédentes kfâures; je fuis 
convaincu qu'il faut lès reflèrrér pour les' rendre 
utiles, & je vois tous les jours mieux que tout 
ce qui ne ait rien à Pâme n'eft pas digne de vous 
occuper.* Nous 'allàtis fupprimer^ les langues, 
hors l'Italienne* due vou^ 4ave2 & que vous 
aimez. Nous laiflerôns-là liés élemehs d'algèbre 
& de géométrie* Nous quitterions même la pby* 
fique, fi les termes qu'elle' vous fournit m'en* 
laiflbient le courage. Nous renoncerons pour 
jamais à l'hiffoire moderne, excepté celle de no* 
tre pays ; encore n'eft-ce ^ue parce que c'eft uft 
pays Kbre & fimple, oûFôn trouve ^s hommes 
antiques dans les tems modernes : car ne vous 
laiflez pas éblouir par ceux qui difênt que 
rhiftotre la plus intéreflàntepour chacun eft celle 
de fon pays. Cela n'eft pas vrai. Il y a des 
pays dont Thiftoire ne peut pas m£me être 
hie, i moins qu'on ne foit imbecille ou négo* 
dateur. LTiîftoîre la plus intéreflantc eft celle 
0Ù l'on trouve le phis d'exemples, de mœurs, de 
caraderes de toute efpece ; en un mot, le plut 
d'inftruftion. Ils vous diront qu'il y a autant 
de tout cela parmi nous que parmi les anciens. 
Cela n'eft pas vrai. Ouvrez leur hiftoîre & 
faites les taire. U y a des peuples fans phyfio- 

nomic. 


44 tA NO U VEILLE 

nopne auxquels il ^e faut point de pe;ntre$^ i^> 
y a des gouvqraeiinens fans caraâere auxquels il^ 
Ufi faut point d'hiftoriens, & où iltôt qu'on fait 
quelle place un hooime occupe» on fait d'avance 
tout ce qu'il y fera. Ils diront que ce font les. 
bons hiftoriens qui nous manquent f mais de- 
mandez leur pourquoi ?■ Cela n'eft pas vrai. 
Donnez matière a : de bobines h îAoires, &les' 
bons hifioriens fe t£q^veront• Enfin, ils diront 
que les hommes de tous les tems fe reiTemblent» 
qu'ils ont les mêmes vertus & les mêmes vices, 
qu'on n'admire les anciens que parce qu'ils font 
anciens. Cela n'eft pas - yrsii, non plus « car on 
faifoit a^utrefois de grandies chofes avec de petits 
moyens, & l'pn lait aujourd'hui tout ie con- 
traire. Les ^anciens ^tpient contemporains de 
leurs hiftoixes, & nous ont pourtant appris à 
les admirer. AflUremen^ fi la poftérité jamais 
admire l^ np^^x- ^^ '^^ Taura pas appris de 
nousp ., ^ vi . . • ' - 

. J'ai laifle, piar égard pour vptre inféparable 
coufine quelq^ues livres de pQpite literature que 
je n'aurois pas laifles pour^Tous. Hon le Pétrar- 
que, le Tafle> le Metafta^, & les maîtres du' 
théâtre françoi$, je n'y mêle ni poètes ni livres 
d'amour^ contre l'ordinaire des-Ieâures conià- 
crées à votre Se^e. Qu'apprendrions nous de 
l'amour dax^s ces livres ? Ah, Julie notre cœur 
Qous en dit plus qu'eux, & It langage incité des 
livres eft bien froid pour quiconque eft paffionné 
Lui-même ! D'ailleurs ces études énervent l'ame^ 
la jettent dans la molefie, &c lui ôtent tout fon 
reliort. Au contraire, l'amour véritable eft un 
feu dévorant qui porte fon ardeur dans les autres 
ièntimens, & les anime d'une vigiieur nouvelle. 
C^eft pour cela qu'on a dit que l'amour faifoit 

des 


'E L O I, & E. 45 

^es Hérèsf. Heureuie celùt que le fort éutplacë 
•pour ]e ' devenir^ & qui auroit* Jdie pour 
amamee! , 


LE T T.R E XIII. ■ ^ ' 

• (Pr Julie. :'-'^'^ ; ;'•• '-•: 

J£> Vôub ' lé dirois bien, que ' fious*^^tionk 
heureux; rieà ne meTapprend mieux que 
Tennui que j^^prouve au moindre changement 
•d'^t. Si nous» avions des' peines bien mes, 
une ahTenee de ^eui^ ajoura nous ^en*' fert>it-elle 
tant? Je di§, nmsi tzt je Aiis; que mon ami 
partage mon- impatience; il laparta^ parce que 
je la fens^'és il la' iént' encore ^ur lui*-même: 
je n'ai plus befein ^ju'il me dife ces chofes-là. 

Nous ne fomtîrieèf à la campagne que d*hier au 
foir, il n'eft pas' encone l'heure où je vous ver- 
rotsr à la ville, & cepc^ndant- mon déplacement 
-me fait d^a trouver votre abiênce plus inftpipor- 
tabie.' Si vous ne-^^avie^ pas deffendu la |éo- 
métrie, je vousdlrofs^que mon inquiétude eft en 
raifoin com[^ofée des intervalles du tems & du 
lieu ; tant je trouve que Téloignoment ajoute au 
chagrin de rabfence 1 

J*ai apporté votre lettte& votre |)lan d^ëoides, 
pout méditer Tune^ & l'autre^ & j'ai déjà relu 
'deu9^ fois la^ preniiere: là fin m'en touche extrê- 
mement»' Je vois mon ami) :que vous ièntcz 
le véritable amour, ' paifqu'il ne vous à point 
ôté le goût des choTes honnêtes, & que vous 
favezencore dans la partie le plus fenftble de 

votre coeur faire des facriikes k la vertu. En 

effet. 


f^ÇMBpre «liie {ff3^m§ eft 4e Jçu^^ les Mutons la 

plus condamnable, & vouloir attendrir :ia oi^îr 

treilè à l'aide des Romans eft avoir bien peu de 

^awfeurae^âM^ Si vous euffiee pli^ dans 

vos leçons la philofopbie à vos vues, il vous 

eui&ez tâché d^étal>lir des jnaxinicis fsivorables à 

votre intérêt, en voulant me tromper vous 

m'euffiez bientôt détrompée; mais la plus dan- 

gereufê de vos féduâioris eft de n'en point em- 

pkqi^* Au mwken^ que la foif d'amr s'em- 

ps^(a 4e mon cœur ^ que y y fentis «s^relç 

belbîn d'un éternel at^hmmt, je w -dermnd^i 

fiom au Ciel de m'uoir à un bomiiie ainx^e, 

mais à uakowm» qui ^ut l'^me lieile; car jp 

fiMtQis bien que c^ft.de tous le9 agrémeos 

-qu'on peut avoir, le minns fujet . au dégoût, 4^ 

quç la droiture k Vhfmrmux Qimçpt to;is les fea- 

timens qu'ils jicQompagnen t. Pour avoir bien 

placé ma préférence» j'ai eu comme Salomon, 

^vec ce que j'avoîs d^m^ndét encore ce que jie 

jnfi demaodoiA pil3. Je ^ no Mn s^ugure pouf 

jnes ;ikUjtrQ8 veottx dePscPompliffisi^Qi^t àp qduîr^ 

JÀ, & je Âe defefpf re p^, inw fHui, de pou» 

voir V9M3 rjeodf^ w^ jieuf^u^ un jour que vi>tis 

méritez de. l'être, ht^ mwens en font lents, 

4i%îk4, dmiteux; jçs,.«j»fUçles, terribles. J^ 

n'ofe rien me promettre ; mais çroy^ que tout 

ce que l^^^attoaçe |( l'^mouir pourront fftire ne 

fera pa» ouî^iié. Çontinufis^, cept^ndant^ ^ ^^^m- 

.plaire en tout à m^ bifite». & prépar^a^-voua, au 

retour de mon)pçre.qu fe ^ûfe enfin tout k 

fait après trente zm -de fer^ice^ à (apporter les 

hauteurs d'un, vieux g^ntMliofnme brufque mais 

plein d'honneur, qui v<9uii aimera (ans vous 

carefler & mqus eftimera.fan^ Jç dite. 

I J'ai 


H E L O l S JE, 47 

J'ai ioÊienoti^. çia ^rttrfi poitf i9'»lkr yvor 
aaener datie ^9 bocîiges.quî.fGAt près dcDotrc 
jnsifiMi. O aion doux iini ! je t'/. GdndMÎfoîB 
avec moi» ou piulol: je t'y portois dans mon &ia» 
Je cbdûàbis les Jieux ^ue oous devions fafcourîr 
enfemUé; j^y.fBacqiiois do^ wlf» dignes de nous 

ces Tfitiaitès dél(cieu<ib^ .dto 4^QttU)knt. «i jîiêHk 
'j^Kc noofi gootMÎaà d'^efii? '«iiieaiU^ dttecijrecer 
.TEiant à içur tpur tuâ nouf^ediux ^nx du fi^oiir 
^ deux vraûÉ anaïui» k je m'éloaiioiB de n'y 
«voir point xétnaiiqué .feule les htsuatési /que JV 
tDoovolAJvec toL 

Parmi les bofquets naturels que forme ce tieii 
charmgnt, il en eft un plus charmant que les 
autrœ, thttisieqtnJ'J^iw phesdaraotegie» te otiti 

par cette raifon, je deftine une petite furprife à 
mon ami. Il né fera pas ditqû^il àiira toujours de 
la déférence & moi jamais de générofité. C'eft là 
que je veux lui faôe iêçtir, malgré les préjugés 
vulgaires, combien ce que le cœur donne vaut 
HMeiôc «pie ce q^asr^che. l'impoitufttté. * Au 
idSe, de peoe qile wptM^ imagination vive ne fc 
mette un peu tropien ihûx, je dois vous pré- 
venir que nous n%ons point enfembie.dâf» le 
boiSioet &ns YinfifarvUiXQuêng. , 

A propos d'efle, il efl deodé) fi oela ne vous 
ladiepastrc^,.queybus v^endre» noua voie lundi. 
Ma itiere enferra faxaiecàe à.ml cQufine ; vous 
vous rendrez chez elle à dix heures ; die vous 
amènera; voué paffîres& b journée aieec nous, 
te nous nous en retournerons tous cnfemble le 
lendemain apvès le dioé.- 

J'en étoîs ici de ma lettre quand j'ai iDeâéclii 
que je n'^vois'pas pour itous la semettce lestnemcs 

commodités 


4l^ LA NOUVELLE 

^ • 

commbdit^ qu^ la ville. J'avois 4^abQrd penfe 
de ydua renvoyer un de vos livres par* GufHa 
le iiis du' Jardinier, & de. mettre à ce livre une 
couverture de papier, dans laquelle j'aurcHS inféré 
ma lettre. Mais, outre qu'il n'en pas for que 
vous vous avifaffiez de la chercher, ce feroit une 
iftiprudence nnpardonnable d'expofer à de pareils 
hazards le deftin d^^notre vie. Je vais donc me 
contenter de vous manquer Amplement par un* 
billet le rendez- vous de lundi, & je j^utlènd 
la lettre pour vous la donner à vous-même. 
Auffi-bîen j'attrois un peu de fouci qu'il n'y 
eut trop de commentaires fur le miftere du 
bofqueU • 


•» 


■»—<*■ 


LETTRE XIV. 
^ Julie, 

QU'as>to iait, • ah ! qu.'as-tu fait^ ma JuUe î 
tu voulois me récompenfer & tu m'as per- 
au*. Je fuis ivre, pu plutôt infenfé. Mes fens font 
altérés, toutes mes facultés (ont troublées parce 
baifer mortel. Tu voulois foulager mes maux? 
Cruelle, tu les aigris. Cèft du poifon que j'ai 
cueilli fur tes lèvres; il fermente, il embrafe 
mon fang, il mé tue, & ta pitié me fait 
mourir. 

O fou venir immortel de: cet inftant d'illufion 
de délire & d'enchantement, jamais, jamais tu 
ne t'effaceras de monl.ame, & tant que les 
charmes de Julie yfefont gravés, tant que ce . 
cœur^gité me fournira .des fentimens & des 

foûpirsj 


H E L O î s E. 49 

fbupirsy tu feras le (u^plice & le J^nbeur de 
ma viel 

Helas ! je jouifibis d'une apparente MiK|ii3« 
litéy fou|mis à tes volontés ruprêmest je ne 
murmurOis plus d'un (brt auquel tu daignoia 

Sréfider. J'avois dompté les fougueufeft faillies 
'une imagination téméraire; j'avois couvert 
mes regards d'un voile ic mis une entrave a mon 
cœur i mes defirs n'ofoient plus s'échaper qu'à 
demi) j'étois auffi content que ie pouvois l'être. 
Je reçois ton billet;, je vole chez ta coufine ; 
nous nous rendons à Clarens» je t'apperçois, ic 
mon (èin palpite; le doux Ton de ta voix y porte 
une agitation nouvelle ; je t'aborde comme tnuif- 
porté, & j'avois grand befoin de la diverfîon de 
ta coufine pour cacher mon trouble à ta mtrem 
On parcourt le jardin, l'on dîne tranquillement^ 
tu me rends en (bcret ta lettre que je n'ofe lire 
devant ce redoutable témoin ; le foleu commence 
a baiflèr, nous fuyons tous trois dans le bois le 
refte de fes rayons, & ma paifible fimplicite 
n'îmaginoit pas même ua état plus doux que le 
mien.. 

En approchant du bofquet j'apperçus, non 
fans une émotion fecrette, vos fignes d'intelli- 
gence, vos fourires mutuels, & le coloris de tes 
joues prendre un nouvel eciat» En y entrant» 
jç vis avec fuiprife ta coufine s'approcher dé moi 
& d'un air plaifamraent fuppliant me demander 
un baifer. Sans rien comprendre à ce miilere 
j^embraffiii cette charmante amie, & toute aima-« 
ble toute piquante qu'elle eft, je ne conmis 
jamais mieux, que les fenfations ne font rien que 
ce que le cœur les fait être. Mais que devins-je 
un moment après» quand je fentis • #• • la maiA 
Têfse L D > 


5<* LA NOUVELLE 

fne iftmble « un doux frémiflèment 

« ^ • . • • ta bouche de rofes ;• • ïzt 

bouche de Julie .^ • . . • fe pofer, fe preilèr fuc 
h mienne, & mon corps kné dans tes bras ? 
Non, le feu du ciel n'eft pas plus vif ni plus 
prompt que celui qui vint a Tinftant m*embrafer. 
Toutes les parties de moi même iè raflëmblerent 
fous ce toucher délicieux. Le ftu s'exhaloit 
avec nos foupirs de nos lèvres bridantes, k mon 
cœur fe mouroit fous le poids de la vdupté 
«... quand tout à coup je te vis pâlir, fermer 
tes beaux yeux, t*appuycr fiir ta coufine, & 
éomber en défaillance. Ainfi ht frayeur étei- 
gnit le plaifir, fe mon bonheur ne fut qu'un 
cclaîr. 

• A peine faî-je ce qui m'eft arrivé depuis ce 
fatal moment. L'impreflion profonde que j'ai 
reçue ne peut plus s'effacer. Une faveur ? . • • 
c'eft'un tourment horrible .... Non, garde tes 
baifers, je ne les faurôis fupporter .... ils font 
trop acres, trop pénétrans, ils percent ils brûlent 
jufqu'à la moele .... ils me rendroient furieux. 
Un feul, un feul m'a jette dans un égarement dont 
je ne puis plus revenir. Je ne fuis plus le même, 
& ne te vois plus la même. Je ne te vois plus 
comme autrefois réprimante & fevere ; mais je 
te fens fe te touche fans cefTe unie à mon fein 
comme tu fus un inftant. O Julie ! quelque 
fort que m'annonce un tranfport dont je ne fuis 
plus maître, quelque traitement que ta rigueur 
me deftine, je nfe puis plus vivre dans l'état où 
je fuis^ & je fens qu'il faut enfin que j'expire 
à tts pieds . . • • ou dans tes bras^ 


LETTRE 


H £ L. O f s E. 5t 


m» 


LETTRE XV. 

De JttSe. 

IL eft isopfxtmtf non i^inî^ ^«e nous nmit 
lepaMom pour qudques tsms^ a& cfeft ici U 
pmnîeitt épreuve de TtibéifiMiceque vous m'avex 
promife. 6i je l'âdge en cette occafion, crofes 
que j'en ai «tas ràsCoaé très fortes : il fiiut inen» 
& vous le favex trop, que j'^ aye pour m'y 
réfoudre ; quant II vous, vous n'en avee pas be« 
foin d'autre que tna volonté. 

Il jr a longtems que vous avez un voyage i 
faire en Valais. Je voudrois que vous puffiez 
rentrèprendfe à préfent qu'il ne fait pas encore 
froid. Quoique l'automne foit encore agréable 
ici, vous voyez déjà blanchir la pointe de la 
dent-de-jamant (0), & dans iix femaines je ne 
vous taiflèrois pas faire ce voyage dans un pays 
fl rude. Tachez donc de partir dès demain^ 
vous m'écrirez à l'addreflè que je vous envoyé, 
& vous m'enverrez la votre quand vous ferez 
arrivé à Siofi. 

Vous n'avez jamais voulu me parler de l'état 

de vos affaires ; mais vous n'êtes pas dans votre 

patrie ; je fitis que vous y avez peu de fortune 

& que vous neifaites que la déranger ici, où vous 

ne refteriez pas Ains moi. Je puis donc fuppofer 

qu'une partie de votre bouriè eft dans la mienne, 

& je vous envoyé un légçr à-compte dans celle 

que renferme cette bœte qu'il he faut pas ouvrir 

(4} Haase«iostiigBe du pa]rs<4e Vaiid. 

D z devant 


g« J. A NOUVELLE 

devant le porteur. Je n'ai gardé d'aller au devant 
«les difficultés» je vous ^ime trop pour voué 
croire capable d'en faire* 

Je vous ^deiFens;^ non feulement de retourner 
làns mon ordre, *mais de venir nous dire adieu. 
Vous pouvez écrire à ma mère ou à moi, Am- 
plement pour nous avertir que vous êtes forcé de 
partir fur le champ pour une afikire imprévue, 
^ me donner» fi vous voulez quelc^ues avis fur 
mes leâures, jufqu'à votre retour. Tout cela 
doit être fait naturellement & fans aucune ap* 
parence de mifterè. Adieu, mon ami, n'oubliez 
pas que vous emportez le cœur & le repos de 
Julie^i 




LETTRE XVI. 

. Réponfe. 

JE relis vofa-e terrible lettre, & je froiflbnne à 
chaque ligne. J'obéirai, pourtant, je l'ai 
promis, je le dois ; j'obéirai. Mais vous ne 
lavez pas, non barbare, vous ne faurez jamais 
ce qu'un tel facrifice coûte à mon cœur. Ah, 
vous n'aviez pas béfoin de l'épreuve du bofquet 
pour me le rendre fenfible ! C'eft un rafinement 
de cruauté perdu pour votre ame impitoyable, & 
. je puis au moins vous défier de me rendre plu« 
malheureux. 

, Vous recevrez votre boete dans le même état 
ou Vious l'avez envoyée. C'eft trop, d'ajouter 
l'ppprobre à la cruauté ; fi je vous ai lai&ée 
msutreife de mon fort, je ne vous ai japint laifle 

. - l'ax- 


H E L O î S R s3 

{'arbitré de mon honneur. Ceft un d^poe Tacrë, 
(l'unique, hélas, qui me refte !) dont jufqu'à la 
fin de ma vie nul ne fera chargé que moi lèul. 

LETTRE XVII. 

Réplique. 

% 

VOtre lettre me fait pitié; cVft la feule 
chofe fans efprit que vous ayez jamais 
écrite. 

J'offénfe donc votre Honneur, pour lequel 
je donnerois mille fois ma vie ? J'offenfe donc 
ton honneur. Ingrat ! qui m'as vu prête à t'a- 
bandonner le' mien ? Où eft>il donc, cet hon- 
neur que j'offenfe ? Dis- le moi, Cœur rampant^ 
aofie fans délicatefle ? Ah ! que tu es méprifable, 
fi tu n'as qu'un honneur que Julie ne connoifle 
pas ! Quoi ceux qui veulent partager leur fort 
n'oferoient partager leurs biens, & celpi qui fait 
profeffion d'être à moi fe tient outragé de mea 
dons ! £t depuis quand eft-il vil de recevoir de 
ce qu'on aime î Depuis quand ce que le cœur 
donne deshonore- 1- il le cœur qui l'accepte: 
mais on méprife un homme qui reçoit d'uft 
autre ? on méprife celui dont les befoins pafTent 
la fortune ? Et qui le méprife ? des âmes ab» 
jeâes oui mettent l'honneur dans la richeilè, & 
péfent les vertus au poids' de l'or. Eft-ce dan» 
ces baiibs maximes qu'un homme de bien met 
fon donneur, & le préjugé même de la raifoa 
n'eft-il pas en fovçur du plus pauvre } 

' # 

D 3 San» 


54 LA NOUVELLE 

Sans doute, il eft des dons lilt qn'uii honikêee 
homme ne peut accepter ; mais ^pprènev qu'ils 
ne déshonorent pas moins la main qui les offre, 
& qu'un don honnête à faire eft toujours honnête 
à recevoir; or furement mon ccsor ne me repro- 
che pas celui-ci, il s'en glorifie U), Je ne fâche 
rien de plus mepri&ble qufun nomme dont on 
acheté le cœur & les foins, fi ce n'eft la femme 
qui les paye; mais entre deux cœurs unis la 
communauté des biens eft une juftice & un de- 
voir, & fi Je me trouve encore en arrière de ce 
qui me refte de plus qu'à vous, j'accepte fans 
fcrupule ce que je referve, & je vous dois ce que 
je ne vous ai pas doiîn^. Ah ! fi les dons de 
l'amour font à charge, quel cœttf jamais peut 
être reconnoif&nt ? 

Suppoferiez-vous que je refufe à mes befoind 
ce que je deftine à pouvoir aux vôtres ? je vai« 
vous donner du contraire une preuve fans ré«* 
plique. C'eft que la hourfe que je vous renvoyé 
contient le double de ee qu'eHe contenoit la 
première fois, & qu'il ne tiendroît qu^à moi de 
la doubler encore. Mon Père me donne pour 
mon entir€tten.une penfion, modique à la vérité, 
mais à laquelle je n'ai jamais befoin de toucher, 
tant ma me^ eft attentive à pourvoir à tout^ 
fans compter que ma broderie & ma dentelle 
fuffifent pour m'entretenir de l'une & de Tautre. 
Il e(t vrai que je n'étois pa» toujours auffi riche ; 
les foucis d'une pafiion fata^Ie m'ont fait depuis, 
longtems négliger certains fèîns auxquels j'em- 
ployoi^mon fopérflfii; c'eft ntft raifon de plus 

(h) Elle a fairon* Sur le motif feccet àt ce voyage, on voit 
que jamais argent ne fut pins honnêtement employé, C^eit 
grand doiQxnage ^ue cet emploi lirait pas fait «a meiileur profit. 

? - i '^ d'en 


H E L a ï s E. 55 

d'en di/pofer comme je hh; H faut tous hu>^ 
milier peur le mal dont vous êtes çaufe». & que 
l'amour expie les fautes qu'il fait commettre. 

Venons à TeiTentiel. Vous dites que l'hon- 
jneur vous défend d'accepter mes dons. Si cels 
rft, je n'ai plus rien à dire, & je conviens avec 
vous qu'il ne vous eft pas permis d'aliéner un 
pareil foin. Si donc vous pouvez me prouver 
cela, faites- le clairement, inconteftablement, Se 
fans vaine fubtilité; car vous favez que je hai^ 
les fopbifmes* Alors vous pouvez me rendre 
la bourfe, je la reprens fans me plaindre^ & ii 
n'en fera plut parlé. 

Mais comme je n'aime ni les gens pointilleux 
Aile fauxpoint*d'honneur; û vous me renvoyez^ 
encore une fois la boete (ans juflification, ou 
que votre juftiiication foit mauvaife, il faudra 
ne nous plus voir. Adieu ^ penfez-y» 


LETTRE XVIIL 

3^Ai reçu vos dons, je fuis parti fans vous vc!r> 
me voici bien Iptn de vous. £tes-vous con- 
tente de vos tyrannies, & vou6 ai-je afies obéi ? 
. Je ne puis vpus parler de mon voyage j k 
peine fats-je comment il s'eft fait. J'ai m^ 
trois jours à ùàxe vingt lieues ; chaque pas qui 
m*éIoignoit de vous (epàroit mon corps de mon 
ame & me donnoit un fentiment anticipé de la 
mort. Je voulois vous décrire ce que je verrois» 

D 4 Vain 


56 LA NOUVELLE 

Vain projet !' Je n*aî rien vu que vous Se n^ 
puis vous pieindre que Julie. Les puiflànte» 
émotions que je viens d'éprouver coup fur coup 
m'ont jette dans des diftraâions continuelles; je 
me fentoîs toujours où je n'étois point ; à peine 
avots-je affcs d'efprit pour fuivre & demander 
mon chemin, & je fuis arrivé à Sion fans être 
parti de Vevai. 

C'eft ainil que j'ai trouvé le fecret d'éluder 
votre rigueur & de vous voir fans vous defobéir/ 
Oui, cruelle, quoique vous ayez fii f||ire, vous 
n'avee pu me féparer de vous tout entier. Je 
n'ai traîné dans mon exil que la moindre partie 
cie moi-même : tout ce qu'A y 2 die vivant en 
rnoi demeure auprès de vous Êms ceff:. Il erre 
rmpunement fur vos yeux, fur vos lèvres, fur 
Yotre fein, ftjr tous vos charmes ; il pénètre par 
tout comme une vapeur fubtile, & je fuis plus 
heureux en dépit de vous, que je ne fus jamais 
de votre grév 

J'ai ici quelques perfonnes à voir, quelque» 
afFaires ^ traiter j voila ce qui me défole. Je 
fie fuis point à plaindre dans la folitude, où je 
puis m'occuper de vous & me tranfporter aux 
lieux où vous êtes. La vie aâive qui me rap- 
pelle à mot tout entier m'eft feule infupportabhe. 
Je vais faire mal- U vite, pour être promptement 
libre, & pouvoir m'égarer à mon aife dans les 
Heux fauvagés qttt forment à mes jeux les 
charmes de ce pays. Il faut tout fuir & vivre feul 
au monde^ quand en n'y peut vivre avec vous.. 


LETTRE 


H E L O f s E. 57 


LETTRE XIX. 

m 

• i - • 

RIeil ne m'arrête plus ici que vos ordres ;i 
cinq jours que j'y ai pafles ont fuffi ù^ 
au delà pour mts afi^res ; fi toutes^fois on peut: 
appelkr des affsdres* celles ou le cœur n'a point 
de paît. Enfin vous n'avez plus de prétexte» & 
ne pouvez me retenir loin de vous qu'afin de me^ 
tourmenter. 

Je commence à être fort inquiet du fort de: 
ma première lettre; elle fut ^rite & mifê àla- 
pofte en arrivant ^ l'àddiefiè en eft fidellement 
copiée far celle que vous m'envoyâtes; je vous 
ai envoyé la mienne avec le même foin, & iV 
vous aviez fait exaâement réponfe, elle auroit 
dga dd me parvenir. Cette réponfe pourtant^ 
ne vient point, & il n'y a nulle caufe pofBble^ 
& funefie de fon retard que mon efprit troublé 
ne fe figure. O ma Julie, que d'imprévues^ 
cataflrophes peuvent en huit jours rompre à ja- 
mais le3 plas doux liens du monde ! Je frémis* 
de fonger qu'il n'y a pour moi qu'un feul moyens 
d'être heureUx, & des millions d'être miféra* 
ble (tf). Julie, m'auriez- vous oubliée Ah l c'cft 

{<) On me dira que c*eft h devoir d*un £<Hteor de corriger 
les fautes de langue. Oui bien pour les Editeurs qui font cas 
dt cette correftion ; oui bien pour les ouvrages dont on peut 
corriger le ftile fans lé refondre & le gâter ; oui bien quand* 
oo eft affés fur de fa plume, pour ne pas fubfU^jjçr fes propres 
fautes à celles de Tauteur. Et avec tout cela, qu*au.rft't>o»> 
g^0é à faire ptrlfr u» Suiâc conme un Acadcmieiea h 


0, L:A NOTÏPV.ELJLH 

la plus aiFreufe de mes craintes ! Je puis préparer 
ini. cûûflknce aiUL aMtresimfflfetiFsVWafTyYcUitfB? 
les forces de mon ame défaillent au feul foupçon 
de celui-là* . . . .1 : J ... ; . 

Je vois le peu de fondement de mes allarmes 
& ne faurois les calitiei^ ^ Le fentiment de mes 
maux s'aigrit fans ceflè loin de vous, & comme 
fi je n'enlaidi» pAsiaflasjpDunmfabattse^ jemf^ 
fcnrge encoror^Hncwtaifis^èuD iirkertÎDiia les^m* 
tftsi D^Jàoià^' mes. inquiécàdcs» étoient moins» 
yixm^ Le tiouMe d'un dépare fiibit, Fagitatiqit 
du vcfjratte, donnoient le change à nies em)uis y 
ib.ferammen|:dansiartTaiK|uilIcrfolitude* Hâast 
je combattois ; un fer mortel a percé mon fein» 
& latdoukur ne 9*ifk fait fentir cpre tongtems 
après la. bleflure. 

Cent fois esi li&nt dès^ Romans, j'ai ri <fe» 
froides plaintes de» amans fur Tabfence. Ah^ 
je ne iavois pas alors l[ quel point la votre uiv 
jour nxe (èroit infupportable ! Je fensainjourd'hui 
combien un ame paiftble ttb peu* propre à. jugée 
des paffions, & combien il eft infcnfé de rire des^ 
fenttmens qu'on n'a point éprouvés* Vous le 
dirai^^je pourtant ? Je ne fais quelle idéeconfo^ 
lante & douce tempère en moi l'amertume de 
votre éJoignement^ en fongeaiit qu'il s'cft fait 
par votre ordre. Les maux quime viennecit dé 
vous me (ont moins cruel^ que s^ik m'étoient 
envoyés, par la. fortune; s'ils fervent à vous cpn«^ 
tenter je ne voudrois p: s ne les point fen tir ; 
ifs font les garants de hufi dédommagement, 2c 
je connois trop bien votre ame pour voufrcroire- 
oarbare à pure perte. 

Si vous voulez m'éprouver je n*en murmure- 
plus i il efi jufte q^ae vous fâchiez. £i je fuis: con* 

' fiante 


H E L O l s E.^ gy 

fiànt^ patseat, dodXcy digne en un antf èsm 
hm» que vous me refêrvez. Dieux ! il c'étoiîp 
là votre idée, je me plaindrots de trop pea £iuf«' 
ftîr. Ahy non ! pour nourrir dan» mon eœutf) 
une fi douce attente, inventes^ s'il fe peut desr 
maux mieux proportiomiés s leur prix. > 


■ ■— — - -^- — -* — ^ " '• ^^- ^^ - -^ ^ ^^ ^ ■ .^^ 

L E T T R E XX 

Dâ Jiûte. 

JE reçois à la ibis vos deux lettMs, A je 
vois par l'inquiétude que vous mai^uesf dans* 
la féconde fur le fort de l'autre quequMd Fima- 
gination prend les devants, la nnfeit nte fe hktçr 
pas comme elle, & fouvent la ia^ allier feule. 
Penfâtes-vous en arrivant à Sion qu^un Courier 
tout prêt n'attendoit pour partir que votre lettre,^ 
que cette lettre me feroit remife en arrivant ici, 
& que les occafions ne favori feroient pas moins' 
ma réponfe? Il n'en va pas ainfi, mon bel ami.r 
Vos deux lettres me ibnt parvenues à la foisy' 
parce que le Courier, qui ne pafTe qu'une fois 
la femaine (^3^), n'eft parti qu'avec la féconde. 
B &ut un certain tems pour diftribuer les lettres ;: 
ii en- faut à mon commiffîonnaire pour me rendre 
la mienne en fecret, 6c le Courier ne retourne 
pas d'ici le lendemain du jour qu'il eft arrivé.- 
Ainfi tout bien calculé, il nous faut huit jours,, 
quand celui du Courier eft bien, choifi, pour 
recevoir réponfe l'un de l'autre ; ce que je vous» 
e9q)lique afin de calmor une fois pour toutes 

(i^ U paffe à prcIcDt ^icua^* /oit*- 

D è votre- 


fo LA NOUVELLE ^ 

votre impatiente vivacité. Tandis que vousdé*^ 
damez coatfe la fortone & ma négligence, vous^ 
voyez que je m'informe adroitement de tout ce 
qui peut ajQEurer notre corre^MMtdance & prévenir 
vos perplexités. Je vous kifle à décider de quel 
côté font île» tendres foins. 

Ne parlons plus de peines, mon bon ami; 
ail;, rcfpeôez & partagez plutôt le plaifir qoc- 
j'éprouve, après huit mois d'abfcnce, de revoir 
le meilleur des Pères ! B arriva jeudi au foir, & 
je. n*ai fongé qu'à lui (e) depuis cet heureux 
moment. O toi que j'aime le mieux au monde 
après les auteurs de mes jours, pourquoi tes 
lettres, tes qu^ellês, vicnnènt-elfes contrifter 
mon arae & troubler les premiers plaiûrs d'une, 
famille réunie ? Tu voudroîs que mon cœur- 
is'occvpat de toi fans ceiiè ; mais dis- moi, le tien 
pourroit-il aimer linc fille dénaturée à qui les. 
feux de l'amour feroient oublier les droits du- 
f*ï^gf & que les plaintes d'un amant rendroient: 
infenfible aux careffes d'un pereî Non, mo». 
digne ami, n'émpoifonne point par d'injuftes. 
reproches l'innocente pye que m*in(pire un {%, 
doux fentiment. Toi dpnt l'ame cft fi, tendre 
& fi fenfible, ne conçois- tu point quel charme- 
c'cft de fentir dans ces purs & facrés embraflè- 
mens le fcin d'un père palpiter d'aife contre: 
celui de fa fille. Ah ! crois-tu qu'alors le cœ«r 
puiffe Un moment fc partagçr & ricB dérober à* 
M nature î 

Sol chefmfiiUa ic mi ramminto aiejji, 

o'kr ^^^^ P**» pourtant que je vous oublie». 
OubJia-t^on jamais ce qu'on a une fois aimé h 

« • 

(4 ^Vtid* 9û ^ccodiç j^aottf» ^^ ment, 

Nooi 


H E L O I s E. 6f 

Non les imprefiions plus vives qu'on fuit quel* 
qacs inftans, n'efiàcent pas pour cela les autres. 
Ce n'eft point fans chagrin que je vous ai vus 
partir, ce n^eft point fiins plaifir que je vous 
verrois de retour. Mais ...... Prenez patience- 

ânfi que moi puisqu'il le faut, ians en demander 
davantage. Soyez fur que je vous rappellerai le 
plutôt qu'il fesft poffible^ & penfez que fouvent 
tel qui fe plaint bien haut de rabrence, nleft pas. 
celui qui en fqufre k plus» 


LETTRE XXL. 

J^UE farfouffert en la recevant, cette lettre- 
\3 fouhattée avec tant d'ardeur ! J'attendois- 
leCourier à la poile. A peine le pacquet étoit* 
i^ ouvert que je me nomme, je me rends im- 
portun ; on mt dit qu'il y a une lettre \ je* 
treflaiHér je la demande agtt^ d'une mortelle 
impatience : je la< re^is enhn. Julie, j'apper- 
çois les traits de ta main adorée \: La mienne- 
tremble en s'avançant pour recevoir ce pr^ieux- 
tiépôt. Je voudrois baifer mille fois- ces facrés* 
caraâeres. O circonfpeéHon d''un amour crain- 
tif! Jen'ofe porter la lettre à ma bouche, nît 
l'ouvrir devant tant de témoins. Je me dérobe' 
à la hâte. Mes genoux trembloient fous moi;* 
mon émotion croifTante me laifle à peine apper- 
cevoir mdn chemin \ j'ouvre la lettre au premier 
détour ; je la^ parcours, je la dévore, & à petne^ 
iuis-je à. ces lignes ou tu peins fi bien les plaifir»- 
de tt>n cœur ea embrafTant ce refpeâable père 


&i LA NOUVELLE 

fl^e je fonds en larme?, on nae regarde, j^eotnrt 
dans une allée pour échaper aux fpeâ^Ueuili ^ là^ jes 
partage ton attendriflèmenc ;, j'eaibrai& avec 
tranipart cet heureux père que je connots st» 
peine, &; la voix de la nature me rappellant aui* 
mien, je donne nouvelle pleur» à ùl mémoire* 
honorée. 

£t que vouliez- vous apprendre,, incomparable^ 
fille, dans mon vain & triile iavoir?' Ah, c'eft: 
de vous qu'il faut apprendre tout ce. qui peut> 
entrer de bon, d'honnête dans une ame humaine^ 
& furtout ce divin accord de la vertUy de l'a- 
mour, & de la nature, qui ne fe trouva jamais 
qu'en vousî. Non,^ il n'y a point .d'affeâion 
faine qui n'ait fa place dans votre cœur, qui ne 
s'y diftingue par la fenfibilitéqui vous^ propre, 
& pour fa voir moi-même régler le mien, comme 
y»fii fournis toutes mes aâions à vos volontés, je 
vois bien qu'il faut foumettre encore tous mes* 
fentimens aux vôtres* 

Quelle difFéreiKe pourtant de votre état au 
mien, daignez le remarquer ! Je ne parle point 
du rang & de la fortune, l'honneur & l'amour 
doivent en cela fuppléer à tout. Mais vous 
êtes environnée de gens que vous' chériiTez & 
qui voixt adorent; les foins d'une tendre mère,, 
d'un père dont vous êtes l'unique efpoir; Ta- 
mitié (f une coufme qui femble ne refpirer que 
par vous -, toute une famille dont vous faites l'or-^ 
nement; une ville entière fiere de vous avoir 
Vil naître, tout occupe & partage votre fenfibilité,. 
& ce qu'il en refte à l'amour n'eft que la moindre 
partie de ce que lui ravifiènt les droits du fang 
& de l'amitié. Mais moi, Julie, hélas ! errant^ 
fims faoïiUe, &prefqu€r fuaz patrie, je n'ai que 

VDua> 


H E L ï s e: 6i 

ytmsfixth terre, &* l'amour feul me tient lîea 
dtt' tottCiif Ne fa]^0 donc pas furprife fi, bien 
que votre atne foie la plus fenfible, la mienne 
ne fait le -mieiiic aimeF, & ûy vous cédant ea 
tant de chofes, j'emporte au moins le prix de* 
l'amour. 
' Ne craignez pourtant pas que je vous impor-^ ' 
tune encore de mes indifcretes plaintes. Non,, 
je refpeâecai vos plaiiirs, Sî pour eux- même» 
qui font fi purs,..& pour vous qui les reflentes. 
Je m'en formerai dans l'eiprit le touchant fpec- 
tade ; je les partagerai de loin, & ne pouvant 
être heureux xle ma propre félicité, je le ferai de 
ht votre. Quelles que foient les raifons qui me 
tifsnnent éloigné de vous^ je les refpeâe ; & que* 
me fervtxoit de les connoitre, fi quand je devrois- 
le&ddTapprouver, il n'en fauc^oit pas moins obéir 
à' la volonté qu'elles vous infpirènt ? M'en cou- 
tera-t-il plus de garderie filence qu'il m'en coûtai 
de vous quitter f fouvcnez- vous toujours, ô Julie^ 
que votse aîhe a deux corps à gouverner, & que 
celulqu'elle anime pac fon choix lui fera toujours. 
k plus fidelle.. 

nodo piu forte : 
Fàbricato ia miy non daila forte. 

Je me tais donc, & jufqu'à ce qu'il vous plàîfe 
de terminer mon exil je vais tâcher d'en tem*- 
pérer l'ennui en parcourant les ^ montagnes dir 
Valais^ tandis qu*elles font encore praticables» 
Je m'apperçois que ce pays ignoré mérite les 
regards des hommes, & qu'il ne lui manque pour, 
être admiré que des Speâateura qui le fâchent 
xois. Je tâclwrai d'en tirer qiuçlqucs obfervations^ 

dignes 


6f LA NOUVELLE 

dignes de vous plaire. PoUr amufer une îolie 
femme, il. faudroit peindre un peuple aimable & 

! calant» Mais toi^ ma Julicy ah^ je le fais bien ; 
e tableau d'un peuple heureux & iimple eft celui 
qu'il faut à ton cœur. . 


wm 


LETTRE XXII. 
De Jtdh^ 

ENfin le premier pae eft franchi, & il a éte- 
<iueftion de voua. Malgré le mépris que- 
vous témoignez pour madoârme, mon père eiv 
a< été furpris: U i^'a pas moins admiré mes pro^ 
gfès dans la mufique & dans le defièin {f);^ Se: 
au grand étonnement de ma mère, prévenue par' 
vos calomnies (^}, au blaibn près qui lui a parw 
négligé, il a été fort content de tous mes talens. ' 
Mate ces talens ne s'acquiérenl pas fans maître;; 
•ilafalunommer le mien, & je l'ai. fait avec une^^ 
énumération pompeufe de toutes les fciénces qu'ih 
vouloit bien m'enfeigner, hors une. Il s'eft rap- 
pelle de voulàvoir vu. plufieurs fois à fon précé->- 
dent voyage^ il n'a pas paru qu'il eurconfervé; 
de vous une impreffion defavantageufe. 

Ehfuite il s'eft informé de votre fortune; on 
lui a dit qu'elle étoit médiocre ; de votre naif- 
ftnce; on lui a dit; qu'elle étoit honnête* Ce 

(fj Voilay. ce me ftmble* un Tage de vingt, as» qui^ fait> 
frodigieufement de chefea-f II eft vrai qve Julie félicite à. 
liente de n* être plut ù favant. 

, {f) Cela fe rapfwrte à une lettre à k mcre, écrite iîir un tén 
•^UAVoque, Al ^ui a été fuppnmée. 

saot^ 


H E L O I s E. 6$ 

mot hâfmete eft fort équivoque i Tomlle dVn 
gentilhomme, ic a excité des foupçons que Té* 
dairciflèment a confirmés. Dis qu^il a r»que 
vous n'étiez pas noble, i] a demandé ce qu'on 
vous donnoit par mois. Ma mère prenant la 
parole a dit qu'un pareil arrangement n'êtoit pas 
même propofabie, & qu'au contraire, vous aviez 
rejette conftamment tous les moindres préfens 
qu'elle avoit tâché de vous faire en chofes qui ne 
fe refufent pas; mais cet air de fierté n'a fait qu'ex* 
citer la tienne, & le mojen de fupporter l'idée 
d'être redevable à un roturier? Il a donc été 
décidé qu'on vous offriroit un payement, au refus 
duquel, malgré tout votre mérite dont on con* 
vient, vous leriez remercié de vos foins. Voflaj 
mon ami, le refumé d'une converfâtion, qur a 
été tenue fur le compte de mon très honoré 
maître. Si durant laquelle fon humble écoliere 
n'étoit pas fort tranquille. J'ai cru ne pouvoir 
trop me hâter de vous en donner avis, afin de 
vous laiflef le tems d'y iréfléchir. Auffi-tôt que 
vous aurez pris Votre réfolution, ne manquez 
pas de m'en inftruire ', car cet article eft de v^re 
compétence, & mes droits ne vont pas jufques lâë 
: J'apprens avec peine vos courfes dans les mon? 
tagnes ; non que vous n'y trouviez, à mon avis, 
une agré?iUe diverfion, «que le détail de ce que 
Yous aurez vu ne me foit fort agréable k moi* 
même : mais je crains pourvous des fatigues que 
vous n'êtes guère en état de fupporter. D'ail- 
kurs k ifàifon eft fort avancée ; d'un jour k Taulre 
tout peut fe couvrir de neige, & je prévois que 
vous aurez encore plus à fouffrir du froid que de 
la fatigue. Si vous^ tombiez malade dans le pays 
où vous êtes jie ne m'en confokrois jamais. 8.e* 

venez 


66 LA NOUVELLE 

venes iùac^ mon bon aim, dans mon voifindgc* 
Il n'eil pas tems encore de rentrer à Vevaiy mais 
je veux que vous babitiez un féjour moins rude» 
& que nousfoj^nsidus à portée d'avoir aifément 
de» nouvelles l'un de l'autre. Je vous laifle le 
Diaitre du choix de votre ftatioa. Tâchez feu-» 
kment qu'on ne fâche point ici où vous êtes, & 
foyez difcret fans être milïeriux. Je ne vous 
dis rien fur ce chapitre ; je me fie à rintérêt que 
vous avez d'être prudent, & plus encore à celui 
que j'ai que vous le foyez. » 

Adieu mon Ami; je ae.puis m'entireteiir plut 
longtems avee vonsb Vous favez de quelles pré^ 
cautions j'ai hebàn. pour vous écrire; Ce n'eft 
pas tout : Mon père a amené un étsanger se^ 
ipeâabk, fan ancien ami, & qui lui a fauveaif» 
trefoisla vôe àlaignerre. Jtkgez il nous ncms 
Sommes efforcés de le bien recevoîi; 1 II repart 
demain, & nous nous hâtons de kit procurer 
l^our le jouv qiti nous lefie, tous les amtkèmens 
qui peuvciBt masquer notre sde à uu tel. bieo^ 
bitamu Oa A'appelle:: il faut finir. Adleu^ 
llei^hef. 


■tartMMâ*i»^MA«MHMi«Ml*«kM**^M*Ma*** 


LETTRE XXIII. 

A Julie. 

A P«Mieaî-|e employé huit jours à parcourir 
Xx wn pays qui demanderoit des années d*ob- 
nrvatfon : mais outre que la neige me cbaflèv 
fû vouhi revenir au devant du Courier qui m'ap* 
fîwtc, j'efpo^y une de vos lettres* En atteo^ 
û dant 


H E L O I s E, 67 

àant qu'eUe arrire, je commence par vous 
écrire celie^ci, après laquelle j'en écrirai s'il eft 
nécelTaire une féconde pour répondre à la votre. 
Je ne vous ferai point ici un détail de mon 
voyage & de mes remarques ; j'en ai fait une 
relation que je compte vous porter. Il faot re« 
ferver notre correfpondance poux les cbofes qui 
nous touchent de plus près l'un & l'autre. Je 
me contenterai de vous parler de la fituation de 
mon ame : il eft jfufte de vous fendre compte de 
l'ufage qu'on fait dé votre bien. 
. J'étois parti, trifte'de mes peines, & confolé 
de votfe j(^e; ce qui me temût dans lin cer* 
tain, état de langueur qut aTcA pas* iàna cbairme 
pour VK cceur^feafibie»' Je gmvéflbis lente* 
ment &:^ pied des fentieesaffini rudes, cooduil 
, par tto bômnte que j'avois pris- pour être won 
guiér, k dans lequel durant toute la route 
yai tMuvé pfaitdt* un ami qu'un mercenaire. Je 
vodbit rêves^ ée.j'en étois toijeors détourné 
par quelque ^eâaele inattendu» Tantât dfim* 
meufès roches pendaient en runies au defiîis Ae 
BU tête. Tantôt de hautes & bruTantes caf* 
cadea m'inondoient de leur épais brouillard* 
Tantôt un torrent, étemel ouvroit à mes citea 
im afaime dont les yeux n'o&Meot fonder la pro** 
fondeur. Quelquefois je me perdois dans Tob* 
fcurité d'un bois touiFu. Quelquefois en for* 
tant d^un gouffine une agréable prairie r^ouiflbit 
tout à coup mes regards. Un mélange eton^ 
nant de la natwe fauvage& de la nature cuU 
tivée, montroit par tout ta main des hommes, oj^ 
l'on eut eru qu'ils n'avoient januûs pénétré: à 
côté d'une caverne on trouvoit des maifons ; on 
VDfoit des pampres fea où V{^ n'eut dierch^ 

que 


68 'LA NOUVELLE 

que des ronces, des vignes dans des terres âbouû 
Ues, d'excellens fruits fiir des rochers, & des 
champs dans des précipices. 

Ce n^étoit pas feulement le travail des honi' 
mes qui rendoit .ces pays étranges fi bizarrement 
contfaftés; la nature fembloit encore prendre 
piai&r à -s'y mettre en oppofitton avec elle- 
même, tant on la trouvoit difFérente 6n un 
même lieu fous divers afpeôs. Au levant les 
fleurs du printems, au midi les fruits de l'au« 
tomne, au nord les glaces de Tliivcr : elle ré<» 
uniilbit toutes les faiions dans le même infiant» 
jCQus les climats dans le même lieu, des terrains 
contraires fur le même fol, & formoit Pûrcord 
inconnu par tout ailleurs des prodiiâbas des 
plaines & de celles des Alpes. Ajoutez à tout 
cela les illuiions de l'optique, m pointes des 
monts différenmient éclairées, le clair obfc«r du 
foleil & des ombres, ic tous les accidensde lu- 
mière qui en réfultoient le mâtin & le foir; 
vous aurez quelque idée des fcénes continuelles 
qui ne ceiferent d'attirer mon admiration, & 
.qui fembloient m'être ofièftes en un vrai théa-» 
tàc^ car la perfpeéUve des monts étant' verticale 
frappe les yeux tout à ta fois.& bien plus puiflani- 
ment que celle des plaines qui ne fe voit qu'ob« 
liquement, en fuyant, & dont chaque objet tous 
en cache un autre. 

J'attribuai durant la première journée aux 
agrémens de œtte variété le calme que ie fen« 
tôis renaître en moi. J*admirois 1 empire 
qu'ont fur nos pai&ons les plus vives les êtres 
les plus infenfibles, & je méprifois la philofo- 
phie de ne pouvoir pas même autant fur l'ame 
qu'une fuite d'objets inanimés. Mais cet état 

paiûUe 


H E L O ï s E. 59 

{laifible ay^ant dur^ la nuit & augmenté le len^ 
demain, je ne tardai pas de juger qu'il avoit 
encore quelque autre caufe qui ne m*étoit pas 
connue. J*arrjvai ce jour-là fur des montagnes 
lès moins élevées, & parcouran|J0(ifuite leurs in* 
igalités, fur celies'des pkis hautes qui etoient à 
ma portée. Après. m'étre pronflei^jé"' dans les 
nuages, j*atteignors un féjour plus ferain d'où 
f on voit, dans la faifon le tonnerre & forage fis 
former au deflbus de foi 1 image trop vaine d^ 
Pâme du fage, dont l'exemple n'exifta jamais, 
ou i^escifte qu'aux mêmes lieux d*où Ton en a 
tiré f'emblême. 

Ce fut là que je démêlai fenfiblement dans la 
pureté dei'air où je me trouvois, la véritable 
caufe ^u changement de mon humeur, & du 
retour de cette paix intérieure que j'avois per- 
due depuis fi longteips. En effet, c'eft une 
impreffion générale qu'éprouvent tous les hom- 
mes, quoiqu'ils ne robfervent pas tous,, que 
fiir les hautes montagnes où l'air eft pur & fub- 
til, on (ê (ent phis de facilité dans la refpira- 
tion, plus de légèreté dans le corps, plus de 
lerénité dans reiprit, les plaifirs font moins 
ardens, les paffions pluç mcMdérées. Les médi» 
tations y prennent je ne fais quel caraâere 
grand & fublime, proportionné aux objeâs qui 
nous frappent, je ne fais quelle volupté tran.r 
quille qui n'a rien d'acre & de fenfuel. Il 
ièmble qu'en s'éiëvant au defllis du féjour des 
hommes, on j^ laiflè tous lés fentimens bas &; 
terreftres, & qu'à mefure qu'on approche des 
régions éthérées l'ante contraâe quelque chofe 
de leop Wnaltérable puraté. On y eft grave 
fens mélancolie^ paifible fims indolence, con- 
^. « tent 


70 L A N O U V£ L L E 

tent d*étre & de ftenfer : tous las defirs troj^: 
Yifs s*éaiouf£biUi ils perdetit c^tfee pointe atgae 
qui les rond doulov^ux^ ils ne laifient «u fond 
duceetir qu^ûne émotion iégere & douce, & 
c'eft ^inft qtt*un heureux ctimat bit fervir à 
la félicité de Thoinme les paffions qui font 
ailleurs Ton toucneht* Je doute qu^aucuaff 
agitation violente^, aucune maladie de vapeurs 
put tenir contre un pareil féjoQr prolooge, & 
je fois furpris que des bains de l'air ij^u* 
taire & bienfiiiiknc des OBOnfiagaes nr fuient pas 
«n des grands zémedes àsi Iz médecine & de 
la morale. 

^ui non pahzzi^ non Uatro o loggia^ 
Man kr vecturi ûhet£^ ^^fifggio^ ^^ p^^ 
Trà rerba ver de t^l bel monte vkino 
Levan di terra al Ciel mftt' inUlUtto^ 

Suppofez les impreffîons réunies de ce que 
je viens de vous décrire, & vous aurez «quelque 
idée de la (Ituation délicîeufe où je me trouvois. 
Imaginez la variété, la grandeur, la beauté de 
mille étonnans fpeâades ; le plaifir de ne voir 
autour de foi que des objets tout nouveaux, des 
(kifeaux étranges, des plantes bizarres & in- 
connues, d'obferver en quelque forte une au-* 
tre nature, U de fe trouver dans un nou- 
teau monde. Tout cela fait i^ux yeux un 
mélange inexprimable dont le charme encore 
par ja fuhtUtté de l'air qui fend les couleurs plus 
vives, les traits plus marqués rapproche tous les 
points de vue) les diftances paroiflant moindres 
que dans les plaines, où l'épaiSeur de l'air 
cettvxe la tecre d'ut» voUci» Thorifûn préfente 

• aux 


H E' L O ï s É. yt 

m3% yeux phjs d'objets qu'il iêmble n'en pou- 
voir coptcntr : enfin, le fpeâacle a je ne fais 
^ttoi de magique, de furnaturel qui ravit r<erprit 
& les fens} on oublie tout, on s'oublie foi- 
même, oh ne fait plus ou Ton eft. 

J'aurois pafle tout le tems de mon voyage 
^ans le feul enchantement du payfage, fi je 
d'en eiiâè éprouvé «n plus doux encore dans 
k coonneroe 4icfi babitans. Vous trouverez 
dans fna defirîpdon un l^ger crayon de leurs 
mœurs, de leur fiinpUcité, de leur égalité 
4'ame, & de cette paifble tranquillité qui 
les rend heureux par Texemption des peines 
plutôt que par le goût des plaifirs: Mais ce 
que je n'ai pu vous peindre &: qu'on ne peut 
guère imaginer, c'eft leur humanité defin* 
téreflee, & leur zèle bofpkalier pour tous les 
étrangers que le hazard ou la curiofité con- 
duifent parmi eux. J'en fis une épreuve fur- 
prenante, moi qui n'étois connu de perfonne 
iz qui ne marchois qu'à Tsâde d'un conduâeur« 
Quand j'arrivois le îbir dans un hameau, cha- 
cun venoit avec tant d'empreflement m'oiFrir 
& mai&n que j'étois embarralle du choix, & 
celui qui obcenoit la préférence en paroifibit 
fi content que la première fois je pris cette 
ardeur pour de l'avidité. Mais je fus bien 
étonné quand amès en avoir ufé chez mon 
bote k peu près comme au cabaret, il refufa le 
lendemain mon argent, s'ofFeofant même de 
ma propoTaion^ & il en a par tout été de même. 
Ainfi c'étoit le pur amour de l'hofpitalité com^ 
ffiunément afies ttede, qu'à fa vivacité j'avois 
pris poiur l'apreté du gain. Leur defintérefiè- 

ment fut fi complet que dans tout le voyage je 

n*ai 


72 LA NOUVELLE 

fi*at pu trouver à placer un patagon (&)• En- 
effet à quoi dépcnkr de l'argent dans un pays où 
les maîtres ne reçoivent point le prix de leurs 
fraix, ni les domeftiques celui de leurs foins, & 
où Ton ne trouve aucun mendiant î Cependant 
l'argent eft fort rare .dans le hatAt Valais, mais 
c'cft pour cela que les babitans font à leur aiie : 
car les denrées y font abondantes fans aucun dé-> 
bouché au dehors, fans confommation de luxe 
au dedans, & fans que le cultivateur monta- 
gnard, dont les travaux font les plaifirs, devienne 
moins laborieux. Si jamais ils ont plus d'argent^ 
ils feront infailliblement plus pauvres. Us ont 
la fagefTe de le fentir, & il y a dans le pays des 
mines d'or qu'il n'eft pas permis d'exploiter* 

J'étois d'abord fort furpris de l'oppofition de 
ces ufages avec ceux du bas Valais, où, fur la 
route, d'Italie, on rançonne afii^s durement les 
pafiagers, & j'avois peine a concilier dans un 
même peuple des manières fi différentes. Un 
Valaifan m'en expliqua la raifon. Dans la val* 
lée, me dit-^il, les étrangers qui palTent font des 
marchand^, & d'autres gens uniquement occu- 
pés de leur négoce & de leur gain. Il eft jufte 
qu'ils nous laiilênt une partie de leur profit &> 
nous les traitons comme ils traitent les autres: 
Mais ici où nulle affsiire n'appelle les étrangers, 
nous/ommes fûrs que leur voyage eft delmté- 
reffé ; l'accueil qu'on leur fait Teft auifi. Ce 
font des hôtes qui nous vienne voir parce qu'ils 
nous aiment, & nous les recevons . avec a- 
mitié. 

Au refte, ajouta-t-il en fouriant, cette ho- 
^italité n'eft pas coûteufe, & peu de gens s'avi* 

(h) Ecv da fiyu 

fcnt 


H E L O î s E. 73 

toBt d'en- ppo£fier. Ah, je le croîs f lui re* 
poadis-je. Que fen>it-on chez un peuple qui 
vit fK)«tr vivr^9 non pour gagner ni pour briller f 
Hommes heureux & dignes de Tétre, j'aime a 
croire qu'il faut vous refiembler en quelque 
ohofe pour fe plaire 'au milieu de vous. 
, Ce "qui nae paroift>it le plus agréable dans 
leur ^coucil> c'étoit de n'y pas; trouver le moîn* 
dre yeftige de gêne ni pour eux ni pour tnoi. 
Us vivoient dans leur maifon comme fi je n'y 
euflb pas été, & il ne tenoit qu'à moi d'y être 
comme fi j'y euflè été feul. Us ne connoiflènt 
point l'incomode vanité d'en faire les honneurs 
aux étrangers, comme pour les avertir de la 
préfence aun maître, dont on dépend au moins 
etxï cela. Si je ne difois rien, ils Aippofoient 
que je voulois vivre à leur manière ; je n'avoit 
qu'à dire un mot pour vivre à la mienne, fans 
éprouver jamais de leur part la moindre mar - 
que de répugnance ou d'étonnement. Le feul 
c$>mpliment qu'ils me firent après avoir fû que 
j'itois Suiflè, fut de me dire que nous étions 
fferes & que je n'avois qu'à me regarder chez 
eux comme étant chez moi. Puis ils ne s'em- 
biarraflèrent plus de ce que je faifois, n'imagi- 
nant pas même que je pufTe avoir le moindre 
doute fur la finoérité de leurs offres ni le moin* 
dre fcrupule à m'en prévaloir. Us en ufent 
entre eux avec la même fimplicité; les enfans 
en âge de raifon font les iégaux de leurs pères, 
lesdoqieftiques s'aflèyent à taUe avec leurs maî- 
tres ; la même liberté règne dans les maifons & 
dans la république, ic la famille ttt l'image 
de l'Etat- 

hsL feyle ^hofe fur laquelle je ne jouiflbit pas 
Tçmt L E de 


74 LA NOUVELLE 

do U liberté écoté la ditfée exodStre dtfg iPe^i^ 
J'étoîs bien k imlere de ne jm me inetir» à 
table ; 'maîs^uand j'y ébm ocie fm^ ft y^filldit 
refter uÂe pacfie de [a journée "(bbcnit» d^ofanf. 
he moyen d'iihkginer qv^uti h^ntue «& un . 
Suifle n'aimât pas à boire? Eii' effets j^vdue 
que le bon yin mè parbit une exceUtiiiexhoTe» 
& que je ne haispoint à m'en égayer pc>li(H^ 
qu'on ne m'y force pas. J'ai toujours remâr** 
qué que les gens faux font fobres. Se la grande 
péTerve de la tàUe annonce ailes foûvem de« 
mœurs feintes & dbs ahieâ doubles. Un homme* 
fraoc x:tàint moîiis ce^ babil aiFeâueux ic ces-. 
tendres épancheniens qui précèdent l'ivreflb;' 
mais il faut favoir s'arrêter & piëvenir l'^cés.' 
Voila ce qu'il ne m'étoit guère poffible de 
faire avec d'auffi déterminés buveurs que Ié6 
ValaifanS) des vins aufli violeos que ceux da^ 
pays, & fur des tables où l'on ne vit jamais- 
d'eau . Comment fe réfoudre à jouer fi fottemeiM: 
le fage *& à iacher de & bonnes gène ? J'é^ 
m'eniVrois dcmc par recomioiflancîe, & ne pou^*i 
vant payer mon écot de ma bourfe, je le payo%^^^ 
demaraifon. ''^ 

Un autre ufage qui ne nie gènoit guéres 
moins, c'étoit de voir, même chez de magiftrats^ 
la femme & les iilles de la maifon, debout 
derrière ma chaife, fervir à table comme des 
domeftiques. La galanterie françoife fe ferok 
d'autant plus tourmentée à réparer cette incon- 
gruité, qu'avec la figure des Valaifanes, de^ 
(ervantes mêmes rendroient leurs fervices em- 
barraflans. Vous pouvez m'en croire, elles font 
jolies puis qu'elles m'ont paru l'être. D^ yeux 
accoutiijcbés à vous voir font difficiles en beauté. 

* Pour 


H fe L O î s E. 75 

Pùnt moi qui refpeâ:^ encore plus les ufages 
des pays où je râ que ceux de la galanterie, je 
recevoîs leur fervice en filence, avec autant de 
gravité que D. Quichote chez la Ducheflè. 
J'oppofois quelquefois en fouriant les grandes 
barbes & Tair groffier des. convives au teint 
éblGuïfTant de ces jeunes beautés timides, qu'un 
mot faifeh rougir, & ne rendoit que plus agré- 
ables. Mais je fus un peu choqué de Tenorme 
ampleur de leur gorge qui n'a dans ia blancheur 
éblouïfTante qu'un des avantages du modèle que 
j'ofois lui comparer; modèle unique & voilé 
dont les contours furtivement obfervés me pei- 
gnent ceux de cette coupe célèbre à qui le plus 
beau fêin du monde fervit de moule. 

Ne foyez pas furprîfe de me trouver fi favant 
fur des mifteres que vous cachez fi bien : je 
le fuis en dépit de vous ; un ièns en peut quel* 
quefois inftruire un autre: malgré la plus ja- 
loufe vigilance, il échape à rajuflement le 
mieux concerté quelques légers interftices, par 
lefquels la vue opère î'efFet du toucher. L'œil 
avide & téméraire s'infinue impunément fous 
les fleurs d'un bouquet ; il erre fous la chenille 
& la gaze, & fait fentir à la main la refiftance 
élaftique qu'elle n'oferoit éprouver. 

Parte appar dette mamme acerbe e cruie^ 
' Parte altrui ne ricopre invida vejia ; 
Invida, ma s*agli occhi il varco chiude^ 
L^amorofi penfier già non arrejîa* 

Je remarquai- aufli un grand défaut dans Tha- 
bîllement des Valaifanes : c'eft d'avoir des 
cor;)s-dc-robbc fi élevés par derrière qu'elles * 

E 2 ea 


76 LA NQU.VELLE 

en pdroiilcnt boflties ; cela fait un effet fingulter 
avec leurs petites coefFures lioires & le refte de 
kur ajufteoient, qui ne manque au furplus ni 
de {implicite ni d'élégance. Je vous porte un 
habit complet à la VaUifane, & j'efpére qu'il 
vous ira bien ; il a été pris fur la plus jolie 
taille du pays. 

Tandis que je parcourois avec, extafi; ces 
lieux fi peu connus & fi dignes d'être admires^ 
que faifiez-vous cependant, ma Julie? étiez- 
vous oubliée de votre ami i Julie oubliée ? Ne 
m'oublierois-je pas plutôt moi-même, & que 
pourrois-je être un moment feul, moi qui ne 
fuis plus rien que par vous? Je n'ai jamais 
mieux remarque avec quel inftinâ je place en 
divers lieux notre exifteoce commune félon 
l'état de mon ame. Quand je fuis trifie, elle 
fe réfugie auprès de la. votre, & cherche des 
confolations aux lieux où vous êtes ; c*eft ce 
que i eprouvois en vous qui tant. Quand j'ai 
du plaifir, je . n'en faurois jouir feul, & pour le 
partager avec vous, je vous appelle alors où je 
fuis« Voila ce qui m'eft arrivé durant toute 
cette courfe où la diverfité des objets me rap- 
pellant fans cefle en moi-mêpie, je vous con* 
duifois par tout avec moi. Je ne fajfois pas un 
pas que nous ne le fiffions enfemble. 'Je ri'ad- 
mirois pas une vue fans me hâter de vous la 
montrer. Tous les arbres que je rencontrois 
vous prêtoi^nt leur ombre, tous les gazons vous 
fervoient de fiége. Tantôt aiîis ^. vos côtés. 
Je vous aidois à parcourir des yeuTc Jes objets ; 
taiitôt à vos genoux j'en contemplois un plus 
digne des regards d'un homme fenfible. Ren* 
^OAtrois-je un pas difficile ? je you;s le vôyois 

franchir 


H E L O ï s E- 77 

franchir avec la légèreté d'un hn qui bondit 
après fa mère, Faloic-il traverfer un toirent ? 
j'ofois preflèr dans mes bras une fi douc.e charge t 
je paifois le torrent lentement, avec délices, ic 
voyois à regret le chemin que j'allots atteindre. 
Tout me rappelloit à vous dans ce iejour paifi- 
ble ; & les toucbans attraits de la nature, & Tin- 
altérable pureté de l'air, & les mœurs fimples des 
habitans, & leur fagefTe égale & fûre, & l'aimable 
pudeur du fexe, & Tes innocentes grâces, & tout 
ce qui frapoit agréablement mes yeux & mon 
coeur leur peignoit celle qu'ils cherchent. 
. O ma Julie ! difois-je avec attendriflêmentf 
que ne puis-je couler mes jours avec toi dans 
ces^ lieux ignorés, hçureux de notre bonheur & 
non du regard des hommes ! Que ne puis-je ici 
rafiembler toute mon ame en toi feule, & de- 
venir à mon tour l'univers pour toi ! Charmes 
adorés, vous jouiriez alors des hommages qui 
vous font dûs ! Délices de l'amour, c'eft alors 
que nos coeurs vous favoureroient fans cefle ! 
Une longue & douce ivreflè nous laifilèroit ig« 
norer le cours des ans : & quand enfin l'âge 
auroit calmé nos premiers feux, l'habitude de 
penfer & (bntir enfemble feroit fuccéder k leurs 
tranfports une amitié non moins tendre. Tous 
les fentimens honnêtes nourris dans la jeunefle 
avec ceux de l'amour en rempliroient un jour 
le vuide immeniè ; nous pratiquerions au fein 
de cet heureux peuple, & à (on exemple, tous 
les devoirs de l'humanité : fans cefle nounnous 
unirions pour bien faire, & nous ne mourrions 
point fans avoir vécu. 

La pofte arrive, il faut finir ma lettre, & 
courir, recevoir la votre. Que le cœur me bat 

E 3 jufqu'à 


78 l. A NOUVELLE 

jufqu'à ce mpmeat l H^las ! j'étois heureux dans 
mes chimères: mon bonheur fuk avec elles ^ 
que vais-je être en réalité? 


■■■■^■■■■■■i^BHHHHM^iBipaaaHHBHHMM 


LETTRE XXIV. 
J Julie. 

JE réponds fur le champ à Tarticlc de votre 
lettre qui regarde le payement, & n'ai Dieu 
merci nul befoin d'y réfléchir. Voici, ma Julie» 
quel eft mon feetiment £ar ce point. 

Je diâingue dans ce qu'on appelle honneur^ 
celui qui fe tire de l'opinion publique, & aàui 
que dérive de l'cûime de hi-mèmc. "Xe pcemier 
confifte en vains préjugés plus mobiles qti^tiac 
onde agitée ; le fécond a fa bafe dans les vérités 
éternelles de la morale. L'honneur du mooie 
peut être avantageux à la fortune» mais il os 
pénètre point . dans l'ame & n^infiue en rien fur 
le vrai bonheur. L'honnetir véri^hle au cen^ 
traire en forme, l'eflence, parce (qp'on ne trouve 
qu'en lui ce fentunent permaacnt de fatis&âioo 
intérieure qui f^ii peut rendre heureux un eiic 
penfant Appliquons, ma Julie, ces principes 
a votre queftion ; elle fera bientôt réfolue. 

Q^ je m'érige en maître de plkilofophte & 
prenne, comme ce fou de la fable, de l'argent 
pour enfeîgiier la fagéflè; cet empk» paroitra bas 
aux yeux du monde, & j'avoue qu'il a ^pielque 
chofe de ridicule en foi : cependant comme au* 
cun homme ne peut tirer ùl fubfiftance ahfolu- 
ment de hii même ic qu'on ne fauroit l'en tirer 

de 


H E L X) î s E. 79 

de plas près quB paf (bn travallt nouy mettrons 
ce mépris au ntng des phis dangfBEeux pigugés ^ 
lious D'aifrons point la fotife de facrifier la félicité 
cobtc opinioiL iQ&nies ; voua ne m'en eftûneres 
pas moins & je n'en ferai pas plus à plaindrcy 
quand )e vivrai de& talens que 'fdi cultivés. 

Ms^is icJ, ma /uUe, nous avons d'autres con« 
fidéraAions à^ fiaire. LaifIbns.Ia multitude & re- 
gardoDiS ffo naus-mêrnes. Que ferat-je réelle* 
àneat à votre père, en fecçvant de lui le faiaire 
dea leçons que je vous aurai données, & lui 
vendant une^partie de mon tema c'eft à dire de 
ma p^rfoane ? Un merccnaîre, un homme ^ fes 
gages, une espèce de valet, & il %ura de ma 
part ppuc garant de fà confiance, & pçur fureté 
d<l ce qui hii appartient ma foi tac^e, comme 
«sUe du demiet de fes gens. 
: Or qkel biea plys précieux peut avoir un père 
que 6l fiUe unique, fut-ce même une autre que 
Julie? Q^ fisra do|ic <;ehii qui lui vend fes 
fenrice$? ferart-Q t«re fes fenilmçns pour elle? 
adb! tu êbsl fi jcpla fe peut! ou bien fe livrant 
fMS fcnipttle,a« penchant de ibacoeuf efienfera-* 
^•.ii doae la parde la phis &«iûble celui à qui il 
dMt fidélité? Alors je ne vois flus dans, un tel' 
maître qu^un perfide ^t foule aux fseds les droits 
hs jin$ facrés (i\ un traitre, on ieduâeur do«» 

(i) MaXkefOiUi. ^uae hoBUnel ^1 ne voit pM %n*CD te 
lii^^ii^pa^r- fp i^onf Q^ir^nfie ^e i^*U r«Mb de rfctvoiro^. 
argent, il viole des droits plus facrçs «ncpre. Av Ijeu dUn- 
fl^raire il corrompt ; ay lieu de nourrir U empoifonne ; U fe 
fMt'fciknercfér pat tme meM absifée ii*avoif perAi foa toftnt. 
On i^ pdur;Uiit <)u*ii «ûda ÂfcereBoent î» v«rti^ mfii Afc 
pafl[ioa Tegare» & fi ^« grande jeunçlTe ne rexcufoit pa,*^ avec 
fes be^ux éilbotirs ij^ pe feroit qu'un fcelêrat. Les dçuz amans 
ftet à^Uiiidie j ta MiN |e»le, «d ÎMxçi^filble. 

Ë 4 mefttquc 


«o LA NiOUVELLE 

meftique<}ue iesloix condamnant très-juftement 
à la moit. J'«fpere que celle à qui je parle fût 
m'entendre;. ce n'ëft pas là moxt que je Grains, 
mais la honte dfen être digne» Se le mépris de 
p!)oi*fnenie. 

Quand les lettres d'Héloïfe & d*Abclard tom- ^ 
berent entré vos mains,' vous favez ce que je 
vous dis de cette leâurè & de la conduite du 
Théologien. J'ai toujours plaint Héloïfe; elle 
avoit jun cœur fait pour aimer: mais Abelard 
ne m'a jamais paru qu'un miférable digne de fon 
fort, & connoiflant auffi peu l'amour que la vertu. 
Après l'avoir jugé faudra-t-il que je l'imite? 
malheur à quiconque prêche une morale qu'il ne 
veut pas pratiquer ! Celui qu^aveugle fa paffion> 
jufqu'à ce point en eft bientôt puni par elle, & 
perd le goût des fentimens auxquels â a facrifié^ 
fon honneur. L'amour eft privé de fon-plus 
grand charme quand l'honnêteté l'abandonne^ 
pour en feiitir tout le prix, il faut que le cœur 
s'y complaife, & qu'il nous élevé en élevant 
l'objet aimé. Otez l'idée de la perficfHon^ vous 
ôtez l'enthoufiaimê ; ôtezTeftmie, & l'amour- 
n'eft plus rien. Comment une femme pourroit 
elle honorer un homme qui fe deshonore ? Com- 
ment pourra-t-il adorer lid même celle qui n'a 
pas craint de s'abandonner à up vil corrupteur ?• 
Ainfi bientôt ils fe mépriferont mutuellement; 
l'amour ne > fera plus pour eux qu'tm hoitteiix 
commerce, ils auront perdu l'honneur & n'au*' 
riant point trouvé félicité.^ \ " ' ' ^ 

Il n'en eft pas ainfi, ma Julie, entre 4eax 

amans de mêrtie âge, tous deux épris du n^ni^ 

fçu, qu*un rr.utuel attachement unit, qu'aucun 

lien particuiier ne gène, qui jouirent tous deux* 

de 


H E L O ï s E. »i 

•de leur première liberté, & dont aucun droit ne 
profcrit rengagement réciproque. Les loix les 
plus féyeres ne peuvent leur impofer d'autre 
peine que le prix même de leur amour ; la feule 
•punition de s'être aimés e(t l'obligation de s'aimer 
à jamais ; & s'il eft quelques malheureux climaes 
au monde où l'homme barbare brife ces- inno^ 
centes chaînes, il en eft puni fans doute, par 
les crimes que cette contrainte engendre. 

Voila mes raifons, fage & vertueufe Julie, 
elles ne font qu'un froid commentaire de celles 
que vous m'expofittes arec tant d'énergie Se de 
vivacité dans une de vos « lettres; mais c'en eft 
afies pour vous montrer combien je m'en fuis 
.pénétré. Vous vous fouvenez que je n'infiftai 
point fur mon refus^ & aue malgré la répugnance 
.ioue le préjugé m'a laîfiee j'acceptai vos dons en 
filence» ne trouvant point en effet dans le véri* 
table honneur de folide raifon pour les refufer. 
>fais ici le devoir, la raifon, l'amour, même, 
tout parle d'un ton que je ne peux méconnoitre. 
S'il faut choifir entre l'honneur ic vous, mon 
cœur eft prêt à vous perdre : II vous aime trop, 
ô Julie, pour vous coniêrver à ce prix* 


LETTRE XXV. 

De jtulie^ , 

LA relation de votre voyage eft charmante-, 
mon bon ami; elle me ferott aimer celui 
qui l'a écrite, quand même je ne le connoitrois 
pas. J'ai pourtant à vous tancer fur un pftflàgte 

£ 5 dont 


8i LA NOUVELLE 

dont vous vous doutez bien ; yioèyie je n'^ 
pu m'empêcher de rire de ht ruiê avec laquelle 
vous vous êtes mis à l'abri du Tafiè, comme 
derrière un rempart. £h, comment ne ièntm^ 
vous point qu'il y a bien de la différence entre 
écrire au public on à ûi maitrefiê ? L'amour^ fi 
jcnûntif, u icnipulenr, n'exige-t-il pas pl«n d'é*- 
gards ()ae la bienfisanœ i Pouviez- vous ignorer 
que ce fttle n'eft pas de mon goât, & chercbiez- 
vous à me déplaire ? Mais en voîk d^ trop, 
peut^etrei fur un fuîet qu*il ne faloit point re- 
lever. JefttiS) d'ailleurs, trop occupée de yotie 
feconde lettre» pour répondre en détail k la pre- 
mière. Ainfi, mon ami, iai&ns le Valais pour 
une autre fois, & bonions*nous maintenant à 
nos affaires ; nous ferons ailes occupés. 

Je favois le parti que vous prendriez* Nous 
nous connoiiibns trop bien pour en être encore 
à ces élemens. Si jamais la vertu nous aban* 
donne, ce ne fera pas, croyez mof, dans les 
occafions qui demandent du courage & des facri- 
fices (^k)* Le premier mouvement, aux attaques 
vives eft de refiler ; 6i nous vaincrons, je i'ef- 
père, tant que l'ennemi nous avertira de prendra 
les armes. C'eft au milieu du fommeil, c'eft 
dans le fein d'un doux repos qu'il faut fe déSsîr 
des furprifes : mais c'eft, fur tout, la continuité 
des maux qui rend leur pdds infupportable, & 
l'ame refifte bien plus aifément aux vives dou- 
leurs qu'à la trifteffe prolongée. Voila, mon 
ami, la dure efpece de combat que nous aurons 
déformais à foutenir : ce ne font point des aâions 
héroïques que le devoir nous demande, mais une 

(*) On verra bientôt que la prcdiftion ne fauroU plw *•* 
toadctr avec rév^cmcitt, . . 


4î e L O I s E. fSj 

refîftance {4 us héroïques encore kides peines fans 
jeJâche. . ' ^^ 

Je l'avois trop prevû ; le tems du bonheut efl 
paffle comme un éclair j; celui des difgraces cpm- 
ihence» fans que rien m'aide à juger quand il 
finira. Tout nfaHarme & me cfecourage i un^ 
langueur mortelle s'empare de mon ame> Tan^ 
ftijet tien Tpfécis de pleurer, des pleurs involoiv- 
taires s'échapent de mes yeux ^ je ne lis pas dans 
favënir de3 maux inévitables ', mais je cultivois 
l*ef^rance & la vois flétrir tous les jours, (^ê 
fert, hélas, d^arrofer le fbuillage quand f arbre eft 
cpupé par Jo pied î 

Je le fens», mon ami, le poids de fabftricp 
m*arcabie. Je ne pub vivre fens toi, je le fens^ 
ç'eft ce qui m'efFrayç le pli|s. Jç parcours ccitf 
fois le jiMtr les lieux que nous habitions enfemble» 
& ne t'y trouve jamais. Je t's^teods à ton heure 
ordinaire ; l'heure pafiè & tu ne viens point. 
Tous Les objets que j'apperçpis. me portent quel* 
que idée de ta prefeiice pour m'avertir que je t*ai 
perdu. Yu n'as point ce fupplice affreux. Toi| 
co^r feul peut tç dire que je t'e manque. Ah^ 
fi tu* favoi^ quel pire tourment c*eft de refter 
quand on fe îepafe', combien tu préférerois ton 
ctat^iniça?,. ,. ..,^.,,^ , . 

Encore fi j^ofois gémir! fi i^fois parler de 
mes peinçs» jç me ^ntii;0is, fojuUger des maux 
dont je poiïri^is me plaindre. ^Itrtshors quel- 
ques foupirs exhalés en fçc^et dans le fein de ma 
coufine, il faut étouflêr tous les autres -^ il faut 
cQnténir me) larmes | il faut fourire quand je 
me meurs. "^ 

l .,1 f. 4 ' % ' 

• • ' >" - ' * ' ' ,' J. . i 

» K,i ^ i , ■* • ^ .-. - . ^. . 


«4 LA NOUVELLE 

Sentirfiy ob Deiy marir*, 

E non potir mût dir : ^ . : ' ; 

Aûrir mi fento / , 

Le pis eft que tous ces maux empirent fans 
cefie mon plus ^rand mal^ & que plus ton fou- 
venir me cféfole, plus j'aime à me le rappeller. 
Di-moi, mon ami, mon doux ami! fens-tu com* 
bien un cœur languiflant eft tendre» & combien 
la triftellè fait fermenter l'amour ^ 

Je voulois vous parler de mille chofes ; mais 
outre qu'il vaut mieux attendre de favoir poii- 
tivement où vous êtes, il ne m'eft pas poffible de 
continuer cette lettre dans l'état où je me trouve 
en l'écrivant. A<)ieu, mon Ami \ je qulte la 
plume, mais croyez que je ne vous quite pas. . 


7^ 


BILLET. 

» 

J'Ecris par un batelier que je ne cotmois point 
ce billet à raddreflè ordinaire^ pour donner 
avis que j'ai choifi mon azile.à Meillerie fur ja 
rive oppofée: afin de joiiîr au moins de la viîe 
du lieu dont je n'ofe approcher. 


"■•"^*i^— ■**■ 


-T' 


LET T R fi, xxyL 

A Julie. 


QT3E mon état eft change* cîanj pe.« ^« 
jours ! Que d'amertumes fe mêlent a ia 

couceur de mç rapprçcher de vous I Qs^.^^ 

triftes 


Jl EL OIS' E. 8s 

.Iriftes té&wiw» m'affiégent i Que de tntvetfci 
jDes cndi)te9 me font, prévoir! O Julie, que 
c'eft un fatal préfent du ciel qu'une ame feniible{ 
Celui qui Ta reçu doit s'attendre k n'avoir que 
peine & douleur fur la terre. Vil jouet de l'air 
Â'des f;^fons, lefoleil ou les brouilUu:d8, l'air 
.couvert ou ferein régleront ùi deftinée^ & il fera 
content ou trifte au gre des vents. Viftime des 
prâugés, il trouvera dai^s d'abAirdes maximes un 
obftack invincible auy juftes vœux de fon coeur. 
Jjgs hocnmes le puniront d'avoir des fentimens 
droits de chaque cbofÇf & d'en jug^r par ce qui 
eft véritable plutôt que par ce qui eft de conven- 
tion. Seul il fuffirpit pour faire la propre mifere, 
en ce livrant indifcretement aux attraits divins 
de l'honnête & du beau, tapdis que les pe&ntes 
chaînes de la néceffité l'attachent à l'ignooiinie* 
Il cherchera la félicité fupréme fans fe fouvenir 
qu'il eft homme : fon cœur & fa raifon feront 
inceflànmient en guerre, & des defirs fans bornes 
Itii prépareront d'éternelles privaiions* 
. Telle eft la fituation cruelle où me ploog^ent, 
le fort qui m'accable, & mes fentimens qui rn'é* 
lèvent, & ton père qui me méprife, & toi qui fais 
. le charme & le tourment de ma vie. Sans toi. 
Beauté fatale ! je n'aurois jamais fenti ce oon* 
trafte infupportfli>le de gr^uioeur au fond de mon 
ame & cle bafleâè dans ma fortune: j'auroîs 
vécu tranquille & ferois mort content, fans dai- 
gner remarquer quel rang j'avois occupé fur la 
terre : Mais t'avoir vue & ne pouvoir te pofféder, 
t'adorer & n'être qu'un homme ! être aimé k ne 
pouvoir être heureux ! habiter les mêmes lieux & 
ne pouvoir vivre enfen)ble I O Julie à qjuû je ne* 
puis renoncer I O deftinée que je ne puis vaincre ! 

-^ quçl^s 


«C LA NO^V'ELLE 

4)iiris cèmbat» iffréwc veu9 éUciUfe en «ifoï, ftiii^ 
pouvoir jamais flinnonter mes éefir» ai meto ioi'» 
puUTance! • > 

* ' Quel effeè b»ftrre & tnecHicevâble'! Depuis 
i|uc je fiiis r^pprodie de yoits, je ne roule datiS' 
mon esprit que des penfées funeftes. Pent-étre 
4c ï^iur eà je fuis contrîbiK-t-îl à cette iftélan- 
colie ; il eft trifté & liorrible t ît ^n eft ptu» cpn* 
Ibrme à l*^lat de mon ame, Si Je n'en habkerofè 
pas fi patiemment un plus agréable. Une fUe àt 
rodiers ftériles borde la e&te; foenvtromie mon 
habftatiofi que Phhrér rend eHeore plus afireuft; 
Ah ! je }e (ens, ma Julie, ^'ll faléit renoncer I 
^rov6, il n'y aurott plus pdur moi dTaÙtr^ iejour 
ni d'autre fetfon. 

Dans les violens tràniports qui Wagîtent je hè 
faurow demeurer en place ; je cours, je mont^ 
$mc ardeur, je m^élance furies rochers ; je par^ 
cours ik grands pas tous les environs, & trouva 
par t0ut dans les otijett la même hdfrçtnr qui 
règne au dedans de' moi. On n'appèrçoit plàs 
de v^rdûre> Therbe eft jaune Jç fléteriè, les arbre§ 
fone d^ouHlés, le fi^hard-]f/)& l'^ fh»de bi!^ 
entafifsit 1^ neige fcles giaëes, & t<Aité fafia^ 
tinte eft morte à mes yeux, conv^ç re^crançç 
au Ibnd de mon coeur. 

Ptoni les rocher* de cette côte* .j'ai trouv^ 
dans un abri folltaire une j)çtite efplkriade ^q& 
Ton découvre k pWn.lavrîleheurcufe où Vdus 
habiter». Jugez avec quelle avidité me^ veux fc 
popterenit vers ce /Sjour chéri. Le premier joui*^ 
je *s mille eiFoirts pour y difcerner votre de- 
meure 5 mç^is rextrêfpe éloi^nement les rendit 
yaina, & je m'apperçus que mpq imaginatiott 

« ; don- 


H B L O î s ë; if 

dofitMÛt le change k mes feux fâtigiiéa. Je 
couru» chee ieCuré emprunter «m tekfeope avet 
lequet je vis ou crus roir votre maiibn, te depvh 
ce tems je paile les jours entiers dans cet axilè 
â contempler ces murs fortunés qui renferment 
la fonrce de ma vie. Malgré la laifen je m'7 
rends d^ le matin & n*en reviens qu'à la nnft. 
Des feuilles & quelques bois fées que j'alhme 
Cm- vent avec mes courfes à me garantir ëu-froié 
excefif. J^ai pris tant de goût pour ce lieu fkxti 
¥age que j'y porte même de Tencre & du papier, 
te j'y écris maintenant cette lettre fur un quartier 
€fÊe les glaces ont détaché du rocher voifin. 

C'eft-là, ma Julk, que ton malheureux amant 
achevé de jo«ïr des derniers ptaifnrs qu'il goûtera 
peut*ëtre en ce monde. CTeft de là qu'à travers 
les airs & les murs, il ofe en fecret pénétrer juA 
que$ dans ta chambre. Tes traits charmans le 
frapent encore ; tes regards tendres raniment fon 
cœur mourant; il entend le (on de ta douce 
r<HX$ y ofe cheircher encore en tés bras ce d^îrt 
qu'il éprouva dans le bo(i]uet. Vain fantôme d'une 
mme agitée qui s'égare dans fes defirs ! Bientôt 
forcé de rentrer en moi-même, je te contemple 
au moins dans le détail de ton innocente vie; Te 
fuis de loin les diverfes occupations de ta tournée» 
& je me les répréfente dans les tems & les lieux 
où j'en ftis quelquefois Pheureux témoin* Tou-* 
jours je te vois vaquer à des foins que te rendent 
plus eftimaUe, & ifton cœur s'attendrit avec de* 
lices fur l'inépuiiâble bonté du tien. Mainte^ 
nant, me dîs-je au matin, elle fort d'un pa}- 
fible fommeil, fon teint a la fraîcheur de ItL 
rofe, fon ame jouît d'une douce paix ; elle offr^ 
k cdui dfl^ elle tient ^étre un jonr^i neftri 

point 


U LA NOUVELLE 

point perdu pour la vertu. Elle pafle à prefedt 
chez fa mère; les tendres afFeâions de foii cœur 
s'épanchent avec les auteurs de (ts jours^ elle les 
foulage dans le détail des foins de la maifon, elle 
fait peut-être la paix d'un domeftique imprudent^ 
elle lui. fait peut-êU:e upe exhortation fecrete^ 
elle demande peut-être une grâce pour un autres 
Dans un autre tems: elle s'occupe fans ennui 
des travaux de fon fexe, elle orne fon ame df 
connoifiànces utiles, elle ajoute à fon goût ex- 

auis les agrémens des beaux arts^ & ceux de la 
anie à ùl légèreté naturelle. Tantôt je vois 
une élégante & fimplé parure orner des charmes 
qui n'en ont pas befoin ; ici je la vois confulter 
un pafteur vénérable fur la peine ignorée d'une 
famille indigente, là, fecourir ou confoler la 
trifte veuve & l'orphelin délaifTé. Tantôt elle 
charme une honnête (bciété par fes difcours fenfés 
& modeftes; tantôt en riant avec fes compagnes 
elle ramené une jeuneflè folâtre au ton de la ia* 
geflè & des bonnes, moeurs: Quelques momens^ 
ah pardonne ! j'ofe te voir même t'occuper de 
moi i je vois tes yeux attendris parcourir une 
ide mes Lettres ; je lis dans leur douce langueur 
que.c'eft à ton amant fortuné que s'addreifenl 
les lignes que tu traces, je vois que c'eft de lui 
que tu parles à ta coufine avec une fi tendre 
emotioi). O Julie ! ô Julie l & nous ne ferions 
pas unis ? & nos jours ne coûleroient pas en- 
îemble? & nous pourrionJ^ être féparés pouf 
toujours? Non, que jamais cette afR-eufe idée 
ne fe préfente à mon efprit ! En un ihftant elle 
change tout mon attendrilTement en fureur; la 
rage me fait courir de caverne en caverne ; àes 
gemiilèmens & des cris m'échapent malgré moi ; 


HELOÎSE. 89 

je rugis comme uneliotme irrita; je fuis ca- 
pable de tout, hors de renoncer à toi. Se il n'y à ' 
rien, non rien que je ne faflb pour te poSedei* 
ott mourir* < 

J'en étois ici de ma lettre» & je n'attendoîs 
qu'une occafion fiire pour vous l'envoyer, quand 
j'ai reçu de Sion la dernière que vous m'y ave^ 
écrite. Que la triftefie qu'elle refpire a charmé 
la mienne! Que îVai vu un frapant exemple dç 
ce que vous me oiuez de l'accord :de nos âmes 
dans des lieux éloignés! Votre affliâion' je 
l'avoue, eft plus^ patience, la mienne eft plus 
emportée -, mais il finit bien que le même fenti^ 
ment prenne la- teinture des caraâéres qui 
l'^onvent,'& il eft bien naturel qée les |rfu« 
«andes pertcffcauiant les* pfcis grandes doukwr s/ 
Que dis^ des pertes i 'Êbl qdi hs poarroit 
fupporter ? Kaoy connoii&e^le ei|fi]i,>ma JuKe^ 
un éternel arrêt du ciel nous deftina Pun pour 
l'autre ; c'eft la première loi qu'il fiât écouter 1 
€*€& le premier foin de la vie de s'unir à qui 
doit nous la rendre dence. * Je lé vois,- j'en 
gémis, tu t'égares dans tes vaina prc^ets^ ta 
veux forcer des barrières infurmùntables •& né^ 
gltges les feuls moyens poffiUesi Pendioufiafiné 
de rhoiuiêteté t'ote la niifon, & ta Vertu a'eft 
plus qu'un déKre. 

Ah ! fi tu pouveis tèfler- toujours Jeune fc 
briOante comme k préfent, je nedemanderoia 
au Ciel que de te iavoir étem^lement ^leureufe, 
te voir tous les ans Ae ma vie une fois; & pa& 
fier le refie de mies jours à coatem^iiér de Km 
ton azile, à t'adorer parmi ces. rochers. . Mais 
hélas f voija rapidité de cet aitoe.jqui jamaif 
n'arrêtes il vole & le tems fuit, rocckftMi.s'é<*^ 

cbape^ 


99 LA NiO^YEl^LE 

dxfi^f ta hcêi^tÀ^, têrh^Mi& màn» nun fan 
HctoPi elie clQÎt|Çhk:Iimr4& ^mr liaîmsr comnif 
uœ fleur qui; ^^.rfMs -^yoiç ÀBTCVffiHie; le 
moi cependant, je gémis, je foiiffre, ma jiruneis 
$'ufii<toi)& ile# l^iQpfi^i. Ik fe itôtrit dans la Cou- 
leur» Penfi^ pciiûï> J'ultûi quA nous eomcptixn 
4^^ des aiïpée^ p«r4hi^» pour k phifir. PenAr. 
iqi^'dik^ jpe jpQK^0d«tmi jlafliAia^ tpi'U en Tcia 
4ÎçcDu^^/4e!)iQeUef;qui nousTeftsnt fi aotis les 
laiâpn^ écWpfif fiaeoire^ O amante aveu^eel 
tu çbeiiçlief^; U8- ^tniùstvip bonheur pouc un 
(ems ou nous ne ifibroos plup; tu regacdes un 
avçpjr âoigD^^ If tia né mi pas que nous nous 
f;a«rma(n^iiks iii»B oeffb, & qtiaf nos anca, qpuiféeB 
4^infi<m 4frA^ ; fomesi. fe foiideiitc & oouIvRi 
ÇPfMH>J'«aii.! . ;&«Bkfi% ûi Micfr ton» enocni 
I^WfMHj m J<di4> dé eetaq oHew Ane^^i 
I*lUft4a tpa fiBDietsj&L ibiaboiumift. ¥iaii% â 
«•m ameè idiîif lea rbns de ton aaû, nunir ka 
dtwi ss^ittttl dd OGÉffe et»: tîpBs 1 la faoe ^ 
Âtl ^dci. de àotst SdxttiSi temoâi dia nos ifcr« 
«Misjtuitr 4t livre tf nàucir F-oa à l'audrc. ^ 
n'ie^ pAatx)!^ je/ la Ais^ <pi'îi futt rafirei^con^ 
tè»^ la jccalote' tdb i^itadiganoe» So^na- kàutmm 
fe IfKivurâ^ ah quella tsé^rt nfsoa anroiiS' «cfiH* ^ 
M^ ne feifans poiat cet aiSsont k l^umanitéy 
de croire qu'il ne reftera pas fur kL'aeme'eoticr^ 
VU JiiUai à dmni Amans infortiinés; J^al des 'bras, 
jéi&b rafanfte4* lepajn gagaé^^parmoQ-trafral to 
picaitra phn daUèieox que 4él ^^inats dfs U^tti^ 
Un oèpis ia^prcaéi par l'alioor peut-i) jaoaaîa 
èM iofipîdë f lAl^ tendie & diare anaance, du£>^ 
fitashnoMs n'être beuoeux qi/un feul jouf, ^J''^" 
tii quitter cettd comte vie (ans avoir goûii ^ 
bonbeturf. : . ^ . • . .... 
. ' ; j Je 


HELOISRgi 

Je n'ai pLua qu'un mot à vous dire, ô Julie ! 
vous connoiflèz Tamique uâgc du rocher de 
Leueate, dernier refi^ de tant d'anuuis mal- 
heureux» Ce Jieu-ci lui rcfTemble à bien de$ 
égards* La roche eft efcarpâr» Teau eft pcofonde» 
ic je fuis au defefpoir* 


iV^WViM*i^i>W9*^ 


LETTRE XXVU, . 
De Chire^ 

MA doulettr jo^e Uiâ^ i peine la force de 
vous écrire. Vos malheurs il les miens 

Ai«t au comUe; y«imftbfe Jute eft: kt^ana^- 
mîié U a'a peui-étie pas demi: jouff il ^vrfi 
ii'dfortqu'elk fit. pour «Msélejgsef d^ette ocim^ 
metift d'alleree ià faoté. La piemiere; conucv» 
frtma qu'elle eut ia votne cen|ile avec im 
père j porta de nouvellet aÉla|uei.: d'auMs 
ctegiûns pbit réeeiui o»! aecru iè» igjttatimii^ 
& . YQtce dêrlûefe kttre a. (ait le refibb EUe en 
fiit £ «ivemeot émue qo^apoèas : avoir paflK UM 
Bliil daiiis 4'aft-eMK combats, . elle, t^mba biet 
àam% l'aco^ 41 wm fièvre ankme «ut n'a fait 
lyo'aiigpaealer feus ceffe & lui .a enfin donné fe 
tmfport* Dans wt .état, elle yow. nomme à 
chaque inftant| & pode de vous /avec uim vé* 
hémence qui montre combien elle .eu .eft oct 
cupéè. Qh ék>ipie' (biL père autaat ^pi'il eft 
pfiffihk ; cela prouve aCes que ma tante, a coliçà 
des fisupçona : elle m'a même demandé avec in** 
^iétudè fi vims n'étiez pas de .retour, & m 
vois que le danger de fit ^le effaçantifçur. le 

moment 


9» LA NOUVELLE 

moment toate autre confidération, elle ne feroit 
pas fâchée de vous voir ici. 
* Vcnc» donc, fans différer. J'ai pris ce 
bateau eitprès pour vous porter cctfe lettre; il 
eft à vos ordres, ferrez vous-en pour votre re- 
tour, & fur tout ne perdez pas uii moment fi 
vous 'voulez revoir la plus cendre amante qui 
ifttt jamais* 

- •- .^ ^- ^ ^ . - ^ ■■- 

LETTRE XXVIII. 

Dtf JuUe à Claire. 

QUE ton abfonoe me rend lunere la vie que 
tu m'ai rendue ! Quelle convalefcence I 
une paffion. pliis terrible que la fièvre & le 
tranfport m'entraîne, à ma perte. CrueUe ! tu 
me quites quand j'ai plus befoin de toi; tu m'as 
«piittée pour huit jours, peut-être ne me re- 
wrras-tu jamais» O fi tu favois ce que l'infenfé 
m^ofe propofer ! ;.•*.& dé quel ton ! • • • • • 
H^'enfuir ! le fuivre ! m'enlever ! .... .le mal- 
heureux I • •••. de qui me platns-je? mon 
toèur, mon indigne cœur m'en dit cent fois 

plus que lui grand Dieu ! que feroit-ce» 

s'il fiivoit tout i .... il en deviendroit furieux, 
je feroia entrainée, il £uidroit piiartir . • . • • js 
ffemis • • • • • 

Enfin, mon père m'a donc vendue ? il Ait 
de fa fille une marchandife, une efclave, il s'ac- 
quite à mes dépends ! il pave fa vie de h 
mienne 1 .... car je le fens bien,^ je nV furvi- 
vrai jamais ^«..^ père barbare & dénaturé! 
: ' - . ^ mérite- 


H E L O I s E. '93 

inérite*t-tl quoi, mériter ? c*eft le meil- 

lirur des pères ; il veut unir la fille à (on ami, 
voila fon crime. Mais ma mère, ma tendre 

mère ! quel mal m'a-t-elle fait ? Ah 

beaucoup ! elle* m'a trop aimée, elle m^a perdue. 

• Claire, que ferai-je i que deviendrai-je? ÎEIanz 

ne vieiu point. Je ne iais comment t'euvoyer 

ostte lettre. Avant que tu la reçoive . . • • a«» 

vant ,que tu fdis' de retour , . . ^ui fait 

. « . • fugitive, errante, deshonorée «... c'en 
eft fait, c'en eft fait, la crife eft venue. Un 
jour, une heure, un moment, peut-être ••.. 

qui eft-ce qui fait éviter fon fort ? ô 

dans quelque lieu que je vive & que je meure j 
en quelque azile obfcur que je traîne ma honte 
& mon defefpoir; Claire, fouviens toi de ton 

amie Hélas ; la mifere & l'opprobre 

changent les cœurs Ah, fi jamais le 

mien t'oublie, il aura beaucoup changé ! 


LETTRE XXIX. 
De Julie à Claiu* 

REfte, ahrefie! ne revien jamais ; tu vicn- 
drois trop tard. Je ne dois plus te voirj 
comment foutiendrois-je ta vue ? 

Où étois-tu, ma douce amie, ma fauvegarde, 
mon Ange tutelaire P tu m'as abandonnée, & 
j'ai péri. Quoi, ce fatal voyage étoit-il fi né- 
ceilaire\0u fi preffé ? pouvois-tu me laiflèr à 
moi-même dans l'inftant le plus dangereux de 

ma vie ? Que de regrets tu t'es préparés par cette 

coupa* 


^4: LA NOUVELLE 

cbufKlMe tté^j^nceî Us 'feront écernelà a}ftfî erre 
mes pletfrs. Ta pei^e rCttt pas moim ir«éparaDle 
()ue Ift nrtaine, & une atitre amie digite de toi 
n-eft pas phi9 fftdle à recouvrer que mon imio- 
cence. 

Qu'ai-je dit, wMifMt'î Je ne puis ni parier ni 
me taire. Qtte fert te filence quand le remord 
crîe-.^ -L'univers erttiér ne me reprocfae-t-il pas 
nfta faute ? ma honte n%ft-dl/ pas écrite fur 
tbus les objets î Si je he-verfe ihon coeur dans 
It tieii il faudra que j'^toiiffe. Et toi ne te re« 
proches» tu rien, facile & trop confiante amie ? 
Ah que nç me trahiflbis*tu ? C*eft ta fidélité, 
ton aveugle amitié, c'éft ta malheureufe indul- 
gence qui m'a perdue. 

Quel Démon t'infpîra de le rappeller, ce cruel 
qui fait mon opprobre? fes perfides foins de- 
voient-ils me redonner la vie pour me la ren- 
dre odieufe ? qu'il fîiye à jamais, le barbare ! 
qu'un refte de pitié le touche ; qu'il ne vienne 
plus redoubler mes tourmens par fà prcfence; 
qu'il renonce au plaîfir féroce de contempler 
mes larmes. Que dis-je, hélas ? il n'cft point 
coupable ; c'eft moi feule qui le fuis ; tous mes 
maliieurs font mon ouvrage, & je n'ai rien à 
reprocher qu'^ moi. Mais le vice a déjà cor- , 
rompu mon amc ;. c'eft le premier de ks effets 
dé nous faire àccufer autrui de nos crimes. 
- Non, non, jamais il ne fut capable d'enfrein- 
dre fes fermens. Son cœur vertueux ignore l'art 
abjet d'outrager ce qu'il aime. Ah ! fans doute, 
il fait mieux aimer que moi puifqu'il fait mieux 
fe vaincre. Cent fois mes yeux furent témoins 
de fes combats & de fa viAoîre j les fiens étin- 
celloient du feu de fes dcfirs, il s'élançoit vers 
3 moi 


H H Xv O I SE' 95 

moi *daiis VmipétmM #uii tftufj^tt àvMgle ; 
il s^ri^ok fDut à coup) alite bai*riere {nfuf* 
dkoolftable ièml>i«it.m'«^ôir ehtdOi^e^ ic jattiais 
Ibn anv^ur impÀiutuir mais hoAnéte ne Teut 
fmnchfe. J'o&i trop eonteftïpkr ce dangereux 
fpcâacle. Jfé me ftntoîs troubler de fés tranf- 
poft», iès fouprs oppréfibient mdn toeur; je 
partagdoi» fts tout mens en ne penfant que lies 
piaîndnr* Je le vib dans des agftations tôn- 
vulfives, prêt à s'évanûuïr à lAes pi^ed^. Faut- 
être l'amour feul m'auroit épargnée^ ô ma 
Cbuiine, c-eftla pitié qui me perdît. 

Il fembloit que ma paffion funefie voulut fe 
couvrir pour me féduire du mafque tfb toutes 
les vertus. Ce jour même il m'avoit preflee 
avec plus d'ardeur -de le ibivre. C'étolt dé- 
ibier le meilleur des pères; c'étoit plonger la- 
I^ignard dans le <bin maternel ; je réfiffai, je 
réjettai ce projet avec horreur. L'impoffibilité- 
de voir jamais nos vœux accomplis, le miC-^ 
tcre qu'il feloit lui feire de cfette iiîipôilîbilité, 
le rtgtct d'abuftr un amant Ô fountls '8^ fi ten- 
dre après avoir flatté fon erpôif, tout abatoit 
mon courage, tout adgmÉ^ntoit ma fôibleffe, 
tout aliénoit ma raifôn. II faloit donner la 
mon aux auteurs de mes jbufs, à mon amant, 
OB à moi-même. Sans favoir ce que je faifoit 
je choifts ma ptti^tc infortuné.* J'oubliai tout ' 
& ne me foUViris yjué de falftoUV. C'eft ainfi 
qu'un inftarit d*^aremeilt m'a éperdue a jamais., 
' Je fuis tombée dans l^ablme dlgridmihle dont 
une filfc ne revient poîiltj & fi je vis, c'eft 
pour être plus malheureufe. 

Je cherche on gémiffant (Quelque f efte de con* 
fdation fur fe tctre. Je n'y Vois que* toi, mon 

aimable 


96 LA NOUVELLE 

aimable ainie$ ne ime.priye pa$. d'une fi châr<» 
Qiante reflTovrce, je t'en conjure; ne m'ôte pas 
les douceur^ de ton amitié, 'J'ai perdu le droite 
d'y prétendre^ mais jamais je n'en eus fi vand 
befcun. Que la pitié fupplée à. Teftime. Viens^ 
ma cbeceji oi^vrir ton ame à mes plaintes; vient 
recueillir les larmes de ton amie; garantîs-moi^ 
s'il fe peut, du mépris, de imoirmême, & fats^ 
moi croire 4}ue je n'^i^pas tout perdu, puifque 
ton coeur me refte encore. 


LETTRE XXX. 

Réponfe. 

Fille infortunée ! Hélas, qu'as-tu fait ? Mon 
Dieu! tu étoisfi digne d'être fage ! Que 
te dirai-je dans l'horreur de ta fituatîon, & dans 
l'abbatement où elle te plonge? Acheverai-je 
d'accabler ton pauvre cœur, ou t'oiFrirai-je des 
confolations qui fe refufeht au mien ? Te montre- 
rai-je les objets tels qu'ils font, ou tels qu'il ce 
convient de les voir ? fainte & pure amitié ! porte 
à mon efprit tes douces illufions, & dans la tendre 
pitié que tu m'infpires, abufe-moi la première fur 
.des maux que tu ne peux plus guérir. 

J'ai craint, tu le iàis, le malheur dont tu 
gémis. Combien de fois je te l'ai prédit fans 
être écoutée I • • • . il eft l'effet d'une téméraire 
confiance .. ... Ah ! ce n'eft plus de tout cela 
qu'il s'agit. J'aurois trahi ton fecret, fans doute, 
fi j'avois pu te fauver ainfij mais j'ai lu mieux 
que toi dans ton cœur trop fenfible ^ je le vis fe 

con- 


H È L O ï s E. 97 

confumer d'un, feu dévorant que rien ne pou- 
voit éteindre. Je fentis dans ce cœur palpitant 
d'amour qu'il faloit être heureufe ou mourir, 
& quand la peur de fuccomber te fît bannir ton 
amant avec tant de larmes, je jugeai que bien- 
tôt tu ne ferois plus, ou qu'il feroit bientôt rap- 
pelle. Mais quel fut mon ef&oi quand je te 
vis dégoûtée de vivre, & fi près de la mort ! 
N'accufe ni ton amant ni toi d'une faute dont 
je fuis la plus coupable, puis que je l'ai prévue 
fans la prévenir* 

' Il eft vrai que je partis malgré moi ; tu le vis, 
il falut obéir ; fi je t'avois cru fi près de ta perte, 
on m'auroit plutôt mife en pièces que de m'ar- 
racher à toi. Je m'abufai fur le mopient du 
péril* Foible $c languifTante encore, tu me 
parus en fureté contre une C courte abfence: 
3e ne prévis pas la dangereufe alternative où tu 
t'allois trouver ; j'oubliai que ta propre foiblefle 
laifToit ce cœur abatu mpins en état de fe def- 
fendre contre lui-même. J'en demande par- 
don au mien, j'ai peine à me repentir d'une er- 
reur qui t'a fauve la vie ; je n'ai pas ce dur 
courage qui te falfoit renoncer à moi ; je n'au- 
rois pu te perdre fans un mortel defefpoir, & 
j^aime encore mieux que tu vives & que ta 
pleures. 

Mais pourquoi tant de pleurs^ chère & doiKe 
amie ? Pourquoi ces regrets plus grands que ta 
faute, & ce mépris de toi-même que tu n'as pas 
mérité ? Une foiblefle effacera- 1- elle tant de 
facrifîces, & le danger même dont tu fors n'eft- 
il pas une preuve de ta vertu ? Tu ne penfes 
qu'à ta défaite & oublies tous les triomphes 
pénibles qui Vont précédée. Si tu as plus com- 

To/ne L F battu 


p« LA NOtJVELLE 

"battu que celles qui réfiftent, ri*as-tu pas jSas 
fait pour l'honneur qu'elles ? fi rien ne peut te 
juftifier, tbnge au moins à ce qui t*excufe. Je 
connois à peu près ce qu*oû appelle amouf ; je 
faurai toujours tefifterau^c tranfpofts qu^il in- 
fpire ; mais j'auroi^ fait moins de refi&ance à un 
amour pareil au tiea, ic fans avoir été vaincue» 
je fuis moins cbafte que toi^ 

Ce langage te choquera ; maïs ton plus granâ 
taalheur eft âc Tavoir rendu néceflaire i je don* 
nerols ma vie pour qu'il ne te fut pas propre ; 
xar je hais les màavaifes maximes eacor-e 
plus que les tnauvaifes allions (m). Si la 
Taute étoît à commettre, que j'euue la baflê&ê 
dé te parler ainil, & toi cetle de m'écouter, iious 
ferions toutes deux les -dernières des créaltures. 
A préfent, ma cbere, je dois te parler aintîj 8l 
^tu dois m'écouter, ou tu es perdue : car il refie 
tn toi mille adorables qualités que l'eftime de 
toi-même peut feuJe conferver, qu'un excès de 
honte & raviliflement qui le fuit détruiroient 
infailliblement, & c'eft fur ce que tucroiras va- 
loir encore que 'tu vaudras en effet. 

Garde-toi donc de tomber dans un àbaffement 
dangereux qui t'aviliroit plus que ta foîbleîTe* 
Le véritable amour eft-il fait pour dégrader 
Famé? Qu'une faute que l'amour a coramife' 
ne t'ôte point ce noble enthoufiafme de l'hon- 
nête & du beau, qui f^kva toujours au deffus 
de toi-mçrae. Une tache parqrt elle au foleil ? 
combien de vertus te l'eftent pour une qui s'eft 

(«) Ce fentîmcnt eft jufte & faîn. les paflions déréglée! 
Irfpirent ies mauvaifcs aélfofls 5 mais-les mativaifes inwiinei 
corrompent la rmifcn snêm/i, .&;.jk iitiiSbat plitt 4e nffiivtce 

;^'jx aevenir' au bien. 

3 altérée ? 


H E L. O ï s E. 99 

altérée ? En feras-tu moins douce, moins fm» 

feras-tu moins digne, en un mot, de tous nos 
hommages? Llfonileur^ rhumtnitë., l*amité, le 
pur amour en feront-ils moins chers à ton cœur ? 
En aimeras -tu mokis les vertus mêmes que tu 
n'auras plus? Non, chère & bonne Julie, ta 
ClaifeiOi 4e plajgMlit l'ftiove ; <Ue fkk, 'elie 
fest ^là'il n'y .â lien lir bkh qui ne puifie «a^ 
CDre ferHr^ laii«mKr. Aiii croi-oios ta pour- 
rats beaueotip pendre avant M'atsciiiie antre plus 
£^ ^ue toi te valtit jamais ! 

£tmfi tu i&e neAefi ; Je piâs me confoler A» 
totfty bors 4e âe peidre. Ta première lettre 
m'A Mt Aéoiir. Elle m'eut fatdkfoe fait tiefipeir 
ia, ièoeade, fi je ne l^arnsfeçiie en même txmu 
Vo\Aùn dàittKcr Gm ànrie I projetter 4t ^eaWr 
faiis moi ! Tu netwùncsspdtnt de «a phtt |;r«ndfe 
faute. C'etoit de ceUc-là fu'xi faJoit atm (dk 
pias r^vgir. Mais l'ingrate ne 'Ange qs'ii fon 
amottr. • • • Tieo, je t'aurols été tuer soi ixMC 
dtt monde. 

Je «ooipte avec tme ancnrteUetmpatlenoe fet 
metfnehs qiie^ itâs &ireée k pafler loiii de xoL 
Ils fc prolongent i^ueileknent; Notis ibannci 
eiic^ne :poiit £x jtAits k .Laufaimi:, après qim 
je vekrai yers taon vntqae amie. J'intt la eann 
ibkr dtt m'attigelr avec eBe, eSvyer on partager 
i^» pleura. Jie iiciiai paorler dans ta douleur moifife 
l'inflexible raifon que la tendre amitié. Chère 
CDufitie, H (kût gém>^ «eus aûtier, noii^ taire, 
&> â'il b peut, efffi^er à forcé de irerius ime Auite 
fii'oti tiû ffiftare poiat airec 4es larniea. AfaI 
ma §man» CàiaUlet { 

F 2 LETTRE 


loo LA NOUVELLE 

« ) 

LETTRE XXXI. 

A Julie. 

/^UEL prodige da Ciel es-tu donc, înconcc- 
V^ vable Julie ? & par quel art connu de toi 
feule peux<iu railèmbler dans un cœur tant de 
mouvemens incompatibles ? Ivre d'amour & de 
volupté, le mien nage dans la trifteflè ; je foufFré 
te languis de douleur au fein de la félicité fu- 
prême, & je me reproche comme un crime 
l'excès de mon bonheur. -Dieu ! quel tourment, 
affreux de n'ofer fe livrer tout entier- à nul fen- 
ttment, de les combattre incefTamment Tun par 
l'autre, & d'aHier toujours l'açiertume au plaifir ! 
Il vaudroit mieux cent fois n'être que miférable. 

Que me fcrt, hélas, d'être heureux? Ce 
jie font plus mes. maux, nuis les tiens que 
j'éprouve, & ils ne m'en font que plus fen-* 
iibles. Tu veux en vain, me cacher tes peines ; 
je les lis malgré toi dans la langueur .& l-abaté<^ 
ment de tes yeux. Ces yeux touchans peu- 
vent-ils dérober quelque fecret à Famour? Je 
vois, je vois fous une apparente férénité les dé* 
plaifirs cachés qui t'ai&egent, & ta triftefie voi- 
lée d'un doux faurire n'en eft que plus amere à 
•mon cœiir. . 

Il n'eft plus tems de me rien diffimuler«J'étois 
hier dans la chambre de ta mère; elle me quite 
un moment; j'entends des gémiflêmens qui me 
percent l'ame, pouvois-je à cet effet méconnoi^À 
tre leur fource ? Je m'approche du lieu d'où 

: a* 


H E L O I s E. loi 

3s femUent partir; j'entredans ta chambre, je 
pénètre jufqu'à ton cabinet. Que devin8-je,en 
entr'ouyrant la porte, quand j'apperçûs celle 
qui devroit être fur le trône de l'univers affife 
à terre, la tête appuyée fur un fauteuil inonde 
de fes larmes ? Ah, j'aurois moins fouffèrt s'il 
Veut été de mon fang ! De quels remords je 
fus à rinftant déchire? Mon bonheur devine 
mon fuppUce; je ne fentts plus que tes peines, 
& j'aurois racheté de ma vie tes pleurs & tous 
mes plaifirs. .Je voulois me précipiter à tes 
pieds, je voulois efluyer de mes lèvres ces pré« 
cieufes larmes, les recueillir au fond de mon 
cœur, mourir ou les tarir pour jamais : j'entens 
revenir ta mère ; il faut retourner bruiquement 
à ma place, j'emporte en moi toutes tes dou- 
leurs, èç des regrets qui ne finiront qu'avec 
elles, 

' Que je fuis humilié, que je fuis avili de ton 
repentir ! Je fuis donc bien mépri fable, fi no- 
tfe union .te fait méprifer de toi-même, & fi le 
charme de mes jours eft le fupplice des tiens? 
fais plus jufte envers toi, ma Julie; vois d'un 
œil moins prévenu les facrés liens oue ton 
cœur a formés. N'as-tu pas fuivi les plus 
pures loix de la nature ? N'as- tu pas librement 
contraâé le plus faint des engagemens î Qu'as-» 
tu fait que les loix divines & humaines ne 
puilTent de ne doivent autorifer ? Que manque- 
t-il au nœud qui nous joint qu'une déclaration 
publique ? Veuille être a moi, tu n'es plus 
coupable. O mon époufe ! O ma digne ic 
chafte compagne ! ô charme & bonheur de ma 
vie ! non ce n'eft point ce qu'a fait ton amour 
qui peut être un aime, mais ce que tu lui vou» 

F 3 droi» 


mz LA NOlSr VILLE 

droU ifUn: c^'D^tift ({uVf» acoepMDt' un autre 
épeuK que tu p«»ic omnA» VYiomiéiw^ Sots fan» 
ceffir à rtvni 4» toi» «qeun pour Atro innoeeine. 
l^a ghaine qui nous fie eft légitime, l'in&lél^ 
iisuln qui tei^ pomproit fepoit blâmable, & c'ttit 
d^formaie à Pamour d'être gavant de h vert4j. 

Mai» quand^ (;a dsuldur fepolt ]:aironnable, 
quah4te»i«gre4s ftroiîent ibnd^ p<(MJFqtioî m'tn^ 
cî»i^c9-tu ce qui* in%|)par^ent ? pourquoi me$> 

?U9C ne verfenl^ilB pa» ki ifioitié de tes pleurs ^ 
u n'as paa um peine que je ne doive fentir, 
pa$ yn fentîment que je n& doive partager, ds 
mon ceeup jud^nent jaloux te reprodM toute»- 
le» lafittï^s- que* tiu ne r^pamh pas- datis^ mont (ki»,* 
J>ids Âxyde &-iRiâiépieuâi amante, tout ce* que 
ton ame ne^ oomnuiniqiue potne ^ la miefrne^- 
n.'eiik>iJ paé'U4i vol '^ue tu fâ<&^ à l'amour ? Tout' 
tie doit- il pas être commun entre nous, ne to^ 
TouvierK^l plus deTa^r d& .^' Ahh il toifaseis 
aimer co^me moi> mon bonboup te çonfelerait' 
comme ta peÎAe m'aHige, ic ti» (bmiiiois' mes' 
plaifirtf comme jne^ ftd» ta triftefl^ ^ • 

M^îs je le vob». tu mt méprife» noxnm^ un^ 
infenfé^ parce que ma raifbn e-'iégare. a? (ëin- de^ 
délice», M^ en^OFtemens t'èffraijent', mon 
délire te ffait pitié, & tu ne fene pae que toute' 
la force humaine ne petrt Ai^e* à des £»]kttes 
fane boiinesi Comment veux-tu qu'une.amefen*-- 
fible goâie ntj^eremefM^ dfe» biens- iniini's ? Com- 
ment veu»>(o qul^Ue £upçèite à 1^ fois^ tant 
d^eippces detranrports> fans fortii* de fon a4Sete ^ 
Ne fais-^tu paé qu'il eft uii- terme où nulle sai- 
{&n ne-refifte plus, as qu'il n'efl: point d'homme 
au monde dbnt le bon fene feH » toute épreuve? 
Prens done^ pkyé de Pégarement» o4 tu m'Mi 

jeltc 


H E L O î s E. 103 

jette» Si ne oiéprife pa» das erreurs qui font 
ton puvrage. Je ne fuis plus a moi, je ravaue» 
mon ame aHenée cR toute en toi. J^en fuis plua 
propre â.fentir tes peines & plus digne de les 
partager. O JuTie» ne te dérobe pas à toi« 


mcme 


LETTRE XXXII. 

Réponfe. 

IL fut ua t^xsL%^ mon aimalrfe ami, ou nos 
Lettres Soient faciles & charmantes; le i^n» 
timent qui les diâoit couloit ayec nx^ élegantcf 
flmplicité V il o'avoit befoin ni d'art ni de coloris, 
& ùl. pureté faii/>it toute (a parure» Cet heu- 
reux teins if eil ^lus : bélaa ! il ne peut revenir \ 
& pour premier effet d'un changement il ciu^l^. 
nos €Geur& ont dga ceiTé de s'entenire. 

Tes. yeux ont vu. mes doulejurs. Tu croi», 
en avoir pénétré la.iburce;. tu veux me canfoler, 
par de vains difcours^ & quand tu penirs m'a- 
bulbv c'eft toi» mon ami, qui t'abuibs.. dois* . 
moi, crois en le cœur tendre de ta Julie; mqa 
regret eii &iea moins d'avoir donné trop à l'a- 
mour que de l'avoir privé de foa plus grand 
channe« Ce doux enrhanremcnt de vertu, s'eft, 
évanoui comme un fonge.: nos feux ont perdu, 
cette ardeur divine qui les animoit en les épu- . 
rant ; nous avons recherché le plaiiir & b bon- 
heur a fui loin de nous. Reflouviens-toi de ces 
mom£n&déiicieux.oii.noscceurs.s'uni£E;>ientd'au- , 
tant mieuDCrque nous^nous refpeâioiu davaotage», 

F 4 où 


104 LA NOUVELLE 

où la paffion tiroit de fon propre excès la force 
de fe vaincre elle-même, où l'innocence nous 
confoloit de la contrainte, où les hommages 
rendus à l'honneur, tournoient tous au profit de 
rameur. Compare un état il charmant à notre 
fituation préfente : que d'agitations ! que d'ef- 
froi ! que de mortelles allarmes ! que de fcnti- 
mens immodérés ont perdu leur première dou- 
ceur. Qu*eft devenu ce zèle de fageffe & d'hon- 
nêteté dont l'arnour animoît toutes les aâion$ 
de notre vie, & qui rendoit à fon tour l'amour 
plus délicieux? Notre j ou iflance étoit paifible 8c 
durable; nous n'avons plus que des tranfports : 
ce bonheur infenfé reffemble à des accès de fu- 
reur plus qu'à de tendres carefles. Un feu pur 
& facré bruloit nos cœurs ; livrés aux erreurs 
des fens, nous ne fommes plus que des amans 
vulgaires; trop heureux fi l'amour jaloux daigne 
préiider encore, à des plaifirs que le plus vil' 
mortel peut goûter fans lui. 

Voila, mon ami, les pertes qui nous font 
communes & que je ne pleure pas moins pour 
toi que pour moi. Je n'ajoute rien fur les mi- 
ennes, ton cœur eft fait pour les fentir. Vois 
ma honte, & gémis fi tu fais aimer. Ma faute 
eft irréparable, mes pleurs ne tariront point. O 
toi qui les fais couler, crains d'attenter à de fi 
juftes douleurs; tout mon efpoir eft de les rendre 
éternelles ; le pire de mes maux fer oit d'en être 
confolée, & c'eft le dernier degré de l'opprobre 
de perdre avec l'innocence le fentiment qui nous 
la fait aimer. 

Je connois mon fort, j'en fens l'horreur, & 
cependant il me refte une confolation dans mon 
defefpotr, elle eft unique, mais elle eft douce. 

C'eft 


H E L O ï s E. 105 

C^ft de toi que je l'attens, mon aimable * 
ami. Depuis quie je n'ofe plus porter mes 
regards fur moi-même, je les porte avec plus 
de plaifir fur celui que j*aime. Je te rend» 
tout ce que tu m'ôtes de ma propre eftime, 
& tu ne m'en deviens que plus cher en me 
forçant à me hair. L'amour, cet amour fatal 
qui me perd te donne un nouveau prix; ta 
t'eleves quand je me dégrade ; ton ame femble 
avoir profité de tout TaviliiTement de la mienne. 
Sois donc déformais mon unique efpoir, c'eft st 
toi de juAifier s'il fe peut ma faute } couvre-la ' 
de l'honnêteté de tes fentîmens ; que ton mérite 
efface ma honte; rends excufable à force de 
vertus la perte de celles queti^'mç coûtes. Sois 
tout mon être, à préfent que je ne fuis plus rien. 
Ixf feul honneur qui me refté eft tout en toi. Se ' 
tant que tu feras digne de reipeû, je ne ferai 
pas tout à fait mepriuible. . 

Quelque regret que j'aye au retour de ma 
fanté, je ne faurois îe.diffirauler plus longtems. 
Mon vifage démentiroit mes difcours, ii ma 
feinté convalefcènce ne peut plus tromper per- 
fonne. Hâte toi donc, avant ^ue je fois forcée 
cle reprendre mes occupations ordinaires, de faire 
la démarche dont nous fommes convenus. Je 
vois clairement que ma mère a conçu des foup- 
çons & qu'elle nous obferve. Mon père n'en 
eft pas là, je l'avoue : ce fier gcntilhonïme n'i- 
magine pas même qu'un roturier puiflè être 
amoureux de fa fille ; mais enfin, tu fais fes ré- 
felutions ; il te préviendra fi tu ne le préviens^ 
& pour avoir voulu te conferver le même acccs 
dans notre maifon, tu t'en banniras tout à fait. 
Crois*nioi, parle à ma mère tandis qu'il en efl: 

F 5 enccMFC 


iq6 la NQUrVÊLtfî 

dc^cQfitîouftr^ à im'ififttutAe, & iwoaçfin^.à noiur , 
voir fi (fasv^iHh, |^i4fi no^&vatt ait woios ^pnfilr . 
quflft foi%:r «gr firiroct. ta fcrnw: b f»rtQ tu. n« 
pcji« pltis it'ji-piérenteËS) «iw 6 Ut} to.la fesmittc 
col-même,, tsa vtfiKf s- (jeiiûsa cib quriqtue forts à. 
ta.dsiàrQttOQ^&:ayec::uox9SUi<l'adidret& de iXtfD^ 
plftUaQGfft tit pmjdms ktf icmfa» plus} ft^q^tcat^g 
dana IsL fmÎAGb £m» qusom lfap(teBSoifirfl:Qtt qntlon 
le ttrQUM(t maunnifc. JfttjftdirtbQeuiwfiBtimyaiir . 
qufi j'ivagm 4'«0M-d'^ii«$nsi oesafio» dsr ooitt^ 
VQiiv & ta;c9QMimi<km qpAftriiir4pftr«tti.GouâRev 
qn» c»ttfcjil:atttiilf9tttswil:4ft]nttiviuxtt^ m fer% 
pvi iBsioteBaQ* uwiii^ k ds»i2| uuuisi quklie: 
n'ont poînir dâi qHMtto.. 

LETTRE XXXîIl; 

• • • " 

« * 

jPX ^0>3^s qR'itfift afièn^bisfi ! Quel, tourment . 
àe fe w)ir.& deJio»iierAifidns! Uvaiidrott nUeuxi 
cec^t fp^ qa£^ poisiliVQit. Comment avois HaÎK 
tcdnqMiU^. 2iyej9 Mst d^QOfiAtSDiiL? Gomment être' 
f^diffof^l: dfi fQi-fDimei ConifzienlifiDDgenà tant* 
dIobjeiSv quwd; c^ n'oft occitfié qu^^ d'un ft^l.î 
CQiDmenji; conl^oio le ^flis &. lea yeivc quandc 
k coBiir: violfl ? JfQ ne k&tis ds maivie ua tfonUe* 
é§aji ^ c9}iû.qM/e j'éprQuyaLhkft quand;Qn t^an^ 
i)onç4 çh9%]V^^flve.d'iitf ^rt. Je piutoa nqm. 
pFonoQc4 pj^m*: ^t|. proche* qu!Qnim!addreflQit'; 
if 92'w^iiiii<q»fi:tQ»& le monde m^pUbmau do^ 

con- 


B e: L ô i s £, 107 

concMt i> jdne latk>i» pli*» c» que je faifoM^ & à 
t9ii<afrivè j» rougi» fi f^rodigyettftiifenty (^ ma^t 
CouAjiey q^ veilkk fur moi, fut conlrajnt». 
d'aviancsc foi^ vi&g^ 2» four év»eotsM4^ romme 
paMf me pflrkr. ài l'oreilk» J» tnemUai que cdsb 
meoMt ne fit no mAuvaisrei&t^ & qu'on ne cher* . 
chat du. inifterQ^ à.Cette cbudiatetie. £n un molV' 
je tcowroisi pat tout <k tfDuveafu» fitjct» é'aUannee^ 
& îe ne fentkr jfutms mieiHr^ cûmbitit uot eoai^ 
faïence dmpdbk- anne «untre boms dé- teiiiocna 
qpi a'3r fbngent pas*. 

^-Glaire prétcddit Mmarqucr que: ta* ne fâiÙM 
pa»une.iMtU)Buc)e-figsiiie; tibk.liii paittâToîe em<*'. 
banaffé de tat centeaancev in^er éo ce que( 
tu devois faire> n'ofant aller ni venir,« m ni^a^ . 
bcfdeff ni t'éloignery & promentfnb tés. n^aitis 
à. la rcAdei pour aveir^ dtfett^eile) «coafioir ée 
loa toMf ner fins noust* Un peu« renrifii de non^ 
"^ agifaiien^ je oru^^ m^apficaetvoir mdi*méo»: dér* 
las tiennry jiift|Uk'àr6erque larjeuftetMadannrBdoiiv 
t'ayant; aérefle. la parole, tu t'affia en daufant* 
avec elle>i St dmna plus calme sutesf côté». 

Je fensv mon ami^ que cette maniera de vivre^ • 
qui demie taat de contraince it & pou de plaifir» 
n^eâ' pas burne peur noits: nous .aimons trop:* 
pour pouvoir nous» gêner ainfi. Cee rcndee* 
vdois putdics ne conviennent qu'à dest gettarqui^ 
fais. Gomioitre Ifameur^ ne htiflànt pa» d'êtrer 
Ues enfemble, ou qui peuvent fepaA'cr. du. mû- 
fiecr: le^ inquiétudes font trop viwQ: de ma- 
pact^ iea: imlifcretions trop^ dangeieu&a: é& 1». 
tienne, & je ne puis pas. tenir uno Madame* 
Belon toujours à n>es côtés, pour faire diverfion 
au befoin. 

F 6 Kegi^* 


108 LA NOUVELLE 

Reprenons^ .reprenons cette vie folitaire & 
paîfible, dont je t'ai tire fi mal à propos. C'eft elle 
qui a fait naitre & nourri nos feux; peut-être 
s'affbibliroient-ils par une manière de vivre plus 
diffipée. Toutes les grandes paffions le forment 
dans la folitude ; on n'en a point de femblables 
dans le monde, où nul objet n'a le tems de faire 
une profonde impreffion, & où la multitude des 
goûts énerve la force des fentimens. Cet état 
eft auffi plus convenable à ma mélancolie ; elle 
s'entretient du même aliment que mon amour ; 
c*éft ta chère image qui foutient Tune & l'autre, 
& j'aime mieux te voir tendre & fenfible au fond 
de mon cœur, que contraint & diftrait dans une 
aflèmblée. 

Il pettt, d'ailleurs» venir un tems où je ferois 
forcée à une plus grande retraite ; fut-il déjà 
venu, ce tems deAré ! La prudence & mon in- 
clination veulent également que je prenne d'a« 
vance des habitudes conformes à ce que peut 
exiger la néceffité. Ah ! fi de mes fautes pou- 
voit naitre le moyen de les réparer ! Le doux 
efpoir d*être un jour .... mais infenfiblement 
j'en dlrois plus que je n'en veux dire fur le projet 
qui m'occupe. Pardonne moi ce miftere, mon 
unique Ami, mon cœur n'aura jamais de fecret 
qui ne te fut doux à favoir. Tu dots pourtant 
ignorer celui-ci, & tout ce que je t'en puis dire 
à préfent, c'eft que l'amour qui fit nos niaux, doit 
nous en donner le remède. Raifonne, commente,^ 
il tu veux dans ta tête s mais je te défens. de 
m'interfoger là-defius. 


LETTRE 


H É L O ï s E. 109 


LETTRE XXXIV. 

Rêponfe.. 

N" 

•*■ '^ î, tiM veirete mai 
Cambiar gl'affetti rniii^ 
Bit lumi onde imparai 
Afofpirar tTamor. 

* Que je dois Paimer, cette jolie Madame Be« 
Ion, pour le platdr qu'elle m'a procuré! Par- 
donne-le moi, divine Julie, j'ofai jouir un mo* 
ment de tes tendres allarmes, & ce moment fut 
un des plus doux de ma vie. Qu'ils étoient 
charmans, ces regards inquiets, & curieux qui 
fe portoient fur nous à la dérobée, & fe baiflbient 
auflltôt pour éviter les miens ! Que fiiifoit alor» 
ton heureux amant ? S'entretenoit-il avec Ma- 
dame Belon? Ah, ma Julie, peux tu le croire? 
Non, non, fille incomparable i il étoit plus di- 
gnement occupé. Avec quel charme fon cœur 
fiiivoit les mouvemens du tien I Avec quelle 
avide impatience fes yeux dévoroient tes at- 
traits ! Ton amour, ta beauté remplifibient ra- 
viflbient (on ame > elle pouvoit Aiffire à peine à 
tant de fentimens délicieux. Mon fèul regret 
cloit de goûter aux dépends de celle que j'aime 
des plaifirs qu'elle ne partageoit pas. Sais-je ce 

Sue durant tout ce tems me dit Madame Belon ? 
ais-je ce que je lui répondis ? le favois-je au 
moment de noue entretien ï A-t^elle pu le lavoir 

eUc 


ito L.1 NOirVEI^LE 

elle même) ic pouvoit-elle comprendre la moin- 
dre* cRORT smr. (fffirtRin^ crtnr irauRTicr cpsp pRrtoit^ 
fans penfer & répondoit fans entendre i 

Com* buomj cbe par ch* afçolti^ e nulla infinie. 

Auffi m'a-t-elle pris dans le plus parfait dédain» 
Elle a dit à tout le monde, à toi peut-être^ que 
je n'ai pas le finis* «0011111111% q^r pis eft pas le 
moindre efprit^ & que je fui* tiMtC auffi fot que 
mes livrer. Qua m'iiapwte ee. qu^el^e en dit & 
ce qu'elle en penfe-f Ma JuUfi oe décide-t-elle 
pas feule de mon être & du rang que je veux 
a>i:«k ? Qjitthrr«Se.de la terrepenfedemeÎQoift- 
ni&il voudrAi. teufmoai prix. eft: dflàs ODn.eftiaMt, 
Ah,.csoiiqu!il;xifai}P»cl3fiiit m à MaJiMVicSelaiv 
Tk\ àtpiiiieft les.beaacé9^ (t^érieurea à la ftenoe^ àm\ 
in^ la- diy^iian daat tu. paebs^ ià. d'âoîgne» uni. 
momem de toi^mom ccsuir &. mes yeuxiî< fi tu 
peuvoia douter de mit fusncxiité^ fi. tu^ patiMM^ 
faire cette: mosteUe ic^cr amen amoitr & » tcoi. 
charmes> di-moiv qi'i. pouraok aivois tesu: ra«»f 
>^'tAM^de tout: Qe:q)ii,& iSt autour de tel f Ne ter 
vii-jepas bmlller eiitserccsi jeunes bcautasaoenimr. 
Jeifolal entnele&aftflei'qu^iléftiipift? N'appeiifu»- 
jcrpaale».Caiva]ie»(k7).fe lafibnUttr. autour (ÉrtaK. 
cbaiferf Ne^via-jt.pa6 jui: dépit, de tes oamp^gocti. 
radtRSfaittit& qti^ila iinn]iu)ientpfliirtûîi? Ne vû>* 
je pea Iftvra nfpeûafla9ip»fies,.&JeiiaB hommag»^ 
& kuos gaknferits ? Ne te vi»j« paa- reeevaîr> 
teutcelaraiitacistaijrdscaodefticrli diiodiffitsenoe:' 
qui en impofe pius< que la.fi8otéJ!f Ne vi»*je psar 

(a) Cavaliers i vieux. mot qjui ne fe dit plu». On dir^ 
bomtHtt: J'ai cru devoir aux provinciaux cttte importante re- * 

quand 


H El E a I s E/ itt 

qioBiifi tu. t9 dogtoÉôs poiiiT loi oteioii Voflkti^Mr 
co: bra^ dicamyert panhûltr ftir fts %QA9ka%ii^ .^ 
No.vbwje. pa& le jaum «tnaogar qui rdi&v« ton 
gfmd: vouÛr b«fer 1^ maû» ckamnant»' qui le 
recevoit ? N'iuLirifrjiaupft» un pha téftiépaire doue 
l'œil ardent fuçoit mon fang^ & ma vie t' obliger 
quzMkàni t^en iu» açifierçuad'ajoiHer' un. épingle 
k' ton fiahtt i Je n^éti^ pa» fi diAmt que eu 
pcnffl?; js vi»tout cdb, ^i^ ^ n'^ fu» point 
JaU»u9v;i car je coonofe ton cctiir; Il n'eft pas, 
jelsfftis bîtns de «eu» qtii. pouvant aimer deux 
foia. AeoufeiaB-tu. le^ mien d^eii éti^. 

Rcpienonfhla donp, oettv vit folkariiv que je 
ne» quittai qu^à reffeu Nony le eiBiir ne fe 
neuvpît point dans, le tumulte* du monde* Les 
fftUK plaifibs lui rendent^ laipnvatîpn devrai» plus 
eme^ev ic it préfève» f9^ foufi-ance à> de vaine dé- 
domegémene. Mais^ ma Julie» il en eft, il 
6» peut âtre de> plus folides- ^ lar contrainte oà 
noua wons^ & tu; femblet' les oublier I Quoi» 
pafièr quinee joursi entiers A pr^s l'un de'l*kutre 
fanalê voi#, ou fons (ê; rien^ dire*! Ah, que veux- 
ta qu'un cœur brûlé d'amour faflê durant tant 
de fièele»? Ifabience mjSfne (broijE moine craelle. 
(^•fert un excès* de prudence ouinouaMt plus 
de msuflc qufil n'en pre.vien^^ vi^^^^^'t deipro- 
Ibnger fa vie avec: fon^ fiippliee .^ NevftudiK)it-iI 
pas mieux cent AmS' fie) to» un^ul inAunt fl» puis 
mourir i 

Je ne le oache> point, m» douQB' Amie^^j'ai- 
merois SI pénétrer L'aimable' Ibcret que- tu- me dé- 
robes, il n'en fut jamais de plus^itMereflan^pour 
nous ; mais j'y fait d'inutiles efforts. Je faurai 
pourtant garder le filence que tu m'impofes, 6c 
contenir une indifcrette curiofité^ mais en re- 

fpcâant 


îU: LA NOUVELLE 

fpeâant uii fi doux miftere, que n'en pui$*jè au 
moins afllirer réclairciilèmens ? Qui fait» qui 
fait encore fi tes projets ne portent point fur dea 
chimères ? Chère ame de ma vie, ah ! com- 
mençons du moins par les bien réalifer. 

P» S. J'oubliois de te dire que M. Roguin 
m'a offert une compagnie dans le Régi- 
ment qu'il lève pour le Roi de Sardaigne. 
J'ai été fenfiblement touché de l'eftime de 
ce brave officier ; je lui ai dit en le remer- 
ciant, que j'avois la. vue trop courte pour, 
le fervice & que ma paffion pour l'étude 
s'accordoit mal avec une vie auffi aâive. 
Eu cela, je n'ai point fait un facrifice à 
l'amour. Je penfe que chacun doit ùl vie 
& fon fang à la patrie, qu'il n'eft pas per- 
mis de s'aliéner à des Princes auxquels 
on ne doit rien, moins encore de (è vendre 
& de faire du plus noble métier du monde 
celui d'un vil mercenaire. Ces maximes 
étoient celles de mon père que je fçrois bien 
heureux d'imiter dans fon amour pour fes- 
devoirs & pour £on pays. Il ne voulut ja- 
mais entrer au fervice d'aucun Prince étran- 
ger : mais dans la guerre de I7I2 il porta- 
les armes avec honneur pour la patrie 9 il 
fe trouva dans plufiçurs combats à l'un def- 
quels il fut blefle ; & à la bataille de Wil- 
merglien, il eut le bonheur d'enlever un 
Drapeau ennemi fous les yeux du Général 
de Sacconex. 


LETTRE 


H E L O ! s £. ti3 


LETTRE XXXV. 

De Julie. 

* 

JE ne trouve pas, mon Ami, que les deux 
mots que j'avois dits en riant fur Madame 
Belon valuflènt une explication fi férieufe. Tant * 
de foins à fe juftifîer produifent quelquefois un 
préjugé contraire, & c'eft l'attention qu'on don- 
ne aux bagatelles, qui feule en fait des objets im- 
portans. Voila ce qui iïlrement n'arrivera pas 
entré nous; car les cœurs bien occupés ne font 
gueres pointilleux, & les tracaflèries des Amans 
Air des riens ont prefque toujours un fondement 
beaucoup plus réel qu'il ne femUe. 
, - Je ne fuis pas fâchée pourtant que cette baga- 
telle nous fournifle une occafion de traiter entre 
nous de la jaloufie»; fujet maUieureufement trop 
important pour moi. 

Je vois, mon ami, par la trempe de nos âmes 
& par le tour commun de nos goûts, que l'amour - 
fera la grande affaire de notre vie. Quand une 
fois il a fait les impreffioas profondes que nous 
eh avons reçues, il faut qu'il éteigne ou abforbe 
toutes les autres paffions; le moindre refroidif- 
fement feroit bientôt pour nov^la langueur de 
la mort ! un dégoût invincible, un éternel ennui, 
fuccederoient a l'amour éteint, & nous ne fau- 
rions longtems vivre après avoir cefTé d'aimer. 
En mon particulier, tu fens bien qu'il n'y a que 
le délire de la paffion qui puiiTe me voiler l'hor- 
reur de ma fituation, préfemci & qu'il faut que 

j'aime 


W4 LA NOUVELLE 

i''aime avec tranfport^ ou que ie meure de dou« 

eufement un point, d'où doit dépendre le bon* 
heur ou le malheur de tnts jotirs \ 

Autant que je puis Juger de moi-même, il me 
ièmble que fouvent afèâée avec trop de vivacité, 
je fuis pourtant peu fujette à l'emportement. Il 
faudfpitque Aies peinieA cuflfiot fecmentiloogw 
tema eçr dedans^ ^ur qMC j'cdàfle en. découvrit 
la fotirce à kuc Auteur, &. coalise je {ki% pei- 
fuadéequfon. si^ peut Cake- uae offènfe fans le-, 
vouloir, je fuppoctecois p4ulât cent ù^etA de 
plainte qu'une ex^i^atioo» Un paceU caraâere^ 
d^t mener loin pour |Ku,<|a'oR ak dç penchant 
àja jaloulie, & j'ai bien, peut de fentic en moi- 
ce. dan§efie«x. pen^boo^ Ce n'eft pas» que je n«. 
fach^ qne tDacqeitf eft fairpoiu: le miea& aoa 
pour un autre : omU ou peot s'ahufec (bi^meme,. 
piceBdi9e.iiA gpik paffigeff goiur une mffion, & 
fake autant dé cbofire far &ntaiiie qM^*oa en eut} 
peu,t4t|si^ bit faa^ 9ma^9 Or £9(1» 9eiix.(i&. croira 
inconftant fans l'être, à plus (i^f» rai£»n pui&-j(e»^ 
t^êésj^ubs^ à- tûct d'infidfltffli Ce -doute: a£Ereex 
empoifiMtnefioit. ^anoofit usa. râi ^ ji gémiroîa^ 
fapi* nae. pJaindre: &, laaovsmifr inconfolable &aa . 
avoir, celle d'être mmésm» 

]f fiéi^enoasn je i?en cenJMire «n malheus dont 
la. feule îdtée» ei^ fuit {r^S^amu» Jkw» sdaî donc» 
ni0fi d€NJ% aar^j ^^^ fat l'junouFt: fermena ^fi^Qm 
nçi tient qiie^. i^uond il eA £uQerfUi; npais^ par ca 
nonv itteré;d«) Kho;ineur^ fà c«fj^£lé de. ^». ^ue- 
je. ne. ce&iQit jfmma d'étiie U eonâdente àç Hûa; 
ceBMi,.5i q«^iî;n'y fasvienfUa point de change- 

ûte. Ne 

pren* 


vwuf,.âi q«nik;n y M«vien<Ma point oe cn^ 
meutdonl: }e ne feisiikk yeeniierB ûfiflriike. 

ok^aUegtie pa8.^eUivn^a*ica9>^uBAifttîen à 1 


H E L O I s E. Yf5 

pmidrrv jt la aak, îa l^rfflene ^'aials pnévieit 
mes Ad}es^ aDarmeSy It Admc iqoî dzn» tes err^ 
gag c mwii pour imavcnîv q«i lie âoif poir>t être; 
y^tomwHe fécnrite du préilmt. Je kvoïs moîm à 
pl&iiichte d'apiM-eiNlfe de toi mtà m^ltieiirs réélit 
^ue d^tn fouffrfe firiw ceflè d^hna^înaires ; je 
jfwii'ai» att moins db- te» remords'i fi- tu ne pvr- 
•igeofs phi6 me» feux^ tu p^rtagerois- elicofe me» 
pernes, âf je, trouveroî» nftd^- atnere» les lamiea 
^e je Terferoîe dans- ikmv im; 

C'eft ici, mon arnî^ ^« je me ^ctte êotX" 
Memcnt de mdn ahoix, tt par le doux lien qui 
nou9 <unît ic par- h probité' qui Ydffmt ; ro'ihL 
Fu(kge<d^ cette règle d« fcjgeflë dïns WebefU 
de pur fcm^ent^ veii» ooumnenehi vertti fevere 
fait écarter les peines du tendre amour. Si ft^ 
^ois* m» ahiaftt fins principes;' Ml-il m'aimer 
•teFneikmieftr, où ftroîent pt^ur-nkif fei^ garantît 
âmcdt^ eotiftance? QjBefa m c yi fw tHrôtfr-je dé 
«€ dék^Fer' 4e mes. défciects èentimielfes^ A 
oemnenf m^AHrer de n^tre pmM^ Bha f Ct mt paf 
Al (bmlQ Qii par me crédliK^? Mèm* «e^ mm 
dtgfieft ferpcâbd>lti.aiiM) t^qui^n^èe ea^^e H 
dPartifice ni d^ déguiftmerti; tu^ nse gàrderasy jti 
le fstki h fÎAc^rm quetu m^âuras* pfemlTé; L^ 
bontrcKâ¥9ueFune infidélité ne Kempertera^ point 
dan» ton ame droit» Air 1%- devoir d^ tentr t» 
parofe) fc fr tu^ pouiRois ne p^ anAertaJ^ff^ 
tu* Kiii dira4'i . • ^ . ùur^ fa pourrons 1^ ^e, A 
J^e, je ne. . , * Mo» ami^ J9mah je n-'ferîrt} 
ce mot Ik. ' 

Que penfes^a âé mon eîipé*ent? C'éft !^ 
féirf j'en Ajîs fifre ^? potlvoit déraciner* en moJ 
tout iëntiment de jateufie. IT y a je ne fiis- qncfîo 
ééîîcatcfiequt' m'enchante i me fier cte^ton* emotri* 

à ta 


♦*/■ 


11$ LA NOUVELLE 

à ta'bonne foi» & a m*ôter le pouvoir de croire 
une infidélité que tu ne m'apprendrois pas toi- 
fnéme. Voila, mon cher, l'effet afluré de l'en- 
gagement que je t'impofe; car je pourrois te 
croire amant volage, mais non pas ami trompeur, 
& quand je douterois de ton cœur, je ne puis 
îamais douter de ta foi. Quel plaiiur je goûte 
^ prendre en ceci des précautions inutiles, à 
prévenir les apparences d'un changement dont 
je Cens fi bien l'impoffibilité ! Quel charme de 
parler de jaloufie avec un Amant fi fidelle ? Ah, 
fi tu pouvois ceflèr de l'être ne crois pas que 
je t'en parlafle ainfi ! Mon pauvre cœur ne fe- 
roit pas fi fagç au befoin, & la moindre dé- 
fiance m'ôteroit bientôt la volonté dé m'en ga- 
rantir. 

Voila, moA très honore muitre, matière k 
difcuffion pour ce ibir : car je fais que vos deux 
humbles Dîfciples auront l'honneur de fouper 
avec vous ch^ le père de l'inféparable. Vos 
doâ^ commeoteires fur la gazette vous ont 
tellement fait Uoûver grâce devant lui, qu'il n'» 
pas fahi beaucoup de manège pour vçus faire 
inviter. La fille a fait accorder fpn Clavecin ; 
le père a feuilleté Lambêrti ; moi je recorderai 
peut-être la leçon du bofquet cle Clarens : ô 
Doâeur en toutes facultés, vous avez partout 
quelque fcie^ice de mife. M. d'Orbe, qui n'eft 
pas oubijiéi comme vous pouyçz penfer, a le 
mot pour entamer une favai)tç djflertation fur 
le futur homage du Roi de Naples, durant la- 
quelle nous paflèrons tous trois jdans la cham- 
bre de la Coufine. C'eft là, mon féal, qu'à 
genoux devant votre Dame & maitrefiè, vos. 
deux mains dans les fiennes ic pn préfence de fon 

Chan- 


H E L O î s Ë. îi; 

Chancelier, vous lui jurerez foi & loyauté à 
toute épreuve, non pas à dire amour éternel ; 
engagement qu'on n'eft maître ni de tenir ni de 
rompre ; mais vérité, fincérité, franchife invio^ 
labié. Vous ne jurerez point d'être toujours* 
ibumis, mais de ne point conunettre aâe de 
fellonie, & de déclarer au moins la guerre avant 
de fécouer le joug. Ce laifant aurez raccolade9 
& ferez reconnu vafial unique & loyal Cheva- 
lier. 

Adieu, mon bon Ami, l'idée du foupé de ce 
ibir m'infpire de la gaité. Ah ! qu'elle me fera 
douce quand je te la verrai partager ! 


LETTRE XXXVI. 

• • ■* 

De Julie. 

BAife cet^e Lettre & faute de joye pour la 
nouvqllê.qQe je vais t'apprendre; mais 
penfe que pour ne point fauter àt n'avoir rien à 
baifer, je n'y fuis pas là moins fenfible. Mon 
père obligé d'aller à Berne pour fon procès & 
delà à Soleore pour fa penfîon, a propofé à ma 
mère d'être du foyage, -of elle l'a acccepté cfpé- 
rant pour fa fanté quelque eiFet falutatre du 
changement d'air. On vculoit me faire k 
grâce de m'emmener auAi & je ne jugeai pas à 
propos de dire ce que j'en pemfois: mais la 
difficulté des arrangemens de vditure a fait a- 
bandonner ce projet, & l'on travaille à me con- 
foler de n'être pas de la partie. Il faloit feindre 
^e la triHeflè, & le faux rolle qù&*jo me vois 

con- 


iiS JLA NOUVELLE 

ccMMirainie à jduer n^'en donne «une ft vérkaUef 
que ie renorîd in'a pfefqiie dH^ntc de k feônke» 

Pendant fahkncaôt mes pafOns, je jMtefte* 
jai .fokit aM^treflè de maifaa ; maïs on sue dé« 
p^ chez le Per« ^ la Coufiiic^ «n forte que 
îe, f(»nû tout 4e bon ilurant ce ttenH tnfqpBfaUe 
fie. i'iafi^uwalife. J)eiplue^ tna oicne a^nteiuc 
jûmé ie.faifiur -de ièmme de >chambne & tas 
h^Sht BaW p5ur gouvectoirte: tontte d'.A«gii» 
peu dangereux dont on ne doit ni, corrompce la 
fidélité m le Fam des oonHdQas, 'qs'oB écarte 
•i^Hiefit aa beToiiH ânr la msàndre iuenr de 
plaîftr ou de gatn •qu'en leur offre* 

Tu comprends quelle facilité nous aurons 
m fifiu5 yo'tt duijRA tfBc "•çwiTHanffe <te jours ^ 
mais c'eft ici que la difcretion doit fuppléer à 
la conttariUej. M qM^l ftut.nofrs Ijnpérer vo- 
lontairement la même referve à laquelle nous 
fommes forcés daos d'autres tems. Non ièu- 
lement tu ne dois pas, quand je ferai chez ma 
Confine, y v^ir flm ÈDwyenx' f«'«:tipara(vtfiif, 
de peur de k compromettre j i Vfpere 'même 
ûu'il tkt &udra 'le )pai;1er m df a ^g^ia qu'exige 
KHI fexe, ai dûs dd^aifi âtcvés de VholçiteMté^ & 
qu'«ii boniiéte heoMie il'aauja.ptfs bdfatn qe'^n 
l'kiftniife d« iFcfpeâ dâ |^ar rMUMir à l'antitm 
qui lui doiiBe asiik- Je oeenôis tes vîmadtcs, 
mais j'en cprui^ les bonies iAvtokblea. Si ta 
«faveis jamais fah de facrifice à œ qui eft hoa-» 
sâ^ ^ ii'en auB0Êa peint à faire sujoishUna. 

O^où vjeot «et «ir (mécontent & cet oeil; xt^ 
tH&éi Pourquoi fenurnittrer doa Lâîx que h 
deiAQir fimyore ? LaiAb à .tti Julie le fmù de 
les adoucir; t'es-tH jwnaisjiepeatt d'awoirdtéd»> 
«ilft à>& wix i Fik deacoAeaux ileisâi dfaù «art 

la 


H « L O ï SE. . ti9 

la ^(bu^cc de It Vcvaîfe, î! «Il lin fiamean IMî- 
taire qui -fert qudqsefbis de repm^ aux disd*- 
Tcors & tie dcvroît fervir qoc d*a^Ie aux amam. 
AxitotiT de 1%abitacion principale) tient M» 
tTOHst: ^HpoTe, font épan afl^ loins . qoelqttes 
Ch^riets, (n) qui de ietirs toks de thatrme peu- 
Tem couvrir faHiaur êr Ir plaHir, amis de ki 
ffnfipiicicé rtifttque. Les iraîdies & difcretei 
laitières favent garder pour autrui le fecret dont 
elles ont befoin pour elles-mêmes. Les ruifTe- 
iwt quî'tfaverfent les 'prairies font 1>ordiés cfar- 
Wiffeaux & de boccagcs diéficieux. Des bois 
fpais offi-ent au deKl des aziles phrs debrts ic 
|>las fombres. 

Jtl belfi^io ri^^9ji cmirijfi if^co^ 
Ke maipajîori appreffan^ ne htfoUï* 

Uztt ïA la mahi des bommes n'y môittitnt nulle 
part leurs foins in^uiâtan^; on n'y voit par 
tout que les tendres foins de la Mère commune* 
Ceft là mon ami, qu'on n'eft que fous (es 9uf- 
pices & qu'on peut n'écouter que fes loix. Sir 
rinvîtation de W. d'Orbe, Ctaire a déjà pef* 
&adé à fon plipa qu'il avoit envie d'aller lairt 
avec quelques amis une c^adb de deux ou trois 
jours dans ce Canton, ic.â*y mener lesîa'fépa- 
rabks. Ces Inféparables ^Ki ont d'autres^ com- 
me tu ne fais que trop bien. L'uh reprefcntant It 
maitcedela maifon en fera ùaturellemccit les hon- 
neurs) l'autre aivec ftioins d'éclat pourra faire % 
ià Juîie eeuiK d'un "huÂbie clisAct, Se ce chalet 
tonfacré par l'amour fera pour dix kTemplç de 

k$ «peces de taitaget Hâxu la montane* 

• Gnide* 


MO LA NOUVELLE 

Gnide. Pour exécuter heureufement & fûre? 
ment ce charmant projet, il n'eft queftion que 
de quelques arrangemens qui fe concerteront 
facilement entre nous, & qui feront partie eux- 
mêmes des plaidrs qu'ils doivent produire. A- 
dieu, mon ami, je te quite brulquement, de 
peur de furprife. Auffi bien, je fens que le 
cœur de ta Julie vole un peu trop tôt habiter 
le Chalet. 

P. S. Tout bien confidéré, je penfe que 
nous pourrons fans indifcretion nous voir 
prefque tous les jours; favoir chez ma| 
Coufme de deux jours l'un, & l'autre a 
la promenade* 


LETTRE XXXVII. 

Be Julie. 

IL S font partis ce matin, ce tendre père & 
cette mère incomparable, en accablant des 
plus tendres carefles une fille chérie, & trop 
indigne de leurs bontés. Pour moi, je les em- 
brafk>is avec un léger ferrement de cœur, tan- 
dis qu'au dedans de lui même, ce cœur ingrat 
& dénaturé petilloit d'une odieufe joye. Hé- * 
las! qu'eft devenu ce tems heureux où je me- 
iiois incefTamment fous leurs yeux une vie in- 
nocente & fage, ou je n'étais bien que contre 
leur fein, & ne pouvoit les quiter d'un feul pas 
fans déplaifir ? Maintenant coupable & craintive, 
je tremble en peniknt à vàn^ je rougis en pen- 

fant 


'H E L O ï s E. 121 

iànt à moi ; tous mes l}ons fentimcns le dé-' 
pravent, &je me confume en vains & ftériles 
regrets que n'anime pas même un vrai repentir. 
Ces ambres réflexions m'ont rendu toute U 
trifteilè que leurs adieux ne m'avoient pas d'a- 
bord donnée. Une fecrette angoiiTe étoufFoit 
mon ame après le départ de ces chers parens. 
Tandis que Babi faifoit les pacquets, je fuis en- 
trée machinalement dans la chambre de ma 
mère, & voyant quelques unes db Tes hardes en- 
core éparfes, je les ai toutes baifees l'une après 
l'autre en fondant en larmes. Cet état d'at- 
tendriflement m'a un peu foulagée, ic j'ai 
• trouvé quelque (brte de confolation à fentir que 
les doux mouvemens de la nature ne font pas 
tout à faits éteints dans mon cœur. Ah,, tiran ! 
tu veux en vain Taflèrvir tout entier, ce tendre 
& trop foible cœur; malgré toi, malgré tes 
preftiges, il lui refie au moins des fentimens lé- 
.gitimes, il refpeâe & chérit encore des droits 
. plus facrés que les tiens. 

Pardonne, ô inon .doux ami, ces mouve- 
mens involontaires, & ne crains pas que j'étende 
ces réflexions auffi loin que je le devrois. Le 
moment de nos jours, peut-être, où notre a.- 
mour efl: le plus en liberté, n'eft pas, je le fais 
bien, celui des regrets : je ne veux ni te ca.- 
cher mes peines ni t'en accabler ; il faut que 
tu ' les connoiffes, non pour les porter mais 
pour les adoucir. Dans le fein de qui les 
cpancherois je, fi je n'ofois les verfer dans le 
tien ? N'es-tu pas mon tendre confolateur ? 
N'eft-ce pas toi qui foutiens mon courage 
ébranlé ? N'eft-ce pas toi qui nourris dans mon 
ame le goût de la vertu, même après que je l'ai 
perdue? Sans toi, fans cette adorable amie 

Tome L G dont 


iM LA NOUVELLE 

dontlamaifi coiïiptfttl&itteigfniya fi (buverrt mes 
pleurs, toiïibien ht fois ti'euflSî-je pas tléjii fiio- 
combé Tous le plus mortel abbatemtm ? Màh 
vos tendres foifis me foutrcmieitt ; je ri^aCt m'a- 
tilfr tajït ique vous m*dfKmei encore, fc je rat 
dis avec complaîfance que vous ne m'airaerîeîs 
pzs tant Tun & Vacrtre, fi je ii*étois tJigne tqtUB 
de mépns. Je vote dans les tras* de cette 
chère Coufine, on pkrtôt de cette tendre foeur 
dépofer^ au fond de fbn cœur tiiie importtme 
ttifteflèr Toi, viens ce foir adiever tfc ^rendre 
au mien la jo^e & la fêténhé qu'il a perdues. 

• • I - Il " 

LETTRE XXrVlIL 

A Julie. 

NO N, Jolie, ri ne m'eft pzs pcfifible de ne 
te voir chaque jour que comme je t'ai vue 
la veille : 11 faiit que mon amour s'augmente 
& croiffe ificeïlknament avec tes charmes, & tu 
m*es une fource ihépuifaWe de* fentimens nou- 
veaux que je n*aurois pas même imaginés. Quelle 
foirée inconcevable ! Qiie de délices inconnue^ 
tu fis éprouver à mon cœur ! O triftcfle enchan** 
terefi'e ! O langueur d'une ame attendrie ! com- 
bien vous furpaffez les turbidens phifirs, & la 
gaiié folâtre, & la joye emportée, & tous les 
tranfports qu'une ardeur fans mefiire oiFre aux 
defirs effrénés des amans ! paifible & pure 
jouïflance qui n'as rien d'égal dan§ la volupté 
des fens, jamais, jamais ton pénétrant fouvepir 
ne 5-^fFacera de mon ceeur. Dieux ! quel ra- 

viffant 


H E L O I s E. I2J 

tfifikBt fpaâacje ^ou plutôt quelle ioctafe, de 
voir àevac Seautés £ touchantes ^'eiahcaflèr leiv- 
àseamot, h vifage de Tupe & pencher Air le 
kin 4e VaHtne, ieucB douces Jiar.mcs k confondre^ 
& baîcner ce Sein cb^naaiit comnie la rofee 
dtt Cid huxneâe un lî$ fraichemem éclos ! J'é- 
toit jaloux d'wie amitié iî tendre ; je lui trou- 
VQis jem raîs<4)uoi >dei>ltfs intéreAant qu^à l'a- 
mour même, & je me vottlois une (brte de mal 
•de ne pomoir t'offrir des oGuii^ations auffi chè- 
res^ fans les troubler par l'agitation de m«s 
timn^rts« Noa, rient rien Air la terre n'eft 
capabJe d'excitsr un A voluptueux attendrifie- 
jnent-que vos motudiks careflès, & le fpe£)a* 
de de -deux aaians eut offert à tn^ yeux une 
iGenlatîon nioins delîcieufe. 

Ah) qu'en ce moment j'euiTe été amoureuse 
de cette aimaUe Coufine, fi Julie n'eut pas 
extfté. Mais non» c'étoit Julie eUe^meme qjit 
fépandoit fon oharme invincible fur tout ce ^ut 
renvironnoit* Ta i^obe» ton ajuftemen^, tfs 
gaods» ton éventail» ton ouvrage; tout ce qui 
frapoit autour de toi mes regards encfaanèoit mon 
cœut, iç toi feule falfois tout renchantcment. 
Arrête, ô ma douce amie ! à force d'augmenter 
mon ivrefle tu m'ôterois le plaHlr de la fentir. Ce 
que tu Qite kis éprouver aproche iTun vrai délire» 
Ù je craku d'en^ perdre enfin U raifon. Laiflè moi 
du moins conaoki» un égarement qui fait mon 
ix>nheinr ; hifk-moi goûter ce nouvel enthoufi- 
aTme» plus fubiîme» plus vif que toutes les idées 
que j'avois de l'amour. Qvx>ï tu peux te croire 
avilie ! quoi la paffion t'ôte-t-elie auffi le feus i 
Moi» je te trouve trop parfaiite pour une 
morteUe. Je t'imaginerais d'une efpeçe plii» 

G 2 pure. 


124 LA NOUVELLE 

pure, il ce feu dévorant qui pénétre ma fub- 
fiance ne m'uniflbît a la tienne & ne me fatfoit 
fentir qu'elles font la même. ^ Non, perfonnie 
au monde ne te connoit ; tu ne te connois pas 
toi-même ; mon cœur feul te connoit, te fent, 
& fait te mettre à ta place. Ma Julie ! Ah, 
quels hommages te feroient ravis, fi tu ri'étob 
qu'adorée ! Ah ! fi tu n'étôis qu'un ange, com- 
bien tu perdrois de ton prix ! 

Di-moi comment il fe peut qu'une paifion 
telle que la mienne puifle augmenter ? Je l'ig- 
nore, mais je l'éprouve. Quoique tu me fols 
préfente dans tous les tems, il y a quelques 
jours fur tout que ton image plus belle que ja« 
mais me pourfuit- & me tourmente avec une 
aâivité a laquelle ni lieu ni teifts ne me dérobe, 
& je crois que tu me laiflas avec elle' dans ce 
chalet que tu quittas en iinifiant ta dernière 
lettre. Depuis qu'il eft queftion de ce rendez- 
vous champêtre, je fuis trois fois forti de ?a 
ville; chaque fois mes pieds m'ont porté des 
mêmes côtés, & chaque Fois là perfpeftive d'un 
féjour fi défiré m'a paru plus agréable. 

Non vide il mondo fi leggiadrï ramU 
Ne mojje '/ venu mai fi verdi frondi* 

Je trouve la campagne plus riante, la verdure 
•p^us fraiche& plus vive, l'air plus pur, le Ciel 
plus ferain ; le chant des oifeaux femble avoir 
plus de tendrefle & de volupté; le. murmure 
des eaux infpire une langueur plus amoureufe ; 
la vigne en fleurs exhale au loin de plus dotix 
parfums ; un charme fecret embetiit tous les ob- 
jets ou fafcine mes fens, on diroit que la terre 
fe pare pour former à ton heureux ;imant un Ht 

nuptial 


H E L O ï s E. 125 

i)uptial digne de la beauté qu'il adore & du feu 
qui le confume. O Julie ! ô chère & précîeufe 
moitié de mon. ame, hâtons-nous d'ajouter à 
ces ornemens du pdntems la préfence de deux 
2^mans fidelles : Portons le fentiment du plaifir 
dans dès lieux qui n'en offrent qu'une vaine 
image ; allons animer toute la nature, elle eft 
morte fans les feux de Tamour» Quoi ! trois 
jours d^attente ? trois jours encore ? Yvre d'a- 
mour, affamé de tranfports, j'attens ce moment 
tardif avec une douloureufe impatience. Ah ! 
qu'on feroit heureux il le Ciel ôtoît de la vie. 
tous les ennuyeux intervalles qui réparent de 
pareils inftans I 


LETTRE XXXIX. 

De Julk. 

t V\U n'as pas un fentiment, mon bon amF, 
E que mon coeur ne partage; mais ne me 
pane plus de plaifir tandis que des gens qui va- 
lent mieux que nous fouffrent, gémiiTent, ic 
que j'ai leur peine à me reprocher. Lis la let- 
tre ci-jointe, & fois tranquille il tu le peux. Pour 
moi qui connois l'aimable & bonne fille qui l'a 
écrite,^ je n'ai pu la lire fans des larmes de re- 
mords & de pitié. Le regret de ma coupable 
négligence m'a pénétré l'ame, & je vois avec 
une amere confuflon jufqu'où l'oubli du premier 
de mes devoirs m'a fait porter celui de tous les. 
autres. J'avois promis de prendre foin de cette 
pauvre enfant; je la protegeois auprès de ma 

G 3 merei 


%2S^ LA NOUVELLE 

thcre ; je là feitoiâ ttt quelque mstnieft fotts ma 
garde, & pour n'avoir Ai me garder moi-même, 
je rafeandoftne* fans me fbuvcnir d'elle, & Tcx- 
pofc à des dangers pires que ceux oii j*ai fuc- 
combe. Je frémis en fongeant que deux jours 
plutard c'en étoît fatt pcne-être de mon dépôt, 
& que Findîgcnce & ta fcduftion perdoieiit une 
fille modeftc & fage qui peut faire un jour une 
excellente mère de famille. O mon ami, com- 
ment y a-t-il dans îe monde des hommes afles 
vifs pour achetter de la mifcre un prix que le 
cceur feul doit payer, & recevoir d'une bouche 
srf&mée les tendres bai fers de raroour f 

Di-moi, pourrois-tu n'être pas touché de }<t 
pieté filiale de ma Fanchon, de fes fentimens 
hw>nêtes, ée fi>n mfHxrente naïveté ? Ne Tes- 
tu pas de la rare tendreflè de cet amant qui fe 
xtnô Lui-^meme pour foulager fa makreflè ? Ne 
fera- tu pas trop heureux de contribuer à former 
un nœud fi bien aflbrtf. . Ah fi nous étions fans 
pitié pour, les cœurs unis qu'on divîfe, de qui 
pourroient*ils jamais en attendre? Pour mioî, 
j'ai rcfolir de réparer envers ccux-cî ma faute à 
quelque prix que ce foif, & de faire en forte que 
ces dtux jeunes gens foîent urris par le mariage. 
J'efpere que ïe Ciel bénira cette entreprîfe, & 
qu^Ifë fera pour nous d'un bon augure. Je te 
propofc k te conjure au nom de notre amitié de 
partir des aujourd'hui, fi tu le peux, ou tout au 
moitit demain matin pour NeufchâtcK Va né- 
gocier avec M. de Merveilleux le congé de cet 
honnête garçon ; n'épargne ni les fuppHcationar 
ni l'argent : Porte avec toi la lettre de ma Fan- 
chon, il ny a point de cœur fenfible qu'elle ne 
doive attendrir» Enfin» quoiqu^il nous en coûte 

& 


H E L O î s E. 127 

& de plaifir & d'argent, ne revien qu'avec le 
congé abfekft de Claiîd* AiMt, ou croU que l'a-^ 
mour ne me donnera de mes jours un moment 
de pure joye. 

Je fens combien d'objeâions ton coeur doit 
avoir à oie faire i doutes-lu que le mien ne les 
ait faites avant toi ? Et je perfifte ; car il faut 
que ce mot de vertu ne fott qu'un vain nom, ou 
qu'elle exige des facrifîces. Mon ami, mon 
digne ami, un rendez-voufi manqué peut revenir 
mille fois ; quelques heures agréables s'éclipfent 
comme un éclair & ne font plus; mais fi le bon- 
heur d'un couple honnête eft dans tes mains, 
longe à l'avenir que tu vas te préparer. Crol 
CDoi, l'occaGan de faire des heureux eft plus 
rare qu'on ne penfe; la punition de l'avoir man- 
quée eft de ne la plus retrouver, & l'ufage que 
nous ferons de celle-ci nous va laifler un fenti- 
ment éternel de contentement ou de repentir. 
Pardonne à mon zeleces difcours fuperflus; j'en 
dis trop à un honnête homme, & cent fois trop 
k mon amn Je fais combien tu hais cette vo- 
lupté cruelle qui nous endurcit aux maux d'au- 
trui. Tu l'as dit mille fois toi-même, oialheur 
à qui ne fait pas facrifier im jour de plaifir aux 
devoirs de l'humanité. 


G4 LETTRE 


128 LA NOUVELLE 

LETTRE XL. 

De Fanchon Regard à Julie. 

Mademoiselle, 

PArdonnez une pauvre fille au défefpoîr, qui 
ne Tachant plus que devenir ofe encore avoir 
lecours à vos bontés. , Car vous ne voys'Iaflèz 
point de confoler les affligés, & je fuis fi mal- 
heureufe qu'il n'y a que vous & le bon Dieu que 
mes plaintes n'importunent pas. J'ai eu bien du 
chagrin de quitter Tapprentiflage où vous m'aviez 
mife; mai^ ayant eu le malheur de perdre ma 
mère cet hiver, il a falu revenir auprès de mon 
f auvre perie que fa paralyfie retient toujours dans 
fon lit. ^ 

Je n'ai pas oublié le confeil que vous aviez 
donné à ma mère de tacher de m'établir avec un 
honnête homme qui prit foin de la famille. Clau- 
de Anet que Monfieur votre père avoit ramené du 
Service eft un brave garçon, rangé, qui fait un bon 
métier, & qui me veut du bien. Après tant de 
charité que vous avez eue pour nous, je n'ofois 
plus vous être incommode, & c'eft lui qui nous 
a fait vivre pendant tout l'hiver. Il devoit m*e- 
poufer ce printems; il avoit mis fon cœur à ce 
mariage. Mais on m'a tellement tourmentée 
pour payer trois ans de loy«r échu à Pâques, 
que ne fâchant où prendre tant d'argent comp- 
tant, le pauvre jeune homme s'eft engagé dere- 
chef ikns m'en rien dire dans la Compagnie dç 

Mon- 


HE L OIS E. 129 

Monfieur de Merveilleux, & m'a apporté l'ar- 
gent de ion engagement. Monfieur de Mer-* 
veilleux n'eft plus à Neufchâtel que pour 
fept ou^ huit jours, & Claude Anet doit par- 
tir dans trois ou quatre pour (uivre la recrue: 
ainfi nous n'avons pas le tems ni le moyen de 
nous marier, & il me laide fans aucune reftburce. 
Si par votre crédit ou celui de Monfieur le Baron;; 
vous pouviez nous obtenir au n^ins un d^lai de 
cinq ou fix femaines, on tâcheroit pendant ce 
tems-là de prendre quelque arrangement pour 
nous marier ou pour rembourfer ce pauvre gar* 
Çon ; mais je le connois bien ; il ne voudra ja- 
mais reprendre l'argent qu'il m'a donné. 

II eft venu ce matin un Monfieur bien riche 
m'en offrir beaucoup d'avantage; mais Dieu 
m'a fait la grâce de le refufer. Il a dit. qu'il re- 
viendroit demain matin favoir ma dernière réfo- 
lution. Je lui ai dit de n*en pas prendre la 
peine & qu'il la favoit déjà. Que Dieu le con- 
duife, il fera reçu demain comme aujourd'hui. 
Je pourrois bien auili recourir à la bourfe des 
pauvres, mais on eft fi méprifé qu'il vaut mieux 
pâtir : & puis^ Claude-Anet a trop de coeur pour 
vouloir d'une fille afiiftée. 

Excufez la liberté que je. prends, ma bonne 
Demoifelle ; je n'ai trouve que vous feule à qui 
j'ofe avoiier ma pejne, & j'ai le cœur fi ferré 
qu'il faut finir cette lettre. Votre bien humble 
& afieâionnée fervante à vous fervir. 

. Fanchm Regarda 


G$ LETTRE 

4» fc.i. 


130 LA NOUVELLE 


«■HPMi* 


•«••ii«»i«""^""^**i^*i«"i"^ 


LETTRE XLL 

Rêpcnfe^ 

J^AI manqua àt mémoirt Ir tc»r de oofifiance, 
ma clKie enfeftt s nous avons eu graiMl tort 
toutes deux» mab le mien «il impardoimal^e :- 
Je tâcherai du moins de le rëparen Babî, qui 
re porte cette Lettre eft chaygee de piourrok au 
plus prefie. Elle retoumera demain matin pour 
t'aider àcotigédier ce Mofifi«»f, ^W revient, êic 
Ytiçfth dînée nous irons te voir, ina Coufuie & 
moi i car je fais que tu ne peux pas qiritter ton 
pauvre père, & je veux connoitre par moi-même 
Fétat de ton petft ménage. 

Quant à Claude Anet, n'en Ibis point en 
peine \ mon père eft abfent ; maïs en attendant 
im retour on fera ce qu'ion pourra, & tu peux 
compter que je n'oubKérai nt toi ni ce brave 
garçon. Adieu, mon enfant, que le bon Dieu 
te confole. Tu as bien fait de n'avoir pas re- 
cours à la bourfe publique ; c'eft ce qu'il lie faut 
jamais faire tant qu'il refte quelque chofe dans 
celle des bonnes gens. 


mmmmÊmmtmmitÊmmmimai»mm0mmmmmm 


LETTRE XLIL 

A Julie. 

E reçois votre Lettre & je pars à Tinftant : 
ce ièra toute ma réponie. Àb cruelle \ que 

non 


j 


H E L O î s É. 131 

mon C€fMr en eft loiQf de cette odieuiè vertu que 
voiM me AipipQiêsft, fc qiM je détefte ! Mm^ voue 
ordooneZf U fauc qbéir« Duflai^je tn moucir 
cent foi«, il f«it être eftiné 4e Julie* 


' I ' '■ 'l'" l 'Il f l I I I I I I I "i fl n ,[ | 
LETTRE XLIU. 

J'Afrivtt hier matin à Nettfcbitfis j'apprit 
que M. de Merveilleux ^tok % la campagnef 
je courus Fy ehcrcher ; il éteit à 1^ cbafie & je 
Tattendis jufqu'aa foir* Quand je lui eue ex-* 
pliooé le fiijet de nnin vojri^, & que je Teos 
prie de mettre un pris as congé de Claude Anet, 
il me fit beaucoup de difficultés. Je crus lea le* 
ver, en offcant de moUmeme une ibmim aflee 
corifidéraUe^ & l'augmentant à mefure qu'il re<^ 
iiftoit; oiais n'ayant pu rien obtenir» je fui 
obligé de me œturer^ apsès ai'etre afliiré de le 
retrouver ce matin, bien refolu de ne le plue 
quitter juiqu'à ce qu'à force d'argent, ou d'im- 
portunicés, ou de quelque manière que ce put 
ëti«, j'euflè obtenu ce que j'étois venu lui de- 
mander. M^étant levé pour cela de très bonne 
heure, j'étou piêt à monter à cbeva), qttând je 
reçus par un Exprès ce billet de M. de Merveil- 
leux, avec le congé du jeune homme en bonne 
£3rme« 

Vûila^ Monfitur^ U cmgê qui vûus êtes venn 
foUmUr* Je l'ai re/uje à vos offres, jfe le donne à 
f^os inf entions charitables^ & v<ms prie di croire qut 
ji m mu foint à pri^ une hmn4 a&ion. 

G 6 }^i^9 


132 LA NOUVELLE 

Jugez, à la joye. que vous donnera cet heu- 
reux fuccès, de celle que j*ai fentie en Tappre- 
nant Pourquoi faut-il qu'elle ne (bit pas auf& 
parfaite qu^élle devroît l'être? Je ne puis me 
difpenfer d'aller remercier & rembourfer M. de 
Merveilleux, Se fi cette vifîte retarde mon dé- 
part d'un jour comme il efl à craindre^ n'ai-je 
pas droit de dire qu'il s'efl montre généreux à 
mes dépends ? N'importe, j'ai fait ce qui voua 
efl agréable, je puis tout iupporter à ce prix. 
Qu'on eft heureux de pouvoir bien faire en fer- 
▼ant ce qu'on aime, & réunir ainfi dans lé même 
foin les charmes de l'amour & de la vertu ! Je 
l'avoue, ô Julie I je partis le cœur plein d'im- 
patience & de chagrin. Je vous reprochois d'être 
fi fenfible aux peines d'autrui, & de compter 
pour rien les miennes, comme fi j'étois le feul 
au monde qui n'eut rien mérité de vous. Je 
trouvois de la barbarie, après m*avoir leurré 
d'un fi doux efpoir, à me priver fans nécéffité 
d'un bien dont vous m'aviez flaté vous-même. 
Tonus ces murmures fe font évanouis ; je fens 
renaître à leur place au fond de mon ame un 
contentement inconnu ; j'éprouve déjà le dédom* 
mageraent que vous m'avez promis, vous que 
Khabitude de bien faire a tant infiruite du goût 
qu'on y trouve. Quel étrange empire eft le votre, 
de pouvoir rendre les privations auili douces que 
les plaifurs, & donner à ce qu'on fait pour vous,, 
le même charme qu'on trouveroit à fe contenter 
foi-même! Ah, je l'ai dit cent fois, tu es un 
smge du Ciel, ma Julie! fans doute avec tant 
d'autorité fur mon ame la tienne eft plus divine 
qu'humaine. Comment n'être pas éternelle- 
ment à toi puifque ton régne eft célefte, & que: 

ferviioie 


H E L O i s K 133 

lèrviroit de ceflèr de f aimer s'il faut toujours 

qu'on t'adore ? 

P. S. Suivant mon calcul, nous avons en- 
core au moins cinq ou fix jours juiqu'au 
retour de la Maman. Seroit-il impoffible 
durant cet intervalle de faire un péléri* 
nage au Chalet î 


L E T.T E R XUV. 
De JuKe. 

NE murmure pas tant, mon ami, de ce re» 
tour précipité. Il nous eft plus avanta- 
geux qu'il ne femble, &' quand nous aurions 
fait par addreilb ce que nous avons fait par 
bienfaifance nous n'aurions pas mieux réuffi» 
Regarde ce qui feroit arrivé fi nous n'euiE« 
onsfiiivi que nos fantailies. Je ferois allée à 
la campagne precifement la veille du retour 
de ma mère . à la. ville : J'aurois eu un ex- 
près avant d'avoir pu ménager notre entrevue r 
il auroit falu partir fur le champ, peut-être fans 
pouvoir t'avertir, te laifièr dans des perplexités 
mortelles, & notre féparation fe feroit faite au 
moment qui la rendoit le plus douloureufe. De 
plus, on auroit fu que nous étions tous dopx à 
la campagne ; malgré nos précautions^ peut* être 
eut-on fû que nous y étions enfemble ; du moins 
on l'auroit foupçonné, c'en écolt aâes. L'indif- 
crette avidité du préfent nous ôtoit toute reflburce 
pour l'avenir, & le remord d'une bonne œuvre 
dédaignée nous eut tourmentés toute la vie. 

Comr 


134- LA NOUVELLE 

Compare à pr^fent cet état à notre fituatioii 
réelle. Premièrement ton abfence a produit ufi 
exceHent efièt» Mon argus ii*aufa pas manqué 
de dire à ma mcre qu'on t'avoit peu vu chez ma 
Coufmc ; elle fait ton voyage & le fujet ; c'eft 
une raifon de plus pour t'eftimer ; & le moyen 
d'imaginer que des gens qui vivent en honae in'* 
telligénce prennent volontairement pour s'éloi* 
gner le féal moment de liberté qu*lls ont pour. fe 
voir ? Quelle rufe avons nous employée pour 
écarter une tropjufte défiance ? Lafeuk, à mon 
avis, qui foit permife à d*bonnêtes gens, ^c'eft 
de Tétre à un point qu'on ne puifle croire, en 
ibrte qu'on prenne un effort de vertu pour un 
aâe d'indiiivrence. Mon ami, qu'un amour 
caché par de tels moyens doit ètfo doux auK 
CGCurs qui le goûtent F Ajoute à cela le p^aifit 
de réunir des amans défolé». Si de rendre heu* 
reux deux jeunes genf fi dignes de Pétre. Tu 
l'aa vue,' ma Fanchon; di, n'ei^*elie pas char- 
mante, & ne mérite-t-etk pas bien-tout ce que 
tu as fait pour elle î N*«ft-eile pas trop jolie $4 
trop malheureufe pQu# rd^er fille impunément f 
Claude Anet de fon côté, dont le bon naturel a 
refifté par miracle à tK>is ans de iervice, en eut- 
il pu fuppontr encore autant ians devenir un 
vaurien comme tout les autres i Au lieu de cela» 
ils s*aiment & feront unis } ils font pauvres êi 
feront aidés \ ils font honnêtes gens flr pourront 
continuer de l'être; car mon peraa promis de 
prendre foin de leur étabtiflèment. Que de 
bierts tu as procurés à eux & à nous par ta com- 
ptaifance, fans parler du compte que je t'en dois 
««riir f Tel eft, mon ami, l'effet afl'uré des fa- 
crifices qu'on &il à la vertu 2 i^Us ooûtent fou- 
vent 


H E L O ï s e: 135 

iFcnt \ birtf il cft t«ujoura doux de les avoir 
fints, & Ton fi*a jamaîa v« paHbnne fe repentir 
d'une bonne aâtoA. 

Je me doute bien qu^k l*exempie de YJnfé* 
piraMe, tu fh'apfelleras auiS la fréchw/i^ k il 
eft vrai c^ je ne fais pas mieux ce que je dîi^ 
que les gens do méticu Si mes fermonB ne va* 
fent pas tes leurs, au moins je vois avec plaifir 
qu'tia ne tovn pas comme eux jettes au vent. Je 
ne m'en défends point, mon ainoable ami, je 
▼oudrois ajouter autant de vertus aux tiennes 
qu'uA (ci amour m'en a fait perdre, 6i ne pou- 
irant plus m'^ftimer moi-même j'aime à m'efli* 
mer encore* en toi. De ta part il ne s^agit que 
d'aimer parfaitement, & tout viendra comme 
de lui-même. Avec quel plaifir tu dois voit 
augmenter fans-ceiTe les dettes que^ l'amour 
a'oblige k payer ! 

Ma Couiine a fu les entretiens que tu as eus 
avec fon père au fujét de M. d'Orbe ; elle y eft 
auffi feniîblë que fi nous pouvions en offices de 
l'amitié n'être pas toujours en refte avec elle. 
Mon Dieu, mon ami, que je iiiis Ufie beui eufe 
fille ! que je ftiis aimée & que je trouve char- 
mant de l'être I Père, mère, amie, amant, j'ai 
beau chérir tout ce qai m'environne, je me 
trouve toujours ou pcevemw ou furpafiée. 11 
ièmble que^tous le» plus doux fcntimens du 
monde viennent fans ceffe chercher, mon anae, 
& j'ai le regret de n'en avoir qu'une pour jouir 
de tout mon bonheur. 

J'oubliois de t'annoncer une vifite pour de- 
main matin. C*eft Milord Bomfton qui vient 
de Genève où il a paile fept ou huit mois. Il 
dit t'avoir vu à Sien à ùài retour d'Italie. U 

le 


136 LA NOUVELLE 

te trouva fort trifte^ & parle au furplus de toi 
comiTie j'en penfe. Il fit hier ton éloge fi bien 
& fi k propos devant mon père, qu'il m'a tout 
à fait difpofee à faire, le fien. £n efFet j'ai 
trouvé du fens, du fel, du feu dans fa conver- 
fation. Sa voix s'eleve & fon œil s'anime au 
récit des grandes .adlions, comme, il arrive aux 
hommes capables d'en faire. Il parle auffi avec 
intérêt des chofes de goût» entre autres de la 
mufique Italienne qu'il porte juiqu'au fublime ; 
je croyois entendre encore mon pauvre frère. 
Au furplus il met plus d'énergie que de grâce 
dans fes difcours, & je lui trouve même l'efprit 
un peu rêche (o). Adieu» mon Anù, 


ïk 


L E T T E R XLV. 

 Julie. 

JE n'en étois encore au'à la féconde leéhire 
de ta lettre» quand Milord Edouard Bomfton 
eft entré. Ayant tant d'autres chofes a te dire» 
comment aurois-je penfé, ma Julie, à te parler 
de lui ? Quand on fe fuffit i'xm à l'autre s'avife- 
t-on de fonger à un tiers? Je vais te rendre 
compte de -ce que j'en fais» maintenant que tu 
parois le deflrer. 

Ayant paffê le Semplon» il étoit venu juf-^ 
qu'à Sion au devant d'une chaife qu'on devoit 

(o) Terme du pays, pris ici métaphoriquement. Il iîgnifif 
au propre une furface rude au toucher 8e qui caufe un fr'iffoa^ 
nement defagréable en y pafTant la main, comme celle ^un^ 
hfoilê /«ft ierréc oo da velomt d*Uuechx. 

». lui 


H E L O î s E. 13/ 

lui amener de Genève à Brigue, & le defœuvre* 
ment rendant les hommes ailes lians, il me re- 
chercha. Nous fîmes une connoiiTance auffi 
intime qu'un Anglois naturellement peu pré* 
venant peut la faire avec un homme fort pré- 
occupé, qui cherche la folitude. Cependant 
nous fentimes que nous nous convenions ; il y 
a un certain uniiTon d'ames qui s'apperçoit au 
premier inftant, & nous fumes familiers au bout 
de huit jours, mais pour toute la vie, comme* 
deux François Tauroient été au bout de huit 
heures, pour tout le tems qu'ils ne fe feroient 
pas quités. Il m'entretint de fes voyages, & le 
îkchant Anglois, je crus qu'il m'alloit parler 
d'édifices & de peintures : Bientôt je vis avec 
plaifir que les Tableaux & les monumens 
ne lui avoient point fait négliger l'étude des 
mœurs des hommes. Il me parla cependant des 
beaux arts avec beaucoup de difcernement, 
mais modérément & fans prétention, J'eftimat 
qu'il en jugeoit avec plus de (kndment que 
de Science & par les effets plus que par les 
règles, ce qui me confirma qu'il avoit l'ame fen- 
fible. Pour la mufique Italienne, il m'en pa- 
rut enthoufiafle conune à toi : il m'en fit même 
entendre ; car il mené un virtuofê avec lui, fon 
valet-de-chambre joiie fort bien du violon, & 
lui-même paflàblement du violoncelle. Il me 
choifit plufieurs morceaux très pathétiques, à ce 
qu'il prétendoit; mais foit qu'un accent fi nou« 
veau pour moi demandât une oreille plus exer- 
cée ; foit aue le charme de la mufique, fi doux 
dans la mélancolie, s'efface dans une profonde 
trif^effe, ces morceaux me firent peu de plaifir, 
& j'en trouvai le chant agréable, à la vérité^ 
mais bizarre & fans expreffion. 

Il 


13& LA NOUVELLE. 

. Il fut aufi 9iefti«A dû moi» & Milord $'ia« 
focfna: avec intérêt d« ma fituation. Je luî en 
dis tout ce qi^'il en dèvoit iàw^ijr. U me pro* 
poTft un voyage en Angleterre avec des projets 
de fortune impoffibles, dans un pays où Julie 
n^étQÎt p^, I) me dit ^u'it aJknt pafièr l'hiver 
àGeneve^ Peté Aiîvant à Lattianne,. & qu'il 
viendroit à Vevai avant de Kitoinner en Italie, 
il m'a teau parde» & nous aoiis femmes revue 
aivec un nouveau plaifir. 

Quant à (on caraâere, je le croîs vif & eai- 
porte, maiis vertueux & ferme. Il fe pique de 
philofophie» & de cet ptiacipes dont nous avons 
autrefois paf le. Mais au fond» je le crois par 
teflspéramefit ,çc qu'il penfe être par nsétbodk» 
i(L le vernis Stoïque qu'il met à fes a£lions ne 
Qonfifte qu*à parer de beaux «aifofuieaaens le 
parti que feu coeur lui a fait prendre. J'ai 
cfipit a Atm t appris avec utt peu de peine qu'il a« 
voit eu quek^ a£fsûre» .ea Italie» ^ %u'il s'y 
Qtott battu (^ifiera foia. 

Je ne ftte ce que ttt trouve» de redae dans 
(es nianieM9( vécitabletnent elles ne fi^nl pftft 
prévenantes, mais je n'y feM rien^do r^^oidTant». 
Q^ique fba abord ne foit pas aulK ouvert cjfj» 
ton ame» k qu'il dédaigne ka petitea bienjeance^ 
il ne lai& pas, ce 01e ièmble, d'ed?e dfua ceni* 
merce agréable* S'il n'a pas cette poUteCe ré- 
fervée H ctrconfpeâe qui ie règle umquei9eat 
tm l'extérieur, & que nos jeunes Officiers nous 
apportent de France, il a celle de rbumaiûté 
qui fe pique moins de diftingu^r au preqii«r 
coup d'œii les étals k les ran^s, k refpeôe en 
général tous les hoauues. le Tavouerai-je 

oaïvement î La privation des grâces eft un dé- 
faut 


H E L O i s E. 139 

finit qoek^femmes ne pardonnent painf, mime 
wa mérite, & j'« peur que Julie n'ait été fem- 
me une fois en fa vie. 

Puifque je fo» en train de fincérite, je te dt^ 
mi encore, n» jolie prccheufe, qu'il eft inutile 
de vouloir donner le change à mes droits, fëe 
qu'un amour affiimé ne fe nourrit point de fer- 
mons. Songe, ibnge aux dédommagemens pro« 
mis &dâs $ car toute la morale que tu m'as dé« 
hkét eft fort bonne ; ntab, quoique tu puîfiêe 
dire, le Chalec Taloît encore mieux* 

^immmmmmÊmiÊmimÊmÊmÊmmmmÊÊmmmiÊÊmi^mmmmmimtKmmmmÊmÊmaifmÊmm 

M II I « I ■ , m ■ ■■■— ?■■■ irf 

L E T T E R Xi.VI. 
De Julie. 

HE bien donc, mon ami, Mttjiottrs te cte* 
kt.^ lliiiiefrede ce cbalit te péfirfttri- 
eufement fur le coe»r, je vois Uen qu^â lé mort 
jDu* à la vie il faot te fUre raifbn du chalet ! Mais 
des Keux où tu ne fus jafnais te font ils fi ehers 
qu'on ne puM^ f^en deAmunagef aiHetirs, Si 
Famouf qui fit le pafus d'Armide au fond d'un 
defert ne feurok-il nous^ faire nn chalet à la 
ville f Ecoute; on va marier ma Faoehon» 
Mon père, qui ne bait pas les fêtes 6c Tappareil, 
veut lut faire une noce oà nous (ferons tous! 
cette noce ne manquera pas d'être tumultueufei 
Quelquefois le miftere a Ai tendre fon voile an 
letn de la turbulente joye k du fracas des feftins* 
Tu m'entends, mon ami, rre ferott-il pas d6ux 
de retrouver dans l'effet de nos foins les plaifirs 
qu*îb nous ont coûtes. 

Ta 


140 LA NOUVELLE 

Tu t'animes, ce me femble, d'un zel« afies 
luperflu fur Tapologie de Milord Edouard dont 
je fuis fort éloignée de mal penfcr. D'ailleurs 
comment iugerois-je un homme que je n'ai vu 
qu'un après midi, & comment en pourrois-tu 
juger toi-même fur une connoiflance de quelques 
jours ? Je n'en parle que par conjeâure, & tu 
ne peux guère être plus avancé ; car les propo- 
iltions qu'il t'a faites font de ces offres vagues 
dont un air de puiflance & la facilité de les élu- 
der rendent fouvent les étrangers prodigues. Mais 
je reconnois tes vivacités ordinaires & combien 
tu as de penchant à» te prévenir pour ou contre 
les gens prefque à la première vue. Cepen- 
dant nous examinerQçs ^. loifir les arri^emens 
qu'il t'a propofés. Si l'amour favorife le projet 
qui m'occupe, il s'.en préfentera peut-être de 
meilleurs pour nous. O mon bon ami, la 
patience eft amere, mais fon fruit eft doux ! ' 
. Pour revenir à ton Anglois, je t'ai dit qu'il 
nie paroiflbit avoir l'ame grande. & forte, & plus 
de lumières que d'agrémens dans l'efprit. Tu 
dis à peu près la même chofe, & puis, avec 
cet air de fupériorité mafculine qui n'abandonne 
point nos humbles adorateurs, tu me reproches 
d'avoir été de mon fexe une fois .en ma vie, com- 
me û jamais une femme devoit ceflTer d'en être î 
Te fouvient-il qu'en lifan^ ta République de 
Platon nous avons autrefois difputé fur ce point 
dç la différence morale des fexes? Je perfifte 
dans l'avis dont j'étois alors, & ne faurois ima- 
giner un modèle commun de perfeâion pouf 
«eux êtres fi diiFérens. L'attaque & la defFenfe, 
l'audace des hommes la pudeur des femmes 
ne font point des conventions^ comme le pen- 

fent 


H E L O r s E. 141 

fent tes philofophes, mais des inftitutions na- 
turelles dont il eft facile de rendre raifon, ic 
dont (e déduifent aifément toutes les autres di* 
ftinâîons morales. D^illeurs, la deftinatîon de 
la nature n'étant pas la même, les inclinations, 
les manières de voir & deiêntir doivent être diri- 
gées de chaque côté félon fes vues, il ne faut point 
les mêmes goûts ni la même conftitution pour 
labourer la terre & pour alaiter des enfans. Une 
taille plus haute, une voix plus forte & des traits 
plus marqués femblent n'avoir aucun raport né- 
ceflàtre au fexe ; mais les modifications exté- 
rieurs annoncent l'intention de l'ouvrier dans 
les modifications de Tefprit. * Une femme par- 
faite & un homme parfait nedoivent pas plus 
fe reflèmbler d'ame que de vtfase ; ces vaines 
imitations de fexe font le comble delà dérai- 
ibn ; elles font rire le fage Se fuir les amours. 
Enfin, je trouve qu'à moins d'avoir cinq pieds 
: & demi de haut, une voix de bailè & de la 
'barbe au mention, l'on nie doit point fe« mêler 
d'être honime; 

Vois combien les amans font maladroits en 
injures! Tu me reproches une faute que je n'ai 
pa9 commife ou que tu commets auifi bien que 
moi, & l'attribués à un défaut dont je m'ho- 
nore. Veux- tu que te rendant fincérité pour 
fincérité je te difc naïvement ce que je penfe de 
la tienne ? Je n'y trouve qu'un raiinement de 
Baterie, pour tejuftifîer à. toi-même par cette 
franchife apparente les éloges enthoufiafles dont 
tu m'accables à tout propos. Mes prétendues 
perfeâions t'aveuglent au point, que pour dé- 
mentir les reproches que tu te fais en fecret de 
ta prévention, tu n'as pas l'cfprit d'en trouver 

un folide à me faire. 

Croi- 


LA NOUVELLE 

M^osoi» ne te change point de me £ft mes 
Irrités, tu t*en «cquîteroid trop mal; les fonc 
4e l'amour, CQ0t iperçans <{tt'ils ibot, fayeat Us 
voir des deËuits ? C'ett à Tinte^ Mutté que ces 
ibtns i^fMfdennent» & là deffiis ta dift:i(>le Claiie 
«ft cent iiens fvlus £i^aote que toi* Otiî, mon 
aflû^ loue «oi, «dmiMe (jE»oi« aroitye tt>oi belfê, 
charmaiite, f^cfaite. Tes éloges me plaifent 
iaos me tidnife , |>aatse ^ue^e 'vois qu'ils iont le 
Jaogagede l'orireitr & «ma de Ja faimeiié, & que 
■tu t? «rampes toiTmême ; «aiais que tu ne veux 
•^s me tromper. Oipieites ilhifioas de j'amour 
^bsit aknaUes! &8 Aatenka font en un fsns des 
mérités : le jugement fe-tait, 'mais fetasettr park* 
L'amant qtii loue «n noua sks perfoâions ^ue 
aK>us n'ayons pas» les voit «a c^et telles qu*il 
les répréfente^ il ne mont point «en dî&nt lies 
jnenfenges ; âl flate fims s'avilir, ai l'on poutau 
moins l'eftimer Ëins le oroliiew 

J'ai ontendu, non iims quelque batteaseot ide 
cctwCf pitxpafirr d-àvA demain ^enx phibiôphes 
à foupen L'un eft Milord lEdouard, l'autre dt 
un fage dent la grafWté s'eâ quelquefois un peu 
dérangée aux piâs d'une jeune éooliere.; ne le 
connoitf ies vous point ? Ëxbortee-le, je vous 
•prie, à tâcher de garder demain le décorum pht- 
iofiiphique un 'peu mieax qu'à 6m ordinaire. 
J'amai roin4'aiiiertir.attffi la petite perfoonede 
rbaiffer iea yvux» Ât d'^tm aux tiens k moins 
folte qu'il fe p ouria» 


LETTRE 


H £ L O f s s 


'45 


mmmm 


LETTRE XLVII. 

A Julie. 

AH niftuviSê ! E<l-ce là la cireon^^ion 
que tu mVivoie promife ? £ft-ce aitifi «pie 
4fi tnéiniges «len cœsr fc^KiMestes «ttraks? Q«e 
•âe cen^tfivtifeioiis à «es engagemenB ! Première- 
9iieBC, ta i^aiiiire ; car tu it*en avois pof m, & tu 
^s Men q«pe jamats tu n'«8 fi ^angereufe. Se» 
condement ton maintfeti fi «doux^ fi i9o4efte» 
£ propre à \wif!kx remarquer à Mfir toutes tes 
grâces* Ton pai4er frfifs rare* plus réBécbt, 
-plus fpfrituel enoGTO qu'à T-ordinaii^, -qui nous 
Tendoit tous ))lu« attentifs, & foiibtt voler Toreilte 
'fc le cœur au «èkvanc 4e chaque mot. Cet «rr 
-^jfie tu <hanta8 à îfletni- votx, pour donner encore 
<pkis de douceur à toti chant,- Ac «qui, bien ^ue 
^an^ii, plât à MitoïKl £4ottai4 mhmt. Ton 
^Kgerd tMnJde, & tes yeux teifiife dom ie» édaif s 
inatendusme je«toieittd»is un trouble inévitable* 
'Enfin, ce je ne iàis quoi f inexprimable, d'en*- 
<^flnteur, que tu ièmbl€ns.ayoir répandu 4ur tou- 
te ta perfonne peur faire toumcr la ùêie à tout 
le monde, fiins panoitre même y fenger. Je we 
fais, pour moi, comment tu t^ prends ; mais 
Il telle ^ ta maniefe d^étue jolie le «notn^ ^u*il 
«ft pofflMe, je t'^avértis que c'^ft t*é«re-bea«Goup 
plus -qu'il ne faut pour avoir des 6^ autour 
ie ^ou 

Je cMm foitqife le pauwe {diUaffophe Angloie 
tf i#t on *peu «rellKAâ la flMffie iirfSaeiioe. ^^nàs 

avoîj: 


144 L A N O U V E L L E . 

avoir reconduit ta Coufine, comme nous étions 
tous encore fort éveilles, ii nous propofa d'aller 
chez lui faire de la Mufique & boire du punch* 
Tandis qu'on raflembloit fes gens, il ne cefla de 
noifs parler de toi avec un feu qui me déplut, & 
je n'entendis pas fpn éloge dans ta bouche avec 
autant de plaifir que tu avois entendu le mien« 
'£n général, j'avoue que je n'aime point que per- 
fonne, excepté ta Coufine, me parle de toi ; il 
-me femble que chaque mot m'ôte une partie de 
mon fecret ou de mes plaifirs, & quoique l'on 
puiiTe dire, on y met un intérêt fi fufpeâ, ou 
l'on eft fi loin de ce que je fens, que je n'aime 
écouter là-defTus que moi-même. 

Ce n'eft pas que j'aye comme toi du penchant 
à la jaloufie. Je connois mieux ton ame j j'ai 
des garants qui ne me permettent pas même 
d'imaginer ton changement pofiible. Après tes 
afiurances, je ne te dis plus rien des autres pré- 
• tendans. Mais celui'-ci, Julie ! . • • . des con- 
ditions fortables • • . • les préjugés de ton père. 
• • • . Tu fais bien qu'il s'agit de ma vie ; daigne 
donc me dire un mot là-defius. Un mot de 
Julie, & je fuis tranquille à jamais. 

J'ai paire la nuit à entendre ou exécuter de la 
mufique Italienne, car il s'eft trouvé des duo & 
il a falu has^arder d'y faire ma partie. Je n'olê 
t« parler encdre de TeiFet qu'elle a produit fur 
moi ; j'ai peur, j'ai peur que l'impreffiôn du 
fouper d'hier au (oir ne fe foit prolongée fur ce 
que j'entendois, & que je n'aye pris l'effet de tes 
féduélions pour le charme de la mufique. Pour- 
quoi la même caufe qui me la rendoit ennuyeufe 
à Sion, ne pourroit elle pas ici me. la rendre 
agréable dans une fituation contraire î N'es-tu 

pas 


H\ E L. O ï :S E- 145 

f>a^ la première fource de toutes les afFeâîons de 
mon ame, & fuisrje à l'épreuve des preftiges de 
ta magie. Si la mufique eut réellement produit 
cet enchantement, il eut agi. fur tous ceux qui 
l'eritendoient. Mais tandis que ces chants me 
tpnoient en extaiê, M. d'Orbe dormoit tran- 
quillement dans- un fauteuil, & au milieu de mes 
tranrpcrtSy. il s'eft contenté pour tout éloge de 
demander & ta Coufine favoit l'Italien. 

Tout ceciièra mieux éclairci demain; car 
Qous avons pour ce foir un nouveau rendez-vous 
de mufique. Milord veut la rendre complette 
4c il a mandé de-Laufanne un fécond violon qu'il 
dit être ailes entendu. Je porterai de mon côté 
des fcenes, des cantates françoifes, & nous ver- 
rons ! . 

£n arrivant chez moi j'étois d'un accablement 
que m'a donné le peu d'habitude de veiller & 
qui fe perd en t'écrivant. Il faut pourtant tâcher 
de dormir quelques heures. Viens avec mot, 
ma douce Amie, ne me quite point durant mon 
fommeil ; niais foit que ton irnage le trouble ou 
le favorife, foit qu'il m'ofFre ou non les noces 
de la Fanchon, un infiant délicieux qui ne peut 
m'échaper & qu'il me prépare, c'eft le iëntiment 
.de mon bonheur.au réveil. 




•4 


LETTRE XLVIII. 
À Julie. 

i '.I .• ; 

• fl f ma Julie, qu'ai-je entendu ? Quels 

fons^4;ottchans l quelle mufique ? quelle 

ma L, H fource 


14^ LA NOUVELLE 

ibunse dâicteuft de ièntimeat le de pi«firs i Ht 
perds pas un moment; raflemUé anrec foin tee 
oper», tes cantates," ta mufique fcançotb, fate 
1111 grand feu bien argent, jettes- jr to«t ee fiitrsi^ 
tg l*atttfe avec fism, 96» que taat de gbce puîM 
y brûler & donner de la chaleur au moins une 
fois. Fais oe fikrifiœ peepieiatoife an Dieu du 
goûtj pour expier ton crime 5e le mien d'af^îr 
profane ta voix à celte kMMrde p&lmodie, U dV 
Voir pris fi longtems pour le langage du ceeur 
un bruit qui ne fett qu'étourdir Voiisi Wb O ^ue 
ton digne fipere atoit nûfen ! Dans quelle Àrençe 
erreur j'm vécu fuiqu'ici fur les produéKene de 
teet art charmant r Je fentois teuv peu d'effet, k 
Pattribuois a fa fcûblefic. Je difois, la mufique 
n'eft qu'un vain fon qui peut flater l'oreille & 
n'agit qu'indireâement & légèrement fur hune. 
L*impreffion des accords eft purement mécanique 
fc pbyfique $ qu'a«t«elle à faire au fentimjsnt, te 
pourquoi devrois-je eTpécer d'être plus vivement 
touché d'une belle harmonie que d'un bel aecoed 
de couleurs ? Je n'appercevois pas dans les aocens 
de la mélodie appliqués à ceuaic de la langue, k 
lien puiiTant & fecret des paffions avec les fons : 
je ne voyois pas que l'imitation des tons divers 
dont les fentimens animent la voix parlante 
donne k Ton tour à la voix chantante le pouvoir 
d'agiter les cœurs, & que l^^nergique tableau des 
mouvemens de l'ame de celui qui fe fait entendre, 
eft ce qui fait le vrai charme de ceux qui re- 
courent. , 

Ceft ce que me fit remarquer le chanteur de 
Milord, qui, pour un Muiicien, ne laiile pas 
de parler ailés bien de fon art, L'iiecm^ulie, 9W 
•dtibit-ily n^'eft qu'un acceji&ire âfligné dans la 

imifiqiic 


H E L O î s E. 147 

îbufique iipiutive $ il n^ a dans l'barmoiiie pro« 
preoient dite aucun principe d'imitation. Elle 
afllire, il eft vrai, les intonations ; elle porte té* 
moigo^ de leur juftefTe & rendant les nvxlula* 
tions puis fenfibles» elle ajoute de Ténet^^ie à 
Texpreflion & de la gr^ce au chant : Mais c*eft 
iç la feule mélodie ique (art cette puUTance invin* 
icible des accent paffionnés ; ç'cft aelle que dérive 
Umt le pouvoir de la mufiquc fur Tames former 
les plu3 (ayantes fucceffion d'accords fans mé- 
lange de mélodie.» vous (erez eonuyés au bout 



Qu 

chants les plus (Impies, ils (èront IntérefTans* Au 
contraire, une mélodie qui ne parle point chante 
toujours mal, & la feule harmonie n'a jamais 
rien fu dire au cœur. 

C'eft en ceci, continuoit-il, que confîfte Ter* 
reyr des François fur les forces de la mufique. 
K'ayant & ne pouvant avoir une mélodie à eux 
dans une langue qui n'a point d'accent, & fur 
une poëfie maniérée quj ne coimut jamais la 
nature, ils n'im;aeinent d'eiFets que ceux de 
l'harmonie ic des edajts de voix qui ne rendent 
pas les fons plus mélodieux mais plus bruyans» 
ii ils font (i malheureux dans leurs prétentions 
oue cette harmonie même qu'ils clierchent leur 
échappe; à force de la vouloir charger ils n'y 
mettent plus de choix, ils ne connoilTent plus les 
cho&s d'effet, ils ne font plus que du rempii/l 
fage, ils fe gâtent l'oreille, & ne font plus fen« 
fible qu'au bruit ; enforte que la plus belle voix 
pour eux n'eft que celle qui chante le plus fort. 
Auffi faute d'un genre propre n'ont-ils jamais 

• H 2 fait 


14» LA NOUVELLE 

fait que fuivre pefaroment & de loin nos mo« 
deles, & depuis leur célèbre Lulli ou plutôt 
]e notre, qui ne fit qu'imiter les Opéra dont 
ritalie écoit déjà pleine de fon tems, on les a 
toujours vus à h pifte de trente ou quarante ans 
copier, gâter nos vieux Auteurs, & faire à peu 
près de notre mufique comme les autres peuples 
font de leurs modes. Quand ils fe vantent de 
leurs chanfons, c'eft leur propre condamnation 
qu'ils prononcent ; &'ils favoient chanter des fen* 
timens ils ne chanteroient pas de l'efprit, mais 
parce que leur mufique n'exprime rien, elle eft 
plus propre, aux chanfons qu'aux Opéra, & 
parce que la notre eft toute paffionnée, elle eft 
plus propre aux Opéra qu'aux chanfons. 

Enfuite m^ayant récité fans chant quelques 
fcenes italiennes il me fit fentir les rapport de la 
mufique à la parole dans le récitatif, de la mu- 
fique au fentiment dans les airs, & par tout 
l'énergie que la mefure exaâe & le choix des 
accords ajoute à Texprefiion. Enfin après avoir 
joint à la connoiflance que j'ai de la langue la- 
meilleure idée ou'ii me fut poffible de l'accent 
oratoire & pathétique, c'eft. à dire de l'art de 
parler à l'oreille & au cceur dans une langue 
fans articuler des mots. Je me mis à écoutçr 
cette mufique enchantereffe, & je fentis bientôt 
aux émotions qu'elle me caufoit que cet art avoit 
un pouvoir fupérieur à celui que j'avois imaginé» 
Je lie fais quelle fenfation voluptueufe me ga- 
grroit infenfiblement. Ce n'étoit plus une vaine 
fuite de ions, comme dans nos récits. A 
chaque phrafe quelque image entroit dans mon 
cerveau ou quelque fentiment dans mon cceur; 
le plaifir ne s'arrêtoît ppint à l'oreille, il péné- 

troit 


H E L O I s E. 149 

troit jufqu'a Tame^ rexécution couloit fans ef- 
fort avec une facilité charmante ; tous les con* 
c^rtans fèmbloient animés du même efpriti le 
chanteur maître de fa voix en tiroit fans gêne 
tout ce que le chant & les paroles demandoient de 
lui, & je trouvai fur tout un grand foulagement à 
nç fentir ni ces lourdes cadences, ni ces péniblea 
efforts de voix, ni cette contrainte que donne 
chez nous au muiicien le perpétuel combat du 
chant & de la mefure, qui, ne pouvant jamais 
s'accorder, ne lailbnt gueres moins l'auditeur que 
réxécMtant. 

Mais quand après une fuite d'airs agréables, 
on vint à ces grands morceaux d'expreflion, qui 
fa vent exciter & peindre le defordre des paillons 
violentes, je pefdois à chaque inftant l'idée de 
mufîque, de chant, d'imitation j je croyois en- 
tendre la voix de la douleur, de l'emportement, 
du defefpoir; je croyois voir des mères éplotécs, 
des amans trahis, des Tirans furieux, & dans 
les agitations que j'étols forcé d'éprouver j'avois 
peine à refler en place. Je connus alors pour* 
quoi cette même mufîque qui m'avoit autrefois 
ennuyé, m'échaufFoit maintenant jufqu'au tranf- 
port : c'eft que j'avois commence de la conce- 
voir, & que fitôt qu'elle pouvoit agir elle agifToit 
avec toute fa force. Non Julie, on ne fupporte 
point à demi de pareilles impreflions ; elles font 
exceÛîves ou nulles, jamais foibles ou médiocres; 
il faut refter infenfîble ou fe laifler émouvoir outre 
mefure; ou c'eft le vain bruit d'une langue qu'on 
h'entend point, ou c'eft une impétuofité de fen- 
timent qui yous entraine, & à laquelle il eft imr- 
poffible à l'ame de refifter. 

Je n'avois qu'un regret ; mais il ne me quît- 

* H 3 toit 


J50 LA NOUVELLE 

toit point ; c'étoit qu'an autre que toi formât 
des fons dont j'étois fi touché» & de voir fonit 
de la bouche d'un vil cajtrati les pfus tendres 
expreffions i^t Tamoar. O ma Julie ! n'eft-ce 
pas à nous de revendiquer tout ce qui appartient 
au fentiment ? Qui fentira, qui dira mieux que 
Ikous ce que doit dire & fenttr une ame attendrie? 
Qui faura prononcer d'un ton plus touchant le 
lor mio^ Vidolo amato? Ah que !e cœur prêtera 
d'énergie à l'art, fi jamais nous chantons en- 
femble un de ces duo charmans qui font couler 
des Urmes fi délicieufes ! Je te conjure pretfii» 
erement d'entendre un efiai de cette mufique, 
foit chez toi, foi chez rinféparabk. Milord y 
conduira quand tu voudras tout fon monde, cl 
je fuis fur qu'avec un organe auffi fenfible que 
le tien, & plue de connoi&nce que je n'en avois 
de la déclamation italienne, une feule féance 
fuffira pour t'amener au point oÀ je fuis, & te 
faire partager mon enthçufiafme. Je te ptiDpofe 
& te prie encore de profiter-du féjour du virtuofe 
pour prendre leçon de }uî, cpmme j'ai commence 
de faire dès ce matin. Sa manière d'enfeigner 
eft fimple, nette, & confifte en pratique pi is 

au'en difcours ; il ne dit pas ce qu'il faut faire, 
le fait, & en ceci comme en bien d'autres 
chofes l'exemple vaut mieux que la règle. Je 
vois déjà qu'il n'eft queftion que de s'aSèrvir à 
la mefure, de la bien ientir, de phrafer & ponc- 
tuer avec foin, de (butenir également des Ions 
& non de les renfiler, enfin d'ôter de la voix les 
éclats & toute la pr.etintaille françoiie, pour la 
rendre jufte, expreifive, & flexible ^ la tienne 
naturellement fi légère & fi douce prendra fa- 
cilement ce nouveau pli i tu trouveras bientôt 

dams 


H E t O î s EL 151 

dm U lisfifibilit^ Vinmrgm k la vivacité de Tac- 
coot qui aoîne b Bm&qiie italienney 

£ 7 cûfOûr cbi neir anima Ji fente. 

Latflè donc peur jamais cet ennuyeux ta Ul^ 
mentftUe chant firançots qui vcâèmble aux cria 
de la colique ciieux qu'aux tranfports des paft 
fions. Apprens à former ces foîns divin» que le 
featîroent infpiiCy feula dignes de ta voix, feula 
dignes de ton conir, &'qut portent toujoura 
avec eux le cbanae & le fieu des caïaâeraa 
fenfiUes. . 

LETTRE XLIS:. 

Di Jtdk. 

TU <âis bien» it^qn* ami) que je ne pui» 
t'^crire qu'à la dérobée» & toujours en 
danger d*être Turprife. Aînfi) dans VaupotSkA- 
Wxi de faire de longues lettres je ane borne è 
répcAdre à ce qu'il y a de plus eâëntlel dans les 
tiennes^ ou \ (ûppléer à ce que je ne t'ai pu dire 
dans des converfatîons non moins furtives de 
bouche que par écrit. C'eft ce que je ferai fur 
tout aujourd'hui que deux mots au fujet de Mi- 
lord Edouard me font oublier le refte de ta 
lettre. 

. Mon ami, tu crains de me perdre & me 
parlés de chanfons I belle matière à tracaflerie 
entre amans qui s'entcndroient moins. Vrai- 
mentt tu n'es pas jaloux, on le voit bien; mais 
pour le coup je ne ferai pas jaloufe ipoi-même, 

H 4 car 


Î52 LA NOUVELLE 

car j'ai pénétré dans tcm ame & ne fens que ta 
confiance où d'autresicroiroient fenrir ta froideur. 
O la douce & charmante fécufité que celle qui 
vient du fentiment d'une union parfaite ! C'eft 
-par elle, je ie fais, que tu tires de ton propre 
cœur le» bon témoignage du mien, c'eft par elle' 
aufli que le mien te juftifie, & je te- croirois 
bien moins amoureux (1 je te voyois plus ail armé. 

Je ne fais ni neveux favoir fi Milord Edouard 
a d'autres attentions pour moi que celles qu'ont 
tous les hommes pour Jes perfonnes de mon âge ; 
ce n'eft point de fes fentimens qu'il s'agit, mais 
de ceux de mon père & des miens; ils font 
aufli dVccord fur fon compte que fur celui de« 
prétendus prétendans, dont tu dis que tu ne 
dis rien. Si fon excluilon & la leur fuffifent à 
ton repos, fois tranquille. Quelque honneur 
que nous fit la recherche d'un homme de ce 
rang, jamais du confentement du père ni de la 
fille, Julie d'£tange ne fera Ladi Bomfton. 
Voila fur quoi tu peux compter. 

Ne va pas croire qu'il ait été pour cela quef- 
tion de Milord Edouard ; je fuis fûre que de 
nous quatre tu es le feui qui puilflè même lui 
fuppofer du goût pour moi. Quoiqu'il en foit, 
je fais à cet égard la volpnté de mon père fans . 
qu'il en ait parlé ni à moi ni à perfonoe, & je 
n'en ferois pas mieux inftruite quand il me 
l'auroit pofitivement dédàrée. En voila ailes 
pour calmer tes craintes, c'eft à dire autant, 
que tu endois favoir. Le refte feroit pour toi 
de pure curiofué, n& tu fais que j'ai réfolu de ne- 
ïa pas fatisfaire. Tu as. beau me reprocher cette 
referve 6i la prétendre hors de propos dans nos 
intérêts communs. Si je Tavois toujours eue, 
elle me feroit moins importante aujourd'hui. 

Sans 


H E L O i S E. 153 

Sans je compte indifcret que je te rendis d^un 
difcours de mon père, tu n'aurois point été te 
- défoler à Meillerie; tu ne m'euilès point écrit 
la lettre qui m'a perdue ; je vlvrois innocente 
& pourrots encore afpirer au bonheur. Juge 
par ce que me coûte une feule indifcretion, de 
la crainte que je dois avoir d'en commettre 
d'autres ! Tu as trop d'emportement pour avoir 
de la prudence ; tu pourrois plutôt vaincre tes 
paffions que les déguifer. La gioindre allarmip i-c 
xnettroit en fureur ; à la moindre lueur favo* 
irable tu ne douterois plus de rien ! On lîroit 
tous nos fecrets dans ton ame, & tu détruirois 
à force de zèle tout le fuccés de mes foins, 
Laifle-moi donc les foucis de l'amour, & n'en 
gardé que les plaifirsj ce partage eft-il fi péni- 
ble, & ne fens^tu pas que tu ne peux rien a notre 
bonheur que de n'y point mettre obfiacle. 

Hélas, que me (erviront déformais ces précau- 
tions tardives f Eft-il tems d'affermir fes pas aa 
fond du précipice, & de prévenir les maux dont 
onfe fent accablé ? Ah miférable fille, c'cft-bien 
a toi de parler de bonheur ! En peut-il jamais 
être où régnent la honte & le remord f Dieu ! 
quel état cruel, de ne pouvoir ni fupporter Ton* 
crime, ni s'en repentir ; d'être aifiegé par mille 
frayeurs, abufé par mille efpérances vaines, &c 
de nejouïr pas même d^ l'horrible tranqujlitê 
du deiefpoir ! Je fuis déformais à là feule merci, 
du fort. Ce n'eft plus ni de force ni de vertii 
qu'il eft queftton, imais de fortune & de pru- 
dence, & il ne s'agit pas d'éteindre un amour 
qui doit durer autant que ma vie, mais de le 
rendre innocent ou de mourir coupable. Con- 
fidere cette fiuation, mon ami, St vois fi tu 
peux te fier à mon zele? 

Hs LETTRE 


154 LA NOUVELLE 

LETTRE L. 

De Julie. \ 

JE n'ai point voulu vous expliquerliier en vous 
quittant, la caufb de la triftelTe que voua 
m*avez reprochée, parce que vous n*ettez pas 
en état de m*entendre. Malgré mon averuon 
pour les éclairciflemens, ie vous dois celui-cij 
puiique je Tai promis, & je m'en acquite. 

Je ne fais fi vous vous ibuvenlez des étranges 
difcours que vous me tintes hier au foir & des 
manières dont vous les accompagnâtes ; quant à 
moi, je ne les oublierai jamais aSes tôt pour vo-» 
tre honneur & pour mon repos, & malheureofe* 
ment j'en fuis trop indignée pour pouvoir les ou- 
Uier aifément. ue pareilles expreffions avoient 
quelquefois frapé mon oreille en paflant auprès 
ju port; mais je ne. croyois pas qu'elles puflènt 
jamais fortir de ia bouche d'un honnête homme | 
je luis très fûre au moins qu'elles n'entrèrent ja- 
mais dans le diâionnaire des amans, & j'étois 
^ien éloignée de peofer qu'elles pufient être d'à* 
(^ entre vous & moi. £h Dieux, quel amour 
ifit le votre, s'il aflàifonne ainfifes plaifirs ! Vous 
fbniex, il eft vrai d'un long repas, & je vois 
ce qu'il faut pardonner en ce pays- aux excès 
qu'on y peut faire: c*eft aufS pour cela que je 
vous en parle. Soye;& certain qu'un téte-i-tete 
•ù vous m'auriez traitée ainfi de fang- froid eut 
été k dernier de notre vie« 

Mais 


M Ë L O î s E. 155 

Msis ce qoi m'^lanne fur votre compte, c^ett 
que fouvent' h conduite d'un homme ecfaaufF^ 
de rin n'eft que ]*efièt de ce qui fe pafTe au 
fond de fon coeur dans les autres tems. Croirai* 
je que dans un état oit l'on ne déguife rien vous 
vous montrâtes tel que vous êtes. Que de* 
vîendrois-je fi vous penfiet à jeun comme vous 
parlieis hier au forr i Plutôt (|ue de fuppoiter 
un pareil mépris j'aimerois mieux éteindre ua 
feu il çroiffier» te perdre un amant qui fâchant 
fi mal honorer fa maitrefiè mériteroit fi peu d*en 
être eftimé. Di^es^-moi, vous qui cheriffiez les 
fentimens honnêtes, fêriez*vous tombé dana 
cette erreur cruelle que l'amour heureux ji'i 
plus de ménagement a garder avec la pudeur, 
& qu'on ne doit plus de retpe& à celles clont 
on n'a plus de rigueur à craindre ? Ah f fi vous' 
aviez toujours penfé ainfi, vous auriez été moind 
à redouter & je ne ferois pas fi malheureulê f 
Ne vous y trompez pas, mon ami, rien n'eft R 
dangereux pour les vrais amans qucf les préju- 
es du monde } tant de gens parlent d'amour, 6c 
1 peu favent aimer, que la plupart prennent 
pour fes pures & douces loix les viles maximes 
d^UA commerce abjeâ, qui bientôt afibuvi de 
lui-même a recours aux monftres de l'imagina- 
tion & fe déprave pour fe foutenir. 

Je ne fais fi jt m'abufe; mais il me femble 
que le véritable amour eft le plus chafte de tous 
les liens. C'eft lui, c'eft fon feu divin qui (ait 
épurer nos penchans naturels, en les concentrant 
dans un feul objet; c'eft lui qui nous dérobe 
aux tentations, & qui fait qu'excepté cet objet 
unique, un fexe n'eft plus rien pour l'autre.' 
Pour une femme ordinaire, tout homme eft: 

H 6 ^ou- 


f. 


156 LA NOUVELLE 

toujours un homme ; mais pour celle dont le- 
cteur aime, il n*y a point d'hpmme que fon« 
amant. Quedis-jç? Un amant p'eft-il qu'un 
homme? Ah qu'il eft un être bien plus fub- 
lime ! Il n'y a point d'homme pour celle qui 
aime.: Ton amant e^ plus i tous les autres font 
moins ; elle & lui font les feuls de. leur efpecè. 
lis ne défirent pas, ils aiment. Le coeur ne. 
fuit peint les fens, il les guide; il couvre leurs, 
égaremens d'iîn voile délicieuk. Non il n*y a. 
rien d'obfcene que la. débauche & fon groffier 
langage. Lé véritable amour toujours modefie 
n'arrache point fes faveurs avec audace ^ il les 
dérobe avec timidité. Le mifterei^ le fileqce, la 
honte craintive aiguifent & cachent fes doux 
tranfports; fa ilame honore & purifie. toutes, fes 
carefles -, la décence & l'honnêteté l'acçomp^g-. 
nent au fein de la volupté même, & lui feuL 
fait tout accorder aux defirs fans rien oter à la 
pudeur. Ah dites ! vous qui connûtes les vrais 
plaifirs ; comment une cynique effronterie pour* 
^oit>el!e s'allier avec eux ? Comment ne banni- 
roit-elle pas leur délire & tout leur charme ^ 
Comment ne ibuilleroit-elle pas cette image de 
perfeâion fous laquelle on fe plait à contempler 
Fobjet aimé? Croyez-moi, mon ami, la dé- 
bauche & l'amour ne fauroient loger enfemble^. 
& ne peuvent pas même fe compenfer. Le 
cœur fait le vrai bonheur quand on s'aime. Se. 
rien n'y peut fuppléer fitôt qu'on ne s'aime plus. 
Mais quand vous feriez afies malheureux pour 
vous plaire à ce deshonnête langage, comment 
avez- vous pu vous refoudre à l'employer fi mal. 
a propos, & à prendre avec celle qui vous eft 
chcre un ton & des manières qu'un homme 
E d'honneur 


H E L. O î S E. isy 

d'honneur doit même ignorer? Depuis quand* 
•ft-il deux d'afliger ce qn^on- anne, & queMc eft 
cette volupté barbare qui feplait à jouir du tour- 
ment d'autfïii? Je.n'sHpas oublié quç j'ai perdu 
k droit d'être refpeâée ; mais fi je Toubllois 
jamais, eft-ce à voyis de me le rappeller f £ft» 
ce à l'auteur de ma faute d'en ^graver la pu- 
«nition? Ceferoit à lui plutôt à raxn confofer;. 
Tout le monde a droit de me méprifer hors 
TOUS. Vous me devez le prix de l'humiliation 
çù. vous m'avez réduite, & tant de pleurs verfés. 
fer ma foiblefTe méritoient que vous me la fiffie2^ 
moins cruellement (èntir. Je ne fuis ni prude 
BÎ précieufe. Hélas, que J'en fuis loin^ moî 
qui n'ai pas fûmême être fage ! Vpus^ le favez, 
trop, ingrat, fi ce tendre cœur f^t rien refjufer 
^ l'amour î Mais au moins ce qu'il lui cède, il 
ife veux le céder qu'a lui, & vous m'avez tropv 
bien appris Ion langage, pour lui. en pouvoir 
ijibdituer un fi djiFérent^ Des injures, des coups, 
m'outrageroient moins que de femblables ca- 
reiTes* Ou renoncez à Julie, ou (achez être 
«ftimé d'elle. Je vouç l'ai déjà dit» je ne con* 
i^ois point d'amour fans pudeur,. & s'il m'ea 
coûtoit de perdre le voire, il m'en coutêroit en* 
core plus de le conferver à ce prix. 
. Il me refte beaucoup de chofea à dire fur le 
Oiême fujet ; mais il fai|t finir cette lettre &c je 
les renvoyé à un autre tems. En attendant^ 
remarquez un effet de vos fauflea maximes fur 
l'ufage immodéré du vin» Votre cœur n'eft 
point coupable^ j'en fuis très fure. Cependant 
vous avez navré le mien, &. fans favoir ce que 
irous faifiez, vous défoliez comme à plaifir ce 
cœur trop facile à s'allarmei-, & pour qui rien 
n'eft indifférent de ce qui lui vient de vous. 

LETTRE 


15» LA NOUVELLE 

LETTRE U. 

SÂpnfi. 

IL n'y a pas une It^ éms votre lettre <iui ne 
me faffe glacer le fang, & j'ai peine à croire» 
apcj» l'avoir relue vingt fois que ce foit à mot 
qu'elle eft addrefi^. Qui moi, moi \ j'auroia 
àSknît Julie? J'aurots profane fes attraits? 
Celle à qui chaque inftant de ma vie j'offre de» 
adorations, eut été en butte à mes outrages f 
Non, je me Terois percé le coeur mille fois avant 
qu'un projet fi barbare en eut approché. Ah, 
que tu le comiois mal, ce cceur qm t'idolâtre I 
œ cœur oui vote le Te profleme fous chacun 
de tes pas ! ce coeur qui voudroit inventer pour 
toi de nouveaux hommages inconnus aux mor- 
tels! Que tu le connois mal, ô Julie, fi tu Tac* 
cufes de manquer envers toi à ce refpeâ ordi- 
naire ic commun qu'un amant vulgaire auroit 
même pour (a maîtreflè ! Te ne crois être ni 
impudent ni bruuU je hais les difcours desbon-' 
nêtes & n'entrai de mes jours dans les lieux oà' 
Ton apprend à les tenir. Mais, que je te redife 
sqprb toi, que je rencherifle fur ta jufte indig* 
nation ; quand je ferois le plus plus vil des 
mortels, quand j'aurois pafie mes premiers ans 
dans la crapule, quand le goût des honteux 
plattrs pourroit trouver place en un cœur où tu 
règnes, oh di^moi, Julie, Ange du Ciel, di- 
moi comment je pourrois apporter devant toi 
refl^ontcrie 4|u'on ne peut avoir q\ie devant 

<ellca 


H E L O ï s E. 159 

celles qui Vaimait î Ah non, il o'eft pas poT* 
fible ! Un feul de tea regards eut contenu ma 
bouche Se purifié mon cœur. L'amour eut cou-, 
vert mes defirs emportés des charmes de ta mo* 
deftie; il l'eUt vaincue fims Toutrager, & dana 
la douce union de nos âmes, leur feul délire eut 
produities erreurs des fens." J'en appelle à ton 
propre témoignage. Di» fi dans toutes les fu- 
reurs d*une paiBon fans meliire, îe ceiTai jamais 
d'en refpeâér le charmant objet r Si je TWês le 
prix que ma flame avoit méritéi di, fi j'abuuû de 
màn bonheur pour outrager à ta douce boote ? 
fi d'une main timide Tamour ardent & craincif 
attenta quelquefois à tes charme?, di fi jamais 
une témérité brutale 9^^ les profoner? Q^aïul 
un tranlport indifcret écarte un iaftant le voile 
qui les couvre, Taimabl» pudeur u*y fiibflitue- 
t-elle pas auffitôt le fien i Ce vêtement iâcre 
t'abandonneroit-il un moment quand tu n'en 
aurois point d'autre ? Incorruptible comme ton 
ame honnête, tous les feux de la mienne l'ont- 
ils jamais altéré ? Cette union fi touchante & 
fi tendre ne fuffit-elle pas à notre fâidti'î Ne 
fait-elle pas feule tout le bonheur de nos jours ) 
Connoiuons nous au monde quelques pkifirs 
hors ceux que l'amour donne r En voudrions* 
nous connoître d'autres ? Cooçois-ltt comment 
cet enchantement eut pu fk détruire ? Comment 
j'aurois oublié dans un moment l'honnêteté, no- 
tre amour, mon honneur, & l'invincible refpeâ 
que j'aurois toujours eu pour toi, quand-même 
je ne t'aurob point adorée? Non, ne le crois 
pas 5 ce n'eft point moi qui pus t'offenfer. Je 
n'en ai nul fouvcnir j & 11 j'cuffi été coupable 
un înftant, le remord me quitteroit-il jamaU i 
'3 Non 


i6o LA NOUVELLE 

Non Jufie, un démon jaloux d*un fort trop 
heureux pour un mortel a pris ma figure pour 
k troubler ic m'a laifie mon cœ^r pour me 
rendre plus miférable. 

J'abjure, je dctefte un forfait que j'ai commis^ 
puis que tu m'en accufes, mais auquel ma vo- 
lonté n*a point de part. Que je vais l'abhor- 
fctj cette fatate intempérance qui me paroi doit 
favorable aux épanchemens du cœur ? & qui put 
démentir fi cruellement le mien ! J'ien fais par 
toi l'irrévocable ferment, dès aujourd'hui je re* 
nonce pour ma vie au vin comme au plus môr* 
tel poifon ; jamais cette liqueur funefte ne trou- 
blera mes fens ; jamais elle ne fouillera mes le*> 
vres, & fon délire infenfé ne me rendra plus 
coupable à mon infçu. Si j'enfreins ce voeu fo- 
lemnel ; Amour, accable mot du châtiment dont 
je ferai digne ; puifle à Tinftant l'image de ma 
Julie fortir pour jamais de mon cœur, & l'ar 
bandonner k ('indifférence & au défefpoir. 

Ne penfes pas que je veuille expier morr 
crime par une peine fi légère. C'eft une pré* 
caution & non pas un châtiment. J'attens de 
toi celui que j'ai mérité. Je l'implore pour 
foulager mes regrets. Que l'amour ofienfé fe 
venge & s'appaife ; punis^moi fans me haïr, je 
fbutn-irai fans murmure. Sois jufie & févere ; 
tl le faut, j'y confens ; mais fi tu veux me laifiec 
b vie^ ôte moi tout hormis ton cœur^ 


LETTRE 


H E L O ï s E. i6i 


LETTRE LU. 

De Julie. 

Comment, mon ami» renoncer au. vin pour 
fa maîtrefie ? Voila ce qu'on appelle uj^ fa- 
crifke ! Oh je défie qu'on trouve dans les qua-> 
ire Cantons un homme plus amoureux qi^e toi ! 
Ce n'eft pas qu'il n'y ait parmi nos jeunes geiWt 
de petits MeiSeurs francifes qui boivent de l'eau 
par air, mais tu feras le premier à qui l'amour 
en aura fait boire i c'eft un exemple a citer dans 
les faftes galants de la Suifle. Je me fuis mê- 
me informée de tes déportemens^ & j'ai appris: 
avec une extrême édification que foupaot hier 
chez M. de Vueillerans, tu laiilàs faire la ronde 
à fix bouteilles après le repas^ fans y toi^ 
cher, il ne marchandois non plus les verre» 
d'eaUy que les convives ceux de vin de la côte* 
Cependant cette pénitence dure depuis troia 
jours (}ue ma lettre eft écrite, & troi^ours font 
au moms fix repas. Or à fix repas obfervés par 
fidélité, l'on en peut ajouter fix autres par crain- 
te, & fix par honte, & fix par habitude, & fix 
par obftinatioh. Que de motifs peuvent pro- 
longer des privations pénibles dontt l'amour feul 
auroit la gloire ? Daigneroit-il fe faire honneur 
de ce qui peut n'être pas à lui ? 

Voila plus de mauvaifes plaifanteries que .tu 
ne m'as tenu de mauvais propos, il eft tem& 
d'enrayer. Tu es grave naturellement ; je me 
fuis apperçue qu'un long badinage t'cchauffe^^ 

commâ 


1^» LA NOUVELLE 

comme une longue promenade ëchauiFe un 
bcwime re^et i mft» je tire à peu près de loi ki- 
vengeance qu'I^ienri quatre tira du Duc de May- 
enne, & ta Sottvepaine veiH limiter k clémence 
du meilleur des Rois* Auffi bien je cralndrois 
qu'à force de regrets & d'excufes tu ne te ^(Tes 
à la fin un mérite d'une faute fi bien réparée, 
h je feux me hâter de l'oublier, êe peur qu* 
fi j'aicendofs itop kmgtems ce ne fut pkis géôé* 
itntté, mats mgratitude. 

A l'égard de ta réfelution ^e renoncer au vhk 
pour toujours, eHe R*a pas autant d'éclat à tnesr 
fêuK que tu pourrofs croire; les paffions vives 
ne ibngent guère à ces petits (àcrrfices, te IV 
mouf ne fe repaît point de galanterie. D'ail- 
kurs, il y a qnelqudbis plus d'addreflè que de 
cooffi^ à tirer avantage pour le momefft préiènt 
d*ix» avenir intettain, & a fe payer d'avancr 
d'une aUltnence éttrâtille à laquelle on renonce 
quand on veut. Eh mon bon atni I dans tout 
ce qui flate les fens Pabu9 eft-tl dc«)C înfi^arabler 
de Ul jouifiànce ? l'ivreiTe eft-dle néceSàtrement 
attacKée au goût du vin, & la phibfbpfaie ferott* 
elle afles vaine ou a(!es crudfe pour n'offiir d'au- 
tre moyei^ d'uier modérément des chofes qui 
plaifent, que de s'en priver tout-à-fait ? 

Si tu tiens ton engagement, tu t'ôtes un plaifir 
innocent, & rifques ta iànté en changeant de 
manière de vivre : fi tu I^enfreins, l'amour eft 
doublement oflfènfé & ton honneur même en 
fouffre. J'ufe donc en cette occafion de mes 
droits, & non feulement je te relevé d'un vœu 
itui, 'comme fait fans mon congé, mais je te 
défllends même de l'obferver au de là du terme 
que je vais te prefcrire. Mardi nous aurons ici 

U' 


H E L O î s E« t5j 

la mufique de Mitord Edouard. A la coTlatiofi 
je t'en^ermi' une coupe à demi pleine d'un neâar 
pur de bîenfaifant. Je veux qu'elle fett bue en 
ma préfence, & à mon intention, après avoir 
fait de quelques goûtes une libation expiatoire 
aux grâces. Enfuite mon pénitent reprendra 
dans fcs repas Tufage fobre du vin tempéré par 
le criftal des fontaines, & comme dit ton bon 
Plutarque, en calmant les ardeurs de Bacchus 

' par le commerce des Nimphes. * 

A propos du concert de mardi, cet étourdi 
de Regianino ne s'eft-il pas mis dans la tète 
^ue j'y pourrois dqa chanter tm air Italien £t 
fliême un duo avec lui? Il vouloit que je 
le chantaflè avec toi pour mettre enfemble iea 
deux écoliers ; mais il y a dans ce duo de cer- 
tains iifi mto dangereux à dire fous les yeux 
d'une mère quand le cœur eft de la partie ; il 
vauft mieux l e nvoy ei' cet efiai au premier con- 
cert qui fe fera chez rinféparable. J'attribue là 
facilité avec laquelle j'ai pris le goût de cette 
mufique à celui que mon frère m'avoit donné 
pour la poëfie italienne, & que j^ai ft bioi en- 
tretenu avec toi que je fens aiiement la cadence 
des vers, & qu'au dire de P.e^anino, j'en prends 
afl<^ bien l'accent. Je commenee chaque leçon 
par lire quelques oâaves du Taflè, ou quelque 
fcene du Metaflafe : enfuite il me fait dire & 
accompagner du récitatif, & je crois continuer 

' de parler ou de lire, ce qui furement ne m'arri- 

voit pas dans le récitatif françois. Après cela 

il faut foutenir en mefure des fons égaux & 

juftes ; exercice que les éclats auxquels j'étofs 

accoutumée me rendent afles difficile. Enfin 

Aouc paiibns aux airs, & il fe trouve que la 

juûeilb & la flexibilité de la voix, Texpreffion 

pathe- 


i64 LA NOUVELLE 

pathétique, les fons renforcés & tous les paflTages» 
ibnt uo effet naturel de la douceur du chant & 
de la précifion de la mefure,.de forte que ce 
qui me paroiiToit le plus difficile à apprendre, 
n*a pas même befotn d'être enfeigné. Le ca« 
raâere de la mélodie 3^ tant de rapport au ton de 
la langue, & une fi grande pureté de modulation, 
qu'il ne faut qu'écouter la baffe ic favoir par- 
ler, pour déchiffrer aifément le chant. Toutes 
les paffions y ont des expreffions aigiies & fortes; 
tout au contraire de l'accent traînant & pénible 
du chant francois, le fien, toujours doux & fa* 
cile, mais vif le touchant dit beaucoup avec peu 
d'eifbrt. Enfin, je (êns que cette mufique agite 
Tame & repofe la poitrine ; c'eft précifément 
celle qu'il faut à mon cœur & à mes poumons. 
A mardi donc, mon aimable ami, mon maître, 
mon pénitent, mon apôtre, hélas I que ne m'es 
tu point! Pourquoi faut- il qu'un feul titre man- 
que à tant de droits ? 

P. Sk Sais-tu qu'il eft queftion d'une jolie 
promenade fur l'eau, pareille à celle que 
nous fimes il y a deux ans avec la pauvre 
Chaillot ? Que mon rufé maitre étoit timide 
alors ! Qu^il trembloit en me donnant la 
main pour fortir du bateau ! Ah l'hipo- 
. crite ! . « • il a beaucoup changé. 


f 


i 

I 


LETTRE 


H E L O- ï s E. 165 

LETTRE LUI. 
De Julie. 

A Infi tout déconcerte nos projets, tout trom- 
t\^ pe notre attente, tout trahit des feux que 
le ciel eut dû couronner ! Vils jouets d'une 
aveugle fortune, triftes vidimes d'un moqueur 
efpoir, toucherons-nous fans cefle au plaifir qui 
fuit, fans jamais l'atteindre ? Cette noce trop 
vainement deiirée devoit fe faire à Clarens ; lé 
mauvais tems nous contrarie, il faut la faire à la 
ville. Nous devions nous y ménager une en* 
trevue; tous deux obfedés d'importune, nous 
ne pouvons leur échaper en même tems, & le 
moment où l'un des deux fe dérobe eft celui où 
il eft impoffible à l'autre de le joindre ! Enfin, 
un favorable inflant fe préfentè, la plus cruelle 
des mères vient nous l'arracher, & peu s'en faut 
que cet inftant oe foit. celui dç la perte de deux 
infortunés qu'il devoit rendre heureux ! Loin de 
rebuter mon courage, tant d'obftacles l'ont ir^ 
rite. Je ne fais quelle nouvelle force m'anime, 
maîr je me fens une hardieilè que je n'eus ja- 
mais; & (î tu l'ofes partager, ce foir, ce foit 
même peut acquitter mes promcffes & payer 
td'une feule fois toutes les dettes de l'amour. 

Confulte toi bien, mon ami, & vois jufqu'i 
quel point il t'eft doux de vivre; car l'expédient 
que je te propofe peut nous mener tous deux à là 
mort. Si tu la crains, n'achevé point cette lettre^ 
mai^ fi la pointe d'une épée n'efiraye pas pldl 

aujourd'hui ton cœur, que ne l'efFrayoient jadis 

les 


%6^ LA NOUVELLE 

les gouffres de Meillerîe, le mien court le même 
itfwte k n'a p»s bAlanéé. £ee«ie. 

oMf qui couche ordinairement dans îml 
chambre eft malade depuis trob jours, & quoi- 
que Je voulufTe abfolument la foigner, on ra> 
trianiporté ailleurs malgré moi: mats comme 
elle eft mieux, peut-être elle reviendra dés 
demain. Le lieu où l'on mange eft loin 4e i'e-^ 
{calier qui conduit à Tappart^nent de ma n^ere 
& au mien : à Theure du foupé toute la mâifon 
eft deferte hors la cuiflne & la fale à manger. 
£nfln la nuit dans cette (aifon eft déjà obfcure i 
la même.beure, fon voile peut dérober atfément 
dans la rue les paflans aux fpeâateurs» & tu iki» 
liarfaitement les êtres de la maifoa. 

Ceci fuffit pour me faire entendre. Vien cet 
après midi chez ma Fanchon i ie t'expliqjuerai le 
refic, & te donnerai leji inftruâions nécei&ires : 
Que fi je ne le puis je les laiftèrai par écrit à 
l'ancien entrepôt de nos lettres, où» comme je 
t'en ai prévenu tu trouveras déjà celle-ci : Car 
ie fujet en eft trop important pour l\kx confier 
i perlbnniï* 

O comme je vois à préfont palpiter ton cœm' I 
Comme j'y lis tes traniports» & comme je les 
fiartage.i Non^ mon do&u: Ami» ^on» nous ne 
citerons point cette courte vie ians avoir im 
inftant goûté le bonheur* Mais fonge» pourtant» 
que cet inftant eft environné des borxx»rs de la 
mort i que Tabord eft fujet à mille kazaid, le 
H^ur dangereux, la reti:ii4te 4'iin péril extrêoie; 
que nous Kumpes perdus fi nous iômmes déçou^ 
verts, ic qu'il faut que tout nous Ëivonfe pour 
pouvoir éviter die Y être. Ne nous abufons point i 
je Gooaois trop mon pçre pour douter que 'je ne 

te 


H E L O l s E i$7 

te viSk à rinftaot percer k <xeux 4é fa main, fi 
même il 99 commeoçoît par moi i car Sùtxtamnt 
je Ht feroi» pas pkw «pargoee» Ji crois-tv que je 
t'expofero» à ce rUi}4M fi jci n^étoi» ftre 4e le 
partager? 

PeisA eocofe v»'il s'eft p(M0t queftkm de te 
fi,er à ten courage; il n^ faut pat fenger» & j« 
u ^eo> «eiEie «lèe «Kvreâemettt d'apperter aui- 
cwm annQ pour ta 4afien(e, paa laieM ton epée: 
auffi bien te (èroit-elle parfaitoBMfH imHiie; fM 
A nous fsmmm ferprii* moin éoSéin «A de me 
l>récipiter daaa tes braa» de t'aalaear Ibrtemcnt 
dans les «HCAs» fc de recevoir aiofi le coup mor* 
tel pour n'avoir pins à me féparer de toi -, plus 
l^euceufe à ^a naort que je ae le fus die ma vie. 

J'efper^ <itt'aya bxt plus doux nous eft rcfervé ; 
je fettfau mohis, ^n'il nous eft dû, (bla fortxa» 
iô k(&ra de aoua otto ifi|ufle. Vk» desK» aone 
de moo <09ur« vie de aaa vie, vîen te léufiîr à 
toit^même» Vitm fous ka auJpices du t^jodre 
aoiouf t recevoir le pf i» de ton ohâflàace & de 
tf 8 (aej?iftcest Vûem avouer» mesie au fein des 
pUififs, que c'-oft de Tuoiofi des coeurs qu'ils 
dirent leur plus grand cbanae. 

l. E T T R E LIV. 

J*kvi^ pkin d'une émotioii ^uî s'accroît 
en entrant dans cet aztie. Julie ! me 
voici dans ton cabinet, me voici dans le &iic- 
luake de tout ce mio mon coeur adore< 

Le 


î 


168 LA NOUVELLE 

Le flambeau de Vamour guidoit mes pas, & 
j'ai pafle fans être apperçu. Lieu charmant, 
lieu fortuné, qui "jadis^ vis tant reprimer de re- 
gards tendres, tant étoufièr de foupirs bru- 
lans ; toi qui vis naître & nourrir mes premiers 
feux ; pour la féconde fois tu les venas cou- 
ronner; témoin de ma confiance immortelle^ 
fois le témoin de mon bonheur, & voile ^ ja- 
mais les plâiilrs du plus fidelle & du plus heu- 
reux des hommes* » 
Que ce mifiérieux féjoureft charmant i Tout 
flate & nourrit l'ardeur qui me dévore. O 
ulie ! il> eft plein de toi, & la flame de mes 
defirs s'y répand fur tous tes veftiges. Oui, 
tous mes fens y font enivrés k la fois. Je ne 
'fais quel parfum prefque infenfible, plus doux 
que la rofe, & plus léger que Tiris s'exhale ici 
de toutes parts. J'y crois entendre le foh flateur 
de ta voix. Toutes les parties de ton habille- 
ment éparfes préfentent k mo» ardente imagi- 
nation celles de toi-même qu'elles recellent. 
Cette coeiFure légère que parent de grands che- 
veuic blonds qu'elle feint de couvrir : Cet heu- 
reux fichu contre lequel une fois au moins je 
n'aurai point à murmurer ; ce deshabillé élégant 
& fimple4]ui marque fi bien le goût de celle qtit 
le porte; ces mules fi mignonnes ou'un pied 
fouple remplit fans peine ;• cecorps H délié qui 
touche & embraiTe^. . . • quelle taille enchan- 
terefle au devant deux légers contours • . . . ô 
fpeâacle de volupté .... la baleine a cedéii la 
force de l'impreffibn .... empreintes déiiciëufci» 
que je Vous baife mille fois! • • . • • Dieux J 
Ôieux,! que fera-ce. quand • • • . Ah, je crois 
d^a fentir ce tendre co^r battfie fous. une- heu t* 
' i rcufe 


H X ,L O ï S E. 169 

tccufe main! Julie! ma cbannauite Julie! je (e 
-vioySf je. te fens par ^out, je %e refpire avec Pair 
que tu 4IS refpire;. tu pénètres toute ma fub- 
tta^ce.; ^que ton Séjour eft.brMlaiit & doulouneux 
.pour moi ! Il eft terriUeÀi mon ûopatience. O 
^wea, vqIç, ou je ftib perdu. 

%QuelJ}pabeuar<l'Avoir tfouvé «ferefieffej&tki 
;papier! J'-eicprime ce que je iens.pour'en tem- 
.pérer rexcè^ je ibnoe lie ehaoge à mes tuuif- 
!port8< en,k» 4éer ivaiit. 

. Il me iismUe entejidfie du bruit. Serott*ce 
iCon barbare;pere ? Jenecroispasietre lâche . • • 
jaiaisqu'«n oempmeot la nof t me ièroitiior- 
4&ble i M<»n defeipotr feroit égal a l'ardejur qui 
<me€oaiî(UBe. . Ciel ! Je te demande; encore une 
heuie de vie, & i'abandonae le reâe de mon êtee 
.ira rigueur. Ô defirs^i ô crainte! ô palpita- 
tions' cruelles 1 . . «.on ouvre ! • ». on entre ! • • • 
c'ift-^le! je r-entrcvoi^ je l'ai viic, j'entcns 
jBefermer la porte. IVton cœur, mon foible 
cceur, tu fuccombcs à tant d'agitations. Ah 
xbercbe des forces pour Supporter la féUcité qui 
t'accable ! 


. «■MapavHHHipvpw 


L E T T R E LV. 

>f Julie. 

O* Mourons, ma douce Amie! mourons, la 
bien aimée de mon cœur ! Que faire dé- 
formais- d'une, jcuneflTe infipide dont nous avons 
^uifé toutes Jcs délices ? Explique-moi, fi.tule 
peux, ce. que j'ai fcnti dafis cette nuit inconceva- 
T9m /. I ble ; 


170 LA NOUVELLE 

ble; donne- moi l'idée d'une vie ainfi paflee, oa 
iTLiSè m'en quitter une qui n'a plus rien de ce 
que je viens d'éprouver avec toi. J'avois goûté 
le plaifir, & croyoit concevoir le bonheur. Ah^ 
Je n'avob fenti qu'un vain fonse & n'imagittoi» 
que le bonheur d'un enfant ! Mes fens abufbient 
mon ame groffiere ; je ne cherchots qu'^n eux le 
bien fuprême, & j^aî trouvé que. leurs plaiArê 
épuifés n'étoient que le commencement des 
miens. O chef-d'œuvre unique de la nature! 
' Divine Julie ! pbilèffion délicieufe à laquelle tous 
les tranfports du plus ardent amour fuffifent k 
peine I Non, ce ne font point ces tranfports 
que je regrette le plus : ah non $ retire, s'il le 
faut, ces faveurs enivrantes pour lefquelles je 
donnerois mille vies ; mais rend-moi tout ce qui 
n'étoit point elles. Se les 'efFaçôit mille fois. 
.Rend-moi cette étroite union des âmes, que tu 
m'avois annoncée ic que tu m'as il bien fait 
goûter. Rend-moi cet abatement il doux rem- 
pli par les eiFuflons de nos coeurs ; rend-mcH ce 
îbmmeil enchanteur trouvé fur ton fein; rend- 
moi ce réveil plus délicieux encore, &.fes foupîrs 
entrecoupes, & ces douceç larmes, & ces baifers 
qu'une voluptueufe langueur nous faifoit lente- 
ment favourer, & ces gemiflèmens fi tendres, 
durant lefquels tu preiTois fur ton cœur ce cœur 
fait pour s'unir à lui. 

Di-moi, Julie, toi qui d'après ta propre fen- 
fibilité fais fi bien juger de celle d'autrui, crois- 
tu que ce que je fentois auparavant fut véritable- 
ment de l'amour? Mes fentimens, n'en doute 
pas, ont depuis hier changé de nature; ils ont 
jpris Je ne fais quoi de moins impétueux, mais 
de plus doux, de plusi tendre & de plus char- 
mant. 


H E L O I s E. 171 

maat. Te fouvîent-îl de cette heure entière que 
BOUS paflaQies à parler paifiblement de notre 
amour & de cet avenir obicur & redoutable, par 
qui le préfent nous étoit encore plus fenfible ; 
de cette heure» hélas, trop courte dont une lé- 
gère empreinte de triftefle rendit les entretiens ii 
touchaos ? J'étois tranquille, & pourtant j'étois 
près de toi; je t'adorois & ne defirois rien* Je 
n'imaginois pas même une autre felické, que de 
ientir ainii ton vifage auprès du mien, ta re- 
fptration fur ma joue» & ton bras autour.de 
mon cou. Quel calme dans tous mes fens! 
Quelle volupté pure, continiie, univerfelle I Le 
charme de la joiiiiTance écoit dans Tame ; il n'en 
fortoit plus ; il duroit toujours» Quelle difFé* 
rence des fureurs de l'amour à une fituation û. 
paifible ! Ç'eft la première fois de mes jours que 
je Tai éprouvée auprès de toi ; & cependant^ 
juge du changement étrange que j'éprouve; c'eft 
de toutes heures de. ma vie, celle qui m'eft la 
•plus chère, & la feule q\xe j'aurois voulu prp- 
îonger éternellement (â). Julie, di-moi donc 
il je ne t'aimois point auparavant, ou li main* 
tenant je ne t'aime plus i 

Si je ne t'aime plus ? Quel doute ! ai-je donc 
çefle d'exifter, & ma yie n'eft-elle pas plus dans 
•ton cœur qûed[an$ le niien? Je fens, je fens que 
tu m'es mille fois plus chère que jamais, & j*ai 
trouvé dfu|s mon abatement de nouvelles forces 
pour te chéfir plus tendrement encore. J'ai pris. 
pour toi àçs fentin^ns plus paifibles, il eft vrai, 

(a) Femme trop.. fa^cllc,*Teulcz- vous Tavoir fi yobs ctes 
lîtnée ? examinez vôtre amant fortant de vos bras. O amour! 
'61 je regi«tte Vâgetid Pod te goate, cen'eft pas foni Tiiture 
4e U jottsâiiiice ; c^dt.sÀuF Thcinrc qui la fuie 

î Z mais 


172 LA N OU VIELLE 

ktiaîs plus àffeâueuX'& de phis de dilFéi!eifte8 
efpeces', (ans sVfFoibtir ils fe fcmt muUipHés; 
les douceurs de Tamitie tempérant les emporfe- 
fnens de Tsmour, ti j'iïmgHfe à feûie qvtelque 
forte d'sîttacbetnent qui Rem^umllb pas à toi. 
O Ma chamiante maitréflè, ô mon épeufe, > m^ 
fceor, ma^&uOe^mie ! que j'aonii «peU^U-pour 
te que je fè^s, après ^voirépuMe totts^lds^noiûift 
les f his cfhefs ^u Cêtivir et Thonïme I 

11 fatut'^e ^ t'avMe on 4bùpçon, ^\xe /ai 
cbnçu dans la bôhte'& rhumîliatk>n ^^enioi- 
même; c'eft qtie tu faisaâeux sàrher ^i^Ai^, 
Oui, ma JtÀie, c*eft 'bien toi qui fois ma vie & 
mon être; je t'adore bien<]e toutes^ les faculté 
demoname; mais la tiéiine eft plus aimame, 
l'amour T-a phis prdfondertient pénétrée; on te 
Voit, on le fent; c*eft lui tjfai anime tes -grâces, 
qui fegne dans tes ^difcours, qui-^écmAe ^ tes 
yeux cette douceur pénétrante, à «a Voix €<9 
atcensTrtoucbahss ^^ lut, ^ui par ta feule 
prëfence cfominunique aux autres eœurs fens 
qu'ils s'en apperçiii vent la tendre émetion ^u 
tien. Qee je ftrs loin <dè cet létat chaAâflnt ^qui 
fe fuffit a lui-même 1 je Veux ^otiir, & tu vett 
îâitrter; j^i tics trarifports & toi*^ ' la • paffion ; 
ixms ines cmporténiéns Ae Vatènt^ pa9 ta déli^ 
triéufe langueur, & le fetitffM^Jit^k^ht «(JtKéeur 
lé 'nôtirrit eft la feule félkfté fiiprêiHë. Qt ft'ëk 
"^e d'hier feulement qve j Vt '^i^ eme Volupté 
fi pure. Tu m''as laifle quek]ye'diofe''de' te 
chatme îftconcevable qui -eft^ en foi, 4c 'je bfais 
qu'avec ta douce haleine tu m'infpirbis une ame 
nouvelle. Hâte- toi, je t'en coftjàtc, a*achever 
ton ouvrage. lPrend.de la xz^içnaè/ tout ce qui 
m'en refte & -mets tout à-faitla^tMNine.à 4a 

place. 


H E L O ï s E. 173 

pkce. Non, beauté d^angfi» ame célefte; il 
n'y a que à^ f^ncimens. comme les tiens qui 
puifltot. honorer tes attraits. Toi feule es digne 
d^mtjpittft ua parfaic anio^r, toi feule; es propr^ à 
le fenttf» Ah d^oe^moi ton cœur, ma Julie, 
pour t^aimer con^me tu le mérites f 


?*Hm^ff*Trr'^TT"'^?*T 


LETTRE LVI. 

D$ Claire à Julie. 

J'AI, ma* chérie Coufine) à te donner un avis 
qui t^importe. Hier au foîr ton ami eut 
a\w: Milord Edouard un démdé qui peut de^ 
tcxàt féimax. Voici caque ni:'en> a dict M> d{Or- 
be qui. éocpît préfent^ & qui^ inquiet (ks fiajt^ 
de cette» affatiie^ eA ncnu ce OBOtin m'en^ ni^ndre 
oompteè 

Bs avoient toua deux fo|ipé ohea Milordi & 
apuès. une* heure ou deujx de mu^^uet Usife miDeot 
à'Cauièr & boiMi du punch. Ton> ami. nfea but 
qvfun feul verneinelé dfeau ; Isa doux auMs no 
Âirent pas fl fobres, & quoique M* d'Orbe ne 
eonvienne pa^ de s'être eoivrë) jp me ceferve à 
bit en dire mon ayi& «dans un autre tcmsu La 
eonirer&tîoi» ton^ba naturellement fur ton comp* 
te s car tu n'ignores pas que Milori n'aime à 
parler que de toi. Ton ami, à qui ces conii*» 
dences déplaifent, les reçut avec fi peu d'amé* 
nite, qu'enfin Edouard échauffé de punch: & 
piqué de cette fécherefib) ofa dire en fe plaignant 
de ta froideur, qu'elle n'étoit pas fi générale 
qu'on pourroit croire & que tel qui n'en difoit 

I 3 mot 


174 LA NOUVELLE 

mot n'étoic pas fi mal traité que lui/ A Vin* 
ûznt ton ami dont tu connois la vivacité relev'a 
ce difcours avec un emportement • iftfultant qui 
lui attira un démenti, & ils fautèrent à leurs 
épees. Bomfton à demi rvre fe donna en CDu* 
rant une entorfe qui le força de s'afTeoir; ^a 
jambe enHa fur le champ, & cela calma la que-- 
relie mieux que tous les foins que M. d'Orbe 
s'étoit donnés. Mais comme il étoit attentif à 
ce* qui fe paflbit, il vit ton ami s'approcher, en 
fortant, de l'oreille de Milord Edouard, & il 
entendit qu'il lui ^ifoit à demi-voix ; Jitot que 
vous ferez en état de far tir y faites thoi donner de 
vos nouvellesy ou j* aurai foin de ni en informer^ 
N'€n prenez pas ia peine, lui dit Edouard avec 
un fouris moqueur, vous en faurez ajjts'tit. 
Nous verrons, reprit froidement ton ami, & ii 
fortit. M. d'Orbe en te remettant cette \Mxe 
t'expliquera le tout plus en détail. C'eft à ta 
prudence à te fuggérer des moyens d'étou£Fe& 
cette facheufe affaire, bu à me prefcrire de mon 
côté ce que je dois faire pour y contribuer. En 
attendant le porteur eft à tes ordres ; il fera tout 
ce que tu lui commanderas, & tu peux compter 
fur le fecret. 

Tu te perds,' ma chère, il faut que mon ami- 
tié te le dife. L'engageiîient .où tu vis ne peut 
refter longtems caché dans une petite ville com- 
me celle'-ci, & c'eft un miracle de bonheur ()ue 
depiiis plus de deux ans qu'il a commencé tu 
ne fols pas encore le fujet des <lifcours publics» 
Tu le vas devenir fi tu n'y prends garde } tu le 
ferois déjà, fi tu étois moins aimée ; mais il y 
a une répugnance fi générale à mal parler de toi, 
que c'eft un mauvais moyen de fe faire fête, 

& 


H E L O I s E. lys 

& un très fur de fe faire haïr. Cependant tout 
a fan ternie; je tremble que celui du miftere 
ne foit venu pour ton amour, & il y a grande 
apparence que les foupçons de Milord Edouard 
.lui viennent de quelques mauvais propos qu'il 
peut avoir entendus. Songes y bien, ma chère 
enfant. Le Guet dit il y a quelque tems avoir 
vu fortir de chez toi ton ami a cinq heures du 
matin. Heureufement celui-ci fut des premiers 
ce difcours, il courut chez cet homme & trouva 
le fecrec de le faire taire ^ mais qu'eft-ce qu'un 
pareil filence, fi non le moyen d'accréditer àts 
bruits fourdement répandus ? La défiance de 
ta mère augmente auifi de jour en jour; tu fais 
combien de fois elle te l'a fait entendre. Iille 
m'en a parlé à mon tour d'une manière afles 
<lure, & fi elle ne craignoit^ la violence de ton 
père, il ne faut pas douter qu'elle ne lui en eut 
déjà parlé à lui-même ; mais elle Tofe d'autant 
moins qu'il lui donnera toujours le principal 
tort d'une £onnoiflance qui te vient d'elle. 

. Je ne puis tfop te le répéter ; fonge à toi 
tandis qu'il en eft tems encore. Ecarte ton 
ami avant qu'on en parle ; prévien des foup- 
çons naifTans que fon abfence fera fûrement 
tomber : car enfin que peut- on croire qu'il 
fait ici ? Peut-être dans fix femaines dans un 
mois fera-t-il trop tard. Si le moindre mot ve- 
noit aux oreilles de ton père,, tremble de ce 
qoi refulteroit de l'indignation d'un vieux mi* 
litaire entêté de l'honneur de fa xnaifon, & 
de la pétulance d'un jeune homme emporté qui 
ne fait rien endurer : Mais il faut commencer 
par vuider de manière ou d^iutre l'affaire de 
Milord Edouard; car tu ne ferois qu'irriter 

I 4 ton 


J76 LA NOirVELLE: 

ton ami, & t^attlrer un jufté reftis,- fi ^eu^lui par- 
lois d'éloignement avant qu'elle fat terminée. 


mu 


L E T T E R LVH'. 

t 

IDe Julie. 

MO-hFamîi je* me fuis iiïftruite avec foîn- 
dèrce qui's'eft pafle entre voitô & Mi- 
lord Edbuard. Ccft* fitr VetxSie eonnoiilance 
des faits que vcrtre' aittir veut eipaminer avec 
vt)us cbmment vous: deveî? vou»^ conduire eit 
cette octâfion' d'agrè* les- fcnttmetis- que* vous- 
profeflcz, 5r dont'je' fuppofe que vou9 Ac'fsiift» 
pleut- une vaine & ftfuflê paradci 

Je nt m'informe poinf fi vous êtes verfii ddiw 
Kart de Pefcrime, ni fi vous vous fentei& en élae 
de tenir tête à" un homme i)ui a dan» rEumype- 
là réputations de' àianierr fiïpérieurement fe9 «r^^ 
mes, & qui s'étant batcu cinq- ouf &» IdIb •eii'fa 
vie a tbujpurs tué, Wèfflï, ou defarmé Tow bcm- 
me. Je cbmprens que dans* le cas- e« vous* êtes^ 
on ne confalte pas* fbn^ hri^etëmaîs fon> cou^^ 
rage, & que la- Bonne mafflfiere ëefe veligei* éf\xK 
brave qui vous infuite eft de faire qu'il vdu» 
ttie. Pàfibns fiir une manme ft judkieufri 
\^ûs rtie direz' que vot^e honneur » hf mkw 
vous font plus chers cpre la' vie. Voite donEc: 
lé t)rincipe fur lequel" il ftiut r^tfenner. 

Commençons par ce qui vous regarde. Four- 
riez-vous jamais médire en* quoi vo^s êttes^ per- 
fonnellement oflfenfç dians un- dîfcowrs où c'efi? 
de moi feule qu'il s'agiflbit ? Si vou» d«vît« «m 

cette 


V 


H E L O î s E, 177 

cette Qccailon prcodre fait & caufe pour napi, 
c'eft ce qup^ npus VQrxo^p tout à l'heure : en at- 
tendant, vQiA» ne r^^rîes^ difconvenir que la 
querelle fi^e (oit pariaitement étr^i^ere à votre 
honneur p^irticulier) à moins que vous ne pre- 
niez pour un afFront lefoupçoo d*ètre aîmé.de 
ipoi. VoM$, avez été iafulté» je Tayoue.; nuiis 
après, ayoûr convn^ncé vous-même par unp in- 
fuite a,trqçea ^ gaoi à^t la Camille fft pleine de 
i^iUtaires» ^ qui%i liai^ ^\ débattre çe$ horri- 
bles qu^èio.ftSj, jl^ f\''i&9f>re pas qu'un • outrage 
en rep^nfe ik un 9uti^ ne V^ffaçe ppint, ^ que le 
premier c^'o/x infulte dem^uj^e le fk^l of&o(é : 
c*f ft Je i^èvm casi d'un Cdi^bat in^jkrévib oy 
Taggrefleur eft le {pw\ ^ripiinjel, ii où cehM qHÎ 
tue Qu t)le0è en fp 4eijçndant n'eft poinli cou- 
patble de qftf^urtrc. 

VeiHM^s niaintenarit k rnici^ accordons que* 
j'4tok outragée pat k difcoura de Milord.£- 
douard.^ q^oiqu'il i^e fit que me readr^e ].Mftice. 
Savez-yous ce que vous faites en me défendant 
avec tant de chaleur i^ d*indifcretion i Vous 
^gravez fon ciutr^ge ; vous prouvez qu!il 9voit 
raiipn ; vqus (%çniieti mcvn honneur k un f^^K 
pqint-'d'tkofu^euf i vo^$ diflîune?^ votre maitrefTe 
poi^r g?tgfier tout au ptius la réputation d*uii ]>on. 
fpadAftn* Moptrez-^mpi, de grâce, quel rapport 
ii y a «ntre votre manière de me jufliiîer & ma 
juftification r^Ue? Penfez-voua que prendre 
mi& C4u(ê avec tant d'ardeur fqit une grande 
prwYcr qu'il n'y a point de liaifon entre nou?, 
^ qu'U fikffife de faire voir que vous êtes brave, 
pour montrer que vous n'êtes pas mon am«int ?. 
$Qyez fur. que tous les propos de Milord £^ 
douard me font moins de tort que votre icon^ 

1-5. duite; 


178 LA NOUVELLE 

duite; c'eft vous feul qui vous chargez par 
cet éclat de les publier & de les confirmer. Il 
pourra bien^ quant à lui» éviter votre épée dans 
Je combat ; mais jamais ma réputation ni mes 
jourS) peut-être, n'éviteront le coup mortel que 
vous leur portez. 

Voila des raiibns trop folides pour que vous 
ayez rien qui le puiflTe être à y répliquer ; maïs 
vous combattrez, je le prévois, la raifon par 
Tufage ; vous me cliÀz qu'il cft des fatalités qui 
nous entraînent malgré nous$ que dans quelque 
cas que ce foit, un démenti ne fe fouffre jamais ; 
& que quand une afFaife a pris un certain tour, 
on ne peut^plus éviter de fe battre ou de fe 
deshonorer. Voyons encore. 

Vous (buvient-il d'un^ diftinâioa que vous 
me fîtes autrefois dans une occaiion importante,, 
entre l'honneur réel 6c l'honneur apparent? 
Dans laquelle des deux clafiès mettronS'^nous 
celui dont. il s'agit aujourd'hui ? Pour moi, je 
ne vois pas comment cela peut même faire une 
queftion. Qu'y a*t-il de commun entre la 
gjioire d'égorger un hoinme & le ténuMgnage 
d'une ame droite, & quelle prife peut avoir la 
vaine opinion d'autrui fur l'honneur véritable, 
dont toutes les racines font au fond du cœur? 
Quoi ! les vertus qu'on a réellement perifient- 
elles fous les menfonges d'un calomniateur f les 
injures d'un homme iyre prouvent-elles qu'on 
les mérite, & l'honneur du fage feroit-ii à la 
merci du premio: brutal qu'il peut rencontrer l 
Me direz-vous qu'un duel témoigne qu^o;i a du 
cœur, & que cela fuffit pour effiicer la honte ou 
le reproche dé tous les autres vices? Je vous 
demanderai qgel honneur peut diâer une pa- 
reille 


H E L O î s E. 179 

reille décillon, ic quelle raifon peut la juflifîer? 
A ce compte un fripon n'a qu*à fe baKrc pour 
cefler d'être un fripon j les difcours d'un men- 
teur deviennent des vérités, fitôt qu'ils font fou- 
tenus à la pointe de l'épée, ic fi l'on vous ac- 
cufoit d'avoir tué un homme, vous en iriez 
tuer un fécond pour prouver que cela n'eft pas 
vrai ? Ainfi vertu, vice, honneur, in&mie, 
vérité, menfonge,. tout peut tirer fon être de 
l'événement d'un combat ; une faite d'armes c(t 
le fiege de toute juftice ; tl n'y a d'autre droit 
que la force, d'autre raifon que le meurtre ; 
toute la réparation due à ceux qu'on outrage 
eft de les tuer, & toute ofFenfe eft également 
bien lavée dans le fang da l'ofFenfeur ou de 
l'ofFenfé ? Dites, fi les loups favoient raifonner 
auroient-ils d'autres maximes ? J^igez vous-> 
même par le cas où vous êtes fi j'exagère leur 
abfurdité« Dequoi s'agit-il ici pour vous? D'un 
démenti reçu dans une occafion où vous men- 
tiez en effet. Pen fez- vous' donc tuer la vérité 
avec celui que vous voulez punir de l'avoir 
dite? Songez- vous qu'en vous foumettant au 
fbrt d'un duel, vous appeliez le Ciel en té- 
moignage d'une fauflèté, & que vous ofez dire à 
Tarbitredes comb^M^s; vien foutenir la caufe in- 
juf^e, & faire triompher le men/bnge ? Ce blaf- 
phême n'a*t-îl rien qui vous épouvante? Cette 
abfurdité n'a-t-elle rien qui vous révolte? Eh 
Dieu! quel eft ce miférable honneur qui ne 
craint pas le vice mais le reproche, & qui ne* 
vous permet pas d'endurer d'un autre un démenti 
reçu, d'avance de vçtre propre cœur ? 

Vous qui voulez qu'on profite pour foi de fes 
levures, profitez donc des vôtres, & cherchez 

16 fi 


r8ô LA NOUVELLE 

fi l'on vit un féal appel fur la tefre quand elle 
étolt couverte de Héros? Les plus vaHIans honr- 
mes de l'antiquité rongerfcnt-ifs jamais à venger 
leurs injures perfonnelles par des combats par- 
ticuliers ? Céfar envoyâf-if un Cartel k Caton, 
ou Pompée à Ccfer, pour tant d^aflEronts récipro- 

aues, & Te plus grand capitaîîie de fa Qrèce fat^ 
déshonore pour s'être laiffê menacer du bâ- 
ton r D'autres tems, d'autres mœurs; jè le 
fais } mais n'y en a-t-il que de bomiês> & n'ofe- 
roit-on s'enouértr fi les moâurs d^un tems font 
celles qu'exige le folide honneur î Non, cet 
honneur a'eft point variabr^, il ne dépend ni 
des tems ni d'es lieux' ni'des-préjugés, il ne peut 
ni pafi^r ni renaître, il a fa fource étemefle dans 
].e cœur de l'homme jùfte St daiis la tegle inal- 
térable de Tes devoirs. Si les Peuples lés ptaar 
éclairés, les plus braves, les plus Vertueux jfe laf 
terre n'ont point connu le duef, je dis qu'il n'eft 
pas une inftitution de Ilionneur mais une mode 
aflTreufe & barbare digne de fa ferocé origine. 
l^ctic à favoir fi, quand il s'agit de fa vie ou de 
celle d'autrui, l'honnête homme ft règle fur h 
mode, & s^il n'y a pas alors plus de vrai courage 
à la braver qu'à fa fuivre ? Que feroit à votre avis, 
celui qui s'y veut aflervir, dans' des lieux où règne 
un ufage contraire ? A Meffine ou à Naples, il 
i^^oit attendre fon homme au coin d'une rue & le 
poignarder par derrière. CelaVapiSelle être brave 
' en ce pays-là, & l'honneur n*y confifte pa3 à fe 
faire tuer par fon ennemi, mais à le tuer lui- 
même. 

Gardez-vous donc de confondre le nom facré 
de l'honneur avec ce préjugé féroce qui met 
toutes les vertus à la pointe d'une épée, & n'eft 

propre 


H E L O 1 s K i8i 

propre qu'à feire de faravvs fcclérats. Qjie cette 
méthode pttiilè fournir fi l'on veut tm fupplc-t 
ment à la probité, par tout ouJa,probké cegne 
fbn (upplément n'e^il pas inutilcy & qiie, pci»- 
fer de ctlui qui s'expofe à la mort pour s'cx* 
empter d*dtre hofincte homme ? Ne vayez^voum 
psts^ que les crimes que la honte & Thonneiir 
A'oKt point empêches, font couverts .& multt* 
plies par. la f^uSè honte & la crainte du hlams^ 
C'efi elle qui rend Thomme hipocrite & incii*« 
teur ; c'eft elfe qui lui £iit verfi» lis {^ng d'un 
ami pour un mot iadifciet qu'il dcvroit oublier» ^ 
pour un reproche mérité qu'il ne peut feaffiâr» 
C'eft elle qui tiantforme en fiiiie infernale une 
ah abuiée & craintive. C'eft elle, ô. Dm 
pui fiant! qui p€ut armer la main n»lcnteUe 
contre le tendre fruit . . ^ • . }e fcats défaillir mon 
ame k cette idée horrible, & je rends grâce au 
moins à celui qui fonde les cœur» d'avoir éloigne 
du mien cet honneur affreux qui n'infptre qtto 
des forfaits & fait frémir la nature. 

Rentrez donc en vous- même conCderea s'il 
vous eft permta d'attaquer de propos d^bbéré 1» 
vie d'un homme & d'expofêr la votre pour fk- 
ttsfaireune barbare & dangereofie fantaifiequî 
D'à nul fondement raifonnable^ & fi le trtfte 
fou venir du fang verfé dans une pareille occa- 
fion peut cefler de crier- vengeance au fond du 
cœur de celui qui l'a fait couler? Cônnoiflez- 
vous aucun crime égal à l'homicide volontaire, 
k fi la bafé de toutes les vertiis eft l'humanfté,' 
que penferons-nous de l'hoouBe fanguinaire &* 
dépravé qui l'ofe attaquer dans 1» vie de ion 
iêmblable î fouvenez-vous de ce que vous m'a-* 
fez dit vou« mêoie conue le fervice étranger, 

avez 


i82 LA NOUVELLE 

aveZ'Vous oublié que le citoyen doit fa vie à là 
patrie Se n*a pas le droit d'en difpofer fans le 
congé des loix, à plus forte r^fon contre leur 
deffenfe ? O mon ami ! il vous aktnçz fincére* 
ment la vertu, apprenez à la fervir à fa mode, & 
non à la mode des hommes. Je veux qu*il 
en puifTe refulter quelque inconvénient: Ce mot 
d« vertu n'eft-il donc pour vous, qu'un vain 
nom, & ne ferez-vous vertueux que quand il 
n'^n coûtera rien de Têtre ?. 

Mais quels font au fond ces inconvéniens ? 
I^es murmures des geiis oififs^ des méchans» 
qui cherchent à s'amufer des malheurs d'auUui 
Se voudtoienl avoir toujours quelque hiftoire 
nouvelle à raconter. Voila vraiment un grand 
motif pour s'entre-égoreer ! il le philofophe & 
le fage fe règlent dans Tes plus grandes afFaires 
dé la vie fur les difcours infenfés de la multitude, 
que fert tout cet appareil d'études, pour n'être 
au fond qu'un homme vulgaire? Vous n'olcz 
donc/acriiier le reiTentiment au devoir, à l'eftime, 
à l'amitié, de peur qu'on ne vous accu/è de 
craindre la mort ? Pefez les chofes, mon bon 
ami, & vous trouverez bien plus de lâcheté dans 
la crainte de ce reproche, que dans celle de la 
mort même. Le fanfaron le' poltron veut à 
toute force paflèr pour brave ; 

Ala ver ace valor^ hen che negletto^ 

E" di fe Jieffi a fe freggio affai chiaro. 

Celui qui feint d'envifager la mort fans efFroi« 
ment. . Tout homme craint de mourir \ c'eft la 
grande loi des êtres fenfibles, fans laquelle 
toute efpece mortelle feroit bientôt détruite. 
Cette crainte eft un fimplc mouvement de la 

nature^ 


H E L O ï s E. igj 

nature, «on feulement îndîfFércnt mais bon en 
lui-même & conforme à Tordre. Tout ce qui 
la rend honteufe fc blâmable, c'eft qu'elle peut 
nous empêcher de bien faire & de remplir nos 
devoirs. Si la lâcheté n'étoit jamais un obftacle 
à la vertu, elle cefleroit d'être un vice. Qui- 
conque eft plus attaché à fa vie qu'à fon devoir 
ne fauroit être folidement vertueux, j'en con-' 
riens. Mais expliquez- moi, vous qui vous pi- 
quez de raiibn, quelle efpece de mérite on peut 
trouver à braver la mort pour commettre un 
crime? , 

Quand il feroit vrai qu'on fe fait méprifer en 
refufant de fe battre, quel mépris eft le plus à 
craindre, celui des autres en fai/knt bien, ou le 
fien propre en faifant mal ? Croyez-moi, celui 
qui s'eftime véritablement lui-même eft peu 
feiîfiblé à l'înjufte mépris d'autruî, & ne craint 
que d'en être digne: car le bon k l'honnête ne 
dépendent point du jugement des hommes, mais 
de la nature des chofes, & quand toute la terre 
approuveroit l'aâion que vous allez faire, elle 
n'en feroit pas moins hoirteufe. Maïs il eft 
faux qu'à s'en abftenir par vertu l'on (e fafle 
méprifer. L'homme droit dont toute la vie eft 
lâns tache & qui ne donna jamais aucun figne 
de lâcheté, refufera de fouiller fa main d'un ho- 
micide & n'en fera que plus honoré. Toujours 
prêt à fervîr la patrie, à protéger le foible, à 
remplir les devoirs les plus dangereux, & à dé« 
fendre, en toute rencontre jufte & honnête ce 
qui lui eft cher au prix de fon fang, il met dans 
^s démarches cette inébranlable fermeté qu'on 
n'a point fans le vrai courage. Dans la fécurité 
de fa confcience, il marche la tête levée, il ne 

fuit 


1&4. LA NOUVELLE 

fuît ni ne cherche foQ en9fim% , Oi> ^it aifé*- 
ment qu'il craint moins de mourir que de m^l 
UdrÇf & qv^'il redoiite le crime & non le péril. 
Si les vils préjugés s'élèvent vk^ ij^^ant contre: 
Ln, tous les jp^mts de ibn,honot%ble vîe font sau- 
tant de témotns qui les récufent, & d%n^ une. 
Conduite fi bien liée on j^ige d'une aâion fui' 
toutes les auues. 

Mais faveTi-vous ce qui rend c^tte modérçb- 
tion fi pénibk a un homme Qfdiçâiçe ? C'eft 1^, 
difficulté de 1^ foiU^emi 4igfîemei>t. Ç'^0: là; 
neceffite de ne commettre enfuite aucune ac- 
tion blaoctble : Car & la ciF^inte de i|ial iais^ ne 
le retient pas d^ixs qc;, deriûer cas, pourquoi: 
rauroit-,el)e retenu dan^i l'autre qu l'pi^ peut 
{fippofer un motif pki3 naturel l Qn yç^ bien, 
sdors qti^ ce refus ne vie^t pa» de vertu n^ais .d^ 
lacKeté, & Ton (a moque avec r^f^n d'ui^ 
iccupule qui ne viemt qu^ dans le péril. N'avez- 
vous point remarqué que les hommes fi om- 
brageux & fi prompts à provoquer les autres 
font, pour la plupart^ de très malhofinétes gens 
qui, de peur qu'on; n'oie leur montrer ouverte- 
ment le mépris qu'ont pour eu^,. s'efforcent de- 
couvrir de quelques affaires d'honneur Vinfamijei 
de leur vie entière? Ëft-sco à vous d'imiter de 
tels hommes ? Mettons ençoi:e à psM't lesi mili* 
paires 4e profeffion qui ve^dei^t leur fang à prix 
d'argent $ qui, voulant conferver leur place, 
calculent par leur intérêt ce qu'ils doivept à leur 
honneur,, & favent à un écu près ce que vaut 
leur vie. . Mon ami, laj/Te^ battre (ous ces gens 
là. Rien n'eft moins honorable que cet hon- * 
neur dont ils font fi grand bruit ; te n'eft qu'une 
mode infenféc, une fduiTe imitation de vertu qui 

fe 


HT E IL ai S E. 1^ 

iè pare d(9#^ plus* grandsGfiaica* L'honneur d'un « 
homme comme .vou«n'eft point au p^uvok d'un- 
autre^ il oft en lui-même & non dans Popinion 
du peuple;, il no- fe défend nip» Tépée ni par 
le bouclier^, msais par une vîe inte^e & irxé- 
pmchaUje,. & ee combat vaut, bien L'autre en 
fait de ceuragp. 

. C'éfl par ces p^noipes que vou& dev^z. con- 
cilier les éloges> q^ j'ai* donnés dans tous. le». 
tfo^s à la véritable valeur a^^ec le mé(^jB que. 
j*jeus toujours: pour les faux braves. . j'aime le» 
gfUM de eœur- & ne jpuis jCbuiFrir les taches.; je 
roBiproîs: avec un amanft poltron que la crainte 
fei^k fuir le dangjer,, & je penfe a>mmè toutes^ 
les femmes que là fei^^ du^ coursigp aoime celui 
4e l'amour. Meis^ Je veux*, que la. v^sur fe ' 
mondre-dan» lea occsMon» lég^iœes^t & qu'oa ne 
ft hâte- paa d'eni faire, h^^ de propo&r une. vaine- 
parade»» comme fi.reo: avoit p6un de ne la. pat^ 
ratrottver aut befoin^ , Tel- âût un effort. & fa 
priéfente une' fiais^ peuc zmir droit dr fc «aehe» 
le fefte'dei& vie*. Le vrai.cowa^ a plua.dc<c<»nr- 
tk^nc^ ta laeia»- d^e»sprefièment i, il eft Oaujoura 
c& qu'il doit êtse», il ne faut ne l'exciter ai le* 
retenir: Ifhomine^ bien le- poite.par> toutavec 
Ivi'^ attcoeabat contttt. l'ensemi^ danasua eerfp*- 
cle ea &veiir desabftna'& de la. vérité v au» foa 
lit cefntre Ua attaqMesrde la douleur & de lameK*. 
La fonce de l'ame qui l'inipire. efli d'ufage dana 
teua les ten»;. elle met toujours la vertu, aui 
diiflaS) dea évenenaen^y. & ne ^onfifte paa à fa 
battrC) mais à ne rien craindre. Telle eft» maa:> 
amiV la ibrter de eousage que j'ai (ouvenT. louée, 

fil que- j'aime à trouver eocvoua^ Touitle reftor 

ik'eà qu'étoucdesîe».e2a£avaganBej^. férocité;, c^eft. 

une 


i86 LA NOUVELLE 

ufie lâcheté de s'y foumettfe, & je ne méprife 
pas fnoins celui qui cherche un péril inutile» 
que celui qui fuit un péril qu'il doit aflTrontef. 

Je vous ai fait vbir, fi je ne me trompe, que 
dans votre démêlé avec milord Edouard votre 
honneur n'eft point intcreffé; que vous com- 
promettez le mien en recourant à la voye des 
armes ; que cette voye n'eft ni jufte, ni raifon- 
nable, ni pertnife; qu'elle ne peut s'accorder 
avec les fentfmens do<it vcms faites proïéiïion ; 
qu'elle ne convient qu'à de malhonnêtes gens 
qui font fervtr la bravoure de fupplément aux 
vertus qu'ils n'ont pas, ou aux Officiers qui ne 
fe battent point par honneur mais par intérêt s 
qu'il y a plus de vrai courage à la dédaigner qu'à 
h prendre ; que les inconvéniens auxquels on 
s'expofe en la rejettant font inféparables de la 
pratique des vrais devoirs & plus appafens que 
réels; qu'enfin les hommes les plus prompts 
à y recourir font toujours ceux dont la probité 
eft la plus fufpééle. U'on je conclus que vous 
ne fauriez en cette occafion ni faire ni accepter 
un appel, fans renoncer en même tems à la rai- 
Ccm, à la vertu, à l'honneur, & à moi. Re* 
tôu^nefz'mes raifbnnemens comme il vous plaira, 
entafiez de votre part fophifme fur fophifme ; il 
fe trouvera toujours qu'un homme de courage 
n'eft point un lâche, & qu'un homme de bien 
ne peut être un homme fans honneur. Or je 
vous ai démontré, ce me femble, que l'homme 
de courage dédaigne le duel, & que l'homme de 
Weh l'abhorre. 

J'ai cru, mon ami, dans une matière auffi 
grave, devoir faire parler la raifon feule, & vous 
préijpnter les chofes exadtenient telles qu'elles 

font. 


H E L O I s E. 187 

font. Si j'avoîs voula les peindre telle que je. 
Ica v6is, & faire parler le feptiment & Thuma- 
nités j'auroi^ pris un langage fort différent. 
Vpus favez. que mon père dans fa jeu^eiFe. eut 
]e malheur de tuer un homme en duel ; cet 
homme étoit fon ami } ils fe battirent à regret, 
rinfenfé point-d'honneur les y contraignit. Le 
coup mortel qui priva l'un de la vie ôta pour 
jamais Iç repos à l'autre. Le trifte remord n'a 
pu depuis ce tems fortir dé fon cœur ; fouvent 
dans la folitude on l'entend pleurer &' gémir ; il 
croit ientir encore le fer pouÛe par fa main cru* 
elle entrer dans le cœur de fon ami $ il voit dans 
l'ombre de la ^uit fon corps pâle ic fanglant ; il 
contemple, en frémifiant la playe mortelle; il 
voudroit étancher le facgiqt^i .coule ^ l'effroi le 
faiiit, il s'écrie» ce cadavre afïreux. ne ceilè de 
le pourfuivre. Depuis cinq ans qu'il a perdu 
le cher foutien de ion nom & l'efpoir de fa fa- 
mille, il s'en reproche 1^ mort comme un jufle 
châtiment du Ciel, qui vengea fur fqn fUs upique 
le père infortuné qu'il priva du ilen. 

Je vous l'avoue; tout cela joint k mon aver* 
fion naturelle pour la cruauté o^'jnfpire une telle 
horreur des duels, que je les reearde comme le 
derater degré de brutaii,te où les hommes pujflent 
parvenir. Celui qui .va fe battre dcf.gaité de 
cœur n'eft a mes yeux qu^upe bête féroce qui 
s'efforce d'en déchirer une autre, & s'il relie le 
moindre fentimefit naturel dans leur arte, je 
trouve celui qui périt moins à plaindre que le 
vainqueur. Voyez ces hommes accoutumés au 
fang : ils ne bravent les remords qu'en étouffant 
la voix .de la nature ; ils deviennent par degrés 
cruel^ infenfibles; ils fe jouent de la vie des 

autres» 


i8» LA NOlTVELLBf . 

autres, & la punition d^avoir pu manquer d'hu- 
mamté eft- de Ik perdre enfîntout k faiu Qne^ 
fént-'ûs dans ce^ëtat? repond, veux tu leur de* 
venir feniWaWë ?» Nbin, tun'ès point fak pour 
cef odieux abbratilfèment'; redoute le preniier 
pas qui peut t-y conduire :* ton ame eft encore 
innocente & faine ; neconrmence pas à la dé- 
praver au péril dé ta vie, par un effort fans 
^^ercu, un crime fanfs*p]ai&r, un point-d'honnettr 
fcns raifon. 

Je ne t'ai rien dît de ta Julie j elle gagnera, 
fanrdoute, à latffer parler ton coeurï Un-mot^ 
i^n feuP mot,/& je te livre à lui. Tu m'as 
hùiiorée quelquefois du tendre nom d'époufè: 
peut-être en- cp- moment dois-je porter cefui de 
fTKVf. VcuK tu me 'laiiier veuve avant qu'un 
nœud' Sàc^é nous^ tmiQë ^ 

• f( S. JtmpïoyedWMr-cétte îêttfe une aetb/ité 

à Hque}^ fthntfr &omme: B^e n^t- rcfifté. 

. 81 vou^ rcftife» de vous y rendre, je n^ai' 

plus rien- k vous- dîne; mais' penfez-y Mcrr 

auparav^t,. Hrenez hujt jôurs'de rénexioa 

* poirr méditer fiji; cçt impôrtane ftyet.' G^ 

' . n'fefrpas 3t| nom' dfe îaVfflfon/qué je vougr 

•• . demande ce d^, c^^ au mîeo. ' Souve- 
ntsb-vous que j'bft en cette dcjcafidn du 
droit que vous m'avez dqrmé, vous-mcmf & 
qu'il s'étend 2ku moins jufques-la. 


LETTRE 


H : E ?L ï S E. ,189 


■AB«ri^^M*aB«**^^aan^*«atai«Ma*na^B«^i^ta>^ 


L .E T T .R E LVIII. 

. . De Julie à MUorid ^Edouard. 

- . 

C;£tn^eft. point I pour me . plaindre devoiu, 
Mîioid)'qtie.je vous écris: paifque voiv 
^loatragcz, il faut bien <|^iie j*aye avec vous dos 
torts que j'igawe. Comment concevoir f^'mi 
'lioiiliêoe honoine voukit deshonorer iàns ûijet 
une fanaiUe eftinaoUe ? Contentez donc votre 
vengeance» fi vous la croyez légitime. Cette 
icttre vous, donne un nc^en facile de {lerdre Aine 
malheureufe ilAt qui ne fe confolera jamais de 
vous avoir oSenfé, & ^i met à votre difcretlon 
l'boimeur que vous voulez lui ôter. Oui, Mi- 
lord, .vos. -imputations, écoient./uftes, j'ai un 
amant aimé ; il eft maître de mon cœur & de 
-ma perfonne; la mort feule pourra brifer un 
nœud fi doux. Cet amant eft cèlui-même que 
vous honori^ide v6tre. amitié ; il en eft digne, 
puifqu'il vous aime & qu'il eil vertueux. Ce- 
pendant il va périr de votre main^ je fais qu'il 
faut du fang à l'honneur outragé ; je fais que fa 
.valeur même le ,perdra; je* fais que dans un 
ooinbat fi-peu redoutable pour vous, fon intré- 
pide- ooei^r ira (ans crainte chercher le coup mor- 
.tel. J'*ai voulu retenir ce zèle inconfideré; j'ai 
'.fait. parler la raifon. Hélas! eh écrivant ma 
lettre j-en.fentois l'inutilité, & quelque refpeâ 
.que je; porte à (es vertus, je n'en actens point 
.d^lui d'aflesfublimes pour le détacher d'un faux 
-point-^d'hoQtaeur. . Jouïfièz^ <l'avance tlu plaifir 

que 


I90 LA N^OirViELLJE 

que vous aurez de percer le feln de votre ami : 
mats fâchez, homme barbare, qu'au moins vous 
n'aurez pas celui de jouïr de mes larmes & de 
contempler mon defefpoir.. Non, j'en jure par 
l'amour qui gémit au fond de mon coeur; foyez 
témoin d'un ferment qui ne fera point vain ; je 
ne furvivrai pas d'un jour k celui pour qui je 
refpire, & vous aurez la gloire de mettre au 
tombeau d'un feul coup deux amans infortunés, 
qui n'eurent point envers vous de tort volontaire 
& qui fe plaifoient à vous honorer. 

On dit, ^ilord, que vous avez l'ame belle, 
& le cœur fenfible. S'ils vous laifleot goûter en 
paix une vengeance que je ne puis compren* 
dre ic la douceur de faire des malheureux, 
puiflent-ils quand je ne ferai plus, vous infpi- 
rer quelques foins pour un père & une mère 
inconfolables, que la perte du feul enfant qui 
leur refte va livrer à d'éternelles douleurs. . 


L E T T R E LIX. 

De M. d'Orbe à Julie. 

JE me hâte, MadeHioifelle, félon vos ordres, 
de vous rendre compte de la commii&on dont 
vous m'avez chargé. Je viens de chez Milord 
Edouard que j'ai trouvé "fôuffrant encore de.fon 
entorfe, & ne pouvant marcher dans ùl chambre 
qu'à l'aide d'un bâton. Je lut ai remis votre 
lettre qu'il a ouverte avec etnpreilèment ; il m'a* 
paru ému en la lifant : il a rêvé quelque tevia, 
puis il l'a relue une féconde fois avec une agi- 
tation 


H E L O ï s E 191 

tation plas fenfible. Voici ce qu'il m'a dit en k 
finifTant. Vous faveXy Monfegur^ que les affaires 
d* honneur ont leurs règles dont on ne peut fe ^r* 
partir : vous avez vu ce qui £eji faffe dans celle* 
. ei ; il' faut qu*elle foit vuidée régulièrement^ Pre- 
nez deux amiSf & donnez-vous la peine de revenir 
ici demain nu^in avec eux ; vous /aurez alors ma 
refolutifin. Je lui ai répréfeoté. que TafFaii-e s'é- 
tant paflee entre nous, il feroit mieux qu'elle 
fe terminât de même, fe fais ce qui convient^ 
,m'a-t-il dit bru(quement, ^ ferai ce qu^ il faut* 
. Amenez vos deux amis^ ou je ri ai plus rien à vous 
dire. Je fuis forti là-deffus, cherchant. inutilement 
dans ma tête quel peut être fon bizarre deflèin ; 
quoiqu'il en foit j'aurai l'honneur de vous voir 
ce foir. Se j'exécuterai demain ce que vous me 
prefcrirez. Si vous trouvez à propos que j'aille 
au rendez-vous avec mon cortège, Je le compo- 
ferai de gens dont je fois fur à tout événement. 


LETTRE LX. 

J Julie. 

CÂlme tes allarmes, tendre & chère Ju- 
lie, & fur le récit de ce qui vient de fe 
paifer connois & partage les fentimens que j'é- 
prouve. 

J'étois 11 rempli d'indignation quand je reçus 
ta lettre, qu'à peine pus-je la lire avec l'atten- 
tion qu'elle méritoit. J'avois beau ne^ la pou- 
voir réfuter: l'aveugle colère étoit la plus forte. 
Tu peux avoir raifon» difois-je en moi-même, 

mais 


ÏI92 LA NOXrVELLiE 

«nais I ne 'Aie parte jamais de te laiiTer laviKh. 
.Dnffai-je te :.pepdre & -mourir coupable, je ne 
-iaiiffrirai:pohit qu'on roanqae au rdpeâi qui tféft 
-«iu, & tant iju^il me reftera ^in foiiÉle de vit^ 
ta ierasiioiiorée detout te qui t^approche com- 
ine tu l'es ^he -mon cœur. Je ne bakmçai pas 
^«fouTtant Air les Iwit 'joun que tu^nie deman- 
-dois; V-tωtnt de Milorll ^Edouard & mon 
voeu d'obéiflknce concouroient à ren^diie ce délai 
. néceffiûre. ikefelu, Ydon' tes ordi«s, '4*tînploftt 
«cet intervaUe 4 médker-fitr le Aijét de 'ta tettrê» 
*je m'occnpois fims cefië à la relire & à y réflé- 
chir, non pour changer de fentimem, mais pour 
Juftifier le mien. 

J'avois repris ce matin cette lettre trop (âge 
& trop judicieufe à mon gré, & je la relifeis 
/avec inquiétude, quand on a frapé à la porte de 
ma chambre. Un moment après, j'ai vu entrer 
Milord Edouard fançépée, sippuyé lur une can- 
ne ; trois perfonnes le fuivoient, parmi lefquelles 
j'ai reconnu -M. d'Orbe. Surpris de- c e tte vtfite 
imprévue,, j'attendois en iilence,ce qu'elle devoit 
produire, quand fdonard m^ prié-^e lui donner 
un moment d'audience, & de le laiiTer agir & 
parler fans l'interrompre. Je vous en demande, 
a-t-il dit, votre parole ; la préfence de ces Mef- 
.fieurs, qui ibnt de* laos.aims . doit^ vous réporidie 
que vous rie l'engagez :pa8 îndi£:rétement. Je 
l'ai promis uns balancer ;. 4 peine .av^ds^je ache- 
vé que j'ai vu avec l'étonnement que tu peux 
concevoir Miiord Edmiard a genoux^devant moi. 
> Surpris .d'une fi étrange attitude, j^ai voulu liir 
le champ le relever -y mais après m'-avotr rappelle 
. ma promefiè, il in!a paplé dans ces termes. *^ Je 
^* viens,. Monfieur,.ret(aâer ha»eement les dif- 
I " cours 


H E L O I s E. 193 

«< cours injurieux que Tivreflie in*a fait tenir en 
^* votre préfence: leur iiijuftice les rend plus 
** ofFenfans pour moi que pour vous, & je m'en 
** dois Tauthentiqué defaveu. Je me Ibumets 
** k toute la punition que vous voudrez m'im- 
*^ po(êr, & je ne croirai mon honneur rétabli 
** que quand ma faute fera réparée. A. quelque 
*' .prix que ce foit, nccordea-moi le pardon que je 
*' vous demande, & nae rendez votre amitié.'* 
Milordy lui ai-je dit auffi-tôt, je reconnois 
maintenant votre ame grande & genereufe ; & 
je fais bien.diftinguer.en vous les difcours que lis 
coeur diâe de ceux que vous tenez quand vous 
n'êtes pas à vous même; qu'ils foient à jamais 
oubliés. A l'inftant, je l'ai foutenu en fe rele- 
vant, & nous nous fommes embraflea. Après 
cela Milord fe tournant vers les fpcdtateurs, leur 
a dït',.MeJ/uurSf je vous remercie de votre com- 
plaifance. De hr crues gens comme vms^ a-t-il 
ajouté d'un air fier & d'un ton animé, /entent 
qm celui qui ribare ainfi Jes torts^ rC en fait endurer 
de perfonne. Vous pouvez publier ce que vous avex, 
vu. £nfuite il nous a tous quatre invités à 
fouper pour ce foir, & ces Meffieurs font fortis. 

A peine avons-nous été feuls qu'il eft revenu 
tn'embrafTer d'une manière plus tendre & plus 
,anxicale ; puis me prenant la main & s'aflèyant 
à cpté de moi ; heureux mortel, s'eft-il écrié, 
jouïfTez d'un bonheur dont vous êtes digne. 
Xrecœur de Julie eft à vous ; puiffiez-vous tous 
deux • • . • que dites-vous, Milord i ai^je inter- 
rompu ; perdez vous le fens ? Non, m'a-t-il dit 
en iburiant, mais peu s'en eft falu que je ne le 
perdiiTe, & c'en étoit fait de moi, peut-être, ii 
celle qui. m'ôtpit la raifon ne me l'eut rendue* 

Tonii L K Alors 


194 LA NOUVELLE 

Alors Jl m'a remis une lettre que j'ai été furpri^ 
de voie écrite d'une main qui n'en écrivit jamais 
à d'autre homme (a) qu'à moi. Quels mouve- 
mens j'ai fentis à fa leâure ! Je voyois une 
amante incomparable vouloir fe perdre pour me 
fauver, & je reconnoifTois Julie. Mais quand 
je fuis parvenu à cet endroit où elle jure de ne 
pas furvivre au plus infortuné des hommes, j'ai 
frémi des dangers que j'avoisi courus, j'ai mur- 
muré d'être trop aimé, & mes terreurs m'ont 
iait fentir que tu n'es qu'une mortelle. Ah 
rend- moi le courage dont tu me prives; j'en 
avois pour braver là mort qui ne menaçoit que 
moi feul, je n'en ai point pour mourir tout 
entier. 

Tandis que mon ame fe livroit à ces reflexions 
ameres, Edouard me tenoit des difcours aux- 
quels j'ai donné d'abord peu d'attention: ce- 
pendant il me l'a rendue à force de me parler de 
toi ; car ce qu'il m'en difoit plaifoit à mon cœur 
6c n'excitoit plus ma jaloufie. Il m'a paru pé- 
nétré de regret d'avoir troublé nos feux & ton 
repos ; tu es ce qu'il honore le plus au monde, 
&c n'ofant te porter les excufes qu'il m'a faites, 
il m'a prié de les recevoir en ton nom & de te 
les faire agréer. Je vous ai regardé, mVt-il 
dit, comme fon répréfentant, & n'ai pu trop 
m'humilier devant ce qu'elle aimc^ ne pouvant 
fans la compromettre m'addreffer à fe perfonne 
■^ni même la. nommer. 11 avoue avoir conçu pour 
toi les fenttmens dont on ne peut fe defFendre 
en te voyant avec trop de foin ; mais c'étoit 
une tendre admiration plutôt que de l'amour. 
Ils ne lui ont jamais infpiré ni prétention ni 

{a) n en faut, je penfe, excepter fon père. 

cfpoir ; 


H B îL- O J;:S- E. 195 

^^îr f il ks 2 tous facrifiés aux cotres a l'in- 
fiaot qu'ils lui ont été connus, & le mauvais 
propos quir lui eft échapé étoit l'effet du punch 
& non de la jaloufie. Il traite l'amour en phi* 
lofophe qui croit fan ame au defius des pallions: 
pour moij je fuis trompe s'il n'en a déjà refTenti 
quelqu'une qui ne petoiet plus à d'autres de 
■germer profondément. Il prend l'épurfement 
du cûeur pour TefFort de la raifon, & je fai^ 
bien qu'aimer Julie & renoncer à elle n'eft pae 
une vertJtt d'hoirime. 

Il a defiré de favoir en détail l'hiftoire de nos 
amour^,' & les caoies qui s'oppofent-au bonheur 
de ton ami ; j'ai cru qu'après ta lettre une demi- 
confidente étoit dangereufe & hors de pit)pos; 
je l'ai faite entière, & il m'a écouté avec une 
attention qui m'atteftoit fa fincérité. J'ai vu 
plus d'une fois fes yeux humides & fon ame 
attendrie; je remarquois fur tout Timpreilion 
puiilânte que tous les triomphes de la vertu fai- 
îbient fur.^on ame, &; je crois avoir- acquis à 
Claude Anet un nouveau proteâeur qui ne fera 
pas moins zélé que ton père. II n'y a, m'a*t-il 
dit, ni inddens ni avantures dans ce que vous 
m'avez raconté, & les cataftrophes d^un Roman 
m'attacheroient beaucoup moins ; tant les fenti-* 
. mens fuppléeut aux iituations, & les procédés 
. honnêtes aux aâions éclatantes. Vos deux âmes 
font il extraordinaires qu'on n'en peut juger fur 
les règles communes ; le bonheur n'ett pour 
vous ni fur la même route ni de la même e^ece 
. que celui des autres hommes; ils ne cherchent 
que la puiilance Se les regards d'autrui, il ne 
vous faut que la tendreflb Se la paix. II s'eft 
jçant ^ votre amour une émulation de vertu qui 

K 2 ' . vous 


196 LA NOUVELLE 

vous âere, & vous Vaudriez mfoinsTun & Pau<» 
tre fi vous ne vous étiez point aimés. L^mour 
paflèra, ofe-t-il ajouter, ({>ard6nhes-Iui ce blaf- 

Îhême prononcé dans Tignorance de fon coean) 
.'amour paffera, dit-^-ilj'fc les vertus refteront; 
Ah, puîflènt elles durer autant que lui, ittaju* 
lie ! le Ciel n'en demandera pas davantage. 

•Enfin je vois que la durelté phllôfophiqùe & 
nationale n'altère point dans cet ht)nnête Anglbis 
inhumanité naturelle, & qu'il s'intérefle vérita- 
blement à nos peines. Si le crédit & la richefië 
nous pouvoient être utiles, je crois que nous 
aurions lieu de compter fur lui. Mais hélas ! 
jdequoi fervent la puiflance & l'argent pour ren- 
dre les coeurs heureux ? 

Cet entretien, durant lequel nous ne comp- 
tions pas les heures, nous a menés jufqu'à celle 
du dinéj j'ai fait apporter un poulet, & après fc 
diné nous avons continué de caufer. Il m'a 
parlé de fa démarche de ce matin, & je n'ai pu 
tn'empêcher de témoigner quelque furprife d'un 
procédé fi authentique & fi peu mefuré: Mais, 
outre la raifon qu'il m'en avoir déjà donnée, il 
a ajouté qu'une dcmi-fatisfaftion étoit indigne 
d*un homme de courage; qu'il la faloit com- 
plette ou nulle ; dé peur qu'on ne s'avilit fans 
rien réparer, & qu'on ne fit attribuer i la crainte 
une démarche faite à contrecœur & de mauvaife 
grâce. D'ailleurs, a-t-il ajouté, ma réputation 
eft faite ; je puis être jufte fans foûpçon de lâ- 
cheté ; mais vous qui êtes jeune & débutez dans 
le monde, il faut que vous fortiez fi net de I» 
première affaire qu'elle né tente perfonne de vous 
en fufciter une féconde. Tout eft plein de ces 
poltrons adroits qui cherchent, comme on dît, 

^ à ta- 


M E L Q î s î;. 1^ 

a tâter leur homme ; c^eft à dire, â découvrir 
^elqu'un qui foit encore fim poltron qu'eux, 
& aux dépends duquel ils puiflent fe faire valoiri^ 
Je veux éviter à un homme d^honneur comme 
vous la néceilité de châtier fai^s gloire un de ces 
gens-là, & j'aime mieux, s'ih ont befoin de le- 
çon qu'ils la reçoivent de moi que de vous f car 
june afSiire de plus n'ôte rien à celui qui on â 
déjà eu plufieurs: Mats en avoir une eft tou- 
jours une forte de tacbe^ il l'amant de Julie et) 
doit être exempt. 

Voila l'abrégé de ma longue converfation avec 
^ilord £douard. J'ai cru néceflaire de t'en 
rendre compte afin que tu me prefcrives la ma- 
nière dont je dois me comporter avec lui. 

Maintenant que tu dpia être tranquilliféey 
chaflc je t'en conjure, les idées funeft^s qui t'oc- 
.cupent depuis quelques jours. Songe aux me- 
nagemens qu'exige l'incertitude de ton état aq- 
Uiçif, Oh u bientôt tu pouvois tripler moQ être ! 
Si bif^tôt un, gage a4oré • • . . efpoir, déjà t/op 
dççu, vlendrpi^tH a»'al)ufer encpre? ..... ô dé- 
fira! oqrs^ntel q perplexité I Charmante amie 
de mon cœur, vivons pour nous aimer ; & que 
iç Ciel dji^ofe 4u i^ft^ 

P»S. J'oublioii djs te dire quet Mi^ord m>*i» 
remis ta lettre, & qi|e je n'ai point fait dif- 
ficulté de la recevoir, ne jugeant p^ qu'un 
pareil dépôt doive refter entre les mains d'uiTi 
tiers. Je te la rendrai à notre première' 
entrevue ; car quant à moi, je n'en ai plus 
à faire. Elle eft trop bien écrite au fond 
de mon cœur pour que jamais j'aye befoia 
de la relire. 

K 3 LETTRE 


198 LA noùvï:ll'é 


■•«■ 


LETTRE LXI. 

De Julie. 

* ê 

A Mène demain Milord Edouard que je me 
jette à Tes pieds comme il s'eft mts aux 
tiens. 'Quelle grandeurl quelle générofité ! O 
que nous. fonimes petits devant lui! Conferve ce 
précieux ami comme la prunelle de ton œil. 
Peut-être vaudroit-il moins s'il étoit plu» tem- 
pérant ; jamais homme fans défauts eut- il de 
grandes vertus? 

Mille angoifles de toute efpece m*avoietît jet- 
tée dans Tabatementj ta lettrç eft venue rani- 
mer mon courage éteint. Eji diifipant mes ter- 
.reurs elle m'a rendu mes peines plus fupportables. 
Je me fens maintenant afTés de force pour fouffrir. 
Tu vis; tii. m'aimes^ ton fan g, le fang de ton 
ami n'ont point été répandus & ton honneur éft 
en fureté : je ne fuis donc pas tout à fait mifé- 
lable. 

Ne manque pas au réndez^^vous dé demain. 
Jamais je n'eus fi grand befoin de te voir, ni 
n peu d'efpoir de te voir longtems. Adieu, 
mon cher & unique ami. Tu n'as pas bien dit, 
ce me femble 5 vivons pour nous aimer. Ah ! 
il faloît dircj aimons-nous pour vivre. 


LETTRE 


H E L O ï s E. 199 


L E T T RE LXII. 

De Claire à Julh. 

FAudra*t-îl toujpurs, aimable Cou{ine, ne 
remplir envers toi que les plus triftes de- 
voirs de Tamltié ? Faudra- t-il toujours dans 
l'amertume de mon cœur affliger le tien par de 
cruels avis ? Hélas ! tous nos fentimens nous 
font communs, tu le fais bien & je ne faurois 
l'annoncer de nouvelles peines que je ne les aye 
déjà fenties. Que ne puis-je te cacher ton in- 
fortune fans l'augmenter ! ou que la tendre 
amitié n'a-t-elle autant de charmes que Tamour ! 
Àh ! que j'cfFacerois promptement tous les cha- 
grins que je te donne ! 

. Hier après leiConcert, ta mère en s'en retour- 
nant ayant accepté le bras de ton ami, & toi ce- 
lui de M. d'Orbe, nos deux pères relièrent a-^ 
véc Milord à parler de politique \ fujet dont je 
fuis il excédée que l'ennui me chaffa dans ma 
chambre. Une demie heure après, j'entendis 
nommer ton ami plufieurs fois avec aUes de vé- 
hémence : je connus que la converfation avoit 
changé d'objet & je prêtai l'oreille. Je jugeai 
par la fuite du difcours qu'Edouard avoit ofé 
propofer ton mariage .avec ton ami, qu'il ap- 
pelloit hautement le fien, & auquel il -offroit de 
faire en cette qualité un établifltment convena- 
ble. Ton peré avoit rejette avec mépris cette 
proportion, & c'étoit là-deflus que les^^ropos 
commençoient à s'échauffer. Sachez, lui difoit 

K 4 Milord» 


200 LA NOUVELLE 

Milord» malgré vos préjugés qu'il eft de tous 
les hommes le plus digne d'elle & peut-être le 
plus propre à la rendre heureufe. Tous les dons 
^ui ne dépendent pas dès hommes, il les a re- 
çus de la nature, & il y a ajouté tous- les talens 
qui ont dépendu de lui. Il eft jeune, grand, 
bienfait^ robufte, adroit ; il a de l'éducation, du 
fens, des mœurs, du courage; il a refprit orné, 
Tame faine, que lui manque- t-il donc pour mé- 
riter votre aveu ? La fortune ? Il l'aura. Le 
tiers de mon bien fuâit pour en faire le plus 
riche particulier du pays dé Vaud, j'en donnerai 
s'il le faiit jjufqu'a la moitié. La nobleffe f Vaine 

Erérog^tîve dans un pays où elle eft plus nuifi- 
le qu'utile. Mais il l'a encore, n'en doutesi 
pas, non point écrite d'encre en de vieux parche- 
mins, maïs gravée aCi fond de fon cœur en ca- 
raâeres inéfwçables. En un mot^ fi vous pré- 
férez la raifon au préjugé, & u vous aimea 
mieux votre fille que vos titres, c'eft à lui que 
vous la donnerez. 

Là-deflus ton père s'emporta vivement. II 
traita la propofition d'abfurde & de ridicule; 
Quoi ! Milord, dit- il, un homme d*lionneut 
comme vous peut- il feulement penfer que le 
dernier rejetton d'une famille illuftre aille étein- 
dre ou dégrader (bn nom dans celui d'un Qui- 
dam fans azile, & réduit à vivre d'aumônes?. 
• ••.•• Arrêtez, interrompit Edouard, vous 
parlez de mon ami, fongez que je prends pour 
moi tous les outrages qui lui font faits en ma 
préfence. Se que les noms injurieux à un hom- 
me d'honneur le font encore plus à celui qui les 
prononce. De tels quidams font plus refpeéla- 
bles que tous les Hpubereaux de l'Europe, & je 

vous 


H E L O I s E. 20I 

Yous dâie de trouver aucun moyen iplu^ hoQo* 
rable d'aller à la fortune que les hommages di» 
î'eftio^e & les dons de Tamitié* Si le Gendre 
que je vous propofe ne compte point, comme- 
vous, une longue fuite d'ayeux toujours incer-^ 
tans, il fera le fondement & l'honneur de & 
œaifon comme votre premier ancêtre le fut de 
b votre. Vous feries-vous donc tenu pour 
déshonoré par ralliance du.chef de votre famiUe>. 
& ce mépris ne réjailliroit-il pas fur vous mes- 
sie? Combien de grands noms retomt)eroient 
dans Toubli fi Ton ne tenoît compte que de 
ceux qui ont conunencé par un homme eftima* 
ble ? Jugeons du pafle par le préfent } fur deux 
ou trois Citoyens qui s'iUufirent par des moyens 
honnêtes» miUeV coquins annôblifient tous les 
jours leur fiimille ; & que prouvera cette no<^ 
bleflè dont leurs defcendans feront fi fiers, fi. 
non les. v«^ & l'infamie de leur ancêtre? {a) 
On voit, je Pavoue, beaucoup . de malhon<» 
siftflB gei^s parmi les roturiers; mais il y a tou* 
jmrs vtpgt à.parier contre^ un qu'un gentilhom- 
àie (leibend d'un fi;ipoi>. Laiâbos, fi vous vou* 
lez Porigina. à parf, & pqfons ]e< mérite & les 
jiemcet. .Vous av^s porté les armes chez un . 
Prince ébraoger^ fon père les a portées gratui- 
tement poK^r ïa patrie. SI voua avez bien fervi, 
vous avez ! été bien payé» & quelque honneur, 
que vous^ ayea acquis k la guérite» cent rotu» 
sie» ea ont acquis encore plus que vous. 

(«)• Les lettres de nobleflTe font rare» en ce fiècle, 8c même 
elles y ont été illuftrées au moins une fois. Mais quant à la 
iM>bl«(% qui s*a^uiert è prix d* argent & qti*on achette avec 
iea charges, to»t et que j*y vois de plus honorable cft le privi- 
lège de ii*im pM pefidtf, 

K 5; Dequoi 


loz LA NOUVELLE 

' Dequoi s'bo^iorc donc, continua A^îlord E- 
douard, cette nobleife dont vous écts fi fier t 
Que fait-elle ' pour la gloire de la patrie ou le 
bonheur du genre-humain? Mortelle enn.emie 
des loix & de* la liberté qu'a-telle jamais pro* 
duit dans la plupart des pays ou elle brille, fi ce 
n eft la force de la Tyrannie & Toppreffion des 
peuples? Ofez*vous dans une République vous 
liônorer d'un état deftruâ^ur des vertus & d« 
Thumanké? d'un état où Ton fe vante de Fef- 
cjavage, & où l'on rougit d'être homme ? Lifez 
ies annales de votre (jatrie j (h) en quoi votre 
ordre a-t-il bien mérité d'elle ? ^Quels nobles 
comptez- vous parmi fea libérateurs ?< Les Fur/f^ 
jes Tir//, les Ar^irj^i]&/r étoient^il? gèntiisbom* 
mes ? Quelle eft donc 'cette gloire' infenfée dont 
vous faites tant de* bruit ? Ceire dH iervir un 
iiomme, '& d'être àcbarge à l'Etat. * 

Conçois, ma chère, ce que je foufFroîs de 
voir cet honnête honime nuire, aiiifi^ par une 
àpreté déplacée aux intérêt a de'L^ami qu'il vqn^ 
loit fervir. £n efièt,' ton pefe irrité par tant 
il'înveâives piquantbs quoique : générales, fe 
mit à les repoufièr par des perfonalités. U dit 
nettement à Milord Edouard que jaihais homme 
de fa condition n'avoit tenu les'propos qui ve» 
noient de lui écbaper. Ne plaidez point inuti« 
Jement la cajufe d'autrui» ajouta-t*il d'un ton 
brufque ; tout grand feigneur que vous êtes, je 
doute que vous pujffiez. bien, deffendre la votre 
fur le fujet en queftion. Vous demandez ma 
fille pour votre ami prétendu fans fiivoir fi vous- 

(^) Uy t ici beaucoup dMaexaâitude. Le paya de vaod ii*a 
jamais fait partie de Ja Suifle. C*eft une coequête dei Benioi% 
h fes habitaai ae font ni citoyens ni I^bret^ nuis fujeta. 

*• r- même 


H E L O 1 s E. 203 

ttiême feriez bon pour elle, & je conhois afles 
■I !a noblefle d'Angleterre pour avofr fur vos 

difcours une médiocre opinion de îa votre. 

Pardieu ! dit Milord, quoique vous penficz 
de moi, je ferois bien fâché de n'avoir d'autre 
preuve de mon mérite que celui d'un homme 
mort depuis cinq cens ans. Si voué connoMTez 
la noblefle d'Angleterre, vous favez qu'elle cft 
la plus éclairée, la mieux inftruite, la plus fage 
& la plus brave de l'Europe : avec cela, je n'a} 
pas befoin de chercher fi elle eft la plus antique 3 
car quand on parle de ce qu'elle eft, il n'ed pa» 
queftion de ce qu'elle fut. Nous ne fomme» 
point, il eft vi'ai, les cfclaves du Prince mais fe^ 
amîs, ni les tîrans du peuple mais fes chefs; 
Garants de la liberté, foutiens de la patrie i^ 
appuis du trône, nous formons un invincible 
équilibre entre le peuple & le Roi. Notre pre- 
mier devoir qft envers la Nation; le fécond, 
envers celui qui la gouverne : ce n'eft pas ii 
volonté mais fon droit quç nous confulton?, 
Miniflres fuprêmes des loix dans la chambre 
des Pairs, quelquefois même légiflateurs, nous 
rendons également juftice au peuple & au Roi, 
& nous ne fouirons point que perfonne dife. 
Dieu if f^n épie^ mais feulement, Dieu If mon 
droit. 

Voila, Monfiéur, continua-t-il quelle t ft 
cette noblefle refpeâable, ancienne autant qu'au- 
cune autre, mais plus fiere de fon mérite que 
de fes ancêtres, & dont vous parlez fans ta con- 
noitre. Je ne fuis point le dernier en rang 
dans cet ordre illuftre, & crois, malgré vos pré- 
tentions vous valoir à tous égards. J'ai une 
foeur à marier ; elle eft noble, îeurie, aimable^ 

K 6 ► . ricbe-5 


■4.>*a 


Ï04 LA NOUVELLE 

ticbe ; die ne cède à Julie que par les qualités 
q^ue voua comptez pour rien. Si quiconque à 
fenti les charmes de voîre fille pouvoit tourner 
ailleurs iês.yeux& fon cœur» quel honneur je^ 
me ferois d'accepter avec rien pour mon Beau- 
frère celui k^c je vous propofe pour Gendre 
avec la moitié de mon bien ! 

Je connus à la réplique de ton père que cette 
converfation ne faifoit que Taigrir, &, quoique 

f)énétrée d'admiration pour la générofité de Mi- 
ord Edouard, je fentis qu'un homme audi peu 
^ant que lui n'étoit propre qu'à ruiner à jamais 
la négociation qu'il avoit entreprife. Je me 
hâtai donc de rentrer avant que les chofes alla(« 
fent plus loin. Mon retour nt rompre cet entre- 
tien, & l'on fe répara le moment d'après afles 
froidement. Quant à mon père, je trouvai 
qu'il fe comportoit très bien dans ce démêlé. Il 
appuya d'abord avec intérêt la propoiltion ; maiâ 
voyant que ton père n'y vouloir point enten- 
dre, & que Ta difpute commençoit à s'animer, 
11 fe retourna comme de raifon du parti de fon 
Beaufrere, & en interrompant à propos Tun & 
l'autre par des difcours modérés, il les retint tous 
deux dans des bornes dont ils feraient vraifem- 
blablement fortis s'ils fuflènt ftûés tête à tête. 
Après leur départ, il me fit confidence de ce qui 
venoit de fe paiTer, .& comme je prévis où il 
en allcit venir, je.mé hâtai de lui dire que les 
chofes étant en cet état, ilne convenoit plus que 
la perfonne en queftion te yit fl fouvent ici, 
& qu'il ne conviendroit pas même qu*ii y vînt 
du tout, fl ce n'étoit faire une efpece d'affront 
à M. d'Orbe dont il étoit l'ami; mais que je 
le prieroi& de l'amener plus rarement ainu que 

Milofd 


H E L O I s E: 205 

Milord Edouard. C'eft, ma chère, tout ce que 
j'ai pu faire de mieux pour ne leur pas fermer 
tout à fait ma porte* 

Ce n'eft pas tout. La crife où je te vois me 
6>rce à revenir fur mes avis préeedens* L'af* 
faire de Milord Edouard & de ton ami a fait 
par la ville tout Téclat auquel on devoit s'at* 
tendre. Quoique M. d'Orbe ait gardé le fecret 
fur le fond de la querelle, trop d'indices le dé^ 
cdient pour qu'il puifiè refter caclié. On foop- 
çonne, on conjeâure, on te nomme : le raport 
du guet n'eft pas ù bien étoufô qu'on ne s'ett 
fouvienne, & tu n'ignores pas qu'aux yeux du 
pnUic la vérité foopçomiée *eft bien près de 
l'évidence* Tout ce que je puis te dire pour 
ta confolation c'eft qu'en général ou approuve 
ton choix, & qu'on verroit avec plaifir l'union 
d'un fî charmant couple; ce qui me confirme 
ue ton ami s'eft bien comporté dans ce pays. 

n'y eft guercfs moins aimé que toi : Mais que 
fait la voix publique à ton inflexible père? Tous 
ces bruits lui font parvenus ou lui vont parvenir» 
& je frémis de l'elfiet qu'ils peuvent produire, 
il tu ne te hâtes de prévenir fa colère* Tu 
dois t'attendre de fa part ii une explication 
terrible pour toi-même, & peut«-être à pis en- 
core pour ton ami: non que je penfis qu'il 
veuille à fon âge fe mefurer avec un jeune hom** 
me qu^il ne croit pas digne de fon épée ; mai» 
le pouvoir qu'il a dans la ville lui fourairoit, s'il 
le vouloit, mille movens de lui faire un maiit- 
vais parti, & il eft a craindre que & fureur ne 
lui en infpire la volonté. 

Je t'en conjure à genoux, ma douce amîe^ 
fonge aux dangers ^ t'environnent^ & dont le 

rifque 


^ 


to6 L A NOU VELLE 

rifque aiigmeme à chaque inftant. Un bon- 
heur inouï fa préferyée jufqu'à préfeiit au mi- 
lieu de tout cela y tandis qu'il en eft tcms en^ 
core mets le fceaû de la prudence au mifterç de 
tes amours, & ne pouiTe pas à bout la fortu^i^ 
de peur qu'elle. n'envelope dans tes malheurs 
celui qui les aura cauféâ/i Crois*mpi, mon 
ange, l'avenir eft incertain; mille évenemens 
peuvent, avec le tems, offrir des reflburce in* 
efperées; mais quant à préfent, je te l'ai dit 
ik le répète plus fortement j éloigne ton ami» 
ou tu es perdue. 


T^I^^^^^^^^SSSmSfSSSmSSSSPmJS^ 


LETTRE LXIIL 
D^ Julie à Claire. 

TOut ce que tu avois prévu, ma chère, eft 
arrivé. Hier une heure après notre re- 
tour, mon père entra dans la chambre de ma 
mère, les yeux étincelUns, le vifage enflam* 
.mé ; dans un état en un mot pu je ne Tavois 
jamais vu. Je compris, d'abord qu'il venoit 
<l'avoir querelle ou qu'il alloit la chercher, & 
nu confcience agitée me fit trembler d'avance. 
Il commença par apoftropher vivement mais 
en géfiéral les mères de famille qui appellent 
indifcrétement chez elle de jeunes gens fans état 
& fans nom, dont le commerce n'attire que 
honte & deshonneur à celles qui les' écoutent. 
Enfuite voyant que cela ne fuffifoit pas pour 
arracher quelque réponfe d'une femme intimi* 
dée» il cita (ans ménagement en exemple ce 

qui 


HE L O ï : S ■ E; ioy 

qèi s'étoit paifé dans notre maifon, depuis qu'on 
y avoit introduit un prétendu beUefprit, un di* 
feur de riens, plus propre à corrompre une fille 
fa^e qu'à lui donner aucune bonne inftruétion. 
Ma mère, qui vit qu'elle gagneroit peu de chofe 
à fe taire, l'arrêta fur te mot de corruption, & 
lui demanda ce qu'il tvouvoit dans la conduite 
'4>u dans Ma réputation de l'honnête homme donc 
il parioit, qui put autôrifer de pareils foupçons;; 
Je n'ai pas cru, ajouta- t-elle, que l'tTpnt te le 
mérite fufTent des titres d'exclufton dans la fo» 
ciété. A qui donc faudrait- il ouvrir votre 
maifon fi les taleos &: les mœurs n'en obtiens 
nent pas l'entrée ? A des gens fortables, Mar 
dame, reprit* il en colère, qui puiflënr néparer 
•l'honneur d'une fille quand ils l'ont offeafé. 
Non, dit- elle, tuais à des gens de bien qui ne 
TofFenfent point. Apprenez, dit-il, que c'eft 
oiFenfet l'honneur d'une maifon que d'oièr en 
iûlliciter ^alliance fans tjtres pour l'obtenir. Loin 
.de voir en cela, dit ma mcre, une offenfe, je 
n'y Tois au contraire, qu'un témoignage d'ef- 
time. D'aiHeurs, je ne fâche point que celui 
contre qui vous vous emportez ait rien fait de 
.femblable à votre égard* Il l'a fait. Madame, 
& fera pis encore u je n'y mets ordre i mais je 
veiUerïii, n'en* doutes pas aux foins que vous 
remplirez fi mal. 

Alors commença une dangereufe altercation 
qui m'apprit que les bruits de ville dont tu par* 
•les étoient ignorés de mes parens, mais durant 
laquelle ton indigne Coufine eut voulu être à 
cent pieds fous terre. Imagine-toi la meilleure 
& la plus abufée des mères fiiifant l'éloge de fa 
coupable fille^ & la louant^ hélas ! de toutes 
. ^ "les 


to8 LA NOUVELLE 

les vertus qu'elle a perdues, dans les termes les* 
plus honorables» ou pour mieux dire, les plus 
bumilians. Fieure-toi un père irrité, prodigue 
d'expreffiona o&nfantes, & quî dans tout (ow 
ctnportemetit n^en laifib pas échaper une qvL 
nanitte le moindre doute fur la fi^efle de celle 
que le remord déchire & que ta honte écralè 
en fa pr^mce. O quel incrofjrable toiinnent 
d'une confidence avilie de fe reprocher des cri- 
mes que la colère & Tindignation ne pourraient 
Soupçonner ! Quel poids accablant & infupport-^ 
able que celui d'une huSt louange,. & d'une 
eftime que le cœur rejette en fecret ! Je m'en 
ientois tellement oppre^ que pour me délivrer 
d'un fi cruel fuppHce j.étois prête a tout avouer,. 
£ mon père m'en eut Lifle le tems ; mais l'im- 
pétuofité' de fbn emportement lui faifi>it redire 
cent fob les mêmes diofes, & changer à chaf- 
que ioftant de fiijet. Il remarqua ma contenance 
baile, éperdue, kumiEée, indice de mes remords. 
S'il otcii cira pa^ la cosrféquence de ma fautes . 
.41 en tira, celle de mon amour, & pour m^en 
faire pkis de honte» il en outragea l'ot^t en des 
termes fi odfeux, fc fi niéprifans que je ne pus 
malgré tous mes e&rts le bif&r pouifuivre ûin5> 
l'interrompre. 

Je iie fais, ma cheve, où je trouvai tant de* 
hardiefle & quel moment d'égarement, me fit 
•oublier àinfi le xievd'ur. & la modeftie; mais 
fi yofai Ibrtlr un inftant d'un filence refpeâu^- 
eux, j'en portai, comme tu vas voir^ ums ru- 
dement la peine* Au nom du Ciel, lui dis-je,, 
daigne^ vous appaifer.^ jamais un homme digne 
de tant d'injures ne fera dangereux pour moi. A 
ïin&soit^ mon peijcf, qui crut £utfir m reproche 

àtraf 


H E L O ï s E. Z09 

à travers ces mots &- dcmr la foreor n'attetidoit 
qu'un prétexte, s'élança fur ta pauvre amie: 
pour la première fois de ma vie, je reçus un 
foufflet qui ne fut pas le feul, & fe livrant à (on 
tranfport avec une violence égale à celle qu'il 
lui avoit coûté,' il me maltraita fans ménage- 
ment, quoique ma mené fe fut jettée entre 
deux, m'eut couverte de fon corps, & eut reçu 
quelques uns des coups qui m'étolent portes. 
En reculant pour les éviter je fis un faux pas, 
je tombai, & mon vifage alla donner contre le 
pied d'une table qui me fit faigner. 

Ici finit le triomphe de la colère & commen- 
ça celui de la nature. Ma chute, mon fang^ 
mes larmes, celles de ma mère Pëmurent. 11 
me releva avec un air d'inquielude& d'emprefTe^ 
ment, & m'ajant afffife fur une çbaifé, ils re<- 
chercherent tous deux avec foin» fi je n'étoit 
point bleffêe. Je n'avois qu'une légère contu* 
iion au front & ne faignois que du nés» Ce^ 
pendant, je vis au changement d'air Se de voiK 
de mon Père quHl étbit mécsontenr àt ce qu^ 
venoit de faire. Il ne revint point à moi par 
dés careflès, la dignité paternelle ne. fouHroit 
pas un changement fi bruique; mais il revint 
à ma mère avec de tendres excufês, kjevoj^ 
ois fi bien, aux regards qu'il jettoit furtivement 
fîir moi, que la moitié de tout cela m'étoit in* 
direâement adreflee. Non, ma chere^ il n'7 
a point de confufion fi touchante que celle d'un 
tendre père qui croit s'être mis dans fbn tort. 
Le coeur d'un père fent qu'il cft fait pour par* 
donner, & non pour avoir befoin de pardon. 

Il étoit l'heure du fouper ; on le fit retarder 
pour me donner k tems de me remettre^ & moa 

pcre 


tio LA NOUVELLE 

pere ne voulant pas que les domeftiques (uflèntf 
témoins de mon defordre m'alla diercber lui* 
jnéme un vërfe d'eau, tandis que ma mère me 
bafenoit le vifage. Hélas, cette pauvre maman ! 
Déjà laneuiilante & valétudinaire, elle fe feroît 
bien paflëe d'une pareille fcene^ & n avoit gueres 
nnoins befoin de fecours que moi. 
. A table, il ne me parla point ; mais ce fi- 
lence étoit de honte & non de dédain; il af- 
feâoic de trouver bon chaque plat pour dire à 
ma mère de .m'en fervir, & ce qui me toucha le 
plus fenfîblement, fut de m'appercevoir qu'il 
cherchott les occaiions de tiommer fa fille, & 
non pas Julie comme à l'ordinaire. 
. Après le foupe fair fe Uouva fi froid que ma 
mère fit faire du feu dans fa chambre* Elle 
s'aiTtt à .l'un des coins d0 Ja cheminée^ & mon 
pere à l'autre. J'allois prendre une chaife pour 
me placer entre eux, quand m'arrêtant par ma 
robe & me lirant à lui fans rien dire, il m'afiit 
fur fes genoux. Tout cela fe fit fi prompte- 
ment, & par une forte de mouvement fi, in vo]on« 
taire, qu'il .en eut, une efpece de repentir le mo- 
ment d'api:çs. Cependant j etois fur fes genoux, 
il. ne pouyoit plus s|en dédire, & ce qu'il y avoit 
de. pis pour la corîtenance, il faloit me tenir 
embrafiee dans cette gênante* attitude. Tout 
cela fe faifoit en filence; mais je fentois de tems 
en tems fes br^ fe prefler contre mes fiancs avec 
un foupir afles mal étouffé. Je ne fais quelle 
mauvaife honte empechoit ces bras paternels de 
fe livrer à ces douces étreintes ; une certaine 
grayité qu'on n'ofoit quitter; une certaine con- 
fufion qu'on n'ofoit vaincre mettoient entre un 
pere & fa fille ce charmant embarras que la pu- 
deur 


H E L Ocî s E. 211 

deur & l'amour ddnfieat aux amans; taadis 
qu'une tendre meie, tranfportée d'aife, dévorotC 
en fecret un û doux fpeâacle. Je yoyois^ je 
fehtois tout cela, moh angle, -& ne pus tenir 
plus longtems à l'attendriffement qui me ga- 
gnoir. Je feignis de gliflêr ; je. jett^ii pour me 
< retenir un bras au cou de mon père -, je penchai 
mon vifage fur fon vifage vénérable, & dans un 
inftanC il fut couvert de mes baifers & inondé 
de mes larmes» Je fentis à cellos qui lui cou- 
loient des yeux qu'il étoit lui même foulage 
d'une grande peine ; ma mère vint partager nos 
tran%orts. Douce 6i pailible innocence, tu 
manquas feule à mon cœur pour faire de cette 
îcene'de la nature le plus délicieux, oioipent de 
ma vie! .., , 

Ce matin, la laffitude ia le r^flèncimcnt de 
-ma c^Mite m'ayant retenue au lit un .pou tur4. 



pris une de mes mains dans le» fieAn^es^ il s'eft 
abaiiré jufi]u'à' la baiièr plufif urs fois en in'ap- 
^peUantfa cfaerè fille, &me té(noignant du re- 
gret de* ibn' emportemient, Pour moi, je lui ai 
dît, il je le penfe» que je ferois trop heureufe 
' d'être battue tous les jours au même prix, & qu'il 
' n'y a point de traitement fi rude qu'une feule de 
' &9 carefiès n'efface au food de mon cœur. 

Après cela prenant un ton plus grave, il m'a 
rctnife fiur le fujet d'hier & m'a fignifié fa volonté 
en termes honnêtes, mais précis. Vous favez, 
m'a-t-il dit à qui je vous deftine, je vous l'ai 
déclaré dès mon arrivée, & ne changerai jamais 
d*inteotion fur ce point. Quant à t'hçmme dont 

m'a 


ftit LA NOUVELLE 

m^a parlé Milofd Edouard, quoique je rie lui 
difpute point le mérite que tout le monde lui 
trouve» je ne fais s'il a conçu de lui^-méme le 
ridicule efpeir ders'allier à mol) ou & quelq\i.'u]i 
a pu le lui inl^irer ; maia quand je n'aurois per- 
fonne en vue & qu'il auroit toutes les gjLj'mées 
•de l'Angleterre, (oytz fûre que je n'accepterois 
jamais un tel gendre* Je vous, défends de le 
i^oir & de luiparler de votre vie, & celavautaot 
peur la fâreté^de la- tienne qye pour votre hon- 
neur. Quoique je* me foisy toujours fenti peu 
d'indliiàtion pour Itii^ je le hais fur. tc»it- à pré- 
fènt pour les excès qu'il m'a fsit commettre^ & 
ne lui pardonnerai jamais* ma' brutalité. 

A ces faote, il eft forti fansi attendre^ ma ro- 
ponie, &, prefque avec le même air de» tévérifé 
^u'il v«noit de fe reprocher» Afav ràa Coufine^ 
quels monibes d'enflé fonbces.préjugés, qui dé- 
pravent les meilleurs' tœur^ & font taire à 
chaque inftant la nature ? 

Voila, ma Claire^r eonMmnt sîeftrpafleieJ'c»- 
plieatioii quetu^ avoi«N pré^rue^. & dont je n'ai pin 
comprendre la eaii(6 j[Q%i<i ce» qpft» ta^ llittne 
me-Taii: appriibé Je n» pui» bien ta dlret cpid^e 
révolution s^'eft fôite- cm* moi, mai» depuis qe 
moment je me trouva dtangée. Qi me feoible 
que je tourne les* yeux avec-phis/de regœt fur 
l'heureux tema oii je vivoia tranquiBe & contente 
au fetn de ma fiimille^ & que je fân» augmenter 
le fentimeht de ma &ute, avec celui des biens 
qu^elfe m'a fait perdre. Dis^ cruelle ! dis-le moi 
fi tu l'ofes, le tems de l'amour feroit-il paiTé & 
fiaut-il ne fe plus rev^r î Ah^ fens-tu bien tout 
ce qu'il y a de fombre & d'horrible dans cette 
funejlîe idée ? Cependant Tordre de mon père eft 

précis^ 


H E L O ï s B. SIS 

précis, le danger de mon amant eft ceifaùi) I 
Sais-tu ce <]ui réfiike en moi de tant de mou^ 
démens oppofés quiVentcedétruifent? Une forte 
de ftupidité qui me rend Famé prefque iorenfible^ 
& ne-me laide l'ui^ ni des paffions ni «de 1» 
iraifon. Le moment eft critique, tu me l'as dit 
& je k fens ; cependant, je ne fus jamais moins 
len étAt de me conduire. J'ai voulu tenter vingt 
fois d'écrire à cetut que. j'aime : je fuis prête à 
m'évanouïr à chaque ligne & n'en faurois tracer 
deux de iliite. Il ite me refte que toi, ma douce 
amie, daigne penfer, 4>arler, agir pour moi; je 
remets mon fort en tes mains; quelque parti 
que tu pionnes je confirme d'avance tout ce que 
tu feras-; je confie à ton amitié ce pouvoir fu- 
nefte q«ie l'amour m'a vendu fi cher. Sépare moi 
pour jamais de moi<-même ; donne-moi la mort 
s'il faut que je- meure, mais ne me force pas à 
me percer le coeur de ma propre main. • 

O mon ange ! ma f roteârife ! quel horrible 
emploi je teiaifle ! Auras^tu le courage de l'ex- 
ercer ? Jaurâs-tu bien en adoucir la barbarie P Hé- 
las ! ce n'eft pas mon cœur feul qu'il faut déchirer. 
Claire, tu le fais, tu le fais, comment je fuis 
•-atmée ! Je n'ai pas même la confolation d'être 
la plus à plaindre» De grâce ! fais parler mon 
cœur par ta béuche; pénètre le .tien de la ten- 
dre commifération de l'amour ; confole un infor- 
tuné ! Dis-iui cent foi» . . • ^ Ah, dis-lui .... Ne 
crois-tu pas, chère amie, que malgré tou9 les 
préjugés, tous les obftacles, tous les revers, le 
•Ciel nous a faits l'un pour l'autre? Oui, oui, 
j'en fuis (ûre ; il nous deftine à être unis. Il 
m'eft irapof&ble de perdre cette idée; il m'eft 

impoffible de renoncer à l'eijpoir qui la fuit. Dis- 
lui 


ftU li A NOUVELLE 

tul qu'il Te garde lui-même du découragement & 
-ûu defefpoir. Ne famofe point à lui demander 
en mon nom amour & fidélité; encore moins à 
lui en promettre autant de ma part. L'afTurancç 
n'en eft-elle pas au fond de nos âmes ? Ne Ten- 
tons nous pas qu'elles font indivifibles^ & que 
nous n'en avons plus qy'une à nous deux? Dis- 
luî donc feulement qu'il çfpere ; & que fi le fort 
nous pourfuit, il Te fie au moûis à l'amour: car, 
je le fens, ma Coufine, il guérira dé manière ou 
d'autre les maux qu'il nous caufe, & quoique 
le Ciel- ordonne de nous, nous ne vivrons pas 
long-tems féparés. • 

P. S. Après ma lettre écrite, j'ai pafle dans 
la chambre de ma mère, & je m'y fuis 
trouvée fi mal que je fuis obligée de venir 
me remettre dans mon lit. Je m'apperçois 
. même .... je crains . ... ah, ma chère I 
je crains bien que ma chute d'hier n'ait 
quelque fuite plus funefie que je n'avois 
penfé* Ainfi tout eft fini pour moi ; toutes 
mes efpérances m'abandonnent eh même 
tems. 


^^ 


LETTRE LXIV. 

Dtf Claire à M d'Orhe, 

MO N père m'a rapporté ce matin, l'entre- 
tien qu'il eut hier avec vous. Je vois 
avec plaifir oue tout s'achemine a ce qu'il vous 
plaît d appeller votre bonheur. J'efpere, vous 
le favez, d'y trouver auffi le. mieuj l'cftime & 
I l'a. 


H E L O I S F. 215 

l'amitié vous font acqUifes, & tout ce qtie moâ 
trœur peut nourrir de fentimens plus tendres eft 
encore à vous. Mais ne vous y trompez pas l 
je fuis en femme une efpece de monftre, & je 
ne fais par quelle bizarrerie de la nature l'amitié 
l'emporte en moi fur l'amour. Quand je vous 
dis que ma Julie m'eft plus chère que vous, 
.vous n'en faites que rire, & cependant rien n'eft 
plps vrai.' Julie le.fent fi bien qu'elle eft plus 
'jâlôuje pour vou9 que vous-même, & que tandis 
'qlte vous paroiiTez content, elle trouve toujoum 
que je ne vous aime pas aflez. Il y a plus, & je 
m'attache tellemement à tout ce qui lui eft cher, 
qu« fon amant & vous, êtes à peu près dans 
mon cœur en même degré, quoique de diffé- 
rentes manières. Je n'ai pour lui que de l'a- 
' niitié, mais elle eft plus vive ; je crois fentir un 
peu d'amour pour vous, mais, il eft p]us pofé. 
Quoique tout cela pût paroitre alTés équivalent 
pour troubler la tranquillité d'un jaloux, je ne 
penfe pas que la votre en foit ibrt altérée. 

Que les pauvres enfans en font loin, de cette 
' douce tranquillité dont nous ofons jouir; & que 
notre contentement a mauvaife grâce tandis que 
' nos amis font au defefpoir ! C'en eft fait, il faut 
qu'ils fe quittent ; voici Tinftant peut-être, de 
leur éternelle féparation, & la triftefle que nous 
leur reprochâmes le jour du concert écoit peut- 
être un preflèntiment qu'ils fc voyoient pour la 
dernière fois. Cependant, votre ami ne fait rien 
de fon infortune : Dans lafécurité de fon cœur 
il jouît encore du bonheur qu'il a perdu ; au 
moment du defefpoir il goûte en idée une ombre 
de félicité ; & comme celui qu'enlevé un trépas 
imprévu, le malheureux fonge à vivre & ne voit 

pas 


«i6 h A NOUVELLE 

pas la mort qui va le (kifir. Hélas ( c'eft de ma 
main qu'il dirit recevoir ce coup terrible ! O di'- 
vine amitié ! ièule idole de mon cœur ! viens Ta*» 
nîmer de ta lainte cruauté* DoaneTmoi le oou*- 
rage d'être, barbare, & de te fervir dign^nent 
dans un fi douloureux devoir* 

Je compte fur vous en cette occafion & y y 
compteroîs mâme quand vous m'aimerim moins $ 
car je connois votre ame ; je fais qu'elle n*a pas 
besoin du zèle de l'amour, où parle celui cfe 
l'humanité. Jl s'agit d'abord d'engager notre 
ami à venir chez moi demain dans Ja matiiiée. 
Gardez-vous, au furplus, ^e l'avertir de rien. 
Aujourd'hui l'on me laiiTe libre, & j'irai pafièr 
l'après-midi chez Julie; tâchez de trouver Mi- 
lord Edouard, & de venir feul avec lui m'atten- 
dre à huit heures, afin de convenir enfemble 
de ce qu'il faudra faire pour réfoudre au dé* 
part cet jnfortuné, & prévenir fon defeipoin 

J'efpere beaucoup de fon courage & de nos 
foins. J'efpere encore, plus de fon amour. .La 
volonté de Julie, le danger que courent /a vie 
& fon honneur font des niotifs auxquels il lus 
refiftera pas. Quoiqu'il . en foiti je vous dé- 
clare qu'il ne fera point queftion de noce entre 
nous, que Julie ne foit tranquille, & que ja- 
mais les larmes de mon amie'n'arroferont le 
nœud qui doit nous unir. Ainil, Monfieur, s'il eft 
vrai que vous m'aimiez, votre intérêt s^accorde 
en cette occafion avec votre générofité s & ce 
n'eft pas tellement ici l'afikire d'autrui, que ce 
ne foit auffî la votre. 


LETTRE 


H E L O ï s E. 217 


LETTRE LXV. 

De Claire à Julie. 

TOut eft fait ; & malgré fes imprudences, 
ma Julie eft en fûrete. Les fecrets de ton 
coeur font enfevelis dans Tombre du miftere; tu 
es encore au fein de ta famille & de ton pays, 
chérie, honorée, jouifîant d'une réputation fans 
tache, & d'une eftime univerfelle. Conildere 
en frémiflant les dangers que la honte ou l'a- 
mour t'ont fait courir en faifant trop ou trop peu« 
Apprens à ne vouloir plus concilier des fentimens 
incompatibTes, & bénis le Ciel, trop* aveugle 
amante ou fille trop craintive^ d'un bonheur 
qui n'étoit refervé qu'à toi. 

Je voulois éviter à ton trifte cœur le détail de 
ce départ fi cruel & fi néceflàire. Tu l'as voulu^ 
je Pai promis, je tiendrai parole avec cette même 
franchife qui nous eft commune, & qui ne mit 
jamais aucun avantage en balance avec la bonne 
foi. Lis donc, chère & déplorable amie; lis, 
puis^qu'il lejfaut; mais prend courage & tiens- 
toi ferme. 

Toutes les mefures que j'avois prifes & dont je 
te rendis compte hier ont été fuivies de point eti 
point. En rentrant chez moi j'y trouvai M. 
d'Orbe & Milord Edouard. Je commençai par 
déclarer au dernier ce que nous favions de fon 
liéroïque générofité, & lui témoignai combien 
nous en étions toutes deux pénétrées* Enfuite» 
je leur expolki les puiiTantes raifi>n$ que nou« 

Tome L h zyïi^m 


ii8 LA NOtJVELLÈ 

avions d'éloigner prom{>tement fon ami, & les 
difficultés que je prévx^yois a l'y refoudre. Mi- 
lord fentit . parfaitemep( tout cela & montra 
beaucoup*de douleur de TefFet qu'avoit produit 
fon zèle inconfidécé- • Us convinrent qu'il étoit 
important de'précipiter le départ de ton ami, & 
de faifîr un moment de confentem^nt pour pré- 
venir de nouvelles ifréfolutidns, & l'arracher aèi 
Continuel danger du féjour. Je voulois charger 
M. d'Orbe de faire à fon infçu les prépara ttft 
convenables; mats Milord regardant cette affairé 
comme la fienne^ -voulut en prendre le foin. Il 
tne promit que fa chaife feroit prête ce matin 
it onzt heures, ajoutant qu'il Taccompagneroit 
auffi loin qu'il feroit néceffaire, & propofa de 
l'emmener d'abord fous un autre prétexte powr !ç 
déterminer plus à Idifir. Cet expédient ne me 
parut pas affés franc pour nous & pour notre amij 
& je ne vpulus pa^ non plus^ l'çxpofer loin dé 
nous au premier effet d'un, defefpotr qui poitvoit, 
plus aifément écbaper aux yeux de Milord qu'ami 
miens. Je n'acceptai pas, p^r là mêmç raifon, 
la propofition qu'il fit de lui parler lui- mêmç 
d'obtenir fon confentemcnt. Je prévoyois que 
cette négociation feroit délicate, Se. je n'en 
voulus- charger que moi feule^; car je connpis 
plus furement les; endroits fenfibles dç fon cœur, 
ic je (kh qu'il rçgne toujours entre hommes un« 
Cecherefle qu'une femme fart ^ mieux adoucir. 
Cependant^ je coitçus que les fomsT ds Milord 
.ne nous feroient pas inutiles pour préparer les 
choies. Je vis tout l'effet que pou voient produire 
fur un cceur vertueuxles difcours d'un homme 
fenfiMe qui . croit - n'être qu*un philofophe» & 
queHe chaleur la voix d'ua ami pouvpit donner 
ftux nûfonnemens d'unr fage. 

J'en. 


! 


H E L a I S E. 219 

J'eagaga} donc Milord Edouard.a pafler avec 
iui la foiree, ic, fans rien dire qui eût un rapport 
directe à fa fîtuation. de difpofer infeniiblement 
fon ame à la fermeté ftoïque. Vous qui (avez 
fi bien votre Epiâête, lui dis-je; voici le cas 
ou jamais de l'employer utilement. Diflinguez 
avec foin les biens apparens d^ biens réels ^ ceux 
qui font en nous de ceux qui font hors de nous. 
Dans un moment où l'épreuve fe prépare au de- 
hors,' prouvez-lui qu'on ne reçoit jamais dç 
mal que de foi- même, & que le fage fe portant 
par tout avec lui, porte auâi par tout fon bon- 
heur. Je compris à fa réponfe que cette légère 
ironie, qui né pouvoit le fâcher, fuffifoit pour 
exciter fon zcle, & qu'il comptoit fort m'envo) tr 
le lendemain ton ami bien préparé. C'étoit tout 
ce que j'avois prétendu : car quoiqu'au fond, je 
ne fafiè pas grand cas, non plus que toi, de 
toute cette pbilofophie parliere; je fuis perfuadée 
qu'un honnête homme a toujours quelque honte 
de changer de maximes du foir au matin. Se de 
ie dédire en fon cœur dès le lendemain de tout 
ce que fa raifon lui diâoit là veille. 

M. d'Orbe vouloit être auÛi de la partie, &^ 
pafTer la foirée avec eux, mais je le priai de n'en 
rien faire ^ il n'auroit fait que s'ennuyer ou gêner 
l'entretien. L'intérêt que je prens à lui ne m'em-f 
pêche pas de voir qu'il n'eft point du vol de9 
deux autres. Ce penfer mâle des âmes fortes^ 
qui leur donne un idiome fi particulier eft un^ 
langue dont il n'a pas la grammaire. En les 
quittant, je fongeai au punch, & craignant le» 
confidences anticipées j'en glifTai un mot en riant 
à Milord, Raflurez-vous, me dit-il, je me livre 
^ux habitudes quand je n'y vois aucun danger j 

L 2 maiS' 


220 LA NOUVELLE 

mais je ne m'en fuis Jamais fait l'efelave; il 
s'agit ici de Thonneur de Julie, du deftin peut- 
ttre de la vie d'un homme & de mon ami. Je 
boira du punch félon ma coutume, de peur de 
donner à l'entretien .quelque air de préparation ; 
mais ce punch fera de la limonade, & comme il 
s'abfticnt d'en boire,' il ne s'en appercevra 
point. Ne trouves- tu pas, ma chère, qu'on doit 
être bien humilié d'avoir contra£^é des habitudes 
qui forcent à de pareilles précautions? 

J'ai pafTé la nuit dans de grandes agitations 
qui n'étoient pas toutes pour ton compte. Les 
plaifirs innocéns de notre première jeunefle; la 
douceur d'une ancienne familiarité; la fociété 
plus reflerrée encore depuis une année entre lui 
& moi par H difficulté qu'il avoit de te voir; 
tout portoit dans mon ame l'amertume de cette 
feparation. Je fentois que j'allois perdre avec la 
moitié de toi-même une partie de ma propre 
exiftence. Je comptois les heures avec inquié- 
tude, & voyant poindre le jour, je n'ai pas vu 
naître fans eiFroi celui qui devoit décider de ton 
fort. J'ai paflfé la matinée à méditer mes difcours 
te à refléchir fur l'impreffion qu'ils pouvoient 
faire. Enfin, l'heure eft venue & j'ai vu entrer 
ton ami. Il avoit Pair inquiet, & m'a demandé 
précipitamment de tes nouvelles; car dès le len- 
demain de ta fcene avec ton père, il avoit fû que 
tu étois malade, & Milord Edouard lui avoit 
Confirmé hier que tu n'étois pas fortie de ton lit* 
Pour éviter là-deiTus les détails, je lui ai dit auffi- 
tôt que je t'avois laifFée mieux hier au foir, & 
j'ai ajouté qu'il en apprendroit dans un moment 
davantage par le retour de Hanz que je venois 
de t*cnvoyer. Ma précaution n'a fcrvi de rien, 

il 


ïl E L O f s E. l2r 

if'm'a fait cent qikftioné fiir ton-^t, & comme 
elles m'éloignoient de mon objet, j'^t fait des 
léponfes fuccinâes, & me fuis mife a le quefti*- 
onner à mon tour. 

J'ai commencé par fonder la fltuation de Ton 
^fprit. Je l'ai trouvé grave, méthodique,, ic 
prêt k pefer le (entiment au poids de la raifon. 
Grâce ou Ciel, ai*je .dit en moi-même, voila 
«non âg^ bien préparé* Il ne s'agit plus que d^ 
le mettre à Tépreuve*. Quoique l'ufage ordinaire 
foit d'annoncer par dégrés leis triftes nouvelles, la 
connoiflance que j'ai de fon imagination fougur' 
eufe, qui fur un mot porte tout à l'extrême». 
i^'a déterminée à fuivre une route contraire, & 
^'ai mieux aimé l'accabler d'abord pour lui ména- 
ger des adouciflemens, que de multiplier inutile- ' 
aient ces douleurs & les lui donner mille fois 
pour une. Prenant donc un ton plus férieux ic 
le regardant fixement : mon ami, lui ai-je dit, 
connoifièz^-vous les bornes du courage 6c de la 
vettu dans une amc forte, & croyez-vous qucf 
xenoncer à ce qu'on aime foit un effort au defliis 
de rjiumanicé ? A' l'inftant il s'eit levé comme 
un furieux, puis frappant des maifis Se les portant 
à fon firont ainfi jointes, je vous entens, s'eft-il 
écrié, Julie eft morte. Julie cft morte! a-t-il 
jcepeté d'un ton qui m'a fait frémir : je le fens k 
vos foins trompeurs, à vos vains ménagemens, 
^ui ne font que rendre ma mort plus lente & plusf 
cruelle.. > 

Quoiqu'effi-ayée d'un mouvement fi fubît, j'en 
ai bientôt deviné la caufe, & j'ai d'abord conçut 
conunent les nouvelles de ta maladie, les mora- 
lités de Mibrd Edouard, le rendez-vous de ce 
ttULdik^ fea queftions éludées, celles que je venok- 

L 3 de; 


t22 LA NOUVELLE 

de lui faire Pavoient pu jetter dans de feuflcs al-^ 
larmes. Je voyqis bien auffi quel parti je pou- 
vois tirer de fon erreur en l'y laiflant t|uelque9 
inftant; mais je n'ai pu me réfoudre à cette 
barbarie. L'idée de la mort de ce qu'on aioie 
eft il afFreufe, qu'il n'y en a point qui ne (bit 
douce à lui fubftituer, & je me fuis hâtée de 
profiter de cet avantage. Peut-être ne la ver- 
rez-vous plus, lui ai-je dit ; mais elle vît & vous 
aime. Âh ! fi Julie étoit morte, Claire aurcMt- 
elle quelque chofe à vous dire ? Rendez grâce 
au Ciel qui fauve à votre infortune des maux 
dont il pourj^oit vous accabler. 11 étoit fi éton- 
né, fi faifi, fi égaré, qu'après l'avoir fait rafTeoir, 
j'ai eu le tems de lui détailler par ordre tout ce 
qu'il faloit qu'il fût, & j'ai fait valoir de mon 
mieux les procédés de Milord Edouard, afin de 
faire dans fon cœur honnête quelque diverfion à 
la douleur, par le charme de la reconnoiflànce. 
Voila, mon cher, ai-je pourfuivi, l'état aâuel 
des cbofes. Julie c& au bord de l'abime, prête 
a s'y voir accabler du deshonneur public, de 
l'indignation de fa famille, des violences d'un 
père emporté, & de fon propre defefpoir. Le 
danger augmente inceflamment : de la main de 
fon père ou de la fienne, le poignard à chaque 
inftant de fa vie, eft a deux doigts de fon coeur*- 
Il rede un feuï moyen de prévenir tous ces maux, 
& ce moyen dépend de vous feuL Le fort de 
votre amante eft entre vos mains. Voyez fl 
yous avez le courage de la fauver en vous éloi- 
gnant d'elle, puifqu'auili bien il ne lui eft plus 
permis de vous voir, ou fi vous aimez mieux 
être l'auteur & le témoin de fa perte & de fon. 
opprobre. Après avoir tout fait pour vous^ elle 

va 


H E L O ï s E. 22J 

va voir ce que votre cœur peut faire pour elle» 
Eft-il étonnant que fa fanté fuccombe à (es pei- 
nes ? Vous êtes inquiet de fa vie : fâchez que. 
vous en êtes Tarbitre. 

U ni'écoutoît fans m*înterromprc ; maïs fitôt 
qu'il a compris dequoî il s'agiflbit, j'ai vu dif- 
paroitre ce gefte animé, ce regard furieux^ cet 
air effrayé, maii vif & bouillant, qu'il avoit au- 
paravant. Un voile fombrc de trifteffe & de 
confternation a couvert fon vifage: fon œiï 
morne & fa contenance effarée annonçoient 
Tabatement de fon cœur : A peine avoit-il la 
force d'ouvrir la bouche pour me répondre. Il 
faut partir, m'a-t-il dit d*un ton qu'une autr^ 
auroit cru tranquille. Hébien, je partirai. Nlai- 
je pas affés vécu ? Non, fans cloute, ai-je repris 
auffi-tôt j il faut vivre pour celle qui vous aime : 
avez- vous oublié que fes jours dépendent des 
vôtres ? Il ne faloit donc pas les féparer, a-t-il k 
Finftant ajouté $ elle l'a pu & le peut encore. 
J'ai feint de ne pas entendre ces derniers mots» 
& je cherchois à le ranimer par quelques ef- 
pérances auxquelles fon ame demeuroit fermée^^ 
quand Hanz eft rentré, & m'a rapporté de bon- 
nes nouvelles. Dans le moment de joye qu'il en 
a reffenti, il s'eft écrié ; Ah, qu'elle vive ! qu'elle 
foit heureufe • • . . s'il eft poffible. Je ne veux 
que lui faire mes derniers adieux .... & je pars. 
Ignorez-vous, ai-je dit, qu*il ne lui eft plus per- 
mis de vous voir. Hélas ! vos adieux font faitSjJ 
. . & vous êtes déjà féparés ? Votre fort (èra moins 
cruel quand vous ferez plus loin d'elle j vous au-* 
rez du moins le plaifir de l'avoir mife en fureté. 
Fuyez dès ce jour, dès cet inftant; cràigneas 
qu'un fx grand facrificc ne foit trop tardifs trèm- 


«24 LA NOUVELLE 

blez de cauiêr encore fa perte après vous être 
dévoué pour elle. Quoi! m'a-t-il dit avec une 
cTpece de fureur, J^ panirois fans la revoir T 
Quoi ! je ne la verrois plus ? Non, non, nous 
' périrons tous deux, s'il le faut ; la mort, je le 
fais bien, ne lui fera point dure avec moi : Mais^ 
Je la verrai, quoiqu'il arrive ; je laiilerai mon- 
cœur & ma vie à (es pieds^ avant de m^arrachej?: 
à moi-même.' Il ne m'a pas été difficile de hiï 
montrer la folie & la cruauté d'un pareil projet. 
Mais ce, quoi je ne la verrai plus ! qui revenoit 
fans cefTe d'un ton plus douloureux, fembloit 
chercher au moins dés confolations pour l'ave^ 
nir. Pourquoi, lui ai-je dit, vous figurer vos 
maux pires qu'ils ne font? Pourquoi renoncer 
à des efpérances que Julie elle-même n'a pas* 
perdues? Penfez-vous qu'elle put fe féparer 
ainfi de vous, il elle croyoit que ce fut pour 
toujours ? Non, mon ami, vous dcvess coni\oi- 
tïQ fon cœur. Vous devez favoir combien elle 
préfère fon amour à fa vie. Je crains, ie crains 
trop (j'ai ajouté ces^ .mots,. je, te l'avoue,; qu'elle- 
ne le préfère bientôt à tout. Croyez donc 
Qu'elle efpere, puis qu'elle confent à vivre : 
croyez que les foins que la prudence lui di<5le 
vous regardent plus qu'il ne femble, & qu'elle 
ne fe refpeâe pas moins pour vous que pour 
elle-même. • Alors j'ai tiré ta dernière lettre, &, 
lui montrant les tendres efpérances de cette fille 
aveuglée qui croit n'avoir plus d'amour, j'aL 
ranimé les fieiuies à cette douce chaleur. Ce 
peu de lignes ièmbloit diftiller un baume falu- 
- taire fur fa bleffure envenimée. J'ai vu fes re- 
gards s'adoucir & fès yeux s'humedler; j*ai 
vu l'attcndriffemcnt fucceder. par degrés au de- 

' icfpoiri. 


H E L O î s E. 225 

fefpoir; mais ces derniers mots fi touchans, tels 
que ton cœur les fait dire, nous ne vivrons pas 
longtems Jeparis^ l'ont fait fondre en larmes» 
Non Julie, non ma Julie, a-t-il dit en élevant 
la voix & baifant la lettre, nous ne vivrons pas 
longtems féparés ; le Ciel unira nos deflins fur 
la terre, ou nos cœurs dans le féjour éternel. 

C'étoit là rétat où je Pavois fouhaité. Sa 
feche & fombre douleur m*inquictoit. Je ne 
l'aurois pas laiile partir dans cette fituation 
d'efprit; mais fi tôt que je Tai vu pleurer, & 
que j'ai entendu ton nom chéri fortir de fa 
bouche avec douceur, je n'ai plus craint pour 
fa vie ; car rien n'eft moins tendre que le de- 
fefpoir. Dans cet inftant il a tiré de l'émotion 
de fon cœur une objeâion que je n'avois pas 
prévue. II m'a parle de l'état qu tu foupçon- 
nois d'être, jurant qu'il mourroit plutôt mille 
fois que de l'abandonner à tous les périls qui 
t'sdloient menacer. Je n'ai eu 'garde de lui 
parler de ton accident ; je lui ai dit Amplement 
que ton attente avoit encore été trompée, & 
qu'il n'y avmt plus rien à efpérer. Ainfi, m'a- 
t-il dit en foupirant, il ne reftera fur la te«|e 
aucun monument de mon bonheur ; il a difparu 
comme un fonge qui n'eut jamais de réalité» 

Il me reftoit à exécuter la dernière partie de 
ta commifiion^ & je n'ai pas cru qu'après l'union 
dans laquelle vous avez vécu, il falut à cela nt 
préparatif ni miftere. Je n'aurois pas même 
évité un peu d'altercation fur ce léger fujet 
pour éluder celle qui pourroît renaître fur celui 
de notre entretien. Je lui ai reproché fa négli- 
gence dans le foin de fes affaires. Je lui ai dit 
que tu craignois que de longtems il ne fut plu& 

foigneux» 


226 LA NOUVELLE 

foigneux» & qu'en attendant qu*il le devint, tti 
lui ordonnois de fe conferver poar toi, de pour- 
voir mîei^ à fes befoins, & de (e charger à cet 
effet du léger fupplétnent que j'avols à lui re- 
mettre de ta part* II n'a ni paru humilié de 
cette, propofition, ni prétendu en faire une af- 
faire. Il m'a dit iimplement que tu favois t>ien 
que rien ne lui venoit de -toi qu'il jne reçut avec 
tranfports ^ mais que ta précaution étoit fuper- 
flue, & qu'une petite maifon qu'il venoit de 
vendre (a) à Grandfon, refte de fon x:hetif pa- 
trimoine, lui avoit produit plus d'argent qu'il 
n*en avoit poflèdé de fa vie» D'ailleurs, a-t-il 
ajouta j'ai, quelques talens dont je puis tirer par 
tout des relTources. Je ferai trop heureux de 
trouver dans leur exercice quelque . diverfion à 
mes mauj^, & depuis que j'ai vh de plus près 
l'ufage que .Julie fait dç fon fuperflus je le re« 

irarde comme le ^éfor facré de 1^' veuve & de 
'orphelin, dont l'humanité ne me permet pas 
de rien aliéner, Jp lui ai rappelle fon voynge 
du Valais, ^ le^trç & la préqfign de te^ crdr^* 
X^ .mêmes raiioxts fubf^iiit;. • ». L^ mçmes f 
a||-ii intenompu çTma tpn 4'indign^ioQ« La 
pane de mon refus étoi| de ne la plu^ vmr : 
qu'elle me laifTe donc refter, & j'accepte» Sî 
j^'obéis, pourquoi qie punit-elle f Si je refufè, 
que mç fera-t*elle de pis P « . . • . Les inemes ! 
répétoit-il avec impatience. , Notre union corn** 
mençoit > elle eft prêté à finir ; peut-être vais** 
je pour jamais me ieparer d'elle ; il n'y a plus rien 

' (^) J^ ^°^^ ^n peu eo peine de favoir comnept cet autant 
anonyme, qu'il fera dit ci^après n* avoir pas encore 24 ans, 4 
pu vendre une maifon, n*étant pas majeur. Ces lettres font 
n pleines de femblables abfurdités que je n'en parlerai plor | 
il fufit d*cn avoir averti. 

de 


H E L • O^ 1 s E. 227 

de commun entre elle & moi; nous allons être 
étrangers ri{n à l'autre.. Il ^ prononcé ces der- 
niers mots avec un tel ferrement de cœur, que 
j'ai tremblé de le voir retomber dans l'état d'oà 
j'avois eu tant de peine à le tirer. Vous êtes 
un enfant, ai-je aiFeâé de lui dire d'un air riant} 
vous avez encore befoin d'un tuteur & je veux 
être le votre. Je vais garder ceci, & pour en 
dtfpofer à propos dans le commerce que nous 
allons avoir enfemble, Je veux être innràite de 
toutes vos aiFaires. je tâchois de détourner 
ainfi fes idées funeftes par celle d'une corre« 
fpondance familière continuée entre nous, & 
cette ame fimple qui ne cherche pour ainfi dire 
qu'a s'accrocher ^ ce qui t'environne, a pris aifé-- 
ment le change. Nqus nous fommes enfuitê 
ajuAé» pour les âddrefiès de lettrçs, & comme 
ces mefures ne pouvoient que lui être agréa- 
bles, j'en ai* prolongé le détail jufqu'à l'arrivée 
de M. d'Orbe, qui m'a fait iîgne que tout 
étoit prêt. 

Ton ami a facilement compris dequoi il s'a- 
gtflbit; il a inftamment demandé . a t'écrire^ 
mais ie me fuis gardée de le permetti^. Je pré- 
voyoïs qu'un- excès d'attendriiTcment lui jelâ- 
cheroit trop le cœur, & qu'à peine feroit-il au 
milieu de fa lettre, qu'il n'y auroit plus moyen 
de le faire partir. Tous les délais ioi^ dange- 
reux, lui ai-je dit; hâtez-vous d'arriver à la 
première ftation d'où vous pourrez lui écrire 
a votre aifcu .\£n difantxela, j'ai. fait figne à 
M. d'Orbe ; je me fuis avancée, & le cœur 
gros de fanglots, j'ai collé mon vifage fur le 
fien; je n'ai plus fû ce qu'il devenoit; le», lar- 
mes m'offufquoient la vue^ ma tête conamençoit 

afe 


S28 LA NOUVELLE &c. 

à fe perdre, ic il étoit tems que mon roUe 
finit. 

Un moment après je les ai entendu deicendre 
précipitamment. Je fuis fortie fur le paillier 
pour les fuivre des yeux: Ce dernier trait man* 
quoit à mon trouble. J'ai vu l'infenfé fe ietter 
à genoux au milieu de l'efcalier en baifer mille 
fois les marches, & d'Orbe pouvoir à peine 
l'arracher de cette froide pierre qu'il preflbit de 
fon corps de la tête & des bras en pouflant de 
longs gémiflèmens. J'ai fenti les miens prêts 
d'éclater malgré moi, & je fuis brufquement 
rentrée, de peur de donner une fcene à toute la 
maifon. 

A quelques inftans de là, M. d'Orbe eft re- 
venu tenant fon mouchoir fur fes yeux. C'en 
eft fait, m'a-t<il dit, ils font en route. £n ar- 
rivant chez lui, votre ami a trouvé la chaife 
à fa porte ; Milord Edouard l'y attendoit auiH ; 
il a couru au devant de lui & le ferrant contre 
fa poitrine i Fiem, homme infortuné, lui a-t-il 
dit d'un ton pénétré, viens verfer tes douleurs 
dans ce cœur qui f aime m Viens j tu fentiras pout^ 
ftre qu'on lia pas taut perdu fur la terre^ quand on 
y retrouve un ami tel que moi. A l'inftant, il l'a 
porté d'un bras vigoureux dans la chaife, & ils 
font partis en fe tenant étroitement embralTés» 


Fin dî la PrmUrtparii^ 


J U L I E, 


O U 


LA NOUVELLE HELOÏSE. 


S'a ME SECOND, 


LETTRES 

DE DEUX AMANS, 

Habîtans d'une petite Ville 
au pied des Alpes, 

rscueillies £t publiées 
pak j.- j. r o u s se a u. 

SICOUDl PAKTll. 


4 JUSftSDJM, 

Cheî MARC MICHEL REV. 

MDCCIXI 


LETTRES 

DE DEUX AMANS, 

HABITANS D'UNE PETITE ri LIE 
JlV PIED DES ALPES. 

SECONDE PARTIE, 

' **— *- ^ - *■ -*- -*■ -*- -*- -*- *- A A -•■■*■ A. A A. .ib A ». A. A. .». A -* -»■ A -* - *- -^ A * A 

LETTRE I. 
A Julie (fi). 

J'Ai pris & quitté cent fols la plume; j'béfile 
dès le prcAiier motj je ne* fais quel ton je 
dois prendre; je ne fais par où commencer ; & 
c*eft à Julie que je veux écrire ! Ah malheu* 
reux 1 que futs^je devenu ? Il n'eft donc plus 
<re tems où mille fentimens délicieux couloient 
'4t ma plume comme un intariilkble torrent! 
Ces doux momens de confiance & d^épanche- 
ment Ibni pafies : Nous ne fommes plus l'un à 
Ji'autre, nous ne fommes plus les mêmes, &je 
ne lais plus à qui j'écris. Daignerez«vo<is re« 
«evcirmés lettres? vos yeux daigneront-ils les 
parcourir? les trouverez- vous aSes refervées,. 
aâë» circonfpeâes ? Oferois-je y garder encore 

(«) Je n*ai foevet befoio, je crois, d^ avertir qoe dans cette 
fecMide partie ic dans la foivante, les deux Amans féparcs ne 
font que déraifonner te battre la campagne | Icura paoviet 
C^tet B*y tant plus, 

. Tsmi IL A une 


2 LA NOUVEI.LE 

une ancienne .familiasité ? Qierois-jéj y parler 



JOUI 

-chamians & fî doux à mon eiFroyable mifere ! 
Hélas ! je commençois d'exifter & je fuis tombé 
dans l'anéanti ffemént ; refpoir dé vivre animoit 
mon cœur ; je n'ai plus devant moi que l'image 
dé la mort,- h trois mis d'intervalle ont fermfé 
le çicrcle for^uiié <)e mes. fours./ Âb) que ne 
les" ai-je terminés a^ant de mé furVivre, k moi- 
même !. Que.n'al-)e; fulvi mes preilèntimetis 
après ces rapides inftans de délices, où je ne 
voyois plus, rien dan$ la/vie qui fi4 digne de la 
prolonger ! Sans doute, il faloit la borner à 
ces trois ans ou J^ ôter. â'e & durée \ il valott 
mieux ne jamais goûter la félicité, que la goûter 
:& Jaîpçrdne.' 6î j'^tw feanchi ce. &tal inter- 
vallc^ ii j'avais évité ce premier regard qui mp 
£t une autre anie>; .j,e jouirois de* ma raifon; 
je nemplirois les devoirs d'un homme, & féme- 
iroie peut-! être de qui^ques. vertus .mpn i^f^pide 
rcarriiered ;Uri moment. d>r.reur. a ':lout change. 
-Mon ceiLbla.contêmfikr ce qu'il^ne.faloUipoint 
-vdîr. Cette vue a produit enfin fon elFet in)- 
•évitàiblê. Après m'être égaré par degrés, }ç.ne 
fuis plus qu'un furieyx dont le {fens eil.^lién^ . 
Dn lâche efclave fans force & fans courage, qui 
va traînant dans -.rignominie Ïa chaine & fou 
.defefpQÎr. -. . . . . \ . . * ; 

Vains rêves- d'ûn/cfprit qui> s'égare ! X)efiri 
faux & trompeurs, defavoués à l'inftant par le 
cœur qui lés a formés ! Qup fert d'itnaginér à 
jdes maux réels de chimériques remèdes qu'on 
rejetteroit quand ils nous fer'oiênt offerts ? Ah! 

/. qui 


H E 1/ O I s E. ^ 

qui jamais connoitra l'amour, t'aura vue & 
'pourra le croire, qu'il y ait quelque félicité 
poffible que je vouluilè acheter au prix de mes 
premiers feux ? Non, non, que le Ciel garde 
les bienfaits & me laifTe, avec ma mifere, le 
fouvenir de mon bonheur paffé. J'aime mieux 
les plaifirs qui font dans ma mémoire & les re« 
grets qui déchirent mon ame, que d'être à ja- 
mais heureux fans ma Julie/ Viens imagé ado- 
rée, remplir un coeur qui ne Vit que par toi : fuis- 
moi dans mon exil, confole moi dans mes pei- 
nes, ranime Si foutiens nion efpérance éteinte. 
Toujours ce cœur infortuné fer^ ton fanâuaire 
inviolable, d'où le^ fort ni les hommes ne pour- 
ront jamais t'arracher. Si je fuis mort aii bon- 
heur, je ne le fuis point à l'amour qui m*én rend 
digne. Cet amour efb invincible comme le 
charme qui l'a fait naître. II eft fondé fur la' 
bafe inébranlable du mérite Se des vertus ; il ne 
peut périr dans une ame' immortelle ^ iln'a plus 
befoin de l'appui de l'efpérance, & lé pafle lui 
donne des forces pour un avenir éternel. 

Mais toi, Juliçi ô toj, ,qui fus' aimer une 
fois ! comment ton tendre cœur a-t-il oublié de 
vivre ? Comment ce feu facré s'eft-if éteint dans 
ton ame piire ? Comment as-tu perdu le goût 
deces plaifirs celeftes que toi feulé étois capable 
.de (entir, & de rendre ? Tu me chafles fans pîtié; 
tu me baonis avec opprobre ; tu me livres à mon 
defefpoir. Se tii ne yois pas, dans l'erreur qui 
',t'égare, qu'en me rendant mi férable tu t'ôtes 
Je bonheur de tes joursî Ah Julie, crois-nloi % 
tu chercheras vainement un autre coeur ami dk 
tien ! Mille t'adoreront» fans doute ; le mien 
feul te favoit aimer. 

A 2 * ■ Répond- 


% LA I^OUVELLÉ 

■ • • • 

îtjêpopû^idoi; ttizratemixiU Ainànteabuie^ oit 
trompeutie : «jue l&nC deirthns ce^ projets for^ 
mes avec tatit de miRene ? Où font ces vaines 
crpé^ancetf dont tu Itujrnurfi f(tuventma crédule 
Yinvplicité ? Où eft cette union fainte & defirëe» 
doux objet de tant d'ardens foupirs, & dont ta 
plume & ta bouche flattoienc mesi vœux? Htlas I 
Yur la foi de tes prùmeftes j'ofois afpirer à ce 
nôoi hcré d'époux». & me croyois déjà te plus 
heureux des hommes» Dis» cruelle f ne m*a- 
'bufoisotu que poùt rendre enfin ma douleurplus 
Vive & mon humiliation plus profonde ? Ai-je 
attiré mes mslheuts par ma faute ? Ai-je man- 
qué (TobéilTance, de dbcilité, de diferetfon ? 
^*as tu vu defirer afies foibiementpour mériter 
;d'étre éconduit» ou préférer mes 'mu^ueux d^ 
firs à tes v^ont& fuprêmes f J'ai tout fait pour 
te plaire & tu in'abandonnes J Tu te chargeois 
de mon bonheur, & tu m'as perdu ! Ingrate, 
rend-mot compte du dépôt que je t'ai confié: 
rénd-mot compte de moi-même après avoir é- 
^aré mon coeur dans cette fuprême félicité que 
tu m*sis montrée & que tu 'm'enlèves. Anges 
';du Çicll-j'eufle méprît votre fort. Teuffe 

été le plus heureux des êtres Hélas 1 je 

ne fuis rien, un inftant m'a tout dté. J'ai 
paiTé fans intervalle du comble des platfir^ aux 
Vegrets. éternels: je touche encore au bonheur 
4qui m'échape. . . .j'y tputhe encore & te perds 

pour jamais \ « Ah fi je le pouvois croire ! 

'fi les reftes d'une çfpérance vaine ne foutenoient 

\ « . • O rochers de Meîllerie que mon 

'ceîl égaré mefura tant de fok, que ne fervites 
vous mon defefpoir f J'aurois moins ifegretté la 
Yie> quand je n'en avois pasf fenti le prix. 

LETTRE 


H.EfL ,<>rî; s E.r s, 


m 


LETTRE II. . 

De MJord EJeuard à Claîrt, 

f 

NOUS arrivons àBefançon, &ixion prc-^^ 
oûer foin eft de voui àona^t. de^ nou- 
velks de notre voyage. U s'eft lait fi non paj*' 
fiblement, du m(Àm Ikns accident, & votre ami 
e^ auifi (^m de coq;» qu'on peut Tetre avec on 
«cœur auffi malade. U voudroit même afieâer 
à Textérieur une fofte de tranquillité. U a 
honte de fon état, & ^ contraint beaucoup de^ 
vant moi i mais^ tout décelé fci fecrettcs agita» 
tioMy & fi je feins de m'y tromp^sr^c'eft pour 
IeUî£er aux prifes avec lui-même» & occuper 
ainfi une partie doa forces de ion aipe à réprimer: 
l'ffiet de Tautire. 

U fut fort abattu la.prenùej:e journée; je la, 
fis courte voyanit que la viteÂb de nôtie marche 
ij^itoit (a douLsuiu, U m me pa4a point, ni moi 
à lui ; les confolations indifcre(;e8 ne font qu'ai* 
grir les violentes ^idUons» L'indifSérence U la 
ftiotdeur trouvent allGsment des paroles : mais la 
ti:ifldre & le filençe itmt alors Je vrai lâchage de 
l'amitié. Jr commençai d'appc^cevoîr hier les 
premières étincoUes de la foreur qui va fucceder 
infailliblement à cette létar^e : k la dinée^ à . 
peine y avoit-il un qua|-t dlieure.que nous étions • 
arrivés qu'il m'aborda d'un air d'impatience. 
Que tardons-nous à partir» me dit*il avec yn y 
foam amer, pourquoi reftons-nous un moment 
£ près d'elle l Le ibir. il aiF^âa de parler ^eau^ 

A3 coup,* 


6 LA NOUVELLE 

coup, fans dire un mot. de Julie.,, Il rccom-, 
mencok des queftions auxquelles j'avois répondu *- 
dix fois. Il voulut favpic fi nous étiçns déjà fur 
les terres de France, & puis il demanda fi nous 
arriverions bientôt à Vevai, La première chofe 
qu'il fait à chaque ftation, c*eft de commencer . 
quelque lettre qu'il déchire ou chiffonne un mo-. 
ment après. J'ai fauve du feu deux ou trois diç 
ces brouillons fur lefquels vous pourrez entrevoir 
l'état de fon ame. Je ' crois pourtant qu'il eft ;' 
parvenu à écrire une lettre entière. 

L'emportement qu'annoncent ces premiers' 
fimptomcs eft facile à prévoir; mais je ne fau- . 
rois dire quel çn fera l'effet & le terme j car cela 
dépend d'une combinaifon du caraâere de Phoni- 
nîe, du genre -de fa pafHon, des cîirconfîances 
q'ur peuvent naître, de mille chofes* que nulle 
prudence humaine ne peut déterminer. * Pour 
moi, je puis répondre de- fes fureurs mais non 
pas de fon defçfpoir, & quoiqu'on fafle, tout * 
homme efl toujours maître de fa vie. 

Je me flatte, cependant, qu'il refpcftera fk 
perfonne & mes foins ; & je compte moins pouF 
cela fur le zèle de l'amitié qui n'y fera pas 
épargné, que fur le caraôere de fa paflion ic fur 
celui de fa maitrefle. L'ame ne peut gueres s'oc» 
cuper fortement & longtems d'u'n objet, fans 
contraâer des difpofitions qui s'y rapportent. 
L'extrême douceur de Julie doit tempérer l'a- 
creté du feu qu'elle infpire, & je ne doute pas, 
non plus, que l'amour d'un homme aûffî vif ne 
lui donne à elle-même' un peu plus d'aâivité 
qu'elle n'en auroit naturellement fans lui. 

J'ofè compter auffi fur fon cœur j il eft fait 
pour combattre & vaincre. Un amour pareil 

au 


sôificii' n'^ft. PAS (àot U0e. fefibleflb qu'une: forjce. 
Qud eiDpto}!!ée. Une flaniDie afdeote ^ i^alheu-* 
r«ufe;eft.cap9(ble.d*abforber pour un tems^pour. 
toujours peut-être une partie de (es facultés ; mai$: 
^e eft elle^inême une preuve ae leur excellence, 
& du parti qu'il en pourroit tirer .pour cultiver 
Ufagefie i car la fublimer^ifon rie (e.tbatient^ 
que pair la mêm< vigueur de l'ame qui fait les. 
grandes paffions, {d'on ne fertjdjgnement la- 
philosophie qu'avec le même feu qu'on £qnt pour . 
une maitreffe*. < 

. Soyez en fûre, aimable Claire ; je ne m'in^ 
térelTe pas moins que vous au fort de ):e couple, 
iofortuné ; non par un fentin^ent de commiféra* 
tion qui peut n'êt(Ce qu'une foiblçiTe \ mais par . 
U confidéfsKion de ]a juftice.éc de l'ordre, qpt; 
veulent que chacun foit placé de la manière la] 
plus avantageufe k lui-même & à la fociété. Ces . 
deux belles âmes Sortirent Tune pour l'autre des 
main9 de la nature; c'eil dans une douce union,, 
ê'eil dans le fein du bonheur que, libres de dé- 
ploya leur& forcés & d'exercer leurs vertus, elles 
eyi^ent édaûré la terre de leurs exemples. Pour- , 
qiiloi faut-il:qu'un infçnfé préjugé vienne changer, 
les direâions éternelles, & bouleverfer l'harmo* 
nie des êtres penlàns ? Pourquoi la vaiyté d'un 
père barbare cache-t^-elle aînfi la lumière fous le 
boilTeau, '^ fait-elle gémir dans les larmes des ^ 
cœurs • tendres & bienfaifans nés. pour eÛliyer 
celles d^âutrui? Le lien conjugal n'eft-il pas le 
plus libre airifi. que le plus &cré des engage- 
mens ? Oui, toutes les loix qui le gêneivt font . 
injuftes ;. tous les pères qui l'ofent former ou < 
rompre font des tirans. Ce chafte nœud de la" 
nature n'eft ibumis ni ai^ po.uvoir fo^verain nî^ 

.1/ ' A4' ài'aii- 


t LÀ ÎTOtrVËLXB 

& fpïî m^ btûmmtit it s^vrar, tes peut con* 


Q»e figArK^ et ncriSee 4«s Minreiianees de< 
A' liatUit aux cènvènahces 4e PopinM^n f La dî^' 
i^M( 4e fbittiiie <r d'^t sV^pfe & fe con^« 
Ifthddths fe iharfege, eite lië hiitien au i>oi».i 
Nimr; mma ctltc ié caràâer^ft d^hiimeur de-' 
lâetire, k <:'eft par elle qu^oh eA beuneust ou 
malheureux.^ L'enfant qui n'a de règle que Pa*> 
mour, choifit mal, le père qui n*a de règle que 
Fcpmion thùifit plus mal encore. Q^utie fille 
manq^ èé ration, â'exj)ërienee, pour j«ger de. 
là fâgeSE; Si des moeurs^ uti teh pefe f doitffip- 
prtcF fans lîôoïe. ^ di^tf^ fen 4ifTO^ tnêmê 
cft de d'ire'; ma fiHe^ c'éft urtïwJhiïêa hditoie^ 
ô^, c'eft un fripon; c*eft U»^ hdW^ê'de fciia» 
*Aï, c'eft un fou. Voila les convenances iont il 
ooit connoître, fe Jtjgètnenè dé Ibutês les «otres 
appartient à la 69é'. En ctYàxft qu'on larôubleroit 
ainfi l'ordre At la focîété, àès tiistûi le tlt)*jtrfeitt 
eux-mêmes. Que fe miné ft rt|te jHftf te nrfériten 
& l'unicHi its cttMvt ^àtr leur dm^) Voila te 


(/>) Il y A 4é» ^1 où èêtti «onVéttiabaç ««nMom $e de , 
U foituae eft tdkmeni ffnfcrée à cflk jde 1» nattfr* D; de» . 
c«ur9j qu'il foffit que 1^ première ne^ tV trouve pas pour êm- . 
pcchérou rônipré le< ptûï heti^t* lAatfh^éé, fai» éfi;ki^! pour' 
l'iienn^ur oériSn <Ies tiAR>rMéies q^ font tOOB là jd^ftWiââaKi i 
^C cei odi«ix.pK|iig4f. . r^ vu pial^ec iu PàjRleBieiit d^ Pa« , 
fis OAC cauCc cclebit où roonneur du rang «ttaquoit iafolem- 
ment Se publiquement rixoiineteté» le devoir^ lia foi conjogalè, ^ 
J^ od rindi^he perè qui gagbà fdn procèt, éfa dlssKériter foâ 
êh pour «*atôir pat v«Mltt être im malhoÀ^te homme. Oa 
Be îauroit dire, à, quel point dans et pays fi calant letiTemines 
font tîrannifees par les loiy. Faiit-il s'etdfioer qu'effet t*éA 
vengent fi truéUemént par leur» méxk% ? 

vcn- 


dt 


H t.t.Ù ï s-fe. ,^ 

ifixixûàt ordre ibciaH ceux qui ït règlent pkr> 
U ngiflance^u par les rîclvflcs fs^tt kt v»û 
peiturbateurs de cet ordre j ce font ceiix«Ià qu'il 
faut décrier ou punir, ; 

U eft donc de b juftice univerfirlle que rei 
abus fuient redrefles ; il eft du devoir de Tiuiin^, 
me de s'oppofer à la violence, de cmçouriç % 
]*ordre, & s'il m'étoit poffibU d'unir ce» A^lK * 
amans en dépit d'un vieillard faus xai£cu>, n« 
doutez pas que J6 n'acbevaflè en cela l'ouvrage» 
du ciel, fans m'embaira&r^e Tapprohatm 06^ 
hommes. 

Vous été]» plus heureafe, almaj^lf Chke î^ 
TOUS avez \^n père qui ne prétend pp^it .(avoir, 
mieux que vous en quoi con^fte yotre bpnbevr* 
Ce n'eft» peut-être, ai par de grandes vues dOr 
Àgellê, ni par une teadreilè excciEve qu'il vous 
rend ainii maicrefle de votre fore ;*^ mais qu'im*** 
porte la caule, fi l'effet eft le m£me, & fi» dans» 
la liberté qu'il vous laiâè^ l'indolence lui tieot 
lieu de raifon ? Loin d'abu&r de cette, XÎa^uS^ 1^ 
choix que vous avez fait ,à vingt ans avroit l'ap^^ 
probatioa du plus fage père.' Votre cœur, ab«^. 
&rbe par une amitié qui n'eut jamais d'égale, a 
gardé peu de place aux feux de Tamour. Voua 
kux fdbftituez tout ce qui peut y fuppléer dana 
lé mariage : moins amante qu'amie, fi vous n'ê*; 
flss la plus tendre époufe, vous ferez la plus, 
vertueufe, & cette union qu'a formé la f%ei£s 
doit croître avec l'âge & durer autant qu'elle* 
L'impulfion du cœur eft plus aveugle, mais elle 
éft plus invincible : c'eft le moyen de fe perdrs^ 
que de fe mettre dans la néceffité de lui réfiflen 
Heureux ceux que l'amour aflbrtittsomme auroit 
fait la raiibn> & qui n'ont point obftacle à vain* 

A 5 crt 


to LA NOUVELLE 

cre & de préjugés à combattre ! Tels ferment 
nos deux amans fans Tinjufte refiftance d*un 
père entêté. Tels malgré lui pourroient-ils être 
encore, fi l'un des deux étoit bien confeillé. 

-L'exemple de Julie & le votre montrent 
également que c'eft aux Epoux feuls k juger 
s'ils fe conviennent. Si l'amour ne règne pas» 
la raifon choifira iêule; c'eft le cas où vous êtes^ 
fi l'amour règne, la nature a déjà choifi; c'eft 
celui de Julie. Telle eft la loi facrée de la nature 
qu'il n'eft pas permis à l'homme d'enfreindre, 
qu'il n'enfreint jamais impunément, & que la 
confidératton des états & des rangs ne peut abroger 
qu'il n'en coûte des malheurs & des crimes. 

Quoique l'hiver s'avance & que j'aye à me 
rendre à Rome, je ne quitterai point l'ami que 
j'ai fous ma garde, que je ne voye fbn ame dans 
un état de condftance fur lequel je pui£è compter» 
C'eft un dépôt qui m'eft cher par fon prix, & 
parce que vous me l'avez confié. Si je ne puis 
faire qu'il foit heureux, je tacherai de faire au 
moins qu^il foit fage, & qu'il porte en homme les 
maux de l'humanité. J'ai réfolu de paffer ici 
une quinzaine de jours avec lut, durant lefquets 
j'efpere que nous recevrons des nouvelles de Julie 
èc des vôtres, & que vous m'aiderez toutes deux 
à mettre quelque appareil fur les bleiHires de ce 
coeur malade, qui ne peut encore écouter la 
raifon que par Torgane du fentiment. 

Je joins ici une lettre pour votre amie: ne la 
confiez, je vous prie, à aucun commiffionnaire» 
mais remettez- la vous-même. 


FRAG-i 


« E If Q ï S E. Il 


F R A G M E N S. 

Joints à la lettre précédente. 

I. 

Pourquoi n'ai-je pu vous voir avant mon 
départ? Vous avez craint que je n'expi- 
raSè en vous quittant ? cœur pitoyable ! raiTur 
rez-vpus. Je me porte \>içn ...... je ne fpuSre 

pas je vis encore ...•• je penfe à vous ...^ 

• •je penfe au tems où je..vôus fus cher , 

j'ai le cœur un peu ferré .»,«... la voiture xn'é« 
tourdit • ... je me trouve abattu , .« . je ne pour- 
lai longtems vous écrire aujoflrd'hui. Demain, 

peut-êtce aurai-je plus 4e force pu n'ea 

aurai^je plus' befoin ; . ^ » • « • ; 

• «•■«-• i •■'*•'• "i. .., 1 

. Oie m^enttaineat. ces chevaux avec tant df 
vitcffe? Où me conduit avec tant de zèle cet 
homme quilfe dit. mon amif £ft-ce loin de 
toi, Julie? Eft-ce par tonorc^re? Eft-ce en 
des lieux ou' Vii nWpas? ; . . . /Ah fille infen- 
fée! ....... je mefure des yeux le chemin que 

je parcours il rapidement. D*où Sâcns^je ? oà* 
vais-rje ?.& ^pourquoi tant de diligence ? Avez- 
vous peur, cruels, que je ne coure pas afTés t3ft 
à ax2L ptttp? £) amitié! ô amour! eft ce. Ik 
votre accord ? font-ce là vos bienfaits ? , • 




A 6 'As 


Il h A NOUVELLE 


As- tu, bien eonftilté ton cccu^r ^^ <m cbaC> 
fant avec tant de violence f As-tu pu, dis^ 

Julie, as-'tu pu renoncer pour jamak 

Non non, ce tendre cceur m'ahne ; je le fais 
bien. Malgré le fort»: nialgré lui-même, il 
m'aimera jufqu^au tombeau . • » • Je le vois, tu 
fts latflë fùggértr (c) . . ... i|ttêl repentir étefneT 
tu te prépares! .... hélas! il fera trop tard ...« 
quoi, tu pourrèis oublier . • • • qboi, je Vauroîar 
rtial connue! w,.« Ah» fon^ à toi, ibnge à 
Bioi, (ôtigé ^ • . . . écoute, il en eft tems^ encore 
«... tu ih*as chaff^ avçc barbarie. Je fi» plus 
▼îte que le vent . • « « » Dis un tnoc, mxiévà ibot>. 
fc je reviens plus proihpt que l^échrir. Dis un- 
jdoc, & pour jamais nous fomnues umsi, Nbu» 
4evon9 Këtre; . .. •• nous te feron$ ..». .. Ah..^ 
Tair emporte mes plaintes !..«•. & cçpemlant 
}e fuis ; je vais vivre h mourir loin d'elle . • • • 
vivre loin d'elle !...»• ^« 

LETTRE III. 

lie Mlord E^mrd à JuSf. 

4 

• • • -m 

VOTRE Coufïne voui <Iîra.<le»nouveBl» 
de votre anii. Je croi» d'attleurs qu'il' 
tous écrit par cet ordinaire. Commencée par 
fuiffaire là-defius votre empreffemcht,. pour *' 


(t) ta fiiite iBoatre que cet foop^i tôinbôrcÀt Air Mifo^ 
"iàvm^ * fMCiain la a.|M< poojr dit» 

cnfuîna 


H F L O A S E; is 

fhfatte pàSèébent ^eltt loties car je voue pre^ 
^ticfis que 6Ak (\^ desiafide t#ute votre atten** 
tion* 

Je tJonnois les boimnes : j'ai vécu beaucouf^ 
en peu d'annéeis'; j*ai âcqtiis une grande expé- 
nence à mes dépend», & c'eft le chemin det 
yaffîons qui m'a cotnduit à la phi^ofophie. Mais 
de tout ce que j'ai obfervé jttfqu'ici) je n'ai rieii 
vu de fi extraordtBftire que vous & votre simant. 
Ce n'eft pas que vous ayez ni l'un ni l'autre ut» 
caraâere marqué dont on puifle au premier cou^ 
è\xjl affigner les dîB^rences, & il fe pourroit ' 
bien que cet embarras de Vqus définir vous fia 
prendre poiur des aoies coifim^ne^ par un obfef- 
vatcur fuperficieL Mais c'eft cela mimp oui 
vous diftinguè, qu'il eft irnpoâlbfe de vous ai- 
fltnguer, & qte les traits mi modefe commun» 
dont quelqu'un manq^ toujours à chaque indi* 
vidu^ brillent tous également dans les vôtres» 
Ain^diiaque épreuve d'une eftatnpe a (es défauts 
particuliers qui lui fervent de caraâere, & s'il 
en vient une qui foitparfaite, quoiqu'^on'ia trouvo 
belle au premier -coup d'eeiU il faut k ccAifidérer 
Ibngtems pour la reconnoitire. La premier'e foià^ 
que je vis vocre arnsM» je fus irappé d'un-fen*^ 
ttment nouveau^ qui n^a fait qu'augnknter de 
jour -en jour, àinefure que la raifon l'a }uftifié«; 
A votre ^gard, ce fvA toute autre cbofe encore,. 
& ce fenttment fut fi Vif qtee je me trompai fi^r 1k 
nature. Ce n'étoit pas tant la différence dei^ ^ 
.focés qui produHbk «ette impreffioiH qu'uoca-. 
Mâere encore plus niarqué de perfisâion que te; 
90SUT fèntf pAâkc Wqp^ndaâiniefit «de J'asaour., 
Je vois iien te qv^ v<ouS ferksç &m vo^e «mi^ » 

je oe vois pas de meiiie c^qû'il f^îl ^as ^P^^ 

Wau^ 


14 i:îa nouvelle 

beaucoup d^hômm^s peuvent lui refifentUer^ iiikiy 
H n'jT a qu'une Julie au monde. Après un tort 
que je ne me pardonnerai jamais, votre lettre 
vint m'eclairer fur mes vrais fentimens. Je con- 
nus que je n'étois point jaloux ni par conféquent 
amoureux ; je connus que vous étiez trop aima-4 
ble pour moi ; il vous faut les prémices d'une 
ame, & la mienne ne feroit pas digne de vousw / 

Dès ce moment je pris pour votre bonheur 
mutuel un tendre intérêt qui ne s'éteindra point; 
Croyant lever toutes les difficultés, je fis auprès 
de votre père une démarche indifcrete dont le 
mauvais fuccès n'eft qu'une raîfon de plus pour 
exciter mon zèle. Daignez m'écoufer, & je 
puis réparer encore tout le mal que je vous ai 
fait. 

Sondez bien votre cœur, ô Julie, & voyez 
s'il vous eft poffible d'éteindre le feiî dont il eft 
dévoré? Il fut un tems, peut-être, où vous 
pouviez en arrêter le progrés; mais fi Julie 
pure & chafte a pourtant fuccombé, comment ie 
relèvera- t-elle après 4a chute ? Cooimeat refif- 
tera-t-elle à l'amour vainqueur, & armé de la 
dangereufe image de tous les plaifirs pafles ? 
Jeune amante ne vous en impofez plus, & re- 
noncez à la confiance qui vous a féduite: vous 
êtes perdue, s'il faut combattre encore : vous, 
ferez avilie & vaincue, & le fentiment de votre 
honte étouiFera par degrés toutes vos vertus» 
-^ L'amour s'eft infinué trop avant dans la fubflance 
de votre ame pour que vous puiffiez jamais l'en 
chaflèr; il en renforce & pénètre tous les traits 
comme une eau forte & corrofive ; vous n'en* 
efiàcerez jamais la profonde impreffion fans effa<^. 
cer à la fois tous le^^féatiaiem txquâi quo tous, 
' • • ' - reçûtes 


« •• 


H E L O I s E. 15 

reçûtes de la nature, & quand il ne vous reftera 
plus d'amour, il ne vous reftera plus rien d'eftî- 
mable. Qu'avez-vous donc maintenant à faireV 
ne pouvant plus changer Tétat de votre cœurf 
Une feule chofe, Julîe, c'eft de le rendre légi- 
time. Je vais vous propofer pour cela l'unique 
moyen qui vous refte ; profitez-en, tandis qu'il, 
eft tems encore; rendez à l'innocence & a la 
vertu cette fublime raifon dont le Ciel vous fit 
dépofitaire, ou craignez d'avilir à jamais le plus 
précieux de fes dons. " 

J'ai dans le Duché d'Yorc une terre affés con- 
fidérable, qui futlongtems le féjour de mes an- 
cêtres. Le château eft ancien, mais bon & 
commode; les environs font folitaires, mais agré- 
ables ,& variés. La rivière d'Oufe qui pafte au 
bout du parc ofFre à la fois une perfpeâive char- 
mante à la vue & un débouché facile aux den* 
rées; le produit de la terre fuffit pour l'honnêtd 
entretien du maître & peut doubler fous fes yeux. 
L'odieux prqugé n'a point d'accès dans cette 
heureufe contrée. L'habitant paifible y conferve 
encore les mœurs fimples des premiers tems, 
& l'on y trouve une imaee du Valais décrit avec 
des traits fi touchans parla plume de votre ami* 
Cette terre eft à vous, Julie, fi vous daignez 
l'habiter avec lui, & c'eft là que vous pourrez 
accomplir enfemble tous les tendres fouhaits par 
où finit la lettre dont je parle. 

Venez, modèle unique des vrais amans; ve- 
nez, couple aimable & fidelle prendre pofilèffioa 
d'un lieu fait pour fervir d'azile à l'amour & à 
rinnocence. Venez y ferrer, à la face du ciel 
& des hommes, le doux nœud qui vous unit. 

Vcnçat honorer de l'exemple de yqs vertus un, 


t6 %rA ^NpAJVjPL^LB 

fsip oïl elles feront adodr^, & de$ geas fimplef- 
portes à les imiter. Puiffîe^-vous en ce lieu 
tranquille goûter ^ jamais dans les fentiméas qui 
TOUS unifTeiit le bonheur des âmes pures; puifle 
le Ckl y bénir vos chafies feux d'une famille qui 
vous rcflëmblej puiffiez vous v prolonger vo» 
jours dans une honorable vieiUeflè^ & .les ter^. 
miper. enfin paifiblement dans les bras de vo% 
^nfansi puiflent x^s neveux en parcourant avec 
un charme feq-et ce, m(>numeiit de la félicita 
conjugale» dire un jpur dans i'attendrifiêment 
^e leur cœur« .d fut ici VoQÛlt de ritmocencei 
€€ fui ici la dimmri Ms àmx anutm. 

yotre ibit eft.en vos mains^ Julje; pefez at- 
tentivement la propoûtion que je vous fais, &, 
n'en oxaminez que le fond; oar d'ail^^ur^» je AiQ 
charge d'afturer d'avance & irrévocablemenl; 
votre ami de rengagement que je. prends^ je sic 
charge auffi de la hireté de vo|re départ, & d^ 
veiller avec ki à celle de votre feribaoe ju(qu'^ 
votre arrivée. Lk, vous .ppurrejt au£-tôt veu^ 
marier publiquement fans tJbStzsàt^ car pacmit 
nous jîae &lle jiubUe n^a nul beâxin 4u confeotfr^, 
inent d autrui pour difjpo&r d^ejle-tneme. ^iQ% 
fages loîx n'abrqgent point ceÛes de la n^re„ 
& s^il refaite de cet lieureux accord- quelque» 
inconvéniens, ils (ont l^eaucoup moi«di«s «quc^ 
ceux qu'H prévient. J'ai laiâe à Vevai ^aoiit 
Valet- ae-chambre« homme de confiance, brav«y 
prudent» ii d'une ndéllté à tqute preuve. Vous 
pounez aifément vous concerter avec lui dc^ 
Douche du par écrit )k J'aide de Regianino, iàm^ 

Îue ce dernier fâche doguoi il s'i^it. Quand M 
iratems, nous partirons .pour vous aller Joindra 
& vous ne quitterez la maifon patei^nelk que ibuf 
la conduite de votre £poux* Je 


H E L O ï s E; 17 

Je voils bifiè à vos réflexions; mats je le 
repete> craignez Terreur des préjugés & la ie«* 
dttâion des fcrupules qui mènent Ibuvent aH: 
vice par le ehemîn de l'honneur. Je prévois ce 

Si vous ai^rlvera fi vous rejettes mes offres, 
i Cirannie d'un père intraitable vous entraînera- 
4ans Tabime que vous ne connoitrez qu'après la 
chute. Votre extrême douceur dégénère quel-* 
quefbis en timidité: voiis ferez (àcrifiee à ta 
diimere dei conditions (d) : Il faudra cpntraâer 
un engagement defavoûé par k coeur. L'ap* 
probation publique fera démentie inceiTamment 
par le cri de la confcience; vous feree Jionorée 
& méprifable. Il vaut mieux être oubliée & 
vertueùfe. 

• P* t. Ûan^ le doute de votre réfelutioif^ je^' 
vous écris à l'infçu de notre ami» de peur 
qu'un refus de vôtre part ne vint détf uirO' 
en un inftaAttaùt J'effet de .mes leina« 

• L È T T R E IV. 

îk ytèli€ à Glifin. 

OH» ma chère! dani^ quel tnôuble tu m'^Mi 
laiffîe hier àa Totr^ & quelle nuit }'at) 
pafTée en rêvant à cette fatale lettre I Non, ia*: 
mais tentation ph»a datigeféiife' lie Vint afiàillir: 
mon cœur; jaàiais je n'éprouVaî de ^areilka fil|g(i— 

(</) La chimère èis conditions 1 C^eft un pair d'Angleterre 
qui parle ainfi l tt toM ceci ne feroit pal uat tiàlcn } Leéteur, 
^k^en aitel-i»«8 7 * . . . . 

tations^ 


18 L'A NOUVELLE 

tktiôtis, •& jaîfiaSs je n*dpp€rçus œoîAs le moyen, 
de les appatfer. Autrefois une certaine lumière* 
de fagefle & de raifon dîrigeoit ma volonté; danr 
toutes les occaGons embarraflantes, je difcernois; 
d'abord le parti le plus honnête, & le prenois à* 
Kinftant. Maintenant as^ilie & toujours vainèuc, 
j^ ne fais que floter entre des paffions contraires ^ 
mori foible cœur n*a plus que le choix de fes 
feutes, & tel eft mon déplorable aveuglement, 
que fi je Viens par hazard à prendre le meilleur 
parti, la vertu ne m'aura point guidée, & je n'en- 
aurai pas moins de remords. Tu fais quel Epoux, 
mon pcre me deftîne; tu fais quels liens l'amour 
m'a donnés: veux-je être vcrtu«ufef l'obéi/Iknce 
& la foi m'impofent des devoirs oppofés; Veux-' 
je fuivre le penchant de mon cœur ? çui préfé- 
ter d*un amant ou d'un père ? Hélas,' en écou- 
tant l'amour ou la nature, je ne puis éviter de 
mettre l'un 6u l'autre au defefpoir; en me îàcri* 
fiant aâ devoii* je nc-pui^ évîtet de commettre un 
crime, & quelque parti que je prenne, il faut 
que -je meure à la fois malheureù&:& coupable* : 
Ah ! chère & tendre amie, toi ^ui fus toujours 
mon unique' sréflbûrce & qui jm'aiB tant fle fois 
fauvée de la mort & du deîefpoîr, confidere au- 
jourd'hui l'horrible état de mon.ame, & vois 
fi jamais tes fecourables foins me furent plus 
iléctfflkftesl Tu ïaî^ fi tes avisVfont écouté^i^ 
tu fai^fi teft confeils font fums, tu viens de voir' 
au prix du bonheur de ma rie fr je fais déférer 
aux leçons de l'amitié. Prens donc jritié de l'ac- 
cablement oii tu m'as réduite; achevé, puis que. 
tu as commencé; fupplée à mon courage abattu, 
penfe pour celle qui ne penfe plus que par toi. 
Enfin, tu lis dans ce cœur qui t*aimei tu le 
♦• • • connois 


H E L O ï s E. 19 

corinois mieux que moi. Apprens-moi donc ce 
que je veux & choifis à ma place, quand je n'ai 
plus la force de vouloir, ni la raiibn de choifir. 

Relis la lettre de ce généreux Anglois ; relis* 
la mille fois, mon Ange. Ah ! laifle-toi tou* 
cher au tableau charmant du bonheur que Ta- 
mour, la paix, la vertu peuvent me promettre 
encore F Douce & raviflànte union des amcsP' 
délices inexprimables, même au fein des re- . 
mords ! Dieux ! que feriez vous pour mon cœur . 
au* fein delà foi conjugale? Quoi! le bonheur 
& rinhocence feroient encore en mon pou- ; 
voir î Quoi, je pourrois expirer d'amour & de 
joie entre un époux adoré, & les cbers gagea dai 
fa tendrefle !•••.& j'héfîte un feul moment, 
& je ne vole pas réparer ma faute dans les bras de *: 
celui qui mè là fit commettre? & je ne fuis pas 
déjà femme vertueufe, ic chafte mère ^e famille ? 
• . • • Oh que les auteurs de mes jours ne peu- 
vent-ils me voir fortir de mon aviliilèment I Que 
ne peuvent-ils être témoins^de la manière dont je 
faurai remplir à mon tour les devoirs facrés qu*i}s\ 
ont remplis envers moi! . . • • &les tiens? fille 
ingrate & dénaturée ; qui les remplira prcfe d'eux; : 
tandis que tu les oublies ? £ft-ce en plongeant . 
le poignard dans le fein d'une mère quetu/te, 
prépares à le devenir ? Celle qui deshonore fa . 
famille apprendra-t-elle àfes enfana à l'honorer? 
Digne objet de l'aveugle teodceflè d*un père & ! 
d'une mère idolâtres. Abandonne-les au regret ; 
de t'avoir fait naître; couvre leurs vieux joura 
de douleur & d'opprobre . . • • & jouis, fi tu 
peux, d'un bonheur acquis à ce prix. 

Mon Dieu! que d'horreurs m'environnent! 
quitter furtivement fon paysr déshonorer ià.fa*^ 

mille. 


fto LA 1Î0U>VHLLE 

waiUe^ ftbandofuier à Ik foi» père» mm, ftfnii|.- 
parèns, & toi-^inème ! éct toi » ma «ioiice amie ! 
HtfÀj lai>icn»atiiiée de nfum cttur ! toi dont à 
peine dès mon enfance^ je puis ttfktt éiei^éc 
HH ftvl jour \ te fuir, te quitter, te perdie^ ne " 
te plus voir ! • • • . ah non ! ^ue jatnais . . « # 

Se de toiirniens déchirent ta malh^uneufeaimef - 
e itot à la fois tous l«s.inaiix dont eHe a le 



choix, fans qu*ancan des hieos qtti lui réfteioni 
la confoie. Hélas, jem'eg^Pt^ Tant içcoat' 
bacs pafiènt. ma force & troublent œa raifon ; je 
perds à la fois ie .courage fi le fens^ Je n'ai 
plus d'efpotr qu'en toi (suie. Qu choifis ^u 
laifle iBoi meiurir. 


lAflbMiBMM 


L E 1* T R E V. 

TES perpiexitéB ne feat fl|iBr trop bêm. feA«> 
àk%r ma ohcre Julie} ^ leeas prÉvues te 
n'.âi'pii ies.fRifveair, je iee feus & im ks pwe 
appâter; 'ic ce qtàejt vbb de piredasa ton dtaâp 
cÛl-qœ perfonne ne tfeis peut tirer que toi*» . 
mânie* Quand il s'âgil ûi prudence^: l'aiDitie 
vieticao feoosiistf une ameagii^ ^A ÙMtxbUS^ • 
le bien Y>a le nsal» ia pafion qui les-méecanoit ' 
pm fe taire devant un confetl tiefinterefè. • Mais ^ 
ità «quelque parti 4^ue tu prennes, la natiore Tau- . 
terife & k condamne, la radfon le falâme & Tap- 

t>rouve, le devoir fk tait ou s'oppofe à lui-lliêmei 
eto faites ibnt également kcrkindre de part&' 
dVnitie^ tu ne peux n} refter-iadéctiê ni bien 
« ' choiûri 


H E L O ï s E. tf 

«rchoiSr; tu n'as qiie det pdocé àcompirer. Se 

-toa cœur fcul ea eft Je juge. Pour moi^ Tia- 

portancç de la délibération m'épouvante & fou 

•eSettn'attrifte. Quelque fort qœ tu préferqg^ 

il fo-a toujours peu digne de toi, .&~iie pouvant 

^Di te mpnurçr on parti qui te Gonvicnncy ni te 

"icouduire au wat boi)heur, je n'ai pas le courage 

de décideii de ta deftinée. Void le premier refus 

-que tu reçus jamais àt ton amie» & je fens bien 

-par ce qu'il me coûte que ce fera le dernier; 

7mais<je te trehircis en v«H|lant te gouverner dans 

.u« cas où la raUbn même s'impofe fileoce» & ok 

•la feule règle à fuivre eft d'écouter ton propre 

-penchant. 

Ne fob pas in}u0eenvas md, ma'doiicc amict 
-À^ne ine jtfge:point avant Ife tenîsl Je fai^ qu'il 
^eft des aiAitiés cinçonfpeâes-quii craignait defe 
:^comprofBdtra9 refufent des opnîèils danslesoe- 
^cafions Aiiiciles> &. dont la reiçrve augmente 
•avec le péril des amis. Ah 1 tu vas ccmnoître 
• fi pecoBur qui tViime eonnoîtoes timides pre- 
tcautions ! lî^iire^qu-aû Heu de te parler de tes 
afiaires, je te parle un inftismt desrmieanes* 
^ 'K'aÎHu jamais remarqué, mofn Ange, à quel 
point tout ce qui t^approcbe ^'attache à to>? 
'Qu'un peve <& une mère dtéri&ftt une fiUe 
uniqu^ H n*y a- pas, je le fais, dequoi s'en fort 
(Âoimef .$ ^*un jeune 4iomsne ^dcm t'eniamoie 
pour un €bJ4Bt aimable^ ceU n*eft pas pks ex- 
traordinaire in^aisqu^'ii i -âge mur un hiomme 
^aiiffi froU que M. dt Wolmanà^attcndrifitB en. te 
«veyani:, fùul' la -prtfifiierè feis-d» b. vie; que 
'4oute une famille tVdoIatre unanfaneineftt; que 
^cvfois eheré à mon |^, cet liomnieiifea fenii- 
eUr, autant ^ pltts^ peiit-4lre, que Ib. peopBss 

l enfans : 


22 LA NOUVELLE 

*-ènfaiis : que les àmis^ les connoiffiuioâ) les 
domeftiques^ les voifins & toute une ville en- 
tière, t'adorent de concert & prennent à toi le 
plus tendre intérêt: Voila, ma chère, un con- 
cours moins vraifemblable, & qui n'auroit point 
lieu s*il n'^avoit en ta perfonne quelque caufe 
particulière, ëaisrtu bien quelle eft cette càufe ? 
. Ce n'eft ni ta beauté, ni ton efprit, ni ta grâce, 
ni rien de tout ce qu'on entend par le àon de 
plaire: mais c'eft cette ame tendre Se cette dou- 
ceur d'attachement qui n'a point d'égale ; c'eft 
le don d'aimer, mon enfant, qui te fait aimar. 
Qn peut refifter à tout, hors à la bienveûil- 
lance, & il n'y a point de moyen plus fur d'ac- 
quérir l'affeâioh des autres que de leur donner 
la fienne. Mille femmes font plus belles que 
toi ; plufieurs ont autant de grâces ; toi feUle as 
avec lesi grâces, je ne fais quoi de plus féduifant 
' qui ne plaît pas feulement, mais qui touche, & 
qui fait^ volçr tous les cœurs au devant du tien. 
-On lent que ce tendre cœur ne demande qu'à 
fe donner, &: Je doux fentiment qu'il cherche 
le va chercher à fon tour. . 
' Vu vois^ par ekemple, avec furprife l'in- 
croyable affeâion de Milord Edouard pour ton 
ami; tu vois fon zèle pour ton bonheur; tu 
"^reçois avec admiration fes offres généreufes ; tu 
les attribues à la feule vertu, & *ma Julie de 
s'attehdrir ! Erreur, abus, charmante Çouûne ! 
A Dieu ne plaife aue j'extéixiie les bienfaits de 
Milord Edouaid, oc que je déprife fa grande 
ame* Mais crois-moi, ce zèle tout pur qu'il eft, 
feroit moins ardent fi dans la même circonfiançe 
-il s'addreflbit à d'autres perfonnes. C'eft ton 
afcendant invincible & celui de.ton, ami^ qui, 
• - 3 * fans 


H E L O ï s E. 23 

•Ans mçnie qu'il a'en app^n'çoîve h determinef^t 
avec tant de forcé» & lui font faire par attache- 
ment, ce qu'il croit ne faire que p^ honnêteté.. 
Voila ce qui doit arriver à toutes les am^ 
d'une certaine trempe ; elles transforment pour 
ainfi dire les autres en elles-mêmes; elles ont 
une fphere d'aâivité dans laquelle rien ne 
leur refifte : on ne peut les connoitre fans les 
vouloir imiter» & de leur Aiblime éjevation elles 
attirent à eHes tout ce qui les environne, . C'eft 
pour cela, iha chère, que ni toi nj*tQn amiine 
connoitrez peut-être jartiais les homtpes; car 
vous les verrez bien plus comme vous les ferez, 
que cobune ils feront d'eux-mêmes. Vpus don- 
nlérez le ton à tous ceux qui vivront avec vqus>; 
ils vousfuironit ou.vous deviendroivt fembl^ble49 
& toUt ce- que vous aurez va. n'aura peut-^ijB 
rien deipareil dana le refie du çoondç, . 
i Venons maintenant à .moi, Coufine 1 à moi 
qu'un même fang, un mêmç âge, & fur topt une 
parfaite conformité de goûts & d'bumeyrs avec 
des tempéramens contraire^^ unit à.tpldès l'çi^ 
'£uice# .1 ■ ^ . j ;i . ' , . :-: 

. Congiunti eran ,gr alt^erghi^ -. , 

Ma più cMgiunti i cm : \-rù : , [;î 
Confûrmt erà P^tate^ ! , •; 

Ma V penfier più cmformi. 

Qut penfes^tu, qu'ait produit fur .cellp qui 
- d paffî:fa vie avec toi, cette chacoiapt.Q tnflueni^ 
.qui fe fait fentir k tout ce qui . t'appi;<>çhd^? 
Crois-tu qu'il puiffe ne régner entre n<J^is qu'ùi^e 
u/iion commune ? Mes yeux ne te reù4e9(Mls 
pas la douce joye que je prends chaquç jour 
dans les tiens em nous abordant? Ne lis- tu pis 

dans 


n LA NOUVELLE 

ézn% ttieti cœu# atteilfdri le plaifir^ de pàitgiMr 
"tes pei&es & <le pleurer avec toi i Puk^je oubuer 
que dans les .premiers tranfports d^un amour 
'tiwffkntf Taimtié ne te fut point knportune, & 
que les murmutes de ton amant ne purent t'ei>- 
g^er à m'éloigner de toi, & \ me dérober le 
*Q)e^acle de ta foibiefiê? Ce moment fut criti- 
'que, ma Julie s Je fais ce que vaut dans ton 
cœur modeAe ie facrifke d'une bonté qui n*eft 
pas réciproque. Jamais je n'eufle été ta con- 
fidente fi J'eufie été ton amie à demi, ic nos 
«mes fe K>nt trop bi^n fenties en s'uniflant, 
«pour que rienf les pu^ déformais ieparer. 

Qu'eft*ce qui r^nd les amitiés fi tiedes & fi 
«peu duraMes entre les femmes, je dis entre celles 
«qui faurcMCAt aimer? Ce font les intérêts de 
^'amour.; c'dl Tempire de la beauté $ c^eft la 
Jaloupe des Genquétes« Or fi rien de tout cela 
^;ious dut pu «tivïfer; cette divifion Icroit dga 
•ifaite ; mais quand mon cœur feroit moins in* 
^te à l*amour, quand j'ignorerois que vos feux 
*iont de nature à ne s'éteindre qu'avec la vie^ 
ton amant eft mon ami, c'eft-à-dire^ mon frè- 
re ; & qui vil jamais finir par l'amour une v^ri'- 
tahle amitié ? Four M. ^rOrbe, apurement il 
auralong(ems à fe louer de tes fentimens» a* 
vant que je fenge 4 m'en plaijidfe, & je ne fuis 
pas plus tentée' de le retenir par force que toi 
'da me l'attacber. £h, 'mon eo&nt ! plut au 
Ciel qu'au prix âdefon at^chement je te puiiè 
guérir du tien; je le g^ide ayec plaifir^ je k 
^ Cretois avec joye. 

A l'égard des prétentions fiir la figure j'en 

puU avoir tant qu'il me plair^ 4u n'es pas filte 

^Âine les di^uter, & je fm bm fâre qu'il ne 

t'entra 


H E LOI S e; tg 

t'entra dû tes jours dâiis Fe^rit de favoir qui de 
nous deux eft la plus jolie. Je n'ai pas été 
tout à fait fi indifférente ; je fais là-deffus à quoi ^ 
«l'en tenir, fans en avoir le moindre chagrin. 
U me femble même que j'en fuis plus fiere que 
jflloufe; car enfin les charmes de ton vifage 
n'étant pas ceux qu'il faudroit au mien» ne 
ih'ôtent rien de ce que j'ai, & je me trouve en- 
core belle de ta beauté, aimable de tes grâces» 
ornée de tes talens ; je me pare de toutes tes 
perfeâions, & c'eft en toi que je place mon a- 
mour propre le mieux entendu. Je n'aimerois 
pourtant guère à faire peur pour mon compte, 
mats je fuis afies jolie pour le beibin que j'ai 
ée l'être. Tout le refte m'eft inutile, èc je 
n'ai pas befoin d'être humble pour te céder. 

Tu t'impatientes de favoir à quoi j'en veux 
venir. Le voici. Je ne puis te donner le con- 
ièil que tu me demandes, je t'en ai dit la raifon : 
mais le parti que tu prendras pour toi, tu le 
prendras en même tems pour ton amie, & quel 
que foit ton defiin je fuis déterminée à le par- 
tager. Si tu pars, je te fui$ ; fi tu reftes, je 
refte : yen ai formé l'inébranlable réfolution, 
je le. dois, rien ne m'en peut détourner. Ma 
fatale indulgence a caufé ta perte ; ton fort 
doit être le mien, & puifque nous fumes infé« 
parables dès l'enfance, ma Julie, il faut l'être 
jufqu'au tombeau. 

Tu trouveras. Je le prévois, beaucoup d'étour- 
derie dans ce projet ; mais au fond il eft pins fenfé 
qu'il ne femble, & je n'ai pas les mêmes motifs 
d'irréfolution que toi. Premièrement, quant à 
ma famille, fi je quitte un père facile, je quitte 
un père afTés indifférent, qui jjtifTe faire à fes 

Trnif IL B cnfans 


%6 LA NOUVELLE 

enfam tout ce qai leur plak» plus par aést^efl-* 
ce que par tendrefle: car te fab que Ita wair<ea 
4e r£urope roccupetiC beaucoup plÂisque les ften- 
%ie8. Se que fa fille lui eft hiettinoia$ chère que la 
pragmatique. D^'ailleurS) je ne. fuis, pat oofouie 
toi fille unique, & avec Ie& enfass qui Iqi refte« 
ront, à peina fauca^t^l s'illui en oiaiiq}ie^suii« 

; J'aban^ntie un aiai^iage pcet à coochicer?} 
MtÊtic(h:tiude<î nia daere.; c^eSk à M^ d'Odiet. 
s'il m'afime, k s'en confolen Pour moi,, qiioi«- 
que j'eftime fon caraâere^ que je oe kh pa» 
fan$ attachement pour fa perfoiiiiey &qtt« je re- 
grette er» lui un fort honnête homme, il no 
in*eft rien auprès de ma Julie. Dis^moi, mon 
enfartt, Tame a-t-elle un fexe ? En vérlto» je no 
le fens guère à la mienne. Jte.puis.àvotr des 
fantaifies, mais fort peu d'amour. Un mari 
peut m'être utile, mais il ne fera jamais pour 
moi qu'un mari, & de ceux-là, libre encore 
& paiTable comme je fuis, j*en puis trouver ua 
par tout le monde. 

Prens bien garde, Coufine, que. quoique j.e 
n'héfite point, ce n'eft pas à dire qtie f u nç dein 
ves point héfiter, ni que je veuilles t^lnfin^iei; 
de prendre le parti que je prendm. A tu pars. 
jLa différence eft grande entre noua & tes de* 
voirs font beaucoup plus rigoureux que les 
miens. Tu^ iàis encore, qu'une afFeâion pref- 
que unique remplit mon cœur, & ahferlïe H 
bien tous les autres (èntimens i]u'ils y foat CQm* 
me anéantis. Une invincible & douce babi*» 
tude m'attache à toi dès mon enfance; je n'ai« 
me parfaitement que toi feule, & fî j'ai quelques 
liens à rompre en te fuivant, je m'encourage- 
rai partoà exeniple. Je me dirais j'imite Ju- 
lie, & me croirai juûifiée. 

BILLET. 


HE L O ï S Ei if 


i^«*i 


BILLET. 

De yuUe à Clair e* 

r\ t'entends» amie iacomparable» U je te re- 
mercie. Au moins une fois j'aunû fait moâ 
devoii*» & ne ferai pas »» tout indigne de toi* 


■ i'1.1!"'.^ JJ 


LETTRE VI. 

De Julie à Milord Edtmard. 

Votre lettre, Milord, me pénètre d'atten- 
dfiflèmenC & d'admiration. L'ami que 
vous daignez protéger n'y fera pas moins fen- 
fiUe quand il faura tout ce que vous aves voulu 
faire pour nous. Hélas ! il n'y a que les in* 
foiituné3 <)ui fentent le prix des âmes bienfai- 
£ifite». Nous ne favons déjà qu'à trop de titres 
tout ce que vaut la votre, & vos vertus héroï- 
ques nous toucheront toujours, mais elles ne 
nous furprendront plus. 

Qu'il me feroit doux d'être heureufe fous les 
aufpices d'un ami fi généreux, & de tenir de ics 
bienfaits le bonheur que la fortune m'a refufé ! 
Mais, Milord, je le voi$ avec defefpoir, elle 
trompe vos bons defièins \ mon fort cruel l'em* 
porte fur votre zele, & la douce image des biens 
que vous m'offrez ne fert qu'à m'en rendre la 
privation plus fenfible. Vous donnez une re« 

B 2 traite 


dt LA NOUVELLE 

traite agréable & fure à deux amans perfécutés ; 
Vous y rendez leurs feux légitimes, leur union 
folemnelle, & je fais que fous votre garde j'écha- 
perois aifément aux pourfuites d'une iamille ir« 
xitée. C'efl beaucoup pour Tamour, eft-ce afl^ 
pour la félicité î Non, fi vous voulez que je 
fois paifible & contente, donnez moi quelque 
a£ile plus iûr encore, ou l'on puiflë ëchaper a 
la honte & au repentir. Vous allez au devant 
de nos befoins, & par une générofité fans exem- 
ple, vous vous privez pour notre entretien d'une 
i>artie des biens deftinés au votre. Plus riche, plus 
honorée de vos bienfaits que de mon patrimoine, 
je puis tout recouvrer près dé vous, & vous 
daignerçz me tenir lieu de père. ^Âh Milord ! 
ferai -je digne d'en trouver un, après avoir a- 
bandqnné celpi que m'a donné la nature ? 

Voila la fource des reproches d'une confciencë 
^Ouvantée, & des murmures fecrets qui déchi- 
rent mon cœur. Il ne s'agit pas de favoir fi j'ai 
droit de difpofer de moi contre le gré des au- 
teurs de mes jours, mais fi j'en puis difpoièr 
fans les affliger mortellement, fi je puis les fuir 
fans les mettre au defefpoir ? Hélas ! il vaudroit 
autant confulter fi j'ai droit de leur ôter la vie. 
Depuis quand la vertu pefe-t-elle ainfi les droits 
du fang & de la nature ? Depuis quand un cœur 
fenfible marque-t*il avec tant de foin les bornes 
de la reconnoîlTance ? N'eft-ce pas être d^acou* 
pable que de vouloir aller jufqu'au point ùù l'on 
commence à Te devenir, & cherche-t-onfifcni- 
puleufement le terme de fes devoirs, quand on 
n'eft point tenté de le paflèr? Qui, moi i j'aban- 
donnerois impitoyablement ceux par qui je ref- 
pire, ceux qui me coatervent la vie qu'ils m'ont 

donnée^ 


H E L O ï s E. 29 

donnée, & me la rendent chère ; ceux qui n'ont 
d'autre efpoir, d'autre plaifir au'en moi feule i 
Un père fttiqat fexagenaire f . une mère tou- 
jours ianguiflànte ! Moi leur unique enfant, je 
les laiflërois fans affiftance dans la folitude & 
les ennuis de la vieillefle, quand il eft tems de 
leur rendre les tendres foins qu'ils m'ont pro* 
digues ? Je livrerois leurs derniers jours à la 
honte, aux regrets, aux pleurs? la terreur, le cri 
de ma confdence agitée me peindroient fans 
ceilè mon père & ma mère expirans fans con* 
folation, & maudiiiànt la fille ingrate qui les 
délaiilè & les deshonore? Non, Milord, la 
vertu que j'abandonnai m'abandonne à fon tour 
& ne dit plus rien à mon cœur ; mais cette 
idée horrible me parle à fa place, elle me fui- 
vroit pour mon tourment à chaque infiant de 
mes jours, & me rendroit miférablc au fein du 
bonheur. £n{iji, fi tel eft mon deftin qu'il 
failla livrer le refte de ma vie aux remords, ce- 
lui-là iéul eft trop alFr^ux pour le fupporter; 
j'aime mieux braver tous les autres. 
/ Je ne puis répondre à vos raifons, je l'avoue,. 
jie n'ai que trop de penchant à les trouver bon- 
nes: mais, MÙord> vous n'êtes pas marié, ne 
ienlez vous point qu'il faut être père pour avoir 
droit de confeiller les enfans d'autrui? Quant 
à moi, mon parti eft pris ; mes parens me ren-» 
dfont malheQreuf^, je le fais, bien $ mais il me 
li^ra moins cruel de gémir dans mon infortune 
que d'avoir caufé la leur, & je ne déferterat ja- 
mais la maifon paternelle» Va donc, douce 
chimère d'une ame fenfible, félicité fi charmante 
je fi défirée, va te perdre dans la nuit des fon- 
(es, tu n'auras plus de réalité pour ipoi. Et 

B 3 ' ^vous» 


30 LA NOUVELLE 

vous, ami trop généreux, oublies^ vos aiinaUe» 
projets, *5{ qu'il n'en refte de trace qu'an fond 
d'un cceur trop reconnoiflknt pour ea perdre le 
fbuvenir. Si l'excès de nos maux ne d^oura- 
ge point votre grande ame, fi yos généreufês 
bontés ne font point épuîfées, il vous refte de 
quoi les exercer avee gloire, îc celui que vous 
honores du titre de votre ami, peut par vos 
foins mériter de le devenir. Ne Jugez pas de 
lui par l'état où vous le voyez : ion également 
ne vient point de lâcheté, mais d'un ^nie ar« 
dent & fier qui fe roidit contre la fortune. Il y 
a fouvent plus de ftupidité que de .courage dans 
une confiance apparente ; le vulgaire ne con« 
noit point de violentes douIeUx^, & les grandes 
pafiîons ne germent gueres chez les homaiea 
foibles. Hélas ! il a .mis dans la fienne cette 
énergie de ièntimens qui caraâérife les amee 
nobles, & c'éft ce qui fait aujourd'hui nui honte 
ic mon deièfpoir. Milord, daignez ie croire, 
a'il n'éfpit qu'un bçmme ordinaire, Julie n'eut 
point péri. 

Non, lion i cette affeûion fecrette qui pcé- / 
vint en vous une eftinae éclairée ne vous « 
point trompé. Il 9& digne de tout ce que Vùv$ 
avez fait pour lui fans te bien connaieie; iPOiie 
ferez plus encore ê'il^pofflUe, apvès l'avoir 
connu. Oui, fc^pes km confdaleur, fcn pro* 
«eûeur, Ibn ami, fou i>eré, c'eft i la fois pour 
^otts & pour lui me je nous en eoi^uie; il 
jufttfiœi votre coaÇanoe, il lionoreni fos bien*^ 
6its, il pratiquem vos leçons. Il imtteta vos ver* 
tus, il apprendra de vous la fagefe. Ah, Mi* 
loidl s'il devient entre vos mains tout ce qu'il 
peut etrs^ que vous fisrez fier un jeur de vetrot 
euvrage ! 

LETTRE 


H E L O ï 6 E. 31 

L E T T R E VII, 

De Julie. 

ET toi auffi^ mon doux ami ! & toi l'unique 
eipoir de mon cœur, tu viens le percer 
encore quand il fe meurt de trifteflè! |'étois 
préparée aux coups de la fortune, de long^ pre£- 
fentimens me les ^voient annoncés; je les auroi^ 
fupportés avec patience : mais toi pour qui je les 
îbufFre ! aii ceux qui me viennent dç toi me font 
jfeuls infupportables, & il n^'eft affreux de voir 
aggraver mes peiaes par celui qui devoit me les 
rendre chères 1 Q^ de douces confolations je 
m'étois profni&s qui sMvanpuiiTent avec ton 
courage ! Combien de fois je me flattai que la 
force animeroit ma langueur» que ton mérite 
«ffaceroit làa Êfiute, que tea vertus releveroient 
mon ame abattue 1 Combien de fois j'efiuyai mqi 
larmes ameres en me difant, je foMnre pour lui, 
jmais il en eft d^ne; je fuis coupable,' mais il eft 
vertueux; nulle ennuis m'affiegent, mais fa con- 
ftaxice me foutient, & je trouve au fond de fon 
ccèitf le dédommagement de toutes mes pertes? 
Vainefpoir que la première épreuve a détruit! 
Où eft maintenant cet amour fublinie qui fait 
élever tous les féntimens & faire éclater la vertu? 
Où font ces £eres maximes.? qu'eft devenue 
cette imitation des grands honunes? Oh eft ce 
philofophe que le malheur ne peut ébranler, & 
qui fuccombe au premier accident qui le fépare 
4e (a maitreiTe ? Quel prétexte excufera déformais 

B 4 ma 


34 L'A N0UVÏ;LLÉ 

jiia honte à mes propres yeux, quand je ne voi* 
plus dans celui qui m*a (êduîte qu'un' homme 
fans courage^ amoli par les pl^jfirs, qu'un cœur 
lâche abattu par le premitfr reversjqtfun infenfé 
qui renonce à la raifon .fitôt qu'il a befoîn d'elle? 
ô Dieu ! dans ce comble d^umilUtion devois^jè 
me. voir .réduite à rougir de mon choix autant 
'que deiTia-fôîbfefrc? ^ - ' 

Regardera, quel point- tu t'oublies; ton ame 
égarée & rampante s'abaiflè jufqu'à la cruauté? 
tu m'ofes faire des reproches? tu t'ofes plaindre 
de moi ? • . . dç ta Julie ? . . • barbare! • '• . com- 
ment tes remords n'ont^k pas retenu ta main ? 
Comment les plus doux témoîgriages du plut 
tendre' amour qui ftit jamars, t'ont-ils laifle le 
courage de m'outràger? AH (i tu pou vois dou- 
ter de mon cœur que. |e' t,i^n feroit méprifable! 
• . • mais^ non, tu n'en doutes pas, tu n'en peux 
douter, j'en puis défier ta* fureur j' & dans cet 
inftant même où je hais ton iiijuflice, tu voistrop 
bien la fource du premier mouvenient de colère 
que j'éprouvai de ma viç. ' 

Peux-tu t'en prendre à moî,, fi 'je mè fiiîî 
perdue par une aveugle confiance, .& fi mes def^ 
feins n ont point réuffi? ' ,Que tu rougirois de 
tts duretés fi tu connotflbis quel efpoir m'avait 
réduite, quels projets j'ofaî former pour ton bon- 
heur Se le mien, & comàient ils fe font évanouis 
avec toutes mes efpénynces! Quelque jour, j*ofe 
m'en flatter. encore^ ttr pourras en favoîr davan- 
tage, & tes regrets tnc vengeront alors de tes 
reproches. Tu fais îa deffenfédcmbn père 5 tu 
n'ignores pas les difcours publics ; j'en prévis les 
conféquences, je te les fis expofer, tu les fentis 
comme nous, & pour nous conferver l'un à 

l'autro 


H E L O I s E. 33 

r^tre il falut nous foumettre au fort qui nous 
feparoit. 

Je t'ai donc chafle, comme tu l'ofes dire? 
Mais pour qui Tai-je fait, amant fans délicatefle ? 
Ingrat ! c'eft pour un cœur bien plus honnête 
qu'il ne croit l'être, & qui mourroit mille fois 
plutôt que de me voir avilie. Dis-moi, que de- 
viendras-tu quand je ferai livrée à l'opprobre? 
£fperes-tu pouvoir fupporter le fpeâacle de mon 
deshonneur.? Vien cruel, il tu le crois^ vien« 
recevoir le faqrifice de ma réputation avec autant 
de courage que je puis te l'offrir. Vien, ne crains 
pas d'être defavoué de celle à qui tu fus cher. 
je fuis prête à déclarer à la face du Ciel & des 
hommes tout ce que nous avons fenti l'un pour 
l'autre^ je' fuis prête à te nommer hautement 
monamant, à mourir dans tes bras d'amoiir & 
de honte : j'aime mieux que le monde entier 
çonnoiilè ma tendreiTe que de t'en voir douter 
un moment, & tes reproches me font plus amers 
que l'ignominie. 

Finiiibns pour jamais ces plaintes mutuelles, 
|e t'en conjure } elles me font infupportàbles. 
ô Dieu ! comment peut on fe quereller quand 
on s'aime, & perdre à fe tourmenter l'un l'autre 
âes momens où l'on a fi grand befoin de con* 
iblation ? Non, mbn ami, que fert de feindre 
un mécontentement qui n'eft pas. Plaignons- 
nous du fort & non de l'amour. Jamais, il ne 
forma d'union fi parfait^ ; jamais il n'en forma 
de plus durable. Nos âmes trop bien confon- 
dues ne fauroient plus fe féparer, & nous ne 
pouvons plus vivre éloignés l'un de l'autre, que 
comme deux parties d'un même tout. . Comment 
peux- tu donc ne (èntir que tes peines ? Comment 
pe fens-tu point celles de ton amie? Coxnment 

B ^ n'en- 


34 LA NOUVELLE 

n'enlehs-tii point dans ton kïn fes tendres g^ 
mifleoiens? Combien ils font fdus douloureux- 
qac tes cris^poitést Combien fi tu partageois 
mes maux ils te feroient plus cruebque les tiens 
mêmes! 

Tu trouves ton fort déplorable ! Confidere 
celui d^ ta Julie, & ne pleure que Air elle. 
Confidere dans nos communes infortunes l'état 
de mon Sexe & du tien, & juge qui de nous eft 
le plus à plaindre ? DÎms la force des paffiona 
amâer d'être infenfible i en proye à mille peines^ 
paiokiie joyeufe éc contente ; avoir Talr fisreih^ 
& Kame a^tée; dim toujours autrement qu'M» 
ne pcwife ; degaUer tout te qu'on 'fent ; £tne- 
hmm par demr, & mentir par modeftier voilii. 
Kétat habitud de toute lîUe de mon %ew Otr 
paflle ainfi fes beaux jours fous la Mannte der 
bienf&uices, qu^â^grave enfin celle des parens 
dans un lien ml ^orti* Mais on gêne en vaitt 
nos inclinations; le coeur ne reçoit deloix que 
de lui-même^ il échape à Tefclavage ; ilfedonnr 
a fon gre. Seus un joug de fer que le ciel n'im- 
pofe pas on n'aflfervit qu'un corps fans ame: la 
perfonne & la foi reftent féparément engagées. 
Se l'on force aa crime une malheureufe viâime^ 
en la forçant de manquer de part ou d'autre 2M 
devoir facré de la fidâité. Il en eft de plus (âges? 
^h, je le fais I Elles n'ont point aimé? Qu'elles 
font heureufes! Elles refiflent? J'ai voulu re- 
fifter. Elles font plus vertueufes? Aiment- 
elles mieux la vertu ? Sans toi, fans toi feul je 
l'aurois toujours aimée. Il eft donc vrai que je 

ne Taime plus ? tu n>'as perdue, & c'dft 

mot qui te confole ! • • • • mais moi que vais-je 

devenir ? ... « que les confolations de l'amttié 

3 ibnt 


H B L O I s E. SS 

font foibles où manquent c^es de Tamour ! qui 
pie confolera donc dans mes peines? Quel fort 
afFreux j'envifage, moi qui pour avoir vécu dans 
le crime ne vois plus qu'un nouveau crime dans 
des nœuds abhorrés & peut*être inévitables) ^ 
Où trouverai-je afles de lannes pour pleurer m» 
faute & naoa amaal, & jo cède? où trouverai-je 
ailes de force pour râdfteri dans rabattement ok 
je fiiis? Je crois déjà voir les fureurs d'un père 
irrité ! Je crois déjà fentir k cri de la nature 
émouvoir mes entrajll^, ou l'amour gémiflknt 
diéchirer mon cœur ! Privée de toi) je refte fan$ 
xdTource, Éui» a^ui, iàns efpoir^ le pafle m'a«- 
vilit^ le préièat m'afflige» l'avenir m'épouvantew 
J*ai cru toift faire pour notre bonheur» je n'ai fait 
que nous rendre plusmiférables en nous préparant 
«me iëparatioa plus cruelle. Les vains platfirs 
lit font plus, les remords demeurent. Se la honte 
qui m'humilie eft fans dédommagement. 

C'eft à moi, c'eft à moi d'être foible & mal* 
beunsufe. Laiiià-moi pleurer & foujffrir; me» 
pleurs ne peuvent non plus tarir que mes fautes 
iê réparer» & le teois même qui guérit tout 
ne m'offre que de nouveaux fujets de 'larmes: 
Mais toi qui n'as nulle vidence à craindre, que 
la honte n'avilit point, que rien ne force à 
deg^ifer baflèment tes fentimens; toi qui ne fens 
4|uel^atteiQtedu malheur & jouis au moins de 
ces premières vertus, comment t'ofes-tudégrader 
au poinj: de foopirer & gén^ir comme une f<^mme, 
& de t'emporter comme un furieux? N'eft-ce 
pas afles du mépris que j'ai mérité pour toi, fans 
l'augmenter en te rendant méprifablc toi-même, 
& fans m'accabler à la fois de mon opprobre &c 
du tien? Rappelle donc ta fermeté, fâche fup- 
■ Z ' ' B 6 porter 


36 LA NOUVELLE 

porter Tinfortune & fds homme. Sois encore, 
fi j'ofe le dire, l'amant que Julie a choîfi. Ah 
fi je ne fuis plus digne d'animer ton courage» 
fouvîens-toi, du moins, decequejefusun jour; 
mérite que pour toi J'aye ceflè de^'être; ne me 
deshonore pas deux lois. 

Non, mon refpeâable ami, ce n'eff point 
toi que je reconnots dans cette lettre efféminée 
que je veux à jamais oublier & que je tiens déjà 
defavôuée par toi*même. J'efpere, toute avilie, 
toute confufe que je fuis, j'ofe eTperer que mon 
fi>uvenir n'infpire point des fentimens fi bas, 

3ue mon image règne encore avec plus de gloire 
ans un coeur que je pus enflammer. Si que je 
n'aurai point à me reprocher, avec ma foibleflè; 
la tacheté de celui qui l'a cauiee. 

Heureux dans ta difgrace, tu trouves le plus 
précieux dédommagement qui foit connu des 
âmes fenfibles. Le Ciel, dans ton malheur te 
donne un ami, & te laiilè à douter fi ce qu'il 
te rend ne vaut pas mieux que ce qu'il t'ôte* 
Admise & chéris cet homme trop généreux qui 
daigne aux dépends de (on repos pnendre foin 
de tes jours & de ta railbn. Que tu ferois ému 
fi tu favois tout ce qu'il a voulu fiûre pour toil 
Mais que fert d'animer ta reconnoiflknce en 
aigrîflant. tes douleurs i Tu n'as pas belbin de 
(avoir à quel point il t'aime pour connoitre tout 
ce qu'il vaut, & tu ne peux l'eftimer comme il 
le mérite, fans l'aimer comme tu le dois* 


LETTRE 


\ 


HE L Ô i S E« sf 


L« TT E R VIII. 

De Claire. 

VOUS aves plus d'amour que de délica- 
tefle, & favez mieux faire des facrificet 
que les faire valoir. Y penfez-vous d'écrire à 
Julie fur un ton de reproches dans l'état où elle 
cft, & parce que Vous foufirez, iaut-il vous en 
preodreà elle qui foufiîre encore plus? Je voua 
l'ai dit mille fois, je ne vis de ma vîe un amant 
fi grondeur que vous ; toujours prêt à difputer 
fur tout, Tamour n*eft pour voul qu'un état de 
'guerre, ou fi quelquefois vous êtes docile, c'eft 
pour vous plaindre enfuite de l'avoir ét^ Oh 
que de pareils amans font à craindre & que je 
m'eftime heureufe de n'en avoir jamais voulu 
que de ceux qu'on peut congédier quand on veut» 
fans qu'il en coûte une larme à perfonne ! 

Croyez^moi, changez de langage avec Julie 
fi vous voulez qu'elle vive j c'en eft trop pour 
'elle de fupporter à la fois fa peine ic vos mécon- 
tentemens. Apprenez une fois à ménager ce 
cœur trop fenfible ; vous lui devez les plus ten- 
dres confoiations ; craignez d'augmenter vos 
maux à force de vous en plaindre, ou du moim 
ne vous»en plaignez qu'à moi qui fuis l'unique 
auteur de votre éloignement. Oui, mon Ami, 
vous avez deviné jufte s je lui ai fuggeré le parti 
qu'exigeoh fon honneur en péril, ou plutôt je 
l'ai forcée à le prendre en exagérant le danger j 
je votts ai déterminé vous même» & chacun a 
2 ^ rempli 


38 I.A NOUVELLE 

rempli fon devoir. J'ai plus fait encore ; je Tai 
détottr«ée d'accepter les offi'es de Milord Édou» 
ard ; je vous ai empêche d'être heureux, mais le 
boaheur de JuUe m'eft-plus cher ique le votre;, 
je favois qu'elle ne pouvoit être heureufe après 
avoir livré fes parens à la honte & au defèrpoir» 
& j*ai peine à comprendre par rapport à vous 
même quel bonheur vous j^ourriez goôier amc 
dépends du fien. 

Quoiqu'il en foit, voila ma conduite ic mes 
torts» & puifque vous vous plaifez à qtierdler 
ceux qui vous aiment, voila dequoi vous eu 
prendre à moi feule ; fi ce n'eft pas ceâer d'être 
ingrat, c'eft au moins ceiTer d'être injufie. Pour 
moi, de quelque manière que vous en uflez, je 
ferai toujours la même envers vous i vous me 
ferez cher tant que Julie vous aimera, & Je die 
rois davantage s'il etoit poffîble. Je ne me re- 

Îens d'avoir ni favorifé ni combattu votre amour, 
«e^ur zele de l'amitié qui m'a toujours guidée 
me juftifie également dans ce que j'ai fait pour 
'& contre vous. Se fi quelquefois je m'interefl» 
pour vos feux, plus peut-être, qu'il ne fembloit 
me convenir, le témoignage de mon coeur fuf- 
fit à mon repos; je ne rougirai jamais des fer*, 
vices que j'ai pu rendre à mon amie, U nemi^ 
reproche que leur Inutilité. 

Je n'ai pas oublié ce que vous m'avez appris 
autrefois de la conAance du fage dans les di£- 
,£raçes, & je paurrois ce me femUe vous en rap- 
pel 1er à propos quelques maximes ; ixiais l'exemr 
pie de Julie m'apprend qu'une fille de mon â^ 
efl pour un philoibphe du votre un auiS mauvais 
jureceptêur qu^un dangereux diiciple, & il ne me 

convîeadroît pas de do^nçr des leçons à me^ 
joait»* 

LETTRE 


HE L Cl ï S e; 53^ 

[ ' ■___ ■ -Il I 

■ ■■■'■ I » M ■-.. .... ■ , , , M , 

« • 

L E T t R E IX. 

De Mîord Edouard à Julie* 

I^TOUS remportons, charmante Julie, un^ 
J3I erreur de notre aini Ta ramené à la raifon* 
Ijà honte de s'être mis un moment dans fon tort 
a diffipé toute fa fureur, & Ta rendu fi docîl^ 
que nous en ferons déformais tout ce qu'il nous 
plaira. Je vois avec plaifir que la faute quHl fe 
reproche lui laiflè plus de regret que de dépit, & 
y: connois qu'il m'aime, en ce qu'il eft humble 
& confus en ma préfence, mais non pas embar- 
raiTé ni contraint. Il fent trop bien fon injuftice 
pour que je m'en fouvienne, & des torts ainfi 
reconnus font plus d%onneur à celui qui les re* 
pare qu^à celiû qui les pardonne. 

pai profité de cette révolution & de l'effet 
qu'eUe a produit pour prendre avec lui quelques 
arrangemens nécefikires, avant de nous féparer; 
car je ne puis différer mon départ plus longtems. 
Comme je compte revenir l'été prochain, nou9 
fômmes convenus qu'il iroit m'attendre 11 Paris^ 
& qu'enfuite :nous irions enfemble en Angle<^ 
terre. Londres eft le feul théâtre digne des 
grands talens, & où leur carrière eft la plus 
étendue {a). Les liens font fupérieurs à bien 

de( 

(a) C*eâ avoir vue étrange préventioa foor foa payt \ car 
je n* entends pas dire qu*il y en ait au monde oà généralemesK 
parlant les étrangers foient moins bien re^us^ <è trouvent pW 
d*obftaclcs à s* avancer qtt*ea Anglsterrt. Par le geût de In 
yadoa U8ji*y Sùsx faTorUes es rieoj par la forme dn gonver'» 


40 LA NOUVELLE 

des égards, & je ne derefpere pas.de lui voir faire 
en peu de tems à L'aide de quelques amis, un 
chemin digne de fon mérite. Je vous expliquerai 
mes vues, plus en détail à mon paiTag^e auprès de 
vous. En attendant vous fentez qu'à force de 
fuccès on peut lever bien des difficultés, & qu'il 
y a des degrés de cbnfidération qui peuvent com- 
penfer la natflknce^ même dans refprit de votie 
père. Ceft, ce me femble» le feul expédient 
qui refte à tenter pour votre bonheur & le fien^ 

1>uifque le f6i% & les préjugés vous ont ôté tous 
es autres, 

J^ai éait à Regiaivfio de venir nie joindre en 
pofte» pour profiter de lui pendant huit ou dix 
jours que Je pafTe encore avec notre ami. Sa 
trifteflè e(t trop profonde pour laifler place à 
beaucoup d'entretien/ La mufique remplira les 
▼uides du filence, le laiflèra rêver» & changera 
par dégrés fa douleur en mélancolie. J'attens 
cet état pour le livrer à lui-même^: Je n'oferois 
m'y fier auparavant. Pour Régianiino, je vous 
le rendrai en repayant & ne le reprendrai qu'à 
mon retour d'Italie, tems où, fur les progrès 
que vous avez déjà faits toutes deux, je juge 
qu'il ne vous fera plus nécefTaii-e.* Quant à pré* 
fent, furement il vous eft inutile, & je île vous 
jprive de rjieii en vous' l'ôtant pour quelques 
jours. 

Bernent Us n^y (ÂiroîcAf panrenîr ï rien. Mais coBTenoni auffi 
que TAsg^ois ne va gueret demander ans autKs rftofpitalic^ 
4{u*il leur rcfufe chez loi. Dans quelle Cour hors celle de 
I^fldres voit on ramper lâchement ces fiers infulaires ? dans quel 
^ays hors le leur vottt-ils chercher à s*enrichir ? Ils font dart^ 
il eft vrai ; cette dureté ne me déplaît pas quand elle marclte 
Bvec la juftice. Je trouve beau qu'ils ne foient qu'Angloit» 
f uiiqu*ilt a*Mic tm bMtk d*ctrc honunet. 

LETTRE 


H E L O î s E. 4t 


■ ■ ■ »'■ I ■ ■■ ^ » ■ Il ■ » m ' 

LETTRE X. 

J Claire. 

Pourquoi faut-il que j'ouvre enfin les yeux 
fur moi P Que ne les ai-je fermés pour tou- 
joi^rs, plutôt que de voir raviliflèment ou je 
fuis tombé ; plutôt que de me trouver le dernier 
des hommes> après en avoir été le plus fortuné ! 
Aimable Se généreufe amie, qui fûtes fi fouvent 
mon refuge, j'ofe encore verfer ma honte & mes 
peines dans votre cœur compatiflànt}^ j'ofe cn^ 
core implorer vos tonfolatiens contre le fentf- 
ment de ma propre indignité ; j'ofe récourir à 
vous quand je fuis abandonné de moi-même. 
Ciel, comment un homme auffi méprifable a-c-il 
du jamais être aimé d'elle, ou comment un feu 
fi cuvin n'a-t-il point épuré mon ame f Qu'elle 
doit maintenant rougir de fon choix, celle que 
je ne fuis plus digne de' nommer ! Qu'elle doit 
pémir de voir profaner (on image dans un coeur 
n rempant & fi bas ! Qu'elle doit de dédains & 
de haine à celui qui put l'aimer & n'être qu'un 
lâche! ConnoifTez toutes mes erreurs, charmante 
Çoufine (tf) ; connoifTez mon crime & mon re« 
pentir; foycz mon Juge & que je meures où 
foyez mon intercefieur, & que l'objet qui ùït 
mon fort daigne encore en être l'arbitre. 

(m) a rimitation ic Jufie, il Tappelloît, ma Cou£ne; ft 
h rimitation de Jalîe, Claire rappeUoit^ moQ ami. 

Je 


\ 


42 LA NOUVELLE 

Je ne vous parlerai point de l'effet que pro- 
iumt fur mot cette, réparation imprévue; je ne 
vous dirai rien de ma douleur tlupîde & de mbh 
infenfé defeipoir : vo4is ii*eii jugerrz que trop 
par l'égarement inconcevable oh Vnn & l'autre 
m'ont entraîné. Plus je fentois l'horreur de 
mon état, moins j'imaginois qu'il fut poffibie 
de renoncer volontairement à Julie) & l'amer* 
tume de ce fentiment jointe à l'étonnante g^* 
nérofité de Milord Edouard me fit naître des 
foupçons que je ne. me .rappellerai jamais fans 
horreur, & que je ne puis oublier fans ingrati* 
tude envers l'iuni qui me les pardonne. 

£n rapprochant dans mon délire toutes leè 
circonflances de mon départ. J'y rrus rccon- 
aoître un deflêin prémédité, & j^ofai rattribuef* 
BU plus vertueux des hommes. A peiné ce 
doute afl^eux me fut- il entré dans fefprit que 
tout me iemhla le confirmer. La converfàtioô 
de MUord avec le Baron d^JËtange ; le tofi peu 
Infinuant que je l'aocmfots d*v avoir affeâé s là 
querelle qui en dériva; la defenfe de me voir ^ 
la réfoluîion prife de ipe faire partir > ^a dlll* 
£ence & leTecret des préparatifs; PentreCien 
^u'il eut avec moi la veille ; aifin la rapidité 
avec laquelle je fus plutôt enlevé qu'emmené) 
tout me femtuoit prouver de la part de Milord 
un projet formé de m'écarter de Julie, & le re^ 
tour que je (àvois qu'il devoit fair^ auprès d'elle 
achdvoît félon moi de me déceler le but de (et 
foins. Je réfblus pourtant de m'éclaircir encore 
mieux avant d'éclater, & dans ce defTein je m6 
bornai à ejçaminer les chofes avec plus d'atten- 
tion. Mais tout redoubloit taes ridicules foup- 
{ons, & Iç zele de l'humanité ne lui infpiroit 

rien 


H E L O I s E. 4) 

nen d*hoiinéte en on faveur, dont mon avengto 
jaloufie ne tirât quelque indice de trabifon. A 
Befiinçpn je fus qu'il avait écrit à Julie, ^ùm 
me CMununiquer £1 tettie, fans m'en parier» 
Je me tins alors âiffifammit convaincu^ & je 
n'attendis que la répoifle, dont j'éfperois bien te 
trouver mécontent, pour avoir avec lui réciair-^ 
ciflèment que je méd^s. 

Hier au foir nous rentrames ztSis tard, ic je 
fus qu'il y avoit un pacquet venu de SuiiTe, dont 
a ne me parla point en nous Réparant. Je lui 
laiflai le tems de l'ouvrir; je* l'entendis de ma 
chambre murmurer, en ttfant, quelques mots« 
Je prêtai l'oreille attentivement. Ah Julie i 
idiibit-il en phrafes interrompues, j'ai ivoulu vous 
jrendre heureufe • • • • • je «efpeoe iroire venu 
• • • • mais je plains votre erxeiir • • • • , A ^e« 
mots & d'aut«es Semblables q«e je dfftingusft 
fNuâdtement, je ne fus plus tasâm de moi r 
je pris mon éfém ibus ïnon bras $ j'>ouvris, ou 
plmôt j'enfonçai la porte ^ j'entrai comme un 
furieux* Non, je ne fouillerai point ce p^ter 
ni vos regards des injures que me diâa la nge 
pour le porter à fe battre avec moi fur le champs 

O ma Gottfine ! c^eft là furtout que je pui 
leconnoitre l'empire de la véritable iageiiè,. 
même fur les hommes les plus fenfibles ; quand 
ils veulent écouter fa voix. D'abord il ne put 
rien comprendre k mes difcours, & il les prit 
pour un vrai délire : Mais la tndiifon dont je 
i'accufois^ les defleins fecrets que je lui repro** 
chois, cette lettre de Julie qu'il ten<Ht encore 
te dont je lui parleis fans ceilè, lui firent con* 
sioitre enfin le fujet de ma fureur. Il fourit % 
puis il me dit froidement ^ vous avee perdu là 

raifon» 


44 LA NOUVELLE 

raiibn» & je ne me bat8 point contre un infenfe» 
Ouvrez les yeux» aveugle que vous étea^ ajou- 
U-t*il d'un ton pkis doux, eft-ce bien moi que 
V<xu accufiw de vous txabir ? Je fentis dans * 
l'accent de ce difcours je ne fais quoi qui n'é- 
toit pas d'un perfide ; le fon de fa voix me re- 
mua le coeur ; je n'eus pas jette les yeux fur les 
fiens que tou9 mes foupçons fe diffipérent, & je 
cooimençai ^Je.voir avec effiroi mon extrava- 
gance. 

Il s'apperçut à l'inftant de ce changement ; 
il me tendit la main. Venez, me dit«*il, fi vo» 
tre retour n'eut précédé ma jufHfication, je ne 
vous auiois vu de ma vie. A préfent.que vous 
êtes raifonnable, Itfez cette lettre, & connoifièz 
une fois vos amis» Je voulus refufer de la 
lire ; mais l'afcendant que tant d'avaj!inige& lui 
donnoient fur moi le lui fît exiger d'un ton 
4'autorite que, malgré me» pmbragçs diiBpés, 
mon deiir fecret n'appuyoit que trop*. 

Imaginez en quel état je me trouvai après 
cette leâure, qui m'apprit les bienfaits inouïs 
de celui que j'ofois calomnier avec tant d'indig- 
nité. Je me précipitai à ks pied3, &» le cœur 
chargé d'admiration de regrets & de bonté, je 
ferrois /es genoux de toute ma force, fans pou- 
voir proférer un feul mot. . Il reçut mon repen* 
tir comme il avoit reçu mes outrages, & n'exi- 
gea de moi pour prix du pardon qu'il daigna 
m'accorder que de ne m^oppofer jamais au bien 
qu'il voudroit me faire. Ah qu'il failè defoi'- 
inais ce qu'il lui plaira ! fon ame fubUme eft 
au deflus de celles des hommes, & il n^eft pas 
plus permis de reilfier à iès faieoâùts qu'à ceux 
pc la divinité* 
e - £nfttJte 


M E L O I s E. 45 

*Enfuite il me remit les deux lettres qui s*ftd» 
^eflbient à moi, lelquelles il n'avoit pas voulu 
me donner avant d'avoir lu la fienne, & d'être in- 
struit de la réfolufion de votre Coufine. Je vis 
en les lifant quelle amante & quelle amie le Ciel 
fln*a données; je vis combien il a raflëmblé de (en- 
timens & de vertus autour de moi pour rendre 
mes remords plus amers & ma baflefle plus 
snéprifable. Dites, quelle eft donc cette mor- 
tdle unique dont le moindre empire eft dans & 
beauté, & qui, femblable. aux puiflances éter- 
nelles fe fait également adorer & par les biens 
& par les maux qu'elle fait ? Hélas ! elle m'a 
tout ravi, la cruelle, & je l'en aime davantage. 
^Plus elle me rend malheureux, plus je la trouve 
parfaite. Il femhlè que tous les tourmens 
qu'elle me caufe foient pour elle un nouveau 
mérite auprès de moi. Le facrifîce qu'elle vient 
de faire aux fentimeas de la nature me défole 
& m'enchante ; il augmente à mes yeux le prix 
de celui qu'elle a fait à l'amour. Non, fon 
cœur né fait rien cefufer -qui ne laile valoir ce 
qu'il accorde^ 

Et vous, digne & charmante Confine ^ vous 
tinique & parfût modèle d'amitié, qu'on citera 
feule entre toutes les femmes, & que les coeurs 
qui ne reflèiftblent pas au votre oferont traiter 
de chimère : ah ne me parlez plus de philofo- 
phie ! je méprîfe ce trompeur étalage qui ne 
confifte qu^ vains difeours ; ce fantôme qui 
n'eft qu'une ombre, qui nous excite à menacer 
de loin les paffions & nous laiflë comme un 
faux brave à leur approche. Daignez ne pas 
n'abandonner à, mes égarements ; daignez ren- 
ère vos anciennes bontés à cet infortune qui ne 


46 LA NOUVELLE 

les mérite plus, mais qui les defire plus ardem- 
isieal & ea a fAvs befoin que jgmais ; deig&ex 
me rappeller a moi-même» & que votre douce 
voix fupflée en ce cœur atalode à ceUe de la 
^aiioB. 

. Non» je Vek e^rer» je ne fius point tonbc 
(dans na abaiflèoient éternel. Je fens ramiiisr 
ta moi ce feu pur & iaint dont j'^ britlé % Tex» 
mnplc de tant de vertus ne fera point perdv 
pour cdui qui en fut Tobjet, qui les aime, les 
admire» & veut les imiter' fims cei&. Q chère 
nmente dont je dois iionorer le choix ! O mes 
amis dont je veux recouvrer l'eftime ! mon amt 
fs réveille & reprend dans les vôtres fa force & 
ta vie. Le chafle amour & Tamitié fuUime 
me rendront le courage qu'un lâche defeijpoir fut 
prêt à-m'ôier : les pun fentimens de mon cœur' 
me tiendront lien de iâgefië s je ferai par vous 
tout ce que je dois être» & je vous feroecai 
d'oublier ma chute» fi jepuis m*en rdeverun 
ififtant. Je ne fiiis, ni ne veux favoir quel fort 
le Ciel me referve i quel qu'il pu^ être, je 
veux me rendre digne de celui dont j'ai jouîû 
Cette immortdie image que je porte en moi 
oie fervira d'égide, & rendra mon ame invul* 
nerable^iux coups de la fortune. N'ai-je pas 
ailes vécu pour mon bonheur ? C'eft mainte* 
nant pour ia gloire que je dois- vivre. Ah, que 
ne puis-je étonner le monde de mes vertus afin 
qu'on pût dire un jour en les admirant ; pouvoit- 
il moins faire î 11 fut aimé de Julie ! 

P. S. Des noeuds abhorrés & pM-Stn inhn^ 
tables! Que fignifient ces mots? Us font 
dans fa lettre. Claire» je m'attends à 

tout s 


H E L O ï s E. AT 

tout; je-fùîs réfigiré, prêt à Tupporter 
mon fort. Mais ces mots .... jamais 
quoiq^u'îl arrive, je ne partirai dlci que j« 
ii'aye eu l'explication de ces mots^là. 

L E T T R E Xf. 

IL eft donc vrai que mon amc n^cft pas fer- 
mée au plaific, & qu'un fentlment d& joye y 
peut pénétrer encore ? Hélas, je crovois depuis 
tpn départ n'être plus fenfîble qu'à la douleur ; 
je croyois ne fâvoir que foufirir loin de toi, & 
je n'imaginois pas même des confolations à ton 
abfence. Ta charmante lettre à ma Cooiine 
dR venue me defabufer ; je l'ai lue & baifée arec 
des larmes d'attendriflement ; elle a répandu la 
fraîcheur d'une douce ro(èe fur mon coeur feché 
d'ennuis & flétri de trtftefTe, & j'ai fenti par la 
férénité qui .m'en, eft reftée> qjue tu n'as pas 
moins (Tafcendant i^e loin que de près fur les 
afFeâions de ta Julie. 

Mon ami ! quel charme pour moî'i de te voir 
reprendre cette vigueur de fentîmcnt qui con- 
vient au courage d'un homme ! Je t'en eftimerat 
davantage, & m'en mépriferai moins de n'avoir 
pas en tout avili la dignité d'un amour honnête, 
ni corrompu deux cœurs à la fois. Je te dirai 
plus, à préient que nous pouvons parler librement 
ce nos affaires ; ce qui aggravoit mon defefpoir 
étoit de voir que le tien nous ôtoit la feule ref- 
fource qui pouvoit nous refter^ dans Tufage de 
3 te» 


4S LA NOUVELLE 

tes talens. Tu connois maintenant le digne 
ami que le Ciel t'a donn^ : ce ne ferolt pas 
trop de ta vie entière pour mériter (es bienfaits ; 
ce ne fera jamais aÔes pour réparer TofFenfe 
que tu viens de lui faire, oc j'efpere que tu n^au- 
ras plus befoin d'autre leçon pour contenir ton 
imagination fougueufe. C'eft fous les aufpicea 
de cet homme refpeâaUe. que tu ras entrer 
dans le monde j c'eft à l'appui de fon crédit, 
c'eft guidé par fon .expérience que tu vas ten- 
ter de venger le rnérite oublié, des rigueurs 
de la fortune. Fais pour lui ce Que tu ne feroia 
pas pour toi, tâche au moins d'honorer fes bon- 
tés en ne les rendant pas inutiles. Vois quelle 
. riante perfpeâive s'oflFre encore à toi ; vois quels 
fuccès tu dois efpérer dans une carrière où tou^ 
concourt à favonifer ton zèle. Le Ciel t'a pro- 
digué fes dons; ton heureux naturel cultivé par 
ton goût t'a doué de tous les talens ; à moins de 
vingt-quatre ans tu joins les grâces de ton âge à 
la maturité qui dédonmiage plus tard du progrès 
des ans I 

Frutto feniîi infu ^IgîovenUfien 

L'étude n'a point émoufle ta vivacité, ni appé- 
fanti ta perfbnne : la fade galanterie n'a point 
rétréci ton efprit, ni hebêté ta raifon. L'ardent 
amour en t'infpirant tous les fentimens fublimes 
dont il eft le père t'a donné cette élévation 
d^idées & cette jufteiTe de fens {g) qui en font 
inféparables. A fa douce chaleur, j'ai vu ton 
ame déployer fes brillantes facultés, comme une 
£eur s'ouvre aux rayons du foleil : tu as à la 

{g) Jalleflè ^u (enp iafépsrable it ]*amouf ? Bonne Julie, 
«Ik ne Drille pas ici daot le votrr* 

fêta 


H E L O ï s E. 49 

Ibis tout ce qui mène à la fortune & tout ce qui 
la fait méprifer. Il ne te manquoit pour obte- 
nir les honneurs du monde que dV daigner pré« 
tendre, & j*cfpere qu'un objet plus cher à ton 
cœur te donnera pour eux le zèle dont ils ne font 
pas dignes. 

O mon doux aipi, tu vas t'ëloigner de moi f 

O mon bien-aimé, tu vas fuir ta 

Julie? ••••••-• Il le faut ; il faut nous fé- 

parer fi nous voulons nous revoir heureux un 
jour, & TefFet des foins que tu vas prendre eft 
notre dernier efpoir. Puiilè une fi chère idée 
t'animer, te confoler durant cette amere & 
longue féparation ! puiilè-t-elle te donner cette 
ardeur q^ui furmonte les obfiades & dompte la 
fortune: Hélas, le monde & lesaiiàires feront 
pour toi des diftraAions continuelles, & feront 
une utile diverfion aux peines de l'abfence ! 
Mais je vais refier abandonnée à moi feule ou 
livrée aux perfécutions, & tout me forcera de 
te regretter fans ceiTe. Heureufe au moins fî 
de vaines allarmes n'aggravoient mes tourmens 
céels, & fi avec mes propres maux je ne fentois 
, encore en moi tous ceux auxquels tu vas t'ex- 
pofer ! 

Je frémis en fongeant aux dangers de mille 
efpeces que vont courir ta vie & tes mceurs. 
Je prends en toi toute la confiance qu'un homme 
peut infpirer ; mais puifque le fort nous fépare, 
ah mon ami, pourquoi n'es-tu qu'un homme? 

Que de confeils te feroient nécefiaires dans ce 
monde inconnu ou tu vas t'engager ! Ce n'eft 
pas à moi jeune, fans expérience, & qui ai 
moins d'étude & de réflexion que toi, qu'il ap-- 
partient de te donner là-defllts des avis i c'eft 
TêTne IL C un 


^o La nouvelle 

un foin que je laiilè à Milord Edouard. Je me 
"borne à te recommander deux chofes, parce 
qu'elles tiennent plus au fentimeni qu'à l'expé- 
rience, & que fi je connois peu le monde, je 
crois bien connoitre ton cœur : M'abandonne 
jamais la vertu^ & n'oublie jamais ta Julie. 

Je ne te rappellerai point tous ces argumens 
lubtils que tu m'as toi-même appris à méprifer, 
)]ui rempliflent taât de livres & n'ont jamais fait 
Un honnête homme. Ah ! ces trtftes raifon* 
ncurs ! quels doux ravifTemens leurs cœurs 
n'ont jamais fentis ni donnés ! Laifle, mon 
ami, ces vâîns moraliftes, & rentré au fond de 
ton ame ; c'eft là que tu retrouveras toujours 
la fource de ce feu facré qui nous embrafa tant 
de fois de l'aniour des fublimes vertus ; c'eft là 

Sue tu verras ce fimulacre éternel du vrai beau 
ont la contemplation nous anime d'un faint en- 
éhoufiarmfr, 8c que nos paflions fouillent fans ceilè 
fans pouvoir jamais l'efFacer (A). Souviens- toi des 
larmes délicieufes qui couloient de nos yeux, des 
palpitations qui fufFoquoient nos cœurs agités» 
des trânfports qui nous élevoient au defTus de 
nous mêmes, au récit de ces vies héroïques qui 
rendent It vice inexcufable & font l'honneur de 
rhumanité. Veux-tu favoir laquelle eft vrai- 
ment défirable, de la fortune ou de la vertu ? 
fonge à celle que le cœur préfère quand foa 
choix eft impartial. Songe où l'intérêt nous 
porte en lifent l'hiftoire. T'avifas-tu jamais de 
ééfirer les tréfors de Créfus, ni la gloire de Ce- 

' (h) La vérUiible philofophie des Amans eft celle de Plat60 ; 
tarant le charme iJs n'en ont jamais d*autre. Un homme 
«mû ne peut quitter ce phiiofophe j un leôeur froid ne peut le 
ibufijrir. 

* ' fer. 


H E L O I s- E. 51 

far^ ni le pouvoir de Néron, ni les plaifirs d'S- 
liogabale ? Pourquoi^ s'ils étoit heureux, tes 
déhrs ne te mettoient ils pas à leur place ? C'efl 
qu'ils ne Tétoient point & tu le fentois bien ; 
c'eft qu'ils ëtoient vils & méprifables, & qu'un 
méchant heureux ne fait envie à perfonne. 
Q^els hommes contemplois-ti^ donc avec le plus 
de plaiiir ? Defquels adoroisrtu lès exemples î 
Auxquels aurois-tu mieux aimé reflembler ?. 
Charme inconcevable de la beauté qui ne périt 
point ! c'étoit l'Athénien buvant la Ciguë, c'é- 
toit BrutUs mourant pour fon pays, c'étoit Re« 
g^ilus au milicM des to.uj:mens, c'étoit Catoit 
déchirant fes entrailles, c'étoiem tous ces ver- 
tueux infortunés qui le faifoient envie, & tu re- 
ijsntois au fond de ton cœur la félicité réelle 
que couvroient leurs maux apparens. Ne crois- 
pas que ce fentiment fut particulier à foi feul ; 
il eft celui de tous les hommes, & fouvent 
mçme en dépit dfeux. Ce divin modèle que 
chacun de nous porte avec lui nous enchante 
malgré que nous en ayons ; û tôt qi^ie la paf- 
fion nous permet de le voir, nous lui voulons 
reiTembler, & fi le plus méchant des hommes 
pouvoit être un autre que lui-même, il voudroit 
être un homme de bien. 

Pardonne moi -ces tranfports, mon aimable 
ami ; tu fais qu'ils me viennent de toi, & c'eft 
à l'amour dont je les tiens k te les rendre. Je 
ne veux point t'enfeigner ici tes propres maxir 
mes, mais t'en faire un moment l'application» 
pour voir ce qu'elles ont à ton ufage : car voici 
le tems de pratiquer tes propres leçons, & de 
montrer comment on exécute ce que tu fais dire« 
S'il n'eft pas queftion d'être un Catoii ni uù Re- 

C 2 gulus^ 


51 LA NOUVELLE 

gulus, chacun pourtant doit aimer Ton pays, 
-être intégre & courageux, tenir fa foi, même 
aux dépens de fa vie. Les vertus privées font 
ibuvent d'autant plus fublimes qu'elles n'afpirent 
point à l'approbation d'autnii mais feulement au 
bon témoignage de foi-même, & la confcience 
du jufte lui tient lieu des louanges de l'univers. 
Tu fentiras donc que la grandeur de l'homme 
appartient à tous les états» & que nul ne peut 
être heureux s'il ne jouît de fa propre eftime ; 
car fi là véritable jouïflance de l'ame eft dans la 
contemplation du beau, comment le méchant 
peut-il l'aimer dans autrui fans être forcé de fe 
haïr lui-même ? * 

Je ne crains pas que les fens & les plaifirs 
groffiers te corrompent. Ils font des pièges peu 
dangereux pour un cœur fenfible, & il lui en 
faut de plus délicats: Mais je crains les maxi- 
mes & les leçons du monde; je crains cette 
force terrible que doit avoir l'exemple unîverfcl 
& continuel du vice; je crains les fophifmes 
adroits dont il fe colore : Je crains, enfin, que 
ton cœur même ne t'en impofe, & ne te rende 
moins difficile fur les moyens d'acquérir une con- 
fidération que tu fautois' dédaigner fi notre union 
n'en pouvoit être le fruit. 

Je t'avertis, mon ami, de ces dangers ; ta fageflè 
fera le refte ; car c'eft beaucoup pour s'en garantir 
que d'avoir fu les prévoir. Je n'ajouterai qu'une 
réflexion qui l'emporte à mon avis fur la faufie 
iLaifon du vice, fur les fieres erreurs des inlênies. 
Si qui doit fuffire pour diriger au bien la vie de 
l'homme fage. C'eft que la fource du bonheur n'eft 
toute entière ni dans l'objet defiré ni dans le cœur 
qui le poiiede, mais dans le rapport 4e l'un Se 

de 


H E L O î s E. 53 

de Tautre» & que, comme tous les objets de nos 
defirs ne font pas propres à produire la félicité» 
tous les états du cœur ne font pas propres à la 
fèntir. Si Tame la plus pure ne fuffit pas feule 
à fon propre bonheur, il eft plus fur encore que 
toutes les délices de la terre ne fauroient faire 
celui d'un cœur dépravé ; car il y a des deux côtés 
une' préparation néceflaire, un certain concours 
dont réfulte ce précieux fentiment recherché de 
tout être fenf&ble, & toujours ignoré du faux 
fage qui s'arrête au plaifir du moment f;:^Uc ^^ de 
connoitre un bonheur durable. Que ferviroit 
donc d'acquérir un de ces avantages aux dépend» 
de l'autre, de gagner au dehors pour perdre en-^ 
core plus au dedans» Se de fe procurer les moy* 
ens d'être heureux en perdant l'art de les em- 
ployer ? Ne vaut-il pas mieux encore, fi l'on ne 
peut avoir qu'un des deux^ (acrifîer celui que le 
tort peut nous rendre à celui qu'on ne recouvre, 
point quand on l'a perdu?. Qui je; doit mieux 
(avoir que moi, qui n'ai fait qu'émpcnfonner les. 
douceurs de ma vie en peniânt y mettre le. 
comble i LaiiTe donc dire les méchans qui mon- 
trent leur fortune & cachent leur, cœur, & fois 
fur que s'il eft un feul exemple du bonheur fur la. 
terre, il fe trouve dans un homme de bien." Tu, 
reçus du Ciel cet heureux penchant à tout ce qui 
eft bon & honnête ; n'écoute que tes propres de- 
firs, ne fuis que tes inclinations naturelles ; fonge . 
furtout à nos premières amours. Tant que ces 
momens purs & délicieux reviendront à ta mé- . 
moire, il n'eft pas pojifible que tu cefles d'aimer 
ce qui te les rendit fi doux, que le charme du 
beau moral s'efFace dans ton ame, ni que ta 
veuilles jamais obtenir ta Julie par des moyens 

C 3 indignes 


54 LA NOUVELLE 

indignes de tbî. Comment jouir d'un bien dont 
on auroit perdu - le goût ? lNon, pour pouvoir 
poffeder ce qu'on aime, il faut garder le même 
coeur qui Ta aimé. 

Me voici à mon fécond point, car comme tu 
vois je n'ai pas oublié mon métier. Mon ami. 
Ton peut fans amour avoir les fentimens fublimes 
d'une âme'fort! mais un amour tel que le notre 
l'anime & la fouttent tant qu'il brûle ; fitot qu'il 
s'cteini: elle tombe en langueur, & urt cœur ufé 
n'eft plus propre à rien. Dis-moi, que ferions- 
nous il nous n'aimions plus ? Eh 1 ne vaudroit- 
îl pus- mieux ceflèr d'être que d'exifter fans rien 
fentir, & pourrois-tu te refoudre à traîner fur la 
terre 1 infipide vied^un homme ordinaire, après 
avoir goûté tous les trànfports qui peuvent ravîr 
imeame^ humaine? Tu vas. habiter de grande» 
villes, où ta figure & ton âgé encore puis que 
ton mérite tendront mille embûches à ta fidélité. 
L'îniBnuante coqueterie affedtera le langage de la 
tendrefle, & te plaira fans t'abufer; tu ne cher- 
cheras point l'amour, mais les- plaifirs ; tu les 
g'oûteras féparés de lui & ne les pourras recon- 
iioitrc. Je ne fais fi tu retrouveras ailleurs le 
dœur de Juliç, maïs je te défie de jan^ais retrou- 
ver auprès d'une autre ce que tu fentis auprès 
d'elle. ' L'épuifement de ton ame t'annoncera le 
fort que je t'ai prédit; la triftefle & l'eimui t'ac- 
cableront au fein des amufemens frivoles'. Le 
fôuvenir de rtos. premières amours te pourfuîvra 
, malgré to\. Mon image cent fois plus belle que 
je ne fus jamais vrclidra tout à coup te furpren- 
dre. A l'înftant le voile du dégoût couvrira 
tous tes plaifirs, & mille regrets amers naîtront 
dans ton cœur. Mon bien aimé, mon doux 


ami ! 


H E L O ï s E. ,55 

ami ! ab, fi jamais tu m'oublies • • • . Hélas ! 
je ne ferai qu'en mourir ^ mais toi tu vivras vil 
& malheureux, & je mourrai trop vengée« 

Ne l'oublies donc jamais, cette Julie qui fut 
à toi, & dont le cœur ne fera point à d'autres. 
Je ne puis rien te dire de plus dans la dépen« 
dance où le Ciel m'a placée : Mais après t'avoir 
recommandé la fidélité, il eft jufte de te laifier 
de la mienne le feul gage qui foit en mon pou* 
voir. J'ai confulté, non mes devoirs, mon ef« 
prit égaré ne les connoit plus, mais mon cœur, 
dernière règle de qui n'en fauroit plus fuivre ; & 
voici le réfiiltat de fes înfpirations. Je ^^ t'é- 
pouferai jamais fans le confentement de mon 
père ; maïs je n'en épbuferai jamais un autre fans 
ton confentement. Je t'en donne ma parole, 
die me fera facrée quoiqu'il arrive, & il n'y a 
point de force humaine qui puifie m'y faire 
manquer* Sois donc fans inquiétude fur ce que 
je puis devenir en ton abfence. Va, mon aima-» 
Ue ami, chercher fous ks aufpices du tendre 
amour un fort digne de le couronner. Ma 
deftinée eft dans tes mains autant qu'il a dé- 
pendu de moi de l'y mettre, & jamais elle ne 
changera que de ton aveu« 


LETTRE XII. 

A Julie. 

^■^ ^al fiamma di gleria^ (Tonorej 
Scorrer fento per tutte le vene^ 
Aima grande parlando con te ! 

C 4 Julie, 


•I 


56 LA NOUVELLE 

Julie, laUTe-moi refpirer. Tu fais bouillon- 
ner mon Cang ; tu me &is trefiaillir» eu me fais 
palpiter. Ta lettre' brûle commei ton coeur du 
iâint amour de la vertu, Se tu portes au fond du 
mien fon ardeur célefte. Mais pourquoi tant 
d'exhortations où il ne faloit que des ordres ?^ 
Crois que fi je m'oublie au point d'avoir befoîn 
de raifons pour bien faire, au moins ce n'eft pas 
de ta part, ta feule volonté me fufit. Ignores- 
tu qiie je ferai toujours ce qit'il te plaira, & que 
je ferois le mal même avant de pouvoir te defo- 
béir. Oui, j'aurots .brûlé le Capitole fi tu me 
TavoisiiCommandé, parce que je t'aime plus que 
toutes chofes ; mais fai8*tu bien pourquoi je 
t'aime ainfi i Ah ! fille incomparable ! c'eft parce 
que tu ne peux rien vouloir que d'honnête, & 
que l'amour * de la vertu rend plus invincible 
celui que j'ai pour tes charmes. 

Je pars, encouragé par l'engagen^ent que tu 
viens de prendre & dont tu pouvois jt'épargner 
le détour ; car promettre de n'être à perfonne 
faris mon confentement, iv'efl-ce pas promettre 
de n'être qu'à moi? Pour moi, je le dis plus 
librement, & je t'en donne aujbtird^hui ma foi 
d'homme de bien qui ne (en point violée: J'ig- 
nore dans la carrière où je vais m'elTayer pour te 
cbmplaire à quel fort la fortune m'appelle; maîa' 
jamais les nœuds de l'amour ni de Thimen ne 
m'uniront à d'autres qu'à Julie d'Etange j je ne 
vis, je n'exifte que pour elle, & mourrai libre 
ou fon époux. Adieu, i'Jieiu:e prtffe & je pars 
à Tinfiant. 


LETTRE 


H E L O f s E. 57 

LETTRE XIII. 
A Julie. 

J'Arrivai hier au ' foir à Paris, & celui qui 
ne pouvoit vivre fépare de. toi par deux rue» 
en eft maintenant à' plus de cent lieues, O 
Julie ! plains moi, plains ton malheureux ami.' 
Quand mon fang en longs rpiflèaux aurott tracé 
cette route immenfe, elle m'eut paru moin» lon- 
gue, & je n'aurois p%s fenti défaillir mon ame 
avec plus de lazigueur. Ah fi du moins je con-* 
noiflbis le moment qui doit nous rejoincire ainfi 
que l'efpace qui nous fépare, je compenferoîs 
réloignement des lieux par le progrès du tems, 
je compterois dans chaque jour ôté de ma vie 
les pas qui m'auroient rapproché de toi ! Mats 
cette carrière de douleurs eft couverte des ténè- 
bres de l'avenir : Le terme qui doit la borner (e 
dérobe à mes foibles yeux. O doute ! ô fup« 
plice f Mon cœur inquiet te' cherche & ne trou- 
ve rien. Le foleil fe levé & ne me rend plu» 
Tefpoijr de te voir } il fe couche & je ne t'ai 
point vue: mes jours vu ides de plaifir & de 
joye s'écoulent dans une longue nuit. J^ar beau 
vouloir ranimer en moi refpérance éteinte, elle 
ne m'offre qu'une reflôurce incertaine & des con- 
folations fufpeÔes. Chère & tendre amie dç 
mon coeur. Hélas I' à quels maux faut-il m'at- 
tendrè, s'ils doivent égaler mon bonheur paffé ? 
Que cette trifleffe ne t'allarme pas, je t'en con- 
jure, elle eft Teffet paflager (Je la folitude & des 

C 5 réflexion* 


5» LA NOUVELLE 

jréflexions.du voyage. Ne crains point le retour 
de mes premières foiblelTes ; mon coeur eft danî 
ta main, ma Julie, À: puiique tu le f<putiens, il 
ne fe laifTérâ plus abattre. Ufie dés cbnfolantes 
idées qui font le fruit de ta dernière lettre eft 
que je me trouve à préfent "porté par une double 
force^ & quand l'amour auroit anéanti, la mienne 
je ne. laiflerois pas d*y gâcher enéore j /car le^ 
courage qui mé vient dé toi me foutient beau-* 
coup mieux que je n'sJufbis pu me foiifenir 
moi-.même. Je fuis convaincu qu'il n'eft pas 
bon que rhoiiime foit feul. Les âmes humaines 
veulent être accouplées pour valoir tout leur 
mix, & la force unie d^s amis, comme celle des 
lames d'un* a infant artificiel, eft incomparable- 
ment plus grande que Ja'tbmitte* de leurs forces 
particulières. Divine amitié, "c'ëft là toA tri- 
bmphe ! Mais qu*eft-ce que la feule amitié au- 

Frès de cette union parfaite qui joint à toute 
énergie de ramitié des liens cent fois plus fa- 
crés ? 'OuTo,nt-ils ces hommes groffiers qui ne 
prennent les traiifports de l'amour que ()our une 
fièvre des fens» pQur.'ûn 'defir de la nature avilie? 
Qu'ils viennent,' qu'ils 'obfervént, qu'ils fentent 
ce qui fe paffe au fond de 'mon cœur 5 qu'ils 
voyent un amant malheureux éloigné de ce qu'il 
aime, incertain de le revoir jamais, fans efpoir 
de recouvrer fa 'félicité fierdue ; mais pourtant- 
animé de ces feux immortels qu'il prit dans tes 
yeux & qu'ont nourri tes fentimens fublimes, 
prêt à braver la fortune, à foufFrir fes revers, a 
fe voir même privé de toi, & à faire des vertus 
que tu lui as infpirées le digne ornement de cette 
empreinte adorable qui ne s'effacera jamais de 
Ton ame. Jûlîé,èh qù'aurors-je'été fans toil 

. ^ -' La 


H E L O I S E. 59 

La froide raifoq m'eut éclairé» peut-être $ tiède 
admirateur du bien, je Taurois fiu inoins aimé 
xlans autrui. Je ferai plus; je faurai le prati^ 
quer avec zole, & pénétré de tes fages leçons^ 
je ferai dire un jour à ceux qui ;ious auron£ 
connus : ô quels hommes lious ferions tous, fi 
le monde étoit plçin de Julies & de cœurs qui 
hs fuflent aimer ! 

£n méditant en route fur ta dernière lettre» 
j'ai réfolu de rafTembler en un recueil toutes 
celles que tu m'as écrites, maintenant que je no 
puis plus recevoir tes avis de bouche. Quoir 
qu'il n'y en ait pas une que je ne .fâche par 
cœur, & bien par cœur, tu peux m'en croire ; 
j'aime pourtant à les relire fans ceâè, ne fut-ce 
que pour revoir les traits de cette main chérie 
qui feule peut faire mon bonheur. Mais infefl«> 
fiblement le papier s'ufe, & avant qu'elles foient 
déchirées je veux les copier, toutes dans un livre 
blanc que je viens de choifir exprès pour cela* 
U eft aifés :gros, mais je fonge à Tavenir, &; 
j'efpere ne pas mourir ades jeune pour me bor«. 
lier à ce volume. Je deftine les fpirées à cçtte 
occupations , charmante, & j'avancerai lente-r 
xnent pour la prolonger. Ce précieux recueil 
ne me quittera de mes jours ; il fera mon ma- 
nuel dans le monde où .je vais entrer; il fera 
pour moi le contrepoifon des maximes qu'on, y 
reipirej il me confoîerera dans mes maux;, il 
préviendra ou corrigera mes fautes ; il ni'in^ 
ilruira durant ma jeuneOe, il m'édifiera dans 
tous les tems, & ce ferpnt à mon avis les prcr 
mieres lettres d'amour dont on aura tiré cet 
ufage. 

C 6 Quant 


€o LA NOUVELLE 

Quant à la dernière que j*ai préfêntement 
fous les yeux ; toute belle qu'elle me paroit, j'y 
trouve pourtant un article à retrancher. Juge- 
ment déjà fort étrange ; mais ce qui doit Têtre 
encore plus, c'eft que cet article eft précifé- 
ment celui qui te regarde, & je te reproche 
d'avoir même fongé à l'écrire. Que me parles- 
tu de fidélité, de confiance ? Autrefois tu con* 
jioiflbis mieux mon amour & ton pouvoir. Ah 
Julie ! inf[rires-tu des fentimens périflaUes, & 
quand je ni; t'aurois rien promis, pourrois-je 
cefler jamais d'être à toi ? Non non, c'eft du 
premier regard de tes yeux, du premier mot 
de ta bouche, du premier tranfpprt de mon 
cœur que s'alluma dans lui cttte flamme éternelle 
que rien ne peut plus éteindre. Ne t'euflài-je 
vue que ce premier inftant, c'en étoit déjà fait, il 
étoit trop tard pour pouvoir jamais t'oublièr. £t 
je t'oublierois maintenant ? Maintenant qu'eni- 
vré de mon bonheur pafle, fon feul fouvenir 
fuffit pour me le rendre encore? Maintenant 
qu'opprefle du poids de tes charmes, je ne res- 
pire qu'en eux ? Maintenant que ma première 
ame eft difparue, & que je fuis animé de cdle 
que tu m'as donnée ? Maintenant, ô Julie, que 
je me dépite contre moi, de t'exprimer fi mal 
tout ce queje fens ? Ah ! que toutes les beautés 
de l'univers tentent de me féduire ! en eft-tl 
d'autres que la tienne à mes yeux ? Que tout 
confpire à Tarracher de mon ccêur; qu'on le 
perce, qu'on le déchire, qu'on brife ce fidellc 
miroir de Julie, fa pure image ne ceflera de 
briller jufques dans le dernier fragment j rien 
Ji'eft capable de l'y détruire. Non, la fuprêmé 
•^"tflance elle-même ne fauroit aller jufques -là: 


H E L O I s E. 61 

tUe peut anéantir mon ame, mais non pas 
faire qu'elle exifte Se cefle de t'adorer. 

Milord Edouard s'eft chargé de te rendre com- 
pte à fon pafiage de ce qui me regarde & de 
les projets en ma faveur : mais je crains qu'il ne 
s'acquitte mal de cette promefle par rapport à fes 
arrangemens préfens* Apprends qu'il ofe abu-* 
fer du droit que lui donnent fur moi fes bien* 
faits, pour les étendre au delà même de la bien- 
féance. Je me vois, par une penlion qu'il n'a 
pas tenu à lui de rendre irrévocable, en état de 
faire une figure fort au deflus de ma naifTance, 
& c'eft peut-être ce que je ferai forcé de faire a 
Londres pourfuivre fes vues. Pour ici où nuU 
le affaire ne m'attache je continuerai de vivre k 
ma manière, & ne ferai point tenté d'employer 
en vaines dépenfes l'excédent de mon entretien» 
Tu me l'as appris, ma Julie, les premiers be* 
foins ou du moins les plus fenfibles font ceux 
d*un cœur bienfaifant| & tant que quelqu'un 
manque du néceifaire, quel honnête homme a 
du fuperflu ? 


\ 


L E T T E R XIV. . 
A JuUe. 

{a) Y'Entre avec une (ècrette horreur dans 
J ce vafte defert du monde. Ce cahos 

ne 

(d) Sans prévenir le jugemeot da Le£iear Se celui it JuUq 
ibr ces iélatioos, ]e crois pouvoir dire que fi j^avois à les faire 
& ^ue je ne les fiJOe pas meiUcuiesi je ks fcroit du moins fort 

diffbtAtet; 


6t LA NOUVELLE 

jie m'oflFre qu'une folitwle afFreufe, où rcgne un 
morne filcoca. Mon ame à la preffe cherche a 
s'y répandre, & fc trouve par tout rcfferrée. Je 
ne fuis jamais moins fcul que quand je fuis feul, 
difoit un ancien j moi> je ne fuis feul que dans 
la foule, ou je ne puis être ni à toi ni aux au- 
txct. Mon coeur voudroit parler,^ il fcnt qu'il 
n'eil point écouté: Il voudroit répondre; od 
ne lui dit rien qui puiflè aller jufqu'à lui. Je 
n'entends point la langue du pays, &. perfonnc 
ici n'entend la mienne. 

Ce n'eft pas qu'on ne me faffe beaucoup 
d'accueil, d'amitiés, de prévenances, & que 
mille foins officieux n'y femWcnt voler au de- 
vant moi. Mais c'eft préctféroept dequoi je 
me plains. Le moyen d'être awffitôt Tami d« 
quelqu'un <iu'on n'a jamais vu i L'honnête ûi* 
téret de l'humanité^ Tépanchcment fimple & 
touchant d'une ame franche, ont un langage 
bien différent des fauffes démonftrations de la 
poUteffe, & des dehors trompeu» que l'u&ge du 
monde exige. J'ai grand peur que celui quj de$ 
la première vue me traite comme un aini de 
vingt ans, ne -me traitât au bout de vk^t ana 
comme un inconnu fi j'avois quelque important 
fervicc à lui demander ; fc quand je vois des 

différentes. J'ai été pluficurs fois fur le point de les ôter 8t 
d'enfubftituer dcmafaçoa; enfin je les laiffc, & je me vante 
de ce courage* Je me dis qu'un jeune homme de vingt-qua- 
tre ans entrant <lans le monde n« doit pas le voir comme Je 
♦oit un homme de cinquante, à qui l'expérience n'a que trop 
«ppris à le ponnoîtie^ Je me dis eocoi» que iani y avoir fait un 
fort grand roUe, je ne fuis pourtant plus dans le cas d'en pou- 
voir parler avec impartialité. Laiflbns donc ces lettres comme 
elles font, Que les lieux communs ufés relient 5 qne les obferva- 
tiens triviales reftent j c'eft un petit floal que tout cela. Mais, 
il importe à Tami de la vérité que jufqu'à la fin de fa vie fci 
paffioM ne fouiHciit point -fcs écrit». hommet 

I 


$ 


H E L' O ï S E. 63 

hôminrt fi diffipés prencîre un intérêt fi tendre 
à tant de gens, je préfumerôis volontiers qu'ih 
n'en prennent à perfonne. 

Il y a pourtant de la réalité à tout cela 5 car 
le François eft naturellement bon, ouvert, hof- 
pitalier, bienfiaifant ; mais il y a aufli mille ma- 
ïiieres de parler qu*il ne faiit pas prendre à la 
lettre, miUe offres apparentes, qui ne font faites 
que pour être refufées, mille efpeces de pîeges 
que la politefie tend à la bonne "foi ruftique. 
Je n'entendis jamais tant dire compte?; fur mor 
dans Toccafion ; difpofez de mon crédit, de ma 
bourfe, de ma maifon, de mon équipage. Sî 
tout cela étoit fincere & pris au mot, il n'y au- 
roit pas de Peuple moins attaché à la propriété, la 
communauté des biens feroit ici prefquc établie, 
le plus riche offrant fans cefle, & le plus pau- 
vre acceptant toujours, tout fe mettroit naturel- 
lement de niveau, & Sparte même eut eu des 
partages moins égaux qu'ils ne fèroient à Paris. 
Au lieu de cela, c'eft peut-être la ville du mon- 
de où les fortunes font le plus inégales, & ou 
régnent à la fois la plus fomptueufe opulence & 
la plus déplorable mifere. Iln'en faut pas davan- 
tage pour comprendre ce que fignifient cette ap« 
parente commifération qui femblc toujours aller 
au devant des befoins d'autrui, & cette facile ten- 
drefTe de cœur qui contràâe en un moment des 
amitiés éternelles. 

Au lieu de tous ces fciltimens fufpeâs & dç 
cette confiance trompeufe, veux-je chercher des 
lumières & de l'inftruflion ? C'en eft ici l^aîma- 
ble fource, & l'on eft d'abord enchanté du fa-* 
voir & de la raifon qu'on trouve dans les entre- 
tiens, non* feulement des Savans Se -des gens de 

'• lettres^ 


64 LA NOUVELLE 

lettres, mais des hommes de totts les états & 
même des femmes : le ton de la converfation 
cft coulant & nature] ; il n'eft ni pefant ni fri- 
vole ; il eft favant fans pédanterie, gai fans tu- 
multe, poli fans affeâion, galant fans fadeur, 
badin fans équivoques. Ce. ne font ni des dtf- 
fertations ni des épigrammies ; on y raifonne fans 
argumenter ; on y plaifante fans jeux de mots ^ 
on y aiTocie avec art Teiprit & la ralibn, les, 
maximes & les faillies, la fatire aiguë l'adroite 
flatterie & la morale auftere. On y parle de tout 
pour que chacun ait quelque chofe à dire; on 
n'approfondit point les queftions» de peur d'en- 
nuyer, on les propofe conune en paiTant, oa 
les traite avec rapidité, la précifion mené à Télé*, 
gance ; chacun dit fon avis & l'appuyé en peu 
de mots } nul n'attaque avec chaleur celui d'au- 
trui, nui ne défend opiniâtrement le fien; on 
difcute pour s'éclairer, on s'arrête avant la dif- 
pute; chacun s'inftruit, chacun s'amufe, tous 
s'en vont contens, & le fage même peut rap- 
porter de ces entretiens des fujets dignes d'être 
médités çn fiience. 

Mais au fond que ,penfes-tu qu'on apprenne 
^ans ces converfations (i charmantes ? A jugée 
iâinement des chofes du monde? à bien ufer 
de la fociété, à connoitre an moins les gens 
avec qui l'on vit ? Rien de tout cela, ma Julie» 
On y apprend à plaider avec art la caufe du 
menfpnge, à ébranler à force de philofophie tous 
les principes de la vertu, à colorer de fophifmes 
fubtiU fes pafiions & fes préjugés, & à donner à 
l'erreur un certain tour à la mode félon les 
maximes du jour» Il n'eft point néceflaire de 
connoitre le car^dtere des gem^ mais feulement 

leurs 


H E L O ï s E. 65 

leurs intérêts, pour deviner à peu près ce qu'ils 
diront de chaque chofe. (^and un homme 
parle, c'eft pour ainil dire, fon habit & non 
pas lui qui a un (èntiment, & il en changera 
fans façon tout auffi fouvent que d'état. Don- 
nez-lui tour à tQur une longue perruque, un 
habit d'ordonnance & une croix peâorale ; vous 
l'entendrez fucceifivement prêcher avec le même 
zèle les loix, le defpotifme, & Tinquifition. Il 
y a une raifon commune pour la robe, une autre 
pour la finance, une autre pour l'épée. Cha-i 
cune prouve très- bien que les deux autres font 
mauyaifes, ' conféquence facile à tirer pour les. 
trois (tf ). Ainii nul ne dit jamais ce qu'il penfe» 
mais ce qu'il lui convient de faire penfer à au- 
trui» & le zèle apparent de la vérité n'eft jamais 
en eux que le mafque de Pintérêt. 
• Vous croiriez que les gens, ifolés qui vivent. 
4ans Tindqpendance ont au moins un efprit à eux ; 
point du tout ; autres machines qui ne penfent 
point, & qu'on fait penfer par reflbrts. On 
n'a qu'à s'informer de leurs fociétà, de kurt 
coteries, de leurs amis, des femmes qu'ils voy* 
eut} des auteurs qu'ils connoiiTent : jà-deflus on 
peut d'avance établir leur fentiment futur fur un 
livre, prêt à paroitre. & qu'ils n'ont point lu, fur 
une pièce prête à jouer & qu'ils n'ont point vue» 


(a) On doit pafler ce raifonneipent à un Suifle qui voit foa 
psys fort bien gouverné, fars qu* aucune des trois profefiîon^ 
y (bit établie. Quoi ! l'Etat peut-il fubfifter fans defenfeors ? 
non» il faut des défenlêors à TEtat ; mais tous les Citovena 
doivent être foldats* paf devoir, aucun par métier. Les meoiea.. 
homn^es chez les Romains & chez les Grecs étoient Officiera 
au Camp, magiftrats à la ville, Se jamais ces deux fonâiona 
ne furent mieox remplies que quand on ne» connoidbit pas cet 
bi^rres préjuges d*états qui les fépareot & les déshonorent. 

fuf 


66 LA NOUVELLE 

fur tel ou tel auteur qu'ils ne connoii&nt point, 
fur tel ou tel fiftême dont ils n'ont aucune 
idée. Et comme la pendule ne fe monte ordi- 
nahrement que pour vingt-quatre heures, tous 
ces gens-là s'en vont chaque foir apprendre 
dans leurs fociétés ce qu'ils penferont le lende- 
main. 

Il y a ainfi un petit nombre d'hommes & de 
femmes qui penfent pour tous les autres & pour 
lefquels tous les autres parlent & agiflènt, & 
comme chacun fonge à fon intérêt, perfonne au 
bien Commun, & que les intérêts particuliers 
font toujours oppofés entre eux, c'eft un choc 
perpétuel de brigues & de cabales, un flux & 
reflux de 'préjugés, d'opinions contraires, où les 
ptus éçhaums animés par les autres ne (avent 
prefque jamais dequoi il queftion. Chaque eo» 
terie a fe$ r^les, le$ jugdmens, (es principes 
qui ne font point admis ailleurs. L'honnête 
homme d'une maifon eft un fripon dans la 
maifon voiilne. Le bon, le mauvais, le beau, 
le kid, la vérité, la vertu n'ont qu'une exiftence 
locale & circonfcritte. Quiconque aime à fe 
nipandre & fréquente plufieurs fociétés doit être 
plus flexible qu'Alcibiade, changer de princi- 
pes comme d'aflêmblées, modifier fon efprit, 
pour ainfi dire à chaque pas^ & mefurer fes 
maximes ^ la toife. II fout qu'à chaque viiite 
il quitte en entrant fon ame, s'il en a une ; qu'il 
en prenne une autre aux couleurs de la maiibn, 
comme un laquais prend un habit de livrée, 
qu'il la pofe de même en fortant & reprenne s'il 
veut la fienne jufqu'à nouvel échange. 

Il y a plus ; c'eft que chacun fe met fans. 
ceiTc en contradiction avec lui-même, fans qu'on- 

s'avife 


H E L O ï s E. 67 

s^avife de le trouver mauvais. On a des princi- 
pes pour la cdnverfatlon & d'autres pour la pra* 
tique; leur oppofition ne fcandalife perfonne, 
& Ton eft convenu qu'ils ne fe reflembleroient 
point- entre eux. On n'exige pas même d'un 
Auteur, furtout d'un moralifte qu'il parle comme 
fes livres, ni qu'il agifle comme il parle. Ses 
Ecrits, fes difcours, fa conduite font trois chofes 
toutes différentes, qu'il n'eft point obligé de 
concilier. En un mot, tout eft abfurde & rien 
ne choque, patce qu'on y eft accoutumé, & il 
y a même à cette inconféquence une forte de bon 
air dont bien des gens fe font honneut. En 
effet, quoique tous prêchent avec zèle les maxi^ 
mes de kur proTeiiion, tous fe piquent d'avoir le 
ton d'une autre» Le Robin prend l'air Cav^ier) 
le fimmcter feit le Seigneur; l'Evéque a le propot 
galant; Themlne de Cour pfirie de philofophie) 
Phomme d'Etat de bel-efprh; il n'y a pa« jufquVtt 
iimpie artifan qui ne pouvant prendre un autr^ 
ton que le (ien fe met* en noir les dimanches^ 
pour avoir l'air d'un homme, de Palais. Leâ. 
militaires feuls; dédaignant tous les autres létatsî 
gardent fans façon le ton du leur & font infup^^ 
portables de bonne foi. Ce n'eft pas que M. d^ 
Murait n'eut raifon quand il donnoit la préférence 
à leur Société; mais ce qui étoit vrai de fon terni 
ne Teft plus aujourd'hui. Le progrès de la Itté* 
rature a changé en mieux le ton général^ les 
militaires feuls n'en ont point voulu changer. Sa 
le leur, qui étoit le meilleur auparavant, eft en7 
fin devenu le pire (*) 

Ainft 

(♦)-Ce jugement, vrai ou faur, ne peut s*entendre que des 
Subalternes, & de ceux qui ne vivent pat i Paris : Car tout ce 

qu'il 


68 LA NOUVELLE 

Âind les hommes à qui l'on parle Défont 
point ceux avec qui Ton Coiiverfes leurs fentî- 
mens ne partent point de leur cceur, leurs lu- 
mières ne font point dans leur efprit, leurs dis- 
cours ne répréfcntent point leurs penfées, on 
n'apperçoit d'eux que leur figure, & l'on eft dans 
une aflemblée à peu près comme devant un ta- 
bleau mouvant, où le Spcâateur paifible eft le 
fcul être mû par lui-mêtne. 

Telle eft l'idée que je me fuis formée de la 
grande fociété fur celle que i'ai vue à Paris. 
Cette idée eft peut-être plus relative à ma fitua- 
tîon particulière qu'au véritable état des chofes^ 
& (e réformera fans doute fur de nouvelles lumi- 
ères. D'ailleurs» je ne fréquente que les focié- 
fés où le^ amis de Milord Edouard m'ont intro- 
duit, & je fuis convaincu qu'il fayt defcendre 
flans d'autres états pour coniioitre les véritables 
moeurs d*ua {)ays, car celles des riches font 
prefque par tout les mêmes. Je tâcherai de m'é- 
claircir mieux dans la fuite. *.£n attendant, 
juge fi j*ai raiibn d'appcller cette foule un defert», 
^, de m'effrayer d'une folitude où je ne trouve* 
qu'une vaine apparence de fentimens & de vérité 
qui chan^ à chaque inftant & fe détruit clle-i 
même, ou je n'apperçois que larves & fantômes 
qui frappent l'œil un moment. Se difparoiflenc 
auiS-tôt qu'on les veut faifir? Jufqu'ici j'ai vu 
beaucoup de malques; quand verrai-je des vifages 
d'hommes? 

qu*il y a d^Iiluftre dans le Royaume eft aa fervicç, èc la Cour 
mênae eft toute militaire. Mais il y « une grainde différence^ 
^our les manières que Ton contraâe, entre faire campagne ea 
tems <de guerre, & paflTer fa vie dans des garnifons. 

LETTRE 


H E L O ï s E. 6g 

LETTRE XV. 

De JuUe. 

OUI, mon ami, nous ferons unis malgré 
notre éloighement ; nous ferons heureux 
en dépit du fort. C'eft l'union des cœurs qui 
fait leur véritable félicite; leur attraâion ne 
connoit point la loi des diflances, & les nôtres 
fe toucheroient aux deux bouts du monde. Je 
trouve, comme toi, que les amans ont mille 
moyens d'adoucir le fentiment de rabfence, & 
c!e fe rapprocher en un moment. . Quclquefoi» 
mênie on fe voit plus fouvent encore que quand 
on fe voyoit tous les jours ; car fitôt qu^un des 
deux eft feul, à Tinftant tous deux font en- 
fêmble. Si tu goûtes ce plaifir tous les foirs, je 
le goûte cent fois le jour ; je vis plus folitaîre ; 
je mis environnée de tes veiliges, & je ne fau- 
rois fixer les jeux fur les objets qui m'entourent, 
fans te voir tout autour de moi. 

^î canio dokemente^ e qui ^ajjife : 

*^mji rivolfej e qui ritenne ilpaffh ; 

'«./ co^ begVt ecchi mi trafife il cort : 

ntt dijfe una parola^ e qui forrife. 

Mais toiy fais-tu t'arrêter à ces fituations paifi- 
blés? fais-tu goûter un amour tranquille & 
tendre qui parle au cœur fans émouvoir les fens, 
& tes regrets font-ils aujourd'hui plus fages que 
tes defurs ne l'étoient autrefois ? Le ton de ta 

prc- 


7Ô LANOUVELLE 

premicre lettre me fait trembler. Je redoute 
CCS eraportcmens trompeurs, d'autant plu» dan« 
gereux que rimagination qui les excite n'a 
point de bornes, & je crains que. tu n'ou- 
trages ta Julie à force de l'aimer. Ah tu ne 
fens pas, non, ton cœur peu délicat ne fent 
pas combien l'amour s'ofFenfe d'un vain hom- 
Inage ; tu ne ibnges ni que ta vie eft à moi ni 
qu'on court fouvent à la mort en croyant ièrvir 
la nature. Homme fenfue), ne fauras-tu ja* 
mais aimer ? Rappelle^toi, rappelle-toi ce fen-» 
timent fi calme & fi doux que tu connus une 
fois ii que tu décrivis d'un ton f\ touchant & fi 
tendrie. S'il eft le plus délicieux qu'ait jamais 
favQuré l'amour heurfux, il eft le feul permis 
aux amans fép^rés, & quand on l'a pu goûter 
un moment, on n'en doit plus regr^ter d'autre. 
Je me fouviens des réflexions que nous faifions 
en lifant ton Plutarque, fur un, goût dépravé 
qui outrage la nature. Quand ces triftes plaifirs 
n'auroient.que de n'être pas partagés, c'en fe- 
roit aftes, difions-nous, pour le rendre infipide 
^ méprifable$. Appliquons la même idée aux 
erreurs d'une imagination trop afiive, elle ne 
leur conviendra pas moins. Malheureux ! de- 
quoi jouïs-tu quand tu es feul à jouir ? Ces vo- 
luptés folitaîres font des voluptés mortes. O 
amour ! les tiennes font vives, c'eft l'union 
des amçs qui les anime, & le plaifîr qu'on 
donne à ce qu'on aime fait valoir celui qu'il 
nous rend; * - 

^ Dis-moi, Je te prie, mon cher ami, en quelle 
langue ou plutôt en quel jargon eft la relation 
de .ta dernière lettre ? Ne feroit-ce point là 
par hazaxd du bei-efprlt? Si tu as deiTein de 

t'en 


H E L O I s E. 71 

l*en fèrvir fouvent avec moi» tu devrois bien 
m'en envoyer le diâionnaire. Qu'eft-ce, je 
te prie, que le fehtiment de l'habit d'un homme ? 
Qu'une ame qu'on prend comme un habit de 
livrée i Que des maximes qu'il faut mefurer à 
Ja toife i Que veux-tu qu'une pauvre Suifieflb 
entende à ces fublimes figures ? Au lieu de 
prendre comme les autres des âmes aux cou- 
leurs des maifons, ne voudrois-tu point déjà 
donâer à ton efprit la teinte de celui du pays ? 
Prend garde, mon bon ami, j'ai peur qu'elle 
n'aille pas bien fur ce fond-là. A ton avis les 
traflati du Cavalier Marin dont tu t'es fi fou- 
vent moqué, approcherent-ils jamais de ces mé- 
taphores, & fi l'on peut faire opiner l'habit d'un 
homme dans une lettre, pourquoi ne feroit on 
pas fuer le feu (/) dans un fonnet î 

Obferver en trois femaines toutes les fociétés 
d'une grande ville ; affigner le caraâere des pro- 
pos qu'on y tient, y diftingtier exaâement le 
vrai du faux, le réel de l'apparent, 4s ce qu'on 

Îr dit de ce qu'on y peniê ; ' voila ce qu'on accufe 
es François de faire quelquefois chez. les autres 
peuples, mais ce qu'un étratiger ne doit point 
faire chez eux ; car ils valent bien Ja peine d'être 
étudiés pofément. Je n'approuve pas non plus 
qu'on dife du mat du pays ou l'on vit & où l'on 
eft bieii traité : j'aifrierois mieux qu'on fc 
laiâât tromper par les apparences, que de mo-* 
ralifer aux dépends de fes hôtes. Enfin, je 
tiens pour fufpeâ tout obfervateur qui fe pique 
d'efprit: je crains toujours. que fans y (onget 
il ne facrifie la vérhe des chofes à l'éclat des 

.Vert â'va Ibfinet do cftTtlior^ Ma]4n« . 

penféet 


72 LA NOUVELLE 

penfées & ne faflè jouer fa phrafe aux dépends de 
la juftice. . 

Tu ne Vignores pas, mon ami, refprit, dit notre 
Murait, eft la mante des François ; je te trouve 
à toi-même du penchant à la même manie, 
avec cette difFérence qu'elle a chez eux de la 
grâce, & que de tous les peuples du monde c'eft 
à nous qu'elle fied le moins. Il y a de la re- 
cherche & du jeu dans pluiieurs de tes lettres. 
Je ne parle pomt de ce tour vif & de ces ex- 
preffions animées qu'infpire la force du fellti« 
ment ; je parle de cette géntillefle de ftile qui 
n'étant point naturelle ne vient d'elle-même à 
perfonne, & marque la prétention de celui qui 
s'en fert. Eh Dieu ! des prétentions avec ce 
qu'on aime ! n'eft-ce pas plutôt dans l'objet 
aimé qu'on les doit placer, & n'eft-on pas glo» 
rieux foi-même de tout le mérite qu'il a de plus 
que nous i Non, fi l'on anime les converfa- 
ttons indifférentes de quelques faillies qui paflent 
comme des traits, ce n'eft point entre deux 
amans que ce langage eft de faifon, & le iargon 
fleuri de la galanterie eft beaucoup plus éloigné 
du fentiment que le ton le plus fimple qu'on 
puifle prendre. J'en appelle à toi-même. L'ef- 
prit eut- il jamais le tems de fe montrer dans 
nos tête-à-têtes, & fi le charme d'un entretien 
paifionné l'écarté & l'empêche de paroitre, 
comment des lettres que l'aUènce remplit tou* 
jours d'un peu d'amertume & où le cœur parle 
avec plus d'attendrifibment le pourroient-elles 
fupporter? Quoique toute grande paffion foit 
ierieufe & que l'exceffive joye elle-même arraurhe 
des pleurs plutôt que des ris, je ne veux pas 
pour cela que l'amour foit toujours trifte 3 mais 

je 


H E L G ï s E. u 

je veux que^Ta gaité foit fnnplc, fans oriwmci?t, 
fans art, nue comme lui ; en un mot, qu'elle. 
brille de Tes propres grâces & non de la parure, 
dubelefprit. 

L'Inieparable, dans la cliambré de laquelle 
je t'écris cette lettre prétend, que j*étpis çp la 
commençant dans cet état d^enjouement que 
Tamour înfpire où toleire ; mais je ne fais ce 
qu'il eft devenu. A mefure que j'avançois, 
une certaine langueur s'emparoit de mon ame, 
& me laiflbit à peine la force de t'écrire les inju-^, 
res que ta mauvaife a voulu' t'addrefler : car il^ 
eft bon de t'avertir que la critique de ta critiqu;^ 
eft bien plus de fa façoh que de la mienne.; elle. 
m'en a diâé fur tout le premier article en. 
riant comme une folle, & fans me permettre 
d'y rien changer. Elle dit que c'cft pour t'ap-ç 
prendre à manquer de refpeâ au Marini qu'elle 
protège S^ que tû plaifaiites* ; ? 

Mais fais-tu bien ce qui nous met* toutes, 
deux de fi bonne humeur ? C'eft fort prêchai^! 
mariage. Le c6htra£t fut pafle hier âîi foir, éc^ 
le jour eft pris de lundi en huit. Si' jamais 
amour ^fut gai, c'eft. afilirément le flen; oa^e 
vit de la vie une fille (1 bougonnement aniou* 
reufe. Ce bon M. d'Orbe, a qui de fop côté 
la tête en tourne, eft enchanté d'un accueil fi 
folâtre. Moins difficile que tu n'étots autf çfois, 
il Te prête avec pïaifir à la plaifanterie, & prend 
pour un chef-d'œuvre de l'amouT Tàrt d'égayer 
fâ maîtreftê. Pour elle, on a beau la prêcher, 
lui repréfenter la bienféance, lui dire que fi près 
du terme elle doit prendre un maintien plus 
ièrieux, plus g^ave, & faire un peu mieux les 
honneurs de l'état qu'elle eft prête à quitter. 

îiw //. D Elle 


;+ LA NOtFVÉLLE 

£!le traStetout ceh defûttes fimagrées, & fouticnt 
en face à M. d'Oi1>e que le jour de la cérémoote 
die (êia de la^ meilleure humeur du monde, & 

Su*on nfi faurott aller trop saiment à la noce, 
fais la petite diiSmulçe ne ait pa3 tout ; je lui ai 
trouvé ce matin les yeux rouges ; & je parie bien 
que les pleurs de la n'oit payent les ris de la jour- 
née. Elle va former dt nouvelles chaînes qui re- 
lâcheront les doux liens de Tamiti^ ; elle va corn- • ' 
0encer une manière de vivre diiFérente de celle 
4;^ui lui fut chère y elle ^toit contente & tran- 
quille, elle va courir les hazards auxquds le 
meilleur mariage expofe, & quoiqu'elle en diie» 
comnie une eau pure & calme commence à fe. 
tiDuHer aux approches de l'orage, Ton cœur 
thnide & chafte ne voit point fans quelque 
allarme le prochain changement de fon fort, 

O tfida ami, qu*ils fpnt heureux ! Ils s'at- 
ment ; ils vont s'épôufer ; ils jouiront de leur 
imout ians ohfltzcits^ (ans craintes, &ns re-* 
mords ! Adieu, adieu, je n'en puis dire d'à* 
vantage. ' 

P; S.'Nôusb'aVoiis vu Milord Edouard qu'un 
moment, tant il étoit preiTé de continuer 
ù, route. Lé coeur plein de ce que nous 
lui devons, je voulois lui tnontrer mes fen* 
fiinens & les tiens; mais j'en ai eu une ef* 
pece de honte. En vérité, c'cft faire in- 
jure à un homme comme lui de le remer- 
cier de rien. 


LETTRE 


H E L O T S E. 


Z5 


I 1^ 


,i .. < 


LETTRE XVI. 
J Julie. 

QUE let paifions impétueufes rendent les 
hommes enfans ! Qu'un amour forcené fe 
nourrit aifément de chioieres, & qu'il eft aifé de. 
donner le change à des deilrs extrêmes par les 
plus frivoles objets ! J'ai reçu ta lettre avec les 
mêmes ttanfports que m'auroit caufés ta pré- 
fence, & dans Pemportement de ma joye un 
vain papier me tenoit lieu de toi. Un des plus 
grands maux de rabfence, & le fcul auquel la 
r^ifon ne peut rien, c'eft Tinquietude fur l'état 
aéluel de ce qu'on aime, sa fanté, fa vie, fon 
i^os, fon amour, tout échape à qui craint de 
tout perdre ; on n'eft pas plus fur du ^rèknt 
que de l'avenir, & tous les accidens poiTibles fe 
réalifent fans ceilè dans l'efprit d'un amant qui 
les redoute. Enfin je refpire, je vis, tu te por- 
tes bien, tu m'aimes, ou plutôt il y a dix jours 
3ue tout cela étoit vrai ; mais qui me répondra 
'aujourd'hui ? O abfence î ô tourment ! ô bi- 
zarre & funefte état, où l'on ne peut jouir 
que du moment paiTé, & où le préfent n'eff 
point encore ! 

Quand tu ne m'auroîs pas parlé de l'Infépa- 
rable, j'aurois reconnu fa malice dans la cri- 
tique ae ma relation, & fa rancune dans l'apo- 
logie du Marini } mais s'il m'étoit permis de 
faire la mienne^ je ne refterois pas fans ré* 
plique. 

D 2 Pr^. 


76 LA .NOUVELLE 

Premièrement, ma Coufine ; (car c'eft à elle 
qu'il faut répondre,) quant au ^ile, Y si pris 
celui de la chofe ; j'ai tâché de vous donner à 
la fois l'idée & l'exemple du ton des converfa- 
tions à la mode, & fuivant un ancien précepte, 
je vous ai écrit à peu près comme on parle en 
certaines fociétés. D'ailleurs, ce n'eft pas Tu- 
fage des 6£ures4 mais leur choix que je blâmç 
dans le Cavalier Marin. Pour peu qu'on ait 
de chaleur dans l'efprit, on a befoin de méta- 
phores & d'expreffions figurées pour fe faire en- 
tendre. Vos lettres mêmes en font .pleines 
fans que vous y fongiez, & je foutiens qu'il 
n^y a qu'un géomètre & un fot qui puiflent 
parler fans figures. £n effet, un même juge- 
ment n'eft- il pas fufceptible de cent degrés de 
force ? Et comment déterminer celui de ces 
dégrés qu'il doit avoir, finon par le tour qu'on 
lui donne ? Mes propres phraies me font.rire, 
je l'avoue, &- je les trouve abfurdes, grâce au 
foin que vous avez pris de les ifoler ; mais 
laiflez-les où je les ai mifes, voua, les trouverez 
claires & même énergiques. Si ces yeux éveil- 
les, que vous favez u bien faire parler, étoient 
feparés l'un de l'autre^ & de votre vifage 5 Cou- 
fine, que penfez-vous qu'ils diroient avec tout 
leur feu ? Ma foi, rien da tout ; pas même à 
M. d'Orbe. 

La première chofe qui fe préfente à obferver 
dans, un pays où l'on arrive, n'eft-ce pas le ton 
général de la Société? Hébien, c'eft aufli la 
première obfervation que j'ai faite dans celui-ci, 
& je vous ai parlé de ce qu'on dit à Paris & 
non pas de ce qu'on y fait. Si j'ai remarqué du 
contrafte entre les difcours, les fentimens, & 

les 


H ' E L' O î s E; 77 

Tes aâions'des honnêtes gens, c*eft que ce con* 
trafte faute aux yeux au premier inftant. Quand 
je vois les mêmes hommes changer de maximes 
félon les Coteries, Molinifles dans l'une, Jan« 
féniftes dans l'autre, vils courtifans chez un 
Minière, frondeurs mutins chez un mécon- 
tent ; quand Je vois un homme doré décrier le 
le luxe, un nnancier les impots, un prélat le 
dérèglement ; quand j'entens une femme de la 
Cour parler de modeftie, un çrand Seigneur de 
vertu, un auteur de fimplictte, un Abbe de Re- 
ligion, & que ces abfurdités ne choquent per- 
fonne, ne dois-je pas conclure a l'inftant 
qu^on ne fe foucie pas plus ici d'entendre la 
vérité que de la dire, & que loin de vouloir 
perfuader les autres quand on leur parle, on ne 
xherche pas même à leur faire pcnfer qu'oa 
•croit ce- que l'on leur dit ? 

M^s c'eft afles jplaifanter avec la Coudne* 
Je laiflè un ton qui nous eft étranger à tous 
trois, & j'efpere que tu ne me verras pas plus 
prendre le goût de la Satire que celui du bel 
cfprît. G'elt à toi Julie, qu'il faut à préfent 
ropdndre ; car je fais diftinguer la critique ba- 
^if»e, des" reproche^ férieux. 

Je ne conçois pas comment vous avez pu 
prendre toutes deux le change fur mon objet. 
Cène font' point les François que je me^fur^ 
propôfé d'obfervcr : Car fi le caraâere des na- 
tions ne peut fe déterminer que par leurs difFé^ 
rènces, comment moi qui n'en connoîs encore 
auCiine autre, entreprendrois-je de peindre celle*- 
*ci ? Je ne feroîs pas^ non plus, fi maladroit que 
de choifir la Capitale pour le lieu de mes obfer- 
vations. Je n'ignore pas que les Capitales dif- 

D 3 férent 


yt X A NOUVELLE 

férent moins enq-e elles que les Peuples, & que 
les caraâeres nationnaux sV effacent & coofon^ 
dent en grande partie^ tant acaufe de l'uifiuence 
commune des Cours qui fe rellèmblent . toutes, 
que par Teffet commun d'une ibciété nom- 
breufe & reflèrrée, qui eft le même à peu près 
iur tous les hommes, & Tempoite à la fin fur le 
caraâere originel. 

Si je voalois ëtudier un peuple, c'eft dans 
les provinces^eculées où les babitans ont encore 
leurs incltna^i^s naturelles que j'irois les obn 
ferver. Je parcourois lentement & avec foin 
plufieurs de ces provinces, les plus éloignées les 
unes des autres i toutes les différences que j'ob« 
ferverois entre elles me donneroient le génie 
particulier de chacune , tout ce qu'elles auroieot 
de Commun, U que n'auroient pas lu autre» 
euples, formeroit le génie national, & ce qui 
; trouverott pat tout, appaxtiendroit en général 
a l'homme. Mais je n'ai ni ce vafte projet ai 
l'expérience néce£Sure pour le fuirre. Mon 
objet eft de connoitre l'homme, & ma méthode 
de l'étudier dans (es diverfes relation^. Je ne 
)'ai. vu jufqu'ici qu'en petites fodétés, épais & 
prefque ifolé fur la^terre. Je vai» maintenant If 
confidérer eoufle par multitudes dan&les mêmes 
lieux, & je conunencerai à juger par-là des 
vrais effets de la Société j car s'il eft confiant 
qu*eile rende les hommes meilleurs, plus elle efl 
/lombreufe, & rapprochées, mieux ils doivent 
valoir, ic les wœurs, par exemple, feront beau* 
coup plus pures à Paris que dans, le Valais ^ que 
fi l'on trouvoit le contraire, il faudroit tirer une 
iconféquence oppofée. , 

, « 

Cette 


£ 


H E L O ï s B. 79 

Cette méthode pourroit, j'en conviens, me 
tneaer encore à. la con^ilUnce desPeuples^ 
mais par une voye fi longue .Âc fi jdé^ournée que 
je ne ferois peutrétre de mi vie en état de pro^ 
noncer fur aucun d'eux J l\ faut que jecom^ 
mence par tout obferver dans le premier où je 
me trouve ; que j'afiigne enfuite les différences^ 
à mefure que je parcourai les autres pays ; 
que je compare la France à chacun d'eux^ 
comme on décrit l'oliviet fiir un iàule ou Iç 
palmier fiir un fapin, & que j'attende à iugei: 
du premier peuple obfervé que j*aye obfenre tou$ 
les autres. 

VeuDles donc, ma charmante prêcheufe, di* 
fiinguer ici robfervation philofophique de la fa* 
tire nationale. Ce ne font pomt les parifiens 
que j'étudie^ mais les habitans d'une gràndç 
ville^ & je ne fs^a fi ce que j'en vois ne con- 
fient pas à Rome & à Londres tout auffi bien 
qu'à raris. Les règles de la morale ne depen« 
dent point des uiàges des Peujples ; ainfi malgré 
les préjugés dominans je fens fort b!en ce qui eft 
mal en foi ; mais ce .mal> j'ignore s'il faut l'at- 
tribuer au Ftaoçqid ou à l homme, & s'il eft 
Pouvràge de la coutume ou de la nature. Lq 
tableau du vice otfenfe en tous lieux un oeil 
impartial, & l'on n'eft pas plus blâmable de Ici 
reprendre dans un pays où d tegnty quplqu'onî 
y folt, que de relever les défauts de l'huma« 
]}ité, quoiqu^on vive avec les hommes. Nil 
fiiis-je pas a préfent moi-même un habitant de, 
Paris? Peut-être fans le lavoir ai-je déja.cpBn 
tribué pour ma part au defprdre que j'y, re^ 
marque^ peut-*être un trop long fejour y cotrr, 
romproit-il ma volonté mêmei peut*étre s^m 

D ^ bout 


8o - LA NOUVELLE 

bout d'un an ne fêrois-je plus qu'un bourgeois^ 
fi pour être digne de toi je ne gardois Tame d'un 
homme libre' & les mœurs d'an Citoyen. Laiffe- 
moi donc te peindre fatis contrainte des objets 
auxquels je rougïtk de refTembler, & m'ani* 
mer au pur zèle oe la vérité par le tableau de la 
flatterie & du menfonge. 

Si j'étois le maître de mes occupations & de 
mon fort, je faucois, n'en doute pas, choifir 
d'autres fujets de lettres, & tu n'étôis pas mé- 
contente de celles que. je t'écrivois de Meillerie 
& du Valais : . mais, chère amie, pour avoir la 
force de fupporter le fracas du monde où je fuis 
contraint de vivre, il faut bien au moins que je 
me confole à te le décrire. Se que l'idée de te 
préparât des relations m'excite à en chercher 
les 'fujets. ^Autrement le découragement va 
m'atteîffdfè à chaque pas, & il faudra que j'aban- 
donne tout fi^ ru rie veux rien voir avec moi. 
Pcnfe que pour vivre d'une manière. fi peu' con- 
forme à mon goût je fais un effort qui n'eft 
pas indigne dé fa caufe, & pour juger quels foins 
me peuvent mener à toi, fouffre que je te parle 
quelquefois des- maximes qu'il faut connoitre & 
des obftacles qu'il faut fùrmohter. 

Malgré ma lenteur, malgré mes diftraâions 
inévitables*, mon recueil étoit fini quand ta 
lettre eft arrivée heureufement pouf le pro- 
longeri & j'admire en le voyant fi court com- 
bien de chofes ton cœur m'a fû dire en fi peu 
d'efpace. -Non, je foutiens qu'il n'y a point 
de leâure auffi delicieufe, même pour qui ne 
te connoitroic pas,' s'il avoît une ame femblable 
aux nôtres : Maïs comment ne te pas connoi- 
ue en lifant tes lettres ? Comment prêter un 

ton 


H -E L O î S E. 8r 

tcMl R touchant ic dts fentimens fi tendres à une 
a^fre /figui^ ii}^ la tienne ? A chaque phrafe ne' 
Voit^n pss ié doux regard de tes yeux î A cha- 
que mot n'entend-on pas ta voix charmante ? 
Quelle autre' qiie Jalie a jamais aimé, penfé, 
parlé, agi, écrit comme elle ? Ne fois donc pas 
fiirprife fi'tès kttfeé qui te peignent fi bien font 
qudquefois AlPtoi^ idolâtre amant le même effet 
qtiô'ta {>réferice. En les reUfant je perds la rai- 
fbtiymi tête' i^égare' dans tin' délire continuel,' 
uli feu dévorant me confume, mon fang s'allume 
& petilte,' ^me fùttxxt me fait ' tréfailler. Je' 
Crois te voir, te toucher, te preffer contre mon 
fein^'. . » objet adoré, fillîe ènchanterefle, fource 
de délice & de Volupté, comment en te voya'nf 
ne pas voir les houris iaites pour les bteriheu^* 
feux ? • • \,\ tSï vien ! ^. • • je la fens • • • • elle m'é^ 
chappe, &jen'embraflfe qu'une ombre. ••• Il 
eâ? vrai, dH^rd Amie, tu es trop belle & tu fus 
trop tendre pour mon foible cœur; il ne peut' 
eûMier ni ta beauté ni tes carèSès ; tes charmes 
triomphent de l^abfence, ils me pourfuivent par 
tout, ils me font craindre la folitude, & c'eft 
le coRible de tui mifei^e de n'ofer m'occupef 
toujours de toi. 

Ils feront xtonc unis malgré les ob({acles, ou 
plutôt ils le font au moment quei'écris. Aima- 
bles & dignes Epoux î Puifle le Ciel les combler 
du bonheur que méritent leur fage & paifîble 
amoiir^'rihriécènoe de leurs mœurs, Thonnétete 
de leâ>r« ame& î»Puiflfe^t«il leur donner ce bon- 
heur (Précieux dlHit il eft fi avare envers \tr 
tœurs faits pour le goûter f Qu'ils feront heu- 
feux, ^\l leur accorde, hélas, tout ce quil nous^ 
ôte ! Mais pourtant ne fens-ta pas quelque forte 

Os de 


i% LA NOUVELLE 

de coUfolatioii dai» nos oiaiii^ ? Ne fioif^il yon 
/que Texcès de oôtife itiifere 9'e^ point non pî^s 
fans dédomms^ementy & que s'il» oa( des pkûfii!% 
dont nous fommes prives^ nous en avons au£ 
qu'ils ne peuvent comioitre i 0<si> ma douce 
afnie» malgré l'abfence, les privations» les al* 
larmes»' tm\pé le delèfpoîr même». If s puiiSinlp 
âancemens & deux cœurs Tua vers l'autre tout 
toujours une volupté fecrttte ignoiiée des «mes^ 
tranquilles. Ceft un des mirades de rampur. 
de nous iaire trouver <^ j^aifir à (odStiti &; 
nous larderions comme le pire des aialheurt 
un état d'mdifFérence & d*oubli qui nous itérait 
le firmiment de nos peinel* ^la^rtons, doâC 
notre fort» ô ju^ ! nMiis nfenvîontf celai de 
psrfonne. Il n'y a po|nt» peUt-dtreb à tout 
pMfndre. d'çxiftence préf4rabie à la notre» i^ 
comme la divinité tire tout fon jbonheur d'elle- 
même» les cieurs qu'échauffe tin fi^u célefte» 
trouvent dans leurs propres ientimens une forte 
de jouïflanoe . pure & déliciei^ indépendante 
de la fortune du refte delSuiivers. 

LETTRE XVlI. 

ENfin me voila tout-^à-fait dans I^ torrent* 
Mon recueil fini» j'fti cû^nlBencé de frén 
quenter les ^peâactes û 4t fouper en ville. Jç 
pailè ma journée dntiere da|is le monde» je 
priÈte mes oreilles & mes yeuK à tout ce qui 
les û-appe» & n'apperceYswit i;ien qui te rfiTem- 

ble. 


H E L O î s E S^î 

hle^ je me recddile au milieu du btmt 6c çob** 
verfe en iecret avec toi. Ce n'eft fat qae cettci 
vie bruyante èc tumultueulê n'ait aoffi queloue 
iWte d'attraits^ & ^ue la prodigîeufe direrutéi 
d'objets n'offre de certains agrémens 4 de/ mu- 
veaux débarqués ; aiats pour les {en^it il .{aut 
avoir le ccaur vuide & l'efprit frivole; l'amour 
& la raifon Ibmblent s'unir pour m'en dégcw^ 
ter: comme tout n'eft que vaine apparence &; 
q«e tout change k chaque ioftaiicet je n'ai le 
tems d'être «nu de rien, ni celui. de rien «»^ 
aminer. 

Ainfi je commence à voir les dificalèes do 
r4tude du mondi^i & jene fais pas même ^pjtdi$. 
place il fiiut occuper pour le bien cornioithe. 
Ix philoibphe Isa àd ttop'loih, l'fadmpe d« 
monde «a eft Crgip. -près. L'un voit tra{k potiD 
pouvoir réfléchir, l'autre trop peu pour juger da 
tableau tgtal.- Chaque objet qui fraf^ le phi- 
loTopbe, il le «on&dere à part, & n'en pouvant 
difcerner ni les liaiibns ni ks rapports avec d'au^ 
très oljets qui Ibnt bots de fa portée, il ne lo 
voit jamais à fit pbce & n'eii fent ni la lalfoa 
oî les vrais effets. L'hamn» du monde voie 
tout & ja^a le tems de penfer à rien. La mo*' 
bilité des objets ne lui permet que de les apper«« 
oevoir & non de les obferver ; ils s'èfliàcesit mo<* 
tudlonent avec rapkhté, &il ne loi refte d« 
tout que dea impreffions oonfidès qui refioiK 
biens autcahos. 

O^ n^.peut pas, non plus, voir 48c méditer 
akemacivement, parce que le ipeftade. exige 
une continuité d'attention, qui intcirompt U 
réflexion* Un homme qui voodroit diviferJbiî 
lems pariotervalks entre le mosde ii lai l^^'** 

D ê tude. 


U LA NOUVELLE 

tvde^ toujoim agité ^ans fa retraite & toujours^ 
étranger dani le monde- ne feroit bien nulle 
part. Il n'y auroit d'autre moyen que de par- 
tager Ùl vie entière en deux grands eipaces, l'un 
pour voir^ l'autre pour réfléchir : Mais cela 
même'eft prefque impoffîble; car la raifon n'eft 
pas un meuUe qu'on pofe & qu'on reprenne à 
fengré^ & quiconque a pu vivre dix ans ians 
penfer, ne penfera de ùl vie. 

Je trouve aoffique c'eft uife folie de vouloir 
lemondeen &nple fpeâateur. Celui 
qui ne prétend qu'obferver n'ob(erve rien, parce 
qu'étant inutile dans les affaires & importun 
daiisksplaifirs» il n'eft admis nulle part. On ne 
voit agir lest autres qu'autant <)u'on agit ibi« 
fliemerdans Pécôle du monde. comme dan» 
ceUe de l'amour^' il faut commeAder par prati^ 
quer ce qu'on veut apprendre^ 

Quel pmi prendrai*je donc» moi étranger 
qui ne puis' avoir aucune affaire en <:é pajs, 8r 
que la jdifFérencp de religion empêcheroit feule 
d'y. pouvoir «afpircr i rien? Je fuis rèdait à 
m'àbâifièr pour.JxvHnftmire, Se ne pouvaot-ja^ 
mais éire un homme utilcy à tacher de né ren- 
dre un homme ainufant; Je m'exérci^ autant 
qu'il' eft fioffible à. devenir pe4i fan9 Ifauàète, 
complaiÊintflms baiieflè, & à prendre fi bien ce 
qu'il j a de bon dans ]a foc^été-que fy puiffe 
etrefouffert fatai^ en adopter les vices. .Tout 
homme oifif qui veut voir le monde doit au 
nrnm'en'prèndreilès maniçre^ juiqu'à cei^ain 
point; -.car de'qud droit exfgeroit*on d'être ad* 
mis pacmi desî gens à qui l'on n^eft bon à rien» 
le ^7 qui- l'on.vn'atirbiD pas* li'art {daire f Mais 
aiiffi qiiand il a trouvé cet art on ne lui en de- 
c ^'» À w mande 


H E L O I s E. 85 

mande pas davantage, furtout s'il eft étranger; 
Il peut fe difpenfer de prendre part aux ca- 
bales, aux intrigues^ jiux démêlés ; s*il fè 
comporte honnêtement envers chacun, ^'il ne 
donne à certaines femmes ni exclufîon ni pré- 
férence, s'il garde le fecret de chaque fociété 
où il eft reçu, s'il n'étale point les ridicules* 
d'une maifon dans une autre, s'il évite les con- 
fidences, s'il fe refufe au^ ti-acafleries, s'il garde 
par tout une certaine dignité, il pourra voir 
paifiUement; le monde, conferver fes mœûré, 
fà probité, fa franchife même, pourvu qu'elle 
vienne d'un' efprit dé liberté & non dlin efprîc 
de parti. Voila cc"t|be Vai tâché de faire par 
r«vis de quelques gens éclairés que j'ai chôifîs 
pour guides parmi les- 'cohnoifllnces que m'a 
donné Milord Edouard. J'ai donè commencé 
d'être admis dans des (bciétes moins nombreu- 
fes & plus choifies. Je ne m'étois trouvé ju(^ 
qu'à préfent qu'Si des dhiés fégl^ ^û l'on ne 
voit de femme que la maitreile de la maifon, 
eii tous les defoeuvrés de Paris font reçus pour 
peii qu'on les connoifle,' où chacun pave comme 
il peut fon dîné en efprit ou en flatterie, &'dont 
le ton bruyant & confus ne diflfere pas beaucoup 
de celui des tables d'auber|és; 

Je fois maintenant initré à des mifteres phia 
fecrets. J'affifté à des feupés priés où la porte 
eft fermée à tout farvenant & où l'on eft fôc de 
ne trouver que des gens qui conviennent tous, 
finon les uns aux atttres, au moins à ceux qui 
les reçoivent. C'eft là que les femmes s'bBfer- 
vent moins, & qu*on peut commencer à les 
étudier : C'^ là que régnent plus paifiblement 
des propos plus fin» 2c plus fiitiriques i c'eft là 

qu'au 


Sd LA NOUVELLE 

Qu'au lieu des nouvelles publi<]ues9 des fpeâa*^ 
chs^ des promotions, des morts, des mari^^es 
donc on a parlé le matin, on paâè dîicretement 
en revue les anecdotes de Paris, qu^ou dévoile 
tous les événemens fecrets de la cronique fcanda«* 
kufey qu'on rend le bien & le mal ^alem^nt 
plaifans & ridicules, & que peignant avec art 
& félon rintérét particulier les car^âere^ des^ 
perfonagO) chaque interlocuteur fans yjpeniêr 
peint encore beaucoup mieux le fien i c'cft là 
qu'un refte de circonipeâion fait inventer de- 
vant les laquais un certain langage entortillé^ 
fous lequel feignant de rendre la iàtire plus ob- 
fcure. on la rend feulement {^us amere i c'eft là, 
en un mot^ qu'on affile avec ibin le poignard, 
fous prétexte, de twe moii^ d^ mal, mai# ea 
effet pour l'enfoncer plus ayant. 

Cependant à çoofidérer ces propos ielon nos 
idées, on auroit tort de les appeUer fatiriques; ca> 
ils font bien plus railleurs que mordans, & tom* 
bent moines nir le vice que fur le ridicule, £l^ 
général la iatire a peu de cours dans les grandes 
ville), où ce qut.n'eft que mal eft fi Qmple que 
ce n'eft pas la peinç d'en parler. Que refte-t-il 
a blâmer où la vertu n'eft plus eilimee, & de-^ 
^oî médiroit-on quand on ne trouve phis de 
mal à rien? .A Paris furtout où Ton ne iâifit 
les chofes q^e par le côté plaiiant, tout ce qui 
doit allumer la colete & l'indiginatioa eft toujours 
mal jc^u s'il n*eft mis en cbanfon ou -en épi* 
cramme. Les jolies femmes n'aimept point à 
Tt fâcher i auffi ne fe fikbent-elles de ri^ i elles 
aiment à rire; & comme il n'y a pats le mot pour 
rire au crime, les fripons ibnt d'honnêtes gens 
comme tout le mondes mais malheur a qui préce 

le 


H E L q ï s E- «7 

le Auic au ridicule^ fa caiiftique «mpreiate eft 
inie£Façable^ >l.^Ç ^échirç pas iculemcnt W 
opœuis, 4a vertu, il marquii jufqu'àa yiçe oieme^ 
il fait caionuiier les meçbans» Mais FevieooDS à 
nos foupés* 

Ce qui m'a le plus frappe dans ces fociétés 
d'élite, . c'eft de voir ùx perfoiuies choifies exprès 
pour s^eatrel^nir agréablement enfemble, & 
parmi tefquelles régoenè inèitie le plus {ouvent 
des liaifbns iecietes» ne pouvoir refter une heure 
entre elles ûx^ laos y laire intervenir la moitié 
de Paris^ comme fi leurs coeurs n'avoient rien 
à fe dire ic ciu'il n^y eut la peribnne qui méritât 
de les intére&r. Te foavient-ri], ma Julie^ 
comment en foupant cbe^ t^ Coufint ou cfae« toi i 
Qous favions^ .«n dépit de ,1a contrainte & du 
miftere, faire tomber rentretisn fur des &}ets 
qui euilent du rapport à nous, ik comment à 
chaque réffexjoQ touchante, k chaque allufioi^ 
fubtile, un xegard plus vif qu'un éclair, un Ibu-» 
pir plutôt deviné qu'apperçu, en jportoit le douj| 
fenttment d'un cœur a l'autre. 

Si la converfation fis tourné par bazard fur let 
convives, c'eft Communément dans un certaiii 

1 'argon de fociété dont il faut avoir .la clé pour 
'entendre. A Taide de ce chiffre, on fe &it 
réciproauement & félon le goût du tems mille 
roauvailes plaifanto-ies, durant leiquelles le pluf 
fot n'eft pas celui qui brille le moins, tandis 

5|tt'ua tiers mal mftruit eft réduit à Tennui & au 
ilence, ^ou à rire de ce qu'il A*êntend point; 
Vo3a, hors le t|te-à-tête . qui m'eft & me fera 
toujours inconnu» tout.ce<]u'il y a de tendre ù 
^hak&woK dans les liaifons de ce pays. 

Au 


88 LA NOUVELLE 

Au miKeu dé tout cda^ qu'un hotxime de poids 
avance un propos grave ou ^gite uiie queftion' 
iefîeufe, auffi-tdt l'attention commune fe fixe à 
ce nouvel ôtyet; hommes» femmes, vieillards, 
jeunes ^ns, tout fe prête à le confidérer par 
toutes Tes faces, & Ton eft étonné du fe'ns &'de 
la raifon qui fortent comme à' l'envi de toute.? 
ces têtes folâtres (B). Un poiilt dé morale ne 
feroit pas mieux' d^iSuté dans une fociété dé 
philôfopljeè^ué ffstnsciiîà d'une Jolie ïemtne de 
Paris; his conclufions jr Croient même fôuveht 
moins féveres; car le philofbphe qui 'vent agir' 
èomme il pèirlé,' y r^rde à deuji; fois; mais icr 
où toute la morale eft un pur vèrbiags, on peut 
être auftére fans conféquenCe^ & Pon ne feroitf 
t>as fâché, pour tabattre uri peu Toi^gueil phtlo^ 
fbphîque, de ^ettfc la ,vèrtu fi Ttaut eue le fagcf 
hiêmç h'yput at^îndrc. -Au reftè, hommes- &^ 
femmes, tous, inftrutts par rexpértence du: 
monde '& furtout par leur confcience, fe réunil- 
fent pour penfer'de leur efpece auffi mal qu'il efl 
poffible^ toujpurs philofophant ttiftement, ton*' 
|purs dégradant par vanièé la nâtàrè humaine, 
toujours' cherchant dans 'quelque' vice ta caufe 
Setôiit ce qui fc fait de bien, tôujcfnrs d'iaprb 
leur propre cœur médifànt du ccieur de l'homme. 
' Malgré cette aviliflan^e doârine, un des fujets 
favoris de ces patfibles entretiens c^eft lefenti^ 

/ i ; .' . . • 

t * 

( (à) Pourra,* toutafois^i ^aVine ' ^Uifanterle im^rewe r» 
yîtliiie'patdértng0: cette gnvit^; ciur ak)irf chacoa reiiclierit,i 
tout part à Tiiiftant^ & M "7 a plus inoyeA de reprendre k ton 
teti^x. 'Je ii\e rappelle' on certain pacqoet ée gtmblettes qui 
ttoi^la Û {dai(Wmtnent uod réf téfaitalico de la foire. Les ac« 
teurs déraçgéa. n'étoient que des animlux'} mail «ve de cho% 
iont gimblettes pour beaucoup d^homnet 1 On fût qui Foa* 
Ceoelie a voulu peindre dam rhiitoire det Tyriotiena. 

mentir 


3 


H E L O ï S E. 89 

ment; mot par lequel il ne faut pas entendre 
un épanchement aSeâueux dans le fein de Ta- 
mour ou de ramitié; cela feroit d'une fadeur à 
mourir. C^eft le fentiment mis en grandes 
maximes générales & quintefTencié par tout ce 
ue la métaphifiquc a de plus fubtil. Je puis 
ire n'avoir de ma vie ouï tant parler du fenti- 
ment» ni (i peu compris ce qu'on en difoit. Ce 
font des rafinepiens inconcevables. O Julie, 
nos cœurs groffiers n'ont jamais rien fû de toutes 
ces belles maximes, & j'ai peur qu'il n'en foit 
du fentiment chez lès gens da monde comme 
d'Homère chez les Pedans, qui lui forgent mille 
beautés chimériques, faute d'apperccvoLr les vé- 
ritables. Ils dépenfent ainfi tout leur fentiment 
en efprit, & il s'en exhale tant dans le difcours 
qu'il n'en refle plus pour la pratique. Heureufe- 
ment, la blénféance y fupplée, & l'on fait par 
ufage à peu près les mêmes chofes qu'on feroit par 
fenubilité; du moins tant qu'il n'en coûte que 
des formules & quelques gênes paflageres, qu'on 
s'impofe pour faire bien parler de foi ; car quand 
les facrifices vont jufqu'à gêner trop longtems ou 
à coûter trop cher, adieu le fentiment ; la bien- 
féance n'en exige pas jufques-là. A cela près, 
on ne fauroit croire à quel poipt tout eft compafle, 
mefuré, pefé, dans ce qu'ils appellent des pro- 
cédés; tout ce qui n'eft plus dans les (èntimens, 
ils l'ont mis en règle, & tout eft règle parmi 
eux. Ce peuple imitateur feroit plein d'originaux 
qu'il feroit impoffible d'en rien favoir; car nul 
homme n'ofe être lui même. Ilfautfatu comme 
ks autres ; c'eft la première maxime de la fagefle 
du pays. Cela Je fait y cela ne/e fait pas. Voila 
la décifion fupreme. 

Cette 


9Q LA NOUVELLE 

Cette apparente régularité donçie aux ufàges 
communs Vsnr du monde le ^us comiquet même 
dans les chofes les plus ferieufes. On fait à 
point nommé quand il faut envoyer favoir des 
nouvelles quand il faut k faire écrire» c'eft 
à dire, faire une vifite qu'on ne fait pas ; quand 
il faut la faire foi-même $ quand il eft permis 
d'être chez foi; quand on doit n'y pas être 
quoiqu'on y foit; quelles oiFres l'un doit faire; 
quelles ofires l'autre doit rejeCter; quel degré 
de trifteflfe on doit prendre à telle ou telle 
mort {a)^ combien de tcms on doit pleurer à h 
campagne; le jour où l'on peut revenir fe con» 
folçr àla ville; l'heure & la minute où l'affiiâioa 

Çrmet de donner le bal ou d'aller au fpeâacle. 
out le monde y fait à la fois la même chofe 
dans la même circonftance : Tout va par tems 
comme les évolutions d'un régiment en bataille; 
Vous diriez que ce font autant de marionétei 
clouées fur la même p}anChe» ou dr^ 'par I« 
mètnt fiL 

Or comme il n^eft pas poffible que tous cet 
|;ens qui foBt exaâement la même chofe fbieat 
exaâement a&éïés de mèiie^ il eft clair qu'il 
faut les pénétrer par d'autres moyens pour les 
coonoitre; il eft clair que tout ce jargoan'eft 
qu'un vain formulaire & ièrt moins a Jura: des 
mœurs» que du ton qui règne à Pari^ On ap«^ 
prend ainli les propos qu'on y dent mais rien de 
ce qui peut fervîr à les apprécier. J'en dis autant 
de la plupart des écrits nouveaux ; j^en dis autant; 

^a) S*a/1liger I la mort de^oct^u^itA et im fuiùmênt é^b«- 
jnamtc 8e utt teoftoigoage 4e bôo aatmely miMt «oa pM «a de» 
voir de vertu, ce ^oelqu'un fut-il meoie notre Pcre* Qoicon* 
que eo pareil cas n*a point d*aflliftion dans le ccenr fi*cn doit 
point montrer au dehors ; car il eft beaucoup flu» dTesiciel de- 
fil^ k hyxOctc, que de s'aflèrvir aux bieiiieaocet. 

de 


H E L O ï s E. 91 

-de h Sccne même ^ui 'depuis . Molière eft bîeU 
plus un lieu où fe débitent de jolies converfatioas, 
que la repréfentation de la vie civile. Il y a 
ici trois théâtres, fur deux defquelles on repr^ 
fente des Etres chimériques, iàvQîr' fur l'un des 
Arlequins, des Pantalons, des Scaramoucbes^ for 
l'autre des Dieux, des Diables,* des Sorciers. 
Sur le troifîeme on repréfente ces pièces immor- 
telles dont la leâure nous faibit tant de plaiiir, 
&^ d'autrçfs plus nouvelles qui paroiilènt de tems 
en tems fur la fcene*^ Pluiieurs de ces pièce» 
.font tragiques mais peu touchantes, & fi l'ofi 
y trouve quelques fentimens naturels & quelque 
vrai rapport au coeur humain, elles n'offrent 
aucune forte d'inâruâion fur les inœurs par ticti- 
Jieres du peuple qu'elles amufent. t 

L'ioftitution de la tragédie avoit chea fei inr 
.venteurs un fondement de religioi] qi|i fuflf^^k 
.poux* raûtorifer. D'alUeurSy elle offiroit aux Crées 
;Uo fyeÛ9de ûiftruâif & agréable daas ks oiat- 
Jieurs desPeries leurs omemis» daas if s crittH 
& les folies des Rois dont ce peuple s'Àoit délivra 
;Qu'on repréftpie à Berne, à 'Zurith» à la. Haye 
^''ancieane tica^aie de £». maifoo d^^utrkrbeb 
l'amour de la .patri^e ic dç j(a Uberté nous rcndri 
ces pièces mtéreiTantes lîjtiaîs. qu'on m^ i'yh dte 
quel ufage font ici lèif tragédies 4t Cornrille, & 
ce qu'impprte au peuple 4^ Paris Poinpée ou 
Sertorius ? Les tragédies grecques roidoient fur 
des évenemens réels ou réputés tels par les fpeâar 
teursy ic fondés fur des traditions bifl^kiaes» 
Mais que fait une flamme héroïque & puie dans 
l'ame des Grands î . Ne diroit-on pas que les 
combats de l'amour & de la vertu leur donnent 

Souvent de ma^vaiies nviUx & S^ci le.ççeu/ a 

beaucoup 


92 LANOUVELLE 

Beaucoup à faire dans les mariages des Roîs ^ 
Juge de la vraifemblaticé & de PuttHté de tant 
de pteccîis» qui roulent toutes fur ce chimérique 
fujet! 

Quane à la comédie, il eft certain qu'elle doit 
repréfenter au naturel les mœurs du peuple pour 
lequel elle eft- faite, afin qu'il s'y corrige de fes 
vices & de fes défauts, comme on ôte devant un 
'itniroir les taches de fon vifage. Térence & 
Plaute fe trompèrent dans leur objet; mais avant 
eux Ariftophane & Ménandre avoient expofé 
aux Athéniens les moeurs Athéniennes, & de- 
puis, le feul Molière peignit plus naïvement en- 
"core celles des François. du fiecle dernier à leurs 
propres yet»c^ Le Tableau a changé; mais il 
n'eft plus revenu de peintre. Maintenant on 
copie au théâtre les converfations<i'une centaine 
de matfons de Paris. Hors de ccla^ on n'y ap- 
prend rien'dè^ lApeurs des Ffanfçois. H v a dàv^ 
cette grande ville cinq ou fi?£ cenf mille âmes 
<k>nt il n^eft jamais queftion 'Air laf Scène. Mo^ 
liêre ofa peindre dés bourgeois & des artifans auffi 
1)ien que des Marquis ; Socrate fatfoit parler des 
£ocbers, menûifiers, cordonniers^ maçons. Mais 
les Auteurs d'aujourd'hui qui tbhl dea gens d'un 
autre air, fe^croifoi^rtt cfeshonoré^ s'ils favoient 
ce qui fe paflë atf comptoir d'un Marchand ou 
dain la boutique d'un ouvrier; il ne leur faut 
que des interlocuteurs illuflres, & ils cherchent 
dans le rang de leurs perfon nages l'élévation 
qu'ib né peuvent tirer de leur génie. Le» fpec- 
lateurs ' eux-mêmes foAt devenus fi délicats, 
qu'ils craiildnoient de fe compromettre à la Co- 
médie comme en tifite, & ne daigneroîent pas 
aller voir en repréfentation des gens de moindre 

con- 


H :5 L a Ï;S /E. 93 

oondhfon qu'eux. . Ils Ibnt comme les feuls ha-» 
. bitans de la terre ; tout le refte n'eft rien à leurs 
yeux. . Âvo\r. ui) Çarofle, un Suillè, un maître 
c]'hôtei, c'eft être comme tout le monde. Pour 
être comme tput Iq monde U faut être comme 
très peu de gen«^ Ceuiç qqi vont 'à pied ne font 
pas du monde |:ÇQ font des Bourgeois» des b<mb- 
mesy du peyjile» des ;^ns de l'^utrç monde, ic. 
Ton diroit qu'un carpSb n'eft pas tant néceflaire 
pour (çr conduira que pour exifter. Il y a comice 
cela une poignée d'impertinens qui ne comptent 
qu'eux dans tput r4iniver^ & ne valeitt gueres la 
peine qu'on les compte, fi ce n'e(l pour le mal . 
qu'ils font. Ç'eft pour eux uniquement que 
font faits les fpeâacles. Ils s'y montrent à la fois 
con^me repréîentés au milieu du théâtre & corn-. 
me repréfentans aux deux côtés j ils font.per* 
fonnages fur la fcene & comédiens fur les bancs. 
C'eft ainfl que la Sphère du monde & des auteurs 
fe rétrécit; c'eft ainfl que la fcene moderne ne 
quitte plus fon ennuye^fe dignité* On n'y fait 
plus montrer les hommes qu'en habit doré. Vous 
dhriez que la France n*eft peuplée que de Comtes 
& de Chevaliers, & plus le peuple y eft mifé- 
rable & gueux plus le tabjeau du peuple y èft 
brillant & tpagr^ifique. Cela fait qu'en peignant 
le ridicule des états qui fervent d'exemple aux 
autres, qn le répand plutôt que de l'éteindre, & 
que le peuple, toujours finge Se imitateur des 
riches,» va moins au théâtre pour rire de leurs 
- folies que pour les étudier, & devenir encore 
plus fou qu'eux en les imitant. Voila de quoi 
fut caufe Molière lui-même ; il corrigea la cour 
en infeâant la ville, & fcs ridicules Marquis 
furent le premier mbdele des petits-maitres bour- 
geois qui leur fuccéderent. 


94 LA NOUVELLE 

En général j a besiAcoifp' de ^Hifbtirs & peu 
d'afUoit fur la fcene rnmçdfe $ peut^re^eft-ce 
qu'en effet le Irançoia parie encore plus qu^ 
n'agit, ott du moins qu^il donne un bien {rfua 

Sud prix k ce qu'on dit qu'à ce qu'on fait, 
elqu'un difbik en forttfnt d'une pieœ de De- 
nis %t Tiran, je tf%i rien W, mait j'fi entendu: 
force paroles. Voila ce qu'on peut dire en <br- 
tant des pièces françoifes. Racine & Corneille 
avec tout leur génie ne font eux-mêmes que des 
parkurs, ic leur Succeiifeur eft le premier qui à 
rimitation des Anglois ait ofé mettre Quelquefois 
la fcene en cepréfentation. Commandaient tout 
fe paffe en beau dialogues bien agencés, bien 
ronflans, où l'on voit d'abord que le premier 
foin de chaque interlocuteur eft toujours celui de 
briller. Prefque tout s'énonce en maximes ge** 
nérales. Qitelque agités qu'ils puificnt être, ils 
fongent toujours j^s au puUic qu'à eux-mê- 
mes ; une Sentence leur coûte moins qu'un fen- 
timent; les pièces de Racine & de Molière (tf)- 
exceptées, le je t& prefque auffi fcnipuleufement 
banni de la fcene françoife que des écrits de 
Port- Roy a], & les paffions humaines auffi mo» 
dcftes que l'humilité Chrétienne n'y parlent ja< 
mais que par m. Il y a encore une certaine dig- 
nité maniérée ^ans le gefte & dans le propos, qut 
ne permet jamais à la paffion de parler exaâement 
fon langage ni à l'auteur de revêtir fon perfonnage 
hèttt tranfporter au lieu de la fcene, niaia le 

(«} II ne faut peint aflbeier en ceci MoUere à Racine ; car 
le premier eft, cotnme toui ies autres, plein de maximes & de 
i«nteftcefl, iurtcnit dans (» pièces en ?en i Mait «hea Racia* 
t#ttt«ft feotimeatf U a Ai fagire parler clMcua paiir foi» et c*eft 
en cela qu'il eft Traimcnt unique parmi Jcc autcun dramatiques 
de f%. oatioa, 

tient 


H E L O ï s £• 9s 

tient toujours enchaîné fur le théâtre & fims lev^ 
jeux des Speâateurs. Âuffi les (Ituations les 
phis vives ne lui font-elles jamais oublier an bel 
arrangement de phrafes ni des attitudes élégan-^ 
tes ^ Ir û le defefpoir lui plonge un poignard 
<}ans le eœur, non content d^obferver la décence 
en tombant comme Polixene, il ne tombe point, 
la décence le maintient debout après fa mort, ic 
tous ceux qu! viennent d'expirer s'en retournent 
rinftant d'après fur leurs jambes* 

Tout cela vient de ce que le François ne 
cherche point fur la fcene le naturel & rillufion, 
& n'y veut aue de l'efprit & des penfées i il fait 
cas de Tagrement ii non de l'imitation. Se ne 
fb foucie pas d'être féduit pourvu qu*on 1 amufe. 
Perfonne ne va au fpeâacle pour le plaiHr du 
fpeâacle, mais pour voir l'aflemblée, pour en 
être vu, pour ramafler de(;|uoi fournir au caquet 
après la pièce, & Ton ne fonge à ce qu'on voit 
que pour favoir ce qu'on en dira. L'aâeur pour 
eux eft toujours l'aâeur, jamais le perfonnage 
qu'il répréfente. Cet homme qui parle en mai- 
tre du monde n*eft point Augufle, ç'eft Baron» 
la veuve de Pompée eft Adrienne, Alzire eft 
M"«. Gauflin, & ce fier fauvj^ eft Grand vaL 
Les Comédiens de leur côté négligent entière* 
Xtaent nilufion dont ils voyent que perfonne ne fe 
foucie. Ils placent les Héros de l'antiouité entre 
Ax rangs de jeunes parlCens; ils calquent les 
modes fran^oifes fur l'habit romain ; on voit 
Cornélie en pleurs avec deux doigts de rouge, 
Caton poudré au blanc, & Brutus en panier. 
Tout cela ne choque perfonne Se ne fait rien au 
fiiccès des pièces ; comme on ne voit que TAc- 
dans le perfonnage, on n^ voit, non plus, 
I <j[ue 


9^ LA NOUVELLE . 

que l'Auteur dans le dramCy & fi le couftume eft 
négligé cela fe pardonne aiiement s car on fait 
bien que Corneille n'étoit pas tailleur ni Cré- 
billon perruquier. 

AinU, de quelque ièns qu'on envifiigo les cho- 
{tSj tout n*eft ici que babil, jargon, propos (ans 
conféquence. Sur la fcene comme dans le mon- 
de on a beau écouter ce qui fe dit, on n'apprend 
rien de ce qui fe fait, & qu'a-t-on beibin de 
rapprendre? fitôt qu'un homme a parlé, s'in- 
forme-t-on de fa conduite, n'a-t-il pas tout fait, 
n'êft-îl pas jucé? l'honnête homme d'ici n'cft 
point celui oui fait de bonnes aâions, mais celui 

2U1 dit de belles chofes, & un feul propos incon- 
dérë, lâché fans réflexion, peut faire a celui qui 
le tient un tort irréparable que n'eiFaceroient pas 
quarante ans d'intégrité. En un mot, bien que 
les œuvres des hommes ne relFemblent guère à 
leurs difcours je vois qu'on ne les peint que par 
leurs difcours fans égard à leurs œuvres ; je vois 
auffi que dans une grande ville la fociété paroit 
plus douce, plus facile, plus (ure' mçme que 
parmi des gens moins étudiés $ mais les hom- 
mes y font-ils en efiet plus humains, plus mo- 
dérés, plus juftes ? Je n'en (ais rien. Ce ne 
font encore là que des apparences, & fous oes^ 
dehors fi ouverts & fi agréables les cœurs. (ont 
peut-être plus cachés, plus enfoncés en dedans 
que les nôtres. Etranger, ifolé, fans affaires, iàns 
liaifons, (ans plaifirs & ne voulant m'en rappor- 
ter qu'à moi, le moyen de pouvoir prononcer ? 

Cependant je commence à fentir l'ivrefie ou 
cette vie agité & tumultueufe plonjge ceux qui la 
mènent, & je tombe dans un etourdifièment 
femblable à celui d*un homme aux yeux duquel 

on 


îï Et L/P ï s E. 97 

f»n ùit-ipfikv rapidement une multitude ^'ob- 
jets. Aucun de ceux qui me. frappent n'attache 
mon cceur, mais tous enfemble en troublent & 
fufpeodent les afFeâions, au point d en oublier 

Îuelques inftans ce que je fuis & à qui je fuis. 
)h^que jour e;i fortant de che^ mot j'enferme 
9ies fentimens fous la clef» pour en prendre d'au* 
très qui^fe prêtent aux frivoles objets qui m'ac* 
tendent* Infenfiblement je juge Se raifonne com«^ 
me j'entens juger & raisonner tout le monde. 
Si quelques fois j'eflaye de fecouer les préjugés 
& de voir les chofes comme elles font, à l'inftant 
je fuis écrafé d'un certain verbiage qui reflèmbie 
beaucoup à du raifonnement. On me prouve 
avec évidence qu'il n'y a que le demi-pbila(bphc 
qui regarde à la réalité des chofes; que le vrai 
fage ne les coniidere que par les apparences; 
qu'il doit prendre les préjugés pour principes, les 
bienféances pour Ibiy, & que la plus fublime fa- 
gefle confifte à vivre comme les foux. 

Forcé de changer ainfi l'ordre dç mes afFeç« 
tions morales; forcé de donner un prix à des 
chimères, & d'impofer filence à la nature & à la 
raifon, je vois ainfi défigurer ce divin modèle 
que je porte au dedans de moi, & qui fervoit à 
la fois d'objet a mes defu-s & de règle à mes ac« 
tions, je flote de caprice en caprice, & mes goûts 
étant fans cefTe afTervis à l'opinion, je ne puis 
être fur un (êul jour de ce que j'aimerai le len- 
demain. 

. Confus, humilié, confterné, de fentir dégra- 
der en moi la nature de l'homme, & de me voir 
ravalé fi bas de cette grandeur intérieure où nc« 
cœurs enflammés s'élevoient réciproquement, je 
reviens le foir pénétré d'une fecrette trifteflè, ac- 
cablé d'un dégoût mortel, & le cœur vuide Se 
Tom IL E gonflé 


9^ LA NOUVELLE 

Sonilé comme un balon rempli (Tair. O amour t 
purs fentimens que je tiens de lui ? • • • • avec 
quel charme je rentre en moi-même ! avec quel 
cranfport j'y retrouve encore mes premières 
affeâions & ma première <Iignite ? Coinbîen jç 
m'applaudis d'y revoir fafriner tiarts tout kai 
^dat l'image de la vertu, d*y contempler la 
tienne, ô Julie, affife fur un trône de gloire & 
tf ffipant d*ufi fouffle tous ces preftiges ? Je 
fcns refpircr mon ame oppreifêe, je croîs avoir 
recouvré mon exiftence & ma vie, & jerepifens 
avec mon amour tous les fentimens fublimes qui 
le rendent digne de fon objet. 


«|lMMltaMMi**M«% 


LETTRE XYIIÎ. 

De Julie. 

JE viens, mon bon ami, de jouir d'un des plus 
doux fpeâactes qui puifllènt jamais charmer 
mes yeux. La plus fage la plus aimable des 
filles eft enfin devenue la plus d^gne & la meil- 
leure des femmes. L'honnête homme dy^nt elb 
a comblé les vœux, plein d'eftime & d'amour 

1>our elle, ne refplre que pour la chérir, l'adorer, 
â rendre heureufe, & je goûte le cfaartne inex- 
primable d'être témoin du bonhôur de mon anrie» 
c'eft à dire de le partager. Tu n'y feras pas 
moins fenfible, j'en fuis bien (lire, toi qu'elle 
aima toujours ii tendrement, toi qui lui fus cher 
prefque dès fon enfance, & à qui tant de bien* 
faits l'ont dû rendre encore plus cbere. Oui, 
tous les fentimens qu'elle éprouve fe font fentir 
à nos coeurs comme au fien. S'ils font des plai*- 

- firs 


H E L O ï s E. 99 

firs pour elle, ils font peur nous des confolat!on$» 
& tel eft le prix de ramitîé qui noirs joint, que 
la félicita d'un des trds fuffit pour adoucir Ic^ 
maux des deux autres. 

Ne nous diffimulons pas, pourtant, que eett^ 
amie incomparable va nous écfaaper en partie» 
La voila dans on nouvel erdre de cbofes, la voilx 
fujette à de nouveaux engagemens, à de nou- 
veaux devoirs, & Ton cœur qui n'étoit qu'à nous 
ie doit maintenant à d'autres afïeâîohs auxquelles 
faut que Tamitié cède le pfemrer rang. II 
y a plus, mon ami; nous devons de notre part 
devenir plus faupuleux fur les témoignages de 
ion zele ; nous ne devons pas feulement con- 
fulter Ibn attachement pour nous, & le befoin 
que nous avons d'elle, mais ce qui convient à 
ton nouvel état, & ce qui peut agréer ou dé- 
plaire à fon mari. Nous n'avons pas befoin de 
chercher ce qu'exigeroit en pareil cas la vertu ; 
les loix feules de Tamitié fuffiient. Celui qui 
pour fon intérêt particulier pourrait compro- 
mettre un ami méritèroît-îl d'en avoir ? Quand 
elle étoit fille, elle étoit libre, elle n'avoit à ré- 
pondre de fes démarches qu'à elle-même, 6c 
l'honnêteté de lés intentions fuffifoit pour la juf- 
tîfier à fes propres yeux. Elle nous regardoit 
comme deux époux deftlnés l'un à l'autre, & 
fon cœur fenfible & pur alliant la plus chafte pu- 
deur pour elle-mêuïe à la plus tendre compaf* 
fion pour fa coupable amie, elle couvroit ma 
faute fans la partager : Mais à préfent, tout eft 
changé; elle doit compte de fa conduite à un 
autre ; elle n'a pas feulement engagé ùl foi, elle 
a aliéné fa liberté. Dépoiltaire en même tems 
de l'honneur de deux perfonnes, il ne lui fufHt 
pas d'être honnête^ il faut encore j[u'clle foit 

£ % hoRO- 


wo LA NOUVELLE 

honorée ; il ne lui Tufiit pas de ne rien faire qu€[ 
de bien, il faut encore qu'elle ne faflè rien qui 
ne foie approuvé. Une femme vertueufe ne 
Joie pas feulement mériter Peftime de fon mari 
mais l'obtenir} s*iLla blâme, elle eft blâmable ç 
Se fut-elle innocente, elle a tort fitôt qu'elle eft 
ibupconnée ; car les apparences mêmes font an 
nombre de fes devoirs. 

Je ne vois pas clairement fi toutes ces raifbns. 
font bonnes } tu 6n feras le juge^ mais un cer- 
tain fefhtiment intérieur m'avertit qu'il n'eft pa» 
bien que ma Couflne continue d'être ma confi- 
dente, ni qu'elle me le dife la première. Je me 
fuis fouvent trouvée en faute fur mes raifonne- 
mens, jamais fur les mouvemens fecrets qui me. 
les infpirent, & cela fait que j'ai plus de con- 
fiance à mon inftinâ qu'à ma raifon. 

Sur ce principe j'ai déjà pris uri prétexte pQur 
retiret tes lettres, que la crainte d'une furprife 
me faifoit tenir chez elle. Elle me les a rendues- 
avec un ferrement de cœur que le mien m'a fait 
app^rcçvoir, & qui m'a trop confirmé que j'avois 
fait ce qu'il faloit faire. Nous n'avons point eu 
d'explication, mais nos regards en tenoient lieu, 
elle m'a embrafiee en pleurant ; nous fentions 
fans nous rien dire combien le tendre langage* 
de l'amitié a peu befoin du fecours des paroles. 

A regard de l'addrefTe à fubftituer à la fienne^ 
j'avois Jongé d'abord à celle de Fanchon Anet, 
& c'eft bien la voye la plus fûre que nous pour- 
rions choifir ; mais fi cette jeune femme eft dans 
un rang plus bas que ma Coufine, eft-ce une 
raifon d'avoir moins d'égard pour elle en ce qui 
concerac l'honnêteté ? N'eft-il pas à craindre 
•^\A contraire^ que des fentimen$ moins élevés 
1 ne 


H E L O I s E. ICI 

ne lai rendent mon exemple plus dangereux^ 
^ue ce qui n'étoît pour l'une que TefFort d'une 
amitié fublime ne fuit pour l'autre un com* 

, mencement de corruption, & qu'en abufaiit de 
fa reconnoiflance je ne force la vertu même à 
ièrvir d'inftniment au vice ? Ah n'eft-ce pas 

- afles pour moi d'être coupable fans me donner 
nies complices, & fans aggraver mes fautes du 
poids de celles d'autrui ? N'y penfons points 
mon ami ; j'ai imaginé un autre expédient beau- 
•coup moins (ur, à la vérité, mais aufE moins 
répréhenfible, en ce qu'il ne compromet per- 
sonne & ne nous donne aucun confident ; c'eil: 
■de m'écrire fous un nom en l'air, comme par 
exemple, M. du Bofquet, & de mettre une en«- 
^eloppe addreflee à Régianino que j'aura foin de 
prévenir. Ainfi Régianino lui-même ne faura 
-rien ; il n'aura tout au plus que des foupçons 
^u'il n'oferoit vérifier, car Milord Edouard de 
-flui dépend fa fortune m'a répondu de lui» 
1 àndis que notre correibondance continuera 
•par cette voye, je verrat li l'on peut reprendre 
celle qui nous lervit durant le voyage de Va- 
riais, ou quelque autre qui fott permanente & 
iûre. 

Quand je ne connojtrois pas l'état de ton 
<œur, je m'appercevrois, par l'humeur qui 
règne dans tes relations, que la vie que tu menés 
-n'eft pas de ton goût. Les lettres de M. de Mu- 
rait dont on s'eft plaint en France étoient moins 
Yéveres que les tiennes ; comme un enfant qui 
'fe dépite contre fes maitres, tu te venges d'ê- 
tre oUigé d'étudier le monde, fur les premiers 
^ui ;te Ti^ppiennent. Ce qui me furpr^nd le 

E 3 plus 


yoa LA NOUVELLE 

plus eft que la chofe qui commence par te ré- 
volter eft celle qui prévient tous lés étrangers, 
favoir l'accueil des François & le ton générai 
<Se leur fociété, quoique de ton propre aveu tu 
doives perfoniiellement t'en louer. Je n'ai pa? 
oublié la dillinâion de Paris en particulier & 
d'une grande ville en général ; mais je vois 
qu'ignorant ce qui convient à l'un ou à l'autre^ 
tu fais ta critique à bon compte» avant de fa- 
yoir fi c'eft une médifance ou une obfervation. 
Quoi qu'il en ibit, j'aime la nation françoifej 
t^ ce n'çft pas m'oblîger que d'en mal parler. 
Je dois aux bons livres qui nous viennent d'elle 
la plus, paft és3 ii^ruéticxns quç nous avoit^ 
prlfes Qn/emt^le. Si notre pays n'eft plus bar- 
î)arG, à qui en avon^-nous l'obligation? Les 
deux plus grands, les deux plus vertueux des 
modernes, Catinat, Fénélon, étoient tous deux 
françois* Henri quatre, le Roi que j'aime, le 
bon Roi, rétoit. Si la France a'eft pas le 
pays des. hommes libres, elle eâ celui i^ 
bommes vrais, & cette liberté vaut |;>ien l'autre 
aux yeux du fage. Hofpit^diers, protçâeurs de 
l'étranger, les François lui paflent mèfn^ h 
vérité qui les blefle, & Ton le feroit lapider » 
IxMidres fi Ton y olbit dire des Aaglpisla moitié 
du mal que les François laiflènt dire d'eux à 
Paris. Mon Père, qui a pafie (a vie en France 
ne parle qu'avec lianfportde'ce bon & airaable 
peuple. S'il y a verte ion fang auièrvfCt4u 
Prince, le Prince ne l'a point oublia i**V{ ^ 
retraite, & l'honore, encore de fiss bienfoiu; 
ainfi je me regarde comme iatéreflea ^ la gloire 
d>n pays où mon Père trouvé la fienne* Mon 

acai| 


^ E L O I s E. loj 

ami, fi chaque peuple z &S. bonnes & fes mau« 
vaibs qjuAlitésy, honore, au moins h vérité qui 
loue, auffi bjea aue la vériti qui blâme. 

Je te oiraù plus ; pourquoi perdrois^tu en 
viiitfs oifives le teins qtû te xefle à paiTer aux 
lieux où tu es ? Paris eft-il moins que Londres 
le théâtre des talent & ]es étrangers y font-ils 
moins aifement leur chemin ? Crois-moi, tous 
les Ànglois ne font pas des lords Edouard», & 
tous les C'rançots ne refTemblent pa^ à ces beau3( 
diieurs qui te déplaifent il fort. Tente, efiaye^ 
fais quelques épreuves, ne fut-ce que pour ap- 
profondir, les mpsurs, & juger à l'oeuvre ces 
ens qui parlent il bien. Le père de ma 
^ouftne dit que tu connois la conftitution de 
rempire & les intérêts des Princes* M'ûotJ 
£douard trouve aufl^ que ta n'as pas mal étudié 
les iirincipes. de la politique & Ie3 divers fidêmea 
de-gcyuvernenpenft. J'ai dans la têrequele pays, 
du nioxi^ ou le mérite efi k plus honoré eft ce-' 
lui qui te convient le mieux, & que tu n'as be*^ 
fQÎA que d'eUq connu pour être employé* Quant 


ï 



prêt 

Eft-on. p^u& l^*gpt en France qu'en Allemagne ?^ 
& qui t'empêcheiroit d« pouvoir faire à Paris le. 
même che;?)in que M« de St. Saphorin a fait à 
yie;nne î Si tu confideres le but, les plu» 
prompts eflais ne doivent- ils pas accélérer les 
îuccès ? Si tu comparés les moyens, n'eft-it 
pas plus honnête, encore de s'avancer par fes 
talens que par fes amis f fi tu ibnges • * • ah 
cette mer ! , ... un plus long trajet .... j'ai- 
merois mieux l' Angleterre, fi. Paris étoit au delà» 

£ 4 A pro^ 


104 LA NOUVELLE 

A propos de . cette grande Ville, oferaU-je 
relever une affeébition que je remarque dans 
Ces lettres ? Toi qui me pariois des Valaifanes 
avec tant de plaiur, pourquoi ne me dis-tu 
rien des Parifiennes i Ces femmes -galantes Se 
célèbres valent-elles moins la peine d'être dé- 
peintes que quelques inontagnardes fîmples & 
groilieres ? Crains-tu peut-être de me donner' 
de l'inquiétude par le tableau des plus féduifan* 
tes perfonnes de l'univers? Defabufe-toi, mon 
ami ; ce que tu peux faire de pis pour mon 
repos eft de ne me point parler d'elles, ic quoi- 

2ue tu m'en puifies- dire, ton filcnce à leur 
gard m'eft beaucoup plus fuipeâ que tes 
éloges. 

Je feroîs bien aife auflt d'avoir un petit mot 
fur l'Opéra de Paris dont on dit ici des mer- 
veilles (tf) ; car enfin la mufique peut être 
nuuvaife, & le fpeâacie avoir fes beautés ; s'il 
n'en a pas, c'eft un fujet pour ta médifance^ & 
4u moins tu h*of(ènferas perfonne. 

Te ne fais fi c'eft la,peine de te dire qu*à Toc- 
caton de la noce il m'eft encore venu ces joun* 
paifés deux époufeurs comme par rendez-vous. 
L'un d'Yverdufl, gîtant, chafiant, de Château 
en château 4 l'autre du pays allemand par le 
coche de Berne. Le premier eft une manière 
de petit-maitre, parlant aiTés refolument |K>ur 
faire trouver fes reparties fpirituellcs à ceux ^fui 
n'en écoutent que le ton. L'autre eft un j;rand - 

ftf) J*aurois bien mauvaife opinion et cens qui, connoifTant 
2t caractère 8c la fitnatfion de Jolie, ne devinèr<^ienc pAsàl'in- 
ftjnt qaç Cette eurio(ité ne vient point d'elle. Oo verra bien* 
têt que fon amant n'y « pas été trompe. S*J1 Tcut ét^ il 
m Tauroît plus aimic. * * 

nig<iud 


H E L O î s E. 105 

pigaud timide, non de cette ainâable timidité 
qui vient delà crainte de déplaire^ mais de Tem* 
barras d'un fot qui ne fait que dire, & du maU 
atfe d'un libertin qui ne fe fent pas à fa place 
auprès d'une honnête fille. Sadiant très pofi« 
tivement les intentions de mon père au fujet de 
ces deux MefHeurs, j'ufe avec iplaidr delà lt-% 
berté qu'il me laifiè de les traiter à ma faotai/te, 
& je ne crois pas que cette fantaiftelaiiTe durer 
longtems celle qui les amene« Je les. hais d'ofer 
attaquer un cœur où lu règnes, fans armes pour/ 
te le difputer ; s'ila en avoient, je les haïrois 
davantage enoor^^ mais où les prendroieut-ifs^ 
eux, & d'autres, &tout l'univera? Non, non,- 
fois tranquille, mon aimable ami. Quaod je 
letrouverois un mérite égal ^uitien». quand il fe 
préfenteroit un autre toi-imême, encore le pre* 
mier venu feroit-i) Je (eul écouté. Ne t'in-* 
quiète donc point de ces deux efpeces dont je 
daigne à peine te parler. Qtiel plaifir j'autots 
à leur mefurer deuxdofes de dégoût, ft parfaite^ 
ment légales qu'ils prii&nt la réfolucion de 
partir enreml>le comme, ils font venus, &c que 
je puâè t'apprendre. à la foi& Is départ de toua 
deux. 

M. de Crouzas vient de nous donner une ré- 
futation des épitres de Pope que j'ai lue avec 
ennui. Je ne ùik pas, au vrai, lequel des deux 
auteui^s a raifort ; mais je fais bien que'lslivne 
de M. de Crouzas ne fera jamais faire une' 
bonne aâion, & qu'il n'y a rien de bon qu'on 
ne foit tenté de faire en quittant celui de Pope. 
Je n'ai point, pour moi d'autre manière de^ 
juger de mes leâures que de fonder les difpofi- 
^ons où elles laiflent mon ame» & J'imagine à 
.' *^ E 5 peine 


io6 LA NOUVELLE 

peine quelle forte de bonté peut avoir un livre 
qui ne porte point fes leSeurs w bien (t). 

Adieu, mon trop cher Ami, ne je voudrois 
pas finir fitôt ; mats on m'attend, on m'appdle. 
Te te quitte à regret, car je fuis gaye & j'aime 
a parta^r avec toi mes platfirs; ce qui les 
amme & les redouble eft que ma mère fe 
trouve mieux depuis quelques jours > elle s'eA 
fentîe afles de force pour affifter au mariage, & 
fervir de mère a ik Nièce, ou {dutôt à fa &«> 
conde fiUe. La pauvre Claire en a pleure de 
joye. Juge de moi^ qui méritant fi peu de la 
conferver tremble toujours de ht perdre* En 
vérité elle fait les honneurs^ de h fête avec au** 
tant de grâce que dans fà plus parité fiinlé ; 
il femUe même qu'un refte de langueur reado 
fà naïve politefle enoore plus touchante. N01I9 
jamais cette incomparable mère ne fut & bonne, 
fi charmante, fi digne d'être adorée ! • • • . Sais^» 
tu qu'elle a demandé plufieurs fois de tes nois* 
yrtïks à M. d'Orbe? Quoîqu'eUe ne me parle 
point de toi, je n'^nore pas qu'elle t'aime, & 
que fi jamais elle étoit écoutée, ton bonheur & 
kr miea ler<Mt (on premier ouvrage. Ah ! fi 
ton cœur iàit être fenfible, qu'il a befoin da 
l'être, & qu'il a de dettes à pa^r ! 

(A) Si If UCttnr ' t^ptaw ctttfi re|Ie, i^ qu*U s*eiv 
Utrre po^r ju|er c« itcu«i]> Tédittuf A*afpeUcra ^m de Sotk 

jtJg^lBtfit. 


I.ETTRS 


H E t> O f s B. 107 




LETTRE XIX. 

A Julie. 

TIEN, ma Jidic, gronde-moi, querelle» 
moi, bats-moi \ je fbuffrirai tout, mai^ 
jp a çn continuerai pas moins à te dire ce quo^ 
je penie* Qui fera le dépo&taire de ttws me^ 
fentimeo^ ii ce n'eft toi qui les éclaires, & 
avec qui mon cœur fe permettroit-U de parler» 
fi tu refufols de l'entendre ? Quand je te rends 
compte ,de mes obfervations &: de mes juge^ 
mens, c'eft pour que tu les corriges, non 
pour . que tu« les approuves, & plus je puis 
commettre d'erreuts, plus je dois me preilèr 
ile t'en, inftruire.. Si je blâme les abus qui 
me frappent 4ans cette grande ville, je ne 
m'en excuferai point fur ce que je t'en parle 
en con^dence i car je ne dis jamais rien d'ua 
tiers que je ne fois prêt à lui dire en &ce> & 
à^vis tout ce que je t'écris des Parifiens, je ne. 
fais que repéter ce que je leur dis tous les jours 
à eux-mêmes. Us ne m'eafavent point mauvais, 
gré; ils conviennent de beai^oup de chofes» 
lis fe plaignoient de notre Murait, je le crois 
btca ; on voit, on f«nt combien il les. hait, juf- 
ques dans les éloges qu'il leur donne, 2ç je fds. 
bien trompé fi même dans ma critique on n'ap- 
perçoit le contraire. L'eftime & la recoiuiolf-^ 
Ênce que m,'infpirent leurs bontés ne font 
qu'augmenter ma franchife, elle peut n'être pas> 
iioutile a. quelques uns, &, à. la manierje doat 

^ ^ tiOUS> 


io8 LA NOtrvELLEf^ 

tous fupp^rtent la vérité dans ma bouche» j'o» 
k croire que nous fotnmes dignes, eux de Ten-» 
tendre & moi de .la dire. , C!eft en. cela, mat 
Julie, que la vérité qui blâme eft pkts hono* 
rable que la vérité qui loue ; car la louange ne 
fert qu'à corrompre ceux qui la goûtent & les plus 
indignes en font ^omours les plus affamés; mais 
h cenitire eft utile & le mérite feu] fait la fup- 
|)Ofter. Je te le dis du fond de mon côeor^ j'ho-. 
nore les François comme le feul peuple qui aime- 
véritablement les hommes & qui foit bienfaifant 
par caraétere ; mais c'eft pour cela même que j'en 
iuis moins difpofé à lui accorder cette admiration 
générale a laquelle il prétend* même pour les dé- 
fauts qu'il avoue. Si les Françdis^ n'avoient point 
de vertus, je n^en dirois rien; s'ils ti^avoiefat point 
de vices ifs ne 'feroient pas hommes : Ils ont 
*trop de côtés louables pour être totijours loués* 
Quant aux tentatives <]ont tu me paries, elles 
Mme ^nt impraticables, parce qu'il faudroit»em- 
ployer pourîes faire des moyens qui ne me con- 
viennent-pas & que;tu m'as interdits toi-même. 
B^aiiftérité républicaine n'eft pas de miie en ce 
pays ; il y faut des vertus plus flexibles, & qui 
fâchent mieux fe plier aux intérêts des amis ou 
des protecteurs* Le mérite eft honoré, j'en 
'Conviensj mais ici les talens qui mènent à la ré- 
putation ne font point ceux gui tnenent à la 
fortune, & quand j'aurois le maHieur de pof- 
féder ceswttlèls Julie fe refoudroit-elle k de- 
'Venir la feftime d'un parvenu? En Angleterre 
H:'eft toute autre chofe, & quoique les mœurs y 
vaillent peut-être encore moins qu'en France, 
cela n'empêche pas qu'on n'y puiftë parvenir 
ipar des chemins plus honnêtes, parce que le 

j>euple 


HE L' O ï S E.' ro^ 

Fcuple ayant plus de part au gouvernement^ 
eftime publique y eft un plus grand moyen dé 
crédit. Tu n'jgnores pas qi^c Iç projet de Mi- 
lord Edourd eft d'employer cette veye en ma 
faveur, & le mien de Juftifier fon zèle. Le 
lieu de la terre où je fuis le "plus loin de toi eft 
celui où je ne j)uis rien faire gui m'en rappro- 
che. O Julie ! s'il eft dFfficilê ^'obtenir ta 
^ain, 'ii i^ft bien pliis de la mériter, *& voila 
la noble tâcbe que l'amour m'impofe. 

Tu m'ôtes d'une grande peine en me don- 
nafft de meilleures nouvelles de ta mère. Je 
f en voyois dqa 'fi iniqûietè avant mon départ 
que je n'ofai te dire ce que j'en penfois; mais je la 
trouvois-maigrie, changée, & je redoutbis queU 
que maladie daiigeretife. Conferve-la «toi, parce 
^u'elie nÀ'éft^chere, parce que mon cœiir l'bo^ 
nore, parce que fes bontés font mon unique ef- 
pérance, ic furtout parce qu'elle eft mère de ma 
Julie* ' 

Je te dirai 'fiMT -les deux époufeurs que je n'ai- 
me point ce mot, même *par «plaifanterie. Du 
refte le ton dont tu nie parles d'eux m'empêche 
de les cramdre, & je ne hais plus ces infortu- 
nés^ puifque tu crois les haïr. Mais j'admire ta 
fimplictté de penfer connoitre la haine. Ne 
yois-'tu pas que c'eft l'amour dépité que tu prens 
pour elle? Âinfi murmure la blanche colombe 

• dont en pourfiiit le bien-aimé. Va Julie, va fille- 
incomparable, quand tu pourras haïr quelque 

«diofe, je pourrai cefier de t'aimérv 

•P. S. Qye je te plains d'être obfçdée par 
ces deux importun^ 1 Pour l'amour de toi-> 
«AÊme. hâte*toi d« les renvoyer. 

Xettjke 


110 LA NOirVELLB 


<^Hm9* 


LETTRE XX. 

D4 JuUe^ 



zetir^r ^ «1418 je favei ti» d'atteiiMÎtç pour l'ouvrir 
que tu fois (^ & dftiijs. j^ chavAbrew. Tu^tifou^ 
veras dans ca pacquct un petit meuUe 4 toi^ 


H&ge. 


^cft une efpiice d^amulette que le$ amans. 
porUat volonlj^rs. JU^ .manière de s'en fervir 
dk biz^Fie^ Ji faul 1^ conteoipl^ tous leai 
iQatio9 un quart d'hère jufqu'à ce qiu'on- k 
lènle peoétré d'u^ ceruin aitefvdriflènient. Alora 
on l'applique fur fes yeux» fur fa bouche, & 
fur foB coeunt cela fert^ dit-on, de préfervatif 
dMrant la jourj^ centre le oiaiiyais air du paya* 
galant. Qa attribue encore à ces ibrtes de 
taliffloan^ une vertu éieâtriqu^ tr^ iinguUere» 
i^aic qui n^agii^ qu'entre lès amans fidelle^. 
Ç'c(l de €omn»umqi^r à l'un l'impreflion d^^ 
ifidk^ss de l'autre à plus de cent lie4ies de là. Je 
Jie gasan:tis pas le fuccès de l'eJipéffience ; je (aiss 
hdiumnp q^i'ili ne ùesA <|u'ài toi 4e la faici^. 

Tranquilli^-loi fyr les deuî^ Galante ou pré- 
tendais, ou çgcnm^ 1m TWdrft» . tes appellera 
car déformais le nom ne hit plus rien à la chofe. 
B9 font pKrtis: qiâfik aiUeql^ ^ fsim depuis 
•Vie je M ke vois fhis,. jje oe les. bai« plu^ 

LETTRE 


H E L O î s. E. m 


LETTRE XXI. 
A Julk.. 

TU Tas iroqlu,. Julie, îl &iit donc te fe» 
. depei^dre^ ces aimables Parifieniiesf or^ 
gucilleofe F cet kommagc maxiqiiok k tes char-^- 
mes. Avec toute ta feinte jalottiie, avec t» 
mûdefiic & too aaraur, je YOts plo» de rvaké 
^ue de çtaînte cachée fous cette ciurioité- Quoi* 
qu'il en (bit, je Smâ vrai ; jepoisrctFef je )e le* 
lois de meilleur ceeur £ jfjavoifrdavantage k knier*. 
Que ne font^elles cent fois plus ehafnumtest 
que n'oat-eUes afSs ^attraits pouv tendre ut> 
nouvel honneur aux tiens l 

Tu te plaignois de mon fifeoee f Eh moi» 
Dieu, que fauiois-je dit? £n lifant cette lettre: 
tu festiias pourquoi j'atixiois à te parler de» 
Valaifanes tes voifines, & pourquoi je ne te 
parlofs poinl des fettuses de ce pays* C'eft que 
les unes noe ra4}pelloient à toi fans cefiè, & que 
les autres • » • • lis, & puis tu me jugeras. Au 
jseAe peu de gens penfent comme moi des Dames, 
firançoifcs, if même je ne fuis fur leuv compte 
fout-à«-£iit feul de mon avîs. C'cfl fur quoi 
L'équité m'oblige k te prevenir, afxn>que tu h* 
dbts que je te les répréfente, non peut-être 
comme dles font, mais comme je hs voi#. MaU 
gré cela, fl je fuis injufte envers eil^, tu ne 
manqueras pas de me cenfus» encore, & n» 
feras plus injufte que moi f car tout le tort en 
eftàtoi^^te. 

Coin« 


«12 LA NOUVELLE 

Commençons par l'extérieur. C'eft à quoi 
8^eo tiennent la plupart des obfervateure. Sî je 
les imitois en cela, les femmes de ce pays au- 
roient trop à s'en plaindre-; eUes ont un exté- 
rieur de caraâere auffi bien que de vifage^ U 
comme l'un ne leureft gueres plus favorable que 
l'autre, on leur fait tort en ne les jugeant que 
par Ik. Elles font tout au plus pauables ds 
figure & généralement plutôt mal que bien) je 
laulè à part les exceptions. Menues plutôt que 
bien faites, dlcs n'ont pas k taille fine, auffi 
s'attachent-elles volontiers ^uk modes qui da dé- 
guîfentj en quoi je trouve aiSs fimples les 
femmes des autres pajn, de voulcûr bien iniiter 
des modes faites pour cacher des défauts qu'elfes 
n'ont pas* 

JLeur démarche eft aiiee & commune. Lmt^ 
port n'a rien d'affêâé parce qu*elies n'aiment 
point à fe gêner : Mais- elles ont ^ natureUement 
une certaine dtfiavobyra qui n'eft^ pas dépourvue 
de grâces, :& qu'elles fe piquent fouvent de 
pouSèr jufqu'ii l'itourderie. Elles ont le teint 
médiocrement blanc, & font communément un 
peu maigres, ce qui ne contribue .pas à leur 
embellir la p^u; A VégBLvd de ht ^orge ; c'eft 
l'autre extrémité des Valaifanes. Avecjdesxotps 
fortement ferrés/elles tâchent d'en imppfer fur b 
^onÇftance ; il y a d'autres moyens d'en im- 
pofer fur la couleur. Quoique je n'ayeappcrçu 
ces objets que de fort loin, l'infpeâion en eft 
fi libre qu'il refte peu de chote a deviner. Ces 
iPames paroiflent mal entendre en cela leurs 
intérêts ; car pour peu que le vi&ge foit agré- 
able, l'imagination du fpeÔateur les ferviroit au 
Arpliis bcaucouj) mieux que fcs yeux, & Suxu^ 


H E L O ï s E: ixi 

ltPhîk>fophe gafcon, la faim entière cft bien* 
plus âpre que celle qu'on a déjà rafiafiée, au 
moins par un feus. 

Leurs traits font peu réguliers, mais (1 elles 
ne fot)t p^s beHes, elles ont de la phyfionomie 
qui fupplee à la= beauté, fe TécHpfe quelquefois. 
Leurs yeux Vtfs & t^rillans ne font pourtant ni 
pénétrans ni doux : quoiqu'elles prétendent ks 
animer à force de rouge, l'cxpreffion qu'eHes 
kur donnent par t:e moyen tient plus du feu de 
la colère que de celui de Tamouf; naturelle- 
nient ils n'ont que delà gaité, ou s'ils femblent- 
•quelques fois demander un fentiment tendre^ 
ils ne le promettent jamais {a). 

Elles fe mettent u bien, ou du moins, eM*es 
en ont tellement la réputation, qu'elles fervent 
en cda comme en tout de modek au rede de 
l'Europe. En effet, oh ne peut employer avec 
plus de goôt un halfaiilenient plti3 bis&arre» Ellet 
font de toutes les femme^ Jee «moins aflèrvies à 
leurs proprés modes. La mode clomihe le» 
provinciales, mais \ts partfienties dominent la 
mode, &' la lavent plier cbacutie k fon avantage* 
Les premières^ font comme -des coptftes isnorans 
& ferviles qui copient juiqu^aiix fiatites d'oftho- 
grap'he; 1e^ atitres font des auteurs qui copient 
en maitres, & favent rétablir les aiauvaifesle*' 
Çons. 

- Leur parUre eft plus recherchée que mâgni- 
iiqtiei il y regnoplus d'éleganee que de rich* 
euc4 La rapidité* des modes qui vieillît tout 

*(«} Pftibns pour nous* mon cher phtlofophe; jpourqvol 

d^autres ne feroi^nt-ils pat plus heureux ? Il n*y a qu^une co* 
qùctte qui preme'tte.à tout le inonde^ et qu*elle oe doit tenir 
utiÉ'à Un fcuJ. - .' 

. — . jâ'june 


114 LA NOUVEI.LE 

d'une année à Tautre, la propreté q^ileur ftiC 
aîmer à changsr fouvtnt d'ajuflement le» prcfe^ 
vent d'une fomptuofité ridicule } cIIqs n'en de* 
penient pas momj, mais ieur dépenfefft fl»ieuz 
entendue; au lieu d'habits rapÀ & fupeit)» 
comme en Italie* on voit ici des habits phi» 
ftmples & toujours frais. Les deux fexes enta 
cet é(çard la même modération» ia niême deli* 
cat}e&» & ce goût me fait grand plaifir : J'aime 
fort à ne voir ni gaions ni tacbea. Q n'y a pûiftt 
de peuple excepté le notre ou les femmea fur* 
tout portent moins de dorure. On voit ks 
mêmes étoffes dans tous les états, it l'on^autoic 
peine à diftinguer une DucheflEe d'une bourgeoi* 
fe & la preoMere n'avoit l'art de trouver des él- 
ftinâiona que l'autre n'oferoit imiter- . Or cec^ 
fçmble avoir & difficulté; car %ue)«if p^ 
qu'o9 prenne à iaCour» cettf mk^^^*^ 
rinâant à la viUe^ & U «'e* «ft pti di» Boll^ 
fleoifes de Parii^CQsaqiediVt ^Q9f i900te5 & d^ 
manfmt» qui m. font jaimia qu'èlftiPffdeytt 
sk'eft^S. U qt'M # f»9s mc999if.'^^ 
4^BB ûa aulrei ptiia «i» h» pl^fffini» fj^ 
aufli les plue rklif^ kw».fiH»ixie9^ fe diitiii- 
Çuentpar un liiWrt{ue le* avires pc.f^^, 
«l^er. Si les fiimmee de la Cour prelk<»«B< ^^ 
<»tt« v<gw*. .«llw ferownt bientôt c&cé» p^ 
celles des Financiers. 

. Qj^'wt'oDap donc fait? £ll«i ont dioi&des 
nwySnff^pluS'fàr», plus adroits» &>qblmirqtt<At 
plus; de réflexion* Ëllca favent quedts iiécs de 
pudeur & de modeftie font profondément £»- 
vée» dens Tefprit du peuple. Ceft Hi qui l^f 
z ftiggéré des modeé intmitables. Elles ont vu 

^uele peuple avoît en hprreur le rouge, ^u" 

j'obftine 


H E L O î s E. lis 

s^obâine à nommer ggoffiértmcDt du lard; elks 
fe font sippliqu^ quatre doigts, non de ferd, mais 
de rouge; car le mot changé, la cbofè n'eft 
plus la 0ême. Elles ont vu qu'une gorge ôéc 
couv^^ eft en icandalc au public; elles ont 
largement échancré leurs corps. Elies ont vjCi 
•«.. oh bien des chofes, que oia Julie, toute 
Demoifelle qu'elle eft ne verra furement jamais f 
Elles ont rais dans leurs manières le même efprit 
qui dirige leur ajufteraent. Cette pudeur char- 
mante qui diftingue, honore^ & embellit ton 
fexe leur a paru vile & roturière; elles ont animé 
leur gefte ic leur propos d'une noble împi^ 
dence, & il n'y a point d'honnête homme k 
qui leur regard afluré ne faflè baiilèr les yeu2(. 
C'eft ainfl que ceiTant d'être femmes, de pei^r 
d'être confondues avec les autres femmes, ell^ 
préfèrent leur rang à leur fexe, ic imitent Iqs 
£Ues de joye, afin de n*être pas imitées.. 

J'ignore jtj^u'où va cette imitation de leor 
part, mais je fais qu'elles n'ont pu tQut à bâX 
éviter celle qu'elles vouloient prévenin Q^nt 
au rouge & aux corps ochanc^és. Us ont fait 
tout le pr^ris qu'ils pPHVoient faire* l^ea Çemmiis 
de la vÛIe ont mieiw ain^ rençpcer à lenrs cp\i- 
leurs naturelles & aux charmes que pouvoir 
kuF prêter Vamûr^ pPffiér des amans, que de 
refter mifts comme des Bpurgieoifes, ic fi cet 
exemple n'a point gagné les moindres état9> 
c'eft qu'une femme ^ pied dans un pareil écuiv- 
page n'eft pas trop «n %eté contre les infultes 
deiapopuUc^ Ces ifi^Utes font le cri de ia 
pudeur révqltôe, îc dans cette occafion comme 
en beaucoup d'autres, la brutalité du peuple, 
jAm bonnêtç que la bienféance des gens polis, 

retient 


:Èjé LA NOUVELLE 

Tciicnt peut être ici cent mille femmes dans 
bornes de la modeftie; c*cft précifcmcnt ce 
-qu'ont prétendu les adroites inventrices: de ces 
modes* 

Qjiant au maintien foldatefque & au ton gre- 
iiâdier, il frappe moins» attendu qu'il eft plus 
«nivcrfelj & il n- eft gneres fenfitle qu'aux nou» 
veaux débarqués. Depuis le feuxbourgSt.Ger- 
•main jufqu'aux halles, iî y a peu de femmes a 
Paris dont l'abord, le regard, ne foit d*unc 
hardiefTe à déconcerter quiconque n'a rien w de 
4femblable en fonpays^ & de la furprifeoù jettent 
CCS nouvelles manières naît cet air gauche <quon 
reproche aux étrangers. C'eft encore pis ntot 
•qu'elles ouvrant la bouche. Ce n'eft pomt w 
voix douce & mignarde de nos Vaudoifes. €«» 
«ff certain accent dur, aigre, interrogatif, im- 
-périeux, moqueur^ & plus fort que celui d un 
homme. S'il rcftc dans leur ton quelque ^racc 
de leur fcxe, leur manière intrépide & cwncu c 
A fixer les gens achevé de l?éclipfer. H^f ^ 
qu'elles fe pTaifent à jouir de Hcmbarras qu çiW 
•donnent à ceux qui les voyent pour la premier* 
-fois; n>ais il eft à croire que cet embarras leu 
plaîroît moins fi eHe» en déméloicnt mieux » 
caufe. 

Cependant, foît prévention dcmaparf^? 
feveur de la beauté, foit infttnô de la ^^* 
fe faire valoir,- les belles femmes me î^^^l 
«n général un peu plus modeftes, ^jj^ -g, 
^lus de décence dans leur maintien. 9 jL,, 
•ferve ne leur coûte guère,' elle fentent ''^^^Aj^ 
avantages, «lies fevent qu'elles n*ont pas d«^ 
d'agaceries pour nous^ attirer. P^"^'^^,.-rtB 
içue rimpudehcc eft plus fenfiblc ^ ^^^ 


J 


H E L, O î s E. T17 

jointe a la laideur, & il eft fur qu'on couvriroit 
plutôt de fouâlets que de baifers un laid vifage 
effronté, au lieu qu'avec la modeAie il peut 
exciter une tendre compaflion qui mené quelque- 
fois à l'amour. Mais quoiq^i'en général on re- 
marque ici quelque chofe de plus doux^ dans le 
maintien des jolies perfonnes, il y a encore tant . 
de minauderies dans leurs manières, & elles font 
tou^urs fi viflblement occupées d'elles-mêmes, 
qu'on n'eft jamais expofé dans ce pays à la ten- 
tation qu'avoit quelquefois M. de Murait auprès 
des Ângloifes, de dire à une fenune qu'elle eft^ 
belle pour avoir le plaifir de le lui apprendre. 

La gaité naturelle à la nation^ ni le defir d'i- 
miter les grands airs ne font pas les feules caufes 
de cette liberté de propos & de maintien qu'oa 
remarque ici dans les femmes. Elle paroit avoir 
une racfne plus profonde dans les mœurs, par le 
mélange indifcret & continuel des deux fexes, 
qui fait contraâer à chacun d'eux l'air, le lan- 
gage, & les manières de l'autre. Nos SuiflefTes 
atiment afles à fe raflèmbler entre elles (â}; elles 
y vivent dans une douce familiarité, k quoiqu'ap- 
paremment elles ne haïQent pas le commerce 
des hommes, il eft certain que la préfence de 
ceux-ci jette une forte de contrainte dans cette 
pjetite .gynécocratie. A Paris, c'eft tout le con- 
traire; .les .femmes n'aiment à vivre qu'avec les 
hommes, elles ne font à leur aife qu'avec eux. 
Dans chaque fociété la maitrefle de la^naifon eft 
prefque toujours feule au milieu d'un cercle 
d'hommes. On a peiiie à concevoir d'oii taoc 

' {a) Tout cela f ft fort changé. Par les circon fiances, ces 
lettres 4IC fembknt écrites que depuis quelque viogtaiae4*»nnée». 
A.mx uMBurs, ait ftile, on les croiroit de Tsntre Jecle. 

I d'hommes 


ti8 LA NOUVELLE 

(Thommes peuvent fe répandre partout; mais 
Paris eft plein d'avanturiers & de câibatsûres qui 
paflënt leur vie k courir de maifon en maiion, 
& les hommes (êmblent comme les efpçcts fe 
mtridplier par la circulation. Ceft donc là 
qu'une femme apprend à parler, agif& penicr 
comme eux, & eux comme elle. C eft là tp*\i* 
nique objet de leurs petites galanteries, dk jouit 
paHIblementdeces inflrltans hommages auxqnds 
on ne daigne pas même donner tin air de bonne 
foi. Qu'importe? férieufement ou parplaifan- 
teric, on s'occupe d'elle & c*eft tout ce qu'elle 
veut. Qu'une autre femme Airvienne, à l'inftant 
le ton de cérémonie fuccede à la familiarité, les 
grands airs commencent, l'attention des hommes 
fe partage, & l'on fe tient mutuellement dans 
une fecrette gêne dont on ne fort plus qu'en fe 
féparanr. 

Les femmes de Paris aiment à voir les fpeâa- 
cles, c'eft à dire à y être vues; mais leur embar- 
ras chaque fois qu'elles y veulent aller eft de 
trouver une compagne; car l'ufage ne permet a 
aucune femme d'y aller feule en grande loge, 
pas même avec fon mari, pas même avec un 
autre homme.' On ne fauroît dire combien 
dans ce pays il fociable ces parties font difficiles 
à former 5 de dix qu'on en projette, il en manque 
neuf; le defir d'aller au fpeâtaclc les ftit Kefi 
l'ennui d'y aller enfemble les fait rompre. Je crois 
que les femmes pourroîent abroger aifement cet 
ufage inepte; car où eft la raîfon de ne pouvoir 
fe montrer feule en public ? Mais c'eft peut-être 
ce défaut de raifon qui Iç conferve. Il eft bon 
de tourner autant qu'on peut les bienféances fur 
des chofes où U fctoit inutile d'en manquer. 

Que 


fe[ E L G î S E. 119 

Que gâgneroit une femme au droit d'aller Tani 
tompagne à l'Opéra? Ne vaut- il. pas mieux 
réferVer ce Aoit pt>ûr recevoir en jiaTticuIicr fcs 
amis? 

II cft fnr que mille lialfons fccrctes rfoîvent 
êtte,te fruit de leur manière deVîvre qparfcs & 
ifoiéts parmi tant d'hommes. Tout le monde 
en «convient aujourd'hui, . ic Pexpérience a dé- 
truit Pabftirdt maxime de vaîticre ks tentations 
^n lés taniltiptiant. On ne dit donc plus que 
cet ufage eft plus honnête, mais qu'il eft plus 
agréable, K cVfl ce que je tic crois pas plus 
▼raî| -car quel amour peut régner où la pudeur 
cft en dérîfion, & quel charme peut avoir une 
vie privée à la fois d'amour & d'honnêteté ? 
Auffi comme le grand fléau de tous ces gens ft 



que l'amour auprès 
$c pourvu qu'on foit affidu, peu leur importe 
qu'on foit paffionné. Les mrots mêmes d'amour 
& d'amant font bannis de l'intime focîété 4^s 
deux fexes & relégués avec ceux àc chûim & de 
^ame dans les Romans qn'on ne lit plus. 

Il feçible que tout Tordre des fentimens nâ- 
ttrrds foit ici renverfé. Le cceur n*y forme au- 
cune chaîne, il n'eft point permis aux filles d'en 
avoir un. Ce droit eft refervé aux feules fem- 
fl^es mariées, ÉC^n'exclud du choix perfonne que 
leurs maris. Il vaudroit mieux qu'une mère eut 
vingt amans que (a fille un feul. L'adultère n'y 
révolte point, on n'y trouve rien de contraire à 
la bienféance; les Romans les plus décens, ceux 
que tout le monde lit pour s'inftruire en font 
pleins. Se le dtfordre n'eft plus blâmable» fitot 
3 qu'il 


X20 LA NOUVELLE 

qu'il eft joint à Tinadélité. O Julie ! TeUe 
femme qui n'a pas craint de fouiller cent fois le 
lit conjugal oferoit d'une bouche impure accufer 
nos chaftes amours, ic condamner l'union de 
deux coeurs finceres^qui ne furent jamab man- 
quer de foi« On diroit que le mariage n'eft pis 
à Paris de la orême nature que par tout aillcujrs* 
Ç'eft un facren^ty à ce qu'ils prétendent» ic 
ce lacrement n'a pas la force des moindres con^ 
traâs civils; il fenible n'être que l'accord de 
deux perfonnes libres qui conviennent de de^ 
meurer enfemble, de porter le même nom, de 
reconnoitre les mêmies enfans ; mais qui n'ont, 
au furplus, aucune forte de droit l'une fur l'au- 
tre ; Se un mari qui s'aviferoit de controUer ici 
la mauvaife conduite de ffi femme n'exciteroit 
pas moins dé murmures que Celui qui fouffroît 
chez nous le defordre public ^e la tienne. Les 
femmes, de leur côté, n'ufent pas de rigueur en- 
vers leurs maris, & l'on ne voit pas encore 
qu'elles les fafient punir d'imiter leurs infidélités. 
A.U refle, comment attendre de part ou d'autre 
un effet plus honnête d'un lien où le cœur n'a 
point été confulté î Qui n'époufe que la fortune 
ou J'état, ne doit rien à la perfonne. 

L'amour même, l'amour a perdu fes droits & 
n'eft pas moins dénaturé que le mariage. Si les 
Epoux font ici des garçons & des filles qui de- 
Qieyrent enfemble pour vivre a^fK: plus de li- 
berté; les amans font des gens indifFérens qui fe 
voyejnt pr amufement, par air, par habitude, 
eu pour le befoin du moment. Le coeur n'a 
que faire à ces lia.ifons, on n'y confulté que la 
commodité & certaines convenances extérieures. 
C'eft, il l'on veut, fe connoitre, vivre cnfem- 

We, 


H E ^.vOr ï S ;E.: iiv 

Wfi^ s'a^rrangcj^* fe.ypir,, moins encore, s'il cft 
poifible* Une llaifon de galanterie dure un peu 
plus qu^une vifite } c'eft un recueil de jolis en-^ 
tretiens ,& de jolies lettres pleine^ de portraitSf 
de maxiin^s» <k phUofQphie, & de bcKefprit. A 
regara 4u phifiçjue. il h^e;cige pas tant de mU 
^ere ; on a très fenfémept trouvé qu'il faloit rer 

Îrler,fur l'iof^ant, des defir^ la facilité de les fatis*. 
aire : la première venue^ le premier venu» l'a- 
mant ou un autre» un homme eft toujours un 
hpmmej tous font' prçfque également bons, & 
il y a du moins a cela de la conféquence, car 
pourquoi feroit-on plus lidelle à l'amant; qu'au 
mari? Et. puis à certain âge tou3 les hommes ; 
font à peu près le même homme, toutes les^ 
femmes la même femme ; toutes ces poupées 
fortent de chez la même marchande de modes» 
& il n'y a guère d'autre choix a faire que ce qui 
tombe le plus .commodément fous la main* 
. Comme je ne fais rien de ceci par moi-même, 
oh m'en' a parlé fur un ton ft. extraordinaire 
qu'il ne m'a pas été poflîble de bien entendre.ee 
qu'on m'en a dit. Tout ce que j'ei;! ai conçu, 
c eft que chez la plupart des femmes l'amant eft 
comme un des gens de la maifon : s^il ne fait 
pas fon devoir, on le congédie Se l'on en prend 
lin autre ;. s'il trouve mieux ailleurs ou s'ennuye 
du métier, il quiitte & l'on en prcn4 ^^ autre. 
Il y a, dit*on, des femmes aiTés capricieufes. 
pour eilàyer même du maitre de la maifon, car 
enfin, c'eft encore une efpece d*homme. Cette 
fantaifie ne dure pas ; quand elle eft pafle^ on 
Iç chaflè & l'on en prend un autre, ou s'il s'ob- ; 
ftine, on le garde Se l'on en prend un autre» > 

Têmi //. ' F ^ Mais, ' 


124 LA NOUVELLE 

■ 

Mais, dirois'^je à celui qui m^ncpliquoit 
étranges ufages, comment une l^mme vit-elle 
enfuite avec tous cçs autres-Ià^ qm ont ainfi pria 
ou reçu leur congé ? Bon ! rcpçit-il, elle n'y 
vit point. On ne fç voit plwsj on ne fe connaît 
plàs. $i jamais la-fentaiflé: pnenoit de renouer», 
cAi aqroit uneî nouvelle côhnoifTancè à,^r^> &* 
ce feroit beaucoup qu'on fe fôuvinjt de s'être vus» 
Je vovs'enténS) lui <fis-je; mais j'ai beau réduire 
ces exagérations.; je ne conçois, pas comment 
après une union fi tendre on peut fe voir de fang- 
froid i comment, le coeur ne palpite pa? au nom 
de ce.qu'-on; a nne fois aimé; comment on ne 
treffiillit pas à fa rencontre 1. Vous me faites 
rire» iôterrompit^il, avec vos treflàilkmens ! 
vous voudriez donc que nos femmes ne fifièht 
autre chofe que tomber en fyncope ? 

Supprime une partie de ce tableau trop chargé» 
fans doute; place JuK^ à côté. du refte, 8c fou<* 
viens-toi démon cœur; je n'ai rien ^déplus à 
te dire. 

Il faut cependant l*avouer; pluficurs de cea 
îinpreffions tiefegréablcs s'eflacçnt par Phabitude, 
Si le mal fe prefente avant le bien, il ne rem- 
pêche pas de fe montrer à fon to«r ; les. charmes 
de rjcCpric & du naturel font valoir ceux de la 
pedbnne. La première réppgriaxice.vainçue de- 
vient bientôt un fentimem contraire. C'efrFau- 
tfc point de vue dii tablèian, .& la juftrce jae per- 
met pas de ne l'expofer que par le côté defavan- 
tageux* 

C'eft le premier inconvénieitt dès grandes vil- 
les que les hommes y devienheot autres que ce 
qu'ils font, & qu« la fociété leur donne, pour 
ainfi, dire, un être différent du leur. Cela eft 

vrai. 


H E L O ï s E, 12J 

vrai, furtout à Paris, & furtout à l'égard des 
femmes, qui tirent des regards d'autrui la feule 
exiftence dont cHes fe foucîent. En abordant 
une Dame dans une afleniblée, au lieu d'une 
pari'fienne que vous croyez voir, vqus ne voyez 
^u'un fimulacre de la mode. Sa hauteur, fon 
ampleur^ fa démarche, fa tarife, fa gorge, fes 
couleurs, fon air, fon regard, fes propos, fes 
manières, rien de tout cehi n'eft à elle, & fi 
vous la voyiez dans fon état naturel, vous ne 
pourriez la reconnoitre. Or cet échange cft 
rarement favorable à celles qui le font, & en 
général il n'y a guère à gagner à tout ce qu'on 
fubftitue à la nature. Mais on ne l'efFace ja* 
mais entièrement j elle s'échappe toujours par 
quelque endroit, & c'eft dans une certaine ad-* 
dreffc à- la faifir que confifte l'art d'obfcrver. 
Cet art h'eft pas difficile vis-à-vis des femmes 
de ce pays j car comme elles ont plus de natu- 
rel qu'elles ne croyent en avoir, pour peu qu'on' 
ks fréquente affîdument, pour peu qu'on les dé- 
tache de cette éternelle repréfentation qui leur 
piàit fi fort, on les voit bientôt comme elles font, 
& c'eft alors que toute Taverfion qu'elles ont d'a- 
bor<l infpirée fe change en eftime & en amitié. 

Voila ce que j'eus occafion d'obferver la fe- 
maine dernière dans une partie de campagne ou 
quelques femmes nous avoient aifés étourdiment 
in vîtes, moi & quelques autres nouveaux debar- 
(}ués, fans trop s'afTurer que nous leur conveni- 
ons, où peut-être pour avoir le plaifir d'y rire 
de nous à leur aife. Cela ne manqua pas cl*arri*' 
ver le premier jour. Elles nous accablèrent 
d^abord de traits plaifans & fins qui tombant 
t<Mijour$ ùat9 réjaillir épuiferent bientôt leur csr- 

F 2 quois. 


124 LA .NOUVELLE 

quois. Alors elles s'exécutèrent de bonne grâce, 
& ne pouvant nous amener à leur ton, elles fu- 
rent xeduites k prendre le nôtre. Je ne fais fi 
elles fe trouveient bien de cet échange, pur 
moi ie m'en trouvai à merveilles; je vis avec 
{urprife que je m'éclairois plus avec elles que 
je n'aurois fait avec l)eacoup d'hommes. Leur 
crprit ornoit fi bien le.bon-fens que je regretois 
ce qu'elles en avoient mis à le défigurer, & je 
deplorois, en jugeant mieux des femmes de ce 
pays, que tant d'aimables perfonnes ne man- 
quaient de raifon que parce qu'elles ne vouloient 
pas en avoir. Je vis auffi que les grâces fiiioii- 
Ijeres & naturelles effaçoient infenfibJement les 
airs apprêtés de la ville ; car fans y ibnger 
gn prend des manières aflbrtiflantes aux chofes 
qu'on dit, & il n'y a pas rhoyen de mettre a des 
cjifcours fenfés les grimaces de la coquetterie. Je 
les trouvai plus jolies depuis qu'elles ne cher- 
choient plus- tant à l'être, & je fentis qu'elles 
n'avoient befoin pour plaire que de ne fe pas 
déguifer. J'ofai foupçonner fur ce fondement 
que Paris, ce prétendu fiége du goût, eft peut- 
être le lieu du monde où il y en a le moins, 
puifquc tous les foins qu'on y prend pour pjairc 
défigurent la véritable beauté. 
, Nous refiâmes ainiî quatre ou cinq jours cn- 
femble, contens les uns des autres & de nous 
* nicmes. Au lieu de paflèr en revue Paris & fc* 
folies, nous ^oubliâmes. Tout notre bm fe 
bornoit à jouir entre nous d'une fociété agréable 
& douce. Nous n'eûmes befpins ni de ùMxt^^ 
ni de plaifanteries pour nous mettre de bonne 
humeur, & nos .ris n'étoient pas de raillerie mais 

4p gaitéy comme ceux de ta Coufine. 

Un* 


H E L O I s E. 125 

Une autre choft acheva de m& faire changer 
d'avis fur leur compte. Souvent au milieu de 
nos entretiens les plus animés, oh venoit dire un 
mot à l^reille de la maitrefle de la maifon. EHe 
fortoit, alloit s'enfermer pour écrire, & ne rentroit 
de longtems. Il étoit aifé d'attribuer ces éclipfes 
à quelque correfpondance de cœur, ou de celles 
qu'on appelle ainfi. Une autre femme en glifla 
légèrement un mot qui fut afTés mal reçu ; ce 
qui me fit juger que il l'abfente manquoit d'a- 
mans, elle avoit au^moins des amis. Cependant 
la curîofité m'ayant donné quelque attentioif, 
quelle fut ma furprife en apprenant que ces pré* 
tendus grifons de Paris étoient des payfans de h 
paroifle, qui venoient dans leurs calarnités im- 
plorer la proteâion de leur Dame ! L'un fur- 
chargé de tailles à la décharge d'un plus riche: 
L'autre enrollé dans la milice fans égard pour 
fon âge & pour Tes enfans (û) ; l'autre écrafé 
d'un puiflant voifin par un procès injufte ; l'au- 
tre ruiné par la grêle, & dont on exigeoit le 
bail à kl rigueur. Enfin tous avoient quelque 
grâce à demander, tous étoient patiemment écoû« 
tés, on n'en rebutoit aucun, & le tems attribué ^ 
aux billets -doux étoit employé à écrire en faveur 
de ces rnalheureux. Je ne faurois te dire avec 
quel étonnement j'appris, & le plaifir que pre- 
noit une femme u jeune & fi diffipée à remplir 
ces aimables devoirs, & combien peu elle y met- 
toit d'oftentation. Comment ? difois-je tout 
attendri ; quand ce feroit 'Jw"^> elle ne feroit 
pas autrement ! Dès cet inftant je ne l'ai plus 

(a) Oo a vu cela dans Tautre guerre ; mais non danc celle- 
ci, que je fâche. On épargne les hommes maries, & l'on en 
fait ainô marier beaucoup* 

F 3 regardée 


«6 LA NOUVELLE 

r^rdce qu'avec refpeâ» & tous fes défauts fent 
effaces à mes yeux. 

Sitôt que mes recherches fe font touriiées de 
ce côté, j'ai appris mille chofes i l'avantage 
de ces mêmes femmes que j'avois d'abord trou- 
técs fi infupportables. Tous lee étrangers con- 
vieiment unanimement qu'en écartant les propos 
à la mode» il n'y appoint de pays au monde ou 
les femmes foient plus éclairées, parlent en gé- 
néral plus ibnfément, p!us judicieufement, & 
fâchent dpnner au befoin de meilleurs confeils* 
Otons le jargon de la galanterie & du bel-efprit, 
quel parti tirerons aous de la conv,crfation d'une 
£fpagnole, d'une Italienne, d'une Allemande/ 
Aucun, & tu lais, Julie, ce qu'il en eft com- 
munément de nos SuifTefles. Mais qu'on ofc 
paffer pour peu galant & tirer les Françôifesdc 
cette forterefle, dont à Ja vérité, eJJes n\4çffitf 
^uerc à fortir, on trouve encore à^jui f^^-^ 
rafe campagne, & l*on croit combattre a»«c «* 
iK>mme, tant elle fait s'armer ^ raiToa fif^ 
de néceifité vertu. Quant au |>on caraâere, je 
ne citerai point le zele avec lequel elles Çsrveot 
leurs amis; car il peut régner en cela une cer- 
taine chaleur d'amour propre qui ibift de tots lc« 
fays: mais quoiqu'ord i mi rement elles n'aw»^^ 
q*i*elles-mêmes, une longue habitude» ^'***^ 
elles ont afles de confiance pour l'a^querijr, leur 
tient lieu d'un (êntiment affés vif; Cellci <|u» 
peuvent fupporter un attachement de diy ans, le 
gardent ordinairement toute leur vie, U ^^ 
aiment leurs vieux amis plus tendrement, p»^' 
fûrement au moins que leurs jeunes amans. 

Une remarque afles commune qui'femble être 
à la charge des femmes eft qu'elles font tout en 


MB L ^ .1 SE. 1^7 

^e.pa^a» & par^conféquçxi^ plus dq mal que de 
tien i maïs ce qui les juftifie «ft qu^^elles font le 
malipouOe^ par les boiîimcs^ & le bien de leur 
^prQpce mouveizient. Ceci ,ne contredit poiof -èe 
que je difois ci devant que le cd^ur n^entrë pour 
lien dans le commerce des deux fexes : car la 
galanterie françoife adonné aux femmes un pou- 
voir univerfel qui n^'a befoin d^aucun tendre fen- 
timent pour fe ilbutenir* Tout dépend d'elles i 
rien ne iè fait que par, elles xm pour elles; l'O* 
]vmp^ & Je Parûaffc, ;Ja gloire- & la foftune font 
également fous leurs lofx. Les livres n'ont de 
^rix, les auteufs n'ont d'eftimé qu'autant qu'il 
plait aux femmes de leur en accorder > elles dé- 
cident fouVerainement des plus hautes connoiC- 
/ancès^ ainii. (Ute des plus agréables,^ Poçfte, 
X4téiaturey hiiloire,. philofopbie, politique jxïè- 
j7iip> fon. YP^t d['âborà au ftile de tous les Uvre9 
u'ils {ont écrits pjOH^r amûfer de jolies. femm«f» 
:Ton vient de mettre la bible en biftoirçs ca- 
lantes. Daos les aSâîres, ellesont pour obtenir 
ce qu^eiles demandent un ascendant naturel )uf* 
quçs fur leurs âur% i^oo parce ^'ils {ont; leaçi 
maris, mais^arcê qu^iU ^ont hommes ,& qall t& 
convenu qu^ua jjiointhe ne réfutera ikn à aucune 
femme, fut-ce tnenae la fienne. 

Au reiVe cette autorité ne fuppo/e ni attache- 
jaient ni edime,. mais feulement de la politeite Se 
de i'ufage du monde ; car d'ailleurs, il n'eft pa» 
moins eiTenciel à la galanterie Traoçoife de mé- 
jKifer les femmes que de les fervir. Ce mépris 
ed une forte de titre qui leur çn imppfe^.c'eil 
un témoignage qu'on a vécu afTés avec elles pouf 
tes connoitre. Quiconque les refpeâeroit paiTe-* 
loit k leurs yeux pour un novice, un paladin,, 

F 4r un 


£ 


128 LA NOUVELLE 

un homme qui n'a connu les femfnes que dans 
les Romans. - Elles fe jugfsnt avec tant d'équité 
que ks honorer feroît être indigne de leur plaire, 
& la première qualité dei'homme }l bonnes for- 
tunes eft d'être fouverainement impertinent. 

Quoiqu'il en foit, elles ont beau fc piquer 
de méchanceté ; elles font bonnes en dépit 
d'elles, & voici à quoi fur-tout leur bonté de 
cœur eft utile. En tout pays les gens chargés 
de beaucoup d^fFaircs font toujours repôufians 
& fans commtféràtion, &' Patis étant le centre 
des affaires du plus grand peuple deTEurope, 
ceux qui les font font auffi les- plus durs des 
hommes. C'eft donc aux femmes qu'on s'ad- 
dreflè pour avoir des grâces ; elles font le re- 
cours des malheureux \ elles ne ferment point 
]'oreiHe à leurs plaintes; <lles les écoutent, les 
confolent & les fervent. Au miTreu de la vie 
frivole qù'éBes meiîent, efles favént déroI^T 
des momens à leurs plaifirs pour les donner à 
leur bon naturel, & fi quelques unes font un 
infâme commerce des fervices qu'elles rendent, 
'des milliers d'autres s'occupent tous les jours 
-gratuiterheht à fecourir le plàuvre dç leur bourfe 
* l'opprimé ye leur Crédit. Il eft vrai qiie leurs 
foins font fouvent îrtdifércts, '& qu'elles nuî- 
fent fans fcrupule au malheureux qu'elles ne con- 
noiiTent pas, pour fervir le malheureux qu'elles 
connoiffent : mais comment connoitre tout le 
monde dans un (i 'grand pays, & que peut faire 
de plus la bohté d'ame féparée de la véritable 
Vertus dont le plus fublime effort n'eft pas tant 
tie faire k bien que de ne jamais mal faire. A 
cela près, il' eft certain qu'elles ont du pen- 
«chant au bien, qu'elles en font beaucoup; 

qu'elles 


H E L O I s E. 129 

■qu'elles le font de bon cœur^ que^ce font elles 
feules qui confervent dans Paris le peu d'huma- 
'lîité qu'ojj-^ voit régner encore, & que fans 
elles on verroit les hommes avides & infatiables 
s'y dévorer comme des loups. 

Voila ce que je n'aurois point appris, iî je 
m'en étois tenu aux peintures des faifeurs de 
Romans & de Comédies, icfquels voyent plutôt 
dans les femmes des ridicules,qu'ils partagent que 
•les bonnes qualités qu'ils n'ont pas, ou qui pei- 
gnent des chcfs-d'œuvres de vertu qu'elles fe dif- 
penfent d^imiter en les traitant de chimères, 
au lieu de les encourager au bien en louant celui 
qu'elles font réellement. Les Romans font 
peut-être la dernière inftru£tion qu'il refte à 
donner à un peuple allés corrompu pour que 
toute autre lui foit inutile ; je voudrois qu'alors 
la cbmpofition -de ces fortes de livres ne fut 
permîfe qu'à des gens honnêtes mais fenfibles 
dont le cœur fe peignit dans leurs écrits, à des 
auteurs qtii ne fuflTent pas au deflus des foi- 
bleflès de l'humanité, qui ne montrafient pas tout 
d'un Coup la vertu dans le Ciel hors de la portée 
des hommes, mais qui la leur fiflènt aimer en 
la peignant d'abord moins auftere, & puis du 
feiit du vice les y fufient conduire infenfible- 
ment. 

Je t'en ai prévenue, je ne fuis en rien de l'o- 
pinion commune fur le compte des femmes de 
ce pays. On leur trouve unanimement l'abord 
le plus enchanteur, les grâces les plus fédui- 
fantes, la coquetterie la plus reBnée, le fublime 
de la galanterie, & l'art de plaire au Souverain 
^gré.* Moi, je trouve leur abord choquant, 
Jeur coquetterie repouffante, leurs manières faps 

F 5 ma- 


^30 LA NOUVELLE 

modeftie. J'imagine que le cœur doit fe fermer 
à toutes leurs avances, & Ton ne me {xerfuade- 
ra jamais qu'elles puilîent un moment parler de 
l'amour, fans fe montrer (également incapables 
d'en infpirer & d'en reflèn^jr. 

D'un autre côté, la renommée apprend à fe 
défier de leur caraélere, elle les peint frivoles, 
rufées, artificieufes, étourdie», volages, parlait 
bien, mais ne penfant point, fentant encore 
moins, & dépenfant ainfi tout leur mérite en 
vain babil. Tout cela me paroit à moi kur être 
extérieur comme leurs paniers & leur rouge* 
Ce font des vices de parade qu'il faut avoir à 
Paris, & qui dans le fpnd couvrent en elles du 
fens, de la raifon, de l'humanité, du bon natu- 
rel i elles font moins indifo'etes, moins trapaf^ 
fieres que chez nous, moins peut-être que pstf 
tout ailleurs* Elles font plus folidement ip- 
firuites & leur inftruâion profite mieux à Jeur 
jugement. En un mot, fi elles me déplaifent 
par tout ce qui caraâérife leur fexe qu'elles ont 
défiguré, je les eftime par des rapports avec le 
notre, qui nous font honneur, il je trouvç 
qu'elles feroient cent fois plutôt de» hommes d^ 
mérite que d'aimables femmes. 

Conclufioa: fi Julie n'eut point exifté; fi 
mon cœur eut pu foufFrir quelque autre at-* 
tachement que celui pour lequel il était né, je 
n'aurois jamais pris à Paris ma femmes eacore 
moins ma maitreiTej mais je m'y ferais fail 
volontiers une amie, & ce tréfor m'eut con- 
folé, peut-être^ de n'y pas trouver les deu;( 
autres (a)» 

LETTRE 

(«) Jé ae K^râo^fM de f rononter (inr cette iettre j iimm* je 


H E L O î s B .,. 


màfmmmmmm 


LETTRE XUh 

A Julie. 

DEpuifl ta^Iettre reçue» je Ma allé lour£e» 
jours ches M. SUv/efire âoltende^rik petit 
foçduet. Il a'çtok toujours p^at v^u, & dé«> 
ypre <l'utie mortelle impattence, /ai fait le voy* 
ags fep< fois inutilçmen!;. Enfin* la haitieine^ 
j'ai reçu le pacque^. A peine l'aî-je eu dans leà 
mains que &nifr payer le port» fans m^eû informer^ 
fans rien dire à perfonne, je fuis fortî comme 
un étourdi» & ne voyant le moment de rentrer 
chea n|oi, j'enfilois avec tant de précipitatioâ 
des rues que je xie connoiflbis point, qu'ai» 
l>out d'une demie heure, cherchant la rue de 
Touriion où je loge, je me fuis trouvé dans le 
marais à l'autre extrémité de Paris. J'ai été 
obligé de prendre un £acre pour revenic plus 
promptemeat % c'eft la première fois que cela; 
m'eft arrivé le matin pour mes afFatres ; je ne 
m'en ièrs même qu'à regret raprèà^midi pour 
quelques vifites ; car j'^ai deux jaitibes for^ 
bonnes, dont je ierois bien fâché qu'un peii 
plus d^aifaoce dans ma fortune nEie fit néglige! 

l'uf^gCi 

' J 'ét;ois Ibrt embarrafie dans nk>n fiacre aveè 
inOfi p^cqoet s je ^ tottlois l'ouvw q^t ch(S 

doute qu*un jugement qui donne libéralemtat a cèll^ft qo*»l rc» 
carde des qualités qu*clles mcpriiîent^ Hc qui leur refufe les 
fcuIei'âontMlef fglit cas; foie fort oMKe }^ îiti bien reccw 

: > F 6 Klo}> 


fSi LA NOUVELLE 

moi, c'étoît ton ordre. D'ailleurs une forte de 
Volupté qui me \t\fk oubKcrla commodité dans 
les chofes communes» me 1^ fait rechercher 
avec foin dans les vrais plaifirs; Je n'y puis 
foufTrir aucune forte de cQftraâion, & je veux 
avoir du tems & mes aifes pour favourer tout ce 
qui me vient de toi. Je tenois donc ce pacquec 
aveculie inquiète cudofité dont je n'étois pas le 
3Îiaîf re< : je m'effbrçois de palper à travers les 
enveloppes ce qu'il pduvoit contenir^ & ron eut 
dit qu'il me bruloit les mains, à voir les mou- 
vemens continuels qu'il faifoit de Tune à l'autre. 
Ce n'eft pas qu'à ion volume, à fon poids, au 
^on de ta 'lettre, je n'eufle quelque Ibupçon de 
isL vérité ; mais le moyen de concevoir comment 
tu pottvois avoir trouvé Tartifte & l'occafion? 
Voiia ce que je ne conçois pas encore ; c'eft un 
miracle de Pamour ; plus il pafië ma raifon, 
plus il enchante mon cœur, & l'un des plaifirs 
qu'il me donne eft celui de n'y rien com- 
prendre. 

J'arrive enfin, je vole, je m'enferme dans 
ma chambre, je m'afleye hors d'haleine, je porte 
uoe ihain tremblante fur le cachet. O première 
influence du talifman ! j'ai fenti palpiter mon 
rœur à chaque papier que j'otois, & je me fuis 
bientôt trouvé tellement oppreiTé, que j'ai été 
forcé de refpirer un moment fur la dernière en- 
veloppe .... Julie ! • , . , O ma Julie ! • • • • 
)e voile eft déchiré .... fe te vois • • . # je 
vois tes divins attraits f -Ma bouche ^& mofi 
cœur leur rendent le premier hommage, mes ge- 
noux fléchiffent .... charmes adorés, encore 
une fois vous aurez enchanté mes yeux. Qu'il 
eft prompt, qu'il éft puiflânt, le magique cfict 

i' ». de 


-.^i 


H EL O I s E. I3J 

de CCS traits chéris ! Non, il ne faut point 
comme tu prétens un quart d^heure pour le fen- 
tir; une minute, un inftant'fuiSt pour arra- 
cher de mon fein mille ardens foupiïs, & me 
rappeller avec ton image celle de mon bonheur 
pafie. Pourquoi faut-il que la joyc de pofleder 
un fi précieux tréfor foit mêlée d'une fi cruelle 
amertume ? Avec quelle violence il me rappellç 
des tems* qui ne font plus ! Je crois en le vo- 
yant te revoir encore ; je crois me retrouver à 
ces momens délicieux dont le fouvenir fait 
maintenant le, malheur de ma vie, & que le 
Cîel m'a donnés & ravis dans fa colère I Hélas, 
un inflant me defabufe ; toute la douleur de 
rabfence fe ranime & s'aigrit en m'ôtant Ter* 
reur qui Ta fufpendue, & je fuis comme ces 
malheureux dont on n'interrompt les tourmens 
que pour les leur rendre plus fenfibleè. Dieux t 
quels torrens de flammes mes avides regards pui- 
feht dans cet objet inattendu ! ô comme il l'a- 
nime au fond de. mon cœur tous les mouve- 
mens impétueux que ta préfence y faifoit naitre ! 
6 Julie, s'il étoit vrai qu'il put tranfmettre à tes 
fens le délire & l'illufion des miens .... Mais 
pourquoi ne le feroit-il pas ? Pourquoi des im« 
preffions que l'ame porte avec tant d'aâivité 
n'iroîent-elles pas auffi loin qu'elle ? Ah, chère 
amante ! où que tu fois, quoi que tu faflfes au 
momei)t où j'écris cette lettre, au moment ou 
ton portrait reçoit tout ce que ton idolâtre A7 
mant adrefle a ta perfonne, ne fens^tu pas ton 
charmant vifage inondé des pleurs de l'amour & 
de la triftefle f Ne fens-tu pas tes yeux, tes 
joues, ta bouche, ton fein, preffés, comprimés, 
accablés de mes ardens balîers? Ne te fens-tii 

pas 


Ï34 LÀ NOUVELLE 

pas embrafer toute entière da feu de mis le- 
vret brûlantes ! ..... Ciel, qu*entens-îe ? Quel- 
qu'un vient • « . . • Ah ferrons, cachons mon 

tréfor un importun ! . . , . • Maudit foit 

le cruel qui vient troubler des tranfports fi doux F 
« . . . . Puifie-t-il ne jamais aimer • .... ou vivre 
loin de ce quil aime ! 


■wE 


y I 


LETTRE XXIIL 
• A Maà*. cl^rbe. 

C'EST à vous, charmante Coufine* qu'il faae 
rendre compte de TOpéra^ car bien que 
vous ne m'en parliez point dans vps lettres» & 
que Ju3ie vous ai gardé le fecret, je yois d*oit 
lui vient-cette curiofité. J'y fus une fois pour 
contenter la mienne ; j'y fuis retourné pour vous 
deiix autres fois. Tenez m'en quitte, je vous 
pficj après cexte lettre. J'y puis retourner eq- 
core, y bâiller, y fouffrir, y périr pour votj?e 
fervice; mais y refter éveillé & attentif^ cela 
ne m'êflf pas poiSbte. 

Avant de vous dire ce que je penfe de ce 
fantçux Théâtre, que je vous rende compte de 
ce qu'on en dit ici y le jugement des connoiilèurs 
pourra redrefler le mien li je m'abufe. 

L'Opéra de Paris pafle à Paris pour le /pec* 
tacle le plus pompeux, le plus voiaptueuk, le 
plus adn>irable qu'inventa jaimds l'art humain. 
C'efl, dit-on, le plus fuperbe monument de la 
magnificence de Louïs quatorze* U n'eft pas 
fiiibre à chacun que vous \t penfez de dire 

f©a 


H E .L O I s E. 135 

fqn avis fur ce grave fujet. Ici l'on peut dif- 
puter de tout hors de la Muflque & 4e TOpéra» 
il y a du danger à naanquer de diffimulation fur 
ce feul point i la muGoue françoife fe'^maintienC 
par une inquifition très feverC) & la première 
chofe qu'on infmue par forme de leçon à tous 
les étrangers qui viennent dans ce pays^ c'eft 
que tous les étrangers conviennent qu'il n'y a 
rien de û beau dans le refte du mondç que 
i'Opéra de Paris. En efFet, la vérité eA que 
Jes plus difcrets s'en taifent, ic n'ofeat en rire 
qu'entre eux. 

. Il faut coitveâir p^ourtant qu'on y réf rcfente 
à grands fraix, non feulement toutea les mer- 
veilles de la na|uriÇ) mais beaucpup d'autres 
merveilles bien plus grandes» que perfofine n'a 
jamais vues, & fûrement Pope, a voulu délignor 
ce bizarre théâtre par celui où il dit qM'on voit 
pele-mele des Dieux» des lutins, des monftres, 
des Rois, des bergersi des fées, de la fureur.» 
de la joye, un feu» une gigue, une bataille, & 
un bal. 

Cet aiTemblage il nîagnjiîque & H bien or^ 
donné eft regardé comme s'il corvtenoit ai ejS'ot 
toutes les cHofes qu'il réprefente. En voyant 
paroitre un temple on eft faiii d'un faint r^ 
fpeâ, & pour peu que la Déefiè en foit joli^ 
le parterre eft à moitié payen. On n'eft pas fi 
difficile ici qu'k la Comédie françoife. Ces 
mêmes fpeôateurs qui ne peuvent revêtir mi 
Comédien de fon perfoonage, ne. peuvent à 
l'opéra féparer un Ââeur du fien. Il femble 
que les efprits fe roidiilènt cootre une illufioo 
raifonnable. Se ne s'y prêtent qu'autaot qu'elte 
cft abfurde & grofiere : Ou peut-être que de» 

Dieiùc 


136 LA NOUVELLE 

Dieux leur coûtent moins à concevoir que dés 
Héros, Jupiter étant d'une autre nature que- 
nous, on en peut penfer ce qu'on veu^ 5^ njais 
Caton étoit un homme, & combien d^hoîHmes 
ont le droit de croire que Caton ait pu extfter ? 

L'Opéra n'eft donc point ici comme ailleurs 
une troupe de gens payés pour fe donner en 
fpeâacle au public; ce font, il eft vrai, des 
gens que le public pa]re & qui fê donnent en 
fpeâade ; mais tout cela change de nature at- 
tendu que c'eft une Académie Royale de mu(î* 
que, une efpece de Cour fouverainé qui juge 
fans appel dans fa propre caufe & ne fe pique 
pas autrement de jùftice ni de fidélité, {a) Voi- 
la, Coufine, comment dans certains pays l'ef- 
fence des cbofes tient aux mots, & comment 
des noms honnêtes fuffifent pour honorer ce qui 
l'eft le moins* 

Les membres de cette noble Académie ne 
dérogent point. En revanche, ils "font excom- 
muniés, ce qui eft préciièment - 16 contraire de 
Tufage des autres pays ; mais peut-être, ayant 
eu le choix, aiment-ils nileux être nobles Se 
tiamnes, que roturiers & bénis. J'ai tu fur le 
théâtre un chevalier moderne auffi fier de fon 
métier qu'autrefois l'infortuné Labérius fut hu- 
milié du flen {b)y quoiqu'il Je fit par force & ne 

récitât 

■ 

(«} Dit en mots plus ouverts, cela n*en ferolt que plus ^raLt 
mais ici je fuis partie, & je dois me taire. Par tout ot^^na 
«ft moins foomis aux lo» qtt*aux hommea, on doit favotr en- 
^urer I^injuftice. 

(^) Forcé par le Tiran de monter for ie thcatve» il dépion 

fon fort par des vftrs très touchans, U très capables d* allumer 

rindignation de tout honnête hpmmc contre ce Céfar ii vanté. 

'^rh avoir i dit. il, vecufnxanu ans awe bcftintr, j*oi ftiiffi 

m mofin mnfyer (btvalier Romain, j*j rentrerai ctfiir vil UÎf- 

tricn* 


H E L O ï S E. 137 

réciiit que fcs propres ouvrages. Auffi l'ancieii 
Labérius ne put-il reprendre fa placé au cir- 
que parmi les chevaliers romains, tandis. que le 
nouveau en trouve tous Ifes jours une fur les 
bancs de la comédie françoîfe parmi la premiè- 
re noble (Te du pays, & jamais on n'entendit 
parler à Rome avec tant de refpeft de la ma- 
jefté du peuple romain qu'on parle à Paris de Ik 
maiefté de TOpéra, . " ' ' 

Voila ce que j'ai pu recueillir des ôjfcours 
d'autrui fur ce brillant fpeâacie; que }e Vous dîfe 
à prefent ce que j'y ai vu inoi-mêftïe. ' ' * 

Figurez- vous une gaine large d'uAe quin^ 
zaine de pieds, & longue à proportion ; cette 
gaine eft le théâtre. Aux deux côtés, on phcè 
■par intervalles des feuilles de pafavant, fur lef- 
quelles font 'groâlereçnent peints les objets qub 
li fcene doit repréfentei. 'Lé fond eft^ùh grar^d 
rideau peint- de même, '.& pfefqoéî* totljours 
percé ou dééhiré, ce qui repréfcrite des gouffres 
dans la terre ou des trous dans lé Ciel, feloA 
la perfpeâive. Chaque perfonne qui paffc der- 
rière le théactré & tçuche le rideat^, produit eh 
rébranlant Une forte de tremblement de tertfe 

trion. Hélas, ji* ai vécu trBp'd*ifn jour ^ fortuite i Ytl faloh làt 
detbonorer une /•}$, ^ue ne m'y fo?^oii'tk quand la jeunijfe Ûf-Jb 
ligueur me latffoiwt du moins une-Jigure agréable : mais mainter 
nant ^uel trijit objet 'viens-je expofer aux rebuts du peuple Romain t 
une voix éteinte^ un corps infirmey un cadavre, unfèpulcre animé^ 
qui fta plus rien âé nwi que tuoù v^n, Le prologue entier qu'il 
jvcita dans cette ocoiiùm* l'ii^ftice que lui fit Céfar piqué de 
Ja. noble liberté avec laquelle il vengeoit. fon honneui: flétfi^ 
raffront qu^il reçut au cirque^ la baÀbffe qu'eut Ciceron d'ijï- 
foleer à fou oppr*bf«, la répoof<i fine & piquante que luî Ht 
LaHémis ; tout cek noui 9 été côufervé par Aulu-g^le, ^ 
c'eft à mon gré le morceau le plus curieux, ic le plus iotéfeiTanC 
de Ton fade rtcueU. 

aflés 


.I3S LA NOUVELLE 

afles pkilànt à voir. Le Ciel eft Fepréfeoté^ par 
certaines^uenilles bleuâtres, rufpenduçs à à^s 
bâtons ou à des corder» comme l'etendage d*une 
l^IanchiSeufe. Le roleil, car on Ty voit quel- 
quefois, eft un flambeau dans une lanterne* 
Les chars des Dieux & des DéçiTes (ont com- 
pofés de quatre Tolivcs encadrées & fufpendues k 
une groile corde en forme d'efcarpolette ; en- 
tre ce» folives eft une planche en travers fur 
laquelle le Dieu-s'aiTe^ej & Ur, le devant pend 
uo morceau de ^rofle toile barbouillée, qui fert 
de nuage à ce magnifique char. On voit 
vers le ba^de la machine rilluminatîon de deux 
.cm Crois chandelles puahtes & mal mouchées» 
.qui, tandis que le jperfoonage fe démené & crie 
en branlant dans ion efcarpolette, l'enfumeot 
jtoùt à fon aife. j^nceo^ à\&(^ âe la divinké. 

X^xpiM lefif .çfear9[ fojîî U J^^iyç% .plu^ cohit 
/lenAk c&sinaçnaies de l'Q'pel;a, .fur çélle-là 
.vous pouvesK i^^ ^^ autres. La diïer agitée 
fi& eooipoée •deioogues hntstt^ ^n^ulaires dfc 
toile ou de carton «leii, qu^oA^enfile a des bro^ 
iches .parallèles, & qu^on ^it tourner ^ar des 
^lijÇOQs. Le tonnerre eft ,uae lourde diariette 
qu'on promené Air le ceintre, & qui n^eft pas 
Je moiiiy touchant inftrument de cette ;|gréable 
jDuilque* Les éclatr$ /e font avec des ^f lacées 
tle poix-réfine qu'on projette fur un flambeau; 
la foudre eft un pétard au bout d^une fufée. 

Le théâtre eft garni de petites trapes quarréea 
"qui s'ouvratit au beToîD imnoncent que les Dé- 
mons vont fortjr de la cave. Q^nd ils doivent 
«'élever dans les aîrs,rQn leur iubftkueadifoitemeiit 
4e petits Démons de toile brune empaillée, o^ 

quel- 


HE L^ O ï S E. 139 

quelquefois de vrais Taiooneurs qui boanleot ea 
l'air fufpendus à des cordes, jufqu'à ce qu'ils 
k perdent majeftueufement dans les jguenillc^ 
dont j'ai parlé. Mais ce qu'il y a de reellemenit 
tragique» c'eft quand les cordes ibnt mal con^ 
duites ou viennent à rompre ; car alors les efprits 
infernaux ic les Dieux immortels tombent» s'e- 
ftropient, fe tuent quelquefois. Ajoutes k tout 
cela les monftres qui rendent certaines fceoes 
fort pathétiques, tels que àcs dragons, des lé<- 
.zards, det tortues, des crocodiles, de gros cra- 
pauds qui k promènent d'un air menaçant fur 
le théâtre, & font voir à l'opéra les tentSKtlons 
de St. Antoine. Chacune de ces figures «eft 
animée par un lourdaut de favqyard^ qui n'a pas 
l'efprit de faire la bétè. 

Voila, .ma Confine, en quoi coii£ifte à pçiik 
près l'augufte appareil de l'opéra, autan t,qu^j'i^ 
pu l'obiêrver dy {nurterre^ Y,slàe4ts p^a Jorgnotte; 
car il ne &ut pas vous imaginer que ces mqyisi^ 
ibsent fort cachés & priidiu/ent nu effet impo* 
iànt; je ne voys dts.«A ceci que ce que j'ai ap» 
jperçu de ipoi-aiêiiie, ic ce que p(:ut apercevoir 
.comme moi tout fpeâ^^teur -non, préoccupé. Oa 
aiTure pourtant qu'il y a une prodîgieufp quantité 
de machines employé^ à faire mowwir tput 
cela; on m'a ofFert plusieurs fois de tne les mcui-' 
trer; mais je n'ai janiais ét^ curi(çux de voir 
comment on fait de petites choies avec de grands 
efforts. 

Le nopibre des -gens occupé ^au fervice de To^ 
péra eft incon^eva^e» Xr'Orçhefire & les (îhç/t^T§ 
compofent enfemble près de cent perfiannes; il y 
«des multitudes de daiifetâ's, tous les rolies font 

double^ 


t40 LA NOUVELLE 

doubles & triples (a), c'eft à dire qu'il y a tou- 
jours un ou deux aâeurs fubalternes, prêts à 
remplacer l'aâeur principal, & payés pour ne 
rien faire jufqu'à ce qu'il lui plaife de ne rien 
fiiîre à fon tour, ce qui ne tarde jamais beaucoup 
d'arriver. Après quelques répréfentations, les 
premiers aôcurs, qui font d'împôrtans perfonnages, 
n'honorent plus le public de leur préfence; ils 
abandonnent la place à leurs fubftituts, Se aux 
fubftttuts de leurs fubftituts. On reçoit tou- 
jours le même argent a la porte, mais on ne 
donne plus le même fpcâacle. Chacun prend 
fon billet comme à un loterie, fans favoir quel 
lot n aura, & quel qu'il foit perfonne n'oferoit 
fe. plaindre; car, afin qi*e vous le fâchiez, les 
nobles membres de cette Académie ne doivent 
aucun r^fpeâ au public, (|'eft le public qui Ipur 
«h. doit. . . ' ^ 

Je ne vous parlerai point de cette Muiiquei 
^otis la connoiflez» Mais ce dont vous ne fau- 
riez avoir d'idée, ce font les cris affreux» les 
longs mugiffemens dont retentit le théâtre durant 
la repréfentation. On voit les Aârices prefque 
en- coftvUlfion, arracher avec violence ces gla- 
piflemens de. leurs ppumons, les poings fermés 
contré la prftrine, \z tête en arrière, le vîfage 
enflammé, les vaifleaux gonflés, Teftomac pan- 
telant; on ne firiflequel eft le plus defagréable- 
ment afFeâé de-1'œîKou de l'oreille; leurs efForts 
font autant fouflPrir ceux qui les regardent, que 
leurs chants ceux qui les écoutent, & ce qu'il y 
a de plus inconcevable eft que ces hurlement 

^) On ne fait ce ^ue €*eft que dei doubles en Italie ; le public 
ne les foufFriroic pas ; au(1i le fpe^acle éft-il à beaucoup meiU 
leur marché : Il en couteroit trop pour être mal ferri. 

font 


H E L O ï s E,: Hl 

ipnt prefque la feule chofe qu'applaudiilèat les 
ipeélateurs. A leurs battemens de mains on les 
prend roi t pour des (ouris charmés de faifir par-ci 
par-là quelques fons perçans, & qui veulent en- 
gager le$ Aâeurs à les redoubler* Pour moi, 
je fuis perfuadé qu'on applaudit les cris d'une 
Aârice à l'Opéra comme les tours de force d'iin 
bateleur à la foire: h fenfation en eft déplaifante 
& pénible; on foufFre tandis qu'ils durent, mais 
qti eft fi aife de les voir finir fans accident qu'on 
en marque volontiers fa joye. Concevez que^ 
cette manière de chanter eft employée pour ex- 
primer ce que Quinault a jamais dit de plus: 
galant & de plus tendre. Imaginez les Mufes, 
lès grâces^ les amours, Vénus même s'expri- 
mant avec cette délicateilé,. èi jugez de TeiFet ! 
Pour les Diables, paiTe encore, cette mufique a 
quelque chofe d'infernal qui ne leur meffied pas, 
ÂufS les magies, les évocaMons^ & toutes lesf 
fêtes du Sabat font*elles toujourk ce qu'en adnûrç ', 
le plus à rOpera françois. , r 

A ces beaux fons, gu& juftes qu'ils font jdoux«t 
fe marient très dignement ceux de l'Orcheftre. ^ 
Figurez- vous un charivari fans an d'inftrumens. 
fans mélodie, un ronrpn trainai^t & perpéiuel; 
deBafTes; chofe la plus lugubre, . la plus aft<>m-< 
liante que j'aye entendue de ma vie» & quQ jf A'ai , 
j^mai^ pu Uipporter une demieJieure ians gagner 
ù;i violei^t mal de tête. Toutxela forme uoe 
efpece de pfalmodie à laquelle il n'y a pour l'or* 
dinaire ni chant ni mefure. Mais <}uand psuF 
hazard il fe trouve quelque air un peu fautiUant, 
c'eft un trépignement untverfel ; vous entendes^ 
tout le parterre en mouvetnetit fuivre à grand- 
pieihe & à grand bruit un' certain homme d^ 

• l'Or- 


T4» LA NOUVELLE 

rOrchcftrc (^ ). Charmes de fcntîr un moment 
cette cadence qu'ils fendent fî pefu, il$ fe tour- 
mentent l'oreille, la voix, les bras, les pieds & 
tout le corps pour courir après la mefure (^) 
toujours prête à leur échapper, au lieu que Talle- 
mand'& FitaHen qui en font intimement aiFeâés 
la fentent tclz fuivent fans aucun eSbrt, & n'ont 
janrais befbin de la battre. £>u moins Régianino 
mVt-il (btnrent dit que dans les Opéra d'Italie' 
où elle eft fi fenfible & fi vive on n*entend on ne 
TOtt jamais dans POrcheftre ni parmi les fpeâa- 
tears le moindre mouvement qui la marque. 
Mais tout annonce cnr ce pays la dureté de Tor- 
gane Mufical; les voix y font rudes & fans 
douceur, les inflexion.^ âpres & fortes, les fons 
forces &- tnûnans ; nulle cadence, nul accent 
mâodteux dans les airs du peuple : les Inftrumens 
miHtaires, les^fifres de l'infanterie, les trompet- 
tes de la cavalerie, tous les Cors, tous les bau- 
bois, les-chantetn^ des mes, le$ violons de guin- 
guettes, tout cela eft d'un faux à thoquer f oreille* 
la moins délicate. Tous les talens ne font pas 
ddnnés aux* mêmes hommes, & en général le 
François paroit être de tous les peuples de- 
l'Europe celui qui a lé moins d'aptitude à la 
mufique; Milord Edouatd prétend que les Anglt>is 
en ont auffi peu ; mais la différence efl qu^ ceux- 
ci le lavent & ne s'en fbucient guere^ au lieu 
que les François renonceroient à mille juftes 
droits, & paflèro^eht condàmnatbn fur toute au- 
tre cbofe, plutôt que de convenir qu'ils ne font 

(a) Le buchevom 

(i) J« trouva qu'on a*t pfs mal GOfupaté kt ^n légfin de la 
tnufique Fr^nçoifc à laconrie d'une v»cho gui galope^ ou d'ojie 
Qyt gfaflê qui veut Voler; 

3 pas 


H Ê L a 1^ s e/ 143 

pas lés premiers muficîens du monde. II y en 
a même qui regarderorent volontiers la Mufique 
à Paris comme, une affaire d*Etat, peut-être 
parce que c'en fut une à. Sparte de couper deux 
cordes à la lyre de Timôth^e: à cela vous fen- 
tcz, qu'on n'a^ rien. à diYc. Qjioiqu'îl en foit,' 
1 opéra de Pârfs.pburroit être linfort belle infti- 
tiuioQ, politique, qu'il n'en plairoh pas d'avantage 
aux gens de goût. Revenons à maxiefcrfption. 

Les Ballets, dont il me reftè à vous parler, 
font Ta partie la plus brîHante de cet Opéra; '&/ 
qonfidérés féparément, ib font 'un fpeââcle 
SL^éable magnifique & vraiment tfaéatfal ; mafs^ 
ifs fervent comme partie Conftîjtutive de la pièce, 
&.c'eft en cette qualité 'qô*iMes faut confidérer. 
Vous connoillfez les Opéra de Q^inaulc; vous 
favez comment les divertifliments y font em- 
ployés j c*eft à pcti prèé de même,, ou encore* 
pis, chez fes fucceileurs. Dans. chaque aâe: 
l'aâion eft ordinairement coupée^ au moment^ 
H pins mterefl&nt par une fête qu'on, donne aux 
AÔQurs raffis, & que le parterre voit debout. II 
arrive de là que les perfon nages de la pièce font 
abfolument oubliés, ou bien que les fpeâateurs * 
regardent les Atftéots qui regardent autre chofe. 
La njaniere.dVnjener ces fîtes eft fîrople. Si 
' le Prince eft joyeux, on "prend 'partàfa joye, 
& lk)h darifeî s'il eft trîfte, on veut l'égayer,' 
& rôn darife. J*î*gnore fi c'éft la mode à la 
Cour de donner le. bal aux Rois quand ils font 
de mauvaife humeur : Ce que je fais par rapport 
à ceux-ci, c'eft qu'on ne peut trop admirer leur 
confiance ftoïque à voir des Gavotes ou écou- 
ter des chanfons, tandis qu'on décide quelque- 
fois derrière le théafre dt leur couronne ou de 

leur 


144 LA NOUVELLE 

leur fort. Mais il y a. bien 4'autrcs fujets de 
danfes; les plus graves aâions de la vie fe font 
en danfant. Les Prêtres danfent, les foldats 
danfent, les Dieux danfent, les Diables danfent, 
on danfe jufques dans lés enterremens, & tout 
danfe à piopos de tout. 

* La danfe eft donc Te quatrième des beaux arts 
employés dans la conQitution de la fcene ly« 
xîque : m^is les trois autres concourent à Tîmi- 
tation s & celui-là, qu'imlte-t-il ? Rien. Il eft 
<)onc hors d'œuvre quand il n'eft employé que 
comme danfe j car que font des menuets, des 
rigaudons, des. chaconnes, dans une tragédie? 
Je dis plu^, if n'y feroit pas. moins déplacé s'il 
îfnitoit quelque chofe^ parce que dé toutes les 
unités, il n'y en a point de plus indifpenfable 
que celle du langage \ Se un Opéra où Taétion 
fe pafferoit moitié en chant, pioitié en danfê, 
(êroit plus ridicule encore que celui où Ton par- 
Içroit moitié François, moitié Italien. 

" Non contens d'introduire la danfe comme 
partie eiTentielIe de la fcene lyrique, ils fe font 
même efForcés d'en faire quelquefois le fujet 
principal, & ils ont des Opéras appelles Ballets 
qui rempliffent û mal leur, titre, que la danfe 
n^y eft pas moins déplacée que dans tous les 
autres. La plupart de ces Ballets forment au- 
tant de fujets feparés que d*aâes, & ces fujets 
font liés entre eu3o par de certaines relations mé- 
tàphyfiques Jont le fpeâateur ne fe douteroit 
j4mais (i Fauteur h'avoit foin de l'en avertir 
d^ns une prologue. Les faifons, les âges, les 
fens,' lés élemèns; je demande quel rapport ont 
tous ces titrés. à la danfe, & ce qu'ils peuvent 
o/Ffir en ce genre à l'imagination? Quelques 
I ' " ' uns 


HE L Ô ï ' S ' E. 145 

uns même font purement allégoriques, comme 
le Carnaval & la folie, & ce font les plus infup- 
portables de tous j parce qu'avec beaucoup d'ef- 
prit & de finefle, ils n'ont ni fentimens, ni ta* 
bleaux, ni fitaations, ni chaleur, ni intérêt, ni 
rien de tout ce qui peut donner prife à la mu- 
fique, flatter le cœur, & nourrir rillufion. Dans 
ces prétendus Ballets l'aétion fe paflè toujours en 
chant, la danfe interrompt toujours l'aâion ou 
ne s'y trouve que par occafion & n'imite' rien. 
Tout ce qu'il arrive, c'eft que ces Ballets ayant 
encore moins d'intérêt que les Tragédies, cette 
interruption y eft moins remarquée: s'ils étoient 
moins froids, on en feroit plus choqué ; mais un 
défaut couvre l'autre, & l'art des Auteurs peur 
empêcher que la danfe ne laflTe, c'eft de faire 
cnforte que la pièce ennuyé. 

Ceci me mène infenfiblement à des recherches 
fur la véritable conftitution du dramme lyrique, 
trop étendues pour entrer dans cette lettre & qui 
me jetteroient loin de mon fujetj j'en ai fait une 
petite diflertation à part que vous trouverez ci- 
jointe, & dont vous pourrez caufer avec Regia- 
nino, 11 me refte à vous dire fur l'opéra fran- 
çois que le plus grand défaut que j'y crois re- 
marquer eft un faux goût de magnificence, par 
lequel on a voulu mettre en répréfentation le 
merveilleux, qui n'étant fait que pour être ima- 
giné eft au ffi bien placé dans un poème épique 
que ridiculement fur un théâtre. J'aurois eu 
peine à croire, fi je ne Tavois vu, qu'il, fe trou- 
vât des artiftes affés imbécilles pour vouloir imi- 
ter le char du Soleil, & des fpeâateurs afies en« 
fans pour aller voir cette, imitation. La Bruyère 
ne cpncevoit pas comment un fpeâacle aufli fu- 

tome IL G pcrbc 


146 LA NOUVELLE 

perbe que l'Opâ'a pouvok r^onuyer à fi grand» 
fraix. Je le conçois bien moi qui ne fuis pas 
un La Bruyère, & je foutiens que pour tout 
homme qui n'eft pas dépourvu du goût des beaux 
lurts, la mufique francoife, la danfe & le mer- 
veilleux mêlés enfemble feront toujours de l'O- 
péra de Paris le plus ennuyeux ipeâacle qui 
puifle exifter. Après tout, peut-être n'en faut- 
il pas aux François de plus parfaits, au moins 
quant à l'exécution ; non qu'ils ne foient très 
en état de cpnnoitre la bonne, mais parce qu'en 
ceci le-mal les amufe plus que le bien. Ils ai- 
ment mieux railler q«'applàudir ; le plaifir de la 
critique les dédommage de l'ennui du fpeâacle, 
& il leur eft plus agréable de s'en moquer quand 
ils n'y font plus, que de s'y plaire tandis qu'ils 
y font» 


LETTRE XXIV. 

De Julie. 

OU I, oui, je le voie bien ; Theureufe Julie 
t'eft toujours chère. Ce noême feu qui 
brilloit jadis dans tes yeux, k fait fentir dans ta 
dernière lettre ; j'y retrouve toute l'ardeur qui 
m'anime, & la mienne s'en irrite encore. Oui, 
mon ami, le fort a beau nous féparer, preflbns 
nos cœurs l'un contre l'autre, confervons par la 
communication leur chaleur naturelle contre le 
froid de l'abiènce & du defefpoir, & que tout ce 
qui devroit relâcher notre attachement ne ferve 
qu'à le reflèrrer fans ceÛè. 

Mais 


H E L O I s E. 147 

Mais admire ma fimplicité ; depuis 4]ue j'ai 
reçu cette lettre, j'éprouve quelque chofe des 
charmans effets dont elle parle, & ce badinage 
du Talifman, quoiqu'inventé par moi-même^ 
ne lailTe pas de me feduire & de me paroitre une 
vérité. Cent fois» le Jour quand Je fuis Teule un 
treflaillement me iàtut comme u je te fentois 
près de moi. Je m'imagine que tu tiens mon 
portrait, & je fuis fi folle que je crois fentir 
l'impreffion des carefTes que tu lui fais & des 
baifers que tu lui donnes: ma bouche croit les 
recevoir, mon tendre cœur croit les goûter, O 
douces illufions ! ô chimères, dernières refTources 
des malheureux! Âh, s'il fe peut, tenez-nous 
lieu de réalité ! Vous êtes quelque chofe encore 
à ceux pour qui le bonheur n'efl plus rien. 

Quant à la manière dont je m'y luis prife pour 
avoir ce portrait, c'efl bien un foin de l'amour ; 
mais crois que s^il étoit vrai qu'il fit des miracles, 
ce n'efl pas. celui-là qu'il auroit choifi. Voici 
le mot de l'énigme. Nous eûmes il y a quelque 
tems ici un peintre en miniature venant d'Italie; 
il avoit des lettres de Milord Edouard, qui peut- 
être en les lui donnant avoit en vue ce qui eft 
arrivé. M. d'Orbe voulut profiter de cette oc- 
caiion pour avoir le portrait de ma Coufine ; je 
voulus l'avoir auili. Elle & ma Mère voulurent 
avoir le mien, & à ma prière le peintre en fit 
fecretement une féconde copie. Enfuite fant 
m*embarraflèr de copie -ni d'original, je choifis 
fubtilement le plus refTemblant des trois pour te 
l'envoyer. C'efl une friponnerie dont je ne me 
fuis pas fait un grand fcriipule ; car un peu de 
refTemblance de plus ou de tnoins n'importe guère 
à ma Mère & à ma Coufine ;. mais les homma« 

G 2 gct 


148 LA NOUVELLE 

ges que tu rendrois à une autre figure que la 
mienne ferolent une efpece d'infidélité d'autant 
plus dangcreufe que mon portrait feroit mieux 
que moi, & je ne veux point, comme que ce 
ibît que tu prennes du goût pour des charmes 
que je n'ai pas. Au refte, il n'a pas dépendu 
de moi d'ctre un peu plus foigneufement vêtue; 
mais on ne m^a pas écoutée, & mon père lui- 
même a voulu que le portrait demeurât tel qu'il 
eft. Je te prie, au moins, de croire qu'excepté 
la coëffurc, cet ajuftement n'a point été pris fur 
le mien, que le peintre a tout fait de fa grâce, 
& qu'il a orné ma perfonne des ouvrages de fon 
imagination; 


mm 
•M. 


L E T T RE XXV. 
J Julie. 

IL faut, chère Julie, que je te parle encore; 
de ton portrait; non plus dans ce premier 
enchantement auquel tu fus (1 (enfible ; mais au 
contraire avec le regret d'un homme abufé par 
un faux efpoir, & que rien ne peut dédommager 
de ce qu'il a perdu.* Ton portrait a de la grâce 
& de la beautéj même de la tienne ; il eft afies 
reifemblant & peint par un habile homme, mats 
pour en être content, il faudroit ne te pas con- 
noître. 

La première chofe que je lui reproche eft de 
te reffembler &* de n'être pas toi, d'avoir ta fi- 
gure & d*êtfe infenfible. Vainem'ent le peintre 
a cru rendre cxaâcmcnt tes yeux & tes traits ; 

a 


H E L O I S E. 149 

j] n'a point rendu ce doux fentim.ent qui les vi- 
vifie, & fans lequel, tout charmans qu'ils font, 
ils ne feroient rien. C'eft dans ton cœur, ma 
Julie, qu'eft le fard de ton vifage & celui-là 
ne s'imite point. Ceci tient, je l'avoue, à 
rinfuffifance de l'art ; mais c'eft au moins la 

.faute de Tartifte de n'avoir pas. été exaâ en tout 
ce qui dépendoit de lui. Par exemple, il a placé 
la racine des cheveux trop loin des tempes, ce 

,qui donne au front un contour moins agréable 
& moins de finefTe au regard. Il a oublié Içsl 
rameaux de pourpre que font en cet endroit 
deux ou trois petites veines fous la peau, à peu 
près comme dans ces fleurs d'iris que nous con- 
ildérions uiT jour au jardin de Clarens. Le co- 

. loris dés joues eft trop près des yeux, & ne fe 

. fond pas délicieufement en couleur de rofe vers 
le bas du vifage co;nme fur le modèle. On di- 
roit que c'cli du rouge artificiel plaqué comme le 
carmin des femmes de ce pays. Ce défaut n'eft 
pas peu de chofe, car il te rend l'œil moins 
doux & l'air plus hardi. 

. ' Mais, dis-moi, qu'a-t-il fait de ces nichées 
d'amours qui fe cachent aux deux coins de ta 

[ bouche, & que dans mes jours fortunés j'ofois 
réchauffer quelquefois de la mienne ? Il n'a point 
donné leur grâce à fes coins, il n'a pas mis à 
cette bouche ce tour agréable & férieux qui 
change tout à coup à ton moindre fou rire, &: 
porte au cœur je ne fais quel enchantement 

^ inconnu, je ne fais quel foudain raviflcment que 
rieh ne peut exprimer. Il eft vrai que ton por- 

_ trait ne peut paflfer du férieux au fourire. Ah ! 
c'eft précifément de quoi je me plains : pour 
pouvoir exprimer tous tes charnues, il faudroit te 
peindre dans tous les inftans de ta vie. 

G 3 Paflcns 


150 LA NOUVELLE 

PaiTons au Peintre d'avoir omis quelques 
beautés ; mais en quoi il* n'a pas fait moins de 
tort à ton vifage, c'cft d'avoir omis les défaut^. 
U n'a point fait cette tache prefque imperceptible 
que tu as fous l'œil droit, ni celle qui eft au cou 
du côté gauche. Il n'a point mis . . . . ô Dieux^ 
cet homme étoit-il de bronze ? .... Il a oublié 
la petite cicatrice qui t'cft rcftée fous la lèvre. 
Il t'a fait les cheveux & les fourcils de la même 
couleur, ce qui n'eft pas : Les fourcis font plus 
châtains, & les cheveux plus cendrés. 

Bionda tefla^ occhi azurriy e brum dgHoj, 

n a fait le bas du vifage exaéîement ovale. Il 
n'a pas remarqué cette légère finuofité qui fiî- 
parant le menton des joues, rend leur contour 
moins régulier & plus gracieux. Voila les 
défaafs les plus fenfibles, il en a omis beaucoup 
d'autres, & je lui en fais fort mauvais gré; car 
ce n'eft pas feulement de tes beautés que je fuis 
amoureux, mais de toi toute entière telle que 
tu es. Si tu ne veux pas que le pinceau te 
prête rien, moi je ne veux pas qu*it tfôte -rien, 
ic mon cœur fe foucie auâi peu des attraits 
que tu n'as pas, qu'il eft jaloux de ce qui tient 
leur place. 

Quant à l'ajuttement, je le palTerai d'autant 
moins que, parée ou négligée, je t'ai toujours 
vue mife avec beaucoup plus de "goût que tu 
ne Tes dans ton portrait. La cbëmire eft trop 
chargée ; on me dira qu'il n'y a que cfes fleurs : 
Hébien ces fleurs font de trop. Te fouviens- 
tu de ce bal où tu portois ton habit à la Va- 
laifane, ic où ta Coufine dit que je danfois en 

philofophc ? 


^'' 


i^ 


rt E L O I s E. 151 

philûfophe? Tu n'avois pour toute coëffure 
qu'une longue trefTe de tes cheveux roulée au** 
tour de ta tête & rattachée avec une aiguille 
d'or, à la manière des Villageoifes de Berne. 
Non, le Soleil orné de tous fes rayons n'a pa^ 
l'éclat dont tu frappois les yeux & les coeurs^ 
& fûrement quiconque te vit ce jour- là ne 
t'oubliera de fa vie. C'eft ainfi, ma Julie que 
tu dois être coëflte; c'eft l'or de tes cheveux 
ui doit parer ton vifage, & non cette rofe qui 
:s cache & que ton teint flétrit. Dis à Ur 
Coufine, car je reconnois Tes foins & fon choix, 
que ces fleurs dont elle, a couvert & profané ta 
chevelure, ne font pas de meilleur goût que 
celles qu'elle recueille dans VAdone^ & qu'oa 
peut leur paflTer de fuppléer à la beauté, mais 
non de la cacher. 

A Pégard du bufte, il eft fingulîer qu'un a-^ 
mant foit là-defitis plus févere qu'un père, mai» 
en effet je ne t'y trouve pas vêtue avec afl*é8 de 
foin. Le portrait de Julie doit être modcfle 
comme elle. Amour ! ces fecrets n'appartien- 
nent qu'à toi. Tu dis que le peintre a tout 
tiré de fon imagination. Je le crois, je le crois f 
Ah, s'il eut apperçu le moindre de ces charmes 
voilés, fes yeux l'euflènt dévoré, niais fa main 
n'eut point tenté de les peindre ; pourquoi feut- 
rl que fon art téméraire ait tenté de les imagi* 
ner ? Ce n'eft pas feulement un défaut de bien-' 
féance, je foutiens que c'eft encore un défaut 
de goût. Oui, ton vifage eft trop chafte pour 
fiipporter le defordre de ton fein j on voit que 
F un de ces deux objets doit empêcher Pautre 
de paroitre ; il n'y a que le délire de l'amour 
qui puiflè les accorder, & quand fa main ar-^ 

G 4r dente: 


152 LA NOUVELLE 

dente ofe dévoiler celui que Ja pudeur couvre» 
Tivreflè & le trouble de . tes yeux dit alors que 
tu Toublies & non que tu l'expofes. 

Voila la critique qu'une attention continu- 
elle m'a fait faire de ton portrait. J^aî conçu 
là defllis le deilein de le réformer félon mes 
idées. Je les ai communiquées à un Peintre 
habile, & fur ce qu'il a déjà fait, j'efpere te 
voir bientôt plus femblable à toi-même. - De 
peur de gâter le portrait nous eiTayons les chan- 
gcmens fur une copie que je lui en ai fait faire^ 
& il ne les tranfporte fur l'original que quand 
nous fommes bien fûrs de leur effet. Quoi- 
que je déffine afTés médiocrement, cet artifte 
ne peut fe lailèr d'admirer la fubtilité de mes 
obfervations, il ne comprend pas combien» celui 
qui me*' les diâe eft un maître plus favant que 
luL Je lui parois auffi quelquefois fort bizarre : 
il dit que je fuis le premier amant qui s'aviie de 
cacher des objets qu'on n'expofe jamais ailes au 
gré des autres, & quand je lui réponds que ç'eft 
pour mieux te voir toute entière que je t'habille 
avec tant de foin, il me regarde comme un 
fou. Ah ! que ton portrait feroit bien plus 
touchant, il je pouvois inventer des moyens 
d'y montrer ton ame avec ton vifage, & d'y 
peindre à la fois ta modeftie & tes attraits ! Je 
te jure, ma Julie, qu'ils gagneront beaucoup à 
cette reforme. On n'y voyoit que ceux qu'a- 
yoit fuppofé le peintre, & le fpeâateur ému les 
fuppofera tels qu'ils font. Je ne fais quel 
enchantegiient fecret règne dans ta perfonne ; 
mais tout ce qui la touche ièmble y participer ; 
il ne faut qu'appercevoir un coin de ta robe 
pour adorer celle qui la porte. On fent, en re* 

gardant 


H E L O ï -S E. 153 

gardant ton ajuftement, ç[4ie c'eft.par tout le 
voile des grâces qui couvre la beauté : & le goût 
de ta modefte parure femble annoncer au cœur 
tous les charmes qu'elle recelé. 


LETTRE XXVI. 

A Julie. 

JUlie ! ô Julie ! ô toi qu*un tems j'ofois ap- 
peller mienne^ & dont je profane aujourd'hui 
le nom ! la plume échappe à ma main trem- 
blante ^ mes larmes .inondent le papier; j'ai 
peine à former les premiers traits d'une lettre 
qu'il ne faloit jamais écrire; je ne puis ni me 
taire ni parler ! Viens, honorable & chère image, 
viens épurer & raffermir un cœur avili par la 
honte & brîfé par le repentir. Soutien mon 
courage qui s'éteint ; donne à mes remords la 
force d'avouer le crime involontaii'e que ton ab- 
fence m'a'laiffé commettre* 

Que tu vas avoir de mépris pour un coupa- 
ble, mais bien moins que je n'en ai moi-même i 
Quelque abjet que j'aille être à tes yeiix, je le 
iliis cent fois plus aux miens-propres ; car en me 
voyant tel que je fuis, ce qui m'humilie le plus 
encore, c'e de te voir, de te fentir au fond de 
mon cœur, dans un lieu déformais fi peu digne 
de toi, & de fonger que le fouveuir dçs plus vrais 
plaifir de l'amour n'a pu garantir mes fens d'un 
piège fans appâts, & d'un crime fans charmes. 

Tel eft l'excès de ma confufion qu'en recou- 
rant à ta clémence, je crains même de fouiller 

G S «e« 


Î54 LA NOUVELLE 

tts regaids far ces Iigoé9 par Tareu de mon fbr« 
fait. Pardonne, ame pure & chatte un récit 
quej*épargnerois à ta modeftie s'il n'étoit un 
moyen d'expier mes egaremens; je fuis indigne 
de ces bontés, je le làisi fç fuis vil,, bas» m4- 
prifable ; mais au moins je ne ferai ni faux ni 
trompeur^ & j'aime mieux que tu m'ôtes ton 
cœur & la vie que de t'abufer un feut moment» 
De peur d'être tenté de chercher des excufes qui 
ne me randroient que plus criminel, je me bor- 
nerai à te faire un. détail exaâ c|c ce qiii m'eft 
arrivé. Il fera auffi fmcere que mon regret ; 
€fç& tout ce que je me permettrai de dire en ma 
feveur. 

J'avois fait cohnoiflânc^ avec quelques Offi- 
ciers aux gardes, & autres jeunes^ gens de no» 
compatriotes, auxquels je^ trouvois un mérite 
naturel, que j'avois regret de voir gâter par H- 
mitation de je ne fais que}$ faux airs qui ne font 
pas faits pour eux. Ils fe moquoient à leur 
tour de me voir conferver dans Paris la fimpli- 
cité des antiques mœurs helvétiques* Us pri- 
rent mes maximes & mes manières pour des le- 
çons indireâes dont ils furent choqués, & réfo* 
lurent de me faire changer de ton à quelque 
prix que ce fut. Après plufieurs tentatives qui 
ne réuffirent point, ils en firent une mieux con*- 
certée qui n'eut que trop de fuccès» Hier ma- 
tin, ils vinrent me propbfer d'aller louper chez 
la femme d'un Coloneî qu'ils me nommèrent» 
& qui fur le bruit de ma fageflè., avoit, difoient- 
ils, envie de faire coftnoiflance avec moi. Af- 
fés fot pour donner dans ce perfifflage, je leur 
répréfentai qu'il feroit mieux d'aller première- 
ment lui Éaire vifite, mais ik fe moquèrent de 
3 mo» 


H BT L O ï S E. xffs^ 

mon fcrupule, me di&nt que la franchtfe Suiflè 
ne comportoit pas tant de façon & que ces 
manières cérémonteufes ne ferviroient qu'à lui 
donner mauvaife opinion de moi. A neuf heures* 
nous nous rendîmes donc chez la Dame.. 
Elle vint nous recevoir fur l'efcalier ; ce qu<; je: 
n'avois enoore obièrvé nulle part* £n entrant 
je vis à des bra^de cheminée de vieilles bougiea^ 
qu^on v^noit d'allumer, & par tout un certaia 
air d^apprât qui ne me plut point» La maitreffir 
de la maifon me parut jolie» quoiqu'un peu 
paflTéei d'autres femmes à peu près du même âge- 
ic d'une femUaUe figure etoient avec elle ; leur 
panive afiës brillanfe, avoit plus d'éclat que de 
goûtf mftts j'ai déjà remarqué que c'eft un point 
uur lequel on ne peut gueres juger en ce pays 
de Fétat d'une femme. 

Les j)remiers complimens ie pafiêrent ^ peu 
prè» comme par tout; Tufage du monde zp*^ 
prend à les abréger, ou ^ les tourner vers l'en*» 
jouement avant qu'ils ennuyent. Il n'en fut 
pas tout à fait de même fitôt que la converfa*- 
tion devint générale & férieufe. Je crus trou-» 
ver àrces Dames uii air contraint .& gêné^ corn* 
me & ce ton ne leur eut pas été familier, &c 
pour la première fois depuis que j'étois à Paris^, 
je vis des femmes embarraflees à foutenir ua 
entretien^ raifonnable. Pour trouver une ma-^ 
liere aifée, elles fe jetterent fur leurs affaires de 
&miUe, & comme je n'en connoifTois pas une^ 
chacune dit de la âen^e ce qu'elle voulut. Ja»^ 
mais je n'avois tant oui parler de M. le Colo<^ 
nel ; ce qui m'étônnoit dans un pays où l'ulage. 
efi d'appeller les gens par leur nom plus que 
par leurs titres^ & où ceux qui ont celui-là err 
foitent ordinairement d'autres, 

G 6 Cette 


igô LA NOUVELLE 

Cette faufle dignité fit bientôt place à des 
manières plus AatuceUes. Onvfe mit à caufer 
tout bas, ic reprenant fans y penfer un ton de 
familiarité peu décente, on chuchetoit on (bu- 
rioit en me regardant, tandis que la Dame de la 
maifon me «queftionnoit fur Tétat de mon cœur 
d'un certain ton réfolu qui n'étoit guère propre 
à le gagner. On fervit,' & la liberté de la table 
4]ui fcmble confondre tous les états, mais<)ui 
•met chacun à (a place fans qu'il y fonge, acheva 
de m'apprendre en. quel lieu j'étois. II. étoit 
trop tard pour m'en dédire. Tirant, donc ma 
fureté de ma répugnance, je confacrai cçtte foi- 
rée à ma fonâion d^obfQrvateur, & réfolus.d'em- 
ployer à connoitre cet ordre, de feiûmes, la 
ieule occafiop que j'en aurois de. ma vie. Je 
tirai peu de fruit de mes remarques ; elles a- 
voieht A peu d'idée de leur état préfent, fi peu 
de prévoyance pour l'avenir, & hors du jargon 
de leur métier, elles.étoient ft ftupides à tous é* 
gards, que le mépris effaça bientôt la pitié que 
j'avois d'abord d'elles. En parlant du plaifir 
même, je vis qu'elles étoient incapables > d'ea 
xeiTentir. Elles me parurent d'une violente ayi- 
dite pour tout cç qui pouvoit tenter leur avsMciçe: 
A cela près, je n'entendis (ortir de leur bouche 
aucun mot qui partit du cœur. J'admirai com- 
ment d'honnêtes gens pouvoient fupporter une 
fociété fi dégoûtante. C'eut été leur impofer 
pne peine cruelle à mon avis, que de les con- 
damner au genre de vie qu'ils choififfoient eux* 
mêmes* 

Cependant le foupé fe prolongêoit & deve- 
noit bruyant. Au défaut de l'amour, le vin 
echaufFoit les convives. Les difcours n'étoient 

jiaa 


H E L O ï S. E. 157 

ç^as tendres, mais deshonnêtes, Se les femmes 
tachoient d'exciter par le defordre de leur ajufte- 
ment les defirs qui Tauroient dû caufer. D'a- 
bord tout cela ne fit (ur moi qu'un , effet con* 
traire, & tous leurs efforts pour me féduire ne 
f^^rvoient qu'à me rebuter* Douce pudeur ! di« 
ibis-je en moi-même, fuprêmc volupté de Ta- 
mour; que de charmes perd Une. femme, au 
moment qu'elle renonce à toi! combien, fi 
.elles connoiiToient ton empire elles mettroient 
de foins à te conferver, fmon par honnêteté, 
4u moins par coquetterie ! Mais on ne joue 
point la pudeur. U n'y a pas d'artifice plus ri- 
dicule que celui qui la veut imiter. Quelle dif- 
férence, penfois-je «ncore, de la grofliere im- 
pudence de ces créatures & de leurs équivoques 
licentieufes à ces regards timides & paifi^onnés^ 
à ces propos pleins de modeftie, de grâce, & 
-de fentiment, dont .... je n'ofois achever; 
je rougifibis de ces indignes comparaifons .... 
je me rqprochois comme autant de crimes les 
charmans fouvenirs qui me pourfuivoient malgré 
moi .... £n quels lieux ofois-je penfer à 
celle .... Hélas \ ne pouvant écarter de mon 
cceur une trop chère image, je m'efForçois de 
la voiler. , . 

Le bruit, les propos que j'entendoi^, les ob- 
jets qui frappoîent mes yeux m'échauiFerent in- 
fenfiblement ; mes deux voifines ne ceflbient de 
me faire des agaceries qui furent enfin pbufTéeft 
trop loin pour me laiflèr de fang froid. . Je fen- 
dis que. ma tête s'embarrafToit ; j'avois toujours 
bu mon vin fort trempé, j'y mis plus d'eau en- 
core, &• enfin je m'avilai de la boire pure. 
Alors feulement je m'apperçus que cette eau 

pré- 
2 


155 LA NOUVELLE 

prétendue éu>k du vin blanc, que j'ayois été 
trdmpé tout le long du repas, je ne fis point 
vdes plaintes qui ne m'auroicnt attiré que des 
railleries; je cefTai de boire. Il n'étoit plus 
teois i le mal étoit fait. L'ivreffe ne tarda pa» 
à m'ôter le peu de connoii&nce qui me reftoit.. 
Je fu$ furpri», en revenant à moi, de me trou-- 
ver dans un oAinet reculé, entre les brais d'une 
de ces créature», & j'eus au même înftant le de- 
fefpoir de me fentir auffi coupable que je pou- 
vois l'être. . . • 

J'ai fini ce récit aiFreux; qu^il ne fouiHe 
plui tes regards ni* ma mémoire. O toi dont 
j'attens mon jugement, j'implore ta rigoeor,. 
je la mérite. Quelque roit mon châtinfienff,. 
il me fera moins cruel ({ue le ibuvenir de mon 
crime» 


mimmm 


' " '^ff 


I. E T T R E XXVIL 

Riponfè. • 

RAflurev^voua fur la? crittiite de m'avoilr 
. irritée» Votr^ lettre m'a donné plus dîs- 
d^leur que de coîrte. Ce n^eft pas moî^. 
c^eft vous que vous avez offeh(? par un defor- 
dre auquel le cœur n'eut point de part. J^ 
n'en fuis que plus afflJgée. J'aîmcrois mieux 
vous vpir m'outrager que vous avilir, & le mal 
que vouf vous faites eft le fcul que je ne puis- 
1*ous pardonner. 

A ne regarder que la feute dont vous rou* 
gi&3B> vous vous trouver bien plue coupable 

que 


H E L O I S E. 159^ 

que vous ne Têtes 5 & je ne vois guère en cette 
occafion que de l'imprudence à vous reprocher. 
Mais ceci vient de plus loin & tient à une plus 
profonde racine que vous n'appercevez pas, il 
qu'il faut que Tamitié vous découvre* 

Votre première erreur eft d'avoir pris une 
mauvaife route en entrant dans le monde ; plu» 
vousavapcezy plus vous vous égarea, Sr je vois* 
en frémiflant que vous êtes perdu 11 vous ne 
revenez fur vos pas. Vous vous laiflèz con- 
duire inienfiblcment dans le piège que j^avois* 
craint» Les groffieres amordes du vice ne pou* 
voient d'abord vous féduire, mai» la mauvaife 
compagnie a commencé par abufer votre raifoni 
pour corrompre votre vertu, & fait déjà Gxt vos» 
mœurs le premier eâài de fes maximes» 

Quoique vous ne m'ayez rien dit en piarti«- 
culier des habitudes que vous vous êtes faites h 
Paris ; il eft aifé de juger de vos fociétés par 
vos lettres, & de ceux, qui vous montrent les^ 
objets par votre manière de les voir. ^ Je ne vou» 
ai point caché combien j'étois peu contente de 
vos relations ^ vous avez continué fur le même 
ton, & mon déplaifîr n'a fait qu'augmenter.- 
En vérité, l'on prendront ces lettres pour lc9 
farcafmes d'un petit-maitre {a)y plutôt que pour 
les relations d'un philofophe, & l'on a peine àî 
les croire de la même main que celles que vous* 
m'écriviez autrefois. Quoi ! vous penfez étu- 
dier les hommes dans les petites manières de 


(a) Douce Julie, à combien de titres vous aile» tous faîre- 
£mer ! £h quoi 1 vous n*avez pas mène le ton du jour*. 
Vous ne faves pas quMl y a des petiut'inaitrtjlti^ mais qu'il 
B*y a plus de ^ttin'^aittt»* Bon Dieu, que favez-Tout^ 
4oac^ 

quelque»^ 


ï6o LA NOUVELLE 

quelques cotçries de précieufes ou de gens def- 
œuvrés, & ce vernis extérieur & changeant 
qui dcvoit à peine frapper vos yeux, fait le 
fond de toutes vos remarques ! £toit-ce la peine 
de recueillir avec tant de foin des ufages & des 
))ienféances qui n'exifteroht plus dans dix ans 
d'ici, tandis que les refTorts éternels di\ cœur 
humain^ le jeu fecret & durable des payions écha- 
pent à vos recherches? Prenons votre lettre 
fur les femmes, qu*y trouverai-je qui piiiflfè 
m*apprendre à les connoitîre ? Quelque defcrip- 
tion de leur parure, dont tout le monde eft in- 
Iftruit ; quelques obférvations malignes fur leur 
manière de fe mettre & de fe préfentér, quelque 
idée du defordre d'un .petit nombre, imufte- 
ment généraliJeei comme A tous les fentimens 
honnêtes étoient éteints à Paris, & que toutes 
les femmes y allaflent en carroile & aux pre- 
mières loges. M 'avez- vous rien dit qui m'in- 
ftruife folidement de leurs goûts, de leurs ma- 
ximes, de leur vrai caraâere, & n'eft-il pas bien 
étrange qu'en parlant des femmes d'un pays, 
un homme fage ait oublié ce qui regarde les 
foins domeftiques & l'éducation des en^ns {h) ? 
La feule chofe qui femble être de vous dans 
toute cette lettre, c'eft le plaifir avec lequel 
vous louez leur bon naturel & qui fait honneur 
au votre. Encore n'avez-vbus fait en cela 
que rendre juftice au fexe en général ; & dans 
quel pays du monde ia douceur & la commi- 

(h) Et pourquoi ne l*auroit-il pas oublié ? eft-ce que cet 
foîas les regardent > Eh que devîendroient le monde Se TEtat» 
Auteurs iUuftres, brillans Académiciens, que devieBdriez.> 
Tous tous, fi les femmes alloient quitter le gouvernement 
de la litérature Se des affaires^ 'pour prendre celui de leur 
jnénage ? 

ieration 


H . E L O I s E. i6i 

fération ne font-elles pas l'aimable partage des 
femmes ? 

Quelle différence de tableau fi vous m'eu/fiez 
peint ce que vous aviez vu plutôt que ce qu'on 
vous avoit dit, ou du moins, que vous n'euffiez 
confulté que des gens fenfés ! Faut- il que vous, 
qui avez tant pris de foins à conferver votre 
jugement, ailliez le perdre comme de propos 
délibéré dans le commerce d'une jeunefle incon- 
fidérée, qui ne cherche dans la fociété des fages 
qu'à les féduire & non pas à les imiter. Vous 
regardez à de faufies convenances d'âge qui ne 
vous vont point, & vous oubliez celles de lu- 
mières & de raifon qui vous font efTentielles. 
Malgré tout votre emportement vous êtes le 
plus facile des hommes, & malgré la maturité 
de votre efprit, vous vous laiflez tellement con- 
duire par ceux avec qui vous vivez, que vou9 
ne fauriez fréquenter des gens de votre âge 
(ans en defcendre & redevenir enfant. Ainfi 
vous vous dégradez en pénfànt vous afTortir^ 
& c'eft vous mettre au deflbus de vous même, 
que ne pas choifir des amis plus fages que 
vous. 

Je ne vous reproche point d'avoir été con- 
duit fans le favoir dans une maifon deshonnête ; 
mais je vous reproche d'y avoir été conduit par 
de jeunes OfEciers que vous ne deviez pas con- 
DOitre, ou du moins auxquels vous ne deviez 
pas laiffer diriger vos amufemens. Quand au 
projet de les ramener à vos principes, j'y trouve 
plus de zèle que de prudence ; fi vous êtes trop 
férîeux pour être leur camarade, vous êtes trop 
jeune pour être leur Mentor, & vous ne devez 

vous 


i6t LA NOUVELLE 

VOUS mêler de réforiïier autrui que quand vous 
n'aurez plus rien à faire en vous même. 

Une feconde faute plus grave encore & beau^ 
coup moins pardonnable, eft d'avoir pu pailèr 
volontairement la foirée dans' un lieu ii peu digtie 
de vous, & de n'avoir pas fui dès le premier in- 
ilant où vous avez connu dans quelle maifoh 
vous étiez. Vous excufes là-deflus font pitoya- 
bles. // étott trop tard pour s'en dédire ! comme 
s'il y avoît quelque efpece de bienféance en de 
pareils lieux, eu que la bienféance put jamais 
l'emporter fur la vertu, & qu'il fut jamais trop 
tard pour s'empêcher de mal faire !- Quand à la 
fëcurité que vous tiriez de votre répugnance, 
je n'en dirai rien, Tévenement vous a montré 
combien elle'étoit fondée. Parlez plus fran- 
chement à celle qui fait lire dans votre cœur ; 
/ c^eft la honte qui vous retint. Vous crâfgnîtes 
qu'on ne fe moquât de vous en ibrtant: Ua 
moment de huée vo':s fit peur, & vous aimâtes 
mieux vous expofer au remords qu'à là raillerie* 
Savez- vous bien quelle maxime vous fuivites en 
cette occafion i Celle qui la première introduit 
le vice dans une ame bien née, étoufFe la voix 
de la confcience par la clameur publique, & re- 
prime Taudace de bien faire par la crainte du 
blâme. Tel vaincroit les tentations qui fuc- 
combe aux mauvais exemples ; tel rougit d*être 
•modeffe & devient effronté par honte, & cette 
mauvaife honte corrompt plus de coeurs hon- 
nêtes que les mauvaifes inclinations. Voila 
furtout dequoi vous avez à préferver le votre; 
car quoique vous failiez, la crainte du ridicule 
que vous méprifez vous domine pourtant malgré 

vous» 


H E L O î s E. 163 

vous. Vous braveriez plutôt cent périls qu^iuie 
raillerie, & l'on ne vit jamais tant de timidité 
jointe i une ame auffi intrépide. 

Sans vous étaler contre ce défaut des préceptes 
de morale que vous favez mieux que moi, je 
me contenterai de vous propofer un moyen 
pour vous en garantir, plus facile & plus fôr, 
peut-être, que tous les raifonnemens de la phi- 
lofophie. C'eft de faire dans votre efprit une 
légère tranfpofition de fems, & d'anticiper fur 
l'avenir de quelques minutes. Si dans ce mal- 
heureux foupé vous vous fuffiez fortifié contre 
un Inftant de moquerie de la part des convives, 
par ridée de l'état où votre ame alloit être fitôt 
que vous feriez dans la rue ; fi vous vous fuffiez 
répréfenté le contentement intérieur d'échapper 
aux pièges du vice ; l'avantage de prendre d'a- 
bord cette habitude de vaincre qui en facilite le 
pouvoir, le plaiiir que vous eut donné la con- 
science de votre viâoire, celui de me la dé- 
crire, celui que j'en aurois reçu moi-même; 
eft-il croyable que tout cela ne l'eut pas em- 
porté fur uhe répugnance d'un inftant, à la- 
quelle vous n'euffiez jamais cédé fl vous eiî 
aviez envifagé les fuites ? Encore, qu'eft-ce 
que cette répugnance, qui met un prix aux 
raiUeries de 8;ens dont l'eftime n'en put avoir 
aucun ? Infailliblement cette réflexion vous eut 
fauve pour un moment de mauvaife honte une 
honte beaucoup plus jufte, plus durable, les 
regrets, le danger, & pour ne vous rien diffi- 
muler, votre amie eut verfé quelques larmes 
de moins. 

Vous voulûtes, dites-vous, mettre à profit 
«ettc foiréc pour votre fonÔion d'obfervateur ? 

Quel 


1^4 LA NOUVELLE 

Quel fçin I Quel emploi ! t]ue vos excufes me 
font rougir de vçus ! Ne ferez- vous point auifi 
curieux d'obferver un jour les voleurs dans leurs 
Cavernes, & de voir comment ils s'y prennent 
pour dévalifer les pafîans ? Ignorez vous qu'il 
y a des objets fi odieux qu'il n'eft pas même per- 
mis à l'homme d'honneur de les voir, & que 
l'indignation de la vertu ne peut fupporter le 
fpe£lacle du. vice? Le fage obferve le defordrc 
public qu'il ne peut arrêter; il robferve, & 
montre fur fon vifage attriile la douleur qu'il lui 
caufe ; mais quant aux defordres particuliers, il 
s'y oppofe ou détourne lès yeux, de peur qu^ils* 
ne s'autorifent de fa préfence.* D'ailleurs, étoit- 
il befoin de voir de pareilles fociétcs pour juger 
de ce qui s'y paffe & des difcours qu'on y tient i 
Pour moi, fur leur feul objet plus que -fur le peu 
que vous m'en avez dit^ je devine aifément tout 
le refte» & l'idée des plaifirs qu'on y trouve^ 
me fait connoitre aiïes les gens qui les cher- 
chent. 

Je ne fais fi vqtre commode philofophie adopte 
déjà les maximes qu'on dit établies dans les 
grandes villes pour tolérer de femblables lieux j 
inais j'efpere au moins que vous n'êtes pas de 
ceux qui fe méprifent afles pour s'en permettre 
Tufage, fous prétexte de je ne fais quelle chimé- 
rique néceifité qui n'eft connue que des gens de 
jnauvaife vie ; comme fi les deux fexes étoient 
fur ce point de natures différentes, & que dans 
l'abfence ou le célibat, il falut à l'honnête homme 
des reflburces dont l'honnête femme n'a pas befoin. 
Si cette erreur ne vous mené pas chez des profti- 
^irees, j'ai bien peur qu'elle ne continue à vous ©ga- 
jcr vous-même. Ah ! fi vous voulez être méprifa- 

ble. 


H E' L' O î' S È. 165 

ble, foyez-lc au moins (ans prétexte, & n'ajoutez 
point le menfongc à la crapule. Tous ces prc-^ 
tendus befoins n'ont point leur fource dans la 
nature, mais dans la volontaire dépravation des 
fcns. Les illufions mêmes de l'amour fe puri- 
fient dans un cœur chafte, & ne corrompent 
qu'un cœur déjà corrompu. Au contraire la 
pureté fe foutient par elle-même; les defirs tou- 
jours réprimés s'accoutument à ne plus renaître^ 
&r les tentations ne fe multiplient que par l'ha- 
bitude d'y fuccomber. L'amitié m'a fait fur- 
monter deux fois ma répugnance à traiter «a 
pareil fujet, celle-ci fera la dernière; car à queï' 
titre efpérerois-je obtenir de vous ce que vous 
aurez refufé à l'honnêteté, à l'amour, & à la 
raifon ? 

Je reviens au point important par lequel j'ai 
commencé cette lettre. A vingt- un ans vous 
m'écriviez du Valais des defcriptions graves & 
judicieufes; à vingt-cinq vous m'envoyez de 
Paris des colifichets de lettres, où le fens & la 
raifon font par tout facrifiés à un certain tour 
plaifant, fort éloigné de votre caraâerc. Je ne 
fais comment vous avez fait ; mais depuis que 
vous vivez dans le féjour des talens, les vôtres 
paroiflènt diminués ; vous aviez gagné chez les 
payfans, & vous perdez parmi les bcaux-efprits. 
Ce n'eft pas la faute du pays où- vous vivez, 
mais des connoifTances que vous y avez faites; 
car il n'y a rien qui demande tant de choix que 
le mélange de l'excellent & du pire. Si vous 
voulez étudier le monde, fréquentez les gens 
fenfés qui le connoiflent par un longue expéri- 
ence & de paifibles obfervations, non de jeunes 
étourdis qui n'en voyent que la fuperficie, -& des 

ridicule» 


i66 LA NOUVELLE 

« 

ridicules qu'ils font euxoiiiêines* Paris eft pletn 
de Êivaos accoutumés à réfléchir, & à qui Ce 

«rand théâtre eu offre tous les jours le fujet. 
'ous ne me ferez point croire que ces hommes 
graves & ftudieux vont courant comme vous de 
maifon en maifoa, de coterie en coterie, pour 
amufer les femmes & les jeunes gens, & mettre 
toute la philoTonbie en babiU Ils ont trop de 
dignité pour avilir ainfi leur état, proftituer leurs 
talens ic foutenir par leur exemple des mœura 
qu'ils devroient corriger. Quand la plupart le 
feroient, fûrement plufieurs ne le font point, & 
c'eft ceux-là que vous devez rechercher. 

N'eft-il pas fingulier encore que vous donniez 
vous-même dans le défaut que vous reprochez 
aux modernes auteurs comiques, que Paris ne 
foit plein pour vous que de gens de condition ; 
que ceux de votre état foient les feuls dont vous 
ne parliez point; comme fi les vains préjugés de 
la noblefle ne vous coûtoient pas affés cher pour 
les haïr, & que vous cruf&ez vous dégrader en 
fréquentant d'honnêtes bourgeois, qui (ont peut- 
être l'ordre le plus refpeâable du rays où vous 
êtes ? Vous avez beau vous excufer fur les con» 
noilTances de Milbrd Edouard : avec celles-là 
vous en eufliez bientôt fait d'autres dans uii ordre 
inférieur. Tant de gens veulent monter, qti'il 
efl toujours alfé de descendre, & de votre propre 
aveu ç'eft le feul moyen de connoitre les vérita- 
bles mœurs d'un peuple que d'étudier fa vie pri- 
vée dans les états les plus nombreux; car s'arrê- 
ter aux gens qui répréfentent toujours, c'eft ne 
voir que des Comédiens. 

Je voudrois que votre curiofité allât plus loia 
encore. Pourquoi dans une Ville fi ridie le bas 

>peuple 


H E L O ï s E. 167 

peuple eft-il (I miférable, tandis que la mifere 
extrême eft fi rare parmi nou$ où l'on ne voit 
point de millionnaires ? Cette queftion, ce me 
' femble eift bien digne de vos recherches; mais 
ce n'eft pas chez les gens avec qui vous vivez 

Ïue vous devez vous attendre à la réfgudre. 
l'eft dans les appartemens dorés qu'un écolier 
va prendre les airs du monde ; mais le fage en 
apprend les mifteres dans la chaumkre du pau- 
vre. C'eft là qu'on voit fenfiblement les obfcu- 
res manœuvres du vice, qu'il couvre de paroles 
fardées au milieu d'un cercle: C'eft là qu'on 
s'inftruit par quelles iniquités fecretes le puifTant 
& le riche arrachent un refte de pain noir à 
l'opprimé qu'ils feignent de plaindre en public. 
Ah, fi j'en crois nos vieux militaires, que de 
chofes vous apprendriez dans les greniers d'un 
cinquième étage, qu'on enfevelit fous un pro- 
fond fecret dans les hôtels du fauxbourg St. Ger- 
main, & que tant de beaux parleurs feroient 
confus avec leur feintes maximes d'humanité, fi 
tous les malheureux qu'ils ont faits fe préfentoi- 
ent pour les démentir! 

Je fais qu'on n'aime pas le fpedkcle de la 
mifere qu'on ne peut foulager, & que le riche 
même détourne les yeux du pauvre qu'il refufe 
de fecourir j mais ce n'eft pas d'argent feulement 
qu'ont befoin les infortunés, & il n'y a que les 
pareifeux de bien faire qui ne fâchent faire du 
bien que la bourfe à la main. Les confolation», 
les confeils, les foins, les amis, la ,proteâion 
font autant de reflburces que la commifération 
vous laifTe au défaut des richefies, pour le fou- 
lagement de l'indigent. Souvent les opprimés 
ne le font que parce qu'ils manquent d'organe 

pour 


i68 LA NOUVELLE 

pour faire entendre leurs plaintes. 11 ne s'agît 
quelquefois que d'un mot qu'ils ne peuvent dire, 
d'une raifon qu'ils ne fa vent point expofer, de la 

C)rtc d'un Grand qu'ils ne peuvent franchir, 
'intrépide appui de la vertu deflntéreflee fuffic 
pour lever une infinité d'obftacles, & l'éloquence 
d'un homme de bien peut effrayer la Tirannie 
au milieu de toute fa puifTance* 

Si vous voulez donc être homme en effet, ap- 
prenez à redefcendre. , L'humanité coule comme 
une eau pure & falutaire, & va fertilifer les lieux 
bas ; elle cherche toujours le niveau, elle laifle 
à fec ces roches arides qui menacent la campagne 
& ne donnent qu'une ombre nuifible ou des éclats 
pour écrafer leurs voitins. 

Voila, mon ami, comment on tire parti du 
préfent en s'inftruifant pour l'avenir, & comment 
la bonté met d'avance à profit les leçons de la 
fage/Iè, afin que quand les lumières acquifes nous 
refteroient inutiles, on n'ait pas pour cela perdu 
le tems employé à les acquérir. Qui doit vivre 
parmi des gens en place ne fauroit prendre trop 
de préfervatifs contre leurs maximes empoifon- 
nées, & il n'y a que l'exercice continuel de la 
bienfaifance qui garantifiè les meilleurs cœurs 
de la contagion des ambitieux. Eflayez, croyez 
moi ; de ce nouveaux genre d'études; il eft plus 
digne de vous que ceux que vqus avez embjrafles, 
& comme l'efprit s'étrécit à mefure que l'ame fe 
corrompt, vous fentirez bientôt, au contraire, 
combien l'exercice des fublimes vertus élève & 
nourrit le génie; combien un tendre intérêt aux 
malheurs d'autrui fert à mieux en trouver la 
iburce, & à nous éloigner en tout fens des vices 
^\ii lc$ ont produits. 

Je 


H E L O I S E. 169 

]t vous deveis toute la franchife de l'amitié ' 
dans la fituation critique où vous me paroifles 
être ; de peur qu'un fécond pas vers le defor- 
dre ne vous y. plongeât enfin fans retour^ avant 
que vous eufiiez le tems de vous reconnoitre. 
Maintenant je ne puis vous cacher» mon ami, 
combien votre prompte & fincere confei&on m*a 
touchée ; car je fens combien vous a coûté la 
honte de cet aveu, & par conféquent combien 
ce)le de votre faute vous pefoit fur le coeur. 
Upe erreur involontaire fe pardonne & s'ou- 
blie aifément. Quant à l'avenir, retenez bien 
cette maxime dont je ne me départirai point* 
Qui peut s'abufer deux fois en pareil cas, ne 
s'eft pas même abufé la première. 

Adieu, mon .ami; veille avec foin fur. ta 
fanté, je t'en conjure, & fonge qu'il ne doit 
refter aucune trace d'un crime que j'ai par- 
donné. 

P. S. Je viens de voir entre les mains de 
M. d'Orbe des copies du plufteurs de vos 
lettres à Mîlord Edouard, qui m'obligent 
à retraâer une partie de mes cenfures fur 
les rnatieres & le flile de vos obfervations. 
Celles-ci traitent, j'en conviens, de fujets 
importans, & me paroiffent pleines de ré- 
flexions graves & judicieuf<^s. Mais en re- 
. vanche, il eft clair ^ue vous nous dédai- 
gnez beaucoup, ma Cou fine & moi, ou 
que vous faites bien peu de cas de notre 
edime, en ne nous envoyant que des rela- 
tions fi propres à l'altérer, tandis que vou» 
en faites pour votre ami de beaucoup meil- 
leures. Ceft ce me femble afies mal ho- 
norer vos leçons que de jugejr vos écolieres 
TcrnglL H indl- 


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